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Full text of "Dictionnaire de théologie catholique : contenant l'exposé des doctrines de la théologie catholique, leurs preuves et leur histoire"

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University  of  Toronto 


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DICTIONNAIRE 


DE 


THÉOLOGIE  CATHOLIQUE 


TOME    QUATRIEME 
DABILLON  -  EMSER 


Imprimatur 
Parisiis,  die  27  mensis  Decembris  1910. 


f  Léo.   ADOLPHUS, 
Arch.  Parisiens. 


tfcr*-  i    ' 


DICTIONNAIRE 


DE 


THÉOLOGIE  CATHOLIQUE 


CONTENANT 


L'EXPOSÉ  DES  DOCTRINES  DE  LA  THÉOLOGIE  CATHOLIQUE 
LEURS     PREUVES     ET     LEUR     HISTOIRE 


COMMENCE  SOUS   LA   DIRECTION   DE 

A.     VACANT 

nOCTEl'H    EN   THÉOLOGIE,    PROFESSEUR    AU    GRAND    SÉMINAIRE    DE    NANCY 
CONTINUÉ   SOUS   CELLE   DE 

E.   MANGENOT 

PROFESSEUR    A    L'iNSTITUT  CATHOLIQUE    DE  PARIS 

AVEC    LE    CONCOURS    D'UN    GRAND    NOMBRE    DE   COLLABORATEURS 


TOME   QUATRIÈME  ^OoTM£q 

DABILLON-EMSER       *  fSï  * 


"Ottawa 


PARIS 

I.KTOUZEY   ET   ANE,    ÉDITEURS 

7(>bi%    Rue   des   Saints-Pères   (VIP) 

191  I 

TOUS     DROITS    Ht   SERVES 

DELAe/a, 


fr 


24 


è 


LISTE  DES  COLLABORATEURS 


DU    TOME  QUATRIEME 


MM. 

Antoine,  au  Mans  (Sarthe). 

Amure  (le  R.  P.  dom),  chartreux,  à  la  Chartreuse  de 
Florence  (Italie). 

Bareille,  ancien  professeur  de  patrologie  à  l'Institut 
catholique  de  Toulouse. 

Bernard,  à  Paris. 

BlOOT,  curé  de  Remenauville-en-Haye  i Meurthe-et- 
Moselle). 

Brucker,  rédacteur  aux  Études,  à  Paris. 

CbÉBLI  (Sa  Béatitude  Mfc"),  archevêque  de  Beyrouth,  à 
Beyrouth. 

CH0SSA1  le  lî.  P.),  de  la  Compagnie  de  .lésus,  profes- 
seurde  théologie  au  scolasticat  d'Ore  Place  Angleterre). 

Chollet  Sa  Grandeur  Mo1  ,  ancien  professeur  de 
morale  :mx  facultés  canoniques  de  Lille,  évêqne  de 
Verdun. 

Clamer,  professeur  d'Ecriture  sainte  au  grand  sémi- 
naire de  Nancy,  à   Bosserville  (Meurthe-et-Moselle). 

Ci-ERvai..  professeur  d'histoire  ecclésiastique  à  l'Institut 
catholique  de  Paris. 

Constantin,  aumônier  du  lycée  de  Nancy. 

Coulon  le  R.  P.),  des  Frères  Prêcheurs,  professeur  â 
YAngelicum,  à  Rome. 

I'\i  l'iilN,  à  Paris. 

Dehove,  professeur  à  la  l'acuité  libre  des  lettresde  Lille. 

Di  blanchv  (le  H.  P.),  de  la  Société  de  Marie,  professeur 
de  théologie  au  scolasticat  île  Differl  (Belgique),  puis 
au  noviciat  de  Moncalieri  (Italie). 

Edouard  d'Alençon  (le  B.  P.),  des  Frères  Mineurs 
Capucins,  archiviste  île  l'ordre  à  Itome. 

écrive,  professeur  de  philosophie  au  lycée  I  lu  non, 
.1  Paris. 

Forci  r.  professeur  de  théologie  â  i  i  Diversité  de  I 
vain    Belgiqui 

Fournbret,  professeur  de  droit  canonique  â  l'inslitul 
catholique,  el  vice-ofdcial  de  l'archidiocése  de  Pari 


MM. 

Gardeil  (le  R.  P.),  des  Frères  Prêcheurs,  régent  du 
Collège  théologique  de  Kain  (Belgique). 

Gastoué,  à  Paris. 

Gaudel,  vicaire  à  la  paroisse  Saint-Nicolas  de   Nancy. 

Godet,  à  Rosnay  (Vendée). 

Heurtebize  (le  R.  P.  dom),  bénédictin  de  Solesmes,  à 
Ryde  (Ile  de  Wight). 

HlIMBERT,  à  Paris. 

Incold,  à  Colmar  (Alsace). 

Largent,  professeur  honoraire  à  l'Institut  catholique 
de  Paris. 

Le  Bachelet  (le  R.  P.),  de  la  Compagnie  de  Jésus,  pro- 
fesseur de  théologie  au  scolasticat  d'Ore  Place, 
(Angleterre). 

Levesque,  professeur  d'Écriture  sainte  au  grand  sémi- 
naire de  Paris. 

Merlin  (leB.  P.), religieux  augustin,  à  Gand  (Belgique). 

MICHEL,  professeur  de  théologie  aux  Facultés  canoniques 
de  Lille. 

Moisant,  à  Paris. 

Moureau,  professeur  de  théologie  aux  Facultés  cano- 
niques de  Lille. 

N  \i  ,  professeur  à  l'Institut  catholique  de  l'.iris. 

Oblet,  curé  de  la  paroisse  Saint-Georges,  puis  supérieur 

du  grand  séminaire  de  Nancy,  i  Bosserville  Meurthe- 
et-Moselle). 

Ortolan,  A  Rome,  puis  à  Paris. 

Paj  mii  ri  île  R.  p.),  religieux  augustin,  A  Cracovie,  puis 
à  Rome. 

l'i  in  (le  R.  P.),  des  Augustin* de  I  Assomption,  supé- 
rieur de  la  maison  de  Kadi  Keui  ■■  Constantinople. 

Pétridès  (le  li  P  I,  des  kugustins  de  l'Assomption, 
A  la  maison  de  Kadi-Keui,  ;i  Constantinople 

i.iiiii.iii.  professeur  de  théologii  au  I  icultél  cano- 
niques de  Lille. 


VIII 


LISTE    DES  COLLABOR  \T!.U;> 


MM 

Raymond  (le  n.  P.),  des  Frère* Mineurs  Capucins,  pro- 
fesseur de  théologie  au  scolasiicat  de  Kadi  Keuî,  a 
Constantinople. 

ROLAND,  vicaire  à  la  paroisse  Saint-Géraud  d'Aurillac 
(Cantal). 

Su  wii.i.i:  (le  It.  P.),  des  Augustins  de  l'Assomption,  à 
la  maison  de  Kadi-Keui,à  Constantinople. 

Schwalh  (le  R.  P.),  des  Frères  Prêcheurs,  à  Nice  (f  le 
7  novembre  1908). 

SERVAIS  (le  R.  P.).  carme  déchaussé,  au  couvent  de 
Jambes-lès-Namur  (Belgique). 

ServièRE  (le  R.  P.  de  la),  de  la  Compagnie  de  Jésus, 
professeur  d'histoire  ecclésiastique,  au  scolasticat 
d'Ore  Place  Angleterre). 


MM. 
VaCAMDARD,  premier  aumônier  du   lycée   Corneii 
Rouen. 

Vaii.uk    (le    R.    P.),   des    Au-ustins     de   l'Assomption, 
rédacteur  aux  Échos  d'Orient,*  Constantinople. 

V ALTON,    ancien    professeur  au    grand    séminair' 
Langres,  à  Paris,  puisa  Tepeapulco  (Mexique). 

it,  professeur  d'histoire  ecclésiastique  à  l'Institut 
catholique  de  Lyon  et  au  grand  séminaire  de  Saiut- 
Paul-Trois-Chàteaux  (l>rùme). 

Verschai  rFEL,  à  Paris. 

Vii.i.ikn.  professeur  de  droit  canonique  à  l'Institut  catho- 
lique de  Paris. 


DICTIONNAIRE 


DE 


THÉOLOGIE   CATHOLIOUE 


D 


DABILLON    ou    D'ABILLON  André    fut   quelque 

temps  jésuite,  subit  l'inlluence  du  visionnaire  Jean  La- 
badie,  sortit  avec  lui  de  la  Compagnie  de  Jésus  (1039)  el 
l'accompagna  dans  ses  missions  en  Picardie,  mais  ne  le 
suivit  pas  dans  ses  erreurs  et  son  apostasie.  Fait  grand- 
vicaire  par  Mfl'  deCauinarlin,  évèque  d'Amiens,  Dabillon 
accepta  ensuite  la  cure  de  Magné,  près  Niort;  il  mourut 
à  .Magné  vers  16(i'i.  Il  a  publié  :  La  divinité  défendue 
contre  les  alitées,  in-8°,  Paris,  1641.  Il  a  aussi  prétendu 
rendre  la  pbilosopbie  plus  accessible  et  en  même  temps 
plus  solide,  dans  son  Nouveau  cours  de  philosophie  en 
français,  divisé  en  A  parties  contenant  la  logique, 
métaphysique,  physique  et  morale,  suivant  Ut  doctrine 
tifs  plus  célèbres  aulheurs,  4  in-8°,  Paris,  1G43.  Le 
titre  courant  des  volumes  porte  :  La  philosophie  des 
bon»  esprits.  Il  a  fait  paraître  à  pari  :  La  métaphysique 
des  bons  esprits,  ou  Violée  d'une  métaphysique  fami- 
lière el  solide,  in-8°,  Paris.  1642;  La  morale  des  bons 
esprits,  mi  l'idée  et  abrégé  d'une  morale  familière  el 
solide,  in-8°,  Paris,  1643.  I.'  «  auteur  célèbre  «  que  Da- 
billon  déclare  suivre  de  préférence  est  Ockam,  le  chef 
de  l'école  nominaliste.  On  a  encore  de  lui  :  Le  co\ 
de  la  grâce,  on  Réflexions  théologiques  sur  le  second 
concile  d'Orange,  el  le  parfait  accord  de  ses  décisions 
avec  celles  du  concile  de  Trente,  in-4°,  Paris,  1645. 

Mémoires  pour  servir  <i  l'histoire  des  hommes 
illustre*  dans  la  Républiqut   '1rs  lettres,  t.  xx;  /' 
i  tri,  Paris,  17.^9,  t.  iv. 

.los.  Brucker. 
DADIKÈS,  polémiste  grec  du  xvui<  siècle.  <»n  i  n  a 
fait  un  n  unir  d'origine  Cretoise;  il  appartenait  plutôt  à 
la  famille  dalmate  des  Dadich.  En   1770,  il  comp< 
Venise  an  ouvrage  de  controverse  intitulé  :  (Ispi  -mi 

Siafopûv  r>;  àvaTo).iXT,<  xal  âvrtxfjc  lxxXï|as'a<    I  • 
cinq  points  discutés  par  l'auteur  sont  la   primant,   du 
pape,  la  procession  du  Saint-Esprit,  les  azymes,  le  pur- 
gatoire et  la  béatitude  des  saints.  Son  livre  esl  resté 
Inédit, 
A.  <:.  Deroetral  .  'eu**,  p.  lf*8. 

S.  Pi iKini s 
DAELMAN   Charle«-Ghislain,    théologien 

a  Mons  en  1670.  Après  de  brillantes  humanités,  il  vinl 
étudier  la  philosophie  el  la  théologie  a  l'université  de 
Louvain,  o  le  firent  vite  remarquer    il  \ 

fat  proclam  ivement  docteur,  c  docteui  n 

DICTT,    DE  THÉOL.  I  '.moi.. 


et  professeur  ordinaire  à  la  faculté  de  théologie,  el  pré- 
sident du  collège  Adrien  VI,  dit  Collège  du  pape.  Il  fut 
en  outre  chanoine  de  Saint-Pierre  en  la  même  ville  et 
chanoine  de  Sainte-Gerlrude  à  Nivelles,  11  mourut  à 
Louvain  le  21  décembre  1731,  après  avoir  été  plusieurs 
fois  recteur  de  l'université.  La  charge  rectorale  était 
alors  non  une  charge  à  vie,  mais  une  charge  simple- 
ment semestrielle,  le  titulaire  pouvant  du  reste  être 
réélu.  Ce  détail  historique  a  sûrement  échappe-  aux  au- 
teurs qui,  énuméranl  les  fonctions  et  les  honneurs 
auxquels  Daelman  s'éleva  par  son  talent,  concluent  en 
disant  qu'il  «  devint  finalement  recteur  de  l'université  ». 
Si  nous  en  croyons  son  épitaphe,  d'ailleurs  très  élo- 
gieuse,  qui  se  voit  encore  dans  la  chapelle  île  Sainl- 
Charles-Borromée  en  l'église  primaire  de  Saint-Pierre. 

il  avait  été  nommé  au\  sièges  épiseopaux  de  Xamur, 
de  <  ■nid  el  de  Tournai,  et,  trois  fois,  il  avait  eu  la  mo- 
destie de  refuser.  La  même  inscription  rapporte  sa 
mort  à  l'année  et  au  jour  marqués  ci-dessus;  c'est  donc 
à  tort  que  certains  articles  biographiques  indiquent  la 
date  de   1730  el   que  le  31   décembre  a  été  substitué 

au  21. 

Daelman  jouissait,  en  son  temps  et  dans  son  milieu, 
d'une  considération  peu  commune.  11  la  de\ait  à  la  ré- 
gularité exemplaire  de  sa  vie,  à  son  caractère  aimable 
ei  à  son  entente  des  affaires  autant  qu'à  l'ardeur  et  à 
la  facilité'  de  son  activité  scientifique.  A  celle-ci  il  joi- 
gnait volontiers  les  pratiques  du  zèle  sacerdotal,  et  l'on 

a  noté  qu'il  aimait  a  diriger  les  études  des  lils  de  fa- 
mille se  préparant  à  recevoir  les  saints  ordres.  On  a  de 
lui  un  cours  de  théologie,  qui  a  pour  ba^e  ri  qui  suit 
l'ordre  <\e  la  Somme  de  saint  Thomas,  sans  se  h  in- 
former jamais  en  commentaire  perpétuel,  mais  en  s'at- 
tachanl  plutôt   i  bien  mettre  en  lumière   1rs  thèses  el 

1rs  difficultés  principales.  Cette  œuvre  se  reco tande 

par  la  lucidité  <l-  l'exposition,  ainsi  que  par  la  solidité 
de  la  doctrine  el  par  une  sa^r  défiance  à  l'endroit  des 
erreurs  jansénistes  el  quesnellistes,  Malgré  ses  mérites, 
elle  ne  fut  publiée  qu'après  la  mort  de  l'auteur,  par  les 
réunis  du  baron  De  Rael  Vander  Voorl  ri  ,\r  l'itn- 
pi  imeur  anveraois  lac  |ues  l'"  rnard  Jourel.  Sous  |,  titre 
,ir  y/,..  t observationet  theologiccein  Sumn 

h  Thomse,  elle  parut  simultanément  en  deux  éditions 
dont  l'une  comprenant  3  in  fol.,  Anvers,  1736-1737,  ri 
l'autre,  9  In  8°,  Anvers,  1731-1737    A  côté  de  ce  grand 

IV.  -  i 


:; 


DAELMAN 


DAILLl 


ouvrage,  il  esl  telle  notice  >j ■■  ■  en  attribue  à  Daelman 
deui  autres,  à  Bavoir  un  i  traité  recherché     De  aclu 
bus  humanit  el  des  Thèse*  sur  le  tyttènie  dt 
en  réponse  à  Jt  Louvain,  1706.     Mais  le 

De  actibus  humanit  esl  certainement  celui  qui  fait 
partie  intégrante  de  la  Tlieologia,où  il  occupe  Ba  place 
naturelle  suivant  le  plan  connu  du  Docteur  angélique; 
et  les  Thèses  sur  le  système  de  la  g  blent  bien 

être  aussi  les  Theseseî  les  Qusutiones  qui  figurent  dans 
le  même  ensemble,  en  guise  d'appendice  complémen- 
taire .m  traité  De  gratia.  Aux  diverses  parties  de  la 
Theologia  les  éditeurs  ont  joint  des  Discours  de  circon- 
stance,  que  Daelman  a  prononcés  pour  la  plupart  à 
l'occasion  de  promotions  théologiques.  Iiim*  ces  naran 
gués  officielles  et  solennelles,  l'orateur  quille  parfois, 
bien  que  rarement,  le  domaine  de  la  théologie  pour 
celui  de  l'histoire,  et  l'on  sent  facilement  qu'il  esl 
moins  a  l'aise  et  moins  informé  que  sur  son  terrain 
habituel;  il  y  parle  du  reste  un  latin  qui  vise  manifes- 
tement à  s'élever  au-dessus  du  latin  théologique  ordi- 
naire, mais  dont  l'élégance  n'est  pas  toujours  égale  à 
elle-même. 

Ue  Ram,  De  laudibus  quibus  veteres  Lovaniensium  theuluji 

effem  possunt,  Louvain,  1848;  De  Smet,  art.  Daelman,  dans 

la   Biographie  nationale  publiée  par  l'Académie  royale  de 

\ue,  Bruxelles,  187;f.  t.  iv  //.  l'iron,  Algemeene  levens- 

iryving  det  n  urouwen   van  Delgie,  Malines, 

1860. 

.1.   FORGET. 

DAGN  Placide,  bénédictin,  né  à  Sœll  le  7  juillet 
I7i.">,  mort  le  2  août  1817,  appartenait  a  l'abbaye  de 
Fieclit  en  Tyrol,  y  enseigna  la  théologie  el  y  remplit  les 
fonctions  de  prieur.  On  a  de  lui  :  (iodescalcus  ab  errore 
prsedestinatorum  vindicalus,  in-8°,  Tnspruck,  1777: 
Paraphrasis  vaticinii  Jacobsei  de  perennitale  scep- 
iri  Juda,  cum  assertionibus  ex  universa  tlieologia 
dogmatica  publiée  propugnandis  in  ascelerio  bene- 
dictino  Georgimonlano,  in-80,  Inspruck,  1783. 

Hurter,  Nomenclator,  1895,  t.  m,  col.  593;  Seriptores  ord. 
S.  Benedicti  <pii  {750-1880  fuerunt  in  imperio  Austriaco- 
UungariCO,  in-4  ,  Vienne.  1881,  p.  51. 

B.    Illl  RTl  B1ZI  . 

DAGUERRE  Jean,  théologien  français,  né  à  Lar- 
resorre  en  1709,  mort  le  25  février  1785.  Malgré  la  pau- 
vreté de  ses  parents,  il  alla  étudier  la  théologie  à  Bor- 
deaux sous  le  l'ère  Chourio,  jésuite.  Revenu  dans  son 
pays,  il  fut  vicaire  à  Anglet,  puisa  Rayonne.  Il  prêcha 
avec  succès  des  missions  dans  le  diocèse  et  entreprit  d'y 
établir  un  séminaire.  Il  réussit  dans  celle  œuvre  diffi- 
cile et  le  séminaire  de  Larresorre  fut  terminé  en  I7:'>;'>; 
il  en  fut  le  directeur  jusqu'à  sa  mort.  11  fonda  en  outre 
à  Hasparren  un  monastère  de  femmes  auquel  il  donna 
en  les  modifiant  légèrement  les  règles  des  religieuses 
de  la  Visitation.  Il  publia  :  Abrégé  des  principes  de 
morale  cl  des  règles  île  conduite  qu'un  prêtre  doit  sut- 
pour  bien  administrer  les  sacrements,  in-12,  Poi- 
tiers. 177.').  D'autres  éditions  de  cel  ouvrage  parurent 
en  1819  et  1823  complétées  et  revues  par  M.  l'abbé  Lam- 
bert, vicaire  général  de  Poitii 

Picot,  tlémoirt  s  pour  --f-i-ir  à  l'histoire  ecclésiastique  pen- 
dant le  wiir  siècle,  3  i  dit.,  1856,  t.  V,  p.  471. 

13.  lii  i  RTl  i.i/i  . 

DAILLÉ  Jean,  DALLAEUS,  prédicateur  el  théolo- 
gien calviniste,  naquità  Châlelleraull  le  6  janvier  1594. 
Après  avoir  rail  ses  études  à  Saint-Maixent,  Poitiers, 
Chàtellerault,  Saumur,  il  fui  choisi  par  Duplessis- 
Mornay  pour  précepteur  <le  ses  deux  petits-fils,  el  lii 
en  leur  compagnie  de  nombreux  voyages  à  l'étranger; 
il  se  lia  d'amitié  à  Venise  avec  Fra  Paolo  Sarpi  el 
Asselineau.  Rentré  en  France  en  1621,  il  se  lit  recevoir 
ministre,  fut  choisi  en  lti-J(i  par  le  consistoire  de  Paris 

I •  pasteur  de  l'église  de  Charenton.   Il  occupa  ce 

poste  pendant  quarante-quptre  .ms,  célèbre    par  -es 


prédications  et  ses  ouvr  - 

docteurs  catholiques.  Il  l'ut  modérateur  au  synode  na- 
tional de  Loudun  (1659),  le  dernier  qui 
aient  tenu  avec  la  permission  du  roi.  En  celle  qualité, 
il  re.  ut  communication  de  l'interdiction  que  Louis  XIV 
faisait  aux  Réformés  de  tenir  désormai 
nationaux,  et  s'efforça  en  vain  de  faire  rappoi 
décision.  Il  mourul  i  Paris,  le  1.7  avril  1670 

Daillé  eut,  de  son  temps,   une   véritable  réputation 

<i  orateur  et  de  théologien  ;  Balzac  i  un  grand 

ur  »;  d'après  Patin     ceux  de  la  Religion  disaient 

que,  depuis  Calvin,  ils  n'avaient  pas  eu  de  meilli 

plume  que  H.   Daillé.       Bossuel  avait  fait  vingt-deux 

traits  de  ses  ouvrages  en  vue  de  les  réfuter. 

Comme  théologien,  son  attitude  pai   rapport  a  1  auto- 
rité des  sainis  Pères  esl  remarquable.    Lies  ses  pre- 
mières publications,   il  lui  consacre  un   traité  spécial, 
destiné  à  prouver  i   que  les   Pères  ne  peinent  • 
juges   des   controverses   aujourd'hui   agitées  entre  ceux 
de   l'Église   romaine   et   les   protestants  :   I     parce  qu'il 
est,  sinon  impossible,  au  moins  très  difficile,  descavoir 
nettement   et  précisément  quel  a  esté  leur  sentiment 
sur  icelles  ;    2°   parce  que  leur  sentiment  (posé  qu'il 
fust  certainement   et  clairement  entendu;  n'estant  pas 
infaillible,  ni  hors  de  danger  d'erreur,  il  ne  peut  avoir 
une  autorité  capable  de  satisfaire  l'entendement,  qui 
ne  peut  ni  ne  doit  croire  en  matière  de  religion  que 
ce  qu'il  sçait  eslre  assurément  véritable.       Trait* 
l'emploi,   préface.    11  reconnaît  cependant  qu'on   doit 
respecter   et    étudier    les    ouvrages   des   s,,inis    p. 
»  argumentant  de  ce  que  nous  y  trouverons  négative- 
ment plutôt  que  positivement.  •  Cette  thèse  fut  attaquée 
non    seulement    par   les    controversisles    catholiques, 
mais  par  les  anglicans  l'earson,  Beveridge,  Cave,  Wor- 
ton.   Cf.  Rébelliau,  Bossuel  historien,  p.  ô0.  Daillé  y 
revint  dans   son   livre   La  foy  fondée  sur  les  sait) 
Ecritures,  où  il  prétend  prouver  que  tous  les  do_ 
chrétiens  sont  explicitement  contenus  dans  la  Bible, 
ou  du  moins  peuvent  se  déduire   logiquement  des  doc- 
trines  scripturaires.  Pans  ses  dernières  années,   en- 
traîné' par  le  mouvement  d'études  patristiques  qui  des 
anglicans  avait  passé   aux  calvinistes  français,   il  re- 
connut «  que  les  Pères  peuvent  être  ouïs,  non  comme 
juges,  mais  comme  témoins  de  la  tradition  de  11- 
de  leur  temps,  et  que  les  écrivains  des  trois  premiers 
siècles  sont  la  première  et  principale  partie  de 
enqueste       Réplique  aux  deux  Unes,  c.  II.  Et  il  con- 
sacre plusieurs  ouvrages  importants  à  prouver  que  les 
dogmes  et  les   pratiques  romaines  furent  inconnus  i 
l'Eglise  des  trois  premiers  siècles,  ou  même  positive- 
ment réprouvés  par  elle.  Cf.  Réplique  aux  deux  li 
c.  v-xxxvn,  et  les  ouvrages  indiqués  ci-dessous.   Ré- 
belliau, Bossuel  historien,  p.  52. 

Il  n'existe  pas  d'édition   des   œuvres  complètes  de 
Daillé.   Ses  principaux  traités  sont  :  Traité  de  l'emploi 
ur  le  jugement  des  différends  gui 
sont  aujourd'hui  en   la  religion,  Genève,    I(»;t2;  trad. 
latine,  Genève,  1636,   lt>.V>.  1686;  Londres,  li>7.">: 
logie  pour  les  Eglises  réformées  où  est  prouvée  !■■ 
v  de   leur  séparation   d'arec   l'Église  roma 
Charenton,  li>;>;>.  1641;  trad.  anglaise,  1653; trad.  latine, 
Amsterdam,  1652;  Genève,  l(>77.  La  foy  fondée  sur  hs 
sainetes  Écritures,  Charenton,  1634,  1661;  Irad.  latine. 
Genève,  1660,  1677;  De  la  créance  des  Pères  sur  le  fait 
des  images.  Genève,  1641;  trad.  latine,  1642;  De\ 
et  satisfaclionibus  humanis,  Amsterdam,  1649;  0 
juniis  et  quadragesitna,  Devenler,  1654,  1657;  Dispu- 
talio  de  8  Latinorum  ex  unctione  sacra  -      nfir- 

matioue  el  extrema  unctione,  Genève,  1659;  Disputatio 
de  sacramentali  sire  auriculari  Lalinoruti 
sione.  Genève,    1661;   Réplique  de  Jean    Daillé 

deux  livresque  Messieurs   Adam  el  Cottiby  Ont  pu 

contre  lui,  Genève,  1662;  Advenus  Latinorum  de  culius 


DAILLE 


DAM 


religiosi  objeclo  traditionem,  Genève,  1661- ;  Exposition 
de  l'institution  de  la  saincte  cène,  Genève,  I664-;  De 
eultibus  religiosis  Latinorum,  Genève,  1671.  Vingt  vo- 
lumes de  sermons  furent  imprimés  en  divers  lieux,  de 
1644  à  1670. 

Bayle,  Dictionnaire,  art.  Daillé ;  [A.  Daillé],  Les  deux  der- 
niers sermons  de  M.  Daillé,  prononcez  à  Charenton  te  jour 
de  Pasques.  sixième  avril  iùlO,  et  le  jeudy  suivant,  avec  un 
abrégé  de  sa  vie  et  le  catalogue  de  ses  Œuvres,  Charenton, 
1670:  Haag,  La  France  protestante,  t.  IV,  p.  180  sq.;  Rébelliau, 
Bossuet  historien  du  protestantisme,  Paris,  1892;  Recolin, 
Daillé,  dans  Y  Encyclopédie  des  sciences  religieuses  ;  Vinet, 
Histoire  de  la  prédication  réformée  au  xvir  siècle,  Paris,  1860, 
p.  182  sq.  ;  Kirchenlexikon,  t.  v,  col.  1341-1342;  Realencyclo- 
pâdie,  t.  IV,  p.  427-428. 

J.  de  la  Servi  ère. 

DAINEFF,  DAINEFFE  Grégoire,  né  à  Liège,  doc- 
teur en  théologie  de  l'ordre  des  ermites  de  Saint- 
Augustin,  enseigna  dans  l'abbaye  de  Saint-Hubert.  Il 
vécut  dans  la  première  moitié  du. XVIIe  siècle.  On  a  de 
lui  :  Epitome  hisloriarum  vil  se  monaslicse  sancli 
Augustini,  imprimé  avec  un  ouvrage  de  Jean  Gonzalez 
de  Cri  tan  a  :  De  institutione  et  antiquilate  familiœ 
S.  Augustini,  Anvers,  1612.  Il  composa  également  :  Tra- 
ctatus  de  triplici  mundo,  divino,  angelico  et  liumano; 
la  I"  partie  de  ce  traité  De  mundo  divino  a  seule  été 
publiée,  in-fol.,  Liège,  1631). 

Valère  Antlré,  Bibliotheca  Belgica,  in-8",  Louvain,  1643, 
p.  299;  Militer,  Nomenclator,  3"   édit.,   1907,  t.   m,  col.  633. 

B.  Heurtebize. 
DALBIN  Jean,  théologien  français,  né  à  Toulouse 
mis  1590,  fut  archidiacre  de  la  cathédrale  de  cette  ville. 
Controversisle,  il  a  publié  :  Discours  et  avertissements 
salutaires  au  simple  et  très  chrétien  peuple  de  France 
pour  connaître  les  bons  et  fidèles  évangélisateurs  des 
faux  prophètes  par  une  conférence  des  Ecritures  sain- 
tes et  anciens  docteurs  faite  avec  les  ministres  de 
l'évangélique  réformation  touchant  le  fait  et  la  voca- 
tion légitime,  in-8",  Paris,  1566;  Six  livres  du  sacre- 
mentde  l'autel  prouvé  par  des  taies  d'Écriture  sainte, 
autorité  des  anciens  docteurs  cl  propres  témoignages 
des  adversaires  de  l'Église  catholique,  in-8",  Paris, 
1566:  Opuscules  spirituels,  in-8",  Paris,  1567;  Lamar- 
que  de  l'Église,  in-8»,  Paris,  1568. 

li.   Il  Kl  RTEBIZE. 
DALGA1RNS    John  Dobrée    naquit    dans    l'île    de 
C.iic[|].-i\   li    21  octobre  1818.  fit   ses  éludes  à  Oxford, 
où  il  fut  rei  u  maître  es  arts,  et  devint  scbolar  au  col- 

mouvement  anglo-catho- 
lique  d'Oxford,  il  publia  dans  l'Univers  une  lettre, 
datée  du  dimanche  de  la  Passion  1841,  sur  les  partis 
de  l'Église  anglicane.  Elle  esl  reproduite  dans  le  Dic- 
tionnaire des  conversions  'I  Migne,  Paris,  1852,  col.  i  S3- 
148.  Il  collabora  à  la  traduction  anglaise  de  la  Catcna 
aurea  de  saint  Thomas  sur  les  Évangiles,  qui  parut  avec 
une  préface  de  Newman,  i  vol..  Oxford,  1841-1845. 
Bientôt  apr<  s,  il  -  joignit  à  Newman el  se  retira  auprès 
de  lui  à  Littlemore.  Il  collabora  a  Ba  collection  des 
es  of  the  English  Saints,  et  y  publia  une  vie  de 
saint  Etienne  llarding,  Londres,  1844,  qui  eut  plusieurs 
éditions,  el  qui  fut  traduite  en  fiançais,  Tours,  1848,  et 
m  allemand,  Mayence,  1865,  el  celles  des  saints  Hélier, 
Gilbert,  Aelred.  Il  écrivit  dans  le  BritUh  Critic  des  ir- 
ticl  i8  sur  Dante,  les  jésuites  i  t  l'histoire  de  la  Vendée.  Le 
ptembre  1845,  il  abjura  l'anglicanisme  a  Aston-Hall 
entre  les  mains  du  P.  I  lominiqui  i  lalien  . 

il  précédait   Newman  de  quelques  jours.  En   1845,  il 
étail  i    s''  préparer  au  saci  rdo  ■  auprès 

de   l'abbi    lovain;  il  y   fut  ordonm    prêtre  en   I 

ignit  Newman  à  Rome.  U  entra  avec  lui  à  l'Oratoire 

tint  Philippe  de  Néri,  et  fut  un  d     premiers mbrefl 

de  i - 1   -  i  ii  n  i    itorii  nne  d  ing h  i  i  n   constituée 

en  i  n  n  ligion  le  nom  de  Bi  i  nard 

rtir  du  mois  de  mai  1849  il  demeura  :i  la  maison  de 


Londres,  employé' au  saint  ministère  et  à  la  prédication, 
sauf  un  séjour  de  trois  ans  à  Birmingham  (octobre 
1853  à  octobre  1856),  jusqu'à  sa  mort,  le  8  avril  1876.  Il 
en  avait  été  le  supérieur  de  1863  à  1865.  Il  publia  beau- 
coup d'articles  dans  la  Dublin  Review,  entre  autres,  The 
German  Mystics  of  the  fourleenl/t  century,  1858,  qui 
fut  publié  à  part,  et  dans  la  Conleniporary  Review, 
1874,  t.  xxiv,  p.  321  sq.,  un  essai  :  Tlie  Personality  of 
God.  Les  deux  écrits,  tout  remplis  d'onction,  qui  l'ont 
rendu  célèbre,  sont  :  1°  The  dévotion  to  the  Sacred 
Heart  of  Jésus,  avec  une  introduction  sur  l'histoire  du 
jansénisme,  in-8°,  Londres,  1853;  2"  TheHoly  Commu- 
nion, ils  philosophy,  theology  and  praclice,  in-12, 
Dublin,  1861,  dont  une  traduction  allemande  a  paru  à 
Mayence,  en  1862,  et  la  version  française  par  l'abbé 
Godard,  forme  2  in-12,  Paris,  1863,  sous  le  titre  :  La 
sainte  communion. 

Dictionnaire  des  conversions  de  Migne,  Paris,  18Ô2,  col.  4V2- 
448,  977-979;  Kirchenlexikon,  t.  u,  col.ViO-341;  The  dictionary 
of  national  biography,  Londres,  1888,  t.  xm,  p.  388-389; 
J.  Gillow,  A  bibliographical  dictionary  of  the  Englisli  catho- 
lics  from  the  breacli  with  Rome  in  i53i  to  the  présent  ti me, 
Londres,  1885-1902,  t.  u. 

E.  Mangenot. 

DAM.  —  I.  Définition.  IL  Preuves.  III.  Gravité. 
IV.  Durée.  V.  Inégalités  de  la  peine  du  dam  en  enfer. 
VI.  La  peine  du  dam  en  purgatoire.  VIL  Dans  les 
limbes.  VIII.  Sur  la  croix,  Notre-Seigneur  a-t-il  souf- 
fert la  peine  du  dam? 

I.  Définition.  —  Le  mot  dam,  du  latin  daninum, 
perte,  dommage,  et,  par  suite,  peine,  souffrance, 
signifie,  dans  le  langage  théologique,  la  peine  essentielle 
et  principale  due  au  péché. 

La  peine  du  dam  se  distingue  de  la  peine  du  sens, 
et  cela,  dit  saint  Thomas,  de  trois  manières  diffé- 
rentes, selon  que  l'on  considère  Dieu  qui  l'inflige,  ou 
le  pécheur  qui  la  subit,  ou,  enfin,  la  faute  dont  elle  est 
le  châtiment. 

1»  Si  l'on  considère  Dieu  qui  l'inflige,  la  peine  du 
dam  embrasse  toute  peine  dont  Dieu  esl  l'auteur  par  ip 
simple  retrait  qu'il  fait  de  sa  présence  et  de  ses  bien- 
faits, tandis  que  la  peine  du  sens  est  l'effet  d'une  action 
afflictive  et  positive  de  Dieu.  Ainsi,  par  exemple,  la  pri- 
vation de  la  grâce  sanctifiante  et  des  dons  surnaturels 
qui  l'accompagnent,  se  ramène  à  la  peine  du  dam  envi- 
sous  ce  premier  rapport.  Ilujus  pœnse  Deus  causa 
esl,  mm  quidem  agendo  aliquid,  sed  potius  non  agenda. 
Pœna  vero  sensusest  qvue  per  aliquam  actionem  infli- 
gitur,  d  hujus  ,  etiam  agendo,  Deus  est  auctor.  Cf.  s. 
Thomas,    hi   IV  Sent.,  1.  II,  dist.  XXXVII,  q.  III,  a.   I. 

2-  Par  rapport  au  pécheur  qui  la  suint,  la  peine  du 
dam  est  toute  peine  consistant  formellement  en  une 
privation,  que  celle  privation  soit  accompagnée  de  souf- 
france, ou  non  ;  car  il  n'est  pas  de  l'essence  de  la  peine 
i  u  général  de  causer  toujours  la  douleur.  Pour  que  la 
notion  de  peine  soit  réalisée,  il  suflit  d'une  opposition 
à  la  volonté  que  les  théologiens  appellent  habituelle. 
comme  serait,  par  exemple,  la  peine  provenant  de  la 
prh  iiion  d'un  bien  donton  souffrirait,  si  on  la  con- 
aaissait,  tandis  qu'on  n'en  souffre  point,  parce  que.  de 
fait,  on  ne  la  connaît  pas.  ou  on  ne  s'en  aperçoit  pas. 
Cf.  S. Thomas, Quast.  disp.,  De  malo,q  i,  i.  5,  6;  q.  v, 
a.3,  ad  3om.  Telle  esl  la  peine  du  dam  pour  les  enfante 
morts  sans  baptême,  ou  pour  les  adultes,  qui,  au  mo- 
menl  de  la   mort,  n'auraient  aucune  faute  grave,  en 

dehors  du  pé<  I iginel.  La  privation  éternelle  de  la 

vision  béatifiq isl  assurément  un  très  grand  malheur 

pour  eux;  mais  Ha  n'en  souffrent  pas  positivement,  car 
l'absence  de  la  justice  originelle  ne  les  prédisposait 
i  cette  vision  béatifique  qui  dépasse  infiniment  les 
forces  et  li  la  nature  humaine.  In  outre, 

il    Ignorent  qu'ils  étaient  lurnaturellemenl  destin 
la  pos-   jion  de  Dieu,  cette  vérité  étant  l'objet  de  la 


DAM 


i     i  lation,  et  cette   coni  v<  nanl    a   l'homme 

uniquemenl    par    la    foi    qu'ils    n  ont     jamaii 
Cf.  s.   Thomas,  De  malo,  q.  v,  a.   I.  ad  2,  '■'•■ 

S  Anselme,  De  conceptu  virginali,  c.  xxvu,  P.  /.., 
t.  ci. \in.  col.  161.  La  peine  du  sens,  au  contraire  par 
rapport  au  pécheur  qui  la  subit,  i  a  nue  dou- 

leur ou  torture  positive.  Pour  ce  motif,  el  vu  l'extrême 
souffrance  qu'elle  cause,  la  peine  du  dam  peut  se  rame- 
ner à  celle  <lu  sm~  chei  les  damnés,  qui,  i  la  faute 
originelle,  ont  ajouté  des  péchés  personnels.  Ils  savent 
en  ellet  <|iie,  siirnatiirelloiiiont  destinés  à  la  gloire 
céleste,  ils  s'en  sont  eux-mêmes  volontairement  et 
définitivement  exclus  par  une  faute  grave  de  leur  part. 
Pour  eux  la  peine  du  dam  est  plus  terrible  même  que 
la  peine  du  feu  éternel.  Néanmoins  le  supplice  épou- 
vantable dont  ils  soutirent  par  la  seule  privation  de  la 
vision  béatiGque,  esl  communément  appelé  peine  du 
«lam.  parce  qu'il  esl  alors  comme  la  conséquence  natu- 
relle de  l'éloignement  de  Dieu.  Cf.  S.  Thomas,  De 
malo,  q.  v,  a.  2;  Salmanticenses,  Cursus  tlteologicus, 
tr.  XIII,  De  vitiis  et  }>eccatis,  disp.  XVIII,  dub.  i,  §1, 
n.  1-7,  21  in-8»,  Paris,  1876-1883,  t.  vin,  p.  397-400; 
Lessius,  De  perf'ectionibusnioribusque  dirinis,  1.  XIII, 
De  justitiaet  ira  Dei,  c.  xxix,  n.203,  in-8",  Paris,  1881, 
p,  503;  Suarez,  De  angelis,  1.  VIII,  c.  \.  n.  U.  Opéra 
omnia,  28  in-'t»,  Paris,  1856-1878,  t.  n,  p.  976;  Billot, 
Disquisitio  de  natura  el  ralione  peccati  personalis, 
sive  inlroduclio  ad  tractation  de  psenilenlia,  part.  I, 
c.  il,  q.  LXXXVIt,  n.  4,  in-81,  Home,  1897,  p.  76. 

3°  Enfin,  si  l'on  considère  la  faute  dont  elle  est  le 
châtiment,  la  peine  du  dam  est  celle  qui  correspond  à 
l.i  faute,  en  tant  que  par  elle  le  pécheur  se  détourne  de 
Dieu,  souverain  bien;  par  suite,  la  peine  du  dam  est 
inlinie,  puisqu'elle  est  la  perte  irrémédiable  de  Dieu 
qui  est  le  bien  infini.  La  peine  du  sens  correspond  à 
la  faute,  en  tant  que  par  elle  le  pécheur  se  tourne 
vers  la  créature,  pour  mettre  en  elle  sa  lin  dernière, 
et  en  jouir  en  dehors  de  l'ordre,  ou  plutôt  contraire- 
ment à  l'ordre  lixé  par  la  loi  éternelle.  Cf.  S.  Augustin, 
Contra  Faustum,  1.  XXII,  c.  xxvni,  /'.  /...  t.  xui. 
col.  419;  S.  Thomas,  Sunt.  theol.,  II«  11  .  >\.  x\.  a.  ;. 
q.  XXXIV,  a.  1;  Salmanticenses,  op.  cit.,  tr.  XIII.  De 
viliis  el  peccalis,  disp.  M  11.  dub.  iv,  S  1-3,  n.  90-108. 
t.  vin,  p.  389-397;  Suare/..  loc.  cil.,  c  i\,  n.  i.  t.  il, 
p.  973.  La  peine  du  sens,  correspondant  à  la  conver- 
sion désordonnée  du  pécheur  vers  la  créature  qui  est 
finie,  est  elle-même  finie,  quelque  terrible  qu'elle 
paraisse.  Cf.  S.Thomas,  Sum.  Iheol.,  I*  II',  q.  i.xxxvn. 
a.  i  ;  III  ■  Suppl.,  q.  xcix,  a.  I. 

Prise  dans  la  signification  spéciale  qu'on  lui  donne 
communément,  la  peine  du  dam  indique  donc  le  dam- 
num  par  excellence,  ou  le  dommage  le  plus  grand  que 
l'homme  puisse  subir,  c'est-à-dire  l'exclusion  définitive 
de  la  vie  éternelle,  la  perte  irrémédiable  de  la  béati- 
tude suprême,  la  privation  de  la  vision  béatiGque  et  de 
la  possession  de  Dieu,  la  mors  secundo,  dont  parle 
l'Apocalypse,  xxi,  8.  cette  mort  éternelle  que  la  mort 
elle-même  ne  peut  finir,  comme  s'expriment  saint  Au- 
gustin, De  civitate Dei,  1.  XIX.  c.  xxviii,  /*.  /..,  t.  xi.i, 
eol.  656,  et  saint  Grégoire  le  Grand,  Moral..  I.  IX. 
•  ■■  l.xvi.  /'.  /..,  t.  l.xxv.  col.  91.").  Par  suite,  chez  les 
adultes,  damnés  pour  des  péchés  personnels,  la  i 
du  dam  indique  aussi  le  supplice  le  plus  épouvantable 
que  l.i  créature  puisse  endurer.  Cesl  dans  celte  peine 
du  dam  que  consiste  essentiellement  l'enfer,  tontes  les 
autres  peines  n'étant,  par  rapport  à  elle,  que  comme 
des  accidents  qui  en  découlent.  Cf.  Pesch,  Pralectiones 
dogmalicm,  De  novissimis,  part. I, sect. îv,  a.;'.,  n  643, 
!>  in-8°,  Fribourg-en-Brisgau,  1902,  t.  ix.  p.  317, 

il.  Preuves.  —  La  peine  du  dam  est  nettement 
indiquée  par  les  paroles  que  prononcera  le  souverain 

au  jour  du  jugement  dernier  :   Discedite  a 
malediçti,  m  ignem  ;rtrr>t<<in.  Hatth.,  \\\.   11.  Si  la 


ade    parie    de   la  lentence    in  igi 
fait  connaître   la  peine  du  sens  réservée  aux  maudits 
pour  toute  l'éternité,   la  première  partie,  discedite  a 
mi-,  maledicti,  ne  révèle  pai  moins  clairement  la  ; 

du  dam  qui  leur  sera  inl!  .ration    étenu  II 

Dieu  qui,  en  les  maudissant,    les    i 
loin  de  sa  présence,  et  leur  dit  le  terrible  Xescio  i<<*. 
Lue.,  xni,  27;  Matth..  vu.  23:  XXV,  12;  I  Cor.,  vi,  9-10. 
Ailleurs,  la  peine  du  dam  est  précisée  plus  encore. 
Jésus-Christ   annonce   que  les  maudits   seront  n 
dans  les   ténèbres  extérieures,  ejicientur  .<• 
exleriores.  Matth..  vm,   12:  XXII,  13;  x\  com- 

mentateurs font  remarquer  que,  très  souvent,  la  béatitude 
du  royaume  céleste  est  représentée,  dans  l'Écriture, 
sous  la  figure  d'un  grand  festin  donné  par  le  roi.  ou 
le  pèie  de  famille,  non  au  milieu  du  jour,  mais  le  soir, 
ou  à  la  tombée  de  la  nuit.  Luc.  xiv,  16-24  :  Apoc.,  xix,  9. 
Le  mot  Setnvov,  employé  dans  le  texte  original,  ne  laisse 
aucun  doute  à  cet  égard.  Citait,  d'ailleurs,  la  coutume 
nciens  de  faire  leurs  festins  d'apparat,  le  soir,  ou 
même  la  nuit,  comme  en  témoigne  plusieurs  fois  l'Écri- 
ture elle-même.  Judith,  vi,  29;  xn.  10;  Matth..  xxv,  6: 
Marc.  vi.  21  ;  1  Cor.,  xi.  20-21  :  I  Thess.,  v.  7.  Comme 
la  salle  de  ces  festins  était  ornée  d'une  multitude  de 
lampes,  allumées  soit  pour  la  commodit '■  des  nombreux 
convives,  soit  pour  rehausser  la  splendeur  de  la  fête. 
ceux  qui  s'asseyaient  dans  la  salle  étaient  environnés 
d'une  très  vive  lumière:  mais  ceux  qui  ne  pouvaient  y 
pénétrer,  ou  qui  étaient  violemment  rejetés  au  dehors, 
se  trouvaient  plongés  au  contraire  dans  de  profondes 
ténèbres,  qui  paraissaient  d'autant  plus  ('paisses,  que 
plus  (''datante  était  la  lumière  de  l'intérieur.  Or,  la 
cité  céleste  est  illuminée  par  la  lumière  infinie  qui  est 
Dieu  lui-même.  Ceux  qui  ont  le  bonheur  d'être  admis 
dans  ses  murs  n'ont  pas  besoin,  pour  \  voir,  des  rayons 
du  soleil,  ou  des  auit  .  car  Dieu  lui-même  est 

leur  soleil.  Is.,  1.x.  19-20;  Apoc.  xxi.  II.  2.1;  xxn.  5. 
Mais  plus  vive  et  consolante  est  la  lumière  dont  jouis- 
sent les  élus,  lumière  éternelle,  lumière  infinie:  plus 
profondes,  plus  complètes  et  plus  épouvantables  sont 
les  ténèbres  extérieures  dans  lesquelles  sont  précipités 
les  malheureux  à  jamais  exclus  du  festin  éternel.  I 
bien  là.  certes,  la  privation  totale  de  Dieu,  la  vraie  peine 
du  dam. 

Saint  Jean,  Apoc.  xxi.  11.  23.  21:  xxn,  '».  5,  accen- 
tue ce  contraste  entre  la  lumière  incréée  et  l'infernale 
nuit.  Il  décrit  combien  le  divin  soleil,  contemplé  face 
B  face,  fait  resplendir  de  sa  propre  clarté  l'immortelle 
Jérusalem,  où  tout,  pour  mieux  refléter  celle  incompa- 
rable lumière,  est  de  l'or  le  plus  pur.  du  cristal  le  plus 
transparent,  el  dont  les  murs  eux-mêmes  ne  sont  formés 

que  (les  pierres  les  plus  précieuses.  Une  pureté  sans 
tache  est  requise  pour  habiter  cette  cité  resplendissant 
sons  la  divine  lumière  qui  la  traverse  de  toutes  parts. 
Apoc.  xxi.  27.  Kt  une  voix  se  fait  entendre  :  Fob/s 
et  venefici,  et  impudici,  et  homicides,  el  idotis 
entes,  et  omnis  qui  amat  et  facit  mendacium. 
Dehors   tous  les  ouvriers  d'iniquité.  Apoc.,  xxn.  15. 

bien  là   encore  l'indication  de  la  peine   du  daui 

l'exclusion  des  maudits,  chassés  par   Dieu   loin  (i 
et  séparés  de  lui  pour  l'éternité. 
Cette  sévère  sentence  esi  souverainement  équitable, 

car  il  est  de  toute  justice  que  ceux  qui  se  sont  volon- 
tairement détournes  de  Dieu  par  le  péché  mortel. 
restent  séparés  «le  lui.  C.(.  s.  Thomas,  Sum.  theol., 
IID.  q.  lxxxvii,  a.  i;  Contra  génies,  I.  111.  c.  cu.iv. 
Quoique  plongés  dans  de  m  épaisses  ténèbre-,  les 
damnés  n.-  sont   pas  cependant  privés  de   l'usage  de 

leur-  facultés  naturelles  d'appréhension  et   de  VOUtion, 

ni   des   notions  acquises,    ou   même    infuse-,    qui   leur 

Bervenl  à  mieux  connaître  leur  extrême  misère  et  a  la 

atirdavanl  -    Chômas,  lu  IV  Sent.,  I.  IV. 

dist.  !..  q.  n.  a.  2.  q.  i.  Sum.  theol..  H    11'    q    v, 


DAM 


10 


ad  3l,m  ;  III*  Suppl.,  q.  i.xxxviii,  a.  1;  Compendium 
iheolog.,  c.  CLXXVi;  Suarez,  De  angelis,  1.  VIII,  c.  vi, 
n.  9-10,  t.  il,  p.  979-982. 

III.  Gravité.  —  La  peine  du  dam  est  incomparable- 
ment la   plus  terrible  de  toutes  les  peines  de  l'enfer. 
Auprès  d'elle,  le  tourment  même  du  feu  éternel,  si  atroce 
soit-il,  n'est   presque  rien.  Cf.  S.  .1.  Chrysostome,  Ad 
populum  Antioch.,  bomil.  xvn,  super  Matth.,  P.  G., 
t.  LVH,  col.  263;  S.  Pierre  Chrysologue,  Serm.,  cxxn, 
P.  L.,  t.  r.n,  col.  53i  sq.;  Suarez,  De  angelis,  1.  VIII, 
c.  iv,  n.  8,  Opéra,  t.  n,  p.  971;  S.  Alphonse  de  Liguori, 
Corso  di  nwditazioni,  2  in-8°,  Turin,  1891,  t.  n,  p.  580. 
Cette  peine  dépasse  infiniment  tout  ce  que  l'intelligence 
est  capable   de   concevoir   ici-bas,    et    tout  ce  que  le 
angage  humain  sait  exprimer.  Elle  ne  peut  se  mesurer, 
dit  saint  Bernard,  que  par  l'infinité  même  de  Dieu  dont 
elle  est  la  privation,  hœc  enim  tanla  pœna,  quanlun 
ille,  «  et,  par  conséquent,  elle  est  grande  à  proportion 
que  Dieu  est  grand.  »  Cf.  Bourdaloue,  Carême,  Sermon 
sur  l'enfer,   Œuvres  complètes,  16  in-8°,   Paris,  1822, 
t.  m,  p.  68.  Depuis  longtemps  les  anciens  Pères  avaient 
parlé  de  même  :  hsec  est  tanla  puma  quanlus  ipsemel 
Deus.  S.  Augustin,  De  civilate  Dei,  1.  XXI,  c.  IV,  /'.  L., 
I.    xu,  col.   711   sq.  Le  supplice   du  dam  est  d'autant 
plus  insupportable  que  les  maudits  connaissent  mieux 
combien  est  grand  et  captivant  le  bien  qu'ils  ont  perdu. 
A  cette  pensée,  dont  ils  ne  peuvent  se  détourner,  et  qui 
les  obsède,   s'allume  en    eux   un   désir   immense  et  à 
jamais   inassouvi  de   l'éternelle   béatitude.    Mais    cette 
infinie  beauté  de  Dieu  qui  les  attire  par  ses  charmes, 
fait,  par  sa  pureté  sans  tache,  ressortir  davantage  leur 
honteuse  laideur  morale.   Conscients    de  ce  contraste 
qui  les  accable,   ils  sont  à   eux-mêmes  un  spectacle  si 
repoussant,  qu'ils  préféreraient  subir  tous  les  tourments 
de  l'enfer,  plutôt  que  de  paraître  en  ce  hideux  état,  en 
présence  du  Dieu  infiniment   saint,   et  dans  la  société 
des  ('-lus,  qu'ils  haïssent  pourtant  d'une  haine  inextin- 
guible. Cf.  Pesch,  Prselectiones  dogmaticœ,  De  novissi- 
mis,  sect.  iv,  a.  3,  n.  670,  t.  ix,  p.  328.  Ils  se  voient 
donc;  obligés,  malgré  fis  tendances  les  plus  irrésistibles 
de  leur  être,  à  fuir  hieu,  souverain  bien,  qui  seul  pourrait 
satisfaire  leur  soif  insatiable  de  bonheur.   Et  ce  Dieu, 
pour  lequel  ils  se  sentent  fails,  cette  beauté  suprême 
qui  les  attire  et  les  repousse  à  la  fois,  cet  objet  de  leur 
amour  à  jamais    perdu,    ils    sont  contraints,   dans  des 
transports  d'une  rage  infernale,  a  le  détester,  le  blas- 
phémer  el  le  maudire.  C'est  le   tourment  d'un   coeur 
passionné  d'amour  et  ron_'  par  la  haine  de  l'être  qu'il 
adore,  car.  dit  saint  Thomas,  les  damnés  ne  souffriraient 
pas  autant  de  la  peine  du  dam.  s'ils  n'aimaient  Dieu  en 
quelque  façon.  In  IV  Sent.,  I.  IV.  dist.  X  XI.  q.  i,  a.  I, 
q.   n;  Compend.  thcolog.,   c.  clxxiv.  Cette  peine  est 
donc  la  souffrance  atroce  de  l'amour  contrarié,  méprisé, 
transformé  en  furie,  el  constammenl  au  paroxysme  'le 
la   rage  et  du  désespoir.  Cf.  S.  Augustin,  In  Ps.  cil, 
n.  s.   h.       vitale  Dei,  1.   XXI,  c.  m,  /'.  /,.,  t.  x.wvn, 
col.   1322;  t.  xi.i,  col.  710;  s.  Thomas,   lu   IV  Sent,, 
I.  IV.  dist.  L.  q.   u,  a.  I.  q.    v,  Sum.  theol.,  Il»  II*, 
q.  xxxiv.  a.  I;  Bellarmin,  De  purgatorio,  I.  II.  c.  \ix. 
t.  n,  p.  S03. 

Les  damnés  souffrent  donc  comme  une   espèce  de 
déchirement  de  l'ai die- même,  tirée  en  divers  Bens 

à  la   fois,    par   des    forces    opposées   et    l'^alemelil    |>uis- 

sanfc  omme  un  écartellemenl  spirituel,  torture 

Lien  plu-  affreuse  que  celle   qu'il  tiraient,  si 

leur  corp~  était    écorché   vif,  ou  coupé  en  morceaux; 

autant   les  lacnltés  de   l  ■ ■  sont  supérieui 

celles  du  corps,  autant  est  plus  douloureux  le  déchire- 
ment profond  pai  lequel  i  Ile  es)  séparée  d  elle  m 
■  u  •  i  inl  sépan  <■  de  Dieu,  qui  devait  être  l'âme  di 
ame,  et  la  vie  de  sa  vie,  Voir  iv.ii.  Origi  ne,  Paris,  I'.hi7, 
p.  06-97.  Tanlo  aliquid  magii  dolet  de  aliquo  la 
■/"""'"    magi  m.    Vnde   lœtiones  que 


fiunt  in  locis  maxime  sensibilibus,  sunt  maximum 
dolorem  causantes.  Et  quia  totus  sensus  corporis  est 
ab  anima,  ideo  si  in  ipsam  animam  aliquid  Iscsivum 
agat,de  necessitate  oporlet  quod  maxime  af/ligalur... 
Et  ideo  oporlet  quod  pâma  damni,  etiam  minima, 
excédai  omnem  pœnam,  etiam  maximam,  liujus 
vitas.  S.Thomas,  In  IV  Sent. ,  l.IV,  dist.  XXI,  q.  i,  a.  1. 
Cf.  Pesch,  Prselectiones  dogmaticœ.,  tr.  III,  De  novissi- 
mis,  part.  I,  sect.  iv,  a.  3,  n.  6i3,  t.  ix,  p.  317.  De  ce 
déchirement  intérieur  de  l'âme  entière,  naît  une  dou- 
leur intense  dont  aucun  supplice  de  la  terre  ne  peut 
donner  la  moindre  idée.  Cf.  S.  Thomas,  In  IV  Sent., 
1.  I,  dist.  XLVIII,  a. 3.  q.  m;  Cont.  gentes,  1.  III, c.  c.xli; 
Compendium  tlieolog.,  c.  clxxiv-clxxviii. 

Pour  infliger  au  pécheur  le  tourment  le  plus  formi- 
dable qui  puisse  être,  Dieu  n'a  qu'à  se  retirer  complè- 
tement de  lui.  Cf.  Suarez,  De  angelis,  1.  VIII,  c.  iv, 
n.  8,  t.  n,  p.  975.  De  même  qu'il  dit  au  juste  :  C'est 
moi  qui  serai  ta  récompense,  et  elle  sera  immense, 
car  rien  n'est  plus  grand,  ni  meilleur  que  moi, 
Gen.,  xv,  1;  de  même  il  dit  au  réprouvé  :  C'est  moi 
qui  serai  ton  supplice,  et  je  le  serai  en  m'éloignant  de 
toi,  car  il  n'y  a  rien  de  plus  terrible,  dans  les  trésors 
de  ma  colère,  que  cette  complète  séparation  de  moi- 
même.  Alors  suivant  l'énergique  expression  de 
saint  Augustin,  Confess.,  1.  XIII,  c.  vin,  P.  L., 
t.  xxxii,  col.  848,  se  creuse  dans  l'âme  réprouvée  un 
abîme  sans  fond  de  ténèbres  et  de  lamentables  misères; 
vide  affreux  qui  la  torture  bien  plus  que  la  faim  dévo- 
rante, Ps.  lviii,  7;  vide  angoissant  qui  éternellement 
la  tue,  sans  la  faire  mourir;  car  Dieu  a  fait  l'âme 
humaine  tellement  grande  que,  pour  remplir  sa  capa- 
cité infinie,  et  pour  satisfaire  son  désir  illimité  de 
jouissances,  il  ne  faut  rien  moins  que  Lui.  Sans  Lui, 
il  ne  reste  en  elle  que  la  capacité  infinie  de  souffrir. 
De/luxit  angélus,  de/luxit  anima  hontinis,  el  indica- 
verunt  abussum  universse  spirilualis  creatunr  in 
profundo  tenebroso...  In  ipsa  miseria  inqiiieludinis 
defluentium  spirituum,  et  indicantinm  tenebras  suas 
nudalas  veste  luminis  lui,  salis  ostendis  quant 
magnam  crealuram  ralionalem  feceris,  cui  nullo 
modo  sufficit  ad  bealam  requiem  quidquid  te  minus 
est,  ac  per  Itoc,  nec  ipsa  sibi.  S.  Augustin,  loc.  cit. 
("est  le  dénuement  total,  l'isolement  infini.  Tenebrosa 
ab>/ssus  ipsi  sibi  est  universa  mens  creata,  propter 
tn/iiiitalem  quant  liabet,  non  actus  seu  capacitatis, 
seu  polenliw.  V;r  auteni  ci,  iterumque  vse,  si  in  hanc 
abyssalem  vacuitatem  defluat  cl  in  eo  profundatur. 
Billot,  Traclalus  de  novissimis,  q.  ni,  Ihes.  IV,  §  1, 
in-8«,  Rome,  1902,  p.  77. 

Le  langage  humain  est  aussi  impuissant  pour  dire 
ce  qu'est  l'enfer,  que  pour  dépeindre  le  bonheur  du 
ciel.  L'œil  de  l'homme  n'a  point  vu,  son  oreille  n'a 
point  entendu,  son  cœur  n'a  point  compris  ce  que  Dieu 
a  préparé  de  supplices  à  ceux  qui  l'offensent,  comme 
de  félicités  à  ceux  qui  l'aiment.  Is.,  iaiv,  i;  I  Cor.,  II,  9. 
L'enfer  nous  est  aussi  inconnu  que  le  ciel. 

Objection.  —  La  peine  du  dam  ne  parait  pas  devoir 
être  aussi  grande,  car.  tant  que  nous  vivons  sur  la  terre, 
nous  ne  jouissons  pas  de  la  vision  béatiflque,  cl  cepen- 
dant  nous  n'en  sommes  pas  a   ee   | il  aille  - 

Réponse.  —  Pour  l'homme  vivant   sur  la  ferre,  ne 

pas  voir    Dieu  esl  une  simple    négation   d'un    bien  qui 
ne  lui  est   pas  encore   actuellement    diï,  el  dont   la  pos- 

n  esi  seulement  possible;  mais,  pour  le  damne. 

C'est    'me  \raie   privation   d'un    bien  dont  il  a    faim  el 

soir,  ei  dont  il  ne  saurai!  ie  passer  Bans  souffrir  in n 

sèment. 

Nous  connaissons  sur  la  ferre,  infiniment  moins  que 
les  damni  s,  le  nouvel ain  bien  qui  eal  Dieu,  i>  autn 
part,  nous  avons,  dans  la  vue  ei  la  possession  des  créa- 

ii   noua  entourent,  bien  des  moyen     de  i 

,,■  de  la  pensée  du  bien  suprême,  el  de  calmer 


Il 


I)  \M 


12 


in  quelque  façon,  notre  désir  inné  de  bonheur.  Noua 
trouvons  donc  en  elles  présentement  un  dérivatif  et  une 
jouissance.  Mais,  apr<  b  la  mort,  le  mode  d'être  et  de 
connaître  esl  profondément    modiflé,   //'  fui 
alius  est   el  essendi  et  cognotcendi    modut,   et 
cito  cessante  unione  <"'  cor ruptibile  corpus,  tant  cito 

il  transuerteru  saisum  inconstantia  concupi 
lue.  Billot,  Traclalut  de  novissimis,  q.  in.  tbes.  i\. 
S  I.  p,  78.  D'abord,  tous  les  biens  il'-  la  terre  sont  com- 
plètement enlevés  aux  damnés.  En  outre,  ils  constatent 
que  seule  la  vision  «  i  «. -  Dieu  peut  les  rendre  heureux. 
Par  toutes  les  puissance!  de  leur  être,  ils  sont,  pour 
ainsi  «lire,  orientés  vers  la  possession  de  ce  bien  que 
toutes  leurs  facultés,  et  l'essence  même  de  leur  nature 

réclament.  Bien  plus  qui-  le  poisson  n'a  besoin  d'eau, 
ou  que  nos  poumons  n'ont  actuellement  besoin  d'air, 
1rs  damnés  mil  un  besoin  pressant,  impérieux,  constant, 
ininterrompu,  de  Dieu.  Ils  ne  peuvent,  un  seul  instant, 
en  détourner  leur  pensée.  Les  créatures  qui  les  entourent, 
loin  de  leur  apporter  un  adoucissement,  ou  même  une 
simple  distraction,  ne  servent  qu'à  augmenter  leur 
torture  en  contribuant  à  leur  supplice.  Cf.  S.  Chrysos- 
tonie.  In  Joa.,  boinil.  x.xni;  ///  Ueb.,  bomil.  xi,  XII, 
/'.  C,.,  t.  i.ix,  col.  137  sq.;  t.  i.xin,  col.  90-95;  S.  Au- 
gustin, EnchU'idion,  c.  cxu,  P.  L.,  t.  xi.,  col.  28i;  Les- 
sius.  De  perfectionibus  moribusque  divinis,  1.  XIII. 
c.  xxix,  n.  -205,  p.  ")06  sq. 

IV.  Durée.  —  L'éternité  de  la  peine  du  dam  a  été, 
sinon  formellement  niée,  du  moins  mise  en  doute  par 
Origéne,  si  toutefois  ses  écrits,  tels  qu'ils  sont  parve- 
nus jusqu'à  nous,  n'ont  pas  été  interpolés.  Cf.  Petau, 
Dognutta  tlieologica,  tr.  De  angelis,\.  111,  c.  vi,  n.  4-13; 
c.  vu,  n.  1-14,  8  in-4»,  Paris,  1800.  t.  iv,  p.  101-113; 
P.  Prat,  Origéne,  p.  99-102.  La  lin  de  celle  peine  et 
des  autres  tourments  qui  l'accompagnent,  était  nommée 
par  les  Grecs  àTroxiTàTTa?'.:.  ou  restitution  univer- 
selle. A  ce  moment,  les  damnés  auraient,  en  tout,  été 
égaux  aux  élus  et  réciproquement.  Cf.  Petau,  op.  cil.. 
p.  103.  Cette  erreur  monstrueuse,  car  elle  tendait  à 
assimiler,  après  un  certain  temps,  les  vierges  pures 
aux  prostituées,  Lucifer  à  l'archange  saint  Gabriel,  les 
martyrs  aux  apostats,  les  apôtres  aux  démons,  etc., 
cf.  S.. Jérôme.  //(  Maltli.,  XXV,  iti,  P.  L.,  t.  XXVI,  col.  197, 
fut  embrassée  et  défendue  par  Théodore  de  Mopsueste, 
par  les  priscillianisles,  et  par  ces  anciens  hérétiques 
que  saint  Augustin  appelle  «  les  miséricordieux  ». 
Cf.  S.  Augustin,  De  civitate  Dei,  1.  XXI,  c.  XVIII,  n.  I: 
De  ftœresibus  ad  Quodvultdeum,  c.  xi.ui.  xi.v.  /'.  L., 
t.  xi  i,  col.  732-730  sq.;  i.  xi.ni.  col.  33  sq.;  s.  Jérôme, 
ht  Joa.,  ni,  (i.  /'.  /..,  t.  xxv,  col.  1142.  Afin  de  se 
prévaloir  de  son  autorité,  les  origénistes  l'intercalèrent 
ensuite  dans  les  œuvres  de  saint  Grégoire  de  Nysse  qui, 
cependant,  en  plusieurs  endroits,  enseigne  la  perpé- 
tuité de  la  damnation.  Petau,  Dogmata  tlieologica, 
De  angelis,  1.  111,  c.  vin,  t.  iv,  p.  116.  Cf.  S.  Gri 
de  Nysse,  De  catechelico,  c.  xxvi.  xxxv ;  De  anima  el 
resurrectione,  I'.  a.,  t.  xcvni,  col.  34;  Photius,  Biblio- 
t/iec., cod.233;  Nicéphore,  //.  /•-'.,  I.  XI.  c.  xix;  1.  XVII. 
c.  xvn,  xviii.  /'.  G.,  i.  <  m,  col.  1I<>0;  t.  cm  vi.  col.  627 
sq.;  Salmanlicenses,  Cursus  t/teologicus,  tr.  XIII,  De 
riiiix  el  peccatis,  disp.  XVII,  dub.  ni,  §  1,  n.  55-60, 
t.  vin,  p.  374-376;  Bellarmin,  De  purgalorio,  1.  U.c.  i, 
Opéra  ontnia,  S  in-4°,  Naples,  1S7-2.  t.  «,  p,  387;  Les- 
sius,  De  perfectionibus  moribusque  divinis,  1.  XIII, 
c.  x.w,  n.  I<)3.  p,  it).")  sq.;  Atzberger,  Geschichte  der 
christlichen  Eschatologie,  in-8",  Fribourg-en-Brisgau, 
1898,  p.  109  sq.;  Tunnel.  Histoire  de  la  théol  : 
live,  Paris,  1904,  p.  187-192.  Elle  fut  renouvelée  par  les 
anabaptistes  du  xvi1  siècle,  el  par  les  déistes  el  rationa- 
listes de  nos  i s. 

L'Eglise  a  solennellement  condamné  relie  erreur  à 
diverses  reprises.  Cf.  II«  concile  de  Constantinople, 
V1  œcuménique,  tenu    en  558,   anathema  ix.    Mansi, 


il  ,  i.  i\.  col.  995;  Denzinf 

voir  OrIGÉNISME   kl     vc    su  i  i i  .    II 

\  Il    œcuménique,  tenu  i  n  7K7 .  Mansi,  t.  xu,  col.  Il 
IV   concile  œcuménique  de  Latran,  en  1215;  Décrétai., 
1    I.  lit.  i.  De  tumma  trinitate  et  fide  catliolica, 

I  n  miter,  Denzingt  r,  n.  . 

1250,  Décrétai.,  I.   III,  lit.   mu.  h  ejut 

effectu,  c.  ni,  Majores,  Denzînger,  n.  341;  concile  de 
Trenli  \  I,   c.    \iv.    s.»  UV.   <  an.   •">; 

XVII.    c.    wvii-xwiii.   Denzinger,   n.   I 
Cf.  Iié.  Diekamp,  Die  origenist.  Si 
Munster,  1897,  |>.  07  sq. 

Les  textes  de  la  sainte   Écriture  ne  laissent  pa 
moindre  doute  à  ce  sujet.  Toute-  |.  -  fois  qu'il  \  est  fait 
mention  du  châtiment  des  damnés  dans  la  trie  fol 
il  \  est  dit  que  ce  châtiment  n'aura  pas  de  lin.  h 
dite  a  me,  maledicti  .  Mallh.,  xw. 

il.    10.    Si   le   feu   est  éternel,    la  peine  du  dam   doit 
l'être    aussi,    car   la    malédiction    ou    la    réprobation, 
discedite   a  nie,  maledicti,  doit  durer  autant  que  le 
feu  lui-même,   qui    n'est  qu'une  conséquence  de  cette 
malédiction.  Tant  que  les  damnés  brûleront  dan 
feu,   ils  seront  retenus  loin  de  Dieu.  Donc  la  malédic- 
tion  pi  sera    éternellement  sur    eux,    et    toujours    ils 
auront  à  supporter  la  peine  du   dam.   C'est  d'ail 
dans  celle-ci  que  consiste  essentiellement  l'enfer.   Si 
les    peines  secondaires    sont   éternelles,    comment    la 
peine  principale  ne  le  serait-elle  pas?  A  la  peine  du 
dam.  et  en  premier  lieu  à  elle,  s'appliquent  donc  tous 
les  passages  de  l'Écriture  qui  présentent  comme 
nels  les  châtiments  des  damnés,  au  même  titre  que  sont 
éternelles  les  récompenses  des  élus.  Qu  tnt  in 

terrai  pulvere  evigilobunt,  alii  in  vit-  ■  iatn, 
alii  in  opprobrium  .et.  comme  portent  le  texte  grec  et  le 
texte  hébreu,  in  abominât ioneni  et  conteruptum  xter- 
num,  •!;  oveiSi(j|xôv  •/.*■.  ot!ff/*jvT,v  a  z~v    "s.       . 

Dan.,  xu,  i.  La  peine  éternelle  du  dam  est  clairement 
indiquée  aussi  par  saint  Paul  ;  Patna*  dabunl  tu 
interitu  œternas,  a  facie  Domini  et  a  gloria  virtulis 
ejus:  SîxYjv  Tisovr:'/  oXeOpov  siûviov  i- . 
Kuptov  xcti  auto  ?r;  ô'.Hr:  tt:  \n/y',i  ixvtoC  :  ils  subiront 
des  peines   éternelles   loin   de   la  face  du  Seigneur. 

II  Thess..  i,  9.  Cf.  Apoc.  xiv,  11:  xix.  3;  xx.  10. 
Sans  doute,    le   mot    éternel,    sïcôvto;   en    r  :- 

T 

en  hébreu,  a  quelquefois  dans  l'Ancien  Testament 
un  sens  moins  rigoureux,  el  il  di  signe,  alors,  une 
période  de  longue  durée,  quoiqu'elle  doive  avoir 
cependant  une  lin.  Mais,  dans  ces  cas.  la  restriction 
s'impose  par  la  considération  du  contexte,  à  tel  point 
que  ces  cas  peinent  être  précisément  en  mute 

des  exceptions.  Si,  dans  certaines  circonstances  parti- 
culières, un  mot  esl  susceptible  d'un  sens  impropre  et 
limité,  on  aurait  tort  d'en  conclure,  en   :  raie, 

qu'on  doit  toujours  le  prendre  dans  ce  sens  incomplet. 
On   ne  le  peut  que  s'il  \  a  des  raisons  le  le 

faire,  manifestant  l'intention  de  l'auteur  à  ce  sujet. 
Autrement  il  faudrait  renoncer  à  toute  i  larté  dans  ],. 
langage  humain,  c  ir  il  n'j  s  guère  de  mots,  qui,  outre 

leur -eus  propre  el  naturel,  ne  puissent  aussi  recevoir 
un  sons  métaphorique  et  figuré.  Donc,  pou 
un  mot  son  sens  propre,  il  n'est  pas  besoin  de  raisons 
spéciales;  il  en  faut,  au  contraire,  pour  le  détourner  du 
sens  propre  que  l'usage  el  le  consentement  commua 
lui  ont  constamment  donne.  Cf.  Passaglia,  De  mternitate 
pœnarum,  in-8",  Home.  1855,  p,  10  Or,  dans  les  textes 
précités,   il    n']  a    aucun   motif  de    prendre   le    mot 

rnel    >    dans  un  -en-   métaphorique.   I  i     PaSSSglia, 
Op.  cit.,  p.    Il  <q.  Il  y  en  a   plutôt   pour  lui  b 
-eus  propre,  a   moins  de    supposer  que,  dans  la   même 
phrase,   le   même    mot    soit   pris  une  foi-  dans    1, 

propre,  el  une  autre  fois  dans  le  sens  métaphorique. 
Fous  conviennent,  en  effet,  que  lorsqu'il  s'agit  de  la 


13 


DAM 


14 


récompense  des  justes,  le  mot  «  éternel  »  doit  être  pris 
au  sens  propre,  ibitnt  justi  in  vitam  seternam. 
Matth.,  xxv,  46;  Marc.,  îx,  42  sq.  Mais  comment,  alors, 
et  pour  quel  motif,  dans  cette  même  phrase,  prendre 
le  mot  «  éternel  »  au  sens  métaphorique,  quand  il 
s'agit  du  supplice  des  damnés,  ibiint  in  supplicium 
seternum  ?  Ce  serait  l'absurdité  même,  remarque 
saint  Augustin  :  Disccre  in  hoc  uno  eodemque  sensu  : 
vita  seterna  sine  fine  erit,  supplicium  œternum  finem 
habebit,  multum  absurdum  est.  De  civitate  Dei, 
1.  XXI,  c.  xxiii ;  Ad  Orosium  contra  priscillianistas  et 
origenistas,  c.  vi,  P.  L.,  t.  xu,  col.  736;  t.  xi.ii, 
col'.  673.  Cf.  S.  Jérôme,  In  Gai.,  m,  22,  P.  L.,  t.  xxvi, 
col.  367  sq.  ;  S.  Bonaventure,  In  IV  Sent.,  1.  IV, 
d i -s t .  XLIV,  p.  n,  a.  1,  q.  I,  Opéra  omnia,  6  in-fol., 
Rome,  1596,  t.  VI,  p.  ."369  sq  ;  Knahenbauer,  In  Isaiant , 
lxvi,  24,  2  in-8»,  Paris,  1887,  t.  II.  D'ailleurs,  dans  le 
Nouveau  Testament,  jamais  le  mot  a'.wv.o-  n'a  le  sens 
restreint.  Une  se  trouve,  en  effet,  que  dans  les  passages 
où  mention  est  faite  de  la  lin  du  monde,  terme  dernier 
de  toutes  choses,  après  lequel  il  n'y  a  plus  à  espérer 
où  à  attendre  de  changement. 

<l  toujours  en  prenant  le  mot  «  éternel  »  dans  le 
sens  rigoureux,  que  les  saints  Pères  ont  interprété  ces 
textes.  Quibuscumque  di.cerit  Dominus  :  Discedite  a 
me,  maledicti,  in  igneni  perpetuum,  isti  erunt  semper 
damnait  ;  cl  quibuscumque  dixerit:  Venile,  benedicti, 
...hi  semper  percipiunt  regnum...  Aiwvco  Se  xai  à-:û.e.-J- 
r/)Ta  Ttapà  0sov  -ù.  àystOi,  y.ai  Sià  tovto  xa\  r,  ox£py\ait 
aûtfiiv  aîoivio;  y.oci  à-z) iv-r^o;.  S.  Irénée,  Cont.  hser., 
1.  IV.  c.  xxvni;  1.  V,  c.  xxvn,  P.  G.,  t.  vu,  col.  1062, 
1  MH)  sq.  Les  . mires  Pères  parlent  de  même  et  enseignent 
l'éternité  de  l'enfer.  Cf.  S.  Basile,  In  lsaiam,  n,  31, 
\.  20;  Tn  Ps.  v\\;;/,  /'.  G.,  t.  xxv,  col.  229,  550  sq.  ; 
I.  xvxix,  col.  368,  372;  Siméon  Métaphraste,  P.  G., 
t.  XXXII,  col.  1301  ;  S.  Grégoire  de  Xaxianze,  Oratio  XL, 
m  ».  baptisma,  n.  36,  /'.  G.,  I.  xxxvi,  col.  'ill,  125; 
s.  Jérôme,  In  Jonam,  m,  6;  In  Matth.,  xxv,  16,  P.  L., 
t.  xxv,  col.  1142;  t.  xxvi,  col.  197;  S.  Augustin,  De 
fi  de  et  oper.,  c.  xv,  n.  25;  De  civitate  Dei,  1.  XXI. 
c.  xxiii-xxiv;  I.XXII,  c.  i;  Ad  Orosium  contra  priscil' 
lianUtas  ri  origenistas,  c.  v.  /'.  L.,  t.  xi.,  col.  211; 
t.  \ii,  col.  735  sq.;  t.  xi.ii,  col.  672;  S.  Fulgence,  De 
fi.de,  seu  de  regain  verse  fidei  ad  Pelrum  diaconum, 
c.  xi. ni,  n.  8i;  De  remissione  peccatortim ,  1.  Il ,  c.  xin, 
xv,  xxi,  /'.  /..,  t.  i.xv.  col.  564-567,  571  sq..  700-703; 
s  Léon  I'-  Grand,  Serm.,  ix,  De  collectis,  iv,  /'.  I.., 
t.  i.iv.  col.  Mil  sq.;  s.  Grégoire  le  Grand,  Moral.,  I.  VIII, 
c.  vin  ;  I.  IX.  c.  xxxviii:  I.  XXXIV.  c.  xvi  ;  Dialog., 
I.  IV,  c.  xi.iv,  P.  /..,  i.  lxxv,  col.  809,  894;  t.  i.xx'w, 
col.  736  sq.;  t.  lxxvii,  col.  i02.  Cf.  Benoit  Sinsart, 
Défense  du  dogme  catholique  sut  V éternité  des  peines 

de  l'enfer,   in-8»,  Strasl rg,   1748;  Petau,    Dngmata 

theologica,  tr  Dr  angelis,  I.  Ml,  c.  vi-vm,  t.  iv,  p.  99- 
\-ï.\.  Patuzzi,  De  futuro  impiorum  statu,  libri  1res, 
in-i  ,  Venise,  1764;  Atzberger,  Gesclnrlite  der  christli- 
rhra  Eschatologie,  p.  247  sq.,  291. 

\  Ce  -ni"1-  h  -  théologiens  n'onl  aussi  qu'une  voix. 
3.  Thomas,   h,  IV  Sent.,  I.  IV,  .list.  XI.IV,  \I.V. 

XI. VIII  ;  Stir»,  I lirai..  III'   Suppl.,  q.   I  \l\.  ;i    .'!;  q.  I.XW. 

Cont.  gentes,  l.  III.  c.  xi,  c.  cxliv;  I.  IV,  c.  sevi; 
Suarez,  lr.  V.  De  vitiit  ri  peccatis,  disp.  VII,  sert,  m, 
n.-J  10,  Opéra  omnia,  i.  iv,  p.  586-590  ;  Salmanticen  es, 
gicus,   ir.   XIII.   De    vitiis  ri   peccatis, 
disp,  Wll.  dub.  m,  s  1-4,  n.  55-90,  i.  un.  p.  387-389; 
i-,  De  /,.  i  fet  lionib  lis,  I.  XIII, 

c.  \\  .  p.  165  170;  l  mery,  Dissertation  sur  la  mitiga 
lion  dei  /  ■  '  omplètes,  édit. 

Migm  .  Pari  .   1857,  col,   1358  1412;   Bautz,   Die  B 
p.  38  sq.  ;    Billot,   QuœslUmet  de  novissimis,  q.   ni. 
n,  I,  in-8»,  Rome,  1902,  p.  50-54. 
La  'lui.,  éternelle  de  la  peine  do  dam  ne  répugni 
La  droite  raison,  on  effet,  enseigne  m11. 


Dieu  ne  peut  laisser  sa  loi  sans  une  sanction  suffisante. 
La  sagesse  le  demande,  car  Dieu  ne  saurait  demeurer 
indifférent  au  crime  et  à  la  vertu.  Or,  cette  sanction 
n'existe  pas  toujours  sur  la  terre.  Très  souvent  les 
pécheurs  y  trouvent  honneurs  et  richesses,  tandis  que 
les  justes  n'y  rencontrent  qu'épreuves  et  afflictions. 
C'est  pour  beaucoup  un  sujet  d'étonnement  et  même 
de  scandale,  suivant  le  mot  du  psalmiste  :  Zelavi  super 
iniquos,  pacem  peccalorum  vidons.  Ecce  ipsi  pec- 
catores  et  abundanles  in  sseculo  obtinuerunt  divilias. 
Ps.  lxxii,  3,  12.  Les  impies  en  profitent  pour  blasphé- 
mer la  providence,  s'obstiner  dans  leurs  péchés,  et  nier 
même  l'existence  de  Dieu.  Ps.  xm,  1,  2  sq.;  lui,  1  sq. 
Très  souvent  cependant  l'Ecriture  annonce  que  cette 
sanction  n'est  que  différée.  Noli  semulari  in  mali- 
gnantibus,  neque  zelaveris  facientes  iniquitalem. 
Quoniam  tanquam  fœnuni  vclociter  arescent.... 
quoniam  quimalignanlurexterminahunlur.  Ps.  xx.xvi, 
1,  2,  9  sq.  Vse  vobis  divitibus,  quia  habelis  consola- 
lioncm  vestram.  Vse  vobis  qui  saturati  eslis,  quia 
esurietis...  lugebitis  et  flebitis.  Luc,  vi,  2i  sq.  Celte 
sanction  aura  lieu  quand  le  juge  souverain  viendra 
rendre  à  chacun  selon  ses  œuvres.  Matth.,  xvi,  27; 
Act.,  xvn,  31  ;  Rom.,  n,  6.  La  sanction  due  aux  pé- 
cheurs impénitents  est  donc  réservée  pour  la  vie  future. 
D'ailleurs,  par  un  certain  côté,  le  péché  grave  a  une 
malice  infinie.  L'injure  croit  en  proportion  de  la 
personne  offensée.  Or,  la  personne  offensée  par  le 
péché  mortel  est  Dieu,  qui  est  infini.  Cette  injure, 
i  nfinie  dans  son  objet,  si  elle  n'a  pas  été  réparée  en 
cette  vie,  grâce  aux  mérites  infinis  du  Verbe  incarné, 
doit  l'être  dans  l'autre  monde.  Si  le  châtiment  que 
l'homme  est  capable  de  subir  ne  peut  être  infini  dans 
son  intensité,  il  peut  néanmoins  l'être  dans  sa  duréo 
illimitée.  Le  pécheur  qui  meurt  en  état  de  péché  mor- 
tel, mérite  donc  un  châtiment  éternel.  Cf.  S.  Thomas,  In 
IV  Sent.,  1.  II,  dist.  XLI1,  q.  i,  a.  5;  Lessius,  De  perfe- 
ctionibus  moribusque  divinis,  1.  XIII,  c.  xxvi,  n.  187- 
189;  c.  xxvn,  p.  i87-496. 

C'est  donc   un    sophisme  de   comparer  la  durée  du 
châtiment  et  celle  du  péché,  en  vue  de  démontrer  que, 
pour  un  péché  de  quelques  instants,  il   n'est  pas  juste 
d'infliger    une    peine   éternelle.    Un   crime  mérite   un 
Châtiment,   non   en  proportion  de  sa  durée,  niais  de  la 
malice  qu'il   renferme.  Un   assassin  qui  accomplit  son 
méfait  en  quelques  instants,  n'est-il  pas  justement  mis 
en    prison  pour  toute  sa  vie,  ou  condamné  à  mort  et, 
par  conséquent,  privé  .i  jamais  des  biens  dont  il  aurait 
pu  jouir  sur  terre  ?  Jamais  la  justice  humaine  n'a  cru 
devoir  limiter   la  durée  du    châtiment   à  la  durée  du 
temps  qu'il  a  fallu  pour  commettre  la  faute.  Mlle  consi- 
dère la  gravité  de  la  faute  commise.  Souvent  d'un  acte 
transitoire  découlent  des   effets  perpétuels,    comme   la 
mort  de  la  victime,  dans  l'homicide.  Cf.  s.  Augustin, 
De  civitate  Dei,  1.  XXI,  c.  xi.  /'.  /..,  t.  \n,  col.  726; 
S.    Grégoire  le   Grand,    Moral.,   I.    XXXIV,   c.    xi\. 
n.  36,  P.  L.,  I.  i.xxvi,  col.  73S;  s.  Thomas,  Sum.  theol., 
I«    II»,    q.    ixxxvii,    a.    3,  ad   T"".    Smindiim    civilem 

justitiam,  dit  ailleurs  saint  Thomas,  qui  rouira  rem- 

publicam  peccat,  societate  reipublicm  pri  uatur  omnino, 

velper  mortem,  velper exilium,nec atlenditur  quanta 

fuerit  mora  temporis  in  peccando,  sed  quai  siteontra 

quod  peccavit.  Eadem  est   autem  comparatio  toiiu* 

d'Usé  pressentis  ad  rempublicam  tei'renam,  et  totius 

mternitalis  «<'  socielatem  beatorum  qui  ultimo  fia,- 

aliter  poliunlur .  ',""  orgo  contra  ullimum  finem 

peccat,    ri  contra  ■  haritatem  per  quam  est  societas 

,,/<<..)  débet  puniri  [privalione  Ulius 

finit  et  societatit  .  quamvis  aliqua  brevi  temporis  moi  a 

. ,  ii  <:,-ni  gentes,  I,  III.  c.  i  m  iv.  Cf.  Sum,  i  lirai.. 

lll'    Mippl.,  q.  c,  b,  i .  /"  IV  Sent.,  l    il.  dist.  XI.II. 

.">.  l.  IV.  dist,  \ i.vt.  q.  i.  i.  ::.  Salmanticen 
Cursus    theolog.,    tr.    Mil.    Dr  viliis    ri    peccatis, 


15 


DAM 


10 


disp.    XVII,    dub.  m.  S  2.  n.   69-76,  i    vin.  p.  380-384; 

Bourdali Sermon  pour  le  A'/.V'   dimanche  "< 

la   Pentecôte,  Ni"-  l'éternité  malheureu$e,  I"   partie, 

mplètes,t.  vu,  p.  244-271  ;  Monsabri    /.  -, 
(ion  du   dogme   catholique;    L'autre    monde,    icvni1 
conférence:  L'enfer:  l'éternité  des  peine»,  in-8°,  Paris, 
p.  58-70. 
(in  objectera  que  souvent  cens  qui  pèchent  mortelle- 
ment n'ont  pas  l'intention  depersévérer  dans  Le  péché, 
mais  se  proposent  il''  se  convertir  avant  de  mourir.  Il 
n'est  pas  moins  \  rai  que,  par  ce  péché  mortel,  il-  placent 
actuellement  leur  lin  dernière  dans  le  bien  créé  qu'ils 
préfèrent  a  Dieu,  et  ils  auraient  l'intention  de  persévé- 
rer dans  ce  désordre,   s  ils  pouvaient  le  faire  impuné- 
ment, s'ils  se  proposentde  se  convertir  pi  us  tard,  c'est 
uniquement   à  cause  île  la  crainte  serviliter  servilis. 
Ils  ne  détestent  pas  le  péché  lui-même,  puisque,  malgré 
cette  crainte  de   l'enfer,  ils  le  commettent.  Ce  qu'ils 
délestent  dans  le  péché,  c'est  le  châtiment  qu'il  entraîne, 
connue  les  damnés,  après  la  mort,  ne  le  détestent  que 
pour  ce    motif.   Le   pécheur,   avant  à  choisir,  choisit  le 
péché,  et    il  est  décidé  à  y  rester  toujours,  s'il  peut  le 
faire   sans  inconvénient   pour  lui.   Il   a  donc  renoncé 
pour  toujours,  autant  qu'il  dépend  de  lui,  au  bien  in- 
créé, afin  d'adhérer  pour  toujours  aussi  à  la  créature. 
Suivant  la  remarque  si  judicieuse  de  saint  Grégoire  le 
Grand,  les  pécheurs  voudraient  toujours  vivre,  afin  de 
demeurer     toujours    dans    leurs    iniquités.     Mo 
1.  XXXIV.  c.  xvi,  P.  L.,  t.  i.xxvi,  col.  736.  Cf.  Salman- 
ticenses,  Cursus  théologiens.,  tr.  NUI,  De  vitiis  et  pec- 
catis,  disp.  XVII,  dub.  m,  §3,  n.  78-82,  t.  vin,  p.  385 sq. 
Il<   monlrent    bien  la   perversion   de  leur  volonté,   en 
repoussant,  durant    leur  vie,  la  grâce  de  la  conversion 
qui  leur  est  si  souvent  offerte,   et  en  différant  jusqu'à 
la  mort  leur  propre  amendement.  Quand  ils  ont  quitté 
la  terre,  celle  grâce  n'est  plus  à   leur  portée.  Dieu  la 
leur  refuse;   mais  peuvent-ils  justement  s'en  plaindre, 
après  l'avoir  si  souvent  méprisée?  Celui  qui  se  crève- 
rait volontairement    les   yeux,  dil  saint  Thomas,  ne  se 
priverait-il  pas  pour  toujours  de  la  vue,  car  il  ne  peut 
se    la   rendre?   lie    quel   droit   voudrait-il    faire    Dieu 
responsable  de  sa  cécité?  Dieu  peut  lui  rendre   la  vue, 
sans  doute;  mais   y  est-il  obligé?  El  celui  qui  se  tue. 
ne  s'enlève-t-il  pas  pour  toujours  la  vie  ?  Ainsi  le  pécheur 
détruit    volontairement   en    lui  le   principe    de   sa   vie 
surnaturelle,  ou  de  la  béatitude  éternelle.  Donc,  autant 
que  cela  dépend  de  lui,  il  se  l'enlève  d'une  façon  irré- 
parable.   Dieu    pourrait   le   lui   rendre    même  après  la 
mort,  mais  il  n'y  est  nullement  obligé.  Cf.  S.  Thomas, 
Sum.  iheol.,  Ia  II*,  q.  i.xxxvn,  a.  3;  Suarez,  Deangelis, 
1.  XIII, c.  xi,  n.  5sq.,  Ojiera  omnia,  t.  Il,  p.  IOOV-1006: 
Salmanticenses,  op.  rit.,  tr.  XIII,  De  vitiis  et  peccatis, 
disp.  XVII,  §  3.  n.  82-85;  §  '.,  85-90,  l.  \ ni.  p.  386-389. 
C'est  de   toute  justice  que  celui  qui  a  voulu  éternelle- 
ment pécher  contre  Dieu,  soit  éternellement  séparé  de 
lui.  comme  le  remarque  encore  le  pape  saint  Grégoire, 
Dialog.,   I.    IV.  c.   xi.iv,   P.  L.,   t.   i  \wn.    col.    402. 
Cf.  S.  Fulgence  :  Permanente  in  eisinjustœatwsionis 
malo,    permanet   etiam   justse   rétribution 
daninatio.  Dr  fide  ml  Pelrum,  c.  xxxi,  \x.\vi.  /'.  /... 
I.  i  w,  col.  887,   689.    Iii    cela,  dit    saint   liernard.   Dieu 

■  si  extrêmement  juste;  il  est  l'équité  même,  la  règle 
inflexible  de  la  droiture  :  Deus  est  squilalis  directio 

onverlibilis  algue  indeclinabilis,  quippe  attingens 

ubique...   Rectus  Domihus   Deus  nosler,  qui  et  cum 

erso  pervertitur.  Dr  considérations,  1.  V,  c.  xn, 

n.  25,  /'.  /...  t.  clxxxii,  col.  802.  Cf.  Monsabré,  op.  cit., 

p.  70-76. 

si  la  peine  du  d. st  éternelle,  les  maudits  éprouvent- 
ils,  di ins.  parfois,  des  adoucissements?  Quelques 

anciens  mit   supposé  qu'il  en   avait  été  ainsi  l.i    nuit  de 

la  résurn  i  Lion  de  Notre-Seigneur,  et  qu'il  peut  en  être 
de  même  par  l'eflel  des  prières  des  vivants.  Cf.  Prudence, 


,..,   \.    vs.    125  s,,  .  /■    i,t   t.  nx.    coi,   827  sq. 
5.    Augustin,    Enchiridion,  c.  i  \.  i  \u.  /'.   /..,  t.   xi. 
col.  283  sq..  Apocalypse  de  Paul.  Voir  t.  i.  col.  I. 
Mais  le  même  saint  Augustin  réprouve  très  sévèrement 
cette  opinion  erronée   /'  Dei,  I.  XXI.  c.  xxiv, 

/'.    L.,   t.    XI. I,   col.    737.    Saint    Thomas    la     COndaO 

comme  présomptueuse,  ne  reposant  sur  aucun  fonde- 

niiiit.  et  tout  à  fait  Contraire  a  la  tradition   catholique. 

Iheol.,  III'  Suppl.,  q.  i.wi.  a.  5.  Cf.  Su  i 
/"  ///  /■',/.,..  Sum.  iheol.,  disp.  XLIII,  sect.  m. 
n.  10.  Opéra  omnia,  t.  xiv,  p.  738;  Hell.irmin.  De  pur- 
gatorio,  I.  II.  c.  xvm.  Opéra  omnia,  8  in-8  .  Naj 
1872,  t.  ti, p. 406  sq.;  Petau,  Dogmatatheologica,tr.\, 
Dr  angelis,  I  III.  c  nu,  n.  16-18,  t.  iv,  p.  119-431; 
Billot,   Quastiones  <><■  o<.  |    m.  thés.  ni. 

p.  69-71.  Saint  Thomas  admet  cependant,  et  la  plupart 
des  théologiens  admettent  avec  lui.  que  Dieu  ne  punit  pas 
les  damnés  suivant  toute  la  rigueur  de  sa  justice,  mais 
que,  malgré  la  gravité  de  leurs  supplices,  sur  eux  aoi 
jusqu'à  un  certain  point,  s'exerce  la  divine  miséricorde. 
iheol.,  D,  q.  \xi.  a.  1.  ad  I  •■  ;  7n  IV  Sent., 
I.  IV,  dist.  XLVI.  a.  3,  ad  lum;  Suarez,  tr.  Y.  De  vitiis 
rt  peccatis,  disp.  VII,  sect.  m.  n.  15;  De  incarnat., 
q.  I.  a.  2,  disp.  IV,  sect.  m,  n.  32.  Opéra  omnia,  t.  iv. 
p.  590;  t.  xvn,  p.  137;  Bellarmin,  De  purgatorin,  1.  II. 
e.  xvm,  ad  2"".  Opéra  omnia,  t.  n,  p.  417;  Monsabré, 
<//<.  cit.,  p.  83  sq.;  S.  François  de  Sales.  Traité  de 
l'amour  de  Dieu.  I.  IX,  c.  i.  Œuvres  complètes.  17 
in-8»,  Paris,  1835,'  t.  vu,  p.  113. 

v.  Inégalité  de  la  peine  m  dan  en  enfer.  — 
Considérée  en  elle-même,  la  peine  du  dam  est  la  même 
pour  tous  les  damnés,  car  elle  esl  également  pour  tous 
la  privation  totale  et  définitive  du  bien  suprême. 
Cf.  S.  Thomas,  Soin,  theol.,  I»  II*,  q.  xxxvn.  a.  4; 
III'  Suppl.,  q.  un,  a.  3;  Salmanticenses.  Cursus 
théologiens,  tr.  XIII,  De  vitiis  et  peccatis,  disp.  IX. 
dub.  [,§  1-5,  n.  1-25,  t.  vin.  p.  250-260.  Mais  considérée 
dans  l'affliction  qu'elle  apporte  aux  réprouvés,  elle 
diffère  suivant  le  degré  de  culpabilité  de  chacun  d'eux. 
Plus  ils  furent  coupables,  plus  ils  sont  torturés  par 
elle,  car  plus  profondément  ils  sont  tombés  dans  ce 
ténébreux  et  terrible  ahimede  l'âme,  dont  saint  Augustin 
parle  si  éloquemment,  Confess.,  I.  XIII.  c.  vin,  /'.  L.. 
i.  \xxiv.  col.  848,  et  plus  ils  sentent  douloureusement 
le  vide  infini  causé  par  l'éloignement  de  Dieu.  Eo 
niagis  in  tenebrosa  sut  ij>sius  abgsso  anitna  damnata 
profnndatur,  quo  rnajori  sensu  afficitur sum  potentia- 
litatis,  sciens  ad  quant  magnarn  heatitudinem  fuerat 
prseordinata;  quo  etiam  longius  a  terra  quiets*  in 
ternum  repulsam  se  videt,  quo  magis  de  selemo 
vacuo  et  impertransibili  rhao  in  quod  decidit,  sibi 
conscia  est.  (T.  Billot,  Qusestiones  île  novissimis,  q.  ni, 
thés.  iv.  s,  l,  p.  78. 

Cela  se  comprend  facilement  si  l'on  sonp'  que, 
même  en  enfer,  il  est  rendu  a  chacun  selon  Ses  IBUVreS. 
Rom.,  n.  6.  Or,  celte  correspondance  entre  le  châti- 
ment et  la  faute  commise  doit  se  retrouver  surtout  dans 
la  peine  du  dam.  qui  est  la  peine  essentielle  et  princi- 
pale de  l'enfer.  S.  Thomas.  CotU.  grntrs.  I.  III.  c.  CXI  II. 
Plus  un  damné  a  péché,  plus  il  s'est  détourné'  de  Dieu. 
La  peine  du  dam  a  pour  Dut  précisément  de  punir  le 
péché  en  tant  que  par  lui  le  pécheur  se  détourne  de 
Dieu.  Le  damné  sent  donc,  en  proportion  deses  péchés, 
le  poids  de  la  malédiction  d(  Ce  Dieu  qui  s'éloigne  de 
lui  à  son  tour,  et  qui  le  chasse  de  sa  présenO 
damné  souffrira  d'autant  puis  qu'il  aura  une  plus  grande 
facult,'  et  un  plus  grand  besoin  de  jouir.  Les  grâces 
reeues  ci  méprisées  ont  augmenté  on  lui  cette  aptitude 
iin,  en  pioportion  de  leur  nombre.  Chaque 
.  en  effet,  i  tait  un  appel  de  Dieu,  une  invitation  à 
le  mieux  connaître  et  à  le  mieux  aimer.  C'était,  en 
même  temps  une  lumière  et  un  moyen  pour  arriver  a 
ce  degré  d.    connaissance  et  d'amour  fixé  par   Dieu. 


17 


DAM 


18 


Elle  créait  donc  clans  l'âme  une  plus  grande  disposition 
à  cette  connaissance  et  à  cet  amour,  et,  par  une  suite 
naturelle,  un  plus  grand  besoin  de  connaître  Dieu  et 
de  l'aimer.  Donc,  autant  de  grâces  rejetées  par  le  pécheur, 
autant  de  degrés  inassouvis  de  puissance  et  de  besoin 
d'aimer  et  de  posséder  Dieu.  Chaque  grâce  méprisée 
a  creusé  davantage  l'abîme  éternel  dans  lequel  l'âme 
s'est  plongée.  Les  plus  coupables  sont  donc  plus  aptes 
à  sentir  la  privation  du  bien  suprême,  comme,  dans  le 
cie',  les  plus  saints  parmi  les  élus  sont  plus  aptes  à 
jouir  de  la  présence  et  de  la  possession  de  Dieu.  La 
-race  dont  les  saints  ont  profité  et  qui  a  porté  ses 
fruits  en  eux,  a  augmenté  leur  ressemblance  avec 
l'exemplaire  divin.  C'est  ce  plus  ou  moins  de  perfection 
dans  leur  conformité  avec  lui  qui  les  rend  plus  ou  moins 
capables  de  jouir  de  la  divine  essence.  De  même,  le  mépris 
des  grâces  et  les  fautes  accumulées  ont  augmenté,  chez  les 
damnés,  leur  degré  de  dissemblance  avec  l'infinie  pureté 
et  sainteté  de  Dieu.  C'est  ce  plus  ou  moins  d'opposition 
au  bien  suprême  qui  leur  en  fait  sentir  davantage  la 
privation,  et  différencie  en  eux  la  peine  du  dam.  Dieu 
est  l'essence  même  delà  bonté  et  de  la  félicité  substan- 
tielle, comme  dit  le  pseudo-Denvs.  De  divinis  nomini- 
bus,  c.  i,  S  3;  c.  iv.  §  10,  P.  G.,  t.  m,  col.  590,  707.  Le 
malheur  d'en  être  privé  se  mesure  donc  sur  le  degré 
d'opposition  que  le  damné  a  avec  ce  bien  suprême, 
dont  les  grâces  reçues  tendaient  à  le  rapprocher,  tandis 
que  ces  mêmes  grâces  méprisées  tendent  à  le  repousser 
davantage.  Cf.  Lessius,  De  perfectionibus  moribusgue 
divinis,  I.  XIII,  c.  x.xix,  n.  20 i,  p.  503-507;  Suarez, 
De  angelis,  1.  VIII,  c.  v,  n.  9,  Opéra  omnia,  t.  n, 
p.  978;  Salmanticenses,  Cursus  théologiens,  tr.  XIII, 
De  ritiis  et  peccatis,  disp.  XVIII,  dub.  I,  §  2,  n.  7-10, 
t.  vm,  p.  400  sq. 

De  même  donc  que  les  élus,  dans  le  ciel,  jouissent 
davantage  de  la  vision  béatilique,  suivant  leurs  mérites! 
de  même,  les  damnés,  dans  l'enfer,  soutirent  davantage 
de  sa  privation,  en  proportion  des  crimes  dont  ils  se  sont 
souillés.  Cf.  Saltnanticences,  Cursus  theolog.,  tr.  II,  De 
visionc  Dei ,  disp.  V,  dub.  i,  t.  I,  p.  251. 

C'est  l'avis  unanime  des  théologiens,  comme  ce  fut 
aussi  celui  des  saints  Pires.  Cf.  S.  Basile,  In  Ps.  vu, 
•").  /'.  G.,  t.  xxix, col.  238  sq.;  S.  Jérôme,  ('.'mira  Jovi- 
nianum,  I.  II,  n.  25,  /'.  /,.,t.  x.xni,  col.  322;  S.  Augus- 
tin. Epist.,  ci  xvn.  n.  i;  De  liœr.,  n.82,  /'.  t., t.  XXIII, 
col.  375;  t.  xiii,  col.  15;  Scot,  In  IV  Sent.,  1.  IV. 
dist.  XVI,  q.  i.  a.  I;  dist.  I,.  q,  i,  a,  i  ;  s.  Thomas, 
lu  IV  Sem..  I.  Il,  dist.  XXXII,  q.  i.  a.  I;  Suarez,  De 
angelis,  I.  VIII.  c.  v,  n.  9,  Opéra  omnia,  t.  n,  p.  979; 
Salmanticenses,  Cursus  théologiens,  tr.  XIII,  De  vitiis 
ei  peccatis,  disp.  XVIII,  dub.  i,  g  •>,  n.  7-10;  §3,  n.  10- 
22.  I.  vm.  p.   ii il   lus 

VI.  La  peine  du  dam  EN  PURGATOIRE.  —  Les  âmes  du 
purgatoire  soufTrent-elles  la  peine  du  dam?  Si  le  mot 
dam  es)  pris  dans  son  sens  rigoureux  et  absolu,  entant 
qu'il  signifie  l'exclusion  définitive  de  la  vie  éternelle, 
la  perte  irrémédiable  de  la   béatitude  suprême,  il  ne 

s'applique  pas  évidemment  a  l'état  des  i s,  retenues 

en  purgatoire.  La  peine  du  dam,  en  effet,  esl  encourue 
par  le  pécheur,  parce  qu'il  O'si  détourné  de  Dieu  et  a 
-i  lin  dernière  dans  la  créature.  Or,  cette  aversion 
à  l'égard  de  Dieu  n'existe  pas  dans  les  âmes  imites  du 
itoire.  i  n  grand  nombre  d'entre  elles  n'ont  commis 
que  des  péchés  véniels  qni  ne  les  détournent  pas  de 
Dieu,  mais  s,,, ii  simplement  un  obstacle  dans  leur 
marche  vers  lui.  Quant  anx  autres  qui  eurent  le  malheur 
■  i.  pécher  mortellement,  elles  s,-  sont  repenties  durant 
leur  vie  terrestre,  et,  par  con  i  quent,  convertie!  >  Dieu 
et  retourm  •  •  ■  i-  lm.  La  peine  du  dam  n-  saurait  di 
en  aucun    I  -  on    leur  être  infll 

Mal»,  i  par  dam,  on  entend  simplement  le  retard 
apporté  .i  la  vision  béatiflque  ci  a  la  pos  et  Ion  di 
Dlen,  l'  -   Imes  du  purgatoire  j  sont  .  ertainemenl 


mises,  et  cette  peine  est  pour  elles  extrêmement  doulou- 
reuse. Cf.   Suarez,  De  angelis,  1.  VIII,  c.  xiv,  n.  14; 
De  purgalorio,  disp.  XLVI,  sect.  i,  n.  2,  Opéra  omnia, 
t.  n,  p.  1038;  t.  xxn,  p.  903.  Vu  sa  nature  néanmoins, 
elle  ne  se  rapporte  pas  à  la  peine  du  sens,  mais  à  celle 
du  dam.    Elle  peut  donc,  et   doit  être  appelée    pœna 
damni  secundum  quid.  C'est  aussi  à  la  peine  du  dam 
que    saint    Thomas   la    ramène.    In   IV  Sent.,  I.  IV, 
dist.  XX,  q.  i,  a.  2;  dist.  XXI,  q.  I,  a.  1,  q.  in.  D'après 
les   théologiens,   la   peine  du  dam  absolu   est  donc  la 
privation  perpétuelle  de  la    béatitude  suprême,   et   le 
dam  relatif  est  le  retard  apporté  à  la  jouissance  de  ce 
bien    infini,  à  partir  du  moment  où,  suivant  l'ordre  de 
la  providence,  on  devient  apte  à  le  posséder,  et  où  l'on 
devrait  en  jouir.  C'est  au  moment  où  l'âme  se  sépare  de 
son  corps,  que,  dégagée  des  liens  terrestres,  et  inacces- 
sible aux  impressions  des  sens,  l'âme  sent  s'éveiller  en 
elle  cette  faim  dévorante  et  cette  soif  de  bonheur,  qui, 
par  une  tendance  irrésistible,  la  porte  impétueusement 
vers  Dieu,  seul  capable  de  la  satisfaire  et  de  la  rassa- 
sier. Tant  que  l'âme  n'entre  pas  en  possession  du  bien 
souverain  après  lequel  elle  soupire  de  toutes  les  puis- 
sances de  son  être,  elle  subit  une   torture  à  laquelle 
tous  les  maux  de  la  terre  ne  sauraient,  en  aucune  façon, 
être   comparés.    Cf.    S.   Thomas,  In  IV  Sent.,   1.  IV, 
dist.  XXI,  q.  i,  a.  1,  q.  ni.  La  vision  béatifique  est  un  si 
grand  bien,  dit  Suarez,  que  la  posséder  un  seul  jour, 
ou  même  une  seule  heure,   cause   un   bonheur  dépas- 
sant infiniment  la  joie  que  procurerait  la   possession 
simultanée  de  tous  les  biens  de  la  terre,  pendant  une 
longue  existence.  La  vision  béatifique,  accordée  pendant 
quelques    instants   seulement,  serait   une  récompense 
surabondante,  et  hors  de  toute  proportion,  pour  toutes 
les  bonnes  œuvres  que  chacun  pourrait  accomplir,  et 
pour    toutes    les    épreuves    que    l'on     pourrait    subir 
ici-bas.  Par  suite,  le  retard  apporté  à  cette  jouissance 
pour  l'âme  qui,  séparée  de  son  corps,  a  un  besoin  im- 
périeux   de    cette   béatitude   infinie,  cause   une   peine 
dépassant   incomparablement  en  amertume  et  en  souf- 
france tous  les  maux  delà  terre.  Lésâmes  du  purgatoire 
reçoivent  de  Dieu  les  lumières  qui  leur  font  comprendre 
combien  grand  est  le  bien  dont  elles  sont  privées.  En 
même  temps,  s'allume  en  elles,  pour  la  beauté  infinie 
qu'elles   connaissent,   un    amour  si   intense  qu'il   leur 
rend  Péloignement  de  Dieu  plus  pénible  et  plus  terrible 
que  mille  morts.  Cf.  Suarez,  De  pur gatorio,  disp.  XLVI, 
sect.  m,  n.  1,  Opéra  omnia,  t.  xxn,  p.  917  sq.  ;  Bellar- 
min,   De  purgalorio,   1.   II.    c.    x,  XIV,    Opéra   omnia, 
t.   n,   p.    401,   403.   Leur  ardent  amour   pour  Dieu  fait 
leur    supplice.   C'est   non    seulement  une   faim    insa- 
tiable  et    une  soif   inextinguible   de  Dieu  :    c'est    une 
Bèvre    de    Dieu,     fièvre    brûlante,    d'une    incalculable 
intensité,  car  sa  grandeur  se  mesure  à  celle  de  l'objet 
dont  la  privation  les  torture.  C'est   une   douleur  d'un 
autre  ordre  que  toutes  celles  de  la  terre  :  douleur  trans- 
cendante, comme    esl  transcendant    leur   état  d'âmes 
séparées  du  corps,  état  dont  nous  n'avons  actuelle- 
ment ni    l'expérience   personnelle,    ni    même   l'idi'e,  et 
qui    leur  donne  la  Faculté  >\<'  souffrir  d'une  manière 
toute  différente  de  cille  dont  on  souffre  en  ce  monde. 
Cf.  Mb*  Cay,  De  la  ne  ri  tirs  vertus  chrétiennes  ronsi- 
dérées  dans  l'étal  religieux,  c.  xvn.  De  l'Eglise  consi- 
comme  objet  dû  la  charité,  Il'partie,  De  l'église 
touffrante,  2  in-8»,  Paris,  1874,  t.  H,  p  663  568;  Moi 
bré,  Exposition  du   dogme  catholique,  xi  ur  confé- 
itoire,  m  8  .  Paris,  1889,  p.  23  sq. 
Pour  cire  passible  de  cette  peine  du  dam  relatif,  ou 
tecundum  quid,  il  n'est  pas  néci  di  toui  m 

di    Dieu   pai    li     péché  mortel,  cm pour   le  dam 

al. s,, lu;     mais    il    suffit    de    tOUl   obstacle    qui    se    ili> 

entre  l'âme  avide  de  Dieu  et  Dieu  lm  mémi  .  <  ■  I  oba- 
tacle  à  l'élan  de  l'âme  vers  Dieu  qui  l'attire  avec  tant 
■  i.-  forci     i  est  le  pi  i  hé  rénii  I,  ou  la  peine  due  encore 


l'.l 


DAM 


20 


aux  péchés  mortels  déjà  pardonnes  qnanl  à  la  coulpe. 
I  ce  ipii  relient  loin  de  Dieu  les  âmes  jusqu'à  leur 
entière  purification,  el  les  empoche  jusque-là  de  jouir 
de  l.i  béatitude  éternelle.  Cf.  Salmanl 
theologicus,  tr.  Mil.  De  vitiis  et peccatis,  disp.  XVIII, 
dub.  i,  §  I.  n.  6,  i.  vin.  p.  399  sq.  ;  Suarez,  De  /■ 
torio,  disp.  \  I.VI,  sect.  i,  n.  2-4,  Opéra  omnia,  t.  xxn. 
p.  309  sq. 

Cette  peine  du  dam  relatif  que  souffrent  les  âmes  du 
purgatoire,  est,  cependant,  malgré  son  intensité,  bien 
différente  de  la  peine  du  dam  absolu  dont  sont  aii 
les  damnés  dans  l'enfer.  Pour  ceux-ci  aucun  soulage- 
ment ou  adoucissement,  ni  aucune  consolation;  mais 
le  désordre,  la  révolte,  le  blasphème,  le  désespoir 
éternel.  Obstinés  dans  le  mal,  ils  ne  consentent  en 
aucune  façon  aux  arrêts  de  la  justice  divine,  et  ils 
maudissent  ce  Dieu,  pour  lequel  ils  se  sentent  faits. 
et  dont  la  possession  pourrait  seule  leur  procurer  cette 
félicité,  que  tontes  les  puissances  de  leur  être  exigent 
et  réclamenl  sans  cesse.  Les  âmes  du  purgatoire,  au 
contraire,  aiment  Dieu  et  adorent  les  décrets  de  sa 
justice,  même  quand  ils  les  font  épouvantablernent 
souffrir.  Elles  ont  la  charité  et  la  grâce  sanctifiante. 
racine  et  fondement  inébranlable  de  la  gloire  éternelle, 
à  laquelle  elles  parviendront  certainement,  un  jour. 
Elles  le  savent,  et  cette  assurance  est  pour  elles  la 
source  indéfectible  d'une  immense  joie.  Au  milieu  de 
leur  supplice  elles  goûtent  une  paix  inaltérable, 
inconnue  sur  terre.  Cf.  S.  Iionaventure,  In  IV  Sent., 
1.  IV,  dist.  XX,  part.  II,  a.  1,  q.  il;  Suarez.  De  purga- 
torio, disp.  XI. VII.  sect.  ni.  n.  1-10,  Opéra  omnia, 
t.  xxii.  p.  931-935;  Bellarmin,  De  purgatorio,  1.  II, 
c.  iv,  v,  xiv,  Opéra  omnia,  t.  il,  p.  392-395,  403; 
Rinet,De  l'état  des  dotes  du  purgatoire,  c.  n.  S  2,  La 
peine  du  dam,  in-12,  Paris,  1863,  p.  13  sq.  ;  Mgr  Gay, 
"/>.  rit.,  t.  il,  p.  569-.">72.  Si  le  cboix  leur  était  donné, 
elles  préféreraient  rester  en  purgatoire,  plutôt  que  de 
revenir  sur  la  terre,  où,  cependant,  en  beaucoup  moins 
de  temps,  elles  pourraient,  et  avec  infiniment  moinsde 
soullrance,  satisfaire  à  la  justice  divine;  mais  où  aussi 
elles  seraient  encore  exposées  à  se  perdre  éternelle- 
ment. La  joie  intense  que  leur  procure  la  certitude  de 
leur  citut  éternel,  les  ;uilo  merveilleusement  à  suppor- 
ter leur  soullrance,  quoiqu'elle  ne  la  diminue  en  rien. 
Puis,  comme  elles  sont  confirmées  en  grâce,  leur 
volonté  est  en  tout  conforme  à  la  volonté  de  Dieu.  Non 
seulement  elles  acceptent  avec  résignation  ses  décrets, 
mais  elles  j  acquiescent  avec  amour  et  reconnaissance. 
Or,  une  peine  volontairement  acceptée  et  subie  avec 
amour  est  moins  pénible,  en  raison  de  son  acceptation 
et  de  l'amour  qui  la  fait  accepter.  C'est  un  fait  d'ex- 
périence et  une  vérité  reconnue  par  les  théologiens, 
que  la  peine  n'est,  à  proprement  parler,  que  ce  qui 
contrarie  la  volonté  :  lt;rc  est  ratio  poème  quod  uolun- 
tali  cottlrariatur.  Cf.  S.  Thomas,  //'  IV  Sr/it.,  I.  IV, 
dist.  XXI,  q.  i.a.  I,  q.  iv;  Stuii.  tlieol.,  I»  II".  q.  VI, 
s  6;  5.  Bonaventure,  In  IV  Sent.,  I.  IV,  dist.  XX. 
part.  II,  a.  1,  q.  i.  Moins  une  peine  est  invo- 
lontaire, moins  elle  contient  de  pénalité,  quantum  adi- 
mitur  de  involuntario,  tantuni  tollitur  de  pœnalitate. 
Cf.  Suarez,  De  purgatorio,  disp.  XI. VI,  sect.  in,  n.  3. 
t.  xxii,  p.  917;  Binet,  Dr  l'étal  des  âmes  du  purgatoire, 
<-.  n.  g  2;  c.  m,  S  1-2,  p.  19-24,  27-32.  75-122;  Billot, 
Disquisilio  de  natura  cl  rationc  peccali  personalis, 
introductia  ad  tractatum  de  ptmitentia,  part.  I. 
c.  n,  q.i  xxwii,  n.  '..  m  8  .  Rome,  1897,  p.  77;  Monsabré, 
Exposition  du  dogme  catholique,  xcvn«  conférence, 
/.  purgatoire,  in-8°,  Pans.  1889,  p.  23  sq.;  Faber, 
Le  purgatoire,  c.  m.  in-12,  Paris,  1898,  p.  39  i" 

Celte  peine  du  daiii  relatif  est  donc  pour  les  .'unes  du 

purgatoire  un  mystérieux  mélange  de  souffrances 
Indicibles,  d'inexprimables  joies  ,t  d'ineflabli  b  conso- 
lations. Par  cela  même,  il  doog  est  encore  plus  difficile 


de  nous  en  faire  une  idée,  que  delà  peine  du  dam  en 
enfer.   La    souffrance   torturante  s,^  consolation 

comprend  mieux  que  celle  qui   tourmente  en  lait 
subsister,  ou  mieux  en  Causant  une  joie  a  laquelle  nulle 

.le  la  terre  ni'  saurait  êtn  -ujei 

on  pourra  consulter  avec  fruit  le  Traité  du  / 

linte  Catherine    de  Cènes.   Examiné  d'abord 
l'ordre  de  l'archevêque  de  Paris,  et  approti 
professeurs    de   l'université   de    cette    ville,  en    1666, 
cf.  (initia    christiana,  t.  vu,  p.   181,  il  le  fut  ensuite 
plus  solennellement   encore  par 
.i  l'occasion  du  procès  de  canonisation  de  la  sainl 
approuvé  juridiquement   par  Innocent    XI,   le   14  juin 
1676.  Cf.   Acta  sanclorum,   t.    v    seplembris,    p.    127. 
Saint  François  de  Sales    et   le  cardinal  Bellarmin  en 
faisaient  le  plus  grand  cas.  Ecrit  primitivement  en  ita- 
lien, ce  traité  a  eu  de  nombreuses  éditions  en  di\ 
langues.   Le    bénédictin  Lecbner   en  a  donné  une  édi- 
tion allemande.  Leben  und  Sehriften  der  ld.  Katliarina 
von  (ienua,  in-8°,  Ratisbonne,  1859,  p.  "2'27  sq.  In  a! 
assez  étendu  a  été  fait  par  le  P.  Faber,   AU  fur  .'• 
or  tlte  easy  ways  of  divine  Luve,  in-12.  Londres,  1861, 
p.   1570  sq.;   Tout  pour  Jésus,  c.  !.\.  s.  i.  in-12.  Paris, 
1882,  p.  367  sq.  Le  P.  Marcel   Bouix,  de  la  Cornp;.. 
de  lésus,  en  a  publié  une  traduction  française  ;  Traité 
du   purgatoire  de  sainte  Catherin  et,   in-12. 

Paris,  1883. 

La  durée  de  cette  peine  du  dam  relatif  est  absolu- 
ment inconnue.  Quelques  auteurs,  comme  Soto, 
h,  IV  Sent.,  1.  IV.  dist.  XIX.  q.  in.  a.  2.  et  Maldonat, 
De  purgatorio,  q.  v,  ont  prétendu  que  la  peine  du 
purgatoire  ne  pouvait  durer  plus  de  dix  ans;  mai 
raisons  qu'ils  en  donnent  ne  reposent  sur  aucun  fonde- 
ment sérieux.  La  peine  du  dam.  même  relatif,  étant 
plus  terrible  que  toutes  celles  de  la  terre,  ils  se  de- 
mandent comment  Dieu  l'infligerait  plus  longtemps 
pour  des  fautes  vénielles  qu'on  peut  si  facilement 
expier  en  ce  monde  par  de  légères  mortifications,  ou 
simplement  par  l'usage  des  sacramentaux.  Ils  oublient 
manifestement  que.  durant  sa  vie  mortelle,  l'homme 
est  sous  le  règne  de  la  miséricorde,  tandis  (pie.  plus 
lard,  il  tombe  sous  celui  de  la  justice.  Mais  pourquoi 
lixer  dix  ans,  et  non  vingt,  trente,  etc..  ou  seulement 
cinq  et  moins  encore'.'  Ils  en  appellent  a  la  bonté  de 
Dieu.  Sans  doute.  Dieu  est  infiniment  bon;  il  est  aussi 
infiniment  juste.  Lésâmes  du  purgatoire  se  soumettent 
avec  amour  à  la  douleur.  Cf.  M  '  Gay,  o/>.  cit.,  t.  II. 
p.   ôti'.t.    Files    savent   que   Dieu    étant    infiniment    pur. 

ne  peuvent  paraître  en  sa  présence  et  jouir  de 
Lui  sans  être  entièrement  purifiées.  Cette  purification, 
elles  la  désirent  donc  avec  tant  d'ardeur  que,  pour 
aucune  raison,  elles  ne  voudraient  que  leur  supplice  fût 
moins  long  ou  moins  rigoureux  qu'il  doit  être  pour 
les  amènera  la  pureté  i  laquelle  elles  aspirent.  Files 
souffrent;  mais  „msso  plaindre,  ni  murmurer.  Elles 
sont  plutôt  extrêmement  rccounai--antes  a  Dieu  de 
leur  avoir,  par  boule  et  miséricorde,  pré]  lyens 

de  purification,  pénible-,  il  est  vrai,  mais  qui  assurent 
leur  félicité.  La   prolongation  de  leur  supplice  ne  leur 

;  dune  pas  opposée  a  la  bonté  de  Dieu.  Elle  leur  .  n 
est  plutôt  une  preuve  évidente. 

nubien  durera  pour  «Iles  ci'  dam  relatif'.'  Ces!  le 
secret  de  Dieu.  Seul  il  connaît  la  gravite  de  ces  fautes 
légères,  qui  ne  -ont  ni  une  perversion  complète  de 
l'être  humain  par  rapport  a  sa  fin  dernière,  ni  une 
apostasie  toi. île.  mais  qui  écartent  de  la  voie  droite  et 
qui,  par  suite,  ont  quelque  chose  de  grave  en  soi. 
parce  qu'elles  offensent  lin  M  nie  majesté  de  Dieu.  A  Dieu 
seul  il  appartient  de  lixer  el  l'intensité  et  la  dur. 
la  peme  Cette  durée,  il  ne  nous  en  a  p.i-  révélé  le 
terme.    L' Eglise  n'a  rien  défini   non    plus  ;   mai-,  par  sa 

pratique,  elle  tait  comprendre  que  cette  durée  peut  être 
indéfiniment  longue,  puisqu'elle  permet,  en  faveur  des 


21 


DAM 


22 


âmes  soumises  à  la  peine  du  dam  relatif,  la  célébration 
des  anniversaires  expiatoires  de  vingt,  trente,  cinquante, 
cent  ans  et  plus.  Cf.  S.  Thomas,  In  IV  Sent.,  1.  IV, 
dist.  XXI,  q.  i,a.3;  Suarez,  De  pitrgatorio,  disp.  XLVI, 
sect.  îv,  n.  6,  Opéra  omnia,  t.  XXII,  p.  921  sq.  ;  Bellar- 
min,  De  puigatorio,  1.  Il,  c.  ix,  Opéra  omnia,  t.  Il, 
p.  MX)  sq.  Parmi  les  propositions  condamnées  par  le 
pape  Alexandre  VII,  le  18  mars  !666,  il  s'en  trouve  une, 
la  43e,  ainsi  formulée  :  Annuum  legalum  pro  anima 
rélictum  non  durât  plus  rjuain  per  eleeem  annos. 
Cf.  Denzinger,  Enchiridion,  n.  1014.  Voir  t.  i,  col.  746- 
717. 

D'ailleurs,  cette  notion  du  temps  que  nous  avons 
pendant  que  nous  vivons  sur  la  terre,  les  âmes  du 
purgatoire,  séparées  du  corps,  et  soustraites  à  toute 
influence  du  monde  sensible,  l'ont-elles  comme  nous? 
Quel  rapport  a  leur  vie  nouvelle  avec  le  temps  qui 
s'écoule?  Comment  peuvent-elles  le  mesurer  et  en 
apprécier  le  cours?  Y  a-t-il  pour  elles  une  différence 
entre  une  minute  et  une  heure,  entre  un  jour  et  un 
an.  entre  une  année  et  un  siècle?  Pour  elles,  il  n'y  a 
ni  jour,  ni  nuit;  ou  plutôt  tout  est  nuit.  Ce  ne  sont  pas 
les  ténèbres  extérieures  des  damnés;  c'est  néanmoins 
l'absence  de  lumière.  Dans  ces  conditions  si  différentes 
des  nôtres,  quel  moyen  ont-elles  de  se  faire  une  idée 
de  la  marche  du  temps?  Cf.  Mor  Gay,  op.  cit.,  c.  xvn, 
p.  56ô  sq.  Une  âme,  plus  tourmentée  qu'une  autre  par 
cette  peine,  peut  croire  en  être  affectée  depuis  plus 
longtemps  qu'une  autre  qui  l'a  précédée  en  purgatoire, 
mais  qui  souffre  moins,  tant  l'appréciation  de  la  durée 
est  une  chose  subjective.  Pour  ceux  qui  mourront  peu 
avant  la  lin  du  monde,  et  qui,  sans  être  damnés,  auront 
cependant  à  expier  beaucoup,  Dieu  pourra  augmenter 
l'intensité  de  la  souffrance,  et  leur  donner  ainsi  la 
perception  d'une  durée  plus  longue.  Cf.  S.  Thomas, 
In  1  V  Sent.,  1.  IV,  disp.  XL VII,  q.  II,  a.  3;  S.  Bonaven- 
ture,  h,  IV  Sent.,  1.  IV,  dist.  XLVII,  a.  2,  q.  iv.  Tout 
ce  qu'on  peut  assurer,  c'est  qu'au  moment  du  juge- 
ment dernier,  la  peine  du  dam  relatif  n'existera  plus 
pour  personne,  car,  alors,  le  travail  de  purification 
étant  terminé  pour  toutes  les  anus,  les  humains  ne 
formeront  plus  que  deux  catégories  :  les  damnés  et  les 
bienheureux.  Et  ceci  est  de  foi.  Matin.,  xxv,  46. 
Cf.  S.  Augustin,  De  civitate  Dei,\.  XXI,  c.  xvi,  P.  L., 
t.  xi. i,  col.  731. 

Vil.  La  PEINE  DU  l'AM  mx  LIMBES.  —  1"  Pour  les  en- 
fants morts  sans  baptême.  —  Voir  t.  Il,  col.  364-378. 
■2  La  peine  du  dam  pour  les  justes  de  l'Ancien 
Testament,  avant  l'immolation  de  Xotre-Seigneur.  — 
usti  s  de  l'Ancien  Testament  furent  rete- 
nues dans  les  limbes  jusqu'à  l'accomplissement  de  la 
rédemption.  Tant  qu'il  leur  resta  des  fautes  vénielles  à 
expier,  elles  lurent  évidemment  soumises  à  la  peine  du 
dam  relatif.  Leur  condition  ne  pouvait  être  meilleure 
qui' celle  des  ;'imesqui   soulTren i  actuellement  dans  le 

ttoire.  Mais  quand  elles  se  trouvèrent  entièrement 

purifiées  de  leurs  fautes  personnelles,  quel  fui  leur  étal? 

<»n    doil   tenir   d'abord   pour   certain    que    la    vision 

béatifique  ne  leur  fut  pas  accordée  avant  l'achèvement 

de  la  rédemption  par  la  mort  du  Christ,  sur  la  croix. 

"r.  if-  Noire-Seigneur  était  la  rançon  que  deman- 
dait pour  'tirs  la  justice  divine,   ■<  cause  de  la  faute 

nelle.  Mais,  aussitôt  âpre-  le  sacrifice  du  Calvaire, 

I  du  Sauveur  descendue  aux  limbes  les  lit  entrer 

en  participation  de  la  béatitude  éternelle.  Christusad 

.,,it,i    descendent,    omnet    /nstns    qui  origami, 

peccato  adilricii  tenebantut  ■  El  sine  aliqua 

mor  a,   ad  imperium   Domini  ac   Salvatoris,  omnet 

ei  confracti  êunt  ■  <■<  trs    s.  Augustin,  Serm.,  u,  de 

I.  i.  /'.  /...  t.  sxxvi,  col.  2060  Bq   Cf. 

s.  I  bornas,  In  l  V  Sent.,  I.  111,  dist.  X.VII;  I.  IV.  dist.  Il; 

theol.,  III*,  q.  xlix,  a.5;  q.  lu, a.  3;a.  1,  adl 

Tn  M  Sent  .  I.  IV.diit,  II.  q,  m  .  0 


lai. ,1.111,  tit.  xlii,  De  baptismo,  c.  m,  Majores.  C'était 
la  réalisation  de  la  prophétie  de  Zacharie,  ix,  M  :  In  san- 
guine Testamenti  tui  emisisti  vinctos  luos  de  lacu  in 
quo  non  est  aqua...  Divers  manuscrits  portent  eduxisli 
vinctos  tuos  de  lacu.  C'est  aussi  le  sens  des  Septante  : 
Su  èv  oti'jxtxTt  SiaO^xr,;  ao'j  ÈÇanéaTEiXa;  Setjj.io'j;  co'j  iv. 
Xâxxou  o-Jx  s');ovto;  \j8wp.  Cf.  Suarez,  In  J77am  partent 
Sum.  theol.,  disp.  XLII,  De  loco  ac  statu  animarum 
sanctarum  ante  C/iristi  mortem,  sect.  i,  n.  1-7; 
disp.  XLIII,  sect.  ni,  n.  2-5,  Opéra  omnia,  t.  xix, 
p.  697-699,  733  sq.  ;  Billot,  De  Verbo  incarnato,  part.  II, 
c.  m,  thés,  lv,  S  3,  in-8°,  Borne,  1904,  p.  496-498. 

Avant  ce  bienheureux  moment,  dès  que  les  âmes 
justes  de  l'ancienne  Loi  eurent  satisfait  à  la  peine  due 
aux  péchés  véniels,  ou  aux  péchés  mortels  pardonnes, 
elles  ne  souffrirent  plus  la  peine  du  dam  relatif. 
La  certitude  de  leur  salut  éternel  leur  donnait  une 
joie  bien  plus  grande  que  celle  qui  apporte  tant  de 
consolation  aux  âmes  du  purgatoire.  Cf.  S.  Thomas, 
Sum.  theol.,  IIIa,  q.  lu,  a.  5,  ad  l"m ;  Suarez,  loc.  cit., 
disp.  XLII,  sect.  i,  n.  12,  t.  xix,  p.  701.  Néanmoins, 
comme  elles  n'étaient  pas  encore  admises  à  la  béatitude 
céleste,  objet  de  tous  leurs  vœux,  elles  ne  cessaient  de 
soupirer  après  elle.  Ce  retard,  apporté  à  leur  bonheur, 
ne  fut  pas  sans  leur  causer  une  vraie  tristesse,  suivant 
le  proverbe  :  Spes  quse  dijferlur,  af/ligit  animam. 
Prov.,  xin,  12.  Saint  Augustin  rappelle  que  ces  âmes 
saintes  attendaient  avec  angoisse  l'avènement  du  Christ, 
dans  l'endroit  où  elles  étaient  reléguées;  et  elles  le 
suppliaient  en  gémissant  de  hâter  le  temps  Je  sa  venue  : 
Lacrymabiliobsecratione  Christum  orabant.  Loc.  cit., 
§  4,  P.  L.,  t.  xxxvi,  col.  2061.  C'est  aussi  le  sentiment 
de  saint  Grégoire  le  Grand  :  In  ipsis  inferni  locis  jus- 
torum  animw  sine  lormento  tcnebanlur  ;  grave  lamcn 
tmdium  illis  fuit,  post  solutionem  carnis,  adhuc 
speciem  non  videre  crealoris.  Moral.,  1.  XIII,  c.  xi.iv, 
P.  L.,  t.  lxxv,  col.  1038.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol., 
IIIa,  q.  LU,  a.  2,  ad  2"ra  et  4"m;  Suarez,  loc.  cit., 
disp.  XLII,  sect.  i,  n.  12-16,  Opéra  omnia,  t.  xix, 
p.  701  sq.;  Salmanticences,  Ctirsus  theologicus,  tr.  XIII, 
De  vitiis  et  peccatis,  disp.  XVIII,  S  1,  n.  6,  t.  vin, 
p.  400.  Tout  porte  à  croire  cependant  que  la  divine 
providence,  par  des  moyens  à  nous  inconnus,  tempé- 
rait leur  peine,  et  les  distrayait  de  cette  tristesse. 
Cf.  Suarez,  De  purgatorio,  disp.  XLVI,  sect.  ni, 
n.  4,  Opéra  omnia,  t.  xvn,  p.  917. 

3°  Lu  peine  du  dam  pour  les  adultes  païens  morts 
sans  autre  péché  grave  que  la  faute  originelle.  — 
L'hypothèse  qu'un  païen  adulte  n'ait  (pie  des  péchés 
véniels  avec  la  tache  originelle,  parait  une  chimère  à 
saint  Thomas  et  à  beaucoup  de  théologiens.  En  effet, 
tout  homme,  au  moment  où  il  arrive  au  plein  usage 
île  la  raison,  est  tenu,  sou?  peine  de  péché  mortel,  de 
faire,  selon  ses  forces  et  ses  connaissances,  un  acte  de 
charité'  parfaite  envers  Dieu,  soit  d'une  façon  distincte 
et  explicite,  en  le  choisissant  pour  sa  lin  dernière, 
soit  d'une  manière  virtuelle  et  implicite,  en  se  propo- 
sant d'accomplir  le  bien  moral,  et  de  vivre  suivant  les 
lumières  de  -a  raison.  Cf.  S.  Thomas.  In  IV  Sent., 
I.  II,  dist.  XLII.  a.  T.,  ad  7"'";  I.  IV.  dist.  XLV,  q.  l, 
a.  3,  ail  ti1""  ;  Sum.  theol.,  I ■'  Il    ,  q.  I  \X\I\,  B  ,  li  .  QuSBSt. 

disp.,  De  malo,  q.  m,  a.  2,  ad  8om  ;  De  veritate,  q.xiv, 
a.  Il;  Salmanticenses,  Cursus  théologie.,  tr.  XIII.  De 
vitiis  et  peccatis,  disp.  XX,  dub,  i,  s'  l-ti,  n.  1-45, 
i.  vin,  p.  490-510.  Voir  Charité,  i.  ii.  col.  2853  sq. 
Or,  ajoute  le  saint  docteur,  si  l'homme  fait  cel  acte  de 
charité  en  ei     Dieu,  H  est  justifié.   Le  péché  originel 

i--  it.il.  el     Dieu   lui   enwi  il    un     ni:.'  .    s'il    le 

faut,  pour  lui  apprendre  les  vérités  surnaturelles  indus 

pensables  au  -.dut.  Mais  -i  l'homme  ne  (ail  p  i 

de  charité  envers  Dieu,  il  commet  un  péché  mortel,  en 

ressent  un  pn  •  i  loni    la  coex  Istence  du 

véniel  el  du  péché  originel  est  impossible  dans 


I  )  A  M 


une  .nu. •.  Il  n  \  ;i  donc  pas  lien  d'examinei  a  quelle 
peine  du  dam  Berail  soumis  celui  qui.  .m  moment  il'-  la 
mort,  se  trouverait  dans  un  pareil  état.  Cf.  S.  Thomas, 

II»,  q.  i  \\.\i\.  a.  6  .  Suarez,   /»  /// 
part.,    disp.  XLII,  sect.  n,  n.  8,  Opéra  omnia,  t.  xix, 
p.  7n.~>  :   Salmanticenses,   Cursus  théologie.,  tr.  XIII. 
disp.  \\.  dub.  n,  S  1-3,  n.  'iti-7n.  i.  mu.  p.  510-521. 

VIII.     Su;    LA     CROIX,    NOTRE-SeICNEUB    a-ï-11.    SO 

mi;i  la  peine  di   dam?      Certains  auteurs  semblent  le 
dire,  et  s'appuient,  pour  cela,  sur  !<■  texte  de-  saint  Paul, 
Chris  tus  nos  redemil  de  malediclo  legis,   factus  pro 
nobis  malediclum.   Gai.,   m,    13.  Il   ne  suffisait   pas. 
affirment-ils,  que  Dieu  lit  sentir  la  pesanteur  de  sun 
bras  à  Jésus-Christ  expirant  sur  le  Calvaire,  et  portant 
dans  son    âme,   connue  dans  son  corps,  la   peine    due 
aux  crimes  de  l'humanité  entière.  Le  Père  éternel  ne 
se  contenta  pas  de  prononcer  un  arrêt  de  mort  contre 
Jésus  qui  s'était  (ail  la  victime  du  péché,  et  de  le  frapper 
par  la  main  des  Juifs  et   des   bourreaux.    Il   parut  vou- 
loir  le   réprouver   lui-même,    en   le  délaissant,    et    en 
l'abandonnant  au  milieu  de  son  affreux  supplice;  d'où 
la  plainte  déchirante  de  Jésus,  qui,  jusque-là,  n'avait 
pas  laisse''   entendre   le   moindre  gémissement    :    Mon 
Dieu!    mon    Dieu!    pourquoi   m'avez-vous   abandonné'.' 
Matth.,  xxvii,  ili.  Ce  cri  de  suprême  angoisse  s'écliappa 
des    lèvres  de  Jésus,   peu   avant   son   dernier  soupir, 
circa  horam  nonam.  Que  se  passa-t-il,  alors,  dans  l'âme 
sainte  de  Jésus?  Éprouva-t-elle  quelque  chose  de  ces 
tortures  épouvantables  et   mystérieuses  du  dam,  inlini 
me  le  Dieu  outragé  qui  se  venge  sans  pitié  sur  sa 
créature  coupable  ?  «  Ce  délaissement  et    cet  abandon 
de    Dieu,    dit    Bourdaloue,   est  en    quelque   façon    la 
peine  du  dam,  qu'il   fallait  que  Jésus-Christ  éprouvât 
pour  nous  tous.  La  réprobation  des  hommes  aurait  été 
encore  trop  peu   de  chose  pour  punir  le    péché  dans 
toute  l'étendue  de  sa  malice  :   il  fallait  que  la  réproba- 
tion sensible  de  l'Homme-Dieu   remplit  la  mesure  de 
la  malédiction  et   de  la  punition  due  au  péché.  Vous 
avez    dit,    prophète,    que   vous  n'aviez  jamais    vu    un 
juste  délaissé:  iXon  vidi  jusium  derelictum,  Ps.  xxxvi. 
25 .  mais  en  voici  un  exemple  mémorable  que  vous  ni 
pouvez  désavouer  :  Jésus-Christ,  abandonné  de  son  Père 
céleste,  et,  pour  cela,  n'osant  presque  plus  le  réclamer 
sous  le  nom  de  l'ère,  et  ne  l'appelant  que  son  Dieu.  Deus 
meus,  ut  quid  dereliquisti  me  '.'...  Toutefois,  dans  ce 
procède''  de  Dieu,  rien  qui  ne  soit  selon  les  règles  de 
l'équité  :  jamais  mort  ne  fut  plus  juste,  par  rapport  à 
Dieu  qui  en  a  porté  la  sentence....  Ce  n'est  point  au  ju- 
gement dernier  que  Dieu  offensé  et  irrité  se  satisfera 
en  Dieu;  ce  n'est  point  dans  l'enfer  qu'il  se  déclare  plus 
authentiquement  le  Dieu  des  vengeances,    Deus  uliio- 
ntou  Dominus,  Ps.  xcin,  1;  c'est  au  Calvaire.  (Test  là 
que  sa  justice  vindicative  agit  librement  et  sans  con- 
trainte, n'étant  point  resserrée,  comme  elle  l'est  ailleurs, 
par  la  petitesse  du  sujet  â  qui  elle  se  fait  sentir,  Deus 
ultionum   libère  cijit.  Ps.  xciu,    l.  Tout  ce  que  les 
damnés   souffrent    n'est  qu'une  demi-vengeance  pour 
lui...  ce  n'est  rien,  ou   presque  rien,  en  comparaison 
du  sacrifice  de  Jésus-Christ  mourant,    i   Bourdaloui  . 
/    Sermon  sur  la  passion  de  Jésus-Christ,  P»  partie, 
Œuvres  compU  tes,  t.  \  ni.  p.  162  sq. 

ei  autres  semblables  des  maîtres  de  la 
chaire  chrétienne  signifient  que  Jésus-Christ,  étant 
Homme-Dieu,  a  pu  jeul  réparer,  en  toute  rigueur  de 
justice,  l'offense  faite  parle  péché  à  l'infinie  majesté  de 
Dieu,  ('.'est  en  ce  sens  qu'ils  sont  exacts.  Mais  ils 
si  raient  entachés  d'une  grave  erreur,  s'ils  exprimaient 
que  Jésus  a  été   soumis  à  la  véritable  peine  du  dam. 

.Limais    le   désespoir  des    damnés    n'a    eflleuré  son  àme 

sainte.  Jamais  sa  natur<'  humaine,  unie  bypostatique- 
ini'iii  au  Verbe,  n'a  éé  lui.  et,  par  suite,  n'a 

été  délaissée  par  Dieu.  La  peine  du  dam  relatif  ne  pou- 
vait même  l'atteindre,  car  jamais,  même  sur  la  croix 


et  au  moment    où  il  «'écriait     D  t,  quaredk 

liquistx  me,  Jésus,  dans  .un  âme  humaine,  ne  fut  i  • 
de  la  vision  béatifique.  Les   théologien!  affirment 
o  que  lea  douleurs  de  No  ur,  dorai 

passion,  furent  les  plus  grandes  qu'un  homme  pui 
subir,  suivant   le   mol  de  Jérémie     0  vos  omnes  qui 
tranriliê  per  viam,  attendue,  et 
sicut  dolor  meus,  qu 

nui,  m  ii"  bain.,    i.    12.    Mais 

eel.,  doit  B'entendre  des  douleurs  de  la  vie   . 
Déjà  le  texte  du  prophète  l'insinue  d'une  façon  suffi- 
samment   claire,    puisqu'il    sadre--  D 
encore  u,  via.   Li    tradition  et  l'enseignement   théolo- 
gique oui  i . i -  -  isé,  plus  tard,  davantage encon 
de  doctrine.  Vlerquedolor  m  Chrislo  —  sive  senti' 
in   cor  pore,    sire  interior  m   marna    —  fuit    t> 

mus    INTBB     DOLOBBS     nil-IMI-     Mil.     S.    ThOfl 
Sum.  theul.,  III»,  q.  xi.vi,  a.  G.  Or,  les  souffl 

servées,  dans  l'autre  vie,  à  l'âme  séparée  de  son  corps, 

soit  en  enfer,  soit  en  purgatoire,  dépassent  toutes  celles 
qu'on  peut  endurer  sur  la  terre.  <b-  même  que  la  féli- 
cite' des  saints  dans  le  ciel  surpasse  incomparablement 
toutes  les  joies  d'ici-bas  :  dolor  animas  séparais  ya- 
tientis  pertinet  ad  statum  futurs  damnation»»,  <jux 
excedil  omne  malum  livjas  vilse,  sicut  sanctorum 
gloria  excedil  omne  bonum  prœsentis  vilse.  Inde, 
i u  m  d  ici  mus  Chris  ti  dolorem  fuisse  maximum, 
compardmus  ipsum  dolori  animée  sep"'  -     1  bo- 

rnas, loc.  cit.,  a.   G.  ad   3»».   Le   cri   de   Jésus,    1 

t  !  Deus  meus,  ut  quid  dereliquisti  me,  exprime 
donc  l'intensité  de  la  plus  grande  douleur  qui  fut  sur 
terre,  douleur  que  nous  ne  pouvons  ni  comprendre,  ni 
apprécier;  mais,  de  cette  plainte,  on  aurait  tort  de  con- 
clure que  sur  la  croix  il  ait  subi  la  peine  du  dam. 
Cf.  Suarez,  In  //7am  part.  Sum.  theot.,  di-p  WXVII, 
iv.  n.  II.  disp.  XXVIII,  sect.  m,  n.  5,  Opéra 
omnia,  t.  xix,  p.  593,  634;  Bourdaloue,  loc.  cil., 
Mb  partie.  (Kurres  complètes,  t.  vin.  p  183  -'i  : 
Dorner.  Geschichte  der  prolestantischen  Théo 
in-8»,  Munich,  1867,  p.  876  s.).;  Monsabré,  xvu  con- 
rérence,  Le  martyr,  in-8  S6;  Didon, 

Vie  de  Jésus-Christ,  I.  V,  c.  xi,  "2  in-8  ,  Paris,  1891, 
t.  u,  p.  '3i-2:  Billot.  De  Verbo  mcarnato,  part.  II, 
c.  m,  thés,  xlix,  §  2-3,  in-8",  Rome,  190  >sq.; 

Fouard,    Vie  de  Nol  -Christ,  I.  ML 

c.  vi,  2  in-8»,  Paris.  1907.  t".  u,  p.  387-389. 

Suarez.  De  angelis,  1.   VIII.  c.  iv.  V,   xv:   Commentarii   in 
III-  part.  Sum.   tlieol.,    disp.  XI.il-XLlll:  De    purgal 
disp.    \I.V1,  sect.  i,  llt-iv;  disp.  M. Ml.   secl    m, 
nia,  28  in-4«,   Paris,    i  n,    p.   '.'" 

t.  xix.  p.  697-722,  733-740;  t.  xxn.  p.  903-908, 
Bellaimin,  De  purgatorio,  1.  II.  c  i\ .  i^.  x.  xiv:  /' 
gratin  et  statu  peccati.L  VI,  c  i-vn;  Concio  lit-.  De  ermeta- 
tibus  géhennes,    Opéra   omnia,   B  N  878,  t.  n, 

100-408;  t.  IV,  p.  232-247;  L  vu,  |        -  -.elman- 

ticennses,  Cursus  théologiens,  ir.   Mil.  D< 

disp.     Wll.    elllti.     m-lv;     eli-p.     W'III.     <lell>.      I-Ill:     elisp      XX. 

dub.  l-n,  SI  in-8  .  Paris,  1876-1883,  t.   vni.  i  «-.VJ1: 

i  <   -  il     De  perfeetkmibus  moribusque  rfivùtfa,  1.  UH    De 

justifia  et  ira  Du.  c  xxiv-xxix,  I  -  infero- 

ruui.  in-8-     I 

Tractaïus  ,lc  angelis,  l.  lit.  c.  vi-vm,  Bin-4\  Paris,  189 

i.  iv,  p.  99-123;  Bourdaloue,  Carême,  Sermoi  ndredi 

da  la  seconde  semaine',  Sur  l'enfer,  II' 

\iv  dimanche  après  la  Pentecôte,  Sur  . 

iie\  Œuvras  complétai  -       M     I    '"• 

74;  t.  vn.p.  244-271  :  Bail,  I  >  i    le  |i<  a/I 
mas  eu  méditations,  il  traite,  mu  -XVII   méditât! 
Le  m  ; 

trnih  1875,11    partie,  c  XV,  I   rv,  p.  386- 

-  lion  du  dogme  catlwU 

■  /).  ,1"  /'ei>  ts.  L'autre  mondi  '  )"""- 

c  :    xe.vnr    cou 
m  i\    confe  i  ■  di  e,  L'enfer,    natu 

p.  1-147 ;   Murie-r.    Théologie  hum, 

\  i         n  i  •  U  ni.  p.  58 


25 


DAM 


DAMASCÈNE 


26 


Billot,  Disquisitio  de  natura  et  ratione  peccati  personalis 
sive  introductio  ad  tract  aluni  de  psenitentia,  part.  I,  c.  II, 
q.  LXXXVII,  thés,  vi-vn,  in-8°,  Rome,  1897,  p.  69-73;  Quœstiones 
de  novissimis,  q.  m,  thés,  ii-iv,  \l-vn,  in-8%  Rome,  1902,  p.  47, 
85,  99-110;  Pescb,  Prselectiones  dogmaticse.  De  novissimis, 
part.  I,  sect.  ni,  De  purgatorio,  a.  2,n.  601-607;  sect.  IV,  De  in- 
ferno,  a.  2,  n.  624-642;  a.  3,  n.  642-646,  9  in-8°,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1902,  t.  IX,  p.  293-296,  306-318  ;  L.  Labauche,  Leçons 
de  théologie  dogmatique,  Dogmatique  spéciale,  L'homme, 
Paris,  1908,  p.  387-395. 

T.  Ortolan. 
DAMALAS  Nicolas,  né  en  1842,  à  Athènes,  devint 
en  1860  professeur  extraordinaire  à  la  faculté  théolo- 
gique de  cette  ville,  et  en  1871  professeur  ordinaire 
d'herméneutique.  Il  mourut  le  21  janvier  1892.  Il  a 
édité  en  8  vol.  les  lettres  de  Coraï,  Athènes,  1881-1891, 
et  a  publié  les  deux  ouvrages  théologiques  suivants  : 
1°  Iïeo'i  àp/iôv,  Leipzig,  1863;  2°  Ilîp'i  tri;  oyiaEwz  tïjç 
àyfX'./.ri;  Èxv.Vr^a;  irpô;  rr,v  op9ooo!;v/,  Londres,  1867. 
Il  a  composé  aussi  un  traité  d'herméneutique  :  'Epu^vc'a 
z\:  tï|v  natvTiv  8ia8ô«)v,  Athènes,  1876,  t.  i;  1891,  t.  n  ; 
1892,  t.  m. 

'i  ■'.->•,;««;,  1892,  xi'  année,  n.  'i,  p.  1  ;  "Exx\i\aiaatni[  'AX^Ssia, 
1892,  xr  année,  n.  49,  p.  387;  \tltxl>i  l-[xjxl<>r.<ti&™iv,  z^-Xto^y/., 
Athènes,  1902,  t.  i,  p.  209. 

A.  Palmieri. 
DAMALÉVtSS  Etienne,  historien  et  théologien 
polonais  du  xvn°  siècle,  né  à  Warta,  dans  l'ancienne 
principauté  de  Siéradz,  aujourd'hui  gouvernement  de 
Kalisz.  En  1642,  il  entra  au  couvent  des  chanoines  régu- 
liers de  Klodaw,  et  mourut  le  16  juin  1673  à  Trzemes- 
zno,  dans  le  grand-duché  de  Posen.  Citons  parmi  ses 
écrits  :  1°  Conclusiones  e  t/teologia  morali  fwidalse  in 
aclibus  humanis  de  peccatis  in  génère  ad  disputan- 
duni  publiée  propositse,  Cracovie,  1637;  2°  Quœstio 
theolugica  de  merito  bonorum  jitsli  operuni,  s.  1.,  1638; 
3"  Vitse  Vladislaviensium  episcoporum,  Cracovie, 
I6i2;  i'  Séries  archiepiscoporum  Gnesnensium  atque 
res  gestes, e  vetustis  antiquitatum  ruderibus  colleclx, 
Varsovie,  1649;  5°  Sapienlia  sive  orbis  desiderium 
Chris  ti  Domini  Salvatoris  in  expectatione  parties 
gloriosœ  Virginis  Deiparx,  in  Ecclesia  Polonorum, 
Rome,  1652;  6"  VitaS.  Bogumili,  archiepiscopi  Gnes- 
nensis  ex  antiquissimis  gravium  authorum  chronicis 
excerpta,  Rome,  1661  ;  Varsovie,  1714;  Kalisz,  1803. 

Chodynski,  Stefan  Damalevicz ,  historyk,  przelozony 
kanonikon  lateranenskich  w  Kaliszu,  Posen,  1872;  Encyklo- 

Kowcielna,    Varsovie,    187'i,   t.    iv.    p.  9-12;   Estreicher, 
do  xi  m),  i  iracovie,  1897,  t.  xv, 
p.  18-21  ;  Wiszniewski,  Historya  Uteratury  polskiej,  Cracovie, 
i   i    39  106;  1    ■    i    113;  t.  vin,  p.  152,  164. 

A.  Palmieri. 

1.  DAMASCÈNE.  Voir  Jean  Damascène. 

2.  DAMASCENE,  hiérodiacre  au  monastère  de 
["choudov  i  Moscou,  polémiste  orthodoxe  contre  les 
Latins.  On  ne  connaît  rien  sur  sa  vie.  On  sait  seulement 
qu'il  mourut  après  1706.  Il  a  été  mêlé  â  la  controverse 
sur  l'épiclèse entre  les  moscovites  orthodoxes  el  les  lati- 
nisants île  Kiev.  Dans  son  livre  sur  l'Église  el  ses  sa- 
crements,  Vyklad  otzerkvi  i  o  tzerkovnykh  rietchakh, 
Kiev,  1668,  Théodose  Saphonovitch,  higoumène  du  mo- 
nastère Miklaïlovsk]  de  Kiev,  soutenait  que  les  paroles 

imentelles  :  Hoc  est  corpus  meum;  Hic  est  languis 
meus,  suffisent  pour  la  consécration  du  pain  et  du  vin. 
Le  patriarche  de  Moscou,  Joachim,  chargea  un  moine, 
iioiniM'   Euthyme,  de  lui  répondre,  el  celui-ci  coin 

liguillon  que  i,-  patriarche  envoya  au  métro- 
polite de  Kiet  el  aux  autres  évéques  de  la  Petite  Ru 

La  théorie  latine  fût  rejetée  corn fausse,  au  synode  d< 

Mo  cou  de  1690,  Mais  ses  défenseurs  ne  gardèrent  pa 
le  silence   Gabriel  Dometzky,  archimandrite  du  monas- 
l' re  de     tinl  S -on  ■  >  Moscou,  el  i>lus  lard  du  mon  i 

lourevsk]    â   n-    orod     réfuta  VOsten  dan 
ouvrage  intitulé      Le     /"'•  questions,  qu'il  a i   â 


l'approbation  du  métropolite  Job  de  Novgorod.  Celui-ci 
chargea  le  hiérodiacre  Damascène  d'examiner  ce  livre, 
et  Damascène  essaya  de  résoudre  les  objections  qui  y 
étaient  contenues,  dans  un  traité  rédigé  en  forme  de 
lettre  au  métropolite  Job,  et  intitulé  :  Les  105  ré- 
ponses. Il  est  aussi  l'auteur  d'une  version  russe  du 
IIpo Txuvr,Tapiov  du  mont  Athos,  d'une  lettre  sur  la  tra- 
duction de  la  Bible,  etc. 

Arkhimandrit  Gavriil  Dometzky  i  hierodiakon  Damaskin, 
dans  Dukhovnaia  Besieda,  Saint-Pétersbourg,  1865,  t.  i,  p.  20- 
31,  5H-63;  Mirkovitch,  O  vremeni  presuchtchestvlenii  sv.  Da- 
rov,  Vilna,  1883,  p.  83-85,  231  ;  Stroev,  Bibliologhitchesh  ii 
Slovar,  Zapiski  de  l'Académie  impériale  des  sciences,  Saint- 
Pétersbourg,  1882,  t.  xxix,  p.  74-75;  Chliapkine,  K  istorii  pole- 
miki  mejdu  Moskovskimi  i  malorusskimi  utchenymi  v 
kontzie  xvn  vieka,  Journal  du  Ministère  de  l'instruction 
publique,  1885,  t.  ccxi.i,  p.  215-216;  Philarète,  Obzor  russkoi 
dukhovnoi  Uteratury.  Saint-Pétersbourg,  1884,  p.  259;  Léonide, 
Athonskaia  gora  i  Solovetzky  monastyr  Damaskina,  Saint- 
Pétersbourg,  1883;  Jakhontov,  ferodiakon  Damaskin,  russkii 
polemist  semnadlzataqo  vieka,  Saint-Pétersbourg,  1884;  Entzi- 
klopeditcheskii  Slovar,  t.  x,  p.  62;  Smentzovsky,  Unit  in 
Likhoudi,  Saint-Pétersbourg,  1899.  p.  241;  Russkii  biogra- 
phitcheskii  Slovar,  lett.  D,  Saint-Pétersbourg,  1905,  p.  54. 

A.  Palmieri. 

3.  DAMASCÈNE  Dimitri  Sémenov  Roudnev,  cé- 
lèbre théologien  et  érudit  russe  du  xvinc  siècle.  Né  au 
mois  de  janvier  1737  dans  le  gouvernement  de  Toula,  il 
fréquenta  les  cours  de  l'Académie  slavo-gréco-latine  de 
Moscou,  et  ses  études  achevées  en  1765,  il  demanda  au 
saint-synode  de  suivre  les  cours  d'une  université  étran- 
gère et  se  rendit  à  Gœttingue.  Recteur  de  l'Académie  de 
Moscou  en  1778,  le  5  juillet  1782,  à  Saint-Pétersbourg 
il  fut  sacré  évéque  de  Sievsk,  et  vicaire  de  l'éparchie  de 
Moscou.  Le  22  septembre  1783,  il  fut  transféré  au  siège 
archiépiscopal  de  Novgorod,  où  il  travailla  avec  zèle  à 
relever  le  niveau  intellectuel  de  son  clergé  et  à  réorga- 
niser les  études  dans  le  séminaire  de  son  éparchie.  En 
179i,  il  donna  sa  démission  et  se  relira  au  monastère 
Pokrovsky  de  Moscou  où  il  mourut  le  18  décembre  1795. 
Damascène  Roudnev  inaugura  sa  carrière  littéraire  à 
Gœttingue,  par  la  publication  d'une  traduction  de  la 
Chronique  de  Nestor  dans  VEinleitung  in  di<-  synchro- 
nistische  Universalhistorie  de  Hatterer,  Gœttingue, 
1771,  p.  979-1000.  On  a  de  lui  :  1"  la  version  latine  du 
catéchisme  du  métropolite  Platon,  Orlhodoxa  doctrina 
seucompendium  théologies christianse, in usum  serenis- 
simi  principis  ac  I>.  I).  Pauli  Petrowicz,  pnneipis 
heredilarii  omnium  Russiarum,  Saint-Pétersbourg, 
1771  ;  2"  il  traduisit  en  latin  le  traité  de  la  procession  ilu 
Saint-Esprit,  par  Théophane  Prokopovitch  :  Tractatus 
de  processione  Spiritus  Sancti,  Gotha,  1772,  \  ajouta 
la  vie  de  l'auteur,  des  éclaircissements,  el  un  chapitre 
intitule''  ;  Historia  de  ortu  el  progressu  controversim 
grœcos  intérêt  lalinos  de  processione  Spiritus  Souri,, 
p.  3-128,  et  l'Index  chronologicus  scriptorum  de 
processione  Spiritus  Sancti  ab  inilio  controversim  ad 
nostra  usque  tempora ; '&>  i\  composa  un  livre  précieux 
pour  l'ancienne  bibliographie  Idéologique  russe,  la 
olheka  rossiiskaia  ili  sviedienie  o  osiekh  knigakh 
v  Rassit  s  nalchala  lipographii  na  sviel  vychedehikh, 
publié  en  1881  à  Saint-Pétersbourg  par  la  Société  des 
amateurs  de  l'ancienne  littérature,  t.  si,  el  réédité 
en  1891  dans  la  Tchteniia  [Lectures)  de  la  Société 
impériale  d'histoire  et  d'antiquités  russes,  édit.  Barsov. 
On  y  trouve  la  liste  des  livres  imprimés  en  liu^i,. 
depuis  1518  jusqu'à  1785.  Il  édita  aussi,  en  13  vol.,  les 
œuvres  oratoires  du  métropolite  Platon,  Moscou.  17K)- 
I7S-J.  el  composa  lui  même  un  recueil  de  sermons 
édité  à  Moscou  en  1788. 

neister,  Russische  Bibllothek  lur  Kenntniss  des  gegen- 
wârtigen    /'/.«/./>  \m    Hussland,    Saint- 

'  ourg,    1779,    t.    \  i,    i 

Hbliotheka  I    H,  t,  \\m.  p,   100- 

\riia 


DAM  \SCI.\I 


DAMASE    I' 


,.  rai  I  •   p.  150,  -" 

pitateliakt 
i.  p.  100-1 1"  Istoi  lia  i"< 

Pi  tersbi  mi.'    1s:.:.    p.    1 1 > i- 1 »-- .      P(  b    tovltcb, 
I  o(  iukhox  >"<■  Balnt-Pi 

p,    62-08;    Bukbon 
mil,  àaint-Pétersbourg,  isT'i.  i.  i,  p.  189483;   CennadJ, 
ti  ikh,  Bertio,  In7c,  i.  i, 
phyriev,  Istoriia  russh  iti,   Kazan,  1884, 

i    ii,  p.  373-374,  378-379;  Philarète,   Obtor  russkoi  dukovnoi 

Uteratury,  Saint-Pétersl ,  85-361  .  Smirnoi 

\fo8kov8koi  slaviano  greko-latinskoi  Akademii,  M 
iss...  p,  182,237,  351-  154;  Kneaiev,Slovar  pisatelei  sredniago, 
novago  periodov  russkoi  Uteratury,  Saint-Pétersbourg,  1887, 
p  118-114;  Entziklopeditchesky  Slovar,  t.  \.  p.  60-01;  l 
jansky,  Damaskin  Semenov-Rudnev,  episkop  nijegorodskii, 
egojizn  itrud,  Kiev,  t894G'ouvrage  te  plue  important  but  la  vie 
elles  oeuvres  île  Damascëne  Roudnev);  Pravoslavnata bogos- 
lovskaia  entziklopediia,  t.  iv.  col. 885-893. 

A.    l'Ai. Mil. Kl. 

4.  DAMASCÈNE  LE  STUDJTE,  le  plus  populaire 
des  prédicateurs  grecs  du  \\r  siècle.  On  a  peu  de  ren- 
seignements sur  sa  vie.  Originaire  de  Salonique,  élève 

du  célèbre  Thomas  (en  religion  Théophane)  Eléavoul- 
cos  Noteras,  il  fut  envoyé  comme  exarque  dans  la 
Petite  Russie  par  le  patriarche  Métrophane  (1565-1572), 
puis  élevé  au  siège  épiscopal  de  Lita  et  Rendina,  d'où 
le  patriarche  Jérémie  (1572-1579),  son  ancien  élève,  le 
transféra  à  la  métropole  de  Naupacte  et  Arta,  où  il 
mourut  en  1577,  au  témoignage  d'un  contemporain, 
Gabriel  Calonas.  Voir  E.  Legrand,  Bibliographie  liellé- 
nique  des  rr  et  \\/r  siècle»,  Paris,  1906,  t.  iv.  p.  165. 
Le  plus  remarquable  de  ses  ouvrages  est  le  Trésor, 
Bt6Xîov  ovou.aC6u.svov  Bïjo-aupds,  l'un  des  volumes  le 
plus  souvent  imprimés.  La  première  édition  date  de 
1568.  Cf.  E.  Legrand,  (oc  cit.,  p.  143.  C'esl  un  recueil 
de  trente-six  sermons,  suivis  de  sept  discours  moraux, 
empruntés,  sans  que  celte  particularité  soit  signalée. 
au  hiéromoine  Joannikios  Cartanos,  grand  protosyn- 
celle  de  Corfou,  qui  les  avait  publiés,  avec  d'autres  du 
même  genre,  en  appendice  à  son  Ancien  et  Xuuveau 
Testament,  paru  en  1536  et  plusieurs  fois  réimprimé 
depuis.  Les  serinons  de  Damascène  ont  souvent  pour 
sujet  un  fait  biblique  ou  une  légende  de  saint;  les 
Pères  de  l'Église  y  sont  assez  fréquemment  cités,  mais 
l'auteur  est  moins  préoccupé  de  faire  de  la  théologie 
que  d'édilier  son  auditoire.  .Malgré  l'enflure  oratoire, 
le  Style  est  simple,  et  ce  caractère  n'a  pas  peu  contribué' 
a  augmenter  la  popularité  de  l'ouvrage.  La  bibliothèque 
patriarcale  de  Jérusalem  possède  une  version  turque 
du  Qip*vo6z,  faite,  en  1731,  à  Césarée  de  Cappadoce. 

On  a  encore  de  notre  auteur  :  1°  un  discours  sur  le 
Décalogue,  imprimé  avec  d'autres  du  même  genre  en 
appendice  aux  Ma^Yccpïtai  de  saint  Jean  Chrysostome; 
ce  morceau  occupe,  dans  l'édition  de  17(ii.  les  p.  ;î.'!(i_ 
344;  2°  un  remaniement  populaire  du  Physiologus,  dé- 
dié à  Michel  Cantacuzène  et  imprimé  en  1643  a  la  suite 
de  l'Hirmologe,  Legrand,  Bibliographie  hellénique  du 
xviii»  siècle,  t.  t,  p.  142;  •'!■  un  traité  de  chronologie 
destiné'  a  remplacer  le  manuel  de  Michel  Chrysokokkès  ; 

l'opUSCule    esl    inédit,    mais    la    bibliothèque    du     Sainl- 

Sépulcre  à  Constantinople  en  possède,  sous  le  n.  :;17. 
fol.  'il -0c!,  le  manuscrit  autographe,  écrit  en  février 
1574;  i discours  parénétique  aux  moines  désireux 

de  l'aire  leur  salut,  conservé  dans  le  Il  ierosahjniitaim  s 

tancti Sabse  fâ7,  loi.  68-76,  avec  une  traduction,  due 
également  a  Damascène,  du  discours  aux  novices  d'Isaac 
le  Syrien;  5°  un  dialogue  humoristique  sur  l'état  social 
du  peuple  rec  entre  Damascène  lui-même  et  le  supé 
rieur  de  Sainte-Anastasie ;  signalé-  déjà  par  AJIatius 
dans  -a  préface  aux  œuvres  de  Jean  Damascène,  ce  cu- 
rieux morceau  se  trouve  en  tête  du  manuscrit  7tii  du 
monastère  d'Iviron  au  mont  Athos;6  un  court  poème 
élégiaque  sur  la  dormition  de  la  Vierge;  imprimédans 
le  Trésoi  a  la  suiie  des  sermons,  il  est  souvent  men- 


tionné dan-  lei  cata 

des  empi  i  ultani  el  di  -  pati  ; 

stantinople  contenue  a  la  mite  du  /  •  ,-  le 

m-,  162  du  métochion  du  Saint-Sépulcn  mti- 

nople;  8*  b-   ms.  542  du  même  fonds  renfen 

lellres  de  Damascène  publiées  par  Manu 
P'Exx).T)(jcaffTtxr)  'A).r,6ei«,  t.  m,  p.  87-91,  el  reproduite 
peu  après,  avec  certains  amenden 
par  A.  Papapoulos-Kerameus,  dans         Mémoires  du 

Sljllli'l  |  \M|.    |i.   I   . 

l'ii.  Heyer,  Die  I 
cite  lm  xvi  Juin  hundert,  Leipzig,  1899,  p.  128-182;  M    < I 
toc.  cit.,  p.  85-87,  049-051  ;   P  Lavrov,  /><///, 
elle  recueil  intti  ta  i  dans  la  htt<- 

rature  Jugoslave,  dans  l'Annuaire  de  la  société  bis! 
taire  de  la  nouvelle  université    lm|  se,    Odessa. 

t.  mi,  section  byzantine,  IV,  p.  305484. 

L.  Petit. 

1.  DAMASE  I  , pape  (366-381  .  né  à  home,  était 
Gis  d'Antoine,  qui,  d  après  une  inscription  de  S.  Lorenzo 
in  liamaso,  avait  été  écrivain,  lecteur,  diacre  et  pi 
en  cette  église.  Lui-même  >  servit  longtemps;  et  l'on 
croit  que  Saint-Laurent  fui  élevé  sur  l'emplacement  de 
Fa  maison  paternelle.  On  a  prétendu  récemment  que 
Itainase  était  né  en  Espagne.  Benardès  et  Theca,  De 
S.  Damaso  I  papa  confessore  liispanico,  Rome, 
kûnstlc.   Antipriscilliana,   Friboui  .m,    liKjô. 

p.  100.  Homme  d'une  grande  vertu,  d'une  intelligence 
cultivée,  bien  vu  dans  l'aristocratie  et  spécialement  chez 
les  grandes  dames  romaines,  il  était  très  estimé  de  la 
plupart,  quoique  jalousé  par  quelques-uns.  Il  était  dia- 
cre, lorsque  Libère  fut  chassé  par  Constance 
alors  non  content  de  faire  serment,  avec  le  reste  du  cl 
de  ne  pas  reconnaître  d'autre  pape  que  lui,  il  l'accoin- 
pagna  pendant  quelque  temps.  Cependant  il  ne  tarda 
pas  à  revenir,  et  se  rallia  au  diacre  Félix,  nommé  pape 
par  ordre  de  Constance.  lie  nouveau,  il  se  réunit  a  Li- 
bère, quand  celui-ci  revint  de  Itérée.  Mais  cette  double 
altitude  fut  pour  lui  la  source  de  bien  des  embarras, 
non  seulement  lors  de  son  élection  après  la  mort  de 
Libère,  survenue  le  24  septembre  bW>.  mais  encore  pen- 
dant tout  son  pontificat. 

En  effet,  deux  partis  se  formèrent.  Les  uns.  cm. 
intransigeants  de  tous  ceux  qui  axaient  été  féli. 
conduits  par  sept  prêtres  et  trois  diacres,  dans  la  h.tM- 
lique  de  Jules,  élurent  l'un  d'entre  eux.  Irsinus,  et  le 
tirent  immédiatement  ordonner  par  l'évéquede  Tibur; 
les  autres,  c'est-à-dire  la  grande  majorité  des  fidèles  et 
du    clergé',   réunis  à   la   basilique  de  Saint-Laurent   in 
Lucina,  acclamèrent  Damase.  Celui-ci  se  lit  sacrer  huit 
jours  après,  selon  les  règles,  par  l'évéque  d'Ostie.  Mais 
des  le  premier  jour  jusqu'à  sa  mort,  Ursin  d 
le  poursuivre  de  toutes  les  manières,  soit  personnelle- 
ment, soit  par  les  siens. 

11  eut  don  i  d'abord  le  schisme  de  Rome,  puis 

les  nombreux  autre-  llisme  et  d'hérésie  qui   se 

posèrent  alors,  en  Décident  el  en  Orient,  après  les  con- 
ciles de  Hiniini  et  de  Séleucie.  La  réaction  qui  si'  lit 
contre  ces  conciles  où  l'arianisme  remporta,   p 

:ance.  une  victoire  qui  hâta  s;,  ruine,  lui  donna 
de  fréquentes  occasions  d'intervenir  hem 
contre  les  derniers  tenants  et  les  derniers 
cette  erreur.  1. es  malheurs  de  l'Orient,  sous  l'empereur 
Valens,  lui  valurent  d'être  invoqué  comme  arbitre  el 
comme  juge  dans  ,-e  pays.  L'avènement  des  pre- 
miers princi  -  vraiment  chrétiens,  tels  que  Valentinien, 
Gratien,  fhéodose,  le  concours  des  plus  grands  doc- 
teurs, tels  qn'Athanase,  Basile.  Grégoire  de  Naxianze, 
Ambroise,  Jérôme,  etc.,  marquent  sous  son  pontifical 

l'apogée   de  la   papauté. 

1    Si  hume  îles  ursiniens.   ■■-  L'un  des  -  il.  ts  i   mar- 
quables  de  ce  schisme  fut  d'amener,  d'une  part,  lea 

empereurs    chrétiens  a  prêter  main  forte  aux 


29 


DAMASE    Ier 


30 


ecclésiastiques,  d'autre  part,  de  pousser  le  pape,  les  évo- 
ques et  les  conciles  à  solliciter  le  secours  du  bras  sécu- 
lier. Valentinien,  qui  aurait  voulu  d'abord  garder  la 
neutralité  entre  les  divers  partis  religieux,  et  se  contenter 
de  sauvegarder  l'ordre  public,  dut  bientôt  se  convaincre, 
en  présence  des  troubles  suscités  par  eux,  qu'il  lui 
fallait  prendre  position,  et  discerner,  pour  le  défendre, 
celui  qui  avait  le  droit  pour  lui,  de  Dainase  ou  d'Ursi- 
nus.  Aussi,  Viventius,  préfet  de  Rome,  après  avoir 
laissé  pendant  trois  jours  les  ursinienset  les  damasiens 
s'entr'égorger,  reconnut  la  régularité  de  l'ordination 
de  Damase,  et  décida  qu'Ursinus  serait  éloigné  de 
Rome  avec  les  deux  diacres,  Amanlius  et  Lupus.  Et 
comme  les  sept  prêtres,  que  ses  partisans  avaient  encore 
à  leur  tête,  continuaient  leurs  assemblées  schismaliques, 
Damase  lui-même  s'adressa  à  l'autorité  qui  les  arrêta 
et  les  conduisit  bors  de  Rome.  La  suite  montra  bien 
la  nécessité  de  ce  recours  et  de  cette  intervention.  Les 
sept  prêtres,  vivant  été  délivrés  en  cours  de  route,  par 
leurs  fidèles,  s'installèrent  dans  la  basilique  de  Libère. 
.Mais,  le  26  octobre  366,  les  damasiens  vinrent  les  y 
assiéger  et  leur  tuèrent  137  personnes,  dit  Ammien 
Marcellin,  160,  disent  les  Gesta  inter  Liberium  cl  Fe- 
m,  sans  toutefois  parvenir  à  les  en  déloger.  De 
nouveaux  troubles  eurent  lieu,  quand,  au  bout  d'un  an, 
Valentinien,  sous  prétexte  de  neutralité,  permit  à  Ursi- 
nus  et  aux  autres  exilés  de  rentrer  à  Rome.  Le  16  no- 
vembre 367,  l'empereur  dut  ebarger  le  préfet  Prétextai 
de  les  expulser  une  seconde  fois. 

Il  lit  reinetlre  à  Damase,  qui  l'avait  réclamée,  par 
l'organe  du  défenseur  de  l'Église  romaine,  la  basilique 
libérienne,  qu'ils  avaient  conservée  (fin  367);  il  chassa 
ensuite  (12  janvier  368)  les  prêtres  qui  présidaient  leurs 
mblées,  et  comme  ils  continuaient  de  se  réunir  dans 
la  banlieue,  spécialement  à  Sainte-Agnès,  et  qu'ils  y 
étaient  poursuivis  par  les  damasiens,  il  finit  par  leur 
interdire  non  seulement  la  ville,  mais  la  banlieue  elle- 
même  dans  un  rayon  de  vingt  milles.  Ursinus  fut  expédié 
en  Gaule  (lin  368)  cl  ce  n'est  que  plus  tard  (370-372) 
qu'il  fut  permis  à  lui  et  aux  siens  de  séjourner  dans 
l'Italie  du  Nord. 

Ainsi  tenus  à  distance,  les  ursiniens  eberebèrent  à 
discréditer  Damase  par  des  libelles  et  par  des  accusa- 
lions  devant  le  magistrat.  Ils  lui  intentèrent  un  premier 
procès,  connu  seulement  par  une  allusion,  vers  370. 
A  Mil. m.  ils  troublèrent  les  oflices  de  saint  Ambroise, 
ce  qui  amena  une  nouvelle  intervention  de  l'empereur. 
Enfin  ils  chargèrent  un  certain  Isaac,  juif  converti, 
d'intenter  au  pape  nu  91  cond  procès  devanl  le  préfet  de 

lin pour  un  crime  nul  défini,   mais  capital,  que 

certains  conjecturent  avoir  été  le  crime  d'adultère: 
accusation  bien  invraisemblable  contre  un  vieillard  de 
7">  ans.  Il  puait  cependant  que  le  préfet  de  Home 
menai  pu  tir  à  une  condamnation,  quand  l 'empe- 

reur Gratien,  informé,  évoqua  l'affaire,  renvoya  le  \  ieux 
pontife  absous,  exila  Isaac  en  1  spagne  el  interna  Ursi- 
nus  .1  Cologne, 

Damase  ue  se  contenta  pas  de  cette  justification  :  il 
convoqua  ■<  I; en  378,  un  concile  des  évéques  d'Ita- 
lie, pour  y  examiner  son  ail, lire.  D'après  le  libell 
prêtres  l'austin  el  Marcellin,  partisans  d'Ursinus,  un 
concile  antérieur,  tenu  en  :;ii7  un  368,  aurait  refusé  de 
condamner  Ursinus  sans  l'entendre.  Cette  foi 
que*  furent  plu-  catégoriques,  el  demandèrent  a  l'em- 
I"  reui  'i  •  técutei  les  sentenc  1     iastiques  conti  e 

ei      

ennemis. 

racore  la  lettre  du  concile  el  la  réponse 

di     Gratien.   I  nt,    dit    Duchesne,   Histoire 

t.  11,  p,  168,  que  dan-  une  phase 

antérieun    de    l'affaire  d'1  rsinus,   le  souverain   avait 

décidé,  que.  i.!  p«,li,  ,   l'auteur 

appartii  ndr.ni  au  pape  d  in  trumenter 


contre  les  évêques  qui  avaient  pris  son  parti...  Cepen- 
dant, il  pouvait  se  présenter  des  cas  où  l'efficacité  des 
sentences  ecclésiastiques  et  les  services  qu'elles  étaient 
appelées  à  rendre  au  point  de  vue  du  bon  ordre, 
auraient  été  compromis  par  une  abstention  trop  ab- 
solue de  la  part  de  l'État.  Les  évêques  demandaient 
qu'on  leur  prête  main  forte  d'abord  pour  faire  compa- 
raître les  prélats  récalcitrants,  ensuite  pour  empêcher 
les  évêques  déposés  de  porter  le  trouble  dans  les 
églises  que  le  juge  ecclésiastique  aurait  soustraites  à 
leur  obéissance.  On  spécifiait  le  cas  des  évêques  de 
Pannes  et  de  Pouzzoles,  qui  refusaient  de  se  sou- 
mettre aux  senlences  de  déposition  rendues  contre 
eux  :  celui  de  l'évêque  africain  Restitutus  et  de 
l'évêque  donatiste  de  Rome,  Claudien.  Constant,  Epist. 
roni.  pont.,  p.  523.  Le  concile  voulut  aussi  et  surtout 
mettre  le  pape  à  l'abri  des  accusations  de  ses  ennemis. 
«  L'empereur,  dit-il,  a  examiné  la  conduite  de  Damase  : 
il  doit  être  interdit  désormais  aux  calomniateurs  de  le 
traîner  devant  le  magistrat.  S'il  y  a  lieu  à  procès,  et 
que  la  cause  ne  soit  pas  de  la  compétence  du  concile, 
au  moins  qu'elle  soit  portée  devant  l'empereur  en  per- 
sonne. »  En  dehors  du  cas  récent,  il  y  a  un  autre  précé- 
dent :  le  pape  Silvestre,  accusé  par  des  sacrilèges,  fut 
jugé  par  l'empereur  Constantin. 

Gratien,  dans  son  rescrit  au  vicaire  Aquilinus  (lin  378), 
entra  sur  lous  les  points  dans  les  vues  du  concile. 
Toutefois,  pour  ce  qui  était  du  pape,  il  le  laissa  en 
principe  sous  la  juridiction  du  préfet  de  Rome,  se 
contentant  de  prescrire  de  ne  point  admettre  facile- 
ment l'accusation  ou  le  témoignage  de  gens  de  mœurs 
suspectes  ou  connus  comme  calomniateurs.  Collectif) 
Avellana,  n.  13,  dans  Corpus  scriptorum  ecclcsiasti- 
corum  lalinorum,  t.  xxxva,  p.  54  sq. 

Malgré  tout  cela,  Ursinus  continua  de  s'acharner 
contre  Damase  par  ses  agents  et  spécialement  par  un 
eunuque  appelé  Paschase.  En  381,  le  préfet  envoya  à 
la  cour  un  rapport  où  tout  semblait  remis  en  question. 
Mais  le  concile  d'Aquilée,  sur  la  demande  de  saint 
Ambroise,  fit  une  démarche  très  pressante  près  de 
Gratien  et  depuis  l'on  n'entendit  plus  parler  d'Ursinus. 
qui  dut  mourir  vers  cette  époque. 

2°  Autres  schismes.  —  Damase  avait  encore  d'autres 
schismes  à  éteindre  :  il  invoqua  contre  eux  le  bras 
séculier,  comme  il  l'avait  fait  contre  Ursinus.  A  Home, 
les  donatistes  formaient  une  église  gouvernée  par  des 
évéques  de  leur  pays,  et  alors  par  Claudien.  Le  concile 
de  Rome  en  378  demanda  à  Gratien  son  expulsion.  — 
Il  y  avait  aussi  celui  des  lucifériens,  composé  de  ceux 
qui  avaient  pris,  contre  les  faillis  de  liimini,  l'attitude 
intransigeante  de  Lucifer  de  Cagliari  et  de  Grégoire 
d'IUiberris,  el  regardaient  l'indulgence,  en  laveur  des 
repentants,  de  Libère,  d'Ililaire,  d'Athanase,  comme  une 
prévarication.  Ils  avaient  eux  aussi  un  évéque  nommé 
Aurélius,  et  un  prêtre,  fameux  ascète,  nommé  Macaire. 
Ils  tenaient  des  réunions  privées,  faule  d'églises,  dans 
des    maisons    particulières.    Damase    les   lit    poursuivre 

par  le  magistrat.  Macaire,  appréhendé  el  bouscule  pai 
le  peuple,  fut  jugé,  condamné  ,i  l'exil  el  mourut  à 
Ostie  des  suites  d  une  blessure.  L'évêque  d'Ostie  le  lii 
inhumer  dans  la  basilique  d'Àsterius.  Damase  s'efforça 
aussi  de  faire  condamner  Ephesius  qui  avait  succédi 

coi évêque  à  Aurélius.  Il  les  fit  combattre  avec  force 

par  sainl   Jérôme  dans  un  dialogue,  378-380,  Contra 

ianos,  leur  reprocha  de  croire  leur  petite  1 
la    eule   vraie       Ecclesiœ  talus  in  summa  sacerdotii 
lit,  etc.,  c.  ix.  L'histoire  de  ces  év<  ne 
ments  a  été  racontée  tout  au  long  par  les  pr<  1res  luci- 
fériens, Faustin  el  Marcellin,  dans  leur  Libellus  /'>v 

P    /,..  1.  mu.  col.  81-107. 
'outre  les  évêques  ariens  d'Occident.       En  même 

1  matiques,   Damase   poursuivi!  les 
derniers  tenant     d'    l'arianisme,   en   Occident   el   en 


:n 


DAMA  SK    !• 


. 


Orient,  lu  Occident,  ils  n'avaient  jamais  eu  l'approba- 
tion du  clergé  depuis  la  tyrannie  qu'ils  avaient  fait 
iubir  i  l'.iinini.  ils  étaienl  unanimement  détestés  et 
beaucoup  de  conciles  tenna  en  différents  endroits 
avaient  affirmé  la  foi  de  Nicée  :  d'autre  part,  ils 
n'avaient  plus  autant  l'appni  det  empereurs.  Damaae 
réunil  à  Rome,  en  360,  un  concile  composé  d'un  grand 
nombre  d'évêques,  où  furent  condamnés  Ursace  et 
Valens  avec  ceux  qui  suivaient  leurs  sentiment-  I  < 
concile  écrivit  une  lettre  synodale  et  saint  Atlianase, 
assemblé  avec  les  évéques  d'Egypte,  écrivit  au  pape 
pour  1<'  remercier,  et  lui  signaler  aussi  Auxence, 
évéque  <le  Milan.  Epist.  ad  Afrot,  10,  P.  G.,  t.  xxvi, 
col.  1229  s,| 

Auxence  était  plus  difficile  à  attaquer,  parce  que 
Valentinien,  trompé  par  une  formule  équivoque  de  foi, 
le  croyait  orthodoxe.  Cependant,  dans  un  second  concile 
de  90  évêqnes,  tenu  à  Home  sur  l'instigation  de  saint 
Athanase,  il  déclara  que  le  symbole  de  Nicée  était  le 
seul  autorisé,  il  annula  absolument  le  concile  de  Ri- 
mini,  et  rappela  d'après  une  lettre  des  évoques  de 
Gaule  et  de  Vénétie  qu'Auxence  avait  été  déjà  antérieu- 
rement condamné.  Jaffé,  n.  232,  Confidimus  (/uidem. 
Il  fit  part  de  cette  condamnation  aux  évéques  d'Illyrie. 
Toutefois  Auxence  resta  sur  son  siège  jusqu'à  sa  mort 
en  37'j. 

De  nombreux  conciles  provinciaux,  encouragés  par 
ces  actes  de  Damase,  accentuèrent  le  retour  à  la  foi  de 
Nicée,  dans  toutes  les  régions  d'Occident.  En  Afrique, 
l'évèque  de  Carthage  Reslitutus  demeurait  attaché  à  la 
formule  de  Rimini.  C'est  à  son  occasion  qu'Athanase 
avait  écrit  sa  lettre  fameuse  Ad  Afros  et  Damase  le 
somma  de  comparaître  devant  un  tribunal  d'évèques; 
Gratien  même  lui  adressa  un  rescrit  pour  l'y  contrain- 
dre. On  dit  qu'il  ne  se  présenta  point  ;  mais  peut-être 
s'amenda-t-il. 

Deux  évéques  danubiens,  Palladius  de  Ratiaria  et 
Secundianus.  menacés  de  déposition,  obtinrent  de 
Gratien  qu'ils  seraient  jugés  par  un  concile  œcumé- 
nique tenu  à  Aquilée.  Ce  concile  se  tint  en  381  sous  la 
présidence  de  saint  Ambroise,  mais  sans  l'appareil 
qu'ils  avaient  demandé,  appareil  rendu  impossible  par 
la  tenue  simultanée  du  concile  de  Constantinople  et 
que  Damase  lui-même  jugeait  désormais  inutile.  Le 
concile  les  déposa  et  pria  l'empereur  de  faire  exécuter 
la  sentence. 

4°  Priscilliens.  —  Damase  ne  vit  que  les  débuts  du 
priscillianisme  en  Espagne  et  en  Gaule.  Parmi  les 
('•ciits  de  leur  chef,  nouvellement  découverts,  on  en 
voit  un  qu'il  adresse  à  Damase,  parce  qu'il  occupe  le 
plus  haut  rang  et  qu'il  est  le  premier  entre  tous:  senior 

omnium  noslrum  es,  ailleurs:  omnium  senior  ci  pri- 
mus;  il  en  appelle  du  concile  de  Saragosse  à  Damase 
et  à  son  concile.  Liber  II  ad  Damasum  episcopum, 
PriscMiani  opéra,  édit.  Schepss,  Vienne.  1889,  p.  34- 
43.  La  Fidcs  Ihunasi  et  les  Formules  damasiennes 
contre  les  priscillianistes  seraient,  d'après  M.  Kûnstle, 
d'origine  espagnole.  Antipriscilliana,  l'ribourg-en-Iïris- 
gau,  1905,  p.  M  58. 

5°  Les  affaires  d  Orient.  —  L'attention  «le  Damase 
fut  attirée  du  coté  de  l'Orient  par  les  évéques  orien- 
taux eux-mêmes.  Ceux-ci  étaient  sons  le  règne  tyran- 
nique  de  l'empereur  Valena  :  ils  étaient  troublés  par 
les  quelques  évéques  ariens  qui  tenaient,  avec  la  laveur 
impériale,  les  grands  sièges,  par  le  schisme  malheu- 
reux qui  di\isaii  les  catholiques  d'Antioche,  plus  que 
par  leurs  dissensions  doctrinales.  Partisans  de 
I'6|M>ioiJffio;  eu  de  l'i|iooû<Tio(,  nicéens  purs  ou  quasini- 
céens,  tous,  l'expression  mise  à  part,  se  sentaient  une 
même  toi.  el  avaient  conscience  que  pour  être  bien 
réunis  entre  eux  et  axe,-  toute  l'cglise,  contre  lea  der- 
niers survivants  de  l'arianisme  pur.  comme  pour  être 
fortifiés  contre  les  attaques  de  Valens,  il  suffirait  que, 


selon  son  devoir,  le  chef  de  I  Eglise  d  <  lecident,  1 1 

de  Rome,  vint  a  leur  secourt  i  bénignemenl 

de  leurs  affaii  • 

Il  ne  seuil, le  pas  malheun  uaemenl  qu'à  Home  mi 
on  ait  eu  la  sensation  nette  d< 
impressionner  par  les   vieilles   rancunes  et  défi 
el  tromper  par  des  personnagi  -  d  Orient,  qui  n\  i 
présentaient  point  parfaitement  les  sentiments.  Dai 
en  ces  questions,  ne  parait  pas  avoir  eu  tout  le  tact  qu'il 
montra  en  d'au: i  ions. 

On  a  déjà   parlé    à   l'occasion   de  saint   Athanase  de 
l'arianisme,  t.  i,  col.  1841.  et  à  l'occasion  de  saint  I 
des  appels  que  I  <  nient,  à  partir  de  371,  adressa  âl'i 
de  Rome,  pour  le  solliciter  d'envoyer  des  1  - 
mission  de  pacifier  et  de  consoler  les  églises  affl 
de  ce  pays.  M»'  Duchesne,  que  nous  suivons  ici.  a  trait-- 
de  nouveau  ce  sujet  dans  son    Histoire    ancienne  de 
l'Église,  t.  n,  p.  100  418.  Bas  ledel  près 

entendu  avec  Athanase  d'Alexandrie  el  Mélèce  d'An- 
tioche, Epist.,  i.xvi,  P.  G.,  t.  xxxii.  col  124,  dépécha 
d'abord  à  Damase  le  diacre  Dorothée  qui  revint  bientôt 
avec  le  diacre  Sabinus  de  Milan  porteur  d'une  lettre 
synodale  du  pape.  Comme  cette  lettre  paraissait  insuf- 
fisante, Basile,  par  de  nouvelles  lettres,  Epist.,  xc-xui. 
col.  472-484,  dont  l'une  signée  de  trente-deux  de  ses  col- 
lègues, supplia  les  évéques  d'Italie  et  de  Gaule  de  venir 
en  aide  d'une  façon  plus  efficace  aux  maux  de  11  - 
orientale  (372  ,  La  réponse  ne  fut  rapportée  qu'à  l'été  de 
373,  par  Évagrius,  prêtre  d'Antioche.  Elle  consistai! 
dans  une  formule  qu'on  devait  signer  sans  \  rien  chan- 
ger :  on  renvoyait  les  lettres  d'Orient  qui  n'avaient  pas 
plu,  et  on  disait  aux  Orientaux  que  c'était  à  eux  de  venir 
les  premiers,  s'ils  voulaient  qu'on  allât  chez  eux.  C 
réponse  froide  et  autoritaire  affligea  Basile:  depuis  lors, 
il  n'eut  qu'une  médiocre  idée  des  Occidentaux,  et  leur 
chef,  le  pape  Damase,  lui  lit  l'effet  d'un  homme  orgueil- 
leux et  impitoyable.  Cependant,  en  375,  on  renvoya  la 
formule  jadis  apportée  par  Évagrius,  munie  des  - 
tures  demandées,  parles  prêtres  Dorothée  et  Sanctis- 
sime.qui  devaient  remettre  en  même  temps  une  loi 
lettre  de  Rasile.  Epiât.,  cxx.  I  UU,  cxxix.  ,  ,.uii-ci:i  vi. 
col.  527.  540,  .V>7.  • 

«  Le  résultat  ne  fut  pas  celui  que  Ion  désirait,  dit 
M'.ir  Duchesne.  p.  (08,  Personne  ne  vint  d'Occident. 
Toutefois  Dorothée  rapporta  une  lettre  où  l'on  rendait 
témoignage  à  son  zèle  en  déclarant  qu'on  s'était  efforcé 
de  l'aider.  Au  point  de  vue  doctrinal,  la  lettre  réprou- 
vait les  erreurs  de  Marcel  et  d'Apollinaire,  mais  sans 
les  nommer.  Le  terme  u>ia  substantia  n'était  plus  em- 
ployé :  on  lui  substituait  celui  d'una  aùoia  en  grec,  le 
latin  ne  possédant  pas  l'équivalent  de  ce  terme.  »  Cous- 
tant.  Epist.  rom.  pont.,  p.  !!•.">  :  Ea  gratia. 

Mais  en  même  temps  Damase  écrivait  à  Paulin  d'An- 
tioche une  lettre  qu'il  lui  faisait  porter  suis   doute    p.i  I 

Vitalis.  .Lille,  n. 235.  Or,  d'une  part,  Paulin  était  le  rival 
de  Mélèce,  de  ce  Mélèce  que  Rome  soutenait  dans  l'a  tt  a  ire 

du  schisme  d'Antioche,  tandis  qu'il  avait  les  sympathies 
des  Orientaux,  sauf  des  Alexandrins,  et  c'était  sur  Pau- 
lin seul  qu'en  Orient  on  faisait  tomber  la  responsabilité 
du  schisme,  l'autre  part.  Vit. dis.  ami  de  Paulin,  non 
seulement  avait  quitté  la  communion  de  Mélèce;  mais 
encore  Be  taisait  apollinariste.  Les  relation-  de  Damase 
avec  ces  deux  hommes  n'étaient  pas  pour  plaire  i 
saint    liasile  et    aux   siens.   Damase,  d'ailleurs,  fut    vile 

averti  de  Bon  erreur  en  ce  qui  concernait  Vitalis.  et. 
par  des  courriers  exprès,  il  prévint  Paulin  de  ne  n 
voir  Vitalis  que  moyennant  une  confession  orthodoxe. 
On  sait  d'ailleurs  que  Vitalis,  ainsi  mis  en  demeure  de 
se  prononcer, quitta  Paulin  pour  Apollinaire,  et.  consa- 
cre évéque  pai  ce  dernier,  fonda  une  nouvelle  église 
dissidente  à  Antioche. 
Mais  ces  erreurs  de  tactique  commises   par   Dan 

et     les     Occidentaux     donnèrent    a     Dasile    l'esp.  i  .uice 


33 


DAM  A  SE    Ier 


34 


qu'ils  allaient  enfin  ouvrir  les  yeux  et  reconnaître  quels 
étaient  en  Orient  les  vrais  amis  de  l'orthodoxie  et  de 
la  paix.  Dans  cette  espérance,  il  fit  reporter  à  Rome,  en 
377.  par  Dorothée  et  Sanctissime  une  seconde  lettre, 
Epist.,  CCLXHI,  col.  976-981,  longue,  all'ectueuse,  où  il 
sollicitait  les  Occidentaux  de  répudier  non  plus  les 
ariens,  que  leurs  excès  rendaient  odieux,  mais  surtout 
ceux  que  leur  amitié  rendait  plus  pernicieux,  Eusthate, 
le  chef  des  pneumatomaques,  Apollinaire,  qui  ensei- 
gnait le  règne  de  mille  ans  et  une  fausse  doctrine  sur 
l'humanité  du  Christ,  enfin  Marcel,  dont  les  disciples 
trouvaient  trop  d'accueil  auprès  de  Paulin. 

Mais  cette  lettre  n'obtint  encore  qu'une  demi-satis- 
faction. Rome  avait  déjà  condamné  ces  erreurs  dans  la 
première  lettre  confiée  à  Dorothée  :  elle  les  condamna 
de  nouveau,  pour  complaire  aux  Orientaux,  dans  la 
nouvelle  lettre  que  Dorothée  rapporta.  Constant,  Episl. 
roni.  pont.,  p.  498.  Mais  elle  s'abstint  encore  de  con- 
damner nommément  Eusthate,  Apollinaire,  Paulin,  qui 
étaient  ses  amis  de  vieille  date,  qu'elle  n'avait  pas  en- 
tendus, que  les  autorités  d'Orient  elles-mêmes  n'avaient 
pas  jugés.  Elle  était  tellement  prévenue  pour  eux  et 
contre  les  amis  de  liasile,  encouragée  d'ailleurs  en  ce 
sens  par  Pierre  d'Alexandrie,  alors  réfugié  à  Rome,  que 
dans  ses  entretiens  avec  Dorothée,  Damase  ne  se  gênait 
pas  de  traiter  Mélèce  et  Eusèbe  de  Samosate  d'ariens. 
Cf.  S.  Basile,  Epist.,  cci.xvi.  col.  992  sq. 

Cependant,  sur  de  nouveaux  renseignements,  en 
379,  avant  que  Pierre  s'en  retournât  de  Rome  à 
Alexandrie,  Damase  tint  à  Rome  un  concile  où  il  con- 
damna nommément  Apollinaire  et  son  disciple  Timo- 
Ihée.  C'était  déjà  une  satisfaction  accordée  aux  Orien- 
taux sur  le  terrain  doctrinal.  Une  nouvelle  difficulté 
surgit  lorsque  le  grand  concile  de  Constanlinople,  en 
381,  remplaça  Mélèce  par  Flavien  et  évinça  Maxime  le 
Cynique  de  Constantinople.  11  avait  été  convenu  qu'à 
la  mort  de  Mélèce  on  laisserait  Paulin  seul  évèque;  et 
Maxime  le  Cynique,  qui  avait  supplanté  Grégoire  de 
Na/ianze,  avec  le  concours  du  patriarche  d'Alexandrie, 
('•tait  venu  jusqu'au  concile  d'Aquilée  capter  la  bonne  foi 
de  saint  Ambroise.  Pour  régler  ces  affaires,  celui-ci  avait 
demandé  à  Théodose,  qui  l'avait  accordée,  la  réunion 
d'un  nouveau  concile  général  composé  des  deux  épisco- 
pats  d'Orient  et  d'Occident.  Ce  concile  eut  lieu  en  382  à 
Rome;  mais  les  Orientaux  qui  venaient  de  tenir  celui 
de  Constantinople.  prétendirent  assez,  justement  qu'ils 
ne  pouvaient  quitter  leurs  églises  encore  une  fois  et 
envoyèrent  seulement  trois  délégués,  avec  une  lettre 
où  l'on  exposait  la  vraie  foi,  mais  où  l'on  taisait  les 
questions  de  personnes  comme  régulièrement  tranchées. 
De  fait,  le  concile  de  Rome  accepta  l'éviction,  qui 
•'imposait,  de  Maxime  le  Cynique,  d'autant  plus  faci- 
lement que  Damase,  mieux  informé  qu'Ambroise, 
l'avait  déjà  raln  ;X0,  et  avait  chargé'  le  concile 

de  Constantinople  de  le  remplacer.  Jaffé,  an.  380. 
L'élection  île  Nectaire,  bien  qu'il  n'eut  été  que  laïque 
lors  de  sa  promotion,  fut  approuvée.  Sur  la  demande 
de  Théodose  des  lettres  de  communion  furent  envoyées 
dans  ce  sens.  Pour  l'affaire  d'Anlioche,  on  la  la 
dans  l'état. 

Après  avoir  étudié  dans  leur  ensemble  et  leur  suite 
lations  de  Damase  avec  l'Orient,  voyons  en  détail 
et  brièvement  ses  actes  particuliers  contre  les  hén 
et  les  schismes  de  ce  pa; 

d'Orient.  —  Nous  n'avons  presquerien 
de  spécial  a  ajouter  en  ce  qui  concerne  c<  tte  hi  n 
h"  l'arianisme  pur   il  ne    restait  plus    que  quelques 
vieux  tenants,  possédant,  il  est  vrai,  les  grands  si< 
tels  qu  l  ml  i  onstantinople,  Euzoiut  d  Antioche, 

mai»   i  Eunome, 

retirés  à  l'écarl   n'a  aienl  plu    .  aère  d  Influence.  Leur 
plat  grandi    forci   c'i  tail  l'appui  de  Valent  :  elle  di 
lomf  i  puissante  qu  elle  fût,  die 

DH.T.    [iK   THEOL.   CATHOL. 


ne  contrebalançait  pas  le  crédit  des  grands  docteurs 
de  ce  temps,  surtout  des  Cappadociens.  Néanmoins,  Da- 
mase insistait  toujours  sur  la  reconnaissance  du  con- 
cile de  Nicée  et  l'annulation  de  celui  de  Rimini.  Ce 
concile,  disait-il,  manque  de  toute  valeur,  parce  qu'il 
n'a  pas  l'approbation  de  l'évêque  de  Rome,  dont  on 
doit  solliciter  le  jugement  avant  tout.  Mansi,  Concit., 
t.  m,  n.  43;  Jaffé,  n.  242.  En  369,  après  le  concile  de 
Rome,  il  rédigea  une  formule  [lomus  ou  typtis)  qui  fut 
envoyée  plus  tard  aux  évoques  d'Orient.  Ceux-ci  le 
signèrent  à  plusieurs  reprises.  Au  concile  d'Antioche 
de  379  sous  Mélèce,  157  d'entre  eux  apposèrent  à  une 
formule  semblable  leurs  souscriptions,  qui  furent  gar- 
dées dans  les  archives  romaines.  Coustant,  Epist.  roui, 
pont.,  p.  500;  Duchesne,  p.  421,  note  2. 

7°  Apoliinaristes,  sabelliens,  eunomiens,  macédo- 
niens, pliotiniens.  —  Vers  380,  dans  un  synode  romain, 
Damase  rédigea  une  Confessio  fidei  calholiese,  où  il 
résumait  en  «  vingt-quatre  anathèmes  »  toutes  ses 
condamnations  contre  les  hérésies  orientales.  Un  pre- 
mier anathèmevise  ceux  qui  ne  reconnaîtraient  pas  au 
Saint-Esprit  unité  de  puissance  et  de  substance  avec  le 
Père  et  le  Fils  :  viennent  ensuite  des  anathèmes  contre 
les  sabelliens,  les  ariens,  les  eunomiens,  les  macédo- 
niens, les  pliotiniens,  les  apoliinaristes  et  la  doctrine  at- 
tribuée à  Marcel  d'Ancyre;  puis  recommence  une  série 
d'anathèrnes  relatifs  au  Saint-Esprit  pour  affirmer  plus 
énergiquement  sa  divinité  essentielle  et  sa  consubstan- 
tialité  par  rapport  au  Père  et  au  Fils.  Cette  Confessio 
fidei  fut  envoyée  à  Paulin  d'Antioche.  Denzinger,  En- 
chiridion,  n.  22-45;  Duchesne,  Ilist.  anc.  de  l'Église, 
t.  n,  p.  410,  note.  Marcel  d'Ancyre  ne  fut  pas  nommé 
dans  la  condamnation  de  ses  erreurs,  parce  qu'il 
avait  été  jadis  soutenu  parle  pape  Jules,  et  parce  qu'il 
s'était  rapproché  récemment  d'Athanase,  par  une  pro- 
fession de  foi  que  ce  docteur  avait  jugée  suffisante.  Par 
ses  opinions  sur  la  consubstantialité  qu'il  semblait 
pousser  jusqu'au  sabellianisme,  il  compromettait  les 
partisans  du  consubstantiel  et  on  reprochait  aux  Ro- 
mains et  à  Paulin  d'Anlioche  de  le  fréquenter.  Apolli- 
naire avait  été  aussi  longtemps  l'ami  de  Rome,  d'Atha- 
nase et  de  Paulin  à  cause  de  sa  fidélité  à  la  foi  de 
Nicée.  Plus  tard  il  donna  des  leçons  à  saint  Jérôme. 
Mais  les  mélétiens  le  tenaient  en  défiance  à  cause  de 
ses  relations.  Il  donna  raison  à  ceux-ci,  et  tort  à  ceux- 
là,  quand,  à  partir  de  .'>7I,  par  réaction  contre  l'aria- 
nisme, il  aboutit  au  système  qui  porte  son  nom. 
Athanase,  Grégoire  deNazianze,  Grégoire  de  Nysse  le 
combattirent,  et  les  Orientaux,  par  l'intermédiaire  de 
saint  liasile,  prièrent  souvent  Damase  de  se  désolidariser 
d'avec  lui  en  le  condamnant.  Damase  le  lit  enfin  dans 
un  concile  de  376;  il  chargea  saint  Jérôme  de  rédiger 
une  profession  de  foi  que  devaient  signer  les  apolii- 
naristes qui  voudraient  revenir  à  l'unité  :  il  l'envoya 
aux  évéques  d'Orient,  et  en  pressa  l'adoption  surtout 
quand  Yilalis,  après  son  retour  de  Rome,  compromit 
Paulin  en  si1  faisant  apollinariste.  En  378,  il  déposa 
ensemble  Apollinaire.  Vitalis  et  Timothée,  et  rappela 
cette  déposition  dans  la  lettre  synodale  que  nous  avons 
citée  plus  haut.  Jaffé,  n.  378. 

Quant  aux  pneumatomaques,  auxquels  s'était  rallié 
Eusthate  et  que  l'on  appelai!  aussi  macédoniens,  signa 
l'abord  par  saint  Athanase  à  l'empereur  Jovien, 
combattus  par  s;iini  Basile,  s. uni  Grégoire  <if  Nazianze, 
Didyme  l  Aveugle,  saint  Ambroise,  ils  furent  condamnés 
par  Damase  dan  llesde  Rome  de 369,  de  -174  et 

et  en  380.  On  a  i ivé  que  la  formule  qui  est  en 

du  décret  de  Gélase,  De   libris   recipiendis,  est   celle 
qu'il  rédigea.  Thiel,  Epist  nt.,  p.  53  Le  con- 

cile de  Constanlinople  de  381  confirma  cette  condam- 
nation. 

I  ce  qu'on  a  dit  jusqu'ici  lail    uffisammenl  • 
naître  i  attitude  de  i  lama  e  à  l'<  ises  d'An- 

IV.   -  S 


35 


DAMA  SI.    I 


DAMEN 


Hoche,  d'Alexandrie  el  de  Conatantinople.  11  élait 
d'accoi  'l  avec  le  successeur  d'Athanase,  Pierre  d'Ali 
drie,  auquel  il  écrivit  des  lettres  de  consolation  lors- 
qu'il lui  exilé  sous  Valens  en  :i7i.  Il  l'accueillit  favo- 
rablement ■<  Rome  el  se  laissa  trop  influencer  par  lui 
dans  ses  rapporta  avec  -.>mt  Basile  '•!  saint  Mélèce,  il 
lui  donna  des  lettres  de  communion  lorsqu  il  B'en  re- 
tourna. Jaffé,  n.  56,  58.  Il  s'en  fallut  peu  que  Timothée, 
son  successeur,  ne  lui  créât  une  mauvaise  aflaii 
protégeant  Maxime  !<•  Cynique  contre  Grégoire  de  Na- 
aianze.  Enfin,  pour  ce  qui  regarde  Antioche,  il  donna 
toujours  -a  faveur  à  Paulin  et  aux  Biens,  ce  qui  faillit 
le  tromper  sur  Vitalis,  le  paralysa  quelque  temps  en- 
vers Apollinaire,  ne  lui  permit  pas  de  goûler  Mélèce  et 
de  s'entendre  pleinement  avec  Basile. 

On  attribue  maintenant  à  Damase  le  catalogue  des 
saintes  Écritures,  si  important  dans  l'histoire  du  canon, 
que  l'on  mettait  jadis  sous  le  nom  de  G-élase.  Mansi, 
t.  vin,  col.  153;  Thiel,  p.  52-54.  Ce  catalogue  fut  com- 
posé sous  l'influence  de  saint  Jérôme,  au  concile  de 37k 
C'est  à  lui  que  se  réfère  le  concile  dllippone,  qui  en 
.'193  donne  une  liste  semblable. 

Damase  est  un  des  premiers  papes  qui  ait  affirmé 
avec  une  grande  force  par  ses  paroles  et  ses  actes  la 
primauté  universelle  de  l'Eglise  romaine.  Il  répète 
fréquemment  qu'elle  a  le  droit  déjuger  de  tout,  dans 
la  chrétienté,  des  personnes  et  des  choses.  Il  fonde 
cette  primauté  sur  saint  Pierre,  et  c'est  sur  lui  qu'il 
fonde  aussi  les  droits  subordonnés  des  patriarcats 
d'Antioche  et  d'Alexandrie  que  cet  apôtre  aurait  insti- 
tués. Il  ne  connaît  d'ailleurs  Constantinople  que  comme 
un  siège  ordinaire.  Les  Kglises  d'Orient,  comme  nous 
l'avons  vu  par  leurs  appels,  lui  font  écho,  quoique 
quelquefois  de  mauvaise  grâce.  Les  Pères  du  concilu 
de  381  n'osent  lui  soumettre  leur  canon  sur  la  primauté 
d'honneur  de  Constantinople,  bien  qu'il  reconnaisse 
indirectement  la  suprématie  de  Rome.  Saint  Jérôme, 
sollicité  par  les  partis  qui  divisaient  Antioche.  se  ré- 
fére  solennellement  à  Damase.  Epist.,  xv.  xvi.  /'.  L., 
t.  xxn,  col. 355-359,  Saint  Ambroise  fait  de  même  à  diffé- 
rentes reprises.  Ubi  Petrus,  ibi  Ecclesia.  P.  L.,  t.  xiv, 
col.  1082.  Théodose,  dans  ses  lois  de  380  et  381,  ne  pou- 
vait manquer  de  le  désigner  pour  le  représentant  officiel 
de  l'orthodoxie  en  Occident.  C'est  à  son  sujet  qu'Am- 
mien  Marcellin  et  le  préfet  Prétextât  parlent  du  faste 
des  évêques  de  Rome. 

Il  y  aurait  encore  lieu  de  parler  des  rapports  de 
Damase  avec  saint  Jérôme,  dont  il  fit  son  sécrétait e 
pour  les  alfaires  d'Orient  surtout,  et  son  consulteur 
pour  les  questions  d'Écriture  sainte  et  de  liturgie;  on 
sait  qu'il  chargea  ce  grand  homme  de  reviser  la  Vu! 

Il  faudrait  aussi  parler  du  soin  que  Damase  prit  des 
catacombes,  de  l'honneur  qu'il  rendit  aux  martyrs,  des 
inscriptions  en  vers  qu'il  fit  graver  admirablement  sur 
leurs  reliques  par  Furius  Dionysius  Philocalus  pour  en 
assurer  l'authenticité,  De  Rossi,  Inscript,  christianœ, 
Rome,  1888,  t.  il.  Mais  ces  aspects  ne  sont  pas  d'ordre 
purement  théologique.  Damase  mourut  le  II  décembre 
384,  presque  octogénaire;  sa  fête  est  le  II  décembre. 

Les  historiens  n'ont  pas  encore  fixé  absolument  la  chronologie 
des  conciles  et  des  lettres  de  Damase,  nous  avons  suivi  I>u- 
chesne  de  préférence  :  Liber  pontificalis,  t.  i,  p,  -  !  _*-j  i  :>  :  His- 
toire ancienne  de  l'Église,  Paris,  1907,  t.  n.  p.  898-416,  4i7-Wi 
et  passim;  Grisar,  Geschiehte  Roms  und  der  Pàpeteim  Mittel- 
alter,  t.  I,  p.  2.Y7-283;  Zeitschrifl  fur  kathoOeche  Théologie, 
t.  vm,  p.  190-198;  Rade,  Damasus,  Bieehofvon  Hom.  Frlbourg- 

en-Brisgau,  IMV2;  Meicnda,  De  sancti  Ihuiuisii  papa  npusculis 

et  geetie,  /'.  /,.,  t.  xm,  col.  m-348;  Tillemont,  Mémoire»  pour 
servir  à  l'hiet.  eccl.,  t.  vm,  p.  386-424;  c.eillior.  Histoto 
nérale  des  auteurs  sacrés  el  ecclésiastiques,  t.  vi,  p.  4M 
JaftV,  Régi  Ua  pontifleum  romanorum,  1. 1,  p.  37-40;  Coustant, 
Epistolm  romanorum  pontifleum,  t.  i;  Mansi,  Coitcil.,  t.  m. 
col.  148,  150,  482,  »77,  t86;  Hefele,  Histoire  des  conciles,  trad. 
Leclercq,  Paris,  1907,  t.  i.   p.  980;  8.  Damase,  Opéra,  V.  /... 


t.    XIII  //.     /...     I.     II.    r.     \.    /'.    /...    I.    \\|. 

I        ■  Damasvi  i 
•  ■•  ichichte  and  Charakl 
valier,  Répertoire.  Bio- bibliographie,  2  édit.,  t    n  lin:. 

A.  Clerval. 
■2.  DAMASE  II,  p.p.-.  10(7-1018.  Clément  11  étant 
mort  le  il  octobre  1047,  les  Romains  envoyèrent  une 
ambassade  à  l'empereur  d'Allemagne,  Henri  III,  pour 
le  prier  de  désigner  un  pape.  Après  avoir  pen 
chevèque  de  Lyon,  llalinard.  qui  se  déroba,  il  choisit 
le  Bavarois  Poppo,  évéque  de  Rrixen.  dans  le  Tyrol. 
C'était  h-  25  décembre  a  Saint-Poëlten.  Pour  lui  venir 
en  aide,  il  lui  lit  une  donation,  et  lui  permit  de  garder 
son  évéebé.  Parti  pour  Rome,  au  commencement  de 
I0i8,  Poppo  trouva  le  siège  pontifical  occupé  par 
Benoit  IX  de  Tusculum,  qui  s'était  fait  nommer,  le 
8  novembre  1047,  ^ràceà  ses  largesses  au  peuple,  et  le 
margrave  de  Toscane.  Roniface,  refusa  de  le  conduire. 
L'empereur,  près  de  qui  il  dut  revenir  à  Ratûbonne,  le 
renvoya  en  Italie,  avec  une  lettre  menaçante  pour  Ro- 
niface. Renoit  IX  dut  se  retirer  après  avoir  tenu  Rome 
8  mois  et  9  jours,  et  Poppo,  conduit  par  le  margrave, 
bien  accueilli  par  le  peuple,  fut  sacré  à  Saint-Pii 
le  17  juillet  1018  :  il  prit  le  nom  de  Damase  II.  Mal- 
heureusement il  mourut,  à  l'alestrina.  au  bout  de 
23  jours,  le  9  août  1048,  on  ne  sait  de  quelle  maladie. 
Il  fut  enseveli  à  Saint-Laurent  hors  les  murs,  et  son 
sarcophage  se  voit  encore  dans  le  portique  extérieur. 

Jaffé,  Regesta,  t.  i,  p.  528;  Duchesne,  Liber  puntificalis, 
t  n.  p.  274;  ld.,  I.'-s  premiers  temps  de  l  État  pontifical,  dans 
la  Revue  d'histoire  et  d>  littérature  religieuses,  1K97,  t.  il, 
p.  211;  Giesebrecht.  Geschiehte der deutschen  I    LU, 

p.  437:  Langea,  Geschiehte  der  rCm.  Kirche,  \  M5;  helarc, 
Grégoire  VII,  t.  î.  p.  93-9(1:  dans  l'eitz.  Monumenta  Germanise, 
Scriptores,  voir  Annales  Romani,  t.  v.  i 

t.  vu,  p.  2-28;  Lamberti  Hirsch-,  t.  v,  p.  154;  Bonizo,  t.  il, 
p.  803. 

A.  Clerval. 

DAMBERGER  Joseph  Ferdinand,  historien  de 
l'Église,  naquit  à  Passau  Bavière]  le  l«*  mars  1795; 
ordonné  prêtre  en  1818,  il  travailla  quelques  années 
dans  le  ministère  pastoral  ;  il  était  prédicateur  de  la 
cour  à  Saint-Cajetan  de  Munich,  quand  il  demanda  à 
être  reçu  dans  la  Compagnie  de  Jésus,  oii  il  entra,  en 
1837,  à  Brieg  en  Suisse;  il  professa  l'histoire  au  sémi- 
naire de  Lucerne  I8iô-lsl7  :  expulsé  avec  ses  confrè- 
res, en  1847,  il  fut  obligé  de  se  réfugier  en  Italie  ;  il 
passa  les  dernières  années  de  sa  vie  à  Schâftlarn  près 
de  Munich,  comme  confesseur  des  religieuses  dites 
Dames  anglaises;  il  y  mourut  le  1  ■  mai  1850.  Il  a  publié  : 
Synclironistisclic  Gcscliichte  der  Kirche  und  W'clt  ini 
Millclaltcr.  15  in-8"  avec  complément  critique  pour 
chaque  volume  [le  xv  vol.,  s'arrétant  à  l'année  1378, 
a  été  édité  par  les  soins  du  P.  D.  Rattinger,  S.  .1.  .  Ratis- 
bonne,  1850-1863  :  ouvrage  dune  immense  érudition; 
son  plan  le  rend  un  peu  pénible  à  lire.  mais,  par  la 
richesse  des  informations  et  par  la  discussion  appro- 
fondie des  mensonges  de  l'histoire  anticatholique,  il  a 
mérité  d'être  appelé  un  véritable  arsenal  pour  la  dé- 
fense de  la  vérité  historique  et  île  l'Église. 

DeBackeretSommen  thequedela  -.t.n. 

col.  1786-1787;  Hurler,  Nomenclator,  t.  m,  eoL  1082;  Ai, 
lexikon,  t.  m.  cl.  19624863  :  AUgemeine  deutsche  Biographie, 

Leipzig,  l.  iv.  p   716. 

Jos.  Broceer. 

DAMEN    Armand,    théologien    belge,   né  i    Toiu 

en  1658  ou  1657.  Il  lit  ses  humanités  chez  les  chanoines 
réguliers  de  sa  ville  natale.  Dès  lors  il  annonçait  les 

plus  heureuses    dispositions,    ni   point   d'éclipser   tous 

condisciples.   En  ir>7:>.  il    vint  à  Louvain,  où  il 

devait   passer  le   reste  de  sa  \ie.  Il  y  suivit  les  cours  de 

philosophie  pendant  deui  ans.  au  Collège  du  Porc, 
et  les  cours  de  théologie,  pendant  quatre  ans  environ. 
m  Grand  Collège   du   Saint-Esprit.  A  peine  ordonné 


37 


DAMEN 


DAMIAXI    DE    TUHEGLI 


38 


prêtre,  il  fut  vicaire,  puis  curé  de  la  paroisse  Saint- 
Michel;  mais  les  fonctions  de  son  ministère  ne  l'empê- 
chèrent pas  de  poursuivre  ses  études  et  de  conquérir 
successivement  la  licence  et  le  doctorat  en  théologie. 
C'est  en  1699  qu'il  ohtint  ce  dernier  grade.  A  partir  de 
ce  moment,  il  resta  attaché  au  Grand  Collège  des  théo- 
logiens en  qualité  de  vice-président;  et  bientôt  l'arche- 
vêque de  Malines,  Humbert,  le  créait  archiprêtre  du 
district  de  Louvain.  Vers  le  même  temps,  les  consuls 
de  la  cité  reconnaissaient  ses  mérites  en  le  nommant 
chanoine  de  la  collégiale  de  Saint-Pierre  et  professeur 
à  la  faculté  de  théologie,  où  ses  collègues  ne  tardèrent 
pas  à  lui  conférer  le  titre  de  «  régent  ».  A  la  mort  de 
Martin  Steyaert,  en  1701,  il  lui  succéda  comme  doyen 
du  chapitre  de  Saint-Pierre,  comme  directeur  des 
«  sabbatines  »  et  comme  président  du  Grand  Collège. 
.Mais  les  devoirs  de  cette  présidence  constituaient  un  far- 
deau trop  lourd  pour  sa  débile  santé,  et  dès  le  22  mai  1702 
il  l'échangeait  contre  celle  du  Collège  de  Divœus.  Le 
16  juillet  1713,  il  fut  transféré  à  la  direction  du  Collège 
d'Arras,  où  il  habita  désormais  et  où  il  mourut,  le 
29  octobre  1730,  dans  sa  74e  année.  Outre  ses  autres 
fonctions,  il  avait  été  appelé,  par  le  suffrage  unanime 
des  électeurs,  à  la  charge,  alors  très  importante  et  très 
honorable,  de  conservateur  des  privilèges  académiques. 

A  un  caractère  aimable  et  à  une  activité  multiforme 
el  incessante  Damen  joignait,  comme  professeur  et 
comme  écrivain,  une  juste  aversion  pour  les  nouveautés 
théologiques  et  un  grand  zèle  pour  les  droits  du  saint- 
siège.  On  en  pourra  juger  par  la  liste  de  ses  ouvrages 
ou  opuscules.  Nous  avons  de  lui  :  1°  Doetrina  el  praxis 
S.  Caroli  Borromxi  de  pxnilcutia  csetcrisque  conlro- 
versiis  moralibus  hodiernis,  3  in- 12,  Louvain,  1697. 
C'est  un  commentaire  des  ordonnances  et  instructions 
du  saint  archevêque  de  Milan,  où  Damen  a  eu  soin  de 
reproduire  toujours  en  entier  les  textes  qu'il  commente. 
Il  est  spécialement  dirigé  contre  le  rigorisme  des 
jansénistes  relatif  à  l'absolution  des  pécheurs  d'habi- 
tude et  des  récidivistes,  à  la  confession  et  à  la  commu- 
nion des  enfants,  à  la  fréquente  communion,  etc.  La 
deuxième  partie  est  une  réponse  à  Jean  Opstraet,  qui 
avait  attaqué  les  conclusions  de  la  première.  L'ouvrage 
a  été  réimprimé  à  Louvain  en  1703,  et,  une  seconde 
fois,  en  1711.  2°  Oratiode  cathedra  Pétri  ut  est  régula 
fidei,  in-12,  Louvain,  1721.   L'auteur  j  défend,  comme 

intique  et  continuelle  doctrine  des  théologiens  de 
Louvain  »,  la  thèse  de  l'infaillibilité  personnelle  du 
pape.  Il  l'énonce  ainsi  :  «  l'ne  définition  qui,  concer- 
nant des  choses  de  foi,  de  mœurs  et   de  religion  aux- 

quelb  -  I  l  glise  entii  i si  intéressée,  part  de  la  seule 

chaire  de  Pierre  el  s'adresse  à  tous  les  fidèles,  est 
■  de  foi,  même  indépendamment  de  l'intervention 
d'un  concile  général  et  antérieurement  à  l'assentiment 
de  II  glise  universelle.  Or  le  pontife  romain  définit 
n  cathedra  quand  il  prescrit  à  toute  l'Église  quelque 
chose  à  croire.  »  Parmi  les  documents  cités  figure  une 
déclaration  collective  et  très  explicite,  émise  par  la 
facult'''  de  Ihéolo  te  en  1588,  el  au  lias  de  laquelle  on 
lit,  entre  autres  noms,  ceux  de  Michel  Haius  el  de 
Jansénius  d'Ypres.  3°  Oratio  de  dogmalica  imita  Uni- 
tus,  in-12,  Louvain.  1721  :  démonstration  du  carac- 
tère dogmatique  et  strictement  obligatoire  de  la  bulle 
SB  question.  Cette  étude  se  trouve  complétée  par  la 
suivante  i  Brevii  tolutio  supei  tribus  hit  quœsitis  : 
I.  An  Inobediens  constitution!  Unigenitus  fit  exconi- 
municatut  '  2  An  fit  tchismaticus  '  8.  An  fit  ha 
cusi  in  V\  Louvain,  1727.  l.a  réponse  eal  affirma 
sur  toute  In  ligne,  à  la  condition  d'entendre  les  deui 
premiers  point-  de  cens  qm  manifestent  leur  insou- 
minion,  5    />■■  de  numéro  episcoporum  ad 

validant  ordinalionem  episcopi  requisito,  in-i\  I 
vain.  1723.  Damen  soutient  que  le  concours  de  troi 
évêquei  i   i    saul  dispense   du  pape,    nécessaire  non 


seulement  pour  la  légitimité,  mais  aussi  pour  la  vali- 
dité; d'où  il  infère  l'absence  de  tout  caractère  épiscopal 
en  Corneille  Steenhoven,  soi-disant  archevêque 
d'Utrecht,  qui  s'était  fait  sacrer  par  Varlet,  évêque  de 
Babylone,  d'ailleurs  «  excommunié,  suspens  et  irrégu- 
lier ».  Van  Espen  se  fit  le  champion  de  la  cause  de 
Steenhoven.  6°  Ce  fut  l'occasion  de  la  Dissertalio  11* 
île  numéro  episcoporum  ad  validant  ordinationem 
episcopi  requisito,  in-i3,  Louvain,  1725.  L'année  sui- 
vante, paraissait  :  7°  Oratio  de  ponlificio  lioc  oraculo  : 
«  Universitas  Lovaniensis  sanctae  Romanse  Ecclesiœ 
devota  et  jidelis  est  plia,  »  in-12,  Louvain,  1726.  Cet 
éloge  avait  été  adressé  à  l'école  de  Louvain  par  Pie  IV. 
en  1561.  Il  est  ici  justifié  par  une  brève  esquisse  de  i'atli- 
lude  de  l'université  en  différentes  circonstances,  mais 
surtout  à  l'époque  du  concile  de  Bàle.  Le  même  thème  est 
repris  dans  :  8°  Prosecutio  orationis  habita  die  11  jitnii 
1727,  in-i°,  Louvain,  1727.  Nous  possédons  trois  études 
en  tête  desquelles  Damen  n'a  pas  mis  son  nom,  mais 
qui  sont  certainement  de  lui;  c'est  d'abord  :  9°  fiela- 
lionis  operum  ex  aliquo  benevolenlise  in  Deum  affeclu 
obligatio  ac  nécessitas,  strenue  asserla  per  tlicologum 
Lovaniensem ,  in-4°,  Louvain,  1729.  Il  y  ajouta  bientôt  : 
10°  Relationis  operum  ex  aliquo  bencvolenliœ  in  Deum 
affeclu  obligatio  ac  nécessitas,  denuo  asserta  per 
Iheologum  Lovaniensem,  in-4°,  Louvain,  1730.  Dans 
ces  deux  écrits,  le  «  théologien  de  Louvain  »  plaide, 
contre  Vanroye,  docteur  de  Sorbonne,  pour  une  thèse 
chère  à  son  école.  Il  la  justifie  sans  peine  de  l'accusa- 
tion de  baianisme  et  de  quesnellisme.  Il  ajoute  qu'au 
demeurant  une  relation  virtuelle,  ex  parle  operis, 
suffit,  et  que  le  «  sentiment  de  bienveillance  »  qui  la 
réalise  n'appartient  pas  nécessairement  à  la  vertu  théolo- 
gale de  la  charité  proprement  dite.  Surtout,  ni  lui  ni 
ses  amis  n'ont  jamais  dit  ou  pensé  que  «  les  infidèles 
pèchent  dans  tous  leurs  actes  ».  Ces  observations  sont 
encore  corroborées  :  11°  par  une  Dissertalio  de  refe- 
rendis  operibus  in  Deum  et  de  operibus  infidelium, 
auctore  theologo  Romano-catltolico,  in-i°,  Louvain, 
1729.  La  dernière  œuvre  de  notre  auteur  est  :  12°  Dis- 
sertatio  de  veritate  liujus  propositions  :  «  Jansénius 
non  fuit  jansenisla,  »  in-4°,  Louvain,  1729.  L'affirma- 
tion d'apparence  paradoxale  est  soutenue  et  expliquée 
de  façon  fort  simple  :  qui  dit  janséniste  dit  hérétique; 
or  Jansénius  n'a  pas  été  hérétique  :  il  n'a  pas  eu  con- 
science de  ses  erreurs,  réprouvées  par  l'Église  seule- 
ment après  sa  mort;  à  plus  forte  raison,  n'a-t-il  pas  eu 
cette  opiniâtreté  dans  l'erreur,  sans  laquelle  il  n'\  a 
point  d'hérésie.  Il  s'agit  évidemment  de  la  personne  de 
lansénius,  et  non  de  sa  doctrine.  Quant  à  celle-ci, 
«  nul  vrai  catholique  »  ne  peut  soit  nier  que  Y Augus- 
tinus  «  contienne  diverses  hérésies,  »  soit  défendre  une 
seule  des  cinq  fameuses  propositions.  Damen  rappelle 
fort  à  propos  le  mot  de  Vincent  de  Lérins  :  «  Étranges 
vicissitudes  des  choses!  Les  auteurs  d'une  opinion 
sont  catholiques,  et  ses  défenseurs  sont  réputés  héré- 
tiques. Les  maîtres  sont  absous,  mais  les  disciples  sont 
condamnés.  >> 

Reusens  el  Bai  bli  l  \nalectes  pour  servir  à  l'histoire  ecclé- 
siastique de  (a  lirtgiqtte,  Louvain,  1881,  t.  xvn,  p.  173.  386;  De 
Ram,  De  laudibus  quibtts  veteres  Lovaniensium  theologi 
efferri  possunt,  Louvain,  18'iH,  p.  14,  5«,  133. 

J.   FORQET. 

DAMI ANI  DE  TUHEGLI  Jean,  théologien  hongrois, 
né  a  Tuhegli  le  21  juin  1710,  mort  vers  1780.  Il  vint  à 
Home  en  1726  el  étudia  i  i  i  irmo  sous  les  auspices  de 
lienoit  XIII;  il  fut  ordonné  piètre,  le  •">  mars  1736.  De 
retour  à  Home,  il  fut  bien  accueilli  par  Clément  Ml. 
qui  le  proposa  an  choix  d'Émeric  d'Esterhazv  pour  un 
canon  i«  it  de  Presbourg,  Il  occupa  diverses  antres  places 
dan  la  hiérarchie  ecclésiastique  de  son  pays  il  g  pu- 
blié :  i  Doetrina  vent  Chrisli  Ecclesia  ab  omnibus 
puis antiqui,  >nedtt  et  novi  ctvi  hterâtibus  vindi- 


39 


DAMI.WI    Dl      I  I  III. M. I    -  -    DAMIEN 


,  Ofen,  1762;  i  Justa  * eligiùi us  <■<, adm, 
m  s  .  ibid.,  I70.~>,  où  il  Iraiti  des  divers  moyens  de  faire 
rentrer  lee  dissidents  dan  atholique.  Il  a  laiaaé 

ci ii  ouvrage  manusOil  intitulé     Examen  libri  rj /«,</«.- 

h,  i    II"    - 

m    i,  i.  Nouvelle  biographie  générale,  t.  xm,  p.  B&7-858. 

E.  M.w.i.noï. 
DAMIANITESon  DAMIANISTES,  voir  Damii.n  I. 

1.  DAMIEN,  patriarche  copie  d'Alexandrie, 578-605, 
et  fondateur  de  lu  secte  des  damianitea  ou  tétradites. 
Depuis  les  controverses  eu  ire  Sévère  d'Antioche  et  Julien 
d'Halicarnasse  sur  la  corruptibilité  ou  non  du  corps 
du  Clirist,  le  parti  monophysite  comptait  deux  grandes 
fractions  :  les  sévériens  ou  corrupticoles.  les  julianistes 
ou  aplitartodocctes  et  phantasîastes,  En  Egypte,  à  la 
mort  du  patriarche  Timothée  IV,  S  février  596,  chacun 
des  deux  partis  lui  donna  un  successeur,  Tliéodose  Ier 
pour  les  sévériens,  Gaïanus  pour  les  pliantasiastes.  Ni 
l'un  ni  l'autre  ne  put  se  maintenir  en  charge,  par  suite 
de  l'opposition  de  la  cour  byzantine,  qui  exila  les  deux 
concurrents  et  imposa  le  candidat  clialcédonien.  Théo- 
dose  lrr  mourut  en  exil  le  22  juin  5G7.  La  vacance  du 
siège  patriarcal  dura  jusqu'en  576,  où  des  évoques 
syriens  envoyés  par  Paul,  le  patriarche  monophysite 
d'Antioche,  élurent  et  sacrèrent  un  certain  Théodore. 
Furieux  de  ce  choix,  auquel  ils  n'avaient  eu  aucune 
part,  les  théodosiens  lui  opposèrent,  automne  576, 
Pierre  IV,  qui  rompit  la  communion  avec  Paul  d'An- 
tioche. Ce  dernier,  du  reste,  était  alors  brouillé  avec  le 
fameux  Jacques  Baradaï,  qui  était  en  excellents  rapports 
avec  Pierre  IV.  Lorsque  celui-ci  mourut  le  1!)  juin  578. 
on  nomma  pour  son  successeur  un  Syrien  d'origine, 
Damien,  qui  adopta  sa  ligne*de  conduite  et  donna  son 
nom  à  ses  partisans.  On  les  appelait,  en  effet,  alternati- 
vement sévériens  ou  théodosiens  ou  damianiles,  ou 
angélites,  à  cause  du  lieu  où  ils  se  réunissaient  à  Alexan- 
drie. Damien  rejetait  la  doctrine  chalcédonienne. 
l'hérésie  phantasiaste  de  Julien,  celle  des  trithéistes 
lancée  par  Jean  Philopone,  ainsi  qu'on  le  voit  par  sa 
lettre  synodique  et  sa  lettre  sur  la  mort  de  Jacques 
Baradaï.  Michel  le  Syrien,  Chronique,  trad.  Chabot, 
t.  n,  p.  325-334,  339-342.  Ln  même  temps,  il  anathé- 
matisait  <•  l'insensé'  Sabellius  de  Libye  »,  Michel  le 
Syrien,  t.  n,  p.  331,  col.  2,  dont  on  l'accuse  pourtant  de 
reproduire  la  doctrine. 

Le  trithéiste  Jean  Philopone  avait  admis  a  la  plura- 
lité des  essences  et  des  natures  dans  la  Trinité  sainte, 
divisant  et  séparant  avec  les  personnes  l'unique  essence 
indivisible  ».  Il  semble  qne,  pour  avoir  voulu  trop 
réfuter  les  tenants  de  cette  doctrine  :  Jean  Philopone, 
Probtis,  Sergius  l'Arménien,  etc..  Michel  le  Syrien, t. n, 
p.  36-2  sq.,  Damien  soit  tombé'  dans  l'hérésie  contraire, 
dans  le  sabellianisme.  Timothée  de  Constantinople,  De 
receptione  heereticorum,  P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  60.  l'ac- 
cuse d'admettre,  avec  la  distinction  des  trois  personnes 
divines,  un  Dieu  commun,  une  sorte  de  déilé  inexis- 
tante, par  la  participation  indivise  de  laquelle  chacune 
des  trois  personnes  est  Dieu.  »  Dans  ce  système,  tou- 
jours d'après  Timothée,  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit 
sont  nommés  tiyposlases,  et  chaque  personne,  pi 
part,  est  Dieu;  quant  au  Dieu  commun,  il  est  nommé 
substance  et  nature.  C'est  pourquoi,  on  reprochait  S 
Damien  d'être  tétradite,  c'est-à-dire  d'admettre  quatre 
dieux.  Saint  Sopbrone,  Epistola  synodica  adSergium, 
r  <;.,  i.  ixxxvn.  col.  3193,  loue  les  réfutations  que 
Damien  avail  faites  du  système  trithéiste,   mais  il   le 

traite  de     nouveau  Sabellius  »,  De  raê le  patriarche 

monophysite  Pierre  d'Antioche,  s,>u  grand  adversaire 
lui  reproche  de  dire  que  i  les  propriétés  constitutives 
des  personnes  de  la  Trinité  sainte  étaient  les  pen 
mêmes.  ■    Michel  le  Syrien,   i.    n.  p.  365.  De    même 
encore  Athanase d'Antioche,  peu  après  l'accord  fa.il  en 


Damien,  avoue  qu< 
celui-ci,   i  l'innascibilité  est  la  personne  du 
filiation  ta  personne  du  I  ils.  la  procession  la  personne 
du  Saint-Esprit,  i  Michel  le  Syrien,  t.  u,  p  :W7.  col.  2. 
Kn  somme,  d'après  l'ensemble  de  ces  témoignages  con- 
temporains,   qui    contredisent  celui  de   TimothéV 

.intinople,  Damien  avait  remis  en  circulation   le 
Babellianisme.   Cette  doctrine  fut  vivement   combattue 
par  les  monopbysites d'Antioche,  surtout  par  le  patriar- 
che Pierre,  qui  écrivit  trois  Ira  ijel   On  et 
de  s'entendre  à  la  conférence  de  dabita  en  Arabie, 

en  vain,  par  suite  de  la  mauvaise  voli 
qu'y  apporta  Damien  Michel  le  Syrien,  t.  n,  p. 
371.  Plus  tard,  après  la  mort  des  deux  ad 
dans  une  Série  de  conférences  qui  se  tinrent  particu- 
lièrement à  Alexandrie  en  l'année  609,  l'entente  fut 
rétablie  entre  les  deux  Eglises  monophy  sites  d'Antioche 
et  d'Alexandrie,  et  les  deux  patriarches  de  ces  Églises, 
Athanase  et  Anastase.  publièrent,  -ous  leur  signature 
commune  et  celle  de  plusieurs  évéqnes,  l'acte  officiel 
d'union.  C'était  une  exposition  de  la  vraie  doctrine  sur 
le  mystère  de  la  Trinité,  dans  laquelle  on  ne  blâma  ni 
Damien  d'Alexandrie,  ni  Pierre  d'Antioche;  l'acte 
d'union  ne  voit  dans  leurs  disputes  théologiques  qu'une 
t  querelle  de  mots  ».  Michel  le  Syrien,  t.  n,  p.  391, 
col.  1.  Mais  nous  savons  par  les  lettres  d'Atbanase  que 
la  doctrine  de  Damien  fut  formellement  rejetée  dans  les 
conférences  et  que,  si  l'acte  d'union  n'en  parle  pas, 
c'est  que  les  Alexandrins  s'y  étaient  opposés.  Il  y  eut 
encore  des  damianites,  qui  restèrent  fidèles  à  la  doc- 
trine du  maître.  Voir  les  pièces  officielles  de  cette  réu- 
nion dans  Michel  le  Syrien,  t.  il,  p.  381-399. 

S.  V.ui.iif.. 

2.  DAMIEN  (Saint  Pierre),  cardinal-évèqued'Ostie. 
docteur  de  l'Eglise.  —  I.  Vie.  II.  Action  apostolique. 
III.  Œuvres.  IV.  Doctrine. 

I.  Vie.  —  1°  Sa  jeunesse.  —  C'est  à  ses  contemporains, 
au  disciple  qui  écrivit  sa  vie.  aux  documents  pontificaux 
de  l'époque,  surtout  à  ses  Lettres  et  à  ses  Opuscules. 
qu'il  faut  demander  des  renseignements  précis  sur  les 
principaux  événements  de  son  existence,  sur  le  rôle 
actif  qu'il  joua  dans  l'Église,  sur  sa  doctrine. 

Henschenius,  Acta  sanctorum,2'  édit..  t.  m  februa- 
rii,  p.  112-433,  le  fait  naître  en  988.  à  cause  des  allu- 
sions fréquentes  à  sa  grande  vieillesse  qu'on  trouve 
dans  ses  écrits,  à  partir  de  l'an  1060.  Mais  Baronius, 
avec  plus  de  raison,  place  la  date  de  sa  naissance  en 
11*07;  car  Pierre  Damien.  Opuscul.,  i.vu,  5,  dit  expres- 
-  ment  qu'Otto  était  mort  à  peu  près  cinq  ans  avant 
qu'il  ne  vint  lui-même  au  monde,  et  nous  savons  qu'Otto 
mourut  le  28  janvier  1002.  Il  naquit  à  Ravenne,  de  pa- 
rents pauvres,  surchargés  de  famille;  sa  mère  l'aban- 
donna tout  d'abord,  puis  le  reprit  et  mourut  quand  il 
n'était  encore  qu'enfant.  Devenu  orphelin,  il  fut  em- 
ployé par  l'un  de  ses  frères  i  des  travaux  grossiers,  no- 
tamment à  la  garde  des  pourceaux.  Mais  telle  était  son 
intelligence  qu'un  autre  de  ses  frères,  nommé  Damien, 
d'où  son  nom  de  Damiani  ou  Da»iianus.  se  chargea  de 
son  instruction  et  l'envoya  étudier  i  Faënxa,  puis  ,ï 
P. unie.  Opuscul.,  xi. n,  7.  Ses  progies  tinrent  du  pro- 
dige,  et  bientôt  il  l'ut  à  même  de  professer  à  son  tour, 
ce  qu'il  lit  avec  un  grand  succès.  La  fortune  lui  vint 
avec  la  renommée.  Mais,  suis  se  laisser  séduire  par 
l'une  on  par  l'autre,  et  craignant  de  céder  à  la  fougue 
di  -•  -  passions  ou  aux  dangers  <lu  monde,  il  entra  chez 
les  religieux  de  Fonte  Avellana,  au  diocèse  de  Gubbio, 
en  Ombrie.  ('.'et. ut   vers    1035  et  il  avait  ak 

29  ans 

9    Dans  le  cloître.  —  Devenu  moine,  il  commence 

par  Se  livrer  à  un  ascétisme  rigoureux.  Aux   ans! 
de  la  règle  bénédictine,  il  ajoute  d'autres  pratiques  de 
pénitence  volontaire,  qui  le  privèrent  pour  longtemps 
de  sommeil.  Son  ardeur  au  travail  était  sans  égale  Sou- 


41 


DAMIEN 


42 


vent,  sur  l'ordre  de  son  supérieur,  il  dut  exhorter  ses 
frères;  il  y  déploya  tant  de  zèle  et  y  réussit  si  bien 
qu'il  fut  appelé  dans  des  monastères  voisins,  où  il  exerça 
un  apostolat  apprécié.  Bientôt  (vers  1040)  supérieur  de 
Fonte  Avellana,  il  fonde  d'autres  couvents.  On  aurait  pu 
le  croire  exclusivement  occupé  à  se  sanctifier  et  à  sanc- 
tifier ses  religieux, à  restaurer  età  renforcer  la  discipline 
monastique,  tant  il  était  épris  de  l'idéal  de  la  vie  claus- 
trale, et  tant  les  désordres  et  la  décadence  des  mœurs  ré- 
clamaient une  direction  vigoureuse,  mais  ni  l'attention 
vigilante,  ni  les  soins  multiples  qu'il  ne  cessa  jamais  de 
consacrer  à  la  réforme  du  cloître  et  à  la  promotion  de 
la  vie  religieuse  n'absorbèrent  l'activité  de  son  zèle.  Il 
avait,  en  effet,  un  puissant  amour  pour  l'Église,  qu'il 
voulait  pure  et  féconde  dans  la  conduite  de  tous  ses  mi- 
nistres sans  exception,  d'un  bout  à  l'autre  de  la  hiérar- 
chie ecclésiastique. 

3°  Ses  rapports  avec  les  papes.  —  Pendant  la  pre- 
mière moitié  du  XIe  siècle,  l'Église  avait  passé  par  de 
rudes  épreuves.  Durant  plus  de  trente  ans,  les  comtes  de 
Tusculum  exploitèrent  le  siège  romain  comme  un  fief 
de  famille,  en  le  faisant  occuper  successivement  par 
les  deux  frères,  Benoit  VIII  (1012-1024)  et  Jean  XIX 
(1024-1033),  et  leur  neveu,  Benoit  IX  (1033-1048),  qui, 
pape  à  douze  ans,  déshonora  la  tiare  par  ses  déborde- 
ments. Renversé  par  une  émeute,  en  1044,  Benoît  IX 
se  voit  opposer  Sylvestre  IV  (1044-1046),  rentre  dans 
Rome  par  la  force  des  armes  et  vend,  dit-on,  le  pontifi- 
cat à  Jean  Gratien,  Grégoire  VI  (1045-1046),  sauf  ensuite 
à  faire  valoir  quand  même  ses  droits.  On  eut  ainsi  trois 
papes  à  la  fois.  Grégojre  VI  avait,  du  moins,  pour  lui, 
la  droiture  des  intentions  et  le  désir  sincère  de  remé- 
dier aux  maux  de  l'Église;  il  sut  choisir  pour  chapelain 
un  homme  de  valeur,  le  célèbre  Hildebrand,  le  futur 
Grégoire  VII. 

A  ce  moment  difficile,  Pierre  Damien  entre  en  jeu  et 
prend  contact  avec  la  papauté  qu'il  va  servir  de  toutes 
ses  forces.  Il  commence  par  féliciter  Grégoire  VI  de 
son  élévation  au  souverain  pontificat;  dans  l'espoir  de 
le  voir  combattre  et  bannir  de  l'Eglise  le  double  fléau 
de  l'incontinence  des  prêtres  et  de  la  simonie,  il  lui 
écrit  pour  lui  dénoncer  en  particulier  trois  églises 
gouvernées  par  d'indignes  prélats.  «  Par  votre  zèle 
contre  l'évéque  de  Pesaro,  dit-il,  on  jugera  de  ce  que 
l'on  doit  espérer   de    bon    pour   les    antres    églises. 

t.,  I.  VII,  epist.  i,  P.  L.,  t.  CXLIV,  col.  206.  Le 
concile  'I'  Sulri  déposa,  pour  cause  de  simonie,  Syl- 
vestre III  et  Benoît  IX.  Quanl  à  Grégoire  VI,  également 
déposé  'I  après  M|r  Duchesne,  Liber  pontificalis,  t.  il, 
p.  271,  ou  volontairement  démissionnaire  à  l'exemple 
de  saint  Grégoire  de  Nazianze,  comme  le  croit  Baronius, 
Annal.,  an.  I0'M>,  n.  3,  il  partit  pour  l'Allemagne  avec 
Hildebrand.  Son  successeur,  le  pieux  évêque  de  Bam- 
berg,  Suidger,  prit  le  nom  de  Clément  II  (Kiili -lui: 
Pierre  Damien  reçoit  mandat  de  l'empereur  Henri  III 
d'aller  à  Rome  pour  aider  le  nouveau  pape  de  ses 
conseil-,  mais  il  s'en  défend  tant  qu'il  n'aura  pas  reçu 
l'ordre  même  «lu  pape.  Dans  la  lettre  qu'il  écrit  à  ce 
sujet  à  Clément  II.  il  a  soin  de  notifier  le  désordre  qui 
dans  les  églises  de  sa  province,  grâce  au  faste 
dei  évoques,  la  plupart  chargés  de  crimes."  Travaille/., 
lui  dit-il,  ;i  relever  la  justice  qu'on  foule  aux  pieds  avec 
mépri  d  ei  dei  rigueurs  de  la  discipline  ecclésias- 
tique pour  que  les  méchants  soient  humilies  et  que  les 
humb  reprennent  ■>  l'espérance       Epitt.,  I.  I, 

epist.  m.  P.   /...  I    CXLIV,  Col. 

A  la  mort  de  Clément  II,  le  comte  de  Tuscul fait 

proclamer  Benoit  x.   Mais  ce  dernier  bb  retire  devant 

indidal  de  l'empereur,  Damase   II     1048),  qui  ne 

régna  qu  un  mois  à  peine,  el  fut  remplacé  par  lirunon 

nisheim,  évéque   de   Toul  et   parent  d'Henri  III. 

Léon  l  \     1048  1054     L<  -  ennemis  de  l'austère  réfor- 

Damien    le    dénoncèrenl    au 


nouveau  pontife.  L'ayant  appris,  Pierre  écrit  au  pape 
pour  le  prier,  avec  autant  de  fermeté  que  de  modestie, 
de  surseoir  à  toute  décision  le  concernant  avant  d'avoir 
été  entendu.  «  Je  ne  cherche  la  faveur  d'aucun  mortel; 
je  ne  crains  la  colère  de  personne;  je  n'invoque  que 
le  témoignage  de  ma  propre  conscience.  »  Epist.,  1.  I, 
epist.  iv,  ibid.,  col.  208-209.  Une  telle  franchise  ne  dut 
pas  déplaire  à  Léon  IX,  car  nous  le  voyons  se  faire  aider 
par  Pierre  Damien  dans  la  réforme  du  clergé.  C'est 
alors  que  notre  saint  composa  son  fameux  Gomor- 
rhianus,  Opuscul.,  vu,  P.  L.,  t.  cxlv,  col.  159-190,  con- 
tra quatrimodam  carnalis  contagionis  polhttionem. 
Est-ce  à  la  suite  de  cet  ouvrage,  dont  le  pape  lui  sut 
gré,  que  Léon  IX,  au  concile  de  Rome  de  1049,  pro- 
nonça des  peines  canoniques  contre  les  clercs  coupables? 
Nous  l'ignorons  et  le  pontife  lui  témoigna  même  quelque 
froideur,  à  laquelle  Damien  se  montra  très  sensible. 
Toujours  est-il  que  le  décret  se  trouve  répondre  aux  vues 
de  Pierre,  qui  le  loue  dans  son  Opuscul.,  vi,  Gratissi- 
mus,t.  cxlv,  col.  150-151. 

4°  Son  cardinalat.  —  A  Léon  IX  succède  Victor  II, 
qui  meurt  le  28  juillet  1057,  et  est  suivi  dans  la  tombe 
par  l'empereur  Henri.  L'empire  était  vacant,  on  en  pro- 
fite pour  nommer  le  cardinal  de  Lorraine,  qui  fut 
Ktienne  IX  (X)  (1057-1058).  Ce  pape,  au  nom  de  l'obéis- 
sance, impose  à  Pierre  Damien  le  titre  de  cardinal- 
évêque  d'Ostie.  Il  meurt  trop  tôt  pour  accomplir 
l'œuvre  de  la  réforme  que  ne  cesse  de  poursuivre 
Pierre  Damien;  et  sa  mort  permit  au  parti  des  comtes 
de  Tusculum  de  fomenter  un  schisme  par  la  nomina- 
tion de  Jean,  évêque  de  Velletri,  sous  le  nom  de 
Benoit  X  (1058-1059).  Mais. le  nouveau  cardinal  proteste 
aussitôt  et  traite  Benoit  X  de  simoniaque  et  d'intrus. 
Il  rejoint  à  Sienne  Hildebrand,  qui  revenait  d'une 
mission,  et  contribue  à  l'élection  de  l'évéque  de  Florence, 
Gérard  de  Bourgogne,  qui  prit  le  nom  de  Nicolas  II 
(1059-1061).  Très  vraisemblablement,  c'est  sur  les  conseils 
d'Hildebrand  et  de  Pierre  Damien  que  Nicolas  II  porta 
le  célèbre  décret  de  10.".9,  par  lequel,  pour  assurer 
désormais  l'indépendance  des  élections  pontificales,  le 
choix  du  pape  était  exclusivement  confié  au  collège 
des  cardinaux,  le  dernier  mot  devant  rester  aux  c.uili- 
naux-évéques,  l'empereur  ne  conservant  plus  que  le 
droit  de  confirmation  cl  le  peuple  celui  d'approbation. 
Cf.  Scheffer-Boichorst,  Die  Neuordnung  der  Papst- 
wahl  ditrc/t  Nicolaus  II,  Strasbourg,  1879. 

Pierre  Damien.  plus  que  jamais  décidé  à  poursuivre 
sa  campagne  contre  les  vices  de  l'époque,  écrit  à  Ni- 
colas II,  Opuscul., xvii,  Decœlibatu  sacerdotum,  /'.  L., 
t.  CXLV,  col.  379-388,  pour  qu'il  réprime  l'inconti- 
nence des  clercs  qui  scandalisait  les  fidèles  et  avilissait 
le  sacerdoce.  Dans  le  même  but,  il  s'adresse  au  cardinal 
Pierre,  à  l'évéque  de  Turin  et  à  la  duchesse  Adélaïde, 
pour  les  presser  d'arrêter  le  cours  des  débordements  <iu 
clergé  et  de  mettre  en  vigueur  le  décrel  de  Léon  IX 
contre  les  clercs  incontinents  el  leurs  concubines. 
Opuscul.,  xvni.  Avec  Anselme  de  Lucques,  le  futur 
Alexandre  II,  il  est  envoyé  à  Milan  pour  y  réglei 
affaires  ecclésiastique-  et  rend  compte  de  sa  mission  à 
Hildebrand.   devenu    archidiacre     de    l'Église   romaine. 

Ictus    Mediolani,  de    privilégia    romane     Eccle 
Opuscul.,  v.  t.  cxlv,  col.  89  98. 

.v  Projets  de  démisi  ion        Déjà  il  -Mine  ,.  renoi 
à    l'épiscopat  pour   se    retirer    dans    la     solitude    de 
Fonte   Avellana.    Epist.,   I.    I,    epist.    nu,    Dans  une 
lettre,  Opuscul.,    x\i\.   De  abdicalione  episcopatus, 
i.  i  \i>.  col    123-442,  h  té igné  qu'il  j  aurai!  renoncé 

aussitôt   .que-    la  mort  i|e  <;■  lui  qui    le   lui   avait   im] 

di   foro       il    avail   pu  obtenir  son  congé,   mais  que 

ne    I  .. \  i ni     pas    obtenu     alors    a     cause      des     troubles 

de  l'Église,    il    li     dem  nde    à    présent   que    l'Kglise 
. -i  en  paix.  Il  insiste  de  nouveau  dans  son  Apologeti 
eus  ob  dimissum  episcopatu\  U.,    ut,  art  se 


13 


1 1 A  M  I  E  N 


ii 


plaint  qu'on  l'ail  chargé  par  Burcrotl  de  la  visite  il  un 
autre  évêché.  Mais  le  pape  ne  donna  paa  suite  à  sa  de- 
mande, comprenant  qu'un  homme  comme  Pierre  Da- 
mien  était  indispensable  te,  les  cir- 

constancee  difficiles  qui  suivirent  la  mort  de  Nicolas  II. 
survenue  au  mois  de  juillet  1061,  rendirent  sa 
nécessaire.  Avec  les  partisans  de  la  réforme,  il  contribua, 
le  Ier  octobre,  à  élire  Anselme  de  Lucques,  Alexandre  il 

(1061-1073). 

51  Sa  retraite.  —  Celte  fois,  pensa-t-il.  il  aurait  gain 
île  cause  auprès  du  nouveau  pontife  et  pourrait  fuir 
le  monde  corrompu  et  le  faste  qui  entourait  les  princes 
de  l'Église  pour  se  retirer  dans  le  cloitre.  Il  est  prêt  a 
consacrer  le  nouvel  élu,  comme  son  siège  lui  en  donne 
le  privilège,  mais  il  entend  se  retireraprès  avoir  il- 
une  charge  qu'il  n'avait  nullement  sollicitée,  qu'on  lui 
avait  imposée  de  force;  il  en  a,  du  reste,  manifesté 
déjà  l'intention.  Le  pape  consent  à  sa  retraite,  sans 
toutefois  accepter  sa  démission.  Tel  n'était  pas  l'avis 
d'Hildebrand  qui,  jugeant  sa  présence  utile  à  Rome  et 
son  appui  indispensable,  aurait  voulu  qu'il  fût  retenu 
bon  gré  malgré,  au  nom  de  l'obéissance.  Cf.  Baronius, 
Annales,  an.  1061.  n.  28.  Pierre  Damien  trouva  cette 
intervention  indiscrète.  Aussi,  dans  sa  lettre  au  pape  et 
à  l'archidiacre,  traite-t-il  ce  dernier  de  «  verge  d'Assur  » 
et  de  sanctus  Salanas,  c'est-à-dire  d'adversaire  un  peu 
dur,  mais  saint.  Il  compte  bien  ne  pas  rester  oisif  dans 
sa  retraite  et  ne  se  désintéresser  en  rien  des  affaires  de 
la  réforme  et  des  intérêts  de  l'Église.  A  l'occasion,  il 
reprendra  rang  parmi  les  combattants,  acceptera  et 
remplira  avec  un  zèle  apostolique  les  missions  qu'on 
voudra  lui  confier,  soit  en  Italie,  soit  au  delà  des 
monts.  En  attendant,  pour  répondre  au  désir  du  pape, 
il  compose  la  vie  de  deux  de  ses  disciples,  véritables 
ornements  de  l'Église,  Rodolplie,  évèque  de  Gubbio,  et 
Dominique,  surnommé  le  Cuirassé.  Alexandre  11  se 
plaint  pourtant  de  la  rareté  de  sa  correspondance; 
le  saint  s'en  excuse  sur  ses  travaux  et  ses  occupations. 
Epist.,  1.  I,  epist.  XV,  col.  225  sq.  mais  il  est  heureux 
d'apprendre  qu'on  l'avait  déchargé  du  comté  d'Ostie;  pour- 
quoi ne  le  déchargerait-on  pas  aussi  de  son  évêché '.'  Que 
le  pape,  du  moins,  travaille  à  réformer  les  abus  dans  le 
concile  qu'il  allait  tenir.  En  finissant,  Pierre  Damien 
glisse  huit  vers,  qui  forment  un  précis  îles  devoirs  pon- 
tificaux dans  les  circonstances  présentes. 

G"  Il  poursuit  son  œuvre  de  réforme.  —  Pour- 
suivant dans  le  cloitre  comme  à  Rome  ses  projets  de 
réforme,  il  adresse  une  lettre  aux  cardinaux  pour  les 
exhorter  à  servir  tic  modèle,  l'épiscopat  consistant 
beaucoup  moins,  dit-il,  dans  la  magnificence  et  le  faste 
des  ornements  extérieurs  que  dans  l'exercice  de  toutes 
les  vertus.  E/iist.,  1.  II,  epist.  i,col.253sq.  De  même  il 
démontre  au  pape,  Opuscul.,  xxiv.  que,  d'après  la  ; 
et  selon  l'esprit  de  saint  Augustin,  les  chanoines  régu- 
liers ne  doivent  rien  posséder  en  propre,  mais  vivre  en 
communauté  avec  les  revenus  de  leur  église.  C'est  ce 
que  ratifia  le  concile  romain  de  1063,  par  le  canon  î. 
qni  oblige  les  chanoines  à  vivre,  comme  des  clerc-  n 
guliers,  d'une  vie  commune,  à  manger  a  la  même  table. 
à  dormir  sous  le  même  toit  et  à  s'en  tenir  aux  biens 
de  leur  église.  Alexandre  II  finit  par  accepter  -a  de- 
mission,  car.  dans  l'acte  de  la  dédicace  de  l'église  de 
Saint-Martin  des  Champs  à  Paris,  eu  1067,  >>n  trouve  la 
signature  de  Gérard,  ancien  prieur  de  Cluny,  avi 
titre  d'évéque  d'Ostie.  Cf.  Mabillon,  Annales,  1.  I.M. 
n.  10;  1.  LXXIII,  n.  7.  ,S. 

7  //  lutte  fui, tn-  Cadatoùs.  —  Dans  l'intervalle, 
Pierre  Damien  avait  pris  une  part  prépondérante 
dans  l'affaire  de  l'antipape  Cadaloûs.  Dès  la  fin  d'oc- 
tobre 1060,  c'est-à-dire  quelques1  jours  à  peine  après 
l'élection  d'Alexandre  II.  le  parti  toujours  remuant 
di's  comtes  de  Tusculum, d'accord  cette  loi-  avec  le  parti 
germanique,  s'était  prononcé  en  laveur  de  ce  Cadaloûs, 


au  mépris  «lu  décret  de  1039  sm  les  élections  pontifi- 
cales. A  tout  prix,  il  fallait  écarter  Honorins  II  et  con- 
jurer  le  schisme.  Résolument,  c'est  à  l'antipape  lui- 
même  que  s'en  prend  Pierre  Damien.  Condamné  comme 

il  l'a  été  pour  crimes,  il  ne  devrait  pas,  lui  écrit-il, 
pactiser  avec  la  faction  qui  l'a  placé  sur  le  Biège  de 
Rouie;  son  élection  est  nulle,  parce  qu'elle  a  été  lait 

•  romaine,  du  sénat,  du  clergé  et  du 
peuple,  alors  que  le  siège  était  déjà  légitimement  pour- 
vu; si  non,  gare  au  jugement  de  Dieu.  Epist  .  I.  1. 
epist.  ,\x,  /'.  /..,  t.  exi.iv,  col.  237-247.  loin  de  tenir 
compi'  di  i  treilles  remontrances,  Cadaloûs  pénètre 
dan-  Rome  i  t  s'j  maintient  par  la  force  des  arn 
Aussitôt,  nouvelle  lettre,  plus  virulente  encore  et  - 
le  moindre  ménagi  ment.  Epist.,  I.  I.  epist.  xxi,  ibid., 
col.  2V8  sq.  Pierre  compare  le  faux  Honorins  II  au 
traître  Judas  et  aux  pires  tyrans  qui  ont  persécuté 
l'Église.  A  l'archevêque  de  Ravenne,  qui  paraissait 
hésiter  entre  les  deux  papes,  il  déclare  qu'Honorine 
est  un  intrus,  que  son  élection  est  anticanonique,  qu'il 
s'est  fait  introniser  de  nuit  à  main  armée  et  qu'il 
incapable  d'interpréter  le  moindre  verset  des  psaumes. 
Epist.,  I.  111,  epist.  îv.  ibid.,  col.  291-292. 

D'autre  part,  il  importait  de  détacher  de  l'antipape  le 
parti  allemand.  C'est  pourquoi  Pierre  Damien  s'adresse 
directement  à  l'empereur  et  le  conjure  d'agir  en  pro- 
tecteur de  l'Église,  à  l'exemple  de  Constantin  contre 
Arius,  de  frapper  Cadaloïis,  seul  moyen  de  rendre  la 
paix  à  l'Eglise  et  de  s'attirer  sur  lui-même  la  protec- 
tion du  ciel,  sans  quoi  il  est  facile  de  prévoir  combien 
funestes  seront  les  conséquences.  Epist. A.  VII.  epist.  ut. 
col.  437  sq.  Si  vous  êtes  le  ministre  de  Dieu,  pourquoi 
ne  défendez-vous  pas  l'Église  de  Dieu?  lui  dit-il. 
Pour  lui,  il  se  déclare  prêt  à  tout  souffrir  pour  la 
défense  de  l'Église  romaine.  Mais  que  pouvait  faire  le 
jeune  empereur?  Car  il  n'était  encore  qu'un  enfant. 
Heureusement  il  avait  été  confié  à  la  direction  d'Annon. 
archevêque  de  Cologne,  et  celui-ci  n'avait  pas  hésité  à 
prendre  parti  en  faveur  d'Alexandre  II.  Cela  ne  suffi- 
sait pas.  il  devait  faire  prévaloir  en  Allemagne  sa  ma- 
nière de  voir,  et  c'est  ce  que  lui  demande  instamment 
Pierre  Damien.  Epist.,  I.  III,  epist.  VI,  ibid.,  col.  294- 
29ô.  Parla  même  occasion,  et  en  vue  du  concile  qu'Annon 
devait  tenir,  il  lui  fait  parvenir  sa  Disputatio  synodalis, 
Opuscul.,  iv,  P.  L..  t.  cxi.v,  col.  67-87.  qui  n'est  autre 
chose  qu'un  dialogue  imaginé  entre  un  avocat  du  roi 
et  un  défenseur  de  l'Église  romaine.  L'avocat  prétend 
que  l'élection  d'Alexandre  II  s'est  faite  sans  le  consen- 
tement du  roi,  le  défenseur  réplique  que  celle  d'Ilono- 
rius  II  s'est  faite  à  l'insu  de  Rome  et  en  faveur  d'un 
sujet  absolument  indigne.  Ce  qu'il  y  a  de  certain 
que,  dans  le  concile  réuni  par  ses  soins  au  sujet  du 
schisme,  Annon  fit  lire,  en  présence  du  jeune  Henri, 
l'opuscule  de  Pierre  Damien,  et  (pie  l'antipape  fut  con- 
damne, le  28  octobre  1062.  Cf.  Raronius,  Annales, 
an.  1062,  n  28-68.  I  D  Italie,  le  succès  lut  plus  lent  i 
venir;  ce  n'est  qu'au  concile  de  Mantoue.  tenu  en 
lob!,  d'après  Baronius,  en  1067  d'après  les  notes  de 
Theiner,  Annales,  an.  I<x>i.  n.  2-36,  note-,  n.  l-ô. 
qu'Honorius  11  fut  définitivement  réduit.  Pierre  Damien, 
prié  <le  se  rendre  à  ce  concile  en  passant  par  Rome, 
s'excuse  de  ne  pas  se  rendre  à  Rome,  mais  promet  île 
se  trouver  à  Mantoue.  Epist.,  1. 1, epist.  m, col. 285 sq. 

8°  Sa  légation  en  I  En  1063,  Pierre  Damien 

eut  deux  missions  à  remplir,  l'une  à  Florence,  l'autre 
en  France.  En  Gaule,  il  s'agissait  de  trancher  le  diffé- 
rend survenu  entre  Dragou,  évèque  de  Màcon,  et 
Hugues,  abbé  de  Cluny,  sur  la  question  de  savoir  -i 
l'abbaye  était  exempte  de  la  juridiction  épiscopale  et 
directement  dépendante  du  pape.  Pierre  Damien  le 
trancha  au  concile  de  Chàlons,  en  faveur  de  l'abbé 
contre  l'évêque.  Son  voyage  et  sa  mission  ont  i  ' 
contés  par  un  anonyme  contemporain,  qui  nous  fait 


45 


DAMIEN 


46 


connaître  certains  détails  intéressant  l'Église  de 
France.  De  gallica  profectione  Domni  Pétri  Damiani, 
P.  L.,  t.  cxlv,  col.  863-880.  On  lui  avait  fait  espérer 
que  son  office  de  légat  se  terminerait  à  la  fin  de  juillet, 
mais  son  séjour  se  prolongea  au  point  qu'il  ne  rentra 
à  Fonte  Avellana  que  le  28  octobre.  Ce  voyage,  qu'il 
appelle  «  sa  mort  »  à  cause  des  dangers  que  lui  firent 
courir  les  partisans  de  Cadaloûs,  ne  fut  pas  sans 
profit.  Il  nous  a  valu  l'éloge  mérité  des  moines  de 
Cluny  et  la  connaissance  de  certaines  pratiques  dans  la 
récitation  ou  le  cliant  de  l'office,  jugées  répréhensibles 
par  Pierre  Damien,  ainsi  qu'en  font  foi  ses  lettres  à 
l'archevêque  de  Besançon  et  à  l'abbé  Didier  du  Mont- 
Cassin. 

9°  Sa  légation  à  Florence.  —  A  Florence,  il  s'agissait 
d'apaiser  les  troubles  suscités  contre  l'évêque  Pierre, 
que  les  moines  et  leur  parti  accusaient  de  simonie.  L'ac- 
cusation parut  peu  fondée  au  cardinal  légat.  En  se  pro- 
nonçant en  faveur  de  l'évêque,  Pierre  Damien  fut  accusé 
lui-même  de  pactiser  avec  des  simoniaques  et  dut  se 
retirer  sans  avoir  réussi,  liais,  dans  sa  lettre  apologétique 
au  peuple  et  aux  moines  de  Florence,  De  sacramenlis 
prr  in iprobos administrai is, Opuscul. ,\\:< ,  /'.£., t. CXLV, 
col.  523-530,  il  affirme  qu'il  réprouve  la  simonie  et 
ajoute,  ce  qu'il  avait  déjà  nettement  enseigné  dans  son 
opuscule  Gratissimus,  que  les  sacrements  administrés 
même  par  des  indignes  sont  valides.  Cf.  Baronius. 
Annales,  an.  1063,  n.  7-23.  Écrivant  à  l'ermite  Tlieuzon, 
qu'il  regardait  comme  le  principal  instigateur  des 
troubles  Ilorentins,  il  le  trouve  bien  osé  de  se  permettre 
de  juger  les  prêtres,  les  évéques,  et  même  le  pontife 
romain.  Cf.  Baronius,  ibid.,  n.  24-28.  Theuzon  se 
soumit  ;  ([uant  aux  autres  moines,  ils  s'adressèrent 
au  pape,  et  cette  affaire  de  Florence  fut  réglée  avec 
d'autres  dans  le  concile  tenu  à  Borne.  Cf.  Baronius, 
ibiil.,  n.  31 -CI. 

10°  Sa  légation  on  Germanie.  —  En  1069,  nouvelle 
mission,  mais  cette  fois  en  Germanie,  pour  empêcher 
le  jeune  empereur  Henri  IV  de  divorcer  avec  Berthe, 
qu'il  avait  épousée  deux  ans  avant.  Pierre  Damien  y 
fut  plus  heureux  qu'à  Florence.  Dans  le  concile  de 
Mayence,  qu'il  réunit  pour  traiter  cette  grave  affaire, 
il  fit  entendre  raison  à  l'empereur. 

11»  Sa  légation  «  Ravenneet  sa  mort.  —  Moins  de 
trois  ans  après,  il  partait  pour  Ravenne,  s;i  ville  natale, 
qui  avait  été  frappée  d'excommunication  par  Alexandre  II. 
Le  grand  coupable  était  l'archevêque,  e(  il  venait 
de  mourir.  Pierre  Damien  représenta  au  pape  qu'il 
D  était  pas  juste  de  punir  toute  une  église  pour  la  faute 
d'un  seul,  Epist.,  I.  I,  epist.  XIV,  P.  I..,  t.  cxuv,  col.  22i, 
et  reçut  mandat  d'aller  réconcilier  ses  compatriotes. 
G  t  acte  de  clémence  fut  le  dernier  service  qu'il  rendit 
i  li  cause  de  l'Église;  car.  à  son  retour,  saisi  par  un 
accès  de  fièvre,  ildul  s'arrêter  à  Faenza  et  y  mourut  le 
32 février  1072,  C  étail  la  fête  de  la  chaire  de  saint  Pierre, 
remarque  son  biographe  qui  avait  été  son  disciple,  ut 
ea  videlicet  die  qua  prsescns  meruit  i»  pastorali 
Prima  tede  locari,  eadeni  Pétri  discipulum  cœleslis 
euria  in  bealam  tusi  iperet  sedem. 
On  le  voit,  quels  que  fussent  ses  défauts,  notamment 
tibilité  ombrageuse  qui  l'a  fait  quelquefois 
coinj.  Mit  Jérôme,  la  vu   de  ce  moine  austère, 

de  ce  réformateur  infatigable,  de  ce  champion  zélé 
du  siège  apostolique,  de  cel  humble  démissionnaire  des 
hautes  charges  ecclésiastiques,  méritait  bien  l'estime 
contemporains.  En  l'envoyant  en  France 
comme  légat,  Alexandre  il  disait  de  lui  :  Noua  n'en 
oonna  dont  l'autorité  soit  plus  grande,  ■ 

la  nôtn  .  dam   n  glise  romaine    H  est  notre  œil,  et  le 

fei appui  du  sii  ge  apostolique.      D  ini     on  bref  au 

bénédictin  Constantin  Cajetan,  éditeur  dea  œuvres  de 
Pierre  Damien,  Paul  V  qualifiait  noire  ^;iint  de  <iocto- 
•WH    «  public*    iliristiansc   et  apostolicœ 


seclis  nobilem  parlent.  Léon  XII  lui  a  conféré  le  titre 
du  docteur  de  l'Eglise,  par  son  décret  du  1er  octobre  1828. 
II.  Action  apostolique.  —  En  racontant  sa  vie,  nous 
avons  signalé  quelques-uns  des  actes  de  son  zèle  apos- 
tolique. Nul  plus  que  lui  ne  fut  animé  du  désir  de 
réformer  l'Eglise.  Il  en  sentait  l'urgente  nécessité  et  il 
en  connaissait  les  moyens.  Il  y  travailla  dans  la  mesure 
de  ses  forces  et  ne  cessa  jamais  d'y  convier  les  papes. 
S'il  fut  «  l'œil  »  d'Alexandre  II  et  le  «  ferme  appui  du 
siège  apostolique,  »  il  fut  aussi  l'émule  d'Ilildebrand, 
qu'il  ne  vit  pas  monter  sur  le  siège  de  Pierre.  Il  a 
droit  à  être  compté  au  nombre  de  ceux  qui,  au 
XIe  siècle,  voulurent  libérer  l'Église  de  la  double  plaie 
qui  la  rongeait  à  l'intérieur,  l'immoralité  et  la  simonie, 
et  assurer  son  indépendance  vis-à-vis  du  pouvoir  civil 
par  une  entente  harmonieuse  et  réglée. 

1°  Dans  le  cloître.  —  Homme  du  cloître,  il  est  parti- 
culièrement pénétré  de  l'esprit  de  saint  Augustin  et  de 
saint  Benoit;  il  marche  de  pair  avec  les  grands  moines 
de  son  siècle,  saint  Bomuald,  le  fondateur  de  l'ordre  des 
camaldules,  en  1012,  saint  Odilon  (f  1048)  et 
saint  Hugues  (f  1109),  abbés  de  Cluny,  Didier,  abbé  du 
Mont-Cassin,  le  futur  Victor  III  (f  1087).  Bien  n'échappe 
à  son  regard  vigilant.  Il  entend  que  les  moines  pra- 
tiquent la  pauvreté,  ne  gardent  pas  d'argent,  ne  multi- 
plient pas  leurs  sorties  et  ne  s'occupent  point  des 
affaires  du  siècle;  car  il  y  a  là  un  danger  pour  la  vertu, 
et  c'est  une  faute  pour  quiconque  a  fait  profession  de 
mépriser  le  monde.  Opuscul.,  xn,  De  conlemptu  sœculi. 
La  prière  de  nuit  avec  ses  vigiles  ou  nocturnes,  et 
celle  de  jour  avec  les  matines  ou  laudes,  prime,  tierce, 
sexte,  none,  vêpres  et  compiles,  s'imposent  à  eux.  A 
propos  du  symbole  dit  de  saint  Athanase,  qu'on  récitait 
depuis  peu,  croyait-il,  de  son  temps,  à  l'office,  il  remar- 
que que  c'est  avec  raison  qu'on  l'a  placé  à  l'heure  de 
prime,  parce  que,  la  foi  étant  le  fondement  et  la  source 
des  vertus,  il  convient  d'en  réciter  le  symbole  à  la 
première  heure  du  jour,  qui  donne  le  branle  à  toutes 
les  autres.  Opuscul.,  De  horis  canonicis.  A  la  prière, 
les  religieux  doivent  joindre  la  pratique  du  jeûne,  de  la 
mortification,  des  disciplines  corporelles,  selon  la  règle 
ordinaire;  mais,  pour  peu  qu'ils  aient  à  expier  des 
péchés  commis  dans  le  monde,  il  convient  qu'ilsajoutent 
à  l'observance  commune  des  pénitences  proportionnées. 
Opuscul.,  XIII,  De  perfeelione  nionachorum.  Ses  deux 
opuscules  xiv,  De  ordine  eremilarum,  et  XV,  De  suse 
congregalionis  iustitutis,  montrent  le  genre  de  vie 
qu'il  faisait  pratiquer  aux  religieux  de  Fonte  Avellana 
et  à  ceux  qui  dépendaient  de  sa  congrégation  :  quatre 
jours  de  jeûne  par  semaine,  depuis  l'octave  de  Pâques 
à  la  Pentecôte,  et  de  saint  Jean-Baptiste  au  5  sep- 
tembre; cinq  jours,  depuis  l'octave  de  la  Pentecôte 
jusqu'à  la  fête  de  saint  Jean-Baptiste,  et  depuis  le 
5  septembre  jusqu'à  Pâques;  deux  carêmes,  celui  de 
Noël  et  de  Pâques,  où  l'on  jeûnait  tous  les  jours,  ex- 
cepté  le  dimanche  et  certaines  fêtes;  trois  semaines 
sans  jeûne  durant  toute  l'année,  aux  octaves  de  Noël, 
de  Pâques  et  de  la  Pentecôte  ;  outre  les  heures  cano- 
niales, chant  quotidien  du  psautier  ou  d'une  partie 
pour  les  défunts;  fréquentes  disciplines;  les  autres 
exercices  rappellent  ceux  de  la  Règle  de  saint  Benoît 
et  îles  Institutions  de  Cassien,  Aux  i  rmites  de  sa  con- 

iion,  il  rei mandait  le  jeûne  du    samedi  en 

l'honneur  de  la  sépulture  de  Notre-Seigneur,  Opuscul., 
i.iv,  et  la  veille  <l<  Noël,  de  l'Epiphanie,  de  saint  Marc, 
de  i.i  Penti  tint  Jean  Baptiste,  et  «les  fêtes  de 

apôtres.  Opuscul.,   lv.    Il    était    grand    partisan  des 
fia  ellation    corporelles  surérogatoirea;  il  donna  con- 
mee  è  un  moine  de  ce  qui  se  pratiquait,  à  ce  sujet, 
n  tnona  itère,  Epist.,  1.  V,  epist,  vin,  col. 349 sq 
lettre,  devenue  publique,  excita  le  mécontentement 
laïques  et  des  •  texte  qu'un  tel   a 

était  préjudiciable   aux  péniteno     canoniques!   H   sa 


i7 


I  •  A  M  1 1  !  N 


justifia  auprès  du  clergé  de  Florence  :  il  n'a  fait  qu'at- 

qui  se  passe  chez  lui;  au  Burplus,  pratiquer 

d'autres    pénitences    que  celles    qui  sont  prescrites, 

quoi  de  plus  licite!  Sans  doute,  lui  objecta  le  moine 

brosus,  mais  a  la  condition  d'éviter  tout  I 
El  Pierre  Damieu  de  répliquer  :  •  S'il  est  permis  d 
donner  cinquante  coups  de  discipline,  comme  vous 
l'avouez,  on  peut  s'en  donner  soixante  ou  cent,  et  même 
mille,  ce  qui  est  bon  ne  pouvant  être  pousse  trop  loin.  » 
Epiât.,  I.  VI,  epist.  xxvii,  col.  415  sq.  Principe  discu- 
table :  ne  quid  nintis,  pensèrent  quelques-uns  di 
contemporains.  Quelques-uns  de  ses  religieux  pou 
rent  les  choses  à  l'excès,  allant  jusqu'à  se  liai 
chaque  jour  pendant  la  récitation  de  tout  le  psautier: 
manifestement,  c'était  une  indiscrétion,  un  abus  et 
un  danger.  Pierre  Damien  dut  y  mettre  un  terme  :  il 
ne  toléra  cette  pratique  volontaire  que  pendant  la  réci- 
tation de  quarante  psaumes  en  temps  ordinaire,  de 
soixante  en  aventet  en  carême.  Epist. ,\.Yl,  epist.  xxxiv. 
col.  433.  Au  Mont-Cassin,  les  religieux  se  donnaient  la 
discipline  les  uns  aux  autres  en  plein  chapitre.  Le 
cardinal  Etienne,  ancien  religieux  de  ce  monastère, 
trouvait  cette  pratique  indécente.  Pierre  Damien 
écrivit  pour  la  justifier  et  pria  la  communauté  de  per- 
sévérer. Opuscul.,  xi.iii.  On  ne  doit  pas  s'étonner  qu'un 
homme  aussi  austère  ait  fait  l'éloge  de  la  vie  claus- 
trale, et  qu'il  ait  félicité'  ceux  qui,  pour  ne  pas  se  perdre 
dans  le  inonde,  cherchaient  un  refuge  dans  le  cloître 
ou  y  retournaient  :  il  compare  le  Mont  Cassin  à  l'arche 
de  Noé.  Opuscul.,  i.n. 

2°  Dans  /Eglise.  —  1.  Contre  l'immoralité.  —  En 
dehors  des  monastères,  il  y  avait  le  clergé  séculier, 
mais  dans  quel  triste  état!  Pierre  Damien  a  composé- 
deux  traités,  l'un,  Opuscul.,  xxv,  pour  faire  l'éloge  du 
sacerdoce,  l'autre,  Opuscul.,  XXVI,  contre  l'ignorance 
des  prêtres.  Ce  qui  était  pire,  la  dépravation  dépassait 
encore  l'ignorance.  Combien  de  fois  Pierre  Damien 
n'a-t-il  pas  fait  allusion  à  l'incontinence  des  clercs! 
Combien  de  fois  ne  l'a-t-il  pas  tlétrie  en  termes  viru- 
lents! C'est  à  l'Écriture  surtout,  et  aussi  aux  Pères, 
qu'il  emprunte  ses  traits  enllammés  pour  dénoncer  et 
combattre  ce  vice.  11  fait  appel  aux  anciens  canons;  il 
ne  cesse  d'en  demander  de  nouveaux  pour  couper  le 
mal  dans  sa  racine.  Son  Gontorrhianus,  Opuscul.,  vu, 
/'.  L.,  t.  cxi.v,  col.  IÔ9-190,  renferme  des  passages 
d'un  réalisme  brutal  pour  peindre  des  désordres  qui 
réclament  le  fer  rouge  du  chirurgien.  Il  voudrait  que  le 
pape  se  prononçât  pour  l'exclusion  des  clercs  à  pro- 
mouvoir et  pour  la  déposition  de  ceux  qui  étaient 
promus.  On  lui  reprochera,  sans  doute,  son  rôle  de 
dénonciateur,  mais  il  fait  cette  déclaration  :  Malo 
(/nippe  cum  Joseph,  qui  accusavit  fratres  apud  patrem 
criminc  pessinw,  in cisternam  innocens  projiei,  quant 
Cum  lleli,  qui  /ilitirum  malavidit  et  tacttit,dirini  ftt- 
roris  ultione  mulctari.  Gomorrh.,  Opuscul.,  vu.  i"). 
col.  187.  Il  n'a  pas  à  être  blâmé  pour  avoir  fait,  dit-il, 
ce  que  firent  saint  Jérôme  contre  les  hérétiques, 
saint  Âmbroise  contre  les  ariens,  saint  Augustin  contre 
les  manichéens  et  les  donatistes;  car  ce  n'est  pas  l'op- 
probre de  ses  frères  qu'il  poursuit,  mais  bien  plutôt  leur 
salut. 

2.  Contre  la  simonie.  —  Un  autre  Beau,  introduit 
peu  à  peu  par  le  droit  de  patronage   et  par  l'interven- 

ii les  princes  dans  la  provision   des  évéchés,  sévis- 

sail  surtout  au  \r  siècle.  Les  princes  ne  se  faisaient 
pas  faute  de  distribuer  à  leurs  soldats  ou  à  leurs  favoris 
les  charges  el  les  dignités  ecclésiastiques,  au  besoin  ils 
le-,  vendaient  au  plus  offrant.  Aussi  étaient-ils  entourés 
de  flatteurs  el  de  quémandenrs,  et  la  simonie  régnait 
•  n  grand.  Pierre  Damien  lutta  contre  ce  Déau  avec  la 
même  énergie  qu'il  apportait  contre  la  dépravation  des 
mœurs.  Par  une  distinction  asseï  singulière  et  peu 
digne  de  clercs  sérieux,  deux  chapelains  de  Godefroi, 


duc  de  Toscane,  soutinrent  un  jour  devant  lui  qu'il  n  v 
avait  point  de  simonie  a  acheter  a  un  roi  ou  a  un  pi 
un  évéché,  parce  que  ce  n'était  point  le  sacrement  de 
Tordre  qu'on  achetait  ainsi,   ni    l'église   d'où  dépendait 
le  bénéfice,  mais  seulement  h  lient 

attachés.  Damien  dénonce  e,-Ue  erreur  à  Alexandre  II 
el  le  prie  de   la   condamner  pour  l'empêcher  de  si 
pandre.  Il  en  montre  le  mal  fondé-;  car  un  homme  ne 
peut  être  divisé  en  deux,  dont  l'un  jouisse  des 
el  I  autre  remplisse  les  fonctions  spirituelles;  il  va 
cessairement  de  soi   qu'acheter  des  biens   tempo 
dont  on  ne  peut  jouir  sans  •  cclé- 

siastique  qu'ils  requièrent  et  Bans  en  remplir  les  fonc- 
tions, c'est  acheter  aussi  cette  dignité-  et  le  sacrement. 

treil  cas,  l'ordination  ne  -aurait  passer  pour  j 
tuile,  puisqu'on  n'y  aboutit  qu'à  prix  d'argent.  Les 
décrétâtes  interdisent  un  commerce  pareil.  Ce  qu'il 
dit  des  évéchés,  Pierre  Damien  l'étend  à  toutes  s<  i 
de  bénéfices,  grands  et  petits.  En  conséquence,  qui 
pape  ne  permette  pas  qu'on  élève  au  sacerdoce  ceux 
qui  l'ont  acquis  ou  par  argent,  ou  par  des  services 
rendus  aux  princes.  Epis!.,  I.  I.  epist.  xm.  J'.  L., 
t.  cxi.iv.  col.  219-223.  Pour  Damien.  en  effet,  les  ser- 
vices rendus  aux  princes,  en  vue  de  l'obtention  de 
bénéfices,  constituent  des  actes  de  simonie.  Il  sait  qu'il 
y  a  des  personnes  qui  s'attachent  aux  princes  et  les 
suivent  partout  pour  obtenir  quelque  dignité  ecclésias- 
tique; et  il  distingue  trois  espèces  de  simonie  : 
celle  de  la  main  qui  consiste  à  donner  de  l'ar- 
gent: celle  de  l'obséquiosité,  qui  consiste  à  rendre 
des  services;  et  celle  de  la  langue,  qui  consiste  à  flatter. 
Les  personnes  en  question,  dit-il,  se  rendent  coupables 
des  trois  :  telle  est  la  doctrine  qu'il  expose  dans  sa 
lettre  aux  cardinaux.  Epist.,  I.  II.  epist.  I.  P.  L., 
t.  cxi.iv,  col.  253-259. 11  y  revient  dans  son  Opuscul..  xxn. 
Contra  clericos  aulicos,  t.  cxi.v.  col.  163  sq.  s 
cher  au  service  d'un  prince,  en  vue  de  parvenir  à  l'épis- 
copat  et  à  d'autres  bénéfices,  c'est  être  coupable  de 
simonie  comme  ceux  qui  y  parviennent,  argent  comp- 
tant; car  il  faut  se  dépenser  en  frais,  en  services,  en 
tlatteries.  Bumiliantur,  dit-il,  ut  post  ntodunt  impune 
superbiant ;  se  pedisseguos  exhibent,  ut  prtecedant. 
C'est  acheter  bien  chèrement  l'épiscopat,  observe-t-il. 
que  de  l'acquérir  ainsi  par  une  longue  servitude  et  de 
s'astreindre  au  bas  métier  de  parasite  et  de  flatteur. 
Mais  que  peuvent  bien  valoir  les  sacrements  reçus  ou 
donnés  par  des  simoniaques?  La  question  s'est  p,  s 
nous  verrons  plus  loin  comment  la  résolvait  Pierre  Da- 
mien. Voir  col.  .V2-.->.'). 

3°  Dans  le  monde  politique.  —  Par  le  couronne- 
ment de  Charlemagne  comme  empereur,  l'empereur 
axait  le  devoir  de  protéger  l'Eglise,  à  litre  de  patrice. 
non  le  droit  de  l'asservir;  les  deux  pouvoirs  restaient 
distincts.  l'Église  annonçant  la  vérité.  l'Etal  garantis- 
sant l'ordre  public,  mais  devaient  être  .  traitement  unis. 
la  subordination  de  l'Etat  à  l'Eglise,  comme  les 
deux  colonnes  de  la  société.  Sous  la  dynastie  des  Ottons. 
au  X'  siècle,  l'empire,  en  face  de  la  féodalité  italienne, 
contribua  à  sauver  la  papauté.  OttOU  I  reçut  le  privi- 
lège, d'après  lequel  le  pape  ne  pouvait- pas  être  s.icr. 
sans  l'approbation  de  l'empereur.  Ce  privilège,  reconnu 
à  Henri  III.  appartenait  aussi,  prétendait-on  à  la  cour 
germanique,  a  son  fils  lb  nri  IV.  Le  décret  de  Nicolas  11 
ne  l'avait  pas  supprimé.  Mais,  en  fait,  l'élection 
d'Alexandre  11  se  tit  -..n-  le  consentement  du  jeune 
roi  :  d'où  l'appui  donné  par  le  parti  germanique  à 
l'antipape  CadaloÛS,  puis  retiré-  après  l'intervention 
heureuse  de  Pierre  Damien  et  l'action  d'Annon, 
chevêque  de  Cologne.    Dans  sa  Disputatio  si/nodalis. 

Pierre   Damien   :  nullement  a  contester  le  droit 

de   l'empereur    dans    les  élections   pontificales,    c'est  le 

droit    île  consentement   on    d'assentiment,   pas    autre 
chose;   mais  il   marque  qu'en     fait  des    circonstances 


49 


DAMIEN 


50 


peuvent  permettre  de  passer  outre  ;'i    ce  privilège,  et 
qu'en  droit  il  n'est  pas  absolument  indispensable,  puis- 
que  la  plupart  des  papes,   dans   l'histoire    de  l'Église, 
ont  régné  sans  la  moindre  intervention   d'empereurs, 
même  chrétiens,  dans  leur  élection.   Son  idéal,   c'est 
l'existence  parallèle  des  deux  pouvoirs,  du  sacerdoce  et 
de  l'empire,  chacun  dans  sa  sphère,  mais  étroitement 
unis   dans   une  réciprocité  de  services    mutuels,  dans 
une  entente  harmonieuse   et  parfaite,  l'un  réglant  les 
affaires  temporelles,    l'autre    les    affaires   spirituelles, 
l'État  protégeant  matériellement   l'Eglise,  l'Église  pro- 
tégeant spirituellement  l'État.   Mais,  dans  cette   union 
nécessaire,  c'est  à  l'Eglise,  qui  tient  la  place  de   Dieu, 
qu'appartient  la    prééminence    :    elle  est  la   mère  des 
empereurs  et  des  rois  comme  celle  des  simples  fidèles. 
Dans  sa  lettre  à   l'évèque    de    Eermo,    Epist.,  1.  IV, 
epist.  ix,  P.  L.,  t.  cxliv,  col.  315,  où  il  refuse  de  recon- 
naître aux  ecclésiastiques  le  droit  de  venger  eux-mêmes, 
et   de  leurs  propres  mains,   les  injures  faites  à   leurs 
biens,   à  moins  qu'ils  ne  soient  seigneurs  temporels, 
et  encore    alors   doivent-ils  le  faire   par  des  moyens 
justes  et  raisonnables,  il  écrit  :   lntra  regnum  et  sa- 
ccrdotium    propria    cujusquc    dislinguunlur    officia, 
ut  et  rex  armis  utatitr  sœculi  et  sacerdos  accingalur 
gladio  spiritus,  qui  est  verbum  Dei.  11  conclut  ainsi  sa 
Disputalio    synodalis    :    Ut    summum    sacerdotium 
et  romanum  simul  confa-de>  etur  imperium,  qualenus 
et    humanum    genus,    quod    per    hos    duos    apices 
in    ulraque    substantia   regitur,   nullis,    quod    abs'tt, 
partibus    rescindatur  ;     sicque     mundi     verlices    in 
I h 'ipctuse    caritatis  unionem    concurrant...    et    qua- 
lenus   ab    uno   medialore   Dei    et    liominum,     hxc 
duo,  regnum  scilicel  et  sacerdotium,  divino  sunt  con- 
fia ta  mysterio,   ita  sublimes  islse  duae  personœ  tanta 
sibimct  invicem  unanimitate  jungantur,  ut,  quodam 
mutusc  caritatis  glulino,  et   rex  in  Romano  ponli/ice 
et  Romanus  ponlifex  inveniatur  in  rege.  P.  L.,  t.  cxi.v, 
col.  86.  La  double  dignité  de  roi  et  de  prêtre  est  unie 
en  .lésus-Christ,  elle  doit  l'être  de  même  dans  le  peuple 
chrétien;  le   sacerdoce  a   besoin  d'être  protégé  par  In 
royauté,   la  royauté   a   besoin   du   sacerdoce   pour  être 
appuyée  par  sa    sainteté';    le  roi   porte   le  glaive   pour 
frapper  les  ennemis  de  l'Église,   le    prêtre    prie   pour 
rendre    Dieu    favorable    au    roi    et   au    peuple.    K)iisl., 
I.  VII,  epist.  m.  /'.  /,.,  t.  cxi. iv,  col.  440.  Entin,  dans 
Sertn.,   i.xi\.    ibid.,   col.   897-902,    il   range  le    sacre 
des  rois  au  nombre  des  sacrements  :  «  Heureux,  dit-il, 
si  le  roi  joint  le   glaive  du   roi  à   celui   du  sacerdoce, 
pour  «pie  le  glaive    du    roi  aiguise   le  glaive   du   prêtre. 
Alors  le  royaume  prospère,   le  sacerdoce  se  dilate,  l'un 
et  l'autre  sont  honorés,  quand  ils  sont  ainsi  unis  par  le 
neur,  prœtaxala  felici  confœderatione.  »  Cet  idéal 
de  l'alliance  du  sacerdoce  et  de  l'empire,  avec  subordi- 
nation harmonieuse  de  l'Etat  a   l'Église,  nettement  en- 
trevu   et  fixé  par  Pierre   Damien,  fut  celui  du  moyen 
h  ré  tien.  A    peine   réalisé,  il    fut  battu  en   brèche 
par  les  légistes  et  le  césarisme,  le  gallicanisme  parle- 
mentaire  et  la  révolution  ;  il  n'est  plus  qu'un  souvenir 
glorieux. 

III.  Œuvres.  —   Longtemps  restées  manuscrites  et 
épai  de  Pierre  Damien  commencèrent 

ur  l'ordre  de  Clément  VIII,  parle 
bénédictin  Constantin  Cajetan,  qui  les  publia  en  partie 
en  IWi.  KKiS  cl  1615  el  \  ajouta  un  dernier  volume  en 
1640.  Une  édition  plus  complète  en  parut,  à  Venise,  en 
1743.  Cesl  celle  qu'a  reproduite  Migne,  /'.  /..,  t.  cxliv, 
joutant  le,  découvertes  du  cardinal  Mai, 
Les  œuvre«  d  l'en.-  Damien  \  sont  logiquement  dis- 
tribu  non  chronologiquement,  il  \  a  d'abord 
l.  Lettn  i,  en  huit  livres,  selon  qu  elles  sont  adn 
bux  papes,  aux  cardinaux,  aui  archevêques,  auxévéqui  i, 
aux  archiprélres,  archidiacres,  prêtres  el  clercs,  aux 
abbés  el  -"iv  moue-,  aux  princes  el  aui  prino 


différentes  personnes.  Elles  offrent  le  plus  vif  intérêt 
pour  la  vie  du  saint  et  l'histoire  de  son  époque.  Vien- 
nent ensuite  soixante  quinze  sermons,  dont  dix-neuf 
au  moins  sont  de  Nicolas,  moine  de  Clairvaux  et  secré- 
taire de  saint  Bernard,  distribués  dan-:  l'ordre  des 
mois,  t.  cxliv,  col.  505-924;  puis  la  Vie  de  saint  Odilon, 
ibid.,  col.  925-944;  la  Vie  de  saint  Maur,  évêque  de 
Césène,  ibid.,  col.  945-952;  la  Vie  de  saint  Romuald, 
ibid.,  col.  953-1008;  la  Vie  de  saint  Rodolphe  et  de 
saint  Dominique  le  Cuirassé,  ibid.,  col.  1009-1024;  les 
Actes  du  martyre  des  saintes  Flore  et  Lucille,  ibid., 
col.  1025-1032,  réputés  apocryphes  par  Baronius  et 
quelques  critiques,  mais  admis,  avec  quelques  restric- 
tions sur  le  c.  m,  par  les  bollandistes;  les  Actes  de 
saint  Jacques,  diacre,  et  de  saint  Marien,  lecteur, 
martyrs  en  Numidie,  ibid.,  col.  1032.  Dans  ces  di- 
vers écrits,  Pierre  Damien  fait  souvent  preuve  de  trop 
de  crédulité;  on  ne  saurait  suspecter,  du  moins,  ce 
qu'il  raconte  comme  témoin  oculaire.  Au  t.  cxlv,  se 
trouvent  soixante  Opuscules,  très  importants  pour  la 
plupart  au  point  de  vue  historique,  canonique  et  dog- 
matique; puis,  empruntés  au  t.  vi  de  la  Scriptorum 
veterum  collectio  nova,  du  cardinal  Mai,  le  De  gallica 
profectione  Domni  Pétri  et  cjus  ultramontano  itinere, 
V  Exposilio  canonis  missx,  les  Testimonia  Novi  Tes- 
tament), qui  sont  extraits  des  œuvres  de  Pierre  Damien, 
et  qui  font  le  pendant  à  une  autre  collection  sur  l'An- 
cien Testament,  enlin  quelques  Lettres  ou  fragments 
de  lettres.  La  fin  du  volume  contient  un  recueil 
d'Oraisons,  d'Hymnes,  de  Levons,  de  Messes,  de  Ré- 
pons,  et  de  deux-cent  vingt-cinq  poèmes,  parmi  les- 
quels le  ccxine  est  l'épitaphe  du  saint. 

IV.  Doctrine.  —  Signalons,  pour  mémoire,  l'opusc, 
vin,  De  parenlelx  gradibus,  qui  intéresse  plus  parti- 
culièrement le  droit  canonique,  sur  la  question  de 
savoir  jusqu'à  quel  degré  de  parenté  sont  interdits  les 
mariages;  son  recueil  d'oraisons  et  de  poèmes  relatifs 
à  la  liturgie;  les  extraits  qu'on  a  fait,  de  ces  œuvres,  au 
sujet  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  qui  se  rap- 
portent à  l'Écriture  sainte.  Il  avait  fait  faire  pour  ses 
moines  de  Eonte  Avellana,  licel  cursim  a<-  per  hoc  non 
exacte,  une  édition  corrigée  de  la  Bible  latine.  Opuscul., 
xiv,  /'.  L.,  t.  cxlv,  col.  334.  Les  leçons  bibliques  qu'on 
remarque  dans  ses  Œuvres  appartiennent  à  ce  que  le 
1'.  Denillc  appelait  la  recension  romaine  de  la  Vulgate, 
Die Handschriften  >/-•,  Bibel-Correctorien  desi3Ja.hr 
hunderts,  dans  Archiv  fin-  Literatur-und  Kirchen- 
geschichte  des  Mitlelalters,  Eribourg-en-Brisgau,  1888, 
t.  iv,  p.  482,  mais  que  Samuel  Berger  a  mieux  caracté- 
risé comme  étant  le  texte  italien,  ou  milanais,  de  la  Vul- 
gate, qui  tire  ses  origines  du  midi  de  la  France, et  n'est 
pas  un  bon  texte.  Histoire  de  la  Vulgate  pendant  les 
premiers  siècles  du  moyen  âge,  Paris,  1893,  p.  141-143. 
I"  .1"  point  de  vue  dogmatique,  Opuscul.,  i,  De 
fide  catholica,  P.  L.,  t.  cxlv,  col.  19-39,  traite  de  ce 
que  l'on  doit  croire  touchant  les  mystères  de  la  trinité. 
de  l'incarnation,  des  deux  natures  et  des  deux  volontés 
en  Jésus-Chrisl  et,  notamment  contre  les  Crées,  prouve 
la  procession  du  Saint-Esprit  ttb  utroque;  ce  dernier 
point,  en  particulier,  f.iil  l'objet  'le  l'opusc,  XXXVIII, 
Contra  Grsecorum  errores  de  processione  Spiritus 
Sancli,  ibid.,  col.  632-642.  Contre  les  Juifs,  Pierre  Da- 
mien démontre  que  Jésus  est  vraiment  le  Fils  d< 
Dien,  à  l'aide  de  testes  de  l'Ancien  Testament  qu'ils  ne 
pouvaient  récuser,  Opuscul.,  ti,  Antilogus  contra  Ju- 
dseos,  ibid.,  col.  41-68;  il  résout  les  difficultés  qu'ils 
pouvaient  soulever;  celle  qu'ils  tiraient  de  l'inol 
v.mce  des  rites  de  la  l"i  ancienne  par  le  n'esl 

iini    Iblej   i  'i'    si   Notre-Seigneur    les  ■>  abolis 
les  avoir  observés  lui-même,  c'est  qu'ils  n'étaient 

m I  el  qu'ils  ont  été  dûment  remplacés  par 

tngélique.  Opuscul.,  ni,  Dial 
iimi  .  col.  68-61 


51 


DAMIKX 


Pierre  Damien  est  un  témoin  de  la  foi  traditionnelle 
de  l'Eglise  en  faveur  du  purgatoire.  L  sacrifice,  la 
,  i  aumône  profitent,  <lit  il.  aux  défunte  :  telle  eat 
su  thèse.  Il  il  l'appuie  d'un  certain  nombre  de  faits 
qui  prouvent  que  les  prières  des  vivants  délivrent  les 
Ame-;  lin  purgatoire.  Il  noua  fait  connaître, à  cette  oc- 
c:i^iuii .  I  > <j * t ii i t > 1 1  pieuse  de  quelques  personn 
illustres,  d'après  laquelle  les  ."unes  îles  défunts  ne 
souffrent  point  le  dimanche  ;  aussi,  le  lundi,  célébrait- 
on  la  messe  en  l'honneur  «les  saints  anges  pour  attirer 
leur  protection  sur  les  défunts  et  sur  les  mourants. 
Opuscul.,  xxxiii,  De  bono  suffragiorum;  Opuscul., 
xxxiv,  lh>.  variis  miraculorutn  narrationibus ,  de  «p- 
paritionibus  el  miraeulis,  ibid.,  col.  567-590.  Pour  lui, 
per-onnellement,  il  tient  à  ce  que  les  survivants  prient 
pour  lui,  témoins  ces  deux  derniers  vers  de  son  épitaphe: 

Sis  memor,  oro,  mei,  cineres  pius  aspice  Pétri  : 
Cuin  prece,  cum  geinilu  die  :  Sibi  parce,  Deus. 

Très  sensible  à  la  promesse  que  lui  avaient  faite  les 
moines  de  Cluny,  en  reconnaissance  de  ses  services,  de 
célébrer  chaque  année  un  service  funèbre  au  jour 
anniversaire  de  sa  mort,  il  prie  l'abbé  Hugues  d'ordon- 
ner la  même  pratique  dans  tous  les  monastères  de  sa 
congrégation.  Epist.,  1.  VI,  epist.  Il,  P.  L.,  t.  cxliy, 
col.  372-373. 

2°  Relativement  à  la  théologie  sacramenlaive,  con- 
statons d'abord  que  Pierre  Damien  prend  le  mot  sacre- 
ment au  sens  de  mystère,  conformément  à  la  significa- 
tion étymologique  qu'en  avait  donnée  Isidore  de  Séville, 
et  qui  fut  si  funeste;  il  est  dès  lors  dans  l'impossibilité 
de  fixer   le  nombre  des  sacrements.    Il   y  en    a   trois 
principaux,  dit-il  dans   son   opuscule   Gratissimus,  9, 
le  baptême,  le  mystère  salutaire  du  corps  et  du  sang  du 
Seigneur  et  l'ordination  des  clercs.  Ailleurs,  Serin., 
i.xix,  P.  ]..,  t.  cxiiv,  col.  897  sq.,  il  en  compte  douze, 
entre  autres,  la  consécration  du  pontife,  l'onction  du 
roi,  la  dédicace  d'une  église,  le  sacrement  des  chanoines, 
des  moines,  des  ermites,  des    religieuses,  et  il  oublie 
l'eucharistie  et  l'ordre,  tout  en  énumérant,  cette  fois, 
la  confirmation,  l'onction  des   infirmes  et   le  mariage 
avec  le  baptême,  le  premier  de  tous.  Sans  avoir  traité' 
la  question  des  sacrements,  on  voit  qu'il  connaît  les 
sept  qui  méritent  exclusivement  ce  nom,  au  sens  de 
signe  efficace  de  la  grâce.  Il  parle  en  passant  du  ma- 
riage, à  propos  des  degrés  de  parenté  qui  s'opposent 
en  droit  canonique  à  sa  célébration,  et  de  la  pénitence, 
quand   il  raconte    que  l'impératrice    Agnès   lui    fit,   à 
Home,  une  confession  générale  des  péchés  qu'elle  avait 
commis   depuis  l'âge    de  cinq  ans.    Opuscul.,    i.vi,  5, 
P.  L.,  t.  CXLV,  col.  81  i.   Il  parle  un  peu  plus  de  l'eu- 
charistie, dans  trois  passages  différents  qui  ne  laissent 
aucun  doute   sur  sa  foi   à  la  présence  réelle  et  à   la 
transsubstantiation.    Comme  remède  de    la    chasteté, 
c'est  la  communion  quotidienne  qu'il   propose   à  son 
neveu.  Opuscul.,  xi.vn.  2.  De  caslitate,  ibid.,  col.  712. 
g  l.e  démon,  ennemi  de  la  pureté',  en  voyant  vos  lèvres 
teintes  du  sang  de  Jésus-Christ,  prendra  la   fuite,   lui 
dit-il,  car  ce  que  vous  recevez  sous  l'espèce  visible  du 
pain  et  du  vin,  il  sait,  qu'il  le  veuille  ou  ne  le  veuille 
pas,  que  c'est  en  vérité'  le  corps  et  lesang  du  Seigneur.  » 
l»;nis  Se, m.,   xi. v,  t.  cxi. iv,  col.  7i3,  parlant  du  corps 
de    Jésus-Christ,  engendré,  nourri    et    soigné    par  la 
Vierge  Marie,  il  affirme  que  c'est,  sans  nul  doute  pos- 
sible, ce  même  corps  que  l'on  reçoit  à  l'autel 
que  telle  est  la  foi  catholique  et  que  c'est  la  ce  qu'en- 
Beigne  fidèlement  l'Église.  Mais  c'est  surtout  dans  son 
Expositio  canonis  misses,  t.  cixv,  col.  879-893,  qu'il 
e-t    d'une    netteté    et   d'une   précision   remarquable    et 
qu'il    trouve    d'heureuses     formules,    comme    celle-ci, 

col.  882  :  Totut  in  /(//n  specte  punis,  totus  sub  singu- 
lis  partibus,  totus  m  magno,  tains  m  parvo,  totus  in 
xntegro,  totut  in  fracto. 


O  qui  mérite  une  mention  particulière  c'est  l'atti- 
tude  qu'il    prit    'lui-    l.i  question    de   l'efficacité 
sacrements,  et  ce  n'est  point  sans  mérite  ■<  l'époque  de 
désarroi  où  il  vécut.  <>uu  valaient  i  ni-  con- 

communiés  ou  des  ministres  indigni 
Pour  les   partisans  île  la    réforme,  et  le-  .unis  de  la 
papauté,  il-  étaient  jugés  invalides  ;  pour-  i< 
di  i'  réformi    an  contraire,  Us  étaient  réputés  valid 
Pierre  Damien,  qui  était  a  n'en  point  douter  un  parti- 
Ban  déterminé  de  La  réforme  et  un  grand  serviteur  de 
la  papauté,  s'en  tient  a  la  doctrine  de  saint  Augustin, 
bien  qu'elle  fut  celle  des  ennemis   de  la   ré-forme.  Il 
déclare    valides    les  ordination-    simoniaques    sur    ce 
principe  d'abord  que  le  pouvoir  d'ordre  est  un  pouvoir 
ministériel,  que  le  ministre,  qu'il  soit  bon  ou  mauvais, 
transmet  la  grâce,  car  c'est  Jésus-Christ,  source   de 
toute  grâce,  qui  consacre;  mais  il  a  tort  d'ajouter  que, 
pour    être    valide,    l'ordination    doit    être    faite    dans 
l'L'glise  catholique  par  un  ministre  qui  professe  la  foi 
orthodoxe  de  la  Trinité.  A  ses   yeux,   les  simoniaques 
ne  sont  pas  des  le  rétiques,  par  suite  leurs  ordinations 
sont  valides,  leurs  sacrements  sont  réels.  Il  ajoute  que, 
fussent-ils   hérétiques,  et    leurs  ordinations    fussent- 
elles  nulles,  on  ne  saurait  les  réitérer,  vu  que  la  !■ 
lation    canonique  interdit  aussi   bien  la   réordination 
que  la  rebaptisation.  Pour  soutenir  sa  thèse,  il  s'ap- 
puie encore  sur  le  68e  canon  des  apôtres,  qui  interdit, 
en  effet,  les  rebaptisations  et  les  réordinations;  mais 
il  omet  l'incise  :  itisi  forte  eum   ab   hxreticis    ordi- 
nation contprobaverit,  qui  ne  porte  l'interdiction  que 
dans  le  cas  où  ces  sacrements  auraient   été   conférés 
par  des  catholiques,   et  qui,  dès  lors,   contrairement  à 
son  but.  laisse  entendre  (pie  la  réitération  du  bap'e 
et  de  l'ordre,  conférés  par  des  hérétiques,  est  non  seu- 
lement permise  mais  commandée.  11  tire  un  autre  ar- 
gument du  fait  de  la  déposition  souvent  prescrite  contre 
lés  simoniaques  :  s'ils  sont  déposés,  dit-il.  c'est  qu'ils 
sont  clercs  et  non    laïques;  donc   leur  ordination  est 
réelle  et  valide.  Et  enfin,  comme  la  simonie  était  alors 
une  plaie   générale  et  invétérée,  il  conclut  que,  si   les 
ordinations  simoniaques  sont  nulles,  le  pouvoir  d'ordre 
a  presque  disparu  de  la  terre,  et  que  les  sacrements, 
administrés  de  bonne   foi   par  tant  de  prêtres  et  reli- 
gieusement reçus  par  les  fidèles,  n'étaient  que  de  purs 
simulacres.  Telle  est  la  doctrine  du  Grulissinnts. 

Au  sujet  des  réordinations,  les  meilleurs  esprits  de 
l'époque  ne  pensaient  pas  tous  comme  Pierre  Damien, 
et,  dans  la  pratique,  on  manquait  d'uniformité. 
Léon  IX  a  travaillé,  le  premier,  à  supprimer  la  simo- 
nie. Mais  quelle  conduite  tenir'.'  Les  cas  pouvaient 
différer;  il  y  avait  le  cas  où  le  consécrateur  était  simo- 
niaque,  celui  où  l'on  payait  pour  se  faire  ordonner, 
celui  aussi  où  l'on  recevait  gratuitement  l'ordination 
d'un  simoniaque.  Pierre  Damien  nous  apprend. 
Gratissimus,  que  la  question  des  réordinations  simo- 
niaques, agitée  dans  trois  conciles  à  Home,  en  loi'.'. 
1050  et  1061,  était  restée  sans  solution  et  que  Léon  1\ 
n'avait  pas  de  principe  arrêté-  à  ce  sujet.  Il  acceptait 
bien,  par  exemple,  relativement  aux  clercs  ordonne- 
gratuitement  par  des  simoniaques.  la  décision  de  son 
prédécesseur  Clément  II.  en  1047,  d'après  laquelle  de 
tels  clercs  devaient  faire  une  pénitence  de  quarante 
jours  et  être  admis  ensuite  a  l'exercice  de  leurs  ordres; 
mais  ((liant  aux  ordinations  f;ntes  a  prix  d'argent,  il  les 
regardait    le    plus  souvent   comme  nulles  et    les  a   fait 

réitérer,  comme  on  le  voit  dans  les  Actus  Mediolani, 

iic  privilégie  i  clesite,  /'.  /...  t.  <  xi  \.  col.  '.>■<. 

Envoyé,  en  effet,  à  Milan  comme  légal  par  .Nicolas  II. 
au  début  île  1059,  pour  \  reformer  le  clergé'  concubi- 
naire  et  simoniaque.  mais  sans  instructions  pratiques 
précises,  Pierre  Damien  applique  courageusemen 
propre  doctrine.  Tous  les  coupables,  l'archevêque  en 
tète,  font  amende  honorable,  reconnaissent  leur  faute 


53 


DAMIEN 


DAMODOS 


54 


el  s'engagent  par  serment  à  ne  pas  recommencer;  puis 
des  pénitences  leur  sont  imposées,  à  l'expiration 
desquelles  tous  les  clercs  eruditi  et  casti  purent 
reprendre  l'exercice  de  leur  ordre-  Reste  à  faire  rati- 
fier sa  sentence;  là  était  le  point  délicat,  car  il  n'igno- 
rait pas  qu'elle  ne  pouvait  avoir  l'agrément  général  de 
la  curie,  surtout  celui  du  cardinal  Humbert  qui,  d'un 
avis  tout  opposé  au  sien,  s'était  déjà  prononcé,  dans 
son  Adversus  shnoniacos,  pour  la  nullité  des  ordina- 
tions faites  par  des  hérétiques,  et  les  simoniaques 
étaient  des  hérétiques  à  ses  yeux,  et  aussi  celui  d'Hil- 
debrand;  aussi  s'exprime-t-il  en  ces  termes  :  Ulrum 
ego  in  réconciliations  illorum  erraverim,  nescio... 
Apostolica  lamen  sedes  haec  apud  se  retraclanda  dis- 
cxtiat  :  et  utrum  puncto  an  lima  digna  sint,  ex  au- 
ctorilatis  suée  censura  décernât.  Cf.  Baronius,  Annales, 
an.  1059,  n.  60. 

De  fait,  au  concile  de  Rome  tenu  cette  même  année 
1059,  Nicolas  II  se  montre  bien  plus  sévère  que  son 
légal  :  il  décide  la  déposition  des  simoniaci  simoniace 
ordinati  vel  ordinalores,  et  des  simoniaci  simoniace  a 
non  simoniacis  ordinali;  quant  à  ceux  qui  avaient  été 
ordonnés  gratuitement  par  dos  évèques  qu'ils  savaient 
simoniaques,  le  pape  les  admet,  par  indulgence,  à 
l'exercice  de  leurs  ordres,  mais  il  entend  qu'ils  soient 
déposés  ainsi  que  ceux  qui  les  auront  ordonnés. 
Hardouin,  Ad.  concil.,  t.  vi  a,  col.  1063;  Baronius, 
Annales,  an.  1059,  n.  33-3k  Cette  sentence  était  loin 
de  l'indulgence  préconisée  par  Pierre  Damien  dans  son 
Gratissintus  ;  en  conséquence  il  dut  ajouter  à  son 
opuscule  un  post-scriptum  pour  faire  connaître  la 
décision  nouvelle;  en  se  soumettant  humblement,  il 
conserve  l'espoir  qu'on  réviserait  un  jour  la  sentence 
pontificale.  Du  moins,  il  se  trouvait  avoir  gain  de 
cause  sur  deux  points,  puisque  les  ordres  reçus  d'un 
évéque  qu'on  ne  sait  pas  être  simoniaque  et  les  ordres 
reçus  gratuitement  d'un  simoniaque  connu  pour  tel 
étaient  acceptés. 

Quelle  idée  se  faisait-on  donc  des  ordinations  non 
acceptées  el  des  sacrements  conférés  par  des  ministres 
ainsi  rejetés?  Pierre  Damien  nous  l'apprend  dans  sa 
lettre  aux  Florentins,  qui  forme  l'opusc,  xxx,  De 
sacramenlis  per  improbos  administratis,  P.  L., 
t.  i:\i.v.  col.  523-530,  où  il  rappelle  sa  doctrine  du 
Gratissimus  sur  la  validité  des  sacrements  confères 
par  des  ministres  indignes  ainsi  que  les  décisions 
prises  par  Nicolas  II  contre  les  simoniaques.  D'après 
décisions,  quiconque  désormais  reçoit  l'ordination 
d'un  simoniaque  ne  peul  en  profiter  et  doit  déposer 
le  droit  d'administrer  tout  comme  s'il  ne  tarait  pas 
Il  pour  ce  motif,  ajoule-l-il,  maintenant  non 
seulement  nous  réprouvons  les  simoniaques,  mais 
encore  nous  méprisons  les  sacrements  conférés  par 
eux.   '  i    dire?    D'un    côté,   il    reproche   aux 

Florentins  de  refuser  les  sacrements  de  ministres 
ordonnés  par  des  simoniaques,  et,  d'autre  part,  il  les 
méprise  lui  même.  Dans  le  premier  cas,  il  s'agit  des 
simoniaques  ordonnés  avant  le  décret  de  Nicolas;  dans 
le  second,  des  simoniaques  ordonnés  après  ce  même 
décret.  Ce  faisant,  il  se  conforme  à  la  décision  récente 
du  pape  Nicolas,  mais  il  n'abandonne  pas  pour  autant 
son  principe  de  la  validité  des  sacrements  quelle  que 
Mil  la  dignité  morale  de  celui  qui  les  confère.  Sur  ce 
dernier  point,  cf.  Saltet,  /.'-.s  réordinations,  Paris. 
1907,  p.  173-204. 

i  ''.    /...    I.  I  m.iv-cxiv; 

du    saini,    t.   'Ai  iv,    col.   118-18  Ij    Bai 

tanct.,  i.  ni  februarll, 
d  Achery,  ■-.  i.  vu,  pr»f,  ;  CeilUer, 

il'  '  Pari      1868,  t.  mu,  i 

884;  Mal,  Scriptorum  veterum  nova  cottectio,  t.  vi;  Grandi, 

ilihi- 

letiêi,  (Jims  MêDi$$ert.  camald.,  1707,  t.  IV,  p.  1-1.!-  .  I.  "lerclii, 


Vita  S.  Pétri  Damiani,  3  in-4%  Rome,  1702;  Miserocchi,  Vita 
di  S.  Pier  Damiano,  Venise,  1728;  Mittarelli  et  Cortadoni, 
Annales  camaldulenses,  Venise,  1756,  t.  n;  Vogel,  Peter 
Darnianus  (ein  Vortrag),  Iéna,  185G;  Capecelatro,  Storia 
di  S.  Pier  Damiano  e  del  suo  tempo,  Florence,  1862;  Felir, 
Petrus  Damiani,  Vienne,  1868;  Neukircb,  Das  Leben  der 
P.  Damiani,  Gœttingue,  1875;  Wambera,  Der  ht.  Petrus  Da- 
mitmi...  sein  Leben  und  Wirken,  Breslau,  1875;  Guerrier,  De 
Petro  Damiano,  Orléans,  1881  ;  Kleinermann,  Der  kl.  Petrus  Da- 
miani, Steyl,  1882;  Rotli,  Der  M.  P.  Damiani,  dans  Studien  und 
Mitlheil.  aus  dem  Benedictiner  und  dem  Cistercienser-Orden, 
Wurzbourg,  1886;  Brunn,  1887,  t.  vu,  vin;  Fetzer,  Vorunter- 
suchungen  zu  einer  Geschichte  des  Pontificats  Alexanders  II, 
Strasbourg,  1887,  p.  37-71;  Pfiilf,  Damiani  Zwift  mit  Hilde- 
brand,  dans  Stimmen  aus  Maria-Laach,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1891,  t.  xli  ;  Langen,  Geschichte  der  rômischen  Kirche 
von  Nikolaus  I  bis  Gregor  VII,  Bonn,  1892;  Lauzoni,  S.  Pier 
Damiano  e  Faenza,  Faenza,  1898;  Fioglietti,  S.  Petro  Damia- 
no, Turin,  1899;  dom  Biron,  S.  Pierre  Damien,  Paris,  1908. 
Pour  la  bibliographie  :  Brunet,  Manuel,  t.  n,  p.  481;  U.  Che- 
valier, Répertoire.  Bio-bibliographie,  2"  édit.,  t.  il,  col.  3708- 
3710;  Kirchenlexikon,  t.  ix,  col.  1908;  Bealencyclopiidie, 
t.  iv,  p.  431-432. 

G.  Bareille. 
DAMILAS  ou  DAMYLAS  Nil,  polémiste  grec  qu'il 
ne  faut  pas  confondre  avec  Nil,  métropolitain  de  Rhodes, 
comme  l'a  fait  Oudin,  Comment,  de  scriplor.  eccles., 
t.  m,  p.  1137.  Notre  Nil  appartenait  à  la  famille  Cretoise 
dont  un  membre,  Démétrius,  devait  en  1 176  publier  à 
Milan  le  premier  livre  grec,  la  Grammaire  de  Lascaris. 
Moine  et  confesseur  au  monastère  des  Carcasina  ou  Car- 
basia  à  Hierapetra,  il  fonda  à  Baeonaea  un  couvent  de 
femmes  pour  lequel  il  rédigea  un  lypicon  (règle),  resté 
inédit  dans  le  Cod.  Paris.  1295,  fol.  108.  Son  testament, 
daté  du  22  avril  1417,  a  été  publié  par  E.  Legrand, 
Revue  des  études  grecques,  t.  iv,  p.  178-181,  et  par 
Sp.  P.  Lambros,  Byzanlinische  Zeilsclirift,  t.  iv,  p.  585- 
587,  d'après  le  Cod.  Barocc.  59, fol. 226  v°.  Enfin  l'évéque 
Arsène, mort  auxiliairede  Novgorod, a  édité,  avec  traduc- 
tion russe,  un  traité  de  Nil  Damilas  sur  la  procession  du 
Saint-Esprit,  composé  en  réponse  à  une  lettre  au  moine 
Maxime,  Grec  converti  au  catholicisme.  Nila  Damili... 
olvèt  grekolalinjaninu  monalm  Maksimu,  Novgorod, 
1895.  L'édition  a  été  faite  d'après  le  Cod.  Mosq.,  biblioth. 
synod.  201 ',  sans  tenir  compte  des  Cod.  Paris.  1286, 
fol.  212,  et  1295,  fol.  60  v°,  qui  contiennent  aussi  cet 
ouvrage.  Elle  a  été  reproduite  telle  quelle  dans  'ExxXr,- 
<jia<rrtxT|  'AX-rjOeta,  Constanlinople,  1895,  t.  XV,  p.  382  sq. 
A.  C.  Demctrakopoulos,  'Op8d8o|oî  'EXXiç,  p.  88,  dans 
sa  notice  sur  Nil  Damilas,  l'ait  à  tort  des  différentes 
parties  du  traité  autant  d'ouvrages  différents. 

S.   PÉTRIDl  s. 
DAMNATION.  Voir  Dam,  col.  6-25. 

DAMODOS  Vincent,  philosophe  et  théologien  grec 
du  XVIII'  siècle.  Né  à  Khavriata  dans  l'Ile  de  Céphalonie. 
vers  1679,  il  fut  élevé  au  Elanginion  de  Venise  et  prit 
son  doctorat  en  droit  à  Padoue.  Il  revint  dans  son  pays 
comme  avocat,  mais  bientôt,  dégoûté  du  métier,  il 
ouvrit  dans  son  village  natal  une  école  qui  jouit  d'une 
grande  réputation;  parmi  ses  disciples  une  tradition 
range  le  fameux  Eugène  Boulgaris.  Damodos  est  le  pre- 
mier Grec  qui  enseigna  les  théories  de  la  philosophie 
moderne;  de  plus,  il  se  servit  du  grec  moderne  comme 
langui'  d'enseignement.  Il  mourut  eu  1752.  Me  trois 
ouvrages  imprimés  après  sa  mort,   nu  seul    nous   inté- 

'I'.-itou.o; /'j'/'.y.T,  /.%-'  'ApioTOTéXr,v, Venise,  1759; 

li  u\  autres  sont  des  traités  de   rhétorique,    On 

signale  en  manuscrit  une  logique  plus  développée,  une 

métaphysique  el  une  physiologie,  surtout  un  traité  de 

théologie  intitulé  :  Qtln  nol  \iy'x  BiBamaAfa  r,tot  ■ 

x  Cel  ouvrage  est  conservé  dans 
1 1  bibliothèque  de  i  qui  d-  \  tenue  ;  il  com- 

|,i-  mi  cinq  volumes    d  aprê    le  titre,  composéen  1730, 
approuvé  pai  i  a  idi    di  I  onstantinople,  il  fut 

i  Di  ne  trius  Chrysanthopoulos  pour  être  lmpri« 


.... 


DAMODOS    -    DANIEL   (LIVRE    DE 


56 


tné;  j'ignore  pourquoi  ce  projel  n'eul  paa    de    Miitr. 
Nous  devons  noter  que  Damodos  traite  avec  détail  les 
questions  controversées   entre  les  deui  Eglises,    pri- 
mauté <lu   pape,  procession   du   Saint-Esprit,  ai 
purgatoire,  épiclèse 

A.  Ifazarak.      D  .<>•.>  Ki.»nr.'»;' 

184     i       .:::.;.  Sathas,  p.  '1G8. 

\...  Demetrakopoulos,  'n:..,..$..:..;  'Etta«, p.  178. 

S.   PÉTRIDÊS. 

DANDINI  Jérôme,  né  à  Césène  (Italie)  en  1564, 
entra  dans  la  Compagnie  de  Jésus  en  1569  ;  enseigna  la 
philosophie  à  Paris,  la  théologie  à  Padoue  et  remplit 
diverses  charges  importantes  dans  son  ordre.  En  1Ô96, 
le  pape  Clément  VIII  l'envoya  dans  le  Liban,  chargé' 
d'une  mission  auprès  du  patriarche  et  de  la  nation  des 
Maronites.  Par  les  soins  de  Dandini,  deux  synodes 
furent  réunis,  ou  les  évêques  et  les  principaux  prêtres 
maronites,  présidés  par  leur  patriarche,  renouvelèrent 
la  profession  de  foi  catholique,  corrigèrent  plusieurs 
ahus  et  prirent  de  sages  mesures  pour  la  discipline  de 
leurs  .-lises.  Rentré  à  Rome  en  Iô97,  le  P.  Jérôme 
Dandini  mourut  à  Forli  le  '29  novemhre  163i.  Une 
relation  de  son  voyage  en  Orient  a  été  publiée  par  son 
neveu  Hercule  Dandini,  et  dédiée  au  pape  Alexandre  VII: 
Missione  apostolicaal  palriarca  e  Maronili  (Ici  Monte 
Libano  del  P.  Geronimo  Dandini,  da  Cesena,  délia 
Compagnia  di  Gcsù,  e  suo  pellegrinazione  a  Geru- 
salemme,  in-4'\  Cesena,  1656.  Cette  relation  a  été  tra- 
duite en  français  par  Richard  Simon  sous  ce  titre,  qui 
résume  le  contenu  de  l'ouvrage  :  Voyage  du  Mont 
Liban,  traduit  de  l'italien  du  R.  P.  Jérôme  Dandini, 
nonce  ence  pays-là.  Où  il  est  traité  tant  de  la  créance 
et  des  coutumes  des  Maronites,  que  de  plusieurs  parti- 
cularitez  touchant  les  Turcs,  et  de  quelques  lieux  consi- 
dérables de  l'Orient,  avec  des  remarques  sur  la  théologie 
des  chrétiens  du  Levant  et  sur  celle  des  Mahomélans, 
in-12,  Paris,  167Ô.  168L  1685.  Il  en  a  été  fait  aussi  des 
traductions  anglaises,  et  une  allemande,  partielle. 
Précédemment  avait  paru  de  Dandini  :  1°  De  corpore 
animalo  lib.  VU.  Luculenlus  in  Aristotelis  très  de 
anima  libros  commenlarius  peripateticus ,  in-fol., 
Paris,  1611;  2°  Ethica  sacra,  hoc  est  de  virtutibus  et 
vitiis  libri  quinquaginta.  Quibus  ex  sacrarum  Littera- 
rum  et  veterum  Palrum  sententia  hominum  forrnan- 
tur  mores,  religionis  non  pauca  slabiliuntur  dogmata, 
pluresque  anliquitale  con/irmanlur  Ecclesise  ri  tus, 
in-fol.,  Césène,  1651;  Anvers,  1676.  Ce  dernier  ouvrage 
est  un  fruit  de  la  vieillesse  de  l'auteur. 

De  Hacker  et  Sommervogel,  Bibl.  de  la  C"  de  Jésus,  t.  u, 
col.  1789-1791;  I.  Jouvancy,  Historim  Societatis  lesu  pars  quinXa, 
tomus  posterior,  in-fol.,  Home,  1710,  p.  428-430. 

JûS.    1ÎRI  i 

1.  DANIEL,  prophète  hébreu.  Ou  étudiera  successi- 
vement :  1°  les  questions  critiques  relatives  au  livre 
de  ce  prophète;  2°  spécialement  la  prophétie  des 
6oixante-dix  semaines. 

I.  DANIEL  (LIVRE  DE).  Bible  hébraïque  :  Daniel, 
e  9r  des  Kefoûbim  t  écrits  »  ou  e  hagiographes 
Grecque  :  A  ANIMA,  le  1'  et  dernier  des  grands  pro- 
phètes (Héliton  de  Sanles  et  (  (libelle  le  plaeaient  a\anl 
Ezéchiel).  Latine  :  Prophelia  Danielis.  Saint  Jérôme, 
Prologus  (/airains,  .t  les  bibles  latines  .lu  type  espa- 
gnol et  théoduliieii  le  séparaient  des  prophètes  et  l'in- 
tercalaient entre  les  écrits  salomoniens  et  les  Chro- 
niques. Dans  presque  tous  les  autres  mss.  latins,  il 
reprend  sa  place  dans  I  <n-do  prophetatwn.  s.  Bergi  i . 
//  toire  de  la  Vulgate,  l'ari-,  1893,  p.  390-339.  — 
t  reste  et  versions.  (I. Canonicité.  III.  Mode  de  com- 
position. IV.  Interprétation.  V.  Caractère  littéraire. 
VI.  Caractère  historique,  vil.  Auteur,  vin.  Enseigne- 
ments doctrinaux.  IX.  Commentateurs. 

I.  Texte  m  versions.  —  a  tbxtb.  —  Dans  la  Bible 


hébraïque,  le  livn   de  Daniel  écrit  pour  une 

partie.  [-U,    i  a,    et  vin-xii.   eu     hébreu,    et   pour    une 
autre   partie.  II.    I  h-\li.  en  araméen    chald«'-»-ii  bibliq 

celle-ci  introduite  par  la  glose  probable  'ardmif, 
araméen,  «  Pour  expliquer  cette  dualité  dialectale,  plu- 
sieurs  hypothèses  ont  été  mises  en  avant,  mais  aucune 
ne  pent   passer   pour  tout  a  fait  satisfaisante;   les  voir 
exposées  et  critiquées  dans  Preiswerk,  Der  S 
wechsel  im    Bûche  Daniel,  Berne,  1903,  p.  ii-U.  117- 
120.  —  L'hébreu  de  Daniel  est  celui  des  temps  p 
rieurs  à  Xéhémie.  Tout  en  se  rattachant  par  quelque- 
traits  à  l'hébreu  d'Ézéchiel,  il  se  rapproche  beaucoup 
plusdecelui  des  Chroniques  .  iv-nr  siècles  .Par sa  facilité 
à  s'incorporer  de>  mots  étrangi  i  -    persans  et  arami 
adonnera  ses  vocables  une  forme  aramaisante.    à  en 
changer  l'acception;   par  l'usa-.'   courant   qu'il  fait  de 
certaines  locutions  et  constructions  extrêmement  i 
avant  ou  immédiatement  après  l'exil,  mais  communes 
dans  les  écrits  juifs  de  tr.  ..que;  par  sa  syntaxe 

lourde  et  dénuée  de  grâce;  par  son  style  laborieux  et 
inélégant,  il  marque  une  étape  bien  caractérisée  de 
l'idiome  Israélite  évoluant  vers  la  langue  de  la  Michna 
et  du  Talmud.  Quant  à  l'araméen.  c'est  un  dialecte 
occidental  palestinien  qui  n'était  assurément  point 
pari.'  à  liabylone  au  v«  siècle  avant  Jésus-Christ.  1 
apparenté  étroitement  à  l'araméen  des  inscriptions 
palmyréniennes  et  nabatéennes  du  iii<  siècle  avant 
Jésus-Christ,  comme  à  celui  des  parties  les  plus  anciennes 
des  targums  d'Onkélos  et  de  Jonathan.  Lui  aussi  con- 
tient des  mots  étrangers,  persans  et  grecs.  —  P.  Riessler. 
Die  Ursprache  îles  Huches  Daniel,  dans  Biblische 
Zeitschrift,  1905,  t.  m.  p.  1 40-1  tô,  a  cru  trouver  dans 
le  livre  de  Daniel  des  indices  d'un  écrit  fondamental 
babylonien  cunéiforme.  Sous  le  même  titre  et  dans  la 
même  revue,  19U6,  t.  rv,  p.  217-354,  M.  Streck  a  montré 
,que  si  le  livre  de  Daniel  ne  dérivait  pas  d'une  source 
babylonienne,  son  auteuravait  au  inoins  subi  l'inlluence 
de  la  langue  et  de  la  syntaxe  babyloniennes. 

Bevan,  A  sliort  commentary  ou  the  Book  of  Daniel,  Cam- 
bridge, 1892,  p.  26- i2;  Belirmann.  bas  Bach  Daniel,  Gœttingue. 
1894,  p.  i-x:  Preiswerk.  Der  Spracltentvechsel  im  Bûche  Da- 
niel, Berne,  1903,  p.  M  .tl-113:  thèses  curieuses  de 
(l.  Jalin,  DasBuch  Daniel,  I.  ..  p.iv-vu(th.  n.  in.  vu. 
yuii;  Driver,  Introduction  to  the  literature  of  the  OUI  1 
ment,  Edimbourg,  1897,  . 

Le  texte  original  du  livre  de  Daniel  est  quelque  peu 
llottant  dans  les  mss.,  surtout  pour  la  partie  araméenne. 
On  en  a  tenté,  a  la  lin  du  dernier  siècle,  plusieurs 
éditions  critiques  et  explicatif 

1*  Éditions  du  livre  dans  s,,  total!  S.  B  .  Libri  Danielis. 
Etrm  et  Xeliemi.v.  Leipzig,  lss-J.  p.  1-21  (prmfatio  de  Kranz 
Delitzscli  :  explica  ir  Friedrich  Délit 

(a  Mass  re    |     62-89;   \    Kamphaosen.   The  />'.. 
Daniel  in  Hebretr,  Leipzig.   IC  :ne  de 

P,  ll.uipt,  The tacred Book»  of  the  OUI  Testa  eu  en 

noir;  araméen  en  rougi 

Ltbri  Danielis,  Etrm  et  Nehemim,  Leipzig,  1906,  ..  part,  et  dans 
Bibtta  hebraica,  ..lit.  IL  Kittel.  Leip  •■■    p.   1160- 

1184,  apparat  critique  au  bas  des  pages. 

j  Éditions  spéciales  de  la  partie  araméenne  II.  1..  Strack, 
Abrité  des  Biblischen    Aramaisch,   I 

(ôdit.,    1897,     1901,    1906,     sous    le   titre    de   Gramtnatik...); 
K.    Marti,  GrammaUk  der   Biblisch-Arami 
Leipzig,  1896,  p.  17  -i"'.    M.  Gaater  b   découvert  dan-  1. 

Dlque  ni. .mi- 
le texte  araméen  du  cantique  d<  s  tr  la  enfants  dana  la  fournaise 

et  .le   l'histoire  de   Bel.  qui  lui  pari  I    I    traduit  par 

lité  dans  II 

ty    of   Biblieal  arehm  i'--ui: 

(cf.  p.  380  290);  1895,  t-  \\  u,  ■  ■  - 

nicles  of  .Icrahmeel.  Londres,  1899,  p.  CTV. 

11.    VERSIONS.  —   I     Versions   immédiates).  —    1. 
tion  de»  Septante.  —  Le  texte  hébreu  araméen  du  li\re 
de  Daniel,  ou,  selon  (..  Jalin,  Dus  Buch  Daniel  nach 


57 


DANIEL    (LIVRE    DE; 


58 


der  Sepluaginta  hergestellt,  Leipzig,  1904,  p.  v, 
thèse  iv,  et  P.  Riessler,  Das  Buch  Daniel,  Vienne,  1902, 
p.  vu,  un  texte  tout  hébreu  de  ce  livre,  a,  déjà  glosé, 
été  traduit  en  grec  vers  l'an  100  avant  Jésus-Christ. 
C'est  la  version  dite  des  LXX  ou  alexandrine.  Cette  ver- 
sion contenait  les  trois  péricopes  deutérocanoniques  : 
prière  d'Azarias  et  cantique  des  trois  jeunes  gens,  tu, 
24-90;  histoire  de  Susanne,  prologue  du  livre  (Vulg., 
Vil);  Bel,  le  dragon,  conclusion  (Vulg.,  xiv),  que  le  tra- 
ducteur aurait,  selon  Bludau,  Die  alexandrinische  Uber- 
setzung  des  Bûches  Daniel,  Fribourg-en-Brisgau,  1897, 
p.  218,  empruntées  à  une  précédente  version  grecque  des 
morceaux  ui-vi  et  xm-xiv,  issue  elle-même  d'un  original 
sémitique  réduit  à  ces  six  chapitres.  Nombre  de  critiques, 
protestants  et  catholiques,  avaient  nié  l'existence  d'un 
texte  hébreu  ou  araméen  pour  ces  parties  deutérocano- 
niques et  conclu  à  un  original  grec.  Bludau,  op.  cit., 
p.  157  sq.,  182  sq.,  201  sq.  Après  avoir  été  d'un  usage 
courant  dans  les  lectures  des  Églises  jusque  vers  le 
ine  siècle,  Bludau,  De  alexandrinse  inlerpretalionis 
libri  Danielis  indole  crilica  et  hermeneulica,  Munster, 
1891,  p.  12-20,  la  version  alexandrine  de  Daniel  y  fut 
peu  à  peu  supplantée  par  celle  de  Théodotion,  dont  il 
sera  parlé  plus  loin.  Saint  Jérôme  attribuait  cet  ostra- 
cisme dont  elle  fut  frappée  à  une  trop  grande  infidélité 
vis-à-vis  du  texte  original.  Prol.  in  Dan.;  Comment. 
in  Dan.,  iv,  6,  /'.  L.,  t.  xxv,  col.  493,  514.  Il  est 
beaucoup  plus  probable  que  le  texte  nouveau  de 
Théodotion  fut  préféré  à  celui  des  LXX  parce  qu'il 
comportait  une  interprétation  plus  nettement  messia- 
nique de  la  prophétie  des  semaines  dans  ix,  24-27. 
Bludau,  I)r  alexandrinse  interprétât.,  p.  33  sq.;  Die 
ale.r.  l'bersetzung,  p.  24.  La  version  alexandrine  dis- 
parut des  mss.  des  LXX  et  ne  fut  plus  retrouvée  qu'au 
XVIIIe  siècle  dans  un  ms.  cursif  du  xi«,  le  codex 
Chisiamis,  de  la  bibliothèque  du  cardinal  Chigi,  à 
Rome,  par  J.Rianchini.  Léon  Allatius  (f  1669)  l'avait 
déjà  signalée  un  siècle  auparavant. 

Kditions  :  Simon  de  Magistris,  Rome,  1772,  d'après  une  copie 

de  Vincent  de  Regibus;  J.  D.  Michaelis,  Gœttingue,  -1773-1774; 

egaar,  Utrecht,  1775;  Holmes-Parsons,  dans    Vêtus   Test. 

grxce,  Oxford,  1818,  t.  iv;  2-  édit.,  1848;  A.  Mai  (Vercellone), 

dans  Vet.  et  Nov.  Test,   e.r  antiq.  cod.  Vaticano,  Rome,  1838 

(1858),  t.  IV  ;  H.  A.  Hahn,  Leipzig,  1845;  Tischendorf,  dans  Vet. 

>  /.  \  K Interprètes, 2*  édit.,  Leipzig,  1864,  t. VI ; 

en  1860,  1869,  1875,  L880,  1687,  t.  vit  ;  Dracta,  1868,  P.  G.,  t.  xvi, 

[.;  O.  F.  Fritzech  i  parties  deutérocanoniques),  dans 

Ubri  apocryphi  Vet.  Test.,  Leipzig,  1871,  p.  79-91  ;  Jos.  I 

(la  meilleure),  dans  Sacror.  Blbtior.  vetustissitna  fragmenta 

et  lai.,    Rome,   1877.   part.    III;  d'après   cette  dernière. 

il    B.  Swete,    The  Old  l     tament   in   Greek,  1887-1894,  t.  m. 

If  sq. 

2.  Version  de  Théodotion.  -  Vers  l'an  I5<)  de  notre 
ère,  Théodotion  revisa  sur  le  texte  hébreu-araméen  du 
ii  Biècle  la  version  alexandrine  elle-même  du  livre  de 
Daniel,  ou,  selon  lilurl.ni.  lin- nier.  Ùbersetzung,'p.'2.\- 
23;  et  Tùbinger  tlieologisi  he  Quartalschrift,  1897, 
p.  1-26;  cf.  pourtant  Julius,  Die  griechischen  Daniel- 
■■■.  I  ribourg-en-Brisg  m,  1901,  p.  27,  note  2,  une 
autre  version  grecque  un  peu  moins  ancienne  que 
celle-là.  Son  texte  est  encore  le  texte  grec  de  Daniel 
officiellement  reçu. 

Toutl  ns  des  I. XX  depuis  la  Polyglotte  d'Alcala  (1514- 

,   l  édition  I,  et  celle  de 

il  le  Daniel  de  Théi  dotlon  parallèlement  à  celui  de 

'Il  HIC. 

I  raton*.  —  Aquila  el  Symmaque  traduis! 

rent  au    i   li    Daniel   hébreu-araméen,  mais  appât 
menl  :        roi  moniques.  Il  ne  noua 

de  leur  version   que  quelques  fragmenta,  l  ield, 
Origenx     Hexapla  que  t,  Oxford,   1875,  t.  H, 

Non  plu-  que  ceux  d'I  idraa  et  de  Néhé- 
mie.  le  livre  de  Daniel  n'eut  fort  (probablement  pa 


targum.  Voir  pourtant  Loisy,  Histoire  critique  du  texte 
el  des  versions  de  l'A.  T.,  Paris,  1892,  1893,  p.  202.  — 
Au  IIe  siècle,  les  Églises  syriennes  lurent  Daniel  dans  la 
Peschito,  mais  sans  les  trois  péricopes.  Kaulen  Einlei- 
tung  in  die  heiligen  Schriften,  Eribourg-en-Briscau 
1898,  ^  139.  —  Enfin,  «  plusieurs  années  »  avant  407 ! 
saint  Jérôme  «  traduisit  Daniel  »  en  latin  sur  l'hébreu  et 
l'araméen  pour  la  partie  protocanonique;  sur  Théodo- 
tion, pour  le  reste.  Comment,  in  Dan.,  prolo»  P  L 
1.  xxv,  col.  492-493. 

Pour  le  caractère  et  la  valeur  de  ces  versions  immédiates  dans 
leur  rapport  avec  le  texte  original,  voir,  pour  la  version  alexan 
drine,  Knabenbauer,  Commentarius  in  Danielem  prophetam' 
Paris,  1891,  p.  45  sq.  ;  Bevan,  A  short  comm.  on  (he  Book  o'f 
Dan.,  Cambridge,  1892,  p.  43  sq.;  P.  Riessler,  Das  Buch  Da- 
niel, textkrilische  Untersuchung,  Vienne,  1899  ;  G.  Jahn,  Das 
Buch  Daniel,  Leipzig,  1904,  p.  vu  sq.  Pour  l'ensemble  :  G.  Behr- 
mann,  Das  Buch  Daniel,  Gœttingue,  .1894,  p.  xxix-xxxvn  ■ 
K.  Marti,  Das  Buch  Daniel,  Tubingue  et  Leipzig,  1901,  p. xvui- 
xix  :  Preisweik,  Der  Sprachemvechsel  im  Bûche  Daniel 'Berne 
1903,  p.  68-77,88-91,  113-115. 

2°  Versions  dérivées.  —  1.  Anciennes  latines.  —  Dès 
le  commencement  du  me  siècle  de  notre  ère,  il  y  aurait 
eu  en  cours  deux  versions  latines  du  livre' de  Daniel, 
exécutées,  l'une  sur  le  grec  de  l'alexandrine,  l'autre  sur 
celui  de  Théodotion,  Bludau,  Die  alex.  Ûberselzung, 
p.  17-20;  ou  tout  au  moins  usait-on,  en  Afrique,  vers  le' 
milieu  de  ce  même  siècle,  d'une  antique  version  latine 
au  texte  mêlé  de  leçons  se  référant  à  l'une  ou  à  l'autre 
des  deux  versions  grecques.  Julius,  Die  griechischen 
Danielzusâtze,  p.  45  sq.;  Bludau,  De  alex.  interpret., 
p.  30  sq.  ;  Die  alex.  Ùbersetzung,  p.  20.  Cette  «  afri- 
caine »  aurait  différé  beaucoup,  pour  Daniel,  de  l'«  ita- 
lique »  proprement  dite  -  celle-ci  «  milanaise  »  et 
dérivée  de  Théodotion.  Julius,  op.  cit.,  p.  46. 

Textes  dans  Sabatier,  Bibliorum  sacrorum  lalinx  versiones 
antiqux,  Paris,  1751,  t.  il,  p.  860-887;  Ranke,  Fragmenta  ver- 
sionis  sacr.  Script,  latirwr  ante-hieronijmianœ.  Vienne,  1868, 
t.  il,  p.  113-115  ;  Paar  Palimpsest,  Wurzbourg  et  Vienne,  1871 
p.  126-143,  374-401,  etc. 

2.  Syro-hexaplaire.  —  L'an  617,  Paul,  évêque  mono- 
physite  de  Telia,  traduisit  en  langue  syriaque  (écriture 
estranghélo)  le  Daniel  alexandrin  des  Tétraples  d'Ori- 
gène.  La  version  est  littérale,  esclave  du  texte  grec  dont 
elle  traduit  même  les  particules.  A  ce  titre,  elle  est 
d'une  importance  capitale  pour  la  critique  du  texte 
alexandrin.  C.  Bugati  la  découvrit  dans  un  ms.  du 
vnr  siècle  de  la  bibliothèque  ambrosienne,  à  Milan,  et 
la  publia  avec  une  traduction  latine. 

r      lingati,  Daniel  secundum  editionetn  LXX   interpretum 
traplis  desumptam,  Milan,  itsn;  réédition  en  photolitho- 
graphie par  A,  m.  Ceriani,  Codex  syro-hexaplaris  Ambrosia- 
nus,  Milan,  187 1,  dans Monumenta sacra  et  profana  bibliothecte 
ambrosiance,  part.  vil. 

3.  Autres  versions.  —  Arabe,  Walton,  Polyglotte, 
Londres,  1657,  t.  vi  (affinités  avec  la  version  alexan- 
drine, X*  siècle);  arménienne,  par  S.  Mesrob,  V*  siècle, 
sur  Théodotion  :  édit.  Oscan  d'Erivan,  Amsterdam,  1666, 
et  J.  Zôhrab,  Venise,  1789  et  1805.  t.  m;  coptes  :  la 
sahidique  (thébaine),  nr  siècle,  sur  Théodotion; 
mentsdans  \.  Ciasca, Sacrorum  Bibliorum  fragmenta 

copto-sahidica  Museei   Borgiani,  Ro ,  t.  il,  1889,   et 

dans  Maspero,  Afe'nii  la  mission  archéologique 

frtni  aire,  Paris,  t.  vi.  1892;  la  memphitique 

bohairique),  m* siècle,  sur  Théodotion,  édit,  J.  Bardelli, 
Daniel  ■    /■'■   •■■■  mphitice,  Piae,  1840;  II.  Tattam,  dans 
Prophètes  majores  in  dialec,  ling.  segyp,  memphitica 
1  ford,  1852,  t.  i  ;  éthiopienne,  iv-v  siècle, 
sur  Théodotion,   non  publii  ■  i  n in-,  vt 

édit  Moscou,    1743;  alavonm  te,   édit.    Kie> , 

t.   IV. 
II.  CxM'Nir.m  .    —    \.  PROTOCANOMQCl     (hélnvit-ara- 


59 


DANIEL     LIVRE    DE 


60 


méen).  lu  commencement  du  n  siècle  avant  notre 
ère,  l'auteur  de  1  Ecclésiastique  ne  connaissait  fort  pro- 
bablement pas  encore  le  livre  «1  <-  Daniel,  car  il  ne  i  ite 
point  ce  nom  parmi  ceui  des  prophètes,  grands  et 
petits,  dont  il  fait  l'éloge,  u.vm-xi.ix.  Le  petit-fils  de 
.  fil  de  Sirach,  le  compta  peut-être  au  nombre  des 
litres  livres  »,  Eccli.,  prologue,  qui,  au  plus  tét  vers 
l'époque  de  Judas  Machabée  (160  avant  Jésus-Christ), 
formèrent  la  troisiè collection  de  livrea  sacrés  con- 
nue dans  la  Bible  hébraïque  sous  le  nom  de  Kefoûbim, 
i  hagiographes.  Depuis  son  entrée  dans  ce  recueil,  le 
Daniel  hébreu-araméen  n'a  été,  dans  les  deux  traditions 
juive  et  chrétienne,  l'objet  d'aucun  doute  relativement 
à  sa  canonicité.  Indépendamment,  les vi  i  cques 

des  LXX  et  de  Théodotion  exécutées  pour  être  lues 
officiellement  dans  la  Synagogue  ou  dans  l'assemblée 
des  fidèles,  attestent  la  vogue  et  le  caractère  sacré  du 
livre. 

I»  Dès  avant  notre  ère  :  I  Mach.,  i,  54  (Dan.,  IX,  27; 
xi,  31;  xii,  11);  n,  59  (Dan.,  i,  G;  m,  17),  60(Da.n.,  vi, 
22);  les  apocryphes,  Hénoch,  xi.vi,  I  bis  (Dan.,  vu,  13); 
xl,  1  ;  lx.  2 (Dan.,  vu,  10),  etc..  voir  Behrmann,  op. rit., 
p.  xxxvii-xxxvmi;  Livres  sybillins,  111,397  (Dan.,  vu, 
7,  20)  ;  Assomption  de  Moïse,  vi,  1  (Dan.,  xi,  21). 

2°  Aux  temps  apostoliques  :  les  Évangiles,  Malth., 
xxiv,  15;  Marc.  XIII,  li  (Dan.,  ix,  27,  ou  xi,  31;  XII, 
11),  etc.;  Joa.,  m,  14  (Dan.,  vu,  13);  les  Actes,  vu,  56 
(Dan.,  vu,  13);  les  Epilres,  I  Cor.,  VI,  2  (Dan.,  vu,  22); 
II  Thés.,  h,  3  sq.  (Dan.,  xi,  36)  ;  Heb.,  xi,  33  (Dan.,  vi, 
22);  l'Apocalypse,  i,  13-15  (Dan.,  vu,  13;  x,  5-9),  etc. 
Voir  Rludau,  Die  alex.  Ûbersetzung,  p.  13-15.  Josèphe, 
Ant.  jud.,  X,  xi,  7  :  Daniel  est  l'un  des  grands 
(prophètes);  Coût.  Apion.,  x,  4;  échos  du  livre  dans 
les  écrits  de  Josèphe,  voir  Rludau,  op.  cit.,  p.  12;  De 
alex.  interpret.,  p.  15  sq.  ;  les  apocryphes,  Test,  des 
douze  patriarches, Ruben,  1  (Dan.,  x,2.3);Lévi,5  (Dan., 
xu,  1),  15  (Dan.,  ix,  27);  IV  Fsd.,  M,  1  (Dan.,  îv.  2  ; 
xin,  2-4  (Dan.,  vu,  13);  XI,  1-12,  51  (Dan.,  vu);  Apoca- 
lypse de  Baruch,  xxviu,  1  ;  xxxu,  3  sq.  (Dan.,  ix,  25- 
27). 

3°  Dans  la  tradition  ecclésiastique,  les  Pères  apos- 
toliques, Barnabe,  iv.  5  (Dan.,  vu,  7,  8);  iv.  i  Dan., 
vu.  24);  xvi,  6  (Dan.,  ix,  25,  26),  Funk,  Paires  aposto- 
lici,  2«  édit.,  Tubingue,  1901,  t.  I,  p.  46,  86;  S.  Clément 
Romain,  Ad  Cor.,  xlv,6  (Dan.,  vi.  16),  7  (Dan.,  ni.  24 
Funk,  ibid.,  p.  158;  Hermas,  Vis.,  I,  I,  3  (Dan.,  ix,  20); 
IV,  n,  4  (Dan.,  vi,  22),  Funk.  ibid.,  p.  416,  162.  Les 
apologistes  du  ir  siècle,  S.  Justin,  Dial.  cum  Tryph., 
31  (Dan.,  vu);  /  Apol.,  u  (Dan.,  vu,  13)  P.  G.,  t.  vi, 
col.  540,  404;  S.  Irénée,  Cotlt.  Iiser.,  v,  25,  4  (Dan.,  ix, 
24-27),  P.  (',.,  t.  vu,  col.  1191.  Pères  et  autres  écrivains 
grecs  et  latins  du  IIP  au  vir  siècle;  les  listes,  de  carac- 
tère privé  ou  officiel,  des  livres  reçus  dans  le  canon 
juif  ou  chrétien  mentionnent  toutes,  jusqu'à  celle  du 
concile  de  Trente,  le  Daniel  hébreu-araméen. 

//.   DBUTÉROCAKOKIQUBS  [PériCOpes).  —  1"  Canonicité 

che:  les  Juifs  et  les  chrétiens  jusqu'au  i\  siècle.  — 
Rien  que  des  exemplaires  isolés  du  Daniel  hébreu- 
araméen  aient  pu  contenir  dans  l'un  ou  l'autre  dialecte 
les  péricopes  d'Azarias  et  du  cantique,  de  Susanne,  de 
Rel  et  du  dragon,  il  parait  bien  que  ces  morceaux  ne 
tirent  pas,  originairement,  partie  intégrante  du  Daniel 
ualestinien  officiel  et  canonique.  Julius,  Die  griechis- 
chen  Danielzusâtze,  p.  i-15.  et  bibliographie.  Cepen- 
dant, les  Juifs  hellénistes  d'Alexandrie  les  tinrent  pour 
sacrés,  témoin  la  version  alexandrine  qui  les  contint. 
et  111  Mach..  vi.  6  (Dan.,  m,  16-50);  <  t  tandis  que  Jo- 
sèphe, grec  de  langage  et  de  culture,  mais  pharisien  de 
cœur,  Aquii.i  et  Symmaque  excluaient  ces  péricopes,  le 

premier  du  canon   proprement  dit,   Cont.  Apion.,  I,  8, 

les  autres  de  leur  version,  la  première  antiquité  chré- 
tienne les  accueillait  au  contraire,  soit  dans  l'alexan- 
drine,  soit   dans  le  texte  de   Théodotion.  avec  la  même 


i .  .  i  les  mettait  au  même  rang  que  le  reste  du 
livre. 

1    En  Occident, S.  Clément  Romain.  Ad  Cor.,  i.ix, 
3   Dan.,  m,  5i  .  Funk,  ibid.,  p.  17*..  >.   D   ■ 
iv,  5,  -.   Daniel  prophela  [xiv,   3,  ~i'< 
a  Daniele prophela  voce*    un,  20,  52,56),  /'.  >/'.,  t.  vu, 
col.  984,  1192.  Saint  Hippolyte,  dans  *uri  commentaire 
sur  Daniel,  édit.  Bonwetsch,  Leipzig,  1897,  p.  94 
il.  i.'.   13,  tient  les  trois  péricopes  pour-  Fcritu: 
l    sainte  ...  «  divine  ■  :   n.  28,  I.  /,  ■:■!..•     Dan.,  U 
II,  31,4,  <;.:  <|  -;:-ï;',  /:••:■•    l 'an. .  m.  i'.'   .  I.  29,   I, 
(Dan.,  un,  52);  i,  30.  1,  xo  «(ivov  -.<:,.  '-, 
ax6ua  -.<»■,  -y,-rt-.;„.  at  en  Dan.,  un,  38; 

i,3l,  3,  r,  Oefa  ypofT]  [Dan.,  xui,  54,  58     !•  rtullii  ■ 
"rat.,   xxix  ipriére   d'Azarias  .    Adv.    Herntog.,    xuv 
(cantique);  De  coron,  milit.,  n    Susani  lolol., 

mu;  De  jejim.,  vu,  lx  (Bel,  le  dragon  .  P.  L.,  t.  i, 
col.  1195;  t. n,  col.  236,  81  ;  t.  i, col.  688;  t.  u,  col.  963, 
'.Xii.  Saint  Cyprien,  Ad  Quirin.,  m,  20.  cite  comme 
partie  intégrante  du  livre  canonique,  in  Daniele,  Dan., 
m,  37-42;  xni.  l-.'i.  I  .  xxxi,  Scriplura  divina 

(Dan.,  ni.  25  Bq.  :  De  dôm.  oratione,  vin,  déclarât 
Scripturœ  divines  fidet  'Dan.,  m.  51  sq.  ;  Epist.,  i.vi, 
5  Dan.,  ni.  16-18:  Ad  Fortun.,  xi.  Daniel  Sancto  Spi- 
ritu  plenuê  Dan.,  xiv,  i  .  P.  L.,  t.  iv.  col.  748-7  ;:•.  MO, 
52i,  353,  607. 

2.  En  Orient.  —  a)  Egypte.  —  Clément  d'Alexandrie, 
Strom.,  i,  xxi  (Dan.,  xiv.  22,  33,  i"  .  Eclog.,i,  ai 
ypaipori  Dan.,  m,  58-60),  Èicdfei  Aivir,/  Dan.,  ni.  61. 
90  sq.  :  n,  i  A»»))  >:-£■.  Dan.,  ni.  54),  P.  G.,  t.  \m. 
col.  852;  t.  ix,  col.  697,  700  Orif  tt.ad  Africain., 

/'.  '-'.,  t.  ix.  col.  48  sq.,  défend  contre  les  objections  de 
son  ami  palestinien,  Jules  Africain,  le  caractère  pro- 
phétique (£•/  -.},;  xpofirreta;  ro3  AavtT))  et  scripturaire 
(mtXatâ  AiaOr.xr,)  des  histoires  de  Susanne,  de  Bel.  du 
,  dragon;  In  Joa.,  tom.  xm.  59  Dan..  XIII,  VI'.  \x.  E 
8  Aavir,)  priai  .Dan.,  xm.  56),  P.  G.,  t.  xiv.  col.  517. 
584;  De  orat.,  xiv.  âv  rû  Aavtr,)  Dan.,  ni.  i">  .  /*.  (,'.. 
t.  xi,  col.  461;  Exhort.  ad  martyr.,  xxmii  (Bel, 
dragon),  ibid.,  col.  604-605,  Ammonius  d'Alexandrie 
commenta  les  trois  péricopes  avec  le  reste  du  livre. 
/'.  (-'..  t.  i.x  xxv.  col.  1363-1370  Susanne),  1372  sq. 
(prière  d'Azarias  et  cantique).  Les  versions  sahidique 
et  memphitique  les  contenaient.  Fragments  de  la  pre- 
mière dans  Maspero.  Mémoires,  p.  266.  267,  269,  et 
Ciasca,  Sacror.  Biblior.  fragni.,  p.  360.  La  traduction 
copte  de  l'Apocalypse  d' FI  ie.  ix.  fait  allusion  aux  hisl 
de  Susanne,  des  trois  jeunes  ^ens.  G.  Steindorff,  Die 
Apokalypse  des  Elias,  dans  Texte  und  l'nters.,  t.  xvn. 
fasc.  3  a,  Leipzig,  1899,  p.  48-49.  —  b)  Asie.  —  Docteurs 
et  martyrs  évoquent  volontiers  l'exemple  de  Susanne  : 
Didascalie,  dans  Bunsen,  Analecla  anieniesena,  I 
dres,  1874,  t.  n,  p.  271.  Martyre  de  saint  Pionius,  dans 
Ruinart,  Acta  martyrum,  Ratisbonne,  1858,  p.  193. 
Pseudo-Clément.  De  virginitate,  n,  xui  (Susanne), 
Punk,  t.  u,  p.  23.  Méthodius  d'Olympe  tou  de  T\r  . 
Symposium,  logos  xi.  2  [Dan.,  xili,  23  .  P.  G  .  t.  xvin. 
col.  212. 

3.  Monuments  îles  Catacombes  romaines.  —  Cime- 
tière de  l'riseille.  chapelle  grecque  :  fresques  de  Su- 
sanne    tentée    (Dan.,     Xiu.     19),    accusée     et     m 

(Dan.,  uii,  34,  63  ;  des  trois  jeunes  gens    Dan.,  ni. 

26,  93).  Cimetière  de  C.illiste.  sur  un  arcosolium.  ju- 
gement des  vieillards  D.m..  Mil.  52  sq.).  Voir  t.  I, 
COl.   2005. 

Les  seuls  doutes  sérieux  élevés  durant  cette  première 
période  sur  l'inspiration  et  la  canonicité  des  parties 
deutérocanoniques  du  Daniel  île  la  Bible  grecque  ou 
latine  furent  ceux  de  .Iules  Africain,  dans  Epitt.  ad 
Africain,,  doutes  isoles  i  t. restes  sans  écho  dans  le  con- 
sensus unanime  de  la  tradition.  Si  Méliton  de  Sardes, 
dans  si  liste  des  livres  de  l'Ancien  Testament  » 
(lettre  à  Onésime),  dans  Eusèbe,  //.  E  .  w.  26,  /'.  »... 


61 


DANIEL    (LIVRE    DE: 


62 


t.  xx,  col.  397,  a  omis  tous  les  tleutérocanoniques;  c'est 
qu'il  a  emprunté  cette  liste  aux  Juifs  de  Palestine,  les- 
quels lui  ont  fourni  celle  du  Talmud,  Baba  bathra,  15  a. 
Si,  de  l'origine  à  la  lin  du  iv«  siècle, la  Peschito  ne  con- 
tint pas  Dan.,  ni,  51-90  (Polychronius,  dans  Mai,  Scrip- 
toruni  veterum  nova  colleclio,  Rome,  1825-1831,  t.  I  c, 
p.  4)  et  probablement  non  plus  les  autres  fragments, 
c'est  que  l'Ancien  Testament  ne  vint  d'abord  aux 
Églises  syriennes  que  par  l'intermédiaire  de  la  Sy- 
nagogue attachée,  en  Asie,  au  seul  canon  hébreu.  Si 
Origèue  et,  à  sa  suite,  «  Eusèbe,  Apollinaire,  d'autres 
auteurs  ecclésiastiques  et  docteurs  de  la  Grèce  »  sont 
allégués  par  saint  Jérôme,  In  Dan.,  prolog.,  P.  L., 
t.  xxv,  col.  493,  comme  fauteurs  de  la  non-canonicité 
de  ces  fragments,  il  faut  observer  que  le  grand  docteur 
n'a  bien  compris  ni  Eusèbe,  ni  Apollinaire,  ni  les  «au- 
teurs et  docteurs  »,  qui,  tous,  acceptèrent  en  réalité, 
leurs  écrits  en  font  foi,  les  parties  deutérocanoniques 
des  livres  telles  que  les  leur  offrait  la  Bible  grecque,  et 
qu'il  prêta  à  l'auteur  des  Stromates,  ouvrage  mainte- 
nant perdu,  quelques-unes  de  ses  idées  toutes  person- 
nelles sur  la  question.  Julius,  op.  cit.,  p.  36,  52  sq., 
73  sq. 

2  Canonicité  aux  iv  et  v  siècles:.  —  A  celte  époque, 
tous  les  Pères  grecs  reçoivent  comme  canoniques  les 
fragments  de  Daniel;  ils  les  citent  couramment  dans 
leurs  écrits;  les  listes  qu'ils  dressent  des  livres  sacrés 
les  mentionnent  implicitement  sous  la  rubrique  Aavtr,X. 
titre  de  la  version  grecque  qui  les  contint  depuis  l'ori- 
gine :  S.  Athanase,  Epist.  féal.,  xxxix,  5,  P.  G.,  t.xxvi, 
col.  1176,  1436;  S.  Cyrille  de  Jérusalem,  Cal.,  iv,  33, 
35,  36.  /'.  '.'.,  t.  xxxiii,  col.  '«96  sq.;  S.  Épiphane,  De 
pond,  et  mens.,  xxn,  xxm,  P.  G.,  t.  xi.iii,  col.  277;  et 
Ihrr.,  vin.  (i.  /'.  G.,  t.  xli,  col.  413;  S.  Grégoire  de 
Nazianze,  Carmen  de  gen.  libror.  inspir.  Scriptural, 
I,  12,  P.  G.,  t.  xxxvn,  col.  '(72  sq.  :  listes  qu'il  fautjuger 
d'après  la  pratique  des  ouvrages  de  ces  Pères. Voir.lulius, 
p.  66-93.  Les  auteurs  syriens,  Aphraate,  saint  Éphrem, 
Cyrillonas,  connaissent  ces  péricopes  et  les  utilisent  au 
même  titre  que  tout  passage  de  la  Peschito  officiellement 
canonique.  VoirJulius,  p.  94-98.  Dans  l'Église  armé- 
nienne qui.  au  v«  siècle,  possède  dans  sa  liible  les  trois 
péricopes  daniéliques,  le  littérateur  Mesrop,  l'évêque  de 
revand  l./nick,  le  catholicos  Jean  Mantaguni  en 
attestent  aussi  le  caractère  sacré.  Voir  Julius,  p.  100-105. 
Par  ses  écrivains,  les  décrets  de  ses  conciles,  par 
quelques  reliques  de  l'art  qu'inspira  sa  doctrine, 
Il  glise  latine  d'Italie,  de  Gaule,  d'Espagne  et  d'Afrique 
accorde  à  ces  morceaux  le  crédit  d'Ecriture  inspirée. 
Voir  Julius,  p.   105-1  î~>. 

Duranl  ces  deux  siècles,  les  seules  voix  discordantes 
fuient  ci'lles  de  Polychronius.  évéque  d'Apamée  et 
frère  de  Théodore  de  Mopsueste,  et  de  saint  Jérôme;  et 
encore  les  doutes  du  premier  n'eurent-ils  pour  objet 
que  Dan.,  m,  21-90,  voir  Julius,  p.  84,  el  le  second  ne 
Commença-t-il  àse  poser  en  adversaire  des  trois  péri- 
copes que  vers  l'an  390,  après  avoir  subi,  relativement 
à  la  canonicité  îles  livres,  l'influence  des  rabbins,  ses 
maîtres  en  hébreu.  Unis  ],.  Prologus  galeatus  el  le 
Prologue  au  Comment,  in  Dan.,  sainl  Jérôme  range 
implicitement  ces  fragments  o  parmi  les  apocryphes», 
et  après  les  avoir  a  marqués  d'un  obèle  »  comme 
'ni  pas  dans  l  hébr<  u  .  affirme  qu'ils  ne  pré- 
nt  nullement  l'autorité  d'Écriture  sainte.  Mais 
quoi  qu  il  puisse  écrire  ainsi  de  ces  morceaux,  le  soli- 
de Bethléhem  ne  peut  éviter  de  les  citer,  dans  ses 
ouvrages  contemporains  du  Prologu»  galeatus, presque 
sur  le  même  rang  que  les  passage  d  Écriture,  lai 
puissante  autour  de  lui  la  tradition  qu'il  confirme'  de  la 
sorte  indirectement.  Voir.lulius,  p.  118,  el  t.  u,  col.  1578. 
Canonù  ité  d  partir  du  i  /  tù  cle  jusqu'à  nos  jour». 

\   partir  du  vr  siècle,  Is   Canonicité  dei  parles  deu- 
térocanoniques du  livre  de  Daniel,  nettement  el  fer 


ment  affirmée  au  cours  des  siècles  précédents,  continue 
à  être  admise  et  appliquée  jusqu'au  concile  de  Trente 
et  jusqu'à  nos  jours  dans  l'Eglise  chrétienne  et  catho- 
lique. On  n'ignore  pas  cependant,  durant  cette  longue 
période,  les  objections  de  saint  Jérôme  ;  mais  les  au- 
teurs qui  les  ont  reproduites,  le  moine  breton  du  De 
mirabilibus  Scriptural  sacrée,  P.  L.,  t.  xxxv,  col.  2191, 
2192;  Rupert  de  Deutz,  De  div.  of/iciis,  iv,  16;  v,  5, 
P.  L.,  t.  clxx,  col.  110  sq.,  126;  Hugues  de  Saint- 
Victor,  Erud.  didasc,  iv,  8,  P.  L.,t.  ci-xxvi,  col.  783; 
Pierre  le  Mangeur,  Hist.  sc/iolastica,  ['.  L.,  t.  cxcvm, 
col.  1447,  1450,  1466;  Albert  le  Grand,  Opéra,  Lyon, 
1651,  t.  vin,  p.  69  ;  Nicolas  de  Lyre,  Postulai  perpétua:, 
Rome,  1471,  1472;  Denys  le  Chartreux,  Enarratio  in 
Dan.,  a.  14,  Montreuil,  1900,  t.  x,  p.  165;  .1.  L.  Vives  di 
Valence,  édit.  du  De  civilate  Dei  de  saint  Augustin,  152/, 
xvin,  31;  J.  Driedoens,  De  ecclesiast.  Scripturis,  Lou- 
vain,  1550,  1.  I,  4;  Cajetan  (Thomas  de  Vio),  Commen- 
tarii,  préface,  Esther,  x,  ou  n'en  ont  pas  saisi  la  portée, 
ou  ont  cherché  à  les  expliquer  dans  un  sens  favorable, 
suivant  dans  la  pratique  le  courant  auquel  obéit  le 
saint  docteur  lui-même;  ou  enfin,  si  quelques-uns 
d'entre  eux,  comme  le  moine  breton,  Nicolas  de  Lyre, 
Vives  de  Valence  et  Cajetan,  les  adoptent  d'une  façon 
plus  ou  moins  catégorique,  n'ont  exercé  autour  d'eux 
aucune  influence  marquée  ou  décisive.  Voir  Julius, 
p.  149,  160-163,  166,  168,  172-174. 

III.  Mode  de  composition.  —  L'antiquité  n'a  pas 
élevé  le  moindre  doute  sur  l'unité  de  composition  du 
Daniel  hébreu-araméen.  Spinoza,  le  premier,  distingua 
dans  ce  livre  deux  mains  différentes,  l'une  dans  lesc.i-vn, 
l'autre  dans  viii-xii.  Traclalus  /nsloricopolilicus,\,  19, 
édit.  Haag,  1882,  t.  i,  p.  508.  Newton  tint  le  livre  entier 
pour  «  une  collection  d'écrils  d'époques  diverses  »  (i, 
ii— i  il ,  îv,  v-vi,  vii-xii).  Observations  upon  thepropliecics 
of  Dan.  and  the  Apok.  of  St.  John,  Londres,  1732,  p.  10. 
Selon  Deausobre,  Rentarques  sur  leNouveau  Testament, 
La  Haye,  1712,  p.  70,  les  c.  i-vi  sont  des  «  histoires  que 
les  Juifs  postérieurs  ont  jointes  aux  prophéties  >>  de  vn- 
xn.  liertholdt,  Daniel,  1806,  t.  I,  p.  49-81,  rapporte  le 
tout  à  neuf  sources  différentes  (i,  u,  m,  1-30;  ni,  31- 
iv,  34;  v-vi,  vu,  vm,  ix,  x-xn).  Eichhorn, Einleitung 
in  das  A.  T.,  1821.  t.  IV,  p.  515;  Meinhold,  Die  Kom- 
posit.des  Bûches  Daniel,  1884;  Beitrâge  tur  Erklârung 
des  Bûches  Daniel,  1885,  i;  Das  Buch  Daniel,  1889; 
Strack,  Handbuch  der  theolog.  Wissenschaft,  1885, 
t.  i,  p.  173,  font  composer  d'abord  ii-vi,  puis  vn-xn;  i 
s'est  ensuite  adjoint  à  la  réunion  de  ces  deux  parties 
en  manière  d'introduction.  Les  raisons  alléguées  sont 
celles-ci  :  la  dualité  de  langue  (Spinoza,  Newton);  le 
changement  de  personne  dans  le  récit  (Deausobre, 
3»  personne  dans  i-vi  ;  l«  personne  dans  vii-xii);  les 
antinomies  entre  i,  21,  el  x.  I  ;  i,  1,  et  il,  1  ;  v  et  il,  plus 
des  divergences  d'éloculion  et  de  style  (Bertholdt). 
Néanmoins  la  critique,  indépendante  ou  catholique,  l'ail 
face  à  ces  difficultés  et  maintient  encore  l'unité  de 
composition  du  livre;  elle  dit  celui-ci  œuvre  d'un  seul 
jet,  «  hâtive  »  même,  et  d'un  seul  auteur  :  aussi  bien 
l'araméen  de  la  première  partie  déborde-l-il  sur  la  se- 
conde (vil);  le  Changement  de  personne  ne  saurait 
prouver  absolument  ;  les  antinomies  reçoivent  une  so- 
lution dans  les  commentaires;  des  similitudes  nom- 
breuses et  frappantes  d'éloculion  et  de  Style  balancent 
les  divergences.  Au  surplus,  l'unité  de  la  composition 
éclate  par  elle-même.  Chacune  des  parties  principales, 
i-vn  et  viii-xii,  forme  bien  à  part  soi  un  tout  logique  : 
suite  historique,  suite  prophétique  ;  mais  elles  se  com- 
plètent aussi  l'une  l'autre,  car  tout  le  livre  se  développe 
d'après  un  plan  lies  apparent  el  un  :  annoncer,  prépa- 
rer   le  royaume    messianique,   supputer   l'heure    de    sa 

venue,  (..il.-  annonce  se  fait  aux  païens  un  c nu    QUI 

enfants  d'Abraham  (vu  su);  pour  la  bien  accueillir,  les 

premiers  doivent  reconnaître  par  des  preuves  sensibles 


I  )  A  \  I 


LIVRE    DE 


64 


la  toute-puissance  du  vrai  Dieu,  «lu  I »ieu  du  royaume, 
qui  sauve  les  Biens  et  disposi  i  des 

empires      t,    m-vi).    Pais,    l<     royaume    messianique 
annoncé,  le  tout-puissant  reconnu  de  tous,  Dieu  révèle 
après  quelle  Buitë  d'événements  religieux  et  politiques 
sa   réalisera  ledit    royaume  (n   et   vii-xn).   Du    i 
chacune  des  visions  ou   prophéties  pro  ir   la 

précédente  en  plus  grande  clarté.  A  peine  la  critique 
signale-t-elle  comme  pièces  rapportées  les  passages,  i, 
20-21  (glose  renchérissante  ;  ix,  5-19  (interpolation  que   ' 
trahissent 5 et  20);  x 1 1 .  1 1-1-2  gloses  successives  voulant 
expliquer  7  et  9). 

sur  l'unité  de  composition  voir  Hebbelynck,  De  auctorltate 
historien  Ithri  Danielis.  Louvain.  1887,  p.  8-23;  Knabenbauer. 
Comment,  in  Demie,,,  prophetam,  Paris,  1891,  p.  17-20; 
A.  F.  G  ail,  Die  Einheitlichkeit  des  Bûches  Daniel,  Giessen, 
1895. 

Cependant,  l'unité  d'esprit,  de  plan,  de  composition, 
même  de  style,  n'exclut  pas  nécessairement  la  pluralité 
des  sources,  l'existence  de  documents  antérieurs  utili- 
sés ou  incorporés  dans  la  trame  générale  de  son  récit 
par  le  définitif  et  véritable  auteur  du  livre.  Assuré- 
ment, une  dissection  du  livre  de  Daniel  comme  celle 
de  Bertholdt  enlève  quelque  signification  à  chacun  des 
morceaux,  surtout  à  chaque  vision  isolée;  mais  un 
classement  des  sources  qui  partirait  des  conclusions  de 
Rludau  et  de  Julius,  lesquelles  mettent  en  un  relief 
accusé  les  c.  m-vi  et  les  deutérocanoniques  xm-xiv. 
reste  possible.  La  question  du  mode  de  composition  du 
livre  de  Daniel  est  donc  ouverte  encore. 

Aux  ouvrages  cités  de  Bludau  et  de  Julius,  joindre  les  essais 
de  Barton,  The  composition  of  the  liouk  of  Daniel,  1898,  dans 
Journal  ofbiblical  literature,  p.  62-86,  qui  distingue  it  et  iv; 
v-vin,  m,  x-xn.  i;  vi  et  ix;  i  et  xu,  5-13;  P.  Riessler,  Das 
Buch  Daniel,  1902,  p.  xi-xm  (division  :  vn-xii.  i-v,  VI  et  XIII- 
XIV);  G.  Jahn,  Das  Buch  Daniel,  Leipzig,  1904.  )>.  VI,  tlièse  v 
et  commentaire,  unit  seulement  x-xn. 

IV.  Interprétation.  —  Le  sens  général  du  livre  res- 
sort premièrement  et  principalement  de  l'identification 
des  quatre  empires  terrestres  et  païens  figurés  soit  par 
les  quatre  parties  de  la  statue  vue  en  songe  par  Nabu- 
chodonosor  (c.  n),  soit  par  les  quatre  animaux  sortis 
delà  mer  vus  en  songe  également  par  Daniel  ic.  vin. 
Cette  identification  jette,  en  effet,  une  grande  lumière 
sur  les  visions,  claires  seulement  pour  une  partie,  des 
c.  vin.  ix  et  xi,  relativement  à  un  personnage  d'impor- 
tance capitale,  persécuteur  des  «  saints»  et  précurseur 
du  «  temps  de  la  lin  ».  qui  a  ligure  déjà  dans  la  vision 
du  c.  VII.  Cf.  vu,  21,  '2.');  vin.  23-26;  îx.  '20-27;  xi,  30, 
31,  36  sq.  11  est  admis  par  tous  que  le  cinquième 
royaume  dont  il  est  question  dans  M,  ii.  et  vu.  18,  22, 
ou  qui  est  décrit  au  moins  dans  son  commencement 
dans  ix.  24,  el  x 1 1 .  2-3,  est  le  royaume  messianique,  le 
royaume  de  Dieu  dont  parle  encore  l'Évangile,  Le  qua- 
trième empire  est-il  alors  celui  de  Rome,  le  quatrième 
roi  est-il  le  César  romain  :  le  royaume  où  le  peuple  des 
saints  débute  ou  se  forme  avec  la  prédication  du  Christ, 
et  les  passages  II,  ii;  vu,  12  et  2.">  :  vin.  21  :  i\.  24;  xu. 
1-3,  le  considèrent  dans  tout  son  développement  jusqu'à 
la  lin  du  monde  ;  le  persécuteur  du  «  temps  de  La  lin  l 
est  l'Antéchrist;  tout  le  livre  est  messianique,  double- 
ment messianique  même,  car  il  vise  le  Messie  à  son 
premier  avènement  el  à  son  dernier.  Ce  quatrième 
empire  est-il  au  contraire  l'empire  grec  OU  l'ensemble 
des  royaumes  issus  de  lui,  le  quatrième  roi  est-il 
Alexandre  le  Grand  ou  sa  royauté  divisée  entre  se 

néraux  :  le  royai messianique  annoncé  B'identiGe 

d'abord  avec  le  groupe  juif  resté  Bdèle  à  Dieu  el  -i  sa 
religion  sou--  les  successeurs  syriens  du  conquérant 
macédonien;  le  persécuteur  est  Antiochus  Êpiphane; 
le  g  temps  de  la  Un  ■  esl  donc  projeté  en  avant  el  \u 
sur  une  perspective  tri  b  rapprochée  de  l'époque  grecque  ; 
le  livre  met  sur    le   même  plan  apparent  première) 


dernier  avènement  du  Messie,  el  par  un  simple  effet 
d'optique  familier  aux   prophètes,  le  pi  mme 

relativement  imminent  aux  Juifs  contemporains  d  An- 

tioebus  I  V. 

I    Interprétation  traditionnelle.  —  Jusqu'au  xix 
de,   l'identification    du  quatrième    empire    daniélique 
avec  l'empire  romain  fut  la  plus  universellement  r< 
dans  l  Église  chrétienne,  roire  chez  les  Juifs  et  au  sein 
des  Églises  protestante--.  Qu'il  suffise  de  citer  Josèphe, 
Ani.  fud.,  X.  x.  i:  xi.  8,  •">    voir  Burtoul  Gerlacb 
Weùsagungen  de*  A.    /     in  den  Schriften  des  Flav. 
Josephus,  Berlin,  1863,  p.  I 

v,25,  /'.  <i.,\.  vu.  col.  1190;  s.  Hippolyle,  Bardenhi 
dans  Des  heiligen  Bippolylut  tar 

mm  Huche  Daniel,  Fribourg-en-Brisgau,  1877 
Eusèbe  deCésarée,  dans  Mai,  Scriptor.  oet.  m, va  colle- 
élu,,  Rome,  1825,  1831,  t.  i  c,  p  I  vrille  de  Jéru- 

salem. Cal., XV,  6,  /'.  '-.,  t.  x.xxiii.  co!.  K77;S.  Jérôme. 
/'.   L.,  t.    xxv,  col.  531;  Théodoret,  In  Dan.,  P.   G 
('.dm ment,  in  Dan.,  t.  i.xxxi,  col.  1472;  Walafrid  Stra- 
bon,  Glossa  ordinaria,   lu    lieu,    w  siècle  :  pendant 
700  ans  le  seul  commentaire  usuel,  ou  presque,  des  théo- 
logiens du  moyen  âge);  le*  rabbins  elles  auteurs  protes- 
tants du  xvi«  au  xviir  siècle,  cf.  Reinke,  Die  messianis- 
clien  Weissagungen,  Giessen,  IS62,  t.  iv,  p.  171  sq.  ;  les 
théologiens  commentateurs  du  xvir  et  du  xvnr  siècle 
(voir  la  liste  des  commentateurs);   les   commentateurs 
critiques  protestants  el  catholiques  du  xix    siècle  énu- 
mérés  dans  Dûsterwald,  Die  Weltreiche  und  das  Gottes- 
reicli,    Fribourg-en-Brisgau,    1800,    p.   31  sq.    De   nos 
jours,  cette  interprétation  reste  en  faveur  dans  rensei- 
gnement  catholique.    Le  premier  royaume  serait  celui 
des  Chaldéens  iNahuchodonosor);  le  second,  celui  des 
Médo-Perses   (Cyrus)  ;  le   troisième,  celui  des  Gréco- 
Macédoniens  (Alexandre);  le  quatrième,  l'empire  romain 
qui,  «  fort  comme  le  fer       ■  béte  aux  ongles,  aux  dents 
de  fer»,  brise  d'abord  la  résistance  de  tous  les  royaumes 
de    l'ancien  monde  et   les  soumet  à  son  joug  (n,  40; 
vu,  19).  mais  qui  se  divise  finalement  en  deux,  empire 
d'Orient,    empire    d'Occident,    puis   s'émiette    encore 
comme  le  g  fer  mêlé  d'argile  »,  il.  43.  se  partage  entre 
dix.  rois  comme  la  tèle  du  monstre  entre  dix   cornes. 
vu.  24.      Du  temps  de  ces  rois  »,  H.  44,  se  développe 
un  nouveau  royaume,  celui  de  Dieu,  des  saints,  inai.  j 
par   le  Christ    (la   pierre,    n.   :!i.  i'ô    el  continué   par 
l'Église,  n.  41;    vu.  27.  Au  sujet  du  i  temps  •  qui  doit 
s'écouler  depuis  l'annonce  déjà  faite  avant  Daniel  du  re- 
tour de  la  captivité   e-t  du  relèvement   d>'  Jérusalem, 
jusqu'à  l'époque  où  doit  naître  et  se  constituer  ce  nou- 
veau  royaume,   il  est  fait  au   prophète  une  révélation 
spéciale,  ix.   1-3,  20-27.  Voir  Dwin     Les  soixante- 
semaines  du  prophète).  Enfin,  aux  approches  de  la  fin 
du  monde,   surgit   un  •   roi  orgueilleux,  impie.   | 
cuteur  i,  mi.  24,25;  xi,  21  sq.,  l'Antéchrist,  ligure  seu- 
lement dans    vin.    2:5.  2.Y    par   Antiocbus   Êpiphane.   Il 
opprime,    dévaste    l'Église    un    certain    temps   durant. 
trois  ans  et  demi.  vu.  21  (vin,  24  sq.  ;  ix.  27 .  xi.  M\  sq.; 
xn.  7.  Sa  puissance  est  pourtant  brisée  par  Dieu  venant 
juger  tous  les  royaumes  de  la  terre,  et  un  rogne  éter- 
nel    est    accord'''  au  Christ        fils    de   l'homme    ■    ainsi 
qu'à   son  peuple  Bdèle  d'élus,  vu.    13,  26-27;  xu.  2-;> 
Quelques  Pères  et  écrivains  ecclésiastiques  onl  rap- 
proché les  «  dix  rois  i  «le  la  lin  du  monde  qu'ils  pen- 
saient   alors    devoir   arriver  dès    la   chute    île    l'empire 
romain,  imminente  a  leur  sentiment.  Voir  Knabenbauer. 
Comment,  in  Daniel,  proph.,  p.  202,  203.   Selon  Bel- 
larmin,  De  Romano  pontifice,  I.  III.  c.  v,  dans  Con- 
trov.,  Tari-,  1608,  t.  i,  p.  717.  le  quatrième  empin 
continué  dans  le  Saint-Empire  romain  d'Occident,  et. 
comme  celui-ci.  a  pris  lin  en  l'année  1806.  Rohling,  Das 
Buch  îles   Proplieten  Daniel.  Mayence,   1876,  p.  219, 
224,  nous  fait  vivre  présentement  au  temps  des  dix  rois 
tout  proche  du  temps  de  l'Antéchi  ii 


65 


DANIEL    (LIVRE    DE( 


06 


2°  Interprétation  critique.  —  Pour  saint  Éphrem, 
In  Daniel,  Opéra  sijriaca,  Rome,  1740,  t.  il,  p.  205-206, 
«  quelques  auteurs  »  anciens  (Tbéodoret,  In  Dan.,  H, 
13,  P.  G.,  t.  LXXXI,  col.  1306),  Polychronius,  évèque 
d'Apamée,  dans  A.  Mai,  Scriptorum  veter.  nov.  colle- 
ctio,  t.  i  c,  p.  1-27,  et  Cosmas  Indicopleustès,  Chri- 
stiana  topographia,  1.  II,  dans  B.  de  Montfaucon,  Collec- 
lio  nova  Patrum,  Paris,  1707,  t.  ir,  p.  144  sq.,  les  quatre 
«  royaumes  »  sont  les  empires  chaldéen  (Nabuchodo- 
nosor),  mède  (Darius),  perse  (Cyrus)  et  gréco-macédo- 
nien (Alexandre),  et  les  «  dix  rois»  sont  les  successeurs 
d'Alexandre,  les  Séleucides  et  les  Lagides.  Antioclms 
Épiphane  remplace  l'Antéchrist.  Selon  Porphyre,  dans 
saint  Jérôme,  Comment,  in  Dan.,  vu,  7,  P.  L.,  t.  xxv, 
col.  530,  ces  empires  auraient  été  ceux  des  Chaldéens, 
des  Médo-Perses,  d'Alexandre,  des  successeurs  d'Alexan- 
dre (A'.âôo/ot);  le  roi  persécuteur  est  aussi  l'Épiphane. 
Bossuet,  Discours  sur  l'hist.  univ.,  part.  II,  c.  ix; 
Grotius,  Critici  sacri,  Lyon,  1660,  t.  V,  In  Dan.;  IIou- 
bigant,  Biblia  hebraica,  Paris,  1753-4754,  t.  iv,  p.  5i9; 
Calmet,  Commentaire  littéral,  2e  édit.,  Paris,  1726. 
t.  vi.  p.  619,  ont  suivi  cette  opinion  dans  ses  grandes 
lignes.  La  plupart  des  critiques  modernes  se  sont  par- 
.'îi Ire  ce  double  système  de  saint  Ephrem  et  de 
Porphyre.  Pour  séparer  les  empires  mède  et  perse,  les 
premiers  s'appuient  sur  les  passages  Dan.,  v,  30;  VI,  1, 
S.  i\,  1,  et  surtout  vi,  29,  où  le  texte  fait  «  succéder  » 
Cyrus  le  l'erse  à  Darius  le  Mède.  Les  deux  mômes  em- 
pires se  distingueraient  aussi,  l'un  venant  «  après  » 
l'autre,  dans  Dan.,  vin,  3,  20,  et  dans  v,  31  ;  vi,  28,  où 
la  «  loi  des  Mèdes  »  précède  celle  des  Perses.  Le 
quatrième  empire  serait  ainsi  nécessairement  l'empire 
grec  et  parce  que,  dans  les  c.  n  et  vu,  cet  empire  corres- 
pond exactement  à  celui  de  vin,  21,  lequel  est  d'Alexan- 
dre :  empire  divisé,  n,  il,  et  vin,  22;  empire  finis- 
sant avec  un  roi  impie  .  vu.  8,  24,  et  VIII,  9,  23,  Antio- 
clms IV;  le  dernier  empire  ennemi,  II,  vu,  et  VIII,  17, 
aussi  x-xi,  où  la  naissance  et  le  développement  de 
l'empire  grec  sont  relatés  en  détail,  sans  qu'il  soit  parlé 
d'un  autre  empire  subséquent  avanl  le  s  temps  de  la  lin  », 
Les  dix  rois,  vu,  24,  représentés  par  les  dix  cornes  sont  : 
ou  bien  Séleucns  Nicator,  Antiochus  Soter,  Antioclms 
Théos,  s.  I.  ueiis  Callinicus,  Séleucus  Céraunus,  Antio- 
rliu^  le  Grand,  Séleucus  Philopator,  Héliodore,  Ptolémée 
Philométor,  Démétrius  Soter;  ou  bien  Alexandre  lui- 
même  el  les  -uixants,  moins  Ptolémée  Philométor. 
Auteurs,  dans  Dûsterwald,  op.  cit.,  p.  34.  Unissant  en 
un  seul  empire  les  Médo-Perses  d'après  v,  28,  et 
contraints  alors  de  voir  l'empire  gréco-macédonien 
il  Mexandre  dans  l'airain  de  la  statue  ou  la  troisième 
bête  de  la  vision,  les  autres  criti  pies  identifient  le 
quatrième  empire  avec  le  royaume  syrien  dont  les  dix 
rois.  Alexandre  y  compris  ou  non.  ainsi  que  Ptolémée 
Philométor,  sont  les  dix  prédéce  seurs  d'Antiochua  Epi- 
phane. Celui-ci,  dans  l'uneel  l'autre  opinion,  est  figuré 
par  la  petite  corne  de  vu.  8,  20  sq..  et  de  vin,  9;  c'est  le 
roiartificii  ux  de  mu,  23  sq.,  roi  de  l'un  des  quatre  royau- 
me! macédonien,  thrace,  syrien,  égyptien,  issus  de 
l'empire  d'Alexandre,  vin,  8,  9,  22  :  \i,  21  sq.  Il  persé- 
cute Israël  "n  les  saints  »  jusqu'à  ce  que  la  domina- 
tion sur  tous  les  royaumes  du  inonde  soit  accord/. 
victimes  di  -  mssitôl  son  jugemenl  <•!  s;i  ruine.  Auteurs, 
dm-  Dûsterwald,  p.  35.  Le  ■  lils  de  l'homme  »  qui,  dans 
vu  13-14,1  i  le  royaume  éti  rait,  suivant 

la  pluparl  des  critiques  modernes,    Israël  lui-même 
parallèle  parfait  de  vu.   13-14,  avec  vu,  is.  SB,  27;  si 
i  -  pui  isan  i  ennemies  de  Dieu  -..ni  bien 

•yml  lans  ce  c.  vil,  par  des   animaux,  la   forme 

humaine    ne    peul    que    symboliser  le  royaume  spiri 
tuel  des  saint   d'1  raël     ,mbole  à  symbole  ;  pareillement, 

s'oppose.,.  ri  de  |.i  mer,  vil,  3,   17.  Ce   qui  vient 

sur   l  13.  un   royaume  i  des  royau- 

me-;   ni   n.    44.   ni     XII,    3.    qui    traitent    pourtant     du 

DICT.    DE  T11F.OI..   CATIIOI.. 


royaume  spirituel,  ne  parlent  d'un  roi  futur,  d'un 
Messie  personnel.  Cette  interprétation  du  «  lils  de 
l'homme  »  fut  connue  de  saint  Éphrem  et  acceptée  par 
Aben-Ezra.  Quelques  critiques  protestants,  tels  que  von 
Lengerke,  Bleek,  Ewald,  et  d'autres  plus  récents, 
Boehmer,  Reich  Gottes  und  Menschensolin  im  Bûche 
Daniel,  Leipzig,  1899;  Grill,  Untersuchungen  ûber  die 
Enlstehung  des  vierten  Evangeliums,  Tubingue,  1902, 
Baldensperger,  Bousset,  Volz,  reviennent  cependant 
au  roi  Messie  de  la  presque  unanime  tradition  juive  et 
catholique. 

La  thèse  de  l'interprétation  critique  du  livre  de 
Daniel  a  été  acceptée  par  quelques  écrivains  catholiques 
contemporains.  ïurmel,  Etude  sur  le  livre  de  Daniel 
(extrait  des  Annales  de  philosophie  chrétienne),  Paris, 
1902;  Lagrange,  Revue  biblique,  190'i,  p.  494  sq..  après 
d'autres  appartenant  à  la  première  moitié  du  XIXe  siècle. 
Voir  Dûsterwald,  op.  cit.,  p.  3i. 

3°  Autres  interprétations  (pour  mémoire).  —  Le  qua- 
trième empire  serait  l'empire  mahomélan,  les  empires 
grec  et  romain  étant  réunis  en  un  seul,  le  troisième. 
Babbins  du  moyen  âge.  Voir  Bevan,  op.  cit.,  p.  63.  — 
Hitzig,  Heidelbergpr  Jahrbûcher,  1832,  n,  et  Bedepen- 
ning,  Sludien  und  Kritiken,  1833,  p.  863  sq.,  identifient 
ainsi  les  quatre  empires  :  1.  Nabuchodonosor ;  2.  les 
successeurs  babyloniens  de  ce  roi;  3.  les  Médo-Perses; 
4.  les  Gréco-Macédoniens.  —  Pour  quelques  protes- 
tants du  XVIIIe  siècle,  il  ne  s'agirait  pas  de  quatre  em- 
pires, mais  seulement  des  règnes  des  rois  babyloniens. 
Voir  Dûsterwald,  p.  36.  —  Selon  Ewald  et  Bunsen, 
Daniel  n'ayant  pas  habité  Babylone,  mais  Ninive,  les 
empires  seraient  :  1.  assyrien;  2.  babylonien;  3.  médo- 
perse;  4.  grec.  Voir  Dûsterwald,  p.  36.  —  Pour  Boehmer, 
Reich  Gottes  und  Menschensolm,  p.  82  sq.,  les  quatre 
empires  seraient  moins  quatre  empires  distincts  que- 
quatre  phases  du  règne  des  hommes,  après  lesquelles 
doit  arriver  le  règne  de  Dieu. 

V.  Caractère  littéraire.  —  Le  livre  de  Daniel  est  une 
apocalypse  juive.  S'il  n'est  pas  tout  à  fait  la  première 
apocalypse  (il  y  en  a  de  petites  dans  Isaïe,  xi  ;  xxtv- 
xxvii  ;  Zach.,  xn-xiv;  Joël.  Malachie,  iv),  il  est  du  moins 
le  premier  livre  apocalyptique  connu  de  la  littérature  hé- 
braïque. Étant  le  premier,  il  a  donné  le  ton  aux  autres; 
et  l'on  a  pu  dégager  d'eux  tous,  avec  plus  ou  moins  de 
bonheur,  la  caractéristique  et  comme  la  définition  du 
genre.  Cf.  W.  Bousset,  Die  Offenbarung  Johannis, 
Gœttingue,  1896,  Introduction,  i,  p.  1  sq.  ;  Apocahjplih 
Ijûdisc  fie),  dans  Realencyclopâdie  fur  protest. Théologie, 
Leipzig,  1896,  t.  i,  p.  612  sq.  ;  Die  jûdische  Apokah/ptik, 
Berlin, 1903;  Baldensperger,  Die  7ncssianisch-apokah/p- 
tischen  Hoffnungen  des  Judenthums,  Strasbourg,  1903; 
P.  Volz,  Jûdische  Eschatologie  von  Daniel  bis  Akiba, 
Leipzig,  1903,  part.  [,  §  I,  p.  i-  sq.  A  ce  point  de  vue, 
on  peut  considérer  le  livre  de  Daniel  par  rapport  aux 
.mires  apocalypses  et  par  rapport  aux  œuvres  des  pro- 
phètes  parmi  lesquelles  on  le  range  aujourd'hui. 

I  Daniel  et  les  apocalypses.  —  Ce  que  le  livre  di 
Daniel  renferme  île  proprement  apocalyptique  parallèle- 
ment aux  autres  apocalypses,  où  tout,  non  plus,  n'est  pas 
jairemenl  apocalyptique,  c'est  :  l.une  cosmologie, 
une  vue  déterministe  ou  providentielle  de  l'histoire  de 
l'humanité,  présentée  en  manière  de  prophétie,  e1  par 
tant  d'une  certaine  époque  choisie  par  l'auteur  jusqu'à 
un  point  d'arrivée  considéré  comme  la  fin  d'un  monde 

■  i.  Cette  vue  porte  sûr  un  certain  nombre  de  p. 
riodes  successives,  Ici,  concrétisées  en  quatre  empin 
à  partir  du  temps  .le  i  exil  :  Dan.,  tt.  mi  sq.  ;  Apocalypse 
de   Baruch,   xxxu  xi  ,  iv   Esd.,  si-xii,  la.  figurées  di 

fai  nus  différente!  pour  le  même  cycle  restreint  :  lletioeli 
I  \x\v-\i:.  on  pour  toute  l'Iiistoire  du   monde  el   de   l'hu- 

maniié  ;  Jubilés,  Oracles  sibyllins,  I.  IV,  i/7  sq. .  kpoca 
lypse  d'Abrabam,  xxixj  i\  de  Baruch,  un  sq.  ; 

II.  n-  II.     \.  III    Bl    ICI,    12  17.    Elle  Se    résout    -muent  en 


IV. 


3 


67 


DANIEL     LIVRE    DE 


68 


une  computation  numérique  de  la  période  embi 
par  le  regard  prophétique  réel  mi  reinl  :  compntalion 
précise  d'intention  dani  Dan.,  ix.  24  vq.;  vu. 25;  nu, 
13;  xii,  7  M  12  yague,  flottante  el  circonspecte  dans 
les  apocalypses  apocryphes,  Vita  Ad  ai,  12;  Secrets 
d'Hénoch,  xxxi,  I  :  Assomption  de  Moïse,  \,  12;  Hénoch, 
\,  12;  Apocalypse  d'Abraham,  xxix  '  '  Hénoch,  xvui, 
16  :  xxi,  <i  ;  IV  Esd.,  vu.  :il  i.  —  C'esl  :  2.  une  eschatologie, 
sorte  di'  drame  final  Bervanl  «  I  «  -  transition,  avec  ses  di- 
verses péripéties,  entre  le  règne  du  monde  ci  le  <  régne 

de  Dieu  »,  unissant  la  lin  île  celui-là  au  en lentement 

île  celui-ci.  Elle  comprend  :  a)  une  période  de  tour- 
ments, d'épreuves,  île  tribulations  endurés  par  le  peu  pie 
île  Dieu,  Dan.,  vu.  21. 25;  vm, 24-25;  ix, 26-27  ;  xi,30sq., 
10  sq.j  cf.  IV  Esd.,  xi-xu;  Jubilés,  xxiu,  16  Bq.;  Apoca- 
lypse de  Baruch,  I.xvm,  '2,  voire  par  la  terre  entière, 
l>an.,  xii,  I;  cf.  IV  Esd.,  v.  1-12;  VI,  13-28;  ix,  l-(i; 
xiii,  lti  sq.;  Apocalypse  'le  Baruch,  xxv-xxix,  2;  xi.vm, 
30-38;  i.xx;  Apocalypse  d'Abraham,  30;  Hénoch,  xcix, 
4-10;  c,  lti;  b\  un  jugement  exercé  et  rendu  sur  les 
peuples  et  sur  le  monde  le  plus  souvent  par  Dieu  lui- 
même,  Dan.,  vu,  9sq.,26;  cf.  Hénoch,  i-xxxvi  ;  Jubilés, 
ix,  15;  x.  17;  xxti,  11,  et  passim;  Teslamenl  des  douze 
patriarches,  Lévi,  1;  Secnls  d'Hénoch,  xxix.  1;  xi.iv, 
ii.  .">,  et  passim;  IV  Esd.,  xi,  46;  Apocalypse  de  Baruch, 
xix,  1  ;  i.xxxin,  2  sq.;  lxxxv;  Apocalypse  d'Abraham, 
24-25;  VitaAdx,  49;  Sibyllins,  I.  III,  53-62;  I.  IV. 
152  sq.;  1.  V,  106-110;  anéantissement  de  l'empire  du 
monde  et  de  ses  maîtres,  ennemis  de  Dieu,  Dan.,  vu. 
11;  il,  44;  cf.  IV  Esd.,  xi.  xn.  passim;  Apocalypse  de 
Baruch,  xxxvi,  10;  xxxix,  7  sq. ;  i.xvm,  3,7;  Sibyllins, 
1.  III,  303 sq.  ;  I.  V,  375  sq.  ;  Assomption  de  Moïse,  x.  7, 
damnation  des  impies  et  des  criminels,  Dan.,  XII,  2, 
cf.  IV  Esd.,  vu,  80  sq.;  Hénoch,  XC,  26;  Apocalypse  de 
Baruch,  l.l;  lin,  abolition  du  mal  moral,  du  péché. 
Dan.,  ix,  24;  cf.  IV  Esd.,  xii,  25;  vi,  27  sq.  ;  vu.  113 sq.; 
Apocalypse  de  Baruch,  i.xxin.  4  sq.;  Sibyllins,  1.  II, 
33;  1.  fil,  370  sq.;  1.  V,  429  sq.  ;  surtout  Hénoch,  x.  lti. 
20;  L,  4;  c,  5,  etc.;  c)  la  manifestation  du  royaume  de 
Dieu,  des  saints,  Dan.,  n,  14;  vu,  27;  cf.  Sibyllins, 
1.  III,  47  sq.;  Assomption  de  Moïse,  x,  1;  IV  Esd.,  \, 
16;  Jubilés,  1,28;  Apocalypse  de  Baruch,  xxi,  23,  25; 
Hénoch, XXV,  8,  7.  etc.;  manifestation  où  interviennent 
principalement  à  titre  de  témoins,  divers  personnages 
tels  que  le  «  prophète  »,  Hénoch,  Moïse,  Klie  —  ici 
1'  «  ange  »,  Dan.,  vm,  11  (LXX);  XII,  I  (Michaèl);  cf. 
Assomption  de  Moïse,  x,  2;  Hénoch,  xc,  20;  le  Messie- 
Itoi.  nommé  «  Fils  de  l'homme  o,  Dan.,  vu,  13  ('.');  cf. 
IV  Esd.,  xiii  ;  Hénoch,  xi.vi,  de  nature  plutôt  céleste, 
préexistant,  Dan.,  vu.  13  (?);  cf.  IV  Esd.,  xiii,  2ti.  52  : 
Hénoch,  xlviii,  3,  (i;  i  xn.  7,  dominateur,  Dan.,  vu.  li  . 
cf.  Apocalypse  de  Baruch,  xxxix,  7;  xl,  3;  Testament, 
Lévi, 8,  18;  Sibyllins,  I.  III.  i9;  1.  V.  ïli;  Hénoch,  xux, 
1,  2,  etc.;  recevant  de  Dieu  même  sa  puissance  dont  la 
durée  doit  être  éternelle,  Dan.,  vu,  13,  li;  cf.  IV  Esd., 
\n,  32;  xiii,  26;  Hénoch,  i.xn,  7,  11;  xlix,  1  sq.;  Apo- 
calypse d'Abraham,  31;  sibyllins,  l.  m.   ;\\  n,,.,  652; 

I.  V,    MIS;  Teslamenl.    l.e\i.    IS;    Joseph.    19;    I  aulelir  du 

livre  revenu  ou  ressuscité,  Dan.,  xn.  13;  i-f.  Hénoch, 
xc.  31;  IV  Esd.,  xi\.  9,  '.'.i;  Apocalypse  de  Baruch,  xiii, 
3  sq.  ;  les  justes  ressuscites  pour  la  vie  éternelle,  les 
autres  pour  l'opprobre  éternel,  Dan.,  xn,  2,  3;  cf.  Hé- 
noch. XCl  sq.  ;  xxil  ;  n.  I;  IV  Esd.,  r?,  35;  vu,  28, 32; 
Apocalypse  de  Baruch,  xxi,  24;  xxx.  I  Bq.;  xxxvi,  In. 
Testament,  Juda,  24,  25;   Zabnlon,  10;  Benjamin,  10; 

Sihyllins.  I.  IV.  180.        C'esl  :  •'!.  une  forme  parliculù  ,;■ 

sous  laquelle  soni  présentées  ces  deux  vues  générales 
cosmologique  et  eschatologique,  forme  qui  achève  de 
caractériser  le   genre  dit  apocalyptique  par  l'obscurité 

voulue  dont  elle  emeioppe  les  donnée-  traditionnelles 

ou   prophétiques   du   livre,  avec    toutefois   l'intention 

e  de  ne  foire  de  ces  données  qu'un  Becret  relatif 

et  pénétrable,  a   quelque  époque,  a  l'intelligence  du  lec- 


teur  averti.    Dan.,    xn.    1:    mil    26;    C».    llé-nocli. 
Assomption  de  Mois,-,  i,  16  sq.  ;  x.  Il  Bq.  ;  IV  Esd 

diie  obscurité  est  obtenue  principalement  par 
le  moyen  de  visions,  d'extases  allégoriques,  de  prophé- 
ties pseudonymiques  attribuées  au\   ancien»  p,  ; 

•  de-  l'histoire  Israélite  dont  I.-  nom  figure  dan«  le 
titre  du  livre.  A  ce  point  de  vue,  les  apocalypses  apo- 
cryphes  ont  beaucoup  emprunté  a  celle  de  Daniel. 

j    Daniel  et  letpi  livre  de  Daniel,  en 

dépit  de  sa  couleur  apocalyptique  -i  prononcée,  m-  dif- 
i,  i,.  pas  essentiellement  de-  autres  écrits  prophét 
de  l'Ancien  Testament.  Il  les  continue  par  un  certain 
nombre  de  notions  traditionnelles  qu'il  leur  doit,  et  ne 
faii  que  développer  sur  une  plu-  grande  échelle  la  sym- 
bolique dont   ils  usaient  déjà   à  l'occasion.  Ainsi 
épreuves  cruelles  qui   d<  vra  subir  Israël  de  la  part  du 
quatrième  empire  païen  se  réfèrent  a  Ézéchiel,  xxxvm, 
16,   18,  et  à   Joël,   iv.    2.   9-1  i;   l'idée  du  jugement  de 
Dieu  contre  les  nations   ennemies    est   commune  aux 
prophètes,  cf.  Amos.  i-ii;  Isaïe,  x;  Sophonie,  i-ii; 
mie,  xn.  11;  xxv,  15  sq.;  Ézéchiel,  xxv-xxxn  ;  .loel.  iv, 

9  sq.  ;  de  même  que  celle  du  royaume  linal,  cf.  Nahum, 
H,  1-3;  Sophonie.  m.  9  sq.;  Isaïe,  LU,  7;  le  «  I  ils 
de  l'homme  »  venant  sur  les  nuées,  s'il  est  bien  ici 
une  personnalité  distincte,  non  symbolique,  hérite  de 
l'idéalité  du  «  Boi  »  de  Isaïe,  ix,  5:  xi.  1-5;  Michée,  v, 
1  sq.;  Aggée,  II,  21  sq.;  Zacli..  VI,  11  sq..  avec,  par  rap- 
port à  Michée,  v,  I,  le  concept  de  la  préexistence.  1  /•  ■ 
chiel,  xxxvu,  11-11.  et  Isaïe.  xxvi.  19.  avaient  entrevu 
la  résurrection  des  morts.  Avant  Dan.,  vu.  i,  6;  vin.  5. 
les  prophètes  Osée.  xn.  3;  Isaïe,  xiv.  9;  Jérémie,  v.  'i. 
xi. ix.  19;  i.  17;  Zacharie,  x.  3.  symbolisèrent  sous  la 
figure  d'animaux  féroces,  lions,  léopards,  ou  simple- 
ment robustes,  béliers,  boucs,  les  puissances  bru 

du   monde   païen;    après  Ézéchiel,   XVII,   22   sq.;    XIX, 

10  sq.;  xx.xi.  3  sq.,  l'arbre  vigoureux,  aux  branches 
magnifiques,  abritant  les  bêtes  de  la  terre  et  les  oiseaux 
des  cieux,  signifie  la  pleine  et  tranquille  domination 
sur  tous  les  royaumes.  Dan..  IV,  7.  Isaïe.  vi  :  Jérémie,  i  ; 
Ézéchiel,  i.  x.  xi.  xxxvu,  XL;  Zacharie.  i,  avaient  eu 
aussi  des  visions  allégoriques  suivies  de  leur  explica- 
tion, et  ces  visions  tirèrent  leurs  composants  du  milieu 
particulier  où  vivaient  ces  prophètes,  comme  Daniel 
emprunta  peut-être   au   mythe  indo-persan   des   quatre 

du  monde,  les  quatre  métaux  symboliques,  or, 
argent,  airain  et  fer.  par  lesquels  il  figura  ses  quatre 
empires.  Le  «  rocher  »  d'où  se  détache  la  pierre  qui 
brise  la  statue,  Dan.,  II,  li.  15.  n'est  pas  autre  que 
celui  d'Isaïe,  wn.  In;  xxvi.  1;  xxxn.  2,  après  Deut., 
xxxii,  i.  15,  lequel  représente  Jahvé  lui-même;  il  la 
«  montagne  i  que  devient  cette  pierre,  remplissant 
toute  la  terre.  Dan.,  n.  35,  parait  bien  dépendre  de  la 
■  sainte  montagne  de  Dieu  .  séjour  divin  a  l'Horeb  ou 
au  Sinaï,  Kxod.,  ni,  I  ;  IV,  27;  xvm.  5.  xxiv.  13;  Num., 
s,33;  I  Beg.,  \i\.  8,  au  pôle,  Êzech.,  i,  ».  ■<  Sion,  ls., 

II.  2;  l.vi.  7;  .1er.,  xxvi.ii;  .loel,  IV.  17;  Abdi.is.  16; 
Psaumes.  La  mer.  d'où  sortent  les  quatre  animaux  fan- 
tastiques figures  de-  empire-.  Dan.,  vil.  3,  symbolise. 
âpre-  Isaïe,  xvn.  12.  13,  l'ensemble  de-  nations  conju- 
.  outre  Israël,  La  a  corne  .  symbole  de  la  puis- 
sance, Dan.,  vu.  7;  vin.  6,  image  bien  orientale,  et  les 
,,  livres  produit-  au  jugement,  Dan.,  VII,  In.  semblent 
toutefois  appartenir  en  propre  à  l'auteur  du  livre  de 
Daniel. 

Si  l'on  veut  donc  relever  en  quelque  point  une  dif- 
férence réelle  entre  les  livres  des  prophètes  et  le  pre- 
mier des  livres  apocalyptiques,  et,  en  conséquence, 
serrer  de  plus  pns  la  définition  du  genre  nouveau, 
sinon  proprement  inauguré,  du  moins  arrêté  par  Da- 
niel dans  ses  grandes  lignes,  on  la  trouvera  en  ceci 
que  l'auteur  d'apocalypse  —  Daniel  —  a  une  vue  plus 
compréhensive de  l'histoire  du  monde  que  le  prophète. 

Ce   dernier   ne  voit  qu'une  partie  de    celte    histoire,  la 


69 


DANIEL    (LIVRE    DE 


70 


future,  et,  si  loin  que  se  porte  son  regard,  il  la  dépeint 
et  l'idéalise  toujours  sur  le  canevas  que  lui  fournissent 
les  circonstances  sociales,  politiques,  religieuses  de 
son  époque;  ainsi  Isaïe,  xi,  1-5,  pour  la  monarchie 
messianique,  Ézéchiel,  xl-xlviii,  pour  la  future  com- 
munauté liturgique,  Isaïe,  xlii,  1-4;  xlix,  1-6;  l,  4-9; 
lu,  13-liii,  12,  pour  le  serviteur  souffrant  de.Iahvé,  ou 
encore,  xli,  17-20;  xliii,  1-7,  pour  le  rapatriement  et 
la  glorification  d'Israël,  idéalisent  le  présent  acceptable 
ou  non  de  la  royauté  davidique  d'Achaz  ou  d'Ézéchias, 
des  petits  groupes  fidèles  des  bords  du'fleuve  Cbobar, 
des  maux  de  la  captivité,  du  retour  des  captifs.  Daniel, 
au  contraire,  et  ses  épigones  :  Hénoch,  IV  Esdras,  etc., 
veulent  embrasser  cette  histoire  tout  entière,  et  ils  ne 
manquent  pas  d'adjoindre  au  tableau  de  l'avenir  qu'ils 
conçoivent,  du  reste,  de  la  même  façon  que  les  pro- 
phètes leurs  prédécesseurs,  celui  du  passé,  montrant 
que  les  deux  font,  avec  leurs  successions  multiples  de 
rois,  d'empires,  d'événements  remarquables,  parties 
intégrantes  d'un  tout  ordonné  par  Dieu  et  résolvant 
toujours  sa  complexité  de  la  manière  prédéterminée 
par  lui.  Ce  n'est  plus  seulement  une  prédiction  du 
futur;  c'est,  en  plus,  une  pliilosopliie  religieuse  de 
l'histoire  universelle.  Ainsi  Daniel  voit  en  réalité  ou  en 
ligure,  en  vision  ou  strictement  ou  fictivement  prophé- 
tique, selon  les  diverses  interprétations,  l'histoire 
d'Israël  et  du  monde  ancien  depuis  l'époque  de  Cyrus 
jusqu'aux  temps  messianiques  premiers  et  derniers;  et 
il  voit  briller  ceux-ci  à  travers  l'heureuse  délivrance, 
soit  du  joug  romain,  soit  des  persécutions  syriennes, 
continuation  du  joug  et  des  persécutions  babyloniennes; 
mais  le  regard  du  prophète  s'est  d'abord  porté  sur 
l'empire  babylonien  lui-même  et  ceux  qui  l'ont  suivi, 
empires  déjà  disparus  ou  en  train  de  disparaître,  et 
par  le  moyen  de  quelques  exemples  bien  choisis,  sa 
plume  a  marqué,  pour  le  passé,  l'oppression  qu'ils  ont 
exercée  toujours  sur  le  peuple  fidèle  (jeunes gens  dans 
la  fournaise,  in;  Daniel  dans  la  fosse  aux  lions,  vi), 
comme  aussi  l'issue  toujours  favorable  qu'a  eue  cette 
oppression,  grâce  à  la  providence  de  Dieu  qui  veillait  : 
ainsi,  dans  l'angoisse  ou  présente  ou  future,  l'histoire  du 
passé  esl  ou  sera  le  gage  précieux  de  l'infaillible  déli- 
vrance; ces  empires  n'ont,  du  reste,  pas  été  autrefois 
-•;ui-.  reconnaître  l'existence  et  la  puissance  du  vrai  Dieu 
ition  'le-  jeunes  Juifs,  i;  songe  de  la  statue,  II; 
songe  de  Nabuchodonosor,  iv;  festin  de  Balthasar,  v), 
ei  cette  reconnaissance  forcée,  amenée  par  une  mani- 
festation du  pouvoir  divin,  assure  pour  l'avenir  la  glo- 
rification universelli  'le  Jahvé  et  de  son  peuple,  vu, 
12-14,22,  ~l~ .  xii,  3;  enfin,  l'on  remonte,  en  réalité, 
plus  haut  que  le  siècle  chaldéen  :  les  animaux  fantas- 
tique-, figures  des  empires,  sont  les  succédanés  des 
monstri  -  originels,  images  des  puissances,  soit  natu- 
relles, soil  humaines,  toujours  insurgées  contre  le  ci 

leur  ei  le  régenl  d unie.  Job,  xxxviii,  31-32;  kxvi, 

12-13;  Is.,  li,  9-10;  xxx,  7;  Ëzech.,  xxix,  3-6;   x.wn. 

28,   etc.;    mais    Dieu    qui   les  a    vaincus    toujours,  les 

■  pour  cela  même  réduire  jusqu'à  la  lin.  Dan.,  vu, 

VI.  Caractère  historique.  —  Si  le  livre  de  Daniel 
peut,  pris  dan-  son  ensemble,  passer  pour  une  apoca- 
il  h  esl  pas  inoins  vrai  qu'il  a,  de  [dus,  pour  une 
bonne   partie,  l'allure  d  un   ouvrage  qui  demande  el 
provoque  même  I"  contrôle  historique.  Les  c.  i,  iii-vi, 
xin  el   xiv  contiennent  des   récits  qui  n'ont   par  eux- 
mêmes  rien  d'allégorique.  Ces  chapitres,  le  songe  du 
e.  it  et  les  visions  des  c.  vn-xti  sont  encadri     de  don- 
chronologiques  et  dynastiques  ayant  rapport,  soil 
■«>  royau le  breu  de  Juda,  i.  I  2,  soil  au  dernier  em- 
pire chaldéen,  n,  I;  v.   1-2,  30;  si,  SB;  VII,  l;vill,  1, 
aux  empire     mède,  i\.    I .  p.  ne,  \.  I  .  xi.   1-2.  et 

"t  l'explical des  visions  ■<  pour  objel 

au  moins  partiel,  c ne  chacun  l'admet,  des  événe 


ments  qui  se  réfèrent  à  l'histoire  de  quelqu'un  de  ces 
plus  récents  empires. 

Mais  l'histoire  daniélique  est-elle,  en  substance,  une 
véridique  histoire?  La  prophétie  apocalyptique  du  livre 
—  s'il  y  eut  pourtant  prophétie  proprement  dite  et  non 
plutôt  interprétation  philosophico-religieuse  d'événe- 
ments passés  —  a-t-elle  son  objet  au  sein  d'une  réelle 
et  véritable  histoire?  On  ne  peut  assurément  relever, 
sous  ce  double  rapport,  d'erreurs  formelles  dans  le  livre 
tout  entier;  les  événements  historiques  annoncés  au 
cours  des  derniers  chapitres  et  qui  concernent  le 
développement  des  empires  perse  et  gréco-macédonien 
y  sont  même  revêtus  d'une  exactitude  surprenante; 
mais  il  faut  dire  aussi  que  certaines  assertions  donnent 
lieu,  dans  la  première  moitié  du  livre,  à  de  très  graves 
difficultés  :  ainsi  de  la  chronologie  de  Dan.,  i,  1-2,  de 
la  folie  de  Nabuchodonosor,  iv,  28  sq.,  de  la  filiation 
de  Balthasar  au  c.  v,  du  personnage  de  Darius  le  Mède, 
de  son  accession  au  trône  babylonien  et  de  son  règne 
antérieur  à  celui  de  Cyrus,  v,  30;  vi,  29;  ix,  1.  L'exé- 
gèse traditionnelle  a  de  tout  temps  soupçonné  ou 
éprouvé  quelqu'une  de  ces  difficultés,  touten  s'essayant 
à  les  résoudre.  Voir,  dans  l'antiquité  juive  et  chrétienne, 
.losèphe,  Anl.  jud.,  X,  xi,  2,  4;  Conl.  Apiun.,  i,  20; 
Origène,  dans  S.  Jérôme,  In  Dan.,  P.  L.,  t.  xxv,  col.  513 
sq.,  519,  523;  S.  Jean  Chrysostome,  In  Dan.,  P.  G., 
t.  i.vi,  col.  219;  Théodoret,  In  Dan.,  P.  G.,  t.  lxxxi, 
col.  1362  sq.,  1378  sq.;  S.  Éphrem,  Opéra  syriaca, 
Rome,  1740,  t.  il,  p.  208,  209;  au  xvne  siècle,  les  com- 
mentaires de  J.  Maldonat,  Paris,  1010,  de  B.  Pererius, 
Rome,  1587,  de  J.  Tirin,  Anvers,  1032,  de  Corneille  de 
la  Pierre,  Anvers,  1681.  Parallèlement,  en  dehors  du 
christianisme  ou  de  la  foi  romaine,  quelques  auteurs 
contestaient  l'historicité  du  livre.  Celse  (ne  siècle),  le 
premier,  dans  le  Discours  véritable  (A6-,o;  kXtfir^), 
traita  de  «  fable  »  le  récit  de  Daniel  dans  la  fosse  aux 
lions  (Dan.,  vi,  ou  xiv,  27  sq.),  cf.  Origène,  Cont.  Cels., 
vu,  53,  P.  G.,  t.  xi,  col.  1497;  Porphyre  (232-305),  dans 
le  1.  XIIe  des  Discours  contre  Ira  chrétiens  (K'ara  /pta- 
tiavùv  >.o-,o'.),  tint  pour  invraisemblable  le  détail  de 
Dan.,  n,  46  —  Nabuchodonosor  «  adorant  »  Daniel  —et 
pour  fictif  tout  le  livre.  Cf.  S.  Jérôme,  In  Dan.,  P.  L., 
t.  xxv,  col.  482,  504.  Ces  objections,  ou  plutôt  ces  allé- 
gations étaient  et  demeurèrent  sans  portée.  Au  com- 
mencement du  xxiir  siècle,  A.  Collins  en  particulier 
lesrepril  dans  The  schemeofliteralProphecy,  Londres, 
1726,  p.  143.  Enfin,  au  siècle  dernier,  les  critiques, 
étudiant  de  près  le  livre  de  Daniel  à  l'instar  de  tous 
les  livres  bibliques,  y  relevèrent  maint  détail  d'appa- 
rence inconciliable  avec  l'histoire  de  l'époque  chaldéo- 
persane  suffisamment  connue  par  les  monuments.  Voir 
auteurs  et  ouvrages  énumérés  dans  rlebbelynck,  De 
aucloritatr  historica  libri  Danielis,  Louvain,  1887, 
p.  35,  note  2.  Les  réponses  n'ont  fait  défaut  d'aucun 
Côté,  catholique  OU  protestant.  Cf.  HebbelyncU,  ibid. ; 
Vigouroux,  Les  Livres  saints  et  I"  critique  rationaliste, 
Paris.  1890.  t.  iv,  p.  310  sq.;  Pilloud,  Daniel  el  le  ra- 
tionalisme biblique,  Chambéry,  1890.  Depuis  une  quin- 
zaine d'années,  les  critiques  ont  renforcé  leurs  objec- 
tions dans  leurs  c mentaires  el  autres  ouvrages,  el 

la  tendance  esl  aujourd'hui  à  trouver  l'explication  des 
anachronismes  daniéliques  dans  une  confusion  faite 
par  l'auteur  du  livre  entre  les  traditions  anciennes  el 
véridiques  dont   il   put   avoir  connaissance. 

Meinhold,  1889;  Bevan,  1899  .  Behrmann,  1894; 
Driver,  Introduction,  1897;  TheBookol  Daniel,  1900; 
Winckier,  .1  Itot  ienlalische  Foi  n  hungi  n .  1  s. ne,  n,  | , 
p.  210  sq.;  m,  2,  p.  '.:;:;  s,,  (1899,  1901);  Marti.  1901, 
fondent  principalement  leurs  argumenta  sur  une  in- 
terprétation plus  stricte  des  textes  lapidaires  cliahléii- 

ins,  Le  Dictionnaire  île  la  Bible,  Paris,  1897,  i.  t, 

i  "i   1280  sq.,  a  répondu  ■<  cet    irguments  tels  que  les 

groupés  Driver,   Introduction,    'dit.    de    1891; 


71 


DANIEL   [LIVRE   DE 


mais  des  interprètes  catholiques,  tels  que  Riessler,  Dot 
Buch  Daniel,  Vienne,  1903,  et  le  P.  Lagrange,  Les 
propltétiei  messianiques  de  Daniel,  dans  la  I 
biblique,  1004,  p.  194  aq.,  préfèrent  maintenant  trouver 
la  solution  des  antinomies  historiques  du  livre  de 
Daniel,  en  dernier  ressort  et  comme  en  désespoir  de 
cause,  dans  le  mauvais  état  relatif  do  texte  hébreu-ara- 
niii-n  retouché  par  des  éditeurs  ou  des  copistes  mal 
informés  il»'  l'histoire  ancienne  de  l'Orient  babylonien. 
Ainsi,  dans  Dan..  I,  1-2.  où  les  <■  années  »  du  règne  de 
Joakim  paraissent  confondues,  cf.  II  Reg.,  xxiv,  7; 
Jer.,  xlvi,  2,  Riessler  propose  de  lire  «  le  troisième 
mois  de  Jéchonias  ».  Cf.  II  Reg.,  xxiv,  8-16.  Dans 
lian..  iv,  28  sq.,  où  la  maladie  septennaire  de  Nabu- 
ebodonosor  ne  semble  pouvoir,  malgré  l'allusion  hypo- 
thétiquede  Bérose,  dans  Josépbe,  Conl.  Apion.,  i,  20, 
et  la  relation  d'Âbydène,  dans  Eusèbe,  Prsep.  evang., 
ix.  M, 6,  P.  '■■,  t.  xxi.  col.  761.  s'intercaler  dans  aucune 
des  périodes  de  la  vie  de  ce  roi  bien  connue  par  ailleurs. 
Riessler,  p.  42-44,  125-126,  et  Lagrange,  loc.  cit.,  p. 500, 
liraient  volontiers,  au  lieu  de  Nabucbodonosor,  Nabo- 
nide.  Annales  de  Nabonide,  col.  2,  lig.  5-23,  dans 
Schrader,  Eeilinschriflliche  Bibliothek,  t.  ni,  2,  p.  130- 
133,  où  le  dernier  roi  de  Rabylone  parait  dépouillé 
momentanément  du  pouvoir,  enfermé  <<  dans  Tém;'i  i 
Il  en  serait  de  même  dans  Dan.,  v,  où  Baltbasar  est 
affirmé  à  plusieurs  reprises  «  fils  »  et  successeur  de 
.Nabucbodonosor,  contrairement  à  II  Reg.,  xxv,  27; 
.1er.,  ni,  31;  Bérose,  Fragment  14  (Mûller-Didot, 
Fragmenta  historié,  grmeorum,  t.  n,  p.  507  sq.),  où  le 
successeur  de  Nabucbodonosor  est  Amèl-Mardouk 
(Evilmérodacb),  et  à  la  petite  inscription  d'Our.  col.  Il, 
lig.  14  sq.,  dans  Schrader,  ibid.,  p.  97,  où  Belsharou- 
zour  (Baltbasar)  est  fils  de  Nabonide.  Cf.  Riessler, 
p.  51  sq.;  Lagrange,  loc.  cit., p.  500.  Dans  Dan.,  v,  30; 
vi,  29;  ix,  I.  où  un  empire  méde,  ayant  pour  chef 
Darius  le  Méde,  succède  à  l'empire  cbaldéen,  ce  qui  se 
trouverait  contredire  le  Cylindre  de  Cyrus,  lig.  25-36, 
et  les  Annales  de  Xabonide,  col.  3,  lig.  18-28,  cf. 
Schrader.  op.  cit.,  t.  ni.  p.  124-127,  où  Cyrus  succède 
immédiatement,  Riessler,  p.  53,  combinant  une  donnée 
des  LXX  (v.  30)  avec  la  chronologie  des  contrats  baby- 
loniens datés  du  commencement  du  règne  de  Cyrus 
(Schrader,  Keil.  BibL,  t.  iv,  p.  261  sq.)  identifie  Darius 
à  Cambyse  associé  par  son  père  au  gouvernement, 
tandis  que  le  P.  Lagrange  opine  pour  Darius,  lils  d'IIys- 
taspe,  introduit  dans  le  texte  hébreu  par  une  «  série 
d'altérations  ».  Loc.  cit.,  p.  501-502. 

VII.  A.UTEUR.  —  L'auteur  du  livre  de  Daniel  serait, 
ou  bien  le  prophète  de  ce  nom  qui  aurait  vécu  à  Iial.y- 
lone  depuis  le  début  du  règne  de  Nabucbodonosor  II 
(605-562),  sous  Évilmérodach  (562-560),  Nériglissor  (560- 
556),  Laborosoarchod  (556i,  Nabonide  (556-539),  jusqu'à 
la  troisième  année  au  moins  de  la  prise  de  cette  ville 
par  Cyrus  en  539,  Dan.,  x.  1  ;  ou  bien  un  Juif  du  parti 
machabéen,  écrivant  vers  l'année  168,  sous  le  règne 
d'Ântiochus  IV  Épiphane. 

1°  La  première  de  ces  deux  opinions  allègue  en  sa 
faveur,  cl  comme  les  plus  capables  de  convaincre,  les 
raisons  suivantes  :  1.  le  témoignage  du  livre  lui-même  : 
a)  ses  affirmations  touchant  la  mise  par  écril  des  \i- 
sions  par  le  prophète  qui  en  fut  favorisé,  vu.  1,  voire 
de  tout  le  livre,  xn,  4;  l'emploi  continuel  de  la  pre- 
mière personne  dans  les  c.  vn-xii.  très  souvent  par  la 
formule  ■<  moi,  Daniel  »,  et,  pour  la  première  partie, 
i-vi,  la  façon  minutieuse  dont  les  événements  v  sont 
rapportés,  ainsi  que  les  discours  :  souci  du  détail  qui 
trahit,  dit-on,  le  témoin  contemporain,  voir  Hebbe- 
lyncli.  De  auctoritate,  p.  10  sq.  :  Dictionnaire  de  la 
Bible,  t.  i,  col.  1257;  —  b)  «  la  coïncidence  merveilleu- 
sement exacte  qui  existe  entre  les  données  du  livre, 
données  historiques,  archéologiques,  orientales,  et  ce 
que  nous  savons  sûrement  d'ailleurs,       Dictionnaire 


dv  ta  Bible,  t.  i.  col.    1257-1259,  et  les  auu 

—  2.  les  témoignages  de   la  tradition  jui\ < 
tienne  :  a)  allusion  de  Zacharie    en  520-518),  i.  1- 
1-7.  aux  quatre  empires  décrits  dans  Dan.,  n  et  vu; 

//  emprunts  faits  a  Dan.,ix,  5-20  par  Kéhémie 
444-432)  et  les  lévites  ses  contemporains  dans  les  prières, 
Ni  h.,  i.  ."(-11.  ix.  6-37,  Hebbelynck,  p.  44-46;  cf.  pour- 
tant Dictionnaire  de  la  Bible,  t.  i.  col.  1259;  —  c  \ 
Bence  du  livre  dans  le  canon  juif  palestinien  de» 
Ecritures  qui- l'on  dit.  sur  la  foi  du  IV«  livre  d'Esdras,  xiv, 
et  du  Talmud,  Baba  bathra,  lia,  156,  clos  par  Esdras 
MO),  Hebbelynck,  p.  55  sq.;  --  <i  emprunt  fait  à 
ce  livre  par  les  oracles  Sibyllin-.  I.  III.  :>an., 

vu,  7.  8,  11,  20  ,  vers  l'an  170;  —  e)  allusion  de  Matha- 
thias,  dans  son  discours,  I  Mach.,  Il,  59.  60,  aux  faits 
concernant  Daniel   et  ses  compagnons  (Dan.,  in 
comme  à  des  exemples  <■  anciens  >•,  Hebbelynck.  ; 
Bq-  î  — f>  conviction  deJosèphe,  Ant.jud.,  X.  xi.  7;  Bell. 
/"-/.,  I.  IV.  c.  vi,  3;  I.  VI,  c.  n,  1.  Hebbelynck,  p.  50 
des évangélistes,  Matth.,  xxiv.  15;  Marc.  xni.  1».  Heb- 
belynck, p.  61  sq.  ;  des  réfulateurs  de  Porphyre  ;  Métbo- 
dius,   Apollinaire,    Kusèbe.    cf.    S.    .brome.    In    Dan., 
/'.  /..,  t.  xxv.  col.  191  sq.,  580;  de  Tbéodoret,  lu  Dan., 
vu.   /'.   G.,    t.  i.xxxi.  col.    1111;  de  la  tradition   chré- 
tienne jusqu'à  nos  jours.  Dictionnaire  de  la  Bible,  t.  i, 
col.  1260. 

2°  L'autre  opinion,  qui  se  rattache  à  Porphyre,  cri- 
tique d'abord  ces  témoignages,  puis  apporte  ses  raisons. 

—  1.  Critique.  —  a)  La  mise  par  écrit  des  visions  ou 
révélations,  l'emploi  de  la  première  personne  dans  le 
récit,  le  rapport  circonstancié  des  événements  sont 
choses  communes  dans  les  apocal  ne  les  em- 
pêchent pas  d'être  pseudonymes,  pseudépigraphes,  apo- 
cryphes. —  b)  La  coïncidence  des  données  du  livre 
avec  nos  connaissances  archéologiques  et  historiques 
de  l'époque  cbaldéo-persane  est  précisément  sujette  à 
caution.  Bevan,  p.  15-22;  Driver.  Introduction,  p.  498 
sq.  —  c)  Les  ell'orts  des  apologistes  à  trouver  dans  la 
littérature  juive  prémacbabéenne  «  des  traces  du  livre 
de  Daniel  »  sont  jugés  «  désespérés  »,  et  les  résultats, 
de  l'aveu  de  ces  apologistes,  n'en  sont  point  concluants. 
Bevan,  p.  13.  Cf.  Hengstenber-,  Die  Aulhentie  des 
Daniel,  1831,  p.  277;  Dictionnaire  de  la  Bible,  t.  î. 
col.  1259.  —  d)  Le  canon  des  écrits  prophétiques 
n'ayant  pu  être  clos  qu'après  l'exil,  il  est  inexplicable 
que  le  livre  de  Daniel,  s'il  existait  alors  et  devait  être 
connu  des  Juifs,  n'ait  trouvé  place  que  parmi  les  h. bio- 
graphes et  n'ait  pas  été  mentionné  par  Eccli..  xuv-i., 
parmi  les  écrits  des  prophètes.  Bevan,  p.  11  si].;  Dri- 
ver, p.  497  sq.  —  e)  Le  témoignage  des  oracles  sibyl- 
lins, 1.  III.  doit  être  descendu  jusque  vers  l'an  lin. 
la  référence  de  I  Mach.,  n.  ne  prouve  pas  que  le  livre 
de  Daniel  ait  existé  comme  tel  avant  l'an  168,  Matba- 
thias  invoquait  plutôt  des  souvenirs  traditionnels. 
Bevan,  p.  1  i  —  f)  La  tradition  juive  postmachabéenne 
et  la  tradition  chrétienne  ne  tirent  pas  plus  de  diffi- 
cultés à  croire  le  livre  l'œuvre  du  prophète  Daniel 
qu'elles  n'en  firent  à  croire  les  apocalypses  apocryphes 
ouvris  d'Hénoch,  d'Adam,  de  Moïse.  d'Abraham,  etc. 

2.   A   celte  critique  s'ajoutent    les   raisons  suivantes  : 

—  a)  Il  serait  surprenant  que  Daniel,  avant  la  conquête 
de  Cyrus,  ait.  pour  décrire  les  institutions  chaldéennes, 
fait  usage  de  mois  persans  tels  qu'il  s'en  trouve  dan^ 
les  livres  d'Esdras  et  Néhémie,  d'Esther,  des  Cbro- 
niques,  el  de  mots  grecs.  Driver,  loc.  cit.,  p.  501  sq. 

—  b)  l.'arameen  et  l'hébreu  du  livre  sont  d'époque 
beaucoup  plus  récente  que  le  vi*  siècle.  Driver,  p 

sq.  —  e  i  Les  doctrines  du  livre  sur  le  Messie,  les 
anges,  la  résurrection,  le  jugement  du  monde,  »  appa- 
raissent  par  le  i  ton  général  l  et  surtout  par  la  façon 
plus  claire  dont  elles  sont  traitées  —  ce  qui  accuse,  par 
rapport  au  temps  de  l'exil  et  .i  l'époque  immédiate- 
ment antérieure,  une  période  nécessaire  de  développe 


73 


DANIEL    (LIVRE    DE 


74 


ment  —  contemporaines  du  livre  d'Hénoch  (vers  100). 
—  d)  L'époque   machabéenne,    le    règne    d'Antiochus 
Épiphane,  Antiochus  lui-même  et  ses  entreprises  im- 
pies et   tyranniques    étant   visés   dans   les  principaux 
passages  du  livre,  vu,  8  sq.,  20  sq.;  vin,  9-14,  23-25; 
ix.  27;  xi,  21-45;   xii,  1,  7,  11-42,  et  décrits  avec  une 
précision  remarquable  inconnue  jusqu'alors  chez  les 
prophètes;  tout  le  livre  lui-même,  avec  les  consolations 
«t   les  encouragements  qu'il  apportait  aux  Juifs  mal- 
heureux   de    cette   époque    de   trouble   et   d'épreuves, 
venant  alors  à  son  adresse  avec  un  à  propos  admirable, 
on    s'étonne    qu'il    ait    été   écrit   à   Babylone,    quatre 
cents  ans  avant  l'année  où  il  pouvait  seulement  être  lu 
■et  compris  utilement,  et  qu'il  ait  été  «  caché  »  ce  temps 
durant  au  peuple  juif,  pour  n'être  publié  qu'au  n*  siècle. 
Dan.,  xii,  4.  Ne  vaut-il  pas  mieux  admettre  qu'un  écri- 
vain, contemporain  des  Machabées,  s'est  mis,  «  par  une 
fiction  littéraire  »  propre  aux  auteurs  d'apocalypses,  «  à 
la   place   d'un   personnage   célèbre   »   dans  l'antiquité 
juive,   de   Daniel    (Ezech.,   xiv,  14,  29;  xxvm,   3),  et, 
groupant  dans  un  livre  d'anciens  souvenirs  tradition- 
nels propres  à  inspirer  confiance  en  la  divine  provi- 
dence de  Jahvé  à  l'égard  des  siens  (Dan.,  i-vi),  a  voulu, 
pour  relever  le  courage  de  ses  compatriotes,  joindre 
ces  souvenirs  consolants  à  un  tableau  —  tracé  dans  le 
style  et  la  manière  prophétiques  —   de   son  temps  si 
éprouvé?   Le  procédé   serait  identique  à  celui  auquel 
nous  devons,  sous  le  nom  de  Salomon,  la  Sagesse  et 
l'Ecclésiaste.  Driver,  op.  cil.,  p.508sq.;  Tunnel,  Étude 
su/-  /<•  livre  de  Daniel,  Paris,  1902,  p.  27  sq. 

VIII.  Enseignements  doctrinaux.  —  /.  dieu.  —  La 
plupart  des  attributs  divins  sont  affirmés  ou  enseignés 
dans  le  livre  de  Daniel,  et  Dieu  y  reçoit  des  noms 
variés  et  appropriés  à  ses  attributs  :  D  est  le  Dieu 
éternel  et  immuable,  iv,  3,  34;  vi,  26;  le  «  Dieu  vivant», 
1'  «  ancien  des  jours  »,  vu,  9,  13,  32,  qui  «  subsiste  à 
toujours  »;  le  Dieu  provident  qui  soutient  et  gouverne 
à  son  gré  le  inonde,  qui  a  tout  «  dans  sa  main  »,  iv, 

17.  35;  v.  23;  vi,  27,  et  que  l'on  nomme  pour  cela  le 
Très-Haut,  le  Dieu  suprême,  le  Seigneur  des  cieux,  v, 

18,  "23;  le  Dieu  sage  et  omniscient  qui  «  connaît  ce  qui 
est  dans  les  ténèbres,  profond  et  caché  »,  n,  20  sq.;  le 
Dieu  fort,  omnipotent,  qui  «  dé-livre  et  qui  sauve  ».  n- 
21  :  ni.  17.  29,  qui  fait  des  «  signes  et  des  prodiges  », 
iv.  2.  3;  vi.  27;  le  Dieu  saint  et  juste,  iv.  37;  IX.  7,  14, 
bon  el  miséricordieux,  i\,  .">.  9,  fidèle  à  sa  parole,  i.\, 
12.  Sa  transcendance  y  est  surtout  marquée  :  Dieu  est 
au-dessus  du  monde  créé  et  non  compris  en  lui,  puis- 
qu'il est  le  <  i)i<  m  du  eiel  g  et  le  «  Dieu  des  dieux  », 
ti.  19,  28,  37,  4t.  i.">,  i7.  le  g  prince  de  l'armée  »  nies 
cieux  et  de  la  terre.  Gen.,  n.  1 1,  le  a  prince  des 
princes  »,  vm.  Il,  25,  el  puisque  cessant  de  gouverner 
immédiatement  le  monde  el  d'opérer  directement  par 
lui-même  le  ^alut  de  son  peuple,  il  se  remet  <le  ces 
deux  fonctions  à  îles  intermédiaires  :  anges,  iv,  13  sq., 
31,  m.  22.  \.  13,  21;  vu.  I  .  fils  «le  l'homme,  \n,  13- 
11;  vin,  15-16;  \.  .".,  13,  20-21;  xn,  6  sq. 

n.  inges.  -  L'angélologie  du  livre  de  Daniel  n'est 
aucunement  due  ■>  l'inlluence  persane  .  car,  outre  qu'âne 
influence  de  cette  --.Mie  sur  l'Ancien  Testament  n'est 
|  rouvi  '■.  chacun  des  points  de  la  doctrine  du  livre 
sur  i  i  son  précurseur  dans  quel. pie  écril 
biblique  plus  ancien,  lei.  les  anges  onl  leur  personna- 
lité distincte  .< rii i-m. .  par  des  nom-  propres,  \m.  18; 
ix,  21 .  x.  13,  21  .  xn.  I  ,  leur  i  isidence  habituelle 
le  ■  ciel  .  on  ils  for ni  assemblée  autour  «lu  Très- 
Haut,  iv.   13,  17.  cf,  .lob.  i,  il;  x\.  s.  Jer.,  sxm,   18; 

•.xxix.  8;  ils  '•ont  hiérarchi»    .  il-  onl  de 
\.  13:  xn.  I    .  f  .los.,  v.  13  15;  />.  i...  i.  h  sq.j  m.  i 
leurs  fonction  i  ner  le  moud. 

la  direction  divine,  el  ..  exécuter  les  ordre*  de  lu.  n  .  n 

Jl  ■-':!.  ou  .'n  servit 
vm.  10  sq.;  nombre  d'entre  eux    oui  angi     ■.  irdien 


peuples  païens,  x,  13,  20,  et  d'Israël,  x,  21;  xn,  1, 
combattant  pour  eux  et  les  défendant.  Cf.  Jud.,  V,  20; 
ls.,  xxiv,  21;  Exod.,  xiv,  19;  Num.,  xx,  16. 

/;/.  messie.  —  Suivant  l'interprétation  traditionnelle, 
sa  nature  divine  et  sa  préexistence  sont  marquées  par 
sa  s  venue  sur  les  nuées  du  ciel  »,  vu,  13;  cf.  Exod., 
xl,  34;  ls.,  xiv,  1,  4,  etc.,  et  sa  mission  divine  par  son 
caractère  de  «  oint  »,  à  l'instar  des  rois,  des  prêtres  et 
des  prophètes,  ix,  26.  L'objet  de  cette  mission  se  définit 
par  la  rémission  des  péchés,  la  justification,  la  fonda- 
tion de  l'Église  (onction  du  saint  des  saints),  ix,  24,  et 
la  manière  dont  elle  sera  réalisée  est  indiquée  dans  la 
mort  du  Christ  ou  oint,  ix,  26.  L'époque  de  la  réalisa- 
tion est  fixée,  ix,  24-27.  Le  Messie  est  le  chef  du  royaume 
de  Dieu,  vu,  14. 

iv.  eschatologie.  —  Interprétation  traditionnelle.  — 
1°  Antéchrist.  —  Sa  personne  :  un  roi,  vu,  20,  24;  xi, 
21;  son  caractère  :  orgueilleux,  impie,  vu,  20,  25;  xi, 
28,  30,  32,  36,  pourtant  idolâtre,  xi,  38;  son  œuvre  : 
persécution  des  saints,  des  justes,  vu,  21,  25;  xi,  33; 
séduction  des  faibles,  des  apostats,  xi,  30,  32;  destruc- 
tion du  culte  sacré,  profanation  du  sanctuaire,  xi,  31  ; 
sa  ruine  finale,  au  jugement,  vu,  26;  xi,  45.  —  2°  Juge- 
ment. —  Présidé  par  Dieu  lui-même,  vu,  9;  instruit 
par  des  «  juges  »  (?),  vu,  10;  rendu  sur  toutes  les  na- 
tions, vu,  11-12.  —  3"  Second  avènement  du  Christ 
«  sur  les  nuées  du  ciel  »,  vu,  13-14.  —  4°  Résurrection 
des  morts,  bons  et  méchants,  xn,  2,  et  séparation  des 
uns  et  des  autres.  —  5°  Vie  éternelle  et  récompense  des 
fidèles  et  des  «  docteurs  en  justice  »  par  la  lumière 
céleste,  xn,  2-3;  damnation  et  châtiment  des  pervers 
par  la  honte  et  l'opprobre  éternels,  xn,  2. 

IX.  Commentateurs.  —  1°  Anciens.  —  1.  Dans  l'an- 
tiquité chrétienne  (m'-viil6  siècles).  —  Grecs  :  S.llippo- 
lyte  (Rome  vers202-20't),  fragments,  Hippolytus  Werke, 
t.  i,  Exegetische  Schriflen,  édit.  Bonwetsch  et  Achelis. 
Leipzig,  1897;  cf.  P.  G.,  t.  x,  col.  638-700;  S.  Jean 
Chrysostome  (?),  P.  G.,  t.  i.vi,  col.  193  sq.;  Polychro- 
niusd'Apamée  (ve  siècle),  fragments  dans  A.  Mai,  Scri- 
ptor.  vet.  nova  colleclio,  Rome,  1825,  t.  i  b,  p.  137  sq.; 
Théodoret  de  Cyr  (vc  si-ècle),  Commentarius  (yjtd- 
HVT][ia)  in  visiones  Daniel,  P.  G.,  t.  i.xxxi,  col.  1256- 
1549;  Ammonius  d'Alexandrie  (m?  v  siècle),  frag- 
ments dans  A.  Mai,  op.  cit.,  t.  i  b,  p.  212  sq.;  cf.  P.  G., 
t.  lxxxv,  col.  1364-1381  Syrien  :  S.  Epbrem,  Ex- 
posiHo  in  Daniel,  dans  Opéra  omnia  syriaca,  Rome, 
1740,  t.  n,  p.  203-2:53.  —  Latin  :  S.  Jérôme,  Commcn- 
tariorum  in  Danielem  liber  unus,  P.  L.,  t.  xxv, 
col.  513-610.  —  2.  Au  moyen  âge  (ix*-xv*  siècles), 
Walafrid  Strabon  (îx'  siècle)  emprunte  au  commen- 
taire de  saint  Jérôme  sa  Glossa  ordinaria  sur  Daniel  ; 
Albert  le  Grand  (XIIIe  siècle),  Exposilio  in  Dan.,  dans 
Opéra,  Lyon,  1658,  t.  vm;  Nicolas  de  Lyre  (XIV  siècle), 
Poslillœ  perpétuée  sire  prssvia  commentaria  in  uni- 
versa  Biblia,  Rome.  1171-1472;  Thomas  Vallcnsis 
(xv*  siècle),  Exposilio  aurea  in  Dan  ophetam, 

dans  S.  Thomas  Aquinalii  opéra,  Paris.  1660,  I.  xix. 
p.  5-57;  Paul  île  Sainte-Marie  de  Burgos  (xv  siècle), 
Additiones  aux  Posiillx  de  Nicolas  de  Lyre,  dans 
Biblia  sacra  cum  Glossa  ordinaria,  Venise,  1603.  — 
Commentateurs  juifs  :  Saadia  i\"  siècle),  copie  frag- 
mentaire à  la  Bodléienne;  V.  Ilm  Ali  (vers  1000),  arabe, 
..ht  el  Irad,  Margoliouth,  Oxford;  Raschi  \i  siècle); 
\l.en-l./ra   xn   siècle);  Abarbanel  ..xv  siècle). 

■ï    Modernes.       A  partir  du  svt   siècle  :  -l.  Maldonat, 
Conim.  m  Je,.,  Bar.,  Ezech.,  Danielem,  Paris.  1810; 
II.  l'inio.  ///  divinum  vatem  Danielem  commentarii, 
Cofmbre,  1582;  l'..  Pererius,  Commentaria  m  /' 
lem,  Rome.  1587;  •'■.  Sanctius,  Comm.  m  Dan.  / 
phetam,  Lyon,  1612;  Corneille  .le  la  Pierre,  Comm. 

m  m  /./  ophetat  i-  a .  invers,  1684;  I.  Tirin,  Comm, 

n,  tacram  Script.,  Lyon,  1678,  tin.  Didacusde  Celada, 
Commentarius  litleraliset  moralisin  Susannam  Danie- 


DANIEL     LES    SOIXANTE-DIX    SEMAINES    IM'    PROPHÈTE 


. ,  Lyon,  1656      Protestants,  aux  xvi1  el  vni'  siècles 
Luther   1530),  CEcolampade  (1530),  Mélanchlhon   I 
Calvin    1563     Draconites  (1544  .  Strigel  [1566),  Wigand 
(1571  .   Polycarpi    i         i     1609  .   Martin   Geier  I  11 
Hugo  Grolius  (1664  ,  Balthasar  Bekker  (1688). 
Calmet,  Commentaire  littéral,  2    ■  dit..    Paris,   1726, 
t.  vi,  p.  689-691;  L.  de  Carrières,  Traduction  fran>, 
de  la  Bibl  commentaire  littéral,  Paria,  1701- 

1710.  dans  Sainte  Bible  et  les  commentaires  tir  Jean 
iv  siècle,  Paris,  IH'iT.  i.  iv). 

.'!■'  Contemporains.  —  1.  Catholiques.  —  Dereser, 
Vie  Propheten  Ezechiel  und  Daniel  ùbersetzt  und  er- 
klârt,  Francfort-sur-le-Mein,  1810;  2«  édit.,  Scholz, 
1835;  Allioli,  Die  heilige  Schrift,  Nuremberg,  18M4, 
t.  iv ;  G.  Palmer,  Commentatio  in  librum  Danielis  pro- 
phetœ,  Rome,  !S7i;  holding,  Dos  Buch  des  Propheten 
Daniel,  Mayence,  1876,'Trochon,  Daniel,  Paris,  188-2; 
.1.  Fabre  d'Envieu,  Le  livre  du  prophète  Daniel,^  in-8°, 

Pari  s,  1889-1891  :  Knabenbi r,  Commenlarius  m  Da- 

nielem prophetam,  Paris,  1891;  Fr.  S.  Tiefenthal,  Da- 
niel explicatus,  Paderborn,  1895;  Hiessler,  Das  Buch 
Daniel erklârt,  Vienne,  1902.  — 2.  Protestants.  —  11a- 
renberg,  A  ufklârung  des  Bûches  Daniel,  Quedlinbourg, 
I77:i;  Zeise,  Ubersetzung  und  Erklàrung  des  Bûches 
Daniel,  Dresde,  1777;  Bertholdt,  Daniel  ùbersetzt  und 
erklârt,  Erlangen,  1806,  1808;  Hâvernick,  Commentar 
ûberdas  Buch  Daniel,  Hambourg,  1832;  Rosenmûller, 
Scholia  in  Vet.  Test.,  part.  X,  Leipzig,  1832;  Von  Len- 
gerke,  Dos  Buch  Daniel,  Kœnigsberg,  1835;  llitzig. 
Das  lluc/i  Daniel,  Leipzig,  1850;  M.  Stuart,  Commen- 
tary  on  lin-  book  of  Daniel,  Hoston,  1850;  Pusey, 
Daniel  the  Prophet,  Oxford,  1865;  Desprez,  Daniel  or 
the  Apocalypse  of  the  Old  Testament,  Londres,  1865; 
Fûller,  Der  Prophet  Daniel,  Hàle,  1868;  Ewald,  Die 
Propheten  des  Allen  Bundes,  Stuttgart,  1841-1868,  t.  m; 
Kliefoth,  Das  Buch  Daniels  ùbersetzt  und  erklârt, 
Schwerin,  1868;  Kranichfeld,  Das  Buch  Daniel  erklârt, 
Berlin,  1868;  Keil,  Biblischer  Commentar  ûber  den 
Prop h.  Daniel,  Leipzig,  1869;  Zockler,  Der  Prophet 
Daniel,  Leipzig,  1870;  Fuller,  Daniel, dans  Holy  Bible, 
Londres,  1882,  t.  vi ;  M einhold,  Daniel,  dans  Commen- 
ter de  Strack  et  Zockler,  Munich,  1889,  t.  vin  ;  Bevan. 
A  short  commentary  on  the  Book  of  Daniel,  Cam- 
bridge, 1892;  Behrmann,  Das  Buch  Daniel, Gœttingue, 
I8!ii  ;  Ferrar,  The  book  of  Daniel,  l,x;>.">:  Prince. .4  cri- 
tical  commentary  on  the  Book  of  Daniel,  Leipzig, 
1899;  Driver,  The  Book  of  Daniel,  Cambridge,  1900; 
Marti,  Das  Buch  Daniel  erklârt,  Tubingue,  1901; 
G.  Jahn,  Das  Buch  Daniel  nach  der  LXX  hergeslellt, 
ùbersetzt  und  kritisch  erklârt,  Leipzig,  190i;  C.H.  11. 
Weigh,  Daniel  and  its  critics,  critical  and  gramma- 
tical commentary,  Londres,  1906. 

I  Vigoureux,  Manuel  biblique,  12'  édit.,  Paris,  1906,  t.  il- 
p.  758-782;  E,  Philippe,  dans  le  Dictionnaire  de  ta  Bible,  t.  Il, 
col.  1247-1283;  R.  Cornely,  Introductio  speciatis,  Paris,  1887, 
t.  il,  2,  p.  466-517;  .1.  Fabre  d'Envieu,  Le  livre  du  prophète 
tel,  Paris,  1888,  i.  I,  Introdution  critique;  E.  B,  Pusey, 
Daniel,  the  prophet,  nine  Lectures,  Londres,  1869;  S.  R.  Driver, 
Einleitung  in  die  Literatur  des  alten  Testaments,  trad.  Rotb- 
Btein,  Berlin,  189i  52;  G.  Wildeboer,  l>ic  Literatur  des 

•  i    /'.,  2* édit.,  Gœttingue,  1905,  p.  135-444;  C.H.  CorniU,  Einlei- 
i  4'  édit.,  Fïiboui'  tu  et  Leipzig, 

p.  210-216;  n.  1.  -  rack,  Einleitung  in  das  .t.  '/'..  6 
Munich,  1906,  p,  158-161;  C.  II.  II.  Wright,  Daniel  andhit 
phecles,  Londres,  1906;  L.  Gautier,  Introduction  h  VA.  T.,  Lau- 
sanne, 1006,  t.  n.  p.  260-805;  Kirchenlexikon,  l  m,  col 

\die,    i.    rv,    p.    145-467;    Encyclopmdia 
biblica  di  I  dri      1899,  t,  I,  col.  1002-1015;  i  D 

nary  ofthe  Bible  de  Rasttogs,  Edimbourg,  1898,  L  i,  ]».  551-667. 

I..  lin. m . 

II.  DANIEL  (Les  soixante  dix  semaines  du  prophète). 

Celle  prophétie  des  semaines  i  suit,  Dan.,  ix,  21- 
27.  la  pi  n  iv  où  tout  «'n  Implorant  la  divine  merci  pour 
Jérusalem  détruite  el  pour  son  peuple  captif,  le  voyant 
de  Babylone  a  établi  qu'Israël  avait  gravement  offensé 


Dieu,  5.  7-8,  (1-13,  15;  qu'il  avait  toujours  mépris* 
remontrances  de  ses  prophètes,  6,  9,  10,  14,  et  que  pour 
cette  raison  il  te  trouvait  présentement  puni  pai 
clavage  el  la  ruine  de  son  U  mple,  16-19.  Elle  n  pond  i 
cette  prière  tripartite  par  la  triple  promesse  du 
don  du  péché       inaugurant    le  règne  de   la      jp 
éternelle  »,  du  i  scel  de  la  vision  et  du  pro| 

1       onction  du  saint  des  s-  :  i  i  r  1 1  -  »,  24.   Elle  parait  confir- 

mer  aussi  une  intuition  du  voyant  sur  ■  '. 
m-  de  la  captivité  alors  pris  de  leur  lin.  2;  par  la  fixa- 
lion  d'un  délai  de  i  soixante-dix  semaines  i  pour  I  ac- 
complissement de  cette  promesse,  2i.  Elle  divise  enfin 
ce  délai  en  périodes  de  longueur  très  inégale,  mari 
chacune  par  un  ou  plusieurs  événements  capitaux.  25- 
27.  Selon  que  l'on  ponctue  différemment,  dans  le  livre 
hébreu,  le  milieu  du  i.  25.  ces  périodes  sont  au  nombre 
de  deux  ou  de  trois.  I»,-  deux  —  soixante-neuf  sema 

septel  Boixante-di  semaine  >: soixante- 

neuf  jusqu'à   l'avenenient.  ou  l'apparition  SUI 
de  l'histoire,  d'un     Oint-prince  i  ensuite  ■  exterminé 
après  les  soixante-deux  semaines  »;  une  qui  voit  • 
complir  d'autres  événements  importants,  d'un  carac- 
tère plus  général,  en  rapport  avec  la  destinée  du  culte 
mosaïque  et  du  peuple  juif  lui-même  :  division  indiquée 
par  les  versions  de  Tliéodotion  et  de  saint  Jérôme.  De 
trois  —  sept,  soixante-deux,  et  une  semaines:  sept,  B] 
lesquelles  apparaît  1'  i  Oint-prince  >;  soixante-deux, 
au  cours  desquelles  Jérusalem  se  trouve  «  rebâtie  »,  et 
t   après  »  lesquelles   un  i  Oint  est  exterminé  »  ;  une. 
enfin,  la  dernière,  déjà  définie  :  division  marquée  par 
le  texte  hébreu  inassorélique.    Il   convient   d'obs> 
pourtant  que  ce  texte  peut  encore,  au  début  du  >.  27. 
s'interpréter  soit  d'un  seul   sujet   :    «  un  prince  qui 
vient  »  ou  «  son  armée  •  (26),  sujet  agissant  dan-  toute 
la  série  des  événements  rapportés  à  la  den  une; 

soit  aussi  de  1"  «  oint  exterminé'  »  du  \.  26,  sujet  d'une 
partie  d'entre  eux,  de  ceux  qui  concernent  V  «  alliance  » 
et  le  «  sacrifice  »  mosaïques. 

Xous  laissons  de  côté   l'interprétation  de  celle   pro- 
phétie que  l'on  appelle  eschalologique,  parce  qm 
fauteurs  appliquèrent  la  chronologie  des  versets  24-27 
à  une  période  historique  qui  devait,  ou  qui  doit  même 
encore,  se  terminer  à  la  fin  du  monde.  Quelque  forme 
particulière  qu'elle  ait  revêtue,  celte  interprétation  était 
ou  est  inadmissible,  parce  que  invérifiée  ou  arbitraire. 
Ainsi   l'exégèse  d'Apollinaire  de    Laodicée.  dans   saint 
Jérôme.    Comm.    in   Dan.,    P.    L.,    t.    xxv,   col. 
d'Hésychius,    dans    saint  Augustin,   Epist.,   CXCTII,   I; 
cxcvin,  5,  P.  L.,  t.   XXXIII,  col.  899,  '.M.M,  comptait  les 
soixante-dix  semaines  à  partir  de  la  naissance  du  Christ 
et  plaçait  la  fin  des  temps  vers  l'an  490  de  notre 
Ainsi  Ammonius  d'Alexandrie,  dans  Mai,  S<  ripior.  vet. 
nova  collectio,   I.    l,  Catena    in    Danielcm,    p.  212.    et 
/'.  c...  t.  i.xxxv,  col.  i:>77;  S.  (renée,  Cont.  hatr.,l.  Y. 
r  \x\.  n.  1.  /'.  (...  t.  vu.  col.  1191  ;  s.  Hippolyte,  In  Do»., 
iv.  34,  Bonwetsch,  Hippolytus,  dans  Die  griechischen 
chrisllichen  Schrifsteller,  Leipzig,  IS'.C.  I.  i.  p.  278, 
In  Dan.  et  Anticiiristo,  i->.  Achelis,  Bippolytu»,  ibul.. 
i.  i.  p.  27:  .Iules  Africain  (selon  Apollinaire  .  cf.  S 
réme.  loc.  cit..  col.  848;  le  pseudo-Cyprien,  !><■  Pou 

computus,   13,   14,  dans  !..  Il.irtel.  Ci/priani 
,,,,:    Corpus  seriptorum  ecclesiasticorum   latinoi 
Vienne,   1871,  t.  me,  p.  281-262;  Victorin  de  Pettau, 
Scholia  in  Apocalypsin,P.  L.,l.  v,  col.  339;  s.  llil.iire. 
fa  Hatth.,  /'.  /...  t.  ix,  col.  1054;  s.  Ambroise,  I 
silio   Evang.    sec.    Lucani,    /'.   /...    t.   xv.   col. 
détachèrent,  contrairement  aux  exigences  du  texte,  la 

dernière  semaine  de-  soixante-neuf  finissant    au    temps 

du   Christ,  p.ur   la   reporter   à  ceux  de  l'Antéchrist. 
I  ntin.   parmi  le-  théologiens  el    critiques   protestants 
modernes,  Kliefoth,  Dos  Buch  Daniels,  Schwerin, 
et    Keil,   Comm.    û6er  don  Proph.    Daniel.    Leipzig, 
1869,  étendirent  jusqu'à  la  fin  du  monde  cette  longui 


77 


DANIEL    (LES    SOIXANTE-DIX    SEMAINES    DU    PROPHÈTE 


78 


période  de  semaines,  idéalisant  celles-ci  en  périodes 
indéterminées,  ou  les  tenant  pour  des  périodes  jubi- 
laires de  cinquante  années. 

Nous  écartons  également  de  notre  route  les  opinions 
aussi  peu  justifiées  d'Origène,  In  Matt/i.,  comment, 
séries,  40,  P.  G.,  t.  XIII,  col.  1656,  qui  estime  chaque 
«  semaine  »  équivaloir  à  70  ans;  de  Jules  Africain,  cité 
par  Eusèbe  de  Césarée,  Eclogae  propheticx,  1.  III, 
c.  xlvi,  P.  G.,  t.  xxii,  col.  1 177,  lequel  auteur  donne  à 
la  soixante-dixième  semaine  la  valeur  de  70  ans  et  la 
place  entre  l'ascension  du  Christ  et  la  mort  de  l'apôtre 
Jean;  de  lîruno  d'Asti,  Homil.,  cxn,  P.  L.,  t.  ci.xv, 
col.  832,  qui  vit  dans  la  première  septaine  des  semaines 
de  jours  et  reporta  au  temps  de  l'Antéchrist,  comme 
les  eschatologues,  la  dernière  semaine;  du  quidam  sa- 
pienlissimus  Jndseorum,  que  l'auteur  anonyme  du 
Traclatus  contra  Judueum,  P.  L.,  I.  ccxiii,  col.  785- 
786,  assure  avoir  compté  49  ans  pour  chaque  semaine; 
de  .1.  K.  Hofmann,  Die  10  .lahre  des  Jerem.  und  des 
Ban.,  Nôrdlingen,  1836;  de  C.  Wieseler,  Die  70  Wo- 
c/ien  des  Proph.  Dan.,  1839,  et  de  Franz  Delitzsch, 
Realencyclopàdie  de  Herzog,  édit.  1878,  t.  m,  p.  477, 
qui  intervertissent  les  séries  :  62  +  4  +  7. 

Les  «  semaines  »  du  prophète  Daniel  doivent  être 
tenues,  d'après  la  logique  du  texte  et  selon  la  plupart 
des  interprètes,  pour  des  semaines  d'années.  Voir  spé- 
cialement Hebbelynck,  De  aucloritate  historica  lib. 
Dan.,  Louvain,  1887.  Appendix,  Jnterpretatio  vaticinii 
de  /v.v  hebdomadis,  p.  320  sq.;  Knabenbauer,  Comm. 
ht  Dan.  proph.,  Paris,  1891,  p.  231;  Bevan,  A  short 
comni.  on  thebooh o[ Dan.,  Cambridge,  1892,  p.  141  sq. 
Pour  les  mêmes  raisons,  les  promesses  du  y. 24  s'iden- 
tifient aux  biens  messianiques;  cette  identification 
s'impose  aussi  comme  résultant  de  la  comparaison  de 
ce  verset  avec  d'autres  prophéties  incontestablement 
messianiques.  Cf.  Hebbelynck,  ibid.,  p.  328,  340  sq.; 
Knabenbauer,  ibid.,   p.  234  sq.  On   ne  discute   que   la 

question   <l ornent  précis   de  l'histoire  d'Israël  où, 

dans  le  sens  premier  et  direct  de  la  prophétie,  ces  biens 
doivent  se  réaliser.  Ici.  deux  interprétations.  L'une  tra- 
ditionnelle et  unanime,  ou  peu  s'en  faut,  dans  l'Eglise 
catholique  ;  les  biens  messianiques  seront  apportés  par 
Jésus-Christ  venu  à  peu  près  exactement  et  mis  a 
mort  vers  la  fin  des  soixante-neuf  premières  semaines 
Il  L'autre,  très  ancienne  aussi,  sinon  la  plus  an- 
cienne, et  critique  :  l'oracle  daniélique  situe  la  réali- 
sation des  biens  a  li^sue  de  la  persécution  exercée,  au 
mile  u  du  n  siècle  avant  noire  ère,  contre  les  Juifs 
restés  fidèles  .i  la  religion  et  aux  coutumes  de  leurs 
ancêtres,  par  Antiochus  Kpiphane  (III).  A  condition 
d'être  entendue  au  sens  spirituel  et  typique,  cette  inter- 
prétation demeure  messianique  el  D'infirme  nullement 
la  preuve  théologique  de  la  divine  mission  du  Chris) 
que  l'apologétique  chrétienne  et  catholique  a  de  tout 
temps  instituée  d'après  celle  prophétie,  preuve  dont 
nous  voulons  d'abord  (I)  retracer  l'histoire. 

I.  Histoire  i logiqi  e  de  la  prophétie  des  i  xx  se- 
maines. —  I"  L'antiquité  chrétienne  appliqua  de  bonne 
heure  au  Christ  et  à  l'instanl  de  sa  venue  l'oracle  divin 
communiqué  an  prophète  par  l'ange  Gabriel.  Elle  en  lit 
an  usage  heureux  el  constant  dm-  --es  œuvres,  soit  de 
pure  édification,  soil  de  conti  nive  el  païenne. 

A  la  fin  du  n  siècle,  Clément  d'Alexandrie,  Strom.,  i, 
21  P  G.,  i.  Vin,  col.  853,  s'occupant  de  philosophie 
religieuse  el  non  de  polémique,  el  voulant  néanmoins 
montrer  l'accord  de  l'histoire  biblique  el  de  l'histoire 
profane,  assure  que  l'oracle  de  Daniel  s'est  accompli 
ii  l  que  i  avail  énoncé  le  prophète  le  Christ  notre 

■  un  'i  in  s  les  soixante-deux    se 

ml  l.i  i  b. m      en  -.>  personne      de  l'Espril  di 
La  méim  doctrine  est  affirmée  avec  une  mien 
lion    directement   apologétique    pai    Tertullien,    Adv. 
Judœoi,  c.  vin,  /-.  /...  i.  n.  col.  612-010.  Saint  Hippolyle, 


In  Dan.,  iv,  32,  Bonwelsch,  Hippohjlus,  t.   i,  p.  270, 
compare  la  loi  nouvelle  inaugurée  par  le  Christ  à  la 
loi  ancienne  ou  «   première   »  donnée   par  Moïse  aux 
enfants  d'Israël  :  celle-ci  fut  promulguée  «  après  434  ans  » 
de  servitude    égyptienne;    «    pour  que  le  peuple  put 
attendre  celle-là   et  les   croyants  la  reconnaître  aisé- 
ment, il  fut  nécessaire  qu'elle  s'établit  après  le  même 
laps   de    temps    »    (soixante-deux    semaines   d'années) 
faisant  suite  à  la  captivité  de  Babylone.  Avant  de  com- 
puter les  semaines,  Jules  Africain,  Chronographia,  XV, 
P.  G.,  t.   x,  col.   80-81,  harmonisant   l'histoire  judéo- 
chrélienne  et  les  traditions  des  peuples  païens,  observe 
que  a   ces  choses  sont  dites   de  l'apparition  du  Christ 
qui   doit   se  manifester  clairement   après   soixante-dix 
semaines  »;  ces    choses    sont   les   biens   messianiques 
énumérés  au   jl.  24  et   «   qui  n'existèrent   point  avant 
qu'apparut  notre   Sauveur  ».  Origène,   ënumérant   les 
prophéties  accomplies  en  la  personne  de  Jésus-Christ, 
n'oublie  pas  que  «  selon  Daniel,  soixante-dix  semaines 
se  sont  écoulées  jusqu'au  Christ  »,   De  principiis,  iv, 
n.  5,  P.   G.,  t.   xi,  col.  349,  «  venu  pour  bâtir  »  son 
Eglise.  In  Mallli.  comment,  séries,  40,  P.  G.,  t.  xm, 
col.  1656-1658.  Bien  que  l'auteur  du  De  pascha  com- 
pulns,  n.  18,  loc.  cit.,  p.  265,  ne  se  fût  proposé  d'autre 
but  que  de  fixer,  ou  mieux  de  rectifier,  le  canon  pascal 
par  de    nouveaux   calculs    fondés   sur    la    chronologie 
biblique,  il  marqua  néanmoins  que,  «  une  fois  complets 
les  434  ans  contenus  dans  les  soixante-deux  semaines, 
il  fallut  que  le  Christ  naquit  selon  la  chair.  »  Eusèbe 
de  Césarée  a  «  établi  la  vérité  en  ce  qui  concerne  la 
venue  du  Christ  »  par  l'application  d'«  une  prophétie 
réalisée  lors  de  l'apparition  de  notre  Sauveur  Jésus- 
Christ  »  :  ce    que  le   «   livre  de   Daniel    »   a    annoncé' 
«  après  avoir  très  clairement  fixé  le  nombre  exact  des 
semaines  qui  devaient  s'écouler  jusqu'au  Christ  roi... 
s'est  manifestement   réalisé    lors   de   la    naissance   de 
notre  Sauveur  ».  H.  E.,  1.  I,  c.  VI,  P.  G.,  t.  xx,  col.  89. 
Cf.    Eclog.    proph.,   1.   III,   c.    xi.vi,    P.    G.,    t.    xxn, 
col.  1184;  Démons tr.  evang.,  1.  VIII,  c.  n,  P.  G.,  ibid., 
col.  601   sq.  Dans  son  Discours  de  l'incarnation  du 
Verbe,  P.  G.,  t.  xxv,   col.  165,   saint  Athanase,  pour 
convaincre  les  Juifs  de  la  venue  du  Messie,  cite  la  pro- 
phétie des  semaines,  et  argue  :  Jérusalem  ne  subsiste 
plus,  la  prophétie  juive  est  désormais  muette;  or,  selon 
Daniel,  ce   dut    arriver  avant    l'apparition  du   Messie; 
celui-ci  est  donc  maintenant    venu.    Saint    Cyrille  de 
Jérusalem  cherche  à  prouver  aussi  par  la  prophétie 
des  semaines   que   le  Messie   est  venu,   Cat.,  xn,  19, 
/'.  '.'.,  t.  xxxui,  col.  748  :  -   i83  ans  se  passent...,  vient 
le  chef  étranger,  au  temps  duquel  est  né'  le  Christ.  » 
Au   I.   Il  de  son   Historica  sacra  {Chronicorum  libri 
duo),  P.  L.,  t.  xx,  col.  132,  Sulpice  Sévère  relève  «  les 
visions    »  de   Daniel  qui  nous  ont  «  révélé  l'ordre  des 
siècles  futurs,  ont  embrassé   le  nombre  des  années  au 
cours  duquel   le  Cbrisl  devait  descendre  sur  la  terre. 

Ce  qui   eul   lieu   en  effet.   » 

Dans  son  .")'■  Discours  contre  les  Juifs,  n.  7,  /'.  G., 
i.  xi  .vin,  col.  593.  sq.,  sainl  Jean  Chrysostome  a  fait 
usage  delà  prophétie  des  semaines  surtout  pour  établir 
que  Jérusalem  ne  serait  jamais  plus  rebâtie;  mais 
lu  Mat  th.,  homil.  IV,  n.  2,  /'.  G.,  I.  i.vn,  col.  12.  il  a 
parlé  de  i  celui  que  le  prophète  Daniel  avail  annoncé- 
devoir  venir  au  monde  apn  -  ces  semaines  si  fameuses, 
au  nombre  précis...  :  qu*  i  ou  compte,  en  efiel,  les 
années  écoulées  depuis  le  rétablissement  de  Jérusalem 
jusqu'à  Jésus-Christ,  et  l'on  trouvera  que  leur  nombre 
concoi'  menl  avec  le  nombre  révélé  par  l'an 

Daniel  ,  Répondant  à  l'évéque  de  Salone,  Hésychius,  qui 
l'interrogeai  tsur  la  portée  des  semaines  du  bienheureux 
Daniel  ».  Epist.,  cxcviti,  T.  /'.  /  .  i.  xxxiii,  col.  904  sq  . 
saint  Augustin,  Epis  t.,  i  m  i\.  20,  21,  col,  911-912.  in 
roque  le  sentiment  de  tant  de  commentateurs...  qui 
dé nlrent,  non  wnlemenl  par  le  calcul  des  temps, 


79 


DANIEL    (LES   SOIXANTE-DIX    SEMAINES    DU    PROPHÈTE 


NO 


maù  encore  par  lea  événement!  mêmes...  que  la 
phétie  a  trouvé  son  iccomplissemenl  dans  le  premier 
avènemenl  du  Seigneur  >,  el  il  conclut  On  ne  doit 
pas  attendre  l'accomplissement  de  celte  prophétie  d<- 
Daniel  comme  si  on  ne  croyait  pas  qu'elle  lui  alors 
accomplir.  Contemporain  de  l'évéque  d'Hippone, 
l'auteur  du  De  proniissionibus  et  prœdictionibu  Dei 
part.  II,  c.  x\xv,  P.  /..,  t.  u,  col.  811,  *  n'attend  plus 
ct'l  accomplissement  :  «  l'erreur  des  .luifs  est  ainsi 
confondue,  a  Selon  Maxime  de  Turin, Serin.,  x.xi,  /'.  /... 
t.  i.vn,  col.  573.  Daniel,  i  prophète  manifeste  de  la 
ruine  de  Jérusalem,  s  ne  fut  pas  moins  •  conseil  ni  di 
la  venue  du  Christ;  »  et  pour  clore  cette  liste  des  té- 
moignages des  Pères  proprement  dits,  saini  Isidore  de 
Séville  revient  plusieurs  fois  sur  celle  idée  que,  dans 
l'oracle  des  semaine-,  le  Christ  i  nous  est  montré  à 
sa  naissance  et  à  sa  mort,  a  De  fide  cathol.,  1.  I,  c.  v, 
n.  6-8,  /'.  /..,  t.  i.x.xxm,  col.  161-462.  Cf.  1-  I.  c.  xi.iv. 
n.  4;  I.  II,  c.  x,  n.  I,  col.  189,  516. 

2°    Les  écrivains    du    moyen   âge,    clironographes, 
commentateurs,    apologistes  surtout,  engagés  dans   la 
controverse  juive,  laquelle,  de  siècle  en  siècle,  devient 
de  plus  en  plus  ardente,  utilisent  celle  même  prophétie 
en  preuve  de   la  mission  divine  du  Christ.  Au  vir  siè- 
cle, l'auteur  du  Chronicon  paschale,  Olymp.  i.xx.  1'.  G., 
t.  XCII,  col.  392,  introduit  le  texte,  Dan.,  IX,  25  :  l   Sache 
donc...    70   semaines,  etc.,    »    par  ces  mots  :  «  Ainsi 
parle  Daniel  prophétisant  à  lîabylone,  lui  qui  fut  jugé 
digne  de  prédire  touchant  le  Seigneur  Christ.   »  L'au- 
teur anonyme  des  Quststiones  théologies  et  philosophi- 
cse,  interrog.  xi.v-xi.vi,  P.  G.,  t.  xxxvin,  col.  910,  met 
en  relief  la  prophétie  dans  les  termes  suivants  :  a  Que 
si    les  anges  ignorent   l'avenir,    comment  Gabriel  an- 
nonce-t-il   la   naissance  du  Christ  après  483  ans....'  » 
Les  Juifs  prétendaient  que  le  .Messie  devait  apparaître 
au  sixième  âge  du  monde  (on  était  alors  au  cinquième), 
Julien  de  Tolède  leur  répond  :  «  Veuillez  compter  les 
semaines,  et  vous  verre/  que  la  naissance,  la  mort  du 
Christ...  se  sont  trouvées  accomplies  dans  leur  cours, 
ainsi  que  l'avait  prédit  le  prophète.  »  De  comprobatione 
vi*  mtalis    contra  Judseos,    P.  L.,  t.  xevi,   col.    538. 
liède  le  Vénérable,  Dr  temporwn  ratione,  e.  îx,  P.  L.. 
I.    xc,  col.  334,   écrit  :  le  \.  21   g  désigne  l'incarnation 
du  Christ...  ce  qu'insinuent  les  70  semaines  distribuées 
par  septaines  d'années  en   490  ans.   o    La   DUputatio 
adversus  Judseos  du  faux  Anastase  le  Simule,  P.  G., 
t.  lxxxix,  col.  1240,  objurgue  les  adversaires  :  a  Prouvez- 
nous  donc  sur  l'heure  quel  Christ  est  venu  (sinon  le 
nôtre)  ...après   les  70  semaines,  c'est-à-dire  après  490 
ans  à  partir  de  Daniel...   »  George  le  Syncelle  affirme 
avec  la  tradition  que  «  Daniel  eut  des  visions  au  temps 
de   Darius  le  Mède,  et  connut  l'époque  de  l'apparition 
du  Seigneur.    »  Chronologie,  édit.  G.  Dindorf,  Bonn, 
1829,  p.  130.  Cf.  aussi  <;.  Hamartolos,  Chronique  abré- 
gée, il,  91,  /'.  G.,  t.  ex,  col.  325;  Ainolon,  évoque  de  Lyon. 
Epistola  rouira  Judseos  ad  Carotum   régent,   P.  L., 
t.  exvi,  col.  150.  Paschase  Radbert,  Eœpositio  in  Matth., 
P.  L.,  t.  i:xx,  col.  806,  dit  :  «  C'est  au  premier  avènement 
du  Christ  qu'il  faut  rapporter  la  prophétie  de  Daniel, 
au  moment  où   le  nombre  des  semaines  s'est  trouvé 
accompli...  »  Cf.  aussi  Adon,  évéque  de  Vienne,  Chro- 
nique, P.  /..,  t.  i:\mm,  col. 50, 52,  72;  le  Liber  de  corn- 
puto,  /'.  /...  i.  exxix.  col.  1301;  Théodose  de  Ifélitène, 
Chronique,  dans  Monumenta  ssscularia,  Munich,  1859, 
t.  m.   p.    39;  Fulbert  de  Chartres,  Tractatus  contra 
Judseos,  /'.  /..,  i.e mi.  col.  3<i5;  Pierre  Damien,  An& 
logus  contra  Judseos,  c.  i.  il,  P.  /...  t.cuv,  col.  i»s.  54. 
Un  Juif  converti,   li.  Samuel  du  Maroc,  De  adventu 
Messies,  c.  vin,  P.  /..,  t.  exux, col.  344,  croit  n  accom- 
pli ce  dont  écrivit  Daniel...;  ne  voit  aucune  échappa- 
toire possible  a   sa   prophétie...;  lea  62  semaines  qui 

font    134    ans    sont    émulées  ;  le     Christ  est  venu        Cf. 

aussi  failli) Zigabène,  Panoplia  dogmatica,  i.  vin, 


/'.  G.,  t.  eux,  col.  285.  Au  ni"  siècle  particulii  rement, 
la  prophétie  des  semaines  fournil  de  longs  d<  leloppe- 

menls    a    la    <  o!itro\ei"-e    JUÎVe    :   OD   titili-e.  comme,   du 

reste,  le  firent  lea  précédent!  ■<  partir  de  la  Gtnssa  or- 
dinaria  de  vValafrid  Strabon   i\   siècle  .  h-s  pren 
Pères:  Tertullien,  Jules  Africain,   t'usèbe,   puis   I .•  iJ>- 
le  Vénérable.  Il  suffira  de  mentionner  le  juif  espagnol 
baptisé  -oiis  les  noms  de  Pierre  Alphonse,   DiaJ 
•  iitre  juif  el  chrétien  .  dans  Mai  im.  bibliolh.  Pair 
t.  xxi,  p.  172; Pierre  Maurice.  1  i;eor. 

inveteratamduritien\,c.  iv,P.L.,  t.  clxxxix,  col.  563 
Guillaume  de  Champeaui     Diol  gui   mire  christ,  et 
Jud.  de  fide  catholica,   P.    L.,    t.   ctxui,  col.    I 
Pierre  de  Dlois.  Tractatus cont.  perfidiam  Judssorum, 
c.  xiii.  P.  L.,  Lccvu,  col. 842;  le  Tractatus  contra  Ju- 
I   dssuni,  P.  L.,  t.  ccxiii,  [.;  Walter  de  Cas- 

I  tellione.  Tractatus  contra  Judseos,  1.  1.  n.  10.  /'.  L., 
t.  eux,  col.  'i3:{  sq.;  et,  parallèlement,  les  chrono- 
graphea  drène,  /'.  G-,  t.  i  \xi.  col.  285  sq.; 

Jean  Zonaras,  /'.   G.,  t.  cxxxiv,  col.  249  sq.;  les  histo- 
riens: Ordéric  Vital,  /'.  /..,  t.   uxxxvin.   co)      - 
Pierre   le    Mangeur.   P.  L.,   t.   cxcvili,  col.    1459;  les 
glossateurs    ou    commentateurs  :   Anselme    de    Laon, 
Glossa     interlinearis ;    Rupert     de     Deutz,     P.    L., 
t.  civil,  col.  1517:  Hugues  de  Saint-Cher    xnr  siècle). 
Opéra,  Venise,    1703,    t.    V,    p.  159;    Albert  le  Grand 
(xiiic  siècle),  Opsra,  I.\on.  1654,  t.  vin.  p.  25  sq. 
prédicateurs  :  Drunon    d'Asti.    Ilomil.,    i  xn.    P.    L., 
t.  CXLV,  col.  832;  Martin  de  Léon  ixiii'  siècle 
iv,  in  natale  Domini,  PL.,  t.  cevm.  col.    125;  l'écri- 
vain   Honoré    d'Autun,    De   imagine   mundi,   P.  L., 
t.  ci. xxii.  col.  151.  Au  milieu  du  xnr  siècle.  Raymond 
Martin  rajeunit  la  preuve  tirée  des  prophéties  en  faveur 
de  la  divinité  de  la  mission  du  Christ  par  l'emploi  îles 
traditions  rabbiniques.  J'ugio  /idei  aile.  Mauros  et  Ju- 
dseos,  édit.   Carpzov,    Francfort,    1087.   part.  II.  c.  m. 
Probatio   sumpta  ex    Itebilontadibus  Danielis,    i/uotl 
Messiasjam  venit.  11  cite  nostras  glossas  pour  les  lec- 
teurs chrétiens,  et.  pour  les  Juifs,   les  calculs  du  Tal- 
iiiud.  Tha  anitli,  iv.  Ces  derniers  ont  eux-n 
connu  que  ■  le  sacrifice  avait  cessé  une  fois  pour  tontes 
et   que    les  7u  semaines  s'étaient    accomplies  avant   la 
destruction  du   Temple  de  Jérusalem     :  ils  ont  donc 
reconnu  implicitement  la  venue  du    Messie.   N'ont-ils 
pas.  du  reste,  fait   naître  leur  Messie  lors  de   la  ruine 
de  la  ville  sainte'.'  Talmud,  Berachoth,  il.  La  compila- 
tion des  semaines  de  It.  Martin  suit  en  partie  celle  du 
Seder    Olam    ichronologiei,    attribué    à    Rabbi 
(IIe  siècle  après  Jésus-Christ),  à  laquelle  les  rabbins  du 
moyen   âge    reconnaissaient  la    plus  grande  autorité. 
Nicolas  de   Lyre    xnr-xiv   siècle    dans  ses   Postillae. 
Paul  de  Sainte-Marie  de  Burgos  (xtv*-xv  siècb'  dai 
Additiones,  Matthias  Doring   sv»  siècle  dansa 
est,  voir  Biblia  sacra  cunx  glossa  ordinaria,  Venise. 
1G03,  exploitent  ou  acceptent  les  n  guments  el 

trahissent  la  même  dépendan  ird  de  la  chro- 

nologiejuive  el  rabbiniqu  -    I  bornas  Wallensis 

(xiv-x\r  siècli  I  epositio  in  Dan.,  dans  S.  Thomm 
Aquin.  Opéra,  Paris,  1660,  t.  xix.  p,  5-57;  Jérôme  de 
Sainte-Foi  (Juif  converti,  xv  siècli  /  acte  *  contra 
Judseor.  perfidiam  et  Talmuth,  dans  Maxima  Bibl. 
Patrum,  t.  xxvi.  p,  528-555;  Denys  le  Chartreux 
\,  siècle  .1  narratio  in  Dan.  prophetan  ,  dans  Opéra 
oninia,  Montreuil,  1900,  t.  x.  p.  130  sq.  Sans  préoccu- 
pation talmudique,  les  tirées  :  Andronic  de  Constanti- 
nople  ixiv  sii!  I    .   Dialogua   cont  t,    xxxix. 

/'.    g.,   t.    cxxxiu.   col.    861-862     lean   Cantacutène 
\i\     siècle),   Apologia  •    Vahumetum,  P 

t.  u  iv.  col  392. 

Du  im  siècle  à  nos  jours,  l'apologétique  rompt 
encore  quelques  lances  en  laveur  de  la  messianité  de 
l'oracle  des  Bemainea  el  contre  les  Juifs  lalmudistea. 
Cf,  Pierre  Galatin  (Galatinus),  juif  converti,  /><■  au 


81 


DANIEL    (LES    SOIXANTE-DIX    SEMAINES    DU    PROPHÈTE) 


82 


catholicse  verilatis,  1.  IV,  c.  xiv  sq.  (1518),  où  les  rab- 
bins, tout  en  rapportant  les  70  semaines  à  la  durée  du 
temple,  confessent  pourtant  uno  ore  que  le  Messie 
devait  venir  à  la  fin  de  cette  période,  annoncé  sous 
l'expression  de  «justice  éternelle  »;  Corneille  de  la 
Pierre,  Commentaria  in  Scripturam  sacrum,  Paris, 
1860,  In  Dan.,  t.  xm,  p.  118  :  «  passage  célèbre  où 
sont  consignés  la  venue  du  Messie,  son  origine,  son 
baptême,  sa  passion  et  sa  mort,  années  par  années  : 
passage  manifestement  propre  à  convaincre  les  Juifs 
que  le  Alessie  est  Jésus-Christ  en  qui  se  terminent  les 
70  semaines,  »  et  il  réfute  surtout  R.  Salornon  (Raschi, 
xr  siècle);  Denys  Petau,  Dogmata  theologica,  Anvers, 
1700,  De  incarnatione,  1.  XVI,  c.  vin,  combat  R.  José, 
R.  Saadias,  R.  Salornon,  Aben-Ezra;  Rossuet,  Dis- 
cours sur  l'hist.  universelle,  part.  II,  c.  ix,  dont  on 
connaît  le  texte  impérieux;  Louis  Legrand,  Traclatus 
de  incarnatione  Verbi  divini,  Paris,  1751, 1754,  diss.  II, 
c.  i,  a.  2,  ,Sj  1,  réfute  encore  longuement  R.  Salornon  et 
le  juif  Orobio  (Isaac  de  Castro),  qui  rapportait  l'oracle 
aux  grands-prêtres  post-exiliens,  dans  Limborch,  De 
veritale  religionis  chrislianœ,  Gouda,  1687.  Mais  c'est 
l'époque  aussi  où  théologiens  et  critiques  commencent 
à  entrevoir  un  rapport  possible  de  la  prophétie  des  se- 
maines, dans  son  sens  littéral,  aux  temps  d'Anliochus 
Epiphane,  et  ne  pensent  plus  pouvoir  l'entendre,  sinon 
au  sens  typique,  de  la  mort  du  Christ.  La  Sainte  Bible 
en  latin  et  en  françois,  Paris,  1749,  t.  ix,  p.  471,  489, 
répondit  à  Marsham,  Hardouin,Calmet  qui  mirent  cette 
idée  en  avant  après  Sixte  de  Sienne  et  Estius,  voir 
col.  98-!ti),  et  Legrand,  op.  cit.,  $  1,  ni-  voulut  pas  moins 
s'élever  contre  «  ces  quelques  chrétiens...  qui  sup- 
priment ainsi  ou  ébranlent  grandement  l'argument  tiré, 
contre  les  Juifs,  de  la  prophétie.  » 

i  'Critique  et  conclusions.  —  1.  Si  l'interprétation 
des  «  événements»  marqués  dans  l'oracle  des  semaines, 
interprétation  réalisée  parles  écrivains  dont  l'ensemble 
constitue  l'organe  autorisé  de  la  tradition,  si  les 
«  calculs  dis  temps  <>  auxquels  se  sont  livrés  «  tant  de 
commentateurs  »  se  sont  trouvés,  la  première  aussi 
unanime  et  les  autres  aussi  «  exacts  »  que  le  disent 
saint  Jean  Chrysostome  et  saint  Augustin,  cités  plus 
haut,  cet  oracle  pourra  bien  être  réellement  messia- 
nique au  sens  direct  et  littéral,  et  la  preuve  qu'on  en 
tire  encore  aujourd'hui  en  faveur  du  fait  de  la  mission 
divine  du  Christ  pourra  rire  alors  formulée  de  la  ma- 
nière suivante  :  Les  biens  messianiques,  dont  il  est 
parlé  au  \ .  24,  ont  été  prédits  pour  une  date  fixe,  et,  pour 
que  leur  survenue  put  être  rendue  facilement  recon- 
nais^!.le  à  cette  date,  circonstanciés  d'avance  relative- 
ment à  «le  certains  personnages,  dont  le  Messie  lui- 
même,  et  de  certains  événements,  dont  la  ruine  de  la 
Cité  saiulr.  Or,  les  circonstances  personnelles  et  réelles 
annoncées  comme  devant  signaler  ef  conditionner  les 
biens  messianiques  se  sont  réalisées,  et  principalement 
en  Jésus-Christ,  telles  qu'elles  avaient  été  prédites,  à 
la  daie  même  marquée  par  la  prophétie,  sauf  peut-être 
un  écart  négligeable,  ladite  prophétie  ne  comportant 
nullement,  en  dépil  de  ses  chiffres  précis, un  caractère 
strictement  mathématiqui  :    el   ces    biens   eux-mêmes 

acquis  désormais.  L'oracle  de  Daniel  a  dune  toute 
la  valeur  probante  qu'un  exact  accomplissement  com- 
munique  à  une  prophétie  d'origine  divine  :  Jésus  de 
Nazareth  est  bien  le  Messie  que  cel  oracle  annonçait. 
—  2.  Mais  les  calculs  îles  écrivains  de  la  tradition! 
calcula  basés  sur  les  chiffres  de  la  prophétie,  ont  ils 
bien   toute  l'exactitude  que    l'on  dit,  et,  en  toul 

1 P  uns  aux  autres,  n'ont-ils  pas  abouti  à  la 

plus  grande  diversité,   de  sorte  qo  il  n  j  eu)  poinl  ici 

de  calcul    .raimenl  traditionnel,    voir  col,  '.»•">.    mais 

i  irconstani  i      pi  i  onnelles    el    réelles, 

Instituée  par  les  organe     de  la   tradition,  ne  l'esl  elle 

non  plus   résolue,    pour  de   très  important 


même  essentielles  identifications,  en  un  défaut  non 
moins  accusé  d'entente  et  d'unanimité  relatives,  de 
sorte  qu'il  n'y  eut  point  ici  d'exégèse  proprement  tradi- 
tionnelle, voir  col.  83-88;  mais  la  définition  des  biens 
messianiques,  par  le  caractère  llotlant  de  son  expression 
et  de  son  objet  dans  tel  et  tel  cas,  n'a-t-elle  pas  laissé, 
à  coté  de  l'enseignement  de  la  tradition,  la  porte  ou- 
verte à  d'autres  hypothèses,  de  sorte  que,  sur  la  ques- 
tion, non  assurément  de  leur  caractère  toujours  essen- 
tiellement messianique,  mais  bien  du  degré,  du  proces- 
sus de  leur  réalisation,  il  n'y  aurait  point,  même  ici, 
d'interprétation  traditionnelle,  voir  col.  95  sq.;  mais 
enfin,  repris,  renoulevés,  non  plus,  il  est  vrai,  dans  un 
but  immédiat  de  controverse,  mais  avec  un  louable 
souci  d'exactitude  critique  non  moins  profitable  cepen- 
dant à  l'apologétique,  ces  calculs  des  dates  fixées,  cette 
exégèse  des  faits  prophétisés,  celte  interprétation  des 
biens  attendus  ne  peuvent-ils  être  considérés  comme 
ayant,  cette  fois,  abouti  à  des  résultats  plus  satisfaisants 
et,  malgré  la  divergence  de  leurs  conclusions  d'avec 
les  conclusions  traditionnelles,  nullement  en  contradic- 
tion avec  celles-ci  que  ne  doit  recommander  point,  du 
reste,  leur  instabilité?  Voir  plus  loin  les  remarques 
critiques.  —  3.  Que  si  la  réponse  à  ces  questions  allait 
à  faire  droit  aux  conjectures  de  Sixte  de  Sienne,  d'Estius, 
de  Hardouin  et  de  Calmet,  il  resterait  néanmoins  à  la 
tradition  catholique  et  théologique  véritable  le  mérite 
essentiel  d'avoir  rapporté  l'oracle  daniélique  à  la  per- 
sonne, à  l'œuvre  et  aux  temps  du  Christ;  et  il  y  aurait 
à  reconnaître  que  ce  rapport  ne  fut  point  tout  à  fait  le 
résultat  de  calculs  incertains,  d'une  exégèse  verbale 
quelque  peu  arbitraire,  d'une  interprétation  simplement 
approximative,  mais  fut  basé,  au  contraire,  et  pre- 
mièrement, sur  le  principe,  aussi  ancien  que  l'Eglise, 
de  l'interprétation  mystique  des  Ecritures.  Les  évan- 
gélistes  se  firent-ils  scrupule,  dès  l'abord,  d'entendre 
en  un  sens  prophétique,  plus  exactement  en  un  sens 
typique,  de  telles  circonstances  de  la  vie  et  de  la  mort 
du  Messie,  d'antiques  passages  des  prophètes  ou  des 
Psaumes  dont  le  sens  propre  el  direct  allait  à  signi- 
fier de  tous  autres  objets?  Comparer,  par  exemple, 
Matth.,  n,  15,  et  Ose.,  xi,  1;  il,  17,  et  Jer.,  xxxi,  14; 
n,  23,  et  Is.,  xi,  1  ;  Matth.,  x.wn,  35,  et  Ps.  xxn,  19; 
Marc,  xv.  28,  et  Is.,  lui,  12,  ele.  Il  n'est  même  pas  cer- 
tain que  le  Christ,  Marc,  xm,  14;  Luc.  xxi,  20,  n'ait 
pas  cité  Daniel,  ix,  27,  ou  xi,  31,  ou  ut,  11,  dans  un  sens 
typique,  puisque  «  l'abomination  delà  désolation  »,  in- 
terprétée par  saint  Luc  de  la  «  désolation  o  de  Jérusalem 
«cernée  de  campements  »  romains,  sert,  dans  le  long 
discours  apocalyptique  du  Seigneur,  Matth.,  XXIV  sq.,de 
premier  plan  à  la  perspective,  plus  profonde  que  la  ruine 
de  Jérusalem,  de  la  lin  du  monde.  C'est,  du  reste,  ainsi 
que  le  dii  Ciilinel,  g  l'usage  des  prophètes  de  proposer 
ordinairement  le  type  et  la  figure  du  Messie  dans  quel- 
que -sujet,  ou  dans  quelque  événemenl  de  l'Ancien  Tes- 
tament, afin  que  l'exécution  littérale  de  leur  prophétie, 
en  ce  premier  sens,  serve  de  preuve  el  d'assurance  à 
c  qui  doit  s'exécuter  plus  parfaitement  en  un  autre 
sens,  dans  la  personne  et  dans  la  vie  du  Messie.  Ainsi 
le  prince  idéal  de  la  lignée  de  David,  désiré  par 
Isaie,  xi.  l-.">,  après  l'abaissement  de  l'Assyrie  i  verge 
de   la  colère  de  Dieu       pour  Israël,  m'  se  retrouvera 

pleine ni  que  dans  Jésus,  roi  spirituel  ;  ainsi  la  nou- 

velle  Jérusalem  et  la  nouvelle  Terre  promise  rendues 
aux  captifs  de  Babylone  selon  Êzéchiel,  xi-xi.vm. 
n'a  liront  leur  pleine  réalité  que  dans  l'Eglise  chrétienm 
\in-i  la  prophétie  des  semaines  s'appliquani  littérale- 
ment, par  exemple,  à  l'avénemenl  de  Cyrus,  à  la  mort 
du  grand-prêtre Onias  lll.  aux  persécutions d'Antiochus 
Epiphane,  -i  la  paix  el  au  relèvement  machabéens, 
garderai!  pour  la  bu  vivante  el  docile  toute  su  ! 
persuasi  ■  ions  le  couvert  de  la  tradition  qui  en 
aurait  défini  le  sens  typique,  croyant  bien  en  discuter  le 


83 


DANIEL     LES   SOIXANTE-DIX    SEMAINES    DU    PROPHÈTE 


sens  littéral.  Cyrus,  roi  des  Pei  in       par  les 

prophéties  d'Isale,  iu.iv,  2<i  ;  xlv,  1-5,  et  de  Daniel, 
ix.  25,  pour  délivrer  le  peuple  juif  de  la  captivité  baby- 
lonienne, annoncerai)  la  personnalité  divinement  supé- 
rieure du  Christ  sauvant  l'humanité  de  l'éternel  escla- 

Le  prêtre  < Inias  III  el  le  peuple  juif  lui-mi 
le  premier  par  sa  morl  tragique,  Dan.,  ix,  26; 
M  Mach.,  iv,  :Ci-:i.s.  l'autre  par  ses  tribulations  el  ses 
souffrances  bous  l'impie  roi  de  Syrie,  Dan.,  i\,  26-27; 
I  cl  II  Mach.,  préluderaient  au  grand  sacrifice  do  la  croix 
et  aux  épreuves  incessantes  que  1  relise  chrétienne  doit 
subir  de  la  part  de  ses  ennemis,  avant  d'obtenir  la 
possession  entière  el  parfaite  du  royaume  descieu»  ». 
Cf.  cardinal  Meignan,  Les  derniers  prophètes  d'Israël, 
Paris,  1894,  p.  134-135. 

II.  Interprétation  traditionnelle.  -  1°  Biens  ■ 
sianiques  du  \ .  24.  —  Traduction  du  \ .  24  selon  l'hébreu 
massorétique  :  Soixante  dix  semaines  ont  été  / 
sur  ton  peuple  et  sur  ta  ville  sainte  pour  mettre  fin  << 
la  transgression,  pour  abolir  le  péché,  pour  expier 
l'iniquité  et  pour  amener  la  justice  éternelle,  pour 
sceller  la  vision  et  le  prophète  el  pour  oindre  le  sumt 
des  saints.  —  t.  Des  trois  propositions  concernant  le 
péché  (transgression,  iniquité)  et  qui  semblent  toutes 
trois  traduire  la  même  idée,  la  troisième  seule  a  été 
unanimement  entendue  de  la  «  rémission  des  péchés  i 
opérée  par  le  Christ  mort  eu  croix  pour  nous.  Quelques 
Pères  et  écrivains  ont  expliqué  les  deux  premières  du 
«  comble  de  l'iniquité  »,  réalisé  par  les  Juifs  meur- 
triers du  Messie,  et  du  «  scellé  mis  sur  leurs  péchés  » 
jusqu'au  jour  du  jugement.  Ainsi  avec  quelques  nuances 
inévitables,  S.  Hippolyte, ./«  Dan.;  Origène,  In  Matth.  ; 
Eusèbe  de  César ée,  Dem.  ev.  ;  S.  Chrysostome,  Adv. 
Judxos,  homil.iv;  Euthyme  Zigabène,  Panopl.  dogm. 
Théodoret,  In  Dan.,  P.  G.,  t.  lxxxi,  col.  1469,  suit 
Eusèbe  pour  la  première  proposition,  mais  se  range 
pour  la  seconde  au  sentiment  de  la  tradition.  Pour  les 
variantes  du  texte  et  des  versions,  voir  Knabenbauer, 
Conim,  in  Dan.  proph.,  p.  235  sq.  —  2.  Sur  dix-neuf 
auteurs  anciens  ou  du  moyen  âge  qui  ont  explicitement 
traité  de  la  «  justice  éternelle  »,  douze  ont  compris 
celte  expression  de  la  personne  même  du  Christ.  Ter- 
tullien,  Adv.  Judxos;  Eusèbe,  op.  cit.;  S.  Athanase,  De 
incarnatione ;  S.  Éphrem,  In  Dan.,  dans  Opéra,  Rome, 
17  in.  t.  h,  p.  221  ;  Théodoret,  op.  cit.  ;  Pierre  Alphonse. 
Dialog.  ;  Pierre  Maurice,  i4rfv.  Judseor.  durit.;  Tra- 
ctai, cont.  Judseum;  Albert  le  Grand,  In  Dan.;  Ray- 
mond Martin  (avec  les  rabbins),  Pugw  fidei;  Andronic 
de  Constantinople,  Dialog.;  Jérôme  de  Sainte-Foi, 
Cont.  Judseor.  perfid.,  cités  précédemment;  cinq  lui 
font  signilier  les  biens  éternels  apportés  par  Jésus- 
Christ:  .Iules  Africain,  Clironogr.  ;  Origène.  S.  Chry- 
sostome. liasile  de  Séleucie,  Oral.,  xx.xviii.  /'.  G., 
t.  i.xxxv.  col.  iOl  ;  Nicolas  de  Lyre;  deux  \  ont  wi  spé- 
cialement la  grâce  de  la  justification  :  Polychronius, 
InDan.,  dans  Mai,  Scriptor.  vêler,  coll..  t.  i,  p.  137 sq., 
et  Ammonius,  InDan.,  ibid.,  p.  212.  —  il.  Le  «  scel  de 
la  vision  et  du  prophète  »  a,  pour  la  même  période, 
signilié  ou  bien  que  les  prophéties  de  l'Ancien  Testa- 
ment devaient  être  (et  ont  été)  accomplies  dans  la  per- 
sonne et  dans  l'œuvre  de  Jésus-Christ  :  Clément 
d'Alexandrie,  S.  Hippolyte,  Eusèbe,  s.  ephrem, 
s.  Jérôme  (Vulgate  :  et  impleatur  visio  et  prophetia), 
Bède,  De  tenip.  ratione;  Pierre  .Maurice,  Pierre  de 
Blois,  Tract,  roui,  perfid.  Judseor.;  Raymond  Martin, 
Nicolas  de  Lyre;  ou  bien  que  ces  prophéties  ont  cessé 

par  l'effet  île  la  venue  du  Christ  :  .Iules  Africain.  Ori- 
gène, s.  Chrysostome,  Basile  de  Séleucie,  Ammonius, 
Euthyme  Zigabène,  l'anonyme  du  Tract,  cont.  Jud.; 
Andronicus,  Thomas  Vallensis;  les  autres  réunissent 
les  deux  acceptions  :  Tertullien,  s.  Athanase,  Théodo- 
ret, la  Glose  interlinéaire,  Albert  le  Grand.  ■  î.  Tous 
li      crivaina  qui  ont  parb;  de  o  l'onction  du  saint  des 


saint-  iy  oui  mi  Jésus-Christ  lui-même  oint  de  l'Esprit- 
Saint,  sauf  le  pseudo-Cyprien,  De  pascha  computus, 
qui  l'entendit  du  temple  de  Jérusalem  rebâti 

/■       •  critiques.  —  Tous  ces  auteurs  et  les  com- 

mentateurs modernes  qui  les  onl  suivis  dans  quel- 
qu'un^ de  ces  diverses  interprétations  ont  manifi 
ment,  encore  que  inconsciemment,  i<ri-  au  sena  ligure 
n h  figuratif)  des  expressions  qui,  au  sens  propre, 
-  appliquaient  au  i  peu;. le  juil  et  à  -a  i  villi 
\.  24,  tels  qu'ils  se  trouvaient  conditionnés  h  1  époque 
de  la   communication  de  l'oracle.  Le       péché 

transgression  »,  I'  i  iniquité  »  Boni  ici  directement 
le  fait  des  Israélites  châtiés  par  Dieu  et  captifs.  Dan., 
ix.  .">.  7.  8,  etc.  La  i  justice  éternelle  ■  traduit  ici,  en 
langage  spirituel,  mais  cependant  concret,  le  symbo- 
lisme de  la  i  fertilité  du  sol  «  et  du  parlait  bonheur  » 
terrestre  dont  parlèrent  souvent  les  prophète-,  symbo- 
lisme que  beaucoup  de  Juifs  assurément  n'entendaient 
point.  Cf.  Ose.,  i.  10;  Amos,  ix.  13;  I-.,  iv,  2;  x.x 
24;  Jer.,  xxxi.  .">-l2;  Ezech.,  x.xxi.  30-35;  Ps.  exuv,  12- 
15,  etc.  Le  «  scel  de  la  vision  et  du  prophète  »  pourrai' 
aussi  bien  désigner  une  ou  des  visions  particul 
à  Daniel  que  celui-ci  devait  avoir  besoin  de  <  com- 
prendre »  mieux.  \.  21-23,  ainsi  que  la  parole  prophé- 
tique adressée  à  Jérémie  au  sujet  des  fixante-dix  ans 
de  la  captivité  et  corrélative  à  l'oracle  des  soixante-dix 
semaines,  \.  2  :  vision  et  parole  dont  le  sens  aurait  été 
destiné  à  demeurer,  490  ans  durant,  <•  scellé,  »  c'est- 
à-dire  caché'.  Cf.  Dan.,  xn.  t.  9;  1s..  vin.  10;  .1er., 
XXXII,  10.  14;  Dent.,  xxxn.  34.  I.'  «  onction  du  saint 
.1  -  saints  répondrait  non  moins  directement  à  la 
plainte  formulée  par  Daniel  dans  sa  prière  au  sujet  de 
o  Jérusalem  en  opprobre  -  et  du  sanctuaire  dévat 
\.  10,  17  :  elle  marquerait  la  reconsécration  de  l'autel 
des  holocaustes  ruine  par  les  Chaldéens.  Cf.  I.xod.. 
xxix.  36,  37;  x\x.  29;  xi  .  lu.  Des  modernes  onl  sui\i 
pour  celle  dernière  proposition  la  voie  ouverte  par  le 
pseudo-Cyprien  qui  figurait  par  le  temple...  oint  de 
l'huile  du  Saint-Esprit  »,  ce  temple  «  que  le  Christ 
Jésus  a  formé  de  ses  mains...  qu'il  a  oint,  non  d'huile, 
mais  de  l'Esprit  de  Dieu...,  et  cette  cité,  a  savoir 
l'r.glise.  qu'il  a  édifiée  de  pierres  sanctifiées  ».  Cf.  Kna- 
benbauer, op.  cit.,  p.  211  sq. 

2    Exégèse  des  versets  25-27.  —  Traduction  de  l'hé- 
breu massorétique,  v.  25  :  Sache  donc  et  comprends! 
Depuis  la  sortie  de  la  parole  pour  i/ue  Jérusalem  soit 
rebâtie   jusqu'à    un  oint-prince,   sept    semaines     ou 
bien,    sept  semaines  el  soixante-deux  semaines'.    Et 
dans  soixante-deux  semaines  elle  sera  rebâtie 
simplement  :  elle  sera  rebâtie  .  place  el  vallée   ru 
20.    Et    dans    l'angoisse    (on    a   la    fin)    de* 
après  soixante-deux  semaines,  un  mut  sera  exlir\ 

I  I    le  peuple  d'un   chef  qui  rient   détruira    la  ville 

el  le  sanctuaire  ;  mais  il  /mira  par  la  vengeance  di- 
re durera  jusqu'à  la  fin...  .27.  Et  il 
fera  une  alliance  avec  plusieurs  pendant  une  semaine; 
et  pendant  une  demi-semaine  il  fi 
fice  et  l'offrande;  et  o  leur  place  [au  lieu  de  :  sur 
l'aile  (?)  |  l'abomination  de  la  désolation,  jusqu'i 
que  la  ruine  frappe  le  dévastateur.  Pour  les  W- 
riantes.  voir  Knabenbauer.  op.  cit..  p.  244  sq.  I^iis- 
sanl  provisoirement  'le  côté  le- détails  qui  marquent 
directement  le  point  de  départ,  le  développement,  le 
point  d'arrivée  des 70 semaines,  à  savoir,  la  «  sortie  de 
l.i  parole    .  le  relèvement  de  Jérusalem,  la  destruction 

finale,  lieu-    fixons  -euleinelll.  d'après  la   tradition,   les 

personnalités  tenue- pour  certaines  ou  hypothétiques 
de  r  i  oint-prince  .  i ,  25,  de  r  oint  extirpé  »,  » .  M,  du 
,.  chef  i  du  i  peuple  i  destructeur,  dmi..  du  sujet  du 
\.  27.  —  L'oint  été  identifié  par  beaucoup  à 

Jésu8-Chrisl  l'ertullien.  pseudo-Cyprien,  Origène,  iules 
Africain,  s.  Cyrille  de  Jérusalem,  Col.,  xn.  s.  Chryi 


DANIEL    (LES   SOIXANTE-DIX    SEMAINES    DU    PROPHÈTE! 


86 


tome,  Polychronius,  Basile  de  Séleucie,  Théodoret  réfu- 
tant l'opinion  d'Eusèbe,  le  Chronicon  paschale,  Bède  et 
La  plupart  des  interprètes  postérieurs  qui,  se  rangeant 
à  la  traduction  de  saint  Jérôme,  ne  firent  intervenir  le 
personnage  qu'après  la  soixante-neuvième  semaine.  Mais 
la  coupe  de  phrase  fixée  par  la  ponctuation  massorétique 
se  trahit  aussi  dans  les  opinions  d'un  certain  nombre. 
Situant  l'oint-princeaprès  les  sept  premières  semaines, 
Clément  d'Alexandrie  (plus  probablement),  QuintusJu- 
lius  Ililarianus,  évoque  dans  l'Afrique  proconsulaire,  De 
mundi  duralione  libelhts,  n.  12,  P.  L.,  t.  xm,  col.  1103, 
l'identifièrent  au  Davidide  Zorobabel;  saint  Hippo- 
lyte,  (Rabbi  Lévi  ben  Gerson),  au  grand-prêtre  Josué, 
fils  de  Josédek,  I  Escl.,  m,  2  sq.;  Eusèbe  de  Çésarée,  à 
toute  la  série  des  grands-prêtres  qui  devaient  se  succé- 
der encore  jusqu'à  la  venue  du  Christ,  mais  interpré- 
tant :  «  tant  qu'il  y  aura  un  oint  légitime,  un  grand- 
prêtre  consacré  à  Jérusalem,  7  et  62  semaines  s'écoule- 
ront; »  Pierre  l'archidiacre,  Quœstiones  in  Danielem, 
n.  64,  P.  L.,  t.  xcvi,  col.  1337,  comme  Eusèbe;  Pierre 
Alphonse,  Pierre  de  Blois  (Rabbi  Saadia  le  Gaon,  Com . 
in  Dan.;  Rabbi  Salornon  Jarchi,  Com.  in  Dan.),  à 
f">  rus.  roi  des  Perses,  conquérant  de  Babylone  et  libé- 
rateur des  Juifs  (Aben-Ezra,  Com.  in  Dan.,  à  Néhé- 
mie;  Abarbanel,  Com.  in  Dan.,  n'a  pu  se  résoudre  à 
choisir  entre  les  trois  :  Zorobabel,  le  grand-prêtre,  Né- 
hémie).  —  2.  L'oint  extirpé  du  y.  26  a  reçu  une  double 
signification  générale  selon  que  les  interprètes  de  la 
tradition  suivaient  le  texte  de  Théodotion  ou  celui  de 
l'hébreu  que  représentèrent  la  Peschito  et  la  Vulgate 
hiéronyniienne.  Selon  Théodotion,  kiolobovJi^ijzzai 
Xpfopa  (cf.  Italique  :  interibit  chrisma;  Tertullien  : 
exlerniinabitur  unctio).  Tertullien  rapporta  l'expres- 
sion xpîap-a  à  l'onction  royale.  Adv.  Jud.,  c.  xiu,  et 
sacerdotale,  c.  vin,  tout  à  la  fois  :  Jérusalem  et  le 
temple  détruits  par  les  Romains,  1'  «  ampoule  »  perdue 
ou  brisée,  les  Juifs  n'auront  plus  ni  rois  ni  prêtres. 
Pareillement,  Origène,  In  Malth.,  xxiv  :  «  l'onction, 
qui  fut  dans  le  temple,  est  ravie  au  peuple.  »  Lepseudo- 
Cyprien  parait  entendre  disperibit  unctio  de  la  ruine 
du  sanctuaire,  iti  imaginent  hominis  unctum.  Le  poète 
Coramodien,  Carmen  apologelicum,  266-267,  dans 
Pitra,  S)>icilegium  Solesmense,  Paris,  1852,  t.  i,  p.  28, 
entend  :ms>i  d'une  onction  le  «  chrisrne  royal  exter- 
mine' »,  Pour  Eusèbe,  /p:™a  est  le  grand-prêtre  dé- 
d<  Ryrcan  II.  mi-  ;i  mort  par  l'ordre  d'Hérode  le 
Grand  el  terminant  en  sa  personne  la  succession  des 
grands-prêtres  légitimes.  Pour  saint  Ghrysostome,  c'esl 

vraisemblablement   la   dignité  du  supré sacerdoce 

opposée  au  pouvoir  politique,  y.pï>a.  Démonslr.  de  la 
divinité  'le  J.-C,  /'.  '>'.,  t.  xi.viii,  col.  836.  Polychro- 
mie voit  dans  l'expression  l'annonce  de  la  fin  de  l'au- 
tonomie juive,  spirituelle  el  royale.  Même  interpréta- 
tion dans  une  lettre  d'Isidore  de  Péluse  au  diacre  Isi- 
dore. Epist  .  a  \nx.  /».  (.'.,  t.  i  xxviii,  col.  928.  I 
de  Séleucie  reproduit  l'explication  de  Tertullien,  en 
etendanl  I  onction  aux  prophètes  »  et  aux  «juges 
du  peuple  ».  Spiritualisant  encore  davantage  la  notion, 

rbéodorel  \   voit  <■   la  grâc /A?li)  brillant  dans  les 

.   A toniits  (eschatologue),  «  le  bap- 

'• interdit    par    l'Antéchrist.   Jacques  d'fidesse 

■■   même  contre  l'interprétation  que    BUggérail  à 
ontemporains  la  Peschito:  pour  lui,  le  «  chrisrne  » 
demeure  la  dignité  que  l'onction  conférait  au   prêtre- 
il  -uit.  du   leste,  une  ver-ion   syriaque  faite  sur  le 
théodolien.  Dana  s.  i  pin. ■m,  Opéra,  t.  ti,  p.  221. 
Euthyme  Zigabène  adopte  l'exégèse  de    sainl  Chr 
lome;  Jean  Zonaras,  celle  de  Théodoret.  Guillaume  de 
Champeau  l  unctio.  Andronic  de  Constanti- 

nopli  n  unil  à  nouveau  dani  wlaya  le  sacerdoce  el  la 
ité. 
Ainsi,  jusqu'au  milieu  du  moyen  âge,  oe  trait  di   la 
prophi  lie  esl  rapporté  par  beaucoup  di  P<  rw  el  d 


vains  ecclésiastiques  à  la  chute  de  la  dynastie,  sacerdo- 
tale et  royale  à  la  fois,  des  Hasmonéens;  quelques-uns 
même  y  voient  un  rappel  direct  à  la  prophétie  de 
Jacob  touchant  le  «  sceptre  »  maintenu  dans  Juda,  Gen., 
XLIX,  10  (LXX:  o'jx  èxàsiititec  x'p/wv  i\  'IovSa,  xai  JjyoÛ- 
,u.îvo;  ix  Ttôv  jj.ï)pà)v  aùro'j,  sto;,  etc.)  :  Tertullien  et  Ori- 
gène, Andronic.  Les  Juifs  du  moyen  âge  entendirent 
en  général  le  passage  de  la  mort  de  leur  dernier  roi  et 
protecteur  vis-à-vis  des  Romains,  Hérode  Agrippa  II  : 
R.  Saadia,  R.  Salornon,  Aben-Ezra,  Joseph  ben  Gorion 
(ou  l'Hébreu),  Abarbanel.  Les  théologiens  modernes  se 
sont  ralliés  à  l'autre  interprétation  fille  du  texte  hébreu 
par  la  Peschito  (nét'hetél  M'sifto')  et  la  Vulgate  (occi- 
detur  Christus)  :  V  «  oint  »  est  le  Christ  mort  sur  la 
croix.  Auteurs  syriens  :  S.  Éphrem,  les  contemporains 
de  Jacques  d'Edesse,  Ebed-Jesu,  métropolite  arménien 
(XIIIe  siècle),  Liber  margaritœ,  De  verilate  christianse 
religionis,  dans  Mai,  Script,  vet.  nov.  coll.,  t.  x, 
p.  342  sq.  Tous  les  auteurs  latins  depuis  saint  Jérôme. 
Saint  Augustin  pourtant,  Epist.,  cxcix,  et  Pierre  Da- 
mien  surtout,  Antilogus  contra  Judseos,  c.  i,  cessabit 
unctio  ;  c.  Il,  occidetur  Christus,  utilisent  les  deux  in- 
terprétations. —  3.  Le  chef  et  son  peuple  qui  viennent 
détruire  «  la  ville  et  le  sanctuaire  »  avaient  été  déjà  iden- 
tifiés à  Titus  et  aux  Romains. par  Josèphe,  An  t.  jud., 
X,  x;  XI,  vu;  De  bell.  jud.,  IV,  vi,  3;  cf.  Fraidl,  Die 
Exégèse  der  10  Wochen,  Graz,  1883,  p.  18-22;  et 
s'il  faut  en  croire  saint  Jérôme,  In  Dan.,  P.  L., 
t.  xxv,  col.  552,  les  Juifs  du  v°  siècle  partageaient  la 
même  opinion:  le  «  chef  «était  Vespasien.  Fraidl,  ibid., 
p.  122.  C'est  aussi  l'avis  des  Juifs  du  moyen  Age,  sauf 
R.  Saadia  qui  recule  l'accomplissement  de  la  prophétie 
jusqu'à  l'empereur  Adrien.  Cette  identification  du  «  chef» 
à  Vespasien  ou  à  Titus  fera  fortune  dans  la  tradition. 
Mais  dès  les  premiers  temps  il. se  trouve  quelqu'un  pour 
appliquer  le  vocable  au  Christ  même  «  exterminant  la 
cité  et  le  sanctuaire  »  par  l'intermédiaire  des  Romains  : 
Tertullien,  Adversus  Judxos,  c.  xm,  exterminabit  cum 
duce  advenienle,  le  dux  qui  de  tribu  Juda  esset  pro- 
cessurus.  Cf.  Gen.,  xi.ix,  10.  Origène  le  réfute,  In  Malth., 
ce  dux  ne  peut  être  Jésus-Christ,  parce  que  le  prophète 
aurait  dû  écrire  :  cwim  duce  Cnnisro  advenienle,  comme 
au  v.  25,  et  que,  du  reste. après  le  Christ  ayant  accom- 
pli la  prophétie  de  Jacob,  defecil  dux  (judaicus)  et  dux 
de  femoribus  ejus;  cependant,  pour  Origène,  le  «  chef 
n'est  pas  Vespasien,  ou  Titus,  mais  Hérode  Agrippa  IL  qui 
accompagna  Titus  au  siège  de  Jérusalem,  cf.  Tacite,  Hist., 
v,  I  ;  Josèphe,  Vita,  65,  à  moins  que  ce  ne  soit  Hérode 
le  Grand,  tive  Hérode,  xive  Agrippa,  comme  pour 
Eusèbe.  Celui-ci,  en  effet,  sous  la  formule  de  Théodo- 
tion :  xoù  tT)V  ittSXtv  •/. où  t'o  aytov  oiaçOcpe:  auv  tm  fjyou- 
yiv<,>  7ci>  lp/o(j.£V(.>,  combinée  avec  celle  d'Aquila  : 
ôiaçGepsî  Àad;  -^yojiii/vj  èp/oasvoj,  plus  conforme  à 
l'hébreu,  a  vu  Hérode  et  les  Hérodiens  «  corrompant  d 
(moralement)  le  peuple  et  le  sacerdoce.  Il  est  vrai  que 
l'évéque  de  Césarée  admet  aussi  l'explication  e  le  géné- 
ral des  Romains  »  el  son  armée.  Le  pseudo-Cyprien 
interprèle  à  la  façon  de  Tertullien  :  Sanction. ..  ah  ipso 
Domino  nosiro...  temporibus  Vespasiani  est  extermi- 
nalum.  Selon  sainl  Ephrem, le  «  chef»  n'esl  .mire  que 
Messie-Roi  crucifié  »;  la  \ille  périra  t  avec  »  lui 
qu'elle  a  fait  périr,  la  Peschito,  de  même  que  Théodo- 
tion (ijv)  ayant  pris  le  mot  hébreu  am,  «  peuple,  i 
pour  la  préposition  loi,  avec  »,  lam  nialkô  d'ôfê', 
iiim  rege  min'uu-.  Sainl  Isidore  de  Péluse,  Epist., 
cclvii,  P.  G.,  t.  i.xxviii,  col.  996,  définit  ainsi  cette  es- 
pression  complexe  i  C'esl  le  Père  (A  tTaT^p)  qui  dé 
truit  le  peuple  et  fi  ville  pai  les  Romains) ;  autre- 
ni'  nt  >  Dieu  [6  '>  '..  el  le  chef,  c'esl  à  dire  le  Christ,  i 
Puia  H  cib  di  -  passages  bibliques  où  le  x' 
appelé  toil   I   ovu470(,  Mich.,  v.  2;  Mat  th.,  Il,  6,  soit 

ifXé|UVO<.  PS.  CXVH,  26;   Mattli.,  XI,  8.  Curieuse  est  l'in- 

terprétation   de  Basile  de  Séleucie    Ce  ion!  les  Juifs 


NT 


DANIEL     LES  SOIXANTE-DIX    SEMAINES    DU    PROPHÈTE 


H« 


cpii  ri)  faisant  mourir  le  i  Christ  à  venir  .  détruiront 
(iias6epoÛ9t)  —  seront  cause  que  les  Romains  détrui- 
ront —  le  sanctuaire  et  la  cité.  Euthyme  :  L'armée  ro- 
maine  détraira  la  ville...  ave<  l'aide  du  Christ,  le 
•  chef*  «If  ceui  qui  croienl  en  lui,  qui  i  reviendra  i  pour 
son  deuxième  avènement.  Andronic  :  urbetn  et  tacrunx 
una  cum  principe  delebil  ;  le  princeps  est  Aristobule  II 
roi  et  pontife,  Josèphe,  .\nt.  jud.,  XV, m;  XX,  x.  ren- 
versé par  Pompée.  Incertaine  dans  Cyrille  de  Jéi 
lem,  Cm.,  xv,  dans  Athanase,  dans  Chrysostome,  dans 
Augustin,  l'identification  du  a  chef  a  à  Titus  n'est  affir- 
mée clairement  qu'au  moyen  âge  par  Bède,  R.  Samuel 
du  Maroc  Pierre  Alphonse,  les  Gloses,  Raymond  Mar- 
tin, qui  pourtant  indique  aussi  la  traduction  :  pop"!"* 
principalis  venturus,  Nicolas  de  Lyre.  Les  théologiens 
modernes  l'ont  adoptée.  —  Le  sujet  agissant  dans  la 
70e  et  dernière  semaine,  c'est,  puni-  Clément  d'Alexan- 
drie, Néron,  qui  «  installa  dans  la  ville'  sainte,  In  rîj 
âfia  tJ/iv.  'Iepouaa).T)u,,  l'abomination  »  —  il  ne  dit  pas 
laquelle  —  et  qui  inourul  g  au  milieu  de  la  semaine  ». 
Cette  incomplète  et  obscure  interprétation  a  pour  pen- 
dant au  moyen  âge  celle  de  H.  Salomon  (Raschi), 
d'Aben-Ezra,  d'Arbarbanel  :  Titus  «  conclut  une  alliance  « 
avec  les  .luifs  g  au  cours  de  »  celte  dernière  semaine. 
Saint  Éphrera  (et  les  auteurs  syriens),  conformément 
au  texte  de  la  Peschito,  ont  maintenu  aux  deux  pre- 
mières propositions  du  \ .  27  un  sujet  actif  et  personnel 
indiqué  au  y.  26  :  c'est  le  Christ,  Rex-Messias,  qui 
«  lui-même  affermit  l'alliance  in  sanguine  sua,  »  et  qui 
par  sa  mort  en  croix  «  abolit  le  sacrifice  et  l'offrande 
juifs.  De  même  l'eschatologue  liruno  d'Asti,  pour  la  pre- 
mière proposition  :  Conftrmabit  autem  dux  ille  ntali- 
gnus  (l'Antéchrist)  pactum,  c'est-à-dire  qu'il  imposera 
sa  domination  —  contrairement  à  la  tradition  de  son 
école  qui  entendait  le  passage  de  raffermissement  des 
saints  aux  derniers  jours(Apollinaire).  Se  rangeant  à  la 
suite  de  Théodotion  et  de  saint  Jérôme  dans  leur  tra- 
duction, toute  la  tradition,  pour  ainsi  dire,  a  trouve  le 
sujet  de  confirmabit  (Théodotion  :  8vvau.ct>trsi),  non  dans 
le  Chris  tus  occisus  ou  le  dux  venturus  du  \.  26,  mais 
dans  hebdomacla  una  (Théodotion  :  èSSo^i;  ua'a),  et  en- 
tendu au  sens  passif  la  seconde  proposition  :  deficiet 
Itoslia...  (Théodotion  :  àpOr^E-ai...)  ;  elle  ne  varie  guère 
non  plus  dans  l'interprétation  qu'elle  donne  de  1'  «  al- 
liance »,  delà  «  cessation  »  du  sacrifice,  de  1'  «  abomi- 
nation »  dans  le  temple  (Théodotion  :  ï-\  -'<>  iepôv; 
S.  Jérôme  :  in  templo).  L'  «  alliance  »  que  la  dernière 
semaine  voit  s'affermir  «  en  beaucoup  ».  c'est  la  doc- 
trine de  l'Évangile  annoncée  par  le  Christ  et  ses  apô- 
tres :  Jules  Africain,  d'après  le  Chronicon  paschale, 
P.  G.,  t.  xcn,  col.  40i;  Origène,  In  Matth.;  Eusèbe  (la 
nouvelle  alliance  fondée  sur  les  miracles);  S.  Ephrem; 
S.  Chrysostome,  In  Dan.,  P.  G.,  t.  i.vi,  col.  2W);  Poly- 
chronius  (réellement  accomplies,  les  promesses  de  l'an- 
cienne alliance  affermissent  la  nouvelle);  Basile  de  Sé- 
leucie ;Théodoret  (le  Christ  remplit  de  toute  puissance, 
3uvâ(ieuc  Ur.-xryr,:...  TcXripcitrei,  ceux  qui  croient  en  lui): 
Bède  et  les  auteurs  du  moyen  âge  qui  le  suivent 
constamment  :  les  Gloses,  Rupert  de  Deutz,  Pierre  le 
Mangeur,  Alain  de  Lille  (le  faux  ,  Hugues  de  Saint- 
Cher,  Thomas  Vallensis,  Denys  le  Chartreux;  autres 
auteurs  :  Fréculph,  évéque  de  Lisieux  (rx*  siècle  .  Chro- 
nicon, P.  /...  t.  evi,  col.  IKK);  Albert  le  Grand,  R.  Mar- 
tin, Nicolas  de  Lyre,  3éei de  Sainte-Foi  ;  les  commen- 
tateurs et  théologiens  modernes.  La  a  cessation  »  ou 
1'  «  abolition  o  du  sacrifice  et  de  l'offrande  i  Théodotion  : 
pou  Buai'a  /.x\  otrovoyi;  Tertullien  :  vu  v  sacrificium  <■' 
libatio  s'est  opérée  par  i  l'offrande  du  sacrifice  de  la 
croix  g  :  Jules  Africain;  Eusèbe  (par  l'institution  du 
sacrifice  eucharistique);  s.  Ëphrem;  s.  Chrysostome, 
Si  m.,  v,  adv.  Judteos  ;  Polychronius,  Basile  de  Séleucie, 
Théodorel,  Vnastase  le  Sinalte  (le  (aux)  (qui  lit  a-'i-J.i. 
/■  le,  g  et  ajoute  vou.wq  :  l'observance  <lc  la  loi  mosaïque 


prend  fin  comme  le  sacrifice  cultuel);  l  sui- 

vants; Fréculph,   It.    Martin.   Nicolas  de   Lyn 
île  Sainte-loi;  les  modernes.  Fulbert  de  Chartres  en- 
tend un  peu  différemment  l'expression  du  têtus  sacer- 
dotiutn   defecturum.    Pierre  Alphonse  attribue  pure- 
ment au  dénuement  des  Juifs  après  la  ruine  la  < 
lion  du  sacrifice  :  non  habereni  undetacrificiumfacere 

i         ibominatioi  ■  des  interprétai 

plus  diverses,    Pour    rertullien,  c'est    la    destruction 
même  du  temple,  extecralio  vaslalioni*  ;  pou 
et  saint  Augustin.  Ad  tietych.,  l'armée  romaine  as 
géante;  pour  Eusèbe,  /'  ,  l'efficacité  du  sacrifice 

perdue,  la  statue  de  lïbi  dans  le  temple  par 

Ponce-Pilate    d'après  Josèphe,   Ant.  jud.,  XVIII,  ni. 

I  :     Bell,    jud.,   II.  IX,   9  .  la  ruine  de  l'édifice  sacré,    la 

statue  d'Adrien  élevée  à  sa  place  /;<  Luc.,  fragment 
dans  la  Catena  de  Nicétas,  Mai,  Script,  vet. 
coll.,  t.  i,  p.  158);  pour  saint  Éphrem,  les 
romaines  (images  de  l'aigle  impériale  et  de  l'empereur) 
profanant  le  lieu  saint;  S.  Chrysostome,  Servi.,  v.  adv. 
Judteos;  Conim.in  Dan.  ;  Homil.  i.\xv  in  Matth.,  n.  2. 
P.  >'..,  t.  i.viii.  col.  689,  la  statue  d'Adrien;  de  même 
Basile  de  Séleucie;  Théodoret  suit  Eusèbe .  Sévère  d'An- 
tioebe,  fragment  dans  Mai,  op.  cit.,  t.  i,  p.  213.  opine 
pour  la  statue  d'Adrien:  Bède  reste  vague:  Fréculph 
choisit  la  première  interprétation  d'Eusèbe  :  non  fuit 
sacrificium  Dei,sed  cultus  diabuli . -Chrétien  Iiruthmar 
(moine  de  Corbie,  ix  siècle),  lu  Matth.,  P.  L.,  t.  < vi. 
col.  H.">(i.  hésite  entre  les  statues  de  Tibère,  d'Adrien, 
l'Antéchrist;  Pascbase  Radbert  ne  se  prononce  pas  :  ... 
alio  (juolibet  modo  gueat  intelligi;  Pjerre  de  Blois  se 
prononce  pour  V imago  Csesaris;  Albert  le  Grand,  pour 
les  sacrifices  anciens  rejetés  et  devenus  ainsi  abomi- 
nata;  Nicolas  de  Lyre,  pour  la  statue  d'Adrien.  Les 
modernes  ont  fait  leur  choix  parmi  ces  diverses  accep- 
tions et  d'aucuns  en  ont  proposé  une  autre  :  la  profa- 
nation du  temple  par  les  zélotes  homicides  qui  avaient 
fait  de  cet  édifice  une  forteresse  depuis  la  12'  année  de 
Néron.  Sébast.  Barradas  (1542-1615),  C.  Jansen,  évéque 
de  Gand  (1510-1576),  Jean  Hessels  (1522-1566),  In 
Matth.,  xxiv;  Baronius,  A  m, al.  eccles.,  Rome,  ltiss. 
t.  i,an.  68.  Une  interprétation  parfaite,  selon  Corneille 
de  la  Pierre,  In  Dan., joindra  cette  explication  à  celle 
d'Origène  et  d'Augustin. 

Remarques  critiques.  —  Il  est  clair  que  dans  les 
ouvrages  des  Pères,  l'exégèse  des  versets  25-27  n'a  pas 
un  caractère  moins  verbal  que  celle  du  f.  24,  étant 
fondée,  non  sur  les  rapports  du  contenu  de  i 
avec  leur  contexte,  mais  d'abord  sur  la  pure  apparence 
des  mots  qui,  clans  U-  versions  théodotienne  et  hiéro- 
nymienne,  voire  dans  la  version  syriaque,  sollicitaient 
a  l'application  messianique  littérale  de  la  prophétie,  el 
ensuite,  chez  beaucoup,  sur  la  relation  que  quelques- 
uns  de  ces  mots  établissaient  alors  aussitôt  entre 
l'oracle  de  Daniel  et  celui  de  Jacob,  tien.,  xux.  10, 
jugé  également  messianique  au  sens  direct  et  littéral. 
Par  l'effet  de  celle  double  influence  et  ■!-  la  suggestion 
opérée  par  le  f.  24,  les  i>2  semaines  se  trouvant,  de 
plus,   ajoutées    aux    7    premières    sous    la    rubrique 

jusqu'à...  .  icoc,  usque  ad.  des  expressions  comme 
XpKm>0  i.vovjlvr..  Chrùtuni  tinrent,  ne  pouvaient  pins 
signifier  que  Jésus-Christ  pour  le  grand  nombre,  jL  25. 
Et  ce  caractère  verbal  de  1  interprétation  traditionnelle 
est  >i  réel  que  le  même  vocable  hébraïque  maiiah 
ayant  été  rendu,   au  v  26,  ici  non  plus  par  -/piu-ro,-, 

niais   par  gpiffpo,  là  encore   par  Chris  tus,   l'exégèse    BC 
partage  immédiatement  el  suit  docilement  celte  double 

piste,    ('.lie/    les   (.ne-  .  :  -j  Or,  a  ET  il  /'.l'ii    annon- 

cera   la    lin    du    sacerdoce  juif   et    aaronique    pour    un 
demi  il    avant,   BOil   après    le   Christ.    Chez    les 

Latins.   OCcidetUT  Chrislits   aura    prédit   la    passion    du 

Sauveur;  et  alors  qu'Augustin,  à  l'aurore  du  \    siècle. 
n'aura  point  voulu,  ni  dans  sa  réponse  a  Hésychius,  ni 


89 


DANIEL    (LES    SOIXANTE-DIX    SEMAINES    DU    PROPHÈTE; 


90 


dans  la  Cité  de  Dieu,  1.  XVIII,  c.  xxxiv,  P.  L.,  t.  xli, 
col.  593,  harmoniser  ce  trait  avec  une  compilation  des 
semaines,  ce  n'est  qu'au  vmc  siècle  que  Bède  le  Véné- 
rable pensera,  dans  une  explication  suivie  et  cohérente 
de  la  prophétie,  en  utiliser  la  force  probante  pour  la 
messianité  de  celle-ci.  Et  Origène  n'avouait-il  pas  la 
méthode  en  exigeant  le  mot  Chris to  dans  l'expression 
cum  duce  venturo,  si  on  voulait  la  rapporter  à  Jésus- 
Christ?  Car  cette  dernière  aussi,  par  le  mot  venturo, 
âpy_ojxsvu),  rapproché  avec  son  socius  duce...,ïtfov[).évu>, 
du  Chris  tum  duce  tu,  du  Xp«r-o-j  rjyo'j|/ivou  du  t.  25, 
attira  fortement  la  tradition.  Ce  «  chef  à  venir  »,  qui 
pouvait-il  être  sinon  le  Christ  que  beaucoup  déjà  trou- 
vaient dans  le  dux  de  femore  de  la  Vulgate,  Gen., 
xi.ix.  10,  et  des  LXX,  *|yoij|ievo<;  èx  tûv  [xviptiiv,  dont 
Jacob  avait  dit  :  donec  VBNIAT  qui  mittendus  est? 
higoumène  divin  que,  ne  le  trouvant  pas  cette  fois 
signalé  par  son  caractère  d'èpx<5|J.svo;  dans  la  Genèse, 
Isidore  de  Péluse  cherche  ailleurs  et  trouve  dans  les 
Psaumes  et  dans  Michée.  Dans  ces  conditions,  c'est- 
à-dire  le  dux  signifiant  le  Christ  et,  de  plus,  le  mou- 
vement du  texte  allant,  même  à  travers  les  versions,  à 
faire  du  personnage  signalé  dans  ce.  mot  le  sujet  réel 
du  t.  27,  ce  sujet  devait  encore  être  principalement  le 
Christ.  Bien  peu,  avant  le  Ve  siècle,  sauf  les  eschalo- 
logues,  y  ont  vu  un  persécuteur  des  saints  et  un  pro- 
fanateur. Donc,  exégèse  verbale  qu'acceptent  encore 
les  modernes.  Les  propositions  du  y.  2't  ne  pouvant 
convenir  qu'au  Messie,  selon  Corneille  de  la  Pierre, 
loc.  cit.,  t.  xm.  p.  117;  Legrand,  loc.  cit.,  col.  195;  Kna- 
benbauer,  p.  233  sq.  —  la  division  faisant  bloc,  «  7  et 
62  »  considérée  comme  un  hébraïsme,  cf.  Corneille  de 
la  Pierre,  t. xill, p.  126;  Legrand,  col.  192-193,  Christum 
ducettt  doit  être  le  Messie  ex  illo  ipso  CBRISTI  ducis 
noniine,  parce  que  ce  nom,  ou  ces  noms  (Christtts,  dux) 
lui  sont  donnés  ici  sine  addito,  Legrand,  col.  197-198; 
ou  encore  parce  que  le  premier  et  le  principal,  Chri- 
stus,  se  retrouve  au  \.  26,  accompagné  du  mot  occide- 
nt,-, et  que,  chez  les  prophètes,  ls.,  lui;  Lam.,  IV,  3, 
le  Messie  prsedicitur  occidendus.  lbid.,  col.  198.  Mais 
sur  quoi  fonder  ici  l'antonomase?  Et  le  rappel  des 
prophètes  Isaïe  et  Jérémie  at-il  plus  de  valeur  réelle 
que  celui  des  Psaumes  et  de  Michée  dans  Isidore  de 
Péluse?  Que  si  les  passages  scripturaires,  .1er.,  xxxi, 
31;  Mal.,  i.  10,  paraissent  répondre  à  con/irmabit  pa- 
ctum  et  à  deficiet  kostia  de  la  prophétie  daniélique, 
Legrand,  col.  198-199,  n'est-ce  pas  que,  Titus  ou 
Vespasien  étant  le  dux  du  v.  26,  et  ces  personnages 
ne  pouvant,  en  tant  que  païens,  rien  de  positif  au 
fœdus  novum,  non  plus  qu'au  nouveau  sacrifice  offert 
ab  ortu  snlis  vaque  ad  occasuttt,  on  soit  contraint  de 

nir  au  Christ  du  v.  26  [redit  Gabriel  ad  Christum 
de  </»"  egit  *  25  et  26,  Corneille  de  la  Pierre, 
t.  xm.  p.  128  ,  par  l'effel  d'une  pure  attirance  verbale? 
En   réalité,    et  en   bonne    critique,   l'exégèse   des   ver- 

25  et  27  peut  être  tout  autre.  Il  suffit  pour  cela 
que  l'on  ait  confiance  dans  la  coupe  du  y.  25  dans  le 
texte  hébreu  et  que  l'auteur  du  livre  de  Daniel  ait 
justement  consacré  un  chapitre  ou  deux  de  son  ouvrage 
à  une  explication  authentique  de  la  prophétie,  différente, 
au  sens  premier,  de  relie  qui  prévaut  encore  aujour- 
d'hui. Que  l'oint-prince  du  \.  25  doive  apparaître  après 
les  7  premières  semaines,  il  ne  peut  plus  être  le 
Christ,  et  déjà  disparall  ou  se  rompt  le  fil  important 
qui.  par  une  longue  série  d'années,  nous  conduisail  dès 
l'abord  et  comme  préventivement  ans  temps  messia- 
niques. Que  l'auteur  ail  manifesté  clairement  au  c.  x 
son  intention  d'expliquer  au  lecteur,  su  c.  xi,  les 
lue  di  c,  vin  et  ix,  celui-ci  cont.  oanl 
notre  prophétie,  immédiatement  il  faut  laisser  tomber, 
.m  moint  I  litre  provisoire,  les  rapports  plus  éloignés 
rie  ris  personnages  avec  leurs  homonymes  des  autres 
livres  bibliques,  pour  les  chercher  eux-mêmes,  leun 


noms,  leur  caractère  et  leurs  gestes,  parmi  les  réalités 
que  signale  à  l'attention  le  développement  explicatif 
des  visions  et  des  oracles.  Supposons  ladite  intention 
clairement  manifestée,  voir  col.  96  sq.,  il  est  impossible 
de  ne  point  voir  une  équation  parfaite  entre  «  les 
troupes  »  qui,  «  sur  l'ordre  »  d'Antiochus  Epiphane, 
«  profanent  »,  xi,  31,  «  le  sanctuaire...,  y  font  cesser  le 
sacrifice  perpétuel,  et  y  dressent  l'abomination,  »  et  le 
populus  cum  duce  venturo  qui,  ix,  26,  27,  dissipabit 
sanctuarium  et,  selon  l'hébreu,  <•  fera  cesser  le  sacri- 
fice et  l'offrande,  »  ce  qui  amènera  «  l'abomination  » 
dans  le  temple.  Au  c.  xi  encore,  il  est  dit  qu'Antiochus 
sera  «  hostile  à  l'alliance  sainte  »,  y.  28,  qu'il  sera 
«  furieux  contre  elle  »,>.  30,  qu'il  «  séduira  »  les  trans- 
fuges de  cette  alliance  et  s'en  fera  des  partisans,  y.  30, 
32  :  nouvelle  équivalence  du  «  chef  »  qui,  ix,  27,  «  fait 
alliance  avec  plusieurs,  »  ou,  suivant  une  meilleure 
interprétation  de  l'hébreu,  «  fait  trahir  l'alliance 
(sainte)  à  plusieurs.  »  Un  «  oint  est  extirpé,  »  ix,  26, 
et  «  l'oint  »  pour  les  temps  qui  suivent  la  captivité  de 
Babylone  c'est,  dans  l'idéal,  la  dynastie  davidique  re- 
vêtue d'un  caractère  messianique,  Ps.  cxxxn,  10; 
lxxxix,  39-52;  cxxxir,  17,  etc.,  dans  la  réalité  le  grand- 
prèlre,  Ps.  lxxxiv,  10;  cf.  Lev.,  iv,  3  sq.;  vi,  15,  héri- 
tier des  prérogatives  honorifiques  et  effectives  de  la 
royauté,  Zach.,  iv,  14;  actions  de  Simon  I,  Eccli.,  l,  1- 
23;  il  est  ici  ou  détrôné,  ou  mis  à  mort.  Or,  l'explica- 
tion de  la  prophétie  nous  signale  encore,  xr,  22,  «  un 
chef  de  l'alliance  (sainte)  »  brisé  par  Antiochus,  chef 
en  qui  beaucoup  reconnaissent  avec  raison  le  grand- 
prêtre  Onias  III,  dépossédé  de  sa  charge,  exilé,  assas- 
siné. II  Mach.,  iv,  33-36.  Enfin,  reporté  par  la  division 
du  il.  25  aux  temps  daniéliques  ou  de  peu  postérieurs  à 
l'époque  présumée  du  prophète,  à  savoir  à  l'époque  de 
«  Cyrus  le  Perse  »  conquérant  de  Babylone  ou  des 
«  deux  oints  »,  Zach.,  iv,  14,  Josué  fils  de  Josédec  et 
Zorobabel  fils  de  Salathiel  :  le  premier,  grand-prêtre, 
le  second,  gouverneur  de  Juda,  les  deux  sous  Cyrus 
déjà  peut-être,  sous  Cambyse  et  Darius  fils  d'Hystaspe 
certainement,  Agg.,  i,  1,  12,  14;  II,  2, 10,  21  ;  Zach.,  i,  1, 
7  ;  ni,  iv,  1'  «  Oint-  prince  »,  ix,  25,  doit  osciller,  ainsi 
que  l'ont  bien  compris  Clément  d'Alexandrie,  ,1.  Hila- 
rianus,  saint  Hippolyte  et  d'autres,  entre  ces  trois  per- 
sonnages :  Cyrus,  prince  et  roi  des  Perses,  oint  par  le 
Seigneur  pour  «  rebâtir  Jérusalem  »,  ls.,  xlv,  1,  I,  ô. 
13;  Josué,  oint  «  prince  de  l'alliance  »  en  qualité  de 
grand-prêtre;  Zorobabel,  prince  de  la  lignée  davidique 
I  Par.,  m,  17-19,  oint  idéalement  dans  le  groupe  mes- 
sianique constitué  par  cette  lignée.  Que  si  l'on  ne  veut 
diviser  l'hébreu  au  v.  25,  ou  si  l'on  s'étonne  de  ne  point 
trouver  au  c.  xi  de  passage  corrélatif  à  ce  verset,  ou  si 
l'on  juge  trop  verbale  encore  la  relation  de  1'  «  Oint  » 
avec  des  personnages  bibliques  comme  Cyrus,  Josué, 
Zorobabel  pris  en  dehors  du  livre  de  Daniel,  il  reste 
que  l'Oint  ou  sera  le  même  personnage  aux  versets  25 
et  26,  ou  n'aura  pas  eu  besoin  d'explication,  au  juge- 
ment de  l'auteur,  parce  qu'il  indiquait  pour  l'époque, 
ou  voisine,  ou  contemporaine  de  la  prophétie,  un 
homme,  roi,  prince  ou  prêtre,  bien  connu  du  lecteur 
et  auquel  revenait  de  droit  divin,  liturgique  ou  dynas- 
tique, la  principauté. 

3°  Computation  dei  semaines,  —  I.  Depuis  le  ir  sii  - 
cle  de  1ère  chrétienne  jusqu'à  la  lin  du  moyen  Age,  les 
écrivains  patristiquec  ou   ecclésiastiques  qui  se  sont 
occupés  de  la  question  n'ont  pas  érigé  moins  de  vi 
deux   serines   plus   ou    inoins    différents    les   uns   des 

autres  sur  la  manière  de  compter  les  années  figurées 
par  les  Tu  semaines  daniéliques,  pour  en  (aire  cadrer 
le  déclin  avec  les  temps  du  Christ.  Sont  exclus  de  ce 
relevé  général  :  Origène,  qui  allégorise  et  choisit 
comme  point  de  dépari  de  toute  la  série  la  création 
d'Adam  et  comme  point  d'arrivée  l'an  86  environ  de  la 
ruine  ,ie  Jérusalem  ;  Julius   Hilarianus,  dont  il 


'.'I 


DANIEL     LES  SOIXANTE-DIX    SEMAINES    M     PROPHÈTE 


'.•'2 


parlé  col.  98,  les  eschatologues,   les   luifs  et  les  Bu- 
teurs <|ni  exposent  bien  différents  systèmes,  mais  sans 
-.    prononcer  en  laveur  d'aucun,  tels  <■.  le  Syncelle, 
Hamartolos,   Ad. m,  G.   Cédrène.  <»n  peut  néanmoins 
ramener  ces   computations  diverses   à   deux   grandes 
catégories  :  celles  qui  font  aboutir   les  semaines  à  la 
ruine  de  Jérusalem, celles  qui  les  arrêtent  d'une  façon 
générale  a  la  mort  du  christ.  Chacune  de  ces  ca 
pies  aura  naturellement  ses  subdivisions.  --  a)  Dans  la 
première,  il  convient  de  signaler  d'abord,  à   eau 
son  caractère    original,  la   compilation    de  Terluilien 
qu'on!  suivie  .Iules  de  Tolède,  Pierre  Damien,  Pierre 
Ûaurice,  Jérôme  de  Sainte-Foi.  Le  prêtre  de  Carthage 
compte  les  7()  semaines  d'années  à   partir  de  a  la  pre- 
mière année  de   Darius   t  le  Mede.  i\.  1.  confondu  avec 
Darius  Xotlms  :  il   partage  la  série,  non  en  7,  02  et  l. 
mais  en  7  I  2  et  tri  I  2,  suivant  un  texte  arbitrairement 
retouché  au  v.  25  :  itsfjuc  ad  Chris tum  ducetn  liebdo- 
madai   septem    cl    i.xu   BT   biiiwiAM;   il  place    les 
62  semaines   et  demie  avant  les  7  semaines  et  demie. 
leur  point  de  jonction  coïncidant  avec  la  naissance  du 
Christ  (an    il  du   règne  d'Auguste);  la  demi-semaine 
finale  s'achève   pour   lui   l'an    !«'  de  Vespasien  par  la 
ruine   de    Jérusalem;  enlin    il  additionne  la  semaine. 
hebdomadn   I  \  I,  et  la  demi-semaine,  DlifIDIA   hebdo- 
madis  (non  :  /.\   DIMIDIO  hebdomadis),  dont  parle  le 
v.   27,  et  applique  ces  dix   ans  et   demi  sur  la  partie 
finale   de  toute   la  série  pour  aboutir  également  à   la 
ruine  de  Jérusalem.  On  peut  résumer  ainsi  toute  l'in- 
terprétation :  70  semaines  (62  I  2 et  7  1/2)  sont  accordées 
au  peuple  juif  pour  se  refaire   et  attendre   des  temps 
plus  heureux,  s'il  veut  bien  toutefois  croire  au  Messie 
qui  apparaîtra  à  cette  époque.  Mais  Dieu  savait  bien  que 
les  Juifsne  croiraient  point  au  Messie,  mais  le  mettraient 
à  mort.  Il  veut  alors  néanmoins  l'annoncer,  et  il  reprend  : 
A  la  fin  des  62  .semaines  1/2  que  j'ai  dites,  le  Saint  des  Saints 
naîtra  etsera  oint;  durant  les  7  semaines  I  2  il  souffrira 
et  mourra;  en  punition  du  crime  commis,  la  ville  et  le 
temple  seront  détruits  à   la  fin  des  7  semaines  1/2.  — 
Peu  d'écrivains  ont,  avec    Tertullien  et  ses    suivants, 
terminé  exactement  les  semaines  à  la  ruine  de  la  ville 
sainte  :  nous  comptons  seulement,  parmi    les  Pères, 
Clément  d'Alexandrie  et  Isidore  de  Péluse,  au  moyen 
âge,  Pierre  Alphonse  et  Pierre  de  lilois.  Pour  Isidore, 
le  point  de  départ  esteonstitué  par  l'autorisation  donnée 
à   Néhémie  de  relever  les  murailles  de  Jérusalem  la 
20e  année  du    règne  d'Arlaxerxès  Ier.   Les  trois  autres 
ont  fixé  ce  point  au  début  du  règne  de  Darius  le  Mède 
(P.  Alphonse,  P.  de  Rlois)  ou  de  Cyrus  (Clément).  Le 
célèbre  prêtre  alexandrin  fait  coïncider  probablement 
la  fin  des  ti'.i  premières  semaines  avec  le   baptême  du 
Christ;  Isidore,  !'.  Alphonse  et  P. de  Blois  avec  le  com- 
mencement de  la  guerre  juive,  que  celui-là    date    la 
7e  année  de  l'empereur  Claude,  ceux-ci   la    lr«de  Ves- 
pasien au   moment  où  Titus  apparut  devant  Jérusalem 
avec  l'armée  romaine.  Ces   auteurs  (sauf  Clément)  ne 
détaillent  pas  autrement  les  semaines,  même    la  der- 
nière; mais  ils  entendent  que  le  Christ  a  paru  an  cours 

de  ces  semaines,  com l'a  montré  leur  exégèse,  i 'ii 

peut  réunir  à  ce  premier  groupe  les  demi-eschatologues, 
Hippolyte,  Ammonius,  le  pseudo-Cyprien,  parallèles  à 
Clément  pour  les  69  semaines:  Brunon  d'Asti  (20* an- 
née d'Artaxerxès  |II'.'|  à  la  mort  de  Jésus).  —  b)  Le 
second  groupe  ou  catégorie  qui  renvoie  la  ruine  de 
Jérusalem  à  quelque  quarante  (Titus)  ou  même  cent  ans 
Adrien)  après  la  clôture  de  la  période  des  semaines 
et  qui  ferme  à  peu  près  exactement  cette  période  sur  le 
Messie,  voir  col.  86-88,  comprend  d'abord  un  bloc 
d'écrivains  traditionnels  dont  le  système  de  computa- 
tion  offre  comme  principale  originalité  d'avoir  A  sa  base 

des    années    lunaires.    Les     7i>    semaines    ne    font    plus 
190  ans.  mais  seulement  'i7.->.  Tour  tous,  sans  exception, 

ouvre  a  la  20'  année  du  règne  d'Artaxerxès 


U!  main  .   mais  pour  les   uns  elle   ne  clol    a   la   mort 

du  Christ    |t;  ou  18  année  de  J  ibère  .  p 

ii u.      demi-semaine  »,  à  savoir  '.i  ans  i  2  ■■<; 
Africain,  que  suivent  exactement  Théodose  de  M< 
et    l'auteur  anonyme  du   Traclalus  contra   Jude 
opine  pour  la   16   année   de   Tibère    et  compute 
se  mettre  en  peine d'eipliquerle  pourquoi  det 

2  et   I.  lie. L-  le  Vénérable  et  a  sa  suite  I, 
lia  ban  Maur.  lin  .1  Perl,  Rupert,  le  Mangeur,  le  tau  v  Alain, 
II.  de  Saint-Cber, Thomas  Vallensis, onl  pou 
la  18«  année  du  successeur  d'Auguste.  Selon    I;.  .j 
années  sont  lunaires,  parce  que   \ddbbviai  i  .»/,„;,•  |e 
baptême  du  Christ  coïncide  avec  le  ■  milieu  de  la   der- 
nière) semaine    .  an    lô  de  Tibère.   Sauf  ce  dernier 
détail,  le  petit  groupe  bédan  se  désintén  ment 

de  la  division  7.  62,  I.  —  Il  n'en  est  plus  ainsi  pour 
Théodoret,  que  suit  Zonaras,  Albert  le  Grand  .-t  | 
le  Chartreux.  Celui-ci.  cf.  .Iules  Africain.  Chu,,,.  pat- 
choie,  se  contente,  il  est  vrai,  de  marquer  le  point 
d'arrivée  des  69  premières  semaines  au  baptême  du 
Christ,  le  milieu  de  la  70   à  la  mort  de  Jésus,  et    la  fin 

oute  la  série  à  trois  ans  et  demi  après  le  crucifie- 
ment; mais  l'évêque  de  Cyr  et  Albert  intervertissent 
ainsi  l'ordre  des  nombn  I   I.  De  la  20*  année 

d'Artaxerxès    à    Hyrcan    II.    le    dernier    grand-pn 
asmonéen  i  Théodoret).  ou  jusqu'à  la  l!t   année  avant  la 
naissance  de  Jésus-Christ  (Albert  ,62  semaio 
double  point   au    baptême  dans  le  Jourdain  (15    année 
de    Tibère),  7   semaines;  la   dernière  comme    D 
Théodore!  donne  la  raison  de  cette  interversion 
briel  place  le  Christ  immédiatement  après  .ines 

Kpi<rroû.-.éô6ouâSe<  hrrà,  ponctuation  de  l'hébreu  . 
voilà  le  fait;  mais  si.  partant  du  Christ,  l'on  remonte 
l'ordre  des  temps,  après  les  7  semaines  (avant,  chro- 
nologiquement) on   trouve  les  62;  puis  la  subtilité 

l'.vat  8r,Xov  (!),  0T(  Ta:  ï\r;/.'yi-.x  Ô'jo  IS2o|lzSac  ItpOTÉpaç 
~i-2/_i  I  i-;7c'/.o:l.  celui-ci  a  dit  :  [tsrà  ri;  â6&»(iâdac  ?i; 
iHyy.ovTa  6^o  È|oXo8peu6^a,eTO(  gpfoua  :  sinon  il  aurait 
dû  dire  (js-ix  -à;  7  v.x:  u.=:a  ri;  62.  —  c)  l'n  groupe  qui 
aboutit  de  même  à  3  ans  I  2  après  la  mort  du  Christ, 
qui  dispose  et  compute  de  façon  identique  la  dernière 
semaine,  a  comme  chef  de  file  Eusèbe  il 
Mais  pour  les  69  semaines  i  usébe  compte  de  deux 
manières  assez  différentes.  Dans  la  première,  où  le 
suivent  un  auteur  africain  du  V*  siècle.  Libellut 
genealogiis  patriarcharum,  /'.  L.,  t.  i.ix.  col.  51  i.  et 
Andronicus,  le  savant  apologiste  de  la  Demonslratw 
evangelica  ayant  compris  sous  l'expression  gpiorôc 
riYOÛ|ievo;  toute  la  série  des  grands-prêtres  juifs  depuis 
l'exil  babylonien  jusqu'à  la  venue  du  Sauveur,  part  de 
Josué,  lils  de  Josédec,  lequel  <.  la  première  année  de 
Cyrus  inaugura  ses  fonctions  de  souverain  sacrifica- 
teur par  le  rétablissement  de  l'autel  des  holo.au- 
I  Esd.,  in.  2.  La  liste  des  _i  amis  pr.ln  s  lui  fournit  les 
éléments  de  sa  chronologie  avec  le  synchronisme  de  la 
mort  d'Alexandre  le  Grand,  contemporain  de  Jaddée,  et 
les  dates  données  pai  I  Ma.  h.,  ivi,  li,  et  Josèphe, 
An  t.  jud.,  Mil.  vu.  i.  \ .7.  iv, 5;  \\.  x.  Il  arrive 
ainsi  à  la  mort  d'Alexandre  Jannée  .  t  au  règne  de  la 
veuve  de  ce  dernier.  AI. a.uhIi'.i.  changement  qui  eut 
pour  effet  d'accomplir  la  prophétie  incluse  dans  le 
\  25,  voir  col.  86,  en  divisant  le  sacerdoce  et  la 
royauté  entre  Hyrcan  II  et  Aristobule, fils  de  Jannée, et 
en  préparant  ainsi  par  les  rivalités  de  ces  deux  princes 
l'intrusion,  s,, us  Bérode,  de  grands-prêtres  illégitimes). 
Hans  sa  scc.nde  manière,  l'evequede  {.'.<  salée,  se  basant 

sur  les  textes  deZacharie,  i,  7.  et  12,  qui  marqueraient 

la  2  année  de  Darius  lils  d'Hystaspe  comme  la  der- 
nière des  70  années  pendant  losquel  les  Jérusalem  devait 
rester  en  ruines,  et  rapprochant  ces  textes  de  Dan.,  tx, 
2,  où  le  voyant  de  Babylone  aurait  eu  l'intelligence  de 

celle  date  .1  de  ix.  25,  OÙ  Gabriel  indique  dans  la 
reconstruction  de  la  ville  sainte  le  terminus  a  quv  di  s 


93 


DANIEL    (LES    SOIXANTE-DIX    SEMAINES    DU    PROPHÈTE 


94 


70  semaines,  choisit  pour  son  point  de  départ  la  6e  an- 
née de  Darius,  voir  sa  Chronique,  I.  I,  c.  xvm,  4,  et 
atteint,  de  la  66e  Olympiade  à  la  186e,  an  4,  la  première 
année  du  règne  d'Hérode,le  upioio;  àXXospûXo;  (pao-Oeùç) 
sous  lequel  la  prophétie  de  Jacob,  Gen.,  xlix,  10,  plaçait 
la  naissance  du  Messie.  Ont  suivi  cette  deuxième  com- 
putation  d'Eusèbe  :  Cyrille  de  Jérusalem,  Prosper 
d'Aquitaine,  Isidore  de  Séville,  Fréculph  et  Sicard  de 
Crémone,  Chronique,  P.  L.,  t.  ccxm,  col.  442.  — 
■  l:  Autres  systèmes.  Sulpice  Séiére  place  le  commen- 
cement des  69  semaines  à  la  reconstruction  du  temple, 
2e  année  de  Darius  fils  d'Hystaspe,  confondu,  lui  aussi, 
avec  Darius  Notbus  ou  Oclius,  et  la  fin  à  la  ruine  de 
Jérusalem  par  Titus  sous  Vespasien.il  ne  dit  rien  de  la 
dernière  semaine.  Polychronius  fait  courir  7  semaines 
de  la  1"  année  de  Darius  le  Mède  à  la  2e  de  Darius  fils 
d'Hystaspe;  62  de  la  32"  d'Artaxerxès  Longuemain  à  la 
naissance  de  Jésus  (32e  d'Hérode);  la  dernière  de  l'an 
15  de  Tibère  à  3  ans  1/2  après  la  mort  du  Christ.  Basile 
de  Séleucie  lixe  le  début  des  69  semaines  à  l'an  28  de 
Xerxès,  la  fin  à  l'ascension  de  J.-C.  ,19e  année  deTibère; 
la  dernière  s'achève  l'an  3  de  Caius  Caligula.  Raymond 
Martin,  que  suit  Paul  de  Burgos,  remonte  à  la  4e  année 
de  Sédécias,  .1er.,  xxix,  10,  14;  xxx,  18,  voit  de  grands 
mystères  dans  la  division  7,  62,  1,  et  finit,  avec  les 
Gloses,  à  la  mort  du  Christ,  18°  de  Tibère.  Après  avoir 
admis  une  computalion  parallèle  à  celles  de  Théodoret 
et  d'Albert  le  Grand,  sauf  l'interversion  62,  7,  Nicolas 
de  Lyre  revint  à  celle  de  Raymond,  mais  seulement 
quant  à  ses  points  extrêmes.  Toute  la  série,  ou  plutôt  la 

sorm les  7d  semaines  commence  bien  la  5e  année  de 

Sédécias,  six  ans  avant  la  destruction  de  Jérusalem  par 
les  Chaldéens;  mais  les  7  semaines  dont  l'ange  parle 
d'abord  ne  commencent  que  l'année  de  la  destruction, 
six  ans  donc  après  le  point  de  départ  de  la  somme 
totale.  Ces  six  années  forment  le  début  des  62  semaines 
interrompues  alors  entre  leurs  6e  et  7e  années  par  l'in- 
tercalation  des  7  semaines. 

2.  Ainsi  que  les  anciens  et  les  écrivains  du  moyen 
âge,  les  modernes  qui  rapportèrent  la  lin  des  70  se- 
maines d'une  façon  générale  au  temps  du  Christ,  en 
firent  coïncider  le  début  avec  un  décret  (ou  des  lettres 
rovalcsj  émanant  d'un  monarque  perse  (la  Bible  men- 
tionne quatre  il''  ces  édils  :  celui  de  Cyrus,  1  Esd., 
i.  2  iq.j  celui  de  Darius,  Mis  d'Hystaspe,  I  Esd.,  vi, 
I  sq.  ;  celui  d'Artaxerxès  Longuemain,  1  Esd.,  vu, 11  sq.  ; 
celui  du  même  Artaxerxès,  Il  Esd.,  il,  confirmé,  m,  15) 
touchant  la  reconstruction  de  la  ville  ou  du  temple  de 
Jérusalem,  de  préférence  ■<  un*'  prophétie  antérieure 
au  temps  >iii  retour  ayant  le  même  objet  (la  Bible 
mentionne  sepl  de  ces  prophéties  :  Is.,  xi.iv.  28;  xi,v, 
18;  Jer.,  xxvu,  16  sq.;  xxix,  14;  xxx,  18;  Bar.,  n.  34; 
iv.  23  sq.).  Quelques  catholiques,  Calvin,  Prseleetionea 
m  Dan.,  cl  l'anglais  Jean  Lightfbot,  Chronique,  ont  fixé 
le  terminus  a  quo  des  semaines,  comme  Clémenl 
d'Alexandrie  e(  Eusèbe  (première  computalion),  à  la  2- 
"M  ■'  la  I  .une.  de  Cyrus.  I  Esd.,  i,  2  sq.  Les  pro- 
testants  Scaliger,  De  emendatione  teniporum ,  /.,■ 
hebdom.  Danielit,  el  Jean  Driesche  Dru 
xvi'-xvii  siècle,  Notx  in  Sulpitium,  se  son!  prononcés 
pour  la  2*  année  de  Darius  Nothus,  m. us  sans  pai 
l'erreur  de  Sulpice  Sévère.  La  2«  ou  la  6«  année  de 
Dai  iu>,  fils  il'H  i   i    d.,  vi,  1  sq.,  seconde  ma- 

nière d'Eu»  be,  a  i  u  Bes  partisans  dans  Corn.  Jansen 
(.tri -.iiiii-  ■!■  (..ui.l.  \,i    siècle,  Concorde  <ii  •,  évangé- 
Jean   Driedoens  (Driedo),  xv*-xvi<  Biècle,  De 
Sa-ipturië  et  dogmatibus,  i  ne  computation,  qui  pou- 

rail  psssi  '  i""'i      i relie  -  au  wir  siècli   el  m1"  i   I 

pti  e  par  Corneille  de  la  Pierre.  fa  Dan  .  i 
■  qu'elle  ail  eu  pour  auteurs  des  «  ehronoli 
hétérodoxes     .  dont  Louis  Cappel,  Chronohgia 
Paria,  1655,  -•   fondait  bui  le  décrel  mentionné,  I  l  sd., 
vu.  Il  sq.,  el  rapports  à  la  7    année  du  règne  d'Aï 


taxerxès,  à  dater  de  la  mort  de  Xerxès.  Cf.  Jacques 
Ayrault  (Ayrolus),  xvnc  siècle,  Lib.  10  hebdomadum 
resignatus ,  l'anglais  Humphrey  Prideaux  (Pridœus), 
Hisloria  Judseorum,  1.  V.  Mais  la  20e  année  d'Artaxerxès 
Longuemain,  II  Esd.,  H,  devait  surtout  retenir  l'atten- 
tion des  modernes  comme  elle  avait  fait  celle  des 
anciens.  Entre  cette  date  (à  première  vue  445  avant 
Jésus-Christ)  et  celle  de  la  mort  du  Sauveur  considérée 
comme  la  dernière  année  de  la  série  des  semaines 
(la  490e)  ou  la  4e  de  la  70e  semaine  (in  dimidio  liebdo- 
madis,  la  487'),  la  somme  des  années  prédites  se  trou- 
vai! contenir  un  excès  variable  d'au  moins  huit  années. 
Afin  de  restreindre  l'intervalle  aux  limites  nécessitées 
par  la  croyance,  on  remet  en  avant  les  années  lunaires. 
Cf.  Pereira,  In  Dan.  ;  Augustin  Torniel  (Torniellus), 
Annales  sacri  et  profani,  Anvers,  1620;  Huet,  Demon- 
slratio  evangelica,  Paris,  1679,  prop.  ix,  cvili,  n.  9.  Ou 
bien,  si  l'on  tient  aux  années  solaires,  on  relève  la 
20e  année  d'Artaxerxès,  soit  en  augmentant  arbitraire- 
ment la  chronologie  des  successeurs  de  ce  prince, 
Galatinus,  De  arcanis  catholiese  verita/is,  1.  IV,  c.  xiv, 
Orthonse-Maris,  1518;  soit  en  le  faisant  régner  huit  ans 
plus  tôt,  Jacques  Usher  (Usserius),  Annales  V.  el  A'. 
Test.,  Londres,  1650-1654,  an.  474  et  45i  avant  Jésus- 
Christ;  Claude  Lancelot,  Clironologie  sacrée,  dans  la 
Bible  de  Vitré,  Paris,  1662,  c.  xx  ;  Bossuet,  Discours 
sur  l'hist.  universelle,  Irc  partie,  8e  époque.  D'autres,  se 
fondant  sur  le  témoignage  d'historiens  anciens,  Thu- 
cydide, De  bello  pelop.,  1.  I;  Plutarque,  Vitse  (Thémis- 
tocle);  Corn.  Nepos,  Vilœ  (Thémistocle);  Diodorc  de 
Sicile,  Biblioth.  hislorica,  part.  II,  associent  Artaxerxès 
au  gouvernement  de  Xerxès  son  père  la  5e  année  de 
celui-ci,  soit  l'an  480  avant  Jésus-Christ,  et  comptent  à 
partir  de  cette  date  sa  20e  année,  qui  tombe  alors  l'an 
460;  mais  comme  les  paroles  de  l'ange  ab  exilu  ser- 
monis  doivent,  pense-t-on,  s'entendre  de  la  reconstruc- 
tion effective  de  Jérusalem  et  qu'il  a  fallu  trois  ans 
pour  qu'elle  fut  opérée,  Josèphe,  .4;//.  jud.,  I.  XI,  c.  v, 
les  semaines  d'années  ne  commencent  à  courir  que  l'an 
23  d'Arlaxerxès,  soit  l'an  457  avant  Jésus-Christ,  et  se 
terminent  exactement  l'an  33  de  notre  ère,  une  «  demi- 
seinaine  »  après  la  mort  du  Christ.  Cf.  Jacques  Tirin, 
Chron.  sacra,  c.  XXXVIII ;  Nicolas  Abram,  Pharus  Vet. 
Test.,  dans  Menocbius,  Commenlarii,  édit.  Tourne- 
mine.  Tournemine  a  légèrement  corrigé  ce  système  en 
faisant  associer  Artaxerxès  au  gouvernement  la  7e  année 
de  Xerxès;  les  semaines  commencent  vingt  ans  après. 
Mais  Petau,  Opus  de  doctrina  temporum,  I.  X,  c.  xxv; 
Halionariiiin  teniporum]  part.  II,  I.  III,  c.  x;  Dog- 
mala,  Dr  incanialione,  1.  XVI,  c.  VIII,  et  Pierre  Pous- 
sines  (Possinus),  Disscrlalio,  dans  Menochii  suppl.  de 
Tournemine,  avec  ou  après  eux  beaucoup  d'autres,  Noël 
Alexandre,  Hist.  eccl.,  Paris,  1730,  t.  n,  diss.  II;  Louis 
Legrand,  De  incanialione,  1754,  diss.  II,  c.  I,  a.  2, 
§  2,  etc.,  ont  descendu  encore  jusqu'à  la  108  ou  même 
l.i  12-  année  de  Xerxès  l'accession  au  pouvoir  de  son 
fils  Artaxerxès;  la  première  semaine  s'ouvre  l'an  454 
avant  Jésus-Christ,  la  dernière  finil  l'an  37  de  notre 
ère,  le  Christ  étant  mort  l'an  33.  Très  peu  d'auteurs 

catholiques  modernes  oui  suivi  li.  Martin  ou  Nicolas  de 
Lyre  (seconde   manière)  en   lixanl   le  terminus  a   quo 

deï     ■  mine  -    i   quelque   prophétie   ■m!.  I  i    me   à   la  Cap- 

livité.  Citons  seulement,  d'après  Corneille  de  la  Pierre, 

Valable,  A  uimliitimiex,  el  HalalinilS,  op.  cit.,  1.  IV. 
C.  xvi,  contrairement  à  l'opinion  formulée  au  c.  xiv. 

3.  Les  contemporains  laissant  égale ni  de  coté  les 

décrets  d<  Cyrus  el  de  Darius,  lils  d'Hystaspe,  te  sont 
prononcés  en  général  pour  l'un  ou  l'autre  édil  d'Ar- 
taxerxès   P I  'dit  rendu  en  faveur  d'EsdTOS,   I    I  -'I  . 

vu,  c'est-à-dire  pour  la  7-  année  d'Artaxerxès,  -.ut.  non 
plus  l'an  i6"    Cappel,  Corneille  île  la  Pierre,  Ayrault, 
Prideaux),  mai-;  l'an  l.'i'i  après  rectification,  la  66 
mai  ne  fini  tant   l'an  29  de  notre  ère  au  baptême  du 


95 


DANIEL     LES    SOIXANTE-DIX    SEMAINES    Dl     PROPHÈTE 


Christ,  el  la  morl  de  Jésus  tombant  l'an  33  :  Delattre, 
De  l'authenticité  du  livre  de  Daniel,  dans  la  Ri 
catholique  de  Louvain,  IH7.">;    Neteler,   Die  Zeit  dei 
',(>  Jahretwoc)  1$,  dans   Tûbinger   Quartal- 

ichrift,  1875,  p.  133  sq.j  Palmer,  Conimentatio  <» 
Dan.,  Rome,  1874 ;Rohling,  Dos  BucA  des  Proph.  D 
Mayence,  1876,  p.  270  Bq.j  Corluy,  Spicilegium,  Gand, 
t.  i.  p.  198  sq.;  chez  les  protestants  conserva- 
teurs, Auberlen,  Der  Prophet  Daniel,  Bile,  l*7i. 
p.  123,  et  autres.  Cf.  Zôckler,  Der  Prop.  Dan.,  Leipzig, 
1870,  p.  189.  Pour  Pédit  rendu  en  faveur  de  Néhémie 
la  20e  année  d'Artaxerxès,  associé  au  gouvernement  de 
son  père  l'an  480  avant  Jésus-Christ,  mais  à  partir  tou- 
tefois de  la  reconstruction  effective  de  Jérusalem  (an 
158  i">7.  cf.  Tirin,  Abram,  TournemineJ  :  Stawars,  Die 
Weissagung  Daniels,  dans  Tûbinger  Quartalschrift, 
1868,  p.  416  sq.  Tour  la  20  année  coïncidant  avec  Tan 
154  avant  Jésus-Christ  (cf.  l'etau,  etc.):Dereser.  Allioli, 
Troclion  dans  leurs  commentaires  de  Daniel;  Bade. 
Chris tologie  des  altcn  T'est., Munster,  1862, t.  ni,  fasc.2: 
Reinke,  Die  messian.  Weissagungen,  Giessen,  1862, 
t.  iv.  fasc.  l;G.  K.  Mayer,  Die  messian.  Prophezien  des 
Daniels,  Vienne.  1866;  l'almieri,  De  veritate  historica 
libri  Judith  aliisque  SS.  locis,  Appendix.  Gulpen,  1886; 
Hebbelynck,  De  auctoritale  historica  libri  Danielis, 
Appendix,  Louvain.  1887,  p.  'Ml  sq.  ;  cliez  les  protes- 
tants, Hengstenberg,  Die  Authentie  des  Daniel,  lîcrlin, 
1831. 

Remarques  critiques.  —  Tous  les  systèmes  tradition- 
nels de  compilation  des  semaines  daniéliques  ci-dessus 
énumérés  semblent  reposer  en  dernière  analyse  sur  la 
présomption  antécédente  que  la  prophétie  se  rapporte 
directement  au  .Messie,  présomption  dont  ils  paraissent 
bien  être  l'inférence  plutôt  que  les  prémisses.  On  part 
sans  doute  de  la  «  parole  pour  rebàtir.lérusaleni  t,f.  25  : 
mais  on  s'étudie  à  faire  aboutir  au  Cbrist,  parce  qu'on 
v  doit  aboutir  sur  les  données  verbales  des  versets  2i- 
•27.  voir  col.  81,84-86,  la  computation  que  l'on  est  censé 
avoir  érigée  sur  la  date  présupposée  de  cette  parole. 
Quelle  qu'ait  été  la  date  choisie,  4e  ou  5e  année  de 
Sédécias.  1-  de  Darius  le  Mède,  1™  ou  2e  de  Cyrus, 
6e  de  Darius,  (ils  dllystaspe,  7°  ou  20e  d'Artaxerxès.  voire 
1"  ou  '2-  de  Darius  Nbthus,  les  interprètes  ont  toujours 
conduit  leurs  calculs  au  temps  de  la  mort  de  Jésus, 
encore  qu'ils  aient  dû,  pour  y  parvenir,  user  d'arbitraire 
comme  Tertullien,  Théodoret,  Albert  le  Grand  et  Nicolas 
de  Lyre,  dans  la  disposition  des  séries  de  semaines,  ou 
comme  Galatin,  l'sher  et  liossuet,  dans  la  chronologie 
des  rois  de  Perse;  recourir  à  l'hypothèse  certainement 
erronée  d'une  computation  juive  par  années  lunaires, 
comme  tous  les  suivants  de  Iules  Africain  et  de  Bède; 
admettre  surtout  entre  1rs  séries  7  et  62,  ou  principa- 
lement entre  la  69"  et  la  70"  semaines,  des  intervalles 
parfois  fort  longs  que  ne  suppose  nullement  le  discours 
de  l'ange,  ainsi  particulièrement  Polychronius  et  Kusèhe 
avec  son  école  dans  ses  deux  manières,  sans  parler  de 
la  confusion  toujours  latente  entre  les  Darius.  L'opi- 
nion maintenant  la  plus  accréditée  chez  les  théologiens 
catholiques  depuis  les  travaux  de  l'etau,  et  qui  semble 
si  bien  assise,  du  moins  au  premier  regard,  ne  parait 
pas  échapper  plus  que  ses  aînées  au  grave  soupçon  de 
la  pétition  de  principe  :  on  continuera  à  refuser  toute 
considération  à  l'hypothèse  d'un  terminus  a  i/uo  des 
semaines  coïncidant  avec  la  date  d'une  parole  prophé- 
tique antérieure  au  temps  du  retour,  parce  qu'on  voit 
immédiatement  l'impossibilité  d'atteindre  .i i n-i  l'époque 
contemporaine  de  Notre-Seigneur.  Que  si  l'on  fait 
abstraction  de  celte   époqi t    si    l'on    veul   s  en  tenir 

d'abord  aux  simples  et  tout  objectives  données  des 
textes,  la  solution  rejetée  parait  de  suite  gagner  beau- 
coup en  probabilité,  L'annonce  des  70  semaines,  \ .  21  sq., 
est,  sans  que  le  moindre  doute  paisse  être  élevé  sur  la 
question,  étroitement  liée  aux  méditations  de  Daniel  sur 


une  i  parole    du  Seigneur  à  '• 
tivement  au  nombre  des  années  de  la  captivité,  le 
«  nombre      était  de  ••  soixante-dix     .  \.  1 
sujet  que  le  voyant  de  Babylon  muni- 

cation  d'une  nouvelle  parole  i,  parole  «  sortie  de  la 
bouche  divine  précisément  durant  la  prière  qu'il  fit  à 
la  suite  de  ses  méditations.  \.  23.  Et  la  pointe  du  dis- 
cours aussi  est  en  ceci  :  la  parole  dite  à  lisait 
savoir  que  Jérusalem  resterait  en  ruines  70  ans  du- 
rant ...  \ .  ■>  :  la  parole  dite  à  Daniel  apprend  à  celui-ci 
que  les  i  soixante-dix  ans  ,.  son!  devenus  .  -  i  ,nt.  - 
dix  semaines  d  d'années,  non  plus  de  ruines  »  a 
rément,  mais  de  relèvement,  mais  de  pardon.  Or.de 
quel  moment  ces  semaines  commencent-elles  à  cou 
«  Du  moment  où  il  t  est  sorti  •■  une  i  parole  que  Jéru- 
salem serait  rebâtie  .  v  25.  El  que  peut  être  main- 
tenant cette  «  parole  »  dans  un  tel  contexte,  sinon  une 
autre  prophétie  «  sortie  également  de  la  bouche  di- 
vine et  à  chercher  dans  le  passé-,  la  même  où  Daniel 
avait  déjà  trouvé  la  a  parole  des  soixante-dix  années  », 
dans  «  les  livres  »,  dans  la  collection  des  «  paroles  de 
Jahvé  i>  qu'est  en  réalité  le  livre  de  Jérémie,  livre  presque 
entièrement  composé,  on  le  sait,  de  morceaux  prophé- 
tiques à  l'en-téte  desquels  on  trouve  plus  de  quarante 
fois  en  manière  de  titre  la  formule  presque  invariable  : 
«  Parole  de  Jahvé  à  Jérémie  le  prophète,  i  Le  p.is- 
,1er.,  xxx,  18;  xxxi,38,  remplit  toutes  ces  conditions. 

Si  maintenant  l'oracle  des  semaines  est  déjà  un  déve- 
loppement greffé  sur  la  i  vision  t  du  c.  vin.  comme  il 
parait  bien  aux  paroles  de  l'angi  .  IX,  2i  «  Sois  attentif 
à  la  parole  et  comprends  la  vision,  •  paroles  manifes- 
tement concordantes  à  la  réflexion  de  Daniel  parlant  à 
la  première  personne,  vin.  "27  :  i  Je  restais  bien  étonné 
de  la  vision,  de  cette  vision  du  c.  vin  qui  «  se  rappor- 
tait à  des  temps  éloignés  i .  v .  26  :  si  cet  oracle  a.  par  une 
conséquence  obligée,  pour  objet  propre  et  premier  de 
lixer  et  de  détailler  ces  temps  éloignés:  si  les  c.  x  et 
xi  sont,  à  leur  tour,  une  nouvelle  satisfaction  donnée 
à  la  légitime  curiosité  du  voyant,  qui  dès  le  premier 
jour  avait  eu  à  cœur  de  comprendre  i,  x.  12,  et  s'était 
«  humilié  »  devant  Dieu,  cf.  ix.  ;i-20;  si.  au  cours  des 
nouvelles  visions  mentionnées  dans  ces  c.  x  et  \i.  Da- 
niel eut  précisément  t  l'intelligence  »,  entière  cette 
fois,  de  la  vision,  x.  1.  de  celle  du  c.  vin  et  déjà  me- 
surée, supputée  en  semaines  d'années,  vu  qu'elle  «con- 
cernait la  suite  des  temps  »  où  il  •  devait  arrivi 
quelque  chose  de  remarquable  a  à  son  peuple  .  x.  Il  ; 
cf.  ix,  24  :  «<  70  semaines  ont  été  fixées  sur  ton  peuple 
si  les  événements  marques  au  c.  xi  ont  bien  donné  au 
prophète  cette  pleine  i  intelligence  »  qu'on  lui  avait 
promise,  x.  11.  21;  xi.  '2.  comme  l'expression  de  la 
t  vérité  i  même;  si  enfin,  quelques  détails  d 
nements  vont  s'appliquent,  par  la  force  des  choses,  par 
L'effet  de  ce  mouvement  des  paroles  et  des  visions  pro- 
_r.  ssanl  en  plus  grande  clarté,  sur  les  traits  histori- 
ques servant  au  c.  ix.  25-27, de  points  d'articulation  aux 
séries  de  semaines.  7.  62,  I.  une  demi-semaine,  voir 
col.  89-90.  ei  si  ces  détails  se  réfèrent  à  des  temps  anté- 
rieurs à  ceux  du  Sauveur,  aux  temps  enfermes  par 
l'interlocuteur  de  Daniel,  x.  1  « •  sq.,  entre  la  :>r  année  de 

CyrUS,   cl.    x.    I.   avec   xi.  2.    et    la  mort  d'Antiochus  IV 
Èpiphane,   il  est   clair  que  les   soixante-dix    semaines 
d'années  sont  elles-mêmes  à  enfermer,  dans  leur   total 
et   leurs    subdivisions,    entre    la        parole    l    ;nh'.'- 
Jérémie  sur  la  tin  du  règne  de  Sédécias  el  la  <>  ruine 
du  prince   syrien  persécuteur  des  Juifs  sortis  depuis 
longtemps  de  captivité.  Ainsi   apparaissent  moins  pro- 
bables, dépourvus  qu'ils  Soni  de  références  réelleeavec 
ntexte  de  l'oracle  des  semaines,  les  deux  terminus 
de  ces  semaines,  préférés  par  la  tradition  :  la 20"  année 
d'Artaxerxès,  la  mort  du  Christ.  Du  reste,  il  est  beau- 
coup plus  logique  d'admettre  que,  à  l'annonce  des 
inaines,   ,ï   l'exposé   de   leur    distribution,    l'esprit    du 


97 


DANIEL    (LES   SOIXANTE-DIX    SEMAINES    DU   PROPHÈTE; 


98 


voyant  de   Babylone   s'attacha   de  préférence,  pour   en 
bien  saisir  les  rapports  avec  l'histoire  de  son  époque,  à 
des  notions  déjà  familières  telles  que  les  paroles  dites  à 
Jérérnie  le  prophète,  plutôt  qu'à  de  futurs  édits  dont  il 
ne  pouvait  avoir  à   ce   moment  aucune  connaissance 
naturelle,  et  dont  l'ange  Gabriel  ne  lui  a  donné  ou  le 
«  fils  de  l'homme  »  du   c.  x,  16  sq.,  ne  lui  donnera 
aucune  connaissance  prophétique.   De  même   pour  les 
rapports  de  l'oracle  avec  l'histoire  de  l'avenir,  Daniel 
dut  «  avoir  à  cœur  de  la  comprendre  »,  cette  histoire 
encadrée  qu'elle  était  maintenant  par  la  chronologie  des- 
dites semaines,  en  se  référant  d'abord  à   la   vision  du 
c.  vin  dont  celle  chronologie  devait  lui  préparer  l'intel- 
ligence, ix,  22,  24;  x,   1,  etc.,  et  dont  une  explication 
sommaire  lui  avait  déjà  été  donnée,  m,  13  sq.,  et  en  des 
termes  que  tous  les  interprètes,  sans  exception,  recon- 
naissent viser  spécialement   l'époque  d'Antiochus  Épi- 
phane.   Car,  aussi  bien,   s'unissent,   se  compénètrent, 
s'identifient,  du  c.  vu  au  c.  xn  du  livre,  dans  un  ordre 
à  peu  près  constant,  pour  définir  à  chaque  nouvelle  fois 
un  seul  et  môme  objet  prophétique,  à  savoir  les  événe- 
ments fâcheux  qui  doivent  signaler  à  Jérusalem  et  dans 
toute  la  Judée  les  dernières  années  du  prince  syrien, 
nombre  de  traits  qui  ne  peuvent  raisonnablement,  à  si 
peu  de  distance  les  uns  des  autres,  signifier  des  choses 
différentes.  Ainsila^i/erreet  la  dévastation  qui  fondent 
sur  le  peuple  des  saints  et  sur  la  cité,  cf.  vu,  21  ;  vm, 
21.  25;  ix,  26;  xi,  31,  33-3'i-;  l'hostilité  du  prince  étran- 
ger à  l'égard  de  l'alliance  d'Israël  avec  Jahvé,  cf.  ix,27a; 
xi,  28,  30,  32;  la  cessation  ou  plutôt  Yaholilion  du  thà- 
mid  ou  sacrifice  perpétuel,  cf.  vin,  11,  13;   ix,  276  ;  xi, 
31;  xn,  11,  et  aussi  Exod.,  xxix,  38-42;  l'abomination 
du  prince  dévastateur  substituée,  dans  le  temple,  à  l'of- 
frande quotidienne,  cf.  vm,  13;  ix,  27  c;  xi,  31;  xn,  11; 
la  durée  de  ces  épreuves,  évaluée   à  trois  ans  et  demi 
environ,  cf.  vu,  25;  vin,  14;  ix,  Ttb;  xn,  7,  11-12;  la 
chute  lamentable  du  persécuteur,  cf.  vu,  26;  vm,  26  ; 
ix.  26e,  27  c/;  xi,  15;  l'arrêté  ou  décret  divin  par  l'effet 
duquel  sont  arrivées  et  la  guerre  faite  aux  saints  et  la 
ruine  du  prince,  cf.  ix,  26(/,  27 rf;  xi,  36;  le  temps  de  la 
fin  où  doit  cesser  la  persécution  et  commencer  le  règne 
de  la  justice  étemelle,  cf.  vm,  17-19  ;  ix,  26d;  xi,  27,  35- 
36.  'itl  :  xn,  V.  9,  13.  Il  est  vrai  que  l'intervalle  compris 
entre  les  dernières  années  deSédécias  et  la  mort  d'An- 
tiochus devient  alors  trop  court  et  ne  peut  que  laisser 
déborder  d'au  moins  soixante-cinq  les  490  années  des 
semaines  589,  10"  année  de  Sédécias  —  164,  mort  d'An- 
tiochus  =   125).   Mais   il    n'est  pas  bien    sur    que  ces 
i90  années  doivent  être  prises,  non  plus  que  leurs  sub- 
divisions  49    sept  semaines),    434    (soixante-deux    se- 
maines  el  '    me'  semaine  .  pour  autre  chose  que  des 
nombre-  ronds,  approximatifs,  Les  soixante-dix  ans  de 
Jérérnie,  xxv,  12,  dépassent  aussi  île  vingt  ans  la  pé- 
riode réelle  de  la  captivité  (586,  prise  de  Jérusalem  — 
536,  éditdu  retour       .Ml).  Les  nombres  7,  70  sont,  dans 
ibliques,  plutôt  symboliques;  cf.  seulement 
I.ev..  xxvi,  27-39,  passage  auquel  se  réfèrent,  du  reste, 
le-  versets  M  et  13  de  la  prière  de  Daniel,  comme  pour 
entir  la  conversion  des  70  ans  de  Jérérnie  en 
7o    années    sabbatiques  ou    semaines    d'années;    puis 
Mattb.,  xvill, 32,  etc.  Dans  l'explication  de   la  prophé- 
tie des  semaines  donnée  au  c.  xi,  le  «  lils  de  l'homme  », 
enfin,   laisse  de  côté    toute  chronologie    précise  et  se 
contente  de  rattacher  les  événements  à    lu   série  des 
principaux  rois  étrangers  qui  doivent  occuper  la  scène 
«le  l'histoire,  de  Cyrus  a  Antiochus  IV. 

III     [NTERPR1  iwuin  CRITIQUE.  —  1°  Son  histoire.   — 

I.  I)tm\  l'antiquité.  —  Des  avant  Jésus-Christ,  l'oracle 

m. me     lui  rapporté  aui  temps  d'Antiochus  Êpi- 

phane  indépendan ni  de  l'explication  qui  paraît  bien 

en  avoir  été  donnée  aux  c.  x-xn  du  livre.  Voir  plus 
haut.  Peut-être  l'auteur  de  la  section  iv  du  livre 
d'Hénoch,  lxxxv-xc,  n'a-t-il  partagé  en  70  périodi 

DICT.    Hl.  1 III  DI-    CATII    L. 


temps  écoulé  depuis  la  captivité  jusqu'au  soulèvement 
machabéen,  i.xxxix,  59;  xc,  14.  que  pour  se  mettre  à 
l'unisson  d'une  tradition  juive  qui  enfermait  les  70  se- 
maines dans  le  même  espace  de  temps.  Voir  F.  Martin, 
Le  livre  d'Hénoch  traduit  sur  le  texte  éthiopien, 
Paris,  1906,  p.  218.  Mais  un  document  de  première 
valeur  qui  accuse  sûrement  cette  tradition,  c'est  la 
version  alexandrine  des  versets  24-27  du  c.  ix,  bien 
qu'elle  présente  une  grande  divergence  dans  les  indi- 
cations chronologiques  de  ces  versets  par  rapport  au 
texte  hébreu.  Dans  celui-ci,  il  est  constamment  ques- 
tion de  semaines  d'années,  tandis  que,  dans  la  traduc- 
tion grecque,  l'expression  de  «  semaine  »  d'abord  n'est 
conservée  qu'aux  versets  24  et  27  et  ensuite  doit  s'en- 
tendre, en  ces  deux  passages,  de  semaine  de  jours,  à 
côté  d'autres  données  chronologiques  ayant  gardé,  25, 
26,  la  signification  première  d'années.  D'après  ce  com- 
plexus  nouveau,  l'exil  doit  durer  70  semaines  encore, 
soit  un  an  et  quatre  mois  à  partir  de  la  première 
année  du  règne  de  Darius  le  Mède;  puis  s'accompliront 
tous  les  oracles  antérieurs,  et  celui  de  Jérérnie  en  par- 
ticulier, par  le  rachat  spirituel  du  péché  et  le  relè- 
vement de  la  ville  sainte.  Daniel  lui-même  contribuera 
à  ce  relèvement  (chxoSo^ctecç,  25).  Cependant  il  y  aura 
dans  l'avenir  une  autre  reconstruction  après  une  autre 
dévastation,  à  savoir  dans  139  ans  (Ltexà  77  xaipov;  -/.ou. 
62  ëtïj),  que  l'on  doit  compter  très  probablement  de 
l'an  312  avant  notre  ère,  soit  de  l'an  1"  de  l'ère  des 
Séleucides.  Ainsi  nous  tombons  en  pleine  persécution 
religieuse  organisée  dès  l'an  170  contre  les  Juifs  par 
AntiochusIV.  Aussi  le  Daniel  alexandrin  voit-il  successi- 
vement l'onction  sacerdotale  légitime  disparaître  (àiro- 
rs-ubrpiza.i.  ypiiTij.a)  avec  Onias  III,  l'armée  syrienne  sac- 
cager la  ville  et  le  sanctuaire,  l'autel  des  holocaustes 
profané,  le  sacrifice  quotidien  interrompu,  puis  enfin 
l'alliance  rétablie  pour  longtemps  (•/.a-rirr/'ja'ai  t^v  6ia- 
6/,y.v  sm  7:o>,).à;  ïôoQ\j.ifjy.ç).  V.  F  raidi.  Die  Exégèse  der 
70  Woclien,  p.  4-21;  Bludau,  Die  alex.  Uebersetzung 
des  B.  Daniel,  p.  104-130. 

Dans  l'antiquité  chrétienne,  seuls  Julius  Hilarianus 
(fin  du  iv  siècle)  et  quelques  exégétes  contemporains 
de  ïhéodoret,  In  Dan.,  P.  G.,  t.  lxxxi,  col.  1236  sq., 
ont  émissur  Dan.,  ix,  2'f-27,  des  conclusions  semblables 
à  celles  des  critiques  modernes.  Hilarianus,  De  dura- 
tione  mundi,  P.  L.,  t.  xm,  col.  1097  sq.,  compte  les 
7  premières  semaines  de  l'an  1er  de  Darius  le  Mède 
(la  2b  de  la  captivité)  jusqu'à  l'an  1  '  de  Cyrus  le  l'erse 
fia  70*  de  la  captivité);  le  Christum  ducemdu  f.  25  est 
Zorobabel,  qui  >  ramène  le  peuple  juif  de  Iîabylonie  » 
en  Judée.  Les  62  semaines  finissent  l'an  141  de  l'ère 
des  Séleucides  (171  avant  Jésus-Christ  ;  l'unctio  OU 
•/pt'uLia  du  v.  26  est  ou  bien  le  sacerdoce,  ou  bien  l'en- 
semble du  culte  du  vrai  Dieu.  Au  milieu  de  la  dernière 
semainequi  se  termine  l'an  148  (164  avant  Jésus-Christ), 
Antiochus  interrompt  le  sacrifice  et  dresse  sur  l'autel  la 
statue  de  Jupiter  Olympien  (l'abomination).  Selon 
l'évéque  africain,  Darius  le  Vfède  aurait  donc  régné 
i9  ans,  et  la  première   année  de  Cyrus  serait   non  pas 

l'an  1e"  de   la   prise  de    l!;ibylone,   mais    de  son  élévation 

au  tn des    Perses   :  les  :i(l  années  du  règne  total  de 

Cyrus  seraient  a  compter  dans  les  62  semaines.  Pour 
atteindre  l'an  lil  des  Séleucides,  Hilarianus  augmente 
de  33  années  la  réelle  durée  de  l'empire  perse,  el  de 
11  à  12  celle  de  la  période  gréco-s\ rienne. 

2.  Le  XVI    siècle  vit   renaître    le   systé dans   les   ou- 

dea  théologiens  Sixte  de  Sienne.  Bibliolheca 
s,,,,,  in,  i.  vin.  lier.  \n,  Venise,  1556,  p.  1040,  et  de 
William  Hessels,  van  Est  (Guill,  Estius),  Annotatù 
m  pradpua  ae  difftciliora  sac.  Script,  loca,  Anvers, 
1699.  p.  :s7'i  :i7.">.  Au  xvii*,  le  chevalier  Jean  Marsliam 
Chronicut  canon  mgypliacua,  etc.,  Londres.  1672. 
- 1 ,  wiii.  le  reconstruisit  sur  le  plan  que  lui  avait 
donni    i    Hilarianu»;  sauf  que  les  69  semaines  corn- 


IV. 


4 


m 


DANIEL   (LES   SOIXANTE-DIX    SEMAINES    l»r    PROPHÈTE 


|IM| 


in  ciic-i'ii  t  à  la  ruine  de  Jérusalem,  "21  ans  avant  le  poinl 
initial  des  7  premières  semaines  (an  21  de  la  captivité) 
<|ui  leur  m. ni  alors  parallèles.  Jean  Hardouin,  De  i\\ 
hebdomadibut  DanieliB,  dans  Opéra  selecta,  Amster- 
dam, 1705,  p.  880-803,  01  partir  du  même  point  la  'i  Bn- 
née  de  Jojakim,  Jer.,  .\w.  les  deux  séries  7  ci  62;  la 
première  finit  en  .V>7  lorsque  Cyrus  acci  de  au  trône  des 
Mèdi  -  conquis,  la  seconde  en  172  lorsque  Judas  Ma- 
chabée  autre  Christum  ducem,  }.  25,  commence  à  faire 
parler  tli-  lui:  le  Christus  occisui  du  v.  26  est  bien  le 
Messie,  mais  figuré  dans  Onias  III  mis  à  mort  l'an  171, 
;ni  cours  de  la 63'  semaine,  laquelle  se  trouve  être  aussi 
la  70  ;  les  ravages  d'Antiochus  Epiphane  sont  également 
figuratifs  :  ils  annoncent  ceux  de  Titus.  Au  xvnr  siècle, 
(loin  Augustin  Calmet,  Dissertation  star  les  10  se- 
maines de  Daniel, clans  Commentaire  littéral,  2"  édit., 
Paris,  1726,  t.  iv,  p.  614-621,  rejette  les  systèmes  de 
Marsham  et  de  Hardouin.  Les  70  semaines  commen- 
cent l'an  de  la  ruine  de  Jérusalem  prise  par  les  Chal- 
déens,  et  le  Christum  ducem  des  7  premières  semaines 
est  Cyrus;  Cyrus  renvoie  les  captifs,  et  c'est  alors  que 
se  réalisent  les  biens  promis  au  v.  24:  les  Juifs  désor- 
mais n'adoreront  plus  les  idoles.  Dieu  oubliera  leurs 
infidélités  passées,  le  temple  est  reconstruit  et  recon- 
sacré. Les  62  semaines  courent  de  celte  époque  au 
meurtre  d'Onias  III.  Le  reste  de  l'oracle  s'applique  au 
temps  d'Antiochus  IV.  Et  c'est  Calmet  qui  reconnaît  et 
affirme  que  les  c.  vii-xii  du  livre  de  Daniel  n'ont  au 
fond  qu'un  seul  grand  objet  :  faire  savoir  au  prophète 
ce  qui  devait  arriver  au  peuple  juif  et  aux  nations  de 
l'Orient  depuis  le  règne  de  Cyrus  jusqu'à  celui  d'An- 
tiochus Epiphane. 

Les  critiques  protestants  modernes  et  contemporains 
se  tiendront  généralement  dans  le  cadre  tracé  par 
Marsham,  Hardouin,  Calmet,  insuffisant  à  contenir  les 
180  ans  des  70  semaines  si  l'on  ne  rabat  les  sept  pre- 
mières sur  les  62.  Seul  Bœhmer,  Deutsche  Zeitschrift 
fur  christl.  Wissenschaft,  1857,  p.  39  sq.,  a  voulu  comp- 
ter ce  total  et  en  a  reculé  l'année  initiale  jusqu'en  <>5't 
avant  Jésus-Christ,  date  supposée  du  retour  du  roi 
Manassé,  II  Par.,  xxxni,  13  :  cette  date  est  arbitraire- 
ment choisie;  les  deux  autres  sont  605  et  171.  la  série 
finit  l'an  164.  Beaucoup  supposent  parallèles  et  partant 
du  même  point  les  deux  séries  7  et  62,  quoique  ce  point 
de  dépari  ne  soit  point,  chez  tous,  uniforme,  et  que 
l'on  trouve  d'étranges  compilations  qui  prennent  à  re- 
bours les  7  premières  semaines,  et  placent  l'Oint  du  \. 
2."»  en  arrière,  avant  le  temps  de  la  captivité.  Comptent 
les  62  semaines  et  les  7  semaines,  dans  le  sens  paral- 
lèle et  convergent,  de  la  «  parole  »  de  Jérémie,  xxv, 
aux  temps  d'Antiochus  :  C.  Wieseler,Go7f.gel.  Anxeigen, 
1846,  p.  'i.'i  (an  606-172  ou  175;  l'Oint  des  versets  25  el 
26  est  Onias  III);  Hil/ie,  (définitivement),  lias  Buch 
Daniel,  1850  (606-172;  Oint  du  y.  25  =  Cyrus  (536)  :  Oint 
du  \.  26=  Onias);  .Meinhold,  Dos  Buch  Daniel.  1889, 
et  Behrmann,  Das  Buch  Daniel,  1894  (comme  Hitzig  . 
de  la  ruine  de  Jérusalem  contemporaine  de  la  i  parole 
(le  Jérémie,  xxxm;  Henri  Corrodi,  Kritische  Geschichte 
îles  Chiliasnius,  1781,  t.  m,  p.  258  sq.  [an.  588-170; 
l'<  fini  du  \ .  25  était  bien  le  Messie  qui  n'est  pas  venu  au 
temps  fixé,  celui  du  f.  26  esl  Onias);  von  Lengerke,  Das 
Buch  Daniel,  1835  (588-536,  Oint  Cyrus':  588-220, 
Oint  Séleucus  Philopator  (!)  empoisonné  par  Hélio- 
dore  l'an  175  avant  Jésus-Christ;  la  70*  semaine  avail 
coi ncé  en  178  ,  Comptent   les  69  semaines  el  les  7 

semaines    dans     le    sens    parallèle     mais     divergent     : 

<;.  Eichhorn,  Die  hebr.  Propheten,  1816-1819,  t.  m. 
p,  Î7  les 62  semaines  courent  de  l'an  606,  Jer.,  xw.  a 
l'an  165,  purification  du  temple  par  Judas  Machabée, 
les  7  semaines  partent  de  l'an  536,  édil  de  Cyrus,  el 
remontent  en  arrière  jusque  vers  l'an  588,  l'oint  du  % .  25 
étant   Nabuchodono  70*  Bemaine  est  comprise 

entre  les  dates  ith  165,  avec  l'Oint  iln  uii  identiiié  à 


Onias  III  ;  Ammon  et  le  docteur  Paulus   comme  Eich- 
horn qui    Paulus  date  ainsi  les  62  semai 
154,  identifie  l'Oint  du  t.  25  avec  Sédécias,  celui  du 
avec  la  souveraine  sacrilicature  entre  <  inias  et  Jonathan, 
et  l'ait  commencer  la  7<>  si  inaine  l'an  175  avant  1 
Christ.    Beaucoup  aussi,  reportant   à    l'époque  m; 
béenne  la  composition  du  livre  de  Daniel,  gardent  Toi 
continu  7  +  62  +  1,  et  attribuent    simplement  a   un 
calcul  inexact  de  l'auteur  mal  renseigné   sur  le  i 
écoulé  depuis  l'exil  l'écart  m  considérable  de-  la 
putation  daniélique  d'avec  la  chronologie  (•••elle.  I. 
Theologische Zeitschrift  de  Schleiermacher,  t.  m.  | 
an.  588-536,  Oint  =  Cyrus;  536-175,  Oint  =  Séleucus 
Philopator:    175   sq.);   Graf,   art.    Daniel,  dans    Bibel- 
Lexicon  de  Schenkel,  1869;  N'ôldeke,  Histoire  littéraire 
de  l'Ancien  Testament,  trad.frani ..  Paris.  1873,  p 
330;  Schûrer,  Geschichte  des  jûd.  Volkes  in\  Zeitaller 
i.  C,  3"  édit.,  1898,  Leipzig,  t.  m,  p    I-  rnill, 
Die  70  Jahrwochen  Daniels,  1889;  G.  Wildeboer, 
Literatur  des  Mien    Testaments,  2<  édit.,  Gœttii  - 
1905. p.  438 (selon  ceux-ci  l'Oint  du  JE  26  est  plutôt Oni 
Bevan,  A  short   comm.   on  the  Book   of   Dan.,  1893 
v.  25,  an.  588-536,  Oint  =  .losué  fils  deJosédec;  *.  26, 
536-171 .  I  fini  =  »  Inias  III,  le  prince  qui  vient  =  Jason, 
frère  et  successeur  d'Onias,  cf.  II  Mach.,  v.  7-10: 
Antiochus);  Marti,  Das  Buch  Daniel,  1901    y. 25, an 
538,  Oint  =  .losué':  f.  26,  538-171,  Oint  =  Onias  III, le 
prince  qui  vient  est  encore  Onias  III  renvi  r»      avec  » 
la  ville,   voir  col.  98;  \ .  27,  Antiochus);  Driver,  The 
Book o/ Daniel,  1900  \.25.  .-m."                ,rus;t.26 
171,  Onias  III  ;\ .  27.  persécution  d'Antiochus).  Bertholdt, 
Daniel    ûberselzl   und   erklârt,    1806-1806,   el   Ewald, 
Jahrbûcher  fur  deulsche  Théologie,  t.  vi.  p.    19'».  ont 
exposé'  des  systèmes  assez  peu  clairs  et  trop  srbiti 
sans  arriver  à  résoudre  la  difficulté'. 

2"  Bases  de  la  théorie.  —  Abstraction  faite  des  ten- 
dances rationalistes  qui  ont  pu  inspirer  et  guidei 
fauteurs  protestants,  surtout  dans  les  commencements, 
voir  Holding.  Das  Buch  des  Propheten  Daniel.  1876, 
p.  283  sq.,  l'interprétation  critique  des  7o  semaines 
peut  être  comparée  à  l'interprétation  ecclésiastique 
traditionnelle,  à  la  fois  pour  la  fermeté  de  son  principe 
fondamental  et  pour  la  variété  des  opinions  émises  sur 
ses  points  secondaires.  Comme  les  auteurs  catholiques, 
exégètes  ou  théologiens,  rapportent  unanimement 
l'oracle  au  temps  du  Christ,  sans  avoir  pu  s'entendre 
sur  tout  autre  aspect  de  la  question,  ainsi  les  critiques 
sont  unanimes  à  le  rapporter  au  temps  d'Antiochus  IV 
Epiphane.  sans  avoir  pourtant  réalisé  l'identité  des  opi- 
nions sur  la  date  précise  du  terminus  a  quo  dl  - 
maines,  sur  l'arrangement  des  trois  fractions  entre 
lesquelles  elles  se  trouvent  partagées,  sot  I  identifica- 
tion des  personnes  ou  des  événements  qui  les  di  ter- 
minent. N'y  aurait-il  pas  dans  cet  étal  de  Choses  que 
l'on  peut  dire  général  comme  une  invitation  tacite  à  ne 
considérer,  dans  la  prophétie,  que  le  poinl  d'arrivée 
pour  lequel  principalement  elle  fut  émise,  avec  lil 
de  ne  se  point  mettre  trop  en  peine  d'expliquer  à  fond 
tous  ses  moindres  détails  '  Quelle  prophétie,  du  i 
prise  dans  son  sens  premier,  direct  el  littéral,  esl  si 
précise  qu'il  ne  nous  reste  plus  maintenant  d'autre  soin 
que  d'en  transporter  sur  elle  l'accomplissement  histo- 
rique pour  admirer  la  parfaite  coïncidence  de  tout.  • 

parties,  de  même  que  l'on   transporte   par  la   pensée  un 

triangle  sur  un  autre  triangle  en  vue  d'en  démontrer 
la  mutuelle  et  parfaite  égalité'        a    I  es  critiques  ont 
fini  par  saisir  cette  nuance,  el  rejetant  peut-être  i  tort 
les   conjectures    d'Eichhorn,   op.   cit.,    de    Bertholdt, 
op.  cit.,  et  de  Rosenmiiller,  Scholia  in  l'el.  Test.,  1832, 
qui  trouvaient  dans  les  nombres  de  la  prophétii 
certaim      poésie    .  ou  mieux  encore  un      symbol 
sai  ie  et  prophétique  »  s'exprimanl  en  ichifTn 
'  ils  ont,   en    tout  cas.   définitivement  pose  en  principe 


BIBLIOT.. 


101 


DANIEL    (LES    SOIXANTE-DIX    SEMAINES    DU   PROPHÈTE1 


102 


1'  «  erreur  »  commise  par  l'auteur  du  livre  dans  l'ap- 
préciation du  temps  écoulé   entre  la  chute  de  l'empire 
chaldéen  et  la  mort  du  grand-prêtre   Onias  III.  Bevan, 
op.  cit.,   p.  148-149;  Marti,  op.  cit.,  p.  72-73.  Le   mot 
dépasse  assurément  la  mesure;  aussi,  dans  l'hypothèse 
critique,  la  seule  base  acceptable  pour  la  computation 
des  semaines  serait-elle  le  symbolisme  du  schéma  de 
«  soixante-dix  »  imposé  en  quelque  sorte  par  les  70  ans 
de  Jérémie,  partageable   par  à  peu  près    en  schémas 
secondaires  de    7,  62  et  1,  selon  la  situation  chronolo- 
gique approximativement  appréciée    par    le    prophète 
écrivain,  et   sans  que  celui-ci  se  fût  autrement  soucié 
de  la  faire  matériellement  exacte,  des  jalons  posés  par 
l'histoire  :  Cyrus,  reconstruction  de  Jérusalem,  Onias  III, 
Antiochus,  etc.,  sur  la  route  à  parcourir  à  partir  des 
temps  daniéliques.  Driver,  op.  cit.,  c.  IX,  dissertation 
appendiculaire.  —  b)  Un  autre  fondement  du  système 
et  qui,  une  fois  bien  assis,  cadrerait  fort  à  la  symboli- 
sation  des  semaines,  c'est  la  thèse  critique  de  la  com- 
position du  livre  au  temps  d'Antiochus  IV  par  un  écri- 
vain juif  machabéen.  Voir  col.  72-73.  Abstraction  faite  de    j 
la  vision  du  c.  ix,  toutes  les  visions  paraissent  aboutir 
à  l'impie  Anliochus  dont  l'auteur  nous  fait  connaître  la 
vie  en  détail  jusqu'en  168,  spécialement  au  c.  xi,  ainsi 
que   les  démêlés  et  les  alliances  des  Séleucides   et  des 
Lapides  au   début  du  IIe  siècle  avant  notre   ère;  mais 
l'abondance  et  la  précision  des  détails  historiques  sont 
restreintes   à    cette    seule  période  gréco-syrienne,  les 
quatre  empires  sont  à   peine  esquissés  et  l'écrivain  en 
déroule  l'histoire  comme  si  elle  appartenait  à  un  passé 
déjà  éloigné;  d'autre   part,  le  vague  du  détail  recom- 
mence justement  lorsqu'il    s'agit   de    prédire    la  mort 
d'Antiochus  et  les  événements  qui  la  devaient  circon- 
stancier  et  conditionner.  Or,  la  prophétie  des  semaines 
coïncide  dans  Ion to  hypothèse,  pour  une  bonne  part,  à 
savoir  pour  les  semaines    correspondantes  aux  iv   et 
ni"  siècles  avant  notre  ère,  avec  l'époque  imprécise  et 
obscure  des  autres  visions;  elle  n'indique  même  aucun 
événement  pour  cette  période;   elle  détaille    pourtant 
avec  complaisance  et  clarté   suffisante  la  dernière  se- 
maine, où   les  faits  et  les  temps  vont    d'eux-mêmes  à 
-  identifier  aux  faits  et  aux  temps  de  la  persécution  de 
l'Kpiphane    marqués  dans    les  autres   visions;  elle  se 
garde  enfin  de  rien  dire  de  précis  sur  la  ruine  du  per- 
sécuteur.   L'auteur   agirait   donc  en   tout  comme  s'il 
écrivait   en    l'année  168;    et  l'oracle  des  semaines  ne 
serait,   lui  aussi,  qu'une  vue   rétrospective  des  temps 
écoulés  depuis  la  captivité,  un  cadre  chronologique  ou 
approximatif,  ou   symbolique,  donné   aux  événements 
intéressant  particulièrement  la  nation  juive  durant  les 
siècles  compris  entre   la   date  du  retour   et  les  jours 
d'épreuves  amenés  par  l'oppression  syrienne  sous  An- 
tiochus IV.  Le  pseudo-Daniel  aurait  esquissé  ce  cadre 
i  n    ^i\le   prophétique,  ou   mieux  apocalyptique,  dans 
l'intention  de   mettre  en   relief,  par  une    fiction  dont 
tuèrent  dans  une  si  large  mesure  les  auteurs  d'apoca- 
lypses juives,   l'action  de   la   providence  divine  sur  la 
heureuse  ou  malheureuse  pour  le  peuple  choisi 
des   rapports  de  ce  dernier  avec  les  autres  nations  : 
hien  qui  a  tiré  de  peine  «  les  saints  de  son  royaumes 
lors  de  Cyrus  el    de  la   reconstruction   de  Jérusalem 
le  retour,  ne  saurail  manquer  de  les  sauveraussi 

lors  des  attentats  coi is  contre  eux,  contre  le   temple 

et  le  sacerdoce,  contre  la  ville,  par  le  plus  cruel  et  le 
pins  implacable  des  rois  païens,  par  l'impie  et  lartifi- 
Épiphane.      c   Le    eclionnement  du  t.  585  dans  le 
texte  massorétique  a  eu  aussi  sa  pari  d'influence  dan 
re  de  l'interprétation  critique.  Un  i  oint  i, gratifié 
trcroll  du  litre  de  <>   prince  »,  se  trouvant  placi 
1  la  lin  di  -  jepl  premières   semaines,  il  devenait  Em- 
ile d'attribuer  cette  double  qualification  a  quelque 

important   personnagi   qui    i  e  fui  tur  la   lisière  c - 

muiie  des  \    et  iv<  sii  des,  19  an     '     7  environ 


l'édit  d'Artaxerxès  (soit  454).  Et  encore  que  les  62  se- 
maines fussent  peut-être  à  considérer  comme  un  chiffre 
rond,  approximatif,  symbolique,  attendu  qu'elles  ne 
pouvaient  plus  être  rétrécies,  il  fallait  en  faire  remon- 
ter le  point  de  départ  beaucoup  plus  haut  qu'Artaxer- 
xès,  jusqu'à  l'édit  de  Cyrus,  sinon  jusqu'à  l'avènement 
de  ce  prince  au  trône  des  Perses,  moments  indiqués 
par  Isaïe,  xliv,  xlv.  Le  point  initial  des  70  semaines 
reculait  encore  de  49  ans  en  arrière  et  atteignait  les 
temps  des  plus  ardentes  prédications  de  Jérémie,  xxv, 
xxx-xxxi. 

A  condition  qu'on  dût  la  dépouiller  de  toute  nuance 
rationaliste  et  de  tout  caractère  d'hostilité  à  la  véracité 
de  l'auteur  sacré,  l'interprétation  critique  pourrait  être 
acceptée  par  le  catholique  le  plus  sincère,  soit  que 
celui-ci  considérât  l'oracle  des  semaines  comme  une 
véritable  prophétie,  soit  qu'il  le  voulut  composé  au 
temps  d'Antiochus  :  annonce  prophétique  de  l'avenir, 
ou  histoire  sainte  du  passé  et  du  présenl,  mais  type 
historique,  Dan.,  ix,  24-27,  garderait  également  bien 
dans  son  objet  direct  le  sens  messianique  que  lui  a  re- 
connu ou  attribué  la  tradition  chrétienne  depuis  l'ori- 
gine jusqu'à  nos  jours.  Cf.  cardinal  Meignan,  Les  der- 
niers prophètes  d'Israël,  p.  136-165. 

Tous  les  commentaires  et  les  monographies  :  1"  Catholiques  : 
Hardouin,  De  lxx  hebdomadibus  Danielis,  dans  Opéra  setecta, 
Amsterdam,  1705,  p.  880-903;  Calmet,  Dissertation  sur  les 
10  semaines  de  Daniel,  dans  Commentaire  littéral,  t  édit., 
Paris,  1726,  t.  VI,  p.  614-621;  Sclioll,  Comment,  exeget.  de  sep- 
tuaginta  hebdomadibus  Danielis,  1829;  Bade,  Christologie 
des  Alten  Testament,  t.  m,  fasc.  2,  Munster,  1852,  p.  75-13'i  ; 
Reinke,  Die  messianischen  Weissagungen,  Giessen,  1862.  t.  iv, 
p.  167-440;  Mayer,  Die  mess.  Prophezien  des  Daniel,  Vienne, 
1866,  p.  158  sq.  ;  Stawars,  Die  Weissagung  Daniels  in  Bezie- 
hung  auf  das  Tau/jahr  Christi,  dans  Tùbing.  Quartalschrift, 
1868,  p.  416  sq.;  Reusch,  Patristische  Berechnung  der 
10  Jahreswochen,  ibid.,  1868,  p.  536  sq.  ;  Neteler,  Die  Zeit  der 
10  Jahreswochen  Daniels,  ibid.,  1875,  p.  133  sq.  ;  Fraidl,  Die 
Exégèse  der  Siebzig  Wochen  Daniels,  Graz,  1883;  Corluy, 
Spicilegium  dogmatico-biblicum,  Gand,  188'j,  t.  i,  p.  474-515; 
Lamy,  La  prophétie  de  Daniel,  dans  La  controverse,  Lyon, 
février  1886;  et  dans  le  Dictionnaire  apologétique  de  la  foi 
catholique  de  Jaugey,  Paris,  s.  d.  (1889),  col.  698-721;  Palmieri, 
Yaticinium  Danielis,  dans  De  vcritale  historica  libri  Judith, 
Gulpen,  1886,  p.  61-112;  Rebbelynek,  Interprètatia  vaiicinii 
de  septuaginta  hebdomadis,  dans  De  auctoritate  historica 
libri  Danielis,  Louvain.  1887,  p.  281  sq.;  cardinal  Meignan,  Les 
rs  prophètes  d'Israël,  Paris,  189i,  p.  85-135;  G.  Toby 
(L.  Bigot),  Les  soixante-dix  semaines  du  prophète  Daniel. 
dans  la  Revue  des  sciences  ecclésiastiques,  Lille,  1900,  t.  II, 
p.  148-169,  193-216,  289-305,  495-508;  Van  Etten,  Expositio  prte- 
dictionum  Danielis  prophétie  Circa  tempus  quo  Jésus  Chri- 
stiis.  exspectandUS  erat  et  mortuus  est,  Rome,  1901;  Tunnel, 
Prophétie  des  soixante-dix  semaines,  dans  Étude  sur  le  livre 
de  Daniel,  Paris.  1902,  p.  13-27;  l.agrange,  Les  prophéties  mes- 
sianiques île  Daniel,  La  prophétie  des  semaines,  dans  la  Revue 
I, il, li, /ne,  1904,  |i  509-514;  Uémaln,  Les  10  semaines  de  la  pro- 
phétie  de  Daniel,  2*  édit.,  Paris,  1904:  Tostivint,  Les  1"  mis  de 
lie  et  les  10  semaines  de  Daniel,  Interprétation  nouvelle, 
Bennes,  1906;  .1.  van  lîehlior,  Zur  Berechnung  der  10  Wochen 
Daniels,  dans  Biblischr  Zeitschrift,  1906,  t.  iv,  p.  119-141; 
.1.  Hontheim,  Das  Todesjahr  Christi  und  die  Danielieche  Wo- 

i  s  Der  Katholik,   1907. 

2*  Protestantes  :  cti.  Wagenseil,  Wantissa  de  lxh  hedomadi- 
bus Danielis  (contre  Marebam),  in-v,s.  t.  n.  d.;  Hengstenberg, 
Die  siebensig  Wochen  Daniels,âsns  Christologie,  Berlin, 
t.  n.  p.  401-ôHi  ;  Wieaeler, Die  70  Wochen  und  die 63  Jahrwo- 
chenil,  1889;  J.  K.  Hofmann,  Die 

i0  Jahre  des  Jeremlas  und  die  siebensig  Jahrwochen 
des  Daniel,  dans  it  und  Er/uUung,  Nordlingen,  1841, 

t.  i,  p.  296-311;  ii'  70  Jahrwochen  Daniels,  ix,  24- 

27,   dans  les    n,-,i.  Sttidien   und  Kritiken    1858    i>  785-762; 
n  tiesagung  von  Jeu  ~,n  John 
Lms  Jahrbucher  fur 
270;  Van  i  •  anep   '  i  Daniel,  Utreoht, 

1888;  CornlU,  Dis  tarwoehen    Daniels,  dan      I 

und  Shizien  uns  Ost\  en. 

p.  1  sq.;  ii.  Wolf,  Dis  siebzig  H  ochm    n     ie\  Sin 

I  heol. 


103 


DA  Mil. 


l"i 


Quartalêchrift,  1892,  i  '"te  se- 

inaine»  d'année»  de  Dan.  ix.dm  \ogie  et 

de  philosophie,  1882,  p.  197-202;  M.  U>br,Textkritisch> 
arbeiten  :><  einer  Erkliirut  he»  Daniel*, dan»  Zeit* 

tchri/ïfûraltteslamentliche  WI$senechaft,iS06,  t.  xv,p.75sq 
1896,  t.  xvi,  p   n  wj. 

l..  Bigot. 
2.  DANIEL  i  métropolite  de  MoscouetdetoulelaRu 
(1522-1539).  Les  historiens  de  l'Église  russe  tracent  de 
lui  un  portrait  peu  Oatteur.  A  peine  âgé  il'-  30  ans,  il 
réussit  à  s.'  faire  dire  higoumène  «lu  monastère  Yolo- 
kolamsky  (de  Volokolamsk,  ville  du  gouvernement  de 
Moscou),  fondé  par  Joseph  Volol/.kv  (y  1515).  Le  27  fé- 
vrier 1522,  il  succéda  au  métropolite  Barlaam  sur  le 
siège  métropolitain  de  Moscou.  [1  poursuivit  d'une  haine 
acharnée  les  moines  Maxime  le  Grec  et  Iiassien  Cosoï, 
qui  soutenaient,  contre  les  moines  du  monastère  Yolo- 
kolamsky,  que  la  vie  monastique  implique  le  renonce- 
ment ahsolu  au  droit  de  propriété  des  biens  immeubles. 
Daniel  les  lit  condamner  par  un  concile  tenu  à  Moscou 
en  1525,  et  livra  Maxime  aux  moines  de  son  monastère, 
qui  pendant  six  ans  lui  infligèrent  les  plus  mauvais 
traitements.  Il  donna  un  exemple  frappant  de  son  ser- 
vilisme  à  l'égard  du  pouvoir  civil.  Le  grand  prince  de 
Moscou,  Basile  Ivanovitch,  avait  épousé  en  1505  Solo- 
monia  Iourevna  Sabourov.  Après  vingt  ans  de  mariage, 
n'ayant  pas  eu  d'enfants,  il  décida  de  répudier  sa  femme 
pour  en  épouser  une  autre.  Le  métropolite  Daniel  se 
prêta  au  désir  du  grand  prince;  il  força  Solomonia  à 
prendre  l'habit  monastique  le  28  novembre  1525,  et  le 

21  janvier  1526,  il  bénit  le  nouveau  mariage  de  Basile 
avec  Hélène  Vasilevna  Glinska.  Mais  après  la  mort  de 
Basile  et  d'Hélène,  il  fut  chassé  de  son  siège  par  le 
prince  Ivan  Fédorovitch  Bielsky  (2  février  1539)  et  en- 
fermé au  monastère  Volokolamsky,   où    il    mourut  le 

22  mai  1517. 

Les  écrits  de  Daniel  sont  de  trois  sortes.  Ses  écrits  dog- 
matiques forment  un  recueil  de  10  sermons  sur  l'Écriture 
sainte,  l'incarnation,  l'obéissance  à  l'autorité  établie  par 
Dieu,  le  divorce,  la  providence,  etc.  Le  plus  important 
est  le  sermon  sur  l'incarnation,  dirigé  contre  Uassicn 
Cosoï,  à  qui  on  reprochait  de  soutenir  que  le  corps  du 
Christ  différait  du  corps  humain,  et  avait  été  incorruptible 
avant  sa  résurrection.  Le  sixième  et  le  septième  discours 
réfutent  l'hérésie  des  judaïsants  russes.  Ses  œuvres  mo- 
rales consistent  en  une  série  de  quatorze  lettres  adressées 
à  divers  personnages  ou  à  des  moines  sur  la  vie  com- 
mune dans  les  monastères,  le  jugement  universel,  la 
brièveté  de  la  vie,  etc.  Il  a  dirigé  encore  la  publication 
d'un  recueil  de  pièces  et  documents  relatifs  à  la  métropole 
de  Moscou.  Les  écrits  du  métropolite  Daniel  renseignent 
sur  les  conditions  morales  et  les  doctrines  de  l'Église 
russe  au  xvie  siècle.  Les  raskolniki  russes  les  ont  en 
grande  estime,  parce  qu'ils  y  trouvent  des  arguments 
à  l'appui  de  leurs  croyances.  D'après  le  métropolite 
Macaire,  Daniel  posséda  toute  la  culture  théologique  de 
son  temps,  et  Maxime  le  Grec,  sa  victime,  l'appela  le 
docteur  de  la  loi  de  Dieu,  t.  vu.  p.  395-3%. 

Le  meilleur  ouvrage  sur  la  vie  et  l'œuvre  littéraire  du  métro- 
polite Daniel  est  celui  du  protoiereus  Basile  Ivanovitch  Ijma- 
kine  ff  8  juin    1907),    inséré    dans    les    Tchleniia  de  la  Société 

dec  amateurs  de  l'histoire  et  des  antiquités  russes  de  m 
tiitropollt  Daniel,  ego  sotchinenlia,  Moscou,  1881.  Les  écrits  de 
Daniel  y  sont  longuement  analysés,  p.  237-750,  et   édités  d'une 
ritique  à  la  lin  du  volume.  Voir  aussi  Eugi  De  (métropolite), 

Slovar  ii  pisateliakh  dukhovnago  tchlna,  Saint-Péiersbourg, 
1827,  i.  i,  p,  114-116;  BiéUaev,  Daniel,  mitropolil  VoekovskH, 
dans  les  Itvleetiia  de  l'Académie  Impériale  des  s.  ii  n 
Saint-Pétersbourg  (section  de  langue  et  littérature  ni 
t.  v,  p.  194-209,  et  dans  les  [etoritcheskiia  Tchteniia  o  yazykle 
islovemosti  de  la  même  Académie,  isôt,  p.  96-118;  Gorsky 
Nevostruev,  Opisanie  rukopiaei  iloskovskoi  linodalnoibibUo- 
theki,  Moscou,  1868,  l  n,  p.  111,  147-164;  Nlkolaevsky,  Rus- 
êkaiapropo  vled  v  rvl  \w  olekakh,  dans  Journal  du  ministère 
de    l'instruction    publique,     1868,    t.     exxxvn,     p.    '.'•" 


1.  cxx.wiu    p.  IJ-177:  I  iltur. 

znatchenii   Viiantii  v 

iia  moskovskuijo  mitro] 
Daniila,  h  :  t  in, 

p.  181-275;   ld.,  Istorii 
1874,  t.  vu,  p.  :vr.' 

1874,    p.    90-10i  ;   Pol 
si. ma  kriitomatiia  dlia  itul 

a.  Kiev,  1879,  p.   138-151;  (ilieb-       /"• 
mitropolil,  kak   propoviednik,    lunzn 

Viedomosti,  1k7'i.  a.6,  p.  132-139;  Entzx  jvar. 

t.  x,  p.  88-90;  Pravoslavnaia  bogostovskaia  Entziklo\ 
i.  iv,  col.  922-928 :  Russkii  blographitcheskii  Slovar,  !■ 
p.  8442. 

A.  1  *  \i.Mii.r-. i . 
:j.  DANIEL  Gabriel,  né   à  Rouen  le  8  février  !• 
admis  dans  la  Compagnie  de  Jésus  le  16  septembre  1667, 
professa  plusieurs  années  la  rhétorique,  la  philosophie 
et  la  théologie,  et  mourut  à  Paria  le  ■!'■'•  juin  1728.  Il 
est   plus   généralement    connu    par    son    Hisloir. 
France  et  son  Histoire  de  la  milice  française,  mais  il 
s'est  aussi  montré  habile  et  fécond  polémiste  dans  les 
controverses   philosophiques   et    théologiques  de 
temps.  Le  premier  ouvrage  qu'il  publia   fut  le  Vnyage 

londe  de  M.  Descartes,  spirituelle  critique  du  sys- 
tème du  monde  de  Descartes,  qui  parut  d'abord  en 
1690,  à  Paris,  et  eut  plusieurs  éditions  successivement 
augmentées.  La  réponse  aux  Lettres  provinciales  de 
Pascal,  intitulée  :  Entretiens  de  Cléandre et oVEtu 
sur  les  Lettres  au  provincial,  in-12,  Cologne  Rouen  , 
1694,  et  plusieurs  fois  rééditée  avec  additions, eut 
lement  un  succès  considérable  et  mérité;  mais,  natu- 
rellement, cette  réfutation,  toute  solide  qu'elle  était 
dans  l'ensemble,  et  même  bien  écrite,  ne  pouvait  em- 
pêcher le  chef-d'œuvre  littéraire  de  Pascal  de  se  faire 
lire  et  de  rester  pour  la  masse  des  lecteurs  superficiel^ 
l'expression  de  la  vérité.  La  mention  faite  dans  ces 
Entretiens  d'une  interprétation  singulière  du  P.  Noël 
Alexandre,  dominicain,  provoqua  une  vive  attaque  de 
celui-ci  contre  le  P.  Daniel.  Il  en  résulta,  entre  les 
deux  théologiens,  un  échange  de  lettres  publiques;  il  \ 
en  eut  dix  du  côté  du  second  et  autant  ou  nias  du 
côté  du  premier,  roulant  principalement  sur  le  paral- 
lèle de  la  doctrine  des  thomistes  avec  celle  des  jésuite-, 
par  rapport  à  la  morale,  en  particulier  leprobabilis 
et  à  la  grâce.  La  controverse,  commencée  en  1696,  fui 
arrêtée  en  1697.  sans  être  terminée,  par  l'autorité-  du 
chancelier.  En  1701.  il  publia  :  Défense  de  saint  Au- 
gustin contre  un  livre  oui  paroU  de/mis  peu  sous  le 
nom  de  M.  de  Launoy,  où  l'on  veut  faire  pass. 
saint  Père  pour  un  novateur,  in-12.  Paris.  1701.  L'ou- 
vrage  dont  il  s'agit  était  intitulé'  :  La  véritable  tradi- 
tion de  l'Église  sur  la  prédestination  et  la  g, 
Liège,  1702.  Dans  une  critique  du  même  ouvragi 
P.  Hyacinthe  Serry,  dominicain,  ayant  avancé  qu 
que  Launoy  avait  dit  de  plus  violent  contre  saint  Au- 
gustin était  lire  des  théologiens  jésuites,  le  P.  Daniel 
prit  encore  la  défense  de  ses  confrères,  d'abord  dans 
une  lettre  au  P.  Cloche,  général  des  dominicains,  pu- 
bliée en  1705,  puis  dans  trois  lettres  adressées  au 
P.  Serry,  Paris,  1705  el  1706.  En  outre,  il  consacra  î  la 
question    principale  ins    ces    poli  iniques     un 

Traité  théologique  louchant  l'efficacité  de  la  grâce, 
où  I'"»  examine  ce  gui  est  de  fog  sur  ce  su/cl  et  ce  qmi 
n'en  est  /'as:  ce  qui  est  de  saint  Augustin  et  ce  gui 
n'en  est  pas,  in-12,  Paris,  I7u.~>:  nouvelle  édition  aug- 
mentée en  deux  tomes  in-12,  Paris,  1706.  Il  publia 
aussi  trois  dissertations  théologiques  sur  la  nécet 
morale  et  l'impuissance  morale  par  rapport  ans 
bonne»  amures,  contre  la  théologie  de  Louis  Habert, 
Paris,  1714  Enfin,  il  intervint  également  dans  la  que- 
relle relative  aux  rites  chinois,  par  une  Histoire  apo- 
logéligue  de  la  conduite  des  jésuites  de  la  Chine, 
adressée  <>  Messieurs  ■  s  M  ssions  étrangères,  in-fi 
in-12,  Paris,  1700, 


105 


DANIEL    -    DANIEL    DE   SAINT-SEVER 


106 


La  plupart  des  ouvrages  du  P.  Daniel,  que  nous  ve- 
nons d'indiquer,  et  d'autres  que  nous  omettons  comme 
moins  importants  ou  étrangers  à  la  théologie,  ont  été 
réunis  dans   le   Recueil   de   divers  ouvrages  philoso- 
phiques,  apologétiques    et     critiques,    3  in-4»,  Paris, 
172i.  On  a  prêté  à  la  plume  facile  du  P.  Daniel  divers 
autres  écrits   de  circonstance,   notamment  le   fameux 
Problème  ecclésiastique  proposé  à  M.  l'abbé  Boileau, 
rtc  l'archevêché  :    à    qui  l'on    doit  croire  de  messire 
Louis-Antoine    de  Noailles,    évêque   de    Châlons    en 
1695  ou  de  messire  Louis-Antoine  de  Noailles,  arche- 
vêque de  Paris   en    1696.  Cette  pièce    méchante,  qui 
parut  en    1698,  relevait  la    contradiction  qu'il  y   avait 
entre  l'approbation  donnée  par  Noailles,  en  1695,  aux 
Répe.cions    morales  sur  le    Xouveau  Testament   du 
P.  Quesnel,  et  la  condamnation  par  le  même,  en  1696, 
de  VExposilion    de    la    foi    catholique    touchant    la 
grâce  et    la  prédestination   de   l'abbé   de  Barcos,  les 
deux  ouvrages  contenant  la  même  doctrine  (janséniste). 
Le  Problème  fut  brûlé  par   la   main  du    bourreau,  à 
Paris,  sur  arrêt  du  parlement,  et  proscrit,  à  Rome,  par 
le   Saint-Office;  Bossuet  prit  la  peine  d'en  composer 
une  réfutation,  qui  fut  publiée  après  sa  mort  par  Ques- 
nel. Le  P.  Daniel,  désigné  comme  auteur  par  la   mali- 
gnité d'une  partie  du  public,  déclina   sous  serment  la 
paternité  de   l'écrit  par   une  lettre  adressée  à  l'arche- 
vêque et  qui  fut  imprimée.  Mais  la  preuve  de  son  inno- 
cence qui   désarma    le   soupçonneux  prélat,  ce  fut    la 
découverte  que  lit   la  justice  en  examinant   la  corres- 
pondance   saisie  des    jansénistes  Quesnel.  dom  Gerbe- 
ron  et  dom  Thierry  de  Viaixnes,  arrêtés  en  1703  :  on  y 
voyait  en  effet   que  le  Problème  avait  pris  naissance 
dans    la  secte.    Mémoires    mss.  du   P.   Léonard   de 
Sainte-Catherine  au  27  septembre  1703,  Bibliothèque 
nationale, ms. fr.  1921 1  ;  Lettre  de  l'évêque  d'AgenlHé- 
bert)  "  M.  de  Pontchartrain,  15  octobre  1711  (imprimée). 
Nous  n'avons  pas  à  entrer  davantage  dans  la  question 
ili'  l'auteur  de   ce   pamphlet;    mais  nous  rappellerons 
que  le»regrelté  théologien   dont  le  nom  figure  le  pre- 
mier au  frontispice  de  ce  Dictionnaire,  l'abbé  Vacant, 
par  des   recherches  originales,    a  rendu  presque  cer- 
taine l'attribution,  déjà  proposée  autrefois,  à  dom  llila- 
rion  Monnier,  bénédictin  de  la  congrégation  de  Saint- 
V;mne,  qui  résidait   en   1698  à  Besançon.  Bévue  des 
■  ces   ecclésiastiques,    IS90.  t.  I,    p.   41 1-425  ;  t.  n, 
p.  34-50.  131-150. 

i  ii   tète   de  l'édition  qu'il  a  donnée 
de  l'HiStoi)  ''.'  du  P.  Daniel,  17  in-4*,    Paris.    1755- 

i.  I,  p.  xvm-XXMv;  Moreri,  Dictionnaire,  1755,  I.  IV; 
Mirhaud,  Biographie  universelle,  t.  x.  art.  par  Walckenaer  ;  De 
Backer-Sommervogel,   Biblii  Jésus, t.  n, 

001.1796-1815;  Hurler,  Womenclator,  t.  m,  col.  1042-1043,  216, 
1087,  1140;  Reu  en  Dei  Indi  ■  .  t  h,  p,  488,  087,  688,  728, 
1211. 

.(OS.    RRl.'CKER. 

6.  DANIEL  DE  LA  VIERGE,  carme  belge,   né  en 

1015  à  llam en  Klandre,  profèsàGand  en1632.  Reli- 

ix  exemplaire,  théologien  docte  et  prudent,  travail- 
leur infatigable,  le  Père  Daniel  de  la  Vierge  occupa  les 
diverses  charges  de  son  m  die.  notamment  celles  de  pro- 
vincial et  île  lecteur  de  théologie,  Il  remplit  avec  beau- 
coup d  exactitude  tous  les  devoirs  de  son  état,  et  il  édi- 
fia le  prochain  par  sa  piété  el   par   ses   vertus,  surtout 
i  ité  en  '  i  -  les  malades.  Il  mourut  saintement 
connue  il  avait  vécu,  le  24  octobre  I678.  On  a  de  lui  ; 
/.  ai  t  de  te  bien  confesser,  in  I  -2.  Bruxelles,  1640;  Tnti  o 
duc  t  ion  •<  la  confession,  in- 12.  Anvers,  1040;  L'art  de 
\r,  in-12,  Bruxelles,  1049;  l.«  démonstration 
île  lu  véritable  Kglise,  in-3  .  Bruxelles,  1049.  Ces  ouvra- 
nt été  publiés   ainsi  que  quelques  autres  encore, 
en  langue  flamande    Daniel  de  la  Vierge  fut  surtout  un 
défenseur  ardent  cl  éclairé  des  privilègi 

n  ordre  ainsi  qu'en  témoigne  son  grand  ou 


posthume,  Spéculum  carmelilanum,  4  in-fol.,  Anvers, 
1680. 

Cosme  de  Villiers,  Bibliotheca  carmelitana,  Orléans,  1752, 
t.  i,  col.  375;  Richard  et  Giraud,  Bibliothèque  sacrée,  Paris, 
1832,  t.  ix,  p.  35. 

P.  Servais. 

5.  DANIEL  DE  SAINT- JOSEPH,néenl601  à  Saint- 
Malo,  fit  profession  dans  l'ordre  des  carmes,  en  1618,  à 
Angers.  Adepte  fervent  de  la  scolastique  et  théologien 
d'une  doctrine  pénétrante  et  sûre,  il  enseigna  longtemps 
la  théologie  dans  sa  province  de  Tours  et  à  Caen,  puis 
à  Rome.  Il  entreprit  de  ramener  la  Somme  théologique 
de  saint  Thomas  à  une  forme  plus  spécialement  appro- 
priée à  l'usage  de  ses  élèves.  Il  ne  put  toutefois  publier 
que  le  t.  i  de  ses  Disputationes  in  Suni/nam  theologi- 
cam  D.  Thomse,  in-fol.,  Caen,  1649,  c'est-à-dire  les  cin- 
quante premières  questions  de  la  Somme.  Nous  avons 
encore  de  lui,  outre  des  sermons  d'une  belle  éloquence, 
Le  théologien  français,  Sur  le  mystère  de  la  sainte 
Trinité,  in-4°,  Paris,  1653. 

Cosme  de  Villiers,  Bibliotheca  carmelitana,  Orléans,  1752, 
t.  i,  col.  371;  Richard  et  Giraud,  Bibliothèque  sacrée,  Paris, 
1832,  t.  ix,  p.  32;  Théophile  Raynaud,  Scapulare  partheno- 
carmelitanum,  Paris,  1654,  p.  104. 

P.  Servais. 
6.  DANIEL  DE  SAINT-SEVER,   de  son    nom  de 
famille  Campet,   était  prêtre  et   docteur  en   théologie, 
quand  il  revêtit  l'habit  des  capucins.  Pendant  de  lon- 
gues années  il  fut  lecteur  dans  son  ordre  et  à    plusieurs 
reprises  provincial   d'Aquitaine.  Il  se  signala    surtout 
par  son  zèle  pour  la  conversion  des  protestants,   et  on 
lui  dut  la  création    de   missions  de   capucins    dans  le 
Béarn  à  cet  effet.  Il  nous  est  resté  comme  preuve  de  ce 
zèle  les  deux  ouvrages  suivants  :  La  christomachie  com- 
battue,  où  sont  contenus  les  actes  de  la  conférence 
faicle  à  Lectoure  entre  Fr.  Daniel  de  S.  Sever  capu- 
cin et   Savoi/s  -ministre  de  ladiclc  ville,  louchant  la 
descentede  Jésus-Christ  aux  enfers  :  expliqués  les  prin- 
cipaux mystères  de  l'union  hypostalique  du  Verbe  di- 
vin avec  la  nature  humaine.  De  la  gloire  du  paradis, 
des  peines  d'enfer  et  autres.    Réfutés  plusieurs  blas- 
phèmes, erreurs,  contradictions  el  hérésies  nouvelles  du 
susdict    ministre    et    de  son   catéchisme,  in-8»,  Lyon, 
1611;  Actes  de  la  conférence  tenue  à  Pau  en   Béarn 
les   10,  13,   14   cl    15  janvier  1620    en    présence    de 
Monsieur  l'évesqué  de  Lascar,  monsieur  de  la  Force 
gouverneur  pour  le  Boy  en  Béarn,  Messieurs  du  Con- 
seil et    autres    du    pays    qui    y    assistèrent.    Entre  le 
/;    /'.  Daniel  île  S.  Sever,  provincial  des  Pères  capu- 
cins de  la  province  d'Aquitaine,  et  Paul  Charles, soy- 
disant  pasteur  en  l'Église  el  professeur  en  théologie  en 
l'académie  royale  d'Urthe:.  Touchant   les    traditions 
ecclésiastiques,   les  vénérables  images,  et  la  saincte 
communion  sans  mie  espèce,  avec  les  noies  qui  con- 
tiennent une  ample  explication  de  ces  trois  points  et 
ont,, s    controversés  par  les    hérétiques   de  ce   temps, 
in-8°,  Toulouse,  1620.  On  lui  attribue  aussi  une  Épltre 
à    Cosme   Hardi,   évéque   de    Carpentras   el     vice-légat 
d'Avignon,  De  collatione  el  disputatione  cuwi  Nemau~ 
sensibus  el  Septimanis  faclionis  calvinianee,   in-8», 
Avignon.  [625.  Le  P.  Daniel  mourut  dans  un  naufrage 
sur  la   Garonne   le   14   mai    1630.  Il  laissait  dans  ses 
papiers  an  Commentaire  sur  Ézéchiel,  que  la  pauvreté 
et  le  manque  d.-  caractères  arabes  et 
hébraïques  ne  permit  pas  d'imprimer. 

Apollinaire  de  Valence,  Bibliotheca  fr.  min.  oapuccinorum 
[quitanUe,  Nîmes,  1894 .  Nli  i  lai    ftlêt 
de  V académie  protestante  de  Montauba 
Contun  ""  r""'~ 

ment  du  tvit  siècle,  dans  ta  Revus  d'Aquitaine,  (■  n, 

p    i  o. m  \i:o  d  Mi  m  on 


107 


DANSE 


H '8 


DANSE.        [.Considérée   en  elle-même,   II,   I 
tes  circonstances.  III.  Dana  son  ensemble.  IV.  Régies 
pratiques  pour  le  pasteur  d'âmes,  en  dehors  du  con- 
fessionnal.    V.    Pour    le  confesseur,  an     for    intei 
VI.  Conseils  spéciaux  pour  les  personnes  adonnéi 
la  dévotion.  VII.  Coopération  aux  dan 

l.  La  DANSE  CONSIDÉRÉ!  en  elle-même,  —  On  ne 
pourrail  pas  affirmer  Bans  i  rreur  que  la  danse,  con- 
sidérée en  elle  même,  soit  une  chose  intrinsèquement 
mauvaise.  Elle  n'est  pas  plus  répréhensible,  en  soi,  que 
la  musique,  la  peinture,  ou  la  poésie.  Le  langage  arti- 
culé, soumis  à  des  régies  particulières  de   rythme,   de 

sure  et  de  cadence,  a   donné  naissance  à  la  poésie; 

la  succession  des  sons  suivant  des  lois  analogues  est 
devenue  la  musique;  et,  par  une  évolution  semblable, 
le  geste  humain  s'est  transformé  en  mimique,  puis  en 
danse.  Celle-ci  est  un  assemblage  varié  de  pas  régle- 
mentés, de  gestes,  d'attitudes,  d'allures,  comme  la  mé- 
lodie et  l'harmonie  sont  une  combinaison  variée  de 
sons  pris  aux  divers  degrés  de  l'échelle  musicale.  Les 
arrêts,  ou  suspensions  de  mouvements,  sont  à  la 
danse,  ce  que  les  silences,  les  soupirs  et  les  pauses 
sont  à  la  musique.  Aussi  les  anciens.  Plutarque  entre 
autres,  appelaient-ils  la  danse  une  musique  ou  poésie 
muette,  et  la  musique,  une  danse  parlante. 

Avant  tout,  la  danse  est  un  art,  tendant  à  exprimer  le 
beau  à  sa  manière,  et  avec  les  moyens  dont  il  dispose. 
Or,  un  art,  quel  qu'il  soit,  par  cela  qu'il  tend  à  l'ex- 
pression du  beau,  n'est  pas  mauvais  intrinsèquement. 
Il  ne  devient  mauvais  que  si  on  le  fait  servir  au  mal 
moral. 

Ces  trois  arts  :  poésie,  musique  et  danse,  ayant  entre 
eux  des  analogies  si  profondes,  se  trouvent  tout  natu- 
rellement réunis  dans  la  manifestation  des  sentiments 
de  l'âme,  arrivés  à  un  certain  degré  d'intensité.  Alors, 
tout  le  corps  entre,  pour  ainsi  dire,  en  vibration,  pour 
se  mettre  à  l'unisson  de  l'àme.  Le  langage  ordinaire 
ne  suffit  plus  :  il  en  faut  un  autre  plus  imagé,  plus  co- 
loré, plus  vif,  plus  idéal.  La  poésie  elle-même  ne  ré- 
pond pas  au  but,  si  elle  est  récitée  avec  les  intonations 
ordinaires,  et  l'homme,  alors,  ne  se  contente  plus  de 
parler  :  il  chante.  Et  si  le  sentiment  intérieur  atteint 
un  haut  degré  d'intensité,  la  musique  elle-même,  si 
elle  reste  seule,  est  impuissante  à  le  traduire.  Des  mou- 
vements instinctifs  du  corps  s'y  joignent  et  l'accom- 
pagnent. L'homme  ne  tient  plus  en  place  :  il  marche, 
il  saute,  il  va,  il  vient,  gesticule,  s'arrête,  repart, 
tourne  et  retourne.  Le  corps  entier  coopère  à  l'expres- 
sion du  sentiment  qui  remplit  l'âme,  et  la  met  dans  un 
état  de  surexcitation  particulière.  H  en  est  ainsi  chez 
les  enfants  qui,  si  facilement,  chantent,  sautent  et  gam- 
badent. C'est  pour  ce  motif  probablement  que' le  mot 
grec  Ttou'Çeiv,  faire  l'enfant,  signifie  aussi  danser, 
Cf.  Odyssée,  VIII,  n.  261  ;  XXIII.  147;  Hésiode,  Bouclier 
d'Hercule,  277;  Aristophane,  Thesmophories,  1  "227 .  Ce 
phénomène  se  retrouve  chez  les  peuples  jeunes.  On  le 
constate  aussi  chez  les  peuples  policés.  La  civilisation 
a  réglementé  cet  instinct  naturel  :  elle  ne  l'a  point  dé- 
truit. Elle  l'a  perfectionné  en  le  disciplinant,  et  en  le 
conformant  aux  règles  du  bon  goût.  La  danse  est  de- 
venue un  art  très  compliqué.  Cette  complication  ne  lui 
a  pas  fait  perdre  son  caractère.  Quoique  exécutées 
d'après  tous  les  préceptes  de  l'art  chorégraphique, 
certaines  danses  restent  pudiques  et  innocentes. 
D'autres,  au  contraire,  dans  lesquelles  l'art  a  1res  peu 
de  place,  peuvent  devenir  extrêmement  dangereuses, 
étant  mises  au  service  des  passions.  Elles  sont  loin  de 

ne  viser,  alors,  qu'à   la    pure  expression   esthétique    du 

beau.  Cf.  Lucien,  De  saltatione,  vu,  xix;  Herder,  His- 
toire de  la  poésie  des  Hébreux,  trad,  de  M la  baronne 

de  Carlowitz,  in-8°,  Paris.  1851,  p,  145  sq, 

H    emble  que,  chez  les  peuples  primitifs,  comme  chez 
le-  enfants,  la  dan-,-  a  été  le  premier  de  tous  les  arts. 


Chez  les  Grecs,  elle  précéda  certainement  les  i 
tationa  scéniques.  Ce  furent,  d'abord,  des  danses  raili- 
taires,  animées  et  bruyantes,   figurant   di  os  de 

guerre  el  les  diverses  péripéties  des  combats.  Elles 
'liaient,  avant  tout,  un  exercice  corporel,  pour 
développer  la  force  et  l'agilité  des  muscles,  une  sorte 
de  gymnastique  en  vue  des  luttes  futures.  Mais  i 
étaient  au-si  un  divertissement,  une  faut 
ce  rapport,  se  rapprochaient  plus  de  l'art.  Telle  fut  la 
danse  pyrrhique,  inventée,  dit-on,  par  Pyrrhus,  lils 
d'Achille.  Homère  en  fait  souvent  mention  dans  l'Iliade, 
par  exemple,  XVIII.  194,  604,  et  l'Odyssée,  VIII.  - 
Platon  prit  aussi  la  peine  de  la  décrire.  Xénophon  rap- 
porte que  bs  femmes  elles-mêmes  dansèrent  parfois 
la  pyrrhique  pour  amuser  la  galerie.  Anabase,  VI. 
Ouand  le  théâtre  se  fonda,  en  Grèce,  la  danse  y  entra 
comme  accessoire,  pour  ajouter  aux  charmes  du  spec- 
tacle. Puis,  elle  en  arriva  souvent  à  s'emparer  complè- 
tement delà  scène,  comme  si  elle  pouvait,  à  elle  seule, 
-enter  une  action  dramatique  ou  comique. 
Cf.  Athénée,  Diptiosopltistes,  xix.  in-fol..  Paris.  1606, 
p.  629-631.  Ce  que  les  syllabes  longues  et  brèves  étaient 
pour  le  poète;  ce  que,  pour  le  peintre,  étaient  les 
couleursde  la  palette;  l'expression  du  visage,  les  gestes, 
les  attitudes,  les  allures  rapides  ou  lentes,  passionnées 
ou  calmes,  le  devinrent  pour  le  danseur.  Cf.  Magnin, 
Origines  du  théâtre  modi  Sor- 

bonne,  in-8°,  Paris,  1838,  p.  87. 

Au  temps  même  de  leur  civilisation  la  plus  avancée, 
il  n'y  avait,  chez  les  Grecs,  aucune  fête,  ni  aucune  cé- 
rémonie religieuse,  où  la  danse  ne  fût  de  mise.  Les 
hommes  et  les  femmes  y  prenaient  part.  C'étaient  des 
évolutions  multiples  exécutées  autour  d'un  autel  et 
réglées  par  le  chant  et  le  son  des  instruments  de  mu- 
sique. Cf.  Athénée.  Dipnosophistes,  p.  181;  Pollux. 
OnomasHcon,  iv,  li.  Quelquefois,  ces  danses  saci 
cherchaient  à  représenter,  en  quelque  fa,  on.  les  aven- 
tures, ou  les  faits  et  gestes  du  dieu  qu'on  pensait  ho- 
norer ainsi.  Dans  sa  République,  Platon  voulait  que 
la  danse  fut  introduite,  non  seulement  à  titre  de'diver- 
tissement,  mais  comme  moyen  d'adoucir  les  mœurs, 
supposant  que  la  grâce  et  l'élégance  données  par  elle 
aux  mouvements  du  corps,  communiqueraient  à  I  es- 
prit de  la  rectitude  et  de  la  souplesse;  aux  actions,  de 
l'urbanité.  Platon.  Lois,  vil.  Cf.  lîoccardo,  Nuova  en- 
ciclopedia  ilaliana,  26  in-fol.,  Turin.  1888,  t.  vil.  p.  190. 
Pour  les  anciens,  tel  corps,  telle  âme.  Suivant  eux,  le 
corps  étant  bien  conformé,  l'âme  devait  l'être  aussi  : 
perfectionner  le  corps  dans  ses  mouvements,  c'était 
perfectionner  l'âme  dans  ses  facultés.  Cf.  Gronovius, 
Thésaurus  antiquitalum  grsBcarum,  13  in-fol..  Leyde, 
1697-4702,  t.  vu.  p.  173-220;  Patin.  Études  sur  les'tra- 
giques  grecs,  I  in-42,  Pans.  I sr>7- 1>7:>.  t.  m.  p.  LSOsq. 
Les  Grecs  avaient  été  en  cela  précédés  par  Us  Egyptiens 
qui  possédaient  de  nombreux  collèges  de  musiciennes  et 
de  danseuses,  pour  le  Culte  de  leurs  dieux  Cf.  Maspero, 
Histoire  ancienne  îles  peuples  de  TOrient  classique, 
3  in  s -.  Pan-,  1895-1899,  t.  i,  p.  126;  t.  n.  p 
W'iner,  Biblisches  Realtvôrlerbuch,  in-4»,  Leipzig, 
1833,  p.  655.  11  en  était  de  même  chez  le-  Chananéens, 
pour  leur  dieu  suprême  Baal,  el  sa  compagne  Astarté. 
III  Reg.,  wmi.  26-28;  IV  Reg.,  xxm.  5;  Soph.,  î.  t. 
Cf.  G.  J.  Voss,  !><•  theologia  gentili,  2  in-fol..  Amster- 
dam, 1642,  t.  n.  p.  3  sq.;  Movers,  Die  Pkônitier, 
3  m-s  .  Berlin,  1841-1856,  t.  i.  p.  385-498. 

La  Bible  fait,  plusieurs  fois,  allusion  aux  danses  des 
Hébreux,  et,  loin  de  les  condamner  indistinctement, 
file  les  approuve,  tantôt  indirectement,  tantôt  d'une 
manière  formelle.  Les  danses  étaient  chez  eux  non  seu- 
lement un  divertissement  et  l'expression  d'une  joie 
vive,  mais  BOUvenl  aussi  une  manifestation  de  la  piété. 
\pie-  le  passage  miraculeux  de  la  mer  Rouge,  Moïse 
compose  un  cantique  en  l'honneur  de  Jéhovah,  el  la 


109 


DANSE 


110 


chante  avec  les  fils  d'Israël.  Exod.,  xv,  1-19.  Pendant  ce 
temps,  la  prophétesse  Marie,  sœur  de  Moïse  et  d'Aa- 
ron,  se  met  à  la  tête  des  femmes  d'Israël  qui,  s'accom- 
pagnant  de  divers  instruments  de  musique,  dansent  et 
répètent  de  leur  coté  le  même  chant.  Exod.,  xv,  20-21. 
Plus  tard,  à  la  nouvelle  que  son  père  revient  vainqueur 
du  combat  contre  les  Ammonites,  la  fille  unique  de 
Jephté  va  à  sa  rencontre  en  dansant.  Elle  n'est  pas 
seule,  mais  une  foule  de  jeunes  filles  et  de  femmes 
la  suivent  en  dansant  avec  elle.  .lud.,  XI,  34.  Les 
femmes  d'Israël  dansent  également  en  signe  de  réjouis- 
sance, après  que  David  a  vaincu  et  tué  le  géant  Go- 
liath. 1  Reg.,  xvin,  6,  7;  xxi,  12;  xxix,  5.  David  lui- 
même,  devenu  roi,  ne  craint  pas  de  se  dépouiller  des 
insignes  de  la  royauté  en  présence  de  tout  son  peuple, 
et  de  danser,  en  signe  de  joie,  devant  l'arche  sainte 
qu'il  fait  ramener,  en  grande  pompe,  de  la  maison 
d'Obédédom.  II  Reg.,  vi,  5,  12,  14;  1  Par.,  xin,  8;  xv, 
29.  Sa  femme,  Michol,  fille  de  Saiil,  ayant  regardé  par 
la  fenêtre,  le  vit  danser  et  le  méprisa  dans  son  cœur. 
Comme  elle  lui  reprochait,  dès  sa  rentrée  au  palais,  de 
s'être  ainsi  déshonoré  jusque  devant  les  servantes  de 
ses  serviteurs,  en  dansant  comme  un  homme  du 
peuple,  David  lui  répondit  :  «  Devant  le  Seigneur  qui 
m'a  choisi  à  la  place  de  votre  père  et  de  toute  sa  race,  je 
ne  craindrai  pas  de  danser  et  de  me  faire  plus  petit 
encore.  J'en  serai  d'autant  plus  glorieux,  même  aux 
yeux  des  servantes  dont  vous  parlez.  »  Michol,  en  puni- 
tion de  sa  moquerie  déplacée,  fut  frappée  de  stérilité 
pour  le  reste  de  sa  vie.  II  Reg.,  VI,  20-23. 

Par  divers  passages  des  psaumes,  il  est  aisé  de  cons- 
later  que  la  danse,  en  plusieurs  circonstances,  faisait 
comme  partie  intégrante  de  la  liturgie  réglant  les  cé- 
rémonies du  culte,  dans  le  temple  de  Jérusalem. 
I'-.  CXLIX,  9;  cl,  4.  Cf.  Eccle.,  m,  4;  .1er.,  xxx,  4; 
Job,  xxx,  11  ;  Cant.,  vu,  1.  L'Écriture  ne  blâme  pas  les 
Juifs  d'avoir  introduit  les  danses  dans  le  culte  du  vrai 
Dieu,  comme  elles  l'étaient,  chez  les  païens,  dans  le 
culte  de  leurs  fausses  divinités. 

En  beaucoup  d'autres  endroits,  les  saintes  Ecritures 
mentionnent,  sans  les  condamner,  les  danses  auxquelles 
se  livraient,  à  litre  de  divertissement,  les  jeunes  filles 
et  les  femmes  d'Israël.  Jud.,  xxi,  21,  23;  .1er.,  xxxi, 
i.  13.  Il  est  vrai  que,  le  plus  souvent,  elles  dansaient 
des  hommes  ou  des  jeunes  gens. 
Exod.,  xv,  20  sq.;  Jud.,  xi,  31;  xxi.  23;  I  Reg.,  xvm, 
<>'  iq. ;  xxi\.  .">. 

Néanmoins,  l'auteur  de  l'Ecclésiastique  a  une  parole 
contre  les  danses  :  Cum  sallalrice  ne  assiduus 
sis,  net  audicu  illam,  ne  forte  perecuinefficaciaillius, 
ix,  i  Toutefois,  l'écrivain  inspiré  ne  condamne  pas  ici 
la  danse  i  a  elle-même.  Il  avertit  seulement  du  danger 
qui  peul  s  \  trouver,  ne  forte  perças,  surtout  si  elle  est 
fréquente,  /"■  assiduus  fis.  Le  contexte  montre,  en 
outre,  qu'il  s'agit,  'lui-  ce  |us-.^,..  de  ballerine,  ou 
danseuse  de  profession,  comme  il  ressort  du  verset 
•  but  \e  respicias  mulierem  multivolam,  une 
femme  aux  mille  volontés,  c'est-à-dire  une  femme  ca- 
pricieuse,  volage,  légère,  une  courtisane,  comme  on 
lit  dans  la  version  grecque,  yuvaixl  IraipiÇoitévfl,  une 
hétaïre;  par  crainte  que  tu  ne  tombes  dans  ses  pii 
M  forte  incidoê  m  laqueoi  illius.  Eccli.,  ix,  :!.  I 
I  mi''  il'-  ces  femmes  que  l'Écriture  sainte  nous  repré- 

ailleurs.  uniquement  occupées  à  perdre  lésâmes 
'""'"■'  ornatu  i  praparata  ad*  apiendat  ani- 

I  vaga.  Prov.,  vu.  10.  Il  faut  entendre  dans 
le  même  sent  le  texte  suivant  Pro  eo  quod  elevatm 
tutii  filim  Sion  et  ambulabanl  extento  coîlo,ei  n 

iinmi,  ambulabanl  pedibut  tuit,  ri  compo 

.,,n, h,  incedebant.  I-..  m.  16.  Le  prophète  parle 

débordemi  ni     di  -    Biles    d'Israël,    el    les    me- 

de  la  punition  due  â  toutes  l"^  tantes  que  leur 

ranité  el  leur  légèreté  font  con ittre.  Voii  D 


naire  de  la  Bible,  t.  n,  col.  1285-1289;  Realencyclo- 
padie  fur protestantische  Théologie  und  Kirche,3e  édit. 
1907,  t.  xix,  p.  378-380. 

Rien  des  fois,  les  Pères  de  l'Église  s'élevèrent  avec 
véhémence  contre  les  danses.  Saint  Pierre  Chrysologue, 
dans  un  discours  public,  va  jusqu'à  appeler  les  danseuses 
une  véritable  peste,  sallalricnni  peslis.  Serni.,  cxxvn, 
clxxiv,  P.  L.,  t.  lu,  col.  452,  654.  Il  ne  faudrait  pas  en 
conclure  qu'ils  ont  condamné  la  danse  en  elle-même. 
Ils  ont  réprouvé  les  danses  telles  qu'elles  se  pratiquaient 
trop  souvent  à  leur  époque,  danses  lascives  et  dange- 
reuses que  le  paganisme  expirant  avait  laissées,  aux 
ive  et  ve  siècles,  comme  un  ferment  de  corruption  au 
sein  de  la  société  chrétienne.  Cf.  Arnobe,  Adversus 
génies,  1.  VI,  P.  L.,  t.  v,  col.  1118;  S.  Ambroise,  De 
Elia  et  jejunio,  c.  xn;  In  Ps.  XI,  24,  P.  L.,  t.  xiv, 
col.  711  sq.,  1078;  S.  Jérôme,  Episl.,  lx,  ad  Heliodo- 
rum,  P.  L.,\.  xxir,  col.  601  sq.;  S.  Augustin,  Confess., 
1.  VI,  c.  vin,  P.  L.,  t.  xxxn,  col.  726;  De  civitate  Dei, 

I.  II,  c.  iv,  v,  vin  ;  1.  VII,  c.  xxi,  P.  L.,  t.  xi.i, 
col.  49  sq.,  53  sq.,  210  sq.  ;  Monumenta  Germaniir 
hislorica,  Auclores antiquissimi ,  13  in-4°,  Berlin,  1877- 
1898,  t.  i,  p.  92,  95-97;  Seek,  Geschicltte  des  Untergan- 
ges  der  antiken  Welt,  2  in-8»,  Berlin,  1897-1901,  t.  n, 
p.  339,  456.  Au  dire  des  païens  eux-mêmes,  ces  danses 
étaient  d'une  obscénité  révoltante.  Cf.  Ammien  Mar- 
cellin,  Hist.,  1.  XIV,  c.  v,  vi.  Cicéron,  dans  une  de  ses 
plaidoiries,  avait  reproché  à  Caton  d'avoir  traité  Mu- 
rena  de  danseur,  saltator,  ce  qui  était,  d'après  lui,  une 
sanglante  injure, car,  ajoutait-il,  à  moins  d'être  fou,  un 
homme  qui  n'est  pas  ivre,  ne  danse  jamais,  nenw  ferc 
saltat  sobrius,  nisi  forte  insaniat.  Cicéron,  Pro  Mn- 
rena,  xiv.  Cf.  Suétone,  Domit.,  vm;  Horace,  Od.,  xxi, 

II,  12;  XXXII,  1,  2;  Cornélius  Nepos,  xv,  1  ;  Macrobe, 
Saturnales,  m,  14;  Lucien,  De  sallalione,  xxn;  Tacite, 
Annales,  1.  XI.  Voir  Guillaume  Vuillier,  La  danse,  c.  i, 
Les  danses  antiques,  in-4°,  Paris-Milan,  1899,  p.  1-33. 
C'étaient'  de  ces  danses  impudiques,  comme  elles 
avaient  lieu  à  la  suite  des  festins  et  des  orgies,  danses 
que,  deux  siècles  avant  Notre-Seigneur,  les  Grecs  dé- 
générés avaient  tenté  d'introduire  chez  les  Juifs,  et  qui 
furent  en  honneur  à  la  cour  des  Hérodes.  C'est  par  une 
de  ces  danses  lascives,  en  effet,  que  Salomé,  la 
fille  d'ilérodiade,  obtint  d'IIérode  charmé  la  tète  de 
saint  Jean-Baptiste.  Les  convives,  échauffés  par  les 
abondantes  libations  de  ce  festin,  eussent  peu  goûté 
une  danse  qui  eut  été  simplement  gracieuse.  Il  fallait 
(pie  le  roi  Hérode  fût  bien  peu  maître  de  lui,  pour  pro- 
mettre aussi  inconsidérément  jusqu'à  la  moitié'  de  son 
royaume.  Marc.,  vi,  22-23.  Les  poses,  délibérément 
provocatrices  de   la   danseuse,  étaient  savamment  cal- 

i  ulées  de  manière  à  produire  le  plus  de  séduction  pos- 
sible sur  l'esprit  fasciné  des  spectateurs.  Cf.  J.-J.  Tis- 
sot.  Vie  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  2  in-fol., 
Tours,  1897,  t.  i,  p.  169  sq.  Dans  les  peintures  retrou- 
ves a  llerculanum  et  à  Pompéi,  et  transportées,  depuis, 
.m  musée  de  Naples,  sont  représentées  bien  des  fois 
ces  danses  lubriques,  en  usage  alors  chez  les  Romains, 
Cl".  <;.  Boissier,  Promenades  archéologiques,  in-8°, 
Paris.  I880j  .lousset,  L'Italie  illustrée,  in-fol.,  Paris, 
1906,  p.  '.:.  sq.,  60-66. 

I.  Eglise,  dans  ses  conciles,  s'esl  plus  d'une  fois  oc- 
CUpée  des  danses.  Le  concile  de  l.aodicée  (entre  ■!!•!  et 
381)  a  porté  ce  canon,  le  .M!  g  Que  les  chrétiens  qui 
ni  aux  noces  ne  doivent  pas  sauter  ni  danser. 
mai-  assister  ai  au  repas  ou  au  diner,  comme 
il  convient  à  des  chrétiens.  »  Hefele,  Histoire  des 
les,  iiad.  Leclercq,  Paris,  1907,  t.  i,  p.  1023.  Le 
concile  de  r/olède,  tenu  en  589,  a  voulu  extirper  ahso- 
lumenl  de  I  i  spaj tntière  la  couti populair 

danser   el    de  c  b ml.  i    .les  chants  déshonnétes  BUS  f<  I'  - 

uni  .  i  n  attendant  b'  commencement  d 
■  i.    ri  m    23.   Mansi.    Concil.,  t.  ix,  col.  990. 


Il 


DANSE 


11! 


ii-  il  I  i  mi.  rdil  les  danses  théâ- 

trales, sous  peine  de  déposition  pour  1rs  clercs  et 
d'excommunication  pour  les  laïques,  can.  51.  sfansi, 
i.  si,  col.  968  lu  1209,  un  synode  d'Avignon  Interdit 
ili-  faire  aucune  danse  théâtrale  el  obscèm  dans  les 
églises  aux  vigile*  «le-  rétes  des  s., ints,  can.  17.  Ifansi, 
i  wii.  cul.  791-792.  l  ii  synode,  tenu  à  Paris  en  1212  ou 
1213,  décida  que  les  évéques  ne  pouvaient  pas  permettre 
que  l'on  dansai  dans  li  -  cimetières  ou  dans  les  lieux 
saints,  quand  même  la  coutume  eût  existé  auparavant, 
part.  [V,  can.  18.  Ibid.,  col.  813.  Le  synode  provincial  de 
Kouen,  célébré  en  1231 ,  ordonne  aux  prêtres  d'interdire 
miun  peine  d'excommunication  les  danses  dans  les  églises 
et  les  cimetières,  a  l'occasion  des  noces  ou  des  fêtes,  i  I 
d'avertir  qu'elles  n'aient  pas  lieu  même  ailleurs,  can.  14. 
Mansi,  I.  xxm,  col.  216.  Dans  ses  statuts  synodaux  de 
1260,  l'archevêque  de  Bordeaux  prohiba,  sous  peine 
d'anathème,  les  danses  qu'il  ('tait  d'usage  d'organiser 
dans  quelques  églises  de  son  diocèse  le  jour  des  saints 
Innocents,  à  cause  des  rixes  et  des  troubles  qu'elles  pro- 
duisaient, a.  2.  Ibid.,  col.  1033.  Ces  règlements  n'ont 
pas  été  universels,  et  la  plupart  ne  visaient  que  des  cas 
particuliers,  tans  interdire  les  danses  pour  elles-mêmes. 
Comme  les  Pères  de  l'Église,  les  théologiens  ne  con- 
damnent pas  la  danse  en  elle-même.  Saint  Thomas 
d'Aquin  parle  des  danses  en  ces  termes  :  Ludus  cho- 
realis,  secundum  se,  non  est  malus;  sed  secundum 
ijuod  ordinal ur  diverse  fine,  et  vestitur  divertis  cir- 
cumstantiis, potes t  esse  actua  virtutis,  tel  vitii.  Quum 
enim  impossibile  est  semper  agere  in  vita  activa  et 
contemplativa,  ideo  oportet  interdum  gaudia  cu,is 
interponere,  ne  arum  ,,s  nimia  sererilate  frangatur,  et 
ut  homo  pronrplius  raccl  ail  opéra  rirtiitum.  Etsitali 
fine  fiai  de  ludis,  est  aclus  virtutis  quse  dicitur  eulra- 
pelia,  ci  potest  i'ssc  meritorius  si  gralia  informetur. 
lu  Isaiam,  c.  m.  Opéra  omnia,  3i  in-4°,  Paris,  1871- 
1880,  t.  xvin,  p.  696.  Cf.  S.  Antonin,  Summa  Hœologiœ 
moralis,  part.  II,  tit.vi, c.  vt; Diana, tr.V, De scandalo, 
resol.  xii,  Opéra  omnia,  9  in-fol.,  Lyon,  1667,  t.  vu, 
p. 835  ;Tamburini,  Explicatio  decalogi,\.  VII.  c.  vin,  ï,  7, 
n.  I.  Opéra  omnia,  2  in-fol..  Venise,  1707,  t.  i,  p.  206; 
Bonacina,  De  matrimonio,  q.  iv,  p.  ix.  n.  2i,  Opéra 
omnia,  '■'>  in-fol..  Venise,  1716,  t.  i,  p.  322;  Lacroix, 
Theologia  moralis,  1.  III,  part.  I.  tr.  IV,  c.  n,  dub.  i. 
n.  887,  3  in-fol.,  Venise,  1740-1750,  t.  i,  p.  197.  Les 
Salmanticenses,  à  la  question  :  An  videre,  et  choreas 
ducere publicas  intermares  el  fœminas,  sit  peccatum  •? 
répondent  :  Dicendum  quod  cltoraizare  non  est  illi- 
citum  ex  génère  suo,  et  conséquente)-  nec  eas  videre.  Et 
ratio  hujus  est  quia  actus  choraizandi  ex  se  non  est 
libidinis,  sed  Ixlil i;r .  Ergononest  damnandus.  Cursus 
theologiœ  moralis,  tr.  XXI,  De  primo  prxceplo  deca- 
logi,  c.  vin,  p.  v,  s  2,  n.  (il;  tr.  XWI,  De  sexto  et 
nono  decalogi  prœcepto,  c.  m,  p.  i.  n.  16,  17.  ti  in-fol.. 
Venise,  1728,  t.  v,  p.  171;  t.  vi,  p.  107.  Choreœ  secun- 
dum se  mut  sitiii  malte,  dit  saint  Alphonse  de  Liguori. 
nec  aclus  libidinis,  sed  Isetitise.  Quando  vero  sa»cii 
Patres  eas  inti  aide  reprehendunt,  loquuntur 

Je  turpibus  cl  eantm  abusu.  Theologia  moralis,  1.  IV, 
tr.  IV,  De  sexto  ci  nono  prtecepto  deculogi,  c.  i, 
dub.  i,  n.  129,  6  in-8",  Paris.  1845,  t.  n,  p.'  239.  La 
danse  n'esl  point  illicite  de  sa  nature,  dit  le  cardinal 
Gousset;  on  ne  peut  donc  la  condamner  d'une  manière 

lue.  comme  si  elle  était  essentiellement  mauvaise. 
Théologie  morale.  Traité  du  décalogue,  VI*  partie. 
c.  i.  n.  650  2  in-s  ,  Paris,  IS77.  t.  i.  p.  295.  CI".  Mare. 
Inslitutiones  morales  alphonsianœ,  part.  II,  sect.  n. 
<r.  VI,  e.  îv.  §  II.  n.  829,  -J  ln-8»,  Lyon,  1885,  I  i. 
p.  560   Cl  se,  etiam interdiver si texus  perso- 

dil  Ballerini,  non  suni  illicites,  si  fiant  honesto 
modo.  Ratio  esl  quia  choreas  per  se  indifférentes  nuit, 

«lia  legs  prohibenlur.  Conipendwn\  thcologise 
moraliser.  Devirtutibut,c.  ni,  a.  J.  s.  :;.  Bect.  n.  n.  242, 


2  in-8  .  Rome,  1893,  I.  i.  p.  212.  Cl 

nos  diverti  seins,  non  suni  perte  maie 
i       uni  honette,    imo   ci  merilorie.   Palmieri,    Oput 
theologicum  morale,,,  Butenbauni  rnedullam,U    VI, 
De  prasceptil  <*■  vi.  De  a  ;    ■  - 

cepto,  dnb.  i.  n.  60,  s  in-8»,   Paris,  1893,  t.  n.  p.  I 
Les  théologiens  sont  donc  unanin 
la  danse,  en  soi.  n  est  pas  intrinsèquement  mauvais*  .  SI 
les  lois  de  la   décence  \  sont  gardées,  il  est  irnposs 
de  la  considérer  comme  une  action  libidineuse.  < 
en  général,  an  signe  de  joie;  saliatio  équivaut  al 
exultatio.  Parfois,  c'esl  un  simple  divertissement,  qui 
non  seulement  est  permis,  mais  qui  peut  même  devenir 
méritoire  dans  l'ordre  surnaturel.  On    se  tromp 
donc  en  jugeant  a  priori  coupable  de  péché  mortel  une 
personne,  pour  le  seul  fait  d'\  avoir  pris  part. 

II.  L.\   DANSE  CONSIDÉRÉE  DANS  SES  Clla  -     — 

Il  en  serait  différemment  si  la  danse,  en  raison  des 
circonstances  qui  l'entourent,  devenait  une  occasion 
prochaine  de  péché,  soit  pour  les  personnes  qui  -  y 
livrent,  soit  pour  celles  qui  ne  font  qu'y  assister.  Il  y 
aurait  alors  obligation  stricte  de  s'en  abstenir.  La  solu- 
tion à  donner  aux  cas  pratiques  dépend  donc  du  plus 
ou  inoins  de  danger  résultant  des  circonstances. 
Encore  est-il  indispensable  d'examiner  la  probabilité 
de  ce  danger  à  un  double  point  de  vue  :  de  la  part  de 
l'objet  lui-même,  et  de  la  part  du  sujet. 

/.  ex  PARTE  iœi,  m    niui.il/.  —   I     Cottume.  —  l'n 
des  éléments  à  étudier,  en  premier  lieu,  pour  juger  de 
la   moralité  ou  de  l'immoralité  d'une  danse,  est  sans 
contredit  le  costume,  vu   les   tentations  innombrables 
auxquelles  expose  un  costume  indécent,  et  les  péchés 
de   regard   ou   de  désir  qu'il   peut  faire   commi 
—  I.  Nous  ne   signalerons  ici  que  pour   mémoin 
danses  abominables  que    l'on   nomme   en    Italie    hallo 
angelico,  et  in  quibua  nuditot  est  totalis.   Les  danses 
de  ce  genre  sont  évidemment  immorales,  et  nulle  rai- 
son  ne  peut  permettre  de  s'y  adonner,  ou  seulement 
d'y  assister  comme  simple  spectateur.  —  2.  On  doit  en 
dire    autant   de    celles    où    le    costume  est    tellement 
inconvenant  qu'il  semble  une  provocation  direct. 
mal.  Certaines  danseuses  de  théâtre,  par  exemple,  ont 
un  vêtement,  il  est  vrai,  mais  choisi  et  fait  d< 
à  exciter  les  passions  plutôt  qu'à  les  assoupir  :  étotre 
rose  tendre  ou  jaune  pâle,  afin  de  la  faire  ressembler 
le   plus   possible   à   la  couleur   même  de   la  chair,  et 
tellement  adhérent  au  corps  qu'il  en  dessine  nettement 
toutes  les  formes,  ita  ut  oculis  quasi  perinde  sit  ac  si 
nudx  aspiciantur.    Cf.    Lessius,    De   iuslilia  et  jure, 
I.  IV.  c.  iv,  dnb.    xiv,  u.    112:   Hoc,  dit-il,  non   tam  est 
pulchritudinem  ostendere,  quant  lu, mines  direct 
libidinem  allicere,  in-fol.,  Brescia,  1696.  p.  665;  Iam- 
burini.   Explicatif)  deculogi,  1.  VII,  c.  vin.  §  8,  n.  7. 
Opéra  omnia,  2  in-fol.,  Venise.  1707,  t.  i.  p.  2i»6;  Bona- 
cina, Tract,  de  matrimonio,  q.  iv.  p,  i\.   n.  25,  ". 
omnia,  3  in-fol. ,  Venise.  1716.  t.  i,  p.  322.  —  3.  Dana 
cette  catégorie  de  danses  extrt  memenl  dangei  i  uses,  en 
raison  du  costume  adopté,  il  faut  ranger,  en   général, 
les    ballets     d'opéras,     OÙ    îles     troupes    de    dsiU 
évoluent     en    OOStume    plus    que    sommaire    :    coi  - 

largement  décolleté  et  laissant  voir  la  plus  grande 
partie  de  la  poitrine;  bras  entièrement  a  découvert; 
jambes  couvertes  d'un  maillot;  pour  unique  robe,  le 
tutu,  ou  jupe  de  gaie  légère  extrêmement  courte,  n'arri- 
vant pas  même  aux  genoux,  et  qui.  comme  si  elle  était 
déjà  trop  longui  .  se  relève  comme  d'elle-même,  dans  le 
tourbillon  rapide  de  la  danse.  Cf.  Guillaume  Vuillier, 
La  dame,  c.  xi.  La  danse  au  théâtre,  in- 4  .  Paris, 
1899,  p.  313-339.  L'exhibition  d'actrices  en  pareil  accou- 
trement présente,  indépendamment  même  de  la  danse. 
un  grave  danger  pour  la  morale.  La  danse  assurément 

augmente  ee  danger,  mais  ne  le  constitue  pas  positi- 
vement. Ces  nudités  ne  s  étalent  en  pleine  lumière  que 


U3 


DANSE 


114 


pour  attirer  plus  facilement,  et  maintenir  davantage  la 
faveur  d'un  public  blasé  par  les  jouissances  malsaines, 
mais  toujours  avide  de  voluptés.  Dans  le  but  de  faire 
aflluer  les  spectateurs  et  d'augmenter  ainsi  leurs  recettes, 
des  imprésarios  peu  scrupuleux  mettent  en  pratique  le 
conseil  donne1  au  temps  de  la  Régence  par  un  ama- 
teur de  scandales  :  «  Afin  de  réussir  dans  votre  entre- 
prise, allongez  les  ballets  et  raccourcissez  les  jupes.  » 
Pour  être  vieux  de  deux  siècles,  cet  infâme  conseil  n'a 
rien  perdu  de  son  écœurante  actualité.  Beaucoup  de 
tbéàtres  modernes  avaient  recours  à  ce  moyen,  malgré 
les  timides  et  rares  protestations  de  la  censure  officielle, 
qui  s'alarmait  parfois  pour  la  pudeur  publique.  Comme 
tout  périt  sous  le  ridicule,  surtout  dans  un  certain 
monde,  la  censure  officielle,  de  fait,  a  succombé  sous  les 
coups  de  ceux  qu'elle  visait,  et  qui,  pour  se  moquer 
d'elle  et  la  désarmer,  l'appelaient  plaisamment  l'Acadé- 
mie de  morale. 

î.  Itans  la  plupart  des  bals  de  société,  dans  les  salons 
.iristocratiques,  comme  dans  les  réunions  mondaines 
d'un  rang  moins  élevé,  le  décolletage  des  femmes  est 
de  mise,  et  souvent  même  de  rigueur.  C'est  la  toilette 
de  soirée,  exigée  par  le  caprice  de  la  mode  ou  la 
tyrannie  des  habitudes.  Que  cette  coutume  soit  déplo- 
rable, il  n'y  a  pas  à  en  douter.  On  doit  souhaiter 
qu'elle  disparaisse,  et,  si  l'on  a  quelque  autorité  dans 
de  tels  milieux,  faire  tousses  efforts  pour  que  le  remède 
soit  apporté  au  mal.  Mais,  la  coutume  existant,  coutume 
à  laquelle  pour  certaines  personnes  du  inonde,  du  monde 
officiel  surtout,  il  est  si  difficile  de  se  soustraire,  doit- 
on  condamner  bs  dames  qui,  dans  cette  toilette,  vont 
au  bal  ?  Plusieurs  auteurs  n'hésitent  pas  à  les  condamner 
avec  sévérité.  Leur  sentiment  leur  parait,  si  justifié 
qu'ils  croient  dénuée  de  tout  fondement  l'opinion  con- 
traire. Parmi  ces  moralistes  rigides,  il  nous  suffira  de 
citer  ici  Roncaglia,  Universa  moralis  tlieologia,  tr.  VI, 
De  primo  decalogi  prsecepto,  q.  ni,  De  charilale,c.  vi, 
De  scandalo,  q.  v,  resp.  3,2  in-fol.,  Venise,  1753,  t.  r, 
p.  184;  Concina,  Theologia  christiana  dogmatico- 
moralis,  1.  I,  lu  decalogum,  diss.  IX,  De  scandalo, 
c.  ix,  §  12,  n.  -2-9,  10  in-4°,  Home,  1755,  t.  n,  p.  154- 
157.  D'après  eux.  ni  les  exigences  de  la  mode,  ni 
l'existence  de  la  coutume  n'excusent;  et  ils  déclarent 
coupables  de  péché  mortel  les  femmes  quis'yconforment, 
à  cause  des  tentations  graves  dont  elles  sont  volontaire- 
ment l'occasion  pour  ceux  qui  les  voient  ainsi  décolletées. 
La  coutume,  disent-ils.  ne  s. nirait  rendre  licite  ce  qui 
est  Intrinsèquement  mauvais. 

Cependant,  la  plupart  des  auteurs  sont  d'avis  que  la 

coutume   est    une    raison    suffisante   pour  excuser  ces 

femmi  s  de  péché  mortel,  à  moins  que  le  décolletage 

ne  m, ii  excessif  et  réellement  provocateur.  Cf.  Navarre, 

lianuale  confessariorum  et   ptenitentium,  c.   xxxiii. 

iperbia,  a.  19,  in  i  .  Venise,  1616,  p.  388;  Lessius, 

De  juêlitia  et  jure,   I.    l\.  i     iv,  dub.  xiv.  n.  106-112, 

in-fol..    Brescia,    1696,   p.   654;  Caji  tan,   In   II"    II  . 

q.   i  i.xix,  a.  2,  Sylvius,  In    II      II*,  q,  CLXIX,  a.  2, 

i  in-fol..  Anvers,  Hifi7,  I.  in,    p.  SUS;   S  dmanticenses, 

ai  theologi  .  tr.  X.XI,  De  primo  decalogi 

epto,  c.   vin,   Dr  viliis  charilati  oppositis,  p.  v, 

61;  tr.   XXVI,  De  s<  cto  et  nono  decalogi  p 

.  c.  m,  p.  i,  ii.  16,  i  .  n.  18,  t.  v.  p.  171  ;  l.  vi,  p.  107. 

iciius    de    matrimonio,   q.    ix,  p.    i.\, 

imta, 3  in-fol.,  Venise.  1716,  t.  i.  p. 322; 

Diana,  tr.  Y.  De  scandalo,  r<  sol.  m.  n.  3,  "/"'"'  ""inia, 

8  in-fol.,  Lyon,  HM17,  t.  vu,  p,  333  .  Sanchez,  De  tant  to 

mali  menlo,  I.   IX.    disp.    MAI.   n.  j."p, 

toi.,  Lyon,  1687,  t.  ni,  p.  315;  Tamburini,   Expli- 

cutm  decalogi,  l.  Vil,  c.  un.  R8,  d,  :.  Opéra omnia, 

2  in-fol.,    Veni  e,    1  TOT     t.    i,   p,    906;    s.    Alphonse, 

Theologia  mmuim,  I.  Ill.tr.  NI.  Déprmeepto  charitatiê, 

c.  n,  dub.  v,  a.  j.  n   55,  t.  i,  p.  343  sq.;  Marc,  trutitu- 

Honei  morale*  alph  part.  II.  sect.  i,  tr.  III, 


De  charitale,  c.  Il,  a.  3,  §  2,  De  scandalo,  n.  513,  t.  i, 
p.  363;  Ballerini,  Compendium  theologise  moralis, 
tr.  De  virtutibus,  c.  ni,  De  charilate,  a.  2,  §  3, 
p.  i,  sect.  n,  n.  239,  t.  i,  p.  209;  Berardi,  De  recidivis 
et  occasionariis,  tr.  II,  part.  II,  De  occasionibus  parti- 
cularibus  quse  ut  plurimum  sunt  voluntariœ,  a.  2,  q.  i, 
sect.  m,  n.  180-188,  2  in-8°,  Rome,  1897,  t.  n,  p.  218- 
224;  Lehmkuhl,  Theologia  moralis,  part.  I,  1.  II, 
divis.  I,  c.  m,  a.  2,  g  1,  n.  643,  2  in-8°,  Fribourg-en- 
llrisgau,  1902,  t.  I,  p.  384.  Aux  raisons  invoquées  par 
les  auteurs  du  sentiment  opposé,  ils  répondent  que  la 
coutume  assurément  ne  rend  pas  licite  ce  qui  est 
intrinsèquement  mauvais  :  par  exemple,  ce  qui  est 
contre  le  droit  naturel;  mais  la  question  est  précisé- 
ment da  savoir  si  un  pareil  décolletage  est  mauvais 
intrinsèquement.  Partes  illas,  dit  Lessius,  loc.  cit., 
n.  112,  p.  611,  nec  natura,  aut  pudor  humanus  postu- 
lat absolule  tegi;  et  les  Salmanticenses  en  donnent  la 
raison  :  quia  non  sunt  partes  ad  lasciviam  vehemen- 
ter  provocantes,  tr.XXVI,  c.  m,  p.  i,  n.16,  t.vi,  p.  107. 
Ce  décolletage  n'est  coupable  qu'en  raison  du  danger 
qu'il  peut  entraîner  pour  la  chasteté.  Or,  comme  le  fait 
remarquer  saint  Alphonse,  loc.  cit.,  il  est  d'expérience 
que  l'habitude  de  voir  certains  objets  diminue  de  beau- 
coup la  force  de  la  concupiscence.  Ainsi,  ajoute  le 
saint  docteur,  une  femme  donnera  beaucoup  plus  de 
scandale,  simplement  en  découvrant  ses  bras,  là  où  ce 
n'est  pas  la  coutume,  qu'en  montrant  la  partie  supé- 
rieure de  sa  poitrine,  si  on  y  est  habitué,  quia,  dit-il, 
assuefaclio  efficil  ut  viri  exlali  visu  minus  moveanlur 
ad  concupiscentiam ,  proul  constat  ex  e.rperientia.  Les 
auteurs  récents  s'appuient  sur  le  même  motif:  quum 
assueta  minus  pltantasiam  excitent,  Ballerini,  loc.  cit., 
n.  239,  t.  i,  p.  209;  ex  consuetis  non  fit  libido,  nec 
passio.  Berardi,  loc.  cit.,  n.  184,  t.  n,  p.  220.  Il  arrive 
donc,  par  le  fait  de  l'habitude,  que  les  hommes  et  même 
les  jeunes  gens  fréquentant  ces  réunions,  sont  peu  ou 
point  choqués,  ni  excités,  par  ces  toilettes  légères  et 
tapageuses. 

Que  faut-il  entendre  par  moderatam  vel  immodera- 
lam  pectoris  dénudai ionem,  la  première  étant  jusqu'à 
un  certain  point  excusable,  tandis  que  la  seconde  ne 
l'est  pas?  Nul  auteur  ne  s'est  avisé  de  tracer  une  ligne 
de  démarcation  bien  tranchée,  par  la  raison  bien  simple 
que  le  degré  de  décolletage,  que  la  coutume  excuse  de 
faute  grave,  dépend  précisément  de  la  coutume  elle- 
même,  qui  varie  considérablement  suivant  les  contrées 
et  les  milieux.  Sous  ce  rapport,  il  y  a  plus  de  liberté 
en  Italie  et  dans  les  pays  chauds  qu'en  Angleterre  et 
dans  les  pays  froids.  Avec  un  corsage  moins  décolleté, 
une  personne  du  nord  peut  bien  plus  scandaliser, 
qu'une  Femme  du  midi  dont  la  poitrine  serait  plus  ,i 
découvert.  Quamquam  conimunissima  sit  docloram 
sententia,  non  esse  damnandam  de  peccalo  mortali 
moderatam  in  mulieribus  pectoris  ilcnudationem, 
ubi  talis  vigrat  consuetudo,  plerumque  tamen  cujus- 
uiodi  sii  nioderala  aut  immoderata  denudatio,  ideo 
fartasse  non  dicuni  quod  varia  pro  variis  loris  con- 
suetudo  essepossit.  Ballerini,  loc.  cit.,  n.  239,  iM  nota, 

t.   I,   p.  209.   Lehmkuhl    s'exprime   de   même  ;  qttœnam 

denudatio  graviter  peccaminosa  dicidebeat,  aconsue- 
tuditie  multum  pendet,  loc.  cit.,  n.  "'•■'.  t.  i.  p.  334. 

Kn  certains  endroits  la  coutume  est  si  invétérée,  si 
foi  t.-  el  ^i  impérieuse,  qu'elle  excuse  non  seulement  de 
faute  grave,  m. us  aussi  de  péché  véniel.  Il  en  serait 

ainsi,  par  exemple,  pour  une  femme  ilu   monde   officiel 

et  qui  ne  pourrait,  sans  de  grands  inconvénients,  se 
i  i.i  Berardi,  i>r  recidivis  et  occasionariis, 
v.  n.  188,  t.  ii.  p.  223.  En  pratique  cependant, 
il  semble  presque  toujours  possible  .i  une  Femme,  par 
des  ajustement  .  des  dentelles,  des  rubans,  ou  orne- 
ments de  ce  genre,  de  diminuer  le  décolletage,  de 
manière  â  le  > amener  aux  limites  de  i. i. 


II.-, 


DANS  I . 


ne 


éveiller  les   susceptibilités  de  son  entourage,  el 
s'attirer  l(      censun      el   la    malveillance    du   milieu 
mondain   que,   vu   son  rang,   elle  esl  obligée  de  fré- 
quenter. 

I.cs  nombreux  auteurs  précédemment  cités  et  qui, 
dans  une  si  large  mesure,  tiennent  compte  de  la  cou- 
tume comme  circonstance  atténuante,  Boni  cependant 
unanimes  a  déclarer  coupable  de  péché  mortel  une 
femme  qui  arriverait  au  bal  ainsi  décolletée,  quand  ce 
n'est  pas  l'habitude,  ou  qui  ferait  des  efforts  pour  intro- 
duire  une   mode  :i ussi  dangereuse  et  aussi  répréhen- 

sible.  Sa  présent {.citerait  certainement  les  passions 

mauvaises,  el  l'on  ne  pourrait  plus,  pour  l'excuser, 
invoquer  l'axiome  :  ex  consuetis  non  fit  libido.  Ce  <|ui 
est  extraordinaire,  en  effet,  attire  davantage  l'attention, 
et  provoque  à  un  plus  haut  degré  la  concupiscence  : 
insolita  enim  magie  movent.  Cf.  Lessius,  De  justitia 
et  jure,  1.  IV,  c.  iv,  dtib.  xiv,  n.  112,  p. 654;  Tamburini, 
Explicatio  decalogi,  I.  VII,  c.  vm, §8,  n.  7,  t.  i,  p.  207. 

5.  A  la  question  du  costume  se  rattache  celle  des 
bals  masqués,  ou  travestis.  Plusieurs  auteurs  les  con- 
damnent a  priori  et  très  sévèrement,  à  cause  du 
periculum  peccandi,  qui  s'y  trouve  presque  constam- 
ment, d'après  eux.  Cf.  Gousset,  Théologie  morale, 
Traite  du  décalogue,  VIe  partie,  c.  i,  n.  651,  2°,  t.  1, 
p.  29.">.  Masqués,  les  danseurs  et  danseuses  peuvent 
plus  facilement,  sans  riquer  d'élre  reconnus,  se  donner 
des  libertés  qu'ils  n'auraient  pas  osé  prendre  à  visage 
découvert.  Sous  le  masque  donc  se  glissent  quelquefois 
une  intention  plus  mauvaise  et  un  plus  pressant  danger. 
Est-il  vrai  cependant  que  les  déguisements,  sous  lesquels 
se  cachent  danseurs  el  danseuses,  sont  toujours  une 
occasion  favorable  à  de  plus  grands,  ou  à  de  plus  nom- 
breux désordres?  Il  en  est  souvent  ainsi;  ce  serait  une 
erreur  de  le  nier;  mais  cette  règle  est  loin  d'élre  sans 
exception.  On  a  môme  prétendu,  et  non  sans  fondement, 
car  l'expérience  en  fait  foi,  qu'il  n'y  a  de  danger,  dans 
les  bals  masqués,  que  pour  ceux  ou  celles  qui  l'y 
cherchent  délibérément.  Très  souvent,  en  effet,  non 
seulement  la  ligure  est  cachée  par  le  masque,  et  tout 
décolletage  en  est  nécessairement  banni  ;  mais  même 
la  taille  la  plus  élégante  est  dissimulée  sous  un  ample 
domino.  La  coquetterie  ne  subsiste  que  dans  la  chaus- 
sure, t'n  bas  tricoté  à  jours,  un  soulier  de  soie  ou  de 
satin,  sont  le  critérium,  parfois  bien  trompeur,  par 
lequel  on  cherche  à  deviner  l'âge  et  les  charmes  de  la 
personne  ainsi  travestie.  Telle  qui  a  déjà  près  de 
cinquante  ans  prolite  de  ce  subterfuge  pour  laisser 
croire  qu'elle  n'en  a  qu'une  vingtaine.  Pour  elle,  un 
bal  ordinaire  où  elle  paraîtrait  ce  qu'elle  est  réellement, 
ne  présenterait  aucun  danger.  Un  bal  masqué,  au  con- 
traire, peut  illusionner  son  danseur,  et  l'illusionner 
elle-même.  Si  une  passion  de  quelques  heures  nait  de 
cette  double  illusion,  c'est  parce  qu'elle  a  été  volon- 
tairement provoquée,  et  que,  d'une  part,  une  ruse 
féminine,  et,  de  l'autre,  l'imagination,  ont  considéra- 
blement exagéré  des  attraits  qui,  en  réalité,  se  rédui- 
saient à  bien  peu  de  chose,  ou  peut-être  même  n'exis- 
taient absolument  pas. 

Si  ce  danger  se  rencontre,  c'est  surtout  dans  les  bals 
masqués  publics,  où  l'erreur  est  plus  facile.  Mais  il 
5e  trouve  plus  rarement  dans  les  bals  travestis  des  sa- 
lons, ou  des  réunions  de  famille.  C'est,  alors,  simple- 
ment un  genre  d'amusement  particulier,  qu'on  ne  doit 
pas,  en  général,  considérer  comme  une  excitation  au 
mal.  Ces  travestissements, parfois  bizarres,  peuvent  de- 
venir un  danger,  sans  doute  ;  mais  souvent,  aussi,  ils  ne 
sont  qu'une  innocente  récréation.  (X  Berardi,  De  i-eci- 
divU et occasionariiSj  part.  il.  c.  t,  a.  I,  q.  i.  seci.  n, 
n.  177,  obj.  8»,  t.  n,  p.  218. 

2»  Actes  :  attouchements,  rapprochements,  enlace- 
ments. Quand  le  genre  de  danse  adoptée  donne  lieu 
•i  des  gestes  inconvenants,  à  des  attouchements  indls- 


ciels,  a  des  rapprochements  trop  intimes  entre  ad  i 
des  deux  -■  «es,  à  di  -  postures  déshonn.  ente- 

nte ou  embrassements   amjde.ius,  qui  • 
les  passions  charnelles,  il  esl  évident  que  ladai 
ne  reste  plus  dan-  bs  limites  d'un  simple  arnusen 
mais  qu'elle  constitue,  pour  les  danseui  dan- 

seuses,  comme  aussi   pour  les  spectateurs,  un  dai 
véritable  et    une  occasion   prochaine  de    péclp'-.    Ces 
danses  ne  -auraient  donc,  en    aucune  façon,   rat 
ntodi  saltandi,  être  permises,  ou  tolérées.  Mais  qui 
sont  celles  qui  rentrent  nettement  dan-  celti 
de  danses  mauvaises  et  illicil. 

Pour  répondre  à  cette  question  avec  la  précision 
sirable,  il  n'esl  pas  nécessaire  de  faire  ici  l'exposé 
taillé  de  toutes  les  danses  usitées  de  nos  jours.  Les  an- 
ciens  Grecs  avaient  plus   de  deux    cents    espèces    de 
danses.    Cf.    Athénée,    Dipnosophistes,    xiv,     p. 
Sous   ce   rapport  les  peuples  modernes  ne   sont    pas 
moins  riches.  L'Ângli  terre,  à  elle  seule,  en  avait  plus 
de  cinq  cents,  au  début  du  XVIIIe  siècle.  Cf.  Dani 
Mas  ter,  2  in-8°,  Londres.  1710.  Chaque  nation,  parfois 
chaque  province,  a  eu,  el  a,  souvent  encore.  • 
favorites.  Ces  danses  nationales  et  locales  .,nt.  bien  di  - 
fois,  franchi  les  frontières  des  contrées  qui  les  virent 
naître.  Transportées  ailleurs,  et  plus  ou  moins  modil 
par  les  caprices  delà  mode  et  l'inlluence  des  milieux, 
elles  ont  eu  leur  temps  de  vogue  et  d'éclat.  Puis,  elles 
ont  décliné,  et  ont  laissé  la  place  à  d'autres  plus 
faveur;  mais,  ordinairement,  sans  disparaître  complè- 
tement, et  en  se  fusionnant  avec  celles-ci,  de  façon  à 
former  peu  à  peu  une  infinité  de  variétés.  Pour  les  dé- 
crire toutes,  même  d'une  manière  sommaire,  il  faudrait 
plusieurs  volumes.  Ce  serait,   en    outre,    absolument 
inutile  pour  le  but  que  nous  nous  proposons.  Au  point 
de  vue  théologique,  le  seul  que  nous  dewons  envisager 
ici,  il  suffit  de  les  ranger  en  trois  classes  parfaitement 
distinctes  :  I.  les  danses  honnêtes;  2.   les  danses  fran- 
chement mauvaises,  par  leur  indécence  et  leur  oh-e  - 
nité:  IS.  les  danses  douteuses  et  dangereuses.  Ce  n'esl 
que  par  rapport  à  ces  dernières  qu'il  peut  y  avoir  des 
difficultés   pratiques  à   porter   un  jugement.  Les  pre- 
mières, en  effet,  sont  évidemment  permises,  et  honni 
soit  qui  mal  y  pense.  Les  secondes  iK.i  i 
ment  prohibées,  sans  exception  possible.  Mais  les  au- 
tres? Et  celles-ci  sont   lésion,    car,    entre    les    n 
rondes  de  l'enfance,  ou  les  honnêtes  divertissements  en 
usage  dans  les  familles  qui  se  respectent,  et  les  inven- 
tions   lubriques   des    milieux    interlopes,    il   y    a    | 
pour  une  série  indéfinie  de  termes  intermédiaire 
rapprochant  plus  ou  moins  de  ces  deux  extrémi 
différents  :  la  simple  récréation,  le  jeu.  le  délassement, 
et  la  corruption  savamment  org  mi- 
terne. 

Parmi  ces  danses  considérées  comme  douteuses,  il 
y  en  a  peu  où  le  danseur  ne  soit  amené  à  stisir  la  dan- 
seuse par  la  main.  A  moins  qu'il  n'y  mette  de  la  pas- 
sion, ou  une  intention  mauvaise,  cet  acte  n'est  pas.  en 
soi,  pecca in i neux.  In  rlmreis  autem  leviter  apprehen- 
dere  manuni  fœminse,  vel  non  r>it  culpa,  vel  ad  sum- 
mum venialis,  S.  Alphonse.  Theologia  moralis,  I.  IV. 
Ir.  IV,  c.  n.  dub.  U,  n.  12!>.  I.  Il,  p.  2*0.  Cf.  S.lmanti- 
rsus  theologia:  moralis,  tr.  XXVI,  De  sexto  et 
nono  decalogi  prsecepto,  c.  tu,  p.  i.  n.  IS,  t.  vi.  p.  107 

Mais  certaines  dan  n  vogue  île  nos  jours. 

telles  que  te  valse,  la  polka,  la  mazurka,  la  rédowa,  la 
scottish,  le  galop,  etc  .  sont  bien  pli  !  bien  au- 

trement dangereuses.  D'après  les  lois  qui  en  régissent 
l'ordonnance,  elles  exigent,  en  effet,  non  seulement  que 
le  danseur  tienne  par  la  main  la  danseuse,  el  entrelace 
-es  doigta  avec  les  siens:  mais  qu'il  s'approche  de  plus 
en  plu*  d'elle,  jusqu'à  la  saisir  par  la  taille,  l'enlacer 
dans  ses  bras,  el  la  serrer  sur  sa  poitrine.  Quelquefois 
la  tête  de  la  danseuse  se  penche  voluptueusement  sur 


117 


DANSE 


18 


l'épaule  de  son  cavalier,  comme  si  elle  s'abandonnait 
à  lui.  D'autres  fois,  surtout  dans  les  danses  à  allure 
rapide,  la  danseuse  est,  à  diverses  reprises,  soulevée 
par  le  danseur,  ou  bien  elle  saute  en  s'appuyant  sur 
lui  :  tout  cela,  aux  sons  d'une  musique  enivrante;  dans 
un  milieu  saturé  d'une  douce  chaleur,  ou  de  parfums 
pénétrants;  sous  la  vive  lumière  de  lustres  nombreux 
qui,  par  leur  éclat,  ajoutent  encore  à  la  fascination  de 
cet  ensemble,  où  tout  semble  réuni  pour  séduire  les 
yeux  et  le  cœur. 

Ces  rapprochements,  ces  contacts  et  les  dangers  aux- 
quels ils  donnent  lieu,  se  produisent  surtout  dans  ce 
qu'on  appelle  les  danses  tournantes.  La  forme  type  de 
celles-ci  est  la  valse,  en  allemand  Waker,  du  verbe 
wâlzen,  tourner  en  cercle.  Cette  danse,  l'une  des  plus 
fascinantes,  était  française  depuis  quatre  cents  ans, 
mais  elle  avait  été  un  peu  oubliée  en  France,  quand 
elle  y  fut,  comme  une  chose  nouvelle,  importée  d'Alle- 
magne, en  1795.  Cf.  Castil-Blaze,  L'académie  de  musi- 
que, n.  18,  2  in-8«,  Paris,  1847-1856,  t.  il,  p.  71;  Fétis, 
Dictionnaire  de  musique,  v°  Valse,  8  in-i°,  Paris, 
1860-186.").  C'est  pour  l'Allemagne  la  danse  de  prédilec- 
tion, et  les  compositeurs  célèbres,  Strauss,  Farbach, 
Metra,  ont  écrit  pour  la  valse  des  morceaux  très  re- 
marquables. La  règle  fondamentale  de  la  valse  est  que 
chaque  couple  de  danseurs,  composé  d'un  cavalier  et 
d'une  dame,  fait  un  tour  sur  lui-même  et,  par  ces  évo- 
lutions successives,  décrit  en  tournoyant,  en  même 
temps  que  les  autres  couples,  parfois  fort  nombreux, 
un  cercle  ou  une  ellipse,  suivant  la  forme  de  la  salle 
affectée  au  bal.  II  y  a  plusieurs  espèces  de  valses  :  les 
unes  sont  à  allure  plutôt  modérée,  et  les  autres  à  mou- 
vement rapide,  selon  que  le  mouvement  du  danseur 
est  à  trois  ou  à  deux  temps. 

La  polka  a  été  importée  de  Pologne  en  France,  vers 
1845,  ainsi  que  la  mazurka  qui  est  la  danse  nationale 
polonaise.  Celle-ci  est  d'un  mouvement  un  peu  moins 
vif;  mai-;  la  polka  est  une  danse  tournante  à  deux 
temps.  Pendant  les  évolutions  et  durant  tout  le  tour- 
billon de  la  danse,  le  cavalier  passe  son  bras  droit 
autour  de  la  taille  de  la  danseuse,  dont  le  bras  gauche 
repose  sur  l'épaule  du  cavalier.  En  même  temps,  celui-ci 
lui  bou tient  la  main  droite  dans  sa  main  gauche,  à  la 
hauteur  de  la  ceinture.  La  rédowa,  danse  bohème, 
esl  une  sorte  de  \ aise,  qui  participe  à  la  fois  de  la  polka 
el  de  la  mazurka.  Cf.  G.  Vuillier,  La  danse,  c.  VIII,  La 
n  hi  polka;  les  l>ah  publies,  in-4»,  Paris-Milan, 
1889,  p.  20l-2'.'i 

Comme  son  nom  l'indique,  la  scottish  est  d'origine 
Cette  danse  a  beaucoup  d'analogie  avec  là 
polka  qu'elle  a  précédée  en  France,  mais  qui  l'a  de 
l.i'.-iiiroup  éclipsée.  Le  mouvement  de  la  scoltish  est  plus 
b  nt.  quoiqu'elle  suit  ;m^si  et  peut-être  plus  voluptueuse 
.  Dcore. 

Que  ces  rapprochements  entre  personnes  de  différents 
contacts,  ces  enlacements,  tous  ces  aniplextts 
la  n  ses  tournantes  soient  très  dangereux,  puissent 
donner  lieu  souvent  à  de  fortes  tentations,  et  occasion- 
nent fréquemment  des  fautes  graves,  ce  n'est  que  trop 
éi  ident.  Les  gens  du  monde  les  moins  suspects  de  scru- 
pules déplacés  le  reconnaissent  eux-mêmes  : 

vez  jamais  vu  d'un  œil  de  colère 
■if  et  circulaire, 
EfleulUei  •! irant  le   Femmes  et  lei  fleurs... 

Victor  Hugo,  Feuilles  d'automne,  2,'t. 
i  se  livre  avec  pin   de  langueur... 

\   de  Musset,  A  me,  tv. 

D'autn  »,  comme  M.  de  Saint-Laurent,  Quelques  mots 

sur  U  modernes,  ne  crai(  nenl  pas  de  dire  que 

la  val  d  i.  •       polka,  mazurka,  ^rotiish,  etc., 

itation  a  la  débauche,  un  pn  - 

Inde  ou  une  réminiscence  des  plus  coupables  volupti 


Revue  des  Deux  Mondes,  1er  novembre  1865,  p.  204. 
Cf.  Deschamps,  Le  mari  au  bal,  2  in-8°,  Paris,  1816; 
De  Goncourt,  Mystères  des  théâtres,  in-8°,  Paris,  1853; 
La  Société  française  pendant  le  Directoire,  2  in-8", 
Paris,  1864;  Mme  de  Bassonville,  Le  monde  tel  qu'il  est 
in-8°,  Paris,  1853;  La  jeune  fille  chez  tous  les  peuples, 
in-8°,  Paris,  1861  ;  L'entrée  dans  le  monde,  in-8°,  Paris, 
1862. 

Qu'il  en  soit  souvent  ainsi,  ce  n'est  malheureusement 
que  trop  vrai.  Mais  peut-on  transformer  ce  verdict  sé- 
vère en  règle  générale?  Au  point  de  vue  théologique, 
y  a-t-il  là  un  acte  essentiellement  et  intrinsèquement 
mauvais?  En  d'autres  termes,  parce  qu'une  personne  a 
dansé  une  valse,  une  polka,  ou  une  scottish,  doit-on 
et  peut-on,  sans  plus  d'examen,  la  juger  a  priori  cou- 
pable de  péché  mortel?  Une  affirmation  d'une  telle 
étendue  et  d'un  pareil  absolutisme  serait  certainement 
exagérée.  Les  ample.rus,  dont  il  est  ici  question,  ne  sont 
pas  toujours  en  soi,  metaphi/siceet  theorice  loquendo, 
mortellement  coupables.  Ils  ne  constituent  une  faute 
grave  qu'en  raison  de  la  passion  charnelle  dont  ils  se- 
raient la  manifestation,  ou  qu'en  proportion  du  danger 
auquel  ils  exposent  la  vertu  de  ceux  qui  se  les  permet- 
tent. Si  l'on  suppose  qu'il  n'y  ait  pas  de  passion  char- 
nelle, et  cette  supposition  n'est  pas  chimérique,  car  il 
serait  absurde  de  croire  que  toutes  les  personnes  ame- 
nées, quelquefois  par  une  rencontre  fortuite,  ou  pour 
tout  autre  motif,  à  danser  ensemble,  s'aiment,  par  ce 
seul  fait,  d'un  amour  impur  et  passionné;  si,  en  outre, 
les  circonstances  amoindrissent  le  péril  qui  naît  d'ordi- 
naire de  ces  rapprochements,  la  faute  sera  d'autant  di- 
minuée et  pourra  même  totalement  être  évitée.  Ces 
amplexus,  faits  par  manière  de  jeu,  ou  par  suite  d'usages 
reçus  auxquels  il  est  parfois  très  difficile  de  se  sous- 
traire, ne  doiventdonc  pas  être  considérés  comme  ayant 
toujours  pour  premier  mobile  la  passion.  Dès  lors,  ils 
n'en  sauraient  avoir  la  malice,  et  ils  sont  loin  de  pré- 
senter l'extrême  gravité  que  certains  rigoristes  préten- 
dent y  trouver  toujours.  Le  jeu,  le  divertissement,  la 
récréation,  disons  même  la  légèreté,  sont  parfois  une 
circonstance  atténuante;  les  usages  reçus  en  sont  une 
également.  Cette  remarque  contre  laquelle  beaucoup 
seraient  portés  peut-être  à  s'insurger,  en  la  taxant,  à 
première  vue,  de  laxisme,  est  cependant  très  fondée 
en  fait  et  en  droit.  Depuis  longtemps,  d'ailleurs,  elle  a 
été  clairement  formulée  par  les  princes  de  la  théologie. 
Mulla  si  serin  fièrent,  dit  l'angélique  docteur,  gruria 
peccata  essent,  qute  quidem  JOCO  îw  i  a,  vel  nulla,  vel 
leiia  simi...  Mnjiia  enini  sunt  peccala  propter  solam 
intentionem  (pravam)  quam  quident  intentionem  ex- 
cluait Indus,  cujus  iulenlio  ad  deleclalionem  (recrea- 
tioneni)  fertur...  et  in  talibus  ludus  excusât  a  peccato, 
vel  peccalum  diminuit.  Sum.  theol.,  II* II", q,  CLXVIIt, 
a.  3,  ad  l"m.  Le  jeu  a  pour  intention  première  le  diver- 
tissement, la  récréation.  Plus  cette  intention  est  vive, 
plus  elle  est  prépondérante,  et  plus,  dans  les  actes  qui 

ne  sont  pas  en  soi  intrinsèquement  mauvais,  elle  écarte 
une  intention  vicieuse  qui  s'\  glisserait  peut-être  el 
même  tics  probablement,  si  l'esprit  n'était  pas  si  forte- 
ment distrait  par  une  autre  préoccupation  :  celle  du 
divertissement  lui-même. 

Quelques  pages  auparavant,  saint  Thomas  était  entré, 
à  ce  sujet,  dans  d'autres  détails,  s  il. mi  posé  la  ques- 
tion :  ii  ru  m  ni  tactibus  et  osculis  [inter  iriruni  et  fat- 
m  m  n  m  i  consistai  /"•,  catwnx  mortale  'il  répond  :  Oscu 

limi,  mn/ilr  i  us.rrl  tOCtUS,  srrmidum   Suam    ru  liulirm . 

seu  specieni  suam,  non  nominant  peccata  mortalia; 
,<i  r, m,i  hsec  absque  libidine  fleri,  oel  propter 
coneuetudineni  patries,  vel  propter  aliquam  nécessita- 
trm,  aut  rationabilem  causant.  II*  II',  q.  cuv,  a.  2. 
Quand  les  Imposent  comme  une  ,  ipèce 

de  tyrannie,  •>  laquelle  on  ne  peut  se  aouatraire,  mm 
l'aliéner  l'esprit  d n  avec  qui  on   est   cependant 


119 


DANS! 


120 


obligi  de  vivre;  el  quand  cet  usagei  existent  par  rap- 
porl  &  des  actiom  qui  sont  dangereuses,  il  es) 
mais  qui  ne  sont  peccaroineusee  que  propter  pravant 
intentionem;  ces  usages  ne  rentrent-ils  pas  alors  dans 
ce  que  saint  Thomas  appelle  coneuetudinem  patries,  ou 
aliguam  neeeêBitatetn,  ou  encore  rationabilem  causant, 
qui  justifie,  jusqu'à  un  certain  point,  le  concours  qu'on 
\  [>i-.- 1 1 • .  et,  par  là  même,  écarte  un  peu  le  dan 
Cf.  Sylvius,  //,  //  '  /;••■,  (j.  ci. iv,  a.  I,  concl.  i,  u,  i\. 
i.  ni,  p.  852-855, 

Les  SalmanticenseB  ont  également  truite  tout  au  long 
cette  question  délicate,  Cursus  théologies  moralis, 
tr.  XXVI,  De  sexto  et  nono  decalogi  prsteepto,  c.  m, 
§  I,  n.  27;  s  3,  n.  3448,  t.  vi,  p.  109-113  :  Si  preedictt 
tactus,  oscilla  cl  amplexus  fiant  inter  virvm  et  fœmi- 
nam  ju.cia  morem  patries.. .  sunt  honesta,  n.  27,  t.  vi. 
p.  109;  tactus  et  oscula  et  amplexus  intervirum  etfœnii- 
nam  habita,  dummodo  non  sint  nimis  turpes,  tantum 
habenl  malitiam  ventaient  si  fiant  ex  canitate,  aul  le- 
vilate  jocosa,  et  absque  deleclatione  veuerea,  n.  :56. 
1>.  111;  ijimil  si  plures  hujusmodt  tactus,  absque  neces- 
sitate  admissi,  communiter tanguant  lasciriet  venerei 
ml  modale  damnantur,  neguaguam  id  habent  ralione 
delectationis  naturalis  (id  est  pure  sensibilis).  preseiee 
secundunt  se  spectatas,  sed  quia  raro  in  ca  sis/uni,  ita 
ut  non  inférant  siipradictam  commolionem  et  delecla- 
lionemveneream,  velsalteni  ejus  periculum ,  aquibus, 
non  vero  al>  ipsa  naturali  (sensibili)delectatione,  soient 
etiant  communiter  tactus  lascivi  el  venerei  nuncupari, 
indegue  ad  culpam  imputari,  n.  43,  p.  112.  Ils  font 
ensuite  cette  remarque  très  judicieuse  que  si,  de  leur 
essence  et  dans  la  généralité  des  cas,  les  oscula,  tactus 
et  antjtlexus  étaient  ordonnés  ad  veneream  delectalio- 
neni,  comme  le  prétendait  Cajetan,  jamais  ils  ne  seraient 
faits  sans  péché,  même  quand  ils  ne  sont  employés 
que  comme  manifestation  d'une  amitié  honnête,  ou 
d'une  all'eclion  très  légitime.  Alors,  ils  sont  très  permis, 
suivant  saint  Thomas  lui-même  et  la  tics  grande  majo- 
rité des  théologiens.  La  pensée  de  -aint  Thomas,  con- 
tinuent les  Salmanticenses,  est  donc  que  ces  actes  ne 
sont  de  leur  nature  ni  libidineux,  ni  péchés  mortels; 
mais  cela  dépend  de  la  lin  que  se  propose  celui  qui  agib 
ri  qui  les  ordonne  à  cette  lin.  S  il  a  l'intention  de  ne 
se  procurer  par  eux  qu'une  délectation  simplement  sen- 
sible, et  non  voluptueuse  et  vénérienne,  cette  fin  n'étant 
pas  gravement  coupable,  on  doit  en  conclure  qu'il  n'y 
a  pas  là  de  péché  mortel  :  cum  ordinel  illa  oscula  et 
amplexus  ad  caplandani  delectationem  naturalem 
{mère  sensibilem),  et  lotis  finis  mortalis  non  sil,  hinc 
est  quod  nec  dicta  oscula,  tactus  et  ample. i  us,  ob  talent 
delectationem  tantum  facla,  ci  secluso  periculo  ulte- 
rioris  venereœ  delectationis,  sint  mortalia,  n.  il.  t.  vi. 
p.  112. 

Peu  importe,  objectait  Cajetan,  l'intention  que  se 
propose  dans  ces  actes  celui  qui  les  fait.  Cette  inten- 
tion du  sujet  ne  peu)  changer  celle  que  ces  actes  ont 
comme  d'eux-mêmes,  et  que  la  nature  leur  impose  : 
sentper  enint  inclinatio  naturalis  rerum  ipsas  conse- 
guitur.  Or,  ajoutait-il,  delectatio  naturalis,  etiant 
mère  sensibilis,  secundunt  sensum  inclus  in  oscutis  ci 
uliis    tact ibtlS,   ab    i/isa    nuliiea   directe    urdinalitr   tiil 

vénèrent  ci  ail  coitum.  Ergo  ab  hoc  online  neguit  ab 
•lie unie  relrahi.  Cf.  op.  ai.,  n.  39,  i.  vi.  p.  ni. 

Comment  un  esprit  aussi  subtil  et  délié  que  Cajetan 
est— il  tombé  dans  une  telle  confusion,  et  en  est-il  venu 
au   point  de  faire  un  pareil  sophisme''  Les  Salmanti- 
-  lui  répondirent  avec  raison  :  Negantus  antécé- 
dent, loquendo  de  tactibus,  osculis  et  ampïexibus,  ni 

*iint   sensui   tactus    natnialilcr   ilelfclubilia  :    cl    itlud 

concedimus  solum  m  quantum  sunt  venerea;  quia, 
solum  in  quantum  sunt  libidinosa,  illa  ad  coitum  or- 
dvnant    natura   et   hommes  lascivi,    ut    experientia 

liguet;  alii    rem   tactus  solum  ci   fine  operantis  onli- 


nanlur  ml  <  oilum  n.    15,  p.    I  li 

Ci     auteurs  font  ensuite  remarquer  que   ci 
contestai. le    in     théorie,    spéculative   et    metaphysiet 
loquendo.  En  pratique  cependant,  vu  la  corruption  de 
la  nature  humaine,  et  la  force  de  la  coneupi- 
entraîne  vers  les  voluptés  coupable-,  très  souvent  ces 
oscula    ci    amplexus    -oui    péchés    mortels;  car 
presque  impossible,  tant  la  [ente  est  glissante,  que  de 
la  délectation  purement  sensible  provenant  cj  osculis 
et  ampïexibus,  on  n'en  arrive  bientôt  au  désir  et  a 
cherche  de  la  délectation  vénérienne  :  sunt  enim  htec 
salis  propingua,  et  unadelectatm  est  via  ad  aliani 
enim  erit  homoqui  virginem,  ob  delectationem  nat 
lent  osculetur, quin  transeat  ad  cornaient,  n.  18,  t.  vi, 
p.  113.  Ces  mêmes  savants  auteurs  ont  également  appro- 
fondi cette  question,  et  l'ont  exposée' avec  île  très  amples 
développements, dans  le  traité  Mil'.  De  vitiieet  pt 
lis,  disp.  X.  s,  î.n.  211-217.  Cursus  thenlogi<us.i\  in-8», 
Paris,  is7i;-ls.x;;.  t    vu.  p.  384-418. 

Saint  Alphonse  reconnaît  aussi  que  la  circonstance 
du  jeu,  comme  aussi  celle  des  habitudes  reçues, 
des  circonstances  très  atténuantes,  au  point  de  dimi- 
nuer la  faute,  et  même  parfois  de  la  faire  totalement 
disparaître  :  Si  oscula,  amplexus,  contpresy 
manuum  el  similia  non  obsarua,  fiant  ex  joco,  levi- 
late,  petulantia,  imo  eliam  sensualitate,  sive  affectu 
ali  ac  naturali  [dummodo  non  cunt  deleclatione 
venerea,  et  si  pneter    intentionem  suboriatvr,  ea  re- 

.  ,;,  tune  abstinendo  ah  illis),  venialent  eu  \ 
non  excidit.  Theoloq.  moral..  1.  IV.  tr.  IV.  De  serto  et 
nono  prxceplo  decalogi,  c.  n,  dub.  i,  n.  117.  ils.  t.  n, 
p.  233.  Et  pins  loin,  il  ajoute  :  Licct,  eltam  prxvxsa 
pollutione,...  equitare...,  etiant  causa  recreationis,  et 
honestas  cltoreas  ducere,  1.  IV.  tr.  IV.  n.  483.  t.  n.p.  267. 
Dans  son  traité  De  recidivis  et  occasionariis.  Herardi 
explique  comment  les  amp/e.ri<s  des  danses  tournantes, 
telles  que  la  valse,  la  polka,  la  mazurka,  etc..  peuvent 
parfois  n'être  pas.  en  pratique,  gravement  coupables. 
A  première  vue,  dit-il,  on  a  peine  à  comprendre  com- 
ment un  jeune  homme  et  une  jeune  fille  si  étroitement 
enlacés  et  pressés  l'un  contre  l'autre,  peuvent  restera 
l'abri  de  tentations  graves  et  n'être  pas  I 
consentir.  En  fait,  très  souvent  ils  succombent  par  pen- 
sées impures  et  désirs  mauvais.  Cependant,  il  n'ei 
pas  toujours  ainsi.  On  le  sait  par  l'aveu  même  des  per- 
sonnes qui.  après  avoir  fréquenté  ces  danses,  sont  reve- 
nues à  de  meilleurs  sentiments.  Converties,  alors,  et 
souhaitant  de  mettre  ordre  à  leur  conscience,  elles 
révèlent  en  toute  franchise  ce  qui  s'est  passé  en  elles. 
à  ces  moments  troublés  de  leur  vie.  D'une  pari,  la  vo- 
lonté de  s'amuser,  l'entraînement  de  la  danse  elle-même. 
l'agitation  qui  en  résulte,  la  distraction,  la  fatigue,  sont, 
bien  des  fois,  un  obstacle  aux  tentations  et  au  soulève- 
ment des  pas-ion-,  ou  contribuent  à  le-  apaiser  plus 
vile.  Fatigatio,  tripudium,  saltatio,  agitatio,  dis- 
tractio,  de  fatigatio,  etc.  maliliss  el  libidini  aditum 
prxcludunt,   aul    illam   cito  faciunt.    En 

outre,  celui  qui  danse  dans  une  réunion  choisie 
dans  un  bal  de  société,  doit  apporter  Ions  ses  soin-  .i 
danser  Boivant  les  règles  de  l'art  II  ne  le  pourrait,  à 
moins  d'être  1res  habile,  -i  -en  imagination  poursui- 
vait, .'ice  moment,  de-  rêves  lascifs.  Qui  saltat  atten- 
dere  débet  ad  bene  saltandum.  Si  quis  enim  mahtia 
prmoccupetur  libidinemgue  fuient,  bene  saltare  mi- 
nime potest,  maxime  si  saltandi  artent  non  optime 
calleal.  Audivi  cliam  virum  dicentent  quod  impedt- 
menium  physicum  haberetur;  alquc  insuper 
junior  efficil  ut  viri  motus  carnalcs  impedire  sata- 
gant,  ne  turpiter  commoti  ab  aliis  conspiciantur. 
.1  udivi  quoqtie  fa-niinam  dicentent  quod  famines  magis 
manuum  constrictionibus  quant  ampïexibus  commo- 
veittur.  Ample  eus  enim  tanqttam  legem  chorea'  acci- 
juunl ;  manuum  vero  constricliones  tanqttam  signum 


121 


DANSE 


122 


amoris  habent.  Reapse  dicil  Descurel  quod  fœmina 
non  commovelur,  nisi  aniet.  Berardi,  op.  cit.,  part.  II, 
c.  |,  a.  1,  q.  i,  n.  177,  object.  2a,  2  in-8»,  Rome,  1897, 
t.  il,  p.  211  sq. 

La  raison  lirée  de  la  difficulté  de  la  danse,  el  invoquée 
par  Berardi  pour  montrer  que,  bien  des  fois,  le  danger 
est  moins  grand  qu'on  ne  le  supposerait  à  première  vue, 
paraîtra  plus  probante  encore,  si  l'on  réfléchit  que  la 
danse,  telle  qu'elle  est  pratiquée  à  notre  époque,  est  un 
art  qu'on  doit  apprendre  si  on  veut  le  posséder,  et  où 
tous  ne  peuvent  exceller,  pas  plus  que  dans  la  musique 
ou  la  peinture.  Mme  de  Staël  observait  déjà  que,  de  son 
temps,  la  danse  était  «  remarquable  par  son  élégance 
et  la  difficulté  des  pas  ».  Corinne,  vi,  1,  2  in-8°,  Paris, 
1807.  De  nos  jours,  cet  art  est  devenu  si  compliqué 
qu'il  exige,  pour  y  réussir,  des  exercices  fréquents.  Les 
danseuses  de  profession  se  fatiguent,  chaque  jour,  pen- 
dant plusieurs  heures,  à  répéter,  devant  leur  psyché, 
les  divers  pas  de  la  danse,  pour  se  familiariser  avec 
eux,  et  parvenir  à  les  exécuter  avec  aisance,  élégance 
et  précision.  Cf.  MlleBernay,  La  danse  an  théâtre,  in-8°, 
Paris,  1890.  Le  musicien  exerce  ses  doigts,  en  parcou- 
rant sans  interruption  le  clavier  de  son  instrument,  de 
haut  en  bas  et  de  bas  en  haut  :  il  leur  donne  ainsi  de 
la  souplesse,  de  l'agilité  et  de  la  régularité.  Le  danseur 
ou  la  danseuse  exercent  leurs  pieds,  et  mettent  à  ce 
travail  autant  ou  même  plus  d'ardeur  et  de  persévé- 
rance que  le  pianiste  n'en  apporte  à  l'exécution  de  ses 
interminables  gammes.  La  polka,  la  mazurka,  la  ré- 
dowa,  etc.,  sont  toutes  des  danses  tournantes,  et  des 
modifications  de  la  valse;  mais  elles  en  diffèrent,  et  se 
distinguent  aussi  entre  elles  parla  différence  a  dupas  ». 
Le  '  pas  de  la  valse  »  n'est  pas  celui  de  la  polka,  comme 
le  pas  de  la  rédowa  n'est  point  celui  de  la  scottish,  etc. 
Le  pas  de  la  valse  se  compose  de  trois  parties  :  un  pas 
glissé,  un  assemblé,  et  un  second  pasglissé.En  d'autres 
termes,  le  pied  qui  ;i  glissé  d'abord  se  détache  de  l'autre 
qui  glisse  à  son  tour.  Tout  cela  s'exécute  en  tournant. 
Dans  la  terminologie  chorégraphique,  un  glissé  est  un 
pas  de  danse  par  lequel  on  passe  le  pied  doucement  devant 
soi.  en  touchant  légèrement  le  plancher.!'  L'assemblé  ( 
est  un  pas  de  la  danse  par  lequel  se  réunissent  les  deux 
pieds  suivant  la  troisième  position  considérée  comme 
la  plus  naturelle  pour  finir  la  danse.  On  entend  par 
position*  bs  différentes  manières  de  poser  les  pieds 
l'un  par  rapport  à  l'autre.  Il  y  en  a  cinq,  suivant  les 
9  de  l'art.  Dans  la  première,  les  pieds  sont  dispo- 
ii  «'•(pierre,  les  deux  talons  se  touchant.  Dans  la 
seconde,  les  pieds  gardent  la  même  situation  respective, 
mais  bs  talons  sont  écartés  de  la  longueur  du  pied.  La 
troisième,  nommée  aussi  embolture,  ramène  un  pied 
devant  l'autre,  mais  croisé  avec  lui,  au  droit  du  coup 
de  pied,  les  jambes  étant  serrées  l'une  contre  l'autre. 
La  quatrième  position  détache  les  deux  pieds,  ef  porte 
l'un  d'eux  en  avant,  i  la  dislance  de  la  longueur  du 
pied.  La  cinquième,  enfin,  croise  les  pieds,  en  mettant 
la  pointe  de  l'un  au  talon  de  l'autre.  Ces  cinq  positions 
sont  en  usage  en  France  depuis  le  xvni  siècle.  Elles 
sont  fondées  sur  la  nature  elle-même,  el  réglées  par 
I  expérience  et  le  sens  de  l'esthétique,  Mai-,  il  y  a  aussi 
d<  busses  position^.  p;irce  qu'elles  sont,  en  quelque 
contre  nature,  el  on  ne  doit  jamais  bs  employer 
les  danses  de  salon.  Elles  servent,  dans  les  dai 
de  théâtre,  pour  produire  quelquefois  certains  effets  parti- 

culiers,  coi e  serait,  par  exemple,  celle  des  pieds  tour- 

■  1 1 1  même CÔté,  ou  ayant  les  deux  pointes 
l'une  vers  l'autre.  Cf.  Fertiault,  Histoire  anecdalique  et 
pittoretque  de  la  dame,  in-12.  Paris,   1864;  Bla 
Lemaltre,  /."  danse,  in  12,  Paru,  1875:  A.  Czerwinski, 
er   det     Tanzkunst,    in  8  .   Leipzig,    187'.».    Zorn 
imatik  dei   Tanzkuntt,  in-8*,  et  S  alla    in  i    Leip- 
zig, 1887. 
Le  pai  de  la  valse  actuelle  n'en  pat  toujoun  celui 


de  la  valse  classique.  Il  consiste  aussi  à  faire,  en  tour- 
nant, cinq  glissés  suivis  d'un  assemblé,  dans  les  six 
temps  qui  forment  deux  mesures  musicales.  De  celte 
façon,  ce  pas  répond  à  deux  temps,  ou  à  deux  pas  de 
la  valse  classique.  Pour  le  pas  de  polka,  on  frappe 
alternativement  des  deux  pieds,  trois  temps  sur  quatre. 
Au  quatrième  temps,  le  pied  reste  levé,  et  c'est  lui  qui 
commence  les  frappés  suivants.  Le  pas  de  mazurka 
comprend  deux  parties.  Dans  la  première,  c'est-à-dire 
pendant  les  trois  temps  de  la  première  mesure,  un  pied 
se  pose  en  avant  et  l'autre  le  chasse;  le  même  pied 
saute  légèrement,  et  la  jambe  opposée  se  lève  en 
arrière.  Dans  la  deuxième  partie  du  pas  de  mazurka, 
les  deux  pieds  posent  successivement  à  terre  sans  sau- 
ter, et  marquent  les  trois  temps  de  la  mesure. 

Les  attitudes  et  les  mouvements,  inspirés  par  l'art 
chorégraphique,  ne  sont  exécutés  parfaitement  que  par 
les  danseurs  ou  danseuses  de  la  scène,  dont  c'est  la 
profession. 

Il  est  aisé  de  comprendre  que  l'attention  nécessaire 
pour  observer,  aussi  exactement  que  possible,  toutes  ces 
règles  minutieuses  et  une  foule  d'autres,  dont  il  est 
inutile  de  parler  ici,  soit  pour  le  danseur  et  la  dan- 
seuse, exposés  aux  regards  malicieux  des  spectateurs, 
la  cause  d'une  préoccupation  qui  diminue  d'autant  le 
danger  provenant  des  rapprochements  et  des  enlace- 
ments, que  les  danses  exigent  pour  la  plupart.  Cf.  Menes- 
trier,  Des  ballets  anciens  et  modernes,  in-12,  Paris, 
1682;  Rameau,  Le  maître  à  danser,  in-8°,  Paris,  1723; 
De  Cahusac,  Danse  ancienne  et  moderne,  ou  Traité 
historique  de  la  danse,  3  in-12,  Paris,  1754;  Magny, 
Principes  de  chorégraphie,  in-8",  Paris,  1765;  Conipaii, 
Dictionnaire  de  la  danse,  in-8°,  Paris,  1803;  Novcrre, 
Lettres  sur  la  danse,  2  in-8",  Paris,  1807  ;  Baron,  Lettres 
sur  la  danse  ancienne  et  moderne,  civile  el  théâtrale, 
2  in-8°,  Bruxelles,  1825;  Castil-Blaze,  La  danse  cl  les 
ballets  depuis  Bacclius  jusqu'à  Mlu  Taglioni,  in-12, 
Paris,  1832;  Labat,  Etudes  sur  l'histoire  de  la  musique, 
2  in-8°,  Montauban,  1852;  Lacroix,  Ballets  et  masca- 
rades depuis  Henri  111,2  in-8°,  Genève,  1868;  Lscu- 
dier,  Dictionnaire  de  musique,  in-12,  Paris,  1872; 
Gaston  Vuillier,  Lu  danse,  in-4°,  Paris-Milan,  1899. 

La  danse  appelée  galop  est  une  des  plus  dangereuses. 
Elle  est  originaire  de  Hongrie,  est  à  deux  temps  el  à 
mouvement  très  vif.  Souvent  elle  serl  de  ligure  finale 
au  quadrille.  Dans  celui-ci,  un  nombre  pair  de  couples 
de  danseurs  et  de  danseuses  exécutent  des  conlre- 
danses,  c'est-à-dire  qu'un  couple  arrive  au  point 
occupé  par  le  couple  opposé,  quand  celui-ci  le  quitte. 
Cf.  .M""'  de  (lenlis,  Les  mères  rivales,  ï  in-12,  Paris, 
1800,  t.  u,  p.  46.  C'est,  en  effet,  l'essence  de  la  contre- 
danse que  des  couples  de  danseurs,  placés  vis-à-vis. 
fassent,  à  l'opposile  les  uns  des  autres,  des  pas  et  des 
s  semblables.  Le  nombre  de  couples  n'esl  pas 
nécessairement  quatre  dans  le  quadrille;  mais  il  peut 
être  plus  nombreux,  car  ce  mol  vient  de  l'italien  qua- 
driglia,  corruption  de  squadriglia,  escadrille,  petite 
escadre,  petite  bande.  Cf.  G.  Vuillier,  /."  <la»se, c.wu, 
p.  214,  219,  223,  231;  c.  x.  p.  293,  296.  Dans  le  galop, 
qui  trop  souvent  est  le  bouquet  final  de  ces  réjouis- 
sances, le  cavalier  tient  de  la  main  droite  la  danseuse 
parla  taille,  tandis  que  celle-ci  s'appuie  sur  lui  de  la 
main  gauche.  Les  deux  mains  se  tiennent  en  avant, 
l'autre.  Le  pas  de  galop  est  g  une  suite  de  chas- 
sés ».   Le  Chassé  consiste    a  ramener    un  pied   derrière 

l'autre  qu'on  avanci  aussitôt,  coi equand  les  militaires 

changent  de  pied  pour  se ttre  au  pas.  Ce  mouvement 

ne  doit  pas  prendre  plus  d'un  temps,  c'est-à-dire  pas 
plus  d'une  demi-mesure,  cf.  <..    Vuillier,   La    lanse, 

c.   Mil,  p.  903  sq.,  209  sq. 

(Jn  se   rend  compte  facile m  par  là  du  dangi  r  que 

pn  ■  nie  le  galop,  au  point  de  vue  de  i.,  morali    i 
ilop  esl  mie  suite  de  chassés  on  de  sauta,  Fs  dami 


l-j:: 


DANSE 


124 


avant  en  avant  le  i  »  i  >  -  *  1  droit  et  le  cavalier  le  pied  gauche. 
Le  pied  de  derrière  chasse  constamment  le  pied  de 
devant.  Le  danseur  et  la  danseuse  se  tenant,  en  outre, 
par  la  main,  et  étant  presque  l'un  sur  l'autre,  tandis 
que  i  succèdent  ces  mouvements  saccadés  et  rapides, 
il  <-M  difficile  d'imaginer,  propter  seducentiêsimat  ap- 
proximationet  pectoris  <i<l  pectus  et  i  ultut  ad  ulium, 
quelque  chose  de  plus  inconvenant  et  de  plus  troublant, 

aillant  pour  les  danseurs  et  les  danseii-es  que  pOUT  les 
spectateurs.  Il  produit  pour    les  uns    et  les   autres  une 

sorte  d'enivrement  passionné.  De  là  ces  vers  de 
P.  Lebrun  : 

Si  la  valse  s'emporte  au  galop  favori. 
Plus  aimé  du  valseur  qu'agréable  au  mi 

:  ■  es.  Le  roi  de  Gi  èee. 

Voici,  d'autre'  part,  la  remarque  faite  à  ce  propos  par 
IJerardi  :  Propter  saltalionem  islam  nimis  concita- 
tant,  mulieres,  quamvis  ubera  salis  vel  etiam  //erfecte 
cooperta  habeanl,  magnant  nihilominus  (his  partibus 
nimium  se  agitantibus)  maliliosorum  obtutuum  occa- 
sianem  viris  prtebere  possunt.  Peccatum  islud  (quini 
lameu  attenta  etiam  difficultate  hune  aspectum  eci- 
landi,  non  praepropere  judicari  débet  mortale)  com- 
mitti  polest,  non  solum  ab  iis  qui  saltanl,  sed  etiam 
ab  Mis  qui  fœminas  mitantes  conspiciutit ;  mullo 
magis  quia  interdum  immodestia  ad  prsedicta  non 
reslrmgitur,  sed  ad  aliquid  pejus  extendilur.  Au- 
diii  qui  di.rit  magis  facile  esse  ut  quis  jteccel  choreas 
aspiciendo,  quant  in  ipsis  cltorcis  saltando  ;  idque 
fortan  verum  est.  ht  primo  casu  adest  tota  comm  o- 
tlitas  considerandi,  et  libidinem  fovendi;  in  secundo 
autant ,agitatio,  distraclio  ettripudium  minorent  libi-- 
dini  aditum  relinquunt.  Adverti  potesl  demum  quod 
aspeclus  malitiosi,  quamvis  frequentiores  sinl  in  vi- 
ris, accidere  possunt  etiam  in  fœminis,  ui  pu  ta,  si 
ipsœ,  in  juvenes  turpiter  commotos,  oculos  figèrent. 
De  recidivis  et  occasionariis,  part.  II,  c.  I,  a.  1,  q.  i, 
secl.  Il,  n.  173,  t.  Il,  p.  208  sq. 

La  danse  moderne  appelée  cancan  est  plus  inconve- 
nante encore.  Elle  est  souvent  exécutée  avec  des  sauts 
exagérés,  accompagnés  de  gestes  lascifs.  Elle  n'est 
dansée  que  dans  les  hais  publics,  et  jamais  dans  un 
salon  qui  se  respecte.  Il  peut  en  être  également  ainsi, 
en  certains  endroits,  de  la  danse  appelée  cotillon, 
et  dans  laquelle  un  ou  deux  danseurs  mènent  le  branle, 
c'est-à-dire  conduisent  tous  les  autres  qui  doivent  répé- 
ter après  eux  ce  qu'ont  fait  les  premiers.  Cf.  Paris- 
Magazine,  3  mars  18G7  ;  G.  Vuillier,  La  danse,  c.  x, 
p.  307-809.  Le  cake  tralk,  qui  a  fait  fureur  dans  tous 
les  salons  et  qui  est  le  quadrille  américain,  est  aussi 
bien  leste. 

3°  Le  lieu.  —  L'endroit  où  se  font  les  danses,  comme 
aussi  le  milieu  ambiant,  sont  des  éléments  à  considérer, 
quand  on  veut  juger  sainement  de  la  moralité  d'une 
danse.  Pour  bien  des  motifs,  les  liais  de  campagne, 
d'auberges,  de  faubourgs,  de  barrières,  paraissent  plus 
dangereux  que  ceux  de  salons  ou  de  sociétés.  Il  faut 
bien  reconnaître,  en  effet,  que  la  grossièreté  des  danses 
de  campagne  et  de  celles  des  gens  de  bas  étage, ouvre 
la  porte  à  toutes  sortes  d'abus  et  de  désordres,  tels  que  : 
paroles  trop  libres,  gestes  inconvenants,  postures  ris- 
quées,  ou     franchement     déshonnêtes,    eml. cassements 

passionnés  faits  en  public,  sans  pudeur  ni  réserve, 
Quoique  la  corruption  se  cache  aussi  parfois  sous  les 
dehors  de  l'éducation  la  plus  raffinée,  il  \  a  cependant, 

en  général,  plus  de  décence  et  de  retenue  dans  les  sa- 
lons, i  nejeune  Bile  n'j  danse,  d'ordinaire,  qu'en  pré- 
s'  nce  de  ses  parents.  Ceux-ci  sont  plus  ou  moins  vigi- 
lante   mais,  enfin,  ils  sont  là.  n  n'en  est  pas  de  

&  la  campagne,  où  les  jeunes  Biles,  beaucoup  plus  libres 

dans  leurs  allées  et  \eiiiles.  éi  happent  souvent  a  la  sur- 
veillance de  leurs  père   et    inere.    Dans  les   classes  ole- 


i<  té,  une  jeum   fille  ne  pourrait,  sai 
déshonorer,  aller  seule  au  bal.  ou  en  revenir  de  ri 
ou  bien  y  aller  et  en    revenir   en  de  quel- 

qu'un  qui    ne    serait   pas  son  très  proche  parent.  Les 
sort;  .me  sont  moine  rai  >  filles  du 

peuple,  qui,  par    suite,    sont  plus  exposées    a  tomber 
dans  une  faut'  .n    à  \  faire  tomber  ceu»  qui, 

connaissant   leurs   habitudes,  peuvent  en  proliter  pour 

commettre  plus  facilement  le  mal. 

4°  Le  temiis.  —  Ouand  les  danses  s,, ni  fréquent 
régulières,  comme,  par  exemple,  dans  les  camp  j 
ou  dans  les  petites  villes,  tous  les  dimanches  et  jours 
■  h-  fêtes,  il  est  très  rare  qu'elles  restent  un  simple 
amusement.  Elles  deviennent,  au  contraire,  une  occa- 
sion d'intimités  et  de  rencontres  pour  des  persome  s 
de  différents  sexes,  qui  trouvent  ainsi  le  moyen  de  don- 
ner a  leur  passion  un  aliment  dont  elles  sont  toujours 
avides.  On  ne  devrait  pas  porter  un  jugement  aussi 
ce  sur  les  danses  qui  ne  s,  présentent  pas  avec  ce 
caractère  de  fréquence,  de  régularité  et  d'habitude, 
comme  celles,  par  exemple,  qu'on  organise  accidentel- 
lement dans  un  salon,  à  propos  de  circonstances  spé- 
ciales :  réjouissances  de  famille,  signature  d'un  contrat, 
noce,  baptême, etc.  Ce  n'est  pas  à  dire  que  ces  danses- 
là  soient  toujours  innocentes.  Elles  gardent  les  nom- 
breux inconvénients  inhérents  a  leur  nature,  et  dont 
nous  avons  déjà  parlé;  mais,  du  moins,  elles  n'on 
ceux  qui  proviennent  de  l'habitude.  La  fréquence 
mêmes  occasions  fait  que  la  passion  s'enflamme,  tandis 
que,  par  l'efl'et  de  la  même  cause,  la  pudeur,  au  con- 
traire, s'affaiblit,  et  l'horreur  du  mal  disparait  de  plus 
en  plus  de  la  conscience  relâchée. 

Le  carnaval  est  une  époque  où  les  danses  sont  parti- 
culièrement dangereuses,  et  donnent  lieu  aux  plus 
graves  désordres.  Ces  réjouissances  bruyantes,  lointain 
écho  des  saturnales  païennes,  ne  sont  que  pour  trop 
d'âmes  l'occasion  de  chutes  déplorables.  Cf.  Berardi, 
De  recidivis  et  occasionariis,  part.  U.c.  I,  a.  4.  De  bac- 
chanalibus,  t.  n.  p.  235-238. 

La  nuit  également,  le  danger  est  plus  grand  que  le 
jour. 

//.  ex  PARTE  SUBJECTl.  —  Ce  n'est  pas  assez,  en  pra- 
tique,d'examiner  quel  danger  présentent  objectivement 
les  danses,  en  raison  des  circonstances  qui  les  entourent. 
Il  faut  aussi  et  surtout  considérer  quel  est  ce  dan( 
par  rapport  aux  personnes  à  l'égard  desquelles  on  a 
une  décision  à  prendre,  ou  à  notifier.  C'est  par  l'oubli 
trop  fréquent  de  celte  circonstance  personnelle  et 
essentielle,  qu'on  est  exposé  si  souvent  à  se  tromper  et 
à  tromper  les  autres.  C'est  pour  Cela  aussi  qu'il  est  si 
difficile,  pour  ne  pas  dire  impossible,  de  donner,  sur 
les  danses,  des  règles  générales,  car  chaque  cas  parti- 
culier comporte  presque  une  solution  différente. 

A  moins  d'être  formellement  obscènes,  en  effet,  les 
danses  ne  sont  illicites  qu'en  raison  du  plus  ou  moins 
de  danger  qu'elles  renferment,  et  qui  les  constitue  une 
ion  prochaine  on  éloignée  de  péché.  Si.  d'ordinaire, 
le  pèche  les  accompagne,  de  manière  qu'il  v  ait  entre 
elles  et  lui  une  connexion  probable  et  presque  certaine, 
le  danger  est   prochain.  Les  danses  d'un  caractère  lascif 

impliquent,  pour  h'  plus  grand  nombre  îles  individus, 
un  danger  Imminent, auquel, à  moins  d'un  motif  grave, 
on  ne  peut  s'exposer,  sans  commettre  une  faute  mor- 
telle contre  la  vertu  île  prudence  Dans  d'autres  danses 
pourtant,  le  danger  prochain  n'est  pas  à  ce  point  absolu 
et  universel.  Il  peut  n'être  que  relatif,  pour  quelques 
pris,, mies,  pai'  exemple, à  cause  de  leur  impressionna- 
hihte.de  leur  tempérament .  de  leur  fragilité' ;  en  un 
mot.  de  leurs  dispositions  particulières  qui  leur  font 
trouver  un  n  fréquente   de   chute,   là   OÙ    une 

foule  d'autres  n  éprouvent  aucune  mauvaise  impres- 
sion. 

Si   une  personne    a    p   ché  -lavement  presque  toutes 


125 


DANSE 


126 


les  fois  qu'elle  a  assisté  à  une  danse,  celle-ci,  serait- 
elle  honnête,  est  évidemment  pour  cette  personne  une 
occasion  prochaine  de  péché.  Il  est  très  probable  qu'elle 
retombera  dans  la  même  faute,  si  elle  s'expose  encore 
au  même  danger.  On  ne  peut  donc  l'absoudre,  si  elle 
n'y  renonce,  à  moins  que,  ne  pouvant,  pour  un  motif 
grave,  se  dispenser  d'y  assister,  elle  ne  s'efforce,  par  la 
vigilance,  la  prière  et  de  sérieuses  précautions,  de 
rendre  éloigné  le  danger   qui  pour  elle  est  prochain. 

Réciproquement, ce  qui  objectivement  parait  être  un 
danger  prochain  pour  le  plus  grand  nombre,  comme, 
par  exemple,  les  amplexus  dont  il  a  été  question  à 
propos  de  la  valse,  de  la  polka,  de  la  mazurka,  etc., 
en  présente  quelquefois  très  peu,  ou  même  pas  du 
tout,  vu  le  tempérament  des  individus,  ou  l'éducation 
reçue  dans  le  monde  spécial  auquel  ils  appartiennent, 
et  par  laquelle  ils  sont  devenus,  sous  ce  rapport,  beau- 
coup moins  impressionnables  qu'ils  ne  l'eussent  été, 
dans  un  autre  milieu  et  avec  une  formation  différente. 
Comme  il  a  été  dit  col.  124,  les  danses  fréquentes 
excitent  parfois  les  passions,  en  leur  procurant  les 
occasions  périlleuses  qui  attisent  la  n'anime  impure  et 
l'alimentent;  mais,  parfois  aussi,  cette  fréquence  produit 
l'effet  contraire.  L'accoutumance  émousse  la  sensibilité. 
Il  ne  manque  pas  de  gens  blasés  sur  ce  genre  de  di- 
vertissement, qui,  étant  devenu  pour  eux  une  chose 
ordinaire,  n'éveille  ni  leurs  sens,  ni  leur  curiosité.  Esc 
assuelis  non  fit  passio.  Certaines  personnes  ne  trouvent 
même,  dans  des  danses  assez  risquées,  qu'un  véritable 
ennui.  Elles  ne  s'y  prêtent  qu'à  regret  et  avec  dégoût, 
uniquement  parce  que  telle  est  l'habitude  tyrannique 
dans  la  sphère  sociale,  où,  vu  leur  nom  et  leur  rang, 
elles  sont  obligées  de  vivre. 

Pour  apprécier  le  coté  moral  d'une  danse,  le  théolo- 
gien, ou  le  prédicateur,  aurait  donc  tort  de  se  mettre 
simplement  au  point  de  vue  de  ses  idées  personnelles, 
ou  de  celles  du» milieu  dans  lequel  il  a  lui-même  vécu. 
11  ne  doit  pas,  dans  sa  pensée,  opposer  les  personnes 
nées  et  vivant  dans  un  milieu  mondain,  aux  âmes  pri- 
vilégiées qui,  dès  leurs  années  les  plus  tendres,  ont  été 
cultivées  comme  des  Heurs  en  serre.  La  comparaison 
serait  assurément  défavorable  aux  premières,  mais  ex- 
poserait aussi  à  les  juger  injustement.  De  ce  qu'une 
àrne  ne  vise  pas  à  la  perfection,  et  n'a  pas  une  émi- 
nente  vertu,  il  ne  s'ensuit  pas  que  tout  soit  péché  en 
elle.  Parce  qu'elle  s'offusquera  inoins  de  certaines  pa- 
roles, de  certains  aspects,  ou  de  certains  rapproche- 
ments, que  ne  le  ferait  une  personne,  dont  l'innocence 
s'est  toujours  abritée  derrière  les  murs  d'une  maison  re- 
ligieuse, faut-il  en  conclure  que  s:i  conscience  est  com- 
plétement  oblitérée,  el  qu'elle  ne  distingue  plus  le  bien 
du  mal  '  Cette  conscience  assurément  est  moins  déli- 
cate que  celle  d'un  prêtre  habitué  à  la  gravité'  et  à  la 
dignité'  de  la     ii  laie,  ou  que  celle  d'une  reli- 

gieuse vouée  à  la  pratique  des  conseils  évangéliques; 
mais,  si  cette  conscience  est  moins  ouverte  aux  attraits 
de  la  vertu,  on  ne  peul  pas  dire  pourtant  qu'elle  soit 
absolument  faussée.  Ellea  un  angle  optique  à  elle  pour 
i  apprécier  les  choses.  Aussi  reste-t-elle  parfois 
un ^  calme,  là  où  d'autres  seraient  profondément  trou- 
blées. Il  ne  tant  donc  pas  s'étonner,  si  les  personnes  du 
monde  se  fonl  de  la  danse  nue  idée  toute  différente  de 
celle  que  s'en  for ni  les  .'unes  qui,  avides  de  perfec- 
tion, fuient  jusqu'à  l'apparence  du  péché.  La  vue  mené 
rapide  d'une  de  ces  danses  donnerait  à  ces  âmes  des 
Inquiétudes  de  conscience;  tandis  que.  très  souvent, 
le-  p.  nonnes  «lu  momie  \  assistent  el  j  piétinent  part, 

i  là  un  rail  d'expérienci  . 
donl   poui  i  iii  ni   ti  moigni  i    beaucoup  de  i 
ayant  la  pratique  du  -aint  ministère,  ou  même  simple- 
ment l'     i                ,  peu   mêlés  .i  la  société  laïque,  et, 
de-  lors,  plus  à  même  de  la  connaître  el  de  l'appr 
Pooi  B{  des  bili 


les  font  agir,  il  faut,  en  effet,  pour  un  instant  au 
moins,  s'identifier  avec  eux,  s'assimiler  leurs  pensées, 
et  deviner  ce  qu'ils  éprouvent. 

Ce  n'est  pas  à  dire  que,  pour  savoir  si  une  chose  est 
bien  ou  mal  en  soi,  un  théologien  de  profession  soit 
obligé  de  consulter  les  laïques  et  les  gens  d'un  certain 
monde.  Assurément  ceux-ci,  sur  une  foule  de  sujets, 
tels  que  le  duel,  le  point  d'honneur,  etc.,  se  font  une 
théorie  à  part,  et  qu'on  ne  saurait  approuver;  mais, 
comme  pour  tout  péché  mortel,  il  faut,  de  la  part  du 
pécheur,  advertance  et  volonté,  on  est  bien  obligé,  pour 
juger  du  danger  que,  pour  tel  ou  telle,  une  danse  pré- 
sente, de  leur  demander  quelle  impression  cette  danse 
produit  en  eux.  Sur  ce  point,  en  etfet,  eux  seuls  peu- 
vent répondre,  car  seuls  ils  savent  ce  qui  se  passe  dans 
leur  conscience.  Comme  c'est  une  question  de  fait,  ce 
n'est  point  par  des  règles  générales  qu'on  arrive  à 
l'élucider;  mais  c'est  par  leur  aveu.  Qu'on  ne  dise  pas 
qu'ils  sont  intéressés  à  tromper.  Nous  supposons  les 
pénitents  de  bonne  foi,  et,  à  moins  de  preuve  contraire, 
il  faut  les  croire  tels,  quand  ils  viennent  d'eux-mêmes 
réclamer  les  sacrements.  C'est,  d'ailleurs,  un  principe 
de  saine  théologie  :  Gredendum  est  pœnitenti  lam  pro 
se  quant  contra  se  loquenti. 

Dans  ses  Avverlimenti  per  li  confessori,  §  19,  ouvrage 
si  précieux  que  l'Assemblée  du  clergé  de  France  voulut 
le  faire  traduire  et  imprimer  à  ses  frais,  en  1655,  saint 
Charles  Borromée  range  les  danses  parmi  les  occasions 
relatives  ou  personnelles,  et  non  parmi  celles  qui, 
é'tant  absolues  et  naturelles,  sont  prochaines  à  l'égard 
de  tous.  Cf.  Gousset,  Théologie  morale,  Traité  du  sa- 
crement de  pénitence,  c.  xi,  Des  devoirs  du  confesseur 
envers  ceux  qui  sont  da7is  l'occasion  prochaine  du  pé- 
ché, n.  565,  t.  il,  p.  378.  Ce  dernier  auteur  fait,  ailleurs, 
cette  remarque  importante  :  «  Pour  que  la  danse  soit 
une  occasion  prochaine  de  péché  mortel,  il  ne  suffit 
pas  qu'elle  occasionne  de  mauvaises  pensées,  ou  autres 
tentations,  même  toutes  les  fois  qu'on  y  va;  car  on  en 
éprouve  partout,  dans  la  solitude  comme  dans  le  monde.  » 
Théologie  morale,  Traité  du  décaloguc,  VIe  partie,  c.  i. 
n.  651.  t.  i,  p.  296. 

Sur  ce  même  sujet  du  point  de  vue  personnel  aux 
danseurs,  on  ne  lira  pas  sans  profit  ce  passage  d'un 
théologien  autorisé  :  Qusenam  sunl  chorese  quse,  ra- 
lione  modi  libidinosi  saltandi,  valde  periculosœ  sunl 
el  prorsus  prohibendsc?  Non  facile  in  theoria  statut 
potest.  Qusestio enim  inlricalissima  esl,  et  plerumque 
a  variis  circumslanliis  pendet...  Vix  oui  ne  ri.c  qui- 
dem  definiri  potest  a  viro  theologo,  qui  rcs  istiusmodi 
iimiitisi  ex  aliorum  relatione  novit.  Etenim  ut  expe- 
i  i  en  lia  constat ',refercntes,diversi  mode  per  iculis  affecli, 
de  illis  dicersimode  judicant.  Quod  enim  aliissunvnie 
periculosum  videlur,  aliis  lolerabile  apparci .  neque 
saltationes  etiant  ejusdem  generis  sunl  ejusdem  peri- 
culi  pro  omnibus,  flaque  nec  ipsi  viri  qui  mundanis 
recréa lioni bus  prius  vacarunt,  et  subinde  Statut»  cle- 
ricalem  amplexati  sunt,  hac  deresemperconveniunt. 
licncratim,  ut  periculosissimss  habentur  choreœ  qux 
valse  et  polka dicuntur; sedulo  proinde  oidenturintet'- 
dicendœ.  Atlamen  non  désuni  viri  probi  qui  lias  ipsus 
saltationes  dicani  modo  non  adeo  indecoro  fleri  )iosse, 
licet  communiter  valde  periculoses  sint.  Plerumque 
igitur  ea  quœ  ad  choreas  spectant  mi  1771  i  8tr/V3  AD 
PRJB8BNTBS    PBRSONAS    cl     modorutn    ci cciinislanlias. 

i  mie,  m  praxi,  m  primis  au  pbricoli  »  pbrsonali 
pxnitcntis  attendendum  est,  atque  <oi  rationes  quas 
habere  potest  choreis  assistendi.  Gury,  Casus  corn 
lise,  De  virtulibus,  i  av.  X\n.  n.  233,  2in-8°,  Paris,  1891, 
t.    I.  p.   Kttl.   Il    n'est    pas  rare.  BJOUte  le    même  auteur. 

de  rencontrer  des  femmes  et  di  s  jeunes  tilles  qui,  dans 

I,  n'ont  commis  d  autre  faute  que  quelques  pen* 
sées  de  vanité.  Il  en  qui  ne  pèchent  aucun* 

ment.  "/'•  rit-,  n.  2'.\\.  t.  i.  p.  ion,  Compsndium  theo- 


127 


DANSE 


128 


lorjiiv  moralit,  tr  De    irtulibut,  c.  m.  a  et.  u, 

n.  2i:(,  t.  i.  p.  213.  Cl    Berardi,  De  reàdivit  ei 
sionariis,  part.  II.  c.  i,  n    2,  sect.  i,   d.  166;  sect.  u, 

,,.  177;  mti.  m,  n.  188,  t.  »,  p.  203, 211-212,  223 

lll.  La  danse  considérée  dans  son  ensemble.  Ré- 
sumant les  observations  faites  jusqu'ici,  et  n'en  formant 
qu'un  —* - 1 1 1  tout,  nous  pouvons  conclure  que  :  1°  la  danse 
en  soi  n'est  pas  immorale,  ni  toujours  cause  (!<•  p 
ni,  par  conséquent,  illicite.  2»  Per  accident,  elle  peut 
devenir  dangereuse,  dès  lors,  mauvaise  el  défendue. 
:j"  Comme  il  faut,  dans  chaque  cas  particulier,  apprécii  r 
les  circonstances  qui  la  rendent  illicite,  il  est  impossible 
a  priori  de  formuler  des  règles  générales  et  absolues; 
d'autant  plus  que  les  circonstances,  qui  vicient  une 
action  de  soi  indifférente,  doivent,  ici,  être  étudié  - 
plus  encore  ex  parte  subjecti  que  ex  parle  rei,  puisque 
ce  qui  est  danger  grave  pour  les  uns,  n'est,  bien  des  fois, 
que  danger  éloigné  pour  les  autres,  ou  même  ne  l'est 
presque  pas,  ou  pas  du  tout.  4°  Dans  la  pratique,  on 
constate  que  le  per  se  est  beaucoup  plus  rare  que  le 
per  accident.  Les  personnes  qui  péclient  à  l'occasion 
de  la  danse,  sont  donc  incomparablement  plus  nom- 
breuses que  celles  qui  ne  pècbent  pas  à  son  occasion. 
11  en  est  surtout  ainsi  aux  époques  où  la  foi  diminue,  el 
où  les  exercices  de  la  piété  chrétienne  sont  plus  g 
ralement  abandonnés.  Les  mœurs  étant  plus  relâchées, 
il  se  produit,  alors,  dans  les  danses,  de  tels  abus,  et  on 
y  prend  de  si  grandes  libertés,  qu'il  est  bien  rare  que 
la  vertu  n'y  fasse  pas  naufrage,  au  moins  par  des  pèches 
internes.  Le  per  accident  devient  ainsi  presque  la 
règle. 

Il  n'en  reste  pas  moins  vrai,  pourtant,  que  ce  qui 
est  accidentel,  même  un  accidentel  très  souvent  réalisé. 
n'est  point,  pour  cela,  essentiel,  ni  universel;  et  que 
l'on  ne  pourrait,  a  priori,  porter  une  condamnation 
générale  sur  toutes  les  danses  et  sur  tous  les  danseurs. 
C'est  en  ce  sens  qu'il  faut  entendre  quelques  auteurs 
affirmant  que  les  danses  modernes,  telles  que  la  valse, 
la  polka,  la  mazurka,  etc.,  sont  impures  perse, comme 
étant  de  leur  nature  la  destruction  de  toute  chasteté. 
Cf.  Eschbach,  Disputai iones  physiologico-tiieolog 
disp.  V,  c.  m,  a.  1,  S  3,  in-8",  Rome,  1901,  p.  524.  Ces 
auteurs  prennent  évidemment  l'expression  per  se  dans 
le  sens  moral,  et  non  dans  l'acception  métaphysique 
et  absolue  qu'elle  a  en  philosophie.  Pour  le  philosophe, 
en  effet,  le  per  se  implique  une  nécessité  essentielle, 
n'admettant  aucune  exception;  par  conséquent,  toujours 
absolument  la  même,  dans  tous  les  cas,  quel  qu'en  soit 
le  nombre.  En  morale,  le  per  se  n'a  pas  ce  caractère 
d'universalité  et  de  nécessité  immuable,  sans  aucune 
sorte  d'exception.  Il  est  seulement  l'équivalent  des 
expressions  telles  que  celles-ci  :  conimuniter,  regula- 
riter,  plerumque,  ut  plurimum,  etc.  C'est  une  géné- 
ralité, une  grande  majorité,  et  même  très  grande,  si 
l'on  veut;  mais  ce  n'est  plus  l'universalité  absolue.  La 
porte  reste  ouverte  à  quelques  exceptions.  Elles  se  pré- 
senteront plus  ou  moins  nombreuses;  peut-être  même. 
de  longtemps, elles  ne  se  présenteront  pas  ;  mais,  enfin, 
elles  sont  toujours  possibles;  tandis  qu'elles  ne  le  sont 
pas  du  tout  à  l'égard  du  per  te  métaphysique.  C'est  là. 
entre  les  deux  per  se,  une  immense  différence.  N'y 
eût-il  qu'un  cas  sur  mille,  ou  môme  seulement  sur 
cent  mille,  cela  suffit  pour  que.  le  per  te  ;i\ant  en  mo- 
rale un  sens  tout  autre  qu'en  métaphysique,  on  ne 
puisse,  en  vertu  de  ce  per  se,  porter  sur  les  danses 
tournantes  :  valse,  polka,  etc.,  une  condamnation  uni- 
verselle et  absolue. 

IV.   Règles  pratiques  pour  le  pasteoh  d'anbs  en 

DEHORS  m    CONFESSIONNAJ         En  raison  de  ses  fonctions 

et  de  la  charge  d'âmes  qui  lui  incombe,  un  curé  a  bien 
le  droit,  et  même  le  devoir,  de  prendre  des  mesures 
d'ordre  général  dans  le  but  d'extirper  de  sa  paroisse 

les  abus  qui  s'y  glissent,  ou  déjà  \  existent.  Il  ne  doit 


oublier  cependant,  qu  il  n'est  pas,  a  proprement 
parler,  un  législateur  avant,  au  for  externe,  le  pouvoir  de 
faire  et  de  promulguerdes  lois,  obligeant  en  ■ 

en  vertu  de  sa  seule  autorité.  L'autre  part,  u  m    rni 
d'ordre  généi  d,  par  le  fait  qu'elle   vise  la   popula 
dans  son  ensemble, est  chose  extrêmement  délicat' 
avant  de  s'\  résoudre,  il  convient  d  en  prévoir  avei 
les  conséquences  probables,  l'n  sage  administrateu 
prend  pas  une  mesure  qu'il  prévoit  devoir  inutilement 
soulever  des  tempi  les    L       innovations   disciplin 
sont  grosses  d'inconnu,  surtout  quand   la  malien 
délicateet  le  terrain  brûlant.  Cf.  Gousset,  Théologie 
raie,  Traité  du  décalogue,  VIe  partie,  c.  i.  n.  651,  t.  i. 
p.  295. 

Au  sujet  de  ce  que  doit  faire  un  curé  contre  la  d 
en  usage  dans  sa  paroisse,  de  vives  discussions  se  sont 
es.  Comme  les  inconvénients  sont  grands  de  part 
et  d'autre,  et  que  les  sentiments  opposés  sont  défendus 
avec  conviction,  et  non  sans  di  >ons  à  l'appui, 

il  sera  toujours  difficile,  pour  ne  pas  dire  impossible, 
de  trouver  un  moyen  terme,  et  d'adopter  une  solution 
qui  satisfasse  chacun.  Les  uns.se  fondant  sur  l'axiome 
qu'entre  deux  maux  il  faut  choisir  le  moindre,  se  con- 
stituent les  apôtres  de  la  tolérance.  Assurément  il  - 
mieux,  disent-ils,  qu'on  ne  dansât  pas:  mais  le  mieux 
n'est  pas  de  précepte,  et,  quelquefois,  il  est  l'ennemi 
du  bien.  A  quoi  serviront  des  invectives  publii 
contre  la  danse?  A  cause  des  dangers  qui  ne  s'j  ren- 
contrent que  trop,  menacera-1-on  de  refuser  l'absolution 
à  toute  personne  qui  aura  dansé,  à  moins  qu'elle  ne 
promette  sincèrement  de  ne  pas  recommencer  à  1 
nir?  Cette  promesse,  si  elle  est  faite,  sera-t-elle  sin- 
cère? Et,  si  on  ne  veut  pas  la  faire,  on  continuera  à 
danser;  on  ne  se  confessera  plus,  et  l'on  ne  commu- 
niera plus. 

Ces  sombres  perspectives  n'émeuvent  guère  les 
nants  du  parti  contraire.  Voyant,  avant- tout,  la  gravité 
du    mal  actuel   et  le  pressant  danger  que  courent  les 
âmes,   ils  sont  d'avis  qu'il   faut  prendr  Mires 

énergiques;   menacer  publiquement  de  refuser  l'abso- 
lution à  tout  danseur  et  à  toute  danseus  m  )0 
nombre  des  Pâques  doit  en  être  notablement  diminué. 
En   ces  matières,   disent-ils,   l'indu                  rail    cou- 
pable. Elle  n'aboutirait  qu'à  multiplier   les  sacrili  -   - 
Mieux  vaut  délaisser  la  sainte  table  que  de  la  profaner 
A  quoi  bon  céder  au  torrent  de  la  coutume?  Ne  vaut- 
il  pas  mieux  prendre  les  moyens  d'endiguer  ses  Ilots 
dévastateurs.'  Et  puisque  le  danger  ne  menaci 
lement  une   paroisse,    mais   toutes    les   par. 
curés  devraient  unir  leurs  efforts,  adopter  une  m< 
identique,    afin    de    combattre    le    mal    partout  où  il 
exerce  ses  ravages,  et  d'y   porter  partout    remède.   Rien 
n'est  plus  préjudiciable  aux   .'mus  et    ne  les  encoi 
autant  à  persister  dans  leurs  errements  funestes,  comme 
la  différence  d'agir  qu'ils  remarquent   entre   les  curés 
des  diverses  paroisses,  où    les  abus  sont  pourtant  les 
mêmes.   L'indulgence  des  uns  semble  condamner,  et. 
de    fait,   condamne    le   zèle   des    autres,  qu'il   rend,  du 
moins,  pratiquement  ineffii 

Les  curés  voisins  peinent  prendre  de  concert  celle 
mesure  ^  ils  ont  l'espoir  fondé  qu'elle  produira  de 
bons  résultats,  fera  disparaître  Ires,  ou  empê- 

chera une  danse  plus  dangereuse  de  s'introduire  dans 
le  pays.  Mais  >i.  parmi  eux,  quelques-uns  sont  d  un 
aulre  avis  el  ne  croient  pas  la  chose  opportune,  qui 
pourra  les  \  forcer  '  Leurs  confrères  n'ont  aucune  au- 
torité sur  eux.  L'intervention  de  l'évéque  serait  alors 
nécessaire.  Il  est  donc  rare  que  des  curés  puissent,  de 
leur  propre  initiative,  adopter  un  plan  d'ensemble. 

Reste  l'action  du  curé  dans  les  limites  de  sa  par, 
lue  mesure  générale  el  rigoureuse,  outre  qu'elle  peut 
être  inefficace,  risque  aussi  parfois  d'atteindre  des  inno- 
cents et  de  les  exposer  au  danger  de  se  perdre.  Mena- 


129 


DANSE 


130 


cer  de  refuser  l'absolution  à  tout  danseur  et  à  toute 
danseuse,  n'est  pas,  sauf  en  des  cas  très  rares,  théolo- 
giquement  soutenable.  Pourquoi  la  refuserait-on  à 
ceux  ou  à  celles  qui,  en  dansant,  ne  pèchent  pas'.' 
Serait-ce  parce  que  d'autres  pèchent?  Mais  a-t-on  le 
droit  de  punir  quelqu'un  des  fautes  d'autrui?  N'est-ce 
pas  une  obligation  grave  de  donner  l'absolution  à  tout 
pénitent  bien  disposé,  qui  fait  l'aveu  de  ses  fautes? 
Pourrait-on,  pour  justifier  cette  décision,  s'appuyer  sur 
le  scandaie  donné,  ou  sur  la  coopération  apportée  par  les 
•danseurs  innocents  à  la  faute  des  autres?  .Mais  croit-on 
que  l'abstention  de  quelques  danseurs  supprimerait  les 
bals?  Refuserait-on  l'absolution  à  ceux  qui  ne  pèchent 
p-is,  prœsumplione  periculi?  Mais  cette  présomption 
n'existe  pas  pour  eux,  puisque  l'expérience  a  prouvé 
qu'ils  ne  pèchent  pas,  et  qu'il  n'y  a  pour  eux  aucun 
danger,  du  moins  prochain. 

Cette  menace  de  refus  général  d'absolution  serait  donc 
inutile,  et  la  promulguer  du  haut  de  la  ohaire  serait 
une  grave  imprudence.  Sans  convertir  les  coupables, 
elle  ne  punirait  que  les  innocents.  Elle  serait  donc 
plus  nuisible  qu'avantageuse.  Le  curé  entrerait  inutile- 
ment en  conllit  avec  la  majeure  partie  de  sa  population. 
Ce  serait  le  plus  souvent  la  ruine  de  son  ministère,  et 
l'impossibilité  presque  absolue  de  continuer  le  peu  de 
bien  qu'il  pouvait  accomplir  encore.  Cf.  Ojetti,  Synop- 
sis rerum  moraliam  et  juris  pontifiai,  alphabelico 
ordine  diqesta,  v»  C/iorex,  2  in-4n,  Prato,  1905,  t.  i. 
p.  288. 

Mais  il  ne  s'ensuit  pas  que  ie  pasteur  d'âmes  soit, 
même  au  for  externe,  absolument  désarmé  contre  un 
mal  de  cette  nature.  Il  lui  reste  d'autres  moyens  qu'il 
doit  employer.  Il  diminuera  le  mal,  plus  par  son  in- 
fluence personnelle,  discrète  et  persévérante,  que  par 
de  violentes  diatribes  du  haut  de  la  chaire;  il  le  diminuera 
pir  des  conversations  particulières,  et  par  son  action 
sur  les  meilleures  familles.  Il  le  diminuera  aussi,  pour- 
vu qu'il  n'y  revienne  pas  trop  souvent,  ni  avec  un  zèle 
outré,  par  des  sermons,  non  pas  comminatoires,  mais 
persuasifs;  en  montrant  les  écuei's  et  prémunissant 
contre  les  périls;  en  conseillant  aux  pères  et  mères  de 
famille  d'en  détourner  leurs  enfants.  Mais  qu'il  ne 
défende  pas  les  divertissements  honnêtes,  et  qu'il  ne 
condamn  distinction  toutes  les  danses,  comme 

si  la  loi  naturelle,  divine  ou  ecclésiastique,  les  pro- 
hibait. 

L'Église,  qui  aurait  le  droil  (le  faire  une  loi  de  ce 
genre,  si  elle  le  jugeait  avantageux  pour  le  bien  des 
.  nen  a  promulgué  .incline  pour  interdire,  en 
rai,  la  danse  aux  chrétiens.  Le  curé  n'a  donc  pas 
le  droit,  en  préchant  contre  les  danses  réputées  mau- 
vaise,, (i..  laisser  entendre  qu'elles  sont  toutes  condam- 
nables. Il  commettrai)  une  erreur  théorique  et  une  grave 
imprudence.  On  s'apercevrait  vite,  an  détriment  - 
légitime  influence,  d  mns. 

Même  pour  les  dai  impagne,  que    l'on  con- 

sidère généralement  comme  plus  dangereuses,  il  \  a 
lieu  .i  distinction,  hes  auteurs  qu'on  ne  pourrait  taxer 
de  laxisme,  donnent  aux  i  iirés  ces  conseils  Impru- 
ienter  prohibentur   rustici    in    diebus   f es  lit  cl 

tum  quia  choraizare  nonest  illicitum  ex  génère 
in,,,  if, na.  in,,,  kis  clioreis  tint  assueti,  siabeis 
''"'>"  -  fm  ludis, 

ie  in,!,,, i, ,i„,  ;  I,,,,,  denique 
quia,  ■  "m  publiée  fiant,  non  datv  -  tur- 

piler  saUandi.  Curandum  tamen  est  "'  m  eit  ai 
■  in  ri  ,,i, .in  turpi  a  3almanti< 

•    '  is,  tr    WVI.  /;-    texto  et 
/■'".'    m.  p.  i,  ii    |>    i      i.  ,,    m: 

Après  ..voir  dit  que   I-    curé*  doivi  ni  er  de 

détourm  i    h  -   fidèles  d<      dansi  -    dai  Gurj 

ajoute     i  erum,  net  i  horeat  de  medio  tollei 

le, il,  in,,), h     ,  i  oleum  /■■  i  /os  ab 

DICr.   DI  Tin  .)i..   CATHOL, 


usu  sacramentorum  retraherent.  Caute  igitur  in 
praxi  procedendum  est,  et  inter  duo  mala  minus 
eligendum.  Casus  conscientiœ,  De  virtutibus,  cas.  xxn, 
n.23i,  t.  i,  p.  100. 

Il  convient  aussi  de  conseiller  aux  jeunes  gens  et  aux 
jeunes  filles  la  fréquentation  des  sacrements  et  les 
exercices  de  piété;  de  créer  des  œuvres  de  préserva- 
tion et  de  persévérance  :  patronages,  confréries,  con- 
grégations, etc.,  et  de  les  y  enrôler.  Cf.  Marc,  Instilu- 
liones  morales  alphonsianœ,  part.  II,  sect.  Il,  tr.  VI, 
c.  iv,  §  2,  n.  833,  t.  i,  p.  562. 

Enfin,  un  curé  ne  négligera  pas  de  recourir  à  Dieu 
par  la  prière. 

V.  Règles  pratiques  pour  le  confesseur,  w  eor 
interne.  —  Au  tribunal  de  la  pénitence,  le  confesseur 
est  juge  en  dernier  ressort,  puisque  ses  décisions  ne 
relèvent  que  de  Dieu  et  de  sa  conscience.  Son  in- 
fluence est  bien  plus  grande  que  celle  du  prédicateur. 
11  peut,  par  ses  conseils  et  sa  direction,  persuader  à 
plusieurs  de  ses  pénitents  de  renoncer  à  ces  divertis- 
sements. 

Ses  décisions  toutefois  ne  sauraient  être  dictées 
d'après  une  règle  uniforme  et  inllexihle.  Elles  varieront 
suivant  les  cas  et  les  circonstances,  suivant  la  docilité 
des  personnes,  et  l'espérance  plus  ou  moins  fondée  de 
leur  amendement.  Cf.  Berardi,  De  recidivis  et  occasio- 
uariis,  part.  II,  c.  i,  q.  i,  sect.  il,  n.  175-177,  t.  il, 
p.  210. 

Si  la  danse  est  une  occasion  prochaine  de  péché,  il 
refusera  nécessairement  l'absolution,  à  moins  d'un 
vrai  repentir  et  de  la  promesse  sérieuse  d'éviter,  à 
l'avenir,  une  aussi  dangereuse  occasion.  Toutefois,  il 
serait  imprudent  et  excessif  de  faire  promettre  l'absten- 
tion complète  de  la  danse.  Certaines  danses  ne  présen- 
teront peut-être  pas,  plus  tard,  les  dangers  auxquels  il 
s'agit  d'obvier  à  ce  moment.  Les  pénitents  ne  pourront 
peut-être  pas  toujours  s'abstenir  de  danses  auxquelles 
leur  rang,  leur  position,  ou  l'ordre  de  leur  père  ou  de 
leur  mari,  les  obligeront  de  prendre  part.  S'ils  pro- 
mettent sérieusement  de  ne  participer  qu'à  des  danses 
honnêtes,  on  devra  les  absoudre.  Ce  n'est  point  par 
une  intransigeante  sévérité  qu'on  pourra  les  gagner. 
Au  lieu  de  les  blâmer  avec  rudesse,  il  faut  les  re- 
prendre avec  douceur.  Cave,o  confessa  rie,  ne  severius 
ru,,,  psenitente  agendo,nihilproficias,et  ipse  noccas. 
Obsecra  igitur  semper,  non  vero  seniper  increpa  op- 
portune et  importune,  Quod  tibi  su<,<iehii  bonunx 
spiriluale  pssnitentis,  tu  videbis. Non  raro  autem  a,,- 
gustise  circumdabunt  te  undique.  Gury,  Casus  con- 
scentiœ,  De  virtutibus,  cas.  xxn,  n.  234,  t.  i,  p.  101. 

Quand  la  danse  n'est  pas,  pour  le  pénitent,  une  occa- 
sion  prochaine   de   péché   mortel,   mais  seulement    une 

occasion  éloignée,  le  confesseur  doit  donner  l'absolu- 
tion, â  moins  que  le  motif  d'un  scandale  probable 
n'impose  au  pénitent  l'obligation  de  s'en  abstenir,  par 
charité'  pour  le  prochain.  CS.  Berardi,  De  recidivis  et 
occasionariis,  part.  II,  c.  i,  q.  I,  sect.  n.  u.  17,^.  t.  n. 
p.  i  15  sq. 

Dans  les  paroisses  profondément  chrétiennes,  où  la 
danse  n'est  pas  en  usage,  le  confesseur  doit  prendre 
les  moyens  les  plus  énergiques  pour  l'empêcher  de  -•  \ 
introduire,  il  peut,  dans  ce  cas,  se  montrer  plus 
sévère,  et.  par  remède  préventif,  refuser  l'absolution  i 
toute  personne  qui  danserait,  et  qui,  par  son  exemple, 
contribuer. lit   a  implanter  dans  le  paya  une  coutume 

auSsi    fuie 

Que  due  d'un  confesseur  qui.  pour  Infliger  un  blâme 
public  aux  «lui  nverrail  leur  communion 

cale  a  une  quinzaine  de  jours  apr<  Pâques?  Si  les 
p  nitente    ne  sont  pas  bien  dis|  i  est  è\  i- 

demmenl  n  .  mais  si  elles  ont  les  dispositions 

requises  poui    recevoir  l'absolution,  le  renvoi   d 
communion  n<     e  justifie  guère    Le  désir  d'établir  une 

1  \  .   -  5 


131 


DANSE 


différence  apparente  entre  les  personnes  qui  dansent 
et  celles  qui  ne  dansent  pas,  ne  semble  pas  un  motif 
suffisant  pour  retarder  ainsi  l'accomplissement  du 
devoir  pascal.  Cf.  Gousset,  Théologie  more 
du  dét  alogue,  VI  partie,  c.  i,  a,  650-652,  t.i,  p.  295  sq.i 
Marc,  Institutions  morale*  alphonsianse,  part.  II, 
h.  ii  VI,  c  iv,  §  11,  n.  833,  t.  i,  p.  563;  Balle- 
rini,  Compendivm  théologies  moralie,  tr.  De  virtuti- 
bus,  c.  m,  a.  2,  §  :i.  sect.  n,  il  243-246,  t.  i.  p.  213  sq, 

VI.  Conseils  spéciaux  pour  les  personnes  adon- 
nées a  ia  DÉVOTION.  —  I  On  ne  saurait  mieux  faire 
que  île  leur  répéter,  avec  saint  François  de  Sales:  s  Les 
danses  et  lis  bals  sont  des  choses  indifférentes  de  leur 
nature;  mais  leur  usage,  tel  qu'il  est  maintenant  établi. 
est  si  déterminé  au  mal  par  toutes  ses  circonstances, 
qu'il  porte  (le  grands  dangers  pour  l'âme...  Je  vous 
parle  donc  des  hais,  ô  Philothée,  comme  les  médecins 
parlent  des  champignons.  Les  meilleurs,  disent-ils,  ne 
valent  rien,  et  je  vous  dis  que  les  meilleurs  bals  ne 
sont  guère  bons.  S'il  faut  manger  des  champignons. 
prenez  gardé  qu'ils  soient  bien  apprêtés,  et  mangez-en 
fort  peu;  car,  pour  bien  apprêtés  qu'ils  soient,  leur 
malignité  devient  un  vrai  poison,  dans  la  quantité.  Si. 
par  quelque  occasion,  dont  vous  ne  puissiez  absolu- 
ment pas  \ous  dégager,  il  faut  aller  au  bal,  prenez 
garde  que  la  danse  y  soit  bien  réglée  en  toutes  ses  cir- 
constances: pour  la  bonne  intention,  pour  la  modestie, 
pour  la  dignité  et  la  bienséance;  et  dansez  le  moins 
que  vous  pourrez,  de  peur  que  votre  cœur  ne  s'y  affec- 
tionne. "  Introduction  à  lu  vie  dévote,  IIIe  partie. 
c.  xxxiii-x.xxiy.  in-16,  Paris.  1852,  p.  302. 

Ce  n'est  pas  assez  de  conseiller  aux  personnes  pieuses 
de  danser  peu,  et  peu  souvent,  et  seulement  quand  une 
\iaie  raison  leur  en  fait  une  obligation  de  convenance. 
Comme,  même  alors,  les  danses  restent  toujours  un 
danger,  sinon  pour  la  vertu,  du  moins  pour  l'esprit  de 
pi'ie.  il  importe  qu'elles  prennent  de  grandes  précau- 
tions. Après  ces  réunions,  elles  doivent  s'ellbrcer  de 
chasser  au  plus  tôt  la  fâcheuse  impression  produite 
dans  l'âme,  et  de  sortir  de  la  langueur  spirituelle,  fruit 
naturel  de  la  dissipation  de  l'esprit  et  de  l'affaiblisse- 
ment de  la  volonté  pour  les  choses  divines.  Voir  les 
considérations  que  saint  François  de  Sales  conseillait 
de  faire  pour  rendre  à  l'âme  le  calme  intérieur  et  le 
goût  de  la  piété.  Cf.  Esprit  de  saint  Français  de  Sales, 
in-16,  Paris.  1904,  p.  338  sq.  ;  Œuvres  complètes, 
12  in-12,  Paris,  1862,  t.  i,  p.  198  sq.;  t.  ix,  p.  555;  t.  x. 
p.  224,  383. 

•!■>  On  voit  combien  se  tromperait  une  personne  fai- 
sant profession  de  piété,  qui,  s'approchant  fréquem- 
ment de  la  table  sainte,  croirait  pouvoir  organiser  des 
bals  dits  de  charité,  user  de  son  influence  pour  qu'ils 
aient  toute  la  solennité  ou  tout  le  concours  possible-;. 
et  lâcherait  d'y  amener  ses  parentes  et  ses  amies.  In 
général,  dans  ces  bals  de  charité,  il  n'y  a  de  charité 
presque  que  le  nom.  Le  profit  qui  en  résulte  pour  les 
pauvres,  une  fois  qu'on  a  prélevé  les  frais  d'installa- 
tion, d'éclairage,  etc.,  est  peu  considérable.  Quand  on 
veut  réellement  être  charitable,  on  prend  d'autres 
moyens.  Ces  réjouissances  mondaines  semblent  plutôt 

une  injure  à  la  misère  du    pauvre.  Ces   bals  restent  cle> 

divertissements  dangereux.  Leur  fréquentation,  le  zèle 
qu'on  déploie  pour  leur  organisation  ou  leur  réussite, 
ne  sont  pas  compatibles  avec  la  vraie  piété. 

3°  Au\  jeunes  Biles  qui  font  partie  d'une  congréga- 
tion érigée  dans  la  paroisse,  en  l'honneur  de  la  sainte 
Vierge,  on  doil  interdire  la  danse.  Par  le  fait  qu'elles 
entrenl  dans  ces  pieuses  associations,  elles  veulent  se 
distinguer  des  autres  chrétiennes,  et  t'ont  profession 
spéciale  des  pratiques  de  dévotion.  La  défense  de 
danser  doit  normalement  être  un  article  du  règlement, 
dont  la  violation  entraînerait  exclusion. 

ivient-il  de  permettre  quelquefois  la  danse  aux 


i-t.  -.   dans   i  ••!  tain 
p.u  exemple,  a  l'occasion  <1  une  noce,  ou  de-  la  f.  \ 
tronale,  etc. '.'lin  principe, cela  ne  parait  pas  opportun, 
car  c'est  ouvrir  la  porte  aux  infractions  qui  tendront  à 

se   multiplier.   Ii. m-   les  paroi chrétiennes  ou  les 

danses  sont   rares,  il  vaut   mieux  restreindre  le 
possible  les  exception-.  Dans  les  p 
tienne-  ou    la    dan--   est   déjà  en  usage,    il  ne  Coi< 
pas  de  la  permettre  officiellement,  de  temps  en  t- 
Mais,   si    une  trop  grande  Bévérité  devait  détourni 
plupart  des  jeunes    tilles  de   la   congrégation,   il  - 
mieux.  Ce  semble,  de  tolérer  de  rares  violation-  d 
article  du  règlement.  Parfois,   on  pourrait  utilement 
imposer   une   pénitence   aux    congréganistes 
santés.  Il  sérail  imprudent  de  les  éliminer  uniquement 
pour  ce  motif.    Enfin,   pour  corrig.  r  le  ma 
produit    par   cette  tolérance,  on  demanderait  aux  con- 

inistes   les  plus  ferventes,  ou  les  plus  influi 
l'abstention    complète    de   toute  danse.  Leur  exemple 
compenserait    la  latitude  laissée  à    quelques-uni  - 
duritiam  mctiis. 

4°  L'Église  a  édicté  des  mesures  par  rapport  aux  ecclé- 
siastiques, aux   religieux,  aux  I     -  prohibi- 
tions se  trouvent   en  divers  endroits  du   Corpus  juria 
canonki.  Llles  remontent  à  une  haute  antiquité,  et.  de- 
puis lors,  ont  été  renouvelées  bien  des  fois.  Cf.  Dt 
de  Gralien,  part.  I,  dist.  XXIV.  can.  lu.  Pretbyteri; 
part.  III,  De  consecral.,  dist.  Y.  can.  jT  rtet; 
Décrétai.,  1.  III.  til.  i,  De  vita  et  honestai 
can.  12,  Cum  décorent  ;  1.  III.  tit.  XXIH,  De  immuuitate 
ecclesiarum  ;  in  VI»,  can.  2,  Decet  ;  Clementin.,  I.  111. 
tit.  x,  De  statu  monachorum,  can.   2.  Attend* 
ilt.  xiv.  De  célébrations  missarum,  can.  I.  Gt 

A  propos  de  ce  dernier  texte,  Tainburini.  ErpU 
decalogi,  I.  VII,  c.  vin,  g  7,  De  choreis,  a.  ô.  t.  i,p 
fait  toutefois   cette  remarque  :   Per   lias  proliibit 
prohibera  pttto  choreas  absolu  te,  sed  immod 
impudicasque.   Le  passage  de  la  Clémentine  cité 
en  effet  :  Non    verentur   in    ijists   ecclesiis    et 
cœnieteriis  choreas  facere  dissolutas.  Selon  cet  auteur, 
le  mot   dissolutas  restreint  certainement  de  beaucoup 
la  défense  :  illttd  proltibilioneni  certe  perma.rime  lenit. 
De  sorte  que  là  aussi,  selon  lui,  c'est  d'après  les  en- 
constances  qu'il  faut  surtout  apprécier  la  gravité  de  la 
faute  :  quare  jvxta  majorem   minorenique  i 
liam,  secundttm  omîtes  circunistantias  a  prudent 
pendendam,  et   considerato  scandait),  quod  fort» 
tur,...  gravitatem  levilatenique  culpse  dimetire. 

Ces  défenses  ont  acquis  une  nouvelle  force  par  la 
mention  qu'en  a  faite   le  concile  de  Trente,  sess.  XXII, 
c.   l.  De  refornu;  sess.  xxiv,  c.   12.  Cf.  Benoit  XIV. 
Instit.,  LXXVI.  n.  6-10,  Opéra  ni, min,  18  in-'.  .  I 
1839-1847,  t.  \.  p.  321-323;  Ferraris,  Prompta  bil 
theca,  v°  Cleiicits.  a.  L  n.  6-10,  lu  in-4  .  Home. 
17'A).  t.  n.  p.  202;  Ojetti,  Synopsis  rerum  moralium 
et  juris  ponti/icii  alphabetico ordine digesta,  \  Clerici, 
t.  i,  p.  334. 

Sur  la  plus  ou  moins  grande  liberté  donnée,  au  - 
des    danses,  par   les    Églises   luthérienne  et   calviniste. 
voir  Ditchtenberger,  Encyclopédie   <'•'.•• 

et,  \     Danse,    13  in-4  .  Taris.    1877-1882,  t.  m 
p   593 

VII.  La  coopi  ration  ai  x  nvxsi  s.  —  I   Sont  indigni  ■ 
d'absolution  les   musiciens  de  profession   qui  donnent 
leur   concours   aux    danses    nocturnes    et    dangereuse-. 
d'où  les  jeunes  gens  et  les  jeunes  filles  reviennent  en- 
suite  pêle-mêle,  comme  il   n'arrive   que  trop  souvent 
dans  les   campagnes.   Ils  pèchent    gravement  en   O 
ranl  ainsi  d'une  façon  prochaine  à  une  foule  de  p. 
mortels.  Cependant,  si  ces  danses  ne  présenta ien 
un  danger  loi  oui.   -i  elles  se  faisaient  en  plein  jour,  et 
non  d'une  façon  habituelle,  mais  dans  des  circonstances 
particulières,  comme,  par  exemple,  une  fête  patronale, 


133 


DANSE 


DANSEURS 


134 


une  noce,  une  réjouissance  de  famille,  etc.,  on  devrait 
se  montrer  inoins  sévère  à  leur  égard,  à  moins  que 
ces  musiciens  n'y  lissent  entendre  des  airs  lascifs  et 
connus  comme  tels.  Ce  serait  alors,  de  leur  part,  en 
effet,  une  vraie  provocation  au  mal. 

2°  La  même  solution,  et  avec  une  distinction  iden- 
tique, s'applique  à  ceux  qui,  par  leur  argent,  sou- 
tiennent les  bals  publics,  en  payant  les  musiciens.  Si 
ces  danses  sont  mauvaises,  ou  si,  sans  être  directement 
déshonnétes,  elles  sont  néanmoins  dangereuses  pour 
un  bon  nombre  de  ceux  qui  y  prennent  part,  il  n'est 
pas  permis  d'y  coopérer  par  son  argent.  Si  les  danses 
sont  rares  et  peu  dangereuses,  on  doit  néanmoins  con- 
seiller aux  paroissiens  de  n'y  coopérer  en  aucune  façon; 
cependant,  s'ils  le  faisaient  dans  ce  dernier  cas,  on  ne 
devrait  pas  leur  refuser  l'absolution,  à  moins  que 
cette  coopération  ne  tendit  à  introduire  les  danses  dans 
le  pays  où  elles  ne  sont  pas  en  usage,  ou  à  augmenter 
leur  fréquence  dans  des  proportions  funestes. 

3°  Ceux  qui  organisent  les  liais  publics  apportent  une 
coopération  plus  directe  aux  nombreux  péchés  qui  s'y 
commettent.  Ils  doivent  donc  être  traités  avec  plus  de 
sévérité  encore. 

4°  Une  solution  analogue  s'applique  à  ceux  qui  prê- 
tent, ou  qui  louent  des  immeubles,  pour  des  danses  mal- 
saines oh  dangereuses.  C'est  une  coopération  directe  à 
un  mal  grave,  et  bien  souvent  cette  coopération  devient, 
en  outre,  un  scandale  public.  En  quelques  rares  cir- 
constances cependant,  et  s'il  était  avéré  que  les  choses 
s'j  passent  honnêtement,  on  pourrait  avec  prudence  les 
absoudre.  Attamen  non  seniper iis  neganda  esset  abso- 
lulio,  sed  speclandsB  sunt  circumstanlise  el  niodus  ordi- 
narius  quo  islœ  chômas  fiunt.  liallerini,  Gompendium 
theologise  moralis,  \r.  De  virlutibus, c.  ni,  §3,  part.  II, 
sect.  il,  n.  '2ô<>,  t.  i,  p.  22."».  Cf.  Ojetti,  Synopsis  rerum 
mera  is  pontifie ii,  v°  Cooperatio,  t. 1,  p.  482. 

Il  e-i  impossible  de  fixer  des  règles  générales  pour  la 
solution  de  ces  divers  cas  de  coopération  aux  danses. 
La  décision  de  chaque  cas  particulier  dépend  du  con- 
ir.  qui  esl  seul  .i  même  d'apprécier  les  circon- 
stances qui  peuvenl  être  si  différentes  :  comme  la  proba- 
bilité d.-s  fautes  qui  se  commettront,  le  degré  de  coopé- 
ralion  matérielle,  les  raisons  plus  ou  moins  pressantes 
qui  sont  de  nature  à  l'excuser,  in  casu,  etc.  Cf.  Lehm- 
kuhl,   Theologia  moralis,  part.  I,   1.  II,  divis.  I,  c.  ni, 

e   moralis,  part.  III.  tii.  vi, 
cm,  l>   choreiê  ;  Tamburini,  J  alogi,  1.  VII,  c.  vni, 

aise,  1707,  t.    i,  p.   206  Bq.  : 

na,  De  m  il  i    iv,  p.  i\,  n.  24,  Opéra  omnia, 

d  se,  1716,  t.  I,  i  i  oralis, 

I.  m.  part.  I.  tr.  i\,  c    il,  dub.   I,  a.  *s7  gq.,  3  in-fol.,  Venise, 

■    i,  p.  197  :  Salmanticen  theologia  i 

li*.   lr.   XXI,   /' '   primo   pr.r  llogi,  C.    VHI,  p.  v.  S  2, 

n  iii;  tr.  XXVI,  D(   sexto  et  n lecalogi  prœccpto,  c.  ni, 

p.  i.  n    16-17,  6  in-fol  .  Veni  ■<■.  1728,  I    v.  p.  171  ;  t.  VI,  p.  107; 
XIV,  Institut. eccles.,  inst.LXXVI,  lh-  choreis; const.  A  ihil 
(o,  du  12  i  ûl  1TV2,  s  'i  ;  const.  Inler  caetera,  du  1"  jan- 
vier 1748,  ";  Prato,  1839-1847,  t.  X,  p.  818- 
xv,  p.  234;  t.  xvi,  p  acina,  Theologia  chri- 
Dimi,                            alis,   ,  VIII,  J  di      II,  c.  m. 

10  m-'*  .  Ro 1753        i      i    24  i-255;  Ferrai       Pi  ompta  bi- 

bliolhe  <i    ■■     Chores  n.  87,  17  in-'r,   Hume,   1785- 

-    viphonse,  Theologia  moralis, 
I.  iv,  ii    :\    h  .  (lecalogi,  c.  I,  ilub.  i, 

I 
2*  Bol  '  •  '.  Il'  s 
*<•»  pi 

noil,  in-l'J    l 
lu  ■/•<  in-8- 

i  hoi  igt  aphie,  in-8  -    I 
Ii   i  Vulnayi  .  /*    la     illalion  tht  âti  aU  1700; 

'tique  ■  I  i  ittores- 

■ 


de  musique,  2  in-8%  Paris,  1847-1856;  Fétis,  Dictionnaire  de 
musique,  6  in-4%  Paris,  1860-1869:  vicomte  de  Brieux  Saint- 
Laurent,  Quelques  mots  sur  les  danses  modernes,  5'  édit., 
Pai'is,  1868;  Chouquet,  Histoire  de  la  musique  dramatique, 
in-8",  Paris,  1873;  Boccardo,  Feste,  giuochi  e  spettacoli,  in-8% 
Gènes,  1874;  Czerwinski,  Brevier  der  Tanzl.unst,  in-8%  Leip- 
zig, 1879  ;  Ludovic  Celler,  Les  origines  de  l'opéra  et  le  ballet  de 
la  reine,  in-12,  Paris,  1881;  Pougin,  Dictionnaire  historique  et 
pittoresque  du  théâtre  et  des  arts  qui  s'y  rattachent,  v"  Danse, 
in-4%  Paris,  1885,  p.  260  sq.  ;  Bcehme,  Gesehichte  des  Tanzes  in 
Deulschland,  2  in-8%  Leipzig,  1886;Laure  Fonta,  Orchésogra- 
phic,  in  4%  Paris,  1888;Zorn,  Grammatik  der  Tanzkunst, in-8' et 
2  atlas  in-4%  Leipzig,  1888;  Blasis  et  Lemaitre.  La  danse,  in-12, 
Paris,  1890;  M""  Bernay,  La  danse  au  théâtre,  in-8  %  Paris,  1890; 
Institut  de  France,  Dictionnaire  de  l'Académie  des  beaux-arts, 
v  Danse,  6  in-4%  Paris,  1896,  t.  v,  p.  86-90,  ouvrage  en  cours 
de  publication;  G.  Vuillier,  La  danse,  in-1%  Paris,  Milan,  1899. 
3°  Eula,  Collectio  casuum  de  re  dogmatica,  morali  et  litur- 
gica,  in-8%  Montréal,  1875,  p.  164-168  ;  Gousset,  Théologie  mo- 
rale. Traité  du  décalogue,  VI"  part.,  c.  i,  n.  650-652;  Traité  du 
sacrement  de  pénitence,  c.  XI,  n.  565,  2  in-8%  Paris,  1877,  t.  i, 
p.  295  sq.  ;  t.  u,  p.  378;  Lichtenberger,  Encyclopédie  des  sciences 
religieuses,  v"  Danse,  13  in-4%  Paris,  1877-1882,  t.  m,  p.  592  sq.  : 
Marc,  Institutiones  morales  alphonsianse,  part.  II,  sect.  n,tr.  VI, 
S  -,  De  choreis,  n.  829-834,  2  in-8%  Lyon,  1885,  t.  I,  p.  560-563; 
Gury,  Casut  conscienlix,  De  virlutibus,  cas.  xxu-xxm,  n.233- 
238,  2  in-8%  Paris,  1891,  t.  I,  p.  99-102  ;  S.  S.  Nyssen,  Un  mot  sur 
la  danse,  in-12,  Lille,  1892;  Ballerini,  Compendium  theologia 
moralis,  tr.  V,  De  virtutibus,  c.  III,  a.  2,  S  3,  sect.  II,  n.  242- 
246,  2  in-8%  Home,  1893,  t.  i,  p.  212  sq.  ;  Palmieri,  Opus  theolo- 
gicum  morale  in  Busenbaum  medultam,  tr.  VI.  De  prseceptis 
decalogi,  sect.  vi,  De  sexto  et  nono  prxcepto,  dub.  i,n.  60  sq., 
7  in-8",  Prato,  1893,  t.  II,  p.  697  sq.  :  Berardi,  De  recidivis  et 
occasionariis,  part.  II,  c.  I,  a.  2,  De  choreis.  2  in-8%  Faenza, 
1H97,  t.  n,  p.  202-227;  Esclibach,  Disputa/lunes  physiologico- 
llieologicœ,  disp.  V,  c.  III,  a.  1,  §  3,  De  choreis  et  saltationibus, 
in-8%  Home.  1901,  p.  517-524;  Lehmkuhl.  Theclogia  moralis. 
part.  I,  1.  II,  divis.  I,  c.  III,  a.  2,  §  1,  n.  643,2  in-8".  Fribourg-en- 
Brisgau,  1902,  t.  i,p.  384  sq.  ;  Ojetti,  Synopsis  rerum  moraïium 
Btjufis  ponti/icii  alphabetico  online  digesta,  v  Chorex;  Coo- 
poratio,  2  in-4%  Prato,  1905,  t.  I,  p.  288,  482. 

T.  Ortolan. 
DANSEURS,  secle  fanatique  parue,  en  1374,  le  long 
du  Rhin,  dans  les  Pays-Bas,  particulièrement  à  Liège, 
Pour  connaître  son  origine,  sa  nature,  son  rôle,  il 
faul  consulter  les  divers  chroniqueurs  de  l'époque, 
ceux  de  Limbourg,  de  Cologne,  de  Trêves,  de  Belgi- 
que. Tous  mentionnent  l'apparition,  en  1374,  d'une 
secte  d'hommes  et  de  femmes,  dite  des  danseurs. 
parce  qu'une  danse  désordonnée  et  sans  décence  était 
Ii-  irait  caractéristique  de  leurs  mœurs.  On  la  dis, ni 
venue  de  la  haute  Allemagne,  sans  marquer  autrement 
son  origine;  on  signale  sa  présence  h  Aix-la-Chapelle, 
surtout  à  Liège  el  dans  ses  environs.  D'après  les  An- 
nales Fossenses,  dans  Pertz,  Monumenta  Germanise 
hislorica,  Hanovre,  1843,  Scriplores,t  iv,  p.  35, celaient 
des  possédés  qui  se  mettaient  à  danser  partout,  sur 
les  places  publiques,  dans  les  maisons  el  jusque  dans 

les  églises,  à  la  manière  des  foUS  furieux,  el  qui  dînent 

la  plupart  leur  guérison  aux  exorcismes  pratiqués  sur 
eux  par  les  prêtres  de  Liège.  Pierre  de  Herenthal, 
dans  Baluze,  Vila  paparum  Avenionensium,  Paris, 
Ki'.t:!,  I.  i.  col.  483-486,  nous  donne  quelques  détails 
caractéristiques.  Inopinément,  sans  tenir  le  moindre 
compte  de  la  pudeur,  à  moitié  vêtus,  ils  se  donnaient 
la  main,  entraient  en  danse,  bondissaient  parce  qu'ils 
se  croyaient  plongés  dans  un  fleuve  de  sang,  pronon- 
çaient des  noms  de  démons  tels  que  celui  de  Friskes, 
et.  à  la  lin  de  leurs  éb  il  -  chorégraphiques,  demandaient 
à  hauts  ri  lugubres  cris  qu'on  leur  serrât  fortement  le 

ventre.   s;,ns  quoi   ils  allaient  expirer.    \n\  veux  du  vul- 

iin  tel  étal  ne  pouvait  provenir  que  de  ce  que  le 
baptême  Ii  ai  avait  été  mal  administré,  uotammi  ni  par 

des  i  iiculiinaii i  uple,  dan 

Irritation,  format  il  le  projet  de  tomber  sur  le  cl 
de  Liège  et  d'en  faire  un  massacre,  mus  ii  n'j  donna 
i         [i 
même  1 1 


I  :  I! 


DANSEI  RS 


13G 


Beaucoup  plus  explicite  encore  esl  Radulphe  de  Rivo, 
doyen  de  Congres,  mort  en  I W).  au  c.  i\  di 
Ua  pontificum  Leodiensium,  que  Chapeaville  a  in- 
el  annoté  dans  ses  Gesla  pontif.  Tongretuium, 
Trajectensium  et  Leodiensium,  Liège,  1612-1616,  t.  m, 
p.  19-22.  La  Becte,  dit-il,  vint  de  la  haute  Allemagne 
:'i  Aix-la-Chapelle,  puia  à  Utrecht,  puis  à  Liège. Chaque 
jour  survenaienl  de  nouveaux  danseurs,  et  leur  mal 
devint  contagieux.  Car  on  vit  unefouli  sains 

de  corps  et  d'esprit,  soudainement  saisis  par  les  dé- 
mons, se  joindre  à  la  danse.  Quelle  pouvait  l>i<-n  rire 
la  cause  d'un  si  étrange  phénomène  '  l  ■ 
la  plaçaient  dans  l'ignorance  crasse  des  choses  de  la 
foi  et  dos  commandements  divins,  qui  régnait  à  cette 
époque,  mais,  dans  le  peuple  plusieurs  en  rejetaient 
la  faute  sur  la  corruption  du  clergé,  qui  aurait  du  mal 
conférer  le  baptême.  Mais,  observe  Radulphe,  pour 
prouvii-  que  la  validité  du  baptême  est  indépendante 
de  la  dignité  ou  de  l'indignité  de  ses  ministres.  Dieu 
tit  aux  prêtres  séculiers  de  Liège  la  grâce,  qu'il  refusait 
aux  religieux,  de  délivrer  ces  possédés  au  moyen  des 
oxorcismes.  Entre  autres  faits,  il  rapporte  ceux-ci. 
Dans  l'église  de  Sainte-Croix,  à  Liège,  le  jour  de  la 
dédicace,  pendant  qu'on  chantait  les  vêpres,  le  thuri- 
féraire se  mit  tout  à  coup  à  balancer  l'encensoir  d'une 
façon  désordonnée,  à  danser  et  à  prononcer  en  chan- 
tant des  mots  inconnus.  Vainement  on  le  prie  de  cesser; 
parmi  les  spectateurs  étonnés,  beaucoup  se  deman- 
daient s'il  n'appartenait  pas  à  la  secle  des  danseurs. 
Récitez  le  Pater,  lui  dit  un  prêtre;  il  refuse.  Récitez 
le  Credo.  Je  crois  au  diable,  répondit-il.  Le  prêtre  alors 
de  lui  imposer  l'étole,  de  l'exorciser  et  de  délivrer  ce 
malheureux  qui  se  met  aussitôt  à  réciter  avec  un 
grand  sentiment  de  piété  le  l'ater  et  le  Credo. 

Autre  fait.  Vers  la  fêle  de  la  Toussaint,  à  llerstal, 
village  voisin  de  Liège,  hommes  et  femmes  de  la  secte 
s'étaient  réunis  en  grand  nombre  et  avaient  décidé  d'en- 
vahir Liège  et  d'en  massacrer  les  prélats,  les  chanoines, 
les  curés  et  tout  le  clergé.  Mais  Dieu  dissipe  leur 
dessein;  car,  au  moment  de  pénétrer  dans  la  ville, 
d'honnêtes  gens  les  conduisirent  aux  prêtres,  qui  les 
guérirent,  à  la  grande  confusion  du  démon  et  pour  la 
plus  grande  gloire  du  clergé.  Plusieurs  furent  menés 
à  la  chapelle  de  la  sainte  Vierge  dans  le  cloître  de 
Saint-Lambert,  où  le  prêtre  Louis  Loves,  inspiré  pat- 
Dieu,  imposa  l'étole  sur  l'un  d'eux,  récita  le  commen- 
cement de  l'Évangile  selon  saint  Jean  et  le  délivra 
ainsi  de  la  servitude  du  démon  ;  il  réussit  de  même  pour 
neuf  autres.  Le  bruit  d'une  telle  guérison  se  répandit 
au  loin,  et  d'autres  danseurs,  conduits  au  même  en- 
droit, furent  de  même  délivrés  par  la  pratique  des 
oxorcismes  et  rendus  à  la  santé.  On  en  avait  mené 
d'autres  ailleurs,  aux  églises  collégiales  de  Sainte-Croix 
et  de  Saint-Barthélémy,  aux  églises  paroissiales  de 
Notre-Dame  et  de  Saint-André,  où  tous  les  prêtres 
sans  distinction  eurent  pies  d'eux  le  même  succès, 

Dans  la  pratique  «les  oxorcismes.  note  Radulphe, 
c'était  le  plus  souvent  le  commencement  de  l'Évan- 
gile selon  saint  iian  qu'on  lisait,  maison  empruntait 
- •  1 1 — -^ i  aux  autres  évangélistes  les  passages  relatifs  à 
la  délivrance  des  possédés.  Quand  parfois  la  guérison 
tardait,  on  montrait  .m  possédé  l'hostie  consacrée  ou  on 
la  lui  appliquait  sur  la  tête.  D'autres  bu-,  on  l'asper- 
geai! d'eau  bénite,  on  lui  en  faisait  même  boire,  après 

quoi  on  pratiquait  sur  lui  les  rites  de  VExi,  immutlde 

spirilus,  de  VEpheta  et  de  l'insufflation. 

Radulphe  raconte  encore  qu'une  jeune  possédée, 
vainemi  ni  exorcisée  par  plusieurs  prêtres,  l'ut  conduite 
.i  \i\  la  Chapelle  et  >  fut  guérie  par  le  prêtre  Simon, 
qui  la  plongea  dans  l'eau  bénite.  Il  y  avail  <\n\\  ans 
qu'elle  étail  mui^  le  joug  du  démon.  El  le  démon  in- 
terrogé Bur  l'endroit  ou  il  se  trouvait  quand  la  jeune 
fille   faisait  sa  communion  pascale,   répondit  qu'il  se 


réfugiait  à  la  pointe  des  doigt-  du  pied  jusq 

les  esj  ramentelles  fussent  consommées    i 

manda  de  pouvoir  se  retirer  dans  li  l       ïbad; 

mais  peu   âpre-,    deux    ou   ti 

noyées,  on  attribua  ce  fâcheux  accident  ■>  la  pr<  -<  nce  du 

démon,  et  l'on  ferma  en  conséquence  h--  bains,  et  ces 

hains  étaient  encore   interdits  au  moment  ou    écrivait 

Radulphe. 

Ainsi  combattue,  cette  secte  qui.  dans  l'espace  d'un 
an,  avait  fait  tantde  victimes,  fut  enrayée;  elle  disparut 
peu  à  peu,  les  cas  de  possession  de  ce  genre  devenant 
de  plus  en  plu--  rare-.  La  bonne  réputation  du  cl 
liégeois  s'en  accrut  d'autant  plus.  Ce  récit  a  manifes- 
tement le  ton  d'un  apologiste  du  clergé.  Aussi  l'auteur 
le  terinine-t-il  par  ces  mots  :  «  Loin  de  nous,  qui 
espérons  à  la  solide  gloire  de  la  vie  future,  de  nous 
laisser  gonfler  par   les   vaines    lou.  hommes. 

N'oublions  pas  ce-  paroles  du  Christ  .      Plu 
diront  ce  jour-là 

votre  nom  que  nous  avons  cl.  n-     El 

«  n'avons-nous  pas,  en  votre  nom.  fait  beaucoup  de 
i  miracles'.'  Alors,  je  leur  dirai  hautement  :  Je  ne  vous 
«  ai  jamais  connus.  Retirez-vous  de  moi.  ouvriers  d'ini- 
a  quité.  i  Matin.,  vu.  22-2 

Aces  renseignements  fournis  par  Radulphe,  Chapeau- 
ville,  dans  ses  annotations,  p.  22-23,  en  ajoute  d'autres  : 
l'un   qu'il  emprunte,  dit-il,  au    Magna  ieutn 

Belgicum,  et  qui  se  trouve  coïncider  textuellement 
avec  ce  que  dit  Pierre  de  llerenthal;  trois  autres,  qui 
sont  do  Jean  Stabulaus,  de  Corneille  Zanfliet  et  do 
Meyer.  Mais  tous  ces  témoignages  ne  nous  apprennent 
rien  de  nouveau.  Si  l'on  en  croit  au  contraire  Jean  de 
Leyde,  Cltronic.  Belgic,  1.  XXXI.  c.  xxvi,  dans  les 
Renan  Belgicarum  annales,  t.  i,  p.  299,  le-  dans 
d'Aix.  d Ttrecht  et  de  Li  lient  on  dansant  le 

cri  de  :  Gai,  gai!  D  après  la  Chronique  de  Colngne, 
p.  247,  ils  criaient  :  M  saint  Jean.  gai.  gai!  M.  saint 
Jean!  »  Ne  serait-ce  pas  là  une  attribution  erroi 
Car  nous  n'apercevons  pas  le  moindre  rapport  entre 
la  danse  des  danseurs  de  lb'71.  véritable  cas  de  p< 
sion  diabolique  ou  de  pathologie,  et  la  danse  de  cir- 
constance qui  avait  lieu,  une  fois  l'an,  autour  du  fou  de 
la  Saint-Jean,  pas  plus  du  reste  que  nous  n'en  décou- 
vrons un  avec  la  danse  de  Saint-Gui. 

D'autre  part,  le  dernier  tiers  du  xiv   siècle  compte 
assez  d'hérétiques  connus,  do  date  ancienne  ou  récente, 
tels  que  les  vaudois,  les  béghards  et  les  béguines 
turlupina  et  les  lollards,  contre  lesquels  Grégoire    XI 
dut  prendre  des  mesure-  n    1372  et  en    1373, 

Raronius,  Annales,  an.    1372,  n.  33;   1373,   n.    19, 
qu'il  soit  nécessaire  île  ranger  parmi  eux  les  danseurs 
de  Liège.  Rien,  en  effet,  dan-  le-  documents  de  l'époque 

ne  montre  en  quoi  pouvait  bien  consister  leur  lu  i 
Ils  no  pratiquaient  pas  les  sacrements,  ils  étaient 
sédés  •  l ■  i  démon,  ils  se  livraient  a  de6  danses  furibondes 
d'où    la   décence   était  bannie   et   devenaient  ainsi,    par 
un   exemple  contagieux,    une  cause   do  troubles   et  do 
scandales.   On   les  traita  en  conséquence  comme  des 

dés,  et  on  leur  appliqua  les  formules  liturgiques 
do  l'exorcisme.  Mais,  d'hérésie,  pas  Ae  trace.  De  nos 
jour-,   le  caractère   contagieux    do  leur  danse   les  ferait 

r  plutôt  parmi  le-  malados  atteints  d'hystérie  : 
et  c'e-t  bien,  somme  toute,  d'une  maladie  do  ce  genre 
que  furent  frappés  le-  danseurs  -   .compliquée, 

du   reste,    de  possession    diabolique.    Ils  sont   donc  à 
rayer  de  la  liste  des  hérésies. 

Outre  les  OU'  .  s  de  l'article,  voir  Hecker.Ois 

Tanxwuth,  eine  Volkskrankl  If  illelalter,  Berlin,  18 

Votkskranklieiten  des    Mittclalt.,   Berlin,    :- 

rlcq,    Corpus    inquisit.     N  1889,   t.    i. 

I>.  ^tt  si|.  :  lit..  De  secten  der  -    i  ■"  «'«' 

Xcilcrhmtlcn, Bruxelles  nius,  Anna.- •  u.13. 

C.  Bareuus. 


137 


DANTYSZEK   —    DAON 


138 


DANTYSZEK  Jean  de  Curiis  (1485-1548),  théo- 
logien, poète,  canoniste  et  diplomate  polonais.  Evêque 
de  Chelrn  en  1530,  il  s'opposa  avec  zèle  à  la  diffusion 
du  protestantisme.  Il  mourut  à  Heidelberg  en  1Ô48.  On 
lui  doit  l'ouvrage  suivant  contre  les  protestants  : 
Christiana  de  fuie  el  sacramenlis  contra  hsereticorum 
errores  explanalio,  Cracovie,  1545. 

Czaplicki,  De  vita  et  carminibus  Joannis  de  Curiis  Dan- 
tisci,  Breslau,  1855;  W'iszniewski,  Historya  literatury  poli- 
kiej,  Cracovie,  1.  vi,  p.  •237-251  ;  Encyclopédie  powszechna, 
t.  vi,  p.  783-785;  Estreicher,  Biblioyrafia  polska,  Cracovie, 
1897,  t.  xv,  p.  37-42. 

A.  Palmieri. 

DANZER  Jacques,  théologien  allemand,  né  en  1743 
à  Lengfeld,  en  Souabe,  mort  à  Burgau  le  i  septembre 
179ii.  Il  entra  dans  l'ordre  bénédictin  à  l'abbaye  d'Isny 
el  fut  professeur  de  théologie  à  l'université  de  Salz- 
bourg. Obligé  eu  1792  de  se  démettre  de  sa  chaire  à 
cause  de  son  enseignement  entaché  de  pélagianisme, 
il  quitta  l'ordre  bénédictin  et  fut  nommé  chanoine  de 
Burgau.  On  a  de  cet  auteur  :  Anleitung  in  die  biblis- 
che  Moral,  in-8",  Francfort,  1787;  et  3  in-8°,  Salzbourg, 
1903;  Einfluss  der  Moral  auf  des  Mcnsclien  Gluck, 
Salzbourg,  1789;  ldeen  ùber  die  Reform  in  der  Théolo- 
gie und  besonders  in  der  Dogmalik  bei  den  Katholi- 
ken,  l 'lm.  1793;  Der  Geist  Jesu-Chrisli  und  seiner 
Lehre,  Fribourg,  1793. 

Hurler,  Nomenclator,  1895,   t.  ni,  col.  471;  R.  Miltermuller 
Die  bénédictine r  Universitut   Salzbourg,  dans  Studieti  und 

Mittli m   Benediktiner-und  dem    Cistercien 

ser-Orden,  1884.  t.  i.  p.  371. 

B.  Heirtebize. 

OAON  Roger-François  naquit  en  1679  à  Bricque 
ville-en-Bessin,  dans  le  diocèse  de  Baveux.  Il  entra 
dans  li  congrégation  de  Jésus  et  Marie,  dite  des  eu- 
distes,  le  29  septembre  1699,  el  après  avoir  achevé  son 
temps  de  probalion  et  ses  études  théologiques,  il  fut 
ordonné'  prêtre,  puis  incorporé  à  cet  institut  vers  la  lin 
de  1702.  Il  fut  dès  lors  un  religieux  exemplaire.  Un  de 
ses  premiers  emplois  fut  celui  de  supérieur  du 
petit  séminaire  de  Hennés,  où  il  fut  envoyé  en  1706- 
Il  serait  plus 'juste  d'appeler  cette  [maison  Séminaire 
îles  pauvret  clercs,  car  les  petits  séminaires  de  ce 
temps  étaient  des  établissements  où  recevaient  pension 
gratuite  1rs  jeunes  gens  pauvres  qui  aspiraient  au 
rdoce,  etoù  ils  faisaient  successivement  leurs  cours 
d'humanités  el  de  théologie,  pour  n'en  sortir  qu'après 
avoir  reçu  tous  les  saints  ordres,  Quant  aux  grands 
séminaires,  il-  se  composaient  de  théologiens  en  état 
de  payer  leur  pension,  el  surtoutde  clercs  el  de  prêtres 
qui  n'v  résidaient  que  pendant  un  temps  plus  ou  moins 
long  Bxé  par  l'évêque,  pour  se  préparer  aux  ordinations 
u  saint  ministère.  \  l'arrivée  de  M.  Daon,  le  petit 
séminaire  de  Rennes  n'avait  que  quelques  années 
d'existence  et  ne  comptait  qu'une  poignée  de  Bémina- 
vivantdans uni  pauvreté,  et  logeant  dans 

une  partie  du  presbytère  de  Saint-Étienne  attenante 
l'église  de  ce  nom.  Le  nouveau  supérieur  se  mit  aussitôt 
en  qu  c  sut  en  trouver.  Avec  l'agré- 

ment et  le  concours  pécuniaire  de  M"  de  Lavardin,  il 
acheta  au  faubourg  Saint-Ilélier  un  terrain  avec  une 
maison,  où  il  ti  le  séminairedès  I7u7.  L'année 

ut'-.  H  v  commença  de  nouvelles  el  importantes 
constructions,  puis  H  arrondit  la   propriété;  enfin   il 

,|"1 1  cet  i  tablis  -  mi  n     I     n bn   di     i  li  tes  dépassa 

bientôt  la  soixantaine,  el  la  pii  té  ne  a  ?sa  d  j  être  tri  - 
Qorissanti 

Un  1719,  M.  Daon  fut  envoya  au  sémin  lire  d'Avranches 
pour  j    pi  théologie;  el   i  n  1727.  il  en  fut 

nommé  supi  rieur,  el  pril  en  même  temps  la  charge  di 
principul  du  collègi  de  ci  tte  ville,  el  celle  de  curé  d 
Saint-Mai  tin-di  quii  taii  ni  nniei  au  semis 

Il  •■ut  beaucoup  à  souffrir  de    la  pan  d'une  coterii 


janséniste,  à  la  tête  de  laquelle  se  trouvait  un  grand- 
vicaire,  nommé  Gautier,  qui  faisait  de  fréquentes  visites 
au  séminaire  et  cherchait  par  tous  les  moyens  à  inoculer 
les  doctrines  de  la  secte  aux  ordinands.  Daon  ne  cessa 
de  réfuter  hautement  ces  novateurs,  s'appliquant  à 
maintenir  les  séminaristes  dans  l'orthodoxie  et  à  en- 
courager les  prêtres  de  la  ville  qui  restaient  soumis  à 
la  bulle  Unigenitus,  et  étaient  de  ce  chef  persécutés  par 
l'irascible  vicaire  général.  Celui-ci  essaya  maintes  fois 
de  le  perdre  dans  l'esprit  de  Ma1  Leblanc,  prélat  faible 
qui  craignait  de  déplaire  au  parti;  mais  l'évêque  garda 
une  grande  estime  pour  Daon,  qu'il  écoutait  volontiers. 
Comme  curé  de  Saint-Martin,  le  religieux  fonda  une 
école  pour  les  tilles  de  sa  paroisse. 

En  1730,  il  fut  envoyé  à  Senlis,  pour  y  remplir  les 
fonctions  de  supérieur  et  de  préfet  des  ordinands.  Il 
s'y  concilia  immédiatement  la  sympathie  de  tous  les 
gens  de  bien,  et  en  particulier  de  Ma»  Trudaine,  qui  le 
choisit  pour  confesseur.  Il  établit  une  conférence  de 
morale,  où  près  de  vingt-cinq  ecclésiastiques  de  la 
ville  assistaient  régulièrement.  Chacun  devait  mettre 
par  écrit  ses  avis,  afin  que  le  secrétaire  put  en  transcrire 
le  résultat  sur  son  registre.  Par  son  zèle  et  la  sagesse 
de  son  administration,  le  supérieur  mérita  l'estime  et 
la  confiance  de  tout  le  clergé  de  Senlis. 

Appelé  à  la  supériorité  du  séminaire  de  Caen,  en  1738. 
il  gouverna  aussi  cette  maison  avec  tant  de  prudence 
et  de  bonté  que,  plus  de  cinquante  ans  après  sa  mort, 
sa  mémoire  était  encore  en  vénération  dans  toute  la 
ville.  Enfin,  en  1744,  l'évêque  de  Séez  ayant  donné  la 
conduite  de  son  séminaire  aux  eudistes,  demanda 
Daon  pour  en  être  le  premier  supérieur.  Il  y  conquit 
très  promptemenl  l'estime  et  l'affection  générales.  11  y 
termina  sa  vie  le  1(>  août   1749. 

Roger  Daon  n'avait  pas  le  talent  de  la  prédication.  Il 
y  suppléa  en  composant  de  nombreux  ouvrages  simples 
et  pratiques,  destinés  à  la  sanctification  du  clergé  et 
des  âmes,  et  qui  furent  à  leur  manière  une  prédication 
excellente.  Ils  roulent  presque  tous  sur  des  matières 
appartenant  à  la  théologie  morale  dont  il  avait  fait  sa 
principale  étude.  Voici  les  titres  de  ceux  qui  ont  été 
imprimés  :  1"  Conduite  des  confesseurs  dans  le  tribunas 
de  la  pénitence,  selon  les  instructions  de  soi  ni  Charles 
Borromée  et  de  saint  François  de  Sales,  in-12,  Paris. 
1738.  Cet  ouvrage,  qui  résume  brièvement  ce  qu'un 
prêtre  doit  savoir  pour  administrer  avec  fruit  le  sacre- 
ment de  pénitence,  fut  approuvé  par  un  grand  nombre 
d'évêques,  el  dès  l'année  qui  suivit  son  apparition, 
M  de  Luynes,  évéque  de  Bayeux,  le  El  rééditer  à 
frais  et  ordonna  par  mandement  à  tous  ses  prêtres  d'en 
avoir  un  exemplaire.  Il  se  répandit  très  rapidement  et 
eut  près  de  cent  éditions.  La  33'  parut  à  Toulouse  peu 
après  la  mort  de  l'auteur.  Il  s'en  lit  des  traductions  on 
latin,  en  italien,  en  espagnol,  en  allemand  el  en  anglais. 
On  l'imprima  encore  à  Toulouse,  en  1820.  Cet  ouvrage 
déplut  aux  jansénistes,  el  les  Nouvelles  ecclésiastiques 
apprécièrenl  ainsi  la  5-  édition  i  II  arrive  souvent  à 
l'auteur  de  prendre  le  mauvaisparti  dans  les  différents 
points  de  morale  attaqués  par  les  jésuites;  par  exemple, 
cl.ms  ce  [u'il  dit  de  la  contrition,  de  la  charité 
scrupuleux,  du  rapl  de  séduction,  de  la  notoriété  ili- 
fuit,  .i,  ;  ion  di     fauti     vénielles,  de  l'opinion 

du  pénitent  contraire  A  i  elle  du  confesseur,  de  l'a 

■  nt  à  qui  pèche   matériellement,  des  habitudi- 
de  la  stabilité  de  la  justice  chrétienne,  de   la 

fréquente  coi inion,  des  dis]  des 

moyen  !  de  perfi  ction,  de  I  approbation  de  i 

Quoique  d'une  morale  qui  paraîtrait  aujourd'hui  un 
peu  sévère,  ce  livre  estd'une  doctrine  Irréprochable; 
2   Conduite  des  'Mues  dans  /•  du  salut,  pour 

■  ic  supplément  d  la  conduite  des  confesseurs 
s  tribunal  de  la  pénitence,  In-i2,  ''.iris.  1753. 
Ce  volume,  qui  ne  puni  qu  après  la  morl  de  l'auteur 


139 


D  AON 


DAPON I 


40 


comme  le  t.  u  de  l'ouvrage  précédent.  L'auteur  s 
indique  la  manière  de  diriger  les  enfants,  les  jeunes 
les  ignorants,  les  personn  ,  les  aspirants 

i  lo        li      religieux  «'i  religieuses,  les  soldats, 
les  pauvres,  eti  i  de  ii es  nom- 

breuses éditions.  Celle  de  1829  fui  revue  par  un  pro- 
ur  de  théologie  qui  \  ajouta  des  Avertissement» 
aux  confesseurs,  el  une  Exhortation  aux  ecclésiastiques 
de  s'appliquer  à  l'élude;  3°  un  recueil  d'opuscules  ren- 
ferme des  Méthodes  utile*  a  xasliques,  tou- 
chant la  manière  de  bien  faire  le  catéchisme, de  prépa- 
rer les  enfants  à  la  confession,  de  leur  faire  renouveler 
publiquement  les  promesses  du  baptême  et  faire  leur 
première  communion,  et  d'administrer  utilement  le 
saint  viatique  et  l'extréme-onction,  in-12,  Caen,  I7:si; 
4»  un  autre  recueil  d'opuscules  comprend  aussi  des 
Méthodes  pour  Lien  faire  des  conférences  spiritie 
pour  faire  des  prônes,  pour  les  grands  catéchismes, 
pour  bien  faire  un  sermon,  pour  expliquer  les  cérémo- 
nies du  baptême  en  l'administrant,  pour  expliquer 
celles  du  mariage  en  l'administrant;  et  une  méthode 
facile  pour  apprendre  aux  nouveaux  prêtres  à  entendre 
utilement  les  confessions,  in- 1 2,  Alençon,  1759;  5°  Re- 
cueil d'instructions  pour  ceux  qui  se  disposent  à  l'état 
ecclésiastique,  in- 12,  Alençon;  c'est  un  catéchisme 
fort  instructif  pour  les  ordinands;  G0  Introduction  à 
l'amour  de  Dieu,  tirée  des  Œuvres  de  saint  François 
de  Sales,  in-12,  s.  I.  n.  d.;  7°  Pratique  de  la  prépara- 
tion et  action  de  (/races  avant  et  après  la  sainte  messe, 
in-12,  Alençon.  1748;  8"  Instruction  familière  touchant 
les  missions...,  avec  des  exercices  pour  la  confession 
générale  et  la  sainte  communion,  in-12,  s.  1.  n.  d.; 
9°  Pratique  du  sacrement  de  l'eucharistie,  à  l'usage 
des  enfants  qui  font  leur  première  communion,  Caen, 
17W);  10°  Règlement  de  vie  pour  un  prêtre;  devoirs 
des  prêtres,  etc.  Beaucoup  de  ses  ouvrages  ont  disparu 
ou  sont  très  difliciles  à  retrouver  aujourd'hui.  Il  n'j  a 
à  porter  le  nom  de  l'auteur  que  quelques-uns  de  ceux 
qui  furent  imprimés  après  sa  mort. 

Outre  les  ouvrages  qu'il  composa  lui-même,  Daon  lit 
aussi  réimprimer,  avec  des  additions  et  des  notes, 
plusieurs  opuscules  tbéologiques  et  ascétiques  de  diffé- 
rents auteurs.  Il  choisissait  toujours  ceux  qui  lui 
paraissaient  plus  propres  à  inspirer,  entretenir  et  for- 
tifier le  goût  d'une  piété  solide.  On  lui  doit  entre  autres 
une  édition  du  Contrat  de  l'homme  avec  Dieu  par  le 
saint  baptême,  l'un  des  ouvrages  les  plus  estimés  du 
Vénérable  Père  Eudes. 

Annales  &e   in  Congrégation    de  Jésus  et   Marie,  pas 
Richard  et  Giraud,  Bibliothèque  sacrée    art.de   Besselièvre, 
ancien  eudiste). 

.1.    Haï  imiin. 

DAPHNOPATÈS  Théodore,  patrice et protoasecre- 
lis,  vivait  à  Constantinople  vers  le  milieu  du  .v  siècle. 
Il  écrivit  une  histoire  de  son  temps  aujourd'hui  perdue. 
On  a  publié  de  lui  :  i8  homélies  composées  d'extraits 
de  saint  Jean  Chrysostome,  /'.  '.'..  t.  i.xin.  col.  567-902; 
un  discours  sur  la  translation  à  Constantinople  d'une 
main  de  saint  Jean-Baptiste,  /'.  '.'.,  t.  au,  col.  t;il-(i2n 
(traduction  latine  seule);  des  lettres,  dont  une  au  pape 
Jean  XI,  au  nom  de  Romain  Lacapène,  et  une  à  Anas- 
métropolitain  d'Héraclée,  au  sujet  de  la  nomina- 
tion de  Théophylacte  comme  patriarche.  .1.  Sakkelion, 
dans  AeXtIov  t/,;  («rroptXTjc  /.a'1.  idvoXoyiXTJc  tvaipfaf  tt,; 
'EXXâSo;,  t.  i.  p.  658  >q.  ;  t.  u,  p.  395  sq.  Signalons 
encore,  outre  (les  discours  restes  inédits,  une  vie  de 
samt  Théodore  Studite,  /'.  G.,  t.  mis,  col.  113-232, 
attribuée  tantôt  à  notre  Théodore,  tantôl  à  un  certain 
Michel,  s.  Haidacher,  Studien  liber  Chrysostomus- 
Eklogen,  Vienne.    [903,  a  recherché  les  sources  des 

'ExXova\  de  saint  Jean  Chrysosti .  il  a  pu  identifier 

cinq  cents  passages  tirés  d'homélies  authentiqm 

considérées  comme  telles  par  le  compilateur;  en  oiitiv. 


dans  son  avant-dernière  homélie.  Daphnopab 
catéchèses  x\n  el  zziii  it'-  saint  Cyrille  de  Jérusalem. 
K.    Krumbacbi  atur, 

■i-  édit,  Munich,  H-'jt,  p.  17".  i 

-,  Pi  rai 
DAPONTÈS  Constantin,   qui    prit   en    religion  le 
nom  de  Césaire,  naquit  en  1713  ou  1714a  Scopélo 
son  pi  ilat   britannique.  A] 

initié- dans  -.,  patrie  aux  premiers  éléments  des  scii 
sous  la  direction  de   Hiérothée  le  Moréote,   moine  <h-s 
Ibi  res,  il  alla  achever  Bon  instruction  à  Constantinople, 
puis  à  Bucarest,  et  enfin  a  la-  proti  ction 

des  princes  Maurocordato.  auprès  desquels  il  remplit 
diverses  fonctions,  jouant  au  factotum  dans  les  Princi- 
pautés. Dénoncé-  au  grand-vizir  pour  ses  malversations, 
il  se  relira  en  Crimée,  d'où  il  crut  pouvoir,  en  !7»7. 
revenir  à  Constantinople.  Jeté  en  prison,  il  n'obtint  son 

élargisse ni.  au  bout  de  vingt  mois,  qu'en  sacrifiant 

toute  sa  fortune.  L'n  mariage  malheureux,  contracté  le 
12  novembre  17'iit,  acheva  de  le  dégoûter  du  monde; 
il  se  lit  moine  en  17.">3  dans  l'Ile  de  Pipéri,  se  brouilla 
avec  son  supérieur  au  bout  de  quelque  temps,  et  se 
retira  finalement  à  l'Alhos,  au  monastère  de  Xéropota- 
mos.  en  1757.  C'est  là  qu'il  mourut  le  i  décembre  1784, 

nt  un  héritage  littéraire  considérable.  Beaucoup 
de  ses  ouvrages  ne  rentçent  pas  dans  notre  programme. 
Parmi  ceux  qui  touchent  à  la  théologie,  nous  citerons  ; 
Pies  offices  des  saints Charalampos,  Matrone  et  Spyri- 
don,  in-4°,  Bucarest.  1736;  2°  l'office  de  saint  Rhéj 
de  Scopélos,  in-8°,  Venise.  17H»;  3°  le  Miroir  des 
femmes,  2  in-8  .  Leipzig,  1766,  biographies  édifiantes 
des  femmes  de  la  sainte  Écriture,  entremêlées  de  di- 
sions infinies  ;  l*  1"Eyx<5Xtciov  Xoytxôv,  recueil  d'hymnes 
en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge,  in-i  .  Venise,  1770; 
2e  édit.,  Leipzig.  1836;  5°  la  Xp^oro^ôêta,  in-8  .  Venise, 
1770,  recueilde  recettes  morales  pour  bien  vivre  en  tout 
état;  6°  Lettres  contre  l'orgueil  et  la  vanité  du  siècle, 
in-8°,  Vienne,  1776;  7°  la  TpziceÇot  Rveupanx^j,  in-v  ■ 
Venise.  1778;  2e  édit.,  ibid.,  178o.  recueil  de  quinze 
discours  moraux  suivis  de  documents  relatifs  au  mo- 
nastère de  Xéropotamos;  8°  Panégyriques  de  di\'-rs 
saints  en  vers.  in-8'.  Venise.  1778;  9  Map- .  av.ra:  tûv 
tv.mv  lepapxûv,  in-8°,  Venise.  1771».  traduction  en  j 
vulgaire  des  principaux  discours  des    saints  Basile  de 

ne,  Grégoire  de  Nazianze  et  .lean  Chrysostome; 
10° traduction  des  Dialogues  de  saint  Grégoire  le  Grand, 
in-8.  Vienne.  1780;  11°  T-ir-r,?:;  tt;  'n.x:  h 
in-8".  Vienne,  179Ô.  curieuse  explication  de  la  messe. 
Les  ouvrages  suivants  sont  plutôt  historiques,  mais 
plus  d'une  question  théologique  s'y  trouve  incidem- 
ment traitée;  ils  n'ont  d'ailleurs  vu  le  jour  qu'à  la  fin 
du  dernier  siècle:  12°  Histoire  des  sultans,  de  .Mêle met 
à  Achinet.  publiée  par  C.  Sathas,  Ribliotheca  grmea 
medii  sévi,  Vei  572,  t.  ni.  p.  1-70;  i:t*  Catalogué 

historique  de  1 70i>  a  I78i.  publié-  par  le  même  savant, 

.  p.  71-200;  14"  Épltémérides  Itaces,  publiées  par 
E.  Legrand  avec  une  traduction  el  un  excellent  com- 
mentaire historique.  3  in-£  1883-1888;  15*  Jar- 
din des  Grâces,  publié  presque  simultanément  par 
E.  Legrand.  dans  le  t.  ni  de  sa  Bibliothèque  grt 
vulgaire,  Paris.  1881,  p  1-232,  el  par  G.  Sophocle, 
in-16,  Athènes. 

Dapontès  a  laissé,  en  outre,  plusieurs  ouvra.es  ma- 
nuscrits, dont  les  principaux  sont  une  Géographie 
historique.  \e  Siaipov  jtoiriXtxov,  recueil  de  panégyriques 

et  de  cantiques,  les  'A. 'le,  vvr.ra.  soit-'  d  'anthologie  de 
l'Ancien  Testament,  le  4>avâp<  -pvxixâv,  histoire  des 
femme-  célèbres  du  paganisme  comme  de  l'antiquité 
chrétienne,  le   I  xaiXetûv,  résumé-   de  l'histoire 

byzantine,  entremêlé,  comme  les  autres  ouvrages 
Dapontès,  d'une    foule    de   digressions    souvent     fort 
curieuses,  enfui  des  Hymnes  et  poésies  dive  - 
sur  tous  ces  ou\ .  me  sur  la  vie  même  de  leur  : 


141 


DARBOY 


142 


auteur,  on  lira  avec  fruit  la  notice  placée  par  E.  Legrand  en 
tcte  du  t.  m  des  Éphémérides  Daces,  Paris,  1898,  p.  i-i.xxvxi- 

L.  Petit. 
DARBOY  Georges,  archevêque  de  Paris,  né  à 
Fa\ls-Billot  (Haute-Marne),  le  16  janvier  1813,  d'une 
famille  modeste.  Élève  du  petit  séminaire  de  Langres 
en  1826,  et  du  grand  séminaire  de  1831  à  1836,  il  fut 
ordonné  prêtre  le  17  décembre  1839  par  Ms>  Parisis. 
qui  le  nomma  vicaire  à  Saint-Dizier.  Professeur  au 
grand  séminaire  de  Langres,  de  1840  à  1845,  il  tra- 
duisit alors  les  œuvres  attribuées  à  saint  Denys 
l'Aréopagite.  Partisan  résolu  d'une  authenticité  que  les 
critiques  les  moins  suspects  rejettent,  l'abbé  Darboy  a 
déployé  pour  défendre  sa  thèse  toutes  les  ressources 
d'un  esprit  que  la  controverse  n'effrayait  pas.  Peut- 
être  à  cette  date  subissait-il  trop  l'influence  d'opinions 
ambiantes;  la  France  catholique  renonçait  alors  au 
gallicanisme,  et,  par  réaction  contre  le  gallicanisme, 
on  abandonnait  volontiers,  dans  l'ordre  même  pure- 
ment historique,  les  thèses  qu'avaient  patronnées,  au 
SV1I«  siècle,  des  critiques  jansénistes  ou  gallicans. 
L'abbé  Darboy  quitta  Langres  pour  Paris  en  1845. 
Second  aumônier  du  collège  royal  Henri-IV;  maitre  de 
conférences  à  l'école  des  Carmes  que  Mor  Affre  venait 
d'ouvrir,  il  publia  tour  à  tour  les  Femmes  de  la  Bible 
(1846);  les  Saintes  femmes;  une  Lettre  à  M.  l'abbé 
Combalot,  en  réponse  à  ses  delta  lettres  à  3/ie  l'ar- 
chevêque île  Paris  (1851 1:  une  Nouvelle  lettre  à 
M.  l'abbé  Combalot  en  réponse  à  sa  nouvelle  attaque 
contre  Nosseigneurs  de  Paris  et  d'Orléans  ;  Le  Christ, 
les  apôtres  et  les  prophètes  ;  Jérusalem  et   la  Terre- 

ite  (1852),  que  M.  l'abbé  (luillermin  a  spirituelle- 
ment nommé  :  a  Voyage  en  Terre  Sainte  dans  un 
fauteuil;  »  L'Imitation  de  Jésus-Christ,  traduction 
nouvelle  avec  Réflexions,  commentaire  substantiel  de 
ce  livre  admirable.  De  1847  à  1855,  l'abbé  Darboy  inséra 
aussi  divers  articles  dans  le  Correspondant.  (Ce  re- 
Cneil,  après  la  mort  de  Mar  Darboy,  a  publié  plusieurs 
lettres  de  lui.)  Vicaire  général  de  Paris,  archidiacre  de 
Saint-Denis,  protonotaire  apostolique,  l'abbé  Darboy 
publia,  en  1856.  la  Statistique  religieuse  du  diocèse  de 
Paris.  Après  le  meurtre  de  Mî'  Sibour  (3  janvier  1857), 
il  fut  élu  vicaire  capitulaire  du  diocèse,  fut  maintenu 
dans  l'administration  par  le  cardinal  Morlot,  donna 
une  nouvelle  édition  du  Traité  'le  l'administrUtion 
temporelle  des  paroisses,  oeuvre  de  Mb»  Affre;  et,  en 
publia  1  in  8"  sous  ce  titre  :  Saint  Tliomos  Becket, 
archevêque  de  Cantorbéry  el  martyr,  adaptation  de 
l'ouvrage  d'un  ancien  felloui  de  l'université  d'Oxford, 
le  docteur  Gilles  L'abbé  Darboy  avait  fait  précéder  cet 
ouvrage  d'une  introduction  dont  l'irréprochable  ortho- 
doxie  déliai I  la  critique  la  plus  ombrageuse.  Il  prêcha 
aux  Toileries  le  carême  de  1859;  fut  nommé  à  l'évêché 
de  Nancy  le  16  aoûl  de  la  même  .innée,  préconisé  le 
ptembre,  el  sacré  à  Notre-Dame  de  Paris,  le  30  no- 
vembre, par  b'  cardinal  Morlot.  Il  ne  devait  que  passer 
dans  la  capitale  de  la  Lorraine;  il  \  acheva  le  retour 
à  la   liturgie  romaine,  entrepris  par  son  prédécesseur. 

Parmi    les  mande nts  de  l'évéque  de  Nancy,  nom- 

moni  sa  lettre  du  1  avril   1860,    sur   la    Nécessité  de 

tde,  qui  accompagnail    une  ordonnance  relative  au\ 

conférene.  istiquea  el   à    l'exa n   des  jeunes 

dinal   Morlot,  sur  son  lit  de  mort,  avait 
ndé   M      Darboy  pour  successeur,  le    I"  janviei 
i   présenta  pour  l'archevêché 
[ue  de  Nancy  qui  fui  préconisé  dans  le 
du  16  mars  1863,  Le  8  janvier  1864,  l'empe- 
reur le  désigna   comme  grand   aumônier;    et.    par   un 
tobre,  l'appela  au  Sénat.  Aux  honneurs 
qui    s'accumulaient    sur    sa    tète,   et   anxora 
manqua  la    pourpre   romaine,    l'archevêque  de   I 

mdil  par   une  Me  ,]  une  correction  sévère    et   d  un 
Infatigable  labeur    Sa  vocation,  et  aptitudes 


et  ses  attraits,  faisaient  de  lui  un  administrateur,  un 
théologien,  un  apologiste.  Préoccupé  de  la  formation 
de  la  jeunesse  cléricale,  l'administrateur  agrandit  le 
petit  séminaire  de  Notre-Dame  des  Champs,  et  releva 
le  petit  séminaire  de  Saint-Nicolas  du  Cbardonnet.  Il 
dota  la  Sorbonne  théologique  de  professeurs  éminents, 
et  rétablit  à  Notre-Dame  les  conférences  de  l'Avent, 
confiées  par  lui  à  un  orateur  qui  devait,  hélas!  trom- 
per bien  des  espérances,  le  P.  Hyacinthe.  Il  consacra 
son  église  métropolitaine  (31  mai  1864.)  Il  encouragea 
toutes  les  œuvres  charitables,  crèches,  asiles,  écoles 
chrétiennes,  etc.  Certains  actes  de  l'administration  de 
Msr  Darboy  ont  provoqué  de  légitimes  critiques. 
Homme  de  gouvernement,  l'archevêque  de  Paris  re- 
doutait tous  les  obstacles  que  son  action  aurait  pu 
rencontrer;  de  là  son  opposition,  justifiée  d'ailleurs 
par  de  graves  autorités,  à  l'inamovibilité  des  desser- 
vants (séance  du  Sénat,  18  juin  1865);  de  là  aussi,  la 
répugnance  qu'il  éprouvait  pour  l'exercice  de  la  juri- 
diction immédiate  du  pape  dans  les  diocèses,  et  qui, 
après  la  visite  indûment  faite  par  ses  délégués  aux 
maisons  des  jésuites  et  des  capucins,  lui  attira  le  bref 
sévère  du  26  octobre  1865.  Aux  reproches  du  Saint- 
Père,  Mar  Darboy  répondit  d'une  manière  qu'on  vou- 
drait plus  respectueuse  et  moins  chagrine.  La  Revue 
d'histoire  et  de  littérature  religieuses,  mai-juin  1907, 
p.  240-281,  a  publié  les  lettres,  jusqu'alors  inédites,  de 
Ma»  Darboy  à  Pie  IX  et  au  cardinal  Antonelli.  Ces 
erreurs  de  conduite  s'expliquent  par  des  erreurs  théo- 
logiques. Au  grand  séminaire  de  Langres,  l'abbé  Dar- 
boy avait  enseigné  les  doctrines  romaines;  l'archevêque 
de  Paris  paraissait  s'en  être  dépris;  et  certes,  il  ne  les 
professait  plus,  lorsqu'au  Sénat,  «  dans  un  discours,  il 
s'éleva  contre  les  appels  au  saint-siège,  et  conclut  à 
accorder  quelque  respect  aux  lois  organiques.  » 
Emile  Ollivier,  L'Eglise  et  l'Etat  au  concile  du  Vati- 
can, c.  v.  Au  concile  du  Vatican,  Mai-  Darboy  combattit 
la  définition  de  l'infaillibilité  pontificale  dans  un  dis- 
cours d'une  rare  habileté.  H  avait  le  droit  de  parler  à 
ses  collègues  comme  il  le  fit,  le  20  mai  1870,  à  la 
.">.">'•  congrégation  générale;  il  eut  le  tort  de  s'adresser 
à  l'empereur  et  de  solliciter  une  intervention  qui  d'ail- 
leurs ne  lui  fut  pas  toujours  accordée.  «  Je  me  demande, 
écrivait-il  à  Napoléon  III  le  26  janvier  1870,  après 
s'être  plaint  du  défaut  de  liberté  du  concile,  si  l'in- 
térêt général,  l'intérêt  de  la  société  religieuse  et  civile, 
n'exige  pas  qu'on  nous  vienne  en  aide.  Le  gouverne- 
ment de  l'empereur  ne  pourrait-il  pas  faire  connaître 
au  gouvernement  pontifical  les  appréhensions  qui 
débuts  du  concile  causent  même  à  des  esprits  sérieux 
et  non  prévenus,  et  lui  laisser  entrevoir  les  consé- 
quences possibles  des  tendances  et  des  agissements 
signalés  plus  haut  (dans  celle  même  lettre)...  Ce  n'est 
pas  moi,  sans  doute,  qui  conseillerais  de  prendre  à 
l'égard  du  concile  une  attitude  qui  ne  serait  pas  che- 
valeresque et  désintéressée;  cependant,  je  ne  voudrais 
pas  qu'un  grand  gouvernement  comme  celui  de  l'em- 
pereur exprimât  une  confiance  et  des  espérances  que 
l'avenir  trahira  peut-être      I  ité  dans  L'Église  et  l'État, 

c.  vi.  El  dans  une  lettre  du  21  mai  1870,  l'archevêque 
de  Paris  proposait  à  l'empereur  de  rappeler  de  Rome 
l'ambassadeur,  le  marquis  de  Banneville.  D'après 
Me  Darboy,  par  cet  acte,  «  le  gouvernement...  donnerait 
un    appui    moral   à  la  minorité...  et   il  contribuerai! 

peut  èli Fflcacement    à    ftlire  retirer    ou   ajourner    la 

question  malheureuse  qui  Inquiète  et  divise  tout  le 
monde  .11  glise  et  l'État,  c.  vu.  On  se  ne  prendrait 
singulièrement  si  l'on  attribuait  ce  très  regrettable 
langage  et  les  ai  t<  corre  pondants,  a  une  foi  anémiée, 
l'ose  dire,  par  dei  préoccupations  d  ordre  poli- 
tique. M  i  Darboy  avait  pu  dire  un  jour  à  l'évéque  de 
M.  i/.  \l  i    Dupont  des  Logi  I  en'  i<    »otn    pi<  té, 

pOUr   Ul.i    loi.   elle   es|      n!  <<  |.  I        Mrlll.    1 


1 43 


DAKHOY    -    DARBV 


lii 


Mv  lhijx.ni  des  Loge».  L'avenir  n'a  point  justifié  lea 
alarmes   des   inopportunistes  de    l  I  en 

toute  sincérité    que   l'archevêque    de   Paria  disait  au 
conCil,  Le   remède  proposi     la  définition)  contre 

iux  du  Biècle  esl  manifestement  inefficace;  il 

même  à  craindre  qu'il  ne  nuise  à   beaucoup  d'1 b. 

Le  point  de  vue  théologique  n'est  pas  le  seul  à  consi- 
p,  nous  devons  tenir  compte  aussi  de  l'effet  Bur  la 
té  civile...  Presque  tous  ceux  qui  président  en 
Europe  aux  destinées  humaines  nous  chassent  ou  nous 
fuient.  Dans  ces  poignantes  angoi  i  !  l'Église,  quel 
remède  offre-ton  au  monde  accablé?  A  ceux  qui  d'une 
épaule  indocile  secouent  les  charges  imposes  i>;n-  les 

antiques  et  respectables  couti s  de  leurs  pères,  les 

auteurs  du   schéma  (de  l'infaillibilité)   imposent   une 
charge  que  sa  nouveauté  rend  aussi  lourde  qu'odieusi 
L'Église  et  l'État,  c.  vm.  Quand  la  congrégation  géné- 

i  du  13  juillet  1870  eut  montré  comme  inévitable 
aux  évêques  inopportunistes  la  définition  tant  redou- 
tée, M"  Darboj  écrivit  le  16  juillet  à  Pie  IX,  pour 
demander  qu'on  fit  au  texte  de  la  constitution  deux 
modifications  qui  laissaient  une  porte  ouverte  au  galli- 
canisme. Collectio  Lacencis,  t.  vu,  col.  i)92.  A  cette  con- 
dition, il  promettait  que  la  plupart  des  évêques  oppo- 
sants donneraient  leur  adhésion  au  décret  en  session 
publique.  Quand  il  n'eut  plus  l'espoir  d'être  écouté,  il 
fut  d'avis  de  ne  point  paraître  à  la  séance  conciliaire 
du  18  juillet;  et  son  avis,  combattu  par  Ms'  Haynald, 
archevêque  de  Colocza,  par  Mm  Ginoulhiac,  archevêque 
de  Lyon,  prévalut  parmi  les  évêques  de  la  minorité. 
g  La  piété  ei  le  respect  filial,  écrivaient-ils  le  17  juil- 
let à  Pie  1\.  ne  nous  permettent  pas,  dans  une  ques- 
lion  qui  touche  de  si  prés  Votre  Sainteté  qu'on  peut 
la  considérer  comme  lui  étant  personnelle,  de  dire 
publiquement  et  à  la  l'ace  de  notre  Père  -.Nonplacet...  s 
La  définition  une  fois  portée,  M»'  Darboy  se  soumit, 
comme  d'ailleurs  tous  les  évêques  de  la  minorité. 
«  Je  m'en  voudrais,  dit-il  au  pape  dans  une  lettre  du 
i  mars  1871  (Paris,  investi  depuis  septembre  par  les 
troupes  allemandes,  venait  de  se  rouvrir),  si  je  ne  pre- 
nais occasion  de  la  présente  lettre  pour  vous  déclarer 
que  j'adhère  purement  et  simplement  au  décret  du 
18  juillet.  Peut-être  que  celte  déclaration  paraîtra  su- 
perflue après  la  note  que  j'ai  eu  l'honneur  de  remettre 
a  Votre  Sainteté  le  l(i  juillet,  de  concert  avec  plusieurs 
de  mes  collègues;  mais  il  suffit  que  la  chose  vous  soit 
agréable,  comme  on  me  l'écrit,  pour  que  je  la  fasse 
avec  plaisir,  surtout  dans  les  circonstances  fine  vous 
traverse/.  Votre  Sainteté  peut  se  rappeler  que,  dans 
cette  note,  nous  exprimions  l'espoir  de  réunir  l'unani- 
mité des  suffrages,  si  l'on  adoptait  deux  ou  trois  correc- 
tions qui  n'atteignaient  pas  le  fond  du  décret,  mais  qui 
en  adoucissaient  la  formule.  C'esl  surtout  la  question 
d'opportunité  qui  nous  tenait  au  cœur,  ou  plutôt  à 
l'esprit,  et  la  crainte,  hélas!  de  voir  les  gouvernements 
se  désintéresser  des  affaires  de  la  papauté',  .le  sais  bien 
que  les  hommes  ne  sont  pas  forts,  ils  viennent  encore 
de  le  montrer,  el  que  Dieu  n'a  pas  besoin  d'eux;  mais 
pourtant  il  s'en  sert  quelquefois.  Enfin,  c'esl  fait.  • 

Chez  l'archevêque  de  Paris,  l'apologiste  ne  donne  p.is 
de  prise  à  la  critique.  Sa  fine  intelligence  avail  discerné 
de  bonne  heure  les  problèmes  qui  tourmentent  l'âme 
contemporaine:  el  ses  Instructions  pastorales  sont  une 
série  de  réponses  à  ces  questions  anxieuses.  Indiquons 
les  Instructions  quadragésimales  de  1868,  1869,  1870  et 
1871,  qui  constituent  un  traité  complet  de  la  vraie 
religion,  auparavant,  dans  son  mandement  pour  le 
carême  de  1864,  sur  la  divinité  de  Jésus-Christ,  l'ar- 
chevêque avait  réfuté  les  audacieuses  négations  de  la 

l'ie  ,ir  Jésus,  publiée  en    I8(3:i;  il   avail  commenté  à 

grands  traits  I  encyclique   Quanta   cura   dans    son   lus 

truction  pour  le  carême  de  1865,  de  laquelle  M«'  Pie 
disiiit   a  Pie  IX  que  rien  de  plus  topique  o  avait  été 


écrit  sur  ce  Btij-  ce  propos  de  l'abbé  Delarc, 

;,  qui  i  liera  lavait  rapport.      En  nu 

temps  qu'il  répand  la  lumière,  Mi  Darboj  recommande 
I  .  Ilbrl  et  préconise  la  lutte.  Dès  Nancy,  il  écrivait  un 
mandement  sur  la  direction  et  le  <j  ■"'  ''e  '<* 

ntre  autres  mandements  d'ordre 
essentiellement  pratique,  il  en  donnait  un  d'une  haute 
inspiration  et.  à  certains  endroits,  d'une  pénétrant 

m  mélancolie  sur  le  caractère  el  la  portée  de  la 
vie  humaine  novembre  1865  ,  Son  dernier  mandement 
de  carême  (15  février  1871    -  at  bève  par  de  vigoui 

ils.  M  Darboy  écrivain,  etaussi  orateur,  a  été  api 
cié  d'une  manière,  ce  semble,  définitive  par  M.  Emile  Olli- 
,iei  :  a  Tout  ce  qu'il  a  dit  ou  écrit  est  d'un  tour  parfait, 
d'un  souille  fort,  haut,  plein,  d'une  clarté  transpart  : 
d'une  dialectique  animée,  d'une  justesse  et  d'un  choix 
de  termes  exquis.  La  grandeur  de  la  pensée  commu- 
niquai! i  sa  parole,  malgré  la  faiblesse  de  ses  moyens 
physiques,  une  autorité  triomphante  :  en  l'écoutant  on 
se  entait  éle\é  à  la  région  supérieure  de  l'intelligence, 
plus  ferme  et  plus  éclairé.  Peu  accessible  aux  entraîne- 
ments de  l'imagination,  il  n'en  était  que  plus  lumi- 
neux :  le  bois  sec  est  celui  qui  produit  les  llammes 
vives.   »  L'Église  el  l'État,  c.  v. 

Si  désabusé  qu'il  parût  des  hommes  et  des  choses, 
et  que  nous  le  montre  son  buste,  chef-d'œuvre  de 
Guillaume,  Ma»  Darboy  professait  a  l'égard  de  ses 
contemporains  un  optimisme  que  l'expérience  n'avait 
pas  entame'-,  o  .l'offre  ma  tête  à  qui  en  veut,  disait-il  a 
Napoléon  III  un  jour  de  1868,  mais  à  notre  époque,  on 
ne  trouverait  i>as  un  bourreau,  t  (Je  tiens  ce  détail 
du  P.  Adolphe  Perraud,  qui  le  tenait  de  l'archevêque 
lui-même.  La  Commune  donna  un  démenti  à  cet 
optimisme.  Averti  a  temps,  il  pouvait  fuir:  c  Je  resterai, 
dit-il,  car  je  dois  l'exemple  a  mes  prêtres  :  ma  fuite  se- 
rait d'ailleurs  le  signal  d'un  massacre  général.  » 
L'archevêque  fut  arrêté  dans  son  palais  le  4  avril  I8i  I  . 
il  fut  enferme  à  Mazas,  où  il  demeura  quarante-six 
jours.  D'inutiles  démarches  furent  tentées  auprès  de 
.M.  Tbiers  pour  obtenir  léchaiu  Darboy  contre 

Blanqui.  retenu  prisonnii  ailles.  L'archevêque 

de  Paris  fut  transféré  à  la  Hoquette  le  22  mai.  Il 
condamné  à  mort  par  un  simulacre  de  cour  martiale. 
et  fusillé.  Il  tomba  en  pardonnant  et  en  bénissant.  Des 
funérailles  solennelles,  décrétées  par  l'Assemblée  na- 
tionale, lui  furent  faites  le  17  juinj  et  au  service  de 
quarantaine,  le  P.  Adolphe  Perraud.  de  1  Oratoire, 
prononça  à  Notre-Dame  son  oraison  funèbre. 

Les  C  uttorales   tle    M"    Darboy  ont  été    réunies, 

2  in-8  .  •.  Oraison  funèbre  prononcée  à  Notre-Pame 

de  Paris  par  le  P.  P.  A.  Perraud.  de  l'Oratoire  (ls  juillet  lsTl   : 

n    funèbre  a  la  cathédrale  de  Nancy  par  le 

R,   P.  Dfdon,  ii.  P.  (24  juin  1*71.;  Lettre  de  M"  Foi. 

luction  aux  oeuvres  pastorales,  de  M    Foulon;  M* Foulon, 
Histoire  delà  vie  et  des  -    le  M,T  Dan 

GuUlermin,  Vie  de  M*  Darboy,  avec  lettre-  rll«*Oury, 

Ué  S        V/>-   Darboy.    Gi« 
M     Dm  amiUère,  Paris,   istj.  xi-    Fèvm, 

intime   et  travaux    littéraires  de    .U1'   Darl  I*i3; 

2' édition,  sous  le  tltn  :  Vieetceui     -  1874; 

t..    do    Miivceuit.    M  -       Mlle    GraBI 

M       Darboy.    source  rad.    de   l'anglais 

UU«   O.    Ii    t        n-18,    1872;    Semaine 

t.  xxvi,  p.  ~:  Captivité  et  mort  de  M'   Darboy  en  iSli  (extrait 

du  Correspondant);  L'épiscopat  I 

jusqu'à  lu  séparation,  Paris,  1907 

\    Largj 

DARBY    John  Nelson,  prédicant   anglais  dissident 

18  novembre  1800-29  avril  1882),  naquit  à  Londres  de 

parents  irlandais,  et   fut  élève  de    Trinitj    Colles 

Dublin.  Ses  études   achevées,  il  embrassa  la  profession 

d'avocat,  qu'il  abandonna   ensuite  pour    la   chricatui  e. 

En    1825,    il    devenait     diacre,    et     en     1826    prêtre     de 

iblie.  11  ne  resta  pas  longtemps  fidèle  à  cette 

il  alors  éprouvée   par  la  déplorable  ten- 


145 


DARBY 


DARVARIS 


146 


dance  de  Vérastianisme,  qui  en  faisait  une  simple 
institution  d'État,  en  tout  soumise  au  gouvernement. 
Plusieurs  des  anglicans  les  plus  fervents  avaient  déjà 
fait  schisme  pour  protester  contre  ces  tendances  pure- 
ment mondaines  ;  John  Walker,  en  1804,  avait  ainsi 
fondé  une  secte  séparée,  les  séparatistes  ou  walké- 
rites,  qui  avaient  de  nombreuses  communautés  en 
Irlande  et  dans  l'Angleterre  occidentale.  Des  «  congré- 
gations »  de  ce  genre  furent  fondées,  en  particulier,  en 
Irlande,  par  le  dentiste  Norris  Groves  et  l'avocat  Bellet. 
Tous  deux  furent  les  amis  de  Darby  et  eurent  sur  lui 
grande  influence.  Stokes,  J.  N.  Darby,  p.  537  sq. 

Le  dernier  coup  fut  porté  à  celui-ci  par  la  vue  de 
l'acharnement  avec  lequel  l'archevêque  anglican  de 
Dublin,  Magee,  et  son  clergé,  s'opposaient,  au  nom  de 
la  raison  d'Etat,  au  mouvement  d'émancipation  des  ca- 
tholiques alors  dirigé  par  O'Connell.  Dès  1828,  il  semble 
avoir  abandonné  l'Église  établie.  Il  est  alors  tout  occupé 
de  la  pensée  de  l'avènement  prochain  du  Christ,  liante 
de  visions  apocalyptiques,  et  finit  par  renoncer  à  toute 
idée  d'une  Église  hiérarchique,  pour  ne  voir  dans  le 
christianisme  que  la  doctrine  consignée  dans  l'Ecriture 
sainte  et  interprétée  par  le  sens  propre  de  chaque 
baptisé.  Il  vécut,  en  1830,  plusieurs  mois  sur  le  Calary 
Bog,  dans  une  hutte  de  paysan,  se  livrant  à  toutes  les 
pratiques  ascétiques.  Ainsi  préparé  à  son  rôle  de  réno- 
vateur, il  alla  étudier  en  Angleterre  les  communautés 
séparatistes,  et  fut  très  frappé  de  la  ferveur  qui  régnait 
dans  celle  de  Plymouth.  La  vue  des  Plymouth  brethren 
fut  pour  lui  une  révélation;  c'est  sur  leur  modèle  qu'il 
instituera  dans  le  monde  entier  des  fraternités.  S'il  fut 
doncle  principal  propagateur  du  mouvement  séparatiste 
et  individualiste  connu  sous  le  nom  de  phjmouthisme, 
il  est  faux  que  ce  mouvement  lui  doive  son  existence; 
tout  au  contraire,  les  idées  de  Darby  se  précisèrent  et 
s'affirmèrent  dans  la  société  des  frères  de  Plymouth. 
Stokes,  J.  X.  Darby,  p.  5ii  sq.;  Teulon,  The  history, 
p.  8  sq.  En  1831,  Darby  commence  en  Irlande,  avec 
Bellet.  l'œuvre  du  Seigneur  ».  Groves  est  parti  pour 
prêcher  l'Evangile  aux  musulmans  de  Perse  et  de  Méso- 
potamie. Les  prédicateurs  ambulants  ont  un  véritable 
succès,  et  détachent  de  l'Église  établie  nombre  de  ses 
plus  fervents  sectateurs.  Les  persécutions  ne  manquent 
pas;  et  en  plus  d'une  ville,  Darby  et  ses  compagnons  sont 
expulsés  el  maltraités  à  l'instigation  du  clergé  anglican. 

Les  premières  congrégations  de  frères  de  Plymouth 
ou  darby 8 tes  n'ont  aucune  organisation,  toute  hiérar- 
chie étant  pour  elles  une  altération  coupable  de  l'œuvre 
du  Christ.  Chaque  dimanche  les  frères  se  réunissent 
pour  la  cène,  repas  commun  de  pain  el  de  vin;  on 
chante  des  cantiques;  on  fait  des  lectures  de  l'Écriture 
suivies  de  longs  silences  pendant  lesquels  chacun  se 
livre  a  la  méditation;  puis  tous  ceux  des  frères  qui 
ent  en  eux  l'Esprit  peuvent  librement  dire  ce  qu'il 
leur  inspire.  Pas  de  symbole  commun.  Les  frères  se 
regardant  comme  «  les  saints  fies  derniers  temps 
récitent  pis  l'oraison  dominicale, parce  que  la  parole  : 

Pardonm  z  nous  nos  offenses,  ne  ^aurait  avoir  de 
pour  eux.  Le  baptême  n'esl  conféré  aux  enfants 
qu'à  treize  ou  quatorze  ans,  après  qu'ils  ont  (Hé  instruits 
des  vérités  du  christianisme.  L'avènement  du  Christ 
étant  pioche,  et  tout  ici-bas  devant  bientôt  finir,  les 
Frères  ne  cultivent  pas  les  science*-  et  les  arts,  el  se 
bornent  à  gagner  le  nécessaire  pour  leur  subsistance 
de  chaque  jour;  il-  refusent,  autant  que  possible,  de 
prendra  part  a  la  vie  politique  el  BOCiale  de  leurs  con- 
cilo]  me  ■<  leui  -  œui  re    <i"  charifc     D 

fer  eur  d      premiei    temp     il  j  ent  încontestabli 

lie    nobles     exemple-     .1    in  -I.  ni,   ,      ,|,       ,|,  ;    l       ,|,. 

prièn  .  donni  -  par  les  pi  John 

■  u  by,  p.  *>i  i     i  .  I  ■  nlon.  The  hit  tory,  p,  i 
■  nt.  The  Plymouth  brethren,  p.  48  tq. 
Darbj   fui  un  intrépidi  ar,  qui,  jo 


dernières  années,  prêcha  ses  doctrines  par  le  monde. 
Il  parvint  à  implanter  quelques  communautés  de  frères 
parmi  les  calvinistes  du  sud  de  la  France,  et  surtout 
dans  la  Suisse  française  et  allemande,  où  le  darbysme 
devint  une  secte  assez  puissante.  Il  parcourut,  en  prê- 
chant et  instituant  des  congrégations,  l'Italie  du  nord, 
l'Allemagne,  les  États-Unis,  le  Canada,  et  jusqu'à  la  Nou- 
velle-Zélande. Herzog,  Les  frères  de  Plymouth,  p.  11  sq. 

Des  schismes  devaient  naturellement  se  produire 
dans  une  secte  où  l'inspiration  individuelle  ne  con- 
naissait aucune  règle.  Par  une  inconséquence,  due 
sans  doute  à  son  éducation  théologique  anglicane, 
Darby  prétendait  imposer  aux  siens  ses  idées  sur  la 
trinité,  l'incarnation  et  quelques  autres  dogmes.  En 
1845,  cette  prétention  produisit  une  grave  scission. 
Deux  des  «  frères  »  de  Plymouth  les  plus  fervents, 
Newton  el  Harris,  ayant  enseigné'  sur  la  personne  du 
Christ  des  propositions  que  Darby  trouva  hétérodoxes, 
et  refusant  de  se  rétracter,  leur  maître  les  «  livra  à 
Satan  »,  et  leur  refusa  l'accès  de  ses  assemblées;  il  y 
eut  ainsi,  à  Plymouth  même,  et  dans  les  autres  villes 
où  le  plymouthisme  avait  des  adhérents,  deux  catégories 
de  frères,  les  exclusifs,  exclusive  brethren,  groupés 
autour  de  Darby,  et  les  ouverts,  open  ou  loose  bre- 
thren, qui  suivaient  Newton  et  Harris.  Chacune  de  ces 
sectes  rivales  se  fractionna  bientôt  en  subdivisions 
distinctes.  Look,  Darby,  p.  490  sq.  ;  Stokes,  /.  N.  Darby, 
p.  551  sq.  ;  Carson,  The  hérésies,  p.  159  sq.  Darby  passa 
ses  dernières  années  au  prieuré  d'Islinglon,  consulté 
par  ses  adhérents  du  monde  entier,  et  scrupuleusement 
obéi.  Il  mourut  à  Bournemouth  le  29  avril    1882. 

Les  darbystes  ne  publiant  pas  de  statistiques,  il  est 
difficile  de  connaître  leur  nombre  exact.  Aux  Etats-Unis, 
ils  comptaient,  en  1890,  6661  s  communiants  ».  En 
Angleterre  et  au  Canada,  ils  sont  beaucoup  plus  nom- 
breux. Au  moment  de  la  mort  de  Darby,  on  comptait 
750«  congrégations» en  Grande-Bretagne,  pour  les  seuls 
exclusifs.  Des  traductions  française  et  allemande  de  la 
Bible  ont  été  faites,  par  les  soins  de  Darby,  à  l'usage 
des  frères.  Carroll,  The  religions  forces,  p.  60  sq., 
181  sq.;  Stokes,  J.  X.  Darby,  p.  552. 

I.  SOURCES.  —  La  publication  des  œuvres  de  Darby  a  com- 
mencé à  Londres  en  1866;  34  volumes  ont  déjà  paru  :  The  col- 
lectée, wrilings  ofJ.  N.  Darby,  1866  sq.  Un  Index  a  paru  à 
Londres  en  -1902.  Ses  Lettres,  de  1832  à  1882,  ont  été  égale- 
ment éditées  à  Londres  :  Letters  of  ./.  N.  Darby,  Londres. 
1886-1889.  Gleanings  from  the  writings  ofJ.N.  D.,  Londres, 
1898;  Gleanings  from  tlie  published  letters  ofJ.  N.  D.,  Londres, 
1896;  Memoir  of  A .  X.  A'.  Groves  bg  his  ividoiv,  Londres,  1869, 

II.  Travaux.  —  J.  H.  Blunt,  Dictionary  ofsects,  hérésies,  etc., 
Londres,  1891;  H.  K.  Carroll,  The  religions  forces  of  tlie  Uni- 
ted  States,  New- York,  1893;  J.  C.  L.  Carson.  Tlie  lieresies  of 
tlie  Plymouth  brethren,  Londres,  1S83;  E.  Dennet,  The  Ply- 
mouth brethren,  Londres,  1870;  Estéoule,  Le  plymouthisme 
d'autrefois  et  le  darbysme  d'aujourd'hui,  Paris,  1858; 
J.  Grant,  The  Plymouth  brethren,  Londres,  1875;  II.  Gl 
Darbyism.  Its  rise  and  devel  i  1866;  J  I.  Her- 
zog, art.  Plymouthbruder,  dons  Realencyklopâdie,  2"  édit., 
t.  xm,  p.  72  sq.  ;  .1.  J.  Herzog,  Les  frères  de  Plymouth  et  John 
Darby.  Lausanne.    1845;  Loofs,  art.  .1.   X.  Darby.   dans   lieal- 

iclop&die,  '■<■•  (Mil.,  i.   i\ .  p.  183  -'i  ;  w     I  mouth 

brethrenism    unveiled  and    refuted,   Edimbourg,   1875:  G.  T. 

.   ./.    A".    Darby,  dans  Contemporary  lleview,  octobre 

1885,  t.  xlviii,  p.  537  sq.  ;  J  S,  feulon,  Vhe  history  and  teaching 

of  the  Plymouth  brethren,  Londres,  s.  d.  (18 

.1.  de  la  Sein  ti 

DARVARIS  Démétrius,  aul.ur   grec  de  la  première 

moitié  du  dernier  siècle,  dont  le  nom,  C me  celui  de 

Berquin  en  France,  est  resté  populaire  dans  la  jeui 
grecque.  Né  l<  ■'  1767  au  pelit  village  deKlei 

i  i.  Macédoine  d'une  famille  de  commerçants  en 
m  de  Don  varié,  ma  bois  .  il 

i   rendit  en  1769  â  Semlin,  où  son  pi  établi  une 

i  li  qu'il  apprit  l'allemand  el  le 
il  compléta  son  éducation  d'abord  ■>  Kouma,  pi 


117 


DAR  V  \i;is 


DAUBERMESNIL 


148 


Ni  usatz,  enfin  à  Bucarest     1777  1780),   et   aux  univer- 
allemandea  de  Halle  el  de  Leipzig.  Ri  venu  à  Sem- 

lin  ai lit  d'août  1784,  il  \  ouvrit  une  école  qu'il  dé- 
pendant Bepl  ans  consécutifs.  Il  Ml  de  même  à 
Vienne  où  il  se  rendit  en  1794,  à  la  demande  de  son 
frère  Jean,  dont  les  libéralités  lui  permirent  d'imprimer 
les  nombreux  ouvrages  qu'il  avait  composés  pour  ses 
élèves.  Il  mourut  le  '21  février/5  mars  1  <s-j: i .  à  Vienne, 
à  l'âge  de  65  ans  et  demi.  De  se-  nombreux  ohm 
nous  ne  mentionnerons  ici  que  ceux  <|iii  se  rapportent 
à  noln'  domaine  I"  afixpà  ■/.■x-.ityrr,::  ïJtoi  itjvto|io? 
&p8oSo(;o;  ôpo/ovia  t>,;  àv<XToXtX7)(  È//'/r,<7'.a;  ti.iv  rpaixûv 
/,  'Puuattov,  in-8",  Vienne,  1791  :  traduction  du  caté- 
chisme serbe  approuve''  par  le  synode  de  Karlovil/  i  n 
1774;  2"  Xupayiùylx  ei;  tt,v  xaXox<XY«8fav,  in-i\ 
Vienne,  1791  ;  3°  'AvçocXtic  bhrflltt  i\;  tvjv  yvûxriv  tûv 
àv6pai7ruv,  in-8°,  ibiil.,  I79.">:  îfl  'A/r,'j>;  ôpô;  elç  rîjv 
eù8atu,ov(av,  in-8°.  ibid.,  1796;  ô  XpviaoOv  lyxéXittov, 
in-8°,  i/>io?.,  1799,  traduction  de  Cébès  et  d'Épictète, 
suivie  d'un  Essai  sur  la  providence,  compost'  par  Dar- 
varis;  (>°  S-jvto|jlo(  Eepô  loropi'a  ■:■?,:  iy./'/v-Tia:  tt,;  t.x- 
Xatâ<  xàt  via;  AiaOr,-/./,;,  in-8",  ifrtd.,  1800,  traduit  du 
russe;  7°  'Exxetpîfitov  -/piatiavixdv,  explication  de  la 
messe,  de  l'oflice,  des  sacrements,  en  un  mot  de 
tout  ce  qui  touche  au  culte,  in-8",  ibid.,  1803;  8"  'Etiitou,ïi 
t?,;  Upà;  taropi'a;  -■>,;  èxxXrjatac  Tr,ç  rcaXacâ;  /.ai  via; 
AiaOr,y.r,ç,  in-8".  î'/;i(/.,  '1803;  9°  Mc'/i'/r,  -/.Kyrîi:  îjTOt 
ôpOôSoEoç  xpiffrtavtXY)  BiSauxaXt'a  rr,;  avatoXixfic  ÈxxXr,- 
<jia;,  traduction  du  russe,  in-8",  ikid.,  1804;  10"  IIa:ôa- 
Y«oyôç  v-toi  j)8(xoi  xavôveç  roû  Çr,v,  in-8°,  ibid.,  1804; 
11°  IIpo7iapa<7xs'jr,  Et;  t/,v  BeOYVCiaffMXV  8;à  :■?;  6  =  wp;a;  ton 
ovtwv,  in-8 °,  i 6 » c/ . ,  1807;  12e  Mixpbv  irpoffevxyi'tâpiGv, 
suivi  des  offices  liturgiques,  in-8°,  i6<d.,  1818.  C'est 
encore  à  la  plume  féconde  de  Darvaris  qu'est  due  la 
traduction  allemande  de  la  trop  fameuse  IIÉTpa  «rxavSâXou 
d'Élie  Migniati,  vigoureux  pamphlet  contre  la  primauté 
papale;  cette  traduction  parut  à  Vienne  en  1787 
L'année  précédente,  avait  également  paru,  mais  en  tra- 
duction slave,  la  X.pr)atOT)8sioc  d'Antoine  de  liy/ance. 
Plusieurs  de  ces  volumes,  en  particulier  les  catéchismes, 
ont  été  réimprimés  plusieurs  fois. 

A.  Pémétracopoulos,  Iltioatiixai  »a!  Siop8»»ii(  .';  -■•.•  Neoiiinvtxîiï 
<I'.'/t,/.r;V;«,  Kmvotbvtîvou  £ci.O'/,  in-8\  Leipzig,  1871,  p.  97-98;  'Eicavop- 
6.û<T£iç  t'jc.'/.[a'>.ti.)v  Rapax«içi)OsvT«>v  tv  tîS  NsoeXXqvurîj  'l"./.'//.v->/  :oj 
K.  £««•/.,'  in-8%  Trieste,  1872,  p.  38-40.  L'article  de  C.  Sa 
Nîoi'/.'/ vx',  ♦tXolojfa,  Athènes,  1808,  p.  504,  est  inexact  et  incom- 
plet. 

L.  Petit. 

DAUBENTON  ou  DAUBENTONNE  Jeanne,  dite 
aussi  Piéroime  d'Aubenton,  hérétique  brûlée  à  Paris, 
le  5  juillet  1372.  Née  à  Paris,  à  une  date  inconnue,  dans 
le  courant  du  xive  siècle,  Jeanne  Daubenton  se  laissa 
séduire  par  la  morale  fort  relâchée  des  turlupina.  Voir 
ce  mot.  Elle  s'unit  à  l'un  d'eux,  se  mit  à  prêcher  et 
devint  l'un  des  principaux  et  des  plus  actifs  propagan- 
distes de  la  secte.  Les  femmes,  disait-elle.  ont  reçu  de 
Dieu,  aussi  bien  que  les  hommes,  le  don  delà  prédi- 
cation. Pour  marcher  sur  les  traces  des  apôtres,  on 
doit  aller  pieds  nus,  à  peine  vêtu  et  vivre  dans  la  pau- 
vreté. Une  fois  arrivé  à  un  certain  degré  de  perfection, 
tout  est  permis,  on  devient  impeccable,  et  l'on  peut  se 
livrer,  sans  crainte  du  péché,  à  tous  ses  caprici  S, 
assouvir  ses  passions  el  satisfaire  son  corps.  Des 
maximes  aussi  dépravées  trouvèrent  facilement  un  écho 
dans  les  bas  fonds  de  la  capitale  et   des  environs.  Les 

membres  de  la  secte  furent  nombreux.  Chacun  se 
trouvant  vite  en  étal  île  perfection.  iN  agissaient  en 
conséquence  et  ne  reculaient  devant  aucune  turpitude, 
même  en  publie.  Le  débordement  de  leurs  mœurs  les 
rendait  passibles  des  lois  civiles.  M. h--  ils  avaient  la 
prétention  de  mener  une  vie  conforme  à  l'Évangile. 
L'autorité  ecclésiastique  dut  intervenir.  Grégoire  \1 
excommunia   les  turlupins  el  invita  les  princes,  notam- 


ment Charles  V.  i  >.i  de  Frani  e,   ■  réprimer 
hérétiques.  Voir  la  lettre  du  pape  au   roi.  d 
nius.  Annales,  an.  137:?.  n.   19-90.  Est-ce  a  la  suite  de 
celte   invitation    qui  lut    arrêtée?   Baroniua 

l'affirme,  ibid.,  n.  21.  et  eit.-  Gaguin.  Jeanne,  en  effet, 
fut  jugée,  convaincue  d'hérésie,  condamnée  et  livrée 
au  bras  séculier.  Gaguin  raconte,  Annale»  Fi 
regum,  Paris,  1521,  p.  ci.xiii,  qu'on  la  brûla  en  place 

(le    Grève    avec    le    (;;,  |         ili-ci, 

en  effet,  était  mort  en  prison  avant  la  sentence.  Il  avait 
été'  avec  Jeanne  l'un  des  principaux  prédicateurs  d.-  la 
secte;  son  corps  fut  conservé  dans  la  (baux  pendant 
quinze  jours  et  finalement  brûlé   avec  uand 

celle-ci  dut  monter  sur  le  bûcher,  le  ."»  juillet  1372. 

Gaguin,  Annales  Franco)  xm; 

Baronius.  Annales,  an.  1373.  p.    19-21  Etenchut 

hseresium,'                  îl, art Tur lu}    ■  .       .'ussarium, 

y  Turlupins  ;  Migne,  Dici.  des  ht  -elle  biographie 
générale,  Paris,  1855,  t.  xm,  p.  1" 

L.     LaI.HI.LE. 

DAUBERMESNIL  François-Antoine,  homme  po- 
litique français,  ne''  à  Salles  (Tarn  d  1748,  mort  à 
Perpignan  en  1802.  Envoyé  par  le  département  du  Tarn 
à  la  Convention,  1792,  mais  républicain  modère,  il 
démissionna  en  mai  1793;  déjà  pendant  le  procès  du 
roi,  prétextant  une  maladie,  il  n'avait  pas  pris  part  au 
vote,  l'n  décret  spécial  du  21  thermidor  an  III  11  août 
1795)  le  rappela  à  la  Convention;  il  fut  alors  membre 
du  comité  d'instruction  publique.  Il  figura  aux  Cinq- 
Cents,  mais  il  en  sortit  en  l'an  V  pour  y  rentrer  en  l'an 
VI,  toujours  comme  représentant  du  Tarn.  Il  protesta 
contre  le  18  brumaire,  aussi  fut-il  exclu  du  corps 
législatif  par  Bonaparte  el  même  un  moment  exilé  dans 
la  Charente-Inférieure.  Sa  mort  suivit  de  prés.  Dauber- 
mesnil  est  surtout  connu  pour  ses  idées  et  ses  tenta- 
tives religieuses.  Afin  de  se  débarras:  la  super- 
stition »  et  pour  lutter  contre  le  >'  péril  prêtre  .  la 
Convention  et  plus  encore  le  Directoire  tentèrent  de 
fonder  une  religion  civile,  dans  le  cadre  décadaire. 
L'un  des  législateurs  les  plu-  télés  autour  de  cette  idée 
fut  Daubermesnil.  comme  le  prouvent  ses  longs  discours, 
sentimentaux  et  optimistes,  aux  Cinq-Cents.  Mais  trou- 
vant lente  et  incomplète  l'action  des  pouvoirs  publics, 
il  essaya  de  lancer.de  son  initiative  prive,  les  institu- 
tions religieuses  et  morales  qu'il  rêvait.  Dans  les  pre- 
miers mois  de  l'an  IV  1797  ,  il  faisait  paraître  un 
livre  descendu  du  ciel  (e  cœlo  descendit),  disait  l'épi- 
graphe, sans  nom  d'auteur  et  avec  ce  titre  :  Extrait 
d'un  manuscrit  intitulé:  i  Le  culle  des  Adorateu 
contenant  des  fragments  de  leurs  différents  !, 
sur  l'institution  du  culte,  les  >h*'-rcances  religieuses. 
r instruction,  les  préceptes  ci  l'adoration,  in-8  .  I 
Ce  livre,  qui  s'inspirait  de  Voltaire  dans  ses  jugements 
sur  les  religions  positives  et  île  Rousseau  pour  la 
construction  de  la  religion  nouvelle,  prétendait  rame- 
ner sur  la  terre  la  seule  religion  vraie,  la  religion  na- 
turelle, celle  des  patriarches  qui  gouvernaient  leurs 
familles  selon  les  lois  de  la  conscient  i  .  sans  - 
-ans  mystères,  les  dogmes  que  «levaient  croin 
Adorateurs  riaient  ainsi  uniquement  l'existenci  ch- 
ilien et  l'immortalité  de  l'âme;  1>  -  ,  qu'ils 
devaient   observer   énuméraient    les  devoirs   naturels 

envers  Dieu,  envers   le  prochain,    envers    -oi-niéme    et 
envers    la   cite.   La   partie   originale   du    livre  concerne 
inisation  du  cuit'.   11  y  a  un  culte  public  et  un 
culte  privé.  Le  culte  public  -  dans  Y  as  de  on 

temple;  l'année  rituelle  commence,  comme  l'année 
républicaine,  i  l'équinoxe  d'automne,  et  chaque  saison 
est  l'occasion  d  une  grande  fête  commune  à  ton- 
Adorateurs.  Il  n'y  a  pas  de  prêtres  à  proprement  parler: 
leur  rôle  est  joue  par  des  chefs  de  famille  élus  chaque 
année  et  qui  revêtent  un  costume  minutieusement 
décrit  et  ridicule.  Tous  les  neuf  jours,  huit  jours  con- 


149 


DAUBERMESNIL    —    DAUPHIN    (DELFINI 


150 


sécutifs  étant  consacrés  au  travail,  l'Adorateur  se  rend 
au  temple  avec  sa  famille.  Les  rites  principaux  sont 
l'entretien  d'un  feu  sacré  perpétuel  dans  Vasile,  rite 
renouvelé  de  la  religion  des  Guèbres,  des  danses 
saintes,  des  offrandes  de  froment  ou  de  fruits,  etc.  Les 
funérailles  sont  entourées  de  cérémonies  très  longues 
et  très  compliquées.  Deux  jours  par  année  sont  con- 
sacrés à  la  célébration  des  mariages.  Quant  au  culte 
domestique  dont  le  prêtre  est  le  chef  de  famille,  il  est 
de  beaucoup  le  plus  important.  Le  culte  des  Adorateurs 
eut  même  un  commencement  d'exécution.  D'après 
Grégoire,  Daubermesnil  aurait  fondé  deux  asiles, 
l'un  à  Gaillac,  dans  son  pays  natal,  l'autre  à  Paris, 
rue  du  Bac,  et  ici  l'association  aurait  réuni  sept  ou 
huit  pères  de  famille.  Bientôt  les  Adorateurs  se  confon- 
dirent avec  les  tliéophilanthropes  dont  Daubermesnil 
devint  l'un  des  chefs. 

Grégoire,  Histoire  des  sectes  religieuses,  2  in-8",  Paris,  1810 
et  1814;  2'  édit.,  182S;  Mathieu,  La  théophilanthropie  et  le 
culte  décadaire,  1796-180Î,  in-8%  Paris,  1903. 

C.  Constantin. 

DAUDE  Adrien,  né  le  9  novembre  1704  à  FriUlar, 
entra  dans  la  Compagnie  de  Jésus  à  .Mavence,  le  28  sep- 
tembre 1722;  depuis  1742,  il  professa  les  controverses 
et  l'histoire  à  l'université  de  Wur/.bourg,  et  mourut 
dans  cette  ville  le  12  juin  1755.  Il  a  publié,  sur  les  ori- 
gines et  les  attributions  des  divers  degrés  de  la  hiérar- 
chie ecclésiastique,  un  ouvrage  érudit'en  deux  parties,  à 
la  fois  historique  et  théologique,  dont  voici  le  long  titre  : 
Vajestas  hiérarchise  ecclesiaslicse  a  summi  ponlificis 
regali  sacerdotio,  cardinalium  eminentissima  purpura, 
palriarcharum,  archiepiscoporuni,  episcoporuni  sacra- 
tiore  principatu,  prsesulum  minorum  sublimi  digni- 
tale,  ecclesiarum  calhedralium  illuslrissimo  splendore, 
collcgialarum  insigni  décore,  parochialium  pielale  et 
zelo,  totiusque  venerabilis  cleri  pulcherrimo  online  ac 
disciplina  commendala,  ex  dogmalihus  theologicis, 
sacris  canonum  stalulis,  lti*toria  ecclesiaslica  et  civili 
proposita.  Pars  1.  —  Majestas  hiérarchise  ecclesiasticm 
a  cleri  regularis  inttiluto,  comobitarum  allissima 
i  ontemplatione,  ordinum  monasticorum  et  militarium 
piissima  actione,  asceteriorum  vilam  mixtam  profl- 
tentium  ordinalissima  charilate,  neenon  religionum 
a  tanctimonia  et  admirabili  varietate  exornala, 
ourla  et  propagata,  per  lucubrationeni  kistorico-theo- 
logicam  commonsl ,-ata.  Pars  II,  paru  d'abord  sous 
forme  de  dissertations  académiques,  in-i  >,  Wurzbourg, 
1745  el  I7HJ;  réimprimé  en  2  in-4°,  Bamberg,  1780.  Le 
P,  Daude  a  encore  publié  une  histoire  universelle  «  prag- 

matiq ,  c'est-à-dire,  connue  il  l'explique  lui-même, 

spécialement  composée  en  vue  de  l'utilité  des  théolo- 
giens :  Historia  dis  et  pragmatica  romani  im- 
l»  ru,  regnoi  um,  pro\  in*  iarum,  una  cum  insignioribus 
monumentis  hiérarchise  ecclesiaslicse,  e.r  probatis 
ptoribus  congesta,  observationibus  criticis  aucta, 
algue  ad  theologise  positivée,  jurisprudentiœ  acphilo- 
logiœ  peculiarem  usum  re/Iexionibus  dogntnticis  et 
chronologicii  illustrala,  2  parties  en  3  tomes  in-i". 
Wurzbourg,  1748-1751.  Cette  histoire  va  depuis  le  com- 
mencement du  monde  jusqu'à  l'avènemenl  de  Charle- 
ne. 

i>'   i  Jornmervogel  \ue  de  la  '     de  I 

i  il*  <  Hurler,  !\  .  t.  in.  col.  1488-1434; 

Duhr, 

/»'(;/'  "  i    i\,  p.  789-770. 

DAUNOU    Jean-Claude-François,    Dé    à   Boulo 

sur-Mer   le  18  aoûl  t T« ;  1    8e«  talents préi  térenl 

oratorien  ille  natale,  à  l'attirer 

dam  leur  congi  ù  il  fui  r n  1777.  ;i  16 ans, 

Bientôt  il   devint,  il  ■  ur  di   philosophie 

dans  cetti   mi  me  m  Boulogne,  puis,  en   1785, 

-n  il  eut  à  t  la  théologie,  qui  le 


passionnait  alors,  a-t-il  témoigné  plus  tard.  C'est  là 
qu'il  fut  ordonné  prêtre  en  1787  et  que  le  trouva  encore 
la  Révolution  à  laquelle  il  adhéra  avec  enthousiasme. 
On  sait  le  rôle  qu'il  joua.  Un  moment  vicaire  métropo- 
litain de  Paris,  il  cessa  bientôt  toutes  fonctions  sacer- 
dotales. Le  reste  de  sa  vie,  laborieuse  et  honorable,  mais 
tout  à  fait  laïque,  si  l'on  peut  parler  ainsi,  ne  nous  appar- 
tient plus.  A  l'Oratoire,  divers  travaux  littéraires  l'avaient 
déjà  fait  remarquer  et  laissé  pressentir  ce  qu'il  serait  un 
jour.  Il  mourut,  le  20  juin  1840,  garde  général  des  Ar- 
chives nationales  et  pair  de  France.  De  toutes  ses 
œuvres,  nous  n'avons  à  nommer  ici  que  VEssai  histo- 
rique sur  la  puissance  temporelle  des  papes,  que  Na- 
poléon le  chargea  d'écrire  lorsqu'il  voulut  abolir  le 
gouvernement  pontifical,  et  qui  a  eu  quatre  éditions, 
in-8°,  Paris,  1810  (2  éditions);  in-8°,  Paris,  1811  et  1818. 

Taillandier,  Documents  biographiques  sur  Daunou,  Paris, 
1841,  mais  qu'il  faut  rectifier,  pour  la  période  oratorienne  de  sa 
vie,  par  mon  Oratoire  et  la  Révolution,  Paris,  1883.  Voir  aussi 
.Michaud,  Biographie  universelle,  t.  x,  p.  166-174;  Feller,  Bio- 
graphie universelle,  Paris,  1818,  t.  m,  p.  156157. 

A.  Ingold. 
DAUPHIN  (DELFINI)  Jean-Antoine,  né  à  Pompo- 
nesco  en  Lombardie,  fit  ses  premières  études  à  Cré- 
mone et  les  compléta  à  l'université  de  Bologne.  Il  s'é- 
tait appliqué  en  particulier  à  l'étude  du  grec,  de  la  mé- 
decine et  des  mathématiques;  mais  répondant  à  l'appel 
de  Dieu,  il  entra  chez  les  conventuels  de  Casalmaggiore. 
Religieux,  son  ardeur  pour  l'étude  ne  se  ralentit  pas  : 
minuit  était  l'heure  de  son  lever  et,  après  la  prière,  il  se 
mettait  au  travail;  l'on  dit  que  ses  confrères  l'avaient  à 
cause  de  cela  surnommé  fra  Mezzanolle.  Dans  son  or- 
dre il  fut  lecteur,  régent  des  études  à  Padoue  ;  Bologne 
réclama  son  ancien  élève  et  lui  confia  une  chaire  de 
métaphysique  ainsi  que  la  charge  de  régent  du  collège 
espagnol  établi  près  de  celte  université;  on  le  trouve 
encore  inquisiteur  en  Romagne  et  provincial  de  ses  frè- 
res de  la  province  de  Bologne.  Le  P.  Dauphin  s'illustra 
en  particulier  dans  les  commissions  préparatoires  des 
sessions  du  concile  de  Trente,  de  154(5  à  1549.  Le  géné- 
ral des  conventuels  étant  mort  en  juillet  1559,  Pie  IV 
nomma  le  P,  Dauphin  vicaire  général,  mais  ce  fut  pour 
peu  de  temps,  car  suivant  l'expression  d'un  de  ses  bio- 
graphes,  il  rendait  son  àme  savante  au  créateur  le 5  sep- 
tembre 1561,  à  Bologne,  où  il  se  trouvait  en  attendant 
de  retourner  prendre  part  aux  travaux  du  concile  de 
Trente.  Nous  avons  de  lui  :  De  polestate  ecclesiaslica, 
in-8°,  Venise,  1549;  De  cultu  Dei  et  invocatione  san- 
ia,  Bologne,  1549.  Os  deux  ouvrages  réunis  avec 
un  troisième,  De  notis  Ecclesise,  formèrent  YOput 
iiiiiini  atque  hac  tempestalemagnopere  desideratum, 
universum  fere  negotium  de  Ecclesia  inter  patres  or- 
Ihodoxos  et  protestantes  controversum  perspicua  série 
complet  tens,  in  très  Ubros  optimo  jure  digestum, 
m  s.  Venise,  1552;  De  cousis  et  significalionibus  igné- 
arum  flammarum,  puioris  et  sonitus  qum  nunc  ef/i- 
riiuiiiir  Crémones,  in-i°,  Bologne.  1551  ;  De  salutari 
omnium   rerwwi   ac  prœsertim    hominum   progressu 

lihri    V ,  adirrsiis  li.rreliros,  hoc  est,  de  rcrum  evenlii, 

de  prssdestinatione,  de  originali  peccato,  de  libero 
a, lutrin  et  de  justificatione,  in-fol.,  Camerino,  1553. 
On  trouve  souvent  à  la  suite  de  cel  ouvrage  celui  De 
matritnonio  et  cœlibalu  libri  II  contra  korum  tem- 
et  hsereticos  homines,  publié'  la  même 

année  ai ■ lieu;    Didactica   methodus,  teu  de 

melhodo  in  teienliis  servanda,  in-8°,  Bologne,  1554  . 

De  adventu  Jesu  Chritti  I  ttri,  in-12. 

ne.    1555;   Dialectica,   in  s,   Bologne,   1555;    i<< 

libué  globii  et  ntotibus  contra  philosophorum  el 

,i h- n l,,i m  pro  i  ri  ilnlr  i  hrisliana,  in-8<\ 

ne,  1559;  De  tractandit  in  coi 

qualitei  el  in  >/'"'"'  l'arm  Patres  ea  &i  ■me- 

inai  libell  1561       I  opuscule  a  i  h 


151 


DAI'IMl  IN     DELFIN1 


DAVID 


152 


dite  à  la  lin  des  Apparatus  dans  la  collection  dea  con- 
ciles de  Labbe.   I  <■   I'.   Dauphin  laissait  de  nombreux 

manuscrits,  en  particulier  i Expotitio  textus  A 

toteliê  inlibrum  Physicorum  feula  Patavii  on,  1543, 
demeurée  inédite;  il  n'en  l'ut  pas  de  même  des  Com- 
menlarii  m  Evangelium  Joannis  et  Epislolam  Pauli 
ad  Bebrœos  a  Fr.  Conelantio  tard.  Sarnana  expoliti 
el  notis  illustrali,  in-8°,  Rome,  1587.  On  lui  attribue 
encore  De  divina  providentiel  libri  très,  in-8»,  Rome, 
1588.  Il  avail  publié  de  son  vivant  un  opuscule  De  nobi- 
litatead  Fridericum  Gonzagam,  in-8»,  Bologne,  s.  <!., 
réimprimé  avec  un  autre  trait.'-  De  noria  provincia 
Marchise  nomenclatura  brevU  ne  dilucida  narratio, 
in-i",  Pérouse,  1590. 

Wadding,  Scriptores  ord.  minorum,  Rome,  1650;  I-rancliini. 
Bibliosofia  s  memorie  di  scriltori  conventuali,  Modem  . 
p.  291;  Sbaralea,  Sùpplementum  et  cascigatio  ad  scriptores 
ord.  minorum,  Rome,  1806;  Hurter,  Nomenclator,  S"  édit.,  Ins- 
pruck,  1906,  t.  ii.  col.  1 5i  14-1  âO-ô  :  Concilium  Tridentinum.  Dia- 
riorum,  actorum,  epistolarutn,  tractatuum  m,vn  collectio, 

i-'ril 'g-en-Brisgau,  1901,  t.  i.  passim. 

P.  Edouard  d'Alençon. 

DAURES  Louis,  dominicain,  naquit  à  Milhau 
(Aveyron)  en  1655  de  parents  calvinistes.  Il  fut  élevé 
dans  la  religion  réformée  et  envoyé  plus  tard  à  Mont- 
pellier pour  s'y  préparer  à  devenir  ministre  un  jour. 
Au  contraire,  il  se  convertit  au  catholicisme  et  de  plus 
se  lit  recevoir  au  couvent  des  dominicains  de  cette 
ville.  Nous  ignorons  la  date  exacte  de  celte  conversion. 
En  1688,  déjà  prêtre,  le  maître  général  de  l'ordre  l'ins- 
titue sous-prieur  du  noviciat  général  de  Paris,  au  fau-- 
bourg  Saint-Germain,  îe  6  janvier  1688.  Reg.  Lit  t.  Rat. 
Mag.Gen.  Fr.  Ant.  Cloche,  1686-1692,  c.  vin.  L'année 
suivante,  élu  prieur  du  couvent  de  Rodez,  il  demanda 
el  obtint  du  général  de  l'ordre  la  faculté  de  décliner 
cet  oflice,  afin  de  pouvoir  s'adonner  plus  librement  à  la 
controverse  avec  les  hérétiques.  Reg.  Epist.  priv.  ejus- 
dem  M.  Gen.  Novit.  Gen.  fans.,  1686-1692.  c.  il,  1689. 
Il  passa  presque  toute  sa  vie  à  Paris,  dans  les  fonctions 
de  sous-prieurdu  noviciat  général, où  il  mourut  le9  mai 
1728,  Igé  de  73  ans.  Il  fut  un  des  premiers  à  s'occuper 
à  Paris  de  l'œuvre  des  Repenties.  Le  premier  établisse- 
ment, datant  de  1694,  se  trouvait  rue  de  l'Ourcine. 
Transféré  ensuite  au  faubourg  Saint-Germain,  dans  la 
rue  Saint-Dominique,  il  fut  de  nouveau,  le  14  août  17 U', 
transféré  prés  de  la  Barrière  des  Invalides  et  prit  le  nom 
de  Sainte-Valérie.  Cet  établissement  était  placé  sous  le 
haut  patronage  du  cardinal  de  Xoailles.  En  1689.  le 
P.  Daures  publia  :  U  Église  protestante  détruite  par  elle- 
même  ou  les  calvinistes  ramenés  parleur*  seuls  prin- 
cipes à  la  véritable  foi,  in  12,  Paris.  L'ouvrage  était 
dédié  à  Bossuet  dont  V  Histoire  des  variations  axait  paru 
l'année  précédente.  Bossuet,  à  son  tour,  écrivit  à  l'auteur 
pour  l'engager  à  publier  une  autre  édition,  mais  plus 
développée.  Le  temps  manqua  au  P.  Maures  pour  répon- 
dre à  ce  désir.  D'après  C.-L.  Richard,  l'abbé  Bellel 
aurait  préparé  cette  édition,  en  l'augmentant  due 
tice  sur  la  vie  de  l'auteur,  avec  le  portrait  en  frontispice. 
Nous  ne  savons  si  cette  édition  parut  jamais. 

Soi  ri  i  -  uss.  -     P.  Mathieu  Texte,  accueil  de  pièces,  etc. 

[Extrait  du  livre  mortuaire...  du  noviciat  général.. .],p.  37:>  ; 

t,  Mag.  Gêner.  F.  Ant.  Cloch  : .  Sùpplementum 

historiés  reformationis  Prov  I    'osants  [ad  monumenta 

ntus  Tolosani,  i t  .i   Percln],  Tab  Geo.,  1.  V,  c.  lxxxj v. 

Imprimés.  -    Quétif-Ecbard,  Scriptores  ordinis  prstdt 
film,  t.  u.  p,  807;  C.-L.  Kichard.  Dictionnaire  universel  des 
sciences  ecclésiastiques;  Jalllot,  Rechercha  critiques,  histo- 
riques, sur  lu  ville  de  Pans,  t.  v.  vingtième  quartier,  | 
Histoire  de  la  ville  et  de  tant  le  dioi 

Paris,  t.  m,  p. 

R,  CO!  LON. 
DAVIANOS  Xavier  Emile,  né'  à  Cbi».  d'une  famille 
noble,  étudia  dan-    sa    patrie   elle/    les   jésuites,    puis    à 

Padoue.  Renseigna  ensuite  la  théologie  en  Crète.  Après 


la  prise  de  cette  ile  par  les  Turcs.  Davianos  revint  en 
Italie  et  \  exerça  le  ministère,  en  particulier  ■<  Loi 
où  il  fut  aumônier  de  religieuses.  Nommé  •    •  [u     de 
Santorin,  il  mourut  en  se  rendant  à  -'>ii  posu 
OU    1688,  a    l'âge   de  63   ans.  Outre   plusieurs  ouvi 
restés  inédits,  il  composa  pour  ses  religieuses  un   livre 
intitulé:  Sacra  sponsa  m  thalamo  tuo,  dont  il  n'eut  le 
temps  de  publier  que  la  première  partie.  Tout  ce  que 
nous   savons  de  Davianos   est  dû   a   N.    C.  Papadopoli, 
Bisloria gymnasii  Patavini,t.  u.  p.  31*    On  sait  que 
cet  auteur  invente  souvent  les  faits  qu'il  raconte.  Nous 
ne   connaissons  pas  un   seul  exemplaire  de  l'ouvrage 
qu'il  attribue  a  Davianos. 

S.  Pi  ran 

1.  DAVID  Claude,  bénédictin,  né  à  Dijon  en  U 
rnort  le  6  novembre  1705  dans  l'abbaye  du  Mas-Grenier. 
Il  avait  fait  profession  de  la  vie  monastique  dans  la 
congrégation  de  Saint-Maur  à  l'abbaye  de  la  Trinit 
Vendôme.  Il  publia  une  Dissertation  sur  saint  Denis 
l'Aréopagile  où  Von  fait  voir  que  ce  saint  est  l'auteur 
des  ouvrages  qui  portent  sou  nom,  in-8°,  Pari-.  1 7< r2. 
Pour  dom  Cl.  David,  saint  Déni-  de  Paris  n'est  pas  dillé- 
rent  de  saint  Denis,  évêque  d'Athènes. 

Dom  P.  Le  Cerf.  Bibliothèque  historique  des  auteurs  de  la 
congrégation  de  Saint-Maur.  in-12,  Paris.  175  dom 

Tassai,]  Histoire  littéraire  de  la  congr.  de  Saint-Maur,  in-4% 
Paris,  1770,  p.  201;  [dom  François,]  Bibliothèque  générale  des 
uns  de  l'ordre  de  Saint-Benoit,  in-8',  Bouillon,  1777,  t.  i, 
p.  206;  Cl),  de  Lama,  Bibliothèque  des  écrivains  de  la  congré- 
gation de  Saint-Maur,  in-12,  Municli  et  Paris.  1882.  p.  158. 

Ii.IIr.rmi  I 

2.  DAVID-GEORGE  Joris,  lils  de  George),  né  à 
Delft,  en  1501  ou  1502,  de  son  vrai  nom  Jean  de  Com.in, 

égea  de  bonne  heure  à  la  secte  des  anal. api  • 
puis  essaya  de  concilier  les  différends  qui  partageaient  les 
hérétiques  de  la  région,  et  finit  par  former  une  commu- 
nion à  part  dont  il  se  fit  le  chef,  se  déclarant  un  nouveau 
Messie,  un  3e  David,  dont  Jésus-Christ  n'avait  fait  que 
préparer  les  voies.  Il  permettait  à  ses  parti-ans  de  vivre 
dans  le  faste  et  la  volupté,  sans  se  préoccuper  de  doc- 
trine. Poursuivi  en  Hollande,  il  se  réfugia  prés 
du  landgrave  de  liesse,  puis  à  Râle  où  il  prit,  en 
la  défense  de  Serret.  Dans  l'intervalle,  en  1542,  il  avait 
publié  son  fameux  Wonderboek,  ou  Lirre  merveilleux, 
réédité  en  1551, que  d'autres  écrits  non  moins  bizarres, 
traités  mystiques  et  lettres  circulain  s  à  ses  adhi  : 
suivirent.  Sa  doctrine  est  un  mélange  de  celle  di  s  sad- 
ducéens,  des  adamites  et  des  manichéens  et  se  résume 
en  cet  aphorisme  :  Le  corps  seul  peut  être  souillé, 
l'âme  jamais.  Après  sa  mort  arrivée  le  2.">  août  1556,  sa 
doctrine  fut  condamnée  comme  hérétique  par  l'univer- 
sité de  Pâle,  au  mois  d'avril  1559,  et  le  13  mai  suivant, 
les  Bàlois  le  déterrèrent  et  le  brûlèrent  avec  ses  livres 
et  son  portrait  au  pied  d'une  pot  Ses  disciples 
persistèrent  longtemps  encore  en  Hollande  et  dans  le 
llolstein;  ils  furent  condamnés  parles  synodes  de  Roi- 
lande  en  1608  i  t  en 

Moslieim,  Histoire  ecclésiastique;  Catrou,  Histoire  du  fana- 
tisme dans  la  religion  protestante,  t.  u:  Mirhaud,  Biographie 
universelle,  t.  x  Kirctumlexikon,  î.  vi 

Realencyclopadie,  t.  ix. 

A.  Ingolu. 

:t.  DAVID  (Natchinsky)  Daniel, écrivain  russe,  né  en 
1790  dans  le  gouvernement  de  Poltava,  élève  de  I 
demie  ecclésiastique  de  Kiev.  Archimandrite  et  h 
mène  du  monastère  de  Sloutlk  en  I7."><>.  il  fut  recteur 
de  l'Académie  de  Kiev  (1758-1761  et  mourut  le  5  mal 
1793.  Il  traduisit  en  latin  et  publia  avec  des  commen- 
taires les  ouvrages  suivants  de  Théophane  Prokopov  itch. 
célèbre  théologien  russe  :  I    Lucul  ilusirissi- 

mi ac reverendissimi  Thcophanis  Prokopovich...  nutte 
pritnum  in  unum  corpus  collectes  et  in  publicam  lu- 
rem  éditât,  Breslau,  17'.:!.  2    Mutcellanea  sacra  variis 


153 


DAVID    D'AUGSBOURG 


154 


temporibus  antea  édita  nunc  primum  uno  fasce  coni- 
prehensa  conjvnct inique  evulgala,  ibid.,  1745. 

Eugène  (métropolite),  Slovar  istoritcheskyi  o  pisateliakh 
dukhovnago  tchina,  Saint-Pétersbourg,  1827,  t.  i,  p.  104-106; 
Serebrennikov,  Kiévskaia  Akademia  oploviny  xvm  vieka 
do  preobrazovaniia  eia  v  1810  godu,  Kiev,  1897;  Iablonovysky, 
Akademia  kijoivsko-mohilanska  :  zarys  historyczny,  Craco- 
vie,  1899-1900,  p.  236;  Russkii  biographitcheskyi  Slovar,  lett.  D, 
Saint-Pétersbourg,  1905,  p.  7. 

A.  Palmieri. 

4.  DAVID  Pierre,  sur  lequel  les  bibliographes  fran- 
ciscains sont  pauvres  de  renseignements,  était  cordelier 
de  la  province  parisienne.  Les  titres  seuls  de  ses  ou- 
vrages fournissent  quelques  renseignements  sur  lui  : 
Summula  traclatus  de  prœdestinaiione  ad  nientem  do- 
ctoris  subtilis,  cjusque  fidelissimi  inlerprelis  magistri 
Angeli  a  Monte  Pitoso  ord.  FF.  minorum  conventua- 
lium.  Hujus  sumntulse  verilatem  docebal  V.  P.Petrus 
David,  lector  jubilatus  et  in  convenlu  FF.  minorum 
Sagiensium  primarius  theologiœ  professât',  anno  Do- 
mini  1646,  in-8°,  s.  1.  n.  d.  Cet  opuscule  de  vin-40  pages 
est  dédié  au  duc  de  Luine  par  la  Schola  théologies  Sa- 
giensis.  On  attribue  aussi  à  David  une  Summula  philoso- 
phiez ad  nientem  Scoti,  Paris,  1 6 ï-9 ;  Octava  de  Christi 
erga  /tontines  charitale  in  eucharislia;  Octava  de 
assumptione  B.  Mariée  Virginis  figurata  in  quibus- 
dam  mulieribus  Veleris  Teslamenti,  in-S°,  Paris,  1653, 
1661;  Le  chemin  de  vérité  qui  conduit  une  âme  dési- 
reuse de  faire  son  salut  à  la  perfection  de  la  sainteté, 
in-8°,  Paris,  1656;  2  in-12,  1661;  Sermones  adventus 
île  adoplione  filiorum  Dei,  in-8°,  Paris,  1663. 

Sbaralea,  Supplementum  et  castigatio  ad  scriptores  ord. 
minorum,  Rome,  1808;  Migne,  Dictionnaire  de  bibliographie 
catholique,  t.  n,  col.  407,  803. 

P.  Edouard  d'Alençon. 

5.  DAVID  D'AUGSBOURG.  -  I.  Vie.  II.  Œuvres. 
III.  Doctrine. 

I.  Vie.  —  Né  à  Augsbourg  dans  les  dernières  années 
du  XIIe  siècle  ou  les  premières  du  XIIIe,  David,  jeune 
encore,  obéit  à  l'attrait  qui  le  poussait  vers  les  ordres 
mendiants.  Dès  1221,  les  frères  mineurs  sont  à  Ratis- 
bonne;  dès  1226,  ils  y  ont  un  couvent;  et  c'est  là  que 
David  demande  à  prendre  rang  dans  la  milice  nouvelle. 
Telles  étaient  son  ardeur,  son  application,  sa  piété,  sa 
vertu,  et  tels  furent  ses  progrès  dans  la  vie  religieuse 
qu'il  mérita  bientôt  de  remplir  la  charge  de  maître  des 
novices.  Il  l'exerça  d'abord  à  Ratisbonne;  et  lorsque, 
en  1243,  l'évâque  d'Augsbourg,  Sibot,  offrit  aux  francis- 
cains un  établissement,  David  rentra  dans  sa  ville  na- 
tale, toujours  chargé  de  la  formation  des  novices.  Il 
s'appliqua  à  ces  fonctions  avec  succès;  ses  dirigés  en 
retirèrent  des  avantages  si  précieux  qu'ils  le  prièrent  de 
consigner  par  écrit  les  admirables  leçons  de  son  en- 
seignement oral.  De  là  son  Epistoia  ad  riovitios  Ratis- 
•  de  eoriim  in formatione,  qui  est,  pour  ainsi  dire, 
la  préface  a  sa  double  Formula  novitiorum  de  exte- 
rioris hominis  reformalione,  en  10  chapitres,  et  De 
\oris  hominis  reformalione,  en  62  chapitres;  de 
la  aussi  son  De  seplem  processibus  religiosi,  en 
42  chapitres,  qui  résume  son  enseignement  en  matière 
de  formation  religieuse.  Mais  la  direction  des  novices 
fut  loin  d'absorber  loui  son  temps  et  toute  son  activité. 
1  prit  pari  .i  l'évangélisation  des  milieux  popu- 
laires avec  l'un  de  ses  disciples  de  la  première  heure, 
Berthold  de  Ratisbonne,  son  ami  et  son  émule,  devenu 
bientôt  par  son  action  oratoire  un  entraîneur  de  foules. 
Dieu  qu'il  ne  lui  cédai  pas  en  éloquence,  il  se  m  on 
humble  compagnon  et  ur.  Il  fut  avec  lui 

l'un  des  premier:  en  Ulemagne  qui  rompirent  avec 
l'usage  traditionnel  de  la  prédication  en  langue  latine; 
il  lui  pn  f(  ra  i  idiome  national,  quelque  Informe  qu'il 
fui  encore.  El  laissant  résolument  de  côté  les  divisions, 
itinction     li     complication!  aussi  pédantes  que 


subtiles  de  la  forme  scolastique,  il  parla  au  peuple  la 
langue  du  peuple,  cherchant  à  frapper  l'imagination,  à 
toucher  le  cœur,  à  convaincre  la  raison,  en  exposant 
simplement  l'Évangile  et  en  dénonçant  avec  une  vigueur 
tout  apostolique  les  maux  qui  rongeaient  la  société.  On 
ne  peut  regretter  qu'une  chose,  c'est  qu'il  ne  soit  rien 
resté  de  cette  prédication  populaire,  dont  Trithème 
affirme  avoir  vu  quelques  sermons.  De  scriptoribus 
ecclesiasticis.  David  ne  se  contenta  pas  de  prêcher  :  à 
l'apostolat  par  la  parole,  il  joignit  l'apostolat  par  la 
plume  et  composa  plusieurs  traités  d'édification  et  de 
spiritualité.  Il  mourut  à  Augsbourg,  le  15  novembre  1271. 
Wadding  raconte,  Scriptores  ordinis  minorum, 2e édit., 
Rome,  1732,  t.  iv,  p.  359,  qu'il  vécut  saintement,  que  sa 
mort  fut  révélée  à  son  ami  Berthold,  lequel,  étant  en 
chaire,  l'annonça  à  ses  auditeurs  et  se  mit  à  réciter  la 
strophe  des  confesseurs:  Qui,  pius,  prudens,  humilis, 
pudicus,  etc. 

II.  Œuvniis.  —  Outre  les  traités,  dont  il  a  été  ques- 
tion, et  rédigés  en  latin  en  faveur  de  ses  religieux, 
David  d'Augsbourg  a  composé  un  traité  intitulé  :  De 
inquisitione  hœreticorum,  publié  par  Preger  dans  les 
Abhandlungen  der  Mùnchener  A kad emie,  1879,  t.  xiv, 
p.  181  sq.  Quelques-uns  de  ces  traités  ont  été  attribués 
à  d'autres  auteurs  et  insérés  à  tort  dans  les  œuvres  de 
saint  Bernard  ou  de  saint  Bonaventiire.  C'est  ainsi  que 
la  Formula  novitiorum  de exterioris  hominis  reforma- 
tione  porte,  dans  divers  manuscrits,  le  nom  de  docteur 
séraphique  et  se  trouve  dans  sa  forme  originale  parmi 
les  opuscules  de  saint  Bernard  avec  ce  titre  :  Opuscu- 
lum  ad  hsec  verba  :  Ad  quid  venisli  ?  C'est  précisément 
à  cause  de  ces  derniers  mots  que  Vossius  l'a  attribué  à 
saint  Bernard.  Il  est  à  noter  que  ce  traité,  si  on  le  prend 
tel  qu'il  se  trouve  dans  le  manuscrit  de  Munich  15312, 
diffère  totalement  par  la  forme  de  celui  de  l'édition 
d'Augsbourg,  B.  Fr.  David  de  Augusta  pia  et  devola 
opuscula,  Augsbourg,  1596;  d'autre  part,  il  est  identique 
à  celui  qui,  dans  les  œuvres  de  saint  Bonaventure, 
porte  le  titre  de  De  inslilutione  novitiorum,  Lyon,  1668, 
t.  vu,  p.  613  sq.  Il  appartient  à  David,  mais  à  vrai  dire 
ce  n'est  pas  à  titre  d'oeuvre  exclusivement  personnelle 
et  originale.  David  aurait  utilisé  une  œuvre  d'origine 
franciscaine,  dont  il  aurait  écrit  la  préface  et  dans 
laquelle  il  aurait  inséré  des  citations  patristiques.  Par 
suite,  si  réellement  David  a  composé  personnellement 
une  Formula,  ce  pourrait  bien  être  celle  qui  commence 
au  fol.  93  du  manuscrit  de  Munich  déjà  cité.  C'est  un 
problème  qui  reste  à  résoudre.  Quant  aux  deux  autres 
traités,  le  De  inlerioris  hominis  reformalione  et  le  De 
septem  processibus  religiosi,  bien  qu'ils  se  trouvent 
parmi  les  œuvres  de  saint  Bonaventure  sous  ce  titre  : 
De  profectu  religiosorum,  ils  sont  à  n'en  point  douter 
delà  mainde  David,  car  ils  offrent  avec  d'autres  traités 
allemands,  qui  sont  aulhentiquement  de  David,  de  nom- 
breux passages  et  des  chapitres  entiers  étroitement 
apparentés  et  trahissant  une  origine  identique.  Albert 
le  Grand  a  cité  souvent  mot  à  mot  le  De  septem  pro- 
cessibus religiosi,  dans  son  traité  De  adhmrendo  Deo 
si  ce  traité  est  de  lui.  Les  franciscains  de  Quarrach 
ont  édité  le  De  exterioris  et  intei  ioris  hominis  cm 
sitione  secundum  triplicem  stalum  'mcipientium,pro- 
el  perfectorum  libri  1res,  en  1899.  D'autres 
œuvres  de  David  existent  encore  en  manuscrit  el  n'ont 

paS  été  publiées,  p.l  V  e\en  i  pie.  l'expl  ic:i  I  mil  (le  l;i  ivl 

cains  du  manuscrit  de  Munich  15312,  fol. 268  Sq 
Il  est  possible  qu'un  jour  ou  l'autre  on  vienne  à  décou- 
vrir quelques-un 

Actuellement,  parmi   les   traités  en  langue  allemande 

publié         i         i l'feiiler,   Deutsche   Mysl 

Leipzig,  1845,  on  compta  les  suivants      l     D 

geln  dei  1  ugend;  i   Spiegel 
vier   Fittiche   geittliclier    Betrachtung  der 

in  der  Erkenntniii  der  H 


L55 


D.\  \  Mi    D'AÏ  GSB01  RG 


[56 


/irit:  i;    Von  de)  unergrùndlichen  Fûlle  Golte$ ;  7   Be 
trachttingen  t>>,<i  Gebete;8°  Chritli  Leb, 
bild;  9*  !>"■  Ei  le»  Venschengeschlecht.  Seuls, 

les  deux  premiers  Boni  à  retenir  comme  authentiqu 
tous  les  autres  sonl  apocryphes,  comme  I  'a  démontré 
Preger,  Geschichle  der  deultche  Mysliker,  Leipzig, 
1874,  i.  i.  p.  269  sq.  D'un  avis  unanime,  H"-  tieben 
Vorregelnder  Tugend  el  Spiegel  der  Tugend  aontre- 
gardés  comme  les  «  deux  perles  i  de  la  littérature 
allemande  à  ses  débuts.  Pfeiffer  en  compare  le  style  â 

nue  ll.-mi calme  qui  brilla  d'un  doux  éclat,  dont  la 

chaleur  pénétrante  anima  la  piété,  excita  l'ardeur, 
échauffa  et  enflamma  le  cœur.  On  a  raison  de  vanter 
les  services  que  David  rendit  à  la  langue  allemande 
alors  en  formation  ;  mais  ce  qui  intéresse  le  plus  ici, 
c'est  sa  doctrine,  dont  de  bons  juges  estiment  qu'elle 
contient  la  «  moelle  de  la  perfection  évangélique  »,  et 
lui  mérite  une  place  à  côté  de  sainl  Augustin,  de  saint 
Bernard,  de  saint  Bonaventure  el  de  Gerson. 
111.  Doctrine.  —  Devant  l'impossibilité  d'apprécier. 

faute  de  documents,  la  méthode  el  la  valeur  de  l'orateur 

populaire  que  fut  David,  il  faul  se  contenter  d'étudier 
en  lui  l'auteur  mystique,  puisque  c'est  le  titre  qu'on  lui 
donne,  non  sans  raison.  Sa  lettre  aux  novices  de  Halis- 
bonne  nous  apprend  qu'il  considère  dans  la  religion 
deux  choses  :  ['exercitium  virtuliset  l'affeclus  internai 
devotionis;  il  les  compare  à  Lia  la  féconde  et  à  la  belle 
Hache!.  Nous  dirions  la  vie  pratique,  représentée  par 
Marthe,  et  la  vie  contemplative,  personnifiée  par  Marie. 
II  est  très  certain  que  David  apprécie  hautement  la  vie 
contemplative,  mais  il  appuie  surlout  sur  la  vie  pra- 
tique. 

Les  deux  traités  de  la  Formula  noviliorum  visent  la 
réforme  de  l'homme,  soit  dans  son  extérieur,  soit  dans 
son  intérieur.  Ad  quid  venislietpropter quidf demande- 
t-il  dans  le  premier.  Et  il  répond  :  pour  Dieu  et  à  cause 
de  Dieu.  Le  devoir  essentiel  du  novice  est  donc 
l'obéissance  absolue  à  celui  qui  lui  parle  au  nom  de 
Dieu.  Pour  cela,  il  doit  pratiquer  une  humilité  totale 
qui  se  traduise  dans  le  geste,  le  ton,  la  parole,  l'attitude 
et  tout  l'extérieur,  et  un  respect  absolu  des  supérieurs 
jusqu'à  s'interdire  d'en  dire  ou  d'en  penser  du  mal  et 
à  ne  pas  tolérer  qu'on  en  parle  mal.  David  passe  en- 
suite en  revue  tousles  détails  de  la  vie,  soit  à  l'intérieur 
dans  la  communauté,  soil  au  dehors  du  couvent,  rien 
n'y  manque.  Au  lever  de  nuit,  un  novice  ne  doit  pen- 
ser qu'à  Dieu;  au  dorloir,  au  chœur,  au  chapitre,  i 
table,  à  l'autel,  quand  il  sert  la  messe,  un  novice  doit 
avoir  une  bonne  tenue,  il  doit  pratiquer  la  coulpe,  se 
confesser  trois  fois  la  semaine,  c.  xj,  vaquer  avec  dili- 
gence au  travail,  aux  occupations  communes,  aimer  par 
dessus  tout  sa  cellule,  retenir  sa  langue,  lire  l'Écriture, 
méditer  Jésus -Christ,  «  ce  pur  miroir,  cet  exemplaire 

parlait  de  haute  sainteté,   »  C.  XXXII.   .Ire  a  .  ee  ses  frères 

toujours  gracieux  et  avenant,  éviter  dans  ses  convii  sa- 
lions les  paroles  inutiles,  s'entretenir  de  Dieu,  (.tuant 
aux  soins  a  donner  aux  âmes,  il  ne  doit  y  songer  qu'après 
avoir  passé  une  première  année  à  faire  pénitence  de 
ses  péchés  passés,  une  seconde  année  a  perfectionner 
sa  conversion,  une  troisième  a  persévérer  dans  le  pro- 
grès réalisé,  une  quatrième  a  mépriser  tout  honneur  ou 
toute  louange  qui  viendrai!  des  hommes,  a  ne  recher- 
cher exclusivement    que    la   gloire    de   Dieu   et  le   salut 

des  âmes.  Au  dehors  du  couvent,  il  doit  donner  partout 
ci  toujours  le  bon  exemple,  être  Gdèle  aux  heures 
canoniques,  éviter  les  femmes,  m'  leur  parler  el  n'agir 
avec  elles  que  comme  en  présence  de  son  supérieur  ou 

de  leur  propre  mari. 

Voilà  pour  la  réfor extérieure;  voici  pour  la  re- 
forme intérieure.  Il  y  a  d'abord  quatre  précautions  à 
prendre  :  Ne  pas  se  dédire  de  la  volonté  qui  a  conduit 
au  cloître  el  ne  passe  refroidir  de  la  première  ferveur; 
persévérer  toujours  dans  ces   bonnes  dispositions;  ne 


pas  juger  témérairement  les  autn 

:-  rpar  les  épreuves  ou  les  tentations.  Quai 
de  tentations  :  a  ca>  /"-,  a 
Trois  sorte-,  de  religieui  :  les  bon-,   le-  meil 
très  bons.   Trois  états  :  celui  de-  connu.  lui 

des  progressante,  celui  des  parfaits.  Trois  pui 
remplir  de  Dieu  :  la   raison,  la  mémoire,  la  volonté. 
Trois  orgueil-   a  éviter  :  ue  pas  se  plaii  :ii  se 

préférer  aux  autres;  ie-  pas  désirer  plaire  à  autrui:  ne 
pas  cherchera  être  au-dessus  des  autres.  Quati 

à  combattre,  parce  qu'ils  inclinent  au  mal      l'igl 
la  concupiscence,  la   malice,  l'infirmité.  La  lin  d 
trait.'-  de  la  réforme  intérieure  rou 
spirituelles,  le  goûtde  la  douceur  intérieui 
contre  l'orgueil  et  les  antres  défiante. 
Le  troisième  trait.-.  lie  septeni  ;< 
énumère  et  caractéric  le  la  vie  active; 

le  septième  et  dernier  progrès  est  le  propre  de  la  vie 
contemplative.  Telle  est  bien   la   division  signalée  par 

Ut   lettre   aux     novices   de    ltatisbonne.  Mai-  on   voit 

V exercitium  virtulisa  un  développement  plus  cou - 
rableque  l'affeclus  interna  devotionis,  sans  doute  parce 
que  celui-ci  n'est  que  [aboutissement  et   le  couronne- 
ment de  celui-là;  la  féconde  Lia  occupe  beaucoup  plus 
David  que  la  belle  Etachel.  Est-ce  à  dire  que  ce  qui 
constitue  plus  particulièrement  la  vie  mystique  soit  né- 
gligé? Loin  de  là.  Les  c.  ix-.xv  du  De  inlerioris  hotninis 
reformatione  el  les  c.  xxxv-xi.i  du  h>   teptem  proi 
silws  en  parlent  avec  assez  de   détails.   Du  reste,  tout 
l'enseignement  d.-  David  sur  cette  double  réforme  exté- 
rieure et  intérieure  converge   vers  ce    but.  L'idéal,  en 
eilet,  c'est  l'union  de  l'âme  avec  Dieu  aussi  étroite  que 
possible  et  le  repos  suave  dans  la  douce  joie  qui  en  ré- 
sulte. Hase  est,  dit-il.  hominis   in  hoc  vita  i 
perfecltn  ita  uniricum  Dm.  ut  tota anima  mm  omni- 
bus polentiis  suis  el  viribus  in  Deum  collecta  anus  fiai 
spirilus  cum  Deo.ut  nihil  meminerit  nisiDeum,nihil 
senlAal  tel  intelligat nisi  Deum...  Imago  euim  !)■ 
his  tribus  polentiis  ejus  e. 

ratione,  memoria  ci  uoluntate,  et  quamdiu  Ulm 
su, il  ex  l"l<>  Deoimpressx,  non  est  anima  deiformit. 
Forma  enim  anima:  Deus  est.  cui  débet  imprùni  sicul 
sigillu  sigillatum,  c.  xxxvi.  Tout  en  traitant  ainsi  de 
la  vie  mystique  et  en  plaçant  l'essence  dans  l'union  de 
l'âme  a\ee  Dieu  par  toutes  ses  puissances  et  ses  foi 
notamment  par  la  raison,  la  mémoire  et  la  volonté, 
David  n'oublie  pas  certains  phénomènes,  qui  sont  par- 
fois sujets  à  caution,  tels  que  le  jubilas,  Vebrietas,  le 
spiritus,  la  liquefactio,  etc.,  et  qui  reviennent  sans 
cesse  dans  le  langage  d.--  mystiques  pour  exprime!  de 
mystérieuses  réalités;  il  porte  sur  eux  un  jugement  très 
sain  qui  montre  toute  sa  peu- 
David  est  donc  un  mystique,  si  Ion  veut,  puisqu'il 
met  si  haut  l'idéal  de  la  perfection  chrétienne,  mais 
c'est  un  mystique  préoccupé  avant  tout  de-  réalités  pra- 
tiques de  la  vie  et  en  garde  contre  les  illusions  et  les 
dangers   d'un  mysticisme  inconsistant  et  nébuleux.  Il 

axait   l'expérience    de    la    vie   religieuse.  A  des  religieux 

humbles   comme    il    le-    voulait,    il    pouvait  san-   peine 

h  mander  une  douceur  inaltérable  de  caraclere  et  le 

support    patient   des    accusations     inju-i  .lom- 

nieuses;  car  l'humilité  ainsi  pratiquée  attire  la  - 

divine  et  mené  droit  à  la  charité,  à  la  rem.-  des  vertus. 

Mais  il  connaissait  mssi  son  époque  et  en  partageait 
l'opinion  alors  générale,  qui  voyait  dans  les  hérétiques 
d.s  ennemi-  de  1  Eglise  et  de  la  société,  contre  lesquels 
il  ne  suffisait  pas  de  se  mettre  en  garde,  mais  qu'il 
(allait  réduire  à  l'impuissance.  De  là,  son  changement 
île  ton  dan-  son  De  inquisitione  hœreticorum.  11  J 
parle  comme  ses  contemporains,  à  cet  âge  de  foi;  mais 
il  .st  permis  de  regretter  que.  par  oubli  de  ses  propres 
principes,  il  se  soil  montré  si  dur  envers  ces  renards 
,t  ces  loups    .  qu'il  faul  traiter  sans  pitié  et   dont  on 


157 


DAVID    D'AUGSBOURG    —    DAVID    DE    DINAN 


158 


doit  débarrasser  la   société  à  tout  prix,  à  moins  qu'ils 
ne  viennent  à  résipiscence. 

B.  Fr.  David  de  Augusta,  0.  M.,  pia  et  devota  opuscula, 
Augsbourg.  1596;  Dibliotheca  luaxima  Patrum,  Cologne,  1618, 
t.  xni,  col.  413-479;  P.  L.,  t.  clxxxiv,  col.  1189-1198;  Wadding, 
Scriptores  ordinis  minorum,  2'  édit.,  Rome,  1732,  t.  iv  ;  Tri- 
thème,  Scriptores  ecclesiastici,  cité  dans  la  Bibliotlieca  meuvima 
Patrum;  Pfeiffer,  Deutsche  Mystiker,  Leipzig,  1845,  t.  i;  Deut- 
sche Mystiker,  dans  Zeitschrift  fur  deutschen  Alterthum,  1853, 
t.  ix  ;  Preger, Geschichte  der  deutsche  Mystiker,  Leipzig,  1874, 
t.  i,  p.  268  sq.  ;  Tractatus  Fr.  David  de  inquisitione  hsereti- 
coruni,  dans  les  Abhandlungen  der  Munchener  Akademie, 
1879,  t.  xiv,  p.  181  sq.  ;  Denifle,  dans  Historisch-politische  Blàt- 
ter,  t.  lxxv,  p.  672  sq.  ;  Kirchenlexikon,  t.  m,  col.  1413-1417  ; 
Realencyklopiidie,  t.  iv,  p.  503-504;  U.  Chevalier,  Répertoire. 
Bio-bibliographie ,  2'  édit.,  t.  I,  col.  1555-1556. 

G.  Bareille. 

G.  DAVID  DE  DINAN  (ou  DE  DINANT).  -  1.  Vie. 
II.  Erreurs. 

I.  Vie.  —  Ainsi  nommé,  selon  l'usage,  du  lieu  de  son 
origine;  mais  est-ce  Dinan  en  Bretagne  ou  Binant,  sur 
la  Meuse,  en  Belgique'.' "On  ne  le  sait  pas,  et  on  ignore 
la  date  exacte  de  sa  naissance  et  de  sa  mort.  Ce  qu'il  y 
a  de  certain,  c'est  que  son  nom  parait  à  côté  de  celui 
d'Amaury  deBène,  une  première  fois  dans  le  jugement 
du  concile  de  la  province  de  Sens,  tenu  à  Paris,  en 
1210,  et  une  seconde  fois  dans  le  règlement,  donné  en 
1215  par  le  légat  du  pape,  Robert  deCourçon,  à  l'univer- 
sité de  Paris.  Denifle,  Chartularium  unîversit.  Paris., 
Paris,  1889,  t.  i,  p.  70,  79.  Relativement  à  Amaury,  le 
concile  parisien  ordonne  que  ses  restes  seront  exhu- 
més pour  être  jetés  hors  de  la  terre  bénite,  et  que,  dans 
toutes  les  églises  de  la  province  (ecclésiastique  de  Sens), 
sera  promulguée  la  sentence  d'excommunication  portée 
contre  cet  hérétique;  relativement  à  David,  il  ordonne 
que  ses  Quatemuli  soient  remis,  avant  la  fêle  de  Noël, 
à  l'évéque  de  Paris,  qui  les  brûlera,  et  que  quiconque, 
après  la  dite  fête,  aurait  retenu  quelque  exemplaire, 
sera  tenu  pour  hérétique.  De  son  côté,  le  légat  ponti- 
Bcal  interdit  à  l'université  de  Taris  de  lire  les  ouvrages 
de  David  de  Dinan,  d'Amaury  de  Chartres  et  de  Mau- 
rice d'Espagne. 

II.  Erreurs.  —  1°  Condamnation  de  ses  ouvrages.  — 
L'interdiction  prononcée  par  Hubert  de  Courcon  contre 
les  ouvrages  de  David  autorise  à  dire  qu'on  les  regardai! 
atout  le  moins  comme  un  danger  pour  l'enseignement. 
Contenaient-ils  aussi  quelque  hérésie?  Elle  n'en  parle 
pas.  Mais,  à  son  défaut,  la  sentence  du  concile  de  Paris 
est  assez  explicite  et  permet  de  répondre  affirmative- 
ment. Sans  doute  elle  ne  qualifie  pas  David  d'héré- 
tique en  termes  expies,  comme  elle  le  fait  pour  Amaurv 
de  Chartres;  mais,  du  moment  qu'elle  déclare  que  qui- 
conque détiendrail  ses  Quatemuli  Bera  réputé  héré- 
tique, c'est  que  la  doctrine  qui  s'j  trouve  esl  regardée 
comme  contraire  a  la  foi  el  entachée  d'hérésie.  Pour 
en  juger  en  connaissance  de  cause,  nous  n'avons  plus 

ces  Quatemuli,  ni  le  De  tomis,  aulr vrage  de  David  ; 

llsonl  disparu  dans  les  flammes  du  bûcher.  Et  dès  lors, 
>i   non-  ne  pouvons   pas   douter  de    l'hétérodoxie    de 
David,  il  esl  malaisi   de  savoir  en  quoi  consistait  eiac 
tement  son  héi 

Salurede  rg.  —  A  coup  sûr,  son  nom  n'a 

ti   fortuitement  rapproché  de  celui  d'Amaurj  dans 
la  mi  nce  de  condamnation  et  d'interdiction  : 

mais  encore  est-il  qu'un  tel  rapprochement  ne  con- 
stitue point  par  là  même  une  présomption  en  raveur 
d'une  relation  étroite,  encore  moins  d'une  identité, 
entn  rine  el  celle  d'Amaury  ;  sans  quoi,  nous 

■urions  d  i ml    dans  le  résumi  de 

erreurs  donl  furent  con  aincuslei  disciples  d'Amaury, 

Denifle,  Charl.  unir    Pa\  il  ,  t.  i.  p.  70.  el  dans  |. 

•lu  proci  -  de   t  !10  fail    par  Guillaume  le  Breton    Di 

Philippt     [ugusli,  à  ini    flei  uni    Gallù 

.  t.   xvn,  p.  82-83,  el  p  n  .t  Helsterl 


Illustr.  mirac.  el  historia  memorabilis,  1.  V,  c.  xxii. 
Cf.  Chronicon  Laudit nensi s  canonici,  dans  Rerum 
Callic.  scriptores,  t.  xvm,  p.  715.  Voir  t.  i,  col.  937- 
938.  Il  faut  donc  chercher  ailleurs;  et  sans  les  témoi- 
gnages concordants  d'Albert  le  Grand  et  de  saint  Thomas 
d'Aquin,  qui  ont  connu  et  combattu  l'enseignement  de 
David,  nous  en  serions  réduits  aux  conjectures.  Mais, 
grâce  à  cette  double  source  que  rien  ne  peut  faire 
suspecter,  nous  savons  un  peu  à  quoi  nous  on  tenir  : 
David  de  Dinan  a  professé  un  panthéisme  matérialiste. 
3°  Son  ouvrage,  De  lomis,  id  esl  de  divisionibus.  — 
Cet  ouvrage,  dont  parle  Albert  le  Grand,  Sum.  Iheol., 
part.  I,  tr.  IV,  q.  xx,  m.  n,  rappelle  par  son  titre  le 
Qepi  ijacw;  [j.epiT(j.o-j  de  Jean  Scot  Érigène.  Partant  de 
ce  principe  que,  dans  l'ensemble  des  choses,  chaque 
genre  contient  la  matière  des  espèces  qui  lui  sont 
subordonnées,  il  concluait  que  le  genre  suprême,  le 
plus  universel  des  genres,  c'est-à-dire  l'être,  contient  la 
matière  de  tout  ce  qui  est,  celle  des  corps,  celle  des 
âmes  et  celle  des  substances  séparées;  triple  matière, 
distincte  pour  nous,  mais  qui  se  réduit  à  l'unité  au  sein 
de  l'être,  qui  constitue  l'être  et.  est  l'être  même,  c'est- 
à-dire  Dieu.  Dieu,  c'est  donc  la  matière  de  tous  les 
êtres.  Pour  partir  de  ce  principe  et  arriver  à  cette 
conclusion,  David  usait  de  raisonnements  subtils  et 
pleins  d'équivoques,  dont  voici  un  échantillon  tel  qu'il 
est  reproduit  textuellement  par  Albert  le  Grand,  lac.  cil. 
«  L'intelligence  conçoit  à  la  fois  Dieu  et  la  matière.  Or, 
l'intelligence  ne  comprend  une  chose  qu'à  la  condition 
de  s'assimiler  à  elle.  Il  faut  donc  qu'elle  s'assimile  à 
Dieu,  à  la  matière.  Mais  s'agit-il  ici  d'une  identification 
complète  ou  d'une  simple  assimilation?  Il  ne  saurait 
s'agir  d'une  pure  assimilation,  carune  telle  assimilation 
n'a  lieu  qu'au  moyen  d'une  forme  abstraite  de  l'objet 
intelligible,  et  ni  la  matière,  ni  Dieu,  n'ont  de  forme. 
Si  donc  l'intelligence  les  conçoit,  c'est  parce  qu'elle 
leur  est  identique.  Donc  l'intelligence,  la  matière  et 
Dieu  sont  une  même  chose.  »  On  pourrait  encore  citer 
d'autres  arguments  semblables,  reproduits  textuelle- 
ment par  Albert  le  Grand;  mais  celui-ci  suffit  pour 
donner  une  idée  du  procédé  dialecticien  de  David.  Sa 
conclusion,  toujours  la  même,  c'est  qu'il  n'y  a  qu'une 
substance  unique,  qui  est  à  la  fois  matière,  intelli- 
gence ei  Dieu. 

Tel  esl  le  systè de  David  de  Dinan.  Saint  Thomas, 

qui  le  caractérise  d'un  mot  assez  dur,  en  le  traitant 
d'insensé,  va  nous  aider  à  le  préciser.  Ayant,  on  effet, 
à  traiter  la  question  de  savoir  si  Dieu  entre  dans  la 
com|  osition  des  autres  êtres,  Suni.  theol.,  [»,  q.  m, 
a.  8,  il  observe  qu'il  y  a  trois  erreurs  sur  ce  point.  Les 
uns,  dit-il,  ontavancé,  comme  on  le  voit  dans  saint  Au- 
gustin, Dr  civ.  Dei.  1.  VII,  c.  vi,  P.  L.,l.  xi.i,  col.  109, 
que  Dieu  est  Vâme  du  monde  (Zenon,  par  exemple,  el 
Varron  directement  visé  par  l'évéque  d'Hippone  et,  au 
XIIe  siècle.  Pierre  Abélard,  qui  disait  que  l'Kspril-Sainl 
esl  l'âme  du  monde,  Denzinger,  Enchirùlion,  n.  312 
les  autres,  comme  Imaurj  de  Chartres  el  ses  disciples, 
ont  affirmé  que  Dieu  est  le  principe  formel  de  tout" 
chose;  d'autres  enfin,  parmi  lesquels  David  de  Dinan, 
ont  follement  prétendu  qu^  Dieu  ne  diffère  pas  de  la 
malu  t  <■  première  :  triple  opinion,  manifestement  lau 

car  Dieu   ne   peut  entrer  dans  la  composition  d  aucun. 

créature,  ni  comme  principe  formel,  ni  comme  prin- 
cipe matériel.   El    C'esl   ce  que  prouve  le  docteur  BHgé- 

lique.  ailleurs,  ii   s'était  exprimé  ainsi  :  «  L'erreur  de 

quelque--  anciens  philosophes  lot   d'admettre   me 
-.e commune  a  Dieu  et  ..  toutes  le--  choses.  Ils  sup- 
posaient,  en    effet,   que  tontes   le.  choses   sont  un  seul 

être  ei  ne  diffèrent,  comme  ['«  dit  Parménide,  que  par 

de  simples  apparences,  au  jugement  >i ens   Celte 

opinion  d<    sm  leni  philosophes  •>  été  suivie  \<>r  quel- 
su    nombre    desquel     on   peul    i  II 

de  i  •  1 1 ■  m   i  n  effet,  i  elui-cl  partageait  les  ci 


159 


DAVID    DE    DINAN 


DEBONNAIRE 


160 


m  trois  catégories,  les  corps,  les  âmes,  lei  substai 
séparées.  Il  appelait  Yle  (ûXyj) le  premier  indivisible  qui 
est  le  fondement  des  corps,  el  Noym  fvoû;)  ou  esprit 
|e  premier  indivisible  qui  esi  le  fondement  des  âmes; 
quant  au  premier  indivisible  parmi  les  suhsi 
éternelles,  il  l'appelait  Dieu  ;  el  il  disait  que  ces  trois 
onl  une  seule  et  même  chose,  et,  par  suite, 
que  toutes  choses  sont  par  essence  un.  t  In  IV  Sent., 
I.  II.  dist.  XVII,  q.  i,  a.  I  :  Cont.  yen!.,  I.  I.  c.  xvn. 

\  Panthéisme  matérialiste  :  ses  fâcheuses  an 
quences.  —  Ainsi  donc  David  de  l)in;ui  a  professé  le 
panthéisme  connue  certains  philosophes  grecs  et  cornue' 
Amaurj  de  Chartres,  mais  avec  cette  différence  carac- 
téristique qu'au  lieu  ih  foire  de  Dieu,  comme  eux,  soit 
l'âme  du  monde,  soit  le  principe  formel  des  êtres,  il  en 
a  fait  le  principe  matériel.  Or,  de  quelque  manière 
qu'on  professe  le  panthéisme,  les  conséquences  ne 
peuvent  être  que  désastreuses  au  point  de  vue  de  la  foi 
et  des  mœurs.  Il  n'est  donc  pas  étonnant  dés  lors  que 
David  de  Dinan  ait  été  condamné  par  l'Église,  au  même 
titre  qu'Amaury  de  Chartres,  Les  conséquences  désas- 
treuses tirées  pratiquement  de  l'enseignement  d'Amaury 
par  ses  disciples,  nous  les  connaissons  :  elles  n'allaient 
à  rien  moins  qu'à  ruiner  de  fond  en  comble  la  foi.  la 
religion  chrétienne,  son  culte,  sa  morale.  Ils  préten- 
daient, en  effet,  que  l'histoire  du  monde  se  partage  en 
trois  périodes  successives,  gouvernées  chacune  par 
l'une  des  trois  personnes  de  la  Trinité,  à  l'exclusion  des 
deux  autres.  La  première,  le  l'ère,  s'était  incarnée 
dans  la  personne  d'Abraham,  et  régna  par  la  loi  écrite 
et  le  rituel  mosaïque  jusqu'au  moment  où  le  Fils,  s'in- 
carnant  dans  la  personne  de  Jésus,  substitua  l'Evan- 
gile, l'Église  et  les  sacrements  à  la  loi,  à  la  synagogue  et 
aux  rites  juifs.  Mais,  à  son  tour,  le  règne  du  Christ 
touchait  à  sa  lin  et  devait  faire  place  définitivement  à 
l'économie  nouvelle,  celle  du  Saint-Esprit.  Car  désor- 
mais, pensaient-ils,  c'est  le  Saint-Esprit  qui  s'incarne, 
non  plus  dans  une  personne  isolée,  mais  en  chacun  de 
nous,  et  par  là  môme  nous  libère  vis-à-vis  de  l'Évangile, 
de  l'Église,  de  son  symbole,  de  ses  commandements, 
de  ses  sacrements  et  de  ses  rites  liturgiques. C'était, on 
le  voit,  sous  couleur  religieuse,  secouer  tout  joug,  pro- 
clamer l'indépendance  et  l'autonomie  individuelle  et.  à 
vrai  dire,  supprimer  non  seulement  le  catholicisme, 
mais  encore  toute  religion. 

D'aussi  funestes  conséquences  découlaient  logique- 
ment du  système  panthéistique  de  David  de  Dinan  avec 
une  note  matérialiste  plus  accentuée  encore.  Que  David 
les  ait  tirées  lui-même  dans  ses  écrits  ou  dans  ses 
paroles,  c'est  ce  qu'aucun  renseignement  contemporain 
n'autorise  à  penser.  Mais  elles  étaient  faciles  à  tirer,  et 
il  suffisait  que  ses  principes  les  continssent  pour  que 
sa  doctrine  fût  réprouvée  el  condamnée. On  s'explique 
par  là  que  ses  Quaternuli, notamment,  aient  été  inter- 
dits :  ils  renfermaient  en  particulier  l'hérésie  du  pan- 
théisme  matérialiste. 

5°  Source  de  ses  erreurs.  —  t'ù  donc  David  avait-il 
pu  puiser  un  tel  enseignement  '  La  question,  inl 
santé  au  point  de  vue  de  l'origine  et  de  la  filiation  de 
son  panthéisme,  est  assez  difficile  à  résoudre  d'une 
manière  précise,  i  I  elle  a  exercé  la  sagacité  inves 
trice  desérudits.  La  simple  juxtaposition  de  son  nom  à 
côté  de  celui  d'Amaurj  et  d'Aristote  pourrait  la 
croire  à  un  rapport d'effel  a  cause;  il  n'en  est  rien,  car. 
ainsi  que  nous  venons  de  le  voir,  la  pensée  de  David 
n'est  à  identifier  ni  avec  celle  des  philosophes  pan- 
théistes de  l'antiquité  grecque  ou  latine,  ni  avec  celle 
d'Amaurj  de  Chartres.  On  soupçonne  bien  ses  attaches 
intellectuelles  soit,  par  Amaurj .  avec  Jean  Scot  Êrigène, 
soit  avec  quelques  œuvres  d'Aristote  connues  alors  par 
des  traductions  arabes,  notamment  avec  celle  d'un  cer- 
tain Alexandre,  ainsi  que  l'a  cru  Jourdain,  Mémoires 
de  l'Académie  des  inscript,  et  belles-lettres,  Paris,  1870, 


t.  x.wi.  p.  167-496,  soit,  comme  le  pense  Hauréau, 
ibid.,  1879,  t.  xxix.  p. 319-330,  et  //  a  philo- 

sophie tcolaslique,  Paris,  1880,  II-  partie,  t.   r,  | 
avec   h-  De  unitate  >■[   l<    /' 

l'archidiacre  de  Ségovie,  Dominique  Gundisalvi,  qui 
serait  fauteur  du  livre  faussement  attribué  à  Alexandre, 
-oit  enfin  avec  le  1  d'Avicebron,  commi 

croit  de  W'ulf,  Histoire  de  lu  philosophie  médiévale, 
Paris,  1900,  p.  225.  Mais  quoi  qu'il  en  soit  de  la  réalité 
de  ces  attaches,  et  quelles   que   soient  les   inlluences 
qu'il  a  subies  et  les  sources  ou  il  a  puis,.,  il  n'en  n 
pas  moins  qu'il  ne    g'esl    pas    laiss  r,   qu'il  a 

voulu  penser  par   lui-même  et   philosopher  pour  son 
propre  compte.  El  il  se  trouve   que    -a    philosophé 
un  rationalisme  intempérant  et  un  assaut  livré  a  la  foi 
catholique.  Par  là,  beaucoup  plus  encore  que   par  son 
panthéisme  matérialiste,  il  a  droit  'nui 

les  ancêtres  des  libres-penseur-  suivants. 

Alhert  le  Grand,  Sum.^theol.,  part.  1.  ir.  IV.  cj.  xx,  i 

mas,  In  IV  Sent..  LU,  dist.  XVU.q.  i.  :',,t.. 

1.1,  c.  xvn  ;  Sa,,,,  theol.,  I*,q.  m.  a.*:  Cuillaume  Le  Breton. De 

gestis  Pliilippi  A ugusli,  dans/;-'/  u,,,  Gallic. scriptoresÂt  xvn. 

hronicon   Laudunensis   canonici,  ibid.,  t.  xvni, 

p.  715:  Martin  de  Pologne,   Chronicon,  Anvers,  1574:  Césalre 

erbach,  lllustr.  mirac.  el  historia  memorabitis,  1.  V. 
c.  xxn  ;  Trivelh,  Clironicon,  dans  le  Spicilegium  <ie  d'Achery, 
Paris,  1723,  t.  m;  Prateolus,  Elenchus  hxres.,  Cologne,  15*1. 
Du  Boulay,  Hist.  univers.  parisiensis,  Paris,  1666,  t.  in. 
p.  678;  Thomasius,  Origines  historix  philosophiez  et  eccle- 
iese,  Halle,  1699;  Duplessis  d  Argentré,  Collectio  judic.  de 
novis  erroribus,  Paris,  1728.  t.  I,  p.  132  sq.  ;  Brucker,  Hist. 
critic.  philosophiss,  Leipzig,  1700,  t.  in,  p.  692  rdein, 

D-  genuina  Amalrici  a  Boni  ac  Daoidis  de  Dinant'. 
china,  Giessen,  1842;  Amalrich  von  Bena  .und  Davi  • 
Dinant,  dans   Theologische  Studien,  1*17  ;   Mipne.Dicf.de* 

■s,  t.  i.  p.  643-6U;  Marin,  Diction,  phit.  théoL  sculast., 
185  i,  t.  I,  p.  758-700:  Franck,  Dictionnaire  ■/■ 
sophiques,    Paris.    18S5;    Xouvellc    biographie     universelle, 
Paris.  1855;  Hefele.  Histoire  des  Conciles,  irad.    frane.,   Paris, 

t.  vin,  p.  99  sq.;  Kirclienlextlcon,  t.   m.  c  L    IM7- 
Jourdain,  ili  les  sources  phit  es  hérésies 

d'.\maury  d<"   Chartres  et  de  David  de  Dinan,  dans  k- 
moires  de  l'Institut  impérial  de  France.  Académie  des   in- 
scriptions et  belles-lettres,  Paris,  1870,  t.  XXII,  p.  467-498;  Hau- 
réau, Sur  la  vraie  source  des  erreurs  atl 

79,  t.   xxix.  p.   319-330;  Histoire   de    la    , 
scolastigue,  Paris.  1880,  II' partie,  t.  i.  p.  73-82;  Jundt.  //  - 
du  panthéisme  populaire  au  moyen  âge,   P  -         Hann, 

Amalrich  von  Bena  und  David  von  Dinant,  eiu  /.' 
:ur  Geschichte  der  nligiôscn  Bewegungen  in  Frankrcich  ru 
Beginn  des  1.1  Jahrh..  Yillach,    1882;  Denifle,  Chartularium 
unie.  Parisiensis.  Paris.  18s'.'.  t.  i,  p.  7<>-71.  79;  Realencyclo- 

t.   m,  p.  ÔÛ5-506:  De  W'ulf,  Histoire  de  la  philot 
médiévale,  Louvain,  Paris,  I  ■  l  hevalier,  Réper- 

toire. Hiu-bibtiog  lit.,  t.  I,  col.  11564157. 

G.  IUreille. 
DEBONNAIRE,  DE  BONN  AIRE  Louis,  prêtre  tho 
logien,  né  à  Ramerupt-sur-Aube,  mort  i  Paris  le  SB  juin 
I7.V2.  Il  appartint  pendant  quelques  années  à  la  Coi 
gation  de  l'Oratoire.   Janséniste  ardent,  il  se  déclara 

ridant  contrelesconvuUionnaires.il  publia  de  nom- 
breux écrits  dont  beaucoup  sont  anonymes      L  Imita- 
tion de  Jésus-Christ,  traduction  nouvelle  a 
flexions  et  îles  prières,  i  n- 1  _  et  in- 1  s .  |  louen, 

I719,  ouvrage  qui  eut  plusieurs  éditions;   Paralli 
lu    morale  des    jésuites    et    de  cellt 
Troyes,  I728;  Examens  critique,  physique  et  théo 
que  des    convulsions    et    des    caractères    di 
croit   ion-  dons   les   acciden  nvulsionm 

l!  parties  in-'i  .   I733;  Les  -     \a  nés  évangéliques  qui 
contiennent  des  réflexions  morales  pour  chaque  jour, 
■1  in-S ".   Paris,  I7:i.">;  Trailé  historique  et  critiqu 
lu  fin  du  monde,  de  la  venue  d'Élie  el  du  retou 
Juifs,  3  in-12,  Amsterdam,  I7:i7-I7:is.  ouvrage  attribué 
aussi  .i  l'abbé  Mignot;  Les  leçons  de  la 
défauts  des  hommes.  ;!  in-12,  La  Haye.  1 737- 1 T , 
tn; oi  ou  la  défense  prétendue  du  sentiment 


161 


DEBONNAIRE 


DECALOGUE 


162 


Pères  repoussée,  in-12,  Rotterdam,  1740;  Essaidu  nou- 
veau conte  de  ma  mère  l'Oie,  ou  les  enluminures  du 
jeu  de  la  Constitution,  in-8°,  1743;  La  religion  chré- 
tienne méditée  dans  le  véritable  esprit  de  ses  maximes, 
6  in-12,  Paris,  1745  et  1784,  en  collaboration  avec  le 
P.  Jard,  doctrinaire;  La  règle  des  devoirs  que  la  na- 
ture inspire  à  tous  les  hommes,  4  in-12,  Paris,  1758; 
L'esprit  des  lois  quinlessencié,  2  in-12.  On  lui  attribue 
les  notes  qui  furent  ajoutées  à  l'ouvrage  de  l'abbé  Fleury  : 
Discours  sur  la  liberté  de  l'Église  gallicane,  ainsi  que 
celles  qui  accompagnent  l'édition  de  1735  du  livre  d'Ar- 
nauld  :  Remarques  sur  les  principales  erreurs  du  livre 
intitulé  :  De  l'ancienne  nouveauté  de  l'Ecriture  sainte. 
Louis  Débonnaire  passp  en  outre  pour  être  l'auteur  des 
écrits  suivants  :  Chanson  sur  Vair  des  Pendus  à  ren- 
contre des  Gensinislres ;  Lellre  à  Nicole  sur  son  prin- 
cipe de  la  plus  grande  autorité  visible,  1726;  Obser- 
vations apologétiques  de  l'auteur  des  Examens  (1733); 
Lettres  sceptiques;  Réponse  de  l'auteur  des  Trois 
Examens,  1734;  L'esprit  en  convulsions  ;  Lettre  de 
l'auteur  des  Trois  Examens  aux  évêques  de  Sene:  cl 
de  Montpellier;  Réponse  raisonnée  aux  réflexions 
judicieuses  de  Delan  :  Jugement  sommaire  delà  lettre 
de  l'évêque  de  Sene::  Trois  réponses  détaillées  de 
l'auteur  des  Trois  Examens  ù  la  lettre  de  M.  de  Sene:. 

Quérard,  La  France  littéraire,  in-8.  Paris,  1828,  t.  n, 
p.  102;  Nouvelles  ecclésiastiques,  1733,  p.  180;  1734,  p.  9, 
177;  1735,  p.  80,  118;  1730,  p.  12,  130,  134,  100;  1737,  p.  19,  179; 
173K,  p.  13,  55;  1739,  p.  102;  Liaibier,  Dictionnaire  (1rs  ano- 
nymes, 4  in-8",  1872-1879;  Michaud,  Biogropliie  universelle, 
i.  x,  p.  239-240;  IngolJ,  Supplément  à  l'Essai  de  bibliographie 
oratorienne ;  Grosley,  Troyens  illustres. 

B.  Heurtebize. 

DEBORS-DESDOIRES  Olivier  (1650-1701),  orato- 
rien  français,  publia  un  opuscule  intitulé  :  De  la  meil- 
leure manière  de  prêcher,  in-12,  Paris,  1700,  et  le 
V  volume  de  La  science  du  salut  renfermée  dans  ces 
les  :  Il  u  a  peu  d'élus,  <>a  traite  dogmatique  sur 
le  nombre  des  élus,  in-12.  Rouen,  1701  ;  le  t.  n  est  resté 
manuscrit. 

Batterel.  V  \ques,  t.  ni,  p.  383-384. 

A.  Ingold. 

DEBRECINUS  Jean,  théologien  hongrois  du xvil0 siè- 
cle, a  publié  1°  Exercitationes  m  holaslicœ  de  scientia 
[)ei,  in-12.  1  raneker,  1658;  2"  Joannis  Tliaddsei  con- 
ciliatorium  publicum,  in-12,  Utrecht,  1658. 

Hoefer,  Nouvelle  biographie  générale,  t.  xiu,  col.  292. 

E.  Makcenot. 

DECALOGUE.  Le  nom  singulier,  6  ou  r,  6ex£XoYO{, 
usité  dans  la  langue  ecclésiastique  pour  désigner  les 
dix  commandements  moraux, révélés  par  Dieu  à  Moïse, 
rencontre  pas  dans  la  Bible.  Il  a  cependant  son 
fondement  dans  le  Pentateuque,  qui  appelle  ces  dix 
préceptes  :•""  r- :ï.      les  dix  paroles  »  de  Jéhovah, 

Exod.,  xxxiv,  28;  Dent.,  iv,  13;  x,  i, dans  les  Septante, 
ol  'Àvi  /'>■',:  ou  :i  SÉxa  '.fir-y.      I.  Révélation  divine. 
II.  Classification  et  nature  des  préceptes.  III.  Obliga- 
tion morale.  IV.  Pie  ris  l'instruction  mo- 
ral.' des  catéchumène      :  di     fidéli       V.    Différences 
entre  h-   décalogue   mosaïque  ou  chrétien   et  les  l 
moraux  non  chrétiens. 
I.  Révélation  divine.  —  I"  Cin  de  cette 
iinn,.        Dieu    lui-même  a   promu'  pré- 
ceptes du  liant  du  Sm.ii.  mi  présence  de  toul   Israël 
w.  1-17.  Il  le  lit  ;,  h. mi,,  voix, du  milieu  du  feu 
et  de  la  nu  '      wi    ajontei   .1  autn  !  p. noies  en  ce  jour 
■olennel,  comme    Moisi     li    rappelai)    plus    tard    aux 
Deut.,   v,  'J'i    heu   les  écrivit    ensuite    sur 
deux  tabli     di    pierre,  qu'il  n  mil  ■>  Moïse,  durant    i  n 

séjour    de    1"    jours    <\    ,\.     ',0   nuit-    lur    la    mon' 

Exod.,  xxiv,   12;  xxxi,  1*    Ces  tables  sont  dites  en  ce 
dernier  pa  les   tables  du  témoi|  •  pari  ' 

qn'ei  i.  tit  la  volonté1  formelle  de  Dieu    Mofsi 

DICT.    DE  THÉOL.    CVTHOL. 


les  rapportait  dans  sa  main,  écrites  des  deux  côtés; 
quand  il  vit  les  Israélites  qui  adoraient  le  veau  d'or,  il 
les  brisa  au  pied  de  la  montagne.  Exod.,  xx.xn,  15,  16, 
19.  Lorsque  Dieu,  sur  la  prière  de  Moïse,  consentit  à 
renouveler  l'alliance  violée,  il  ordonna  à  Moïse  de 
prendre  deux  tables,  semblables  aux  premières,  pour  y 
écrire  les  dix  paroles  de  l'alliance.  Moïse  les  écrivit  et 
les  rapporta  en  descendant  de  la  montagne.  Exod., 
xxxiv,  1,  27-29.  Elles  étaient  destinées  à  être  placées 
dans  l'arche.  Exod.,  XXV,  16,  21.  Cf.  III  Reg.,  vm,  9. 
Plus  tard,  Moïse  rappelait  tous  ces  faits  aux  Israélites. 
Deut.,  iv,  13;  v,22;  ix,8-17;  x,l-5.  Cesdixprescriptions 
morales  expriment  les  volontés  divines  sous  forme  de 
discours  direct  de  Dieu  à  Israël.  Toutes,  sauf  la  dixième, 
sont  renouvelées  à  l'état  isolé  en  divers  endroits  de  la 
législation  mosaïque.  Elles  ne  constituent  pas  cependant 
un  choix  de  préceptes  divins,  elles  forment  plutôt  un 
tout  organique,  comprenant  des  ordonnances  positives 
ou  des  prohibitions,  dont  quelques-unes  sont  accompa- 
gnées de  leurs  motifs  ou  de  leur  sanction.  On  ignore  de 
quelle  manière  les  dix  paroles  étaient  disposées  sur  les 
deux  tables.  Philon  admettait  cinq  préceptes  sur  chaque 
table,  et  beaucoup  de  critiques  modernes  adoptent  cette 
disposition,  qui  correspond,  selon  eux,  à  pielas  et  à 
probitas.  R.  Hanina  ben  Gamaliel  acceptait  la  disposi- 
tion des  préceptes  sur  les  deux  tables  dans  le  même 
sens  que  Philon.  Mais  d'autres  rabbins  prétendaient 
qu'ils  étaient  en  entier  sur  chaque  table.  R.  Simon  ben 
Yohaï  disait  même  qu'ils  se  trouvaient  deux  fois  sur 
chaque  pierre,  et  R.  Simaï  pensait  qu'ils  étaient  inscrits 
quatre  fois,  formant  un  total  de  40  textes.  Talmud  de 
Jérusalem,  traité  Scheqalim,xi,  l,trad.  Schwab,  Paris. 
1882,  t.  v,  p.  302.  Saint  Augustin  a  distingué  trois  pré- 
ceptes relatifs  à  Dieu  et  sept  relatifs  aux  hommes. 

2°  Théories  des   critiques   modernes.  —   1.    Sur   la 
forme  primitive  du  décalogue.  —  Comme  le  texte  du 
décalogue  nous  est  parvenu  au  moins  en  deux  recen- 
sions, qui    sont   d'accord   pour   l'ensemble  et   qui   se 
trouvent,  l'une  dans  l'écrit  élohiste  E,  Exod.,  xx,  1-17, 
l'autre   dans  le  deutéronomiste  D,   Deut.,  v,  6-18,  on 
s'est  demandé  laquelle  des  deux  était  la  plus  originale 
et  quelle  pouvait  bien  avoir  été  la  forme  primitive  du 
décalogue.  Les  principales  divergences  des  deux  recen- 
sions portent  sur  l'observance  du  sabbat  et  l'interdic- 
tion des  mauvais  désirs.  Le  motif  d'observer  le  sabbat 
est  fort  différent  :  dans  le  Deutéronome,  c'est  un  motif 
d'humanité,    pour  que   le   serviteur  et   la    servante  se 
reposent  ce  jour-là  comme  leur  maître,  au  souvenir  de 
li  délivrance  de  la  servitude  d'Egypte,  tandis  que,  dans 
l'élohiste,  le  motif  allégué  est  la  création  du  monde  en 
six  jours,  suivie  du  repos  divin.   La  disposition  de  la 
prohibition    de  la  convoitise   diffère    ainsi   :   dans  E,    la 
Femme  fait  partie    de   la   maison;   dans  D.   elle  en  est 
distinct''.  <»n  a  remarqué,  en  outre,   que  le  décalogue 
élohiste  avait  des  expressions  caractéristiques  du  Deu- 
téronome, et  on  en   a  conclu   ou   bien  qu'il   avait    éti 
retouché  par  un  écrivain   deutéronomiste,  qui  revisait 
E,  ou  par  un  reviseur  de  JE,  qui   lui  aurait  donné  sa 
place  actuelle  en  tète  du   livre   de  l'alliance.    Par  suite, 

on  le   tient    généralement  coi plus    pur   et    plus 

ancien  que  le  décalogue  il  i  n  l'i  onoinisle. 

Mais  est  il   le  décalogue  piimilif'.'   Suivant  une  hypo 

émise  par  Ewald,  le  décalogue.  à  l'étal  originel, 
ne  contenait  que  des  préceptes  divins,  sans  les  motifs 
de  les  observer.  Cette  forme  aurait  été  conservé) 
li  i  l  '.n.  7-  et  8r  command'  ments.  Il  faudrait  donc  ra- 
mener  le  2°  a    i  «  Tu    ne    dois    faire    aucun. 
image  sculptée.         .          m    en    toi  du  jour  du  sabbat 
que  tu  dois  sanctifier,  i  le  5        Honore  ton  père  et  la 
mère,      etc.  Wellhausen,  DU  Composition  des  II- 
teurii s.    Berlin,  i-^'1  p   ■  ;-J7  :i;î:>.  a  cru  retrouver  dans 
le  document  jéhoi  Iste  i  une  pn  mi 
logue.  l  xod.  kxxjv,  li  26.  Selon  lui.  le  récit  précédent 

tv      e 


163 


DÉCALOGÏ  l. 


1G4 


1-10.  est  parallèle  à  celui  du  c.  xix.  el  monte  I 
mien-  alliance  conclue  entre  Dii  u  et  Israël.  C'est  un 
rédacteur  postérieur,  celui  de  JE,  qui  :i  retouché  le 
récit  primitif,  pour  lui  faire  exprimer  une  réitération 
de  I  alliance  el  une  restitution  des  tables  de  ta  loi,  bri- 
par  Moïse.  Le  décalogne  primitif  est  maintenant 
enfermé  dans  une  édition  augmentée.  Réduit  a  don/.' 
ou  à  dix  préceptes,  il  esl  surtoUI  cultuel  et  ordonne  la 
célébration  des  fêtes.  Kuenen  a  refusé  de  reconnaître 
ce  décalogue,  arbitrairement  extrait  d'un  moi 
législatif  retouché  el  mêlé  d'ordonnances  du  décalogue 
êlohiste.  D'autres  critiques  ont  adopté  les  vues  de 
Wellhausen,  en  les  modifiant  un  peu.  Le  décalogue 
jéhoviste  sérail  plus  ancien  que  l'élobiste;  il  sérail 
un  compendium  du  culte  et  de  la  morale,  pratiqués 
par  Israël  déjà  établi  an  pays  de  Chanson  Smend 
et  Stade);  il  correspond  à  la  réaction  qui  s'est  pro- 
duite au  temps  d'Élie  contre  la  religion  éhanadéenne 
(Baentscli).  Cependant  M.  Wildeboer,  Die  Literalur 
des  A.  T.,  ■!•  édit.,  Gœttingue,  1905.  p.  87-88,  croit  que 
ce  décalogue  rituel  a  été  fait  sur  le  modèle  du  déca- 
logue moral.  Puisque  le  décalogue  moral  est  rapporte 
à  K-\  Slaerk  et  Meisner  ont  recherché  quel  pouv:iit 
être  !>'  décalogue  de  E'.  Le  premier  l'a  retrouvé  dans 
h'xod..  xxii,  -27,  28;  xxiii,  14-16,  10-12,  et  le  second 
dans  L'xod.,  xxili,  14-19.  Ce  sont  là  des  fantaisies  de 
critiques  à  la  recherche  d'opinions  nouvelles. 

2.  Sur  l'origine  du  dëealogue  moral.  —  II.  I..  Strack. 
Einleitung  in  das  A.  T.,  G"  édit.,  Munich.  11106,  p.  64, 
tient  ce  décalogue  pour  le  plus  ancien  et  n'admet  pas 
qu'il  ait  été  remanié  d'après  le  texte  du  Deutéronome. 
Son  antiquité  ressort  de  l'âge  du  contexte  dont  il  fait 
partie.  G.  Wildeboer,  op.  cil.,  p.  17,  est  du  même 
avis;  il  admet  toutefois  des  retouches  postérieures  du 
texte  primitif.  Il  explique  les  différences  des  deux  re- 
censions de  l'Exode  et  du  Deutéronome  par  deux 
transcriptions  diverses  de  la  tradition  orale,  les  tables 
primitives  ('tant  perdues.  Ces  critiques  admettent  donc 
l'origine  mosaïque  du  décalogue,  ainsi  que  Franz  l)e- 
litzscli .  Dillmann,  Lemme,  Konig,  Kittel  et  Driver.  I  u 
1800,  Nôldeke  la  tenait  encore  comme  très  prenable. 
D'autres  critiques,  Kuenen,  Wellhausen,  Stade,  Cornill, 
Smend,  II.  Schulz,  Ilolzinger.  Daentsch,  etc.,  pensent 
que  le  décalogue  moral  reflète  les  idées  et  l'esprit  des 
prophètes  du  VIIe  siècle.  Les  plus  anciennes  paroles 
qui,  selon  la  tradition,  résumaient  l'alliance  de  Dieu 
avec  les  Israélites,  concernaient  exclusivement  les 
observances  cultuelles  et  les  fêtes.  Dans  le  décalogue 
moral,  le  culte  est  consciemment  restreint  à  la  seule 
observation  du  sabbat,  qui  n'a  pu  être  établie  qu'après 
l'installation  définitive  d'Israël  au  pays  de  Chanaan. 
La  défense  absolue  d'adorer  les  idoles  n'a  pu  être  por- 
tée qu'an  cours  du  vn«  siècle,  puisque  .léhovah  était 
honoré  dans  le  royaume  du  nord  sous  l'image  d'un 
veau.  Ce  sont  les  prophètes  du  vir  siècle  qui,  les  pre- 
miers, ont  prêché  la  religion  monte,  en  la  rattachant 
à  la  volonté'  divine.  Dans  des  cercles  dévoués  à  .lého- 
vah. on  a  donc  réduit  le  culte  moral  à  dix  prescrip- 
tions de  Dieu,  conformément  a  l'ancienne  morale  de 
la  tribu  qu'on  rattachait  à  Moïse  el  qui  peut-être  avait 
déjà  été  exprimée  dans  des  formules  brèves,  dévélop- 

1 s  dans  un    sens  nouveau.    Hoizinger  considère  la 

rédaction  du  décalogue  moral  comme  une  tentative  de 
réformer  la  religion  populaire  pour  la  rendre  conci- 
liabte  avec  la  théologie  des  prophètes.  Exotiws,  Tu- 
bingne,  1900,  p.  7s. 

Il  sufQra  de  remarquer  que-ces- théories  des  eriliquos 

reposent  sur  une  reconstruction  (i  priori  de  l'ancienne 

religion  d'Israël.  C'est  une  pure  supposition  que  le 
sabbat  o  a  pu  être  établi  •  I  observé  que  par  une  popu- 
lation sédentaire  et  que  la  prohibition  d'adorer  le- 
idoles  date  du  vir  siècle,  comme  m  le  culte  des  peaux 
d'or  à  Bétliel  n'avait   pis   toujours  été  regardé  comme 


idolâtre  et   sebismatique.  Quant   aux    divergenci 
détails  entre  tes  deux  recensions  mosaïques  du  i 

logue,  elles  proviennent  de  deux  causas,  ou  d 
de    transcription    de-   copistes,   ou    de-    modifications 
introduites  par  .Moi-:  lui-même  dans  son  dJscoiu 
Deutéronome.  Cf.  I     d.-  liummela  lus  et  Le- 

s,  1  '.i ris.  |s!i7.  p.  liMl-KC  Deuteronomium,t 
1801,  p.  MO.  Rien  ne  s'oppose  donc  au  maintisi 
l'origine  mosaïque    du  décalof  •    >a   révélation 

divine  au  Sinai  par  le  mini  Hotae. 

Lemme,  Die  religlontgeschichtliche  Beâeutung  des  D 
loge,  i 

p.  92  -'|   :  M.,   EscoduB,  Levitieus,  ATui  1903, 

p.  i .ii-i. v,    178  179  .cA'-n 

Religionageaehichle,    l  rib  urg-en-Brisgau,    ■■ 
II.   Hoizinger,    Einleitung    in    den    Hexattueli,    Friboi 

m  et  Leipzig,  1883,  p.  217-219;    li<  don. 

I!       ■■  uch,  Halle, 
1893;   Driver,   Einleitung   in  die  Literalur  des  alleu    1 

Merlin.  18»  ..  /.ur 

Erklàrung  und  Geschichte  des  DfUaloys,  dans  Seue  kir- 
chliche  Xeitschrift,  t.  XII,  p.  863-889;  B  Stade,  Bibhsche 
Théologie  des  A.  T.,  I  •■:■.   L   I,  p.  86,  S7,  M,  197- 

199,  248-2ÔO;  L.  Gautier,  Introduction  à  l'Ancien   Testament. 
Lausanne.    1906,  t.   l,  p.  144-148;   E.  Mangenot.   L'autkent 
mosaïque  du  Pentateuque,  i  Realeneyelo- 

nddie,  3'  édit.,  189k,  i.   in.  p.  559-564.  où  on  trouvera,  | 
une  bibliographie  allemande  plus  complète. 

Sur  le  papyrus  Nash  du  II«  Mécle  de  notre  ire.  qui  reproduit 
un  texte  hébreu   du  décalogue,  antérieur  au  texte  massoiétique 
et  différentde  ce  texte  aussi  bien  que  de  celui  d.  -  I.W.  ■■ 
Ilevue  biblique,  avril  1904,  |  - 

Absehrift  der  zehn  Gebotr,  der  Papy-us  Nash,  Fribourg-en- 
Brlsgau,  1905. 

E.  Makgknot. 

II.     Cl.\ssil  ICVTION     ET     NATl  PTBB     DD 

dégalooi  e.  —  /■  ci  issiFicATtos.  —   1   Rétention 
trois  principales  classifications. 


CLASSIFICATION 

,  i  \-- 

1 1  \-- 

DU  TM.Ml'n 

DK   l'HII  ON 

AUGI   - 

1.  Domaine  spécial 

1    Adi  ration  du  - 

eut 

du  seul 

do  .léhovah  sur  le 

vrai  Dieu 

vrai  Dieu. 

peuple     Israélite. 

xx.  3. 

Exod.,  \x,  2. 

2.     Commandement 

2.    bUerdii 

du 

2.  Défense  i 

d'adorer  Jéhovah 

culte   des    idoles, 

dre    en    vain    le 

le  seul  vrai   Dieu 

M. 

Hoir 

el  de  s'ahstenir  de 

tout  culte  des  idi  - 

les,  3-6. 

3.  1  téfense  de  pren- 

!;se de  p 

en- 

Observation    du 

dre  le  nom  d     - 

dre  le  nom  du 

-    ■ 

sabbat. 

gneur  en  vain,  7. 

gneur  en  vain 

" 

4.    Observation    du 

-e  nation 

du 

4.  Respect   dû    aux 

sabbat.  8-11. 

sabbat. 

parents. 

5.  Respect   dû    aux 

ect   du 

aux 

5.      Illti  ido 

ts,  12. 

•  nts. 

meurtre. 

0.    Interdiction     du 

6.    Interdiction 

de 

6.     Interdiction     de 

meurtre.  13. 

l'adui- 

meurtre. 

du 

l'adultère. 

7.     Interdiction     de 

7.     Interdiction 

du 

7.     lnterdicti.n    du 

l'adultère.   1  | 

meui  ti 

1  ado 

de 

vol. 

S.    Interdiction    du 

8.    Interdiction 

du 

8.     Ini- 

vol.  15. 

vol. 

faux 

9.    Interdiction    «lu 

9.    lui.  rdi 

du 

■ 

faux    témoignage. 

faux 

une  du 

10 

1  f"i  hain. 

10.    Interdiction   de 

1"     Intend 

de 

le  dé- 

■h  -irii    les   biens 

■  i   la   |.  mme 

du  prochain,  17. 

bain. 

du 

procbaln. 

2°  Examen  critique.  —  I.  Au  ftoint  de  vue  biblique, 
a    On  ne  peut  considérer  Exod.,   xx.  2,  Ego 
Ihomiiiis  Ihus  tnus  qui  edu.ri  te  de  terra  iEgypt 
dama   servi lulis,  comme  un    précepte    distinct.    I 
une  simple   affirmation    préliminaire    de   l'autorité  du 
l.ileur,  l'autorité'  toute  spéciale  de  Jéhovah  sur  son 


ili.j 


DECALOGUE 


160 


peuple  qu'il  a  lui-même  délivré  de  l'Egypte.  —  b)  On 
ne  peut  distinguer  deux  préceptes  dans  Exod.,  xx,  3-6. 
L'interdiction  du  culte  des  idoles  n'est  que  l'aspect  né- 
gatif du  précepte  d'adorer  le  seul  vrai  Dieu.  Ce  ne 
peut  donc  être  un  commandement  spécial.  —  c)  Le  dé- 
doublement du  précepte  interdisant  la  convoitise  n'est 
expressément  indiqué  ni  par  Exod.,  xx,  17,  ni  par 
Deut.,  v,  21.  Saint  Augustin  appuyait  l'affirmation  d'un 
double  précepte  dans  Exod.,  xx,  17,  sur  la  version  des 
Septante  où  uxorem  proximi  lui  est  mentionné  en 
premier  lieu  et  d'une  manière  distincte.  Quxstiones  in 
Heptateitclium,  1.  II,  c.  i.xxi,  P.  L.,  t.  xxxiv,  col.  621. 
.Mais  rien  n'autorise  à  considérer  la  leçon  des  Septante 
comme  vraie.  Le  texte  du  Deutéronome,  il  est  vrai,  met 
en  relief  non  concupisces  u.œretn  proximi  tui,  mais 
sans  l'indiquer  expressément  comme  précepte  distinct. 
.Mais  si  l'on  compare  ces  deux  textes  avec  les  deux  pré- 
ceptes distincts  condamnant  l'adultère  et  le  vol,  Exod., 
xx.  14,  15,  on  est  en  droit  de  conclure  que  l'interdiction 
du  désir,  comme  celle  de  l'acte  lui-même,  procède  d'un 
double  précepte;  car  il  y  a  identification  morale  entre 
le  désir  et  l'acte. 

2.  La  tradition  juive  ne  parait  fournir  aucun  témoi- 
gnage décisif.  Tandis  que  le  targum  du  pseudo-Jona- 
than sur  le  Pentaleuque  et  le  Talmud  de  Jérusalem, 
traité  des  Berahhoth,  i,  n.  8,  trad.  Schwab,  Paris,  1871, 
t.  I,  p.  18-19,  donnent  la  première  classification  en  ré- 
duisant le  IO  précepte  à  la  seule  convoitise  de  la  maison 
du  prochain,  sans  aucune  mention  île  la  femme  du 
prochain,  Philon,  Quis  sit  rerum  divinarum  hseres, 
.•dit.  Mangey.  p.  49G-497;  De  decalogo,  p.  188-18'.!, 
soutenu  par  Josèphe,  Anl.  jud.,  1.  III,  c.  iv,  Genève, 
1684,  p.  78  sq.,  défend  la  deuxième  classification  et  la 
Massore  soutient  la  troisième  classification. 

:î.  La  tradition  chrétienne  comprend  deux  périodes  : 
avant  et  après  saint  Augustin.  —  a)  Dame  la  période 
antérieure  à  saint  Augustin,  l'enseignement  du  déca- 
logue n'occupant  pas  de  place  spéciale  dans  l'instruc- 
tion des  caléeli  n  menés  ou  des  fidèles,  l'on  ne  rencontre 
que  de  rares  allusions  à  une  classification  complète  des 
dix  préceptes;  et  les  quelques  essais  que  l'on  rencontre 
s'inspirent  surtoutde  Philon .' Théophile d'Antiochc  men- 
tionne cinq  di's  commandements  concernant  les  devoirs 
envers  le  prochain;  le  précepte  interdisant  la  convoitise 
i -i  unique  comme  chez  Philon.  Ad  A  utûlyaum,  1.  1 1, 
n.  X).   /'.    G.,    t.  VI,   col.    Il(»8.  Tertullien   s'exprime  de 

meiiie.  Advenue  Maraioneni,  1.  II.  c.  svji;  Adversus 
Jildmot,  c.  n.  /'.  L.,  t.  n.  col.  305,  599.  dénient  d'Alexan- 
drie pavait  suivre  entièrement  l'hilon.  Strotn.,  VI, 
C.  xvi.  /'.  '.'..  I.  IX, COl.  861  sq.,ce(|ni  lui  est  d'ailleurs 
habituel  sur  beaucoup  de  points.  Origène  se  borne  à 
indiquer  el  à  commenter  brièvement  le  premier  com- 
mandement,  mm  etttnl  tibi  alii  dit  preoter  me,  el  b 
second,  non  faciei  libi  idoluni  neque  ullani  similitu- 
dinem,  en  donnant  pour  unique  raison  de  cette  distinc- 
tion que  l'on  ne  peut  autrement  maintenir  la  vérité  du 
décalogue  ou  l'existence  des  dix  commandements  : 
Umconmia  limiU  nonnulli  putant  este  unum  manda- 
tum.  Quod  si  ita  puletur,  non  camplebitur  dmewii  nu- 
■  ■minimum  i'.i  idn  jamoril  decalogi  veritax'.' 
In  Eand.,  homil.  vin,  n.  2.  /'.  (.'.,  t.  xn,  col.  351. 
Saint  Grégoire  de  Nazianze,  dans  son  poème  théologi- 
qu<  sut  le  décalogue  mentionne  les  dis  préceptes  salon 
l'i mil'. -île  Philon.  P. G., t.  «xxvii, col.  176eq.  Seint Cyrille 
d'Alexandrie  mot  cette  computalion  sur  bs  lèvres  de 
Julien  l'ApoBtal  Gant.  fuUtm.,  1.  V.  P.  G.,  t.  ixwi. 
col.  733.  La  même  énumération  se  rencontre  uhea  r.-m- 
teui'  de   la   Sf/t  pasmi 

tes  œuvres  de  aaint  Athanaee,  iP  '.  .  I  imvm,  odl  297, 
dam  Isa  commentaires  sur  b-  Êplttaa  de  saint  Paul 
de  i  A  ml  .i  ■  la  suite  des  (euvi-es  de  aainl  Am- 

bfoise,  In  Eph.,  vi,  2,   /'    /.  .  t.  wu.  col.  :w\.  ,t  ,,.,, 
Uellement   du    i n-   ohei   Gaaaien,    GoUat.,  I.    VIII, 


c.  xxni,  P.  L.,t.  xlix,  col.  764.  Saint  Jérôme  com- 
mentant Osée,  x,  10,  P.  L.,  t.  xxv,  col.  908,  distingue, 
en  passant,  le  précepte  de  l'Exode,  xx,  2,  du  suivant, 
3-6.  Le  même  saint  docteur,  expliquant  Eph.,  vi,  2, 
Honora  patrem  tuum  et  matrem  taam,  quod  est  inan- 
datum  in  jtromissione,  indique  incidemment  que  ce 
commandement  est  le  cinquième  du  décalogue,  les 
deux  premiers  étant  :  non  ertmt  tibi  dii  alii  prmter  rue 
et  non  faciès  tibi  idoluni,  Comment,  in  Episl.  ad 
Eph.,  1.  III,  c.  vi,  P.  L.,  t.  xxvi,  col.  537;  ce  qui  cor- 
respond à  la  classification  de  Philon.  Voir  aussi 
pseudo-Chrysostome,  In  Matth.,  homil.  xxxm,  P.  G., 
t.  lvi,  col.  877. 

Ainsi,  en  résumé,  les  témoignages  favorables  à  l'opi- 
nion de  Philon  dans  les  quatre  premiers  siècles  ne  sont 
guère  que  des  allusions  passagères,  desquelles  on  ne 
peut  déduire  un  consentement  patristique  suffisant 
pour  rendre  notre  adhésion  obligatoire. 

b)  Saint  Augustin  donne  toutes  ses  préférences  à  la 
troisième  classification  assignant  aux  devoirs  envers 
Dieu  les  trois  premiers  commandements  et  aux  devoirs 
envers  le  prochain  les  sept  autres.  Saint  Augustin 
s'appuie  principalement  sur  l'autorité  de  l'Écriture  et 
sur  la  haute  convenance  de  la  distinction  de  trois 
commandements  pour  exprimer  nos  obligations  envers 
les  trois  personnes  divines.  Serm.,  ix,  c.  v;  cci.,  n.  3, 
P.  L.,  t.  xxxviii,  col.  79  sq.,  1165  sq.;  Quivsliones  in 
Heptateuchum,  1.  Il,  c.  i.xxi,  P.  L.,  t.  xxxiv,  col.  620  sq. 
Observons  toutefois  qu'Augustin  varie  habituellement 
la  formule  de  ces  dix  commandements,  bien  qu'il 
suive  toujours  le  même  ordre  dans  leur  énumération. 
Paul  Rentschka,  Die  Dekalogkatechese  des  heiligan 
Augustinus,  Kemptun,  1905,  p.  127  sq. 

c)  La  classification  soutenue  par  saint  Augustin  fut 
presque  unanimement  admise  après  lui.  Nous  citerons 
particulièrement  :  le  pseudo-Jérôme,  Urrriarnim  in 
Psalmos,  Ps.  xxxu,  2,  P.  L.,  t.  xxvi,  col.  915;  S.  Isi- 
dore de  Séville,  Quœsliones  in  Vêtus  Teslamenlum, 
In  Exodum,  c.  xxix,  P..  L.,  t.  i.xxxm,  col.  301  sq.; 
l'auteur  du  De  paakixoruni  Hbro  ewegesis,  /'.  L., 
t.  xcin,  col.  431  sq.;  Alcuin,  De  decem  verbis  legis  seu 
brevis  eapooilio  daooktgi,  P.  L.,  t.  c,  col.  567  sq.; 
Hugues  de  Saint-Victor,  Inslituliones  in  decaioguru 
legis  doniiniese,  c.  m.  P.  /..,  t.  ci.x.wi,  col.  li  sq.. 
Pierre  Lombard,  Sent.,  I.  III.  dist.  XXXVII,  7'.  L., 
t.  xcii,  col.  831  sq.;  Alexandre  de  llalès,  Sttmma  theo- 
logiœ,  part.  111,  q.  x.xix,  m.  I,  a.  2  sq.,  Cologne,  IW'J. 
t.  m,  p.  203  sq.;  S.  Thomas,  SttMl.  l/wol.,  I'  Il   .  >\.  C, 

a.  i  sq.;  O/iusi  .,  1)1.  Dr  Irgr  unions  et  de  deCOIII  )■■  I 
rrplis,  dans  Opéra  omnio,  Paris,  1884,  t.  xxvil.  p.  144- 
170;  S.  Iion.ivenlure.  In IV Sent.,  I.  III.  dist.  W.WII. 
a.  2,  Ouaraccbi,  1887,  t.  ni.  p.  821  sq.;  Duns  fioot, 
In  IV  Sent.,  |.  III.  disl.  X.WVII.  Venise,  HiKil,  |  m. 
p.  338 sq., et  tous  les  commentateurs  de  Pierre  Lombard 
et  de  saint  Thomas. 

I. ordre  du  Talmud  fut  adopte  au  moyen  âge  par 
li  Svnrelle.  Ghronogvttphia,  édit.  hindorf, 
Bonn,  1829,  t.  i.  p.  246  sq..  et  par  Gedrenus,  llist. 
eompendium,  I.  I,  P  fi.,  t.  cxxi,  col.  Mi  sq. Celui  de 
Philon  se  retrouve  chez  Bulpice  Sévère,  {/«•£,,  P.  L., 
t.  xx.  col.  105,  et  che/  Zonaras,  Annal.,  I.  66,  P.  G '.. 
\.xi\.  col.  93.  Le  décalogue  an^lo-s.ixon  du  rai 
Alfred  .que-  stp  modifie  l'ordre  daa  commaudernente 

a  |  ki  ri  1 1  du  te  li.  vol;  7.  adulteii  'J.  bien-  du  pi,, 
eb. un.     10,    pas   de    dieux    d'or   et  d  .irpMit     .1 .    ScfailtâT, 

Dhetawmt  ontttjuitatum  leutonicarum,  in-fol.,  t  lm, 
L738,  t  i.  appendice,  ■p.  76-J7.  Une  peéaie -rythmée du 
moyen  Age,  «em  le  décalogue,  smi  cet  otdre  B  hon- 
neur a  rendre  ,iu\  parente;  i    amour  du   prochain; 

." ut-lie.  g,  adultère;  7.  vol;  8.  faux  toi go 

ir  de  le  fe e  du  prochain.  10.  désir  dea  bien* 

du  prochain,  fbid.,  p,  77 
Dan  ti  ohitmei  du    \m    su  cl<  ,   la    dû  iaion 


167 


DÉCALOGUE 


108 


augastinienne    des    dix   précepte,    ru     ^néraleœenl 
adoptée.  Elle  se  trouve  dans  leSn.  «de 

S  Edmond  de  Cantorbéry,  e.  u,  obus  Bibliotheca 

...    Doctrinal   de    sapiencfi,    Troyes,    1745     p.   •■»  M 
f-ïî  Biècle,  elle  est  euivie  dans  l'^BC  des  simples 
L»,  de  Gerson,  dans  le  Liber  3 ew  Chrutx,  si  sou- 
vent reproduit  et  dans  le  Monnaie  curatorum .et  dans 
teComposI  e/  Kalendrierde»  bergiers;  la  défense  du 
vol  est  au  6'  rang  et  précède  la  prohibition  de  la  lu* 
Cette  dernière  disposition  se  trouveaussi  dansund 
r0"e  provençal,  édité  par  K.  Bartsch,  Sentier  der 
ZalischerLUteratur,mf, Stal^n,^,^. 
L'accord  n'était    pas   universel  au   xvr   siècle,  et  les 
réformateurs  on.  adopté  des  usages  différents.  Luther 
ci  les  lutInTiens,  aussi  bien  que  les  catholiques,  ont 
suivi  la  division  augustinienne;  Calvin,  les  réformés, 
les  sociniens  et  1rs  anglicans,  connue   les  grecs-unis 
modernes,  celle  de  Philon.  Les  catéchismes  catholiques 
du  xv    siècle  et  des  siècles  suivants   reproduisent  les 
commandements   de  Dieu   en  bouts-rimés  à  peu  près 
semblables  a   ceux   qui    sont   encore  en    usage  parm 
no™      Dans  le   pénitenciel  de  Milan,  dressé  par  saint 
Charles  Borromée    et  publié  dans  les   Acta  Ecoles,* 
Mediolanensis,  pari.  IV,  le  6«  commandement  du  déca- 
logue  est  relatif  au  vol,  et  le  7e  a  1  impureté.  Ce  péni- 
tenciel est  reproduit  par  M*  Schmitz,  Dv  Bussbuchei 
und  die  Bussdisciplin  der  Kirche,  Mayence,  188.3,  t.  i, 
p.  809-832.  Cf.  F.  de  llummelauer,  E.rodus  et  Levtlt- 
cus,  Paris,  1897,  p.  197-198.  . 

d)  L'Église  catholique,  bien  quelle  na.t  rien  défini 
en  cette  matière,  suit  de  fait  la  classification  augusti- 
nienne, comme  l'indiquent  tous  les  catéchismes 
approuvés  dans  l'Église  et  spécialement  e  catéchisme 
du  concile  de  Trente,  approuvé  par  1  Lgl.se  pour 
l'enseignement  public  des  fidèles. 

Conclusion.-  La  classification  augustinienne,  impli- 
citement contenue  dans  les  textes  bibliques,  non  con- 
tredite par  l'ensemble  de  la  tradition  juive,  a  peu  près 
unanimement  acceptée  dans  l'Église  catholique  depuis 
l'époque  de  saint  Augustin  et  tacitement  approuvée 
nar  l'autorité  de  l'Église  dans  l'enseignement  universel 
des  fidèles  et  des  pasteurs,  doit  être  pratiquement 
admise  par  tous  les  catholiques. 

U  SATURE  DES  PRÉCEPTES  DV  DÉCALOGUE.  -  1°  Ces 
préceptes  sont  en  eux-mêmes  naturels,  à  l'exception 
du  troisième  précepte  à  la  fois  naturel  et  positif  :  pré- 
cepte naturel  dans  son  fondement  en  tant  qu  il  prescrit 
de  consacrer  au  service  divin  un  temps  dont  la  durée 
et  la   fréquence   restent    indéterminées,    S.   Thomas, 

S«m.   theol,  II"  II-,  q-  cxui,  a.   '..  ad  1 :  pré 

divin  positif,  mais  cérémonial  et  limité  à  l ancienne  loi. 
pour  la  détermination  particulière  du  temps  et  du 
mode  à  observer  dans  le  service  divin. 

Au  II"  siècle,  saint  Irénée  parle  des  préceptes  natu- 
rels de  la  loi    déjà  observés  avant   la  loi  par  ton-  les 
justes  et  qui  n'ont  pas  été  abrogés  par  Jésus-Christ, 
simplement  agrandis  et  pleinement  réalisés:  pré- 
ceptes vraiment  communs  à  l'une  et  l'autre  M 
Cont.   I,œ>:,  l.  IV,  c.   un,  P.  C  I.  vu    col    10» 
1018  Selon  Tertullien,  les  préceptes  mosaïques,  avant 
d'être  écrits  sur  des  tables  de  pierre,  él ni  naturelle- 
ment  connus.  Adverm»  Judmos,  c.  il,   P.   L.,  t.  n, 
cl  600.  Saint  Augustin  affirme  que  la  loi.avant  dêtre 
inscrite  sur  les  tables  du  Sinaî,  était  gravée  dan 
cœurs  des  hommes,   bien  que  de  rail   on  ne  Ij  eût 
pointlue.   Enarratioin  P».  m//,  n.  I.  P.L.,  t.  xucyi, 
col.  (>7:(  Bq.  Même  enseignement  au    moins  implicite 
chea  saint  àjnbroise,  In  P«.  i  u,  n    33,  ''•  '•  •  »■  xxl- 
col.  1180,  chei  saint  Léon  le  Grand,  Sertn.,  xvm.ii.  1. 
/,    /      ,    ,,v   col.   180,  et  saint  Grégoire  le  Grand,  In 
Etech.,  I.  II,  le.mil.  iv,  n.  9.  P.  /...  t.  lxxvi,  col 
affirmant  l'identité  des  préceptes  lel'ancienne 


loi   avec  ceux  de  la  nouvelle  loi.  identité  qui  ne  | 
avoir  d'autre  base  que  leur  appartenance  ■■   la  loi  natu- 
relle. 

Au  mi'   siècle,  Hugues  de  Saint-Victor  sinspin 
cette   même   doctrine,  quand    il    conclut   que  les 
préceptes  de  la  seconde  table  -ont  une  simple  explica- 
tion   de    ces    deux    principes    fondamentaux    de    la    loi 
naturelle  :  il  faut  faire  le  bien  et  éviter  le  mal.  De  $a- 

,, mti»,    I.    H.    part.     XII.    C.    v,    P.     /..,    t.    CLX1 

col     :&2.     Cependant    au     siècle     suivant, 
de    llabs    est    arrêté-    par    celte    apparente    diflio, 
comment  concilier  le  caractère   naturel 
moraux  de  la  loi  mosaïque  avec  le  fait  de  Leu 
tion''  Sur  quoi  il  décide  que  fis  princi  «nx, 

donnant  naissance  aux  préceptes  du  décalogue,  appar- 
tiennent à  la   loi  naturelle,  tandis  que  leur»  conclu- 
sions particulières  constituent  les  préceptes  mosaïques. 
Summa  theologiee,  part.  III,  q-  sms.  m.  i.  Coloj 
1622,  t.  m,  p.  191  sq.  . 

En  réponse  à  cette  même  difficulté,  saint  Thomas 
établit  que  tous  les  préceptes  moraux  de  l'ancienne  loi 
appartiennent  à  la  loi  naturelle,  mais  de  différentes 
manières.  Plusieurs  sont  en  eux-mêmes  immédiate- 
ment saisis  par  toute  raison  humaine  et  appartiennent 
absolument  a  la  loi  naturelle  :  tels  sont  les  préceptes 
d'honorer  son  père  et  sa  mère,  de  ne  point  tuer,  de  ne 
point  voler.  D'autres,  exigeant  une  étude  plus  minu- 
tieuse, sont  connus  seulement  par  les  hommes  ins- 
truits dans  les  sciences  morales;  ils  appartienne!)! 
loi  naturelle  de  telle  sorte  qu'il  faut,  pour  les  connaître. 
eue  instruit  par  les  savants;  telles  sont  beaucoup  de 
conclusions  éloignées  de  la  loi  naturelle.  Il  est  enfin 
des  préceptes  pour  la  connaissance  desquels  la  raison 
humaine  a  besoin  d'être  aidée  par  l'enseignement 
divin,  comme  non  faciès  t,bi  sculpHbilenequeomneni 
nmilitvdinem;  non  nomen  Uei   tut  m  va- 

num   Sun,.  IheoL,  I"  H*,  q.  c.  a.  1  :  mais  ils  restent  en 
eux-mêmes  préceptes  naturels.  Suivant   saint  Honaveii- 
ture    c'est  de  la  loi  naturelle  que  jaillit  l'obi igatioi 
commandements  du  décalogue;  la  loi  mosaïque  a 
plement  mis  en  lumière  cette  obligation  obscurci 
le  péché./»  IF  Sent.,  1.  III,  dist.  XXXVII.  a.  1.  q.  m, 
Quaracchi,  1887,  t.  ni,  P   819  sq.  Ver-  la  même  époque, 
Duns  Scot  émet    l'idée  que  les  commandements  de  la 
ade  table  n'appartiennent  point  à  la  loi  naturelle  a 
cause  des  dispenses  divines  dont  ils  sont  parfois  1  objet; 
leur  obligation,  au   lieu  d'être  strictement  imposée  par 
la  loi  naturelle,  a   seulement  une  très  grande  confor- 
mité avec  ses  invariables  et  i  -  principes.  In 
IVSent.,l.HI,dist.XXXVII,Venise,1680,t.Hi,p.339sq. 
Les   théologiens  postérieurs   au   x'  adoptent 
presque  unanimement  la  doctrine  et  le  langagedesamt 
rhomas  et  de  saint  Bonaventure.  Nous  citerons  prin- 
cipalement  Denys   le  chartreux,  h,   IV  Sent.,  I.  III, 
dist.  XXXVII,  q.  u,  Venisi  .  1584,  t.  m,  p.  908  sq.;Ca- 
jetan    In  l"   Um,  q-  Ci  :l-  S;  Dominique  Soto,  De  fw- 
titia'et  jure,  l.  II,  q.  m,  »■  1.  Venise.  1589,  p.  lOOt 
•Wpicnella.   Eftc/liridiori  Stve  monnaie  i  rum 

etpamitentium,  c.  u,  n.2,  Rome.  1590,  p.  B2;  Estius 
13),  /„  IV  Sent.,  I.  III,  dist.  XXXVII,  p.  in,  \- 
1T1S.  t.iv.p.  216  sq.;  Suarei    I ■  1  «"■  l ~     Delegibu», 
1  II  c.  xv.  n    16  sq.;  Sylvius    ,  16*9  .  In  '      II',  q ■-• 
a    i    knvers,  1714,  t.  n,  p.  586  sq.;  Gonet,  h,  I'    II", 
„.  vi    disp.  XII,  i    I.    envers,  1744,  t.  m,  p.  517;  les 
théoloi  iens  de  Salamanque,  Cursus  theotogix  moralu, 
ir  XXI.c.  i.n   H  ■  Gotti,  In  I"  "'•  tr.V.q.  m,  dub.  v. 
.  I750,t.  il,  p.  242. 
.,    |  ptes,  en  eux-mêmes  naturels,  ont  él 

fait  révélés  i  l'humanité  pécheresse  qui  autrement 
n'en  eût  point  poss  dé  une  connaissance  assi  i  com- 
plète et  assez  certaine  pour  en  faire  lai  sa  ne 
morale  :  Explicalio  enim  plenaria  mandatorum  de- 
■   opportunafuil  tecundum  statu, n  peccati  ;»oj>- 


169 


DECALOGUE 


170 


ter  obscurationem  luminis  rationis  et  propter  obli- 
quationem  volunlalis.  S.  Bonaventure,  In  IV  Sent., 
1.  IV,  dist.  XXXVII,  a.  1,  q.  m,  Quaracchi,  1887,  t.  m, 
p.  819  sq. 

3°  Cette  divine  manifestation  des  préceptes  naturels 
du  décalogue,  en  confirmant  simplement  leur  obliga- 
tion ex  lege  naturali,  n'y  ajoute,  croyons-nous,  aucune 
nouvelle  obligation  ex  divina  lege  positiva.  La  suppo- 
sition d'une  telle  obligation  n'a  aucun  fondement  ni 
dans  les  Pères  ni  dans  les  théologiens  du  moyen  âge. 
Elle  est  même  nettement  écartée  par  saint  Thomas  et 
saint  Bonaventure.  Saint  Thomas,  parlant  des  préceptes 
naturels  pour  la  connaissance  desquels  la  raison  hu- 
maine est  aidée  par  l'enseignement  divin,  suppose  que 
cet  enseignement,  tout  en  les  manifestant  el  en  les 
confirmant,  ne  modifie  point  leur  nature.  Sum.  tlievl., 
Ia  II*,  q.  C,  a.  1.  Saint  Bonaventure  dit  très  explicite- 
ment que  la  révélation  divine  ne  fait  que  mettre  en 
pleine  lumière  l'obligation  imposée  par  la  loi  naturelle. 
Loc.  cit.  Tel  est  aussi  le  plus  souvent  le  langage  formel 
des  théologiens  précédemment  cités.  Ceux  qui  s'ex- 
priment différemment  comme  les  Salmanlicenses, 
Cursus  theologix  moralis,  tr.  XXI,  c.  I,  n.  13, doivent 
s'entendre  uniquement  d'une  divine  confirmation  du 
précepte  naturel  prononcée  au  Sinaï  et  de  nouveau 
répétée  par  Jésus-Christ.  Matth.,  xix,  17  sq.;  .Marc,  x, 
19  sq.;  Luc,  xviii.  20  sq.;Joa.,  xiv,  15. 

4»  En  affirmant  que  les  préceptes  même  naturels  du 
décalogue  ont  été  agrandis  et  perfectionnés  par  la  loi 
nouvelle,  plusieurs  Pères  des  premiers  siècles  ont  sim- 
plement signifié  que  Jésus-Christ  par  son  enseigne- 
ment a  réprouvé  les  étroites  interprétations  juives  qui 
défiguraient  les  préceptes  du  décalogue  et  que,  par  sa 
■  ou  par  une  plus  abondante  diffusion  de  la  cha- 
rité, il  a  aidé  à  la  pleine  observance  de  ces  comman- 
dements. C'est  l'enseignement  de  saint  [renée  réfutant 
l'erreur  gnostique  qui  attribuait  l'ancienne  loi  à  un 
ange  mauvais.  Cont.  hxr.,  I.  IV,  c.  n,  n.  (>;  c.  Xil,n.3sq., 
/'.  <:.,  i.  vu,  col.  978,  1005  sq.  Tertullien  montre  aussi 
que  Jésus  a  ajouté  à  la  loi  enjnterdisant,  non  seulement 
l'accomplissement  effectif  du  mal,  mais  encore  l'affec- 
tion ou  le  simple  désir,  selon  Matth.,  V,  27  sq.  De  pœ- 
nitentia,  c.  m,  P.  L.,  t.  i,  col.  1232.  Suivant  saint  Gré 
goire  il.-  Nazianze,  tandis  que  l'ancienne  loi  défendait 
seulement  l'accomplissement  'lu  péché,  la  loi  chrétienne 
interdil  même  la  cause  du  péché,  La  loi  réprouvait 
seulement  l'adultère,  Jésus-Chrisl  condamne  tout  désir 
cl  huit  regard  accompagné  de  désir  ou  \  excitant.  La 
loi  défendait  le  meurtre;  aux  chrétiens  il  est  interdit 
il.-  rendre  les  coups  el  il  est  commandé' de  tendre  [a 
i  qui  les  frappe.  La  loi  condamnait  le  parjure; 
on  n-  i  tout  jurement,  quel  qu'il   soit.  Orat., 

xlv,  in  sanctum  pose /ta,  c.  xvii,  /'.  '>'.,  t.  xxx\i, 
col.  647. 

s.iint  Ambroise  parail  •  tre  le  premier  qui  ait  net  te  - 

inciit  indiqué  l  identité  des  préceptes  naturels  du  déca  ■ 

sous  l'ancienne  et  sous  la  nouvelle  loi.  Selon  lui, 

la  parole  'le   Dieu  a  exprimé  le  même   enseignement 

dans   la  loi   et  dan-   l'i    angile    Ce  qui  n'avail  pa 

nne  alliance  l'a  été'  sous  la  nouvelle, 

car  Jésus-Chrisl  : verl   l'oreille  humaine  à    ta 

de  la  vérilé.  Emoi  ro  LXI,  n.  33  sq.. 

/'   I.  ,  t.  xiv.  col.  H80. 

Saint  Augustin,  -m. . 1 1 1 1  peut-être  celte  pensée  de 
-uni  Ambroise,  montre  que  li  interprétai 

données  an  décalogue  par  lei  Juifs  ne  lui  avaient  ja- 
ippai  tenu    l.'-  ■">  préi  epte  condamne  non  seule- 
ment !•'  meurtre,   n  la  colère. 
Matth.,  •, .  21,  22.  I.    6    commandement  réprouve 
l'adultèn    toul    dés  r    mauvais.    Matth.,   \,  27,  28.  Le 
i  de    amour  du  prochain  n'exclu!  | 
uni  mi-  de  la  i  ommune  charité    odt  *  ù 
attendre  d< 


iniquités  de  nos  ennemis  et  non  de  leur  personne. 
Contra  Faustum  manichœum,  1.  XIX,  c.  XIX  sq.,  P.  L., 
t.  xlii,  col.  359  sq.  Augustin  montre  encore  que  la 
grâce,  plus  abondamment  communiquée  sous  la  nou- 
velle alliance,  facilite  l'observance  du  double  précepte 
de  la  charité  dans  lequel  se  résument  tous  les  com- 
mandements. Par  l'action  de  cette  grâce  le  décalogue 
est  comme  gravé  dans  l'âme  sanctifiée.  De  spiritu  et 
littera,  c.  Xiv  sq.,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  215  sq.  ;  Contra 
duas  epistolas  pelagianorum,  1.  III,  c.  IV,  col.  594.  Le 
concept  d'Augustin  reste  définitivement  après  lui  chez 
les  Pères  et  chez  les  théologiens  subséquents. 

5°  Les  préceptes  naturels  du  décalogue  supposent  ou 
contiennent  toutes  les  obligations  imposées  par  la  loi 
naturelle.  C'est  l'enseignament  de  saint  Thomas, 
Sum.  theol.,  la  II*,  q.  c,  a.  3,  11,  et  de  tous  les  théo- 
logiens. —  1.  Ces  préceptes  présupposent  nécessaire- 
ment :  a)  comme  principes  logiquement  antérieurs  aux 
devoirs  tracés  par  le  décalogue  :  l'obligation  de  la  loi 
naturelle  et  les  premiers  principes  moraux  sur  les- 
quels elle  repose,  ainsi  que  les  obligations  fondamen- 
tales de  charité  envers  Dieu  et  envers  le  prochain; 
b)  comme  couronnement  surnaturel  de  ces  obligations, 
par  le  fait  de  l'élévation  de  l'homme  à  l'état  surnatu- 
rel, les  devoirs  imposés  par  la  foi,  l'espérance  et  la 
charité  surnaturelle  envers  Dieu,  devoirs  comprenant 
en  réalité  l'ensemble  de  toutes  nos  obligations  surna- 
turelles. —  2.  Les  préceptes  du  décalogue  contiennent 
au  moins  implicitement  toutes  les  conclusions  déduites 
de  la  loi  naturelle  d'une  manière  plus  ou  moins  immé- 
diate, même  celles  dont  la  connnaissance  est  parfois 
restée  assez  imparfaite  chez  les  théologiens.  S.Thomas, 
Sum.  theol.,  Ia  IIe,  q.  c,  a.  3,  11.  En  ce  double  sens. 
le  décalogue  est  vraiment  le  résumé  de  toutes  nos  obli- 
gations morales.  Calechismus  concilii  Tridenlini, 
part.  III,  c.  i,  n.  1. 

6°  Le  décalogue,  tant  sous  l'ancienne  que  sous  la 
nouvelle  loi,  se  résume  justement  dans  le  double  pré- 
cepte de  la  charité  envers  Dieu  et  envers  le  prochain. 
In  his  duobus  mandatis  universa  lex  pendei  ri  pro- 
phétie. Matth.,  xxn,  40.  Ces  deux  commandements 
sont  des  principes  évidents  à  la  raison  et  à  la  foi,  des- 
quels se  déduisent  comme  autant  de  conclusions  toutes 
les  obligations  du  décalogue.  S.  Thomas,  Sum.  theol., 
l»  II",  q.  c,  a.  3,  ad   lu">. 

III.  Obligation  morale.  —  1°  L'obligation  imposée 
par    les  préceptes   naturels  du  décalogue  est,  comme 

celle  de  tous  les  coi andements  de  la  loi  naturelle, 

toujours  nécessaire,  toujours  soustraite  à  toute  vraie 
dispense.  Ce  que  l'on  dénomme  parfois  dispense  ou 
exception  n'est  qu'une  juste  interprétation  d'un  cas 
auquel  la  loi,  à  cause  de  circonstances  spéciales,  ne 
s'applique  réellement  point.  S.  Thomas,  Sum.  theol., 
i    il",  q  '  .  a   8.  Voir  Loi  naturelle. 

2°  Celle  obligation,  en  elle-même  toute  naturelle, 
rentre  dans  l'ensemble  des  devoir-,  chrétiens,  parce 
que  .lésus-Cbrisi  la  positivement  confirmée  par  son 
autorité,  Matth..  six,  17  sq.;  Marc., X,  I9sq. ;Luc,  xvm, 
20  sq.,  ou  parce  que  la  loi  surnaturelle,  loin  de  suppri- 
nr  i  b-  prescriptions  ou  interdictions  naturelles,  les 
suppose  et  les  confirme  en  les  orientanl  vers  la  lin  sur- 

uaturelle,  B [uillon,  Theologia    moralis  fundamen- 

3"  édit.,  Bruges,   1903,  p.   258.  D'ailleurs,  dans 
l'ordre  actuel  de  la  providem 
tiellemenl  naturels  entraînent  indirectement  de  graves 
.lions    gurnaturi  ll<        \n    reste     le   concile  de 
Trenl  anathème  contre  le-  antinomîstes  du 

v.  i    ,  ndanl  que  li  -  dii  pri  cepti  -  du  d 

ne  concernent  aucunement  li  -  i  hrétiens.  Ses-.  VI, 
can.  19. 

:;  L'obligation  impo —  par  les  préceptes  naturels  du 
décali  ■  nature,  i  nvsi  ■  Dieu,  ce-  prë« 

ceptes    ie    peuvent  être  enfreints  sani  que  soit  aussi 


171 


DÉCALOGUE 


179 


violée  la  vertu  de  charité,  violation  de  soi  toujours 
grave,  puisque  sans  la  charité  notre  Bn  surnaturelle 
ne  peut  être  obtenue.  \'is-à-\ïs  de  notre  prochain*, 
toutes  les  prescriptions  du  décalogue  bb  résument  dans 
ut.  s.  Thomas-,  Sun*,  theol.,  Ia  II',  q.  c,  aj.  9, 
qui  par  elle-même  oblige  toujours  gravement  dès  qu'il 
s'agit  d'un  liien  notable  élu  prochain  H"  II'.  q.  i.xvi, 
a.  t>.  Cependant  la  transgression  pool  être  accidentel- 
lement vénielle  par  défout  de  matière  notable  ou  par 
manque  de  délibération  ou  d'àdvertauce  suffisante. 
Azpicuelte,  EinchirUÉion  rive  matinale  confesmriomtm 

ei  pirititentium,  C.  XI.  O.  i,  Hume,  1590,  p.  82  sq.; 
Salmantieenses,  Cursus  VheologifB  moratis,  tr.  XXI. 
c.  i,  n.  15. 

I  L'obligation  est  accomplie  parla  simple  réalisation 
de  ce  qui  est  exigé.  11  n'est  point  nécessaire  d'agir  par 
motif  de  charité,  sauf  quand  la  charité  est  vraiment 
commandée  ou  indispensable  pour  réaliser  le  com- 
mandement. S.  Thomas-,  Sum.  theol.,  [«'H»,  q1.  c,  a;  10: 
s.  Bonaventure,  Tn  IV  Sent.,  I.  111.  dise.  XXX vil. 
a.  I.  q.  il,  Quaracchi,  1887,  t.  m,  p.  816  sq. 

IV.  PLACE  dans  L'INSTRUCTION  HORACE  DBS  CATÉCHU- 
MÈNES ET  DES  PPDÊLBS.  —  On  a  indiqué  aux  articles 
Catéchèse  et  Catéchisme  la  forme  que  revêtit  au  cours 
des  siècles  l'instruction  des- catéchumènes  et  des  fidèles. 
Il  nous  reste  à  y  assigner  la  place  occupée  parle  déca- 
logue. 

1    Jusqu'à  saint  Augustin  vers  la  lin  du  ive  siècle,  les 
documents   que   nous  avons  sur   les   catéchèses    nous 
autorisent  à  affirmer  que  l'instruction  morale  des  caté- 
chumènes était  habituellement  donnée  sous  la  forme  de 
l'enseignement  des  deu.v  rotes  :  voie  de  la  vie,  marquée 
par  le  double  précepte  de  l'amour  de  Dieu  et  du   pro- 
chain, se  résumant  dans  le  commandement  général  : 
OftVnia  t]ii;ri>nwjw'  non     vis    libi   fieri ,  nec   tu    alleri 
facias,  et  voie  de  la  mort  où   s'engagent  ceux  qui  se 
rendent  coupables   des  péchés  indiqués   comme  étant 
dignes  de  ce  châtiment.  C'est    le  seul    enseignement 
indiqué  pa*  la  Didaché  qui  nous  offre  le   modèle  des 
catéchèses  des  premiers  siècles.  Doclrina  duodecim  apo- 
stoloruvi,  Funk,  Patres  apnstolici,  2e  édit.,  Tubingue, 
1901,    t.    i,  p.  2  sq.    Quelques    autres  documents   qui 
reflètent    l'enseignement  donné    aux  païens  de    cette 
époque  pour  les  engager  à  se  faire  chrétiens,  comme 
la  1"  Apologie  de  saint  Justin  et  le  Pédagogue  de  Clé- 
ment   d'Alexandrie,   mentionnent  particulièrement  les 
préceptes  nouveaux  donnés  par  Jésus-Christ  et  groupés 
dans  le  sermon  sur  la   montagne,  ou  le  double  com- 
mandement   de   la  charité   envers    Iiieu    et    envers  le 
prochain.  Apol.,  i,  n.  li  sq.,  P.  G.,  t.  vi,  col.  3'tS  sq1.  : 
Clément    d'Alexandrie?,    Pu-dugogus.    1.    111.    /'.    <•.. 
i.  vin,  col.  6(50  sq.  Quant  aux  préceptes  du  décalogue 
considérés  isolément  ou   dans  leur  ensemble,    on   les 
cite  assez  rarement;  et  quand   on   les  cite,  c'est  plutôt 
avec  une  intention  apologétique  00  dans  le  bal  de  faire 
ressortir  la  supériorité  de  la  loi  chrétienne.  Ainsi  saint 
Irénée  justifie  ces  préceptes  contre  les  erreurs  gnos- 
tiques    attribuant    l'ancienne   loi  à    un    ange    mauvais. 
Cont.  hier.,  I.  IV,  c.  n,  n.  6:  c.  xn.  n.  3  sq.;  c.  xm, 
n.  1  sq.;  c.  xv,  n.  I  sq.;  c.  xvi,  n.  :i  sq.  /'.  G.,  t.  vu. 
col.  97s.  lOefr-fOiO;  Ini-Miiiï.  FOTMO».  Trrtullien  in- 
dique incidemment  que  Jésus-Christ  a  ajouté  à  la  loi 

en  défendant  non  seule ni  l'exécution  du  mal,  mais 

encore  l'affection  ou  le  simple  désir;  De  peBnitevtia, 
c.  m,  P.  \..,  t.  i,  col.  1232.  Saint  Grégoire  de  rfaziance 
montre  que  les  préceptes  dn  décalogue  ont  été  perfec- 
tionnas   pat    JéSUS-ChriBt    dans    la   réprobation    portée 

pe   les  étroites   interprétations   des  Juifs.  Otut., 

XI.  v.    in    siuirtiini    j,aseha,    C.     xvn.    /'.    ('• . ,     I.    x\\\i. 

col.  017.  Saint  Aiui  .  contente  d'affirmer  qu'une 

meilleure  connaissance  des  devoirs  do  décalogue  nous 

'     dotfnée  par  .lésus-Chrisl.    h'.nurral  10  m  Ps.    l.xi, 

n.  33  sq.,  /'.  /...  t.  xiv.  col.  Ilsu. 


Celte  attitude  vis-à-vis  du  décalogue  était  motivée  par 
la  nécessité  de  distinguer  nettement  la  loi  shrélieoaa 

de  la  loi  juive,  SOrtDUl  en  '.rpr. -ta- 

lions habituelles  des  Juif-  et  de  l'abrogation  du 
Babbattque  désormais  remplacé  parle  précepte  domi- 
nical. 

2°  Vers  la  fin  du  i\    siècle,  saint  Augustin  donna 
premier  au  décalogue   une  place   prépondérante  dans 
l'enseignement  moral  des  catéchèses.    H  fut  amen 
cette  conclusion  par  la  nécessité  de  prémunis 
chumènes  contre  les  erreur-   manii  tiribuant 

le  décalogue  au  mauvais  principe,  tandis  que   la  nou- 
velle  loi  était  seule  considérée  comme   provenant  de 
tabulé A   l'cncontre  di  ilion-.  Augus- 

tin montre  dans  ses  catéchèses  la  véritable  origine  du 
décalOgue  et  son  importance  capitale  dans  la  vie  chré- 
tienne. Le  décalogue  provient  intégralement  du  Ilieu 
véritable;  Il  est  une  protection  contre  les  erreurs 
manichéennes,  car  les  trois  premiers  préceptes,  expri- 
mant nos  devoirs  envers  Itieu  le  Père;  envers  Jésua- 
Chrlsl  et  envers  IB  Saint-Kspril.  réprouvent  formelle- 
ment les  fausses  doctrines  sur  les  trois  personnes  di- 
vines. Le  décalogue  est  une  règle  sure,  car  il  a  toujours 
condamné  ce  que  condamne  la  loi  nouvelle,  affections 
mauvaises  et  désirs  coupables.  Il  se  résume  justement 
et  pour  tous  les  temps  dans  le  double  précepte  de  la 
charité  envers  Dieu  et  envers  le  prochain,  c  : 
l'observance  de  cette  double  charité,  les  devoirs  en 
Dieu  et  envers  le  prochain  sont  intégralement  remplis, 
selon  le  témoignage  de  saint  Paul  :  plénitude*  autem 
legis  est  caritas.  Rom.,  xm.  lo.  Contra  !  I 
manichxum,  1.  XV.  c.  iv  sq.  ;  I.  XIX.  c.  xvm  sq..  P. /.  , 
t.  xlii,  col.  1506  sq..  359  sq.  Lame  animée  de  cette 
charité  est  comme  une  lyre  exécutant  en  l'honneur  du 
divin  Maître  l'hymne  suave  des  «lix  commandement-. 
Deus  cantieum  MOwn  cantabo  libi.  in  psallerio 
éttecem  chordarum  psallam  libi.  Ps.  <:xuii.  9.  Sent.,  ix, 
c.  v  sq.,  P.  L.,  t.  xxxvin.  col.  79  sq.  Le  décalogu 
encore  cet  adversaire  qui  contredit  ce  que  nous  faisons 
et  avec  lequel  nous  avons  à  nous  entendre  si  noue 
voulons  pas  être  livrés  au  juge  pour  l'éternel  châti- 
ment. Matth.,  v.  2ô.  col.  76  sq.  Les  sermons  catéché- 
tiques  où  Augustin  développe  cet  en-eunement  sur  le 
décalogue  sont  principalement  les  sermons  vin.  ix. 
xxxm  et  i  ix.  P.  I...  t.  xxxviii.  col.  67  sq..  7.")  sq.. 
207  sq.,  636  sq.  Quelques  années  plus  tard.  Augustin 
dirige  encore  l'enseignement  de  la  catéchèse  contre 
les  erreurs  pélagiennes  sur  le  décalogue.  A  leur  en- 
contre, il  insiste  sur  ce  que  la  connaissance  des  pré- 
ceptes divins,  loin  de  suffire  au  salut,  est  seulement 
une  préparation  à  la  grâce  et  que  leur  accomplissement 
ne  peut  être  réalisé  que  par  cette  grâce.  Serm..  oui  vin. 
, ,  \i  ix.  c  .  i  .  <  <i  i.  col.  1 158  sq.  Cf.  r\  Rontschka, 
Dekalogkatechese de*  heil.  Augusttnus,  Kempten.  Il.xi5. 
3°  lui  v  au  ixr  siècle,  l'enseignement  d'Augustin  sur  le 

décalogue  est  reproduit  par  les  l'eies  et  les  théologien». 
notamment  par  Isidore  de  Séville.  <Ju;rst  unies  in  Vêtus 
Testament  uni,  In  E.rodum,  c.    xxix,   /'.    /...  t.  i.xxmii. 
col.   301  sq*.,    et    par   l'auteur   du    lie  psahnoruni 
avrage  rangé  parmi  le*  œuvres  de  saint  i 
/■.  /..,  t.  \,  m.  col.  181  sq,  Mais  non  aa  peooadaas  au- 
cun  document   catéchétique   de   cette   époque,  donnant 
quelque  attestation  d'instruction  spéciale  sur  le  déca- 
logue. OU   sait   d'ailleurs   que    la    catéchèse  était    alors 
bien  réduite',  en  dehors  des  pays  de  mission  où  l'on  tra- 
vaillait a  la  conversion  des  païens,  et  que  l'écho  di 
catéchèses  de  mission  n'esl  point  parvenu  jusqu'à  Basai. 
,    \   partir  du   ix'    siècle,    les  dix   commandements 
prennent  place  en  divers  endroits  dans  le  programme 
du  catéchisme  destiné  à  l'instruction  des  enfants  su  i 
celle  des  lideles.  In  décalogue  anglo-saxon  sert  de  pré- 
Alfred, qui  monta  sur  le  tronc 
"1.   I.  Schiller.   Thésaurus  antiquitatutn  teutoni- 


173 


DECALOGUE 


174 


caritm,  in-fol.,  Ulm,  1728,  t.  i,  appendice  :  Monumenla 
catecltetica,  p.  76-77.  P. -G.  Ecoard,  IncerH  monachi 
Weissenbargensis  calechesis  Iheotisca,  Hanovre,  1713, 
p.  201-202,  a  publié  une  version  saxonne  très  ancienne 
du  décalogue,  dans  laquelle  les  commandements  ne 
sont  pas  numérotés.  Voir  t.  il,  col.  1898.  L'influence  de 
saint  Augustin  sur  l'interprétation  catéchétique  du  dé- 
calogue se  fait  sentir  jusqu'au  milieu  du  xn«  siècle. 

5°  An  .\ine  siècle,  l'enseignement  du  décalogue  est 
partout  introduit  dans  l'enseignement  catéchétique,  et 
garde  désormais  sans  conteste  celle  importante  posi- 
tion. Voir  t.  ii,  col.  1899  sq. 

C'est  au  xve  siècle  qu'on  prit  l'habitude  d'exprimer 
les  préceptes  du  décalogue  en  formules  faciles  à  rete- 
nir et  bientôt  en  bouts-rimés.  Dans  VA  B  C  des  simples 
gens,  Germon  avait  réduit  les  dix  commandements  de  la 
loi  à  ces  phrases  courtes  et  bien  frappées  : 

Tu  n'adoreras  non  les  ydoles  ni  plusieurs  dieux. 

Tu  ne  prenras  point  le  nom  de  Dieu  en  vain. 

Tu  garderas  les  dimanches  et  fêtes  commandées. 

Tu  honoreras  ton  père  et  ta  mère. 

Tu  ne  seras  point  meurtrier. 

Tu  ne  seras  point  luxurieux. 

Tu  ne  seras  point  larron. 

Tu  ne  porteras  point  faux  témoignage. 

Tu  ne  désireras  point  la  femme  d'autruy. 

Tu  ne  convoiteras  point  les  biens  d'autmy. 

USi  966  de  la  Bibliothèque  Mazarine,  fol.  130  recto. 

M.  Ile/.ard,  Histoire  du  catéchisme,  Paris,  1900, 
l>.  (59451,  a  publié  des  tercets  sur  chaque  commande- 
mentde  Dieu,  qu'il  a  extraits  de  l'Instruction  des  cure:, 
éditée  à  Bordeaux  en  L60L  Des  bouts-rimés,  semblables 
à  ceux  que  nous  récitons  encore,  se  trouvent  dans  le 
Liber  Jesu  Christi  pro  simplicibns,  si  souvent  repro- 
duit (voir  t.  il,  col.  1905),  notamment  dans  le  Compost 
et  Kalendrder  des  bergiers  (voir  ibid.,  col.  1904).  Voici 
une  de  ces  formules,  dont  le  texte  présente  presque 
toujours  quelques  variantes  : 

Ung  seul  Dieu  lu  adoreras, 

et  aymeras  parfaitement. 

Dieu  en  vain  ne  jureras, 

nautie  chose  pareillement. 

i  •    dimanches  tu 

en  servant  Dieu  dévotement. 

Père  et  mère  honorai 

affln  que  vives  longuement. 

Il   ni'  il"  point  no  (ci 

de  fait  ne  vnlunlaircmcnt. 

Lavoir  daultruy  in  ni  ml 

ne  retiendras  à  escient. 

Luxurieux  point  ne  seras, 

de  fait  ne  de  consentement. 

Kanlv  lëmoignagi 

ne  mentii as  aucunement. 

i ■■■  ii  i  ■■  |i   chaii  M-         irei as, 

QM  mcnl. 

Hien  daultruy  n 

le  garder  injustement. 

\l,tiiii<ib<  mu  intruclorium  cwaiowum,  Lyon,  13  fé- 
vrier |605,  fol.  i wxin  (reproduisant  le  texte  du  Liber 

1  h   v  i"  i  \sches  Lehrbuch,  (iies- 

,wi  AVendltmde  vont 

y.rfuiii    de»  Ktitrrhu, au  bit  tum  Bndo  dbê'fflttBlaUwê, 

1880;    .i     Geflcken,     Der    Bildercatcchismus    de» 
i~.  Jahrhundtrts  and  ,,■  ,,  Htuip&Uiake  m  Me- 

sitbtâ  auf,  Luther,  U  pzig,  I85S    t    i  (exclusivement 
n  mandement 

v.  Du  i  Sri  m  i  -  enthi    m  qd  i  ko  > 

I  ODI  s  MOU, M  X   M. .S  !  mu  nr.NS.      -  Parmi 

■  les  moraux  d«  religions  non  ahnétienm     al  di 
philosophiques  qui   ignorent    la   décalogue, 
nous    considéreront   principalement    celui    du    boud- 
dhisme  regardé  comme    la  religion   la    ntoina  défeo- 
tueuee  dani     •     pn    u  iplioni   monde*,  1 1  le  oode  mo- 


ral du  stoïcisme,  le  moins  répréhensible  parmi  les 
systèmes  moraux  du  philosophisme  antique.  Nous  nous 
bornerons  à  établir  le  contraste  entre  ces  codes  mo- 
raux et  le  décalogue  au  double  point  de  vue  de  l'auto- 
rité morale  et  de  l'influence  sur  le  bien  matériel  des 
individus  et  des  sociétés. 

1°  Autorité  morale.  —  1.  Ledécalogue,  avec  les  prin- 
cipes moraux  qu'il  suppose  et  les  conclusions  qu'il 
contient  virtuellement,  présente  un  code  moral  bien 
défini  et  bien  complet,  renfermant  tous  les  devoirs  de 
l'homme  dans  l'ordre  naturel  et  contenant  en  germe 
toutes  les  obligations  surnaturelles,  dès  lors  que  la  ré- 
vélation surnaturelle  est  manifestée.  Il  se  présente  avec 
le  rayonnement  d'une  autorité  divine  clairement  dé- 
montrée qui  lui  assure  sur  les  consciences  individuelles 
et  sur  la  conscience  publique  une  efficacité  souveraine, 
aidée  d'ailleurs  par  la  double  sanction  éternelle  atta- 
chée par  le  divin  législateur  à  l'observance  ou  à  la  vio- 
lation de  cette  loi. 

2.  Le  système  moral  bouddhique,  ne  contenant  aucune 
affirmation  doctrinale  sur  Dieu  et  faisant  abstraction 
de  toute  idée  dogmatique  ou  métaphysique,  ne  possède 
aucune  base  doctrinale  sur  laquelle  il  puisse  asseoir 
son  autorité  morale.  Tout  se  résume  finalement  dans 
l'amour  de  soi  avec  l'exclusive  préoccupation  d'aboutir 
au  nirvana  théoriquement  représenté  par  les  docu- 
ments les  plus  authentiques  comme  la  complète  ces- 
sation de  toute  douleur.  Il  ne  peut  non  plus  y  avoir 
aucune  sanction  efficace,  le  nirvana  avec  son'  carac- 
tère purement  négatif  et  son  implicite  négation  de 
toute  survivance  de  l'âme  ne  pouvant  répondre  à  l'idée 
d'une  sanction  morale.  D'ailleurs,  des  dix  commande- 
ments de  la  Dhamma  ou  loi  Bouddhique,  cinq  concer- 
nent exclusivement  les  moines,  l'interdiction  des  re- 
pas aux  heures  non  réglementaires,  là  participai  ion 
aux  plaisirs  mondains,  la  parure  et  les  parfums,  les  lits 
moelleux  et  la  réception  de  l'argent,  et  les  cinq  autres, 
ne  tuer  aucun  être  virant,  ne  pas  voler,  ne  pas  com- 
inellre  d'adultère,  ne  pas  mentir,  ne  pas  boire  de 
boissons  enivrantes,  sont  plutôt  recommandés  qu'im- 
posés aux  laïques.  En  réalité,  toute  la  vertu  du  laïque  se 
mesure  exclusivement  à  sa  libéralité  envers  les  moines, 
comme  tout  son  espoir  est  de  se  rendre  apte  à  être 
moine  dans  une  métempsycose  prochaine  pour  abou- 
tir ainsi  finalement  au  nirvana.  Qldenberg,  BuddJia, 
sein  Hébert)  saine  l.clire,  seine  Hemeinde,  3»  éditt, 
Berlin,  189V,  pi  333  sq.,  ISSsq.j  fihantepi'e  de  la  Saus- 
saye,  Wanuel  d'histoire  des  religions,  irad.  Hubert  et 
Lévy,  Paris,  1904',  p.  387  sq.,  395  sq.;  de  Broglie,  Pro- 
blèmes et  conclusions  de  l'histoire  îles  religions, 
2«  oilit..  Paris.  ISSti,  p.  17.)  sq.  :  Ailœn,  THe  DJianima 
nf  Gotania  ilie  Bitddfiœ,  Boston,  1990;  p.  313  sq. 

3.  Le   code    moral    du    stoïcisme,    malgré    son   appa- 

i.nee  asn  iii|in.  es|  dépourvu  d'autorités  C'est  uns?  con- 
struction artificielle  de  la  raison,  manquent  d'autorité 
législative.  e1  de  sanction  par  l'exclusion  de  Dieu,  con- 
séquence nécessaire  du  panthéisme  stoïcien.  D'aillèucs, 

le  code  -Ionien  n'a  pu  s,,  défendre  de  nombreuses  el 
graves  erreurs  parmi  lesquelles  le  suicide,  el  il  n  a 
jamais  exerce  uin  i' elle  influence  morale  sur  les  in- 
dividus ou  sur  les  sociétés,  en  dehors  d'un  cercle  philo- 
sophique ires  restreint,  Chollet,  La  morale  si"t<-ii'»ne, 
1898J  p.  7:!  sq,,  91  sq. .  Gaston  Boissier,  /  a  reli- 
gion   omainu  i  hugusle  aua  Anionins,  Paria,   I89B, 

t.    II.   p.  3<î  sq. 

2?  Influence  mr  le  bien  matériel  de*  individus  el 
des  eooiétét.  —  Il  Poun  le  décalogue,  cette  salutaire 
influence  est  démontrée  par  l'obsi  r  ition  constant 

fails  individuels  JX.  Ces!    la  conclu-ion   de  1 

Play,  déduite  d'une  rigoureuse  investigation,  que  les 
populations  qui  respi  ctenl  le  mieui  les  commandements 
du  décalogue  wnl  précisément  celles  qui  jouissent  au 
plus  haut   degré  <lu  bien  être,  de   le    stabilité  el    de 


175 


DÉCALOGUE   —    DECHAMPS 


l'harmonie.  L'organiiation  du  travail  selon  la  cou- 
tume des  ateliers  et  la  loi  du  décaiogue,  '■',  édit.,  Tours, 
1871,  p.  l'i.  /."  réforme  sociale  en  France  déduite  de 
l'observation  comparée  dei  peuples  européens, &  édit., 
Paris,  1874,  t.  ui,  p.  291.  C'est,  d'ailleurs,  une  vérité 
souvent  démontrée  parles  apologistes  chrétiens  que 
le  décaiogue  aide  au  bien  matériel  des  individus  et  des 

sociétés  c aintenant  inviolablemenl   les  véritables 

droits  de  l'homme  et  en  favorisant  l'éclosion  des  vertus 
morales  qui.  au  témoign  inl  Thomas,  De  régi- 

mine  principum,  1.  I,  c.  xv.  sont  l'élément  principal 
du  bonheur  matériel  individuel  el  social.  Cardinal  l'ie, 
Lettre  synodale  portant  promulgation  <in  tirerai  du 
concile  provincial  tenu  à  Poitiers  en  jan rie,-  1868, 
Œuvres,  Paris,  1876,  t.  vi,  p.  351  sq.;  M»1  Dupanloup, 
Lettre  pastorale  du  20  octobre  1878. 

"2.  Les  codes  inoraux  du  bouddhisme  et  du  stoïci-im- 
n'ont  point  exercé  cette  salutaire  influence,  soit  parce 
qu'ils  n'ont  pu  aider  à  l'éclosion  des  vertus  morales 
sans  lesquelles  il  ne  peut  y  avoir  de  vrai  bonheur  indi- 
viduel ou  social,  soit  parce  qu'ils  n'ont  eu  à  peu  près 
aucune  prise  sur  la  grande  masse  de  la  population  là 
où  ils  ont  ('■té  en  vogue.  Il  est.  d'ailleurs,  bien  avéré 
que  les  principes  mêmes  du  bouddhisme,  en  détournant 
de  tout  travail  les  moines  et  même  les  laïques,  de- 
vaient, dans  la  mesure  où  on  les  appliquait  effeclive- 
mont,  nuire  à  la  civilisation  matérielle.  De  liroglie, 
op.  cit.,  p.  200;  Hardy,  Der  Buddhismus  nach  âlteren 
Pdîi-Werken,  .Munster,  1890,  p.  139 sq. ; Aiken, op.  cit., 
p.  317  sq. 

S.  Théophile  d'Antioclie,  Ad  Aulolycum,  1.  II.  n.  35,  P.  G., 
t.  vi,  col.  1108;  S.  Irénée,  Conl.  hxr.,  1.  IV,  c.  il,  n.  6;  exil, 
n.  3sq.;  c.  xin  et  xvi,  P.  G.,  t.  vu,  col.  978.  1005  -<i 
TertuHien,  Adversus  Marcionem,  1.  II,  c.  xvn;  Adversus  Ju- 
dœu*,c.  n,  P.  L.,  t.  n,  col.  305,  599  sq.;  Clément  d'Alexandrie, 
Strom.,  VI,  c.  xvi,  P.  G.,  t.  ix,  col.  361  sq.;  oiigène,  In 
Exodum,  homil.  vm,  n.  2,  P.  G.,  t.  xn,  col.  351;  pseudo- 
Athanase,  Synopsis  Scriptural  sacr.r,  P.  G.,  t.  xxvm,col.297; 
S.  Grégoire  de  N'azianze  dans  son  poème  théologique  sur  le  dé- 
caiogue, P.  G.,  t.  xxxvii,  col,  476  sq.  ;  S.  Ambroise,  In  Ps.  i.\i, 
n.  33,  P.  /..,  t.  xvi,  col.  1180;  Ambrosiaster,  Comment,  in  Epi- 
stulas  S.  Pauli,  In  Eph.,  VI,  2,  P.  L.,  t.  xvn,  col.  399;  S.  Au- 
gustin, Quiestiones  in  Heptateuchum,  1.  II,  c.  i.xxi,  P.  L., 
t.  xxxiv,  col.  620  sq.;  Serm.,  vm,  ix,  xxxilt,  cix,  CCXLVIII, 
IX-CCLI,  P.  L.,  t.  xxxviii.  col.  67  sq.,  75  sq.,  207  sq., 
636  sq.,  1158sq.  ;  Enarratio  in  Ps.  lvii,  n.  1;  In  P«.cx/,n.33sq., 
P.  L.,  t.  xxxvi,  col.  673  sq.,  118);  Contra  Faustum  manir 
ehssum,  I.  XV,  c.  i\  sq.;  1.  MX.  c  xvm  sq.,  P.  /...  t.  xi.n, 
col.  306  sq.,  359  sq.;  De  spiritu  et  littera,  c.  xiv  sq.,  P.  I... 
t.  xi. iv,  col.  215  sq.;  Contra  duos  epistolas  pelagûmorum, 
1.  III,  c.  iv,  col.  954;  S.  Jérôme.  Commenlaria  in  Epist.  ml 
Eph.,  I.  III,  c.  vi,  /'.  L.,  t.  xxvi,  col.  537;  s.  Léon  le  Grand, 
Serm.,  xvn,  n.  1  ;  xx,  c.  i  ;  i.xni,  c.  v;  xen,  c.  I,  P.  L.,  t.  uv, 
col.  180,188  sq.,  356,  453;  S.  Grégoire  le  Grand,  Humilité   in 

Ezechielem,  I.    n,  1 til.  i\,  n.  9,  P.  I..,  t.  i.xxvi.  col 

S.  Isidore  de  Séville,  Qu.rstiones  in  Vêtus  Testamentum,  In 
Exodum,  c.  xxix,  P.  L.,  t.  i.xxxin,  col.  301  sq.;  pseudu-i 
De psalmorum  libro  exegesis,  P.  /..,  i.  vin.  col.  431  sq.; 
Alcuin,  De  decem  verbis  tegis  seu  brevis  expositio  decatogi, 
P  L.,  t  C,  col.  567  sq.;  s.  Pierre  Datnien,  Opusc,  \n\.  De 
decem  âZgypti  plagia  otque  decalogo,  P.  /...  i.  cxlv, 
col.  685  sq.  ;  Hugues  de  Saint-Victor,  Institutiones  in  decalogum 

P.  /..,  t.  clxxvi,  col.  9 
I  a,  part.  XII,  c.  v,  col.  352;  Pierre  Lombard.  Sent..  1.  III. 
.  \xvn,  /'.  /...  t.  x.  1 1.  col. 881  sq.;  Alexandre  de  Haies, 
Summa  iheologUe,  part.  m.  q.  x\i\.  Cologne,  1629,  i.  m. 
p.  197  sq.  ;  s.  Thomas,  s,tm.  theol.,  [■  II-,  q.  c  ;  s.  Bonaventure, 
hi  IV s,  „!..].  rn,dist.XXXVIl  Quaracchi,  1887,  t  m,p.M2sq  ; 
Dons  Scot,  In  IVSent.,  1.  in,  dist.  \xx\n.  Vi  t.  m, 

p.   33i'.  Bq.;    Richard   de    Ûiddletown,   In    IV  se,, t.,  i.    m. 
dist.  XXXVI     Breacla,  1591,   I    m,  p.  441  sq.  ;  Dauys  le  char- 
treux, h,   iv  Sent.,  1.  m,  dis)    wxvii,  q.  n,  n. 
t-  m.  ;  an,  In  l-  lP,i\.  i  ;  Dominiqn    - 

justitia  et  jure,  1.  in,  q.  m,  Venise    1589,  p.  100  eq     \  pli 
Enehirtdion  sive  manuale  confessariorum  et  pstntientium, 
exi,  n.  2  sq.,   Rome,  1590,  i     B2  sq  :   Battus,   in  IV  Sent., 
I.  m. d-    xxxvn.  p.  m.  v.  i,   6,1748,1   rv,  p.  216  sq.  ;  Sua- 
itz,  Os  legibus,  I.  il,  cxv,  n   16  sq.;  Sylvlus,  In  /••  //•,  q.  c, 


I  ■  //•,  tr.  VI, diaf    xn. 
a.  1.  Anvers,  17'iV  t.  m,  p.   .',17  ;  Bain] a> 

alis,   ir   XXI,  c   i     o.    14;    GoW,   I,,  /■•  //•,  Ir.  V, 
q.  in,  dub.  v,  Vei  Muller.  // 

[.  ;  Bouquillon,  Théolo- 
gie moratts  /»<• 

Paul  Rentscbka,  Du    h  ■  )n-se  des  heiligen  A  ••  . 

nus,  Kempun,  19  2-  édit.,   Leipzig, 

t.  ni,  c..l.  1428-1480. 

!..    Dl  BLAKCHY. 
1.     DECHAMPS        i     AGARD     DE     CHAMPS 
Etienne,  né   s  Bourges,  le   '■>   septembre    1913, 
dans  la  Compagnie  de  Jésus  •■  Paris  en  1830;  professa 

la    rhétorique   à    C.ien,    la    philosophie    et    la     thé, 

à  Paris;  il  remplit  les  principales  charges  de  son  i 
en  France;  confesseur  du  grand  Condé  dans  les  déni 
dernières  années  de  sa  vie,*ïl  aida  le  héros  à  mourir 
en  chrétien  (1686  :  lui-même  mourut  à  La  Flèche,  le 
•'il  juillet  1701.  Le  P.  Dechamps  fut  un  des  premi-  i 
des  plus  vigoureux  adversaires  du  jansénisme.  Son 
coup  d'essai,  déjà  très  remarqué,  fut  Defensio  censuras 
sacrât  facultatif  Parisiensis  latte  xxvu  jut  -ma, 

seu   disputatio    theologica    de    libero    arbitrio,    '/«a 
evincitur   merito   ab  sacra  facullale  I  ■  lam- 

nalam  esse  propositionem  owi  Libertas  et  nécessitas 
eideni  conveniunl  respeclu  ejusdem,  et  sola  viole 
répugnât  libertati  hominis  nalurali.  Auctore  Antonio 
Kicardo  theologo,  in-8°.  Paris.  164Ô.  La  censure  dont 
il  s'agit  dans  cet  ouvrage  venait  d'être  tirée  de  l'oubli 
parle  P.  Petau  et  critiquée  par  un  janséniste  anonv  me. 
Le  P.  Dechamps  la  défendit  en  combattant  surtout  la 
"théorie  de  Jansénius  sur  le  libre  arbitre,  de  laquelle 
dérivent  ses  erreurs.  Cet  ouvrage  avait  déjà  eu  trois 
éditions  à  Paris  et  avait  été  reproduit  en  Belgique, 
quand  Libert  Frornond.  un  des  deux  éditeurs  de 
VAugustinus,  essaya  de  le  réfuter,  sous  l,-  pseudonyme 
de  Vincentius  Lenis.  Les  deux  réponses  que  lui  fit  le 
P.  Dechamps  se  retrouvent,  avec  d'autres  additions, 
dans  la  3e  édition  de  sa  Disputatio  theologica  de  le 
arbitrio,  Cologne.  1650.  l'a  même  temps,  pour  com- 
battre  plus  efficacement  la  propagande  de  la  secte,  le 
P.  Dechamps  donnait  en  français  un  abrégé' de  ce  traité- 
sous  le  litre  :  Le  secret  du  jansénisme  rt  et 
refuté  par  un  docteur  catholique,  in-12,  Paris;  2*  édit.. 
1651;  3e  édit.,  avec  des  reflexions  sur  la  response  des 
jansénistes,  1  G.">: i .  Enfin  les  cinq  propositions  extraites 
de  VAugustinus,  dénoncées  au  saint-siège  par  les  évê- 
ques  français,  ayant  été  condamnées,  après  deux  ans 
d'examen,  par  le  pape  Innocent  X,  le  31  mai  1653.  le 
P.  Dechamps  publia  presque  aussitôt  le  grand  ou\  i 
qu'il  préparait  depuis  longtemps  pour  justifier  la 
tence  pré-vue  :  De  hseresi  janseniana,  ab  apostolica 
merito  proscripta,  libri  très.  Opus  anie  m 
m  sub  Antonii Ricai  inchoatum,  in-fol., 
Paris,  h;:.;,  avec  dédicace  à  Innocent  X.  L'auteur  pré- 
sente avec  raison  celte  publication  comme  la  suite  de 
son  traité  théologique  sur  le  libre  arbitre.  Ce  qu'il 
avait  fait  en  1645  pour  la  doctrine  de  Jansénius  sur  la 
liberté,  résumée  dans  la  ■'•  -bs  .">  propositions,  il  le 
fusait  maintenant,  suivant  la  même  méthode,  pour  le* 
cinq  erreurs  condamnées,  montrant  que  Jansénius 
avait  puisées  élu/  les  hérétiques  et  les  réfutant  par 
l'autorité  de  toute  la  tradition  catholique,  en  particu- 
lier par  l'enseignement  de  saint  Augustin,  dont  la 
nouvelle  hérésie  cherchait  à  se  couvrir.  Apres  la  mort 
de  l'auteur,  le  1'.  Etienne  Souciel  en  donna  une  nou- 
velle édition,  corrigée  el  augmentée  d'après  le  manus- 
ntographe  du  P,  Dechamps,  in-fol..  Paris.  1788. 
Les  Provinciale* devaient  aussi  mettre  en  mouvement  la 
plume  de  ce  savant  controversiste.  Pascal  et  son  anno- 
tateur  Wendrock-Nicole  représentent  constamment  le 
probabilisme,  qu'ils  accusent,  d'ailleurs  injustement,  de 
tant  de  méfaits,  comme  une  doctrine  propre  aux  jésuites, 
à  peu   près   exclusivement;  c'est  à  cette  fausseté  que 


177 


DECHAMPS 


178 


s'attaque  le  P.  Dechamps  dans  :  Quxstio  facti.  Utrum 
theologoeum  Socïetalis  Jesn  proprise  sint  istœ  senten- 
tise  duae  :  Prima,  ex  duabus  opinionibus  probabilibus 
possumus  sequi  minus  tulam,  secunda,  ex  duabus 
opinionibus  probabilibus  licitum  est  amplecti  minus 
probabilem,  in-4»,  Paris,  1659.  Il  répond  à  la  question 
en  nommant  plus  de  90  auteurs  graves,  évêques,  docteurs 
de  Paris,  thomistes,  religieux  de  divers  ordres,  qui  ont 
professé  le  probabilisme,  et  plusieurs  l'ayant  fait  avant 
qu'il  existât  des  jésuites;  il  montre  encore  que  ceux-ci 
ont  contribué  le  plus  à  fixer  les  conditions  du  proba- 
bilisme légitime,  et  que  quelques-uns  d'entre  eux  ont 
même  combattu  le  système.  Dans  la  4e  édition  de  sa  tra- 
duction latine  annotée  des  Provinciales,  in-8°,  Cologne, 
1665,  p.  547-573,  Nicole  a  inséré  une  réplique,  intitulée  : 
Appendix  prima  ad  dissertationem  de  probabilitate 
adversus  libellum  Stephani  Des-Champs,  jesuilse,  in 
Claronwntano  Parisiensi  collegio  primarïi  theologise 
professoris.  Le  P.  Dechamps  fut  ramené  à  la  polémique 
contre  le  jansénisme  par  le  fameux  P.  Quesnel.  Celui- 
ci  avait  publié,  sous  le  pseudonyme  Germain,  Tradi- 
tion de  l'Eglise  romaine  sur  la  prédestination  des 
saints  et  sur  la  grâce  efficace,  2  in-12,  Cologne,  1687, 
en  s'efforçant  de  trouver  au  jansénisme  un  appui  dans 
la  tradition  catholique.  Le  P.  Dechamps  y  opposa  : 
Tradition  de  l'Eglise  catholique  et  de  la  fausse  Eglise 
des  hérétiques  du  dernier  siècle  sur  la  doctrine  de 
Jansénius,  touchant  le  libre  arbitre  et  la  grâce,  in-8°, 
Paris,  1688  :  c'est  le  Secret  du  jansénisme,  revu  et 
augmenté.  Alors  Germain-Quesnel  ajoula  un  3e  volume 
à  sa  Tradition  pour  réfuter  la  Tradition  du  P.  De- 
champs,  qu'il  prétend  «  convaincre  d'ignorance,  de 
fausseté/,  et  de  calomnies  »,  Cologne,  1690.  Quesnel 
avait  déjà  traité  de  calomnie  le  Secret  du  jansénisme 
dans  son  Apologie  historique  de  deu.c  censures  de 
Louvain  et  de  Douai  sur  la  matière  de  la  grâce,  publiée 
sous  le  pseudonyme  de  Géry,  in-12,  Cologne,  1688;  le 
I'.  Dechamps  lui  répondit  par  quelques  pages  intitulées  : 
Défense  du  secret  du  jansénisme  contre  Vcscrit  de 
il.  Géry,  in-12.  Paris,  1690;  réédité  arec  la  Tradition 
de  l'Eglise  catholique,  in-8",  Lyon,  1711.  En  1664,  le 
I'.  Dechamps  avait  eu  à  soutenir  une  correspondance 
sur  les  questions  de  la  grâce  et  de  la  liberté  avec  le 
prince  de  Conti,  frère  du  grand  Condé.  Ce  prince, 
destiné  d'abord  à  l'étal  ecclésiastique,  avait  suivi  les 
cours  de  théologie  du  collège  des  jésuites,  dit  collège 
de  'Jcrrnont,  à  Paris;  il  avait  même  soutenu  en  Sor- 
bonne  des  thèses  sur  la  grâce,  que  le  P.  Dechamps 
l'avait  aidé  à  préparer.  Il  parai!  que  plus  laid  il  eul 
des  difficultés  contre  la  doctrine  molinîste  qu'on  lui 
a\ait  t  qu'il  avait  défendue;  il  les  proposa 

donc  à  son  ancien  répétiteur,  dans  neuf  lettres  aux- 
quelles ce  dernier  répondit.  Vingt-sept  ans  après,  le 
prince  étant  mort,  celte  correspondance  tombée  aux 
mains  des  jansénistes,   fut  publiée  par  le  P.  Quesnel 

le  litre  :  Lettres  du  prince  de  Conti  ou  t'ai 
du  libre  a>  l"i *  e  a\  ec  la  </<  âce  de  Jésus  Christ  enseigné 
par  son  Alt.  Sérénissime  un  /'.  De  Champs,  jésuite, 
ci-devant  premier  professeur  en  théologie,  recteur 
ollège  de  l'^nt,  trois  fois  provincial  ci  mainte- 
nant supérieur  de  la  maison  professe,  arec  plusieurs 
util, ,  re,  in  12.  Col 

1669.  Le  I'.  Souciet,  éditeur  da  De  heresi  fanseniana, 
assure  que  ces  lettn  -   ne  se  sonl  pas  retrouvées  dan 
les  papiei  par  li    P,   Dechamps  el  tient    pour 

mblable  que  les  objections  du  prince  ont  i  i.  foi  i 
retouchées  par  l'éditeur  janséni 

1  1702,  p.  IG8  ;  i'.i.  Souciet,   De 

i;   /■   Stephani 

1728,  Col   i  i  \     De  B 

.  | 

[don  Oertx 


5   in-12,    Amsterdam,    1701,   t.    i,  p.  295,  339,  415,  442;  t.    Il, 
p.  272,  323;  t.  m,  p.  131,  345, 504,  etc.  ;  Moréri,  1759,  t.  m,  p.  456. 

Jos.   BfîL'CKER. 

2.  DECHAMPS  Victor-Auguste-Isidore,  arche- 
vêque de  Malines  et  cardinal.  —  I.  Vie.  II.  Œuvres. 
III.  Doctrine. 

I.  Vie.  —  Né  le  6  décembre  1810  à  Melle,  près  de 
Gand,  d'Adrien-Joseph  Dechamps  et  d'Alexandrine  de 
Nuit,  élève  d'abord  du  collège  que  dirigeait  son  père, 
puis  fixé  avec  lui  au  château  de  Scailmont  dans  le 
Hainaut,  il  étudia  le  droit  à  Bruxelles,  et,  de  concert 
avec  son  frère  Adolphe,  le  futur  ministre  d'Élat,  débuta 
en  1830  dans  le  journalisme  catholique.  En  octobre 
1832,  Victor  Dechamps  entra  au  grand  séminaire  de 
Tournai,  suivit  à  Malines  des  cours  supérieurs  de  théo- 
logie, et,  le  4  novembre  1834,  fut  ordonné  prêtre  par  le 
cardinal  Sterckx.  Le  21  août  1835,  il  était  admis  au 
noviciat  des  rédemptoristes,  à  Saint-Trond.  Il  y  fit  sa 
profession  religieuse  le  13  juin  1836;  fut  chargé  du 
cours  d'Ecriture  sainte  et  de  la  préfecture  des  étudiants 
au  scolasticat  de  Wittem  dans  le  Limbourg  hollandais 
(1836-1840);  fut  tour  à  tour  recteur  de  la  maison  de 
Liège  (1842),  de  celle  de  Tournai  (1849),  et  enfin,  pro- 
vincial des  neuf  couvents  de  sa  congrégation  qui  for- 
maient la  province  de  Belgique  (1851).  En  même  temps, 
tout  entier  à  sa  vocation  d'apôtre,  il  prêchait  en  Bel- 
gique et  ailleurs  des  sermons  qui  lui  valurent  une  juste 
célébrité.  En  octobre  1850,  il  prononça  à  Sainte-Gudule 
de  Bruxelles  l'oraison  funèbre  de  la  première  reine 
des  Belges,  Louise  d'Orléans,  dont  les  enfants  étaient 
confiés  à  sa  direction.  Parmi  les  convertis  de  sa  parole, 
nommons  le  général  de  Lamoricière.  Apôtre,  le  P.  De- 
champs  était  aussi  un  apologiste,  et  \\  publia  divers 
ouvrages  que  nous  nous  bornons  à  nommer,  et  que 
nous  apprécierons  plus  loin  :  Le  libre  examen  de  la 
venir  tir  In  foi,  Entretiens  sur  la  démonstration  catho- 
lique de  la  vérité  chrétienne  (1857);  Lu  divinité  de  Jé- 
sus-Christ, ou  Le  Christ  et  les  antechrists  dans  1rs 
Ecritures,  l'histoire  et  la  conscience  (1858);  La  ques- 
tion religieuse  résolue  par  les  faits,  ou  de  lu  certitude 
en  matière  de  religion  (1860);  Lettres  théologiques 
sur  la  démonstration  de  la  foi  (1861). 

Le  P.  Dechamps  avait  pu  décliner,  en  1852,  l'offre  de 
l'évéché  de  Liège;  el,  en  1865,  celle  du  rectoral  de 
l'université  catholique  de  Louvain.  Au  mois  de  septem- 
bre de  celle  année,  il  fui  désigné  par  Pie  IX  pour  le 
siège  de  Xaïuur,  d'où  il  fut  transféré,  en  décembre 
1867,  à  l'archevêché  de  Malines.  A  Namuret  à  Malines, 
Mb1  Dechamps  déploxa  un  zèle  infatigable  pour  la  dé- 
droits de  l'Église  menacés  par  le  libéralisme 
sectaire,  et  pour  le  progrès  de  toutes  les  œuvres  catho- 
liques. 

Au  concile  du  Vatican  (1869-1870),  l'archevêque  de 
Malines  eut  une  situation  prépondérante.  A  la  congr< 
gation  générale  du  14  décembre  1869,  il  avail  été  élu, 
le  treizième,  membre  de  la  députation  de  fide  chai 
de  recevoir  les  schemata  proposés  au  concile;  quelques 
jours  plus  tard,  il  fui  nommé  par  Pie  IX  membre  de 
la  congrégation  qui  devait  étudier  les  postulat  a  el 
éclairer  le  pape  â  leur  sujet.  I.e  8  janvier  1870,  il  parla 
sur  la  constitution  Dei  Filius  que  l'on  préparait;  son 

ii g,  non  plus  que  li  con 

publié.  Dans  la  séance  du   II  janvier,   M«    Dechai 
lui  désigné  par  le  cardinal  Bilio,  avec  M»1  Pie  el  l'évi 
de  Paderborn,  Ms1  Martin,  pour  élaborer  un  non 
ichema;  mai-  l'archevêque  de  Malines  el  l'évéque  de 
Poitiers   l'en   remirent  pour  ce  travail  aux  ■-oins  de 
l'évéque  de   Paderborn    On  en  a  fait  la  remarque,  la 
tution  Dei   Filius,  promulguée  le  34  avril  1870,  a 
m   l'idée  maltresse  de  l'apologétique  de  M     D< 
ad  i.iii  de  l  Église,  toujours  subsistant, 
est  un  perpétuel  i  i  puissant  motif  de  crédibilité. 

L'Archevêque  de  Malines  prit  aussi  une  pari  impor- 


179 


IIA.MI'S 


lXd 


tante  i  la  rédaction  de  la  constitution  Raetot  ete\ 
Persuadé  <|iir  la  doctrine  gallicane,  formulée  après  le 
i-  de  Trente  dans  la  déclaration  de  1682,  ne  pour- 
rait échapper  à  l'examen  et  à  la  censure  du  oomrile 
du  Vatican,  il  était  intervenu  dans  les  controvei 
Boulevées  par  l'annonce  et  par  lea  premii 
de  l'assemblée  œcuménique.  Il  avait  publié  un  opuscule  : 
L'infaillibilité  cl  le  concile  général,  ét\ 
religieuse  à  l'usage  des  gens  du  mondé,  juin  1869,  qui 
lui  valut  une  lettre  laudative  de  Pie  IX  el  qui  fut  tra- 
duite en  allemand  par  ll.-inrich.  Le  8  juillet  1869)  il 
avait  écrit  à  un  laïque  pour  démontrer  l'opportunité 
de  la  définition  dogmatique  de  l'infaillibilité  pontificale. 
Il  répondit  aus  Observations: de  M"  Dupantoup,  à  l'ou- 
de  M1  Maret,  Du  concUe  œcuménique  et  de  la 
paix  religieuse,  et  aux  quatre  lettres  du  P,  Gratry, 
lis*  l'évêque  d'Orléans  el  M">  l'archevêque  de  Matines, 
Paris.  1870.  La  discussion  du  schéma  de  l'infaillibilité 
se  poursuivit,  dans  trente-sept  congrégations,  du  13  mai 
au  16 juillet  1870.  Dans  celle  du  17  mai,M0'  Dechamps, 
au  nom  de  la  députation  de  fide,  dont  il  était  membre, 
répondit  aux  difficultés  alléguées  par  les  orateurs  de 
l'opposition. 

De  retour  de  Rome,  l'archevêque  de  Malines,  tou- 
jours attentif  aux  périls  et  aux  souffrances  de  l'Eglise, 
signa  le  premier  une  lettre  adressée  par  l'épiscopat 
belge  aux  évéques  allemands  victimes  des  persécutions 
du  Kulturkampf  (octobre  1872);  dans  une  lettre  d'octo- 
bre 1873,  il  porta  jusqu'à  l'empereur  Guillaume  d'élo- 
quentes réclamations.  Devenu,  en  mare  I876j  cardinal 
du  titre  de  Sainl-Bernard-aux-Thermes,  il  entra,  en 
février  1878,  au  conclave  qui  suivit  la  mort  de  Bie  IX. 
et  ce  fut  lui  qui,  comme  vérificateur  du  scrutin,  an- 
nonça à  ses  collègues  l'élection  de  Léon  XIII.  Les 
dernières  années  du  cardinal  furent  en  grande  partie 
occupées  par  des  controverses  et  par  des  explications 
sur  la  question  du  libéralisme,  Trois  lettres  à  un  pu- 
blicisie,  qui  lui  méritèrent  les  éloges  du  souverain 
pontife;  et  par  des  luttes  sans  trêve  contre  la  législation 
scolaire  de  1879,  laquelle,  méconnaissant  la  foi  du  peu- 
ple belge  et  l'esprit  même  de  la  constitution,  tendait  à 
déchristianiser  l'enfance.  D'autres  soucis  lui  vinrent 
des  accusations  injustes  et  des  révélations  indiscrètes 
du  monomane  évéque  de  Tournai,  Mfl'  Duinont,  que 
Léon  XIII  fut  contraint  de  déposer  (1880).  Parmi  des 
travaux  ininterrompus,  ses  forces  déclinaient,  et  le 
28  septembre  1883,  le  cardinal  expira  saintement  à 
Malines.  dans  la  soixante-treizième  année  de  son  âge. 

II.  Œuvres.  —  Le  P.  Dechamps  a  beaucoup  écrit; 
ses  Œuvres  complètes  ont  été  publiées  en  17  volumes 
à  Malines.  Les  t.  i,  iv,  vu,  .\vi,  contiennent  les  œuvres 
apologétiques  :  Entretiens  sur  la  démonstration  catho- 
lique <le  lu  vérité  cli  ré  tienne,  traduits  en  allemand  par 
lleini'ieli.  /.w  divinité  de  Jésus-GArist  ;  La  que 
religieuse  résolue  par  les  faits:  l.etiees  philosophiques 
et  théologiques;  Pie  IX  et  les  erreurs  de  son  temps. 
Aux  t.  v  et  vin  appartiennent  des  œuvres  et  des  opus- 
cules de  piété  ou  de  îèle  :  La  nouvelle  Eve; Saint  Vin- 
cent de  l'aul  et  la  plus  grande  de  ses  iruen's  :  Aver- 
tissement au. i  fumilles  chrétiennes,  eto  Les  Œuvres 
oratoires  et  pastorales  remplissent  les  t.  x-xiv.  Le 
cardinal  était  persuadé  que  ses  Instructions  pastorales 
feraient  encore  du  bien  après  as  tnorl  ;  aussi,  aux  der- 
niers jours- de  sa  \  ir.  en  dressa-|  il  une  liste  détaillée 
d'après  les  matières.  Les  opuscules,  contenus  dans    les 

t.  vi,  ix.   iv,  aoncernent  la  doctrine  de  l'infaillibilité 
pontificale,  visent  le  libéralisme  et  la  Irano-maçonnerie. 

I.e  t.  XVII  conlieiil   des  lettres  diverses.    Tue  partie  des 

Œuvres  oratoires' du  1'.  Dechamps  avait  paru  dan-  les 

Orateurs    mtavis    île     (ligne,    Paris.     1856,    t.     i.xxxvi. 
col.  867-754.  La  brochure:  L'infkùllibilité  et  le  concile 

général,    est    reproduite    par     M'      Ceeeolli,    Storiu    étl 

concilia  t  <•  Vatmano^  Home.  1878*,  part.  I.  t.  ri, 


p.  7Î3-8Ï7.   et  la    lettre  .,    un  la. que.    //„</.,   p 
III.  Doctoikb.  —  Le  p.  Dechamps.   penseui 
orateur,   n'était    pas    un    erudit.    et    -ou  le 

P.  Saintrin.  en  convient  -an-  peine.  Il  allègue,  ..  1  ap- 
pui de  sa  thèse,  saint  Augustin,  saint  François  de 
Sales.  BoSSUet,  Pascal.  lé-iulon;  il  cite  souvent  deux 
théologiens.  liens  qu'il  avait  étudié  au  -.'-minai:.  Lie- 
bermann  qu'il  expliqua  plus  tard  a  ses  -cola-tiques;  il 

invoque  la   haute  autorité  de  saint  Thomas;   mai- 
auteur-  qu'il  parait  posséder  le  mieux.  c'.--t  saint   Al- 
phonse  de  Lignori   .-t  Joseph  de  Kaistre.  < 
doute  le  P.  Dechamps  .pie  visait  Charles   de  Rém 
d'ailleurs  très  récusable,  quand  il  é  Je  pour- 

rais citer  un  auteur  de  l'esprit  le  (dus  élevé  et  le  plus 
conciliant  qui  ne  s'est  pas  aperçu^  dans  un  ouvrage 
récent  et  distingué,  qu'en  prenant  M.  de  Maislre  pour 
un  des  grands  philosophes  de  son  parti,  il  semblait  cher- 
cher la  discorde  éternelle  et  recommencer  la  guerre  de 
principes.  »  Du    traditionalisme,  dans   la    Revue  des 

,lei'  :    annules,    lô  mai    1857. 

Muni  de  ces  ressources,  dont  il  lit  constamment  un 
habile  usage;  et  d'une  pensée  méditative  affinée    par 

rience,  le    P.    Dechamps  a-t-il    été    en   apo 
tique  un  novateur  ?  Certes,  il  ne  songeait  pas  à  1 
b  II  suffit  de  lire  les  Entretiens,  a-t-il  écrit,  pour 
persuadé  que.  Dieu  aidant,  je  ne  serai  jamais  de  ceux 
qui   prétendent  à  l'inouï  en    théologie.         / 
lettre  tHéologique,  p.  87.  En  un  certain  sens,  il  a  ce- 
pendant été  novateur,  car  il  a  rassemble,  précisé,  coor- 
donné des  éléments  que  lui  fournissait  la  tradition  la 
plus  vénérable,  et  dont  les  manuels  classiques  n'étaient 
pas  dépourvus.  En  quoi  consiste  donc  l'apologétique  du 
P.  Dechamps?  Ellese  résume  dans  l'épigraphe  des  En- 
tretiens :  t  11    n'y  a  que  deux  faits  à  vérifier,  l'un   en 
vous,  l'autre  hors  de  vous:  ils  se  recherchent  pour  s'em- 
brasser, et  de  tous  les  deux,  le  témoin  c'est  vous-même.» 
Le  fait  intérieur,  c'est  le  besoin  de  lame  qui  appel), 
pouvoir  se  la  donner  elle-même,  une  réponse  au  pro- 
blème  de    son    origine   et  de  sa   destinée;   le   fait  exté- 
rieur, c'est   la   réponse   que.  par  l'organe  de  l'Eglise, 
Dieu  donne  à  cette  question.  Ajoutons,  et  ce  point  est 
capital  dans   la   thèse  de  l'apologiste,  que  l'Eglise  est 
elle-même  un  motif  de  crédibilité  qui  o  se  dislingue  de 
tous   les  autres  en  ce    sens  qu'il  est  présent,  vivant  et 
parlant,  par  conséquent  en  ce  qu'Use  manifeste  et 
plique  lui-même.»  Cinquième  lettre  théalogique,  p*  158. 
o  Telle  est.  a  écrit  le  prince  Albert    de  Broglii 
pondant  du  25  avril    18Ô7.    la  vive  et    ingénieuse  dé- 
monstration   du    P.    Dechamps.    <  i.-veloppe 
ment  favori  ;  il   y  trouve   le  moyen  de  faire  disparaître 
tous  les  livres;  toutes  les  recherches,  toutes   les  dis- 
putes, de  tout  réduira  au  contact  direct  de  l'âme  et  de 
la  vérité.  »  de   la    vérité  transmise  aux  hommes  par 
l'autorité  divine  enseignante,  ajoute   le  P.  Dechamps. 
qui  cite  ce  passage.  Deuwiènve  lettre  théalogique,  p.  12. 

Des  critiques  d'ordre  divers  ont  été  adressées  à  oe 
système.  Bu  fait  que  l'une  humaine  appelle,  postule, 
si  l'on  veut,  une  réponse  à  la  question  de  son  origine 
el  de  sa  destinée,  peut -on  rigoureusement  conclure 
que  Dieu  la  lui  a  donnée,  et  la  lui  a  donnée  sous  la 
lorme  d'une  révélation  positive  et  d'une  Église  infail- 
lible'.' Le  prétendre  serait  pave,  a-t-on  dit  car  on 
ferait  ainsi  d'un  don  purement  gratuit  une  exigence  de 
notre  nature.  Sans  le  vouloir,  ne  renouvellerait-on  pas 
une  des  thèses  île  Daiu-  '  Le  P.  Dechamps  -  en  est 
expliqué-  de  manière  a  écarter  tout  soupçon  d'hétéro- 
doxie,  11  .i  reconnu  hautement  qu'une  convenance,  pro- 
von.tiu  .le  l'ordre  établi  par  Dieu  même,  ne  constituera 
jamais  une  exigence  :  que.  d'ailleurs,  la  première  par- 
lie  de  -a  thèse  (l'existence  du  fait  intérieur),  purement 
préparatoire,  fùt-elle  même  contestée,  n'infirme  point 
1..  seconde  l'existence  du  fait  extérieur).  Le  plus  . 
comme   le    plus    modéré   de    ses    critiques    théologien- 


181 


DECHAMPS    —    DÉCISION 


182 


s'est  déclaré  satisfait.  «  Nous  sommes  d'accord,  a  dit 
le  R.  P.  Matignon,  sur  deux  points,  à  savoir  :  1°  que 
la  correspondance,  qui  existe  entre  les  aspirations  na- 
turelles ou  surnaturelles  de  l'âme  humaine  et  les 
réponses  divines  que  la  religion  leur  apporte,  ne  con- 
stitue pas  par  elle-même  une  preuve  absolue  et  invin- 
cible, mais  bien  une  preuve  de  sentiment  et  une  indi- 
cation providentielle  de  la  vérité;  2»  que  la  véritable 
démonstration  chrétienne,  la  seule  rigoureuse  et  absolue, 
est  la  démonstration  objective,  c'est-à-dire  celle  que 
fournit  le  grand  fait  extérieur  que  Dieu  a  mis  sous 
nos  yeux:  Jésus-Christ,  avec  son  caractère,  sa  doctrine, 
ses  miracles,  l'Église  avec  les  conditions  surnaturelles 
de  son  existence,  de  son  établissement,  de  sa  du- 
rée, etc.  »  Etudes  religieuses,  avril  1864,  p.  127. 

Sur  un  autre  point  encore,  relevant  moins  stricte- 
ment de  la  théologie  que  de  l'expérience,  une  critique, 
disons  au  moins  une  difficulté,  a  été  posée  au  P.  De- 
ehamps.  «  Dans  notre  humble  opinion,  disait  le 
prince  Albert  de  Broglie,  loc.  cit.,  la  preuve  de  la  foi 
chrétienne  que  le  nouvel  apologiste  nous  développe 
avec  une  chaleur  entraînante  et  contagieuse,  est  moins 
une  démonstration  proprement  dite  que  la  vive  des- 
cription d'un  fait.  C'est  la  peinture  historique  de  la 
manière  dont,  le  plus  souvent,  sous  l'influence  de  lii 
grâce,  une  àme  se  convertit  à  la  foi  :  ce  n'est  pas  préci- 
sément l'arme  dont  elle  peut  se  servir  pour  fortifier 
en  elle-même  contre  les  désirs,  les  tentations,  les 
objections,  cette  foi  encore  chancelante.  C'est  l'histoire 
de  la  conversion  des  âmes  :  ce  n'est  point  proprement 
la  preuve  de  la  vérité.  C'est  ainsi  qu'on  prend  pied  à 
terre  :  ce  n'est  pas  tout  à  fait  ainsi  qu'on  peut  y  creu- 
ser un  port  et  y  ('lever  des  digues.  » 

M.  de  Broglie  n'a  pas  été  le  seul  à  exprimer  de  telles 
réserves.  M.  l'abbé  Mallet,  qui  croit  reconnaître  et  qui 
salue  dans   la    méthode  apologétique   du    P.  Deehamps 
comme  un  premier  essai  de  l'apologétique  de  Y  imma- 
nence, a  cependant  écrit  que  «  cette  méthode  ne  sau- 
rait prétendre  ;i  être  complète  en  soi  et  explicitement 
suffisante;  elle  ne  vaut  jamais,  ajoute-t-il,  que  par  un 
recours  implicite   aux   préambules  rationnels    et    aux 
fondements  historiques  de  la  foi  catholique.  »  L'œuvre 
du  cardinal  Deehamps,  dans  les  Annales  de  nhiloso- 
,,/,,,■  chrétienne,   mars  1907,  p.  575.  Ces  préambules 
rationnels,  ces  fondements  historiques,  le  concile  du 
\  atican  les  a  aussi  indiqués,  cas  outre  qu'il  revendique 
I"""'  la  raison  le  droil  de  se  prouver  l'existence  el  les 
attributs  de  Dieu,   il  rappelle  ces  faits  divins,  prophé- 
ties el  miracles,  qui  sont  des  signes  Ire-,  certains  de  la 
révélation.  Const  Dei  Films,  r.  n.  De  flde.  Le  I'.  De- 
champs  n'a  pas  i_  n.  m  ■    la  VsAbUV  probante  de  cas  mani- 
restations  divines;   mais  son  attrait,  l'expérience    des 
particulièrement   l'expérience  d'âmes   revenues 
du  protestantisme  à  la  vraie  foi,  lui  suggéraient  l'em- 
ploi prédominant,  j'ai  presque  dil  exclusif,  de  l'argu- 
meni  fourni  parle  grand  fait  de  l'Église.   Cependant. 
quelle  que  soil    son  excellence  intrinsèque,  r.  i 
ment  n'a  pas  sur  toutes  les  âmes  une  égale  efficacité. 
"ns  esprits  qu'inquiétenl  de    difficultés  erUaqueB, 
tiques,  historiques,  -  engagent,  pem  le.  résoudre, 
dans  une  voie  de  laborieuses  recherches;  L'Église,  qui 
romande  la  route  nu  }'esl  complu  le  p.  Deehamps, 
"'  «^courage  p  ■  n.-  ,  „  espère  même  I,. 

SUCCés,   pourvu    qu'ils  soient    conduits    avec    un. 

méthode  el  une  ,,,,, , ,  m.   parfaite. 

II.  P.  Henri  Sainlrin,  I 
I     l;M    VanWeddli 

il  D  i 

M,  1       0  «VI 

•  lu    H    u  II- 

letlesAM 

"'■   '"'■    '  '  •  ■'lor,    l.    ni 


Annales  de  philosophie  chrétienne,  octobre  1905,  février, 
mars  1906,  mars  1907  :  L'œuvre  du  cardinal  Deehamps  (art  de 
M.  l'abbé  F.  Mallet). 

A.   IL  ARGENT. 

DÉCHAUSSES.  Dieu  dit  à  Moïse  :  «  Ote  tes  san- 
dales de  tes  pieds,  »  Exod.,  m,  5,  et  à  Josué  :  «  Ote  la 
chaussure  de  tes  pieds.  »  Jos.,  v,  16.  De  même,  Isaïe 
reçut  l'ordre  de  Jéhovah  de  marcherdéchaussé.  Is.,xx, 
2.  Prenant  ces  textes  pour  un  ordre  général,  quelques 
chrétiens  bornés  s'étaient  mis  à  marcher  toujours  nu- 
pieds.  Saint  Augustin,  sans  nous  dire  d'où  étaient  ces 
chrétiens  et  sans  ajouter  d'autres  détails,  les  traite 
d'hérétiques,  non  point  parce  qu'en  agissant  ainsi 
ils  se  mortifiaient,  mais  parce  qu'ils  entendaient  de 
travers  ces  passages  de  l'Écriture,  ffser;,  i.xviii,  P.  L., 
t.  xlii,  col.  42.  C'est  entendre  le  mot  hérésie  dans  un 
sens  beaucoup  trop  large;  il  aurait  suffi,  semble-t-il. 
de  ranger  ces  déchaussés  parmi  les  simples  d'esprit  ou 
les  originaux. 

G.  Bareille. 

DECISION.  Comme  dans  le  langage  ordinaire,  ce 
mot  peut  être  employé  en  droit"  canonique  dans 
l'acception  générique  d'un  acte  par  lequel  une  auto- 
rité quelconque  (administrative,  judiciaire,  doctrinale) 
prend  parti  dans  une  afTaire,  après  examen.  C'est  en 
ce  sens  qu'on  parle  des  décisions  des  Congrégations 
romaines,  d'un  conseil  épiscopal,  etc.  On  pourrait  qua- 
lifier de  la  même  façon  l'acte  d'un  confesseur  refusant 
l'absolution.  Quiconque  a  juridiction  peut  être  amené 
a  prendre  ainsi  des  décisions  au  sens  large. 

Mais  l'expression  présente  à  l'esprit  du  canoniste  un 
sens  plus  précis  et  désigne  dans  la  masse  des  actes  de 
l'autorité  ecclésiastique  une  catégorie  très  spéciale  qui 
n'a  son  équivalent  dans  aucune  législation  civile.  Le 
t\pe  en  est  la  décision  de  la  Rote,  imitée  ensuite  par  la 
Chambre  apostolique  et  par  la  Signature  de  justice. 
Kn  étudiant  la  première,  nous  aurons  fixé  le  lecteur  sur 
toutes  les  autres  espèces.  —  I.  Ce  qu'est  une  décision 
de  la  Pote.  II.  Utilité  pratique  de  la  décision.  III.  Ori- 
gine de  cette  procédure.  IV.  Recueils  des  décisions  de 
la  Rote. 

I.  Ci:  Qt'Ksr  une  DECISION  de  la  Rote.  —  On  peut  là 
définir  ;  «  Un  acte  extrajudiciaire  formulant  et  moti- 
vant, avant  sentence,  l'avis  du  tribunal  sur  le  point  en 
litige.  »> 

C'est  un  acte  extrajudiciaire  ;  aussi  le  document  où  il 

est  exprimé  n  est-il  pas  rédigé  par  un  notaire,  mais  par 
le  juge  rapporteur,  par  le  ponent,  auditeur  de  Rote  à 
qui  l'instruction  de  l'affaire  avait  été  confiée,  et  qui. 
I  ayanl  rapportée  devant  le  turniim  (voir  ROTE),  a 
recueilli  les  votes  de  ses  collègues  après  discussion.  Eh 
quittant  l'audience,  chacun  des  quatre  auditeurs  com- 
posant le  turnum  laisse  par  écrit  son  votum  motivé,  â 
l'auditeur  ponent.  Ce  dernier  est  le  mieux  rensi 

puisqm  1  il  a  été  désigné  des  le  commencement 
par  commission  papale  poursuivre  l'affaire;  2»  il  a  fait 
ou  fait  faire  toutes  les  enquêtes  nécessaires;  3°  il  a  en- 
tendu contradictoire m  les  parties  >•!  r.  digé  avec  elles 

le  que-.tionn.iire  [dubium)  auquel  doit  répondre  la  sen- 
tence. C'est  lui  qui  rédige  la  décision  en  se  Bervanl  des 
notes  i  «r  ses  collègues  el  des  souvenirs  qui  lui 

sont  restés  de  l'audience  La  décision  porte  en  tête  |fe 
nom  'in  ponent  qui  en  ,.si  i,  rédacteur,  puis  le  tttre  ë 

la   Cause,   et   la   ,|ale.   par  exemple   : 

P.  P.  I).  i  R8IW0 
Romans  <  iensua 

Verni  i-,  S.)  februarii,  1696 

\|ires  un   court  préamhula  (que  les  ooliecteura  >!•• 
obm  'i..  la  Pote  lont  pri  aéder  .l'un  sommata 
l  Indique  l'objet  du  Litige  en  reproduieaoi  le  i/o* 
bium  que  suit  !..  rép  apis  nfflu 

m.ilion   ou    négation.  Viennent  ensuite  les  motlfil  de  lit 


is:i 


DÉCISION 


181 


décision.  Le  ponent  présente,  dans  un  ordre  métho- 
dique, tous  les  argumenta  de  /•"/  el  de  droit  qui  ont 
été  invoqués  par  Bes  -  lussi  bien  dans  les  ootù 

opposés  à  l.i  conclusion  adoptée  par  la  majorité  que 
dans  ceux  qui  lu  ton  ^près  chaque  argu- 

ment en  laveur  de  la  thèse  qui  a  triomphé,  le  ponent 
expose  les  exceptions  invoquées  par  les  adversair< 
les  raisons  pour  lesquelles  la  majorité  ne  s'y  est  pas 
arrêtée.  Il  n'omet,  autant  que  possible,  aucun  détail, 
en  sorte  que  la  physionomie  complète  des  débats  est 
reflétée  par  la  partie  du  document  qui  \ient  après 
l'énoncé  de  la  solution  adoptée.  Le  compte-rendu 
débats  est  suivi  de  formules  assez  variées,  par  exemple  : 
Domini  ex  ralionibus  in  supra  scripta  decisione  fue- 
runl  in  cola,  ou  encore  :  El  ila  utraque  parte  infor- 
mante omnibusque  Dominis  de  ordine  Sanctissimi 
suffragantibus  decisum  fuit...  Et  ita  N.  tantum  infor- 
mante resolutum  fuit. 

Ce  compte  rendu  de  la  discussion  suit  dans  la  rédac- 
tion de  la  décision    la  réponse  de  la  Rote  pour  l'expli- 
quer, au  lieu  de  la  précéder  pour  la  préparer  comme 
le  font  les  considérants  des  sentences    de   nos  tribu- 
naux civils.  C'est  une  première  différence.  Il   faut  rc-    i 
marquer  aussi  que  le  style  des  décisions  de  la  Bote  est    | 
plus  varié;  le  ponenl  n'est  pas  embarrassé   dans  l'ex- 
pression  de  sa   pensée   par   le   cadre    obligatoire  des 
attendu  que,  'considérant  que,  vu,   etc.  Il   peut  faire 
des  citations,  donner  des  références  aux  auteurs  et  n'a 
d'autre  souci  que  de  résumer  complètement  les  débats,    | 
de  veiller  à  être  clair  et  précis. 

Les  décisions  rendues  ainsi  par  la  Rote  sont  innom- 
brables,  car  il  est  d'usage,  à  ce  tribunal,  de  faire  pré- 
céder toute  sentence,  même  celles  que  nous  appelle- 
rions jugements  préparatoires,  jugements  avant  faire 
droit,  de  documents  de  ce  genre.  Beaucoup  sont  donc 
sans  aucun  intérêt,  mais  beaucoup  aussi  sont  d'une  très 
grande  importance,  soit  à  cause  de  la  gravité  de  l'affaire 
traitée,  soit  à  cause  de  la  compétence  du  panent  qui  l'a 
résumée  et  expliquée.  Certaines  décisions  ont,  à  ca 
de  leurs  rédacteurs,  une  autorité  incontestée.  Les  déci- 
sions coram  Merlino  ou  coram  Bicchio,  c'est-à-dire  ré- 
digées par  .Merlin  ou  Bicchio  après  des  discussions 
auxquelles  ils  avaient  assisté  comme  ponenl  s,  sont  de  ce 
nombre. 

Les  Congrégations  romaines  ne  donnant  jamais  les 
considérants  de  sentences,  il  se  trouve  que,  maintenant 
encore,  les  décisions  de  la  Bote  constituent  la  source  prin- 
cipale de  renseignements  sur  la  jurisprudence  de  la 
cour  romaine.  Et  cependant  il  faut  remarquer  que  la 
solution  placée  en  tête  de  la  décision  n'est  pas  plus  un 

juge ni  que  la  décision  n'est  un  acte  judiciaire.  I 

ce  qui  donne  à  la  décision  de  la  Bote  son  caractère  tout 
spécial    et    la  distingue    le   plus  profond,  nient     de  tout 

autre  document  émananl  .les  tribunaux  civils  ou  ecclé- 
siastiques, anciens  ou  modernes. 

Il  faut,  pour  terminer  le  procès,  que  la  Bote  inter- 
vienne à  nouveau,  mettant  le  ponent  en  demeure  de 
transformer  en  sentence  judiciaire  la  solution  adop 

II.    lui  m:   l'kAi  ii.n  i:    ni:   i  \    DÉCISION.  Si   la  sen- 

tence conforme  n'intervient  pas  immédiatement  après 

la  rédaction  de  la  décision,  c'est  que  la  i <  Jure  de  la 

Bote  prescrit  de  communiquer  d'abord  aux  parties  le 
document  qui  exprime  si  parfaitement  l'opinion  du  tri- 
bunal sur  leur  affaire.  Les  intéressés,  mis  ainsi  en  pré- 
de  l'avis  motivé  de  leurs  juges,  peinent  éviter  la 
sentence  qui  les  menace,  en  terminant  leur  différend  à 
l'amiable,  ou  demander  que  l'affaire  soil  remise  en  dis 
cussion,  tel  point  de  fait  ou  tel  argument  de  droil  ne 
paraissant    pas   avoir   été    mis   suffisamment   en 
lumière.  Cette  procédure  spéciale  permel  donc  au  plai- 
deur imprudent  d'éviter  l'humiliation  dune  condam- 
11  el  aux  ju  menl  de  porter  trop  riftfJ 

remenl  un  jugement  qui  pourrai!  être  ensuite  attaque. 


S'il   n  y   a    pas  conciliation  entre   les   intéressés,  la 
p.ntie  victorieuse  demande  qne  la  Rote  émette  le  d< 
prescrivant  au  ponent  de  transformer  la  décision  en 
sentence;  la  partie  menacée  peut  té  deman- 

der! un  novm  audien  te  que  les 

n'ont  pas  été  suffisamment  documentés.  Les  juges 
informés  par  le  ponent  des  désirs  des  ;  ndent 

un  décret  de  nouvelle  audience  ou  au  contraire  de  trans- 
formation de  la  décision  en  sentent 

III.  Origine  de  cette  procédi  re.  —  Le  souci  de 
concilier  les  plaideurs  et  de  ne  formuler  une  sentence 
souvent  irréparable  qu'api  otouré  de  toute- 
-m  êtes  et  après  avoir  entendu  li  lions  des 
parties  explique  la  permanence  de  cette  procédure 
longue  et  compliquée.  Mais  ce  qui  en  explique  l'ori- 
gine,  c'est  l'histoire  même  de  la  formation  de  la  Rote. 

Les  auditeurs  du  Sacré  Palais  ou  de  la  Bote  n'étaient 
au  commencement  que  les  rapporteurs  des  causes  qui 
devaient  être  jugées  en  consistoire  sous  la  présidence 
du  pape  ;  ils  n'avaient  donc  à  formuler  que  des  décisions 
motivées  des  consultations,  n'ayant  pas  le  caractère  de 
sentences  judiciaires,  ces  dernières  étaient  réservées 
aux  cardinaux  el  en  dernière  analyse  au  pape.  N'étant 
pas  juges,  ils  pouvaient  fort  bien  communiquer  aux 
intéressés,  pour  recevoir  leurs  observations  et  pour  ame- 
ner une  conciliation  ou  pour  prévenir  des  malentendus, 
le  document  extrajudiciaire  qu'ils  avaient  préparé  dans 
le  but  d'éclairer  la  religion  des  juges.  Les  longueurs 
qui  en  résultaient  n'étaient  rien  à  côté  des  avan 
qu'y  trouvait  la  bonne  administration  de  la  justice. 
-  Maisunjour  les  auditeur-  de  la  Bote  devinrent  juges. 
Ce  fut  devant  ses  collègues  et  non  plus  devant  le  con- 
sistoire que  le  ponenl  lit  son  rapport;  le  nouveau  tri- 
l'imal  garda  la  pratique  qui  lui  avait  paru  équitable  au 
temps  où  il  n'était  qu'une  chambre  de  consultation,  et 
il  s'astreignit  à  communiquer  sa  décision  comme  par 
le  passé,  axant  de  remonter  sur  le  siège  pour  jouer  le 
rôle  de  juge  par  le  prononcé  de  la  sentence. 

Le  procédé  avait  paru  si  équitable  que  le  tribunal  de 
la  Chambre  apostolique  (tribunal  de  droil  commun  et 
celui  de  la  Signature  de  justice  (cour  de  cassation  et 
tribunal  des  conflits  axaient  adopté  sur  ce  point  la  pra- 
tique de  la  Rote. 

A  ucune  de  ces  trois  sources  de  d<  \  iste  plus. 

La  Rote  ne  se  survit  à  elle-même  que  comme  une 
chambre  de  consultation  annexée  à  la  S.  C.  des  ! 
pour  les  procès  de  béatification  et  de  canonisation  et 
ne  s'occupe  plus  du  contentieux  qui  a  été  petit  à  petit 
absorbé  par  les  Congrégations  romaines.  Or  ces  d<  r- 
nières,  qui  ont  plein  pouvoir  pour  juger,  non  seulement 
selon  la  rigueur  du  droit,  mais  aussi  selon  l'équité, 
revêtues  qu'elles  sont  de  la  puissance  même  du  prince, 
ne  motivent  pas  leurs  sentences. 

IV.  lin  M  II  s    DES    DÉCISIONS    DE    LA    ROTE.    —    Dès  le 

xiv  siècle,  les  décisions   les  plus  importantes  ont  été 
recueillies  dans  des  collections  manuscrites:  il  n'; 
guère  de  grande  bibliothèque  qui  ne  possède  un  codex 

-:  La  collection  manuscrite  qui  s'arri 

l'année  1376  était  célèbre  entre  toutes,  et  le-  an 
nistes  la  citent  sous  le  titre  de  antiçum deciti 

e  éditions  imprimées  citons  parmi  les  autres,  par 

ordre  dédale  :  Decisiones  Rota  e  de  llol 

in-fol..  Borne,  \~\-l;  Rebuffi  D  t  antitjux 

et  antiquiores,  Lyon,  1555;  cette  collection  suit  l'ordre 
des  Décrétâtes.  Sons  ce  nom  de  Decisiones  R<  ta  ou  de 
tionea  Socri  Palatii,  on  a  les  collections  d'Achille 
et  César  de  Grossis,  1601,  Mohedanus,  1603,  Bellen 

pella  Tholosana,  Beninlandi,  de   1613  i 
liiis.  Beltraminus,  1630,  Othoboous,  liCT. 

Le  grand  effort  pour  réunir  en  un  tout  les  décisions 
de  la  Bote  a  été  fait  par  Farinacci  qui,  après  avoir 
donné  à  Cologne  en  1649  deux  volumes  intitulés:  Sa 

sionuni  selectarum  parles  11,  n'a  pas  moins 


185 


DECISION 


DECLARATION    DE    1682 


186 


de  25  in-fol.  de  décisions  de  la  Rote  dans  ses  œuvres 
complètes,  Venise,  1716.  Les  t.  xxvi-xxix  ont  été  ajou- 
tés en  1734  à  Venise  et  le  nombre  total  s'élève  à  qua- 
rante, t.  xxx-xl,  Rome,  1751-1763.  Enfin  on  trouve  par- 
fois deux  volumes  de  supplément  qui  conduisent  jus- 
qu'en 1792.  Au  cours  de  cette  publication  avaient  paru  : 
Sacrée  Rotœ  romanee  decisiones,  Venise,  1707,  en 
appendice  au  Theatrum  veritatis  et  juris  de  De  Luca, 
4  in-fo!.;  Sacrw  Tintée  romanee  decisiones,  5  tomes  en 
6  in-fol.,  Rome,  1728;  2  vol.  d'index,  le  tout  par  Moli- 
nes,  doyen  de  la  Rote;  Decisiones  Rotœ  ronianx  recen- 
tiores  in  compendium  redactee,  6  in-fol., Venise,  1754; 
Decisiones  Unix  romanm  coram  cardinali  Rezzotnco 
nuperrime  ex  originalibus  deproniptœ,  2  in-fol., 
Rome,  1760;  Patrizi,  Decisiones  Sacrée  Rotx,  Rome, 
1832.  est  un  abrégé. 

P.  FOURXERET. 

DÉCLARATION  ou  LES  QUATRE  ARTICLES 
DE  1G82,  déclaration  solennelle  par  laquelle  une 
assemblée  d'évèques  et  de  prêtres,  affirmant  représenter 
le  clergé  de  France,  et  réunie  sur  l'ordre  de  Louis  XIV, 
en  lutte  avec  le  saint  siège,  prétendit  définir  les  doc- 
trines de  l'Église  gallicane  toucbanl  la  primauté  de 
juridiction  et  d'enseignement  du  souverain  pontife.  — 
I.  Les  origines.  La  régale.  II.  L'intervention  de  l'épis- 
copat  gallican.  La  lettre  de  1680  et  la  petite  assemblée 
de  1681.  III  L'assemblée  de  1682.  IV.  Les  quatre  articles. 
Y.  Les  papes  et  les  quatre  articles  jusqu'en  1693.  VI.  Les 
quatre  articles  de  1715  à  1870. 

I.  Les  origines.  La  régale.  —  La  crise  de  1682 
que  le  point  extrême  du  conflit  élevé  entre  la 
monarchie  française  et  la  papauté  depuis  Cbarles  VII 
et  même  depuis  Philippe  le  Rel,  touchant  les  rapports 
et  les  limites  des  deux  puissances,  et  nullement  résolu 
par  le  concordai  de  1516.  Le  conilit  s'est  aggravé, 
d'un  côté,  avec  l'affirmation  plus  hardie  des  doctrines 
ultramontaines  et  l'eflforl  tenté  par  la  papauté  durant  la 
Ligue,  pour  restaurer  la  puissance  romaine,  cf.  de 
l'Épinois,  La  ligue  et  les  papes,  in-8°,  Paris,  1886, 
d'un  autre,  avec  la  constitution  de  la  monarchie  abso- 
lue qui  veul  dominer  l'Eglise  comme  tout  le  reste,  et 
avec  la  théorie  du  droit  divin  qui  fait  du  roi  l'élu  de 
Dieu  aussi  bien  que  le  pape.  Les  rois  sont  poussés  ou 
nus  dans  leurs  prétentions  par  le  parlement  ou 
parle  clergé,  Les  légistes  du  parlement  leur  fournissent, 
érigés  en  maximes  d'État,  le-  principes  les  plus  intran 
sigeants  du  réalisme;  ce  sont  les  maximes  gallicanes, 
le-  libertés  de  l'Eglise  gallicane,  Pierre  l'ilhou  lésa 
codifiées  en  1594  L'épiscopat  gallican  soutient,  lui 
-iii ■ —  i ,  ces  libertés,  mais  avec  moins  d'intransigeance  : 
il  les  inlerprète.i  s.i  façon;  jaloux  de  son  indépendance 
menacée  par  i  les  prétentions  de  Roue  outenant 
Vépiscopalisme,  c'est-à-dire  la  doctrine  de  l'institution 
divine  des  évêques  el  même  la  supériorité  de  i  i 
réunie  en  concile  sur  le  pape,  foui  en  reconnaissant  la 
primauté  romaine,  il  s'appuie  sur  le  roi  qui  le  nomme 
d'ailleurs,  pour  lutter  contre  les  doctrines  ultramon- 
taines, Tant  que  le  pape  et  le  roi  y  mirent  quelque 
bonne  volonté,  le-  choses  n'allèrent  point  aux  extrêmes. 
Mais  li  seconde  moitié  du  xvir  siècle  mit  aux  pi 
Louis  XIV  ei  Innocent  XI,  un  roi  el  un  pape  peu  dis- 
ns.  Louis  XIV  ne  pouvait  B'expliquer 

I  qu'il  existât  d  .mires  droils  que  le-  sien-,  ou  du  moin-, 

des  d ;  re  le-  Biens     ,  il  avait  i  la  vive  pi  i 

de  1 1  sainteté  et  presque  de  l'infaillibilité  de  sa 
puis,  il  était  le  gallicanisme  rivant, 
tant,  militant,  triomphant  ».  Hanolaux,  Recueil  des 
instructions  données  aua  ambassadeurs.  Rome,  t.  i. 
préfaci  tueur  contre-] Is,  ni  du  côté  det  événe- 
ments :  il  n'a  pas  encore  connu  la  défaite,  ni  du  côt 

bon il    n'a   pas   i  ncore  connu,   pour   ainsi    dire. 

d'opposition,   li  ailli  Colbi  rt   entre 

antres,  le  poussent  aui  meaui  is  de 


Rome.  Innocent  XI,  élevé  au  pontificat  en  1676,  était  un 
pape  austère  qui  avait,  à  Rome  même,  déclaré  la  guerre 
aux  abus  les  plus  invétérés,  comme  le  népotisme,  très 
attaché  aux  principes,  qui  déclarait  que  «  lorsqu'il 
s'agit  de  conscience,  il  faut  satisfaire  à  Dieu  et  à  son 
devoir,  et  après,  laisser  à  Dieu  le  soin  de  calculer  ce 
qui  pouvait  arriver  ».  A  Rome  d'ailleurs,  où  l'on  avait 
beaucoup  à  se  plaindre  de  Louis  XIV,  il  y  avait  un  parti 
antifrançais  très  aclif,  qui  ne  fut  pas  sans  influence 
sur  l'esprit  du  pape.  L'occasion  de  la  crise  fut  une 
question  de  moindre  importance,  mais  mal  posée,  la 
question  de  la  régale,  qui  allait  devenir  «  une  grande 
question  de  politique  générale  ».  Rousset.  On  appelait 
régale  le  droit  que  prétendait  le  roi  de  percevoir  les 
revenus  des  évêchés  vacants  et  de  nommer  aux  bénéfices 
qui  en  dépendaient.  Ce  droit,  affirmaient  les  légistes, 
appartenait  au  souverain  en  vertu  de  sa  couronne  et  de 
son  domaine  éminent  sur  les  biens-fonds  du  royaume  : 
il  était  donc  indépendant  des  règlements  ecclésiastiques, 
antérieur  à  tous  les  canons  et  universel.  Ce  droit,  affir- 
mait le  clergé,  est  un  droit  spirituel;  le  roi  ne  peut 
l'exercer  que  par  une  pure  concession  de  l'Église  et 
dans  les  limites  fixées  par  l'Église.  En  fait,  le  IR  concile 
de  Lyon  (1274)  avait  autorisé  le  droit  de  régale  dans  les 
évêchés  où  il  existait  alors,  mais  il  avait  interdit  de 
l'étendre;  et  un  certain  nombre  de  diocèses  de  France, 
notamment  des  quatre  provinces  du  Midi,  Languedoc, 
Guyenne,  Provence  et  Dauphiné,  avaient  échappé'  à  ce 
droit.  Or,  en  1608,  à  propos  de  l'évêché  de  Belley,  le 
parlement  de  Paris  proclama  tout  évêché  soumis  à  la 
régale  par  le  fait  qu'il  rentre  dans  le  domaine  du  roi. 
Le  clergé  protesta.  L'affaire  dura  plus  de  soixante  ans; 
enfin,  le  16  février  1673,  Louis  XIV  tranchait  la  question 
en  sa  faveur.  Un  édit  déclarait  que  le  droit  de  régale 
appartenait  au  roi  dans  tous  les  évêchés  du  royaume, 
à  l'exception  «  de  ceux  qui  en  étaient  exempts  à  litre 
onéreux  ».  Cetédit  avait  un  effet  rétroactif  :  les  évêques 
des  diocèses  jusque-là  exempts  étaient  tenus  de  faire 
enregistrer  leur  serment  de  fidélité  à  la  Cour  des 
comptes  de  Paris  et  d'obtenir  d'elle  des  lettres  de  main- 
levée pour  leurs  revenus,  dans  les  six  mois.  Passé  ce 
délai,  la  régale  serait  considérée  comme  ouverte  dans 
les  églises  des  prélats  qui  n'auraient  pas  accompli  celle 
formalité.  En  1675,  un  nouvel  édit  complétait  le  précé- 
dent. Pratiquement,  cette  extension  de  la  régale  était  de 
peu  d'importance  :  jusqu'en  1641,  les  revenus  des 
évêchés  vacants  étaient  attribués  à  la  Sainte-Chapelle; 
depuis,  ils  étaient  restitués  aux  nouveaux  titulaires 
sauf  un  tiers  employé  à  secourir  les  protestants  con- 
vertis; puis,  Louis  XIV  pourvoyait  très  vile  aus  vacan 
enfin,  l'on  a  calculé  que  pour  les  diocèses  des  quatre 
provinces  du  Midi  ainsi  atteintes,  le  roi  nommait  i  dix 
postes  .m  plus  par  an.  Cf.  M.  Dubruel,  Innocent  XI 
cl  l'extension  de  la  régale  d'après  la  correspondance 
■  in  cardinal  Cibo  avec  Léopold  l",  dans  la  Revue  îles 
questions  historiques,  1"  janvier  1907.  Rome  se  lui  en 
1673  et  en  1675.  L'épiscopat  gallican  fil  de  même  :  les 
évêques  atteints  se  soumirent,  ou  après  avoir  adri 
au  roi  des  remontrances  respectueuses,  ainsi  Sevin  de 
Cahors,  ou  après  avoir  inséré'  des  protestations  dans 
leurs  archives,  ou  pour  la  plupart  sans  moi  dire.  Seuls, 
Pavillon,  évéque  d  Uet,  el  Caulet,  évéque  de  Pamiera, 
qu'il  entraîna,  refusèrent  de  se  soumettre;  ils  allèrent 
jusqu'à  défendre  à  leurs  chapiti  cevoir  les  réga- 

liens ei  à  excommunier   cens  ci.   Leurs  ordonnances 
furent  par  le   vicaire   général  du  cardinal  de 

Bonzi,  archevêque  de  Narbonne  et  métropolitain  d'Alet, 
et  par  Joseph  de  Montpezat,  archevêque  de  Toulouse 

et  métropolitain  de  Pamiers   Les  deux  sentences  él ni 

Irrégulières,  cai  les  partie:  n'avaient  pa  et  entendues; 

i,s  deui  évêques  en  appelèrent  su  p  ipe  Le  pape  accepta 

her  d'ailleurs,  Pavillon  el  <  iaulet  étaient 

deux  jansénisti  I  idain  apparaîtra 


187 


DÉCLA  I ;  A  I  10ÎH    DE    1682 


encore  bientôt  comme  un  conllit  entre  iansénieli  b,  bv 
Iriguanl  à  Rome  avec  l'appai  de  la  faction  hostile  à  ta 
i  i  ,,ii.  ,-  ,  i  jéeuiti  intriguant  i  Parie  par  I  intermédiauw 
du  p.  La  Chaise  el  poursuivant  la  destruction  de  deuj 
foyers  de  l'héréaiejanséniate.  Le  M  décembn  1077,  mon- 
tait Pavillon  :  toule  la  lutte  se  concentra  autour  de 
Caulet  et  devint  l'affaire  de  Pamiera.  La  queelion  de  la 
pégale  occupa  le  premier  plan  de  1673  à  1(681.  Il  j  eut 
une  première  phase  assez  calme.  Innocent  XI.  «  <|i'i 
apprit  à  la  l'ois  l'existence  du  droit  de  régale,  I  cxlen- 
sion  décrétée  par  Louis  XIV  et  la  prohibition  portée 
par  le  13*  canon  du  II''  concile  de  L\on.  »  semble  ne 
pas  vouloir  pousser  les  choses  à  l'extrême  el  Lonis  XIV. 
d'abord  surpris  d'une  résistance  d'ailleurs  lardive  à  un 
droit  qu'il  juge  incontestable,  parait  vouloir  gagner  du 
temps  et  attendre  un  pape  plus  facile.  Le  12  mars  1778, 
DO  premier  bref  exprime  au  roi  une  protestation  paci- 
fique. Louis  XIV  répond  en  manifestant  sa  surprise  au 
nonce,  puis  dans  une  lettre  datée  de  juillet  au  pape  lui- 
même.  En  janvier  1679,  nouveau  bref,  daté  du  21  sep- 
tembre 1078  :  le  pape  y  démontre  les  inconvénients  de 
l'ingérence  des  officiers  royaux  dans  les  affaires  spiri- 
tuelles. Le  roi  ne  répond  point.  Des  lors  le  pape  accen- 
tue les  démonstrations  :  il  avait  adressé  le  4  janvier 
I(i77  un  bref  à  Caulet  pour  l'assurer  de  sa  protection,  le 
is  un  bref  de  blâme  à  l'archevêque  de  Toulouse;  le 
2  aoùl,  il  envoyait  un  second  bref  à  Caulet  et  surtout 
le  29  décembre  il  adressait  à  Louis  XIV  un  troisième 
bref  :  cette  fois,  il  menaçait.  Il  avait  même  préparé, 
avec  l'aide  d'une  congrégation  spécialement  composée 
dans  ce  but,  une  constitution  apostolique  qui  eût  con- 
damné solennellement  la  régale  :  il  n'osa  pas  encore. 
Toutefois  Louis  XIV  prit  peur;  il  réunit  plusieurs 
conseils  :  on  lui  parla  d'un  concile  national;  on  lui  dit 
qu'il  pourrait  feindre  d'ignorer  le  bref;  c'est  alors  qu'il 
s'arrêta  à  ce  troisième  parti  :  gagner  du  temps  pour 
attendre  la  disparition  d'un  pape  déjà  âgé  et  usé. 

Par  une  lettre  du  1e'  juillet  1680,  il  lit  donc  annoncer 
au  pape  l'envoi  d'un  ambassadeur  extraordinaire,  le 
cardinal  d'Estrées,  dont  le  frère,  le  duc,  était  ambassa- 
deur à  Rome  depuis  1072,  qui  avait  déjà  rempli  à  Rome 
plusieurs  missions  et  que  le  pape,  dans  un  bref  du 
28  février  1680  adressé  au  cardinal  lui-même,  avait 
manifesté  le  désir  de  voir  chargé  de  cette  mission  con- 
ciliatrice. D'Estrées  avait  pour  instruction  de  ne  rien 
céder  et  de  faire  traîner  les  affaires  en  longueur;  il 
n'arriva  d'ailleurs  que  longtemps  après  son  voyage 
annoncé. 

Dans  l'intervalle,  Louis  XIV  avait  complété  son  plan 
d'action. 

sur  la  régale,  voir  Anâraul,  Traité  lie  Vofigine.de  la  régale, 
in-4",  Paris,  1708;  Fleury.  Institution  au  droit  ecclésiastique, 
2  in-12.  Paris.  1687:  Philippe,  Due  ■Hsgattenrseht  wi    Uronk- 

rei'-li,  in-s  ,  Halle.    1873;  Viollet,  l'rrris  de  l'histoire  du  droit 

fronçais,  'i  in-8  ,  Paris,  1884. 

II.  L'INTERVENTION  Dl  i  i  l'Isoil'AT  i.\l.tlc\N.  L\ 
LETTRE   DE    1680  KT   1..V    PETITE   Assonu.ï :    1681.    — 

Tandis  gne  la  lettre  du  I"  juillet  remplissait  d'espé- 
rance Innocent  XI  qui  en  écrivait  à  Caulet  des  le  7. 
Louis  X  1  Y  imaginait  une  manœuvre  que  .Napoléon  de- 
vait reprendre  contre  Pie  VII  :  faire  approuver  par 
l'épiscopat  gallican  ses  mesures  et  son  attitude,  pour 
rendre  le  pape  plus  Facile.  Peut-être  voulait-il  aussi 
ni  i  par  là  sur  son  orthodoxie  ses  suiels  plus  ou 
moins  avertis  des  menaces  du  pape,  lue  assemblée  or- 
dinaire du  clergé  de  France  se  tenait  alors  justement 
à  Saint-Germain  (25  mai-5  juillet);  le  ld  juillet,  alors 
que  les  députés  attendaient  d'être  reçus  par  le  roi  en 
audience  de  Congé,  leur  président  Harlay  de  Champ- 
vallon,  archevêque  de  Paris  depuis  I07'J.  gallican 
convaincu,  serviteur  dévoué   du  roi  et  presque  ennemi 

iiiM-1  du  pape,  surprit  d'eux  une   lettre  de  pi 
tation  au   roi  contre  le  bref  du  29  décembre,  qui  fui 


imprimée,  après  qualqu  le  détail,  hous 

ce  titre  : 

archevêques,  évèquet  <-t  autn 

du  clergé  de  Front  ■ 

Laye,  sur  le  d  au  su/et  de   la 

régale.  Les  évéejni  n loir  juger  du  fond  de 

l'affaire,  protestent  contr.   !•  -  meaanec  que  contient  le 
bref,  contre  .<  celle  procédure  extraordinaire  qui. 
loin  de  soutenir  l'honneur   de  la   religion   et   la    gloire 
du  saint-siège,  serait  capable  de  les  diminuer  >,oontn 
les  manœuvres  de  a  quelques  esprits  brouillons     qui 

font  tous  leurs  efforts  pour  exciter  la  mésintelligi 
entre  le  sacerdoce  et  la  royauté-  dans  un  temps  ou  il-  l 
lent  jamais  plus   de  sujet  d'être  unis  par  la  protection 
que  vous  donnez  à  la  foi,  disaient-ils  au  roi,  à  la  ai 
pline  ecclésiastique  et  à  l'extirpation  des  hérésies  el 
nouveautés    .  Enfin,  ils  affirment  être     -i  étroitement 
attachés  ■  à   un  roi  I   gui  surpasse  par  son  tèle  e 
son   autorité   tous  ceux   qui  ont   été  devant  lui  •    que 

rien  n  est  capable  de  les  en  séparer  i.  Cette  letti 
parait  pas  avoir  ému  Innocent  XL  Mais  il  ne  tarda  pas 
à  comprendre  qu'il  n'avait  rien  à  attendre  de  la  mis- 
sion du  cardinal;  puis,  les  mesures  de  rigueur  conti- 
nuaient à  Damiers,  où  éclatait  le  schisme  de  l'ai, 
car  le  diocèse  eut  pour  un  moment  deux  chefs.  Le 
7  août  10<su,  ('tait  mort  Caulet.  Les  chanoines  légitimes 
choisirent  pour  vicaire  capitulaire  l'archidiacre  d  Au- 
barëde,  mais  dès  le  22,  il  était  arrêt.'-  e;  lar- 

geau,  puis  à  Caen.  Un  second,  le  P.  Rech.  eut  le  même 
sort;  le  troisième,  le  P.  Cerles,  sut  se  cacher.  Cepen- 
dant le  métropolitain  nommait  à  deux  reprises  un  vi- 
caire capitulaire  parmi  lis  légalistes,  soit  franchement, 
soit  après  une  feinte  destinée  à  donner  une  apparence 
canonique  à  la  seconde  nomination.  Cerles  protestait 
et  en  appelait  au  pape.  Là-dessus,  sur  l'ordre  du  chan- 
celier LeTellier,  le  parlement  de  Toulouse  condamnait 
Cerles  à  avoir  la  tête  tranchée.  10  avril  1681.  et  il  était 
exécuté  en  elligie  à  Toulouse  et  à  l'amiers.  Au  même 
moment,  li  janvier  1681,  le  parlement  ordonnait 
un  prétexte  financier,  en  réalité  contre  le  pape,  la  fer- 
meture du  monastère  de  Charonne.  Le  roi.  avec  le 
concours  de  l'archevêque  de  Paris,  \  avait  nommé  et 
installé  en  1077  une  abbesse,  au  mépris  de  tout  droit 
et  de  toute  règle.  Les  religieuses  en  avaient  appelé-  au 
pape,  qui  avait  annulé-  la  nomination  faite,  blâmé  1  ar- 
chevêque et  ordonné-  aux  religieuses  de  procéder  aux 
élections  voulues  par  leurs  règles.  7  août  1679.  Inno- 
cent XI  répondit  à  toutes  ces  mesures  par  une  double 
série  de  démarches  :   il  continua  à  ;  il   priait 

le  roi  de  négocier  à  Paris  par  l'intermédiaire  de 
lévéque  de  Grenoble,  Camus;  mais  en  même  temps.il 
montra  qu'il  ne  céderait  rien  sur  les  principes  :  le 
18  décembre  1080,  il  condamnait  comme  renfermant 
une  doctrine  sohismatique,  approchant  de  1  le  i 
et  injurieuse  nu  saint-siège  un  livre  de  l'abbé  tierlwis 
docteur  de  Sorbonne.  agent  de  Colbert  Ge  livre  inti- 
tulé :  M  COUSM  majorttins.  soutenait  les  théories  galli- 
canes les  plus  avancées  et  les  plus  opposées  aux  droits 
du  gaint-Siège.  Puis  en  janvier  W81,  un  brel  excommu- 
niait b-  \icaire  capitulaire  nommé  a  Paiinei-  par  l'ar- 
chevêque de  Toulouse,  indirectement  frappe.  Louis XdV 
relus. i  de  négocier  par  l'intermédiaire  de  Camus  qu'il 

Savait  hostile  a  la  régale,  sous  prétexte  qu<  ee  serait 
faire  injure  au  cardinal. 

Cependant.    BOn  dessein   apparent   d  opposer  au    pape 

le  clergé  de  l  ronce  sembla  -e  dessiner  alors.  Il  eut  ici 
deux  auxiliaires,  llarlav  de  Champvallon,  prêt  à  lout. 
peut-on  croire,  et  l'archevêque  de  Reims,  Le  Tellier. 
qui  nourrit,  avec  son  père  le  chancelier,  el  même 
Bossuet,  le  désir  d'un  accommodement  avec  Home,  dont 

le  s,, in  serait  remis  .m  cierge,  llarlav  et  lui  provo- 
quèrent d'abord  la  Petite  assembler  de  i68i.  Ce  fut  la 
réunion  des  prélats  alors  pi  est  nts  a  Pans,  n  ,,  (.M  eut  H 


189 


DÉCLARATION    DE    1682 


190 


«  qui  ne  résidaient  pas  ».  Le  président  fut  Ilarlay.  L'as- 
semblée tint  une  première  séance  le  19  mars  :  on  y 
détermina  les  questions  à  traiter  et  six  commissaires 
qui  furent  chargés  de  préparer  les  décisions;  deux 
autres  séances  eurent  lieu  les  1er  et  2  mai.  Mais  l'assem- 
blée ne  décida  rien,  bien  que  les  prélats  se  plaignissent 
de  quelques  façons  d'agir  du  pape  à  leur  égard  et  des 
violations  que  le  pape  avait  failes^du  concordat  dans  ses 
procédures  touchant  les  affaires  de  Charonne  et  de  Pa- 
roliers. Elle  se  contenta  de  demander  au  roi  sous  l'im- 
pulsion de  Le  ïellier  un  concile  national  ou  une  assem- 
blée du  clergé  qui  déciderait.  Voici  comment  Fleury 
résume  les  actes  de  la   Petite  assemblée  : 

«  M.  de  Paris  nomma  six  commissaires  pour  exami- 
ner les  affaires  avec  lui,  savoir,  les  archevêques  de 
Reims,  d'Embrun...  Le  1er  mai,  M»r  l'archevêque  de 
Reims,  chef  de  la  commission,  lut  son  rapport  à 
l'assemblée  :  1"  sur  la  régale,  où  il  conclut  que  les 
évêques  de  France  ont  eu  raison  de  se  soumettre  aux 
déclarations  de  1673  et  1675,  pour  le  bien  de  la  paix.— 
2°  Sur  les  livres  de  Gerbais  et  de  David.  Sur  le  premier, 
on  lut  un  avis  des  commissaires  qui  l'approuve  et 
ordonne  néanmoins  que  quelques  expressions  seraient 
corrigi ies.  Sur  le  second,  dont  on  s'était  plaint  à  L'as- 
semblée, comme  contraire  aux  droits  des  évêques,  on 
lut  une  explication  de  l'auteur.  —  8°  Sur  l'affaire  de 
Charonne.  Sans  entrer  au  fond,  l'archevêque  de  Reims 
blâme  la  conduite  de  la  cour  de  Home  et  la  forme  de 
procéder  sans  entendre  M.  de  Paris.  —  4°  Sur  l'affaire 
de  Pamiers.  Il  conclut  de  même,  S 'attachant  à  la 
forme  et  soutenant  que  l'ordre  de  la  juridiction  ecclé- 
siastique, les  libelles  gallicanes  sont  violées  par  ces 
brefs;  que  les  évêques  ne  tiennent  point  leur  juridic- 
tion immédiate  du  pape,  et  que  le  concordat  n'est  point 
une  grâce.  Conclusion  générale  :  demander  au  roi  un 
concile  général  national  ou  assemblée  générale  du 
clergé  et  cependant  publier  le  procès-verbal  de  celle-ci. 
—  Fn  conséquence,  le  2  de  mai,  l'assemblée  résolut  de 
demander  au  roi  un  concile  national  ou  une  assemblée 
générale  du  clergé',  composée  de  deux  députés  du  pre- 
mier ordre  et  de  deux  du  second  de  chaque  province, 
qui  n'auraient  en  celte  assemblée  que  voix  consulta- 
tive, et  le  reste,  suivant  l'avis  des  commissaire-. 
III.  L'assemblé]    m    1682.   —   Telle  (ut  l'origine  .de 

imblée  dite  de  1682.  Le  roi  écarta  l'idée  d'un  con- 
cile national  :  il  voulait  une  manifestation  unanime  de 
son  episcopat,  et  si  certain  qu'il  fut  après  laol  d'expé- 
riences de  la  docilité  des  évêques,  il  pouvait  craindre 
que  sur  la  question  des  rapports  avec  Rome,  dans  un 
concile  ou  tous  eussent  Bguré  de  droit,  il  ne  se  trouvât 
quelques  opposants.  Puis  un  concile  aboutil  à  des  dé- 
cisions dogmatiques,  sans  valeur  sans  doute  si  elles 
n'ont  pa-  l'approbation  du  saint-siège,  mais  telles  que 
i  une  désapprobation  eûf  mis  l'Église  t\<-  France  dans 
la  nécessité  m idiale  ou  de  se  déjuger  ou  de  se  pré- 
cipiter dans  le  schismi  Loyson).  Il  se  décide  donc 
pour  une  i   a-» blée  générale  extraordinaire  repté- 

ml  le  concile.     Cette  assemblée  devait  différer  des 

mblées   quinquennales    ou    ordinaires    dam    li  - 

quelles  le-  représentants  élus  du  clergé  traitaient  des 

intérêts  de   l'ordre,  en  ee  qu  elle  était  convoquée  en 

dehors   des  Intervalles   fixés,    qu'elle   était   appelé.-  & 

upsr  de  qussl a  exclusivement  spirituelles,  que, 

eu  conséquence,  comme  celé  eût  été  dans  un  concile, 
les  députés  du  set  on  d  unir.-  n'avaient  que  voh  eoneul- 

tativf  si  qui  .  «il  lin .  l'on  J   vil   les  rc  Diète  nlanl  |  des  eon- 

quétas  reventes  et  pays  d'obédience.  Cette  assemblée, 
nullement  canonique,  ne  pouvait  donc  porter  aucune 
décision  ayant  une  valeur  dootrinak  etoanonique.  Elle 
tentera  la  chose  cependant. 

I    Cxmvotatùm        Elle  fui  convoquée  pour  le  I     "< 
tobre  1881,  le  16  juin,  par  une  oirsuktire  envoyée  a  tous 
b     métropdIHnin    du  royaume,  sauTeui  métropolitains 


de  Besançon  et  de  Cambrai,. auxquels  le  roi  adressa  le 
16  juillet  une  circulaire  spéciale.  Il  y  disait  que,  «  dans 
une  occasion  où  il  s'agissait  de  matières  purement 
spirituelles,  à  la  décision  desquelles  tous  les  évêques 
de  son  royaume  avaient  un  égal  intérêt,  il  estimait 
nécessaire  d'y  faire  venir  les  députés  des  provinces, 
tant  de  l'ancien  clergé  de  France  qui  se  trouvent  ordi- 
nairement aux  assemblées  tenues  pour  affaires  tem- 
porelles, que  des  provinces  nouvellement  conquises.  » 
2"  Elections  et  procuration.  —  Cette  assemblée  fut- 
elle  vraiment  représentative  du  clergé  gallican? 
Louis  XIV,  qui  surveillait  toujours  de  près  les  élections 
aux  assemblées  ordinaires  du  clergé',  intervint  cette  fois 
avec  activité  dans  la  composition  des  assemblées  pro- 
vinciales et  plus  activement  encore  dans  le  choix  des 
députés.  S'il  voulait  une  démonstration  éclatante  en  sa 
faveur,  il  ne  voulait  pas  cependant,  bien  qu'il  eût 
prononcé  le  mot  de  schisme,  d'hommes  à  l'initiative 
peu  mesurée,  qui,  au  lieu  d'aider  aux  négociations, 
eussent  tout  compromis.  L'assemblée  comprit  36  mem- 
bres du  haut  clergé,  9  archevêques  et  27  évêques  dont 
26  seulement  siégèrent,  l'êvêque  de  Viviers  avant  été 
retenu  dans  son  diocèse  par  ses  infirmités.  Aux  36 
membres  du  bas-clergé  élus  il  faut  ajouter  les  deux 
agents  généraux  du  clergé,  Desmare ts  et  Bazin  de  De- 
sons.  Tous  les  élus  du  haut-clergé  dont  deux  portent 
le  nom  de  Colbert,  qui  s'appellent  Le  ïellier,  Phélip- 
paux  de  la  Yrillière,  Chavigny,  etc.,  sont  profondément 
pénétrés  des  doctrines  du  gallicanisme  épiscopal  et 
jaloux  vis-à-vis  de  Rome  de  leurs  privilèges.  Il  y  a 
cependant  parmi  eux  un  groupe  plus  avance  nettement 
hostile  à  Rome;  le  type  est  Ilarlay;  du  groupe  plus 
modéré  le  type  est  Dossuet;  entre  les  deux  louvoient 
des  hommes  comme  le  très  intelligent  archevêque  de 
Reims,  Le  Tellier.  Tous  aussi  ont  le  culte  du  roi,  l'élu 
de  Dieu,  le  vainqueur  de  l'Furope;  tous  lui  doivent 
quelque  chose  et  d'abord  leur  élévation  à  l'épiscopat. 
Seul,  offre  des  garanties  d'indépendance  et  n'est  pas 
imbu  des  doctrines  gallicanes,  étant  d'une  autre  origine 
que  les  concordataires,  l'archevêque  de  Cambrai, 
Théodore  de  Baies.  Quant  aux  représentants  du  bas- 
clergé,  leurs  doctrines  sont  les  mêmes  que  celles  du 
haut-clergé'  :  parmi  eux  ligure  même  Gerbais;  peut-être 
même  leur  zèle  est-il  plus  grand,  avant  davantage  à 
obtenir.  Nulle  part  d'ailleurs  ces  élections  ne  provo- 
quèrent de  difficultés.  Ces  difficultés  vinrent  plutôt  du 
projet  de  procuration  uniforme  envoyé  par  les  agents 
généraux  du  clergé  et  qu'avait  dressé',  dans  la  Petite 
assemblée,  une  commission  présidée  par  l'archevêque 
Ilarlay.  C'était  le  programme  plus  ou  moins  prédis  de 
ce  qui  allait  être  fait,  programme  déjà  connu  par  le 
procès-verbal  de  la  Petite  assemblée  qui  avait  été  en- 
royé  à  tous  les  prélats  du  royaume.  Il  ne  fallait  pas 
que  l'on  pût  objecter,  dans  l'assemblée  ou  au  dehors, 
te  défaut  de  pouvoirs  chez,  les  députés.  Les  assemblées 
provinciales  donnaient  à  leurs  repu  sentants  le  pouvoir 
a  de  se  transporter  en  la  dite  aille  de  Paris...  et  là,  M 
libérer  en  la  manière  contenue  dans  la  résolution  des 
dites  assemblées  de  mars  et  mai  Itisi  df*.  moyens  de 
panifier  les  différends  qui  soni,  touchant  la  régate,  entre 
notre  Saint-Père  le  pape  d'une  pari  et  le  roi  notre  sire 
de  l'autre,  consentir  tous  les  actes  qu'ils  estimeront 
nécessaires...  pour  les  terminer,  et  iceux  signer  aux 
clauses  al  aux  conditions  que  L'assemblée  avisera  bon 
.  tri  .  comme  .iii-M  leur  donnent  charge  et  commande 
ment  axprèa  d'employer  toutes  las  voies  convenables 
pour  réparei  les  contraventions  qui  ont  été  eommisi  t 
par  la  cour  de  Rome  aux  décrets  du  concordai  de  causa 
ri  itr  frirnlis  qppeUationibus,  dans  les  affaires  de  Cha- 
ronne, de  I'. i -s  i  t  de  I  'ouloiue  ri  .m  raient 

Bucvenjuas  ou  pourraient  survenir  la  juridic- 

tion dss  ordinaires  du  royaume  et  les  degrés  <i  icelle  i  n 
la  forme  n  |léi  pai  l<  concordat  ;'fair<  qu'en  cas  d'appel 


l'.'l 


hl'.i  I.  M;  ATION    I)K    ! 


.1  Rome  le  pape  dépote  des  commissaire!  en  France 
pour  le  juger;  procurer  par  ton  1rs  Bortes  de  voiet  dm  - 
el  raisonnables,  la  conservation  des  maximes  et  liber- 
tés de  l'Église  gallicane,  el  généralement  prendre  à  la 
pluralité  des  vois,  toutes  les  résolutions,  et  pa 
pour  les  causes  ci-dessus  expliquées,  tous  les  actes  qui 
ut  requis,  encore  qu'il  \  eût  chose  qui  demandât 
un  mandement  plus  spécial  que  celui  contenu  en  ces 
présentes...  i . 

Il  y  eut  (les  protestations  sur  le  rôle  purement  con- 
sultatif Dxé  pour  les  premières  lignes  de  cette  procu- 
ration au  clergé  de  second  ordre;  il  y  eu  eut,  et  aussi 
des  modifications,  portant  sur  les  questions  elles-mêmes. 
Llles  vinrent  surtout  de  Besancon  et  d'Aix.  A  Aix,  le 
cardinal  Grimaldi  hésita  même  à  convoquer  l'assemblée 
de  sa  province. 

3°  Constitution.  —  L'assemblée  se  réunit  le  30  oc- 
tobre  aux  Augustins.  Elle  choisit  :  pour  présidents, 
l'archevêque  de  Paris  désigné  par  sa  situation,  son  âge 
et  la  laveur  royale  (Louis  XIV  avait  écarté  de  l'assem- 
blée les  archevêques  plus  Agés  que  llarlay  et  qui 
eussent  pu  lui  disputer  la  présidence),  et  l'archevêque 
de  lieims  désigné  par  llarlay;  pour  promoteurs,  Ché- 
ron  et  Coquelin,  et  pour  secrétaires.  Mancroix  et 
Courcier,  tous  quatre  de  second  ordre.  Le  dimanche 
'.)  novembre,  à  la  messe  du  Saint-Esprit,  Iiossuet  pro- 
nonça son  fameux  discours  sur  l'unité  de  l'Église.  Sur 
le  rôle  de  Bossuet  dans  l'assemblée  de  1682,  voir  t.  Il, 
col.  1063. 

4°  Les  actes  de  l'assemblée.  —  Il  fut  d'abord  question 
de  la  régale.  «  L'assemblée  ne  fut  pas  toute  servile.  » 
Lavisse.  Colbert  et  d'autres  gallicans  avancés  avaient 
conseillé  au  roi  de  signifier  simplement  ses  volont es  I 
l'assemblée  dont  le  rôle  eût  été  de  prendre  simplement 
acte.  Les  choses  ne  se  passèrent  pas  ainsi.  L'assemblée 
délibéra  et  elle  ne  reconnut  pas  simplement  le  droit 
que  prétendait  le  roi.  Une  commission  dite  de  la  régale 
fut  nommée.  Le  11  décembre,  son  rapporteur,  Le 
Tellier,  proposait  et  l'assemblée  acceptait  cette  tran- 
saction :  elle  consentait  à  l'extension  de  la  régale  telle 
que  l'avait  proclamée  l'éditde  1073,  mais  le  roi  s'enga- 
geait à  soumettre  ses  nominations  en  régale  «  aux 
bénéfices  ayant  charge  d'âmes  »  à  l'approbation  de 
l'autorité  ecclésiastique.  Le  rapporteur  ne  se  pronon- 
çait pas  sur  le  fond  de  la  question  :  implicitement 
même,  il  affirmait  le  droit  de  l'Église;  mais  il  partait 
de  ce  principe  que  «  les  maximes  des  parlements  étant 
invincibles  dans  l'esprit  de  nos  magistrats  »,  il  im- 
portait «  de  chercher  sur  ce  fondement  les  tempé- 
raments nécessaires  pour  ne  point  porter  aux  extrémi- 
tés une  matière  si  contentieuse  ».  Cf.  Bossuet,Z,eMrec/K, 
édit.  Lâchai.  Le  19  décembre,  llarlay  et  Le  Tellier 
proposèrent  au  roi  ce  plan  d'accommodement;  le  roi 
nomma  une  commission  qui  examina  la  question,  du 
20  décembre  1681  au  11  janvier  1682;  la  commission 
fut  partagée,  mais  le  roi  donna  son  approbation  à  un 
arrangement  probablement  concerté  â  l'avance  entre  lui 
et  1rs  présidents  de  l'assemblée  et  cet  édit  royal,  donné 
â  Saint-Germain  en  Laye  et  enregistré  au  parlement 
le  24  janvier  1682,  lit  de  l'arrangement  une  loi  d'Étal  : 

Avons  par  ceprésenl  édit  perpétuel  et  irrévocable,  dit,  statué 

i   mu    :  ...«.me    nul    ne   puisse   être    pourvu  dans   tOUll 

aédraiea  el  collégiales  de  nuire  royaume,  par  Nous  et 

iccesseurs,  des  doyennes  el  autres  pant  charge 

qui  pourront  vaquer  en  régale,  ni  des  archldiaconex, 

théologalles,  pénltenceriee  et  autres  bénéfices,  dont  les  lit" 

"ni  droit  particulièrement,  et  en  leur  nom,  d'exercer  quelque  juri- 

n  ci  fonction  splrituelli  11  n'al'l 

i  scritea  par  les  saints  canons  el  par 
ims  ordonnance-   Voulons  que  ceux  qui  -  os  par  nous 

decesbénéfli  entent  aux  aéraux  établi 

Il        ont  en  ,  ou  au\  pn  Mb, 

i.  a    .il  .le  pourvus,  pour  en  obtenir  l'approbation  el  mis- 
sion canonique,  avant  que  de  pouvoir  taire  aucune  fonction  .. 


Le  3  février  1682,  l'assemblée  donnai)  and 

i.  te  de  consentement    I  de  la 

régale  ainsi  définie.  Pais,  le  même  jour,  ell 
vit  au  pap  lit  »,  di-.iit  l'acte  de  con- 

que notre  lies  Saint-Père  le  pape  voulant  bien  entrer 
dans  le  véritable  intérêt  de  m  .  et  se  lais 

loucher  aux  motifs  qui  nous  ont  inspiré  celte  conduite, 
donnera  sa   bénédiction  apostolique  à  cet  ou\rar 
paix  et  (le  charité,  i  En  d'autre  temps,  un  autre  pape 
eut  pu  accepter  cette  transaction,  mais,  en  l'état  de  la 
question,  Innocent  XI  ne  pouvait)  songer.  La  qui 
avait  été  posée  sur  le  terrain  des  principes  :  on  oppo- 
sait l'indépendance  du  roi  à  l'indépendance  de  l'Éj 
d'autre  part,  le  pape  s'était  trop  nettement  prononcé. 
Il  mit  à  répondre  un  retard  qui  blessa  l'assemblée,  fut 
pour  quelque  chose  dans  la  déclaration  du  lit  mai 
irrita  le  roi  qui  apportait  dans  ses  relations  avec  1 
i  une  majesté  continuellement  en  éveil  et  contirx 
ment  froissée.   ■  Ilanotaux.  Enfin,    il  répondit  parle 
bref  Patem»  carilali,  daté  du  II  avril  \CjS-i.  maisi 
et  lu  seulement  â  l'assemblée  au  commencement  de  mai. 
Après  avoir  reproché  aux  évoques  de  n'avoir  agi  que 
sous    l'empire  de   la   crainte  el   d'avoir  cédé  sur  une 
question  «  qui  non  seulement  renverse  la  discipline  de 
l'Église,   mais   expose  l'intégrité  de  la   foi,   comme  le 
prouvent   les  expressions  mêmes    des  décrets  royaux 
attribuant  au  prince  le  droit  de  conférer  les  bénéfices... 
comme   étant    un   apanage    qui    date,  pour  le  roi.  de 
l'époque  où  la  couronne  a   été  placée  sur  sa  tête   »,  il 
continue    en  ces  termes  :  «  Xous  n'avons  pu  lire  sans 
un  frémissement  d'horreur  celte  partie  de  votre  lettre 
où.  déclarant   renoncer  à  votre  droit,  vous  l'avez  cédé 
au  monarque  :   comme  si  vous  étiez,  non  les  simples 
gardiens,  mais  les  arbitres  suprêmes  d  -  qui 

vous  furent  confiées...  C'est  pourquoi  nous  improuvons, 
cassons  et  annulons  tout  ce  qui  s  est  fait  dans  cette 
assemblée  relativement  à  la  régale,  ai)t*<  que  tout  ce 
qui  a  suivi  cette  disposition  cl  tout  ce  qui  pourrait 
être  ait  en  t  aïs.  Nous   déclarons  tous  ces  actes 

nuls  et  de  nul  effet,  quoique  étant  déjà  par  eux-m 
d'une  nullité  manifeste... 

Dans  l'intervalle,  l'assemblée  avait  jugé  contre  le 
pape  les  affaires  de  Charonne,  de  Pamiers  el  de  Tou- 
louse et  surtout  rédigé  les  quatre  articles  qui  seul  du 
19  mars,  antérieurs  ainsi  au  bref  du  11  avril  sur  lequel 
ils  ont  influé,  quoiqu'ils  n'y  soient  pas  mentionnés. 

5°  La  fin  de  l'assemblée.  —  Le  bref  Paternes  caritati 
irrita  profondément  l'assemblée,  et  comme  il  était 
connu,  elle  voulut  se  disculper  devant  l'opinion.  Elle 
signa  le  6  mai  un  acte  bien  regrettable  qui  porte  en  tète 
le  mot  de Protestatio  Gérin  .  Cet  acte  commence  ainsi  : 
Ecclesia  gallicana  suis  se  régit  legibus.  propriai 
consuetudine)  inviolate  custodit,  quibus  Gallican*  pon- 
ti/ices  majore*  nostri  >iulla  definilione,  nulla  aucto- 
rilate  derogalum  esse  voluerunl.  L'assemblée  voulait 
l'envoyer  à  tous  les  évéques  et  ecclésiastiques  de  France 
avec  une  lettre  que  Iiossuet  rédigea  et  où  .•  il  était 
impossible  qu'il  ne  laissât  pas  percer  une  vertu 
Sensibilité,  eu  repoussant  les  accusation-  si  _  : 
qu'un  pape  avait  portées  au  tribunal  du  public  contre 
1  Église  dune  grande  nation.  ■  Cette  lettre  ne  fut  pas 
envoyi  i  l  ouis  \1V  ne  lai-sa  pas  à  l'assemblée  le  temps 
d'en  prendre  connaissance  le  il  mai,  il  suspendait 
si  -  séances,  à  la  grande  surprise  des  évéques.  Mais 
Louis  XIV  ne  voulait  pas  amener  1  sures 

extrêmes,  Le  29  juin,  il  ajournait  au  \"  novembre 
cette  assemblée  devenue  dangereuse  :  en  attendant,  les 
évéques  devaient  se  rendre  dans  leurs  dioC<  -•  -  1 
I  juillet,  ils  tinrent  leur  dernière  séance  et  prirent 
une  délibération  où  il  était  dit  que  l'assemblée 
B'abstienl  de  prendre  une  résolution  sur  le  bref  que 
Sa  Sainteté  lui  a  écrit  en  réponse  à  sa  lettre  du  3  fé- 
vrier dernier  que  pour  obéir  au  roi  et  pour  l'amour  de 


193 


DECLARATION    Dp]  1682 


194 


la  paix,  puisque  rien  ne  lui  serait  plus  facile  que  de 
justifier  sa  conduite  par  des  moyens  invincibles.  » 
Louis  XIV  poussa  plus  loin  encore  la  prudence  :  s'il 
protesta  contre  le  bref  du  II  avril,  ce  fut  secrètement, 
le  1er  août,  auprès  du  parlement;  puis  il  lit  entendre 
«  qu'il  ne  jugeait  pas  encore  à  propos  qu'on  rendit 
public  et  qu'on  imprimât  le  procès-verbal  de  rassemblée 
de  1682.  »  Bossuet.  Il  ne  fut  même  pas  déposé  aux 
archives  du  clergé.  La  paix  n'était  point  faite  cependant, 
triais  à  la  régale  succédait  au  premier  plan  la  question 
des  <■  quatre  articles  ».  Bossuet  avait  rédigé  et  l'assem- 
blée s'apprêtait  à  voter  un  décret  condamnant  un  cer- 
tain nombre  de  propositions  morales  probabilistes.  La 
lettre  royale  du  29  juin  empêcha  la  discussion  et  le 
vote.  Le  travail  sera  repris  par  l'assemblée  ordinaire 
de  1700. 

IV.  Les  quatre  articles.  —  1°  Les  précédents.  —  En 
1663,  durant  le  conllit  que  provoqua  l'affaire  du  20  août 
1662  ou  de  la  garde  corse,  Louis  XIV,  qui  voulait  déjà 
prendre  sur  Borne  «  l'ascendant  de  la  crainte  »,  Hano- 
t.uix.  avait  usé  entre  autres  d'une  déclaration  doctri- 
nale  sur  les  pouvoirs  du  pape.  Mais  il  l'avait  demandée 
à  la  faculté'  de  théologie  de  Paris,  qui  le  8  mai  présen- 
tait à  Louis  XIV.  conduite  par  Hardouin  de  Pérélixe, 
archevêque  de  Paris,  proviseur  de  Sorbonne,  les  six 
propositions  suivantes  ou  propositions  de  Sorbonne, 
qui  développent  avec  plus  ou  moins  d'embarras  les 
deux  maximes  fondamentales  du  gallicanisme  :  «  Le  roi 
de  France  n'a  pas  de  supérieur  sur  terre;  le  pape  est 
inférieur  à  l'Église  même  en  concile.  »  et  qui  seront  le 
point  de  départ  des  quatre  articles  : 

1.  N'en  esse  doctrinam   fa-  1.  Ce  n'est  point  la  doctrine 

cultatis  quod  Bummus  pontifex       de  [a  faculté  (de  théolo:. 

m    in    temporalia    régis       Paris;  que  le  pape  ait  aucune 

ebristianissimi  auctoritatem ha-       autorité  sur  le  temporel  du  roi 

beat;  imo  facultatem  semper       très  chrétien  ;  au  contraire,  elle 

ii-  qui   indi-       atoujours  résisté,  même  &  ceux 

m  lantummodo  esse  illam       qui  n'ont   voulu  lui    attribuer 

auctoritatem  vnluerunt.  qu'une  puissance  indirecte. 

l  Bse  doctrinam  facultatis  2.   C'est  la   doctrine   de    la 

ejusdem.  i|U"d  rex  christianis-       faculté  que  le  i    i  tri       lu'étien 
ne  reconnait  et  n'a  d'autre  su- 
rit nec  babet  in   temporalibus       périeur  au  temporel  que  Dieu 
orem,      pi  "•        seul,  que  c'est   si  n  ancienne 

eamque  suain   esse  antiquam        doctrine  de  laquelle  elle  ne  se 

.ma  nunquam  re-       départira 
cessura  est. 

tiinam  facultatis  esse  3.  C'est  la  doctrine  de  la  fa- 

bedien-        culte  que  les  sujets  du  roi  très 
tiam  imi    ita       chrétien  lui  doivent  tellement 

,  ui   ah   ii-  nullo  prse-       la  Qdélil  I  sance  qu'ils 

textu  dispen-  l       lispensés 

aous  quelque  préteste  que  ce 
soit. 
i,  Doctrinam  facultatis  esse  l.  La  faculté  n'approuve  point 

et  elle  n'a  jamais  approuvé  au- 
cune  proposition 
mi  auctoritati,  aut       l'autorité  du  roi  très  chrétien, 
illicanoc       aux    véritables     libertés    de 
llbertatibuo  et  receptis  in  regno       l'Église  gallicane  et 

verbi        reçus   dans   le  royaume,    pai 
i  sunimus  pontifex       exemple,   que  le  pape  i 

pos  ad-       déposer  les  évoques  centre  la 
disposition  dl 
5,  1 1  ulta  i-    non  t   pas  la  di 

ii'X  ^it        de  la  faculté  (pie  le  pape  soit 
niriirn.        au-dessus  du  concile  général. 

Oit  in- 
faillible,   lorsqu'il   n'intervlenl 
ofaiiibilis.  aucun  consentement  de  l'Église. 

enregistré)   pai   li    p 
de  Pai  i-  el  pai  tous  les  autres,  et  une  di    laratîon 
royale  du  5  aoùl   1663  fil  défense  d'enseigner  dan    li 
i        nue  une  doctrine  contraii 

iment  l'assemblée  de  168*2 
fut-i  Ile  • n  l?  Si  liante  que 

DICT.    [if    THI  or  .    CATHOL. 


fût  l'autorité  de  la  faculté  de  théologie,  elle  ne  l'était 
pas  assez  pour  que  ses  décisions  s'imposassent  aux 
consciences  ;  les  six  propositions  d'ailleurs  avec  leur 
forme  négative  ou  leurs  formules  restrictives  n'étaient 
ni  assez  nettes  ni  assez  précises.  C'est  ce  qu'indiqua  le 
promoteur  Cocquelin,  quand  il  introduisit  la  question 
le  26  novembre  devant  l'assemblée  :  «  Lorsque  ces 
articles  parurent,  disait-il,  plusieurs  personnes  habiles 
crurent  que  l'on  pouvait  en  exprimer  quelques-uns 
d'une  manière  plus  précise  et  plus  positive.  Ajoutez  à 
ces  articles  ce  que  vous  jugerez  à  propos;  et,  pour  lais- 
ser à  la  postérité  un  monument  précis  et  constant  de 
la  doctrine  de  l'Église  gallicane  dans  une  matière  qui 
ne  peut  être  trop  nettement  expliquée,  changez  ce  qui 
n'est  qu'une  simple  déclaration  d'un  jugement  doctri- 
nal de  la  faculté  de  théologie,  en  une  décision  de  l'Église 
gallicane,  qui  tienne  lieu  de  chose  jugée  au  moins  pour 
toute  la  France.  » 

Que  la  question  de  la  puissance  du  pape  vis-à-vis  du 
roi  et  vis-à-vis  de  l'épiscopat  fût  reprise,  c'était  dans  la 
logique  de  l'état  de  guerre  où  l'on  se  trouvait  et  aussi 
dans  la  logique  des  choses  :  elle  faisait  le  fond  de  toutes 
les  querelles  élevées.  Qu'elle  fût  définitivement  tran- 
chée, beaucoup  le  désiraient  :  les  uns,  comme  l'arche- 
vêque de  Beims,  qui  avait  eu  l'initiative  de  l'assemblée, 
afin  d'empêcher  désormais  ces  odieux  conllits;  les  au- 
tres, comme  Colbert  et  l'archevêque  Ilarlay  ou  le  P.  La 
Chaise,  plus  ou  moins  personnellement  hostiles  au 
pape,  pour  fortifier  l'autorité  du  roi  et  en  finir  avec 
Borne.  Ce  fut  sous  ces  inlluences  que  le  promoteur 
introduisit  la  question  à  l'assemblée  qui  nommait  Je 
même  jour  une  commission  pour  les  six  articles  de 
Sorbonne. 

Cette  commission  comprit  12  membres,  dont  Ilarlay, 
président,  l'évêque  de  Tournai,  de  Choiseul-Praslin, 
rapporteur,  Le  Tellier  et  Bossuet.  Bossuet  voulut  d'abord 
limiter  la  tâche  de  la  commission  au  maintien  du 
statu  quo  :  dans  l'état  présent  des  choses,  il  jugeait 
inopportun  de  décider  dans  une  matière  aussi  délicate. 
Il  gagna  même  à  ses  idées  Choiseul-Praslin,  puis  Le 
Tellier;  mais  Colbert  et  Ilarlay  veillaient.  Louis  XIV 
voulut  que  l'on  décidât.  Bossuet  essaya  de  gagner  du 
temps;  il  proposa  «  d'examiner  toule  la  tradition  »; 
mais  Louis  XIV  demanda  une  décision  rapide,  apparem- 
ment irrité  du  silence  que  gardait  le  pape  sur  ses  con- 
cessions relatives  à  la  régale  et  sur  la  lettre  desévêques 
du  3  février.  Le  rapporteur  Choiseul-Praslin  dut  donc 
dresser  des  propositions  :  il  s'en  tira  o  mal  et  scolasti- 
quement  D.  Kmery.  11  affirmai)  entre  autres  que  le 
saint-siège  et  le  pape  peuvent  tomber  dans  l'hérésie. 
Il  fut  vigoureusement  combattu  par  Bossuet  qui  soute- 
nait, lui.  i'indéfectibilité  du  siège  de  Pierre.  Bossuel 
l'emporta;  l'évêque  de  Tournai  renonça  à  la  rédaction 
des  articles;  la  commission  en  chargea  laix-.net.  Ce  fut 
néanmoins  Choiseul-Praslin  qui  en  resta  le  rapporteur 
devant  rassemblée  et  les  soutint  le  17  mars.  Cf.  Des- 
mons,  Gilbert  de  Choiseul,  <  toi,   tour- 

nai, 1907.  Les  quatre  articles  sont-ils  tels  que  Bossuel 
les  avait  rédigés?  Les  historiens  discutent.  Cf.  Gérin, 
Recherches  sur  l'Assemblée  de  1682,  2«  édit.,  p.  343, 
et  Loyson,  L'Assemblée  de  1682,  je  B51,  note.  En  tous 
ils  entraînèrent  bien  des  discussions  au  sein  de  la 
commission,  i  Assemblées  chez  l'archevêque  de  Paris, 
dit  Fleury,  où  propositions  examinées.   Disputes.  <Mi 

voulait  j   faire  mention  des   appellations    ncile 

i  vêque  de  (féaux  résista  :  ont  été  nommément  condam- 
nées par  des  bulles  de  Pie  il  et  Jules  II  :  en 
Bome  à  les  condamie  i    ne  reculent  jamais.  Ne  donner 
i  blâmer  no    pi   p    ition        \  iiies, 

p,  210  sq.  La  déi  laration  fui  souscrite  li    19  mars  pai 

mblée,  :ii  an  I 
et  évêques,  36  i  iques  du   set  ond  i  >> 

Dl  r."iu\   du  clciv      I     irchl     'que  ,b    I    un 
IV.   -  7 


195 


DÉCLARATION    DE    II 


]:  6 


brai,  après  avoir  r.ut  remarquer  qu'il  avait  été  nourri 
.,  dans  des  maiimea  opposées  A  celles  de  l'Église  de 
France  .  Bigna  les  quatre  articles  «  d'autant  plusvolon- 
ii.ts  qu'on  ne  prétendait  pas  en  faire  nm-  décision  de 

foi,  mais  seule al  en  adopter  l'opinion       Bossuel  eûl 

voulu  ne  publier  les  quatre  articles  qu'accompagnés 
d'une  sorte  d'apologie  qu'il  avait  déjà  préparée  et  où  il 
avait  prétendu  réunir  les  meilleures  preuves  des  doc- 
trines  gallicanes  ;  mais  Harlay  s'y  opposa,  probablement 
pour  ne  pas  provoquer  des  controverses.  Cf.  Baussel, 
Histoire  île  Bossuet,  I.  VI.  L'assemblée  se  contenta 
d'adresser  avec  les  quatre  articles  à  tous  les  évèques 
i.  I  tance  une  lettre  également  datée  du  1!»  mars  et 
que  rédigea  Choiseul-Praslin.  Il  y  dit  l'inspiration  à 
laquelle  les  députés  ont  obéi  :  le  maintien  de  l'unité 
catholique  et  de  la  paix,  le  désir  i  de  rappeler  à  l'esprit 
des  fidèles  le  souvenir  des  règles  anciennes,  à  l'abri 
desquelles  toute  l'Église  gallicane...  fût  tellement  en 
sûreté  que  jamais  personne...  ne  pût  passer  les  bornes 
que  nos  pères  ont  posées  et  qu'ainsi  la  vérité,  mise 
dans  son  jour,  nous  mit  elle-même  à  couvert  de  tout 
danger  de  division  »,  le  désir  aussi  de  faire  comprendre 
aux  dissidents  combien  sont  injustes  leurs  attaques 
contre  l'Église  romaine;  il  y  explique  les  principes 
sur  lesquels  reposent  les  quatre  articles;  il  conclut 
enfin   par  cette  demande  qui  est  le  but  de   la  lettre  : 

Nous  conjurons  votre  charité  et  votre  piété,  comme 
les  Pères'du  Ier  concile  de  Constantinople  conjuraient 
autrefois  les  évèques  du  concile  romain,  en  leur  en- 
voyant les  actes  de  ce  concile,  de  confirmer  par  vos 
suffrages  tout  ce  que  nous  avons  déterminé  pour  assurer 
à  jamais  la  paix  de  l'Église  de  France,  et  de  donner 
vos  soins  afin  que  la  doctrine  que  nous  avons  jugée, 
d'un  commun  consentement,  devoir  être  publiée,  soit 
reçue  dans  vos  églises  et  dans  vos  universités  et  les 
écoles  qui  sont  de  votre  juridiction,  ou  établies  dans  vos 
diocèses,  et  qu'il  ne  s'y  enseigne  jamais  rien  de  con- 
traire. Il  arrivera,  par  cette  conduite,  que,  de  même  que 
le  concile  de  Constantinople  est  devenu  universel  et 
œcuménique  par  l'acquiescement  des  Pères  du  concile 
de  Rome,  notre  assemblée  deviendra  aussi  par  votre 
unanimité  un  concile  national  de  tout  le  royaume,  et 
que  les  articles  de  doctrine  que  nous  vous  envoyons 
seront  des  canons  de  toute  l'Eglise  gallicane,  respec- 
tables aux  fidèles  et  dignes  de  l'immortalité. 

3°  Le  texte.  —  Il  fut  rédigé  en  latin,  comme,  du  reste, 
la  leltre  du  19  mars  aux  évèques  et  la  lettre  sur  le  bref 
du  II  avril  : 


Cleri  gallicani  de  ccclesia- 
stica  potestate  declaralio  die  19 
martii  1682. 

Ecclesise  gallican»;  décréta 
et  libertates  a  majoribus  no- 
stris  tant*,  studio  propugnatas, 
eorumqne  fundamenta,  sacrls 
cauonibus  et  Patrum  traditione 
nixa,  multl  diraere  molluntur, 
nec  desunt  qui  earum  obtenu] 
prlmatuiD  îs.  Pétri  ejusque  suc- 
cessorum  Romanorum  ponti- 
ficum  a  CbristO  instihituin, 
iisque  débitant  ai  omnibus 
cbrlstlanis  obedlentiam 

,i|«  -  '"In  ;e,  ni  qua  Miles  l'i.e.li- 

catur  et  imitas  servatur  Kccle- 
Bite,  revêt  endam  omnibus  gen- 

tlbUS    inajcstateiii     iminiiniere 

aon  vereantur.  Heereticiquoque 

nitiil   prsstermlttunl   q un 

atem,  qua  pu  Ri  i 
continetnr,  Invidlosam  et  gra- 

glblU    'I    |  OpUliS    esleli- 

teni,  Iisque  fraudlbus  sim] 

animas     ati     Kcrlesi.-e    matris 

Christique   adeo   communione 


Déclaration  du  clcrj;.  de 
1'  i-ani-e  -m  la  pu--.  ...  •  ,  ri.- 
siastique  (kl  19  mars  1682. 

Plusieurs  s'elTbrcent  de  ren- 
verser les  décrets  de  I  i 
gallicane,    ses  libei  t.  - 
soutenues  avec  tant  de  tète  nos 
ancêtres,  et  leurs  fondements, 
appuyés  sur  les  saints  canons 
et  la  tradition  dos  Pères.  Il  en 
—  i  qui  sous  le  prétexte 
s  libertés   ne    craignent 
pas  de  porter  atteinte  à  la  pri- 
i  nt  Pierre  et  des 
pontifes  romains,  Si  9   - 
seurs,     Institués     par 
i  tu  ist.  ,i  [  ■  t..  i--..iu-e  qui  leur 
est  due  par  tous  les  elip  ti.  ns 

et  a  la  majesté,  bI  vénérable 
aux  yeux  de  toutes  les  nations 
du  aii 

soigne  la  fol  et   - 
l'unité  de  l'Êglii  ■     l  ■ 
que*,  d'autre  part,  n'orai 
rien  pour  présenter  cette  puia- 
qul  renferme  le  paix  de 
se  comme  Inaupi  ortal  le 


■  ni    Qua    ut  IDC   ininodu 

propulsemus,  Nos,    are] 

copl i  t episcopi,  Pai  ivn-  manda- 

gallicanam  repraesentanti 
cum  i  ■ 

nobiscum  depulatis,    dlligentl 
tractatu  babito,  ba 

et  declaranda  esse  diximu-  : 


i.  Beato  Petro  ejusqui 

bus  i:liristi   vicaiiis  ip- 
sique fctcleew  rerum  •;  :ïri<  ja- 

lium  et  ad  a-ternam 
pertinenlium,  non  autem  ci- 
vilium  ac  temporaliiiiii. 
traditam  poteslatem,  dicente 
Domino  :  Iiegnum  meun 
est  de  hoc  m  un  do  :  et  ite- 
rum  :  fiedilite  ergo  qum  sunt 
Cxsaris  Cœsari,  et  qux  su><t 
Dei  Deo:  ac  deinde  stare  apo- 
stolicum  illud  :  Omni»  mu, un 
putestatibus  eublimioribu» 
subdita  sit  :  non  est  enim  po- 
testas  nisi  a  Deo  :  qux  autem 
sunt,  a  Deo  ordinatse  sunt. 
Itaque  qui  polestati  résistif 
Dei  ordination  i  résistif.  Reges 
ergo  et  principes  in  temporali- 
busnulli  ecclesiastic.e  pr.testati 
Dei  ordinatione  subjici.  neque 
auctoritate  clavium  El 
directe  vel  indirecte  deponi, 
aut  illorum  subditos  eximi  a 
fîde  atque  obedientia.  ac  pra> 
stilo  fidelitalissacramento  solvi 
posse,  eamque  sententiam  pu- 
bticaatranquillitatinecessariaaa, 
nec  minus  Kcclesi;e  quam  im- 
perio  utilem,  ut  verbo  Dei,  Pa- 
trum  traditioni  et  sanctorum 
exemplis  consonam  omi  i 
tinendam. 


11.  Sic  autem  ini 
liesse  sedl  ad  Pétri  successori- 
Inis  i.lu'isti  vicaiiis  rerum  spl- 
ntiialium  pleiiiini  poteslatem, 
ut  siinui  valeaut  atque  immota 
consistant  sanctas  oecumenicas 
Bynodl   Consl 

apostolicacomprobata,  Ipsoque 
Romanorum  pontiticum  ac  t.>- 
tius  Eccleslse  usu  conflrmata, 
atque    ab    1  licana 

perpétua    religioni 
décrets  de  auctoi 
llorum  generalrom   qu 
sione  quai  ta  et  quints  contlnen- 
tui.  nec  probarl    s    gallicans 
:         i,i.  qui  eorum  di 
1 1 1  nt  quasi  dul.i.e  Mut  . 

te  minus  approbata,  robur 
Infringant,  au!  ad  aolum 
matls    tempus    ooncilil   dicta 
detorqui 


i    |  ai    r.- 
iit  s  que 
-que», 

:  ar  ordre  du 

roi,  .-iii-i:  les  autres 

■ 

une  m. ne  délibération,  d'éta- 
blir et  de  déclarer  : 

I  Que    ai  et  ses 

.li-SUS- 

Cbrist,   et    que  toute   I  Kglise 

mèmi  le  puissance 

de  Dieu  que  sur  les  rhonog  spir 

rituelles  et   qui  concernent  le 

salut,  et  non  pointeur  les  choses 

temporelles  et  ci\ 

i  .hn-t  nous  apprenant  lui-même 

que  son  royaume 

de  ce  monde;  et  en  un  autre 

it,  qu'il  faut  rendre  à 
César  ce  qui  est  «  César  et  < 
Dieu  ce  qui  est  ii  Df 
qu'ainsi  ce  précepte  de  1 
saint  Paul  ne  )  eut  être  en  rien 
altéré  ou  ébranlé:  Que  toute 
personne  soit  soumise   aux 

onces  supérieures,  car 
il  //';/  «i  point  de  puissance 
qui  ne  vienne  de  Dieu,  et 
c'eetluiqui  ordonne  celles  qui 
soiit  sur  ta  terre:  celui  donc 
qui  e'i  puissances 

>i  rordre  de  Dieu  N 
déclarons  en  conséquence  que 
les  rois  et  les  souverains  ne 
-  omise  aucune  puissance 
eccli  -iastique  par  l'ordre  de 
Dieu  dan-  empe- 

relles;  qu'ils  ne  peuvent  être 
-  directement  ou  indi- 
rectement   par  l'autorité    .1.  s 
chefs  de  l'Kglise:  que lei 
jets  ne  peuvent  être  di>: 
de  la  soumission  et  de  l'obéis- 

■  lu'iis  leur  doivent  ou  re- 
levés du  serment  de  fidélité,  et 
que  cette  doctrine,  nécessaire 
pour  la  tranquillité  publique  <t 
ni  n  moins  utile  à  l'Kglise  qu'à 
l'État,  doit  être  inviolablement 
suivie,  comme  conforme  à  la 
parole  de  Dieu,  à  la  tradition 
des  Pères  et  aux  exemples  des 

II  Que     la    plénitudi 

I  ii  ssance    que    le 

-  successeur! 

I  res    de 

.1.  -n- -i 
spiritui 

méniq  .   dans 

V 

I    le   .-aint-s 
lique,  confirmés   par  la  pra- 
tique de  toute  11  - 
- 
-enicnt  par  toute 
gallicane,     demeurent      dans 
toute  leur  force   ■ 
que   l'Église  de  Fram  e 
preuve   |  as    l'opinion  di 
qui  donnent  atleil 

u    qui   les  . 
en    disant    que    li 

1  ,H  .qu'ils  ni 


197 


III.  Hinc  apostolicre  pote- 
statis  usum  moderandum  per 
canones  Spiritus  Dei  conditos 
et  totins  mundi  reverenlia 
consecratos  :  valere  etiam  ré- 
gulas, mores  et  instituta  a 
regno  et  Ecclesia  gallicana  re- 
cepta,  Patrumque  terminos 
manere  inconcussos;  atque  id 
pertinere  ad  amplitudinem 
apostolicc  sedis,  ut  statuta  et 
consuetudines  tant.-c  sedis  et 
Ecclesiarum  consensione  for- 
propriam  slabilitatem 
obtineant. 


IV.  In  fidei  quoque  qusestio- 
nibus  prœcipuas  summi  pon- 
tifias esse  partes,  ejusque  dé- 
créta ad  omnes  et  singulas  Ec- 
elesias  pertinere,  nec  tamen 
irreformabile  esse  jndicium, 
nisi  Ecclesia;  consensus  acccs- 
serit. 

accepta  a  Patribus  aj 
omnes  Ecclesias  gallicanas 
atque     episcopos    in     Spiritu 

auctore    présidentes, 

revimus,  ut  idip- 

sum  dicamus  omnes,  sitnusque 

in   eodem    et    in  eadem   sen- 


DÉCLARATION   DE    1682 


198 


point  approuvés  ou  qu'ils  ne 
regardent  que  le  temps  de 
schisme. 

III.  Qu'ainsi  l'usage  de  la 
puissance  apostolique  doit  être 
réglé  suivant  les  canons  faits 
par  l'Esprit  de  Dieu  et  consa- 
crés par  le  respect  général, 
que  les  règles,  les  mœurs  et 
les  constitutions  reeues  dans  le 
royaume  doivent  être  mainte- 
nues et  les  bornes  posées  par 
nos  pères  demeurer  inébran- 
lables; qu  il  est  même  de  la 
grandeur  du  saint-siège  apos- 
tolique que  les  lois  et  coutumes, 
établies  du  consentement  de  ce 
siège  respectable  et  des  Egli- 
ses, subsistent  invariablement. 

IV.  Que,  quoique  le  pape  ait 
la  principale  part  dans  les 
questions  de  foi  et  que  ses 
décrets  regardent  toutes  les 
Eglises,  chaque  Église  en  par- 
ticulier, son  jugement  n'esl 
pourtant  pas  irréformable,  à 
moins  que  le  consentement  de 
l'Église  n'inlervienne. 

Ce  sont  là  les  maximes  que 
nous  avons  reçues  de  nos 
pères,  nous  avons  arrêté  de 
les  envoyer  à  toutes  les  Églises 
de  France  et  aux  évèques  qui 
!  président  par  l'autorité  du 
Saint-Esprit,  afin  que  nous 
disions  tous  la  même  chose, 
que  nous  soyons  tous  dans 
les  mêmes  sentiments  et  que 
nous  suivions  tous  la  même 
doctrine. 


Ifi  Valcr  doctrinale.  -   Dans  l'état   présent  de  la 
doclrine  et  depuis  le  concile  du  Vatican,  il  est  impos- 
sible <lc  soutenir  la  déclaration  de  1682,  sans  hérésie 
non  en  raison  du  l«  article  auquel  on  ne  saurait  oppo- 
nne  décision  de  foi,  cf.  Léon  XIII,  encyclique  7m- 

morlàle    Dei,   niais    en    raison    des    trois    autres.  Mais 

quelle  fut  en  1682  la  valeur  doctrinale  des  quatre  arti- 
,;l"v  '  L'assemblée   de    1682  n'étani  pas  canonique  ne 
ail  rendre  de    décisions  canoniques,  à  supposer 
même,  ce  qui  ne  lui   pas.  que  tous  les  évéques  fran- 
enssent  manifesté  une  approbation  formelle.  Elle 
ayail   bj    bien    compris  cette  faiblesse  qu'elle    essaya 
d  Obtenir  cette  approbation  pour  étayer  son  œuvre,  Les 
quatre  articles  étaienl  d'ailleurs  en  opposition  avec  la 
doctrine  commune  de  l'Église    avec  les  convictions  de 
beaucoup  de  sujels  de   Louis  XIV,  ultramontains,  ou 
habitués  a   respecler  la  liberté  en  matières  controver- 
el   même  avec  l'attitude  ou  les  décisions  anté- 
rieures du  clergé  gallican.   Ainsi  il   faut  remarquer 
i"   article  :  il  est  la  consécration  d'un  article 

fondamental    .lu   gallicanisme  parlementaire,  doi s 

iraieni    bs  conséqueno  a    les   plus    gra 

1    ""   I""1    Nre   excommunié  pour  le    fait  de  sa 

il   peul  convoquer  .les  conciles  nationaux  et 

inciaux  et,  avec  leur  concours,  il  peut  porter  des 

oisel  règlements i  sur  l'ordre  el  la  discipline  ecclesias 

«que»;  les  bulles  du  pape  ne  s'exécutent  pat  en  l  rance 

'''  P«mission  de  l'i .rite  temporelle,  le  roi  est 

V',"1  '"V"!  .''■""■  *  soutenir  cette  tra- 

'."■'"  "-   légistes  .,„,■  Bossuel  apporte  les  textes  de 

',"?,"■  ■'  '  .rticle  du    I 

'""  de  '  ' ''""  >e  Tiers-Étal  voulu!  mettre  en  tête 

''"  »n  cahici  général  aux  felals-Généraux  de  1614  el 
■"""""•'  PI  c  tant  d'énergi,       La  roi 

uppliê  de  faire  arrêtei  en  I  iwemblée  d. 


pour  loi  fondamentale  du  royaume...,  que,  comme  il  est 
reconnu  souverain  en  son  État,  ne  tenant  sa  couronne 
que   de  Dieu    seul,  il  n'y  a  puissance  en  terre,  quelle 
qu  elle  soit,  spirituelle   ou  temporelle,  qui   ait  aucun 
droit  sur  son  royaume,  pour  en  priver  les  personnes 
sacrées  de  nos  rois,  ni  dispenser  ou    absoudre  leurs 
sujets  de   la  fidélité  ou  obéissance  qu'ils  lui  doivent 
pour  quelque  cause  ou  prétexte  que  ce  soit.  Que  tous 
les  sujets,  de  quelque  qualité  et  condition  qu'ils  soient 
tiendront  cette   loi   pour  sainte  et  véritable...  laquelle 
sera  jurée  et  signée  dorénavant  par  tous  les  bénéficiers 
et   officiers    du    royaume.  Tous    précepteurs,   régents 
docteurs,  prédicateurs  seront  tenus  de   l'enseigner  et 
publier,  s  -  Sur  le  2> article  .il  repose  sur  une  Irreur  ■ 
les  décrets  des  sessions  IVe  et  V*  du  concile  de  Constance 
qui  proclament  au  moins  indirectement  la  supériorité 
des  conciles  œcuméniques  sur  les  papes,  n'ont  été  ni 
approuvés  par  les  papes,  ni  confirmés  par  la  pratique 
de  toute  l'Eglise,  et  il  était  en  opposition  avec  la  croyance 
commune.  Voir  t.  m,  col.  1292.  -  Sur  le  3'  article  •  sa 
rédaction   est   fort  vague;  il  affirme    d'abord  que  les 
papes  doivent  diriger  l'Église  d'après  les  canons  :  ils 
ne  1  ont  jamais  nié,  mais  il  l'affirme  comme  une  con- 
séquence de  l'article  2«,  c'est-à-dire,  d'après  une  théo- 
rie attribuée  à  Gerson,  comme  une  conséquence  de  ce 
fait  que  les  canons  émanent  d'une  puissance  supérieure 
celle  des  évèques  réunis  en  concile.  Cet  article  prétend 
aussi   lier   le  pape  «  par  les  libertés  de  l'Église  galli- 
cane »,  théorie  dangereuse,  puisque  sous  ces  mots  pou- 
vaient bien  être  entendus,  malgré  les  dénégations  des 
eveques,  les  83  articles  de  Pierre  Pithou,  et  qu'à  tout 
le  moins  elle  amenait  l'Église  gallicane  à  ne  reconnaî- 
tre  entre  elle  et  le   pape  d'autre  juge  qu'elle-même. 
Enfin,  on  a  pu  voir  aussi  dans  cet  article  une  volonté 
d  opposer  aux   canons  des  anciens  conciles  la  disci- 
pline actuelle  de  l'Eglise,  distinction  derrière  laquelle 
se  sont  abrités  tous  les  schismaliques,  par  exemple  les 
constitutionnels.  -  Sur  le  4*  article,  qui  est  peu  clair  - 
car  qu'est-ce  que  cette  «  part  principale  »  qu'a  le  pape 
dans  les  questions  de  foi?  sous  quelle  forme  devra  se 
donner  «  le  consentement  de  l'Église  »?  —  et  qui  nie 
l'infaillibilité  du  pape.  «  Cet  article,  contraire  à  l'ensei- 
gnement de  saint  Bernard  et  de  saint  Thomas  d'Aquin 
était  de  plus  opposé  aux  définitions  données  par  les 
conciles  œcuméniques  de  Lyon  (1246)  et  de  Florence 
(1  kJ9),  et,  ce  qui  est  plus  piquant,  aux  déclarations  faites 
en  162o  et  1653  par  deux  assemblées  générales  du  clergé 
de  France  hn-mème.  »  Chénon,  dans  V Histoire  géné- 
rale de  Lavisse  et  Rambaud,  t.  vi,  p.  257.  Et  Pierre  de 
Marca,  archevêque  de  Paris,  écrivait  en  1660  :«  L'infail- 
libilité du  pape  est  enseignée  en  Espagne,  en  Italie  et 
dans  fous  les  pays  du  monde  chrétien,  si  bien  que  le 
sentiment   contraire,    professé    par    les    docteurs    de 
Fans,  doit  être  classé  parmi  les  opinions  simplement 
tol<  rées.  »  Cité  dans  le  t.  xxvi  des  Œuvres  de  Bossuel 
•  dit.  Vives,  p,  21,  note. 

&  La  déclaration  de  1682,  loi  d'État.  -  Le  20  mars 
1682,  par  un  édil  enregistré  au  parlement  le  23 
l"1"-  XIV  faisait  de  la  déclaration  du  cierge  une  loi 
d'I.tat,  sur  la  demande  même  de  l'assemblée.  Il  j  était 


1,  Défendons  à  tous    nos  si  ,,,  dang 

notre  royaume,  séculiers  et  réguliers  de  quel.,  ongré- 

qu'Ue  soient,  d'enseigner  dans  letu 
collèges  el  sémin 
doctrine  contenue  en  Icelle. 

0  donnons  que  ceux  qui  seront  dorénavant  choisis  pour 
nerh  l,""i'  Mdi  chaque  université 

lécla- 
le  pouvoir 

oumettronl  ..  enseigner  la  doctrine  qui  v 

que  les  tyndlca  des  fa,  u 
sentei 


199 


DÉCLARATION    DE    1G82 


a  0 


des  i     par  les  greffier*  des 
as  tout  les  colli  universités, 

on  il  \  surs  [U'ils  -"i<nt  réguliers  ou 

ni  d'eux  sers   chargé  tous   les  ans  d'enseigner  la 
mtenue  en  ration;  et  dans  les  collègi 

aura  qu'un  seul  professeur,  il  sera  obligé  de  renseigner, 
lune  des  trois  ann.  lives. 

i.  Enjoignons  aux  syndics  des  facultés  de  théologie  di 
senter  tous  les  ans,  avant  l'ouverture  des  leçons,  aux  are! 

et  évêques  des  villes  où  elles  sont  établies,  et  d'envoyer  à 
nos  procureurs  généraux  les  noms  des  pr<ifesseurs  qui  seront 
chargés  d'enseigner  ladite  doctrine  et  susdits  professeurs  de 
représenter  auxdits  prélats  et  auxdits  procureurs  généraux  les 
écrits  qu'ils  dicteront  à  leurs  écoliers,  lorsqu'ils  leur  ordonne- 
ront de  le  faire. 

5.  Voulons  qu'aucun  bachelier,  soit  séculier  ou  régulier,  ne 
puisse  être  dorénavant  licencié  tant  en  théologie  qu'en  droit  ca- 
non, ni  être  reçu  docteur  qu'après  avoir  soutenu  ladite  doctrine 
dans  une  de  ses  thèses,  dont  il  fera  apparoir  à  ceux  qui  ont 
droit  de  conférer  ces  degrés  dans  les  universités. 

Exhortons,  et  néanmoins  enjoignons  à  tous  les  archevêques 
et  évêques  de  notre  royaume...  d'employer  leur  autorité  pour 
faire  enseigner  dans  l'étendue  de  leurs  diocèses  la  doctrine  con- 
tenue dans  ladite  déclaration  faite  par  lesdits  députés  du  cli 

7.  Ordonnons  aux  doyens  et  syndics  des  facultés  de  théologie 
de  tenir  la  main  à  l'exécution  des  présentes...,  etc. 

Cet  édit  ratifiait  toute  une  série  de  demandes  du 
clergé  relatives  à  la  déclaration,  sauf  celle-ci  :  «  Que 
le  serment  que  les  bacheliers  de  théologie  font  à  Paris 
au  commencement  de  tous  leurs  actes,  dans  lequel  on 
a  introduit,  depuis  quarante  ou  cinquante  ans,  l'allé- 
gation de  ne  rien  dire  qui  soit  contraire  aux  décrets  et 
constitutions  des  papes  sans  restriction,  sera  réformé 
et  que  pour  cet  effet,  on  ajoutera  à  la  fin  de  ce  ser- 
ment :  Décrets  et  constitutions  des  papes  acceptés  par 
l'Église,  d  Celte  clause  aurait  eu,  à  tout  le  moins,  le 
danger  d'inlirmer  les  condamnations  des  jansénistes, 
de  provoquer  une  opposition  violente  de  la  part  de  la 
faculté  de  lliéologie  el  de  montrer  ainsi  que  l'unité  doc- 
trinale de  l'Église  gallicane  n'était  point  complète. 

Le  parlement  à  qui  ledit  du  20  mars  accordait  un 
droit  de  contrôle  sur  l'enseignement  des  facultés  de 
théologie,  collèges  et  maisons  dépendant  de  l'univer- 
sité, et  dont  la  déclaration  consacrait  certains  principes, 
enregistra  ledit  royal  sans  opposition,  le  23  mars.  11  \ 
eut  bien  une  protestation  du  procureur  général  llarlay; 
mais  ce  fut  pour  faire  remarquer  que  l'indépendance 
de  la  couronne  n'avait  pas  besoin  d'être  confirmée  par 
une  décision  de  la  puissance  spirituelle  et  pour  re- 
gretter que  le  clergé  n'eût  pas  infligé, dans  le  lw article 
de  sa  déclaration,  une  censure  directe  à  »  ce  qui  s'y 
trouve  opposé  ». 

6"  L'opposition.  —  La  faculté  de  théologie  de  Paris, 
qui  ét;iit  une  puissance  dogmatique  rivale  du  concile 
national,  n'accepta  pas  facilement  les  quatre  articles  et 
ledit  du  20  mars.  11  \  avait  à  cela  des  raisons  d'ordre 
différent  :  elle  prétendait  bien  n'être  pas  tenue  d'assu- 
jettir son  enseignement  aux  décisions  d'une  assemblée 
du  clergé,  et  surtout  ne  pas  relever  du  parlement  : 
puis  un  certain  nombre  de  ses  docteurs  avaient  des 
tendances  tiltrainontaines  et  la  doctrine  énoncée  tou- 
chant l'infaillibilité  pontificale  la  choquait  spécialement. 
Cf.  Cauchie,  Le  go  -  en  Sorbonne,  dans  la 
II,  vue  il  histoire  rri-lrsiaslique,  l.ouvain.  t.  ni  et  l\ 
(  1002-1'. ki'u.  Ce  lut  seulement  le  16  juin  que  fut  obtenue 
de  haute  lutte,  pour  ainsi  dire,  par  la  cour  alliée  au 
parlement,  l'enregistrement  par  la  (acuité  de  théologie 
des  quatre  articles  el  de  ledit  compté ntaire.  La  cour 

prit    même   des    mesures    de    rigueur   Contre    les    plus 

récalcitrants,  L'université  de  Douai,  au  centre  de  pays 
i  icemment  annexés,  disait  au  roi  a  la  grande  aversion 
de  tous  ses  fidèles  sujets,  qui  sont  dans  ces  pays  réunis 
a  sa  couronne,  di  la  déclaration  du  clergé  de  i  ranci  . 
qui  regarde  la  puissance  ecclésiastique  i .  L'historien  de 
Rossuet  signale  que.  dès   llitvt.  l  on  vil  ('■clore  une  foule 


d  écrivains  qui  crurent  l'illustrer  en  se  livrant  ans  plus 
violentes  déclarations  (outre  I  lUicane.  >  Et  il 

signale,  d'après  la  préfai  e  mis* 
de  la  déclaration     l    di  m  écrits  émanés  de  l'univi  • 
de  Louvain,  intitulés  l'un  ;  Ad  illusti 
dissimoi  Gallia  ep  tsquititio  Iheologico-juri- 

dica  supet    Déclarations  cleri  gallicani  facta  l'aritii» 
19  marlii  1682;  l'autre  :  Doclrina  quai  atv, 

auctoritate  et  ïnfallibilitate  Romanorum  pontifi 
tradiderunt    Lovanienseï  sacres  theologise  ma<j 
ac  professera  tam    oeteres   quam  recentiores,  etc.. 
I)i<  larationi  cleri  gallicani  de  ecclesiastico 
nuper  édites  opposita;  2    la  censure  portée  par  l'ar- 
chevêque de  Grau  ou  Strigonie,  primat  de  lion. 
<leor;_< !S    Szelepsemi,   <  D   son   nom   et  'au  nom  de  tous 
ses  collègues  dans  l'épiscopat,  i  avec  les  abbés,  les  pré- 
posés, les  chapitres,  cl  avec  un  grand  nombre  de  pro- 
fesseurs de  théologie,  hommes  éminents  dans  la  con- 
naissance  des   sainls  canons,    i    II  dit  que    les  quatre 
articles   sont    «    des  propositions  choquantes  pour  les 
oreilles  chrétiennes  et  à  tous  égards  détestables  »,  que 
«  condamnent  et  réfutent  assez   la   tradition  constante 
des  saints  Pères,  les  décrets  des  conciles  œcuméniques 
et  les  témoignages  formels  de  la  parole  de  Dieu 
après  les  avoir  condamnés  et  proscrits,  il  défend  à  tous 
les  fidèles  «  de  les  lire,  tenir  et  encore  bien  plus  d 
enseigner  »,  en  attendant  le  jugement  définitif  du  saint- 
siège;  3°  un  traité  in-fol.  du  savant  cardinal  d'Aguirre 
intitulé  :  Defensio  cathedra  sancti  Pétri  advenus  De- 
claralionem  nomine  illustrissimi  cleri  gallicani  édi- 
tant Parisiis,  etc.  Ces  attaques  furent  telles  que  Ros- 
suet,  se  sentant  atteint,  crut  bon  de  défendre  son  œuvre 
et  entreprit  une  Défense  de  la  déclaration.  Il  la  ter- 
mina en  1685.  Les  circonstances  ne  lui  permirent  pas 
de  la  publier  :  Louis  XIV  ne  voulait  pas  aigrir  sa  que- 
relle   avec   Rome.  Cependant   du  dehors  les   attaques 
contre  les  quatre  articles   continuaient  :  entre  au 
de  4693  à  1695,  Roccaberti,  archevêque  de  Valence,  pu- 
bliait contre  la  déclaration  3  in-fol.  sous  ce  titre  :  De 
Romani  pontifias  auctoritate,  que  soulignèrent  encore 
les   louanges  adressées  à   l'auteur  par   Innocent  XII. 
Rossuet,  dans  un  Mémoire  au  roi,  demanda  la  sup| 
sion  en   France  des  ouvrages  de  Roccaberti,  ce  que  le 
parlement  accorda  dans  un  arrêt  du  20  décembre  1695. 
Puis  il  reprit  sa    Défense   de  la   iléclaration.  pour  la 
remanier,  afin  de  la  mettre  au   point  on  face  des  nou- 
veaux critiques  et  aussi   \    introduire  les  changements 
qu'exigeaient  les  circonstances,  principalement  celle-ci  : 
qu'une  trêve  venait  d'être  sign<  e  >  ntre  Louis  XIV  et  le 
saint-siège  et  que  Louis   XIV  avait   promis  de  ne  plus 
rappeler  les  qtiatre  articles.  Rossuot.  entre  autres  cl 
modifia  le  titre  et  à  la  place  de  Defensio  déclarât, 
cleri  gallicani,  il  mit  :  Gallia  orthodoxa  site  ti'nd 
Scholss    l'ai isiensis    toliusque    cleri    gallicani.    Ma] 
tout,  le  livre  ne  parut  qu'après  sa  mort.  Une  première 
édition,  faite  à   l'insu  de  Bossuet,  évêque  de   l'i 
héritier  des  manuscrits  de  son  oncle,  contient  la  pre- 
mière rédaction  de  l'ouvrage,  celle  au 'titre  :  Défi 
declai  juam  de  potestate  ecctesiasti 

clerus  gallicanus  l'J  martii  168S  ah  lit.  el  Rei    /.  0. 
Bossuet,  2   in-1.   Luxembourg,    1730;  Bâle,  1730.  lue 
traduction   française  des  -i\  premiers  livres  environ 
parut  en  1735   sous  la  signature  de   Buffard.  Un 
conde  édition,  entreprise  par  l'abbé  Lerov  mit  les  ma- 
nuscrits de   la    seconde    rédaction,    parut    seulement 
après  la    mort   de    Bossuet.  évèque  de  Trou  - 
litre  :  Defensio  declarationis  conventus  cleri  gain 
an.  t68i  clcsiastica  potestate,  2  in-1  .Amsterdam 

Paris  .  1745.  Une  traduction  française,  faite  pari 
en  3  in-'r.  parut  la  même  année  a  Amsterdam    Paris  : 
elle  fui  réimprimée  en  1 77 1  et  alors  dédiée  .i  Monta 
archevêque  de  Lyon,  sous  ce  litre  :  Défense  de  la  Dé- 
claration... traduite  eu  français  mec  des  notes  hislo- 


201 


DÉCLARATION    DE    1682 


202 


riques,  critiques,  théologiques  et  une  Dissertation 
réfutant  les  quatre  tomes  in-4» du 'cardinal  Orsi,  2  in-4°, 
Paris.  1771.  D'autres  éditions  ont  paru  depuis.  Orsi 
avait  publié,  en  1740  et  1741,  deux  ouvrages  intitulés  : 
De  Romani  pontificis  auctoritate...  et  De  Romani 
ponti.fi.cis  infallibilitate. 

V.  Les  papes  et  les  quatre  articles  jusqu'en  1693. 
—  1°  Innocent  XI.  —  Ouant  à  Innocent  XI,  il  se  tut 
d'abord,   il   attendait  son  heure.  Il  «  a   compris   qu'il 
fallait  en   finir  et  il  a   engagé  un  combat  dont  il  doit 
sortir  vainqueur.  »  Hanotaux.  11  ne  fulmina  pas  contre 
les  quatre  articles,  mais  il  eut  recours  à  une  arme  que 
lui  fournissait  le  concordat;  il  refusa  d'accorder  la  con- 
firmation canonique  à  ceux  des  ecclésiastiques  nommés 
par  le  roi  à  des  évêchés  et  qui  avaient  pris  part  à  l'assem- 
de  1682.  Il  le  dit  dès  octobre  1682,  à   propos  de  la 
nomination  par  Louis  XIV  des  abbés  de  Camps  et  de 
M.mpeou    aux    évêchés    de    Pamiers    et    de    Castres. 
Louis  XIV  déclara  alors,  sur  les  conseils  du  cardinal 
d'Estrées,  qu'il  ne  demanderait  plus  aucune  confirma- 
tion canonique  jusqu'à  ce   que  ces  deux   personnages 
fussent  agréés,  et   il  continua  à  désigner  aux  évêchés 
vacants  soit  des  membres  de  l'assemblée  soit  d'autres. 
Il  espérait    que   la   crainte  de  voir  un   grand    nombre 
lises  sans  pasteurs  légitimes  triompherait  du  pape, 
mais  Innocent  XI  ne  se  laissa  pas  intimider,  et  en  1687, 
le    Mémoire  du  roi  pour  servir  d'instruction  au  sieur 
de  Lavardin  portail  :  «  Il  y  a  déjà  trente-trois  diocèses 
qui  languissent  sans  évéques.  »  On  essaya  'de  pourvoir 
à  l'administration  des  diocèses  par  toutes  sortes  d'expé- 
dients; les  nouveaux  élus  étaient  par  exemple  nommés 
vicaires  capitulaires  par    les    chapitres    des    diocèses 
nts  par  la    morl  du  titulaire,  ou  bien,  en   cas  de 
translation,   vicaires  généraux  de  leurs   prédécesseurs 
dans  les  diocèses  que  ceux-ci  abandonnaient. 

Néanmoins,  la  situation  était  insupportable.  Louis  XIV 
essaya  encore  de  négocier,  mais  la  menace  à  la  bouche. 
I  a  cour  de  Rome,  disaient  ses  Instructions  à  Lavar- 
din. désigné,  en  1687,  pour  remplacer  à  Rome  le  duc 
d'Estrées  mort  cette  même  année,  contrevient  au  concor- 
dat par  ses  refus  qui  sont  notoirement  injustes.  Le 
pape,  par  sa  contravention  au  concordat,  est  déchu  de 
ce  qui  U;  concordat  lui  accorde.  »  En  conséquence, 
de  permettre  à  ses  parlements 
de  prendre  dans  les  conciles  catholiques,  apostoliques  et 
romains  le  remède  au  mal,  et  ce  remède  sera  celui-ci  : 
Les  parlements,  après  avoir  déclaré  qu'il  y  a  abus  dans 

ci  -  refus  du  pa| comme  étant  contraires  au  concor- 

il.it  •■(  aux  lois  du  royaume  »,  s'appnyant  sur  «  les  an- 
ciens conciles  de  France  el  d'Espagne  où  l'on  voit  que 
le  roi  nommait,  le  peuple  et  le  clergé  élisaient,  le  mé- 
tropolitain confirmai!  et  ensuite  l  évoque  était  sacré  par 
trois  évêqui  -  au  moins  de  la  même  province  donl  était 
l'évéché  vacant  ».  le  concordat  n'ayant  fait  que  »  trans- 
iii  pape  le  droil  de  confirmation  »  du  métropoli- 
tain el  translation  devenant  caduque  par  le 
refus  du  pape,  »  supplieront  »  le  roi  de  demander  la 
confirmation  au  métropolitain,  sans  tirer  à  consé- 
quence pour  ["avenir,  quand  il  plaira  à  noire  Saint- 
le  papi  d'exi  culer  le  concordat.  »  Mais  la  menace 
m  Innocent  M.  Lavardin  était  l'homme  le 
moins  fait  pour  réunir  ici  el  tout  se  compliquait  de 
l'a/faire  de*  franchi  et  Ce  lui  un  échec  complet.  M 
fallut    bien  que  Louis  XIV  allai   plus  loin.   Non    leule- 

il  il  annonçait  qu'il  pourrait  bien  prendre  la  me 
ordinaire    en   pareille   oo  m  rence    i  i  ccupation 
d'Avignon,  mais,  le  31  décembre  I6S7.  I  unait 

l'ordre  di   pr  parer  une  expédition  contre  Roi 

■'  ii  '  1688  l'avoi  ii    ém  i  il  F/alon  annoni  ail  i  app<  i 

an  futur  concile,      parci  que  non  génie nt  le!  déci 

■Ions  di  p. M"  '"H  leur  personne  même,  qnand  ih 
manquent  à  leur  devoir  dans  li  ou  ernemenl  de 
t  Égli  correction  1 1 1  la  n  formation 


!    du  concile  général  en  ce  qui  regarde  tant  la  foi  que  la 
discipline.  » 

Mais  en  juin  1688  mourait  l'électeur  de  Cologne. 
Louis  XIV  voulait  lui  faire  donner  comme  successeur 
le  coadjuteur,  le  cardinal  de  Furstemberg.  Cela  dépen- 
dait du  pape  :  de  là,  la  mission  secrète  de  Chamlay, 
mais  Innocent  XI  refusa  de  recevoir  cet  envoyé,  juil- 
let 1682.  Alors  ce  fut  la  guerre  ouverte;  en  septembre, 
le  6,  un  manifeste  du  roi  contre  le  pape,  sous  la  forme 
d'une  lettre  adressée  au  cardinal  d'Estrées,  était  envoyé 
à  Rome  et  bientôt  publié  partout;  le  13,  l'ordre  était 
donné  d'occuper  Avignon  et  le  Comtat  Venaissin;  enfin, 
le  24,  le  roi  donnait  ordre  au  procureur  général  d'in- 
terjeter appel  au  futur  concile  de  toutes  les  procédures 
faites  ou  à  faire  par  le  pape  contre  lui,  et  l'acte  d'appel 
fut  dressé  le  27.  On  demandait  à  Louis  XIV  d'aller 
plus  loin,  d'assembler  les  notables,  de  convoquer  un 
concile  national.  Il  s'arrêta  aussitôt  qu'il  s'aperçut  qu'on 
le  poussait  dans  la  voie  du  schisme.  Mais  déjà  il 
était  puni  :  ce  n'était  point  à  son  candidat  que  le  pape 
avait  donné  l'archevêché  de  Cologne  et  c'était  à  ce  mo- 
ment, 1688,  un  échec  gros  de  conséquences.  En  même 
temps,  le  pape  faisait  répandre  un  mémoire  justificatif 
écrit  en  italien  et  traduit  en  français  sous  ce  titre  : 
Réflexions  pour  servir  de  réponse  sur  la  lettre  en 
forme  de  manifeste  que  M.  le  cardinal  d'Estrées 
distribue. 

2°  Alexandre  VIII.  —  Cependant  Innocent  XI  mou- 
rait le   11  août   1689.  Son   successeur  Alexandre  VIII, 
6  octobre  1689,  donna  quelques  marques  de  bienveil- 
lance au   représentant  de   Louis  XIV  au   conclave,  le 
duc  de  Chaulnes.  Aussitôt  Louis  XIV  entra  dans  la  voie 
des  concessions;    il   restitua  Avignon   et  céda  sur    la 
question  des  franchises.  En  retour,  Alexandre  VIII  se 
montra   prêt   à  accorder  les   bulles  toujours    refusées 
par  Innocent  XI  aux  anciens  membres  de  l'assemblée 
de  1682,  s'ils  consentaient  à  une  rétractation  ou  plus 
exactement  à  cette  déclaration  qu'ils  n'avaient  préton- 
du   émettre  touchant  la    puissance  pontificale   qu'une 
opinion  personnelle.  La  négociation,  pénible  pour  l'or- 
gueil de  Louis  XIV,  n'avait  pas  abouti,  lorsque   mou- 
rut  Alexandre  VIII,   1er  février  1691.  Mais  deux  jours 
avant  de  mourir  il   accomplissait    deux   grands  actes  : 
1  ■  il   publiait   la  constitution    Tnter  multipliées  qu'il 
ivait  écrite  dès  le  'i  avril  1690,  première  année  de  son 
pontificat,  el  dans  laquelle,  après  avoir  rappel     les  cen- 
sures portées  par  la  lettre  du  I  I  avril  1682  sur  les  actes 
de  l'assemblée  du  clergé  français,  il  ajoute  :  «  Voulant 
en  outre  par  les   présentes    qu'on   regarde  pour  bien 
et  suffisamment  exprimés  et  insérés  ici  de  mot  à  mot 
et  très  exactement  spécifiés  selon  toute  leur  teneur  les 
de  l'assemblée  de  1682...  nous  déclarons  de  noire 
propre  mouvement  et  de  science  certaine,  après  mûre 
di  libération  el  en  vertu  de  la  plénitude  de  l'autorité 

apostolique,  que  toutes  les  dispositions  en  général  et 
individuellement  qui  ont  été-  faites  dans  la  susdite 
assemblée  du  clergé'  de  France  de  1682,  tanl  touchant 
l'extension  du  droit  de  régale  que  touchant  la  décla- 
ration sur  la  puissance  ecclésiastique  el  les  quatre  pro- 
positions y  contenues,  avec  tous  les  mand  tréts... 
édits,  décrets,  faits  el  publiés  par  des  personnes  quel- 
conques, soit  ecclésiastiques,  soil  laïques,,  non  décla- 
rons que  tontes  ces  choses  ont  été,  de  plein  droit, 
nulles,  invalides,  illusoires,  pleinement  el  entièrement 
destituées  de  force  el  d  effet  dès  le  principe,  qu'elles  le 
sont  émoi                 ml  •>  perpétuité  el  que  personne 

n'est  tenu  de   les  observer  l'observer  quelqu'une 

fussent  elles  même  munies  du  sceau  du  ser- 
ment... El  néanmoins  pour  plus  grande  précaution... 
,-i  en  vertu  de  la  plénitude  de  pouvoir  connue  dessus, 

n  .1 prou,  <>i  el    m  n  ulmis.    ,  | 

i  pointions  pleine ni  de  toute  foret  el  effel 

•  i  dispositions  tte  constitution  ne 


203 


DÉCLARATION    DE   1682 


_    I 


condamnait  pas  directement,  il  faul  le  remarquer,  le 
fond  même,  la  doctrine  des  quatre  articles.  Elle  annu- 
lait seulement  les  actes  d'un  pouvoir  judiciaire  et  civil 
incompétent  dans  les  questions  spirituelles  et  surtout 
d'une  assemblée  ecclésiastique  inhabile  à  décider 
h '.  tant  pas  canonique  et  ayant  sacrifié  j  les  droits  des 
Eglises  de  France,  du  souverain  pontife  et  de  l'Église 
universelle,  »  Les  gallicans  ue  s'en  émurent  pas 
moins  :  ils  se  sentaient  atteints;  i  on  ne  se  rassura  | 
qu'en  inventant  l'expédient  de  dire  que  cette  pièce 
marquait  trop  la  faiblesse  d'esprit  d'un  mourant  et 
présentait  trop  de  défauts  pour  être  approuvée  par  le 
sacré  collège,  ••  Gaillardin;  2"  une  lettre  au  roi  de 
France  où  il  le  suppliait  de  veiller  à  ce  que  celte  con- 
stitution Inlcr  multipliées  fût  acceptée  et  mise  à  exé- 
cution dans  tout  le  royaume  et  de  mettre  ainsi  (in  à 
cette  querelle  funeste. 

:;    Innocent  XII.  Pacification,  1093.  —  L'n  pro- 
avait été    fait   sous   le    régne   d'Alexandre  VIII.  Tandis 
qu'Innocent   XI    refusait  purement  et  simplement  des 
bulles   aux   membres   de   l'assemblée,  Alexandre   VIII 
avait  admis  —  les  autres  évoques  nommés  n'étaient  pas  en 
question  —  la  possibilité  de  donner  des  bulles  à  ces  per- 
sonnages compromis,  à  la  condition  que   le  roi  retirât 
ton  édit  du  '20    mars  et  qu'eux-mêmes  signassent  une 
rétractation  sur  la  formule  de  laquelle  on  commença 
de  discuter.  Innocent  XII   reprit    les  négociations   où 
elles  en  étaient.  Elles  durèrent  deux  ans.  Par  orgueil, 
le  roi  eût  bien  voulu  ne  pas  céder,  puis,  il  lui  en  coû- 
tait de    laisser   traiter  en  coupables   des  hommes  qui 
avaient  cru  servir  ses  intérêts.  On  discuta  longtemps 
les  termes  de  la  rétractation.  Mais  l'horizon   politique, 
malgré   de  réels  succès  militaires,   s'assombrissait  ;  la 
religion  souffrait  de  la  situation  dans  plus  de  quarante 
diocèses  et  c'était  une  singulière  contradiction  que   le 
roi,  qui  préparait  la  révocation  de  l'édil  de  Nantes,  fût 
en  révolte  ouverte  contre  le  chef  de  l'Église.  Le  14  sep- 
tembre  1693  donc,  il  écrivait  au  pape  :  «  Je  suis  bien 
aise  de  faire  savoir  à  Votre  Sainteté,  que  j'ai  donné  les 
ordres  nécessaires  pour  que  les  choses  contenues  dans 
mon  édit  du  22  mars  1682,  touchant  la  déclaration  faite 
par  le  clergé  de  France,  à  qui  les  conjonctures  passées 
m'avaient  obligé,  ne  soient  pas  observées.  »  Ce  n'était 
point  là  une  rétractation  de  principes,  mais  la  suspen- 
sion de  l'exécution  d'un  édit.  Quant  aux  évèques  nom- 
més depuis  1682,  leur  rétractation  portait  pour  chacun  : 
<    Nous  professons  et  nous  déclarons  que  nous  sommes 
exlrêmemenl  fâchés,  et  au  delà  de  tout  ce  qu'on  peut 
dire,  de  ce  qui  s'est  fait  dans  l'assemblée  susdite   (de 
1682),  qui  a  souverainement  déplu  à  Votre   Sainteté  et 
à  ses  prédécesseurs.    Ainsi  tout   ce  qui  a  pu  être  or- 
donné dans  cette  assemblée  contre  la  puissance  ecclé- 
siastique et    l'autorité  pontificale,    nous  le    tenons  et 
nous  déclarons  qu'on  doit  le  tenir  pour  non  ordonné. 
De  plus  nous  tenons  pour  non  délibéré,   tout  ce   qu'on 
a  pu  avoir  pensé'  y  avoir  été  délibéré  au  préjudice  des 
églises;  notre  intention  n'a  pas  été  de  décider  quelque 
chose  contre  les  droits  de  nos  ('-lises.  »  Louis  XIV  tint 
parole  en  ce  qui  concerna  l'enseignement  de  la  décla- 
ration; maigri''  cela  et  si   plus  lard  il  sollicita   du  pape, 
comme  d'une  autorité  dernière  infaillible,  la  bulle  Uni- 
genitus,  il  n'en   demeura  pas  moins  pénétré   des  doc- 
trines gallicanes  comme  le  prouve  son    grand    édit  de 
1695  sur  la  juridiction  ecclésiastique.   En    tout  <'as,  les 
parlements  continuèrent  à  faire  étal  de  la  déclaration 
de  1682. 

VI.  Les  quatre  articles  de  1 7 1 .">  \  1870.  —  La  dé- 
claration de  1683  disparut  comme  le  gallicanisme  à 
i  ;  it  de  doctrine  —  non  à  l'état  de  tendance  —  avec 
ie<  décrets  du  concile  do  Vatican. 

Le  régalisrae  et  l'épiscopalisme,  qui  en  étaient  le  fond, 
reçurent  un  coup  violent  de  la  Révolution  avec  la 
constitution  civile  qui  en  esl  le  triomphe  et  qui   mon- 


tra a  queli  deux  doctrines  peuvent  condu 

avec  les  actes  de  l'autorité  de    Pi*  vil 

évéquea  et  remaniant  l'Eglise  de  France  au  moment  du 

concordat.    De    1 T I .">   è    1789  dont   le 

gallicanisme  s'était  pour  ainsi  dire  foriiiié-  de  jau 

nisme,  furent  les  défenseurs  ardents  de  la  déclaration 
i     1682.  En  1706,  sous  le  ministère Choiseul,  Louis  \v 
ordonna   que    les  quatre   articles  de    16€ 
nouveau  enseignés  dans  les  séminaires  et  ils  le  furent 
en  effet  jusqu'à  la  Révolution.  Mais cesarticles  s  étaient 
également  répandus  au  dehors  et  le  synode  de  Pisl 
en  1786  osa  les  soutenir  et  les  insérer  dan-  son  Ai 
delà  foi.  Le  28  août  17'.il.  l'i  •  VI condamnait li 
le  décret  et  l'usage  fait  de  la  déclaration  de  1682,  dans 
la  bulle  Auclorem  fidei  :      L'on  ne  doit  ]  sous 

silence,  y  disait-il.  cette  insigne  et  frauduleuse  témé- 
rité du  synode,  qui  non  seulement  a  osé  prodiguer  les 
plus  grands  éloges  à  la  déclaration  de  l'assemblée 
gallicane  de  1682,  depuis  longtemps  improuvée  par  le 
siège  apostolique,  mais  qui  s'estpermis,  pour  lui  donner 
plus  d'autorité,  de  la  renfermer  insidieusement  dans 
un  décret  intitulé'  De  la  foi,  d'adopter  ouvertement  les 
articles  qu'elle  contient  et  de  mettre  le  sceau,  par  la 
profession  publique  et  solennelle  de  ces  articles,  à  tout 
ce  que  renferment  les  différentes  parties  de  ce  décret... 
c'est  pourquoi  nous  réprouvons  et  condamnons  l'adop- 
tion récente  et  accompagnée  de  tant  de  vices  qui  en  a 
été  faite  dans  le  synode,  comme  téméraire,  scandaleuse... 
et...  comme  grandement  injurieuse  à  ce  siège  apos-. 
tolique.  » 

On  a  vu  à  l'article  Concordat,  t.  ni,  col.  760  sq., 
comment  Bonaparte  essaya  de  faire  revivre  dans  les 
articles  organiques,  avec  toutes  les  libertés  gallicanes, 
l'enseignement  des  quatre  articles  et  comment,  dans 
ses  luttes  avec  le  pape,  il  essaya  de  l'amener  à  accepter 
les  quatre  articles  et  pour  ainsi  dire  à  leur  prêter 
serment.  Avec  la  Restauration  les  choses  tombèrent 
dans  l'oubli,  mais  en  182i,  sous  le  ministère  Villèle, 
un  décret  royal  ordonna  de  reprendre  dans  les  sémi- 
naires l'enseignement  des  quatre  articles.  Cette  ordon- 
nance provoqua  les  colères  de  bon  nombre  d'évé.i 
Voir  Clermont-Tonnerre,  t.  m.  col.  236.  Mais  dans 
cette  période,  le  plus  redoutable  adversaire  de  la  d< 
ration  de  1682  fut  Lamennais,  en  particulier  dans  son 
livre,  De  la  religion  considérée  dans  ses  rap\ 
l'ordre  politique  et  civil,  in-S°,  Paris.  1826.  On  deman- 
dait dès  lors  aux  professeurs  nouveaux,  que  les  évèques 
nommaient  dans  leurs  séminaires,  de  signer  l'eng 
ment  d'enseigner  les  quatre  articles.  La  tactique  géné- 
rale fut  de  ne  pas  répondre  à  cette  mise  en  demeure 
et  le  gouvernement  n'insistait  pas.  On  cessa  sous  le 
second  empire  de  faire  cette  demande.  Les  luttes  entre 
ultramontains  et  gallicans  recommencèrent  avec  inten- 
sité autour  du  Manuel  de  droit  ecclésiastique  français 
de  Dupin  aine,  en  18(4,  et  plus  tard  à  propos  du  concile 
du  Vatican. 

Recueil  des  actes,  litres  et  mémoires  concernant  Usa, 
du  clergé  de  France,  dans  les  Mémoires  du 
tection   des  procès-verbau  i 
des  du  Clergé  de  Fronce  depuis  1500  jusqu 
9    In-fbL,    P  J-1T80     Charubini,  Magnum  bullarium 

romanum,  19  tom.  en  12  vol.,  Luxembourg,    1727-1742;  Men- 
tion, Documents  relatifs  aux  rapports  du  clergé  arec  la  ;..i- 
pauté  de  1682  a  1716,  in-8",   Paris,  1893;  liertliier,  /»ino< 
P.  P    M   epistout  al   principes,  etc.,    Rom 
ping,  Correspondance  administrative,  1.  iv  ;  Clément,  Le; 
instructions  et  n  r         Colbert, 7  vol. en  10 tom. in-i',1 

Hanotaux,  Rome,  dans  le  Recueil  des  i 
données  aux  ambassadeurs  de  F  1888, 1. 1;  1 

Pithou,  Les  libertés  de  FÉglise  gallicane,  é 
Pierre  Dupuy,  Traité  des  droits  et  libertés  de  l' Église  nalli 
S  in-f.'l..  Paris,  1639,  1651,  1731 .  tin;  CoqucUe,  Trait 
tes  ,le  l'Église  gallicane,  2  in-fol.,  Bordeaux,  I7iu;  Duras 
Maillane,  /  ••  l'Église  gallicane,  5  in-V,  Lyon,  1771; 

i  du  Pin,  /'    potestate  ■  nporalisii 


205 


DÉCLARATION    DE   1682 


DECRET A LES 


206 


claratio  cleri  gallicani,  in-4*,  Mayence,  1788;  Isambert,  Recueil 
des  anciennes  lois  françaises  de  420  à  1780,  29  in-8%  Paris,  1822- 
1827;  les  Lettres  et  mémoires  du  temps,  notamment  les  Lettres 
île  Bossuet  dans  ses  Œuvres,  édit.  Lâchât,  31  in-8g,  Paris,  1875, 
t.*xxvi-xxx  ;  le  P.  Rapin,  Mémoires,  édit.  Aubineau,  3  in-8% 
Paris,  1865;  Ledieu,  Mémoires,  édit.  Guettée,  4  in-8",  Paris, 
1856;  Legendre,  Mémoires,  édit.  Roux,  in-8%  Paris,  1863;  Joseph 
de  Maistre,  Du  pape,  in-8%  Paris,  1819  ;  De  l'Église  gallicane, 
in-8*,  Paris,  1821;  Grégoire,  Essai  historique  sur  les  libertés 
de  l'Église  gallicane,  in-8%  Paris,  1818;  Bausset,  Histoire  de 
Bossuet,  4  in-8",  Versailles,  1814-1819;  Desmarais,  Histoire  des 
démêlés  de  la  cour  de  France  avec  la  cour  de  Rome,  in-4% 
Paris,  1706;  Tabaraud,  Histoire  critique  de  l'assemblée  géné- 
rale du  clergé  de  France  en  1G82,  in-8%  Paris,  1826;  Gérin, 
Recherches  historiques  sur  l'assemblée  du  clergé  de  1682, 
in-8%  Paris,  1869;  2<  édit.,  1877;  Le  pape  Alexandre  VIII  et 
Louis  XIV,  in-8%  Paris,  1870;  Loyson,  L'Assemblée  générale 
du  clergé  de  France  de  JG82,  in-8%  Paris,  1870  ;  Michaud, 
Lt.ui*  XIV  et  Innocent  XI,  4  in-8%  Paris,  1882-1883;  Guarnacci, 
Vite  et  res  gest.v  Romanorum  pontificum  et  cardinalium  a 
Clémente  X  usque  ad  Clementem  XI,  2  in-fol.,  Rome,  1751  ; 
Buonamici,  De  vita  et  rébus  gestis  Innocenta  XI,  Rome,  1770; 
Ranke.  Die  rômiseben  Pdpste  in  den  letzten  vier  Jahrhunder- 
ten,  3  in-8%  Berlin,  1836,  t.  m:  Clément,  Histoire  de  Colbert, 
2  in-8%  Paris,  1874;  Rousset,  Histoire  de  Louvois,  4  in-8% 
Paris.  1803;  Voltaire,  Le  siècle  de  Louis  XIV,  in-12,  Berlin, 
1752;  Gaillardin,  Histoire  du  règne  de  Louis  XIV,  5  in-8%  Paris, 
1871-1*70:  le  t.  VI  cle  Y  Histoire  générale,  publiée  sous  la  direc- 
tion de  MM.  Lavisse  et  Rambaud  ;  le  t.  vil  de  l'Histoire  de 
France,  publiée  sous  la  direction  de  M.  Lavisse,  et  en  général 
les  Histoires  de  Louis  XIV. 

C.  Constantin. 
1.  DÉCRET.  En  matière  ecclésiastique,  le  mot 
décret  a  conservé  un  sens  très  général  qu'il  a  perdu 
depuis  plus  d'un  siècle  dans  le  langage  des  juristes. 
Ces  derniers  l'emploient  exclusivement  pour  dési- 
gner certains  actes  du  pouvoir  exécutif,  par  opposition 
aux  actes  législatifs  el  aux  sentences  judiciaires.  Or, 
en  droit  canonique,  le  décret  esl,  au  contraire,  soit 
un  acte  législatif,  soit  un  acte  judiciaire.  Les  molu 
proprio,  rescrits,  induits,  etc.,  constitueraient  plutôt 
la  catégorie  des  actes  administratifs  auxquels  on  réserve 
en  droit  français  le  nom  de  décret.  L'assimilation  n'est 
d'ailleurs  pas  possible  d'une  manière  absolument  exacte, 
la  séparation  des  pouvoirs  n'existant  pas  dans  les  curies 
ecclésiastiques, 

La  loi  ecclésiastique,  quel  que  soit  le  législateur, 
concile  général,  pape,  évoque,  se  présente  toujours 
comme  un  décret.  Les  lois  promulguées  par  le  concile 
de  Trente  sonl  des  déci  ets,  celles  que  le  pape  promulgue 
soit  par  lui-même  au  point  de  vue  doctrinal,  soit  par 
Congrégations  romaines,  Saint-Office,  S.  C.  du 
Concile,  des  l  vêques  el  Réguliers,  [des  Rites,  etc.,  au 
poini  de  vue  disciplinaire,  sont  des  décreU  Une  ordon- 
nance d'un  évéque  ou  d'un  prélal   régulier,  si  elle  a 

force  de  loi,  constitue  un  décret    Le     règle nls  ou 

statuts  ries  chapitres  généraux  des  ordres  religieux  sont 
aussi  des  décrel  quand  il  '>ut  force  de  loi,  de  même 
pour  les  statut-  des  chapitres  si  culiers. 
Au  point  de  vui  judiciaire,  on  appelle  décret  tout 
ment  qui  n'esl  pas  le  jugement  définitif  :  précepte 
du  juge  destiné  à  pourvoir  au  provisoire,  à  organiser 
l'instant  e,  à  déclan  r  closi  l'i  tiqueté  el  a  en  permettre 
la  communication  aux  parties  intére  sséi  -  publication  de 
l'enquête  ,  Dans  l'ancien  droit  français,  certains  juge 
menti  préliminaires  rendus  contre  nu  ur  le 
faire  comparaître,  pour  vendre  ses  biens,  etc.,  portaient 
ainsi  le  nom  d<  décrets,  L  droit  ecclésiastique  a  con- 
servé  l'usage  d ol  décret  la  on  les  jurisconsultes 

modernes    e  lei  •  ni  di     termes    jugement  avant  faire 
droii.  jugement  interlocutoire,  pn  paratoire,  i 
jugements  sur  requête   ordonnanci  -  de  r<  f<  ré,  etc 

I'        I    "I    |.M   Rj    |. 

2.  DÉCRETS.  Le  mol  ■<  été  employé  au  moyen 
dam  i'    sens  di    collection  de  textei  canoniques,  't  il 
■'appliqui  p  u   antonomase  au 

'   de   Gralien   (voir  Gratien),    qui    constitue    la 


première  partie  du  Corpus  juris  canonici.  Parmi  les 
compilations  canoniques  qui  furent  faites  au  nombre  de 
quarante  environ,  depuis  le  ixe  siècle  jusqu'au  temps 
de  Gratien,  deux  très  importantes  portent  le  nom  de 
Décret.  Elles  sont  l'œuvre  de  Burcliard  de  Worms  et 
d'Yves  de  Chartres. 

1°  Les  vingt  livres  de  Burchard,  évéque  de  Worms. 
Celle  vaste  compilation,  composée  entre  1012  et  1023 
{Decretum  magnum  Decrelorum  volumen),  s'appela 
au  moyen  âge  le  Brocard,  par  corruption  du  nom  de 
son  auteur.  L'ouvrage  dépend  de  Béginon.  On  y  trouve 
des  règles  de  droit  sous  une  forme  énergique,  concise, 
facile  à  retenir  (brocards).  C'est  d'ailleurs  une  com- 
pilation générale  de  science  ecclésiastique  destinée  à 
l'instruction  pratique  des  clercs  du  diocèse  de  Worms. 
plutôt  qu'une  collection  proprement  canonique.  Voici 
les  matières  des  vingt  livres  du  décret  de  Burcliard  : 
j.  I,  le  pape,  le  patriarche,  le  métropolitain,  l'évêque, 
je  synode,  le  juge;  1.  il,  le  clergé;  1.  III,  les  églises  et 
Ijs  dîmes;  1.  IV-XIV,  les  sacrements;  1.  XV,  les  devoirs 
des  laïques;  1.  XVI-XVIII,  les  délits  et  les  peines; 
I.  XIX.  correclor  ou  médiats,  est  un  pénitentiel;  le 
1.  XX,  De  conlemplalione,  esl  un  traité  de  philosophie 
et  de  théologie.  Burchard  a  utilisé  sans  discernement 
les  apocryphes  d'Isidore  Mercator,  ainsi  que  les  faux 
capilulaires  de  Benoit  Lévite.  Ce  défaut  de  critique  est 
d'autant  plus  dangereux  pour  le  lecteur  moderne  qu'il 
n'existe  pas  d'édition  critique  du  décret  de  Burchard 
de  Worms.  On  doit  reconnaître  que  cet  auteur,  maigre 
ses  imperfections,  a  ouvert  la  voie  à  Gratien  sur  un 
point  très  important,  en  traviillanl  à  résoudre  les  anti- 
nomies des  textes  canoniques,  concordantia  discordan- 
lium  canonum.  Ce  fut,  avant  le  Décret  de  Gratien,  le 
manuel  canonique  le  plus  répandu. 

2°  Le  décret  d'Yves  de  Chartres  (f  1117)  semble 
avoir  été  un  travail  préparatoire  à  la  Panormie.  C'est 
une  compilation  assez,  peu  ordonnée  des  documents 
disciplinaires  recueillis  jusque-là  par  différents  auteurs. 
L'ouvrage  dépend  surtout  de  Burchard  de  Worms.  Ce 
qui  en  fait  l'intérêt  est  l'introduction  d'un  certain 
nombre  de  lois  tirées  des  compilations  de  Juslinien, 
dans  un  document  antérieur  aux  grands  travaux  de 
l'école  de  Bologne  sur  le  droit  romain.  Voir  YVES  Dl 
Ciiartrks. 

i  in  trouve  le  décret  de  Burchard  de  Worms  dansune  édition  de 
Paris,  15'i9,  reproduite  P.  /,.,  t.  CXL,  col,  637-1020  sq.  Une  autre 
édition  a  été  donnée  à  Cologne  en  1548.  Le  1.  XIX%  qui  contient 
un  traité  pour  l'administration  de  la  pénitence,  a  été  réimprimé 
par  Was-crschleben,  Bûssordnungen  der  abendl&ndischen 
,  1851,  p.  024.  Il  existe  un  manuscrit  contemporain  de 
Burchard  à  la  bibliothèque  de  l'université  'le  Fribourg-en-Bris- 
gau.  Cf.  Ph.  Schneider,  Die  Lehre  von  den  Kirchenrechtsquel- 
len,  g  29.  Itatisbonnc,  1892. 

Le  décret  d'Yves  de  Chartres  se  trouve  dans  les  Opéra 
otnnia,  édlti  i  Parla  en  164"!  par  le  génovefain  Fronto.  Malgré 
sen  titre,  cet  in-folio  ne  contient  pas  la  Panormie.  Mi.une  a  repro- 
duit le  décret  et  la  Panormie,  P.  L.,  t.  clxi,  col.  'i7-io-j2. 
Cf.  ibid.,  col.  xi.ix-i.xvvni,  41-47.  Voir  aussi  A.Theiner,  l'eber 
I  ermeintliches  Décret.  Ma  enci     1832;  P.  1  ournier,  Les 

collections  canoniques  attribuées  "   Yves  de  Chartres,  dans 
Bibliothèque  de  l'école  des  chartes,  1890  si  1897. 

1'.   foi  i:m  i.i  i  . 
1.  DÉCRÉTALES.  -  I.  Définition  ci  divers  sens  du 
mot.   II.  Recueils  ou    collection^.  III.  Ces  collections, 
sources  théologiques. 

I.  Dm  imiiiin  1 1  m  m   hoi        On  nomme 

déen  ;  elale  constitutum,  decretalis  episl 

ou  constitutions  de-  papes,  ayant  nue 
portée  générale  soit  pour  l'Église  entière,  Boil  au 
pour  une  de  ks  parties  notables,  une  ou  plu- 
sieurs province  tlqut  Dans  le  langage  com- 
mun des  canoniales,  on  donne  le  nom  de  constitution 
ou  décret  aux  ordonnances  laib  -  molu  proprio,  et 
l'on  réserve  relui  de  d  aux  ordonnai) 
d'ordre  général  laites  en  réponse  à  des  demandes  ou 


2OT 


DÉCRET  \l  I  - 


208 


consultations,  le  nom  de  retcril  di  constitu- 

tions ayanl  pour  objel  des  personnes  privées  ou  des 
cuise-  d'ordre  particulier.  Les  termes  butte  ou  bref 
indiquent  seulement  la  forme  extérieure  dans  laquelle 
sont  envoyés  l<  décrétâtes,  rescrits,  etc.  \'oir 

nuls. 

A  l'origine,  le  terme  décrétale  avait  un  sens  plus 
étendu  :  il  ne  désignait  pas  seulement  les  ordonn ai 
il  ss  papes,  mais  encore  celles  des  évéques.  Il  avait  aussi 
des  synonymes,  comme  conslitutum,  auctoritas.  Maas- 
sen.  Geschichle  </<■/■  Quellen  und  der  Lileratur  des 
kanonischen  Rechts,  p.  228. 

Le  premier  document,  semble-t-il,  où  le  mot  décrétale 
paraisse  avec  le  sens  que  nous  lui  donnons,  pour  dé- 
signer les  ordonnances  des  papes,  est  la  lettn 
pape  Sirice  à  l'évêque  Himerius  de  Tarragone,  où  il 
dit  :  ad  servandos  canones  et  tenenda  dscrbtalia 
constituta  magis  ac  magis  incilamus.  Maassen, 
op.  cit.,  p.  230, 

Enfin  le  mot  a  reçu  dans  la  suite  un  nouveau  sens  : 
il  désigne  parfois  le  recueil  lui-même  des  décrétâtes. 
II.  Recueils  ou  collections.  —  1°  Antérieurs  à  Gra- 
tien.  —  Provenant  du  chef  suprême  de  l'Église,  les 
décrétâtes  des  papes  avaient  une  très  grande  importance, 
et  les  mêmes  cas  se  représentant  plus  ou  moins  iden- 
tiques partout  et  donnant  lieu  aux  mêmes  difficultés, 
les  réponses  pontificales  étaient  souvent  communiquées 
d'église  à  église.  Bientôt  on  jugea  utile  d'en  faire  des 
collections  ou  recueils  aussi  complets  que  possible. 

De  ces  collections,  les  unes  générales,  les  autres  par- 
ticulières, quelques-unes  sont  à  peine  connues,  d'autres 
ont  été  célèbres.  Voir  l'historique  dans  Maassen, 
op.  cit.  Nous  citerons  seulement  celle  de  Denys  le  Petit, 
avec  ses  formes  ou  ses  modifications  postérieures,  la 
collection  de  Ouesnel,  VHispana,  celle  des  Fausses 
Décrétâtes;  on  en  trouvera  une  liste,  pour  celles  qui  ont 
paru  avant  le  milieu  du  iv  siècle  par  exemple,  dans 
Maassen,  op.  cit.  A  partir  de  cette  date,  les  collections 
qui  étaient  plutôt  disposées  dans  l'ordre  chronologique, 
prennent  un  ordre  systématique,  par  matières,  et  visent 
à  devenir  de  plus  en  plus  complètes.  On  cite  parmi 
elles  la  Collectio  Anselmo  dedicata,  celle  de  Réginon 
de  Prûm,  le  Decrelum  de  Burchard  de  Worins  et 
celui  d'Yves  de  Chartres,  voir  DÉCRETS,  col.  206,  la 
Collectio  Anselmi,  celles  du  cardinal  Deusdedit,  de 
Bonizon,  celle  de  Saragosse,  le  Polycarpus,  etc.  Toutes 
furent  dépassées  et  remplacées  par  celle  de  Gralien  : 
Concordia  discordantium  canonum,  plus  tard  commu- 
nément nommée  le  Décret.  Voir  Gratikn. 

2°  Postérieurs  à  Gratien.  —  1.  Antérieurs  à  Gré- 
goire IX.  —  Le  Decretum  de  Gratien  exerça  dans  le 
domaine  des  études  canoniques  une  influence  féconde, 
et  ce  renouveau  eut  pour  conséquence  naturelle  des 
discussions  de  cas  plus  juridiques,  plus  cohérentes. 
des  appels  au  pape  plus  nombreux.  En  même  temps, 
ei  pour  d'autres  causes  encore,  le  pouvoir  des  papes 
était  appelé  à  s'exercer  davantage;  quand  ces  papes 
étaient  des  hommes  et  des  canoniales  comme  Alexan- 
dre III  et  Innocent  III,  leurs  décrétales,  s'élevant  au- 
dessus  du    eas  terre  à  terre   qu'on  leur  avait  présenté, 

avaient  une  portée  plus  haute  el  pour  ainsi  dire  univer- 
selle, elles  el. lient  plus  dénia  ndéos  ;  aussi  le  le.islre 
d'Alexandre  111,  par  exemple,  ne  contient  pas  moins 
de  8939  numéros  el  celui  d'Innocent  III  plus  de  5000. 

D'autre  part,  les  deux  conciles  de  I.alran  de  1179  el  de 
1215  prirent  des  décisions  1res  importantes  et  d'une 
Fréquente  utilité  pratique.  11  faudrait  s'étonner  si  ces 
textes  n'eussent  pas  été  recueillis  et  ajoutés  au  Décret. 
La  première  collection  que  l'on  adjoignit  ainsi  au 
Decretum  fui  VAppend  Lateranensis.  Divi- 

en  ."iii  parties  (portes]  et  ,">:î7  chapitres,  el  mi 
point  grâce  è  plusieurs  recensions   successives,   elle 
contient   avec    les   statuts  de   Latran  (1179),  d'autres 


pi,  ces,    par  exemple    des  décrétait 

canons  de  conciles.   te|~   rj u.     celui  de   Tours    de    1 
Elle  fut  imitée  par  d'autres  collections  moins  connues  : 
la  Collectio  Bambergensit,  la  Collectio  Lipsiensis,  la 
Collectio   Casselana,  distribuées  toute-  en  division  à 
deux  degrés  :  jiartes,  libri  ou  titutt  et  ta/nla. 

I  ne  nouvelle  collection,  plus  méthodique,  fut  faite 
par  un  des  canonisles  les  plu-  célèbres  de  l'époque, 
Bernard  de   l'a  -   ou   simple- 

ment Papiemis).  Nommée  d'abord,  Breviarium  extra 
gantium,  ou  par  son  auteur,  I  IravaganHum 

et  ailleurs  Décrétâtes  etextrm  Vagantia 

crela]  extra  [Decretum]),  elle  est  d  |  lus  com- 

munément aujourd'hui  sous  le  nom  de  Compilatic  I 
Le  dessein   du   compilateur  était,  comme  celui   de 
devanciers.de  compléter  Gratien.  Mais  ce  qui  le  distingue 
d'eux  tous  et  lui  donne  une  importance  hors  de  pair, 
c'est  l'ordre  dans  lequel    il  distribua   sa  matière  :  il   la 
répartit  en  une  division  à  troi  livres,  tit 

chapitres.  Les  livres  étaient  au  nombre  de  cinq  dont 
la  Glose  exprima  l'ordre  et  l'objet  dans  l'hexamètre 
bien  connu  : 

Judex,  judicium,  clerus,  connubia  isponsalia).  crimen  ; 

le  I«  traitant  de  la  personne  et  des  devoirs  du  juge,  le 
IIe  du  jugement  et  de  la  procédure,  le  IIP  de  l'étal 
clercs  et    des   moines,    le   IV-  du    mariage.    I 
crimes  et  délils.    Dans  ces  cinq    livres   on  avait   réuni, 
sous  152    titres.    932  chapitres.   Malgré  cette  masse  de 
documents,  la  compilation  restait  dans  des  limites  con- 
venables :  l'auteur,  afin  d'alléger  son  œuvre,  avait  fait 
des  coupures  dans  les  documents  très  nombreux,   pa- 
tristiques,  conciliaires,  etc..  dont  il  s'était  servi  :  il  n'en 
insérait  que  la  partie  qu'il  jugeait  nécessaire,  en  omet- 
tant tout  le  reste;  les  omi--  ni  indiquées  par  le 
renvoi    :   et    infra.    La   collection    parut    après    1191, 
lorsque  Bernard  avait  déjà  échangé'  la  prévôté  «le  1' 
contre  l'évêché  de  Faenza. 

Nous  nous  sommes  un  peu  étendu  sur  cette  compi- 
lation, à  cause  de  l'influence  prépondérante  qu'elle 
exerça  sur  les  suivantes  et  en  particulier  sur  celle  de 
re  IX.  Quoiqu'elle  ne  fut  qu'une  œuvre  privée 
et  sans  caractère  officiel .  elle  servit  de  texte  pour  les 
leçons  et  fut  commentée  par  les  maîtres  qui  l'entou- 
rèrent de  gloses.  Aussi,  de  ce  jour,  les  canonisles. 
jusque-la  nommés  décrétistes,  reeurent  parfois  le  nom 
de décrétattstesXa  citation  des  textes,  quand  on  y  ren- 
voyait, se  faisait  en  indiquant  le  chapitre,  suivi  du  mot 
Extra  ou  simplement  X  et  de  l'énoncé  du  titre. 

L'exemple  de  Bernard  fut  imité.  Ses  successeurs 
continuèrent  son  œuvre  en  colligeant  les  textes  qui  lui 
avaient  échappé  en  même  temps  que  les  décrétales 
nouvelles  et  l'on  eut.  dans  l'ordre  chronologique,  les 
Compilationes  III  .  //  .  IV*  et  V*,  pour  ne  mentionner 
que  celles-là.  Deux  d'entre  elles  eurent  un  caractère 
officiel,  la  Compilatio  III*,  envoyée  par  1  un,  •cent  111  lui- 
même  a  l'université  de  Bologne,  afin  qu'elle  servit  tatn 
in  judiciis  quam  in  scholis,  bulle  Devotionis  vestrm 
(28  décembre  1210  .  et  la  Compilatio  F»,  envoyée  aussi 
par  llonorius  111  à  l'illustre  canoniste  Tancrède,  alors 
archidiacre  de  Bologne,  avec  Tordre  quatenus  e 
letnniter  publicatis,  absque  ullo  scrupulo  dubitatio- 
nis  ut  arts,  et  al>  aliis  recipi  farias,  ta»>  in  judiciis 
(/iicoji  in  scholis.  Bulle  A  i  sariini,  de  1236  ou 
1227.  routes  ces  collections  étaient  faites  sur  le  modèle 
le  de  Bernard  de  Pavie. 
L'un  des  motifs  qui  axaient  pousse  Innocent  111  i 
donner  sa  compilation  et  à  l'envoyer  à  l'université  de 
Bologne,  cet. ut  d'exclure  une  compilation  faite  par 
Bernard  de  Compostelle  qui  contenait  de-  décrétales 
rejetées  par  la  curie  romaine.  Mais  toutes  les  difficultés 
n'étaient  pas  exclues  de  ce  fait.  Grégoire  IX  a  marqué 
lui-même  en    termes  concis  les  défauts  de  toutes  ces 


209 


DECUETALES 


210 


collections  qui  se  succédaient  sans  se  remplacer  abso- 
lument :  l'incommodité  d'avoir  recours  à  plusieurs 
ouvrages  à  la  fois  trop  semblables  (par  l'accumulation 
des  mêmes  textes)  et  trop  divers  (par  l'insertion  de 
textes  parfois  contradictoires);  d'où  résultait  l'incerti- 
tude sur  la  valeur  juridique  des  sentences  portées 
d'après  ces  décrétales. 

2.  Les  Décrétales  île  Grégoire  IX.  —  A  peine  monté 
sur  le  trône  pontifical  où  son  grand  âge  ne  permettait 
pas  au  pape  octogénaire  l'espoir  de  longues  années, 
Grégoire  IX  voulut  porter  remède  à  ces  défauts  et 
mettre  dans  cette  confusion  un  peu  d'unité.  En  1230, 
il  chargea  son  chapelain  et  pénitencier,  le  dominicain 
Raymond  de' Pennafort,  déjà  renommé  comme  doctor 
decretorum ,  de  faire  une  nouvelle  collection  destinée  à 
remplacer  toutes  les  autres.  Non  seulement  on  obtien- 
drait l'unité  matérielle  en  remplaçant  les  Quinque 
compilaliones  par  une  seule,  mais  on  lui  donnerait 
l'unité  intérieure  d'une  procédure  logique  et  cohérente, 
soit  en  supprimant  les  textes  anciens,  soit  même  en 
les  modifiant,  et  le  tout  serait  mis  au  point  par  l'inser- 
tion des  nouvelles  décrétales  parues. 

Raymond  se  mit  à  l'œuvre  aussitôt.  Afin  de  ne  pas 
troubler  des  habitudes  reçues,  il  conserva,  des  compi- 
lations existantes,  tout  ce  qui  pouvait  être  maintenu, 
le  cadre,  la  division  en  cinq  livres  subdivisés  en  titres 
et  en  chapitres.  Plus  encore,  il  admit  dans  la  sienne 
tous  les  titres  de  la  Compilatio  1»,  10  de  la  7/-',  17  de 
la  lll*,  1  de  la  IV";  il  n'en  ajouta  que  cinq  nouveaux. 
Le  total  donnait  185  titres  divisés  en  1971  chapitres,  des- 
quels 17(iti  \enaient  des  compilations  précédentes;  196 
étaient  l'apport  du  pape  régnant,  et  fiô  d'entre  eux,com- 
posés  sur  la  demande  de  Raymond,  avaient  pour  but 
de  trancher  les  questions  controversées.  Comme  ses  pré- 
décesseurs, et  en  particulier  Rernard  de  Pavie,  l'auteur 
avait  visé  à  la  brièveté  et  omis  tout  ce  qui  ne  lui  pa- 
raissait pas  nécessaire  à  la  solution  (entre  autres  l'ex- 
posé du  cas  qui  avait  été  soumis  au  pape,  les  species 
facti);  les  passages  omis  sont  connus  sous  le  nom  de 
parles  dccisœ  et  ils  sont  indiqués,  comme  dans  Rer- 
nard. par  le  renvoi  :  et  infra. 

Raymond  de  Pennaforl  n'avail  pas  visé  à  faire  une 
œuvre  originale.  En  prenant  les  textes  connus,  il  ne 
remonta  pas  aux  soui  et  se  contenta  de  les  insérer 
cornue'  les  donnaient  les  Quinque  compilaliones.  Ces 

-  provenaient   de   la   sainte  Ecriture,  des  canons 

onciles,  depuis   celui   de  Sardique 
jusqu'au  l\    de  Latran    1215),  des  décrétales  pontifi- 
depuis   lioniface   I"  jusqu'à   Grégoire    IX,  des 
Pi  i'  -  de  l  l  glise,  d<  •  ordines  roniani,  de-  pénitentiels, 
ois  civiles;  quelques  Fausses  Décrétales  alors  re 
Dtrèrenl  aussi    A  l'intérieur  de  chaque  titre  il 
disposait    ordinairement    les    chapitres    dans    l'ordre 
chronologique,  ce  qui  existait  déjà,  au  moins  en   par- 
dans  quelques-unes  des  compilations  précédentes, 
par  exemple  celle  de  Bernard.  Mais,  c tes  de- 
vanciers aussi,  il   ne  se  priva   pas  de  mettre  en  mor- 
des constitutions  pontificales  afin  de  i    partir  ces 

-  dans  les  divers  titres  ou  chapitres  où  elles  pou- 
raienl  ''ire  utiles  ;  c'est  ainsi  que  l'on  voit  la  constitu- 
tion Pastoralit  officii  d  Innocent  III  divisée  en  treize 
morceaux.  Mieux  encore,   non  content  des  déi 

qu  il  obtenait  du  pape  afin  de  trancher  cer- 
taines difficultés,    il    employait    d'autr rens  que 

trouverionf     aujourd'hui     moins     acceptables, 

im  en  .  lustinien,   par  exemple,   avaient 

admis,   comme    les   modifications    de    i,  (tes    ou    des 

interpolai' 

Le  nouveau  compilateur  mena  s, m  oeuvre  avec  une 

de  activité.   Dans  le  bn  i  espai  e  de  quatre  ans,  la 

nouvelle  collection  était  achi     •     La  bulle  Reœ  pacifi- 

«  ui   ins<  !■  i   dan    touti     les  éditiom  en  lécri 

ptembre   1231    •  nvoyi  e  de  Spoli  te  aux 


universités  de  Paris  et  de  Pologne,  donnait  à  l'œuvre 
de  Raymond  de  Pennafort  le  caractère  d'une  collection 
officielle  :  elle  seule  serait  enseignée  dans  les  écoles  et 
employée  dans  les  cours  ecclésiastiques,  et  il  était  in- 
terdit d'en  faire  une  nouvelle  sans  l'autorisation  du 
saint-siège  :  Volantes  igitur,  ut  hac  tanlum  compila- 
tione  universi  utanlur  in  judiciis  et  in  scholis,  di- 
slrictius  proliibemus,  ne  quis  prxsumat  aliam  facere, 
absque  auctorilale  sedis  aposlolicm  speciali. 

Le  pape  fut  obéi.  La  nouvelle  collection,  que  l'on 
nommait,  à  défaut  d'un  titre  officiel  donné  par  le  pon- 
tife, tantôt  Penlateuchus,  tantôt  et  plus  communément 
Exlravagantium  liber,  servit  de  texte  à  l'enseignement 
des  écoles  et  fut  l'objet  de  gloses  et  commentaires  dé- 
signés sous  le  nom  de  Summse,  Distinctiones,  Notabi- 
lia,  Casus,  Margarilae.  Ces  gloses  furent  nombreuses 
et  plusieurs  très  renommées,  parmi  lesquelles  on  peut 
mentionner  YApparalus  d'Innocent  IV,  la  Sunima 
d'Henri  de  Suse  plus  connu  sous  le  nom  de  son  titre 
cardinalice  Hostiensis,  la  Glossa  ordinaria  complétée 
et  achevée  par  Johannes  Andreae,  les  Leclurse  de 
Panormitanus. 

On  a  dit  plus  haut  que  la  collection  avait  une  valeur 
de  collection  officielle.  Les  textes  qu'elle  contenait, 
quelle  qu'en  fut  l'origine  ou  l'authenticité  historique, 
avaient,  de  par  la  volonté  du  pape,  force  de  loi.  Le 
législateur  donnait  ainsi  une  authenticité  à  tout  ce  que 
contenaient  les  cinq  livres.  Môme,  on  pouvait  désor- 
mais invoquer  comme  lois  non  seulement  le  texte  de 
chaque  chapitre,  mais  celui  des  titres  dont  l'énoncé 
donnait  un  sens  complet,  ceux-ci  par  exemple  :  Ut 
lite  non  contestata  non  procedatur  ad  testium  re- 
ceptionem  vel  ad  senlentiam  definitivam,  1.  II, 
lit.  vi;  Ne sede vacante aliquid  innovetur,  1.  III,  tit.  ix; 
De  magistris,  et  ne  aliquid  exigalur pro  licenlia  do- 
cendi,\.  V,  tit.  v;  De  simonia,  et  ne  aliquid  pro  spiritua- 
libus exigatur  vel  promitiatur,  1.  V,  tit.  m.  Par  là, 
cette  collection  se  distinguait  nettement  de  celle  de 
Gratien,  par  exemple,  où  les  textes  n'avaient  originai- 
rement d'autre  valeur  juridique  que  celle  de  la  source 
authentique. 

Par  contre,  rien  n'était,  changé,  naturellement,  à  la 
valeur  historique  des  documents  cités  :  la  volonté  du 
pape  ne  pouvait  faire  que  les  pièces  apocryphes,  s'il 
s'en  rencontrait,  ne  demeurassent  pas  apocryphes  his- 
toriquement. 

Quant  à  la  manière  de  citer,  on  appliqua  aux  Décré- 
tales de  Grégoire  l\  le  mode  usité'  pour  les  compilations 
antérieures  et  que  réclamait  le  titre  même  d' Extrava- 
gantes qu'on  lui  donna  longtemps  :  on  renvoyait  aux 
textes  en  citant  le  numéro  d'ordre  et  les  premiers  mots 
du  chapitre,  ou  l'un  ou  l'autre  seulement,  suivi  des 
initiales  Extra  ou  bien  K,  du  numéro  du  livre  et  du 
titre  ou  de  son  numéro  d'ordre  dans  le  livre;  ainsi. 
par  exemple,  le  c.  Omnis  utriusque  sexus  du  IV''  con- 
cile de  Latran  sur  la  confession  annuelle  et  la  commu- 
nion pascale  ('tait  indiqué  :  c.  12.  Omnis  utriusque 
sexus,  ou  c.    12,  ou  c.  Omnis  utriusqiii  x.  /'e 

psenitentiis  et  remissionibus,  ou  bien  \.  Y.  xxxvm. 

Une  œuvre  destinée  ainsi  à  l'usage  quotidien  eut.  dès 
l'invention  de  l'imprimerie,  des  éditions  nombri  e 

on  en  a  compté'  plus  de  quarante  depuis    liT  ;    date  'le 

la  première,  jusqu'à  l'an  1500.  i  n  1580,  le  texte  souvent 

corrompu,  fui  -  une  révision  officielle,  par  les 

ordres  de  Grégoire  \  1 1 1  .  le  pou  nie  en  confia  la  i  h 
aux  '  romani,  Franciscus    Pegna  >i  sixtu- 

Fabri,  qui  venaient  de  remplir  le  méi ffice  pour  le 

Décret  de  Gratien     deux  .ms  après,  en  1582,  l'édition 

titn     D  /<  Grtgo- 

,  n  IX  nus  integrilai  elques 

années  au]  Le  (  lonb    I  ontiui    publiait 

■    \n ■■  ■  i     nne  éd n  dans  laquelle  ||  avait  n  lnt< 

|i  m  place  li  -  partes  cfo  >s.v.  a  partit  de  1681,  la  plupai  i 


211 


DÉCRÉTALES     LES    FAI  SSES 


212 


des  éditione   bftloises  du   Corpus  juria  donnèrent 
parles  decitm,  mais  en  les  renvoyant  à  la  Bn  de  chaque 
chapitre;  toutefois    ce   ne  fut   que  dans    l'édition    de 

,1.  II.  Bôh i'17'iTi  que  l'on  vil  se  faire  jour  la  pensée 

il.-  remonter  aui  sources  afin  il'1  restituer  leur  texte  au- 
thentique; l'édition  de  Richter  (1839)  apporta  de  nou- 
velles améliorations;  l'édition  de  Friedberg  1 1881 1  semble 
seule  donner  enfin  satisfaction  aus  exigences  de  la  cri- 
tique. 

'A.  Les  collections  postérieures  à  Grégoire  IX-  — 
Après  la  bulle  Rex  pacifiais,  le  rôle  de  la  papauté  con- 
tinua de  grandir  et  son  inlluence  de  s'étendre;  les  nom- 
breuses  décrétâtes,  données  en  réponse  aux  questions 
posées  de  toute  part,  furent  recueillies  encore  [il us  fidèle- 
ment. On  peut  lire  dans  Schulte  la  liste  de  ces  collec- 
tions; plusieurs  d'entre  elles  eurent  un  caractère  offi- 
ciel, comme  celle  d'Innocent  IV  dont  les  textes  étaient 
destinés  à  être  insérés  dans  la  compilation  de  Grégoire  IX  : 
elle  fut  envoyée,  elle  aussi,  aux  universités  de  Paris  et 
de  Bologne  avec  l'ordre  de  s'en  servir  à  l'exclusion  de 
toute  autre;  ainsi  encore  celle  de  Grégoire  X,  envoyée 
avec  les  mêmes  prescriptions  aux  universités  de  Paris. 
Bologne  et  Padoue  ;  celle  de  Nicolas  III,  adressée  à 
l'université  de  Paris. 

Les  mêmes  difficultés,  qui  avaient  rendu  nécessaire 
la  compilation  de  Raymond  de  Pennafort  après  les  col- 
lections officielles  d'Innocent  III  et  d'Honorius  III,  ins- 
pirèrent à  Boniface  VIII  de  publier  un  nouveau  recueil 
qui  dispensât  des  précédents.  Il  en  confia  la  préparation 
à  trois  canonisles,  un  Italien,  Richard  de  Sienne,  et  deux 
Français,  Guillaume  de  Mandagout  et  Rérenger  Frédoul  ; 
l'œuvre  nouvelle  reçut  le  nom  de  Sexte.  Voir  ce  mot. 

A  son  tour,  Clément  V  estima  utile  de  continuer 
l'œuvre  de  son  prédécesseur.  Il  fit  réunir  ses  décré- 
tâtes et  les  décisions  du  concile  de  Vienne.  La  collec- 
tion ne  parut  toutefois  qu'après  sa  mort,  par  les  soins 
de  Jean  XXII  son  successeur.  Voir  Clément  V,  t.  m, 
col.  08. 

Pour  les  Extravagantes  communes  et  celles  de 
Jean  XXII,  voir  EXTRAVAGANTES. 

.Nous  terminerons  par  quelques  indications  sur  deux 
collections  sans  valeur  officielle  et  néanmoins  intéres- 
santes, qui  portent  toutes  deux  le  même  titre  :  Liber 
septimus  Decretalium .  La  première  fut  une  œuvre  pri- 
vée :  c'est  le  Liber  septimus  du  canoniste  lyonnais 
Pierre  Matthieu,  qui  y  réunit  les  décrétâtes  des  papes, 
à  partir  de  Sixte  IV.  auquel  s'arrêtaient  les  Extrava- 
gantes communes,  jusqu'à  Sixte-Quint.  Elle  parut  à 
Lyon  en  1590.  Divisée  comme  les  précédentes  en  livres, 
titres  et  chapitres,  elle  est  annexée  à  la  suite  îles  autre- 
dans  presque  toutes  les  éditions  du  Corpus  juris  depuis 
1590.  Voir  t.  il,  col.  1345-1346.  La  deuxième  collection, 
entreprise  sur  l'ordre  de  Grégoire  XIII  et  confiée  par 
Sixte  V  au  cardinal  Pinelli,  était  destinée  a  devenir 
officielle.  Clément  VIII.  qui  y  avait  travaillé  étant  car- 
dinal, voulait  en  faire  un  recueil  semblable  à  ceux  de 
Grégoire  IN.  Boniface  VIII,  etc.  Mais  diverses  considé- 
rations empêchèrent  de  lui  donner  la  promulgation 
nécessaire,  celle-ci  en  particulier,  que  la  nouvelle  col- 
lection serait  sans  doute  l'objet  de  gloses  et  de  com- 
mentaires comme  les  précédentes;  or,  connue  elle 
contenait  les  décrets  du  concile  de  Trente,  la  publica- 
tion de  ces  gloses  serait  en  contradiction  avec  la  bulle 
Benedictus  Deus,  qui  interdit  aux  particuliers  m  décréta 
concilii  commentarios  ri  interpretationes  suas  ■ 
Aussi  le  volume  imprimé  en  1598  ne  reçut  ancune  publi- 
cité, et  il  était  à  peu  près  inconnu,  lorsque  Fram 
Sentis  l'édita  de  nouveau  en  1870  sous  ce  titre  :  '.'/<■- 
mentis  papa  \lll  Décrétâtes  quss  vulgo  nuncupantur 
liber  septimus  Decretalium. 

III.  Ces  collections,  soi  mis  raËOLOGiQi  es.  Bien 
qu'elles  soient  île  leur  nature  collections  canoniques,  li  s 
décrétâtes  intéressent  les  théologiens,  soit  parce  qu'elles 


contiennent  plusieurs  textes  dogmatiques  des  coni 
en  particulier  dans  le  titre   /'  a    Trinitate  et 

fide  catholica,  qai  ouïe  ].,   jérii   des  testes,  ~"it    pu 
suite  de  l'union  qui  existe  naturellement  entre  les  appli- 
cations de   la  loi  canonique  et   les  principes  dof 
tiques  qui  l'inspirent 

La  bibliographie  des  I'  breuse;  on 

ra  i' i  seulement  les  ouvragi  plus  utiles  : 

a.  Tbelner,  Disquisitiones  critica",  Rome,  1K*j:  Phillips,  A'ir- 
chenreclit,  t.   iv  ;   Maassen,  Geêchichle  n  und  der 

Literatur  des  kanonischen  Bechle,  ' .rat/,  ihto.  t.  i  ;  i 
Bemardi  Papiensis^Faventini  ep  ■  Décret 

Ratisbonne,    1860;  Aem.   P"i 

D   du    Corpus  juris,    tu:   I 
antiquai  neenon  coUectx 

Ir.  Schulte,  Die  Geschichte  der  Q  i   Literatur  des 

canonischen   Bechta,  Stuttgart,  1S75.  t.  i  et  n;  Fr.   Laurin, 
Introductio   m   Corpus  juris  canonici,  Fn! 

\ .  Tardif,  Histoire  des  n 
P.    Schneider,   Die    Lettre   von    den    Kirchenrechisifnellen. 
■1-  édit.,  Ratisbonne,  1- 

A.  Vulliek. 
2.  DÉCRÉTALES  (LES  FAUSSES).  -  1    Nom. 
II.  Division.  III.  Date  de  la  collection.  IV.  But  V.  Patrie. 

VI.  Inlluence  sur  la  discipline  ecclésiastique. 

I.  Nom.  —  On  donne  le  nom  de  Fausses  Décrétâtes 
à  une  collection  canonique,  divisée  en  trois  partie-, 
contenant  des  décrétâtes  des  papes  et  des  canons  des 
conciles,  qui  parut  vers  le  milieu  du  IX'  siècle. 

On  la  qualifieaussi  de  pseudo-Isidorienne,  parce  que 
le  compilateur  s'attribue  le  nom  d'Isidore.  Sa  pn  : 
en  effet,  commence  par  ces  mots  :  Isidorus  Mercator 
serras  Chrisli,  et  le  titre  qui  la  précède  est  ordin 
ment   :  Incipii  prmfatio  SANCTt  istDORt  libri   I, 
Le  nom  d'Isidore  a  été  pris  en  souvenir  de  saint  Isi- 
dore  de  Séville,  la  nouvelle  collection    se  présentant 
comme  une  édition  améliorée  et  augmentée  d'une  col- 
lection plus  ancienne  de  décrétâtes  et  de  conciles,  dite 
fftsj  ana,  mise  naturellement  sous  le  patronage  du  plus 
célèbre  des  évéques  d'Espagne  dans  le-  socles  pas 
saint  Isidore  de  Séville.  Quant   au  nom  de  Mercator  — 
on  trouve  parfois  Peccalor,  ou  même  Mercatus  — 
viendrait,  dit  M,  Paul  Fournier,  après  Hinschius, 
l'utilisation  faite  par  Isidore  de  deux  pa-s.,_,  -  de  Ma- 
rins Mercator.  »  Etude  sur  les  Fausses  Décrétâtes,  dans 
la  Reçue  d'histoire  ecclésiastique,  1ÏHX5.  p.  34,  note. 

II.  Division.  —  La  collection  se  divise,  comme  nous 
l'avons  dit,  en  trois  parties. 

La  lre  contient  :  I"  la  préface  du  pseudo-Isidore. 
linée  à   recommander   son  livre;  ■!   deux  lettres  apo- 
cryphes, l'une  de  l'évéque  Aurelius  de  Carthage  au  pape 
Damase  pour   lui  demander  le  recueil  des  déci- 
des   papes    qui    l'ont     précède,    l'autre,    la    prétendue 
réponse  de  Damase;  3°  VOrdo  de  celebrando  concilia, 
édition  d'une  pièce  authentique,  le  canon  4  du  IV»  con- 
cile de  Tolède  augmentée  de  prières;   1°  une  table  de- 
canons  des  apôtres,   des  décrétâtes  des  papes  jusqu'à 
Melchiade    et   l'indication   des  conciles  :  Breviarium 
iium  apostolorum  etprimoruma  sanctà  Clémente 
usquead sanclum  Silveslrum  alque  diversorum  . 
Iioriim...  ;  5*   une  lettre  (fabriquée  aussi    de  saint  Jé- 
rôme au  pape  Damase,  pour  demander  le  récit  des  faits 
et  -estes  de- premiers  papes;  ti   les  canons  d   - 
au  nombre  de  cinquante  ;  7    soixante  lettres  ou  d 
taies  apocryphes  des  pape-,   de  saint  Clément  à  saint 
Melchiade,  toutes   fabriquées  par  le  pseudo-Isidoi 
l'exception  des  deux  lettres  de  Clément  ad  Jact 
fratrem    Oonitni   Ma    première    vient    dune    source 
qne  et  fut  traduite  en  latin  par  Rufin.  le  compila- 
teur n  i    pu  s'empêcher  d'j    joindre   un  complément; 
la  deuxième  se  trouve  également  dans  les  collections 
antérieures,  le  pseudo-Isidore  l'a  complétée  aussi 

fantaisie. 

La   11'    partie  contient  les   textes  d'un  certain  lue 


213 


DÉCRÉTALES    (LES   FAUSSES; 


214 


de  conciles  précédés  de  quelques  nouvelles  pièces  apo- 
cryphes, qui  sont  :  1°  une  brève  dissertation  de  primi- 
tive* Ecclesia  et  stjnodo  Nicxna,  composée  par  le 
pseudo-Isidore  ;  2°  Vexemplar  constiluli  domni  Con- 
slantini  imperatoris,  contenant  en  particulier  la  fa- 
meuse donation  de  Constantin,  antérieurede  plus  d'un 
demi-siècle  à  l'éditeur  de  la  compilation;  3°  quelques 
lignes  seulement,  empruntées  àYHispana,  sous  le  titre: 
Quo  iempore  action  sit  Nicaenum  concilium ;  4°  une 
prmj'atio  Nicxni  concilii,  qui  se  lit  déjà,  à  l'exception 
de  quelques  passages  que  le  prétendu  Isidore  prit  dans 
Ru  lin,  dans  une  collection  antérieure  dite  collection  de 
Qaesnel,  du  nom  de  son  premier  éditeur;  5°  une  autre 
et  courte  préface  en  cinq  distiques,  tirée,  celle-ci,  de  la 
collection  Dionysio-Hadriana  ;  viennent  enfin  tous  les 
conciles  de  la  Collectif)  Hispana,  auxquels  on  a  ajouté, 
à  la  suite  du  IVe  concile  de  Tolède,  les  autres  du  Ve  au 
XIIIe.  L'ensemble  est  authentiquée  quelques  exceptions 
près.  Ces  exceptions  sont  :  a;  VEpistola  formata 
Atlici  episcopi  Conslantinopolitani ,  empruntée  proba- 
blement à  Y  Hispana,  insérée  après  les  conciles  grecs  ; 
b)  YEpistola  Aurelii  Mizoniique,  insérée  après  les 
titres  des  canons  du  I"  concile  de  Carthage,  tirée  de 
la  collection  de  Quesnel;  c)  l'interpolation  du  mot 
chorepiscopos  dans  les  premières  lignes  et  les  derniers 
mots  du  canon  7  du  IIe  concile  de  Séville,  interpola- 
tion qui  parait  bien  être  du  pseudo-Isidore. 

La  III'  partie  reprend  les  décrétales  des  papes  : 
Item  incipiunt  capitula  Decrelalium  vencrabilimn 
apostolicorum  sanctse  Romanse  sedis  Ecclesix,  à 
l'image  de  ce  qui  formait  la  seconde  partie  de  la  col- 
lection Hispana,  et  comprend  les  décrélales  des  papes, 
de  saint  Silvestreà  saint  Grégoire  le  Grand,  avec  quel- 
ques décrets  de  Grégoire  II.  De  cette  longue  série  de 
textes,  un  tiers  environ  est  apocryphe;  mais  il  n'entiv 
pas  dans  le  plan  de  ce  dictionnaire  d'en  exposer  le 
long  et  minutieux  détail  :  on  le  trouvera  dans  l'édition 
qu'a  faite  de  toute  la  collection  P.  Hinschius.  Tout  ce 
qu'il  convient  de  dire,  c'est  que  les  treize  premières 
décrétales,  jusqu'au  pape  Damase,  sont  apocryphes  ; 
apocryphes  aussi  eu  entier  celles  d'Anastase  I",  sixte  III, 

I  '.  Félix  IV,  Boniface  II,  Jean  II,  Agapit,  Silvère, 
Pelage  Ier,  Jean  III,  Benoit  [«■,  Pelage  II;  apocryphes  en 
parlie  celles  de  Damase,  Léon  le  Grand,  Symmaque, 
V'igili      '    Grégoire  le  Grand.  Noua   ne  pouvons   pas 

r  non  plus  dan-  le  détail  des  classes  et  des  sous- 
classes  de  manuscrits  que  Hinschius  a  reconnues  et 
entre  lesquelles  il  répartit  les  diverses  éditions  non  im- 
primées qui  nous  sont  parvenues. 

III.  Date  de  i.\  collection.  —  La  question  que  nous 
devrions  logiquement  examiner  serait  celle-ci  :  quel 
esi  l'auteur  di  ompilalion?  Avouons  tout    de 

suite  qu'on   l'ignore,   que  les  identifications  proposées 

eut  trop    sui   de   pures  hypothèses   et  que  leurs 

auteurs  ne  les  émettent  qu'avec  la  plus  extrême  réserve. 

Aussi  s'est-on  attaché  surtout  à  fixer  la  date  de  l'œu  vrc 

et  le  butque  le  compilateur  a  poursuivi. 

Le  recueil  n'est  pas  daté.  On  peut  néanmoins  serrer 

/  près  I  époque  précise  où  il  parut.  «  Il  est  cer- 
tain, dit  M.  P.  I  oui  nier.  op.  'il  .  p.  302,  que  Loup, 
abbé  de  Ferrièn  -  cite  une  décision  des  Fausses  Décré- 
lales, attribuée  au  pseudo-Melchiade,  dans  une  lettre 
ou  dam  un  projet  de  lettre  adressé  en  B58aupape 
Nicolas  I  ■'.  Il  est  non  moins  certain  que  plusieurs 
textes  de-  i  m  e  Décrétales  sont  cités  dans  la  lettre 
synodale  écrite  en  867  au  nom  du  roi  Charles  le  Chauve 
par  li    concile  de  Quierzy.  i  II  j  a  plus.  Une  citation 

Indubitable  des  Fau         D    i  I ve  dan 

statuts  donnés  par  Hincmar  de  Reims  A  ton  dioci 
promulgés  i     t     novembre  852.  Les  efforts  que 
lains  auteurs  ont  fait-  pour  délai  ni  i  di  -  statuts  la  cita- 
tion emprunté'  m  pseudo-Isidon  n'ont  pas  été  couron- 
nés il  ■  la  date  du  I"  novi  mbre  862  reste  una 


nimement  acceptée.  La  collection  était  donc  certaine- 
ment compilée  avant  cette  date.  L'était-elle  depuis 
longtemps?  Il  est  plus  malaisé  de  fixer  la  date  précise  ; 
mais  on  peut  affirmer  qu'elle  est  postérieure  aux  capi- 
tulaires  de  Benoit  Lévite.  De  l'avis  commun  des  histo- 
riens, les  Fausses  Décrétales  dépendent  de  ces  pseudo- 
capitulaires;  or  les  capitulaires  ont  paru  certainement 
après  la  mort  d'Otgar  de  Mayence,  survenue  le  21  avril 
8i7  :  Benoit  Lévite  parle  d'Otgar  comme  étant  déjà 
mort  : 

Autcario  demum,  quem  tune  Moguntia  summum 
Pontificem  tenv.it,  pracipiente  pio. 

Le  21  avril  847  et  le  1er  novembre  852  sont  donc  les 
deux  dates  extrêmes  entre  lesquelles  doit  se  placer  la 
compilation  des  Fausses  Décrétales.  Un  autre  argu- 
ment, développé  par  quelques  auteurs,  est  d'une  valeur 
trop  discutée  pour  que  nous  croyions  utile  de  le  repro- 
duire dans  un  exposé  sommaire. 

IV.  But.  —  On  a  discuté  beaucoup  autrefois  sur  le  but 
que  se  proposait  le  compilateur  ou  l'artisan  de  tant 
de  pièces  apocryphes  ou  falsifiées.  A  l'époque  des  luttes 
ardentes  du  protestantisme,  du  gallicanisme  ou  dujo- 
séphisme  contre  Rome,  on  affirmait  volontiers,  parmi 
les  hétérodoxes  de  toute  couleur,  que  le  pseudo-Isidore 
avait  eu  pour  but  de  favoriser  la  suprématie  du  pape  et 
d'exagérer  ses  pouvoirs.  C'était  l'opinion  des  David 
Blondel,  Gibert,  de  Marca,  Doujat,  van  Espen,  Febronius, 
Eichhorn,  Theiner.  Elle  a  perdu  aujourd'hui  toute 
créance  chez  les  savants,  à  quelque  foi  religieuse  qu'ils 
appartiennent.  D'autres  attribuent  au  faussaire  des 
vues  particulières  plus  restreintes,  par  exemple  le  réta- 
blissement d'Ebbon  sur  le  siège  de  Beims,  la  création 
d'un  siège  primatial  à  Beims  ou  à  Mayence,  le  souci 
d'assurer  la  sécurité  de  certains  prélats  menacés  d'une 
déposition  imminente  (Aldric  du  Mans  ou  même  Otgar 
de  Mayence).  D'autres  enfin  pensent  que  ce  n'est  pas 
dans  des  vues  aussi  mesquines  et  de  simple  intérêt  parti- 
culier que  le  faussaire  a  pu  rassembler  une  telle  quan- 
tité de  matériaux  :  la  petite  cause  qu'il  eût  prétendu 
défendre  par  là  en  eût  été  écrasée. 

Le  but  que  poursuit  l'auteur  doit  ressortir  des  textes 
mêmes  qu'il  a  amoncelés  et  fabriqués.  On  ne  le  décou- 
vrira que  difficilement  dans  les  textes  authentiques  ou 
autres  qu'il  a  en  commun  avec  les  collections  anté- 
rieures; on  le  trouvera  plutôt  dans  les  pièces  qu'il  a 
lui-même  fabriquées  ou  retouchées.  C'est  donc  par 
l'étude  des  apocryphes  que  nous  pourrons  discerner  le 
but  poursuivi.  Et  encore,  parmi  les  pièces  fabriquées, 
n'attachons  pas  une  importance  excessive  à  celles  qui 
ont  pour  dessein  de  combler  les  lacunes  du  Liberpon~ 
li/icalis,  souvent  exploité  par  lui,  en  forgeantdes  déci- 
sions qui  correspondent  au  récit  de  ces  annales  ponti- 
ficales. 

Il  est  une  idée  sur  laquelle  le  pseudo-Isidore  insiste 
à  cent  reprises.  C'est  elle  qu'il  a  en  vue  quand  il  fait 
remarquer  que  c'est  chose  grave  que  d'accuser  un 
supérieur;  qu'il  faut  de  nombreuses  conditions  pour 
qu'un  accusateur  mérite  d'être  entendu  ;  que  les  ' 
ne  doivent  accuser  ni  les  clercs  ni,  à  plus  forte  raison, 
les  évèques;  que  dans  un  procès  contre  les  clercs  le 
seul  tribunal  compétent  esl  le  tribunal  ecclésiastique; 
que  le  juge  des  évèques  ce  ne  sont  pas  les  laïc 

ils  princes,  mais  le   métropolitain   ou   b'   prim.it  :> 

d'au  moins  douze  -  |  que  ce  juge  mémi 

pourra  jamai  -  déposer  >m  évéque 
an  pape  seul  compétent  s  cette  fin,  et  que  tout  évéque 
lé  ou  condamné  peut  toujours  en  appeler  au  pape. 

.elle    qu'il    pense   qu.lllll    il     I  .1  |i|M  I  le    .,  \  er  i  |l|el  soit! 

minutieux  on  doit  suivre,  dam  l'acte  même  du  pi 

de  la  justice,  ne  iur  ai  aucun  absent,  ai  p  i  - 

miiir  ei  de  vexations  inutiles,  lui  restituer 

iblemenl  ce  qui  lui  aurait  été  enlevé;  quand  il 


4Jir. 


DÉCRÉTALES   [LES   FAI  5S1  - 


210 


affirme  que,  même  condamné,  l'accusé*  pourra,  sa  pé- 
nitence  accomplie,  rentrer  dans  i  exercice  de  son  mi- 
niatère  ecclésiastique  ou  du  moins  bénéficier  «lime 
translation.  C'esl  elle  encore  qui  l'inspire  quand  il 
exige  des  témoins  invoqués  pour  confirmer  une  accu- 
sation contre  un  évéque  les  mômes  garanties  qu'on 
demandée  un  accusateur;  qu'onne  tienne  compte  que 
des  aveux  faits  librement  et  sur  les  faits  personnels  à 
celui  qui  avoue,  tout  écrit  extorqué  par  violence  ou 
par  fraude  devant  être  considéré  comme  nul  ;  que  l'ac- 
cusé ait  les  pi  us  grandes  facilités  pour  recueillir  ses 
moyens  de  défense  et  les  faire  valoir. 

L'indépendance  réclamée  pour  les  causes  judiciaires 
de  l'Kylise,  des  clercs  et  des  évéques,  le  pseudo-Isidore 
la  réclame  aussi  pour  soustraire  aux  convoitises  des 
laïcs,  ou  même  de  certains  clercs,  les  biens  ecclésias- 
tiques, garantie  de  liberté  pour  le  pouvoir  spirituel;  il 
sanctionne  même  ses  réclamations  par  la  menace  ou  la 
réalisation  de  peines  graves,  comme  l'excommunication, 
contre  ceux  qui  auraient  empiété  sur  les  droits  de 
l'Église.  Et  si,  alin  d'assurer  cette  indépendance  des 
personnes  et  des  biens  ecclésiastiques,  le  pseudo-Isi- 
dore se  tourne  si  franchement  vers  Home  à  laquelle  il 
reconnaii,  mieux  qu'on  n'avait  fait  jusque-là,  le  pouvoir 
suprême,  c'est  qu'une  église  particulière,  comme  toute 
parlie  divisée,  ne  peut  trouver  un  appui  efficace  que 
dans  son  centre. 

II  ne  suffit  même  pas  à  l'Église  d'échapper  à  l'asser- 
vissement extérieur.  11  faut  éviter  aussi  le  péril  de  la 
désorganisation  intérieure;  et  le  plus  sûr  moyen  d'y 
parvenir,  c'est  de  fortifier  de  plus  en  plus  les  cadres  de 
sa  constitution.  Au  degré  inférieur,  la  subordination  du 
curé,  cbef  de  sa  paroisse,  a  l'évêque,  chef  du  diocèse, 
comme  les  soixante-douze  disciples  furent  soumis  aux 
apôtres.  Au  dessus  des  curés,  et  sans  aucun  intermé- 
diaire, l'évêque  élu  par  le  clergé  et  le  peuple,  avec  la 
présence  effective  ou  tout  au  inoins  le  consentement  du 
métropolitain  et  des  comprovinciaux.  Le  compilateur 
insiste  sur  cette  thèse,  qu'il  ne  doit  y  avoir  qu'un 
évéque  par  civitas  ou  district,  et  que  cet  évêque  sera 
consacré  par  trois  évéques  de  la  province.  Par  là,  se- 
ront exclus  les  eborévéques  destinés  à  déebarger  de 
leurs  soucis  les  évéques  oisifs  :  ordonnés  en  général 
par  un  seul  évoque  et  sans  titre  épiscopal,  ces  eboré- 
véques sont  considérés  comme  de  simples  prêtres.  Au 
contraire,  l'évêque  d'un  diocèse  qui  a  gardé  l'ampleur 
des  civilates  antiques,  c'est  la  colonne  qui  soutient  le 
diocèse  et  qu'il  est  dangereux  d'ébranler.  La  constitu- 
tion du  diocèse  est  donc  monarebique  :  celle  de  la 
province  est  oligarchique;  le  métropolitain  n'en  est  pas 
le  souverain  absolu,  il  n'est  que  le  président  d'une 
oligarebie  formée  parles  dix  ou  douze  suilragants  réu- 
nis en  concile  provincial. 

On  voit  très  bien  que  la  place  laissée  au  primat  ou 
au  patriarebe  national  dans  cette  organisation  est  très 
restreinte  :  primat  ou  patriarebe  n'ont  qu'une  vaine 
apparence  de  vie  et  de  pouvoir. 

Une  le  but  poursuivi  par  le  pseudo-Isidore  soit  bien 
celui  que  l'on  vient  d'indiquer,  c'est-à-dire  donner 
une  assise  plus  forte  au  pouvoir  de  l'évêque,  garantir 
son  sie^e.  la  liberté  de  Bon  ministère,  son  avenir,  ses 

biens,  en   un    mot   assurer    l'indépendance   île   I  i 
diocésaine  contre  les  violences  de  laïcs  puissants   et  la 
faiblesse  des  comprovinciaux  apeurés  ou  jaloux,  tout  le 
prouve,  depuis  la   préface  où  le  compilateur  dit  qu'il 

publie  sa  collection  alin  que  les  évéques    ses  coll. 

ne  soient  plus  tourmentés  par  les  méchants,  jusqu'au 

nombre  même  des  canons  i70i  qu'il  a  fabriqués  alin  de 
garantir   les  évéques    contre  les   accusations   injustes. 

v.  Patrie.  —  C'esl  de  toute  cette  histoire  le  point  sur 
lequel  les  discussions  ont  été  le  plus  vives el  l'accord 
le  plus  malais,',  n  n'est  guère  de  pays  chrétien  pour 
lequel  on  n'ait  revendiqui   le  douteux  honneur  d'avoir 


donné  naissance  à  la  compilait)       I  ce  furent 

ontemporains,   trompés  par  le  nom  el 

d'Isidore,  crurent  que  la  collection  venait  d  Esp 
Cette  opinion,  abandonnée  depuis  quatre  siècles  au 

moins,  n';(  pins  traîné  dans  les  temps  modernes  qu'un 
seul  partisan  :  l'abbé  P.  S.  Ulan<  liastique, 

leçon  b»:',.  1867,  t.  n,  p.  196.  La  collection  vient  m  peu 
d'Espagne  qn  on  n'a  pu  découvrir  dans  ce  pays  aucun  ma- 
nuscrit des  Fausses  Décrétâtes    du  ix*  au  xu 
l'on  a  même  pu  dire  qu'avant  la  découverte  de  l'impri- 
merie I  Mir.  ie  du  pseudo-Isidore  y  était  restée  inconnue. 

D'autres,  plus  nombreux,  ont  prétendu  que  l'œuvre  fut 
fabrique*  ni  les  mêmes  qui,  ne  voulant 

remarquer  dans  la  collection  que  les  passages  favorables 
au  pape,  s'en  allaient  répétant  :  It  fecit  cui  prodi 
Les  autres  arguments  qu'ils  invoquaient  n'ont  pas  la 
valeur  qu'ils  leur  attribuaient  :  de  la  dépendance  du 
pseudo-Isidore  avec  les  capitula  Angilramni  on  ne 
peut  rien  conclure,  car  on  ignore  la  patrie  des  capitula, 
et  la  dépendance,  facile  à  constater,  avec  le  Liber  \ 
ti/icalis,  ne  prouve  pas  davantage,  ce  dernier  ouvrage 
se  trouvant  non  seulement  a  Home,  mais  dans  les  prin- 
cipales églises  et  abbayes  de  France. 

Nul  aujourd'hui  ne  cherche  plus  la  patrie  du  pseudo- 
Isidore en  Espagne  ni  à  Rome,  ni  même  en  dehors  de 
l'empire  carolingien.  D'une  part,  en  efiet.  le  compila- 
teur s'est  servi,  avee  YHispana,  de  deux  collections 
ayant  des  attaches  particulières  avec  la  France:  la 
Dionysio-Badriana,  envoyée  par  le  pape  Adrien  à 
Cbarlema-ne,  et  la  Quesnelliana,  d'origine  gallo- 
romaine.  Il  est  évident,  d'autre  part,  que  si  le  pseudo- 
Isidore a  poursuivi  un  but,  et  le  but  que  l'on  vient  de 
marquer,  il  a  du  le  faire  en  vue  d'un  pa\s  déterminé, 
où  la  situation  de  l'Église  était  précisément  celle  à  la- 
quelle les  pièces  fabriquées  pouvaient  porter  remède: 
en  vue  d'un  pays  où  les  évéques  étaient  en  butte  aux 
persécutions  des  bues  puissants,  où  ni  leur  personne, 
ni  l'exercice  de  leur  ministère,  ni  lindépendance  de 
leurs  biens  n'étaient  assurés,  où  l'on  avait  des  exemples 
tout  récents  d'évêques  accusés  et  déposés  sans  avoir 
pu  se  défendre.  Enfin,  les  meilleurs  et  les  plus  anciens 
manuscrits  de  la  collection,  même  le  Vaticanus  (vtO, 
l'un  des  plus  intéressants,  sont  d'origine  franque. 
C'est  donc  l'empire  franc  qui  est  la  patrie  du  pseudo- 
Isidore.  Mais  si  l'unanimité  s'est  faite  sur  cette  conclu- 
sion, elle  ne  l'est  pas  sur  la  province  de  l'empire  franc 
où  se  trouvait  l'atelier  du  faussaire.  Les  uns  cherchent 
cet  atelier  dans  la  province  de  Mayence.  d'autres  dans 
celle  de  Reims,  d'autres  dans  celle  de  Tours. 

]■■  Province  de  Mayence.  —  Elle  eut  «les  partisan- 
nombreux  dont  le  crédit  est  mjourd'hui  très  diminué. 
Voici  les  arguments  que  l'on  fait  valoir  en  sa  faveur  : 
1.  la  parenté  des  Fausses  Décrétâtes  avec  les  capitu- 
lants de  Itenoit  Lévite  qui  se  donne  comme  diacre  de 
Mayence;  2.  le  grand  parti  que  le  compilateur  a  tiré  de 
la  correspondance  de  saint  Boniface,  évéque  de  Mayence  ; 
:i.  la  conformité  de  vues  entre  les  évéques  de  Mayence 
qui  désiraient  vivement  ressaisir  les  pouvoirs  variée  <i 
nombreux  de  saint  Boniface,  en  particulier  garder  un 
nombreux  cortège  de  suffraganls,  el  le  pseudo-Isidore 
qui  requiert  pour  le  tropolilain  une  ville. in- 

cienne  el  une  don/. une  au  moins  de  suiïragants  :  or. 
depuis  la  mort  de  s, m  fondateur,  la  metropol 
Mayence  Be  voyait  morcelée  de  plus  en  plus.  C'était, 
Sincmar  l'atteste,  une  opinion  reçue  dans  la  seconde 
moitié  du  iv  siècle,  que  la  compilation  venait  de 
Mayence.  Telle  est  la  thèse  de  Blasco,  de  Marea, 
Baluxe,  Knusl,  Wasserschleben,  Gocke,  Pitra,  Deniin- 

On  a  répondu  que  ces  arguments  nom  pas  toute  la 
valeur  que  ces  historiens  leur  attribuent:  car,  I.  nous 
ne  gavons  rien  de  la  patrie  ni  de  la  personne  de  Benotl 
Lévite,  el  l'inscription  à  Otgar  et  a  Mayence  parait  bien 


217 


DÉCRÈTALES   (LES    FAUSSES; 


218 


être  une  supercherie  ;  2.  Otgar  en  faveur  de  qui,  suivant 
les  protagonistes  de  la  thèse,  la  compilation  aurait  été 
faite,  était  mort  avant  l'apparition  des  Fausses  Décré- 
tâtes; 3.  on  ne  voit  pas  qu'il  fût  spécialement  question,  à 
Mayence,  de  luttes  contre  les  chorévéques;  4.  Rhaban 
Maur,  successeur  d'Otgar  sur  le  siège  de  Mayence,  ne  cite 
jamais  les  Fausses  Décrélales  même  après  que  Hincmar 
s'en  fut  servi  ;  5.  les  larges  extraits  de  la  correspondance 
de  saint  Boniface  ne  sont  pas  dans  les  manuscrits  du 
type  primitif  de  la  compilation. 

2°  Province  de  Reims.  —  La  province  de  Reims  a, 
de  son  coté,  de  nombreux  partisans.  Quelques-uns  ont 
poussé  leurs  déductions  assez  profondément  pour 
croire  qu'ils  pouvaient  indiquer  jusqu'à  l'auteur  pro- 
bable de  la  collection;  les  uns,  le  clerc  Vulfade,  adver- 
saire d'Hincmar,  les  autres,  Ebbon,  l'ancien  archevêque 
et  compétiteur  du  nouveau  titulaire.  C'est  l'opinion  de 
maîtres  comme  Weizsâcker,  Roth,  Dove,  von  Noorden, 
llinschius,  Friedberg,  Lurz,  A.  Tardif,  Ph,  Schneider, 
F.  Lot,  E.  Lesne.  Voici  leurs  principaux  arguments  : 
1.  il  y  eut  à  Reims  une  question  des  chorévéques, 
et  Hincmar  (845-882)  se  montra  peu  favorable  à  leur 
institution;  2.  il  s'occupa  tout  particulièrement  de 
rentrer  en  possession  des  biens  enlevés  à  son  église 
pendant  la  vacance  qui  suivit  la  déposition  d'Ebbon; 
3.  c'est  là  que  s'était  produit,  durant  la  première  moi- 
tié du  IXe  siècle,  l'un  des  plus  violents  parmi  les  con- 
flits auxquels  prétendait  remédier  la  nouvelle  compila- 
tion :  le  procès  d'Ebbon,  archevêque  de  Reims,  déposé, 
puis  replacé  sur  son  siège,  puis  déposé  de  nouveau, 
toujours  sous  la  pression  de  mouvements  politiques, 
-.m-  qu'on  lui  laissât  parfois  la  liberté  de  se  défendre, 
et  que  l'on  avait  réduit  quelque  temps  à  la  commu- 
nion laïque:  i.  c'est  à  Reims  que  l'on  rencontre  les 
premières  citations  dûment  constr  tées  des  Fausses 
Récrétales. 

On  a  répondu  à  ces  divers  arguments:  1.  l'eu  im- 
porte qu'il  \  eût  à  lieims  une  question  des  chorévéques 
et  que  Hincmar  leur  fût  opposé  :  ce  n'est  certainement 
pas  Hincmar  qui  avait  besoin  des  Fausses  Décrétâtes 
dans  sa  défense  contre  Ebbon  et  ce  n'est  ni  par  lui  ni 
par  ses  ordres  que  l'œuvre  fut  compilée;  2.  ce  n'est 
pas  seulement  à  Reims,  c'est  partout  dans  l'empire, 
qu'à  la  suite  des  guerres  de  Louis  le  Pieux  contre  ses 
enfants,  les  églises  furent  pillées  ou  dépouillées; 
3.  il  y  eut,  en  effet,  ■<  lieims.  des  luttes  particulière- 
ment vives  •'  1  occasion  d'Ebbon,  surtout  en  835  et  840. 
M. us.  à  partir  île  l'élection  d'Hincmar,  une  accalmie 
complète,  pendant  la  période  847-ST>l  ; 
est-il  vraisemblable  que  Vulfade  et  ses  .unis  aient  con- 
sacré leurs  loisir-  .i  -■    munir  de  documents  pour  une 

ion,  surtout  au  mo- 
ment où  leur  ancien  évéque,  Ebbon,  atteignait  la  vieil- 
■t  se  rapppochail  .i  grands  pas  de  la  tombe  — 
Ebbon  mourut  en  851  -  el  eux-mêmes,  les  clercs  or- 
donna- i  h  i  bbon,  n'avaient  plus  d'autre  ressource 
que  la  clémence  d'Hincmar?  i.  Enfin,  si  l'on  voit,  à 
l'occasion  du  procès  soulevé  entre  Hincmar  et  ces 
clercs,  m<  ttre  au  jour  divers*  -  pièces  apocryphes  appa- 
rentées aux  l  ausses  Décrétâtes,  soi)  dans  la  Narratio 
clericorum  Remensium,  soit  dans  VApologeticum 
Ebbcnit,  ce  fait  n'a  pas  toute  la  signification  que 
d  aucuns  lui  atti  Ibuent,  itationt  sont  indubi- 

tablement postérieures  à  celles  faites  par  Hincmar,  ei 
l'on  ne  comprendrait  absolument  pas  que.  Un,  soup- 
çonneux el  pénétrant,  toujours  très  informé  de  ce  qui 

Hincmar  ait  ignoré  que 
Is   compilation  qu'il   citait  eût  été  fabriquée  dans  son 

dÏ0(  ■  eux,    contre    lin.   p.ir   ses 

Inférieui  •  i  I 

I  i  n  présence  des  difficultés 

que  ittributions  préi  ■  denti  -,  quelques 

critiques  ont  cherché  la  patrie  du  pseudo  Isidore  dans 


la  province  de  Tours.  —  1.  La  situation  de  cette  province, 
vers  le  milieu  du  IXe  siècle,  fut,  en  effet,  des 
plus  douloureuses.  A  la  suite  de  la  révolte  de  la  Bre- 
tagne sous  Noménoé,  on  vit  des  évêques  poursuivis  et 
condamnés  par  des  tribunaux  laïcs,  sans  avoir  pu  se 
défendre,  chassés  de  leurs  sièges,  leurs  églises  pillées 
et  dépouillées  de  tous  biens;  on  vit  la  province  de 
Tours  démembrée  contre  tout  droit,  le  titre  de  métro- 
pole accordé  à  une  bourgade  obscure  et  sans  histoire, 
les  quatre  évêques  poursuivis  par  le  roi  breton,  livrés 
au  tribunal  séculier,  pieds  et  poings  liés,  menacés  de 
mort  s'ils  n'avouaient  les  crimes  qu'on  leur  imputait, 
chassés,  errants,  misérables,  sans  aucun  espoir  de  re- 
monter sur  leurs  sièges,  car  la  discipline,  contre  la- 
quelle le  pseudo-Isidore  protestait,  prétendait  leur  inter- 
dire le  bénéfice  de  toute  translation;  c'est  dans  la 
Bretagne  révoltée  que  l'on  voit  le  plus  fréquemment 
les  évêques  consacrés  par  un  seul  évêque;  au  lieu  de  la 
paroisse  normale  desservie  par  un  curé  soumis  à 
l'évêque  sans  intermédiaire,  on  y  voit,  à  la  tète  des 
paroisses,  des  moines  soumis,  non  à  l'évêque  chef  du 
diocèse,  mais  à  l'abbé  du  monastère  d'où  ils  sortent. 
Bref,  la  situation  des  églises  bretonnes  est  bien  celle 
que  le  pseudo-Isidore  condamne  et  veut  réformer.  — 
2.  L'Église  du  Mans  était  particulièrement  exposée  aux 
incursions  des  Bretons  :  Noménoé  occupa  même  la 
ville  du  Mans  en  850;  l'évêque,  Aldric,  avait  donc  lieu 
de  craindre  le  sort  qui  avait  été  infligé  quelques  an- 
nées auparavant  à  ses  collègues  de  la  Bretagne  propre- 
ment dite,  d'autant  plus  qu'il  avait  été  chassé  déjà  une 
fois  de  son  siège.  —  3.  Il  y  a  une  parenté  indéniable  entre 
les  Fausses  Décrétales  et  plusieurs  textes  originaires 
du  pays  inanceau  :  a)  par  exemple  avec  la  bulle  apo- 
cryphe par  laquelle  le  pape  Grégoire  IV  est  censé  faire 
observer,  le  8  janvier  885,  que,  si  Aldric  est  accusé,  il 
pourra  toujours  en  appeler  au  saint-siège;  or  il  parait 
bien  évident  que  nul,  en  dehors  de  la  province  de 
Tours,  ne  s'inquiétait  à  ce  point d'Aldric;  b)  les  mêmes 
idées  avec  les  mêmes  phrases  caractéristiques,  qui 
les  expriment  dans  les  Fausses  Décrétâtes,  reparaissent 
souvent  dans  un  prétendu  Memoriale  d'Aldric,  inséré 
dans  les  G  esta  Aldrici,  et  qui  n'a  aucun  intérêt  en  dehors 
du  diocèse  du  Mans;  c)  non  seulement  on  rencontre  les 
mêmes  idées  et  les  mêmes  phrases,  mais  aussi  le 
même  souci  d'attribuer  ses  dires  à  des  papes  des  pre- 
miers siècles.  Telle  est  l'hypothèse  entrevue  par 
llinschius,  développée  par  Langen  (qui  pensa  pouvoir 
affirmer  que  le  père  de  la  compilation  était  Loup, 
abbé  de  Ferrières,  opinion  restée  sans  écho),  enfin 
par  Sinison  qui  fixa  le  lieu  d'origine  au  Mans.  Simson 
fut  suivi  par  Mu1  Duchesne,  MM.  P.  Viollet,  ,1.  Havet, 
P.  Fournier.  Ph.  Schneider  (art.  l'scudo-Isidiir,  dans 
Kirchenlexikon,  2"  édit.),  Dôllinger.  Aujourd'hui  on 
attribuerai)  la  rédaction  au  diacre  Léotald. 

.Nous  devons  reconnaître  que  si  le  débat  parait  bien 
circonscrit  entre  la  province  de  lieims  et  celle  de 
Tours,  que  si  chacune  a  des  partisans  sérieux  et  bien 
informés,  que  si  l'opinion  qui  tient  pour  la  province 
de   Fours  ;  ourd'hui  plus  favorisée,  il  est  pour- 

tant impossible  de  faire  en  laveur  de  lune  une  dé- 
monstration qui  exclue  toute  probabilité  pour  l'autre. 

VI.    INFLUENCE  8UF  i  \  DISCIPLINE  ECCLÉSIASTIQUE.   — 

Une  question  plus  importante  pour  nous  est  celli 
Quelle    influence    les    Fausses    Dé  ont-elles 

exercée  sur  la  discipline  ecclésiastique,  soit  dans  le 
monde  frani      oil  i  Rom 

l    Demi  le  monde  franc.  —  Elles  y  ont  exercé  une 
influenci  considi  i  ible.  <>n  a  m  la  collection  citée  par 
Hincm  ir  di  -  le  mois  de  novembre  85  '     I  i       textes 
doriens  sont  invoqués  i  ncon    a  par  le  même 
Hincmar  de  !!■  De  divortio  Lothorii  et 

Teutbe  gm,   l<  Hbertalum   defetu 

i,   \i.  nu, m •  1  i .ii.it li  -j'  Chauvi  -m  la  saisis  dis 


219 


DÉCRÉTALES     LES    FAI  SSES 


230 


de  l'Église  de  Laon,  VOputculum  55  capitvm  lontra 
Hincmarum  Laudunentem ;  b)  par  Hincmar  de  Lai  n 
dans  s;,  lutte  contre  son  oncle  de  Reims,  depuis  17-.'/. i- 
ttola  /■  ad  Hincmai  um  Tlemensetn,  en  869,  jusqu'au 
concile  de  Fismes,  en  881;  c)  par  les  concili 
Quierzj  857),  Fismes  (881),  Cologne  (887),  Mayence 
(888),  Metz  (889)  on  l'on  s'occupe  des  chorévéques, 
Tribur  (895),  Trosley  (909);  d)  par  les  collections  de 
Régi  non  de  Prùra  et  l'.urchard  de  Worms.  Elles  ont 
ainsi  pénétré  dans  la  pratique  quotidienne  des  Eglises 
franques.  e)  En  Italie,  un  des  textes  [apocryphes  est 
cité  par  Jean  Diacre  dans  sa  vie  du  pape  Grégoire  le 
Grand  ;  d'autres  sont  invoqués  par  Auxilius,  dans  son 
De  ordinationibus  a  Formoso  papa  factis;  par  le 
pseudo-Luitprand  qui  emprunte  au  pseudo-Isidore 
presque  tout  ce  qui,  dans  son  De  ponlificum  Roma- 
in,rum  vitis,  concerne  les  papes  antérieurs  à  Darnase; 
par  Atlon  de  Verceil,  Rathier  de  Vérone. 

2°  A  Rome  et  sur  l'ensemble  du  monde  catholique. 
—  Sur  ce  point  on  a  entendu  les  affirmations  les  plus 
vives  et  les  plus  contradictoires.  Les  uns  prétendent 
que  l'inlluence  pseudo-isidorienne  fut  considérable, 
d'autres  qu'elle  fut  nulle;  les  de  Marca,  Fleury,  Cous- 
lant,  Van  Espen,  lui  imputant  beaucoup  dans  les 
maux  de  l'Église,  dans  l'affaiblissement  du  pouvoir  du 
métropolitain  et  du  concile  provincial,  en  un  mot  l'es- 
timant une  plaie  irréparable  pour  la  discipline  ecclé- 
siastique; les  Febronius,  les  Dollinger,  etc.,  l'accusant 
d'avoir  bouleversé  la  constitution  de  l'Église  et  créé  la 
monarchie  papale.  Voici  la  réalité  :  les  papes  ont  gardé 
pendant  deux  siècles,  vis-à-vis  des  Fausses  Décrétales, 
une  prudente  réserve. 

Nicolas  Ier  a  certainement  connu,  non  seulement 
l'existence  des  Fausses  Décrétales,  mais  un  certain 
nombre  de  textes  tirés  de  cette  compilation.  En  ell'et, 
on  lui  a  cité  les  textes  de  décrétales  contenues  dans 
le  pseudo-Isidore  et  attribuées  à  des  papes  martyrs, 
textes  qui  n'étaient  pas  dans  le  Codex  eanonum,  et 
dont,  pour  ce  motif,  on  contestait  la  valeur;  il  a  répondu, 
en  visant  au  moins  à  deux  reprises  des  décrétales  de 
papes  martyrs,  que  les  décrétales  ont  toutes  la  même 
force,  qu'elles  soient  ou  non  dans  le  Codex  eanonum. 

Ces  textes  ont-ils  exercé  une  inlluence  sur  lui?  Une 
influence  littérale,  se  manifestant  par  le  choix  des  ex- 
pressions ou  métaphores  employées  dans  sa  correspon- 
dance? Oui.  Voir  des  exemples  dans  l'étude  citée  déjà 
de  M.  Fournier,  Revue  d'histoire  ecclésiastique,  1907, 
p.  21-25.  Une  influence  sur  les  idées,  ce  qui  serait  de 
plus  grande  importance?  Plusieurs  l'affirment;  mais 
ils  ne  font  pas  la  preuve,  par  exemple,  qu'une 
modification  importante  se  serait  produite,  à  la  suite 
du  procès  de  .S65  entre  Rothade  et  Hincmar,  dans  la 
pensée  de  Nicolas  sur  son  rôle  de  pape.  S'agit-il  de 
son  pouvoir  législatif  suprême,  sans  partage  avec 
l'épiscopat,  et  de  la  supériorité  du  pape  sur  les  con- 
ciles? Nicolas  en  pensait  avant  864  ce  qu'en  pensaient 
depuis  longtemps  les  papes  comme  Gélase,  Pelage  I  . 
ce  que  reconnaissait,  par  exemple,  Cassiodore,  ce 
qu'il  en  pensa  lui-même  après.  B'agit-il  du  pouvoir  de 
juge  suprême  qui  permet  au  souverain  pontife  de  por- 
ter une  sentence  sur  tous  les  fidèles  et  de  n'être  jugé 
lui-même  par  personne?  La  théorie,  affirmée  dès  le 
temps  d'Innocent  I  el  de  Gélase,  était  communément 
acceptée  avant  Nicolas.  S'agit-il  du  pouvoir  reconnu 
au  pipe  seul  de  déposer  les  évêques?  Que  le  pape  fût 
compétent,  Hincmar  le  reconnaît.  Qu'il  le  rai  même 
quand  la  cause  est  portée  devant  l'autorité  métropoli- 
taine ou  primatiale'.'  En  858,  dans  l'allaire  d 'Hermann. 
ovèque  de  Xcvers.  le  métropolitain  de  Sens  reCOOrt  au 

pape  comme  au  juge  naturel  de  la  cause,  el  Nicolas  le 
prend  ainsi,  dés  l'origine  de  son  pontificat,  avant 
d'avoir  connu  les  Fausses  Décrétales;  de  même  fait-il 
pour  les  évêques  bretons,  vers  862;  pour  les  évêques 


grecs  déposés  parce  qu'ils  avaient  refusé  de  suivi 

parti  de   Pholius:  pour  l'allaire  de  Robert,  du  M 
pour  le  commencement  de  celle  de  Rothad 

XiïA,  avant  qu'on  lui  ail  parlé  des  I 
il  décide  que  les  douze  membres  du  concile  provincial 
ne  pourront  prononc  r  en  d<  mi.  r  i.  gsorl  s;,i,s  rinl<  in- 
vention du  pape.  Soit  parce  qu'il  lui  appartient  de 
confirmer  les  décisions  des  cencib-s.  Mil  parce  que 
les  causes  majeures  relèvent  de  lui,  Nicolas  revendique 
le  dernier  mot  sur  les  procès  de  déposition  des 
évêques;  il  se  réserve  même  le  droit  de  trancl 
cause  définitivement  sans  l'intervention  de  l'épiscopat 
régional,  et  cela  dès  863.  Après  Nii.  on  ne  cou 
sur  ces  divers  points,  à  l'occasion  du  procès  de  Rothade, 
aucune  dillérence  de  procédé.  Nous  devons  toutefois 
reconnaître  que  dans  une  circonstance,  dans  la  lettre 
qu'il  écrit  auxévéques  francs  pour  leur  notifier  le  réta- 
blisse ment  de  Rothade,  Nicolas  insiste  tout  particulière- 
ment sur  la  notion  des  negotia  majora  qui  est  un  ar- 
gument familier  à  la  collection  isidorienne.  que.  de 
plus,  il  se  fonde  principalement  sur  les  Décrétales 
considérées  comme  une  masse  dont  il  n'exclut  pai 
apocryphes  Isidoriens,  et  que  ces  textes  ont  amené  le 
pape  à  accentuer  davantage  l'argumentation  qu'il  tirait 
des  décrets  de  ses  prédécesseurs.  P.  Fournier.  op. 
p.  39.  La  restilutio  spolialorum  est  un  des  grands 
principes  invoqués  par  le  pseudo-Isidore:  mais  l'aetia 
ou  Vexceptio  spolii  est  bien  antérieure.  On  a  reconnu 
que,  avant  le  IXe  siècle,  le  principe  de  Yexceptvo  tpolii 
a  pris,  dans  le  droit  canonique,  la  valeur  d'une  : 
juridique  fondée  sur  la  coutume,  et  l'application  de  ce 
principe  à  la  cause  de  Rothade  ne  présente  rien  de 
bien  neuf.  Toi:t  ce  que  l'on  y  peut  trouver  de  pseudo- 
isidorien,  c'est  :  1°  qu'un  des  fondements  de  VexcepHo 
spolii  serait  la  préoccupation  de  permettre  à  l'accusé 
de  combattre  son  accusateur  à  armes  égales;  2°  il 
trouve  lion  que  l'accusé,  une  fois  rétabli  dans  ses  fonc- 
tions, ait  quelque  répit  avant  de  soutenir  le  pn 
3°  Nicolas  ne  manque  pas.  avec  Isidore,  de  faire  ob- 
server à  l'empereur  grec  Michel  que  la  restitution 
d'Ignace  sur  le  siège  de  Constantinople  est  fondée  sur 
les  lois  impériales,  liref,  «  le  principe  de  Vexceptio 
spolii,  plus  solidement  fondé,  a  été  plus  fréquemment 
appliqué  selon  des  règles  plus  précises:  ce  parait  bien 
être  un  effet  de  l'inllueTtce  des  textes  isidoriens.  » 
P.  Fournier,  op.  cit.,  p.  il.  Nicolas  n'a  pas  subi 
d'autre  inlluence  des  I  ausses  Décrétales  ni  dans  la 
discipline  concernant  les  clercs  lapsi,  ni  pour  la  trans- 
lation des  évêques.  ni  même  dans  la  citation  des  textes 
communs  à  la  collection  isidorienne  et  aux  autres  col- 
lections; il  les  donne  toujours,  quand  Isidore  les  cite 
à  faux,  d'après  leur  véritable  auteur. 

Sous  les  papes  suivants,  on  trouve,  d'Adrien  II,  une 
citation  du  pseudo-Antéros,  en  871,  dans  la  lettre 
adressée  aux  évêques  du  concile  de  Douzy,  à  propos  de 
la  translation  de  l'évéque  Actard  à  Tours:  peut-être 
deux  phrases  sur  la  primalie  de  l'Église  romaine,  n'ap- 
portant d'ailleurs  rien  de  nouveau,  dans  un  concile 
romain  tenu  vers  l'époque  du  pape  ban  VIII;  deux 
citations  sans  importance  et  même  douteuses  du 
pseudo-Isidore  dans  I  tienne  V.  qui  m  parait  pas  au 
surplus  avoir  grande  confiance  dan  -  s  Décré- 

tales, Dans  tout  le  v  siècle,  on  rencontre  deux  ou 
peut-être  trois  citations  de  la  mémo  collection;  tandis 
que,  en  dehors  de  la  chancellerie  pontificale,  les  apo- 
cryphes isidoriens  -  iccumulent  dans  les  collections 
italiennes  où  iront  h-s  chercher  les  réformateurs  du 
\r  siècle, 

Telle  fui  la  situation,  a  Home,  jusqu'au  jour  où  un 
pape,  venu  d'un  pays  dans  lequel  les  Fausses  Décrétales 
étaient  reçues  sans  hésitation,  les  cita  comme  les 
citaient  partout  les  canonistes.  De  les  voir  entrer  dans 
les  lettres  pontificales  ne  pouvait  étonner  beaucoup  les 


221 


DÉCRÉTALES    (LES   FAUSSES] 


DEFAUTS 


222 


juristes.  D'ailleurs,  l'extrême  modération  avec  laquelle 
les  textes  isidoriens  furent  cités  par  la  chancellerie 
pontificale,  même  après  la  mort  de  Léon  IX,  laisse 
deviner  la  résistance  de  la  vieille  école  romaine  qui  ne 
les  pratiquait  pas.  Pour  la  réforme  menée  si  rudement 
par  Grégoire  VII,  les  textes  des  Fausses  Décrétales 
furent  plus  fréquemment  employés;  ils  étaient,  dit 
M.  Fournier,  «  un  véhicule  commode  pour  plusieurs 
des  idées  maîtresses  sur  lesquelles  est  fondée  l'œuvre 
entreprise  à  cette  époque  par  la  papauté,  »  ibid.,  p.  56, 
et  ils  furent  cités  de  la  meilleure  foi  du  monde. 

.Mais  déjà  l'ère  de  la  contradiction  allait  s'ouvrir 
pour  la  céléhre  collection,  et  les  gens  d'Eglise  n'y 
furent  pas  étrangers  ni  simples  spectateurs.  Ce  furent 
des  catholiques  incontestés,  Pierre  Comestor,  au 
xne  siècle,  chancelier  de  l'université  de  Paris,  atta- 
quant l'authenticité  de  VEpistola  Clementis  ad  Jaco- 
bmii  fratrem  Domini;  Godefroid  de  Viterhe,  doutant 
de  la  lèpre  de  Constantin;  Etienne  de  Tournai  et 
d'autres  encore,  qui  discutèrent  les  premiers  les 
Fausses  Décrétales.  Ils  précédèrent  dans  cette  voie  les 
hétérodoxes  Marsile  de  Padoue,  Wiclef  (plus  nuisible 
qu'utile  à  cause  de  ses  exagérations).  Ce  fut  un  autre 
catholique,  et  des  plus  grands,  Nicolas  de  Cusa,  qui, 
peu  après  1430,  donna  l'impulsion  définitive  à  la  cri- 
tique :  il  rejetait  deux  lettres  d'Anaclet,  attaquait  la 
donation  de  Constantin,  élevait  des  doutes  sur  les 
Epvitolse  démentis,  dont  Torquemada  rejetait  nette- 
ment la  première.  Quand,  un  siècle  après,  commença 
l'assaut  donné  par  les  protestants,  ceux-ci  ne  furent 
jamais  seuls  à  la  besogne.  Après  le  calviniste  du  Mou- 
lin vinrent  les  catholiques  Georges  Cassandre  et  Antoine 
le  Comte  que  les  centuriateurs  de  Magdebourg  se  bor- 
nèrent à  copier.  Pendant  quelque  temps,  il  est  vrai, 
des  catholiques  :  le  jésuite  Torrès,  le  franciscain 
Malvasia,  le  cardinal  d'Aguirre  lui-même,  se  firent  les 
champions  chevaleresques  du  pseudo-Isidore  contre 
les  centuriateurs  luthériens  et  le  calviniste  David 
lilondel,  mais  d'autres  catholiques,  l'Espagnol  Anto- 
nius  àugustinus,  archevêque  de  Tarragone,  liaronius. 
Bellarmin,  du  Perron,  Labbe,  Sirmpnd,  de  Marca, 
Baluze,  Papebrock,  Noris,  Noël  Alexandre,  luttaient 
contre  les  apocryphes,  avec  les  Van  Kspen,  les  fr<  res 
Ballerini,  Blasco  el  Zaccaria.  Si,  au  xix«  siècle  encore, 
le  faussaire  trouva  des  défenseurs  dans  Ihimont  et  l'abbé 
Darras,  l'unanimité  des  savants,  sans  aucune  distinc- 
tion de  patrie  ou  de  religion,  proteste  contre  le  mal- 
heureux succès  de  cette  déplorable  fourberie. 

on  ne  peut  avoir  la  prétenth  n  de  «tonner  une  bibliographe 

On  Indiquera  s.  ulerneni  les  ouvrages  les  plus  considérables 

I    i  DITIOI  -         La  meilleure  est  celle  de  P.  Hinachlua,  Décré- 
tâtes pseua\  capitula  Angilramni,  in-4  .  Leip- 
zig, 181                ée  d'une   importante  et  copieuse  préface  de  288 
page^.  9  les  questions  concernant  la  tradi- 
tion manuscrite,  les  sources,  l'époque  de  la  composition,  la  pa- 
trie, le  Lui  ii  ir  nom  •!«'  l'auteur.  L'édition  donnée  par  M 
/'.  /,.,  t.  i  \\x.  est  ci  le  de  Merlin,  1523. 
il.  Dissertations  ou   commentaires.    -      David    Klondel, 
vapulanti   .   Genè1  b,    1620 . 
ritatis  l)  Blondelto  missus, 
<.  I.  ni. 
tirs  »ur  l'histoii  itique ,  Van 
collectionc  Igidori    /'»/;/«  Merca 

dan  'H*  ni  jus  novutn  i  •> ■  .  i  ■ 

i,  t.  m  ;  Fel  tu  fia  leste,  c.  ni,  s  '•';  c.  vu, 

.i,   Antifebronio,  dis.  ni,   r.  w  . 

l'i.i  es  Décrétai)  I   .■  R 

und  ftechtêge»  Mchte,  GSttlngue, 

I        ■  ■       /••  ;       ud<hi*i. 

.  Breslau,  \kïï ■.      21  à  m  ' 
Ballerini  (Jéi    el  liquiê  eoUectionUnu  et  ootttcli 

i  ■  oniê,  \  i  aise,  1757, 

t.  m  :  i'  i. .  i   i  ■  i    Bla        h'  i    "■■  liant  nation.  /  Id 


tor.  commenta}-.,  Naples,  1760;  Knusl,  De  fontibus  et  consilio 
pseudo-isidorianx  collectionis,  Gœttingue,  1832;  Wasserschle 
ben,  Beitràge  zur  Geschichte  der  fatsch.  Décréta  len,  Breslau, 
1844;  Id.,  Pseudoisidor,  dans  Realencyclopddie  de  Herzog; 
Id.,  Ueber  das  Vaterland  der  falscli.  Décret.,  dans  Sybels liist. 
Zeitschrift,  1890;  Hefele,  Ueber  den  gegenwàrtigen  Stand  der- 
pseudo-isidorischen  Frage.  dans  TiXbing.  Tlieol.  Quartalsch., 
184";  Gfrôrer,  Ueber  Alter,  Ursprung,  Zweck  der  Décrétai, 
des  falsch.  Isidor,  Fribourg-en-Brisgau,  1848;  Giicke,  De  excep- 
tione  spolii,  Berlin,  185H;  Denzinger,  Préface  à  l'édition  des 
Fausses  Décrétales  dans  P.  L.,  t.  cxxx;  Pitra,  Analecta  novis- 
sima  Spicilegii  Solesmensis,  1885, 1. 1,  p.  91-103;  —  3-  àBeims: 
Weizsâcker,  Die  pseudo-isidorische  Frage,  dans  Sybels  histor. 
Zeitschrift,  t.  ni;  Id.,  Hbicmar  und  Pseudoisidor,  dans  Niedn. 
Zeitschrift  'fur  hist.  Theol.,  1858;  Both,  Pseudoisidor,  dans 
Zeitsch.  fur  Recht-Geschichte,  t.  v  (1866);  K.  von  Xoordcn,  Ebo, 
Hincmar  und  Pseudoisidor.  dans  Sybels  liist.  Zeitsch.,  t.  VII 
(1862):  P.  Hinscbius,  op.  cit.,  prxf.,  p.  cevm  ;  Lurz,  Ueber 
die  Heimat  Pseudoisidors,  1898;  Ad.  Tardif,  Histoire  des 
sources  du  droit  canonique,  1887;  Ph.  Schneider,  Die  Lehre 
von  den  Kirchenrechtsquellen,  1892;  F.  Lot,  Études  sur  le 
régne  de  Hugues  Capet,  1903;  Id.,  La  question  des  Fausses 
Décrétales,  dans  la  Revue  historique,  1907,  n.  4,  t.  xciv: 
Friedberg,  Lehrbuch  des  kanonischen.  Redits;  E.  Lesne,  La 
hiérarchie  épiscopale...  en  Gaule  et  Germanie,  1905  :  Id.,  Hinc- 
mar et  l'empereur  Lothaire,  dans  la  Revue  des  questions  histo- 
riques, 1905,  t.  lxxviii;  Seckel,  Pseudoisidor,  dans  Realency- 
clopddie de  Hauck  ;  —  4°  dans  la  province  de  Tours  :  Simson,  Die 
Entstchung  der  pseudo-isidorischen  Falschungen  in  Le 
Mans,  1886;  Id.,  Pseudoisidor  und  die  Geschichte  der  Bischôfe 
Le  Mans,  dans  Zeitsch.  fur  kanonisches  Recht,  1886;  M"  Du- 
chesne,  Bulletin  critique,  1886,  p.  445;  J.  Havet,  Charles  de 
Saint-Calais,  dans  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  1887, 
t.  xlviii  ;  P.  Viollet,  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  t.  xi.ix 
(1888);  Id.,  Hist.  du  droit  civil  français  ;  Pb.  Schneider,  qui 
inclinait  d'abord  vers  l'origine  rémoise,  opine  pour  l'opinion  de 
Simson  dans  Pseudo-isidor,  h'irchenlexikon,  2*  édit.  ;  Dollinger, 
Zeitsch.  fur  Kirchen-Geschichte,  t.  xn;  P. Fournier,  La  question 
des  Fausses  Décrétâtes,  dans  Nouvelle  revue  historique  de 
droit  français  et  étranger,  1887,  1888;  Id.,  Congres  scientifique 
international  des  catholiques,  1888,  t.  Il;  Id.,  Une  forme 
particulière  des  Fausses  Décrétales.  dans  Bibliothèque  de 
l'Ecole  des  chai-tes,  t.  xlix:  Id.,  Étude  sur  les  Fausses  Décré- 
tâtes (dont  nous  nous  sommes  souvent  inspiré)  dans  la  Revue 
d'histoire  ecclésiastique  de  Louvain,  1906-1907,  et  tiré  à  part, 
in-8\  1907.  Cf.  II.  Chevalier,  Répertoire.  Bio-Bibliographie. 
1-  édit.,  Paris,  1905,  1. 1,  col.  2281-2282. 

A.    VlLI.IIN. 

DÉFAUTS.  —  I.  Définition.  II.  Division. 

I.  DÉFINITION.  —  Le  mot  défaut,  du  latin  deficere, 
faillir,  manquer,  ou  de  fallere,  tromper,  manquer, 
signifie  le  manque,  ou  la  privation  d'une  perfection, 
ou  qualité  nécessaire,  dont  l'absence  rend  une  chose 
imparfaite,  irrégulière,  incorrecte  ou  incomplète. 

Dans  le  langage  ordinaire,  défaut  est  souvent  syno- 
nyme d'imperfection,  ou  de  vice.  Ces  trois  mots  néan- 
moins expriment  des  concepls  fort  différents.  Les  im- 
perfections ne  se  remarquent,  en  général,  que  dans  les 
objets  excellents  par  ailleurs;  tandis  qu'elles  dispa- 
raissent sons  hs  défauts  plus  saillants,  qui  se  ren- 
contrent, parfois,  si  nombreux,  dans  les  êtres  communs 
el  ordinaires.  L'imparfait,  en  effet,  est  ce  qui  laisse 
quelque  peu  à  désirer,  pour  pouvoir  être  considéré 
connue  un  modèle.  Il  n'est  encore  ni  fini,  ni  terminé, 
ni  achève'',  quoiqu'il  s'élève  déjà  bien  au-dessus  du 
niveau  moven.  Mais  le  défectueux  reste  bien  inférieur 
à  ce  qui  est  simplement  imparfait.  Non  seulement  il 

a'esl    pas  ace pli  en  s, m  genre,  mais  il  défaille,  il 

tombe  au-dessous  de  ce  qu'il  devrait  être.  Au  physique, 
par  exemple,  c'est  la  privation  d'un  membre,  ou  d'un 
ni  di  mi-,  une  irrégularité,  une  difformité  corpo- 
relle, mie  lésion  organique.  Au  moral,  c'est  une  lacune 
dans  le  jugement,  ou  dat  1ère,  ou  encore  une 

faiblesse  d'esprit. 

Mn  .i  dit,  en  e,'  gens,  que  les  gen    d<   bien  n'avaient 

que  de    imperfections,  tandis  que  tous  les  .mires  ont 

di  i  défaut!    Manillon    <  établi   la   même  distinction 

i  e-  imperfi  ctions  des  geni  de  bien 

pins  indulgents,  i  ar  s.  uK  ils 


223 


DÉFAUTS 


von-  i    cachent  vos  vices,  adoucissent  vos  dé- 

buts, excusent   VOS   l'.Ull. 

Les  défauts  rendent  souvent  insupportable  celai  qui 
les  a.  Ils  lui  attirent  l'aversion  et  parfois  même  le 
mépris.  Les  imperfections  ne  produisent  jamais  nn  ré- 
sultat pareil.  Tout  au  plus  empêchent-elles,  ou  dimi- 
nuent-elles l'admiration  que  susciteraient  ses  autres 
qualités.  Sans  imperfections,  les  personnes  ou  les  objets 
sont  admirables;  sans  défauts,  ils  ne  sont  que  ce  qu'ils 
doivent  être.  L'imperfection  est  donc  comme  un  dimi- 
nutif du  défaut. 

Le  vice,  au  contraire,  en  est  plutôt  un  augmentatif. 
•i  plus  qu'une  privation,  petite  ou  grande,  comme 
le  sont  l'imperfection  et  le  défaut  :  c'est  une  déprava- 
tion, un  principe  mauvais,  capable  de  tout  corrompre. 
et  qui  atteint  l'être  jusque  dans  ses  profondeurs.  Si 
l'on  réussit,  sans  Irop  de  peine  parfois,  à  suppléer  à 
ce  qui  manque,  ou  à  combler  une  lacune,  il  est  bien 
autrement  difficile  de  détruire  un  vice  enraciné  dans 
l'intime  de  l'être.  Celui  qui  a  des  défauts  est  trop  sou- 
vent insupportable j  mais  celui  qui  a  des  vices  peut 
devenir  dangereux.  Les  défauts  sont  plutôt  dans  l'esprit; 
les  vices,  dans  le  cœur  et  dans  la  volonté». 

Un  exemple  fera  mieux  saisir  ces  dillérences.  Le 
laisser-aller  dans  le  maintien  est  une  imperfection; 
l'inégalité  d'humeur,  la  puérilité,  la  timidité  se 
rangent  parmi  les  défauts;  la  paresse,  le  mensonge,  la 
luxure,  la  cruauté  sont  des  vices. 

Cf.  S.  Thomas,  In  IV  Sent.,  1.  II.  dist.  VII,  q.  i;  1.  IV,  dist.  II, 

q.  i,  a.  1:  Sum.  theol.,  [•,  q.  xn,  a. 4,  ad  2 :  q.  xux.a.l;  II'  II*. 

q.  xxxiii,  a.  4,  ad  3 ;  Qutest.  disp.,  I>"  malo,  q.  XVI,  a.  5;  De 

veritate,  q.  ix,  a.  3;  Poujol,  Dictionnaire  des  facultés  intel- 
lectuelles et  affectives  de  l'âme,  in-4%  Paris,  1863,  Introduc- 
tion, p.  119  sq.;  I.afaye,  Dictionnaire  des  S;// !    édit., 

2  in-4%  Paris.  1x72,  l    i.  q.  680  sq.,  763  sq. 

II.  Division.  —  Saint  Thomas.  Sum.  theol.,  III», 
q.  xiv-xv:  Compendium  theologise,  c.  ccxxxiv,  indique 
comment  les  défauts  sont  susceptibles  d'être  classifiés. 
11  les  divise  en  deux  grandes  catégories,  chacune  d'elles 
comprenant  une  subdivision  semblable. 

/.  DÉFAUTS  CORPORELS.  —  1°  Affectant  la  nature 
humaine  dans  sa  généralité,  soit  parce  que  cette 
nature,  comme  toute  nature  créée,  est  essentiellement 
limitée  en  elle-même;  soit  parce  qu'ils  sont  une  suite 
aflliclive  du  péché»  originel.  Parmi  eux.  il  faut  signaler 
principalement  la  passibilité,  c'est-à-dire  l'assujettisse- 
ment à  la  faim,  à  la  soif,  à  la  fatigue,  aux  maladies,  à 
la  mort.  Ces  défauts  corporels,  communs  à  tous,  revêtent 
maintenant  la  forme  de  pénalités;  néanmoins,  si,  dans 
l'état  d'innocence,  l'homme  en  était  exempt,  ce  n'était 
pas  en  vertu  d'un  privilège  inhérent  à  sa  nature,  mais 
à  cause  d'un  don,  ou  secours  préternaturel,  provenant 
de  la  libéralité  île  Dieu.  Cf.  s.  Jean  Damascène,  Defide 
orthodoxa,\.  111. c.  xx.  /'.  ff.,t.  xciv.  cul.  1082;  S.  Thomas. 
Sum.  theol.,  III',  q.  \n  . a.  i  :  Billot,  De  Verbo  incarnâto, 
part.  I,  c.  m,  §  3,  Hes.  \xiii.  m-s  .  Rome,  1904,  p.  254  sq. 
2°  Affectant  certains  individus  plutôt  que  d'au- 
tres. —  Ces  défauts  corporels  tiennent  alors  à  des 
causes  particulières  ou  sont  la  conséquence  d'accidents 
fortuits.  Par  exemple  :  la  cécité,  la  surdité,  le  mutisme, 
diverse»  maladies,  les  vices  de  conformation  et  d'orga- 
nisation, eie.  Cf.  s.  Thomas,  loc.  cit. 

ii.  hi.i  m  /»  vorai  a.  —  On  retrouve  ici  la  même  dis- 
tinction que  précédemment.  —  h  Défauts  moraui 
communs  à  tous  1rs  hommes,  soil  a  cause  de  l'imper- 
fection essentielle  de  la  nature  humaine,  soit  à  cause 
du  péché  originel.  II-  se  ramènent  à  trois  class 
une  pour  l'intelligence  :  l'ignorance  ;  deux  pour  la  vo- 
lonté :  l'inclination  ■< al.  et  la  difficulté  pour  le  bien. 

ci',  s.   il a»,  toc  cil. 

in  fnuis  moraux  affectant  certains  individus 
plutôt  que  d'autres.  -  Ces  défauts  moraui  sont  très 
nombreux.  On  n'en  B  pas  '  ncore  fail  un  classement  lo- 


gique. Noua  indiquerons   seulement  ceux  .pi;  -•    ri  n- 
contrent  le  plu-  souvent, 

1.  Le  manque  de  jugement  ou  de  in,,,  v,»,,*.  _  i 
une  véritable  infirmité  spirituelle,  source  d'une  infinité 
de  misères  pour  celui  qui  en  est  atteint,  comme  pour 
ceux  qui  l'entourent,  ou  qui  sont  obligés   d'avoir  de 
fréquents  rapporta  avec  lui.  Ce  mal  . 

incurable.  La  vertu   peut  s'acquérir,  avec  des  efloi 

de  la  persévérance  :  le  bon  sens,  ou  le  jugement,  jamais. 

Cf.  S  Chemin  de  la  perfection, c.  xiv. 

2,  La  vanité  et  la  suffisance.  —  Ceux  qui  ont  ces 
défauts  se  rendent  vile  insupportables  et  ridicules. 
Aliu  de  s'élever  au-dessus  des  autres,  ils  mettent  de 
l'affectation  en  tout  :  paroles,  actes,  manier 
pédantisme,  loin  de  leur  attirer  des  éloges,  provoque 
b-  mépris,  et  leur  attire  b--  traits  mordants  de  la  satire. 
Ils  font  parade  de  connaissances  ou  d'avantages  qu'ils 
n'ont  pas,  et,  si,  par  cet  étalage  emprunté',  ils  s'illu- 
sionnent eux-mêmes,  ils  ne  trompent  pas  ceux  qu'ils 
prétendent  ainsi  éblouir.  Dans  son  langage  imagé,  saint 
François  de  Sales  les  appelle  des  «  boutiques  de  va- 
nité >.  Entretiens  spirituels,  c.  xvn.  Œuvres 
pléles,  12  in-12,  Paris.  I<SG2,  t.  ni,  p.  310sq. 

'i.  La  fierté.  —  Ce  défaut  a  beaucoup  de  relation 
avec  le  précédent;  mais  il  a.  cependant,  quelque  chose 
de  moins  méprisable,  car  il  ne  va  pas  sans  une  cer- 
taine grandeur  et  une  certaine  dignité. 

4.  La  violence  et  le  penchant  »  la  vengeance.  — 
Malgré  les  analogies  qu'ils  présentent  entre  eux, 
défauts  peuvent  exister,  l'un  sans  l'autre.  Toute  per- 
sonne violente  n'est  pas  pour  cela  rancunière,  ou  vin- 
dicative. La  violence  passe,  parfois,  comme  une  tem- 
pête qui  accumule  ruines  sur  ruines,  mais  qui  ne  dure 
pas.  La  rancune,  ou  l'esprit  de  vengeance,  poursuit 
plus  froidement  son  but.  Aussi,  dan-  bien  des  cas. 
est-elle  plus  redoutable  que  la  violence  elle-m 
Celle-ci,  malgré  ses  écarts  accidentels,  n'est  pas  incom- 
patible avec  un  certain  fond  de  bonté. 

5.  La  dureté  du  cœur.  —  C'est  une  des  formes  les 
plus  ordinaires  de  l'égoïsme.  Elle  rend  insensible  aux 
souffrances  d'autrui,  el  porte  même  à  y  applaudir, 
comme  si  l'on  jouissait  davant  n  propre  bon- 
heur, en  voyant  des  malheureux.  Elle  peut  aller  jusqu'à 
pousser  à  faire  le  mal,  pour  le  seul  plaisir  de  faire 
souffrir.  C'est  alors  une  sorte  d'instinct  mauvais,  et 
quasi-bestial. 

6.  Le  Irop  d'empressement.  —  C'est  une  agitation 
fébrile  dénotant  un  man  pie  d'équilibre  entre  les  di- 
verses facultés.  L'activité  n'est  plus  réglée  par  la  rai- 
son, et  si  elle  déploie  de  l'en  -i  de  l'en-  i 
oiseuse.  Elle  se  dépense  en  une  foule  d'occupations 
sans  but  sérieux  et  non  méritoires,  qui  aboutissent,  en 
somme,  à  une  perte  de  temps.  Souvent,  en  effet,  on  perd 
plu»  de  temps  à  faire  des  choses  inutiles  qu'à  ne  rien 
faire  du  t. .ut.  Cf.  l'aber.  Progrès  de  l'âme  dans  /il 
spirituelle,  c.  XII,  in-12,   Paris.   1856,  p.  289-292. 

7.  La  légèreté.  —  Elle  est  un  grand  obstacle  a  la 
réflexion,  aux  études  sérieuses,  a  la  suite  dans  les  idées 
ou  dans  les  actes,  à  la  persévérance  dans  les  résolutions 

Elle  produit  l'inégalité  d'humeur.  Parfois,  elle 
dégénère  en  étourderie  et  en  puérilité,  qui  continuent, 
dans  l'adolescence  1 1  jusque  dans  l'âge  unir,  les  futi- 
lités de  l'enfance.  Dans  les  conversations,  elle  se  mani- 
feste par  le  récit  d'un.'  masse  de  dei.nl»  des  plus  insi- 
pides, racontés  en  un  babil  interminable.  Cotte  inai 
de  langage  répond  bien  au  vide  de  cet  esprit  dans  lequel 
les  l"  n»'  es  les  plus  disparate»  se  succèdent  avec  une 
étonnante  rapidité  et  disparaissent  de  même.  Ce  llux 
de  paroles  n'apporte  à  ceux  qui  sont  obligé»  de  le 
subir,  que  lassitude  et  ennui.  Les  occupations  d  une 
personne  légère  de  caractère  présentent  la  même  em- 
preinte générale  de  futilité.  Quelquefois  aussi,  cette 
extrême  mobilité  de  pensées  i  »l  la  suite  morbide  d'un 


225 


DÉFAUTS 


226 


état  pathologique  spécial.  La  cure,  alors,  est  plutôt  du 
ressort  de  la  médecine  que  de  l'ascétique  ou  de  la 
morale.  Cf.  Axenfeld  etHuchard,  Traité  des  névroses, 
1.  III,  c.  v,  §  2,  in-8",  Paris,  1883,  p.  958  sq.;  Ribot, 
Les  maladies  de  la  volonté,   in-8°,  Paris,  1896,  p.  112. 

8.  La  singularité.  —  C'est  la  source  intarissable  de 
bizarreries  et  de  caprices  de  tout  genre.  Elle  est  sus- 
ceptible de  se  montrer  de  mille  manières  et  à  tout 
propos  :  dans  les  tendances,  dans  les  paroles,  dans  les 
actes,  dans  l'ensemble  de  la  conduite,  et  jusque  dans 
la  dévotion.  Elle  est.  alors,  l'effet  de  l'amour-propre, 
ou  delà  sottise,  ou  bien  une  tentation  de  l'esprit  malin. 

9.  L'inclination  ù  la  mélancolie,  au  chagrin,  à  la 
tristesse.  —  Voilà  encore  un  de  ces  défauts  qui  font  le 
malheur,  et  de  la  personne  qui  les  a,  et  de  celles  qui 
vivent  auprès  d'elle.  Il  est,  en  outre,  pour  la  vraie 
piété,  un  obstacle  déjà  signalé  par  saint  Paul.  II  Cor., 
ix.  7.  De  plus,  il  mène  rapidement  à  l'abattement  et  au 
découragement.  Par  suile,  il  rend  difficile,  pournepas 
dire  impossible,  l'acquisition  de  la  vertu.  Cf.  Faber, 
Progrès  de  l'âme  dans  la  rie  spirituelle,  c.  il,  vu, 
xii.  p.  16-19,  108-110,  283-287;  Ribet,  L'ascétique  chré- 
tienne, c.  u,  S  5,  in-8°,  Paris,  1905,  p.  8. 

10.  La  pusillanimité  et  l'inquiétude.  —  Par 'ce  dé- 
faut, on  se  trouble,  à  chaque  instant,  pour  de  petites 
choses  qui   n'en    valent  pas  la  peine.  Il  en  résulte  une 

ition  presque  continuelle,  qui,  dans  la  vie  ordi- 
naire, se  traduit  par  l'irrésolution,  et,  dans  la  vie  sur- 
naturelle, par  les  scrupules,  cause  inépuisable  de 
tourments  pour  les  âmes  qui  en  sont  atteintes,  et 
pour  leurs  supérieurs,  directeurs  ou  confesseurs.  Cf. 
S.    François   de    Sales,  Entretiens  spirituels,  c.  xvu, 

res  complètes,  t.  m.  p.  514  sq.;  Scaramelli, 
Guide  ascétique,  traite  II»,  a.H,c.  i-ui,  4  in-8°,  Paris, 
1885,  t.  u,  p.  358-383. 

11.  La  dissimulation,  ou  le  penchant  au  déguise- 
ment  et  <i  la  duplicité.  —  C'est  l'esprit  de  mensonge, 
ennemi  de  toute  candeur  et  de  toute  franchise.  Dans 
la  plus  tendre  jeunesse  il  se  manifeste  dès  les  pre- 
mières  lueurs  de  la  raison,  el  -il  n'est  combattu  de 
bonne  heure,  n  se  perpétueàtraverstousiesâges.l] 

endre  l'hypocrisie. 

12.  La  prodigalité.  —  Elle  consiste  à  dépenser,  à 
pleine-  mains,  et  sans  motifs  justifiés,  l'argent  que  l'on 

de,  on  a  laisser  détériorer,  par  négligence  ou  par 
caprice,  les  objet-  que  i  on  a  à  son  usage.  Ce  défaut  pro- 
vient de  la  vanité,  tout  autant  que  de  la  paresse.  Par 
la  prodigalité  en  cherche  à  paraître  riche  ou  généreux, 
ou  bien  l'on  veut  s'éviter  le  soin,  considéré  comme 
ennuyeux,  de  veiller  à  ses  dépenses,  et  d'en  tenir  un 
compte  exact,  [1  en  résulte,  d'abord,  du  désordre;  puis 
du  mécontentement  el  du  malaise;  entin.  trop  souvent, 
une  ruine  complète.  Cf.  Palmieri,  Opus  theologicum 
n  Busenbaum  medullam,  lr.  IV,  c.  m 
dub.  vu.  7  in-8»,  Prato,  1889  1893,  t.  I,  p.  571. 

18.    La   sensualité,  —  Il  \  en   a  troi  celle 

de  l'esprit,  celle  du  cœur,  el  ci  Ile  du  corps.  —  a  La 
première  incline  I  âme  à  penser  surtoulaux  choses  qui 
lui  plaisent.  La  mémoire  ne  revient  que  sur  les  n 
airs  agréables,  el  i  imagination  crée  Bans  cesse  des  chi- 
mères, auxquelles  elle  s'arrête  avec  délices.  Si  on  lit 
un  auteur,  c  est  surtout  pour  ses  mérites  seconde 
comme  le  style,  par  exemple,  ou  le  genre  du  sujet  traité, 

dam  lequel  l'utile  tient  beaucou] ins  de  place  que 

able.        b)  La  sensualité  du  cœui    est  la  souri  e 
iflecliona  tendres,  tend.'.  -  surtout  sur  les  qu 
igi  .  Fraîcheur  do  teint,  éh  | 
douceur  de  la  v.,i\ .  etc.  <:r.  s.   t  ran 
'les,  En tn  Is,  c.  xvii,  Œuvret 

m.  p.  516  sq  .    Scaramelli,   Guidé 
tique,  traité  II  ii-iv,  I    il,  p,  206-311.       i     I  .. 

alité  corporelb  pousse  auxdésordrei  de  la  chair. 
i   trahit  dan    la  po  i  ,  d  mi  la  di  mari  h 

DICT.   DI  Tin  'il..  CATHOL. 


recherche  du  bien-être  et  de  la  nourriture,  dans  l'abus 
du  sommeil  et  du  repos  trop  prolongé,  dans  les  ré- 
pugnances exagérées  pour  tout  ce  qui  gêne  :  fatigue, 
intempéries  des  saisons,  froid,  chaleur,  travail,  etc. 
C'est  un  état  de  mollesse  qui  affaiblit  le  caractère,  et 
produit  un  obstacle  souvent  insurmontable  à  toute  vie 
chrétienne,  ou  simplement  sérieuse.  Cf.  Ribet,  L'ascé- 
tique chrétienne,  c.  XIII,  p.  115-133. 

14.  L'indulgence,  ou  le  trop  de  tendresse  pour  soi.  — 
Ce  défaut  a  bien  des  accointances  avec  le  précédent, 
quoiqu'il  ne  revête  pas  le  même  caractère  de  gravité.  Il 
n'est,  le  plus  souvent,  qu'une  grande  faiblesse  de  la  vo- 
lonté, s'arrètant  devant  le  moindre  obstacle,  mais  ne 
portant  pas  néanmoins,  directement,  aux  désordres 
moraux,  comme  le  fait  la  sensualité.  C'est  cependant 
un  vrai  danger,  car,  en  empêchant  l'âme  de  marcher 
sur  le  chemin  de  la  vertu,  il  la  laisse  presque  entière- 
ment désarmée  contre  les  assauts  de  l'ennemi,  toujours 
prêta  tenter  de  l'entraîner  aux  abîmes.  Cf.  S.  François 
de  Sales,  Entretiens  spirituels,  c.  Xiv,  xvu,  Œuvres 
complètes,  t.  m,  p.  455-472,  517  sq.;  Faber,  Progrès 
de  l'âme  dans  la  vie  spirituelle,  c.  vu,  p.  111  sq. 

15.  L'indolence.  —  Ce  défaut  conduit  promptement 
à  la  paresse  et  à  la  lâcheté.  Il  paralyse  jusqu'à  l'action 
même  de  la  grâce.  Dans  le  monde  spirituel,  on  peut  la 
comparer  à  ce  qu'est  la  force  d'inertie,  dans  le  monde 
des  corps.  Sur  un  caractère  indolent  le  zèle  le  plus 
ardent  n'a  presque  aucune  prise.  L'indolent,  en  effet, 
vit  dans  une  sorte  d'apathie  morale,  qui  est  comme  son 
atmosphère  naturelle.  Son  esprit  est  noyé  dans  le 
vague,  et  il  s'y  complaît.  Il  ne  connaît  donc  même  pas 
son  mal.  four  le  connaître,  il  aurait  dû  s'étudier,  et 
cela  demande  un  effort,  dont  il  est  incapable.  Si  on 
veut  l'aider  dans  ce  travail,  il  s'y  refuse;  et  si  on  essaie 
de  lui  révéler  le  mal  qui  le  mine,  il  ne  comprend  rien 
à  ce  qu'on  lui  en  dit.  Cette  apathie  morale  est  l'opposé 
de  toute  énergie,  par  conséquent  de  toute  vertu,  et. 
a  fortiori,  de  toute  vie  surnaturelle.  Par  le  désœuvre- 
ment habituel  qu'elle  produit,  elle  est,  comme  l'oisiveté 
et  la  paresse,  la  mère  de  tous  les  vices.  Pour  ne  pas 
mourir  d'ennui,  il  faut  à  l'être  inoccupé  des  divertis- 
sements frivoles,  des  plaisirs  toujours  renouvelés,  des 
émotions  factices  ou  coupables.  L'indolence  l'énervé 
donc  de  plus  en  plus,  et  consume,  en  peu  de  temps,  le 
peu   de  vigueur  qui  lui  restait.  Cf.  Faber,  Progrès  de 

iIidis  la  vie  spù'ituelle,  c.   iii-xiv,  p.  115  sq., 
277-301. 

Il  existe  une  foule  d'autres  défauts  moraux,  dont  il  est 
souvent  fait  mention  dans  les  ouvrages  de  morale  el 
■  l  a  i  étisme.  La  liste  en  serait  longue.  Mais  il  faut  re- 
marquer que  beaucoup  sont  presque  synonymes,  ou 
n'indiquent  que  il,-  variétés  d'une  même  espèce.  Il  est, 
en  outre,  facile  de  les  ramener  tous  à  l'un  de  ceux  dont 
nous  avons  traité,  en  particulier,  dans  cet  article. 

s.  t  îales,  Entretiens  spirituels  aux  filles  de  tu 

Visitation,  c.  xiv-xvii,  Œuvres  complètes,    12  in-12,   r 
1862,  t.  m,  p.  455  517  ;  Scaramelli,  Guide  ascétique,  tralti    11 
il-iv;a    11,  c  un,  4  in-8',  Paris,  1882,  t.  Il,  p.  285-411, 
i  ins  ta  vie  spirituelle,  c.  u, 
vu,  xiv,  In  12,  Paris,  1868,  p.  16-84,   108-120,  277-801  .  Pi 
lu,  Honnaii  e  des  facultés  fnl  I 
ta-4»,  Paria,  physiolo- 

et  philosophique,  I.   m.   c    m.  83;   I.  V,  c. i-vi,  in 
Paris,  i  701  :  Qiraud,  De  l'esprit  et 

dans   l'état  religieux,  1.  u,  c.  xi-mi. 
In-12,  Gi  7,  p.  177-195;  m. ,ii,i  i..  ./■,,//,.  /  gie  de  l'esprit, 

<-    \n  rt,  Psychi  ■ 

ln-8*,  S  de  '"    volonté,  ln-8*, 

Psychotoglaanthropologica,  t.  II,  disp.  tu. 

i       .     I       III  .    ,i,     |        I         ■  ,  !       Il    l\  I 

xix,  il.  M    i 

part.  III 

In  ,    i 

i    Ortolan, 

l\     -8 


227 


DÉFENSE    DE   Soi 


DÉFENSE  DE  SOI.  Le  droil  que  nous  avons  sur 
notre  rie,  sur  notre  corps,  >m-  tous  les  biens  qui  nous 
rppartiennenl  légitimemenl  implique  comme  i 
quence  nécessaire  le  <  1 1  * > ï t  de  nous  défendre  contre  toute 
attaque  injuste  menaçant  cette  vie,  ce  corps  et  ces 
l.iens.  Posséder  légitimement  un  bien,  c'est  avoir  le 
droit  de  le  garder,  et  sans  la  faculté  de  !<■  défendre 
re  un  injuste  agresseur,  ce  droil  ne  serait  qu'une 
chimère.  Nul  d'ailleurs  ne  conteste  ce  principe  ni  en 
théorie   ni  en   pratique    et  toutes    les    législations   l'ont 

admis.  Cf.  Décret.  Gregor.  IX,  1.  V,  tit.  mi.  De  homU 
Code  pénal  frani  ais,  a.  328. 

Si  le  principe  est  évident,  l'application  en  est  déli- 
cate, car  il  n'est  pas  permis,  même  pour  raison  de 
légitime  défense,  de  devenir  injuste  agresseur.  D'où  : 
I.  Nature  du  droit  de  légitime  défense.  II.  Règles  a 
suivre  dans  l'usage  de  ce  droit.  III.  Application  des 
principes  aux  cas  les  plus  importants. 

I.  Nature  du  droit  de  légitime  défense.  —  Comme 
le  note  justement  de  Lugo,  le  droit  de  légitime  défense 
n'a  point  pour  objet  de  réparer  le  dommage  déjà  causé 
ni  de  punir  la  faute  commise,  mais  d'empècber  que  le 
tort  ne  soit  fait.  Conséquemment,  en  cas  de  légitime 
défense,  on  peut  agir  dés  que  l'adversaire  attaque; 
mais  il  n'est  point  permis  d'ajouter  à  la  défense  ce  qui 
constituerait  le  châtiment  ou  la  réparation.  Et  d'autre 
part,  dès  que  l'attaque  a  réellement  cessé  d'exister,  le 
droit  de  se  défendre  cesse  i/iso  facto. 

II.  Règles  à  suivre  pans  l'usage  de  ce  droit.  — 
1"  Règles  générales.  —  11  n'est  pas  permis,  même  pour 
se  défendre,  d'accomplir  un  acte  intrinsèquement  mau- 
vais. 11  n'est  pas  permis  de  se  défendre  dans  une 
société  organisée,  comme  on  pourrait  le  faire  en  dehors 
de  toute  organisation  sociale  et  de  s'arroger  des  droits 
sagement  réservés  aux  tribunaux. 

2°  Règles  particulières.  —  1.  Il  n'est  permis  de  se 
défendre  que  lorsque  l'agression  est  injuste.  Si  la  per- 
sonne dont  l'acte  nous  fait  tort  est  dans  son  droit,  la 
résignation  s'impose  et  la  violence  serait  injuste.  C'est 
le  cas  du  criminel  justement  condamné  à  l'égard  de 
ses  bourreaux  et  de  ses  gardiens.  .Mais  dès  que  l'agres- 
sion est  injuste,  ne  fut-ce  que  matériellement,  le  droit 
de  se  défendre  existe.  Ce  droit,  en  effet,  ne  dépend 
pas  de  la  culpabilité  de  l'agresseur,  mais  uniquement 
du  caractère  objectif  de  son  acte.  Il  est  donc  permis 
de  se  défendre  contre  les  attaques  d'un  liomme  ivre  et 
d'un  fou.  —  2.  Les  moyens  employés  pour  empêcher 
l'agression  ne  doivent  pas  dépasser  les  limites  néces- 
saires à  la  défense.  Donc  l'emploi  de  moyens  violents 
est  interdit  quand  les  autres  suffisent.  S'il  suffit,  pour 
échapper  au  meurtre  dont  on  est  menace,  de  fuir  ou 
de  se  cacher,  on  n'a  pas  le  droit  de  tuer.  Toutefois,  si 
l'agression  devient  plus  violente,  la  défense  peut  devenir 
plus  énergique  et  se  développer  parallèlement  a  l'attaque. 
L'emploi  de  moyens  inutiles  à  la  défense  et  dont  le 
but  unique  serait  de  nuire  a  l'adversaire,  reste  illicite. 
—  ;{.  Il  faut  tenir  compte  de  la  valeur  du  bien  menacé 
et  ne  point  le  défendre  en  infligeant  à  son  adversaire 
un  dommage  sans  proportion  avec  le  tort  qu'il  veul 
causer.    La    vie  d'un  homme,   régulièrement    parlant, 

vaut  plus  qu'une  pièce  d'or,  .le  n'ai  donc  pas  le  droit  de 

tuerie  voleur  pour  sauver  les  \ i m _: t  francs   qu'il    me 

prend. 

III.  APPLICATIONS  PRINCIPALES.  —   1° La  vie  ('Si  injns- 

tement  menacée.  -    Si  je  ne  puis  échapper  autrement, 

j'ai  le  droit  île  tuer  l'ennemi  qui  m'attaque.  Celle  con- 
clusion n'est  pas  contestée  malgré  certains  texte-  em- 
barrassants de  saint  Augustin,  De  libéra  arbitrio,  1.  1, 
c.  v,  n.  Il,  /'.  /..,  i.  xxxii.  col.  1227  .  Quomodo  possunt 
an'bilrari  carere  Ulos  libidine,  qui  pro  Us  rébus 
vita,  libertate,  pudicitia)  ditjladiantur  i/uas  passant 
amiltere  inviti;  aui  si  ia<a  possunt,  <iaul  opus  est 
pro  hit  usque  ail  hominis  necem  progredif  el  Epist., 


xi.wi. ad  Publicolam,  a.  ■•.  P.  l. .,  t.  xxxin.  col.  188: 
De  occidendit  honiinibut  <<<-  ni.  eis  ■/••■■  lalur, 

mm    milii  plia  ri  consilù  sit  miles  uni 

publica  funclione  tenealur..  .  de  saint    tmbroise,  I)e 
officia,  I.  III.  c.  iv,  n.  27,  /'.   /..,  t.  v.i.col.  ir>ii 
videtur  quod  vir  christia  '/uae- 

rere  sibi  vitam  aliéna  nanti'  debeal;de  saint  Bc  rnard, 
De  prseceplc  el  dispensât.,  c.  vi,  n.  13,  /'.  /..,  t.  ci  x.xxn, 
col.  bO'J,  qui  considère  comme  coupables  d'homicide 
et  ceux  qui  tuent  pour  \oler  et  ceux  qui  tuent  pour 
sauver  leur  vie.  Quelques  théologiens  rigoristes  ont 
seuls  combattu  l'opinion  commune.  La  cliarilé.  disaient- 
ils,  nous  oblige  a  préférer  le  salut  éternel  du  prochain 
à  noire  rie.  Or,  c'est  le  contraire  que  l'on  fait  évidem- 
ment en  tuant  un  injuste  agresseur.  Carrière,  lie  ju- 
stitia  el  jure,  n.  780.  cite  comme  ayant  adopté-  ce  senti- 
ment Henri  de  Saint-Ignace,  Piette,  Gibert  de  Vérone 
et  de  Pompignan,  archevêque  de  Vienne.  Mai-  il  est 
facile  de  répondre  à  l'argument  qu'ils  avancent,  en  rap- 
pelant que  la  charité  ne  nous  oblige  pas  à  ce  sacrifice 
héroïque,  s'il  n'est  pas  absolument  nécessaire.  Or, 
dans  l'hypothèse,  il  ne  l'est  pas  :  que  l'injuste  agressent 
cesse  d'attaquer,  on  n'aura  plus  le  droit  de  se  défendre 
et  il  sera  libre  de  songer  au  salut  de  son  âme. 

11  semble  à  saint  Thomas.  Sun:,  llieol.,  II»  11*, 
q.  lxiv,  a.  7.  que.  même  en  cas  de  légitime  défense,  on 
ne  peut  qu'indirectement  vouloir  la  mort  de  l'injuste 
agresseur  à  cause  du  précepte  :  non  occides.  On  aurait 
simplement  le  droit  de  se  défendre  au  risque  de  tuer 
l'adversaire.  On  n'anrail  pas  le  droit  de  vouloir  direc- 
tement lui  inlliger  un  coup  mortel.  Ce  sentiment  e-t 
communément  abandonné.  Car  si  j'ai  réellement  le 
droit  de  tuer  qui  veut  me  perdre,  j'ai  le  droit  de  vouloir 
directement  sa  mort.  Le  précepte  :  non  accules  ne  va 
pas  sans  les  exceptions  nécessaires. 

2°  Si  la  ne  n'est  pas  en  danger,  mais  seulement 
l'intégrité  matérielle  ou  morale  du  corps.  —  1.  L'ad- 
versaire ne  cherche  qu'à  blesser  ou  à  mutiler.  On 
peut  rendre  coup  pour  coup,  mais  est-il  permis  de  se 
débarrasser  de  l'adversaire  en  le  tuant?  S'il  n'est  pas 
possible  de  s'en  débarrasser  autrement,  oui.  Je  ne  suis 
pas  tenu  de  me  condamner  à  la  perle  d'un  membre 
ou  à  de  graves  blessures  pour  épargner  la  vie  de  qui 
m'attaque  contre  tout  droit.  Il  ne  peut  s'en  prendre 
qu'à  lui  s'il  lui  arrive  malheur.  —  2.  L'honneur  d'une 
femme  est  un  bien  de  premier  ordre  qui  peut  juste- 
ment se  comparer  à  la  vie  et  se  détendre  par  les  mêmes 
moyens.  Aussi,  d'après  le  sentiment  commun  dea 
théologiens,  une  femme,  vierge  ou  non,  mariée  ou  non, 
à  qui  l'on  vomirait  faire  violence,  a-t-elle  le  droit, 
s'il  le  faut,  de  tuer  l'impudique  agr<  sa  ur.  S.  Antonin, 
Summa,  part.  II.  tit.  v,  c.  vi  ;  Lessius,  De  juslitia,  1. II, 
c.  ix.  n.  70.-  S.  Liguori,  Theol.  moralis,  1.  111.  n. 
L'opinion  contraire  soutenue  par  Steyaert,  .luenin. 
Billuart  et  quelques  autres  que  cite,  en  les  approuvant. 
Carrière,  op.  cit.,  n.  S<k>.  s'appuyait  sur  l'autorité 
de  sainl  Augustin,  loc.  cit.,  el  sur  l'argument  suivant  : 

lacté  de  \  iolence  commis  contre  une  femme  peut  être 
envisagé  soit  comme  lui  étant  un  bien  naturel,  soil 
comme  la  blessant  dan-  sa  vertu.  Or  l'intégrité  dont 
on  la  dépouille  n'a  point  la  valeur  de  la  vie.  La  vertu 
n'est  point  atteinte  si  la  femme  fait  son  devoir  en  ré- 
-islant  de  toutes  se-  force-  et  en  refusant  tout  consen- 
tement interne  a  lacté  accompli.  Aucune  raison  par 
conséquent  de  tuer.  Mais  si  la  verlu  n'e-l  pas  q< 
sairemenl  atteinte,  elle  est  du  moins  en  un  grand  dangi  r 
dont  il  faut  tenir  compte.  D'autre  part,  l'honneur  de 
la  femme  est  certainement  \\\\  bien  de  premier  ordre. 
S'il  n'est  pas  absolument  équivalent  à  la  vie.  il  vient 
immédiatement  après.  La  charité-  n'oblige  pas,  i  n  pa- 
reil cas.  a  sacrifier  son  intérêt  à  celui  d  autrui. 

3°  Les  hiens  de  la  fortune.  —  Les  détendre  contre  II  ■ 
voleurs  est  un  droil  que  personnelle  conteste.  Ce  droil 


229 


DÉFENSE    DE   SOI 


DEFORIS 


230 


va-t-il  jusqu'à  permettre  de  tuer  le  voleur?  L'opinion 
communissima  le  concède,  mais  à  une  double  condi- 
tion :  1.  que  les  biens  enlevés  soient  d'une  valeur  con- 
sidérable; 2.  qu'il  n'y  ait  pas  d'autre  moyen  de  les 
défendre  ou  de  les  recouvrer.  La  cbarité,  en  effet,  ne 
nous  oblige  pas  de  préférer  à  des  biens  de  cette  sorte 
la  vie  d'un  voleur;  le  bien  public  ne  demande  pas  non 
plus  qu'on  laisse  faire.  Mais  il  est  évident  que  l'emploi 
de  ce  moyen  extrême  n'est  licite  que  s'il  s'agit  d'objets 
ou  de  biens  de  grande  valeur.  Quelle  est  cette  valeur? 
On  ne  peut  la  déterminer  par  des  chiffres.  Il  faut  tenir 
compte  de  la  valeur  relative  et  de  la  valeur  absolue  de 
l'objet.  En  tout  cas,  il  n'est  pas  permis  régulièrement 
de  tuer  un  homme  dès  qu'une  seule  pièce  d'or  est  en 
danger.  C'est  le  sens  de  la  31e  des  propositions  con- 
damnées le  2  mars  1679,  par  Innocent  XI.  A  fortiori, 
n'est-il  pas  permis  de  sauvegarder  par  un  meurtre 
l'héritage  qu'on  espère,  ni  de  tuer  celui  qui  refuse  de 
nous  délivrer  un  legs  auquel  nous  avons  droit.  Dans 
ce  double  cas,  le  moyen  violent  dépasse  la  mesure  ou 
n'est  pas  nécessaire;  donc  il  faut  le  rejeter.  C'est  le 
sens  des'propositions  32e  et  33e  condamnées  par  le  même 
pape.  Denzinger.  Enchiridion,  n.  1048-1050. 

Dans  un  synode  tenu  à  Constantinople  en  1153  sous 
le  patriarche  Constantin  Chliarenus,  on  a  discuté 
quelle  pénitence  ecclésiastique  on  devait  imposer  à 
ceux  qui.tuaient  un  voleur  à  qui  ils  auraient  pu  échapper 
par  la  fuite.  Quelques-uns  voulaient  qu'ils  fussent 
punis  comme  homicides,  car  le  voleur  tué  aurait  pu 
se  convertir,  s'il  avait  vécu,  et  que,  par  suite,  on  ne 
leur  appliquât  plus  les  anciens  canons.  Ceux-ci  décla- 
raient qu'il  n'y  avait  pas  de  crime  si  on  n'avait  pas  pu 
fuir.  Si  le  voleur  avait  eu  recours  à  la  violence  et  si  en 
se  défendant  on  l'avait  tué,  il  n'y  avait  pas  lieu  à  inlli- 
iiicune  pénitence  ecclésiastique;  il  faudrait  plutôt 
récompenser  l'homicide  qui  a  ainsi  procuré  le  bien 
public.  Le  concile,  réformant  l'ancienne  discipline,  dé- 
cida que,  dans  ce  cas,  on  devait,  au  point  de  vue 
ecclésiastique,  punir  comme  homicides  ceux  qui  s'étaient 
défendus  de  la  sorte  et  que,  s'ils  avaient  pu  fuir,  la 
pénitence  soit  augmentée.  De  droit  naturel,  l'ancienne 
distinction  ne  devait  pas  être  rejetée.  Tout  ceci  concer- 
nait les  laïques.  Quant  aux  clercs  homicides,  qu'ils  eus- 
11  i j t  tué  des  ennemis,  ou  des  voleurs,  ou  d'autres'per- 
sonnes.  il  n'y  >  pas  île  distinction  à  faire;  ils  seront 
toujours  déposés,  Mansi,  Concil.,  t.  xxi,  col.  833,  836. 

Le  voleur  qui  s'enfuil  en   emportant  l'objet  dérobé 

peul  être  irait.'  comme  h-  •"leur  au  moment  du  vol. 

Mais  avant  <i  en  venir  an  fait,  il  est  juste  qu'on  l'aver- 

de  vive  \oix  «m   autrement,    qu'il  connaisse   le 

er  qu  il  court,  Autrement,  on  risquerait  d'employer 

inutilement  un  moyen  \ iolent, 

Si  1'  voleur  recourt  à  la  violence  pour  s'emparer 
d'un  objet  de  peu  de  valeur,  il  est  permis  de  repousser 
la  force  par  la  forée.  Si  la  querelle  s'envenime  el  que 
leur  vieiuie  a  blesser  ou  ,i  menacer  de  mort,  la 
victime  a  le  droit  de  se  détendre  comme  il  a  été  in- 
diqué plus  haut.  C'esl  le  summum  jus  dont  il  vaudrait 
peut-être  mieux  ne  pas  u 

Fagnan,  le  P.  Ballerini,  Carrière  el  quelques  autres 
théolo  cartanl  dans  cette  question  de  l'opinion 

commune,  oui  soutenu  qu'il  n'es!  |amais  permis  de  tuer 

u ) ie  qui  ne  fait  que  voler,  i.  assemblée  du  clergi 

de  i  rance  avait,  en  1700,  condamné  la  proposition  sui 

A"",-  tolum  vitam,  sedetiarn  6..,../  temporvUia 

quorum  jactura  euel  damnum  graviuimum,  liciluni 

rsi  defensione  oceunva  •'  e  contraire  an 

pte  divin  el  aux  obligations  qu'impose  la  chariti  , 
l'ouï   défendn    cette  opinion,  on  alléguai!      I.  Ii 

\x\.  2,  qui  déclare  pei  mis  de  tner  celui 
qui  vole  la  mut  ei  non  celui  qui  voie  le  jour,  parce 
que  du  premier  on  ne  sait  d  vienl  pour  voler  on  tuer; 
s  il  ne  vienl  qui  interdit  de  le  toi  r. 


—  2.  II  est  déraisonnable  de  sacrifier  la  vie  d'un  homme 
pour  un  bien  périssable,  dont  la  perte  n'est  pas  irrépa- 
rable. Ces  arguments  n'ôtent  point  leur  valeur  aux  rai- 
sons de  la  première  opinion;  ils  prouvent  seulement 
qu'il  ne   faut  en   user  qu'avec    une  extrême  réserve. 

4°  L'honneur  et  la  réputation.  —  Il  est  permis  de 
s'opposer,  par  un  emploi  modéré  de  la  force,  aux 
voies  de  fait  injurieuses  et  aux  paroles  outrageantes. 
Mais  si,  pour  empêcher  l'injure,  il  faut  recourir  à  l'ho- 
micide, en  a-t-on  le  droit'.'  Diana,  Lessius,  Hurtado 
l'ont  admis  pour  le  cas  où  l'insulte  serait  sanglante  et 
atteindrait  un  personnage  élevé  en  dignité.  Mais  cette 
opinion,  remarque  saint  Liguori,  ne  doit  passer  en 
pratique  qu'avec  une  extrême  réserve.  Elle  se  soutien- 
drait plus  facilement  si,  d'une  part,  la  personne  outragée 
est  de  celles  qui  ne  peuvent  laisser  passer  l'insulte  sans 
se  déshonorer  et  si,  d'autre  part,  l'insulteur,  passant 
des  paroles  aux  actes,  en  vient  à  menacer  son  ennemi 
de  mutilation  ou  de  mort.  En  ce  cas,  l'insulté  se  dé- 
fendrait plutôt  contre  la  violence  que  contre  l'injure. 
Mais,  si  l'on  excepte  ce  cas,  le  recours  au  meurtre 
comme  moyen  d'écarter  l'injure  est  illicite,  soit  parce 
qu'il  n'y  a  pas  de  proportion  entre  le  mal  de  l'injure 
et  celui  de  l'homicide,  soit  parce  qu'on  arrive  au  but 
aussi  sûrement  et  aussi  facilement  par  d'autres 
moyens  sans  danger. 

Un  sentiment  trop  vif  de  l'honneur  a  fait  dévier  sur 
ce  point,  au  xvie  et  au  xvne  siècle,  quelques  théolo- 
giens dont  les  propositions  scandalisaient  le  domini- 
cain Mayol,  Summa  doclrinse  moralis  circa  X  decalogi 
prsecepta,  Yu"'  pracept.,  q.  i,  a.  6,  §  4  :  Prse  horrore... 
decidil  calamus,  tremunt  viscera...,  dum  considero 
opinionum  por tenta  execratione  digna  quibus  novelli 
probabilitatum  patroni  istud  strictissimum  de  non  oc- 
cidendo  prœceptum  laxare  in  hac  parte  moliuntur. 
Selon  les  uns,  dit-il,  on  peut  tuer  le  calomniateur,  non 
seulement  quand  il  attaque,  mais  dès  qu'il  menace; 
selon  les  autres,  il  est  licite  de  tuer  un  insulteur,  même 
quand  il  a  cessé  d'insulter;  d'autres  permettent  en  prin- 
cipe de  tuer  tout  insulteur  ou  tout  calomniateur  qui 
fait  un  tort  grave.  Les  critiques  de  Pascal,  V7/p  Provin- 
ciale, ont  été  provoquées  par  des  propositions  de  ce 
genre,  ou  trop  larges,  ou  formulées  d'une  façon  trop 
générale.  Voir  par  exemple  Lessius,  De  justifia,  1.  II, 
c.  ix,  dub.  xu,  n.  77  et  79. 

Les  principes  indiqués  plus  haut  s'appliquent  clans 
toutes  les  classes  de  la  société.  On  ne  fait  aucune  ex- 
ception même  pour  les  personnes  constituées  en  di- 
gnité qui  n'ont  pas  le  droit  de  tuer  pour  échapper  à  la 
calomnie  et  aux  injures,  ni  le  droit  de  calomnier  pour 
échapper  à  une  accusation  vraie  ou  fausse.  Alexandre  VII 
el  Innocent  XI  ont  condamné'  les  propositions  qui  le 
soutenaient.  Trop.  17,  18,  et  prop.  30,  W  el  44.  Den- 
zinger, n.  988,  989,  et  1047,  1060,  1061.  A  fortiori, 
est-il  interdit  de  recourir  à  l'homicide  par  avortement 
pour  échapper  au  déshonneur  ou  même  à  la  mort. 
Prop.  34.  Denzinger,  n.  1051. 

V.  Oui  n. 

DEFORIS  Jean-Pierre,  bénédictin  de  la  congréga- 
tion de  Saint-Maur.  né  à  Montbrizonen  1732, guillotiné 
à  Paris  le  25  juin  IT'.ii.   Avant   lait  profession  a   Saint- 

Allire  de  Clermont,  le  36  août  I7ô:t,  il  fut  un  des  pre- 
mier-, collaborateurs  chargés  de  l'édition  de-  conciles 

iule-,  dont  un    volume  seule  nie  ni  lut  publié;  mais 

il  renonea  bientôt  a  ce  genre  d'études  pour  se  livrer  à  la 
défense  de  la  religion  attaquée  par  les  incrédules.  Lu 
moment  de  h  Révolution,  il  fu  oi  tble 

à  ta  Constitution  civile  dn  i  lergé  el  mé d'avoir  con- 

iiii.ue  ,i  -.1  rédaction.  Il  repoussa  vivemenl  o 

sation  dans  une  Lettre  "  V auteur  de  i"  Ga  elle  de  Parie, 

in-8"  de  28  p.   \  la  suite  de  cette  publication,  il  fui 

.ii i.  té  et  i  ni'  i i  la  i  orce    puii   -ni  Luxemboui 

■  la  Concier)   ri<    fraduildi    int  le  tribunal  révolution- 


231 


DEFORIS    -      DÉISME 


naire,  il  fut  condamné  à  mort.  Il  De  cessa  d'offrir  lei 
ilations  de  la  religion  à  ses  compagnons  de  c;»pt  i  - 
vite  et  de  supplice,  el  pour  les  assister  jusqu'au  bout, 
demanda  comme  une  laveur  d'être  exécuté  le  dernier. 
Dom  Deforis  travailla  à  une  édition  îles  œuvres  de 
Bossue!  dont  les  note^  el  manuscrits  avaient  été  dépo- 
iu  monastère  des  Blancs-Manteaux  par  les  héritiers 
de  l'illustre  évoque.  Ce  travail  avait  été  commencé  par 
'l'abbé  l.e(|iieiix  et  par  dom  do  Coniac.  L'édition  devait 
avoir  30  volumes.  Dom  Deforis  l'annonça  par  un  Prospec- 
tus de  In  nouvelle  édition  des  œuvres  de  Jdessire  J  B< 
nig»e  Bossuet,  évêque  de  Meaux,  in-4»,  Paris,  1769. 
Quinze  volumes  furent  publiés  par  les  soins  de  dom 
Deforis  qui  s'était  surtout  occupé  des  œuvres  inédites 
de  l'évéque  de  Meaux  ;  mais  les  notes  et  préfaces  dont 
il  accompagna  le  texte  soulevèrent  de  \i\es  protesta- 
tions de  la  part  de  l'Assemblée  du  clergé  qui  pria  le 
garde  des  sceaux  d'ordonner  que  les  œuvres  de  Bossuet 
fussent  publiées  sans  commentaires.  Le  libraire  Lamy 
continua  l'édition  qui  demeura  inachevée  :  Œuvres  de 
Messire  Jacques- Bénigne  Bossuet,  nouvelle  édition 
enrichie  d'ouvrages  de  l'auteur  non  encore  imprimés, 
18  in-4",  Paris,  1772-1788.  Dom  Deforis  donna  une  édi- 
tion séparée  des  Sermons  cl  oraisons  funèbres  de 
M.  Bossuet,  6  in-4°,  ou  17  in-12.  Paris,  1772-1790.  Il  est 
en  outre  auteur  des  ouvrages  suivants  :  Réfutation  d'un 
nouvel  ouvrage  de  J.-J.  Rousseau  intitulé:  Emile  ou 
de  l'éducation,  in-S",  Paris,  17(>2:La  divinité  de  la  reli- 
gion chrétienne  vengée  des  sopliismesdeJ.-J.  Rousseau, 
2  in-12.  Paris, 4763;  Préservatif  pour  les  fidèles  contre 
les  sophismes  et  les  impiétés  des  incrédules  où  l'on 
développe  les  principales  preuves  de  la  religion  et  oit 
l'on  détruit  les  objections  formées  contre  elle,  avec 
une  réponse  à  la  lettre  de  J.-J.  Rousseau  à  M.  de  Beau- 
mont,  archevêque  de  Paris.  2  in-12,  1764;  Réclama- 
des  religieux  bénédictins  des  Blancs-Matiteaux 
contre  la  requête  des  religieux  de  Sainl-Germain-des 
Prés,  in-41,  Paris,  1765;  L'importance  et  l'étendue  des 
obligations  de  la  vie  monastique,  son  utilité  dans 
l'Église  et  dans  l'Étal  pour  servir  de  préservatif  aux 
montes  el  de  réponse  aux  ennemis  de  l'ordre  monas- 
tique, 2  in-12,  Paris,  1768  :  ces  deux  derniers  ouvrages 
se  retrouvent  dans  Mémoires  pour  les  ordres  relig 
contre  les  principes  de  la  Commission  établie  en  1168, 
in-12,  Paris,  1785;  Exposition  de  la  doctrine  de  l'Eglise 
sur  les  vertus  chrétiennes  contre  les  articles  que 
M.  l'évéque  du  Mous  a  fait  signer  aux  Pères  de  l'Ora- 
toire et  Examen  de  la  lettre  apologétique  du  P.  du  Ver- 
dier,  assistant  du  Pcre  général  de  l'Oratoire  au  sujet 
de  ce  qui  s'est  passé  entre  les  supérieurs  majeurs  de 
cette  congrégation  et  M.  l'évéque  du  Mans  dans  l'af- 
faire du  professew  du  Mans,  in-12,  en  France,  1775. 
pamphlet  très  violent  contre  l'Oratoire  et  Ms*  de  Gri- 
mai di,  évêque  du  Mans;  l'Ion  de  réforme  motivé,  pré- 
senté aux  Etats-Généraux  par  les  fidèles  citoyens  de 
la  bonne  ville  de  Paris,  3  in-81.  Paris,  1787.  1788,  1789. 

DomTassin,  Histoire  littéraire  de  la  congrégation  de  Saint- 
.  in-4*,  Paris,  177ii.  p,  768  766    Quérard,  I.a  France  litlc- 
in-8  ,  Paris,  t.  n,  p.  421  ;  Picot,  Mémoires  pour  servir 
<i  l'histoire  ecclésiastiqui  pendant  le  xrtn'  ai  II  .Pa- 

ri    1865,  t.  \.  p.  189;  d<    Lama,  Bibliothèque  des  écrivai 
la  congrégation  de  Saint-Maur,  ln-12,  Paris  et  Munich,  1882, 

p   212    Ri  r 8    1 18;  1905,  p.  86,  M'.»:  Le- 

vesque,  Bossuet  et  l)ef<>-  de  sermon,  dana  H 

Bossuet,  1900,  p  tMd  ,  p.  SJ  plantent  V, 

20  juin  1!X)7,  p.  67-":; ,  Berlière,  Nouveau  supplément  ii  C histoire 
littéraire  des  bénédictins  de  Saint-Maur,  I.  i.  p.  1Ô0-152. 

II.   Mil  RTEB1ZE. 

DÉGRADATION.  Voir  DÉPOSITION. 

DEGRÉS.  Voir  GRAD]  8. 

DEHARBE  Joseph,  né  à  Strasbourg   en   Alsace,  le 
I"  avril  1800,  entra  dans  la  Compagnie  de  Jésus  à  Brig 


(Valait  .  le  20  septembre  1817;   professa  la  rhétorique 
el    prêcha   avec  BUCCèS    en     Suisse    et     en    Allein-. 

mii.-  du  lainl    ministère  lui  lit    comprend) 
nécessité,  d'un    nouveau   catéchisme    populaire.    11  en 
forma  le  plan  suivant  le-  h.  soins  nouveaux  qu'il 
statait,  tout  en  se  tenant  h-  plus  près  possible  des  meil- 
leurs modèles  antérieurs,  spécialement  du  li.  1'.  Cani- 
siu<.  dont  le  catéchisme  avait  obtenu  une  si  vaste  dif- 
fusion et  fait  tant  de  bien.  Noir  t.  n.  col.  1524-1596.  Il 
arriva  à  l'exécution,  tandis  qu'il   résidait  à  Lucen 
Suisse,  et  puhlia.  en  1847,  ;<  Batisbonne,  son  premier 
Katholischer  Katechismûs,  m  quatre  éditioi 
rant  par  le  développement,  pour  les  enfante  des  écoles 
de  tout  degré,   pour  les  jeunes  gens  et  les  adulte- 
1853,  les  évoques  de  Bavière,  désireux  de  réaliser  dans 
leurs  diocèses  l'unification  des  catéchismes,  mesure  à 
laquelle  s'élait  déjà  montrée  favorable  l'assembh 
nérale  de  l'épiscopat  allemand  à   Wurzbourg,  en  ' 
demandèrent  le  concours  du  I'.  Deharbe.  Celui-ci  avait 
déjà  réimprimé  une  douzaine  de  fois  son  travail  suc- 
cessivement  perfectionné;    il    en     publia,    la     même 
année  1853,  une  nouvelle  édition,  que  tous  les  prélats 
bavarois  adoptèrent.  Voir  t.  il,  col.  1956.  Le  P.  Deharbe 
a  de  même  approprié-  son  œuvre,  avec  de  légères  modi- 
fications, à  l'usage  de  plusieurs  autres  diocèses,  et  elle 
est  devenue  le  catéchisme  diocésain  de  la  plus  grande 
partie  de  l'Allemagne.   Il  en  a  été   fait  également 
traductions  en  anglais,  en  croate,  en  danois,  en  ■ 
gnol,  en  français,  en  hongrois,  en  italien,  en  polonais 
en    portugais,    en  suédois,  en   tchèque    et   même  en 
mahratte.  Outre  les  textes  destinés  à   être  appris  par 
les  enfants,  le   P.  Deharbe  a   composé  des  explications 
populaires  de  son  catéchisme,  à  l'usage  des  catéchistes 
et  des   familles:  elles  ont  paru  sous  différents    t 
en  deux,  trois  et  cinq  in-8".  Divers  auteurs  ont  i  j 
ment  commenté  à  leur  manière  son  excellent  manuel. 
Le  P.  Deharbe   a  encore  publié  un  volume  sur  la  na- 
ture de  la  charité    parfaite  ;    Die   voit kom mette  I 
Gottes  in  ihrem  Gegensai:c  tur  unvollkonimemen  uni 
in  ihrer  Anwendung  auf  die  vollkommene  und  unvoll- 
kommene  Reue.  dargcstellt  nacli  der  Lehre  des  heil. 
Thomas  von  Aquin,  und  fur  kalechetische  Vurtrâge 
gemeinfasslich  erklârt.   Nebst    einigen    Erlàuterun- 
ijen  -.mu  Einverstàndnisse  in  der  Katechismussache, 
in-8°.  Ratisbonne.  1856.  Il  termina  sa  vie  bien  remplie, 
le  8  novembre  1871,  a  Maria-Laach. 

Sur  les  Innombrables  éditions  du  catéchisme  de  Heharbe, 
voir  De  Backer-Sommervogel,  Bibliothèque  delà  C"  de  Jésus. 
t.  n.  col.  1815-1884;  i.  ix.  col.  is2-isi.  Pour  l'appréciation, 
F.  X.  Thalhofer,  Entwickelung  des  katholischeu  Katechismûs 
in  Deutschland  von  Canisius  bis  Deharbe,  Fribourg-en- 1 
gau,  t899;  Knecht,  dans  le  Kirchenlexjkon,  l.  vu,  co: 
Hurter,  Xotnenclator.  t.  m,  col.  1222-!. 

lus.    HFU'CKER. 

DÉISME.  —    l.  Notion.   M.  Essais  de  classification. 
III.  Apparition  du  mot.  IV.   Le  déisme   en   Angleterre. 

\ .  I.'1  'I'  i~ en  France.  VI.  Le  déisme  en  Allem  i| 

VII.  Doctrine  catholique  opposer  au  déisme. 

I.  Notion.  —  Ce  mot  est  loin  d'avoir  une  significa- 
tion unique  et  facilement  définissable.  Son  acception 
usuelle  ne  répond  nullement  au  sens  étymologique. 
Si  nous  ne  consultons  que  l'étymologie,  déisme  et 
théisme  sont  deux  tenues  parfaitement  synonyn 
ils  expriment  l'un  et  l'autre  simplement  la  croyance 
en  Dieu,  le  contraire  de  l'athéisme;  ils  ne  diffèrent  que 
par  leur  dérivation  immédiate,  qui  rattache  le  premier 
au  latin  Deus.  et  le  second,  au  grec  e>;o;.  De  fait,  dans 
beaucoup  de  livres  du  xuu  siècle  et  du  commei 
ment  du  xix\  on  les  rencontre  employés  indiflerem- 
ment.  Voltaire  se  vante  d'être  théiste  et  ne  se  défend 
point  d'être  déie  que,  dans  -.i  pensée,  ces  deux 

qualificatifs    se  valent    :   ils  indiquent  également   une 
religion  sans  dogmes  révélés  el  san<  culte  autre  qus 


233 


DEISME 


234 


«  faire  le  bien  »,  c'est-à-dire  le  fond  commun  de  toutes 
les  religions,  l'assentiment  purement  rationaliste  à 
«  l'existence  d'un  être  suprême,  puissant  et  juste.  » 
Aussi  de  même  que,  pour  lui,  «  le  déisme  est  la  reli- 
gion d'Adam,  de  Sem  et  de  Noé,  »  parce  «  qu'en  tout 
genre  on  commence  par  le  simple,  ensuite  vient  le 
composé  »,  de  même  il  dit  du  théiste  (Dictionnaire 
philosophique,  à  ce  mot),  que  «  sa  religion  est  la  plus 
ancienne  et  la  plus  étendue,  car  l'adoration  simple 
d'un  Dieu  a  précédé  tous  les  systèmes  du  monde.  » 

Mais,  dès  longtemps,  l'usage,  quem  pênes  arbitrium 
est,  et  jus  et  norma  loquendi,  a  introduit  entre   ces 
deux  mots  une  distinction  capitale  :   il  a  sanctionné  et 
développé  le  côté  affirmatif  de  l'un  et  le  côté  exclusif 
de  l'autre;  dans  le  théisme,  il  a  accentué  l'idée  qu'im- 
plique la  racine,  et  il  a  amené  le  déisme  à  signifier 
surtout  la  négation  de  quelque  chose  qui  la  dépasse; 
ici,  l'attention  se  porte  moins  sur  ce  que  le  vocable 
énonce  que  sur  ce  qu'il  ne  dit  pas  et  suppose  absent. 
Aujourd'hui,  le  théisme  est  une  théorie  qui  comporte 
l'existence  d'un  Dieu  personnel,  créateur  et  providence; 
il  s'oppose   non  seulement  à   l'athéisme,   négation  de 
Dieu,  et  au  panthéisme,  négation  de  la  personnalité 
divine,   mais  aussi  au  déisme.  Celui-ci    désigne   tout 
svstème  qui,  un  Dieu   personnel   supposé,  rejette  l'un 
ou  l'autre  de  ses  attributs  positifs  et  tout  au  moins  son 
action  révélatrice.   C'est   bien    assurément  cet  aspect 
négatif  que  Bossuet  avait  en  vue  et  dont  il  signalait, 
avec  son  coup  d'reil  génial  et  sa  logique  impitoyable. 
Variations,  V,   les  conséquences  extrêmes,  quand  il 
•  lait  le  déisme  «  un  athéisme  déguisé.  » 
II.  Essais  de  CLASSIFICATION.  —  Selon  qu'il  pousse 
l'exclusion  plus  ou  moins  loin,  le  déisme  se  présente 
à  nous  avec  des  différences  très  notables.  Au  cominen- 
cement  du  xvnr  siècle,  le  théologien  anglais  Clarke, 
.1  démonstration  >>f  the  being  and  attributes  of  God, 
Londres,  1704-170(3,  traduit  par  Ricotier,  Amsterdam, 
17-21.  t.  h,  c.  Il,  distinguait  quatre  classes  de  déistes. 
Li  -  un-,   disait-il.  reconnaissent  un   Dieu  sans  provi- 
dence aucune,  complètement  étranger  et  indifférent  aux 
actions  des  hommes  et  aux   phénomènes  du    monde, 
moteur  intelligent,   qui,  après  avoir  tiré  l'univers   du 
chaos,  «a  tout  laissé  à  l'aventure,  sans  vue  ni  direction 
particulière,  au  hasard  de  ce  qui  pourrait  arriver.  » 
D'autres  s'élèvent  jusqu'à  l'idée  d'une  providence,  mais 
(I  une  provider  '  erne  simplement  les  phéno- 

iea  de  l'univers  matériel.   Au  demeurant,  ils  ren- 
Dl  toutes  les  bases  de  la  morale  et,  a  fortiori,  de 
la  croyance  à  une  \ie  future;    <  ils  ne  voient  nulle  dif- 
fi  rence  entre  le  bien  et  le  mal;  »  c'est  là  chose  dont 
Dieu,  d'après  eux,  ne  se  mel  p  \î  en  peine,  de  sorte  que 
tablies  par  les   hommes,    source    unique  et 
arbitraire  de  nos  concepts  d'honnêteté,  d'obligation,  de 
faute,  de  mérite  el  de  démérite,  ^ont  aussi  par  conse- 
nte rit   la  seule  norme  n  gulatrice  de  nos  actes.  Il  est 
des  déistes  d'une  troisième  nuance,  qui,  tout  en  admet- 
tant certains  attributs  moraux  de  Dieu  et  en  particulier 
M   providence  et  ses  volontés   intimées   à   toutes  les 
fusent  de  croire  à  l'immorta- 
lité de  l'âme,  ainsi  qu'aux  peines  et  récompenses  d'une 
■  le.  Enfin,  à  la  quatrième  classe  appartiennent  ceux 
qui      ont  à  ton-  égards  des  idées  saines  el  justes  de 
attributs  »,  qui  donc  acceptent  toutes 
rites  de  la  religion  naturelle,  y  compris  le  do 

rie  future,  el  ne  rejettent  que  leprincipe  de  l'au- 
etde  la  révélation.  Ceux-ci  sont,  au  jugement  de 
Clai  ki  I  ibli  -  di  istes  el   les    ■  tils  qui 

ddi  i  iti  ni  qu  "n  entre  en  discussion  avec  eux  pout 
iim  n    di    la    i  érité  de  la   relij  ion  chrétîenm 
Malheureusement,  ajoute-t-il,  tout  porte  à  croire     que 
parmi   les  déistei  modernes,   il   n  \  en  •>  que  peu  ou 

point  de  cette  •   p  ■  e    >  ar  la  moindre  attei n  aux 

quences  de  ces  principes   conduirait  infaillible- 


ment des  gens  comme  ceux  que  je  viens  de  dépeindre  à 
embrasser  le  christianisme.  » 

La  classification  de  Clarke  n'a  guère  été  admise  telle 
quelle.  Kant,  fort  arbitrairement  du  reste,  simplifie  la 
question  en  opposant  sans  plus  le  déisme  au  théisme 
de  la  manière  suivante  :  le  théiste  est,  selon  lui,  le 
partisan  de  la  religion  naturelle;  il  conçoit  Dieu,  par 
analogie  avec  l'homme  et  d'après  les  données  de  l'expé- 
rience, comme  un  être  libre  et  intelligent,  auteur  et 
providence  du  monde.  Le  déiste  s'en  tient  à  la  théologie 
rationnelle  transcendantale,  <  pensant  Dieu  d'après  des 
concepts  purs  et  vides  d'intuition,  comme  être  premier 
et  cause  du  monde,  »  il  ne  va  pas  au  delà  d'une  force 
infinie,  inhérente  à  la  matière  et  cause  aveugle  de  tous 
les  phénomènes  de  la  nature.  Le  déisme,  dans  ce  sens, 
ne  serait  plus  qu'une  forme  du  matérialisme  et  se  con- 
fondrait avec  la  doctrine  de  certains  physiciens  de  l'an- 
tiquité, par  exemple  celle  de  Straton  de  Lampsaque. 
Rien  ne  justifie  pareille  restriction.  Aussi  bien,  à  nous 
en  rapporter  à  l'usage  le  plus  général,  à  considérer  les 
penseurs  qu'on  s'accorde  communément  à  ranger  sous 
l'étiquette  de  déistes,  il  semble  à  la  fois  plus  logique  et 
plus  commode  d'y  distinguer  trois  catégories  ou  trois 
degrés,  suivant  qu'admettant  Dieu  comme  créateur  ou 
au  moins  ordonnateur  du  monde,  ils  nient  d'ailleurs 
soit  seulement  la  révélation  et  l'Église,  soit  en  outre  la 
vie  future,  soit  même  la  providence.  En  étudiant  les 
origines  et  la  marche  du  déisme,  surtout  du  déisme 
anglais,  il  est  facile  d'y  relever  ces  différentes  formes. 
On  les  y  rencontre  se  développant  dans  l'ordre  que 
nous  venons  d'indiquer,  c'est-à-dire  se  rapprochant  de 
plus  en  plus  de  la  négation  totale,  de  l'athéisme. 

III.  Apparition  du  mot.  —  Historiquement,  le  déisme 
s'offre  d'abord  à  nous  avec  une  acception  purement 
théologique.  Ce  mot,  inconnu  de  l'antiquité  et  du  moyen 
âge,  a  servi  primitivement  à  désigner  les  sociniens  ou 
nouveaux  ariens,  qui  niaient  la  divinité  de  Jésus-Christ. 
Dans  la  suite,  on  l'a  étendu  à  tous  ceux  qui  se  déclarent 
partisans  de  la  religion  naturelle,  mais  hostiles  à  tout 
surnaturel  et  à  tout  mystère.  Des  adversaires  du  chris- 
tianisme nous  apparaissent  pour  la  première  fois  sous 
le  nom  de  déistes  vers  le  milieu  du  \vie  siècle,  en  Italie  et 
en  France.  C'est  du  moins  ce  qui  résulte  du  témoignage 
d'un  théologien  calviniste, assez  estimé  parmi  les  siens, 
Virel.  dans  un  livre  publié  en  1063  et  portant  le  titre 
A* Instruction cAre*tienne.  Cetauteurcaractériseainsi  les 
nouveaux  sectaires  :  «  Ils  reconnaissent  Dieu,  mais  n'ad- 
mettent pas  Jésus-Christ.  L'enseignement  des  apôtres 
e1  des  évangélistes  est  pour  eux  pure  fable  et  rêverie.  » 

IV.  Lk  déisme  en  Angleterre.  —  Mais  si  le  nom  est 

né  sur  le  continent,  c'est  en  Angleterre  que  nous  voyons, 
dans  la  seconde  moitié  du  même  siècle,  la  doctrine 
prendre  consistance  el  commencer  à  se  répandre.  Plu- 
sieurs circonstances  locales  lui  furent  favorables  :  elle 
bénéficia  d'un  fort  courant  d'opposition  à  II  glise  établie, 
qui  régnait  parmi  les  sectes  dissidentes,  et  surtout  de 
la  réaction  très  compréhensible  provoquée  par  la  préten- 
tion de  l'épiscopat  anglican  d'imposer  l'adhésion  absolue 
aux  trente-neuf  articles,  contrairement  au  principe 
fondamental  du  protestantisme,  qui  permet  à  chacun 
la  libre  Interprétation  de  la  Bible.  A  ces  causes  il  faut 
ajouter  l'action  parallèle  de  ta  philosophie  in 
par  Bacon  de  Vérulam  i  \  1626),  et  conduisant  de  l'em- 
pirisme au  sensualisme  d'abord,  an  scepticisme  el  I 
i  athéisme  ensuite. 

On  trouvera  à  l'article  Christianisai  rationne]  .  t.  ti, 
col,  3415-3417,  une  substantielle  esquisse  du  déi 
anglai  numération  des  principaux  noms  el  des 

principaux  ouvrages  par  lesquels  n  est  représenté. 
De  la  comparaison  attentive  de  ces  éléments  une  con- 
clusion a  te  i.i  force  ds 
i  ■    ni'  il-            .i  que,  là  déjà,  le  dél 

iégénèn    i  apidement 


235 


DÉISME 


236 


et  tombe  de  négation  «mi  négation,  l'our  Herbert  de 
Cherburj  (1581-1643),  la  religion  naturelle,  en  tant 
que  noyau  doctrinal  commun  a  tons  lea  systèmes  reli- 
gieux el  condition  suffisante  <lu  salut,  comprenait  cinq 
propositions  de  certitude  rationnelle  :  1  il  \  a  un  Dieu; 
2  il  a  droit  a  noire  culte;  9»  La  piété  et  la  vertu  sont 
les  parties  essentielles  de  ce  culte;  4"  chacun  doit  se 
repentir  de  Bes  fautes,  et  à  celui  qui  se  repent  Dieu 
pardonne;  5"  il  j  a,  soit  dans  cette  vie,  soit  dans  une 
\  ir  à  venir,  îles  récompenses  pour  les  bons  et  des  peines 
réservées  aux  méchants.  Mais  bientôt  nous  voyons  les 
successeurs  de  Cherbury  el  les  héritiers  de  ses  prin- 
cipes, notamment  Collins  (1676-1729),  Chubb  (1679- 17  47 
BoHngbroke  (1672-1751),  nier  ou  révoquer  en  doute  et 
la  providence  divine  et  la  vie  future.  «  Dieu,  écrit 
Chubb,  est  un  être  qui  n'a  pas  à  s'occuper  du  bien  ou 
du  mal  qui  se  fait  parmi  les  hommes.  La  providence 
ne  s'inquiète  pas  de  savoir  si  quelques  individus 
vivent  dans  une  situation  heureuse,  d'autres  dans  la 
misère;  cela  ne  la  regarde  pas.  »  Il  se  moque  du  raison- 
nement qui  de  l'inégalité  imméritée  des  conditions  hu- 
maines conclut  à  une  compensation  à  venir  et  à  la 
nécessité  d'une  existence  ultra-terrestre.  Il  compare  le 
sort  des  (ils  d'Adam  à  celui  des  chevaux,  dont  les  desti- 
nées et  les  emplois  sont  si  divers,  sans  que  les  moins 
favorisés  puissent  attendre  un  dédommagement  quel- 
conque. Bien  que  ces  passages,  d'une  brutale  franchise, 
semblent  contredits  par  d'autres,  il  est  clair  du  inoins 
que  l'auteur  n'avait  sur  rien  une  conviction  ferme  et 
arrêtée;  aussi  déclarait-il  insuffisantes  les  raisons  qui 
militent  en  faveur  de  la  survivance  de  l'âme  au  corps. 
Avec  Bolingbroke,  sceptique,  léger,  railleur,  se  défen- 
dant du  reste  d'être  athée,  le  respect  de  la  religion, 
même  naturelle,  a  disparu  :  comme  .Machiavel,  Boling- 
broke ne  voit  en  toute  religion  qu'un  instrumentum 
regni,  un  expédient  politique  pour  gouverner  la  multi- 
tude naïve  et  ignorante.  Après  cela.il  ne  manquait  plus 
au  déisme  que  de  renier  ou  de  battre  en  brèche  l'idée 
même  qui  en  est  le  premier  fondement,  l'idée  d'un 
être  suprême.  C'est  ce  qu'il  allait  réaliser  sans  tarder, 
par  la  plume  de  Henri  Dodwell  le  jeune,  dans  Le 
christianisme  dépourvu  de  preuves,  1743,  et  surtout 
par  celle  de  Henri  Hume  (171 1- 1776»,  qui,  sur  les  ruines 
du  principe  de  causalité,  fonde  définitivement  le  scep- 
ticisme religieux,  en  même  temps  que  le  scepticisme 
philosophique.  «  Quelle  est  la  fin  de  l'homme?  Est-il 
né  pour  le  bonheur  ou  pour  la  vertu?  pour  cette  vie 
ou  pour  une  vie  future?  pour  lui-même  ou  pour  son  au- 
teur? Questions  tout  à  fait  insolubles,  »  dit  Hume.  Et 
il  ajoute  que  «  c'est  une  succession  d'impressions  qui 
seule  constitue  l'esprit  »,  et  «pie  notre  persuasion  de 
l'existencede  Dieu  repose  uniquement  sur  «  un  instinct  « 
ou  «  préjugé  naturel  ».  Ainsi,  d'étape  en  étape,  le  déisme 
d'Herbert  de  Cherburj  finissait  par  sombrer  dans  la 
négation  des  principes  les  plus  clairs  et  les  plus  essen- 
tiels, de  ces  principes  qui,  comme  celui  de  la  relation 
delà  cause  el  de  l'effet,  sonl  le  fond  même  de  l'intelli- 
gence humaine. 

Malgré  le  nombre,  la  qualité  et  l'ardeur  de  ses  cham- 
pions, le  déisme,  en  Angleh  rre,  n  avait  point  réussi  à 
pénétrer  fortement  l'esprit  public.  Les  attaques  contre 
le  christianisme  et  les  mystères  qu'il  impose  à  la  foi, 
contre  l'inspiration  de  ses  livres  sacrés,  conta 
miracles  et  ses  prophéties,  qu'un  déclarait  impossibles, 
recevables  seulement  c des  ail  gories,  radicale- 
ment dénués  de  valeur  probante,  n'avaient  pas  encore 
atteint  profondément  les  masses  croyantes,  raine  l'a 
constaté  en  termes  dignes  d'être  remarqués.  ••  En  vain, 
dit-il.  Histoire  de  la  littérature  anglaise,  1863,  t.  m, 
p.  60-61,  au  commencement  do  siècle,  les  libres- 
penseurs  s'élèvent;  quarante  ;in>  plus  tard,  ils  sonl 
noyés  dans  l'oubli.  Le  déisme  el  l'athéisme  ne  sont  ici 
qu'une  éruption  passagère.  Les  professeurs  <i  irréligion 


rencontrent  des  adversaires  plus  fort!  qu'eux.  Les  ( 
de  la  philosophie  expérimentale,  les  plus  doctes  i  l 
plus  accrédités  parmi  les  érudits  du  siècle,  les  écri- 
vains   les  plus  spirituels,    lis   plus   aine  plut 
habiles,  toute  l'autorité  de  la  science  et  d 

ploie  à  les  abattre.  Les  réfutation-  surabondent.  El 
apolo,.  de    convaincre    un 

esprit  libéral,  infaillibles  pour  convaincre  un  esprit 
moral.  »  Ceux  qui  prétendaient  abolir  la  religion  du 
Christ  ont  présumé  de  l'efficacité  de  leurs  moyens. 
i  Quand  ils  seraient  dix  fois  (dus  nombreux,  ils  n'en 
viendraient  pas  à  bout;  car  ils  n'ont  pas  de  doctrine 
qu'ils  puissent  mettre  à  sa  place.  ■  La  résistance  fut  donc 
énergique,  et  l'avantage  demeura  aux  défenseurs  de  la 
bonne  cause,  avec  cette  restriction,  que  plu-i 
d'entre  eux.  par  une  tactique  mal  entendue,  firent  au 
rationalisme  des  concessions  déplorables,  qui,  à  la 
longue,  devaient  devenir  funestes. 

Y.  Lf.  DÉISME  EN  France.  —  Mais  si  les  théories  déistes 
n'eurent  de  l'autre  coté  de  la  Manche  qu'une  vogue  ' 
poraire  et  relativement  restreinte,  il  n'en  futpasde  ne 
en  deçà.  Herbert  et  Shaftesbury  avaient  puisé  beaucoup 
de  leurs  erreurs  en  France  ou  chez  des  écrivains  fran- 
çais ;  elles  revinrent  à  leur  pays  d'origine,  notablement 
grossies  et  développées.  Ceux  qui  contribuèrent  prin- 
cipalement à  les  accréditer  furent  Yoltaire,  Jean-Jacques 
Rousseau  et  le  groupe  des  ^philosophes  »  encyclopédistes. 

Yoltaire  (1694-1778)  était  entré,  vers  1715,  en  relations 
d'amitié  avec  Bolingbroke,  exilé  alors  sur  le  continent; 
il  avait  ensuite  passé  trois  ans  auprès  de  lui  dans  la 
Grande-Bretagne.  C'est  ainsi  qu'il  noua  connaissance 
avec  les  déistes  anglais  et  se  mit  à  leur  école.  De  retour 
dans  sa  patrie,  non  seulement  il  s'appliqua  à  y  accli- 
mater leurs  idées,  mais  il  fit  traduire  et  répandre  un 
grand  nombre  des  écrits  de  Blount.  Toland,  Collins, 
Woolston.  Chubb.  Bolingbroke.  Hume.  Plusieurs  de 
ces  traductions  parurent  en  Hollande;  on  imprima  les 
autres  en  France,  souvent  avec  la  connivence  des 
autorités  civiles,  en  mettant  faussement  sur  le  titre  les 
noms  de  Londres  ou  d'Amsterdam,  l'ne  partie  fut 
insérée,  sous  forme  d'articles,  dans  l'Encyclopédie 
méthodique.  Les  voies  avaient  été  ouvertes  à  la  propa- 
gande antireligieuse  par  les  désordres  et  la  licenee 
effrénée  qui  marquèrent  la  régence  du  duc  d'Orléans, 
pendant  la  minorité  de  Louis  XV  (1714-1723).  I 
alors  que  les  productions  des  déistes  commencèrent  à 
circuler  sournoisement  à  Paris  et  dans  les  provinces. 
Le  cardinal  de  Fleury  atteste  le  fait  et  le  déplore, 
lorsqu'il  dit  :  «  A  cette  époque,  une  multitude  de  livres 
impies  passèrent  la  mer,  et  la  France  en  fut  inondée; 
ou  plutôt,  tous  ceux  qui  avaient  parmi  nous  la  préten- 
tion d'être  des  esprits  forts  en  furent  empoisonnés.  » 
Mais  le  principal  semeur  des  idées  nouvelles  fut  Yol- 
taire lui-même.  Tout  l'avait  préparé  à  ce  rôle,  tout 
concourait  à  l'y  rendre  redoutable  :  sa  formation  intel- 
lectuelle, résultai  combiné  de  ses  rapport-  personnels 
avec  l'Angleterre  et  de  son  admiration  pour  Locke, 
qu'il  proclamait  le  penseur  le  plus  illustre,  le  plus  pro- 
fond des  métaphysiciens;  son  grand  talent  d'écrivain; 
son  érudition,  aussi  étendus  et  variée  que  superficielle  ; 
sa  facilité'  à  s'assimiler  les  conception-  iter  à 

son  profil  les  travaux  d'autrui;  son   esprit  railleur  el 
caustique,  habitue  et  expert  à  tout  tourner  en  ridicule, 
la  rage  qu'il  nourrissait  contre  le  christianisme  et  qui 
lui  inspirait  ces  sinistres  paroles  :     Je  voudrais  que  voua 
sassiei  l'infâme...;  mon  aversion  pour  cet  infâme 
ne  fait   que    croître  el   embellir...;    coure/    tons    su-  i 
l'infâme  habilement.   -  Lettres  de  17(10  et  I7t'>l. 
édit.  Houssiaux-Didot,  t.  \.  p.  560;  t.  \n.  p.  128, 
l'absence   complète   de  scrupule-   dans   le  choix  des 
moyens;  la  foule  d'adulateurs  et  de  coopérateurs  que 
lui  avait  attirés  s.i  renommée,  cultivée  par  lui-n. 
avec  une  rare  intelligence;  enfin,  l'agi    avancé  jusqu'où 


237 


DEISME 


238 


il  parvint  et  jusqu'où  il  prolongea  une  activité  étonnante 
il  mourut  en  1778,  clans  sa  84e  année.  Il  avait  produit 
plus  de  soixante-aix  volumes.  Dans  tout  cela  du  reste 
le  bagage  philosophique  ou  théologique  est  d'une  pau- 
vreté insigne.  Il  se  réduit  à  un  sensualisme  déiste, 
accompagné  de  tendances  matérialistes.  Tandis  que» 
d'une  part,  l'auteur  reconnaît  un  Dieu,  que  parfois  il 
dit  juste  et  puissant,  il  enseigne,  d'autre  part,  que  l'exis- 
tence du  mal  est  inconciliable  avec  la  bonté  et  la  sagesse 
divines.  Quelquefois  il  exalte  l'âme  humaine  dont  il 
vante  la  dignité  et  la  noblesse;  mais,  en  même  temps, 
il  incline  à  croire  qu'elle  est  une  «  abstraction  réalisée  », 
et  il  n'est  point  convaincu  de  sa  spiritualité,  car  «  ce 
je  ne  sais  quoi  qu'on  appelle  matière  peut  aussi  bien 
penser  que  ce  je  ne  sais  quoi  qu'on  appelle  esprit.  » 
Rien  d'étonnant,  après  cela,  qu'il  lui  arrive  de  se  contre- 
dire aussi  sur  la  liberté,  jusqu'à  la  nier:  «  Je  veux  né- 
cessairement ce  que  je  veux;  autrement  je  voudrais  sans 
raison,  sans  cause,  ce  qui  est  impossible.  »  Dans  sa 
guerre  sans  trêve  contre  le  christianisme,  si,  pour  les 
idées,  il  est  ordinairement  tributaire  de  Locke  et  des 
Anglais,  il  ne  fait  souvent  sur  le  terrain  de  l'érudition, 
que  reproduire  en  bon  français  les  arguments  de  Bayle, 
sauf  à  les  assaisonner  de  ses  plaisanteries  et  de  ses 
sarcasmes  habituels.  Le  Dictionnaire  historique  et  cri- 
tique du  célèbre  sceptique  lui  est  un  arsenal,  une  mine, 
où  il  puisera  à  pleines  mains  jusqu'à  son  dernier  jour. 
Plus  sérieux  de  ton  que  Voltaire,  mais  tout  aussi  rem. 
pli  de  contradictions,  Jean-Jacques  Rousseau  (1712-1778) 
mérite  de  figurera  coté  de  lui  comme  apôtre  du  déisme. 
Lui  aussi  doit  beaucoup  à  Locke.  Laissons  de  côté,  si 
l'on  veut,  ses  théories  politiques  et  sociales,  développées 
dans  son  Discours  sur  l'origine  et  les  fondements  de 
l'inégalité  parmi  les  hommes,  1753,  et  dans  son  Contrat 
social,  1762.  Elles  ont  fait  presque  autant  de  mal  à 
l'Église  qu'à  l'État,  parce  qu'elles  sont  toutes  impré- 
gnées de  ce  principe,  qu'  «  une  société  de  vrais  chré- 
tiens ne  serait  plus  une  société  d'hommes  ».  Quanta 
l'ensemble  de  ses  idées  religieuses,  il  l'expose  princi- 
palement dans  la  Profession  de  foi  du  vicaire  savoyard, 
qui  sert  de  préface  à  son  Emile,  roman  d'éducation.  11 
ramène  la  religion  naturelle,  la  seule  admissible,  àtrois 
vérité!  I'  l'existence  d'un  être  suprême,  dont  la  volonté 
«  meut  le  monde  et  anime  la  nature  ».  mais  dont  il  est 
impossible  de  savoir  s'il  est  créateur  ;  2°  l'existence 
d'une  matière  régie  par  des  lois  fixes  et  constantes; 
■  '>  l'existence  dans  l'homme  d'une  âme  immatérielle  et 
libre.  .Mais  cette  âme  est-elle  immortelle?  On  ne  peut 
ni  l'affirmer  ni  le  nier  avec  certitude;  toutefois  l'affir- 
mative est  plus  probable.  Que  s'il  faut  admettre  une 
autre  vie.  il  y  a  encore  lieu  de  douter  de  l'éternité  des 
peines,  et  ici  c'est  vers  la  négative  que  tout  doit  nous 
faire  pencher. 

A  la  suite  de  Voltaire  el  de  Rousseau  nous  devons 
mentionner  h'  groupi  lis  écrivains  soi-disant  «  philo- 
sophes »  par  excellence,  qu'on  a  qualifiés  de  <•  minis- 
tres du  roi  Voltaire  .  el  qui  en  réalité  lui  formaient 
comme  une  cour  et  lui  furent  des  auxiliaires  précieux. 
Mais  désormais  le  maître  eu  impiété  sera  distancé'  par 
disciples,  dont  plusieurs  défendront  ouvertement 
l'athéisme  ou  le  matérialisme.  La  fameuse  Encyclo- 
pédie '"I  Dictionnaire  raisonné  des  sciences  et  des 
arts,  I7.">l  1777.  tut  comme  l'incarnation  et  l'un  des 
résultais  de  leurs  efforts  combinés.  On  sait 
:i^w  que  !'•  bul  de  cel  énorme  recueil  étail  de  répandre 
dan    louti  de  la  société  l'incrédulité  et  le 

m-  pi      i  l'endroil  du  christianisme,  de  set  fidèles  el  de 
institution     San    parier  de  Voltaire  el  des  fonda- 
teurs  immédiats  de  l'entreprise,  qui  lonl  Diderot(1713- 
1781    el  d'Alemberl     1717-1783),  on  peu!  citer  comme 

collaborateur!     Mauper 1759),    l'abbé  Raynal 

(1713  1796    Gri 1723  1807  .  La  Mettrii    1709  1751  i, 

d'Argent     1704-1771      foussalnt  (1715-1772),    Helvétius 


(1715-1771),  d'Holbach  (1723-1789),  Robinet  (1735-1820), 
Naigeon  (1738-1810),  Condorcet  (1743-1794).  Nommons 
encore  Montesquieu  (1689-1755),  Saint-Lambert  (1716- 
1803)  et  Volney  (1755-1820),  qui  contribuèrent  à  sou- 
tenir et  à  vulgariser  les  idées  de  Y  Encyclopédie,  le 
premier  par  ses  Lettres  persanes,  le  second  par  son 
Catéchisme  universel,  et  le  dernier  par  ses  Ruines  de 
Palmyre;  mais  ajoutons  que  Montesquieu  désavoua 
plus  tard  ses  sarcasmes  contre  le  christianisme. 

Parmi  tous  ces  noms,  trois  méritent  d'être  spéciale- 
ment remarqués  :  Diderot,  d'Holbach  et  La  Mettrie. 
Diderot  fut  le  véritable  centre,  l'âme,  non  seulement 
de  Y  Encyclopédie,  mais  encore  d'un  ouvrage  athée  sur 
le  Système  de  la  nature,  1770,  et  de  plusieurs  écrits 
conçus  dans  un  esprit  identique.  H  représente  ainsi, 
dans  la  seconde  période  du  XVIIIe  siècle,  le  passage  du 
déisme  à  la  négation  de  la  divinité.  Mais  il  est  éclipsé 
sur  ce  point  par  l'auteur  même  du  Système  de  la  na- 
ture, le  baron  d'Holbach.  Celui-ci  professe  sans  am- 
bages le  pur  athéisme,  proposé  plutôt  timidement  et 
avec  réserve  par  Diderot,  Naigeon  et  plusieurs  autres. 
Il  est  aussi,  est-il  besoin  de  le  dire?  matérialiste;  pour 
lui,  si  la  divinité  n'est  qu'un  produit  de  l'ignorance,  la 
matière,  unique  réalité,  est  éternelle  et  nécessaire;  elle 
se  meut  par  sa  propre  énergie;  matière  et  force  ou 
mouvement,  telle  est  la  cause  intégrale,  telle  l'explica- 
tion suffisante  de  tous  les  phénomènes.  Avant  d'Hol- 
bach, La  Mettrie  avait  défendu  le  matérialisme  le  plus 
cynique  dans  son  Histoire  naturelle  de  l'âme,  1745,  dans 
son  Homme-plante,  1748,  et  surtout  dans  son  Homme- 
machine,  1748.  Ce  dernier  livre,  dont  le  titre  seul 
nous  révèle  la  thèse  fondamentale,  se  présente  comme 
une  application  du  mécanisme  cartésien. 

On  voit  maintenant,   sans  que  nous  y  insistions,  où 
en  était  arrivée,  par  la  force  logique  des  choses  et  des 
idées,  la  libre-pensée  déiste,  au  déclin  du  xvme  siècle. 
Le  spiritualisme  rationaliste  qui  a  relleuri  et  jeté  un 
certain  éclat  en  France  sous  la  restauration,  la  monar- 
chie de  juillet  et  le  second  empire,  n'était  au  fond  qu'une 
résurrection  du  déisme;  car  il  en  a  repris  le  principe 
fondamental,   à   savoir  l'adoption   de  la  raison  comme 
guide  exclusif  de  l'homme  et  comme  mesure  de  toute 
vérité.  On  n'ignore  pas  que  sa  cause  a  été  soutenue  par 
des  esprits  très  distingués  et  que  de  leurs  études  sont 
sortis  plusieurs  ouvrages  remarquables.   Mais    ni   les 
nobles  intentions  ni  le  talent  de  ses  défenseurs  n'ont 
pu  le  soustraire  à  celte  déchéance  fatale  qui  guette  tout 
système  s'arrèlant  obstinément  à  mi-chemin  de  la  vérité. 
Résumons  en  quelques  lignes  cette  récente  expérience-. 
Les  tendances  sensualistes  et  matérialistes  delà  fin 
du    xviii"    siècle    se  prolongèrent    dans  les  premières 
années  du  xi.\e.  C'est  Royer-Collard  (1763-1815)  et  sur- 
tout Maine  de  liiran  (1766-1821)  qui,  partis  tous  deux 
des  principes  de  la  philosophie  écossaise,  donnèrent  le 
signal  de  la  réaction  spiritualiste.  Cousin  vint  ensuite 
1792-1867),   qui  prit  vite  la  tête  du  mouvement,  mais 
ne  sut,  enchaîné  qu'il   était    à  sa   méthode  éclectique, 
ni   suivre  une  direction   constante,    ni    se   garder  des 
inlluences  du  panthéisme  allemand.   Vers   le   début  de 
sa  carrière  enseignante,  il  affirmait  l'unité  absolue  de 
substance,  l'identité  du  fini  et  de  l'infini,  le  développe- 
ment nécessaire    «le  Dieu   dans   le  momie   el  par   le 
monde.  A  partir  de  1833,  sa  pensée  semble  parcourir 

:|ie.  où  nous  le  voyons  atténuer  el  i 
ter  partiellement  se-  affirmations  panthéistes.  Au  sur- 
plus, son  spiritualisme  demeurera  toujours  un   spiri- 

tualisi issentii  llemenl  rationaliste,  un  spiritualisme 

qui  commence  par  repousser  a  priori  le  surnaturel,  qui 
de  plus  oie,  sans  aucun  examen,  i  res  divins 

du  christiania comme  religion  positive,  qui  affirme 

enfin  l'indépendance  absolue  de  la  philosophie  i  l'i  gard 
de   l'Évangile,  de  la  raison   bumaii 
i  divine 


>2  19 


DÉISME 


240 


Nombreux  ont  été  les  discip  main,  el   pi  n  - 

si  urs  surent  donner  au  spiritualisme  une  altitude  plus 
Hère,  une  forme  plus  épurée.  Pour  ue  point  parler  ici 
<!,-  Jouffroj  1796-1842),  ame  inquiète,  ballottée  entre 
la  foi  chrétienne  de  Bon  enfance  el  les  lueurs  du  ratio- 
nalisme, aboutissant  finalement  au  métempsycosisme, 
il  en  esl  d'autres,  dont  l'activité  fut  moins  indéci 
plus  féconde.  Tel  Jules  Simon  (1814-1896),  dont  les 
livres  sur  Le  devoir  et  La  religion  naturelle  contiennent 
bien  des  pages  qu'un  chrétien  peut  lire  avec  fruit  el 
édification.  A  remarquer  cette  définition,  relativement 
complète,  qu'il  donne  de  la  religion  naturelle  :  <  Un 
Dieu  tout-puissant  et  immuable,  qui  a  créé  le  monde 
el  qui  le  gouverne  par  des  lois  générales;  une  vie  à 
venir  qui  remplira  toutes  les  promesses  de  celle-ci  el 
en  réparera  toutes  les  injustices  :  voilà  le  dogme;  un 
cœnr  rempli  de  l'amour  de  Dieu  et  île  l'amour  de 
l'humanité,  une  volonté  ferme  d'accomplir  le  devoir  et 
de  servir  les  vues  de  la  providence  en  faisant  le  bien, 
voilà  la  prière,  voilà  le  précepte.  »  L'idée  de  Dieu 
d'il.  Caro  (1826-1887)  est  une  autre  production  de  la 
même  école.  L'auteur  y  affirme  sa  croyance  non  seule- 
ment à  un  esprit  souverain,  mais  aussi  à  la  liberté  et 
à  l'immortalité  de  l'âme;  il  y  salue  en  Dieu  «  l'acte  pur, 
l'acte  éternel  de  la  pensée,  première  cause  et  réalité 
suprême  »,  un  être  non  immanent  au  monde,  un  «  père 
aimant  ».  Edmond  Saissel  (1814-1863)  appartient  aussi 
à  la  lignée  intellectuelle  de  Cousin.  11  a  formulé  de  sa 
propre  doctrine  un  résumé  qui,  abstraction  faite  des 
opinions  secondaires,  retlète  bien  la  pbysionomie 
générale  du  spiritualisme  éclectique  :  «  En  matière  de 
eboses  surnaturelles,  j'admets  l'existence  de  Dieu  et  de 
la  providence;  en  matière  de  miracles,  j'admets  le  mi- 
racle éternel  et  perpétuel  de  la  création;  en  matière  de 
révélation,  j'admets  que  Dieu  se  révèle  par  les  lois  de 
la  nature  et  qu'il  fait  briller  son  intelligence,  sa  puis- 
sance, sa  justice  et  sa  bonté,  ,1e  n'admets  ni  plus  ni 
moins.  » 

Les  écrivains  que  j'ai  nommés  ne  sont  pas  restés  iso- 
lés; ils  ont  eu  des  collaborateurs  et  des  émules.  Mais 
aujourd'hui  leurs  héritiers  ou  continuateurs  doctri- 
naux se  font  de  plus  en  plus  rares.  D'ailleurs,  dans 
leurs  rangs  mêmes  des  défections  ont  eu  lieu.  Ainsi 
M.  Paul  Janet,  qui  avait  longtemps  partagé  leurs  vues, 
s'est  récemment  rallié  à  une  sorte  de  panthéisme  par- 
ticulier, qu'avec  d'autres  il  appelle  le  «  panenthéisme 
Depuis  nombre  d'années  déjà,  le  spiritualisme  officiel, 
universitaire,  a  visiblement  cédé  le  pas,  soit  au  criti- 
cisme  néo-kantien  de  Taine,  Renan  et  Vacherot,  soit 
au  positivisme  de  Comte  et  de  Littréetau  matérialisme, 
qui  en  est  la  prolongation  naturelle.  C'est  une  nouvelle 
application  de  la  loi  de  décadence  fatale. 

Faut-il  s'étonner  de  cette  dégénérescence  universelle 
il u  déisme,  sous  quelque  forme  et  avec  quelque  art 
qu'il  nous  ait  été  présenté?  Nullement.  Les  hésitations 
et  compromissions  de  ses  tenants,  la  faiblesse  el  l'indé- 
cision de  leurs  arguments  expliquent  ce  fait.  Puis, 
pour  qui  voudra  y  regarder  de  près,  n'est-il  pas  clair 
ipie  la  plupart  des  difficultés  qu  ils  opposent  au  spiri- 
tualisme chrétien  se  retournent  contre  eux,  contre  ceux 
d'entre  eux  surtout  qui  admettent  une  vraie  providence 
Les  objections  de  principe  alléguées  par  eux  sont  prin- 
cipalement les  suivantes  :  le  christianisme  blesse  la 
raison  en  lui  imposant  des  mystères;  il  nous  présente 
d'une  façon  enfantine  et  antiscientifique  les  rapports 
de  Dieu  el  du  monde,  en  faisant  intervenir  la  provi- 
dence dans  la  nature,  pour  déranger,  par  des  miracles, 
l'ordre  qu'elle  j  a  établi;  il  partage  le  Dde  en  pri- 
vilégiés et  en  déshérités,  puisque  beaucoup  d'hommes 
n'arrivent  ai  ae  peuvent  arrivera  la  connaissance  de 

la  révélation  chrétienne,  et  il  prête  ainsi  à  Dieu. 
comme  à  un  roi  capricieux,  des  partialités  indignes  de 
sa  justice;  enfin,  comble  de  l'absurde,  il  Buppose  que 


immuabli  lléchir  par  la  prière  jusqu'à 

changer    ses   résolutions    éternelle!     M  qui 

raisonnent    de  s  combattent  eux-mémi  i 

fournissent  i|e~  armes  à  leurs  adversaires  pantli 
et  matérialistes.  Les  notions  qu'ils  attaquent  font  partie 
intégrante  de  toute  théorie  spiritnaliste.  L'idée  du 
re,  d'abord,  est  inséparable  de  la  croyance  en  un 
Dieu  véritable  ;  la  création  du  moud.-  par  un  Dieu  qui 
se  -iiflil  est  un  mystère;  la  coexistence  de  l'éternel 
qui  ne  dure  pas  et  du  successif  qui  dure  est  un  I 
tère;  la  coexistence  de  la  liberté  humaine  et  de  la 
prescience  divine  est  un  m 

sont  contenus  dans  le  mystère  unique,  total,  n 
saire  qui  enveloppe  les  rapports  du  Uni  et  de  l'infini. 
L'histoire  de  la  philosophie  moderne  et  contemporaine 
nous  atteste  que  le  mystère  de  la  création  (M  la  grande 
tentation  qui  pousse  aux  erreurs  panthéistes  les  esprits 
trop  faibles  pour  lui  résister.  L'idée  du  miracle  s'im- 
pose aussi  au  philosophe  Bpiritualiste  ;  car  la  possibilité 
du  miracle  résulte  logiquement  de  la  liberté  divine  et 
de  la  providence.  L'idée   du  privilège  n  oins 

philosophique;  car  le  privilège,  comme  on  l'appelle, 
c'est-à-dire  l'inégalité  el  la  hiérarchie  sont  la  loi  visi- 
ble du  monde,  la  condition  de  son  harmonie  et  de  sa 
beauté.  Enfin,  le  spiritnaliste.  qui  croit  en  Dieu  et  aux 
rapports  de  la  créature  raisonnable  avec  lui.  peut-il 
exclure  a  priori  l'idée  de  la  prière'.'  La  prière  est  la 
manifestation  naturelle  et  nécessaire  du  besoin  et  du 
sentiment  religieux,  fait  universel  qu'on  peut  ess. 
d'expliquer,  mais  qu'on  n'a  pas  le  droit  de  nier  ou  de 
condamner. 

Du  reste,  quand  un  rationaliste  reproche  au  Dieu 
des  chrétiens  d'avoir  des  volontés  changeantes  et  ar- 
bitraires, de  n'être  qu'un  homme  idéalisé,  parce  qu'il 
fait  des  miracles,  parce  qu'il  répand  librement  et 
inég  dément  ses  grâces,  parce  qu'il  daigne  exaucer  nos 
prières,  il  rquable  que  ce  langage  ne  dillere 

en  rien  de  celui  des  panthéistes  attaquant  la  notion  du 
Dieu  personnel,  libre  et  créateur.  C'est  S;iisset  lui- 
même  qui  l'atteste,  lorsqu'il  met  dans  la  bouche  d- s 
liens  à  l'adresse  des  spiritualistes  séparés  ces 
paroles  :  «  Quoi  !  vous  en  êtes  encore  au  Dieu  personnel, 
à  ce  Dieu  concentré  dans  ^,,  perfection  solitaire,  qui 
sort  un  jour,  on  ne  sait  pourquoi,  de  son  éternité 
bienheureuse  pour  créer  l'univers!...  Convenez-en  de 
bonne  foi  :  votre  Dieu  personnel  est  un  être  déter- 
miné, particulier,  plus  puissant  et  plus  intelligent  que 
les  hommes,  mais  de  la  même  espèce,  en  un  mot,  un 
homme  idéalisé 

VI.  Le  DÉISME  )  n  ALLEMAGNE.  —  I  lu  déisme 

d'outre-Manche,  qui.  transportées  en  France,  y  firent 
tant  de  mal,  n'épargnèrent  pas  l'Allemagne.  Nous  \ 
voyons  poindre  leur   influence    n  -    1740,  au 

moment  où  Frédéric  II,  «  le  roi  philosophe  .  montait 
sur  le  trône.  Jusque-là  les  productions  de  la  libre 
pensée  anglaise  n'avaient  guère  attiré  l'attention  que 
des  historiens  et  des  polémistes.  Hais  en  cette  année, 
Ckristianity  as  olrf  as  the  en  G   tpei,  a 

republication  <>f  the  Religion  of  Sature,  de  Tindal,  fut 
traduit    par   .le. m- Laurent  Schmidl.    l'un  des  men 
les  plus  connus  de  l'école  philosophique  de  Wolf.  Ce 
Schmidt,   admirateur    fanatique    du    maître,  était    le 
même  qui,  six  ins  auparavant,  avait  lancé  la  fameuse 
llil'lr  <le  Werlheim,  dans  laquelle  à  tous  les 
ligures   ou    dogmatiques    du   texte    il    substituait    des 
expressions  wolfiennes.  Le  rationalisme  de  Wolf  était 
tout  indiqué  pour  devenir  l'auxiliaire  et  l'introducteur 
du  déisme  en  Allemagne,  puisque,  cominelui,il  p 
en    principe    que   la  religion   naturelle  est  immuable 
et   qu'une    révélation    non    seulement    ne    pourrait    la 
contredire,  mais  devrait  s'y  accommoder.  .1.  \V.  Hecker 
publiait  à  Berlin,  en  I7.VJ.  Dtr  Religion  der  Vemunft, 
quinte:  germanisée  des  écrits   similaires  de  la 


241 


DEISME 


242 


Grande-Bretagne.  En  1751,  Samuel  Reimarus  (1694- 
1765)  mettait  au  jour,  comme  un  avant-coureur  des 
audaces  inouïes  qui  lui  ont  valu  une  triste  célébrité 
posthume,  ses  Ab/iandlungen  von  den  vornehmsten 
Wahrheiten  der  naturlichen  Religion.  Il  y  établissait 
que  la  vraie  religion  doit  être  cherchée  et  étudiée  dans 
le  cœur  humain  et  dans  la  nature  autant  que  dans  le 
catéchisme.  En  1759,  Semler  (1725-1791)  écrivait  que 
«  la  plus  grande  partie  de  la  Bible  n'est  qu'une  répéti- 
tion de  la  religion  naturelle  ».  On  peut  se  rendre 
compte  de  la  vogue  considérable  du  déisme  à  cette 
époque  par  la  multitude  de  livres  ou  de  brochures  qui 
paraissent  pour  l'appuyer  et  le  réfuter,  et  dont  on 
trouvera  l'énumération  dans  Lechler,  Geschichte  des 
englischen  Deismus,  Stuttgart,  1841,  p.  150-151;  par 
l'importance  que  leur  accordent  les  recueils  savants, 
et  aussi  par  les  leçons  faites  dans  les  universités 
contre  la  diffusion  de  l'incrédulité.  Thorschmid,  Ver- 
snrh  einer  Freydenker-Bibliolhek,  1765,  Vorrede, 
rapporte  que,  pendant  la  guerre  de  sept  ans,  les  offi- 
ciers  supérieurs  lisaient  avec  avidité  les  ouvrages  de 
Collins  et  de  Tindal.  Il  en  avait  lui-même  été  témoin. 
Laukhard,  dans  son  autobiographie,  raconte  avec  en- 
thousiasme le  plaisir  qu'il  eut  à  dévorer  Le  chris- 
tianisme aussi  ancien  que  le  monde,  de  Tindal,  et 
comment  il  y  puisa  la  conviction  absolue,  «  que  les 
mystères  ne  peuvent  pas  être  l'objet  de  la  foi;  que  ni 
I'  -us  ni  les  apôtres  n'ont  rien  enseigné  de  pareil,  mais 
seulement  la  religion  naturelle,  embellie  ça  et  là  par 
quelques  images  et  métaphores  orientales;  que  ce  sont 
ces  images  qui  ont  été  transformées  plus  tard  en  mys- 
tères. » 

L'exemple  et  les  encouragements  à  peine  déguisés 
de  Frédéric  II  ne  contribuèrent  pas  peu  à  renforcer  le 
courant  rationaliste.  Ajoutez  à  cela  le  sensualisme  de 
Locke,  qui  agit  en  Allemagne  comme  il  avait  agi  en 
Angleterre.  Les  chefs  du  rationalisme  d'outre-Rhin, 
Baumgarten  (1706-1757),  Semler  (1725-1791),  J.-Auguste 
Ernesti  1707-1781),  .1. -David  Michaelis  (1717-1791),  ne 
parlent  de  Locke  qu'avec  vénération.  Baumgarten  en 
particulier  s'appliqua  à  populariser  ses  écrits  et  ceux 
des  autres  déistes  anglais,  el  il  mitau  service  de  ce  des- 
sein la  puissante  influence  qu'il  exerçait  sur  toutes  les 
contrées  de  langue  allemande  par  ses  Nachrichtenvon 
HaUischen  Bibliolhek,  Balle,  1748-1751,  et  ses 
Nachrichten  von  merkwùrdigen  Bûcher n,  Halle, 
1752-1757. 

Il  n'est  pas  jusqu'aux  réfutations  anglaises  du  déisme, 
qui,  traduites  en  allemand,  n'aient,  comme  le  remar- 
quail  déjà  Ernesti,  aidé  à  la  pénétration  des  idées 
qu'elles  prétendaient  combattre,  parce  qu'elles  fai- 
saient trop  «le  concessions  à  l'erreur.  Ceci  est  d'autant 
ns  étonnant  que  plusieurs  des  traducteurs,  tels 
Zollikofer,  Rôsselt,  Spalding,  Jérusalem,  glissaient  eux- 
mêmes  sur  la  pente  des  idées  nouvelles.  Tous  ces  dé- 
tails expliquent  ni  cette  réflexion  de  Tholuck, 
te  Schriften,  1839,  t.  i,  p.  i'\  :  i  11  vaudrait 
la  peine  de  recueillir  les  idées  des  déistes  anglais  en 
critique,  en  i  u  _•  se,  sur  le  dogme,  la  morale  et  l'his- 
toire ecclésiastique;  on  se  convaincrait  ainsi  bien  vite 
qu'il  \  a  très  peu  d'opinions  rationalistes  qui  appar- 
tiennent excluaivemi  ni  à  notre  époque. 

i  ■    mouvement  que  je  viens  d'esquisser   avait,  en 
Allemagne    admirablement   préparé    les  voies  à  l'im- 
brutale  appuyée  sur  la  négation  radicale.  Lei 

(1729-1781)  devait  étn  dai  ,  à  peu  pn     i nu 

Voltaire  en  i  rance,  l'initiateur  el  I  ndard  de 

l'une  el  de  l'autre.  Il  ouvrit  bientôt  les  hostilités,  pai 
la  publication  de  Fragment»  de  Wolfenbûttel,  1771- 
177*.  On  s:nt  que  les  Fragment*  d'un  Inconnu,  don) 
l'auieiir.  fort  bien  connu  de  l'éditeur  était  Samuel 
Reimarus,  poussaient  I  audace  el  la  folie  jusqu'à  De 
voir  dans  Jésus,  le  fondateur  do  christianisme,  qu'un 


vil  imposteur.  Et  cette  énormilé  était  présentée  comme 
le  fruit  spontané  et  naturel  de  la  libre  pensée,  puisque 
Reimarus  avait  donné  à  son  manuscrit  le  titre  d'Apo- 
logie pour  les  adorateurs  de  Dieu  selon  la  raison.  Le 
torrent  des  négations  à  outrance  était  désormais  dé- 
chaîné, et  rien,  en  dehors  de  la  foi  chrétienne,  ne  pou- 
vait plus  l'arrêter.  Vainement,  quelques  années  plus 
tard,  le  génie  de  Kant,  dans  Die  Religion  innerhalb  der 
Grenzen  der  blossen  Vernunft,  1793,  semble  vouloir 
remonter  un  peu  le  courant  et  revenir  à  la  conception 
déiste.  Le  kantisme  tout  entier  servit  bientôt  de  base 
ou  de  prétexte  aux  théories  panthéistiques  de  Fichte, 
de  Schelling,  de  Hegel  ;  le  déisme  germanique  était 
absorbé  par  le  panthéisme. 

Aujourd'hui,  c'en  est  fait  du  déisme  comme  école 
doctrinale  distincte.  Il  est  vrai  que  la  franc-maçonne- 
rie moderne  pourrait  partiellement  être  considérée 
comme  une  représentante  attardée  du  principe  déiste  : 
elle  affirme,  du  moins  dans  certains  pays,  l'existence 
d'un  Dieu  qui  ne  se  soucie  pas  de  troubler  pour 
l'homme  les  jouissances  de  la  vie  et  à  qui  il  est  par- 
faitement indifférent  qu'on  l'honore  ou  qu'on  ne  l'ho- 
nore point.  Mais,  à  l'exception  peut-être  de  quelques 
cénacles  fermés  ou  de  rares  et  singulières  indivi- 
dualités, on  voit  parce  qui  précède  que,  partout  où  il 
a  sévi,  le  rationalisme  déiste  a  accompli  son  évolution 
d'une  manière  assez  uniforme  :  son  point  d'aboutisse- 
ment plus  ou  moins  rapide,  mais  inévitable,  a  été  ou 
le  panthéisme  ou  l'athéisme,  et  souvent  celui-ci  par 
celui-là. 

VII.  Doctrine  catholique  opposée  au  déisme.  — 
Après  cet  exposé,  il  serait  superflu  de  mettre  en  relief 
chacun  des  points  qui,  dans  les  différentes  formes  du 
déisme,  vont  directement  à  rencontre  du  dogme  ca- 
tholique. Ils  seront  repris  et  envisagés  séparément  dans 
d'autres  articles  de  ce  Dictionnaire.  Voir  notamment 
les  mots  Inspiration,  Miracle,  Mystère,  Prophétie, 
Révélation,  Surnaturel.  Notons  seulement  ici  que 
plusieurs  des  erreurs  principales  du  système  ont  été 
solennellement  condamnées,  et  les  vérités  opposées, 
solennellement  affirmées  par  le  concile  du  Vatican, 
soit  dans  les  quatre  chapitres  de  la  constitution  Dci 
Filins,  soit  dans  les  canons  qui  y  sont  annexés. 

Ainsi,  les  canons  2e  el  3*  De  revelatione  définissent, 
avec  la  possibilité  et  l'utilité  de  l'ordre  surnaturel  en 
i  il,  la  possibilité  el  l'utilité  de  la  révélation. 
('..ni.  -2.  Si  quis  dixerit  fieri  non  posse,  aul  non  expe- 
dire,  ut  per  revelalionem.  divxnam  homo  de  Deo 
cultuque  ci  exhibendo  edoceatur,  anathema  sit. 
Can.  :i.  Si  quis  dixerit  hominem  ad  cognitionem  el 
perfectionem  quse  naturalem  superet  divinitus  evehi 
non  posse,  sedex  seipsoad  ornais  tandem  œri  et  boni 
possessionem  jugi  profectu  /  \e  ri  in  gère  posse  ac  debere, 
anathema  sit.  Le  4e  définit  le  caractère  inspiré'  des 
Livres  saints  :  Si  quis  sacrx  Scripturee  libros  integros 
cv/m  omnibus  suis  partibus,  proui  illos  sancla  Triden- 
tina  synodus  recensait,  pro  sacns  et  canonicis  non 
msceperit,  aul  cos  divinitus  in  wgaverit, 

anathema  sit . 

De  même,  les  quati  e  pi  inons  dogmatiques 

De  jide  définissent  la  dépendance  essentielle  de  la  rai- 
son humaine  à  l'égard  de  Dieu  et  par  conséquent  le 
caract  i  itoin    de  la  foi;  la  notion  propre   de 

ntimenl  de  foi,  en  tant  qu'il  se  distingue  de  l'assen- 
timent rationnel;  la  nécessité  el  la  valeur  des  critères 
extérieurs  de  la  révélation;  la  possibilité  des  mira 
•  i  leur  valeur  comn  du  fail  de  la  révélation. 

Can,  l.  Sx  quis  dixerit  rationenx  humanam  ita  inde 
pendentem  esse,  ut  ftdes  ei  a  Deo  imperrn  <  non  )>os$it, 
anathema  rit  '  Si  quis  dixerit  fidemdivinam  a  na- 
iniiiii  de  Deo  et  rébus  moralibus  icientia  non  distin* 
</•',.  a  id   (Idem  divinam  non  requtri  m 

pler  n,,,  toi  ilatem  i>< ■<  revelantis 


243 


M   ISMK 


DELBECOUE 


244 


,  ; edalui , anathema  lit.  —  3.  Si  i/ms  dixei  ii  révéla 
,,,■111  divinam  externis    suints   credibilem   fieri    m,,, 
poste,  ideoque  tola  interna  uniuscujutque  experientia 
aut  inspirations  privala  honiinet  ad  fidem    nioveri 
debere,  anathema  lit.  --  i.  Si  quis  dixerit  mit 
nu  lia  fieri  poste,  proindeque  onmes  de  us  narrationes, 
etiam  in  sacra  Scriptura  contentas,  inter  fabulai 
mythos  ablegandas  esse,  aut  miracula  certo  cogn 
nunquam  posse,  nec  Us  divinam  religionis  christianœ 
originem  rite  probari,  anathema  sit. 

Enfin,  des  deux  premiers  canons  De  fi  de  et  ratinne, 
l'un  définit  l'existence  des  mystères  proprement  dits,  et 
l'autre,  l'obligation  pour  la  science  humaine  de  ne 
point  heurter  les  données  de  la  révélation.  Can.  1  Si 
quis  dixerit  in  revelatione  divina  nulla  vera  et  pro- 
prie dicta  nnjsteria  contincri,  sed  univerta  fidei  dog- 
viala  ]>osse  per  rationem  rite  excultam  e  naturalibus 
principiis  intelligi  et  demonstrari,  anathema  sit. — 
2.  Si  guis  dixerit  disciplinai  humanas  ea  cum  liber- 
taie  tractandas  esse,  ut  earum  asserliones,  elsi  doc- 
trines revelalœ  adversenlm  ,  tanquam  verse  retineri, 
neque  ab  Ecclesiaproscribi  possint,  anathema  sit. 

Outre  divers  ouvrages  cités  dans  le  cours  de  cet  article,  et  les 
écrits  mêmes  des  déistes,  on  pourra  consulter  : 

Sur  le  déisme  et  les  déistes  en  général,  A.  Saintes,  Histoire 
dit  rationalisme,  Paris,  1841;  L.  Xoack,  Die  Freidenker,  oder 
die  Repràsentanten  der  religiôsen  Aufkl&rung  in  England, 
Frankreich  und  Deutschland,  Berne,  1853-1855;  Trinius,  Frei- 
denker-Lexikon.  Leipzig,  175'.)  ;  II.  v.  Busche,  Die  freie  reli- 
giOse  Aufklarung,  ihre  Geschichte,  ihre  Hàupter,  Darmstadt, 
1846;  Ch.  de  Rémusat,  Philosophie  religieuse  :  de  la  théologie 
naturelle  en  France  et  en  Angleterre,  Paris,  18(7* ;  Franck, 
Dictionnaire  des  sciences  philosophiques,  Paris,  1875,  v*  Déis- 
me ;  Vigoureux,  Les  Livres  saints  et  la  critique  rationaliste, 
Paris,  1886,  t.  il  ;  Gonzal  ez,  Histoire  de  la  philosophie,  Uad.  de 
Pascal,  Paris,  1891,  t.  ni  et  iv  ;  Bergier.  Le  déisme  réfuté  par 
lui-même,  Paris,  1770,  et  Dictionnaire  de  théologie,  2' édit., 
Lille,  1830. 

Sur  le  déisme  anglais,  Leland,  A  view  of  the  principal  deis- 
tical  writers  tliat  hâve  appeared  in  England,  Dublin,  1754, 
trad.  allemande  de  Schmidt  et  Meyenbeig,  Hanovre,  1755; 
Lecliler,  Geschichte  des  englischen  Deismus,  Stuttgart,  1841; 
Taine.  Histoire  de  la  littérature  anglaise.  Paris,  181)3;  Leslie 
Stephen,  History  of  english  thought  in  the  eighteenth  century, 
Londres,  1876;  Ch.  de  Rémusat,  L'Angleterre  au  xrnr  siècle  : 
études  et  portraits,  Paris,  1856;  Sayous,  Lus  déistes  anglais  et 
le  christianisme,  rationaliste,  Paris,  1882;  Ed.  Engel,  Ge- 
schichte der  englischen  Litteratur  <t.  iv,  de  Geschichte  der 
WeltHtteratur),  Leipzig,  1884;  L.  Carrau,  La  philosophie  reli- 
gieuse en  Angleterre  depuis  Locke  jusqu'à  nos  jours,  Paris, 
1888;  Tabaraud,  Histoire  du  philosophisme  anglais,  2  in-8", 
Paris,  1806. 

Sur  les  déistes  français.  La  Harpe,  Cours  de  littérature, 
De  la  philosophie  du  xviif  siècle,  Paris,  1835,  t.  xvi-xvn, 
xvin  ;  Villcmain,  Cours  de  littérature  française',  Tableau  du 
wur  siècle.  Bruxelles,  1840;  Amédée  de  Margerie,  Théodicée. 
3'  édit.,  Paris,  1874,  1. 1. 

Sur  les  déistes  allemands.  Vigouroux,  La  Bible  et  les 
vertes  modernes,  6* édit.,  Paris,  18%,  t.  i  :  Esquisse  du 
nalisme  biblique  en  Allemagne. 

.1.   FORGET. 

DELAMETDE  BUSSY  Adrien-Augustin,  né  dans 
le  Beauvaisis  vers  Hi-21  d'une  illustre  Camille  alliée  i 
Celle  de  Retz.  Après  son  doctorat  en  Sorbonne.  1650, 
il  s'attacha  au  cardinal  de  Retz,  son  parent,  et  le  suivit 
pendant  quelques  années  dans  sa  rie  errante.  Revenu 
ensuite  à  Paris,  à  la  Sorbonne,  il  y  mena  une  vie  édi- 
fiante, consacrée  aux  études  et  à  diverses  bonnes  œu- 
vres, notamment  l'assistance  des  condamnés  au  dernier 
supplice.  Il  mourut  en  1691.  Ses  Résolutions  de  cas  de 
conscience  ont  été  imprimées  avec  celles  de  Froma 
en  I7-J'i;  puis  avec  celles  de  sou  .nui  Sainte-Beuve,  à  la 
suite  du  Dictionnaire  de  Pontas,  5  in-fol.,  1 7:ï-2. 

i  i  phie  universelle,  Parts,  1*'^,  t.  m,  p.  176. 

\    Incold. 
DELAN  François  Hyacinthe,  théologien  janséniste, 
né  à   Paris  en    1<»72.  mort  à   Rouen  en    I7.V..11  lit   son 


séminaire  à  Saint-Jiagloire  et  se  lit  recevoir  do<  U  m  i  a 
Sorbonne.   Ma*  Colbert,  archevêque  de  Rouen,  I  ■ 

de  lui  et  le  lit  son  théologal.  Dans  son 
ment  II  se  montra  toujours  l'ennemi  des  jésuites,    l'ar- 
tisan des  jansénistes,  il  Bigna  le  fameux  '.'a> 

.  ,  ei  pour  ce  fait,  fut  ezilé  à  Périgueux,  d'où  il 
revint  après  avoir  rétracté  sa  signature.  Il  fut  appelant 
de  la  bulle  Unigenitus,  a  lara  contre  les  i 

\ ulsionnaiies.  En    1717,   il  fut  nommé  coadjuteur  du 
principal  du  collège  du  Plessis.  Il  obtint  une  chain 
théologie  en  Sorbonne  dont  il  fut  privé  en  17-29.  Parmi 
les  écrits  de  ce  polémiste  nous  mentioi 
punse  au   Plan  général  (>•;   l'œuvre   îles    convulêù 
iii—  •  .  \l'Xi.  l'auteur  du  Plan  général  «-tait  Louis-Adrien 
Lepaige;    Dissertation    théologique    œlressée   à    un 
laïque  contre  les  convulsit  17.53:   // 

la  Dissertation,  I7iii.  en  réponse  a  des    remarques  de 
L.-A.  Lepaige;  Défense  de  la  consultation  signée 
trente  docteurs  de  la  faculté  de  Parts  contrt 
cuisions,    in-i°;    Lettres  théologiques  contre  certains 
écrivains  censurés  par  M.  de  Senez;  Réflexions  judi- 
cieuses sur  les  Nouvelles  ecclésiastiques   de 
1~'!~ ,  in-'t";  Défense  de  la  différence  des  vertus  th* 
rjales  d'espérance  et  de   charité,  in-i  .   17ii;   Lel 
pour  la  défense  de  l'autorité  et  de  la  doctrine  de  l'Ê  , 
contre  quelques  nouveaux  théologiens,  in-i  ;  L'usure 
condamnée  par  le  droit  naturel,  i n - 1 -2 .  Paris.  17."p:t 

Nouvelles  ecclésiastiques  du  11  décembre  175.")  ;  Quérard.  La 
France  littéraire,  t.  Il,  p.  4:36. 

B.    lll.l  RTEBIZE. 

DÉLATION.  La  délation  est  la  manifestation  desactes, 
des  sentiments,  des  pensées  d'autrui,  faite  dans  le  but 
d'attirer  sur  la  personne  dénoncée  la  colère  ou  l'hostilité 
de  la  personne  à  qui  l'on  dénonce.  La  médisance,  la 
calomnie,  la  violation  des  secrets  que  l'on  devrait  res- 
pecter, sont  les  armes  ordinaires  du  délateur.  La  déla- 
tion est  donc  une  médisance,  une  calomnie,  une  viola- 
tion du  secret,  que  complique,  au  point  de  vue  moral, 
la  malice  spéciale  de  la  haine  qui  l'inspire  et  du  but 
que  l'on  cherche.  C'est  donc  une  faute  doublement 
contraire  à  la  charité  et  à  la  justice.  Sa  gravité,  dépen- 
dant de  l'acte  qui  la  constitue  ou  du  but  poursuivi,  se 
jugera  d'après  les  règles  générales  qui  permettent  d  ap- 
précier  la  malice  de  la  médisance,  de  la  calomnie,  de 
la  révélation  des  secrets,  et  d'après  les  principes  qui 
déterminent  la  gravité  des  manquements  à  la  charité. 
Si  le  délateur  arrive  à  son  but  et  fait  au  prochain  le  tort 
qu'il  désire,  il  est  tenu  à  la  réparation  comme  tous  ceux 
qui  ont  porté  préjudice  aux  intérêts  d'autrui. 

La  délation  diffère  de  la  dénonciation.  Voir  ce  mot. 

V.  Oblet. 

DELBECOUE  ou    D  ELBECQUE    Norbert,   domi- 
nicain,  né  à  Braine-le-Comte  [Brabant  méridional)  en 
1651.  Il  prit  l'habit  de  l'ordre  dans  le  couvent  de  celte 
ville:  il  étudia  les  lettres  à  Lierre,  puis  la  théolc. 
Louvain.  Licencié,  il  part  à  Rome  continuer  ses  études, 
lie  retour  en  Belgique  en  1693,  il  est  fait  maître  des 
étudiants  au  ttudium  de  Douai.  Maître  en  théol 
il  est  envoyé  par  le  général  de  son  ordre  .i  l'abb  ■ 
chanoines-réguliers  de   Saint-Augustin  de    lier/ 
raid,  dans  le  Limbourg.    En   1700,  appelé  à  Rome   en 
qualité  de  socius  du  général,  il  fait  partie  du  ce; 
des  théologiens  de  la  Casanate.  11  revint  en  Belgique 
en  1707,  avec  les  fonctions  de  regens  pritnarius  à  la 
faculté  de  théologie  de  Louvain     1708  .  Il  exerça  cette 
charge  jusqu'en  1712.  Élu  prieur  du  couvent  de  Namur, 
il   y  mourut   le    li   novembre   1711.    fou-  les  écrits  de 
Delbecque  se  rapportent  aux  disputes  du  temps   On  a 
de  lui  :  I     De  adverlantia  ad  peccandum  ni 
in  v.  Liège.  ItilKi;  c'était  la  réponse  .i  la  faim 
//,■  peccato  philosophico,  soutenue  au  mois  de  juin 
au    collège    «les    jésuites    de    Dijon  ei    condamnée  par 
Alexandre  VIII,  le  jeudi  'li  août  lG'.Hi.  en  deux  proj 


2io 


DELBECQUE    —    DÉLECTATION    MOROSE 


246 


tions;  2"  Dissolutio  schematis  Wyckiani  biparliti  de 
preedestinatione,  in-12,  Anvers.  1708;  3°  Thèses  de  locis 
theologicis  illustrâtes,  etc.  [8  mars  1710],  in-8\  Lou- 
\;iin,  1710:  4°  De  inconcussa  SS.  Augustini  et  Thomas, 
doctrina  atque  irrefragabili  aucloritate  in  maleria 
prsesertim  de  gratta,  etc.,  in-8°,  Louvain,  1711; 
5  Thèses  theologicœ de impedimentismatrimonii, in-12, 
Louvain,  1710;  6°  Vindiciœ  grattée  dirinee  adversus 
novo-anliquos  'ejus  impugnatores  ad  mentent  gemin* 
Ecclesiœ  solis  SS.  Aurelii  Augustini  et  Thomas  Aqui- 
natis,  in-8°,  Bruxelles,  1711;  7°  Thèses  polemicœ  de 
juslificatione  et  merito,  etc..  111-8",  Louvain.  171-2; 
s  Appendix  ad  thèses  polemicas  de  jttsti/icatione  et 
merito,  etc..  in-8°,  Louvain.  1712.  Delbecque  s'occupa 
aussi  d'éditions  ou  de  rééditions  d'ouvrages  théologi- 
ques.  Citons  :  l»  Eocimii  D.  Francisci  Silvii  a  lirania 
comitis  fidelissinti  S.  Thomas  Aquinatis  interpretis 
opéra,  6  in-fol.,  Anvers,  1698;  les  deux  premiers  tomes 
contiennent  :  Silvii  opuscula  de  primo  ntotore,  de  statu 
hominis  posl  peccatum,  oraliones  theologicee  contro- 
versise  fidei,  resoluliones  variée.  Item  comntentaria 
in  Genesim  et  Exodum  jam  antea  édita,  txtm  ejus- 
dem  comntentaria  in  Leviticumel  Numéros  nuncpri- 
mum  édita;  les  quatre  derniers  tomes  "contiennent  les 
Comntentaria  in  universam  S.  Thomee  Summum; 
2»  H.  A.  P.  F.  Nalalis  Alexandre  S.  T.  M.  Theologia 
moralis  in  compendium  mlacla,  Rome;  3°  Uistoria 
jregationum  de  auxiliis  divinee  gratiec  sub  summis 
ponlificibiis  Clémente  Ylll  et  Paido  V,  attrtore 
D.  A.  P.  Jacobo  Hiacinlho  Serrxj  S.  T.  M.  Editio 
altéra  attelior,  in-fol.,  Anvers,  1709.  Enfin  le  P.  Del- 
becque avait  entrepris  sur  les  niss.  une  réédition  de 
saint  Thomas:  Summa  S.  Thomas  de  Aquino  ad  anti- 
ilices  mss.  recognita.  L'impression  de  cet  ou- 
vrage fui  presque  aussitôt  abandonnée  que  commencée. 

Ecfaard, Scriptores  ordinis  prsedicatorum, t.  11,  p.  788;  Rei- 
■  lifit.  Acla  capitulorum  generalium  ordinis  jirxd..  1903, 
i.  vin,  1*.  332;  de  Jonghe,  Belgium  domi  1719,  p.  307- 

li.   COILON. 

DÉLECTATION  MOROSE.  -  I ,  Nature.  1 1 .  Malice. 
III.  Cas   particuliers, 

I.  \  li  délectation  morose,  disent  commu- 

oémenl  les  théologiens,  consiste  à  se  complaire  volon- 
tairement dans  un  objet  mauvais  auquel  on  pense,  sans 
intention  d'ailleurs  de  traduire  cette  pensée  en  acte. 
Dans   I      1  -   fidèles,  la  délectation  morose  ré- 

pond aux  péchés  par  pin 

I     La  délectation  morose  est  essentiellement  un  acte 
de  la  volonté'  libre,  acte  de  complaisance  et  non  point 
de  désir,   comme   l'explique   Sanchez,   Opus  morale, 
I.   I.   c.    11.   n.    I    :   on  peut   vouloir,  dit-il.  ou  bien   se 
m   1    uni'  chose  qui  plaît,  el  alors  il  y  a  volonté 
1   bien   se  complaire  dans  cette  chose,  sans 
la  procurer,  et  c'est  là  ce  qu'on  appelle  dé- 
lectation morose.  Ce  nom  ne  signifie  pas  qu'il  (aille  un 
certain  temps  tmora)  pour  que  cette  délectation  existe; 
coin mk-  poui  les  autres  péchés,  un  instant  suffit;  mais 
il  Indique  que  la  volonté  5  consent  pleinement  et  li- 
brement,  La  délectation  morose,  dit  plus  explicitement 

saint    l 'b a^.  Sum.    theol.,    II»   II",    q.   i.xxiv.  a.    (i. 

«d  3    ,  eal  ainsi  appeli  e  parce  que  la  raison  délibérante 
l'advei  tance  du  sujel  el  la  connaissance 
de  la  malice  de  1  objet  .  au  lieu  de  1 

lemi  nt,  c me  il  le  faudrait,  l'objet  mauvais  dont  la 

•  li 

.  attache  librement,  Il  suit  de  la  que  la  d  1 

Mon  i-  tout  a  fait  distincte  de  la  délectation  pure- 

ible,  si  l'on  appelle  ainsi  celle  dont  l'appétil 

Inféri  nsitif  est  le  siège,  Il  et!  vrai  que  le  plus 

Lation  si  nsible  ai  compagne  la  déli 
lion  m  de  \nir  que,  même  d 

ces  circonstanc  lactation  u 


confondent  aucunement.  Tantôt,  en  effet,  la  délectation 
sensible,  suscitée  dans  l'appétit  inférieur  par  les  sens 
ou  par  l'imagination,  se  répercute,  vu  l'identité  du 
sujet  sentant  et  pensant,  dans  la  partie  rationnelle  de 
l'homme  et  le  sollicite  au  mal;  or,  jusque-là  et  tant 
que  la  volonté  n'a  pas  librement  consenti,  il  n'y  a  point 
de  délectation  morose.  Tantôt,  au  contraire,  l'homme, 
en  excitant  lui-même  ses  passions,  provoque  volontai- 
rement la  délectation  sensible,  S.  Thomas,  ibhl.,  a.  6; 
ici  encore,  il  n'y  a  pas  de  confusion  possible,  puisque 
la  délectation  sensible  est  alors  un  effet  directement 
voulu  de  la  délectation  morose.  Tout  ceci  s'applique 
à  toutes  les  passions  de  l'homme  comme  à  tous  les 
genres  de  délectation  sensible,  quoique  les  théologiens 
se  soient  généralement  bornés  à  envisager,  à  la  suite 
de  saint  Thomas,  le  cas  particulier  où  la  délectation 
morose  est  jointe  à  la  délectation  propre  à  la  concupis- 
cence charnelle,  parce  que  ce  cas  est  de  beaucoup  le  plus 
fréquent.  Suarez,  De  peccatis,  disp.  Y,  sect.  mi,  a.  1. 

2°  En  soi,  le  surnom  de  morose  pourrait  désigner 
aussi  bien  la  délectation  volontaire  dont  l'objet  est  bon 
que  celle  dont  l'objet  est  mauvais,  mais,  en  fait  et  par 
définition,  c'est  uniquement  à  celte  dernière  que 
ce  surnom  s'applique.  Or,  cet  objet  peut  être  présent 
à  l'homme  et  agir  sur  lui  de  deux  différentes  façons  : 
I.  extérieurement,  c'est-à-dire  lorsqu'il  impressionne 
les  sens  extérieurs  et  détermine  ainsi  la  délectation 
sensible  correspondante;  dans  ce  cas,  si  la  volonté  est 
consentante,  il  y  a  péché  extérieur,  par  regards,  par 
action,  etc.,  mais  non  par  délectation  morose;  2.  inté- 
rieurement, c'est-à-dire  lorsque  la  délectation  sensible 
est  provoquée  non  plus  de  l'intérieur,  par  l'objet  lui- 
même,  mais  par  son  image  ou  son  idée,  comme  il  a  été 
dit  ci-dessus.  C'est  seulement  dans  ce  cas  qu'il  y  a  dé- 
lectation morose,  le  consentement  de  la  volonté  à  la 
délectation  sensible  ainsi  produite  étant  toujours  suppo- 
sé'. La  délectation  morose  est  donc  un  péché  purement 
intérieur. 

3°  Ou  a  déjà  vu  ci-dessus  comment  la  délectation 
morose  diffère  du  désir.  On  se  l'explique  mieux  encore 
si  l'on  observe  que  le  désir  meut  la  volonté  vers  un 
objel  convoité,  tandis  qu'au  contraire  la  délectation 
morose  lixe  la  volonté  sur  l'objet  intérieurement  pré- 
sent qui  cause  la  délectation  à  laquelle  elle  consent. 
Le  désir  est  donc  essentiellement  relatif  au  présent. 
tandis  que  la  délectation  morose  se  rapporte  au  présent 
ou  même,  sous  un  certain  sens,  au  passé.  Il  est  logi- 
que, en  effet,  de  rattacher  à  la  délectation  morose,  car 
elle  en  contient  tous  les  éléments,  ce  que  les  théolo- 
giens appellent  la  joie,  c'est-à-dire  l'acte  de  se  réjouir 
volontairement  du  souvenir  d'un  péché  autrefois  com- 
mis. Néanmoins,  de  la  délectation  morose  on  passe  fa- 
cilement au  désire)  à  l'acte  extérieur  qui  est  le  terme 
du  dé'sir,  car,  selon  la  remarque  de  saint  Thomas,  De 
v.  q.  xv,  a.  2,  celui  qui  consent  à  la  déleclation 
sensible,  en  vient  facilement  à  vouloir  l'acte  lui-même 

alin  de  jouir  plus  parfaite ni   de  cette  délectation. 

Voir  Désir. 

II.  Mai, ici:.  —  1°  Le  consentement  à    la  délectation 
de  la   pensée,  née  d'un  objet    mauvais  intérieurement 
ni.  est-il  vraiment  un  péché,  ou,  du  moins.  g'i]  \ 
a  péché,  n'est-il  pas  simplement  véniel?  Quelques-uns, 
répond  saint  Th  lum,  theol.,  I*  II',  q.  i.xxiv, 

a.  8,  ont  soutenu  que  ce  consentement  est  seulement 

une  faute   vénielle;    d'autres,   dont    l'opinion    eSl     plus 

commune  el  plus  vraisemblable,  ont  dit  qu'il  est  une 
faute  mortelle  (étant  supposé,  naturellement,  que  l'objet 
de  la  délectation  soit  gravement  mauvais).  Puis,  le 
saint  docteur  montre  comment  la   question  propi 

peut  se  r prendre   de   deux   façom    différentes     au 

premier  iens,  il  u\   a  point  de  délectation  morose  et 

d  lentement  est  licite  ou,  s  n  y  a  faute,  elle  1 
que  vénielle  ;  au  second  sens,  il  \  s  délectation  mot 


'247 


DÉLECTATION    MOROSE 


et,  en  matière  grave,  la  faute  est  toujours  mortelle,  de 
sorte  que  chacune  des  deux  opinions  contient  une  part  de 
vérité.  Ho  son  coté.  Suarez,  De  peccatls,  dûp.  V. 
s<et.  vu.  n.  (i,  déclare  que  la  première  opinion  en 
tant  qu'elle  s'appliquerait  à  la  délectation  moroai 
pour  elle  aucune  probabilité  et  a  contre  elle  l'unani- 
mité des  théologiens,  attendu  qu'elle  iiutorise  les  pas- 
siona  el  conduit  1rs  âmes  à  leur  perte. 

_  L'explication  donnée  par  saint  Thomas,  De  veri- 
tate,  q.  XV,  a.  I,  peut  se  résumer  comme  il  suit. 
1.  Toute  délectation  est  la  conséquence  d'un  acte;  ainsi, 
de  même  que  l'acte  de  la  fornication  produit  une  dé- 
lectation sensible,  la  pensée  de  la  fornication  engendre 
une  certaine  délectation  intérieure.  Or,  celle-ci  peut 
être  de  deux  espèces,  car  on  peut  se  délecter  ou  de 
la  pensée  que  l'on  a,  en  tant  qu'elle  est  un  exercice  intel- 
lectuel, ou  de  la  fornication  à  laquelle  on  pense.  Cette 
distinction  est  manifeste,  lorsqu'il  ne  s'agit  pas  de  péchés 
charnels,  mais  s'il  est  question  de  ceux-ci,  elle  i  si 
moins  apparente,  vu  que,  par  suite  du  dén  glement  de 
notre  nature,  dès  que  l'on  pense  à  ces  choses,  elles 
mettent  la  concupiscence  en  mouvement.  Il  n'en  est 
pas  moins  vrai  que  la  délectation  intellectuelle  qui  suit 
la  pensée,  en  tant  que  pensée,  n'est  pas  du  tout  du 
même  genre  que  la  délectation  sensible  causée  par 
l'acte  extérieur,  objet  de  cette  pensée.  C'est  pourquoi 
se  délecter  intellectuellement,  au  sens  qui  vient  d'être 
dit,  n'est  pas  en  soi  une  faute  mortelle  :  ainsi,  on  ne 
pèche  aucunement  quand  on  étudie  des  matières  dange- 
reuses en  vue  d'un  but  utile,  tel  que  celui  de  la  prédi- 
cation, de  la  confession,  etc.,  et,  lors  même  qu'on  l'au- 
rait recherchée,  uniquement  par  curiosité,  la  délectation 
intellectuelle  ne  serait  qu'un  péché  véniel.  —  2.  Il  en 
est  autrement  de  celui  qui,  pensant  à  un  acte  grave- 
ment mauvais,  par  exemple,  à  la  fornication,  se  dé- 
lecte de  la  fornication  elle-même,  car  alors  la  délecta- 
tion à  laquelle  il  consent  est  de  même  nature  que 
celle  qui  résulterait  de  l'acte  même  delà  fornication  et, 
par  suite,  elle  tombe  sous  la  même  défense.  Du  reste, 
lorsqu'on  se  délecte,  bien  qu'en  pensée  seulement,  d'un 
acte  mauvais,  cela  vient  de  l'inclination  que  l'on  a  pour 
cet  acte;  consentir  à  cette  délectation,  c'est  donc 
consentir  à  cette  inclination,  autrement  dit.  c'est  ap- 
prouver l'acte  auquel  cette  inclination  porte;  consé- 
quemment,  si  l'acte  est  gravement  mauvais,  le  consen- 
tement en  question  sera  également  un  péché  mortel. 
Ces  divers  arguments  de  saint  Thomas  se  retrouvent 
chez  tous  les  maîtres  de  la  théologie.  Voir  Hallerini, 
Opus  morale,  tr.  IV,  n.  9M  sq.  —  3.  Il  a  été  dit  plus 
haut  que  la  délectation  intellectuelle  n'est  pas  en  soi 
une  faute  mortelle;  mais  il  n'en  est  plus  ainsi,  lorsque 
le  sujet  est  exposé  nu  danger  prochain  de  consentir  à 
la  délectation  sensible  qui  nait  spontanément  de  la 
pensée  de  certains  actes  mauvais.  Dans  ce  cas,  se  dé- 
lecter intellectuellement,  même  pour  un  motif  légi- 
time, de  la  pensée   d'actes  gravement    mauvais,    serait 

une  faute  grave,  puisque  ce  serait  s'exposer  gravement 
au  danger  de  pécher  mortellement, 

\i°  Mais  alors,  comment  distinguer  le  cas  où  le  sujet 
•  délecte,  non  pas  seulement  de  sa  pensée,  mais  bien  de 
l'acte  mauvais  auquel  il  pense'.'  (In  a  vu  ci-dessus  que. 
d'après  saint  Thomas,  celte  distinction  est  difficile  à  faire 
lorsque  l'objet  est  du  domaine  de  la  concupiscence 
charnelle;  aussi,  tout  en  posant  a  ce  sujet  certaines 
règles  pratiques,   les  théologiens  ont  soin  de  déclarer 

qu'aucune  n'est    infaillible.  Ces    règles    se    résu nt   à 

considérer,  conformément  i  l'enseignement  de   saint 
I  lu unis.  Su»),  theol.,  [«  II",  q.   I.XXIV.  a.  (i,  l'intention 

ei  i  inclination  du  sujet.  Cf.  Suarez,  Depeccatw,  disp.  V, 

vu.  a.  8.  —  I.  L'intention  :  ainsi,  lorsqu'on  entre- 
tient la  pensée  d  un  acte  mauvais,  si  c'est  pour  un  bon 
motif,  surtout  pour  un  motif  professionnel,  il  est  bien 
probable  que  [e  plaisir  que  l'on  \  prend  est  dû  a  la  pensée 


seule;    au  contraire,  si  le  motif  est  inaij\;iis  ou  s. 

inexistant,  on  sera  fondé  a  croire  que  le  plaie 

provient   de  l'objet  mau.  ndant   cetti 

sujette  à  erreur.  Il  n'est  pas  toujours  permis  des'occu- 
méme  pour  un  bon  motif,  des  choses  en  question. 
puisqu'il  faut  en  outre,  sous  peine  de  faute  grave,  que 
l'on  ne  courre  pas  le  danger  de  consentir  au  plaisir 
mauvais  dont  la  tentation  se  fait  si  facilement  sentir 
dès  que  l'on  s'occupe  de  ces  choses.  D'autre  part,  celui 
qui  s'occupe  de  ces  choses  pour  un  motif  répréhensible, 
tel  que  la  vanité,  le  désoeuvrement,  la  curiosité,  commet 
doute  une  faute,  mais  elle  n'est,  en  soi.  que 
vénielle.  —  2.  L'inclination  :  par  exemple,  chez  les 
habitués  delà  luxure,  la  délectation  coii  prou- 

vée en  présence  d'une  pensée  déshonnête  doit,  jusqu'à 
preuve  du  contraire,  être  présumée  de  mauvais  aloi. 

i  II  arrive  que  l'objet  mauvais  se  présente  sous  des 
dehors  dont  la  perfection  artistique,  l'ingéniosité,  la 
singularité,  etc.,  arrêtent  la  pensée.  s;m-  qu'elle  se 
porte,  du  moins  volontairement,  sur  l'objet  lui-mi 
11  s'agira  par  exemple  de  peintures  ou  de  statues 
remarquables  au  point  de  vue  artistique,  mais  qui 
oirensent  la  pudeur;  de  romans,  pièces  de  théâtre  et 
autres  écrits  contenant  des  pages  licencieuses,  mais 
d'une  belle  forme  littéraire;  de  faits  divers  relatant  des 
crimes  perpétrés  d'une  façon  curieuse;  de  fautes  qui 
présentent  certains  détails  amusants,  etc.  ;  est-il  permis 
de  prendre  plaisir  à  ces  accessoires,  nonobstant  la 
malice  de  l'objet  principal  ?  Cela  est  permis  sans  aucun 
doute,  mais  à  la  condition  expresse  que  l'on  n'ait  pas 
l'intention  de  provoquer  par  ce  moyen  la  délectation 
illicite  qui  viendrait  de  l'objet  lui-même  et  qu'il  n'\ 
ait  point  de  danger  prochain  que  l'on  consente  à  cette 
délectation  au  cas  où  elle  se  produirait  sans  qu'on  lait 
voulu.  La  portée  de  ces  restrictions  est  générale; 
toutefois,  elles  visent  particulièrement,  par  les  raisons 
déjà  dites,  la  délectation  sensible  propre  à  la  concupis- 
cence charnelle  et,  à  ce  point  de  vue,  elles  sont  de  la 
plus  grande  importance.  Pour  les  bien  interpréter,  il 
faut  se  référer  aux  règles  ci-dessus  exposées,  car  elles 
sont  entièrement  applicables  ici.  Deux  points  cependant 
sont  à  noter  :  1.  A  cette  question  :  comment  reconnaître 
quand  le  sujet  se  délecte  non  de  la  beauté,  etc..  de  la 
forme,  mais  du  fond  déshonnête  qu'elle  recouvre'?  beau- 
coup de  théologiens,  cf.  Salmanticenses,  tr.  XX.  c.  un, 
n.  40,  répondent  qu'il  en  est  ainsi  quand,  à  égalité  de 
perfection  de  la  forme,  le  sujet  prend  plus  de  plai-ir 
aux  choses  qui  excitent  la  concupiscence  qu'à  celles 
qui  sont  parfaitement  honnêtes.  Mais  Ballerini.  Opus 
morale,  tr.  IV.  c.  i.  n.  101.  pense  avec  raison  que  cette 
règle  souffre  des  exceptions.  De  ce  que,  par  exemple, 
le  sujet  lit  avec  plus  de  plaisir,  parmi  les  produci 
littéraires,  celles  qui  sont  risquées,  on  peut  sans  doute 
inférer  qu'il  éprouve  un  penchant  pour  les  choses  qui 
délectent  l'appétit  inférieur,  penchant  naturel  à  l'homme 
déchu,  mais  cela  ne  suffit  poinl  à  établir  que  chez  le 
sujet  ce  penchant  e-l  délibéré  et  par  suite  coupable. 
La  seule  conclusion  légitime  est  que  le  sujet  ressent, 
au  cours  de  sa  lecture,  deux  délectations  différentes 
qui  sont  sans  rapport  l'une  avec  l'autre:  l'une,  de  na- 
ture esthétique,  due  a  la  beauté  de  la  forme  et  dont  il 
jouit  de  son  plein  gré  et  fort  licitement,  l'autre,  due 
au  fond  déshonnête  et  à  laquelle  il  reste  libre  de  ne 
pas  consentir,  nonobstant  le  penchant  indélibéré  qu'il 
a  pour  elle.  —2.  Au  sujet  du  danger  de  consentir  a  la 
délectation  née  de  l'objet  mauvais  dont  on  goûte  la 
forme,  il  est  à  remarquer  que  pour  apprécier  saine- 
ment la  gravité  de  ce  danger,  il  faut  tenir  grand  compte 
de  la  susceptibilité  du  sujet.  Il  suflil  souvent  de  très 
peu  de  chose  pour  créer  un  danger  grave  a  des  jeunes 
.en-,  a  îles  sujets  adonnés  à  la  luxure  ou  dont  le  pen- 
chant à  ce  vice  .st  secondé  par  un  tempérament  très 
impressionnable  ;  au  contraire,  il  est  des  personnes  qui 


249 


DÉLECTATION    MOROSE    —    DELEGATION 


250 


en  raison  de  leur  âge,  ou  d'une  vertu  longtemps 
exercée,  ou  d'un  tempérament  peu  excitable,  sont 
réfractaires  là  où  quantité  d'autres  succombent. 
Cf.  Salmanticenses,  tr.  XXVI,  c.  vu,  n.  40.  Néanmoins 
il  reste  vrai  que,  pour  la  généralité  des  sujets,  le  péril 
varie  beaucoup  selon  la  nature  de  l'objet.  Cf.  Salman- 
ticenses, Cursus  théologiens,  tr.  XIV,  disp.  X,  n.  274. 
5°  D'après  ce  qui  précède,  se  délecter  volontairement, 
bien  que  d'une  façon  purement  intérieure,  d'un  acte 
mauvais,  est  un  péché  de  même  nature  que  si  l'on 
commettait  l'acte  lui-même.  —  1.  Il  ne  suffit  donc  pas, 
quand  on  a  péché  mortellement  par  délectation  morose, 
de  s'accuser  en  confession  d'avoir  consenti  à  une  mau- 
vaise pensée,  mais  il  faut  encore  déclarer  la  nature 
spécifique  de  cette  pensée  ainsi  que  toutes  les  circon- 
stances que  l'on  serait  obligé  de  confesser  si  l'acte 
extérieur  avait  été  réellement  commis.  Si  donc,  pour 
reprendre  l'exemple  choisi  par  saint  Thomas,  il  y  a  eu 
délectation  morose  en  matière  de  fornication,  c'est  ce 
genre  de  péché,  bien  que  commis  en  pensée  seulement, 
que  l'on  devra  accuser.  On  devra  de  même  déclarer  toutes 
lescirconstances  numériques  ou  spécifiques  de  ce  péché; 
donc,  si  la  personne  qui  s'est  délectée  intérieurement 
de  la  fornication  était  liée  par  le  vœu  de  chasteté,  elle 
aurait  à  s'accuser  de  la  violation  de  son  vœu;  pareille- 
ment,  si  la  pensée  de  fornication  à  laquelle  elle  a 
consenti  avait  visé  expressément  une  personne  mariée, 
la  circonstance  d'adultère  ne  devrait  pas  être  omise  en 
confession.  S.  Alphonse,  Theol.  mor.,  1.  V,  n.  15  et  28. 
Mais  il  est  clair  que  l'obligation  de  confesser  les  cir- 
constances  inhérentes   à  l'objet   de  la  pensée  n'existe 

que   pour  celles  auxquelles    le    sujet   a   expresse' ni 

pensé'  et  voulu  consentir,  puisque  c'est  sur  celles-là 
seulement  que  la  délectation  morose  a  porté.  De  Lugo, 
De  peenitentia,  disp.  XVI,  n.  363  sq.  —  2.  Toutefois,  en 
cette  matière,  il  y  a  loin  de  la  théorie  à  la  pratique. 
Le  grand  nombre  des  fidèles  confond  les  diverses  sortes 
de  péchés  intérieurs,  et,  à  plus  forte  raison,  les  diffé- 
rentes espèces  de  mauvaises  pensées,  de  sorte  qu'en 
fait,  l'obligation  de  confesser  les  circonstances  spéci- 
fiques n'existe  pis  et  que  les  interrogations  du  confes- 
seur seraient  sans  utilité,  on  même,  en  matière  déli- 
ne  seraient  pas  Bans  danger.  Berardi,  Praxis  con- 
fessarii,  t.  n.  n.  52  sq.  On  ne  peut  guère  apprendre  à 

pénitents  qu'à  distinguer  les  mauvaises  pensées 
des  mauvais  désirs  et  obtenir  d'eux  qu'ils  accusent  s'ils 
y  ont  consenti  et  combien  de  fois.  Génicot,  Theol.  mor. 
institut.,  tr.  IV    n.   175. 

6  La  malice  de  la  délectation  morose  provient  donc 
de  ce  qu'il  n'esl  pas  plus  permis  de  prendre  plai- 
sir au  mal  en  \  pensant  qu'en  le  faisant.  Ce  principe 
esl  absolument  vrai  des  objets  ou  actes  qui  sont  intrin- 
aèquemen  .  c'est-à-dire  opposés  au  droit  natu- 

rel, mais  il  ne  s'étend  pas  aux  ehoses  ou  actions  qui 
ne  sont  mauvaises  que  parce  qu'une  loi  positive  les 
défend.  La  r.iison  de  cette  différence  est  que  la  lui 
positive  ne  réglemente  que  l'acte  extérieur;  d'où  il  suit 
qui'  l.i  délectation  intérieure,  permise  quand  elle  porte 
sur  une  action  non  opposée  à  la  loi  naturelle,  reste 
permise  quand  même  cette  action  serait  défendue  par 
uni' loi  positive,  à  moins  cependant  qu'on  ne  se  délecte 

'i..  action  présiaément  parce  qu'elle  est  défendue. 

.  idei "nt  logique,  car 

Il  délectation  porterait  don  ,ur  un  objet  intrinsèque- 
ment mauvais,  sur  la  violation  de  la  loi.  Cette  doctrine 

immune  parmi  I  iens.  s.  Alphonse,  Theol. 

vwr.,  I.  V.  n.  27.  Le  précepte  de  l'abstinence  offre  une 
application  t  I  i  [que  de  cette  observation.  Il  est  inter- 
dit  d'il  tains  jour    d'alimenta  gras,  mais  il  n'esl 

nulle nt  défi  ndu  di  n    di  lecter  ces  jours-là  en  pen 

suit  au  pi  ii  ii  que  l'on  .Mirait  .i  user  de  ces  aliments, 
s  il-  étaient  permis.  Il  n'j  aurait  péché  que  si  on  ae 
délectait   à  l.i   pensée  d'user  de  ces  aliment    | 


ment  en  un  jour  prohibé  parce  que  ce  serait  du  fruit 
défendu.  Laymann,  1.  VIII, t.  i,  n.  114  sq. 

III.  Cas  particuliers.  —  1°  Est-il  permis  de  se  ré- 
jouir du  bien  qui  est  résulté  d'un  acte  mauvais?  Oui, 
disent  les  théologiens,  pouvu  qu'on  ne  se  réjouisse 
pas  aussi  de  la  cause  mauvaise  d'où  ce  bien  est  sorti. 
Sous  cette  réserve,  en  effet,  la  délectation  a  unique- 
ment le  bien  pour  objet.  C'est  ainsi  que  nous  nous 
réjouissons  de  la  mort  de  Jésus-Christ,  tout  en  détes- 
tant le  déicide. 

2°  N'est-il  jamais  permis  de  se  réjouir  d'un  péché 
d'où  un  effet  bon  est  sorti?  Non,  cela  n'est  jamais  per- 
mis, quand  même  ce  serait  uniquement  à  cause  du  bon 
effet  qui  est  résulté  de  ce  péché,  car  se  réjouir  du 
péché,  c'est  l'approuver.  Il  n'est  donc  pas  permis  de  se 
réjouir  de  ce  qu'Adam  a  péché,  si  grand  que  soit  le 
bien  qui  s'en  est  suivi;  mais  cela  n'empêche  pas  que 
l'Église  puisse  dire  de  ce  même  péché  :  0  heureuse 
faute  qui  a  mérité  d'avoir  un  si  grand  rédempteur! 
attendu  que  l'Église  se  réjouit  ici  non  de  ce  que  la 
faute  a  eu  lieu,  mais  de  ce  que  cette  faute  ayant  eu 
lieu  (ce  qu'elle  déplore)  il  en  est  résulté  un  si  heu- 
reux effet.  Cf.  Lessius,  De  justilia  et  jure,  1.  IV,  c.  ni, 
n.  194. 

3°  Peut-on  licitement  se  réjouir  d'un  acte  mauvais 
qui  cependant  n'a  pas  été  un  péché  par  suite  de  la  non- 
advertance,  de  l'ignorance,  etc.,  du  sujet,  quand  un  bon 
effet  est  résulté  de  cet  acte?  De  l'avis  de  tous  les  mora- 
listes, on  ne  peut  jamais  se  réjouir  de  cet  acte  en  lui- 
même,  car,  bien  qu'il  n'y  ait  pas  eu  péché,  l'acte  pris 
en  lui-même  n'en  reste  pas  moins  objectivement 
mauvais.  Mais,  disent  entre  autres  Suarez,  De  peccatis, 
disp.  V,  sect.  vu,  n.  14,  et  Lessius,  loc.  cit.,  il  est  par- 
fois permis  de  se  réjouir  de  cet  acte  en  tant  qu'il  a  eu 
lieu  et  même  de  le  désirer  en  tant  que  cause  d'un  effet 
qui  n'a  rien  de  condamnable  en  soi.  Saint  Alphonse, 
Theol.  mor.,  1.  V,  n.  20,  est  d'un  avis  opposé.  Toutefois, 
plusieurs  des  auteurs  cités  par  lui  ne  parlent  que  du 
cas  où  l'on  se  réjouirait  de  l'acte  considéré  en  lui- 
même;  quant  à  la  proposition  15e  condamnée  par 
Innocent  XI,  Den/.inger,  n.  1039,  elle  n'a  pas  la  por- 
tée que  lui  attribue  saint  Alphonse.  Nous  avons  dit 
qu'il  est  parfois,  donc  non  pas  toujours,  permis  de  se 
réjouir  à  cause  de  ses  bonnes  conséquences  d'un  acte 
mauvais  qui  n'a  pas  eu  lieu,  sans  qu'il  y  ait  péché. 
Cela  cesse  d'être  permis  lorsqu'il  s'agit  d'un  mal  subi 
par  le  prochain  et  qui,  selon  l'ordre  de  la  charité, 
l'emporte  sur  le  bien  qui  en  est  résulté.  C'est  précisé- 
ment en  ce  sens  que  doit  s'expliquer  la  condamnation 
de  la  proposition  15e  mentionnée  ci-dessus.  Cette  pro- 
position disait  :  «  Il  est  permis  à  un  fils  qui,  étant  en 
état  d'ivresse,  a  tué  son  père,  de  se  réjouir  de  ce  par- 
ricide à  cause  du  gros  héritage  qu'il  a  recueilli.  » 
Cette  proposition  a  été  justement  proscrite,  parce  que, 
eu  égard  à  l'ordre  de  la  charité,  il  n'était  pas  permis 
au  fils  de  préférer  l'héritage  à  la  vie  de  son  père. 
Ballerini,  Opvu  morale,  tr.  IV.  n.  129. 

S.  Thomas.  Sum.  theol.,  I"  II*,  q.  xxxi,  i.xxiv  ;  II"  II',  q.  - 
a.  'i  ;  ').  i  i.xxx,  :i.  ~:  De  veritate,  q.  xv.  a.  i;  Sanchez,  lu  ie- 
calog.,  1.  I,  c.  n;  Suares,  De  peccatis,  disp.  V,  sect.  vu.  Lay- 
mann,   Theol.    tnoralis,  1.  VIII;  Lessius,    De  justifia   et  jure, 
I.   [V,  C.m;  LugO,    l>>   r  'tisp     XVI;  Salin 

■-■  theol.  iogm.  et  moralle,  tr.  XX,  c.  mu;  s    \i|ii 
Theol  Uiê,  l.  v,  n    12-30;  Ballerini,  Opus  morale, 

tr.  IV,  c.   i.  dub.  m. 

II.  Moi  II 
DÉLÉGATION.  —  I.  Notion  et  différentes  espi 
Il    l'i  i Dcipea  ,  énéraux. 

i    Notion  m  différehtm  espaces,       i    Notion.  — 
L,  .i.].    ation    legare,  envoyer,  de,  de   est  l'action  de 

lei    Or  déléguer,  en  g<  néral,  veut  dire  coi tttre 

quelqu'un  avec  pouvoir  d'agir  au  nom  d'un  autre.  \n 
itrict,  la  délégation  '"-t   un  .nie  de  juridiction 
pai  lequel  est  confiée  ■<  quelqu'un  une  part  d'auti 


DELEGATION 


■'",•' 


qui  doit  être  exercée,  non  poinl  à  titre  propre  el  i"  r- 
Bonnel,  mais  au  nom  du  déléguant,  eten  vertu  même 
de  la  commission  dont  elle  émane. 

La  juridiction  déléguée  est  opposée  à  la  juridiction 
ordinaire  qui,  elle,  ne  découle  point  d'une  commission 
transitoire,  m  commitsionit,  mais,  au  contraire, 
appartient  à  quelqu'un  en  propre,  à  litre  ordinaire  el 
permanent,  et  en  vertu  de  la  charge,  ci  muneris,  à 
laquelle  elle  est  de  droit  attachée. 

Le  délégué  diffère  du  légat  et  aussi  du  simple  exé- 
cuteur. En  effet,  le  légat  (voir  ce  mot)  acquiert  son 
pouvoir  à  titre  ordinaire,  et  en  vertu  de  son  office, 
quoiqu'il  doive  toujours  l'exercer  au  nom  de  celui  qui 
l'envoie,  c'est-à-dire,  dans  l'espèce,  au  nom  du  souve- 
rain pontife.  Le  simple  exécuteur  (voir  ce  mot)  est  ce 
lui  qui  pourvoit,  auprès  des  parties  intéressées,  à  l'ap- 
plication d'une  grâce  déjà  faite,  ou  d'une  sentence  déjà 
prononcée,  sans  avoir  à  exercer  une  juridiction  propre- 
ment dite  sur  le  fond  de  la  cause  qui  lui  est  confiée, 
c'est-à-dire  à  décréter  si,  par  elle-même,  l'affaire  en 
question  est,  oui  ou  non,  conforme  au  droit.  Cepen- 
dant, il  peut  arriver  que  l'exécuteur,  avant  de  procurer 
l'exécution  de  la  grâce  déjà  accordée,  ou  de  la  sen- 
tence fondamentale  déjà  rendue,  soit  chargé  de  con- 
naître et  même  de  juger  s'il  y  a  lieu  de  procéder  ou  de 
surseoir  à  cette  exécution;  dans  ce  cas,  l'exécuteur 
est  appelé  mixte,  executor  mixtus  :  telle  est  le  plus 
souvent,  on  le  sait,  la  condition  des  ordinaires  qui 
sont  chargés  par  le  Saint-Siège  de  procéder  à  l'exé- 
cution des  rescrits  et  lettres  apostoliques,  par  exemple, 
pour  les  dispenses  matrimoniales,  avec  la  clause  : 
cognita  cerilale  precum.  Voir  Empêchements  de  .ma- 
riage. 

Quant  au  délégué  lui-même,  il  est  investi  d'une  ju- 
ridiction véritable  sur  la  cause  tout  entière  qui  lui  est 
commissionnée;  toutefois,  il  ne  peut  se  prévaloir  de 
son  autorité  à  titre  ordinaire  et  personnel,  mais  seule- 
ment en  vertu  et  dans  les  limites  du  mandat  qu'il  a  reçu. 

Le  délégué,  lorsque  le  droit  n'y  met  pas  ohstacle, 
peut  à  son  tour  commettre  quelqu'un  pour  le  rem- 
placer, en  tout  ou  en  partie,  dans  le  mandat  qui  lui  a 
été  confié.  C'est  ce  qu'on  appelle  la  sous-délégation 
qui  n'est  pas  autre  chose  qu'une  délégation  médiate. 

Voir  les  Décrétalistes  dans  leurs  commentaires  du  1.  I, 
tit.  xxix,  De  officia  et  potestate  judicis  delegati,  spécialement; 
De  Angelis,  n.  3  sq.;  Santi,  n.  2  sq.;  Sebastianelli,  De  personis. 
part.  1,  c.  Il,  n.  99  sq. 

2°  Espèces.  —  On  distingue  plusieurs  espèces  de 
délégation.  —  1.  La  délégation  peut  être  faite  par  le 
droit,  delegalio  a  jure,  ou  par  l'homme,  delegalio  ab 
liomine,  selon  qu'elle  émane  directement  des  disposi- 
tions du  droit  commun,  ou  immédiatement  de  la  volonté 
d'un  homme  qui  jouit  de  la  juridiction  ordinaire  et  est 
autorisé  par  le  droit  à  en  confier  l'exercice  à  une  autre 
personne.  C'est  ainsi  qu'il  existe  plusieurs  exemples 
de  délégations  accordées  par  le  droit  aux  évèques  qui 
procèdent  alors  comme  délégués  du  siège  apostolique. 
tanguant  sedis  aposlolica;  delegati  :  tel  est  le  pouvoir 
délégué  aux  évéques  par  le  concile  de  Trente,  sess.  xxi. 
c.  4  et  5,  De  reform.,  touchant  le  démembrement  de- 
paroisses  ou  leur  union  avec  d'autres  bénéfices,  et 
sess.  v,  c.  I;  sess.  vi,  c.  2,  De  reform.,  décret  con- 
tinué parla  constitution  Humains  pontificea  du  S  mai 
1881,  à  l'égard  de  religieux  qui  jouissent  du  privilège 
de  l'exemption.  Notons  en  passant  que  l'effet  juridique 
de  cette  délégation  accordée  par  le  droit  aux  évéques 
tanquam  sedis  apostolice  delegati,  est  qu'on  ne  peut, 
dans  tous  ces  cas,  interjeter  appel  de   la  sentence  de 

l'évêque  au  tribunal  du  métropolitain,  mais  seulement 

au  souverain  pontife  lui-même.  A  noter  aussi  que  sou- 
vent,  par  exemple  dans  1rs  décrets  du  concile  de  Trente. 

xxi.  c.  i ;  sess.  xxn.  c.   lu.  sess.   w,   c.   i.  l><- 


reform.,  le  pouvoir  délégué  aux  i  -ii  que 

s'adjoindre,  pour  l'appuyer, au  pouvoir  ordinaire 
tant  déjà  sur  le  même  objet;  la  clause  porte  alors  etiam, 
qui  plus  est,  tanguant  sedis  apotlolù 
dans   ce  cas,   l'évêque   peut   aussi    bien    procéder   «  n 
vertu  de  son  pouvoir  ordinaire  qu'au  nom  de  la  délé- 
gation qui  lui  a  été  octroyée.  Cependant,  en    entrant 
en  action,  l'évêque  doit   signifier  de   quel   pouvoir  il 
entend    user,  et,   s'il   ne  fait   qu'exercer  son    pouvoir 
ordinaire,  l'instance  en  appel  s'adressera  au   métropo- 
litain; si,  au  contraire,  il    agit  en  vertu  de   - 
tion,   le    recours  pourra  exister  seulement  auprès  du 
souverain  pontife.  Cf.  Santi,  loc.  cit.,   I 
nelli,  loc.  cit.,  n.   100. 

2.  La  délégation  peut  être  expresse  ou  tactt<-  et 
présumée.  Elle  est  expresse,  si  elle  est  formellement 
comprise  dans  les  dispositions  du  droit  ou  dans  le  man- 
dat spécial  du  déléguant.  Telle  est,  à  litre  d'exemple,  la 
délégation  du  pouvoir  de  dispenser  dont  jouissent  h-s 
évèques,  touchant  certains  empêchements  de  ma 
(voir  Empêchements  de  mariage),  en  vertu  du  concile 
de  Trente,  sess.  xxiv,  c.  1,  De  reform.  matrim.,  et  du 
décret  de  Léon  Mil,  du  20  février  1888;  expresse  aussi 
est  la  délégation  accordée  aux  évèques  à  propos  des 
empêchements  de  mariage  par  les  divers  induits 
apostoliques  valables  pour  un  an,  trois  ans.  cinq  ans. 
La  délégation  est  tacite  ou  présumée,  lorsqu'elle  est 
basée  sur  une  interprétation  légitime  du  silence  du 
déléguant  en  véritable  consentement,  ou  sur  une 
présomption  juridique  de  ce  consentement,  étant  don- 
nées certaines  conditions  el  circonstances  bien  définies. 
Telle  est  la  délégation  du  pouvoir  de  dispenser  accordée 
aux  évèques  pour  les  empêchements  prohibants  du 
mariage  que  le  Saint-Siège  ne  s'est  point  réservés,  pour 
les  empêchements  douteux  en  fait,  dubio  facti.  et 
pour  les  empêchements  occultes,  lorsque  se  trouvent 
a  la  fois  réunies  certaines  circonstances  qui.  connues 
du  souverain  pontife,  feraient  que  celui-ci  accorderait 
certainement  aux  évéques  la  faculté  de  dispenser.  Voir 
Empêchements  de  mariage. 

Cf.  De  Justis,  De  dispensatiotabus  matrimonialibus.  1.  II, 
c  n,  n.  92;  Reillënstuel,  Append.  ad  I.  IV.  de  disp.  matrim. 
n.  43  sq.,  59  sq.;  Pyrrhus  Corradus.  Praxis  dispentationvtn 
apostolicarum,  1.  VIII,  c.  i.\,  n.  40;  Benoit  XIV.  De  synodo 
diœcesana,  1.  IX,  n.  2. 

'S.  La  délégation  peut  être  octroyée  à  quelqu'un  soit 
en  raison  de  la  dignité  dont  il  est  revêtu  ou  de  la 
charge  qu'il  occupe,  ratione  dignitatis  tel  officii, 
par  exemple  à  l'évêque  de  Troyes. 
soit  d'une  manière  personnelle,  avec  la  désignation 
expresse  de  son  nom,  sans  que  par  ailleurs  il  soit  tenu 
compte  de  la  dignité  ou  de  la  charge  qu'il  peut  occu- 
per, ratione  personm.  Dans  ce  second  cas.  le  déléguant 
est  wnsé  s  être  laissé  guider  dans  son  choix  par  les 
qualités  personnelles  du  délègue,  electa  industria  ;>< •»•- 

i.    La  délégation  peut  être  faite  soit  pour  toutes  les 
causes,  ad  universitatem  causarutn,  au  moins  dans  un 
certain  genre,  par  exemple,  pour  les  causes  bénéfi- 
ciâtes, soit  seulement  pour  une   ou   plusieurs  ca 
particulières  bien  déterminées,  ad  i/fium  negotium. 

.">.  Enfin  la  délégation  peut  être  ai  une  seule 

ou  à  plusieurs  personnes,  et,  dans  ce  dernier  cas 
commission  peul  être  faite  de  deux  manières,  ou  bien 
solidaire,  in  solidum,  en  sorte  qu'il  siiiiise 
qu'un  seul  dos  délègue-  opère  pour  que  tous  les  autres 
se  trouvent  par  le  fait  même  engagi  -.  ou  bien  simple- 
ment et  en  société',  simpliciter,  collegialiter,  en  sorte 
qu'il  soi I  nécessaire  que  lous  les  délégués  procèdent 
cns<  mble  par  une  action  commune,  pour  que  l'exercice 
du  pouvoir  délégué  soit  juridiquement  valable.  Cf.  tit. 
cit..  De  officia  judicis  delegati,  c.  91. 


253 


DELEGATION 


254 


II.  Principes  généraux.  —  1°  Concession  dit  pouvoir 
délégué.  —  1.  Qui  peut  déléguer?  —  Peuvent  déléguer 
tous  ceux  qui  possèdent  la  juridiction  ordinaire,  à  moins 
qu'il  ne  s'agisse  de  causes  exceptées  par  le  droit.  Tel 
est  le  principe' consacré  par  Boniface  VIII,  1.  I,  tit.  xvi, 
De  officio  ordinarii,  c.  6,  in  6°,  où  il  est  dit  que  l'évêque, 
jouissant  de  la  juridiction  ordinaire  dans  tout  son 
diocèse,  peut  y  exercer  partout  son  pouvoir  judiciaire, 
et.  d'une  manière  générale,  tout  ce  qui  regarde  son 
propre  office,  aussi  bien  par  un  autre  que  par  lui- 
même  :  Quum  cpiscopus  in  tota  sua  diœcesi  juridictio- 
nem  ordinariam  noscatur  habere,  dubium  non  exi- 
sta, /juin  in  quolibet  loco  ipsius  diœcesis  non  exempta 
per  se  vel  per  alium  possit  pro  tribunali  sedere... 
necnon  et  cetera,  quse  ad  ipsius  spectant  officium, 
libère  exercere.  Le  même  pape  confirme  ce  décret  dans 
les  règles  du  droit,  in  6°,  lxviii,  Potest  guis  per  alium 
giwd  potest  facere  per  seipsum,  et  ibid.,  lxxii  :  Qui 
facit  per  alium,  est  perinde  ac  si  faciat  per  seipsum. 
Cependant  le  droit  vient  parfois  faire  exception  à  ce 
principe,  et  exiger,  en  certains  cas,  que  l'ordinaire 
s'acquitte  par  lui-même  de  son  oflice.  Un  exemple  nous 
en  est  fourni  par  le  concile  de  Trente,  sess.  xxiv,  c.  6, 
De  reform.,  lequel,  tout  en  accordant  aux  évêques  le 
pouvoir  d'absoudre,  soit  par  eux-mêmes,  soit  par  leur 
vicaire  spécialement  délégué  à  cet  effet,  de  tous  les  cas 
occultes,  même  réservés  au  souverain  pontife,  excepte 
le  cas  d'hérésie, où  il  leur  impose  de  ne  donner  l'abso- 
lution que  par  eux-mêmes,  ei  non  par  un  délégué.  En 
outre,  l'ordinaire  ne  saurait  déléguer  son  pouvoir  tout 
entier,  sans  le  consentement  du  supérieur,  inconsulto 
icipe  ;  car  il  semblerait  alors  résilier  sa  propre 
charge,  et  en  constituer  une  nouvelle,  chose  qu'il  ne 
pourrait  faire  sans  l'autorité  du  supérieur.  L.  penult. 
Digeste,  tit.  De  officio  prsesidis. 

i.  Qui  i>eut  sous-déléguer?  —  Peuvent  sous-déléguer, 
d'abord,  les  délégués  du  prince,  ou  magistrat  suprême, 
delegati  a  principe,  soit,  dans  le  for  ecclésiastique,  les 
délégués  du  souverain  pontife.  Ainsi  le  rappelle  Gré- 
goire IX,  dans  un  décret  qui  explique  en  même  temps 
la  raison  du  principe,  tit.  De  officio  jud.  del.,  c.  43  : 
Quoniam  apostolica  sedes  intendit  providere  negoliis, 

,i  i  /'im •>nx,  ijuihus  eadem  conimittuntur,  si  judex 
ferlins,  licet  ex  officio  noslro,  oel  de  assenait  partium 
pro  communi  a  nobis  datus  eisdem,  alii  delegareril 
.  quum  delegato  a  principe  id  concedatur  a 
delegatio  ralel/il  i)isius.  Cependant  exception 
doit  être  faite  lorsque  le  délégué  a  été  personnellement 
choisi  pour  lui-même,  electa  industria  personm  :  de 
ceci  il  faut  chercher  la  preuve,  d'abord  dans  la  teneur 
même  du  rescril  de  délégation,  lorsque  par  exemple, 
on  i  ne   per  Icipsiuu,  jn-rsona- 

titr,  el   quelquefois  aussi   dans  la  na- 

l de   la   cause   qui    .i    été   confiée,    savoir,  lorsque 

celle-ci  est  d'une  gravité  ou  d'une  difficulté  telle  qu'elle 

iirail  être  convenablement  expédiée  sinon  par  le 

délégué  lui-même,  d'où    résulte  un.'  présomption   de 

droil  iptio   juris,  que  la  délégation  revêt  un 

caractère  tout  personnel    C'esl  en  ce  sens  que  le  pape 

Alexandre  III  répondail  ;>  l'evéque  de  Londres,  tit-  cil., 

c.  3      Si  pi"  debilitate   t""  vel   pro   quolibet   <>li<< 

necessitate  tractandis  cousis,  quoi  i'*" 

mmittuntur, intéresse  m,,,  poteris, 

liberumlibi  sitpersonis  diteretit  ei  idoneis  vices  luas 

niltere,  </"  /./..,,„.  quod,si  res  i">>i<  est,teconsu- 

l,r>   debeanl,  nisi  {<>>>■  causa,  <',<  graves  -mi.  quod 

,    i  enlia  tua  mm  possinl  commode  terniinari 
On  doil  i  h  dire  aulanl  lorsque  le  pouvoir  délégué  con- 
eerm    la     in  pli    i  -'111(1011  d'une  grâce  déjà  accordée, 
on  d'une  cause  d'ailleurs  jugée     car,  dans  l'hypoth 
le  déléguant  1   I  cens»  -■  oh  eu  égard  surtout  aoi  apti* 

ludi      i  li     du  di  lé§  ie  .   lit.  rit.,  c.   13.  ^  2. 

>.fois.  s,  le  délégué  était  exécuteur  mixte,  il  pour- 


rait sous-déléguer  la  mission  de  reconnaître  au  préala- 
ble l'exaclitude  du  fait  visé  dans  l'espèce,  ut  de  veritatc 
rerum  expositarum  cognoscat,  mais  devrait  toujours 
procéder  personnellement  à  l'exécution  même  du 
rescrit  apostolique.  Cf.  Santi,  loc.  cit.,  n.  9. 

Peuvent  encore  sous-déléguer  ceux  qui  sont  délégués, 
même  par  un  ordinaire  de  rang  inférieur,  pour  tout 
un  ensemble  de  causes,  ad  universilatem  causarum, 
parce  que,  dans  ce  cas,  le  pouvoir  délégué  est  inter- 
prété, d'après  l'opinion  commune  des  juristes,  comme 
une  sorte  de  pouvoir  ordinaire,  potestas  quasi  ordina- 
ria.  Cf.  Glossa  in  1.  II,  tit.  xxxui,  De  appellationibus, 
c.  62. 

Enfin  peuvent  sous-déléguer  tous  les  délégués  qui 
en  ont  reçu  l'expresse  autorisation;  car  alors  cette  fa- 
culté de  sous-déléguer  doit  être  appréciée  comme  un 
nouvel  élément  compris  dans  la  commission  du  délé- 
guant. Cf.  Glossa,  loc.  cit. 

3.  Qui  peut  être  délégué?  —  Peuvent  être  délégués 
tous  ceux  qui  sont  aptes  à  exercer  la  juridiction  ecclé- 
siastique, et  qui  possèdent  à  cet  effet  toutes  les  qualités 
requises  par  le  droit.  Cf.  1.  II,  tit.  1,  De  judiciis,  c.  2; 
tit.  cit.,  De  officio  judicis  delegati,  c.  41.  Cependant, 
celui  qui  n'est  point  soumis  à  l'autorité  de  l'ordinaire, 
tout  en  pouvant  être  délégué  par  lui,  ne  saurait  être 
contraint  d'accepter  sa  délégation;  car,  selon  l'axiome 
du  droit,  il  n'y  a  point  lieu  d'obéir  à  celui  qui  exerce 
la  juridiction  hors  de  son  territoire,  extra  terrilorium 
jus  dicenti  non  pareatur  impune,  Sext.,  1.  I,  tit.  11, 
De  conslitulionibus,  c.  2.  Mais  il  faudrait  en  juger 
autrement  s'il  s'agissait  de  quelqu'un  qui  fut  sujet  de 
l'ordinaire  déléguant,  sauf  à  voir  sans  aucun  effet,  chez 
celui-ci,  le  pouvoir  de  déléguer;  dans  ce  cas,  le  délé- 
guant pourrait  exercer  les  contraintes  que  le  droit  met 
à  sa  disposition,  tit.  cit.,  De  officio  judicis  delegati, 
c.  28. 

Il  faut  observer  que  le  délégué  du  souverain  pontife 
doit  être  revêtu  d'une  dignité  ecclésiastique,  ou  bien 
en  possession  d'une  charge  ou  d'un  canonicat  dans 
une  église  cathédrale;  telle  est  la  portée  du  Sexli, 
I.  I,  c.  11,  tit.  ni,  De  rescriptis,  qui  veut  pouvoir  éta- 
blir ainsi  une  présomption  de  science  et  de  capacité 
chez  le  délégué  du  siège  apostolique.  Ces  conditions 
s'appliquent-elles  également  au  sous-délégué?  L'opinion 
contraire  a  prévalu.  Cf.  Santi,  loc.  cit.,  n.  14.  Quoi 
qu'il  en  soit,  pour  obtenir  chez,  les  délégués  du  sie^o 
apostolique,  les  garanties  convenables  de  science  et  de 
capacité,  le  concile  de  Trente,  sess.  xxv,  c.  10,  De 
reform.,  a  renouvelé  et  précisé'  le  décret  déjà  cité'  de 
Boniface  VIII,  De  rescriptis,  c.  2.  eu  statuant  que, 
dans  les  synodes  provinciaux  ou  diocésains,  quatre 
personnes  au  moins,  par  diocèse,  possédant  les  quali- 
quises  par  lioniface  VIII  et  d'ailleurs  Unîtes  les 
aptitudes  nécessaires,  soient  désignées,  avec  leurs 
noms  transmis  aussitôt  au  souverain  pontife,  pour  être 
chargées  de  connaître  et  de  définir  les  causes  que 
pourraient  leur  confier  le  siège  apostolique,  les  nonci  s 
nu  les  légats  apostoliques,  en  sorie  que  toutes  déléga- 
tions de  ce  genre,  faites  a  d 'aiilresjuges,  seraient  tenues 
pour  subreplices.  Ces  personnes  portent  le  nom  de 
juges  synodaux.  A  son  tour,  Benoll  XIV  est  venu  con- 
firmer, en  les  développant,  res  décrets  d.'  Boniface  VI 1 1 
et  du  concile  de  Trente,  dans  la  constitution  Quamvis 
paterne, du 28  août  1711.  Hais  la  pratique  actuelle  du 
..uni  e  e  1  qIi  ■  '■  beaui  oup  de  ion  intérêt  i  cette  in 
tution;  car  les  causes  déférées  au  souverain  pontife 
sont  régulièrement  eipédiéi      par    les    I  lions 

romai  n  que    les   di  légationi    pi  opi  1  m<  n 

extra    urbem    sont   devenues    peu    fréquentes; 
quant  ■>  l'exécution  des  lettres  et  1.  loliqucs, 

elle  est  confiée  directement  ans  ordinaires  des  dio- 

■  I 1 ta<  i'  oe  ut  aut  el  is 

ationnées. 


255 


DÉLÉGATION 


2°  Exercice  du  pouvoir  délégué.  —  L'exercice  du 
pouvoir  délégué  esl  Botunia  à  diverses  conditions,  en 

rai»ou  un  nie   de  SOU  origine,  qui   est   une  simple  com- 

mission,  émanant  de  l'autorité  du  déléguant,  et  tou- 
jours bous  sa  dépendance.  Ces  conditions,  les  voici: 

I  Le  délégué  ne  doit  en  aucune  manière  s'immiscer 
dans  la  cause  qui  lui  a  été  confiée,  avant  d'avoir  eu 
communication  officielle  de  son  mandat  de  délégation, 
encore  qu'il  puisse  savoir,  de  science  privée,  que  la 
délégation  est  déjà  pour  lui  un  l'ait  acquis,  s.  Péni- 
tencerie,  15  janvier  1894.  Ainsi,  en  particulier,  serait 
invalide  la  dispense  matrimoniale  exécutée  par  l'or- 
dinaire, au  nom  du  souverain  pontife,  alors  qu'il 
aurait  eu  connaissance  de  sa  délégation,  par  exemple, 
avec  le  secours  du  télégraphe,  sans  que  lui  fussent 
encore  parvenues  les  lettres  authentiques  de  sa  com- 
mission. Voir  Empêchements  de  mariage.  Cependant 
cette  transmission  télégraphique  pourrait  suffire  si 
elle  émanait  officiellement  du  saint-siège.  Voir  la  dé- 
cision du  Saint-Office,  14  août  189-2.  D'où  il  suit  que  la 
translation  du  pouvoir  délégué  court  non  à  partir  du 
temps  île  la  concession  elle-même,  ex  lempore  datée, 
mais  seulement  à  dater  de  l'époque  de  la  présentation 
du  rescrit  de  délégation,  e.r  lempore  prxsentatœ.  La 
raison  est  que,  la  délégation  conférant  au  délégué 
l'exercice  d'un  pouvoir  public,  seul  un  mandat  officiel 
et  public  peut  faire  foi  en  la  matière,  I.  II,  t.  xxvin. 
De  appellat.,  c.  12;  1.  I,  tit.  m,  c.  1.  Extvav.   aman. 

2.  Le  délégué,  avant  de  procéder  à  l'exécution  de  son 
mandat,  doit  montrer  à  l'ordinaire  du  lieu  le  rescrit 
de  la  délégation,  et,  s'il  s'agit  d'une  cause  judiciaire, 
il  doit  également  le  présenter  aux  parties  contentieuses. 
Car  la  délégation  est  un  fait  qui  ne  saurait  être  pré- 
sumé, mais  qui  doit  être  prouvé,  tit.  cit..  De  officio 
judicis  deleoati,  c.  31. 

3.  Le  délégué  doit  observer  la  teneur  et  les  limites 
de  son  mandat,  soit  quant  à  l'extension  des  pouvoirs, 
soit  quant  au  mode  de  procédure,  en  sorte  que  tout  ce 
qui  est  fait  par  le  délégué  en  dehors  de  sa  commission 
est  nul  de  plein  droit;  en  outre,  s'il  faut  que  l'accom- 
plissement de  certaines  conditions  précède  l'exécution 
finale  du  rescrit  de  délégation,  rescrit  de  grâce,  re&vrip- 
tum  gratiœ,  ou  rescrit  de  justice,  rescriptum  jusliliiv, 
par  exemple  à  propos  des  dispenses  matrimoniales  (voir 
Empêchements  de  mariage),  ou  des  absolutions  dans  le 
sacrement  de  pénitence  (voir  JURIDICTION),  le  délégué 
est  obligé  d'y  pourvoir  avec  diligence,  c.  XXXII,  tit.  cit., 
De  of/icio  judicis  delegati.  La  raison  de  cette  loi  est 
que  tout  le  pouvoir  du  délégué  dépend  de  la  commis- 
sion qui  en  est  la  mesure  et  la  raison  d'être.  Cepen- 
dant, il  ne  faudrait  pas  entendre  ce  principe  avec  une 
interprétation  trop  rigoureuse;  car,  quoique  non  com- 
prises expressément  dans  le  mandat  de  délégation, 
doivent  être  présumées  en  foire  partie  les  choses  acces- 
soires, intimement  connexes,  avec  la  cause  principale, 
lorsque  celle-ci  ne  saurait  être  convenablement  expé- 
diée sans  la  mise  en  œuvre  de  celles-là  ;  ainsi  dans  une 
cause  judiciaire,  le  délégué  es!  censé  muni,  par  le  fait 
de  sa  délégation  principale,  du  pouvoir  d'user  de  ([ini- 
que contrainte  envers  les  parties  rebelles,  comme  aussi 
d'admettre  les  preuves  du  demandeur,  et  les  excep- 
tions raisonnables  du  défendeur,  tit.  cit..  De  of/icio 
judicis  delegati,  c.  13.  Voir  Jugement. 

En  dehors  des  principes  généraux  que  non-  venons 
'renoncer,  il  importe  de  préciser  quel  est  l'exercice 
du  pouvoir  délégué,  dans  le  cas  spécial  ou  la  délégation 
est  faite,  non  plus  a  une  seule  personne,  mai-  a  plu- 
sieurs à  la  lois.  Ce  ras  a  ele  preMi  par  le  pape  (  '.èlest  m  III. 

tit.  cit.,  De  officia  judicis  delegati,  c.  21  :  llla  quippe 
fuit  antiqua  sedis  apostolices  proi  isio,  ut  hujusmodi 
causturum  recognïtionet  duobut  (juani  uni,  tribut 
■iiiaiii  duobut  libentiut  delegaret,  cum  [sicut  canonet 
attestanlur  integrum  sit  judiciutn,  quod  plurimorum 


tentenliit  confirmatur.  Cf.  c.  u,  xvi,  xxu,  xxiu,  du 
m.  nie  litre.  Or,  nous  le  savons,  cette  délégation  peut 

i.  sentir  de  deux  manières  :  ou  bien  les  déli  [ 
reçoivent  leur  mandat   de  façon    solidaire.  in  m. lia 
ou  bien  ils   sont   constitués  simplement  et   en  soi 
collegialiter.  I.  tés  sont  constii  , 

lorsque  tous,  ou  deux  seulement,  ou  même  I  un  d'entre 
eux.  peuvent  Be  charger  de  l'exécution  du  mandat  de 
délégation,  ut  ovines  aut  duo  aut  unut  eorum,  • 
iluticut    apostoi  quant ur.     Or    lioniface     VIII 

explique.  Se\t.,  c.  VIII  du  titre  cité,  la  procédure  que 
ces  délégués  doivent   adopter  :  iptorum  quilibet  in- 
junctum  polett   libère  adimplere  mandatuv      I 
uno    eorum    negotiutn    inchoante   commissum,  alii 
nequibunt  te  ulteriut  intromillere  de  eodem,  niti 
infirmitate  tel  alia  justa  causa  illum  i 
pediri,  aut   si    nollel,    vel  malitiose  in  eo  procedere 

suret.  Ainsi  donc,  lorsque  tous  les  délégués,  ou 
plusieurs,  entament  la  cause  confiée,  il  n'appartient 
plus  à  l'un  d'entre  eux  de  pouvoir  seul  la  poursui 
la  définir.  Si.  au  contraire,  l'un  des  délégués  a  com- 
mencé à  s'immiscer  dans  l'affaire,  à  l'exclusion  des 
autres,  c'est  à  lui  seul  qu'il  incombe  de  la  continuer  et 
de  la  terminer,  excepté  pourtant  si  un  empêchement  lé- 
gitime vientparalyserson  action,  ou  encore  s'il  Be  refuse 
malicieusement  à  poursuivre  la  procédure.  Ouant  a  la 
délégation  simple  de  plusieurs  personnes  en  so> 
collegialiter,  elle  peut  se  faire  à  son  tour  de  deux 
manières.  Il  arrive  d'abord  que  la  délégation, 
qu'il  soit  fait  mention  d'aucune  clause  par  ailleurs. 
est  accordée  seulement  avec  l'obligation  pour  tous 
les  délégués  associés  de  ne  pouvoir  procéder  les  uns 
à  l'exclusion  des  autres  ;  en  ce  cas,  lorsque  l'un  des 
délégués  est  retenu  par  quelque  empêchement,  les 
autres  se  trouvent  dans  l'impossibilité  de  poursuivre 
validement  l'exécution  de  leur  mandat,  car,  ainsi  que 
l'observe  le  c.  16  du  titre  cité,  De  officio  judicis  dele- 
gati, «  si  une  cause  est  confiée  à  deux  personnes  (ou  à 
un  plus  grand  nombre),  la  sentence  d'une  seule  d'entre 
elles  ne  saurait  être  valide,  cum  causa  duobus  coni- 
mittilur,  sentenlia  unius  non  tenet.  i  Le  second  cas 
se  vérifie  lorsqu'au  principe  expliqué  plus  haut  vient 
s'adjoindre  cette  cause  spéciale  que,  si  tous  les  délé- 
gués ne  peuvent  être  pr  sents,  deux  ou  trois  jugent  la 
cause  et  l'exécutent,  quod,  si  omnes  intéresse  nequeant, 
duo  vel  très  causam  cognoscant  et  exequantur.  Cette 
clause  est  établie  pour  que  la  délégation  ne  devienne 
pas  inutile  par  le  seul  fait  qu'un  ou  deux  des  déh. 
sont  empêchés  de  se  pn  s.  oter  ou  bien  encon 
refusent  délibéré  nient.  Toutefois,  cet  empêchement  et 
ce  refus  doivent  être  prouvés  ou  par  un  envoyé-,  ou  par 
des  lettres,  ou  de  quelque  autre  manière  qui  soit  c 
nique.  Cf.  C.  '21  du  titre  cité. 

;;  Cessation  du  pouvoir  délégué.  —  Le  pouvoir  dé- 
légué peut  cesser  d'exister  pour  diverses  causes, 
savoir  :  1.  La  mort  du  délégué';  à  moins  qu'il  n'ait  été 
expressément  stipulé-  dans  le  mandat,  que  le  pouvoir 
doit   passer  aux    héritiers,  ou  moins  que   la 

délégation  n'ait  été  faite  principalement  en  raison  de 
la  dignité  ou  de  la  charge  elle-même  qui  est  transmise 
tout  entière   aux    successeurs,  c.    li   du   titre    cité.  — 
2.  La  mort  du  déléguant,  si  la  cause  est   restée  encore 
intacte,    re    adhuc   intégra,   c.    30   du    titre    cite.    La 
raison  est  que  le  délégué-  n'exerce  pas  -on  pouvoir  en 
son  propre  nom.  jure  proprio,  mais  seulement  au  nom 
du  déléguant,  ex  mandata  alto  us,  dont  la  mortel 
nécessairement   son  principe  a   la   délégation  ;  cepen- 
dant, lorsque  le  délégué  a  déjà  commence  d'expédier  la 
cause  qui  lui  avait  été  confiée,  il  l'a  rendue  sienn 
il    se    voit    ainsi   continuel    son    autorité,    au    nom    du 
droit    et    pour   le  bien   public,    nonobstant    la    mort   du 
déléguant.  —  .'!.  Li  révocation,  -oit  expresse,  soit  i .> - 
du    mandat    de    délégation,    pourui    toujours   que    la 


257 


DELEGATION    —    DÉLIT 


258 


cause  n'ait  pas  encore  été  juridiquement  entamée,  re 
adhuc  intégra,  1.  I,  :tit.  m,  De  rescriptis,  c.  24.  — 
4.  L'accomplissement  du  mandat,  en  sorte  que  la  cause 
soit  complètement  finie.  Or,  en  matière  judiciaire,  le 
mandat  est  censé  se  prolonger  jusqu'à  l'exécution  de  la 
sentence,  c.  9  du  titre  cité  :  ex  quo  judex  dclegatus 
per  se  vel  per  alium,  sententiam  exequi  mandavit 
vel  mandari  preecepit,  ejus  aucloritas  et  jurisdictio 
cessât;  quia  semel  est  officio  suo  functus.  —  5.  L'expi- 
ration du  temps  fixé  dans  le  mandat  de  délégation,  à 
moins  que  les  parties  intéressées  ne  consentent  à  pro- 
roger les  pouvoirs  du  délégué,  chose  qui  pourtant  doit 
■être  faite  avant  le  terme  de  l'époque  préfixée,  in  tem- 
pore  utili,  c.  4  du  titre  cité;  1.  II,  tit.  xxvm,  De 
appellat.,  c.  12.  —  6.  La  renonciation  légitime  du  man- 
dat, de  la  part  du  délégué;  ou  encore  une  sous-déléga- 
tion de  la  commission  tout  entière  qu'on  pourrait  in- 
terpréter comme  une  abdication  de  l'office  délégué 
lui-même,  c.  vi  du  litre  cité,  in  6°.  —  7.  Enfin,  la  récu- 
sation légitime  de  la  personne  du  délégué,  pour  des 
motifs  canoniques  de  suspicion  (voir  Jugement)  ;  el  tant 
que  cette  cause  de  suspicion  n'est  pas  encore  jugée, 
les  pouvoirs  du  délégué  restent  suspendus,  aussi  bien 
que  son  droit  de  sous-déléguer,  c.  v  du  titre  cité,  in  6°. 
Cf.  Lega,  De  judiciis  ecclesiaslicis,  part.  I,  S  3. 

Leurenius,  Forum  ecclesiasticum,  1.  I,  tit.  xxix,  Venise, 
1720:  Reiffenstuel,  Jus  canonicum  universum,  1.  I.  tit.  xxix. 
Anvers,  1755;  Schmalzgrueber,  Jus  ecclesiasticum  universum, 
1.  I,  tit.  xxix,  Ingolstadt,  172G;  Pirbing,  Jus  canonicum,  1.  I, 
tit.  xxix  ;  Dilingen,  1722;  Fagnan,  Commentaria  in  I  lib. 
Decretalium,  tit.  xxix,  Besançon,  1710;  De  Justis,  De  dispen- 
imonialibus,  passim,  Lucques,  172C  ;  Pyrrhus 
îs  dispensationum  apostolicarum,  passim, 
Venise,  1735;  De  Angelis,  Pr;clectiones  juris  ccmonici,  I.  I, 
tit.  xxix.  Home,  1847;  Santi,  J'rxlecliones  juris  canonici.  1.  I, 
tit.  xxix,  Ratisbonne,  1898;  Lega,  De  judiciis  ecclesiasticis, 
t.  i,  part.  I,  S  3,  Rome,  H  6;  Sebastianelli,  De  personis  eccle- 
siasticis, part.  I,  c.  h,  Rome,  1896. 

E.  Yai.ton. 
DELFAU  François,  bénédictin  de  la  congrégation 
de  Saint-Maur,  né-  en  1037  à  Montel  en  Auvergne,  mort 
le  I.!  octobre  1670.  Il  lit  profession  à  l'abbaye  de  Saint- 
Allyre  de  Clermont  le  2  mai  1G56.  Ses  supérieurs  le 
chargèrent  de  préparer  une  nouvelle  édition  des  œuvres 
de  saint  Augustin.  Il  se  mit  avec  ardeur  au  travail  et 
put  bientôt  l'annoncer  en  publiant  le  Prospectus  des 
taint  Augustin,  Paris,  1671.  Deux  ans  plus 
tard  parut  :  L'abbé  commendataire  où  l'injustice  des 

nendet  est  condamnée  parla  lui  de  Dieu,  pai 
décrets  des  papesel  par  lances  pragmatiques 

ncordats  des  i  <it  de  France,  par  le  sieur  Desb 
franc,  dot  ion-  e,,  l'un  ri  i  autre  droit,  in-12.  Cologne, 

1673.  "n  n<J  tarda    p  m-   que   'loin    Delfau    'lait 

l'auteur  de  cet  ouvrage  imprimé  en  réalité  à  Compiè- 

i  i  uni'  lettre  di  exila  a  l'abbaye  de  Saini- 

Uahéen  Basse  Bretagne  Dom  Blampin  fut  alors  chargé 
de  continuer  les  travaux  de  l'édition  des  œuvres  de 
saint  Augustin.  Dom  Delfau  péril  dans  un  naufrage  en 

niant  a  Bresl  pour  prêcher  le  panégyrique  de  sainte 
Thérèse,  n  <  ni  encore  publié  Réponse  au  livre  inti- 
tulé. L'abbé  i  ommendataire  et  réfutation  de  celle  ré- 

e  par  une  lettre  de  M .  Schoulen  <•  l'auteut  contre 
les  commendataires  et  le  mauvais  usage  qu'ils  fai- 

I  rii'  leurs  bénéfices,  in-12,  Cologne (Compièj 
1673    l-a  deuxième  partie  de  L'abbé  commet 

Il    '    -Mis  le  nom  du  --  i  *  - 1  *  i  -  d<   I  roid :> 

,i  Gerberon.  <  In  doit  encore  i  dom  Delfau     / 
'/<■  Imitât  Christi  Johanni   Gerseni   abbati 

ne  ex  pile  mss. 
Paris,  1673,  n;; ;.  1712.  '  ne 

lu  cardinal  de  Furstemberg,  parue  en  1674  ■  ■! 
quelquefoi  i  attribuéi  i  dom  Delfau,  i  il  en  i  éalité  de  dom 
Gourdin. 

i  f.   Biblioth 

DICT.    DE   TIIÉOL.    CATIIOL. 


auteurs  de  la  congrégation  de  Saint-Maur,  in-12,  La  Haye,  1726, 
p.  80-87;  [dom  Tassin,]  Hist.  littéraire  de  la  congrégation  de 
Saint-Maur,  in-4°,  Paris,  1770,  p.  78;  Ziegelbauer,  Historia  rei 
literarix  ord.  S.  Benedicti,  t.  m,  p.  395;  t.  iv,  p.  109,  2i5. 
616,  711;  [dom  François,]  Bibliothèque  générale  des  écrivains 
de  l'ordre  de  S.  Benoit,  t.  i,  p.  241  ;  Cb.  de  Lama,  Bibliothèque 
des  écrivains  de  la  congrégation  de  Saint-Maur,  in-12,  Munich 
et  Paris,  1882,  p.  48;  Kirchenlexikon,  t.  ni,  col.  1488-1489; 
A.  Ingold,  Histoire  de  l'édition  bénédictine  de  saint  Augustin, 
Paris,  1903,  p.  29-34. 

B.  Hei  rterize. 
DELF1NO  César-Pierre-IWichel,  né  à  Parme,  acquit 
quelque  renom  dans  les  belles-lettres  et  l'astronomie 
et  fut  docteur  en  médecine.  S'étant  rendu  en  Hongrie, 
il  fut  le  médecin  du  roi  Ferdinand.  En  Angleterre,  où 
il  passa  ensuite,  on  l'accusa  calomnieusement  d'béré- 
sie.  Il  revint  en  Italie,  et  Pie  V  lui  fit  bon  accueil.  11 
mourut  en  1566.  On  a  de  lui  :  1°  De  summo  romani 
pontifias primatu  et  de  ipsius  temporali  dilione  de- 
monstratio,  in-4°,  Venise,  15i-7;  2°  De  proportione  paptv 
ad  concilium  et  de  utroque  ejusdem  principatu  cer- 
tissima  el  novissima  decisio,  in-4°,  Parme,  1550:  elle 
a  été  reproduite  par  Rocaberti,  Bihlintheca  pontificia, 
t.  vu,  p.  8-26;  3°  Mariados  I.  II  f,  cbant  en  l'honneur 
de  la  sainte  Vierge,  1537,  etc. 

Affo,  Memorie  degli  scrittori  e  letterati  Parmigiani,  t.  iv, 
p.  95-107;  Hurter,  Nomenclator,  3"  édit.,  Inspruck,  1907,  t.  ni, 
col.  49. 

E.  Mangenot. 

DÉLIT.  —  I.  Notion.  II.  Division. 

I.  Notion.  —  Le  délit  est  la  violation  extérieure  el 
coupable  d'une  loi  humaine,  ecclésiastique  ou  civile. 
Cf.  D'Annibale,  Summula  theologiic' 'moralis,  part.  I, 
tr.  VI,  tit.  i,  a.  1,  n.  296-299,  3  in-8»,  Rome,  1889-1892, 
t.  I,  p.  278-29i;  Tilloy,  Traité  théorique  et  pratique  de 
droit  canonique,  1.  II,  tit.  iv,  ci,  S  L  -  in-8°,  Paris, 
1895,  t.  m,  p.  269  sq.  ;  Ojetti,  Synopsis  rerum  inora- 
lium  et  juris  ponlificii,  alphabetico  online  digesta, 
v»  Deliclum,  2  in-i°,  Pralo,  1905,  t.  i,  p.  532. 

Dans  le  langage  ordinaire,  délit  et  crime  sont  consi- 
dérés comme  synonymes.  Il  en  est  quelquefois  égale- 
ment ainsi,  dans  le  droit  civil,  où,  par  exemple,  I  ex- 
pression <>  corps  du  délii  b  signifie  l'action  même  du 
crime,  par  opposition  aux  circonstances  qui  l'accom- 
pagnent. Mais,  dans  le  droit  canonique,  plus  souvent 
encore,  ces  deux  termes  sont  pris  l'un  pour  l'autre, 
quoique  le  mot  crime  soit  réservé,  de  préférence,  dans 
bien  des  cas,  pour  désigner  les  infractions  les  plus 
es  :  celles,  par  exemple,  qui  sont  directement  conti  < 
Dieu,  contre  le  bien  général  de  la  société,  ou  contre  la 
i  honneur  du  prochain.  Voir  Crime,  t.  m,  col.  2325. 

Le  délil  esl  don,  comme  un  diminutif  de  crime.  Ci 
concept  correspond  assez,  logiquement  au  sens  étymo- 
logique du   mot,   qui  vient   de   delinquere,  délaisser, 

abandonner,  manquer  :    ce   qui  indique  une  déviation, 

un  écart  du  droit  chemin,  un  éloignemenl  de  l'exai  - 
titude,  plutôt  qu'une  vraie  révolte  contre  le  législateur, 
ou  une  atteinte  formelle  portée  à  l'ordre  social.  C'esl 

pour  ce  motif  que  plusieurs    tuteurs  onl  simple ni 

défini  le  délil  :  la  violation  d'une  loi  pénale.  Cf.  Vin- 
nius  Arnold  us.  Institution*  iJuslinianicutn  notis,\.  IV . 
tit.  iv.  in-12,  Amsterdam,  1669;  2  in-12,  Paris,  1800; 
D'Annibale,  Summula  théologies  moralis,  loc. 
n.  296,  t<  i.  p.  278;  Ojetti,  Synopsis  rerum  moralium 
et  juris  ponlificii,  t.  i.  p,  532,  Néanmoins, le  mot  délil 
comprend  aussi  la  violation  des  lois  humaines obligeanl 
en  con  i 

Il  esl  extrêmement  difficile,  pour  ne  pas  dire  imp 
sible,  de  tracer,  entri  répréhensibles  appelés 

crimes  ou  i  lia le  démarcation  qui  les  pai 

n  deui  i  lassi  -  bien  tranchées,  le  même  fail  pou- 
vant être  crime  ou  délit,  suivant  les  circonstance     Préci 

Ù  finit    le  délil  el  ou  COI née  le  (  ri ,  e-l  un  de 

oui  en  \  .i  i  n  e 

I  \ .    -  !l 


259 


DELIT 


de  résoudre.  La  législation  moderne,  pas  plus  que 
l'ancienne,  ne  renferme  une  définition  adéquate  d< 
deux  termes.  Le  droil  français,  par  exemple,  en  éta- 
blissant trois  catégories  d'infractions  aux  lois  :  crimes, 
délits,  contraventions,  tes  distingue,  non  par  la  gravité 
des  f.iits  eux-mêmes,  mais  par  la  différence  des  peines 
encourues.  L'infraction  punie  par  les  peines  de  simple 
police  est  une  contravention;  celle  qui  expose  aux 
peines  correctionnelles  est  un  délit;  celle,  enlin,  qui 
entraîne  une  peine  afllictive  ou  infamante  est  un  crime. 
Code  pénal  français,  a.  1. 

Plusieurs  auteurs  ayanl  cru  apercevoir  dans  cette 
classification  une  véritable  définition  des  infractions 
légales,  l'ont  très  vivement  attaquée.  N'est-il  pas  illo- 
gique, disent-ils,  de  classer  les  violations  de  la  loi,  non 
d'après  leur  gravité  intrinsèque,  ou  celle  qui  découle 
des  circonstances  dont  elles  sont  entourées,  mais  d'après 
la  peine  encourue,  et  suivant  les  tribunaux  appelés  à 
en  connaître'.'  D'autres  voient  là  un  véritable  mépris  de 
la  dignité  humaine,  et  une  tendance  au  despotisme,  car 
il  suflirait  à  un  tyran  de  décréter  une  peine  afllictive 
ou  infamante  contre  un  fait  quelconque,  pour  que  celui- 
ci  devînt  légalement  un  crime.  Cf.  Rossi,  Traité  de 
droit  pénal,  3  in-8°,  Paris,  1825,  t.  I,  p.  240  sq.; 
Boitard,  Code  d'instruction  criminelle,  in-8",  Paris, 
1837;  Mel  Isidore,  llnuovo  codice  pénale  italiano,  1.  I, 
tit.  I,  a.  1,  in-i°,  Rome,  1890,  p.  24-28. 

Ces  reproches  seraient  justifiés,  si  le  législateur  avait 
réellement  voulu  par  ce  moyen  donner  une  définition 
juridique  des  diverses  catégories  d'infractions  pos- 
sibles. Mais  telle  ne  semble  pas  avoir  été  son  intention. 
Au  contraire,  il  parait  plutôt  s'être  préoccupé  d'éluder 
la  difficulté.  En  effet,  il  évite  avec  soin  d'attacher, 
a  priori,  à  un  fait  quelconque  la  qualification  de 
crime,  et  de  déclarer  ensuite  passible  d'une  peine 
afllictive  ou  infamante  celui  qui  le  commettrait.  Son 
procédé  est  tout  autre.  Passant  en  revue  les  divers 
faits  susceptibles  d'être  punis,  il  fixe  pour  chacun 
d'eux  une  peine  proportionnée  à  leur  gravité.  Puis, 
dans  le  but  de  simplifier  le  langage  juridique,  et  afin 
de  fournir  une  règle  pratique  aux  magistrats,  il  divise 
ces  peines  en  trois  grandes  catégories,  d'après  leur 
degré.  En  outre,  comme  un  rapport  constant  doit 
exister  entre  le  châtiment  et  la  faute,  il  affirme  que 
ces  trois  catégories  de  peines  correspondent  à  trois 
catégories  de  faits  répréhensibles,  et  à  chacune  d'elles 
il  impose  un  nom  spécial.  Les  infractions  punies,  à 
cause  de  leur  perversité  plus  grande,  par  les  peines 
les  plus  sévères,  sont,  par  lui,  appelées  crimes;  les 
autres  qui  tiennent  le  milieu  dans  l'échelle  des  moyens 
il.'  répression,  sont  les  délits;  enfin,  les  plus  légères 
son!  les  contraventions.  Mais  il  n'y  a  là  que  trois  caté- 
gories purement  nominales,  >ans  aucune  prétention  à 
une  définition  strictement  philosophique.  Ainsi  le  fait 
délictueux  n'est  pas  défini  par  la  pénalité.  Celle-ci 
ne  sert  pas  de  base  a  une  définition  théorique  et  scien- 
tifique; elle  est  seulement  le  fondement  d'une  i 
pratique,  claire,  invariable  et  sûre,  servant  aux  magis- 
trats a  déterminer,  avec  plus  de  facilité,  la  compétence 
des  tribunaux.  Cf.  Chauveau  et  llélie,  Théorie  du  code 
pénal,  6  in-8»,  Paris,  1853,  t.  i.  p.  .'il:  Ortolan,  Élé- 
ments de  droit  pénal,  leçons  professées  i  la  faculté  de 
droit  de  Paris,  2  in-8»,  Paris,  1854-1856,  t.  i,  p.  282; 
Bertauld,   Coins  de  code  pénal,    in-S",   Paris,    1878, 

p.     I  l(>   S(|. 

Les  explications,  présentées  i  ce  sujel  par  les  défen- 
seurs du  code,  n'uni  pas  empêché  beaucoup  d'autres 
juristes  de  trouver  fort  défectueuse  la  rédaction  de  ce 
premier  article,  qui,  pour  être  compris,  n'exige  rien 
moins  que  la  connaissance  complète  de  tous  les  autres 
articles  dont  le  code  pénal  est  compose.  Or,  c'esl  là 
assurément  an  grave  défaut.  Une  loi,  comme  une  défi- 
nition, doit  se  suffire  à  elle-même. 


Ces  discussions  montrent  combien  il  serait  difficile 
«''•  donner  du   délil  une  définition  abstraite,  phi] 
phique    et  juridique.    Inconnue    dans    l'ancien    droit 
romain    et    dans   le    droil  civil  moderne,    elle  • 

moins  encore  dans  le  droit  canonique,  ou 

délil    et  crime  sont  pris    indifféremment    l'un    pour 

l'autre,  autant  par  le  texte  officiel  du  Corpus  jurit 

',  que  par  les  canonisles  les  plus  autori 
ceux-ci,  cependant,  on  constate,  en  plus  d'un  endroit, 
la  tendance  à  se  servir  du    mot  crime,  plutôt   qui 
celui  de  délit  pour  désigner  les  foutes  les  plus  graves. 
Cf.  Leurenius,  Forum  ecclesiaslicum,   in   i/uo  jus  ca- 
nonicum  explanalur,  1.  Y,  tit.  i,  in-fol..  Venise, 
t.  i,  p.  1  sq.;  Reiffenstuel,  Jus canonicum  univers 
1.  Y,  lit.  i,  G  in-fol. ,  Venise,   1730-1735,  t.  v.  p.  1  sq.. 
Gonzalez,   Commentaria  perpétua  in 
quvnque    librorum    Decrelalium  Cregorii   IX,  I.    Y. 
tit.  xxiii,  c.  i-ii  ;  tit.  xxvi,   c.  i.  5  in-fol. .  Venise,  1735, 
t.  v.  p.  275  sq.,  285;  Schmalzgrueber,    lus  ecclesiasli- 
cum universuni,  1.   Y,  part.    I,   tit.  i.  n.  1-15,  6  in-i  . 
Rome,  1843-18i5.  t.   v  a,   p.    1    ><\.  :  Zallinger,   l< 
tutiones  juris  ecclesiaslici  ordine  Decrelalium,  I.  Y. 
tit.  i,  §1-15,  5  in-8»,  Rome,   1823.  t.   v,  p.   1-16; 
Angelis,    Prxlectiones   juris    canonici   ad   melliodum 
Decretalium,   1.    Y,    tit.    i,   4  in-8»,  Rome.   1887-1891, 
t.  iv,  p.  9sq.;  VA'ernz,  Jus  Decrelalium,  1.  Y,  De  jure 
criminali,  part.  II,  sect.  I,  §  4-5;  part.  III.  sect.  i,c.  I- 
VII;    sect.  il,    c.  i-iii.   5  in-8°,  Rome.  1898-1907.  t.  v. 
p.  167-177,  393-650. 

IL  Division.  —  Comme  les  crimes,  les  délits  se 
divisent  en  plusieurs  classes,  en  raison  :  1°  de  leur 
objet;  2°  des  personnes  qui  les  commettent;  3"  du  for 
ou  tribunal  dont  ils  relèvent  ;  1°  de  leur  notoriété. 
Voir  Crime,  t.  m,  col.  2326. 

Outre  ces  divisions,  l'ancien  droit  admettait  le  quasi- 
délit.  Celui-ci  se  distingue  du  délit  proprement  dit.  en 
ce  qu'il  exclut  l'intention  de  nuire,  et  n'est  que  le  résul- 
tat d'une  imprudence,  ou  d'une  négligence,  mais,  néan- 
moins, non  totalement  excusable.  Cette  distinction  es| 
restée  dans  la  plupart  des  droits  modernes.  Cf.  Code 
civil  français,  a.  1382  sq.  ;  Ojetti.  Synopsis  rerum  n, 
lium  et  juris  pontifiai,  v  Delictum,\.  i.  p.  5! 

Kagnan,    Commentaria    i»    quinque    libros    Decrelalium. 
5  in-fol.,  Venise,  1697,  t.  v,  p.  6, 13,  91,  1S2,  lt'»'.>.  ls5. 
611,  621,  649;  Vinnius  Arnoldus,  Institution  es  Justiniani 
notis,  1.  IV,  tit.  i,  iv,  in-12,  Amsterdam,  1669;   -   u-l-   I 
1800;  Gonzalez,  Commentaria   perpétua    in   singulos  t 
quinque  librorum  Decretalium  Gregorii  IX,  1.  I.  tit.  XI.  c.  IV, 
n.  8;  til    xxix,  c.  xxvn.  n.  10  ;  tit.  xxxi,  c.  n,  n.  *:  1.  II.  tit.  i. 
c.  X,  n.  10-18;  tit.  xxiv,  c  xn,  n  1  ;  1.  111,  tit.  I,  c.  viu-ix.  xiv  ; 
1.  IV,  tit.  xvti  ;  1.  V.  tit.  x.  n.  1  ;  tit.  XXIII,  C  l-n  :  lit-  XXVI,  C  i. 
5  ill-fol.,  Venise,  1737,  t.  I,  p 
t.   m.   p.  20  sq.,    31;   t.    IV,   p.   166;  t.  v.  p.   ! 
Schmalzgrueber,  Jus  ecclesiaslicum  universum.  1.  v,  tit.  i,  x. 
XXIII,  xxiv.  xx.xvn,  6  in-i  .  Rome,  1843-1*4.\  t.  v  a,  p 

.   SJ'.l  ;  t.    v  h,  p.    1   sq.,   227   sq.  ;   lie.caiia.    Trait 
délits    et   il   s  traduit  par    MoreUet,    in-12.   Paris. 

par  llélie,  in-12,  l'aris,  1871;  Muyart  de    Vougtas,  I 
minettes   de  France  dans  leur  ordre   naturel,   ii  - 
1780,  i    M  Bq.  ;  Bentham,  Traité  de  législation  civil» 
-  .  Paris,  1820,  t.  n,  p.  240;  Zallinger,  Instituti 
iasUci  OTdi  Hum.  1.   V,  tit. 

Ri  me    182  :.  t.  v,  p.  14 

Parts,  1825,  t.  i.  p.  '-"is  sq.  ;  t.  Il,  p.  9i  ;  Sauter,  Traité  théorique 
et  pratique  de  droit  criminel.  2  in-8' .  Paris,  1836,  1. 1,  p. 418 

l  ;  t.  n.  p.  2.  Ile;  Boitard,  Code  d'instruction  criminelle, 
In-8  .  Pai  s,   1887,  p.  22sq.;  Ortolan,  Éléments  de  droit  j 
a  la  faculté  de  droil  d<    Pai 
l,  p.  242  sq.,  27  Démangeât, 

mtmtaire    de    droit    ,  -     Pi  1864-1865,  t  U, 

p.   482  -<i .  :   Blanche,  Éludes  pratiques    sur  le  a 
iu-s  .    paria,    1861-1872,  t.  i,p.2sq.;  LeSeUyer,  Traité  delà 
criminalité,  2  in-8',  Paris,  1867-1871;  Munchen.  Dos  coi 

G  richtsverfahrem  und  Strafrecht,  2  in-8 
i    u.  p.  1"1  s, p.  21  .nildt,   Cours  de 

p.  118sc|.,   I«  mi„  53'»;  Chauveau  et  Helie,  Th 
le  peu, il.  0  in  s  .    Pai 


261 


DELIT 


DEL    RIO 


262 


De  Angelis,  Praelectiones  juris  canonici  ad  melhodum  Decre- 
talium,  I.  V,  tit.  i,  xxm  sq.,  4  in-8  ,  Rome,  1887-1892,  t.  iv,p.  9  sq., 
297  sq.  ;  D'Annibale,  Summula  théologie  moralis,  part.  I,tr.  VI, 
tit.  I,  a.  1,  n.  296-299,  3  in-8",  Rome,  1889-1892,  t.  i,  p.  278-284; 
Mel  Isidore,  /(  nuovo  codice  pénale  italiano,  1.  I,  tit.  I,  a.  1, 
in-4%  Rome,  1899,  p.  24-28;  Tilloy,  Traité  théorique  et  pratique 
de  droit  canonique,  1.  II,  l.  IV,  c.  i,  $  1-5,  t.  n,  p.  269-281  ; 
Santi,  Praelectiones  juris  canonici  j  uxta  ordinem  Decrctalium 
Gregorii  IX,  l.  V,  tit.  v,  5  in-8»,  Ratisbonne,  1898,  t.  v,p.  5  sq.  ; 
Vidal,  Droit  criminel,  in-8",  Paris,  1901,  p.  86  sq.  ;  Ojetti, 
Synopsis  rerum  moralium  et  juris  pontifteii,  alphabetico 
ordinedigesta,  v  Delictinn,2  in-V,  Prato,  1905,  t.  I,  p.  532  sq.; 
Dalloz,  Dictionnaire  pratique  de  droit,  v"  Crimes  et  délits, 
D,;lit,  in-fol.,  Paris,  1905,  p.  395  sq.,  419  sq.;Garraud,  Précis 
de  droit  criminel,  in-8",  Paris,  1907,  p.  60  sq.,  128,  146,  358; 
W'ernz,  Jus  Decretalium,  1.  V,  De  jure  criminali,  part.  II, 
sect.  i,  g  4-5;  part.  III,  sect.  1,  c.  i-vii;  sect.  n,  c.  i-m,  5  in-4", 
Rome,  1898-1907,  t.v,  p.  167-177,  393-650. 

T.  Ortolan. 
DELMARE  Paul-Marcel,  né  à  Gênes  en  1734  de 
parents  israélites.  s'occupa  du  commerce  de  son  père 
jusqu'à  17  ans.  L'abbé  Franzoni  l'instruisit  dans  le  ca- 
tholicisme et  le  baptisa  en  1753  sous  les  prénoms  de 
Paul-Marcel.  Le  nouveau  converti  commença  alors  ses 
études  au  collège  de  Gênes;  il  les  continua  à  Rome,  où 
il  reçut  la  prêtrise  en  1758.  Il  s'attacha  à  une  commu- 
nauté de  prêtres  génois  et  se  livra  avec  eux  à  Rome  à 
la  prédication  et  au  ministère.  En  1783,  il  fut  appelé 
comme  professeur  de  théologie  à  Sienne.  Il  y  prit  part 
à  une  controverse  relative  à  la  communication  des 
Arméniens  unis  et  non-unis  pour  les  baptêmes,  les 
mariages  et  les  funérailles.  En  1783,  parut  à  Venise 
une  dissertation  italienne,  qu'on  attribuait  au  jésuite 
dalmate  Martinovich,  et  dans  laquelle  l'auteur  préten- 
dait que  cette  communication  m  sacris  et  l'assistance 
à  la  messe  des  non-unis  étaient  tolérées  par  le  saint- 
Le  marquis  de  Serpos,  banquier  arménien,  qui 
habitai)  Venise,  présenta  cet  écrit  à  la  Propagande.  La 
faculté  de  théologie  de  Sienne  censura  celte  disserta- 
tion, le  15  décembre  1784,  et  elle  décida  que  les  Armé- 
niens unis  pouvaient  bien,  pour  la  célébration  de 
bui-  fêtes,  se  conformer  au  calendrier  des  schisma- 
tiques.  mais  non  assister  a  leurs  cérémonies  religieuses. 
On  attribua  la  rédaction  de  cette  censure  à  Delmare. 
Dominique  Stratico,  dominicain  et  évéque  de  Cresina 
en  Dalmatie,  publia  à  sienne  un  Examen  théologique 
a  censure.  Delmare  répliqua  par  une  brochure 
italienne,  intitulée:  Principe*  théologiques  pour  sér- 
ie préservatil  contre  les  erreurs  de  l'Examen, 

5i<  une,  1786.  Delmare  passait  p '  être  favorable 

au  parti  janséniste,  répandu  en  Italie.  Il  avait  collaboré 
édition  fait.-  a  Gène:  en  I77d  île  ['Educazione  ed 
.r  catechisnio  universalê, 3 vol., 
de  Gourlin,  ouvrage  qui  fui  mis  i  l'Index  par  décret  du 
30  janvier  1783.  Delmare  défendil  ce  catéchisme  en  six 
lettri  n    1780,    il    <b'\int    professeur 

d'Écriture  sainte  >  Pise,  et  publia  :  Praelectiones  de 
theologicis  Senis  habitai.  •''•!  ouvrage  lui  mis  à 
l'Index,  le  9  décembr  1793,  el  condamné  par  le  Saint- 
Office,  le  5  mars  1795.  Delmare  n'assista  ynode 
de  Pistoie,  'i  n'écrivit  pas  en  sa  faveur,  comme  l'a 
prétendu  Grégoin     Le  ■">  uovembre   1817,  il  adre 

|ue  de  l'ise  une  déclaration,  par  laquelle  il  se 
soumettait  au>    décret     de  l'Inde*   el  du  Saint-Office 
.uni  qu'aux  constitutions  el  déi  Isîons  dogmatiqui 
oquanl  toul  ci  qu'il  aurait  «lit  et  écril  d 
traire.  Celte  déclaration  fui  i  n  Rome,  el  le  car 

ilin.ii  lui.  n  lia  l'auteur.  Delmare  rompil  toute 

relation  avec  les  jansénistes,  el  notamment  avec  l'abbé 
Clément.  Il  mourul  le  17  février  1824,  dan      1 00   innée. 

na  i  .1  mi    de  la 

n.  du  12  juin  1822, 

i  .  Manu 


DEL  RIO  Martin-Antoine,  théologien,  jurisconsulte, 
philologue  et  historien,  naquit  à  Anvers  le  17  mai  1551. 
Enfant  précoce  et  studieux,  il  étudia  au  collège  de  Lierre, 
alors  florissant,  les  langues  classiques  qu'il  posséda 
parfaitement,  ainsi  que  l'hébreu  et  le  chaldéen.  Il  parlait 
aussi,  disent  les  biographes,  avec  une  égale  facilité  le 
flamand,  l'allemand,  l'espagnol,  l'italien  et  le  français. 
A  Paris,  au  collègedes  trois  langues  ou  collège  de  France, 
il  eut  pour  maître  d'éloquence  Denys  Lambin,  et  au 
collège  de  Clermont  pour  professeur  de  philosophie 
Maldonat,  déjà  célèbre.  Élève  de  l'université  de  Douai 
que  Philippe  II  venait  de  fonder,  puis  de  l'université 
de  Louvain  où  il  gagna  l'affection  de  Juste  Lipse,  il  se 
passionna  pour  les  travaux  d'érudition.  Juste  Lipse 
cite  avec  admiration  ce  fait  que  le  jeune  étudiant  avait 
étudié  et  annoté'  plus  de  onze  cents  auteurs.  Bachelier 
en  droit  civil  dès  1570,  il  publia  aussitôt  des  notes  sur 
Solin,  sur  Claudien  et  sur  Sénèque  le  Tragique,  qui 
attirèrent  sur  lui  l'attention  des  humanistes.  Docteur  en 
droit  de  l'université  de  Salamanque,  en  1574,  il  fut 
nommé  presque  aussitôt,  parle  roi  d'Espagne,  membre 
du  conseil  de  Brabant,  où  sa  science  profonde  du  droit 
lui  mérita  d'être  promu,  à  peine  âgé  de  28  ans,  aux 
fonctions  de  vice-chancelier  et  de  procureur  général. 
A  la  mort  de  don  Juan  d'Autriche,  dégoûté  de  plus  en 
plus  du  monde,  il  envoya  au  roi  sa  démission  de  toutes 
ses  charges  et  entra  dans  la  Compagnie  de  Jésus,  le 
il  mai  1580,  à  Valladolid.  Après  avoir  étudié'  la  philoso- 
phie, la  théologie  et  l'Écriture  sainte  à  Louvain  et  à 
Mayence,  il  fut  nommé  professeur  de  théologie  à  l'uni- 
versité de  Douai,  puis  chargé  du  cours  de  philosophie 
morale  au  collège  de  Liège.  C'est  de  là  qu'il  entretint 
une  active  correspondance  avec  Juste-Lipse,  alors  à 
Leyde,  et  qu'il  parvint  à  convertir  son  illustre  ami  au 
catholicisme.  Les  lettres  de  Del  Rio  à  Juste  Lipse  ont 
été  insérées  par  Burmann  dans  son  Sylloge  epis/ola- 
rum  a  viris  illustrions  scriptarum,  Leyde,  1727,  t.  i, 
p.  501-552.  Nommé  professeur  d'Écriture  sainte  à  Gratz 
en  Styrie,  où  une  université  venait  de  s'ouvrir,  il  prend 
la  route  de  Mayence  et  trouve  le  temps  d'éditer  dans 
cette  ville  les  E.nigmata  de  saint  Aldhelme.  A  Gratz,  il 
commence  par  se  faire  recevoir  docteur  en  théologie  et 
ouvre  aussitôt  son  cours  d'exégèse  qui  lui  attire,  avec 
nu  glorieux  renom,  la  faveur  croissante  des  archiducs 
d'Autriche.  Après  avoir  édité  son  commenlaire  sur  le 
Cantique  des  cantiques,  il  est  appelé'  à  Salamanque 
comme  professeur  d'exégèse,  puis  envoyé  de  nouveau 
en  Belgique,  où  il  arriva  gravement  malade.  Il  mourut 
à  Louvain  le  li)  octobre  1808.  Ses  divers  commentaires 
des  Livres  sacrés  eurent  de  son  temps  une  grande  célé- 
brité. Citons  :  I"  lu  Ganticum  canticorum  Salomonis 
commentarius  litleraliset  catena mystica,  Ingolstadt, 
1804;  Paris,  1608;  Lyon,  1611  ;  2"  Commentarius  Utte- 
ralis  iu  Threnos  Jeremim,  Lyon,  L808;3°i:>Aar«s  sacra 
Sapientisv  teu  commentarii  seu  glossœ  littérales  in 
Genesim,  Lyon,  1608;  i  Adagalia  sacra  V.  et  N,  T., 
Lyon.  Bilo.  La  théologie  mariale  lui  est  redevable  d'un 
important  ouvrage  de  polémique  et  de  piété  :  Opusma- 
rianum,  Lyon,  1607.  Mais  ce  fut  son  traité  sur  la  magie 
el  les  sorts  qui  valut  à  Del  Rio  la  part  la  plus  grande, 
non  point  la  meilleure  toutefois,  de  sa  célébrité  :  Dis- 
quisitionum  magicarum  I.  VI,  Mayence,  1593,  1600, 
1603,  1606,  1624;  Louvain,  1599,  1601;  Lyon,  1608,  1612; 

ne,   1633,  1667,   1676;   Venise,  1746,  etc.,  ou vi 
où  l'érudition  l'emporte  sur  la  critique,  mais  qui  <ie\  inf 
alors  le  manuel  de  ion  s  les  jurisconsultes,  Del  Rio  prend 

s,, in  d'avertir  ses  lecl 

qu'il  rapporte  sur  la  fol  d'autrui  ne  méritent  pas  une 
mee,  mais  qui  dl   la  marqua  dune 

coupable  légèreté  de  les  rejeter  tons.  Au  reste,  le 
procl  '  la  critiqui   protestante  i  la  naïve 

crédulité  du   P.  Del  Rio,  s'appliquent  plua  justement 
t. mis  de  ci  te,  qui  ont 


263 


DEL   RIO   -    DÉMÉTRIUS   DE   CYZIQU  E 


soulève'*  si  violemment  les  passions  populaires  dan 
questions   de  Borcellerie.  Il  convient  d'ajouter  à  tous 
ces  travaux  les  éditions  < l * •  .s  œuvres  poétiques  de  saint 

Orient    el    de    saint    Alcllieline     :    S.    Orient*    '■/" 

Tlliberitani  Commonitorium,  Anvers,  1600;  Sala- 
manque,  1604;  Wittemberg,  I7'.i(>;  dom  Marténe  a  donné 
de  ces  œuvres  une  édition  plus  complète  et  plus  correcte  ; 
S.  Aldkelmi  /u-isei  occidentalium  Saxorum  epûcopi 
poetica  nonnulla,  Mayence,  1601. 

La  vie  de  Martin-Antoine  Del  Rio  a  été  écrite  par  le  P.  Roe- 
weyde  (et  non  par  le  P.  Suys,  sur  lequel  hésite  Sommervogel, 
i.  v,  col.  1904)  sous  le  pseudonyme  de  Herman  Langeveld, 
Anvers,  1609.  Dans  la  Collection  de  Mémoires  relatif*  à  l'his- 
toire de  Belgique,  se  trouve  une  excellente  notice  due  à  M.  De  - 
vigne,  éditeur  des  mémoires  de  Martin-Antoine  Del  Hio  sur 
les  troubles  des  Pays-Bas  durant  l'administration  de  don 
Juan  d'Autriche  (1570-1578),  3  in-8%  Bruxelles,  1869-1871.  on 
peut  voir  encore  Bayle,  Réponse  aux  questions  d'un  provin- 
cial, t.  m,  i>.  235-2%;  (de  Keillenbeigi,  De  Justi  Li]>sii  cita  et 
scriptis,  Bruxelles,  1823.  Pour  les  écrits,  Sommervogel,  Biblio- 
thèque de  la  C"  de  Jésus,  t.  v,  col.  18'.li-19l)5;  Hurtcr,  Xomen- 
clator,  t.  I,  p.  191-194;  Kirchenlexikon,  t.  III. 

1'.  Bernard. 
DÉMÉTRACOPOULOS   Andronic,  l'un  des  meil- 
leurs théologiens  de  la  Grèce  moderne.  Né  à  Cala  vr  y  ta, 
dans  le  Péloponnèse,    en  1825,    Démétracopoulos    alla 
achever  ses  études  en  Allemagne,  où,  depuis  1857,  il  se 
lixa  définitivement  comme  curé  de  l'église  grecque  de 
Leipzig.  Nommé,  en  1869,  docteur  honoraire  de  l'uni- 
versité de  Leipzig,  il  mourut  d'une  bronchite,  le  '21  oc- 
tobre 1872,    au    retour  d'un    voyage   d'exploration   en 
Orient.  Paléographe  distingué,  il  attacha  son  nom  à  un 
bon   nombre    d'éditions    d'anecclota.    On    a  de    lui    : 
1°   NixoXctoo    è7ti(7y.o7tov;    MsO'ôvv*;    Xôfoi     o-jo     y.a-i    :î; 
alpÉo-cto;  T(ov    XeyJVTbiv  tï)v   o-cor-fjptov    -JTtEp    r,u.u)V   f)-j<7:av 
[j.ï|  xr,  Tp'.T-j7roTTiT!i)  Ûïôt^Ti  TipoTOc/Or, va :,   à).Àk  nït  7taTp\ 
p.ôvw,   in-8°,   Leipzig,   1865;   2°  'ÊxxX-nnaaTtXT)  piëXio- 
Sqxir]  Èu.7tepii/_o,j'7a  IXXïjvrov  f)EoX6-i,a>v  0"jvYpip.|j.aTa,  in-8°, 
Leipzig,  1866,  t.  i  ;  ce  I.  i,  le  seul  qui  ait  paru,  contient 
des  traités  inédits  de  Zacharie  de  Mitylène.  Nicétas  Sté- 
Ihatos,  Jean  de  Phourna,  Lustrale  de  Nicée,    Nicolas 
de  Méthone,  Nicéphore  Blemmide,  Georges  Acropolite  ; 
3"    'IoTOpc'a    to-j    <7j£i<xu.aTo;   tt\î  XaTtvtxr,;   sxxXr|o-!a;  aTib 
x^ç  ôpOîâoÇo'j  ÉÀXvivticTjç,  Leipzig,  1867;  4°  Eîtyeviov  toï 
\'>'j-j't,-(ipt(ù;  7cpo£"(xaT£ta  uEpi  MouatxîjCi  Trieste,  1868  (ex- 
trait de  la  Néa  'Ilp-épa);  5°  Na8xvar|X  XOya  tov  'A'jr,- 
vxt'o'j  Èy/Eipt'ôiov  7t£p\  to-j  7rp(i)Tc:'o'j   to-j  Ili^a,  Leipzig, 
1869;   l'éditeur    n'a   pas   connu   l'excellente   réfutation 
en  trois  langues  qu'a  donnée  de  ce  pamphlet  le  conven- 
tuel Egidius  a'Cesaro  dans  ses  Apologiœ  in  Catalatinon 
A  Ht  lianaclis  Xhichse  Atheniensis,  Venise,  1678  ;  6°  Ao/.c- 
u,iov  ïtepl  tov   (3:ou  xoù  to>v    avyy p au.u.c<7 wv  Mï|Tpo?âvou{ 
tvj      KpiToJto'jXo'j      7ra7p'.àp/ou       'A).£;avôp£:aç,      in-8° 
Leipzig,  1870;  7"  llpoirOrjxac  xx't  ScopOwaet;  si;  ri\v  NeoeX- 
>  r,viy.rlv  'l'iXoXo-p'av   RtovffTavtfvovi  — iOa,  in-8",   Leipzig, 
1871  ;  84  "  'EiravopBcdffetc    o-focXuÂTcov    icapaTTipriOe^vTûv  Èv 
t     NsoeXXvjvtxTj  $iXoXoff«  roû   K.   i.iOï,  in-S",  Trieste, 
1872;    9°     'OpOoSoÇoç    cEXXà{    iytot    -iy.     rôv    Ypatf/âv- 
t  ov  xarà  A.atfv<ov   -/.ai  Ttîp'i  0"UYypa;j.|xâTa)V  ocvtûv,    in  8 
Leipzig,  1872.    Lien  que  dirigés   contre    les    Latins    ,  t 
animés  de  la  passion   habituelle  aux  Grecs  en  ces  ma- 
liiTes,  ces  (liiers  ouvrages  sont  des  plus  utiles  à  con- 
sulter, car  l'information  de  l'auteur  est  généralement 
sûre.  L.  Petit. 

l.DÉMÉTRIU8Chomatlanua, archevêque  d'Achrida 
el  canoniste  grec  du  un*  Biècle,  De  sa  vie  même,  on  ne 
sait  que  forl  peu  de  chose.  Chartophylax  de  l'archevêque 

il  \iiirida.  il  devint  titulaire  de  ce  siège  en  1216  ou 
1217.  Il  l'occupai!  encore  en  1234  ou  1235  :  cette  date 

nous  est  fournie  par  la  consultation  qu'il  eut  à  donne] 
dans  un  long  procès  d'héritage  engagé  devant  le  métro 
politain   de   Thessalonique.    Pitra,  Analecta  ta 

tsica,  t.  vu,  col.  ISS.  Parmi  les  principaux  actes  de 


sou  administration,  il  faut  citer.  I  cause  de  U 
tionnelle  importance,   s;,  lettre  i  saint  Sabas,  l'arche- 
vêquede  Serbie,  sur  la  juridiction  respective  des  deoi 
Églises  d'Achrida  etd'Ipek,  en  mai  IMO;  lecouron 
menl  «lu  despote  Théodore  Du 

de  1223,  el  la  correspondu  ne.-  avec  le  patriarche  de 
Nicée  Germain  II  au  sujet  de  l'ordination  de  l'évéque 
rvia,  acte  tenu  pour  anticanonique  par  le  patriar- 
che de  Nicée  cel  échange  de  lettres  aigres-douce» 
eut  lieu  vers  1233,  loi-  de  la  mission  en  Kpire  de 
I  exarque  patriarcal  Christophore  d'Ancyre.  Au  reste, 
si   les  lettres  du  prélat  d'Achrida   ne  -ont   pas  to 

es,  elles  présentent  toutes  un  intérêt  capital  tant 
pour  l'histoire  de  l'époque  que  pour  la  connaissance 
du  droit  canonique  byzantin,  dont  Chomatianus  est 
l'un  des  meilleurs  représentants.  Elles  ont  été  édil 
pour  la  première  fois  par  le  cardinal  l'itra,  d'après  le 
manuscrit  62  de  la  bibliothèque  de  Munich,  dans  le 
t.  vu  de  ses  Analecta  sacra  et  classica  Sjncilegto  So- 
lesmensi  parala,  in-8",  Paris,  1891  . 

M.  Drinov,  Sur  certains  travaux  de  Démétrius  Chom 
nus  comme  documents  historiques  (en  russe).  Viz.  Vrel 
nik,  t.  I,  p.  319-340;  t.  n,  p.  1-23;  A.  M.,mplierraU>s,  ibid., 
t.  n',  p.  42G-438;  J.  Palinov,  Christian skoé  Chténié,  1891,  f asc . 
3-4;  1892,  fasc.  5-6;  D.  Ruzie,  Die  Bedcutung  des  Demetrios 
Cltornatianos  fur  dte  Grunduurjsqeschichte  der  serbiscKen 
Autokephalkirche,  in-8",  Iéna,  18  I 

L.   Petit. 
2.  DÉMÉTRIUS  DE  CYZIQUE,  apologiste  grec 
du  Xe  siècle.  De  sa  vie  nous  ne  savons  que  deux  choses, 
qu'il  fut  métropolitain  de  Cyzique,  et  qu'a  la  demande 
de  Constantin  Porphyrogénète   (912-959),  fils  de  Léon 
le    Sage  (886-911),  il  composa   un    petit  traité  sur  les 
erreurs  des  Jacobites  et  des  Chalzitzariens  ou  Armé- 
niens,  dont  l'origine  a   fort  tourmenté    les   éditeurs.  ■ 
Publié  une  première  fois  en   latin  par  Possevin  dans 
son   Apparalus,   p.    100,    et   reproduit   par  la   B, 
théque  des  Pères  de  Lyon,  t.  xu,  p.  813.  il  fut  édité 
en  grec  et  en  latin  par  CombeRs  dans  son  Auctanum 
novum,  t.  il,  p.  261,  comme  une  œuvre  anonyn, 
ne  fut  qu'après  coup,  par  l'inspection  d'un  manuscrit 
palatin,  que  l'érudit  dominicain  découvrit  le  véritable 
auteur  et  signala  sa  méprise  dans  une  note  à  son  i  di- 
tion.  Cela  n'empêcha  pas  Galland,  sur  la  foi  de  je  ne 
sais  quelle  autorité,  d'attribuer  l'opuscule  à  Philippe 
le  Solitaire,  qui  écrivait  sous  Alexis  Comnène    I08i- 
1118);  et,  chose  surprenante,  c'est  sous  le  nom  de  Phi- 
lippe le  Solitaire  que  l'opuscule  se  trouve  dans  lligni  . 
P.   G.,  t.   cxxvu,  col.  879-902.   11  est  vrai   que   : 
conde  partie  du  traite*,  la  Narratio 
est  reproduite  une   seconde   fois   par  Migne,    sous   le 
nom  d'Isaac  l'Arménien,  au  t.  rwxn.  col.  1237-1257; 
niais  il  se  pourrait  que  cette  partie  de  l'ouvrage  ne  fût 
pas  de  Démétrius,  question  qu'une   nouvelle  enquête  i 
travers    les  manuscrits   permettrait   seule   de  trancher. 
S]  cette  partie  esl  du  métropolitain  de  Cyzique,  com- 
ment expliquer  qu'il  ail  arrêté  sa   liste  des  catholicos 
d'Arménie  i  Isaac  111    Isoraporétsi   677-703),  a  moins 
qu'il  ne  -e  soit  contenté  de  copier  sans  plus  son  pré- 
décesseur  dans  la  matière.  Quoi  qu'il  en  soit  de  la 
Narratio  de  rébus  Arménie  .  il  esl  certain  que  le  traité 
contre  les  Jacobites  esl  bien  de  Démétrius,  au  témoi- 
,1  un  grand  nombre  de  manuscrits,  par  exemple. 
VAlhous  927,  3666,  3758,  1501;  le  Vaticanus  Palal 
356,  le  Scorialensis  11.   1.   15;  le  ConstantinopoliU 
SanctiSepulcri  391,  le  Mosquensis  319  el  323.   Dans 
la    plupart    d'entre    eux,    l'ouvrage    s'ouvre    par    une 
épllre  dédicatoire   encore   inédite   à   l'empereur  Con- 
stantin. 

Quelques  critiques,  comme  l.equien  et  récemment 
encore  l'auteur  du  Répertoire  des  sources  historique* 
,/„  m  bibliographie,  2    édit.,  Paris,  1904, 

t.  i.  col.  1166,  identifient  le  controversiste  dont  il  \ient 


265 


DÉMÉTRIUS    DE    CYZIQUE    —    DÉMISSION 


266 


d'être  question  avec  Démétrius  le  Syncelle,  qui  fut 
également  métropolitain  de  Cyzique  :  c'est  une  méprise 
évidente.  Le  premier  a  vécu,  on  l'a  vu,  sous  Cons- 
tantin VII  Porphyrogénète,  tandis  que  le  second 
n'occupa  le  siège  de  Cyzique  qu'un  siècle  plus  tard, 
sous  Romain  III  Argyre  (l02S-103i)  et  Michel  IV  le 
Paphlagonien  (1034-1041).  On  a  de  ce  second  Démétrius 
une  intéressante  contemplation,  y.ii.ï-rr  sur  les  empê- 
chements au  mariage,  Leunclavius,  Jus  grœco-roma- 
t.  i,  p.  397-406;  P.  G.,  t.  cxix,  col.  1097-1116; 
Rhalli-Potli,  Synlagma,  t.  v,  p.  35i-366;  et  une  ré- 
ponse canonique  sur  les  degrés  d'affinité  entre  trois 
familles.  Leunclavius,  loc.  cit.,  p.  406-408;  P.  G.,  loc. 
cit.,  col.  1116-1120;  Rhalli-Potli,  loc.  cit.,  p.  366-368. 
C'est  sans  doute  de  lui  que  proviennent  encore  trois 
courtes  dissertations  contenues  dans  le  Mediolanensis 
682.  fol.  367-375.  Le  curopalate  Jean  Skylitzès,  au  début 
de  son  histoire,  indique  parmi  ses  sources  une  chro- 
nique aujourd'hui  perdue  d'un  Démétrius  de  Cyzique, 
qu'il  faut  identifier  avec  le  second  et  non  avec  le  pre- 
mier des  deux  métropolitains  de  ce  nom.  K.  Krumba- 
cher,  Gesclùclite  der  byzanlinischenLitteratur,  2eédit., 
p.  399,  avoue  ne  rien  savoir  de  ce  Démétrius.  On  sait 
pourtant  qu'au  mois  de  janvier  1028,  Démétrius,  déjà 
métropolitain,  faisait  partie  du  synode  de  Constanti- 
nople,  P.  G.,  t.  i:\ix,  col.  837;  qu'en  l'an  1037,  il  in- 
trigua avec  quelques-uns  de  ses  collègues  pour  ren- 
verser le  patriarche  Alexis  et  mettre  à  sa  place  l'eu- 
nuque Jean,  frère  de  l'empereur  Michel.  P.  G.,  t.  cxxn, 
col.  249.  Ces  dates,  absolument  certaines,  ont  bien  leur 
importance.  Rappelons  encore  un  autre  détail  :  dès 
son  avènement  à  l'empire,  Romain  Argyre,  qui  avait 
notre  Démétrius  en  grande  estime,  lui  conféra,  ainsi 
qu'à  deux  autres  de  ses  collègues,  le  titre  de  syncelle. 
Cela  eut  lieu  peu  avant  le  25  mai  1029,  car  Sainte- 
Sophie  fut  témoin  ce  jour-là,  à  l'occasion  de  la  Pente- 
côte, d'une  petite  querelle  de  préséance,  les  métropoli- 
tains du  synode  refusant  de  céder  aux  nouveaux 
dignitaires  la  place  d'honneur.  P.  G.,  t.  cxxir, 
col.  217.  220 


G 

L.  Petit. 


3.     DÉMÉTRIUS     DE     LAMPE,     hérétique     du 

xn«  siècle,  originaire  de  la   petite  ville  de  Lampe,  dans 

la    Phrygie  du   sud-ouest,  près  de  la   ville  actuelle  de 

Sondourlou  ;  il  avait   rempli  en  f  urope,  spécialement  en 

Allemagne,  plusieurs  ambassades  importantes,  quand, 

itour  de  l'une  il  elles,  il  se  mil  à  reprocher  publi- 

quemenl  aux  Occidentaux  leur  doctrine  sur  le  Fils  de 

qu'ils  tenaient  tout  à  la  fois,  disait-il,  pour  égal 

el  inférieur  au  Père.  Ce  fut  un  grand  scandale  chez  les 

urs  de   Byzance  de   voir  un  homme  étranger  au 

■  mettre  une  opinion  théologique.  Le  débat 

•  ■  par  Démétrius  n'e  n  fui  pas  moins  passionnant  : 

clercs,   moines,   laïques,    empereur,   portefaix,  tout  le 

monde  B'en    mêla    II      agissait   surtout  de  savoir  quel 

il  convenait  d'attribuer  à  la  parole  évangélique  : 

P  re ett  plu*  grand  que   moi,  C'était  pi 

h  vieille  discussion  des  iriens.  Apres  de  vains  efforts 
pour  ra ner  Démétrius  dans  le  droit  chemin,  l'em- 
pereur Manuel  Comnène,  qui    avait  dès  le  début  pris 

l.i  direction  du  débat,  s< il  la  question  an  synode  qui 

lina   'M    plusieurs    séances,   mars  el   avril   lliiii. 
ivnl,  i  emperi  ur  sanctionna  par  un  «'dit  solennel 

""I  île  .   mais  tout   ne  fui  point  Uni 
promulgation.  Durant  quatre  an    encore,  la  dis- 
ion  continu;,    d'agiter    les    esprits     Chose  curieuse. 

tandis  que  nous  possédons  des  renseignements 

|  mi-  sur  les  partisans  principaux  de  Démétrius, 
nous  n'avona  mr  lui  aucune  donnée  précise,  hormis 
lelques  indications   fournies  par  l'historien  I  in 
l    M.   n    2,  /'    '.  ,  t.  cixxm,  col    616-034    Di 
par    l'hérétique  poui   défendn 
me,  il  n'es!  rien  n   té,  pi taie  le  titre,  Nou 


nous  permettons,  pour  finir,  de  renvoyer  le  lecteur  à 
l'étude  que  nous  avons  donnée  ailleurs  sur  cette 
curieuse,  mais  futile  controverse.  Voir  nos  Documents 
inédits  sur  le  concile  de  1166  et  ses  derniers  adver- 
saires, dans  les  Vizantiskii  Vremennik  de  Saint- 
Pétersbourg,  1904,  t.  xi,  p.  465-493. 

L.  Petit. 

DEMISIANOS  Jean,  né  à  Zante  ou  peut-être  à 
Cépbalonie,  fit  ses  études  au  collège  Saint-Athanase  à 
Rome  de  1588  à  1595  et  y  professa  le  grec  pendant  trois 
ans.  Après  avoir  pris  à  Padoue  le  grade  de  docteur,  il 
dirigea  une  école  à  Zante  et  y  prêcha  avec  succès  le 
catholicisme,  ce  qui  lui  attira  une  violente  persécution. 
Il  revint  à  Rome  où  il  fut  un  des  familiers  du  cardinal 
Octave  Bandini  et  bibliothécaire  du  cardinal  François 
Sforza.  Les  ducs  de  Mantoue  l'envoyèrent  à  Paris  où  il 
mourut  en  1610.  Nous  n'avons  de  lui  que  deux  lettres 
et  quelques  poésies. 

E.  Legrand,  Bibliographie  hellénique  au  xvn' siècle,  t.  ni, 
p.  180-184. 

S.  Pétri  DÈS. 

DÉMISSION  (dimissio,  resignatio,  renuntiatio! 
ejuratio).  C'est  l'acte  par  lequel  on  fait  abandon  d'un 
bénéfice,  dignité,  fonction,  administration,  etc.,  entre 
les  mains  du  supérieur  légitime  qui  l'accepte.  —  I.  Ex- 
plication de  la  délinition.  II.  Qui  peut  démissionner? 
III.  Quelles  causes  justifient  la  démission?  IV.  La  dé- 
mission peut-elle  être  conditionnelle?  V.  Peut-on 
reprendre  sa  démission? 

I.  Explication  de  La  définition.  —  1°  Abandon.— 
L'abandon  doit  être  volontaire.  Extorqué  par  la  force 
ou  même  simplement  par  la  crainte,  il  pourrait  donner 
lieu  à  une  exception  quod  metus  causa  que  le  juge 
devrait  admettre. 

2°  D'un  bénéfice.  —  Les  anciens  auteurs  ne  parlaient 
en  cette  matière  que  des  bénéfices,  mais  l'état  actuel 
de  l'Église  oblige  à  envisager  d'autres  cas  de  démission 
et  à  régler  des  espèces  beaucoup  plus  importantes  au 
bien  public  que  les  résignations  des  bénéfices  simples 
de  l'ancien  régime. 

3°  Entre  les  mains  du  supériew  légitime  qui  l'ac- 
cepte. —  Le  supérieur  légitime  dont  il  est  ici  question 
est  le  pape,  quand  il  s'agit  de  la  dignité  épiscopale.  Les 
prétentions  en  sens  contraire  de  Napoléon  Ier  n'ont 
pas  été  admises  parle  Saint-Siège.  Voir  d'IIaussonv  ille. 
L'Église  romaine  et  le  premier  empire,  Paris,  1868, 
t.  vi.  Un  arrêt  du  parlement  du  28  mars  1765  et  aupa- 
ravant un  arrél  du  conseil  du  roi  du  26  avril  1657 
avaient  reconnu  le  droit  exclusif  du  pape.  On  en  fit 
état  contre  les  prétentions  de  Charles  \  en  1828. 
Cf.  Prompsault,  Dictionnaire  de  droit  et  de  jurispru- 
dence en  matière  ecclésiastique,  édit.  Migne,  1849, 
t.  n,  col.  52,  53.  Pour  les  autres  bénéfices,  le  principe 
est  que  :  Qui  potesl  conferre  beneficium,  etiam  ejus 
renuntialionem  acceptait'  valeat.  La  règle  n'est  cepen- 
dant pas  sans  quelques  exceptions.  Si  plusieurs  per- 
sonnes ou  corps  concourent  à  la  collation  d'un  bénéfice, 
l'acceptation  de  la  démission  doit  émaner  de  ces  diffé- 
rentes sources  de  collation.  Tel  est  le  cas  dune  élec- 
tion suivie  de  la  confirmation  parle  supérieur,  tel  est 
encore  relui    de   la    ]  n    par  un    patron    suivie 

de  l'institution  par  l'autorité  ecclésiastique.  Mais  il 
faut  noter  qu'un  laïque,  quelle  que  soi!  sa  dignité,  ne 
peut  être  considéré  comme  le  supérieur  ecclésiastique 
d'un  clerc  et  que,  par  suite,  malgré  le  droit  de  patro 
nagetlont  il  pourrai)  être  honoré,  il  n'a  pas  qualité 
pour  intervenir  dan-  i  si  i  eptation  de  la  démission  du 

titulaire  d'un    L.  ml  ipplique  nu  nie  SU1 

et  aux  empereurs  ayant  droit  de  i  sauf  s'ils 

ont  reçu  nui  ce  point  spécial  un  privilège  apostolique 
Dans  l'étal  actuel  de  i  i  ^li-e  de  i  rance,  on  \<>ii  que 

les  fond  i<  ou  bi  m  ; 

étant  librement    par  l'évéque,  c'esl  lui  seul 


20  7 


DEMISSION 


2(i8 


qui  ;i  qualité  pour  recevoir  el  accepti  r  les  démissions. 
Recevoir  les  démissions  n'eBl  pas  plue  <l<-  la  compé- 
tence du  vicaire  général  que  faire  les  nominations.  I 

sont  au  m 'înl  re  des  actes  de  juridiction  que 
lue  est  supposé  B'étri  réservés  en  donnant  des 
lettres  de  grand-vicaire.  Il  faudrait  qu'il  j  fût  fait  une 
mention  expresse  de  ces  j  ouvoirs  pour  que  le  vicaire 
général  les  eût.  Il  faul  appliquer  au  chapitre  cathedra 
sede  vacante  le  principe  général  qu'il  ne  peut  ace» 
les  démissions  <|ue  pour  les  fonctions  qu'il  peut  confé- 
rer. Il  peut  conférer  seul  alors  les  bénéfices  qui,  en 
temps  ordinaire,  sont  à  la  fois  de  sa  collation  et  de  celle 
de  l'évéque;  si  donc  le  titulaire  d'un  de  ces  béni 
oll're  sa  démission,  le  chapitre  pourra  l'accepter.  Mais 
pour  ceux  que  l'évéque  confère  seul,  le  chapitre,  ne 
pouvant  pas  les  conférer  sede  vacante,  ne  pourra  non 
plus  recevoir  la  démission  des  titulaires. 

Chaque  fois  que  l'abandon  volontaire  se  produit, 
accepté  par  le  supérieur  légitime,  il  y  a  démission.  Mais 
cette  renonciation  peut  se  réaliser  sans  avoir  été  for- 
mulée en  termes  exprés,  à  plus  forte  raison  sans  avoir 
été  rédigée  par  écrit.  Il  y  a  de  nombreux  cas  de  démis- 
sion tacite.  Le  cas  le  plus  fréquent,  et  pour  ainsi  dire 
le  seul  pratique  à  notre  époque,  est  l'acceptation  d'un 
bénéfice  incompatible  avec  celui  dont  on  est  titulaire. 
Un  curé  renonce  à  sa  cure  par  le  fait  qu'il  en  accepte 
une  autre,  les  fonctions  de  vicaire  général  ou  un  évô- 
ché.  Le  fait  d'avoir  seulement  pris  l'habit  religieux, 
sans  avoir  réservé  son  bénéfice,  constitue  aussi  un  cas 
de  renonciation  tacite. 

L'acceptation  de  la  démission  par  le  supérieur  est 
nécessaire  pour  que  le  bénéficier  soit  délié  de  ses  obli- 
gations. Il  peut  être  contraint  par  les  censures  à  ne 
pas  [déserter  le  poste  qui  lui  avait  été  confié,  ou  à  y 
revenir.  Sans  doute,  c'est  un  principe  que  chacun  peut 
renoncer  à  son  droit,  mais  à  condition  de  ne  pas  nuire 
à  autrui  en  négligeant  un  devoir  corrélatif  de  ce  droit. 
A  cause  du  lien  tout  spécial  qui  rattache  l'évéque  à 
son  Église,  lien  assimilé  à  un  mariage  spirituel,  une 
pareille  désertion  serait  particulièrement  grave.  L'évé- 
que ne  peut  donc  jamais  abandonner  son  siège  sans  la 
permission  expresse  du  souverain  pontife,  et  cela  même 
pour  entrer  en  religion,  malgré  les  facilités  spéciales 
que  la  loi  reconnaît  aux  autres  bénéliciers  dans  ce  cas 
exceptionnel. 

Le  c.  Licet,  18,  De  regularibus,  III,  xxxi,  reconnaît 
en  effet  aux  bénéliciers  le  droit  d'entrer  en  religion  con- 
tre la  volonté  de  l'évéque.  La  conséquence  logique 
serait  qu'il  ne  soit  pas  nécessaire  de  lui  demander  à 
proprement  parler  une  acceptation  de  démission  qu'il 
ne  peut  refuser  sans  se  mettre  en  opposition  avec  les 
canons.  Mais  encore  faut-il  se  souvenir  de  l'obéissance 
promise  à  l'évéque  au  jour  de  l'ordination,  de  la  né- 
cessité où  l'évéque  va  se  trouver  tle  pourvoir  au 
remplacement.  On  demandera  donc  à  l'évéque  *oit  de 
réserver  le  bénéfice  pendant  le  temps  du  noviciat,  ce 
qui  est  le  droit  commun,  c.  îv.  De  regularibus,  111. 
xiv,  in  6°,  soit  d'accepter  la  démission.  Le  départ  du 
bénéficier  peur  un  ordre  religieux,  effectué  sans  que 
l'évéque  ait  été  mis  à  même  de  manifester  sa  volonté, 
pourrait  exposer  le  bénéficier  à  se  voir  rappelé,  s'il 
était  prouvé  que  son  dépari  porte  un  préjudice gi 
l'église.  De  plus,  la  seule  prise  d'habit,  effectuée  »lans 
ces  conditions,  équivaut  à  une  démission  tacite  et  si  le 
novice  ne  persévérait  pas  dans  sa  vocation,  il  trouve- 
rait, en  rentrant  dans  le  monde,  son  bénéfice  occupé 
par  un  autre. 

Voilà  pour  les  bénéfices  proprement  dits.  Mais  que 
faut  il  penser  des  autres  fondions  ecclésiastiques 

es  par  l'évéque  à  un  prêtre  :  cures  amovibles, 
aumôneries,  vicariats,  etc  I  es  textes  du  droit,  rédigés 
dans  le  Btyle  d'une  autre  époque,  ne  parlent  que  des 
bénéfices,  mais  les  mêmes  raisons  demandent  que  les 


démissions  soient  r<  gies,  en  matière  de  simples  <>(! 
par  les  mêmes  régies  Aussi  la  S.  C.  du  Concile  à-t- 
elle, en  ces  derniers  temps,  répondu  dans  le  sens  de  la 
législation  bénéficiaire  &  des  questions 
ordinaires  de  Toulouse  el  de  Parme.  L'archevêque  de 
Toulouse  demandait  I  l"  parochii  amovibUibut  li- 
ceat  eo  quod  non  habeanl  bénéficia  w  is  (le 

bénéfice  «'tant  perpétuel  par  définition),  sine  ordinarii 
licenlia,  parochiis  suis  renuntiaref  2  An  episcopo 
liceal,  ex  obedientim  précepte,  adhibilit  etiant,  si 
opiis  sit ,  censuris,  cos  cogère  ><t  in  munere  persistant t 
La  S.  C.  du  Concile  a  répondu  le  9  mai  lî 
]•>">,     négative  ,    affirmative.    L'évéque    de 

Parme  a  provoqué  une  réponse  plus  générale  en  expo- 
sant des  espèces  plu-;  variées  :  I"  Vtrutn  liceat  sacer- 
>us,  qui   bénéficia  veri  >•■  lient,  et 

speciaiim  vicariit  curalis,  economis  et  capello 
derelinquere  officia  ab  episcopo  Mis  commissa,  non 
obtenta  prius  ejus  licentia:'  2»  An  ex  prsecepto  obe- 
dienlix,  adhibitis  etiam,  si  opus  fuerit,  censuris, 
episcopus  jus  liabeal  eos  cogendi  ut  persistant  in  suo 
offuio,  saltem  usquedum    </  -  ère  valeat  i>er 

idoneum  successorem  ?  La  S.  C.  du  Concile  a  répondu 
le  11  janvier  1886  :  Ad  lam,  prout  exponitur,  néga- 
tive; ad  2U™,  affirmative,  quoties  ex  nfficii  ditnis- 
sione  grave  delrimentum  curas  animantm  sit  ob- 
venlurum.  Est  tanien  episcopi  sollicite  providere  de 
idoneo  successore,  pressertim  cum,  ratùmabili  de 
causa,  (liniissio  expostulatur. 

II.  Qui  peut  démissionner?  —  La  règle  est  que  tout 
bénéficier  peut  démissionner  et  qu'on  peut  démission- 
ner de  tout  bénéfice.  On  peut  même  renoncer  à  la  pa- 
pauté, et  il  y  en  a  un  illustre  exemple.  Il  y  a  cependant 
quelques  restrictions  à  ce  droit,  fondées  sur  l'ordre 
public. 

La  principale  provient  de  la  bulle  de  Pie  V,  ijuanta 
Ecclesiœ,  n.  .">8.  du  3  avril  1568,  où  le  ^  3  interdit  à  tout 
clerc  constitué  dans  les  ordres  majeurs  de  résigner  son 
bénéfice  ou  son  office,  s'il  n'a  par  ailleurs  de  quoi  sub- 
venir;! sa  subsistance.  Le  concile  de  Trente  avait  d»;jà 
obéi  à  une  préoccupation  analogue,  sess.  XXI, 
De  reform.,  en  déclarant  nulle  la  résignation  du  bé- 
néfice qui  avait  servi  de  titre  au  moment  de  l'ordina- 
tion. Pour  qu'une  semblable  démission  puisse  avoir 
son  effet,  il  faut  que  :  1°  le  démissionnaire  ait  déclaré 
qu'il  s'agit  de  son  titre  d'ordination  ;  2»  qu'il  soit  établi 
qu'il  a  par  ailleurs  de  quoi  se  suffire. 

Ne  parlons  que  pour  mémoire  du  cas.  autrefois  cé- 
lèbre, mais  peu  pratique  de  nos  jours  et  dans  notre  pays, 
prévu  par  la  règle  19°  de  la  Chancellerie,  appelée  vul- 
gairement la  règle  de  oiginti.  Elle  s'exprime  ainsi  : 
Si  quis  in  infirmitate  constitutifs  resignaverit...  ali- 
quod  beneficium...  sive  simpliciter...  et  poslea  infra 
viginti  dies...  de  ipso  infimiitate discesserit...,  colla- 
tio...  sit  nulla  et  beneficium  ...pcr  obituni  censcatur 
vacare. 

[II,  Quelles  causes  iustifieni  i\  démission?  — 
Puis, pi,'  h-  supérieur  doM  intervenir  pour  accepter  ou  re- 
fuser la  démission, sur  quoi  devra-t-il  appuyer  sa  décî- 
sion?Il  n'a  pas  le  droit  d'accepter  la  démission,  si  elle 
n'esl  p:>s  justifiée  par  une  cause  juste  et  prévue  par  le 
droit.  La  rubriquedu  c.  10,  De  renunciatione,  aux  D 
taies  de  Grégoire  1\.  formule  le*  cas  légitimant  la  de- 
mission  desévêquesen  »l»'u\  vers  latins 

lis,  ignarus,  maie  conseilla,  inegularis, 
Quem  mata  pteba  "«lit.  dans  scandale  :  iredere  possit. 

Le  lien  qui  rattache  les  bénéficiers  inférieur- a  leurs 
postes  étant  bien  moins  étroit  que  le  mariage  spirituel 

par  l'évéque  avec  son  Eglise,  les  si\  ra 
qui  justifient  la  démission épiscopale, seront  suffis 
et  même    surabondantes   parfois    pour  que    l'évéque: 
puisse  accepter  la  démission  d'un  bénéficier. 


269 


DEMISSION 


270 


1»  L'incapacité  physique,  provenant  de  la  vieillesse  ou 
de  la  maladie,  n'est  jamais  une  raison  suffisante  pour 
priver  quelqu'un  de  son  bénéfice,  même  en  assurant 
par  ailleurs  sa  subsistance,  mais  elle  peut  être  une  rai- 
son d'accepter  la  démission  librement  offerte.  Bien  que 
le  moyen  canonique,  qui  consiste  à  laisser  à  un  impotent 
son  bénéfice  et  ses  revenus  en  l'obligeant  seulement  à 
payer  la  portion  congrue  à  un  vicaire, pourvoie  suffisam- 
ment au  bien  général,  on  conçoit  que  le  bénéficier, 
devenu  incapable  de  remplir  toutes  ses  fonctions,  pré- 
fère démissionner.  Son  infirmité  justifiera  l'acceptation 
de  l'évêque,  ou  du  pape,  s'il  s'agit  d'un  évêque  infirme. 
2°  L'ignorance.  —  Cette  cause  ne  peut  plus  guère  se 
réaliser  chez  les  évêques.  Il  n'y  a  pas  pour  eux  d'obli- 
gation de  posséder  la  science  éminente,  la  science 
compétente  suffit,  et  s'ils  ne  l'avaient  pas,  ou  bien  ils 
n'auraient  pas  été  promus,  ou  bien  il  y  aurait  lieu  non 
pas  à  accepter  leur  démission,  mais  à  les  déposer.  Fa- 
gnan,  Comment,  in  c.  ix  de  renuntiatione,  n.  59. 
Mais  ce  qui  ne  se  réalise  plus  chez  les  évoques  pour- 
rait se  rencontrer  chez  un  curé,  surtout  là  où  la  loi  du 
concours  n'est  pas  appliquée,  et  l'évêque  pourrait  y 
trouver  une  cause  suffisante  d'accepter  une  démission. 
Maie  conscius.  —  Par  là  il  faut  entendre  une  faute 
tellement  grave  que,  mêmeaprésen  avoir  fait  pénitence, 
le  bénéficier  se  trouverait  dans  l'impossibilité  morale 
de  remplir  sa  charge  avec  fruit. 

i  L'irrégularité.  —  Elle  a  pour  effet  de  rendre 
inhabile  à  recevoir  un  bénéfice,  mais  elle  ne  prive  pas 
ipso  jure  du  bénéfice  qu'on  possédait  au  moment  où 
on  en  a  été  frappé.  Cependant  il  est  naturel  qu'on  ac- 
cepte la  démission  offerte  par  un  irrégulier. 

5°  La  haine  du  peuple  pour  son  pasteur,  qu'elle 
soit  d'ailleurs  justifiée  ou  non,  l'empêche  de  remplir 
Utilement  ses  fonctions,  met  parfois  sa  vie  en  péril  ou 
lui  rend  impossible  la  résidence  nécessaire.  Elle  peut 
donc  être  une  cause  suffisante  d'accepter  la  démission. 
6°  Le  scandale.  —  Si  le  scandale  est  grave  et  que 
seul  le  départ  du  bénéficier  puisse  le  faire  cesser,  ce 
dernier  pourra  être  tenu  en  conscience  à  démissionner, 
même  -  il  est  évéque.  A  plus  forte  raison,  pourra-t-on 
pter  la  démission  d'un  bénéficier  inférieur  pour 
une  raison  analo) 

IV.  La  démission  pei  t-elle  être  conditionnelle?  — 
Que  faut-il  penser  des  renonciations  conditionnelles  si 
fréquentes  mtrefois?  La  seule  allusion  à  ces  pratiques 
.'■veille  le  souvenir  de  pactes  simoniaques  que  l'Église  a 
dû  réprouver.  Une  réglementation  sévère  domine  la 
matii  re  el  nous  allons  l'indiquer  brièvement. 

Il  )  a  simonie,  de  dmit  naturel,  quand  il  5  a  pacte 

!■••'•  r  céder  unechose  spirituelle  ou  une  chose  annexée 

.i    une  chose  spirituelle,  contre    un    avantage   d'ordre 

conditions  un  bénéfice,  chose 

qui,  malgré  son  aspect  temporel,  es)  intimement  unie 

à  une  fonction    ecclésiastique,   chose   essentiellement 

tuelle  el  dont  l  es  matériels  ne  sont  que 

re,     constitue     le    crime    de    simonie.    Mus 

parfois,  ob  prœsumplionem  periculi,  l'Église  interdit 

U  cession   d'une  chose  spirituelle    même  contre  une 

•    spirituelle,   ou  d'une    chose   temporelle  contre 

une  autre  chose  temporelle.  Ce  sont  les  cas  de  simonie 

par  le  droit,  constituant  des 

plions  ■  t  qui  par  luite  son)  de  stricte  interprétation. 

Dr  les  démissions  conditionnelles  ont  néce  liti  delà 

le   la   loi  i  [ue   des  réglementations  qui 

iccupationi  de  ce  genre.  Elles 

n    en  faveur  d'autrui,  soi)  que 

■  lui  bénéficiera  de  la  démission  k  démette  di 

l'un  bém  lice  en  faveur  de  celui  qui  lui 

li   permutation  .  soil  que  le  d 
d'autrui   ne   re.  ,,,■..■  aucun  autre 
1  pacte   de  quelque 
'■  au  iuji  i  ,  di  mi 


conditionnelle  n'est  pas  absolument  impossible,  mais 
très  strictement  réglementée,  comme  nous  le  verrons 
tout  à  l'heure.  Mais  toutes  les  prescriptions  de  la  loi 
canonique  fussent-elles  observées,  qu'il  faudrait  encore 
prendre  garde  à  ne  pas  tomber  dans  la  simonie  au  sens 
strict.  Donc,  jamais  une  démission  ne  doit  avoir  pour 
condition  une  somme  d'argent  à  verser  au  démission- 
naire, même  sous  prétexte  de  le  faire  rentrer  dans  les 
frais  qu'a  pu  entraîner  pour  lui  autrefois  son  entrée  en 
fonction.  Il  ne  sera  même  pas  permis  au  démissionnaire 
sous  condition,  de  convenir  que  les  frais  entraînés  par 
la  démission  elle-même  doivent  être  à  la  charge  de  celui 
qui  doit  en  bénéficier.  Illicite  aussi  serait  la  condition 
que  celui  qui  reçoit  le  bénéfice  résigné  devra  le  rendre 
plus  tard  au  démissionnaire  ou  à  une  personne  de  son 
choix  ou  réserver  à  quelqu'un  les  fruits  en  tout  ou  en 
partie.  Ce  serait  la  simonie  confidentielle. 

En  plus  de  cela,  tout  pacte  entre  particuliers  sur  la 
matière  des  bénéfices  étant  interdit  par  le  droit  positif 
ecclésiastique,  c.  8,  Décrétâtes,  De  pactis,  I,  xxxv,  les 
démissions  conditionnelles  ne  peuvent  avoir  lieu  que 
dans  les  formes  suivantes  : 

1°  Pour  les  permutations.  —  Elles  sont  légitimes,  si 
elles  sont  faites  par  l'autorité  de  l'évêque,  et  pour  une 
juste  cause  dont  il  est  juge.  La  démission  en  vue  de  la 
permutation  devra  se  présenter  sous  la  forme  suivante  : 
Le  bénéficier  remettra  sa  démission  entre  les  mains  de 
l'évêque  en  exprimant  la  condition  qu'il  ne  se  démet 
qu'en  vue  d'acquérir  tel  autre  bénéfice.  L'évêque  jugera 
s'il  doit  l'accepter  dans  ces  conditions.  S'il  ne  l'accepte 
pas,  la  démission  ne  produit  aucun  elfet,  puisqu'elle 
était  liée  à  la  réalisation  de  la  condition.  S'il  l'accepte, 
la  collation,  que  l'évêque  ferait  à  tout  autre  que  le  titu- 
laire du  bénéfice  attendu  en  échange,  serait  nulle.  L'autre 
permutant  procède  de  la  même  façon.  Les  deux  bénéfices 
étant  ainsi  remis  entre  les  mains  de  l'évêque,  c'est 
lui,  et  non  les  intéressés,  qui  exécute  la  permutation 
par  le  moyen  d'une  nouvelle  collation  de  chacun  des 
bénéfices.  La  juste  cause  sera  tirée  de  l'utilité  de 
l'église  ou  même  de  la  simple  convenance  des  permu- 
tants, pourvu  qu'elle  ne  soit  pas  en  opposition  avec  le 
bien  public.  Les  deux  collations  doivent  se  faire  en 
même  temps,  et  l'évêque,  soit  pour  l'acceptation  des 
démissions,  soit  pour  la  nouvelle  collation,  doit  respec- 
ter les  droits  des  tiers  (électeurs,  patrons),  comme  il  a 
été  expliqué  plus  haut,  col.  266. 

Il  est  clair  que  la  loi  ecclésiastique  autorisant  les 
permutations,  ceux  qui  veulent  user  de  ce  droit  ont  la 
faculté  de  se  faire  à  l'avance  les  ouvertures  nécessaires. 
Il  leur  est  interdit  seulement  par  les  carions  de  faire  la 
permutation  de  leur  autorité  privée,  et  par  la  loi  natu- 
relle de  faire  des  conventions  pécuniaire.-.  Ils  expriment 
à  l'évêque  leur  désir  mutuel,  donnent  leurs  démissions 
conditionnelles,  et  s'en  remettent  ensuite  au  jugement 
du  supérieur,  qui  est  placé  dans  l'alternative  de  refuser 
;i\  démissions  en  toute  liberté  ou  de  faire  la  per- 
mutation. 

2°  Pour  les  résignalions  i.\  FAVORBM  TERTII.  —C'est 
l'intervention  du  pape  qui  esl  m  i  -  tire,  parce  que  de 
telles  résignations  sont  interdites  par  le  droit  général 
de  l'Église,  dont  seul  le  souverain  pontife  peut  dispen- 
ser. Cf.  Reifienstuel,  Comment.  <t<>  renuntiatione, 
n.  105  sq.  L'opinion  commune  est  même  que.  (".nies  par 
la  seul.'  autorité  de  l'ordinaire,  elles  revêtiraient  un 
caractère  simoniaque.  Tout  au  plus  peut-on.  en  rési- 
gnant son  béi  cure,  par  exemple,  recommander 
î  l'évêque  un  candidat  à  la  succi  lerniet  pourra 
être  nommé,  si  l'évêque  le  veut,  mai  ci  n'est  pas  un 
cai  de  démission  conditionnelle,  le  collaleur  ;i  toute 
libi  it' . 

tndition  d<  l'une 

•n  tur  le  bénéfice.  —  L'évêque  peut  de  von  auto- 
rité privée  et  pour  des  ralsoni  graves,  grew  rie  Htu 


271 


DÉMISSION 


liKMOCRATIE 


272 


d'un  bénéfice,  et  cela  de  son  consentement,  d'une  pen- 
sion au  profit  de  son  prédécesseur.  La  raison  grave  sera, 
par  exemple,  l'infirmité  du  prédécesseur,  le  bien  de  la 
paix  troublée  jusque-là  par  des  procès,  etc.  Mais  de 
l'avis  commun  des  canonistes,  son  pouvoir  ne  va  pas 
jusqu'à  grever  le  bénéfice  lui-même,  et  l'obligation, 
personnelle  à  celui  qui  l'a  consentie,  meurt  avec  lui.  Si 
la  cause  subsiste  à  la  mort  du  grevé,  l'évèque  pourra 
demander  au  successeur  de  se  lier  à  nouveau  par  une 
obligation  toujours  personnelle.  Mais  le  titre:  JJl  bé- 
néficia ecclesiastica  sine  diminutione  conferantur, 
I.  111,.  xn,  ne  peut  subir  d'exception  que  par  la  volonté 
du  pape. 

Ce  pouvoir  si  réduit,  l'évèque  pourra  en  user  en  fa- 
veur d'un  démissionnaire,  cela  va  sans  dire,  mais  le 
principe  qu'on  ne  doit  faire  aucun  pacte  sur  le  béné- 
fice domine  la  matière,  c.  8,  ,Décrélales,  De  pactis,  I, 
xxxv.  Le  démissionnaire  pourra  donc  seulement,  en 
donnant  sa  démission  pure  el  simple,  prier  l'évèque 
d'user  de  son  droit  en  sa  faveur.  Il  pourra  même  lui 
désigner  tel  ou  tel  qu'il  sait  disposé  à  accepter  le  béné- 
fice en  se  chargeant  personnellement  de  la  pension; 
mais  à  cela  se  bornera  le  rôle  du  démissionnaire. 

V.  Peut-on  reprendre  sa  démission?—  Qui  jurisuo 
renuntiavit,  non  polestposleaad  illud  redire.  Ce  prin- 
cipe s'applique,  dans  l'espèce  qui  nous  occupe,  avec  une 
rigueur  particulière,  au  moins  quand  le  supérieur  a 
accepté  la  démission.  En  effet,  ce  dernier  n'a  donné  son 
consentement  que  pour  des  motifs  graves  qui  peuvent 
tous  se  ramener  au  bien  général  de  l'Église  ou  au  pro- 
pre salut  du  démissionnaire  qui  a  cru  de  son  devoir 
de  ne  pas  garder  une  responsabilité  trop  lourde.  Un 
démissionnaire,  qui  reprendrait  sa  démission  acceptée, 
commettrait  un  acte  déraisonnable  et  pourrait  être  con- 
traint par  toutes  les  voies  de  droit  à  laisser  la  place  à 
son  successeur.  Mais  si  la  démission  n'avait  pas  encore 
eu  son  plein  effet  par  l'acceptation  du  supérieur,  le 
démissionnaire  pourrait  revenir  sur  sa  décision.  En 
tous  cas,  on  peut  être  promu  à  nouveau  à  un  poste  dont 
on  s'était  d'abord  démis.  Mais  les  auteurs  notent  que  si 
la  démission  avait  été  acceptée,  on  prend  rang  par 
ancienneté  du  jour  de  la  nouvelle  promotion. 

Les  commentateurs  des  Décrétâtes  :  Fagnan,  Reiffenstuel,  etc., 
traitent  cette  matière  au  titre  De  renuntiatione,  qui  est  le  ix' 
du  1. 1".  Au  Sexte,  c'est  au  même  livre  le  titre  vir,  dont  le  l"  cha- 
pitre, rédigé  par  Boniface  VIII,  traite  de  la  démission  du  souve- 
rain pontife.  Voir  aussi  la  bulle  de  saint  Pie  V,du  1"  avril  1568, 
Quanta  Ecclesiœ  dans  le  Bullarium  de  Lyon,  t.  n,  p.  252; 
Ferraris,  Prompta  bibliotheca ,  etc.  En  celte  matière,  la  disci- 
pline n'a  pas  changé  et  les  anciens  auteurs  se  trouvent  au 
point.  Nous  avons  signalé  dans  l'article  la  jurisprudence  de  la  S. 
G.  du  Concile  qui  assimile  en  cette  matière  les  offices  et  fonctions 
aux  bénéfices  proprement  dits. 

P.   FOLRNERET. 

DÉMOCRATIE.  —  I.  Le  double  sens  du  terme  : 
le  régime  politique,  le  mouvement  social.  IL  La  com- 
pétence des  théologiens  au  sujet  de  la  démocratie. 
III.  Saint  Thomas  d'Aquin  :  la  théorie  morale  de  la 
démocratie  au  xme  siècle.  IV.  Savonarole  :  le  problème 
pratique  de  la  démocratie  à  Florence,  au  xv  siècle. 
V.  La  légitimité  de  la  démocratie,  d'après  l'enseigne- 
ment commun  des  théologiens.  VI.  Le  mouvement 
démocratique  aux  temps  modernes.  VIL  De  Pie  VII 
à  Grégoire  XVI  :  condamnation  réitérée  des  menées 
révolutionnaires.  VIII.  Pie  IX  :  la  souveraineté  du 
nombre  et  de  la  force  matérielle,  condamnée  par  le 
Syllabus.  IX.  Léon  XIII  :  la  démocratie  politique  re- 
connue parmi  les  formes  de  gouvernement  que  l'Église 
peut  accepter.  X.  L'éducation  morale  de  la  démocra- 
tie; problèmes  connexes.  XL  L'encyclique  De  condi- 
tione  opificum  et  la  démocratie  comme  mouvement 
social.  XII.  L'encyclique  Graves  de  communi  et  la 
démocratie  chrétienne.  XIII.  Pie  X  :  l'encyclique  Pas- 
cendi  et  la  démocratie  dans  l'Église. 


I.  Le  double  sens  ru  terme  :  i.i.  régime  politique; 
LE  [MOI  VKMi.vi  SOCIAL.  —  1°  Le  régime  politique.  — 
Dans  l'usage  courant,  le  terme  démocratie  éveille 
d'abord  l'idée  d'un  peuple  qui  se  gouverne  lui-même. 
C'est  le  sens  voulu  par  l'étymologie.  C'est  le  sens  con- 
sacré par  l'opposition  classique  de  la  démocratie,  gou- 
vernement de  la  multitude,  à  l'aristocratie,  gouverne- 
ment de  l'élite  en  petit  nombre,  et  à  la  monarchie, 
gouvernement  d'un  seul.  Platon,  République, \.  Le.  vin, 
Le  politique;  Aristote,  Politique,  1.  II,  c.  iv.  v;  Pol 
Histoire  générale,  1.  VI,  c.  m;  Cicéron.  La  République, 
I.  I,  c.  xxix,  xi.v;  1.  II,  c.  xxix,  xxxix;  S.  Thomas, 
Sum.  tlieol.,  Ia  II*,  q.  cv,  a.  1;  Machiavel.  Discours  sur 
les  Décades  de  Tite  Live,  1. 1,  c.  n  ;  Montesquieu,  Esprit 
des  lois,\.  I,  c.  il  ;  Rousseau,  Contrat  social,  1.  III.  c.  ni. 
x;  Fonsegrive,  La  crise  sociale,  Paris,  1901,  p.  438, 
440;  Gayraud,  Les  démocrates  chrétiens,  Paris,  1899. 
p.  4;  Ch.  Antoine,  S.  J.,  Cours  d'économie  sociale, 
Paris,  1899,  p.  248;  sir  Henry  Sumner  Maine,  Essais 
sur  le  gouvernement  populaire,  Paris,  1887,  p.  90. 

Mais  que  signifie  exactement  le  mot  peuple  dans 
cette  définition  nominale  de  la  démocratie'/  Dans  un 
sens  large  et  fondamental,  c'est  une  multitude,  com- 
posée de  familles  et  d'autres  groupes,  unifiée  par  de 
communs  intérêts  et  de  communes  lois.  S.  Augustin, 
d'après  Cicéron,  De  civitate  Dei,  1.  II,  c.  xxi;  1.  XIX. 
c.  xxi,  P.  L.,  t.  xli,  col.  66,  648.  Mais,  tandis  que  cer- 
taines sociétés  se  maintiennent  dans  une  sensible  éga- 
lité des  conditions  et  des  fortunes,  soit  par  suite  des 
ressources  modiques  du  lieu,  soit  par  suite  de  travaux 
faciles,  art  pastoral  et  culture  rudimentaire,  d'autres 
sociétés,  mieux  pourvues  de  ressources  locales  ou  plus 
laborieuses,  se  distinguent  en  classes  :  les  ouvriers  et 
les  patrons,  les  pauvres  et  les  riches,  les  gens  à  l'aise 
et  les  opulents,  les  petits  et  grands  propriétaires.  L  - 
lité  et  l'uniformité  des  conditions  se  maintiennent 
facilement  dans  les  sociétés  simples,  vivant  de  récoltes 
spontanées,  de  culture  extensive,  de  petite  fabrication 
ménagère;  mais  elles  font  place  à  de  croissantes  iné- 
galités dans  tout  milieu  qui  exige  un  travail  intense. 
E.  Demolins,  Comment  les  sociétés  compliquées  sont 
issues  des  sociétés  simples,  dans  La  science  sociale, 
1886,  t.  i,  p.  486,  520;  Id.,  Les  commencements  de  la 
culture,  ibid.,  1886,  t.  n,  p.  413,  432.  C'est  par  l'elTet 
de  ces  causes,  que,  chez  les  Grecs,  le  terme  Sr.ixo;,  et, 
chez  les  Latins,  populus,  reçurent  une  acception  parti- 
culière nouvelle.  Les  patriciens,  grands  propriétaires 
fonciers  ou  commerçants  enrichis,  se  distinguèrent  de 
la  masse  ouvrière  et  pauvre,  spécialement  nommée  le 
peuple.  C'est  en  ce  sens  que  le  protocole  disait  :  Sena- 
tus  populusque  romanus.  C'est  en  ce  sens  que  l'Iliade 
oppose  le  8r,ixoç  aux  rois  et  aux  chefs.  Tliad.,  IL  188, 
198;  Odys.,  VIII,  157.  Les  politiques  disaient,  à  peu 
près  comme  à  Rome,  f,  (Jou/.r,  xerî  i  S^fioç;  comme  enfin 
ce  sont  les  travailleurs  manuels  qui  forment  la  grande 
majorité  des  sociétés,  et  que  les  classes  riche- 
aristocraties,  les  gouvernants,  échappent  de  par  leur 
condition  à  la  nécessité  du  travail  manuel,  peuple  se 
dit  plus  spécialement  encore  au  sens  restreint  de  la- 
classe  ouvrière. 

Esl-ce  du  peuple-ouvrier,  de  la  multitude  sans  for- 
tune, ou  bien  du  peuple  en  totalité  que  l'on  entend 
parler  en  disant  que  le  peuple  gouverne  dans  la  démo- 
cratie ? 

Chez  les  anciens,  ce  n'était  absolument  ni  de  l'un  nr 
de  l'autre;  car  les  démocraties  classiques  de  la  Grèce 
excluaient  de  tout  droit  politique  diverses  catégories  de 
travailleurs  manuels  :  les  esclaves  ruraux  et  domes- 
tiques; les  périoèques  de  la  Crète,  les  métèques  de 
l'Attique,  les  poénestes  de  Thessalie,  les  hilotes  de 
Sparte.  C'étaient  des  paysans  attachés  à  la  glèbe,  des 
serfs  ou  des  demi-serfs  de  la  terre.  Aristote.  Poli- 
tique, 1.  II,  c.  vi.  g  2.  3.  ("est  que  l'État  grec,  la  cité, 


273 


DÉMOCRATIE 


274 


se  composait  d'une  ville,  soit  militarisée  comme  à 
Sparte,  soit  plus  généralement  enrichie  par  le  com- 
merce de  terre  et  de  mer.  Les  bourgeois  possédaient 
en  outre  des  propriétés  dans  la  banlieue,  cultivées  en 
régie  par  les  types  de  serfs  énumérés  plus  haut.  Par 
la  richesse,  l'habileté  dans  les  affaires,  la  culture  de 
l'esprit,  la  pratique  des  sports  et  de  l'équitation,  le 
prestige  des  assemblées  délibérantes,  la  bourgeoisie  en 
corps  dominait  les  paysans  de  la  banlieue,  comme  les 
artisans  de  la  ville.  Gabriel  d'Azambuja,  La  Grèce 
ancienne,  Paris,  1906;  Le  Play,  La  réforme  sociale, 
c.  i.xn.  S  13.  De  cette  situation  de  fait,  Aristote  extraira 
sa  théorie  du  citoyen,  qui  sera  vraiment  l'idéal  grec  : 
un  bourgeois  assez  honnête  et  assez  lettré  pour  faire 
tour  à  tour  acte  de  gouvernant  et  de  gouverné,  de  juge 
et  de  justiciable;  assez  riche,  pour  ne  dépendre  de 
personne  et  posséder  tous  les  loisirs  que  réclament 
les  assemblées  de  l'àropâ  et  de  la  po-j/.r,.  «  Dans  une 
cité  bien  constituée,  les  citoyens  ne  doivent  point  avoir 
à  s'occuper  des  premières  nécessités  de  la  vie  :  c'est 
un  point  que  tout  le  monde  accorde;  le  mode  seul 
d'exécution  offre  des  difficultés.  »  Aristote,  Politique, 
1.  III.  c.  m.  §  1.  3.  De  par  cette  exclusion,  si  rigoureuse 
en  principe,  une  démocratie  grecque  se  ramenait  dans 
la  réalité  à  une  bourgeoisie  privilégiée.  Etant  données 
la  facilité  de  vivre  sur  les  rivages  de  l'Archipel  et  sous 
le  ciel  méditerranéen,  la  frugalité  d'une  race  contente 
avec  quelques  sardines,  quelques  olives,  quelques 
ligues,  sans  grands  besoins  de  chauffage  ni  de  vête- 
ments, beaucoup  de  citoyens  peu  fortunés  vivaient  à 
l'aise.  Alors,  au  lieu  de  l'oligarchie  des  riches  ou  de 
l'aristocratie  des  anciennes  familles,  une  quasi-démo- 
cratie se  constituait,  par  l'accession  au  pouvoir  de  la 
masse  plus  humide.  Mais,  en  regard  des  cent  mille  es- 
claves ou  métèques  de  l'Attique,  les  six  mille  citoyens 
de  la  démocratie  athénienne  restaient,  dans  le  fait,  une 
iimple  oligarchie. 

C'est  dans  un  sens  tout  différent  que,  de  nos  jours, 
on  entend  la  démocratie.  Tandis  que  la  pratique  du 
commerce,  la  richesse,  la  civilisation  urbaine  inspi- 
raient  naturellement  aux  Grecs  le  mépris  du  travail 
manuel,  de  l'artisan  el  du  paysan,  l'Évangile  et 
l'Eglise  en  ont  prêché  el  inculqué  le  respect,  au  nom 
de  la  fraternité  humaine  en  Dieu  el  de  la  loi  morale 
du  travail.  I  races  du  Nord  et  du  Centre  de  l'Eu- 
rope étaient  d'ailleurs  mieux  prèles  que  les  races  mé- 
diterranéenm  ndre  cet  enseignement  :  l'amol 

lissante  douceur  de  vivre  énerve  souvent  ces  dernières. 
par   i  i  i   soleil  el  les  dons  spontanés   du 

sol;  mais,  au  contraire,  les  climats  froids  et  tempérés, 
les  terrains  pauvres,  la  productivité  plus  incertaine  de 
l  Europe  centrale  ou  septentrionale  enseignent  rigou- 
reusement  la  ni  ci  ssité  el  le  prix  du  travail,  Suréli 
par  le  christianisme,  ces  influences  du  lieu  et  du  mé- 
tier ont  déshabitué  l'Européen  moderne  de  regarder 
l'ouvrier   comme    moins  homme,    d'abord,   et    ensuite 

ins  ciloven  que  le  bourgeois  ou  le  noble.  C'est  du 

peuple  en  totalité,  que  l'on  parle  depuis  longtemps  en 
France,  quand  on  dit  le  peuple,  au  point  de  vue  poli- 
tique. Au\  Etats-Généraux  de  1483-1484,  Philippe  Pot, 
représentant  de  la  noblesse  de  Bourgogne,  disait  : 
i  u  état  ou  m  -'M  ■  i  nement  quelconque  est  la  chose 
publique,  .   publique  est  la  chose  du  peuple; 

quand  je  dû  le  peuple,  j'entends  parler  de  la  coUec- 
■  ii  de  la  totalité  de*  citoyen»,  el  dam  cette  tota- 
lité,  sont   compris  lei   prina      du   m.    eux-mêmes 
comme  chefi  de  la  nobli  I     ueil  des  andot 

loi»  i  !  si,  cité  pai  le  i;  P  Maumos,  /  1 

et  la  i  ne,  p.  901 . 

Tel  in-  iiniii.  entendu,  lorsque,  di 

nos  jour-,  on  définit  la  démocratie  par  l'accession  du 
peupli  ii      ainsi  le  pensent  lea  ph 

qui  ib  Uni  D  M   Goblol    I 


laire  'philosophique,  Paris,  1901,  démocratie  veut  dire  : 
«  État  social  où  le  pouvoir  politique  est  exercé  par  le 
corps  social  tout  entier,  sans  distinction  de  caste  ni  de 
classe.  »  Les  politiques  en  tombent  d'accord.  M.  Charles 
Benoist  disait  à  la  Chambre  des  députés,  le  6  mars  1908  : 
«  La  démocratie,  c'est  le  gouvernement  du  peuple  par 
le  peuple  et  non  pas  le  gouvernement  d'une  partie  du 
peuple  par  une  autre.  »  Cf.  Fonsegrive,La  crise  sociale, 
p.  438,  440. 

Tel  est  le  sens  actuel  du  mot  démocratie;  mais 
l'idée  qu'il  éveille  chez  nous  correspond -elle  aussi 
bien  à  quelque  chose  de  réel?  Des  théologiens  et  des 
philosophes,  comme  le  cardinal  Zigliara,  Sitmma  phi- 
losophica,  t.  ni,  De  auctoritate  sociali,  S  7;  des  poli- 
tiques, comme  M.  de  Lamarzelle,  relèvent  une  «  fla- 
grante contradiction  »  entre  les  nécessités  réelles  du 
gouvernement  et  la  notion  de  peuple  gouvernant  :  le 
commandement  et  l'obéissance,  l'action  subie  et  l'action 
exercée  ne  peuvent  se  trouver  dans  le  même  sujet.  Il 
faut  qu'à  la  masse  dirigée,  une  organisation  des  diri- 
geants se  superpose,  sous  peine  d'anarchie.  De  Lamar- 
zelle, Démocratie  politique,  démocratie  sociale,  dé- 
mocratie chrétienne,  Paris,  s.  d.,  p.  2,  3.  Visiblement 
impressionné  par  des  vues  du  même  ordre,  M.  G.  Cle- 
menceau regarde  le  peuple  comme  une  «  masse  flot- 
tante »,  qui  ne  se  mène  pas,  mais  qu'on  mène  :  «  En 
réalité,  ce  qu'on  entend  par  démocratie  dans  le  lan- 
gage courant,  c'est  l'accroissement  fatal,  profitable, 
mais  incohérent  des  minorités  gouvernantes.  »  Le 
Grand  Pan,  p.  316,  317. 

Il  y  a  une  part  de  vérité  dans  ces  considérations, 
mais  aussi  une  part  d'erreur.  Elles  sont  trop  générales, 
trop  absolues,  pour  s'appliquer  exactement  à  tous  les 
modes  possibles  de  gouvernement  direct  ou  indirect 
par  le  peuple;  aussi,  nous  ne  signalons  ici  de  telles 
appréciations  que  pour  rappeler  le  danger  particulier 
des  généralités  oratoires  ou  dialectiques,  dans  une 
matière  aussi  complexe  et  aussi  variable  que  la  vie 
sociale.  L'observation  des  types  concrets  de  gouverne- 
ment qualifiés  démocratie  nous  dira  seule  dans  quelle 
mesure  la  multitude  arrive  ou  non  à  se  gouverner  elle- 
ni'  nie.  La  connaissance  réelle  et  scientifique  de  la 
démocratie  est  à  ce  prix. 

1"  cas  :  le  gouvernement  direct  par  le  peuple  en 
assemblée  générale.  —  Ce  type  se  réalise  tout  prés  de 
nous,  depuis  bien  des  siècles,  dans  un  certain  nombre 
de  cantons  suisses.  «  D'après  la  constitution  d'Appen- 
zel  (Rhodes  intérieures),  qui  se  retrouve,  à  peu  de 
chose  près,  dans  les  cantons  de  Rhodes  extérieures. 
de  (llaris,  d'Uri,  des  deux  l'nlerualden,  le  pouvoir 
souverain  —  sous  réserve  des  droits  de  l'assemblée 
fi  di  raie  —  est  exercé  par  les  citoyens  du  canton  réunis 
en  assemblée  générale  :  Landsgemeinde.  Un  Grand 
Conseil,  élu  par  la  Landsgemeinde,  est  chargé  de 
préparer  les  lois.  Le  pouvoir  exécutif  est  confié  à  un 
Coneeil  d'État,  nommé  par  l'assemblée;  le  Landam- 

man,  qui   fait    partie  de  ce  Conseil,  est  le  chef  (lu  pou- 
"ii    exécutif.    La   puissance    souveraine   repose   donc 
essentiellement  dans  le  peuple.  Il  se  donne  sa  consti- 
tution,   vole   ses   lois,  nomme   ses   autorités,   ses    fonc- 
tionnaire Il  approuve  ou  censuri 
comptes  de  l'administration  financière.  Roberl  Pinot, 
La   démocratie  actuelle  en  Suisse,  dans  La  teience 
s, nulle,   Paris,   1891,  t.  u,  p,  184,   186.  Voici  donc  le 
gouvernement  du  peuple  par   lui-même      I    dans  le 
di     lois  que  lin  pi éparenl  des  manda- 
particuliers;  S    dans   le  contrôle  financier  de 

i  .  .'!  •■  dans  leur  nominale  n     I  dl    IOU1  '- 

raineté   s'accomplissent  collectivement,  à  la  majorité 
d         ix,  a  intervalles  périodiques    Dana  le  train  quo- 
tidien de  la  vie.  chacun  retourna  i  ses  affain 
devient  simple   citoyen,  pour   obéir  ans    magisti 

loi     \.  u  •  oe  trouvons  là 


275 


DEMOCRATIE 


276 


aucune  trace  de  «  la  llagrante  contradiction  d  alléguée 
tout  à  l'heure  :  les  citoyens  ne  sont  pas  gouvernants  et 
gouvernés  dans  le  même  instant,  sous  le  même  rap- 
port, pour  le  même  objet.  Von  llertling,  Démocratie, 
dans  Slaatslexicon,  2e  édit. ,  Fribourg-cn-Brisgau,  l'.IOI , 
col.  1335-1338. 

Mais  aussi  bien,  ce  gouvernement  direct  par  le 
peuple  ne  saurait  être  qu'intermittent;  chacun  se  doit 
à  son  gagne-pain,  à  sa  famille,  à  ses  intérêts  dans  la 
vie  quotidienne.  Nécessairement,  l'exécution  quoti- 
dienne des  lois,  l'administration  des  personnes  et  des 
deniers  publics,  la  préparation  des  textes  législatifs,  la 
police,  réclament  des  fonctionnaires,  des  spécialistes, 
des  magistrats.  La  masse  du  peuple  doit  s'en  remettre 
de  ces  soins  et  de  ces  charges  à  une  minorité  diri- 
geante. Mais  il  la  nomme  et  il  la  contrôle  en  assemblée 
générale  :  il  retient  donc  son  éminente  souveraineté, 
bien  qu'il  transfère  diverses  juridictions  qu'il  ne  sau- 
rait exercer.  Ainsi,  le  gouvernement  du  peuple  par  le 
peuple  existe;  et  il  mélange  aussi  bien  l'exercice  di- 
rect du  pouvoir  par  la  multitude  et  son  investiture  à 
des  autorités. 

Mais  il  y  faut  des  conditions  particulières  :  1°  un 
étroit  territoire  et  une  population  peu  nombreuse, 
afin  que  la  totalité  des  citoyens  puisse  aisément  se 
transporter  à  l'assemblée  générale,  et  y  entendre  les 
rapports,  les  propositions,  et  y  compter  ses  votes.  Ro- 
bert Pinot,  loc.  cit.,  p.  187.  2°  Il  faut  aussi  régale  pos- 
sibilité pour  les  citoyens  de  se  prononcer  en  connais- 
sance de  cause  sur  les  candidats,  les  projets  de  loi  et 
les  comptes.  Cette  possibilité  n'existe  que  dans  un  état 
social  peu  compliqué,  pour  des  affaires  simples.  Voilà 
pourquoi  la  démocratie  directe  est  de  temps  immé- 
morial le  régime  de  cantons  forestiers,  pastoraux, 
dont  les  vallées  renferment  peu  d'industrie,  pas  de 
grand  commerce,  avec  une  population  de  paysans  sen- 
siblement égaux  entre  eux.  Les  intérêts  cantonaux  ne 
sont  en  réalité  que  des  intérêts  intercommunaux. 
Dans  ces  milieux,  «  la  démocratie  surgit  de  la  nature 
de  l'homme  et  des  choses.  »  Le  Play,  La  réforme 
sociale  en  France,  Tours,  1887,  t.  m.  p.  308.  3"  La 
démocratie  directe  exige  enfin  chez  ses  participants  un 
sérieux  amour  du  bien  commun,  s'inspirant  de  la  jus- 
tice, de  la  fraternité  et  du  goût  de  la  paix.  «  Elle  fait 
naître  toujours  la  prospérité,  si  le  peuple,  soumis  à 
la  loi  de  Dieu,  s'accorde  à  conférer  le  pouvoir  aux 
autorités  naturelles,  »  c'est-à-dire  aux  plus  capables  et 
aux  plus  dignes.  Le  Play,  loc.  cit.  Et  aussi  bien  les 
montagnards  suisses  sont-ils  profondément  honnêtes 
et  sauvegardés  dans  leur  honnêteté  par  une  religion 
convaincue  et  grave.  Robert  Pinot,  loc.  cil. 

Ainsi,  le  gouvernement  direct  du  peuple  par  le 
peuple  se  réalise  dans  les  petits  États  de  vie  simple,  de 
médiocres  affaires  et  de  haute  moralité.  Il  s'adjoint 
aussi  bien  une  minorité  de  délégués  ou  de  manda- 
taires. 

2e  cas.  —  L'adjonction  de  cette  minorité  devient  plus 
nécessaire  encore,  et  sa  fonction  plus  considérable,  dès 
que  la  population  devient  plus  dense,  avec  une  vie  plus 
compliquée,  dans  un  pays  devenu  plus  riche,  par  la 
culture,  l'industrie  et  le  commerce.  Des  intérêts  plus 
nombreux  et  plus  délicats  sont  à  ménager,  à  promou- 
voir, à  défendre;  et  leur  discussion  technique  ou  pru- 
dentielle  dépasse  les  loisirs  comme  les  capacités  de  la 
masse.  Elle  ne  les  connaît  plus  par  elle-même  que 
très  en  gros.  C'est  par  l'effet  de  ces  causes,  que,  dans 
les  cantons  de  Berne,  Fribourg,  Râle,  Genève,  Zurich, 
des  représentants  assemblés  se  substituent  à  l'assem- 
blée générale.  A  Berne,  le  pouvoir  législatif  en  entier 
appartient  à  un  Grand  Conseil,  pour  qualreans  aussi, 
et  que  préside  un  magistrat  annuel.  Mais  cette  part 
faite  à  la  nécessité  de  spécialistes  gouvernants,  le 
peuple  garde  le  contrôle  des  lois  par  voie  de  référen- 


dum :  c'est  le  vote  suprême  sur  leur  rejet  ou  leur 
adoption.  Grâce  à  la  clause,  introduite  dans  toutes  les 
constitutions  cantonales  ou  fédérali  s.  le  peuple  suisse 
conserve  le  droit  d'annuler  purement  et  simplement 
les  lois  de  ses  représentants  qui  ne  lui  plaisent  pas. 
Robert  Pinot,  loc.  cit.,  p.  191  sq.  Ces  modifications 
nouvelles  du  régime  démocratique  nous  permettent  de 
distinguer  un  2e  cas  :  le  gouvernement  direct  fait 
place  à  un  gouvernement  représentatif,  dont  le  peuple 
retient  le  contrôle  effectif  par  la  clause  de  référendum. 
(Ne  pas  confondre  celui-ci  avec  le  plébiscite  :  le  plé- 
biscite porte  sur  un  homme,  et  non  sur  une  loi;  le 
plébiscite  peut  servir  à  se  donner  un  César,  mais  le 
référendum  demeure  essentiellement  un  moyen  de 
contrôle  populaire.) 

3e  cas.  —  Puisque  ce  sont  l'intensité  du  travail,  l'ac- 
croissement de  la  richesse,  la  complexité'  des  in! • 
qui  déterminent  les  institutions  représentatives,  nous 
verrons  les  minorités  gouvernantes  de  députés,  de  fonc- 
tionnaires, de  citoyens  inlluents  s'accroître  considéra- 
blement dans  les  grands  pays  riches.  Tout  ce  que  le 
peuple  y  peut  retenir,  dans  les  affaires  générales  de  la 
province  ou  de  la  nation,  c'est  le  contrôle  légal  par  voie 
de  référendum,  ou  bien  encore  l'inlluence  positive, 
comme  celle  que  les  Trade-Vniuns  exercent  en  Angle- 
terre sur  la  législation  et  dans  le  parlement,  par  la 
puissance  combinée  du  nombre,  de  la  compétence,  et 
de  l'action  disciplinée.  Ainsi,  les  grands  États  démo- 
cratiques ou  qui  vont  se  démocratisant,  réalisent  un 
3e  cas  de  gouvernement  par  le  peuple  :  indirect  et  re- 
présentatif, pour  l'ordinaire,  avec  moyens  légaux  et 
reconnus  d'action  populaire.  Le  mouvement  trade- 
unioniste  aux  États-Unis,  Circulaire  du  Musée  social, 
n.  10,  série  B,  29  juin  1897;  Le  Cour-Grandrnaison. 
Le  passé  et  l'avenir  des  Trade-Unions. 

4*  cas.  —  Enfin,  dans  tout  état  social  et  politique, 
compliqué  ou  simple,  monarchique,  aristocratique  ou 
républicain,  le  gouvernement  du  peuple  par  le  peuple 
se  réalise  aisément,  utilement,  pour  les  affaires  inté- 
rieures des  communes  rurales.  C'est  un  cas  analogue  à 
celui  des  cantons  suisses  forestiers  et  pastoraux.  Partout, 
excepté  en  France,  les  paroisses  et  les  communes  for- 
ment des  démocraties  indépendantes.  Le  Play.  La  ré- 
forme sociale  en  France,  t.  m,  p.  309,  310.  La  commune 
russe,  ou  le  mit'.  Tikhomirov,  La  Russie  politique  et 
sociale,  p.  113,  116;  Stepniak,  La  Russie  sous  les  tsars, 
p.  6;  A.  Leroy-Beaulieu.  L'empire  des  Tsars  et  les 
Russes,  2e  édit.,  Paris,  1883,  t.  i,  p.  476  sq.  La  commune 
rurale  suisse  (Jura  Rernois).  R.  Pinot.  Monographie 
du  Jura  bernois,  dans  La  science  sociale,  1887.  t.  m, 
p.  619  sq.  —  Allemagne  (Lunebourg).  E.  Demolins,  Le 
Rauer  du  Lunebourg,  ibid.,  1887,  t.  III,  p.  585,  593.  — 
Angleterre,  Le  Play,  Constitution  de  l'Angleterre,  t.  n. 
c.  ni  ;  La  réforme  sociale  en  France,  t.  Il,  c.  i.v.  î.vi; 
cf.  lti;  c.  Routmy.  Le  développement  et  la  constitution 
de  la  société  politique  en  Angleterre;  Edward  Jenks, 
Esquisse  du  gouvernement  local  en  Angleterre,  Paris, 
1902.  —  Norvège.  Paul  Bureau,  Le  paysan  des  fjords 
de  Norvège,  dans  La  science  sociale,  2»  période, 
2P  fascicule,  p.  208.  211. 

Ces  espèces  variées  de  communes  rurales  présentent 
les  caractères  génériques  suivants  :  1°  souveraineté  de 
l'assemblée  générale  des  habitants  qui  paient  les 
taxes;  2»  nomination  et  contrôle  dos  agents  communaux 
par  l'assemblée;  3°  extension  des  pouvoirs  de  l'assem- 
blée ou  de  ses  mandataires  aux  intérêts  locaux  et  soli- 
daires des  familles  domiciliées  :  chemins  communaux, 
police  des  champs  et  endroits  publics,  dépenses  du 
culte  et  de  l'instruction  primaire,  assistance  des  indi- 
gents de  la  commune.  Aucun  de  ces  besoins  ne  dépasse 
la  compétence  qu'un  paysan  peut  acquérir  par  la  pra- 
tique journalière  de  son  travail,  de  sa  vie  domestique 
et  de  ses   relations  avec  ses   voisins.   Immédiatement 


277 


DÉMOCRATIE 


278 


intéressé  à  ce  que  les  frais  de  ces  divers  services  ne  le 
surchargent  pas,  voyant  de  ses  yeux  ce  qu'on  lui  donne 
pour  son  argent,  il  sera  un  émérite  contrôleur  de  ses 
mandataires  et  de  son  budget,  et  le  plus  économique  : 
il  les  surveille  gratuitement  pour  des  motifs  de  bien 
propre.  E.  Guerrin,  Les  faux  remèdes  au  mal  social, 
dans  La  science  sociale,  1887,  t.  m,  p.  362.  On  re- 
trouve ainsi  la  démocratie  directe,  assistée  de  manda- 
taires élus,  responsables  et  contrôlés,  dans  l'adminis- 
tration des  communes  rurales  comme  dans  le 
gouvernement  des  petits  Etats  où  la  vie  est  simple. 

On  constate  en  même  temps  le  développement  de  la 
démocratie  représentative,  avec  des  mandataires  élus, 
qui  gouvernent  eux-mêmes,  plus  ou  moins  contrôlés, 
à  mesure  que  les  Etats  se  compliquent  par  l'accroisse- 
ment de  la  population,  de  la  richesse  et  des  groupe- 
ments ou  classes  distinctes.  En  ce  dernier  cas,  l'influence 
quotidienne  des  minorités  au  pouvoir,  de  l'administra- 
tion, des  partis,  peut  arriver  à  supprimer  dans  la  pra- 
tique le  contrôle  du  peuple,  si  les  moyens  légaux  lui 
sont  refusés  à  cet  égard  et  si  sa  formation  dans  la 
famille,  dans  la  commune,  dans  les  associations  pro- 
fessionnelles, ne  l'exerce  pas  au  contrôle  de  soi-même 
et  de  ses  affaires.  C'estdire  que  l'expression  démocratie 
représentative  exigerait  encore  bien  des  observations 
spéciales  pour  arriver  à  sa  dernière  précision. 

L'on  voit  par  là  qu'il  faut  prendre  l'expression  «gou- 
vernement du  peuple  par  le  peuple  »  comme  la  for- 
mule très  générale,  très  inadéquate,  d'un  ensemble  de 
faits,  diversifiés  largement  par  espèces  et  variétés. Cette 
formule  ne  suffit  que  pour  tracer  une  démarcation 
sommaire  entre  aristocratie,  monarchie  et  démocratie. 
Mais  une  notion  précise,  complète,  scientifique  de  ce 
dernier  régime  ne  peut  s'acquérir  que  par  l'analyse 
des  types  de  sociétés  et  de  gouvernements  où,  dans  le 
concret,  une  commune,  un  canton  souverain,  un  grand 
Etat  se  gouverne.  Au  prix  seulement  de  ces  observa- 
lions  particularisées,  on  évitera  ce  que  Le  Play  nom- 
mait «  l'abus  des  mots  »  et  «  une  phraséologie  abru- 
lissante  .  Malheureusement  beaucoup  de  lettrés,  de 
journalistes,  de  politiciens  en  donnèrent  ou  en  donnent 
l'exemple,  avec  tant  d'expressions  d'un  sens  très  res- 
pectable, mais  'employées  ^ms  discernement  et  sans 
précision!  Démocratie  est  du  nombre,  avec  liberté, 
-.esprit  moderne,  science  moderne,  civi- 
lisation, l.n  réforme  sociale  en  France,  t.  m,  p.  306. 
Cf.   L'organisatiou  du  travail,  g  56-60. 

2°  Le  second  sens  du  terme  démocratie  dérive  du 
premier.  Qu'un  peuple  vive  en  république  ou  en  mo- 
aarchie,  du  moment  qu'il  admet  le  suffrage  universel, 
le  peuple  v  participe  au  pouvoir.  Dans  un  royaume  ou 
«fuis  mi  empire,  un  élément  de  démocratie  politique 
s'introduit    alors    au    milieu    de    la    constitution.    Son 

avéne ni  noie  en  quel, pic  sorte  la  minorité  dei 

teurs  censitaires,  capacitaires  ou   privilégiés  dans  une 
masse  bien  plus  considérable  d'ouvriers  ou   de  pay- 
sans     en   1848,   le  suffrage  universel  ajouta  pn 
huit  millions  d'électeurs  ouvriers  et  paysans  aux  deux 
cenl  mille  censitaires  de   Louis-Philippe.   Cel    a 
ment  politique,  d'une  part,  et,  de  l'autre,  les  souffrant  i 

iquées  dans  la  classe  ouvrière  par  le-  transforma- 
tions de  l'industrie,  popularisèrent  l'idée  de  gowx 
■  ou  profit  du  peuple,  nier  terme  employé 

dans  le  sens  particulier  de  la  classe  ou  i 
m  pouvoir  par   ton  droit  de  suffragi .  cette 

mullitud pi  ■   !   . 

lus  el  ••  la  preste.  L  ancienne  législatiot 
difla   Paul  Bureau,  Le  contrai  de  travail,  Paris,  1902, 
ji.  209,  Jll.cii.  Benoist,  L'organisation  du  ira 

1905,  p.  !»,  lu    \  l'avén<  ment  politique  de  la  di 
ratie,   un   mouvement   d'opinion  s'ensuit,  qui  ré- 
clame, étudie   et  provoque  d 

loi  nouvelle  sur  les  lyndl 


assurances  obligatoires  contre  les  risques  professionnels 
et  accidents  du  travail,  inspection  des  ateliers,  lois  sur 
l'hygiène  des  locaux  et  des  habitations.  A  raison  de 
l'inspirateur  et  du  bénéficiaire  de  ce  mouvement,  qui 
est  le  peuple,  classe  ouvrière,  tout  ce  mouvement  social 
se  qualifie  démocratique.  Dans  ce  nouveau  sens,  démo- 
cratie représente  une  fin  spéciale  de  l'initiative  privée 
et  de  l'action  gouvernementale.  Au  lieu  de  désigner 
un  régime  politique,  ainsi  que  le  veulent  son  étymologie 
et  son  sens  propre,  il  s'étend  par  analogie  à  un  mou- 
vement social  en  faveur  de  la  classe  ouvrière.  Ce 
n'est  plus  S/jiAoy.paT'a,  ce  serait  plutôt  £r,(jLo;pi);a.  Tel 
est  le  sens  où  nous  disons  :  des  mesures  démocratiques, 
des  lois  démocratiques;  nous  voulons  dire  :  amies  du 
peuple-ouvrier.  Ce  sens  nouveau  est  devenu  classique 
chez  tous  ceux  qui  s'intéressent  au  bien  particulier 
des  travailleurs  manuels,  soit  de  la  campagne  soit  des 
villes.  Fonsegrive,  La  crise  sociale,  p.  438,  440; 
Ch.  Antoine,  Cours  d'économie  sociale,  p.  248.  Nous 
verrons  tout  à  l'heure  comment  Léon  XIII  s'achemina 
vers  ce  sens  nouveau  dans  l'encyclique  Berum  nova- 
rum  et  le  consacra  définitivement  à  un  usage  chrétien 
dans  l'encyclique  Graves  de  communi. 

II.  La  compétenxe  des  théologiens  au  sujet  de  la 
démocratie.  —  Les  analyses  de  termes  et  de  faits  qui 
précèdent  nous  montrent  la  démocratie,  régime  poli- 
tique, et  la  démocratie,  mouvement  social,  comme  deux 
faits  naturels,  qui  relèvent  de  causes  familiales,  pro- 
fessionnelles, économiques,  communales,  gouverne- 
mentales, et  qui  se  subordonnent  essentiellement  aux 
fins  de  la  vie  présente.  C'est  pourquoi  la  démocratie  est 
étrangère  de  soi  à  l'objet  propre  du  théologien,  qui 
est  le  surnaturel  et  la  fin  dernière. 

Un  seul  ordre  de  faits  sociaux  relève  directement  par 
soi  de  la  théologie  :  les  faits  constitutifs  de  l'Église;  et 
aussi  bien,  appartiennent-ils  au  dépôt  de  la  révélation. 
C'est  la  Jérusalem  nouvelle,  dont  le  plan,  même  sur 
terre,  est  descendu  de  Dieu,  tracé  dans  ses  grandes 
lignes  par  Jésus-Christ  et  par  ses  apôtres. 

En  revanche,  nous  constatons  l'absence  de  tout  en- 
seignement révélé  sur  la  démocratie  dans  l'Ecriture  et 
dans  la  tradition.  Et  c'est  pourquoi  il  n'en  est  pas 
question  au  cours  du  développement  dogmatique  réalisé 

par  les    l'eres. 

Mais,  à  partir  des  scolastiques,  la  démocratie  devient, 
au  contraire,  un  objet  d'étude  qui  retiendra  l'attention 
îles  maîtres.  Au  xixe  siècle,  des  papes.  Pie  IX  et 
Léon  XIII.  lui  donneront  une  place  croissante  dans  les 
enseignements  pontificaux.  Voilà  un  double  fait  doc- 
trinal, un  double  fait  catholique,  en  face  duquel  on  se 
demande  ;i  quel  titre  les  papes  et  les  docteurs  croient 
devoir  s'occuper  de  la  démocratie. 

Un  régime  politique,  un  mouvement  social,  ne  se 
propage  ou  ne  s'exerce  pas,  sans  engager  du  droit  ou 
île  l.i  violence,  de  la  justice  ou  de  l'injustice;  sans  -., 
trouver  non  plus  en  sympathie  ou  en  conflit  avec  les 
droits  sociaux  de  l'Église.  Ainsi,  par  des  répercussi 
morales  ou  religieuses,  la  démocratie  intéresse  l'Église 

■  i  tes    théologiens.   Telle  est  du  moins  la  conclusion 
■  ie  i  ili  que  nous  suggère  l'observation  Bommaire  di  - 

Faits,  tassi,  devons-nous  aller  plus  loin.  Pour  chacun 
des  pontil  docteurs  qui  se  sont  occupés  de  la 

démocratie,  nous  aurons  ■<  spécifier  dans  quelle  situa- 
tion  sociale,  de   -a    personne,   de   sa    fonction,   de    SOH 
milieu  civil   ou    religieux,    il   dut  ou    non    intervenir   à 
pi  opos  de  démocratie. 
On  ni  trou  era  pas,  néanmoins,  dans  cet  article,  des 

■  •  ii  eignements  techniqui  el  spéciaux  sur  les  Instilu- 
tions  et  mouvements  démocratiques,  sinon  dans  lu 
mesure  où  leur  intelligence  esl  ne\  expliquer 
1rs  doctrines  catholiques,  Nous  ne  di  nous 

i  ni  dans  l1'  domaine  réseï  i  é  de   I  poli- 

lique  et  sociale;  mais  cependant  n Ii    ons  sufflsam 


279 


DÉMOCKATIE 


280 


ment  y  pénétrer,  l'n  principe  de  méthode,  un  devoir 
professionnel  de  théologien  nous  commande  cette 
extension  de  compétence,  afin  de  juger  intelligemment 
et  en  équité,  au  point  de  vue  chrétien,  la  démocratie. 
La  probité  de  l'étude  et  la  prudence  du  conseil  l'exigent 
également  d'un  spécialiste  de  la  inorale;  en  s'occupant. 
à  de  telles  lins,  de  faits  apparemment  profanes  et  tem- 
porels, le  théologien  ne  sort  pas  plus  de  sa  compétence 
dans  les  choses  divines  et  de  sa  mission  d'enseignement 
religieux,  que  saint  Thomas  n'en  sort  en  étudiant  à  fond 
la  théorie  métaphysique  de  la  nature  et  de  la  personne 
pour  son  traité  de  l'incarnation.  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  se  continue  moralement  et  socialement  dans 
l'Église  enseignante,  étudiante  et  enseignée;  et -si, 
pour  satisfaire  à  leurs  diverses  fonctions,  les  pouvoirs 
enseignants,  les  puhlicistes  enseignés  abordent  le  pro- 
blème moral  de  la  démocratie  et  de  ses  rapports  avec 
la  vie  catholique,  ils  demeurent  aussi  bien  en  commu- 
nion avec  Jésus-Christ  dans  la  pensée  de  son  Église. 
S'ils  quittent  en  apparence  Jésus-Christ,  pour  s'occuper 
de  démocratie  communale  ou  de  lois  ouvrières,  c'est  afin 
de  propager  l'esprit  de  son  Évangile  dans  ce  que  ces 
institutions  doivent  renfermer  de  juste  et  de  fraternel. 

On  aurait  tort,  ici,  de  reprocher  au  théologien  quelque 
inutile  complication  de  son  caractère  :  il  ne  fait  que 
son  devoir  dans  les  limites  de  sa  compétence;  car 
celle-ci  doit  annexer  des  renseignements  de  fait,  histo- 
riques et  sociaux,  aux  principes  de  foi  révélée  et  de 
morale  naturelle  dont  l'Église  est  dépositaire. 

Un  lieu  théologique  de  la  plus  haute  valeur,  un  en- 
seignement pontifical  réitéré  et  approfondi,  nous  cer- 
tifie la  pensée  de  l'Église,  à  propos  de  cette  compétence. 
Dans  sa  Lettre  au  ministre  général  des  frères  mineurs, 
Léon  XIII  écrivait,  le  25  novembre  1898  :  «  Plus  que 
jamais  c'est  sur  le  peuple  que  repose  en  grande  partie 
le  salut  des  États.  Aussi,  étudier  de  prés  la  multitude, 
qui  si  souvent  est  en  proie,  non  seulement  à  la  pau- 
vreté et  aux  durs  labeurs,  mais  encore  à  toutes  sortes 
de  pièges  et  de  dangers  ;  l'aider  avec  amour  d'enseigne- 
ments, de  conseils  et  de  consolations,  tel  est  le  devoir 
des  prêtres  séculiers  et  des  réguliers.  Nous  même,  si 
nous  avons  adressé  aux  évêques  nos  encycliques  sur 
la  franc-maçonnerie,  sur  la  condition  des  ouvriers, 
sur  les  principaux  devoirs  des  citoyens  chrétiens,  et 
autres  du  même  genre,  c'est  surtout  dans  l'intérêt  du 
peuple,  afin  qu'elles  lui  apprissent  à  délimiter  ses 
droits  et  ses  devoirs,  à  .se  diriger  lui-même,  à  tra- 
vailler comme  il  convient  à  son  propre  salut.  »  On 
remarquera,  dans  ces  dernières  lignes,  que  Léon  XIII 
ne  voit  aucune  contradiction,  pas  même  d'impossibilité 
pratique,  dans  l'idée  d'un  peuple  qui  se  dirige  lui- 
même,  exactement  conscient  de  ses  droits  et  de 
ses  devoirs.  Et  c'est  la  classe  ouvrière  qu'il  vise 
directement. 

III.  Saint  Thomas  d'Aquin  :  la  théorie  morale  de 
la  démocratie  au  xme  siècle.  —  /.  les  documents.  — 
1°  Le  Commentaire  sur  la  Politique  d' Aristote.  — 
De  nombreuses  leçons  concernent  la  démocratie  dans 
les  huit  livres  de  commentaires  édités  sous  le  nom  de 
saint  Thomas.  Mais  ce  n'est  pas  là  qu'on  peut  absolu- 
ment reconnaître  sa  pensée  personnelle.  D'abord,  il  ne 
poursuivit  lui-même  la  rédaction  de  cet  ouvrage  que 
jusqu'à  la  fin  de  la  leçon  vie  du  1.  III.  Le  reste  est 
l'œuvre  de  Pierre  d'Auvergne,  un  disciple  fidèle,  en 
qui,  assurément,  se  retrouvent  l'esprit  et  la  méthode 
du  maître,  mais  dont  le  texte,  néanmoins,  ne  saurait 
engager  l'opinion  personnelle  de  saint  Thomas.  De 
Rulieis,  Dissertationes  rriticœ  in  S.  Thomam, 
diss.  XXII,  c.  m,  §  2.  De  plus,  c'est  seulement  à  partir 
de  la  leçon  vr5  au  1.  III,  que  saint  Thomas  commente 
la  division  classique  des  trois  formes  de  gouvernement. 
La  plus  grande  partie  de  ses  commentaires  personnels 
sur  le  régime  démocratique    nous   manque  ainsi  ;    car 


Aristote  en  parle  surtout  dans  les  chapitres  ou  livres 
suivants. 

Du  moins,  possédons-nous  la  leçon  vr.  et  dans  le  I.  IIe 
de  précieuses  observations  sur  la  démocratie,  à  propos 
des  constitutions  de  la  Crète,  de  Carthage  et  de  Lacédé- 
inone.  Lect.  xiii-xvi.  Mais,  on  ne  saurait  oublier  que 
l'originalité  de  saint  Thomas,  commentateur  d'Aristote, 
consiste  précisément  à  s'eflacer  en  entier,  pour  établir 
une  exégèse  littérale  du  Philosophe,  aussi  objective  que 
possible,  sans  trace  de  vues  à  soi,  d'approbations  ni 
d'improbations.  Toute  sa  visée  est  de  réagir  contre 
l'exégèse  sollicitante  qu'il  a  blâmée  chez  Averroès  et 
qu'il  combat  chez  les  disciples  de  Siger  de  lirabant. 
Mandonnet,  Aristote  et  le  mouvement  intellectuel  du 
moyen  âge,  Fribourg,  1899,  p.  40.  A  raison  de  cette 
méthode  particulière,  deux  conditions  s'imposent  dans 
l'usage  des  Commentaires  sur  la  Politique,  si  l'on  veut 
y  retrouver  les  idées  personnelles  de  saint  Thomas  : 
1°  il  faut  que  les  doctrines  formulées  dans  le  Commen- 
taire se  retrouvent  explicitement  dans  quelque  ouvrage 
où  saint  Thomas  parle  en  son  nom  personnel  ;  ou  bien  : 
2°  que  les  doctrines  du  Commentaire  se  reconnaissent 
incluses  dans  les  siennes  propres,  par  voie  de  causalité 
ou  de  conséquence. 

2°  C'est  dans  la  Somme  théologique,  que  l'enseigne- 
ment de  saint  Thomas  sur  la  démocratie  se  formule 
surtout,  sous  forme  d'une  théorie  générale  des  élé- 
ments démocratiques  dans  une  constitution  parfaite. 
Ia  II»,  q.  cv,  a.  1.  Divers  autres  passages  de  la  Somme 
doivent  èlre  aussi  consultés  :  Ia  II»,  q.  xcv,  a.  i;  q.  xc. 
a.  3;  IIa  II',  q.  i  xi,  a.  2. 

3°.  On  ne  doit  pas  oublier  l'important  opuscule  De 
regimine  principum.  C'est  un  cours  de  morale  à 
l'usage  des  rois,  dédié  à  celui  de  Chypre,  Hugues  II  ou 
III  de  Lusignan.  Malheureusement,  de  ses  quatre  livres 
saint  Thomas  ne  rédigea  lui-même  que  le  Ier  et  le  IIe 
jusqu'à  la  moitié  du  c.  iv,  opporlunum  est  igitur.  De 
Rubeis,  Dissertationes,  diss.  XXII,  c.  I.  S  3.  Le  reste 
est  de  Tbolomée  de  Lucques,  un  disciple,  dont  le 
travail  constitue  un  document  ancien  et  curieux  de  la 
sociologie  dans  l'école  thomiste.  Quant  aux  chapitres 
écrits  par  saint  Thomas  lui-même,  la  méthode  compa- 
rative qu'il  affectionne  lui  fournit  l'occasion  d'intéres- 
sants parallèles  où  figure  la  démocratie.  Pas  plus  que 
dans  la  Somme,  d'ailleurs,  il  ne  s'arrête  à  l'étudier 
pour  elle-même  et  à  fond. 

//.  SIMPLE  DÉTAIL  DA.YS  UNE  ŒUVRE  ENCYCLOPÉ- 
DIQUE. —  Elle  vient  au  contraire  comme  un  simple 
détail,  dans  une  vaste  encyclopédie  théologique,  où  de 
nombreuses  questions  morales  sont  abordées.  A  propos 
des  divers  états  de  la  vie  chrétienne,  l'obligation  du 
travail  manuel  est  démontrée,  II'  II',  q.  eixxxvn,  a.  3; 
à  propos  de  vol  et  de  rapine,  les  fondements  du  droit 
de  propriété  sont  établis,  IIa  II'.  q.  i.xvi.  a.  1,  et  le 
droit  particulier  à  la  propriété  individuelle  est  justifié 
parallèlement  au  régime  de  la  communauté,  a.  2.  Dans 
le  traité  de  la  foi,  à  propos  de  l'infidelitas  ou  incroyance 
des  non-baptisés.  les  problèmes  des  relations  civiles 
avec  les  Juifs  ou  les  infidèles,  des  mesures  coërcitives 
ou  défensives  contre  eux.  des  droits  de  souveraineté  ou 
de  patronat  qu'ils  peuvent  avoir  sur  les  chrétiens,  de  la 
tolérance  de  leurs  rites  en  pays  catholique,  du  non- 
baptême  de  leurs  enfants  malgré  eux.  sont  discutes  et 
résolus.  Il»  II*,  q.  x.  a.  8-12.  Dans  le  traité  de  la 
charité,  les  problèmes  de  la  guerre  étrangère  et 
de  la  révolte  civile  sont  également  examines.  Il*  II*, 
q.  xl.  xlii.  Une  morale  sociale  lies  achevée,  sensiblement 
au  point  de  l'époque  et  du  milieu,  pourrait  s'extraire  de 
la  Somme,  ainsi  que  du  Commentai re  sur  les  IV  livres 
des  Sentences,  où,  à  propos  du  mariage,  il  est  longue- 
ment traité  de  la  famille  et  de  l'éducation.  Telle  est  le 
vaste  ensemble  doctrinal,  où,  en  son  lieu,  le  problème 
de  la  démocratie  nous  apparaît  amené.  De  sobres  déve- 


281 


DÉMOCRATIE 


282 


loppements,  très  généraux,  mais  substantiels,  attestent 
pour  lui,  comme  pour  les  autres,  la  double  préoccupa- 
tion d'être  complet  et  d'être  rapide  dans  un  travail 
avant  tout  synthétique.  11  fallait,  en  effet,  que  la  pensée 
des  théologiens  eût  déjà  fait  comme  le  tour  du  monde 
moral  et  de  la  société  humaine,  pour  s'arrêter  à  tous 
ces  éléments  divers  de  la  vie  collective.  Les  Pères, 
spécialisés  rplutôt  dans  les  questions  particulières  qui 
se  soulevaient  tour  à  tour  sur  la  trinité,  l'incarnation, 
la  rédemption  ou  la  grâce,  ne  pensaient  pas  encore  à 
ces  grandes  projections  des  principes  moraux  sur  les 
détails  de  la  vie  sociale;  ou  du  moins,  s'ils  y  pensaient 
pratiquement,  comme  évêques  ou  comme  homélistes, 
prêchant  sur  la  propriété,  l'esclavage  ou  le  mariage,  ils 
ne  vivaient  pas  encore  dans  le  milieu  spéculatif  des 
universités  et  des  Sommes. 

///.     COMPARAISON     DE     LA     DÉMOCRATIE    AVEC    LES 

AUTRES  RÉGIMES.  —  C'est  en  savant  que  saint  Thomas 
aborde  cette  délicate  comparaison,  avec  une  impartia- 
lité tranquille,  aussi  libre  de  toute  passion,  que  s'il 
s'agissait  de  la  matière  ou  des  figures  du  syllogisme.  La 
supériorité  du  régime  monarchique  et  de  son  principe 
à  l'état  pur,  lui  apparaît  dans  l'unité  de  direction  qu'il 
impose  à  la  société  :  elle  lui  est  naturelle,  tandis  que 
dans  les  régimes  polyarchiques,  elle  s'opère  laborieuse- 
ment, et  plus  laborieusement  dans  la  démocratie  que 
dans  l'aristocratie.  A  ce  point  de  vue  de  l'unité,  saint 
Thomas  regarde  donc  la  démocratie  comme  le  plus 
imparfait  des  régimes.  De  reg.  princip.,  1.  I,  c.  n.  Il  est 
pour  le  moins  un  par  essence.  Cf.  la,  q.  cm,  a.  3; 
II»  II",  q.  i.,  a.  1,  ad  2"IM;  Conl.  gent.,  1.  I,  c.  xi.ii. 

Mais  au  point  de  vue  des  abus  possibles  dans  chaque 
forme  de  gouvernement,  «  la  royauté  n'est  la  meilleure 
de  toutes  que  si  elle  n'est  point  corrompue;  or,  en 
vertu  de  la  grande  puissance  qui  est  accordée  au  roi, 
aisément  la  royauté  dégénère  en  tyrannie,  à  moins  que 
le  potentat  ne  soit  doué  d'une  parfaite  vertu...  Mais  la 
parfaite  vertu  se  trouve  en  bien  peu  d'hommes.  »  Com- 
ment, in  libros  Elhicorum,  1.  X,  lect.  vin  ;  Sum.  theol., 
la  II",  q.  CV,  a.  1,  ad  2"m.  Et  c'est  pourquoi  saint  Tho- 
mas préfère  une  monarchie  où  des  pouvoirs  appropriés 
tempèrent  celui  du  roi.  De  reg.  princip.,  I.  I,  c.  VI. 
C'est  que  la  tyrannie  d'un  seul  est  le  pire  des  mauvais 
régimes  :  »  Sou--  un  régime  injuste,  plus  il  y  a  d'unité 
dans  le  pouvoir,  plus  le  pouvoir  est  malfaisant.  La 
tyrannie  est  donc  plus  dangereuse  qu'une  aristocratie 
corrompue,  ou  oligarchie,  et  celle-ci,  plus  danger 
que  la  démocratie.  De  tous  les  mauvais  régimi 
démagogie  est  le  plus  supportable,  et  la  tyrannie,  le 
plus  nuisible,  i  Ibid.,  I.  I,  c.  m.  Dana  une  démagogie, 
an  moins,  si  la  multitude  pauvre  opprime  les  riches  par 
la  force  du  nombre,  du  moins  vise-t-elle  au  bien  d'un 
plus  grand  nombre,  tandis  que  dans  une  oligarchie, 
le  bien  d'une  minorité,  el  dans  une  tyrannie,  le 
bien  d'un  Beul  qui  prime  tout.  Ibid.  Cf.  c.  vin. 

Malgré  leur   infériorité  à    promouvoir  l'union,   nne 
aristocratie  ou  une  démocratie  intéressent  davantage 

1rs  citoyem  au  biet mun  :  ■•  Il  arrive  souvent  que 

1rs  hommes  vivant  sous  la  domination  d'un  ■-<  •■  travail- 
lent peu  pour  le  bien  commun,  persuadés  d'avance  qui 
tout  ce  qu'ils  feraient  dans   l'intérêt  général  ne  leur 

il  point  rapporté  el  tournerait  i  l'honneur  de  i  •  lui 
qui  a  le  monopole  di  ci  I  inti  n  i  Mais,  quand  on  voit 
le  bien   commun   ne   pas  dépendre  d'un  seul,  chacun 

plique  à  le  promouvoir,  non  pis  comn 
le  bien  d'un  autre,  mais  com le  sien  propre.  \u  si 

a  pu    con  -  i  [mentalement    qu'une    ville 

i  ils   dont    l'autoi  ité 
qu'annuelle,    i  -'  parfois  plus  poissante  qu  un  roi  en 

De  plus,  de  faibli 
charf                      par  di      rois  sont  suppôt 
beaucoup  plu   d  in  patii  ai  i  que  di    chargi    plu   li 
imposées  par  la  co unauti  d       on  l'avait 


déjà  remarqué  au  temps  de  la  République  romaine.  » 
De  reg.  princip.,  1.  I,  c.  ni.  Cf.  Crahay,  La  politique 
de  saint  Thomas  d'Aquin,  Louvain,  1896;  R.  P.  Mon- 
tagne, 0.  P.,  La  pensée  de  saint  Thomas  sur  les 
diverses  formes  de  gouvernement,  dans  la  Revue  tho- 
miste, janvier  et  juillet  1901  ;  janvier  et  juillet  1902. 
Ce  n'est  donc  pas  un  partisan  Ae  tel  ou  tel  régime,  que 
nous  rencontrons  chez  saint  Thomas,  mais  un  critique 
impartial  des  avantages  et  des  inconvénients  inhérents 
au  principe  ou  à  l'abus  de  chacun.  Cette  liberté  d'esprit 
explique  bien  la  préférence  finale  du  moraliste  pour  un 
régime  tempéré,  où  les  trois  formes  de  gouvernement 
interviendraient  chacune  dans  une  certaine  mesure  : 
est  eliam  aliquod  regimen  ex  istis  commixlum,  quod 
est  optimum.  Sum.  theol.,  Ia  II",  q.  xcv.a.  4. 

IV.  LES  ÉLÉMENTS  DÉMOCRATIQUES  HIC  LA  CONSTITU- 
TION parfaite.  —  Sum.  theol.,  Ia  H»,  q.  CV,  a.  1. 
«  Relativement  à  la  bonne  ordonnance  des  pouvoirs 
dans  une  cité  ou  une  nation,  deux  choses  sont  à  consi- 
dérer :  1°  Que  tous  aient  quelque  part  dans  le  gouver- 
nement. Par  là  se  conserve  la  paix  du  peuple  :  tout  le 
monde  aime  et  soutient  l'ordre  ainsi  établi,  comme  le 
dit  Aristote,  Politique,  1.  II,  c.  VI,  §  15.  —  2°  Il  faut  consi- 
dérer de  quelle  espèce  est  le  régime  existant,  la  hiérar- 
chie des  pouvoirs.  Il  s'en  rencontre  de  plusieurs  sortes; 
mais  comme  le  dit  Aristote,  Politique,  1.  III,  c.  v,  §  2, 
4,  les  principales  sont  :  1°  la  royauté,  gouvernement 
d'un  seul,  conformément  à  la  vertu  ;  2"  l'aristocratie, 
gouvernement  des  meilleurs,  confié  à  un  petit  nombre 
pour  l'exercer  d'après  lu  vertu.  Par  suite,  la  meilleure 
constitution  dans  une  cité  ou  dans  un  royaume  existe, 
là  où  un  seul  est  promu  selon  la  vertu,  pour  qu'il 
préside  à  tous,  en  même  temps  que,  sous  lui,  d'autres 
gouvernent  selon  la  vertu.  Et  aussi  bien,  ce  gouver- 
nement appartient  à  tous,  parce  que  tous  peuvent  être 
élus  aux  charges  d'après  le  suffrage  de  tous.  Telle 
estla  meilleure  constitution  :  bien  composée  de  royauté, 
en  tant  qu'un  seul  préside;  d'aristocratie,  en  tant 
que  beaucoup  gouvernent  selon  la  vertu;  enfin  de 
démocratie,  en  tant  que  les  gouvernants  peuvent  être 
choisis  parmi  le  populaire  et  qu'au  peuple  appartient 
l'élection  des  gouvernants.  » 

Ce  plan  de  constitution  fait  une  large  part  aux  élé- 
ments démocratiques  :  1°  par  le  principe  du  suffrage 
universel;  2°  par  le  principe  des  charges  électives,  y 
compris  la  suprême.  Saint  Thomas  dissocie  donc  là  le 
principe  monarchique  du  principe  dynastique  :  le  prin- 
cipe monarchique  est  sauf  pour  lui,  du  moment  que 
représenté  par  un  individu  qui  gouverne  vraiment  en 
chef,  bien  qu'assisté  de  conseils  et  contrôlé.  Ce  n'est 
plus  le  monarque  absolu,  seul  détenteur  de  tous  les 
pouvoirs;  ni  le  monarque  constitutionnel  ou  le  prési- 
dent électif,  simples  chefs  de  l'exécutif,  avec  un  parle- 
ment souverain.  On  laisserait  la  pensée  de  saint  Tho- 
mas, en  voulant  la  réduire  à  l'échelle  et  au  type  de  nos 
régimes  modernes;  il  faut  la  voir  dans  sa  réalité  ori- 
ginale, en  dehors  de  nos  classements  actuels.  S'il  regarde 
un  monarque  comme  l'un  des  éléments  nécessaires  di 
ii  parfaite  constitution,  c'est  un  monarque  électif, 
entouré  de  conseillers  el  d'agents  élus,  el  sorti  comme 
eux  tous  du  suffrage  univei  sel  L'i  lite  gouvernante  et  le 
chef  suprême  sont  d'oi  igim  i  I  de  facture  démocratique. 

v.  ils  RAPPORTS  hi  CETTE  TBÉORU  AVBl  il:  Vlini 
ISTBl  POLITIQUE,  lui  n.l  II  \   m    \l\   \n    BAIN! 

TBOMA8.  --  l"  l.e  milieu  intellectuel  de  sainl  Thomas 

le  mettait  en  contact  intime,  prolon  un  Aristote 

étudié  critiquement.  Mandonnet,   \ristoteel  le  mouve- 
ment intellectuel  du  moyen  âge,  p   63,05   aussi,  ipn 
son  long  et  méritoire  effort  d'abnégation  personnelle 

.i  oi    i  analyse  et  dans  i  i  la  Politique,     uni 

inche  en  véritable  philosophe,  dans  une 
'  lui  qu'il  opère 
la  Métaphysique  du  Stagyrite,  lia  trouvé  cl 


283 


DÉMOCRATIE 


284 


dernier  une  conception  de  la  société  politique  essen- 
tiellement modelée  sur  la  cité  grecque,  celle-ci  érigée 
en  idéal  humain,  avec  la  naiion,  société  pour  barbares, 
comme  son  repoussoir,  de  nature  étrangère  et  de  qua- 
lité inférieure.  Politique,  1.  I,  c.  i,  iv  (alias  vin.  Pour 
saint  Thomas,  au  contraire,  la  cité  ne  constitue  qu'une 
variété  des  sociétés  politiques,  sur  le  môme  rang  que  la 
nation.  Sum.  Iheol.,  Ia  H*,  q.  cv,  a.  1.  L'expression 
même  de  civilas  se  dépouille  de  tout  sens  urbain, 
pour  désigner  en  général  «  la  communauté  parfaite  »  ou 
société  politique.  Ibid.,  q.  xc,  a.  2,  3,  ad  3um.  Cf.  Poli- 
lie,  1.  I,  lect.  i.  On  se  rend  compte  aisément  du  genre 
d'observations  qui  provoquaient  cet  élargissement  du 
terme  civitas  et  cette  rétrogradation  de  la  cité  sur  le 
même  rang  que  la  nation.  Au  lieu  de  vivre  comme 
Aristote  dans  le  monde  grec,  saint  Thomas  vit  dans  une 
Europe  où  des  nations  se  constituent.  Et  puis,  dans  le 
passé,  le  spectacle  de  la  nation  juive  l'impressionne 
aussi  :  c'est  elle  qui  lui  donne  sujet  de  formuler  sa 
théorie  sur  le  meilleur  gouvernement  soit  des  cités  soit 
des  nations.  Sum.  Iheol.,  W  IIe,  q.  cv,  a.  1. 

L'indépendance  de  saint  Thomas  à  user  d'Aristote 
s'affirme  encore  dans  la  manière  dont  il  entend  la 
maxime  de  ce  dernier  :  «  que  tous  aient  une  part  dans 
le  gouvernement.  »  Aristote  l'entend  de  la  totalité  des 
bourgeois  à  l'aise,  non-ouvriers,  ni  artisans,  ni  paysans  . 
Polilic,  1.  III,  c.  m,  §  2,  3;  1.  IV  (ou  VII),  c.  vin,  §  2- 
Saint  Thomas  ne  pose  aucune  de  ces  exclusions  :  le 
populus  et  les  populares  représentent  pour  lui  la  mul- 
titude entière.  Sum.  iheol.,  IIa  IIœ,  q.  cv,  a.  2.  Il  insiste 
sur  le  droit  de  tous  comme  électeurs  et  comme  éli- 
gibles  :  certaines  institutions  de  Moïse,  Deut.,  1, 13,  15; 
Exod.,  xviii,  21,  lui  semblent  bien  réaliser  son  type  : 
principes  assumebanlur  ex  toto  populo  et  etiam  popu- 
lus eos  eligebal.  Sum.  Iheol.,  II»  II*,  q.  cv,  a.  1.  A  noter 
cependant  les  privations  de  droits  civiques  pour  cause 
d'âge  ou  de  sexe  .  Les  femmes  et  les  enfants,  dit  saint 
Thomas,  sont  a  demi. citoyens  par  le  droit  d'habitat, 
mais  ne  le  sont  point  absolument,  puisqu'ils  manquent 
du  droit  de  suffrage.  Ibid.,  a.  3,  ad  lum,  2l,m. 

En  3e  lieu,  Aristote  considère  la  cité  comme  l'œuvre 
humaine  par  excellence;  c'est  pour  lui  la  meilleure  et 
la  plus  divine  des  fins  à  laquelle  un  individu  puisse  et 
doive  se  subordonner.  En  conséquence,  l'individu  lui 
appartient  comme  la  partie  au  tout  qui  le  fait  être  et 
qui  lui  parachève  son  bien.  Polilic,  1.  I,  c.  i,  §  11-13. 
«  C'est  une  grave  erreur  —  déclare  le  Stagyrite  —  de 
croire  que  chaque  citoyen  est  maître  de  lui-même  :  ils 
appartiennent  tous  à  la  cité,  puisqu'ils  en  sont  les  élé- 
ments, et  que  les  soins  donnés  aux  parties  doivent 
concorder  avec  les  soins  donnés  au  tout.  »  L.  V  (ou  VIII), 
c.  i,  §  2.  Aussi  est-il  «  de  toute  évidence  »  pour  Aris- 
tote que  «  la  loi  doit  régler  l'éducation  et  que  celle-ci 
doit  être  publique  »,  c'est-à-dire  nécessairement  une 
et  uniforme  pour  tous,  comme  à  Lacédémone.  Or, 
saint  Thomas  pense  au  contraire  que  l'éducation  appar- 
tient à  la  famille,  tout  aussi  bien  que  l'entretien  phy- 
sique. Les  enfants  doivent  achever  de  se  faire  hommes 
dans  le  milieu  familial, sicut  in  quodam  spirituali  utero. 
C'est  de  droit  naturel.  «  Il  serait  contre  la  justice  que, 
avant  l'âge  de  raison  [où  il  devient  son  maître  et  dispose 
de  soi],  l'enfant  fût  enlevé  aux  soins  de  ses  patents  ou 
bien  que  l'on  ordonnançât  à  son  sujet  des  mesures  con- 
traires à  ce  qu'ils  veulent.  »  Sum.  Iheol.,  11*11»,  q.  \, 
a.  12.  Néanmoins,  des  mesures  légales  peuvent  devenir 
justes  et  nécessaires  en  matière  d'éducation,  si  le  bien 
public  les  requiert  :  l'enfant  est  un  futur  citoyen,  que 
sa  famille  prépare  à  sa  vie  civique,  non  moins  qu'à  sa 
vie  privée;  en  ce  cas,  le  législateur  agit  sur  l'éducation 
familiale  et  scolaire,  œuvres  privées  en  soi,  par  le 
moyen  de  ses  droits  sur  leurs  agents  propres,  pour  le 
bien  général  de   la  justice  et  de  la  paix.  Sum.  Iheol., 

I"  H'',  q.   XCVI,  a.  3. 


Saint  Thomas  reçoit  donc  seulement  à  correction  le 
principe  aristotélicien  de  la  subordination  du  citoyen  à 
la  cité  sous  tout  rapport,  comme  la  partie  au  tout.  Il  le 
reçoit,  d'une  pari,  II"  II*,  q.  i.viu,  a  5;  q.  i.xi,  a.  1; 
q.  i.xiv,  a.  2,  et  c'est  ce  qui  lui  fait  dire  que  l'homme 
tout  entier  se  doit  au  bien  de  sa  cité  ou  de  son  pays 
comme  à  sa  lin.  II»  II»,  q,  i.xv,  a.  1.  Mais,  d'autre  part, 
son  pays  ou  sa  cité  lui  doit  son  bien  personnel  :  c'est 
la  justice  distributive  déjà  si  bien  décrite  par  Aristote. 
Il»  IL,  q.  i.xi,  a.  1-4;  Ethic,  1.  V.  lect.  îv  sq.  Or,  te 
bien  personnel  de  l'homme  inclut  deux  sortes  de 
droits  dont  l'objet  constitue,  pour  saint  Thomas,  une 
fin  supérieure  aux  droits  mêmes  de  l'État  :  1"  les 
droits  naturels  de  la  personne  humaine,  contre  les- 
quels aucune  autorité,  paternelle,  patronale,  royale,  ne 
peut  prescrire,  sinon  à  titre  de  pénalité,  en  cas  de 
fautes  extérieures,  et  selon  les  limites  propres  du  pou- 
voir qui  s'exerce.  II»  II»,  q,  civ,  a.  5.  Cf.  q.  i.xiv,  a.  2, 
3,  5;  q.  lxv,  a.  1,  2.  —  2»  La  cité  n'a  pas  prise  non  plus 
sur  les  droits  religieux  et  surnaturels  du  citoyen, 
parce  que  «  si  le  bien  de  la  chose  publique  est  le  pre- 
mier des  biens  humains,  le  bien  divin  est  supérieur  à 
tout  bien  humain.  »  ila  II1,  q.  cxxiv,  a.  5.  De  là,  une 
conclusion  thomiste  qui  eût  fait  sursauter  le  philosophe  : 
Homo  non  ordinatur  ad  communitatem  politicam 
secundum  se  lotuni  et  secundum  omnia  sua.  I*  II*, 
q.  xxi,  a.  4,  ad  3"m. 

Ce  respect  de  la  personne  et  de  ses  droits  naturels 
est  inconnu  des  Grecs,  de  même  que  la  notion  de  la 
personne,  confondue  implicitemeut  avec  celle  du  sin- 
gulier et  de  l'individu.  Mais  les  controverses  trini- 
taires  et  christologiques  amenèrent  les  Pères  d'abord 
et  puis  les  scolastiques  à  dégager  aussi  nettement  que 
possible  la  notion  métaphysique  de  la  personne.  Tixe- 
ront,  Des  concepts  de  nature  et  de  personne  dans  les 
Pères  et  les  écrivains  ecclésiastiques  des  V  et  VF  siècles, 
dans  la  Bévue  d'histoire  et  île  littérature  religieuses, 
1903,  p.  582,  592;  E.  Hugon,  0.  P.,  Les  notions  de 
nature,  substance,  personne,  dans  la  Bévue  thomiste, 
1908.  p.  753,  769.  Bénéficiaire  de  cette  lente  élaboration. 
saint  Thomas  reconnaît  la  personne  comme  la  réalité 
la  plus  parfaite  dans  toute  la  nature,  puisqu'elle  pos- 
sède et  la  nature  raisonnable,  qui  est  supérieure  a 
toute  autre,  et  le  mode  suprême  de  l'existence,  qui  est 
d'exister  par  soi.  Sum.  Iheol.,  Ia,  q.  xxix,  a.  3;  Quœstio- 
nes  disputatœ,  De  polenlia,  q.  ix,  a.  3.  Elle  possède 
la  propriété  d'agir  par  soi.  conséquemment  à  son 
mode  d'existence,  De  potentiel,  q.  IX,  a.  1,  ad  3"n\ 
conséquemment  aussi  elle  vit  pour  soi,  se  gouverne  ou 
est  gouvernée  pour  soi,  c'est-à-dire  pour  le  bien  de  la 
nature  qu'elle  possède,  comme  pour  sa  vraie  fin.  Cont. 
génies,  1.  III,  c.  cxu.  De  là,  le  rigoureux  devoir  qu'a 
l'État  de  procurer  à  chacun  des  particuliers,  selon  sa 
nature  et  son  mérite,  les  avantages  du  bien  commun, 
d'après  les  formes  propres  à  chaque  type  de  gouver- 
nement. Dans  une  démocratie,  ce  sera  la  liberté.  Sum. 
Iheol.,  II"  II»,  q.  lxi.  a.   1. 

Ce  sont  là,  il  est  vrai,  des  considérations  éparsesdans 
l'œuvre  de  saint  Thomas,  et  dont  il  ne  fait  guère  qu'un 
usage  métaphysique.  Il  n'a  pas  beaucoup  développé  leurs 
conséquences  morales  et  civiques;  mais  néanmoins 
notion  de  la  personne  demeure  comme  sous-jacentedans 
les  réserves  qu'il  pose  aux  doctrines  d'Aristote  sur  la  to- 
tale appartenance  du  citoyrii  a  la  cité,  dans  sa  notion  si 
ferme  des  devoirs  de  celle-ci  envers  les  personnes 
privées.  Aristote  est  un  communautaire  absolu;  saint 
Thomas  introduit  dans  l'aristotélisme  un  élément  de 
particularisme,  qu'il  doit  intellectuellement  à  sa  notion 
métaphysique  de  la  personne  humaine  et  de  ses  droits 
naturels,  et  à  sa  notion  de  la  lin  dernière  surnaturelle. 
Pour  Aristote.  c'est  la  cité  qui  est  la  fin  de  l'individu  ; 
pour  saint  Thomas,  c'est  le  bien  île  la  personne  hu- 
maine, naturel  et  surnaturel,  qui  est  la  fin  de  la  cité. 


285 


DEMOCRATIE 


28G 


Ici  le  milieu  chrétien,  où  se  développe  la  pensée  scolas- 
tique,  réagit  sur  les  doctrines  que  celle-ci  emprunte  au 
milieu  hellénique;  sans  nier  qu'à  certains  égards,  le 
citoyen  ne  doive  se  subordonner  au  bien  de  la  cité 
comme  au  bien  de  son  tout  et  à  une  véritable  fin, 
saint  Thomas  aperçoit  de  plus  hautes  fins  auxquelles 
la  cité  même  doit  se  subordonner  pour  le  bien  de 
l'homme  et  du  chrétien. 

2°  Dans  le  milieu  politique  du  xme  siècle,  ce  ne  sont 
pas  des  modèles  adéquats  qu'on  peut  retrouver,  comme 
donnant  corps  aux  vues  de  saint  Thomas  sur  les  élé- 
ments démocratiques  de  la  constitution  parfaite.  Cepen- 
dant, à  côté  des  dynasties  royales  et  des  familles  aristo- 
cratiques installées  clans  toute  l'Europe,  une  démocratie 
véritable  se  réalise  dans  le  mouvement  communal,  pré- 
cisément au  xme  siècle.  Les  premiers  citoyens  des 
villes  sont  des  artisans  et  des  marchands,  à  qui  la 
communauté  des  intérêts,  du  voisinage  et  des  dangers 
lit  conclure  des  alliances.  «  Partout  au  Xe  et  XIe  siècle, 
on  les  trouve  unis  dans  les  Ghildes,  et  partout  ces 
Ghildes  bourgeoises  sont  confondues  avec  la  commune  ; 
l'autorité  de  la  Ghilde  est  celle  de  la  cité  :  à  Londres,  la 
Ghilda  mercatoria,  à  Cologne,  la  Richerzeclieit,  à  l'a- 
ris,  les  mercatores  aquœ,  en  Flandre,  les  Geschlechten. 
Ce  sont  les  génies,  les  lignages,  les  patriciens  de 
naissance.  Investis  du  monopole  du  pouvoir,  ils  de- 
viennent arrogants  et  s'érigent  en  aristocratie  fermée. 
Mais  ils  ne  sont  plus  seuls.  Ils  ne  constituent  plus 
toute  la  cité  politique;  des  parvenus  se  sont  établis  à 
cùté  d'eux,  se  sont  enrichis  et  ont  formé  de  nouvelles 
G/tildes  qui  égalent  les  anciennes  en  richesse  et  en  con- 
sidération qui  revendiquent  leur  part  d'autorité  et 
d'honneurs,  En  Angleterre,  en  Allemagne,  en  Flandre, 
les  rivalités  éclatent.  En  général,  la  lutte  finit  par  une 
transaction  :  les  nouvelles  Ghildes  obtiennent  leur 
place  au  conseil  de  la  cité.  Le  patriciat  bourgeois,  qu'on 
peut  en  quelque  sorte  considérer  comme  la  fusion  de 
la  propriété»  et  du  capital  dégagés  des  liens  féodaux,  est 
constitué  sous  sa  forme  définitive.  Mais  cette  classe 
dirigeante  abuse  de  sa  puissance,  se  complaît  dans  l'oi- 
siveté, fait  des  règlements  pour  exclure  de  la  vie  corpo- 
rative  ceux  qui  a  ont  les  mains  sales  et  les  ongles  noirs 
ou  qui  crient  leurs  marchandises  dans  la  rue  ».  A  mo- 
que la  richesse  publique  s'accroit,  l'antagonisme 
lasses  et  des  intérêts  s'accuse  davantage.  Partout, 
an  mu    siècle.  ■ni,  le  travail,  entre 

en  8<  dresse  contre  les  Ghildes  patriciennes. 

Prenez  Paris  ou  Londres,  Gand  ou  Bruges,  Bruxelles 
mi  Cologne,  Francfort  ou  Augsbourg,  les  travailleurs 
i  méprisés  par  la  bourgeoisie  ont  pour  bou- 
clier  le  droit  corporatif  et,  imitant  l'organisation  qu'ils 
avaient  sons  I  ment  des  unions  pour  la  pro- 

tection du  travail.  Ces  plébéiens  ni'  demandaient  pas  le 
partage  des  biens,  ils  ne  déclaraient  pas  la  pierre  au 
capital  dont  il-  se  servaient  eux-mêmes.  Ils  combattaient 
pour   i'égo  lique,    poui    la   /■"  <"<.■ 

affaire»  publiques,  el     il»  voulaient  intervenir  dam  le 
ernement,  c'éta  garantir  leur  gagne-pain 

ri  leui    indépenda  n, h  //es  haulei 

Ce  qui  domine  dans  cette  lutte  séculaire  et 
dans  l'accession   graduelle   d<  -eu-  .m    droit 

corporatif,  c'est,  au  milieu  de  la  violence  des  pa 
et  malgré  le  choc  furieux  des  partis,  la  modération  des 
ntioni  populairei        Prins,   Lu  démocratie  cl  le 
i  ■  ■  ,    Bi  uxelles,  1888,  p,  H,  57,  De  ce 

mouvement   résultait    nue  large  part  de  la  démocratie 
rnemenl  des  communes  libre-  ou  souverain 
élection  det    conseil  bourgmestres,  s\n- 

parfois  même,  i me  |<  m  bourg- 

mestres,  l'un  patricien  et  l'autre  plébéien,  représen- 
taient la  I  n  entre  le  peuple  el  les  nobles  de  1 1 
cité'.  Prin  Cette  inle  action  de  la 
i nemenl  des  \iiie^  attire 


manifestement  l'attention  de  saint  Thomas  dans  le  passage 
du  De  regimine  principum ,  où  il  invoque  l'expérience 
des  municipes,  régis  par  des  magistrats  annuels,  1.  I, 
c.  ni.  C'est  là  que  se  réalisait  l'application  de  tous  aux 
intérêts  communs  et  ce  support  allègre  des  charges 
publiques,  même  lourdes,  par  où,  selon  saint  Thomas, 
le  gouvernement  populaire  l'emporte  sur  le  gouverne- 
ment royal.  Il  n'est  donc  pas  téméraire  de  conclure  à 
une  réelle  inlluence  du  mouvement  communal  et  de  sa 
poussée  démocratique  au  xme  siècle,  sur  le  vœu  de 
saint  Thomas  que  tout  le  monde  participe  au  pouvoir. 
Cf.  Perrens,  Histoire  des  tendances  démocratiques 
dans  les  populations  urbaines  au  xiv*  siècle,  Paris, 
1873. 

3°  Des  observations,  des  expériences  plus  intimes 
s'aperçoivent  encore  à  l'origine  de  ces  idées.  Dans  les 
couvents  dominicains  où  vivait  saint  Thomas,  l'institu- 
tion monarchique  du  prieur  conventuel,  du  provincial, 
du  maître  général  de  tout  l'ordre;  l'institution  aristo- 
cratique des  conseils  de  couvent  ou  de  province,  des 
chapitres  provinciaux  ou  généraux  se  tempéraient 
d'éléments  démocratiques:  élection  des  prieurs  con- 
ventuels par  les  religieux  prêtres  et  profès;  adjonction 
de  ces  derniers  assemblés  en  chapitres  conventuels, 
pour  sanctionner  certains  votes  importants  des  conseils  ; 
élection  de  députés  des  couvents  aux  chapitres  provin- 
ciaux, par  les  religieux  de  chaque  maison.  Lacordaire, 
Vie  de  saint  Dominique,  c.  vin;  R.  P.  Mortier,  O.  P., 
Histoire  des  mailres  généraux  de  l'ordre  de  saint  Dn- 
minique,  t.  i,p.  77,82.  Les  frères  prêcheurs  appliquaient 
là  une  tendance  générale  de  la  vie  religieuse  en  Occi- 
dent, à  l'organisation  particulière  de  leur  régime.  Des 
principes  analogues  se  retrouvent  aussi  bien  dans  cette 
sorte  de  domaine  complet  et  de  cité  autonome  qu'est 
l'abbaye  bénédictine.  Dom  Cabrol,  Bénédictins,  dans 
le  Dictionnaire  d'archéologie  chrétienne,  t.  n,  col.  666. 
«  Le  régime  qui  est  supposé  par  la  règle  [de  saint  Be- 
noit] ne  répond  pleinement  à  aucun  des  qualificatifs 
que  nous  donnons  à  un  gouvernement  absolu,  ou 
représentatif,  monarchique  ou  démocratique.  Par  le 
pouvoir  très  étendu  donné  à  l'abbé,  il  est  fortement 
monarchique;  par  le  droit  donné  à  tous  d'élire  leur 
chef,  d'avoir  une  voix  au  conseil,  d'être  éligible  à  toutes 
les  fonctions,  ce  régime  apparaît  démocratique.  Les 
res  et  les  decani  ont  cependant  une  autorité  spé- 
ciale et  représentent,  si  l'on  veut,  un  élément  de  gou- 
vernement oligarchique.  La  règle,  à  laquelle  tous 
doivent  obéissance,  in  omnibus  omnes  magistram 
sequuntur  régulant,  peut  être  considérée  comme  la 
charte  d'un  régime  constitutionnel.  »  D.  Cabrol,  lue. 
cit.,  col.  669.  Monastiques  donc  ou  canoniales.  I.  - 
habitudes  et  les  maximes  de  la  discipline  religieuse 
favorisaient  positivement  l'idée  de  ce  gouvernement 
tempéré,  ou  saint  Thomas  l'ait  sa  place  à  la  démocratie 
par  le  suffrage  et  l'éligibilité  également  universels  Sa 
théorie  de  la  constitution  parfaite  cadre  aussi  bien  avec 
souvenirs  du  Mont-Cassin  où  il  fut  élevé  el  ses 
habitudes  dominicaine-,  qu'avec  ses  observations  sur 
le  mouve ni  communal.  Au  lieu  de  ces  g  réminis- 
cences I  el  de  ces  i  pièce-  rapportées  ».  que  Paul  .lanel 
croit  retrouver  seules  dans  les  doctrines  politiqui 
saint  Thomas,  nous  retrouvons  ici  des  expériences  el 
di  observations  â  l'appui  de  vues  originales  et  person- 
nelles. Cf.  Paul  Janei.  Histoire  de  la  science  politique 
dans  tes  rapports  avec  la  morale,  Paris,  1872,  t.  i, 
p.  135. 

\l.    i   \LBVR   PRATIQUE   II     Uoiim  I     lu     l,\    OOCTRIXE 

thomiste.  La  politique  d'Aristote  unissait  des  vues 
el  des  doctrines  de  philosophie  morale  i  des  observa- 
tiom  me  sociale  et  politique 

on  y  trouve  des  i graphies  de  la  constitution 

tiate,  carlhag ie  ou  ci  côté  de  théories  sur 

i  tus  du  citoyen,  La  Somme  de  sainl  Thomas  el  le 


287 


DEMOCRATIE 


288 


De  regimine  principum  abandonnent  les  points  de 
vue  descriptifs,  monographiques  et  concrets,  de  la 
science  positive,  pour  s'en  tenir  aux  considérations 
morales.  Dans  cet  ordre  de  pensées,  trois  sciences  par- 
ticulières, purement  philosophiques,  intègrent  la  ino- 
rale humaine  :  monasliea,  la  science  de  la  morale 
individuelle;  œconomica,  la  morale  domestique;  poli- 
tica,  la  morale  civique.  Elltic,  1.  I,  lect.  i,  S  Sic  ergo 
moralis  p/iilosophia...  jusque  multitudo  civilis  quœ 
vocatur  polilica.  Mais  les  vertus  et  les  devoirs  qu'im- 
posent ces  trois  morales  —  n'en  faisant  qu'une  au 
fond  —  sont  ramenés  dans  la  Somme  de  théologie  au 
cadre  général  des  lois,  des  vertus,  des  états  de  la  vie 
chrétienne;  et  c'est  ainsi  que  l'esquisse  d'une  consti- 
tution parfaite  appartient  au  traité  des  lois  et  prend 
occasion  de  vues  rétrospectives  sur  la  loi  de  Moïse  et 
la  constitution  du  peuple  héhreu. 

C'est  pourquoi  les  vues  de  saint  Thomas  sur  les  élé- 
ments démocratiques  de  la  constitution  parfaite 
planent  surtout  dans  la  région  de  l'idéal  et  du  désirable  : 
il  ne  se  demande  pas  à  quel  royaume  ou  à  quelle  cité 
de  son  temps  son  esquisse  de  constitution  pourrait 
bien  convenir.  Abstraction  faite,  au  contraire,  des  con- 
tingences particulières,  des  exigences  pratiques  ici  ou 
là,  il  considère  la  démocratie  dans  l'hypothèse  de  son 
fonctionnement  normal,  avec  les  devoirs  qu'elle  impose 
à  la  multitude.  C'est  ne  sortir  du  réel  que  pour  y  ren- 
trer de  très  haut,  en  rappelant  à  tous  qu'une  démo- 
cratie fonctionne  bien  dans  la  mesure  où  le  suffrage 
universel  et  ses  élus  opèrent  selon  la  vertu.  Secundum 
virtutem  :  l'expression  revient  jusqu'à  cinq  fois  dans 
l'art.  1er  de  la  q.  cv. 

Et,  en  effet,  Aristote  observait  que  dans  un  régime 
où  le  citoyen  fait  acte  de  prince,  lorsqu'il  vote,  délibère, 
légifère,  juge  un  procès  ou  administre  une  charge,  et 
acte  de  sujet,  lorsqu'il  reçoit  une  loi  ou  une  sentence, 
les  vertus  personnelles  et  les  vertus  domestiques  ne 
suffisent  pas.  Il  faut  les  vertus  politiques  :  de  la  pru- 
dence, de  la  justice,  non  plus  seulement  pour  son  bien 
propre  et  pour  celui  de  sa  maison,  mais  encore  dans 
la  poursuite  et  le  maintien  du  bien  public.  Politique, 
1.  III,  c.  i.  Saint  Thomas  commente  cette  morale  ci- 
vique avec  sa  précision  et  son  exactitude  habituelles, 
lect.  i,  et  Ethic,  1.  VI,  lect.  vu.  De  là  s'inspirent  ses 
articles  sur  la  prudence  politique.  Sum.  theol.,  IL'  II ', 
q.  L,  a.  1,  2.  Dans  le  citoyen  qui  fait  acte  de  gouver- 
nement, il  faut  donc  la  prudence  d'un  législateur  et 
d'un  roi,  et  de  la  prudence  encore,  dans  le  citoyen  qui 
obéit,  avec,  de  part  et  d'autre,  une  justice  appropriée. 
Sum.  theol.,  IIa  II*,  q.  L,  a.  1,  ad  lum;  In  IV  Sent., 
dist.  XXXIII,  q.  ni,  a.  1,  q.  iv. 

Cette  ferme  doctrine  sur  les  vertus  civiques  nous 
donne  la  raison  de  l'insistance  que  met  saint  Thomas 
à  inculquer  les  dictées  de  la  vertu  aux  électeurs  et  aux 
élus  du  peuple.  Aucun  gouvernement  n'a  besoin  d'une 
moralité  plus  générale  et  mieux  équilibrée  de  justice 
et  de  sagesse,  que  celui  où  chaque  citoyen  fait  tour  à 
tour  acte  de  prince  et  de  sujet.  Telle  est  l'utilité  des 
considérations  métaphysiques  où  il  semble  d'abord  que 
saint  Thomas  se  perde  à  d'incommensurables  distances 
de  la  réalité  :  de  la  hauteur  où  il  s'élève,  il  voit  à  fond 
que  la  démocratie  ne  gouverne  pas  bien  sans  une  mora- 
lité tout  à  la  fois  très  diffuse  dans  la  masse  des  élec- 
teurs et  très  profonde  dans  le  corps  élu  des  gouvernants. 
Elle  réclame  une  aristocratie  morale  et  un  peuple  assez 
sage,  assez  bon  pour  la  mettre  au  pouvoir. 

IV.  Savonarole  :  le  problème  pratique  de  la  démo- 
cratie À  Florence  au  xve  siècle.  —  Réformateur  moral 
et  conseiller  politique  des  Florentins,  Savonarole  inter- 
vint comme  arbitre  dans  les  débats  de  leur  Seigneurie 
sur  l'organisation  du  gouvernement  qui  succédait  aux 
Médicis  expulsés.  L'assemblée  constituante  hésitait 
entre  une  oligarchie  comme  à  Venise,  et  le  retour  aux 


anciennes  formes  démocratiques  de  Florence  elle-même. 
Vespucci  et  Soderini,  citoyens  influents,  jurisconsultes 
autorisés,  représentaient  les  deux  tendances.  C'est  ainsi 
qu'en  temps  de  révolution,  le  problème  de  la  démocra- 
tie se  posait,  non  plus  en  théorie  comme  à  l'époque  de 
saint  Thomas,  mais  en  fait.  Savonarole  fut  prié  de 
s  adjoindre  aux  délibérations  de  la  Seigneurie,  et  d'après 
Guichardin,  Storia  fiorenlina,  c.  XII;  Storia  d'Jta- 
Ua,  1.  II,  le  Fraie  assura  le  succès  aux  partisans  de 
la  démocratie.  Villari,  Histoire  de  Savonarole,  trad. 
G.  Gruyer,  Paris,  187i,  t.  i,  p.  357. 

Il  développa  ensuite  ses  doctrines  dans  une  série  de 
tracts  :  Trattati  circa  il  reggimento  e  governo  délia 
Citlà  di  Firenze.  A  la  requête  de  la  Seigneurie,  ces 
opuscules  furent  composés  en  toscan,  pour  une  plus 
large  diffusion.  La  langue  du  peuple  et  des  politiques 
s'imposait  à  ces  écrits  de  circonstance  et  de  but  pra- 
tique, au  lieu  de  la  langue  des  clercs  et  des  écoles.  Mais 
le  théologien  et  le  thomiste  se  retrouvent  dans  le  vul- 
garisateur. A  une  situation  concrète,  actuelle,  les  Trat- 
tali appliquent  des  principes  de  philosophie  sociale 
que  la  Somme  de  théologie  expose  dans. l'abstrait  ou  ne 
considère  appliqués  que  dans  un  lointain  passé. 

Savonarole  estime  d'abord  avec  saint  Thomas  que  la 
monarchie  est  en  soi  le  meilleur  des  gouvernements  : 
plus  il  y  a  de  gens  qui  commandent  parmi  une  société, 
plus  il  y  a  sujet  à  disputes  et  à  partis.  Et  donc,  si  la 
démocratie  est  bonne,  l'aristocratie  est  meilleure,  la 
monarchie  excellente  :  un  seul  chef  réunit  et  pacifie 
tout  le  monde,  soit  par  crainte,  soit  par  amour.  Dans  le 
fait,  néanmoins,  il  y  a  des  peuples  qui  vivent  mieux 
sous  le  régime  aristocratique  et  d'autres  qui  sont  mieux 
faits  pour  le  régime  démocratique.  Ils  ne  pourraient 
garder  un  roi  sans  des  inconvénients  majeurs  et  into- 
lérables. Trattato  1,  c.  II.  Tel  est,  d'après  Savona- 
role, c.  m,  le  cas  de  Florence,  pour  deux  raisons  :  le 
caractère  de  la  population  et  des  coutumes  invétérées. 
Ici,  le  réformateur  ne  s'en  tient  plus  aux  considéra- 
tions morales,  aux  principes  et  aux  thèses  de  droit  natu- 
rel qui  sont  le  propre  du  philosophe  et  du  théologien; 
il  s'engage  dans  l'examen  d'une  situation  concrète, 
appréciable  par  les  historiens  et  par  les  politique?. 
Aristote  avait  opposé  l'esprit  républicain  des  Grecs  à 
l'indolence  servile  des  Asiatiques,  Polit.,  1.  IV  (ou  Vil  I, 
c.  vi,  1  ;  1.  III,  c.  ix,  3  ;  Savonarole  oppose  de  même  l'esprit 
républicain  des  Italiens,  et  notamment  des  Florentins, 
à  la  docile  sujétion  des  popoli  aquilonari.  Robustes  et 
sanguins,  ces  derniers  lui  apparaissent  dépourvus  d'in- 
géniosité, braves  soldats  et  humbles  sujets,  monarchistes 
par  simplicité  d'âme;  l'Italien,  au  contraire,  lui  appi- 
rait  ingénieux,  sanguin,  audacieux,  incapable  de  sup- 
porter un  roi,  si  celui-ci  ne  le  mate  par  la  tyrannie- 
«  Continuellement,  les  Italiens  appliquent  leur  génia- 
lité  à  machiner  des  embûches  contre  leur  prince,  et 
leur  audace  les  met  à  exécution,  comme  cela  s'est  tou- 
jours vu  en  Italie.  Nous  le  savons,  en  effet,  par  l'expé- 
rience du  passé  comme  par  celle  du  présent  :  l'Italie 
ne  put  jamais  durer  sous  le  gouvernement  d'un  seul. 
Nous  la  voyons,  petite  province,  partagée  entre  quasi 
autant  de  princes  que  de  cités,  et  de  princes  qui  n'ont 
jamais  la  paix.  Et  le  Florentin  est  le  plus  génial  des 
Italiens,  le  plus  salace  dans  ses  entreprises,  avec  une 
vigueur  et  une  audace  qu'on  n'attendrait  pas  d'un 
commerçant  et  dont  ses  guerres  étrangères  et  civiles 
ont  donné  la  mesure.  »  Trattato  1,  c.  m. 

A  lire  ces  jugements  sommaires  sur  la  psychologie 
politique  et  le  tempérament  social  des  Florentins,  on 
reconnaît  un  certain  sens  des  faits  et  des  réalités,  assu- 
rément remarquable  chez  un  spéculatif  s  appliquant  à 
l'action.  Savonarole  se  rend  compte  que  des  principes 
abstraits  sur  les  mérites  respectifs  de  la  monarchie,  de 
l'aristocratie  ou  du  régime  populaire  ne  suffisent  pas 
à  résoudre  le  cas  de  conscience  universel  posé  à  Florence 


289 


DÉMOCRATIE 


290 


même  par  la  révolution  contre  les  Médicis.  Nous  ne 
trouvons  plus  ici  le  théologien  pur  ;  il  y  a  de  plus  le 
citoyen  et  le  politique,  avec  une  science  et  un  art  dis- 
tincts, soit  de  la  morale  naturelle,  soit  de  la  morale 
chrétienne. 

Néanmoins,  un  principe  supérieur,  d'essence  morale 
encore,  et  bien  chrétien  toujours,  guide  Savonarole 
dans  ces  applications  extra-théologiques  :  un  principe 
de  prudence  civique.  11  aperçoit  très  bien  que  si,  théo- 
riquement, toutes  les  trois  formes  de  gouvernement 
sont  en  soi  lionnes  et  possibles,  et  donc  en  soi  choi- 
sissables;  dans  la  pratique,  une  forme  ici  utile  serait 
ailleurs  nuisible.  Le  critère  de  son  adoption  ou  de  son 
rejet,  c'est  de  répondre  ou  non  aux  capacités  et  à  la 
formation  des  citoyens.  En  face  d'elle,  la  liberté  hu- 
maine ne  jouit  pas  d'un  pouvoir  illimité  et  arbitraire; 
elle  se  trouve  liée  par  un  devoir  de  choix  approprié  à 
la  nature  du  peuple  :  Li  homini  savii  e  prudenli  li 
quali  hanno  ad  instituire  qualchc  governo  primo  con- 
siderano  la  nalura  del  popolo,  c.  II.  Savonarole  est  dé- 
mocrate à  Florence,  comme  à  Venise,  dans  un  ouvrage 
dédié  au  patricien  Antoine  Pizamani,  un  autre  domini- 
cain, Benoit  de  Soncino.  sera  partisan  de  l'aristocratie. 
Telles  sont,  en  effet,  les  sentences  que  ce  dernier  extrait 
avec  admiration  de  la  Politique  d'Aristote,  à  l'usage  de 
■-l'ii  patricien  :  Optima  civilas  nunquam  opificeni  fa- 
ciel  eivem.  !■'■<■  libro  III  Polit.,  lect.  iv.  Optabilius  est 
ci  ri  taies  ab  oplimalibus  gubernari,  lect.  xiv.  llenc- 
dicli  Soncinatis  propositiones  ex  omnibus  Aristotelis 
libris...  excepta-.  Le  même  principe  d'approprier  le 
ment  ;i  ce  que  Savonarole  appelait  la  nalura 
'tel  popolo  engage  ainsi  de  contingentes  applications, 
toujours  guidables  par  la  inorale,  mais  relevant  en  propre 
de  la  science  el  de  l'arl  en  matière  sociale  et  politique. 
prudence  honnête  commande  ici  le  choix  d'un 

rie  et  la  celui  d'un  autre. 
Y.  La  légitimité  de  la  démocratie,  d'après  l'ensei- 
gnement commun   DES    riIÉOLOGIENS.   —  D'une  manière 
-■  ri  Taie,  jusque  dans  le  cours  du  xixr  siècle,  les  théo- 
logiens ne  s'occupent  guère  de  la  démocratie  :  déjà  le 

docteur  angélique  lui  sure  la  place 'au  milieu  des 

nombreuses   questions   sociales   et  politiques  dont    il 

s'occupe  en  moraliste  spéculatif,  dans  la  Somme  théo- 

que.  Il  traite  de  la  démocratii    comme  il  traite  du 

ni  manuel,  Sum.  theol.,  II'  II1,  q.  clxxxvm,  a.  '.', . 
droits  de  la  famille  en  matière  d'éducation,  Il  M 
x,  a.  12,  s  Alia  vero  ratio  est;  de  la  guerre  et  de  ses 
justes  conditions,  Il  II'  <\-  \\  .  de  la  sédition,  ibid., 
q  \in,  de  la  peine  <!'•  mort,  q.  XI  IV,  a.  '2.  3;  de  la  pro- 
priété,  q.  ixiv,  a.  I,  -2,  du  commerce,  q.  lxxvii;  de 
l'usure,  q.  i.xxviii,  etc.  Toujours,  c'est  à  l'occasion  d'une 
rertu  on  d  un  vice,  d  un  devoir  nu  d'an  péché,  que  ces 
divers  faits  sociaux  apparaissent,  donnant  matii 
des  qui  stions  particulières,  à  de  simples  détails  dans 

l'encyclopédie  théologique  de  la  Somme.  Le  problé 

de  l.i  démocratie  el  «h-  sa  juste  pari  dans  une  sage 
constitution  ne  repri  ur    .mit  Thomas  que  l'un 

d''  e.    .1.  lui  .  el  non  h-  plus  important.  Au  moyen 
dm-  la  pluparl  de-  nations  européennes,  c'est  1er, 

monarchique  el   l'aristocratie    qui    préd inenl 

■  h  lui  'i  qui  laissent  au  Becond  rang  les   institutions 

démocratiques  des  commun  bien  que  saint 

i  el  appréciât  i  e    di  rnièn    .  comme  on 

■  e  il  ii  i  ni  |'.i  cuper  aussi  dii  ectemenl 

que  '!•   l'u  'm   el  'in  i  hange,  par  i  temple,  une  j  i 

lion  d'alors,  on  que  de  la  politique  .i  suivre  i  i 
les  Ju  II»  II",  q.  X,  a.  9,  19    /' 

•-i/,.,      h. m     la 
irlir  du  x\\    lii  cle,  les  monarques  de  l'Europe 
i'  ndetil  de  plu  i  l'absolulismi   irapi 

i i.d  di   le, in,-  nu  plutôt  de  i  leur  profit.    \ 

m , .    la  'i  communi  -    l'éclip  ,■    nu 

inêi,  i,  quand  i    Franc*   mettent  la 

un  t     1,1    TU  KOI  .  CATBOL. 


main  sur  elle  par  des  fonctionnaires  de  leur  choix  et  par 
des  lois  restrictives.  Dans  ces  conditions,  c'est  au  pou- 
voir royal  et  au  pouvoir  absolu  que  penseront  surtout 
les  théologiens,  lorsqu'ils  auront  à  s'occuper  du  pou- 
voir politique.  La  raison  expérimentale  et  historique 
du  fait  prédominant  s'ajoutera  aux  vues  métaphysiques 
sur  l'unité  sociale,  pour  leur  montrer  le  pouvoir  du  roi 
comme  le  pouvoir  typique. 

Ils  reviendront  cependant  à  la  notion  des  droits  poli- 
tiques  du  peuple,  en  étudiant  les  origines  du  pouvoir. 
Il  vient  de  Dieu,  leur  enseignait  saint  Paul  :  aucune 
autorité  n'existe  qu'instituée  par  Dieu.  Rom.,  xm,  1,  7. 
Mais  saint  Thomas  observait  déjà  que  l'institution  directe 
du  souverain  ou  du  chef  national  par  Dieu,  comme  ce 
fut  le  cas  pour  Moïse,  Josué,  les  Juges,  fut  le  résultat 
d'une  providence  spéciale  envers  le  peuple  israélite. 
C'est  en  vertu  de  cette  exception  que  Dieu  ne  lui  laissa 
pas  l'élection  de  son  roi,  mais  se  la  réserva.  Sum.  theol. , 
1'  II»,  q.  cv,  a.  1,  ad  l"m.  Ainsi,  quand  saint  Thomas 
reconnaît  une  divine  investiture  à  l'origine  de  tout  pou- 
voir, IIa  II1,  q.  civ,  a.  1,  ce  n'est  pas  sans  avoir  admis 
le  droit  universel  des  peuples  à  se  choisir  les  détenteurs 
de  cette  investiture  et  à  la  leur  transférer.  Il  l'insinue 
encore  en  regardant  la  souveraineté  des  princes  régnants 
comme  établie,  non  pas  de  droit  divin,  mais  ex  jure 
gentiwm,  quod  est  jus  humanum.  IIa  llK,  q.  x,  a.  12. 
le  droit  des  gens  consiste  précisément,  selon  lui,  en 
des  institutions  si  bien  conformes  à  l'avantage  évident 
de  la  vie  humaine,  que  facilement,  les  hommes  tombent 
d'accord  à  leur  égard  :  De  facili  in  hujus  modi  homi- 
nes  consenserunl.  I"  IIœ,  q.  xcv,  a.  4,  ad  3"m.  Cf.  II-'  II' , 
q.  i.vn,  a.  3.  Il  inclut  donc  une  sorte  de  pacte  social, 
consenti  par  les  peuples.  C'est  pourquoi  saint  Thomas 
use  volontiers  de  l'expression  ri'ces  gerens  mrdliludinis 
pour  désigner  le  prince.  I»  II1',  q.  xc,  a.  3;  q.  xcvn, 
a.  3;  II*  II»,  q.  i.vn,  a.  2.  Le  prince  jouit  là  d'une  trans- 
lation de  pouvoir  qui  l'a  substitué  à  la  multitude  pour 
faire  des  lois  et  gouverner. 

On  retrouve  dans  ces  vues  l'inspiration  du  droit  ro- 
main. Le  Digeste,  I.  I,  tit.  il,  De  origine  juris,  S  '.•. 
considère  le  pouvoir  du  Sénat  connue  substitué  aux 
assemblées  populaires  trop  difficiles  à  réunir.  De 
même,  selon  la  l.e.r  regia,  Digest.,  1.  I,  tit.  IV,  et  les 
Institutionet  de  Justinien,  1.  I,  tit.  Il,  le  Sénat  et  le 
peuple  transfèrent  leur  pouvoir  à  l'empereur  pour  le 
gouvernement  entier.  Cf.  Digest.,  I.  1,  lit.  u,  §  II.  Au 
travers  de  cette  explication  juridico-historique,  une  doc- 
trine métaphysique  lend  à  se  dégager,  dans  l'esprit  des 
théologiens,  par  une  transposition  des  termes  du  con- 
crel  i  l'abstrait. 

Ce  dégagement  s'opère  chez  lesscolasliques,à  mesure 
qui'  de-  problèmes  I héologiques  les  obligent  à  préciser 
lesorigines  du  pouvoir  civil.  D'Occam  a  Pierre  d'Ailly 
el  'lu  concile  de  Constance  au  conciliabule  de  Dise  se 
propage  une  assimilation  nouvelle  entre  le  pape  el  les 
princes  temporels,  relativement  aux  origines  de  leurs 
pouvoirs  respectifs.  De  même  que  les  rois  ou  les  ilun- 
nul    investis   de  leur  pouvoir  par  l'élection   popu- 

I de  même  les  souverains  pontifes,  a  ce  que  disciil 

les    novateurs.  Voir    PlERRI     D'AlLLY,  I.    1.  col.    (ii(i.   (ii7, 

Almain,  t.  i.  col.  S'.Hi;  Quilliet,  De  civilis  polestatis  ori- 
gine theoria  catholica,  Lille,  1893,  p,  189,  190.  Moyennant 

issimilation,  l<  i  el  les  galli 

visaient  à  établir  la  rapériorité  de  l'Eglise  universelle 
el  notamment  du  concile  -m  le  pape,  comme  Bur  un 
simple  ministre  de  leur  autorité  De  m<  me,  disait  ni  ils. 
que  i  leur  a  donné  naturelli  ment  pou'  oii  à  la 

communauté   civile   i '  se  choisir  des   princi 

ne ,  sin  naturellement.  )| ,,,,.,    Lit  la  communauti  en 

tière  de  l'I  glise  du  droit  •!  élii  e  et  de  d  pon 

tifes,   Joanni  -  Major,  Ditput.  de  aulh 

iiunij  dan    <>;  lonii, 

t.  u.  col.  1 135 

iv.  -    m 


'291 


DEMOCRATIE 


292 


L'école  thomiste  s'attaque  vigoureusement  à  démolir 
ce  parallèle,  s.iinl  Antonio  établit  dans  sa  Somme  théo- 
logique, part.  I,  tit.  xvin,  que  le  souverain  pontife  gou- 
verne  l'Église  par  institution  immédiate  de  Dieu  et  non 
ex  translatione  populi  sicut  imper ator.  11  use  là  des 
expressions  mêmes  du  droit  romain  pour  caractériser 
l'origine  du  pouvoir  civil  et  le  différencier  d'avec  celui 
des  pontifes.  Jean  de  Turrecremata  signale,  à  litre 
d'exceptions,  des  choix  comme  ceux  de  Moïse  et  de 
David  par  Dieu,  lorsqu'il  s'agit  de  rois  ou  de  chefs  poli- 
tiques. C'est  le  consentement  de  la  multitude,  soit 
exprès,  soit  tacite,  qui  établit  ces  derniers,  qui  accroil 
même  ou  diminue  leurs  pouvoirs,  à  l'inverse  du  pape, 
établi  par  Dieu  seul  dans  un  ensemble  de  droits  que 
nul  homme  ne  peut  restreindre.  Summa  de  Ecclesia, 

I,  XLIV,  XC,  XCI1. 

Telle  est  aussi  la  doctrine  de  Cajetan,  De  auclorilalc 
papse  el  concilii,  tr.  Il,  c.  x,  ad  2am  conlirmationem; 
In  lli,m  II- ',<[.  i.  a.  10,  ^  3,  Ad  brevem  hovum  inlellig. 
11  précise  d'ailleurs  que  l'élection  d'un  régime  politique 
par  une  multitude  ne  constitue  pas  une  démocratie  à 
proprement  parler,  bien  qu'au  premier  abord  elle 
semble  tirer  le  régime  monarchique  de  la  souveraineté 
populaire.  Mais  si  l'on  considère  attentivement  les 
choses,  l'élection  d'un  gouvernement  n'est  point  un 
acte  particulier  de  tel  ou  tel  régime  :  c'est  un  acte 
générateur  de-  toute  espèce  de  gouvernement,  et  donc 
un  acte  antérieur  à  toute  forme  politique  existante.  Au 
choix  du  peuple,  il  appartient,  de  par  le  droit  naturel, 
que  le  régime  à  établir  soit  populaire,  aristocratique  ou 
royal.  In  i/al"  IIX,  q.  L,  a.  1,  §  Ad  hoc  dicitur.  Celte 
doctrine  expose  très  nettement  l'égale  légitimité  des  trois 
formes  de  gouvernement  selon  le  droit  naturel. 

Elle  dissipe  également  l'équivoque  du  terme  peuple, 
qui  signifie  tantôt  la  multitude,  et  tantôt  le  régime  po- 
pulaire. Et  cette  distinction  posée,  Cajetan  poursuit  : 
le  régime  monarchique  dépend  de  l'élection  du  peuple- 
multitude,  qui  lui  donna  ses  votes  et  qui  l'investit; 
et  c'est  à  cause  de  ce  transfert  qu'il  est  dit  vices  gerens 
populi.  Mais  il  ne  dépend  pas  du  peuple  comme  régime 
populaire  et  n'en  prend  pas  la  place  à  la  manière 
d'un  successeur. 

Dans  cet  ensemble  de  doctrines,  la  question  de  la 
démocratie  se  pose  donc  incidemment,  comme  le 
simple  corollaire  de  la  question  des  origines  du  pou- 
voir civil;  et  celle-ci  même  ne  se  pose  que  par  compa- 
raison dans  le  problème  théologique  des  origines  du 
pontificat.  Par  là  s'explique  la  sobriété  des  quelques 
textes  intéressants  qu'on  peut  glaner  chez  les  auteurs. 
Autant  ils  sont  copieux  à  préciser  les  causes  divines  et 
humaines  dont  ressort  l'établissement  du  pouvoir  civil, 
autant  ils  glissent  rapidement  sur  l'établissement  par- 
ticulier de  la  démocratie.  Le  peu  qu'ils  en  avancent, 
néanmoins,  suffit  à  nous  montrer  qu'ils  la  rattachent, 
en  droit  naturel,  au  pouvoir  de  tout  peuple  sur  le  choix 
de  ses  institutions. 

D'ailleurs,  qu'il  se  soumette  à  un  monarque,  à  des 
chefs  aristocratiques  ou  à  des  magistrats  populaires, 
un  peuple,  observe  Cajetan,  n'est  pas  dans  la  situation 
de  l'Église  en  face  du  pape.  «  La  papauté  diffère  de  tous 
les  autres  pouvoirs  humains  en  ce  que  tons  ceux-ci 
tirent  de  la  multitude  leur  origine  et  leur  puissance  : 
toute  violence  ou  fraude  cessante,  et  de  droil  naturel, 
la  multitude  est  libre  de  se  donner  un  chef  avec  telle 
puissance  qu'elle  le  juge  bon.  »  In  //■""  II",  q.  L, a.  10. 
Aussi,  tandis  que  l'Église  n'a  pas  à  circonscrire  et  à 
tempérer  l'autorité  du  pape,  c'est  le  droit  des  peuples 
d'opérer  ces  tempéraments  à  l'égard  de  leurs  chef-,  et 
parla  même  d'influencer  la  juridiction  réelle  qu'il  leur 
transfère  dans  l'ordre  civil.  Nous  reconnaissons  là  une 
vue  très  nette  des  éléments  démocratiques  et  pondéra- 
teurs à  introduire  dans  les  royaumes  ou  les  cités  aristo- 
cratiques. Mais  aussi  bien  que  saint  Thomas,  Cajetan  se 


renferme  dans  l'exposé  général  des  principes  du 
droil.  11  reste  un  moraliste  spéculatif  ou  plutôt  même 
un  métaphysicien,  dans  ses  rapides  aperçus  de  la 
démocratie. 

Au  xvi1  siècle  encore,  les  controverses  de  Bellarmin 
contre  les  protestants  le  ramenèrent  à  1  antithèse  des 
origines  divines  du  pontilicat  et  des  origines  populaires 
de  la  souveraineté  politique.  11  établit  très  nettement 
que  celle-ci,  abstraction  faite  de  ses  formes  particu- 
lières, vient  premièrement  de  Dieu,  car  elle  est  la 
conséquence  nécessaire  de  la  nature  humaine  et  de  sa 
vie  sociale;  et  donc  le  pouvoir  vient  naturellement  de 
celui  qui  a  fait  la  nature  et  les  tendances  de  sa  vie  : 
c'est  un  droit  naturel,  divinement  établi.  Mais  ce  pou- 
voir réside  dans  la  nation,  et  non  dans  aucun  homme 
en  particulier;  car,  en  dehors  des  droits  positifs  qui 
peuvent  survenir,  il  n'y  a  aucune  raison  de  nature, 
pour  qu'un  homme  soit  le  chef  des  autres,  ses  égaux 
par  nature.  Comme  d'ailleurs  la  nation  ne  peut  pas 
exercer  la  souveraineté  directement,  par  elle-même, 
elle  est  dans  l'obligation  de  la  conférer  à  un  individu 
ou  à  plusieurs.  Ainsi,  les  diverses  formes  de  gouver- 
nement sont  de  droit  positif  et  non  de  droit  naturel  ; 
car  il  dépend  de  la  nation  d'instituer  un  monarque, 
des  consuls  ou  d'autres  magistrats.  Ces  pouvoirs  mul- 
tiformes viennent  encore  de  Dieu;  mais  moyennant  les 
délibérations,  les  choix  de  personnes,  les  transferts  de 
l'autorité,  opérée  par  les  hommes.  Bellarmin,  De  lai- 
ds, c.  VI. 

Dans  le  même  ordre  d'idées,  Suarez,  De  legibus, 
1.  III.  c.  iv,  S  1,  observe  qu'à  s'en  tenir  au  droit  naturel, 
les  sociétés  politiques  ne  sont  pas  obligées  de  consti- 
tuer un  régime  plutôt  qu'un  autre.  Bien  que,  de  soi, 
la  monarchie  soit  le  meilleur  et  que  sa  plus  grande 
extension  atteste  pratiquement  son  excellence  —  dit 
encore  Suarez  —  les  autres  régimes  peuvent  être  bons 
et  utiles.  L'expérience  démontre  d'ailleurs  combien 
varient  les  opportunités  :  là  où  règne  la  monarchie, 
rarement  elle  va  sans  mélange,  car,  vu  la  fragilité, 
l'ignorance,  la  malice  des  hommes,  il  y  a  d'ordinaire 
avantage  à  tempérer  l'autocratie  royale  par  les  inter- 
ventions de  la  collectivité,  en  plus  ou  moins  grand 
nombre,  selon  les  coutumes  et  les  besoins.  Ainsi,  tous 
les  particuliers  possèdent  chacun  leur  quole  part  de  va- 
leur dans  la  communauté  politique;  mais  le  droit  na- 
turel n'oblige  pas  celle-ci  à  exercer  le  pouvoir  immé- 
diatement ou  à  le  retenir  :  trop  de  difficultés  et  de 
pertes  de  temps  surviendraient,  si  le  suffrage  de  tous 
était  sans  cesse  requis. 

Lorsqu'on  se  représenle  l'Espagne  absolutiste  où 
vivait  Suarez  et  l'état  général  de  l'Europe  au  xviie  siè- 
cle, de  telles  vues  attestent  une  grande  liberté  d'espril 
à  l'égard  d'institutions  puissantes  el  révérées.  Intellec- 
tuellement, celte  liberté  procède  encore  de  la  ferme 
notion  du  droil  naturel  et  de  sa  distinction  d'avec  les 
droits  positifs, coutumiers,  historiques,  lesquels  varient 
légitimement  selon  les  besoins  et  les  ententes  des 
nations. 

Cette  liberté  scandalisa  Jacques  1  r.  roi  d'Angleterre 
et  théologien,  qui  s'efforçait  de  consolider  l'autocratie 
des  Stuarts,  très  contestée  des  Anglo-Saxons,  en  s'ap- 
propriant  la  doctrine  gallicane  du  droit  divin  des  rois. 
Dans  l'ouvrage  qu'il  composa  sur  l'ordre  de  Paul  V 
pour  répliquer  au  roi  Jacques.  Suarez  établit  encore 
les  origines  populaires  de  tout  régime  politique,  sans 
exception  pour  la  monarchie.  Défi  n-iii  fidei,  I.  III. 
c.  iv.  Suarez  avance  même  que  si  la  monarchie  et 
l'aristocratie  ont  besoin  d'une  institution  positive  pour 
s'établir,  la  démocratie  peut  s'en  passer  :  elle  existe, 
par  le  l'ait  même  que  la  nation  ne  transfère  le  pouvoir 
à  personne,  mais  le  retient  pour  soi  collectivement, 
tel  que,  de  droit  naturel,  elle  le  possède,  en  tant  que 
société   complète.  Defensio  fidei,  1.  111,  c.  IV,  §  8.  Il  \ 


293 


DEMOCRATIE 


294 


aurait  ainsi,  dans  tout  peuple,  une  sorte  de  démocratie 
naturelle,  préexistant  à  tout  autre  régime. 

Cette  manière  de  voir  n'accuse  pas  seulement  une 
vigoureuse  offensive  contre  la  dialectique  du  roi  d'An- 
gleterre; elle  achève  d'accentuer  l'entière  liberté  d'es- 
prit des  théologiens  en  présence  des  trois  formes  pos- 
sibles de  la  souveraineté  politique.  Suarez  ou  Bellarmin 
continuent  bien  là  saint  Thomas  et  ses  commentateurs. 
Et  c'est  un  fait  significatif:  le  fait  que,  du  xiiic  au 
xvir  siècle,  toute  l'École  enseigne  l'égal  droit  naturel 
des  peuples  à  se  constituer  en  monarchies,  aristocraties 
ou  démocraties.  C'est  un  enseignement  commun  des 
théologiens.  Il  est  reçu  dans  l'Église  sans  la  moindre 
protestation  de  la  hiérarchie;  et,  de  la  sorte,  il  anticipe 
la  neutralité  de  l'Église  dans  la  question  moderne  des 
régimes  politiques  à  choisir  ou  à  modifier.  V.  Maumus, 
L'Église  et  la  France  moderne,  p.  209. 

VI.  Le  mouvement  démocratique  aux  temps  moder- 
m  s.  —  Pour  bien  saisir  l'opportunité  et  la  valeur  des 
enseignements  pontificaux,  soit  de  Pie  IX,  soit  de 
Léon  XIII,  sur  la  démocratie,  on  doit  reconnaître  la 
situation  qui  les  provoqua.  Elle  comporte  un  ensemble 
de  faits  économiques  et  de  faits  politiques  dont  les 
répercussions  morales  et  religieuses  déterminèrent 
d'abord  l'attention  de  publicistes  catholiques  et  puis 
l'intervention  motivée  des  papes.  Il  est  ainsi  nécessaire 
de  connaître  d'abord  quelles  sortes  de  faits  politiques 
et  de  faits  économiques  donnèrent  sujet  à  cet  enseigne- 
ment des  pontifes  et  aux  initiatives  des  publicistes,  qui 
en  apparaissent  comme  les  précurseurs. 

I)ans  le  cours  du  xvni"  siècle,  l'application  de  la  force 
hydraulique  à  l'industrie;  dans  le  cours  du  xix'' sur- 
tout, l'application  de  la  vapeur,  voilà  le  fait  de  techni- 
que el  de  métier,  qui  opéra  une  révolution  sans  précé- 
dent jusque-là  dans  la  fabrication.  Avec  des  forces 
motrices  considérables,  de  très  puissantes  machines 
s'établirent.  On  vit  finir  l'universel  emploi  des  outils  à 
la  main  et  des  machines-outils  à  petit  moteur.  Sans 
doute,  celles-ci  et  ceux-là  ne  disparurent  pas  entière- 
ment, el  leur  us;i;ie  partiel  continue  encore  :  il  y  a 
toujours  des  moulins  à  vent,  des  rabots  ou  des  scies  à 
m. lin.  des  noriahs  qu'un  mulet  fait  tourner.  Mais  ces 
antiques  outillages  cédèrent  la  primauté  à  la  machine- 
vapeur,  bien  autrement  puissante  et  productive.  Ce 
changement  peut  bien  s'appeler  une  révolution,  à 
cause  de  bb  rapidité;  en  moins  d'un  siècle,  il  boule- 
versait un  outillage  plusieurs  fois  millénaire,  dont  les 
fn    quesde    h   .  ptiens  attestent  le  monopole 

i imorial.  La    machine  à    vapeur   devint    par    cette 

révolution    l'agent    caractéristique    de    la    fabrication 

moderne.  Ch.   Benoist,  La  crise  de  l'État  moderne, 

ionisation  du  irai  ail,  Paris,  1906,  t.  i,  p.  30.  Pour 

i •  nouveau  industrii  I,   Le   Plaj  disait 

la   houille     .  parce   que  1 1    puis  ance   des 

machines  s'alimente  aux  r<   ervei  de  forces  conden 

dans  les  di  pots  énormes  de  ce  combustible.  Le  Play, 

/.»i  i  otutitulion  an  ntielle  de  l'humanité,  Toui     1881, 

p    66,  7 '•  7H.  77. 

I  cette  révolution  de  l'outillage  correspondit  une 
ii  tnsformation  sociale  du  personnel  fabricant,  soit  du 

oit  ilu  côté  patronal. 
Du  côté  ouvrier,  un  phénomène  de  concentrait 
produit,  d'abord  .<  l'atelier,  jadis  un  petit  local  ou  le 

n  ■  •  i  '  i  ■     et  i p  i  non      Ira  aillai*  al    ensemble, 

m. uni' ii. mi  agrandi  el  devenu  l'usine.  La  tnachini   à 
ii  ■  ntralne  uni  d<  pi  n  ■  'i  ai g<  ni  etdi  forces  mo- 
lienl  i"  rdni       i   i  Ui    n  ai  tionnail    di 
noml  i  ies  fabrii  inti    1 1  uni    ta  te  pi odui 

i  ii  p<  i  onnel  ■<  proportion  •   i  di     i"i     ni 
autour  de  1 1     mai  hini      II  m  multiplie  dan  -  une 
mesure  que  ne  souffraient  jadis  ni  les  petits  capitaux 
ai  li     i"  lit    m  ti  ami  ut    di     malin    ai  ti  an 

II  \  i  plus,  De  cette  concentration  des  atelii  i  .  résulte 


une  concentration  des  foyers,  du  voisinage,  des  inté- 
rêts ouvriers.  «  Concentrés  dans  l'usine  pour  le  travail, 
les  ouvriers  ont  été  conduits  à  se  concentrer  autour  de 
l'usine  après  le  travail.  Et,  de  la  sorte,  ce  ne  sont  pas 
seulement  les  conditions  et  les  circonstances  du  travail 
que  l'on  a  vues  brusquement  modifiées  du  tout  au 
tout,  mais  les  conditions  et  les  circonstances  de  la  vie 
de  l'ouvrier,  dans  l'usine  et  hors  de  l'usine;  de  sa  vie 
tout  entière,  je  veux  dire  de  sa  vie  matérielle  et  de  sa 
vie  intellectuelle  et  morale.  Ce  n'est  pas  seulement  le 
travail  qui  d'individuel  est  devenu  collectif;  c'est  en 
quelque  manière  la  vie  même  de  l'ouvrier,  à  qui  un 
intérêt  collectif  évident  et  permanent  a  créé,  comme 
le  besoin  appelle  la  fonction  el  comme  la  fonction  crée 
l'organe,  une  espèce  de  conscience  ou  d'âme  collective . 
Par  cette  conscience  ou  cette  âme,  chacun  de  ces  ou- 
vriers, réunis  pour  une  même  fin,  dans  une  même 
profession,  en  un  même  lieu,  a  senti  bien  plus  vive- 
ment tout  ce  qui  le  touchait  personnellement  et  tout 
ce  qui  touchait  son  groupe.  Le  groupe  a  senti  bien  plus 
vivement  tout  ce  qui,  louchant  chacun  de  ses  mem- 
bres, le  touchait  lui-même  et,  avec  lui  et  en  lui,  toute 
la  corporation.  »  Ch.  Benoist,  loc.  cit.,  p.  4,  5.  Cf. 
p.  30,43.  «  Les  ouvriers  sont  devenus  la  classe  ouvrière, 
économiquement,  socialement  et  psychologiquement 
très  différente.  »  Benoist,  p.  5. 

Ce  fait  de  classement  social  n'était  pas  moins  nouveau 
et  considérable  que  la  révolution  technique  opérée 
par  la  houille  et  le  machinisme.  Jamais  au  moyen  âge, 
la  classe  des  compagnons  et  des  apprentis  ne  s'était 
opposée  à  celle  des  maîtres  artisans,  avec  autant  de 
différences  et  de  séparations  que  celle  des  ouvriers 
d'usine  et  des  patrons.  De  maître  à  compagnon,  la 
différence  existait  bien  comme  de  celui  qui  achète  le 
travail  d'un  homme  et  qui  le  commande,  à  celui  qui  le 
vend  et  qui  obéit;  mais  cette  opposition  des  intérêts, 
des  conditions,  des  points  de  vue,  s'atténuait  par  la 
communauté  du  travail  avec  les  mêmes  outils  et  dans 
le  même  atelier,  par  l'espérance  de  passer  maître  un 
jour.  Dans  le  régime  du  machinisme,  au  contraire, 
l'opposition  s'accentue  par  le  fait  que  le  patron  cesse 
d'être  ouvrier.  La  direction  d'une  usine  exige  un  en- 
semble éminent  de  qualités  prudentielles  et  de  con- 
naissances spéciales  pour  le  choix  des  matières  ouvra- 
bles, la  surveillance  et  le  renouvellement  de  l'outillage, 
la  recherche  des  débouchés,  l'organisation  de  la  vente, 
l'acquisition  du  crédil  nécessaire  pour  les  fonds  de 
roulement.  C'est  pourquoi  la  machinisme  sélectionne 

d'entre  lei vriers  ou  bien  leur  superpose  une  aris- 

tocratie  naturelle  du  travail  formant  une  aulre  classe 
distincte,  et  qui  possède  elle-même  sa  mentalité  el 
ses  intérêts.   Voir  CORPORATIONS,  t.  III,  col.  ISIi'.l. 

In  troisièl llément  complique  la  situation  :  sou- 

vent,  de  tels  capitaux  sont  nécessaires  à  une  entre- 
prise que  son  fondateur  ou  son  patron  technique  fait 
appel  à  de  nombreux  capitalistes.  Une  société  anonyme 
par  actions  devient  ainsi  propriétaire  de  l'entreprise 
et  concentre  de  la  Borte,  aux  mains  de  es  administra- 
teurs, les  fonctions  et  la  puissance  du  patronal.  C'est 
le  type  commun  des  grandes  entrepri  u  -  de  transports, 
chemina  de  fer  ou  paquebot  .  des  mines  de  houille, 
di     hauts  fourneaux    el   aciérie  tionnaire, 

bailleur  de  fond  .  et  l'administrateur  apparais  enl    i 
l'ouï  in  i  plu    éloigm     l  ncoi  i  di     a    le  el  di    i  -  inté- 
|ui    le    patron   individuel,   propriétaire  de  son 
u  ne     l     Demolins,   Let    population*   mini 

,i,  h, m, lie,  dan    /  1889,  t.  vu, 

p,  ui'e  Sou  enl  lointain  .  uniquement  pn  enta  par 
leur  argent  el  plutôt  banquiei  qu'entrepreneurs, 
anonyme     »ia-à-vh    d'uni    ma  ae  ouvrière    qui,   elle 

III-     I        II  ■      I       pOUT      'l|\      quille        foi1©        lll"ll\ll|e  Mil 

ti    di  muscli     ajouté  ■>  un  tas  de  charbon;  mais  rap 
procle  n-     entre  eux  dana  la  recherche  du 


295 


DÉMOCRATIE 


290 


bénéfice,  les  patrons  sont  devenus  le  patronal;  du 
moins  ils  apparaissent  tels  aux  veux  méfiants  des 
ouvriers  qui  leur  prêtent  volontiers,  comme  ils  l'ont 
eux-mêmes,  une  espèce  d'àme  ou  de  conscience  de 
classe,  opposée  sinon  hostile  à  la  leur,  v  Iîenoist, 
loc.  cit.,  p.  5. 

A  se  regarder  ainsi  de  classe  à  classe,  à  comparer 
leur  condition  précaire  de  salariés  et  l'étroitesse  de 
leur  existence  avec  la  vie  solide  et  large  des  capitalistes 
et  des  patrons,  les  ouvriers  sentirent  s'aviver  en  eux, 
douloureusement,  le  désir  si  humain  du  hien-êlre  et 
d'un  sort  meilleur.  Comme  un  ferment  actif,  ce  désir 
s'est  propagé  de  plus  en  plus  dans  la  classe  ouvrière, 
non  sans  mêler,  comme  c'est  inévitable,  de  légitimes 
revendications  et  d'excessives  prétentions,  de  très  justes 
griefs  et  de  regrettables  envies.  L'ivraie  pousse  toujours 
au  milieu  des  blés;  mais  le  blé  lui-même  ne  cesse  pas 
d'être  du  blé,  malgré  ce  voisinage. 

L'état  nouveau  de  la  production  avivait  naturellement 
ces  désirs  mélangés.  Toutes  sortes  de  produits  alimen- 
taires, textiles  et  autres  se  vulgarisèrent  de  plus  en 
plus,  de  par  la  concurrence  des  fabricants.  Les  trans- 
ports en  activèrent  la  circulation.  De  grands  et  de 
petits  magasins  les  mirent  de  tous  côtés  à  la  portée 
des  ouvriers.  D'une  manière  générale,  chez  ces  der- 
niers comme  chez  les  bourgeois,  le  machinisme  indus- 
triel surexcita  l'indéfinie  capacité  de  la  convoitise 
humaine  à  se  faire  du  luxe  d'hier  le  nécessaire  d'au- 
jourd'hui, et  du  luxe  d'aujourd'hui  le  nécessaire  de 
demain.  Cet  accroissement  des  exigences  populaires  se 
compliqua  en  outre  d'émulation  :  l'aisance  extérieure 
et  le  luxe  reconnu  de  la  classe  bourgeoise  ne  s'accrois- 
saient-ils pas  de  leur  côté,  sollicitant  les  ouvriers  à 
désirer  leur  part  des  améliorations  produites  aussi  bien 
avec  leur  propre  travail? 

Enfin  la  hausse  des  salaires  permit  souvent  de  réali- 
ser des  conditions  de  vie  meilleures;  mais  là  encore, 
la  même  loi  foncière  de  l'infini  désir  humain  suscita 
de  nouveaux  désirs  à  satisfaire  par  delà  les  désirs  sa- 
tisfaits. Ainsi  que  l'observe  M.  Ch.  Benoist,  on  aura 
beau  prouver  à  l'ouvrier,  chiffres  en  main,  qu'il  est 
mieux  logé,  mieux  nourri,  mieux  vêtu  que  ses  pères, 
ce  sera  peut-être  la  vérité  statistique,  matériellement 
exacte;  ce  ne  sera  pas  toute  la  vérité,  la  vérité  morale, 
qui  tient  compte  de  l'impondérable  et  de  l'incalculable. 
L'ouvrier  actuel  est  plus  riche  et  plus  pauvre  que  ceux 
des  temps  où  de  moindres  gains  excitaient  de  moindres 
désirs,  et  où  de  moindres  désirs  tenaient  pour  superflu 
le  nécessaire  d'aujourd'hui.  Finalement,  la  révolution 
de  l'outillage  par  la  machine  à  vapeur  a  posé  d'une 
manière  plus  aiguë  que  jamais  le  problème  de  l'amélio- 
ration de  la  vie  matérielle,  dans  l'âme  des  ouvriers. 
C'est  le  grave  problème  social  du  bien-être  populaire  : 
i/n  problème  d'économie  sociale  et  de  politique,  enga- 
geant de  sa  nature  un  problème  d'ordre  et  de  justice. 
La  justice  dislribulive  exige,  en  effet,  que  chaque  caté- 
gorie de  citoyens  puisse,  dans  sa  condition,  honnête- 
ment et  décemment  vivre. 

Mais  la  solution  de  ce  nouveau  problème  —  nouveau 
dans  son  acuité  universelle  et  dans  les  exigences  qu'il 
fallait  satisfaire  —  entraînait  également  un  problème 
nouveau  dans  l'ordre  politique. 

«  Les  classes  sociales  résolvent  mal  les  questions  les 
unes  pour  les  autres  :  c'est  ce  q*ui  fait  que  toute  classe 
dont  la  condition  devient  une  question  aiguë  pour  l'or- 
dre public  est  introduite  au  pouvoir,  sauf  dans  les  cas 
particuliers  où  par  là  on  n'aboutirait  à  rien,  ou  à  rien 
que  de  radicalement  désastreux,  comme  au  cas  de  la  ré- 
volte des  esclaves  à  Rome  ou  du  parti  anarchiste  actuel. 
Les  longues  doléances  de  la  plèbe  romaine  l'ont  finale- 
ment introduit  au  pouvoir.  La  Grande  Charte  d'Angle- 
terre y  a  introduit  la  noblesse  malmenée  par  les  rois  et 
le  peuple  opprimé  par  la  féodalité.  Les  charges  commu- 


nales y  ont  introduit  les  habitants  des  villes  compri- 
més par  les  seigneurs.  Les  États-Généraux  de  17WI  y 
ont  introduit,  en  doublant  sa  représentation,  le  Tï<  r- 
État  «  qui  aurait  dû  être  tout  et  qui  n'était  rien 
Henri  de  Tourville,  cité  par  Ch.  Van  H.ieken.  Le  suf- 
frage universel  au  parlement  belge,  dans  La  science 
sociale,  1902,  t.  xxxiii,  p.  205,  206.  Or  «  il  y  a  dans  la 
société,  dit  encore  Henri  de  Tourville,  loc.  cit.,  une 
classe  qui,  au  temps  actuel,  n'a  pas  bénéficié  autant  que 
les  autres  des  avantages  procurés  peu  à  peu  par  les 
gouvernements  ou  avec  le  concours  des  gouverne- 
ments »  :  la  classe  ouvrière.  Comme  dans  cette  classe, 
qui  est  la  majorité,  et  même  en  dehors  d'elle,  «  tout  le 
monde  a  le  sentiment  instinctif  que  si  les  classes  bour- 
geoises conservent  le  pouvoir,  elles  ne  résoudront  pas 
la  question  de  classe  ouvrière  dont  elles  n'ont  pas 
l'impression  vive  et  vraie,  les  esprits  sont  de  plus  en 
plus  portés,  sans  bien  savoir  pourquoi,  à  penser  qu'il 
n'y  a  de  solution  efficace  qu'à  laisser  venir  au  pouvoir 
la  classe  qui  a  le  plus  de  doléances  à  faire  valoir.  Et 
ceci  est  la  loi  de  toute  l'histoire  dans  l'attribution  du 
pouvoir  aux  uns  et  aux  autres.  Le  pouvoir  n'est  pas 
communément  donné  à  celui  qui,  absolument  parlant, 
y  a  le  plus  de  droit  ou  est  le  plus  capable,  mais  à  celui 
qui  fut  le  plus  décisivement  utile  dans  la  quesli"n  a 
résoudre  pour  le  moment.  » 

«  Quand  certaines  classes  ont  détenu  le  pouvoir  et 
qu'un  certain  bien  public  en  est  résulté,  si  une  classe 
sans  pouvoir  n'a  pas  assez  bénéficié  du  fait  accompli, 
elle  se  plaint;  et,  si  une  satisfaction  suffisante  n'est 
donnée  à  ses  plaintes  au  bout  d'un  certain  temps  (c'est 
le  cas  ordinaire  des  conquérants  anciens  du  pouvoir, 
devenus  conservateurs),  elle  réclame,  non  plus  des 
améliorations  qu'elle  a  vainement  demandées,  mais  des 
garanties  qui  l'assurent  de  les  obtenir  :  ces  garanties 
consistent  dans  une  participation  plus  ou  moins  large 
au  pouvoir.  Telle  est  l'histoire  de  tous  les  avènements 
de  groupes  sociaux  au  pouvoir.  »  Van  Haeken,  loc.  cit., 
p.  210.  Parfois,  un  groupe  d'opposants  parmi  ceux  qui 
se  disputent  le  pouvoir  favorise  l'accession  de  nou- 
veaux co-partageants.  En  1848,  l'établissement  du  suf- 
frage universel  en  France  et  l'accès  de  la  classe  ou- 
vrière aux  droits  politiques  furent  l'œuvre  de  l'opposi- 
tion bourgeoise,  devant  le  refus  opiniâtre  d'adjoindre 
des  électeurs  capacitaires  au  groupe  des  censitaires  à 
200  francs.  Mais  l'opposition  n'aurait  jamais  pensé  à 
cette  transformation  de  l'électorat  restreint,  si  déjà  la 
classe  ouvrière  n'eût  fait  entendre  ses  doléances  so- 
ciales et  politiques.  Le  suffrage  universel  apparaissait 
aux  ouvriers  comme  une  arme  puissante  pour  s'assurer 
des  mandataires  de  leurs  intérêts. 

Défait,  il  substitua  la  multitude  aux  privilégiés  pour 
la  désignation  des  parlementaires  qui  font  les  lois  et 
les  ministres  :  de  240  000  inscrits  environ,  le  corps 
électoral  français  fut  porté  à  près  de  80000000.  c'est-à- 
dire  se  multiplia  de  1  à  33. 

Cette  multiplication  des  électeurs  changea  profondé- 
ment l'état  d'esprit  des  gouvernements  et  des  législa- 
teurs et,  par  une  suite  naturelle,  la  qualité  des  lois. 
o  Soit  au  repos  et  dans  sa  statique,  soit  en  action  et 
dans  sa  dynamique,  l'État  moderne  aurait  désormais, 
soit  comme  base,  soit  comme  moteur,  le  nombre.  L'in- 
troduction du  nombre  dans  la  mécanique  de  l'État 
concorde  donc  et  peut  se  comparer  absolument  avec 
l'introduction  de  la  vapeur  dans  la  mécanique  des 
métiers.  De  même  que  l'une  avait  prodigieusement 
accru,  et  sous  tous  les  rapports,  transformé  le  travail 
industriel,  ainsi  l'autre  allait  notablement  accroître 
et  transformer  radicalement  le  travail  d'État.  Car, 
dans  l'État,  d'une  part,  tout  doit  se  faire  désormais  par 
la  loi,  et,  d'autre  part,  la  loi  ne  peut  se  faire  que  par 
le  nombre.  La  conséquence  nécessaire  est  que,  faite 
plus  ou  moins  directement  par  le  nombre,  mais  dans 


297 


DEMOCRATIE 


298 


tous  les  cas  inspirée  par  lui,  la  loi  sera  plus  ou  moins 
franchement  faite  par  le  nombre,  et  l'État  lui-même, 
tourné  au  profit  du  nombre.  »  Benoist,  toc.  cit.,  p.  8. 
«  Voilà  pourquoi,  dans  notre  siècle,  on  ne  saurait  le 
nier,  l'avènement  politique  de  la  démocratie  a  fait  éclore 
chez  les  gouvernants,  et  en  général  chez  ceux  qui  for- 
ment la  classe  dirigeante,  avec  le  besoin  et  le  désir  de 
capter  les  suffrages  populaires,  la  préoccupation  de 
plaire  à  la  multitude  et  d'améliorer  son  sort;  et  l'on 
remarque  partout  un  courant  d'idées,  de  sentiments  et 
d'entreprises  diverses,  ayant  pour  objet  l'accroissement 
du  bien-être  des  travailleurs.  »  Gayraud,  Les  démo- 
crates chrétiens,  p.  13. 

A  une  législation  faite  par  des  bourgeois  et  pour  des 
bourgeois  succéda  une  législation  faite  par  des  bour- 
geois encore,  le  plus  souvent,  mais  avec  le  souci  volon- 
taire ou  forcé,  intéressé  ou  non,  des  intérêts  populaires, 
des  revendications  de  la  classe  ouvrière.  «  Tandis  qu'au- 
paravant, on  avait  légiféré  pour  la  propriété  et  presque 
uniquement  pour  elle,  on  allait  légiférer  uniquement 
pour  le  travail,  ou,  du  moins,  jamais  à  présent  le  tra- 
vail ne  serait  oublié,  et,  toujours,  dans  toute  législation, 
on  se  placerait  de  préférence  au  point  de  vue  du  travail. 
Le  Code  civil  de  180i.  pour  des  raisons  qui  se  devinent 
et  sur  lesquelles  il  n'y  a  pas  lieu  d'appuyer  :  ignorance 
forcée  ou  volontaire  de  la  grande  industrie  à  peine 
naissante;  haine  et  terreur  de  la  corporation,  dégéné- 
rant en  haine  de  la  simple  association  ;  nécessité  de 
reconsolider  la  terre  de  France  que  la  vente  des  biens 
nationaux  avait  brutalement  mobilisée  —  pour  toutes  ces 
raisons,  et  parce  que  ses  rédacteurs  étaient  des  hommes 
du  xviii»  siècle  plutôt  que  du  XIX0,  des  bourgeois  et 
des  gens  du  parlement,  des  légistes  nourris  de  Polhier 
et  des  physiocrates  imbus  de  Quesnay,  le  Code  civil 
n'était  guère  que  le  Code  de  la  propriété.  Mais  voici 
qu'allait  désormais  se  constituer  et  que  déjà  s'ébau- 
chait un  (Unie  du  travail,  dont  les  décrets  de  février 
et  de  mars  1848  sont  comme  les  premiers  articles.  » 
Benoist,  loc.  cit.,  p.  8,  9. 
L'opposition  est  saisissante  entre  la  législation  de  la 

tituante,  du  Consulat,  du  Premier  Empire  sur  le 
contrat  de  travail  ou  les  coalitions,  et  les  lois  de  la 
République  en  1849,  de  l'Empire,  '2.">  mai  1864,  <lr  la 
République,  "il  mars  l8Kî.  sur  les  coalitions,  les  grèves, 
lei   syndicats    ouvriers.    Paul   Bureau,    Le   contrat  de 

<il,    Paris,  1902,    p.    199,    211,    Siins   doute,    parmi 

Mises  directes  de  ces  lois  ouvrières,  il  faut  comp- 
ter au  premier  rang  l'influence  de  groupements  ou- 
vriers, plus  capables  et  mieux  formés  !  concurremment 
à  celle  d'hommes  d'Étal  el  de  Bociologues;  mais  les 
désira  et  li     i  (Torts  bien  ouvrièri 

pour  l'amélioration  de  son  sort  agissaient  aussi  bien  sur 
les  élus  di  -"ii  suffrage  comme  un  fort  stimulant. 
Ainsi  tendait   i  r  une  situation  «ans  égale  jus- 

qn  Ici  dans  l'histoire  connue.  Xi  l'Orient  ancien,  avec 

randi  empire    patriarcaux,  despotiques  et  conqué- 
rants, ni  l.i   Grèce   avec  ses  républiques  boi 
el  aristocratique     i  base  d'i  ou    de   colonat 

quasi  servile,  m  Rome,  avec  son  syndicat  de  grands 
propriétain  ■  .!  Sénat  de  la  ville,  ses  procon- 

devenus  les  maîtres  absolus  des   provinces,   son 
empereur  enfin,  maître  d'un  monde,  ni  même  les 
lions  du  ii.  |  odales  et  monarchiques,  ne  connu- 

rent ectti  acceuion  universelle  de*  mullitudet  auj 
■  i,i  >•  et  celle  recherche  universelle  de» 

de  in  vie  populaire,  imposée  aux  gouverne- 
menu  par  l'influence  de  la  multitude. 

I       mOU VI  rie  ni  rMiniiiuii.il   du   ne,  localisait 

dam  li      communes  i  urali  -  urément,  dan 

un  |"  n  plus  «le  vigueur 
el  d  •  <  lai  -  mal  di    i  ordre  politique  et  social 

le na ii  ■  m  II.  lient  .m   ,■,  r féodal,  au    privi- 

dynastique,  et  peu  a  peu,  en  Franc*    la  monarchie, 


devenant  absolue,  établit  les  communes  du  royaume 
dans  cette  étroite  dépendance  envers  les  intendants  et 
leurs  subdélégués,  dont  Malesherbes,  au  nom  de  la 
Cour  des  Aides,  disait  à  Louis  XVI  en  1775  :  «  On  a 
pour  ainsi  dire  interdit,  la  nation  entière,  et  on  lui  a 
donné  des  tuteurs.  >>  Mémoires  pour  servir  à  l'his- 
toire du  droit  public  de  la  France  on  matière  d'im- 
pôts, Bruxelles,  1779,  p.  654;  de  Tocqueville,  De  la 
démocratie  en  Amérique,  15e  édit.,  Paris,  1858,  t.  i, 
309,  note  K. 

Mais,  à  rencontre  de  l'ancienne  démocratie  com- 
munale, contenue  par  les  seigneurs  et  par  les  rois,  et 
finalement  annihilée  par  ces  derniers,  la  démocratie 
actuelle  est  une  puissance  envahissante  et  domina- 
trice. L'Allemagne,  l'Autriche-Ilongrie,  l'Angleterre 
font  une  part  croissante  au  suffrage  universel  et  aux 
lois  ou  institutions  ouvrières;  et  cependant  ces  pays 
représentent  la  fidélité  au  culte  dynastique,  la  tradition 
d'une  aristocratie  influente  de  pairs,  de  magnats,  de 
seigneurs,  en  possession  héréditaire  des  grandes  for- 
tunes et  du  pouvoir.  Au  lieu  de  représenter  seulement, 
comme  jadis,  les  votes  el  les  idées  de  la  bourgeoisie 
haute  ou  moyenne,  la  Chambre  des  Communes,  le 
Reichstag,  représentent  de  plus  en  plus  la  multitude 
ouvrière  organisée  par  Trade-Unions  ou  syndicats 
dont  les  revendications  agissent  puissamment  sur  la 
législation.  Ainsi,  comme  force  politique  et  comme 
mouvement  améliorateur  des  conditions  où  vit  le 
peuple,  la  démocratie  caractérise  historiquement  notre 
époque,  d'une  manière  générale.  On  la  reconnaît 
«  comme  un  fait  social,  issu  des  faits  antérieurs  qui 
forment  la  trame  de  l'histoire.  »  Gayraud,  Les  démo- 
crates chrétiens,  Paris,  1899,  p.  10,  li.  A  ce  point  de 
vue,  nos  temps  sont  bien  des  tem}>s  nouveaux.  Ce  mou- 
vement est  irrésistible,  d'abord,  parce  qu'il  procède  de 
la  révolution  d'outillage  qui  a  concentré  la  classe  ou- 
vrière en  la  rendant  consciente  de  sa  force  et  de  ses 
souffrances,  comme  jamais;  ensuite,  parce  que  rien  ne 
sera  jamais  plus  attrayant,  plus  ricin1  d'espoirs  et  de 
promesses,  pour  des  ouvriers  aspirant  à  une  vie  plus 
heureuse  et  mieux  garantie,  que  de  se  dire  :  «  Nous 
sommes  les  maîtres  de  nous  l'assurer,  finalement,  par 
notre  bulletin  de  vote.  »  Ils  se  rendent  compte,  certes, 
que,  souvent,  leurs  élus,  des  politiciens,  trahissent  ou 
escamotent  largement  leur  mandat;  mais,  décompte 
fail  de  ces  abus  de  confiance,  il  y  a  encore  moyen  d'ob- 
tenir quelque  chose  par  eux,  et  il  n'y  a  pas  d'autre 
moyen.  C'est  ainsi  que  des  calculs  et  des  sentiments  se 
mélangent  aux  influences  de  l'atelier  et  de  la  concen- 
tration  ouvrière  pour  donner  au  mouvement  du  peuple 
vers  une  vie  plus  heureuse  et  à  son  accession  au  pou- 
voir, une  souveraine  puissance  devant  laquelle,  même 
en  liussie.  l'autocratie  traditionnelle  et  l'oppressive  bu- 
reaucratie chancellent  ou  reculent. 

L'observation  de  ces  faits  suaire  une  altitude  mo- 
rale, ipie  définit  ainsi  M.  Gayraud  :  «  Nous  regardons 
la  démocratie  comme  un  fait  imposé  par  l'histoire, 
contre  lequel  il  est  puéril  el  vain  de  s'emporter  en 
paroles,  et  dont  le  devoir  social  nous  oblige  à  tirer  le 
meilleur  parti  possible  pour  le  bien  du  pays  et  le  pro- 
grès de  la  civilisation  chrétienne  ( ."  cit.,  p.  II. 
Observer  le  mouvement  démocratique,  l'esprit  calme  et 
ouvert,  dans  une  pensée  de  bien  commun  et  de  frater- 
nité chrétienne,  tel  est  le  devoir  en  même  temps 
[ue  ei  religieux  que  ce  mouvement  nouveau  du 
monde  nous  apporte. 

Hais  ce  devoir    se  complique  d'exigences  pruden- 

tielles     el     il.    ,|_.||.   .-     1 1.  "   I  I  I  11.1  |ev    limitant    plus    ■.  1 

que  tout  d'abord,  dans  le  c "s  du  six1  siécli    lea  pu 

mières    manifestations    de    la   poussée    démocratique 

furetii  ii Itiieu        .1.  tordonnées.   U<  ils  de  Tocque 

\ î  1 1  r- ,  en  |s:i.">,  i  doutables  diffi- 

culté .  •  I  i  Jamais  les  <  hefi  d« 


299 


DEMOCHATIK 


300 


l'État  n'ont  pensé  à  rien  préparer  d'avance  pour  la  dé- 
mocratie; elle  s'est  faite  malgré  eux  ou  à  leur  insu. 
Les  classes  les  plus  puissantes,  les  plus  intelligentes 
et  les  plus  inorales  de  la  nation  n'ont  point  cherché  à 
s'emparer  d'elle  alin  de  la  diriger.  La  démocratie  a 
donc  été  abandonnée  à  ses  instincts  sauvages;  elle  a 
grandi  comme  ces  enfants  privés  des  soins  paternels 
qui  s'élèvent  d'eux-mêmes  dans  les  rues  de  nos  villes 
et  qui  ne  connaissent  de  la  société  que  ses  vices  et  ses 
misères.  On  semblait  encore  ignorer  son  existence 
quand  elle  s'est  emparée  à  l'improviste  du  pouvoir. 
Chacun  alors  s'est  soumis  avec  servilité  à  ses  moin- 
dres désirs;  on  l'a  adorée  comme  l'image  de  la  force... 
II  en  est  résulté  que  la  révolution  démocratique  s'est 
opérée  dans  le  matériel  de  la  société,  sans  qu'il  se  fît, 
dans  les  lois,  les  idées,  les  habitudes,  les  mœurs,  le 
changement  qui  eut  été  nécessaire  pour  rendre  cette 
révolution  utile.  Ainsi  nous  avons  la  démocratie,  moins 
ce  qui  doit  atténuer  ses  vices  et  faire  ressortir  ses 
avantages  naturels;  et  voyant  déjà  les  maux  qu'elle 
entraîne,  nous  ignorons  encore  les  biens  qu'elle  peut 
donner.  »  De  la  démocratie  en  Amérique,  Introduction, 
p.  9,  10.  Cf.  sir  Th.  May,  Histoire  de  la  démocratie 
en  Europe,  Paris,  1879. 

Mais,  si  elle  a  manqué  d'éducateurs  à  sa  naissance, 
la  démocratie,  devenue  grande  et  vigoureuse,  ne  les 
réclame-t-elle  pas  plus  que  jamais,  surtout  depuis 
qu'elle  a  fait  l'expérience  de  ses  erreurs  et  de  ses 
fautes?  C'est  ce  que  pensent  d'équitables  et  chrétiens 
esprits,  qui  s'attachent  à  démêler  quels  véritables  biens 
honnêtes  les  revendications  politiques  et  sociales  de 
la  démocratie  poursuivent.  Sans  donc  absoudre  ni  les 
violences  des  révolutions  ni  les  projets  spoliateurs  du 
collectivisme,  des  moralistes  catholiques  estiment  que 
la  démocratie  poursuit  une  (in  légitime  et  un  réel  pro- 
grès de  la  personnalité  humaine,  en  admettant  chaque 
citoyen  à  une  part  du  gouvernement.  Se  gouverner 
soi-même  est  le  propre  de  l'homme  raisonnable  :  cette 
maîtrise  de  l'homme  sur  ses  actes  commence  par  le 
gouvernement  de  sa  vie  et  de  ses  biens  dans  l'ordre  privé  ; 
mais  elle  demeure  incomplète  si  l'on  vit  dans  l'ordre 
public  à  la  manière  d'un  sujet  et  non  d'un  citoyen, 
sous  la  tutelle  du  pouvoir,  comme  un  simple  mineur. 
Gayraud,  Les  démocrates  chrétiens,]).  17;  Fonsegrive, 
La  crise  sociale,  p.  443.  Non  moins  légitime  est  l'ac- 
croissement de  la  sollicitude  publique  à  l'égard  de  la 
classe  ouvrière;  et  les  facilités  d'association  ou  autres 
que  de  récentes  lois  lui  ont  procurées  contribuent  jus- 
tement à  une  réelle  amélioration  de  son  mode  d'exis- 
tence. Gayraud,  loc,  cit.,  p.  20,  21. 

En  présence  de  ces  avantages,  réalisés  ou  poursui- 
vis, la  foi  chrétienne  au  gouvernement  divin  des 
affaires  humaines  inspire  l'idée  d'une  disposition  pro- 
videntielle. Alexis  de  Tocqueville  exprimait  cette  vue 
dans  une  page  saisissante  où,  résumant  les  caractères 
du  mouvement  démocratique,  universel,  durable,  échap- 
pant chaque  jour  à  la  puissance  humaine,  utilisant  à 
ses  fins  les  événements  et  les  hommes,  il  déclarait 
l'étudier  «  sous  l'impression  d'une  sorte  de  terreur 
religieuse  ».  De  la  démocratie  en  Amérique,  t.  i,  p.  7, 
8.  Mais  puisque  le  bien  et  le  mal  s'enchevêtrent  dans 
ce  mouvement, 'ne  devons-nous  pas,  en  toute  sérénité, 
considérer  les  justes  revendications  de  la  démocratie 
comme  directement  autorisées  et  voulues  par  la  pro- 
vidence, et  ses  erreurs,  ses  fautes,  ses  déviations, 
comme  des  maux  que  la  bonté  providentielle  permet 
encore,  non  sans  le  dessein  d'en  tirer  du  bien?  En 
appliquant  tout  simplement  ici  la  notion  catholique 
de  la  providence,  telle  que  la  résume  saint  Thomas, 
Sum.  theol.,  I\  q.  xxn,  a.  2,  l'âme  s'élève,  la  pensée 
se  rassérène,  l'étude  devient  impartialement  chrétienne 
et  sympathique  à  tout  bien,  dans  le  spectacle  si  trou- 
blé et  si  troublant  du  mouvement  démocratique. 


C'est  la  meilleure  préparation  morale  pour  recueillir 

à  son  sujet  les  enseignements  des  souverains  pontifes. 

VII.  De  Pie  VII  à  Grégoire  XVI  :  condamnation 

RÉITÉRÉE    DES     MENÉES    RÉVOLUTIONNAIRES.    —    l)iv.  i    l 

causes  bien  connues  entraînèrent  d'abord  le  mouve- 
ment démocratique  dans  certaines  déviations  révolu- 
tionnaires :  une  législation,  sévèrement  prohibitive  des 
grèves,  coalitions,  associations,  ententes  quelconques 
entre  ouvriers,  poussait  elle-même  ces  derniers  à  des 
réunions  secrètes  ou  à  des  violences  contre  les  per- 
sonnes et  les  biens  des  patrons.  Les  exemples  de  ces 
désordres  furent  nombreux  en  France  et  en  Angleterre, 
à  mesure  du  développement  industriel.  Ilowell,  Le 
passé  et  V avenir  des  Trade-Vnions.  «  Les  bourgeois, 
l'aristocratie  et  les  princes  s'entendaient  à  l'établisse- 
ment de  lois  et  de  coutumes  en  faveur  du  capital  et 
contre  le  travail  :  le  premier  affirmant  ses  droits  sans 
tenir  compte  de  ses  devoirs  et  de  ses  responsabilités, 
tandis  que  le  second,  obligé  de  subir  tous  les  devoirs 
et  toutes  les  responsabilités,  voyait  méconnaître  ses 
droits  légitimes,  sans  aucun  moyen  de  les  faire  respec- 
ter. »  Ilowell,  p.  49.  Cf.  p.  40.  Privés  ainsi  du  bienveil- 
lant patronage  qui  les  eût  initiés  à  la  revendication 
pacifique  de  leurs  intérêts,  les  ouvriers  devinrent 
aisément  victimes  de  meneurs,  soit  fanatiques,  soit 
exploiteurs,  naturellement  appelés  par  leur  inexpé- 
rience à  se  conduire  dans  une  situation  toute  neuve, 
et  par  leur  exaspération.  Le  mouvement  ouvrier,  dé- 
pouillé de  son  autonomie,  fut  entraîné  le  plus  souvent 
dans  un  courant  tout  révolutionnaire  de  conspirations 
secrètes,  de  violences  matérielles  pour  renverser  les 
bourgeois  et  les  princes. 

De  rares  esprits  clairvoyants  eurent  seuls  l'intuition 
de  la  cause  juste  qui  se  compromettait  dans'  cet  en- 
traînement. Ils  virent  aussi  quelles  ressources  merveil- 
leuses de  doctrine  morale  et  de  fraternité  l'Église 
possédait  pour  servir  la  cause  des  humbles.  En  1825, 
le  comte  de  Saint-Simon,  dont  une  école  fameuse  a 
gardé  le  nom.  s'adressait  au  pape  dans  son  Nouveau 
christianisme.  Il  lui  démontrait  que,  pour  garder  ou 
reconquérir  la  puissance  morale  de  l'Église  sur  les 
peuples,  il  fallait  diriger  la  grande  réforme  sociale  qui 
se  préparait  dans  le  monde.  «  Vos  devanciers  ont  suffi- 
samment perfectionné  la  théorie  du  christianisme,  ils 
l'ont  suffisamment  propagée,  c'est  de  l'application  de 
la  doctrine  qu'il  faut  vous  occuper.  Le  véritable  chris- 
tianisme doit  rendre  les  hommes  heureux,  non  seule- 
ment dans  le  ciel,  mais  sur  la  terre.  Votre  tâche  consiste 
à  organiser  l'espèce  humaine  d'après  le  principe  fon- 
damental de  la  morale  divine.  Il  ne  faut  pas  vous 
borner  à  prêcher  aux  fidèles  que  les  pauvres  sont  les 
enfants  chéris  de  Dieu,  il  faut  que  vous  usiez,  franche- 
ment et  énergiquement,  de  tous  les  pouvoirs  et  de 
tous  les  moyens  de  l'Église  militante,  pour  améliorer 
promptement  l'état  physique  et  moral  de  la  classe  la 
plus  nombreuse.  »  Le  nouveau  christianisme,  Paris, 
1832,  p.  138-149;  Id.,  Le  catéchisme  des  industriels, 
Paris,  1824. 

A  l'énoncé  de  ce  dernier  but,  on  reconnaît  une  in- 
tuition profondément  juste  du  problème  démocratique 
dans  son  aspect  social.  Saint-Simon  n'aperçoit  pas 
moins  bien  les  ressources  morales  de  l'Église  pour  la 
pleine  solution  de  ce  problème  où  la  justice  et  la  cha- 
rité doivent  primer  l'économie  politique.  Malheureuse- 
ment, disciple  de  l'Kncyclopédie.  le  réformateur  n'était 
en  religion  qu'un  déiste,  incrédule  aux  dogmes  de 
l'Évangile,  bien  que  très  admirateur  de  sa  morale.  Il 
n'était  guère  en  situation  de  faire  agréer  ses  conseils 
par  le  suprême  gardien  de  l'orthodoxie  intégrale. 

De  plus,  le  saint-siège  concentrait  alors  son  atten- 
tion sur  les  carbonari  et  autres  sociétés  secrètes  qui 
se  livraient  à  des  menées  anticatholiques  et  révolution- 
naires, parmi  les  ouvriers  comme  dans  la  bourgeoisie. 


301 


DEMOCRATIE 


302 


Dans  sa  bulle  Ecclesiam  a  Jcsu  Chris to,  13  septembre 
1821,  Pie  Vil  condamne  ces  sociétés  pour  leurs  doc- 
trines d'indifférence  en  matière  de  religion  et  pour 
leurs  tentatives  de  renverser  les  rois  et  autres  gouver- 
nants, comme  des  tyrans.  Le  13  mars  1826,  Léon  XII 
renouvelle  ces  condamnations  dans  les  Lettres  apos- 
toliques Quo  graviora,  parce  que,  dès  le  début  de  son 
pontilicat,  dit-il,  l'état,  le  nombre,  la  force  des  sociétés 
secrètes  ont  retenu  son  examen.  Absorbée  par  ces 
groupes  révolutionnaires,  l'attention  du  saint-siège 
demeure  ainsi  éloignée  de  considérer  les  aspirations 
du  peuple  vers  une  vie  plus  beureuse.  Le  problème 
posé  par  Saint-Simon  ne  surgit  pas  encore  dans  la 
conscience  des  pontifes  :  l'urgence  de  couper  court  à 
des  menées  redoutables  les  préoccupe  avant  tout. 

Dans  cet  ordre  de  préoccupations,  Léon  XII  exborte 
directement  les  princes  de  l'Europe  catholique  à  une 
défense  simultanée  de  la  religion  et  de  l'autorité  royale. 
%Summoetiam  studio, vestrum  flagitamus  praesidium. 
Le  pape  insiste  sur  le  changement  ou  même  la  des- 
truction du  régime  monarchique,  poursuivis  par  les 
sociétés  secrètes  :  o  Ce  n'est  pas  la  haine  seule  de  la 
religion  qui  les  inspire,  mais  l'espoir  que  les  peuples 
soumis  à  votre  empire,  en  voyant  renverser  les  bornes 
posées  dans  les  choses  saintes  par  Jésus-Christ  et  par 
son  Église,  seront  finalement  amenés  par  cet  exemple  « 
changer  ou  à  détruire  l«  ferme  d«  gouvernement.  » 
Qu'ils  poursuivissent  l'établissement  de  la  république 
ou  des  institutions  libérales,  les  meneurs  visés  dans 
ce  document  compromettaient  ainsi,  au  regard  du 
saint-siège,  des  formes  de  pouvoir  non  condamnables 
en  soi,  mais  qui  le  devenaient  dans  la  circonstance,  à 
cause  des  moyens  adoptés  pour  les  réaliser. 

De  Léon  XII  à  (Irégoire  XVI,  Lamennais,  son  école 
et  surtout  les  rédacteurs  du  journal  L'avenir  travail- 
lèrent à  propager  dans  les  milieux  catholiques  le  souci 
des  intérêts  et  des  libertés  populaires.  Lamennais,  dans 
un  article  du  30  juin  1831,  annonçait  que,  «  à  moins 
d'un  changement  total  dans  le  régime  industriel,  un 
soulèvement  général  des  pauvres  contre  les  riches  de- 
viendrai! inévitable;  •>  et  le  Saint-Siège* était  exhorté  à 
lire  devant  les  rois  le  porte-parole  des  revendica- 
tions ouvrières.  Mais  le  programme  de  Lamennais 
ni  en  maximes  absolues  la  liberté  de  conscience 
ii  celle  de  la  presse;  il  allai)  même  jusqu'à  regarder 
la  révolution  politique  el  sociale  comme  le  prélimi- 
naire indispensable  et  providentiel  d'un  nouvel  âge 
chrétien.  L'encyclique  de  Grégoire  XVI,  Mirari  vos, 
15  aoûl  1832,  condamna  les  erreurs  tnennaisiennes  sur 
la  liberté,  Elle  rappela  le  principe  de  saint  Paul  :  obéis- 
sance ■' ■  ■  i  x  pouvoirs  établis.  Elle  montra  l'application 
exemplaire  de  ce  principe  dansla  fidélité  des  chrétiens 
antiques  â  des  empereurs  qui  les  persécutaient.  Elle 
la  <iiii  certains  libéraux  ou  libérateurs  des 
servitude  pour  le  peuple  :  tervitutem  sul> 
Ubertatu  tpecie  populis  illaturi,  F.e  pape  enfin  se 
tournait  vers  les  princes,  les  adjuranl  comme  pères 
il  tu  de  leur  assurer  la  pai\  et  la 

prospérité  en  protégeant  l'Église.  Il  continuai!  donc  de 
en  faveur  des  peuples,  au  lieu  de 

adret  ei  aux  peuples  sans  les  rois,  el  même  contre 
ainsi  que  Lamennais  I  aurait  voulu,  dan  on 
oppo  Ition  jfstématique,  violente,  injuste,  aux  royauté! 
■  h    obji  i  de    on  amour. 

VIII     Pli    IS       LA  80UVERAIMET1    DO  NOMBRE  ET  DE  LA 
i     MATÉRIELLE,    I  ONDAUNÉE    PAR    II     .Si/;  \i:i 

tni  i  numei  I  el  virium  nalu- 
a  Syllabut  du  8  décembre  1864,  prop 
pi  ope  m  tive  déji'censurée  en  propres 

termes  dan     l'allocution  Vaxima  guident,  du  '.'  juin 

mpielalu   <  m  j  reconnaît  a  m   do< 
Irine  matériali  li  de  i  luloritc,  la  ramenant  toute!  la 
foi  ce  brutale  de    t  di     m  ijorité     Le  mati  ria 


Usine  qui  sévissait  dans  le  milieu  du  xixe  siècle  passait 
aussi  bien  de  la  spéculation  cosmologique  à  la  morale 
et  à  la  politique.  Dieu  et  sa  loi  supprimés,  que  restait-il 
pour  fonder  le  pouvoir,  sinon  la  multitude  omnipotente 
ou  ceux  qui  parlaient  en  son  nom,  avec  la  force  qui 
s'impose?  C'est  ce  que  Pie  IX  a  condamné. 

Il  ne  censurait  pas  l'attribution  démocratique  du 
pouvoir  à  la  multitude,  mais  la  souveraineté  du  nombre 
et  de  la  force  à  l'exclusion  du  droit;  c'est  ce  qui  res- 
sort du  texte  de  l'allocution  auquel  le  Syllabus  réfère 
expressément  la  proposition  60e.  Pie  IX  signale,  en 
effet,  l'étroite  connexion  de  celle-ci  avec  une  philoso- 
phie toute  matérialiste,  et  ses  paroles  s'appliquent 
tout  droit  aux  disciples  de  Feuerbach,  Bi'ichner  et  Mo- 
leschott  :  «  Ils  font  dérision  de  l'autorité  et  du  droit 
avec  tant  de  témérité,  qu'ils  ont  l'impudence  de  dire 
que  l'autorité  n'est  rien,  si  ce  n'est  celle  du  nombre 
et  de  la  force  matérielle  ;  que  le  droit  consiste  dans  le 
fait,  que  les  devoirs  des  hommes  sont  un  vain  mot  et 
que  tous  les  faits  humains  ont  force  de  droit.  Ajoutant 
ensuite  les  mensonges  aux  mensonges,  les  délires  aux 
délires,  foulant  aux  pieds  toute  autorité  légitime,  tout 
droit  légitime,  toute  obligation,  tout  devoir,  ils  n'hé- 
sitent pas  à  substituer  en  place  du  droit  véritable  et 
légitime,  ce  droit  faux  et  menteur  de  la  force,  et  à 
subordonner  l'ordre  moral  à  l'ordre  matériel.  Ils  ne 
reconnaissent  d'autre  force  que  celle  qui  réside  dans 
la  matière.  »  Allocution  Ma.rima  quidem,  §  Ad  vero 
et  S  Jawi  porro  commenta. 

Mais  si  la  forme  démocratique  du  pouvoir  n'est  pas 
atteinte  par  ces  censures,  elles  frappent  du  moins,  par 
voie  de  conséquence,  un  certain  abus  de  pouvoir  qui 
est  la  tentation  de  la  démocratie.  Le  nombre  a  son 
orgueil,  ses  courtisans  qui  l'exploitent,  politiciens  qui 
lui  persuadent  sa  toute-puissance.  Cette  persuasion 
gagne  les  multitudes  et  leur  devient  un  excitant  à  la 
tyrannie,  dans  la  mesure  où  les  citoyens  manquent 
individuellement  d'un  sens  ferme  et  profond  de  la  jus- 
tice et  du  droit.  La  foule  se  regarde  alors  comme  sou- 
veraine maltresse  de  décréter  le  juste  et  l'injuste,  ou 
plutôt  de  faire  juste  ce  qui  lui  plaît.  C'est  la  démago- 
gie. Contre  elle,  l'ie  IX  rappelle  la  souveraineté  de  la 
justice  et  du  droit  naturel  sur  toute  loi  positive  et 
toute  volonté'  de  la  multitude.  V.  Maumus  L'Église  et 
la  France  moderne,  Paris,  1897,  p.  286.  Bien  loin  de 
présenter  là  quelque  doctrine  inacceptable  à  la  démo- 
cratie, le  pontife  lui  enseigne  une  vérité  libératrice, 
qui  est  de  tradition  dans  l'Eglise  et  d'opportunité  au 
xix"  siècle.  Goyau,  Autour  du  catholicisme,  2«  série, 
p.  313.  314. 

La  tradition  de  l'Église,  c'est  que  tout  pouvoir  esl 
établi  comme  serviteur  de  Dieu  POUR  LE  BIEN,  Nom., 
XIII,  1.7;  et,  par  suite,  que  provenant  de  la  multitude 
ou  provenant  d'un  seul,  la  loi  esl  essentiellement  une 
ordonnance  de  la  raison  i\  vue  m  bien  [commun. 
Sum.  theol.,  I ■'  Il  ' .  q,  XC,  a.  I .  L2.  Le  bien  commun,  c'est 
la  justice  pour  chacun  et  la  justice  entre  tous,  avec  la 
paix  qui  en  résulte.   ["  11",  q.  \<\i.  a.  3.  Ce  n'est  pas 

Beulement  des  apôtres,  c'est  encore  des  prophètes  que 

il  glise  hérita  cette  robuste  conviction  que  le  pouvoir 
e^t  le  serviteur  de  tous  dans  la  justice,  el  que  de  cette 
mission  découlent  tous  ses  droits.  Dépourvue  de  cette 
subordination    au    bien   commun,    toute    loi,   qu'elle 

émane  d'un  prince  l'un  peuple  assemblé, n'est  plus 

qu'un  péché  des  législateurs,  une  violence  tyrannique, 
privée  de  toute  force  morale  el  obligatoire. 

Principe  élémentaire,  que  lei  monarques  oublièrent 
au  temps  il,-  leur  toute-puissance,  el  que  la  démocratie, 
.Lu  i  pri  mien  ivre  i  du  pout oir, oubliait  de  m< 
Dan  -ou  rappel,  comme  dans  bien  d'autres  proposi- 
ii  Syllabus,  tant  injurié,  Pie  l\  poursuivait 
donc  l'opportune  application  il  une  vérité  lilx  rat  rire. 
ipplique  .iu^  i  ti i     in  nreustmi  ni 


nos 


DÉMOCRATIE 


304 


qu'on  nomme  U' droit  des  majorités,  soit  dans  les  assem- 
blées populaires  de  la  démocratie  directe,  soit  dans  les 
assemblées  élues  de  la  démocratie  représentative.  Dans 
une  collectivité  délibérante  où  les  avis  se  partagent,  il 
faut  bien  en  venir  à  compter  les  voix;  c'est  un  moyen 
pratique,  et  le  seul,  de  terminer  les  débats  par  une 
solution  incontestée  de  tous.  Mais,  pratiquement  aussi, 
les  décisions  de  la  majorité  ne  demeurent  acceptables, 
que  si  elle  poursuit  elle-même  le  bien  commun,  et  non 
pas  l'abaissement  et  le  dommage  de  la  minorité.  On 
en  revient  ainsi  à  la  nécessité  de  principes  moraux  do- 
minant la  foule  et  l'assemblée  entière  :  ils  disposent  la 
majorité  à  écouter  le  plus  possible  les  justes  doléances 
de  la  minorité.  Depuis  que  l'expérience  de  la  démo- 
cratie parlementaire  a  largement  instruitles  publicistes, 
l'opinion  de  ceux-ci  est  faite.  Herbert  Spencer  écrivait, 
Contemporary  Rewiew,  1884  :  «  Le  droit  de  la  majorité 
est  sans  valeur  au  delà  de  certaines  limites.  C'est 
comme  si,  dans  le  comité  de  surveillance  d'une 
bibliothèque,  la  majorité  décidait  d'employer  les  fonds 
à  l'achat  de  cibles  et  de  munitions.  »  Le  professeur 
Seeley,  de  Cambridge, Introduction  lopolitical  science, 
Londres,  1902,  p.  156,  157,  écrit  :  «  Le  principe  majori- 
taire se  justifie  par  la  difficulté  d'en  trouver  un  autre; 
mais  il  compromet  l'idéal  de  la  volonté  collective  du 
peuple  ou  du  gouvernement  libre.  »  C'est  une  simple 
«  invention  pratique  ».  Bryce,  La  République  améri- 
caine, Paris,  1901,  t.  m,  p.  499,  écrit  :  «  La  tyrannie 
de  la  majorité  n'est  pas  dans  la  forme  de  l'acte  qui  peut 
être  parfaitement  légale,  mais  dans  l'esprit  ou  l'humeur 
qu'il  révèle,  et  dans  le  sentiment  d'injustice  et  d'op- 
pression qu'il  évoque  dans  la  minorité.  »  Balfour  re- 
doute les  abus  tyranniques  de  la  majorité  contre  les 
droits  et  libertés  privées  :  «  C'est  une  tyrannie  non 
moins  néfaste  que  celle  des  despotes.  »  Discours  pro- 
noncé à  Limerliouse,  en  Irlande,  dans  le  Times,  12  juin 
1903.  Enfin,  l'rins,  De  l'esprit  du  gouvernement  dé- 
mocratique, Bruxelles,  1902,  p.  120,  121,  écrit  :  «  La 
minorité  doit,  au  nom  de  l'ordre  légal,  s'incliner  de- 
vant la  majorité;  mais  celle-ci  doit,  au  nom  de  la  jus- 
tice, s'incliner  devant  l'intérêt  de  tous.  »  Savants 
ou  hommes  d'Etat,  les  politiques  contemporains 
s'accordent  donc  à  professer  que  la  souveraineté  du 
nombre  et  de  la  majorité  relève  de  la  suprématie  qui 
appartient  toujours  au  bien  commun  et  au  droit.  Leur 
unanime  conviction  à  cet  égard  donne  un  splendide 
commentaire  à  l'enseignement  de  Pie  IX. 

Mais  celui-ci  eut  le  mérite  de  rappeler  ces  vérités 
morales  dans  un  temps  où  le  souci  de  la  popularité  et 
l'envie  du  succès  rapide  orientait  les  politiques  vers 
l'adulation  du  nombre  et  de  la  force.  Pie  IX  avait  goûté 
les  enthousiasmes  populaires  aux  premiers  jours  de 
son  règne;  mais  il  connut  bientôt  la  révolution  à  Borne 
et  l'exil  à  Gaëte.  Il  discerna  les  poussées  mauvaises  du 
nombre  et  de  la  force,  et  il  sacrifia  courageusement  la 
popularité  de  ses  débuts  à  une  douloureuse,  mais  né- 
cessaire protestation.  C'est  la  gloire  de  ce  pontife,  de 
n'avoir  pas  ilatté  la  démocratie  et  d'avoir  appliqué 
l'antique  morale  chrétienne  à  contrebalancer  la  sou- 
veraineté du  nombre.  L'autorité  et  la  loi  ne  peuvent 
pas  être  simplement  «  l'expression  de  la  volonté  géné- 
rale »,  comme  le  porte  la  Déclaration  des  droits  de 
l'homme;  il  faut,  de  plus,  que  la  volonté  générale  se 
subordonne  au  droit  et  au  bien  commun. 

L'enseignement  de  Pie  IX  demeure  encore  très 
opportun,  car,  de  nos  jours,  on  va,  redisant  de  tout 
vote  majoritaire  :  «  C'est  la  loi!  Il  n'y  a  plus  qu'à 
s'incliner!  »  Et  si  la  loi  est  injuste?  Un  coup  de  majo- 
rité peut-il  être  la  règle  infaillible  de  la  justice?  Non! 
la  loi  n'est  pas  <<  l'expression  de  la  volonté  générale  », 
mais  de  l'ordre  raisonnable  à  établir  en  vue  du  bien, 
soit  par  la  volonté  du  prince  dans  une  monarchie  pure, 
soit  par  la  volonté  du  peuple  ou  de  ses  représentants, 


dans    une    démocratie.    V.   Maumus,     L'Église    et    la 
France  moderne,  p.  225,  22G. 
IX.  Léon  Xlll   :  u  démocratie  politiqw 

mi:  PARMI  LES  FORMES  Dl  GOI  FERMEMENT  QBE  l'ÉgLISI 
PEl  T  ACCEPTER.  —  1»  La  question  de  principe.  —  Dans 
l'encyclique  Diuturnum,  du  29  juin  1881,  sur  l'ori- 
gine du  pouvoir  civil,  la  démocratie  est  formellement 
l'objet  de  celte  reconnaissance;  mais  Léon  XIII  prend 
soin  d'en  purifier  le  concept  de  tout  alliage  avec  la 
thèse  de  Bousseau  sur  la  souveraineté  première,  abso- 
lue et  inaliénable  du  peuple.  D'après  Bousseau.  en 
effet,  chaque  citoyen  fait  abandon  de  toute  sa  personne 
et  de  tous  ses  droits  à  toute  la  multitude,  qui,  désor- 
mais souveraine,  lui  assurp  toute  protection  :  tel  est 
l'objet  du  contrat  social  :  la  souveraineté  de  l'homme 
isolé  sur  soi-même  se  transforme  en  la  souveraineté  de 
tous  ensemble  sur  chacun  des  associés.  Désormais, 
c'est  la  volonté  de  tous,  ou,  à  son  début,  la  volonté-  du 
plus  grand  nombre  qui  est  la  loi  suprême;  les  divers 
types  de  gouvernement,  royauté,  aristocratie,  magistrats 
populaires,  ne  sont  que  les  commis  et  les  délégués  de 
la  souveraineté  universelle.  Aussi  «  quand  on  propose 
une  loi  dans  l'assemblée  du  peuple,  ce  qu'on  demande 
aux  citoyens,  ce  n'est  pas  précisément  s'ils  approuvent 
la  proposition  ou  s'ils  la  rejettent,  mais  si  elle  est 
conforme  ou  non  à  la  volonté  générale,  qui  est  la  leur  : 
chacun,  donnant  son  suffrage,  dit  son  avis  là-dessus,  et 
du  calcul  des  voix  se  tire  la  déclaration  de  la  volonté 
générale.  »  Bousseau,  Le  contrat  social,  1.  IV.  c.  II. 
Cetle  doctrine  ressemble  fort  au  matérialisme  poli- 
tique déjà  condamné  dans  la  proposition  60e  du  Syllabt(s 
et  celle-ci  n'en  parait  elle-même  que  la  transposition 
dans  un  style  rajeuni.  Mais  la  démocratie,  grandissant 
privée  de  ses  véritables  éducateurs,  trop  souvent 
exploitée  par  des  sophistes  et  des  politiciens,  continuait 
de  se  griser,  en  quelque  sorte,  par  les  doctrines  et  par 
l'esprit  du  Contrat  social.  C'est  à  quoi  pare  Léon  XIII  : 
«  Bon  nombre  de  contemporains,  suivant  les  traces  de 
ceux  qui,  au  siècle  dernier,  s'intitulèrent  les  philo- 
sophes, prétendent  que  tout  pouvoir  vient  du  peuple: 
que,  par  suite,  ses  dépositaires  dans  la  cité  ne  le  dé- 
tiennent pas  comme  leur  appartenant,  mais  ainsi  qu'un 
mandat  populaire,  et  sous  cette  clause,  que  la  volonté 
du  peuple  peut  toujours  révoquer  son  mandat.  Mais, 
c'est  ce  que  nient  les  catholiques  :  ils  rattachent  à  Dieu 
le  droit  de  commander,  comme  à  son  naturel  et  néces- 
saire principe.  Toutefois,  il  importe  ici  même  d'obser- 
ver que  les  gouvernants  peuvent  en  certains  cas  être 
choisis  par  la  volonté  et  le  jugement  de  la  multitude, 
sans  nulle  opposition  de  l'enseignement  catholique.  Par 
ce  moyen  de  l'élection,  la  personne  du  prince  est  dési- 
gnée, mais  les  droits  du  pouvoir  ne  sont  pas  conférés  : 
ce  n'est  pas  l'autorité  qui  est  déléguée,  mais  on  décide 
par  qui  elle  sera  exercée.  Les  diverses  formes  de  gou- 
vernement ne  sont  pas  ici  non  plus  en  cause  :  rien 
n'empêche  l'Église  d'approuver  le  gouvernement  d'un 
seul  ou  de  plusieurs,  pourvu  qu'il  soit  juste  et  qu'il 
recherche  le  bien  commun.  C'est  pourquoi,  réserve 
faite  de  la  justice,  les  peuples  ne  reçoivent  aucune  in- 
terdiction de  se  choisir  le  genre  de  constitution  qui 
s'adapte  le  mieux  à  leur  génie  propre,  aux  traditions 
de  leur  passé  ou  à  leurs  mœurs.  « 

Cet  enseignement  de  Léon  XIII  continue  bien  l'en- 
seignement des  scolastiques  sur  les  diverses  formes  de 
gouvernement  ;  toutefois,  sous  la  plume  de  ce  pontife 
si  appliqué  à  reconnaître  les  signes  des  temps,  la  doc- 
trine traditionnelle  passe  de  l'état  purement  spéculatif 
et  du  milieu  scolaire,  à  une  application  des  plus  pra- 
tiques dans  la  situation  du  monde  moderne.  Et  c'est 
pourquoi  aussi  elle  s'enrichit  d'une  antithèse  vigou- 
reuse entre  la  participation  légitime  du  peuple  au  pou- 
voir et  sa  souveraineté,  telle  que  Bousseau  la  supposait. 
On  retrouve  le  mémo  enseignement  dans  l'encyclique 


305 


DEMOCRATIE 


306 


Immorlale  Dei,  du  1er  novembre  1885,  sur  la  constitu- 
tion chrétienne  des  États,  §  Sed  perniciosa  illa  et 
§  Ejusmodi  ne  regenda  civitate. 

C'est  donc  une  bienveillante  neutralité  de  l'Eglise, 
que  Léon  XIII  affirme  entre  les  diverses  formes  du 
pouvoir  civil  :  neutralité,  parce  que  l'Église  a  reçu  de 
.lésus-Clirist,  par  révélation,  les  principes  de  son  propre 
gouvernement,  mais  non  ceux  des  gouvernements 
civils:  neutralité  bienveillante,  parce  que  l'Église  recon- 
naît là  des  manifestations  naturelles  de  la  vie  sociale, 
et  donc  des  lois  providentielles,  dans  l'établissement 
pouvoirs  politiques. 

2°  A  l'exposé  des  principes,  s'ajoutent,  chez  Léon  XIII, 
certaines  visées  d'application,  puisque,  aussi  bien, 
c'est  le  mouvement  démocratique  moderne  qui  lui 
suggère  en  fait  son  enseignement  explicite  sur  l'acces- 
sion du  peuple  au  pouvoir  ou  à  son  partage. 

Dans  l'encyclique  Immorlale  Dei,  une  brève  re- 
marque établit  que,  «  dans  certaines  époques  et  sous 
certaines  lois,  la  participation  plus  ou  moins  grande  du 
peuple  au  pouvoir  n'est  pas  seulement  chose  utile  : 
elle  devient  un  devoir.  »  S  Hxc  quidem  sunt  quœ  de 
constiluendis.  Un  peu  plus  tard,  le  10  janvier  1890, 
l'encyclique  Sapientiae  christiamc  définit  les  princi- 
paux devoirs  civiques  des  chrétiens.  Adressée  à  l'uni- 
vers catholique,  sans  distinction  de  républiques  ou  de 
monarchies,  elle  atteste  par  son  objet  même  que,  par- 
tout, la  valeur  individuelle  et  morale  de  l'homme, 
l'action  privée  et  publique  du  citoyen  devient  par  elle- 
même  un  facteur  de  la  prospérité  et  du  bien  commun. 
Tandis  que  Grégoire  XVI  s'adressait  encore  aux  princes 
comme  aux  «  pasteurs  et  tuteurs  des  peuples  »  (ency- 
clique M/rari  vos),  Léon  XIII  s'adresse  aux  citoyens 
qui,  dans  les  monarchies  comme  dans  les  républiques, 
représentent  presque  partout  maintenant  l'accession  du 
peuple  au  pouvoir  dans  une  mesure  ou  dans  une  autre. 
lie  tels  enseignements  sont  venus  à  leur  heure,  dans 
le  temps  où  le  suffrage  universel  s'établit  ou  se  con- 
quiert par  degrés,  et  oi'i  l'Eglise  elle-même  réclame 
l'action  publique  de  ses  fidèles  pour  la  défense  de  ses 
droits  qui  sont  les  leurs.  Des  devoirs  civiques  plus 
grands,  plus  compliqués  el  plus  généraux  s'imposent, 
■  n  l  II. -t.  dans  toute  société,  que  ne  gouvernent  plus  île 
rares  privilégiés,  nobles  de  naissance,  capacités  légales 
ou  censitaires. 

in  Mil  eui  enfin  i  résoudre,  dans  le  concret,  le 
nre  national  île  la  démocratie  politique 
eu  l  i  il  le  dit  lui-même  dans  sa  Lettre  à 

M     Mathieu,  archevêque  de  Toulouse  (28  mais  1897), 
il   voulut  approprier  les  maximes  traditionnelles   des 
•  lu  saint-siège,  à  l'étal  de  la  France, 
'n  matière  d'ol  au*  pouvoirs  établis.  L'ency- 

clique -ni  i  ■         lu  16  févi  ier  1892,  ensei- 

gnait l.i  reconnaissance  du  régime  établi,  la  République, 

c ie  un  devoir  envers  le  bien  commun,  s  (>r,  celte 

ociale,  S  l'n,    conséquent.  L'encyclique  aux 

cardinaux   français,  du  3  mai   suivant,  résumait  cette 

i  me  —  on  s'en  souvient,  sj  controversée  dans  la 

i lil  Irice        Lor  que,  dans  une  société, 

H  existe  un  pouvoir  constitué  el  mis  à  l'œuvre,  l'intérêt 
commun  te  trouve  lié  à  ce  pouvoir,  et  l'on  doit,  pour 
on,  i  accepter  tel  qu'il  est.  C'esl  pour  <■■ 

qui    noua  avona  dit  aux  catholiques 
(rançai  \ca  pie    \a    R<  publiqui  .      >  est  ■>  di 

m  ou» .  respecti 

,.   /, 
lin  I   par  le  hit  <h   ion  •  lablisseraenl  el  de  n  misi 
une  démocratie  bénéficiai!  de  la    doctrine 
traditions  Ile  sur  l'acceptation  despouvo  itui 

pe  rappelait   que  d'autn      i 
temps   .i  •  lien)  de    mi  mi    profité    di    i  elti    doctrine 
H'  ,  en  Fi  pi i  mpii 


lendemain  d'une  effroyable  et  sanglante  anarchie; 
ainsi  furent  acceptés  les  autres  pouvoirs,  soit  monar- 
chiques, soit  républicains,  qui  se  succédèrent  de  nos 
jours.  »  On  sait,  d'ailleurs,  avec  quelle  délicatesse 
Léon  XIII  reconnut  la  pleine  liberté  des  préférences 
théoriques  ou  personnelles  en  matière  politique;  avec 
quelle  fermeté  il  indiqua  les  changements  à  obtenir 
dans  la  législation  de  la  République  en  matière  de 
questions  religieuses  ou  de  questions  mixtes;  l'une  et 
l'autre  réserve  dégagent  d'autant  mieux  la  reconnais- 
sance du  fait  démocratique,  là  où  il  s'incarne  dans  un 
régime  établi,  et  la  validité  des  droits  issus  de  cet 
établissement. 

X.  Léon  XIII  :  l'éducation  morale  de  la  démocra- 
tie; problèmes  connexes.  —  L'encyclique  Longinqua 
Oceani,  du  6  janvier  1895.  aux  évoques  d'Amérique, 
rappelle  fortement  le  besoin  spécial  qu'une  démocra- 
tie a  de  citoyens  honnêtes,  et,  par  suite,  la  nécessité 
qu'elle  éprouve  d'une  éducation  morale  pénétrée  de 
religion.  «  S'il  s'agit  de  l'ordre  civil,  c'est  un  fait  ac- 
quis et  reconnu,  que,  spécialement  dans  un  État  popu- 
laire comme  le  vôtre,  il  est  d'une  grande  importance 
que  les  citoyens  soient  probes  et  de  bonnes  mœurs. 
Dans  une  nation  libre,  si  la  justice  n'est  pas  universel- 
lement en  honneur,  si  le  peuple  n'est  pas  souvent  el 
soigneusement  rappelé  à  l'observation  des  préceptes  de 
l'Évangile,  la  liberté  elle-même  peut  lui  être  funeste. 
Aussi,  que  tous  les  membres  du  clergé  qui  travaillent 
à  l'instruction  du  peuple  traitent  avec  netteté  les 
devoirs  des  citoyens,  de  façon  à  persuader  les  esprits 
et  à  les  pénétrer  de  cette  vérité,  qu'il  faut,  dans  toutes 
les  fonctions  de  la  vie  civile,  loyauté,  désintéressement, 
intégrité.  En  effet,  ce  qui  n'est  pas  permis  dans  la  vie 
privée  ne  l'est  pas  non  plus  dans  la  vie  publique.  9 
g  De  reruni  génère  civili. 

Dans  ces  conseils,  les  allusions  sont  claires  aux 
pratiques  immorales  des  politiciens  el  des  partis  en 
Amérique.  Lllesne  le  sont  pas  moins  dans  le  Discours 
du  8  octobre  1898  aux  pèlerins  ouvriers  français  ;  mais 
relie  fois  elles  visent  les  périls  moraux  de  la  démocra- 
tie sous  leur  forme  spécialement  française  :  «  Puisque 
vous  venez  de  faire  allusion  à  la  démocratie,  voici  ce 
qu'à  ce  sujet  nous  devons  vous  inculquer...  Si  la  dé- 
mocratie veut  être  chrétienne,  elle  donnera  à  voire 
patrie  un  avenir  de  paix,  de  prospérité  et  de  bonheur. 
Si.  au  contraire,  elle  s'abandonne  à  la  révolution  et  au 
socialisme;  si,  trompée  par  de  folles  illusions,  elle  se 
livre  à  des  revendications  destructives  des  lois  fonda- 
mentales sur  lesquelles  repose  tout  ordre  civil,  l'effet 
immédiat  sera,  pour  la  classe  ouvrière  elle-même,  la 
servitude,  la  misère,  la  ruine.  » 

(les  enseignements  pontificaux  laissent  apercevoir,  en 
France  comme  en  Amérique,  une  véritable  crise  mo- 
rale  de  la  démocratie  dans  l'ordre  politique  :  doctrines 
subversives    et    personnel    corrompu.    C'est    une 

constatée  par  des  observateurs  de  tout  pays  et  de  tout 
bord.  Kii  dehors  des  milieux  catholiques  elle  inspire 
de  nos  jours  une  copieuse  littérature  -  Barni,  /."   mo- 
rale   dans  la  démocratie,   Paris,  1885;  .Iules    Payot, 
alion  'ic  lu  démocratie,  Paris,  1897;  Léon  Bour- 
/  éducation   de  la   démoa  itie,  Discours,  IS'.iT; 
Solidai  ité,  1898.  Voir  aussi  .les  ou\  ragei  di  jâ  cités  de 
i,i    République  américaine,  el  de   Prins,  Ds 
rnemenl  démocratique. 
Di      catholiques    français    poursuivent    l'éducation 

morale  de  la  démocratie  coi nécessaire  à  son  i  i 

nisation  politique  el  sociale,  lis  ont   le  vif  sentiment 

propn        BU     catholicisme     pour    celle 

mu  i.  de  vo-  :  l'irréligion   propagée  dans  1rs   m 
l' m  apparaît  un  crime  contre  le  peuple  el  la  destruc- 
tion  mémi  luverner    I  on- 

segrive,  Catholicisme  et  démocratie,  l  <<  a^c  sociale, 

I  '■  pril    'ii  mot  ratique, 


307 


DÉMOCRATIE 


.W 


Paris,  1900;  Qui  fera  la  démocratie,  I';iris,  l'KXj;  La 
lutte  pour  la  démocratie,  Paris,  1908; Georges  Renard, 
Sept  conférences  sur  la  démocratie,  Paris,  1907;  Louis 
Brouard,  Petit  catéchisme  du  démocrate,  Paris,  l!iu.x. 
D'antres  catholiques,  il  est  vrai,  combattent  vivement 
1rs  méthodes,  les  tendances,  les  doctrines  du  Sillon. 
Emmanuel  Barbier,  Les  idées  du  Sillon.  A  quoi  répond 
Jean  Desgranges,  Les  vraies  idées  du  Sillon.  Cf.  Albert 
Schatz,  L'individualisme  économique  et  social,  Paris, 
1908.  Le  chapitre,  intitulé  :  Libéralisme  et  christia- 
nisme, analyse  les  idées  directrices  de  la  démocra- 
tie chrétienne  avec  beaucoup  d'impartialité. 

Ces  idées  même  se  propagent  dans  les  milieux  qui 
ne  sont  point  spécifiquement  démocratiques  :  «  En 
fait,  l'Association  catholique  de  la  jeunesse  française 
poursuit  l'oeuvre  sociale  de  M.  de  Mun  et  de  M.  de  la 
Tour  du  Pin  «  en  la  démocratisant  »,  comme  l'a  dit 
M.  Georges  Piot,  son  jeune  et  très  compétent  historien. 
«  Aristocratique  dans  ses  origines,  l'A.  C.  J.  F.  est  dé- 
mocratique dans  ses  tendances.  »  T.  Cheminât,  dans  le 
Bulletin  de  littérature  ecclésiastique,  1908,  p.  72.  Voilà 
un  signe  que  le  problème  de  l'éducation  morale  de  la 
démocratie  s'impose  de  nos  jours  universellement.  Il 
aura  eu  sans  doute  ses  pionniers,  plus  ardents  que 
mesurés,  auxquels  M.  Schatz  reconnaît  de  l'instabilité 
et  de  la  confusion  dans  les  doctrines  économiques, 
mais  qui  auront  forcé  l'attention  et  ouvert  une  voie  où 
il  est  du  devoir  des  esprits  sages  de  s'avancer  avec 
leur  sagesse,  courageusement,  pour  aider  le  peuple  à 
connaître  les  devoirs  que  lui  imposent  ses  droits  et  ses 
vieux. 

Une  situation  est  donc  faite,  où  l'organisation  du 
régime  démocratique  et  le  problème  moral  de  l'éduca- 
tion civique  sont  étroitement  connexes.  Le  suffrage 
universel  existe  en  France;  ailleurs,  il  se  prépare  ou  se 
conquiert;  il  se  réalise  ou  se  poursuit  généralement  en 
des  conditions  qui  n'assurent  aux  électeurs,  pris  en 
masse,  aucune  garantie  de  sagesse  et  d'équité  dans 
leurs  choix,  et  qui  les  placent  à  la  merci  de  politiciens, 
de  comités,  de  clans  exploiteurs,  vivant  de  la  chose 
publique  comme  d'un  métier  lucratif.  Il  y  a  là  une 
question  d'organisation  légale  et  conslitutionelle,  rele- 
vant en  soi,  non  pas  de  la  théologie  et  de  la  morale, 
mais  delà  science  sociale  et  politique.  Néanmoins  celle- 
ci  constate  l'imprescriptible  nécessité  du  facteur  moral 
et  religieux  dans  la  vie  civique;  elle  découvre  aussi  l'in- 
suflisance  des  pures  exhortations  morales  et  religieuses, 
si  une  situation  mal  établie  et  corruptrice  en  combat  les 
effets  ou  les  énergies.  C'est  pourquoi  il  importe  de  con- 
sidérer ici  quelles  sont  les  conditions  normales  des 
vertus  civiques  dans  une  démocratie,  an  point  de  vue 
des  institutions.  Ces  notions  de  science  pure  devien- 
nent d'un  intérêt  moral  et  religieux  très  manifeste, 
une  fois  dûment  constaté  que  telles  et  telles  institu- 
tions imposent  aux  citoyens  des  devoirs  hors  de  toute 
proportion  avec  leur  dose  exigible  de  sagesse  et  de 
justice,  et  que  d'autres  proportionnent  bien  ces  de- 
voirs à  leurs  capacités  ou  même  développent  ces 
dernières.  Si  la  justice  distribulive,  comme  l'appellent 
les  théologiens,  consiste  précisément  à  répartir  les 
charges  et  avantages  de  la  vie  politique  à  proportion 
des  capacités,  le  problème  de  l'organisation  civique 
n'intéresse  pas  moins  la  morale  que  la  science.  Et  c'est 
pour  cette  raison  que,  rapidement,  nous  indiquons  ici 
ses  principales  données  et  la  littérature  à  consulter 
pour  le  résoudre. 

1°  C'est  un  fait  constaté  que  dans  les  affaires  des 
communes  rurales,  l'assemblée  universelle  des  citoyens 
domiciliés  constitue  le  meilleur  juge  du  bien  commun, 
le  plus  intéressé  au  bon  emploi  des  fonds,  le  plus  in- 
corruptible de  sa  nature.  Voilà  pourquoi  la  commune 
rurale  n'est  pas  seulement  le  terrain  naturel  de  la  dé- 
mocratie sous  sa  forme  la  plus  directe,  mais  encore  son 


école  primaire  et  son  école  d'application  la  meilleure. 
L'éducation  civique,  donnée  par  le  pédagogue  el  par  le 

manuel,  demeure  verbale  et  ne  forme  pas  le  jugement, 
tandis  que  le  sens  pratique  se  développe,  et,  avec  lui. 
'équité,  h'  dévouement  au  bien  commun,  là,  où,  dès  leur 

enfance,  les  citoyens  ont  vu  leurs  pin-  et  leurs  grands 
frères  activement  gérer  pour  leur  part  les  intérêts  de 
la  commune. Voir  les  ouvrages  cités,  col.  270. 

2°  Ce  que  la  commune  rurale  est  pour  le  paysan,  le 
syndical  professionnel  le  devient  pour  l'ouvrier  indus- 
triel, dans  la  mesure  où  ce  syndicat  se  dégage  des  ba- 
vardages révolutionnaires,  des  menées  politicienn 
s'occupe  sérieusement  des  intérêts  du  métier.  C'est  là 
que  l'ouvrier  se  forme  à  la  sagesse  pratique  el  à  l'arnour 
pratique  du  bien  commun,  à  la  prudence  et  à  la  justice, 
vertus  maîtresses  du  citoyen  dans  la  démocratie.  C'est 
là  qu'il  s'habitue  à  une  action  intelligente  et  informée, 
disciplinée  et  personnelle,  en  vue  de  son  bien  et  de 
ses  droits;  là  enfin  que  s'élèvent,  par  la  gestion  des 
charges  corporatives  et  par  l'ensemble  d'études  et  de 
démarches  qu'elles  réclament,  de  véritables  aristocrates 
naturels,  élite  inorale  et  sociale,  qui  représente  au  plus 
haut  degré  les  aspirations  et  les  capacités  de  la  classe 
ouvrière.  Les  ouvrages  déjà  cités  de  Howell,  Le  passé 
et  l'avenir  des  Trade-Unions,  et  de  Paul  Bureau,  Le 
contrat  de  travail,  le  rôle  des  syndicats  professionnels, 
exposent  des  faits  probants  sur  cette  valeur  éducative 
du  syndicat  professionnel.  On  consultera  aussi  utile- 
ment Paul  de  Rousiers,  Le  Trade-Unionisme  anglais, 
Une  nouvelle  enquête  sur  le  Trade-Unionisme,  dans 
La  science  sociale,  1896,  t.  xxi,  p.  181  sq.;  Le  congrès 
des  Trade-Unions  à  Belfast,  1893,  t.  xvi,  p.  239,  241. 
Voir  Corporations,  t.  m,  col.  1877, 1878. 

Les  syndicats  professionnels  présentent  ainsi  le 
mode  de  groupement  le  plus  favorable  au  développe- 
ment de  la  prudence  et  de  la  justice  dont  les  ouvriers 
ont  besoin  pour  exercer  leurs  droits  civiques  dans  la 
démocratie.  Ce  n'est  pas  que  le  syndicat  n'ait  ses  dan- 
gers, ses  tentations  de  violence  ou  de  tyrannie;  mais 
la  pratique  des  intérêts  professionnels,  leurs  exigences 
de  transaction  et  d'entente  avec  les  patrons,  la  forma- 
tion individuelle  de  la  conscience  morale  et  religieuse, 
constituent  autant  de  forces  supérieures  dont  les  plus 
anciennes  des  Trade-Unions  ont  expérimenté  les  bien- 
faits. C'est  par  l'ensemble  de  ces  ressources  organiques 
que  le  mouvement  syndical  vraiment  professionnel 
appelle  de  soi  la  sympathie  de  l'Église  et  le  concours 
de  son  action  inorale,  par  le  moyen  des  ouvriers 
croyants.  De  même  et  par  la  réciproque,  l'Église  ap- 
pelle l'action  éducative  du  syndicat;  elle  la  désire  à 
titre  de  condition  sociale  qui  moralise  le  mieux  la  classe 
ouvrière,  dans  l'exercice  de  la  démocratie.  Voir  Corpo- 
rations, t.  m.  col.  1871. 

3°  Les  vertus  civiques  de  la  démocratie  réclament 
aussi  le  gouvernement  local  el  autonome  des  com- 
munes urbaines,  des  circonscriptions  de  pays  ou  de 
province,  parce  que  ce  sont  là  des  groupes  naturels  et 
particuliers,  dans  l'ensemble  d'une  grande  nation,  et 
que  les  intéressés  directs  sont  mieux  portés  que  qui 
que  ce  soit  à  la  gestion  honnête,  appliquée  et  bien  in- 
formée, de  leurs  propres  affaires.  Ici  encore,  nous  nous 
retrouvons  dans  le  domaine  spécial  de  la  sociologie  ou 
de  la  science  politique;  mais  l'existence  du  gouverne- 
ment local  intéresse  la  inorale  par  les  services  qu'il 
rend  au  bien  commun,  et  par  sa  haute  valeur  éducative. 
Tandis  que  les  parlements  nationaux  légifèrent  de  loin, 
de  trop  loin  et  uniformément,  maladroitement,  pour 
des  populations  trop  nombreuses,  trop  disparates,  trop 
dissemblables  dans  leurs  besoins,  Prins,  De  l'esprit 
du  gouvernement  démocratique,  p.  239,  "210,  »  il  est 
dans  la  nature  des  choses,  que  le  gouvernement  parle- 
mentaire, pliant  sous  un  fardeau  trop  lourd,  et  incapa- 
ble de  tout  faire  à  lui  seul,  ait  à  ses  cotés  des  rouages 


309 


DEMOCRATIE 


310 


auxiliaires  pour  le  soulager  et  obtenir  une  meilleure 
répartition  des  tâches.  Le  mode  de  distribution  le  plus 
rationnel  est  celui  qui  accorde  à  des  catégories  de  per- 
sonnes le  soin  de  s'administrer  elles-mêmes  pour  des 
catégories  d'intérêts  gui  leur  sont  propres  en  raison 
de  l'homogénéité  de  leur  vie,  de  leurs  occupations,  de 
leurs  tendances  ou  de  leurs  qualités  spéciales.  »  Prins, 
loc.  cit.,  p.  240.  —  Alors,  tandis  que  l'État  ou  le  par- 
lement décongestionne  ses  pouvoirs,  on  voit  s'épanouir 
dans  nos  grandes  nations  à  intérêts  compliqués  et  de 
vie  intense,  «  une  floraison  touffue  d'associations  va- 
riées, constituées  en  vue  de  l'utilité  publique  :  univer- 
sités, instituts  scientifiques,  cbaritables,  religieux, 
artistiques;  sociétés  pour  la  fourniture  du  gaz,  de  l'élec- 
tricité, de  la  chaleur,  de  l'eau;  sociétés  de  transports, 
d'épargne,  de  crédit,  d'assurances;  mutualités,  ligues 
contre  l'alcoolisme  ou  pour  la  protection  des  animaux, 
ou  pour  la  moralité  publique  ou  pour  la  poursuite  de 
certains  délits;  chambres  libres  de  commerce,  d'indus- 
trie, de  travail,  d'agriculture  ;  sociétés  coopératives,  etc.» 
Prins,  loc.  cit.,  p."  256.  Gladstone  disait  en  1892  :  «  Plus 
les  années  s'accumulent  sur  moi,  plus  j'attache  de  prix 
aux  institutions  locales.  C'est  par  elles  que  nous  ac- 
quérons l'intelligence,  le  jugement,  et  que  nous  nous 
rendons  aptes  à  la  liberté.  Sans  elles,  nous  n'aurions  pu 
conserver  nos  institutions  centrales,  »  cité  par  Prins, 
p.  260,  et  par  Ferrand,  Les  peuples  libres,  p.  97. 

Les  avantages  éprouvés  du  gouvernement  local  con- 
sistent à  initier  les  citoyens  qui  en  sont  chargés  à 
l'étude  expérimentale  et  au  soin  concret  des  intérêts 
locaux  :  services  publics,  comme  la  justice,  la  police, 
les  écoles,  la  bienfaisance,  l'hygiène;  services  tech- 
niques accessoires,  comme  roules,  ponts,  bâtiments, 
égouts,  voirie;  on  procède  par  commissions  d'étude  et 
d'inspection,  visites  personnelles  d'enquête,  préparation 
de  rapports  et  de  projets,  toujours  dans  la  sphère  des 
besoins  communs  et  immédiats  à  un  groupe  dont  on 
est  membre  sur  place.  Aussi,  à  l'éloquence  grandi- 
loquente et  théâtrale  des  politiciens,  se  substituent  le 
travail  utile  et  de  sobres  discours.  Les  sujets  à  traiter 
sont  familiers  et  donnent  fréquemment  l'occasion  de 
pratiquer  la  bienveillance,  le  dévouement,  la  pitié.  C'est 
pourquoi  des  écrivains  autorisés  comme  Prins.  Grey, 
Von  Mohl.  Bryce,  considèrent  unanimement  le  gou- 
vernemenl  local  comme  développant  l'amour  intelligent 
du  bien  public  chez  ses  agents,  C'est  donc  une  institu- 
tion de  haute  valeur  morale.  Elle  favorise  d'ailleurs 
beaucoup  moins  le  mauvais  esprit  de  clocher  et  la  fatuité 

i  ands  hoi -  de  petits  irons  que  le  régime  de  la 

tutelle  administrative  eî   de  la  centralisation  absolue. 
à  subalternes  irresponsables  et 

initiative,  el  à  favoritisme,  que  brillent  le  plus  les 
beaux  parleurs  humanitaires,  vaniteux  de  la  faveur 
officielle  dont  ils  jouissent.  Au  contraire,  c'est  d'abord 
sur  le  modeste  champ  des  affaires  municipales,  canto- 
nales, provinciales.  .1  di  issociations  de  bien  public, 
que  ie  façonnent,  s'éprouvent,  se  distinguent  peu  à  peu 

bs  futurs  hoi s   d'Etat.   Si   la  commune  rurale  el  le 

syndical  ouvrier  peuvent  se  considérer  comme  l<  j  écoles 
primaires  naturelles  de  la  capacité  et  de  la  vertu  civi- 
ques    dans   la   démocratie,  les   institutions   diversi 
gouvernement   local  en   réalisent   pour  ainsi  diri 

supérieure*.  Avec  leurs  fonctions  électives   el 
h   titutions  te'  consacrent   pas   de  privi- 

•  II  faveur  des  riches,  pur.-  qu'elles  n'offrent  pas 
complications  d'affaires,  qui,  dans  le  gou  i  ne 
ment  central,  'vi^.ni  d<     ipécialistes  absorbés  par  la 

fonction.   I ernement    local    ne  prend   que   il. 

heures  intermittentes  pour  des  mandait  temporaires, 
l 'ri n  .  >'■•    cit.,  p.  273,  27i;  Levasseur,  Quettion 

'■■-  -  i  /-  /  i  "./  ■  i  //  oi$u  me 

blique,  Paris,  1907   l>  tilli  m   .  on  e mi  nce,  sus 

Mil    iiu     à  doter  certaine    charges  du  gouvernement 


local  d'une  indemnité  journalière,  équivalente  au  salaire 
moyen  d'un  bon  ouvrier,  de  manière  à  ce  que  ceux-ci 
ne  se  trouvent  point,  en  fait,  évincés  de  ces  charges. 
Goodnow,  Comparative  administrative  Law,  t.  I, 
p.  232. 

A  coté  de  ses  agents,  le  gouvernement  local  assagit 
et  moralise  aussi  les  masses,  dont  il  protège  et  sert  les 
intérêts  par  des  mesures  pratiques,  avantageuses  pour 
tous.  Au  lieu  de  griser  la  classe  populaire  avec  des 
mots  capiteux,  de  l'associer  à  des  haines  de  clan, 
comme  le  font  les  politiciens  —  les  représentants  des 
libertés  locales  donnent  satisfaction  à  de  justes  désirs, 
intéressent  l'opinion  à  des  questions  positives  et  pra- 
tiques d'intérêt  et  de  droit,  portées  à  la  connaissance 
de  tous  par  des  débals  publics,  des  articles  et  informa- 
tions de  presse.  Celle-ci  prend  là  un  ton  sérieux  et 
rassis.  A  ce  point  de  vue,  Guizot  et  Gneist  attachent  le 
plus  grand  prix  aux  organes  et  aux  fonctions  du  gou- 
vernement local.  Guizot,  Histoire  des  origines  du  gou- 
vernement représentatif ,  Bruxelles,  1851, 1. 1,  p.  180 sq.; 
Gneist,  Die  Prcussische  Kreisordnung,  Berlin,  1870, 
p.  23  sq.  Par  ces  dispositions  qu'il  réalise  dans  les 
masses,  comme  par  les  services  qu'il  réclame,  le  gou- 
vernement local  élimine  le  politicien  et  sa  «  politique 
alimentaire  »,  pour  installer  à  leur  place  des  notabilités 
communales,  cantonales,  provinciales,  qui  ne  se  clas- 
sent pas  en  partis,  mais  qui  se  groupent  selon  les  cas 
et  les  affaires.  Macy,  Dur  governmenl,  Boston,  1902, 
p.  231;  Shaw,  Municipal  governmenl  in  Greal  Britan- 
nia,  dans  Polilical  science  Quarlerly,  t.  x,  p.  200  sq.  ; 
Fox,  Counly  Counc.il  as  il  worlis,  dans  Yale  Review, 
1895,  1896,  p.  87;  Prins,  loc.  cit.,  p.  262,  263;  Maurice 
Vauthier,/^  gouvernement  local  de  l'Angleterre,  Paris, 
1895;  BlackeOdgers,  Local  government,  Londres,  1901. 

4°  L'éducation  morale  du  peuple  ne  s'achèvera  pas, 
dans  l'ordre  politique,  sans  une  réforme  et  une  orga- 
nisation du  suffrage  universel.  Ici  encore,  nous  énon- 
çons une  proposition  de  science  sociale  el  non  de  théo- 
logie; mais  cette  proposition  nous  fournit  des  données 
nécessaires  pour  l'efficacité  de  renseignement  moral 
et  chrétien  du  devoir  civique  à  notre  époque.  Et  c'est 
pourquoi,  l'on  ne  saurait  trop  encourager  les  théolo- 
giens à  étudier  un  problème  que  non  seulement  les 
savants  purs  ou  les  hommes  politiques  approfondissent, 
mais  sur  lequel  les  travaux  des  catholiques  sociaux  en 
France,  et  de  la  revue  L'association  catholique  ont  ac- 
cumulé de  précieuses  études  depuis  trente  ans. 

Une  nation  n'est  pas  la  poussière  d'individus  que 
Bousseau  imaginait  formant  l'État,  à  l'exclusion  de  tout 
groupe  intermédiaire,  en  transportant  peut-être  une 
vue  superficielle  et  faussée  des  Landsgetneinden,  dans 
une  théorie  pire  encore  de  la  société  politique  en 
général.  Cette  théorie  fut  appliquée  par  la  Révolution, 
en  haine  des  corps  privilégiés  de  l'ancien  régime,  et 
au  grand  dommage  de  l'éducation  civique  des  Français. 
Une  grande  nation  surtout  est  un  ensemble  complexe 
île  groupes  naturels.  Les  uns  se  fondent  sur  le  travail, 
le  domicile,  le  voisinage  commun  d'un  certain  nombre 
de  familles,  et  ce  sont  les  communes  rurales,  déposi- 
taires des  intérêts  agricoles  dans  toute  la  nation.  D'an- 
très  groupes  si>  fondent  sur  la  communauté  de  travail 
en  des  endroits  pourtant  divers  et  même  distinct 

onl  les  ouvriers  des  mines,  des  transporte,  de  l'in- 
dustrie, avec  leurs  syndicats  ouvriers,  et  les  patrons, 
syndiqués  aussi  ;  le  commerce,  les  professions  libérales, 

orpa  universitaires  constituent  également  d'- 
il'   'ii  tincl    pat  n  iiui' i,  '  i  dont  le  bon  Font  lionnemenl 
itile  i  toute  ii  nation.  La  propi  l<  té  aui  >  bien  con- 
stitue pour  sa  part  une  cla  d'intérêt 
oaux,  lorsque  le  sol  d'un  pa]   et   •     méthodes  agri- 
cole .   i  ientiflqu               di  mandent  1 1  produi  enl 

le  type  du  grand  propriétaire  C'esl  a  Pintérieui  di  toui 

n. h  [du     rivent 


:ni 


DÉMOCRATIE 


312 


quotidiennement;  c'est  des  fonctions  complémentaires, 
exercées  par  chacun  de  ces  groupes,  harmonisées  entre 
elles  avec  justice  pour  tous  et  entre  tous,  que  résulte  la 
paix,  que  ressort  le  hien  commun.  Aussi,  la  nation  appe- 
lée à  se  gouverner  par  ses  représentants,  selon  le  système 
démocratique,  ne  sera  représentée  que  par  les  repré- 
sentants de  ces  groupes  et  intérêts  divers.  Et  où, et  par 
qui  seront-ils  mieux  choisis,  avec  une  meilleure  con- 
naissance des  personnes  et  des  choses,  que  par  les 
membres  de  la  profession?  Nos  circonscriptions  d'ar- 
rondissement confondent  des  électeurs  de  toute  caté- 
gorie dans  le  choix  de  personnes  inconnues  d'eux, 
et  sur  des  énoncés  de  programmes  où  99  citoyens  sur 
100  sont  incompétents,  car  il  ne  s'agit  de  rien  moins 
que  d'un  programme  total  de  gouvernement  pour  toute 
la  nation  !  Aussi  peut-on  appliquer  au  suffrage  uni- 
versel, tel  que  nous  l'avons  et  qu'il  existe  en  d'autres 
pays,  ce  qu'on  a  dit  des  élections  présidentielles  aux 
États-Unis  :  «  Les  organisateurs  ne  consultent  pas 
l'opinion  publique;  ils  la  créent.  Ils  la  manipulent, 
la  pétrissent,  la  séduisent,  la  corrompent,  la  dominent, 
la  suggestionnent  de  mille  manières.  La  désignation 
en  est  faite,  non  parce  que  la  foule  est  là,  mais  quoi- 
qu'elle soit  là,  non  par  sa  décision,  mais  parce  que 
des  comités  d'une  dévorante  activité  ont  décidé  pour 
elle.  »  Ostrogorski,  La  démocratie  et  l'organisation 
des  partis  politiques,  Paris,  1903;  Macy,  Dur  govem- 
ment,  Boston,  1902,  p.  244.  Aussi,  une  démocratie  par- 
lementaire, qui  repose  sur  le  suffrage  universel  brut 
et  amorphe,  n'est  qu'une  démocratie  de  façade,  menée 
etfectivement  par  des  minorités  politiciennes.  Ch.  Be- 
noist,  La  crise  de  l'État  moderne,  Paris,  1897,  p.  26, 
27;  Sophismes  politiques  de  ce  temps,  Paris,  1895; 
Em.  Lahovary,  Histoire  d'une  fiction,  le  gouvernement 
des  partis,  Bucarest,  1897;  sir  Henry  Summer  Maine, 
Essais  sur  le  gouvernement  populaire,  trad.  franc., 
p.  145,  157;  Georges  Goyau,  Autour  du  catholicisme 
social,  2e  série,  1901,  p.  46,  54.  Bégime  d'incompétence 
chez  l'électeur  et  de  corruption  chez  les  faiseurs  d'élec- 
tion, tel  est  le  bilan  moral,  désormais  acquis,  à  la  charge 
du  suffrage  inorganique.  Et  comme,  d'autre  part,  tout 
le  monde  s'entend  à  reconnaître  l'impossibilité  pratique 
de  revenir  au  suffrage  restreint  —  par  exemple,  Benoist, 
De  l'organisation  du  suffrage  universel,  p.  28,  30;  de 
Lamarzelle,  Démocratie  politique,  p.  7,  8,  n.  1  —  la 
conclusion  est  qu'il  faut  organiser  le  suffrage  universel. 
Le  problème  de  l'éducation  civique  et  morale  néces- 
saire à  la  démocratie  engage  donc  ce  dernier  problème, 
que  M.  Charles  Benoist  a  magistralement  traité  dans 
son  ouvrage  sur  L'organisation  du  suffrage  universel. 
Il  y  examine  :  1°  les  expédients  et  palliatifs  compatibles 
avec  la  forme  actuelle  :  éducation  des  électeurs,  vote 
obligatoire;  2°  les  changements  de  forme  accidentels  : 
scrutin  de  liste  ou  d'arrondissement;  vote  secret  ou 
public;  limitations  des  dépenses  électorales;  3°  les 
changements  minimes  en  substance  :  l'âge,  le  domicile, 
le  minimum  de  capacité;  4°  les  combinaisons  :  suffrage 
à  plusieurs  degrés  et  vote  plural;  5°  la  représentation 
proportionnelle  des  opinions  ;  6°  la  représentation 
réelle  du  pays.  Belativement  à  celle-ci,  M.  Benoist  étu- 
die :  1°  les  fondements  théoriques  et  philosophiques  de 
la  représentation  professionnelle;  2°  ses  fondements 
historiques;  3°  ses  éléments  dans  les  législations  exis- 
tantes :  survivances  ou  formes  anciennes;  formes  mixtes 
ou  renouvelées;  formes  nouvelles  ou  progressives.  L'ou- 
vrage se  termine  par  un  essai  d'application  à  la  France. 
11  est  à  lire  et  à  méditer  par  tous  les  moralistes,  qui, 
sans  sortir  de  leur  compétence,  voudront  sortir  néan- 
moins des  généralités  et  des  lieux  communs,  sur  la 
réforme  du  suffrage  universel  et  de  ses  mœurs.  De 
même  que,  au  traité  de  la  justice  et  des  contrats,  le 
théologien  doit  connaître  un  bon  nombre  de  lois  civiles 
et  de  théories  juridiques,  de  même,  au  traité    des  Dc- 


rnirs  civiques,  encore  à  faire,  le  théologien  devra  con- 
naître les  institutions  qui  assureraient  le  mieux  sa 
compétence  et  sa  probité  au  suffrage  populaire,  et,  par 
suite,  les  ('tndes  techniques  de  science  sociale  et  de 
science  politique  nous  sont,  de  par  nos  devoirs,  aussi 
indispensables  que  celle  de  l'anthropologie  ou  de  toute 
autre  science  auxiliaire.  Nous  y  gagnerons  une  préci- 
sion et  une  sérénité  d'esprit  strictement  nécessaires 
à  la  valeur  de  nos  jugements  moraux  sur  le  régime 
politique  nommé  démocratie. 
XL  L'encyclique  De  conditions  opificum  et  la 

DÉMOCRATIE  COMME  MOUVEMENT  SOCIAL.  —  On  peut  ap- 
peler ce  document  la  charte  pontificale  de  la  démo- 
cratie, en  prenant  ce  terme  dans  le  sens  dérivé  de 
mouvement  social  pour  l'amélioration  de  la  vie  chez 
les  ouvriers.  Dans  l'exorde,  Léon  XIII  résume  vigoureu- 
sement les  causes  du  redoutable  conflit  que  le  xiv  siècle 
vit  naître  dans  la  société  :  1°  progrès  nouveaux  de 
l'industrie  et  méthodes  nouvelles  des  arts  mécaniques; 
•2"  altération  des  rapports  entre  patrons  et  ouvriers; 
3°  concentration  des  richesses  entre  les  mains  du  petit 
nombre  et  indigence  de  la  multitude;  4°  opinion  plus 
grande  que  les  ouvriers  ont  conçue  d'eux-mêmes  et 
leur  union  plus  compacte;  5°  corruption  morale.  Cette 
énumération  place  fort  exactement  la  révolution 
technique  et  industrielle  opérée  par  le  machinisme  au 
premier  rang  des  facteurs  qui  ont  produit  l'antagonisme 
actuel  des  classes;  viennent  ensuite  les  faits  déconcen- 
tration ouvrière,  de  concentration  patronale  et  de 
démoralisation  dont  les  économistes  et  les  politiques 
ont,  comme  Léon  XIII,  reconnu  l'enchaînement.  Mais 
le  pontifie  annonce  de  suite  le  haut  point  de  vue  de 
justice  qui  domine  son  intervention  :  «  préciser  avec 
justesse  les  droits  et  les  devoirs  qui  doivent  à  la  fois 
commander  la  richesse  et  le  prolétariat,  le  capital  ri  le 
travail.  Le  problème  n'est  pas  sans  danger,  parce  que 
trop  souvent  des  hommes  turbulents  et  astucieux 
cherchent  à  en  dénaturer  le  sens  et  en  profitent  pour 
exciter  les  multitudes  et  fomenter  des  troubles. 
Quoi  qu'il  en  soit,  nous  sommes  persuadé,  et  tout  le 
monde  en  convient,  qu'il  faut,  par  des  mesures  promptes 
et  efficaces,  venir  en  aide  aux  hommes  des  classes  infé- 
rieures, attendu  qu'ils  sont  pour  la  plupart  dans  une 
situation  d'infortune  et  de  misère  imméritées.  »  Ces 
dernières  paroles  sont  absolument  neuves  :  si.  d'un 
côté,  Léon  XIII  ne  reste  pas  moins  sévère  aux  violences 
et  aux  excitations  révolutionnaires  que  Grégoire  XVI 
ou  Léon  XII,  d'autre  part,  il  bénéficie  de  soixante 
années  où  le  conflit  social,  se  prolongeant,  fut  observé, 
étudié,  apprécié  par  de  nombreux  esprits,  notamment 
par  ces  économistes  ou  ces  hommes  d'action  catholiques, 
si  justement  appelés  les  précurseurs  du  mouvement 
social  catholique  ou  ses  premiers  initiateurs.  Victor  de 
Clercq,  Les  doctrines  sociales  catholiques  en  France, 
depuis  la  Révohdion  jusqu'il  nos  fours,  Paris.  1905, 
2  brochures.  Voir  Corporations,  t.  m,  col.  1870,  1871. 
Depuis  les  écrivains  contre-révolutionnaires,  comme  Jo- 
seph de  Maistre  et  Bonald,  en  passant  par  Chateaubriand. 
Ballanche,  Lamennais,  Lacordaire,  Montalembert,  le 
comte  de  Coux,  Yilleneuve-Bargemont,  Louis  Veuillot, 
Ozanam,  jusqu'à  Gratry,  Charles  Périn,  Bené  de  la  Tour 
du  Pin,  le  comte  de  Mun,  Ketteler,  Vogelsang,  Decurtins, 
etc.,  l'application  des  principes  évangéliques  à  l'amélio- 
ration physique,  sociale  et  morale  de  la  vie  ouvrière  de- 
vint de  plus  en  plus  un  sujet  d'études  et  un  principe 
d'action.  Par  l'organe  d'une  élite  de  croyants  et  de  pen- 
seurs, l'Église  enseignée  sollicitait  implicitement  l'auto- 
rité pontificale  à  se  prononcer  sur  cette  cause  majeure. 
Des  gens  même  du  dehors,  comme  Bûchez  et  son  école, 
d'anciens  saint-simoniens,  comme  le  banquier  israélite 
[saac  Pereire,  sollicitaient  expressément  une  action  nou- 
velle de  la  papauté.  «  Jamais  œuvre  plus  digne  d'elle. 
plus  conforme  à  l'enseignement  de  son  divin  maître  ne 


313 


DEMOCRATIE 


314 


s'est  offerte  à  la  sollicitude  de  l'Église.  N'est-elle  pas, 
par  son  principe  même,  la  mère  de  tous  les  petits,  la 
protectrice  des  opprimés?  Après  avoir  détruit  l'escla- 
vage antique  et  le  servage  féodal,  l'Église  doit  encore 
améliorer  le  sort  de  l'ouvrier  moderne.  »  Isaac  Pereire, 
La  question  religieuse,  Paris,  1878,  cité  par  Leroy- 
Beaulieu,  La  papauté,  le  socialisme  et  la  démocratie, 
p.  8,  9.  Aussi,  quand  Léon  XIII  eut  répondu  à  ces  as- 
pirations par  l'encyclique  De  condilione  opificum,  un 
observateur,  étranger  à  la  foi,  mais  clairvoyant,  recon- 
nut là  un  contact  délibéré  avec  le  monde  nouveau  du 
travail  et  de  l'industrie,  un  contact  nouveau  lui-même, 
bien  que  conforme  aux  traditions  constantes  de  l'Église. 
Spuller,  L'évolution  politique  et  sociale  de  l'Eglise, 
Paris,  1893,  p.  10't,  119,  159,  162,  164,  170.  Conformé- 
ment à  la  justice  et  à  la  cbarité  cbréliennes,  le  pontife 
blâmait  l'individualisme  de  la  Révolution,  qui  «  avait 
détruit,  sans  rien  leur  substituer,  les  corporations  an- 
ciennes »,  et,  de  la  sorte,  «  livré  à  la  merci  de  maîtres 
inhumain-  et  à  la  cupidité  d'une  concurrence  effrénée, 
les  ouvriers  isolés  et  sans  défense.  » 

En  regard  de  cette  «  misère  imméritée  »,  Léon  XIII 
considère  la  puissance  des  spéculateurs  qui  accaparent 
les  affaires,  la  concentration  des  entreprises  et  des  mar- 
chés aux  mains  d'un  petit  nombre  de  riches  et  d'opu- 
lents,  «  qui  imposent  un  joug  presque  servile  à  l'infinie 
multitude  des  prolétaires.  » 

L'état  de  la  question  ainsi  posé,  l'encyclique  se  divise 
en  quatre  parties  :  1°  l'action  des  socialistes;  2°  l'action 
de  l'Église,  §  Confidente)'  ad  argumenlum  aggredi- 
mus;'à"  l'action  de  l'État,  §  Jam  vero  quota  pars  rem e- 
ilu  .  l«  l'action  des  patrons  et  des  ouvriers,  §  Postrcmo 
domini  ipsique  opifices. 

I"  L'action  des  socialistes  vise  toute  à  organiser  la 
propriété  collective  du  sol  et  des  moyens  de  travail. 
Elle  a  n'aurait  d'autre  effet  que  de  rendre  la  situation 
des  ouvriers  plus  précaire,  en  leur  retirant  la  libre  dis- 
position de  leur  salaire  et  en  leur  enlevant  par  le  fait 
même  tout  espoir  d'améliorer  leur  situation.  »  Donc, 
solution  nuisible.  De  plus,  injuste  :  l'individu  serait 
lésé  dans  son  droit  naturel  de  posséder  par  lui-même 
les  moyens  qu'il  prévoit  nécessaires  à  sa  vie,  et  les 
fruits  du  travail  qu'il  entreprend  à  ses  lins,  t  Et  qu'on 
n'en  appelle  pas  à  la  providence  de  l'État,  car  l'État  est 
postérieur  à  l'homme,  et  avant  qu'il  put  se  former, 
l'homme  déjà  avait  reçu  de  la  nature  le  droit  de  vivre 
el  de  protéger  son  existence,  i  A  ce  propos,  réfutation 
occasionnelle  de  la  nalionalisation  du  sol.  De  ce  que 
Dieu  donna  la  l  are  humain,  il  ne  s'ensuit  pas 
qu'il  la  livra  à  celui-ci  comme  à  l'unique  propre 
collectif,  mais  simplement  qu'il  laissa  la  délimitation 
des  divers  lypes  de  propriété  à  l'industrie  humaine  et 
aux  institutions  des  peuples  Déplus,  le  travail  de  défri- 
chement, de  culture  el  d  amélioration  incorpore  à  la 
terre  uni  fécondité  el  une  plus-value  telle ni  Inhé- 
rentes à  elle  qu'on  ne  -aurait  en  jouir  sans  poc 
la  terre  elle-même.  Injuste  encore  pour  la  famille,  la 
doctrine  socialiste,  rar  elle  ôte  à  son  chef  le  moyen 
d'éli  ver  Bes  lil-  et  de  leur  constituer  un  patrimoine. 
Léon  Mil.  a  ce  propos,  revendique  fortement  l'autono- 
mie de  la  famille  dans  il  lat,  el  la  supériorité  d< 
droits  dans  la  iphère  de  sa  On  propre  et  immédiate, 
pour  le  choix  el  l  usage  de  toul  ce  que  veulent  sa  con- 
n  indépi  ndance.  g  Quod  igitur  démon- 
êtravimut   Injuste  enfin  pour  la  - 

iliste  ami  ni  rail     m le  us.  et  insupportable 

itude  poui  tout  us     .  priverait   le  travail 

et  le  talent  du  -ti lanl  i dri    de  la  propi  ii 

]■   i  •  galité  tant  n  rée,  1 1 
dan     li    di  nûment    dan  no    •  t   la   nu-'  re 

D'où  Léon  \lil  conclut  que  le  premier  fondement  A 
i  ■/>/!  1  euleni 
euple,  <■',■%!  l'inviolabilité  de 


Toute  la  critique  du  socialisme  par  l'encyclique  tend  à 
l'établissement  de  ce  principe,  qui  est  la  contradictoire 
du  principe  socialiste,  malgré  les  atténuations  de  pru- 
dence et  de  politique  apportées  à  ce  dernier  par  les 
maîtres  du  socialisme.  Voir  Communisme,  t.  m,  col.  592, 
593. 

2°  L'action  de  l'Eglise,  continue  Léon  XIII,  enseigne 
d'abord  le  respect  des  inégalités  de  condition  qui  sont 
le  résultat  naturel  des  différences  de  talent,  d'habileté, 
de  force,  et  qui  tournent  au  bien  de  tous,  en  diversi- 
fiant les  fonctions  à  mesure  des  aptitudes.  C'est  la  répro- 
bation par  l'Église  des  abus  de  la  tendance  égalitairc. 
En  dehors  même  des  catholiques,  cette  réprobation  se 
rencontre  également  vigoureuse.  Prins  fait  consister 
«  l'utopie  égalitaire  »  dans  la  «  tendance  à  l'égalité  des 
conditions.  »  De  l'esprit  du  gouvernement  démocra- 
tique, p.  7.  Bougie  observe  qu'on  ne  saurait  consi- 
dérer l'égalité  naturelle  des  hommes  sans  tenir  compte 
de  la  valeur  individuelle  des  personnes,  si  différentes 
de  qualités  et  de  mérites.  Les  idées  égalitaires,  Paris, 
1901,  p.  22,  27.  Bryce  décrit  le  respect  des  notoriétés 
et  des  valeurs  individuelles  qui  s'allie  toujours  chez  les 
Américains  au  sentiment  très  vif  de  l'égalité  naturelle, 
civile  et  politique.  La  République  américaine,  t.  iv, 
p.  522,  539.  C'est  donc  un  fait  de  nature  et  un  principe 
de  juste  différenciation,  que  Léon  XIII  maintient  dans 
l'ordre  social,  contre  les  excès  de  l'égalitarisme. 

Il  prémunit  aussi  le  peuple  contre  l'espérance  falla- 
cieuse de  posséder  un  paradis  terrestre  sans  douleur 
ni  travail  et  contre  le  principe  antisocial  de  la  lutte 
des  classes.  ,-*  Illud  ilaque  slatuatur  primo  loco  ;  $  Est 
illud  in  caussa,  de  qua  dicimus.  Cf.  Léon  Poinsard, 
La  guerre  des  classes  peut-elle  être  évitée? 

L'Église,  au  contraire  de  ce  faux  principe,  rapproche 
les  classes  en  leur  prêchant  à  chacune  la  justice  dans 
son  élat  :  à  l'ouvrier,  de  fournir  intégralement  et  fidè- 
lement tout  le  travail  auquel  il  s'est  engagé  par  contrat 
libre  et  juste;  de  ne  point  léser  son  patron  dans  ses 
biens  et  dans  sa  personne;  de  ne  point  soutenir  ses 
revendications  avec  violence  et  par  l'émeute;  de  fuir 
les  discoureurs  artificieux  qui  le  corrompent  avec  des 
espérances  exagérées  et  des  promesses  irréalisables. 
Aux  patrons,  de  respecter  la  dignité  de  l'homme  et  du 
chrétien  dans  l'ouvrier,  d'honorer  le  travail  comme  un 
noble  moyen  de  sustenter  sa  vie;  de  payer  le  salaire 
intégralement  et  fidèlement,  et  un  juste  salaire;  de  res- 
pecter et  de  favoriser  l'épargne  du  pauvre. 

L'Église  veut  mémo  rapprocher  les  classes  jusqu'à  une 
certaine  amitié.  §  Sed  Ecclesia  tamen.  La  base  chré- 
tienne de  cet  intime  rapprochement  consiste  dan-  le 
sens  vrai  de  la  vie,  qui  montre  le  danger  de  la  richesse 
pour  la  vie  éternelle,  et  l'essentielle  nécessite  de  bien 
se  préparer  à  celle-ci  par  le  bon  usage,  soit  de  la  pau- 
soit  de  la  richesse.  Avec  ce  sens  chrétien  de  la 
\ie,  les  riches  distinguent  aisément  entre  leur  droit  de 
-ion,  qui  est  personnel,  et  leur  droit  d'usage, 
qui  se  limite  personnellement  au  nécessaire  el  au  con- 
venable. Ils  doivent  leur  superflu  aux  pauvres,  à  litre 
de  charité'  fraternelle.  Léon  Mil  cite  à  ce  propos  saint 
Thomas,  Sum.  tlieol.,  II"  II".  q.  xxxu,  a.  1;  q.  i.wi, 
a.  -.  Le  s.  ii-  chrétien  de  la  vie  montre  également  à  tous 

qu  ils  Sont   Comptai. le-    <|e     leur-   talents    emeis   |e   bien 

public,  s.  Grégoire  le  Grand,  Homil.,  i\.  in  / 
n.  7.  /'.  /. .,  t.  i. \x m.  coi.  1108   \u\  pauvres  finalement, 
il  en  tune  d'un  étal  OÙ  a  is-t  Ihrisl  >  i 

pour  lequel  il  gai  di  di   '  ndres  prédilection 

i  Êglisi  en  lin  tourne  l'amitié  des  classes  en  uni 
fraternité,    I  fuoi  tamen  si  i  hrietianit,  pai  li 
de  la  création  el  de  l'adoption  divine,  delà  Bn  der- 
n e  i .  ,de  1 1  rédemption   roua  i  gali  ment  ère.  -,  adopti 

Il     le    même    DieU,    les    riches    el    II  s 

pauvres  sont  une  même  famille  de  fn  rea,  dont  Ii 
Christ  •    i  i>    pn  mil  i 


31! 


DÉMOCRATIE 


:nc> 


El  tiéon  XIII  termine  celle  .seconde  partie  de  l'ency- 
clique par  l'exposé  des  mœurs  et  des  institutions  his- 
toriquement issues  de  ces  croyances  et  de  ces  doclrines. 

:S"  Action  de  l'État.  —  S  Jam  rem  quota  par»  renie- 
dix,  Léon  Mil  déclare  parler  dans  l'hypothèse  de  l'État 
chrétien,  constitué  selon  les  préceptes  de  la  raison  na- 
turelle et  de  l'Évangile. 

L'État  agira  d'abord  par  l'économie  générale  des  lois 
el  des  institutions,  sans  excepter  les  ouvriers  de  son 
action  :  c'est  son  office  de  servir  l'intérêt  commun  par 
des  mesures  générales.  11  agira  ensuite  directement 
pour  le  bien  propre  des  ouvriers, qui  sont  des  citoyens 
aussi  bien  que  les  riebes,  et  qui  ont  droit  à  la  protec- 
tion de  leur  travail  comme  les  riches  à  celle  de  leur 
propriété.  C'est  l'exigence  de  la  justice  distributive. 
Les  ouvriers  y  possèdent  un  titre  spécial  comme  fac- 
teurs de  la  richesse  nationale  :  les  gouvernants  ont  le 
devoir  d'intervenir  dans  les  questions  ouvrières,  dès 
que  la  paix  publique  est  menacée  par  les  grèves,  que 
la  religion  des  ouvriers  est  violentée,  que  les  ateliers 
mélangent  les  sexes;  que  les  conditions  du  travail  sont 
iniques;  «  dans  tous  ces  cas,  il  faut  absolument  appli- 
quer dans  de  certaines  limites  la  force  et  l'autorité  des 
lois;  les  limites  seront  déterminées  par  la  fin  même 
qui  appelle  le  secours  des  lois  ;  c'est-à-dire  que  celles-ci 
ne  doivent  pas  s'avancer  ni  rien  entreprendre  au  delà 
de  ce  qui  est  nécessaire  pour  réprimer  les  abus  et  écar- 
ter les  dangers.  »  C'est  donc  au  nom  de  l'égalité  civi- 
que et  de  la  justice  distributive,  que  Léon  XIII 
approuve  l'intervention  des  gouvernements  dans  la 
question  ouvrière;  toutefois,  dans  la  protection  des 
droits  privés,  l'État  doit  se  préoccuper  d'une  manière 
spéciale  des  faibles  et  des  indigents.  «  La  classe  riche  se 
fait  comme  un  rempart  de  ses  richesses  et  a  moins  be- 
soin de  la  tutelle  publique  [minus  egel  lutela  publicà], 
La  classe  indigente,  au  contraire,  sans  richesses  pour 
la  mettre  à  couvert  des  injustices,  compte  surtout  sur 
la  protection  de  l'État.  Que  l'État  se  fasse  donc,  à  un 
titre  tout  particulier,  la  providence  des  travailleurs, 
qui  appartiennent  à  la  classe  pauvre  en  général.  Quo- 
circa  mercenarios ,  cum  in  mullitudine  egena  nume- 
rantur,  débet  cura  providentiaque  singulari  com- 
plecti  respublica.  » 

Les  expressions  «  tutelle  publique  »  et  «  providence 
des  travailleurs  »  semblent  ici  forcer  le  sens  des 
expressions  latines.  Tulela  publica  veut  dire  protec- 
tion de  l'État  et  non  tutelle;  cura  providentiaque,  c'est 
le  soin  et  la  prévoyance.  Leroy-Beaulieu,  La  papauté, 
le  socialisme  et  la  démocratie,  p.  121.  La  traduction 
officielle  demande  ici  à  être  contrôlée  par  le  texte.  Il 
n'en  demeure  pas  moins  certain  que  Léon  XIII  regarde 
les  gouvernements  comme  tenus  en  justice  à  une  pro- 
tection spéciale  des  droits  de  l'ouvrier,  et  à  une  pré- 
voyance non  moins  spéciale  des  mesures  à  prendre  en 
leur  faveur,  partout  où  ils  se  trouvent  menacés  ou 
lésés. 

Suit  une  énuméralion  des  cas  sujets  à  cette  interven- 
tion :  l°au  bénélice  des  intérêts  généraux  :  proléger  la 
propriété  contre  les  attaques  violentes,  empêcher  les 
grèves  d'entraver  les  affaires  et  la  jiai.r;  2°  au  bénéfice 
des  ouvriers  directement  :  sauvegarder  les  intérêts  de 
leur  vie  éternelle,  car,  en  cela,  ils  sont  les  égaux  des 
riches  et  des  princes,  et  par  suite  leur  assurer  le  repos 
dominical;  veiller  à  la  durée  dit  travail  et  aux  inter- 
valles de  repos,  selon  la  nature  des  industries,  les  sai- 
sons, l'âge,  le  sexe  des  ouvriers;  n'admettre  pas  de 
trop  jeunes  enfants  dans  les  ateliers;  interdire  aux 
femmes  tout  engagement  contraire  à  leurs  devoirs  ma- 
ternels; veiller  à  la  justice  du  salaire. 

Le  salaire  n'est  juste  que  s'il  procure  à  l'ouvrier  les 
moyens  d'existence  qu'il  attend  de  son  travail.  «  Que  le 
patron  et  l'ouvrier  fassent  donc  tant  et  de  telles  conven- 
tions qu'il  leur  plaira,  qu'ils  tombent  d'accord  notam- 


ment sur  le  chiffre  du  salaire;  au-dessus  de  leur  libre 
volonté,  il  est  une  loi  de  justice  naturelle  plus  i  I 
et  plus  ancienne,  à  savoir  que  le  salaire  ne  doit  pas 
être  insuffisant  à  foire  subsister  l'ouvrier  sobre  et  hon- 
nête. Que  si,  contraint  par  la  nécessité  ou  poussé  par 
la  crainte  d'un  mal  plus  grand,  il  accepte  des  condi- 
tions dures  que  d'ailleurs  il  ne  lui  était  pas  loisible  de 
refuser,  parce  qu'elles  lui  sont  imposées  par  le  patron 
OU  par  celui  qui  fait  l'offre  du  travail,  c'est  là  subir  une 
violence  contre  laquelle  la  justice  proleste,  i  Cepen- 
dant, «  de  peur  que  dans  ces  cas  et  d'autres  analogues, 
comme  dans  ce  qui  concerne  la  journée  de  travail  et 
les  soins  de  la  santé  des  ouvriers  dans  les  mines,  les 
pouvoirs  publics  n'interviennent  importunément,  vu 
surtout  la  variété  des  circonstances,  des  temps  et  des 
lieux,  il  sera  préférable  qu'en  principe  la  solution  en 
soit  réservée  aux  corporations  ou  syndicats  dont  nous 
parlerons  plus  loin,  ou  que  l'on  recoure  à  quelque 
autre  moyen  de  sauvegarder  les  intérêts  des  ouvriers, 
même,  si  la  cause  le  réclamait,  avec  le  secours  et 
l'appui  de  l'État.  » 

Après  le  salaire,  l'épargne,  que  l'État  doit  favoriser 
par  des  lois  favorables  elles-mêmes  à  la  propriété, 
dans  les  masses  populaires,  par  des  impôts  modérés. 
On  y  gagnerait  une  plus  juste  répartition  de  la  richesse, 
le  rapprochement  des  classes,  l'exploitation  meilleure 
du  sol  et  l'arrêt  de  l'émigration  pauvre. 

On  remarquera  la  doctrine  très  nette  de  Léon  XIII 
sur  l'égalité.  1°  Dans  le  S  sur  l'action  de  l'Église,  il 
rappelle  les  origines  naturelles,  la  légitimité  morale, 
les  bienfaits  sociaux  des  inégalités  de  condition  dues 
aux  différences  personnelles  d'intelligence,  de  talent, 
d'habileté,  de  santé,  de  force.  2°  Égalité  universelle  des 
chrétiens,  comme  enfants  de  Dieu,  cohéritiers  de  Jésus- 
Christ;  par  suite,  fraternité  des  classes.  3°  A  propos  de 
l'action  demandée  à  l'État,  Léon  XIII  rappelle  l'égalité 
des  pauvres  et  des  riches  comme  citoyens,  devant  les 
lois,  et  le  droit  de  tous  à  la  protection  que  réclament 
leurs  besoins  :  «  Parmi  les  graves  et  nombreux  devoirs 
des  gouvernants,  celui  qui  domine  tous  les  autres  con- 
siste à  prendre  un  égal  soin  de  toutes  les  classes  de 
citoyens  en  observant  les  lois  de  la  justice  distributive.  i 
L'égalité  n'est  plus  ici  dans  l'uniformité  des  mesures 
de  protection,  mais  dans  leur  adaptation  entière  et  adé- 
quate aux  besoins  de  chaque  classe,  de  chaque  âge, 
de  chaque  sexe.  Voir  Fonsegrive,  La  crise  sociale, 
p.  45G,  471. 

4°  L'action  des  patrons  et  des  ouvriers.  —  1.  Les 
associations  privées  :  mutualités,  caisses  pour  les 
veuves,  les  orphelins,  les  accidents,  les  chômages. 
Institutions  de  patronage. 

a)  Leur  caractère  :  associations  d'initiative  privée, 
fondées  sur  le  droit  naturel  qu'ont  tous  les  citoyens 
de  s'entraider  pour  certaines  fins  particulières,  plus 
vastes  que  celles  de  la  famille,  moins  vastes  que  celles 
de  l'État.  §  Firiuwi  suarum  explorata  exiguitas.  — 
b)  Leurs  droits  en  face  de  l'État  :  de  droit  naturel  et 
par  elles-mêmes  elles  existent,  sans  que  l'État  puisse 
leur  dénier  l'existence.  —  c)  Il  a  simplement  le  droit 
d'interdire  ou  de  dissoudre  les  sociétés  qui  pour- 
suivent des  fins  malhonnêtes,  injustes  ou  contraires  à 
la  sécurité  publique.  «  -Mais  encore  faut-il  qu'en  tout 
cela  les  pouvoirs  publics  n'agissent  qu'avec  une  très 
grande  circonspection,  pour  éviter  d'empiéter  sur  les 
droits  des  citoyens  et  de  statuer,  sous  couleur  d'utilité 
publique,  quelque  chose  qui  serait  désavoué  par  la 
raison.  »  —  Suit  une  digression  sur  les  confréries, 
congrégations  et  ordres  religieux,  dont  la  situation  et 
les  droits  civils  sont  analogues  à  ceux  des  syndicats  ou 
corporations. 

2.  Les  sodalttta  artificum,  syndicats  ou  corporations. 
Ce  sont  les  oeuvres  par  excellence. 

o)  Opportunité  présente  des  syndicats   et   coïpora- 


:317 


DEMOCRATIE 


318 


tions.  —  En  regard  des  sociétés  révolutionnaires,  an- 
lichrétiennes,  menées  par  des  chefs  occultes,  il  faut 
des  associations  d'ouvriers  chrétiens,  autonomes.  Pro- 
portionnellement, zèle  louahle  des  catholiques  qui  se 
vouent  à  l'élude  et  à  la  solution  pratique  des  questions 
ouvrières;  qui  tiennent  des  congrès  sociaux;  qui 
fondent  ou  subventionnent  des  associations. 

b)  L'organisation  corporative.  —  «  Si,  comme  il  est 
certain,  les  citoyens  sont  lihres  de  s'associer,  ils 
doivent  l'être  également  de  se  donner  les  statuts  et 
règlements  qui  leur  paraissent  les  plus  appropriés 
au  but  qu'ils  poursuivent.  »  Léon  XIII  ne  croit  pas 
»  qu'on  puisse  donner  des  règles  certaines  et  précises 
pour  en  déterminer  le  détail  »;  cela  dépend  des  indus- 
tries,  des  alfaires,  des  pays  et  d'une  foule  de  circon- 
stances. «  Que  l'État  protège  ces  sociétés  fondées  selon 
le  droit  ;  que  toutefois  il  ne  s'immisce  point  dans  leur 
gouvernement  intérieur  et  ne  touche  point  aux  ressorts 
inliines  qui  leur  donnent  la  vie;  car  le  mouvement 
vital  procède  essentiellement  d'un  principe  intérieur 
el  s'éteint  très  facilement  sous  l'action  d'une  cause 
externe.  » 

c)  Enfin,  que  les  corporations  soient  avant  tout  mo- 
rales et  chrétiennes  :  ainsi  le  veut  la  hiérarchie  des 
tins  dans  la  vie  humaine.  Voir  Corporations,  t.  III, 
col.  1871  sq. 

En  résumé,  ce  sont  les  principes  du  droit  naturel  et 
de  la  justice  que  Léon  XIII  applique  à  résoudre  le 
problème  ouvrier;  et  ces  principes  lui  commandent 
un  souci  tout  particulier  de  la  protection  des  travail- 
leurs, soit  par  eux-mêmes,  au  moyen  de  l'association 
professionnelle,  soit  par  l'État,  comme  gardien  et 
comme  restaurateur  de  leurs  droits.  Sans  prononcer 
une  seule  fois  le  mot  démocratie,  l'encyclique  De  con- 
ditione  opificum  est  un  programme  complet  de  démo- 
cratie, dans  le  sens  où  ce  terme  dit  l'amélioration 
morale  et  physique  de  la  vie  populaire,  par  l'action 
convergente  du  peuple,  des  patrons,  des  Étals  et  de  la 
religion.  V.  Maumus,  L'Église  et  la  démocratie,  Paris, 
1808. 

Dans  le  même  ordre  de  préoccupations,  Léon  XIII  se 

pron a    en    faveur   d'une    législation   internationale 

itn  travail.  Lettre  à  M.  Gaspard  Decurtins, %  août  1893. 
Dès  1892,  M.  Leroy-Beaulieu  prévoyait  les  sympathies 
du  Baint-siège  envers  celle  nouvelle  législation,  mais 
il  y  redoutai!  les  inconvénients  et  les  dangers  de  com- 
plications étrangères,  si  cette  législation  devait  -  im- 
pos<  i  "M-  forme  de  n  glemi  nts  internationaux.  /« 
papauté,  !<•  socialisme  et  la  démocratie,  p.  !"•">  I7(i. 
Ne  pourrait-elle  pa  s'établir  plus  Bpontanémenl  par 
I  initie  in  <  il  i  ..  inhe. liions  ouvrières  el  du  mouve- 
menl  syndical,  deux  fore'-  internationales,  s'il  en  est? 
observi  M.  Decurtins,  le  droit  commercial  esl 
devenu  •>   mainl    égard     un  droil  international.    Les 

ne  lie       règll       ,  •  Dl  l'aies  font    loi    dans   le    inonde  entier 

en  matii  i  e  di    i  hi  i -  di    foi .  paquebot  .   lettri      di 

change,  sociétés  anonyme     pour  I  exploitation  indus- 
trielle ou  minièn  .  il  semble  juste  el  pot  ible  d'étendre 
le  béni  Bce  de  mesures  analogues  ••  la  classe  ouvrit  ne. 
Decurtins,  Rapport  au  Congrès  international  povu  la 
action  ouvrière  à  /.»ii,/,,  Zurich,  1897;  Max  Tur- 
mann    /.<   développement  du  catholicisme  social  de- 
l'encyclique  Rerum  iiovarum,  Pari  .  1900   p.  208- 
i'     faits  et  document    cil<     par  M.  Turmann  mon 
lr«nl  bien  qui   la  législation  Internationale  du  travail 

il  m     1 00,     iiiml 

ta  né  ment,  la  légitime  influence  de  la  classe  ou  rien 

<  i  ">i  la  i sdera 

pai  tout   s  .ii     i  mu.,  i     civilisi    di 

n que  dans  chaque  nation  partit  ulii  n    le  <  ode  au 

travail  se   rédi                  i  ai  lion  du  peupli     l  i  an    i 
bien  i i  in    di     Ii  moi  ratie,  pn  i  oui 

On   Mil,  le    .!-•  ni  i  il  t  .  i  i  il 


lui-même,  à  rendre  le  peuple  capable  de  «  délimiter 
ses  droits  et  ses  devoirs,  de  se  diriger  lui-même,  de 
travailler  comme  il  convient  à  son  propre  salut  >>  ?  Lettre 
au  ministre  général  des  frères  mineurs,  25  no- 
vembre 1898. 

Cette  législation  internationale  du  travail  commence 
même  à  s'élaborer,  comme  l'observe  M.  Léon  Poinsard, 
Le  droit  international  au  XX'  siècle,  ses  progrès,  ses 
tendances,  Paris,  1907.  1°  D'une  part,  les  diplomates, 
aidés  de  conseillers  techniques,  s'y  occupent,  dans  une 
nouvelle  extension  de  leurs  pouvoirs  spéciaux  :  ainsi 
treize  États,  Allemagne,  Autriche-Hongrie,  Belgique, 
Danemark,  Espagne,  Erance,  Grande-Bretagne,  Italie, 
Luxembourg,  Pays-Bas,  Portugal,  Suède,  Suisse,  ont 
signé  le  26  septembre  1906  un  acte  interdisant  aux 
femmes  le  travail  de  nuit  sauf  exceptions  très  limitées  ; 
il  devra  être  mis  en  vigueur  par  des  lois  spéciales  dans 
un  délai  minimum  de  dix  années.  Poinsard,  loc.  cil., 
p.  56.  2°  Des  associations  internationales  privées  ac- 
tivent le  mouvement  de  l'opinion  elle  zèle  des  gouver- 
nements :  Société  de  législation  comparée,  à  Paris; 
Institut  de  droit  international,  Comité  maritime 
international,  Association,  ■maritime  internationale,  à 
Paris;  Fédération  internationale  des  typographes,  au 
secrétariat  central  à  Berne;  Association  internationale 
pour  la  protection  de  la  propriété  industrielle,  à  Berlin  ; 
Union  internationale  pour  la  protection  légale  des 
travailleurs,  fondée  à  Paris  en  1900,  avec  office  inter- 
national à  Bàle.  Poinsard,  loc,  cit.,  p.  114,  115. 

XII.  L'encyclique  Graves  de  communi  et  la  démo- 
cratie chrétienne.  —  Le  18  janvier  1901 ,  ce  document 
s'adresse  aux  évêques  du  monde  entier,  pour  préciser  le 
terme  de  démocratie  chrétienne,  lequel  «  blesse  beau- 
coup d'honnêtes  gens,  qui  lui  trouvent  un  sens  équivoque 
et  dangereux  ».  En  Allemagne,  il  rappelle  de  trop  près 
<•  démocratie  sociale  »,  qui  est  l'étiquette  reçue  du  socia- 
lisme matérialiste  et  irréligieux.  En  France,  en  Belgique, 
en  Italie,  on  lui  reproche  de  confondre  le  dévouement 
aux  intérêts  ouvriers  avec  rattachement  à  la  forme  ré- 
publicaine, et  alors  il  devient  un  sujet  de  discordes  po- 
litiques entre  catholiques  poursuivant  le  même  bien  so- 
cial. On  lui  reproche  aussi  de  restreindre  en  apparence 
l'action  sociale  du  christianisme  aux  intérêts  populaires, 
en  négligeant  les  autres  classes.  Cf.  §  Sic  igitur  Ecole- 
siœ  auspiciis,  Georges  Goyau,  Autour  du  catholicisme 
social,  2«  série.  Taris.  1901,  p.  20,  16.  Pour  dissiper 
ces  malentendus.  Léon  Mil  déclare  qu'  «  il  serait  con- 
damnable  de  détourner  à  un  sens  politique  le  terme  de 
démocratie  chrétienne.  Sans  doute,  la  démocratie, 
d'apn  s  i  étymologiedu  terme  et  l'usage  des  philosophes, 
indique  le  régime  populaire;  mais  dans  les  circon- 
stances  actuelles)  il  faut  ne  l'employer  qu'en  lui  ôtant 

tout  sens  politique  el  e lui  attachant  aucune  autre 

signification  que  celle  d'une  bienfaisante  action  chré- 
tienne parmi  le  peuple,  o  En  toul  régime  de  gouverne- 
ment, les  catholiques  doivent  poursuivre  l'amélioration 

morale    el     phvsii|iie   de    la    vie    ouvre  re.    car  celle   lin 

démocratique  ne  dépend  en    soi  d'aucune   fur le 

constitution.  Léon  Mil  sanctionne  là  une  doctrine 
qu'il  avaii  fui  d'abord  élaborer  par  le  proies  eur  To- 
ii  ii  il  o,  de  l'ise.  Ri  vis  la  internationale  di  scien:  <:  sociali, 
juillet  1897,  traduit  en  foancal  tout  le  titre  /" 
notion  chrétienne  de  la  démocratie.  Cf.  du  même,  Ia 
mouvement    catholique   populaire  et   le  prolétariat. 

Sous   les   es| t  un pie  di  Unilion   di     i 

|j qui  '■  ■•  ■     de  communi  approuve  dans  toute 

h    1 1 1 . .  1 1  •  m.  1 1 1   soi  ial,  jui  idique,  1 1  onomique, 

orienté  vei     Ii    bien  du  peuple,  m  i  dans 

le  lie  n  i  oui  mu  n  de  Ii té  entii  re    La  di  moi  ratie 

chrétii  me  apparaît  la     coi uni   organi   ition  d 

hou  populain  ,  subi  eptible  di  font  tionnei    iou  •  Ii 

les  n  ri i  et  di   i inéi  ■<  I* 

iiiiiu  nai  mi. ,  i ali   al  .i  l  applii  ation  i  ITei  livi    di    doi 


'MO 


DKMOCI'.ATIK 


320 


trines  sociales  évangéliques.  »  Goyau,  toc.  cit.,  p.  26. 

A  propos  de  celle  démocratie,  Léon  XI11  rappelle  le 
côté  principalement  moral  et  religieux  des  questions 
sociales.  S;  De  of/iciis  virtulum  et  religionis.  Si  des 
bouleversements  de  ['outillage  el  de  l'atelier  fuient 
l'origine  de  ces  questions,  leur  bonne  solution  réclame 
des  principes  de  justice  et  de  religion  chez  les  ouvriers  : 
la  hausse  des  salaires  n'apportera  que  tentations  à 
l'ouvrier  dépravé;  elle  requiert  la  tempérance,  la  pré- 
voyance, la  patience,  pour  une  sage  organisation  de 
ses  moyens  et  de  son  mode  d'existence.  Les  catholiques 
doivent  ainsi  joindre  un  souci  prépondérant  de  la  mo- 
ralité populaire  et  de  la  religion,  à  une  compréhension 
bien  avertie  des  intérêts  économiques  et  matériels.  La 
science  de  la  charité  fraternelle  et  de  la  justice  sociale 
réclame  cette  subordination  de  la  fin  temporelle  à  une 
lin  plus  haute  et  non  moins  nécessaire. 

Certains  actes  de  Pie  X  commentent  sous  forme 
d'instructions  pratiques  les  enseignements  démocra- 
tiques de  l'encyclique  Graves  de  communi  el  de  l'en- 
cyclique sur  ta  condition  des  ouvriers.  Ce  sont  le 
Molu  proprio  sur  l'action  populaire  chrétienne,  du 
18  décembre  1903,  la  Lettre  au  cardinal  Svampa  sur 
les  démocrates  chrétiens  autonomes  d'Italie,  1er  mars 
1905;  l'encyclique  11  fermo  proposito  sur  l'action  ca- 
tholique, 11  juin  1905;  l'encyclique  Pieni  l'animo  aux 
évêques  d'Italie  sur  l'action  catholique,  28  juillet  190(5. 

XIII.  Pie  X  :  l'encyclique  Pascekdi  et  la  démocra- 
tie dans  l'Église.  —  Au  paragraphe  du  «  théologien 
moderniste  »,  l'encyclique  du  8  septembre  1907  repousse 
l'introduction  du  principe  démocratique  dans  le  gou- 
vernement de  l'Eglise.  Elle  en  résume  la  théorie  dans 
les  termes  suivants  :  «  Nous  sommes  à  une  époque  où 
le  sentiment  de  la  liberté  est  en  plein  épanouissement  : 
dans  l'ordre  civil,  la  conscience  publique  a  créé  le  régime 
populaire.  Or,  il  n'y  a  pas  deux  consciences  dans 
l'homme,  non  plus  que  deux  vies.  Si  l'autorité  ecclé- 
siastique ne  veut  pas,  au  plus  intime  des  consciences, 
provoquer  et  fomenter  un  conflit,  à  elle  de  se  plier  aux 
formes  démocratiques,  s  Le  magistère  doctrinal  doit 
lui-même  se  soumettre  à  celte  évolution  :  «  Comme  ce 
magistère  a  sa  première  origine  clans  les  consciences 
individuelles,  et  qu'il  remplit  un  service  public  pour 
leur  plus  grande  utilité,  il  est  de  toute  évidence  qu'il 
doit  s'y  subordonner,  par  là  même  se  plier  aux  formes 
populaires.  »  Consôquemment,  le  «  réformateur  » 
moderniste  inscrira  dans  son  programme  de  réformes  : 
«  Que  le  gouvernement  ecclésiastique  soit  réformé  dans 
toutes  ses  branches,  surtout  la  disciplinaire  et  la  dog- 
matique. Que  son  esprit,  que  ses  procédés  extérieurs 
soient  mis  en  harmonie  avec  la  conscience,  qui  tourne 
à  la  démocratie;  qu'une  part  soit  donc  faite  dans  le 
gouvernement  au  clergé  inférieur  et  même  aux  laïques; 
que  l'autorité  soit  décentralisée.  » 

Le  tort  de  ce  programme  et  de  la  théorie  qui  lui  sert 
de  base  est  de  méconnaître  les  immuables  principes  de 
la  constitution  donnée  à  l'Eglise  par  Jésus-Christ. 
L'autorité  ecclésiastique  diffère  précisément  de  l'auto- 
rité civile  en  ce  que  ses  droits  lui  sont  conférés 
par  Jésus-Christ,  c'est-à-dire  par  Dieu  même  directe- 
ment, et  non  par  le  suffrage  de  la  multitude.  C'est 
Jésus-Chrisl  encore  ou  ses  envoyés,  les  apôtres,  les 
papes,  qui  délimitent,  définissent,  organisent  les 
pouvoirs  concédés  à  l'Église.  Il  n'y  appartient  donc  à 
aucun  inférieur,  à  aucun  groupe  de  laïcs  ou  de  clercs, 
d'y  modifier  les  maximes  ou  les  procédés  de  l'autorité 
supérieure.  L'Église  catholique  tout  entière  obéit  au 
pape  comme  à  un  véritable  monarque  de  droit  divin 
dans  l'ordre  religieux;  monarque  unique  au  monde, 
seul  en  son  genre,  dépositaire  d'une  tradition  de  foi 
et  de  morale  qu'il  ne  peut  altérer  et  qu'il  commente, 
développe  et  applique  dans  le  sens  toujours  maintenu 
de  sa    révélation   par   Jésus-Christ.    Matter,    L'Église 


catholique,  sa  constitution,  son  administration,  Paris, 
1906. 

Mais,  comme  la  sphère  d'action  de  l'Eglise  se  distingue 
essentiellement  de  celle  où  agit  le  pouvoir  civil,  et  que 

celui-ci,  co te  l'Église,  est  autonome,  souverain  dans 

les  limites  de  sa  compétence,  une  même  conscience 
humaine  peut  et  doit  pratiquer  la  démocratie  dans 
l'ordre  temporel  et  politique,  ne  pas  l'introduire  dans 
l'ordre  religieux  et  se  conformer  dans  l'Église  à  la 
constitution  toute  différente  posée  par  Jésus-Christ  et 
développée  par  ses  mandataires  ou  représentant 
dualisme  de  la  conscience  est  voulu  par  la  nature  des 
choses  :  il  se  fonde  en  dernier  lieu  sur  la  distinction 
de  la  nature  et  du  surnaturel,  de  la  raison  et  de  la  foi  : 
la  vie  de  celle-ci  trouve  sa  règle  dans  la  révélation,  le 
témoignage,  l'autorité;  la  vie  de  la  raison  et  delà  nature 
se  développe  au  contraire,  par  voie  de  découverte,  de 
preuve  scientifique,  de  libre  initiative.  Il  n'y  a  pas 
deux  consciences  dans  l'homme,  mais  il  y  a  des  procé- 
dés vitaux  et  des  devoirs  sociaux  qui  se  diversifient, 
selon  qu'il  s'agit  de  la  vie  sociale  naturelle  ou  de  la 
vie  sociale  surnaturelle.  Voir  col.  291. 

Néanmoins,  si  la  constitution  essentielle  de  l'Église 
doit  rester  intangible  à  toute  altération  démocratique  ou 
autre,  le  mouvement  actuel  de  la  démocratie  agit 
directement  sur  les  individus  et  sur  les  peuples  qui  sont 
les  éléments  humains  de  l'Église.  L'éducation,  l'am- 
biance universelle  des  idées  et  des  choses  répandent 
une  mentalité  et  des  façons  d'agir  qui  ne  sont  plus, 
tant  s'en  faut,  celles  des  temps  féodaux  ou  de  l'ancien 
régime. 

1°  Dans  l'une  comme  dans  l'autre  de  ces  époques  pas- 
sées, les  évêques  partageaient  communément  un  mode 
d'existence  aristocratique,  seigneurial,  princier  même. 
Cela  tenait  et  aux  grandes  propriétés,  aux  fiefs,  dont 
le  revenu  constituait  le  temporel  des  évêchés,  et  aux 
privilèges  dont  jouissaient  les  prélats  dans  l'ordre  poli- 
tique. Taine,  L'ancien  régime,  ÎG'  édit.,  Paris,  1891. 
p.  16-21  ;  cardinal  Mathieu,  L'ancien  régime  dans  la 
province  de  Lorraine  et  Barrois,  Paris,  1878.  p.  110. 
125-127;  Sicard,  L'ancien  clergé  de  France,  t.  I,  Les 
évoques  avant  la  Révolution,  Paris,  1893. 

Des  survivances  de  cet  état  ancien  apparaissent  encore 
en  Autriche-Hongrie.  Dans  les  pays  démocratiques. 
États-Unis  par  exemple,  tout  privilège  de  grande  pro- 
priété et  de  situation  politique  est  inconnu  dans  l'épis- 
copat;  l'évêque  vit  simplement  comme  les  autres  ci- 
toyens, sans  distinctions  officielles,  mais  jouissant  d'un 
respect  proportionné  à  la  double  estime  de  sa  mission 
religieuse  et  de  sa  valeur  morale  personnelle.  Félix 
Klein,  Aupaijsde  la  vie  intense,  Paris,  1904,  p.  96  sq.. 
155  sq.,  218  sq.,  33i  sq. 

2°  Cette  simple  vie  dans  le  droit  commun  modifie 
aussi  bien  le  recrutement  des  dignitaires  ecclésiastiques. 
Aux  temps  de  la  féodalité  et  de  l'ancien  régime,  les 
bénéfices  ecclésiastiques  constituaient  des  situations 
enviées  à  proportion  de  leur  richesse  et  île  leurs  pri- 
vilèges politiques.  Ils  se  distribuaient  en  majeure  par- 
tie à  des  ecclésiastiques  gentilshommes,  dont  la  famille 
trouvait  là  un  bon  établissement  de  ses  cadets.  Elle 
se  l'assurait  même  d'oncle  en  neveu,  tel  bénéfice 
devenant  comme  l'apanage  de  telle  maison.  C'est  un 
fait  reconnu,  que  la  disparition  de  ces  privilèges  déter- 
mina un  recrutement  de  l'épiscopat  moins  exclusif, 
plus  largement  populaire. 

3°  Les  relations  des  évêques  avec  leurs  prêtres  s'en 
ressentirent  :  l'évêque,  grand  seigneur  de  naissance  et 
de  situation,  tendait,  par  la  force  des  choses,  à  maintenir 
les  distances  entre  lui  et  son  «  bas  clergé  »  roturier, 
malgré  les  édifiants  et  les  humbles  prélats  qui  don- 
nèrent maintes  fois  de  beaux  exemples  contraires. 
Mais  de  nos  jours  les  évêques  d'Amérique,  sortis  du 
peuple    et    vivant    au  milieu   de  lui,  sans  distinctions 


321 


DÉMOCRATIE  —  DÉMON  DANS  LA  BIBLE  ET  LA  THEOLOGIE  JUIVE 


322 


aristocratiques,  sont  plus  naturellement,  plus  simple- 
ment en  communication  avec  leurs  prêtres;  d'autant 
plus,  que  la  grande  République  d'Outre-Mer  ne  connaît 
guère  les  formes  bureaucratiques  et  protocolaires,  les- 
quelles, ailleurs,  se  dressent  encore,  ainsi  qu'une  sur- 
vivance d'ancien  régime,  entre  les  chefs  et  les  subor- 
donnés. 

4°  Le  contact  avec  les  laïcs  se  modifie  encore  pro- 
fondément pour  le  clergé  tout  entier,  partout  où  le 
mouvement  social  démocratique  a  provoqué,  obtenu, 
accepté  le  concours  du  prêtre  aux  associations  popu- 
laires. Tandis  que  le  clergé  allemand,  dans  la  première 
moitié  du  XIXe  siècle,  vivait  ou  végétait  sous  la  tutelle 
nureaucralique,  étranger  aux  questions  nouvelles  de 
j u -tice  que  soulevaient  les  temps  nouveaux  de  l'indus- 
trie, depuis  Ketteler,  le  clergé  d'Outre- Rhin  s'est  fait 
le  conseiller,  l'initiateur,  l'auxiliaire  du  paysan  et  de 
l'ouvrier  à  la  pratique  opporlune  bienfaisante,  univer- 
selle de  l'association  économique  ou  professionnelle 
sous  les  formes  les  plus  diverses.  Georges  Goyau,  Kel- 
teler,  Paris,  1907.  Aristocrate  de  naissance,  Ketteler 
avait  compris  les  exigences  nouvelles  des  temps.  «  Mon 
àme  tout  entière,  écrivait-il,  est  attachée  aux  formes 
nouvelles,  que  les  vieilles  vérités  chrétiennes  créeront 
dans  l'avenir  pour  les  rapports  humains.  »  Kannen- 
gieser,  Ketteler  et  l'organisation  sociale  en  Allemagne, 
Paris,  1893.  Voir  ALLEMAGNE,  Les  (runes  sociales  et  cha- 
ritables des  catholiques  allemands,  t.  i,  col.  817  sq.  ,r 
Goyau,  L'Allemagne  religieuse  :  le  catholicisme,  2  vol., 
Paris,  1905. 

5°  A  mesure,  enfin,  que  la  pratique  normale  de  la 
démocratie  s'organise  dans  un  peuple,  par  le  moyen 
de  l'autonomie  communale,  syndicale  et  professionnelle, 
locale  et  provinciale,  les  œuvres  religieuses  y  recrutent 
des  hommes  mieux  préparés  à  entourer  le  clergé  d'un 
concours  actif,  intelligent,  pratique  et  ordonné.  Sous 
ce  rapport,  les  traditions  bureaucratiques,  centralisa- 
trices à  l'excès  de  l'État  français,  ont  malheureusement 
desservi  l'Église  de  France  depuis  longtemps;  car, sous 
ce  régime  d'État,  les  citoyens  ne  connaissent  guère 
d'autre  alternative  que  celle  de  la  passivité  résignée 
ou  de  la  critique  frondeuse.  L'antithèse  s'établit,  vio- 
lente, entre  l'autorit  ujets,  car  ceux-ci  la  rendent 

ment    responsable  de  tout  ce  qui  les  mécontente 
par  sa  faute  ou  non.  Dans  les  milieux  où,  au  contraire, 
ivenl  eux-mi  mes  a  unir,  se  discipliner  il 
agir  pour  des  lins  communes,  le  concours  des  laïcs  aux 
"'"('  ligieusi  s  sers  de  meilleure  qualité. 

Alor-.  s.ui^  altérer  le  moins  du  monde  les  intangibles 
I"'1'1'  i|hi<?rarchie  catholique,  la  formation  dé- 

mocratique  de  l'homme  el  du   citoyen   ne  s'achèvera 

ma  apportei  son  contingent  <le  forces  morales  aux 

oilectives  du  chrétien  el  du  catholique.  Si.  de 

Dos  jours,  la  providence  permet  l'accession  croissante 

nultitudes  au  pouvoir,  avec  l'universelle  préoccu- 
pation de  lois  el  d'institutions  qui  imélioreni  la  vie  po- 
pulain  .  ce  n  -t  pas  sans  prédestiner  ces  deux  lin-  de 
la  démocratie,  déjà  honni  >i,  à  promouvoir  des 

lm-  morali  s  et  n  ligii  uses  plu-  hautes  encore.  Connu.' 

nts»  nous  somn  roire,  comme  théolo- 

nous  !•    l'oncltions  des  principes  certains  de  notre 

la     providence.  Si   du  chaos  social  et  politique 

desinvasions  barbares,  îles  aristocraties,  desbourgeoi- 

-""'  ..orces    d'à que    le 

Chrisl    i    utilisé  ,  p0ar  son    Église  et  surélevée! 
i,!:|    -  rand  bit  n,  nous  ne  devons  pas  moins 

[vement,  parmi 
ispiralion  roupements  de  la  démo- 

cratie. Cl    n     Délai  u-.  L'encyclique   Paecendi  n  u, 
.  Lille,  10 

i.    SarwALM, 
DEMON,  i       nom,   qui   di  ligne   dans   le    lau 

ique  un  ange  déchu       I  II  II  inscription  fran 
DICT.    ni.   î m  .u  .   CATHOI 


çaise  des  termes  grecs  Baifitov  et  Satpciiviov.  Aatu.wv,  dont 
l'étymologie  est  incertaine,  est,  en  grec,  un  terme  très 
complexe,  étant  données  la  multiplicité  et  la  variété 
des  acceptions  dans  lesquelles  il  a  été  employé  et  dont 
les  nuances  sont  parfois  difficiles  à  saisir.  Ainsi  Ho- 
mère a  désigné  par  ce  mot  la  divinité  en  lant  qu'elle 
exerce  une  influence  bienfaisante  ou  funeste.  Tandis 
que,  pour  lui,  6eô;  est  la  personnalité  divine  elle-même, 
6a!jj.tov  représente  une  puissance  secrète,  indéfinissa- 
ble, à  laquelle  tous  les  dieux  participent  et  par  laquelle 
ils  font  sentir  à  l'homme  leur  supériorité.  Quand  l'in- 
fluence exercée  est  favorable,  le  Sai'u.b>v  remplit  en 
quelque  sorte  le  rôle  de  la  providence;  mais  le  plus 
souvent,  cette  action  est  funeste  et  Homère  appelle 
3aijj.dvi<j;  un  homme  frappé  par  une  puissance  surna- 
turelle. En  beaucoup  de  passages,  8ai".tov  est  simple- 
ment synonyme  de  6îo'ç.  Par  conséquent,  pour  lui,  les 
Saiu.rfvgç  sont  les  puissances  divines  s'occupant  des 
destinées  des  mortels.  Mais,  pour  Hésiode,  ce  sont  des 
êtres  intermédiaires  entre  les  dieux  et  les  hommes, 
chargés  de  fonctions  qu'Homère  attribuait  aux  dieux. 
Tels  étaient  les  héros  de  l'âge  d'or,  devenus  les  gardiens 
souterrains  des  mortels,  ou  des  personnifications  soit 
des  vertus  et  qualités  morales,  soit  des  forces  cosmi- 
ques, mêlées  très  intimement  à  la  vie  des  hommes. 
\ni\s.bY,  a  désigné  aussi  la  destinée,  t-j/v-.  Le  démon  a 
encore  joué  le  rôle  de  protecteur  personnel  ou  d'esprit 
malfaisant,  attaché  à  un  homme  qu'il  accompagne 
pendant  la  vie,  dont  il  dirige  les  pensées,  les  désirs  et 
les  inclinations.  On  connaît  assez  le  démon  de  Socrate. 
Lélut,  Du  démon  de  Socrate,  in-8°,  Paris,  1856.  Plu- 
tarque  a  reconnu  aussi  dans  les  démons  des  êtres  in- 
termédiaires entre  les  dieux  et  les  hommes  et  partici- 
pant à  la  fois  à  la  nature  divine  et  â  la  nature  humaine. 
Ils  sont  les  serviteurs  des  dieux,  accomplissent  des 
actions  que  la  sublimité  de  ceux-ci  leur  interdisait  de 
faire  et  répandent  sur  les  hommes  les  bénédictions  et 
les  châtiments  des  dieux.  Il  y  a  de  bons  démons  et  de 
mauvais  démons.  Ces  derniers,  véritablement  malfai- 
sants, produisent  ce  qu'on  a  attribué  aux  dieux  de  mé- 
chant et  d'indigne.  De  defectu  oraculorum,e.  XII ;  De 
Isnl.  et  Osir.,  c.  xxvi.  Cf.  Daremberg et Saglio,  Diction- 
naire des  antiquités  grecques  et  romaines,  v  Daemon, 
Paris,  1892,  t.  u,  p.  9-19;  Chantepie  de  la  Saussaye, 
Manuel  d'histoire  des  religions,  trad.  franc.,  Paris, 
1904,  p.  509,  514,  536,  656.  Les  deux  mots  grecs 
8al|icov  et  6atu.(,V/!0'/  n'ont  désigné  des  anges  déchus  que 
dans  la  version  des  Septante,  dans  le  Nouveau  Testa- 
ment et  dans  la  langue  ecclésiastique.  Kn  passant  dans 
le  grec  hellénistique  des  Juifs  el  des  chrétiens,  ils  ont 
donc  pi  is  une  acception  nouvelle,  étrangère  à  leur  si- 
gnification primitive,  quoique  présentant  avec  elle  une 
certaine  analogie.  C'esl  dans  l'acception  juive  et  chré- 
tienne d  anges  déchus  qu'il  sera  parlé  ici  des  démons. 
Nous  étudierons  successivement  les  démons:  Pdans 
la  P.ible  et  la  théologie  juive;  2"  d'après  les  Pères; 
3  .1  après  les  scolastiques  el  les  théologiens  posté- 
rieurs; 4n  d'après  les  décisions  officielles  de  l'Église. 

.     I.   DÉMON     DANS    LA     BIBLE     ET     LA     THÉOLOGIE 

juive.  —  I.  Dans  l'Ancien  Testament.  II.  Pans  le 
monde  juif  postérieur.  III.  Dans  le  Nouveau  Testament. 

I.  Pan-  i  Amiin  Testament.  Comme  on  a  pré- 
tendu que  la  doctrine  juive  sur  les  démons  avail  subi. 
après  la  fin  de  la  captivité  de  Babylone,  l'influence 
perse,  il  importa  de  distinguer  ce  que  les  Ni. élites 
p.  osa ii  ni  d<  esprits  mauvais  jusqu'à  l'exil  el  ■*  partir 
di  i  exil. 

1"  Avant  l'exil,  Dans  les  plus  anciens  livres  bi- 
bliques,  m  n'eal  pas  explicitement  question  des  anges 
déchus  Cependant,  il  j  est  lall  mention  de  puissances 
mal  fa  i  pril    maui  ail    I  lan    le  récil  de  la 

chute  de  nos  premier    parents,  intervient  un  serpent. 

i\    -  Il 


:523 


DÉMON    DANS    LA    BIBLE    ET    LA   THÉOLOGIE   JUIVE 


324 


Ce  n'est  certes  pas  un  simple  animal,  mais  bien  un 
esprit  méchant  et  malveillant,  qui,  sous  la  forme  ou 
l'apparence  d'un  serpent,  tente  Eve,  lui  suggère  l'idée 
de  désobéir  au  précepte  de  Dieu  et  l'amène,  elle  et 
Adam,  à  manger  du  fruit  défendu.  La  manière  d'agir 
de  cet  animal  cauteleux  trahit  un  être  supérieur,  spi- 
rituel et  invisible,  qui  pousse  au  mal,  et  la  sentence 
divine  contre  le  tentateur  atteint  cet  être  fourbe  et 
dissimulateur  plus  que  l'animal,  dont  il  avait  pris  la 
forme.  Gen.,  m,  13-15.  Dans  tout  ce  récit,  le  serpent 
est  un  prète-nom  et  un  porte-parole  de  celui  qui  sera 
appelé  plus  tard  le  diable.  P.  Lagrange,  L'innocence 
cl  le  péché,  dans  la  Revue  biblique,  1897,  t.  vi,  p.  350, 
365-366.  Cf.  F.  de  Hummelauer,  Comment,  in  Gene- 
sini,  Paris,  1895,  p.  150-151,  158-159;  G.  Hoberg,  Die 
Genesis,  2e  édit.,  Fribourg-en-Brisgau,  1908,  p.  44-51. 
Cette  intervention  du  serpent  pour  expliquer  la  dé- 
chéance de  l'humanité  est  exclusivement  propre  à  la 
Genèse;  elle  n'a  son  pendant  dans  aucun  mythe  ancien 
relatif  à  la  destinée  de  l'humanité  primitive.  Il  n'y  en 
a  aucune  trace  dans  le  mythe  babylonien  d'Adapa,  dans 
lequel  quelques  mythographes  ont  prétendu  découvrir 
l'origine  du  récit  jéhoviste  de  la  création.  Le  serpent 
ne  remplit  qu'un  rôle  secondaire  dans  le  mythe  d'Étana, 
et  s'il  se  venge,  c'est  contre  l'aigle  qui  avait  conçu  le 
projet  de  manger  ses  petits;  il  ne  fait  rien  relativement 
à  l'homme.  P.  Dhorme,  Clioix  de  textes  religieux 
assyro-babyloniens,  Paris,  1907,  p.  148-181.  Si  le  ser- 
pent intervient,  dans  les  mythes  de  différents  peuples, 
pour  représenter  une  puissance  mauvaise,  on  ne  le 
trouve  jamais  mêlé  à  la  perte  de  la  félicité  première 
de  l'humanité.  Les  exemples,  cités  par  F.  Lenormant, 
Les  origines  de  l'histoire,  2e  édit.,  Paris,  1880,  t.  i, 
p.  98-106;  Histoire  ancienne  de  l'Orient,  9e  édit.,  Paris, 
1881,  t.  i,  p.  39-41,  n'ont  point  d'analogie  avec  le  récit 
biblique  de  la  chute,  et  si  le  serpent  des  Iraniens, 
Agrà  Mainjou,  incarne  en  quelque  sorte  le  mal,  s'il  a 
quelque  rapport  avec  le  serpent  de  l'Éden,  c'est  très 
probablement  parce  qu'il  en  est  dérivé  par  imitation. 
Les  documents  persans  ne  sont  pas  aussi  anciens  que 
le  croyait  Lenormant,  et  la  dépendance  entre  la  Bible 
et  l'Avesta  est  l'inverse  de  ce  que  Ton  prétendait  autre- 
fois. P.  Lagrange,  loc.  cit.,  p.  350,  373,  377.  Le  serpent 
tentateur  reste  donc  exclusivement  propre  à  la  tradi- 
tion israélite. 

Moïse,  qui  avait  parlé  du  serpent  de  façon  à  faire 
reconnaître  plus  tard  en  lui  l'esprit  tentateur  ou  le 
diable,  ne  le  mentionne  plus  dans  le  reste  du  Penta- 
teuque.  On  a  pensé  que  ce  silence  était  intentionnel, 
que  Moïse,  pour  maintenir  plus  aisément  dans  l'esprit 
de  son  peuple  l'idée  monothéiste,  s'est  tu  sur  l'existence 
d'êtres  spirituels  déchus,  de  peur  que  les  Israélites, 
entraînés  par  les  conceptions  des  peuples  voisins  sur 
des  dieux  malfaisants,  ne  se  soient  représenté,  à  coté 
du  Dieu  tout-puissant  et  bon,  des  êtres  spirituels  et 
invisibles,  voulant  le  mal  et  capables  de  contrecarrer 
les  volontés  divines  et  de  travailler  dans  le  monde  à 
rencontre  des  desseins  de  Dieu.  Chez  les  Babyloniens 
en  particulier,  les  démons  étaient  toujours  prêts  à  mal 
faire  et  ne  pensaient  qu'au  mal.  Aussi,  une  partie  de  la 
religion  consistait-elle  à  se  les  rendre  favorables  ou  à 
écarter  leurs  attaques  par  des  incantations  et  des  pra- 
tiques magiques.  Lenormant-Babelon,  Histoire  an- 
cienne de  l'Orient,  9«  édit.,  Paris,  1887,  t.'v,  p.  194-214; 
Maspero,  Histoire  ancienne  des  peuples  de  l'Orient 
classique,  Paris,  1895,  t.  i,  p.  630-636;  Chantepie  de 
la  Saussaye,  op.  cit.,  p.  133,  134;  P.  Lagrange,  Eludes 
sur  les  religions  sémitiques,  2e  édit.,  Paris,  1905, 
p.  223.  C'est  pourquoi  le  législateur  hébreu  interdit  si 
sévèrement  toutes  les  formes  de  la  magie.  Exod.,  xxn. 
18;  Lev.,  xx,  6;  Deut.,  xviii,  9-11. 

Les  plus  anciens  livres  de  la  Bible  hébraïque,  pour 
la    même    raison    sans   doute,   parlent    rarement   des 


esprits  mauvais  ou  démons.  On  doit  \oir  cependant 
l'un  d'eux  dans  l'espril  mauvais  qui  tourmentait  Saûl, 

quand  l'esprit  du  Seigneur  l'eut  quitté-.  |  Sam..  XVI, 
1  i,  15.  .Mais  cet  esprit  ne  parait  pas  indépendant  de 
Dieu;  il  est  présenté  comme  envoyé  par  Dieu  lui-même 
pour  agiter  le  roi  coupable;  on  l'appelle  mémo  ■  l'esprit 
mauvais  de  Jéhovah  ».  I  Sam.,  xvi,  16,  23;  xvin.  lu; 
xix.  9.  C'est  Dieu  encore,  qui,  entouré  de  toute  l'armée 
des  cieux,  permet  à  un  esprit  de  mensonge  de  tromper 
les  faux  prophètes  d'Achab,  et  met  lui-même  sur  leurs 
lèvres  cet  esprit  de  mensonge  qui  les  fait  parler. 
I(III)  Beg.,  xxn,  19-23;  II  Par.! Win,  18-22.  Ces  esprits 
n'agissent  donc  que  par  la  volonté-  divine.  Ce  ne  sont 
pas  des  êtres  malfaisants  par  leur  nature  et  leur  volonté 
propre;  ils  sont  des  agents,  subordonnés  à  Dieu  et 
n'exécutant  le  mal  que  parce  qu'il  le  leurcomrnande  ou 
leur  en  laisse  la  liberté. 

On  peut  rapprocher  de  celte  conception  le  rôle  attri- 
bué à  Satan  dans  le  livre  de  Job.  Cet  écrit,  qui  est 
probablement  antérieur  à  la  captivité,  rellète  les  idées 
anciennes  des  Israélites  sur  le  démon.  Satan,  nommé 
pour  la  première  fois  dans  la  Bible,  est  un  être  sur- 
humain, comme  les  anges  au  milieu  desquels  il  paraît, 
agent  du  mal,  mais  dans  une  absolue  subordination  à 
Jéhovah.  Bien  qu'il  soit  envieux  du  juste  Job  et  veuille 
éprouver  sa  vertu  par  le  malheur,  il  ne  peut  agir 
qu'avec  l'autorisation  divine.  Il  a  besoin  d'une  permis- 
sion, sinon  même  d'une  délégation  du  Seigneur.  Son 
action  est  strictement  limitée  à  la  volonté  de  Dieu,  qui 
permet  d'abord  d'attaquer  son  serviteur  exclusivement 
dans  ses  biens,  et  pas  en  sa  personne,  Job.  1,6-12,  puis 
dans  sa  personne,  en  sauvegardant  toutefois  sa  vie.  il, 
1-7.  Si  Satan  n'apparaît  pas  ici  comme  un  esprit  mau- 
vais par  essence,  il  se  montre  malfaisant  et  tentateur. 
Ce  rôle  de  tentateur  envers  l'homme  vertueux,  en  vue 
de  le  détourner  de  Dieu,  le  rattache  manifestement  au 
serpent  de  la  Genèse.  D'ailleurs,  son  nom.  Satan, 
employé  ici  avec  l'article,  haSsâtân,  dérive  du  verbe 
sâlan,  «  dresser  des  embûches,  persécuter,  être  adver- 
saire. »  Ce  n'est  peut-être  pas  encore  un  nom  propre, 
mais  plutôt  un  nom  de  qualité,  désignant  un  être  mal- 
veillant, rusé,  tendant  des  pièges  et  adversaire  des 
hommes  justes.  Ce  ne  serait  que  plus  tard  qu'il  serait 
devenu  le  nom  propre  du  démon.  Il  a  été  traduit  en 
grec  par  S;'aôo)oç,  signifiant  étymologiquement  «  celui 
qui  se  met  en  travers  »,  mais  ayant  ordinairement  le 
sens  d'ennemi,  d'adversaire,  et  spécialement  d'accusa- 
teur et  de  calomniateur.  Si  le  Satan  de  Job  ne  désigne 
pas  expressément  le  prince  des  démons,  il  ne  convient 
pas  non  plus  à  un  adversaire  indéterminé  :  c'est  un 
ange  mauvais,  ennemi  de  l'homme,  dépendant  de  Dieu, 
et  n'étant  pas  par  conséquent  une  puissance  du  mal, 
essentiellement  opposée  à  Dieu  et  représentant  dans  le 
monde  le  principe  mauvais.  La  doctrine  monothéiste 
d'Israël  écartait  toute  idée  dualiste  et  considérait  les 
esprits  mauvais  comme  inférieurs  à  Dieu  et  soumis  à 
sa  volonté,  même  dans  l'exercice  de  leur  malice  et 
l'accomplissement  de  leurs  desseins  malveillants.  Bien 
comprise,  l'idée  de  ces  esprits  ne  faisait  courir  aucun 
danger  au  monothéisme  israélite  et  ne  portait  pas  les 
Hébreux  à  déifier  Satan  et  a  en  faire,  en  face  de  Dieu, 
principe  du  bien,  le  principe  du  mal. 

Ces  faits  montrent  la  fausseté  du  sentiment  de  quel- 
ques critiques,  qui  ont  prétendu  à  tort  que  les  Hébreux 
n'avaient  eu  la  notion  distincte  du  démon  qu'après  la 
captivité,  à  la  suite  de  leurs  rapports  avec  les  Perses, 
à  qui  ils  auraient  emprunté  l'idée  du  prince  des  démons 
et  le  nom  de  Satan,  La  connaissance  d'esprits  mauvais 
est,  chez  eux,  bien  antérieure  à  la  captivité.  Nous 
allons  voir  si  elle  s'est  développée  à  partir  de  la  capti- 
vité sous  l'influence  des  doctrines  étrangères,  et  notam- 
ment des  Perses  et  des  Grecs. 

2°  A  partir  de  la  captivité.  —  I.  Dans  les  livres  ca- 


325 


DÉMON    DANS    LA   BIBLE    ET   LA    THÉOLOGIE   JUIVE 


326 


noniqaes.  —  Le  livre  de  Tobie  nomme  le  démon 
Asmodée,  qui  avait  tué  les  sept  premiers  maris  de  Sara, 
fille  de  Raguel,  m,  8;  vi,  li;  vil,  11;  vm,  12.  Le  jeune 
Tobie,  en  épousant  Sara,  échappa  au  même  sort,  grâce 
aux  moyens  de  préservation  que  lui  avait  suggérés 
l'ange  Raphaël,  son  guide,  vi,  5,  8,  16-10;  vm,  2;  xn, 
3,  H.  Raphaël  saisit  le  démon  et  le  relégua  dans  le 
désert  de  l'Egypte  supérieure,  vm,  3.  Plusieurs  cri- 
tiques ont  prétendu  qu'Asmodée  avait  été  emprunté 
par  les  Juifs  au  mazdéisme,  que  son  nom  et  son  rôle 
venaient  de  la  Perse.  Asmodée,  Esmadai,  'Aa|i.oSa?oç, 
ne  serait  que  la  transcription  de  Aêshma-daêva,  le  dé- 
monde la  concupiscence,  une  sorte  de  Cupidon,  nommé 
plusieurs  fois  dans  l'Avesta  comme  le  plus  dangereux  de 
tous  les  démons.  F.  Lenormant,  Les  origines  de  l'his- 
loire,  2*  édit.,  Paris,  1880,  p.  325-327.  En  réalité, 
l'Avesta  ne  connaît  que  Aêshma  et  n'a  pas  une  seule 
fois  la  forme  complète  Aéshnia  daèva.  Le  Bundehesh 
a  bien  le  nom  pehlvi  Aêshmshêdâ,  qui  suppose  une 
forme  avestique  Aèshma-daêva.  Mais  l'histoire  de 
Tobie  est  antérieure  de  plusieurs  siècles  à  tous  les 
livres  pehlvis,  et  les  spécialistes  conviennent  que 
l'iranien  daèva  n'aurait  pu  devenir  dai  en  hébreu. 
Ii'.iilleurs,  VAcshma  avestique  n'est  pas  le  démon  de 
la  concupiscence;  il  est  partout  le  démon  de  la  colère 
et  de  la  violence.  Son  attribut  principal  est  une  lance 
sanglante.  Lnlin,  aucun  déva  iranien  n'eût  aimé  une 
femme.  Le  démon  Asmodée  du  livre  de  Tobie  n'est 
donc  pas  un  emprunt  iranien.  C'est  un  esprit  mauvais 
et  malfaisant,  dont  les  maléfices  ont  été  déjoués  pur 
un  procédé  magique,  indiqué  à  Tobie  par  l'ange  Ra- 
phaël. Pour  la  plupart  des  commentateurs,  la  reléga- 
tion de  ce  démon  dans  le  désert  de  l'Egypte  supérieure 

i  lie  seulement  que  l'ange  l'éloigna  et  le  mit  dans 
l'impossibilité  de  nuire  à  Tobie.  Voir  Dictionnaire  de 
la  Bible  de  M.  Vigouroux,  t.  i,  col.  1 103-1  lui.  Nous 
verrons  plus  loin  que  pour  les  Juifs  les  démons  habi- 
taient spécialement  dans  les  déserts.  La  mention 
d'Asmodée  dans  l'histoire  de  Tobie  ne  reflète  peut-être 
qu'une  tradition  populaire,  dont  il  n'y  a  pas  d'autre 
trace  dans  la  Bible,  mais  qui  a  été  singulièrement  déve- 
loppée par  1rs  .luifs  talmudistes  et  'cabalistes,  tandis 
qui'  la  tradition  chrétienne  n'en  a  tenu  à  peu  près  au- 
cun compte. 

tan  est  nommé   quatre  fois  (hins  les  livres  posté 

-  à  la  captivité'.  Tandis  que  le  récit  de II  Sam.,  XXVI, 
I.  attribue  à  la  colère  divine  contre  Israël  le  projet  que 
David  conçut  de  dénombrer  son  peuple,  le  récit  paral- 
lèle  de  |  Par.,  sxi,  I.  le  rappoi  sèment  à  Satan, 

qui  apparaît  comme  l'instigateur  de  cette  faute  du  roi 

itnme  la  cuise  de  la    peste,  infligée  par   Dieu  â 
punition.  L'épreuve  que  Dieu  avait  permise 
(lins  sa  colère  fut  donc  considérée   plus  tard  comme 
•  i'  provoquée  par  Satan,  l'ennemi  de  Dieu  et  de 
son  peuple  Israël.  F.  de  Hummelauer,  Comnientarius 
Paris,  1905,  t.  r,  p.  307-906.  Uni- 
uni'  vision,  b   prophète Zacharie,  m.  I,  2.  vil  le  grand- 
uéou  Jésus  debout  devant  l'ange  de  Jéhovah. 

i  droite  | r  s'opposer  .i  lui  ;  mais 

'h  ou  Bon  ange  dit  à  Satan  :  a  Que  Jéhovah  te 
réprime,  Satan:  oui.  qu'il  le  réprime,  lui  quia  Dxé 

hoii  sur  Jérusalem.      Selon  la  meilleure  inter- 

ition  de  cett<   vision,  Satan  accompagne  le  graml- 
int  !■■  tribunal  de   i  ange  'lu  Si  u ni  ur;  il 
l'accuse,  non  pas  d'une  faute  i"  rsonnelle,  mais  des 
incieiu  prophètes  ■<■  aient  i eprochi 
i  i  a  II  le    i  '.n   b  ni  -  prévarication    pi  1 1| 

m  luda  lis  châtiments  dh  ins 
l' n  tu  ulii  r  ii  c  ipti  it<    i  Bab]  lone    Satan,  l'ad 

i  M-  de   luda,   renouvelait  an  inlnin.il  divin  - 

ni    par   là   B'oppOSM  i     i  la 

uration  do  suprême    u  i  ni'"  i     Un  mplil  dont  li 
ur  devant   b-  joj.iv  Loin  d'é© 


accusation,  Dieu  réprima  l'accusateur.  Satan  cherche 
donc  en  vain  à  provoquer  le  ressentiment  de  Jéhovah 
contre  le  grand-prêtre.  Dieu  a  pardonnéà  .luda  et  sauvé 
Jérusalem  de  l'incendie,  et  Satan  est  débouté  de  sa 
plainte.  J.  Knabenbauer,  Comnientarius  in  prophetas 
minores,  Paris,  1886,  t.  H,  p.  248-249.  Marti  a  prétendu 
que  Satan  (selon  lui,  il  serait  une  création  de  Zacharie) 
serait  la  personnification  idéale  de  la  voix  accusatrice 
de  la  conscience  qui  s'élève  contre  le  retour  des  faveurs 
divines.  Dodekapropheton,  Tubingue,  1904,  p.  408.  No- 
wak  lui  a  emprunté  cette  idée,  Die  kleinen  Propheten, 
2e  édit.,  Gœttingue,  1903,  p.  352-353.  Zacharie  n'a  pas 
créé  le  personnage  de  Satan,  car  il  lui  aurait  donné  un 
nom  signifiant  directement  accusateur.  Il  a  trouvé  ce 
nom,  déjà  employé  avant  lui;  il  l'a  adopté  et  il  l'a  pré- 
senté avec  l'article  hassdtdn,  pour  faire  jouer  dans  la 
scène  actuelle,  au  personnage  ainsi  nommé,  le  rôle  d'ac- 
cusateur de  Jésus.  Il  le  voit  à  coté  de  l'ange  de  Jéhovah, 
vraisemblablement  l'ange  protecteur  de  Juda,  non 
comme  une  simple  personnification  de  la  conscience 
accusatrice,  mais  bien  plutôt  comme  un  ange  mauvais, 
subordonné  à  Dieu,  se  bornant  à  accuser,  et  rejeté  par 
le  juge,  à  qui  il  a  recours.  A.  Van  Hoonacker,  Les 
douze  petits  prophètes,  Paris,  1908,  p.  605-607.  Dans 
l'Ecclésiastique,  xxi,  30,  on  lit  :  «  Lorsque  l'impie 
maudit  le  diable,  x'ov  o-sTaviv  (le  texte  original  de  ce 
verset  n'a  pas  été  retrouvé),  il  se  maudit  lui-même,  » 
Il  s'agit  du  diable  plutôt  que  d'un  adversaire  ordinaire, 
et  le  sens  semble  être  que  l'impie,  en  maudissant  celui 
qui  l'a  tenté  et  l'a  poussé  dans  son  impiété,  se  maudit 
lui-même,  puisque  c'est  par  sa  propre  volonlé  qu'il 
s'est  laissé  séduire  et  tromper  et  qu'il  est  tombé  dans 
l'impiété.  J.  Knabenbauer,  Ecclesiasticus,  Paris,  1902, 
p.  243-244.  Enfin,  Sap.,  n,  24,  le  diable  est  celui  qui, 
par  envie,  a  introduit  la  mort  dans  le  monde.  Satan 
est  ainsi  nettement  identifié  avec  le  serpent,  qui  a  sé- 
duit nos  premiers  parents  et  attiré  sur  eux  le  châti- 
ment de  la  mort  corporelle.  Gen.,  m,  19.  Cf.  Smend, 
Lehrbuch  der  alltestatncntlichen  Religionsgeschichte, 
2*  édit.,  Fribourg-en-Brisgau,  1899,  p.  402-403,  454; 
B.  Stade,  Biblische  Théologie  des  Allen  Testaments, 
Tubingue,  1905,  t.  i.  p.  327-328. 

2.  Dans  la  version  des  Septante.  —  Les  premiers 
traducteurs  grecs  qui  ont  toujours  rendu  le  nom  pro- 
pre Satan  par  8Ïa6o).o;,  ont,  sous  l'influence  aies 
idées  grecques,  vu  des  anges  mauvais  en  des  passages 
où  le  texte  original  n'en  parlait  pas,  et  ont  traduit  par 
le  mot  3a:|iti>v  différents  noms  hébreux  dont  le  sens 
iioins  clairement  déterminé.  Leur  traduction  est 
l'indice  des  idées  courantes  de  leur  temps  dans  le  mi- 
lieu juif  où  ils  vivaient.  Mais  ces  idées,  pour  avoir  été 
adoptées  par  des  Juifs  hellénistes,  ne  sont  pas  entrées 
par  le  fait  même  dans  le  domaine  de  la  révélation 
divine,  quoiqu'elles  aient  la  prétention  d'expliquer  les 
livres  Inspirés. 

Ces  traducteurs  avaient  rendu  brnè  ha-èlohim,  Gen., 
vi,  2,  utof  toû  Beoû.  Mais  quelques  manuscrits  présen 
taient  la  variante  :  kyysXoi  toû  Bcov,el  cette  leçon  parait 
avoir  été,  BU  moins  a  une  Certaine  époque,  la  plus 
répandue.  Cf.  Holmes,  Velus  Testamentum  cum  vai  iù 
nibtit,  Oxford,  1798,  i.  i.  Il  en  résultait  que  des 

Séduits  par  la  beauté  des  filles  des   homme- 

seraient  unis  i  elles  et  auraient  procréa  des  géants. 
Comme  le  ut  nommés  lils  de  Dieu,  Job,  i,  6; 
n.  l .  Pi,  wwii.  i .  i  \wi\,  7.  Dan.,  m,  9.  beaucoup  de 
critiques  en  ont  conclu  que  la  induction  «  les  angi  - 
de  Dieu  ''ni  littérale,  et  que  les  béni  ha-êlohtm 
étaient  réellement,  dans  I  des  anges  déchus, 
Hais  l'incorporéiti  des  anges  n'autorisant  pas  la  pos- 
sibilité d'un  pareil  commerce,  ils  ont  penaé  que  le 
récit  biblique  avait  con  i  rvi  la  trace  d*un  mythe  païen, 
lan  les  milieui  populaires  du  judafi I'.  Le- 
nt.  Les  originel  de  VhUtoire,  i    i    p    291-890. 


327 


DÉMON    DANS    LA    BIBLE    ET    LA    THÉOLOGIE   JUIVE 


328 


L'abbé  Robert,  pour  les  mêmes  raisons,  a  supposé  que 
le  récit  primitif,  qui  no  parlait  que  de  l'alliance  des 
Séthites  avec  les  fi  1  les  des  Caïnites,  avait  été  altéré, 
sous  l'influence  du  mythe  populaire,  par  l'insertion 
des  fils  de  Dieu  s'imissant  aux  filles  des  hommes.  Les 
/ils  de  Dieu  et  les  filles  des  limantes,  dans  la  Revue 
biblique,  1895,  t.  îv,  p.  341-348,  5-28-535.  Ces  conclu- 
sions ne  s'imposent  pas.  Quoique  l'expression  «  (ils 
d'Elohim  »  dans  le  livre  de  Job  et  dans  les  Psaumes 
cités  désigne  certainement  les  anges,  il  ne  s'ensuit 
pas  qu'elle  ait  ce  sens  dans  le  récit  de  la  Genèse.  Le 
contexte,  en  effet,  ne  convient  qu'à  des  hommes  et 
nullement  aux  anges,  dont  le  livre  biblique  n'avait  pas 
encore  parlé.  Il  n'est  question  que  de  l'accroissement 
de  l'humanité  sur  terre.  Cette  humanité,  accrue  par 
l'union  des  fils  de  Dieu  avec  les  filles  des  hommes, 
n'est  que  chair,  n'a  que  des  sentiments  charnels.  Aussi, 
en  punition,  Dieu  qui  ne  veut  pas  laisser  mépriser  sur 
terre  le  souffle  de  vie  dont  il  a  animé  les  humains,  le 
retirera  de  ces  générations  charnelles  et  abrégera  leur 
vie,  qui  sera  réduite  à  120  ans.  Le  châtiment  n'atteint 
donc  que  des  hommes,  seuls  visés  dans  tout  le  récit. 
Les  anges  n'y  apparaissent  que  dans  l'hypothèse  que 
l'expression  «  fils  d'Elohim  »  ne  peut  absolument  dési- 
gner qu'eux.  Or,  tous  les  traducteurs  juifs  de  la  Genèse 
ont  écarté  les  anges.  Aquila  a  traduit  :  oî  vloi  tgW  6ewv; 
Symmaque,  ulot  twv  ôuvacrTe'jôvToov;  et  ïbéodotion  : 
■Ao:  to-j  ôeo-j.  Dom  de  Montfaucon,  Hexapla,  P.  G., 
t.  XV,  col.  188-190;  Field,  Origenis  Hexaplorum  qitœ 
supersutit,  Oxford,  1875,  t.  i,  p.  22.  Le  targum  d'On- 
kelos  rend  l'expression  hébraïque  par  les  «  fils  des 
puissants  »  ou  des  grands.  De  plus,  suivant  le  texte 
hébreu,  les  géants,  qui  sont  des  hommes  de  renom, 
ne  sont  pas  tous  issus  de  l'union  des  fils  de  Dieu 
avec  les  filles  des  hommes;  ils  existèrent  à  la  même 
époque,  ils  existèrent  encore  après,  et  quelques-uns 
naquirent  peut-être  des  unions  précédemment  racon- 
tées. En  tout  cela,  il  n'est  question  que  d'humains, 
et  on  peut  penser  très  légitimement  que  les  fils  de 
Dieu  étaient  des  descendants  de  Seth  qui  épousèrent 
les  filles  des  Caïnites.  M.  Hoberg,  Die  Genesis,  2e  édit., 
Fribourg-en-Brisgau,  1908,  p.  75,  interprète  cette  ex- 
pression dans  le  sens  de  «  hommes  pieux  ».  Quoi  qu'il 
en  soit,  le  récit  original  ne  mentionne  pas  les  anges  ni 
leur  commerce  charnel  avec  des  femmes.  Voir  F.  de 
Huminelauer,  Commentarius  in  Genesim,  Paris,  1895, 
p.  211-219;  Dictionnaire  de  la  Bible  de  M.  Vigouroux, 
t.  ii,  col.  2255-2257.  Les  Juifs,  dans  leur  contact  avec 
les  Grecs,  ont  connu  les  unions  des  dieux  païens  avec 
des  femmes,  et  parce  que  les  lecteurs  grecs  de  la  Ge- 
nèse savaient  que  les  benê  ha-ëlohim  désignaient 
ailleurs  les  anges  de  Dieu,  ils  ont  donné  ce  sens  à 
cette  expression  du  récit  génésiaque  et  ont  introduit 
parmi  leurs  coreligionnaires  l'idée  du  mariage  des  anges 
avec  des  femmes  el  de  l'origine  des  géants,  idée  qui 
devrait  recevoir,  nous  le  verrons,  de  nouveaux  déve- 
loppements. Mais  elle  était  étrangère  à  la  pensée  des 
anciens  Hébreux. 

Toutefois,  les  premiers  traducteurs  grecs  ont  vu  des 
démons  en  beaucoup  d'autres  passages  de  l'Ecriture, 
dans  lesquels  il  est  parlé  de  tout  autres  êtres.  Ainsi  ils 
ont  fait  des  démons  :  1.  des  ie'îrîm,  qui  désignent  ou 
bien  des  boucs,  c'est-à-dire  de  ces  animaux  honorés 
comme  dieux  en  réalité  ou  en  images,  Lev.,  xvn,  7; 
II  Par.,  xi,  15;  ou  bien  des  satyres,  semblables  à  des 
boucs  sauvages,  vivant  au  désert,  Is.,  xm,  51;  xxxiv, 
li;  2.  des  sedim,  ou  «  puissants  »,  des  idoles,  pareilles 
aux  be'àlim,  seigneurs  ou  dieux,  Deut.,  xxxn,  17;  Ps.  evi 
(cv),  37,  dans  lesquels  beaucoup  de  critiques  modernes 
reconnaissent  les  sedis  ou  génies  babyloniens;  3.  des 
èlilîm,  des  choses  vaines,  c'est-à-dire  encore  des  idoles, 
Ps.  xevi  (xcv),  37;  4.  des  syyim,  animaux  sauvages, 
Is.,  xxxiv,  14;  5.  d'yâSûd,  ce  qui  dévaste,  Ps.  xc  (xcr), 


6.  Le  texte  grec  de  Baruch,  iv.  7.  35,  parle  des  démons 
dans  un  contexte,  où  il  est  question  des  idoles  ou 
d'animaux  sauvages  habitant  au  milieu  des  ruines. 
Nous  ignorons  quels  étaient  les  mots  hébreux  ainsi 
traduits.  Cf.  .1.  Knabenbauer,  Commentarius  in  Da- 
nieiem  prophelam ,  Lamenlationes  et  Baruch,  Paris, 
1891,  p.  491,  197.  Les  traducteurs  grecs  ont  vu  encore 
des  anges  mauvais,  Ps.  i.xxvn  ilxxviii),  49,  dans  un 
passage  où  le  texte  original  parle  seulement  d'anges  de 
malheur,  qui  sont  probablement  des  bons  anges  char- 
gés par  Dieu  de  châtier  les  coupables. 

II.  Dans  le  monde  juif  postérielh.  —  1»  Dans  les 
livres  apocryphes.  —  La  démonologie,  qui  était  déjà 
en  voie  de  se  développer  lorsque  la  Bible  hébraïque  fut 
traduite  en  grec,  prit  des  accroissements  très  considé- 
rables dans  la  littérature  apocryphe  du  judaïsme.  Comme 
elle  a  été  connue  et  partiellement  acceptée  par  les  Pères 
de  l'Eglise,  et  comme,  d'autre  part,  on  prétend  qu'elle 
a  influé  même  sur  certains  écrivains  du  Nouveau  Testa- 
ment, il  importe  de  l'exposer  sommairement.  Le  livre 
éthiopien  d'Hénoch,  qui  comprend  des  éléments  de  di- 
verse nature,  échelonnés  du  second  tiers  du  IIe  siècle  jus- 
qu'à l'an  64  avant  Jésus-Christ,  reproduit  aussi  des  tradi- 
tions différentes  sur  les  démons  ou  les  anges  déchus.  Bien 
que  les  anges,  esprits  immortels,  n'aient  pas  eu  besoin 
de  s'unir  aux  femmes  sur  la  terre,  pour  se  perpétuer, 
xv,  4-7.  F.  Martin,  Le  livre  d'Hénoch,  Paris,  1906,  p.  40- 
41,  cependant  deux  cents  veilleurs,  sous  les  ordres  de 
Semyaza,  selon  une  tradition,  vi,  3,  p.  11,  ou  d'Azazel, 
suivant  une  autre,  x,  4;  xni,  1,  2,  p.  22.  31,  ont  été  sé- 
duits par  la  beauté  des  femmes.  Descendus  sur  le  som- 
met de  l'Hermon,  avec  leurs  chefs  de  dizaines,  dont 
18  sont  nommés,  vi,  7,  p.  12  (autre  liste  de  21,  lxix.  2. 
p.  149-150),  ils  prirent  des  femmes  et  en  eurent  des 
géants,  qui  opprimèrent  les  hommes  et  se  dévorèrent 
entre  eux,  vi-vn,'p.  10-15.  Ils  révélèrent  à  leurs  femmes 
les  secrets  éternels,  découvrirent  aux  hommes  les  arts 
et  leur  apprirent  toute  impiété,  vu,  1  ;  vm;  îx,  6-8;  xvi, 
3,  p.  14,  15-17,  21,  45.  Les  âmes  de  ceux  qui  avaient  été 
opprimés  par  les  géants  les  accusèrent,  ix,  3,  10,  etc., 
p.  18,  21,  et  malgré  l'intervention  d'Hénoch,  xni;  xiv. 
p.  31-33,  34-35,  Dieu  condamna  les  anges  déchus, 
d'aboi  d  à  des  châtiments  temporels,  la  perte  de  leurs 
enfants,  x,  9-12,  15;  xiv,  6,  p.  24-25.  26,  35,  et  à  une 
étroite  captivité  loin  du  ciel,  x,  5,  12;  xiv.  5:  xxi,  10 
p.  23,  25-26,  35,  37,  puis,  à  partir  du  jugement  dernier, 
au  supplice  éternel,  dans  l'abîme  de  feu,  x,  6, 13,  p.  23, 
2ô.  Cependant  une  autre  tradition  suppose  que,  du  lieu 
où  ils  sont  réunis,  ces  esprits  peuvent  prendre  toute 
espèce  de  formes  et  tromper  les  hommes  jusqu'au 
jugement  dernier,  xix,  1,  p.  33.  Ailleurs,  i.xvn.  4-13, 
p.  143-146,  ils  sont  condamnés  au  supplice  des  eaux 
brûlantes,  qui  communiquent  leur  chaleur  aux  sources 
thermales.  Dans  le  Livre  des  songes,  les  anges  déchus 
sont  comparés  à  des  étoiles  descendues  des  cieux,  qui 
se  changent  en  taureaux  et  ont  des  relations  coupables 
avec  les  génisses,  c'est-à-dire  les  filles  des  hommes, 
lxxxvi,  p.  200-201.  Un  archange  fidèle  les  saisit,  les  lie 
et  les  jette  dans  un  abîme  sous  la  terre,  i.xxxviii,  202- 
203.  Au  jugement  dernier,  ils  seront  précipités  dans  un 
abîme  de  feu,  xc,  21,  24,  p.  230-231.  Cette  tradition 
connaît  d'autres  anges  coupables  :  les  70  anges  ou  pas- 
teurs à  qui  Dieu  avait  confié  le  soin  de  veiller  sur 
Israël  à  partir  de  l'invasion  assyrienne,  et  qui,  ayant  été 
infidèles  à  leur  mission,  seront  condamnés,  au  juge- 
ment dernier,  à  parlager  le  supplice  éternel  des  étoiles 
tombées,  xc,  23,  25.  p.  231.  Quant  aux  géants,  les  es- 
prits sortis  de  leurchair,  à  leur  mort,  sont  demeurés  sur 
terre;  ce  sont  des  esprits  mauvais,  qui  attaqueront  les 
hommes  jusqu'au  jugement,  xv,  8-12;  XVI,  1,  p.  41-ii. 
Les  hommes  les  adorent  sous  l'image  d'idoles,  comme 
ils  adorent  les  démons,  xcix.  p.  261.  à  l'instigation  des 
anges  déchus,  xix,  1,  p.  53;  cf.  p.  46,  note.  Les  tradi- 


329 


DÉMON    DANS   LA   BIBLE    ET   LA   THEOLOGIE   JUIVE 


330 


tions  du  Livre  des  paraboles,  xl,  7,  p.  87,  et  d'une  apo- 
calypse de  ;Noé,  i.xv,  6,  p.  139,  parlent  des  satans.  Ce 
sont  des  esprits  méchants,  qui  ont  entraîné  les  hommes 
au  mal,  liv,  6,  p.  110,  et  les  accusent  devant  Dieu.  Ils 
•sont  chargés  de  châtier  les  coupables  et  sont  appelés  les 
anges  du  châtiment,  lui,  3,  p.  108;  préparent  les  ins- 
truments de  Satan,  fouets  et  chaînes  de  fer  pour  les  rois 
■et  les  puissants  de  la  terre,  lvi,  I  ;  lxii,  11  ;  lxiii,  1  ; 
lxvi.  1,  p.  112,  133,  134,  141.  Ces  satans  diffèrent  des 
?.nges  déchus  et  des  géants,  car  ils  ne  sont  pas  voués 
aux  tourments  de  l'enfer  et  peuvent  se  présenter  au 
ciel  devant  le  Seigneur.  Ils  existaient  avant  la  chute  des 
anges  qu'ils  ont  provoquée.  Leur  chef  est  Satan;  les 
veilleurs  ont  préféré  son  service  à  celui  de  Dieu.  Il 
représente  donc  un  pouvoir  hostile  au  Seigneur,  bien 
qu'il  dépende  de  lui,  puisque  ses  subordonnés  exé- 
cutent les  sentences  divines.  F.  Martin,  op.  cit.,  p.  xxvm- 
XXXI.  Cf.  Robert,  dans  la  Revue  biblique,  1895,  t.  iv, 
p.  366-373,  539-545.  Voir  aussi,  t.  i,  col.  1480-1481. 

Le  livre  slave  des  Secrets  d'Hénoclt,  qui  est  de  la  fin 
du  i«r  siècle  ou  du  commencement  du  if  siècle  de  notre 
ère,  parle  aussi  de  deux  sortes  d'anges  coupables.  Au 
second  ciel,  c.  vu,  il  y  a  des  ténèbres  plus  sombres  que 
celles  de  la  terre,  et  dans  ces  ténèbres  des  prisonniers 
qui  sont  gardés  pour  le  dernier  jugement.  Ce  sont  les 
anges  qui  n'ont  pas  obéi  aux  préceptes  de  Dieu,  qui 
ont  pris  conseil  de  leur  volonté  propre  et  qui,  ayant 
péché  avec  leur  prince  Satanail,  ont  été  relégués  du 
5e  ciel,  où  ils  devaient  être,  dans  les  ténèbres  du 
2e  ciel.  Ils  sont  plongés  dans  la  douleur  et  ne  cessent 
de  pleurer.  Ils  demandent  à  Hénoch  d'intercéder  pour 
«ux  auprès  du  Dieu  ;  mais  Hénoch  s'en  défend.  Leurs 
frères,  demeurés  fidèles,  restent,  depuis  la  faute  des 
coupables,  tristes  et  désolés,  ils  ont  cessé  de  louer  Dieu. 
Trois  de  ces  anges,  relégués  au  second  ciel,  descen- 
dirent sur  l'Ilermon,  s'unirent  à  des  femmes  et  don- 
nèrent naissance  aux  géants,  lin  punition  de  cette 
faute,  ils  furent  condamnés  à  habiter  sous  terre  jusqu'à 
la  lin  du  inonde.  Hénoch  les  a  vus  dans  leur  prison  et 
a  vainement  intercédé  auprès  de  Dieu  en  leur  faveur, 
c.  xvni.  Le  chef  des  anges  désobéissants  avait  voulu 
uietlre  son  trône  au-dessus  des  nues  et  égaler  Dieu  en 
puissance,  c.  xxix.   Devenu  Satan    et  l'esprit  mauvais 

igions  inférieures  après  qu'il  eut  quitté  les  cieux, 
il  voulut  déranger  l'ordre  établi  par  Dieu,  parce  qu'il 
voyait  qne  t'.ui  sur  la    terre  ('tait  soumis  à  l'homme. 

qu'il  eut  changé  de  nature,  il  conservait  l'intelli- 
gence du  bien  et  du  mal.  Satan  trompa  Eve,  et  Dieu  le 
maudit  a  cuise  de  son  ignorance,  c.  xxxn.  Voir  t.  i, 
col.  148-2-1 

Le    Livre    des  jubilés,  composé    vers   le    milieu   du 

«le  de  notre  ère,  m.  17  sq.,  raconte  la  tentation 
d  i  ■■■■  par  I'  Berpent,el  il  la  place  au  17  jour  du  2«  mois 
de  la  8"  année  ;q>res  la  création.  A  la  11"  semaine  de  la 
6'  année  du  lu  jubilé,  les  anges  gardiens  descendirent 
sur  terre  pour  apprendre  aux  hommes  le  droit  et  la 
Justice,  iv.  I."..  Au  25<  jubilé,  du  temps  de  Noé,  quand 
les  hommes  se  furent  multipliés  et  qu'ils  eurent  des 
filb-  -  de  Dieu  virent  qu'elles  étaient  belles, 

M  choisirent  des  femmes  parmi  elle-  et  engendrèrent 
i      hommes  devinrent  mauvais  et  Dieu  ré- 
solut de  les  détruire,  ■<  l'exception  de  Noé,  Irrité  contre 
"igcs  qu'il  avait  envoyés  sur  terre,  il  décida  de 
leur  enlever  toute  leur  puissance,  et  il  les  m  enchaîner 

let  profondeurs  de  la  terre.  Quant  aux  géants,  il 
le»  fit  tuer.  Leun  pères,  enchaînés,  lurent  témoin 
arar  ■  ra'au  jour  du 

jugement,  ■     MO    Plus  loin,  ce   livre  rapporte  que, 
emainc  do  H  jubilé,  après  le  déluge,  lei  d. 
mon-  impui    i  ommi  ne.  r.  m  .,  tromper  le-  QU  de  Noi 

ren  Ire  in  i  Ici  fain  péi  Ir  Les  Qls  d. 

vinrent  trouver  leur  père  el  lui  parlèrent  des  démon 
qui  .,  aient  tromp.  Nl)i. 


pria  le  Seigneur,  lui  demandant  que  les  mauvais  esprits 
ne  puissent  dominer  ses  petits-enfants  ni  les  faire  périr 
sur  terre.  Il  rappela  à  Dieu  que  les  gardiens,  pères  de 
ces  esprits,  avaient  vécu  de  son  temps,  et  il  demanda 
que  ces  esprits,  qui  étaient  encore  en  vie,  fussent  enfer- 
més par  Dieu  et  retenus  au  lieu  de  la  damnation,  pour 
qu'ils  ne  puissent  plus  faire  périr  ses  descendants.  Ils 
sont  créés  pour  la  perte  des  hommes.  Que  Dieu  ne  les 
laisse  pas  dominer  sur  les  esprits  des  vivants  et  ne  leur 
donne  aucun  pouvoir  sur  les  enfants  des  justes  pour 
toujours.  Dieu  ordonna  de  les  lier  tous.  Mastema,  leur 
chef,  demanda  qu'une  partie  fût  laissée  libre  pour  ac- 
complir ses  propresvolontés,  car  la  malice  des  hommes 
est  grande.  Dieu  permit  que  la  dixième  partie  de  ces 
esprits  ne  fût  pas  enfermée  au  lieu  de  la  damnation. 
Ses  ordres  furent  exécutés,  et  les  neuf  dixièmes  des 
démons  furent  emprisonnés,  x,  1-11.  Kaut/.sch,  Die 
Apoknjphen  und  Pseudepigraphen  îles  Alton  Testa- 
ments, Tubingue,  1900,  t.  H,  p.  45,  47,  48-49,  57-58. 
Plus  tard,  Abraham,  dans  ses  dernières  recommanda- 
tions à  Jacob,  dit  à  son  petit-lils  de  ne  pas  agir  comme 
les  païens,  qui  offrent  des  sacrifices  aux  morts  et  ado- 
rent les  démons,  xxn,  16,  17.  Ibid.,  p.  78. 

Dans  la  préface  des  Oracles  sybillins,  citée  par  saint 
Théophile  d'Antioche,  Ad  AutoL,  n,  36,  P.  G.,  t.  VI, 
col.  1109  sq.,  la  Sybille  juive  reproche  aux  païens  d'of- 
frir des  sacrifices  aux  démons  qui  habitent  sous  terre. 
Cf.  Kaut/.sch.  t.  il,  p.  184. 

Dans  le  Martyre  d'isaïe,  il  est  raconté  que  Sammael 
entra  clans  Manassé  et  que  ce  roi  servit  Satan,  ses 
anges  et  puissances.  Le  prince  de  l'injustice,  qui  règne 
sur  le  monde,  y  est  aussi  appelé  Reliai.  Kaut/.sch,  t.  n, 
p.  124-126.  Dans  le  Testament  des  douze  patriarches, 
Béliar  est  le  nom  du  diable  ou  de  Satan.  Ruben,  2,  i  ; 
Levi,  18;  Dan,  I,  5;  Kautzsch,  t.  n.  p.  460,  462,  471, 
483,  485.  Cet  esprit  habite  dans  l'air.  Benjamin,  3, 
p.  503.  Satan  lui-même  y  est  nommé,  Cad,  4,  p.  493, 
avec  ses  anges.  Aser,  6,  p.  496.  Les  anges  ont  été  séduits 
par  les  femmes.  Ruben,  5;  Nephtali,  3,  p.  462,  487.  Ces 
écrits  sont  du  i"  et  du  IIe  siècle  de  notre  ère.     . 

La  Vie  d'Adam  et  d'Eve  raconte  une  seconde  tenta- 
tion que  Satan  fit  subir  à  Eve  après  sa  pénitence, 
Kantzsch,  t.  il,  p.  513,  et  fait  raconter  par  Eve  elle- 
même  sa  première  tentation  parle  serpent,  qui  était  le 
diable.  Jbid.,  p.  520  sq.  Le  récit  est  tout  légendaire. 

2°  Dans  la  doctrine  du  judaïsme  postérieur.  —  Au 
Ier  siècle  de  notre  ère,  nous  avons  encore  les  témoi- 
gnages de  .losèphe  et  de  Philon.  .losèphe,  tant  qu'il 
suit  les  Livres  saints  de  sa  nation,  est  fidèle  à  la  doc 
trine  commune  de  son  temps.  Il  rapporte  exactemen. 
le  rôle  du  serpent  tentateur  dans  l'épreuve  de  nos  pre- 

ira  parents.  Ant.  jud.,  I,  i,  4,  Opéra,  Amsterdam, 

1721).  t.  i.  p.  7.  Mais  il  adopte  aussi  les  idées  des  Juifs 
hellénistes.  Il  attribue  l'origine  des  géants  au  commerce 
charnel  des  anges  de  Dieu  avec  les  tilles  des  hommes. 
Ant.  jud..  I.  III,  I,  p.  12.  Il  parle  des  démons  qui  pro- 
voquaient en  Saïil  des  suffocations  et  îles  étranglements, 
dont  les  médecins  ne  pouvaient  le  guérir,  et  il  ajoute  que 
le  calme  était  rendu  au  malade  par  le  son  de  la  harpe 
de  David.  Ant.  jud.,  VI,  vtii,  2;  u,  2,  p.  332-333,  338. 

On   a    remarqué   qu'il   n'a  pas    nommé   une    seule    fois 

Satan  i  l>e  plus,  sous  l'influence  sans  doute  des  ni 

grecques,   il  appelle  démons  les    is   des   hommes 

mauvais,  el  il  dit  que  ces  âmes  tuent  les  vivants  qui 
entrent  sans  précaution  dans  les  eaus  de  Machéronte. 
\  II.  vi,  :<,  t.  n.  p.  117.  Philon,  plus  profon- 
démenl  imbn  d.-  phili  1 1  cque,  ■  mélan)  é   dan 

sa  théorie  des  puii  ance    Intermédiaires  entre  Dieu  el 

i tun      I  '  doctrine  juive  -m-  le    anges  et  les  Idi  i 

,i.     i,,.,     Mir  les  démons    Pour  lui.  les  angi     el  li 
démons  sont  di  puri  i,  qui  volent  dans  l'air  el 

rident  dan    '■    corps.  Aussi  alli  l-il  le  récit 

biblique  de  i  oi  if le  •  n  iju'il  reprod 


331 


DÉMON    DANS    LA    MLLE    ET    LA    THÉOLOGIE   JUIVE 


332 


la  leçon  :  -J. - ;-.:/v.  xov  8eoû.  De gigantibus,  dans  Opéra, 
Paris,  1040,  p.  284-285.  Sa  doctrine  n'a  plus  rien  de  spéci- 
Qquemenl  juif;  il  ne  garde  que  le  nom  d'anges.  Schùreri 
Geschichte  <>e<  judischen  Volkcs  'un  Zeitalter  Jesu 
Christi,  3>  édit. ,  Leipzig,  1898,  t.  m,  p.  553.  Il  déclare 
aussi  que  les  païens  ont  par  erreur  pris  les  anges  pour 
des  dieux.  De  prof  agis,  48,  p.  481. 

Plus  tard,  la  démonologie  prit,  dans  le  monde  juif, 
une  très  grande  extension.  Il  importe  peu  à  notre  sujet 
d'en  poursuivre  l'étude,  soit  dans  les  targurns,  soit  dans 
les  ïalmuds,  soit  dans  les  commentaires  de  la  Bible. 
Disons  seulement  que,  selon  le  targum  du  pseudo- 
.lonathan  sur  Num.,  xi,  26,  c'est  Samael  qui  tenta  Eve. 
Pour  quelques  idées  populaires,  voir  le  Ta  1  mu  ri  de  Ba- 
bylone,  traité  Berakhoth,  i,  1-4;  vu,  6;  ix.  9,  trad. 
Schwab,  Paris,  1871,  p.  227,  239,  240,  433,  495,  496,497; 
Talmud  de  Jérusalem,  traité  Troumoth,  I,  4,  trad. 
Schwab,  Paris,  1879,  t.  m,  p.  4;  traité  Sanhédrin,  x, 
2,  Paris,  1889,  p.  51  ;  Weber,  Jùdische  Théologie  auf 
Grund  des  Talmud  und  verxrandler  Schriften,^  édit., 
Leipzig,  1897,  §  54.  Plus  tard  encore,  sous  l'influence 
de  la  superstition  populaire  et  grâce  aux  spéculations 
de  la  cabale,  le  nombre  des  anges  et  des  démons  ayant  un 
nom  déterminé,  et  la  variété  des  moyens  inventés  pour 
écarter  leur  action  néfaste  formèrent  toute  une  théolo- 
gie nouvelle,  sans  relation  avec  la  révélation  de  l'An- 
cien Testament.  Voir  M.  Schwab,  Vocabulaire  de  l'an- 
gélologie  d'après  les  manuscrits  hébreux  de  la  Bi- 
bliothèque nationale,  in-4°,  Paris.  1897  ;Id.,  Lenis.  i380 
du  fonds  hébreu  à  la  Bibliothèque  nationale,  Sup- 
plément au  vocabulaire  de  l'angélologie,  in-4°,  Paris, 
1899;  S.  Karppe,  Étude  sur  les  origines  et  la  nature 
du  Zohar,  Paris,  1901,  p.  56,  445,  447-448. 
_  III.  Dans  le  Nouveau  Testament.  —  1°  Dans  les 
Evangiles.  —  La  doctrine  de  Notre-Seigneur  et  des 
évangélistes  sur  les  démons  ressorlira/l'abord  de  l'étude 
des  relations  du  Sauveur  avec  Satan  et  les  esprits  mau- 
vais, puis  de  la  doctrine  même  de  Jésus  sur  le  diable 
et  le  monde  infernal.  —  1.  Relations  de  Jésus  avec 
les  démons.  —  Tout  au  début  de  sa  vie  publique,  Jésus, 
retiré  au  désert,  fut  tenté  par  Satan.  Marc,  i,  13.  L'Es- 
prit l'y  avait  conduit  à  cette  fin.  Matth.,  iv,  1.  Satan  y 
remplit  son  rôle  de  tentateur.  Il  éprouve  Jésus  et  l'in- 
terroge sur  sa  nature  et  sa  mission  messianique,  afin 
de  le  détourner,  s'il  le  pouvait,  de  cette  mission  qu'il 
pressent  contraire  à  ses  mauvais  desseins  sur  le  monde. 
Le  récit  de  la  triple  tentation,  Matth.,  iv,  3,  11;  Luc, 
iv,  3-13,  montre  l'habileté  du  tentateur,  qui  a  recours 
à  l'attrait  delà  concupiscence  pour  détourner  Jésus  de 
sa  mission  et  l'induire  en  erreur.  Satan  y  apparaît 
capable  d'agir,  non  seulement  sur  l'intelligence  des 
hommes  en  suggérant  des  pensées,  mais  encore  sur 
leurs  corps,  puisqu'il  transporte  Jésus  à  Jérusalem,  sur 
le  sommet  du  temple,  puis  sur  une  haute  montagne. 
Dans  une  des  trois  tentations,  il  se  donne  comme  le 
maître  du  monde,  et  veut  se  faire  adorer.  D'autre  part, 
Jésus  résiste  à  ses  suggestions  et  prouve  par  son 
exemple  que  Satan  n'a  pas  d'empire  absolu  sur  les 
hommes  et  qu'il  influe  seulement  sur  ceux  qui  cèdent 
volontairement  à  ses  suggestions.  Vaincu  dans  sa  pre- 
mière tentative,  il  ne  se  retire  que  pour  un  temps, 
Luc,  iv,  13,  avec  l'intention  de  revenir  à  l'assaut  et  de 
reprendre  la  lutte.  Les  rencontres  ne  manqueront  pas, 
et  elles  auront  lieu  par  l'intermédiaire  des  démonia- 
ques. On  traitera  à  l'article  Démoniaques  de  la  réalité 
et  de  la  nature  des  possessions  diaboliques;  nous  ne 
dirons  ici  que  ce  qu'elles  nous  apprennent  sur  Satan 
et  les  démons.  Durant  son  premier  séjour  à  Caphar- 
naïnn,  Jésus  fut  abordé  à  la  synagogue  par  un  possédé 
de  l'esprit  immonde,  qui  l'interrogea  sur  sa  nature  et 
sa  mission,  qu'il  devinait  hostile  et  dirigée  contre  lui 
pour  sa  perte.  Jésus  le  chasse  du  possédé  et  la  première 
manifestation  de  ce  pouvoir  divin  sur  les  esprits  im- 


mondes fit  grand  bruit  dans  toute  la  Galilée.  Marc,  i, 
23-28;  Luc,  iv,  33-37.  D'autres  possédés  acclamaient 
Jésus  comme  Fils  de  Dieu  ou  Messie.  Jésus  leur  impo- 
sait silence  et  les  chassait.  Marc,  I,  34,  39;  Matth., VIII, 
16;  Luc,  iv,  41.  Ces  faits  se  reproduisaient  fréquemment 
et  en  divers  lieux.  Marc,  III,  11,  12;  v,  1-20;  vu,  24-30; 
Matth.,  vin,  28-34;  ix,  32-33;  xv,  21-28;  Luc,  VI,  18; 
ix,  37-43.  Des  scribes,  venus  de  Jérusalem,  en  prirent 
occasion  pour  calomnier  Jésus  et  le  dire  possédé  lui- 
même;  ils  prétendaient  qu'il  chassait  les  démons  au 
nom  de  Beelzébub,  leur  prince.  Ce  nom,  emprunté  à 
la  mythologie  des  Philistins,  qui  honoraient  Baal  comme 
dieu  des  mouches,  désignait  dans  le  langage  populaire 
des  contemporains  de  Jésus,  le  chef  des  habitations  infer- 
nales. Voir  Dictionnaire  de  la  Bible  de  M.  Vigouroux, 
t.  i,  col.  1547.  Jésus  réfuta  cette  calomnie  par  ce  rai- 
sonnement sans  réplique  que  Satan  ne  peut  agir  contre 
lui-même,  ni  détruire  son  propre  empire.  Marc,  ni, 
22-26;  Matth.,  ix,  34;  xn,  22-27;  Luc,  xi,  14-19.  Décla- 
rer que  Jésus  est  possédé  de  l'esprit  immonde,  c'est  un 
blasphème  contre  le  Saint-Esprit  et  un  péché  irrémis- 
sible. Marc,  m,  29,  30.  Voir  t.  n.  col.  910-916.  C'est  par 
l'esprit  de  Dieu,  c'est  par  son  doigt,  c'est-à-dire  par  sa 
puissance,  que  Jésus  chasse  les  démons,  et  l'exercice 
de  ce  pouvoir  est  une  marque  que  le  royaume  de  Dieu 
est  venu  sur  terre.  Matth.,  xn,  28;  Luc,  xi.  20.  11  y 
avait  donc  opposition  entre  le  royaume  de  Dieu  et  le 
royaume  du  diable,  et  Jésus  était  veuu  pour  détruire 
ce  dernier.  Aussi,  en  choisissant  ses  apôtres,  leur  con- 
féra-t-il  le  pouvoir  de  chasser  les  démons.  Marc,  ni, 
15;  Matth.,  x,  1,  8.  Il  renouvela  ce  pouvoir,  en  les  en- 
voyant en  mission,  durant  laquelle  ils  chassèrent  beau- 
coup de  démons.  Marc,  VI,  7,  13.  Les  soixante-douze 
disciples,  chargés  plus  tard  d'une  mission  spéciale  pour 
préparer  celle  de  leur  Maître,  relatèrent  avec  joie  à 
leur  retour  que  les  démons  leur  étaient  soumis  par 
la  vertu  du  nom  de  Jésus,  et  Jésus  leur  déclara  qu'il 
avait  vu  Satan  tomber  du  ciel  comme  l'éclair.  Luc,  x. 
17,18.  Il  ajouta  que  le  pouvoir  sur  les  démons  n'était 
pas  pour  ceux  qui  le  possédaient  une  marque  de  salut  ; 
il  leur  était  donné  pour  le  bien  des  autres,  et  ils  n'en 
seront  pas  récompensés.  Luc,  x,  20.  Cf.  Matth.,  vu.  22. 
Toutefois,  les  apôtres  ne  pouvaient  pas  chasser  toute 
sorte  de  démons  et  Jésus  leur  expliqua  que  quelques- 
uns  de  ces  esprits  ne  pouvaient  être  expulsés  que  par 
le  recours  à  la  prière  et  au  jeûne.  Marc,  ix,  13,  28  ; 
Matth.,  xvn,  14-20;  Luc,  ix,  40.  Jésus  reconnaissait 
donc  diverses  classes  de  démons,  dont  quelques-uns 
avaient  un  pouvoir  plus  malfaisant  que  les  autres.  Les 
Juifs,  comme  les  Galiléens,  ont  traité  Jésus  de  possédé 
du  démon.  Joa.,  vm,  48,  52.  Au  moment  de  la  passion, 
la  puissance  des  ténèbres,  que  Jésus  avait  comprimée 
durant  sa  vie  publique,  eut  un  instant  pouvoir  contre 
lui,  et  les  Juifs,  ses  suppôts,  purent  se  saisir  de  Jésus 
et  le  faire  mourir.  Luc,  xxn,53.  Judas,  qui  l'avait  trahi, 
avait  agi  sous  l'influence  de  Satan.  Luc.  xui,  3.  Cf.  Joa., 
vi,  71,  72;  xin,  2.  27.  Mais  Jésus,  vainqueur  de  la  mort 
par  la  résurrection,  donna  de  nouveau  à  ses  apôtr 
droit  de  chasser  les  démons  en  son  nom.  Marc.  xvi.  17. 

2.  Enseignement  de  Jésus  sur  les  démons.  —  Jésus 
ne  s'est  pas  contenté  de  lutter  contre  Satan,  qui  le  ten- 
tait, et  contre  les  démons,  dont  Satan  est  le  prince  et 
qui  faisaient  sentir  aux  hommes  leur  puissance  malfai- 
sante, il  a  encore  caractérisé,  dans  ses  paraboles  et  ses 
discours,  la  nature  de  cette  puissance  mauvaise. 

Dans  les  Synoptiques,  en  décrivant  sous  forme  para- 
bolique l'avenir  du  royaume  messianique,  il  a  indiqué 
en  quelques  traits  l'opposition  que  lui  fera  Satan  dans 
les  âmes  et  dans  le  monde.  Si  la  parole  de  Dieu  est 
une  semence,  jetée  sur  divers  terrains,  Satan  ou  le 
méchant  vient  promptement,  pareil  aux  oiseaux  du 
ciel,  enlever  le  grain  tombé  sur  le  chemin  et  la  bonne 
parole  semée  dans  les  cœurs  pour  qu'elle  n'y  germe 


333 


DÉMON    DANS    LA    BILLE    ET    LA    THEOLOGIE   JUIVE 


334 


pas  et  n'y  porte  pas  de  fruit,  Marc,  iv,  15;  Mat  th.,  xm, 
19,  de  peur  que  les  auditeurs,  s'ils  étaient  attentifs  à 
la  parole  jetée  dans  les  cœurs,  ne  soient  sauvés.  Luc., 
vin,  12.  Satan  est  encore  l'homme  ennemi  qui,  après 
que  le  père  de  famille  a  semé  dans  son  champ  la 
bonne  semence,  vient  la  nuit  répandre  l'ivraie  avec  le 
hon  grain.  Cette  ivraie  est  le  symbole  des  méchants, 
semence  du  diable,  qui,  dans  le  royaume  de  Dieu,  se 
trouveront  avec  les  bons  et  y  seront  conservés  jusqu'au 
temps  de  la  moisson,  la  fin  des  temps,  pour  être  alors 
séparés  et  jetés  au  feu.  Matth.,  xm,  24-30,  36-42. 
Lorsque  se  fera  cette  séparation,  exposée  ailleurs 
comme  celle  des  brebis  et  des  boucs  du  troupeau, 
Matth.,  xxv,  32,  33,  les  boucs,  ou  les  méchants,  placés 
à  gauche,  seront  maudits  et  envoyés  au  feu  éternel, 
qui  est  préparé  pour  le  diable  et  pour  ses  anges. 
Matth.,  xxv,  il.  Les  hommes  mauvais  partageront 
donc  le  soit  réservé  aux  démons.  En  suivant  les  inspi- 
rations de  Satan,  ils  appartiennent  à  son  royaume, 
et  en  se  rangeant  à  sa  suite,  ils  méritent  le  même 
châtiment  que  lui.  Satan  avait  demande'"  de  cribler  les 
disciples  de  Jésus  comme  le  moissonneur  crible  le  fro- 
ment. Mais,  tout  en  lui  laissant  le  droit  de  les  attaquer, 
Jésus  a  prié  pour  que  la  foi  de  Pierre  ne  défaille  point 
et  pour  qu'il  confirme  ses  frères.  Luc,  xxn,  31-32. 
Cependant  il  faut  craindre  cet  adversaire,  qui  est 
capable  de  perdre  le  corps  et  l'âme  en  enfer.  Matth., 
x.  28.  Quand  l'esprit  immonde  est  sorti  d'un  homme, 
il  erre  dans  les  lieux  arides  et  y  cherche  le  repos  sans 
le  trouver.  Aussi  cherche4-il  à  rentrer  dans  la  maison 
qu'il  a  quittée,  et  la  trouvant  purifiée  etornée.  il  prend 
avec  lui  sept  autres  esprits  plus  méchants  que  lui;  ils 
pénètrent  ensemble  dans  cet  homme  délivre'-,  et  ren- 
dent son  état  pire  que  le  premier.  Matth.,  XII,  43-45. 
Marie-Madeleine  avait  été  délivrée  de  sept  démons. 
Luc,  vin,  2;  Marc,  XVI,  il.  Parfois  même  les  démons, 
qui  habitaient  dans  un  seul  homme,  s'appelaient 
",  tant  ils  étaient  nombreux.  Marc,  v,  9;  Luc, 
vin,  30,  36.  Us  demandèrent  d'entrer  dans  un  troupeau 
de  porcs,  pour  ne  pas  quitter  la  région.  Marc,  v.  10-16. 
Dana  sis  discours  que  rapporte  le  quatrième  Évan- 
gile, Jésus  est  plus  précis  encore  sur  l'origine  el  la 
nature  du  diable.  Il  appelle  les  Juifs,  qui  refusaient  de 
croii  irole,    les   lils   du    diable,   ses  partisans, 

décidés  à  réaliser  les  désirs  de  leur  père.  Celui-ci  a  été 

I licide  'les   le  commencement  (allusion  à  la  chute 

de  nos  premiers  parents  et  à  l'introduction  de  la  mort 

en  punition  de  leur  faute).  Il  n'esl  pas  demeuré  dans 

li  vérité,  qu'il  avail  posi  -i  la  vérité  n'est-elle 

en  lui,  et  n'est-il  lui-même  qu'un  menteur.  Joa., 

vin.  il.  Par  la  venue  de  Jésus  sur  terre,  le  jugement 

du    monde   est   commencé,  el    le   prince  de  ce  monde 

■  .  xn,  31.  Le  Sauveur  est  entn  i  d 

veille  de  i.i  passion,  le  prince  du 

muiid'    .i  dressé   ses  batteries  contre   lui;  m. us  il  n'a 

p.is  pouvoir  sur  lui.  Joa.,  xiv,  30,  el  il  esl  déjà  jugé. 

xvi.  II. 

on.  —  Notre-Seigm  ur  ■>  donc  reconnu  Pexis- 

des  d é m o i  prou ven I 

qu'il  lei  tenail  ;  i  els,  des  esprits  déchus, 

impurs,  puissants,  i  nnemia  des  hommes  el  tes  propres 

ni  partie  d'un  royaume, 

le  i  bel  ei  les  méchants  sont  les  mem- 

Leur  puii  ubordonnée  qu'elle 

divine  el  incapable  de  Forcer  la  volonté 

humaine  qui   lui  résiste.   Elle  esl   appliquée  au   mal. 

nt  iriii.it.  m  .  esi  le  prlni  e  de  ce 

tnond  que  le  monde  •  si   mauvais  el  (ait 

l"  ■  hé    Mais    I  un  | i   détruire 

•  •  ondamm  I  I  enfer. 
quelque  droil  a  lollii  ifc  r 
'-  au  mal,  i  omma  il  a  h  • 
lui  ne  ne  audronl  pa    i  onti 


les  méchants,  qui  feront  leurs  œuvres,  partageront 
après  le  jugement  dernier  leur  sort  et  seront  con- 
damnés avec  eux  au  feu  éternel,  qui  leur  est  préparé. 
Notre-Seigneur  a  véritablement  affirmé  l'existence  de 
ces  esprits  mauvais,  et  il  est  impossible  de  prétendre, 
avec  quelques  théologiens  protestants,  ou  qu'il  a  par- 
tagé sur  les  démons  les  idées  erronées  de  son  temps, 
ou  qu'il  s'est  accommodé,  dans  son  enseignement,  aux 
idées  régnantes  pour  exprimer  seulement,  sous  cette 
forme  populaire  la  lutte  du  bien  et  du  mal  dans  le 
monde.  Voir  A.  Polz,  Das  Verhidlnis  Clirisli  zu  den 
Dàmonen,  Inspruck,  1907. 

2°  Bans  les  Actes  des  apôtres.  —  La  doctrine  de 
Jésus  sur  les  démons  est  réalisée  dans  les  événements 
de  l'histoire  de  l'Église.  En  application  du  pouvoir  que 
leur  avail  donné  leur  Maître,  les  apôtres  à  Jérusalem 
chassent  les  esprits  immondes.  Act.,  v,  16.  Philippe 
faisait  de  même  à  S  a  ma  rie.  Act.,  vu  i,  7.  Saint  Paul 
guérit  à  Philippes  une  jeune  fille  qui  avait  un  esprit 
de  python,  Act.,  xvi,  16-19,  et  à  Éphèse,  il  chassa  des 
esprits  mauvais.  Act.,  xix,  12.  Un  de  ces  esprits  frappa 
les  sept  fils  de  Scevé,  exorcistes  juifs,  dont  il  ne  recon- 
naissait pas  le  pouvoir,  alors  qu'il  reconnaissait  celui 
de  Jésus  et  de  Paul.  Act.,  xix,  13-16.  Saint  Paul  déclare 
à  Agrippa  que  Jésus  ressuscité,  lui  ayant  apparu,  le 
chargea  de  retirer  les  gentils  de  la  puissance  de  Satan 
et  de  les  ramener  à  Pieu.  Act.,  XXVI,  18.  Satan  avait 
tenté  Ananie  et  l'avait  fait  mentir  au  Saint-Esprit.  Act., 
v,  3.  Barjésu  était  un  fils  du  diable  et  l'ennemi  de  la 
justice.  Act.,  XIII,  10.  Les  Athéniens,  entendant  saint 
Paul  leur  prêcher  une  doctrine  religieuse  qui  leur 
était  inconnue,  disent  qu'il  leur  annonce  de  nouveaux 
démons,  c'est-à-dire  de  nouveaux  dieux.  C'est  l'idée 
grecque  que  les  dieux  païens  étaient  des  démons  ou 
des  esprits;  elle  est  exprimée  par  des  Grecs,  et  saint 
Luc  ne  la  prend  pas  à  son  compte,  en  la  rapportant. 
3°  Dans  les  EpUres  de  saint  Paul.  —  Sur  Satan  et 
les  démons,  l'apôtre  a  exprimé  les  idées  juives  et  chré- 
tiennes. —  1.  Il  s'est  fait  l'écho  de  la  Genèse,  en  rap- 
pelant que  le  serpent  avail  séduit  Eve.  II  Cor.,  XI,  3; 
I  Tim.,  ii,  14.  Cette  première  faute  nous  avait  mis  sous 
la  puissance  des  ténèbres,  et  Dieu  le  Père,  par  la 
rédemption  de  son  Fils,  nous  en  a  rachetés  et  nous  a 
fait  passer  dans  le  royaume  de  son  Fils  bien-aimé. 
Col.,  I,  13,  li.  Jésus  a  détruit  le  décret  qui  était  porté 
contre  nous,  en  l'attachant  à  sa  croix,  et  il  a  enlevé 
aux  principautés  el  aux  puissances  le  droit  qu'elles 
avaient  sur  nous.  Col..  II,  14,  15.  Par  sa  mort,  il  a 
détruit  celui  qui  avait  l'empire  de  la  mort,  le  diable. 
et  il  a  délivré  ceux  qui,  par  crainte  de  la  mort,  étaient 
pour  toule  leur  vie  asservis  à  son  esclavage,  lleb.,  il, 
li.  15.  Les  Ephésiens,  avant  leur  conversion,  vivaient 
dans  le  péché,  marchaient  selon  le  train  du  monde, 
selon  les  inspirations  du  prince  des  puissances  de 
l'air,  de  cet  esprit  qui  agissait  encore  a  cette  époque 
sur  les  hommes  rebelles  a  la  nouvelle  foi.  t. pli.,  n,  1, 
2.  Le  diable  était  donc  le  prince  de  ce  monde.  Il  vou- 
lait maintenir  son  empire,  détruit  par  la  mort  de 
Jésus,  et  il  tendaii  des  pièges  même  aux  chrétiens,  qui 
doivent  revêtir  l'armure  de  Dieu  pour  résister  va 
embûches  du   diable,   lis  ont,  en  effet,  à  lutter,   non 

seulement    contre     la    chair    et     le    sang,     mai 

contre  les  prini  puissances,  contre  les 

verneurs  de  ce  monde  de  ténèbres,  contre  les  esprits 
de  malice.  Eph.,  vi,  11,  12.  il  ne  faut  donc  pas,  dans 
cette  lu  lie,  donner  (le  prise  au  diable.  I  pb..  i\ .  27.  Lea 
époui  ne  doivent  garder  la  continence  entre  eui  que 
pour  un  temps,  de  peur  d'être   tentés  d'incontinence 

tan  i  I  "i ■..  vu.  ■">■  s. uni  Paul  a  pardonné  à  un 
Corinthien  qui  l'avait  offensi  à  cause  des  autres  chré- 
ie  M-,  pour  qui  noua  ne  devenions  pas  les  dupei  da 
Satan,  i  ai  m^  i  lui,  non 

.  n.  10,  11.11  les  tromperait,  en  li     p        ml  ■< 


335 


DÉMON    DANS    LA    BIBLE    KT    LA    TU  KOLOU 1 K    JU1VK 


336 


ne  pas  pardonner,  car  l'absence  de  charité  fraternelle 
est  son  œuvre.  Il  tient  captifs  dans  ses  pièges  et  soumis    , 
à  toutes  ses  volontés,  ceux  qui  résistent  à  la  vérité  el 
qu'il    faul    tirer   de    l'erreur,   en    les    reprenant   avec 
modestie.  II  Tim.,   n,  2.">,  26.   Il  faut  que  l'évéque  ne 
soit  pas   néophyte,   et   qu'il  soit  un   homme  à  qui  on 
rend  bon  témoignage,  de  peur  qu'autrement  il  ne  tombe 
dans  les  pièges  du  diable.  I  Tim.,  ni,  6,  7.  Ceux  qui 
veulent  être  riches  sont  tentés  par  le  diable  et  tombent 
dans  ses  pièges.  I  Tim.,  vi,  9.  Quelques  veuves  sont 
retournées  en  arrière  et  revenues  à  Satan.  I  Tim.,  v, 
15.  Satan,  qui  est  esprit  de  ténèbres,  se  transforme  en 
ange  de  lumière  pour  mieux  tromper.  II  Cor.,  xi,  li. 
Saint  Paul  souhaite  que  le  Dieu  de  la  paix  broie  rapi- 
dement Satan  sous  les  pieds  des  Romains.  Rom.,  xvi, 
20.  Jésus  triomphera  finalement  de  toute  principauté, 
pouvoir  et  vertu,  et  mettra  tous  ses  ennemis  sous  ses 
pieds.  I  Cor.,  xv,  24-,  25.  Les  chrétiens  seront  les  juges 
des  anges  mauvais.  I  Cor.,  vi,  3.  En  attendant,  Satan 
fait  obstacle  à    l'œuvre  de  l'apostolat,  et  il  a  empêché 
l'apôtre  d'aller  à  Thessalonique.  I  Thés.,  il,  18.  L'ai- 
guillon que  l'apôtre  ressent  dans  sa  chair  est  un  ange 
de  Satan.   II  Cor.,   xn,  7.  Mais  les  puissances   et  les 
vertus  adverses  ne  pourront  rien  contre  lui  et  ne  le 
sépareront  pas  de   la   charité  de   Jésus-Christ.  Rom., 
xin,  38,  39.  Au  cours  des  siècles,  plusieurs  abandonne- 
ront la  foi,  croiront  aux  esprits  trompeurs  et  adhére- 
ront aux  doctrines  des  démons.  I  Tim.,  VI,  1.  L'avène- 
ment de  l'Antéchrist,  à  la  fin  des  temps,  sera  l'œuvre 
de  Satan.  II  Thés.,  il,  9.  L'apôtre  livrait  à  Satan  les 
chrétiens   coupables,  laissait  leurs  corps  soumis  à  sa 
puissance,  pour  sauver  leurs  âmes.  I  Cor.,  v,  5;ITim., 
I,  20.  Ainsi  le  serpent  tentateur,  Satan,  était  le  chef  du 
monde  pervers,  le  prince  des  puissances  ténébreuses 
et   des   esprits    qui    habitent   dans   l'air.  Il  tenait  les 
hommes  captifs  dans  le  péché,  et  il  luttait  contre  les 
chrétiens,  en  les  tentant  et  en  leur  tendant  des  pièges. 
Vaincu  par  Jésus,  il  n'a  d'empire  que  sur  ceux  qui  se 
livrent  à  lui,  et  finalement,  sa  puissance  sera  broyée 
sous  les  pieds  de  son  vainqueur. 

2.  Saint  Paul  a  reconnu  dans  le  culte  des  païens  un 
culte  rendu  aux  démons.  Leurs  sacrifices  sont  offerts 
aux  démons  et  non  pas  à  Dieu.  Les  chrétiens  ne  doivent 
pas  manger  des  victimes  immolées  aux  idoles,  pour  ne 
pas  s'associer  aux  démons.  Ils  ne  peuvent  pas  boire  à 
la  coupe  du  Seigneur  et  à  celle  des  démons.  I  Cor.,  x, 
19-21.  Les  chrétiens  ne  doivent  même  pas  avoir  de  rela- 
tions, sinon  celles  qui  sont  absolument  nécessaires,  avec 
les  païens.  La  justice  ne  s'allie  pas  à  l'iniquité;  la 
lumière  n'accompagne  pas  les  ténèbres;  le  Christ  ne 
s'associe  pas  à  Bélial.  II  Cor.,  vi,  15.  Saint  Paul  prend 
comme  un  nom  propre  l'expression  de  Bélial  qui,  dans 
l'Ancien  Testament,  caractérise  les  méchants.  En  l'oppo- 
sant au  Christ,  il  désigne  le  mauvais  par  excellence, 
Satan,  qu'il  tient,  non  certes  pour  le  principe  du  mal 
opposé  au  principe  du  bien,  mais  comme  le  chef  des 
méchants,  le  prince  des  païens,  l'adversaire  irréconci- 
liable du  Christ  qui  l'a  vaincu.  On  peut  en  conclure 
qu'il  le  regardait  comme  le  dieu  qu'adoraient  les 
païens.  Cf.  Dictionnaire  de  la  Bible  de  M.  Vigouroux, 
t.  i,  col.  1551-1562.  Voir  Simar,  Die  Théologie  des  hei- 
ligen  Paulus,  2e  édit.,  Fribourg-en-Brisgau,  1883, 
p.  67-71;  Everling,  Die  paulinische  Angelologie  und 
Dàmonologie,  Gœttingue,  1888. 

4»  Dans  les  Épitres  des  autres  apôtres.  —  Saint 
Jacques  nous  apprend  que  les  démons  croient  en  un 
seul  Dieu,  mais  leur  foi,  parce  qu'elle  est  jointe  en 
eux  aux  actes  mauvais,  ne  leur  profite  pas;  ils  croient, 
mais  ils  s'irritent  contre  le  Dieu  unique,  auquel  ils 
croient,  n,  19.  Il  conseille  de  résister  au  diable,  en 
avertissant  que  cette  résistance  le  fera  fuir,  iv,  7.  Saint 
Pierre,  dans  sa  I"  Épitre,  v,  8,  9,  recommande  la 
sobriété  et  la  vigilance,  vertus  nécessaires  pour  résister 


au  diable,  adversaire  des  chrétiens,  qui  circule  comme 
un  lion  rugissant,  cherchant  qui  dévorer;  la  principale 
force  de  résistance  est  de  demeurer  ferme  dans  la  foi. 
Dans  sa  !!•  Épitre,  II,  4,  il  parle  des  anges  pécheurs,  à 
qui   Dieu   n'a  pas  pardonné,  et  qu'il  a  précipités  dans 
l'abîme,  chargés  des  chaînes  de  l'enfer  pour  être  tour- 
mentés et  réservés  pour  le  jugement.  La  même  mention 
des  anges  prévaricateurs  se  retrouve  dans  l'Épitre  de 
.Inde,  6,  qui  présente  d'ailleurs  une  si  grande  ressem- 
blance avec  la  IIe  de  Pierre.  Ces  anges  n'ont  pas  con- 
servé leur  dignité  première,  mais  ont  abandonné  leur 
demeure.   Dieu   les   a    réservés  pour   le   jugement  du 
grand  jour  dans  des  chaînes  éternelles  et    d'épaisses 
ténèbres.  Or,  saint  Jude,  14,  15,  cite  presque  textuelle- 
ment Hénoch,  i,  9.  Voir  F.  Martin,  op.  cit.,  p.  4.  Aussi 
beaucoup   de  critiques  pensent-ils  que  le  verset  6  est 
emprunté  au  même  livre,  x,  4-6,  aussi  bien  que  le  pas- 
sage correspondant  de  II  Pet.,  n,  4.  F.  Martin,  op.  cit., 
p.  cxvn,  22-23.   Si  l'on  admet  cette  dépendance,  il  en 
résulte  que  les  apôtres,   Pierre  et  Jude,   parleraient, 
comme  le  Livre  d'Hénoch,  des  anges  prévaricateurs  et 
souillés  avec   les    femmes    et   ayant  subi  une  double 
condamnation  :  une  première,  l'enchaînement  préalable 
dans  une  prison  ténébreuse,  et  une  seconde,  la  peine 
du  feu  dans  l'enfer  après  le  dernier  jugement.  Cette 
conclusion  ne  ressort   pas    seulement,    dit-on,   de   la 
ressemblance  et  de  l'emprunt  au  Livre  d'Héuoeh,  mais 
encore  du  contexte  des  deux  Épitres.  Saint  Jude,   en 
effet,  prétend-on,  attribue  aux  anges  le  péché  de  luxure 
puisqu'il  rapproche  leur  faute  de  celle  des  habitants  de 
Sodome  et  de  Gomorrhe,  7,  et  menace  des  mêmes  châti- 
ments ceux  qui  souillent  leur  chair,  8.  De  même,  saint 
Pierre  rattache  au  péché   des  anges  le  déluge  produit 
pour  punir    les    impies,    et  le  péché  des    Sodomites. 
II  Pet.,  n,  5.  Dans  sa  conclusion.   10,  il  renferme  aussi 
les  hommes  adonnés  â  l'impureté.  F.  Lenormant,  Les 
origines  de  l'histoire,  t.  I,  p.  297.  Mais  cette  interpré- 
tation ne  s'impose  pas.  au   moins  pour  la  nature  de  la 
faute  des  anges  et  du  châtiment.  Les  passages  cités  de> 
deux  Épitres  se  ressemblent,  il  est  vrai.  Les  deux  apô- 
tres ont  le  même  but  :  ils  veulent  préserver  les  fidèles 
contre  les  faux  docteurs  et  les  impies  de  l'époque,  et 
ils  citent  des  exemples  historiques  à  l'appui  de  la  leçon 
qu'ils  tirent.   Saint  Jude,  5-7,  rapporte  trois  faits  :  les 
espions  envoyés  par   Moïse  au  pays  de    Chanaan,  les 
anges  prévaricateurs  et  les  crimes  commis  dans  la  Pen- 
tapole.  Il  ne  suit  donc  pas  l'ordre  chronologique.  Saint 
Pierre  a  aussi  trois  exemples,  qui  se  suivent  chronolo- 
giquement :  la  faute  des  anges,  la  punition  des  crimes 
du  monde  primitif  par  le  déluge  et  les  actes  des  So- 
domites. Quelque  soit  l'ordre,  les  exemples  sont  choisis 
en  vue  du  châtiment  et  sans  rapport  direct  avec   la 
nature  des  fautes.  Par  conséquent,   on  ne   peut   rien 
conclure  du  rapprochement  des   péchés  qui  ont  pro- 
voqué le  déluge  et  la  ruine  des  villes  de  la  Pentapole. 
Cette   faute   n'a   pas,  dans  le  texte,  de  rapport  néces- 
saire avec  les  péchés  de  luxure.  D'autre  part,  dans  leurs 
conclusions  morales,  les  deux  apôtres  ne  menacent  pas 
de  châtiments  analogues  les  luxurieux  seuls;  ils  visent 
d'autres  coupables  :  ceux   qui   méprisent   l'autorité   et 
blasphèment  la  majesté.    De   la   variété  des  coupables 
visés  on  peut  inférer  celle  des  fautes  historiques  citées 
en  exemple.  Par  suite  encore,  le  péché  des  anges  n'est 
pas  nécessairement  la  luxure.  Reste  la  dépendance  avec 
le  Livre  d'Hénoch,  qui  rapporte,  lui,  le  châtiment  de- 
anges  qui  se  sont  souillés  avec  les  femmes.  Mais  il  suffit 
de  rappeler  que  les  citations  ne  sont  pas  textuelles,  et 
que,  s'il  y  a  emprunt,  il  n'existe  que  pour  certains  traits, 
concernant  le  châtiment  plutôt  que  la  faute  elle-même. 
D'ailleurs,  pour  saint   Jude,    le   péché  des  anges  qui 
n'ont  pas  conservé  leur  dignité  première  et  ont  aban- 
donné leur  demeure,  correspond  au  mépris  de  la  domi- 
nation du  Seigneur,  second  péché  nommé  au  verset  8. 


337 


DÉMON   DANS   LA   BIRLE   ET   LA   THÉOLOGIE    JUIVE 


338 


Ce  péché  est  donc  plutôt  la  révolte  contre  Dieu.  Quant 
au  châtiment,  il  n'est  pas  double  dans  les  deux  Epitres 
comme  il  est  dans  le  Livre  d'Hénoch;  les  deux  apôtres 
ont  décrit,  en  des  traits  empruntés  à  ce  livre  ou  à  la 
tradition  qu'il  reproduit,  l'unique  peine  des  anges  cou- 
pables :  leur  enchaînement  dans  l'abîme  infernal  jus- 
qu'au jugement.  Ils  parlent  donc  seulement  d'anges 
déchus  et  rebelles,  sans  allusion  à  une  faute  charnelle, 
et  enchaînés  dans  les  ténèbres  de  l'enfer.  De  la  sorte, 
même  en  admettant  la  dépendance  littéraire  de  ces  deux 
Epitres  relativement  au  livre  d'Hénoch,  on  est  en  droit 
de  nier  l'identité  de  doctrine  sur  la  nature  de  la  faute 
et  du  châtiment  des  anges  coupables.  Voir  Robert,  dans 
la  Revue  biblique,  1895,  t.  iv,  p.  52i-527,  546-550.  — 
saint  Jude,  9,  cite  un  passage  qu'on  croit  être  de  l'As- 
somption de  Moïse,  bien  qu'il  n'ait  pas  été  retrouvé  dans 
les  fragments  conservés  de  cet  écrit  du  Ier  siècle  de  notre 
ère.  L'archange  Michel,  en  discutant  avec  Satan  sur  la 
sépulture  de  Moïse,  n'osa  pas  proférer  contre  son  adver- 
saire un  jugement  de  malédiction  ;  il  se  borna  à  dire  : 
«  Que  Dieu  te  commande!  »  L'emprunt  n'est  pas  certain, 
et  on  ignore  l'origine  de  ce  renseignement.  Lueken, 
Michael,  Gœttingue,  1898,  p.  44. 

L'apôtre  saint  Jean  déclare  que  l'homme  pécheur  est 
fils  du  diable,  «  car  le  diable  pèche  depuis  le  commen- 
cement. Mais  le  Fils  de  Dieu  s'est  manifesté  précisé- 
ment pour  détruire  les  œuvres  du  diable.  »  Quiconque 
est  né  de  Dion  ne  pèche  pas  et  ne  peut  pas  pécher.  Les 
enfants  de  Dieu  se  distinguent  donc  des  enfants  du 
diable.  I  Joa.,  m,  8-10.  Gain,  <|ui  égorgea  son  frère 
Abel.  était  Mis  du  malin,  ni,  12.  Il  y  a  donc  deux  caté- 
gories d'hommes,  les  pécheurs  et  les  justes.  Si  ceux-ci 
sont  fils  de  Dieu,  ceux-là  sont  fils  du  diable,  parce 
qu'ils  en  opèrent  les  œuvres.  Le  diable  a  été  le  premier 
pécheur,  et  tous  ceux  qui  pèchent  appartiennent  à  sa 
race.  Précédemment,  l'apôtre  avait  dit  auxjeunes  gens 
qu'ils  avaient  vaincu  le  Mauvais,  n,  13,  14,  c'est-à-dire 
le  diable  ou  Satan,  contre  qui  ils  avaient  dû  soutenir 
des  luttes  pour  professer  la  foi  chrétienne. 

5  Dans  l'Apocalypse.  —  Kn  décrivant  l'état  des  sept 
Eglises  d'Asie  et  les  destinées  futures  de  toute  l'Église 
chrétienne,  saint  .lean  nous  a  fourni  plusieurs  dé- 
tails sur  la  lutte  entreprise  par  Satan  contre  cette 
Eglise.  —  1.  A  Sinyrne,  des  Juifs  qui  forment  une  sy- 
nagogue de  Satan,  persécutent  les  chrétiens,  el  le  diable, 
qui  est  leur  inspirateur,  fera  jeter  plusieurs  fidèle^  en 
prison;  mais  ce  ne  sera  qu'une  épreuve  passagère, 
qu'il  faudra  supporter  avec  courage,  n,  9,  10.  l'ergame 
est  le  trôni  de  Satan,  parce  que  cette  ville  est  le 

t  qu'on  j  portail  les  chrétiens  à  manger 
des  viandes  immolées  aux  idoles,  n.  1,'t,  11.  Des  chré- 
tiens de  Th  y  a  tire  avaient  connu  i  les  profondeurs  de 
Satan  ,  n,  24;  c'étaient  ci-u\  qui  avaient  parts 
doctrine  idolâtrique,  professée  par  la  soi  disant  pro- 
phétesse  lézabel,  20-22.  Philadelphie  possède;  elle 
aussi,  un  ue  de  Satan,  composée  de  Juifs 
menteurs  el  ennemi  de  la  communauté  chrétienne  de 
cette  trille,  ni.  9.  Les  ennemis  el  les  persécuteurs  di  s 
chrétiens  appartiennent  .<  Satan,  parce  qu'ils  son!  mé- 
chants.      2   A   la  cinquié Irompette,   le  puits   de 

l'abîme  fut  ouvert.  Ce  puits  esl  I  empire  de  Satan,  d'où 

m   la  fumée  el  de:   sauterelles.  Celles-ci  étaient 

chargées  de  tourmenter  les  hommes  qui  n'avaient  pas 

di    Dieu    i  Iles  avaient  pour  chef  l'an. 
l'abîme,  nommé  en  hébreu  Abaddon  el  en  grec  Ipol- 
lyon,  tx,  1-11.  Ces  deux  noms  signifient      perdition». 
Abaddon  est  probablement  un  des  noms  di  Satan  el  il 

n  rôle  'i  exu  i  minati  ur  dans  la    i  •  m  di  cette 
vision,  Après   .pic   la   sixième  trompetti    sul   retenti, 

il  i  ordre  d<   di  liei  quali 
sur  II  upl  poui  lui  r  le  tiers  des  hom 

ix.  13  15   <  •  -..ut  quatre  gi  nia  malfaisanti ,  lié 
qu'ils  m  puissent  accomplir  li  de  destruction 


qu'à  l'heure  voulue  de  Dieu.  —  3.  Le  grand  dragpn, 
l'antique  serpent,  qui  est  nommé  diable  et  Satan  et  qui 
a  séduit  le  monde,  se  leva  contre  la  femme  qui  était 
prête  à  enfanter  et  qui  représentait  l'Eglise.  Il  vient  la 
combattre  avec  le  tiers  des  étoiles  du  ciel.  Mais  Michel 
et  ses  anges  combattent  dans  le  ciel  le  dragon  et  son 
armée,  qui  sont  jetés  sur  terre  et  n'ont  plus  de  place  au 
ciel,  xii,  1-9.  Cette  scène  est  décrite  d'après  les  idées 
du  temps  sur  le  dragon.  Il  y  a  une  simple  allusion  à  la 
chute  de  l'antique  serpent  entraînant  peut-être  le  tiers 
des  anges.  Mais  le  combat  entre  les  bons  et  les  mauvais 
anges  concerne  l'Église.  Il  a  lieu  dans  leciel,  parce  quela 
vision  est  céleste;  mais  la  vision  vise  l'avenir  terrestre  de 
l'Égliseetles  luttes  des  bons  anges  avec  les  mauvais  sur 
terre  à  son  sujet.  Le  sens  en  est  donné  par  la  voix  céleste, 
10;  l'accusateur  de  nos  frères,  celui  qui  les  accusait 
jour  et  nuit  devant  Dieu,  a  été  rejeté  du  ciel.  C'est  le 
diable  qui  est  descendu  sur  la  terre  et  la  mer  et  qui 
est  animé  d'une  grande  colère,  parce  qu'il  a  peu  de 
temps  à  poursuivre  les  chrétiens  avant  le  jugement,  12. 
Suit  la  description  de  la  lutte  du  dragon  ou  serpent 
contre  la  femme  ou  l'Église,  13-17.  Ce  dragon  donna 
sa  puissance,  son  trône  et  une  grande  autorité  à  la 
bête  qui  montait  de  la  mer,  c'est-à-dire  à  l'Anté- 
christ, xin,  2,  et  les  hommes  adoraient  le  dra- 
gon et  la  bête,  4.  Des  esprits  impurs  sortent  de  la 
bouche  du  dragon,  de  la  bête  et  du  faux  prophète,  et 
ces  démons  opèrent  des  prodiges  et  rassemblent  les 
rois  de  la  terre  pour  le  combat  du  grand  jour  du  Sei- 
gneur, xvi,  13,  14.  Après  la  victoire  de  l'Agneau,  un 
ange  descend  du  ciel  avec  la  clef  de  l'abîme  et  une 
grande  chaîne  à  la  main.  Il  saisit  le  dragon,  l'antique 
serpent,  qui  n'est  autre  que  le  diable  et  Satan,  et  le  lie 
pour  mille  ans.  Il  le  jelte  dans  l'abîme  qu'il  ferme  et 
scelle  sur  lui,  afin  qu'il  ne  séduise  plus  les  nations. 
Après  mille  ans,  il  sera  délié  pour  quelque  temps,  xx, 
1-3.  Sorti  de  sa  prison,  il  ira  séduire  les  nations  qui 
sont  aux  quatre  coins  de  la  terre  et  les  rassembler  a 
pour  la  guerre  contre  les  saints.  Le  feu  du  ciel  dévo- 
rera son  armée,  et  le  diable  séducteur  sera  jeté  dans 
le  gouffre  de  feu  et  de  soufre  avec  la  bête  et  le  faux 
prophète  el  ils  y  seront  tourmentés  jour  el  nuit  pendant 
tous  les  siècles,  7-10. 

Destraits  de  ces  descriptions  prophétiques  il  reste  à 
dégager  la  doctrinede  saint  Jean  sur  Satan  et  sesanges, 
et  aussi  à  en  déterminer  l'origine.  Il  est  clair  que  le 
dragon,  l'ennemi  de  l'Église,  esl  Satan,  l'antique  serpent, 
le  chef  des  anges  déchus  qu'il  lance  dans  la  lutte  conlre 
les  chrétiens.  Les  Juifs,  ennemis  ,1,.  l'Église,  et  les 
mauvais  chrétiens  lui  appartiennent,  suivent  ses  inspi- 
rations et  accomplissent  ses  œuvres.  Les  idol 
l'adorent  dans  leurs  idoles.  I)anss;i  lutte  contre  l'Église 
il  est  combattu  par  l'archange  Michel  et  les  bons  -m 
Us  contiennent  sa  fureur  et  finalement  il  sera  vaincu 
par  eux.  Enchaîné  dans  l'abîme,  il  reparaîtra  sur  terre 
à  la  lin  des  temps,  recommencera  ses  séductions, 
renouvellera  la  lutte  conlre  les  saints,  mais  sera  enfin 
enfermé  définitivement  dans  l'enfer  pour  y  être  lour- 

ni.    éternellement,   hivers  critiques   modernes  ont 

prétendu  que  l'origine  de--  symboles  de  l'Apocalypsi 
était  babylonienne,  et  qu'en  particulier  le  dragon, 
adversaire  de  l'Église,  était  Tiamat,  le  chaos  priinonli.il 
innifli  .  en  lutte  contre  Mardouk,  le  dieu  créateur. 
Mais  le  monstre  de  l'épopée  cosmologique  s'est  trans 
en  puissance  néfaste  de  l'ordre  moral,  qui  joue  le 
rôle  de  l'adversaire  de  Dieu  dans  le  drame  escnatolo- 
giqui    La  lutte  entre  le  bien  et  le  mal  .i  donc  passé  de 

i  ordre  physique  a  l'ordre  i "al  et  de  Pi  on  «lu 

monde  cosmique!  la  Qn  des  temps.  C  est,  aui  deui  extri 
mités  des  temps  et  dans  deuj  ordres  différents,  le  m 

du  mal  en  lutte  contre  Dieu,  Cf    Qunkel,  Schôp- 

», e/  CAaoi  tu  i  ,  eil  und    Endteit,  Gœttingue, 

^ .  /    !/■.  coIypM 


339 


DEMON   D'APRÈS    LES    PÈRES 


340 


devant  la  tradition  et  devant  In  critique,  Paris,  1905, 
p.  57-63.  Celle  opinion  fait  partie  d'un  système  d'expli- 
cation des  symboles  de  l'Apocalypse,  dont  la  réfutation 
ne  serait  pas  à  sa  place  ici.  Disons  seulement  qu'entre 
l'Apocalypse  et  le  mythe  cosmologique  babylonien,  «  il 
n'j  a  guère  de  commun  que  l'idée  du  combat.  Ce  ne 
sont  pas  des  dieux  que  saint  Jean  nous  montre  en  guerre 
les  uns  contre  les  autres,  mais  des  anges  et  de  pures 
créatures,  et  il  n'entre  dans  aucun  des  détails  que  décrit 
longuement  le  poète  chaldéen.  »  F.  Vigouroux,  La  Bible 
et  les  découvertes  modernes,  6e  édit.,  Paris,  1896,  t.  i, 
p.  227.  L'origine  babylonienne  du  dragon  n'est  pas 
démontrée  et  les  symboles  de  l'Apocalypse,  notamment 
ceux  duc.  xn,  sont  plutôt  d'origine  juive.  Les  Septante 
avaient  traduit  par  dragon  plusieurs  passages  de 
l'Ancien  Testament,  où  il  est  question  du  serpent. 
Exod.,  vu,  12;  Deut.,  xxxn,  33;  II  Esd.,  il,  13;  Ps.  xci 
(xc),  15;  Jer.,  lx,  3i;  Dan.,  xiv,  22,  27.  Bousset,  Die 
Oflenbarung  Johannis,  2e  édit.,  Gœttingue,  1896,  p.  408- 
413;  Swete,  The  Apocalypse  of  St.  John,  Londres, 
1906,  p.  147-155.  La  démonologie  de  l'Apocalypse  ne 
diffère  pas,  pour  le  fond,  de  celle  de  l'Ancien  Testament; 
elle  est  appliquée  seulement  aux  destinées  futures  de 
l'Eglise,  telles  que  les  prévoit  et  les  prédit  le  voyant  de 
Patmos.  Cf.  Swete,  op.  cil.,  p.  clxv-clxvi. 

E.  Haag,  Théologie  biblique,  Paris,  1870,  p.  346-347,  356,  415- 
417,  460-462,  502-506  ;  Ed.  Stapfer,  Les  idées  religieuses  en  Pales- 
tine ii  l'époque  de  Jésus-Christ.  2'  édit.,  Paris,  1878,  p.  67-80; 
Smith,  Dictionary  of  the  Bible,  2"  édit.,  Londres,  1893,  art.  Dé- 
mon, Devil,  t.  I,  p.  750-751,  779;  art.  Satan,  t.JUI,  p.  1143-1149; 
Schenkel,  Bibellexikon,  art.  Satan  und  Dàmonen,  t.  v,  p.  185- 
191;  Lindsay,  Cyclopsedia  of  biblical  literature,  art.  Démon, 
Satan,  t.  I,  p.  659-661;  t.  m,  p.  773-777;  Kirchenlexikon,  art. 
Teufel,  2'  édit.,  t.  xi,  col.  1439-1445;  Hauck,  Healencyclopàdie 
fiir  protestantische  Tlieologie  und  Kirche,  art.  Dàmonen, 
Teufel.  t.  iv,  p.  408-410;  t.  xix,  p.  564-574;  Hastings,  Dictio- 
nary of  the  Bible,  art.  Devil,  Satan,  t.  Il,  p.  590-594;  t.  IV, 
p.  407-412;  Cheyne,  Encyclopxdia  biblica,  art.  Démon,  Satan, 
t.  I,  col.  1069-1074;  t.  iv,  col.  4296-4300;  J.  Schwane,  Histoire 
des  dogmes,  trad.  Degcrt,  Paris,  1903,  t.  i,  p.  xvni-xxi; 
H.  Dulitn,  Die  bôsen  Geister  im  A.  T..  Tubingue,  1904;  Has- 
tings, Dictionary  of  the  Christ  and  the  Gospels,  Edimbourg, 
1906,  t.  i,  p.  438-443;  Oesterley,  The  Demonology  in  the  Old 
Testament,  dans  Expositor,  avril  et  juin  1907,  p.  316-332,  527- 
544;  août  1907,  p.  132-151;  M.  Hagen,  Lexicon  biblicum,  art. 
Daemones.  Draco,  Paris,  1907,  t.  n,  p.  3-10, 114-115;  M.  Hetze- 
nauer,  Theologia  biblica,  Fribourg-en-Brisçau,  1908,  t.  i, 
p.  560-574. 

E.  Mangenot. 

m.  démon  D'APRÈS  LES  PÈRES.  —  Les  réflexions 
que  M.  Bareille  a  faites  au  début  de  son  article  :  Angé- 
lologie  d'après  les  Pères,  t.  i,  col.  1192-1193,  peuvent 
être  répétées  ici.  Les  Pères  n'ont  parlé  des  démons 
qu'en  passant  et  n'ont  publié  aucun  traité  ex  professo 
à  leur  sujet.  Ils  ont,  d'ailleurs,  présenté  souvent  des 
opinions  divergentes,  et  parfois  erronées,  parce  que 
l'Ecriture  et  la  tradition  ne  leur  fournissaient  pas  d'en- 
seignement fixe  sur  la  plupart  des  points  qui  consti- 
tuent la  démonologie.  Beaucoup  ont  subi  l'influence 
des  écrits  apocryphes,  en  particulier  du  livre  d'Ilé- 
noch.  Aussi  plusieurs  sentiments,  qui  semblaient  avoir 
d'abord  prévalu  sur  les  démons,  ont-ils  disparu  à  une 
étude  plus  attentive  de  la  nature  des  anges  déchus  selon 
l'Ëcriture.  —  I.  Dans  les  trois  premiers  siècles.  II.  Du 
ive  au  vie  siècle.  III.  Du  vie  au  xie  siècle. 

I.  Dans  les  trois  premiers  siècles.  —  1°  Les  Pères 
apostoliques.  —  Ils  ne  disent  à  peu  près  rien  sur  la 
nature  des  démons.  Ils  parlent  du  diable,  de  Satan  et 
doses  anges,  mais  seulement  dans  un  but  pratique  pour 
tenir  les  chrétiens  en  garde  contre  leur  pernicieuse 
inlluence.  L'Epitre  dite  de  Barnabe,  parlant  des  deux 
voies,  met  les  anges  de  Dieu  à  la  tête  de  celle  du  bien 
et  les  anges  de  Satan  à  la  tète  de  celle  du  mal.  Si  Dieu 
est  le  Seigneur  des  siècles,  Satan  est  le  prince  du  temps 
présent,    qui  est   un    temps  d'iniquité,    xvm.    Funk, 


Patres  aposlolici,  2-  édit.,  Tubingue,  1901,  t.  i.  p.  90. 
Ses  lecteurs,  qu'on  croit  être  des  Juifs  convertis,  étaient, 
avant  leur  conversion,  un  temple  où  régnait  1  idolâ- 
trie, et  la  maison  des  démons,  parce  qu'ils  faisaient  ce 
qui  était  contraire  à  Dieu,  xvi,  7,  p.  88.  Saint  Ignace 
met  les  Tralliens  en  garde  contre  les  embûches  du 
diable.  AdTrall.,  vin,  1,  p.  248.  Selon  lui,  le  chrétien 
qui  honore  l'évéque  est  honoré  par  Dieu;  celui  qui 
secrètement  agit  contre  l'évéque  sert  le  diable.  Ad 
Smyrn.,  ix,  1.  p.  282.  Dans  les  rapports  avec  le  pro- 
chain, il  faut  imiter  la  bénignité  de  Xotre-Seigneur, 
pour  qu'a  aucune  herbe  du  diable  ne  se  trouve  »  en 
nous.  AdEph.,  x,  3,  p.  222.  Quand  les  fidèles  sont  réu- 
nis nombreux  pour  louer  Dieu,  les  puissances  de  Satan 
sont  sans  force,  et  l'accord  des  chrétiens  dans  la  foi 
fait  disparaître  le  mal  que  Satan  apporte.  Ibid.,  XIII, 
1,  p.  224.  Ignace  ne  redoute  par  les  durs  tourments 
du  diable,  c'esl-à-dire  les  persécutions  des  méchants, 
pourvu  qu'il  soit  uni  à  Jésus-Christ.  Ad  Rom.,  v,  3, 
p.  258.  Satan  apparaît  donc  comme  l'adversaire  de 
Dieu  et  des  chrétiens,  et  celui  qui  porle  au  mal  et  fait 
le  mal.  Parlant  des  docètes,  l'évéque  d'Antioche  semble 
dire  qu'après  leur  mort,  quand  ils  seront  sortis  de 
leurs  corps  et  devenus  comme  des  démons,  ils  n'au- 
ront pas  part  à  la  résurrection  glorieuse  du  Christ. 
Ad  Smyrn.,  Il,  p.  276.  Il  tient  donc  les  démons  comme 
incorporels.  Cf.  ibid.,  m,  2.  L'auteur  de  la  11*  ad  Cor., 
xvm,  2,  p.  208,  craint  le  jugement  des  impies,  parce 
qu'il  est  pécheur,  qu'il  n'a  pas  encore  fui  toutes  les 
tentations  et  qu'il  est  çncore  au  milieu  des  organes  du 
diable.  Le  diable  est  donc  pour  lui  l'esprit  tentateur, 
qui  pousse  au  mal.  Hermas,  dans  le  Pasteur,  Mand., 
VII,  i,  2,  3,  p.  490,  recommande  de  ne  pas  craindre 
le  diable;  celui  qui  craint  le  Seigneur  dominera  le 
diable,  qui  n'a  aucun  pouvoir  sur  lui.  Mais  il  faut 
craindre  les  œuvres  du  diable,  qui  sont  mauvaises. 
Celui  qui  craint  le  Seigneur  craint  les  œuvres  du 
diable;  il  ne  les  accomplit  pas,  mais  s'en  abstient. 
Ailleurs,  rîermas  dit  que  ceux  qui  marchent  dans  les 
commandements  du  diable  doivent  se  convertir,  parce 
que  ces  commandements  sont  difficiles,  amers,  durs 
et  impurs.  Il  répète  que  les  chrétiens  n'ont  pas  à 
craindre  le  diable,  qui  n'a  sur  eux  aucun  pouvoir.  Le 
diable  veut  faire  peur,  mais  la  peur  qu'il  inspire  est 
vaine.  Si  on  ne  le  craint  pas,  il  s'éloigne.  Mand.,  XII. 
iv,  6,  7,  p.  51  1,  516.  Le  diable  est  dur  pour  ceux  qui 
lui  obéissent  et  il  les  opprime.  Mais  il  ne  peut  domi- 
ner les  serviteurs  de  Dieu.  11  peut  les  attaquer,  mais 
pas  les  vaincre.  Si  on  lui  résiste,  il  fuit  vaincu  et  con- 
fus. Ils  sont  vains  ceux  qui  le  craignent  comme  s'il 
était  puissant.  Le  diable  tente  les  serviteurs  de  Dieu. 
Ceux  qui  ont  une  foi  pleine  lui  résistent  fortement,  et 
il  s'éloigne  d'eux,  n'ayant  plus  de  piace  par  où  entrer. 
Il  va  alors  vers  ceux  qui  sont  vains,  il  trouve  un  en- 
"droit  par  où  entrer,  et  il  fait  en  eux  ce  qu'il  veut,  et 
ils  deviennent  ses  esclaves.  C'est  pourquoi  l'ange  de  la 
pénitence  recommande  de  nouveau  de  ne  pas  crain- 
dre le  diable.  Dieu  apardonné  aux  coupables  repentants, 
et  les  menaces  du  diable  ne  sont  pas  à  redouter;  il  est 
sans  force  comme  les  nerfs  d'un  homme  mort.  Mand., 
XII,  v,  1-i;  vi,  1,  2,  p.  516,  518.  Tous  ceux  qui  ont 
lutté  avec  le  diable  et  l'ont  vaincu  seront  couronn* '■>: 
ce  sont  ceux  qui  ont  souffert  pour  la  loi.  Sim.,  VIII, 
ni,  6,  p.  562.  Ces  considérations  morales  nous  présen- 
tent le  diable  comme  l'adversaire  et  le  tentateur  des 
chrétiens,  mais  un  adversaire  qu'ils  peuvent  vaincre  et 
qui  n'a  de  pouvoir  que  sur  ceux  qui  font  ses  œuvres. 
2°  Les  Pères  apologistes.  —  Tandis  que  les  Pères 
apostoliques  ne  font  guère  que  signaler  l'existence  du 
diable  et  son  rôle  de  tentateur  à  l'égard  des  hommes, 
et  demeurent  ainsi  dans  la  ligne  des  Evangiles,  les 
Pères  apologistes  traitent  explicitement  de  la  nature 
des  anyes  déchus  et  de  leur  chute;  mais  ils  subissent 


341 


DEMON    D'APRÈS    LES    PÈRES 


342 


visiblement  l'influence  du  livre  d'Hénoch  et  du  livre  des 
Jubilés  ainsi  que  des  idées  grecques  sur  les  démons. 
Ils  sont  loin,  du  reste,  d'être  d'accord  sur  tous  les 
points,  et  ils  suivent  des  voies  différentes. 

Saint  Justin,  s'adressant  aux  païens  dans  ses  Apo 
logies,  ne  s'exprime  pas  sur  les  démons  de  la   même 
manière  que  dans  son  Dialogue  avec  Tnjphon,  parce 
que   ses  sources  sont  diverses.  Il  dit  que  les  démons 
manifestent  leur  existence  par  des  impuretés,  commises 
sur  des  femmes  et  des  enfants,  par  des  terreurs  répan- 
dues parmi  les  hommes.  Ceux-ci,  épouvantés,  ignorant 
que  c'étaient  des  démons,  les  appelèrent  dieux  et  don- 
nèrent à  chacun  d'eux  un  nom  particulier.  Apol.,  I,  5, 
P.  G.,  t.  vi,  col.  336.  Quand  Justin  expose  la  doctrine 
des  chrétiens  sur  les  démons,  il  se  réfère  à  l'Ecriture 
et  il  déclare  que  le  prince  des  mauvais  démons  est  le 
serpent,  Satan  ou  le  diable.  Jésus-Christ  a  affirmé  qu'il 
serait  précipité   dans  le  feu  avec  son  armée  et  livré  à 
des  tourments  éternels.  Si  leur  châtiment  est  retardé, 
c'est  à  cause  du  genre  humain.  Ibid.,  28,  col.  372.  Avant 
Jésus-Christ,  les  démons   ont    introduit  sur  terre  les 
dieux,  les  fils  de  Jupiter,  Bacchus,  Proserpine,  l'adora- 
tion du  serpent,  les  lustrations,  par  imitation  de  l'Écri- 
ture sainte.  Après  l'ascension,  ils  ont  envoyé  des  trom- 
peurs, Simon.  Ménandre,  Marcion,  etc.,  et  toutes   les 
erreurs  qui  circulaient  alors.  Ibid.,  23-27,  56-58,  62, 
col.  368,  372.  413,  416,  421,  425.  Dans  VApol,  il,  5, 
col.  452-453,  Justin  raconte  la  chute  des  anges.  Dieu 
avait  confié  aux    anges    la   charge   de   veiller   sur   les 
hommes  et  sur  toutes  les  créatures;  mais  ils  ont  trans- 
ie l'ordre  que  Dieu  avait  établi.  Ils  ont  eu  commerce 
charnel  avec  des  femmes  et  en  ont  eu  des  fils,  nommés 
démons.  Ils  mirent  ensuite  le  genre  humain  sous  leur 
joug  par  la  magie,  des  terreurs  et  les  sacrifices  qu'ils 
ut  offrir,  et  ils  répandirent  dans  l'humanité 
les  violences,  les  guerres,  les  adultères  et  tous  les  vices. 
Les  poètes  et  les  fabulistes  ignorant  que  les  anges  et  les 
démons,  mâles  et  femelles,  engendrés  par  eux,  avaient 
répandu  ces  maux  dans  les  villes  el  parmi  les  nations, 
ont  attribué  ces  œuvres  mauvaises  aux  dieux  et  à  leurs 
lils.  Ils  appelaient  dieux  les  anges  déchus  et  ceux  qui 
étaient   nés   deux.   Ces   traits  répondent   évidemment, 
-ères  dillérences,auxélucubrations  des  Livres 
lubilés  et    d'Hénoch   et    n'ont   rien  de   commun 
avec  l'enseignement  de  la  Bible.  Du  reste,  les  démons 
■■ni  les  bom 9  bons  et  vertueux,  et  en  particu- 
lier les  chrétiens  qu'ils  détestent.  Ils  provoquent  contre 
■ci  la  persécution;  ils  ont  fait  porter  les  lois  persécu- 
trices et  ils  poussent  les  magistrats  ■<  poursuivre  les  chré- 
Mais  eux  et  ceux  qui  les  honorent  seront  enfermés 
ibironl  les  peines  qu'ils  onl  méritées  '•!  des  supplices 
dans  le  feu  éternel.  Les  prophètes  l'ont  prédit  el  Jésus 

13,  col.  144,  457,  160,   (65, 
Dans  le  Dialogue  avec  Tryphon,  la  doctrine  sur  les 
■     el    sur  le  diable   est    exclusivement  tiréi 
l'Ecriture.  Le  diable  a  recouru  à  des  ait.  rations  pour 
tromper  les  hommes;  il  a  agi  .hum  par  le  moyen  des 
'"  igii  :  par  les  faux  prophètes  du  temps 

d'1  lie,  69,  col.  636,  Tryphon  reproche  à  Justin  de  dire 
que  ■  q|  -,  p ,,,..  ,],.  Dieu, 

mal  i  i  criture,  Justin  prouve  l'exla- 
pai   ls..  xx\.  i  5;  /.,,  h  ,  m. 
I .  Job,  1,6;  le  serpent  de  la  Genèse,  les  magi  id  I  jjypte, 
!••-  l.\  X       l       dii  i    di     nations 
Poui   prouver  que  Jésus  Chri 
lustin  dit  que  la  seule  adjura- 
tion de  ion  nom    luffll  poui   vaincre  les  démons,  85, 
876.  H  déclare  q  al  ..  amené  1 1 

100,  col.  709.  Jésus-Chrl 
'  e  dominé  par  le  mauva  nous 

ii   qn  ■'  notre  moi  t, 
il  ne  prenne  p  me.  Il  ■>  pouvoil 

comme  le  montre  i  histoire  de  la  i  d  i  ndoi 


105,  col.  721.  Le  texte  :  Sicut  unus  de  principibus  ca- 
dilis,  Ps.  lxxxi,  7,  que  Justin  entend  de  la  mort  des 
hommes,  lui  sert  de  point  de  départ  pour  prouver  la 
chute  de  Satan.  Ce  prince,  qui  a  fait  une  grande  chute, 
c'est  celui  qui  est  appelé  le  serpent;  et  il  a  fait  une 
grande  chute  en  trompant  Eve,  124,  col.  765.  M.  Tur- 
mel,  Histoire  de  l'angélologie,  dans  la  Revue  d'/iis- 
toire  et  de  littérature  religieuses,  1898,  t.  ni,  p.  290, 
interprète  ce  passage  dans  ce  sens  :  «  En  induisant 
l'homme  dans  le  péché,  Satan  pécha  lui-même,  et  en 
causant  la  perte  du  genre  humain,  lui-même  se  per- 
dit. »  Il  attribue  ainsi  à  saint  Justin  l'explication  de  la 
chute  de  Satan  par  la  jalousie,  explication  qui  fut 
«  classique  »,  ajoute-t-il,  p.  291,  pendant  un  certain 
temps.  Celte  interprétation  est  particulièrement  forcée. 
Saint  Justin  parle  seulement  de  l'introduction  de  la 
mort  dans  l'humanité,  introduction  qui  est  due  à  la 
tromperie  d'Eve  par  le  serpent,  et  s'il  fait  consister  la 
chute  de  Satan  dans  cette  tromperie  (ce  qui  n'appa- 
raît pas  clairement),  il  n'en  dit  pas  le  motif  et  il  n'in- 
sinue même  pas  la  jalousie  du  serpent.  Quoi  qu'il  en 
soit,  M.  Tunnel  n'a  pas  remarqué  la  référence  scrip- 
turaire  au  Ps.  lxxxi,  7,  pour  prouver  la  chute  de  Satan. 
Cf.  Histoire  de  la  théologie  positive,  Paris,  1904, 
p.  115.  Les  chrétiens  sont  persécutés  par  les  démons 
et  l'armée  du  diable,  par  le  ministère  des  Juifs,  131, 
col.  780.  Si  les  hommes  et  les  anges  doivent  être  punis, 
c'est  parce  que  Dieu  a  prévu  qu'ils  seraient  mauvais,  et 
non  pas  parce  qu'il  les  a  fait  tels.  S'ils  faisaient  pénitence, 
ils  obtiendraient  miséricorde,  141,  col.  797.  Ce  texte 
signifie  que  les  démons  et  les  damnés  ne  feront  pas  pé- 
nitence et  par  suite  seront  punis;  il  ne  veut  pas  dire  que 
Dieu  a  offert  aux  démons  le  moyen  de  faire  pénitence. 

Saint  Irénée,  Cont.  User.,  1.  V,  c.  xxvi,  n.  2,  P.  G., 
t.  vu,  col.  1194,  rapporte  un  passage  d'un  ouvrage  in- 
connu de  saint  Justin.  Celui-ci  y  déclare  qu'avant 
l'avènement  de  Jésus-Christ,  Satan  n'a  pas  osé  blas- 
phémer Dieu,  parce  qu'il  ne  connaissait  pas  encore  sa 
condamnation.  Eusèbe  a  reproduit  ce  fragment  d'après 
saint  Irénée,  H.  E.,  I.IV,c.  xvm,  P.  G.,  t.  xx,  col.  376. 
Ce  témoignage,  nous  le  verrons,  a  été  souvent  cité  au 
moyen  âge  par  les  écrivains  grecs.  Voir  col.  377-379. 

Selon  Tatien,  Oral,  adrersus  Grœcos,  n.  7,  ibid., 
col.  820,  821,1e  Verbe  de  Dieu  a  créé  les  anges  avant 
les  hommes;  il  a  créé  les  uns  et  les  autres  libres.  Deve- 
nus mauvais,  les  démons  sont  punis  de  leur  malice;  ils 
ne  sont  donc  pas  nécessairement  mauvais.  Les  hommes 
onl  suivi  un  des  mauvais  anges,  le  plus  rusé  et  qui  es! 
plus  ancien  qu'eux,  el  malgré  la  loi  de  Dieu,  ils  l'ont 
pris  pour  Dieu.  L'homme,  fait  à  l'image  de  Dieu,  est  de- 
venu mortel,  l'esprit  supérieur  à  lui  (c'est-à-dire  l'image 
de  Iheu,  cf.  n.  12,  col.  829),  qui  est  en  lui,  s'éloignant 
de  lui.  Le  démon,  qui  était  avant  l'homme,  a  manifesté 
son  existence  par  la  faute  qu'il  a  fait  commettre.  Tatien 
semble  dire  que  le  démon,  qui  était  protogène  relati- 

ut  à  l'homme,  a  montré  sa  malice  en  faisant  pécher 

l'homme  :  ce  qui  signifierai!  que  le  démon  avait  péché 
déjà  a\ant  la  tentation  de  l'humanité,  sans  que  rien 
n'indique  la  nature  de  son  péché.  Ceux  qui  onl  imité 
la  folie  du  démon  sont  devenus  l'armée  des  démons  el 
ont  été  livrés  à  la  folie  par  leur  propre  volonté.  Les 
démons  onl  été  l'occasion  de  ls  chute  des  hommes. 
Comment?  Par  l'invention  de  l'astrologie.  Les  démons 
oui  montré  aux  hommes  quelle  était  la  position  des 
asti  es,  el  de  cette  connai  ince  les  hommes  ont  conclu 
,.  l'existence  du  destin,  n,  8,  9,  col.  822,  B24.  Jupiter 
eel  le  chel  des  démons,  au   heu  d'adorei   les  démon 

trompent,  les  chrétiens  adorent  Dieu  qui  m 
trompi  ■  luanl   I   la    uaturi 

démon  ni    des  êtres  composes  de  matière  ,i 

■  •m  poi  tés  vers  la  matlèi  e  la  plus 
pure,  les  autres  vers  la  plus  vile,  A   laquelle  ils  ont 

conforme   leur  vil     I        Gl  id    I    ni  ceux  qui  se  sont 


343 


DEMON    D'APRÈS    LES    PERES 


344 


ventes  du  bon  ordre.  Insensés  et  animés  de  vaine 
gloire,  rompant  tout  frein,  ils  se  sont  efforcés  d'être 
des  voleurs  de  la  divinité,  ).r\axaï  Oeôt-^to;  (ils  se  sont 
l'ait  passer  pour  dieux).  Le  Seigneur  a  permis  qu'ils 
trompent  les  hommes  jusqu'à  la  lin  du  monde  et  jus- 
qu'au jugement  dernier.  Quiconque,  bien  qu'il  ait  été 
attaqué  par  les  démons,  a  gardé  la  connaissance  par- 
faite de  Dieu,  recevra  au  jugement  un  meilleur  témoi- 
gnage, parce  qu'il  a  lutté,  n.  12,  col.  832.  Les  erreurs 
des  païens  sont  des  stratagèmes  des  démons,  col.  833. 
Les  démons  ont  subjugué  les  Grecs  et  les  ont  dominés, 
comme  un  voleur  se  met  à  la  tête  de  ses  pareils.  Par- 
venus à  une  plus  grande  malice,  ils  ont  trompé  les 
âmes.  Ils  ne  meurent  pas,  puisqu'ils  sont  sans  chair; 
mais,  tout  en  vivant,  ils  connaissent  la  mort.  Ils  meu- 
rent, lorsqu'ils  apprennent  à  leurs  sectateurs  à  pécher. 
Parce  qu'ils  ne  meurent  pas  réellement  comme  les 
hommes,  ils  auront  à  subir  un  plus  fort  supplice  :  ils 
n'auront  pas  la  vie  éternelle,  mais  ils  subiront  la  mort 
dans  leur  immortalité.  Ils  pèchent  plus  que  les  hom- 
mes, parce  qu'ils  vivent  plus  longtemps,  n.  14,  col.  836, 
837.  D'autre  part,  les  démons,  qui  commandent  aux 
hommes,  ne  sont  pas  les  âmes  des  hommes.  L'homme, 
après  sa  mort,  n'a  pas  plus  de  puissance  que  de  son 
vivant.  C'est  par  malice  qu'ils  poursuivent  les  hommes, 
les  pervertissent  et  les  portent  au  mal  par  de  fausses 
manœuvres  très  variées.  Ils  sont  vus  parfois  par  les 
psychiques,  et  ils  se  montrent  souvent  sous  des  appa- 
rences humaines,  soit  afin  d'être  tenus  pour  quelque 
chose,  soit  pour  que  leurs  amis,  mal  inspirés  par  eux, 
puissent  nuire  aux  autres,  soit  pour  amener  ceux  qui 
leur  ressemblent  à  les  honorer.  S'ils  le  pouvaient,  ils 
pervertiraient  le  ciel  avec  les  autres  créatures.  Ne  le 
pouvant  pas,  ils  attaquent  la  matière  qui  leur  est  sem- 
blable  et  inférieure.  Pour  les  vaincre,  il  faut  donc  répu- 
dier la  matière.  Ils  s'attribuent  les  causes  de  nos  mala- 
dies; parfois,  ils  frappent  notre  corps  par  malice.  Mais 
atteints  par  la  vertu  de  Dieu,  ils  s'en  vont  épouvantés, 
et  le  malade  est  guéri,  n.  16,  col.  840,  841.  Ils  pro- 
mettent en  vain  de  rendre  la  santé  par  des  moyens 
magiques;  ils  joignent  de  bons  remèdes  aux  mauvais, 
ils  trompent  et  ne  guérissent  personne,  n.  17,  18, 
col.  841,  844.  Ils  Ilattent  les  passions  par  leurs  œuvres 
et  leurs  prédictions,  n.  19,  col.  849.  Ils  ont  été  exclus 
du  ciel,  n.  20,  col.  852.  Tatien,  en  se  convertissant,  a 
compris  qu'il  était  délivré  de  beaucoup  de  princes  et 
de  tyrans,  n.  29,  col.  868. 

Athénagore,  Legatio  pro  clirislianis,  n.  23,  24,  ibid., 
col.  941,  9i4,  945,  948,  compare  la  doctrine  des  païens 
sur  les  démons  à  celle  des  chrétiens.  Les  païens 
admettent  l'existence  de  dieux  bons  et  de  dieux  mauvais, 
et  ils  appellent  démons  ceux  qui  agissent  parle  moyen 
des  idoles.  Thaïes  le  premier  a  distingué  Dieu,  les 
démons,  les  héros  :  les  démons  sont  de  nature  spirituelle, 
oùuia;  voeï  •\i-jyiv.kz;  les  héros  sont  des  âmes  séparées 
des  corps.  Platon  a  refusé  de  se  prononcer  sur  les 
démons.  Les  chrétiens  reconnaissent  en  dehors  du  Père, 
du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  d'autres  Suvàixei;,  tte^'i  ttjv 
ûXï)v  àyoùira;  xa\  St'  otJttjç.  Une  de  ces  puissances  est 
àvu'Oeov,  adverse  de  Dieu,  non  pas,  comme  l'a  dit  Em- 
pédocle,  comme  la  nuit  l'est  au  jour,  mais  parce  qu'au 
bien  de  Dieu,  qui  coexiste  en  elle,  s'est  ajoutée  une  pro- 
priété, comme  la  couleur  s'ajoute  au  corps,  qui  la  rend 
contraire  à  Dieu.  Cet  esprit,  ennemi  de  Dieu,  a  été  fait 
par  Dieu  comme  les  autres  anges,  et  il  avait  été  chargé 
de  veiller  à  la  matière  et  aux  choses  matérielles.  Dieu,  en 
effet,  avait  créé  les  anges  pour  gouverner  toutes  choses. 
Il  y  en  a  de  bons  et  de  mauvais.  Tandis  que  les  uns 
ont  persévéré  librement  dans  la  charge  que  Dieu  leur 
avait  confiée,  d'autres  ont  abusé  et  de  leur  nature  et  de 
leur  charge.  Ces  données  sont  conformes  à  celles  du 
Livre  des  jubilés.  En  particulier,  le  prince  de  la  nature 
et  des  choses  de  la  nature,  et  ceux  qui  étaient  établis 


sur  le  premier  firmament  (Athénagore expose  ce  qu'ont 
dit  les  prophètes;  évidemment  lli'nochj  sont  déchus. 
Le  prince  a  été  négligent  et  coupable  dans  l'adminis- 
tration de  sa  charge;  les  autres  ont  été  attirés  par  li  - 
femmes  et  dominés  par  l'amour  charnel.  D'eux  sont 
nés  les  géants,  dont  les  poètes  ont  parlé.  Ces  an 
tombés  du  ciel,  vivent  dans  l'air  et  sur  terre  et  ne 
peuvent  pas  s'élever  au  ciel.  Les  âmes  des  géants,  qui 
errent  autour  du  monde,  sont  des  démons,  et  ils 
excitent  des  troubles.  Les  géants  sont  démons  par  la 
nature  et  la  constitution  qu'ils  ont  tirée  de  leur  origine; 
les  anges  tombés  sont  démons  en  raison  des  passions 
qu'ils  ont  ressenties.  Le  principe  de  la  matière  agit,  on 
le  voit  par  ses  actes,  à  rencontre  du  bien  de  Dieu. 
Euripide  et  Aristote  l'ont  dit.  Parce  que  les  démons 
produisent  des  troubles,  quelques  hommes  irréfléchis 
ont  nié  l'ordre  du  monde,  n.  25,  col.  948-949.  Les 
démons  favorisent  l'idolâtrie;  ils  s'attachent  au  sang 
des  victimes  et  le  lèchent.  Les  dieux,  dont  les  noms 
sont  donnés  aux  idoles,  furent  des  hommes.  Les  démons 
ont  pris  leurs  noms  pour  les  donner  aux  idoles.  Leurs 
actes  montrent  leur  malice.  Ils  agissent  par  le  moyen 
des  statues  ;  ils  ne  sont  pas  ceux  à  qui  on  dresse  des 
statues,  n.  26,  col.  949,  951.  Cf.  n.  28.  29,  col.  953-957. 
où  Athénagore  prouve  que  les  dieux  étaient  des  hommes. 
Les  démons  emploient  des  artifices  pour  faire  croire 
qu'ils  opèrent  des  guérisons,  n.  27,  col.  952. 

Pour  saint  Théophile  d'Antioche,  les  dieux  sont  aussi 
des  hommes  morts;  on  le  voit  par  ce  qu'on  raconte  de 
leurs  générations.  AdAutolyc.,l.  I,  n.  9;  1.  II,  n.  2,i6id., 
col.  1037,  1049.  Au  sujet  de  la  chute  de  l'homme  et  du 
rôle  du  serpent  tentateur,  il  se  borne  à  citer  le  récit 
biblique,  1.  II,  n.  21,  col.  1084-1085.  Il  dit  un  peu  plus 
loin  que  Dieu  avait  prévu  que  la  multitude  des  dieux, 
qui  n'existent  pas,  serait  introduite  dans  le  inonde  par 
le  serpent.  Celui-ci  a  répandu  l'erreur  polythéiste,  en 
disant  à  Eve  :  «  Vous  serez  comme  des  dieux.  »  Eve 
fut  trompée  par  le  serpent.  Le  démon  est  donc  la  cause 
du  mal;  il  est  Satan,  puisqu'il  parlait  par  le  serpent. 
Il  est  aussi  nommé  le  dragon,  parce  qu'il  s'est  éloigné 
de  Dieu  par  la  fuite.  Il  avait  été  ange  dès  le  commence- 
ment. Il  y  aurait  beaucoup  à  dire  sur  lui;  Théophile 
l'a  fait  ailleurs,  n.  25,  col.  1096,  1097.  Lorsqu'il  parle 
du  déluge,  1.  III,  n.  18, 19,  col.  1 145,  il  ne  dit  rien  de  sa 
cause  morale  et  de  la  corruption  qui  l'a  amené. 

Sans  vouloir  trancher  ici  la  date  de  YOctavius,  ni  la 
patrie  de  son  auteur,  Minucius  Félix,  nous  joindrons 
son  témoignage  sur  les  démons  à  celui  des  apologistes 
du  ne  siècle.  Traitant  des  augures,  qui  sont  menteurs, 
il  parle  des  esprits  trompeurs,  vagabonds,  dégradés  de 
leur  vigueur  céleste  par  les  fautes  et  les  passions  ter- 
restres. Ayant  perdu  la  simplicité  de  leur  nature  et 
chargés  de  vices,  ils  cherchent,  pour  se  consoler  de 
leurs  malheurs,  à  perdre  les  autres,  et  séparés  eux- 
mêmes  de  Dieu,  à  en  éloigner  les  autres  par  de  faux 
actes  de  religion.  Les  poètes  les  appellent  démons,  les 
philosophes  en  parlent,  Socrate  en  avait  un  spécial, 
les  mages  font  par  eux  leurs  prestiges.  Oclavius,  26. 
P.  L.,  t.  m,  col.  321-323.  Ces  esprits  impurs  se  cachent 
sous  les  statues  et  les  images  des  dieux  païens.  Ils 
agissent  par  leur  intermédiaire,  trompent  leurs  secta- 
teurs, mais  fuient  les  chrétiens.  lbi>L,  27,  col.  323-327. 
Minucius  Félix  dépend  évidemment  de  la  tradition  du 
livre  d'ilénoch  pour  ce  qui  concerne  l'origine  et  la 
nature  des  démons. 

3°  Les  hérétiques  du  w  siècle.  —  Les  gnostiques  ont 
fait  entrer  des  anges  bons  et  mauvais,  ou,  au  moins, 
un  principe  du  mal,  dans  les  séries  de  leurs  Éons. 
Leurs  doctrines  s'écartent  tellement  de  l'Écriture  et  du 
sentiment  commun  des  chrétiens  qu'il  est  inutile  de 
les  exposer  :  elles  ne  nous  apprendraient  rien  sur  les 
diluons.  Plusieurs  faisaient  de  Satan  le  principe  du 
mal.  Iléracléon  disait  que  le  diable  n'était  pas  libre,  et 


345 


DÉMON    D'APRÈS    LES    PÈRES 


346 


au  rapport  d'Origène,  In  Joa.,  tom.  xx,  n.  22,  P.  Gt.r 
t.  xiv,  col.  637,  640,  qu'il  était  plus  malheureux  que 
blâmable,  puisqu'il  était  porté  au  mal  et  menteur  de  sa 
nature.  Dans  un  passage  de  son  commentaire  sur 
l'Évangile  de  saint  Jean,  cité  par  Origène,  In  Joa., 
tom.  xni,  n.  59,  ibid.,  col.  516,  Héracléon  reconnaissait 
dans  le  serviteur  du  centenier  les  anges  du  créateur  du 
monde,  par  conséquent  des  esprits  mauvais,  Satan  et 
ses  anges,  et  il  se  demandait  à  leur  sujet  si  quelques- 
uns  seront  sauvés,  il  s'agit  de  ceux  qui  sont  descendus 
vers  les  femmes.  Ainsi  Héracléon  admettait  la  faute 
charnelle  de  quelques  anges  et  il  posait  la  question  de 
la  possibilité  de  leur  salut.  Cf.  P.  G.,  t.  vil,  col.  1316; 
Brooke,  The  fragments  of  Héracléon,  dans  Textes  ami 
Studies,  Cambridge,  1891,  t.  i,  n.  4,  p.  93. 

4°  Saint  1  renée.  —  L'évêque  de  Lyon  parle  souvent 
de  l'apostasie  des  anges  transgresseurs.  Vont,  hser., 
1.  I.  c.  x.  n.  3,  P.  G.,  t.  vu,  col.  556.  Il  distingue  le 
serpent  maudit  et  les  anges  apostats,  pour  qui  a  été 
préparé  le  feu  éternel,  quoique  ce  feu  ait  été  surtout 
préparé  pour  le  séducteur,  qui  a  été  cause  de  la  chute 
de  l'homme,  1.  III,  c.  xxm,  n.  3,  col.  963.  Adam  a  été 
séduit  sous  prétexle  d'immortalité,  n.  5,  col.  963.  Le 
serpent  a  persuadé  l'homme,  l'a  rendu  transgresseur, 
inûium  et  materiam  sux  aposlasix  habens  homir 
ncm,  n.  8,  col.  965.  Ces  mots  obscurs  veulent-ils  dire 
que  Satan  a  péché,  en  faisant  pécher  l'homme? 
D'autres  passages  en  préciseront  le  sens.  Le  serpent 
est  l'ange  apostat  et  ennemi,  qui  sème  l'ivraie  dans  le 
champ  du  père  de  famille;  il  a  jalousé  la  créature  de 
Dieu  et  il  a  cherché  à  la  faire  l'ennemie  de  Dieu.  C'est 
pourquoi  Dieu  l'a  séparé  de  lui  eta  reporté  sur  le  serpent 
l'inimitié  de  l'homme,  I.  IV,  c.  xl,  n.  1,  2,  col.  1113- 
1 1 1 î  Les  anges  du  diable  sont  réservés  au  feu  éternel, 
et  tous  ceux  qui  sont  séparés  de  Dieu  appartiennent  à 
ce  prince  de  la  transgression.  Le  diable  est  une  créature 
de  I  »ieu  comme  les  autres  anges,  lia  élé  pour  lui-même 
et  pour  les  autres  cause  de  séparation  d'avec  Dieu.  Aussi 
l'Écriture  appelle-t-elle  (ils  du  diable  et  anges  mauvais 
ceux  qui  persévèrent  dans  l'apostasie,  c.  xi.i,  n.  1,  2, 
col.  1115.  Le  serpent  s'est  montré  l'ennemi  de  Dieu. 
Son  nom  de  Satan  est  un  mol  hébreu  qui  veut  dire 
apostat.  Après  qu'il  eut  persuadé  à  l'homme  de  trans- 
gresser le  précepte  de  son  créateur,  il  a  eu  l'homme 
sa  puissance,  I.  V,  c.  x\i.  n.  -2.  3,  col.  1181,  1182. 
Le  diable,  qui  esl  un  ange  apostat, a  séduit  l'homme,  l'a 
détourné  d'obéir  au  précepte  de  Dieu  et  l'a  poussé  à 
■  l'adorer  lui-même  comme  Dieu.  C'est  un  des  anges 
préposés  sur  l'air,  comme  dit  saint  Paul.  Kph.,  Il,  2. 
Invident  homini,  apostata  a  c&vina  factus  est  lege; 

•  i  est  a  Deo.  Son  apostasie  a  pa 
l'homme.  Il  a  envié  la  vie  du  Verbe  qui  venait  sauver 
l'homme.  C'est  pourquoi  le  Verbe  a  donné'  à  l'homme 
le  pouvoir  de  fouler  aux  pieds  les  serpents,  a  cause  de 
l'apostasie  a  laquelle  le  serpent  l'a  porté',  I.  V,  c.  \xiv, 
n  '■'<.  i.  col.  IIW.  Le  feu  éternel  esl  préparé  pour  tous 
les  apostats.  A  l'origine,  le  diable  a  téduil  l'homme  par 
le  serpent,  </uasi  lalens  Deum.  Après  avoir  cité  la 
parole  de  sainl  Justin,  suivanl  laquelle  s.itan  ne  con- 
naissait pas  sa  condamnation  avant  l'avènement  de 
Jésus,  -uni  Irénée  développe  cette  pensée.  Par  les 
discours  de  Jésus  el  des  apôtres.  s.;i!,m  a  appris  mani- 
ement que  le  feu  éternel  lui  était  préparé,  parce 
qu'il  s'était  éloigné  «le  Dieu,  comme  il  l'était  pour  ions 
qui  ne  feraient  pas  pénitent  e  el  et  tient 

dans  i  api  1 1  i  Par  suite,  il  impute  a  Dieu  lui-même, 
lonté  propre,  la  hôte  de  son  apostasie, 
I.  V,  c.  w.i.  d.  ï,  col  1194,  1196  Ci  il  donc  bien  par 
envie  que,  selon  saint  [renée,  Satan  a  f:ui  pécher 
l'homme,  toutefois  l'objet  de  sa  jalousie  d  i  pas  été  le 
pouvoir  que  Dieu  avail  donné  ■>  Adam  sur  la  terre, 
mais  l'amour  que  li  Vertu  manifestait  à  l'humant! 
voulanl  la  a  donc  pn  cédé  la  tenta- 


tion de  l'homme;  elle  est  la  cause  de  sa  propre  apos- 
tasie, mais  aussi  celle  de  l'apostasie  d'Adam,  puisque  la 
séduction  de  l'homme  a  suivi  l'apostasie  de  Satan. 
Devenu  Satan,  le  diable  s'est  servi  du  serpent  pour 
tromper  l'humanité. 

Quant  aux  anges  apostats,  dont  Satan  est  le  prince, 
ce  sont  des  anges  déchus  qui  sont  tombés  sur  terre 
pour  le  jugement.  Hénoch  leur  a  été  envoyé  comme 
ministre  et  comme  prophète,  1.  IV,  c.  xvi,  n.  2, 
col.  1016.  Saint  Irénée  semble  attribuer  leur  apostasie 
à  leurs  relations  coupables  avec  des  femmes.  Il  dit 
seulement,  il  est  vrai,  que  Dieu,  au  temps  de  Noé, 
amena  le  déluge  sur  la  terre  pour  détruire  la  race 
mauvaise  d'hommes  qui  vivaient  alors  et  qui  ne  fai- 
saient aucun  fruit  pour  lui,  cuni  angeli  transgres- 
sons commixti  fuissent  eis,  1.  IV,  c.  xxxvi,  n.  4 
col.  1093.  En  réalité,  l'évêque  de  Lyon  affirme  seule- 
ment la  présence  des  anges  transgresseurs  parmi  les 
hommes  mauvais  du  temps  de  Noé;  il  ne  dit  rien  de 
précis  sur  la  nature  de  leur  transgression.  S'il  fait  allusion 
à  leur  péché  charnel,  on  peut  soutenir  avec  dom  Massuel, 
diss.  III,  n.  103,  P.  G.,  t.  vu,  col.  357-358,  que  cette 
faute  n'a  'pas  été  la  cause  de  leur  chute,  mais  qu'elle 
est  postérieure  à  leur  apostasie,  quoique  la  pensée 
reste  obscure.  Quoi  qu'il  en  soit,  saint  Irénée,  en  par- 
lant des  anges  transgresseurs,  est  le  premier  écrivain 
ecclésiastique  qui  vise  le  récit  biblique  et  parle  du 
déluge,  bien  qu'il  y  mêle  des  renseignements  puisés 
au  livre  d'IIénoch.  Les  précédents,  s'appuyant  exclusive- 
ment sur  cet  apocryphe,  ne  parlaient  ni  du  récit  de  la 
Genèse  ni  du  déluge.  Voir  Massuet,  diss.  III,  n.  106, 
108,  P.  G.,  t.  vu,  col.  363,  364-368.  Dans  son  ouvrage 
K!ç  ËTuSetltv  xov  ànoTToXizoO  Y.-i)p\iyy.à-:oz,  récemment 
retrouvé  dans  une  version  arménienne,  saint  Irénée 
appelle  les  démons  les  ennemis  du  Fils  :  ce  sont  des 
anges,  des  archanges,  des  puissances  et  des  trônes,  qui 
ont  abandonné  la  vérité.  Karapet  Ter-Mëhërttschian  et 
Erwand  Ter-Minassiantz,  Desheiligen  Irena'ûs  Schrift 
:iou  Erweise der apostolischen  Vcrkundigung,  85,  dans 
Texte  und  Untersuchicngen  de  Harnack,  Leipzig,  1907, 
l.  xxxi,  fasc.  1er,  p.  ii-'tô,  63.  Ce  texte  semble  bien 
attribuer  l'apostasie  des  anges  à  une  autre  cause  qu'à 
leurs  relations  avec  des  femmes.  En  tout  cas,  il  compte 
parmi  les  anges  déchus  des  esprits  ayant  appartenu 
aux  diverses  classes  d'anges  fidèles  à  Dieu.  Cf.Cont.  Iixr., 
I.  II.  c.  xxx,  col.  818.  Voir  t.  t,  col.  1206. 

&  Clément  d'Alexandrie.  —  Il  distingue,  lui  aussi, 
le  serpent  séducteur  des  anges  déchus.  Le  serpent  a 
déformé  l'esprit  de  l'homme  par  le  désir  de  la  gloire. 
Psed.,  I.  III,  c.  n,  P.  G.,  t.  vin,  col.  562.  Il  a  appris  à 
l'homme  la  volupté.  Coh.  ad  Grsecos,  c.  xi,  col.  228.  Le 
diable,  des  qu'il  a  eu  péché,  n'a  pu  se  convertir,  parce 
qu'il  a  persévéré  à  pécher.  Adumbrationea  in  Ei>isi.  I 
Joa.,  P.  G.,  t.  ix,  col  738.  Traitant  de  la  volupté, 
Clément  dit  que  les  anges  ont  abandonné  la  beauté  de 
Dieu  pour  la  beauté  qui  se  flétrit,  et  qu'ils  sont  des- 
cendus du  ciel  sur  terre.  Leur  faute  précède  celle  des 
Sichiniites.  /'.e,/.,  I.  III,  r.  il,  /'.  <:.,  t.  vm,  col.  576.  Il 
cite  Jud.,  5,6,  ifcid.,C.  Vin,  col.616.  Au  sujet  de  la  conti- 
nenee.  il  dit  encore  que  quelques  anges  incontinents 
ont  été  vaincus  par   la  passion  el  sonl  descendus  «lu 

ciel  sur  terre.  Slrinii.,  III,  C.  vu.  roi.  1161,    Les  anges, 

qui  avaient  un  soi  t  supérieur,  ont  déchu  par  la  volupté 

el  ont    dévoilé   BUS    femmes  les  secrets   qu'ils  devaient 

garder,  et  tout  ce  qu'ils  connaissaient,  tandis  que  les 

autres  anges  cachaient  ci  i        ouplutdl  les  < 

ni  pour  l'avènement  du  Seigneur,  De  Ut,  -ont  venues 

•    de  la  providence  et  la  révélation  des 

chose-,  sublimes.  Strom.,  \.  c   i,  /'.  c...  t.  ix.  col.  34. 

Ils  ont  abandonné  le  ciel  et  i.  -  étoiles  et  sont  devenus 

il-  habitent  dani  l'ail  ténébreux,  proche  de 

la  terre    H-  ont  perdu  leur  honneur,  ont  convoit 

Chos'  ■  '   ne   peuvent    -e  COnVI  i  lu       t   in,,,1 


.•347 


DÉMON    D'APRÈS    LES    PÈRES 


348 


nés  in  Episi.  Judée,  /'.  '.'.,  t.  îx,  col.  732.  Clément 
est  en  cela  tributaire  tin  livre  d'Ilénoch.  Les  anges 
sont  tombés  à  cause  de  la  faiblesse  de  leur  volonté. 
Simm.,  VII,  c.  vu,  col.  465.  Les  philosophesontappelé 
le  diable  le  prince  des  démons.  Strom.,  V,  c.  xiv, 
col.  136.  Si  les  démons  sont  des  dieux,  chaque  ville  a 
les  siens.  Coh.  ad  Grsecos,  c.  n,  /'.  G.,  t.  vin,  col.  121. 
Saint  Paul  a  dit  qu'il  fallait  s'abstenir  des  viandes 
immolées,  parce  qu'elles  sont  offertes  aux  démons. 
Psed.,  1.  II,  c.  I,  col.  392.  On  a  cru  que  les  Ames  des 
morts  étaient  des  démons.  Strom.,  VI,  c.  ni,  P.  G., 
t.  ix,  col.  249.  Le  feu  éternel  est  préparé  au  diable  et 
à  ses  anges.  Coh.  ad  Grœcos,  c.  ix,  P.  G.,  t.  vin, 
col.  193.  Quand  nous  sommes  délivrés  du  péché,  nous 
sommes  séparés  de  la  conversation  du  diable.  Ilml. 
Barnabe,  qu'il  cite,  a  bien  dit  que  les  pécheurs  font  les 
œuvres  du  diable,  mais  il  n'a  pas  dit  que  les  esprits 
habitent  dans  l'âme  du  pécheur.  Strom.,  II,  c.  xx, 
col.  1060.  Les  pestes,  les  grêles,  les  tempêtes  et  choses 
semblables  ne  viennent  pas  seulement  de  troubles  ma- 
tériels; ils  sont  produits  habituellement  par  les  mau- 
vais anges.  Strom.,  VI,  c.  ni,  P.  G.,  t.  ix,  col.  248. 
Voir  t.  i,  col.  1196;  t.  in,  col.  156,  187.  Si  les  Eclogse 
prophéties;  sont  de  Clément,  il  y  dit  que  les  démons 
avaient  cru  que  Salomon  était  le  Messie.  Quand  ils  l'ont 
vu  pécher,  ils  ont  su  clairement  qu'il  ne  l'était  pas. 
Les  démons  savaient  tous  que  le  Messie  devait  ressus- 
citer des  morts.  Hénoch  dit  aussi  que  les  anges  trans- 
gresseurs  ont  appris  aux  hommes  l'astronomie,  la  divi- 
nation et  les  autres  arts,  53,  P.  G.,  t.  ix,  col.  724. 

6°  L'Église  d'Afrique.   —  De  Carthage,  nous  avons 
les  écrits  de  Tertullien  et  de  saint  Cyprien. 

Selon  Tertullien,  l'existence  de  substances  spiri- 
tuelles ou  démons  a  été  admise  par  les  philosophes. 
Socrate  avait  eu  dès  l'enfance  un  démon  familier, 
Platon  n'a  pas  nié  l'existence  des  démons.  Les  poètes 
en  parlent  et  le  peuple,  par  ses  imprécations,  maudit 
Satan.  Mais  il  y  a  deux  catégories  d'anges  corrompus  : 
l'une,  plus  corrompue,  dont  l'Écriture  nomme  le  prince 
et  dont  l'activité  est  entièrement  employée  à  la  perte 
des  hommes,  et  l'autre,  qui  est  moins  corrompue  et  qui 
est  née  d'eux.  Les  magiciens  ont  recoursauxdémonsqui 
rendent  des  oracles  et  sont  adorés  dans  les  dieux  du 
paganisme.  Apaloget.,  22,  23,  P.  L.,  t.  i,  col.  404-416. 
Les  génies  sont  aussi  des  démons.  Ibid.,  32,  col.  447- 
448.  Cf.  De  anima,  39,  P.  L.,  t.  n,  col.  718.  Du  reste, 
l'existence  des  démons  est  sentie  par  l'âme  en  raison 
des  maux  qu'ils  produisent.  On  maudit  Satan;  on  l'ap- 
pelle ange  de  malice,  ouvrier  d'erreur,  celui  qui  a  jeté 
le  trouble  dans  le  monde.  A  l'origine,  en  effet,  l'homme 
a  été  trompé  par  lui  et  condamné  à  mourir  en  punition 
de  la  désobéissance  que  Satan  lui  a  fait  faire.  De  te- 
slimonio  animai,  3,  P.  L.,  t.  I,  col.  612-613.  Le  diable 
n'est  pas  toutefois  le  créateur  du  monde,  comme  le 
prétendait  Marcion;  c'est  un  archange  menteur. 
Adv.  Marcion.,  1.  V,  c.  xvm,  P.  L.,  t.  n,  col.  518-519. 
D'autre  part,  Dieu  n'est  pas  le  créateur  du  diable. 
Dieu  a  fait  un  ange;  il  n'a  pas  fait  le  diable.  Celui-ci 
s'est  fait  lui-même,  en  s'éloignant  de  Dieu.  Par  malice, 
il  a  menti  et  a  trompé  l'homme;  il  a  diffamé  Dieu. 
Satan  est  un  archange,  le  plus  élevé  des  anges  et  le  plus 
sage  de  tous,  c'est  le  prince  de  Tyr,  Ezech.,  XXVIII,  12, 
tombé  du  ciel;  il  est  l'auteur  du  péché;  mais  il  est 
puni  par  le  moyen  des  hommes  qu'il  a  vaincus.  Il  a  lésé 
l'homme,  et  ex  illo  deliquit,  ex  quo  deliclum  semitia- 
vil.  Sa  faute  semblerait  avoir  existé  du  jour  où  il  a  fait 
pécher  l'homme.  Ibid.,  I.  II,  c.  x,  col.  296-297.  Tout 
a  été  changé  par  le  diable.  De  corona,  6,  ibid.,  col.  84. 
Si  Dieu  est  optimus,  le  diable  est  pessimus;  tout  le 
mal  vient  de  lui.  Le  mal  a  son  origine  dans  l'impa- 
tience du  diable  :  il  supporta  impatiemment  que  Dieu 
ait  lait  l'homme  à  son  image;  il  en  conçut  de  la 
douleur,  de  l'envie,  et  il  a  trompé  l'homme.  Tertullien 


ne  veut  pas  rechercher  s'il  a  élé  mauvais  avant  d'être 
impatient,  ou  s'il  a  été  mauvais  et  impatient  simulta- 
nément ou  séparément.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'il 
a  péché  le  premier  et  qu'il  a  profité  de  son  expérience 
pour  faire  pécher  l'homme.  De patientia,  •">.  l'.L.,  t.  i, 
col.  1256-1257.  Aussi  Tertullien  appelle-t-il  le  diable 
semulus,  le  jaloux.  De  psenilenlia,  .">.  ibid.,  col.  1235; 
De  anima,  20,  P.  L.,  t.  n,  col.  683.  Il  le  dit  :  Noster 
i>b  divortium  semulus  et  ob  Dei  graliam  iniidus.  Il 
fait  persécuter  les  chrétiens  par  les  païens  ;  mais  il  est 
soumis  aux  chrétiens.  Apologet.,  27,  P.  L.,  t.  i,  col.  135. 
La  persécution  vient  du  diable,  mais  par  la  permission 
de  Dieu,  pour  éprouver  les  chrétiens.  De  fuga,  2,  P.  L., 
t.  n,  col.  104-106.  Il  a  envié  Notre-Seigneur  et  l'a  tenté. 
De  patientia,  16,  P.  L.,  t.  i,  col.  1285-1287.  Les  héré- 
sies viennent  du  diable.  De  prsescript . ,  40,  P.  L.,  t.  n. 
col.  54-55.  Satan  se  change  parfois  en  ange  de  lumière, 
Adv.  Marcion.,  1.  V,  c.  XII,  ibid.,  col.  502;  mais, 
alors  même,  il  ne  perd  pas  sa  nature  corrompue.  De 
resurrectione,  55,   ibid.,  col.  677. 

C'est  au  livre  d'Hénoch,  qu'il  tient  pour  canonique, 
que  Tertullien  emprunte  le  récit  de  la  chute  des  anges. 
Ils  se  sont  précipités  du  ciel  sur  les  filles  des  hommes. 
Pour  leur  donner  la  beauté  qu'elles  n'avaient  pas,  ils 
leur  révélèrent  les  secrels  de  la  nature,  l'art  de  la  pa- 
rure, les  autres  arts  et  l'astrologie.  Nous  les  jugerons; 
nous  renonçons  à  eux,  au  baptême.  Ils  ont  abandonné 
le  ciel  pour  contracter  un  mariage  charnel.  De  cultu 
fœminarum,  1.  I,  2-4,  P.  L.,  t.  I,  col.  1305-1308.  Ils 
ont  été  condamnés  par  Dieu  pour  cette  faute.  Ibid., 
1.  II,  10,  col.  1328.  Ces  desertores  Dei,  amalores  fx- 
minarum,  furent  proditores  hujus  curiosilatis  (l'as- 
trologie). D'eux  vient  aussi  l'idolâtrie.  C'est  pourquoi 
ils  ont  été  condamnés.  Le  ciel  est  interdit  aux  mathé- 
maticiens comme  à  leurs  anges  :  la  même  peine  d'exil 
est  appliquée  aux  maîtres  et  aux  disciples.  De  idololatria, 
9,  ibid.,  col.  671.  Les  femmes  doivent  être  voilées 
pmpter  angelos,  a  dit  saint  Paul,  I  Cor.,  xi,  8,  10.  parce 
que  angeli  propter  filias  hominum  desciverunt  a  Dec. 
Ici,  Tertullien  se  réfère  au  texte  de  la  Genèse,  vi,2,  et 
de  l'expression  :  «  filles  des  hommes  ■>.  il  conclut  que 
les  anges  aimèrent  des  filles  vierges,  encore  chez  leurs 
parents,  et  des  veuves,  mais  pas  des  femmes  mariées. 
De  oratione,  22,  ibid.,  col.  1186-1187;  De  virginibus 
velandis,  7,  P.  L.,  t.  n,  col.  899.  Voir  t.  i,  col.  1195- 
1196. 

Satan  et  ses  anges  ont  rempli  le  siècle  :  il  y  a  des 
idoles  partout.  Vénus  et  Bacchus  sont  deux  démons. 
Les  démons  sont  dans  les  idoles,  dans  les  théâtres,  au 
cirque,  qui  sont  les  pompes  du  diable.  De  spectacuUs. 
7,  8,  10,  12,  26,  P.  L.,  t.  i,  col.  639,  640,  643,  645,  657. 
Dans  le  paganisme  et  le  mithriacisme.  ils  ont  imité  le 
christianisme.  De  prsescript.,  40,  P.  L.,  t.  n,  col.  ôi. 
De  corona,  15,  ibid.,  col.  102;  Ad  uxorem,  1.  I,  6.  7. 
P.  L.,  t.  i,  col.  1284.  Les  songes  viennent  souvent  des 
démons.  De  anima,  47,  P.  L.,  t.  il,  col.  731-732. 
Presque  en  chaque  homme  il  y  a  un  démon;  aussi 
faut-il  recourir  aux  exorcismes  pour  échapper  à  son 
inlluence.  Les  démons  sont  auteurs  des  prestiges  des 
magiciens.  Ibid.,  57,  col.  748-750.  Cf.  A.  d'Alès,  Lu 
théologie  de  Tertullien,  Paris.  1905,  p.  151,  156-161; 
,1.  Tunnel,  Tertullien,  Paris,  1905,  p.  123,  182-185, 
188-189,  238-240. 

Saint  Cyprien  a,  sur  la  chute  de  Satan  et  des  anges, 
les  mêmes  idées  que  Tertullien.  Il  faut  toujours  être 
prêt  à  repousser  les  tromperies  du  diable  et  à  lutler 
contre  lui.  Le  diable  est  trompeur  par  envie.  L'exem- 
ple de  nos  premiers  parents  le  montre,  lnter  initia 
slalini  mundus  et  periit  primus  et  perdidit.  llle  an- 
gelica  majestale  subnixus,  illc  cselo  acceptas  erat  et 
chants,  poslquam  hominem  ad  imaginem  Deifaclum 
conspexit,  in  zelum  nialivolo  lirore  prorupit,  non 
prius  alterum  dejiciens  instinctu  :e1o  quam  ipse  :elo 


349 


DÉMON    D'APRES    LES    PÈRES 


350 


ante  dejectus,  captivus  antequam  copient;,  perditus 
antequam  perdens...  ipse  tjuoque  id  quod  prius  eral 
amisit,  Et  en  preuve,  saint  Cyprien  cite  Sap.,  n,  24. 
De  zelo  et  livore,  3,  4,  P.  L.,  t.  îv,  col.  6i0;  édit.  Ilnr- 
tel.  Vienne,  1868,  t.  i,  p.  299.  Dès  le  commencement 
du  monde,  il  a  trompé  l'homme,  en  mentant  et  en  le 
flattant  ;  il  a  tenté  Notre-Seigneur,  et  il  se  cache  encore, 
le  vieux  serpent,  pour  tromper  les  chrétiens.  De  ca- 
tholicx  Ecclesiae  unitate,  1,  édit.  Hartel.  t.  i,  p.  209- 
210.  Ab  inilio  mundi  fallax,  semper  et  menda.r, 
mentilur  ut  fallat,  etc.  Suit  la  description  de  ses  ruses. 
Epist.,  xuir,  6,  Vienne,  1871,  t.  n.  p.  596.  Tous  les  jours, 
il  faut  combattre  avec  lui.  De  mortalilate,  i,  1. 1,  p.  299. 
Ailleurs  encore,  saint  Cyprien  parle  des  tentations 
diaboliques,  qui  n'ont  lieu  qu'avec  la  permission  de 
Dieu  et  auxquelles  les  chrétiens  peuvent  résister  victo- 
rieusement. Si  le  diable  a  péché  par  jalousie  à  l'égard 
de  l'homme,  les  mauvais  anges  ont  péché  par  luxure. 
Ces  anges  pécheurs  et  apostats  ont,  en  effet,  enseigné 
aux  femmes  à  se  farder  et  à  se  friser,  quando,  ad  ler- 
re.na  contagia  devoluti,  a  csclesti  vigore  reccsserunl. 
De  habilu  virginis,  li.  P.  L.,  t.  iv,  col.  453-454.  Ces 
détails  viennent  du  livre  d'Hénoch. 

7°  A  Rome,  saint  Hippolgte.  —  Caius  avait  inter- 
prété Apoc.  xx,  2,  3,  en  ce  sens  que  Satan  est  déjà 
lié.  puisque  le  Christ  est  allé  à  la  maison  du  fort,  l'a 
enchaîné  et  lui  a  enlevé  ses  instruments  de  ruine. 
Malth.,  xn,  29.  Il  est  lié  pour  mille  ans,  après  lesquels 
il  9era  délié  pour  tromper  les  peuples.  Saint  Ilippolyte 
résolut  cette  objection  de  l'hérétique.  I!  montra  par 
des  textes  de  l'Évangile  que  Satan  n'est  pas  encore  lié, 
puisqu'il  trompe  les  chrétiens  et  persécute  les  hommes. 
Jésus  a  recommandé  de  prier  pour  être  délivré  du 
malin.  Il  faut  combattre  avec  les  puissances  mauvaises. 
Eph.,  vi,  12.  Il  sème  l'ivraie  dans  le  champ  du  père  de 
famille.  Matin.,  xm.  19.  A  la  fin  des  temps  seulement,  le 
diable  sera  lié  et  jeté  dans  l'abîme  selon  Isaïe,  XXVI,  10. 
Les  mille  ans  de  l'Apocalypse  ne  sont  pas  à  prendre 
comme  un  nombre  exact;  ils  désignent  le  règne  éternel 
du  Christ,  pendant  lequel  le  diable  sera  lit'-  et  puni  dans 
l<s  flammes  de  l'enfer  avec  tous  ses  adeptes.  Capita 
advenue  Caium,  frag.  v  ou  vu.  publics  par  Gwynn, 
dans  Hermatliena,  1888,  t.  vi,  p.  415-416;  cf.  p. 402- 
401  Zahn,  Geschichte  de»  Neutestamenllichen  Kcmoru, 
Erlangen  et  Leipzig,  1892,  t  H,  |>.  978-980;  llarnack, 
dans  Texte  und  Unters.,  1890,  t.  vi.  fasc.  3,  p.  li"> 
188;  tchelis,  Hippolyttu, Leipzig,  1897, t.  i.  p. 246-247; 
cf.  fragment  vieux-slave,  il, ni.,  p.  238;  d'Alès,  La 
théologie  de  taint  Ilippolyte,  Paris,  1908,  p.  199.  Pour 
saint  Ilippolyte,  l'enfer,  ou  le  lac  de  feu  inextinguible, 

ride  encore,  préparé  seulement  pour  que  les  dé- 
mons et  les   méchants    s    soient    torturés   dant 
flammes  pendant  l'éternité.  A.  d'Alès.  p.  200-201. 

Origène.  \  Alexandrie,  Origène  inaugure,  .,u 
■njel  des  démons,  une  voie  nouvelle  qui,  pour  une 
part,  aura  du  succès.  M  rejette  décidément  li 
du  livre  d'Hénoch,  prouve  l'existence  des  esprits  mau- 
vais par  rie  nombreux  textes  de  II  enlui  e,  mais  il  ima- 
iplications  personnelli  •  sur  \>  chute  de  ces 
la  possibiliti  il"  leur  conversion  finale.  Il 
traite  ea  pmfrsio  des  anges  mauvais,  qui  sonl  punis. 
parce  qu'ils  0nl   mal   agi,  au  début  de  Dr  prin- 

-.  I.  I.   c.   v,  n.  i-:K   /•    G.,  i.  \i.  col.   157-165. 
Il  étudie  d'abord  les  diffén  nts  noms  qu'ils  ont  dans 

iture,  et  il  ne  ae  prononci    pai  lui   la  question  de 

•  Ince  du  monde  est  le  n ■  nu  an  antre 

que  le  diable,  et  si  .  .  qui  0nt 

tructlon,  sont  li  .    qui 

nous  dew,n-  luiier.  Dieu  '-t  le  créateur  de  tous;  il  ne 
fait  mauvais .  il  a  1 1  iprits  qui  pou- 

vaient devenir  mauvaisel  qui  le  -oui  devenus  par  abus 
de  l<  or  liberti  .  ,,,1,,.  de  leur 

condition  premii  re,  et  I  n  leur  ma- 


lice est  dans  leur  propre  volonté.  Après  avoir  prouvé 
leur  existence  par  l'Écriture,  Origène  ajoutera  les 
raisonnements  qui  lui  paraîtront  les  meilleurs.  Il  cite 
de  nombreux  passages  de  l'Ecriture":  le  prince  de  Tyr, 
ange  chargé  des  Tyriens,  mais  déchu,  Ezech.,  XXVIII, 
11-19;  Lucifer,  Is.,  xiv,  12;  le  malin,  I  ,Toa.,  v,  19;  le 
dragon  pris  à  l'hameçon.  Job,  xl,  20.  Ces  esprits  ne 
sont  pas  mauvais  par  nature;  ils  n'ont  pas  été  créés 
tels;  ils  sont  venus  du  mieux  au  pire  et  se  sont  tour- 
nés vers  le  mal.  Origène  ne  leur  attribue  aucun  péché 
spécial  ;  il  se  borne  à  exposer  son  hypothèse  de  la  dé- 
chéance inévitable  et  graduelle  des  substances  spiri- 
tuelles, en  dehors  de  la  seule  indéfeclibilité  de  Dieu. 
Sur  la  théorie  de  la  chute  graduelle  de  toutes  les  na- 
tures créées,  cf.  Prat,  Origrnr,  Paris,  1907,  p.  82-86. 
Voir  t.  i,  col.  1203.  Un  peu  plus  loin,  il  expose  qu'ils 
seront  rétablis  dans  leur  premier  état.  1.  I,  c.  vi,  n.  2, 
3,  col.  168-169.  Le  diable  lui-même  n'a  pas  été  inca- 
pable de  faire  le  bien;  les  prophètes  précédemment 
cités  le  montrent.  Il  était  bon,  quand,  dans  le  paradis, 
il  était  parmi  les  chérubins;  il  s'est  porté  tout  entier 
vers  le  mal,  1.  I,  c.  vm,n.  2,  col.  178.  Il  ne  peut  main- 
tenant revenir  au  bien;  mais  il  y  a  des  degrés  dans  les 
principautés  mauvaises,  et  d'autres  se  convertiront,  n.  4, 
col.  179-180.  Origène  revient  plus  loin  sur  la  possibilité 
de  la  restauration  finale  des  démons  dans  leur  premier 
état,  et  après  avoir  laissé  au  lecteur  le  soin  de  conclure, 
il  semble  bien,  en  finissant,  affirmer  la  possibilité  de 
cette  restauration,  1.  II,  c.  I,  n.  21,  col.  302.  Cf.  Prat, 
op.  cit.,  p.  106-107.  Puis,  il  démontre  de  nouveau  par 
l'Ecriture  l'existence  des  mauvais  anges,  chassés  du 
ciel,  1.  III,  c.  il,  n.  1,  col.  303-305.  Il  accumule  les 
textes  :  dans  l'Ancien  Testament,  le  serpent  de  la  Ge- 
nèse, le  malin,  chassé  du  ciel,  Azazel,  figuré  par  le 
bouc  émissaire,  Lev.,  xvi,  8,  l'esprit  mauvais  de  Saiil, 
l'esprit  de  mensonge  qui  inspire  les  prophètes  d'Achab. 
Satan  qui  pousse  David  à  dénombrer  son  peuple, 
I  Par.,  xxi,  11;  Eccle.,  x,  4,  la  vision  de  Zacharie,  III, 
1,  2,  le  prince  de  Tyr,  Lucifer,  Satan  du  livre  de  .lob; 
dans  le  Nouveau  Testament,  la  tentation  de  Jésus,  Satan 
qui  pousse  Judas  à  trahir  son  maître,  et  la  nécessite 
de  la  lutte  avec  les  principautés  mauvaises,  proclamée 
par  saint  Paul.  S'il  est  dit  que.  à  la  fin  des  temps. 
Satan  sera  détruit  par  Jésus-Christ,  cela  ne  signifie  pis 
qu'il  cessera  d'exister,  mais  qu'il  ne  sera  plus  ennemi. 
Par  là,  Origène  semble  penser  que  même  Satan  pourra 
être  replacé  dans  son  premier  état,  car  il  n'y  a  rien 
d'incurable  ni  rien  d'impossible.  I.  III,  c.  vi.  n.  5. 
col.  338. 

Origène  a  traité  encore  ex  professo  des  mauvais  anges 
dans  sa  réfutation  de  Celse.  Il  a  remarqué,  d'abord, 
que  démon  est  un  nom  commun,  appliqué  le  plus  sou- 
vent aux  mauvais  anges,  qui  n'ont  pas  de  corps  gros- 
sier. Cont.  Celsvm,  1.  V.  n.  5,  P.  G.,  t.  »,  col.  1188. 
Celse  avait  prétendu  que  le  Christ  n'a  pas  été  le  pre- 
mier ayvs)o;,  envoyé  par  Dieu  sur  la  terre.  Il  avait 
entendu  parler  de  60  ou  70  anges,  qui,  devenus  mauvais, 
ont  été  enchaînés  et  subissent  sous  terre  les  peîni 
leurs  fautes,  et  il  savait  que  les  sources  chaudes  sonl 
leurs  larmes,  I.  \\  n.  52,  roi.  1261.  Origène  fait  obser- 
ver que  ces  renseignements  proviennent  du  livre 
d'Hénoch,  que  Celse  n'a  pas  lu  et  qui  n'est  pas  tenu 
pour  divin  dans  les  Églises.  De  re  livre.  (i|se  u,.  con- 
naît que  ce  détail.  Par  bienveillance,  Origène  lui  BUg- 
iil  in  pai  i)  e  .le  i.i  Genèse,  \i.  2.  qu'il  n'a  pas  lu 
ii  qui  à  première  vue  pourrait  l'interprétei  dans  li 
même  sens    Mais  sur  ce  point.  Origène  se  réfère  à  un 

écrivain   (PhïlOn   .  qui     i    vu    daUS   les  filles  des  lioniiiH  - 

une  métaphore  employi  e  \ i  d<   l(  m  r  les  .unes  dési- 

la  vie  humaine,  Quelle  qui'  soit  l'interpréla- 
imn  qu'on  donm  a l'expn  -  de  Dieu    .  >  •  réi  m 

biblique  ne  lui  rien  au  sujet    Le  récit  di     60 
tombi     o-    i  i"    lu    comme  Écriture),  chei  les  chré- 


3M 


DÉMON    D'APRÈS    LES    PÈRES 


352 


tiens.  Puis,  Origène  se  moque  agréablement  des  larmes 
de  ces  anges.  Les  larmes  sont  salées  et  les  eaux  chaudes 
sont  douces,  l'audra-t-il  admettre  que  ces  anges  versent 
des  larmes  douces?  N.  54,  55,  col.  1268,  1269. 

Quelques  esprits  sont  liés  pour  des  siècles  à  certains 
édifices  ou  à  certains  lieux  soit  par  l'effet  de  la  magie, 
soit  à  cause  de  leurs  vices.  L.  VII,  n.  5,  col.  1428.  Les 
démons  commettent  des  fautes.  Ils  ont  dévié  de  la  voie 
qui  conduit  au  bien,  et  se  sont  éloignés  de  Dieu.  La 
magie  cherche  à  empêcher  leurs  mauvaises  actions. 
L.  VII,  n.  68,  69,  col.  1517.  Les  anges  devenus  vicieux 
sont  les  anges  du  diable.  Entre  eux  et  les  démons,  il 
n'v  a  point  de  différence  :  ils  sont  tous  mauvais.  Celse 
prétendait  à  tort  qu'ils  sont  les  anges  de  Dieu.  Qu'on 
prouve,  si  on  le  peut,  qu'ils  diffèrent  des  démons!  Dieu 
n'est  pas  leur  prince;  selon  les  Écritures,  leur  prince 
est  Beelzébub.  Il  ne  faut  pas  se  fier  aux  démons;  il  faut 
mourir  plutôt  que  de  leur  offrir  des  sacrifices.  Us  ne 
sont  pas  bienveillants  pour  les  chrétiens;  les  anges 
veillent  pour  qu'ils  ne  leur  nuisent  pas.  L.  VIII,  n.  25- 
27,  col.  1553  sq.  Les  maux  de  la  terre  sont  produits 
par  eux,  n.  31,  col.  1564.  L'âme  d'un  enfant  païen  est, 
dès  la  naissance,  sous  l'empire  d'un  démon.  11  y  a 
beaucoup  de  démons  sur  terre.  Us  ont  pouvoir  sur  les 
méchants,  mais  pas  sur  les  chrétiens,  armés  de  l'ar- 
mure de  Dieu,  n.  34,  col.  1568-1569.  Ils  sont  vaincus 
par  les  martyrs,  n.  44,  col.  1581. 

Satan  avait  été  nommé  par  Celse.  L.  VI,  n.  42, 
col.  1360.  Origène  expose  par  suite  ce  qu'il  pense  de 
lui.  C'est  le  mauvais,  qui  a  été  chassé  du  ciel,  le  ser- 
pent tentateur,  Azazel,  figuré  par  le  bouc  émissaire, 
Bélial,  le  prince  de  Tyr  et  le  roi  de  Babylone.  Son  nom 
signifie  adversaire;  il  est  l'adversaire  du  Fils  de  Dieu, 
n.  43,  44,  col.  1364-1368. 

Dans  ses  autres  écrits,  Origène  parle  encore,  mais  en 
passant,  de  Satan  et  des  anges  déchus.  Le  dragon  a  été 
créé  avant  l'homme.  In  Joa.,  tom.  i,  n.  17,  P.  G.,  t.  xiv, 
col.  52.  Il  n'a  pas  été  créé  mauvais,  lbid.,  tom.  xn,  n.  7, 
col.  136.  Il  a  résisté  à  Dieu.  Dan.,  x,  13.  Il  a  abandonné 
son  état,  où  il  était  sans  tache  et  dans  lequel  il  aurait 
persévéré,  s'il  l'eût  voulu.  In  Episl.  ad  Philem.,  ibid., 
col.  1306.  S'il  est  dit  le  prince  de  ce  monde,  ce  n'est 
pas  qu'il  ait  créé  le  monde  ;  c'est  que  dans  le  monde  il 
y  a  beaucoup  de  pécheurs.  Aussi  est-il  le  prince,  le 
diable  de  la  malice  et  de  toute  iniquité.  Sa  faute  a  été 
un  péché  d'orgueil;  il  s'est  élevé  dans  les  cieux  et  a 
voulu  être  semblable  au  Très-Haut.  Origène,  qui  ne  lui 
avait  pas  appliqué  expressément  les  paroles  du  prince 
de  Tyr,  dans  le  De  principiis,  les  met  ici  formellement 
dans  sa  bouche.  In  Num.,  homil.  xn,  n.  4,  P.  G.,  t.  xn, 
col.  664,  665.  Pécheur  depuis  le  commencement  du 
monde,  il  ne  subit  ni  feu  ni  tourment  en  ce  monde. 
Selecta  in  Exod.,  ibid.,  col.  292.  A  la  fin  de  notre  vie, 
le  prince  du  siècle  est  comme  un  puhlicain,  qui 
recherche  ce  qui  lui  revient  en  nous.  In  Luc, 
homil.  xxm,  P.  G.,  t.  xm,  col.  1862.  Les  démons  sont 
delà  même  nature  que  les  anges;  la  seule  différence 
entre  eux  est  celle  qui  existe  entre  un  œil  sain  et  un 
œil  perdu.  In  Joa.,  tom.  xn,  n.  20,  P.  G.,  t.  xiv,  col.  625. 
Ils  sont  princes  pour  la  ruine,  sont  exécrables,  et  on 
les  invoque  pour  le  mal,  parce  qu'ils  sont  mauvais,  par 
prévarication  toutefois  et  non  par  nature.  ]n  Eœod., 
homil.  vin,  n.  2,  P.  G.,  t.  xn,  col.  352.  Ils  ont  encore 
leur  libre  arbitre,  et  il  est  nécessaire  qu'ils  l'aient,  afin 
que  les  chrétiens  puissent  être  éprouvés  par  leurs  atta- 
ques. In  Num.,  homil.  xm,  n.  5-7,  ibid.,  col.  673-675. 
Ils  tendaient  dos  pièges  à  tous.  In  Mattli.,  tom.  XV,  n.  5, 
P.  G.,  t.  xm,  col.  1269.  Origène  pense  cependant  que 
quelques  anges  déchus,  frappés  de  la  puissance  et  de 
la  divinité  de  Jésus,  ont  recouru  à  lui  et  l'ont  prié  en 
leur  faveur.  In  Joa.,  tom.  xm,  n.  58,  P.  G.,  t.  xiv,  col.512. 
Mais  les  démons  se  faisaient  généralement  passer  pour 
les  faux  dieux  du  paganisme.  In  Exod.,  homil.  vi,  n.5. 


/'.  ('•.,  t.  xn,  col.  335.  Ils  restent  auprès  des  idoles,  car 
ils  ne  sont  pas  encore  jugés.  Leur  unique  punition 
consiste  à  voir  les  idolâtres  se  convertir  au  christia- 
nisme, et  les  chrétiens  qu'ils  tentent  pratiquer  la  vertu. 
///  Num.,  homil.  xxvin.  n.  8,  ibid.,  col.  789.  790.  Le 
lieu  qu'ils  occupent  est  l'air  épais  qui  entoure  la  terre. 
Quelques-uns  croient  qu'ils  ont  besoin  d'aliments.  Ori- 
gène pense  qu'ils  se  repaissent  de  l'odeur  des  sacrifices. 
Ex/iorlatio  ad  martyr.,  n.  45,  /'.  (',.,  t.  xi.  col.  621, 
624.  Cf.  Cont.  Celsum,  1.  III,  n.  28,  36;  1.  IV,  n.  M; 
1.  VII,  n.  5,  6.  35,  56,  64;  I.  VIII,  n.  60.  61,  ibid.,  col.  956, 
965,  1070,  1428,  1429,  1489,  1501,  1512,1608,  1609.  Voir 
Iluet,  Origeniana,  I.  II,  c.  Il,  q.  v,  n.  30,  P.  G.,  t.  xvn, 
col.  892-893.  Les  démons  ne  sont  pas  punis  en  ce 
inonde;  les  supplices  leur  sont  réservés  pour  l'avenir. 
In  Exod.,  homil.  ix,  n.  6,  P.  G.,  t.  xn,  col.  359-360. 
Us  périront  et  leur  empire  sera  détruit,  quand  nos  corps 
ressusciteront  à  la  vie.  lnt  ibrum  Jesu  Nare, 
homil.  vin,  n.  4,  col.  866-867;  In  Mat  th.,  tom.  xm.  n.9, 
P.  G.,  t.  xm,  col.  1116-1120.  Il  n'est  pas  permis  d'ad- 
jurer les  démons;  c'est  une  coutume  judaïque.  In  Matlh. 
comment,  séries,  n.  110,  ibid.,  col.  1269. 

9°  Jules  l'Africain.  —  Ce  contemporain  d'Origène, 
dans  un  fragment  de  sa  Clironograpliia,  qui  nous  a  été 
conservé  par  Georges  le  Syncelle,  a  donné  une  inter- 
prétation, qu'Origène  n'avait  pas  su  trouver,  des  fils  de 
Dieu  de  Gen.,  VI,  2.  Son  texte  contenait  la  leçon  : 
ayye).oi  to0  ÔsoO;  mais  il  lisait  dans  quelques  manus- 
crits :  -jio't  to0  6eov.  Par  ces  fils  de  Dieu,  il  entendait 
les  fils  de  Seth,  ainsi  nommés,  parce  que  leur  race  n'a 
donné  jusqu'à  Jésus-Christ  que  des  justes.  Les  filles 
des  hommes  étaient  de  la  race  de  Caïn,  si  éloignée  de 
Dieu  et  si  dépravée.  Il  ajoutait  toutefois  que  les  «  anges 
de  Dieu  »,  si  on  gardait  cette  leçon,  ne  pouvaient  être 
que  les  mauvais  anges,  qui  apprirent  aux  femmes  le 
mouvement  des  astres,  les  nombres,  les  choses  élevées 
et  les  arts,  et  qui  furent  les  pères  des  géants,  ensevelis 
par  le  déluge.  P.  G.,  t.  x,  col.  65.  Sa  première  inter- 
prétation devait  peu  à  peu  faire  disparaître  la  seconde. 

10°  Celle-ci  pourtant  avait  pénétré  jusqu'en  Syrie,  et 
Bardesane  écrivait  dans  Le  livre  des  lois  du  pays  : 
«  Nous  comprenons  que  si  les  anges  n'avaient  pas  eu 
aussi  le  libre  arbitre,  ils  n'auraient  pas  eu  commerce 
avec  les  filles  des  hommes,  n'auraient  pas  péché  et  ne 
seraient  pas  tombés  de  leur  place.  »  F.  Nau,  Bardesane 
l'astrologue,  Paris,  1899,  p.  31.  —  Les  apocryphes  clé- 
mentins,  dont  les  sources  sont  syriennes  et  dont  la 
rédaction  n'est  que  du  me  siècle,  voir  t.  m,  col.  213, 
connaissent  la  faute  charnelle  des  anges  qu'ils  ratta- 
chent très  explicitement  au  déluge.  Dans  les  Récogni- 
tions, iv,  26,  27,  P.  G.,  t.  i,  col.  1325-1326,  on  attribue 
à  ces  anges  déchus  l'origine  de  l'idolâtrie,  la  connais- 
sance des  arts,  la  magie  et  la  perversité  humaine,  qui 
a  été  punie  par  le  déluge.  Dans  les  Homélies,  vm.  12- 
19,  P.  G.,  t.  n,  col.  232-237,  on  nous  apprend  que  les 
esprits,  qui  vivent  dans  l'air,  ne  peuvent  plus  remonter 
au  ciel.  Ils  enseignèrent  aux  hommes  les  arls  et  l'orne- 
mentation. Les  géants,  qu'ils  engendrèrent,  sont  des 
anges  inférieurs,  qui  mangent  du  sang.  Ils  furent  les- 
premiers  à  manger  de  la  chair,  et  leurs  crimes  furent 
la  cause  morale  du  déluge.  —  Dans  les  Actes  de  saint 
Thomas,  œuvre  gnostique  du  i IIe  siècle,  l'union  des 
anges  avec  les  femmes  est  aussi  rapportée.  Tischendorf, 
A  cl  a  apostolorum  apocrypha,  Leipzig.  1851,  p.  218; 
M.  Bonnet,  Acta  Philippi  et  Acta  Thomse,30,  Leipzig. 
1903,  p.  149.  —  Zosime  de  Panopolis  racontait  aussi  la. 
chute  des  anges  et  la  révélation  des  secrets  aux  femmes 
d'après  les  Écritures  anciennes  et  divines,  c'est-à-dire 
d'après  le  livre  d'Hénoch  et  le  récit  de  la  Genèse.  Frag- 
ment cité  par  Georges  le  Syncelle,  Gltronograpliia^ 
édit.  Dindorf,  1829,  t.  i.  p.  24. 

If1  Le  plus  ancien  commentateur  latin  de  l'Apoca- 
lypse, dont  l'ouvrage  nous  soit  parvenu  et  qui  est  de  la 


353 


DEMON    D'APRES    LES    PÈRES 


354 


fin  du  me  siècle,  saint  Victorin  de  Pettau,  nous  fournit 
quelques  traits  nouveaux  sur  le  diable  et  les  démons. 
Malheureusement,  le  texte  original  de  son  commentaire 
ne  nous  est  pas  encore  entièrement  connu,  et  il  faudra 
attendre  l'édition  de  M.  Haussleiter  dans  le  Corpus  de 
Vienne  pour  être  parfaitement  renseigné.  On  en  connaît 
deux  recensions,  dont  la  plus  courte  est  une  revision 
faite  par  saint  Jérôme  à  l'aide  de  Ticonius,  et  dont  la 
plus  longue  est  un  remaniement  de  la  précédente  (on 
la  trouve  P.L.,  t.  v).  Bardenhewer,  Patrologie,  20édit., 
Fribourg-en-Brisgau,  1901,  p.  198-199;  Id.,  Geschichte 
der  altkirchlichen Litteratur,  ibid.,  1903,  t.  n,  p.  595- 
597.  Cependant,  pour  Victorin,  le  dragon  de  l'Apocalypse 
est  celui  qui  ab  initio  fuit  homicida  el  omne  gémis 
humanum  non  tant  debilo  mortis,  reruni  eliam  variis 
gladiis  obitibusque  oppressif .  Le  tiers  des  étoiles,  qu'il 
entraînera  dans  sa  chute,  indique  le  nombre  des  hom- 
mes qu'il  séduira  à  la  fin. des  temps.  Dans  sa  revision 
saint  Jérôme  a  ajouté  :  Sed  quod  vertus  intelligi  debeal 
angclorum  sibi  subdilorum  cuni  adhuc princeps  esset, 
cum  descenderet  constilulione  sua,  terliam  partent 
sediu-'tsse.  Bibliotheca  Palrum,  Lyon,  1677,  t.  m. 
p.  420;  dom  Férotin,  Apringius  de  Béja,  Paris,  l'.HJO, 
p.  49.  Cf.  ht  Apocalypsin  B.  Joannis,  xn,  3.  4,  P.  L., 
t.  V,  col.  33(5.  Victorin  était  millénariste.  Voir  L.  Atz- 
er,  Geschichte  der  christtichen Eschatologie,  l-'ri- 
boarg-en-Brisgau,  1896,  p.  566-573.  Par  conséquent,  il 
entendait  les  mille  ans,  durant  lesquels  Satan  doit  être 
enchaîné,  du  régne  de  Jésus-Christ  sur  terre.  Mais, 
selon  le  remaniement  de  saint  Jérôme,  les  mille  ans, 
durant  lesquels  Satan  est  lié,  comprennent  tout  le  temps 
qui  s'écoule  depuis  l'avènement  du  Christ  jusqu'à  la  fin 
des  siècles;  mille  ans  sont  la  partie  pour  le  tout.  En 
quoi  consiste  cet  enchaînement  de  Satan?  Diabolus, 
exclusus  a  credenlium  cordibus,  cœpit  impios  possi- 
dere,  tu  quorum  quotidie  csecis  cordibus  tauquaitt  in 
abyssi  profundo  inclusus  est.  l\irco  qu'il  est  scellé,  il 
ne  peut  séduire  ceux  qui  appartiennent  à  Jésus-Christ. 
Quand  b'  nombre  des  saints  des  vierges)  sera  complété, 
les  hommes,  séduits  par  b-  diable,  entreront  en  même 
temps  que  lui  dans  l'étang  de  feu.  In  Apocalypsin  B. 
laannis,  XX,  1-3.  /'.  /...  t.  \.  (îol  341-343.  Pour  saint 
Victorin,  après   b-   règne   de  mille  ans.  le  diable  sera 

l> ■  l'époque  de  la  persécution  de  l'Antéchrist; 

mais  à  l'avènement  de  N'otre-Seigneur,  il  sera  préci- 
pité avec  -••-  ans,  sa  dans  l'enfer.  Voir  Haussleiter,  !>'•,- 
ti'.ische  Schlussabschnitt   du   echten  Apokalypse- 
imentar  des  Bischofs  Viclorinus  von   Pettau,  dans 
blatt,  l89o,   u.  17.  p.  195  198. 
II.  lu    iv    ai    vi'  SIÈCLE.  —  Au  iv  siècle,   nous  con- 
rona  deux  directions  différentes,    prises   par  les 
écrivains  ecclésiastiques  au  sujet  du  diable  et  des  dé- 
mons :  les  uns,  surtout  en  Occident,  garderont  les  opi- 
nions de  leurs  pn  -;  les  autres,  d'abord  en 
Orient,  puis  en  Occident,  expliqueront  d'une  manière 
nouvelle  la  chute  de  tous  les  mauvais  esprits. 
I     Maintien   des  sentiments  io-<;<t:<ie)its.   —   I.   /■.',/ 
"'.       Dans  un  fragment  de  son  livre  De  resurre- 
ne,  qui    nous  ■■  été   conservé   par  saint    I  piphane, 
//•<<  .  i  XIV,  n    19,  21,    /'    '-  .  t.  xi.i.  col.  110-2.  lin;    i  ! 
i"t  Photius,  Bi&ltol               !  ;i.  /'.  a.,  t.  cm.  col.  I  [09, 
1112.  saint  Méthode,  évéque  de  ["yr,  cite  Athi  a 

admet  que  le  diable  a  péché  pai  envie  contre  l'hoi e. 

1  aux  di  mons,  ils  sont  déchus  par  suite  de  leur 
i  harnelle  •  i  de  leur  mai  ia 

lia  avaient  bons  et  libres, 

le  leur  liberté    Dam  nu  autre  fragment, 

il  dit  que  le  <ii  un  imposteur  1 1  a  tendu  des 

'  ragm.,  7.  8,  P    G.,  \    wni.  col 
Dan  m,   or.it.   vin,   c.    X,    il    reconnaît  le 

diable  d  m  m  de  I  Ai  Ibid.,  col.  152, 

163. 
Dana  ses  Art'  i ,  helai  ■  mi  liane  te, 

DICT.    DE  THÉOL.    c\  MOL. 


que  l'on  rapporte  à  la  première  moitié  du  IVe  siècle, 
Hégémonius  traite  de  l'origine  du  diable  et  des  démons  : 
c'était  un  des  points  de  doctrine,  discutés  entre  Arché- 
laiis  et  Manès.  Celui-ci  expliquait  ainsi  l'origine  de  la 
mort  pour  les  hommes.  Une  belle  vierge  se  montra 
aux  princes,  qui  sont  dans  le  firmament.  Épris  de  sa 
beauté  et  enllammés  d'amour,  ils  coururent  après  elle, 
afin  de  l'atteindre;  mais  elle  disparut  subitement.  Alors 
le  chef  de  ces  princes  produisit  des  nuées,  en  assez 
grand  nombre  pour  couvrir  le  monde  entier;  le  prince 
de  la  moisson  répandit  la  famine  et  lit  périr  les  hommes 
par  des  tremblements  de  terre.  Oeeson,  IJegentonius, 
9,  Leipzig,  1906,  p.  13-15.  D'autre  part,  Manès  préten- 
dait que  le  prince  des  ténèbres  était  le  créateur,  12, 
p.  19-20.  A  ces  erreurs,  Archélaus  opposa  la  doctrine 
chrétienne.  Le  diable  a  été  homicide  dès  le  commen- 
cement; c'est  le  semeur  d'ivraie  dans  le  champ  du 
père  de  famille.  Satan,  l'auteur  de  tous  les  maux;  il 
mange  de  la  chair  et  du  sang.  15,  p.  2i-25.  Or,  il  n'est 
pas  inengendré.  Quel  mal  faisait-il  avant  la  création'.' 
18,  p.  29.  Que  convoitait-il?  Qu'enviait-il?  20,  p.  31.  11 
n'a  pas  créé  l'homme;  il  est  tombé  du  ciel,  23,  p.  35. 
Il  a  été  créé  libre,  et  il  agit  librement  sur  les  hommes. 
Quelques  anges  ont  désobéi  aux  ordres  de  Dieu  et  ont 
résisté  à  la  volonté  divine.  L'un  d'eux  est  tombé  du 
ciel  sur  la  terre  comme  la  foudre.  D'autres,  attirés  par 
un  bonheur  misérable,  se  sont  unis  aux  filles  des 
hommes,'  ils  ont  été  affligés  par  le  dragon  et  ont 
mérité  de  subir  la  peine  du  feu  éternel.  Le  diable  a 
cherché  à  les  tromper,  parce  qu'ils  étaient  libres.  Il 
n'est  pas  de  la  substance  de  Dieu,  puisqu'il  a  préva- 
riqué.  Il  est  tombé,  parce  qu'il  n'a  pas  observé  les 
commandements  de  Dieu,  et  il  est  resté  l'adversaire 
des  préceptes  divins,  36,  p.  50-52.  Il  a  trompé  Adam  et 
Eve,  en  les  faisant  désobéir,  il  est  le  père  de  tous  les 
méchants,  37,  p.  53.  Les  juges  de  la  discussion  esti- 
mèrent que  la  question  de  l'origine  du  diable  avait  été 
suffisamment  débattue. 

Un  des  dogmes  que  soutenait  Marinus  dans  le  D'ta- 
logue  d' Adamantins,  qui  est  de  la  lin  du  IT  siècle, 
élait  que  le  diable  n'a  pas  été  créé  par  Dieu.  Adaman- 
tins déclara  que  b1  diable  était  bon  d'abord,  et  non 
pas  mauvais,  mais  que  dès  le  commencement  du 
monde,  il  envia  l'homme  et  qu'il  n'a  pas  cessé  de  l'en- 
vier. Van  de  Bande  Bakhuysen,  Der  Dialog  des  Ada- 
mantius,  sect.  i,  c.  xxvn,  Leipzig,  1901,  y.  52.  Il  a  élé 
créé  par  Dieu;  autrement,  il  >  aurait  deux  principes, 
sect.  il,  c.  i,  vin.  p.  116,  126.  Mais  il  a  été  mauvais 
des  l'origine  du  monde,  et  il  a  persuade  l.ve  de  pécher. 
Dans  l'Écriture,  il  est  appelé  Satan  et  le  malin,  c.  n, 
p.  llfi.  Il  est  jugé  h  condamné  par  Dieu,  parce  que, 
île  bon  qu'il  était,  il  est  devenu  mauvais,  en  abusant 
de  sa  liberté,  c.  xi,  p.  130. 

roui  en  rejetant  le  mariage  d.  s  .m.rs.  Dr  hominis 
opificio,  c.  xvn,  /'.  (',.,  t.  miv.  col.  189,  saint  Grégoire 
de  Nysse  pense  encore  que  Satan  esl  tombé  par  envie. 
Les  anges  sont  des  êtres  incorporels,  opposés  au  bien. 
qui  agissent  an  détriment  de  l'homme.  Us  sont  Bortis 

d'eux  un-,    de   leur  dignité   primitive   h    se   sont 

engagés  dans  la  voie  contraire  au  bien.  L'apôtre  b  s 
appelle  les  puissances  souterraines  et  infernales;  m. us 
l'air,    où    ils    vivent,    est   dit    parfois  souterrain   el    in- 

fernal.  Quand  li  al  abolis,  les  anges  mau- 

ronl  rétablis  dans  leur  premier  état  /'<■  anin m 

■  .   /'    '•'.,  t.  xi  VI,  roi.  72.   Ailleurs,  s, uni 

Grégoire  de  Nysse  'i>i  encore  que  In  Cbrisi  a  fait  du 

bien  a  celui   qui  a  c.msr  notre   perte,  et  il   BJOUte  qui'   h 

mal  disparaîtra  un  jour  el  que  toute  créature  rendra 

.i   Dieu,  Orat.  catechei  ,  c.  xxvi,  /'.  G.,  t.  \i\. 

68.  Le  diable,  lui  aui  ii,  esl  un  -  -  ii-iv 

i  u-  na- 
ture, il  esl  •  xempl  de  la  n  el  de  man- 

i  .m   jour 

IV.  -  12 


:;: 


y<> 


DÉMON    D'APRÈS    LES   PÈRES 


350 


ri  nuit  pour  faire  du  mal.  Ils  tendent  aux  hommes  des 
pièges  de  toute  sorte,  parce  qu'ils  sont  jaloux  des 
hommes  qui  sont  unis  à  Dieu  et  qui  parviendront  au 
bonheur  dont  ils  sont  privés.  De  pauperibus  amandis, 

P.  G.,  t.  xi.vi,  col.  456.  Le  diable  est  le  malin,  dont 
nous  demandons,  dans  l'oraison  dominicale,  d'être  dé- 
livrés. Il  est  Beel/.ébub,  Mammon,  le  prince  du  inonde, 
l'homicide  dès  le  commencement,  le  père  du  men- 
songe, etc.  De  oratione  dominica,  orat.  v,  P.  G., 
t.  xliv,  col.  1192.  La  cause  de  sa  chute  a  été  l'envie  à 
l'égard  de  l'homme,  confirmé  par  la  bénédiction  divine. 
Les  dons  surnaturels,  faits  par  Dieu  à  Adam,  ont  été, 
pour  l'adversaire,  la  source  et  l'excitation  de  l'envie; 
il  a  machiné  des  embûches  pour  empêcher  la  force 
divine  d'agir  dans  l'humanité.  Déchu  à  cause  de  la 
beauté  de  l'homme,  il  a  trompé  l'homme  par  l'attrait 
de  la  nourriture.  Orat.  calechet.,  c.  VI,  xxvi,  P.  G., 
t.  xi.v,  col.  25,  68.  Cf.  De  mortuis,  P.  G.,  t.  xi.vi. 
col.  522. 

Le  péché  d'envie  est  encore  affirmé  dans  une  homé- 
lie, faussement  attribuée  à  saint  Basile.  Homilia  dicta 
in  Lacizis,  n.  8,  9,  P.  G.,  t.  xxxi,  col.  1452,  1456. 
L'envie  est  un  vice  propre  au  diable.  Satan  n'a  pas 
d'abord  été  diable;  d'ange  qu'il  était,  il  est  devenu 
démon.  Infecté  d'envie,  il  s'est  éloigné  de  Dieu.  Sa 
défection  provint  de  ce  qu'il  vit  l'homme,  qui  lui  était 
inférieur,  élevé  au-dessus  des  autres  créatures.  Créé 
avant  l'homme,  il  assista  à  la  création;  il  vit  que 
l'homme  était  supérieur  au  soleil,  puisqu'il  a  été  seul 
fait  par  les  mains  divines;  il  le  vit  dans  les  délices  du 
paradis,  assisté  par  les  anges,  à  qui  il  était  égalé,  par- 
lant avec  Dieu,  et  il  l'envia.  Tant  que  l'homme  fut  seul, 
le  diable  n'eut  pas  d'occasion  de  le  prendre;  après  la 
création  d'Eve,  il  s'attaqua  à  la  femme,  qui  était  plus 
faible.  Ennemi  de  l'homme,  il  fut  aussi  ennemi  de 
Dieu,  ;j.t<jav6pa)7io;,  êitetSï|  xal  Oso^tâ'/o;.  Il  a  haï  Dieu 
d'abord,  qui  avait  ainsi  favorisé  l'homme;  il  se  révolta 
contre  lui,  le  méprisa,  s'éloigna  de  lui.  Il  vit  ensuite 
l'homme  fait  à  l'image  de  Dieu,  et  ne  pouvant  attaquer 
Dieu,  il  s'en  prit  à  son  image. 

2.  En  Occident.  —  Lactance  mêle  différentes  tradi- 
tions, et  il  distingue  nettement  le  diable  des  démons. 
Avant  la  création  du  monde,  Dieu  fit  d'abord  un  esprit, 
qui  resta  bon,  le  Logos,  puis  un  autre,  in  quo  indoles 
divinee  stirpis  non  permansit.  C'est  par  l'envie  qu'il 
devint  mauvais,  abusant  de  la  liberté  qui  lui  avait  été 
donnée.  Mais  ce  n'est  pas  l'homme  qu'il  envia,  lnvidit 
enini  Me  anlecessori,  qui  Deo  Patri  perseverando , 
cum  probatus,  lum  etiam  chorus  est.  Les  Grecs 
l'appellent  8iâêo).ov;  les  chrétiens  criminatorem,  quod 
crimina,  in  quœ  ipse  illicil,  ad  Deum  déférât.  Div. 
instit.,  1.  II,  c.  ix,  P.  L.,  t.  vi,  col.  294-296.  C'est  par 
envie  qu'il  a  trompé  l'homme.  Criminalor  Me,  invi- 
dens  operibus  Dei,  omnes  faUacias  et  calliditates 
suas  ad  decipiendum  honiinem  intendit  ut  ei  adime- 
ret  immortalilatem ,  c.  xm,  col.  323.  Quant  à  la  chute 
des  démons,  Lactance  la  raconte,  en  combinant  la 
tradition  du  livre  des  Jubilés  avec  celle  du  livre 
d'Hénoch  et  en  y  ajoutant  des  traits  de  son  imagina- 
tion. Cum  ergo  numcrus  hominum  cœpisset  incres- 
cere,  providens  Deus  ne  fraudibus  suis  diabolos,  eux 
ab  initio  terrée  dederat  potestatem,  vel  corrumperet 
Itomines  vel  disperderet,  quod  exordio  feceral,  misit 
■angelos  ad  tulclam  culiumque  generis  humant  :  qui- 
bus,  quia  liberum  arbitrium  erat  dation,  prœcepit, 
anle  omnia,  ne,  terrez  contagione  maculati,  subslan- 
tise  cœlestis  amitlerent  dignitatem.  Il  leur  défendit 
de  faire  ce  qu'il  prévoyait  qu'ils  feraient.  Itaque  illos 
cum  hominibus  commorantes  dominalor  Me  terrée 
fallacissimus  consuctudine  ipsa  paulatim  ad  vitia 
pellexit  et  mulicrum  congressibus  inquinavil.  l'um 
in  cselum  ob  peccala  quibus  se  immerserant  non  re- 
cepti,  cccidcrunt  in  terram.  Siceos  diabolus  ex  ange- 


lis  Dei  suos  fecit  satellites  ac  'ministres.  Leurs  fils, 
o'étanl  ni  anges  ni  hommes,  n'ont  pas  été  refus  dans 
les  enfers.  Lactance  distingue  donc  deux  genres  de 
démons  :  les  uns  qui  viennent  du  ciel,  les  autres  de 
la  terre.  Ces  derniers  sont  les  esprits  immondes, 
auteurs  de  tous  les  maux,  et  dont  le  diable  est  le 
prince.  Les  grammairiens  croient  que  ce  sont  les  dieux 
du  paganisme.  Ils  savent  beaucoup  de  choses  futures, 
celles  que  Dieu  leur  permet  de  savoir,  mais  ils  ne  les 
connaissent  pas  toutes;  aussi  leurs  réponses,  dans  les 
oracles  qu'ils  rendent,  sont-elles  ambiguës.  On  les 
évoque  par  la  magie.  Per  omnem  terram  vagantur 
et  solalium  perdilionis  suœ  perdendis  hominibus  ope- 
rantur.  Tout  le  mal,  qui  se  fait  dans  le  monde,  vient 
d'eux.  Aillteerent  enim  singulis  hominibus,  et  omnes 
ostialim  donws  occupant,  al  sibi  geniorum  nomen 
assuniunl.  On  les  vénère.  Sunl  spiritus  tenues  et  in- 
compreliensibiles.  Us  s'insinuent  dans  les  corps  et 
font  du  tort,  c.  xv,  col.  330-333.  L'astrologie,  les  arus- 
pices,  les  arts,  en  particulier  celui  de  faire  des  statues, 
sont  de  leur  invention.  Ils  rendent  des  oracles  et  se 
font  offrir  des  sacrifices  humains,  c.  xvn,  col.  336-341. 
Per  terram  volutantur.  Ils  y  causent  la  mort,  des 
tromperies  et  y  répandent  l'erreur,  c.  xvui,  col.  343. 
Ils  exercent  leur  fureur  contre  les  chrétiens,  1.  V, 
c.  xxn,  col.  623.  Ceux  qui  sont  solides  dans  la  foi  n'ont 
rien  à  craindre  d'eux;  ils  ne  peuvent  leur  nuire,  1.  II. 
c.  xvi,  col.  334-336.  Dieu  est  patient  à  leur  égard 
jusqu'au  jugement  dernier,  après  lequel  il  leur  ré- 
serve les  ténèbres,  l'enfer  et  ses  supplices  éternels, 
c.  xviii,  col.  341-342.  Aussi  craignent-ils  le  jugement 
dernier,  après  lequel  ils  seront  tourmentés,  1.  VIL 
c.  xxi,  col.  800-801.  Au  commencement  du  règne  de 
mille  ans,  le  prince  des  démons  sera  lié  par  Dieu;  ce 
règne  fini,  il  sera  délié  et  il  sortira  de  prison  pour 
faire  la  guerre  contre  les  saints.  Mais  vaincu  par  Dieu, 
il  sera  condamné  au  feu  éternel  avec  ses  ministres, 
c.  xxvi.  col.  813-814.  On  le  voit,  Lactance  a  sur  plu- 
sieurs points  un  sentiment  particulier,  qu'aucun  autre 
écrivain  ecclésiastique  n'adoptera.  Notons  qu'il  rap- 
porte le  déluge  aux  crimes  des  hommes,  mais  pas 
au  péché  des  anges,  1.  II,  c.  xi,  xiv,  col.  313,  326. 
C'est  un  indice  qu'il  ne  se  réfère  pas  au  récit  de  la 
Genèse. 

L'auteur  du  De  singuiaritate  clericorum ,  que  Har- 
nack  et  dom  Morin  croient  être  Macrobius,  qui  écri- 
vait vers  363-375,  cite  l'exemple  des  anges  pour  dé- 
tourner de  l'incontinence  :  Novimus  et  angelos  cum 
feminis  cecidisse.  P.  L.,  t.  iv,  col.  857. 

Aux  opinions  anciennes  qui  sont  en  voie  de  dispa- 
raître, saint  Ainbroise  joint  le  sentiment  nouveau  que 
nous  verrons  prédominer.  Il  se  rallie,  en  effet,  à  la 
théorie  d'Origène,  expliquant  la  chute  de  Satan  par 
l'orgueil,  mais  il  maintient  la  tentation  d'Adam  et 
d'Eve  par  motif  de  jalousie  et  le  commerce  charnel 
des  anges  avec  les  femmes.  Le  serpent  au  paradis  ter- 
restre était  la  figure  du  diable,  ainsi  que  le  prince  de 
Tyr.  Ezech.,  xxvui.  13.  La  plupart  prétendent  que  le 
diable  n'était  pas  au  paradis;  il  y  était  réellement, 
quoi  qu'il  soit  écrit  dans  le  livre  de  Job  que  Satan  est 
au  ciel  avec  les  anges.  Philon  disait,  mais  à  tort,  que 
le  serpent  était  la  ligure  de  la  volupté.  De  paradiso, 
c.  u.  n.  9,  11,  P.  L.,  t.  xiv,  col.  278,  279.  Le  serpent 
fut  le  véritable  ennemi  du  genre  [humain,  qu'il  perdit 
par  envie.  Sap.,  u,  24.  Le  diable  ne  put  supporter  le 
bonheur  dont  l'homme  jouissait  au  paradis;  il  envia  le 
sort  de  l'homme,  qui  avait  été  formé  du  limon.  Lui, 
qui  avait  été  d'une  nature  supérieure  et  qui  était 
tombé  sur  terre,  il  jalousait  l'homme  qui  dépassait  les 
choses  éternelles;  il  voyait  avec  peine  que  l'homme 
avait  obtenu  ce  que  lui-même  avait  perdu,  c.  xu,  n.54, 
col.  301.  Satan  avait  donc  péché  avant  de  tenter 
l'homme.  L'archange  n'a  pas  su  s'abstenir  du  péché. 


357 


DÉMON    D'APRÈS   LES    PÈRES 


358 


Satan    et  ses    anges    n'ont  pas  su   garder    leur  place. 
Expositio  Ev.  sec.  Lucam,  1.  IV,  n.  67,  P.  L.,  t.  xv, 
col.  1632-1633.  Invidus  cl  humani  generis  adversarius 
de  statu  superiori  dejectus  est.  In  ps.  xxxvu  enarrat., 
n.  21,    P.   L.,    t.    xiv,   col,    1019.   Il   avait  péché    par 
orgueil,  selon  Is.,  xiv,  14.  In  ps.  .v.v.vr  enarrat.,  n.   11. 
col.    958.    I'er  superbiam  nalurœ    suœ  amisit  gra- 
tiam...,  consortiis  excidil  angelorum.  In  ps.  cxvui, 
serin,  vu.   n.  8,  P.   L.,  t.  XV,  col.  1283.  Son  péché  est 
plus  grand  que   celui  de  l'homme,   lbid.,  serm.  vin, 
n.  28,  col.  1306.  Il  est  l'auteur  de  l'idolâtrie.  De  para- 
diso,  c.  xiii,   n.  61,  P.  L.,  t.   XIV,  col.  306.  Les  anges 
des  cieux,  d'après  l'Écriture,  de  sua  virtute  et  gratia 
ti  sunt,  par  la  même  faute  que  le  roi  David.  Apo- 
logia  pruphelse  David,  c.  i,  n.  4,  col.  855.  Il  est  écrit 
que  les  anges  ont  aimé  les  filles  des  hommes,  eo  quod 
terrenis  rapti  detineantur  illecebris  princeps  mundi 
istius  <<•■  ministri  ejus,  in  <juibus  nequitia  spiritalis 
veneris  quibusdam  carnis  hujus  irrctila  et  liumanis 
est  infecta  criminibus.  In  ps.  <  XVIII,  serm.  VIII,  n.  58, 
/'.  /..,  t.  xv,  col.  1319.  Cf.  serm.  iv,  n.  8,  col.  1243,  où 
le  passage  de  la  Genèse,  vi,  3,  est  expliqué  des  vierges 
dans    un    sens   spirituel,  qui  exclut    le    mariage   des 
anges  :  Qui  ergo,  cum  angeli  viderentur,  capli  sunt 
décore  femineo,    hi   caro   sunt.    Qui   autem    corpora 
feminarum  capiuntur   libidine,  caro  sunt.   Ils  sont 
tombés  du  ciel  dans  le  siècle  propler  iulemperantiam. 
De  virginibus,  1.  I,  c.  vin,  n.  53,  P.  L.,t.  xvi,  col.  203. 
Ils  ont  engendré  les  géants.  Cependant,  saint  Ambroise 
ajoute  que  l'Écriture  appelle  souvent  les  anges  fils  de 
Dieu,  parce  que  les  âmes  ex  nul  lu  homine  generan- 
tur,  et  il  observe  que  viros  fidèles  filios  suos  dicere 
non  est  aspernalus  Deus.  De  Noe  et  arca,  c.  IV,  n.  89, 
/'.  /..,  t.  xiv,  col.  366.  Les  anges  tombés  habitent  dans 
l'air,  entre    le   ciel  et  la  terre,  pas  au  vrai  ciel,  bien 
qu'il   soit  écrit  que  Satan  a  été  au  conseil  des  anges. 
Pour  ces  esprits  de  malice,  il  n'y  a  pas  de  rémission; 
le  feu  éternel  leur  est  réservé,  lu  /..s.  cxviii,  serm.viii, 
J,  /'.  L.,  t.  xv,  col.  1318-1319.  Si  les  hommes  mau- 
vais sont  punis  tout  de  suite  après  leur  mort,  la  puni- 
lion  du  diable  est   renvoyée  a    plus    lard.    Differtur 
um,  ut  sit  semper  m  punis  reus,  seni- 
mprobiUUii  tux  innexus  catenis,  conscienlia 
m  perpetuum  suslineal  ipta  judiciuni.  lbid.,  serm.  xx. 
n.   22.  23.   col.    1491.    Si   Satan   esl  tombé  connu.'   ta 
foudre,  c'est  qu'il  a  perdu  ce  qu'il  avait.  Le  s;enre  de 
sa  condamnation  n'est  pas  la  mort,  sed  posna  diuturna. 
Il    n    10,   il.  /'.  /..,  t.  mv,  col.  588. 
I.a  légion  des  démons,  qui  demander*  nt  d'entn  r  dans 
des  poi  i  '!■    subir  avant  le  temps  les  tour- 

ments  qui  leur  sonl  dus     /  Ev.  sec.  Lu 

l.  VI,  n    16,  P.  /     i   xv,  col,  1680. 

Ru  fin  semble  fane  allusion  aux  légendes  des  Jubilés 
il  d'Hénoch,  quand  il  extrait  de  secrelioribus  (des  livres 

inis  :  que  Dieu 
ouvei  m  m. ni  du  monde. 
Dent.,  xxxii,  8,  el  que  quelqui  -  uns,  aussi  bien  que 
le  prince  di  c<  monde,  ne  remplirent  p.i -  la  mission 
qu  ils  avaient  reçue  di  Dieu  el  n'apprirenl  pas  aux 
hommes  ■■  obi  de  Dieu,  mais  i  imiter 

leur 

IV  /     L.,  t.  xxi,  col.  353.  Il  ajoute,  n.  H». 

1    que  la  crois  du  Christ  a  soumis  ceui  qui  ont 

m. >l  n-.   de  leurs  pouvoirs,  i  i  qne  Jésus,  en  descendant 

le  pi  m.  <■  de  la  mort  A  l'hamei  on, 

i...   \\\n.  3;  P      i  hxiii,   l  i.    Job,  m  .    20,  et    i 
i  ■  nfei  -.    Ru  On  plaçait  donc  ce 
ml   li    derniei   jugement. 
Dana  son  Hit  [t«  ■  n  US),  t.  I,  n 

I'    l  .  '  96-97,  Suij  qu'à 

1  époqui     di     '  qui    babil. lient    .ni    ciel, 

fur.  ot  séduit      par  la   beaul     di 

al  poui   e||.  i .  coupabli 


dirent  du  ciel,  les  épousèrent  et  en  eurent  des   géants 
dont  la  malice  fut  cause  du  déluge. 

Le  poète  gallo-romain,  Cyprien,  qui  vivait  vers  400, 
chante  en  vers  latins  la  tentation  de  nos  premiers  pa- 
rents par  le  serpent,  qui  est  le  dragon,  ainsi  que  le 
mariage  des  anges  et  la  naissance  des  géants,  qui  pro- 
voquèrent le  déluge  universel.  Genesis,  c.  m,  72  sq., 
106  sq.;  c.  VI,  234-249,  P.  L.,  t.  xix,col.348,  319,  353. 
Voir  t.  m,  col.  2471-2472. 

Le  poète  Commodien,  qu'on  place  généralement  au 
IIIe  siècle,  voir  t.  ni,  col.  414-415,  mais  que  le  P.  H.  Bre- 
wer,  Kommodian  von  Gaza,  Paderborn,  1906,  croit 
être  un  laïque  d'Arles,  de  la  seconde  moitié  du  ve  siè- 
cle, admet  aussi  la  chute  charnelle  des  mauvais  anges, 
que  Dieu  avait  envoyés  visiter  la  terre  et  qui  furent 
séduits  par  la  beauté  des  femmes.  Ainsi  souillés,  ils 
ne  purent  retourner  au  ciel,  et  Dieu  punit  leur  rébel- 
lion. Ils  engendrèrent  les  géants,  qui  enseignèrent 
aux  hommes  les  arts,  notamment  celui  de  teindre  la 
laine,  et  l'idolâtrie.  Parce  qu'ils  étaient  de  race  mau- 
vaise, Dieu  refusa  de  les  recevoir  après  leur  mort.  Ils 
sont  donc  vagabonds  et  ils  font  périr  beaucoup  d'hommes. 
Les  païens  les  adorent  et  les  prient  comme  leurs  dieux. 
Jnstitutiones  adversus  gentium  deos,\.  I,  c.  m,  P.  L., 
t.  v,  col.  203-204;  Dombart,  Conimodiaui  carmina. 
Vienne,  1887,  t.  xv,  p.  7.  Commodien  mêle,  lui  aussi, 
la  tradition  du  livre  des  Jubilés  avec  celle  d'Hénoch, 
et  ses  idées  se  rapprochent  de  celles  de  Lactance. 

2° Introduction  <i une  nouvelle  doctrine  sur  la  chute 
des  anges.  —  Les  docteurs  tendent  à  ne  plus  distinguer 
Satan  des  autres  démons  et  à  expliquer  leur  chute 
commune  par  l'orgueil.  Ils  rejettent  le  livre  d'Hénoch 
et  ses  rêveries  sur  le  mariage  des  anges.  Celte  doctrine, 
empruntée  à  Origène,  est  acceptée  d'abord  en  Orient  et 
se  répand  progressivement  en  Occident,  où  elle  finit 
par  devenir  universelle,  quoiqu'on  y  repousse  moins 
catégoriquement  la  légende  du  mariage  des  anges. 

1.  Eu  Orient.  —  Eusèbe  de  Césarée,  au  début  du 
iv«  siècle,  s'occupe  longuement  des  démons  dans  sa 
Préparation  évangélique.  En  exposant  la  doctrine  des 
Grecs  sur  les  dieux,  les  démons,  bons  et  mauvais,  et 
les  génies, d'après  Porphyre  etPlutarque,  il  affirme  en 
passant  quelques  points  de  renseignement  chrétien. 
Dans  les  saintes  Lettres,  il  n'y  a  pas  de  bons  démons, 
I.  IV.  c.  v,  P.  G. a.  xxi,  col.  248.  Les  sacrifices  païens 
sont  offerts  aux  démons,  c.  XIV,  xv,  col.  265.  268.  Ces 
esprits  habitent  dans  les  lieux  voisins  de  la  terre 
nourrissent  de  la  fumée  el  de  l'odeur  des  sacrifices, 
c.  XXII,  col.  300-304.  Les  prophéties  et  les  oracles  des 
démons  ont  cessé  après  l'avènement  de  Jésus-Christ, 
I.  V,  c.  i,  col.  309-313.  Les  puissances  de  l'air  habitent 
dans  l'air  ténébreux,  auprès  des  tombeaux,  des  statues, 
et  se  plaisent  dans  les  matières  impures,  le  sang,  la 
.une,  dont  ils  aiment  l'odeur.  Les  sacrifices  leur  sont 
agréables  et  ils  favorisent  l'idolâtrie.  Ces  ntp'.ysw  5x1- 
|j.ove;  sont  auteurs  des  maléfices,  c.  Il,  col.  313.  316. 
Les  oracles  païens  étaient  rendus  pu  eux,  c  iv, 
col.  3I7;;-j'i  \  propos  des  titans,  Eusèbe  se  demande 
si  ce  que  l'Écriture  dit  des  géants  el  de  leurs  pères  s'y 
rapporte.  Il  cite  tien,,  vi.  2,  avec  la  leçon  :  iyfti.ot  to0 
SioO,  col.  324.  Il  ajoute  qne  ce  qu.'  les  païens  ont  dit 
des  géants,  dont  ils  oui  lait  des  dieux,  esl  fabuleux, 
e.  v.  col,  321  sq  Les  Grecs  croyaient  que  les  démons 
étaient  adonnés  •*  la  volupté,  c.  vu,  col.  332  sq. 
i       Hébreux  ont  connu   les  esprits  déchus,  qui  se 

-- ■ . i •  i   libre ni  détourni     de   leur  vote.  Ils  leur  ont 

donné  difiérents  noms.  Le  premier  tombé,  qui  ..  en 
traîné  les  autres  dan 

teur  volontaire  de  la  lun  il  i e-  le  dragon, 

apent,  la  i"  ti  '-ruelle,  lion,  reptile,  Eusèbe  déter- 
mine tt  et  ■  chute  d'après  l'Écriture  el  il  la 

Il   ap- 

pliqui  •.".  xi> .  sur  Lui  Ifi  i    I 


:ir>9 


DEMON    D'APRES   LES    PERES 


300 


sa  chute,  il  était  uni  aux  vertus  les  plus  divines;  il  s'en 
est  séparé  par  son  arrogance  et  sa  rébellion  contre 
Dieu.  Il  a  sous  lui  une  nation  innombrable  et  infinie 
d'esprits,  coupables  des  mêmes  crimes,  exclue  par  son 
impiété  de  la  société  des  anges  pieux  et  précipitée  dans 
le  Tartare,  que  les  saints  Livres  nomment  abîme  et 
ténèbres.  Une  petite  partie  est  demeurée  autour  de  la 
terre,  de  la  lune,  et  dans  l'air  inférieur,  pour  éprouver 
les  athlètes  chrétiens.  Ils  ont  fabriqué  la  multitude  des 
dieux.  Ils  sont  appelés  dans  l'Kcriture  esprits  mauvais, 
démons,  principautés,  pouvoirs,  princes  du  monde, 
esprits  de  malice.  Au  Ps.  xc,  13,  on  leur  donne  les 
noms  symboliques  d'aspic,  de  basilic,  de  serpent  et  de 
dragon.  Par  haine  de  Dieu,  ils  affectent  d'être  dieux  et 
se  font  rendre  les  honneurs  divins,  1.  VII,  c.  XVI, 
col.  553,  556. 

Eusèbe  ajoute  quelques  traits  à  cette  doctrine  dans 
sa  Démonstration  évangélique.  Les  démons  se  font 
offrir  des  sacrifices  partout.  Ils  trompent,  en  rendant 
des  oracles,  parce  qu'ils  sont  ignorants;  ils  disent  des 
obscénités,  1.  V,  proœm.,P.  G.,  t.  xxn,  col.  337.  Ils  ont 
en  horreur  le  nom  de  Jésus,  1.  III,  n.  4,  col.  233-236. 
Les  puissances,  ennemies  de  Dieu,  sont  les  esprits  les 
plus  dépravés,  qui  sont  sous  les  ordres  du  grand  démon, 
leur  prince.  Les  premiers,  ils  ont  chancelé  dans  le 
culte  divin,  et  comme  ils  enviaient  le  salut  des  hommes, 
ils  leur  ont  tendu  des  pièges.  Ils  sont  les  auteurs  du 
mal.  Isaïe,  x,  13,  14;  xiv,  12,  15,  a  parlé  du  grand 
démon.  Les  mauvais  démons  sont  partout,  disposés  et 
armés  sous  sa  conduite.  Ils  portent  les  hommes  aux 
voluptés,  1.  IV,  n.  9,  col.  272-273.  Cf.  In  Isaiani,  xiv, 
9,  P.  G.,  t.  xxiv,  col.  192. 

Saint  Athanase  unitaussi  les  démons  au  diable.  Celui- 
ci  est  l'inventeur  du  mal;  c'est  le  grand  démon,  le  ser- 
pent, le  dragon,  le  lion  qui  cherche  à  dévorer.  Il  a  trompé 
les  hommes  et  séduit  Eve;  il  a  mis  ainsi  les  hommes 
sous  son  pouvoir;  mais  le  Christ  a  détruit  sa  puissance. 
Epist.  ad  episc.  JEgypli  et  Libyse,  n.  1,  2,  P.  G., 
t.  xxv,  col.  540-541.  Cet  ennemi  du  genre  humain  est 
tombé  du  ciel;  il  erre  dans  l'air,  où  il  commande  aux 
autres  démons,  qui  subissent  son  empire;  il  séduit  les 
hommes  et  s'efforce  de  s'opposer  à  ceux  qui  tendent  en 
haut.  Notre-Seigneur  est  venu  le  renverser,  purger  l'air 
de  sa  présence  et  nous  ouvrir  le  chemin  du  ciel.  Oral, 
de  incarnatione  Verbi,  n.  25,  ibid.,  col.  140.  Depuis 
lors,  il  n'y  a  plus  d'oracles  ni  de  magie,  n.  46,  col.  177. 
Comment  le  diable  a-t-il  péché?  Saint  Athanase  est  peu 
précis  à  ce  sujet;  il  dit  seulement  que  le  diable  était 
en  désaccord  avec  Dieu,  et  qu'il  a  été  expulsé  du  ciel, 
pour  n'avoir  pas  conservé  l'accord  avec  son  créateur. 
De  synodis,  n.  48,  P.  G.,  t.  xxvi,  col.  780.  Toutefois, il 
aurait  admis  la  chute  par  orgueil,  si  le  traité  De  vir- 
ginilale  était  certainement  de  lui.  Selon  l'auteur  de 
cet  écrit,  Satan  a  été  jeté  hors  du  ciel,  non  pas  pour 
fornication,  adultère  ou  vol;  c'est  l'orgueil  qui  l'a  pré- 
cipité dans  le  fond  de  l'abîme,  Is.,  xiv,  14,  et  le  feu 
éternel  est  son  partage,  n.  5,  P. G.,  t.  xxvm,  col.  257. 
Dans  la  Vita  S.  Antonii,  n.  24,  P.  G.,  t.  xxvi.  col.  877s 
880,  saint  Athanase  déclare  que  Job,  xli,  9-11,  18-21,  a 
décrit  Satan  que  Notre-Seigneur  a  pris  par  l'hameçon 
comme  le  dragon  marin. 

Pour  saint  Cyrille  de  Jérusalem,  le  démon  est  le 
premier  auteur  du  péché  et  le  père  de  tous  les  maux. 
I  Joa.,  m,  8.  11  est  le  premier  pécheur,  et  il  a  péché 
librement  et  pas  par  nécessité.  Créé  bon,  il  est  devenu 
mauvais  et  a  mérité  son  nom  :  c'est  un  archange  devenu 
diable,  Satan  l'adversaire.  Ezech.,  xxvm,  12-17  ;  Luc,  x. 
18.  En  tombant,  il  a  entraîné  beaucoup  d'autres  avec 
lui.  Cal.,  n,  n.  3,  4,  /'.  G.,  t.  xxxm,  col.  385,  388.  Dieu 
le  lient  sous  sa  puissance,  mais  il  le  supporte  avec 
patience  et  le  fait  contenir  par  les  anges.  Il  lui  a  per- 
mis de  vivre  pour  deux  raisons  :  1°  pour  lui  inlliger 
une  plus  grande  honte; 2"  pour  couronner  les  hommes. 


soumis  à  ses  tentations.  Cal.,  vin,  n.  4.  col.  628-029. 
Sachant  que  Dieu  devait  naître  d'une  vierge,  le  démon, 
par  calomnie,  a   inventé  les    fables  des  idoles  et   des 
dieux,   engendrant  avec  des  femmes.  Cal.,  xv,  n.  Il, 
col.  884.  Il  est  appelé  esprit,  mais  c'est  un  esprit  im- 
monde. La  manière  dont  il  agit  sur  les  possédés  mon- 
tre qu'il  n'a  pas  un  corps  épais.  Cal.,  xvi,  n.   13,  15, 
col.  936,  937-9iO.  Le    prince  des  mauvais  démons  est 
un  tyran.  Il  habite  à  l'Occident,  dans  les  ténèbres  sen- 
sibles, où  il  règne.  C'est  pourquoi  les  baptisés  se  tour- 
nent vers  l'Occident  pour   renoncer  à   Satan.  C'est  le 
serpent  rusé,  qui  a  inspiré  la  défection  à  nos  premiers 
parents.   Cal.,  xix,  n.  3,  i,  col.  1068,    1069.  Il  est  le 
mauvais,  dont  nous  demandons  d'être  délivrés,  en  réci- 
tant l'oraison  dominicale.  Cal.,  xxm,  n.  18,  col.  1124. 
Saint    Basile,  dans    ses  ouvrages    authentiques,  est 
nettement  partisan    de  la  chute  de  Satan  par  orgueil. 
Le  diable  est  une  substance  simple,  tombée  du  ciel;  il 
a  perdu   la   véritable  vie,  en   changeant  de  volonté  ;  il 
est   devenu   diable  par  sa  manière  d'agir;  sa  sainteté 
première  a  disparu,  et  sa  puissance   a  été  portée   au 
mal.   Epist.,  1.    I,   epist.  vin,    n.    10,  P.    G.,  t.   XXXII, 
col.  264.    Le  premier-né  des  démons  est    l'auteur   de 
tout   mal.  In   Uexaemeron,  homil.   VI,  n.   1,  P.    G., 
t.  xxix,  col.  117.  Si  le  mal  ne  vient  pas  de  Dieu,  d'où 
vient  le  diable?  De  même  que  l'homme,  le  diable  est 
mauvais  par  sa  propre  volonté.  Il  était  libre  et  pouvait 
persévérer  dans  le  bien  ou  s'en  éloigner.  Satan  était 
ange  comme  Gabriel.  Celui-ci  a  assisté  Dieu  constam- 
ment; celui-là  est  entièrement  sorti  de  son  ordre.    Il 
n'est  pas    l'adversaire   du   bien  par  nature,  mais   par 
volonté.  Pourquoi  nous  fait-il  la  guerre?  Il  a  eu  la  ma- 
ladie  de  l'envie;  il   nous  a   envié  l'honneur  qui  nous 
était  fait.  Il  n'a  pu  sans  regret  voir  notre  vie  au  para- 
dis, et  il  a  trompé  Adam.  Comme  il  se  voyait  exclu  de 
l'assemblée  des  anges,  il  ne  put  soutenir  que  l'homme, 
formé  de  terre,  soit  élevé  à  la  dignité  des  anges.  Il  nous 
a  donné  son  inimitié  contre  Dieu.  Il  se  nomme  Satan, 
parce  qu'il  est  l'adversaire  du  bien.  Sa  nature  est  in- 
corporelle. Eph.,  vi,  12.    Il  habite  l'air.  Eph.,  n.  2.  Il 
est  dit  le  prince  de  ce  monde,  parce  que  sa  principauté 
est  sur  le  globe,  déchu  qu'il  est  de  sa  principauté  pre- 
mière.   Quod   Deus    non    est  auctor   matorum,   8-10, 
P.  G.,  t.  xxxi,  col.  3iô-352.  L'orgueil,  ô  ~jtpo;,  est  le 
premier  des  vices  de  l'homme; c'est  le  crime  du  diable. 
Adversus   Eunomium,    1.    I,    n.    13,  P.    G.,  t.  xxix. 
col.5il.  C'est  l'orgueil  quil'a  fait  tomber  du  ciel.  Quand 
Adam  a  été  créé,  il  l'a  tenté  par  envie.  Peut-être  avant 
la  création  de  l'homme,  restait-il  au  diable  lui-même 
quelque   place  à  la  pénitence.  Bien  que   l'orgueil   ait 
été  pour  lui    une  maladie  très   invétérée,  elle  aurait 
pu  être    guérie   par   la    pénitence,    et   ce  remède   eut 
fait  réintégrer  le  diable  dans  son  état  primitif.  Mais 
après  la  création  d'Adam,  après  l'envie  portée  à  l'homme, 
après  la  tentation,  il  n'y  a  plus  eu  pour  le  démon  de 
place  à  la  pénitence.  In  Isaiani,  xiv,  19,  P.  G.,  t.  xx\. 
col.  609.  Cependant,  ailleurs,  saint  Basile  semble  join- 
dre l'envie  à  l'orgueil.  C'est  par  esprit  de  fausse  gloire 
que  le  diable  a  trompé   l'homme.  En  voulant  nuire  à 
l'homme,  il   se    montra    transfuge  et    fut  destiné  à   la 
mort  éternelle.  11  fut  ainsi  victime  de  sa  propre  astuce 
et  pris  dans  ses  pièges.   Orgueilleux    à    l'occasion  de 
l'homme",  il  a  été  humilié  par  l'homme.  Homil.,  xx, 
De  humititate,  n.  I,  2,  5,  P.  G.,  t.  xxxi,  col.  525,  528, 
533.  Dans  deux  ouvrages  douteux,  saint  Basile,  s'il  les 
a  composés,  aurait  été  résolument  partisan  de  la  chute 
du  diable  par  envie.  Ce  défaut  suit  le  diable.  C  est  lui 
qui   l'a    poussé  à   faire  la  guerre  aux  hommes:  il  a  été 
puni  par  lui  en  luttant  avec  Dieu  lui-même.  Mécontent 
de  Dieu  à  cause  de  sa  munificence  envers  l'homme  et 
ne  pouvant  se  venger  sur  Dieu,  il  se  vengea  sur  l'homme. 
Il  est  donc  tombé  par  envie.   Homil.,  xi,  De  invidia, 
n.  1.  3,  4,  ibid.,  col.  372-376,377. 


:tôi 


DÉMON    D'APRÈS    LES    PÈRES 


362 


Saint  Grégoire  de  Nazianze  déclare  que  les  anges  ne 
se  marient  pas.  Poem.  moral.,  sert,  n,  1,  P.  G.,  t.  xxxvu, 
col.  525.  Il  attribue  à  l'orgueil  la  chute  de  Lucifer  et  de 
tous  les  anges.  Lucifer  a  péché  le  premier;  il  s'est  élevé 
et  enorgueilli.  Il  voulait  obtenir  la  gloire  même  de  Dieu; 
mais  il  a  perdu  sa  beauté,  est  devenu  ténèbres  et  est 
descendu  sur  terre.  Il  hait  les  hommes  prudents  et  il 
cherche  à  les  détourner  du  ciel,  par  colère  causée  par 
son  propre  malheur.  Par  envie,  il  a  chassé  l'homme  du 
paradis.  Il  a  péché  par  orgueil,  non  pas  seul;  il  est 
tombé  avec  beaucoup  d'autres,  à  qui  il  avait  appris  le 
mal.  Il  était  envieux  du  chœur  d'anges  pieux,  qui  for- 
maient la  cour  du  roi  du  ciel,  et  il  désirait  comman- 
der à  beaucoup.  Nombreux,  en  effet,  sont  les  démons, 
qui  portent  au  mal.  L'armée  est  mauvaise  comme  son 
chef.  Il  y  eut  une  grande  guerre  entre  les  anges  :  les 
uns  eurent  la  vie  éternelle;  Satan  indompté  porta  plus 
tard  la  femme  à  désobéir.  Le  Christ  l'a  réprimé,  et  le 
feu  allumé  de  l'enfer  sera  sa  récompense.  11  souffre  au- 
paravant dans  ses  ministres,  tandis  qu'eux  sont  tor- 
turés; tel  est  le  supplice  du  premier  méchant.  Poem. 
dogntal.,  sect.  i,  56  sq.,  col.  444-445.  L'envie  a  obscurci 
Lucifer,  qui  est  tombé  par  orgueil.  Il  s'indignait,  6eïo; 
wv,  de  n'être  pas  Dieu.  Il  a  chassé  Adam  et  Eve  du 
paradis,  (haï.,  XXXVI,  n.  5,  P.  G.,  t.  XXXVI,  col.  269. 
Par  l'envie  du  cruel  dragon,  l'homme  a  été  chassé  du 
paradis.  Poem.  moral.,  sect.  n,  1,  P.  G.,  t.  xxxvu, 
col.  531.  Les  démons  ont  envié  et  détesté  l'homme, 
qu'ils  poussent  au  mal.  Oral.,  xxxix,  7,  P.  G.,  t.  XXXVI, 
col.  341. 

Pour  réfuter  Manès,  saint  Kpiphane  dit  seulement 
qu'à  l'origine  le  diable  n'était  pas  mauvais,  et  que  plus 
tard  il  a  pensé  au  mal,  qu'il  a  réellement  accompli. 
Dieu  l'a  permis,  parce  qu'il  avait  créé  le  diable  libre. 
Béer.,  i.xvi,  n.  16,  P.  G.,  t.  xlii,  col.  52. 

Théodore)  réfutait  la  même  erreur.  Marcion,  Cerdon 
et  Hanès  prétendaient  que  les  démons  n'avaient  pas 
été  créés.  S  il  eu  était  ainsi,  ils  auraient  donc  été  les 
égaux  de  Dieu  en  honneur.  Dans  ce  eus,  ils  n'auraient 
pu  être  créés;  mais  ils  n'auraient  pu  davantage  être 
punis.  Or,  ils  seront  justement  punis  par  le  feu  éternel, 
parce  qu'ils  ont  été  les  auteurs  du  vice.  Satan  a  été 
mauvais  par  volonté,  lui  et  ses  anges.  Ils  sont  tous  in- 
corporels. Ne  se  souvenant  pas  de  la  bienveillance  que 
Dieu  leur  avait  témoignée,  mais  cédant  au  faste  et  à  l'ar- 
nt  il. ■chu-  de  leur  sort  précédent.  La  cause 
pour  !<■  diable  est  l'orgueil,  el  Théodore)  cite  en  preuve 
de  nombreux  textes  des  deux  Testaments,  entre  antres 
ceux  d'Isaïi  ■  i  .1  I  zéchiel. Heeret.  fabul.  conipendium, 
I.  V.  n.  8,  P.  G.,  t.  i. xxxiii.  col.  173,  170,  177.  La  doc- 
trine chrétienne  sur  les  démons  est  contenue  dans  les 
saintes  Lettres, qui  parlent  des  démons,  de  leur  prince, 
itan,  l'apostat,  el  du  diable,  le  calomniateur.  Ils 
n'ont  pas  mauvais  par  Dieu;  ils  le  sont  de- 

venu- par  le  vice  de  leur  volonté.   Pas  satisfait 
dons  qu'ils  avaient  reçus,  ;i-|>ir.-ini  i  un  sorl  plus  i  I 
il-  ont  contraeti   la   tache  de  l'orgueil  el  on)  été  exclus 
de    leur   dignité.    Il-    ont    tourné     leur    rage    contre 

l'hoi -i  qui  il-  ont  déclaré  la  guerre.  Dieu  nous  pro- 

auts  i  .n  l<  s  angi    gai  dii  us    G 
•■•  .  lll    ibid.,  col.893,896.A  la^octrim 
tienne,  il  opposi    celle  de  Platon,  col.  896-897,  el   il 
tuteur  du  mal.  i 
i  acifer,  qui  est  tombé  du 
orgueil.  /><  /  aiam,  xiv, 
19,  /''..i    i  xxxi  pro. 

■m  le  démon  mauvais,  qui  exerçait  en  lui  sa  ma- 
I  '  i  M  était  iniiii.i 

diri 
In   l  m    ibid  .  col.   1096  1097    II  est  tombé, 

qu'il  n  i  i'-i-    oulu  -e  i  ontenter  di  ni  lui 

lu  p$.    m  \  v/,    /'.    e,'.,    i.    i.xxx, 
1529    I       erpenl    tentateui   était  le  démon,  qui, 


usant  de  son  pouvoir  sur  les  êtres  irraisonnables,  a 
pris  cet  animal  comme  organe.  Aussi  a-t-il  reçu  la 
malédiction  divine.  Dieu  l'avait  créé,  prévoyant  qu'il 
ferait  le  mal  ;  il  l'a  laissé  abuser  de  sa  liberté,  pour 
éprouver  les  autres.  In  Gen.,  q.  xxxi,  xxxiv,  xxxvi, 
ibid.,  col.  128,  129,132.  Quelques  hommes  stupides  ont 
prétendu  que  les  fils  de  Dieu,  Gen.,  VI,  2,  4,  étaient  les 
anges,  qui  pourtant  sont  immortels.  Le  père  du  men- 
songe n'aurait  pas  osé  le  dire.  Ces  fils  de  Dieu  étaient 
des  hommes  méchants,  qui  ont  été  punis;  le  texte 
l'exige.  Du  reste,  les  hommes  sont  nommés  fils  de  Dieu 
ailleurs  dans  l'Écriture.  In  Gen.,  q.  xlvii,  col.  148-149. 
Avant  sa  chute,  le  diable  avait  la  puissance  de  l'air. 
Déchu  à  cause  de  sa  malice,  il  est  devenu  le  maître  de 
l'impiété  et  de  l'improbité.  Il  n'a  pas  pouvoir  sur  tous 
les  hommes,  mais  seulement  sur  ceux  qui  n'écoutent 
pas  les  divins  enseignements.  Interpret.  Epist.  ad 
Epli.,  ii,  2,  P.  G.,  t.  lxxxii,  col.  520.  Pour  Théodoret, 
les  démons  sont  inguérissables.  In  Mich.,  vi,  7,  P.  G., 
t.  lxxxi,  col.  1772. 

Saint  Chrysostome  tient   pour  absurde  le  sentiment 
de  ceux  qui,  dans  les  fils  de  Dieu  de  la  Genèse,  voient 
des  anges  et  non  des  hommes.  Ils  ne  peuvent  indiquer 
aucun  endroit  de  l'Écriture,  où  les  anges  soient  appe- 
lés fils  de  Dieu.  Ils  prétendent  que'les  anges  sont  des- 
cendus du  ciel  pour  s'unir  à  des  femmes  et  ont  ainsi 
déchu  de  leur  dignité.  C'est  une  fable.  Voici,  d'après 
l'Écriture,  la  cause  de  leur  ruine.   Avant  que  l'homme 
ne  fût  créé,  le  diable  était  tombé,  aussi  bien  que  ceux 
qui,  avec  lui,  ambitionnèrent  une   plus   haute  dignité. 
Sap.,  n,  24.  S'il  n'était  pas  tombé  auparavant,  comment, 
demeurant  dans  sa  dignité  première,  aurait-il  pu  envier 
l'homme  corporel?  Parce  qu'il  avait  passé  de  la  gloire 
suprême  à    l'ignominie    extrême,  quoique   incorporel, 
il  vit  l'homme  honoré  par  le  créateur,  et  jaloux  de  lui, 
le  trompa.  Il  n'a  pas  pu  supporter  le  bonheur  d'autrui. 
C'est  ainsi    que  lui  et   sa   cohorte   sont   tombés.  Une 
nature  incorporelle  n'a  pu  avoir  de  concupiscence.  Les 
hommes  sont  dits  fils  de  Dieu  dans  l'Écriture;  dans  la 
Genèse,  ce  sont  les  fils  de  Seth.  In  Gen.,  homil.  xxn, 
2,  3,  P.  G.,  t.  lui,  col.  187-189.  Le  diable  n'a  été  rejeté 
et   n'est  devenu  diable    que  par  son  orgueil.    Ce  vice 
l'a  jeté  loin  de  celui  qui  faisait  sa  confiance  antérieure, 
l'a   précipité  dans  la  géhenne   et  en   a  fait  l'auteur  de 
tous  les  maux.  In  Joa.,  homil.  XVI,  n.  4,  P.  G.,  t.  i.ix, 
col.  106.  Le  diable  a  été  bon  :  sa  paresse  et  son  déses- 
poir l'ont  fait  tomber,    et   sa    malice   est  telle  qu'il  ne 
pourr.i  jamais  se  relever.   De    pœnil.,   homil.  i,  n.  ?, 
/'.    G.,   t.   xi. ix,  col.   279.   Au    paradis,  le   serpent   a  i  lé 
l'instrumenl  du  diable.  In  Gen.,  homil.  xvi,  n.  1,  2, 
/'.   G.,  t.   i.iii,  col.   126-127.  Le   feu  éternel  n'a  pas  été 
Fait  pour  nous,  mais  pour  le  diable  et  ses  anges;  pour 
nous,  le  royaume  a  été  préparé.  Mais  le  diable  travaille 
à  nous  faire  aller  avec  lui  dans  la  géhenne.  Ad  Tbeo- 
dorum  lapsimt,  I,  n.  9,  /'.  G.,  t.  XLVII,  col.  287.  Dieu 
a   laissé   le   démon   dans  le  monde,  parce  que  ses  .ill.i- 
ont  pour  nous  des  causes  de  mérites  et  l'objet  de 
couronnes.  Ad    Stagiriutn    a  dœmonc  ve.ratnm,  1.  I, 
n.  'i,  à.  rttd.,  col.  132-436.  Il  esl  resté  pour  noua  tenter 
Homil.  '''-■  diabolo  tenlatore,  P.  G.,  t.   xi.ix,  col.  257- 
'     /■    i,  .  t.    m,  col.  509,  Nombreux  sont  ses 
anges  qui  volent  dansli  -  aire    l  rposii   in  /  ».  v;  /.  n."5, 
P.  G.,  t.  i.v,  col.  162,  Ce  -oui  l.s  principautés  et  les 
puisaan  ites,  c'est-à-dire  qui  sont  sous  le  ciel.  Le 

ciel  leur  est  inaccessible,  et  ils  exercent  leur  lyrannie 
sur  le  monde  seulement.   De  incomprehetuibili    D«i 
s  homil.  i\.  n.  2,  /'.  g.,  t.  xlvii,  col.  730.  H 
■  pendant.  Uomil.  quod 
non  gubernantf}iundutn,P.  G  ,  t.  eux,  col.  241- 
258.  I  -.  que  Jésus   chassait,   étaient   horrl 

ut  1 1  .mi  i  m  i  eule  pi  'i  oyanl  que 

l'époque  de  leur  châtiment  était  proche  el  craignant 
urmenls  qui  leui   sonl  réservés,  ils  demandaient 


363 


DÉMON    D'APRÈS   LES    PÈRES 


:S64 


au  Sauveur  de  ne  pas  être  jetés  dans  l'abîme.  Us  habi- 
tent les  sépulcres,  parce  que  beaucoup  pensent  que 
les  âmes  îles  morts  sont  des  démons.  In  Malllt., 
hoiuil.  xxviii.  n.  2,  P.  G.,  t.  i.vn,  col.  352.  Ils  aiment 
l'odeur  des  sacrifices  comme  s'ils  mouraient  de  faim,  et 
ils  se  complaisent  dans  les  mystères  obscènes.  De 
S.  Babyla,  n.  13,  P.  G.,  t.  î.,  col.  553-654.  Saint  Chry- 
sostome  donne  aux  fidèles  de  nombreux  conseils  pour 
la  lutte  contre  Satan  l'adversaire 

Pour  saint  Cyrille  d'Alexandrie,  le  dragon  apostat 
était  parmi  les  anges,  ainsi  que  les  autres  puissances 
mauvaises.  Il  était  avec  les  chérubins.  E/.ech.,  XXVIII,  14. 
Satan  est  tombé  avec  les  autres  anges;  de  son  propre 
mouvement,  il  a  offensé  Dieu.  Par  arrogance  et  par 
faste,  il  a  oublié  sa  propre  dignité  et  a  troublé  une 
création  admirable.  Glaphyr.  in  Gen.,  I.  I,  n.  3,  P.  G., 
t.  lxix,  col.  21,  24.  Dieu  a  chassé  le  diable  de  la  cour 
céleste,  parce  qu'il  demandait  un  honneur,  supérieur  à 
celui  de  sa  condition,  Is.,  xiv,  14,  et  il  l'a  condamné. 
Le  diable  s'était  imaginé  pouvoir  s'élever  à  la  nature 
du  créateur  et  siéger  sur  le  même  trône  que  Dieu, 
Mais  il  est  tombé  comme  la  foudre.  In  Joa.,  1.  V,  c.  IV, 
P.  G.,  t.  i.xxm,  col.  809.  Son  envie  a  fait  entrer  la 
mort  dans  le  monde,  1.  I,  n.  24,  col.  145.  Il  était  un 
ange  excellent,  le  premier  de  tous.  Ezech.,  xxviii.  Il  est 
le  prince  des  démons.  Sa  tyrannie  n'a  pas  commencé  au 
temps  de  Notre-Seigneur,  et  les  esprits  mauvais  avaient 
été  condamnés  auparavant  à  s'ensevelir  dans  l'abîme. 
Ils  étaient  torturés  déjà  cependant,  et  ils  attendaient  à 
son  futur  avènement  les  supplices  qui  leur  étaient  dus. 
Si  l'un  de  leurs  princes  est  lié,  un  autre  a  trompé  Adam 
et  n'a  pas  cessé  de  tenter  les  hommes.  S'il  en  est  ainsi. 
le  premier  n'aurait  pas  fait  de  mal  parmi  les  hommes. 
Quoi  qu'il  en  soit,  Satan  est  le  père  des  méchants,  ses 
fils,  et  l'auteur  du  mal,  Glaphyr.  in  Gen.,  1.  VI,  P.  G., 
t.  lxix,  col.  893.  Julien  l'Apostat  avait  parlé  du  ma- 
riage des  anges  avec  les  filles  des  hommes.  Mais  les 
saints  anges  n'ont  pas  de  corps  et  ne  recherchent  pas 
les  voluptés.  Julien  lisait  donc  au  c.  vi  de  la  Genèse  la 
leçon  :  oc  ayyEXoi  toO  6so0.  Mais  l'Écriture  véritable, 
que  Cyrille  a  entre  les  mains,  a  :  oi  uîo\  toO  ÔeoC.  Les 
autres  traducteurs  grecs  ont  connu  cette  leçon,  et 
les  fils  de  Dieu  sont  la  postérité  d'Énos.  Cont.  Julian., 
1.  IX,  P.  G.,  t.  i.xxvi,  col.  953,  956-957.  Puisque  les 
anges  sont  incorporels,  comment  auraient-ils  pu  avoir 
des  rapports  avec  les  femmes?  Les  filles  des  hommes 
étaient  de  la  race  de  Caïn.  Quatre  traducteurs  grecs 
après  les  LXX  ont  connu  la  leçon  :  «  fils  de  Dieu.  »  Il 
est  absurde  de  penser  que  les  anges  puissent  accom- 
plir un  acte  contraire  à  leur  nature.  Quelques  exem- 
plaires ont  bien  la  leçon  :  ayyzkoi,  mais  à  la  marge;  la 
vraie  leçon  est  :  «  fils  de  Dieu.  »  Adi'ersus  anlliropomor- 
philas,  c.  xvn,  ibid.,  col.  1105,  1108.  La  même  expli- 
cation est  répétée.  Glaphyr.  in  Gen.,  1.  II,  n.  2,  P.  G., 
t.  lxix,  col.  51-56.  Les  voluptés  sont  naturelles  aux 
hommes,  qui  sont  de  chair.  Les  démons  sont  impurs, 
parce  qu'ils  portent  à  toutes  sortes  de  turpitudes.  Les 
géants  étaient  des  hommes.  Pour  expliquer  qu'ils  peu- 
vent être  fils  d'anges,  on  a  prétendu  que  les  démons 
étaient  entrés  dans  le  corps  d'hommes  méchants  et  par 
eux  avaient  engendré.  L'explication  est  absurde,  et  la 
vraie  leçon  scripturaire  est  «  fils  de  Dieu  »,  qui  désigne 
des  fils  de  Seth  et  d'Hénoch,  les  hommes  pieiiN,  unis 
aux  filles  de  Caïn,  race  perverse. 

Basile  de  Séleucie  déclare  qu'avant  sa  chute  le  diable 
avait  la  puissance  de  l'air,  Eph.,  n,  2.  qu'il  a  perdu 
par  son  orgueil.  C'est  par  orgueil  qu'il  a  machiné  la 
perte  de  l'homme.  Orat.,  xxm,  n.  1,  P.  G.,  t.  i.xxxv. 
col.  269,  272.  11  a  été  envieux  à  la  vue  du  pouvoir 
qu'Adam  avail  reçu  sur  toute  créature  terrestre.  Il  recou- 
rut au  mensonge  pour  le  tromper,  el  fut  ainsi  homi- 
cide dès  le  commencement.  Oral.,  ni,  n.  3.  col.  53. 
56.  Dans  le  récit  de  la  Genèse,  VI,  î,  liasile  lit  :  -Ao':  roO 


Beoû.  Quelques-uns  y  reconnaissent  les  anges;  c'est  leur 
attribuer  une  action  contre  nature,  puisqu'ils  n'ont 
point  de  corps.  Les  Orecs  racontent  bien  les  fables  des 
noces  des  démons;  les  saintes  Lettres  m-  parlent  pas 
d'anges  mariés;  elles  parlent  des  lils  de  Seth.  Oral., 
vi.  n.  2,  col.  85,  88,  89. 

Saint  Isidore  de  Péluse  enseigne  que,  même  après  la 
venue  de  Notre-Seigneur  sur  terre,  la  peine  du  fui 
attend  encore  le  démon.  Epis  t.,  1.  II,  epist.  XC,  P.  G., 
t.  i.xxvin,  col.  533. 

La  doctrine  est  donc,  dans  l'ensemble,  identique  chez 
tous  les  Pères  grecs  du  ive  et  du  v«  siècle.  On  la  retrouve 
aussi  dans  des  écrits,  dont  les  auteurs  sont  inconnus  et 
qu'on  a  attribués  à  des  écrivains  de  cette  époque.  Si 
l'auteur  du  De  passione  el  cruce  Domini,  27,  28,  dans 
les  Spuria  de  saint  Athanase,  P.  G.,  t.  XXVIII,  col.  232, 
233,  ignore  la  cause  de  la  chute  du  diable,  il  en  constate 
le  fait  dans  Is.,  xiv,  12,  et  Jer.,  L,  23,  et  s'en  étonne. 
Il  sait  que,  par  son  envie,  la  mort  est  entrée  dans  le 
monde  et  qu'il  a  trompé  Eve;  il  dit  aussi  que  l'empire 
du  diable  a  été  détruit  par  la  croix  de  Jésus. 

L'auteur  des  Quœstiones  ad  Antiochum  ducem,  q.  vu, 
parmi  les  Spuria  du  même  docteur,  ibid.,  col.  60i, 
après  avoir  déclaré  que  les  démons  ne  diffèrent  pas 
des  anges  par  nature,  se  demande  quand  et  pourquoi 
le  diable  est  tombé.  Q.  x.  Quelques-uns  disent  qu'il  est 
tombé  pour  n'avoir  pas  voulu  adorer  Adam.  C'est  une 
sottise.  Il  est  tombé  avant  la  création  d'Adam  et  par 
orgueil.  Mais  s'il  est  tombé  du  ciel,  comment  s'est-il 
trouvé  au  conseil  des  anges?  Q.  xn, 'col.  605.  L'Ecri- 
ture ne  dit  pas  que  ce  conseil  s'est  tenu  au  ciel.  Il  a 
eu  lieu  sur  la  terre,  car,  partout  où  les  anges  se  trouvent, 
ils  assistent  Dieu.  Dieu  a  parlé  au  diable  par  un  saint 
ange,  comme  un  roi  parle  à  un  condamné  par  un  inter- 
médiaire. 

Les  Dialogues,  attribués  à  saint  Césaire  de  Nazianze. 
sont  certainement  inauthentiques.  Leur  auteur,  quel 
qu'il  soit,  a  sur  les  démons  les  mêmes  sentiments  que 
les  écrivains  précédemment  cités.  Il  se  demande  d'abord 
comment  les  anges,  s'ils  sont  incorporels,  ont  pu  avoir 
commerce  charnel  avec  des  femmes  et  engendrer  les 
géants.  Bien  qu'il  admette  encore  que  les  anges  ont  un 
corps  subtil,  il  tient  pour  une  absurdité  et  une  folie 
que  les  démons  aient  pu  avoir  des  relations  charnelles. 
Ils  ont  abandonné  leur  état,  non  leur  nature.  C'est  donc 
un  blasphème  de  prétendre  qu'ils  ont  corrompu  di  s 
femmes.  L'Écriture  n'en  parle  pas.  Ce  sont  les  fils  de 
Dieu  qui  ont  cohabité  avec  les  filles  des  hommes.  Nulle 
part,  les  anges  ne  sont  dits  fils  de  Dieu,  tandis  que 
l'Écriture  donne  ce  nom  à  des  hommes.  Il  s'agit  des  fils 
de  Seth  et  d'Énos,  qui  ont  épousé  des  Biles  de  Caïn. 
Dial.,  î,  q.  xlviii.  /'.  G.,  t.  xx.xvui.  col.  917.  920.  Si  le 
diable  est  tombé  du  ciel,  comment  a-t-il  pu  prendre 
part  au  conseil  des  anges  ?  Q.  xlix.  col.  920,  921.  Il  n'y 
a  pas  assisté  au  ciel,  d'où  il  a  été  chassé  pour  sa  fureur. 
Mais  Dieu  est  partout,  et  tous,  même  les  démons,  se 
trouvent  en  sa  présence.  Plus  loin,  cet  écrivain  dit  que 
le  diable  est  notre  adversaire,  non  par  nature,  mais 
par  volonté.  Il  a  d'abord  été  le  premier  des  anges;  il  a 
été  précipité  en  bas,  parce  qu'il  a  été  l'ennemi  de  Dieu, 
avant  que  l'homme  n'ait  été  créé.  Plus  tard,  il  a  séduit 
l'homme,  en  lui  suggérant  l'envie  contre  Dieu.  Dial., 
ni.  q.  cxxiii,  col.  1016. 

2"  En  Occident.  —  La  doctrine  sur  les  démons, 
commune  en  Orient,  pénètre  peu  à  peu  en  Occident  et 
linit  par  y  devenir  prédominante,  bien  que  le  mariage 
des  anges  avec  des  femmes  ne  soit  pas  d'abord  si  caté- 
goriquement rejeté. 

Pour  saint  Hilaire.  le  diable  est  le  prince  des  or- 
gueilleux. Is..  x.  13,  li.  11  n'est  pas  seul,  et  il  a  pour 
ministres  les  esprits  marnais.  In  ps.  CXYltt,  litt.  xvi, 
n.  8.  P.  L.,  t.  ix,  col.  608-609.  Il  est  l'auteur  de  tous 
les  maux;  il  tenddes pièges  aux  hommes  et  suggère  tous 


365 


DÉMON    D'APRES   LES    PÈRES 


366 


les  crimes.  In  ps.  <  xi.,n.  16,  col.  832.11  parcourt  en  un 
instant  toute  l'amplitude  de  ce  monde.  In  ps.  CXVUI, 
litt.  I,  u.  8,  col.  507.  Sa  puissance  est  brisée;  il  n'est  pas 
encore  brûlé  tout  entier;  le  feu  éternel  lui  est  préparé 
ainsi  qu'à  ses  anges.  In  ps.  CXLIII,  n.  11,  col.  849.  Il  doit 
être  jugé  à  la  résurrection.  In  ps.  rxvui,  litt.  xi.  n.  5, 
col.  574.  Les  démons  sont  des  montagnes,  abaissées  par 
Jésus-Clirisl,  qui  leur  a  préparé  le  feu  éternel.  Us  sont 
torturés  par  les  paroles  des  croyants.  Ils  sont  invisibles 
et  incomprébensibles  pour  nous.  Puniuntur,  cum  vales 
silenl,  eu»)  muta  sunl  lempla.  In  ps.  i.xiv,  n.  9,  10, 
col.  418,  419.  Ce  sont  des  oiseaux  du  ciel;  ils  ont  de 
quoi  vivre  sans  récolter,  vivendi  tribuitur  de  seterni 

•  ilii  polestate  substanlia.  Comment,  in  Malth., 
v,  n.  9;  vin,  n.  9,  col.  947,  957.  Tombés  du  ciel,  ils 
fuient  devant  Dieu;  mais  la  mort  et  la  peine  du  ju- 
gement suivront  leur  fuite.  In  ps.  LXVtr,  n.  2,  col.  443- 
144.  L'évêque  de  Poitiers  n'ignore  pas  ce  qu'on  raconte, 
de  quo  etiam  nescio  cujus  liber  estât,  que  des  anges 
sont  descendus  du  ciel  sur  le  mont  Hermon,  attirés 
par  la  concupiscence  des  femmes.  Sed  hœc  prselermil- 
tamus.  Quse  enim  libro  legis  non  conlinenlur,  ea  nec 
nosse  debemus.  In  ps.  <  xxxn,  n.  6,  col.  748-749. 
Saint  Hilaire  dédaigne  donc  cette  légende,  et  il  ne  voit 
pas  le  mariage  des  anges  dans  la  Genèse. 

S.iint  riiilastre  range  résolument  cette   légende  au 
nombre  des  hérésies,  et  il  la  réfute  par  des  arguments 

'tiques,  assez  singuliers.  Nemrod,  le  premier  géant, 
nommé  dans  l'Écriture,  était  né  après  le  déluge  et  pas 
d'un  esprit,  c'est-à-dire  d'un  ange,  puisqu'il  était  fils 
de  Chus  et  petit-fils  de  Chain.  Les  géants  étaient  des 
hommes  puissants,  forts,  pillards,  des  monstres,  comme 
plus  tard  Goliath.  Les  anges,  chassés  du  ciel,  ne  sont  pas 
semblables  à  la  nature  humaine;  on  ne  peut  en  douter. 
Avant  le  déluge,  ils  suggéraient  le  mal  aux  hommes, 
comme  plus  tard  à  Judas,  comme  ils  le  font  encore 
maintenant.  Croire  qu'ils  se  sont  transformés  en  hommes 
cl  sont  devenus  charnels,  c'est  violenter  l'histoire.  C'est 
un  mensonge  des  poètes  de  dire  que  les  dieux  et  les 
hangés  en  hommes,  ont  entre  eux  des  relations. 
Comtii'   cela  ne  s'esl  pas  fut,  il  n'y  a  pas  d'hésitation 

oir  que  c'est  impossible.  D'ailleurs,  le  nom  de  géant 

pris  en  bonne  part  dans  l'Écriture.  Ps.  xviu,  6. 
de  hmresibus,  108.  P.  ]..,  t.  xn.  col.  1224-1226. 
Uni  autre  hérésie  était  celle  des  manichéens,  qui  pré- 
tendaienl  que  le  corps  a  clé-  fait  par  le  diable,  et  qui 
honoraient  les  démons,  61,  col.  1176.  C'était  enfin  une 
prétendre  que  le  diable  pourrait  se  repentir. 
Loin  de  là,  parce  qu'il  avail  suggéré  le  mal  à  Adam,  le 
diable  méritait  un  jugi  menl   plus  sévère;   parce  qu'il 

plus  réfractaireâ  la  pénitence,  il  attend  de  J< 
Christ  nue  plu-  grande  servitude  el  il  est  réservé  avec 

menl  et  au  feu  éter- 
nel. Malth.,  xxv.  41.  Ha,/..  U4,  col.  1238-1239. 

liacre  donatiste  Ticonius  interprète  du  diable  les 
déni  passages  bibliques,  [s.,  xiv;  Ezech.,  xxvm.  Il 
attribue  donc  la  chute  du  diable  a  l'ambition.  Le  prince 
de  l'\r  voulait  être  semblable  ■<  Dieu;  il  a  été  i  Epuisé 
■lu  ciel.  Le  roi  de  Babylone  représente  le  diabli 
peuples,  qui  jonl  le  corps  du  diable,  w 
flnllt  let  in  inferi      Li     anges  n'ont  point  de 

1     I  >  con- 

l' s  pieds  di  i  chré- 
.  reg.  vu,  /'.  /.    i    wiii 

mont  m  diable.  Celui-ci 

'"I-  il  — '  'f    ■  nu  .h. ,1,1,-  par  -.,  propre 

1   i       n.  :,.  />.  /..,  i.  xxv, 

■  Dte  le  diable' 
qui  est,  comme  lui, éthiopien  el  fila  de  la  droite   < 

quodfitiut  dr.,1,  ..,  ,  ki.  , 
rr,dao     Inecdota  Va 

1   ni/-,  p   21.  Il  n  i  pa 


fait  diable,  Dieu  n'a  pas  créé  une  nature  mauvaise.  Il 
est  le  prince  tombé,  dont  parle  le  psaume  i/xxxi,  7.  Il 
est  tombé,  et  il  n'est  pas  mort,  l'ne  nature  angélique 
peut  recevoir  la  ruine,  mais  pas  la  mort.  Il  est  tombé, 
Lucifer.  Is.,  xiv,  12.  Il  est  tombé,  quia  semper  in  cœ- 
lestibus  versabalur.  C'est  le  prince  deTyr,  Ezech.,  xxvm, 
Il  sq.,  qui  primo  eral  in  cœlo,  nanc  factus  est  prin- 
ceps  Tyri,  hoc  est  Iribulationis  istius  sœculi.  Il  n'est 
pas  tombé  seul,  puisqu'il  est  un  des  princes  tombés. 
L'Apocalypse  dit  que  le  dragon,  en  tombant,  a  entraîné 
avec  lui  le  tiers  des  étoiles,  xn,  4.  Tractatus  de 
ps.  i.xxxr,  ibid.,  p.  77-78.  Nous  avons  vu  plus  haut, 
col.  353,  que  saint  Jérôme  avait  donné  cette  interpré- 
tation dans  son  remaniement  du  commentaire  de  l'Apo- 
calypse de  saint  Yictorin  de  Pettau.  Diabolus  unde 
cecidit?  quia  furtum  fecil?  quia  homicidium  fecit? 
quia  adulterium  fecil?  Et  lisec  qu'idem  mala  sunt; 
sed  diabolus  non  proplcr  hoc  cecidit,  sed  propler  lin- 
guamsuam  cecidit.  Quid  enim  dixit?  In  cœlum  ascen- 
dant, super  sidera  cœli  ponam  Ihronummeum,  et  cro 
similis  Altissimo.  Is.,  xiv,  13.  Tractatus  de  ps.  cxix. 
ibid.,  p.  284.  Lucifer,  en  effet,  est  tombé  par  orgueil. 
Ces  paroles,  il  les  a  dites,  ou  bien  avant  sa  chute,  ou 
bien  après.  Avant,  il  voulait  monter  plus  haut  au  ciel 
où  le  Seigneur  habite,  et  il  est  tombé  du  ciel.  Après,  par 
arrogance,  il  se  promettait  encore  de  grandes  choses, 
non  ut  inler  astra,  sed  supra aslra  Dei  s'il.  In  Isaiam, 
1.  VI,  c.  xn,  12-14,  P.  L.,  t.  xxiv,  col.  219.  Superborum 
est  diabolus  princeps.  1  ïim.,  ni,  6.  Le  prophète  dé- 
crit son  orgueil.  Is.,  x,  13  sq.  Tractatus  de  ps.  xrin, 
dans  Anecdola  Maredsolana,  1903,  t.  me,  p.  81-82.  Le 
diable  orgueilleux  est  représenté  par  Ezéchiel  sous  le 
type  des  princes  el  des  rois  superbes,  qui,  enflés  d'or- 
gueil, sont  tombés  sous  son  jugement  et  dans  ses  pièges. 
lu  Ezech.,  1.  IX,  c.  XXVIII,  P.  L.,  t.  xxv,  col.  267-268. 
Judicium  diaboli  million  est  aliitd  niai  superbia  prop- 
ler quam  de  cœlestibus  cecidit.  Luc,  XX,  18.  In  Isaiam, 
1.  II,  c.  III,  4,  P.  L.,  t.  xxiv,  col.  63.  Cf.  Epist.,  xxil, 
n.  27,  /'.  L.,  t.  xxn,  col.  413.  Au  sens  mystique,  le 
diable  est  le  serpent  de  la  Genèse;  il  règne  sur  la 
terre,  mais  talus  terra  hœret.  L'iniquité  le  presse  sur 
la  terre;  il  ne  pourra  donc  faire  pénitence;  son  ini- 
quité desrendra  :  de  civlo  enim  illipœnaveniet  sempi- 
tema.  Tractatus  deps.  ix,  dans  Anecdota  Maredsolana . 
t.  ni  b,  p.  24.  Son  vêtement  est  souillé  de  sang  et  il  ne 
sera  pas  purifié. Ubi  sunt  ergo  qui  dont  diabolo  psani- 
tenliam  et  dicunt  illum  possr  mundarif  In  Isaiam, 
1.  VI,  c.  xiv.  20,  P.  L.,  t.  xxiv,  col.  224.  In  tempore  re- 
surrectinnis  non  erit.  Si  aillera  mai  ent,  quoi  respon- 
debunt  qui  diabolo  dantpssnitenliam  ri  Hli  quantum 
m  se  est  archangelicum  fastidium  pollicentur?  Ibid., 
1.  VII,  c.  xviii,  12.  col.  215.  11  a  été'  menteur  dès  le  com- 
mencement et  père  du  mensonge.  Joa.;  VIII,  i '•  Quod 
mulli  non  intelligentes,  palrem  diaboli  volunt  esse 
draconem,  qui  regnel  in  mari  (Lé viathan).  Ibid.,  I.  VI, 
c.  m,  24,  col.  228.  Cf.  Tractatus  in  kfarc,  i.  13-31. 
dans    I  Maredsolana,  I    III 6,  p.  334-335.  Il  est 

le  prince  di  i  air,  où  il  habite,  car  il  n'habite  pas  'fin- 
ie ciel.  Lui  Bl  ses    atellites,  per  mundum  oagantur, 
ta  insinuant.  In   Epist.  ad  Eph.,  I.  I,  c.  n.   I. 

/'.    /,.,  t.    XXVI.  col.  460.    Il  est    difficile   de   dire   M   que 

sont  les  principautés,  les  puis  le     rertus  de 

damnation.  Il  faut  les  prendre  dans    un    mauvais  sens. 
Ce  sont  les  nus,  el  le  pi  ince  de  ce  monde,  el 

Lucifer,  sur  qui  marcheront  les  saints.  En  attendant  le 
nent,  infreni  n  omir  Mberlate  abutentet  passim 
vagantur  et  per  prmeipitia  corruunl  im.  Ibid,, 

n.  7.  col.   109.    Les   puissances  dl  les 

espi  its  de  malice  qui  son)  il. m  ml  les  di  - 

mons,  qui  touii  fi  dans  l'air, 

C'est  l'opinion  de  tons  les  docteurs  que  l'air,  qu 
entre  le  ciel  et  la  U  rre  el  qui  esl  vide,  esl  n  tnpli  de 
puissant  i  [u'un  dir.i  peut-i  tre  qu<  • 


3G7 


DÉMON    D'APRÈS   LES   PÈRES 


368 


le  diable  qui  a  distribué  à  chacun  de  ses  satellites  son 
oflice  propre,  el  non  pas  Dieu.  Ils  sont  libres,  en  effet, 
.1  ils  nul  chacun  sa  province  de  vices,  comme  dans 
une  ville  les  fonctions  diverses  sont  réparties  ;  c'est  ainsi 
qu'ils  gouvernent  ce  monde.  Ibid.,  I.  III.  c.  vi,  col.  546- 
517.  Beaucoup  de  personnes  du  peuple  prétendent  qu'il 
\  a  des  démons  de  midi.  Ps.  xc,  6.  Ceterum  ego  dico 
simplicité?,  quoniani  dœmon  eo  tempore  polestalem 
Itabet  in  nos,  guando  peccamus.  Sive  mane  peccaveri- 
mus,  dœmon  ingreditur  in  nobis;  sive  vespere,  sive 
nocte,  quacumque  pece.averimus  hora,  dœmon  ingre- 
ditur  in  nobis.  Si  aulem  non  peccaverimus  meridie, 
non  ingreditur  in  nobis.  Videlis  ergo  qaod  frivolum 
est  qaod  vulgo  dicilar.  Tractalus  de  ps.  XC,  dans  Anec- 
dota  Maredsolana,  t.  m  b,  p.  116. 

Bien  que  saint  Jérôme  ait  dit  que  Lucifer  orgueilleux 
avait  entraîné  avec  lui  le  tiers  des  étoiles,  bien  qu'il  ait 
déclaré  que  les  démons  n'ont  point  de  sang,  In  Isaiam, 
1.  XVII,  c.  lxiii,  n.  3,   P.  L.,  t.  xxiv,  col.  612,  cepen- 
dant il  ne  s'est  pas  prononcé  avec  netteté  au  sujet  du 
mariage  des  anges  avec  les  filles  des  hommes.  S'il  ne 
le  rejetait  pas,  ce  n'était  pas  qu'il  s'appuyât  sur  le  té- 
moignage du  livre  d'Hénoch,  qu'il  rangeait  résolument 
parmi  les    apocryphes.   De  viris,  4,    P.    L.,    t.  xxni, 
col.  615;  In  Episl.  ad    Tilum,  i,  12,  P.   L.,  t.  xxvi, 
col.  573.  Il  n'attache  pas   d'autorité  à  cet  apocryphe  au 
sujet  du  mariage  des  anges  avec  les  filles  des  hommes. 
Il  reproche,  en   outre,   à   Origène,  sans    le   nommer, 
d'avoir  confirmé  par  ce  passage  son  hérésie  des  âmes 
descendant  du  ciel  dans  les  corps;  Origène  imitait  en 
cela  les  manichéens.  Saint  Jérôme  se  borne  à  signaler 
ce  mauvais  argument   en  commentant  le  verset  3  du 
psaume  cxxxn.  Tractalus  de  ps.  cxxxn,  dans  Anecdola 
Maredsolana,    t.   m    b,    p.    249-250;   P.   L.,   t.  xxvi, 
col.  1293.  Il  donne   un  peu    plus  d'attention  à  ce  ma- 
riage dans  le  commentaire  d'Isaïe,  liv,  10.  Il   se  de- 
mande quelles  sont  ces  montagnes  troublées  durant  le 
déluge  :  sont-ce  les  saints  ou  les  démons?  Quelqu'un 
pourrait  les   entendre  des   démons  et  des  puissances 
adverses,  qui   viderunt  /ilias  hominum,  quod  essent 
bonœ,  et   amoris  jaculo  vulncrali,    swnpserunt  sibi 
uxores  ex  omnibus  quas  elegerunt  et  perdiderunt  for- 
litudinem  prislinam  et  nequaquam  in   hoc   diluvio 
sunt  futuri.  Hoc  ille    dixerit,  cujus  explanationem 
lectoris  arbitrio  derelinquo.  In  Isaiam,  1.  XV,  c.  liv, 
10,  P.  L.,  t.  xxiv,  col.  521.  Le  saint  docteur  vise  exclu- 
sivement le  c.  vi  de  la  Genèse.  Il  ne  rejette  donc  pas 
absolument  l'interprétation  appliquant  aux  anges  cette 
union  avec  les  filles  des  hommes;  il  la  laisse  à  la  libre 
appréciation  de  ses  lecteurs.   En  commentant   briève- 
ment Gen.,  vi,  2-4,   il  indique    deux    interprétations, 
puisqu'il  voit   dans   les  fils   de  Dieu,  les  saints  ou  les 
anges,  et  dans  les  géants,  les    anges  encore  et  les  fils 
des  saints.  Liber  liebraicarum  quœslionum  in   Gene- 
sim,  c.  vi,  n.  2.  4,  P.   L.,  t.  xxm,  col.   947-949.  Selon 
sa  coutume,  le  saint  docteur  signale,  sans  se  pronon- 
cer, les    deux   explications   en   cours.    Toutefois,    s'il 
n'exclut  pas  l'interprétation    des    relations  charnelles 
des  anges  avec  les  filles  des  hommes,  il  entend  le  ver- 
set 3  d'un   répit  de   120  ans  laissé  aux  hommes   cou- 
pables pour  faire  pénitence  avant  le  déluge.  Il  semble 
ainsi  préférer  l'application  du  texte  aux  saints  et  aux 
fils  des  saints,  c'est-à-dire  à  la  race  sainte  de  Seth,  per- 
vertie par  des  mariages  avec  la  race  coupable  de  Caïn. 
Saint  Jérôme,  à    la  suite  d'Origène,  avait  admis  la 
restauration  finale  de  toutes  choses,  même  des  démons, 
verbi  gralia,  ut  angélus  refuga  id  esse  incipiat  quod 
crealus  est.  Comment,  in  Epist.  ad  Eph.,  1.  II,  c.  iv, 
16,    P.  L.,  t.    xxvi,  col.   503.    Rufin   le  lui  reprocha. 
Apologia,  1.  1,  n.  41,  P.  L.,  t.  xxi,  col.  579.  Saint  Jé- 
rôme répliqua    qu'il  n'avait  pas   parlé  on   son   propre 
nom    et  qu'il  s'était    borné  à  résumer  l'interprétation 
d'Origène,   sans   la    faire  sienne.  Apologia    advcrsns 


libros  Ru  fini,  1.  I,  n.  26,  P.  L.,  t.  xxm,  col.  418-419. 
Il  enseigne,  au  contraire,  très  expressément  que  le  feu 
éternel  est  dû  an  diable  et  à  ses  anges  pour  leurs 
crimes.  Ibid.,  I.  Il,  n.  7.  col.  428-430. 

L'Arnbrosiaster  (Hilarius  Ililai -ianusi  attribue  aussi 
à  l'orgueil  la  chute  du  diable.  Il  définit  l'orgueil  :  alla 
sapere,  et  il  ajoute  :  JJiabolus  cum  alla  sapuit,  apo- 
slalavit.  In  Epist.  ad  Phil.,  xn,  16.  P.  L.,  t.  xvii, 
col.  160.  Avant  la  loi,  le  diable  ne  savait  pas  que  Dieu 
devait  le  juger;  il  croyait  son  péché  mort:  la  loi  donnée, 
son  péché  a  revécu.  Ibid.,  vu,  8,  col.  109.  Les  princes 
mauvais  sont  dans  le  firmament,  et  cependant  ils 
agissent  sur  terre.  In  Epist.  ad  Phil.,  m,  20,  21, 
col.  417.  Selon  lui,  quelques  démons  pouvaient  se  sau- 
ver, car,  suivant  saint  Paul,  la  sagesse  multiforme  de 
Dieu  a  été  manifestée  par  l'Église  aux  principautés  et 
aux  puissances  célestes,  ut  agnoscenles  per  Ecclesiam, 
quee  multifame  ad  vilam  attracta  est,  in  Christo 
unius  Dei  ntanere  mysterium,  desinant  ab  errore. 
La  prédication  ecclésiastique  leur  sera  utile  et  elles 
abandonneront  assensum  tyrannidis  diaboli,  qua  se 
adversus  Dei  unius  fidem  impia  prœsuniplione  arma- 
vit.  In  Epist.  ad  Eph.,  m,  10,  col.  382-383. 

Saint  Augustin  a  exposé  sur  le  diable  et  les  démons 
une  doctrine  très  ample  et  très  complète.  Tout  en  unis- 
sant les  anges  déchus  au  diable,  leur  chef,  tant  pour 
la  chute  que  pour  la  punition,  il  en  parle  souvent  sé- 
parément, et  il  sera  bon  de  le  suivre  dans  ses  dévelop- 
pements, propres  à  chaque  catégorie. 

Les   manichéens  prétendaient  que    le  diable  n'était 
pas  une  créature  de  Dieu. De  Genesi  ad  litteram,  1.  II, 
c.  xin,  xiv,  n.17, 18,  P.  L.,  t.  xxxiv.  col.  436. Ne  com- 
prenant  pas   qu'une    bonne    nature   pût  déchoir    par 
orgueil,  ils   le  disaient  l'œuvre  du  mauvais   principe, 
1.  XI,  c.  xin,  n.  17,  col.  436.  Avant  d'être  diable,  il  était 
ange  et  bon.  De  baptismo  contra  donatistas,  n.  13, 
P.  L.,  t.  xliii,  col.  162.  Il  est  donc  tombé.  .Mais  est-ce 
ab  initio  mundi,  ou  bien  a-t-il  été  quelque  temps  avec 
les    anges,    pariter  justus    et    beatus?  Quelques-uns 
disent  qu'il  est  tombé  par  envie  à  l'égard  de  l'homme, 
qui  avait  été  fait  à  l'image  de  Dieu.  Mais  l'envie  a  suivi 
et  n'a  pas  précédé  l'orgueil  :  causa  invidendi,  super- 
bia.  Pourquoi    est-il   tombé?  Quia  amavit   propriant 
potestalem.  Quand?  L'Écriture  ne  le  dit  pas.  En  tout 
cas,  c'est  avant  qu'il  ait  envié  l'homme.  Peut-être  est-ce 
ab  initio  temporis,  de  sorte  qu'il  n'y  eut  pas  de  temps 
où  il  fut  bon  et  heureux.  Si  ab  initio  homicida  fuit, 
Joa.,  vm,  44,  ce  fut  à  la  création  de  l'homme;  mais 
a  verilate  non  stelil,  et   hoc  ab  initio  ex  quo  crealus 
fuit.  Était-il  heureux  avant  d'avoir  péché?  S'il  a  eu  la 
prescience  qu'il  pécherait,   il  n'a  pas  été  heureux.  En 
tout  cas,  il   n'a  pas   été  heureux  comme  les  anges  de- 
meurés fidèles,   non  œqttaliler  beatus,  non  ita  plane 
beatus.  Ils  étaient  certains  que  leur  bonheur  durerait; 
lui,  il  était  incertain   de   la  durée  du  sien.  Quelques- 
uns  ont  pensé  qu'il  n'était  pas  in  sublimi,  in  superese- 
lesti  natura,  mais  parmi  les  anges  inférieurs,  qui  pou- 
vaient  illicitum    delectare.   De    Genesi    ad  litteram, 
c.  xiv-xvn,  n.  17-22,  P.  i...  t.  xxxiv.  col.   S30-'i3S.  Un 
peu  plus  loin,  l'évêque  d'Ilippone  revient  sur  le  même 
sujet.  Selon  lui,  le  diable,   ab  initio  suae  conditionis, 
propria  roluntate  depravatus,  non  malus  et  Deo  l> 
crealus,  faclus  conlinuo  se   a   lace  reritatis    avertit, 
superbia  tumidus  et  proprise  potestalis  delcctalione 
corruplus.  11  n'a  donc  pas  goûté  la  béatitude  de  la  vie 
angélique.  Continuo  impius,   conseqventer  et   mente 
csecus,  non  ex   co  quod  acceperat  cecidil,    sed  ex  eo- 
quod  acciperel,  si  subdi  voluisset  Deo,  parce  qu'il  n'a 
pas  voulu  se  soumettre.  De  nouveau,  il  lui  applique  les 
textes  d'Isaïe,  xiv,  12-14  (au  s.ns  mystique]  et  d'Ézé- 
cbiel,  xxvm,    12-13,    c.    xxm.  n.  30-32.    col.    141-442, 
attribuant  sa  chute  à  l'orgueil.  Lui-même  résume  enfin, 
c.  XXVI.   n.  33,  col.   443,  toute  sa  pensée   en  ces  deux 


369 


DÉMON    D'APRES   LES    PÈRES 


370 


alternatives  sur  la  chute  du  diable  :  aut  ab  initia,  im- 
pia  superbia  cecidit...,  aul  alios  esse  angelos  inferio- 
ris  ministerii  in  hoc  mundo,  inter  quos  secundum 
eoram  quamdam  nonprsesciam  beatitudinem  vixerat, 
et  a  quorum  socielale  cunt  sibi  subditis  angelis  suis 
tanquam  archangelus  cecidit  per  superbam  impiela- 
tcm.  Si  on  ne  peut  admettre  cette  dernière  partie  de 
l'alternative,  il  y  a  lieu  de  se  demander  comment  tous 
les  saints  anges,  si  le  diable  a  été  parmi  eux  aliquando 
beatus,  n'avaient  pas  encore  la  béatitude  parfaite,  qu'ils 
savaient  ne  pas  devoir  perdre,  ou  par  quel  moyen  le 
diable,  avant  son  péché,  fuit  discretus  cum  sociis, 
puisqu'il  aurait  été  incertain  de  sa  chute,  tandis  que 
les  autres  étaient  certains  de  leur  persévérance.  Quoi 
qu'il  en  soit  de  ces  points  non  résolus,  il  n'y  a  pas  de 
doute  que  les  anges  pécheurs,  emprisonnés  dans  l'air. 
in  judicio  puniendos  servari.  II  Pet.,  n,  4.  Le  diable 
a  tenté  l'homme  qu'il  enviait,  par  l'organe  du  serpent, 
c.  xxvn-xxx,  n.  34-39,  col.  443-445.  Le  serpent  n'estpas 
interrogé,  et  il  est  puni  le  premier,  quia  nec  coti/iteri 
peccatum  potest,  nec  habet  omnino  unde  se  excuset. 
La  punition  qu'il  reçoit  alors,  non  ea  pœna,  qvœ  ul- 
limo  judicio  reservatur,  Matth.,  xxv,  41,  sed  pœna 
quse  a  nobis  cavendus  est.  De  Genesi  contra  mani- 
chœos,  1.  II,  c.  xvii,  n.  26,  P.  L.,  t.  xxxiv,  col.  209. 
Le  diable  n'est  donc  pas  puni  pour  adultère,  ivrogne- 
rie, fornication  ou  rapine,  mais  pour  son  orgueil  seu- 
lement, auquel  se  joint  pourtant  son  envie.  Enarrat. 
m  ps.  i.yiii,  n.  5,  P.  L.,  t.  xxxvi,  col.  709.  Duobus 
malis,  superbia  et  invidentia,  diabolus  est.  De  sancta 
i  irginitate,  c.  xxxi,  n.  31.  /'.  L.,  t.  xl,  col.  413.  In  se 
exallato  corde  recessit  a  Deo.  Cont.  adversarium  legis 
et  prophetarum,  c.  xv,  n.  23,  P.  L.,  t.  xi.ii,  col.  615. 
Il  n'est  donc  pas  une  mauvaise  substance.  Deserens 
dilectioneni,  et  ad  suam  nimis  conversus,  si  videri 
i  ii/iit  œi/ualis,  superbix  tumore  dejectus  est.  Cont. 
Secundinum  manicliwuni,  c.  xvn,  ibid.,  col.  592.  Il 
est  devenu  mauvais  propria  voluutate.  Intuniuil  per 
tuperbiam  et  a  suninia  essenlia  defecit  et  lapsus  est. 
])•■  vera  religione,  c.  xm.  n.  26,  P.  L.,  t.  xxxiv, 
col.  133.  Il  n'était  pas  l'égal  de  Dieu;  il  a  voulu  se  faire 

I  de  Dieu,  (s.,  \iv.  li,  I5,  et  ainsi  il  est  tombé; 
[m is  il  .i  versé  ci  •  orgueil  à  l'homme.  In  Joa.,  tr.  XVII. 
Mi.  /'.  /...  t.   xxxv.  col.  I" 

questions  de  l'origine,  de  la  nature  et  du  péché 

du  diable  que  l'évêque  d'flippone  avaient  traitées,  en 

De  >'•'  if-si  ml  lilteram,  il  les  a  re- 

prisi  il.">.  dans  les  1.  XI  et  XII  de  sa  Cité  de 

.  mais  au  sujel  (h1  tous  les  .m;... s  déclins.  An  [.IX, 
il   avail   li  la    doctrine  d'Apulée,  de 

Platon  el  de  Porphyre  sur  les  démons,  en  concluant 
que  s,  f.  q|  de  l>"iis  el    de  mauvais 

démons,  l'Écriture  n'eu  connaissait  que  de  mauvais. 
/'   /.-,  t-  mi,  ■  entiment,  ces  mau- 

j,  avant   leur  chute,  avaient  la  sagesse  ;  mais 
dans  quelle  m  I  au*  aux  bonsan 

une    n.'  peul  le    dire.  Ils  se  sont   détourni 
l'illumination  qui  leur  donnait  la  vie  bienheureuse.  Ils 
ont  consené  l ,         rat  onnelle,  bien  qu'elle  soit  en  eux 
ite  Dei,  I.   XI,  c  m.  col 
ml  leur  faute,  la  même  félicité  que  les 
let  '  — ^ . . 1 1 > ■   \m_u  tin  pensait  qu'ils 
•  u    quelque    félicité    -.m-    .noir  toutefoi 
■    qu'elle  durerai!  pour  eux.  Il  Be  pourrai) 
dent  eu  le  même  bonheur  ju 

bons 
ai'  n'  -u    qu'il     étaient    conflr dans    <  •  •   boni 

ni  nu  dial  nditionii,  m  veritaie 

ttetit.  Iiir,,  nunqnam  beatut 
lis,  i  te  tubdilum   ■ 

■■<■  Imlalui,   n, 
/un  faliu$  el  fallait    Mr..   l'est  jamais  soumis  ■<  Dieu 
qu'il  fut  ,  •  ,,, ,/ 


Néanmoins,  on  ne  peut  dire  avec  les  manichéens  que, 
ab  inilio,  sa  nature  a  été  mauvaise  :  a  veritaie  non 
stelit,  c.  xm,  col.  328-330.  Ab  inilio  diabolus  peccat. 

I  Joa.,  m,  8.  Le  prince  de  Babylone  a  été  sa  figure. 
Is.,  xiv,  12.  Il  est  le  prince  de  Tyr  tombé.  Ezech., 
xxvm,  13,  14.  In  veritaie  fuit,  non  permansit.  Il  a  été 
péché,  non  ab  initio  quo  crealus  est,  sed  ab  initio 
peccali,  quod  ab  ipsius  superbia  cœperil  esse  pecca- 
tum. Au  commencement,  il  était  figmentum  Domini. 
C.  xv,  col.  330,  331.  La  déchéance  progressive  des  dé- 
mons est  une  erreur  d'Origène,  c.  xxm,  col.  336.  Les 
démons  ont  donc  péché,  in  ima  hujus  mundi  detrusi, 
qui  est  velut  carcer,  usque  ad  fuluram  in  die  judicii 
ultimam  damnationem.  II  Pet.,  n,  4,  c.  xxxm,  col.346. 
Dieu  a  donc  prévu  qu'il  y  aurait  deux  catégories 
d'anges,  dont  l'une,  éprise  de  sa  propre  beauté,  a  été 
précipitée  en  bas  du  ciel  aérien,  où  sont  les  ténèbres- 
Dieu  a  créé  les  deux  sociétés  d'anges.  Les  mauvais 

le  sont  devenus,  sua  poteslale  potins  deleclali,  velut 
bonum  sibi  ipsi  essent...  habentes  elalionis  fastum, 
vanitatis  astutiam.  L.  XII,  c.  i,  n.  1,2,  col.  349.  La  cause 
de  leur  misère  fut  quod  ab  illo  qui  summe  est  aversi, 
ad  seipsos  conversi  sunt  qui  non  summe  sunt.  Hoc 
vitium,  superbia,  Eccli.,  x,  15,  se  illi  prœferendo.  C.  vi, 
col.  353.  Dieu  prévoyant  quosdam  per  elationem  qua 
ipsi  sibi  ad  bealam  vitani  sufficere  vellent,  tanli  boni 
deserlores,  leur  a  laissé  la  liberté,  dont  ils  ont  abusé. 
L.  XXII,  c.  i,  n.  2,  col.  751.  Les  démons  n'ont  donc  pas 
été  fait  mauvais  par  Dieu  ;  ils  le  sont  devenus  peccando, 

II  Pet.,  n,  4;  aussi  la  peine  du  jugement  dernier  leur 
est-elle  due  pour  leur  malice.  De  natura  boni  contra 
maincliœos,  c.  xxxm,  P.  L.,  t.  xlii,  col.  561-562.  Les 
anges  et  les  hommes  sont  l'œuvre  de  Dieu  sine  culpa; 
culpa  nala  est  per  liberum  arbitrium.  Cont.  Julian. 
pelagianum,  1.  VI,  c.  xvi,  n.  64,  P.  L.,  t.  xliv,  col.  819. 
Tous  les  anges  ont  été  créés  par  Dieu  ;  les  rebelles  sont 
rebelles  par  abus  du  libre  arbitre.  Ils  ont  fui  la  bonté 
qui  les  rendait  heureux;  ils  n'ont  pas  pu  fuir  son  juge- 
ment, qui  les  a  rendus  très  malheureux.  De  correplione 
cl  gralia,  c.  x,  n.  27;  c.  XI,  n.  32,  ibid.,  col.  932,  935. 

Sans  nier  absolument  la  possibilité  pour  les  anges 
d'avoir  des  relations  charnelles  avec  les  femmes, 
saint  Augustin  a  cependant  refusé  d'expliquer  la  chute 
des  anges  par  la  concupiscence.  A  propos  de  Vénus, 
il  avait  posé,  en  passant  et  sans  la  résoudre,  la  question 
de  savoir  si  les  esprits  pouvaient  roire  corporaliter. 
Decivitate  Dei,  I.  III.  c  v,  /'.  /...  t.  xi  r,  col.  81-82. 
Il  en  donna  la  solution,  au  sujet  des  (ils  de  Dieu, 
unis  aux  filles  des  hommes,  lien..  VI,  2-4.  Selon  lui, 
ces  Bis  de  Dieu  sont  des  hommes.  Mais  comme,  dans 
iture,  les  an^es  sont  appelés  fils  de  Dieu,  beaucoup 
pensent  qu'il  est  question  d'eux  dans  ce  récit  de  la 
Genèse.    Les  anges,    étant  des   esprits,  non   possunt 

mire    cnrpnralttcr.    Toutefois,     les    anges    onl    apparu 

dans  des  corps,  el  le  bruit  public  parle  de  sylvaina  ci 

de  faunes    amoureux    et    d  ncubes.  (Test   pour- 

quoi, non  hinc  aliquid  audeo  defînire,  utrum  aln/n, 
spiritut,  elemenlo  uni"  corporati  (on  sent  cet  élé- 
ment,  quand  on  agite  un  flabellum),  jmssiut  eiiam 
pâli  libidinem,  utquomodo  possunt,  sentientibut 
feniinii  misceantur.  Quoi  qu'il  en    soit,  ce  ne    sont 

pas  les  saints  anges  qui  sont    i lu  s  avec  le  diable, 

leur  prince.   D'autre  part,   les    hommes  son!   appi  lés 
dam   l'Écritun     Li      géants  ne  son)  pas  n 

-.m. nt  des  Bis  de-  anges;  M   \   ■>  eu   des   géants 

avant  etaprés  le  déluge.  Le  contexte  montre  qui 
Bis  de  Dieu  étaient  des  le tient  les  liis  de 

Selh.   allies   aux   BUeS  de  (..un.   Sainl    AUgUStin   ne  lient 

nipte  des  fables  des  apocryphes.  Le  livre  d'Hénoch 
i  canon  des  Êcritun  i,et  il  n'i  i  oire, 

quand  il  pai h-  de  la  nal  :  lis. 

Ihi.i.,  I  \\  .  v  mi.  xxm.  col.  167-470  Cl  I  W III. 
(     xxxviil,  col. 


371 


DÉMON   D'APRÈS   LES   PÈRES 


En  419,  l'évéqne  d'Ilippone  est  revenu  sur  ce  sujet, 
dans  ses  Quœsliones  in  Heplaleuchum,  1.  I,  q.  lit, 
P.  L.,  t.  xxxiv,  col.  5i9.  Il  se  demande  comment  les 
anges  ont-ils  pu  concumbere  cum  filiabus  hominum 
et  engendrer  des  géants.  Il  fait  observer  que  beaucoup 
de  manuscrits  latins  et  grecs  n'ont  pas  angeli  Dei, 
mais  filii  Dei.  Quelques-uns  résolvent  la  question  en 
disant  que  les  bommes  justes  sont  appelés  anges  de 
Dieu.  Cf.  Mal.,  III,  1.  Mais,  si  c'étaient  des  hommes,  ont- 
ils  pu  engendrer  des  géants,  et  si  c'étaient  des  anges,  se 
miscere  cum  feminis?  Des  géants  ont  pu  naître  des 
hommes;  il  y  en  a  encore  aujourd'hui.  D'où,  il  est  plus 
croyable  que  des  hommes  justes  ont  été  appelés  ou 
anges  ou  fils  de  Dieu  et  que,"cédant  à  la  concupiscence, 
ils  ont  péché  avec  des  femmes,  que  d'admettre  que 
des  anges,  qui  n'ont  pas  de  chair,  aient  pu  commettre 
cette  faute,  quamvis  de  quibusdam  dsemonibus,  qui 
sinl  improbimulieribus,  amultis  tam  multa  dicanlur, 
ut  non  facile  sit  de  liac  re  de/inienda  senlentia. 
Malgré  ses  hésitations  au  sujet  de  la  possibilité  de 
l'union  des  démons  avec  des  femmes,  saint  Augustin 
déclare  expressément  que  cette  union  n'a  pas  été  la 
cause  de  la  chute  des  anges  mauvais.  Ils  sont  tombés 
par  orgueil.  Il  déclare  aussi  que  ex  nno  angelo  lapso 
et  damnalo  cseleri  propagali  non  sunt.  Enchiridion , 
c.  xxviii,  P.  L.,  t.  xl,  col.  246. 

Saint  Augustin  pensait  que  les  démons  avaient  un 
corps.  Bien  qu'ils  ne  soient  pas  nés  ex  femina,  verum 
habenl  corpus.  Serai.,  xn,  c.  ix,  n.  9,  P.L.,  t.  xxxvm, 
col.  104.  Ils  sont  aeria  animalia,  quorum  corporum 
aeriorum  naturel  vigent  et  propterea  morte  non 
dissolventur...  Si  aulem  transgressores  illi,  ante 
quani  transgrederenlur,  cœleslia  corpora  gerebant, 
neque  hoc  mirum  est,  si  conversa  sunt  ex  pœna  in 
aeriam  qvalitatem.  Ils  auraient  été  changés  de  feu  en 
air.  De  Genesi  ad  litleram,  1.  III,  c.  x,  n.  14,15,  P.  L., 
t.  xxxiv,  col.  284,  285.  Cf.  De  divinatione  dœmonio- 
rum,  c.  n,  P.  L.,  t.  xl,  col.  584-585.  Ils  ont  un  corps 
par  lequel  ils  souffrent,  puisqu'ils  avouent  qu'ils  sont 
tourmentés.  De  civilale  Dei,  1.  XXI,  c.  m,  n.  1,  P.  L., 
t.  xli,  col.  710. 

A  la  question  si  le  feu  de  l'enfer  pourra  par  son 
contact  brûler  les  malins  esprits,  qui  sont  incorporels, 
il  faisait  deux  réponses.  Si,  avec  les  hommes  doctes, 
on  dit  que  les  démons  ont  des  corps,  formés  ex  isto  aère 
crasso  atque  humido,  cujus  impulsas  vento  fiante 
sentitur,  cet  élément  peut  subir  le  feu  ;  comme  dans 
les  bains,  l'air  chauffé  brûle  avant  de  brûler.  Si  on  dit 
que  les  démons  n'ont  pas  de  corps  (ce  que  l'auteur  ne 
veut  pas  rechercher  ni  discuter),  les  démons  souflriront 
néanmoins  du  feu  de  l'enfer.  L'âme  de  l'homme,  qui 
est  incorporelle,  souffre  bien  par  le  corps.  Donc,  bien 
qu'incorporels,  les  démons-esprits,  corporeis  ignibus 
cruciandi,  non  ut  ignés  ipsi,  quibus  adhserebunt, 
eorum  junctura  inspirenlur  et  animalia  fiant,  quo 
constent  spiritu  et  corporc,  sed,  ut  dixi,  miris  et 
ineffabilibus  modis  adhserendo,  accipienles  ex  ignibus 
pœnam,  non  dantes  ignibus  vitam.  Qu'ils  soient 
corporels  ou  incorporels,  les  démons  seront  brûlés 
par  le  feu  de  la  géhenne.  L.  XXI,  c.  x,  n.  1,  2,  col.  724- 
725. 

Ces  corps  aériens  habitent  l'air,  et  pas  les  astres; 
aussi  les  démons  sont-ils  dits  volatilia  cœli.  Serai., 
ccxxn,  P.  L.,  t.  xxxvm,  col.  1091.  Tombé  des  hau- 
teurs des  anges,  le  diable  est  descendu  dans  l'air, 
qui  lui  sert  de  prison;  il  a  été  condamné  à  y  vivre. 
L'enfer,  où  il  est  enfermé,  II  Pet.,  Il,  4,  est  cette  partie 
inférieure  du  monde.  Enarrat.  in  ps.  OÏLV//J,  9,  P.  L., 
t.  xxxvil,  col.  1943.  Quelques-uns  pensaient  que  les 
anges  déchus  avec  l'archange,  leur  chef,  étaient  in 
superiori  parle  aeris,  la  plus  proche  du  ciel;  aussi 
distinguaient-ils  les  anges  en  célestes  et  supercélestes, 
Mais,  après  leur  péché,  les  anges  sont  descendus  dans 


la  partie   inférieure  de  l'air.  De  Genesi  ad  litleram, 
I.  III,  c.  x,  n.  14,  P.  L.,  t.  xxxiv,  col. 284;  Enchiridion, 

c.  xxviii,  P.  L.,  t.  XL,  col.  246.  L'air  dans  lequel  il- 
vivent  leur  sert  de  prison  jusqu'au  supplice  éternel  qui 
leur  est  réservé.  Epist.,  Cil,  q.  m,  n.  20.  P.  /.., 
t.  xxxiii,  col.  378;  De  civitate  Dei,  I.  VIII,  c.  xv,  n.  1. 
2;  c.  xxn,  /'.  L.,  t.  xli,  col.  239-240,  2M5.  Le  diable 
habite  à  l'aquilon.  Fs.,  XIV,  13,  11.  Enarrat.  in 
ps.  i.x.x.xm,  12,  P.  L.,  t.  xxxvn,  col.  1127.  Si  le  dr 
est  dans  la  grande  mer,  c'est  qu'il  est  tombé  de  sublimi 
babitatione  ceelorum.  Il  lui  a  fallu  occuper  une  plat 
/toc  mari  magno  et  spatioso.  C'est  son  royaume,  qui  esl 
sa  prison.  Il  n'a  de  pouvoir  d'y  faire  du  mal,  jn'si  j  <•<  - 
missus.  Il  est  dans  cette  rner,  il  ne  peut  en  sortir.  Ce 
siège  parait  grand,  parce  qu'on  ne  connaît  pas  les 
sièges  angéliques,  dont  il  est  tombé.  Quse  libi  videlur 
ejus  glorialio,  damnalio  est.  Il  se  trouve,  en  effet,  in 
infimis.  Enarrat.  inps.  dit,  n.  7,  9,  10,  P.  L.,  t.  xxxvn. 
col.  1382, 1385. 

Bien  que,  en  punition  de  leur  orgueil,  les  démons 
soient  dépravés  et  in  inferioribus  ordinati, ils  peuvent 
néanmoins  entendre  la  voix  de  Dieu,  qui  leur  parle 
comme  aux  bons  anges.  Cependant,  cela  ne  veut  pas 
dire  qu'entendant  la  voix  de  Dieu,  ils  auraient  pu  avoir 
la  foi  chrétienne.  Satan  a  pu  paraître  en  présence  de 
Dieu,  qui  voit  tout  et  à  qui  personne  ne  peut  échapper. 
11  a  été  aussi  au  milieu  des  anges,  s'il  s'agit  des  bons, 
sicut  reus  in  medio  apparitorum  judicis;  s'il  s'agit  des 
mauvais,  comme  un  chef  au  milieu  de  sa  troupe.  Hais 
il  ne  voyait  pas  Dieu,  qui  lui  a  parlé  par  l'intermédiaire 
d'un  bon  ange.  Les  manichéens  prétendaient  à  tort 
qu'il  avait  vu  Dieu.  Il  voyait  le  corps  de  Jésus,  lorsqu'il 
le  tentait,  mais  il  n'a  pas  connu  sa  divinité.  Serai.,  xn. 
c.  iv-ix,  n.  4,  P.  L.,  t.  xxxvm,  col.  102-104.  Cf.  De 
civitate  Dei,  1.  IX,  c.  xxi,  P.  L.,  t.  xli,  col.  273. 
Saint  Augustin,  De  divinatione  dsemoniorum,  c.  v. 
n.  9,  P.  L.,  t.  XL,  col.  586,  pour  expliquer  comment 
les  démons  connaissent  l'avenir,  avait  dit  qu'ils  con- 
naissent très  facilement  les  pensées  secrètes  di  s 
hommes.  Dans  ses  Rétractations,  1.  II,  c.  xxx,  P.  L., 
t.  xxxn,  col.  643,  il  déclara  qu'il  avait  affirmé  trop 
audacieusement  une  chose  très  cachée,  que  les  démons 
ne  lisaient  pas  nos  pensées,  mais  que  quelques  signes 
sensibles  qui  nous  échappent  étaient  saisis  par  eux. 
Voir  t.  i,  col.  2356.  Le  prince  de  la  puissance  de  l'air, 
et  ses  anges,  devenus  ténèbres  par  l'abus  de  leur  liberté, 
n'ont  plus  la  liberté  de  bien  faire,  mais  en  punition  de 
leur  crime,  ils  ne  peuvent  que  faire  le  mal.  Epist., 
ccxvu,  c.  m,  n.9,  10,  P.  L.,  t.  xxxm,  col.  981-982.  Le 
diable  sera  lié  pendant  mille  ans  pour  lui  enlever  le 
pouvoir  de  séduire  les  nations.  Il  sera  enchaîné  dans 
l'abîme,  c'est-à-dire  dans  la  multitude  des  impies  qui 
seront  dans  l'Église.  Il  était  déjà  en  eux  ;  il  y  demeurera, 
mais  exciudendus  a  credentibus  :  ce  qui  signifie  que. 
pendant  ces  mille  ans,  il  ne  pourra  pas  faire  de  nou- 
velles séductions.  Il  sera  délié  pour  un  peu  de  temps 
(trois  ans  et  demi)  avant  le  jugement.  De  civitate  Dei, 
1.  XX,  c.  vu,  vin,  P.L.,  t.  xli.  col.  667-670.  Les  démon-, 
créés  immortels,  seront  précipités  dans  la  seconde 
mort  après  le  jugement.  L.  XIII,  c.  XXTV,  n.  0.  col.  102. 

Saint  Augustin  a  rejeté  très  explicitement  la  possibi- 
lité, pour  les  démons,  de  faire  pénitence  et  d'être  réta- 
blis dans  leur  premier  état.  A  Paul  Orose,  qui  l'avait 
interrogé  si  le  démon  pouvait  mériter  le  pardon,  comme 
Origène  l'avait  prétendu,  Commonilorium  de  errore 
origenistarum  et  priscillianistarum,  P.  L.,  t.  xi.ii, 
col.  668,  l'évèque  d'IIippone  répond  :  Sapere  nihil 
audeas.  La  dernière  sentence  qui  les  frappera  les  con- 
damnera au  feu  éternel.  Si.  dans  l'Écriture,  œternuni 
a  parfois  le  sens  de diuturnum,  ce  n'est  pas  le  cas  ici. 
Le  feu  éternel  n'aura  pas  de  fin.  comme  la  vie  éter- 
nelle. Dire  que  le  diable  ne  sera  pas  rétabli,  ce  n'est 
pas  diminuer  le  pouvoir  de  Jésus-Christ  :  (.'ion  diaboli 


373 


DÉMON    D'APRÈS    LES    PÈRES 


374 


pœnas  dolemus,  de  regno  Chrisli  non  dubilamus.  Ad 
Orosium  contra  priscillianislas  et  origenistas,  c.  v, 
n.  5;  c.  vi,  n.  7,  ibid.,  col.  672,  673.  Si  l'homme,  qui 
a  été  porté  à  la  superhe  par  le  diable,  a  été  réconcilié 
et  a  eu  un  rédempteur,  angeli  qui,  niilln  suadente, 
spontanea  prsevaricalione  sic  lapsi  sunl,  per  tnedia- 
loreni  non  réconcilia» tur.  In  Gai.  exposilio,  24,  P.  L., 
t.  xxxv,  col.  2122.  Les  anges  pécheurs  ne  nous  sont 
pas  supérieurs,  parce  que  ni/iil  cis  talc  unde  sanaren- 
tur  impensum  est.  Etant  plus  élevés  que  nous,  ils 
devaient  moins  pécher;  ils  sont  d'autant  plus  coupa- 
bles, qu'ils  ont  été  plus  ingrats  et  déserteurs.  Il  n'y  n 
donc  pas  pour  eux  de  rémission.  In  Joa.,  tr.  CX,  n.  7, 
ibid.,  col.  1924-1925.  N'étant  plus  libres  de  bien  faire, 
ils  sont  endurcis  dans  le  mal.  Unde  nemo  sanse  fidei 
crédit  aut  dicit  lios  apostalas  angelos  ad  prislinam 
pielalem  correcta  aliquando  volunlale  converti. 
Epist.,  ccxvn,  c.  m,  n.  10,  P.  L.,  t.  xxxm,  col.  982. 
Discutant  enfin  avec  le  pélagien  Julien,  qui  soutenait 
la  cause  du  diable,  saint  Augustin  raisonne  ainsi  : 
Tu  attribues  au  diable  ou  la  nécessité  ou  la  possibilité 
de  pécher.  Si  c'est  la  nécessité,  tu  ne  peux  l'excuser 
de  crime;  si  c'est  la  possibilité,  il  ne  peut  donc  avoir 
la  bonne  volonté,  ni  faire  pénitence  et  ainsi  obtenir  la 
miséricorde  de  Dieu.  C'est  l'erreur  qu'on  prête  à  Ori- 

.  Restât  igitur  ul  ante  supplicium  ignis  œlcrni, 
etiam  nécessitas  ista  pcccandi  magna  sit  diabolo 
mafjni  pâma  peccali,  neque  inde  exeuselur  a  crimine. 
Il  est  parvenu  à  cette  nécessité  de  pécher,  parce  que 
d'abord  il  a  librement  péché.  Operis  imperfecli  con- 
tra Julianum,  I.  Y.  n.  47.  /'.  /,.,  I.  xi.v,  col.  1483-1484. 
Et  encore  :  Si  tu  dis  que  le  diable,  volontairement 
éloigné  du  bien,  reviendra,  s'il  le  veut  et  quand  il  vou- 
dra, au  bien  qu'il  a  abandonné,  tu  renouvelles  l'erreur 
d'Origène.  Ibid.,  1.  VI,  n.  10,  col.   1518. 

Cassien  a  apporté  d'Orient  en  Occident  les  mêmes 
doctrines  sur  la  chute  des  démons,  et  il  a  rejeté'  défi- 
nitivement la  légende  du  mariage  de  ces  esprits  avec 
lis  femmes.  Toutes  les  puissances  spirituelles  et  les 
vertus  célestes  ont  été  créées  par  Dieu.  Collai.,  vm, 
c.  vu,  P.  L.,  t.  xlix,  col.  730-733.  De  leur  nombre, 
quelques-unes  sont  tombées,  i  zéchiel  el  Isaïe  parlent 
d'un  prince  déchu.  Il  n'a  pas  été  seul,  puisque  l'Écri- 
ture dii  que   le  tiers  des  étoiles  a  été  entraîné  par  le 

on.  Apoc,  mi.  'i.  Saint  Jude  >'sl  plus  clair  encore,  et 
le  psaume  i\\\i.  6,  mentionne  un  des  princes  tombés; 
il  y  en  a  donc  eu  d'autres,  heur  diversité  provient  ou 
bien  des  degrés  antérieurs,  dans  lesquels  ils  avaient 
ou  bien  des  degrés  de  leurs  péchés,  connue 
6  se  diversifient  par  les  degrés  de  leurs 
mérites,  c.  vm,  col.  733-735.   Un  des  moines  dit  qu'il 

ail  que  le  diable  était  tombé  par  jalousie  à  l'égard 
d'Adam  el  d'Eve.  Cassien  répond  que  tel  n'a  pas  été 
le  molif  de  sa  chute  La  G(  nèse  montre  que  le  serpent 
était  mauvais  avant  la  tentation  ;  de  angelica  ditcesserat 
sanctitate.  La  cause  de  sa  chute  est  antérieuri 
jalousie  envers  les  hommes.  Se  meminerat  corruitse. 
Priorem  ■  tm,quo  tuperbienda  corruerat,  que 

etiai  -  monterai   nuncupari,  tecunda  ruina 

ividiam    ubiecuta  at.  C.  iv.  x,  col.  736  738.  le 
ni  i  i  ■  i  h  une  malédiction  éternelle,  c.  u,  col.  739. 
i      démons  sont  nombreux  dans  l'air  ;  tanta  spirituum 

.   m  que  m, n  quieli 
1     xii.  col,  740  741,  II-  attaquent 
rcenl    leur  domination  chacun 
dam    -"n    domaine.    C.   xm.    xiv.    roi.    7il 
boinio'    i  déni  angei     un  bon  et  un  mauvais,  i 
de   ce  mauvais  ange  pour  chacun  esl  pp 
p  u  l'exemple  de  -lob  ri  celui  de  Judas,  donl  il  esl  iin 
;,u   psaume  i  vm,  0     Et  diaboVut  itel  a  <i<-.rtiis 

n.  eol.  750-751.  <m  demanda  au  conférencier,  au 

htm  Hlteram  convenire.  Il  ré- 


pondit :  Kullo  modo  credendum  est  spiritales  naluras 
coire  cum  fcminis  posse.  Si  cela  avait  été  possible 
autrefois,  pourquoi  cela  ne  le  serait-il  plus  aujourd'hui? 
On  ne  peut  dire  non  plus  qu'ils  engendrent  cum  sc- 
mine  viri.  Le  texte  biblique  appelle  anges  de  Dieu  des 
descendants  de  Seth,  qui  ont  épousé  des  filles  de  Caïn 
et  en  ont  eu  des  géants.  Du  reste,  divers  exemplaires 
ont  la  leçon  :  «  lils  de  Dieu.  »  C.  xx,  xxi,  col.  754-760. 
Il  n'est  pas  question  non  plus,  Joa.,  vm.  44,  du 
père  du  diable.  Spirilus  spiritum  non  gcnerat.  Le 
diable,  qui  a  été  créé  bon,  n'a  pas  d'autre  père  que 
Dieu.  Ouand  par  orgueil  il  dit  dans  son  cœur  :  lu 
cselum  consceiulam,  Is.,  xiv,  13,  faclus  est  mendax  el 
in  verilale  non  stelil.  Il  est  devenu  le  père  du  men- 
songe, quand  il  dit  :  Eritis  sicut  dii.  Gen.,  III,  5, 
c.  xxv,  col.  767-770.  De  la  description  que  Cassien  fait 
de  l'action  des  démons  sur  les  hommes,  relevons  seule- 
ment ces  deux  traits  :  ils  ne  connaissent  nos  pensées 
que  par  des  signes  extérieurs,  et  chacun  d'eux  inspire 
une  espèce  de  passions  exclusivement.  Collât.,  vu, 
c.  xv,  xvn,  col.  687-690,  691-692. 

Les  autres  écrivains  ecclésiastiques  du  V  siècle  ne 
font  que  répéter  l'enseignement  commun.  Saint  Pros- 
per  d'Aquitaine  emprunte  à  saint  Augustin  ce  qu'il 
dit  de  la  chute  du  diable  par  orgueil.  Liber  sentenlia- 
rum  ex  operibus  .S'.  Augustini  dclibatarum,  n.  59, 
P.  L.,  t.  li,  col.  436.  Cf.  Epigr.,  62,  col.  516-517.  Saint 
Pierre  Chrysologue  attribue  celte  chute  tantôt  à  l'envie, 
Serrn.,  iv,  ci.xxii,  P.  L.,  t.  lu,  col.  194-195,  649,  tantôt 
à  l'orgueil.  Serm.,xxvi,  col.  272-273.  Dieu,  qui dazmo- 
nes  esl  perpeluo  cremalurus  incendio,\euv  inflige,  en 
attendant,  des  peines  temporelles.  Scrm.,  i.n,  col.  355. 
Saint  Léon  le  Grand  emploie  les  mêmes  formules  que 
sainl  Augustin  pour  dire  que  le  diable  est  tombé  par 
orgueil.  Serm.,  ix,  c.  i;  xi.vm,  c.  il,  P.  L.,  t.  i.iv, 
col.  160-161,  299.  Les  priscillianistes  prétendaient  que 
le  diable  n'a  jamais  été  bon,  ni  l'œuvre  de  Dieu,  mais 
qu'il  était  sorti  du  chaos  et  des  ténèbres;  ils  en  fai- 
saient le  principe  de  tout  mal.  Le  pape  leur  oppose  la 
foi  catholique.  Il  serait  demeuré  bon,  s'il  était  resté  ce 
qu'il  avait  été  fait,  mais  il  a  mal  usé  de  son  excellence 
naturelle  et  il  s'est  éloigné  du  souverain  bien,  à  qui  il 
devait  adhérer.  Epist.,  xv,  c.  vi,  col.  683.  De  nouveau. 
reparaissent  les  formules  augustiniennes.  L'auteur  de 
Y  Epis/nia  ad  Demelriadem,  vm.  /'.  L.,  t.  i.v.  col.  168. 
dit  :  Superbia  a  diabolo  sumpsil  cxordium,  qui, 
quoniam  sua,  quam  a  crealore  acceperat,  potenlia  cl 
dignilate  sibi  placuit  seque  auctorùt  sut  glorim  com 
parai  il,  cum  Us  angclis  quos  in  consensum  impietatis 
su,x  Irai  c  ni  u  cœlesti  humililate  dejeclus  est.  Gen- 
nade,  De  ecclesiasticis  dogmatibus,  c.  ix.  P.  L., 
t.  i.vm,  col.  983,  rejette  la  restauration  finale  des  dé- 
mons et  professe  l'éternité  de  leur  supplice  dans  le 
feu  de  l'enfer.  Les  anges  sont  corporels,  bon  qu  il- 
n'aient  pas  de  chair,  et  les  démons  ont  la  substance 
■  le  la  nature  angélique.  C.  xn,  col.  984.  Leur  nature 
était  bonne,  el  pis  mauvaise.  Le  diable,  qui  était  bon, 
a  pèche,  e.  i  \.  col.  995.  Les  anges  mauvais  sont  tombés 
par  orgueil,  c.  i.xi.  col.  '.l'.ni.  Ils  étaient  libres;  unde 
Satan  cum  sequentibus  tegionibus  cecidit.  C.  i.xn, 
col.  996 

Lee  poètes  chrétiens  de  l'époque  mettent  en  vers  la 
même  doctrine.  Sainl  àvil  déclare  'i'"'  l'ange  était  cou- 
pable, avant  de  tenter  l'homme.  Il  décrit  en  ces  termes 
son  péché  : 

Se    l 

Quod  fuerlt,  i  al 

\uctoremque  nefans  :  Dlvli 

N'iincn,  ri  i  tornatn  i  icm 

l    vlribut  impar. 

.  I,  n.  /•.   /..ii  u,  roi.  331.  H  explique  le 
déluge  par  la  luxure  des  hommei    i    IV,  col   345-347, 


375 


DÉMON    D'APRÈS    LES   PÈRES 


37G 


Pour  Prudence,  llamartigenia,  126-128,  ibid,. 
col.  1021,  Dieu  n'est  pas  le  père  des  crimes;  ce  père 
est  damnandus  Averno.  Dieu  n'est  pas  l'auteur  du 
mal;  c'est  l'ange  qui  l'a  inventé.  Iiel  astre,  esprit,  saint 
et  le  plus  beau  des  anges, 

nimis  dum  viribus  auctus 
Inflatur,  dum  grande  tumens  sese  altius  effort. 

11  a  cru  qu'il  s'était  créé  lui-même  et  qu'il  était  sans 
principe. 

Persuasit  propriis  genitum  se  viribus,  ex  se 
Materiam  sumpsisse  sibi,  qua  primitus  esse 
Inciperet,  nascique  suum  sine  principe  cœptum. 

Il  a  voulu  faire  une  secte,  et  il  a  entraîné  d'autres 
avec  lui.  Ibid.,  157-177,  col.  1023-1025.  Plus  tard,  il  a 
été  pris  de  jalousie  pour  l'homme,  178  sq. 

Conclusion.  —  Parvenu  au  terme  de  cette  longue 
enquête  sur  la  démonologie  pendant  les  cinq  premiers 
siècles,  il  est  nécessaire  de  dégager  les  principales 
pensées  des  Pères  de  cette  époque  sur  le  diable  et  les 
démons.  Si  l'attribution  de  la  chute  de  Satan  à  la  ja- 
lousie envers  l'homme  fut  prédominante  pendant  les 
trois  premiers  siècles,  elle  ne  fut  pas  cependant  uni- 
verselle; quelques  écrivains  ne  donnaient  pas  le  motif 
qui  avait  porté  Satan  à  pécher  ou  en  indiquaient  d'au- 
tres que  celui-là.  Le  passage  biblique  sur  lequel  on  étayait 
ce  sentiment  était  la  parole  de  la  Sagesse,  n,  24,  suivant 
laquelle  la  mort  est  entrée  dans  le  monde  par  l'envie 
du  diable.  La  plupart  des  écrivains  ecclésiastiques,  qui 
expliquaient  la  chute  de  Satan  par  la  jalousie,  rappor- 
taient à  la  concupiscence  charnelle  la  faute  des  mauvais 
anges.  Mais  ils  étaient  presque  tous  exclusivement  tri- 
butaires des  légendes  du  livre  des  Jubilés  ou  du  livre 
d'Hénoch  ;  très  peu  se  réfèrent  explicitement  au  récit 
du  c.  vi  de  la  Genèse,  et  ils  le  font,  parce  qu'ils  suivent 
la  leçon  «  anges  de  Dieu  ».  Quelques-uns  de  ceux  qui 
lisaient  «  fils  de  Dieu  »  ne  rejetaient  pas  absolument  le 
mariage  des  anges  avec  des  femmes,  parce  qu'ils  attri- 
buaient aux  anges  un  certain  corps  et  parce  qu'ils 
admettaient  les  fables  païennes  des  faunes,  des  sylvains, 
des  esprits  incubes  et  succubes.  Tous  étaient  imbus  des 
préjugés  de  leur  temps.  Mais  en  cela,  ils  ne  formaient 
pas  une  tradition  ecclésiastique,  et  ils  ne  donnaient 
pas  une  interprétation  traditionnelle  du  récit  de  la 
Genèse.  Aussi,  quand  le  livre  d'Hénoch  cessa  de  passer 
pour  une  prophétie,  quand  les  Pères  admirent  nette- 
ment l'incorporéité  des  anges,  quand  on  attribua  la 
chute  de  tous  les  anges  à  l'orgueil,  c'en  fut  fait  de  la 
croyance  à  l'union  des  anges  avec  des  femmes.  Des 
textes*  de  l'Écriture,  notamment  les  oracles  d'Isaïe  et 
d'Ézéchiel  sur  le  prince  de  Tyr  et  le  roi  de  Dabylone, 
entendus  de  Satan  à  la  lettre  ou  selon  l'esprit,  et  le 
passage  de  l'Apocalypse,  XII,  4,  sur  le  tiers  des  étoiles, 
entraîné  par  le  dragon,  déjà  interprété  ainsi  par  saint 
Jérôme,  amenèrent  les  écrivains  ecclésiastiques  à  re- 
porter la  chute  de  tous  les  anges  avant  la  création  de 
l'homme  et  à  attribuer  leur  révolte  contre  Dieu  à  l'or- 
gueil. En  faut-il  conclure  avec  M.  Tunnel  que  <.  dans 
le  cours  du  ive  et  du  Ve  siècle,  la  doctrine  des  démons 
subit  une  transformation  importante  ».  «  Jusque-là, 
continue-t-il,  on  les  croyait  issus  du  commerce  des 
anges  avec  les  femmes;  on  reculait  par  là  même  leur 
origine  vers  l'époque  du  déluge.  A  partir  du  iv  siècle. 
l'Église  grecque,  puis  plus  tard  l'Église  latine,  ces- 
sèrent de  voir  dans  les  démons  des  êtres  à  moitié  on- 
géliques  et  à  moitié  humains;  et  elles  en  firent  des 
compagnons  de  Satan,  tombés  comme  lui  avant  la  créa- 
tion du  genre  humain.  Cette  transformation  avait  été 
provoquée  par  la  disparition  de  l'ancienne  doctrine 
qui  expliquait  la  chute  des  anges  parla  luxure.  »  His- 
toire de  l'angéloîogie,  dans  la  Revue  d'histoire  et  de 
littérature  religieuses,  1898,  t.  ni,  p.  302.  Pour  faire 


essortir  celte  transformation,  M.  Tunnel  attribuer  à 
tous  les  anciens  écrivains  ecclésiastiques  l'opinion  de 
Lactance  et  de  Commodien,  qui  font  des  géants,  issus 
de  l'union  des  anges,  des  démons.  Mais  ce  sentiment  a 
été  isolé.  La  plupart  pensaient  surtout  aux  anges  mariés 
et  faisaient  périr  ou  enchaîner  leur  progéniture  géante. 
Il  y  a  eu  donc  modification  seulement,  et  pour  les  rai- 
sons indiquées  plus  haut,  du  motif  de  la  faute.  Si  elle 
est  importante  au  sujet  des  démons,  elle  l'est  moins 
pour  le  diable  lui-même,  qui,  tout  en  ayant  péché  par 
orgueil,  est  demeuré  jaloux  de  l'homme.  Les  deux  doc- 
trines sur  sa  chute  se  sont  superposées  plutôt  que  rem- 
placées. La  nature  des  anges  prévaricateurs  est  donc 
restée  la  même;  le  motif  de  leur  faute  a  seul  changé-. 
Pour  tous,  les  anges  sont  des  esprits  déchus  de  leur 
première  constitution,  des  esprits,  qui  n'étaient  pas 
nécessairement  mauvais,  que  Dieu  avait  créés  libres  et 
qui  avaient  mal  usé  de  leur  liberté.  Devenus  prévari- 
cateurs, ils  ont  été  expulsés  du  ciel;  ils  habitent  dans 
l'air,  et  sont  destinés  à  être  enfermés  pour  toujours 
dans  l'enfer  après  le  jugement  dernier.  Eusèbe  de  Cé- 
sarée  et  quelques  autres  mettent  déjà  cependant  dans 
l'enfer  la  plupart  des  anges  déchus.  L'opinion  com- 
mune leur  réserve  seulement  pour  plus  tard  le  supplice 
du  feu.  Le  sentiment  de  leur  réintégration  finale,  pro- 
posé par  Origène,  n'a  été  admis  que  par  quelques 
Pères;  la  plupart  l'ont  repoussé  catégoriquement.  Les 
anges,  confirmés  dans  le  mal,  sont  laissés  par  Dieu 
dans  le  monde  pour  tenter  les  hommes.  Leur  pouvoir 
est  dépendant  de  la  permission  divine  et  restreint.  Plus 
tard,  ils  seront  punis  dans  le  feu  éternel  et  de  leur  pré- 
varication première  et  des  nombreux  péchés  qu'ils  ont 
commis  depuis.  La  doctrine  ecclésiastique  sur  le  diable 
et  les  démons  est  fixée  dans  les  grandes  lignes;  elle  ne 
subira  plus  dans  la  suite  que  des  retouches  ou  des 
compléments  de  détail. 

Petau,  De  angelis,  1.  III,  c.  i-viu,  dans  Dogmata  theologica, 
Paris,  1866,  t.  iv,  p.  57-121 ,  et  dans  Cursus  complétas  theotogiat 
de.Migne,  t.  vu,  col.  807-912  ;  J.  Sclnvane,  Histoire  des  dogmes, 
trad.  Degert,  Paris,  1903,  t.  i,  p.  xxxvi-xui;  Robert,  Les  fils  de 
Dieu  et  les  filles  des  hommes,  dans  la  Revue  biblique,  1895, 
t.  iv,  p.  348-366,  370-373,  535-539  (article  tendancieux,  écrit  eD 
vue  de  prouver  une  thèse  fausse);  J.  Tunnel,  Histoire  de  l'an- 
géloîogie des  temps  apostoliques  à  la  fin  du  v  siècle,  dans  la 
Revue  d'histoire  et  de  littérature  religieuses,  1898,  t.  m, 
p.  289-308  (à  compléter  et  à  corriger);  Id.,  Histoire  de  la  théo- 
logie positive  depuis  l'origine  jusqu'au  concile  de  Trente, 
Paris,  1904,  p.  115-118;  F.  Martin,  Le  livre  d'Hénoch  traduit 
sur  le  texte  éthiopien.  Paris,  1906,  p.  cxxii-cxxxvi. 

III.  Du  vie  au  xic  siècle.  —  Durant  cette  longue  pé- 
riode de  six  siècles,  la  doctrine  sur  le  diable  et  les  dé- 
mons n'a  fait  presque  aucun  progrès  dans  l'Église.  On 
se  bornait  à  conserver  et  à  répéter,  bien  maigrement 
encore,  ce  que  les  docteurs  précédents  avaient  dit  à  ce 
sujet.  Xous  entendrons  un  écho  affaibli  de  toutes  les 
opinions  anciennes.  Nous  nous  bornerons  à  quelques 
indications,  uniquement  pour  ne  pas  rompre  la  suite 
de  la  tradition. 

1»  En  Orient,  —  Au  VIe  siècle,  Procope  de  Gaza,  in- 
terprétant Gen.,  i.  2.  rapporte  que,  selon  quelques-uns, 
les  ténèbres,  créées  le  premier  jour,  représentaient 
le  diable,  et  l'abîme,  les  mauvais  démons.  Il  ajoute 
toutefois  que,  par  sa  création,  le  diable  était  bon  et  que 
c'est  de  lui-même  qu'il  est  devenu  calomniateur  et 
mauvais.  Comment,  in  Gen.,  I,  2,  P.  G.,  t.  i.xxxvn, 
col.  45.  Il  parlait  par  l'organe  du  serpent,  et  sa  parole 
à  Eve  :  «  Vous  serez,  comme  des  dieux.  »  signifiait  que 
les  hommes  pécheurs  ressembleraient  aux  anges,  qui 
étaient  tombés  avec  lui.  Dieu  ne  l'interrogea  pas,  parce 
qu'il  était  incorrigible  et  inguérissable  et  qu'il  ne  méri- 
tait pas  le  pardon.  Ibid.,  m.  1  sq.,  col.  180.  184.  201. 
Dans  son  commentaire  sur  Isaïe,  Procope  n'entend 
d'aucune  manière  du  diable  le  C.  xiv.  Sur  Gen.,  VI,  2sq.k 


377 


DÉMON    D'APRÈS    LES    PÈRES 


378 


il  observe  que  quelques  exemplaires  ont  la  leçon  : 
«  anges  de  Dieu.  »  Quelques-uns  pensent  que  Moïse 
désignait  par  là  les  puissances  déchues  ou  les  anges 
apostats.  Mais  ces  anges  ne  peuvent  avoir  des  relations 
avec  les  femmes;  cela  répugne  à  leur  nature,  quoiqu'ils 
abondent  en  malice.  D'autres  disent  qu'ils  avaient  ces 
relations  en  même  temps  que  des  hommes.  Si  cela  est 
vrai,  cela  ne  se  serait  produit  qu'à  cette  époque  :  ce  qui 
serait  bien  extraordinaire.  Le  contexte  prouve  qu'il 
s'agit  d'hommes  sous  ce  nom  d'anges  de  Dieu,  lbid., 
col.  265,  268.  On  dit  que  les  anges  transgresseurs 
apprirent  aux  femmes,  avec  qui  ils  se  souillèrent  avant 
le  déluge,  certains  secrets,  et  qu'ils  les  écrivirent  sur 
des  pierres.  C'est  pourquoi  Dieu  fit  graver  le  décalogue 
sur  des  pierres.  Comment,  in  Exod.,  col.  885-886. 

Saint  Sophrone.  patriarche  de  Jérusalem,  dit  seu- 
lement que  Lucifer,  chassé  par  Jésus-Christ  d'auprès 
de  la  demeure  des  hommes,  habite  dans  l'abime. 
Laudes  in  SS.  Cyrum  et  Joannem,  n.  15,  P.  G., 
t.  i. xxxvn,  col.  3397.  Saint  Jean  Clirnaque  attribue  à 
l'orgueil  la  perte  de  tous  les  démons.  Scala  jiaradisi, 
grad.  xxv  et  schol.  40,  P.  G.,  t.  i.xxxviu,  col.  1001, 
1012.  Saint  Maxime  le  Confesseur  déclare  que  les  liens 
éti-rnels  et  les  ténèbres  sont  réservés  aux  anges  tombés, 
après  le  jugement  seulement.  Qusest.  ad  Thalassium, 
q.  xi,  P.  G.,  t.  xc,  col.  292-293.  11  rapporte  la  chute  du 
diable  à  l'envie  :  le  diable  a  envié  l'homme,  parce  qu'il 
participait  à  la  gloire  de  Dieu,  et  il  a  envié  Dieu,  parce 
que  Dieu  sauvait  l'homme.  Capita,  cent.  îv,  n.  48,  ibid., 
col.  1325.  Anastase  le  Sinaïte  est,  sur  ce  point,  mais  à 
sa  façon,  du  même  sentiment.  Isaïe  et  Ézéchiel  nous 
apprennent  que  l'un  des  premiers  anges,  qui  sont  des 
êtres  incorporels,  faisant  le  fanfaron  envers  Dieu, 
tomba  avec  toute  sa  troupe.  11  se  croyait  le  maître  de  la 
nature.  Quand  il  vit  Adam  créé  et  constitué  chef  du 
monde  visible,  brûlant  de  jalousie,  il  trompa  l'homme 
par  Eve.  Iles  le  principe,  il  s'arma  donc  contre  l'homme. 
Via  dii.i,  iv,  /'.  G.,  t.  i.xxxix,  col.  90.  Ailleurs,  Anastase 
résout  la  question  de  savoir  comment  le  diable  put  se 
tenir  devant  Dieu  avec  les  anges.  Ce  n'est  pas  au  ciel 
qn'il  était  devant  hieu,  il  n'en  était  pas  digne;  Dieu 
étant  partout,  on  est  devant  lui  partout  où  il  est  avec 
ses  anges  ou  ses  ministres.  Si  Satan  a  reçu  de  Dieu 
la  mission  de  frapper  Job,  Dieu  ne  lui  a  pas  parlé;  les 
que  hieu  lui  concède  de  faire  contre  les  hommes 
sont  tenus  pour  des  paroles.  Qusest.  ad  Thalas^ 
q.  xxxi,  col.  568-569.  On  avait  demandé  à  Anastase  si 
les  paroles  de  Jérémie,  xxvn.  il.  sur  le  roi  de  Babylone 
étaient  dites  allégoriquemenl  du  diable.  Il  se  borne  à 
répondre  que  le  diable  est  l'ennemi  de  hieu  ;  mais  que, 
pour  nous  châtier  péchés,   hieu    lui   permet 

ir  contre  nous.  Q.  xxxn,  col.  569,  572.  Knlin,  il 
affirme  que  le  diable  ne  force  pei  onne  a  mal  foire, 
qu'il  suggère  aeule ni  le  mal  à  accomplir,  et  il  en 

conclut  qu'il   n  est  pas  l'auteur  (!••  toutes  les  faut. 

hommes.  Q.  xcvm,  col.  752.  Un  moine  delà  laure  de 

Saint-Sabas,   nommé   Antoine,   altril à   l'orgueil  la 

chute  du  diable  et  cite  18.,  xiv,  Il  Uomil.,  \i  \,  /'.  G., 
t.  i  \xxi\.  col.  1572. 

Sainl  André  di  I  •  sari  e  a  interprété  àpoc,  \n,  3sq 
rie  la  première   chute  de  Lucifer.  Le  tiers  des  'toiles, 
Iné  pai    la  queue  du  dragon,  désigne  ou  bien  les 
par   i  envie  el  l'orgueil  à  la  suite  de 

n.  ou  bien  les  ho es  broyés  par  la  queue   du 

monstre.  Le  i  ombal  a  ■  c  Hichei  peut 
modi  '  dnl  Justin  a  dil  que  le  diable 

i  -  mi  ni  au  premier  av<  nemenl  du  Christ 
qu'il  ndamné  à  l  abîme  el  à  la  géhenne  du 

in  A)         '',•.;,  ,.i    :;ji.  335 
il  ition  de    ainl  Jual  !    jus 

109 

au  Olympio  loi  1  d  Uexandrie  dil  que  Dieu 

parlai)    au    di  ible    par    1  Intermédiaire  de 


et  qu'il  dut  accorder  à  Satan  l'autorisation  d'attaquer 
Job.  In  beatum  Job,  P.  G.,  t.  xcn,  col.  24,  28.  Pour 
saint  Jean  Damascène,  De  /ide  ortltodoxa,  1.  il,  c.  iv, 
P.  G.,  t.  xciv,  col.  873-877,  qui  transcrit  saint  Grégoire 
de  Nysse,  Oral,  catech.,  6,  le  prince  des  vertus  angé- 
liques,  à  qui  Dieu  avait  donné  la  charge  de  veiller  sur 
la  terre,  n'était  pas  mauvais  par  nature;  il  a  été  créé 
bon  et  capable  de  bien,  sans  avoir  reçu  du  créateur 
la  moindre  trace  de  malice.  Il  ne  supporta  pas  la  beauté 
et  l'honneur  qu'il  avait  reçu;  il  a  changé  librement  sa 
nature,  il  s'est  révolté  contre  son  Dieu,  et  le  premier,  il 
est  devenu  mauvais.  Créé  lumière,  il  s'est  librement 
changé  en  ténèbres.  En  même  temps  que  lui,  une 
troupe  innombrable  d'anges  s'est  tournée  vers  le  mal. 
Toutefois,  ils  ne  peuvent  rien  faire  sans  la  permission 
de  Dieu.  Ils  prédisent  l'avenir,  qu'ils  ont  quelquefois 
prévu  dans  ses  causes  éloignées  ou  par  simple  conjec- 
ture; aussi  mentent-ils  souvent.  Ils  ne  peuvent  faire 
violence  à  l'homme.  Le  feu  inextinguible  et  des  sup- 
plices éternels  leur  sont  préparés.  La  pénitence  ne 
leur  est  pas  plus  possible  qu'elle  ne  l'est  à  l'homme 
après  sa  mort.  Dieu  a  créé  le  diable,  bien  qu'il  ait 
prévu  qu'il  deviendrait  mauvais.  Dialogus  contra  ma- 
nicliœos,  n.  46,  col.  1548.  La  défection  du  diable  a  été 
libre.  De  diaconibus,  col.  1600.  Dans  ses  Sacra  paral- 
lela,  litt.  A,  tit.  vi,  P.  G.,  t.  xcv,  col.  1096-1097,  il 
prouve  que  les  anges  pécheurs  seront  punis,  en  citant 
Job,  XXVI,  13;  II  Pet.,  n,  4;  Jud.,  6,  et  des  passages  de 
Didyme,  de  Nil  et  d'Évagre.  Plus  loin,  litt.  A,  tit.  xxv, 
col.  1406-1409,  il  démontre  la  chute  du  diable  par  I  Reg., 
xvi,  23;  I  Par.,  xxi,  1  ;  Job,  xl,  11,  12;  xli,  21,  24,  1 1, 
19,  30;  Zach.,  III,  1,  2;  Is.,  xiv,  12-20;  Dan.,  vin,  25; 
Sap.,  n,  24;  Matth.,  IV,  1-10;  Luc,  x,  18,  19;  Jac,  iv, 
7;  I  Pet.,  v,  8,  et  par  une  citation  de  saint  Basile  (sur 
l'envie)  et  une  autre  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  (sur 
l'arrogance  du  diable).  Saint  André  de  Jérusalem  si- 
gnale l'orgueil  de  Lucifer.  Oral.,  xx,  P.  G.,  t.  xcvn, 
col.  1256.  Saint  Grégoire  d'Agrigente  déclare  qu'on  ne 
peut  admettre  que  les  démons  lisent  les  pensées  des 
hommes;  ils  les  découvrent  seulement  à  l'aide  de  quel- 
ques indices  ou  signes  extérieurs.  In  Ecclesiaslen, 
1.  IX.  §  18,  P.  G.,  t.  xcvm,  col.  1124-1125. 

Au  ix«  siècle,  Photius  répond  à  plusieurs  questions 
sur  le  diable  et  ses  anges.  Quel  est  le  père  du  diable? 
Quelques  uns  disent  que  c'est  celui  qui  s'est  élevé  à  la 
plus  grande  malice  et  a  commis  les  plus  grandes 
fautes.  D'autres  répondent  que  c'est  le  serpent  et  qu'il 
est  tombé  avant  la  création  de  l'homme.  .Mais  le  diable 
n'a  pas  de  père;  il  a  des  (ils  qui  sont  les  pécheurs.  Le 
diable  lui-même  (el  pas  son  frère)  est  homicide  dés  le 
commencement  ;  il  ne  s'est  pas  maintenu  dans  la  vérité, 
parce  qu'il  a  menti  contre  son  créateur. Qumsl. ad  Arn- 
philochium,  q,  xi.vn,  /'.  G.,  t.  ci,  col.  352-356.  Satan 
est  le  diable  apostat.  Q.  ccxli,  coi.  1040-1041,  Les 
principautés  [el  les  puissances  résident  dans  l'air. 
Q.  i.wn,  col.  712-713.  Ceux  qui  pensent  que  les  Bis  de 
hieu.  Gen,,  vi,  étaient  des  .m^es.  s,,  trompent  grossii  r< 
ment:  c'étaient  les  fils  de  Seth.  Q.  cclv,  col.  1065-1068. 

Au  \"  siècle,  saint  Aréthas  de  Césarée  reproduit  par- 
tiellemenl  les  explications  de  saint  André,  avec  quel- 
ques particularités  cependant.  Pour  lui,  la  queue  du 
on  est  l'air;  ses  sepl  tètes  sont  des  puissances  spi- 
rituelles. Comment,  ni  Apoc.,c,  xxxm,  /'.  G.,  t.  evi, 
col.  OUI .  664,  865   1  sainl  Justin   eal  citéi 

encore,  r.  1  v.  col.  749.  Georges  Hamarlolos  reconnall 
le  diable  dans  le  serpenl  tentateui  .  I.   VII, 

14,  /'. '..,  t  ex.  col.  1272.  Le  patriarche  d  Uexandrie 
Eutychius  1  ntend  des  Qla  de  s.  il  les  (lia  de  hieu  de  la 
Genèse,  toul  en  ajoutant  A  son  interprétation  dei  di  - 
taila  légendaires,  tli  se  trompent  ceux  qui  j  voient  des 

h   passions 

oluptueuses.  S  ent  1  omml    celte  faute,  Ms  ne 

laisseraient  pai  une    •  nie  fille  vierge.  Annal 


379 


h  KM  ON    D'APRÈS    LES    PÈRES 


380 


l.  cxi,  col.  911-913.  Œcuménius  cite  à  son  tour  la  pa- 
role de  saint  Justin.  11  applique  au  diable  Is.,  XIV,  14, 
et  il  ajoute  qu'une  fois  tombé,  il  a  cherché  à  faire  aux 
hommes  le  plus  de  mal  possible.  Comment,  in  Episl. 
I  Pelri,  c.  vu,  P.  G.,  t.  cxix,  col.  573. 

Au  xie  siècle,  Georges  Cedrenus  empruntée  la  Petite 
t'.encse,  c'est-à-dire  au  livre  des  JuLilés,  des  détails 
sur  la  cbute  des  Kgrégores  ou  des  veilleurs,  mais  il 
voit  en  eux  des  fils  de  Seth,  nommés  fils  de  Dieu  à 
cause  de  la  beauté  de  Setb.  Ils  vécurent  proche  du 
paradis  jusqu'à  l'an  mille,  menant  la  vie  des  anges. 
L'auteur  premier  de  tous  les  maux,  ne  supportant  pas 
leur  genre  de  vie,  les  poussa  à  se  souiller  .vec  les  filles 
de  Caïn.  Ile  ces  unions  naquirent  les  géants.  Dieu  en 
fit  dévorer  beaucoup  par  des  globes  de  feu  ou  par  la 
foudre;  les  autres  périrent  dans  le  déluge  sans  s'être 
repentis.  Les  Egrégores  avaient  pris  leurs  femmes  sur 
le  mont  Herrnon;  ils  leur  apprirent  les  venins  et  les 
incantations.  Azaël,  leur  chef,  apprit  aux  géants  à  fa- 
briquer des  glaives  et  des  instruments  de  guerre. 
Chaque  prince  (deux  cents  étaient  descendus  sur  la 
montagne)  enseigna  des  secrets  particuliers.  Ces  der- 
niers traits  qui  se  rattachent  mal  aux  précédents,  sont 
empruntés  au  livre  d'Hénoch.  Hisloriarum  compen- 
dium,P.G.,t.  CXXI,  col,  40-44.  Michel  Psellus  a  écrit  un 
traité  De  deemonum  operatione,  P.  G.,  t.  cxxu,  col.  820- 
87(5.  Sur  la  nature  des  démons,  il  dit  qu'ils  ont  des  corps,  et 
qu'ils  remplissent  l'air,  la  terre,  les  eaux  et  le  monde  en- 
tier. C.  x,  col.  841.  On  les  distingue  en  six  genres.  C.  xi, 
col.  844-845.  Ils  ne  sont  ni  mâles  ni  femelles,  quoiqu'ils 
prennent  parfois  les  formes  extérieures  des  deux 
sexes  ;  ils  parlent  les  langues  des  divers  pays,  où  ils 
sont;  on  peut  les  frapper  et  ils  souffrent  des  coups 
qu'on  leur  administre.  C.  xvn,  col.  860.  Psellus  a  com- 
posé un  autre  traité  :  Quœnam  sint  Greecorum  opi- 
niones  de  dœmonibus?  Col.  876-881.  Théophylacte  ex- 
plique que  les  puissances  de  l'air  habitent  dans  l'air 
sans  y  commander  ni  le  gouverner.  Celui  qui  était 
leur  chef  avant  la  chute  est  demeuré  à  leur  tête  après 
leur  transgression.  Expofitio  in  Epist.  ad  Eph.,  c.  n, 
2,  P.  G.,  t.  cxxiv,  col.  1052.  Il  cite,  lui  aussi,  la  parole 
de  saint  Justin.  Exposil.  in  Epist.  I  S.  Pétri,  c.  v,  8, 
P.  G.,  t.  cxxv,  col.  1249. 

Au  xiic  siècle,  Théophane  Krrameus  se  demande  d'où 
le  démon  sait  que  Jésus  peut  le  tourmenter.  Marc, 
v,  7.  Il  ne  le  sait  pas  de  lui-même,  puisque  depuis  sa 
chute  il  était  devenu  ténèbres;  il  le  sait  par  dispensa- 
tion  divine.  Les  démons  demandaient  de  ne  pas  aller 
dans  l'abîme,  où  ils  savaient  que  d'autres  y  avaient 
déjà  été  jetés  par  Jésus.  Craignant  un  pareil  sort,  ils 
préféraient  être  envoyés  dans  le  corps  des  pourceaux. 
HomiL,  ix,  P.  G.,  t.  cxxxn,  col.  276.  Zonaras  rapporte 
que  le  dragon,  qui  agissait  par  le  serpent,  a  fait  tomber 
les  hommes  par  jalousie.  Annales,  1.  I,  n.  2,  P.  G., 
t.  cxxxiv,  col.  56.  Les  fils  de  Dieu,  Gen.,  vi,  2,  sont 
pour  lui  exclusivement  des  fils  de  Seth;  il  ne  parle 
même  plus  de  l'interprétation  qui  y  voyait  des  anges, 
n.  4,  col.  60.  A  la  même  époque,  Michel  le  Syrien,  pa- 
triarche des  jacobites  (1166-1199),  rapportait  cependant 
encore  les  deux  explications  de  ce  passage.  Voir  t.  i, 
col.  1255-1256. 

2°  En  Occident.  —  Dans  son  Thésaurus,  Eugippius 
emprunte  à  saint  Augustin  sa  doctrine  sur  la  chute  et 
la  nature  du  diable  :  tombé  par  orgueil,  il  est  l'auteur 
du  mal.  C.  xxxvi-xxxvnr,  P.  L.,  t.  lxii,  col.  631-637.  Il 
sera  damné  à  la  fin  du  monde.  C.  clxxxviii,  col.  643. 
Saint  Fulgence  est  aussi  tributaire  de  saint  Augustin. 
Hien  n'a  été  créé  par  le  diable.  De  incarnatione  Filii 
Dei,  n.  51, P.  L.,  t.  i.xv,  col.  600.  L'orgueil  est  le  pre- 
mier des  péchés.  Eccli.,  x,  15.  Ad  Monimunt,  1.  I, 
c.  xvn,  col.  165.  Le  diable  n'est  pas  mauvais  par  sa 
condition  première,  mais  par  sa  faute;  il  a  commis  le 
premier  péché,  qui  fut  un  péché  d'orgueil.  Epist.,  m, 


c.  xv,  col.  334. Détourné  deson  créateur  et  condamné  à 
la  damnation  éternelle,  il  a  été  jaloux  de  l'homme.  De 
fide,  n.  31,  col.  687.  Une  partie  des  anges  désobéirent 
au  créateur  et  déchurent  de  leur  rang.  Ils  seront 
punis  au  jugement,  II  Pet.,  Il,  4,  et  tourmentés  par  le 
l'eu  éternel.  Ils  n'ont  ^ardé  rien  de  bon  de  leur  condi- 
tion première,  et  ils  vivent  dans  l'air  en  attendant  le 
jugement.  De  Trinitate,  c.  VIII,  col.  50i.  Ils  ont  un 
corps  aérien,  tandis  que  les  bons  anges  ont  un  corps 
élhéré  ou  de  feu,  c.  IX,  col.  505.  Pour  saint  Césaire 
d'Arles,  le  diable  est  un  archange.  D'après  les  Statuta 
Ecclesise  anliqua,  8,  /'.  L.,  t.  lvi,  col.  880,  qui  sont  de 
lui,  le  diable  n'était  pas  mauvais  par  nature  comme  le 
prétendaient  les  manichéens;  mais  il  a  péché  par 
orgueil.  Serm.,  CCXCVI,  n.  4,  dans  l'Appendice  de  saint 
Augustin,  P.  L.,  t.  XXXIX,  col.  2311.  Voir  t.  n,  col. 2172- 
2173;  P.  Lejay,  Le  rôle  llu'ologique  de  Césaire  d'Arles, 
dans  la  Bévue  d'histoire  et  de  littérature  religieuses, 
1905,  p.  161-162. 

Dans  son  commentaire  de  l'Apocalypse,  écrit  sous  le 
règne  de  Tbeudis  (531-548),  Apringius  de  Béja  parle 
peu  de  Satan.  C'est  l'ennemi  du  genre  humain,  qui 
tentait  les  habitants  de  la  terre  et  que  Jésus-Christ  a 
lié  pour  toujours  dans  l'abîme  parla  vertu  de  sa  croix, 
pour  qu'il  ne  put  séduire  encore  les  nations.  Après 
mille  ans,  il  sera  délié  peu  de  temps,  une  heure,  et 
par  la  volonté  de  celui  qui  lui  commande.  Ce  sera  après 
la  résurrection,  pour  le  jugement.  Alors,  l'auteur  des 
ténèbres  sera  lié  pour  aller  aussitôt  à  sa  perte  éternelle 
dans  le  feu  éternel,  où  il  sera  reçu  avec  tous  ceux  qu'il 
a  entraînés  dans  la  faute  de  son  orgueil.  Ainsi  le  sé- 
ducteur périra  avec  ceux  qu'il  a  séduits.  Dom  Férotin. 
Apringius  de  Béja.  Son  commentaire  de  l'Apocalypse, 
Paris,  1900,  p.  63-66.  Un  autre  commentateur  du  même 
livre,  Primasius,  évèque  d'Adruinète  (-j- 586),  reconnaît 
dans  le  tiers  des  étoiles,  entraîné  par  le  dragon,  omne 
corpus  malorum,  sive  in  angelis  quos  de  cselo  secum 
pari  ruina  delraxit,  sive  in  liominibus  quos  seduxit. 
Le  combat  avec  Michel  a  lieu,  non  dans  le  ciel,  mais 
dans  l'Église.  Le  dragon  représente  à  la  fois  le  diable 
et  ses  anges,  qui  ei  natura  et  rolunlate  similes  sunl, 
et  les  hommes  mauvais.  Les  démons  ont  été  jetés  sur 
terre,  avant  d'y  avoir  séduit  les  hommes.  Comment,  in 
Apoc,  1.  III,  P.  L.,  t.  lxvhi,  col.  873-875.  Cassiodore 
ne  doute  pas,  lui,  que  le  combat  du  dragon  et  de 
Michel  n'ait  eu  lieu  au  commencement  du  monde, 
quand  le  dragon,  prœcipitalus  in  lerramcorruit,ita  ut 
locum  beatitudinis  ulterius  non  haberet.  Complexioncs 
in  Apoc,  xii,  P.  L.,  t.  lxx,  col.  lill.  Le  diable  a  été 
créé  bon;  mais,  après  qu'il  eut  volontairement  péché. 
Dieu  en  a  fait  l'objet  des  moqueries  des  anges,  quando 
propter  exsecrabilem  percersitatem  nativa  dignitate 
privatus  est.  Exposit.  in  psalterium,  ps.  cm.  26,  ibid., 
col.  736.  Satan  ou  le  dragon  est  le  plus  méchant  des 
démons.  Sa  tête  a  été  brisée,  quando  superbia  ipsius 
de  cxlo  dejecta  est  et  nativam  clarilatem  retinerenon 
mentit,  qui  se  voluntaria  obscurilate  maculavit.  Ibid., 
ps.  lxxiii,  13,  col.  531.  Lui  et  ses  ministres  seront  con- 
damnés au  jugement  dernier.  Ibid.,  ps.  cvn.  7,  col 
Les  hérétiques  ne  peuvent  pas  dire  que  le  diable  et  ses 
suivants  seront  rappelés  un  jour  en  grâce,  puisque 
leur  nom  est  effacé  in  œlernum  et  in  sœculum  sasculi. 
Ibid.,  ps.  ix,  5,  col.  81. 

Saint  Grégoire  le  Grand  a  souvent  parlé  des  anges 
déchus  et  de  leur  chef,  surtout  dans  ses  Morales  sur 
Job,  où  il  interprète  du  diable  les  descriptions  de 
Béhémoth  et  de  Léviathan.  Le  premier  ange  apostat, 
créé  avant  toutes  choses,  s'était  promptement  enivré 
d'orgueil,  lu  1  Haï.  expositio,  1.  III,  C.  V,  n.  9;  1.  IV, 
c.  1,  n.  9,  P.  L.,  t.  i.xxix,  col.  205.  222.  Crée  bon,  il 
avait  péché  volontairement.  Moral.,  i.  XXXII.  q.  17,  IS, 
P.  L.,  t.  lxxvi.  col.  646.  Il  était  la  première  et  la  plus 
nobledes  créatures,  Ezech..  x.\.\i.  8,9,  tenantle  premier 


381 


DÉMON    D'APRÈS    LES    PÈRES 


382 


rang  dans  les  neuf  ordres  angéliques,  un  chérubin, 
Ezecli.,  xxviu,  14,  surpassant  tous  les  autres  par  sa 
science, principiwm  viarum  Domini.  N.  47,  48,  col.  664- 
666.  Cf.  Homil.  in  EvangeL,  xxxiv,  n.  7,  ibid., 
col.  1250.  S'il  a  perdu  sa  félicité,  il  a  gardé  la  gran- 
deur de  sa  nature.  Il  avait  été  créé,  ut  conditorem 
Simm  caste  timere  debuisset,  mais  il  a  perdu  la 
crainte  de  Dieu.  Ne  craignant  plus  personne  par  suite 
de  sa  perversité,  jus  perversse  libertatis  appctiit  ut  et 
praeesset  cxteris  et  nulli  subesset.  Is.,  xiv,  14.  Il  res- 
semblait à  Dieu,  cujus  eo  ipso  similitudinem  perdidit 
quo  esse  ei  superbe  similis  in  celsitudine  concupivit. 
Qui  enim  charilatem  ejus  imitari  debuit,  subditus 
ambiit  ejus  similitudinem,  et  hoc  quod  imitari  pote- 
rat,  amisit  elalus.  Sed  dum  privatam  celsitudinem 
superbe  appetiit;  jure  perdidit  participatam .  Reliclo 
enim  eo  cui  debuit  inhssrere  principio,  suum  sibi 
appctiit  quodam  modo  esse  principium.  Relicto  eo 
qui  rere  illi  suf/icere  poterat,  se  sibi  sufficere  posse 
judicavit.  L.  XXXIV,  n.  39-42,  col.  740-741.  La  faute  du 
diable  a  donc  consisté  à  vouloir  se  rendre  indépendant 
de  Dieu.  Mais  l'indépendance  absolue  est  un  bien 
propre  de  Dieu.  Le  diable  a  donc  voulu  se  rendre  ainsi 
semblableà  Dieu.  Ce  fut  là  sa  première  folie.  L.  XXVIII, 
n.  11.  col.  152;  c(.  1.  XXXIV,  n.  47,  col.  744.  Chassé 
du  ciel,  il  est  dans  l'air  comme  dans  une  prison,  ne  ad 
^tia  evolare  prxvaleal  ;  pactise  sub  pondère  coarcla- 
tur  ;  il  lui  est  interdit  de  tenter  les  bons  autant  qu'il  le 
voudrait.  L.  VIII,  n.  .'59,  t.  i.xxv,  col.  824.  C'est  ainsi  qu'il 
est  lié;  à  la  lin  des  temps,  il  sera  délié  afin  de  pouvoir 
séduire  plus  librement  les  hommes.  L.  XXXII,  n.  22, 

XVI,  col.  6iH:  cl.  1.  IV,  n.  16,  t.  i.xxv,  col.  645-646. 
A  la  lin  du  monde,  il  luttera  avec  saint  Michel,  extremis 

licio  perimendus.  Homil.  in  EvangeL,  XXXIV, 
n.  !».  /'.  L.,  t.  i  xxvi,  col.  1251.  Malgré  son  exclusion 
de  la  compagnie  des  anges,  Satan  a  pu  aller  avec  eux, 
parce  que,  tout  en  ayant  perdu  sa  béatitude,  il  n'a  pas 
perdu  sa  nature  angélique,  nature  subtile,  quoique 
chargée  de  crimes.  II  s'est  trouvé  en  présence  de  Dieu, 
parce  que  Dieu  voil  tout  et  que  rien  ne  lui  échappe.  Si 
Dieu  lui  parle,  il  ne  l'appelle  pas  à  résipiscence;  il  lui 
reproche  ses  actes,  et  le  démon  répond  à  Dieu,  parce 
qu'il  ne  peut  rien  lui  cacher.  Il  ne  peut  agir  sans  la 
permission  de  Dieu;  sa  volonté  est  mauvaise,  sa  puis- 
sance est  juste.  L.  II,  n.  4,  6,  8,  t.  i.xxv,  col.  557-5(>i. 
Bien  que  le  diable  et  l'homme  aient  péché  par  orgueil, 
I.  XXIX,  n.  8,  t.  i.  xxvi,  col.  'i87.  l'homme  a  été  racheté, 
et   pa  parc   que  ce   dernier    n'avait   pa 

faiblesses  de  la  chair   et   pouvait   persévérer.   Aussi, 
librement  déchu,  il  ne  fera  pas  pénitence.  L.  IV,  n.  2, 
ol.  642.  Tous   les  marnais  esprits  ont  été 
créés ab$q\  infirmitate.  L.  Vlll.  n. 50, col.  795. 

Ils  sont  ton j I .•■-  du  ciel  éthéré  dans  le  ciel  atmo 
rique  el  but  terre,  où  ils  sont  errants  et  vagabonds. 
L.  II.  n.  '•",  col.  590.  C'esl  parce  qu'ils  avaient  péché 
par  orgueil  que  Dieu    let   a   précipités    hors  du 
In  l  ,  I.  Il,  c.   i.  n.    Il,  P.  L.,  t.  I  wix. 

col.  81,  82.  Ils  uni  ainsi  perdu  l'étal  de  vie  éternelle. 
I.    III.  c.  il,  n.  I .  col.  160.  1U  sont  nombreux  les 
tombés  avec  le  roi  d'Egypte,  c'est-à-dire  avec  le  prince 
vi  ulenl  pa     faii  e  pénitence  de 
leui  n.  s.  col.  bv7.  il-  seronl  punis  de  toute 

lel.mi  l'éternité.  Tout  ce  qui  serl  a  faire 
• 

ntum.  L.  IV.  c.  iv.  n    In 

j'.l 

Ion  Martin  ,      d     Braga    Lucifei     le  premier 

tombé  par  orgueil     il  ■<  cru  qu'il  ti  nail 
île  lui- m.  ,  n  de  la  le 

:i   tOUl  I'  I  iv,  18,  14.   //  ' 

H    perdit 
'i  ulum  de 

'■/'/.  n,  g  i<   di   8ai  • 


gosse,  déclare,  après  saint  Augustin,  que  le  mal  n'est 
pas  une  substance  et  que  le  diable  en  est  l'auteur. 
Sent.,  1. 1,  c.  xv,  P.  L.,  t.  lxxx,  col.  748.  Pour  saint  Isi- 
dore de  Séville  le  diable  était  le  premier  des  anges,  un 
archange.  Sa  chute  a  été  irréparable.  Elle  a  eu  lieu 
avant  la  création  de  l'homme,  nam,  mox  ut  faclus 
est,  in  superbiam  erupit.  Fuit  quidem  in  veritate  con- 
dilus,  sed  non  slando  confeslim  a  veritate  lapsus  est. 
Il  a  péché  par  orgueil,  se  Deo  œqualem  e.vistimans. 
Il  ne  demanda  pas  son  pardon,  parce  qu'il  ne  voulait 
pas  faire  pénitence.  Les  anges  tombés  n'ont  pas  été  ra- 
chetés, parce  qu'ils  n'avaient  pas,  eux,  comme  l'homme, 
la  fragilité  de  la  chair.  Sent.,  1.  I,  c.  x,  n.  5-11,  P.  L., 
I.  lxxxiii,  col.  554-555.  Ils  étaient  mente  rationabiles, 
superbia  tumidi,  et  superbiam  lapsi,  nunc  in  aère 
commoranlur.  Différent.,  I.  II,  c.  XIV,  n.  22,  col.  76. 

Au  VIIIe  siècle,  le  Vénérable  Bède  reconnaît  le  diable 
dans  le  serpent  tentateur.  Hexaemeron,  1.  I,  P.  L., 
I.  mi,  col.  53;  In  Pentateucli.  comment.,  Gen.,  m, 
col.  210-211.  Dans  les  fils  de  Dieu,  Gen.,  vi,  2,  il  voit 
les  lils  de  Seth.  Si  quelques  manuscrits  ont  la  leçon  : 
«  anges  de  Dieu  »,  il  faut  l'entendre  des  hommes. 
Ilexae  ncron,  1.  II,  col.  82-83.  Les  anges  déchus  sont 
enfermés  et  liés  dans  l'air  ténébreux,  qui  est  l'enfer; 
mais  ils  sont  réservés  pour  de  plus  grands  tourments 
au  jour  du  jugement.  In  II  Epist.  S.  Pétri,  c.  n,  P.  L., 
t.  xcin,  col.  75.  Ces  esprits  superbes  sont  dans  l'air 
ténébreux.  In  Epist.  Judse,  col.  125.  Le  dragon  de 
l'Apocalypse,  qui  est  le  diable,  entraine  avec  sa  queue 
une  partie  des  anges  et  des  hommes.. Chassé  du  ciel, 
arclius  in  terrenis  includitur.  Explanalio  Apoc, 
I.  II,  col.  166,167.  La  géhenne  est  faite  pour  le  diable 
et  ses  anges.  Quelques-uns  y  sont  déjà  tourmentés; 
mais  tous  subissent  toujours  et  partout  la  peine  du  feu  : 
Qui  ubicumque  vel  in  aère  volitant  vel  in  terris  aut 
sub  terris  vagantur  sire  delinenlur  sitarum  secum 
ferunt  semper  tormenla  flammarum,  instar  fcbrici- 
tanlis  qui  elsi  in  leclis  eburneis  el  si  in  locis  ponalur 
apricis,  fervorem  (amen  vel frigus insiti sibi  languoris 
evilare  non  possunl.  Expositio  super  Epist.  calliolicas, 
Jac,  ni,  6,  col.  27.  Saint  Julien  de  Tolède  décrit  la  ter- 
reur du  diable,  quand  il  sera  enlevé  pour  être  damne. 
Prognosticon,  1.  III,  c.  VI,  P.  L.,  t.  xcvi,  col.  500.  Il  sera 
précipité  en  enfer.  Apoc,  xx,  12,  14,  c.  XXXVIII,  col.  515. 
Saint  Paulin  d'Aquilée  cite  des  textes  scripturaires  pour 
montrer  que  le  diable  a  péché  par  orgueil,  Liber 
exliortationis  ail  Henricum  Forojulienseni,  c.  xix, 
/'.  L.,  t.  XCIX,  col.  210-212,  et  qu'il  a  été  chassé  du 
ciel.  C.  i.xiv,  col.  275. 

Au  iv  siècle,  Alcuin  se  demande  pourquoi  le  péché 
des  anges  est  omis  dans  la  Genèsi  .  tandis  que  celui  de 
l'homme  est  raconte''.  La  raison  qu'il  donne  dans 
sa  réponse  esl  qui  Dieu  n'avait  pas  décrété  de 
guérir  le  péché  des  anges,  mais  seulement  celui  de 
l'homme.  Pourquoi  le  péché  de  l'ange  est-il  inguéris- 
sable? Parce  que  l'ange  n'a  pas  été  tenté,  mais 
la  propre  cause  de  son  crime.  Interrogations»  ri  res- 
ponsiones  n,  Gen.,  int.  3,  i.  /'.  /..,  i.  c,  cul.  517.  Le 

diable  s'est  servi  du  serpent  comme  d'un  instrui I 

Int.  60,  col.  522.  Les  lils  de  Dieu  wnl  des  lils  de  Seth, 
ayant  épousé  di  Caïn   lui. '.ni.  coi.  526.  Quant 

à  la  cause  de   la   nu  inges,  ce  fut  la 

suivante  :  Nolueruntad  Ulum  custodire  fortiludineni 

,    '/ni    est   summum   bonuni,   sal  arrrsi    sont  ni* 

illo  ri  ad  nvérsi  iunt,sua  )>,<.)iim  détectait 

.    lui  gueil    '  -I    il    I''    |'i  i  mu  i    île    tOUS  les 

ini.  '.13.  col.  636.  Smaragda  revient   .i  l'envie 
pour  expliquer   la   chute  du  diable  :  Diabolus   intei 
initia  statim  mundi  teti  Uvore  percussut,  periit  pri- 
didit  altos,  Postquam  vero  honii 

u,l    ,,.  Un    fOClU  <i    :ch    hin.rm 

/ni,  ri   hominetn   mUerum  tuademdo  decepit, 
■  n  bealiludinem  quam  Itabebal,  mite) 


383       DÉMON  D'APRÈS  LES  SCOLASTIQUES  ET  LES  THÉOLOG.  POSTÉRIEURS       384 


rimus  antisit.  Sap.,  n,  24;  Via  regia,  c.  xxii,  de  zelo 
et  livore,  P.  L.,  t.  CH,  col.  961.  Saint  Agobard  do 
Lyon  fait  du  diable  l'inventeur  de  tout  mal.  11  a  été 
homicide  dès  le  commencement;  il  a  fait  le  premier 
mal  par  le  serpent,  en  trompant  nos  premiers  parents. 
Sermo  de  fidei  verilate,  15,  P.  L.,  t.  civ,  col.  280. 
Halitgar,  évoque  de  Cambrai,  est  plus  précis.  L'orgueil, 
dit-il,  a  été  inventé  par  le  diable.  Ce  superbe  a  amené 
les  anges  à  mépriser  les  préceptes  de  Dieu  et  en  a 
fait  des  démons.  De  psenitenlia,  1.  II,  c.  il,  P.  L., 
t.  cv,  col.  659-660.  Pour  .lonas,  évêque  d'Orléans,  il  a 
fait  aussi  des  anges  des  démons,  et  il  a  rendu  les 
hommes  égaux  aux  anges  mauvais.  De  institulione 
laicali,  1.  III,  c.  iv,  P.  L.,  t.  evi,  col.  239.  Fréculph, 
évêque  de  Lisieux,  sait  encore  que  les  fils  de  Dieu, 
Gen.,  vi,  sont  des  anges  de  Dieu.  Beaucoup  pensent 
que  les  anges  ont  commis  une  pareille  faute  ;  mais 
on  ne  peut  aucunement  croire  que  les  saints  anges 
soient  tombés  à  cette  époque.  Saint  Pierre  parle  des 
anges  qui  sont  tombés  avec  leur  prince  auparavant. 
L'Ecriture  appelle  anges  des  hommes.  Ces  anges  étaient 
donc  des  fils  de  Seth.  Chrome. ,  1.  I,  t.  i,  c.  XIV,  ibid., 
col.  927.  Raban  Maur  est  peu  original;  il  copie  les 
anciens.  Le  serpent  tentateur  était  le  diable  (d'après 
saint  Augustin).  Comment,  in  Gen.,  1.  I,  c.  XV,  P.  L., 
t.  cvn,  col.  486-487.  Les  fils  de  Dieu  de  Gen.,  vi,  sont 
les  fils  de  Seth  (d'après  saint  Jérôme  et  saint  Augustin). 
Ibid.,  1.  II,  c.  v,  col.  511-512.  Lucifer,  représenté  par 
le  prince  de  Tyr,  était  un  chérubin.  Comment,  in 
Ezech.,  1.  XI,  c.  xxviii,  P.  L.,  t.  ex,  col.  790.  Avant 
sa  chute,  il  avait  un  corps  céleste,  qui  devint  éthéré 
après  la  chute.  II  habite  non  dans  l'air  pur,  mais 
dans  l'air  ténébreux,  où  il  est  enfermé  comme  dans 
une  prison  jusqu'au  jugement  dernier.  De  universo, 
1.  XV,  c.  vi,  P.  L.,  t.  exi,  col.  427.  Il  a  commis  une 
double  faute  d'orgueil  et  d'envie  :  d'orgueil,  par  la- 
quelle il  est  tombé;  d'envie,  par  laquelle  il  a  cherché 
à  faire  tomber  les  autres.  Comment,  in  l.  I  Reg., 
c.  xin,  ibid.,  col.  42.  Walafrid  Strabon  cite  aussi  les 
prédécesseurs  :  saint  Augustin  au  sujet  du  serpent 
tentateur,  et  saint  Jérôme  à  propos  des  fils  de  Dieu, 
qui  sont  des  fils  de  Seth  (les  géants  n'ont  pas  été  en- 
gendrés par  les  anges).  Glossa  ordinaria,  Liber  Ge- 
nesis,  m,  vi,  P.  L.,  t.  cxm,  col.  91,  104.  Les  anges 
apostats  ont  été  précipités  au  fond  de  l'abîme,  d'après 
le  Vénérable  Bède.  Epist.  II  Pet.,  t.  exiv,  col.  691. 
Ils  souffrent  les  tourments  du  feu  de  l'enfer,  partout 
où  ils  se  trouvent  d'après  le  même  auteur.  Epist. 
B.  Jacobi,  ni,  6,  col.  676.  Le  grand  dragon  de  potentia 
et  superbia  loquitur.  Apoc.  Joa.,  col.  732.  Angelomme, 
moine  de  Luxeuil,  voit  aussi  le  diable  dans  le  serpent 
tentateur  et  déclare  qu'on  a  faussement  reconnu  les 
anges  dans  les  fils  de  Dieu,  qui  sont  les  fils  de  Seth. 
Comment,  in  Gen.,  m,  VI,  P.  L.,  t.  cxv,  col.  135,  155. 
Haymon  d'Halberstadt  voit  en  Nabuchodonosor 
l'image  du  diable,  qui  a  péché  par  orgueil,  et  qui  est 
tombé,  non  seulement  en  enfer,  sedad  ultimas  partes 
inferi,  quia  quanlo  altior  gratins,  tanto  profxutdior 
casus.  Comment,  in  Isaiam,  1.  II,  P.  L.,  t.  cxvi, 
col.  792.  Le  diable  est  conservé  dans  l'air  cruciandus. 
Expositio  in  Epist.  ad  Eph.,  il,  P.  L.,  t.  cxvn, 
col.  707.  Il  est  lié  dans  les  cœurs  des  infidèles,  où  il 
règne;  il  sera  délié  à  la  fin  pour  séduire  davantage. 
Expositio  in  Apoc.,  1.  VIII,  col.  1182-1183.  Les  démons 
ont  été  créés  sans  péché,  pour  servir  Dieu;  ils  se  sont 
dépravés  volontairement,  n'ayant  pas  voulu  demeurer 
ce  qu'ils  étaient.  Ils  se  sont  élevés  par  orgueil  contre 
le  créateur,  ont  été  précipités  du  haut  du  ciel  et  con- 
damnés. Leur  perdition  est  irréparable;  ils  ont  perdu 
le  pouvoir  de  revenir  en  arrière.  La  géhenne  a  été 
faite,  dès  le  commencement  du  inonde,  pour  eux,  et 
non  pour  les  hommes.  De  varietate  librorum,  1.  111, 
c.  xli,  xi.ii,  p.  L.,  t.  cxviii,  col.  950,  951. 


Pour  liérengaud,  moine  de  Ferrières,  le  dragon  e-t 
h1  diable,  dont  l'envie  a  introduit  la  mort  dans  le 
inonde.  Dans  sa  première  tête,  il  reconnaît  les  ré- 
prouvés qui,  avant  le  déluge,  ont  été  appelés  fils  de 
l'homme  et  qui  ont  été  un  piège  pour  les  fils  de  Dieu. 
Le  diable,  qui  est  le  même  que  le  serpent,  mit  primo 
per  superbiam  de  cxlo,  et  cet  ennemi  de  Dieu  et  des 
hommes  fut  précipité  sur  terre  avec  ses  anges.  In  Apo- 
cahjpsin  expositio,  vis.  IV,  P.  L.,  t.  xvn,  col.  876, 
878.  Les  esprits  immondes  sont  dans  les  airs,  où 
more  venlorum  indesinenler  discurrunt.  Vis.  v. 
col.  916. 

Au  xr  siècle,  saint  Pierre  Darnien  dit  que  le  diable 
est  si  mauvais  qu'il  ne  peut  devenir  pire.  Opusc.,  iv. 
Disceptatio  synodalis,  P.  L.,  t.  cxi.v,  col.  84-85. 

F.  Mam.enot. 

III.  DÉMON  D'APRÈS  LES  SCOLASTIQUES  ET  LES 
THÉOLOGIENS  POSTÉRIEURS.  —  I.  Au  XIIe  siècle. 
II.  Au  xiiie  et  au  xive  siècle.  III.  Depuis  le  xv  siècle. 

I.  Au  XIIe  Siixle.  —  Le  XIIe  siècle  sert  d'intermé- 
diaire entre  l'époque  patristique  et  la  scolastique. 
Quelques  écrivains  de  cette  époque  continuent  la  mé- 
thode de  simple  exposition  ;  mais  bientôt  les  traités 
spéciaux  commencent,  dans  lesquels  on  emploie  la 
méthode  scolastique.  Voir  t.  I,  col.  1222-1223.  Recueil- 
lons d'abord  les  enseignements  des  auteurs  non  sco- 
lastiques. 

Pour  saint  Bruno,  fondateur  des  chartreux,  les  dé- 
mons ont  une  certaine  puissance  dans  l'air.  Expositio 
in  Epist.  ad  Eph.,  n,  P.  L.,  t.  cliii,  col.  325.  Guibert 
de  Xogent  enseigne  aussi  que  le  diable  et  ses  anges 
viennent  avant  le  jugement  dans  le  inonde  qui  leur  est 
pervius,  pour  tenter  les  hommes,  car  ils  habitent  dans 
l'enfer,  d'où  ils  ne  pourront  plus  sortir  après  le  juge- 
ment. Le  monde  sera  alors  entièrement  purifié  d'eux.  De 
pignoribus  sanclorum,  1.  IV,  c.  ni.  P.  L.,  t.  clvi. 
col.  672-673.  Vves  de  Chartres,  à  propos  de  la  divina- 
tion, expose  de  combien  de  manières  les  démons  con- 
naissent l'avenir.  Comme  ils  ont  un  corps  aérien,  ils 
précèdent  facilement  l'intelligence  des  hommes,  qui  ont 
un  corps  terrestre.  Leur  célérité  à  voler  dans  l'air 
facilite  aussi  leur  connaissance;  ils  vont  incompara- 
blement plus  vite  que  les  oiseaux  et  ils  font  des  choses 
merveilleuses.  Pour  ces  deux  raisons,  ils  connaissent 
les  événements  actuels  avant  l'homme  et  peuvent  les 
lui  prédire.  D'autre  part,  ils  ont  acquis  pendant  leur 
longue  vie  une  expérience  qui  les  aide  à  saisir  plus 
promptement  les  faits.  Panormia,  1.  VIII,  c.  LXVIII, 
P.  L.,  t.  clxi,  col.  1322.  Saint  Brunon  d'Asti,  évêque 
de  Segni,  explique  de  la  chute  de  Satan  le  combat  avec 
saint  Michel  de  l'Apocalypse,  xn.  Les  démons  n'ont 
pas  de  place  au  ciel,  où  est  le  siège  de  Dieu.  Le  dragon 
avec  ses  anges  a  été  projeté  de  supernis  in  terrant,  et 
cette  terre  représente  les  pécheurs  dans  le  co-ur  des- 
quels il  règne,  n'ayant  aucune  puissance  sur  les  saints. 
Expositio  in  Apoc,  1.  IV,  P.  L.,  t.  clxv.  col.  670. 
Béhémoth,  tombé  par  orgueil,  est  lié  pour  qu'on  puisse 
résister  à  ses  ruses  et  à  son  astuce.  Sent-,  1.  III,  c.vni. 
col.  964-965. 

llildebert  du  Mans  peut  servir  de  transition  entre  les 
prédicateurs  et  les  théologiens  proprement  dits.  Dans 
ses  sermons,  il  parle  de  la  création  et  de  la  chute  des 
an^es.  Lucifer  a  été  créé  dans  le  ciel  einpyrée  ou  igné; 
inter  prima  Dei  opéra  conditus  est.  Stultus  fuit,  quia 
non  providit  sibi  ht  poslerum...  Conditus  est  in  emi- 
nentia  et  sublitttitate  verse  scientise.  Il  a  péché  par 
orgueil  et  de  cette  sorte  :  altitudine  lantum  inltiniuit. 
ut  Altissimo  sequari  posse  prxsumpseril.  Hildebert 
cite  Is.,  xiv,  13,  14;  xxii,  15;  Luc.  \.  8.  Aliis  angelis 
splendidior  conditus  (Lucifer),  sho  vilio  cadens  facttis 
est  hesperus.  11  a  été  précipité  de  l'empyrée  dans  les 
ténèbres  de  l'air.  Ser»i.,ix,  De  tempore,  P.  L..  t.  a.xxi, 
col.  :(87.  PrsBCeUens  aliis,  ralde  speciosus  et  sapiens, 


385       DÉMON  D'APRÈS  LES  SCOL ASTIQUES  ET  LES  THÉOLOG.  POSTÉRIEURS        386 


Ezecli..  XXVHI,  12,  13,  subtilior  nalura;  le  premier  des 
neuf  chœurs,  omnibus  agminibus  prœlalus,  ex  eorum 
comparatione  clarior,  Me  versus  in  superbiam.  ex 
nimia  clariiate.  1s.,  xiv,  14.  Les  autres  anges  déchus 
se  sont  mis  d'accord  avec  lui,  et  dum  Deo  similes 
volebant  fieri,  sont  devenus  inférieurs  aux  hommes  et 
aux  anges  demeurés  fidèles.  Une  partie  de  chacun  des 
neuf  ordres  tomba.  Les  hommes  ont  été  créés  pour  les 
remplacer.  Serm.,  xlix,  col.  582.  Lucifer  est  dans  l'air 
comme  dans  une  prison,  et  il  y  restera  jusqu'à  la  lin 
des  temps,  quando  miltelurinignem  œtemum.  Serm., 
l,  col.  581-585. 

Dans  son  Tractalus  théologie  us,  c.  xix,  xx,  ibid., 
col.  1110-1112,  l'évêque  du  Mans  aborde  des  questions 
qu'il  n'avait  pas  traitées  en  chaire.  Il  se  demande  s'il  y 
tut  mora  entre  la  création  et  la  chute  de  Satan,  et  il 
répond  négativement  :  sine  intervallo,  slatim  ab  ini- 
lio.  Néanmoins,  le  diable  n'a  pas  toujours  été  mauvais. 
D'après  saint  Augustin,  il  est  tombé  par  orgueil.  11  était 
le  plus  excellent  de  tous  les  anges.  Job,  XL,  14;  Ezech., 
XXVIH,  12. C'est  le  sentiment  de  saint  Grégoire  le  Grand 
et  de  saint  Isidore.  Jn  creatorem  super biit.  Is..  xiv, 
13.  11  a  voulu  lui  devenir  semblable,  non  per  imita- 
lionem,  sed  per  mqualitatem.  Il  a  été  jeté  dans  l'air 
ténébreux  ad  nostram  probationem.  Il  n'est  donc  ni 
au  ciel,  ni  sur  la  terre,  mais  dans  l'air,  qui  est  pour 
lui  i/iiasi  carcer  usque  ad  tempus  judicii.  Alors,  il  ira 
en  enfer.  Matth.,  xxv,  42.  Cependant,  dubilatio  est  si 
tous  les  anges  déchus  sont  dans  l'air  ou  si  quelques- 

sont  déjà  dans  l'enfer  :  </uod  tic  auctoritate  non 
multum  certum  habemus.  Selon  les  uns,  Lucifer,  qui 
a  plus  péché,  a  été  précipité  en  enfer  slalini  après  son 
avec  i|iie|(|ucs  autres.  Origène  pensait  que  ceux 
qui  sont  vaincus  par  les  hommes  qu'ils  tentent,  slatim 
demergunlur  :  ce  qui  est  assez  vraisemblable.  Les  dé- 
;  obstinés  et  ne  peuvent  faire  que  le  mal. 
Outils  prévu  leur  chute  '  Si  oui,  ou  bien  ils  n'ont  pas 
\oulu  l'éviter,  et  ils  étaient  mauvais  avant  leur  chute, 
ou  bien  ils  ont  voulu  l'éviter  et  n'ont  pas  pu  le  faire,  et 
ainsi  ils  étaient  miseri  antequam  codèrent.  C'est  pour- 
quoi saint  Augustin  dit  qu'ils  n'ont  pas  prévu  leur 
chute.    Lu  il  le  plus  excellent  de  ordine  supe- 

tm.  Il  y  avait  des  anges  tombés  de  tous  les  ordres, 

; .  1 1 1  ; . 

Honoré  d'Autun  résume  dans  sud  catéchisme  la  doc- 

tim    sur  i'  -  démons.  Lucifer,  te  voyant  le  premier  de 

sprelis  omnibus,  voluit  Deo  sequalis,  imo  major, 

Il    voulait   avoir  un    meilleur   sort   que   Celui 

qu'il  i  el  commander  aui  autres  tyrannique- 

II  fut  chassé  du   palais  el  enfermé  en   prison.    Il 

■ni,  il  devint  le  plus  noir  et  fut  exé- 
crable d  hoi  reur.  Il  ni  pas  prévu  sa  chute.  Non  plénum 
■''lit;  m,,,  ut  creatus  est,  cecidit, 
>ûter  le  bonheur  du  ciel,  qui  ne  lui  suf- 

-  "lit  péché  en  'tant  d'.e 

lollcntia,  ri  erant  cogitantes 

luisset,  1/  eferrenPur  m 

prima.    Ils  ont   été   précipités,   les   uns   dans 

,  in  quo  tamen, 

■H  enfer,  ,,,.,;,  plusieurs   vivent   dans  l'air 

me  i,-s  mauvais  el  êti  e 

in  dernier  jugement  au  feu  éternel. 

tenir  leur  pardon,  pan  e  qu'il»  avait  m 

ayant 

"   par  er-e. d  i natun    propn  e,  en 

i  té  qu'un 
ption 
par  la  mort  du  Verbe,  ayant  pi  i    la  d  i 
ni  Irrachi  i  ibles    L)ii  u  m 
ne  pouvai  libre 

HT  qu'ils  p  |;,,  ri 

odant 

DICT.    Dl   T II I  ». r  .    (  ATIIOI.. 


propter  ornamentum  sui  operis,  comme  un  peintre  qui 
met  du  noir  sur  un  tableau.  Eluculariinn,  1.  I,  n.  7, 
8,  P.  L.,  t.  clxxii,  col.  1114-1115.  Honoré  s'occupe  du 
nombre  des  anges  tombés,  dans  son  Liber  duodecini 
quseslionibus,  c.  iv,  v,  col.  1180-1181.  C'est  donc,  à  ses 
yeux,  une  question  discutée,  qui  n'a  pas  eu  entrée  dans 
son  catéchisme.  Quelques-uns  pensent  que  la  moitié 
des  anges  a  péri  et  qu'il  y  aura  autant  d'hommes 
pour  les  remplacer.  D'autres,  à  cause  d'Apoc,  xn,  4, 
n'admettent  la  chute  que  du  tiers  des  anges.  D'autres, 
reconnaissant  dix  ordres,  disent  que  le  10e  est  tombé 
tout  entier;  ils  se  fondent  sur  la  parabole  des  dix 
dragmes;  aussi  dit-on  couramment  :  Decimus  chorus 
angelorum  cecidil.  Quant  à  lui,  s'appuyant  sur  l'auto- 
rité de  l'Écriture,  il  ne  reconnaît  que  neuf  ordres 
angéliques  et  il  prouve  que  quelques-uns  de  chaque 
ordre  sont  tombés.  Pour  cela,  il  cite  divers  passages 
de  l'Écriture  qui  semblent  faire  rentrer  des  démons 
dans  chacun  des  neuf  ordres.  11  dit  encore,  c.  xi. 
col.  1183,  que  les  anges  ont  un  corps  éthéré,  et  le 
diable  un  corps  aérien,  ce  qui  permet  aux  démons  de 
se  transformer  en  des  formes  diverses,  de  bêtes,  etc. 

Rupert,  abbé  de  Deutz,  exposa  plusieurs  fois,  et  très 
longuement,  son  sentiment  sur  le  diable  et  les  démons, 
Dans  son  traité  De  Victoria  Vcrbi,  1.  I,  c.  vi-xxvi, 
/'.  L.,  I.  ci.xix,  col.  1221-1240,  il  explique  "d'abord  les 
différents  noms  de  l'adversaire  du  Verbe  dans  l'Écri- 
ture; puis,  il  remonte  au  commencement  du  duel  de 
Satan  contre  le  Verbe.  La  cause  de  la  rébellion  fut 
l'orgueil  et  ce  vice  portait  sur  la  beauté,  la  science  et 
la  grandeur  de  la  propre  nature  du  révolté.  Ezech., 
xxviii,  xxix,  xxxi.  C'est  par  orgueil  qu'il  devint  aussi 
le  père  du  mensonge.  Il  introduisit  la  sédition  parmi 
les  anges,  troubla  leur  paix  et  fit  de  plusieurs  des  re- 
belles de  la  lumière.  Il  méprisa  les  autres  anges, 
ambitionnant  pour  lui  la  majesté  et  l'égalité  de  Dieu. 
Ezech.,  xxix;  Is.,  xiv.  11  voulait  être  adoré'  et  honoré 
par  l'assemblée  des  an^cs  tanquam  Deus  ci  Dominas 
ipsorum.  Il  chercha  à  les  persuader  ut  se  pro  Deo 
haberent.  Ils  ne  cédèrent  pas  à  celte  tentation.  Sed 
adulait  sunt  ci  tantummodo...,  gloriam  suam  quee- 
rebanl,  non  Dei,  aimant  mieux  servir  une  créature 
que  le  créateur.  Satan  ayant  été  créé  le  premier,  les 
autres  anges  n'avaient  pas  conscience  de  sa  condition 
i  m  \in-iin  ne  pouvait  dire  :  .l'ai  vu  Dieu  te 
créant.  Seul,  le  Verbe  pouvait  le  convaincre  de  men- 
Satan  se  donna  aux  anges  pour  ce  qu'il  n'était 
pas    réellement.    Ils    furent    rebelles    à    la    lumière    par 

orgueil  ou  envie.  Jaloux  du  créateur,  ils  élevèrent 
Satan,  haïrent  el  repoussèrent  le  Verbe.  Satan  fut  con- 
damné par  le  Verbe,  battu  par  le-  saints  anges  el  jet.' 
hors  du  ciel.  Cependant,  non  slatim  ni  conditus  est 
cccidii,  et  Rupert  réfute  ceux  qui  le  prétendaient.  Leur 
sentiment  favoriserait  le  soupçon  que  Satan  a  été  créé 
mauvais  tel  qu'il  est  maintenant.  Le  dies  conditionis 
n'est    pas    un  jour  de   Ji    heures,   puisque    le    soleil 

n'existait  pas  encore.  Apres  sa  faute,  la  patience  de 
Dieu  l'a    attendu,    lui    laissant    le  temps  de   se    repentir. 

A'ou   /  ici.  ni    iniquilate,  pour  que   les    bons 

anges  soient  instruits  ,ie  la  justice  du  jugement  qui  le 

erait.  Dieu,  qui  avait  prévu  sa  chute,  l'a  i 
néanmoins  le  plus  grand,  le  plus  sage  et  le  plus  i 
de  ton  i  s.  Il  est  tombé  du  ciel,  non  <\u  sien. 

le  celui  du  Seigneur,  Il  n'avait  pas  été  créé  dans 
.  il  \  avait  été  placé  api  i  lion.  Il  fut  jeté 

abîme,  c'est  A  dire  dan  -  le  chaos  el  dans  les 
tém  bre»,  qui  existaient  si  uls  alors.  Le  Qrmament 
n'était  acoi  e    Satan  ei  i  donc  tombé,  non  dans 

l'enfi  i .  m. ii~  dans  l'air,  qui  est  le  ciel  inférieur. 

Rupei  i  a   reprit  le  suji  t  dan De   i  ■  initale  et 

tt  xvii,  /'.  /...  t.  CLXVII, 

hors  iln   ciel, 

où  ils  ont  été  tran  ition .  ils 

iv.  -  i:j 


387        DÉMON  D'APRÈS  LES  SCOLASTIQUES  ET  LES  THÉOLOG.  POSTÉRIEURS       388 


habitent  donc  par  grAce,  et  non  par  nalure.  Ils  sont 
corporels.  Au  premier  jour,  la  lumière  a  été  séparée 
des  ténèbres,  les  bons  anges  des  mauvais.  Le  diable 
est  tombe  par  envie  ou  orgueil.  Is.,  XIV.  Il  était  plenu» 
sapientia,  perfeclus  décore,  nihilo  indigent  sapienliœ 
Dei.  Ezech.,  xxvni;  Is.,  xiv.  Dieu  avait  prévu  sa  chute. 
11  l'a  jeté  dans  l'air  pour  être  précipité  plus  tard  en 
enfer,  II  Pet.,  n,  4  (où  l'enfer  désigne  l'air).  Les  anges, 
délournés  de  Dieu,  ne  peuvent  revenir  à  leur  premier 
état,  c.  xxiv,  col.  221.  Le  serpent  tentateur  était  l'organe 
du  diable,  1.  III.  c.  il,  col.  289.  Les  fils  de  Dieu  sont 
les  descendants  de  Seth,  1.  IV,  c.  xn,  col.  337-338. 
Rupert  ne  parle  pas  des  anges,  quoiqu'il  sût  bien  que 
les  anges  sont  appelés  fils  de  Dieu.  Comment,  in  Job, 
P.  L.,  t.  CLXVIII,  col.  967.  Les  démons,  qui  sont  dans 
l'air  en  attendant  le  jugement,  seront  tourmentés  par 
le  feu  qui  leur  a  été  préparé  dés  la  création.  Ils  seront 
tourmentés  conformément  à  leur  nature,  puisqu'ils  ont 
des  corps  aériens.  Lie  S.  Spirilu,  1.  IX,  c.  xxi,  P.  L., 
t.  ci.xvii,  col.  1824-1825. 

Nouvel  exposé  dans  le  traité  De  glorificaiione  Trini- 
lalis  et  processione  S.  Spiritus,  1.  III,  c.  vm-xvii, 
P.  L.,  t.  clxix,  col.  59-69.  Les  anges  ont  péché  non 
par  faiblesse  ou  ignorance,  mais  par  orgueil.  Ezech., 
xxviii,  xxix.  Le  bel  ange  est  devenu  le  prince  des  té- 
nèbres. A  cause  de  son  orgueil,  il  est  justement  jugé 
par  le  Saint-Esprit,  qui  s'éloigne  de  lui.  Non  stalim 
cecidit.  Ayant  prévu  sa  chute,  le  Saint-Esprit  ne  l'a 
pas  jugé  tout  de  suite  ni  condamné  ;  il  l'a  éprouvé.  Une 
fois  la  lumière  séparée  des  ténèbres,  les  démons  ne 
peuvent  pas  retourner  à  leur  état  primitif.  Quelques- 
uns  pensent  que  beaucoup  d'anges  de  tous  les  ordres 
sont  tombés;  cela  n'est  pas  prouvé  par  l'Ecriture.  Ils 
n'étaient  pas  encore  établis  dans  leurs  ordres  avant  la 
chute  des  démons,  qui,  autrement,  n'auraient  pas  pu 
pécher.  Satan  est  lié  pour  longtemps,  plus  tard  il  sera 
jeté  dans  l'abime. 

Les  esprits  mauvais  enviaient  la  gloire  du  créateur. 
Diabolus  superbivit  et  sibimet  ipse  placuit  tanquam 
sibi  sufficiens.  Comment,  in  Matlh.,  1.  XIII,  P.  L., 
t.  clxviii,  col.  1627.  Nabuchodonosor  est  le  type  du 
diable  orgueilleux.  In  Danielem  prophetam,  c.  il, 
P.  L.,  t.  clxvii,  col.  1500-1501.  Satan  a  été  jugé  par 
trois  fois  :  quand  il  fut  chassé  du  ciel  à  cause  de  son 
orgueil,  à  la  malédiction  du  serpent,  et  au  jugement  de 
l'homme  de  péché.  In  Hab.,  1.  II,  P.  L.,  t.  clxviii, 
col.  603.  Satan  paraissait  parmi  les  anges  et  devant 
Dieu,  parce  que  Dieu  voit  tout.  Dieu  l'interroge,  parce 
qu'il  lui  demande  raison  de  ses  actes,  et  Satan  répond, 
parce  qu'il  ne  peut  rien  cacher  à  Dieu.  Comment,  in 
Job,  ibid.,  col.  967.  Rupert  n'entend  pas  des  anges  le 
tiers  des  étoiles  entraîné  par  la  queue  du  dragon.  In 
Apoc,  1.  VII,  ibid.,  col.  1047. 

Quelques  années  plus  tard,  saint  Anselme  compose 
un  traité  spécial  De  casu  diaboli  sous  forme  de  dia- 
logue, 7'.  L.,  t.  clviii,  col.  325-360.  Voir  t.  i,  col.  1338. 
Les  anges  ont  tout  reçu  de  Dieu,  qui  pourtant  n'a  pas 
donné  au  diable  la  persévérance,  quia  ille  non  accepit. 
Le  diable,  en  effet,  noluit  tenere  quod  habebat,  voluit 
deserere.  Quomodo  peecavil  et  voluit  similis  esse  Dei  :> 
Il  n'a  pas  voulu  reconnaître  une  volonté  supérieure  à 
la  sienne;  il  a  voulu  même  que  sa  volonté  propre  soit 
supérieure  à  celle  de  Dieu.  L'ange  déserteur  n'a  pas 
pu  revenir  à  la  justice.  Voir  t.  i,  col.  1224.  Il  n'a  pas  pu 
prévoir  qu'il  tomberait.  Il  savait  qu'il  ne  devait  pas 
vouloir  ce  qu'il  voulait  et  qu'il  serait  puni;  il  n'a  pas 
pu  l'ignorer.  Le  mal  est  donc  venu  dans  l'ange  qui 
était  bon,  parce  que  celui-ci  a  volontairement  aban- 
donné la  justice.  Dans  son  Cur  Deus  liomo,  1.1,  c.  xvm, 
col.  389,  saint  Anselme  a  admis  que  le  nombre  des  anges 
devait  être  complété  par  les  hommes.  II  en  tire  cette 
conclusion  relativement  au  nombre  des  anges  tombes  : 
Non  sequitur  tolangelos  cecidissequot  perseverarunt, 


parce  que  le  nombre  des  anges  n'était  pas  parfait  avant 
la  chute  des  mauvais. 

Abélard  s'est  peu  occupé  des  démons.  Il  leur  attribua 
la  possession  de  la  charité.  Dialogué  inlerphil 
judseum  et  christianum,  P.  L.,  t.  CLXXViti,  col.  1659. 
Dans  son  .Sic  et  non,  47,  col.  1415-1417,  il  a  reproduit 
des  témoignages  de  saint  Isidore,  de  saint  Augustin  et 
d'Eugippius  en  faveur  de  la  chute  des  anges  avant  la 
création  de  l'homme,  et  d'autres  de  saint  Cyprien  et  de 
saint  Jérôme,  affirmant  quelle  a  eu  lieu  au  moment  de 
celte  création.  Dans  le  16e  de  ses  articles,  qui  ont  été 
condamnés  en  1141,  il  niait  l'intervention  directe  du 
démon  et  bornait  son  action  à  l'emploi  des  forces  natu- 
relles, des  éléments  et  des  plantes.  Voir  t.  i,col.  45.  47. 

Hervée  de  Bourgdieu  explique  que  Lucifer  a  voulu 
être  le  maître  des  anges  :  il  semble  le  faire  précipiter 
directement  dans  l'enfer.  Comment,  in  Isaiam,  1.  II, 
P.  L.,  t.  CLXXXI,  col.  164-166.  Cependant,  il  appelle 
Satan  le  prince  de  l'air.  Comment,  in  Episl.  ad  Epli., 
n,  col.  1221. 

Saint  Bernard  attribue  la  chute  de  Lucifer  à  l'orgueil. 
Serm.,  i,  de  lempore,  n.  3,  P.  L.,  t.  clxxxiii,  col.  36; 
In  rogationibus,  serm.  i,  n.  1,  col.  296;  In  Canlica, 
serm.  xvn,  n.  5;  lxi.x,  n.  3,  4,  col.  857,  1113-1114.  L'or- 
gueil du  diable  appartient  au  premier  degré  de  ce  vice 
qui  est  la  curiosité.  Le  diable  n'avait  pas  prévu  sa  chute. 
Tractalus  de  gradibus  superbiœ,  part.  II,  c.  x,  n.  31- 
36,  P.  L.,  t.  clxxxii,  col.  959-962.  Il  a  été  précipité  dans 
l'air.  In  Canlica,  serm.  liv,  n.  4,  P.  L.,  t.  clxxxiii, 
col.  1040.  Il  ne  subira  la  peine  du  feu  de  l'enfer  qu'après 
le  dernier  jugement.  Voir  t.  il,  col.  770. 

Robert  Pullus  déclare  que  l'ange,  créé  libre,  poluit 
malum.  Il  se  demande  :  Quale?  et  il  répond  :  De 
excellenli  natura  inlumuit,  au  point  de  vouloir  s'éga- 
ler à  Dieu.  Non  perduravit  in  verilate.  Dès  qu'il  fut, 
il  vit  Dieu,  quoiqu'il  ne  l'ait  pas  connu  complètement. 
Malgré  cette  connaissance  de  Dieu,  il  a  pu  cependant 
ne  pas  prévoir  sa  chute.  Auparavant,  il  était  opus  Dei 
bonum,  optimum;  après,  il  est  devenu  subslanlia  non 
boita,  nec  Dei  creatura  (en  tant  que  mauvais).  Les 
démons,  licet  incorporel,  peracto  judicio,  subiront 
dans  l'enfer  des  peines  corporelles.  Ils  soutirent  déjà 
des  affections  de  l'air,  où  ils  habitent,  mais  ils  sont 
réservés  pour  de  plus  grandes  souffrances.  Sent.,  1.  II, 
c.  iv-vi,  P.  L.,  t.  clxxxvi,  col.  721-725.  Ils  sont  tombés 
des  neuf  ordres;  ils  servent  leur  prince  dans  leur 
ordre.  Robert  Pullus  essaie  d'expliquer  comment  il  peut 
en  être  ainsi  et  comment  le  service  répond  à  la  nature 
première  de  ces  anges  déchus.  Quanta  leur  prince,  il 
était  summus  ou  inter  summos,  plus  exactement  un 
chérubin,  Ezech.,  xxviii,  12,  nisi  forte  ordine  seraph, 
interprelatione  cherub.  Quoi  qu'il  en  soit,  magnus  fuit 
et  plus  de  se  quam  esset  sentit.  Les  démons  étaient 
d'accord  avec  lui  et  leur  chute  est  irréparable.  Quelques- 
uns  pensent  que  le  prince  des  démons  n'était  pas  si 
élevé.  Toutefois,  il  n'a  pas  goûté  le  bonheur  de  la  vie 
parfaite  :  nolendo  accipere,  amisit  ;  continua  cecidit. 
Sent.,  1.  VI,  c.  xi.v-xi.vm,  col.  887-891. 

Roland  Bandinelli.  plus  tard  le  pape  Alexandre  III, 
affirme  que  les  démons  ont  été  créés  bons,  et  bien  qu'il 
ait  subi  l'influence  d'Abélard,  il  s'écarte  du  maître  au 
sujet  de  leur  béatitude  et  il  n  ion  lie  qu'ils  n'eurent  jamais 
la  charité  qu'Abélard  leur  avait  attribuée.  Gielt,  Die 
Sentenzen  Bolands,  Fribourg-en-Brisgau,  1891,  p.  89- 
93.  Ils  n'avaient  pas  prévu  leur  chute,  qui  a  été  volon- 
taire. Ils  savaient  qu'ils  faisaient  mal,  aussi  sont-ils 
endurcis  dans  le  mal,  p.  95.  Selon  lui,  ils  ne  sont  pas 
de  tous  les  ordres,  puisque  la  division  hiérarchique 
des  anges  a  suivi  la  chute  du  diable  et  l'entrée  des  bons 
anges  dans  la  béatitude,  p.  101. 

Hugues  de  Saint-Victor  enseigne  que  les  anges  ont 
été  créés  bons  et  libres.  Leur  séparation  en  bons  et  en 
mauvais  s'est  faite  par  la  conversio  des  justes  et  Vaiersio 


389        DÉMON  D'APRÈS  LES  SCOLASTIQUES  ET  LES  THÉOLOG.  POSTÉRIEURS        390 


des  injustes.  Ceux-ci  n'ont  pas  eu  de  grâce  coopérante. 
Un  plus  grand  nombre  d'anges  sont  demeurés  fidèles, 
qu'il  n'y  en  a  eu  de  déchus.  De  sacramentis,  1.  I, 
part.  V,  c.  xix,  xx,  xxm,  xxiv,  xxxi,  P.  L.,  t.  clxxvi, 
col.  254-257,  261.  Le  diable  est  lié:  il  ne  petit  faire  tout 
ce  qu'il  veut;  à  la  fin  des  temps,  il  sera  délié  pour  un 
moment,  pour  la  dernière  persécution,  1.  II,  part.  XVII, 
c.  m,  iv,  col.  597-598. 

Son  disciple,  auteur  de  la  Summa  sententiarum 
(voir  t.  i,  col.  52-54),  tr.  II,  c.  m,  iv,  ibid.,  col.  83-85, 
ci'.e  textuellement  le  Traclalus  theologicus  d'IIildebert 
du  .Mans  sur  la  chute  du  diable  et  sur  sa  prééminence 
avant  la  chute.  Voir  col.  385. 

tnfin,  Pierre  Lombard  connaît  les  sentiments  diffé- 
rents de  ses  devanciers;  il  les  résume  parfois  et  il 
prend  souvent  parti.  Selon  lui,  les  démons  ont  été 
créés  nec  beati  nec  miseri.  Non  erant  prœscii  even- 
tus  sui,  et  ils  n'avaient  pas  connaissance  de  ce  qui 
devait  suivre.  Ils  n'ont  pas  été  bienheureux,  à  moins 
qu'on  appelle  béatitude  leur  état  d'innocence.  Donc, 
in  creatione,  boni  et  non  mali,  nec  beati.  Sent.,  I.  II, 
dist.IV.  n.  I.:1».  6.  P.  L.,  t.  cxcn,  col.  660,  661.  Quelques- 
uns  ont  pensé  qu'il  ne  fallait  pas  leur  imputer  de  s'être 
détournés  de  Dieu,  parce  que  la  grâce  ne  leur  avait  pas 
été  donnée.  Gralia  non  data  ex  merilis  suis...  Culpa 
eorum  fuit,  quia,  cum  stare  possent,  noluerunt  quous- 
que gratia  apponcrelur...  Poterantnon  cadere,sedsua 
sponlanea  voluntale  declinaverunl,  disl.  V,  n.  5,  6, 
col.  661-662.  De  majoribus  et  de  minoribus  quidam 
cccideiitnt.  Le  plus  excellent  de  tous  corruil.  Job,  xl; 
Ezech.,  xxvni ;  S.  Grégoire  le  Grand.  Il  tomba  par 
orgueil,  de  empyrco  in  catiginosum  aerem,  Apoc,  xn, 
el  beaucoup  d'anges  avec  lui  pour  nous  éprouver.  Le 
prince  de  l'air  n'est  ni  au  ciel  ni  sur  terre,  mais  dans 
l'air.  Parmi  les  démons,  il  y  a  des  chefs  et  des  sujets; 
leur  science  est  plus  grande  ou  moindre.  Quidam 
prœsunt  uni  prov incise,  uni  homini,  aliqui  uni  vitio. 
Quotidie  i"  infernum  descendunt  aliqui  ;  verisimile 
est,  qui  animas  Mue  cruciandas  deducunt.  A  liqui  setn- 
per  sunt.  alternis  forte  vicibus,  jîo»  proculest  a  vero. 
Quelques-uns  pensent  que  Lucifer  a  été  relégué  en 
enfer,  dès  qu'il  a  eu  tenté  Jésus-Christ;  d'autres,  ex 
cecidit.  Pierre  Lombard  ne  se  prononce  pas.  Sive 
m  infernum  demevsux,  .sire  non,  il  n'a  pas  mainte- 
nant le  pouvoir  qu'il  aura  au  temps  de  l'Antéchrist.  Il 
délié  alors  et  il  aura  un  plus  grand  pouvoir  de 
i -.  Quant  aux  (binons,  semel  victi  a  sanclis,  non 
accédant  ampli  s,  et  Lombard  cite  en  preuve 

qi  .  Homil.,  xv,  ivi  libr.  Josue,  c.  xn,  dist.  VI. 
n  1-8,  col,  862-664  Obstinés  dans  le  m. il.  les  démons 
ne  peuvent  pis  vouloir  le  bien.  Ils  ont  cependant  le 
libre  arbitre,  mais  ils  ne  peuvent  ad  utrumque  flccli.  Ils 
n  uni  pas  perdu  leur  intelligence  el  il>  l'exercent  sou- 
vent de  diverses  manières.  Ils  ne  peuvent  pas  se  e 
de  la  matière  ad  nutum,  ni  créer  (par  exemple,  les  ser- 
renouillea  que  produisaient  les  mages). 
Il>  peuvent  beaucoup  pai  leurs  fora  naturelles  et  leur 
subtilité,  il  permittantur  ab  angelit  potentioribti 

>■•'.  dist.  VII.  n.  I.  2,  '..  7.  S.  II.  col.  664-667. 
Sainl    Augustin    i    ippelé   les  démons  aerea  animalia, 
\  III.   n.  7 

dil    un     eut    mot  de    la   chute  du 
diabli      /  /  irituum, 

il,i  homini  quod  ettei   m  /><< 

li,  C.  XXI,  P.    I.  .  t.CXCVIU, 

1071.  Plus   loin,  c.  xxxi,   col.  1061,  il  expo-e  i, 
du  di  luge     li   m. n  [ils   de  Dii  n  ou  des 

fils  du  pleui  Seth,  In.  Il  connut  la 

i  lieu    .   mais  il  l'interpn  le  i  di  oi  i 
ite  toutefois  cette  i  emarque 
,./  i/, 
ganta,  et  il  emprunte  -i  leur  sujet  •>  -uni  Méthode  di  - 
proviennent  du  livre  di 


Voir  t.  I,  col.  1 222-1 22G  ;  A.  Mignon,  Les  origines  de  la  sco- 
lastique  et  Hugues  de  Saint-Victor,  Paris,  s.  d.  (1895),  t.  i, 
p.  343-319,  361-3G4;  J.  Tunnel,  Histoire  de  l'angélologie,  dans 
la  Revue  d'histoire  et  de  littérature  religieuses,  1899,  t.  IV, 
p.  289-309,  537-550,  passim;  Id.,  Histoire  de  la  théologie  posi- 
tive. Paris,  1904,  p.  291-292.  Voir  aussi,  parmi  tes  Indices  de  la 
P.  L.,  de  Migne,  l'index,  xxxv,  De  dsemonibus,  t.  n,  col.  43-50. 

II.  Au  xme  et  .vr  xivc  siècle.  —  Les  vues  des  théo- 
logiens sur  le  diable  et  les  démons  vont  se  systémati- 
sant de  plus  en  plus  pour  arriver  à  une  systématisa- 
tion complète  dans  les  œuvres  de  saint  Thomas  et  de 
Duns  Scot.  Les  docteurs  justifient  par  des  arguments 
de  raison  les  données  qu'ils  empruntent  à  l'Écriture 
et  à  la  tradition  et  qu'ils  groupent  et  ordonnent  logi- 
quement. Ils  y  joignent  beaucoup  de  spéculations 
philosophiques. 

1°  Pierre  de  Poitiers.  —  11  pense  que  les  anges  ont 
été  créés  dans  le  ciel  einpyrée.  Une  des  preuves,  c'est 
que  Lucifer,  cum  esset  in  cselo,  a  voulu  atteindre  la 
sublimité  de  la  divinité.  Sent.,  1.  II,  c.  n,  P.  L., 
t.  ccxi,  col.  942.  Quelques-uns  prétendent  que  les 
anges  déchus  ont  été  créés  mauvais  et  ils  justifient 
leur  sentiment  par  des  autorités  (Joa.,  vin,  44;  Job, 
xl,  14;  Ps.  cm,  26,  et  un  texte  de  saint  Augustin)  et 
par  des  raisons.  Ce  sont  trois  raisonnements  portant 
sur  ces  dilemmes  :  ils  ont  été  créés  justes  ou  injustes, 
parfaits  ou  imparfaits,  bienheureux  ou  non.  Mais 
Pierre  de  Poitiers  conclut  que  si  Dieu  avait  créé 
l'ange  mauvais,  il  serait  l'auteur  du  mal,  ce  qui  est 
impossible.  Lucifer  non  fuit  ab  initio  malus,  sed  s  ta- 
lim  post.  Puis,  il  réfute  les  arguments  opposés.  Au 
cours  de  sa  réfutation,  il  affirme  qu'avant  leur  faute 
les  anges  déchus  non  habebant  naturam  glorificalam, 
c.  ni,  col.  943-944.  Ils  ont  péché,  parce  que  la  grâce 
opérante  ne  leur  a  pas  été  donnée,  et  ils  sont  respon- 
sables, parce  qu'ils  n'ont  pas  attendu  qu'elle  leur  fût 
donnée.  Diabolo  non  est  ablalum  aliqiiod  bonum  na- 
turalc.  Loin  d'obtenir  mitigation  de  sa  peine,  magis 
ac  magis  punietur,  parce  que  semper  crcscil  pœna 
a  culpa.  D'autre  part,  il  sera  puni  davantage  après  le 
jugement; tune  Dcus  puniet perse, non  per  ministros. 
Quelques-uns  pensent  que,  depuis  la  passion,  Lucifer 
a  été  jeté  en  enfer.  Mais  il  est  maintenant  in  acre  ca- 
liginoso ;  après  le  jugement,  il  ira  dans  l'enfer.  Non- 
dum  patitur  diabolus  tenebras  exteriores,  quia  non- 
iium  omnino  obliviscitur  Deum,  c.  iv,  col.  945-951. 
Les  ordres  angéliques  étaient-ils  constitués  avant  la 
chute?  On  lit  :  De  singulis  ordinibus  cecidcrunl . 
Quelques-uns  font  de  Lucifer  un  séraphin.  Non  ila 
distincti  ab  initio  suse  créai ionis.  Que  penser  du 
10'  ordre  tombé'.'  Il  n'y  a  pas  eu  dix  ordres,  mais  neuf. 
lui  angeli  ceciderunl  quod  ex  eis  possei  decimus  ordo 
constitui.  S'ils  avaient  persévéré,  il  n'y  aurait  cepen- 
dant pas  eu  un  10"  ordre.  11  y  aura  au  ciel  plus 
d'hommes  élus  que  d'anges  tombés.  Lucifer  était  le 
plus  excellent  des  anges,  c.  v,  col.  953-954.  Les  anges 
mauvais  sont  députés  par  Dieu,  dit-on,  pour 
le  mal  et  on  cite  l'exemple  des  prophètes  d'Achab.  Dieu 
leur  permet  d'agir  pour  punir  ou  châtier  les  hommes, 
mais  il  ne  veut  pas  le  mal,  et  Pierre  de  Poitiers  résout 
les  objections  contraires,  c.  vi,  col.  957-056. 

2°  Guillaume  d'Auvergne.  —  L'évèque  de  Paris, qui 
condamna  le  sentiment  de  ceux  qui  prétendaient  que 
mon  a  été  créé  marnais,  voir  d'Argentré,  Collectio 
judiciorunif  Paris,  17-2^,  t.  i,  p.  186,  s'est  occupé  Ion- 
■  nt.  m. lis  obscurément  el  sans  ordre,  des  anges 
.  i  j     démons  dans  ion  trait*  Di  Non  seule- 

ment   il  ne    distingue  p;is  li  i       qu'il 

traite,  il  mêle  encore  aux  questions  théologiques  beau- 
coup de  légendes   populaires,  Pour  lui,  le  péché  du 

pre i    n  I  orgueil,  il  ■  1 1  .  .■ .  i  \  ii  Opéra  om- 

iiiu,  m  fol.,  Venise,  1591 .  p  B48.  i ,o  quoi  s  consi^ 
péché  '  l'i  nette  voluit  ■ 


391        DÉMON  D'APRÈS  LES  SCOLASTIQUES  ET  LES  THÉOLOG.  POSTÉRIE1 


ipsum  Dei  Filtuni  imitari  voluisse.  Unde  fuit  ausus 
non  subesse  creatori?  Ipsum  prseesse  tanta  libidine 
ci  placuit  ut  subesse  von  curaverit,  adhœrens  ipsi 
prœesse  amore.  Comment  en  esi-il  arrivé  là?  Inflam- 
malus  falsa  pulchriludine  et  illusoria  delectatione 
fuisse  denominationis,  c.  i.vni,  p.  849,  850.  Aussi  a-t-il 
été  profondément  perverti  par  l'orgueil.  Apres  cela,  il 
a  envié  le  Fils  de  Dieu,  ayani  vu  que  son  règne  devait 
se  répandre  parmi  les  hommes.  Toutefois,  il  n'a  pas 
été  jaloux  de  sa  gloire  ni  de  sa  divinité.  Ambitieux 
adversus  creatorem,  il  n'est  pas  loin  de  la  probabilité 
qu'il  a  voulu  être  honoré  comme  Dieu,  c.  lix,  p.  852- 
854. Quant  à  la  multitude  des  anges  déchus,  noninten- 
debal  aliquid  in  crealoris  injuriam  altentare,  cum 
sciret  se  contra  eum  penitus  non  jiosse.  Bien  que  le 
premier  ange  ait  eu  la  présomption  d'être  ohéi  par 
beaucoup  et  de  commander,  il  ne  suggéra  pas  aux 
autres  anges  et  il  ne  leur  persuada  pas  non  plus  de 
l'adorer  comme  le  Très-Haut.  Son  ambition  ne  fut  que 
l'occasion  de  leur  péché.  Leur  sédition  s'est  faite  sans 
contrat.  Chacun  a  péché  par  sa  volonté,  l'appliquant  au 
faux  bien,  c.  lx,  p.  851,  830.  Us  ont  admiré  la  sagesse 
prééminente  naturelle  du  premier  ange  et  se  sont 
enorgueillis,  c.  i.xi,  p.  857.  Dieu  ne  leur  permet  pas  de 
faire  tout  le  mal  qu'ils  voudraient,  et  leurs  pouvoirs 
sont  limités.  Surit  in  aère  usque  in  dieni  judicii, 
c.  lxii,  p.  859,  871.  Ils  sont  dans  la  région  inférieure 
et  ténébreuse  de  l'air,  a  qua  in  cselitm  ut  expulsi 
transcendere  non  valent.  Leur  exil  est  perpétuel. 
Guillaume  explique  longuement  la  présence  de  Satan 
au  conseil  des  anges  et  l'envoi  d'un  esprit  de  mensonge 
par  Dieu  aux  prophètes  d'Achab,  ainsi  que  les  appari- 
tions des  démons,  qui  n'empêchent  pas  qu'ils  habitent 
dans  la  partie  inférieure  de  l'air,  c.  xcin,  xciv,  p.  892, 
893.  Ils  y  sont  légion  et  ils  y  tentent  les  hommes  par 
permission  divine,  c.  xcv,  p.  893.  Dieu  leur  maintient 
leurs  pouvoirs,  qui,  cependant,  sont  incomparable- 
ment diminués,  détériorés,  liés  et  soumis  aux  bons 
anges,  c.  cxvn,  cxvm,  p.  910-911.  Dieu  permet  à  ces  bêtes 
d'attaquer  les  hommes  pour  dévorer  les  impies  (œuvre 
de  justice)  et  pour  nous  inspirer  une  crainte  salutaire 
(œuvre  de  piété),  c.  clxiii,  p.  955.  Dans  la  11*  llla, 
c.  i-iv,  p.  957-961,  Guillaume  montre  comment  chacune 
des  facultés  naturelles  des  démons  est  diminuée  et  dé- 
tériorée. Il  explique  par  l'obscurcissement  de  l'intelli- 
gence, l'infatuation  du  chef  des  démons.  Maximis 
bonis  prseditus  fuit  et  in  donis  crealoris  prœstantis- 
sinius.  Par  suite,  son  péché  d'orgueil  fut  plus  grand 
que  celui  des  autres  anges,  qui  n'ont  fait  que  partici- 
per à  sa  faute  en  y  consentant  :  Tanla  quippe  mali- 
gnitate  sitecensi  sunl  adversus  creatorem  et  homines, 
ut  libertatem  arbilrii  qnodammodo  amiscrint.  Ds  se 
réjouissent  de  tout  le  mal  qu'ils  font,  p.  961,962.11s 
n'ont  pas  toutefois  de  pouvoir  sur  les  bons.  Ils  sont 
nombreux  et  se  trouvent  partout.  Us  ne  tombent  pas 
tous  les  jours  du  ciel,  ni  de  nouveaux  ne  sont  pas 
créés  tous  les  jours,  comme  d'aucuns  le  disent.  Ils  ne 
sont  pas  divisés  en  douze  ordres,  comme  un  écrivain 
l'a  prétendu;  ils  ne  forment  pas  non  plus  des  ordres 
contraires  à  ceux  des  bons  anges  :  il  n'y  a  pas  d'anli- 
séraphins,  etc.,  c.  VI-X,  p.  965-976.  Comme  ils  sont  or- 
gueilleux, ils  sont  toujours  en  querelle  entre  eux  ;  ce- 
pendant, leur  malignité  les  empêche  de  se  révolter 
contre  leur  prince,  quoiqu'ils  lui  soient  soumis  comme 
à  un  tyran.  Les  démons  supérieurs  punissent  les  infé- 
rieurs, c.  xiv-xvi,  p.  981-985.  Ils  souffrent  des  peines 
corporelles,  c.  xvn,  p.  987.  A  propos  de  démons  in- 
cubes et  succubes,  Guillaume  signale  la  leçon  «  anges 
de  Dieu  d  de  (It'ii.,  vi.  Bien  qu'il  admette  l'existence  des 
incubes  et  des  succubes  (voir  c.  n,  p.  958-959.  l'expli- 
cation du  fait,  produit  non  par  convoitise,  dont  les  dé- 
mons ne  sont  pas  capables,  mais  plutôt  par  malice 
pour  souiller  leurs  victimes),  il   déclare  impossible  la 


génération  des  géants  par  le  commerce  des  anges  avec 
des  femmes,  c.  xxv,  p.  1006. 

.'S"  Alexandre  de  Hoirs.  ~  Le  célèbre  franciscain 
est  plus  sobre  et  plus  didactique.  Il  parle  des  (binons 
en  passant,  lorsqu'il  traite  des  anges.  A  propos  de  la 
prévoyance  des  anges,  il  déclare  que  les  mauvais  n'ont 
pas  prévu  leur  chute;  tout  au  plus  auraient-ils  pu  le 
faire,  ea  sallem  raiione  quod  judicia  Dei  abyssus 
mulla  et  investigabiles  vise  ejus.  Il  explique  la  raison 
qu'en  a  donnée  saint  Augustin,  à  savoir  qu'ils  n'avaient 
pas  scientiam  deiformem.  Dieu  aurait  pu  la  leur  r 
1er,  mais  cela  n'était  pas  expédient.  Summa  tlieologix, 
part.  11,  q.  xxv,  m  n,  ni,  Venise,  1575,  p.  16.  Ils  peu- 
vent connaître  l'avenir  conjecturaliter  semper  et  sub- 
obscure, nique  aul  ex  diulurna  experientia  aul  ex 
acumine  intelligentice  aul  ex  revelatione  supi 
spirituum,  q.  xxvi,  m.  iv.  Ils  ne  sont  pas  devenus 
mauvais  au  moment  même  de  leur  création;  les  deux 
instants  sont  distincts.  D'où  on  suppose  qu'il  y  a  eu 
niorula  quœdam  intermedia,  in  qua  moverent  nr 
motu  naturali  tantum,  tuni  secundum  afjectum,  tum 
secundum  inlellectum,  nec  tamen  mererentur  nec 
demererentur.  Les  instants  ont  pu  être  contigus.  Néan- 
moins, on  dit  :  Non  statim  fùerunt  mali,  ce  qu'il 
faut  expliquer  :  repente  ou  statim  post.  11  suffit  d'un 
temps  imperceptible,  q.  xxix,  m.  i,  a.  7,  p.  54.  Dœ- 
mones  naturali  dilectione,  etsi  mm  aclualiter,  liabi- 
lualiter  tamen  Deum  diligunt,  se  vero  eliam  actuali- 
té)-, q.  xxx,  m.  ni,  p.  58.  Eliam  malos  Deus  miltit, 
nec  ideo  perdit,  sicut  illi  profecto  perderunl.  Quand 
leur  action  est  nuisible,  il  dirige  leur  mauvaise  volonté 
vers  le  bien,  en  permettant  l'épreuve  des  bons,q.  xxxvi, 
m.  n,  p.  65.  Prœsunl  ruait  sibi  invieem  anle  diem 
judicii;  mais  après  ce  jour,  il  n'y  aura  plus  entre  eux 
de  préséance,  q.  xxxvn,  m.  ni.  p.  66. 

4°  Saint  Bonavenlurc.  —  Le  docteur  séraphique 
développe  davantage  la  doctrine  sur  les  démons  dans 
son  Commentaire  des  Sentences,  Opéra.  Lyon.  1668, 
t.  iv,  p.  29-115.  Il  déclare  impossible  que  Dieu  ait  créé 
l'ange  mauvais.  Celui-ci  n'a  donc  pas  péché  statim  a 
primo  inslanli,  et  saint  Conaventure  admet  aussi  qu'il 
y  ait  eu  quœdam  parvula  monda.  In  IV  Seul.,  1.  II, 
dist.  III,  part.  II,  a.  1,  q.  i,  n.  Pas  plus  que  les  autres 
anges,  il  n'avait  été  créé  in  statu  beatiludinis,  ni  en 
l'état  de  grâce  sanctiliante,  dist.  IV,  a.  1,  q.  I,  n.  Il  n'a 
pas  pu  avoir  une  prescience  certaine  de  sa  chute,  a.  2. 
q.  n.  Le  péché  des  anges  a  commencé  par  là  présomp- 
tion, a  été  complété  par  l'ambition  et  confirmé  dans 
l'envie  et  l'aversion  de  haine.  Le  premier  péché  a  donc 
été  un  péché  d'orgueil.  Lucifer,  rendu  présomptueux 
à  cause  de  sa  beauté,  appeliit  quod  supra  se  fuit  et 
ad  quod  pervenire  mut  polerat.  L'ambition  l'a  rendu 
envieux,  lui  quoi  consista  au  juste  son  désir?  Il  a 
désiré  égaler  Dieu  quodam  modo  sequiparantise  et 
quodam  modo  imita tionis.  Quelle  était  la  ressem- 
blance avec  Dieu  qu'il  désirait?  Celle-ci  :  eum  sua 
auctorilate  (de  Dieu)  aliis  prœesse,  et  ce;  ,  ,itis 

et  datore,  donc  propria  auctorilate,  nullique  subesse, 
dist.  V.  a.  1.  q.  i.  ii.  Les  anges  inférieurs  ont  aussi 
péché  par  orgueil,  non  tantum  consentiendo  au  péché 
de  Lucifer,  sed  sibi  quoque  e.rcellenliam  appetendo, 
ad  quam  non  passe  sine  ïpsius  Luciferi  sublimitate 
pervenire  putaverunl.  Les  relations  de  leur  péché 
avec  celui  de  Lucifer  furent,  (uni  quoad  gravilatem 
!t  (le  premier  fui  plus  grave),  tant  quoad  occasio- 
m'tit  (il  servit  d'exemple  aux  autres),  tum  quoad  tht- 
(il  a  précédé  le  leur  .  a.  2.  q.  l,  il.  Quant  à 
leur  condition  antérieure.  Lucifer,  quantum  ad  capa- 
citatem  vatunv,  futurus  crat  de  primo  beutarum 
mentium  ordine  :  qui,  sistetisset,  merito  gratta  in- 
ter  printos  annumerattts  fuisset,  dist.  VI.  a.  1,  q.  i. 
Les  autres  anges  déchus  étaient  de  tous  les  ordres. 
comme  l'a  dit  Hugues  de  Saint- Victor  (en  réalité,  son 


393       DÉMON  D'APRÈS  LES  SCOLASTIQUES  ET  LES  THÉOLOG.  POSTÉRIEURS        394 


disciple,  auteur  do  la  Summa  sententiarum,  copiant 
Hildebert  du   .Mans),  q.  n.  Quant  au  lieu   qu'occupent 
les  démons,  locus,  antediem  judicii,  non  est  infernns 
subterraneus,  sed  aer  caliginosus,  licet  probabile  sil 
nonnullos  eorum  ad  torquendas   animas  en  descen- 
dre, a.  2.  q.  I.  Licet  nonnulli  satis  probabilité)'  sen- 
serint  malus  angelos  ubique  et  ante  exlremi  judicii 
diem  infernali  cruciatu  torqueri,  aliis  tamen  proba- 
bilior    censetur    sententia    dicentium    po'nam    ignis 
usque  ad  novissimum  diem  illis  differri,  q.  il.   Juter 
mil,'*  est  onlo  seenndum  prxcellenliam   nalura- 
,i ,  sed  tamen  perversus  adjunctione  cu!parum,a.3, 
q.  i.  lut,  r  ,;>s  est  prselatio.  Ils  essaient   d'imiter   les 
bons  anges,  mais   ils  le  font  faussement  et  imparfaite- 
ment, et  ils  attaquent  les  hommes,  q.  H.  Leur  volonté 
ne  peut  être  rectifiée  de  polentia.  Dieu  pourrait,  abso- 
lument parlant,  leur  rendre  la  bonne  volonté;  mais  ils 
ni'   peuvent  se  repentir,  et  le  temps  de  la  conversion 
et  du  mérite  est  passé  pour  eux,  dist.  VII,  part.  I,  a.  1, 
q.  i.  Ils  ne  veulent  que  le  mal.  q.  n,  m.  Cette  obstina- 
tion dans   le   mal   leur   enlève  le  libre  arbitre,  quoad 
usum;  elle  ne  diminue  pas  Uberlalis  dominium  quant 
-sence,  mais  bien  quant  au  sujet,  a.  2,  q.  H,  m.  Le 
jugement  de  leur  intelligence  est  un  peu  obscurci  depuis 
leur  faute;    leur  jugement    pratique    est    entièrement 
perverti,  part.  II,  a.  1.  q.  i.  Ils  n'ont  rien  oublié,  sinon 
la  nécessité  de  faire  leur  salut  et  les  bienfaits  de  Dieu, 
q.  il.  Ils  n'ont  pas  une  connaissance  certaine  de  l'ave- 
nir; ils  peuvent  parfois  le  prédire,  en  raison  de  l'acuité 
de  leur  esprit,  de  leur  expérience  et  de  leur  ruse,  q.  ni. 
Ils  sont  incorporels,  dist.  VIII,  pari.  I.  a.  I,  q.  i.  Voir 
un   substantiel   résumé  de  toute    la  doctrine  de  saint 
Bonaventure  sur  les  (binons  dans  son  Breviloquium, 
part.  II.  e.  vu,  Lyon,  1568,  t.  vi,  p.  Ui-17. 

[Ibert  le   Grand.  —   Si    de    l'école    franciscaine 

i s   passons  à    l'école  dominicaine,  nous  constatons 

ptalion   d'opinions   différentes  sur  divers  points. 

Le  lî.  Albert  le  Granda  traité'  du  diable  el  des  démons 

dans  -on  Commentaire  des  Sentences,  I.  II.  dist.  III- 

IX.  Opéra,  Puis.   1894,  t.  xxvn,  p.  82-208,  et  dans  sa 

Somme  théologique,  tr.  V,  q.  xx-xxv;  tr.  VI,  q.  xwi- 

xxvn  ;  tr.  \.  q.  xi.ii,  ibni..   1895,  t.  xxxii,  p.  251-289, 

03.  Tous  les  anges  ont  été  créés  en  état  de  grâce. 

//-  M'  Sent.,l.  II, dist.  III,  a.  1-2,  t.  xxvn,  p.  ,s-2-s:>'.  Dieu 

n'a  pas  pu  créer  un  ange  mauvais,  a.  13, p.  85-88.  L'ange 

a-t-il  été  mauvais  simul  ac  crealusf  Muni  fuit.  a.  li 

Les  l " 'Us-  anges  seuls,  confirmés  en  union  avec  Dieu, 

onl  été  bienheureux,  dist.  IV.  a.  -i.  p.  106.  L'ange  déchu 

pan  pu  prévoir  -a  chute,  pour  la  raison   donnée 

pu  saint  Anselme,  a.  3,  p.  107-108.  L'ange  a  pu  tomber, 

V.  a.  I.  p.  I  lu  1 1 1.  Quel  fut  le  premier  péché  de 

Jeil     :     appelilUt     dignitalis     iml, 

p.  1 1  II  13.  C'esl  le  sentiment  d<    sainl  Augustin, 

ainl  Vnsel t  de  -nui  Gn  --n  e  li  Grand,  I 

»•.  Sum.  tin;, t., 
tr.  V.  q.  \xi.  m.  n.  t.  xxxn,  p.  260.  Quid  appeliitpec- 
.uni   Augustin  et  sainl  Anselme;  Albert 
répond  que  le  démon  .i  di  lire  <</  '"/  qu  nitsel, 

si  ttetissel,  donc  la  simpl  lion  ou  béatitude.  Sa 

faut-  .|  .i  voulu  avoir  «  se  qu, 

lite  il  .i  voulu  ttatim  rapere 
b  allerius  gratia  ctandum. 

Il  "  -  ibler  a  Dieu  ni  par  équi- 

té, '/»<'/  /,,,„  ,,),r,  i,,t  l,i, ilti,,,   p0SS6 

''  /  ni, ut.  Relativement 

.i  Dieu,  n  iniii   ■'■•,,,  vi  '  prmtulU  voluntali 

heureux  de  lui  >,,.  n 
ndum  'iin,i  r, ,!,,,!  , 
fualis,  I.  11.  disl   V,  a.  :!.  p.  I  H.  Vola 

potetlaU 

■  m.  [lu;, t.,  tr.  V,  q.  \\l.  m.  I.  p 


a.  i.  p.  115.  Il  fut  dès  lors  obstiné  dans  le  mal;  il  a  eu 
la  liberté,  a  été  in  via,  mais  maintenant  immobilité)' 
voit  malitm,  a.  6,  p.  120.  Dicendum  absqicë  scrupulo 
qusestionis,  iste  Lucifer  fuit  de  superioribus  vel  sim- 
pliciter  superior,  dist.  VI,  a.  l,p.  127.  Princeps,  excel- 
lentior  omnibus,  tr.  Y,  q.  xx,  m.  i,  p.  251.  Quant  aux 
anges  inférieurs,  en  quoi  consiste  leur  faute?  Omnes 
voluerunt  aliquid  altius  quam  creati  sunt,  et  ils  ont 
voulu  l'obtenir  par  l'exaltation  de  Lucifer,  comme  des 
chanoines  qui  ('disent  à  l'épiscopat  un  indigne,  parce 
qu'ils  en  attendent  des  faveurs.  En  résumé,  appetie- 
runt  altitudinem  et  consenserunt  illo  (à  Lucifer),  a.  2, 
p.  128. 

Quel    fut    le    rôle    de    Lucifer   dans    leur   chute'?  Il 
n'agit  pas  sur  eux  par   acte  de  persuasion,  sed  unus- 
quisque  propria  voluntate  consensit  ei.  Videntes  enim 
decorem   ejus  in  naturalibus,  dignum  scqualilate  Dei 
rcpulaverunl  et  quod  propria  poleslate  regeret  et  se 
el  alios,  nulli  subjeclus.  Sa  persuasion  ne  fut  qu'occa- 
sionnelle, tr.  V,  q.  xx,  m.  n,  p.  255.  Telle  fut  la  queue 
du  dragon  qui  les  entraîna.  Ils  consentirent  à  son  désir 
en  même  temps  que  ce  désir  était  produit,  simul  tem- 
pore,  sed  u<m  causa  vel  natura,  dist.  VI,  a.  3,  p.  129. 
In  solis  naturalibus  conditi  sunt;  ils  perdirent  donc 
leur  innocence;  non  ceciderunl  a  gratia  quam  accep- 
inri  erant  si  stetissent,  tr.  V,  q.  xxn,  p.  265.  Cf.  tr.  IV, 
q.  xviii,  a.  1;  1.  II,  dist.  VI,  a.  i.  p.  131.  Le  combai  de 
Michel  ne  peut  se  rapporter  à  la  chute  des  anges,  puis- 
qu'il a    eu   lieu   dans    l'Église,  selon  la   Glosse,  tr.   V, 
q.  xxiii,  i>.  266.  Quand  sont-ils  tombés?  Incertum  est 
el  non  determinatum.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'ils 
ont  été  créés  bons  el  que,  volontairement  dépravés,  ils 
sont  tombés  du    ciel,  q.    xxiv,  p.  268.   Ils  avaient,  été 
créés   pour   habiter  le  ciel  empyrée;  par  leur  faute  ils 
onl  mérité  d'habiter  l'enfer,  mais,  en   raison  de  leur 
office,  ils  sont  dans  l'air  ténébreux  près  de  nous  pour 
nous  tenter.  I.  II.  dist.  VI,  a. 6,  p.  132-133.  Ils  sont  dans 
l'air    usque    in  diem   judicii,    tr.    V,    q.    XXV,   m.    m, 
p.  285,  Habenl  ignem  corporeum  secum  et  in  se  suc- 
censi  sunt   illo  igné,  1.  Il,  dist.  VI,  a.   7,  p.  136.    l'n 
démon,  vaincu  par  un  saint,  peut-il  en  tenter  un  autre 
pour   le    même   péché?    Ego   confiteor    me    nescire 
quid  île  ista  qusestione  sii   nerum,  sed  judicio  Dei 
sit  relinquendum,  a.  'K  p.  138.  Quant  à  leur  état  ac- 

tuel,  les    dé us    onl   h'    même  libre    arbitre   qu'avant 

la  chute,  quoique  leur  liberté  soit,  selon  saint  Anselme, 
moins  grande  que  celle  des  anges.  Ils  ont  une  science 
naturelle  el  acqui  le  el  ils  peinent  de  quelque  manière 
connaître  l'avenir,  dist.  VII.  a.  1-5,  p.  [43-149.  Lucifer 
se  complait  toujours  dans  sa  faute,  mais  il  a  horreur 
de  la  peine  qu'il  subit.  Tout  ce  qu'il  délibère  el  tout  ce 
qu'il  fait  est  mal;  il  n'a  aucune  vertu.  La  cause  de  son 
obstination  est  double  :  son  endurcissement  dans  le 
mal   et    la    punition  de   sa  finie  par  Mien.    Il   n'a   pas  de 

puissance  sensible  naturelle,  mais  bien  furor  irrationa- 
bilis,  démens  concupiscentia,  phantasia  proterva,  La 
syndérèse  lui  reste  mi  affliclionem  et  tristiliam  con- 

scientise,  tr.  V.  q.  xxv,  m.  i,  n,  p.  271  384.  Les  anciens 
axaient  des  a\is  différents  sur  les  corps  des  anges;  il 
n'\  a  pas  il''  doute  qu'ils  ne  soient  des  substances  spi- 
rituelles et  pas  des  col'p-  unis  à  une  àmc.  dist.  V 1 1 . 
a.   I,  p.   168.  Cependant.  A 1 1 km  I    ajoute  an   SUJCl  de  leur 

pouvoir  d'engendrer,  eritatem  quid 

lin-mu;  il  lui  paraît  toutefois  plu-  probable  d'ad ttre 

l'existence    di      d iueui.es  ,i    succubes.   .,.  5. 

p.  175.  Les  ordri  [ues  n'étaient  pas  constitués 

a  l'origine;  don.-  le  chus  n'appartenaient  à 

aucun  ordre.  Sum.  tkeol.,  Ir.  \.  q.  xi  n,  m.  i.  p.  600, 

Le  n bn  mnu  de    Dieu  seul. 

m.  m,  p.  503,  ainsi  que  le  i i >re  des  élus  qui  doivent 

■  i    •  i —  '   de  hoc,  nullus  potesi 

\ .  a.  s,  p.  208.  Comme  /  I  a 

i.  il  \   i  di 


T95       DÉMON  D'APRÈS  LES  SCOLASTIQUES  ET  LES  THÉOLOG.  POSTÉRIEURS       396 


secundum  ordinem  tentationis.  Suni.  theol.,  tr.  VI. 

q.  xxvi,  m.  i.  p.  289. 

6°  Saint  Thomas  d'Aquin.  —  Il  adopte  et  développe 
le  plus  souvent  les  sentiments  de  son  maître  Albert  le 
Grand.  Sa  doctrine  sur  les  démons  se  trouve  surtout 
dans  le  Commentaire  sur  les  Sentences,  1.  II,  disl.  III- 
VII,  et  dans  la  Somme  théologique,  Ia,  q.  lxiii-lxiv.  Il 
signale  trois  opinions  sur  la  question  de  savoir  si  un 
ange  peut  être  mauvais  a  principia  sux  creationis. 
La  première  prétend  qu'il  a  été  créé  mauvais;  elle  est 
hérétique  et  impossible,  car  Dieu  ne  peut  créer  que 
des  êtres  bons.  Suivant  la  seconde,  il  a  été  mauvais  ab 
inilio,  non  pas  de  la  part  de  Dieu,  sed  actu  propriai 
voluntalis;  cette  opinion  est  vaine,  parce  qu'elle  est 
sans  fondement  ;  elle  est  erronée,  voisine  de  la  première 
opinion  et  condamnée  par  les  maîtres;  elle  est  fausse 
enfin,  parce  qu'il  est  impossible  qu'un  être  libre  soit 
mauvais  tout  de  suite  après  sa  création,  car  sa  volonté 
doit  désirer  le  vrai  bien  avant  le  bien  apparent.  Il  faut 
donc  admettre  la  troisième  opinion,  qui  nie  qu'un  ange 
puisse  être  mauvais  dès  sa  création.  In  IV  Sent.,  1.  II, 
dist.  III,  q.  11,  a.  1;  Sum.  theol.,  Ia,  q.  lxiii,  a.  5. 
L'opinion  la  plus  probable  et  la  plus  conforme  aux  pa- 
roles des  saints  est  que  le  diable  a  péché  aussitôt  après 
le  premier  instant  de  sa  création.  Et  il  faut  nécessaire- 
ment le  dire,  si  on  admet  qu'il  a  fait  alors  un  acte  libre 
et  a  été  créé  en  état  de  grâce.  En  effet,  s'il  avait  fait  un 
acte  méritoire,  il  aurait  acquis  la  béatitude,  s'il  n'y 
avait  mis  aussitôt  obstacle  par  son  péché.  Voir  t.  i, 
col.  1238.  Mais  si  l'ange  n'a  pas  été  créé  en  état  de 
grâce  ou  s'il  n'a  pu  faire  au  premier  instant  de  son 
existence  un  acte  libre,  rien  n'empêche  d'admettre 
quelque  intervalle  entre  la  création  et  la  chute,  a.  6. 
Les  anges  déchus  n'eurent  pas  la  prévision  certaine  de 
leur  faute,  qui  dépendait  de  leur  libre  arbitre;  ils  ne 
l'ont  pas  même  conjecturée.  Ils  pouvaient  prévoir  seu- 
lement qu'ils  pouvaient  tomber.  Seule,  une  révélation 
divine  aurait  pu  le  leur  apprendre;  elle  n'était  pas 
congrue.  In  IV  Sent.,  1.  II,  dist.  IV,  a.  2.  Il  est  certain 
pour  tous  les  catholiques  que  des  anges  ont  péché  et 
sont  devenus  des  démons.  Il  est  difficile  de  voir  com- 
ment ils  ont  péché,  parce  qu'on  ne  comprend  pas 
comment  ils  ont  pu  se  tromper  dans  le  choix  qui  a 
décidé  de  leur  sort.  Ibid.,  dist.  V,  q.  i,  a.  1.  Dans  la 
Somme,  Ia,  q.  lxiii,  a.  1,  saint  Thomas  a  déclaré  que 
l'ange,  comme  toute  créature  raisonnable,  peut  pécher 
en  raison  de  sa  nature.  Quant  au  péché  du  diable,  saint 
Thomas  dit  ce  qu'il  n'est  pas,  avant  d'en  déterminer 
l'objet  précis.  Il  a  été  un  péché  d'orgueil,  puisque  le 
diable  a  refusé  de  se  soumettre  à  son  supérieur,  lors- 
qu'il devait  le  faire.  L'envie  toutefois  a  pu  suivre  l'or- 
gueil, soit  contre  l'homme,  par  douleur  de  son  bien, 
soit  contre  Dieu  lui-même,  parce  que  Dieu  tire  sa  gloire 
de  son  excellence  propre  contre  la  volonté  du  diable, 
a.  2.  Mais  l'orgueil  du  diable,  tout  en  consistant  à  lui 
faire  désirer  d'être  comme  Dieu,  ne  l'a  pas  poussé  à 
vouloir  égaler  Dieu.  Le  diable  savait  naturellement  que 
cette  égalité  était  impossible,  et  il  n'a  pas  pu  désirer 
l'impossible.  Cette  égalité  eût-elle  même  été  possible, 
l'ange  ne  l'aurait  pas  désirée,  car  aucune  nature  ne 
peut  désirer  s'élever  à  une  nature  supérieure.  Quant  à 
la  ressemblance  avec  Dieu,  il  aurait  pu  désirer  la  rece- 
voir de  Dieu.  En  désirant  la  recevoir  propria  virtute 
et  non  virtute  Dei,  il  aurait  péché.  Mais  il  a  péché,  en 
réalité,  en  désirant  avoir  une  propriété  de  Dieu,  non 
pas  toutefois  celle  de  n'avoir  aucun  supérieur,  qu'il  est 
impossible  de  réaliser  dans  une  créature,  mais  celle  de 
parvenir  de  lui-même  à  sa  béatitude  naturelle,  ne  vou- 
lant pas  de  la  béatitude  surnaturelle,  qui  lui  aurait  été 
donnée  par  la  grâce  de  Dieu,  ou  voulant  obtenir  cette 
dernière  béatitude,  non  de  la  grâce  divine,  mais  de  sa 
propre  vertu,  a.  3.  Cf.  dist.  V,  q.  I,  a.  2,  3.  Voir  t.  i, 
col.  1238.  L'opinion  commune,  qui  tient  Lucifer  poul- 


ie premier  des  anges,  est  probable,  à  cause  des  auto- 
rités qui  la  professent,  et  des  raisons  qui  l'appuient, 
en  particulier  parce  que,  pour  céder  à  l'orgueil,  il  faut 
être  supérieur  aux  autres,  dist.  VI.  q.  i.  a.  I.  Or.  les 
anges  étant  libres,  leur  chef  n'était  pas  naturellement 
porté  au  mal,  et  on  explique  sa  chute  avec  plus  de  pro- 
babilité, par  le  motif  tiré  de  sa  propre  excellence  :  ce 
qui  prouve  que  Lucifer  était  le  premier  des  anges,  a.  7. 
Les  autres  anges  n'ont  pu  être  naturellement  mauvais. 
Étant  des  substances  intellectuelles,  nullo  modo  pos- 
sunt  liabcre  inclinalionem  naluralem  in'aliquod  qwni- 
cumque  malum,  a.  4.  Cf.  Cont.  gent.,  1.  III,  c.  cvi.  Ils 
le  sont  donc  devenus.  Saint  Thomas  en  démontre  la 
possibilité.  Cont.  gent.,  1.  III,  c.  cviil-CX.  Ailleurs,  il 
en  recherche  la  cause.  C'est  Lucifer,  cause,  non  quidem 
agens,  sed  quadam  quasi  exhortatione  inducens.  Ils  se 
sont  soumis  à  lui,  parce  qu'ils  ont  cédé  à  ses  sugges- 
tions. Toutefois,  ils  ont  péché  en  même  temps  que  lui. 
parce  qu'ils  ont  consenti  (acte  pour  eux  instantané)  à 
sa  faute  à  l'instant  où  il  la  faisait,  et  tout  en  péchant 
par  orgueil,  ils  ont  accepté  Lucifer  pour  leur  chef,  afin 
d'obtenir,  comme  lui,  la  béatitude  suprême  par  leur 
vertu  naturelle.  Siun.  theol-,  Ia,  q.  LXIII,  a.  8;  In 
IV  Sent.,  1.  II,  dist.  VI,  q.  i,  a.  2.  Le  nombre  des  anges 
tombés  a  été  moindre  que  celui  des  anges  demeurés 
fidèles.  Le  péché  est  contraire  à  l'inclination  naturelle. 
Or  ce  qui  est  contraire  à  la  nature  se  produit  in  pau- 
cioribns,  car  la  nature  obtient  son  elfet  ou  toujours  ou 
dans  le  plus  grand  nombre  des  cas.  Sum.  theol.,  Ia, 
q.  lxiii,  a.  9.  C'est  ainsi  qu'un  raisonnement  sert  à 
trancher  une  question  diversement  résolue  par  les 
Pères. 

En  raison  de  leur  faute,  les  démons  doivent  habiter 
l'enfer,  lieu  horrible  et  ténébreux.  Mais,  parce  que  Dieu 
veut  se  servir  d'eux  pour  éprouver  les  hommes,  ils  sont 
dans  l'air  ténébreux,  et  il  y  en  aura  jusqu'au  jour  du 
jugement,  tant  que  durera  l'épreuve.  Cependant  quel- 
ques-uns sont  déjà  dans  l'enfer,  pour  y  tourmenter  les 
âmes  des  damnés;  après  le  jugement,  tous  y  demeure- 
ront. On  ne  peut  pas  dire  que,  pour  eux,  la  peine  sen- 
sible soit  différée  jusqu'au  jugement.  Cela  parait  être 
contraire  aux  paroles  des  saints  et  au  fait  que  lésâmes 
des  damnés  souffrent  déjà  en  enfer.  Quant  à  la  manière 
dont  ils  souffrent  de  ce  tourment,  saint  Thomas  a  eu 
deux  opinions  successives.  Dans  le  commentaire  sur 
les  Sentences,  1.  II,  dist.  VI,  q.  i,  a.  3.  il  pensait  que  le 
feu  de  l'enfer  agissait  sur  eux  à  distance.  Dans  la 
Somme,  Ia,  q.  lxiv,  a.  4,  tout  en  continuant  à  nier  le 
contact  immédiat  du  feu,  il  proposa  une  autre  explica- 
tion. Ainsi  quelques-uns  pensent  qu'ils  portent  partout 
avec  eux  le  feu  de  l'enfer;  mais,  comme  ils  sont  incor- 
porels, ils  ne  peuvent  porter  un  feu  corporel.  Il  vaut 
mieux  dire  qu'ils  brûlent  de  ce  feu,  bien  qu'ils  n'y  soient 
pas  liés,  ou  mieux,  bien  qu'ils  n'y  soient  pas  attachés, 
leur  peins  n'en  est  pas  diminuée,  parce  qu'ils  savent 
qu'elle  leur  est  due.  Il  y  a  trois  opinions  sur  la  question 
de  savoir  si  les  démons,  vaincus  par  les  hommes  qu'ils 
tentent,  continuent  à  tenter  d'autres  hommes  ou  des- 
cendent immédiatement  en  enfer.  Quid  tamen  horion 
vertus  sit,  incertum  est,  quia  nec  ratione  nec  aucto- 
rilate  multum  cou/irmari  potest,  dist.  VI.  q.  i.  a.  5. 
Il  doit  y  avoir  entre  eux  un  certain  ordre;  c'est  conforme 
à  leur  nature,  à  la  sagesse  divine,  qui  les  emploie  à 
éprouver  les  hommes,  et  à  leur  malice,  qui  les  fait  se 
grouper  pour  attaquer  avec  ensemble  et  suite,  a.  4. 
Quant  à  leur  situation  après  la  chute,  leur  connaissance 
naturelle  ne  leur  a  été  ni  enlevée  ni  diminuée;  leur 
connaissance  spéculative  et  surnaturelle  des  secrets  de 
Dieu  a  été  diminuée,  et  la  connaissance  pratique  sur- 
naturelle, qui  leur  aurait  fait  aimer  Dieu,  leur  a  été 
totalement  enlevée.  Leur  volonté  est  obstinée  dans  le 
mal.  Cependant,  quelques-uns  de  leurs  actes  peuvent 
être  bons  ex  génère  suo  ;  leurs  actes  délibérés  sont  tous 


397        DÉMON  D'APRÈS  LES  SCOLASTIQUES  ET  LES  THÉOLOG.  POSTÉRIEURS        398 


mauvais.  Ils  souffrent  d'envie,  en  ce  qu'ils  voudraient 
voir  les  élus  se  damner;  ils  sont  privés  de  la  béatitude, 
qu'ils  désirent  naturellement  et  beaucoup  ne  font  pas 
tout  le  mal  qu'ils  voudraient  faire.  In  IV  Sent.,  1.  II, 
dist.  VII,  q.  I,  a.  2;  q.  il,  a.  1;  Sum.  theol.,  Ia,  q.  LXIV, 
a.  1-3.  Même,  quand  ils  ont  pris  un  corps  humain,  ils 
ne  peuvent  engendrer.  Un  démon,  successivement  suc- 
cube et  incube,  ne  peut  engendrer  non  plus.  S'il  le 
pouvait,  persemen  viri, il  n'engendreraitqu'un  homme, 
ainsi  qu'il  est  dit  des  géants.  Gen.,  vi.  i.  In  IV  Sent., 
I.  II,  dist.  VIII,  q.  il. 

7  Duns  Scot.  —  Le  docteur  subtil,  ayant  sur  plu- 
sieurs questions  philosophiques  un  sentiment  différent 
de  celui  de  saint  Thomas,  a  aussi  sur  les  démons  des 
opinions  divergentes.  Il  les  expose  principalement  dans 
son  Commentaire  sur  les  Sentences,  1.  II,  dist.  I V-VII, 
Opéra,  Paris.  1893,  t.  xit,  p.  29i-372,et  dans  ses  Repor- 
tata,  1.  II,  dist.  IV,  VI,  VII,  1904,  t.  xxn,  p.  601-625.  Il 
réfute  longuement  les  opinions  de  saint  Thomas.  11 
admet  pour  les  mauvais  anges  la  possibilité  d'avoir  été 
misérables  miseria  pœnse  et  culpœ  dès  le  premier  in- 
stant de  leur  création  (ce  que  n'admettait  pas  saint 
Thomas),  parce  que  toute  volonté  peut  mal  agir  dès  le 
premier  instant.  Voir  t.  i,  col.  1236.  En  fait,  il  y  a  eu, 
non  seulement  un  intervalle  entre  leur  création  et  leur 
chute,  mais  plusieurs,  qu'ils  aient  été  créés  ou  non 
dins  la  grâce,  ce  qui  est  problématique.  Ils  ont  commis 
plusieurs  péchés  d'espèces  différentes,  avant  d'être 
obstines  dans  le  mal.  Quant  à  l'objet  du  péché  de  Lu- 
cifer, Scot  estime,  à  rencontre  de  saint  Thomas,  que 
Lucifer  a  pu  désirer  égaler  Dieu,  non  pas  sans  doute 
d'un  vouloir  efficace,  qui  ne  pouvait  pas  se  réaliser, 
mais  d'un  simple  désir  de  concupiscence,  et  tanto  desi- 
quanto  concupiscerel,  si  essel  sibi  /lossibile.  En 
d'autres  termes,  il  n'a  pas  cherché  à  devenir  l'égal  de 
Dieu,  ce  qui  est  impossible;  il  l'a  cependant  parfaite- 
ment voulu.  Sa  volonté  est  demeurée,  en  fait,  une  vel- 
léité. On  dit  généralement  que  ce  premier  péché'  fut 
un  péché  d'orgueil.  Mais  l'ange  a  désiré  son  avantage, 
la  béatitude,  d'une  façon  immodérée  et  désordonnée,  en 
ant  l'amour  (!<■  soi  jusqu'à  la  haine  de  Dieu.  Sa 
faute  n'a  donc  pas  été  une  faute  d'orgueil  à  proprement 
parler,  il  n'a  pas  désiré  sa  propre  excellence  pour  elle- 
méme,  ted  propter  delectationem  quant  imporlabat. 
[uent,  sa  faute  se  rapporte  plutôt  à  la  luxure. 
Voir  t.  i.  col.  1239.  Il  a  faitplusîeui  successifs 

dont  il  aurai)  pu  se  repentir.  Il  a  débuté'  par  un  amour 
immi  i  il  a  consommé  sa  malice  par  la 

haine  de  Dieu,  parce  que  Dieu  résistai!  à  Bes  désirs. 

seulement  de  ce  dernier 
vienl  pas  di    Dieu,  - 1 1 1 <  .n  permissive. 
Dieu  ne  peul  p  ia,  donner  au 

■   a,i  resurgendum.  lu  f.iit  donc,  Satan 

est  dey<  nu   impénitent  el  il  demeure  nécessairement 

le  péché.  Cependant,  contrairement  à  l'opinion  de 

i  de    Henri    de  Gand,  il   peut    vouloir 

quelque  i,i.  n  ,  t  lain   di  -  actes  bons,  quoique  par  ma- 

complisse  probablement  aucun.  Il   \   a 

i  qu'il  puisse  se  disposer  à  la  grâce.  Il  peul  an  ritei 

ta  :  il  n'y  a  pas  de  répugnance  intrin- 

ii  mérite.  Sa  volonté  ne  veut  pa     uécessaire- 

I  le  mal .  i  Ile  ne  p'  m  pas  s  être  toujours  pou 

luoiqu'il  ne  pui  lire  un  acte  •  o 

m  point  de    ue  moral .  Il  ne  peut  ci 

peine,  mén     ai  i  idi  nti  lit    m 
■  ir  un  nouveau  demi  i  lu   Voii 
t.  i.  col.  i 
in    lu  puis  t  ut.  —  A  partii  de  o  tli 

ilisiin  ■  rtiennent à  1  école  domini* 

oii  iiiomi  t.    ou  bien    i  fi anciscaine  ou 

/.  au  wii  ,■  vj_ 

I  <  un 


système  intermédiaire,  en  empruntant  quelques  traits 
à  ses  prédécesseurs,  en  y  joignant  des  vues  person- 
nelles. Après  lui,  les  docteurs  adoptèrent  son  sentiment 
ou  reprirent  quelqu'un  de  ceux  qu'ii  avait  réfutés. 

1°  Suarez.  —  Il  a  consacré  deux  livres  entiers,  VII 
et  VIII,  de  son  traité  De  angelis  aux  mauvais  anges, 
étudiant  successivement  leur  chute  et  leur  faute,  puis 
leur  punition  el  la  guerre  qu'ils  font  à  Dieu  et  aux 
hommes.  Opéra  omnia,  Paris,  1856.  t.  n,  p.  791-1099. 
Il  est  de  foi  catholique  qu'il  existe  des  démons  ou  anges 
mauvais,  et  il  n'y  a  pas  eu  d'anges  terrestres  qui  au- 
raient engendré  les  géants.  Cf.  I.  I,  c.  vi,  n.  31.  C'est 
une  hérésie  des  manichéens  et  des  priscillianistes  de 
prétendre  que  les  anges  étaient  mauvais  de  leur  nature. 
Les  anges  sont  devenus  mauvais  par  leur  volonté  pro- 
pre; d'ailleurs,  aucune  créature  raisonnable  ne  peut 
être  créée  impeccable.  Voir  t.  I,  col.  1237.  Les  anges 
n'ont  péché  ni  par  ignorance  ni  par  inconsidération; 
ils  ont  pu  pécher  par  orgueil  et.  contrairement  à  ce  que 
pense  Duns  Scot,  ils  ont  réellement  péché  par  orgueil. 
Mais  Suarez  admet  avec  Scot  que  le  point  de  départ  de 
ce  péché  a  été  l'amour  désordonné  de  soi,  amour  à  la 
fois  d'amitié  et  de  concupiscence,  et  amour  de  sa  propre 
excellence  (dernier  point  que  Scot  déclarait  impossible). 
En  quoi  Lucifer  a-t-il  recherché'  et  désiré'  désordonné- 
ment  sa  propre  excellence'.'  Suarez  discute  les  diverses 
hypothèses  proposées  avant  lui,  et  d'abord,  celle  du 
désir  désordonné  de  la  béatitude  naturelle,  avec  les 
différentes  manières  de  l'expliquer.  Aucune  ne  peut 
rendre  compte  du  péché  d'orgueil,  qui  fut  celui  de  Lu- 
cifer; elles  lui  attribuent  d'autres  fautes,  la  pusillani- 
mité ou  la  paresse  en  face  de  la  béatitude  surnaturelle, 
OU  la  simple  complaisance  dans  la  béatitude  naturelle. 
Le  désir  désordonné  de  la  béatitude  surnaturelle  n'ex- 
plique pas  non  plus  la  chute  de  Lucifer,  qu'il  ait  voulu 
obtenir  cette  béatitude  par  ses  seules  forces  naturelles 
et  sans  la  grâce  de  Dieu,  ou  sans  l'avoir  méritée  ou 
encore  sans  avoir  pensé  à  la  mériter.  Ce  désordre  n'a 
-n,  iv  été'  possible  dans  l'intelligence  d'un  ange;  l'eût- 
il  été,  il  n'aurait  pas  constitué  un  péché  d'orgueil,  ni 
même  un  péché  grave.  I.  explication  de  Duns  Scot  n'est 
pas  plus  acceptable,  aux  yeux  de  Suarez.  que  celle  de 
saint  Thomas.  Il  en  discute  les  arguments.  La  velléité 
de  s'égaler  à  Dieu,  si  elle  a  existé,  ne  parait  pas  con- 
stituer une  faute  grave,  parce  qu'elle  porle  sur  une 
impossible,  à  laquelle  Lucifer  se  serait  complu 

en  passant.  On  ne  rendrait  sa  faute  grave  qu'en  suppo- 
sant qu'il  -  i  -i  déli  clé  dans  l'objet  de  cette  velléité  :  ce 
qui  sérail  possible  dans  un  ange  déjà  dépravé,  mais  ce 
qui  ne  peul  guère  constituer  le  premier  péché'  d'une 
intelligi  ace  non  encore  corrompue.  En  fait,  le  péché 
de  Satan  n'a  pas  été  mie  -impie  velléité,  mais  bien  un 
acte  de  volonté,  tendant  à  l'exécution.  Il  n'a  donc  pu 
se  porter  sur  le  désir  d'égaler  Dieu,  dont  la  réalisation 
était  impossible.  Suarez  adhère  ensuite,  comme  à  la  plus 
probable,  à  l'opinion  de  quelques  théologiens  récents, 
su  i  va  ni  laquelle  Lucifer  a  péché  en  désirant  désordon- 
némenl  l'union  hypostatique  du  Verbe  de  Dieu  avi 
nature  angélique.  Cette  opinion  est  admissible  seule- 
ment dans  l'hypothèse  que  Dieu  a  révélé  aux  anges  le 
mystère  de  l'incarnation,  hypothèsi  à  laquelle  se  rallia 
le  ihéolo)  "  n  espaj  ool,  tout  en  ■  apportant  divi  i 
modifications.  Lucifer  a  désiré  l'union  hypostatique  du 
Verbe  ■>\>,c  lui,  parce  qu'il  j  voyait  une  prééminence  à 
acquérir.  Il  a  donc  commis  li   |  rgueil  au  sujet 

de  la  divinité,  «pie  les  Pèrei   lui  reprochaient, 
commettre  aucune  erreur  d'appréciation,  puisque  la 
révélation  divine   lui   avait    appris    la    possibilité   de 
l'union  hypostatique.  II  a  inlon  i  omme 

ii n. .il.  à     i  n. Mm  ■    puis me  lui  étant  due. 

enfin  comme  lui  étant  reluséi  injustement  poui      ■ 
cordée  ■>  la  nature  humaine,    fouie  autre  excellet 
telle  que  celle  de  l'indépendance  relati ni  ■>  Dieu 


399       DÉMON  D'APRÈS  LES  SCOLASTIQUES  ET  LES  THÉOLOG.  POSTÉRIEl  RS 


WO 


ou  cpllf  de  l'ambition  <1<'  commander  aux  autres,  n'a 
pu  être  l'objet  de  l'orgueil  de  Lucifer,  puisqu'il  savait 
que,  comme  créature,  il  était  infiniment  au-dessous  de 
Dieu,  et  puisqu'il  avait  déjà  le  droit  de  commander  aux 
autres  anges,  auxquels  il  était  supérieur  par  les  dons 
de  la  nature  et  de  la  grâce.  Suarez  examine  ensuite 
quels  péchés,  autres  que  l'orgueil,  Lucifer  a  pu  com- 
mettre, tandis  qu'il  était  encore  in  via,  et  il  lui  attribue 
divers  péchés  d'orgueil,  la  présomption,  l'ambition,  la 
vaine  gloire,  puis  l'envie  contre  le  Christ,  devant  s'unir 
hypostatiquement  à  l'humanité,  pas  toutefois  l'impa- 
tience, mais  plus  probablement  la  colère  et  la  haine 
contre  le  Christ  et  contre  le  genre  humain,  et  d'autres 
péchés  encore.  Quant  à  la  condition  première  de  Lu- 
cifer avant  sa  chute,  il  n'appartenait  pas  aux  ordres 
inférieurs  de  la  hiérarchie  angélique;  il  était  de  l'ordre 
des  séraphins,  qui  est  le  plus  élevé;  il  n'était  pas  ce- 
pendant le  plus  parfait  de  cet  ordre,  et  Michel,  par 
exemple,  pouvait  être  son  égal. 

Il  est  de  foi  que  beaucoup  d'anges  ont  péché,  et  il  y 
en  eut  de  tous  les  ordres.  Leur  nombre  fut  grand, 
inférieur  cependant  au  nombre  des  anges  demeurés 
fidèles.  Ils  ont  été  induils  au  péché  par  Lucifer,  non 
pas  seulement  par  l'exemple,  mais  par  la  persuasion, 
exprimée  en  paroles.  Voir  t.  i,  col.  1240.  Us  n'ont  pas 
péché  par  concupiscence,  dont  ils  sont  incapables, 
cf.  1.  I,  c.  v,  mais  par  orgueil.  Leur  orgueil  n'a  eu 
pour  objet  ni  la  béatitude  naturelle  ni  la  béatitude 
surnaturelle;  il  n'a  pas  été  non  plus  l'assentiment  au 
péché  de  Lucifer,  qu'il  soit  le  désir  de  l'indépendance 
ou  celui  de  la  domination,  mais  l'assentiment  à  son 
désir  de  l'union  hypostatique.  Comme  lui,  ils  jugèrent 
que  cet  honneur  aurait  dû  être  réservé  à  l'un  d'eux,  à 
leur  chef.  Lucifer  leur  en  avait  donné  la  persuasion. 
Mais  s'il  a  péché  avant  eux  (selon  notre  .manière  de 
concevoir  le  temps),  ils  sont  tombés  tous  ensemble. 
Le  péché  des  anges  supérieurs  a  été  plus  grave  que 
celui  des  anges  inférieurs,  parce  qu'ils  étaient  plus 
instruits  et  plus  forts.  Il  a  été  commis  dans  le  ciel,  où 
ils  avaient  été  créés,  et  aucun  n'a  pu  le  faire  au  pre- 
mier instant  de  sa  création  (nonobstant  tous  les  argu- 
ments contraires,  que  Suarez  discute  longuement),  ni 
aussitôt  après  sa  création  (in  secundo  instanti),  sans 
qu'il  y  ait  eu  quelque  intervalle,  au  moins  très  court. 
Si  les  anges  ont  été  créés  au  commencement  du  pre- 
mier jour  de  la  création,  il  est  plus  probable  aussi 
qu'ils  ont  péché  le  même  jour,  et  que  l'intervalle  entre 
leur  création  et  leur  chute  n'a  compris  qu'une  partie 
de  ce  jour. 

Tous  les  anges  pécheurs  sont  damnés  et  aucun  d'eux 
n'a  fait  pénitence.  Ils  avaient  eu  cependant  un  très  court 
répit  pour  se  repentir;  mais  quoiqu'ils  aient  pu  le 
faire,  qu'ils  en  aient  eu  la  liberté,  qu'ils  aient  même 
reçu  un  secours  suffisant,  ils  ont  manqué  du  secours 
spécial,  qui  leur  était  moralement  nécessaire  pour  ne 
pas  s'endurcir,  et  ils  se  sont  endurcis  moralement,  par 
leur  faute.  Dieu  n'était  pas  tenu  de  leur  accorder  un 
répit  plus  long  ou  un  secours  plus  grand.  "Voir  t.  i, 
col.  1210.  Ils  ont  été  damnés  aussitôt  après  leur  obsti- 
nation volontaire,  et  leur  damnation  n'a  pas  été  réser- 
vée au  jour  du  jugement.  Suarez  ne  trouve  même  pas 
le  sentiment  contraire  exprimé'  par  les  Pères  ni  par 
aucun  auteur  catholique.  Dien  que  les  démons  soient 
punis  par  l'aveuglement  de  l'esprit,  ils  ont  cependant 
gardé  leur  intelligence  naturelle,  mais  ils  sont  privés 
de  toute  connaissance  surnaturelle.  Leur  obstination 
dans  le  péché  rend  impossible  toute  réintégration  dans 
leur  premier  état;  ils  sont  dans  l'incapacité  de  se  re- 
pentir et  ils  ne  peuvent  accomplir  aucun  acte  bon  ou 
honnéle;  telle  est  la  véritable  cause  de  leur  obstina- 
tion. Ils  sont  tourmentés  par  un  feu  corporel  et  sen- 
sible, qui  agit  sur  eux  physiquement  el  matériellement 
leur  causant  une  douleur  réelle,  et  non  per  alligatio- 


>ient  solum.  Malgré  la  tristesse  que  ces  souffrances 
ipportent,  ils  peuvent  goûter  quelque  petite  joie 
sensible.  L'enfer  souterrain  est  le  lieu  de  leurs  tour- 
ments. Tous  sont  destinés  à  y  souffrir.  Quelques-uns 
n'en  sortent  jamais.  Quelques  autres  vivent  dans  l'air 
pour  tenter  les  hommes  jusqu'à  la  fin  du  monde.  Ils  \ 
souffrent  néanmoins  la  peine  du  feu.  non  pas  parce 
qu'ils  portent  avec  eux  une  partie  de  ce  feu,  dans 
laquelle  ils  seraient  enfermés  et  à  laquelle  ils  seraient 
unis,  mais  parce  que  le  feu  de  l'enfer,  rendu  par  Dieu 
capable  de  brûler  un  esprit,  a  reçu  aussi  la  puissance 
d'agir  à  distance  par  un  contact  virtuel.  Les  anges,  qui 
sont  dans  l'air,  peuvent  descendre  à  tour  de  rôle  dans 
l'enfer.  Il  est  probable  que  Lucifer  lui-même  est  main- 
tenant enchaîné,  réservé  qu'il  est  pour  les  combats  des 
derniers  temps.  Tous  les  anges  déchus  sont  sous  la 
domination  du  chef,  qu'ils  ont  suivi  et  qu'ils  ont  libre- 
ment choisi.  Il  n'est  donc  pas  un  l\ran  qui  les  domine 
et  qui  leur  impose  ses  volontés,  mais  il  ne  peut  non 
plus  être  privé  de  sa  principauté  par  une  rébellion  des 
anges  inférieurs.  Il  est  probable  aussi  qu'il  y  a,  parmi 
les  démons,  d'autres  chefs  intermédiaires,  chargés 
d'oflîces  différents  et  gradués.  Ces  charges  ne  provien- 
nent ni  de  la  nature  ni  de  l'élection;  plus  probable- 
ment elles  sont  une  peine  infligée  par  Dieu  aux  dé- 
mons les  plus  coupables.  Les  ministères  ne  diffèrent 
pas  suivant  l'objet  des  tentations,  mais  plutôt  d'après 
les  personnes  à  tenter,  et  chaque  homme  a  probable- 
ment, dès  le  moment  de  son  animation,  un  démon 
spécialement  chargé  de  le  tenter.  Chaque  démon  peut 
interrompre  momentanément  ses  tentations,  surtout 
lorsqu'il  est  vaincu.  Mais  il  est  peu  probable  que  Luci- 
fer ou  un  autre  chef  interdise  à  un  subordonné  négli- 
gent de  continuer  à  tenter.  Dieu  plutôt  peut  obliger  le 
démon  à  s'éloigner  pour  un  temps.  Les  chefs,  préposés 
peut-être  à  une  cité,  à  une  province,  à  un  pays,  inter- 
viennent directement,  lorsque  leur  intervention  est 
nécessaire;  mais  ils  excitent  toujours  leurs  inférieurs 
à  la  lutte,  en  les  instruisant  et  en  les  appliquant  à 
tenter  tel  ou  tel  individu.  Finalement,  servata  propor- 
tione,  on  peut  dire  de  l'action  des  chefs  des  démons  et 
de  celle  des  bons  anges  sur  les  démons  la  même  chose 
que  de  celle  des  bons  anges  les  uns  sur  les  autres. 
Voir  t.  i,  col.  1244-1245.  La  seule  différence  consiste 
en  ce  que  les  bons  anges,  s'ils  envoient  les  démons,  les 
envoient  seulement  pour  inlliger  une  peine  juste  et 
méritée,  tandis  que  les  chefs  des  démons  envoient  leurs 
subordonnés  pour  induire  au  péché. 

.1.  Schwane,  Histoire  des  dogmes,  trad.  Degert,  Paris,  1903, 
t.  iv,  p.  331-338;  J.  Turmel,  Histoire  de  l'angélologie.  dans  la 
Revue  d'histoire  et  de  littérature  religieuses,  1899,  t.  îv, 
p.  289-309,  537-550. 

E.  Mangknot. 

2°  Enseignement  commun  des  docteurs.  —  Après 
Suarez,  il  n'y  eut  plus  guère  d'opinion  nouvelle  au 
sujet  des  démons,  sinon  sur  quelques  points  de  détail. 
Les  théologiens  postérieurs  se  bornèrent  à  choisir 
parmi  les  opinions  précédentes  celles  qui  leur  parais- 
saient les  plus  probables. 

I.  Chute  de  Satan  et  des  démons.  —  Tous  l'attri- 
buent à  l'orgueil.  Quant  à  l'objet  du  péché  d'orgueil, 
les  avis  continuèrent  à  être  partages.  Les  thomistes 
restèrent  attachés  au  sentiment  de  saint  Thomas. 
Quelques  scotistes  cependant  se  rangèrent  à  celui  de 
Suarez  et  expliquèrent  la  chute  par  le  désir  de  l'union 
hypostatique.  Ainsi Frassen.  Voir  1. 1,  col.  1239.  Estius. 
In  IV  Soit..  1.  11.  dist.  VI,  s  6,  Paris.  1662,  t.  II, p.  iô. 
adopte  le  sentiment  de  DunsScot.  Voir  Salmanlicenses, 
Cursus  théologiens,  tr.  VII,  De  angelis,  disp.  X. 
dub.  i-vin.  n.  1-279,  21  in-8»,  Paris.  1877-1883,  t.  rv, 
p.  555-684;  Petau,  Dogmata  iheologica,  tr.  De  angelis, 
l.  III,  c.  n.  n.  8,  t.  iv,  p.  65-74  :  Palmieri,  De  Dea 
créante  et  ri, Tante,  part.  11.  c.  n,  a.  2.  thés,  i  ix.  in-8  , 


401 


DÉMON  D'APRÈS  LES  SCOLASTIQUES  ET  LES  THÉOLOG.  POSTÉRIEURS 


402 


Rome,  1878,  p.  444-446;  Mazzella,  De  Deo  créante, 
disp.  II,  a.  8,  §  1,  n.  429-433,  in-8»,  Rome,  1880,  p.  295- 
298.  ^ 

2.  Le  chef  des  révoltes.  —  On  le  tient  généralement 
pour  le  plus  élevé  de  tous  les  esprits  angéliques,  ou  au 
moins  pour  l'un  parmi  les  plus  élevés.  Salmanticenses, 
Cursus  théologiens,  tr.  VII,  De  angelis,  disp.  XII, 
(lui),  m,  a.  7,  n.  1-3,  t.  iv,  p.  758  sq.  ;  Petau,  Dogmata 
theologica,  tr.  De  angelis,  1.  III,  c.  m,  n.  1-8,  t.  iv, 
p.  74-79;  Palmieri,  De  Deo  créante  et  élevante,  pari.  \\\ 
c.  il.  a.  2,  thés,  i.x,  n.  5,  p.  453  sq. 

3.  Le  nombre  des  révoltés.  —  Il  fut  très  considérable, 
sans  qu'on  puisse  le  tixer  au  juste. 

Ces  ^  révoltés  appartiennent  très  probablement,  sui- 
vant l'opinion  commune,  aux  divers  degrés  de  la  hié- 
rarchie angélique.  Qu'il  y  ait  eu  des  défections  dans 
tous  les  ordres  et  dans  tous  les  degrés,  on  le  conclut 
de  divers  passages  de  l'Écriture.  Rom.,  vnr,  38,  saint 
Paul  désigne  parmi  les  démons  :  des  anges,  des  prin- 
cipautés, des  vertus;  ailleurs,  des  archanges  et  des 
puissances.  Epi,.,  vi.  12.  CI.  I  Cor.,  xv,  24.  Ézéehieldit 
de  même  qu'il  y  eut  des  chérubins  tombés,  xxvm, 
li.  16.  Salmanticenses,  Cursus  théologiens,  tr.  Vil' 
Dr  angelis,  disp.  XII,  dub.  m,  q.  i,xm,  a.  9,  n.  1  Sq.] 
t.  iv,  p.  761;  Petau,  Dogmata  theologica,  tr.  De  an- 
gehs,  1.  III,  c.  in,  n.  7,  t.  iv,  p.  78. 

'/.  Durée  de  l'épreuve.  -  Il  est  impossible  de 
savoir  combien  de  temps  a  duré  l'épreuve  à  laquelle 
fuient  soumis  les  anges.  Les  esprits  purs,  ançes  ou 
(binons,  étant  indépendants  du  lieu  et  de  l'espace  ne 
vivent  pas  dans  le  temps,  comme  l'homme.  Leur  exis- 
tence oe  saurait  donc  se  mesurer,  comme  on  mesure 
la  nôtre,  en  comptant  les  heures,  les  jours  ou  les 
années.  Les  théologiens  distinguent,  dans  la  vie  des 
*s,  plusieurs  instants  ou  périodes  indéterminées  en 
mais  différentes  des  autres  périodes  par 
les  actes,  ou  séries  d'actes  qui  les  caractérisent  Le 
premier  instant  est  celui  de  la  création  des  anges  et  de 
leur  sanctification  première  par  l'infusion  de  la  grâce 
sanctifiante  et  des  dons  surnaturels  qui  l'accompagnent. 
Puis,  vient  l'instant  ou  période  d'épreuve.  Ensuite  la 
correspondance  des  bons  à  la  grâce  par  leur  acquies- 
cement a  la  volonté  de  Dieu,  el  l'infidélité  «les  mauvais 
par  leur  révolte  contre  le  Maître  suprême.  Enfin,  le 
quatrième  instant  est  celui  de  la  récompense  des  bons 
par  le  bienfait  de  la  béatitude  céleste  et  la  punition 
n  l'éternelle  damnation. 
f:i'  :  ces  périodes  fut,  ■  >,,  „,i.  ce  qu'elle  devait 

Par  rapporl  an  résultat  produit.  .Mais  il  non 
impossible  d'avoir  nu.'  notion  exacte  de  sa  duré 

''  ' ['""',  à  l'une    des    mesures  qui  nous  servent 

Poui  Salmanticenses,  Cursus  théo- 

logiens, tr.  Ml.  Dr  angt  ,  disp.  \ll.dnb.  r-m,  ,,.  I  86, 
i.  iv.  p.  720-738;  Petau,  Dogmata  theologica,  tr.  De 
';""';'■  '  '".<:■  i«.  "•  H-I8,  t.  iv,  p. 79-82;  Palmieri, 
ue    Ueo   créante    el    élevante,    pari     II     c     n    a    2 

')■  P-  "«-*«;  Mazzella,  De  D  te,  dira'.  IL 

n.  'ri:,,  p.  291  sq. 

itë  du  péché  commis  par  les  dé,, m,, s   dans 
D,    l'a  ,    de   tout    I, 

nd    Cela  n    sort  à  la  fois  de     i 
n    que  l'Écriture  donne  a»  dén 
'l""'  'es  démons  rurenl  el  seronl  éten 
:  ''"  "a  nature  même  des  démons.  Parmi 
iges  l'emportaient  par 
Le  péchi  det  rebelles 
ne  une  plus  grande  malii  tavecplus 

■       ur  volonté  libi 
tau  mal. 

1  "  •"  ""  '  iule 

atténuante,  comm< 
lw ■''■'"-  I  Wam  etd'l  ve.  n  a  péché  di 


son  propre   mouvement  et  non  sous  l'impulsion  d'un 
autre,  et  c'est  pourquoi  il  est  demeuré  dans  sa  faute; 
tandis  que    l'homme  qui    n'a  pas  péché  de   lui-même, 
mais  à  l'instigation  du  démon  tentateur,  a  obtenu  de 
Dieu  les  moyens  de  se  repentir  et  de  réparer  sa  faute 
avec  la   grâce  du   Christ   médiateur.    Néanmoins,   les 
anges  qui  ont  péché,  entraînés    par  Lucifer,  ne  sont 
pas  excusables  comme  l'homme,  qui  a  été  tenté  par  un 
être  supérieur  à  sa   nature.  Aussi  les   anges  coupables 
ont-ils  tous  été  punis,  aussitôt  après  leur  péché,  et  ils 
ne    peuvent    faire    pénitence.     Salmeron    cependant, 
In  II  Episl.  Pétri,  disp.  III,  dub.  ni,  a  pensé  que  les 
démons  pouvaient  faire  pénitence  et  que  Dieu  avait  été 
disposé  à  leur  accorder  le  pardon.  Il  interprétait  dans 
ce  sens  II  Pet.,n,4,et  il  concluait  qu'avant  de  les  expul- 
ser du  ciel,  Dieu  avait  accordé  aux  anges  rebelles  un  assez 
long  répit.  Cf.  Suarez,  De  angelis,].  VIII,  c.  i,  n.6-8sq., 
t.  n,  p.  960.  Il  ne  les  aurait  condamnés  définitivement 
qu'après  leur  refus  de  venir  à  résipiscence,  et  le  mé- 
pris avec  lequel  ils  auraient  rejeté  les  moyens  de  con 
version  et  de  salut  qu'il  leur  offrait.  Mais  cette  opinion 
singulière  est  opposée  au  sentiment  presque  unanime 
des  saints  Pères    et  des  théologiens,  qui   interprètent 
différemment  ces  paroles  de  saint  Pierre,  et  pensent 
que  le  répit,  s'il  a  été  donné,  a  été  de  très  courte  durée. 
D'autres  vont  même  plus  loin,  et  enseignent  que  Dieu 
n'a  pas  pu  vouloir  pardonner  aux  démons,  car,  vu  leur 
nature  uniquement  spirituelle,  exemple  de  cette  mobi- 
lité de   volonté  que  l'àme  humaine  tient  de  son  union 
au  corps,  quand  ils  se  sont  déterminés  librement  à  un 
acte,  leur  volonté  y  adhère  avec   tant  de  force  qu'elle 
ne  peut  plus  s'en  détacher.  Après  avoir  péché,  ils  no 
peuvent  donc  plus   se  repentir,  et,  par  suite,  Dieu  ne 
peut  leur  pardonner.    Salmanticenses,  Cursus  tkëolo- 
gicus,  tr.  VII,  De  angelis,  disp.    XIII,  dub.    i,   S  2-9, 
n.6-33,  t.  iv,  p.  766-778;  Petau,   Dogmata  theologica, 
tr.  De  angelis,  1.  III,  c.  m,  n.  18,  t.  iv,  p.  82  sq. 

Tous  les  théologiens  cependant  n'admettent  pas  chez 
les  démons  cette  impossibilité  radicale  de  se  repentir, 
après  que  leur  volonté  a  adhéré' au  mal.  Quoique  in- 
comparablemenl  plus  intelligents  que  les  hommes,  les 
démons  el  les  anges  ne   sont  pas    néanmoins    omni- 
scients.  Ils  pourraient  donc, ce  semble,  en  considérant 
de    nouveaux    motifs   qu'ils    n'auraient     pas    envisagés 
d'abord,  tourner  leur  volonté  d'un  objet  vers  un  autre. 
Cf.  Suarez,  De  angelis,    1.  III,   c.    x,    n.  5  sq.,  Opéra 
onmia,  t.   n.  p.  404   sq.  Ce  ne  serait  donc  pas  à  cause 
de  l'impossibilité  intrinsèque  el  essentielle  de   se  re- 
pentir, dans  laquelle  ils   se  trouvaient,  que   Dieu  n'a 
point  pardonné  aux  démons  après  leur  chute;  mais  ce 
serait  parce  que,  vu  l'énormité  de  leur  faute,  beaucoup 
plus  grave   et    beaucoup  moins  excusable   que  celle   de 
l'homme  pécheur,  Dieu  avail  décrété  de  ne  leur  accor- 
der ni  le  temps,  ni  la   grâce  de  la  pénitence,  suivant 
l'enseignement  des  saints  Pères  ci  lés  plus  haut.  Sal- 
manticenses, Cursus  theologicus,  tr.   VII.  De  angelis, 
disp.  Mil.  dub.  îx-xn.  t.  iv.  p.  778-787;  Mazzella,   De 
Deo  créante,  disp.  Il,  a.  s,  §  2,  n.  142-444,  p.  303-306. 
6.  Suture  <lrs  démons  u),r.  s  lu  chute.  —  Si.  par  leur 
révolte,  les  dénions  perdirent   à  jamais   la   béatitude 
Me  ri,  avec  elle,  hais  les  dons  surnaturels  qu  Ils 
ayaienl  reçus  au  moment  d.'  leur  création,  ils  ne  | 
dirent  pas  cependant    les  qualités  essentielles  a  leur 
nature. 
"    l.a  spiritualité  des  anges  avail  été  nettem 

Il (as.    voir  I.    I.   COl.    1230,   ri   par  le 

N    le  du  Latran,  >in,i..  ,-,,].  [288.  On    ne  i  tu  rail 

donc  l.  nner  de  voir,  au    xvr  Siècle,  le  cardinal 

Cajetan,  apn    avoirdéfendu  la  doctrine  du  do 

g<Wqu  ,    théolo- 

fi"i'"'.  prô| n  corpon  it<   di  -   démons,  dans 

commentaires  sur  l<     Êpltn     de  uînl  I'  ml. 
don/'  ird,  comme  il  eu  i 


4(13       DÉMON  D'APRÈS  LES  SCOLASTIQUES  ET  LES  THÉOLOG.  POSTERIEURS       404 


Voir  Cajetan,  t.  ri,  col.  1321,  1325.  Crediderim  ego  dœ 
mones  esse  spiitnus  iereos,  et  id  consonare  verse  phi- 
losophiœ  rationi,  ut  quemadmodum  invenitur  vege- 
tativum  sine  sensilivo,  et  sensitivum  sine  tecundum 
locum  motivo,  et  intellectinum  sine  secundum  locum 
motivo;  ita  inveniatur  seau/dam  locum  molivum 
sine  sensilivo,  quod  est  ponere  BUJUS  mohi AEREOS &P(- 
imis,  constantes  ex  intellectivo  et  secundum  locum 
motivo.  Et  est  sermo  de  motu  progressivo,  absqne 
sensilivo.  Verum  appellatione  aeris,  non  intelligo  ele- 
mentum  aeris,  sed  SUBTILE  CORPUS,  nostris  sensibus 
ignotum;  corpus  simplex  et  incorruptibile;  natum 
moveri  localiter  ab  anima  ad  omnes  différentiels  po- 
sili07iis,  absejue  pugnanlia  aliqva  ex  nalura  corporis 
...ut  nullus  labor  inveniatur  in  motu  illo.  Comment, 
in  Epist.  ad  Eph.,  c.  II. 

Cette  opinion  singulière  de  Cajetan  ne  trouva  aucun 
adepte,  et  il  est,  dans  l'ordre  des  temps,  le  dernier  des 
théologiens  de  quelque  valeur,  ayant  attribué  aux  dé- 
mons un  corps  matériel,  fùt-il  d'une  nature  inconnue. 
Aujourd'hui  la  spiritualité  absolue  des  démons,  aussi 
bien  que  celle  des  anges  fidèles,  est  considérée  comme 
certaine  et  il  y  aurait  témérité  à  prétendre  que  les 
démons  ont  un  corps  éthéré,  aérien,  igné  :  en  un  mot, 
matériel,  quelque  subtil  qu'on  le  suppose.  Voir  t.  i, 
col.  1268-1269. 

b)  Intelligence  des  démons.  —Elle  fut  obscurcie,  en 
quelque  façon,  par  la  soustraction  des  lumières  surna- 
turelles, provenant  de  la  grâce;  mais  non  par  la  priva- 
tion des  lumières  naturelles  de  leur  entendement,  car 
celles-ci  leur  sont  restées  entières. 

c)  Volonté  des  dénions.  —  S.  Thomas,  Sum.  theol., 
Ia,  q.  LXIV,  a.  2.  Elle  est  tellement  obstinée,  endurcie 
et  confirmée  dans  le  mal,  qu'ils  ne  peuvent  réellement 
accomplir  aucun  bien. 

Les  démons,  dans  tous  leurs  actes,  ne  cherchent  et 
ne  veulent  que  le  mal.  Si,  parfois,  un  de  leurs  actes 
parait  bon  en  soi,  il  est  toujours  vicié  par  quelque 
circonstance  mauvaise.  Quand  les  démons  disent  la 
vérité,  par  exemple,  c'est  pour  mieux  tromper  ensuite. 
Quand  ils  confessaient  la  divinité  du  Christ  sur  la  terre, 
ce  n'était  pas  pour  lui  rendre  gloire,  et  lui  attirer  des 
adorateurs,  mais  pour  mieux  le  combattre.  Les  démons, 
en  elfet,  selon  la  doctrine  de  saint  Thomas,  ne 
peuvent  faire  des  actes  qu'en  les  conformant  à  la  lin 
qu'ils  se  sont  proposée  dans  leur  révolte  première,  car 
ils  y  ont  adhéré  de  toutes  les  forces  de  leur  être,  au 
point  que,  depuis  lors,  ils  n'en  peuvent  vouloir  une 
autre.  Or,  cette  fin  est  perverse  en  soi  :  c'est  la  guerre 
à  Dieu,  et,  par  suite,  à  tout  ce  qui  est  bien.  Donc,  tous 
leurs  actes,  d'une  façon  ou  d'une  autre,  sont  dirigés 
vers  le  mal. 

Pour  infirmer  cet  argument.  Vasque/.,  Commentarii 
et  disputationes  in  l"m  partent  Summse  theologicse 
sancti  T/iomse,  disp.  CCLXXXIX,  dit  que,  si  cette  raison 
était  fondée,  on  aurait  le  droit  d'en  conclure  que,  sur 
la  terre,  tout  homme  en  état  de  péché  mortel  ne  peut 
rien  faire  de  bon  moralement,  et  pèche  dans  tous  ses 
actes.  Mais,  comme  le  remarquent  les  Salmanticenses, 
Cursus  theologicus,  tr.  VII,  De  angelis,  disp.  XIII, 
duh.  il,  §  2,  n.  60  sq.,  t.  IV,  p.  788  sq.,  cette  conclu- 
sion, vraie  des  damnés  en  enfer,  est  fausse  pour  les 
hommes  qui,  vivant  encore  sur  terre,  n'adhèrent  pas 
au  mal  d'une  manière  inllexible,  comme  les  démons, 
carils  peuvent  encore  s'en  détourner.  lien  est  différem- 
ment après  la  mort.  Comme  le  répète  très  souvent 
saint  Thomas,  le  péché,  une  fois  commis,  est,  pour  1rs 
purs  esprits,  ce  que  la  mort  est  pour  l'homme.  Après  la 
chute,  le  péché  fait,  en  quelque  sorte,  partie  de  ia 
nature  des  démons,  et  n'en  est  plus  séparable.  Hoc 
ipso  quod  dmmon  adhmreat  indeclinabiliter  ullimo 
fini  perverso,  illa  adhœsio  QUODAMMOD0  PBRTITUR  fA 
n  i//  n\  1/   akgeli.  El  ideo  oporlet,  ut  sicut  in  quovis 


actu  angelico  débet  quodammodo  splendere  propria 
nalura  angelica;  ita  etiam  Hrix  adhxsio- 

uis,  atque  adeo  quivis  actu»,  vel  erit  ipsa   adh  ■ 
sive   volitiit   perverti    finis,    vel   aliqua    parlicipatio 

illius.  Luc  cit.,  n.  61,  t.  iv,  p.  789. 

7.  Châtiment.  —  En  punition  de  leur  révolte,  les 
démons  ont  été  condamnés,  pour  l'éternité,  à  la  double 
peine  du  dam  et  du  feu. 

a)  La  peine  du  dam.  —  C'est  incomparablement  la 
plus  terrible  de  toutes  les  peines  de  l'enfer,  et,  auprès 
d'elle,  le  tourment  même  du  feu  éternel,  si  atroce 
soit-il,  n'est  presque  rien.  Voir  Dam,  col.  9-11.  Mais  si 
cette  peine  du  dam  est  si  épouvantable,  comment  les 
démons  peuvent-ils  garder  assez  de  liberté  d'esprit, 
pour  tenter  les  hommes  sur  la  terre,  les  tromper,  et 
travailler  avec  tant  de  persévérance  et  d'habileté  à  leur 
perdition?  Les  sentiments  que  les  démons  manifestent 
parfois  durant  les  exorcisines  paraissent  davantage 
encore  opposés  à  la  douleur  de  leur  damnation.  Ils 
ricanent,  ils  rient,  et  se  moquent  des  assistants.  Satan 
prend  plaisir  à  être  adoré.  C'est  à  lui  qu'étaient  dressés 
les  temples  consacrés  autrefois  aux  faux  dieux.  Mainte- 
nant encore,  là  où  la  lumière  de  l'Evangile  n'a  pas 
dissipé  les  épaisses  ténèbres  du  paganisme,  il  règne, 
et  il  tient  à  garder  son  empire.  Au  sein  même  des 
nations  chrétiennes,  que  d'ellorts  ne  fait-il  pas  pour 
reconquérir  le  terrain  perdu?  Ces  préoccupations  et  ces 
goûts  ne  paraissent  guère  compatibles  avec  la  torture 
épouvantable  que  subissent  les  damnés,  et  que  doit 
endurer  surtout  le  prince  des  légions  infernales,  le 
plus  coupable  et  le  plus  châtié  de  tous  les  maudits.  La 
peine  du  dam,  plus  terrible  que  le  feu  même  de  l'enfer, 
ne  fait  donc  pas  tant  soulfrir  les  démons. 

Si  une  douleur  intense  suspend  les  opérations  de  nos 
facultés,  même  intellectives,  parce  que  notre  intelligence 
et  notre  volonté  ont  besoin  du  concours  des  oix 
corporels  même  pour  les  opérations  qui  leur  sont 
propres,  il  n'en  est  pas  ainsi  des  purs  esprits,  ni  des 
âmes  séparées  de  leur  corps.  Leur  mode  de  souffrir 
est  très  différent  du  notre  dans  l'état  présent,  et  la 
peine  du  dam  n'enlève  aux  démons  ni  leur  activité 
naturelle,  ni  une  certaine  joie  à  faire  le  mal. 

b)  La  peine  du  feu.  —  Sur  la  nature  de  ce  feu,  et 
sur  la  manière  dont  il  peut  torturer  de  purs  esprits, 
voir  Enfer.  On  enseigna  communément  que  les  démons, 
qui  sont  répandus  dans  l'air,  y  éprouvent  la  peine  du 
feu.  Cajetan  et  Melchior  Cano,  In  l:'m  part.  Sum.  theol., 
q.  xciv,  a.  4,  pensèrent  cependant  que  ce  supplice  leur 
était  réservé  pour  l'époque  qui  suivra  le  jugement 
dernier.  Toutefois  Cano  pensait  que  les  démons  les 
plus  coupables  restaient  continuellement  en  enfer,  et 
que  les  moins  coupables  demeuraient  dans  l'air  pour 
tenter  les  hommes  sans  être  alors  soumis  à  la  peine  du 
feu.  Le  cordelier  Feuardent  rappela  que  saint  [renée 
et  les  premiers  Pères  disaient  que  le  diable  ignorait 
sa  condamnation  avant  la  venue  de  Jésus-Christ.  Bel- 
larmin,  De  béatifie,  et  canonisai,  sanctorum,  c.  vi, 
Controvcrs..  IV"  controv.,  1.  1.  Milan.  1721.  t.  n.  p. 635, 
déclara  que  saint  Justin,  saint  [renée,  saint  tpiphane 
et  Œcuménins,  qui  l'ont  prétendu,  se  sont  trompés. 
Mais  Maldonat  et  Petau  reconnurent  que  la  plupart  des 
anciens  avaient  ajourné  le  supplice  de  l'enfer  pour  les 
démons  après  le  jugement,  Petau  tenait  cependant  l'o- 
pinion opposée  pour  vraie,  parce  qu'elle  a  prévalu  dans 
l'Église,  l'.slius,  In  1  \r  Sent.,  1.  II,  dist.  VI.  §  12.  t.  n, 
p.  .">:!,  rejette  aussi  le  sentiment  des  anciens.  11  n'admet 
pas  que  Satan  suit  lie'  des  maintenant  et  ne  puisse  venir 
sur  terre;  et  il  semble  dire  qu'il  est  ordinairement  dans 
l'air,  quoiqu'il  descende  parfois  en  enfer  et  \  passe 
quelque  temps  entre  deux  missions.  Quant  à  la  manière 
dont  les  démons  subissent  sur  terre  la  peine  du  feu, 
on  se  rallia  on  bien  au  sentiment  de  saint  Tho- 
mas, Billuart,    De  angelis,  diss.  VI,  a.  3.  §  2,   L\on, 


405       DÉMON  D'APRÈS  LES  SCOLASTIQUES  ET  LES  THÉOLOG.  POSTÉRIEURS        406 


1839,    t.  ii,  p.  217,  219,    ou   bien    à  celui  de    Suarez. 

8.  Hiérarchie  des  démons.  —  Les  théologiens  main- 
tinrent le  sentiment  de  Suarez  sur  le  principat  de  Satan 
et  sur  les  chefs  intermédiaires  entre  lui  et  les  démons 
inférieurs.  Voir  Mazzella,  De  Deo  créante,  disp.  II,  a.  9, 
§  2.  p.  465.  p.  323  sq. 

9.  Action  des  dénions  sur  les  hommes.  —  Les  démons, 
sortant  de  l'enfer  et  venant  sur  la  terre  pour  faire  la 
guerre  aux  hommes  et  les  entraîner  à  leur  perte- 
peuvent  leur  nuire  de  plusieurs  façons  :  a)  en  les  pous- 
sant au  péché  par  la  tentation;  b)  en  les  affligeant  de 
divers  maux;  c)  en  leur  procurant  certains  avantages 
matériels  pour  mieux  les  séduire;  d)  en  usurpant  auprès 
d'eux  la  place  de  Dieu  et  en  s'imposant  à  leur  adoration. 

a)  L'office  principal  des  démons  sur  la  terre  est  de 
tenter  les  hommes.  Voir  Tentation. 

b)  Les  démons  peuvent  aussi  nuire  aux  hommes, 
en  les  affligeant  de  divers  maux.  —  Souvent  ce  n'est 
là,  de  leur  part,  qu'une  forme  spéciale  de  tentation. 
S'ils  font  souffrir  les  hommes,  c'est  pour  les  faire 
tomber  en  des  péchés  d'impatience,  de  murmure 
contre  Dieu,  de  colère,  de  blasphème,  de  découragement, 
et  même  de  désespoir.  Dieu  le  permet,  pour  faire 
éclater  davantage  la  vertu  de  ses  élus,  comme  il  le 
permit  pour  Job,  car  l'Écriture  attribue  à  l'esprit  mau- 
vais tous  les  maux  que  ce  saint  homme  eut  à  souffrir. 
Cf.  Job,  I,  6,  8,  10;  II,  5,  7  sq.  Quelquefois  aussi,  Dieu 
se  sert  de  cette  milice  des  démons  pour  châtier  les 
pécheurs.  Dans  les  maux  dont  ils  aflligent  leurs  vic- 
times, ils  ne  sont  alors  que  les  instruments  de  sa 
justice.  C'est  pour  un  motif  de  ce  genre,  semble-t-il, 
que  Ir  démon  Asmodée  put  mettre  à  mort,  les  uns 
après  les  autres,  les  sept  maris  de  Sara,  fille  de  Haguel. 
Tob.,  m.  H. 

L'Évangile  affirme  qu'une  foule  de  maladies,  dont  il 

fait  mention  fréquemment,  étaient  l'œuvre  du  démon. 

Matlh.,  xii,  22:  xvil,  11   sq.  Voir   DÉMONIAQUES.  Aussi 

ins  beaucoup  de  ses  bénédictions,  par  exemple 

celles  de  l'eau,  du  sel.  des  saintes  huiles,  commence 

par  des  exorcismes,  el  demande  ensuite  que,  par  ces 

objets  dont  elle  a  chassé  le  démon,  les  fidèles  soient 

de   ses    funestes    atteintes.    Cf.    Suarez,    De 

lis,  I.  VIII,   c.    xx.  t.   il,   p.    1081-1088;    Mazzella. 

hr  h,;,  créante,  disp.  II.  a.  9,  g  2.  a.   166-469;  *  3, 

6,  p.  324-326,  333-337;  1'.   Verdun,  Le  diable 

,i,i,,-.  in  vie  des  saints,  2  in  12.  Paris,  1895. 

i.  iction  aéfaste  du  démon  sur  les  hommes  revêt 
divei  L'une  des  principales  est  l'obsession. 

lie  le  démon  occupe,  en  quelque  façon,  le  corps 
de  l'homme,  el  se  »erl  il.  rganes  i  ontre  la  volonté 

même  de  cet  homme.  Il  lui  rail  accomplir,  parfois, 
certa  qui    dépassent  les  forces  de  la  nature 

humaine.   Il   >    ■<   dans   l'obsession    plusieurs   il 
Voir  0  Cel        'lion  du  démon  sur  l'homme 

-  app<  Ile  possession,  si  l'espril  mauvais  s'empare  com- 
plétemenl  d<  sa  personn  .  'i  exerce  sur  lui  un  ici 
empii  ute  action   humaine   cesse,   pour  ainsi 

dire  <:i    Mazzella,  />--  Deo  créante,  disp.  II.  a.  9,  s  2, 

37, 340.  Voir  Ci 
ienl  ce  pouvoir  d'obséder  ain 

b m<  -   '  i   il-      •  ii   rendre  maîtres,  cela    ressorl   de 

Doml  ,l,.   l'Écriture,    en    particulier  d< 

dit  que  Noti  n  indail  aux 

rlir  du  corps  des  hommes  dans  lesquels 

ni  introduits.  Matth.,  su,  22  »q. .  Marc.,  v,  9: 

'•I  .  wii.  27;  \.  17  iq.  CI    \,i  .   XVi,  10 

Voir  lu  m 

h,,, murs   ,<>r- 

Par  b  m-  intelligence  el  leur  i  le    dé i 

effet,  hommes,  ii-  i onnaissi  n 

la  natun  i         gui     bien  mieux 

qui 


donc  capables  de  produire  des  résultats  surprenants, 
et  même,  quand  cela  sert  à  leurs  desseins  perfides,  de 
procurer  des  avantages  matériels  à  ceux  qui  ont  recours 
à  eux.  Il  peut  donc  y  avoir  un  vérilable  commerce  de 
l'homme  avec  les  démons. 

Cette  communication  avec  les  démons  ('tait,  dans 
l'Ancien  Testament,  punie  des  peines  les  plus  sévères, 
comme,  par  exemple,  la  peine  de  mort,  par  la  lapida- 
tion, même  pour  les  femmes  qui  s'en  rendaient  cou- 
pables. Lev.,  xx,  27;  Deut.,  xvm,  11;  1  Reg.,  xxviii, 
7,  9-10,  13.  Elle  constitue  une  faute  très  grave.  Cf.  Décret 
de  Cratien,  part.  II,  caus.  XXVI,  q.  v;  S.  Thomas, 
Sum.  theol.,  IIa  II»,  q.  xcn-xcvi.  Ce  commerce  de 
l'homme  avec  les  démons  est  de  diverses  espèces.  Voir 
Magie,  Superstition. 

De  nos  jours,  l'intervention  du  démon  dans  les  choses 
humaines  est  encore  réelle,  quoique,  dans  les  nations 
chrétiennes,  elle  soit  beaucoup  moins  fréquente  qu'au 
sein  du  paganisme  ancien  et  moderne.  On  ne  doit 
cependant  l'admettre,  dans  les  cas  particuliers,  qu'avec 
preuves  sérieuses  à  l'appui.  Lorsque  des  faits  extraordi- 
naires sont  constatés,  on  doit  examiner  avec  soin  si  les 
forces  de  la  nature  ne  suffisent  pas  à  les  expliquer. 
Souvent,  en  effet,  des  faits  surprenants  ne  sont  pas 
solidement  établis,  et  leur  fausseté  devient,  plus  tard, 
manifeste.  D'autres  fois,  ces  faits  ne  sont  que  l'œuvre 
d'habiles  prestidigitateurs,  ou  le  résultat  des  agents 
naturels. 

On  aurait  tort,  néanmoins,  de  rejeter,  comme  des 
fables  puériles,  tout  ce  qui  est  raconté  au  sujet  de 
pactes  conclus  entre  l'homme  et  le  démon.  La  théologie 
démontre  la  possibilité  de  ce  commerce  de  l'homme 
avec  le  démon.  Mais,  comme  en  ces  matières  si  com- 
plexes, et  si  différentes  de  l'ordre  ordinaire  des  choses, 
les  causes  d'erreur  sont  nombreuses,  l'examen  des  cas 
particuliers  demande  u  ne  grande  prudence  et  une  extrême 
circonspection.  Seule,  l'autorité  ecclésiastique  est  com- 
pétente, pour  porter,  en  dernière  analyse,  un  jugement 
à  leur  sujet. 

Jamblique,  De  mysteriis  àSgyptiorum,  Chaldseorum,  Assy- 

"•'.  in-fol.,  Oxford,  1678;  in  8%  Berlin,  18Ô7;  Hebenstreit, 

nblichidoctrina,  in-4",  Leipzig,  l764;Wier,  Deprœsfifftis 

ln-4*,Bale,  1583;  Bodin,  Traité  de  ta  démonomemie, 

in-i-,  Paris,  1589;  Boguet,  Discours  dessorciers,  in-12,  Rouen, 

1006;  Salmanticenses,  Cursus  theologicus,  tr.  vu,  /).•  ange- 

p.    X-XIV,  21    in-8',  Paris,  1877-1883,  I.    iv,   p.  554-796; 

i. ancre,    Tableau  de  l'inconstance  des  démons,  in-V. 

Paris,  1613;  Psellus,  Diatogusde  dsemot  ta-8", 

Paris,  1615,  et  /'.  G  .  t.  i  xxu.  ci  Bin  feld    De  con- 

nibus  maleflcorum  et sagarum, in-12,  Cologne,  1623;  Pla- 

lina,  />••  angelis et  dssmonibus,  In  almet, 

Traité  sur  les  apparitions  des  esprits  et  sur  les 

2  ln-12,  Paris,   1751;  de  Sainte-Croix,  Recherches  historiques 

et  critiques  sur  1rs  mystères  du  paganisme,  S  in-8°,  Paris, 

1  ^  1 T  ; .  .  ,',/,,  ',  in  8-,  Mali-  1842  : 

ystique  divine,  naturelle  ri  diabolique,   'i    in-'r.   I 
1x62;  CoUIn  dePlancy,  Dictionnaire  infernal,  in -8',  Paris,  Is'ii . 
Thibaudet,  Des  esprits  et  tir  U  nie  vi- 

sible d'après  lu  tradUio  Lecanu,  Histoire 

île  Satan,  su  chute,  son  culte,  ses  manifestatU  ■  livres, 

Paris,  1861  .  tfceui t  el  pi  atiques  d<  n-8".  Paris, 

Bizouard,    Des   rapports  de  Vhon  le  démon, 

6  in-8  1864;   \    de  Saint-Albin,  /  ■  cuit 

in-12.  Paris,  1867;  u.  d'Anselme,  >'»  avocat  du  diable,  in-8*. 
70;  De  Mirville,  Des  esprit» 

.    Perla,    is  Palmierl,  De  Deo 

1878,  pai  i.  n 

lix-lx,    lxiii-lxiv,  ]i    144-466     471-490;    M  Deo 

' 
I 

reli- 
gieux 

,  Dio, 

94,  i    i\.  i      i  94    Mai 
llqultés  d" 


407       DÉMON    D'APRÈS    LES    DÉCISIONS   OFFICIELLES    DE    L'ÉGLISE       40» 


catholique,  \  Démon,  ln-4«  Paris,  1890,  p.  774-782;  P.  Verdun, 
l.o  diable  dans  les  missions,  2  in-12,  Parie,  1893  :  Le  diable  dans 
la  vie  dessainls,  2  in-12,  Paris,  1895;  Itibet,  La  mystique  divine 
distinguée  des  contrefaçons  diaboliques,  S  in-8',  Paris,  1895; 
i  esco  m-.  La  science  et  1rs  fxits  surnaturels  contemporains, 
in-8",  Paris.  1897 ;  Godard,  L'occultisme  contemporain,  in-12, 

Paris,  1! :  Pesch,  Prœlectiones  dogmatiese,  tr.  DeDeo  créante, 

sect.  v,  Dr  angelis,  a.  2,  n.  397-403,  408-416;  tr.  De  novisti- 
mis.  part.  I,  sect.  iv,  a.  2,  n.  634;  a.  3,  n.  662-665,668-671, 
9  in-8«,  Fribourg-en-Brisgau,  1902,  t.  m.  p.  213-216,  219-228; 
t.  ix.  p.  312  sq.,  324-326,  327-329  ;Tixeront,  Histoire  des  dogmes, 
Lu  théologie  antênicéen'ne,  c.  i,  S  2-3;c.  n,§  1,  S  5;  c.  v,  S  3; 
■••  Xiv,  g  1,  in-12,  Paris,  1906,  p.  38  si].,  65  sq.,  108  sq.,243sq., 
147  sq.  ;  Kirchenlexikon,  v°  Teufel,  2-  édit.,  t.  xi,  col.  1445-4449. 

T.  Ortolan. 

IV.  DÉMON  D'APRÈS  LÉS  DÉCISIONS  OFFICIELLES 
DE  L'ÉGLISE.  —  L'Église  n'est  guère  intervenue,  par 
l'organe  de  son  magistère  suprême,  dans  la  détermina- 
tion de  la  doctrine  révélée  sur  les  démons.  Elle  a  laisse 
à  ses  docteurs  le  soin  de  l'exposer  comme  la  liberté 
d'étudier  les  questions  que  la  révélation  divine  ne  nous 
a  pas  fait  connaître.  Il  s'est  élevé  peu  d'erreurs  sur  le 
diable  et  les  anges,  et  l'Église  a  eu  rarement  l'occasion  de 
condamner  des  enseignements  faux  ou  hérétiques.  Les 
points  qu'elle  a  fixés  officiellement  et  qu'elle  impose  à 
noire  foi  sur  ce  sujet  sont  donc  peu  nombreux. 

1°  La  création  des  démons  a  été  définie  par  divers 
conciles  et  imposée  à  la  foi  de  tous  les  fidèles,  dans  les 
nombreux  symboles,  affirmant  contre  les  doctrines  dua- 
listes, qui  se  renouvelaient  presque  à  chaque  siècle, 
que  Dieu  était  le  créateur  des  êtres  visibles  et  invi- 
sibles, parmi  lesquels  étaient  rangés  les  anges  déchus 
aussi  bien  que  les  anges  demeurés  fidèles  à  Dieu.  Voir 
t.  i,  col.  1264-1265;  t.  in,  col.  2078-2079. 

2°  Dans  des  réunions  tenues  à  Constantinople  avant 
le  Ve  concile  œcuménique  de  553,  on  condamna  dans 
15  analhématismes  diverses  erreurs  des  origénistes  du 
vie  siècle.  La  seconde  partie  du  2e  anathématisme  con- 
damne leur  opinion  sur  la  déchéance  des  esprits.  Les 
âmes  préexistantes,  tout  à  fait  identiques  les  unes 
aux  autres,  lasses  de  contempler  Dieu,  se  portent  vers 
le  mal,  chacune  suivant  sa  propension  propre.  Par  suite, 
elles  prennent  des  corps  plus  ou  moins  subtils  et  gros- 
siers et  portent  des  noms  différents;  elles  sont  enfin 
réparties  dans  ce  qu'on  a  appelé  les  ordres  célestes. 
Les  démons  sont  celles  de  ces  âmes,  qui  ont  atteint  le 
suprême  degré  de  malice  et  ont  été  liées  à  des  corps 
froids  et  ténébreux  (4e  anathématisme).  Le  5e  repousse 
la  théorie  de  la  métempsycose  ou  du  changement  d'un 
animal  ou  d'un  homme  en  ange  ou  en  démon.  Le 
début  du  6e  repousse  la  distinction  de  deux  catégories 
de  démons,  l'une  formée  des  âmes  humaines  déchues 
et  des  anges  les  plus  élevés,  entraînés  plus  bas  par  le 
poids  de  leurs  fautes.  Le  12e  rejette  l'union  des  anges, 
des  hommes,  du  diable,  des  mauvais  esprits  et  de  l'âme 
elle-même  du  Christ  au  Logos  dans  le  futur  royaume 
de  Dieu.  Denzinger,  Enchiridion,  n.  188,  190192.  198. 
Voir  t.  i,  col.  1265-1266,  et  OrigÉNISME  ,\r  vr  siècle. 

3°  Au  concile  de  Braga,  tenu  en  561,  les  évèques  es- 
pagnols ont  porté  ces  quatre  anathématismes  contre 
les  manichéens  et  les  priscillianistes  : 

7.  Si  qnis  dicit  diabolum  non  fuisse  pn'us  lionum  angelum  a 
Deo  factumnec  Uei  opificium  fuisse  naturamejus,  sed  dicit  eum 
ex  tenebris  emersisse  nec  aliquem  sui  habere  auctorem,  sed 
ipsum  esse  principium  atque  substantiam  mali,  sicut  Manichasus 
et  Priscillianus  dixerunt,  anathema  sit. 

8.  Si  quis  crédit,  quia  aliquantasin  mundo  creaturas  diabolus 
fecerit  et  tonitura  et  fulgura  et  tempestates  etsiccitates  ipse  dia- 
bolus sua  auctoritate  faciat,  sicut  Priscillianus  dixit,  anathema 
sit. 

12.  Si  quis  plasmatlonem  bumani  corporis  diaboli  dicit  esse 
uluin  et  conceptiones  in  uteris  niatruin  operibus  dicit  dœ- 

monum  Bgurari,  ...sicul  Manichieus  et  Priscillianus  dixerunt,  ana- 
thema sit. 

13.  si  quis  'ii.it  creationem  univers»  carnis  non  opificium  Uei, 
bi  'i  malignorum  esse  angelorum,  sicut  Priscillianus  dicit,  ana- 


thema sit.  Cf.  Denzinger,  Enchiridion,  10*  édit.,  I 
Brisgau,  1908,  n.  237,  238,241,  242. 

i"  Le  IV*  concile  de  Latran,  XII*  œcuménique,  pro- 
mulgua, en  1215,  une  profession  de  foi  contre  les 
erreurs  des  albigeois,  qui  avaient  renouvelé  la  doctrine 
manichéenne  des  deux  principes.  Il  y  définissait  que 
Dieu  est  le  créateur  de  toutes  choses,  puisqu'il  a  fait 
de  rien,  simul  ab  initia  lemporis,  les  créatures  spiri- 
tuelles et  corporelles,  les  anges  et  le  monde.  Il  ajou- 
tait :  Diabolus  enim  et  alii  dwniones  a  Deo  quidem 
vatura  creati  sunt  boni,  sed  ipsi  per  se  facti  sunl 
mali.  Homo  vero  diaboli  suggestione  peccavit.  Den- 
zinger, n.  355  (128  de  la  I0«  édition).  De  celle  définition 
il  résulte  clairement  que  tous  les  anges,  même  ceux  qui 
sont  devenus  mauvais,  ont  été  créés  par  Dieu  et  qu'ils 
ont  été  créés  bons,  mais  qu'ils  sont  devenus  mauvais 
d'eux-mêmes, parleur  propre  dépravation;  il  en  résulte 
aussi  que  le  diable  a  fait  tomber  l'homme  dans  le  pé- 
ché. La  spiritualité  des  anges  et  des  démons,  bien 
qu'affirmée  par  le  concile,  n'a  pas  été  cependant  l'ob- 
jet de  sa  définition,  pas  plus  que  la  date  précise  de 
leur  création.  Voir  t.  i,  col.  1268-1270;  t.  m,  col.  2080- 
2081. 

5U  Parmi  les  45  articles  de  Wikleff,  condamnés  par 
le  concile  de  Constance  et  par  le  pape  Martin  V  en 
1418,  le  6e  est  ainsi  libellé  :  Deus  débet  obedire  dia- 
bolo. Denzinger,  n.  482  (586  de  la  10?  édition). 

6°  Le  concile  de  Trente,  sess.  V,  can.  1,  a  déclaré 
que,  par  sa  transgression  du  précepte  divin,  Adam  a 
encouru  captivitatem  sub  ejus  potestate  <jui  mortis 
deinde  habuit  imperium,  hoc  est  diaboli.  Denzin_ 
10-  .'dit.,  n.  788. 

1°  Le  concile  du  Vatican,  const.  Dei  Filins,  c.  i,  a 
renouvelé  le  décret  Firmiter  du  IVe  concile  de  Latran 
et  il  a  défini  que  toutes  les  choses  du  monde,  les  spi- 
rituelles et  les  matérielles,  ont  été  produites  de  rien 
par  Dieu  dans  la  totalité  de  leur  substance.  Denzing 
10e  édit.,  n.  1783.  Comme  il  a  reproduit  textuellement 
sur  le  point  qui  nous  occupe  le  décret  de  Latran,  il  n'a 
voulu  définir,  comme  lui,  que  la  création  par  Dieu  de 
tous  les  anges  et  il  n'a  pas  imposé  à  la  foi  catholique  ni 
la  spiritualité  des  démons,  ni  la  date  précise  de  leur 
création.  Voir  A.  Vacant,  Etudes  théologiques  sur  les 
constitutions  du  concile  du  Vatican,  Paris,  1895,  t.  i, 
p.  219-227. 

En  résumé,  l'autorité  de  l'Église  nous  impose 
d'admettre  comme  de  foi  catholique  que  les  démons 
ont  été  créés  par  Dieu  ainsi  que  toutes  choses,  qu'ils 
ont  été  créés  lions,  que,  s'ils  sont  déchus,  c'est  par 
leur  faute,  et  qu'ils  n'ont  pas  créé  la  matière  ni  les 
corps.  Il  est  de  foi  divine  qu'il  y  a  des  anges  déchus, 
que  le  diable,  leur  chef,  a  tenté  l'homme  et  l'a  fait 
tomber  dans  le  péché,  que  Satan  et  ses  anges  ten- 
ii  ni  et  persécutent  les  hommes  et  que,  en  punition 
de  leur  faute,  ils  ont  été  condamnes  à  l'enfer  éternel, 
qui  a  été  préparé  pour  eux.  Il  est  certain  par  ailleurs 
que  les  démons,  comme  les  anges,  sont  des  esprit- 
n'ont  pas  de  corps,  qu'ils  ont  été  créés  avant  les  hommes 
ei  au  commencement  du  temps,  avec  les  êtres  corpo- 
rels. Mais  il  n'y  a  rien  de  définitif  sur  la  nature  et 
l'objet  du  péché  des  anges,  sur  la  date  de  leur  chute, 
sinon  quelle  esl  antérieure  à  la  création  de  l'homme: 
sur  leur  condition  après  la  chute,  sinon  qu'ils  sont  les 
ennemis  de  l'homme,  qu'ils  portent  au  mal  et  qu'ils 
sont  obstinés  dans  leur  malice,  sur  la  nature  de  leur 
peine,  sinon  qu'ils  sont  destinés  à  l'enfer  éternel.  Les 
sentiments  des  théologiens,  que  nous  avons  exposés 
plus  haut,  sur  les  points  non  contenus  dans  la  révé- 
lation, sont  plus  ou  moins  probables  et  n'ont  jamais 
été  sanctionnés  par  l'autorité  de  l'Église.  Les  docteurs 
ne  se  sont  pas  crus  liés  par  les  opinions  de  leurs 
devanciers;  ils  les  ont  copieusement  critiquées,  cher- 


409 


DÉMON   —   DÉMONIAQUES 


410 


chant  à  préciser  davantage  les  points  laissés  à  leur 
libre  discussion. 

Hagen,  Der  Teufel  im  Licht  der  GlaubensqueUen,  1899; 
Kirehliches  Handlexikon,  Munich,  1907,  t.  i,  col.  1035. 

E.  Mangenot. 

DÉMONIAQUES.   —   I.   Définition.  IL   Existence. 

III.  Cause.  IV.  Responsabilité  des  démoniaques. 

I.  Définition.  —  On  appelle  démoniaques  les  per- 
sonnes dont  le  corps,  par  une  permission  de  Dieu,  est 
livré,  plus  ou  inoins  complètement,  à  l'influence  mal- 
faisante du  démon.  L'Ecriture  les  désigne  sous  le 
nom  de  5<xi(i.ovtÇ(Su.evo[,  ou  de  SaiptôvtadévTe;,  a  dee- 
monio  vexali,  Sa.aov.a  ï/ovts:,  dœmonia  habenles, 
(re)iT)vtaÇôu.evoc,  lunatici. 

Cette  inlluence  du  démon  sur  les  possédés  n'est  pas 
simplement  indirecte  ou  morale,  comme,  par  exemple, 
dans  les  tentations,  même  les  plus  fortes;  elle  est  une 
action  directe  et  physique,  exercée  par  les  esprits  de 
ténèbres  sur  les  organes  corporels  du  malheureux 
soumis  à  leur  empire.  Il  en  résulte  pour  celui-ci  un 
étal  maladif,  étrange,  sortant  des  lois  ordinaires  des 
affections  morbides,  quoique  souvent  accompagné  de 
phénomènes  d'ordre  purement  naturel  que  le  démon  dé- 
termine en  lui.  simultanément  avec  ceux  qui  dépassent 
la  sphère  propre  aux  agents  physiques.  Ces  phénomènes 
sont  habituellement  une  surexcitation  générale  et  pro- 
fonde de  tout  le  système  nerveux;   l'épilepsie,  Matth., 

IV,  24  ;  Marc,  III,  11;  Luc,  VI,  ES;  ou  bien  des  paraly- 

locales,  Luc,  xih,  11,  16,  causant  le  mutisme,  la 
cécité  ou  la  surdité,  bien  que  les  organes  des  sens 
persistent  dans  leur  intégrité  native,  Matth.,  ix,  3-2;  xn, 
22;  Marc,  ix,  2i;  et  d'autres  maladies  de  diverses 
formes.  Matth.,  vin,  16;  xv,  22;  Marc,  i,  32,  34,  39; 
vu,  25;  Luc,  iv.  il;  vu,  21;  vin,  2. 
D'autres  fois,  au  contraire,  le  démon  communique 
\ictime  un  accroissement  extraordinaire  de  force 
musculaire.  Le  malheureux  entre  en  fureur,  au  point 

d'éci :r  de  rage,   de  grincer  des  dents,  de  pousser 

des  cris  épouvantables,  de  se  précipiter  dans  l'eau  ou 
dans  le  feu.  Il  devient  alors  redoutable  pour  ceux  qui 
l'approchent,  brise,  comme  des  fétus  de  paille,  les 
chaînes  de  fer  donl  on  veut  le  lier;  et,  s'il  ne  peut 
atteindre  les  autres,  tourne  sa  fureur  contre  lui-même, 
se  déchirant  avec  .  et  se  meurtrissant 

pierres  du  chemin.  Matth..  vin,  28,  32;  wu.  Il; 
Marc,  v,  2,4,  13;  ix.  16,  17;  Luc,  vin,  27,  29,  33;  ix, 
39;  v -t  .  six,  13-16. 

Ci  tl  troublante  et  bouleversante  du  démon 

sur  I  rporels  se  continue  dans  les  fai  illl 

mixtes,  comme  l'imagination,  la  mémoire,  la  sensibi- 
lité. Elle  s'étend  même  plus  loin  et  plus  haut  dans 
■  humain,  car  elle  a  sa  répercussion  jusque  dans 
l'intelligence.  Les  opérations  intellectuelles  présentent 
parfois  un  tel  caractère  d'incohérence,  que  les  d 
niaquet  parais  enl  frappés  d'aliénation  mentale.  Il 
de  voir  se  produire,  dans  le  domaine 
de  l'espi  it.  un  phém  lui  qui  se  passe 

le  corps  'Pi"  le  démon, 

au  le  u  de  paralyser  les  i  orporelles  du  di 

niaque,  en  aug nte  parfois  la  pui      n        de  même, 

au   lieu  de* diminuer  si     lumières  naturelles,  il  com- 
muniqué ,i  ion  intelligence  des  connaissances  qui  dé- 
lucoup    i  poi  tée.  Matth.,  vin,  29;  Marc, 
m,  2,  v,  7;  Luc,  IV,  3i  il  ;  vin,  28;  Act.,  XVI, 

peuvent  i  non 

ment  il  un   démon,  mais  de  plusieurs,  en  même 

temps;  et  parfoii   d'un  m  grand  nombre  qu'ils  s'ap- 

ion.  Matth.,  vu.  13,  i.">.  m 
.   26. 

II.  l  xi   . ■    ■  L'Ai  ■  .lient   ne   (ail 

ition  explicite  Aep  démoniaques;  il  parle  n  ulemenl 
du  pouvoir  qu  ont  li  malin    d'exercei 


malheureux,  dont  ils  s'emparent,  une  action  néfaste, 
malfaisante  et  tyrannique.  Il  raconte,  par  exemple, 
comment  l'esprit  mauvais  se  précipitait  sur  le  roi  Saùl, 
l'agitait  d'une  façon  affreuse  et  le  rendait  farouche  et 
sanguinaire.  I  Reg.,  xvi,  14-16;  xix,  9.  Cf.  Josèphe, 
Ant.  jud.,  VI,  vin,  2;  xi,  2. 

Au  temps  de  Xolre-Seigneur,  les  démoniaques 
étaient  fort  nombreux,  en  Palestine,  voir  col.  331,  et 
ils  paraissent  l'avoir  été  beaucoup  plus  que  dans  toute 
autre  période  de  l'histoire.  Il  en  fut  ainsi,  soit  parce 
que  la  dépravation  païenne  avait  pénétré  jusqu'au  sein 
du  peuple  de  Dieu;  soit  parce  que  c'était  le  moment 
d'une  lutte  décisive  et  sans  merci  entre  le  bien  et  le 
mal.  La  puissance  céleste  qui  se  manifestait  si  claire- 
ment dans  les  actes  de  Jésus,  provoqua,  de  la  part  des 
anges  tombés,  une  recrudescence  de  haine  et  de  rage. 
De  même  que  Dieu,  par  l'incarnation,  se  rendait  visi- 
ble et  habitait  parmi  les  hommes,  Raruch,  m,  38; 
Joa.,  I,  14;  ainsi  le  démon  affirmait  davantage  son 
existence  et  son  pouvoir,  essayant,  lui  aussi,  d'habiter 
d'une  façon  plus  visible  et  comme  tangible  dans  l'hu- 
manité. Le  contraste  entre  la  miséricorde  de  Dieu  et 
la  malice  de  Satan,  poursuivant  de  sa  haine  jalouse 
l'homme  que  Dieu  voulait  sauver,  s'accentuait  ainsi 
davantage.  Marc,  v,  19.  Cet  antagonisme  violent  était 
nécessaire,  afin  que  la  victoire  du  Sauveur  sur  les 
puissances  infernales  lut  plus  éclatante.  Cf.  Delitzsch, 
System  der  biblischen  Psychologie,  in-8°,  Leipzig, 
1861,  p.  305. 

Depuis  l'établissement  de  l'Église,  le  nombre  des 
démoniaques  a,  de  beaucoup,  diminué  dans  les  nations 
devenues  chrétiennes.  Cf.  Martigny,  Dictionnaire  des 
antiquités  chrétiennes,  in-i",  Paris,  1889,  p.  312.  l'ai- 
le baptême  et  les  autres  sacrements,  les  fidèles  sont 
préservés  de  ces  atteintes  sensibles  du  démon.  lia 
perdu  de  son  empire,  môme  sur  ceux  qui,  ayant  été 
baptisés,  vivent  cependant  d'une  manière  peu  conforme 
à  la  foi  de  leur  baptême.  Membres  de  l'Église,  quoique 
membres  morts,  ils  trouvent  dans  cette  union,  pour- 
tant si  imparfaite,  au  corps  mystique  du  Christ,  un  se- 
cours souvent  suffisant  pour  que  le  démon  ne  puisse 
s'emparer  d'eux,  comme  il  l'aurait  l'ait,  s'ils  étaient 
païens. 

Néanmoins,   non    seulement  dans   les   régions   qui 

n'ont  pas   reçu   l'Évangile,    mais  aussi   clans  celles  où 

li  e  est   établie,   des  démoniaques  se  rencontrent 

encore.  Leur  nombre  augmente  en  proportion  du  degré 

de  l'apostasie  des  nations   qui,  autrefois  catholiques, 

abandonnent   peu  à  peu   la  foi,  el   retournent  au  ] 

nisme  théorique  et  pratique. 

•  in  a  tenté,  de  nos  jouis,  au  nom  du  progrès  des 
sciences  médicales  et  des  sciences  connexes,  de  nier 
l'existence  des  démoniaques.  Dans  leur  état  si  étrange, 

on   n'a   voulu  voir  qui  lions  morbides  spéciales, 

surtout  des  maladies  nerveuses,  d'origine  toute  natu- 
relle. Cf.  Ricbei.  Les  démoniaques  d'aujourd'hui  et 
refois,  dan-  la  Revue  des  deux  mondes,  lô  jan- 
i  ■■<  et  lô  février  1880;  Richer,  Éludes  cliniques  sur 
la  grande  hystérie,  in  8°,  Paris.  1880;  Charcot,  /■ 
sur  i  es  du  systt  •  ux,  i<<iics  à  la  Sal- 

pêlrière,  recueillies  et  publiées  par  le  docteur  Bour- 
neville,  in-8°,  Paris,  Issu.  Charcot  el  Richer,  /.< 
moniaques  dans  l'art,  in  8°,  Paris,  1881  ;  Bourneville 
gnard,    L'iconographie    photographique    de   l<> 
So'pi 

i  ■      fuif     a-t  on  dit,  attribuaient   aux  démonc 
phénomènes  morbides  qui    n'étaient    que    l'effet    de 
l'épilepsie,  de  l  hystérie,  ou  de  la  folie.  Cf.  Renan 
de  Ji  i.  Ed.  Stapfer,  La  Palestine  <>"  temps 

de  fésut  Christ,  3   i  dit  -  Pari  .  Il  85,  p    113  iU    I 
ern  ur   leur  •  |  beaucoup  d'ani 

peuples,  qui  rendaient  li  malfaisant    respon- 

me  foule  de   maladies   dont   souffraient   les 


411 


DEMONIAQUES 


412 


hommes.  Cf.  Maspero,  Histoire  ancienne  des  peuples 
de  l'Orient  classique,  3  in-8°,  I';iris,  L895,  t.  i,  p.  683, 
780.  Chez  les  Grecs,  d'ailleurs,  le  mot  Soctpov&v, 
avoir  un  démon,  signifiait  simplement  divaguer,  être 
fou.  Cf.  Euripide,  Phœnic,  888;  Plutarque,  Marcel., 
23;  Lélut,  lin  démon  de  Sacrale,  in-8°,  l'aris,  1850. 
C'est  dans  ce  sens  que  les  Juifs  accusèrent  Jésus  d'avoir 
un  démon,  et,  par  suite,  de  ne  savoir  ni  ce  qu'il 
disait,  ni  ce  qu'il  faisait.  Matth.,  xi,  18;  Joa.,  vin,  48, 
52;  x,  20. 

Les  apôtres,  ajoute-t-on,  auraient  partagé  l'erreur 
des  Juifs,  alors  si  répandue;  et  Notre-Seigneur,  en  dé- 
livrant les  malades  de  leurs  inlirmités,  se  serait,  dans 
la  manière  de  s'exprimer,  conformé  à  l'erreur  de  son 
temps.  Cf.  Winer,  Biblisches  Realwôrterbuch,  in-4°, 
Leipzig,  1833,  p.  191.  Il  n'est  pas  admissible  que 
Notre-Seigneur,  par  son  langage,  ait  voulu  confirmer 
une  erreur.  Il  l'aurait  combattue,  au  contraire,  tout  en 
guérissant  les  malades,  comme  il  le  fit  à  propos  de 
l'aveugle-né.  Ses  apôtres  croyaient  que  celte  cécité 
était  une  punition  des  pécliés  des  parents,  ou  même 
de  ceux  que  l'aveugle  aurait  commis  avant  sa  naissance, 
ou  pendant  sa  vie  présente,  et  que  Dieu  aurait  punis 
par  anticipation.  Les  Juifs  pensaient,  en  effet,  que 
tout  mal  physique  était  un  châtiment,  comme  l'avaient 
dit  à  Job  les  amis  venus  pour  le  consoler.  Cf.  Exod., 
xx,  5;  Deut.,  v,  9.  Notre-Seigneur  détrompa  ses  apô- 
tres au  sujet  de  l'aveugle-né.  Joa.,  ix,  1-8.  Comment 
ne  l'aurait-il  pas  fait  pour  une  erreur  plus  préjudicia- 
ble encore?  Non  seulement  il  ne  chercha  point  à 
modifier  cette  croyance  des  apôtres  à  l'existence  des 
démoniaques,  mais  il  la  fortifia  par  son  enseignement, 
liien  plus,  il  leur  communiqua  le  pouvoir  de  guérir 
ces  étranges  malades,  en  chassant  eux-mêmes  les  dé- 
mons. Matth.,  x,  1;  xn,  27,  43,  45;  xv,  22;  xvn,  15-20; 
Marc,  v,  9;  VI,  7;  vu,  25;  IX,  27  sq.;  XVI,  17;  Luc.,iv, 
33;  vm,  27;  ix,  1,  40;  x,  17,  20.  Ils  ont  exercé  aussi 
ce  pouvoir  après  l'ascension.  Voir  col.  33i. 

Le  démon,  il  est  vrai,  peut  causer  dans  l'homme  des 
désordres  organiques  desquels  résultent  des  maladies 
qui  ne  dépassent  pas  l'ordre  naturel.  Job,  il,  7  sq. 
Mais  il  peut  faire  davantage.  De  nombreux  exemples 
prouvent  que  les  évangélistes  distinguaient  très  bien 
entre  les  maladies  simplement  naturelles,  susceptibles 
d'être  produites  indifféremment  par  les  agents  phy- 
siques, ou  par  les  agents  supérieurs  à  la  nature;  et  les 
effets  extraordinaires  et  autrement  surprenants  qui  ne 
pouvaient  être  que  la  suite  de  l'intervention  des  démons. 
Matth.,  iv,  24;  vm,  14-17;  xn,  9-14;  xv,  28;  Marc,  m, 
10,  11;  Luc,  vi,  18;  ix,  43.  Tout  muet,  tout  homme 
sourd,  tout  épileptique  n'est  pas  pour  eux  un  démo- 
niaque. Leur  était-il  possible  de  concevoir  comme 
purement  naturelle,  une  maladie  qui,  au  moment  de  la 
guérison,  projette  violemment  à  terre  celui  qu'elle 
abandonne,  et  le  laisse  comme  pour  mort  sur  le  sol? 
Marc,  ix,  25;  Luc,  iv,  35;  ou  bien  celle  qui  d'un 
malade  passe  dans  un  troupeau  d'animaux,  et  les  préci- 
pite dans  un  lac,  où  ils  sont  noyés,  comme  il  arriva 
pour  les  deux  démoniaques  du  pays  des  Géraséniens? 
Matth.,  vm,  28-31.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  III», 
q.  xliv,  a.  1,  ad  4,,m.  Aussi  saint  Matthieu,  dans  les 
malades  que  Notre-Seigneur  guérissait,  distingue-t-il 
très  clairement  les  démoniaques  des  paralytiques  et  des 
lunatiques,  ou  épileptiques.  Cf.  Vigouroux,  Les  Livres 
saints  et  la  critique  rationaliste,  5  in-8°,  Paris,  1891, 
t.  v,  p.  386  sq. 

La  croyance  des  évangélistes  aux  démoniaques  se 
retrouve  dans  les  saints  Pères.  Très  souvent  ils  affirment 
que  les  démoniaques  existaient,  à  leur  époque,  parmi 
les  païens.  Cf.  Tertullien,  Apolog.,  c  xxm,  P.  L.,  t.  i, 
col.  413;  Minucius  Félix,  Oclaviits,  c.  XXVII,  P.  L., 
t.  ni,  col.  323;  S.  Cyprien,  Adversus  Demelrianum, 
c.  xv,  P.  L.,  t.  iv,  col.  574  sq.;  Lactance,  Divin,  inslil., 


I.  II,  c.  xvi ;  1.  V.  c.  xxiii,  /'.  L.,  t.  vi,  col.  355;  S.  Jé- 
rôme, Adversus  Vigilant.,  c.  x,  P.  L.,  t.  XXIII,  col 
S.  Justin,  ApoL,  i,  18;   Dialog.   cunt    Tryph.,   D 
P.  G.,  t.  vi,  col.  355,  070;  S.  [renée.  Contra  hier.,  1.  II, 
c.  vi,  n.  2;  c.  xxxu.   n.  i,  /'.  <>.,  t.   vu.  col.  725,  829; 
Origène,  In  Sum.,  homil.  xvi.  P.  G.,  t.  xn.  col.  690; 
Eusèbe,  Praep.  evangel.,  1.  IV,  c.  i  sq.;  1.  XIV,  c.  x, 
/'.  G.,  t.  xxr,  col.  229,  309;  S.  Athanase,  De  inca 
lione    Verbi,  n.    46  sq.,  P.   G.,  t.  xxv,  col.  178  sq.; 
S.    Cyrille  de  Jérusalem,   Cal.,   iv.   13;   x,   19,   P.    G., 
t.    XXXIII,    col.    472,     685;    S.    Cyrille    d'Alexandrie. 
Comment,  in  Os.,  c.  iv.  P.  G.,  t.  i.xxi.  col.  130;  Q 
sliones  ad  orthodoxos,  q.  XL,  P.  G.,  t.  vi,  col.  1285. 

L'objection  faite  au  nom  des  progrès  des  sciences 
médicales  tombe  d'elle-même,  si  l'on  considère  atten- 
tivement les  faits  allégués.  L'ignorance  a  parfois  con- 
fondu des  cas  pathologiques  mal  étudiés,  ou  mal  connus, 
avec  des  possessions  démoniaques.  Il  est  faux,  cepen- 
dant, que  l'on  puisse  toujours  confondre  celles-ci  avec 
des  affections  simplement  morbides.  Les  maladies 
mentales,  pas  plus  que  l'hystérie  ou  l'état  hypnotique, 
ne  peuvent  soustraire  un  individu  aux  lois  du  inonde 
physique,  ni  lui  communiquer  des  lumières  intellec- 
tuelles ou  des  forces  musculaires  ne  présentant  aucun 
rapport  avec  celles  qu'il  avait  dans  son  étal  normal. 
On  ne  peut  nier,  en  outre,  que,  de  nos  jours  encore, 
l'hystérie,  l'aliénation  mentale,  et  autres  maladies,  ne 
soient  accompagnées  de  faits  vraiment  extraordinaires 
qu'on  ne  saurait  rattacher  au  domaine  strictement 
scientifique.  Ces  cas,  qui  déroutent  la  science  impuis- 
sante à  les  guérir,  et  ne  peuvent  s'expliquer  par  le 
seul  jeu  des  agents  physiques,  semblent  bien  dus  à 
l'intervention  de  causes  supérieures  à  la  nature.  De 
plus,  comme  il  s'y  révèle  une  action  malfaisante  et 
souvent  immorale,  on  ne  saurait  les  faire  remonter 
jusqu'à  Dieu  ou  àsesanges.  Il  faut  donc  y  voir  l'inlluen- 
ce  des  démons;  et  ces  prétendus  malades,  sont,  bien 
des  fois,  de  vrais  démoniaques.  Cf.  Jaugey,  Diction- 
naire apologétique  de  la  foi  catholique,  in-4°,  Paris. 
1889,  col.  778  sq.,  2515-2541;  Hélot,  Névroses  et  posses- 
sions diaboliques,  in-8°,  Paris,  1898. 

III.  Cause.  —  La  permission  donnée  par  Dieu  au 
démon  de  s'emparer  ainsi  des  organes  corporels  et  des 
facultés  spirituelles  d'une  créature  humaine,  est  parfois 
la  punition  de  certains  péchés  graves  commis  par  les 
possédés,  en  particulier  des  péchés  de  la  chair.  Il  n'en 
est  pas  cependant  toujours  ainsi.  Un  démoniaque  n'est 
pas  nécessairement  coupable.  Quelquefois,  Dieu  permet 
cet  état,  comme  il  permet  certaines  maladies,  pour  en 
tirer  sa  gloire  par  l'intervention  ostensible  de  sa  toute- 
puissance,  Joa.,  ix,  1-8,  ou  pour  éprouver  les  possédés 
eux-mêmes. 

L'Évangile  nous  présente  l'exemple  de  démoniaques 
gémissant  sur  leur  triste  état,  dont  ils  se  rendaient 
suffisamment  compte  pour  désirer  leur  guérison.  Il  leur 
restait,  en  effet,  des  intervalles  de  lucidité  et  de  liberté 
morale.  Ils  allaient  alors  demander  à  Notre-Seigneur 
de  les  délivrer.  Mais,  dès  qu'ils  s'approchaient  du  Fils 
de  Dieu,  les  démons  qui  les  possédaient,  entraient  en 
fureur,  ne  voulant  pas  lâcher  leur  proie.  Ces  malheureux 
semblaient  alors  soumis,  en  même  temps,  à  deux  forces 
contraires  :  l'une  qui  les  attirait  vers  Jésus;  l'autre  qui 
les  en  repoussait  violemment.  C'est  à  ces  moments 
surtout  qu'ils  semblaient  être  des  fous  furieux,  et  deve- 
naient dangereux  pour  ceux  qui  les  entouraient.  S'ils 
ne  pouvaient  les  atteindre,  ils  tournaient  contre  eux- 
mêmes  leur  propre  fureur,  se  déchirant  et  se  meurtris- 
sant les  chairs.  Après  des  paroles  de  supplications 
adressées  au  Messie,  suivaient,  sans  transition,  des 
injures  et  des  cris  de  haine,  ou  des  reproches  tels  que 
ceux-ci  :  «  Qu'y  a-t-il  de  commun  entre  toi  et  nous?  — 
Pourquoi  viens-tu  avant  l'heure  nous  tourmenter?  » 
Matth.,  vin,  29:  Marc.  v.  7;  Luc.  VIII,  28. 


413 


DÉMONIAQUES    —    DENIFLE 


414 


IV.   RESPONSABILITÉ   DES    DÉMONIAQUES.    —    Malgré   le 

trouille  apporté  par  la  présence  du  démon  dans  les 
opérations  intellectuelles  des  démoniaques,  ceux-ci 
gardent  parfois,  en  tout  ou  en  partie,  le  pouvoir  de 
résister  aux  suggestions  diaboliques.  Ils  restent,  alors, 
devant  Dieu,  responsables  de  leurs  actes,  dans  la  mesure 
où  leur  liberté  morale  demeure.  Mais  si  leur  corps 
échappe  totalement,  par  intervalles,  à  l'empire  de  leur 
ârne.  ils  ne  portent  plus  évidemment  la  responsabilité 
d'actes  qui  ne  sont  pas  leur  œuvre,  et  qu'ils  ne  peuvent 
nullement  empêcher.  Cette  irresponsabilité  persiste, 
>nt  que  dure  en  eux  cette  perturbation  profonde  qui 
leur  enlève  l'usage  de  la  liberté.  L'homme  n'est  plus 
alors  qu'un  instrument  inerte,  sous  le  pouvoir  absolu 
de  l'esprit  mauvais  qui  le  possède  et  s'en  sert. 

Chose  digne  de  remarque,  en  effet.  Si  le  démon  peut 
s'emparer  du  corps  des  démoniaques,  au  point  de  les 
soustraire  parfois  plus  ou  moins  aux  lois  physiques, 
par  exemple  à  celle  de  la  pesanteur,  ou  de  leur  commu- 
niquer une  vigueur  extraordinaire  ;  il  ne  peut  pas, 
cependant,  à  proprement  parler,  s'emparer  de  leur 
âme.  et  pénétrer  en  elle  contrairement  à  leur  volonté. 
I  là  un  privilège  de  Dieu  exclusivement.  Cf.  S.  Au- 
gustin,  De  spiritu  et  anima,  27;  De  ecclesiasticis 
'■us,  50,  P.  L.,  t.  XL,  col.  799;  t.  xlii,  col.  1221; 
S.  Thomas,  In  IV  Sent.,  1.  II,  dist.  VIII,  q.  I,  a.  5. 
ad  f>  iheol.,  Ia,  q.  cxiv,  a.  1-3.  Il  ne  peut  donc 

se  servir  de  la  liberté  humaine,  comme  il  se  sert  des 
organes  corporels,  pour  les  faire  agir  à  sa  guise.  Tous 
les  moyens  qu'il  est  capable  de  mettre  en  jeu,  pour 
amener  les  démoniaques  à  vouloir  ce  qu'il  veut  lui- 
même,  sont  la  crainte,  la  terreur,  la  fascination  pro- 
duite dans  L  m-  esprit  par  cette  puissance  extraordinaire 
dont  ces  malheureux  constatent  les  ell'ets,  dans  leur 
propre  corps.  Leur  responsabilité,  quand  elle  subsiste, 
est  fortement  diminuée  par  ces  circonstances  atté- 
nuantes. C'est  pour  ce  motif  sans  doute  que  l'on  voit  si 
souvent  dans  l'Évangile  N  neur  adresser  de  vifs 

reproches  aux  démons  qu'il  chasse,  et  n'avoir  que  des 
paroles  'le  compassion  pour  les  démoniaques  eux- 
mêmes.  Cf.  Ribet,  La  mystique  divine  distinguée  des 
liaboliques  et  des  analogies  humaines, 
part.  III.  c.  \.  g  9.  10,3in-8°,  Paris,  1895,  t.  m,  p.  207 
sq.  Voir  Possession. 

i'    i  n  '   e,  I '  I   ■'■  gne,  1594  ;  in-8-,  Lyon, 

nés,  in-4",  Paris,  l(>57; 

.  I.  VI    HKiii,  p.    V.'l  s!)  .    ■  irn  ;  t.   VII, 

itrol,  Maladies  mentales,  2  in-8*,  P  Braid, 

gu  or  (lœ  rationale  •"  nervous  sleep.  considérée 

lation  u'iiii   animal  magnetism,  in-*-.   I Ire  .  1843 

Calmi  i..;  Briqu<  I 

l'hystérie,  in-8\  Paris,  IKi7;  Hu  I  un  voyagi 

.  le  Thibet  et  la  Chine    2  In- 

maladies  net  vi 
\  Nervosisme,  in-8",  Paris,  1880; 
m-s  ,   Paris,   1862 : 
livine,  naturelle  et  diabolique,  I  in  B#, 
Pailloux,  /  itismi  si  la 

session,  in-12.  Paris,  181      I  0  a  rapports  de  Vfo 

I ■   i.  -     i-  i  364;  Smith,   I 

Londn  i,  1868,  t.  I,  p 
nanifestations  divi 

Chat- 
•  xp.    physiologiqui 
1874     !'•'.  net,   You 

<  allileratun 

IK77,  i    i.  p    861-664;  Palmier!,  /' 

II,  c.  n,  a    2,  th.  î  xm,  in-8-,  Rome, 
et  les  m  ici 

p.  n. 

■ 

.    /. 
Uniques  sur  in  pi 
laques  ,/  au 


mondes,  15  janvier,  1"  et  15  février  1880;  Charcot  et  Richer,  Les 
démoniaques  dans  l'art,  in-8",  P;uïs,  1881  :  Bourneville  et 
Regnard,  L'iconographie  photographique  de  la  Salpêtrière, 
3  in-4%  Paris,  1878-1882;  Petit,  Une  épidémie  d'hystéro-démo- 
nopathie  à  Verzegnis,  dans  la  Revue  scientifique,  avril  1880; 
Axenfeld  et  Huchard,  Traité  des  névroses,  in-8",  Paris,  1883; 
Jaugey,  Dictionnaire  apologétique  de  la  foi  catholique,  in-i", 
Paris,  1889,  col.  778  sq.,  2515-2541;  Féré,  Les  épilepsies  et  les 
êpileptiques,  in-8",  Paris,  1890;  Nevins,  Possession  and  allied 
thèmes  being  an  inductive  Study  of  Phenomena  of  our  own 
Times,  in-8*,  New-York,  1895;  Ribet,  La  mystique  divine 
distinguée  des  contrefaçons  diaboliques  et  des  analogies 
humaines,  part.  111,  c.  ix-x,  3  in-8%  Paris,  1895,  t.  ut,  p.  175- 
233;  Voisin,  L'épilepsie,  in-8",  Paris,  1897;  Hélot,  Névroses  et 
possessions  diaboliques,  in-8°,  Paris,  1898;  Sollier,  Genèse  et 
nature  de  l'hystérie,  2  in-8",  Paris,  1897;  Janet,  Névroses  et 
idées  fixes,  2  in-8",  Paris,  1898;  .Maurice  de  Fteury,  Introduc- 
tion à  la  médecine  de  l'esprit,  in-8",  Paris,  1898';  Pesch, 
Prxlectiones  dogmatiese,  tr.  De  Deo  créante  et  élevante,  sect.  v, 
a.  2,  n.  414,  9  in-8",  Fribourg-en-Brisgau,  1902,  t.  ni,  p.  220; 
Picard,  La  transcendance  de  Jésus-Christ,  1.  IV,  c.  î,  §2,  Les 
anges  et  les  démons,  2  in-8",  Paris,  1905,  t.  Il,  p.  61  sq.,  63-67; 
H.  Laehr,  Die  Dàmonischen  des  N.  T.,  Leipzig,  1894. 

T.  Ortolan. 
DENIFLE  Joseph,  né  à  Imst,  village  de  l'Oberinntal, 
en  Tyrol,  le  16  janvier  184$,  fit  ses  premières  études  au 
gymnase  de  Brixen.  En  1861,  il  prend  l'habit  domini- 
cain au  couvent  de  Gratz  et  change  son  nom  de  Joseph 
en  celui  de  Heinrich,  en  mémoire  de  Henri  Suso,  un  des 
grands  mystiques  de  l'ordre.  Il  étudie  la  philosophie  et 
la  théologie  dans  l'ordre,  à  Gratz,  d'abord,  puis  à  Rome 
el  à  Saint-M  aximin,  près  de  Marseille.  (  trdonné  en  1866, 
il  continue  ses  études  jusqu'en  1870.  Vers  cette  époque, 
il  devint  professeur  de  philosophie  au  couvent  de  Gratz  : 
il  y  demeura  pendant  dix  ans.  Pendant  cette  période, 
le  P.  Denille  s'adonna  à  la  prédication  à  Gratz  et  dans 
d'autres  grandes  villes  d'Autriche.  Un  premier  livrefut 
le  résultat  de  ces  prédications  :  Die  kalliolisclielunlte 
und  das  Ziel  der  Menscheit,  Gratz,  1872;  2e  édit.,  in-8°, 
Gratz,  1906.  En  1880,  le  P.  Denille  est  appel,'  à  Rome 
auprès  du  général  de  l'ordre,  en  qualité  de  socius.  Au 
cours  de  l'hiver  1882-1883,  il  se  rend  en  Espagne  pour 
j  rechercher  les  manuscrits  des  œuvres  de  saint  Thomas 
d'Aquin,  en  vue  de  la  réédition  que  venait  de  décider 
Léon  XIII.  Il  profile  de  ce  voyage  pour  poursuivre  ses 
travaux  personnels.  En  1883,  à  la  recommandation  du 
cardinal  Hergenrother,  il  fut  nommé  sous-archiviste 
aux  Archives  secrètes  du  Vatican.  A  partir  de  ce  mo- 
ment l'histoire  de  la  vie  du  P.  Denille  se  confond  avec 
celle  de  son  activité  littéraire.  Ses  travaux  lui  procurè- 
rent de  nombreux  séjours  en  France,  en  particulier  à 
où  il  séjourna  plus  de  'i0  fois.  Les  qualités  de 
Cœur  du  P.  Denille  lui  avaient  assuré'  partout  de  pré- 
es  amitiés.  Durant  sa  vie  les  plus  honorables  dis- 
tinctions lui  liaient  venues  de  nombreux  corps  savants 
des  différents  pays  de  l'Europe.  Le  P.  Denille  fut  an 
vigoureux  polémiste,  parfois  môme  son  ardent  amour 
de  la  vérité  lui  lii  dépasser  la  mesure  dans  ses  critiques 
à  ses  contradicteurs.  Il  mourut  le  10  juin  1905,  à  Munich, 
d'une  attaque  d'apoplexie  el  fui  enterré  dans  la  crypte 
de  la  basilique  de  Saint-Bonil 

Nous  n'indiquerons   i  *  -  i   que   celles  des  œuvres  du 
I».  Denille  qui  oni  rapport  à  la  théologie.  Mien  qui 

rches  fassent  surtout  d'ordre  historique,  il  n'en 
est  guère  pourtant  où  des  questions  théologiques  de  la 
plus  haute  importance  n'aii  nt  été  touchées.  Au  point 
de  vue  surtout  des  sources  de  l'histoire  de  la  théologie 
médiévale,  l'œuvre  du  P.  Denille  s'impose  parla  rich 
,.i  i,  -uni,  di         renseign  ments    Noua  grouperons 

i  rapportant    à    un    mô sujet, 

entrer  dans  le  détail  desn breuses  polémiq n  rap- 
portant ■,  ces  dit 

I    s                 la  théologie  médiévale;  étude  des  ins- 
titution».       Le  centre   des    études    Ihéologiquei    au 
ni  l'université,  d'où  procèdent  tout   le 
in, ut  théologiq il   la    vli  ;         tique,    le 


415 


DENIFLE 


IlKMSOV 


416 


I'.  Denifle  s'adonna  d'une  façon  spéciale  à  l'élude  de  ces 
institutions.  On  a  de  lui  :  1.  Die  Universilâten  des  Mit- 
telalters  bis  1400,  t.  i.  Die  Enlstehung  der  Universi- 
tâten, in-8°, Berlin,  1885.  Dans  la  pensée  de  l'auteur, 
f'ouvrage  devait  comprendre  4  volumes.  Seul,  le  pre- 
mier parut;  dans  les 3  autres,  il  devait  traiter  en  particu- 
lier  de  l'université  de  Paris.  —  2.  Le  plus  important 
pour  l'élude  de  la  vie  théologique  est  l'ouvrage  publié 
en  collaboration  avec  Emile  Châtelain  :  Chartularium 
tinii  ersitatis  Fart.  i^nsis  sub  auspi:  u:  tonsihi  generalis 
facultatiim  Parisiensium,  4  in-8°,  Paris,  1889,  t.  i  (de 
1200  à  1286);  1891,  t.  n  (de  1286  à  1350);  1894,  t.  m  (de 
1350  à  1384);  1897,  t.  iv  (de  1384  à  1452).  Comme  com- 
plément au  cartulaire,  les  deux  collaborateurs  publièrent 
VAuctarium  charlularii  universitatis  l'arisiensis, 
Paris,  1894,  t.  i;  1897,  t.  n.  Ces  deux  volumes  contien- 
nent le  Liber  procuratorum nationis  Anglicavse  (Ale- 
inauise),  de  1333  à  1466.  Le  cartulaire  présente  aux  éru- 
dits  de  la  Ibéologie  médiévale  deux  classes  de  rensei- 
gnements précieux  :  l'une  regarde  l'histoire  de  l'institu- 
tion elle-même  et  de  son  développement;  l'autre, 
surtout  constituée  par  les  notes  très  abondantes  des 
éditeurs,  renferme  à  peu  près  sur  ebaque  personnage  de 
cette    période    des  données    érudites  très    complètes. 

—  3.  Intéresse  aussi  l'élude  des  sources  de  l'histoire 
de  la  théologie  médiévale  Y  Archiv  fur  Litteratur  und 
Kirchengescliichle  des  Miltelalters,  revue    fondée    en 

1885,  en  collaboration  avec  le  P.  Eluie,  S.  ,1.  Elle  com- 
prend 7  vol.  Dans  les  6  premiers,  le  P.  Denille  a  publié  : 
Die  Sentenzen  Abûlards  und  die  Bearbeitungen  sei- 
ner  :<  t/teologia»  von  Mille  des  1"2  Jahrhunderls,  1885, 
t.  i,  p.  402-469,  584-624;  Die  Sentenzen  Rugos  von 
St.  Victor,  1887,  t.  m,  p.  634-640;  Ursprung  der 
Hisloriadcs  Nenw,  1888,  t.  îv,  p.  330-348.  —  4.  Concer- 
nant les  théologiens  du  moyen  âge,  le  P.  Denille 
avait  réuni  une  quantité  de  documents  précieux  :  Quel- 
lenzur  Gelehrtengeschiclile  des  Predigerordens  im  13 
und  14Jahrhundert,  1886,  t.  n,  p.  365-248;  Quellen  zur 
Gelelirtengeschic/tle  des  Karmelitenordens  im  13  und 
14  Jahrhundert,  1880,  t.  v,  p.  365-386;  Quellen  zur  Dis- 
pulation  Pablo's  Christiani  mit  Mosc  Nachmani  zu 
Barcelona,  1263,  dans  llislorisclies  Jahrbuclt,  1887, 
p.  225-214. 

2°  Etudes  sur  la  théologie  mystique  au  moyen  âge. 

—  Le  P.  Denifle  ne  cessa  jamais  de  s'occuper  de  ces 
études  par  lesquelles  il  avait  débuté.  1.  Der  Gottes- 
freund  im  Oberland  und  Nikolaus  von  Basel,  dans 
Historisch-politische  Blàlter,  1875,  t.  lxxv,  p.  17  sq., 
93  sq.,  245  sq.,  340  sq.;  sur  ie  même  sujet,  Die  Dic/t- 
tungen  des  Gottesfreundes  im  Oberland,  dans  Zeit- 
schrift  fur  deutscher  Allerthum  und  deutsche  Littera- 
tur, 1880,  t.  xxiv;  1881,  t.  xxv.  —  2.  Une  autre  série 
très  importante  sur  les  mystiques  dominicains  : 
a)  Henri  Suso,  Die  Schriften  des  sel.  Heinrich  Seuse, 
t.  i,  Deutsche  Schriften,  3  parties,  in-8°,  Munich,  1880; 
h)  Jean  Tauler,  Das  Buch  von  geistlicher  Arrnulh,  be- 
kannl  als  Johann  Tauler  s  Nachfolgung  des  armai 
Lebens  Chrisli,  Munich,  1877;  c)  Maître  Eckhart, 
Aktenslucke  zu  Meisler  Eckltarls  Prozess,  dans 
Zeilschrift  fur  deutscher  Alterlhum,  1885,  t.  xxix, 
p.  259 sq.;  Meisler  Eckharts  lateinische  Schriften  und 
die  Grundanschauung   seinev    Lehre,    dans    Archiv, 

1886,  t.  il,  p.  417-652;  Dos  Cusanische  Exemplar  la- 
teinischer  Schriften  Eckharts  in  Cues,  dans  Archiv, 
t.  n,  p.  673  sq.;  Die  Heimalh  Meisler  Eckharts,  dans 
Archiv,  1889,  t.  v,  p.  349  sq. 

Le  1'.  Denille  fit  aussi  dans  VArchiv,  1888,  t.  îv, 
p.  263-311,  471-601,  une  étude  importante  :  Die  Hand- 
schriften  der  Bibelcorrektorien  des  13  Jahrhunderts. 

3°  Controverse  thcologique.  —  Nous  plaçons  sous 
cette  dénomination  le  dernier  grand  ouvrage  du 
P.  Denitle  :  Luther  und  Luthertum  in  dei  erster  Ent- 
wicklung  queUenmâssig  dargestelll.  L'ouvrage    com- 


prend  3    parties   formant  le   t.    i  :    [«  partie,  in 
Mayence,  1904;  2«édit.,  1904  :  Il   partie,  -t  édit.,  \\ 

1905;  Ilb  partie,  ±  «'dit..  Weiss,  1906.  Une  traduction 
italienne  de  la  i-  édition  allemande  a  été  entreprise  par 
M  m  Mercati,  Rome,  1905.  Ce  n'est  pas  une  biographie 
de  Luther,  mais  plutôt  une  étude  sur  la  déformation 
systématique  de  certaines  idées  théologiques  dans  la 
psychologie  de  Luther.  La  I"  partie  est  consacrée  à 
la  critique  du  célèbre  ouvrage  de  Luther,  De  votis 
monaslicis  judicium.  Le  1'.  Denifle  s'applique  à  bien 
caractériser  la  position  de  Luther  par  rapport  à  la 
théorie  des  vœux  de  religion,  spécialement  de  la  chas- 
teté. A  la  doctrine  de  Luther,  il  oppose  celle  de  saint 
Thomas  d'Aquin  sur  la  vie  parfaite  et  les  conseils 
évangéliques.  Cette  étude  est  des  plus  importantes 
pour  bien  comprendre  les  idées  qui  ont  dominé  toute 
la  théologie  protestante  depuis  Luther.  Le  P.  Denifle 
lui-même  a  intitulé  la  IIe  partie  :  Beilrag  zur 
schic/ite  der  Exégèse,  der  Lileralur  und  des  Dogmas 
im  Mitlelaller.  L'auteur  y  donne  l'interprétation  jusqu'à 
Luther  du  passage  de  saint  Paul  :  Justilia  enim  Dei 
in  eo  revelalur  ex  fi  de  in  fidem,  Rom.,  I,  17.  et  de  la 
justification,  en  66  grands  extraits  de  l'Ambrosiaster  et 
des  autres  commentateurs  occidentaux  de  l'Épître  aux 
Romains  jusqu'à  Luther.  C'est  un  des  plus  beaux  spi  - 
cimens  d'étude  de  théologie  positive.  La  IIIe  partie  est 
constituée  par  l'étude  des  conséquences  de  ses  doc- 
trines dans  la  psychologie  de  Luther.  Ce  dernier  ou- 
vrage souleva  contre  son  au  leur  une  polémique  très 
vive  de  la  part  des  protestants,  surtout  de  Harnack  et  de 
Seeberg.  Le  P.  Denille  leur  répondit  dans  une  brochure 
importante  :  Luther  in  rationalisticher  und  christli- 
c/œr  Beleuchtung,  Prinzipielle  Auseinandersetzung 
mit  A.  Harnack  und  B.  Seeberg,  Mayence,  1904; 
cf.  aussi  Bévue  d'histoire  ecclésiastique,  111"!,  p.  In5sq. 
Enfin  le  P.  Weiss,  O.  P.,  a  publié  sur  les  notes  du 
P.  Denifle  et  comme  complément  de  son  ouvrage  : 
Lutherpsychologie  als  Schlùssel  zur  Lullœrlegende, 
in-8°,  Mayence,  1906. 

M«'  J.  P.  Kirsch,  Le  R.  P.  Henri  Suso  Denifle,  notice  bio- 
graphique et  bibliographique  (extrait  de  la  Revue  d'hisl 
ecclésiastique,  Louvain,  1905,  t.  VI,  p.  3sq.);Herman  Grauert, 
P.  Heinrich  Denifie,  O.  l'r.  Ein  Wort  ziun  Gedaclttnis  unit 
ztun  Frieden.  Ein  Beilrag  auch  zum  Luther-Streit,  in-8-, 
FrU)ourg-en-Brisgau,  1906;  Dr.  Martin  Grabniann,  Heinrich 
Denifie  O.  P.  Eine  W'àrdigung  seiner  Forschungsarbeit , 
in-8",  Mayence,  1905.  Voir  aussi  les  diverses  études  faites  en  de 
nombreux  périodiques  à  l'époque  de  sa  mort. 

R.   COLLON. 

DÉNISOV  André  et  Siméon,  frères,  les  plus  féconds 
écrivains  du  raskol  russe  et  les  initiateurs  de  sa  théo- 
logie scientifique.  André,  l'aîné  des  deux  frères,  naquit 
en  1061  à  Povienetz,  gouvernement  d'Olonet/..  et  Siméon 
en  1082.  Leur  père,  Denis  Evstaphiev,  descendait  de  la 
noble  famille  des  princes  Mychelsky.  Dans  son  enfance. 
André  assista  aux  épisodes  de  la  terrible  persécution 
que  le  gouvernement  russe  avait  inaugurée  contre  les 
partisans  du  raskol.  Ceux-ci,  traqués  comme  des  1 
fauves,  étaient  obligés  de  se  cacher  dans  des  forêts  im- 
pénétrables, toujours  exposés  au  danger,  si  on  les  dé- 
couvrait, de  périr  sur  le  bûcher,  ou  d'être  ea\ 
en  Sibérie.  Dans  leur  farouche  mysticisme  ot  dan» 
l'attente  prochaine  de  l'Antéchrist,  beaucoup  de  ces 
fanatiques  se  donnaient  la  mort.  Ces  circonstances  influè- 
rent sur  l'âme  du  jeune  André  Dénisov,  naturellement 
portée  au  mysticisme.  Le  diacre  Ignace  du  monastère 
de  Soloveu  lui  inspira  sa  haine  contre  la  réforme  li- 
turgique du  patriarche  Nikon,  et  son  enthousiasme 
ardent  pour  le  raskol.  En  1691,  à  l'insu  de  ses  parents. 
il  quitta  la  maison  paternelle  et  se  retira  au  monastère 
de  Saroo/ero,  fondé  par  Ignace.  Le  monastère  se  trou- 
vait alors  sous  la  direction  de  Daniel  Vikouline,  qui 
frappé  par  l'érudition  et  le  zèle  d'André  Dénisov,  l'en- 
gagea    à    fonder   avec    lui    l'ermitage    de    Vyg    sur  le 


417 


DÉNISOV    —    DENONCIATION 


418 


fleuve  du  même  nom,  dans  la  Poméranie  russe.  Cet 
ermitage,  connu  sous  le  nom  de  Vygovskaia  puslyna, 
devint  célèbre  dans  l'histoire  du  raskol  russe.  André  y 
acquit  bientôt  une  si  grande  inlluence  qu'en  1703 
Daniel  lui-même  le  pria  de  prendre  sur  lui  le  gouver- 
nement de  la  nouvelle  communauté.  Pour  défendre 
plus  de  succès  le  raskol  sur  le  terrain  théolo- 
gique, il  fréquenta  incognito  les  cours  de  l'Académie 
ecclésiastique  de  Kiev,  où  enseignait  alors  Théophane 
Prokopovitch.  L'ancienne  littérature  russe  lui  était  très 
familière,  et  il  s'en  servait  habilement  pour  défendre 
les  crovances  du  raskol.  il  avait  des  attaches  même  à 
la  cour  du  tsar,  et  on  assure  qu'il  était  en  relations 
avec  la  tsarine  Sophie,  (iràce  à  son  inlluence,  un  ukase 
de  Pierre  le  Grand,  du  7  septembre  1705,  sanctionna 
l'autonomie  de  l'ermitage  de  Vyg  et  reconnut  officielle- 
ment la  communauté  qui  y  était  établie.  En  1097,  il 
avait  été  rejoint  à  Vyg  par  son  père  et  ses  frères 
Siméon  et  Ivan.  Il  s'y  adonnait  aux  pratiques  les  plus 
rudes  de  l'ascétisme  et  à  l'étude.  Il  y  fonda  une  école 
de  peinture  religieuse  et  une  école  de  calligraphes, 
chargés  de  copier  les  œuvres  polémistes  des  raskelniks, 
que  le  gouvernement  défendait  d'imprimer.  Leur  atta- 
chement au  raskol  était  si  grand  que  Siméon  ne  céda 
quatre  années  de  prison  (1713-  1710)  subies  à  Nov 
gorod  et  résista  énergiquement  à  toutes  les  tentatives 
du  métropolite  de  cette  ville  pour  le  gagnera  l'Église 
officielle.  André  mourut  au  mois  de  février  1730,  et  la 
communauté  de  Vyg  lui  donna  comme  successeur  Si- 
Ce  dernier  s'appliqua  à  parachever  l'œuvre  de 
son  frère,  à  organiser  intérieurement  l'ermitage  de 
Vyg  et  à  li  dél  udre  contre  l'hostilité  de  l'Église  or- 
thodoxe. Sa  mort  eut  lieu  en  1711. 

Le  bibliographe  du  raskol  russe,  Paul  Lioubopylny, 

mentionne   119  ouvrages  de  polémique    théologique  et 

liturgique  et  d'ascétisme,  sortis  de   la   plume  d'André 

Le  plus  important  sans  contredit  est  intitulé  : 

';/    Réponses  de  la  Poméranie).  Les 

ilniks  le  considèrent  connue  le  livre  fondamental 

de  leurs  croyances.  Le   saint  synode  avait  suggéré  à 

André  la  composition  de  ce  livre.  En  172-2,  se  présenta 

g  le  hiéromoim  Néophyte,  chargé  par  le  saint  sy- 

i,  montrer  au»  raskolnil  tonastère  la  faus- 

ihyte  rédigea  un  recueil  de 

106  qui    lions  touchant   I  s  points  controversés  entre 

rthodoxe  et  le  raskol,  et  demanda  aux  m 

de  \  ndre.  André  se  mit  à  l'œuvre,  avec  l'aide 

■  i  en  quelques  mois  il  composa  les  l'o- 

y,  l'apologie  la  plus  complète  et  la  plus 

kol  sous  le  rapport  théologique,  archéo- 

i  historique.    \  en  croire  les   raskolniks,  le 

-    fut   complet.   Néophyte  ne  fut  pas  capable  de 

adversaires.  Il  quitta  \  yg 

a  la  d  a  répondre  qu'après  un 

fingl  an     Son  Oblitchi  '■       lalion   de 

d  Vndi  é  Déniso  it  la  \  iolence  comme 

i ner  les  adhérents 

du  raskol    L     /  Otviety  avaient  réussi  à  chan- 

ique  di    l'Eglise  officielle,  qui,  battue  sur  le 

u  doctrinal,  cln  ri  bail  -  i  revancl n  préchant  la 

n.  Il  fallut  attendre  presque  deux  siècles  pour 
himandrite  Paul  le  Prussien  (f  27  avril  I 
kol  ■!  l'Égl  Ile,  publi  it  si      /•' 

/ .,  |  ,,,■/,  ; 
•  ou.   t s-*. 1 1     I 

n  i  m  1 1..  1 1  ,  n  i  ublié 

x7  pu    i  du  monastère   Manouîlevsky- 

n  Roumanie. 

i  i  \ieli.   un  .mil.-  vol  uni  dam 

■  z  (iii- 
kol 
I 

netz. 

DICT.   DE   rMÉOI     '  \Tiini.. 


Pitirim,  archevêque  de  Novgorod  (1719-1738),  connu 
par  sa  cruauté  contre  les  raskolniks.  avait  envoyé  des 
missionnaires  aux  moines  de  Kerjenetz  et  ceux-ci 
s'adressèrent,  pour  leur  répondre,  à  André  Dénisov  qui 
rédigea  les  Diakonovy  Otviety.  Cet  ouvrage  a  été 
édité  en  1907  comme  supplément  au  Slaraobriadet:  de 
Nijny-Novgorod  :  Otviety  Aleksandra  diakema  na  Kcr- 
jenlzie  podannyia  Nijegorodskomu  episkopu  Pilirimu 
i'  1819  godu.  L'éditeur  l'attribue  au  diacre  Alexandre, 
écrivain  du  raskol,  mais  il  déclare  lui-même  que  la 
question  d'auteur  n'est  pas  tranchée. 

Les  autres  écrits  d'André  Dénisov  sont  des  traités  de 
polémique  contre  les  orthodoxes,  ou  des  monographies 
historiques  concernant  le  raskol,  ou  des  sermons  et 
des  exhortations  ascétiques. 

Siméon,  d'après  Lioubopylny,  est  l'auteur  de 
47  ouvrages  d'apologie  du  raskol.  Les  plus  importants 
sont  le  Vinograd  ou  Verlograd  (La  vigne  tinsse)  et 
l'Histoire  des  /ivres  et  des  martyrs  du  monastère  de 
Solovel:.  On  y  trouve  les  biographies,  ou  plutôt  les 
panégyriques  des  raskolniks  qui  payèrent  de  leur  vie 
l'attachement  à  leurs  croyances,  ou  qui,  parleurs  écrits 
i  t  leur  prédication,  contribuèrent  à  répandre  le  ras- 
kol. Le  Vinograd  a  été  publié  à  Moscou  en  1906  : 
Vinograd  rosiiskii  ili  opisanie  postradavehikh  r 
liossii  :a  drevnetzerkovnoe  blagotcheslie.  On  l'appelle 
aussi  Ycrtograd,  p.  XVI.  Le  second  a  été  publié  dans  la 
même  ville  par  I!.  Ousov  :  Istoriia  o  ottziekh  i  stra- 
dallziekh  ije  za  blagotcheslie  i  sviatyia  tzerkovnyia 
zakony  i  predaniia  r  nastoiachtchaia  vremena  veli- 
koduchno  postradacha,  Moscou.  1907. 

Tchistovltch,  Vygovskaia  raskonitchelskaia  pustyna  v  per- 
rui  polovinie  xvm  stolietiia,  dans  les  Tchteniia  de  la  Société 
d'histoire  et  d'antiquités  russes,  .Moscou,  1859,  t.  m,  p.  161; 
Philippov,  Istoriia  vygovskoi  staroobriadtcheskoi  pustyni, 
Saint-Pétersbourg,  1862,  p.  -139-151  ;  Bibliotheka  dliia  Tchteniia, 
18f/i,  t.  xxxi,  p.  1-32;  N.  Barsov,  Bratiia  Andrei  i  Semen  De- 
nisovy;  epizod  iz  istorii  russkago  raskola,  Pravosla 
1865,  t.  xvm,  p.  55-91,  232-247,412-438,514 
i    Barsov,  Semen  Dénisov  Vforoue/une,  predvoditel  russkago 

iiis!, ni, i    xvm   Vieka,    l'rudy    de  l'Aciulrniir    rrclr.iiiistique   île 

Kiev   1866,  t.  t,  p.  174-230;  t.  n,  p.    168-230,    285-304;    t.   m. 

m.,  indrei  Denisow  Vtorouchine.kakvygoretzkii 

viednik  ;  materialy  dtia  istorii  russkago  raskola,  ibid., 

1867,  t  i.  p.  243-262;  t.  n,  p.  Bl-95;  Lioubopytny,  Istoritcheskii 

i  katalog  rtcheskoi  tzerkvi,  Mo 

1,169-174  ' ./'-"  v  russkom 

rsboui      1869,  t.  i,  p.  29-30;   '  '   fenie  bra- 

materialy  dliia  istorii  pomorskago  raskola, 

■  m    :,,   1868-1869  god, 

5*  année,  Petrozavodsk,  1869,   p.  85-119;   Tstoritch 

mi,,  1886,  t.  xxii.  n.  12,  p   716;  Bratskoe  Slovo,  Moscou,  1886, 

t.  i,  p.  321  ;  i.  ii.  p.  777:  Pravoslax  lovskaia   Entzi- 

lia,  i   [V, col. 996-1001  \Russkii  biographilcheskiiSlovar, 

lltt,  it,  p,  514-528;  Brada  D  nisovy,  dan-  Izobornih  narodnoi 

1"  année,  n    3-4,  p.  1 113. 

A.   I'\i  mm  RI. 
DÉNONCIATION.  —  I.  Notion  et  espèces.  [I.  Droil 
natun  I.  Il I .  Droil  positif. 

I.  Notion  m  espèces.  —  La  dénonciation  est  la 
manifestation  faite  à  un  supérieur  du  crime  ou  de  la 
faute  de  l'un  de  ses  subordonnés.  Faite  à  unsupérieur 
ut  palri,  uniquement  ou  principalement  dans  l'intérêt 
du  délinquant,  c'est  la  dénonciation  êvangélique,  l'une 
des   formes  de   la  correction  fraternelle.   Voir   t.  m. 

1907.  Faite  au  supérieur  ut  jttdici,  dan-  l'intérêt 
soit  du  bien  public  soil  du  dénonciateur,  c'est  la  dénon- 
ciation iii'lirimrr.  la  MU  le  ilolil  il   sera  ici  que-lion. 

II.  Droii  vvn  bel.  A  quelles  conditions  la  dénon- 
ciation Bera  t-elli  :  l   licite;  2   obligatoire? 

|      /  Pour  n  ■  I  '  |>ahle.  la    dénoncia- 

tion doit  être     l   exacte  :  les  faite  doivent  être  manif 
teli  qu'il  nnus,    don  rlains  ou 

ut    co probable      loi »qu  il-   sont 

autrement,   la   dénonciation  devient    calomnieuse   ou 

iv        r, 


419 


DÉNONCIATION 


420 


téméraire;  2.  motivée  par  des  raisons  suffisantes;  autre- 
ment, elle  sérail  médisance;  3.  conforme,  en  ce  qui 
regarde  l'intention,  aux  règles  de  la  charité. 

2"  Obligation.  —  Pour  être  obligatoire,  la  dénoncia- 
tion doil  être  nécessaire  pour  arriver  à  une  lin  —  bien 
à  procurer  ou  mal  à  écarter  —  qu'on  est  tenu  de  chercher. 

Ce  principe  s'applique  évidemment  à  ceux  qui  par 
devoir  d'état  sont  tenus  de  surveiller  et  de  dénoncer 
les  tentatives  contraires  au  bien  public;  il  s'applique 
aussi  aux  personnes  qui  n'y  sont  tenues  qu'en  vertu 
d'une  obligation  générale  de  charité  ou  de  justice 
légale.  Il  vise  surtout  les  cas  d'agissements  occultes. 
compromettant  la  paix  de  la  société  ou  les  droits  des 
individus,  comme  sont,  par  exemple,  les  entreprises 
coupables  menaçant  la  vie  ou  la  fortune  des  particu- 
liers, les  complots  contre  la  société  ouïe  chef  de  l'État. 

La  dénonciation  ainsi  entendue  ne  peut  être  confon- 
due avec  l'odieuse  pratique  de  la  délation;  elle  en 
diffère  à  la  fois  par  son  but  et  son  objet.  La  délation, 
en  effet,  ne  cherche  point  le  bien  public  et  ne  manifeste 
pas  seulement  ce  qui  peut  le  menacer;  elle  cherche 
avant  tout  à  nuire  à  la  personne  dénoncée  et  manifeste 
indifféremment  tout  ce  qui  peut  lui  faire  tort,  fût-ce 
la  chose  la  plus  innocente  et  la  plus  légitime.  Voir 
col.  244. 

III.  Droit  positif.  —  1"  Droit  civil.  —  Le  droit 
romain  distinguait  la  dénonciation  de  l'accusation. 
L'accusation  forçait  le  juge  à  procéder  contre  l'accusé; 
mais  l'accusateur  était  tenu  de  faire  la  preuve  sous  peine 
d'être  poursuivi  comme  calomniateur.  Le  dénonciateur 
n'était  pas  tenu  de  prouver,  mais  le  juge  n'était  point 
tenu  de  donner  suite  à  sa  dénonciation. 

En  France,  le  code  pénal  n'oblige  plus  les  simples 
particuliers  à  dénoncer  les  crimes.  La  loi  du  28  avril 
1832  a  abrogé  les  articles  qui  rendaient  la  dénonciation 
obligatoire,  en  particulier  les  art.  103-107,  136  du  code 
pénal.  Le  législateur  se  borne  à  encourager  la  dénon- 
ciation de  certaines  fautes  qui  d'ordinaire  ne  peuvent 
se  commettre  par  un  seul  homme.  On  encourage  les 
coupables  à  dénoncer  leurs  complices  par  la  promesse 
de  ne  point  inquiéter  ceux  qui,  avant  toute  exécution 
ou  tentative  de  ces  complots  ou  crimes  et  avant  toutes 
poursuites  commencées,  auront  fait  des  révélations  à 
l'autorité  administrative  ou  judiciaire.  Code  pénal, 
art.  108,  138  et  435.  Ces  dispositions  suppriment  le 
crime  ou  le  délit  de  non-dénoncialion,  mais  pour  n'être 
plus  une  obligation  légale,  la  dénonciation  ne  cesse  pas 
d'être  prescrite  par  le  droit  naturel  dans  les  circon- 
stances indiquées  plus  haut. 

2°  Droit  canon.  —  La  nécessité  de  sauvegarder  dans 
le  peuple  chrétien  la  pureté  de  la  foi  a  provoqué  dans 
l'Église  l'établissement  d'une  législation  spéciale  contre 
les  hérétiques  et  les  personnes  suspectes  d'hérésie.  La 
règle  est  qu'il  faut  les  dénoncer  à  l'inquisiteur  ou  à 
l'évoque.  Un  mois  est  concédé  pour  faire  cette  dénon- 
ciation. Si  la  personne  est  simplement  suspecte  d'héré- 
sie, deux  causes  dispensent  de  ce  devoir  :  la  .crainte 
fondée  de  quelque  grave  dommage;  puis,  d'après  une 
opinion  qui  ne  manque  pas  de  probabilité,  la  parenté 
jusqu'au  quatrième  degré.  Si  l'hérésie  est  formelle,  la 
raison  de  parenté  ne  suflit  plus.  On  considère  comme 
suspects  d'hérésie  ceux  qui  contractent  mariage  malgré 
la  présence  d'un  empêchement  diri niant  ou  qui  donnent 
les  sacrements  sans  avoir  reçu  L'ordination  sacerdotale, 
ou  qui  s'obstinent  à  répéter  des  blasphèmes  hérétiques, 
ou  qui  abusent,  par  des  pratiques  superstitieuses,  de  la 
sainte  eucharistie  ou  des  saintes  huiles;  ou  qui  ne 
veulent  point  dénoncer  les  hérétiques  formels,  ou  qui 
font  partie  des  sectes  condamnées  ou  qui  enfin  sollicitent 
ad  tnrpia  des  personnes  qu'ils  confessent. 

Comme  le  remarque  Lehmkuhl,  Tlicologia  moralis, 
n.  813,  cette  législation  positive  ne  s'impose  plus,  dans 
les  contrées   où  l'hérésie   est   impunément    professée, 


avec  la   même  rigueur  qu'autrefois.    La  dénonciation 
resterai)  sans  effet.  11  il.  n  lurtanl  que,  confor- 

mément au  droil  naturel,  on  doit  dénoncer  à  l'autorité 
compétente  l'hérétique  qui  répand  en  secret  des 
erreurs  et  corrompt  la  foi  des  simples.  S'il  ! 
possible  de  l'arrêter  ou  de  l'empêcher,  on  pourra  du 
moins  mettre  le-  fidèles  en  garde  contre  lui.  Iteux  dé- 
positions toutefois  restent  en  pleine  vigueur;  elles  con- 
cernent :  1.  les  chefs  de  certaines  sociétés  secrètes; 
2.  les  confesseurs  indignes  qui  sollicitent  ait  turpia. 

1.  Chefs  des  sociétés  secrètes.  —  Pie  IX.  par  la  bulle 
Apostolicœ  salis,  frappe  d'excommunication  non  seu- 
lement nonien  dantes  scctie  massonicse  aulcarbonarise 
aat  aitis  ejusdcm  generis,  mais  enccre  non  denun- 
tiaules  occultos  coryp/iœos  et  duces...  donec  non  de- 
nuntutverint.  Pie  VII,  const.  Ecclesiam,  $  10,  et 
Léon  XII,  const.  Quo graviora,  §  13,  obligeaient  de  dé- 
noncer tous  les  membres  des  sociétés  secrètes.  L'ex- 
communication aujourd'hui  n'est  encourue  que  si  l'on 
omet  de  dénoncer  les  chefs  occultes.  Cette  obligation 
subsiste  relativement  à  ceux  qui  passent  publiquement 
pour  avoir  un  grade  élevé  dans  ces  sociétés  et  qui  l'ont 
en  effet,  parce  que  la  réalité  ne  répond  pas  toujours  aux 
apparences,  et  si  cela  est,  il  est  bon  qu'on  le  sache. 
La  dénonciation  doit  être  faite  à  l'évèque  ou  à  son  dé- 
légué. L'excommunication  est  encourue  quand,  durant 
un  laps  de  temps  notable,  on  a  négligé  de  dénoncer. 
Il  suffît  d'un  mois  pour  constituer  cette  notable  période 
et  l'on  doit  compter  à  partir  du  jour  où  l'on  connaît 
l'obligation  de  dénoncer.  Cette  obligation  cesse  toutefois, 
lorsque  la  dénonciation  est  complètement  inutile  ou 
si  difficile  qu'elle  est  moralement  impossible.  Si  l'ex- 
communication a  été  encourue,  elle  cesse  ou  du  moins 
cesse  d'être  réservée  quand  la  dénonciation  est  faite. 

2.  Les  confesseurs  coupables  de  sollicitation  ad  tur- 
pia. —  Pie  IV,  par  la  lettre  Cum  sirut  nuper,  ordon- 
nait aux  inquisiteurs  d'Espagne  de  poursuivre  et  de 
punir  très  rigoureusement  les  confesseurs  coupables 
de  ce  crime.  Grégoire  XV,  par  la  bulle  Universis 
(10  août  1611),  étendit  à  toute  l'Église  cette  disposition 
qui  d'abord  n'obligeait  que  l'Espagne.  Il  ordonna  d'ins- 
truire au  saint  tribunal  les  pénitents  sollicités  ad  tur- 
pia de  dénoncer  aux  inquisiteurs  ou  aux  évèques  tout 
prêtre  séculier  ou  régulier  qui  pcrsonas,  quœcuntcjue 
illœ  sint,  ad  in/ionesta  sive  inter  se  sive  cum  aliis 
quomodoUbet  perpetranda,  in  aclu  sacramcntalis 
confessionis  sive  antca  sive  post,  immédiate,  seu  occa- 
sione  vel  prœtexlu  confessionis  etiam  ipsa  confessione 
non  secula,  sive  extra  occasionem  confessionis.  in 
confessionario  aut  in  loco  quocumque  ubi  confes- 
siones  sacramentales  audiunlur  seu  ad  confessionem 
audiendam  eleeto  simulantes  ibidem  confessiones 
audire,  sollicilare  vel  provoeare  lentaverinl  aut  cum 
eis  illicitos  et  inlionestos  sermones  sire  tractatus  ha- 
buerint.  Benoit  XIV,  const.  Sacramentum  pxnilentiœ, 
confirme  et  précise  encore  les  décisions  de  Grégoire  XV 
en  réprouvant,  par  une  même  condamnation,  tout!  sol- 
licitation faite  siue  verbis,  sive  signis,  sive  nutibus,  sive 
lac  tu,  sive  per  scripturam  aut  tune  aut  postea  h 
dam.  Deux  décisions  du  Saint-i  M  lice,  l'une  du  1 1  février 
1661,  l'autre  du  2(1  février  1867,  sont  relatives  à  ces 
matières  :  la  première,  rappelée  et  confirmée  par  Be- 
noît XIV,  précise  surtout  la  notion  juridique  de  solli- 
citation ;  la  seconde,  le  devoir  de  la  dénonciation.  Voir  le 
texte  dans  Ilallerini.  Opus  morale  tlieoloi/ieum,  2* édit.. 
t.  iv.  p.  582-583.  Pie  IX  a  confirmé  cette  discipline  en 
frappant  d'une  excommunication  majeure  non  réservée 
négligentes  sive  culpabiliter  omitientes  denuntiare 
infra  mensem  confessarios  sive  sacerdotes  a  quibus 
sollicitait  fuerinl  ad  turpia  in  quibuslibel  casibus 
êxpressis  a...  Gregorio  XV...  et  Benedicto  XIV. 

.Nous  indiquerons  ici  ce  qui  concerne  la  dénonciation 
proprement  dite.   Pour  les  autres  questions,  voir  Soi.- 


421 


DÉNONCIATION    —    DENS 


422 


LICITATION.  La  dénonciation  est  obligatoire  sitb  gravi, 
tous  les  textes  le  supposent  ou  l'affirment.  On  encourt 
l'excommunication,  lorsqu'on  omet  sans  motif,  pendant 
l'espace  d'un  mois,  la  dénonciation  que  l'on  sait  obli- 
gatoire et  imposée  sous  peine  de  censure.  Le  confesseur 
ne  peut  donner  l'absolution  qu'après  dénonciation  faite 
ou  du  moins  sérieusement  et  sincèrement  promise. 

Sont  tenus  de  dénoncer  tous  ceux  qui  connaissent 
avec  certitude  le  fait  de  la  sollicitation,  à  moins  qu'ils 
ne  l'aient  appris  sous  le  sceau  du  secret,  sacramentel 
ou  non.  La  dénonciation  est  obligatoire  même  si  la 
faute  est  ancienne,  réparée  par  la  conversion  du  cou- 
pable, impossible  à  prouver  juridiquement.  L'obliga- 
tion cesse  d'exister  quand  le  coupal.de  est  mort,  ou 
même,  selon  une  opinion  probable,  s'il  est  tout  près  de 
la  mort,  c'est-à-dire  si  malade  ou  si  vieux  qu'il  ne 
pourra  jamais  plus  confesser.  Le  confesseur  qui  a  sol- 
licité' n'est  pas  tenu  de  se  dénoncer,  ni  ceux  qui  forment 
avec  lui  une  seule  personne  morale,  c'est-à-dire  ses 
parents  et  ses  proches  au  premier  degré.  Nul,  en  effet, 
e  dénoncer  lui-même.  Le  fait  d'un  incon- 
vénient très  grave,  conséquence  certaine,  inévitable  et 
extrinsèque  île  la  dénonciation,  excuse  encore  de  ce  de- 
\oir;  si  pourtant  le  silence  gardé'  sur  la  sollicitation  doit 
provoquer  un  scandale  public,  il  ne  sera  permis  de  se 
laire  que  dans  le  cas  d'un  inconvénient  analogue  très 
et  d'ordre  public.  La  crainte  fondée  de  voir  divul- 
le  secret  de  la  dénonciation  dispenserait  encore 
du  devoir  de  révéler. 

La  dénonciation  régulièrement  doit  se  faire  en  per- 
sonne ci  (b  vive  voix,  sous  peine  de  nullité.  S'il  est 
matériellement  ou  moralement  impossible  de  remplir 
ainsi  ce  devoir,  on  en  est  dispensé  lant  que  dure  l'im- 
ibilité.  Mais  on  doit  tàcber  d'en  rendre  possible 
l'accomplissement,  en  demandant,  par  exemple,  à 
l'évéque  de  déléguer  un  clerc  et  de  l'envoyer  à  l'effet 
<b  recueillir  la  dénonciation. 

L'imputation  calomnieuse  du  crime  de  sollicitation 
est  un  péché  dont  l'absolution  est  réservée  au  pape, 
mais  non  frappé  de  censure. 

alie,  ii     \xi\,  c.  il  ;  s.  Al- 
1.   III,  n.   123;  1.  IV,  n.   288 
LVt,i  u,  lo  édlt., 

t.  iv,  n   181  Prumpta 

Mari .  /'  aies  alphon- 

2304-2307,  1701,  (354,  1794,  1772  et 
442;  Lehakuhl,   / 

i   n    B11-813;  I.  il,  d.  952, 

;  :     iv.  p.    ilT-'ilS: 

vu,  p.  2â0-254;  les  théologiens ralistes  et 

de  la  foi,  île  la  |  et  des 

v.  Oblet. 

I.  DENS  Pierre,  théologien  belge,  naquit  à  Boom, 

ni. iv  1690.  Il  lii  de  brill.ini.  a 

humanités  au  c  illi  la  congrégation  de 

a    Malines.  Il    vint    ensuite  à   Louvain   et    \ 

osophie,  à    la    ■    pédagogie  du 

i  il  de  1711,  auquel  cent-quatre 

lient   pris  part,  il  sortit  •  second  de  la 

[ui,  en  langage  officiel  de  l'époque, 

i  de  toute  la  série.  Il  entra   alors  au 

pour    v    commencer    l'étudi 

i  1715,  il  était,  deux 
ned'Afflif 
i  in  d  uni;  n  aux 

1     i  iteun 

i 
ii  rappoi  ■  i  i  ann, , 

indiquons  ici  ne  saurait  être 

doute,    atlestée   qu'elle    i  -I   par   le    manu 
iolliéqui   royal 


séminaire  de  .Malines.  Dans  ce  nouveau  milieu,  ainsi 
que  dans  le  précédent,  il  s'acquitta  de  son  devoir  avec 
autant  de  succès  que  de  dévouement  et  d'intelligence, 
s'appliquant  surtout  à  réunir  et  à  présenter  en  une 
forme  concise  et  claire  les  principes  de  la  morale  et 
les  résolutions  particulières  qui  en  découlent.  En  1729, 
il  échangea  le  professorat  contre  la  charge  depléban  de 
Saint-Rombaut,  qu'il  avait  obtenue  au  concours  et 
avec  laquelle  il  cumula,  à  partir  de  1735,  les  fonctions 
d'examinateur  synodal  et  de  président  du  grand  sémi- 
naire. Il  renonça,  en  1737,  à  son  ministère  de  pléban, 
pour  accepter  un  canonicat  de  l'église  métropolitaine; 
et,  la  même  année,  il  fut  nommé  écolàtre  de  .Malines. 
Le  4  juin  1751,  il  était  appelé,  comme  chanoine  gra- 
dué', à  l'office  de  pénitencier,  puis,  en  1754,  promu  à  la 
dignité  d'archiprêtre.  Il  mourut  âgé  de  près  de  quatre- 
vingt-cinq  ans,  le  15  février  1775,  et  il  fut  inhumé  dans  la 
chapelle  du  séminaire,  qui  avait  été  entièrement  re- 
construite sous  sa  direction.  On  y  voit  encore,  sur  sa 
pierre  tombale,  une  brève  épitaphe  rappelant  les  nom- 
breuses charges  qu'il  avait  remplies  successivement  ou 
simultanément. 

Pierre  Dens  était  un  prêtre  d'une  piété  exemplaire, 
d'une  bonhomie  et  d'une  simplicité  antiques,  d'une 
grande  affabilité,  assidu  et  ardent  au  travail  et  cher- 
chant à  en  répandre  l'ardeur  autour  de  lui.  Sa  gravité 
sans  affectation  ni  morgue,  sa  science  théologique  et  la 
droiture  de  son  sens  pratique  en  avaient  fait  le  con- 
seiller très  écoulé  de  beaucoup  de  ses  confrères  dans 
le  sacerdoce  et  en  particulier  de  beaucoup  de  curés. 
Austère  pour  lui-même,  il  se  distinguait  par  les  lar- 
gesses de  sa  charité.  Mais  à  l'aumône  matérielle  il  ai- 
mait joindre  celle,  plus  méritoire,  qui  s'adresse  direc- 
tement à  l'âme  et  au  coeur.  Voilà  pourquoi,  imitateur 
du  célèbre  Gerson,  il  avait  pris  l'habitude  de  réunir 
chaque  dimanche  une  multitude  de  pauvres,  à  qui  il 
expliquai!  les  éléments  du  catéchisme.  C'est  par  le 
même  principe  qu'il  s'intéressait  spécialement  au  sort 
des  jeunes  filles  de  la  classe  populaire  :  pendant  qua- 
rante ans,  il  fut  le  proviseur  et  le  bienfaiteur  géné- 
reux d'une  école  vouée  à  leur  éducation.  Ses  habi- 
tudes de  vie  et  de  labeur  tranquilles  furent  momen- 
tanément troublées  par  deux  incidents  désagréables. 
Kn  ITô.s,  le  gouvernement  des  Pays-Bas  s'avisa  de  pros- 
crire son  Supplément  à  la  théologie  de  Neeeen, 
parce  que  l'auteur  y  revendiquai!  pour  les  églises  le 
droit  d'asile,  qui,  depuis  les  attaques  île  Van  Kspen, 
était,  prétendait-on,  tombé'  en  désuétude.  Vers  la 
même  date,  il  fui  l'objet  d'attaques  assez  violentes  de  la 
part  d'un  franciscain,  Jean  Tomson,  contre  lequel  il  avait 
défendu  et  fait  prévaloir  une  coutume  alors  reçue 
dans  certaines  paroisses  et  motivée  par  des  nécessités 
administratives  :  en  vertu  de  cet  usage,  les  confesseurs, 
au  temps  de  Pâques,  devaient  demander  et  inscrire  les 

noms  des  pénitents  qui   s'adressaient  à  eux.  Une  autre 

polémique,  avec  Maugis,   religieux  de  Saint-Augustin, 

plus  calme.  Ici,    il  s'.i_iss;iii   surtout  de 

Bavoir  si  une    p  i  sonne  qui  n 

peut    cependant    satisfaire    a  ifs    obligations 

d'actes  surnaturels  ;  Mens  le  niait. 

On  doit  à  Pierre  Dens,  sans  parler  de  publications 

impoli. mie  -      l»  Scliemata  \  •>  usinn 

m  l  .  Malines.  1748;  2°  Suppletnenta 

théologie»  /..  Neeien,  de  virtalt  'iquisque 

■  me  '  i  ^.  in  1  '.  Malines,  l 

une  qui  lui    prohibé  pu    I'  I    nient  ,  3    Col" 

m  in  lucem  riiiia  simt 
n  theologù  mu   un  tou  •<  dot  vel  fr< 
citant  horai  i anonit  us  in  affei  t\ 
mortalis,  taliifaciat    /•  ..././..  leu   obligation*  >■ 
tmi'ii  hora  m  i     i    ii   iin    I7( 

cules  dont  il  s'agit  s. .ni  au  nombre  de  quatre;  S    De 
ni.  M, du  .  -  traité 


423 


DENS    —    DENYS  (SAINT 


■42  i 


lui  ensuite, avec  nue  annexe,  réimprimée  sons  le  litre: 
5°  Supplément!  theologise  Neesen  secundo,  purs,  cum 
prosecutione  pacifica  animadvereionum  per  Petrum 

liens  ad  responsionem  h'm.  Mam/is,  in-i",  Louvain, 
1764;  une  première  édition,  séparée,  des  Animadver- 
siones  ad  quxstionem  quodlibeticam  R.  P.  Maugis 
avait  paru  antérieurement;  6°  Responsio  ad  disserta- 
tionem  et  apologiam  .1.  Tomson;  attexitur  pastorum 
diœcesis  de  ea  causa  testimonium,  in-i",  Malines, 
1759;  7"  T/ieologia  ad  usum  seminariorum  el  sacrée 
theologise,  alunmorum,  14  in-8n,  Louvain,  1777.  Ce  der- 
nier ouvrage  est  celui  qui  a  surtout  fondé  la  réputation 
de  l'auteur.  Il  ne  lui  pourtant  publié  qu'après  sa 
mort,  et,  à  part  les  traités  De  virlute  religionis  et  De 
sacramento  pœnilenliœ,  il  n'est  pas  son  œuvre  exclu- 
sive :  la  Theologia  est  partiellement  tributaire  des  pré- 
décesseurs, des  collègues  et  des  élèves  de  Dens.  Quoi 
qu'il  en  soit,  elle  est  restée  pendant  près  d'un  siècle 
le  résumé  classique  pour  l'étude  de  la  théologie,  dans 
plusieurs  séminaires  de  Belgique  et  d'autres  pays.  Elle 
a  été  souvent  rééditée,  notamment  à  Liège,  en  1786; 
à  Malines,  en  1819,  1828  et  1845.  L'édition  donnée 
dans  cette  dernière  ville  de  1862  à  18G4  est  la  9e.  Tout 
cela  sans  tenir  compte  de  réimpressions  partielles. 
Ce  succès  durable  est  dû  aux  mérites  caractéristiques 
du  recueil,  qui  sont  principalement  la  solidité  de  la 
doctrine  et  la  clarté  de  l'exposition.  Le  plan  général 
est  celui  de  la  Somme  théologique  de  saint  Thomas; 
et  partout  l'on  s'est  attaché  surtout  aux  questions  pra- 
tiques, en  passant  beaucoup  plus  rapidement  sur  les 
parties  spéculatives,  telles  que  le  De  Deo  uno,  De  Deo 
trino,  etc.  La  théorie  morale  est  antiprobabiliste. 
L'emploi  constant  du  procédé  par  demandes  et  réponses 
et  la  façon  nette  et  précise  dont  les  unes  et  les  autres 
sont  formulées  n'ont  pas  peu  contribué  à  la  diffusion 
de  ce  manuel  pour  l'enseignement  élémentaire  de  la 
théologie. 

A  cette  liste  on  a  parfois  ajouté  une  Ratio  historica 
de  conciliis  generalibus,  in-8°,  Anvers,  1748.  Mais  le 
volume  ainsi  dénommé  est  en  réalité  l'œuvre  d'un  autre 
écrivain,  à  savoir  de  Théodore-Emmanuel  Dens,  comme 
en  témoignent   tous  les  exemplaires  qui  ont  survécu. 

Yita  auctoris,  en  tète  de  diverses  éditions,  par  exemple 
celle  de  Malines,  1862;  la  Dédicace  de  l'auteur  au  cardinal 
d'Alsace,  entête  du  De  virtute  religionis  ;  VApprobatio  de 
Foppens  pour  les  deux  traités  De  virtute  religionis  et  De 
sacramento  pxnitentise  ;  Biographie  nationale  de  Belgique, 
Bruxelles,  1876,  t.  v  ;  Goethals,  Lectures  relatives  à  l'histoire 
des  sciences  en  Belgique,  Bruxelles,  1837,  t.  i. 

J.   FORGET. 

2.  DENS  Théodore-Emmanuel,  né  à  Anvers  le 
25  décembre  1708,  suivit  les  cours  de  philosophie  à 
l'université  de  Louvain  et,  en  1730,  fut  classé  30e  sur 
106  concurrents  à  la  promotion  de  la  faculté  des  arts. 
Il  étudia  ensuite  la  théologie  et  prit  le  grade  de  licencié, 
le  2  juin  1740.  Cette  même  année,  il  fut  nommé  pro- 
fesseur de  théologie  au  séminaire  d'Anvers;  il  remplit 
cette  charge  jusqu'au  27  décembre  175$.  Devenu  alors 
curé  d'Edeghem,  petit  village  à  une  lieue  environ  d'An- 
vers, il  administra  cette  paroisse  jusqu'à  sa  morl,  sur- 
venue le  24  février  1799.  Il  composa  quelques  ouvrages 
à  l'usage  de  ses  élèves,  tandis  qu'il  était  professeur  à 
Anvers  :  1°  lnlroduclio  ad  scienliam  theologicam, 
in-8°,  Anvers,  1748;  2°  Rrevis  concionandi  melhodus, 
sive  rhelorica  ccclesiastica,  in-8",  Anvers,  1718; 
3°  Ralio  historica  potissimum  de  conciliis  generali- 
bus, in-8°,  Anvers,  1748. 

Analectes  pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique  de  la  Bel- 
gique,  t.   vi,    p.   286-287;  Biographie   nationale,    Bruxelles, 

1876,  I.  v,  col.  601-6U2. 

E,  Mam.knot. 
1.    DENYS  (SAINT),  pape.  259-268.  Successeur  de 
saint  Sixte  II,  qui  mourut  martyr  le  6  août  258,  Denys, 


prêtre  de  Home,  fut  élu  pape  le  22  juillet  259.  Il  si< 
du  temps  de    l'empereur  Gallien,  sous  lequel  l'Églisi 

lut  en  paix.  Les  textes  ne  sont  pas  d'accord  sur  la  duré) 
de  son  pontifical  ;  mais  il   semble  qu'il    vécut   jusq  . 
26  ou  27  décembre  268.  Duchesne,  Liber  pontificalis, 
introduction,  p.    CCXLVin;   Jaffé-Loewenfeld,    Reg> 
pont,  roni.,  t.  I,  p.  22.   Il  est  surtout  connu  pour 
relations    épistolaires    avec    son    homonyme,    I 
évéque  d'Alexandrie,  dans    diverses    affaires  discipli- 
naires ou  doctrinales  et  pour  sa  lettre  consolatoire  à 
l'église  de   Césaréc  en  Cappadoce.  Son  rôle  est  d'une 
véritable  importance  dans  le  développement  du  pouvoir 
pontifical  romain,  en  raison  d'un  cas  d'appel  à  II  -.. 
de  Rome  au  sujet  d'une  question  de  doctrine,  en  raison 
aussi  de  la  générosité  de  l'Eglise  de  Rome  envers  les 
Églises  étrangères,   en  raison  enfin  du  développernen 
donné  à  l'Eglise  de  Rome  elle-même. 

I"  Querelle  baptismale.  —  Parmi  les  lettres  de  Den\s. 
évéque  d'Alexandrie,  à  l'Église  de  Rome,  plusieur- 
étaient  écrites  sous  Etienne  et  Sixte  II  1257-258)  aux 
membres  les  plus  en  vue  du  presbyteriurn  romain, 
entre  autres  à  Philémon  et  Denys,  pour  les  amener,  dans 
la  querelle  baptismale,  à  des  dispositions  plus  douce- 
que  celles  du  pape  Etienne  envers  les  Églises  où  l'on 
s'obstinait  à  ne  pas  reconnaître  le  baptême  donné  par 
les  hérétiques.  La  quatrième  de  ses  lettres  est  adres 
au  seul  prêtre  Denys,  et  Eusèbe,  qui  nous  la  signale, 
remarque  que  son  correspondant  l'appelle  un  bommi 
XÔYtoç  Te  v.ai  Oajaiato;.  H.  E.,  vil,  7,  P.  G.,  t.  XX 
col.  652.  Il  est  permis  de  croire  qu'il  inclina  Sixte  II  et 
tout  le  clergé  romain  à  la  conciliation. 

2°  Affaire  du  sabelUanisme.  —  Denys  d'Alexandrb 
correspondit   encore  avec  son    homonyme,   après  son 
élévation    au    pontificat,  sur   la  question    sabellienm 
Ayant  écrit  plusieurs  lettres  aux  Eglises   de   la   l'enta- 
pole  pour  les  détourner  de  cette  doctrine   cyrénaïque, 
qui  venait  de    s'y  répandre,  il   fut  dénoncé   par  l'un* 
d'elles,  à  son  insu,  au   pape  Denys,  et   accuse''  de    - 
erreurs.   Celui-ci  jugea  l'affaire  importante,  convoqua 
un  synode  en  262,  voir  S.  Athanase,  De  sentenlia  Di  - 
nysii,  13,  P.  G.,  t.xxv,  col.  464;  De  synodis,  13,  !'.<■  . 
t.  xxvi,  col.7i9,  examina  la  lettre  incriminée,  et  y  dé- 
couvrit des  impropriétés  doctrinales,  notamment  l'em- 
ploi du   terme  de  créature,  rcoc'ï)|ia,  en  parlant  du  Fils 
de  Dieu,  la  conception  d'une  trinité  en  trois  hypost 
tellement  distinctes  qu'on  pouvait  y    voir  trois  dieux 
enfin  une  répugnance  marquée  pour  le  terme  d'ô|iooy- 
gio:,  consubstanliel.  Cf.  Duchesne,  Histoire  ancienne  de 
l'Église,  2*  édit.,  Paris,  1906,  p.  186. 

Puis,  en  son  nom  et  au  nom  du  concile,   il    écrivit 
à  toutes  les  Églises  d'Egypte  une  lettre  circulaire  où  il 
condamnait,  en  gardant  un  juste  milieu,  tout  à  la  fois 
l'unitarisme  sabellien  et  le  trithéisme   subordinatien. 
Sans  nommer  personne,   il  réfutait,   avec  une  grande 
logique,  et  ceux  qui  confondaient  les  trois  personn.  - 
divines  à  cause  de  l'unité  de  substance  appelant  indis- 
tinctement le  Père  Fils   ou  le  Fils  Père,  et  ceux  qui 
affirmaient  que  le  Verbe  était  une  créature,  qu'il 
devenu,  qu'il  y  avait  eu  un  espace  de  temps  où  le  Pèl 
était  avant  le  Fils.  Il  voulait  que  l'on  conciliât  l'uni! 
ou  la  monarchie  divine  avec  la  trinité,  que  l'on  recon- 
nût en  Dieu  le  Père  tout-puissant,  Jésus-Christ,  son 
Fils,  et  le  Saint-Espril.    et    spécialement  qu'on  dit  du 
Fils  qu'il  est  l'auteur  de  toutes  choses  dans  l'unité  d< 
substance  avec  le    Père.  Il  insistait  même,  à  en  jugei 
par  les  réponses  de  Denvs   d'Alexandrie,  sur  l'utilité 
d'employer  le  terme  d'ôtxooû<rio;   pour  désigner  pins 
exactement  les  rapports  du  Fils  avec  le  Père.  S.  Atha- 
nase,  De  décret is  Nicsen.    synod.,   26,   P.  G.,  t.  xxv. 
col.  464-465,  citant   i'Epistola   adversus    sabeltianos, 
de  s. uni  Denys  de  Rome,  P.  L.,  t.  v,  col.  116.  Cf.  lui: 
zinger.  Enchiridion,  10*  édit.,  n.  18-51. 
Par  une  lettre  séparée,  le  pape  invita  Denys  à  s'ex 


425 


DENYS    (SAINT)   —    DENTS    D'ALEXANDRIE   (SAINT) 


426 


pliquer.  Celui-ci  envoya  une  justification  en  quatre 
livres  intitulés  :  Réfulalionet  Apologie,  dontsaint  Atha- 
nase  nous  a  conservé  des  extraits,  et  qui  dut  satisfaire 
l'orthodoxie  romaine.  Voir  Feltoe,  The  Letters  andotlter 
remains  of  Dinnysius  of  Alexandria,  Cambridge,  1904, 
p.  18-2-198. 

En  résumé,  en  toute  celte  afl'aire,  Denys  de  Rome 
apparaît  comme  un  homme  de  gouvernement  et  de 
doctrine  :  il  prémunit  à  jamais  les  Alexandrins  contre 

^■nisme  qui  était  à  la  hase  des  théories  de  Denys, 
et  les  prépare   de  loin   à   la    lutte  contre   l'arianisme 
lorsqu'il  naîtra  cinquante  ans  plus  tard  parmi  eux. 
3°  Lettre   à  l'Église  de   Césarée.  —   Denys  écrivit 

:  à  l'Église  de  Césarée  en  Cappadoce,  affligée  par 
l'invasion  des  Perses.  Il  lui  envoya  des  secours  en  ar- 
gent pour  le  rachat  des  fidèles,  entraînés  en  captivité 
par  les  barbares.  Sa  lettre  était  précieusement  conser- 

'lans  les  archives  de  l'Eglise,  au  temps  de  saint 
Basile,  qui  dans  sa  correspondance  avec  le  pape  Da- 
mase  la  rappelle,  en  appelant  son  auteur  Aiovitatov 
LxEÏvov,  -'ri  !ijz]io;ti.):jit'jv  lictaxoitov.  Epist.,  LXX,  P.  G.. 
t.  xxxn,  col.  436.  Cet  acte  de  charité,  succédant  aux 
rapports  tendus  qui  avaient  existé  peu  auparavant  entre 

I  irmilien,  évéque  de  Césarée,  et  les  prédécesseurs  de 
Denys,  était  de  nature  à  resserrer  l'union  des  Eglises 
orientales  avec  Rome.  Cf.  Salmon,  Injallibility  of  the 
Church,  p.  375. 

On  trouve  encore  le  nom  de  Denys  de  Rome,  comme 
nataire  de  la  circulaire  adressée  par   les  évéques 
à  la  suite   du   dernier  concile   d'Antioche  contre  Paul 
de  Samosate  :   elle  arriva  peut-être  à  Rome  après    sa 
morl  //.   E.,  vu,  :s<>,  P.  G.,  t.  xx,  col.  709; 

S.Jérôme,  De  viris,  71.  /'.  /..,  t.  xxm.  Eusèbe,  H.  E., 
vil,  9.  /'.  '/'.,  t.  xx,  col.  657,  mentionne  une  autre  lettre 
de   Denys   d'Alexandrie  à  Denys  de  Rome,  sur  Lucien, 
doute  le  prêtre  d'Antioche,  dont  se  réclamait  Paul 
de  Samosate;  cette  lettre  ne  nous  est  pas  parvenue. 
i    Développement  de  l'Eglise  de  Rome.  —Le  Liber 
(icalis,  'dit.  Duchesne,  t.  i,  p.  157,  d'après  quel- 
que document  un  quelque  tradition,  rapporte  que  he- 
in- lit  mie  nouvelle  délimitation  des  '-lises  et  cime- 
ins  doute  désorganis        pr<      la   persécution 
Galérien.  Cf.    Duchesne,  ibid.,  introduction,  p.   C. 

II  signale  aussi  -es  ordinations  el  ajoute  seulement 
quecepape  fui  enseveli  au  cimetière  de  CaJixte. 

rtouth,    Heliquise   sa  l.    m;    Manst,  Concil.,  t.   r, 

i  Feld,  t.  i,  p.  22;  1  .  édlt. 

Duchesne,  t.  i,  p.   157;  Harnack,  Geschichte  der  altchristlichen 
i 
;  onn,  1881,  p    353    i  lui  i 

6,  t.  i,  p. 486;  i  l.  Chevalier,  Répertoire. 

lit.,  t.  i.  col.  117.".  Voir  l'article  suivant. 

\.  Cl  l.nv.w  . 

2.     DENYS    D'ALEXANDRIE    (SAINT)    naquil 

la  ville  de  ce   nom  |  menl  avant   l'an  200, 

parents   païens.   Amené  au    christianisme    par  de 

ludes.  il  suivit  les  leçons  d'Origène.  En  231 

•:■>.   il    succéda  .i   lléraclas  dans  la  direction  de 

■  chétique.  el    'i/'1  an-  plus  lard,  sans  ci 

le-t-il,  son  enseignemenl  .i  l'école,  dans  la  chaire 

■  pal'     l..'  i  \ le  lut  un  enchaînement  de 

.   Il  put  -e  soustraire  par  la 

ion  de  Dèc<    250  251  .  m. h-  durant 

•  !.■  de  Valérien  reli  guer  d  a 

phro  en   Libye,  puis  en  un  endroit  i  encore  plus 

,  dit  Eu»  i".  au  pays  d"  Colluthioo  dans 

i   Mi  \  m. h  a.  en  mari  262,  il  \ 

'      .un.     il  mourut 

!•■  .1'  tatioche  contn    Paul  de 

lui  a    ai.  ni   pas 

ndi  e. 

Le    '•<  nom   de  ami   i . 

•  i  Mexandi  ii     el  peut-être   lui   fut-il  atti  ibui     pai 


contemporains.  En  tout  cas,  il  est  déjà  employé  par 
saint  Pierre  d'Alexandrie,  dans  un  fragment  conservé 
de  sa  Myslagogie,  P.  G.,  t.  xvm.  Ce  titre  a  été  consa- 
cré par  Eusèhe,  H.  E.,  1.  VII,  préface,  P.  G.,  t.  xx, 
col.  657.  Rien  qu'il  fût  l'homme  d'action  plus  que  de 
doctrine,  saint  Athanase  le  qualifie  de  xaOoXexîjç  'Ex- 
xX^o-t'a;  6ioi^xa),oç.  Epist.  de  sentent.  Dionys.,  c.  vi, 
P.  G.,  t.  xxv.  col.  487.  Saint  Rasile  l'appelle  xavovtxév, 
attestant  ainsi  son  autorité  et  l'orthodoxie  de  sa  foi. 
Epist.,  I.  II,  epist.  clxxxviii,  P.  G.,  t.  xxxn,  col.  664. 
Il  intervint  énergiquement  et  avec  succès  dans  les  ques- 
tions qui  s'agitaient  alors  dans  l'Eglise,  aussi  décidé 
contre  l'erreur  que  doux  et  prévenant  pour  les  errants. 
Il  ne  publia  guère  que  des  écrits  de  circonstance,  en 
vue  d'un  besoin  pratique,  dans  un  style  alerte  et  vivant, 
non  exempts  d'obscurités  dogmatiques,  mais  toujours 
animés  du  zèle  le  plus  pur.  Nous  n'en  possédons  mal- 
heureusement que  des  fragments,  la  plupart  sauvés 
par  Eusèbe,  recueillis  trop  incomplètement  par  Migne, 
P.  G.,  t.  x,  col.  1233-1344,  1576-1602.  Cf.  Pitra,  Analecta 
sacra,  t.  m,  p.  596-598;  t.  ir,  p.  xxxvi-xxxvii;  frag- 
ments syriaques  et  arméniens,  t.  iv,  p.  169-182,  413- 
422;  cf.  Prol.,  p.  xxm-xxv.  M.  Feltoe  a  recueilli  d'une 
façon  plus  complète  les  fragments  des  .envies  de 
saint  Denys,  Aiovûtriou  Xe»f/ava-  The  Letters  ami  other 
remains  of  Dionysius  of  Alexandria,  Cambridge,  1904. 
Il  les  a  groupés  en  six  catégories  :,1°  les  lettres,  parmi 
lesquelles  il  faut  noter  les  cinq  épitres  baptismales; 
2°  IIcp'..  âitayYsXewv;  3°  Ilept  cp'Jistoç;  4°  la  controverse 
avec  Denys  de  Rome;  5°  les  fragments  exégétiques; 
6°  des  fragments  divers.  Il  a  utilisé  des  fragments  pu- 
bliés par  Holl,  dans  Texte  ttnd  Unlersuchungen,  1900, 
t.  x\.  el  par  Sickenberger,  ibid,,  1902,  t.  xxil,  fasc.  i, 
p.  62,  78-79,  82,  85,  86,  98.  La  liste  des  ouvrages  de  saint 
Denys  a  été  donnée  par  saint  Jérôme,  De  viris,  69,  /'.  L., 
t.  xxm,  col.  677-681.  Il  faut  signaler  la  lettre  à  saint  De- 
nys de  Rome,  lkp'i  A.ouxtavoû,  l'èitt<rroXT|  8iaxovwr|  ôt' 
ll7otoXut6u,  l'épitre  totç  xctfi'  Aïyv7iTov  7iepi  psTavofocc, 
l'épitre  à  Conon,  l'épitre  ÉftioHteoTix*), la  lettre  à  Origène, 
nepl  p.apT'jp(ou,  etc.  On  ne  connaît  aussi  que  le  titre  .lu 
Livre  sur  les  tentations,  o  Trspi  JtEtpa<ru.ô>v  >.6yoi,  Eu- 
sèbe, op.  cit.,  1.  Vil,  c.  xxvi,  2,  P.  G.,  t.  xx.  col  705. 
Les  livres  sur  lu  nature,  ol  itepl  çûo-ew«  \6yoi,  Eusèbe, 
loc.  cit.,  ei  Prtep.  ev.,  I.  XIV,  c.  xxm-xxvii.  P.  G.t 
t.  xxi,  col.  l272-lL2Sii.  probablement  antérieurs  à  l'épis- 
copat  .le  Denys,  étaient  une  solide  réfutation  du  ma- 
térialisme épicurien,  D'un  commentaire  sur  les  pre 
iniers  chapitres  de  l'Ecclésiaste,  i,   l-in,  11,   Eusèbe, 

//.    E.,    I.    VII,    C.    XXVI,    3,    COl.  705,   qui  semble    de     la 

même  époque,  une  chaîne  donne  des  fragments  consi- 
dérables, certainement  authentiques  dans  l'ensemble. 
I  i  -  ii,  ua   livres  sur  1rs  promesses,  Ttepi  inayYeXt&v  ovo 

iu-cYpiu.iJ.aTa,    Eusèbe,    op.    vit.,    1.     VII,    c    xxiv-wv. 

col.  692-704,  écrits  vers  253-257.  étaient  dirigés  contre 
Népos,  un  évéque  de  la  région   d'Arsinoë,   et  -a   llr- 
fulalion  <!<•*  allégorisles.  Voir  Népos.  Dans  le  i.  i 
Denys  combattait  les  rêveries  millénaristes  de  V 
il  traitait,  dans  le  I.  II",  de  l'autorité  de   l'Apocalypse, 

composée    par    g   un   Saint,     inspiré  de     Dieu      ,   n 

Jean,  mm  toutefois  par  saint  .ban  l'évangéliste.  Voir  1. 1, 
col.  1469.  L'adhésion  de  plusieurs  évéques  de  Lin 

lie  de  Sabellius  fut  l'occasion  du  concile  d'Alexan- 
drie de  261  el  de   la  lettre  >  tmmonius  et  Euphranor; 

pendant  qu'il  m  qu  à  fuir  l'écueil  d > 

dalisme,  Denys  faillit  tombei  sur  celui  .lu  subordinatia 
nisme  ;  pour  exprimei  avec  toute  la  netteté  possible  la 
distinction  personnelle  .in  r.  re  et  du  i  ils,  il  emploie 
des  tei  mes  et  d  ona  qui  impliquent  une 

distinction  substantielle,  accusé  .1.    lii  .rieur-  bu 

du  pape   saint     Denys,   1 1 1 . 1 1  ■  ■  |  ..i  i     le   ile    rnuiain    de 

,  tifler,   il   répondil    d'abord  par  une  i.  Itre, 
S.  Alhan  i  e,  1  pist.de  tentent   i  I   /■  Q  ,  i  \w, 

col.  W6,  et  ensuite  plu-  explicitement  par  une  Réfuta 


427      DENYS  D'ALEXANDRIE    SAINT)-     DENYS  DE  CONSTANTINOPLE     428 


(ton  et  Apologie,  :"/:-;•//,;  xott  iiroXoyia  en  4  livres. 
S.  Alhanase,  op.  cit.,  13,  col.  500;  Eusèbe,  o//.  cit.,  1.  VII, 
c  xxiv,  I,  col.  704;  De  synodie  Arimini  in  Italia  <■( 
Seleucise.  in  Isauria  celebratis,  43,  P.  G.,  t.  xxvi, 
col.  769,  qui  contenait  des  déclarations  absolument  or- 
thodoxes au  sujet  de  la  Trinité.  Saint  Basile  a  connu 
la  dénonciation  de  saint  Denys  d'Alexandrie  à  saint 
Denys  de  Home.  Il  mentionne  l'apologie  de  l'évêque 
accusé  et  rend  justice  à  sa  foi  au  sujet  de  la  trinité.  11 
précise  exactement  l'erreur  de  Denys,  mais  il  l'expli- 
que et  partage  l'opinion  indulgente  de  saint  Denys  de 
Home  et  de  saint  Alhanase.  De  Spirilu  Sanclo,  72, 
P.  G.,  t.  xxxii,  col.  201  ;  Epist.,  IX,  ibid.,  col.  269.  Il 
a  donc  connu  toute  l'affaire  et  l'a  jugée  en  théologien 
compétent.  Denys  écrivit  une  série  de  lettres  relatives 
au  schisme  novatienet  à  la  question  des  lapsi.  11  exhor- 
tait Novatien  et  ses  adhérents  à  se  soumettre  au  pape 
légitime  et  recommandait  à  l'égard  des  tombés  toute 
1  indulgence  possible;  particulièrement  belle  est  la  lettre 
a  l'antipape  lui-même.  Eusèbe,  op.  cit.,  1.  VI,  c.  xlv, 
col.  03i.  Dans  le  différend  sur  la  validité  du  baptême 
des  hérétiques,  Denys  travailla  surtout  à  porter  les 
uns  et  les  autres  à  la  paix.  Eusèbe,  op.  cit.,  1.  VII, 
e.  iv-ix,  col.  641-657.  L'an  264  ou  2G5,  le  vieil  évèque 
écrivit  à  l'Eglise  d'Antioche  contre  la  doctrine  de  Paul 
dé  Samosate.  Ibid.,  c.  xxvn,  2,  col.  705.  La  lettre  à 
l'hérétique  lui-même  qu'on  trouve  dans  Mansi,  Concil., 
t.  I,  col.  1039-1088,  est  une  supercherie  de  plus  des 
apollinaristes.  Eusèbe  a  extrait  des  lettres  pascales  de 
saint  Denys  quelques  données  historiques,  H.  E.,  1.  VII, 
c.  xx-xxn,  col.  G8I-692;  la  lettre  à  Domitius  et  Didyme 
pour  la  Pàque  de  251  contenait  un  canon  pascal  de  huit 
années  et  décidait  que  la  fête  devait  toujours  se  célé- 
brer après  l'équinoxe  du  printemps.  Ibid.Une  des  let- 
tres à  Basilide,  évêque  de  la  Pentapole,  Eusèbe,  1.  VII, 
c.  xxxi,  3,  col.  705,  doit  sa  conservation  intégrale  à  cette 
circonstance  qu'elle  a  été  mise  par  les  Grecs  au  nombre 
des  Épitres  canoniques.  Roulh,  Reliq.  sacrée,  2e  édit., 
t.  m,  p.  219-250;  Pitra,  Juris  eccl.  Grœc.  hist.  et  mo- 
num.,  t.  i,  p.  541-545,  cf.  p.  518  sq. 

La  plupart  des  traités  de  saint  Denys  ont  été  écrits 
sous  forme  de  lettres.  Eusèbe,  H.  E.,  1.  VII,  c.  xxvi, 
P.  G.,  t.  xx,  col.  704-705.  Le  Ilepî  o-aSgâro'j,  comme  le 
IIep\  Y"(JLvafftou,  le  Ilepi  cpûcioi;  et  le  Ihç,\  Tteipao-p.oiv, 
dédié  à  Euphranos,  étaient  des  lettres. 

Saint  Denys  a  sur  l'inspiration  de  l'Écriture  les 
mêmes  idées  qu'Origène.  Il  attribue  formellement  l'É- 
pitre  aux  Hébreux  à  saint  Paul,  et  sur  ce  point,  il  va 
plus  loin  qu'Origène.  Cf.  Eusèbe,  1.  VI, c.  xxv,  col.  584 
(pour  Origène),  et  1.  VI,  c.  xli,  col.  605,  où  saint  Denys 
cite  Heb.,  x,  34,  avec  cette  introduction  :  IlaC/.o;  Èp.ap- 
Tjpr^s.  Il  est  aussi  témoin  de  la  foi  de  l'Église  au  sujet 
de  la  présence  réelle  du  corps  et  du  sang  de  Jésus- 
Christ  dans  l'eucharistie  :  toO  o-tôpaTo;  xat  toG  ai'u.axo.; 
to-j  Kvpîovi  r,|j.<âv  'Ir,ffo0  XpuTToO  asTaT/ôvr*.  Eusèbe, 
1.  VII,  c.  IX,  col.  656.  Il  nous  apprend  aussi  qu'à  Alexan- 
drie la  sainte  eucharistie  était  conservée  pour  les  ma- 
lades :  'fiça.yy  xr\i  £'jy_aptsr\aç  ê7ci8«i>xev  x3>  rcatSaplu. 
Eusèbe,  1.  VI,  c.  xliv,  col.  632. 

Bardenliewcr,  Les  Pères  île  l'Église,  trad.  Godet  et  Yerschalïel, 
t.  i,  p.  283-288;  Dittrich,  Dionysius  der  Grosse  von  Alexan- 
drien,  in-8',  Fribouig,  1867;  Ha.vnack,Geschiclite  der  altchristl. 
Litteratur,  t.  i.  p.  409-427;  Fœister,  De  doctrine,  et  sententiis 
Diotiysli  M agni  Alexandrin i,  Berlin,  18(35;  Roch,  Dionysius  der 
Grosse  iiber  die  Natur,  Leipzig,  1882;  Dictionary  of  Christian 
Biograpliy,  art.  Dionysios  of  Alexandria;  Benson,  Cyprin». 
1897,  passim;  Feltoe,  The  Letters  and  other  remains  of  Dio- 
nysios  of  Alexandria,  Cambridge,  1904;  Hurter,  Nomcncla- 
tor,  3"  édit.,  t.  i.  col.  82-86;  Chevalier,  Répertoire.  Bio-biblio- 
graphie,  2'  édit.,  t.  i,  col.  1168-1169. 

C.  Vkrschaitel. 

8.  DENYS  DE  CORINTHE  (SAINT)  était  évêque 
de  cette  ville  au  lemps  du  pape  saint  Soter  (vers  166- 
174).  Voir  Soter.  Il  avait  une  telle  réputation  que  les 


Églises  les  plus  loi  niai  nés  ai  niaient  à  le  consulter.  Eusèbe 
connaissait  de  lui  sept  épitres  «  catholiques  »,  c'est-à- 
dire  adressées  à  des  communautés  diverses,  et  une 
lettre  particulière.  De  la  vu1  ('pitre  catholique,  lettre  de 
remerciement  et  réponse  à  la  communauté  de  Home, 
l'historien  de  l'Église  nous  a  laissé  de  précieux  extrait-. 
//.  E.,  I.  IV,  c.  xxiii.  10-1/2.  /'.  .;..  t.  xx,  col. 
11  y  célèbre  la  charité  de  l'Eglise  de  Home  envers  celle 
de  Corinthe,  col.  387.  L'épitre  aux  r.phésiens  était  di- 
rigée contre  le  gnosticisme  de  Marcion.  Ibid.,  1.  IV. 
c.  XXIII,  i,  ibid,,  col.  381. 

Routh,  Reliquix  sacrœ,  2' édit.,  t.  I,  p.  175-201;  H:u denliexver, 
Les  Pères  de  l'Église,  trad.  Godet  et  Verscbalfel,  t.  i,  p.  242. 
Cf.  II.  Chevalier,  Répertoire.   Biobibliographie,  2'  édit.,  t.  i, 

col.  1174. 

C.  Verschafi  i  i  . 

4.  DENYS  d'Andrinople,  métropolitain  de  cette 
ville,  mérite  une  mention  dans  ce  dictionnaire  pour  le 
recueil  d'homélies  qu'il  publia  à  Venise,  en  1777.  sous 
la  surveillance  de  Spyridion  Papadopoulos.  En  voici  le 
titre  :  'Op.ii.iai  Sidctpopot  pt).07tovr)6eî<jai,  oûtuk  û>î  ôpôv- 
rai  [u8e  xestievai,  <ruvro[i.o(  ai  iz~).eio\iç,  -/.ai  EÛavvoirroi, 
yypcv  tôv  aTtÀoucTTÉpo)/,  in-4°,  Venise,  1777.  Elles  sont 
divisées  matériellement  en  deux  parties,  la  première 
consacrée  aux  principales  fêtes,  la  seconde  au  propre 
du  temps;  mais  la  division  n'est  qu'apparente.  Ici 
comme  là,  ce  sont  de  simples  exhortations  aux  vertus 
chrétiennes,  rédigées  sobrement  et  prononcées  par 
Denys  au  cours  de  ses  visites  pastorales.  C.  Sathas,  qui 
les  signale  dans  sa  NeoeX).r)vixT|  piXoXovfa,  p.  610,  assure 
qu'elles  ont  été  irnpriméesen  1775  et  en  1778;  ces  deux 
dates,  comme  tant  d'autres  fournies  par  ce  peu  scrupu- 
leux écrivain,  sont  absolument  fausses. 

L.  Petit. 

5.  DENYS  IV  DE  CONSTANTINOPLE,  pa- 
triarche, auteur  d'une  célèbre  profession  de  foi  cuiitre 
les  erreurs  calvinistes  :  c'est  à  ce  titre  qu'il  figure  ici. 
à  l'exclusion  des  autres  patriarches  de  même  nom. 
Originaire  de  Constantinople,  Denys  Mouslim  ou  le 
gouverneur  était  simple  employé  du  patriarcat  œcu- 
ménique et  étranger  même  à  la  cléricature,  quand  la 
faveur  de  Denys  III,  son  protecteur,  l'éleva  sans  tran- 
sition aucune  à  la  métropole  de  Larissa  9  août  1662), 
que  Denys  III  venait  précisément  de  quitter  pour  le 
trône  patriarcal.  A  la  chute  de  Parthénius  IV.  le  nou- 
veau métropolitain  devint  patriarche  lui-même  au  mois 
d'octobre  1671.  Renversé  le  14  août  1673,  il  réussit  à 
remonter  sur  la  chaire  de  Photius  le  24  octobre  1676; 
il  s'y  maintint  jusqu'au  2  août  1679.  Trois  fois  encore 
il  revint  et  trois  fois  il  dut  se  retirer  devant  l'opposition 
de  la  clique  phanariote  :  31  août  1683-10  mars  16S3, 
7  avril  1686-17  octobre  1687,  fin  1693  pour  un  court 
pontificat  de  sept  mois.  Retiré  en  Valachie,  il  mourut  à 
Bucarest  le  23  septembre  1696  et  fui  inhumé  au  monas- 
tère de  Radoulvoda.  —  C'est  au  mois  de  janvier  L672, 
lors  de  son  premier  patriarcat,  que  Denys.  d'accord  avec 
les  patriarches  démissionnaires  et  les  membres  du  sy- 
node, donna  sa  fameuse  réponse  sur  les  erreurs  calvi- 
nistes. Elle  traite,  après  uncourl  préambule,  du  nombre 
des  sacrements  et  de  leur  nature,  en  particulier  de  la 
sainle  eucharistie  et  de  la  présence  réelle,  du  baptême 
des  enfants,  du  sacerdoce  et  de  sa  nécessité,  du  mai 

et  du  célibat  des  préires,  de  l'Église  orthodoxe  orien- 
tale, du  culte  des  saints  et  de  la  vénération  des  images, 
du  jeune,  et,  pour  finir,  des  Livres  saints  et  de  leur 
nombre.  Editée  pour  la  première  fois  par  le  bénédictin 
Michel  Poucqueret  à  la  suite  du  synode  de  Jérusalem. 
ïh-80,  Paris,  1676  et  1678,  cette  déclaration  dogmatique 
fut  insérée  par  Hardouin,  avec  quelques  amendements 
dans  la  traduction  latine,  au  t.  xi  de  sa  collection  des 
conciles,  p.  273  sq.,  d'où  elle  passa  dans  le  Supplément 
cli  Mansi,  Conciliorum  collectio,  t.  xxxiv  b,  col.  1777- 
1790    t.  xxxvii.  col.  153-464.  On  la  trouve  encore  dans  le 


429 


DENYS    DE    COXSTANTIXOPLE '—    DENYS    L'AREOPAGITE 


430 


recueil  de  Kimmel-Weissenborn,  Appendix  librorum 
symbolicorum  Ecclesise  orientalis,  Iéna.  1830,  p.  2li- 
227;  dans  la  Vérité  ecclésiastique  de  Constantinople, 
1881,  t.  i,  p.  88-91,  et  dans  I.  E.  Mesoloras,  £uu£oXumj 

-r,:    Ôp6o8ôËo-J     àvara)  r/.r,:    i/.v.'rr^ix:,    t.    I,   supplément. 

Athènes,  1893,  p.  139-116. 

L.  Petit. 

6.  DENYS  DE  GÊNES,  TASSORELLI,  nous  dit 
lai-même  qu'il  naquit  le  18  mai  1636  et  qu'il  entra  au 
noviciat  des  capucins  le  18  mai  1651.  Il  consacra  le 
temps  que  lui  laissaient  libre  les  divers  devoirs  de  la 
vie  religieuse  et  les  fonctions  de  supérieur  de  plusieurs 
couvents  à  recueillir  les  éléments  de  la  Ribliollieca 
scriptorum  ordinis  minorum  S.  Francisci  capuccmo- 
rum,  in-4»,  Gènes,  1680;   in-fol..   ibid.,   1691.   Cet  ou- 

fut  réédité  et  continué  par  Bernard  de  Bologne, 
in-fol.,  Venise,  17 17.  Le  P.  Denys  mourut  à  Gènes  en 
I69.">,  laissant  dans  ses  manuscrits  la  traduction  de  plu- 
sieurs ouvrages  du  P.  Yves  de  Paris. 

istinus  Oldoinus,  S.  J.,  Athenxum  Ligusticum,  Pérouse, 
1680,  p.  153;  Denys  de  Gènes  et  Bernard  de  Bologne,  liibliotheca 
scriptor.  capuccinorum;  Giornale  dei  letterati,  1692,  p.  171. 
P.  Édoi'ard  d'Alençon. 

7.  DENYS    L'AREOPAGITE    (LE  PSEUDO-). 

—  I.  Ecrits  aréopagi  tiques  ou  Corpus  dionysiacum. 
Il    Auteur.  III.  Synthèse  théologique.  IV.  Inllucnce. 

I.  Ecrits  aréopagitiques,  ou  Corpus  Dionysiacum. 

—  Denys  l'Aréopagite  est  ce  membre  de  l'Aréopage  que 
saint  Paul  convertit,  Act.,  xiv,  34,  et  choisit  pour  le 
premier  évoque  d'Athènes,  Eusèbe,  //.  E.,  iv,  23,  'i. 
/'.  '.'.,  I.  xx,  col.  568:  A  cela  prés,  il  n'y  a  sur  lui 
qu'erreurs  ou  simples  conjectures.  —  Il  nous  esl 
resté,  sous  le  nom  de  saint  Denys  l'Aréopagite,  un 
groupe  de  livres  et  de  lettres,  où  le  caractère  tout  à 
fait  a  pari  du  style  el  du  ton.  aussi  bien  que  l'harmo- 
nie constante  des  grandes  vues  philosophiques  et  théo- 
logiques, dénotent,  au  moins  dans  l'ensemble,  l'unité 
de  la  composition  avec  le  génie  de  l'auteur.  Groupe 
original,  sorte  de  sphinx  aux  énigmes  incessantes  non 
encore  totalement  déchiffrées,  et  qui  ne  laisse  pas 
d'être  au  centre  de  la  mystique  chrétienne,  ou  plutôt 
d'en  être  le  centre  incontesté.  On   j  aperçoit  au  pre- 

-  quatre  livres  assez  étendus,  tous  dédiés  par 
l'auteur,  sans  que  la  dédicace  actuelle  suit  de  sa  main. 
aTimothée,  i  Bon  collègue  dans  le  sacerdoce,  t<.>  avr- 
ils  soni  intitulés  :  I "   De  la  hiérarchie 
,  P  G.,  t.  m,  col.  119-369;  2   De  la  hiérai 

ibid.,  col.  370-581;  3    De»  noms  divins, 
ibid  >996;    I     Théologie    mystique,     ibid., 

col.  997-19i8.   Indépendamment  de  ces  quatre   li 

i    prendre  i  tions  au   pied  de  la 

lettre,  aurait  écril  ou  projeté  d'écrire  sepl  autres 
ouvrages  :  les  /  théologiques,  OcoXoYixai  ûito- 

livines,  la  Théologie  symbo- 
lique, le  traité  De  l'âme  humaine,  Il ■-...  ■l^/r,;,  celui 
Di  lelligibles  et  des  choses  sensiblesj  tlepl 

xi  -0/)Tû)v,  celui  De  la  hiérarchie  de  l'A 
lui  enlin  Du  juste  jugement  de  Dieu, 
Il      -   -.  o*j  x«l  Oeto'j  Sty.aiioTTipfou.  De  telle  sorte  qu'en 
lin  aurait  conçu,  sinon  peut-être  entiè- 
.  le  plan  d'une  vaste  el  vivante  synthèse 
théologique.  Hipler,  Dionysius  der  Aràopagite,  Ratis- 
ne,  1801,  p.  75  iq  .  Kirchetilexikon,  2  édit.,  t.  ni, 
1  ■  '■'■'   Mais,  outn   que  h  -  donm  et  de  noire  auteur 

néral  obscures, 
i 
n  iii  inspirer  une  confiance  absolue; 
il  n'"-i.  dans  I  di   la  littérature  gri  cque,  ni  le 

pn  tnier  ni  le  seul  qui  * 

pi  dl  l 'lie  i 

I  l.i  moindre  ' 

llll    r 

1  .  que  les  livn  s  et  les  lettres  qui 


sont  parvenus  en  grec.  C'est  là  tout  ce  qu'ont  égale- 
ment connu  l'admirateur  enthousiaste  des  écrits  aréo- 
pagitiques,  saint  Maxime  le  Confesseur  (f  662),  et  le 
bibliothécaire  Anaslase,  au  ixc  siècle.  Il  appert  donc 
aujourd'hui  que  les  litres  de  ces  sept  derniers  ouvrages 
sont  de  pures  fictions,  et  que  les  ouvrages  n'ont  jamais 
paru.  Avec  le  Corpus  dionysiacum  que  nous  possédons, 
nous  en  avons  l'auteur  tout  entier.  Stiglmayr,  S.  J., 
Zeitschrift  fur  katholische  Théologie,  1891,  p.  257  sq.; 
H.  Koch,  T/teoI.  Quartalschrift,  1895,  t.  i.xxxvn, 
p.  362-371;  Rômische  Quartalschrift,  1898,  t.  xn, 
p.  364-367. 

Le  Corpus  dionysiacum  comprend  aussi  dix  lettres, 
la  plupart  très  courtes,  P.  G.,  t.  m,  col.  1065-1120;  au- 
tant d'opuscules  mystiques,  qui  se  rattachent  étroite- 
ment, idées  et  st\le,  aux  quatre  livres  ci-dessus,  et 
dont  les  destinataires  appartiennent  ou  sont  censés 
appartenir  aux  divers  degrés  de  la  hiérarchie  sacrée. 
Ces  dix  lettres  sont  écrites,  les  quatre  premières  au 
«  thérapeute  »  ou  moine  Caius,  la  cinquième  au  «  li- 
turge  »  ou  diacre  Dorothée,  la  sixième  au  prêtre  Sosi- 
pater,  la  septième  à  l'évêque  ou  «  hiérarque  »  Poly- 
carpe,  la  huitième  au  moine  Démophile,  la  neuvième  à 
1'  «  hiérarque  «Titus,  la  dixième  à  «  Jean  le  théologien, 
pendant  son  exil  à  Patmos.  »  Trois  autres  lettres, 
dont  le  texte  original  grec  est  perdu,  sont  apocryphes, 
c'est-à-dire  de  provenance  étrangère  :  la  lettre  au  phi- 
losophe Apollophane,  dont  il  ne  nous  est  resté'  que  le 
texte  latin,  P.  G.,  t.  ni,  col.  1119-1122;  Harnack,  Ge- 
schichle  der  altchristl.  Litteralur,  t.  i  b,  p.  781  ;  la 
lettre  à  Timothée,  sur  la  mort  de  saint  Pierre  et  de 
saint  Paul,  publiée  par  l'abbé  Martin  dans  les  versions 
syriaque,  arménienne  et  latine,  Analecta  sacra  du 
cardinal  Pilra,  t.  iv,  p.  241-254,  261-276;  la  lettre  en 
arménien  à  Titus,  touchant  l'assomption  de  la 
sainte  Vierge.  Vetter,  Theol.  Quartalschrift,  1887, 
t.  i.xix,  p.  133-138.  M.  Kugener  a  édité,  traduit  et  an- 
noté Un  truite  astronomique  et  météorologique  sy- 
riaque attribué  à  Demis  l'Aréopagite,  dans  les  Actes 
iin  w  r  congrès  des  orientalistes,  Paris,  1907,  t.  il.  Ce 
traité,  conservé  dans  le  manuscrit  de  Londres,  addi- 
tionnel 7192,  qui  esi  probablement  du  viie  siècle,  con- 
tient une  partie  d'un  mélange  de  philosophie  et  de  cos- 
mologie, constitue''  par  Aristote.  La  traduction  syriaque 
a  vraisemblablement  été  faite  à  Êdesse  au  vr  siècle. 

II.  Ai  ni  K.  —  Quand,  pour  la  première  fois,  le 
Corpus  dionysiacum  fut  produit,  vers  532,  à  Constan- 
tinople même,  dans  un  colloque  des  catholiques  et  des 
sévériensou  monophysites  modérés,  Hypatius  d'Éphèse, 

le  porte  parole  des  catholiques,  récusa  comme  apocry- 
phes les  prétendus  ouvrages  du  Bénateur  athénien. 
Vlan  si,  Concil.,  t.  vu,  col.  821.  Mais  ces  ouvrages  ré- 
pondaient aux  besoins  et  aux  préoccupations  des  es- 
prits. Us  ;e  répandirent  sans  peine,  obtinrent  vite  uni 
popularité  prodigieuse,  et  gardèrent  le  nom  de 
l'illustre  chrétien  auquel  ils  avaient  été  d'abord  attri- 
bués. Personne  avant  le  xvi«  siècle,  sauf  peut-être  Pho- 
tius,  Stiglmayr,  s.  J.,  11, st.  Jahrbuch,  1898,  t.  six, 
p.  91  '.il.  ne  s'est  avisé'  d'en  dénier  la  paternité  a 
saint  Denys  l'Aréopagite.  L'auteur,  en  prenant  ce  nom, 
Epist.,  vu.  '.',.  /'.  <;.,  t.  m,  col.  1081,  ne  s'était-il  pas 
donné'  lui-même  pour  le  célèbre  disciple  de  s.iint  Paul, 
De  nominibusdiv.,  il,  II;  tu,  2,  P.  G.,  t.  m,  col 

i r  le  témoin  oculaire  tant  de  l'éclipsé  survenue 

à  la  mort  du  Sauveur.  Epist.,  VII,  2.  /'.  Cf.,  t.  III, 
col.    1081.  que  de   la  mort   de  i.i   s. unie    Vierge,    to-j 

r/',-.  /y.,  dtoftéxou  vwu.Rto;,  De  nominibut  div., 
m,  2,  /'.  G.,  t.  m.  ool.  682;  pour  un  compagnon  el  un 
iiuii  il  el  de  leurs  disciples  immédiats  '  Epist., 

i-v,  k.  Partout,  sans  hésiter,  on   reconnut  dans  1  Iréo 
pagite  I  auteur  du   Corpus  dionyt 

k  dionysiacum  l'une  des  plus  ani  lennes  pro- 
ductions di  ,  ■  itolique 


431 


DENYS  L'ARÉOPAGITE  (LE   PSEUDO-) 


432 


Mais,  au  xvi"  et  au  xvn<  siècle,  la  critique  d'un 
Laurent  Valla,  d'un  Érasme,  d'un  Sirmond,  d'un  Tillc- 
mont,  d'un  Le  Nourry  el  de  bien  d'autres  dissipera 
cette  longue  illusion,  en  faisant  revivre  la  protestation 
d'Hypatius.  Ce  n'est  pas  qu'il  n'y  ait  eu  jusqu'à  la  lin 
du  xix'-  siècle,  en  France  el  ailleurs,  des  tentatives, 
non  pas  ion  les  inspirées  parle  vrai  intérêt  de  la  science, 
pour  étayer  l'opinion  traditionnelle  et  rendre  à  FAréo- 
pagite  ses  prétendus  droits.  L'abbé  Darboy,  en  tète  de 
sa  traduction  des  Œuvres  de  saint  Denys  l'Aréopagite, 
Paris,  1845;  l'abbé  Freppel,  Cours  d'éloquence  sacrée, 
1860-1861,  5e  leçon;  Kanakis,  Dionysius  der  Areopa- 
gile,  Leipzig,  1881;  Baltenweck,  Revue  catholique 
d'Alsace,  nouvelle  série,  1883,  t.  n,  p.  487-501,  598- 
004,  058-G67,  705-726;  Moriceau,  Vie  de  saint  Denys 
l'Aréopagite,  Laval,  1883;  Schneider,  Areopagitica, 
RatisLonne,  1884;  Vidieu,  Saint  Denys  l'Aréopagite, 
Paris,  1889;  John  Parker,  Are  the  writings  of  Diony- 
sius Ihe  Areopagite  genuine?  1897,  s'y  sont  employés 
tour  à  tour  avec  des  talents  inégaux  et  un  égal  insuc- 
cès. La  supposition  est  visible;  livres  et  lettres  ne  peu- 
vent dater  du  Ie1  siècle  de  l'ère  chrétienne;  on  y  men- 
tionne des  faits,  des  usages  postérieurs  à  cette  époque  ; 
on  y  rencontre  à  chaque  pas  des  idées  et  des  formes  de 
langage  dont  l'Aréopagite  ne  pouvait  avoir  le  moindre 
soupçon.  La  question  de  l'authenticité  du  Corpus  diony- 
siacum est  bien  définitivement  tranchée  dans  le  sens  de 
la  négative.  De  Smedt,  S.  J.,  Bévue  des  questions  histo- 
riques, avril  1896,  p.  610;  H.  Koch,  Hist.  Jahrb.,  1898, 
t.  xii,  p.  361  sq. 

Est-ce  à  dire  que  notre  auteur  a  voulu  prendre  un 
masque  et  abuser  de  la  crédulité  publique?  M.  Hipler, 
op.  cit.,  ne  l'a  pas  pensé;  et  jaloux  de  sauvegarder 
l'entière  sincérité  d'un  docteur  justement  fameux,  sans 
remarquer  assez  peut-être  la  différence  des  temps  en 
matière  de  propriété  littéraire,  ni  l'équivalence  foncière 
du  pseudonyme  d'autrefois  et  de  l'anonyme  d'à  présent, 
il  a  rallié  nombre  de  partisans  à  son  opinion.  Enlre 
autres,  Ed.  Bœhmer,  Damaris,  1864,  p.  99  sq.;  Nirschl, 
Patrologie,  t.  n,  p.  134  sq.;  Alzog,  Palrologie,  trad. 
franc-,  1877,  p.  595;  Draeseke,  Gesclt.  patristische  Unter- 
suchungen,  1889,  p.  25  sq.;  Jahn,  Dionysiaca,  1889; 
Asmus,  Zeitschrift  fur  wissenchaftl.  Théologie,  1890, 
p.  361  sq.,  etc.  Ils  conviennent  tous,  nuances  de  détails 
à  part,  que  notre  auteur,  qui  vivait,  d'après  eux,  vers 
la  fin  du  IVe  siècle,  ne  cherchait  pas  à  se  faire  passer 
pour  un  contemporain  des  hommes  et  des  faits  aposto- 
liques ;  qu'il  s'appelait  véritablement  Denys,  et  que  la 
dénomination  d'Aréopagile  était  pour  lui  un  surnom, 
analogue  à  ceux  que  les  membres  de  l'École  du  palais 
et  Charlemagne  lui-même  puiseront  dans  la  littérature 
sacrée  ou  profane;  qu'on  peut  identifier  ce  Denys,  soit 
avec  l'abbé  Denys  de  Rhincoclure  en  Egypte,  Sozomène, 
H.  E.,  vi,  31,  7».  G.,  t.  lxvii,  col.  1389;  Ed.  Bœhmer, 
loc.  cit.;  Nolte,  Theol.  Quarlalschrift,  1868,  p.  449  sq., 
soit  avec  l'évèque  d'Alexandrie,  Denys  le  Grand,  Skwor- 
zow,  Palrologische  Unlersuch.,  1875,  p.  98  sq.;  qu'en 
tout  cas,  les  noms  propres  du  Corpus  dionysiacum 
désignent,  sous  des  noms  de  guerre  ou  de  cloître,  des 
personnages  de  l'Église  d'Egypte,  pendant  la  seconde 
moitié  du  IVe  siècle,  par  exemple,  saint  Athanase  en 
exil,  Pierre,  patriarche  d'Alexandrie,  Timothée,  son 
frère  et  futur  successeur,  etc.;  qu'enfin,  si  l'opinion 
s'est  égarée,  la  faute  en  'est  toute  aux  interpolations, 
altérations,  mutilations,  qui,  dans  le  Ve  ou  vr  siècle,  ont 
défiguré  le  texte  primitif.  Cette  thèse  ingénieuse  n'a 
pourtant  pas  prévalu.  Funk,  Lit.  Rundschau,  1883, 
col.  711  sq.  ;  Theol.  Quarlalschrift,  1890,  t.  lxxii, 
p.  310  sq.;  1891,  t.  i.xxiii,  p.  495;  1894,  t.  i.xxvi.p.  I72sq.. 
l'a  combattue  avec  une  grande  vigueur,  tandis  que  M.llar- 
nack,  Lehrbuch  der  Dogmengeschichlc,  3e  édit.,  t.  n, 
p.  423,  note  3,  à  demi  gagné,  mais  non  convaincu,  de- 
mandait, pour  prononcer,  un  supplément  d'informations, 


l.a  thèse  de  M.  Hipler  :>  reçu  enfin  le  coup  de  grâce  di  s 
travaux  parallèles  du   p.  Stiglmayr,  Dos  .lu//.",, 
der  Pseudo-Dionysischen  Schrifien...,  Feldkirch,  1895, 
dans  Byzantinische  Zeitschrift,  1898,  t.  vu,  p.  91-110; 

1899,  t.' vin,  p.  263-301,  et  de  M.  Koch,  Theol.  Quarlal- 
schrift, 1895, 1. 1, xxvn,  p.  371-420;  1896,  t. i.xxvm.  p 
679;  Rômitche  Quarlalschrift,  1898,  t.  xn.  p.  361  sq.; 
Theol.  Quarlalschrift,  1904,  t.  i.xxxvi,  p.  378-379.  Les 
deux  savants  critiques  ont  relevé  pas  à  pas  tout  ce 
qu'il  y  a,  dans  l'exégèse  el  l'argumentation  de  M.  Hipler, 
d'arbitraire,  de  conjectural,  de  paradoxal,  et  mis  ainsi 
en  pleine  lumière  le  caractère  pseudépigraphique  du 
Corpus  dionysiacum.  Le  R.  P.  de  Smedt,  loc.  vit-, 
l"  avril  1896,  p.  612,  admet  sans  réserve  leur  commune 
conclusion.  M.  Hipler  et  M.  Draeseke  ont  eux-mi 
rendu  les  armes.  Selon  l'exemple  des  néo-platoniei'  DE, 
qui,  pour  leurs  hymnes  théurgiques,  empruntaient  le 
nom  d'Orphée,  l'auteurdes  écrits  aréopagiliques  a  essayé 
de  se  donner  comme  contemporain  des  apôtres  el  de 
s'abriter  sous  le  nom  de  l'une  des  plus  glorieuses  con- 
quêtes du  christianisme  naissant.  On  a  bien  le  droit  de 
l'appeler  le  pseudo-Denys,  le  pseudo-Aréopagite. 

M.  Hipler,  pour  le  besoin  de  sa  cause,  avait  reculé 
jusque  vers  la  fin  du  ive  siècle  la  date  du  Corpus  dio- 
nysiacum. Mais  les  critères  tant  externes  qu'internes  la 
ramènent  entre  les  dernières  années  du  Ve  siècle  et  le 
commencement  du  vr.  Les  premières  citations  qu'on 
en  trouve,  sont  faites  par  le  monophysite  Sévère, 
patriarche  d'Antioche,  dans  un  concile  de  Tyr  qui  ne 
peut  être  postérieur  à  l'an  513,  et  par  André,  archevêque 
de  Césarée  en  Cappadoce,  dans  son  Commentaire  su/- 
l'Apocalypse,  P.  G.,  t.  evi,  col.  215-458,  écrit  proba- 
blement de  515  à  520.  Diekamp,  Histor.  Jahrbuch', 
1897,  t.  xviii,  p.  1-36,  602  sq.  Sévère  d'Antioche  cite, 
d'ailleurs,  les  Noms  divins  dans  son  traité  contre  .lu- 
lien  d'Ilalicarnasse,  ainsi  que  Pierre  de  Calliniqne 
(t  591)  dans  son  traité  contre  Damien.  P.  Martin,  Les 
Aréopagiliques,  dans  De  l'origine  du  Pentateuque 
(lithog.),  Paris,  1886-1887,  t.  i,  p.  631-633.  D'autre  part. 
il  est  maintenant  hors  de  conteste  que  le  pseudo-Den\s 
se  rattache  étroitement  à  Proclus,  le  dernier  chef  de 
l'école  néo-platonicienne,  411-485;  qu'entre  tous  les 
néo-platoniciens,  Proclus  est  son  maître  et  son  guide; 
que  souvent  il  le  copie  mot  à  mot,  et  qu'il  nous  a 
conservé  notamment,  Denominibus  div.,  iv.  18-31.  un 
extrait  du  livre  de  Proclus  Sur  l'existence  du  mal, 
dont  il  ne  nous  reste  qu'une  traduction  latine  de  basse 
époque.  Stiglmayr,  S.  J.,  Hist.  Jahrb.,  1895,  p.  253  sq.  ; 
H.  Koch,  Theol.  Quarlalschrift,  1895,  t.  lxxvii,  p.  414; 
Rômische  Quarlalschrift,  1898,  t.  XII,  p.  368  sq.; 
Pseudo-Dionysius  Areopagita  in  seinen  Beziehungen 
zum  Neuplatonismus  und    Mysterienwesen,  Mayence, 

1900.  Le  pseudo-Denys  connaît  en  outre  la  coutume, 
introduite  vers  476  à  Antioche  par  le  patriarche  mono- 
physite Pierre  le  Foulon,  de  chanter  le  Credo  à  la  m 

et  l'Henoticon  de  l'empereur  Zenon  en  182.  Le  désir  de 
paix  et  de  concorde  qui  anime  le  Corpu  u  uni 

et  qui  semble  trahir  un  partisan  modéré  du  formu- 
laire impérial,  l'attention  de  noire  auteur  à  ne  poii 
servir  de  termes  qui  puissent  choquer  ou  les  monophy- 
sites  ou  les  catholiques,  et  à  garder  au  contraire  la 
neutralité  dans  sa  christologie,  tout  parait  rapprocher 
son  œuvre  de  la  lin  du  v°  siècle. 

11  est  très  probable  qu'elle  a  paru  en  Syrie,  non  point 
en  Egypte;  la  Syrie  était  alors  la  Terre  promise  des 
supercheries  littéraires.  Malgré  toutes  les  recherches  et 
tous  les  essais  d'identification,  le  véritable  nom  du 
pseudo-Denys  est  encore  ignoré;  peut-être  qu'un  manus- 
crit syriaque  nous  le  livrera  quelque  jour.  Il  est  à  croire 
que  noire  auteur,  né  dans  le  paganisme,  De  hier,  ceci., 
ix.  3,  et  élevé  dans  l'école  néo-platonicienne,  entra 
dans  le  cloître,  et  de  moine  devint  évêque.  On  le  peut 
conclure  de  la  1res  haute  idée  qu'il  se  fait  des  préroga- 


433 


DENYS  L'ARÉOPAGITE   (LE   PSEUDO-) 


434 


tives  de  l'épiscopat  et  de  la  fermeté  qu'il  déploie,  tout 
épris  qu'il  est  de  la  sainteté  de  la  vie  monastique,  pour 
réprimer  les  prétentions  des  moines  à  rencontre  du 
clergé  séculier. 

III.  Synthèse  théologique.  —  Les  écrits  du  Corpus 
dionysiacum  correspondaient  à  une  tentative  très  active 
ei  1res  importante,  au  Ve  et  au  vie  siècle,  dans  l'état  de 
la  société;  ils  avaient  pour  objet  cette  conciliation,  cet 
amalgame  des  dogmes  chrétiens  et  des  idées  néo-plato- 
niciennes qui  formaient  le  problème  intellectuel  du 
temps.  Non  pas  que  la  synthèse  théologique  du  pseudo- 
Denys  allât  à  reproduire  les  doctrines  néo-platoniciennes 
et  à  les  infuser  dans  le  christianisme;  elle  allait  à  chris- 
tianiser, à  baptiser,  autant  du  moins  qu'il  se  pouvait, 
l'idéalisme  et  le  mysticisme  néo-platoniciens.  L'auteur, 
Epis  t.,  vil,  2,  nous  explique  son  dessein,  qui  est  de  rui- 
ner les  entreprises  du  néo-platonisme  alexandrin  con- 
Ire  la  foi  chrétienne,  en  les  mettant  face  à  face  et  en 
nant  do  faire  ressortir,  avec  leurs  points  de  contact, 
la   supériorité  du  christianisme. 

Le  style  du  pseudo-Dcnys  —  style  extraordinaire,  au 
ment  de  Bossuet,  Instruction  sur  les  états  d'orai- 
son, 1.  I  ,  a.  2  —  n'est  ni  simple  ni  clair;  la  prolixité', 
l'enflure,  l'affectation  le  déparent,  et  de  propos  délibère'' 
il  voile  la  pensée  plus  qu'il  ne  l'illumine.  Aux  anciens 
termes  usuels  d'évéque,  de  prêtre,  de  diacre,  de  moine, 
I  écrivain  substitue  les  dénominations  d'hiérarque,  de 
de  liturge  el  de  thérapeute;  on  dirait  qu'il  a  la 
fureur  des  néologismes,  la  fureur  aussi  des  longues 
phrases  ton  imbitieuses.  Sans  doute,  la  faute  en 

■  -i  pour  une  part  au  caractère  des  questions  abstruses 
que  l'auteur  étudie,  pour  une  part  à  sa  trempe  d'esprit 
personnelle.  Mais  la  faute  en  est  plus  encore  à  l'in- 
fluence de  l'école  néo-platonicienne,  et  1res  spéciale- 
menl  à  l'influence  de  Proclûs,  dont  le  pseudo-Denys  se 
plait  à  reproduire,  non  pas  toujours  a\ec  art  ni  d'une 
les  expressions  et  les  tours  particuliers. 
II.  \Loch,Rôm.  Quartahchrift,   1898,  t.  ui,  p.367-378; 

Il '•  Quartahchrift,  1904,  t.  i  xxxvi.  p.  379  sq.  Bien 

qu  au  fond  notre  auteur  n'enseigne  pas  le  panthéis 

el  qu'il  ensape  au  contraire  la  base  pai    l'affirmation 
du   dogme  de   la  création,  son  langage  ne 
pas  d'avoir,  comme  celui  de  maints  mystiques  du 
moyen  Age,  un   relent  émanatiste,  qui,  dans  la  bouche 
d'un  théologien  de  nos  jouis,  ne  serait  pas  suppi 
II.   Koch,   Theol.   Quartahchrift,   1904,    p.  399.  Notre 
ur  parle  même  plus  d'une  fois  la  langue  des  mys- 
,  bien  est  devenue  dans  le  néo-platonisme 
la  langue  de  la  philosophie,  il.  Koch,  Theol.  Quarlal- 
ft,  1895,  t.  i.xxvn.  p.  118 sq. 
Arec   la  tei  minol         le  pseudo- 
Denys  emprunte  du  néo-platonisme  toutes  les  idées  qui 
mmoder,  selon  lui,  a  la  foi  de  II 

L'allégorisme  à  outi  oi mtaires  de  Porphyre 

«lus   sur  lb.ni.  ie  el  sur  Platon  revit  dans 

du   pseudo  Denys    C'esl    but    tes    traces    di 

Proclus  qu'il   marche   dans  l'étude  de   la  que-lion  du 

mal    En  ce  qui  est  de  l'activité,  di   la  providence,  de  la 

fait  également  l'écho  du  néo-plato- 

'"- sans  aucune  not<    proprement,  spécifiquemenl 

ienne     II.    Koch,    Theol.    Quartahchrift,    1904, 
i'  391.  De  même,  la  île  orie  des  trois  di 

'■'|"   -      d,       I.,      p|  ,|]|.      ,|e      |  Il 

on    .  i  ,i.  rive  bien  moins  d'Oi  I 
•    prien  que  de  Proclus,  II.  Koch,  Theol. 
in, fi,    1905,    i.    ixnwi,   p.    592-596.    L'a 

D  i> ni   une   teinte 

néo  plalon  i  'i,    idi  e  i  \ autn  -  q 

Dieu  ii  h  i  Ive  aui   hommes  que  pai  l  enlre- 

nient 

li  -  i  hœurs  Bngéliqui  -.  du  premier  au  dei  niei    l  a 

lin.  bien  qu'elli 

nlir  l  i n ti n.  ne. 


du  néo-platonisme.  L'idée  toujours  présente  de  l'unité 
absolue,  principe  et  fin  des  choses,  du  multiple  qui  en 
sort  et  y  retourne;  la  théorie  des  trois  voies,  purga- 
tive, illuminative,  unitive,  déjà  en  germe  dans  Platon, 
et  remaniée  tour  à  tour  par  Philon,  Plotin,  Jamblique 
et  Proclus;  la  doctrine  de  l'extase  qui  procure  aux 
âmes  parfaites  dès  ce  monde  la  vision  intuitive,  mais 
non  compréhensive,  de  la  divinité;  l'élaboration  parti- 
culière de  la  théorie  de  la  déification  humaine;  tous 
ces  traits  attestent  un  retour  complaisant  du  pseudo- 
Denys  sur  son  éducation  première  et  répandent  sur  sa 
théologie  mystique  une  nuance  de  néo-platonisme  épuré. 
H.  Koch,  Theol.  Quartahchrift,  1898,  t.  î.xxx,  p.  397- 
420;  1904,  t.  i.x.xxvi,  p.  395  sq. 

Le  pseudo-Denys  ne  sacrifie  pourtant  pas  aux  théo- 
ries transcendentales  du  néo-platonisme  alexandrin  les 
articles  précis  de  la  foi  chrétienne;  il  ne  s'aventure  pas 
hors  du  terrain  de  la  tradition  que  sa  vaste  lecture  lui 
a  rendu  familier;  et,  théodicée  ou  christologie,  son  or- 
thodoxie au  fond  n'a  pas  subi  d'accroc.  Les  traces  de 
panthéisme  qu'on  a  relevées  dans  ses  œuvres,  ne  sont 
que  des  trompe  l'ieil,  et  les  textes  mêmes  protestent 
contre  les  injustes  accusations  d'apollinarisine,  de  mo- 
nophysisme,  de  monothélisme.  Bern.  de  Rubeis,  Diss. 
de  fuie  auctorh  operum  qux  vulgo  AreopagiHca  di- 
cuntur,  P.  G.,  t.  îv,  col.  1025-1079.  Mais  il  faut  regretter 
que  le  pseudo-Denys,  sous  l'influence]  d'une  opinion 
d'Origène  qui  n'était  pas  encore  rangée  définitivement 
parmi  les  hérésies,  ait  maintenu  la  notion  subjective  et 
donatiste  de  l'Église  et  des  sacrements;  que,  partant,  il 
dépendre  la  validité  et  l'eflicacilé,  soit  de  l'absolu- 
tion, Episl.,  VIII,  P.  G.,  t.  m,  col.  1092,  soit  de  l'excom- 
munication, De  hier,  eccl.,  vu,  P.  G.,  t.  m,  col.  564, 
des  dispositions  intimes  du  prêtre  ou  de  l'évêque  qui 
les  prononcent.  Stiglmayr,  S.  .1.,  Zeitschrifl  fur  kath. 
Theologiei  1898,  t.  xxii,  p.  246-303;  11.  Koch,  Hhlor. 
Jahrb.,  1900,  t.  xxi,  p.  74-77. 

L'étroite  union  de  l'homme  avec  Dieu,  la  déification 
de  l'homme,  est  le  pivot  de  la  théologie  du  pseudo 
Denys.  lie  cette  idée-mère,  eu  effet,  découle  naturelle- 
ment sa  conception  des  deux  hiérarchies,  qui  lui 
vaudront  dans  le  moyen  âge  le  surnom  de  doctor  hie- 
rarchicus,  la  hiérarchie  céleste  el  la  hiérarchie  ecclé- 
siastique, celle-ci  modelée  sur  celle-là,  el  destiné)  s 
toutes  les  deux  à  nous  acheminer  à  la  Oec'mti;.  à  l'Evtuatf. 
La  loi  de  la  gradation  règne  partout,  dans  le  momie 
de-    esprits  Comme    dans  celui  des  corps,  dans  le  ciel 

comme  dans  l'Église.  Le  premier,  notre  auteur  a  dis- 
tribue les  anges  en  9  chœurs,  3     3,  subordonnés entn 

eux  et  qui  -e  I ra iiMnrl lenl  les   uns  aux  autres,  par  une 

gradation  descendante,  les  flots  de  la  lumière  divine, 
dont  le  choeur  le  plus  élevé  a  été  toul  d'abord  inondé. 
Classification  qui.  sm>  êlre  un  objet  de  foi,  ne  laisse 

de  faire  autorité  dans  la  théologie.  Stiglmayr, 
S  S „  Zeitschrifl  fur  kath.  Théologie,  1898,  p.  180-187; 
Compte-rendu  du  Congrès    scientifique  des    cnih.  ù 

,.,,/.  Suisse,   1898,  sect    r,  p     103-414.  Voir  t.  i, 

1209-1210;  J.  Tunnel.  Histoire  de  Vangélol 
dans  la  Revue  d'histoire  ri  <ir  littérature  religieuses, 
1899,   i.   iv.   p.  218-232.   Comme  les  neuf  chœui 
anges  sonl  divisés  en  trois  hiérarchies  de  trois  ordres 

ne,  ainsi  il  \  a,  dan-  la  hiérarchie  humaine  de 
l'Église,  trois  degrés  successifs,  les  diacres,  les  prêtres 
évêques, ;  le  pseudo-Denys  j  rattache  même  les 
m.. un--.  Episl.,  mu.  i.  /'.  '.'  .  i  m.  col.  1993,  bien 
ipie  ce  suit  leur  fui  d'obéir,  non  de  commandi  r  i  i 
qu'ils  ne  tiennent  de  leur  profession  qu  un  cai  u 
purement  hiérurgiqu».  De  hier,  eccl,,  VI,  /'.  '»..  t.  Ut, 

.;::!.  \u\  diacres  la  mission  de  veillei  a  i  e  qui 
lienl  pas  profanées .  aux  pi êli 

droit  d'absoudre  les  p.  e  lu  m  -  .  i  le  i l'admetli 

fidèles  à  la  réception  des  diven  lacremenUj  la  confir- 
mation  des  chrétiei  préln 


435      DENYS  L'ARÉOPAGITE  (LE  PSEUDO-)  -     DENYS  LE  CHARTREUX      436 


consécration  de  l'huile  employée  dans  plusieurs  sacre- 
ments  ou  cérémonies,  ci  la  célébration  de  l'eucharistie 
soni  réservées  à  l'évêque.  C'est  par  les  sacrements  que 
notre  déification  commence  et  se  consomme;  le  bap- 
tême en  est  le  gage  et  le  prélude,  l'eucharistie 
l'achève.  Notre  auteur  décrit  en  détail  les  rites  de  la 
messe.  De  hier,  eccl.,  n,  P.  G.,  t.  ni,  col.  394  sq.  Outre 
les  catéchumènes  et  les  énergumènes,  les  pénitents, 
pendant  toute  la  durée  de  leur  pénitence, ne  sauraient 
assister  au  sacrifice,  De  hier,  ceci.,  ni,  P.  G.,  t.  III, 
col.  452,  et  notre  auteur  forme  le  vœu  <<  que  les  pé- 
cheurs notoires  en  soient  pareillement  exclus.»  P.  G., 
t.  III,  col.  432.  La  pénitence  publique,  vers  la  (in  du 
Ve  siècle,  continuait  d'être  en  vigueur  dans  la  Syrie; 
mais  le  pseudo-Denys,  qui  nous  l'atteste,  ne  nous 
parle  que  d'une  seule  catégorie  de  pénitents.  11.  Kocli, 
Hist.  Jahrb.,  1900,  t.  xxi,  p.ô8-78.De  l'exlrèine-onction 
le  pseudo-Denys  ne  nous  dit  rien  et  mentionne  seule- 
ment la  cérémonie  religieuse  de  l'onction  du  corps 
des  défunts.  De  hier,  eccl.,  vu,  P.  G.,  t.  m,  col.  556-5»  '>."">. 

IV.  Influence.  —  La  haute  valeur  doctrinale  du 
Corpus  dionysiacum  et  le  nimbe  apostolique,  dont 
s'est  entouré  le  front  de  l'auteur,  expliquent  la  for- 
tune de  l'œuvre;  la  diffusion  en  a  été  rapide,  la  re- 
nommée universelle,  l'action  sur  la  théologie  spécula- 
tive et  mystique,  en  Orient  comme  en  Occident, 
considérable  et  durable.  L'Église  d'Orient  y  voit  une 
sorte  de  somme  théologique  qu'interprètent  tour  à  tour 
ses  meilleurs  écrivains.  Chez  les  Grecs,  après  les  gloses 
aujourd'hui  perdues  de  Jean  de  Scythopolis  au 
vie  siècle,  et  celles  de  saint  Maxime  le  Confesseur  au 
xue,  P.  G.,  t.  xci,  col.  1031-1060,  on  trouve,  empreints 
du  même  respect  et  du  même  enthousiasme,  les  com- 
mentaires de  Georges  Hiéromnemon,  d'André  de  Crète, 
du  savant  Michel  Psellus,  de  Georges  Pachymère.  Au 
vinc  siècle,  saint  Théodore  Studite  célébrera  dans  ses 
vers,  P.  G.,  t.  xcix,  col.  1797,  la  théologie  profonde  du 
Corpus  dionysiacum;  et  l'Eglise  grecque,  dans  le 
XIe  siècle,  aura  fait  siennes  nombre  d'idées  du  pseudo- 
Denys.  H.  Koch,  Hist.  Jahrb.,  1900,  t.  xxi,  p.  58  sq. 
Dans  l'Eglise  syriaque,  Isaac  de  Ninive,  dès  le  com- 
mencement du  VIe  siècle,  avait  traduit  le  Corpus  dio- 
nysiacum; et  maints  théologiens  du  même  siècle  ou 
du  siècle  suivant,  Phocas  d'Édesse  entre  autres  et  Jean 
de  Dara,  s'en  sont  faits  les  interprètes.  C'est  la  version 
syriaque  officielle  qui,  selon  toute  apparence,  a  été  le 
thème  d'une  version  arabe,  munie  de  l'approbation 
ecclésiastique,  comme  aussi  de  deux  versions  armé- 
niennes, l'une  du  vme  siècle,  l'autre  du  xvii". 

En  Occident,  depuis  que  le  pape  saint  Grégoire  le 
Grand  eut  cité  avec  honneur  le  Corpus  dionysiacum 
et  que  le  pape  Martin  I"  l'eut  allégué  dans  le  synode 
du  Latran  de  6i9,  la  réputation  et  l'autorité  du  pseudo- 
Denys  allèrent  croissant.  Les  Areopagilica  furent  en- 
voyés d'abord  à  Pépin  le  Bref  par  le  pape  saint  Paul  I"'  ; 
et  lorsqu'en  827  l'empereur  d'Orient,  Michel  le  Règne, 
en  adressa  un  second  exemplaire  à  Louis  le  Débon- 
naire, le  précieux  manuscrit  fut  déposé  et  gardé  dans 
l'abbaye  de  Saint-Denis.  Il  était  en  grec,  et,  fort  peu  de 
gens  pouvant  le  comprendre,  l'abbé  Hilduin,  celui-là 
même  qui  soutint  l'identité  du  disciple  de  saint  Paul, 
du  premier  évêque  de  Paris  et  du  père  de  la  mystique 
chrétienne,  s'empressa  d'en  donner  une  version  latine. 
Mais,  cette  version  paraissant  fautive,  Charles  le  Chauve 
engagea  Jean  Scot  Érigène  à  retraduire  le  texte  origi- 
nal, et  ce  fut  là  probablement  l'ouvrage  qui  popularisa 
le  plus  dans  la  Gaule  le  renom  du  savoir  de  Jean  Scot. 
Aussi  bien,  les  difficultés  de  la  langue  et  de  la  méta- 
physique du  pseudo-Denysprovoqueront  successivement 
en  Occident  de  nouvelles  traductions  latines,  qui 
n'éclipseront  pourtant  pas  le  prestige  et  le  crédit  de  la 
version  du  docte  irlandais.  Jean  Sarazin  au  XII"  siècle, 
Thomas  de   Verceil  au   XIIIe,  Ambroise  Traversari  et 


Marsile  ricin  au  xv,  Lefèvre  d'Étaples,  Clauserus  et 
Perionins  au  xvr,  Lansselius  el  Corderius  au  xvir,  ri- 
valiseront entre  eux  d  efforts  pour  faciliter  la  lecture  ei 
l'intelligence  des  Areopagilica.  Le  moyen  âge  fait  de 
l'œuvre  du  pseudo-Denys  une  des  bases  de  sa  théologie 
scolastique  et  mystique;  les  théologiens  d'alors  élèvent 
le  pseudo-Denys  au-dessus  de  tous  les  saints  Pères  et  ne 
reconnaissent  au-dessus  de  lui  que  les  écrivains  cano- 
niques. Albert  le  Grand,  le  docteur  universel,  et  saint 
Thomas  d'Aquin  après  lui,  écriront  des  commentaires, 
celui-là  sur  la  Hiérarchie  céleste,  celui-ci  sur  les 
Nd»)s  divins,  et  ne  se  lasseront  pas  d'en  appeler  à 
l'autorité  du  pseudo-Dmys,  qu'ils  tiennent  pour  irré- 
fragable;  on  a  compté  que  la  Hiérarchie  céleste  est 
alléguée  cent  quarante-trois  fois  par  saint  Thomas 
d'Aquin,  et  les  autres  écrits aréopagitiques  à  l'avenant. 
P.  G.,  t.  m,  col.  90-95.  Tandis  que  Hugues  de  Saint- 
Victor  expliquera  le  livre  de  la  Hiérarchie  céleste, 
saint  Donaventure  imitera  celui  de  la  Hiérarchie 
ecclésiastique.  Le  pseudo-Den\s  servira  de  guide  aux 
métaphysiciens  dans  leurs  spéculations  sur  l'être  et  les 
attributs  de  Dieu,  sur  les  causes  exemplaires  de  la 
création,  sur  les  hiérarchies  angéliques,  et  de  lumière 
aux  mystiques  dans  les  obscures  questions  de  la  con- 
templation et  de  l'extase.  Aux  ascètes  il  indiquera  com- 
ment l'âme  peut  s'unir  à  Dieu  par  la  voie  purgative  et 
illuminative;  les  exégètes  et  les  liturgistes  apprendront 
de  lui  à  chercher,  sous  l'écorce  des  textes  scripturaires 
et  des  rites  sacrés,  un  sens  plus  profond:  l'art  chré- 
tien du  moyen  âge  enfin  portera  sa  trace.  Nous  n'avons 
pas  encore  de  la  propagation  et  de  l'action  de  l'aréo- 
pagitisme  dans  l'Église  une  histoire  définitive.  Avec  la 
Renaissance  et  la  Réforme,  la  vogue  du  Corpus  dio- 
nysiacum s'affaiblit  ou  même  s'éteint. 

I.  Éditions.  —  L'édition  princeps  des  œuvres  complètes, 
Florence,  1516,  et  les  éditions  postérieures  de  Bàle,  1539,  de 
Paris,  15G2  et  1644,  de  B.  Cordier,  S.  J.,  Anvers,  1634,  de  Venise. 
1755-1756,  de  Migne,  Paris,  1857,  P.  G.,  t.  m-iv,  n'ont  à  peu 
près  rien  fait  pour  la  critique  textuelle.  On  n'a  consulté  qu'un 
petit  nombre  de  manuscrits  grecs,  et  l'on  n'a  tenu  aucun  compte 
des  vieilles  versions  orientales,  demeurées  inédites. 

Les  œuvres  complètes  ont  été  traduites  en  français  par  l'abbé 
Dailmy,  Paris,  1845,  et  par  l'abbé  Dulac,  Paris,  1865.  Elles  l'ont 
été  aussi  en  allemand  par  Engelhardt,  2  in-8',  Soulzbach,  1823, 
et  en  anglais  par  Parker,  Oxford,  1897.  Le  traité  De  hierar- 
chia  ecck'siaslica  a  été  traduit  en  allemand  par  Storf,  dans 
Bibliothek  der  Kirclienviiter,  Kempten,  1877. 

II.  Travaux.  —  Hipler,  Dionysius  der  Areopagita,  Ratis- 
bonne,  1861  ;  ld.,  De  theoloyia  librorum  qui  suo  Dionysii 
Areopagitsc  nomine  feruntur.tt  progr.  du  Lvceum  Hosianum, 
Braunsberg.  1871,  1874,  1878,  1885;  Stiglmayr,  .S.  .1..  Dus  Auf- 
Ictimmen der  Pseudo-Dionysischen  Scliriften  und  ihr  Eindrin- 
gen  in  die  christl.  Litt.  bis  zum  Lnteran  Konzil  649,  in-8", 
Feldkirch,  1895;  ld.,  Die  Eschatologie  des  Pseudo-Dionysius, 
dans  Zeitschri/t  fur  die  katholische  Théologie,  1899,  t.  xxin, 
p.  1-21;  R.  Foss,  Uber  den  Abt  Hilduin  von  St.  Denis 
Dionysius  Areop.  (Progr.),  in-fol.,  Berlin, 1886;  Alzog,  Palrolo- 
gie,  trad.  franc.,  Paris,  1877,  p.  593-606:  Fessler-Jungmann, 
Institutioiies    patrologiiv.   tnspruck,  1890,    t.    r,    p.    6354 

O.  Siebert,  Die  Metaphysik  und  Ethik  des  Pseudo-Dionysius 
Areopagita,  in-8",  Iéna,  1894;  II.  Koch,  Pseudo-Dionysius  Areo- 
pagita  in  seinen  Beziehungen  zum  Neuplatonismus  und 
Mysterienwesen,  Mayence,  1900;  Bardenhewer,  Les  Pèn  - 
l'Eglise,  nouv.  trad. franc.,  Paris,  1905,  t.  m,  p.  11-20;  Hurter,  No- 
menelator,  3«  édit.,  Inspruck,  1903,  t.  l.ool.  455-459;  cf.  (J.  Che- 
valier, Répertoire.  Biobibliograplde,  2'  édit.,  t.  i,col.  1169-1172. 

1'.    Godi  I. 

8.  DENYS  LE  CHARTREUX. -I.  Vie.  11.(1  uvivs. 
111.  Appréciation.  IV.  Nouvelle  édition  de  ses  œuvres. 

I.  Vie.  —  Denys,  appelé  le  docteur  extatique,  naquit 
en  1402,  à  Ryckel,  dans  le  Limbourg  belge,  de  l'hono- 
rable famille  de  Leeuvis  ou  Van  Leeuven.  Il  lit  ses 
premières  études  à  l'école  de  Saint-Trond  et,  à  l'âge 
de  treize  ans,  il  passa,  comme  il  nous  l'apprend,  à 
celle  de  Zwolle,  qui  était  alors,  sous  la  direction  de  Jean 
Cèle,  la  plus  célèbre  et  la  plus  fréquentée  des  Pays- 
Bas.  Denys  aurait  voulu  quitter  le  monde  s. m-  prendre 


437 


DENYS    LE    CHARTREUX 


438 


ses  grades  dans  une  université.  Il  se  présenta  d'abord 
à  la  chartreuse  de  Zelhern,  près  de  Diest,  en  Brabant, 
mais  il  ne  fut  pas  accepté,  n'ayant  pas  encore  atteint 
l'âge  de  20  ans  exigé  par  la  règle.  Il  s'adressa  ensuite 
au  prieur  de  la  chartreuse  de  Ruremonde,  qui  lui 
conseilla  d'aller  se  perfectionner  dans  la  philosophie  et 
la  théologie  à  l'université  de  Cologne  et  puis  de  revenir 
embrasser  la  vie  du  cloître.  Le  jeune  postulant  acquiesça 
et,  après  avoir  été  reçu  maître  es  arts,  il  retourna  à 
Ruremonde  el  y  fut  admis  parmi  les  enfants  de  saint 
Bruno.  Il  avait  vingt  et  un  ans.  —  Sa  vie  monastique 
se  résume  en  ces  trois  occupations  :  oraison,  lecture, 
composition  de  livres  ou  traités.  11  passait  presque  la 
moitié  de  chaque  jour  à  prier,  à  méditer  et  à  contem- 
pler. Le  reste  de  son  temps  était  employé  à  peu  près 
entièrement  à  l'étude.  Il  dormait  peu,  jeûnait  beau- 
coup el  sortait  rarement  de  sa  cellule,  s'abstenant 
même  de  prendre  part  aux  récréations  de  ses  confrères. 
En  1434,  il  composa  son  premier  ouvrage,  le  commen- 
taire sur  les  Psaumes;  son  dernier  livre  date  de  1469  : 
c'est  un  recueil  de  méditations  qu'il  dédia  à  ses  con- 
frères comme  son  testament  et  sa  recommandation 
suprême.  Ainsi  Denys  vécut  presque  toujours  enfermé 
dans  >a  cellule.  Il  exerça  quelque  temps  l'office  de 
procureur  de  son  couvent  et  celui  de  recteur  de  la  nou- 
velle chartreuse  de  Hois-le-Duc.  Le  cardinal  Nicolas  de 
Cusa,  grand  admirateur  de  ses  talents,  voulut  l'avoir 
prés  de  lui  dans  sa  légation  en  Allemagne  (1451-1452 
pour  travailler  à  la  réforme  du  clergé  cl  des  nionas- 
ind  nombre  de  prélats  ecclésiastiques  le 
consultaient  dans  leurs  doutes.  Les  princes  et  les  prin- 
clergé  séculier,  les  religieux  et  beaucoup 
de  chrétiens  de  toutes  les  conditions  lui  demandaient 
des  conseils  et  des  règles  de  conduite.  Il  était  aussi 
en  gi  nue    à    la   cour    romaine.    On    rapporte 

qu'Eugène    IV,    après    avoir    lu    un   de   ses    ouvrages, 
T  mater    Ecclesia,   qvse  talon   habet 
filium  '    Le  successeur   d'Eugène,    Nicolas   V,    agréa 
l'hommage  du   traité   Contra  Aleoranum,  que   Denys 
avait  composé    ;'i   la  demande  du   cardinal  Nicolas  de 
Cusa.  Après  avoir  reçu  une  révélation  céleste,  le  véné- 
rable solitaire  adressa  une  lettre  à  tous  les  princi 
la  chrétienté  pour  les  engager  à  réformer  les  mœui 
leui  S  peuples  et   à    s'unir   dans   une   nouvelle   croisade 
Sai  rasins,  qui  menaçaient  I  l  urope  entière. 
ii  m  le  12  mars  1471,  à  i  Iprès 

devint  d'une  beauté  remarquable, 
el  un  parfum  céleste  s.'  répandit  dans  sa  cellule.  La 
du   peuple  n<-  larda  pas  à  proclamer  sa  sain 
mbe  devint  de  suite  le  centre  'l  an   petit  pèleri- 
contrée,  beaucoup  de  fidèles  assuraient 
avoir  reçu  de  Dieu,  par  son  Intercession,  des  faveurs 
miraculeuses,  Cette  espèce  de  culte  persista  dans  les 
-  troubles  el  les  boulevi 
12  mars   1608    137    anniversaire  de  la 
mort  di    Di  n.      on   retrouva  dans  le  cimetière  de  la 
ments  forl  bien  conservés.  Le  crâne 
exhalait  une  odi  m   suave  el  h-s  deux  doigts  de  la  main 

ivaienl  tenu  la  plum 
iin.  conservaient   en 
gumi  ni-.    M      Henri   Cuijck. 
inonde,  m  en  cette  occasion  la  recon- 
offn  n  Ile  ,:      i  ,|N  serviteur  de  [Heu,  el 

placer  dam   l  ,  .h-,  du  ,, 
autel,  i  n,    mm  •   auparavant,  le  même 
ner  -a    dévotion  i  nvers   Denys    le 

ie  vocable  de  saint   I».  nj     I  \<  opagite,  la  | 
II"   di   la  -.nui  vénérabli   - 

divins  mysti  res    Pli  m  de 

"'!••  poui    li  glorification  de  -..n  illustre  dl m.  il 

oommem  ■<  !•■  i  onlque  il-     mirai  li  -  qu'on  lui 

altribuail  ...m  [  et  la  publication  'i 


d'Urbain  VIII  arrêtèrent  le  cours  de  cette  procédure. 
Néanmoins,  la  réputation  de  sainteté  dont  jouissait  De- 
nys le  Chartreux  ne  cessa  pas  avec  cette  suspension. 
Soit  en  Belgique,  soit  ailleurs,  dans  l'ordre  des  char- 
treux et  au  dehors,  il  a  continué  d'être  l'objet  d'une 
religieuse  vénération.  Des  personnages  très  respec- 
tables, parmi  lesquels  on  compte  saint  François  de 
Sales,  saint  Alphonse  de  Liguori,  Benoit  XIII,  le  jésuite 
Jean  Bolland,  l'évêque  Du  Saussay  et  Arnold  Baissais, 
n'ont  pas  hésité  à  lui  décerner  le  titre  de  saint  ou  de 
bienheureux  ou  simplement  de  vénérable.  On  a  des 
motifs  de  croire  que  bientôt  le  saint-siège  permettra  le 
culte  public  de  ce  grand  théologien,  admirable  par  sa 
vaste  érudition  et  par  l'héroïcité  de  ses  vertus. 

IL  (Euvres.   —   Les  œuvres  de   Denys  forment  une 
véritable  encyclopédie  ecclésiastique. 

1°  Exéyétiques.  —  Il  a  écrit  des  commentaires  sur 
tous  les  livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament, 
selon  le  sens  littéral  et  spirituel,  soit  allégorique  soit 
tropologique.  Les  sept  Psaumes  dits  de  la  pénitence 
ont  été  l'objet  d'une  explication  particulière.  Dans  un 
abrégé  de  toute  la  Bible,  Denys  a  réuni  les  faits  et 
les  sentences  les  plus  remarquables  de  nos  Livres  saints. 
Au  jugement  de  dom  Calmet,  l'opuscule  intitulé  :  Mo- 
nopanton,  id  est  unum  ex  omnibus  Epis tolis  B.  Pauli 
ad  niaterias  cerlas  contraclum  opuscidian,  «  tout  pe- 
tit qu'il  est,  l'emporte  beaucoup  sur  tout  ce  qu'a  fait 
Bikel  (sic),  tant  à  cause  de  son  utilité,  que  parce  qu'il 
est  d'une  composition  toute  singulière.  C'est  un  recueil 
des  plus  beaux  passages  de  l'apotre  saint  Paul  rai 
sous  certains  titres  qu'il  s'est  choisis  pour  son  dessein; 
en  sorte  que  comme  les  Épîtres  du  docteur  des  nations 
sont  un  des  plus  précieux  monuments  des  Livres  sacres, 
on  peut  dire  aussi  que  cette  collection  est  d'un  pris 
infini.  »  Dictionnaire  de  la  Bible,  17SIÎ,  t.  IV,  p.  356. 
Ce  Monopanton  est,  en  substance,  le  Codex  Panlinus 
ou  le  système  théologique  de  saint  Paul.  Il  a  été  publié 
séparément  plusieurs  fois,  Anvers,  s.  d.  et  1391  ;  Co- 
logne, 1531,  etc.  La  partie  exégétique  des  œuvres  de 
Denys  se  complète  par  ces  trois  autres  ouvrages  :  le 
récit  de  la  passion  selon  les  quatre  évangélistes,  le 
Sonus  epulantis  ou  méthode  pour  psalmodier  dévote- 
ment, et  une  explication  de  certain-  passages  difficiles 
du  livre  de  Job  intitulée  :  De  rouan  diversitatis  r 
titiim  humanorum.  Voir  Denys  le  Chartreux  dans  le 
Dictionnaire  île  la  Bible  de  M.  Vigouroux  pour  ce 
qui  concerne  le  reste  des  travaux  scripturaires  de  cet 
écrivain, 

'.!  Philosophiques.  —  Denys  a  composé  un  abrég 
philosophie,  in-fol.,  Cologne.  1532,  dans  Opéra  mi- 
nora, t.  i.  Il  a  fait  une  explication  littérale  el  un  com- 
iii, ■ni. tire  mystique  de  l'ouvrage  de  Boèce  intitulé  :  De 
dations  philosophim,  Cologne,  1540,  dans  Opéra 
munira,  t.  m.  L'opuscule  De  venustate  mundi  ri 
pv.lchritu.dine  Dei,  dans  Opéra  minora,  t.  n.  esl  un 
vrai  ei  beau  traité  d'esthétique.  Le  D'  Zœckler,  de 
Greifswald,  en  1881,  lit  paraître  à  Gotha,  dans  la  revue 
Sludien  und  Kritiken,  une  étude  Bur  cet  opu 
el  -m    toutes  les  œuvres  de  Denys.  Plusieurs  autres 

écrits  philosophique^  de  Denvs  sont  perdus. 

rhéologiques.       Comme  théologien,  il   a  (ail  un 
grand  el  savant  commentaire  des  quatre  livres  desSen- 

-.    1   in-fol.,  Cologne,    r>:r>.   Veni        1584.    Par 
ge,  il  a  pris  rang  pai  mi  l<  -  plus  -i andc 
lastiques  du   moyen  âge  el   les  meilleurs   interpi 
il,-  Pierre  Lombard,  i  lin  n  >\.-  plu-  simple  ei  de  plu- 

s.ivant  a  la    fois.  Sur  chaque  question   I1  duil 

'•■  du  Maine,  et  donne  quelqu  nenta. 

Puis  il  indique  les  divers  problèmes  qu  il  ■>  soulevi 

commi  née  l'exposé  con  té  dit 

avant  lui  -m-  ce  sujet;  le  tout  se  termine  par  s.,  propre 
décision,  qu'il   juatl  iitanl  de  solidité  qu.'  de 

modi  merveille,  dit  le  P.  I  lassani,  dont  nous 


439 


DENYS    LE   CHARTREUX 


440 


empruntons  le  jugement,  de  lui  voir  reproduire  fidè- 
lement en  quelques  lignes,  comme  dans  une  belle  mi- 
niature,  les  opinions  de  tant  de  docteurs,  sans  jamais 
les  dénaturer,  ni  omettre  rien  d'essentiel;  et  son  tra- 
ii  esl  une  véritable  bibliothèque  théologique  double- 
ment utile,  parce  qu'elle  met  sous  les  yeux  du  lecteur, 
en  quelques  payes,  sans  fatigue  el  sans  recherches, 
tout  ce  qu'il  a  intérêt  à  trouver  sur  un  sujet  donné,  et 
qu'elle  peutsuppléer  à  l'absence  d'un  certain  nombre 
d'auteurs  aujourd'hui  rares  el  difficiles  à  rencontrer,  a 
Mougel,  Denys  le  Chartreux,  Montreuil-sur-Mer,  1890, 
p.  30-31.  «  Nous  n'hésitons  pas,  dit  Werner,  à  placer 
le  commentaire  de  Denys  sur  les  Sentences,  a  côté 
de  l'œuvre  de  Capréolus,  comme  le  plus  important 
travail  de  celle  moitié  du  xve  siècle,  el  comme  le  com- 
plément essentiel  de  celui  de  Capréolus.  Pendant  que  ce 
dernier  nous  offre  un  aperçu  critique  de  toutes  les  doc- 
trines scolastiques  postérieures  à  sainl  Thomas,  Denys 
nous  fait  voir  la  scolaslique  spéculative  du  XIIIe  siècle 
dans  ses  représentants  les  plus  considérables.  Nous  ne 
connaissons  pas  d'autre  ouvrage  qui  donne,  pour  toutes 
les  questions  théologiques,  des  informations  aussi  ap- 
profondies sur  les  idées  et  les  opinions  des  docteurs  de 
cette  époque.  Les  citations  nombreuses  et  fidèles  qu'on 
\  trouve  permettraient  à  elles  seules  de  reconstituer, 
dans  ses  grandes  lignes,  la  doctrine  théologique  de 
chacun  d'eux.  On  voit  par  là  quelle  est  la  valeur  de 
cet  ouvrage  pour  l'histoire  du  dogme  au  xni"  siècle; 
valeur  d'autant  plus  appréciable  que  les  œuvres  de 
plusieurs  de  ces  auteurs  se  rencontrent  plus  difficile- 
ment. En  rapprochant  sur  chaque  question  particu- 
lière les  manières  de  voir  si  variées  des  plus  illustres 
maîtres  de  cette  période,  il  nous  donne  sur  la  vie  in- 
tellectuelle du  temps,  des  lumières  comme  on  n'en 
trouve  nulle  part  ailleurs  dans  les  travaux  modernes 
sur  la  scolaslique  du  moyen  âge.  Il  en  résulte  pour  ce 
commentaire  une  valeur  propre,  indépendante  du  juge- 
ment qu'on  peut  porter  sur  les  idées  personnelles  de 
Denys.  »  Die  Scholaslik  des  spâteren  Mittelalters, 
Vienne,  1887,  t.  iv,  p.  261. 

Après  avoir  ainsi  condensé  dans  son  commentaire 
sur  les  ^Sentences  la  doctrine  des  interprètes  les  plus 
autorisés,  Denys  voulut  mettre  à  la  portée  du  plus 
grand  nombre  possible  d'étudiants  un  autre  ouvrage 
classique,  dont  la  valeur  est  inestimable.  Il  composa 
donc  un  abrégé  de  la  Somme  de  saint  Thomas  en 
réunissant  toutes  les  conclusions  du  docteur  angélique, 
rapportées  presque  intégralement  et  classées  selon 
l'ordre  du  texte  original.  C'est  la  moelle,  dit-il,  des 
œuvres  de  sainl  Thomas.  Ce  compendium  a  paru  sous 
le  litre:  Summa  fidei  orthodoxes, 2 in-4°,  Cologne,  1535- 
1336;  2  in-8°,  Paris,  1548;  Anvers,  1569;  Venise,  1572 
et  1585.  Au  sujet  de  cet  ouvrage  dom  Robert  Monta- 
gnani,  chartreux  italien,  a  lait  paraître  dans  le  Divus 
Thomas,  Plaisance  (Italie),  1899,  t.  vi,  p.  542-549,  une 
élude  intitulée  :  Doctor  angelicus  et  doclor  eestaticus 
seu  Manuale  thomistarum. 

Dans  les  Opéra  minora,  Cologne,  1532,  t.  i,  on  trouve 
Elemenlalio  theologica,  qui  est  aussi  un  abrégé  de 
théologie,  divisé  en  159  articles.  On  n'a  pas  encore  re- 
trouvé un  résumé  de  la  Somme  de  Guillaume  d'Auxerre, 
qui  a  pour  titre:  Exhelcosis  ex  Summa  G.  Anlisio- 
dorensis.  En  1532,  les  chartreux  de  Cologne  réunirent 
en  un  seul  volume,  qui  parut  l'année  suivante,  in-8°, 
les  deux  livres  de  la  Somme  de  Denys  sur  les  vices  et 
les  vertus,  le  traité  des  passions  de  l'âme  et  le  livre 
du  bonheur  de  l'âme.  Plusieurs'autres  traites  de  théo- 
logie remarquables  furent  insérés  dans  les  deux  pre- 
miers tomes  des  Opéra  minora,  Cologne,  1532.  On 
peut  signaler  dans  le  icr  ceux  qui  traitenl  de  la  nature 
le  Dieu,  des  dans  du  Saint-Esprit,  de  la  munificence 
divine  et  de  ses  bienfaits,  de  la  distance  entre  la  per- 
fection  divine  et  la  perfection  humaine,  île  la  connais- 


sance mutuelle  des  saints  dans  le  ciel  et  un  livre 
des  louanges  de  Dieu  en  strophes.  Cf.  Mougel,  op.  cit., 
p.  32,  noie  3.  Dans  le  t.  n,  on  trouve  l'opuscule  De  lu- 
mine  christiahse  théorise,  que  Zœckler,  critique  pro- 
testant, considérait  comme  a  le  plus  important  el  le 
plus  systématique  des  écrits  dogmatiques  du  -avant 
chartreux.  »  Le  même  tome  comprend  aussi  l'étude 
théologique  de  la  dépendance  des  créature-,  à  l'égard 
de  Dieu,  et  un  autre  livre  des  louanges  de  Dieu,  écrit 
dans  cette  prose  hornophonique  commun'-  a  plusieurs 
autres  ouvrages  du  moyen  âge,  notamment  à  l'Imita- 
tion. Cf.  .Mougel,  ibid.  Mais  la  valeur  de  ces  deux  toi 
est  rehaussée  par  les  deux  grands  traités  que  Denys  a 
écrits  sur  la  sainte  Vierge,  et  qu'il  a  intitulés  :  De  lau- 
dibus  gloriosm  Virginis  Monte  et  De  prseconio  et  di- 
gnitate  beatissimse  Virginis  Marin;.  Chaque  traite-  est 
divisé  en  quatre  livres.  Le  pieux  écrivain  y  a  condensé 
tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  scientifique  dans  la  théologie 
mariale,  et,  en  même  temps,  il  a  épanché  toute  l'affec- 
tion de  son  cour  enflammé  d'amour  pour  la  plus  noble 
des  pures  créatures.  Il  y  soutient  l'immaculée  concep- 
tion, 1.  I,  a.  13.  Le  premier  traité.  De  laudibus,  a  été 
traduit  en  flamand  par  l'abbé  Leijnen,  llassell.  1852; 
Bois-le-Duc,  1867.  Relativement  à  l'immaculée  concep- 
tion, il  faut  noter  ce  texte  du  dialogue  De  perfeclione 
carilatis,  a.  49:  .4r<?  Maria...  originale  peccalum 
nunquam  contraxisti,  quemadmodum  et  peccalum 
actuale  nullum  convmisisti. 

Un  autre  sujet  où  Denys  a  excellé,  c'est  l'étude  de  la 
divine  personne  de  Jésus-Christ  et  de  ses  adorables 
mystères.  Il  avait  pour  principe  que  «  la  gloire  et  la 
sagesse  du  chrétien  consistent  dans  le  souvenir  perma- 
nent de  Jésus-Christ  et  de  ses  mystères.  »  De  médi- 
tations, a.  10.  Or,  tous  ses  ouvrages  sont  remplis  de 
méditations,  d'affections,  d'enseignements  et  de  com- 
mentaires sur  ce  sublime  sujet.  L'explication  des  qu 
Évangiles  et  de  tous  les  livres  du  Nouveau  Testament, 
si  souvent  réimprimée  au  XVIe  siècle,  ne  suffisait  pas 
au  pieux  interprète.  Il  commenta  de  nouveau  la  pas- 
sion, et  son  travail  fut  inséré  dans  le  t.  n  de  ses  Ser- 
mons. Il  a  écrit  aussi  un  livre  intilulé  :  Laudes  sive 
Horae  jiassionis  amarissimœ  Jesu  Cliristi  et  Yln/lam- 
matorium  divini  amoris,  qui  se  trouvent  dans  les 
Opéra  minora,  t.  il.  L'In/lammatorium  fut  imprimé 
séparément,  in-16,  Cologne,  1605,  et  fait  aussi  partie 
d'un  recueil  d'opuscules  de  Denys  traduits  en  italien 
par  l'abbé  Jean-Antoine  Cazzulo,  in-8',  Milan,  1563. 

Le  saint  sacrifice  de  l'autel  complète  l'œuvre  de 
Notre-Seigneur  :  Denys  n'a  pas  manqué  de  s'en  occu- 
per particulièrement  dans  plusieurs  de  ses  ouvrages. 
Le  Dialogus  de  celebratione  et  sacramenlo  allaris  est 
un  livre  solidement  pieux  que,  selon  dom  Thierry 
Lober,  premier  éditeur  des  œuvres  complètes  de  Denys. 
tout  prêtre  désireux  de  célébrer  avec  ferveur  devrait 
connaître,  approfondir  el  avoir  souvent  dans  les  mains. 
On  le  trouve  dans  le  t.  ides  Opéra  minora,  qui  renferme 
aussi  ['Explication  de  la  messe,  le  traité  De  sacra  com- 
munione  frequentanda  et  six  sermons  sur  l'eucharistie. 

La  théologie  polémique  a  été  aussi  l'objet  de  plu- 
sieurs études  de  Denys.  Ainsi,  \eDefide  cathulica  dialo- 
gion,  in-8°,  Cologne.  1531:  Venise.  1568.  traite  en  huit 
livres  des  principales  questions  sur  la  révélation,  Dieu. 
Jésus-Christ,  la  sainte  Vierge,  les  anges  bons  et  mau- 
vais, le  jugement  général,  l'Antéchrist,  etc.  Il  composa 
aussi  cinq  livres  Contra  Alcoranum  el  sectam  Maho- 
meticam,  in-8°,  Cologne,  l.">;>3.  et  l'on  regrette  la  perte 
de  son  traité  Contra  artes  magicas  et  errores  Wal- 
densium.  Dans  les  Opéra  minora,  Cologne.  1532,  et 
dans  les  Opuscula  insigniora,  Cologne.  1559,  on  a  in- 
séré les  deux  livres  contre  la  simonie  surtout  dan-  la 
réception  des  novices,  les  traités  Contra  ambitionis 
pestem  et  Contra  ritia  superstitionum,  et  la  lettre 
adressée  à  une  veuve  Adversus  avariliam. 


441 


DENYS  LE  CHARTREUX 


442 


Les  circonstances  particulières  où  se  trouva  Denys 
surtout  comme  conseiller  du  cardinal-légat,  et  la  con- 
fiance qu'on  avait  dans  sa  sagesse  et  sa  piété  lui  four- 
nirent l'occasion  d'écrire  des  traités  sur  presque  tous 
les  états  qui  composent  la  société  tant  ecclésiastique 
que  séculière.  Son  ouvrage  sur  la  réforme  de  VÉglise 
est  perdu,  mais  son  zèle  pour  le  salut  des  âmes  se 
manifeste  dans  toutes  les  occasions  où  il  peut  engager 
ses  lecteurs  à  prier  et  à  faire  pénitence  pour  le  bien 
de  la  sainte  Église.  Cf.  De  meditatione,  a.  li;  ses  Ré- 
vélations et  son  Epistola  ad  principes  cal/iolicos  pour 
les  exhortera  une  croisade  contre  les  musulmans.  Il  a 
écrit  deux  livres,  qui  traitent  de  l'autorité,  de  l'office, 
de  la  puissance  et  de  la  juridiction  du  souverain  pon- 
tife; dans  un  autre  livre,  il  s'occupe  spécialement  de 
la  question  qui,  à  son  époque,  c'est-à-dire  peu  de 
temps  après  les  conciles  de  Constance  et  de  Bàle,  pas- 
sionnait tous  les  esprits.  C'est  le  traité  De  auctoritate 
generalium  conciliorum,  que  l'on  trouve  avec  les  deux 
livres  ci-dessus  énoncés  dans  le  t.  I  des  Opéra  mi- 
nora. La  doctrine  que  Denys  expose  dans  ce  traité'  a 
été  diversement  jugée.  Les  gersoniens  prétendent  qu'il 
fut  partisan  de  l'opinion  opposée  au  privilège  de  l'in- 
faillibilité. Saint  Alphonse  enseigne  que  Denys  ne  s'est 
pas  exprimé  d'une  manière  bien  tranchée,  car  dans 
l'ait.  iS  il  dit  qu'un  pape,  intolerabiliter  vitiosus,  est 
soumis  à  l'autorité  du  concile,  et  ensuite  il  se  contre- 
dit en  affirmant  que  le  pape,  en  tant  que  suprême  pas- 
teur de  l'Église,  ne  peut  être  jugé  ni  déposé  par  un 
concile  généra],  parce  que, ut  talis,  il  est  le  supérieur, 
le  pré'lat  et  le  juge  de  l'Kglise.  Cf.  Dissertai,  de  infal- 
lib.  papse  et  de  auctoril.  pontificis,  dans  la  Theologia 
moralis,  in-fol.,  Bologne,  17(53,  t.  i,  p.  37,  2n  col., 
n.  135.  Selon  Zœckler,  Denys  «  entre  les  deux  pouvoirs 
en  litige  cherche  une  sorte  d'accommodement,  et  sau- 
vegarde autant  que  faire  se  peut  les  prérogatives  du 
pape.  »  Cf.  Mougel,  o/>.  cit.,  p.  33,  note  2.  On  peut 
noter  le  sermon  de  Denys  sur  saint  II  Maire  de  Poitiers, 
dans  lequel,  par  défaut  de  critique  historique  el  sans 
distinguer  entre  le  pape  agissant  comme  homme  privé 
et  le  pape  définissant  une  doctrine  ex  cathedra,  il 
admet  la  chute  du  pape  Libère  et  cite  sans  la  contredire 
l'opinion  de  Gerson.  Cf.  Sermones  de  sanclis,  in-fol. , 
Cologne,  1542,  fol.  87. 

Den  aussi  un  livre  De  offirio  légal i,  qui  n'a 

pas  été  retrouvé,  ni  dans  la  collection  des  manuscrits 

du  cardinal   Nicolas  de  Casa  conservée  à  Cues  près  de 

),  ni  ailleurs.  Le  traité  De  vita  et  regimine  pres- 

II     a     paru    à    Cologne,  en    1532  el   1559,  dans   les 

Opéra  minora,  t.  i,  el  dans  les  Qpuscula  insigniora. 

I  ii  autre  traité  De  reginx  itoruma  été  publié, 

in-16,  eu  1620,  à  Aschaflenbourg.  I  e  De  officio,  vita  el 

\iine  art  hià  ecle  De  statu  et  vita  sa- 

luni,  canonicorum,  clei  i<  arum  aliorumque  Eccle- 

Irorum   fonl  partie  des  recueils  déjà  cités, 

Opéra  minora  el  Opuscula  insigniora.  Bien  plus,  la 

doctrine  exposée  dans  le  livre  De  statu  et  vitasacerdo- 

l'ut  jugée  tellement  opportune  el    utile  que 

l'on  n'hésita  pas  à   l'impri r  dès  le  commencement 

du  x.  i  i'.  Panzer,  Annales  t>H"<tj.,  t. vi, p,  139; 

t.  vin,   p,  -i\i.   (»u   in    connall   quatre  éditions 

une  dizaine  a  .■•••  dati  -  cei  laines  i  i  trois  traduc- 

uiie   anglaise,  une   française  el    une   italienne. 

l'art,  22  de  cel  ouvrage,  Denys  déclare  qu'il  avait 

un   traité  contre  la  pluralité  des  bénéfices, 

tsur  cette  i m  iii'  i  e 

an  Dialogue  entre  le  /><//."/(  rt  i,-  cha- 
i  plusieurs  éditions  dans  li   U  ite  oi  Igi- 

nal  el  une  traduction  lr.ni.ai-.-  par  le  chartreux  d 

.h. m  de  Billy. 

i  difl  i  n  ti  iit<  di  Den]  lur  l'étal  religieux, 
sur  l'ordi  i  Dément  civil, 

sur  1  élal  i  ir  la  vie  militaire,  sur  la 


dition  des  gens  mariés,  des  vierges,  des  veuves,  des 
marchands  et  des  écoliers  ont  été  également  impri- 
més à  plusieurs  reprises  et  traduits  en  diverses  lan- 
gues. Cf.  Mougel,  op.  cit.,  p.  79-81-.  Son  commentaire 
sur  la  règle  du  tiers-ordre  de  saint  François  a  paru  à 
Cologne,  en  1534,  à  Naples,  en  1619,  et  a  eu  deux  tra- 
ductions françaises,  in-18,  Paris,  1620,  1868. 

4°  Sermons.  —  Les  sermons  de  Denys  sont  un  véri- 
table trésor  de  science  ecclésiastique.  Le  prêtre  \  trou- 
vera toujours  des  instructions  solides  et  pieuses,  qu'il 
peut  adapter  soit  au  ministère  paroissial,  soit  aux  pré- 
dications dans  les  maisons  religieuses.  Ils  contiennent 
des  thèmes  à  développer  selon  les  circonstances  el  des 
sermons  à  peu  de  chose  près  achevés.  La  partie  De  lem- 
pore  est  plus  étendue  que  la  partie  De  sanctis,  et 
Denys  reconnaît  lui-même  qu'elle  est  surabondante, 
in  magnam,  dit-il,  nimis  moleni  excrevit\  Serm. 
de  sanctis,  prœf.  Il  donne  d'abord  l'exposition  de  l'Épitre 
du  dimanche,  suivie  d'un  sermon  sur  l'Épitre,  ensuite 
celle  de  l'Évangile,  deux  ou  trois  sermons  sur  l'Évan- 
gile adplebem,  et  trois  ou  quatre  autres  ad  religiosos. 
Ce  grand  répertoire  de  matériaux  pour  la  chaire  a  été 
imprimé  trois  fois  à  Cologne,  1533,  1537  et  1512,  en 
2  in-fol.,  et  plusieurs  fois  à  Paris.  Un  choix  de  ces 
sermons  traduits  en  italien  se  trouve  dans  un  recueil 
de  sermons  des  Pères  de  l'Église  publié  à  Florence 
dans  les  dernières  années  du  XVIe  siècle. 

5°  Œuvres  ascétiques.  —  Mais  Denys  le  Chartreux 
est  surtout  eslimé  comme  écrivain  ascétique  et  docteur 
de  théologie  mystique.  La  vie  intérieure,  même  dans 
ses  états  extraordinaires,  n'a  pas  de  secrets  pour  lui. 
Sa  vaste  et  profonde  connaissance  de  la  scolastique  el 
de  ses  meilleurs  interprètes  lui  a  fourni  le  moyen 
d'aborder  les  questions  les  plus  difficiles,  et  de  les  ré- 
soudre avec  autorité'.  Sa  haute  vertu  et  son  expérience 
lui  permirent  d'aplanir  les  voies  de  la  sainteté,  et  de 
manifester  dans  un  langage  exact  comment  l'homme 
doit  se  disposer  à  l'union  éternelle  avec  Dieu.  Son 
enseignement  termine  la  période  de  l'ascétisme  scolas- 
tique greffé  sur  l'ascétisme  des  saints  Pères.  Les  grands 
maîtres  qui  sont  venus  après  lui  n'ont  pas  hésité  à 
louer  ses  œuvres  et  à  les  proposer  à  leurs  disciples 
c me  des  sources  pures  et  limpides  de  là  piété  chré- 
tienne. Saint  i  tint  François  de  Sales,  sainl 
Alphonse  de  Liguori,  Louis  de  Grenade,  Alvarez  de  Paz, 
le  cardinal  Brancati  de  Laurœa,  le  cardinal  Manning 
el  beaucoup  d'autres  auteurs  témoignent  hautement  de 

leur  esti pour  le  pieux  solitaire.  Ses  écrits  spirituels 

lus  importants  et  les  plus  connus  sont  les  sui- 
vants. Un  commentaire  sur  tous  les  livres  el  les  lettres 
que  les  anciens  attribuaient  à  saint  Den\s  l'Aréopagite 
a  eu  deux  éditions,  in-fol.,  Cologne,  1536,  1556.  Selon 
le  P.  Cordier,  jésuite,  cette  interprétation  esl  en  même 
temps  très  savante  el  très  pieuse.  Cf.  Migne,  /'.  »... 
ir.ul.  latine  seule,  i.  n,  col.  87-95.  Denys  a  simplifié  le 
Btyle  des  douze  livres  et  des  vingt-quatre  conférences 
de  Cassien  :  Translalio,  dit-il  dans  le  catalogue  de 
écrits  rédigé  en    \W\i>,  librorum   <■  ad  *iiln»i 

Il    n'a   donc   pas    traduit  ces  ouvra) 

co ■  on  I  a   dit   par  méprise,   mais  il  les  a  rendus 

plu-  abordables  A  la  plupart  des  lecteurs.  Son  travail 
e-i  remarquable  par  les  correction  res  qu'il  a 

faites  à  ce  qui  est  <  1 1 1  sur  le  mi  nsongi  d  ins  la  confé- 
rence wii  .  c.  vin  sip.  el  surtout  a  ce  qui  esl  avancé  sur 
le  libre  arbitre  de  l'homme,  la 

sa  coi"  atuite,  dans  la  xin   conférence,  Denys 

eut  l'habileté  di  le  texte  de  ces   conférences 

en  modifiant  leurs  expression  qu'elles 

ni     une     doctrine     irréprochable.     Cel      heureux 

emenl  .i  été  adopté  par  tmis  les  éditaui 
ducteura  des  oeuvres  de  Cassien.   P.   /..,  t.  xxix,  Li 
chartreux  de  Cologne,  en  1540,  réunirent  en  un  seul 

\niii qu'ils  Intitulèrenl     Operuni  nmnirinii  fomtu 


443 


DENYS   LE    CHARTREUX 


444 


tertius,  in-fol.,  le  commentaire  de  Denys  sur  les  livres 
de  Boèce,  l'édition  simplifiée  des  œuvres  de  Cassien  el 
l'explication  de  l'Échelle  du  paradis  de  saint  Jean 
Climaque.  Dom  Ceillier  dit  que  l'imprimeur  l<àlois, 
Henri  Pétri,  en  1559,  réimprima  in-fol.  le  travail  de 
Denys  sur  Cassien. 

Dans  le  catalogue  des  œuvres  de  Denys,  rédigé 
en  lilil)  par  lui-même  et  conservé  à  la  bibliothèque 
Bodléienne  d'Oxford,  C.  56't,  on  trouve  la  mention 
impressus  est  après  son  Spéculum  conversionis  pecca- 
torum,  dyalogus.  Quoi  qu'il  en  soit  de  la  valeur  de 
celte  mention,  il  esl  certain  que  cet  opuscule  de  Denys 
a  été  en  vogue  au  XVe  siècle  et  depuis.  L'édition  d'Alosl 
remonte  à  li-73.  C'est  la  plus  ancienne  production 
typographique  belge  connue.  Cf.  Grasse,  Trésor  de 
livres  rares,  t.  il,  p.  399.  Un  autre  opuscule,  intitulé  : 
Spéculum  amalorum  mundi,  a  paru  sans  mention  de 
date,  de  lieu  ni  d'imprimeur,  et  on  l'a  souvent  réim- 
primé. Ces  deux  traités  intitulés  Miroirs,  réunis  à  plu- 
sieurs autres  opuscules  de  Denys  concernant  la  vie 
intérieure,  eurent  un  grand  succès  pendant  le 
XVIe  siècle  et  la  première  moitié  du  siècle  suivant.  Plu- 
sieurs fois,  on  les  joignit  aux  quatre  livres  de  Ylmila- 
tion  et  à  quelque  autre  ouvrage  spirituel  avec  la  men- 
tion ad  c/iristiani  Itomïnis  vitam  perfecte  absoluteque 
formandam. 

Les  opuscules  de  Denys  embrassent  les  trois  voies 
de  la  perfection,  comme  on  peut  le  comprendre  par 
leurs  titres  :  1°  De  arcla  via  salulis  et  conteniplu 
mundi;  2°  Spéculum  amalorum  mundi;  3°  Liber  de 
gravilale  et  enormitale  peccati;  4°  Liber  de  conver- 
sione  peccaloris ;  5°  Liber  de  fonte  lucis  et  seniitis 
vilse;  6°  Liber  devotum  prsecordiale  prsenolatus; 
7°  Dialogus  patroni  ad  canonicum  ;  8°  Ad  mundi  con- 
templum  exhorlalio  elegiaca.  Le  plus  complet  et  le 
plus  solide  de  ces  traités  est  le  livre  Le  fonte  lucis  et 
semitis  vilee.  C'est  un  vrai  manuel  de  vie  intérieure, 
dont  chaque  article  contient  la  substance  d'un  traité. 
La  première  édition  porte  ce  titre  :  Dionysii  a  Rykel 
Carlhusiani  de  perfecto  mundi  contemplu  ut  pius 
ila  utilissimus  heptalogus,  in-8°,  Cologne,  1530;  elle  a 
été  souvent  reproduite.  Une  édition  de  Cologne,  in-12, 
1577,  comprend  les  opuscules  marqués  ci-dessus  par 
les  n.  1,  2,  6  et  les  deux  livres  intitulés  De  doctrina  et 
regulis  vilse  christianse.  Le  recueil  des  sept  opuscules 
a  été  traduit  en  français,  en  flamand  et  trois  fois  en 
italien. 

En  1534,  les  chartreux  de  Cologne  firent  paraître  un 
recueil  d'opuscules  de  Denys  traitant  de  la  théologie 
affective  et  myslique,  sous  ce  titre  :  Opuscula  aliquol 
quse  ad  iheoriam  mysticam  egregie  instiluunt,  in- 
8",  Cologne,  réimprimé  à  Montreuil-sur-Mer,  in-12, 
1894.  Au  nombre  de  ces  opuscules  il  y  a  le  traité  ma- 
gistral, De  contemplalione,  divisé  en  trois  livres,  dans 
lesquels  l'auteur  examine  toutes  les  questions  philoso- 
phiques et  théologiques  dont  la  connaissance  est  né- 
cessaire pour  la  théorie  et  la  pratique  de  la  contem- 
plation. Le  1.  II  de  ce  traité  rapporte,  en  onze  articles, 
la  doctrine  des  plus  grands  docteurs  mystiques  sur  la 
contemplation  el  ses  espèces.  Le  1.  III  s'occupe  spécia- 
lement de  la  contemplation  per  abnegalionem ,  c'est-à- 
dire  la  plus  élevée  et  la  plus  parfaite,  qui  est,  selon 
Denys,  «  l'acte  »  du  don  de  sagesse  accordé  au  plus  haut 
degré.  Un  bon  juge,  le  R.  P.  Meynard,  des  frères- 
prôcheurs,  traitant  des  «  principes  formels  élicitifs  de 
la  contemplation  extraordinaire  »,  dit  que  «  Denys  le 
Chartreux  affirme  cette  doctrine  dans  tous  ses  écrits 
avec  une  lucidité,  une  précision  et  une  persistance  qui 
éclairent  et  édilient  en  même  temps.  On  peut,  en 
effet,  considérer  ce  grand  docteur  mystique  comme 
l'apôtre  du  don  de  sagesse.  »  Traité  de  la  vie  inté- 
rieure, Paris,  1885,  I.  H,  p.  76-77.  Ce  même  recueil 
d'opuscules  renferme  de  savantes  et  fort  pieuses  médi- 


tations  sur  Dieu,  Jésus-Christ,  la    sainte    Vierge,    les 

anges  et  les  saints,  qui  peuvent  aussi  servir  de  thèmes 
aux  prédicateurs. 

Denys  a  composé  un  autre  grand  traité  Ur  oratione, 
où  il  expose  la  doctrine  et  la  pratiqué  de  l'oraison  en 
tanl  que  demande,  louange,  action  de  grâces  et  médi- 
tation. Cet  ouvrage  se  trouve  dans  Opéra  minora, 
Cologne,  1532,  t.  n,  conjointement  avec  les  traités  : 
De  remediis  tentationum;  De  gaudio  spirituali  et  <ie 
puce  interna.  Les  éditeurs  de  ce  grand  recueil  de  livres 
spirituels  de  Denys  lui  attribuèrent  le  traité  De  via 
purgativa  liber  unus, qu'ils  insérèrent  comme  complé- 
ment de  la  doctrine  de  l'auteur.  Ce  fut  une  méprise» 
Cet  opuscule,  qui  commence  par  ces  mots  :  Volens 
purgari  de  peccatis,  etc.,  est  du  chartreux  dom  Henri 
Eger,  de  Kalkar  (f  1408),  et  Denys  le  Chartreux  le  cite 
dans  l'art.  33  de  son  livre  De  laude  vilse.  solitariœ  où 
il  l'appelle  :  Exercitium  carthusianum.  Ailleurs,  cet 
opuscule  porte  des  titres  différents.  Voir  EGER.  ..Mais 
Denys  a  composé  un  Exercitium  de  via  purge 
qui  fut  imprimé  à  Anvers  par  Gérard  Leen,  in-lG, 
décembre  1492.  Cf.  Lambinet,  Origine  de  l'imprime- 
rie, t.  n,  p.  285.  Un  exemplaire  de  cette  édition  est 
conservé  à  la  bibliothèque  de  l'université  de  Cambridge, 
et  le  texte  en  a  été  publié  de  nouveau,  in-18,  Cologne, 
1532.  En  1020,  le  chartreux  dom  Théodore  Petreius 
publia  à  Aschaftenbourg  un  traité  de  Denys  intitulé  : 
De  discretione  spirituum,  qui  avait  échappé  aux  édi- 
teurs de  Cologne.  Ainsi,  la  collection  des  œuvres  ascé- 
tiques et  mystiques  de  Denys  fut  opportunément 
complétée,  et  elle  forme  une  véritable  bibliothèque 
spirituelle  capable  de  satisfaire  à  toutes  les  exigences 
de  la  direction  de  tous  les  états  de  la  vie  chrétienne. 
Le  R.  P.  Meynard,  op.  cit.,  t.  I,  p.  11.  fait  cet  éloge  de 
la  doctrine  de  Denys  :  «  Nous  citerons  aussi,  dit-il.  le 
plus  souvent  possible  Denys  le  Chartreux,  considéré  à 
juste  titre  comme  un  des  meilleurs  interprètes  de  la 
doctrine  de  saint  Thomas  dans  presque  toutes  les  ques- 
tions de  la  vie  intérieure;  à  chaque  instant,  ce  grand 
contemplatif  fait  des  emprunts  au  docteur  angélique, 
et  ne  s'avance  jamais  dans  la  voie  suave  de  la  théolo- 
gie mystique  sans  s'être  appuyé  sur  le  fondement  solide 
de  la  scolastique.  » 

Nous  mentionnerons  en  terminant  le  traité  De  qua- 
tuor hominis  novissimis,  avec  l'appendice  De  parli- 
culari  judicio,  qui  s'y  trouve  annexé  dans  un  assez. 
grand  nombre  d'éditions.  Ce  traité,  qualifié  d'excellent 
(optimus),  de  très  utile  pour  se  bien  préparer  à  la 
mort,  par  le  P.  Possevin,  S.  J.,  Apparalus  sacer,  Co- 
logne, 1608, 1. 1,  p.  476-479,  et  ailleurs,  v»  Mors,  esl  1  _  - 
lement  cité  par  les  rédacteurs  du  Directoire  des  exer- 
cices de  saint  Ignace  (lequel  fut  approuvé  en  1549,  par 
la  congrégation  générale  de  la  Compagnie  de  Jésus), 
comme  pouvant  être  lu  avec  fruit  au  cours  de  la  pre- 
mière semaine.  Réimprimé  près  de  40  fois,  traduit  plu- 
sieurs fois  en  diverses  langues  :  italien,  français,  espa- 
gnol, allemand,  flamand,  il  n'a  pas  cessé'  d'être  eu 
usage,  même  après  le  grand  nombre  de  traités  simi- 
laires publiés  depuis  la  mort  de  Den\s.  Le  cardinal 
Pecci,  archevêque  de  Pérouse,  devenu  plus  tard 
Léon  XIII,  en  lisait  chaque  jour  quelques  pages:  il  en 
savait  par  cœur  les  sentences  les  plus  pieuses  et  les 
plus  efficaces,  qu'il  aimait  à  citera  l'occasion;  il  en 
conseillait  la  lecture  cl  en  a  fait  l'éloge  dans  une  de 
ses  poésies  latines.  Son  secrétaire  d'alors,  .M."  Foschi, 
a  relevé  ces  détails  dans  la  prélace  d'une  réimpression 
de  l'ancienne  traduction  italienne  du  P.  l'iantedio, 
S.  J.,  et  il  ajoute  que  le  Saint-Père  encouragea  et  bénit 
cette  nouvelle  édition,  assurant  que  la  lecture  de  ce 
traité  de  Denys  le  Chartreux  produirait  un  grand  bien 
dans  les  âmes.  La  Civiltà  cattolica,  en  annonçant  cette 
nouvelle  édition.  Pérouse,  IS86,  n'hésita  pas  à  dire  que 
c'était  là  «  un  livre  d'or  ». 


445 


DENYS    LE    CHARTREUX 


446 


Cependant  il  est  juste  d'ajouter  que  ce  traité  De  qua- 
tuor novissimis  n'a  pas  été  sans  soulever  quelques  cri- 
tiques dont  on  retrouve  l'écho  plus  ou  moins  infidèle 
dans  quelques  bibliographies. 

Dans  le  1.  IV,  en  effet,  a.  47,  l'auteur  rapporte,  en 
l'abrégeant,  la  vision  du  moine  cistercien  d'Eynsham, 
écrite  par  Adam,  sous-prieur  de  ce  monastère  et  chape- 
lain de  saint  Hugues,  le  célèbre  évêque  chartreux  de 
Lincoln.  Cf.  Analecta  bollandiana,  t.  xxn,  p.  225, 
Visio  monachi  de  Eynsliam.  Or,  d'après  cette  vision, 
il  y  aurait  en  purgatoire  des  âmes  incertaines  de  leur 
salut  final,  torturées  d'une  manière  spéciale  par  ce 
doute  cruel  sur  leur  destinée  définitive,  sans  savoir 
positivement  si  elles  sont  sauvées  ou  damnées. 

Possevin,  dont  nous  avons  rapporté  plus  haut  les 
paroles  élogieuses,  pense  que  ce  passage  aurait  été  in- 
terpolé dans  le  traité  de  Denys  ;  Feller,  dans  son  Dic- 
tionnaire historique,  est  du  même  avis;  Bellarmin,  De 
ptoribus  ccclesiaslicis,  dit  de  ce  traité  :  Caute 
legendus  circa  station  animarum  in  purgatorio  de- 
gentium;  d'autres  enfin  le  combattent  ouvertement. 
Deux  traductions  espagnoles  furent  interdites  aux 
sujets  de  Sa  Majesté  catholique,  ce  qui  n'empêcha  pas 
l'inquisiteur,  don  Antoine  de  Sotomayor  (1647),  malgré 
sa  sévérité'  habituelle  dans  la  censure  des  ouvrages,  de 
déclai  texte  original  de  Denys  est  solide  pius 

et  calholicus.  Le  P.  Thomas  Sani,  dominicain,  dans  la 
traduction  italienne  du  même  traité,  Pérouse,  1579, 
supprima  toutes  les  révélations  privées,  «  non  point, 
dit-il  dans  la  préface,  qu'elles  soient  erronées  ou  en 
opposition  avec  la  saine  doctrine,  ni  pour  censurer 
Denys  si  savant  et  si  pieux,  mais  parce  que  je  n'ai  pas 
qu'elles  pussent  servir  à  l'édification  des  lecteurs 
\  ulgaires,  pour  lesquels  j'ai  entrepris  cette  traduction.  » 
Sans  être  aussi  radical  dans  ses  éliminations,  le 
P.  François  Plantedio,  S.  J.,  avait  néanmoins  éliminé 
de  sa  traduction  italienne,  Venise,  1578,  celles  de  ces 
révélations  qui  pouvaient  soulever  des  difficultés.  Cer- 
tains auteurs  déclarent  que  le  traité  Dequaluor  novis- 
simis de  Denys  a  été  mis  à  l'Index,  nisi  repurgetur 
(a.  47).  II.  Reusch,  Der  Index  >irr  verbolenen  /.' 
cher,  l:  mm  1883,  t.  I,  p.  523.  Il  ligure,  en  effet,  dans 
l'Index  de  Sixte-Quint;  mais  cet  Index  n'a  jamai 
promulgué,  el  beaucoup  d'ouvrages  qui  \  sont  inscrits 
n'ont  pas  été  maintenus  dans  les  Index  suivants.  C'est 
le  cas  de  cel  opuscule. 

Lu  m  peut  reconnaître  que  sur  la  foi  d'un 

probablement  Adam  mentionné 

oit  ,  el  d.      Pierre  abbé  de  Clunj  i  (person 

ile  .i  identifier,  car  Pierre  le  Vénérable  était  mort 

à  l.i  d  ii  ■  du  miracle  d'Eynsham),  Denys  s'est  fait,  peu) 

trop  facilement,  le  rapporteur  confiant  d'une  vision 

qui  joua  un  grand  rôle  au  moyen  âge,  el  tendait  a  éta- 

I  lu  diter  dans  les  milieux  ou  elle  trouvait 

m  .n  point  sans  doute  qu'en  général  les  ; < 

du  pu.  de  leur  salut,  mais  que, 

pu    une    permission  exceptionnelle   de  Dieu,  par  un 

IIH.de     de     pellie     e  ..  I  |  .,,,,,  I  i  II  .1  I  le         l|lle|qilOv       ,ï|,ies       SOllf- 

frantea    e  li  ouvi  i  iii  ni  lu  i  -  ■!  étal  de  disci  rner  si 

i  damné»      I  on  c< nentaire  sur 

Deo,   noli  me  •  ondemnare,  Denys 
me  d'ailleurs  la  mi  n 

phi-  cône,  i-    n  établi!  d'abord   la  doctrine 
I 

■>  i  \i  -i\i   i  i  ni  i    1,1   OLOM  l  . 
n,  il  rappoi 
lienl  pouvoir  admeltn  di     —  pti 
I    hH  m 

ni,  ul  netcianl  m, 

■i  /Ile 

lum 
Mon 

■    iv,  p    ; 


Déduite  à  cette  proportion,  la  vision  du  moine 
d'Eynsham  rapportée  par  Denys  ne  tombe  pas  réelle- 
ment sous  la  condamnation  de  l'Église;  et  elle  diffère 
totalement  de  la  38e  proposilion  condamnée  de  Luther. 
Aussi  on  ne  s'explique  pas  comment  certains  auteurs, 
comme  Durant,  ont  pu  prêter  à  notre  docteur  le 
même  enseignement  qu'à  l'hérésiarque  de  Wittemberg. 

Nous  voyons  une  révélation  analogue  de  sainte  Bri- 
gitte défendue  par  le  cardinal  de  Torquemada  en  plein 
concile  de  Bàle  ;  elle  ne  fut  point  un  obstacle  à  l'ap- 
probation des  œuvres  de  la  sainte.  Labbe  et  Cossart, 
Concil.  collée  t.  suppl.,  Lucques,  1750,  col.  9i8.  On 
peut  voir  également  des  révélations  du  même  genre 
dans  la  Vie  de  sainte  Lydwine  et  dans  celle  de  la  sœur 
Marguerite  du  Saint-Sacrement,  excusées  et  justifiées, 
la  première  par  une  note  explicative  du  P.  Papebrock, 
Acta  sancl.,  t.  xi  aprilis,  p.  267.  et  la  deuxième  par  le 
P.  Amelotte,  docteur  en  Sorbonne,  qui  s'est  fait  l'histo- 
rien de  la  pieuse  carmélite.  Vie  de  Sœur  Marguerite 
du  Sainl-Sa.crement,  1.  VII,  c.  iv,  n.  10. 

Le  théologien  Sylvius  lui-même,  Suppl.,  q.  c,  a.  i, 
ad  8um,  en  examinant  techniquement  la  question  et 
faisant  une  allusion  à  la  révélation  de  sainte  Brigitte, 
ne  parait  pas  rejeter  toute  possibilité  d'une  permission 
extraordinaire  de  Dieu,  et  d'une  dérogation  exception- 
nelle à  la  loi  commune  telle  que  nous  l'avons  indiquée 
plus  haut. 

La  vision  célèbre,  dont  Denys  s'est  fait  l'écho,  doit 
donc  être  expressément  distinguée,  comme  elle  l'est 
dans  Suarez,  des  propositions  hérétiques  et  impies  de 
Luther  et  de  Bains,  In  111  part.  S.  Thomse,  disp.  XL VII, 
sect.  ni;  elle  n'a  rien  qui  contredise  la  doctrine  ortho- 
doxe, non  reeedit  a  sensu  orlhodo.ro,  selon  l'expression 
employée  en  pleine  Congrégation  des  Dites  où  notre 
écrivain  eut  l'occasion  d'être  nommément  défendu  et 
comme  justifié,  dans  la  cause  de  la  li.  Marguerite- 
Marie.  Les  poslulaleurs,  expressément  mis  en  demeure 
d'éclaircir  une  difficulté  soulevée  au  cours  du  procès 
sur  cette  question  spéciale,  posèrent  nettement,  dans 
leur  réponse,  ce  principe  important  :  Non  est  articulus 
fidei,  animas,  quotquot  purgatorio  igné  expian tur, 
ce>  las  esse  de  propria  bealitudine  aliquando  adipis- 
Cenda;  puis,  après  avoir  cité   Denys  le  Chartreux  et  les 

pareil  es  de  son  traité  De  quatuor  novissimis  :  Qui  taliter 
torquebantur,  comniuniler  erant  incerti  an  finaliter 
salvarentur,  ils  concluent  en  ces  termes  leur  discus- 
sion :  Igitur,  theologicis  rationibus  atque  revelationi- 
bu$  probalur  animas  purgalas,  generaliter  loquendo, 
de  futura  nanciscenda  setema  sainte  esse  cer tas,  sed 
tamen  in  nonnullis  purgatorii  animabus  possibilem 
esse,  atque  mien  dari  hanc  pœnam,  ut  de  propria bea- 
titudine  existant  incertm.  Qui  igitur  hœc  docet  non 
'<>.  Analecta  juris  pontificii, 
i.  ix,  p.  158-159. 

III.  Appréciation.  —   L'œuvre  théologique  de  Denys 
le  Chartreux  est,  comme  on  le  voit,  très  considérable. 
Ceal  un  des  derniers  et  non  des  moindres  repn 
tants  de  la  période  proprement  acolastique.  Deux  qua- 
lités ne  lui  ont  jamais  été <    al  «naissance 

parfaite  de    tOUS   les  I    de   tOUteS   les  questions 

dans   i'  jusqu'à  lui.  et  une  piété  pro- 

fonde préoccupée  de  transformer  la  spéculation  aride 
affective,  el  de  faire  de  la  théologie  uni'  pré- 
paration i  la  contemplation.  Par  ce  côté,  il  se  rattache 

Je   mystique  des  victorins  Hugues  el  Richard,  de 
saint  Bon  a'  entui  eel  de  '  rei  ion   l 'ai  ient, 

il  montre  un  esprit  1res  on,,  ri  et  résolument  Indi  pen 
danl  :  Fréquent!      <  i  sa. 

laine  diversorum  doctorum  docln 
opinioni  uniits  incaule  aut  perlinacitei  i 

h, ,,,  hit  accidit  qui  i  unutn  dumta 

doctorem  legerunt,  In  IV  Senl.,proatm.,  i    xix.  p.  :î7. 
lu  métaphysique,  il   sni>  i 


447 


DENYS    LE   GHA.RTREUX 


DENYS    LE    PETIT 


4is 


(|ui  est  sans  conteste  son  docteur  préféré,  Toutefois,  sur 
un  certain  nombre  de  points,  il  n'hésite  pas  à  s'en  sé- 
parer avec  une  liberté  qui  étonnera  plus  d'un  Lecteur. 
A  l'Aréopagite  il  emprunte  ses  idées  mystiques  et  son 
langage  hyperbolique.  On  ne  peut  nier  qu'il  ne  soit, 
par  sa  tendance  d'espril  native,  un  intuitif  plutôt  qu'un 
dialecticien,  bien  que  son  éducation  intellectuelle  ail 
été  presque  exclusivement  scolastique.  En  morale,  son 
enseignement  participe  plus  de  la  tendance  ascétique 
qui  vise  à  la  perfection,  que  de  la  tendance  casuistique 
qui  cherche  à  déterminer  les  limites  en  deçà  desquelles 
le  salut  n'est  plus  possible.  De  là  une  propension  géné- 
rale à  la  sévérité  :  sévérité  de  principes,  lnl  VSent.,\.ïll, 
dist.  XXXVI,  q.  m,  sévérité  aussi  dans  maintes  appli- 
cations, notamment  dans  les  Sermons.  Enfin,  pour  por- 
ter sur  son  œuvre  un  jugement  équitable,  il  ne  faut 
pas  oublier  que  certaines  théories  lui  furent  en  linéi- 
que sorte  imposées,  et  par  les  idées  courantes  de  son 
temps  (autorité  exagérée  attribuée  aux  conciles),  et  par 
l'imperfection  de  ses  connaissances  historiques.  -Il 
acceptait  de  bonne  foi,  et  sans  les  vérifier,  les  assertions 
d'auteurs  qui  sont  loin  de  mériter  toute  créance,  Pierre 
Comestor,  Jacques  de  Voragine  et  les  légendaires  du 
moyen  âge;  et  ces  erreurs  historiques  ne  sont  pas  sans 
avoir  exercé  quelque  inlluence  sur  son  enseignement 
théologique. 

IV.  Nouvelle  édition  de  ses  œuvres.  —  Depuis 
deux  siècles,  les  hommes  d'étude  désiraient  voir  une 
nouvelle  édition  des  œuvres  complètes  de  Denys  le 
Chartreux  qui  fût  uniforme  dans  son  exécution  et  ré- 
pondît au  goût  moderne.  Il  y  eut  un  moment  où  les 
chartreux  des  Pays-Bas  furent  sur  le  point  de  satisfaire 
à  ce  vœu,  en  confiant  au  fameux  Foppens,  imprimeur  à 
Bruxelles,  l'entreprise,  qui  devait  surpasser  toutes  les 
publications  faites  précédemment.  Alors,  la  chartreuse 
de  Buremonde  possédait  encore  quelques-unes  des 
œuvres  de  Denys  qui  étaient  restées  inconnues  aux 
chartreux  de  Cologne  et  aux  éditeurs  suivants.  Des 
circonstances  particulières  ne  permirent  pas  de  réali- 
ser le  projet;  et  les  événements  politiques  de  la  fin  du 
xviue  siècle  obligèrent  l'ordre  des  chartreux  à  y  re- 
noncer complètement.  Le  retour  à  la  théologie  scolas- 
tique qui,  de  nos  jours,  a  heureusement  remis  en 
honneur  les  doctrines  de  saint  Thomas  et  de  son  école, 
fit  renaître  le  désir  d'une  réimpression  des  œuvres  de- 
Denys,  qui  est  le  dernier,  mais  non  pas  le  moins  célèbre 
des  représentants  de  l'enseignement  scolastique.  Le 
B.  P.  dom  Michel  Baglin,  général  des  chartreux,  se 
rendit  parfaitement  compte  des  grands  services  qu'une 
nouvelle  édition  pouvait  rendre  à  ce  mouvement  intel- 
lectuel, et,  sans  se  préoccuper  de  la  difficulté  des 
temps,  soumit  le  projet  au  saint-siège  afin  d'attirer  la 
bénédiction  du  pape  sur  l'entreprise.  Léon  XIII,  par 
un  bref  du  1er  avril  1896,  approuva  l'idée  et  accepta  la 
dédicace  de  la  nouvelle  édition.  Le  monde  studieux 
applaudit  chaleureusement,  el  les  revues  les  plus  au- 
torisées firent  l'éloge  de  Denys  el  de  son  ordre  qui,  en 
quelque  sorte,  le  remettait  en  la  place  d'honneur  et  de 
gloire,  à  laquelle  il  avait  tant  de  droits.  Aujourd'hui 
(1908)  33  vol.  in-i°,  à  2  colonnes,  ont  déjà  paru  par  les 
soins  de  l'imprimerie  de  la  Chartreuse  de  Notre-Dame- 
des-Prés,  à  Montreuil-sur-Mer,  maintenant  transférée 
à  Tournai,  en  Belgique.  Les  I.  i-xiv  contiennent  les 
commentaires  sur  toute  l'Écriture.  Les  t.  xv  et  xvi 
comprennent  l'explication  des  œuvres  attribuées  à  saint 
Denys  l'Aréopagite.  La Swmma  fidei  orthodoxie,  c'est-à- 
dire  l'abrégé  de  la  Somme  de  saint  Thomas,  et  le  Dia- 
logion  de  fi.de  remplissent  les  t.  xvn  et  xvm.  Les 
t.  xix-xxv  renferment  le  commentaire  sur  les  Sen- 
tences; les  t.  xxvi-xxvin,  les  travaux  de  Denys  sur 
Boèce,  Cassien  elsainl  Jean  Climaque  ;  les  t.  xxix-xxxtt, 
ses  Serinons;  les  t.  xxxm-xxxv,  les  Opéra  minora.  La 
publication  entière  formera  environ  15  volumes  et  sera, 


selon  fi'  vœu  de  Léon  XIII,  une  œuvre  digne  de  l'auteur 
el  des  matières  dont  il  traite  :  qutB  auctorit  rerumque 
dignitati  respondeat  '  Bref  au  général  des  chartreux 
du   I"  avril   1896. 

D.  Dionysii  Carthusiani,  doetori»  eestatici,  vita  simul  et 
operum  ejus  fldissimus  catalogua,  in-8  .  Cologne,  1532.  Cette 
vie  composée  par  le  chartreux  dorn  Thierry  Loher,  vicaire  de  la 
maison  de  Cologne  et  principal  promoteur  de  la  pu] 
oeuvres  de  Denys,  avait  déjà  paru,  Cologne,   1530;  Paris. 
jointe  aux  commentaires  de  Denyï   sur  les  Épltres  de  saint  Paul. 
Elle  a  été  plusieurs  fois   réimprimée  avec  quelques-unes  des 
œuvres  de  Denys.  On  la  trouve  aussi  dan-  les  bollandistes,  au 
12   niais,  et  dans  les  Ephemerides  ordinis  cartusiensis  de 
dom  Léon  Le  Vasseur,  au  même  jour.  Les   nouveaux  éditeurs 
l'ont  publiée  en  tête  du  t.  i  ;  une  édition,  in-18,  a  paru  en  19 
Tournai  (imprimerie  de  Notre-Dame-di  -en.  Flores 

Ecclesim  Leodiensis;  H  Dultor  estatico,  ovvero  la  Vita  del 
veneràbile  Dionigio  Richel,  monaco  carlusiano  (œuvre  pos- 
thume du  chartreux  dom  Daniel  Campanini,  -,'•  1727),  in-1ti, 
Venise,  173G:  Admirable  Vida,  singulares  virludes,  y  prodi- 
giosa  sabiduria  del  extatico  varon  Padre  B.  Dionysio  Rickel, 
llamado  vulgartnente  el  cartusiano...  por  el  Padre  Joseph 
Cassani,  in-8',  Madrid,  1738.  Le  chartreux  italien,  dom  Pierre 
Bandini  (y  1797),  sous  le  pseudonyme  de  P.  Dinbani.fit  pal 
une  Vita  del  Beato  Dionisio  da  Richel,  monaco  carlusiano, 
in-4",  Sienne,  1782  ;  H.  Welters,  Denys  le  Chartreux,  sa  vie  et 
ses  œuvres,  in-8",  Ruremonde,  1882;  Kirchenlexikon,  Fribourg- 
en-Brisgau,  1884,  v  Dionj/Stus;  dom  A.  Mougel,  Denys  le  ( 
treux,  i403-1471.  Sa  vie,  son  rôle.  Une  nouvelle  édition  de 
ses  ouvrages,  in-8",  Montreuil-sur-Mer,  1896;  il  en  a  paru  une 
édition  allemande  augmentée,  Mùlheim-sur-la-Ruhr,  1898;  Albers. 
S.  J.,  Dionysius  de  Kartuizer  en  :ijne  werken,  Utrecht,  1897; 
Un  eminente  scolastico  troppo  dimenticato.  XelV  oceasione 
d'un  a  ristampa  délie  opère  complète  di  Do  sino, 

riflessioni  di  D.   Roberto  Montagnani,   deli  Une, 

in-8",   Montreuil-sur-Mer,  1898;   D'    Krogh   Tonning,  Der  letzli 
Scholastiker,  Fribourg-en-Brisgau,  1904. 

On  peut  aussi  consulter  :  dom   Pierre    Dorland,    Chronicon 
cartusiense,  in-8-,  Cologne,  1608,  1.  VII.  c.  vi-xxiv.  p.  3'.'_ 
ainsi  que  les  notes  de  l'éditeur,  dom  Théodore  Petreius.  in-v 
Cologne,  1608,  p.  150-160;    Btbliotheca  cartusiana,  du  même 
dom  Théodore  Petreius,  in-8°,  Cologne,  1609.  p.  49-85;  Tiithème, 
De    scriptoribus    ecclesiasticis ;  Thomas   Bzovius,    De  signis 
Ecclesiœ,  1.  XXII,  c.  xxiv,  signo  51;  Aubert  Le   Mire,  André 
Sweert,  Foppens  et  tous  les  grands  bibliographes  des  écrivains 
belges;  le  P.  Théophile  Raynaud,  Stylita  mysticus;  Morozzi  . 
Theatrum   chronologicum   S.   ord.   carlusien.,  Turin,  1681; 
Dupin,  Lelong,  le  P.  de  Tracy  dans  la   Vie  de  saint   Bruno; 
Hurter,  Nomenclator,  1899,  t.  iv,  col.  755,  1356;   M.  de  Wulf, 
Histoire  de  la  philosophie  médiévale,  Louvain,  1900,  p.   37n  : 
Keiser,  Dionys    des    Kartàuscrs    Leben    und    pddagugische 
Schriftefi,   dans   la   Bibliotek   der   katholischen   ." 
Fribourg-en-Brisgau,  1904,  t.  xv:  les  chartreux  Nicolas  Molin, 
Charles  le  Couteulx   et  Benoit  Tromby  dans  leurs  travaux  sur 
l'histoire   générale  de  l'ordre;  les  grands  recueils  de   Vies  des 
saints  de  Baillet,  Petits  Bollandistes,  etc.,  ainsi  que  les  ouvi 
spéciaux  sur  les  saints  du  diocèse  de  Liège,  par  Daris,   M     d 
Ram,  le  P.  Nimal,  etc. 

S.  ALTORK. 
9.  DENYS  LE  PETIT.  Denys,  à  qui  son  humilité 
fit  prendre  le  surnom  de  Petit,  naquit  en  Scythie  la 
Petite-Scythie  ou  la  Dobrodja  moderne),  mais  vint 
jeune  à  Borne,  vers  l'an  500,  et  y  vécut  dans  le  cloître 
jusque  vers  540.  Le  document  capital  sur  Denys  - 
trouve  dans  les  lignes  émues  consacrées  à  sa  mémoire 
par  son  ami  Cassiodore.  Institut..  I.  1.  23,  P.  L.,  t.  i.x\. 
col.  1137.  Il  servit  les  lettres  chrétiennes  par  ses  tra- 
ductions, par  ses  collections  canoniques  et  par  l'in- 
troduction de  1ère  diony sienne.  Denys  marque  parmi 
les  savants  qui,  à  la  suite  d'un  Jérôme  et  d'un  Bufin. 
ouvrirent  aux  lecteurs  latins  les  trésors  de  la  science 
grecque.  La  plupart  de  ses  traductions  se  trouvent 
/'.  /..,  t.  i  xvn.  Mais  ses  travaux  canoniques  ont  davan- 
tage illustré  son  nom.  Dès  les  premières  années  du 
VIe  siècle,  il  publia  en  latin  une  collection  de  canons 
synodaux  île  l'Orient  comme  de  l'Occident.  De  la  pre- 
mière rédaction  de  ce  travail  il  ne  reste  que  la  pré- 
face,  niais  nous  possédons  une  seconde  édition  datant 
probablement  aussi  de  la  première  décade  du  \v  siècle. 


449 


DENYS    LE    PETIT    —    DENZINGER 


450 


Le  recueil  s'ouvre  par  les  canons  des  apôtres  et  se 
clôt  par  ceux  du  concile  de  Chalcédoine  (451).  Sous  le 
pape  saint  Symmaque  (f  514),  Denys  rassembla  les 
décrétâtes  pontilicales,  dont  il  n'existait  pas  encore  de 
recueil  spécial;  il  en  donnait  trente-huit,  allant  de 
saint  Sirice  (f  398)  à  saint  Anastase  II  (f  498).  Les  deux 
collections,  qui  obtinrent  aussitôt  dans  l'Église  ro- 
maine une  grande  autorité,  formèrent  plus  tard  un 
seul  corps  sous  le  titre  de  Dionysiana  (collectio), 
P.  L  ,  t.  i.xvn,  col.  139-316.  Cf.  Maassen,  Geschichte 
der  (Juellen  und  der  Littéral ur  des  kanon.  Rechls, 
t.  i.  p.  132-13G;  Ad.  Tardif,  Histoire  des  sources  du 
<h,t  canonique,  p.  110-114.  Denys  entreprit  enlin,  à 
la  demande  du  pape  Hormisdas  (514-523),  une  édition 
-latine  des  canons  synodaux  de  l'Église  grecque; 
il  n'en  reste  de  même  que  la  préface.  Dans  la  chro- 
nologie, Denys  a  attaché  à  son  nom  une  gloire  immor- 
telle comme  fondateur  de  l'ère  chrétienne.  Par  ses 
deux  lettres  De  ralione  paschsc,  P.  L.,  t.  i.xvii,  col.  19- 
28,  483-494,  son  Cyclus  decemnovennalis,  col.  493- 
498,  et  ses  Argumenta  paschalia,  col.  497-508,  il 
insistait  sur  l'adoption  du  cycle  pascal  alexandrin  de 
dix-neuf  ans,  et  continuait  les  tables  pascales  de 
saint  Cyrille  pour  une  durée  de  quatre-vingt-quinze  ans 
a  partir  de  l'an  525;  c'est  dans  ce  travail  que,  rompant 
avec  l'ère  df  Mioclétien  ou  des  martyrs  (29  août  284), 
il  compte  pour  la  première  fois  les  années  à  partir  de 
la  naissance  de  Jésas-Christ.  A  tort,  il  est  vrai,  il  fixait 
l'avènement  du  Sauveur  l'an  754  de  Home,  tandis  que 
des  calculs  plus  exacts  le  placent  quelques  années  plus 
lot,  probablement  sur  la  fin  de  l'an  7'i9.  Dom  Ameili, 
sans  preuves  bien  décisives,  attribue  à  Denys  la  pater- 
nité  d'une  série  de  pièces  latines  du  temps  des  querelles 
eutychiennes,  exhumées  par  lui  d'un  manuscrit  de 
Novare.  Spicilegium  Casinense,  1893,  t.  i,  p.  4-189. 
(T.  le  même,  S.  Leone  Magno  e  l'Oriente,  Mont-Cassin, 
1890. 

ver,   Les   Pères   de  l'Église,  trad.  Godet   et  Ver- 
l.  I.  m,  p.  165-1G7;  Ifurter,  Nom  lit.,  t  I, 

i  -   i  hevalii  r,    Ré\  ■  •  toii  e.   B 
■..  t.  i,  col.  1176-1177. 

C.  Verschafi  i  i 

1.  D  EN  Y  SE  Jean,  philosophe  français  du  xvnr3  siècle, 
professeur  au  collège  de  Montaigne  :  il  a  laissé  lesouvra- 

suivants  :  /.«  vérité  de  I"  <    ligion  chrétienne  dé- 
Irique,  in-12,  Paris,  1717  :  Lu 
pliquée  pur  le  rais  mnement  et  pur  r,  i  />  - 
m  12,  Paris,  1719. 

tire,  t.  h,  p.  'isl  ;  iimi 
1049. 

B.  Mi H7RTEBI7.E. 

2.  DENYSE  Nicolas,  donl  les  < temporains  écri- 

vaienl  le  nom    :    De  Niisse,    naquit  à   Beuzeville,  près 

il  était  chanoine  et  vicaire  de  (ïodefroid 
Herbert,  évéque  de  ce  diocèse  (1478-1510),  quand  il 
quitta  -"ii   ii.  n  (i       pour  entrer  chez  les  mineurs  de 

'■ni  de   Valogn         Pi    dii  iteui 
lèbn  (emplaii  e,  .1    mérita  de  remplir  les 

premii  res  chai  m  ordre,  c'est  ainsi  que  nous 

la  pro     ne    .le  I  rance.  Il  mourut 
ieu  I"  18  m  h  1509,  •  i  ne   inscription  lui  pla 

-    e  ipitulaire  di    -mi  couvent. 
ni      h,  i  i 
tolutio  theolog* 
fia    p,  oficere   <  ,,i<  , 
a  Veni 

'M/7/1 

■    pernlil,  ..,_     IM   ; 

'I.     ■         ,1       .        .1 

d.     l  auteur,   h-  I-.  Marin  <l  publia  le 

i   Opus  super  quatuor  n 
1509,   1518;   Lyon,  1519,  i 

DICT.     Ill     7111  ni  .    ,    MlUll.. 


difficile  de  se  retrouver  dans  les  éditions  de  ses  sermons, 
que  l'on  rencontre  séparés  ou  réunis  :  de  son  vivant 
parurent  les  Sermones...  de  C/tristo  ejusque  gerula 
Matre,  simnlque  sanctorum  et  sanclaruin  tant  pro- 
prii  quant  communes,  ...  suppositis  etiani  quibusdam 
de  advenlu  Domini...,  in-8°,  Rouen,  1507.  Il  mourut 
avant  la  fin  de  l'impression  des  Sermones  de  advenlu 
duplice  et  de  quadragesima,  necnon  de  dominicis  in- 
tevmediis,  de  passione  et  resurrectione  Domini  usque 
ad  il  dominicain  post  Pascha,  in-8°,  Rouen,  1508.  On 
trouve  encore  Sermones  quadragesimales,  in-8°,  1510; 
Sermones  12  de  S.  Francisco,  Paris,  1510;  Sermones 
sanctorum  et  Evangeliorum  communium,  in-8°,  Paris, 
s.  d.;  Sermones  sestivi  et  hycmales  de  temporc,  hye- 
maies  advenluales  et  per  sinqulas  ferlas,  édités  sépa- 
rément à  Paris  et  Rouen,  1510,  réunis  en  1  in-fol., 
Strasbourg,  1510. 

Wadding,  Sbaralea,  Jean  de  Saint-Antoine,  Bibliotheca'script. 
ord.  minorum  ;  Richard  et  Giraud,  Dizionario  universale  délie 
scicnze  ecclesiasticlie,  Naples,  1855. 

P.  ÉnouARn  d'Alençon. 
DENZINGER  Henri-Joseph-Dominique,  théologien 
allemand,  né  le  10  octobre  1819  à  Lûttich,  où  son  père 
était  professeur,  vint  à  'Wurzbourg,  patrie  de  son  père, 
en  1831,  y  lit  ses  études  au  gymnase,  fut  reçu  docteur 
en  philosophie,  entra  au  séminaire  en  1838,  alla  à  Rome 
en  1841  au  Collège  germanique,  y  fut  ordonné  prêtre  le 
8  septembre  1844  et  y  prit  le  doclorat  en  théologie  en 
1845.  Au  mois  d'octobre  de  cette  année,  il  devint  cha- 
pelain à  Hassfurt,  mais  en  1848  il  revint  à  Wurzbourg 
comme  professeur  d'exégèse  du  Nouveau  Testament.  Le 
25  janvier  1854,  il  passa  à  la  chaire  île  dogmatique 
qu'il  occupa  jusqu'à  sa  mort,  le  19  juin  1883.  A  cause 
de  son  étal  maladif  pendant  plus  de  20  ans,  Denzinger 
n'a  pu  travailler  autant  qu'il  aurait  voulu.  Il  a  cepen- 
dant exercé  en  Allemagne  une  réelle  influence  dans  le 
domaine  de  la  théologie  positive.  En  1840,  il  avait 
publié  contre  Gfrôrer  une  dissertation  lie  Philonis 
philosophia  et  schola  Judxorum  Alexandrina,  Wurz- 
bourg. Ses  premiers  écrits  furent  polémiques  :  Krilik 
ilrr    Vorlesungen  der  Profes.  Thiersch  iiber  Katholi- 

•  n  und  Proies tanlismus,  Wurzbourg,  1847,  1848; 
i  bi'r  die  Echlheit  des  bisherigen   Texts   der  /  , 
tianUchen  Briefe,  ihid.,  1817,  contre  Cureton;  Den- 
zinger en   a    fait    une   traduction    latine    :    Disquisitio 
criticade  textns  recepli  Epistolarum  s.  Tgnatiiinte- 

'<•,  dans  /'.  '.'..  Paris,  IS57.  t.  v.col.  601-623;  Die 

ilative  Théologie  Gûnthers,  Wurzbourg,  1853; 
fjber  die  unbeflechle  Empfângniss,  ibid.,  1855.  Ses 
autres  ouvrages  uni  plus  d'étendue  el  d'importance  : 
Enchiridion  symbolorum  cl  definitionum  quœ  de 
rébus  fidei  n  morum  a  conciliis  œcumenicis  et  sum- 
mis  ponlificibua  emanarunt,  in-12.  Wurzbourg,  1854; 
les  7.  s- et  9r  édit.  augmentées  uni  été  publiées  par 
.1.  Slahl;  la  10»,  plu--  complète  encore  el  entièrement 
remaniée,  a  été  préparée  par  le  P.  Bannwart,  in-8», 
Prjbourg  en  Brisgau,  1908;  i  ie\  Bûcher  von  der  reli- 
giôsen  Erkenntniss,  2  in-8»,  Wurzbourg,  1856,  1857. 
Ititus  orientalium,  coplorwn,  syrorum  ri  armenorum 

Iminùtrandis  sacramenlis,  2  ln-8°,  Wurzbi 

qui  contenait  la    traduction 
latine  de  quelques  textes  inédits,  valut  à  son  auteur  le 
titre  de  consulteur  de  la  Propagande  pro  rebut  Orien- 
talium. En  l*7o.  Denzinger  publia  un  écrit  de  circon- 
Kepha,  \  pâpslliche  Unfehlbarkeit,  ,<\ 

ur  de  l'infaillibilité  pontificale.  Il   a  encore  édité  : 
N.    B  opi    Herbipolentiê   opéra,    /'.    /.  . 

t.   i  A  I  II.    (  I.     ï'/trnl,    :  ,-lllll 

uni  vindicatm  circa  materiam  gratta  libri  très, 
Wurzbourg,  1853;  De  Rubeis,  D<  rigi- 

ibid.,    1857;    Prud.    Maran,    Divinitat    Domini 

III-  D  l*8re  tir    nu 


IV. 


i: 


4M 


1 1 1 •:  n  z  i  N  (  ;  i  ■:  1 1 


DEPOSITION    ET   DÉGRADATION   DES   CLERCS        152 


11.  .1.  I).  /)>•   linger,  Fril  en-Bi      au,  1883 ;  Der  Katholik, 

1883,  t.  II,  p.   428-444,523*38,  638-649;  Kirchenlexikon,  \.  in, 
col.    1516-1517;  AUgemeine  Deutsche    Biographie,   t.  xi.vn, 
p.  604  666;  limier,  Nomenclator,  t.  m,  col.  1178;  Kirchlit  ht 
Handlexikon,  Munich,  1907,  t.  i,  col.  1073. 

E.  Mangenot. 

DÉPOSITION  ET  DÉGRADATION  DES 
CLERCS.  —  I.  Xature  et  effets.  II.  Fautes  qui  les  en- 
traînent. III.  Des  personnes  à  qui  appartient  le  droit 
de  déposer. 

I.  Nature  et  effets.  —  /.  déposition  et  dégrada- 
tion DV  l"AV  XII'  SIÊt  LE.  —  Comme  toute 'société  bien 
organisée,  l'Église  possède  une  hiérarchie.  Dans  l'es- 
pèce, la  hiérarchie  catholique  se  compose  du  pape  et 
des  évêques,  des  prêtres,  des  diacres  et  dessous-diacres 
qui  forment  les  ordres  majeurs,  et  des  lecteurs,  des 
exorcistes,  des  acolytes,  et  des  portiers  qui  constituant 
les  ordres  mineurs.  Tous  sont  au  service  des  fidèles,  et 
tous,  en  raison  même  de  leurs  fonctions  et  de  leur 
dignité,  sont  tenus  de  pratiquer  la  vertu  à  un  degré 
plus  éminent  que  le  reste  des  chrétiens.  Les  fautes 
graves  qu'ils  commettent  causent  nécessairement  du 
scandale.  Et  il  faut  que  l'Église,  sous  peine  de  se  dimi- 
nuer elle-même,  ait  le  moyen  d'enrayer  un  mal  aussi 
considérable.  Elle  obtient  ce  résultat  en  frappant  les 
membres  coupables  de  peines  proportionnées  à  leurs 
fautes.  Et  de  ces  peines  la  plus  terrible  est  la  dégra- 
dation ou  déposition. 

Dans  l'antiquité  chrétienne  et  jusqu'au  XIIe  siècle, 
ces  deux  [termes  sont  synonymes.  A  vrai  dire,  les  mots 
même  n'apparaissent  pas  avant  le  1 1 Ie  siècle.  C'est  saint 
Cyprien,  par  exemple,  qui  emploie,  le  première  notre 
connaissance,  dans  une  de  ses  lettres,  Epist.,  lxv,  n.3, 
P.  L.,  t.  IV,  col.  391,  l'expression  depunere  pour  dési- 
gner la  destitution  d'un  diacre.  Le  concile  de  Cartilage 
de  398  parle  de  dégradation,  ab  of/icio  degradari, 
can.  48,  dans  llardouin,  Concilia,  t.  i,  col.  982,  et 
Gratien,  Decretum,  dist.  XCI,  c.  4.  Mais,  bien  avant 
cette  époque  comme  après,  on  trouve  une  infinité  de 
textes  qui  marquent  la  dégradation  ou  la  déposition 
en  termes  dont  le  sens  ne  saurait  être  douteux.  Nous 
en  citerons  quelques-uns  des  plus  significatifs  :  u,et<x- 
vsoOai  Èx  T-yjç  Xsnro'jpyi'a;,  dit  saint  Clément  de  Rome, 
7  Cor.,  44,  Funli,  Patres  apostolici,  2eédit.,  ïubingue, 
1901, 1. 1,  p.  156;  xaTaTÎGsotiai,  S.  Hippolyte,  Philosophu- 
mena,  1.  IX,  c.  ni,  P.  G.,  t.  xvi,  col.  1;  xa8aipeî(x8ai, 
Canons  apost.,  3,  6,  7,  P.  G.,  t.  cxxxvn,  col.  40  sq.; 
TTavTc'/.to;  xîOaipsïcOa;  tï,ç  Xeitoup'jïaç,  concile  d'Antioche 
de  341,  can.  5,  clans  llardouin,  Concilia,  t.  i.  col.  595; 
xaBatpsfadai  toî  xXripou  xa\  àXXÔTpiov  eivai  toû  xavdvoç, 
concile  de  Nicée,  can.  17,  Hardouin.  t.  i,  col.  331; 
xa8aip6Ïo-8at  toû  {ia.-\i.o\>,  S.  Basile,  Epist.  canon,  ad 
Amphiloch.j  can.  32,  P.  G.,  t.  xxxn,  col.  728;  xaOaipeï- 
TOa:  y.où  Ttavtôç  ÈxxXY)(ria<mxoÇ  Sa-[j.oO  -jnâp/siv  a'/'/o- 
tpi'ov, concile  d'ÉphèsecontreNestorius,dans  llardouin. 
t.  I,  col.  1433;  àixoYU".vo-Jo8xt  t?,;  lepaTiXïjç  àÇt'a:, concile 
in  Trullo,  can.  21,  Hardouin,  t.  m,  col.  1669;  acleri- 
catus  of/icio  renwveri,  Innocent  Ier,  Epist.,  xxxix.  ail 
episcop.  Apulise,  /'.  I..,  t.  xx,  col.  «JOii;  ab  ordine  cîeri 
amoveri,  concile  d'Arles,  de  314,  can.  13,  llardouin, 
t.  i,  col.  265;  onvni  ecclesiaslicee  dignitalis  privilegio 
nudari,  Sirice  à  Himère,  c.  xi,  P.  L.,  t.  i.vi,  col.  558- 
559;  ordine  et  honore privari,  Innocent  Ier,  Epist.,  m, 
ad  episcop.  in  synod.  Tolet.,  c.  iv,  P.  L.,  t.  xx,  col.  i'JI  ; 
ab  honore  deponi,  concile  d'Agde  de  506,  can.  19, 
llardouin,  t.  Il,  col.  1003;  gradn  pruprio  penitus  ca- 
rere,  concile  de  Rome,  de  503,  llardouin,  t.  n, 
col.  985;  a  sacerdotii  ordine  dejici.  S.  Grégoire  le 
Grand,  Epist.,  1.  V,  epist.  vu,  P.  /..,  t.  i.xxvn, 
col.  728,  etc.  Cf.  Kober,  Die  Déposition  und  Dégra- 
dation, p.  3-5. 

De  toutes  ces  formules  il  résulte  que  la  dégradation 
ou  la  déposition  est  une  peine  ecclésiastique  qui  ôte 


aux  clercs  toutes  les  prérogatives  d'ordre  ou  de  juri- 
diction dont  ils  jouissaient.  Ce  dépouillem 
entier  et  si  radical  que  leurs  droits  aux  bénéfii 
les  honneurs  attachés  à  leurs  dignités  leur  sont  ravis. 
Ils  cessent  de  faire  partie  du  clergé  et  sont  désormais 
rangés  parmi  les  laïques.  Toutefois  leur  abaissement 
laisse  entier  le  caractère  spirituel  qu'ils  ont  n  i  D  dans 
l'ordination.  Ce  sont  tous  ces  effets  de  la  dégradation 
ou  déposition  qu'il  nous  faut  expliquer. 

El  d'abord,  les  clercs  déposés  ou  dégradés  sont  dé- 
pouillés de  toutes  leurs  prérogatives  d'ordre  et  de  juri- 
diction. L'affaire  des  évéques  espagnols,  Basilid 
.Martial,  vers  le  milieu  du  IIIe  siècle,  en  fait  foi.  Ils 
avaient  été,  pour  des  fautes  graves  qu'on  leur  repro- 
chait, déposés  régulièrement;  mais  soutenus  par  quel- 
ques-uns de  leurs  collègues,  ils  en  appelèrent  au  pape 
Etienne  qui,  trompé  par  de  faux  rapports,  les  réta- 
blit sur  leur  siège.  Cette  décision  choqua  l'Église  • 
gnole  qui  délégua  plusieurs  de  ses  membres  aupn 
saint  Cyprien,  le  priant  d'examiner  l'affaire  à  nouveau. 
Dans  un  concile  tenu  à  Carthage  en  254,  l'épiscopat  afri- 
cain jugea  que  les  inculpés  étaient  vraiment  coupables 
et  qu'en  conséquence  ils  étaient  déchus  de  tous  leurs 
droits  :  nec  Ecclesiœ  Chris  ti  posse  prœesse  nec  De"  sa- 
crificia  offerre  debere.  S. Cyprien,  Ejjist.,  i.xvin.  I'.  /.., 
t.  m,  col.  400.  A  propos  de  Mélèceon  trouve  dans  Socrate, 
H.  E.,  1. 1,  c.  ix,  P.  G.,  t.  lxviii,  col.  80,  une  décision  ana- 
logue du  concile  de  Nicée.  Le  pape  Nicolas  Ier,  frappant 
les  archevêques  Thietgaud  de  Trêves  et  Gunther  de  Co- 
logne, qui  s'étaient  gravement  compromis  dans  la  ques- 
tion du  divorce  du  roi  Lothaire,  déclare  pareillement, 
qu'ils  sont  ab  of/icio  sacerdotali  excommunicati  atque 
a  regimine  episcopatus  alienati.  Il  ne  fait  guère  d'ail- 
leurs que  répéter  la  sentence  du  concile  de  Lalran  de  863 
qui  avait  décidé  que  les  coupables  devaient  ab  omn% 
sacerdotii  officiio  permanere  penitus  aliénas...  ont  ni 
episcopali  e.cutos  regimine  consistere.  Hardouin,  I 
cilia,  t.  v,  col.  573. 

Les  prêtres  déposés  subissaient  la  même  humiliation. 
Toutefois  comme  ils  n'ont  pas,  en  vertu  de  leur  ordi- 
nation, de  juridiction  proprement  dite,  ils  étaient  seu- 
lement privés  de  leur  pouvoir  d'ordre.  Le  concile 
d'Ancyre  de  314,  ayant  à  juger  certains  prêtres  qui, 
pendant  la  persécution,  avaient  sacrifié  aux  idoles, 
leur  interdit  «  d'offrir  le  sacrifice,  de  prêcher,  d'exercer 
aucune  fonction  sacerdotale.  »  Can.  1,  Hardouin,  Con- 
cilia, t.  i,  col.  271.  Saint  Basile  donne  une  décision 
semblable  à  propos  d'un  prêtre  dont  la  faute  lui  pa- 
raissait comporter  des  circonstances  atténuantes.  Il 
conservera  son  siège,  mais  sera  privé  de  toutes  -,  - 
fonctions,  ce  qu'il  explique  ainsi  :  «  11  ne  pourra  ni 
publiquement  ni  en  particulier  donner  la  bénédiction, 
ni  administrer  aux  autres  le  corps  du  Christ,  ni  rem- 
plir aucune  fonction  liturgique,  y-rpe.  ri  ïXXo  Xsiwjp- 
yetTio.  Epist.  ad  Amphilochinm ,  can.  27.  /'.  G., 
t.  xxxn,  col.  724;  llardouin,  Concilia,  t.  m, col.  I669sq. 
Dans  certains  documents,  par  exemple,  dans  le  canon  - 
du  concile  de  Tours  de  461,  la  seule  peine  formellement 
infligée  au  prêtre  coupable  regarde  la  messe,  sacrificium 
Dco  offerre  non  prœsumat.  llardouin.  Concilia,  t.  n. 
col.  79i.  Mais  si  cet  office  est  particulièrement  désigné, 
c'est  parce  qu'il  forme  la  principale  fonction  sacerdo- 
tale ;  en  réalité  l'interdiction  s'étendait  à  toutes  les 
autres.  Lorsqu'on  avait  l'intention  de  limiter  l'interdit, 
on  avait  soin  de  le  dire  en  termes  expies.  Cf.  concile 
de  Néocésarée,  de  314,  can.  9,  llardouin.  Concilia, 
t.  i,  col,  283. 

Au-dessous  des  évêques  et  des  prêtres,  la  peine  de  la 
déposition  pouvait  être  appliquée  aux  diacres  et  aux 
clercs  inférieurs.  Les  diacres  perdaient  le  droit  de 
servir  à  l'autel  el  les  clercs  inférieurs  devaient  cesser 
absolument  leurs  fonctions.  Concile  d'Ancyre  de  311. 
can.   2,   llardouin.    Concilia,  t.   i.  col.  271;  S.    Bai 


453 


DÉPOSITION    ET    DEGRADATION    DES    CLERCS 


4.">4 


Epist.    ad    Amphiloch.,    can.    69,    P.    G.,   t.    xxxii, 
col.  801. 

Certains  honneurs  extérieurs  étaient  attachés  à  la 
cléricature.  La  déposition  en  entraînait  nécessairement 
la  perte.  On  sait  par  exemple  que  l'évéque,  les  prêtres 
et  les  autres  clercs  occupaient  une  place  réservée  dans 
le  sanctuaire;  ils  étaient  séparés  du  gros  des  fidèles 
par  des  cancelli.  Une  fois  déposés,  les  clercs  ne  sié- 
geaient plus,  sauf  exception,  avec  leurs  collègues.  Saint 
Basile  si-nale  précisément  une  exception  de  ce  genre, 
quand  il  maintient,  comme  nous  l'avons  vu,  à  un  prêtre 
déposé  le  droit  de  siéger  encore  dans  le  sanctuaire  : 
xa8£8paç  |iiv  p.tziyv.v.  Epist.  ad  Amphiloch.,  can.  27, 
col.  724.  Et  cette  exception  confirme  la  règle.  Cf.  Ko- 
l»er,  Die  Déposition  und  Dégradation,  p.  9-1G. 

La   perte   des   revenus  ou   bénéfices  était  une  autre 
conséquence  de   la  déposition.  A  l'origine   les    biens 
élastiques  étaient  en  commun  et  les  clercs  vivaient 
de  l'autel.  Ils  en  avaient  le  droit,  dit  saint  Paul.  I  Cor., 
ix,   13.  Les  papes  Simplicius  (468- 183)  et  Gélase  (492- 
196)  décidèrent  que  sur  les  quatre  parts  dont  se  com- 
posaient les  revenus  de   l'église  et  les  oblations  des  fi- 
dèles, l'une  (la  première)  serait  réservée  à  l'évéque  et 
la  quatrième  distribuée  aux  autres  membres  du  clergé 
pro  singulorum  merilis,  dit  Simplicius,  Epist.,  \u,a<I 
Florentium,   Ilardouin,    Concilia,  t.  il,  col.  SOI;   pro 
officiorum  snoruni  scduUlate,  écrit  Gélase.  Epist.  ad 
clerum,  ordinem  ci  plebem    Brundisii,    ibiil.,    t.    n, 
col.  930.  Mais  les  clercs  déposés  n'avaient  plus  de  titre  à 
alléguer  pour  vivre  de  l'autel.  Aussi  les  privait-on  de 
la   part  des   oblations    à  laquelle  ils  avaient  eu  droit 
jusque-là.  Une  lettre  de  saint  Cyprien,  Epist.,  xxvm, 
/'.    L.,  t.    iv,  col.    302,    qui   a   trait  aux    sous-diacres 
Philomène  et   Fortunat   et   à   l'acolyte    Favorinus,   té 
<'.On  prive  les  clercs  de  la  distri- 
bution   mensuelle   des  oblations   avant   même  que  leur 
soil  jugée,  niin  quasi  a  ministerio  ecclesiastico 
fi   esse  videantur,  sed   ut  integris  omnibus  a<i 
entiam  differantur.  Cette  mesure  pré- 
ventive montre  bien  que,  si  les  clercs  étaient  reconnus 
coupables     et    déposés,    ils   perdaient  du   mémo   coup 
leur  droit  aux  oblations.  La  déposition  de  Paul  de  Sa- 
êque  d'Antioche,  eut  pareillement  poui 

de  la  maison  épiscopale.  Le  concile  qui 

communia  en  269  lui   avail  donné  un   su 

Paul  refusait  de  quitter  sa  demeure.  Cette  maison 

était,  pourtant,  bien  d'église;  elle  revenait  de  droit  au 

titulaire  légitime.  L'affaire  fui  portée  au  tribunal   de 

l'empereur  Aurélien,  qui  décida  en  faveur  de  l'é 

saint-sîi  de 

m.  Paul  de  Samosate  dut  déguerpir,  Le 

us  île  538,  ayanl  à  juger  des  clercs  in- 

lemande  qu'ils  soient   rayés  de   la    listi    di 

iqu  I    qu'ils   ne   reçoivent    plus 

<  ndia   ant 

Can.     I  I .    Ilardouin,    Concilia,    t.    Il, 

historica, 

i  étaient    donc    réduits 
leui  vie  par  le  travail,  par  un  métier  ou  par 
tionnellement, 

n  l anité  ou  par  crainte  de 

i  qui 
'l  Anlioi  he   ayant  été  dépi 

•  ni  aui  Pèrea  d icile 

[lie   de  bu  ei  de  lui  accorder 
agnifleent 
i 

■  il    lu   VASITATl  i/ 

l  '    '  • 

o    un 
d'I i.inilé   f|  Grand 


accorde  à  l'évéque  de  Lipari,  Agalhon,  qu'il  avait  dé- 
posé, une  petite  rente,  tirée  des  biens  de  l'église  :  nam 
n'unis  est  impium,  ajoute-t-il,  S/  AL1M0NI0RVM  NECES- 
xii m  i  post  vindictam  subjaceat.  Epist.,  1.  III,  epist.  lv, 
P.  L.,  t.  i.xxvn,  col.  6.")0.  Cf.  1.  V,  epist.  lu,  col.  781. 
Grégoire  VII  prenait  la  même  mesure  à  l'égard  d'un 
clerc  homicide  qu'il  avait  mis  hors  des  cadres  du  clergé. 
«  Il  faut  pourvoir  à  ses  besoins,  dit-il,  s'il  montre  des 
dignes  fruits  de  pénitence;  la  religion  doit  veiller  à 
ce  qu'il  ne  manque  pas  de  ressources,  »  ne  stipen- 
iliis  ecclesiasticis  carrai.  Hardouin,  Concilia,  I.  VI, 
col.  1223.  Ces  mesures  d'indulgence  étaient  fréquentes 
sans  doute,  mais  elles  n'en  étaient  pas  moins  exception- 
nelles. En  principe,  les  évêques,  les  prêtres,  les  simples 
clercs  disposés,  n'avaient  plus  aucune  part  à  la  distri- 
bution des  oblations  et  des  biens  ecclésiastiques. 

Leurs  droits  étaient  dévolus  à  leurs  successeurs.  A 
peine,  en  effet,  un  évêque  était  déposé  que  ses  collè- 
gues se  chargeaient  de  remplir  le  siège  vacant.  Le 
concile  de  Sardique,  de  343,  réglementa  cet  usage;  il 
décida,  can.  4,  que  lorsqu'un  synode  provincial  aurait 
dépossédé  un  évéque,  on  ne  devrait  pas  procéder  à 
l'élection  de  son  successeur  avant  que  l'évéque  de 
Rome  eut  approuvé  la  décision  synodale.  Ilardouin, 
Concilia,  t.  i.  col.  639.  Saint  Athanase  en  appelle  à  ce 
canon,  lorsque  ses  ennemis,  non  contents  de  l'expulser, 
mirent  Grégoire  le  Cappadocien  à  sa  place  sur  le  si.  ge 
d'Alexandrie.  Ilefele,  Conciliengeschichte,  t.  i,  p.  495- 
497;  trad.  Leclercq,  Paris,  1907,  t.  i,  p.  691-697.  El 
lorsqu'on  853  le  synode  de  Soissons  eut  donné  Ilinc- 
mar  pour  successeur  à  l'archevêque  Ebbon,  sur  le 
siège  de  Reims,  la  question  se  posa  de  savoir  si  l'élec- 
tion était  canoniquement  valide,  parce  qu'elle  avait  été 
faite  malgré  l'appel  à  Rome  qu'Ebbon  avait  interjeté  : 
lnterea  ordinalur  episcopus  in  cathedra  virenlis, 
quamvis  ne  unquam  post  appellationem  romani 
pontificis  hoc  fiai  sacri  canoncs  evidenter  vetare 
noscuntur.  Libellus  proclamationis  Rothadii  ail  Nico- 
laiim  papam,  dans  Ilardouin,  Concilia,  t.  v,  col.  582. 
Mais  il  est  clair  que  cel  appel  était  simplement  sus- 
pensif. En  l'ait,  quand  liome  avait  parlé,  l'évéque  dé- 
posé était  légitimement  remplacé. 

Et  il  axait   perdu  son   siège  sans  espoir  de   retour.   Il 

devenait  même  radicalement  incapable  d'obtenir  une 
autre  fonction  ou  un  autre  bénéfice  ecclésiastique.  Le 
bruit  se  répandit  en  Afrique  qu'un  évéque  déposé  avail 
été  rétabli  sur       n  par  le  pape  Corneille.  Ce  fut 

un  scandale.  On  s'adressa  à  saint  Cyprien  qui  commu- 
niquait facilement  avec  Home  pour  savoir  ce  qu'il  en 
était.  L'évéque  de  Carthage  put  répondre  que  la 
rumeur  qui  agitait  les  écrits  n'avait  aucun  Fondement 

et    que    Trophi me,    privé    des    honneurs   du    sacerd 

.tait  tout  simplement  admis  ;i  la  communion  laïque. 
Sic  admissus  est  Trophimus  or  laiccs  commi  sicet, 
ndum  quod  a./  /,'  nialignorum  littera  per- 
tulerunt,Qi  isi  wci  h  s  i<  brdotis  usurpi  r.  Epist.,  lu, 
ad  Antonianum,  P.  /..,  I.  in,  col.  778,  I. '('■motion 
publique  rie  g'expli  [uerait  pas  si,  d'après  les  canons 
ou  l.i  coutume,  la  déposition  n'avait  pas  été  irrévocable. 
Aussi  c'est  en  vain  que  les  évoques  Basilide  et  Martial 

qui  avaient  ('•té-  frappés  de  celle  peine  pour  .1 

espéraient  pouvoir   reprendre  leurs  fonctions, 
frustra  taies  episcopalum  til  lantur;  la 

Bentence  qui  les  atteignait  les  privail  pour  jamais  ab 

atione  cleri  atque  sacerdolali  honore.  C  • 
s;tint  Cypi  len  qui  li  .  i  w  m.  n   6,  r    l 

t.  m,  col   1031 .  1 1  qualifie  d'     lui  eur  i  el  de    demi 
la  tentative  que  fus. ni  un  autre  évéque  di  posé  pour  re- 
prend >    sacerdolali  s. 
tetum  'I)             t  turitanorum  de 
i  e  pape 
écril  pareillemi  ni  A  Himi  re  que  |<  -  évéquea  coup 
q  '  '  '  ■  ti  ve  n  I 


455 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


456 


songer  à  célébrer  dorénavant  1rs  saints  mystères  :  nec 
uuquam  posse  veneranda  altreclare  mytteria.  Ad 
Hinierium,  c.  vu,  /'.  L.,  t.  xm,  col.  114.  La  déposition 
de  Contumeliosus,  évêque  de  Riez,  en  533,  amena  le 
pape  Jean  II  et  saint  Césaire  d'Arles  à  faire  une  décla- 
ration  semblable.  De  tels  misérables  méritent,  disent-ils, 
qu'on  leur  applique  la  sévérité  des  canons  et  qu'on  leur 
ferme  tout  espoir  de  rentrer  dans  leur  dignité  :  ldeu 
justuni  est,  ut  cum  eis  secundum  omnium  canonum 
staluta  redeundi  ait  honorem  aditus  clauditur,  etc. 
Voir  le  document  :  Ecce  manifestissime  constat,  dans 
llardouin,  Concilia,  t.  Il,  col.  1156.  «  Ce  serait  énerver 
la  vigueur  de  la  discipline,  dit  saint  Grégoire  le  Grand, 
que  de  laisser  les  coupables  nourrir  l'espoir  de  remon- 
ter plus  tard  à  leur  rang.  »  Si  lapsis  ad  situm  ordinem 
revertendi  licenlia  concedalur,  vigor  canonicœ  procul 
dubio  frangitur  disciplinée,  dum  per  reversionis  spem 
pravse  aclionis  desideria  quisque  concipere  non  formi- 
dat.  Epis  t.,  1.  V,  epist.  îv,  P.  L.,  t.  i.xxvn,  col.  725. 
Cf.  S.  Augustin,  Epist.,  clxxxv,  n.  45,  P.  L.,  t.  xxxiii, 
col.  812.  Voir  d'autres  textes  non  moins  concluants  dans 
Kober,  Die  Déposition  und  Dégradation,  p.  29-33. 

La  sévérité  de  cette  discipline  était  justifiée  par  l'inté- 
rêt des  âmes.  Mais  cet  intérêt  pouvait  quelquefois 
justifier  l'indulgence.  L'Eglise  alors  se  relâchait  de  ses 
rigueurs.  Dans  les  crises  de  schisme  ou  d'hérésie  il  y 
avait  souvent  avantage  à  réintégrer  dans  leurs  fonc- 
tions les  évêques  ou  les  prêtres  déchus.  Les  ouailles  qui 
s'étaient  à  leur  suite  séparées  de  l'Église,  rentraient 
aussi  à  leur  suite  au  bercail.  En  voyant  des  populations 
entières  assises  à  l'ombre  de  la  mort,  populorum 
strages  jacenl,  la  sagesse  demandait  qu'on  ouvrit  les 
bras  à  qui  pouvait  les  sauver,  delrahendum  est  aliqvid 
severilali.  C'est  ce  que  recommande  saint  Augustin,  à 
propos  des  donatistes.  Epist.,  ci.xxxv,  n.  45,  P.  L., 
t.  xxxm,  col.  812.  Le  pape  Corneille  avait  déjà  pris  les 
mêmes  mesures  de  miséricorde  vis-à-vis  des  évêques 
et  des  prêtres  compromis  dans  le  schisme  novatien,  et 
la  raison  qu  il  en  donne  est  toujours  l'intérêt  de 
l'unité  :  Credimus  auleni  fore,  quinnimo  pro  cerlo 
jam  confidimus,  exteros  qnoque  qui  in  hoc  errore 
sunt  constituti,  in  Ecclesiam  brevi  reversuros,  cum 
auctores  suos  viderint  nobiscum  agere.  Epist.,  xlyi, 
ad  Cgprianum,  P.  L.,  t.  m,  col.  720.  Pour  plus  de 
détails,  cf.  Kober,  Die  Déposition  und  Dégradation, 
p.  35-38.  Mais  il  demeure  bien  entendu  que  cet  adou- 
cissement de  la  discipline  est  commandé  par  les  cir- 
constances, et  que  l'avantage  cessant,  la  sévérité,  c'est- 
à-dire  la  règle,  reprend  ses  droits.  Ergo  quod  néces- 
sitas pro  rentedio  invenit,  cessante  necessitate ,  débet 
utique  cessare  pariler  quod  urgebat.  S.  Innocent  Ie'. 
Epist.,  xvn,  ad  episcop.  Macedoniœ,  c.  v,  P.  L.,  t.  xx, 
col.  532. 

Le  clerc  déposé  cessait  donc  régulièrement  de  faire 
partie  du  clergé.  Trois  signes  extérieurs  marquaient 
cette  séparation. 

El  d'abord,  il  était  rayé  de  la  liste  des  clercs.  On  sait 
que  chaque  église  tenait  un  registre  des  membres  de  la 
hiérarchie  :  les  Grecs  l'appelaient  xaveov,  concile  de 
Nicée,  can.  16,  17,19,  llardouin,  Concilia,  t.  i,  col. 329; 
ôcvio;  y.avciv,  concile  d'Antioche,  en  341,  can.  1,  ibid., 
col.  593;  xaTdtXoyo;  iepaxixôç,  y.xTàXoyo;  t&v  xXY|pixù>v, 
Canons  apost.,  can.  51,  15,  P.  G.,  t.  cxxxvn,  col.  141, 
08;  matricula,  concile  d'Agde,  can.  2,  llardouin,  t.  Il, 
col.  998;  tabula  clericorum,  S.  Augustin,  Se7'm.,  ccclvi, 
De  diversis,  P.  L.,  t.  xxxix,  col.  1560,  etc.  De  là  le  nom 
de  canonici,  que  portaient  généralement  les  clercs 
dans  l'antiquité.  Mais,  en  vertu  de  la  déposition,  le 
prêtre  ou  le  diacre  devenait  iXXÔTpto;  to-j  xavâvoç.  Con- 
cile de  Nicée,  can.  17.  Delebo  eum  de  tabula  clerico- 
rum, écrit  saint  Augustin.  Serm.,  ccclvi,  De  diversis, 
col.  1580.  Cf.  Kober,  op.  cit.,  p.  39-40. 

Du  même  coup,  il  cessait  de  participera  la  xoivwv-a 


êxxXr)<xia<mxTJ,  à   la  communia  ecclesiastica,  à  la  ■ 
munio  clericalis,  comme  parlent  le  concile  d'Épi 
llardouin,    Concilia,   t.    i,   col.   1499;  le  pape  Gélase, 
Epist.    ml  episcop.   l><irdatiix,  dans  llardouin.  t.  il, 
col.  911;  Nicolas  l,r,  Epist.  ad  modi 

sion.,  ibid.,  t.  v,  col.  639.  D'ordinaire,  les  évêques  et 
les  prêtres  qui  voyageaient  emportaient  avec  eux  des 
lettres  de  communion,  Mitera  commeudatitiœ,  cf.  Ko- 
ber,  op.  cit.,  p.  61-64,  en  vertu  desquelles  ils  siégeaient 
dans  le  presbylerium  avec  leurs  collègues  et  à  leur 
rang  partout  où  ils  se  présentaient.  Une  fois  déposés, 
ces  avantages  leur  étaient  nécessairement  retirés.  On 
les  considérait  comme  «  excommuniés  ».  Concile  de 
Nicée,  can.  16,  dans  Hardouin,  t.  i,  col.  329.  Ce  mol 
fut  quelquefois  employé  pour  signifier  simplement  la 
privation  de  la  communia  clericalis.  C'est  le  sens 
par  exemple  de  la  lettre  de  saint  Cyprien  :  A  comniu- 
nione  noslra  arcealur.  Epist.,  xxvm.  a  :leros 

et  diaconos,  P.  L.,  t.  îv,  col.  301.  Sur  tout  cela.  cf.  Ko- 
ber, op.  cit.,  p.  41-48. 

Au  concile  de  Gaza  de  541,  après  avoir  rejeté  de  leur 
sein  le  patriarche  Paul  d'Alexandrie,  les  évêques,  ses 
collègues,  lui  (itèrent  le  pallium.  Liberatus,  Breiiarium, 
c.  XXIII,  dans  Galland,  Bibliotheca,  t.  xn,  p.  158. 
C'était,  en  effet,  la  règle  que  les  évêques  déposés  fussent 
dépouillés  des  insignes  de  leur  dignité.  Cf.  le  IVe  concile 
de  Tolède,  de  633,  can. 28, dans  llardouin.  t.  m.  col.  586. 
En  fait,  lorsque  saint  Léger  d'Aulun  fut,  sur  de  faux 
soupçons  ou  plutôt  par  suite  d'abominables  calomnies, 
précipité  de  son  siège,  au  synode  de  685,  ses  juges 
exprimèrent  symboliquement  leur  sentence  de  con- 
damnation en  lui  arrachant  sa  tunique.  Hardouin. 
t.  m,  col.  1757.  Dans  la  déposition  d'Ignace  de  Con- 
stantinople,  même  cérémonial  ;  on  lui  enleva  son  étole 
et  tous  ses  ornements  pontificaux.  Nicétas,  Vila  Jgna- 
tii,  dans  llardouin.  t.  v,  col.  967.  On  s'est  étonné  que 
le  pape  Innocent  II,  placé  en  présence  de  son  adver- 
saire l'antipape  Pierre  de  Léon,  lui  ait  violemment  été 
des  mains  «  le  bâton  pastoral,  »  l'ait  dépouillé  du  «  pal- 
lium et  de  l'anneau  pontifical.  »  Chronique  de  Mori- 
gny,  dans  Hardouin,  t.  VI  b,  col.  1214.  La  violence  mise 
à  part,  le  procédé  était  canonique.  La  même  discipline 
s'appliquait  aux  membres  les  plus  élevés  de  la  hiérar- 
chie aussi  bien  qu'aux  moindres.  Au  concile  de  Nimes 
de  886,  on  dégrada  deux  évêques  indignes,  «  en  déchi- 
rant leurs  vêtements  épiscopaux,  en  brisant  leurs 
crosses  sur  leurs  tètes  et  en  leur  arrachant  des  doigts 
leurs  anneaux.  »  Hardouin,  t.  VI,  col.  398.  Inutile  de 
multiplier  les  exemples.  Le  concile  de  Limoges  de  1031 
formule  ainsi  la  règle  à  suivre  dans  le  cas  de  déposition 
d'un  prêtre  :  Quando  episcopus  presbylerum  depo- 
suerit,  sic  agat  :  jubeat  eum  prius^  indui  omnibus 
sacerdotalibus  indumenlis,  deinde  manu  sua  auferat 
ei  manipulum,  deinde  casulam,  deinde  mediam  slo- 
lam  de  collo  re/lectat  ei  inter  scapulas  sub  latere 
dextro;  et  deposilus  est  a  presbyteratu  in  diacona- 
tum.  Hardouin,  t.  VI,  col.  884:  Martène,  De  antiquis 
Ecclcsix  ritibus,  1. III,  c.H,  19,  Anvers,  1736, t.  n,p 
Ce  procédé  de  dégradation  semble  avoir  été  emprunté 
à  la  dégradation  militaire.  Et  on  s'en  étonnera  d'autant 
moins  que  les  papes  avaient  coutume  de  considérer  le 
clergé  comme  une  véritable  «  milice  »,  militia  sacra, 
dil  Sirice  à  Himère,  c.  x.  P.  /..,  t.  XIII,  col.  1113;  mi- 
litia clericalis,  reprend  Gélase.  Epist., m,  ad  episcop. 
per  Picenum;  Epist.,  v.  ad  episcop.  Lucanix,  dans 
Hardouin,  t.  n,  col.  892,  S9S,  etc.  Cf.  Kober,  op.  cit., 
p.  53-54.  Ainsi  dépouillé  de  ses  insignes,  le  clerc  ne 
pouvait  plus  évidemment  prétendre  à  l'honneur  de 
faire  partie  du  clergé. 

Quel  était  donc  son  sort  et  quels  rapports  pouvait-il 
encore  conserver  avec  la  communauté  chrétienne?  Les 
sentences  de  déposition,  telles  qu'elles  nous  sont  par- 
venues dans    les  documents,  portent  ordinairement  : 


457 


DÉPOSITION    ET    DEGRADATION    DES    CLERCS 


458 


ut  laicus  eommunicet,  S.  Cyprien,  Ejiist.,  lxviii,  n.  6, 
P.  L.,  t.  nt,  col.  1030;  inter  laicos  communionem  acci- 
piat,  S.  Grégoire  le  Grand,  Epist.,  I.  V,  epist.  m,  vu, 
P.  L.,  t.  i. xxvii,  col.  724,  7-29;  laica  lantum  tribuatur 
ei  communia,  S.  Innocent  I«,  Epist.,  xvn,  ail  episcop. 
Macedon.,  c.  îv,  P.  L.,  t.  xx,  col.  531  ;  Jaieam  tantum- 
inodo  communionem  accipiat,  concile  d'Agde,  can.  50, 
dans  Hardouin,  t.  n.  col.  1003;  laicœ  (sit)  communion:' 
conlentus,  IIIe  concile  d'Orléans  de  538,  can.  2,  19, 
dans  Hardouin,  t.  n,  col.  1423;  <é;  Xafitbc  xoivuveîTci», 
(■>;  Xaïx'oç  Kv/'yr-.M,  Canons  aposlol.,  15,  62,  P.  G., 
t.  iaxxvii,  col.  68,  160  ;  cf.  concile  de  Sardique,  can.  19, 
dans  Hardouin,  t.  I,  col.  651,  elc.  Cf.  Kober,  op.  cit., 
p.  56.  Bellarmin  a  pensé  que  cette  communion,  à  la 
manière  des  laïques,  signifiait  la  communion  sous  une 
seule  espèce.  De  eucharislia,  1.  IV,  c.  xxiv.  Mais  à 
l'origine,  les  fidèles  communiaient  habituellement  sous 
les  deux  espèces.  Il  faut  donc  prendre  à  la  Lattre  les 
expressions  :  inter  laicos  communionem  accipiat. 
Saint  fîasile  ne  laisse  place  sur  ce  point  à  aucun  doute, 
quand  il  dit:  si;  tôv  tôiv  ).aïx<5v  àTC(oa6el;  tôtcov  t/,; 
xotvcdvs'a;  où-/,  z'.-.yrf^-.-y.:.  Epist.  ad  Amphiloçhium , 
can.  3.  /'.  ('■.,  t.  xxxii,  col.  672.  Pour  comprendre  ce 
langage  il  suffit  de  se  rappeler  que  les  clercs  recevaient 
la  communion  dans  le  sanctuaire  et  les  laïques  en  dehors 
des  cancelli  :  eo  videlicet  ordine  ut  sacerdos  et  levitœ 
antb  altare  communicent,  i\  enono  clerus,  extra 
CBORVM  populus,  comme  parle  le  concile  de  Tolède  de 
can.  18,  dans  Hardouin,  Concilia,  t.  m,  col.  58'k 
Cf.  concile  de  Laodicée,  can.  19,  ibiil.,  t.  î,  col.  785; 
concile  in  I  •  ullo,  can.  69,  ibid.,  t.  m,  col.  1688;  con- 
cile de  Braga,  en  561,  can.  13,  ibid.,  col.  351.  Parfois 
sans  doute,  l'excommunication  accompagnait  la  dépo- 
sition et  alors  la  communion  même  laïque  était  inter- 
dite au  coupable.  C'est  le  cas  de  cet  Évariste  dont  parle 
-aint  Cyprien  dans  son  Epist.,  xux,  P.  L.,  t.  iv, 
col.  3-12,  et  dont  il  dit  :  De  episcopo  jam  nec  laicum 
remansisse.  Mais  la  simple  dégradation  faisait  seule- 
ment descendre  l'évêque  ou  le  prêtre  au  rang  des 
laïques  :  mé déposé,  il  pouvait  participer  aux  biens 

spirituels    de    l'I  -'lise,    assister     à     la    messe,    fain 

aents, 
lil  h  dignité  sacerdotale,  et  si 
graves,  par  cor  les    fuites  des 

el  des   pleins,  qu'une  simple    déposition  ne 
paraissait  pas  toujours  être  une  punition  suffisante 

ibles  étaient  alors  frustrés  inémi  m  m  union 

l.'iiqu  iu    rang  des  pénitents  publics,  (tu  sail 

quelle  était  la  ri. unir  de  celte  es logé  i      [ortul- 

lien  l'a  décrite  dans  son  De  pœnilentia,  c.  ix,  /'.  L., 
1. 1.  col.  1243.  Saint  Cyprien,  dans  sa  lettre  i.ix  ;ï  l'évêque 
Fidus,  témoigne  qu'un  prêtre  déposé,  du  nom  de  Victor, 
y  fut  assujetti.  La   j  legilimum  et 

il  il  parle,  ne  saurait 

que  la  pénitence  publique.  /'.  /,.,  t.  iv. 

".  cit.,  p.  66.  I  usèbe  en  fournit  un 

autre  i  x<  mpl  ,  quand  il  raconte  que  le  pape  Corneille, 

touch  ritir  de  lui  i     orateurs 

de  Novalien,  repentir   marqué  par  l'exomologése  qu'il 

i   vo;  -.<,   -.3. . 

■  la  com uion  laïque,  //.  /•.'., 

i  m,  /'.  '■'..  t.  xx,  col.  620. 

demeura  pas  longtemps  en  vigu 

in'  elle  pai  r par  toute  l'I     ise.  ( 

le  le  pape  Sue 
i   Him  onl  p  i    soumis  ■< 

li  péniU  m  •    publique,  ticui  pamitenti 

"»l,  c.  Xl\.   /'.  /..,    I.  Mil, 

de  101,  i  in,  Il 
Hardouin,  t.  i  I  i      Gratien,  dit  i    I 

BU     milieu    du 

tend  qui  d  origine  apostolique 

e$t    a 


prcsbyterali  honore  aul  in  diaconii  cjradu  fuerunt 
consecrati,  ii  pro  crimine  aliquo  suo  per  manus  im- 
positionem  REMEDIUM  accipiant  p.kmtesoi  (pénitence 
publique),  quad  sine  dubio  ex  apostolica  TRABITIONE 
descendit.  Epist.,  clxviii,  c.  h,  dans  Gratien,  Becrc- 
tum,  dist.  L,  c  67.  La  tradition  qu'invoque  le  pontife 
est  loin  d'être  cerlaine.  Son  témoignage  prouve  du 
moins  que  la  pratique  du  Ve  siècle  remonte  assez  haut 
dans  l'Eglise  romaine.  En  Gaule,  il  semble  qu'on  ait 
tâtonné  vers  cette  époque  sur  les  mesures  à  prendre. 
Le  concile  d'Orange  de  441  et  celui  d'Arles  de  452  déci- 
dent que  les  clercs  qui  désireront  subir  la  pénitence 
publique  pourront  y  être  soumis  :  Psenitcntiani  desi- 
derantibus  clericis  non  negandam.  Concile  d'Orange, 
can.  44;  concile  d'Arles,  can.  29,  dans  Hardouin,  t.  i, 
col.  1784;  t.  n,  col.  775.  11  y  a  ici  une  hésitation  entre 
l'ancienne  discipline  et  la  discipline  nouvelle.  C'est 
pourquoi  Rusticus  de  Xarbonne  s'adresse  à  saint  Léon 
pour  savoir  quelle  ligne  de  conduite  on  suivait  à  Pome. 
Nous  venons  de  voir  quelle  réponse  lui  fut  faite  :  au 
lieu  de  la  pénitence  publique,  le  pape  recommande  la 
pénitence  privée  :  Ilujusmodi  lapsis  ad  promerendam 
misericordiam  Dei  PRIVATA  BST  BXPBTENDA  SBCESSIO, 
ubi  illis  satisfaclio,  si  fucril  digna,  sit  etiam  fruc- 
tuosa.  Epist.,  CLXVII,  c.  n,  /'.  L.,  t.  L1V,  col.  1203.  La  le- 
çon ne  fut  pas  perdue.  Le  concile  d'Agde  de  506,  qui 
avait  à  désigner  la  punition  qu'on  devait  infliger  aux 
évéques,  prêtres  et  diacres  gravement  coupables,  ne 
[aile  plus  de  pénitence  publique.  Can.  50,  dans  Har- 
douin, t.  n,  col.  1003,  et  dans  Gratien,  dist.  L,  c.  7. 
Cf.  concile  d'Épaone  de  517,  can.  22,  dans  Hardouin, 
ibid.,  col.  1049. 

Abandonnés  à  eux-mêmes,  les  clercs  déposés  per- 
daient tous  les  privilèges  que,  depuis  Constantin,  les 
empereurs  avaient  accordés  au  clergé.  L'État  repre- 
nait ses  droits  sur  eux.  En  408,  l'empereur  llonorius 
décide  qu'une  fois  privés  de  leurs  fonctions,  ils  au- 
ront à  remplir  les  devoirs  qui  incombent  à  loutcitoven  : 
conlinuo  ubi  eum  enria  vindicet.  Code  Théodosien, 
I.  XX. MX,  !>,■  episcop.,  xvi,  2.  On  s;iit  combien  étaient 
alors  onéreuses  les  fonctions  des  curiales.  Tous  les 
gens  aisés  essayaient  de  s'j  dérober.  Justinien 
ordonne  que,  dans  les  cités  auxquelles  appartiennent 
les  'lires  déposés,  ipsos  statim  ri  confestim  civitalis 
illius  ex  qua  sont,  fieri  curiales,  nisi  vehemenler 
curialibus  abundet  civilas.  Code  théod.,  De  episcop., 
I.  1.  til.  m.  53.  Cf.  Novell»,  CXXIII,  c.  Ii.  Voir  Kober. 
op.  cl.,  p.  79  '.Kl. 

Mais  ces  cas  durent  être  exceptionnels.  Il  était  rare 
que  l'Église  livrât  à  eux-mêmes  el  à  la  vie  publique 
lercs  qu'elle  avait  déposes.  La  secessio  dont  parle 
saint  Léon  ne  fut  pas  longtemps  uni'  pénitence  privée, 
à  la  discrétion  du  coupable.  Pour  certains  crimes  la 
réclusion  dans  un  monastère  était  exigée  :  Ni  <7" 
pus,  presbyter  oui  diaconus  capitale  crimen  commù 
sent, aul  thorium  falsaverit  oui  testimonium  falsum 
dixérit,  dii  l.'  concile  d'Agde  de  ônti.  ab  offtcii  honore 

depOSitU8  IN    HONASTBRIO    ni  i  ni  lr\  1 1  II  el    ibi,    quam- 

diu    n. uni.    laicam     lanlummodo     communionem 
■  ii.  Can.  50,  dans  Hardouin,  i.  n.  col.  1003,  dans 
Gratien,  dist.  L,c.  7.  Cf.,conciled'Épaone  de  517,  can.  22, 
Hardouin,   t.  n.  col.   1019  ...    \_,i,. 

décida  pour  falsification  de  chartes,  faux  témoign 
ou  mmru  capitale,  le  concile  d'Orléans  de  538  le  lit 
tlemenl   pour  l'adultère  c on--  par  des  elei 

dans    I  tir  adultCi  \\t   h    inoutorum 

..  m   monasterio  loto  lempore 

relrudalur,  can.  7,  Hardouin,  t.  m.  col.  1425:  Gratien, 

dist.  LXXXI,  c.   I"    Cette  réclusion    était  déjà   iVuu 

-i  i  on  en  croit  le  protocole  du  concile 

de  Mai  seille  tenu  ■■■  i  po  |ue.  Hefi  lien- 

rblr,   t.    II.    p.  730.  Cf.  M.ird n.  I.   II.  <  id.    I  168 

l'I"  nd  int,    p  "     mu'   Il  Mir   du    papi      tgapi  I     I  /  | 


159 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


Î60 


ad  Cassarem  Arelal.,  nous  apprenons  que  le  choix  pou- 
\:iii  être  donné  entre  la  pénitence  proprement  privée 
ri  la  réclusion  claustrale,  privatam  magie  iioiuii  se- 
cundum  canones  expetere  secessionem,  quant  severv- 
tatem  religionis  excipere.  Hardouin,  t.  il,  col.  1180. 
.Mais  insensiblement  la  discipline  la  plus  rigoureuse 
prévalut  et  nous  savons  par  nombre  de  lettres  de  saint 
Grégoire  le  Grand,  I.  1.  epist.  xvm;  I.  [II,  epist.  xxvu; 
I.  Ml,  epist.  xxxi;  1.  XIII,  epist.  xlv,  /'.  /...  t.  i, xxvu, 
col.  163,  624,  1241,  1294,  que  la  detrusio  in  arcluin 
monasterium  était  toujours  une  conséquence  de  la 
déposition.  Celle  règle  était  générale  au  ix«  siècle;  le 
concile  de  Chalon-sur-Saône  de  813,  eau.  10,  dans  Har- 
douin, t.  îv,  col.  1038;  dans  Gratien,  dist.  LXXXI,  c.  8, 
et  celui  de  Home  de  853,  can.  Il-,  dans  Hardouin,  t.  V, 
col.  CG;  dans  Gratien,  disl.  LXXXI,  c.  7,  en  témoignent. 
Le  pape  Innocent  111  la  confirma  en  décidant  que  si  un 
clerc  accusé  de  faute  grave  ne  pouvait  pas  se  justifier, 
il  fallait  l'enfermer  dans  un  cloître  pour  y  faire  péni- 
tence :  Quod  si  forsan  in  purgatione  defecerit,  eum... 
ab  officio  et  beneficio  deposilum  ad  agendam  peeni- 

tenliam  IX  ABCTDM  UONASTERll  1/  VETRUDERE  non 
omiltas.  Décrétâtes,  1.  V,  tit.  xxxiv,  De  purgat.  canon., 
c.  10.  Cf.  1.  V,  tit.  xxxviii,  De  paenit.  et  remission., 
c.  10.  Sur  le  sort  et  les  obligations  des  clercs  ainsi 
cloîtrés,  cf.  Kober,  op.  cit.,  p.  75-78. 

Assimilé  au  moine,  le  clerc  déposé  recevait  la  com- 
munion comme  les  simples  fidèles  :  depositus  ab  offi- 
cio, communione  concessa  in  monasterio  totovitse  suie 
teiupore  retrutlatur,  disait  le  concile  d'Orléans  de 538, 
can.  7.  Hardouin,  t.  n,  col.  1425.  Cette  dégradation  avait 
donc  pour  effet  de  le  ramener  à  un  état  où  rien  ne  le 
distinguait  plus  des  laïques.  Elle  était  si  entière  qu'on 
s'est  demandé  si  elle  ne  lui  était  pas  le  caractère  sacré 
que  le  sacrement  de  l'ordre  lui  avait  donné.  Morin, 
De  ordinalione,  part.  III,  exerc.  I,  ci;  van  Espen, 
Jus  ecclesiast.,  part.  Il,  tit.  i,  c.  I,  n.  11,  et  avec  eux, 
les  canonistes  protestants  estiment  que  oui.  Mais  il 
est  facile  de  montrer  que,  dès  l'origine,  c'est-à-dire 
aussitôt  que  la  question  fut  posée  dans  l'histoire,  il  y  fut 
répondu  négativement.  Le  concile  de  Carthage  de  397, 
qui  en  appelle  au  concile  de  Capoue  de  391,  interdit 
formellement  les  réordinations  :  non  liceat  fieri  rebap- 
lizationes  et  reordinationes,  can.  38.  Hardouin,  t.  i, 
col.  964.  Et  les  Canons  apostoliques  frappent  précisé- 
ment de  la  peine  de  la  déposition  ceux  qui  oseraient 
réordonner  un  évèque,  un  prêtre  ou  un  diacre,  can.  68, 
P.  L.,  t.  cxxxvn,  col.  173.  Saint  Optât  déclare  de  son 
côté  qu'une  telle  pratique  est  contraire  à  l'esprit  de 
l'Église  :  quod  ab  Ecclesia  alienum  est.  De  schismate 
donalislarum ,  1.  I,  n.  21,  P.  L.,  t.  xi,  col.  933.  Et 
saint  Grégoire  le  Grand  a  la  prétention  d'être  l'organe 
de  la  tradition  ecclésiastique  quand  il  écrit  à  l'évêque 
Jean  de  Ravenne  :  Illud  autem  quod  dicitis,  ut  is, 
qui  ordinalus  est,  iterum  ordineluv,  valde  ridiculum 
est...  Absit  a  fraternitate  vestra  sic  sapere.  Sicut 
enim  baptiiatus  seniel  iterum  baptizari  non  débet,  ita 
qui  ordinalus  est  seniel,  in  eodem  iterum  ordine  non 
valet  consecrari.  Epist.,  1.  II,  epist.  xi.vi,  dans  Gratien, 
dist.  LXVIII,  c.  1.  Cf.  concile  de  Tolède  de  653,  can.  7, 
dansllardouin,  t.  m,  col.  943.  Il  estdonc  manifeste  que, 
dans  la  pensée  des  Pères  et  des  docteurs  de  l'Eglise,  le 
sacrement  de  l'ordre  a  toujours  conféré  aux  clercs  un 
caractère  indélébile,  que  la  déposition  elle-même, 
la  plus  grave  des  punitions  dont  elle  disposait,  lais- 
sait absolument  intact'.  Cf.  Kober,   op.  cit.,  p.  91-109. 

Il  ne  faut  pas  confondre  la  déposition  avec  la  suspense. 
La  suspense  est  une  peine  temporaire,  la  déposition 
une  peine  à  perpétuité.  La  première  est  uniquement 
médicinale;  l'épreuve  achevée,  le  clerc  qui  la  subis- 
sait rentrait  officiellement  dans  ses  fonctions;  la  se- 
conde, bien  que  médicinale  encore,  doit  être  r 
parmi  les  pœnx  vindicatives;  elle  était  surtout  destinée 


ii  aux  autres  membres  de  la  hiérarchie, 
ni  n, tin*  punit  multorum  posset  ess<-  eorreclio,  écrit 
saint  Grégoire  le  Grand.  Epi* t.,  I.  XI.epM.  i.xxi.  /'.  /.., 
t.  i. xxvu.  col.  1211.  Aussi  ne  l'appliquait-on  qu'à  la  der- 
eztrémité.  Elle  remplaçait  quelquefois  la  peine 
de  suspense  quand  celle-ci  demeurait  inefficace.  Ainsi 
le  il'  des  Canons  apostoliques  décrète  qu'un  évéque, 
un  prêtre  ou  un  diacre  qui,  sous  prétexte  de  per 
lion  plus  grande,  quittera  sa  femme,  sera  suspens, 
il  ajoute  :  «  s'il  ne  revient  pas  a  résipiscence,  il  sera 
déposé',  s  P.  G.,  t.  xxxvii.  col.  i.">.  Le  concile  d'An- 
tioche  de  -lil  promulgue  les  mi  alités  pour  \>  - 

diacres  et  les  prêtres  qui  auront  quitté  leurs  paroisses; 
suspens  d'abord,  ils  seront  ensuite  déposés  sans  espoir 
de  rétablissement  dans  leur  dignité,  s'ils  s'obstinent  à 
ne  pas  réintégrer  leur  domicile.  Can.  3,  dans  Hardouin. 
t.  I,  col.  593.  Ainsi  ce  qui  distingue  proprement  la  dépo- 
sition de  la  suspense,  c'est  la  durée  de  la  dé-position 
qui,  de  sa  nature,  est  perpétuelle.  Cf.  Kober,  op.  cit.. 
p.  110-113,  et  du  même  auteur,  Die  Suspension  der 
Kirchendiener,  p.  26. 

Jusqu'ici  nous  n'avons  eu  en  vue  que  la  dégradation 
plénière,  si  je  puis  m'exprimer  de  la  sorte;  mais  il 
existait  aussi,  dans  l'antiquité,  des  dégradations  par- 
tielles. Les  membres  de  la  hiérarchie  pouvaient  être 
condamnés,  tout  en  perdant  leur  titre  officiel,  à  n'exer- 
cer plus  que  des  fonctions  inférieures  :  les  évoques 
celles  de  prêtres,  les  prêtres  celles  de  diacres,  etc.  Le 
concile  de  Nicée,  can.  8,  dégrade  certains  évêqnes,  tout 
en  leur  conservant  rrçv  Tipriv  toîj  4v<juoctoç.  Hardouin,  t.  I, 
col.  327.  Le  concile  d'Ancyre  de  314  pose  également 
en  principe  que  les  prêtres  et  les  diacres  qui,  au  temp- 
de  la  persécution,  ont  sacrifié  aux  idoles,  mais  se  sont 
ensuite  ressaisis  et  sont  rentrés  dans  l'Église,  cesseront 
d'exercer  leur  ministère,  mais  garderont  les  droits  in- 
hérents à  leur  dignité,  c'est-à-dire  occuperont  leurs 
places  dans  le  presbyterium  et  recevront  la  o  commu- 
nion cléricale  »,  can.  1  et  2,  dans  Hardouin,  t.  i,  col.  271. 
Saint  Basile,  Epist.  can.  ad  Amphilochium,  c.  xxvu. 
P.  G.,  t.  xxxn,  col.  723,  et  le  concile  de  Saragosse 
de  592,  can.  1,  dans  Hardouin,  t.  ni,  col.  533,  font  allu- 
sion à  une  discipline  du  même  genre.  Cf.  le  concile  de 
Néocésarée  (entre  314  et  325),  can.  9,  Hardouin,  t.  i. 
col.  283.  Le  même  concile  décide  qu'un  diacre  qui,  après 
son  ordination,  aura  commis  le  péché  de  luxure  et  se 
repentira,  ne  remplira  plus  que  les  fonctions  des  clercs 
mineurs,  r/;/  -o-Z  Û7cr)pÉTou  -.-xzyi  ï/ï-.ut.  Can.  1.  Hardouin, 
t.  i,  col.  283.  Cf.  Gratien,  caus.  XV,  q.  vm,  c.  1,  dont  la 
traduction  est  fort  inexacte.  Le  concile  de  Tolède  de  400 
ramène  pareillement  au  rang  des  portiers  et  des  lec- 
teurs le  sous-diacre  coupable  de  bigamie  successive. 
Can.  4,  Hardouin,  t.  i,  col.  990.  Cf.  concile  de  Tolède  de 
589,  can.  5,  Hardouin,  t.  m,  col.  480;  concile  deBour.e- 
de  1031,  can.  5.  ibid.,  t.  vi,  col.  849.  Dans  le  concile 
de  Limoges  de  1031,  on  voit  le  cas  d'un  prêtre  réduit 
aux  fonctions  de  diacre  :  et  depositus  est  a  pretbyte- 
ratum  in  diaconalum.  Les  dégradations  d'évéques  au 
rang  de  prêtres  offrent  un  intérêt  particulier  en  ce 
que  la  discipline  sur  ce  point  eut  quelque  peine 
fixer.  L'affaire  d'Eustathe  de  Béryte  et  de  Photiusde  Tyr 
au  concile  de  Chalcédoine  (IV«  session)  amena  les  I 
du  pape  à  se  prononcer  sur  la  question  :  «  Si  un 
évêque,  dirent-ils,  est  coupable  d'une  faute  qui  le 
rende  indigne  d'exercer  ses  fonctions,  on  ne  peut  pas 
le  rabaisser  au  rang  de  prêtre;  si  les  motifs  qui  l'ont 
fait  dégrader  sont  insuffisants,  qu'on  le  rétablisse  dans 
sa  dignité  épiscopale;  mais  dégrader  un  évèque  au 
rang  de  prêtre  est  un  sacrilège,"»  litîoxonov  t\;  ttpec- 
Svrcépov  y.aTiyi'.v  jjaTu.'ov  IspoiTjXia  estiv.  Ad..  i\.  Har- 
douin, t.  n,  col.  441.  Cependant  le  concile  in  Trullo,  de 
692,  donne  une  décision  contraire;  il  condamne 
l'évêque  qui  exercerait  indûment  son  ministère  dans 
i    un  diocèse  qui  n'est  pas  le  sien,  à  ne  plus  remplir  que 


461 


DÉPOSITION    ET    DÉG  II  A  DATION    DES   CLERCS 


462 


les  fonctions  de  prêlre  :  rf,ç  licmoicry,  iravéaBù),  rôt  8s 
toO  Ttpsaoutépoy  £v:ovî!7w.  Can.  20,  Hardouin,  t.  III, 
col.  1669.  Ces  sentiments  contradictoires  ont  amené 
certains  critiques  à  penser  qu'il  ne  s'agissait  pas,  dans 
les  deux  cas,  d'une  même  peine  disciplinaire.  Le  mot 
jrausaôac,  a-t-on  dit,  doit  s'entendre  de  la  suspense  et 
non  de  la  déposition.  C'est  une  erreur;  TtaJsiOai  est 
l'expression  technique  qui  désigne  la  déposition  dans 
les  textes  conciliaires.  Cf.  concile  de  Xicée.  can.  2. 
Hardouin,  t.  r,  col.  323;  concile  d'Ancyre,  can.  %ibid., 
col.  271;  concile  de  Sardiquo,  de  3i3,  can.  '11  (14), 
ibid.,  col.  617;  Canons  apost.,  14e,  P.  G.,  t.  cxxxvn, 
col.  64.  Sur  ce  point  voir  Kellner,  Das  Buss-  und 
Strafverfahren  gegen  Kleriker  in  den  sechs  ersien 
•  llichen  Jahrhundcrten,  Trêves,  1863,  p.  50.  Il  faut 
donc  reconnaître  tout  simplement  que  la  discipline 
ecclésiastique  a  pu  varier  sur  la  déposition  totale  ou 
partielle  des  évêques.  En  fait,  ce  fut  la  règle  du  concile 
m  Trullo  qui  se  généralisa.  Le  concile  de  Reims  de 
1049  ôta  à  l'évéque  de  Nantes,  coupable  de  simonie,  ses 
fonctions  épiscopales,  condonalo  ci  lanlummado  pres- 
byteratus  officio.  Le  plus  piquant  est  de  voir  le  pape 
iîenoit  V,  après  sa  déposition,  condamné  par  Léon  Mil 
ercer  plus  que  les  pouvoirs  de  diacre,  diaconatus 
ordinem  habere  permittimus.  Concile  de  Rome 
de  964,  Hardouin,  t.  vi,  col.  638.  Pour  plus  de  détails, 
cf.  Kober,  »/<.  rit.,  p.  113-129. 

//.    /.  I    DÊPOSITIOy     ET    l..\    DÉGRADATION    m     XIIe  AU 

y/a  siècle.  —  A  l'origine,  la  dégradation  et  la  dépo- 
sition ne  sont  qu'une  seule  et  même  peine.  On  peut  s'en 
convaincre  par  certains  textes  conciliaires.  Le  concile 
d'Agde  de  506  frappe  de  la  a  déposition  »  les  clercs  cou- 
pables d'un  crime  capital,  de  faux  témoignage  ou  de 
faux.  Can.  50,  Hardouin,  Concil.,  I.  n.  col.  1003.  Or,  le 
concile  d'Orléans  de  538  visant  les  mêmes  crimes  leur 
applique  la  peine  de  la  «  dégradation  ».  Can.  8,  Har- 
douin, I.  ii,  col.  1425.  Et  cette  sMionymie  se  retrouve 
dans  d'autres  passages  des  mêmes  conciles.  Le  concile 
d'Agde,  can.  19,  exige  que  les  clercs  dont  la  malversation 
en  mature  de  biens  ecclésiastiques  sera  établie,  ab 
honore  dbpositi,  de  suo  ni  nui  ta  h  in  m  restituant,  quint 
tum  ipsisse;  le  concile  d'Orléans, 

can   -■'>.  te  serl  de  l'expression  degradbntvr,  conimu- 
I  es  clercs  usuriers  sont  pareillement 
frappés  crime  peine  que  le  concile  d'Elvire,  des  envi- 

m.  20,  Hardouin.  t.  i,  col.  252;  Gratien, 
dist.  X.LVII,  c.  •"'.  appelle  la  t  dégradation  «,  tandis  que 

H—    de    l.i'J.    can.    l'i.    Hardouin,   t.    n, 
cul.  771.  l.i  dési  le  nom  de     déposition  ». 

In   réalité,  jl  la  lin  du   XII1  siècle,  les  dru\ 

ds  de ureni  synonymes,  ('.'est  alors  seule- 

ut  qu'elles  prennent  un  sens  distinct.  Le  changement 

lise  ci  de  l'Étal  dans  les  questions 

d    droit  pénal  ■■ n.i  celte  distinction,   Pour  la  corn- 

prendri  .  il  importe  de  rappeler  quelques  principi 
droit  ecclésiastique. 
i>n  iail  que  le    empereurs  chrétiens  avaient  reconnu 
h-  droit  de  jugei  Ii  3  bres  de  la  hiérar- 
chie. Le    clei  '  -  fui'  nt  de  la  sorte  soustraits  aux  tribu 

pas  d.'  loi  de  Constantin  ins- 
tituanl  cette  discipline.  Mais  en  plusieurs  circonst 

■  ml  empi  i  mettre  au 

oin  de  trancher  les  différends 

qni  pouvaient  s'élever  dam  i  i  gliae       Il  n'aurait  pat 

Vugustin,  ju|  er  le  jugi  ment   qu'avaient 

t., xi  m.  ii.  20,  /'.  / 

I.xxj  itin  marquait  ion  m   pei  t  pour 

•  ut  de  recevoir  ceux 
qui  ei  h  clou. il      Sa*  ■  judi- 

i , 

il.  Hardouin,    i.  i.  I       \„  coni  Ile 

i  i  ..m  en  croil  Rulln,  d'inti  i 


arbitrage  :  Dcus  vos  constituit  sacerdotes,  dit-il,  et  no- 
bis  a  Dco  dali  eslis  dit ,  cl  conveniens non  est,  ut  homo 
judicet  deos.  II.  E.,  1.  I,  c.  Il,  P.  L.,  t.  xxi,  col.  468. 

Théodose  et  Justinien  élargirent,  par  leur  législation, 
les  droits  judiciaires  des  évêques.  Il  fut  entendu  que  les 
fautes  ecclésiastiques,  les  Èxx^ï)<jia<mxà  ky/.'/r^.oiTu.  ou 
K(j.aprq!jLaTa,  concile  de  Conslantinople  de  381,  can.  6, 
Hardouin,  t.  i,  col.  812;  Novellse,  lxxxiii,  c.  i,  seraient 
du  ressort  des  tribunaux  épiscopaux.  Les  crimes  graves, 
cependant,  ressoitiraient  toujours  aux  tribunaux  civils 
mais  le  coupable  devait,  en  ce  cas  être  préalablement 
dépouillé  de  la  dignité  sacerdotale  pour  être  remis  aux 
mains  de  l'État  :  prius  hune  spoliari  a  Dco  amabili 
episcopo  sacerdotali  dignitate  et  ila  sub  legum  fîeri 
manu.  Novellse,  i.xxxiii,  prœf.,  sect.  n.  Cf.  ibid.,  c.  xxi. 
sect.  i.  L'Église  ne  se  contenta  pas  de  ce  partage. 
Avec  Charlemagne,  elle  finit  par  obtenir  que  son  droit 
de  justice  sur  les  personnes  ecclésiastiques  fût  illi- 
mité. Ulclerici  cl  ecclesiaslici  ordines,  si  culpam  incur- 
rerint,  apud  ecclesiasticos  judicenlur  non  apud  secu- 
lares,  est-il  dit  dans  le  capitulaire  de  789,  can.  28,  dans 
Perlz,  Mouton.  Germanise,  t.  ni,  p.  60.  En  791.  déci- 
sion analogue  :  Si  presbyter  in  criminali  opère  fuerit 
deprehensus,  ad  episcopum  ducatur  et  secundum  ca- 
nonicatn  inslitulionem  constringatur,  can.  29,  ibid., 
p.  74.  On  suppose  même  le  cas  où  l'évéque  ne  pourrait 
rendre  sentence;  l'accusé  ne  sérail  pas  déféré  pour  cela 
aux  tribunaux  civils,  mais  devrait  comparaître  devant 
un  concile.  En  803,  l'empereur  revient  sur  ce  point 
avec  insistance  :  Volumus  primo,  ut  neque  abbates 
neque presbyleri  neque  iliaconi  neque  subdiaconi  ne- 
que  quislibct  de  clero,  de  personis  suis  ad  publica  vel 
secularia  judicia  Irahantur  vel  distringantur,  sed  a 
suis  episcopis  adjudicati  justiticam)  fartant.  Can.  12, 
ibid.,  p.  HO. 

Si  celle  législation  offrait  des  avantages,  elle  avait 
aussi  des  inconvénients.  Les  crimes  d'un  clerc  sont 
évidemment,  en  raison  de  sa  dignité,  plus  graves  que 
eux  d'un  laïque.  Or,  à  culpabilité  égale,  les  clercs 
étaient  souvent  moins  punis  que  les  laïques.  L'Église' 
ne  comprenait  pas  dans  la  nomenclature  de  ses  péna- 
lités la  peine  de  mort.  Tous  les  crimes  passibles  de 
cette  peine,  commis  par  un  clerc,  restaient  donc,  aux 
yeux  du  peuple,  partiellement  impunis.  La  réclusion 
dans  un  cloître  était  le  seul  châtiment  qu'on  put  appli- 
quer au  coupable:  qttaliler  clerici  ;\  /  itrociniis  \i:i. 
mu-.  \i  iGtfi8  si  i  lbribus  DEPREHESsrpuniri  debeanl, 
quod  a  suis  ordinibus  degradati  detrvdi  dbbi  mi 
i\  irctis  uoxASTBRiis  ad  pmnitentiam  peragendam. 
Décrétâtes,  I.  V,  lit.  xxxvn,  lie  pœnis,  c.  6. 

Cette  législation  émul  le  pouvoir  civil  vers  la  lin  du 
xir  siècle.  Richard  d'Angleterre,  Henri  H,  Philippe 
Auguste,  Frédéric  II,  exercèreni  une  pression  sur 
l'Église,  essayant  de  soustraire  a  sa  juridiction  les  fautes 
graves  commise  clercs,  Les  papes  résistèrent, 

cf.  F.jusi.  Alexandri  lit  ad  T/iomam  Cantuar.,  dans 
Hardouin,  l.  vib,  col.  1383  :  Clerici  maxime  in  cri- 
minalibus  in  nullo  casu  jiossunt  ab  alio,  quant  ab 
ecclesiaslico  judice  ari,   eiinmsi  consueludo 

■   habeat,  ut  jures  a  judicibu  bus  judi- 

i  euh 

'  ependanl  Lucius  1 1 1  avait  ouvert  la  porte  à  une  dis- 
cipline  nouvelle,  lorqu'en  I  I8i  il  décidait  que  les  1 
coupables  du  crime  d'hérésie,   s,  1  dent  dépouilli 

prérogatives  1 r  être  II  éculier  Si 

'...  totiui  irdinis  p,  ■ 

nudetur,ei  officio  elbenej         r     atu$  eccle- 

11  Iflf  m  1  i\ni  mi  1 1  -1  \  /!■*, 

•  ■  débita  1  u  1  '.  ci  était     1   \ .  /»■ 

.  ni.  vu.  c.  9.  Quelques  annéed  après,  le    pape 

tin  donne  une  consultation  d'une  portée  semblable 

.m  - 1 1  ( «  1  .1  d'homicide,  de  par 

u  de  tout   mil •  ■  mi  me  nati 


403 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


£64 


est  coupable,  il  sera  déposé  par  le  juge  ecclésiastique, 
el  s'il  ne  revient  à  résipiscence,  la  déposition  pourra 
être  suivie  d'autres  peines,  l'excommunication  et  Vana- 
thème.  Enfin,  si  in  profundum  malorum  veniens  con- 

tempserit,  eum  Ecclesia  non  liabeul  ullra  quid  facial 
el  ne  possil  esse  ullra    perditio   plurimorum,   per 

SECULAREM  COMPRIMENDUS    ESI    POTESTAl'BM   lia  quod 

ci  depuletur  exsitium  vel  alia  légitima  pœna  infera- 
lur.  Décrétales,  I.  II,  De  jud.,  tit.  i,  c.  10.  On  voit  ici 
s'établir  une  distinction  entre  la  déposition  et  les  con- 
séquences diverses  qu'elle  peut  avoir.  La  déposition 
est  une  peine  inférieure  à  l'excommunication  et  à 
l'anathème  ;  elle  ne  prive  pas  celui  à  qui  on  l'applique 
du  privilegium  fori.  Il  faut  qu'il  soit  lolius  ecclesia- 
stici  ordinis  prœrogoliva  nudalus  et  sic  omni  officio 
et  bénéficie/  spoliatus  ccclesiastico,  avant  d'être  livré 
comme  un  laïque  à  l'autorité  civile.  Celle-ci  alors  use 
de  son  droit  et  se  prononce,  comme  elle  fait  pour 
tous  les  citoyens,  sur  la  peine  que  mérite  le  coupable  : 
secularis  relinqualur  arbitrio  potestatis,  dit  Lucius  III. 
La  distinction  entre  la  déposition  et  l'acte  qui  pré- 
pare la  tradition  au  bras  séculier  n'est  pas  encore  net- 
tement déterminée.  Innocent  III  va  la  marquer  davan- 
lage.  Il  décide  que  les  clerici  qui  falsarii  fuerinl 
deprehensi,  OMNIBUS  OFFIC1IS  et  BENEFICIIS  PERPE- 
ïuo  sint  privati,  ila  cjuod  qui  per  se  falsitatis  vitium 
exercuerint,   postquam   per    ecclesiasticum  judicem 

FUERINT    DEGRADAT!,     Seculat'i    poleslati     TRADA.XTUH, 

secundum  consuetudines  légitimas  puniendi.  Décré- 
tales, 1.  V,  De  crimine  falsit.,  tit.  xx,  c.  7. 

D'après  ce  texte,  il  semble  que  tous  ceux  qui  au- 
ront participé  à  la  falsification  des  écrits  apostoliques 
seront  «  déposés  »,  omnibus  officiis  el  beneficiis  pri- 
vali,  et  les  falsificateurs  proprement  dits,  qui  perse 
fahitalis  vilium  excercuerinl,  seront  «  dégradés  »  pour 
être  livrés  au  pouvoir  séculier.  Les  mois  c  déposilion  » 
et  «  dégradation  »  auront  désormais  un  sens  distinct. 
Aussi  bien,  Innocent  111  fut  appelé  à  s'expliquer  lui- 
même  sur  la  dégradation  proprement  dite;  pour  qu'elle 
obtint  tous  ses  effets  légaux,  il  décida  qu'elle  serait  for- 
mulée par  les  juges  ecclésiastiques  en  présence  des 
juges  civils  :  ejus  est  degradatio  celebranda,  seculahi 

POTESTATE  PR.ESENTE,  AC  PRONUNTIANDUM  EST  EIDE  M, 
Ci M    FCERIT  CE  1-E  DU  AT  A,    UT  IX  SUUM  FORUM  RECIP1AT 

hEGRADATUM,  et  sic  inlelligitur  tradi  curim  seculari. 
Le  pontife  ajoute  que  l'Église  devra  prier  le  pouvoir 
séculier  d'épargner  au  coupable  la  peine  de  mort  :  pro 
quo  tamen  débet  Ecclesia  efficaciler  intercedere,  ut 
citra  niortis  periculum  circa  eum  sentenlia  modere- 
tur.  Décrétales,  1.  V,  tit.  xl,  De  verborum  signif., 
c.  27.  40. 

Celte  procédure  de  la  «  dégradation  »,  si  différente  de 
a  «  déposition  »,  parut  encore  un  peu  obscure  à  quel- 
ques-uns, et  l'évêque  de  Béziers  s'adressa  au  pape 
Boni  face  VIII  pour  avoir  des  éclaircissements.  Celui-ci 
distingue  entre  la  «  dégradation  verbale  »  et  la  «dégra- 
dation réelle  »,  degradatio  actualis.  La  dégradation 
verbale  est  accomplie  par  l'ordinaire,  assisté  d'un 
nombre  d'évêques  requis  par  les  canons.  S'il  s'agit, 
au  contraire,  de  la  dégradation  réelle,  il  faut  procéder 
comme  on  fait  pour  la  dégradation  des  soldats,  que 
l'on  dépouille  de  leurs  insignes  militaires.  Le  clerc  à 
dégrader  est  donc  revêtu  des  ornements  qu'il  recul  au 
jour  de  son  ordination,  y  compris  le  vêtement  auquel 
lui  donne  droit  la  tonsure  et  il  se  présente  ainsi  devant 
l'évêque.  Celui-ci  lui  ôte  la  cbasuble  (si  c'est  un  prêtre) 
en  disant  :  Auferimus  libi  vestem  sacerdotalem  el  le 
honore  sacerdolali  privamus  ;  puis  il  oie  le  reste  des 
insignes  en  prononçant  cette  formule  :  Auctorilate  Dei 
omnipotentis  Patris  etFilii  ci  Spirilus  Sancti  acnes- 
tra  libi  auferimus  habitum  clericalem  etdeponimus, 
degi'adamus,  spoliamus  et  exuimus  le  omni  online. 
beneficio  et  privilégia  clericali.  Sexli  Décret.,  1.  Y, 


De  /ce ni.,  tit.  ix,  c.  2.  Si  l'on  veut  concilier  cette 
Décrétale  avec  les  décisions  précédentes  des  souverain-. 
pontifes,  il  faut  admettre  que  Boniface  VIII  rapproche 
dans  sa  pensée  la  •■  dégradation  verbale  a  de  l'antique 
«  déposition  »  et  appelle  degradatio  aclualis  la  dégra- 
dation l'aile  eu  présence  des  juges  civils. 

Les  documents  nous  montrent  ces  principes  en  vigueur 
dans  le  procès  de  Jean  lluss.  Le  concile  de  Constance 
conserve  encore  l'ancien  langage,  mais  il  applique  la  pro- 
cédure nouvelle  :  Joannern  lluss  ah  ordine  sacerdolali 
et  aliis  ordinibus  quibus  extilit  insignilus  dbponbndvm 
et  DECRADANDUM  fore  déclarât  et  decernit.  11  ebarge 
l'archevêque  de  Milan  et  quelques  autres  pontifes  de 
procéder  à  la  dégradation  selon  les  règles  du  droit  :  ut  in 
prsesenlia  hujus  sanctœ  synodi  diclam  degradationem, 
secundum  quod  ardu  juris  requtril,  débile  exequan 
Hardouin,  Concilia, t.vin,  col. 410;  Van  der  Ha  rdt,  Cota  cil. 
Const .,  sess.  XL1V,  t.  iv.  part.  VI,  col.  'j  :  iT .  .ban  lluss  com- 
parut devant  ses  juges  sans  manifester  le  inoindre  regret 
de  sa  faute.  On  lui  ôta  ses  insignes  d'après  les  formules 
usitées,  et  on  le  déclara  «  dépouillé  de  son  caracb 
sacerdotal.  On  le  condamna  ensuite  comme  hérétique 
à  être  livré  au  séculier.  Il  fut,  en  effet,  remis  entre  les 
mains  des  juges  civils.  Mais  les  juges  ecclésiastiques 
«  prièrent  le  seigneur  roi  et  le  tribunal  séculier  de  ne 
pas  mettre  le  coupable  à  mort.  »  C'était  la  formule  usitée, 
par  laquelle  les  clercs  déclinaient  la  responsabilité  des 
jugements  de  sang.  On  réclamait  seulement  la  peine  du 
cachot  à  perpétuité.  Van  der  Hardt,  ibid.,  p.  448  sq. 

Le  frère  mineur  Jacob  de  Julia,  qui  avait  usurpé  le 
titre  d'évèque,  fait  des  ordinations  nulles  et  falsifié  des 
lettres  apostoliques,  fut  l'objet  d'une  dégradation  sem- 
blable à  Utrecbt.  On  le  revêtit  des  habits  pontificaux, 
qu'on  lui  ôta  ensuite  l'un  après  l'autre  jusqu'à  l'amict 
exclusivement.  Puis  on  lui  rasa  la  tête,  et  peliis  circa 
digitos,  quibus  corpus  dominicum  traclare  cou- 
verai, cum  vitro  ossetenus  lacer abatur.  Enfin,  ou  le 
revêtit  d'habits  séculiers,  et  on  le  livra  aux  juges  civils, 
qui  eum  ad  cacabum  dijudicarunt.  MagnumrClironi- 
cum  Belgicum,  dans  J.  Pistorius,  Germ.  Script.,  t.  ni, 
p.  354. 

La  nouvelle  discipline  ecclésiastique  semblait  donc 
donner  satisfaction  à  l'Etat,  qui  réclamait  le  droil  de 
châtier  les  clercs  criminels,  au  même  titre  que  les 
autres  citoyens.  Mais  en  fait,  cette  concession  de  l'Église 
était  plus  apparente  que  réelle.  Avant  d'en  venir  à  la 
dégradation  des  coupables,  les  évéques  avaient  des 
peines  graduées,  dont  leur  sévérité  ou  plutôt  leur  indul- 
gence se  contentait  quelquefois  :  la  simple  déposition, 
l'excommunication  et  l'anathème.  Décrétales,  1.  II,  De 
judic,  tit.  i,  c.  10.  D'autre  pari,  la  crainte  de  voir  les 
clercs  dégradés  subir  la  peine  de  mort,  que  l'Eglise  ré- 
prouvait en  principe  pour  son  propre  compte,  les  em- 
pêchait de  prendre  une  mesure  qui  pouvait  avoir  pour 
conséquence  l'effusion  du  sang.  Les  dégradations  réelles 
étaient  donc  rares.  Et  la  criminalité  des  clercs  ne  di- 
minua guère,  même  après  l'établissement  du  nouveau 
droit  pénal.  L'Etat  s'en  plaignit.  C'est  un  des  cent 
griefs  que  l'Allemagne  adressa  ;i  1  l^lise  catholique 
au  XVIe  siècle.  On  demandait  que  les  clercs,  majeurs  ou 
mineurs,  n'eussent  pas  d'autres  juges,  d'autres  châti- 
ments que  les  personnes  laïques  :  ila  quod  ecclesiastici 
ultra  laicos  in  paribus  delictis  nullam  prsetendere  /  os- 
sint  prserogalivam  immuni tatemve,  etc.  Sacti  lia- 
nxanx  Imperii  Principum  ac  Procerum  gravamina 
cenlum,  dans  Leplat,  Monumenta  concilii  Tridentini* 

t.    II,  C.    XXI. 

Le  concile  de  Trente  essaya  de  faire  droit,  au  moins 
dans  une  certaine  mesure,  à  ces  -raves  réclamations. 
11  ôta  notamment  aux  clercs  mineurs  qui  n'avaient 
aucun  bénéfice,  cl  le  nombre  en  ('lait  grand,  le  pririle- 
gium  fori.  Mais  les  mesures  qu'il  put,  sess.  XXV,  c.  x\. 
De  reform.;  sess.  XXIII,  c.Vl,  parurent  insuffisantes  aux. 


465 


DÉPOSITION    ET    DEGRADATION    DES   CLERCS 


466 


gouvernements  civils.  L'État  finit  par  ne  plus  attendre 
toujours  que  l'Eglise  eût  <<  dégradé  »  les  clercs  crimi- 
nels, pour  s'emparer  de  leur  personne  et  les  juger.  Ce- 
pendant un  édit  de  Charles  IX  de  1571  demande  encore 
que  les  coupables  ne  soient  pas  misa  mort  avant  d'avoir 
été  dégradés  :  nec  si  damnait  addiclique  morti  fue- 
rint,  aille  pœnâm  habcanl  quam  fuerint  dégradait. 
Mais  cette  dernière  marque  de  respect  pour  la  disci- 
pline ecclésiastique  ne  fut  pas  longtemps  observée.  Les 
canonistes  furent  réduits  à  constater  la  disparition  du 
cérémonial  de  la  dégradation.  «  Les  magistrats,  depuis 
le  xvic  siècle,  écrit  Pontas,  considèrent  la  dégradation 
comme  une  cérémonie  inutile;  aussi  n'est-elle  plus  en 
usage.  »  Dictionnaire,  v°  Déj.osition,  cas  1er.  Les  Fran- 
çais, dit  un  autre,  estiment  que  «  les  crimes  pour  la 
punition  desquels  la  dégradation  est  nécessaire,  dégi  a- 
dent  eux-mêmes  le  coupable  par  leur  gravité.  »  Gibert, 
Corpus  juris  canonici,  t.  n,  Tract,  de  Ecclesia,  p.  90. 
L'Église  après  avoir  vainement  protesté  contre  la 
suppression  de  son  privilegium  fort,  linit  par  en 
prendre  son  parti  dans  la  pratique.  Plusieurs  concor- 
dats consacrèrent  ce  nouvel  état  de  choses.  Désormais 
la  déposition  ecclésiastique  n'a  plus  ses  effets  en  droit 
civil,  pas  plus  que  les  pénalités  édictées  contre  les  clercs 
par  les  tribunaux  séculiers  n'ont  leur  effet  en  droit 
canon. 

///.  LA  DÉPOSITION  II  LA  DÉGRADATION  D'APBÊS  LE 
DROIT  MODERNE.  —  Dans  les  textes  qui  ont  trait  à  la 
«  déposition»',  on  rencontre  trois  expressions  différentes 
pour  désigner  cette  peine:  la  simple  déposition,  la  dé- 
gradation verbale  et  la  dégradation  actuelle  ou  réelle. 
Tous  les  canonistes  sont  d'accord  sur  le  sens  de  la  pre- 
mière et  de  la  dernière  :  la  déposition  dépouille  à  per- 
pétuité les  clercs  de  leurs  prérogatives  d'ordre  et  de 
juridiction;  la  «  dégradation  réelle  >>  leur  ôte  en  outre 
le  privilegium  fori  et  les  rend  justiciables,  comme  les 
simples  fidèles,  des  tribunaux  civils.  Mais  les  auteurs 
ne  s'entendent  pas  sur  la  portée  de  la  dégradation  ver- 
bale; les  uns  l'assimilent  tout  simplement  à  la  déposi- 
tion; tris  Fagnan,  Comment.,  ad  c.  24,  X.  de  accu- 
sât., 5,  I,  n.  7(i;  Reiflenstuel,  Jus  canon.,  I.  V, 
lit.  xxxvn,  n.  22,  32;  Ferraris,  Prompla  biblioth., 
v  Degradatio,  a.  I   sq.  ;    Berardi,  Comment,   in  jus 

-iast.,  t.  Il,  part.  II.  diss.  IV,  C.  l;  I  Vrinaiiedcr, 
dans  Kirchenlexikon,  ■  Dégradation  et  Déposition  • 
Phillips.  Lehrbuch  des  Kirchenrechts,  p.  585;  Schulte, 
Lehrbuch  des  kalhol.  Kirchenrechts,  p.  287.  D'autres, 

ivec  plus   de  vraisemblance    peul 

distinguent  entre  la  di  position  et  la  dégradation,  quelle 

qu'elle  soit,  verbale  ou    réelle.  Le  concile  de  Trente 

semble  ju  e  distinction,  lorsqu'il  déclare  que 

■  lésiastiques    coupables   de   délits 

uni    atrocitatem    <•    sac  ris    ordinibus 

DEPONBNDJ     II    i  I  lit  I    W\  /    TRADBND.E  S  I  i  I  I   MU.  ele. 

Mil.  c.  iv,  De  reform.  Selon  cette  interprétation 
li  dégradation  consisterait  en  deux  actes  :  la  sentence 
par  laquelle  le   clerc  coupable  serait  déclaré  pai 
delà  peini    di    la  dégradation   [dégradation   verba 
'•t  l'application  de   cette  sentence   par  la  dégradation 
proprement  diti     •'•  gi  ad  Cf.  1.  V,  Di 

m   significat.,  lit.   \.  c.  27,   Sexti    Décret.,  I.  V, 

us  dit   île    la 

Ii     lean   lin        Voir  sur  tout  ceci,  pour 

p    cii  .  p.  178-184 
Il  \  .i  donc  lieu  d'étudier  séparément  la  déposition, 
et  la   di  .  i  ni. .in, n  réelle  avec 
□traînent    dans    le   droit 

1    '  le  droit  moderne  comme 

dans  l'antiquité,  la  •  i  privation  A  pei  pi 

irdre  el  de  juridiction,  jointe  A 

lé-,  iasliqi  • 
■i  la  |  un.   disent  li  -  jm  i 


deposilio  a  dignitale,  honore,  ordine,  uf/icio  el  bene- 
ficio.  Sexti  décret.,  1.  Y,  lit.  IV,  De  homicid.,  c.  I, 
sect.  n.  Cf.  concile  de  Trente,  sess.  XXV,  c.  xiv,  De 
reform. 

Et  d'abord,  le  clerc  déposé  est  privé  de  tous  les 
droits  que  lui  confère  l'ordre;  il  ne  peut  plus  remplir 
aucune  fonction  ecclésiastique.  Cet  interdit  est  person- 
nel et  le  suit  partout;  il  ne  peut  le  violer  sans  com- 
mettre un  péché  grave,  le  sacrilège,  en  même  temps 
qu'une  désobéissance  à  l'Église.  Les  fidèles  qui  parti- 
ciperaient sciemment  par  leur  présence  ou  autrement 
à  cet  acte  coupable,  par  exemple  en  assistant  à  la  messe 
d'un  prêtre  interdit,  ou  en  recevant  de  ses  mains  les 
sacrements,  se  rendraient  eux-mêmes  coupables  de 
péché.  Toutefois  aucune  peine  ecclésiastique  ne  ;les 
atteindrait;  ils  n'en  répondraient  qu'au  for  intérieur. 
Le  clerc  déposé,  au  contraire,  encourrait  l'excommu- 
nication. Cf.  1.  V,  De  clerico  excommunicato,  de- 
posito  vel  inlerdiclo  minislranlc,  tit.  XXVII,  c.  2,  10; 
Gratien,  caus.  XI,  q.  m,  c.  6.  A  vrai  dire,  il  fau- 
drait pour  cela  qu'il  remplit  en  public,  solennellement 
et  comme  clerc,  la  fonction  interdite.  Un  minoré  qui 
remplirait  pendant  la  messe  les  fonctions  que  rem- 
plissent habituellement  aujourd'hui  les  simples  laïques 
ne  tomberait  pas  sous  le  coup  de  l'excommunication. 
Cf.  la  décision  de  la  S.  C.  du  Concile,  dans  Fagnan, 
Comment,  ad  1.  V,  tit.  xxvil,  De  excommunicato,  etc., 
c.  2,  n.  19,  20.  La  loi  porte  :  Si  quis  episcopus  AOSl  S 
foerit  aitrectare  ministerium...,  si  guis  presbyler 
mit  alins  clericus...  per  contemptum  et  superbiam 
aliquid  de  ministerio  sibi  inlerdiclo  agere  prmsump- 
sbrit.  D'où  il  suit  qu'un  prêtre  qui  administrerait  le 
sacrement  de  pénitence  à  un  malade  in  articulo  mortis 
ou  sous  la  pression  de  la  force,  qui  par  conséquent 
n'agirait  pas  per  contemptum  et  superbiam,  mais 
plutôt  par  crainte  ou  par  charité,  n'encourrait  pas  l'ex- 
communication. En  matière  de  pénalités,  odia  restringi 
convenit,  dit  le  droit  canon.  Sext.  Décret.,  1.  Y, 
tit.  xii.  De  regulis  juris, c.  15.  Du  reste,  certains  sacre- 
ments administrés  ainsi  par  des  évoques  déposés 
peinent  être  valides.  La  déposition  laisse  en  elfet  intact 
le  pouvoir  d'ordre;  un  évéque  déposé  peut  donc  confé- 
rer A  d'autres  le  sacrement  de  l'ordre,  sinon  licitement, 
du  moins  validement. 

.Mais,  d'autre  part,  comme  les  clercs  majeurs  dépi 
conservent  le  caractère  indélébile  que  leur  avait  conféré 
rement,  toutes  les  obligations  qu'ils  avaient  con- 
tractées  en    vertu    de    leur   ordination    leur  incombent 
toujours,  même  après  leur  déposition,  d'après  ce  prin- 
cipe du  droit  :  Nemo  ex  suo  delicto  meliorem  suant 
condilionem    facere    potest,  1.   CXXXIV,    Digest.    de 
rcijul.  jur.,  i.,  17,   que   le  droit  canon  a  adopté  sous 
celle  forme      ne  guis  videalur  de  sua  malitia  com- 
\re,  I.  I,  tit.  n.  Dejudic,  c.  6;  cf.  I.IV, 
tit.  x.\,  c.  5.  Les  évoques,  les  prêtres,  les  diacres,  les 
sous-diacres,  sont  donc  toujours  tenus  A   la  récitation 
du  bréviaire.  I.t  le  vieu  de  célibat  qui  est  attaché  à  la 
Non  dos  ordres  majeurs,  cf.  concile  de  Trente, 
XXIV,  can.  '.'.  De  sacramento  matrimonii,  les  lit 
]•  o  i  illemenl  toute  leur  \  ie. 
Outre  les  fonctions  d'ordre,  la  déposition  ôte  à  celui 

qu'elle  atteint  son  offlee  :  deposiltO  «b  officio.  Ton 

aeles    de    juridiction   qu'il    Oserai I  accomplir,  une    lois 

~.his  valeur.  Sext.  Décret.,  I.  III. 
lit.  vil,  De  cona       \    tbend.,  i     I.  Ses  subordonni 
son)  donc   désormais   dispensés    de    lui   obéir.    Bien 
plus,  ils  commettraient  une  faute  grave  en  continuant 

i  ni  ainsi 
.  .mil.   l'autorité  de  il  glise.  I  i   ' 
raient  pareillement  nuls.  Il  j  n  p tanl  une  exception 

a    Cettl     I  i    une    allane    .lut     .  nr;i:  i  .     juridique 

nu  ni  par  le  mandatai  ncol  où  le  mandant  est 

'  rail  suivre  son  cours  normalement,  el 


SUT 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLEP 


lad  :  isinii  qui  la  suivi  ii  i  su  ni  vslide.  Il  en  seiîil 
toul  autrement  si  l'a  (l'aire  était  encore  entière,  res  in- 
tégra, au  moment  de  la  déposition,  car,  à  cet  instant 
même,  toute  juridiclio  delegata  cesse.  Le  déposé  con- 
serve, nous  l'avons  dit,  ses  pouvoirs  d'ordre;  in;iis 
quand  l'exercice  de  ces  pouvoirs  dépend  d'une  déléga- 
tion il  ne  peut  plus,  une  l'ois  Trappe^,  eu  user  validement. 
C'est  le  cas  pour  l'administration  du  sacrement  de  pé- 
nitence. Cf.  concile  de  Trente,  sess.  XIV,  c.  VII,  De 
pœnitentia.  L'absolution  qu'il  donnerait,  en  dehors  du 
cas  de  nécessité  alisolue,  serait  nulle  ex  defeclu  juHs-i 
dictionis.  Toutefois  si  un  pénitent  de  pleine  bonne  foi 
s'adressait  à  un  prêtre  déposé  et  en  recevait  l'absolu- 
tion, celle-ci  serait  valide  :  l'Église,  en  ce  cas,  supplée- 
rait la  juridiction  qui  manque  au  ministre  du  sacre- 
ment, par  égard  pour  le  pénitent.  Cf.  I.  V,  tit.  xxvn, 
De  clerico  excommunie,  minist.,  c.  9.  Dans  le  sacre- 
ment de  mariage,  le  curé  n'est  pas  proprement  mi- 
nistre, il  n'est  que  témoin  qualifié,  testis  spectabilis; 
cependant  sa  présence  est  absolument  nécessaire  sous 
peine  de  nullité.  .Mais  un  curé  déposé  perdant  toute 
juridiction,  tout  mariage  contracté  en  sa  présence 
•serait  nécessairement  nul. 

La  déposition  entraîne  aussi  la  perte  des  bénéfices, 
depositio  a  beneficio,  et  ceux-ci  passent  de  plein  droit 
à  un  tiers.  Gratien,  caus.  II,  q.  vi,  c.  2G;  Décrétâtes,  1.  Y, 
tit.  xxxi,  De  excess.  prselat.,  c.  15;  Scxli  Décret.,  1.  Y, 
tit.  iv,  De  homicid.,  c.  1.  Le  lien  qui  unissait  un  évêque 
à  son  église,  un  prêtre  à  sa  paroisse  est  pourtant  le  plus 
fort  que  l'on  puisse  concevoir  en  droit  :  cum  FORTIDS 
s'il  spirituelle  vinculum,  quam  carnalc,  dubilari  non 
potest  quin  omnipotens  Deus  spirituals  conjugium, 
quod  est  in  1er  episcopum  et  ecclesiam,  suo  lantum 
judicio  reservaverit  dissolvendum,  1.  I,  tit.  III,  De 
translat.  episcop.,  c.  2.  Mais  la  déposition  le  rompt. 
Divina  potestate  conjugium  SPIRITUALS  dissolvitur, 
cum  per  translationem,  vbpositioksm...  episcopus 
■ab  ecclcsia  removelur.  Ibid.  Elle  fait  l'effet  de  la 
mort  ou  delà  capitis  deminutio,  comme  parle  le  con- 
cile de  Latran  de  1215,  c.  vin,  dans  Hardouin,  Concilia, 
t.  vu,  col.  26;  et  1.  V,  tit.  i,  De  accusât.,  c.  2i.  Du 
reste,  on  comprend  qu'un  clerc  déposé  de  son  office 
soit  privé  de  son  bénéfice  :  c'est  un  principe  de  droit 
•canon  que  beneficium  dalur  propler  officium.  Sext. 
Décret.,  1.  I,  tit.  III,  De  rescript.,  c.  15.  L'office  sup- 
primé, le  droit  au  bénéfice  tombe.  Et  comme  la  déposi- 
tion est,  de  sa  nature,  perpétuelle,  le  titulus  possession!* 
que  pouvait  avoir  le  clerc  déposé  n'existe  plus.  Bien 
plus,  en  perdant  ce  titulus  possessionis,  il  perd  tout  droit 
à  n'importe  quel  autre;  il  est  désormais  incapable  de 
jouir  d'un  bénéfice.  Cf.  1.  III,  tit.  i,  De  vita  et  honestate, 
c.  13.  Si  donc  l'Eglise  subvient,  de  façon  ou  d'autre, 
à  ses  besoins,  ce  ne  peut  être  désormais  qu'à  titre 
gratuit. 

Le  clerc  déposé  perd  sa  dignité,  depositio  a  digni- 
late,  y  compris  les  honneurs  extérieurs  qui  y  sont 
attachés.  Relégué  au  rang  des  laïques,  il  ne  conserve 
plus  d'autres  droits  que  ceux  des  simples  fidèles.  Mais. 
•comme  ceux-ci,  il  peut  assister  aux  offices  et  participer 
aux  sacrements.  La  privation  des  sacrements  ne  pour- 
rait lui  être  inlligée  que  pour  un  motif  particulier  et 
comme  peine  spéciale.  Gratien,  dist.  LXXXI,  c.  14. 

Bien  que  de  sa  nature  la  déposition  ait  des  effets 
perpétuels,  il  peut  se  trouver,  dans  le  droit  moderne 
comme  dans  le  droit  ancien,  des  cas  où  elle  n'est  que 
temporaire.  Il  appartient  au  pape  ou  aux  évêques  de 
juger  de  l'opportunité  du  rétablissement  d'un  clerc 
•dans  sa  dignité  première.  La  formule  de  rétablisse- 
ment correspond  à  celle  de  la  destitution,  dit  le  ponti- 
fical romain  :  reslituere  SOLO  7BRB0  i>otest,  sicut  et 
uerbaliter  depositus  fuit.  Quand  il  s'agit  d'un  béné- 
fice, comme  le  titulus  possessionis  est  absolument 
périmé,  une  nouvelle  «  collation  »  est  nécessaire;  et  si 


le  bénéfice  primitif  est    pas>é   à  un    tiers,  il  faut   en 
Chercher  un  autre,  car  une   faveur  ne  peut  jamai- 
faite  au  détriment  d'un  tiers.  Cf.  Sexli   Décret.,  1.  I, 
lit.  m,  De  rescript.,  c.  8. 

La  déposition  est  ordinairement  totale,  comme  l'in- 
diquent les  expressions  du  droit  canon  ;  penitu» 
abjiciatur,  caus.  III,  q.  v,  c.  3;  OMIflKO  cadat  de 
proprio  gradu,  caus.  XI,  q.  i,  c.  21.  Cf.  Sexli  Décret., 
1.  V,  lit.  iv.  De  honiicidio,  c.  1;  concile  de  Trente. 
sess.  XXV,  De  reform.,  c.  xiv.  Cependant,  parfois  elle 
peut  être  partielle;  en  raison  des  fautes  que  l'on  veut 
châtier.  Il  y  a  la  depositio  ab  altaris  ministerio,  1.  II. 
tit.  i,  De  judic.,  c.  i.  ou  depositio  ab  officio  sacerdo- 
tali,  1.  V,  tit.  xxvn,  De  clerico  excommunicalo  minis- 
l  nui  le,  c.  4;  1.  V,  tit.  xxxvm.  De  psenil.  et  remiss., 
c.  12;  cf.  caus.  XI,  q.  m.  c.  10;  la  ab  admi- 

nistratione,  1.  Y,  tit.  i,  De  accusât.,  c.  14,  ou  ab  officio 
ecclesiastico,  1.  111,  tit.  i,  De  cita  et  /«mental.,  c.  8; 
enfin  la  depositio  a  benc/icio,  1.  Y.  tit.  VI,  De  sin 
c.  13.  Ces  diverses  peines  sont  de  leur  nature  P'  I 
tuelles,  aussi  bien  que  la  déposition  totale.  Mais  en 
vertu  du  principe  :  odia  restringi  et  javores  convertit 
timpliari,  elles  doivent  être  interprétées  strictement. 
La  depositio  ab  officio  sacerdotali,  par  exemple, 
laisse  entier  le  droit  d'exercer  les  fonctions  qui  ne 
sont  pas  propres  au  sacerdoce,  celles  du  diaconat  ou  du 
sous-diaconat.  Dans  1.  II,  tit.  xrv,  De  dolo  et  conlu- 
macia,  c.  8,  quand  le  pape  dit  :  Tulimus  sententiam 
perpétuas  depositionis  in  ipsum  et  cum  tant  a  ponti- 
ficali  quam  ab  omnî  officio  sacerdoluli  privantes  sine 
s/ie  restitutionis  du.cimus  condemnandum,  il  est  clair 
que,  s'il  avait  voulu  comprendre  dans  la  déposition 
toutes  les  fonctions  cléricales,  il  l'aurait  déclaré 
expressément.  Aux  yeux  de  l'Église  les  pouvoirs  d'ordre 
et  de  juridiction  sont  distincts  et  peuvent  être  exer- 
cés indépendamment  l'une  de  l'autre,  1.  I,  tit.  vi.  De 
elecl.,  c.  15;  1.  III,  tit.  xl,  de  consecrat.  eccles.,  c.  9. 
La  déposition  ab  adminislratione  ou  a  juridictions 
n'entraine  donc  pas  la  déposition  ab  officio  sacerdotali 
et  réciproquement  :  etsi  non  degradelur  ah  ordine, 
ab  administrations  tamen  amovealier  omnino,  1.  V, 
tit.  i,  De  accusai.,  c.  24.  Mais  comme  beneficium 
dalur  propter  officium,  il  va  sans  dire  que  la  déposi- 
tion ab  officio  entraine  la  suppression  du  bénéfice.  La 
réciproque  n'est  pas  vraie,  la  depositio  a  bénéficia 
peut  se  concilier  avec  la  continuation  des  fonctions  de 
juridiction.  Pour  subvenir  aux  besoins  de  celui  qui 
subit  cette  peine,  l'Église  ou  lui  donne  des  secours 
momentanés  ou  lui  attribue  un  autre  bénéfice. 

En  règle  générale,  la  sentence  de  déposition  est  pro- 
noncée par  le  juge  et  communiquée  à  l'intéressé.  Mais 
il  y  a  aussi  des  dépositions  lalœ  sententiœ,  attachées 
à  la  violation  de  certaines  lois.  Caus.  IX,  q.  II,  c.  (i  : 
Sext.  Décret.,  1.  Y,  lit.  iv,  De  Itomicidio,  c.  1;  1.  V. 
lit.  ix,  De  posais,  c.  5. 

A  propos  de  cette  depositio  latte  sententiœ,  on  s'est 
demandé  si  le  violateur  de  la  loi  tombait  sous  le  coup 
de  la  déposition  au  moment  même  où  il  commettait  s.i 
faute.  Certains  canonistes  pensent  que  oui  et  ils 
appuient  leur  sentiment  sur  celle  formule  du  droit  : 
excommunicatio  [latœ  sententiœ)  secum  trahit  exe- 
neni,  1.  II,  lit.  xxvin.  De  appellat.,  c.  5.  Mais  il 
n'y  a  pas  lieu  d'assimiler  l'excommunication  à  la  dépo- 
sition. La  première  est  une  peine  purement  morale,  la 
seconde  a  des  conséquences  extérieures  et  publiques 
d'un  caractère  particulier.  Le  clerc  dépose''  perd  sa 
juridiction  et  les  fruits  de  son  office.  Or  c'est  un  prin- 
cipe généralement  admis  en  droit  que  personne  n'est 
tenu  de  s'appliquer  à  lui-même  la  rigueur  de  la  loi. 
pas  plus  qu'il  n'est  tenu  de  se  traduire  en  justice  pour 
des   crimes   qui   sont   demeui  3.     lîeilfenstuel. 

Jus  canon.,  1.  I.  lit.   n.  n.  2-JS:   Fagnan,  Commentât-.. 
ad  c.  9,  X,   De  pœnil.  et  remiss.,  Y.   xxxvm.  n.   10; 


469 


DEPOSITION    ET    DEGRADATION    DES    CEERCS 


470 


cf.  Kober,  op.  cit.,  p.  205-209.  La  loi  portée  contre  les 
hérétiques  offre  quelque  analogie  avec  la  déposition 
latse  sententise.  Les  biens  de  ces  hérétiques  sont  aussi 
ijiso  jure  confiscata.  Et  cependant  l'État  n'y  peut  tou- 
cher avant  qu'une  sentence  super  eodcni  crimine  fuerit 
promulgata.  Se. ri.  Décret.,  1.  V,  tit.  n,  De  hseret., 
c.  19.  Tout  porte  donc  à  penser  qu'une  sententia  de- 
claratoria  du  juge  est  nécessaire  pour  que  la  deposir 
tio  latse  sententise  produise  tous  ses  effets.  Cf.  Bar- 
Collectan.,  ad  Sext.  Décret.,  1.  V,  tit.  iv,  De 
homicid.,  c.  1,  n.  22. 

Et  cela  est  de  grande  conséquence  dans  la  pratique. 
Si  un  clerc  commet  un  crime  que  doit  frapper  la 
depositio  latie  sententise,  il  reste  toujours  titulaire  de 
son  office  tant  que  la  sententia  declaratoria  n'aura  pas 
été  prononcée;  il  en  conservera  tous  les  droits;  il  en 
pourra  par  conséquent  disposer  à  sa  guise,  et  quand  la 
sentence  du  juge  interviendra,  elle  ne  pourra  avoir 
d'effet  rétroactif.  Ce  que  le  clerc  coupable  aura  fait, 
sera  bien  et  légalement  fait.  Glossa,  ad  Sext.  Décret., 
1.  II,  lit.  vin,  ut  Vite  pendenle,  c.  2,  v°  Finila.  Cf.  Van 
Espen,  Jusecclesiast.,  part.  II,  tit.  xxvn.c.  iv,  n.7sq.; 
Pirhing,  Jus  canon. ,  1. 1,  tit.  ix.  n.  26  sq.;  Reiffenstuel, 
Jus  canon.,  1.  I,  tit.  IX,  n.  51  sq. 

2    /.a  dégradation   verbale.  —  La  déposition  n'en- 
lève pas  à  celui  qu'elle  atteint  le  privilegium  fori ;  la 
idation,   au   contraire,  le   lui    ôte   complètement. 
N.. un  avons  vu  qu'on  peut  distinguer  entre  la  dégrada- 
irerbale  et  la  dégradation  réelle.  La  première  con- 
siste dan-  le  prononcé  du    jugement.    Nous   avons  à 
examiner  dans  quelles  conditions  il  doit  avoir  lieu. 
I.  évi  que  ne  saurait  prononcer  seul  une  sentence  de 
adation.   Episcopus  sacerdolibus  ac  ministris  sa- 
lua honorem  darepotest,  aufeure  soluh  von  potest, 
déclarait    déjà    le  concile  de   Séville   de   619,  can.   6. 
Bardouin,  op.  cit.,  t.  m.  col.  559;  Gratien,  caus.  XV, 
q.  vu,  c.  7.  Conformément  à  ce  principe,  Iioniface  VIII 
décida  que  «  pour  les  clercs  dans  les  ordres    majeurs 
la  dégradation  verbale  serait  faite  par  l'ordinaire,  pro- 
copo,  assisté  d'un  certain  nombre  d'évéqui  - 
déterminé  par  les  canons.  <   Sext.  Décret,  1.  V,  lit.  in. 
/»,•  pamit,  c.  2.  La  raison  de  celle  exigence  est  qu'un 
abandonné  à  lui-même,  pourrait  céder  à  la  pas- 
A'axi    multi  sunt  qui  indiscussos  potbstati    /  r- 
fli.vvi»  i  voa    \m  mini  \n:  casokicâ  damnant,  disait 

jéville.    Ilardouin,  loc.   Cit.   Or,  dans   les 
■ni  que  l'évéque 
fut  assisté  de  six  collègues  pour  juger  un  pr<  tre 

pour    un    diacre.    Concile   de  Carthage   de    397, 

can   8,  dans  Bardouin,  op.  <it.,  t.  i,  col.  962,  et  dans 

Gratien,  caus    \ll.  q.  vu,  c.  5.  Cf.  concile  de  Carthage 

de  300,  can.  I1».  Ilardouin,  op.  cit.,  t.  i,  col.  053;  Gra- 

lien,  r-aus.  XV,  q.  vu,  r.  4,  qui  requierl  pour  juger  un 

.!'■  douze  évoques. 

Mais  il  peut  être  quelquefois  difficile   de  réunir  le 

nombre  d'évéques  d  terminé  par    1rs  canons.    En  ci 

que   est    autorisé   .i   se  faire  assister   par  un 

..I  d'abbés,  si  son  diocèse  peut  les  fournir, 

tut    il   n'a   qu'à    choisir    autour    de   lui 

onnes  constituées  en  dignité'  ecclésias- 

ti  |u<-.  d  u  ible,  et    recomman  labiés    par 

leur  science  du  droit,      Concile  de  Trente,  sess.  Mil. 

[] 
I.  V,  tit.  ix,  Di  2. 

M. lis  quel  rôle  i ni  i  de  I  ordin 

qui  est  le  pn  i  dant  les  aflain 

nplement  iltative  ou 

ii  qu'on  a 
trou  ■•■  ti  am  h 

di   difflculti 

i  ibunal  épiscopal  par 

ni  ils 


vénérables  par  l'âge  et  la  science,  les  canonistes  ne  sont 
plus  unanimes.  Quelques-uns  voudraient  que  les  asses- 
seurs dépourvus  de  la  dignité  épiscopale  n'eussent  que 
voix  consultative;  leur  présence,  dit-on,  est  uniquement 
destinée  à  donner  plus  de  solennité  à  la  sentence  du 
juge.  Il  faut  reconnaître  pourtant  que  la  plupart  des 
canonistes  et  non  des  moindres,  témoin  Benoit  XIV. 
De  synodo  diœcesana,  1.  IX,  c.  v,  n.  4,  accordent  même 
aux  assesseurs  non  évêques  le  votum  decisivum,  Bar- 
bosa,  De  officio  cl  potest.  episcop.,  alleg.  <:x,  n.  26; 
Reiffenstuel,  loc.  cit.,  n.  i2;  cf.  Phillips,  op.  cit., 
p.  587,  etc. 

Reste  à  savoir  si  le  jugement,  pour  être  valable,  doit 
être  rendu  à  l'unanimité'  ou  simplement  à  la  pluralité 
(majorité)  des  voix.  Nombre  de  canonistes  et  des  plus 
qualifiés,  Barbosa,  loc.  cit.,  n.  27  sq.;  Reiffenstuel. 
loc.  cit.,  n.  44,  etc.,  estiment  qu'il  doit  élre  rendu  à 
l'unanimité  et  s'appuient  sur  un  texte  de  droit,  1.  II, 
tit.  xxvn,  De  sentent,  et  re  judicat.,  c.  3,  qui  suppose 
l'accord  de  tous  les  juges  dans  une  affaire  analogue  : 
Non  potest  quemquam  a  sacerdotaligradu,  nisi  /ustis 
ex  cautis,  CONCOBS  sacerdotum  sententia  submoverc. 
Mais  ce  texte  est  emprunté  à  saint  Grégoire  le  Grand, 
qui  ne  vise  nullement  la  question  d'unanimité  ou  de 
pluralité  des  voix  dans  la  sentence  prononcée.  Epist., 
1.  III,  epist.  vin,  P.  L.,  t.  i.xxvii,  col.  612.  Et  d'autre 
part,  on  pourrait  citer  des  circonstances  où  l'Église  se 
contente  précisément  de  la  majorité  dans  certaines 
décisions  à  prendre  :  Judicia  enim  sanioris  et  majo- 
ris  partis  prsevaleant  et  quod  conclusion  fuerit  ajtlu- 
ribus,  censetur  approbation,  dit  le  concile  de  Nar- 
bonne  de  1609,  can.  29,  clans  Ilardouin,  t.  xi,  col.  32. 
Le  principe  est  même  nettement  formulé  dans  le  droit: 
Quod  a  majori  parle  /il,  ab  omnibus  faction  censetur, 
1.  III,  tit.  xi,  c.  1.  La  Glose  abonde  aussi  dans  ce  sens, 
1.  II,  tit.  xxvn,  De  sentent,  et  re  judicat,  c.  3,v°  Sacer- 
dotes,  c.  12,  X,  v  Pressentes.  Rien  que  Benoit  XIV, 
loc.  cit.,  laisse  la  question  indécise,  on  peut  donc  ad- 
mettre en  principe  que  la  majorité  des  voix  suflit  pour 
prononcer  une  sentence  de  dégradation. 

Nous  n'avons  ici  en  vue  que  les  clercs  qui  sont  dans 
les  ordres  majeurs,  prêtres,  diacres  ou  sous-diacres. 
Pour  juger  les  minorés,  l'évéque  n'a  pas  besoin  d'asses- 
seurs proprement  dits  :  quanquani  proprix  episcopi 
sententia  sine  aliorum  episcoporum   pi  suffi- 

ciat  ni  dégradations  eorum,  qui  minores  dumtaxal 
or<ii>irs  receperunl ,  dit  expressément  Boniface  VIII, 
De  peenis,  In  sert.,  c.  2.  Cependant  la  sentence  doit  être 
rendue  en  présence  du  chapitre?  ou  du  moins  en  pré- 
sence de  deui  ou  trois  chanoines  députés  à  cet 
Glossa,  au  De  pœnis,  lu  sext.,  c,  i.  v°  Preesentia.  On 
peut  voir  dans  Kober,  op.  cil.,  p.  231.  une  décision  d.' 
are  rendue  par  l'archevêque  de  Mayence  en  1668.  Il 
va  sali-  dire  que  les  clercs  ainsi  Grappes  doivent  jouir 
d'un  bénéfice,  OU  faire  un  service  dans  une  église,  OU 
vivre  dans  un  séminaire,  se  préparant  aux  ordres 
majeurs.  Les  minorés  qui  ne  jouissent  pas  du  privile- 
gium fori  ne  sauraient  être  dégradés;  ils  ne  relèvent 
que  des  ti  iluiiiaux  civils. 

;;  /.,»  degradatio  aetualis.  —  Par  la  dégradation 
verbale,  le  clerc  déposé  n'est  pas  encon  privé  du 
vilegium  fori.  Tant  que  son  juge  n'a  pas  procédé  à  la 
dation  réi  lie.  M  échappe  en  droit  a  l'ai  tion  des 
tribunaux  civils.  C'est  la  dégradation  réelle  qui  le  dé- 
pouille définitivement  de  Ni  privili  mastiques. 

La  i<>rmii  degradationit  qm  se  lii  aujourd'hui  dane 
le  pontifical  romain,  se  trouve  déjà,  presque  mot  pour 
mot.  dans  le  pontifical  de  Durand  [  1206),  que  Catalan! 
.i  reproduit  en  partie  dans  --on  Pontificale  romanum, 
t.  m,  p.  167.  Cf.  Durand,  Spéculum  juris,  I.  III.  part.  I, 

l..i  formule  de  di  [  radation  i  ni  la  dignité  de 

celui  que  i  "n  n  effel  d'oter  li 


471 


DÉPOSITION    ET    DEGRADATION    DES    CLEKCS 


472 


signes  caractéristiques  de  l'ordre  que  le  coupable  a 
reçu  et  ces  insignes  diffèrent  suivant  les  degrés  de  la 
hiérarchie.  Nous  nous  bornerons  ici  à  indiquer  la  pro- 
cédure générale  et  renvoyons  pour  le  reste  ;tu  pontifi- 
cal romain  : 

Degradandus,  indumeatis  sacerdotalibus,  si  sacerdos  sit, 
indutUS,  vel  diaconalibus,  si  sit  diaconus,  et  sic  de  reliquis 
ordinibus  et  indumentls,  oflertur  pontifia.  Pontifex  vero  quasi 
cxsequendo  sententiam  depositionis  in  illum  dudum  prolatam, 
praesente  judicc  steculari,  cui  degradandus  débet  relinqui,  pu- 
lilice  abradit  cum  vitro  vel  cultello  vel  alio  liujusmodi  Ieviter 
sine  sanguinis  elmsione  loca  manuum  illius,  qu;e  in  collatione 
ordinum  inuncta  fuerunt,  et  etiam  tonsuram,  si  velit.  Et  consé- 
quente!' seriatim  et  singillatim  detrabit  illi  omnia  insignia  sive 
sacra  oniamenta,  quae  in  ordinum  susceptione  recepit,  et  demum 
exuit  illum  habitu  clericali  el  induit  laicali,  dicens  publiée  judici 
saeculari  pra_-senii,  ut  illum  propter  scclera  sua  sic  depositum, 
degradatum,  expoliatum  et  exauclatorum  in  suum,  si  velit,  forum 
recipiat.  Et  est  notandum,  quod  in  hac  sententiae  executione  non 
est  necessaria  coepiscoporum  praesentia,  nec  etiam  refert,  sive 
in  ecclesia  fiât,  sive  in  platea,  sive  pontifex  dégradons  indutus 
sit  pontificalibus  ornamentis  sive  non. 

Ces  prescriptions  appellent  quelques  remarques. 
Uoniface  VIII  exigeait  pour  la  dégradation  l'assistance 
d'un  certain  nombre  d'évêques  ou  à  leur  défaut  d'abbés 
et  de  clercs  éminents  par  leur  science  et  leur  dignité. 
Le  jugement  ne  peut  en  effet  s'effectuer  sans  eux,  et 
nous  avons  vu  que  la  degradatio  verbalis  exige  leur 
présence.  Il  semblerait  qu'ils  dussent  aussi  assister  à  la 
degradatio  actualis,  et  c'est  le  sentiment  de  Benoit  XIV, 
De  synodo  diœcesana,  1.  IX,  c.  VI,  n.  5.  L'ordinaire 
entouré  de  ses  assesseurs  donnerait  à  la  sentence 
qu'il  exécute  plus  de  force  et  de  solennité.  Dans  la 
pratique  les  eboses  se  passent  ainsi.  Mais  Durand  avait 
déjà  fait  observer,  Spéculum  juris,  1.  III,  part.  I, 
De  accusalione,  que  la  présence  des  juges  assesseurs 
n'était  pas  nécessaire,  dans  l'exécution  de  la  sentence 
de  dégradation,  pour  la  validité  de  l'acte.  Et  c'est  ce  que 
proclame  à  son  tour  le  pontifical  romain  :  Et  est  no- 
tandum quod  in  hac  executione  senlentise  non  est  ne- 
cessaria coepiscoporum  prœsenlia. 

Il  n'en  est  pas  de  même  pour  le  juge  civil.  Sa  pré- 
sence qui  est  exigée  par  les  Dccrclales,  1.  V,  tit.  XL, 
De  verbor.  significat.,  c.  27,  l'est  pareillement  par  le 
ponlifical  romain. 

Quand  le  juge  ecclésiastique  dégrade  un  clerc  pour 
un  crime  qui  pourrait  .entraîner  devant  les  tribunaux 
civils  la  peine  de  mort,  il  doit  intercéder  instamment 
auprès  du  juge  séculier  ut  citra  morlis  pericidum  vel 
mutilationis  contra  degradatum  sententiam  modere- 
tur.  C'est  une  règle  de  droit,  que  recommande  encore 
le  pontifical  romain.  On  sait,  en  effet,  que  les  clercs  qui 
participent  de  près  ou  de  loin  à  une  exécution  capitale 
ou  à  un  jugement  de  sang  encourent  l'irrégularité. 
Caus.  XXIII,  q.  vm,  c.  29,  30;  1.  III,  tit.  l,  ne  clerici 
vel  monachi,  c.  5.  Cf.  Suarez,  De  censuris,  disp.  XLVI, 
sect.  i-tv;  Reiffenstuel,  Jus  canon.,  1.  V,  tit.  xi,sect.  m, 
n.  75  sq.  En  livrant  le  clerc  dégradé  à  l'État,  l'Eglise 
reconnaît  donc  l'indépendance  de  celui-ci  en  matière 
pénale. 

Mais  quelle  était  la  valeur  du  jugement  ecclésiastique 
au  regard  du  juge  civil  témoin  de  la  dégradation?  Les 
canonistes  du  moyen  âge  estimaient  généralement  que 
la  sentence  du  juge  ecclésiastique  était  décisive  et  que 
l'État  n'avait  qu'à  appliquer  la  peine  due  à  la  faute 
commise  par  le  clerc  dégradé,  lit  c'est  bien  dans  ce 
sens  que  Boniface  VIII  entend  faire  châtier  par  le 
pouvoir  séculier  le  crime  d'bérésie  :  «  Nous  défendons 
expressément,  dit-il,  aux  seigneurs  temporels  età  leurs 
officiers  de  connaître  de  ce  crime  qui  est  purement 
ecclésiastique  et  d'en  juger  en  aucune  façon.  »  Il  ajoute  : 
Prohibemus  ne  executioncm  sibi  pro  hujusmodi 
crimine  a  diœcesano  vel  inquisitoribus  aul  inquisi- 
toire   injunctam,    prompto    prout    ad    suum    spectal 


officium,  facere  scu  adimplere  detrectent.  Sa  t. 
Décret.,  I.  Y,  tit.  n,  c.  18.  D'après  cette  décision,  l'Étal 
n'avait  qu'à  s'incliner  devant  la  sentence  du  juge  ecclé- 
siastique et  à  l'exécuter  les  yeux  fermés,  en  appliquant 
au  clerc  dégradé  la  peine  prévue  par  les  lois.  Mais 
parait  contraire  au  principe  de  la  séparation  des 
deux  pouvoirs,  principe  que  le  pape  Innocent  III 
sauvegardait  quand  il  déclarait  que  le  clerc  dégradé 
serait  livré  secularis  arbitrio  potestatis,  animad  .  - 
sione  débita  puniendus,  1.  Y,  tit.  i,  De  hseret.,  c .  '.'. 
Cf.  1.  V,  tit.  xi.,  de  verborum  signifie,  c.  27;  I.  V,  tit.  xx. 
De  crimine  falsar.,  c.  7.  En  fait,  les  juges  séculiers  se 
faisaient  donner  les  pièces  du  procès,  afin  de  se  rendre 
compte  du  bien  fondé  de  la  sentence.  El  comme  cet 
examen  avait  lieu  d'ordinaire  après  la  dégradation  ver- 
bale, l'application  de  la  peine  pouvait  suivre  immédiate- 
ment la  dégradation  réelle.  Diaz.  Praclica  criminal., 
c.  cxi. in,  n.  2. 

La  dégradation  ne  dépouille  pas  plus  que  la  simple 
déposition,  le  clerc  qu'elle  atteint,  du  caractère  que  lui 
confère  l'ordination.  Et  toutes  les  obligations  qu'il  a 
contractées  en  recevant  le  sacrement  de  l'ordre  conti- 
nuent de  lui  incomber  :  telles  sont  par  exemple  l'obli- 
gation de  réciter  le  bréviaire  et  celle  d'observer  le 
célibat.  Cf.  Ferraris,  Prompla  bibliutlt.,  v°  Degradatio, 
n.  8,  9. 

De  ce  caractère  indélébile  de  l'ordination  suit  uni 
autre  conséquence  :  le  clerc  dégradé  peut  être  rétabli 
dans  sa  dignité  par  le  souverain  pontife,  à  qui  appar- 
tient la  plenitudo  potestatis  en  matière  disciplinaire  : 
Post  talem  degradationem  juste  et  rite  factam  soins 
romanus  pontifex  cum  tali  dispensât,  dit  le  pontifical 
romain.  C'est  là  une  faveur  extrêmement  raie,  selon  la 
remarque  de  Suarez.  De  censuris,  disp.  XXX.  sect.  il, 
n.  10.  Mais  une  nouvelle  ordination  n'est  évidemment 
pas  nécessaire.  Il  suffit  de  procéder  à  la  restitution  des 
insignes,  comme  on  avait  fait  pour  leur  enlèvement. 
Le  Décret,  caus.  XI,  q.  ni.  c.  05.  indique  cette  Drocé- 
dure  et  le  pontifical  la  marque  en  ces  termes  :  Non 
solum  verbo,  sed  etiam  FACTO,  secundum  ea  quae 
prœmissa  sunl,dispensatio  et  RBST1TUTIO  fiât,  et  1XSIG- 
Y/.i  sibi  detracla  seriatim,  sigillalim,  et  SOLBXNITBR 
El  CORAM  AlTARl  REST1TUANTVR,   etc. 

II.  Fautes  qui  méritent  i.a  déposition  et  i  a  dégra- 
dation. —  /.  FAVTBS  QUI  MÊRITBKT  LA  DÉPOSITION. 
—  La  déposition  est  la  plus  grave  des  punitions  que 
l'Église  puisse  inlliger  à  un  clerc.  Les  Canons  aposto- 
liques 45e  et  58e  en  marquent  deux  degrés  dont  le  se- 
cond est  la  déposition  proprement  dite.  P.  G.,  t.  cxxxvn. 
col.  129,  152.  Et  lorsque  le  concile  d'Éphèse  de  431  voulut 
châtier  le  patriarche  Jean  d'Antioche,  il  indiqua  d'abord 
comme  peines  à  lui  appliquer  l'excommunication  et  la 
suspense;  la  déposition,  T£>sia  à-o;ai;;,  fut  réservée 
comme  châtiment  suprême  en  cas  d'obstination  du  cou- 
pable. Act.,  v.  Hardouin,  op.  cit.,  1. 1,  col.  1500.  La  même 
gradation  se  retrouve  dans  une  décrétale  d'Alexandre  111. 
I.  II,  tit.  xxi.  De  teslibus,  c.  2;  cf.  1.  V,  tit.  xxvii. 
De  clcric.  excommunie,  c.  i.  Cependant  plusieurs 
textes  de  droit  semblent  en  contradiction  avec  celle 
théorie.  Le  concile  de  Néocésarée  de  314-325  décide 
(lue  les  prêtres  qui  contracteront  mariage  après  leur 
ordination  seront  déposés;  et  que.  s'ils  tombent  dans 
la  fornication,  ou  l'adultère  ils  seront  finalement  ex- 
communiés. Can.  1.  Hardouin.  op.  cit.,  t.  I,  col.  281. 
Le  29'  des  Canons  apostoliques  marque  pareillement 
l'excommunication  comme  une  peine  qui  peut  suivre 
la  déposition.  P.  (.'.,  t.  cxxxvn,  col.  93.  Enfin  la  gradation 
dis  peines  ecclésiastiques  indiquée  dans  le  1.  II,  tit.  i. 
De  judic,  c.  10.  semble  supposer  qu'après  la  déposition 
nombre  de  châtiments  peuvent  encore  atteindre  les 
clercs  coupables  :  Si  clericus  in  quoeumque  ordinc 
constitutifs  in  furto  vel  homicidio  vel  perjurio  seu 
alio    mortali   crimine    fuerit    deprehensus    légitime 


473 


DÉPOSITION    ET    DEGRADATION    DES   CLERCS 


474 


atque  convictus,  ab  ecclesiastico  judice  deponendus 
est.  Qui,  si  deposilus  incorrigibilisfuerit,  excommuni- 
C  IRI  débet;  deinde,  contumacia  crescente,  ANAi'BE- 
MATIS  mucrone  feriri.  Postmodum  vero,  si  in  pro- 
fundum  malorum  eeniens  contempserit,  CUM  ECCLESIA 
NON  habeat  ULTRA  QVID  FACIAT  et  ne  possit  esse  ultra 
perdilio  plurimorum,  per  sccularem  comprimendus 
est  potestalem.  Cf.  concile  de  Trente,  sess.  XXV,  c.  XIV, 
De  reforrn.  D'après  ce  document,  ce  seraient  l'excom- 
munication et  l'anatlième  qui  constitueraient  les  peines 
suprêmes  des  clercs.  La  contradiction  entre  ces  divers 
textes  est  plus  apparente  que  réelle  et  il  est  aisé  de  la 
résoudre.  Le  clerc  doit  être  considéré  ou  comme 
simple  membre  de  l'Eglise  ou  comme  membre  de  la 
hiérarchie.  Même  déposés,  les  évèques,  les  prêtres,  les 
minorés  pouvaient  être  admis  à  la  communion  parmi 
les  laïques,  et  c'est  ce  qui  explique  que  certains  canons 
aient  marqué  la  privation  de  la  communion  comme  le 
dernier  châtiment  des  clercs.  Mais  considérés  comme 
membres  de  In  hiérarchie,  la  peine  suprême  qu'on  pût 
leur  infliger  était  bien  la  déposition.  Nous  avons  donc 
à  examiner  quels  crimes  pouvaient  attirer  cette  peine 
sur  eux  tant  dans  l'antiquité  qu'au  moyen  âge  et  dans 
les  temps  modernes. 

1"  Discipline  de  l'ancienne  Église.  —  Les  crimes 
de  droit  commun  les  plus  graves  aux  yeux  de  l'anti- 
quité ecclésiastique,  sent  l'homicide,  la  fornication  ou 
l'adultère  et  le  vol  sous  ses  différentes  formes.  Cf.  Ter- 
tullien,  De  pudicitia,  c.  xu.  P.  L.,  t.  H,  col.  1002; 
S.  Augustin,  lu  .Inn..  tr.  XII.  c.  xiv.  /'.  L.,  t.  xxxv, 
col.  1481.  Il  est  tout  naturel  de  penser  que  les  clercs 
qui  s'en  rendaient  coupables  étaient  sévèrement  punis. 
Les  Canons  apostoliques,  can.  25,  P.  G.,  t.  cxxxvii, 
col.  85.  qui  menacent  de  la  déposition  les  évêques,  les 
prêtres  el  les  diacres  justement  accusés  de  fornication. 
de  parjure  el  de  vol,  omettent,  il  est  vrai,  l'homicide. 
Mais,  quelle  que  suit  la  cause  de  cette  omission,  on  ne 
saurait  admettre  qu'un  clerc  homicide  n'ait  pas  été 
>sé.  Le  concile  de  Braga  de  572,  can.  26,  Hardouin, 
t.  m,  col.  394,  exige  qu'un  homicide,  qui  aurait  été 
ordonné  clerc  subri  pticement,  dejiciatur,  à  plus  forte 

raison  un  clerc  qui  aurait  commis  son  cri après 

l'ordination.  Celui   même  qui,  par  délation,  aurait  été 
la  mort  d'un  frère  devait  être  déposé  :  Délits 
qui...  te  dicunlur...  xouixa  in\n:i  v  svoRVit, 

placeat  ut  quicumque  eorum  ex  actis  ]>nl>liti*  fuerit 
détectas,  ab  onniNE  cleiu  \movbatvr.  Concile 
d'Arli  -  de  31  i.  i  an    13,  Hardouin.  t.  i.  col.  265. 

I  i  nue  que  i  Uoliques  signa- 
lent c me  p  issible  de  la  déposition  est  la  fornication, 

95.  /'.  '>'.,  i.  cxxxvu,  col.  55.  El  par  là  il  faut  entendre 
ment    l'adultère  que  les  bus  civiles  elles-m 
tenaient  pour  l'un  des  plus  grands  crimes.  Cf.  I 
théodosien,   XI,  xwi.  Quorum    appellat.   non   recip., 

xxxvi,    //' lulgent.   crimin.,   i.   <>n  s.iii 

quelle   rigueur   l'Eglise   punissait    ce    péché    chez    les 

1  qui  s.    \u  -i    le    concile   d'I  l  envi- 

nlonne-t-il   que  les  prêtres,  les  évêques 

ut  rendus  coupables,  ne 

i ii n n ion .  même  a    la    lin 

la  déposition  a  ■■  c  aggravation    de 

rdouin,   t.   i,   col.   25  ncile 

'  moins  sévère.   Il  -e  contente  de 

•  lui  ni  I.  i 

mon   laïque  ave.    i.,   peini 

n  cloître,  can    70,  n  i 
i,   i     m,  I  t.  mps,  i  i 

de   la   '  I 

elle 

il    qui   prendi 

i. ne,.!  adn 

Hardouin,   t.    m.   col.    1689. 

lui    déj 


n'avoir  pas  voulu  brûler  une  poésie  erotique  qu'il 
avait  composée  dans  sa  jeunesse.  Nicéphore,  H.  E., 
1.  XII.  c.  xxxiv,  P.  G.,  t.  cxlvi,  col.  860.  Cf.  Socratc. 
IL  E.,  1.  V,  c.  xxn.  P.  G.,  t.  lxvii,  col.  640. 

Le  vol  est  aussi  un  des  péchés  pour  lesquels  les 
clercs  méritaient  d'être  déposés,  selon  les  Canons  apos- 
toliques, can.  25.  Il  faut  y  joindre  la  fraude  et  le 
faux  :  si...  chartam  falsaverit,  dit  le  concile  d'Agde 
de  500,  can.  4,  Hardouin,  t.  n,  col.  1003.  Cf.  concile 
d'Orléans  de  538,  can.  8,  ibid.,  col.  1425.  L'usure  devint 
passible  de  la  même  peine.  Concile  de  Nicée  de  325, 
can.  15,  Hardouin,  t.  i,  col.  330-331;  concile  d'Elvire 
de  308,  can.  20  :  placeat  eiun  degradari,  Hardouin, 
t.  i,  col.  252;  concile  d'Arles  de  443  ou  452,  can.  14  : 
deposilus  a  clero,  Hardouin,  t.  il,  col.  774.  Cf.  Canons 
apost.,  can.  44,  P.  G.,  t.  cxxxvu,  col.  128;  concile  in 
Trullo,  can.  10. 

Le  crime  de  lèse-majesté,  dans  la  pensée  des  anciens, 
était  des  plus  odieux.  Aussi  l'Église  qui  faisait  profes- 
sion de  respecter,  autant  et  plus  que  les  païens,  l'auto- 
rité de  l'Etat  représentée  par  la  personne  de  l'empe- 
reur était  elle-même  sévère  contre  les  séditieux.  Le 
concile  de  Cartilage  de 398,  can.  67,  décide  seditionarios 
nunquam  ordinandos  clericos.  Hardouin,  t.  i,  col.  983. 
Cf.  concile  d'Agde  de  506,  can.  69,  Hardouin,  t.  n, 
col.  1005.  Les  clercs  coupables  d'outrage  à  l'empereur 
ou  aux  officiers  impériaux  seront  déposés,  disent  les 
Canons  apostoliques,  can.  b5.  P.  G.,  t.  cxxxvu,  col.  212. 
Le  IV"  concile  de  Tolède  de  633  décrète  de  son  côté 
que  les  clercs,  pris  les  armes  à  la  main  dans  une  sé- 
dition, seront  dégradés  el  enfermés  dans  un  cloître 
pour  y  faire  pénitence  :  amisso  ordinis  sui  gradu  in 
monasterium  paenitenliœ  contradantur,  can.  45,  Har- 
douin, t.  m,  col.  588. 

Outre  les  crimes  de  droit  commun,  la  déposition 
atteignait  lestantes  qui  portaient  atteinte  à  la  religion, 
notamment  l'idolâtrie.  L'idolâtrie  se  présentait  sous 
différentes  formes  :  il  y  avait  d'abord  les  sacrificati 
ou  thurijicati,  qui  prenaient  part  aux  sacrifices  des 
païens  .  les  libellatici  qui,  moyennant  de  l'argent,  obte- 
naient un  certificat  portant  qu'ils  avaient  sacrifié,  bien 
qu'ils  ne  l'eussent  pas  fait;  les  traditores  qui  avaient 
livré'  les  saintes  Écritures  ou  les  rases  sacrés,  ou  dé- 
noncé leurs  frères.  I  I  dans  ces  diverses  def'.ii  llanccs 
les  degrés  de   culpabilité   n'étaient   pas    toujours  les 

me s.  Certains  coupables  étaient  allés  de  leur  plein 

gré  à  l'autel;  d'autres  j  avaient  été  amenés  par  la 
force  el  n'avaient  succombé  qu'après  une  longue  ré- 
sistance. L'Église  étudiait  donc  chacun  des  cas  en  par- 
ticulier el  làchail  de  mesurer  le  châtiment  à  la  faute. 
.M. us  quand  il  s'agissait  des  clercs,  elle  ne  faisait  pas 
de  distinction,  elle  leur  appliquait  à  tous  uniformé- 
ment la  peine  ,1e  i.i  déposition.  C'est  ce  que  remarque 
saint  Cyprien  dans  sa  lettre  lxiv,  Ad  Epictet.  et  plebem 

Assurit.,    P.    L.,   t.    tV,    col.    391.    El    dans    une    .mire. 

..   i. xviii,   qu'il   adresse  au  clergé  el  au   peuple 

d'Espagne,  COl.   i'«»,   il   ajoute  que  c'esl  une   v 

par  le   papi    Corneille.    Piern    d  Alexandrie,  can.  10, 
_ne  que  i,,  même  discipline  étail  en  rigueur  en 
Orient.  La  lit  quelquefois  atténuée  en  ce  que 

pouvait  être  admis  à  la  communion 
laïque.  S.  Cyprien,  Epist.,  i  n.  •"'  Antonianum,  /'.  /... 
i.  iv.  col.  345.  Cf.  concile  d'Ancyre  de  :;ii.  can.  l, 
Hardouin,  t.  i,  col.  271 . 

limant    les    pi ;ra    siècles,    l'Eglise    ne    courut 

aucun  péril  i^'\  coi.'  du  judaïsme.  M. us.  l'ère  des  pér- 
inée, un  e.  ci, un   n,, mi, i  e  il,'  chrétiens 
•  ni  i  .lin  i  avec  lea  Juifs  dana  des  relations  qui 
mirent  la  pureté  de  leur  foi.  Ils  allèrent  jusqu'à 

brer  li  juive,    i  nus  les  clen 

surent  pas  échappei  a  e,  tte  •  ris. 

Pour  mal.  les  ■  rappè- 

cent  les  coupables  de  la  peine  de  la  déposition,  can.  •>'» 


475 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


176 


cl  70.  /'.  <<'.,  t.  cwnvii,  col.  164,  ISO.  Le  concilo  «l'An - 
tioche  de  341  avail  déjà  menacé  du  même  châtiment 
ceux  qui  célébraient  avec  les  .luifs  la  fête  de  Pâques, 
can.  I.  Hardouin,  t.  r,  col.  593.  Le  péril  ne  fut  pas  en- 
tièrement  conjuré,  carie  concile  in  Trullo  de 692  eut 
encore  à  édicter  les  mômes  pénalités,  can.  1,  Har- 
douin, t.  m,  col.  1664. 

Il  est  une  autre  pratique  qui  rappelle  le  rite  judaïque 
et  que  l'Église  adopta  comme  une  loi  dont  la  violation 
constituait  une  faute  grave  :  c'est  la  défense  de  manger 
le  sans;  des  animaux.  Cf.  Act.,  xv,  28-29.  Terlullien, 
Apolog.,  C.  ix,  P.  />■,  t.  I,  col.  323;  Clément  d'Alexan- 
drie, Psedagogus,  1.  III,  c.  m,  P.  G.,  t.  vm,  col.  592;  le 
concile  de  Gangres  de  350,  can.  2,  Hardouin,  1. 1,  col.  533; 
Eusèbe,  H.  E.,  1.  V,  c.  i,  P.  G.,  t.  xx,  col.  420,  témoi- 
gnent qu'elle  était  en  vigueur  au  ine  et  au  ivE  siècle. 
Peu  à  peu  elle  tomba  en  désuétude.  Saint  Augustin 
marque  qu'elle  est  en  décadence.  Contra  Faustùm, 
1.  XXXII,  c.  xni,  I'.  L.,  t.  xi. ii,  col.  503.  En  vain  le 
concile  d'Orléans  de  533,  can.  20,  Hardouin,  t.  n,  col.  176, 
et  le  pape  Grégoire  III,  Judïcia,  c.  xxix,  Hardouin, 
t.  m,  col.  1876,  essayèrent  de  la  maintenir,  en  édictant 
certaines  peines  contre  ceux  qui  la  violeraient.  Balsa- 
mon  atteste  que  de  son  temps  elle  était  oubliée.  Com- 
ment, ad  can.  apostol.,  can.  63,  P.  G.,  t.  cxxxvn, 
col.  165.  Mais  à  l'origine  et  jusqu'en  plein  VIIe  siècle 
les  Orientaux  punirent  de  la  peine  de  la  déposition  les 
clercs  qui  auraient  osé  manger  y.çïa  èv  atixart,  Canons 
apost.,  can.  63,  ou  comme  parle  le  concile  in  Trullo, 
xt|j.a  Çtio-j,  can.  67,  Hardouin,  t.  m,  col.  1685. 

L'Église  avait  à  se  défendre  non  seulement  contre  le 
paganisme  et  le  judaïsme  à  l'extérieur,  mais  encore 
contre  l'hérésie  et  le  schisme  à  l'intérieur.  Tertullien, 
saint  Cyprien,  saint  Jérôme  et  en  général  les  Pères  re- 
gardent le  schisme  et  l'hérésie  comme  le  crime  le  plus 
horrible  que  puissent  commettre  les  fidèles,  à  plus 
forte  raison  les  clercs.  Le  concile  de  Carthage  de  398 
interdit  aux  catholiques  «  de  prier  ou  de  psalmodier 
avec  les  hérétiques.  »  Can.  10,  Hardouin,  t.  i,  col.  983. 
Cf.  concile  de  Laodicée,  can.  9  et  32,  Hardouin,  t.  i, 
col.  787.  Et  les  Canons  apostoliques,  can.  65,  menacent 
de  la  déposition  les  clercs  qui  ont  avec  eux  commu- 
nicalio  in  sacris.  P.  G.,  t.  c.xxxvn,  col.  168.  Du  reste, 
on  sait  que  nombre  d'églises  particulières  ont  pendant 
quelque  temps  considéré  comme  non  valides  les  sacre- 
ments administrés  par  les  hérétiques.  Une  consé- 
quence de  cette  discipline  fut  que,  si  un  évêque  ou  un 
prêtre  catholique  reconnaissait  la  validité  de  tels  sa- 
crements, il  commettait  une  faute  grave;  les  Canons 
apostoliques,  can.  47,  portent  contre  lui  la  peine  de  la 
déposition.  Ibid.,  col.  132.  Il  va  sans  dire  qu'un 
évêque  ou  un  prèlre  qui  aurait  reçu  le  baptême  de  la 
main  d'un  hérétique  et  serait  parvenu  subrepticement 
aux  ordres  devait  être  déposé.  Concile  de  Nicée,  can.  19, 
Hardouin,  t.  i,  col.  331. 

La  divination,  le  sortilège,  les  augures,  l'astrologie, 
la  magie,  bien  que  d'origine  païenne,  offrent  quelque 
analogie  avec  l'hérésie.  Le  concile  de  Carthage  de  398 
estime  que  ceux  qui  s'en  rendent  coupables  doivent 
être  exclus  a  convenlu  Ecclesiœ,  can.  89,  Hardouin,  t.  i, 
col.  984-986.  Cf.  concile  d'Agde  de  506,  can.  42,  Hardouin, 
t.  n,  col.  1003;  concile  d'Ancyre  de  314,  can.  24,  Har- 
douin, t.  i,col.  279.  A  l'origine,  la  peine  de  l'excommu- 
nication les  frappe  tous  indistinctement,  qu'ils  soient 
clercs  ou  laïques.  Cf.  Concile  de  Chalcédoine  de  151, 
act.  X,  Hardouin,  t.  n,  col.  517;  concile  d'Orléans  de 
511,  eau.  30,  Ibid.,  col.  1012.  Mais  plus  lard,  du  moins 
en  Espagne,  les  clercs  qui  s'adonnaient  à  la  magie,  au 
sortilège, à  la  divination,  etc.,  furent  condamnés  à  la  dé- 
position. Concile  de  Tolède  de  633,  can.  29.  Hardouin, 
l.  m,  col.  586. 

Les  encralites  et  les  manichéens  poussaient  les  lois 
de    l'abstinence,  du  jeûne  et    de   la  continence  à  une 


rigueur  que  l'Église  réprouva  toujours.  Le 
apa  toliquei  supposent  que  certains  clercs  tombèrent 
(lui-  ces  excès.  On  prononça  contre  eux  la  peine  de  la 
déposition.  Can.  51,66  et  69,  /'.  G.,  t.  exxxvn,  col.  112. 
169,  176.  Cf.  concile  de  Gangres.  cm.  19,  20,  Hardouin, 
t.  i,  col.  537;  concile  in  Trullo,  de  692,  can.  15,  Har- 
douin, t.  ni,  col.  1681. 

Les  jeux  de  dés,  les  spectacles,  les  jongleries,  les 
mimes,  les  danses  obscènes  que  le  paganisme  avait 
religieusement  entretenus  s'infiltrèrent  malheureuse- 
ment dans  la  société  chrétienne.  L'Eglise  les  interdit 
sévèrement  à  tous  ses  membres,  à  plus  forte  raison  au 
clergé.  Le  concile  d'Agde  de  506  déclare  que  «  le  clerc 
bouffon  ou  jongleur  doit  être  déposé,  c.  ab  officie  retra- 
hendum,  can.  70,  Hardouin,  t.  il,  col.  1005.  Certains 
jeux  sont  punis  de  la  même  peine.  Concile  in  Trullo, 
can.  50,  Hardouin.  t.  in,  col.  1681;  cf.  can.  24,  ibid., 
col.  1669. 

Indiquons  maintenant  les  fautes  qui  sont  propres 
aux  clercs,  les  fautes  professionnelles. 

En  première  ligne  viennent  celles  que  les  évêques 
peuvent  commettre  soit  pour  obtenir  leur  dignité, 
soit  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions. 

Dans  l'antiquité,  les  fidèles  avaient  part,  aussi  bien 
que  les  clercs,  à  l'élection  des  évêques.  Une  fois  élus. 
ceux-ci  devaient  être  sacrés  par  un  de  leurs  collègues. 
Le  nombre  d'évéques  dont  la  présence  était  nécessaire 
pour  la  licite  du  sacre  fut  d'abord  un  peu  flottant.  Les 
Constitutions  apostoliques,  1.  III,  c.  xx,  P.  G.,  t.  i, 
col.  804,  et  les  Canons  apostoliques,  can.  1er,  P.  G., 
t.  exxxvn,  col.  36,  se  contentent  de  deux  ou  trois.  Le 
concile  d'Arles  de  314  en  exige  sept,  ou  en  cas  d'impos- 
sibilité, au  moins  trois,  can.  20.  Hardouin,  t.  i,  col.  266. 
Le  concile  de  Nicée  est  plus  exigeant  encore  :  tous  les 
évêques  de  la  province  devront  assister  au  sacre  de  leur 
nouveau  collègue;  ceux  qui  en  seraient  empêchés  enver- 
ront par  écrit  leur  adhésion,  can.  i,  Hardouin,  t.  i, 
col.  323.  Le  concile  d'Antioche  de  341  prescrit  au  métro- 
politain de  convoquer  tous  ses  collègues  pour  la  cérémo- 
nie: la  majorité  au  moins  devra  y  assister  ou  y  adhérer 
par  écrit,  can.  19,  Hardouin,  t.  i,  col.  601.  Les  conciles 
de  Sardique  de  313  can.  6,  et  de  Laodicée  de  343-381, 
can.  12,  renouvelèrent  les  prescriptions  de  Nicée.  Har- 
douin, t:  i,  col.  639,  783.  Mais  on  finit  par  trouver  cette 
discipline  trop  sévère  et  on  revint  au  nombre  trois, 
qui  était  le  chiffre  originel.  Concile  de  Carthage  de 
390,  can.  2,  Hardouin,  t.  i,  col.  954;  concile  d'Arles  de 
452,  can.  5,  Hardouin,  t.  n,  col.  773.  11  fut  entendu  que 
la  nomination  d'un  évêque  qui  ne  réunirait  pas  ces 
deux  conditions  :  élection  parles  fidèles  et  les  clercs 
réunis,  sacre  par  le  métropolitain  assisté  des  évêques 
delà  province  (au  moins  deux',  ne  serait  pas  ratifié 
par  l'Église,  nulla  ratio  sinil  ut  inter  episcopos  habea- 
lur.  La  déposilion  suivait  immédiatement  le  sacre. 
Epist.,  ci. xvn,  de  saint  Léon  à  Rustique  de  Narbonne, 
c.  i,  P.  L.,  t.  i.iv,  col.  1203. 

C'est  ainsi  que  le  concile  de  Riez  de  'i39  di 
Armentarius  qui  avail  été  placé  sur  le  siège  d'Embrun 
et  sacré  par  deux  évêques  seulement,  can.  3,  Hardouin, 
t.  i,  col.  1749.  Le  concile  d'Orange  de  441  frappe  de 
la  peine  de  déposition  les  deux  évêques  (lui  oseraient 
procéder  au  sacre  en  de  pareilles  conditions,  can.  21. 
ibid.,  col.  1785. 

Une  fois  sacré,  l'évêque  avait  contracté  avec  son 
église  une  alliance  indissoluble.  Passera  un  autre  - 
constituait  une  sorte  d'adultère,  comme  parle  s.<inl 
Cyprien.  Sous  l'influence  des  empereurs,  cependant,  on 
\il  nombre  d'évéques  quitter  leur  église  pour  une  au  lie. 
Les  conciles  autorisèrent  ces  sortes  de  translations,  à  la 
condition  qu'elles  fussent  faites  dans  l'intérêt  général 
et  non  pour  satisfaire  l'ambition  des  particuliers.  Cf. 
nons  apost.,  can.  II.  7'.  G.,  I.  exxxvn,  eol.  61;  concile 
de  Carthage  de  398,  eau.  27.  Hardouin.  t.  i.  col.  9" 


477 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES    CLERCS 


478 


Gratien,  cuis.  VII,  q.  i,  c.  37.  Le  concile  d'Anlioche  de 
341,  can.  16,  Hardouin,  t.  i,  col.  599,  et  le  concile  de 
Sardique  de  343,  can.  1,  ibid.,  col.  637,  édictèrent  la 
peine  de  la  déposition  contre  les  évéques  qui  abandon- 
neraient leur  église  pour  une  autre  sans  motif  grave. 

Les  diocèses  ecclésiastiques  formaient  une  unité  indi- 
visible. Les  conciles  de  Chalcédoine  de  fôl,  can.  12, 
Hardouin,  t.  n,  col.  605,  et  de  Tolède  de  681,  can.  4, 
Hardouin,  t.  in,  col.  -1720,  supposent  qu'ils  étaient  par- 
fois abusivement  divisés.  Un  nouvel  évoque  prenait 
possession  d'une  partie  d'un  diocèse  dont  le  siège  était 
légitimement  occupé.  On  formula  contre  l'intrus  et 
contre  celui  qui  l'avait  ordonné  la  peine  de  la  déposi- 
tion; lani  ordinans  quam  ordinatusgradumsui hono- 
ris perdat,  dit  le  concile  de  Tolède. 

Ceux  qui  occupaient  par  la  violence,  fùt-ee  par 
l'appui  de  la  puissance  impériale,  les  sièges  déjà  établis, 
étaient  considérés  comme  intrus.  Les  Canons  aposto- 
liques, can.  31,  P.  G.,  t.  cxxxvn,  col.  96,  et  le  concile 
d'Orléans  de  549,  can.  1,  Hardouin,  t.  n,  col.  1445,  les 
condamnent  à  la  déposition  :  ab  adepto  episcopatus 
honore  in  perpetuum  deponatur,  dit  le  concile  d'Or- 
léans. 

La  simonie  fut  toujours  regardée  dans  l'Église  comme 

un  crime  ignoble.  Act.,  vm,  18-24.  Elle  ne  semble  pas 

avoir  fait  de  bonne  heure  son  apparition  dans  le  cler- 

-i  l'on  en  croit  Tertullien,  Apologet.,  c.  xxxix,  P.  L., 

i.  n,  col.  469-470.  Au  iv«  siècle,  saint  Basile  la  signale 

(buis  son  Epist.,  lui,  aux  chorévéques,  P.  G.,  t.  xxxn, 

col.  397.  Il  n'est  pas  facile  de  savoir  s'il  applique  aux 

simoniaques  la  peine  de  la  déposition  ou  simplement 

la  suspense.  .Mais  le  concile  de  Chalcédoine  de  451  est 

précis;  les  clercs  qui  achètent   les  dignités  ecclésias- 

liques  et  les  évoques  qui  les  leur  confèrent  seront  dé- 

s,  can.   2,    Hardouin,    t.  n,  col.  601.  Le  concile  de 

tantinople  de     159,    Epist.    encyclic.    ad    omnes 

ropolilas,   Hardouin,  I.   n,  col.   781,  et  le  concile 

in  Trullo  de  692,  can.  22,  Hardouin,   t.    ni,  col.  1669, 

renouvelèrent  ces   prescriptions;    les  empereurs   eux- 

mes  les  consacrèrent  par  leurs  lois.   Cod.  Théod. 

I.  III.  De  episcop.  et  cleric.,  31;  Novell,  cxxiii,  c.  i; 
Cf.    Novell.,  CXXXVII,    c.    n.  Sur  ce  point   l'Occident  fil 
éebo  à  l'Orient.  Concile  d'Orléans  de  533,  can.  i,  Har- 
douin, t.  n,  col.  I17i;  concile  de  Tolède  de  633,  can.  I'.'. 
Hardouin,  t.  ni,  col.  581  sq. 
Pour  le  bon  ordre  de  i.,  discipline  ecclésiastique,  il 
naturel  que  l'ordinaire  seul  pûl  conférer  les  ordres 
diocésains.  Démétrius  d'Alexandrie  se  plaignit  à 
juste  titre  que   les  évéques  Alexandre,  de  Jérusalem, 
»enl  ordonné  prêtre  le  fa- 
raeu  .   qui  n'appartenait  pas  à  leurs  églises. 

Le  même  al  •  ncontrer  en  Occident,  car  le 

concile  d'Elvire,  des  environs  de  300,  crul  nécessaire 
de  le  réprouver,  can.  24,  Hardouin,  i.  i.  col.  253.  Le 
concile  de  Nicée  décida  que  les  clercs  ainsi  ordonnés 
uspens  jn  squ'au  jour  où  leur  propre  évéque 
nplir  buis  fonction-,  can.  16,  Har- 
douin   t.  i.  col  329   Cf.  I  Suspension  dei 

ir  n  étail  atteint 
indirecterm  ni.  Le  concile  d'Anlioche  di 
ippa  de  la  d.  position,  can.  13,   Hardouin 

anont   apostoliques, 
■  n.  col. 112,  inlligentla  m 

ordonné.  I 
irdique  d<  i    15.  Hardouin, 

de  Carthage  de  348,  can.  5, 
el  le  pape  lue  |ans  ta  h 

rigueur,  i  ■ 

ni    un     m     i  m.   15,    Hardouin,  : 
fui  rédu 


léans  de  549,  can.  5,  ibid.,  col.  1444.  Gratien  inséra  dans 
son  décret  le  canon  du  concile  de  538.  Caus.  VIII,  q.  i. 
c.  28.  Les  Décrétales  marquèrent  la  peine  sous  forme 
de  suspensio  a  collalione  ordinum  pendant  un  an. 
Sext.  Décret.,  1.  I,  tit.  ix,  De  tempor.  ordinat.,  c.  2. 
Cf.  Concile  de  Trente,  sess.  XXIII,  c.  vm,  De  reform. 

Les  rebaptisations  et  les  réordinations  furent  aussi 
réprouvées  dès  l'origine.  Cf.  textes  de  saint  Augustin 
et  de  saint  Léon,  dans  Gratien,  caus.  I,  q.  i,  c.  27,  De 
consecrat.,  dist.  IV,  c.  108,  112;  Codex  canon.  Eccle- 
siae  Afric,  can.  8,  Hardouin,  t.  I,  col.  886,  ;etc.  Les 
Canons  apostoliques  frappaient  de  la  déposition  les 
évéques,  les  prêtres  et  les  diacres  qui  enfreindraient  à 
cet  égard  les  prescriptions  de  l'Église,  can.  17  et  68 
7'.  G.,  t.  cxxxvn,  col.  132,  174.  Cf.  Félix  III,  Epist!, 
ix,  ad  univers,  episcop.,  c.  il,  dans  Hardouin  t  u 
col.  833.  '      ' 

Une  des  principales  obligations  des  clercs  majeurs 
est  le  célibat.  Il  n'en  fut  pas  ainsi  à  l'origine.  Jusqu'au 
IVe  siècle  le  célibat  est  en  honneur  chez  les  clercs,  mais 
il  n'est  pas  obligatoire.  Cf.  sur  ce  point  Vacandard,  Les 
origines  du  célibat  ecclésiastique,  dans  Études  de  cri- 
tique et  d'histoire,  3«  édit.,  Paris,  1907,  p.  71-120,  et  art. 
Célibat.  Même  à  partir  du  iy>  siècle,  la  discipline  ne 
fut  pas  absolument  uniforme  en  Orient  et  en  Occident. 

En  Orient,  on  autorisa  les  clercs  mariés  à  conserver 
leur  femme,  mais  on  leur  interdit  de  contracter  mariaee 
après  leur  ordination.  Const.  apost.,  1.  VI,  c.  xvii 
P.  G.,  t.  i,  col.  957-958.  Le  concile  de  Néocésarée  de  413 
ordonne  la  déposition  contre  un  prêtre  qui  se  marie- 
rait, can.  1,  Hardouin,  t.  I,  col.  281.  Et  le  concile  d'Ancyre 
de  314  étend  celte  peine  aux  diacres,  can.  10,  ibid., 
col.  275.  Il  n'est  pas  fait  mention  des  évéques.  Le  cas  ne 
se  présentait  sans  doute  pas.  L'usage,  du  reste,  que  les 
évéques  vécussent  dans  le  célibat  finit  par  prévaloir. 
Le  concile  in  Trullo  de  692  consacra  cet  ordre  de  choses 
el  décida  que  le  clerc  marié  qui  parviendrait  à  l'épis- 
copat  devrait  se  séparer  de  sa  femme.  Par  contre,  les 
prêtres,  les  diacres  et  les  sous-diacres  mariés  devaient 
garder  leurs  épouses.  «  Si  quelqu'un  osait,  en  dépit 
des  canons  apostoliques,  priver  un  prêtre,  un  diacre  ou 
un  >ous-diacre  des  droits  qu'il  a  sur  son  épouse  légi- 
time, qu'il  soit  déposé.  Semblablcment,  si  quelque 
prêtre  ou  diacre  rejetait  son  épouse  sous  prétexte  de 
piété,  qu'on  l'excommunie;  et  s'il  persévère  (dans  sa 
faute),  qu'on  le  dépose,  «  can.  13.  Hardouin,  t.  m, 
col.  1665.  Cf.  Can.  apost.,  canons  5,  P.  c,.y  t.  cxxxvn' 
col.  \  i. 

En  Occident,  nous  rencontrons  une  discipline  plus 
e.   Dès   l'an  300,  le  concile  d'Elvire   punit  de  la 
déposition  tous  les  clercs  majeurs  qui  continueraient 
de   cohabiter    avec   leurs    femmes.    Placuit    in    totum 
prohib  opis,  presbyteris  el  diaconibus  vel omni- 

bus clericis  posxtis  in  ministerio  obstinera  se  a  c<m- 
jugibus  suis  et  non  generare  fdios ;  quicumque  vero 
fecerii   <d>  honore  clericatus  exterminelur,  can.  .",:i. 
Hardouin,  i.    i,  col.  2."»:;  sq.  Le  pape  Sirice  (385-398) 
renouvelle  celle  prescription   dans  sa  lettre  a  Min. 
évéqne  de  Terragone,  e.   vu,    Schœnemann,    op.    cit.', 
p-    H0;    Innoci  m    [•«  fait   de  même  dans  s;,  |eiti 
Exupère   de    Toulouse,   n.    2-4.    Schœnemann,    il>id., 
)'■  541.   En   Afrique,  on  constate  une  discipline  sem- 
blable  en  MM,  concile  de  Carthage,  can.  8,  Hardouin 
I.    I.  col.   987  ;   el   . n  m,  il,    d'i  11  i'd' 

il    1786;  i  oni  ili   <i  V  .h   de  501 
Hardouin,   t.   n,  col.  999;  concile  .b-  Maçon,  de  581,' 
cm.    II.  Hardouin.  I.   m.    col.   152.  En  ce   qui    regarde 
il  j  cul  quelque  tâtonnement.  Le  con« 
elle  de  Cai  tha(  e  di    101  ne  leur  iui|  m<  ni  pas 

l'obligation    d,-   renoncer    .<    leurs    droit 
cm.  3,  Hardouin,  i.  i,  col.  '.',-7    i  •         omnU 

ii'i  hue  lea  con- 
douteux.  i  n  toi  partir  di 


W9 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


480 


saint  Léon  (440-461)  ils  sont  rangés  décidément  parmi 
les  clercs  majeurs  et  soumis  aux  mêmes  obligations. 
Epist.,  xiv,  ail  Anastas.  Thessalonic.,  c.  iii-iv,  dans 
Gratien,  <îist.  XXXII,  c.  1.  Saint  Grégoire  le  Grand  le 
rappelle  dans  une  de  ses  lettres,  I.  III,  epist.  XXXIV, 
dans  Gratien,  dist.  XXXII,  c.  2. 

Pendant  les  persécutions  nous  avons  vu  les  clercs 
déposés  comme  traditores.  Ils  furent  également  mena- 
cés de  la  déposition  pour  reniement  de  leur  dignité 
sacerdotale  :  ec  os  xai  o'ioy.»  tvj  xXriptxoû  (apvvjcnrjTa!), 
■/ca6atp£i(j0(.>,  disent  les  Canons  apostoliques,  can.  62, 
P.  G.,  t.  cxxxvn,  col.  160. 

Les  mêmes  canons  remarquent  que,  de  leur  temps, 
circulaient  nombre  de  livres  bibliques  apocryphes.  On 
sait  comment  les  gnostiques  altéraient  les  Ecritures. 
Il  y  avait  danger  à  laisser  circuler  des  ouvrages  qui 
pouvaient  compromettre  la  foi  des  fidèles.  La  déposi- 
tion frappa  les  clercs  qui  publiaient  ces  livres  pseudé- 
pigraphes,  comme  parlent  les  Canons  apostoliques, 
can.  00,  ibid.,  col.  156. 

Les  hérésies  sur  la  trinité  attirèrent  aussi  particu- 
lièrement l'attention  de  l'Eglise.  Elle  veillait  avec  un 
soin  jaloux  et  inquiet  sur  les  rites  du  baptême  qui 
caractérisaient  la  doctrine  orthodoxe.  La  déposition  fut 
donc  prononcée  contre  les  clercs  qui  altéreraient  la 
formule  baptismale  :  «  Au  nom  du  Père  et  du  Fils  et 
du  Saint-Esprit,  »  ou  qui,  au  lieu  de  la  triple  immersion 
usitée,  n'en  emploieraient  qu'une  seule,  comme  les 
eunoméens.  Cf.  Sozomène,  H.  E.,  1.  VI,  c.  xxvi,  P.  (',., 
t.  i.xvii,  col.  1361  ;  Canons  apost.,  can.  49  et  50,  P.  G., 
t.  cxxxvn,  col.  136,  137. 

On  peut  s'étonner  que  certains  prêtres,  diacres  ou 
sous-diacres  aient  omis,  habituellement  et  par  manie, 
<ie  réciter  dans  leur  office  de  chaque  jour  l'oraison  do- 
minicale. Le  concile  de  Tolède  de  633  les  menace  de  la 
déposition,  can.  10,  Hardouin,  t.  ni,  col.  582.  Même 
peine  est  infligée  à  ceux  qui,  résidant  dans  une  loca- 
lité, négligeraient  d'assister  à  la  messe  quotidienne,  si, 
après  une  admonestation,  ils  ne  donnent  pas  satisfac- 
tion à  leur  évêque.  Concile  de  Tolède  de  400,  can.  5, 
Hardouin,  t.  i,  col.  990. 

La  résidence  était  obligatoire  pour  les  évèques  et  tous 
ceux  qui  avaient  charge  d'âmes.  Mais  dès  que  les  em- 
pereurs furent  devenus  chrétiens,  on  vit  trop  facile- 
ment affluer  à  leur  cour  les  prélats  ambitieux.  Les 
conciles  d'Anlioche  de  341  et  de  Sardique  de  343  se 
plaignirent  de  cet  abus;  celui  d'Antioche  prononea 
même  la  peine  de  la  déposition  contre  les  évêques  et 
les  prêtres  qui  se  présenteraient  à  la  cour  sans  autori- 
sation de  leur  métropolitain  ou  de  leur  ordinaire, 
can.  11,  Hardouin,  t.  1,  col.  597.  Cf.  concile  de  Sardique, 
can.  8,  ibid.,  col.  641.  Certains  évèques  manquaient 
d'ailleurs  autrement  à  la  résidence.  L'empereur  Justi- 
nien  leur  rappela  les  canons  qui  interdisaient  ces 
absences  non  motivées  de  leur  diocèse  et  prononea 
contre  ceux  qui,  après  avertissement,  ne  rentreraient 
pas  chez  eux  la  peine  de  la  déposition.  Novell.,  vi.c.  n  : 
expellalur  a  sacro  episcoporum  choro.  Les  absences 
des  prêtres  et  des  diacres  reçurent  aussi  leur  châti- 
ment. Le  concile  d'Agde  de  506  décide  que  ceux  qui 
n'assisteraient  pas  dans  leur  paroisse  aux  fêtes  solen- 
nelles de  la  Nativité,  l'Epiphanie,  Pâques  et  la  Pente- 
côte, seraient  «  exclus  pour  trois  ans  de  la  commu- 
nion, »  can.  64,  Hardouin,  t.  il,  col.  1005.  Les  Canons 
apostoliques,  can.  68,  /'.  G.,  t.  cxxxvn,  col.  173,  donnent 
à  entendre  que  des  absences  trop  prolongées  entraî- 
naient même  la  déposition.  Une  négligence  notoire 
des  devoirs  professionnels  équivalait  à  la  désertion.  Le 
concile  de  Cartilage  de  398,  can.  50,  Hardouin,  t.  i. 
col.  982,  et  le  concile  d'Orléans  de  533,  can.  I  i.  Hardouin, 
t.  n,  col.  1 175,  menacent  de  la  déposition  ceux  qui  s'en 
rendent  coupables.  Quitter  son  diocèse  pour  s'attacher 
à   un   autre   ('tait   une    désertion    véritable.   Le  concile 


d'Arles  de  ::ii,  can.  21,  Hardouin,  t.  i,  col.  266.  et  les 
Canons  apostoliques,  can.  15,  /'.  G.,  t.  cxxxvn,  col.  68, 
li  punissent  comme  telle  par  la  déposition.  Le  concile 
d'Antioche  de  341  décide  seulement  que  la  peine  ne 
sera  applicable  qu'après  une  sommation  de  l'évèque 
pour  faire  rentrer  les  déserteurs  à  leur  poste,  can.  3, 
Hardouin,  t.  i.  col.  593.  Cf.  concile  de  Cbalcédoine  de 
151,  can.  10,  Hardouin,  t.  Il,  col.  605. 

I  siirper  les  fonctions  d'un  ordre  •supérieur  était  réputé 
faute  grave.  Le  concile  de  Sardique  déposa  Eutychien  et 
Musée  qui,  sans  être  sacrés,  avaient  osé  conférer  les 
ordres,  can.  9,  Hardouin,  1. 1,  col.  651.  Les  mêmes  prin- 
cipes régnaient  en  Occident,  comme  on  le  voit  par  une 
décision  du  pape  Gélase.  Epist.,  v,  ad  episcopos  Luca- 
nise,  c.  vi,  Hardouin,  t.  n,  col.  900,  et  par  un  canon  du 
concile  de  Bragade563,  can.  19,  Hardouin,  t.  m,  col.  352. 

L'Eglise  avait  son  for  à  elle,  reconnu  par  l'Etat.  Cer- 
tains clercs  dédaignaient  de  s'y  soumettre  et  recouraient 
au  for  civil.  Le  concile  de  Cbalcédoine  de  451  s'élève 
contre  cet  abus  et  demande  l'application  des  peines 
canoniques  à  ceux  qui  faisaient  si  peu  de  cas  du  for 
ecclésiastique,  can.  9,  Hardouin,  t.  n,  col.  605.  Et  ces 
peines  n'étaient  autres  que  la  déposition,  si  l'on  en  juge 
par  le  concile  de  Carthage  de  397,  can.  9,  Hardouin, 
t.  i,  col.  962,  et  par  le  Codex  des  canons  de  l'Église 
d'Afrique,  can.  104,  ibid.,  col.  923.  Les  simples  marques 
de  mépris  pour  l'évèque  entraînaient  la  déposition 
d'après  les  Canons  apostoliques  :  ='.  tiç  x).ïipwô;  û6pt'Çei 
t'jv  iiu'cr/.oTtov,  xa0atpsfcr6a>,  can.  55,  P.  G.,  t.  cxxxvn. 
col.  149. 

En  retour,  les  évêques  ou  les  prêtres  qui  maltrai- 
taient leurs  subordonnés  s'attiraient  un  châtiment.  Il 
fut  un  temps  où  dans  certaines  églises  on  frappait  les 
lideles  qui  se  rendaient  coupables  de  quelque  faute. 
Les  Canons  apostoliques  attestent  cet  usage  et  le  ré- 
prouvent comme  contraire  à  la  mansuétude  évangé- 
lique;  ils  attachent  même  à  ces  violences  la  peine  delà 
déposition,  can.  28,  P.  G.,  t.  cxxxvn.  col.  92.  Evèques, 
piètres  et  diacres  se  trouvent  atteints  par  cette  me- 
sure. Cf.  Novell.,  CXXIII,  c.  11;  dist.  XLV.  c.  1.  Une 
autre  manière  d'atteindre  les  clercs  était  de  les  priver 
de  leur  part  des  offrandes  et  de  les  réduire  à  l'indi- 
gence. Les  évèques  et  les  prêtres  qui  abusaient  de  ce 
mode  de  punition  devaient  être  déposés.  Canons  apost., 
can.  59,  P.  G.,  t.  cxxxvn,  col.  153.  La  dureté  excessive 
des  évêques  et  des  prêtres  à  l'égard  des  pénitents  qui 
demandaient  à  rentrer  dans  l'Église,  était  pareillement 
menacée  delà  déposition,  au  moins  en  certaines  églises. 
Cf.  Canons  apost.,  can.  52,  ibid.,  col.  144. 

Nous  arrivons  maintenant  aux  actes  qui  étaient  non 
seulement  permis,  mais  encore  recommandés  aux 
laïques  et  qui  étaient  interdits  aux  clercs.  Tel  est 
d'abord  l'exercice  de  la  justice  criminelle.  Les  clercs 
n'ont  pas  le  droit  d'assister  a  la  torture,  ni  aux  juge- 
ments de  sang,  ni  à  l'exécution  des  condamnés.  Cf. 
concile  d'Auxerre  de, 578,  can.  33,  3i,  Hardouin,  t.  ni. 
col.  410.  Cependant  les  princes  s'en  remirent  quelque- 
fois aux  prêtres  et  aux  évèques  pour  ju  rimi- 
nels  à  leur  place.  Le  concile  de  Tolède  de  633  le  con- 
state et  menace  de  la  déposition  les  clercs  qui  se 
prêteraient  ainsi  aux  desseins  de  l'autorité  civile, 
cm.  31,  ibid.,  col.  587,  dans  Gratien, caus. XXIII, q.  vin, 
c.  29.  Cf.  concile  de  Tolède  de  675,  can.  6,  ibid., 
col    1026;  Gratien,  ibid.,  c.  30. 

Cette  horreur  que  l'Église  éprouvait  pour  l'effusion 
du  sang  lui  fit  interdire  à  ses  clercs  le  service  mili- 
taire. Elle  excluait  des  ordres  ou  du  moins  des  ordres 
majeurs  ceux  qui  avaient  porté  les  armes.  Cf.  S.  Inno- 
cent I".  Epist.,  m,  ad  episcop.  in  synodo  Tôle  tan., 
c.  îx  ;  concile  de  Tolède  de  MX),  can.  8,  Hardouin,  t.  i. 
col.  991.  Ces  deux  textes  sont  dans  Gratien.  dist.  LI, 
c.  I.  'i.  l.a  cléricature  et  le  service  du  soldat  sont  in- 
compatibles, disent   les  Cumins  apostoliques,  can.  8;!. 


481 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES    CLERCS 


482 


P.  G.,  t.  cxxxvn,  col.  208.  Le  concile  de  Chalcédoine  de 
451  frappe  de  l'excommunication  les  clercs  qui  aban- 
donneraient leur  poste  pour  l'armée,  can.  7,  Hardouin, 
t.  il,  col.  603,  et  le  concile  d'Angers  de  453,  can.  7, 
ibid.,  col.  779,  les  menace  de  la  déposition. 

Les  magistratures  civiles  étaient  également  considé- 
rées comme  incompatibles  avec  le  service  des  autels. 
Les  Carions  apostoliques,  can.  81,  P.  G.,  t.  cxxxvn, 
col.  20i,  veulent  que  les  clercs  qui  les  exercent  soient 
déposés.  On  trouve  pourtant  une  exception  à  cette  règle 
dans  l'histoire  de  saint  Jacques  de  Nisibe,  qui  se  met 
a  la  tête  de  la  cité  pour  la  défendre  contre  les  Perses, 
et  qui  mérite  cet  éloge  qu'il  était  aussi  excellent  «  stra- 
tège qu'excellent  évéque.  »  Tbéodoret,  11.  E.,  1.  II, 
c.  xxvi,  P.  G.,  t.  lxxxii,  col.  1077. 

Nombre  de  fonctions  civiles  d'ailleurs  bonorables 
étaient  également  interdites  aux  clercs. Ils  ne  pouvaient 
être  tuteurs,  cf.  Epiât.,  lxvi,  de  saint  Cvprien  au 
peuple  de  Furni,  P.  L.,  t.  iv,  col.  398;  exécuteurs  de 
aments  ou  légataires  universels,  concile  de  Car- 
thage  de  398,  can.  18,  Hardouin,  t.  i,  col.  980;  admi- 
nistrateurs de  biens  ou  de  maisons,  concile  de  Car- 
tilage de  348,  can.  6;  cr.  can.  9,  ibid.,  col.  08G  sq.; 
concile  de  Chalcédoine  de  451,  can.  3,  Hardouin,  t.  n, 
col.  001;  à  plus  forte  raison  ne  pouvaient-ils  se  livrer 
au  commerce  et  vendre  ou  acheter  dans  les  foires. Con- 
cile  d'Elvire  de  300,  can.  19,  Hardouin,  t.  i,  col.  252; 
concile  de  Carlhage  de  397.  can.  15,  ibid.,  col.  963^ 
Toutes  les  infractions  à  ces  lois  ecclésiastiques  étaient 
passibles  de  la  peine  de  la  déposition.  Canons  apost., 
can.  7  et  20,  P.  G.,  t.  cxxxvn,  col.  i8,  70;  concile  de 
Cartilage  de  .'lis.  can.  (i.  Hardouin,  t.  i,  col.  086;  con- 
cile d'Arles  de  152,  can.  14,  Hardouin,  t.  h,  col.  774.  Par 
exception  cependant,  le  concile  de  Cbalcédoine  de  451 
autorise  les  clercs  h  être  tuteurs  des  veuves  et  des  or- 
phelins, can.  3,  Hardouin,  t.  n,  col.  601. 

Enfin  les  conciles  prévoient  le  cas  où  leurs  prescrip- 
tions canoniques  seront  considérées  comme  non  ave- 
mie-  par  |r>  membres  du  clergé.  De  tels  contempteurs 
doivent  être  déposés,  disent  le  concile  de  Cartilage  de 
can.  M.  Hardouin.  t.  i,  col.  688,  et  le  concile  de 
Braga  de  561,  can.  22,  Hardouin,  t.  m,  col.  352. 

Discipline  d,,  vu»  au  xir-  siècle.  —  L'Église 
un -ure  sa  législation  aux  besoins  des  temps.  S'il  n  a 
des  fautes  qui  sont  de  toutes  les  époques,  il  y  en  a 
aussi   qui   sont  plus  spéciales  à  certains  peuples  ou  à 

ivilisation.  Manifeste m  l'ère  des 

empereurs  chrétiens  diffèrent 
du  moyen  âge,  que  caractérisent  la  féodalité  et  la  chris- 
Uanisalion  di       i  .  rmaines  et  anglo-saxons 

-  nouveaux  M   fallait   une  législation  à  eer- 
,,,u  nouvelle;  à  nouveaux,  des  pé- 

nalités nouvelli      i  e    pénilenliels  qu'on  voit  naiti 
Vl1'  M"  lr  el  l|"'     I  suivants  témoignenl  de 

e.  Die  /•'" 
nungen  der  abendlandischen  Kirclte,  Halle,  1851. 
le  vol,  le  parjure,  le  foux  témoigna 

ipitalia   sont    touj 's  punis  de  i, 

"■  "•'"-  l'antiquité,  I,    ,,, me   de    lèse-majesté 
Mais  au  moyen 
''■•""I  tirés  des  grandes  la,,,, Iles  de  la 
conflits   entre    l-  de  II  glise  et  les 

équemment.    I.  I 
déposition  les  clercs   qui  s,,  révoltaienl 
linsi  que  Hincmar, évéque 

'''    '  ■■  d'avoir  trahi   le    tei i  ,i,    fid 

*' "  ' L ,'   ' ■  '  I*'/  fu<  déposé  au  concile  deDouzi 

Hardouin,  op.  cit.,  I    v,  col    1316  sq 

,  '     ,'r"  '!""  1  •■pu,.    ,h  :    „,,.,,    .,„ 

m,   -i.    1879,  e,   le   concile 
Chapelle  d  „    <;  |o,   Hardouin,   i    , 

'"'    l;''-  n   ,..  ronl  de  la  moralité  du  , 
lomenl   affreuse    l 

DICT.    l)K   TIIKOL.    CATIIOI.. 


ses  variétés.  Cf.  Réginon  de  Priim,  De  synodalibus 
caxsis,  1.  I,  c.  235-238,  etc.,  P.  L.,  t.  cxxxn,  col.  235. 
La  peine  de  la  déposition  menace  ceux  qui  s'en  ren- 
dent coupables.  Mais  le  nombre  en  était  tellement 
grand  au  xie  siècle  que  le  concile  de  Rome,  tenu  par 
Léon  IX,  en  1019,  n'osa  les  frapper  tous.  On  fit  obser- 
ver que,  si  tous  les  prêtres  simoniaques  étaient  déposés, 
presque  toutes  les  paroisses  seraient  privées  de  pas- 
teurs. Il  fallut  se  contenter  d'imposer  une  pénitence 
de  quarante  jours  à  ceux  qui,  sciemment,  s'étaient  fait 
ordonner  par  des  évoques  simoniaques.  Cf.  Pierre 
Damien,  Opuscul,  VI,  XXXV,  c.  v,  dans  Hardouin, 
t.  vi,  col.  991. 

L'incontinence   des   clercs    revêtit   aussi    toutes    les 
formes  à  cette  époque  :  la  fornication  avec  des  vierges 
vouées  à  Dieu,  l'adultère,  l'inceste,  la  sodomie,  la  bes- 
tialité, le  rapt  des  jeunes  filles,  tous  ces  crimes  furent 
punis    de  la  déposition.   Pénitentiel  de  Théodore,  1.  I, 
ix,  sect.  i;  Pénitentiel  de  Paris,  c.  i.n,  dans  Wasser- 
schleben,  op.  cit.,   p.   194,   417;  concile  de  Worms  de 
808,   can.    11,  12,    Hardouin,  t.  v,  col.  739;  Pénitentiel 
des  xxv  chapitres,  c.  vu,  sect.  i-m,  v,  dans  Wasserschle- 
ben,  op.  cit.,  p.  508;  concile  de  Tolède  de  693,  can.  12, 
Hardouin,   t.    m,   col.    1795;    Réginon,   op.   cit.,    1.    II,' 
c.  157,  /'.  L.,  t.  cxxxn,  col.  313.  Le  nombre  des  clercs 
concubinaires  était  énorme;   les   conciles  travaillèrent 
à  le  diminuer  par  la  menace   de  la  déposition.  Concile 
de  Pavie  de  1018,  can.  1,  2;  concile  de  Rome  de  1059, 
can.  3,  Hardouin,  t.  vi,  col.  813,  1062.  L'Église  frappa 
de  la    même   peine   les   prêtres   qui  contractaient  ma- 
riage   ou    qui    refusaient   de    renoncer  à   leurs   droils 
conjugaux    après    leur   ordination.    Réginon,   op.   cit., 
1.  I,  c.   8i,  P.   L.,  t.   cxxxn,  col.  208;  synode  d'Augs- 
bourg  de  952.,  can.  1,  Hardouin,  t.  vi,  col.  617;  Alexan- 
dre II,  Epist.  ad   episcop.  el  regem  Dalmaliœ,  ibid 
col.  1113. 

Un  des  vices  les  plus  répandus   au  moyen  âge  était 
l'ivrognerie.  Nombre  de  clercs  s'y  livraient  sans  ver- 
gogne.  Les  rixes,   les    batailles,  les  meurtres  s'ensui- 
vaient. L'Eglise,  pour  remédier  à  tous  ces  maux,  n'eut 
d'autre  ressource  que  de  frapper  les  coupables  de  la  dé- 
position. Concile  de  Mayence  de  813,  can.  46,  Hardouin 
t.  iv,  col.  1016;  concile  de  Paris  de  829,  can.  2,   ibid  ' 
p.    1352  sq.;  Pénitentiel  de  Théodore,  I.   I,  i   sect    i' 
Pénitentiel    d'Kgbert,   c.   xi,   sect.    i;    Pénitentiel    des 
xxxv  chapitres,  c.  xxn,  sect.  n,  dans  Wasserschleben 
op.  cit.,p.  184,242,  518;  concile  de  Fréjus  de  796,  can  3 
Hardouin,  t.  iv,   col.  858;  Réginon,  1.  I,  c.  138    I  iG 
148,   152,    15',.   />.  /,.,  t.  cxxxn,  col.  219  sq.;  concile  de 
Gran  de  1114,  can.  i,x,  dans  Hefele,  Conciliengeschichte 
1886,  t.  v,  p.  290. 

La  révolte  contre  l'autorité  ecclésiastique  n'était  pas 
rare;  les  métropolitains  rejetaient  l'autorité  du   pape 
ôques  celle  du  métropolitain,  les  prêtres  et  les 
simples  clercs  celle  des  évoques.  Toutes  ces  rebellions 
étaient   passibles  de   la   déposition.    Concile   de    Rome 
83,   can.   2,   Hardouin,  t.  v,  col.  573  sq.;   Hefele 
Conciliengeschichte,   t.    iv,   p.   257;  Zacharie,   / 
vu,  ad  Pippinum,  c.  m,  Hardouin,  t.  m,  cul.  1901.  L'in- 
dépendance des  clercs  se  manifestai!   aussi  par  la  né- 
leura  devoirs  professionnels,  par  l'amour 
i    le  porl  des  .unies,  par  leur  partici- 

!'■ "     anticanonique    BU1    jugements    de     s.,,,L 

Même  pénalité.  Concile  de  Meaux  di  i     ,:;    n  ,, 

douin,  t.  iv,  cl.  [480;  Réginon,  I.  I.  c  169,  177.  /■   / 
t.  cxxxn,  col.  -i-l->.  concile  de   Tolède   de  675,  eau    <;' 
Hardouin,  t.  m,  col.  1086. 
Une  plaie  qui  para!)  parti»  uiii  re  au  vu,'  siècle,  • 

Saint   Bonirace   fut  charge    par  t.    ,  .  ■    . ,,    ,|,, 

réunir   un   concile  poui    proi  .der  a  b  .  ..,,,,, 

-  dan    Hardouin    i    m 
col.  [91  I 

IV.       16 


483 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


484 


L'union  des  deux  pouvoirs  était  si  étroite,  au  moyen 
âge,  que  les  empiétements  de  l'État  dans  le  domaine  de 
l'Église  étaient  presque  inévitables.  De  là  cet  usage  de 
l'investiture  qui  troubla  si  profondément  la  société  au 
\r  siècle.  Acquérir  un  évêché  par  des  moyens  illé- 
gitimes, recevoir  l'investiture  laïque,  ordonner  des 
clercs  d'un  diocèse  étranger,  ou  des  clercs  absolument 
ignorants,  lancer  l'interdit  pour  des  motifs  d'intérêt 
privé,  etc.,  etc..  toutes  ces  fautes  furent  punies  de  la 
déposition.  Concile  de  Rome  de  863,  can.  1,  Ilardouin, 
t.  V,  col.  138,  203,  848;  concile  de  Rome  de  1075,  dans 
Monumenta  Germanix  Itisl.,  t.  x,  p.  412;  concile  de 
Latran  de  1179,  can.  14,  Ilardouin,  t.  vi  b,  col.  1679, 
concile  de  Londres  de  1070,  Ilardouin,  t.  vi,  col.  1165; 
cf.  concile  de  Tolède  de  683,  can.  7,  Ilardouin,  t.  ni, 
col.  1742. 

La  paganisme  et  le  judaïsme  ne  formaient  plus  de 
danger  pour  l'Église  ou  du  moins  pour  le  clergé.  Si 
l'on  continue  de  mettre  les  fidèles  en  garde  contre  les 
intrigues  des  juifs,  concile  de  Rome  de  743,  can.  10, 
Hardouin,  t.  m,  col.  1929;  concile  de  -Metz  de  888, 
can.  7,  Ilardouin,  t.  vi,  col.  412,  on  suppose  que  la  foi 
des  clercs  n'a  rien  à  redouter  de  leur  contact,  d'ailleurs 
assez  rare.  Mais  un  reste  du  paganisme  qui  se  maintint 
pourtant,  ce  fut  la  superstition  sous  toutes  ses  formes, 
le  culte  des  arbres,  des  sources,  des  montagnes,  des 
pierres,  la  divination,  les  sorts,  l'astrologie,  la  sorcel- 
lerie, les  pbiltres,  les  amulettes.  Il  fallut  menacer  de 
la  déposition  les  clercs  qui  s'y  livraient.  Concile  de 
Tolède  de  633,  can.  29,  Hardouin,  t.  m,  col.  586; 
concile  d'Aix-la-Chapelle  de  813,  can.  17,  Ilardouin,  t.  iv, 
col.   1044;  concile  de  Paris  de  829,  ibid.,  col.  1352. 

L'hérésie  fut  rare  dans  le  haut  moyen  âge.  Au  xiesiècle, 
elle  réapparut  sous  la  forme  du  néomanichéisme.  Les 
clercs  qui  en  furent  reconnus  coupables  au  concile 
d'Orléans  de  1022  furent  déposés  et  même  brûlés. 
Cf.  Hardouin,  t.  vi,  col.  821  sq.  Ce  fut  surtout  au  sujet 
de  l'administration  du  baptême  qu'on  vit  surgir  des 
théories  hétérodoxes.  Le  pape  Zacharie  ordonna  de 
déposer  un  prêtre  qui  prétendait  que  le  sacrement  ne 
conférait  aucune  grâce.  Episl.,  x,  ad  Bonifac.  archiep., 
dans  Hardouin,  t.  m,  col.  1912.  Même  peine  devait  être 
infligée  à  ceux  qui  baptisaient  sans  invoquer  les  trois 
personnes  de  la  Trinité.  Ibid.,  col.  1910.  La  triple  im- 
mersion n'était  plus  obligatoire.  Mais  bien  qu'une 
seule  immersion  fût  considérée  comme  un  rite  suffisant 
pour  la  validité  et  la  licéité  du  sacrement,  on  crut 
devoir  attirer  l'attention  sur  les  clercs  qui  attacheraient 
à  l'unité  d'immersion  un  sens  hérétique;  et  on  les 
menaça  de  la  déposition.  Réginon,  1.  I,  c.  262,  P.  L.f 
t.  cxxxn,  col.  240. 

L'administration  du  sacrement  de  baptême  consti- 
tuait l'un  des  principaux  devoirs  de  la  charge  pasto- 
rale. Malheureusement  nombre  d'enfants  mouraient 
sans  baptême.  Les  pénitentiels  notent  que,  si  ce  mal- 
heur arrive  par  la  faute  d'un  curé,  ce  curé  doit  être 
déposé.  Pénitentiel  de  Théodore,  1.  I,  îx,  sect.  vu; 
xiv,  sect.  xxvm;  Pénitentiel  de  la  Vallicellane,  c.  xvni, 
dans  Wasserschleben,  op.  cit.,  p.  194,  200,  686. 

3.  Discipline  du  XIIe  siècle  à  nos  jours.  —  Avec  le 
Corpus  juris  canonici  qui  comprend  le  Décret  de 
Gratien,  de  1140,  les  Décrétâtes,  le  Sexte  et  les  Extra- 
vagantes, commence,  semble-t-il,  une  ère  nouvelle  du 
droit  canon.  Nous  vivons  encore  sous  le  régime  de 
cette  législation.  Il  nous  reste  donc  à  examiner  quelles 
fautes  le  Corpus  punit  de  la  déposition. 

On  peut  les  ranger  sous  quatre  chefs  :  les  fautes  de 
droit  commun,  fautes  contre  le  respect  dû  à  la  dignité 
ecclésiastique,  fautes  contre  la  religion  en  général, 
fautes  contre  les  devoirs  d'état. 

Parmi  les  fautes  de  droit  commun,  notons  le  meurtre 
et  la  complicité  de  meurtre,  dist.  L,  c.  6,  7,  39,  40; 
1.  V,  tit.  xn,  De  homicid.,  c.  7;  1.  V,  tit.  xxxt,  De  ex- 


cessib.  prselat.,  c.  10  ;  la  mutilation  ou  les  coups  qui  en- 
traînent par  exemple  la  perle  d'un  a-il,  dist.  LV,  C.  13; 
la  mutilation  de  soi-même,  dist.  LV,  c.  i,  9;  le  vol  et 
le  parjure.  1.  II,  tit.  i,  De  judic,  c.  10;  le  faux  témoi- 
gnage devant  les  tribunaux,  dist.  L,  c.7;  eau-.  V.  q.  VI, 
c.  3;  la  falsilication  de  documents,  chartes  ou  bulles, 
dist.  L,  c.  7;  1.  V,  tit.  xx,  De  crin},  falsar.,  c.  3,  '  ■ 
complicité  pour  crime,  caus.  XXXVI,  q.  il,  c.  1,  4; 
I.  V,  tit.  xxxiv,  De  purgat.  can.,  c.  4;  participation  à 
la  rébellion,  caus.  XXIII,  q.  vm,  c.  5;  la  fornication, 
caus.  XXVII,  q.  i,  c.  6;  l'adultère,  dist.  LXXXI.  c.  10; 
l'inceste,  1.  V,  tit.  xxxiv,  De  purgat.  can.,  c.  15:  la 
sodomie,  1.  V,  lit.  xxxi,  De  excess.  preelat.,  c.  4. 

Fautes  contre  la  dignité  ecclésiastique.  Celles-ci 
n'entraînaient  la  déposition  en  général  que  lorsqu'il  y 
avait  récidive  ;  l'ivrognerie  et  le  jeu,  dist.  XXXV,  C.  1; 
l'exploitation  de  débits  et  maisons  de  commerce, 
dist.  XLIV,  c.  3;  la  bouffonnerie  et  les  discours  indé- 
cents, dist.  XLVI,  c.  6;  les  outrages  à  des  supérieurs 
ou  à  des  collègues,  dist.  XLVI.  c.  5;  fréquentation 
suspecte  de  personnes  du  sexe,  dist.  LXXXI.  c.  20.  29; 
visites  répétées  et  non  motivées  de  religieuses  cloîtrées, 
1.  III,  tit.  i,  De  vita  et  honest.,  c.  8. 

Fautes  contre  la  religion  :  l'hérésie  et  l'apostasie, 
dist.  XXX,  c.  17;  dist.  L,  c.  32;  caus.  I,  q.  vu,  c.  21  : 
1.  V,  tit.  vu,  De  hseret.,  c.9;  tradition  de  chrétiens  aux 
païens,  dist.  XLVI,  c.  3;  relations  trop  fréquentes  avec 
les  juifs,  caus.  XXXVIII,  q.  I,  c.  13;  blasphème, 
caus.  XXII,  q.  I,  c.  10;  consultation  des  diseurs  de 
bonne  aventure  et  pratique  d'usages  superstitieux, 
caus.  XXVI,  q.  v,  c.  5,  13;  réitération  du  baptême, 
dist.  IV,  c.  118;  usure,  dist.  XLVI,  c.  1.  2,  5;  caus.  XIV. 
q.  iv,  c.  3,  4,  8;  1.  V,  tit.  xxxix.  De  usur.,  c.  1  ;  simo- 
nie, caus.  VII,  q.  I,  c.  3  ;  1.  V,  tit.  vm,  De  simon.. 
c.  11. 

Fautes  contre  les  devoirs  d'état  :  elles  diffèrent  sui- 
vant la  dignité.  Fautes  propres  aux  évéques  :  le  sacre 
d'un  clerc  qui  n'est  pas  élu  canoniquement  ou  qui 
n'a  pas  les  qualités  absolument  requises  ou  enfin 
qui  a  commis  des  fautes  qui  le  rendent  indigne  de 
l'épiscopat,  dist.  XLII,  c.  3;  dist.  LI,  c.  5;  dist.  LXXXI. 
c.  3;  exercice  irrégulier  des  fonctions  épiscopales  dans 
un  diocèse  étranger,  caus.  IX,  q.  n.  c.  6;  ordination 
d'un  clerc  d'un  autre  diocèse  sans  l'autorisation  de 
l'ordinaire,  caus.  XXI,  q.  il,  c.  I  ;  ordination  d'un 
néophyte,  d'un  idiot,  ou  de  quelque  autre  frappé  d'ir- 
régularité, dist.  XLVIII,  c.  1;  dist.  XXXVI,  c.  2; 
dist.  LI,  c.  1.  Fautes  propres  aux  prêtres  :  fornication 
avec  une  de  leurs  filles  spirituelles,  caus.  XXX.  q.  i, 
c.  8,10;  violation  du  sceau  de  la  confession.  De psenit., 
dist.  VI,  c.  2;  1.  V,  tit.  xxxvm.  De  psenit.  et  rémis- 
sion., c.  12;  audition  d'un  pénitent  sur  lequel  on  n'a 
pas  de  juridiction,  dist.  VI,  c.  3,  De  psenit.;  absolution 
et  inhumation  d'un  voleur  sacrilège  impénitent,  I.  V. 
tit.  xvn,  De  rapt.,  c.  2;  traitement  irrévérencieux  delà 
sainte  eucharistie,  De  consecrat.,  dist.  II,  c.  2  ;  refus  non 
motivé  du  baptême,  si  l'enfant  vient  â  mourir  sans  être 
baptisé.  De  consecrat.,  dist.  IV.  c.  22.  Les  diacres  sont 
punis  de  la  déposition,  s'ils  usurpent  des  fonctions  d'un 
ordre  supérieur,  dist.  XCIII,c.  14.  Fnfin  tous  les  clercs 
sans  distinction  sont  passibles  de  la  même  peine  s'il> 
commettent  l'une  des  fautes  suivantes  :  réception  irré- 
gulière de  l'ordination,  dist.  XLVIII,  c.  I  :  dist.  LI.  c.  1. 
5;  réception  de  l'investiture  laïque,  De  jure  patronal., 
1.  III,  tit.  xxxvm,  c.  4,  21;  abandon  de  sa  propre  église 
pour  passer  dans  un  autre  diocèse  sans  l'agrément  de 
l'ordinaire,  caus.  XXI.  q.  il,  c.  1;  érection  d'un  au- 
tel sans  l'agrément  de  l'évêque,  dist.  I,  c.  25.  De 
consecrat.;  perception  des  fruits  d'un  bénéfice  après 
('•change  avec  un  autre  bénéficiaire,  caus.  XXI.  q.  n, 
c.  3;  négligence  scandaleuse  des  devoirs  d'état, 
dist.  LXXXI,  c.  8;  dist.  XCI,  c.  3.  4;  dist.  XCII. 
c.  9;  acceptation  de  présents  pour  rendre   la  justice. 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


486 


caus.  XV,  q.  n,  c.  1;  gestion  d'affaires  civiles  par 
amour  du  gain.  dist.  LXXXYII1,  c.  2,  3;  cautions. 
1.  III,  lit.  xxn,  De  fide  juss.,  c.  1;  service  militaire, 
caus.  XXIII.  q.  vin,  c.  5,  6;  1.  V,  lit.  xxxvii,  De  pœnis, 
c.  5,  7;  duel.  1.  V,  lit.  xiv,  c.  1,  De  clerie.  pugnant. 
luello,\;  coups  et  mauvais  traitements  à  l'égard 
d'un  subalterne  pour  lui  inspirerde  la  crainte. dist.  XLY, 
e.  7:  1.  V,  tit.  xxv,  De  clerie.  percussor.,  c.  1;  sen- 
tence d'interdit  pour  dos  motifs  personnels  et  par 
haine,  caus.  XXVI,  q.  v,  c.  13;  malversation  des  biens 
d'Égiise,  caus.  XII,  q.  n.  c.  13.  19,  20.  24,  33,  41; 
XVII,  q.  IV,  c.  1;  caus.  XXX.  q.  m,  c.  5;  rejet 
du  for  de  l'Lglise  et  appel  au  for  civil  en  matières 
ecclésiastiques,  caus.  XI,  q.  i,  c.  11,44;  1.  V,  tit.  xxxi, 
De  excess.  prœlat.,  c.  15  ;  refus  d'obéissance  à  l'évêque, 
1.  Y.  til.  xxxi.  De  excess.  prselat.,  c.  [15;  résistance 
.i  l'évêque  qui.  dans  l'intérêt  généra),  veut  élever  un 
clerc  à  une  plus  haute  dignité,  dist.  LXXIY,  c.  3,4; 
embûches  secrètes  ou  révolte  ouverte  contre  l'évêque, 
non  observation  des  sentences  de  suspense,  d'excom- 
munication ou  d'interdit  qu'il  a  prononcées,  caus.  III, 
([.  iv,  c.  8;  caus.  III,  q.  v,  c.  3;  caus.  XI,  q.  i, 
c.  21-14.  31;  1.  Y,  tit.  xxxi.  De  excess.  prœlat.,  c.  15; 
1.  III,  til.  i,  De  vita  et  honest.,  c.  13;  1.  V,  tit.  xxvn, 
De  clerii  '•un:,    ministrant.,  c.  3;  violation 

dis  lois  du  célibat  par  le  concubinat  ou  le  mariage, 
dist.  XXVIII.  c.  2.  8,9;  dist.  XXXII,  c.  10;  dist.LXXXI, 
c.  16-18;  dist.  LXXXII,  c.  2 -S  ;  1.  III,  tit.  n.  De  cohabit. 
clerie.  et  mulier.,c.  1,6;  concile  de  Trente,  sess.  XXV, 
c.  xiv,  De  reform.;  continuation  des  rapports  conju- 
gaux après  réception  des  ordres  majeurs,  dist.  LXXXI, 
e.  19;  dist.  LXXX1V,  c.  4. 

I  n   droit,  tout  clerc,  convaincu  d'avoir  commis  une 
faute  passible  de  la  déposition,  doit  être  déposé.  L'évê- 
que  ou  tout  autre  supérieur  ecclésiastique  n'est  que 
■uleiir  de  la  loi;  il  ne  dépend  pas  de  lui  de  ne  pas 
l'appliquer.  Cependant    on   s'est  demandé  s'il    devait 
toujours  s'en  tenir  à  la   lettre  stricte  du  droit  écrit  et 
ne  pas  tenir  compte  de  ce  que  l'on  est  convenu  d'appe- 
ler les  circonstances  atténuantes.  Justement  la  vieille 
maxime  :  duo  cum  faciunt  idem,  non  est  idem,  est  de 
m-  en  matière  criminelle  el    par  conséquent  en 
I.  juge  doit  apprécier  l  âge,  les  disposil 
mentales,  les  antécédents  de  l'accusé  qui  se  présente  à 
tribunal.  Le  droit  canon  suppose  même  qu'en  rai- 

le  I ntalité  du  coupable,  voire  de  son  âge,  la 

pénalité  peu!  être  atténuée,  dist.  LXXXVI,  c.  24,  Il  \  .. 
donc  di  -  ras  ou   la  peine  de  la  déposition   peut  être 
commuée  en   une    autre   moins  ..rave.    Le    c.    I,   De 
clerie.  pugnant.  in  duello,  v.  M.  nous  en  fournit   un 
que  h ^  deux  clercs  duellistes,  le  vaincu 
bii  n  que  I.-  vainqueur,  soient  passibles  de  la  d'- 
il n')  a  pas  mort  d'ho te  ni 

mutilation,  on  peut  leur  infliger  une  peine  inférii 

1  •'  pape    Mi  landr     m   rei  oi ande,   t  n   une  circon- 

•ii  semblabli  adoucissement. Co le 

ou    lui  rapportai!   qu  -n    ;  prenaienl 

l'habitudi   de  mépriser  l'interdit   el   l'excommunication 

nt    la    d   position   en    continuant   d'exi 

fonctions,  il   lit  faire  une  enqui  te  pour  établir  le 

"•""'  ils  n-  dépassenl  j .. .  —  quarante, 

1    qu  on  leur  applique  la  peine  de  droil . 

nsidérable,  qu'on  dépose  seu- 

mvemenl  de  rébellion  et  qu  on 

.  l     v.  m.   XXVII,  Ih 

II.  lit.  Kl    /'. 

donc  manifeste  que.  î|  i., 

elle-même   inflexible,   M    appartient  au 

Il   chir   quelquefoi 

•  <  ulpabilité  mérite  quelque  merci    \  plu     forti 

qui    militeni  ( 

ril,   raut-il   ne 
1  Indulgi  h 


dit  le  droil  canon,  Se.ct.  Décret.,  1.  Y,  tit.  xn,  De  re- 
gulis  jur.,  c.  30;  cf.  ibid.,  c.  49;  Melius  est  propler 
misericordiam  rationem  reddere  quam  propter  cru- 
delitatem,  caus.  XXYI,  q.  vu,  c.  12. 

//.  FAUTES  PASSIBLES  DE  LA  DÉGRADATION.  —  Le 
privilégiant  fort  qui  avait  été  accordé  aux  clercs  par 
les  empereurs  chrétiens  offrait,  avec  ses  avantages,  de 
graves  inconvénients.  Il  établissait  parfois  entre  les 
membres  de  la  hiérarchie  et  les  simples  fidèles,  cou- 
pables des  mêmes  crimes,  une  inégalité  de  châtiments 
absolument  choquante.  Comme  l'Église  ne  prononçait 
jamais  de  sentence  capitale,  les  clercs  avaient  beau  com- 
mettre des  forfaits  qui  entraînaient  civilement  la  peine 
de  mort,  ils  n'étaient  jamais  condamnés  à  la  subir.  Le 
scandale  devint  tel  que  l'Église  finit  par  abandonner 
une  partie  de  son  privilège  et  par  livrer  ses  clercs  au 
bras  séculier.  Cette  tradition  était  ordinairement  précé- 
dée de  la  dégradation.  Il  nous  reste  à  indiquer  les 
crimes  pour  lesquels  les  membres  de  la  hiérarchie  en- 
couraient cette  peine. 

C'est  d'abord  l'hérésie.  A  l'origine,  l'Église  frappait 
les  hérétiques'de  l'excommunication.  Les  empereurs 
chrétiens  édictèrent  contre  elle  différentes  pénalités. 
Cf.  Godefroid,  Paratitlon,  ad  titul.  Cod.  Theodos.,  De 
hereticis,  xvi,  5.  Théodose,  le  premier,  en  382,  menaça 
du  summum  supplieium  les  encratites  et  les  hydro- 
paratastes.  Cod.  Theod.,  XYI,  v.  De  hœrelic.,9.  Arcadius 
étendit  cette  pénalité  aux  eunomiens.  Ibid.  Lois  3i, 
36.  Mais  en  fait,  elle  ne  fut  pas  d'abord  appliquée. 
So/oinène  raconte  que  les  empereurs  voulaient  par  là 
tout  simplement  faire  peuraux  hérétiques.//.  E.,  1.  VII, 
c.  xn,  P.  G.,  t.  i.vii,  col.  1444.  Mais  au  moyen  âge,  Fré- 
déric II  reprit  la  lettre  de  ses  prédécesseurs  chrétiens 
el  «'dicta  contre  les  cathares  ou  néomanichéens  la  peine 
île  mort.  Constitution  sicilienne  de  1231;  constitution 
Commissi  nobis  de  1232.  Les  conciles  cl  les  papes  adop- 
lerent  colle  législation.  Conciles  d'Arles  de  1234,  can.  «; 
concile  de  Béziers  de  1246, can.  2,  dans  Hardouin,  t.  vu. 
col.  237,  416;  const.  Cum  adversus  de  1243  d'Inno- 
cent IY,  Bullarium  romanum,  t.  i,  p.  83.  Bref,  la 
peine  do  mort  put  être  appliquée  aux  clercs  aussi  bien 
qu'aux  simples  laïques.  Dès  1184,  le  pape  Lucius  III 
avait  déclaré  qu'un  hérétique,  même  clerc,  devait  être 
abandonné  seculari  arbitrio  polestatis,  anima 
simie  débita  puniendut,  après  avoir  été  dégradé,  lotivts 
ecclesiastici  ordinis  prerogativa  nudetur.  Hardouin, 
I.  VIO,  col.  1879.  Le  concile  de  Latran  de  1215  renou- 
di  cret, toujours  avec  mention  de  la  dégradation 
■ins  prius  a  suis  ordinibm  deg> 
tis,  can.  3.  Hardouin,  I.  vu,  col.  19.  Grégoire  IX  fit 
insép  isions  dans  les  Décrétâtes,].  Y,  tit.  vu, 

Dr  heeret.,  c.  9,  13.  Et  elles  ont  toujours  force  de  loi, 
sauf  en  co  qui  regarde  le  for  civil.  Remarquons 
lemenl  que  l'animadversio  débita  ne  devint  li  peine 
•I"  mort  qu'à  partir  de  Grégoire  IX.  Sur  ton I  ceci,  voir 
'laid,  L'Inquisition,  i  édit..  Pans,  l!»07,  n.  125 
1(11. 

Après  l'hérésie    vient,    comme    faute  entraînant    la 

dégradation,  la  falsification  dos  bulles  ou  autre-,   i 
des  pape,,  i,,.  crimen  falsi  avait  été  frappé  pai  le-  em- 
pereurs de  diffén  n'  le  la  peine  ,|e  mort. 

Cod.  a<i  leg.  Cornet. ,  Dr  faltis,  IX,  xxn.  Les  cou 
lui  appliquèrent  l'excommunication  el   la  déposition, 
ile  de  Rouen  de  1096,  i  m    \.  Hardouin,  t.  m  /■. 
col.  1745;  concile  d'Orléans  d  n    s.  Hardouin, 

t.  n.  col.  l  u:.  Mais  lorsque  la  .nés 
lui  devenue  compli  le,  li    bulles 

dei    |  Multiplieront   a    un   tel   point   que    la    lenla- 

tion  •  mt  aux  inl  i  dea  (aux  ■<  leur  pi 

■vanU  {,  ,|,. 

Frauduleuse,   hmee.  m    m   i.,  ai ,, 
•    n  ilion  ■  t  p>   ie. .e  .i  .  ontn   l<     .  te,,  ■  ,,,, 
livraient  la  p<  m,'  di 


■487 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


ixg 


conséquences  :  ut  clcrici  qui  per  se  falsilalis  vilium 
exercuerint,  postquam  per  ecclesiasticum  jwlicem  fue- 
rint  dégradait,  seculari  poteslate  Iradanlur,  sectmdum 
constituliones  légitimas  puniendi,  1.  V,  tit.  xx,  De 
crimine  falsar.,  c.  7;  cf.  1.  V,  lit.  xi,  De  verborum 
signifie,  c.  27.  Les  «  constitutions  légales  »  dont  parle 
Innocent  n'étaient  autres  que  les  lois  de  l'État,  qui  pro- 
nonçaient contre  le  crimen  falsi  des  peines  corporelles, 
y  compris  la  peine  de  mort.  Les  canonistes  furent  d'avis 
que  cette  dernière  pénalité  devait  être  appliquée  aux 
falsificateurs  des  bulles  papales.  Barbosa,  Collectait.,  ad 
c.  7,  X,  tit.  cit.,  20,  n.  14;  Fagnan,  Commentai-.,  in  c.  cit., 
n.  40.  Innocent  III  emploie,  quand  il  s'agit  des  clercs  le 
mot  exercuerint  qui  indiquerait,  ce  semble,  un  métier. 
Les  canonistes  décidèrent  qu'un  seul  acte  entraînait  la 
peine  de  la  dégradation.  Barbosa,  loc.  cit.,  n.  7  ; 
Reifl'enstuel,  Jus  canon.,  1.  V,  tit.  xx,  n.  33.  Innocent  III 
entend  frapper  les  clercs  qui  forgent  un  faux  per  se. 
En  vertu  du  principe  :  od'ta  restringi  convenit,  Sexti 
Décret.,  1.  V,  tit.  xu,De  regul.  jur.,  c.  15,  les  fauteurs, 
les  complices  du  faux  échappent  à  la  pénalité,  bien 
que  certains  canonistes  aient  voulu  les  y  astreindre  en 
se  fondant  sur  cette  règle  du  droit  :  qui  facit  per 
alium  est  perinde  ac  si  faciat  per  se  ipsttm.  Sexti 
Décret.,  1.  V,  lit.  xn,  De  reg.  juris,  c.  72.  Le  contexte 
en  effet  montre  que  le  pape  distingue,  à  propos  des 
laïques,  ceux  qui  fabriquent  des  faux  per  se  ou  per 
alios.  Si  donc  il  emploie  une  formule  différente  quand 
il  s'agit  des  clercs,  c'est  qu'il  n'entend  pas  frapper  de 
la  même  façon  les  faussaires  et  leurs  complices.  Plus 
tard,  Innocent  X,  dans  sa  constitution  In  suprcmo 
jitstiliœ  du  8  avril  1653,  Bidlar.,  t.  v,  col.  484,  inflige 
la  même  peine  aux  uns  et  aux  autres.  A  l'origine,  les 
faussaires  que  les  évêques  découvraient  dans  leurs 
diocèses  étaient  déférés  au  tribunal  du  souverain  pon- 
tife, dist.  XIX,  c.  3;  1.  I,  tit.  ni,  De  rescript.,  c.  2. 
Mais  peu  de  temps  après  la  décrétale  d'Innocent  III, 
les  ordinaires  furent  autorisés  à  prononcer  eux-mêmes 
contre  les  coupables.  Fagnan,  Comment.,  in  c.  cit.,  X, 
De  crim.  fais.,  n.  65. 

On  peut  établir  un  rapprochement  entre  les  faux 
monnayeurs  et  les  fabricateurs  de  fausses  bulles.  Les 
législations  civile  et  ecclésiastique  sévirent  toujours 
contre  ces  faussaires  d'un  nouveau  genre,  fussent-ils  des 
clercs.  Le  pape  Urbain  VIII  finit  par  leur  appliquer  la 
peine  de  la  dégradation.  Mais,  à  en  juger  par  le  contexte, 
cette  pénalité  n'atteignait  que  les  clercs  des  Etats  de 
l'Église.  Const.  In  suprema  de  1627,  sect.  iv,  Bullar., 
t.  iv,  p.  141.  Dans  le  reste  de  la  chrétienté,  clercs  ou 
laïques,  qui  faisaient  de  la  fausse  monnaie,  étaient 
simplement  excommuniés.  Concile  de  Latran  de  1123, 
can.  15,  Hardouin,  t.  vi  b,  col.  1113;  concile  de  Salz- 
bourg  de  1282,  can.  17,  Hardouin,  t.  vu,  col.  859. 
L'excommunication  était  réservée  au  pape,  dit  le  con- 
cile d'Oxford  de  1287.  Hardouin,  ibid.,  col.  1126. 

Au  concile  de  Lyon  de  1245,  Innocent  IV  avait  dé- 
crété la  déposition  contre  les  clercs  qui  emploieraient 
les  bandits  de  la  Phénicie  connus  sous  le  nom  d'/lssas- 
sins  pour  perpétrer  un  meurtre.  La  décrétale,  Sexti 
Décret.,  1.  V,  tit.  IV,  De  homicid.,  c.  1,  l'ut  insérée 
dans  le  Liber  sexlus  du  droit,  et  les  canonistes  en  ont 
aggravé  le  sens.  D'après  la  jurisprudence,  tout  clerc 
meurtrier  ou  assassin  doit  subir  non  seulement  la  dé- 
position, mais  encore  la  dégradation,  pour  être  livré  au 
bras  séculier.  Fagnan,  Comment.,  in  c.  10,  X,  De 
judic,  II,  I,  n.  72  sq.  ;  c.  45,  Xv  De  sentent,  excom- 
municat.,  V,  xxxix,  n.  19  sq.  ;  Barbosa,  Collect.,  ad  c.  1, 
De  Itomicid.,  VI,  V,  iv,  n.  13  sq. 

L'avortement,  la  procuratio  abortus,  fut  de  bonne 
heure  assimile''  à  l'homicide.  Cf.  concile  de  Worms  de 
MiS,  can.  35,  Hardouin,  t.  v,  col.  742;  et  frappé  de  la 
déposition,  I.  V,  tit.  xin.  De  Itomicid.,  c.  20.  Sixte  Y 
estima  que  cette   peine  élai.t  encore  insuffisante.  11  y 


ajouta  la  dégradation  avec  tradition  au  bras  séculier. 
Const.  Kffrenatam  du  29  octobre  l."xS8,  Bullar.  ro- 
man., t.  il,  p.  702  sq.  On  sait  que  l'État  punissait  de 
la  peine  de  mort  ceux  qui  se  rendaient  coupables 
d'avortement.  Cf.  le  code  pénal  de  Charles-Quint, 
a.  133.  Sixte  V  mit  la  procuratio  sterilitatis,  qui  était 
déjà  considérée  connue  un  homicide,  I.  Y.  tit.  xn,  De 
homicid.,  c.  5,  sur  le  même  pied  que  la  procuratio 
abortus,  et  décida  que  les  auteurs  de  pareils  forfaits 
tomberaient  sous  le  coup  d'une  excommunication  ré- 
servée au  pape,  sauf  in  articula  mortis.  La  décision 
de  Sixte  Y  fut  confirmée  par  Grégoire  X1Y  dans 
presque  toute  sa  leneur.  Const.  Sedes  ajioslolica  du 
31  mai  1591,  Bullar.  roman.,  t.  il,  p.  766  sq.  Deux 
modifications  seulement  y  furent  apportées.  D'une  part, 
la  réserve  de  l'excommunication  au  pape  fut  suppri- 
mée ;  les  évêques  et  les  prêtres,  à  qui  les  évèqui  s  don- 
neraient une  juridiction  spéciale  pour  ce  cas,  furent 
autorisés  à  la  lever.  D'autre  part,  Sixte  V.  partant  de 
l'idée  que  le  fœtus  n'était  pas  animé  dés  le  moment  de 
la  conception,  ainsi  qu'on  le  croyait  de  son  temps, 
avait  déclaré  qu'animé  ou  non  l'embryon  devait  être 
considéré  comme  un  être  humain  et  que  celui  qui  le 
ferait  périr  encourrait  la  peine  de  la  dégradation.  Mais 
Grégoire  XIV  tint  compte  de  la  distinction  que  l'École 
établissait  entre  le  fœtus  animé  et  le  fœtus  non  animé 
(on  pensait  que  le  fœtus  masculin  ne  recevait  l'âme 
qu'au  bout  de  quarante  jours  et  le  fœtus  féminin  au 
bout  de  quatre-vingts)  et  décida  que  ceux-là  seuls 
seraient  frappés  de  la  peine  canonique  qui  procure- 
raient l'avortement  d'un  fœtus  animé.  Mais  on  sait  que 
l'être  humain  reçoit  la  vie  dès  le  moment  de  la  con- 
ception. La  distinction  sur  laquelle  s'appuyait  Gré- 
goire XIV  est  donc  injustifiée.  Il  s'ensuit  que  tout 
avortemenl  est  passible  de  la  dégradation,  comme  le 
voulait  Sixte  V. 

La  sodomie  est  aussi  un  attentat  contre  la  vie 
humaine.  Tertullien,  De  pudicilia,  c.  IV,  P.  L.,  t.  n, 
col.  987,  et  saint  Augustin  cité  par  Gratien.  caus.  XXXII, 
q.  vu,  c.  11,  la  signalent  comme  un  crime  horrible, 
une  monstruosité.  Constantin  et  ses  successeurs  lui 
appliquèrent  la  peine  du  feu.  Cod.  théod.,  IX,  vu, 
ad  leg.  Jul.  de  adult.,  3,  6;  Cod.  just..  IX.  ix.  31; 
Novel.,  LXXVII,  c.  1  ;  cxli,  c.  1.  Les  conciles  et  les  papes 
menacèrent  de  la  déposition  les  clercs  qui  s'en  ren- 
draient coupables.  Concile  de  Tolède  de  693,  can.  3. 
Hardouin,  t.  m,  col.  1795;  Léon  IX.  E/iitt.  ad  Petruin 
Damian.,  dans  Hardouin,  t.  vi,  col.  976;  concile  de 
Londres  de  1102,  can.  28,  Hardouin,  t.  vi  b,  col.  1565; 
concile  de  Latran  de  1179.  can.  11,  Hardouin,  ibid., 
col.  1678;  cf.  Décrétâtes,  1.  V,  tit.xxxi,  De  e.rcess.  prselat., 
c.  4.  Enfin,  saint  Pie  Y  décida  qu'après  avoir  été  dégradés 
ils  seraient  livrés  au  bras  séculier  pour  recevoir  le  châ- 
timent que  les  lois  appliquaient  aux  auteurs  de  ce  crime 
quand  ils  étaient  simples  laïques.  Const.  Borrendum 
scelus  du  30  août  1568,  Bullar.  rom.,  t.  il,  p.  287.  Les 
théologiens  distinguent  différentes  espèces  de  sodomie  : 
la  fornication  entre  personnes  du  même  sexe  [sodamia 
ratione  se.vus).  la  bestialité  sodomia  ratione  gent 
l'onanisme,  les  rapports  contre  nature  entre  personnes 
de  sexe  différent,  et  l'on  s'est  demandé  si  Pie  V  enten- 
dait frapper  toutes  ces  variétés  du  crime.  Il  parait  sûr 
qu'il  visait  uniquement  la  sodomie  ratione  se.rus  et 
generis,  parce  que  les  lois  civiles,  auxquelles  il  ren- 
voyait les  coupables,  ne  connaissaient  que  ces  deux, 
formes.  Cf.  code  criminel  de  Charles-Quint,  a.  116. 
Mais  un  seul  acte  de  sodomie  entraînait  la  dégradation. 
Si  le  pape  emploie  les  expressions  :  clericos  tam 
dirum  nefas  exercentes,  il  n'y  a  pas  lieu  de  prendre 
le  mot  exercentes  dans  le  sens  d'une  «  habitudi 
La  constitution  Cum  prinium  qu'il  avait  publiée  deux 
ans  auparavant,  1"  avril  1566,  Bullar.  roman.,  t.  n. 
p    192,  et  qui  contient,  sect.  xi,  une  disposition  contre 


489 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


490 


les  sodomites,  au  lieu  de  exercere  donne  perpetrare, 
dont  l'interprétation  n'est  sujette  à  aucun  doute.  Or, 
dans  la  constitution  Horrendum,  sect.  m,  Pie  V  dit 
expressément  que  sa  nouvelle  bulle  confirme  et  aggrave, 
s'il  est  possible,  la  précédente  :  plenius  mine  fortius- 
gue  persequi  volentes. 

Il  est  un  autre  crime  contre  les  mœurs  que  la  disci- 
pline ecclésiastique  a  toujours  châtié  sévèrement,  c'est 
la  sollicilatio  ad  turpia  et  inhonesla  in  confessione. 
Le  concile  de  Trêves  de  1227  menaçait  les  prêtres 
sollicitantes  de  la  déposition  et  de  l'excommunication. 
Ilefele,  Conciliengeschichte,  1886,  t.  v,  p.  944.  Pie  IV, 
par  un  bref  du  16  avril  1561,  adressé  à  l'archevêque 
de  Séville.  demande  qu'ils  soient,  après  dégradation, 
livrés  au  bras  séculier  :  débita  prsecedente  degra- 
datione,  secularis  judicis  arbitriez  puniendos.  Const. 
Cum  sicut,  dans  Bullar.  roman.,  t.  u,  p.  48.  La  déci- 
sion ne  regardait  que  l'Église  espagnole.  Grégoire  XV, 
dans  sa  constitution  Universi  Dominici  gregis  du 
30  août  1622,  l'étendu  l'Église  universelle.  Bullar.  rom., 
t.  m,  p.  484  sq.  11  décrit  les  diverses  manières  dont  le 
confesseur  sollicilans  peut  se  rendre  passible  de  la 
déposition  :  peu  importe  que- le  pénitent  soit  homme 
ou  femme,  que  sa  sollicitation  soit  faite  dans  l'intérêt 
du  confesseur  ou  dans  l'intérêt  d'un  tiers,  qu'elle  ait 
lieu  avant  ou  après  la  confession,  dans  le  confessionnal 
on  en  dehors  du  confessionnal.  Le  pape  ajoute  que  les 
pénitents  sollicités  doivent  dénoncer  le  sollicitons 
sous  peine  de  ne  pas  recevoir  l'absolution.  lienoil  XIV 
dans  sa  constitution  Sacramenlum  pœnitentiœ  du 
1er  juin  17H,  Bullarium,  Rome,  1754,  t.  i,  p.  30,  re- 
nouvelle les  prescriptions  de  la  bulle  de  Grégoire  XV, 
en  précisant  que  le  confesseur  qui  donnerait  à  son 
pénitent  ou  ;>  sa  pénitente  une  lettre  déshonnête  à  lire 
après  la  confession  devrait  être  considéré  comme  solli- 
cilans. Les  trois  bulles  s'en  remettent  à  l'appréciation 
du  juge  séculier  pour  la  peine  à  appliquer.  En  quoi 
pouvait-elle  consister,  nous  ne  saurions  le  dire.  En 
tout  cas.  Benoit XIV,  De  synodo  diœcesana,  1.  IX.  c.  vi, 
n.  7.  fail  remarquer  qu'à  .sa  connaissance  la  loi  n'a  pas 
i. ,  u  d'application  depuis  la  publication  de  la  bulle  de 
goire  XV. 
L  Église  n'a  jamais  toléré  que  ses  clercs  exerçassent 
actions  d'un  ordre  supérieur  à  celui  qu'ils  avaient 
ur  un  diacre  célébrer  la  messe  ou  administrer 
le  sacrement  de  pénitence,  pour  un  prêtre  remplir  les 
fonctions  épiscopales  fut  toujours  considéré  comme  un 
horrible  sacrilège.  La  déposition  atteignait  les  auteurs 
ncjle  de  Nia  e  de 325, can.  16,  Hardouin, 
t.  i,  col.  331;  concile  d'Arles  de  H3  (ou  152)  can.  15, 
Hardouin,  t.  n,  col.  77  i .  Gélase,  Epis  t.,  v,  ad  episcop. 
■m. v.  c.  vi,  dans  Hardouin,  t.  u,  col.  900;  concile 
de  Braga  de  563,  can.  19,  Hardouin,  t.  tu,  col.  352.  Plus 
tard,  la  peine  de  la  déposition  fut  commuée  en  celle 
de  la  t  rli.iiii  III.  Epist .  n,i  /.  op., 

dans  Hardouin,  t.  vi,  col.  1873;  cf.  I.  V,  lit.  wvin.  /><■ 
ordinal.  »iinistrant.,c.  2.  .Mai s  au  xvi Ie  siècle 
on  jugea  qu'il  fallait  sévir  pin,  rigoureusement  contre 
urpateurs  d<  -  fonctions  ecclésiastiques.  Le  pape 
Clément  VIII,  dans  sa  bulle  Etsi  alias  du  I"  décembre 
1601,  décide  que  quicumque  non  pronwlus  ad 

•  lux    ordineni    reperlu»    fuerit    missarum 

, >asse  vel  saeramentalem    confes- 

»e..  .    rite    <'.  gradatut    Uatim    curim 

debitit  pœnis 

.  i.  m.   p.    142.  D'apn 

■  m. .m    pn  e,  ,|.ni-  qu'on 

■■  dans  i  i,i-i de  i  Kglise,  1 1.   Magnum  ch 

dan  -  i    l'i  torius,  G 
t.  m.  p.  354,  Vuiurpatio  iil  la  peine  de 

lion  d,  mettre  i  n  •.  Igueur  la 
bulle  de  Clémenl  VIII,  on  lit  remarquer  que,  suivant  la 
coutume, 


n'étaient  pas  soumises  à  la  peine  capitale.  Urbain  VIII 
abaissa  la  majorité  requise  pour  la  peine  de  mort  à 
vingt  ans  accomplis.  Const.  Aposlolatus  ofjicium  du 
23  mars  1627,  Bullar.  roman.,  t.  iv,  p.  144.  Et 
Benoit  XIV,  dans  sa  constitution  Sacerdos  in  seternum 
du  20  avril  1744,  Bullarium,  t.  i,  p.  208  sq.,  précisa 
les  cas  où  les  ;<  usurpateurs  »  tomberaient  sous  le  coup 
de  la  bulle  de  Clémenl  VIII.  Ne  devaient  échapper  à  la 
peine  de  la  dégradation  que  ceux  qui  n'auraient  pas 
prononcé  à  la  messe  les  paroles  de  la  consécration  ou 
qui  au  confessionnal  n'auraient  pas  administré  l'abso- 
lution. 

Il  est  un  autre  sacrilège  que  l'Eglise  réprouvait  à 
l'égal  de  l'usurpation  des  fonctions  ecclésiastiques,  c'est 
le  vol  et  la  profanation  des  hosties  consacrées  ou  non 
dans  un  ciboire.  Innocent  XI,  dans  la  constitution 
Ad  nostri  aposlolatus  du  12  mars  1677,  demande  que 
ces  profanateurs,  eliam  pro  prima  vice  curiœ  scculari 
tradantur,  ainsi  que  leurs  mandants.  Bullar.  roman., 
t.  vu,  p.  1  sq.  Charlemagne,  au  concile  de  Paderborn 
de  785,  avait  porté  contre  eux  un  capilulaire  qui  les 
condamnait  à  la  peine  de  mort.  Ilefele,  Concilien- 
geschicltle,  1877,  t.  in,  p.  594.  Le  code  criminel  de 
Charles  Quint,  a.  172,  édicté  la  même  peine.  Mais  la 
constitution  d'Innocent  XI  ne  fait  pas  d'allusion 
expresse  aux  clercs  qui  pourraient  profaner  les  hosties. 
Alexandre  VIII répara  cet  oubli  (ou  combla  cette  lacune) 
en  décidant  que  toutes  les  personnes  ecclésiastiques, 
même  les  réguliers,  coupables  de  ce  sacrilège,  subi- 
raient «  la  dégradation  réelle  »  et  seraient  livrées  «  au 
bras  séculier  >•  Const.  Cum  alias  du  22  décembre 
1690,  sect.  u,  Bullai .  roman.,  t.  XH,  p.  68.  Il  se  greffa 
sur  cette  question  plusieurs  cas  de  conscience.  Si  les 
hosties  n'étaient  pas  consacrées,  si  la  mauvaise  foi  des 
profanateurs  n'était  pas  suffisamment  établie,  fallait-il 
néanmoins  leur  appliquer  la  peine?  Benoit  XIV  se 
prononça  pour  la  négative  dans  la  constitution  Ab 
augustissimo  eucharisties,  du  5  mars  1744,  Bullarium, 
t.  i,  p.  190  sq.,  et  maintint,  quant  au  reste,  la  décision 
d'Alexandre  VIII. 

Nous  avons  énuméré  tous  les  crimes  que  la  législa- 
tion ecclésiastique  a  désignés  spécialement  comme 
passibles  de  la  déposition.  11  est,  cependant,  une  formule 
plus  générale  qui  semble  appliquer  la  même  pénalité  à 
d'autres  fautes  graves  des  clercs  :  nous  voulons  parler 
de  la  consultation  de  Célestin  III  ainsi  conçue  :  Si 
clericus  in  quoeumque  ordine  conslitutus  in  furto 
vel  homicidio  vel  perjurio  seu  alio  mortali  crimine 
fuerit  deprehensus  légitime  atque  convictus,  ab 
iastico  judice  deponendus  est.  Oui  si  depositus, 
incorrigibilis  fuerit,  excommunicari  débet,  deinde, 
contumacia  crescente,  anathemalis  mucrone  feriri, 
Postmodum  vero,  si  in  profundum  malorum  veniens 
contempserit,  cum  Ecclesia  non  habeal  ultra  quid 
facial,  et  ne  possil  esse  ultro  perdilio  plurimorum. 
tecularem  comprimendus  iist  potettatem,  ita 
quod  ei deputetur  exsilium  tel  alia  légitima  pœna 
inferatur,  I.  II.  tii.  i.  De  judic.,  c.  70.  Le  pape  ■ 
que  les  voleurs,  les  homicides,  le-  parjures  ou  tous 
nds  criminels  qui,  sous  le  coup  des  pénalités 
amélioreraient  pas,  soient  ii 
.m  in. i-  séculier.  Cela  implique  la  dégradation.  M. us 
quand  il  fut  question  de  déterminer  les  ^r;m,ls  crimes 
qui  pouvaient  entraîner  cette  peine,  les  canonistes  ne 
lurent  pas  d'accord,  i  n  Merlu  de  ce  principe  "./ai 
restringi  '■/  favores  convenii  ampliari,  Seat,  Décret., 
De  reg.  ,/"<■.,  c-   I"',   un  certain  nombre  d'entre  eui 

ie  i  ■  ni   qu'il    fallait  s  en    tenir  a   la  lettre  du  ,1 

dire  aux  fautes  que  le  droit 
ment.  Comme  cette  question  n'a  qu'un  intérêt  rétros- 
pi   m   .  ■  ondaire,  nous  nom  abstiendront  de  la  discuter 
plu-  .,  fond,  Cf.  Kober,  •  ■}<    cit.,  y  708407, 

III.  Ili  -   il  RSONNI  -    M  VI  i  i  i  i  -  àPPARTISNI    I  i    D 


491 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


492 


Dl  DÉPOSITION.  —  /.  SUR  LE  CLERGÉ  DO  DIOl 
—  L'évoque  a,  de  tout  temps,  possédé  le  droit  de  dé- 
poser les  clercs  de  son  diocèse.  Il  est,  en  effet,  l'héritier 
des  apôtres,  et  c'est  à  eux  que  le  Christ  a  conféré  le 
droit  de  «  régir  l'Église  de  Dieu.  »  Act.,  xx,  28.  <<  Tout 
ce  que  vous  lierez  sur  la  terre,  leur  dit-il,  sera  lié 
dans  le  ciel,  et  tout  ce  que  vous  délierez  sur  la  terre 
sera  délié-  dans  le  ciel,  x  Matin.,  xvin.  19-20;  cf.  Marc, 
xvi,  15-16;  Luc,  xxn,  19;  Joa.,  xx,  21-23.  Aussi  voyons- 
nous,  dans  les  Actes,  les  apôtres  à  l'œuvre,  nommant 
des  diacres,  et  leur  imposant  les  mains,  vi,  1-6;  éta- 
blissant des  prêtres  à  la  tête  des  églises,  xiv,  22,  et 
posant  des  règles  disciplinaires  au  nom  du  Saint- 
Esprit,  xv,  28-29.  Au  point  de  vue  pénal,  l'autorité 
n'est  pas  moins  visible.  Le  Sauveur  leur  avait  dit  de 
considérer  comme  des  païens  et  des  publicains  ceux 
qui  n'obéiraient  pas  à  l'Église.  Mat  th.,  xvnr,  15-17. 
Usant  de  ce  droit,  saint  Paul  livre  à  Salan  un  fidèle 
de  Corinthe.  ICor.,  v,  3-5;  cf.  II  Cor.,  xm,  10;  ITim., 
i,  20.  Et  les  prêtres  n'échappent  pas  plus  que  les  fidèles 
à  cette  juridiction.  Saint  Paul,  l  ïim.,  v,  17-21,  de- 
mande seulement  que  les  accusations  portées  contre 
un  prêtre  ne  soient  pas  reçues  à  la  légère.  Presbytero- 
rum  ergo  judices  sunl  episcopi  el  quidem  summi  ja- 
dices,  écrit  Thomassin,  à  propos  de  ce  texte.  Part.  II, 
1.  I,  c  xv,  n.  3. 

En  excommuniant  le  fidèle  de  Corinthe,  l'apôtre 
prend  à  témoin  les  membres  de  la  communauté  :  con- 
gregatis  vobis  et  meo  spiritu.  I  Cor.,  v,  4.  On  en  peut 
conclure,  ce  semble,  qu'il  n'entendait  pas  agir  seul. 
Leçon  destinée  à  montrer  aux  évêques  futurs  qu'ils  ne 
devaient  pas  procéder  à  des  exécutions  aussi  graves 
sans  prendre  avis  de  personnes  compétentes  de  leur 
entourage. 

Le  premier  cas  de  déposition  de  prêtres  constaté 
par  l'histoire  se  trouve  justement  dans  l'Église  de 
Corinlhe  :  c'est  l'œuvre  de  la  communauté;  le  rôle  de 
l'évèque  n'est  pas  nettement  indiqué.  C'est  que  Co- 
rinthe comptait  plusieurs  presbylres  (ou  prêtres)  épis- 
copes.  S.  Clément  de  Rome,  1  Cor.,  xliv,  5;  liv,  2; 
lvii,  1,  Funk,  Patres  apostolici,  2e  édit.,  Tubingue, 
1901,  t.  i,  p.  156,  168,  172.  S'agissait-il  d'une  révolte 
de  la  communauté  contre  tous  les  supérieurs  ecclé- 
siastiques, ou  bien  certains  presbytres  furent-ils  assez 
puissants  pour  déposer  leurs  collègues?  Saint  Clément 
de  Rome  intervint  et  posa  ce  principe  :  «  Ceux  qui 
ont  été  établis  par  les  apôtres  ou  par  les  créatures  des 
apôtres,  toute  l'Église  y  consentant  —  et  qui  ont  rem- 
pli leur  ministère  sans  reproche,  selon  le  témoignage 
persévérant  de  tous  —  ceux-là,  notre  avis  est  qu'on 
ne  peut  les  déposer  de  leur  ministère,  »  xliv,  3,  p.  156. 
Si  Clément  ne  parle  pas  de  celui  à  qui  revient  le  droit 
de  déposer  un  prêtre,  c'est  que  1  épiscopat  monar- 
chique n'était  pas  encore  définitivement  établi  à  Co- 
rinlhe, comme  il  l'était  à  Rome.  Sur  cette  question 
qui  demanderait  à  être  traitée  à  part,  cf.  Kober,  op. 
cit.,  p.  289  sq.;  Batiffol,  La  hiérarchie  primitive,  dans 
Éludes  d'Iiisloire  et  de  théologie  positive,  Paris,  1902, 
p.  225  sq. 

A  partir  du  jour  où  chaque  Église  fut  régie  par  un 
évêque,  celui-ci  jouit  de  toutes  les  prérogatives  du 
pouvoir;  le  rôle  de  juge  des  clercs  de  son  diocèse  lui 
fut  exclusivement  réservé.  C'est  ainsi  qu'en  231 
l'évèque  d'Alexandrie  Démétrius  frappa  Origène  de  la 
peine  de  la  déposition,  sous  sa  propre  responsabilité 
et  sans  l'avis  de  ses  prêtres.  Photius,  Biblioth., 
cod.  118,  P.  G.,  t.  cm,  col.  397.  Le  concile  d'An- 
tioche  de  341,  can.  12,  suppose  que  cet  usage  est 
partout  en  vigueur  :  Eï  tiç  Oitô  to0  iôt'o-j  èjriffxÔ7rov 
xaOaipsÛs'i;  upEo-ëûxepo;  r\  ôi'axovoç,  •/.:),.  Hardouin,  t.  i, 
p.  597.  Les  conciles  de  Carthage  de  390,  can.  8,  ibid., 
col.  953.  et  de  398,  can.  66,  ibid.,  col.  983,  et  Gratien, 
caus.  XI,  q,  ni,  c.  30,  parlent  de  la  même  idée,  quand 


ils  reconnaissent  au  prêtre  ou  à  tout  autre  clerc  déposé 
le  droit  d'en  appeler  aux  évêques  voisins  ou  au  synode. 
Les  Constitutions  apostoliques,  d'origine  orientale, 
posent  expressément  ce  droit  épiscopal  en  principe, 
aux  environs  de  l'an  100  :  'En:<rxo7co;  naQatpei  icâvra 
xXr,p(xàv  aÇiov  Svra  xaOaipItre&K,  1.  VIII,  c.  xxvni, 
P.  G.,  t.  i,  col.  1 121.  El  ce  principe  était  si  universelle- 
ment reconnu  que  les  empereurs  chrétiens  le  sanc- 
tionnèrent par  une  loi  :  «  Tout  clerc  accusé  devait 
d'abord  comparaître  ju.rta  sacra  instiluta,  apud  epis- 
copuni  in  quo  clcricus  rersatur,  »  1.  XXIX,  De  episcop. 
audientia,  iv,  1. 

Et  ce  n'est  pas  seulement  en  vertu  des  textes  scrip- 
turaires  ou  de  la  théologie  positive  que  l'on  peut  attri- 
buer à  l'évèque  le  droit  de  déposer  les  clercs  de  son 
diocèse.  Il  suffit  de  remarquer  que  les  clercs  n'existent 
que  par  lui,  pour  en  conclure  que  ce  qu'il  leur  a  dôme 
il  doit  pouvoir  aussi  le  leur  ôter.  Les  apôtres,  leurs 
auxiliaires  et  leurs  successeurs  confèrent  par  l'imposi- 
tion des  mains  les  différents  degrés  de  l'ordre.  Cf.  Act.. 
vi,  6;  xiv,  23;  I  Tïm.,  m,  14,  15;  II  Tim.,  i,  6;  lit., 
i.  5.  Saint  Jérôme  et  nombre  d'autres  Pères  notent 
justement  que  ce  qui  distingue  les  évêques  des  simples 
prêtres,  c'est  le  pouvoir  d'ordonner  :  Quid  facil, 
excepta  ordinatione,  episcopus,  quod  presbyter  non 
faciat?  Epist.,  lxxxv,  ad  Evangelum,  P.  L.,  t.  xxn. 
col.  1194.  Cf.  S.  Jean  Chrysostome,  In  1  ad  {Tim., 
homil.  xi,  P.  G.,  t.  lxii,  col.  553.  Il  est  vrai  que  dans 
l'ordination  de  ïimothéela  participation  des  prêtres  à  la 
cérémonie  est  également  marquée  :  p.E7a  irabiaiw;  tô* 
/Eipôiv  to-j  TrpECTo-jTEp'O'j,  I  Tim.,  iv,  14;  les  prêtres 
imposent  aussi  les  mains  au  nouvel  élu.  Mais  cela 
n'empêche  pas  saint  Paul  de  penser  que  le  pouvoir 
d'ordre,  le  yâpi(T(j.a,  n'a  été  conféré  à  son  disciple  que 
par  lui-même,  otà  -r?,:  i-tiinzw;  t<ôv  getp&v  piou.  II  Tim., 
i,  6.  C'est  ainsi,  du  reste,  que  la  tradition  a  toujours 
interprété  la  participation  des  prêtres  à  la  cérémonie 
de  l'ordination  sacerdotale.  «  Lorsqu'on  ordonne  un 
prêtre,  dit  le  prétendu  IVe  concile  de  Carthage,  epis- 
copo  eum  benedicenle  et  maman  super  caput  eius 
tenente,  tous  les  prêtres  présents  tiennent  aussi  leurs 
mains  sur  sa  tête  à  côté  de  la  main  de  l'évèque,  » 
can.  3,  dans  Hardouin.  t.  i,  col.  979,  et  Gratien,  dist. 
XXIII,  c.  8.  Il  est  clair  que  c'est  la  «  bénédiction  » 
épiscopale  qui  est  censée  conférer  l'ordre,  et  non  la 
simple  imposition  des  mains  laquelle  est  commune  à 
l'évèque  et  aux  prêtres.  Les  Constitutions  apostoliques, 
1.  VIII,  c.  xxviii,  P.  G.,  t.  i,  col.  1121,  soulignent  ex- 
pressément celte»  distinction  :  ètuV/.o-o;  /E;poGETe:T 
ysipoTOVEÎ... ;  TtpEtrêjTEpoç...  ysipoOeTE!,  où  -/E!po?ov;f, 
j/resbyter  manus  imponit,  non  ordinal.  C'est  donc 
bien  l'évèque  et  l'évèque  seul  qui  communique  le  pou- 
voir d'ordre,  c'est  par  conséquent  à  lui  seul  que  revient 
le  droit  de  l'ôter. 

11  est  bien  vrai  que,  pour  le  conférer,  il  est  assisté 
de  son  presbyterium.  Pour  la  même  raison,  il  ne 
l'ôlera  pas  non  plus  sans  l'assistance  de  ceux  qui 
forment  son  conseil.  Le  pape  Corneille  donne  l'exem- 
ple de  cette  pratique  dès  le  milieu  du  ni'  siècle  :  Omni 
igitur  actu  ad  nie  perlato,  placuit  conlrahi  presbyte- 
rium...  ut  /innato  consilio,  quid  circa  personam 
eorum  observari  deberet,  consensu  omnium  stalue- 
retur.  Epist.,  xi.vi,  ad  Cyprianuni,  P.  L.,  t.  îv, 
col.  311.  Mais  l'Eglise,  dans  sa  prudence,  voulut  en- 
tourer de  toutes  les  garanties  possibles  un  acte  aussi 
grave  que  la  déposition  d'un  prêtre,  ou  même  d'un 
simple  diacre.  Le  concile  de  Carthage  de  348  exige 
pour  la  déposition  d'un  prêtre  la  présence  de  six 
évêques  voisins,  el  pour  celle  d'un  diacre  la  présence 
de  trois  évêques,  can.  11,  Hardouin,  t.  i,  col.  687. 
Même  règle  au  concile  de  Carthage  de  390,  can.  10, 
ibid.,  col.  953,  et  au  concile  de  Carthage  de  397,  can.  8, 
ibid.,  col.    962;    Gratien,    caus.   XV,    q.    vu,    c.   3-5. 


493 


DÉPOSITION    ET    DEGRADATION    DES   CLERCS 


494 


Cf.  concile  de  398,  can.  23,  Hardouin,  t.  i,  col.  980. 
L'ordinaire  conserve  plus  de  liberté  pour  juger  les 
clercs  minorés  :  reliquorum  auteni  clericorum  causas 
etiam  solus  episcopus  loci  agnoscit  et  finiat;  il  est 
seul  pour  en  connaître  et  porter  la  sentence.  Saint 
Grégoire  le  Grand  ne  fait  pas  de  distinction  entre  les 
clercs;  il  demande  seulement  que  l'évoque  ne  décide 
rien  sans  son  conseil  :  de  quoeumque  clerico...  prse- 
sentibus  senioribus  Ecclesise  tuse  diligente)'  est  veritas 
perscrulanda,  etc.  Epist.,  1.  XIII,  epist.  xi.iv,  ad 
Joann.  Panorniit.  episcop.,  dansGratien,  dist.  LXXXVI, 
c.  23,  et  caus.  XV.  q.  vu,  c.  2.  Cf.  le  concile  de 
Tolède  de  674,  can.  7,  dans  Hardouin,  t.  m,  col.  1027. 

Dans  la  pratique,  la  prescription  des  conciles  de  Car- 
tilage n'était  pas  facile  à  observer.  Les  canonistes  du 
moyen  âge  la  rappelaient  volontiers.  Concile  de  Trêves 
de  895,  can.  10,  dans  Hardouin,  t.  VI,  col.  412;  Réginon 
de  Priim,  De  synodalibus  causis,  append.  I,  c.  63, 
édit.  Wasserschleben,  op.  cit.,  p.  421.  Aussi  le  concile  de 
lîouen  de  1072,  can.  20,  dans  Hardouin,  t.  VI,  col.  1 190, 
nutorise-t-il  les  évoques  convoqués  par  l'ordinaire  pour 
la  déposition  d'un  prêtre  ou  d'un  diacre  à,se  faire  rem- 
placer par  un  «  vicaire  »  :  unusquisque  qui  adesse  non 
poterit,  vicarium  suum  cuin  sua  aucloritate  trans- 
mutât. Le  concile  de  Frioul,  dans  la  province  d'Aqui- 
lée,  décide  au  contraire,  en  796,  que  l'ordinaire,  en 
pareil  cas,  devra  prendre  avis  du  patriarebe  avant  de 
procéder  à  la  déposition  d'un  prêtre,  d'un  diacre  ou 
d'un  archimandrite,  can.  7,  Hardouin,  t.   iv,  col.  858. 

Ces  diverses  décisions  embarrassent  Gratien  qui  les 
rapporte  dans  son  Décret,  caus.  XV,  q.  vu,  c.  1,  7; 
caus.  Ill.q.x .  c.2-6.  Grégoire  IX  essaie  d'y  mettre  quelque 
ordre.  Il  commence  par  bien  établir  que  la  destitulio 
d'un  prêtre  appartient  à  l'évêque,  aussi  bien  que  son 
institutio,  I.  V,  lit.  vu,  De  hœrelic,  c.  12;  cf.  1.  III, 
lit.  xxxvn.  De  capell.  monach.,  c.  1,  tam  ordinatio 
ejus  quam  depositio.  Mais  ce  principe  posé,  il  demande 
que  l'ordinaire  ne  frappe  pas  ses  prêtres  de  suspense 
sinr  judicio  capiluli,  I.  Y,  tit.  XXXI,  De  excess.  prxlal., 
c.  1.  El  puni  la  dégradation  sans  laquelle  un  prêtre  héré- 
tique ne  pouvait  être  livré  au  bras  séculier,  comme  le 
nombre  d'évéquea  requis  par  les  canons  n'était  pas 
facile    à    réunir,  il    autorise  l'évêque  à  les  remplacer 

par  les  abbés  et  les  autre-  prélats  ou  personnes  reli- 
li  ttr<  es  de  son  diocèse.  »  iiext.  Décret.,  1.  V, 
lit.  il,  De  lurent.,  c.  1. 

lions  'le  Grégoire  l\  devinrent  bientôt 
lettre  moite.  Durand,  tout  en  reconnaissant  que,  pour 
procéder  à   la   déposition  d'un  prêtre,  l'évêque  doit  le 
cutti  sud  •  ua  synodo,  cutn  tuo  capitulo, 

observe  que  dans   la  pratique   il   n'en  est  pas  ainsi  : 
Qtendent  perse  vel  per  officiale»  iuos, 
-  criminelles  de  leurs  clercs         Spéculum 
.  I.  III.  pu  lie.  I.  sect.  IV,  lie  accusai .  Le  cbapiti 
prend  aucune  pari  .i  leur  décision.  Boniface  VIII  cons- 
tate que  cette  procédure  simplifiée  avail  de  -on  temps 

de  coutu i  déclare  qu'il  n'y  a   pas  lieu  de  |,, 

ennsuctudo  quam  allegat  episco- 

,i,s.  puniendis  et 

I  iluli 

ne  tenealur.   Sert.    Décret.,  I.  I. 

lit    '  ,  tit.  xvi.  lie  offic.  or  dinar.,  c.  7. 

Il     'I'      In   n!'      le     lil    que    e.n    .,,   I  e|     ,  ,   |   ,  t.,|   ,|r 

d  décidant  que.  dans  les  affaires  dise  iplinain 
!  évi  que  ou  l'ordinaii  •    lerail  seul  juge 

•n    de  lOUtt    lugl  i  ■  le  •     étl  RUgl  i  \  IV, 

;  \llellll    I   I.   le  il,.    M, m 

'  on  idiction.  Sets.  M V,  c.  iv .  De 

dO  i  .un  pOE 

llfe  'i  ut  s'en  pn  valoir, 

poui  i    il'    leui  évi  que.  Jbid., 

Il  faut  due  l.i  nu  ne  |   .mi  ail  ni 

i   I'   pape,  I.  I,  tit.  xxxiii.  /'• 


et  obedient.,  c.  7;  1.  II,  tit.  n,  De  foro  compétent.,  c.  3, 
20;  1.  V,  tit.  xvii,  De  raptor.,  c.  1.  Cf.  Kober,  op.  cit., 
p.  338-340.  Que  si  un  évêque  ou  autre  prélat  possède 
par  privilège  quelque  droit  de  juridiction  sur  certaines 
personnes  d'un  diocèse  déterminé,  il  ne  peut  l'exercer 
sans  l'assentiment  de  l'ordinaire  de  ce  diocèse.  Sess.  XIV, 
c.  vin,  De  reforni.  Pour  mieux  marquer  son  intention, 
le  concile  ôta  même  aux  archidiacres  les  privilèges  qu'ils 
possédaient  au  moyen  âge.  On  sait  qu'ils  exerçaient 
dans  leur  archidiaconé  une  juridictio  propria  indépen- 
dante de  la  juridiction  épiscopale,  1.  I,  tit.  XXXIII,  De 
of/ic.  archiiliac,  c.  7;  1.  V,  tit.  xxvn,  De  pœnis,  c.  3. 
Innocent  III  reconnaît  expressément  l'archidiacre 
comme  «  juge  ordinaire  »  :  ne  diœcesanus  episcopus 
vel  arcltidiaconus j udex ,  etc.  Regesta,  1.  XIV,  epist.  xlv, 
P.  L.,  t.  CCXVI,  col.  413.  Un  tel  pouvoir  limitait  d'au- 
tant l'autorité  épiscopale.  Le  concile  met  un  terme  à 
cet  abus;  il  décrète  que  «  les  causes  matrimoniales  et 
criminelles  seront  réservées  à  l'examen  et  à  la  juridic- 
tion de  l'évêque  seul.  »  Sess.  XXIV,  c.  xx,  De  reforni. 
Dans  ces  conditions,  l'ordinaire  jouit  d'une  indépen- 
dance absolue  vis-à-vis  de  son  clergé,  et  il  n'a  besoin  de 
recourir  à  l'assistance  de  personne  pour  juger  et  dépo- 
ser un  prêtre  ou  un  diacre,  à  plus  forte  raison  les 
clercs  minorés. 

En  vertu  d'un  mandatunt  spéciale,  les  vicaires  g;né- 
raux  ont  le  même  pouvoir  sur  les  clercs  d'un  diocèse, 
et,  le  siège  vacant,  cette  prérogative  passe  au  chapitre, 
et  par  le  chapitre  au  vicaire  capitulaire.  Sexli  Décret., 
1.  I,  tit.  xm,  De  offic.  vicar.,  c.  2.  Cf.  tit.  xvi,  De  offic. 
ordinar.,  c.  7;  concile  de  Trente,  sess.  XXIV,  c.  xvi, 
De  reform. 

Les  droits  que  l'évêque  exerce  dans  son  diocèse,  le 
pape  les  possède  dans  toute  l'Eglise.  Gratien,  c.  17, 
18,  caus.  IX,  q.  ni;  cf.  c.  6,  dist.  XL.  Tout  clerc,  à 
quelque  diocèse  qu'il  appartienne,  peut  donc  être  déposé 
par  le  pape.  Il  va  sans  dire  que  les  conciles  généraux 
jouissent  des  mêmes  prérogatives  que  le  souverain  pon- 
tife. Le  champ  d'action  des  cardinaux  est  beaucoup 
plus  limité;  ils  ont  la  juridictio  quasi  episcopalis  dans 
les  églises  de  leurs  titres,  Sixte-Quint,  const.  Religiosa 
de  1587;  et  le  droit  de  censure  sur  les  clercs  attachés 
à  ces  églises  leur  est  expressément  reconnu,  1.  1, 
tit.  xxxili,  De  majorit.  et  obedient.,  cil;  comme  ils 
peuvent  instituer  ces  clercs  en  toute  indépendance,  I.  I, 
lil.  vi,  De  elect.,  c.  24,  ils  peinent  pareillement  les 
déposer.  Fagnan,  Comment,  in  c.  Il,  X.  De  majorit.  et 
obedient.,  I.  xxsill,  n.  21.  Les  légats  du  pape  exerçaient 
aussi  au  moyen  âge,  comme  représentants  du  pape, 
une  jui  idicito  ordinaria,  dans  la  province  qui  leur 
('■lait  confiée,  1.  I,  lit.  xxx,  De  of/ic.  Icqat-,  c.  3. 
Cf.  Reiffenstuel,  ad  h.  lit.,  n.  25.  Celle  juridiction  qui 
limitait  nécessairemen  celle  de  l'ordinaire  parut  abu- 
sive. Elle  fui  supprimée  par  le  concile  de  Trente. 
S.XIV,  c  \\.  De  reform.  Le  droit  des  archevêques 
ou  métropolitains  ne  s'étendent  pis  jusqu'à  la  dépo- 
sition des  clercs  des  diocèses  Buffragants,  cuis.  IX. 
q.  ni,  c.  7,  8,  arg.  ;  1. 1,  lil.  XXXI,  Dr  offic.  jud,  ordinar., 
e.  9;  il-  forment  simplement  un  tribunal  de  première 
instance  pour  certains  cas  déterminés,  Fagnan,  Corn* 
nient.,  in  <■.  8,  \.  Dr  excess.  prrntal  .  \ .  xxxi,  n.  s. 

I.  liai  ne  possède  évide lent  pas  le  pouvoir  de  dé- 

lei  clercs.  Ces!  un  principe  de  droit  romain, 
aussi  bien  que  de  droit  canonique,  qu'un  privilège  ne 
peut  ■  lie  ,,i,  que  par  l'autorité  qui  le  confère  <<'  inde 
a  /m!  Ivalio,  unilr  etiam  datur.  Novell.,  xv, 

c.  i .  cf.  I.  v.  Ut,  vu,  De  hmret.,  c.   12.  El  le  pouvoir 
civil  ne  pi  ni  conférer  l'ordre  m  la  juridiction  ecclé- 
siastique, ^e  fui  donc   |i,n    abus  que  le    i" 
simplement  les  patron  I  es  firent,  au  moyen 

.n  ii  d'autorité  pour  donnei  ou  ôter  les  bénéfices.  L  • 
( oui  île    pi  un  illégitime, 

Concile  ii  tries  de  813,  can.  39,  dans  Hardouin,  t.  iv, 


',!!.-, 


DEPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLEF 


L96 


col.  1004,  1014;  concile  de  Lillebonne  de  1080,  can.  9, 
Hardouin,  t.  vi,  col.  1599;  concile  «l(  Londres  de  1125, 
can.  9,  Hardouin,  t.  vi,  col,  1 12G;  concile  de  Tolède  de 
683,  can.  2,  Hardouin,  1.  [II,  col.  1739.  Et  le  III»  concile 
de  Latran  de  1179  prononça  contre  ceux  qui  attente- 
raient aux  droits  exclusifs  de  l'évéque  sur  ses  clercs  en 
matière  criminelle  la  peine  de  l'excommunication,  1.  III- 
lit.  XXXVIII,  De  jure  patronat.,  c.  4. 

Mais  comment  l'évéque  procède-t-il  pour  déposer  un 
clerc?  Si  le  clerc  esl  présent,  il  suffit  que  le  juge  pro- 
nonce contre  lui  la  sentence  de  déposition;  s'il  est 
absent,  on  la  lui  communique  par  écrit.  Telle  est  la 
coutume,  comme  on  peut  le  voir  par  la  déposition  de 
Nestorius  au  concile  d'Éphèse  de  431,  Hardouin,  t.  j, 
col.  1421,  1433;  par  celle  d'Eutychès  au  concile  de  Cons- 
tantinople  de  448,  Hardouin,  t.  n,  col.  H33;  par  celle 
de  Gotescalk  au  synode  de  Quiercy  en  8i9,  Hardouin, 
t.  v,  col.  20;  cf.  Hefele,  Conciliengeschiehte,  1879,  t.  iv, 
p.  137  sq.;  par  celle  que  prononça  le  pape  Nicolas  Ier 
contre  l'archevêque  de  Trêves  et  l'archevêque  de  Cologne 
en  863.  Hardouin,  t.  v,  col.  594;  Gratien,  caus.  XI,  q.  III, 
c.  10.  Cf.  la  sentence  de  déposition  prononcée  par  Inno- 
cent III  et  devenue  une  formule  du  droit,  1.  II,  tit.  xiv, 
De  dolo  et  contumac,  c.  8.  Du  reste,  même  après  que 
Doniface  "VIII  eût  réglé  le  cérémonial  de  «  la  dégrada- 
tion actuelle,  »  la  simple  déposition  conserva  son  carac- 
tère de  simplicité,  et  Durand  montre  que,  de  son  temps 
comme  par_le  passé,  deponitur quis  solo  verbo.  Spécu- 
lum juris,  1.  III,  part.  I,  sect.  il,  De  accusât. 

il.  DÉPOSITION  DES  ABBÉS.  —  A  l'origine,  les  monas- 
tères n'étaient  peuplés  que  de  laïques;  les  abbés  eux- 
mêmes  ne  faisaient  pas  partie  du  clergé.  La  juridic- 
tion que  l'évéque  exerçait  sur  eux  ressemblait  donc  à 
celle  qu'il  exerçait  sur  les  simples  fidèles  :  la  plus 
grande  peine  qu'il  pouvait  leur  infliger  était  la  péni- 
tence publique.  Cf.  S.  Léon  le  Grand,  Epist.,  ci.xvn,  ad 
ïtuslicum  Narbonens.,  c.  xiv,  P.  L.,  t.  nv,  col.  1207.  Le 
concile  de  Carthage  de  401,  can.  14,  laisse  entendre  que 
nombre  de  moines  recevaient  les  ordres.  Hardouin,  t.  i, 
col.  988.  Dans  tous  les  cas,  clercs  ou  non,  les  moines  dé- 
pendaient du  tribunal  de  l'ordinaire;  les  lois  ecclé- 
siastiques et  les  lois  civiles  le  reconnaissent.  Concile 
de  Chalcédoine,  can.  7,  Hardouin,  t.  il,  col.  603;  No- 
vell., lxvii,  c.  i;  cxxin,  c.  ii.  On  peut  voir  dans  Gratien 
toute  la  législation  qui  se  réfère  à  ce  sujet,  caus.  XVIII, 
q.  ii,  c.  16.  La  même  discipline  se  retrouve  dans  les 
Décrétâtes  de  Grégoire  IX,  1.  I,  tit.  vi,  De  elecl.,  c.  49; 
1.  V,  tit.  m,  De  simonia,  c.  43,  et  de  Boniface  VIII, 
c.  7,  Sext.  Décret,  V,  tit.  vu,  De  privileg. 

Les  abbés  doivent  obéissance  à  l'ordinaire  du  lieu  où 
est  fondé  leur  monastère,  c.  9,  Sext.  Décret.,  1.  V, 
tit.  vu,  De  privileg.  Cf.  pontifical  romain,  De  bene- 
dictione  abbalis.  Aussi  bien,  s'ils  doivent  être  élus 
librement  par  leurs  frères  et  en  conformité  avec  [les 
règles  particulières  de  leur  institut,  cf.  Régula  S.  Be- 
nedicti,  c.  i.xiv,  P.  L.,  t.  lxvi,  col.  880;  concile  de 
Carthage,  sub  Reparato,  de  liberlate  monaslerioruni, 
dans  Hardouin,  t.  n,  col.  1178,  et  le  code  de  .lustinien, 
De  episcop.,  III,  i,  47  :  quem  commune  reliquorum 
monacltoruni  coniplemenlum  aut  maxima  eoruut 
pars  idoneuin  ad  hoc  putaveril  et...  elegerit,  leur 
élection  reste  sans  effet  tant  qu'elle  n'est  pas  ratifiée 
et  confirmée  par  l'ordinaire.  Justinieo  remarque  expres- 
sément qu'il  appartient  à  l'évéque  ut  promoveat  ipsurti 
(élection)  ail  hujusmodi  abbalis  ordinem.  De  episcop., 
III,  î,  47.  C'est  donc  l'évéque  qui  proprement  institue 
les  abbés  dans  leurs  fonctions.  Il  s'ensuit  qu'il  peut 
les  destituer.  Et  historiquement  on  voit  qu'il  en  fut 
ainsi.  Cf.  concile  de  Toul  de  859,  can.  1,  dans  Har- 
douin, t.  v,  col.  487.  Le  IVe  concile  de  Latran  consacre 
cette  pratique.  Il  recommande  aux  visitateurs  et  visi- 
tatrices  des  monastères  de  signaler  les  abbés  indignes 
à  l'ordinaire,  afin    d'obtenir   leur  déposition    :   deitnn- 


lient  episid/m  proprio    "t    illum   amovere  procuret. 
De  statu  monachorum,  1.  III,  tit.   xxv.  c.  7.  Kl  pour 
faciliter  l'application  de  cette  discipline,  Honorius  III 
autorise    l'ordinaire    à    procéder    absqi 
strepitu.  Sur  le  sens  de  ces  expressions,  »oir  dans  les 
Clémentines,  I.  V,  tit.  xi,  De  verborum  signifiait.,  c.  2. 
Cf.  Reiffenstuel,  Jus  canonic,  I.  V,  tit.  i,  n.  320 
l'abbé  est  coupable  de  dilapidation  ou  d'un  autre  crime 
non   moins  grave,   dit  le   pontife,  per  diœcesanv 
amoveatw  absque  judù  irepilu  a  regimine 

abbatise  »,  etc.  Les  fautes  pour  lesquelles  l'ordinaire 
peut  frapper  de  la  peine  de  la  déposition  un  abbé-  de 
son  diocèse  sont  indiquées  dans  les  conciles,  dans  Gra- 
tien et  dans  les  Décrétâtes.  Concile  d'Orléans  de  511. 
can.  19,  Hardouin.  t.  il,  col.  1011;  concile  d  Epaone  de 
.">I7,  can.  19.  ibid.,  col.  1019:  concile  de  Toul  de  839, 
can.  I,  Hardouin,  t.  v.  col.  187;  Gratien,  caus.  XVIII, 
q.  il,  c.  15;  Décrélales,  1.  III,  tit.  xxxv.  /),■  statu  ,,iona- 
cltorum,  c.  2;  Glossa,  in  c.  6.  X.  tit.  cit..  III.  xxxv, 
au  mot  Négligeas;  const.  Panas  fons  de  Clément  IV 
en  1265,  dans  Tamburini,  De  jure  abbalum,  t.  i. 
disp.  XIII,  q.  n,  n.  13. 

Est-il  besoin  de  noter,  en  finissant,  que  durant  le 
moyen  âge  un  grand  nombre  d'abbayes  étaient  exemp- 
tes et  ne  relevaient  que  du  saint-siège'.'  La  juridiction 
épiscopale  s'arrêtait  nécessairement  à  leurs  portes. 
C'était  le  souverain  pontife  seul  qui  donnait  à  leurs 
abbés  la  bénédiction  et  confirmait  leur  élection.  Cala- 
lani,  Pontificale  romanum,  t.  i,  p.  253  sq.  Seul  par 
conséquent  le  pape  pouvait  les  destituer  et  les  déposer  : 
Hœc  circa exemptos  ahbates  fieri  praecipimus....  dépo- 
sition' ipsorum  sedi  apostolicae  reserrata,  etc.  L.  III, 
tit.  xxxv,  De  statu  monach.,  c.  8.  Pour  la  procédure 
suivie  en  pareil  cas,  cf.  Tamburini,  <qi.  cit.,  t.  i, 
disp.  XIII,  q.  il,  n.  1. 

///.  miras  ri  tn\  des  ÉvÊQUES.  —  C'est  un  principe 
du  droit,  fondé  d'ailleurs  sur  la  nature  des  choses, 
qu'un  égal  ne  peut  juger  son  égal  :  Non  habet  impe- 
rium  par  in  parent,  1.  I,  tit.  vi,  De  elect.,  c.  20.  l'n 
évêque  ne  peut  donc  être  déposé  par  un  évéque.  Les 
Constitutions  apostoliques,  aux  environs  de  l'an  MX), 
l'avaient  déjà  reconnu,  I.  VIII,  c.  XXVIII,  P.  C,  t.  i. 
col.  1 124.  Le  concile  de  Conslanlinople  de  394  posa  même 
en  règle  que  la  réunion  de  deux  ou  trois  évéques  n'était 
pas  un  tribunal  compétent  pour  juger  un  de  leurs 
collègues.  Hardouin,  t.  i,  col.  957. 

A  considérer  la  constitution  de  l'Eglise  telle  qu'elle 
s'est  accusée  à  travers  les  âges,  c'est  le  pape  seul,  le 
successeur  de  saint  Pierre,  chef  des  apôtres,  qui,  en 
raison  de  sa  primauté,  exercerait  une  suprême  juridic- 
tion sur  ses  frères  les  évéques.  Celte  primauté  se  trouve 
attestée,  dés  le  début  du  n  siècle,  par  saint  Ignace. 
L'épitre  qu'il  adresse  aux  liomains  contient  dans  sa 
suscription  certaines  expressions  très  caractéristi- 
ques: r,Ti;  xxi  itpoxà6/-,Tai  vi  toto)  ^topt'ov  'Pcij-jau.iv... 
y.x'i  npoxa6r||iiv7|  irt:  a-iTTr,;.  /'.  Cf.,  t.  v.  col.  685. 
M.  Funk,  qui  discute  ce  texte  à  fond,  lier  Primai 
der  rômischen  Kirche  nach  Ignalius  und  1  rendus, 
dans  Kirchengeschichtliclie  Ab/tandlungen,  Paderborn, 
1897,  I.  1,  p.  219,  le  traduit  ainsi  :  L'Église  qui  pré- 
side dans  le  pays  des  Romains...  qui  préside  sur  la  fra- 
ternité. "  L'évéque  d'Antioche  attribue  donc  à  l'Eglise 
romaine  une  prééminence  universelle...  Reste  à  savoir 
où  cette  prééminence  a  sa  source...  Si  l'on  considère 
que,  un  peu  plus  loin,  n.  4,  ibid.,  col.  689.  Ignace  men- 
tionne le  rapport  qui  relie'  l'Église  romaine  aux  apôtres 
Pierre  et  Paul,  on  peut  conclure,  par  voie  d'induction. 
qu'il  fonde  sur  ce  rapport  la  primauté  dont  il  vient  de 
parler.  »  Cf.  Denys  Lenain  dans  la  Revue  d'histoire 
et  de  littérature  religieuses,  t.  vi  (1901  .  p.  455-156. 
Voir  pourtant,  contre  celte  interprétation.  Tunnel,  llis- 
toire  lia  dogme  de  la  papauté,  Pari-,  1908,  p.  16-18. 
:(7-:;s.  (in   ne  doit   donc  pas  s'étonner  que  le  pontife 


497 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES    CLERCS 


i98 


romain  ait  exercé  son  autorité  au  loin,  dés  l'origine. 
Quand  le  pape  Victor  (vers  185-197)  menaça  les  évêques 
d'Asie  de  l'excommunication,  à  propos  de  la  question 
pascale,  saint  Jrénée  lui  fit  voir  l'inopportunité  de 
la  mesure  sans  mettre  pour  cela  en  doute  le  pouvoir 
suprême  en  vertu  duquel  le  pontife  agissait.  Eusèbe, 
H.  E.,  1.  V,  c.  xxiv,  P.  G.,  t.  xx,  col.  193.  Calliste 
affirme  pareillement  sa  suprématie  et  Tertullien  lui 
reproche  de  se  considérer  comme  l'évêque  des  évêques. 
De  pudicitia, c.  i,P.  L.,  t.  Il,  col.  981.  Le  pape  Etienne, 
dans  la  controverse  sur  le  baptême  des  hérétiques,  ne 
manquera  pas  d'invoquer  le  titre  que  lui  confère  le  Tu 
es  Peines,  pour  imposer  à  l'Église  d'Afrique  la  règle 
qu'il  suit  lui-même.  S.  Cyprien,  Epist.,  i.xxv,  n.  17, 
élit,  llartel,  du  Corpus  de  Vienne,  p.  821.  Et  bien  que 
saint  Cyprien  s'insurge' contre  la  décision  de  celui  qu'il 
considère  comme  son  «  collègue  »,  Epist.,  i.v,  n.  8;ix, 
n.  "1,  etc..  édit.  Hartel,  p.  C29,  488,  de  Rome,  il  ne  va 
pas  jusqu'à  méconnaître  la  primauté  de  «  la  chaire  de 
Pierre  o  :  Xarigare  audeni  et  ad  Pétri  cal/ieclrani,  etc. 
Epist.,  xn,  n.  14,  P.  L.,  t.  ni,  col.  818. 

Sun  opinion  à  cet  égard  mérite  d'être  notée.  Dans  son 
traité'  F)e  calholicse  Ecclesiœ  unitale,  il  remarque  que 
le  Seigneur  a  bâti  son  Église  sur  un  seul  :  «  Sans 
■doute,  les  autres  apôtres  étaient  autant  que  Pierre;  ils 
avaient  reçu  en  partage  les  mêmes  prérogatives  et  la 
lui  nie  puissance.  Mais  l'unité  est  au  début,  exordium 
ab  unitale,  pour  nous  apprendre  que  l'Église  du  Christ 
-est  une.  »  De  catholiese  Ecclesiœ  unitale,  n.  4,  5,  7,  P.  L., 
t.  iv,  col.  199  sq.  Le  passage  qui  contient  ce  traité  sur 
«  la  primauté  de  Pierre  »  parait  interpolé.  Cf.  Tunnel, 
Histoire  du  dogme  de  la  papauté,  Paris,  1908,  p.  109, 
note.  On  pourrait  dériver  de  la  la  primauté  du  pape. 
Saint  Cyprien  semble  pourtant  ne  voir  dans  le  Tu  es 
Petrus,  que  le  gage  et  le  symbole  de  l'unité.  11  va  plus 
loin  dans  une  ('pitre  adressée  au  pape  Corneille,  il 
signale  des  schismatiques  qui,  après  s'être  donné  un 
[ue  hérétique,  ont  eu  encore  l'audace  de  naviguer 
ire  île  Pierre,  de  su  présenter  devant  la 
première  Eglise,  celle  d'où  est  sortie  l'unité  épiscopale 
pour  lui  porter  des  lettres  impies.  Epist.,  xil,  n.  14, 
/'.  /..,  t.  ni,  col.  818.  Cet  appel  des  schismatiques  a 
Rome  est  déjà  en  soi  fort  significatif,  et  le  primai  de 
Carthage  n'en  méconnaît  pas  la  portée  dogmatique. 
\ln-  une  pareille  démarche  lui  parait  tout  à  fait  r 
table,  parce  que  les  appelants  ont  déjà  été  jugés  sur 
place  en  connaissance  de  cause  et  qu'il  serait  indigne 
des  évêques  qu'on  pûl  les  accuser  d'inconstance  et  de 
légèreté  dans  leurs  arrêts.  Ibiil.  Cyprien  n'envisage 
pas  ici  le  cas  où  la  sentence  primitive,  inacceptée  des 
coupablec  cas  s'esl  présenté  a 

Arles,    el  le  primai  d'Afrique   sollicita    lui-même    le 
pape  Etienne  d'intervenir pourla  déposition  de  Marcien, 
qui  avait  pris  parti  pour  les  novatiens.  «  Envoie,  dit-il, 
à  la  province  et  au  peuple  d'Arles  une  lettre  qui  - 
Marcien  de  son  siège    afin   qu'un    autre   soil  un 

i.,.,  quibu$,ab  lento  Warciano,  alms  inlocc 

tilualur.   Epist.,   i.xyii.    n.  3,    /'.   L.,  t.  iv, 

col.  399.  On  ■<  bi  .nu  ib  strict  de  o 

qui   n  esl    pas    douteux,   c'esl    que   Cyprien 

nul, -.m  pape  un-  li  itrcen  vertu  de  laquelle  l'évêque 

d'Arles  sera  di  pi  ié.  Cf.  Turmel,  op.  ni.,  p.  [26  sq. 

luprématie  du  pontife  romain  el  les  droits  atla- 

ni   donc    suffisait ml    reconnus  par   saint 

rai  qu'ailleurs  il  demande  ■  au  noi 
[uité,  que  la  cause  -ni  inslrui 
oolecrime  i  été  commis  »  et  qui      li    accusés  plaident 
h  m 

ad  Cornel.,  n.  I  i.  /'    /  ,  t.  m. 

col.                  ..  m.  I.  o,,  .  C,.,,,.  péciatng. 
tion  i  I  lil  ju  ■■    Mais  elli 

ni  loui  qu<  ,  droil  lupn  me 

papauté-,  fui-il  reconnu  en  |  tail  ù  un. 


application  difficile  pour  ne  pas  dire  quelquefois  im- 
possible. Aussi,  en  fait,  la  discipline  touchant  la  dépo- 
sition des  évêques  a-t-elle  varié  suivant  les  temps. 

Le  concile  de  Nicée  posa  un  principe  d'où  l'on  tira 
peu  à  peu  la  règle  à  suivre  en  celte  matière.  Le  canon  4 
décide  que  les  évêques  ne  peuvent  être  institués  que 
par  les  évêques  réunis  de  la  province,  métropolitain  en 
tête.  Ilarduuin,  t.  i,  col.  323;  Gratien,  dist.LXIV,  c.  1. 
On  ne  peut  conclure  que  leur  destitution  doit  s'opérer 
de  la  même  manière.  Du  reste,  dans  le  canon  5,  il  est  dit 
que  chaque  année  se  tiendra  un  synode  provincial,  où 
sera  examinée  et  jugée  la  conduite  des  clercs,  aussi  bien 
que  celle  des  laïques.  Les  évêques  ne  sont  pas  nommés 
expressément,  llardouin,  lac.  cit.;  Gratien,  caus.  XI, 
q.  m,  c.  72.  Mais  ils  pouvaient  être  compris  sous  la 
désignalion  générale  de  «  clercs  ».  C'est  du  moins  ainsi 
que  les  papes  et  les  conciles  postérieurs  ont  interprété 
le  canon  nicéen.  Innocent  1er  écrivait  à  Viclrice  de 
Rouen  que  les  alfa  ires  des  clercs  tam  superioris  ordinis 
quam  etiam  inferioris  devaient  être  décidées  devant 
le  concile  provincial,  secundum  synodum  Nicœnum. 
Le  mot  «  évêque  e  n'est  pas  encore  prononcé.  Les 
évêques  d'Afrique,  dans  une  lettre  adressée  en  424,  au 
pape  Célestin,  llardouin,  t.  i,  col.  950,  le  prononcent 
enfin  :  Décréta  nicœna  sive  inferioris  gradus  clericos, 
sive  ipsns  episcopos  suis  melropolitanis  aperlissime 
commiserwnt,  etc.  Longtemps  auparavant  le  concile 
d'Anliocbe  (de  341)  s'était  exprimé  dans  le  même  sens 
et  avec  une  précision  plus  grande  encore.  Il  avait 
déclaré  que  le  svnode  provincial  présidé  par  le  métro- 
politain était  seul  compétent  pour  déposer  un  évêque. 
Si  les  juges  n'étaient  pas  d'accord,  le  métropolitain 
devait  convoquer  des  évêques  d'une  province  voisine. 
En  cas  d'unanimité,  la  décision  était  irrévocable.  .Mais 
si,  même  après  la  convocation  des  évêques  voisins,  l'una- 
nimité ne  pouvait  être  obtenue,  le  jugement  devrait  être 
porlé  au  tribunal  du  synode  patriarcal,  dont  la  sen- 
tence serait  définitive.  Can.  14,  15,  dans  llardouin,  t.  I, 
col.  599,  et  Gratien,  caus.  VI.  q.  IV,  c.  1,  5.  Cf.  can.  12, 
llardouin,  ibid.,  col.  59S;  Gratien,  caus.  XXI,  q.  v, 
c.2. 

Le  concile  de  Sardique  de  343  modifia  profondément 
cette  législation.  D'après  les  canons  3-5,  le  synode 
provincial  formait  un  tribunal  de  première  instance, 
qui  pouvait  prononcer  la  déchéance  d'un  évêque.  Si 
l'évêque  déposé  trouvait  la  sentence  injuste,  il  lui  était 
loisible,  par  respect  pour  l'apôtre  Pierre,  d'en  appelei 
au  pape  .Iules  qui  confirmerait  ou  casserait  le  jugement 
du  synode.  Si  une  enquête  était  nécessaire,  les  évêques 
d'une  province  voisine  en  seraient  chargés  sous  la 
conduite  des  légats  du  pape,  llardouin.  t.  l,  col.  039  sq.  ; 
Gratien,  caus.  VI,  q.  îv,  c.  7;  caus.  II,  q.  vi,  c.  36; 
cf.  llefele,  Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq,  1907, 
t.  I,  p.  7V3.  Ces  décisions  qui  s'accordent  avec  elles  du 
concile  d'Antioche  pour  la  constitution  du  tribunal  de 
première  instance,  en  diffèrent  pour  tout  le  reste.  Il 
n  v  esl  plus  question  d'en  appeler  au  concours  des  évê- 
ques \oism-.  ni  au  synode  patriarcal.  C'est  la  juridiction 
papale   qui    esl  suhsliliiée  aux   antres  pour  la    sentence 

définitive.    De    tels   changements   dans    la    discipline 
orientale  peuvenl  paraître  étranges.  Aussi  l'authenti- 
uoiis  de  Sardique  a-t-elle  été  contestée.  Elle 
est  pourtant  suffisamment  établie.  I  l'authen- 

ticité, i-  Friedrich,  dans  Sitzungtberichte  der  histo- 
richen  Klasse  der  Académie  der  Wissenschaften  :u 
Vùnclien,  1901,  rase.  3,  p.  U7-476;  pour  l'authenticité, 
l'inik,  Die  Echtheit der Canonei  von  Sarc/t/ca, dans  Kir 
chengetchichtliche  Abhandhmgen  mut  Unlersuchun- 
gen,  Padcrborn,  1907,  t.  m.  p.  169-217; cf.  Turner,  The 
genuinett  .</  Ihe  S  >\  ma  Journal  <>/ 

theological  Sludiei,  t.  m  (1902),  \>.  390-397.  N.m- 
ntn  i  dans  la  controverse  qui  s'est  éle- 
i         .i  poinl  qui  nous  intéresse  ici 


i!)9 


DEPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


500 


l'influence  que  ces  canons  ont  exercée  sur  la  discipline 
tanl  en  Orient  qu'en  Occident. 

En  Orient,  l'appel  à  Rome  provoqua  la  protestation  des 
semiariens,  <|ui  déclarèrent  celle  pratique  contraire  â 
l'usage  de  l'Église  :  liane  novitalem...  quant  horrei 
vêtus  consuetùdo  Kcclesix.  Cf.  Decrelum  synodi  orien- 
talium  apud  Sardicam  episcoporum,  dans  Ilardouin, 
t.  I,  col.  G75-(i79.  Les  orthodoxes  parurent  même  par- 
tager ce  sentiment  au  concile  de  Constantinople  de  381. 
On  y  renouvela  les  prescriptions  du  concile  de  Nicée, 
et  on  décida  que  si  un  évêque  frappé  par  un  synode 
provincial  trouvait  injuste  la  sentence  portée  contre 
lui,  il  n'avait  qu'à  en  appeler  au  concile  patriarcal, 
can.  2  et  G,  Ilardouin,  t.  i,  col.  809,  812.  Cf.  Hefele, 
Histoire  des  conciles,  édit.  Leclercq,  1908,  t.  il, 
p.  21  sq.,  32  sq.  De  l'appel  à  Rome,  pas  un  mot;  pas  la 
moindre  allusion  aux  canons  du  concile  de  Sardique; 
ils  furent  traités  comme  s'ils  n'existaient  pas. 

Cependant,  dans  la  pratique,  le  recours  des  évèques 
orientaux  au  tribunal  du  pontife  romain  devenait  pres- 
que habituel.  Eustathe  de  Sébaste,  déposé  par  le  synode 
arien  tenu  à  Mélitène  en  357,  en  appelle  au  pape  Libère 
qui  le  rétablit  sur  son  siège.  Socrate,  H.  E.,  1.  1V,c.xii, 
P.  G.,  t.  i.xviii,  col.  485.  Cf.  Basile,  Epist.,  CCLXin,  ad 
occidentales,  n.  3,  P.  G.,  t.  xxxn,  col.  977.  A  quelque 
temps  de  là,  le  successeur  de  saint  Athanase  sur  le 
siège  d'Alexandrie,  le  patriarche  Pierre,  chassé  par  les 
ariens,  se  met  sous  la  protection  du  pape  Damase,  qui 
le  rétablit  pareillement.  Socrate,  H.  E.,  1.  IV,  c.  xxxvn, 
P.  G.,  t.  lxvh,  col.  557;  cf.  Sozomène,  //.  E.,  1.  VI, 
c.  xxxix,  ibid.,  col.  1413.  Saint  Jean  Chrysostome, 
condamné  à  l'exil  par  le  concile  ad  Qucrcum  en  403, 
se  tourna  à  son  tour  vers  le  pape  Innocent  Ier  pour 
demander  justice;  et  chose  remarquable,  ses  juges  eux- 
mêmes  envoyaient  une  ambassade  à  Rome,  afin  d'ame- 
ner le  pontife  à  partager  leur  sentiment.  Innocent  prit 
parti  pour  l'innocence,  cassa  le  jugement  du  synode  et 
rendit  à  Chrysostome  injustement  déposé  tous  ses  droits. 
Cf.  S.  Jean  Chrysostome,  Epist.  ad  Innocent.,  n.  1,  7, 
P.  G.,  t.  xxvii,  col.  6;  Palladius,  Dialog.  de  vita 
S.  Chrysostomi,  c.  n,  P.  G.,  ibid.;  S.  Gélase,  Epist.  ad 
episcop.  Dardaniœ,  dans  Hardouin,  t.  n,  col.  909. 
Lorsque  plus  tard  (en  448)  Eutychès  eut  été  déposé 
par  le  concile  de  Constantinople,  il  s'adressa  à  saint 
Léon  en  des  termes  qui  témoignent  qu'il  attendait  du 
saint-siège,  considéré  comme  juge  suprême  des  conflits 
ecclésiastiques,  une  décision  qui  lui  serait  favorable  : 
Ad  vos  confugio...  Quse  vera  fueril  vobis  super  (idem 
proferre  senlenliam  et  nidlani  deinceps  perniillere  a 
factiosis  contra  nie  calumniam  procedere.  Epist.  ad 
Leonem,  parmi  les  lettres  de  saint  Léon,  epist.  xxi, 
cm,  P.  L.,  t.  liv,  col.  71i.  Sa  requête  fut  mal  accueillie, 
Mais  l'appel  de  Flavien  de  Constantinople,  frappé  par  le 
concile  connu  sous  le  nom  de  Brigandage  d'Ephèse,  eut 
plus  de  succès.  Saint  Léon  cassa  la  sentence  du  conci- 
liabule. Sur  cette  affaire,  voir  dans  les  lettres  de  saint 
Léon,  Epist.,  xi.v,  xlvi,  lv,  P.  L.,  t.  liv,  col.  834  sq. 
Théodoret  de  Cyr,  déposé  comme  Flavien,  imita  son 
exemple;  il  écrivit  au  pape  :  «  J'attends  la  décision  de 
votre  siège  apostolique;  j'en  appelle  à  la  justice  de 
votre  tribunal...  Ne"  rejetez  pas  ma  prière  et  ne  mépri- 
sez pas  mes  cheveux  blancs,  qui,  après  tant  de  travaux, 
sont  maintenant  couverts  de  honte,  »  Epist.,  ui,  c.  v. 
ibid.,  col.  8i8;  saint  Léon  lui  rendit  pareillement  justice 
et  le  rétablit  sur  son  siège.  Epist.,  i:xx,  ad  Théodoret., 
c.  v,  col.  1040.  Les  légats  de  l'empereur  qui  assistèrent 
en  151,  au  concile  de  Chalcédoine  où  fut  n'habilité 
l'évéque  de  Cyr,  nous  font  voir  quelle  autorité  avaient 
en  Orient  les  décisions  romaines  :  «  Recevez,  disent- 
ils  aux  Pères  du  concile,  le  très  digne  évèque  Théodo- 
ret, alin  qu'il  prenne  part  au  synode,  car  le  très  saint 
archevêque  Léon  lui  a  rendu  l'épiscopat.  »  Concile  de 
Chalcédoine,  act.   1,  dans   Ilardouin,  t.   Il,   col.  72   sq. 


Le  concile  fit  écho  aux  légats  impériaux,  i  Théodoret, 
proclame-t-il,  est  digne  de  son  siège;  Léon,  après 
Dieu,  a  prononcé  ce  jugement,  «  \h-.-j.  roO  Qeov  A:-./ 
s8(xa<rev.  Act.  VIII,  dans  Ilardouin.  loc.  cit.,  p.  500. 

Malgré  les  faits,  les  principes  posés  par  le  concile  de 
Constantinople  en  381  étaient  maintenus  dans  les  lois, 
.lustinien  les  consacre  en  quelque  sorte  dans  une  de 
ses  Suvcllcs.  Il  déclare  que  le  métropolitain  tranchi  ra 
dans  son  synode  les  conllits  ecclésiastiques.  Et  si  l'une 
des  parties  n'admet  pas  la  décision,  elle  en  appellera 
an  patriarche  de  sa  province,  dont  la  sentence  sera  dé- 
Gnitive ;  nulla  parte  ejus  senlentise  conlradicerc  va- 
lente.  Novell.,  cxxni,  c.  22.  Ce  fut  seulement  au  con- 
cile in  Trullo  de  092  que  les  canons  de  Sardique  furent 
formellement  approuvés  et  que  les  appels  au  pape  qui, 
dans  la  pratique,  étaient  reconnus  par  l'Église  d'Orient, 
reçurent  une  consécration  légale,  can.  2,  Hardouin, 
t.  m,  col.  1059. 

En  Afrique,  la  hiérarchie  n'était  pas  constituée  abso- 
lument comme  en  Orient.  Le  «  primat  *  de  chaque 
province  tenait  lieu  de  métropolitain;  mais  cette  di- 
gnité n'était  pas  attachée  à  un  siège  particulier; 
l'évéque  le  plus  ancien  par  l'ordination  en  remplissait 
les  charges.  Pierre  de  Marca,  Disserlatio  de  primati- 
bus,  n.  3  et  4,  appendice  au  De  concordia  sacerdidii 
et  imperii.  C'était  devant  ce  primat  de  la  province  que 
comparaissaient  les  évêques  accusés  de  quelque  faute 
grave.  Codex  canon.  Eccles.  africaine,  can.  19  :  .Si 
quis  episcoporum  accusalur,  ad  primaient  provincial 
ipsius  causant  déférât  accusalor.  Hardouin,  t.  i. 
col.  875.  Le  primat  de  l'Afrique  proconsulaire  était 
l'évéque  de  Carthage  dont  la  prérogative  était,  par 
exception,  attachée  au  siège  même.  L'évéque  de  Car- 
tilage exerçait,  en  outre,  la  juridiction  sur  toute  l'Eglise 
d'Afrique.  C'était  à  son  concile  qu'étaient  déférées  les 
affaires  litigieuses  que  les  primats  des  autres  pro- 
vinces n'avaient  pu  faire  aboutir.  Il  formait  un  tribunal 
de  seconde  instance,  comme  celui  des  patriarches  en 
Orient. 

Comme  en  Orient  aussi,  l'Église  d'Afrique  ne  voulut 
pas  reconnaître  d'abord  d'autres  tribunaux  que  ceux 
de  ses  primats.  Les  canons  de  Sardique  avaient  pour- 
tant été  d'abord  admis  en  Afrique  aussi  bien  qu'en 
Egypte.  Hefele.  Hist.  des  conciles,  trad.  Leclercq,  t.  1. 
SOS;  Maassen,  Geschichte  der  Quellen  und  der  Litera- 
tur  des  canonischen  Redits,  p.  50.  Cf.  Tunnel,  op.  cil.. 
p.  203.  Mais  ils  tombèrent  bientôt  dans  un  oubli  pro- 
fond, et  le  «  code  des  canons  de  l'Église  d'Afrique 
les  ignore  absolument  :  Non  provocent  ad  trattsmarina 
jiidicia,  sed  ad  primates suarum  provinctarum  aut  ad 
universale  concilium  (le  concile  de  l'évéque  de  Car- 
thage) sicut  et  de  episcopis  sœpe  constilutum  est.  Ad 
transmarina  aillent  qui  pulaverit  apjtellandum  a 
nullo  iittra  Africain  ad  communionent  suscipiatur. 
Codex  cation.  Eccles.  Africanse,  can.  28,  Hardouin, 
t.  i,  col.  878.  Cf.  can.  12,  ibid.,  col.  871,  où  le  recours 
à  douze  évêques  choisis  est  autorisé,  mais  à  condition 
qu'on  se  soumette  à  leur  sentence,  can.  15.  ibid., 
col.  874;  can.  90,  col.  919;  can.  122,  col.  934. 

Saint  Augustin  n'a  qu'une  idée  fort  vague  de  ce  qui  a 
pu  se  passer  à  Sardique.  Comme  les  eusébiens,  qui  en 
avaient  fait  partie,  avaient  ensuite  attaqué,  à  Philip- 
popolis,  saint  Anastase  et  le  pape  Jules,  l'évéque 
d'Hippone  estime  que  le  concile  de  Sardique  fut  tenu 
par  les  ariens  :  l'ndc  apud  nos  constilit  arianorum 
fuisse  concilium...  Epist.,  xi.iv,  ad  Eleusium,  c.  m, 
P.  L.,  t.  xxxui,  col.  170.  L'affaire  du  prêtre  Apiarius  de 
Sicca,  déposé  par  son  évêque  L'rbain,  montre  encore 
mieux  l'état  d'esprit  des  Africains.  Apiarius  en  avait 
appelé  à  Home  et  le  pape  Zozime  axant  accueilli  son 
appel,  l'avait  fait  rétablir  dans  ses  fonctions  par  les 
légats  qu'il  avait  envoyés  sur  les  lieux.  Non  content  de 
cri   acte  d'autorité,  Zozime  proclama  que  les  prêtres, 


501 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


502 


aussi  bien  que  les  évêques,  avaient  le  droit  d'en  appe- 
ler au  pontife  romain,  et  il  appuyait  son  allégation  sur 
un  canon  du  concile  de  Nicée.  Par  malheur,  ce  canon 
était  apocryphe,  ou  plutôt  il  était  emprunté  au  concile 
de  Sardique,  can.  5.  L'erreur  était  explicable,  parce  que 
dans  les  recueils  dont  le  pape  faisait  usage,  les  canons 
de  Sardique  avaient  été   placés    à  la  suite  de  ceux  de 
Xicée,  sous  une  même  rubrique.  Cf.  Ballerini,  De  an- 
tiqitis  collectionibus  canon.,  dans  Galland,  De  vetuslis 
canon  collect.,  t.   i,   col.   78.   289.    Mais   les    évêques 
d' Afrique  réunis   en  concile,  en  418,  ne  manquèrent 
pas  de  protester  contre  l'allégation   du  pontife  romain. 
L'année  suivante,   ils  décidèrent  qu'on  en  appellerait 
aux  patriarches  de  Constantinople,  d'Alexandrie  et  d'An- 
tioche  pour  savoir  si  le  texte  authentique  des  canons  de 
Nicée  comprenait  le  canon  invoqué  par  Zozime.  Leurs 
envoyés  rapportèrent  la   copie  du  texte  oriental;  le  fa- 
meux canon  ne  s'y  trouvait  pas.  Un   nouveau  concile 
tenu  en  424  s'adressa  au  pape  Célestin  pour  lui  com- 
muniquer le  résultat  de  l'enquête  et  formuler  les  règles 
qu'entendait  continuer  de  suivre  l'Église  africaine.  On 
montrait    au   pontife   les  inconvénients  des   appels    à 
Rome;  Apiarius  que  Zozime  avait  réhabilité  s'était  plus 
tard  avoué  coupable.  11  est  donc  juste  que  les  affaires 
soient  jugées  aux  lieux  mêmes  où  elles  ont  pris  nais- 
sance; ainsi  en  ont  décidé  nos  pères  :  Prudentissime 
enini  justissimeque  providerunt,  quœcumque  negotia 
in  suis  loeis,  ubi  orta  sunt  finienrfa.  On  reconnaît  là  le 
langage  de  saint  Cyprien.  Cf.  Cyprien,  Epist.,  lv,  ad 
Cornelium  papam,  P.  L.,  i.  iv,  col.  348,  et  Cod.  Theo- 
dos.,  De  accusât.,  1.  X,  ix,  1.  L'Église  d'Afrique  se  flatte 
d  être  demeurée  fidèle  observatrice  des  canons  nicéens. 
Si  les  affaires  ne  peuvent  être  décernées  devant  le  pri- 
mat de  chaque  province,  elles  le  sont  devant  «  le  concile 
universel  »,  que  préside  l'évèque   de  Carthage.  Epist. 
condlii  africani   ad   Cselestinum   papam,  dans   Har- 
douin,  t.   ir,   col.  947  sq.  Cf.  pour  les  détails  de  cette 
affaire,  ibid.,  col.  942-946;  Hefele,  Histoire  des  conciles, 
trad.  Leclercq,    Paris,  1908,   t.  n,  p.   196-201,  209-211  : 
pour  les   précédents,  cf.   concile   de  Milève,    de    416, 
can.  22,  Hardouin,  t.  i,  col.  1221. 

En  dépit  de  ces  décisions,  la  compétence  exceplion- 
ih  Ile  et  suprême  du  pontife  romain  fut  encore  invo- 
quée  dans  la  suite.  En  145,  l'évoque  Lupicin,  menacé 
de  déposition  par  un  synode  africain,  n'hésita  pas  à  en 
appeler  ..  Rome.  Ses  collègues,  qui  d'ailleurs  ignoraient 
sa  démarche,  ne  l'en  déposèrent  pas  moins.  Mais  son 
M'I*  '  i  au  point  de  vue  africain,  était  conforme 

'"  principe  posé  par  le  concile  de  Sardique,  et  saint 
Léon  le  considéra  comme  parfaitement  légitime.  Epist., 
mi.  ml  epiteop.  african.  provincial  Cxsar.,  c.  su,  /'.  /... 
I-  i  iv.  col.  665, 

finit  par  triompher  il.  - 

d'Afrique.  Le  diacre  Fulgen- 

errandus,  qui  li(  en  .Vt7  une  eolleclion  canonique. 

connue  sous  le  i le  /; 

uivants  qu'il  emprunte  expressément  au 
irdique,  tir.  \  et  vi  :  Ut  adjudia 
\  '"'    aposlolia  em,   si    voluerit  appellel, 

hedra  ipsiu»  noi 
'">'■  can.  60,  dans  Biblu  theca  Patrum  maxima 

1  "  i;"'1'  ■  l  application   des   canons  du   concile  di 
ne  parail  pas  ..voir  rencontré  d'opposition.  Il 

"  T"  les  coni  ,.  de  Lyon  de  567, 

■i"  Maçon  de  585  can  9;  concile  di   Ps 
'  6H,  can.  Il    corn  lit   di   Chalon  d<  644    i  ,,,     ffl 

"'"' "•  '■  '".  col  I  553,951,  lupposenl 

iode  provincial, 

mentionnenl  pas  l'appi  i 

Rome'  ■'  méro- 

de  i  i  con  ultation 

,l""""'  Par  !'   i"i"   lm al  [«  à  l'évèque  de  lieu,  m 


saint  Victrice.  Cf.  concile  de  Tours  de  567,  can.  10- 
(ou  21).  Or,  Innocent  avait  dit  que  selon  le  concile  de 
Xicée  tout  procès,  jurgium,  des  clercs  majeurs  aussi 
bien  que  des  clercs  mineurs  devait  être  terminé,  con- 
gregatis  ejusdem  provincial  episcopis.  Mais  il  avait  eu 
soin  d'ajouter  :  sine  prsejudicio  tamen  Romanse  eccle- 
siœ  cui  in  omnibus  causis  débet  reverentia  custodiri. 
Epist.  ad  Yictricium,  c.  m,  P.  L.,  t.  xx,  col.  472.  Par 
cette  réserve  le  recours  au  pontife  romain  élait  sauve- 
gardé et  ce  principe  il  est  vraisemblable  que  le  pape  l'ap- 
puyait sur  les  canons  de  Sardique.  La  phrase  suivante 
l'indique  assez  clairement  :  Si  majores  causse  in  mé- 
dium fuerint  devolutx,  ad  sedeni  apostolicam,  sicut 
synodus  statuit  et  beala  eonsueludo  exigit,  post  judi- 
cium  episcopale  referanlur.  Le  pape  Gélase  (492-496), 
dans  son  Commonilorium  ad  laustum  magistrum, 
avait  ces  mêmes  canons  en  vue  quand  il  écrivait  :  Ipsi 
sunt  canones  qui  appellaliones  lotius  Ecclesiic  ad  hu/us 
sedis  (apostolicœ)  examen  voluere  deferri.  Hardouin, 
t.  il,  col.  885.  C'est  en  conformité  avec  celle  règle  que 
Contumeliosus,  évèque  de  Riez,  déposé  par  son  mélro- 
polilain,  saint  Césaire,  en  appela  au  pape  Agapet  (535- 
53G).  Et  celui-ci  dans  sa  lettre  à  Césaire  invoque  l'au- 
torité de  Sardique  pour  marquer  la  procédure  qu'on 
aurait  dû  suivre.  Hardouin,  t.  H,  col.  1179  sq.  Les 
évêques  Salonius  d'Embrun  et  Sagittaire  de  Gap,  dé- 
posés au  concile  de  Lyon  de  567.  que  le  roi  Contran 
avait  convoqué,  firent  pareillement  appel  du  jugement 
porté  contre  eux.  Et  le  pape  Jean  III,  d'ailleurs  trompé 
par  de  faux  avis,  autorisa  Gontran  à  les  replacer  sur 
leurs  sièges.  Grégoire  de  Tours,  Hist.  Francor.,  1.  V, 
c.  xxi,  P.  L.,  t.  lxxi,  col.  341.  Aucun  de  ces  actes  ne 
provoqua  de  protestation  de  principe  de  la  part  des 
évoques  francs. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  la  discipline  de  l'Église 
espagnole  ou  de  l'Église  d'Angleterre.  Quelques  faits 
qu'on  peut  éludier  dans  les  lettres  de  saint  Grégoire  le 
Grand,  1.  XIII,  epist.  xi.v,  P.  L.,  t.  i.xxvn,  col.  1294,  etc., 
et  de  Jean  VI,  cf.  Hefele,  Conciliengeschichte,  1877, 
t.  m,  p.  327  sq.,  montrent  que  ces  deux  provinces 
acceptaient  le  principe  de  l'appel  de  Rome.  Une  série 
des  faits  que  nous  venons  d'examiner  oui  été  interpré- 
tés différemment  par  les  critiques  gallicans.  Tunnel, 
Histoire  de  la  théologie  positive,  du  concile  d,'  Trente 
m,  concile  du  Vatican,  Paris,  1906,  p.  258-286,  h  fort 
bien  exposé  leur  théorie,  et  celle  des  théologiens  ultra- 
rnontains  qui  la  réfuti  ni. 

Sous  les  Carolingiens,  la  législation  ecclésiastique 
devint  de  plus  en  plus  favorable  à  l'intervention  des 
ponlifes  romains  dans  les  affaires  des  églises  particu- 
lières. Le  pape  Adrien  envoya  en  774  à  Charlemagne 
le  recueil  de  canons  de  Denys  le  Petit  qui  renfermai! 
les  fameux  canons  de  Sardique  et,  à  la  dièle  d'Aix-la- 
Chapelle  en  802,  Charlemagne  donna  à  l'ouvrage  force 
de  lui  dans  son  empire.  Cf.  Anségise  (Bened ictus  Le- 
vita),  Capitular.,  I.  VII,  can.  311,  315,  412.  dans  lialuze, 
Capitula*-,  regum  Francorum,  t.  i.  p.  1094,  IMî .  Le 
can.  314  reconnaît  aux  évêques  réunis  en  svnode  l'au- 
torité d'un  tribunal  de  première  instance.  Le  cm.  315 
dii  :  Placuit,  s,  episcopus  accusalus  appellaverit  ad 
Romanum  i><iuii/i,;-),i,  id  slatuendum  </i<<id  ipsr  cen- 
euerit.  Le  can.  412  :  Vl  judicatus  episcopus  ad  apo- 
stolicam sedrm,  si  voluer  il,  appelle  t,  ex  concilia  Sardù 

Il  ne  faudrait  pas  croire  que  cette  publication  offi- 
cielle des  i  Sardique  .m  changé  les  rappi 

de  Rome.  L'an 
vêque  .le  Reims,  I  llpio,    .   plalf  uni  déjà  que  l'on  eûl 
m   Rigoberl  conti  a  ,  rt 

sine  ullo  apostolicm  ,,-\  interrogatione. 

1  '  le  pape   Adrien  auquel  11  t'ai  pond  que 

.me  n',-,  le  droil  d.  déposi  r  un  év<  que  tint  cano- 

.   et    urqur    ullO  juà  ro- 


503 


DÉPOSITION   ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


504 


mani  pon.lifi.cis,  siadhanc  sanctam  tedem  romanam, 
guse  caput  esse  dignoscitur  orbis  terra',  appellaveril 
in  ipso  judicio.  Epist.,  iv,  <«/  Tilpinum  archiepiscop, 
Remens.,  dans  Hardouin,  t.  ni,  col.  2020. 

A  quelque  temps  de  là,  parurent  les  Fausses  Décré- 
tales,  qui  confirmèrent  cette  jurisprudence  et  cette 
législation.  Leur  lieu  d'origine,  on  le  sait,  est  la  Gaule 
franque  et  pour  plus  de  précision  Reims  ou  le  Mans, 
plutôt  Reims.  Voir  col.  212.  Elles  mettent  à  contribu- 
tion les  papes  de  l'antiquité  et  leur  attribuent  des 
décisions  toutes  favorables  à  la  suprématie  pontilicale. 
Il  va  sans  dire  qu'en  matière  de  conflits  ecclésiastiques 
l'appel  à  Rome  est  recommandé.  Les  synodes  provin- 
ciaux forment  un  tribunal  de  première  instance. 
S.  Fabien,  Epist.,  m;  ad  Hilar.  episcop.,  c.  xxiv  : 
TJnde  oportet,  si  aliquis  episcoporum  super  certis 
<tccuselur  criminibus,  ut  ab  omnibus  audialur,  qui 
surit  in  provincia  episcopis,  quia  non  oportet  accusa- 
tum  alicubi  quant  in  foro  suo  audiri.  Dans  Gratien, 
caus.  III,  q,  vi,  c.  2;  Hinschius,  Decrelales  pseudo- 
lsidorianae,  Leipzig,  1803,  p.  107.  Cf.  ibid.,  p.  185,201, 
488,  503,  les  décrétales  des  papes  Etienne,  Félix  I, 
Félix  II,  Sixte  III.  Mais  les  clercs,  les  évêques  mêmes 
peuvent  toujours  en  appeler  au  siège  apostolique. 
S.  Anaclet,  Epist.,  i,  c.  xvn  :  Qttod  si  difficiliores  orlae 
fuerint  quœstiones  aut  episcoporum  vel  majorum  ju~ 
dicia  aut  majores  causai  fuerint,  ad  sedeni  apo- 
slolicam, si  appellation  fuerit,  referantur.  Ilinscbius, 
op.  cit.,  p.  74.  Cf.  ibid.,  p.  712,  une  décrétale  de 
Vigile,  dans  Gratien,  caus.  II,  q.  vi,  c.  12;  p.  724,  une 
décrétale  de  Pelage  II,  dans  Gratien,  caus.  VI,  q.  m, 
c.  2.  Jusqu'ici  le  pseudo-Isidore  ne  s'écarte  pas  de  la 
discipline  préconisée  par  le  concile  de  Sardique.  Mais 
il  s'inspire  d'un  autre  document  quand  il  autorise 
l'évêque  inculpé  à  recourir  à  Rome,  même  avant  son 
procès,  s'il  tient  pour  suspect  le  métropolitain  qui  doit 
le  juger.  S.  Anicet,  Epist.  ad  univers.  Gallise  episcop., 
c.  iv  :  Si  aliquis  episcoporum  proprium  mctropolila- 
num  suspectum  Itabuerit,  apud  primaient  diœcesis 
vel  apud  hanc  aposlolicam  sedem  audialur.  Hinschius, 
op.  cit.,  p.  821;  cf.  une  décrétale  de  Victor,  ibid., 
p.  128,  dans  Gratien,  caus.  II,  q.  vi,  c.  7;  une 
décrétale  de  Fabien,  Hinschius,  p.  107,  dans  Gratien, 
caus.  II,  q.  vi,  c.  21;  une  décrétale  de  Sixte  II,  Hins- 
chius, p.  190;  Gratien,  ibid.,  c.  15;  une  décrétale  de 
Félix  Ier.  Hinschius,  p.  202.  Si  cette  mesure  n'était  pas 
encore  enregistrée  dans  le  droit  canon,  il  y  avait  long- 
temps qu'elle  avait  force  de  loi.  Dès  378,  un  concile 
romain  avait  demandé  que  l'appel  au  pape  fût  autorisé 
quand  le  tribunal  du  métropolitain  n'offrirait  pas  de 
garantie  suffisante  à  l'accusé.  Certe  si  vel  melropoli- 
tmii...  suspecta  gratta  vel  iniquitas  fuerit,  vel  ad 
Rontanum  episcopum  vel  ad  concilium  quindecim 
episcoporum  ftnilimorum  ei  liceat  provocare.  Epist. 
romani  concilii  ad  Gralianum  et  Valentinianum  im- 
peralores,  c.  ix;  Rescriplum  Graliani  Aug.  ad  Aquili- 
num  vicarium  Urbis,  c.  VI,  dans  Schœnemann,  Pon- 
ti/icum  roman,  epislolai  genuinve,  p.  359,  304. 

En  somme,  le  pseudo-Isidore  ne  modifiait  pas  essen- 
tiellement la  discipline  reçue  de  son  temps.  Il  ne  faisait 
qu'accentuer  le  droit  d'appel  à  Rome  que  revendiquaient 
déjà  habituellement  les  évoques  accusés  et  qui  se  trou- 
vait formulé  dans  les  lois  préexistantes.  Cf.  Van  Espen, 
Jus  ecclesiast.  universale,  part.  IX,  Tractalus  de 
collect.  canonum  quai  sœculo  vin  et  ix  prodierunt, 
c.  i,  sect.  ni.  Ce  n'est  pas  à  dire  que  l'épiscopat  galli- 
can ait  approuvé  unanimement  les  Fausses  Décrétales. 
On  trouva  même  quelles  étaient  en  désaccord  avec  les 
anciens  canons  qui  demeuraient  toujours  en  vigueur. 
Cf.  llel'ele,  Ueber  tien  gegenwârtigen  Stand  der 
pseudo-isidorischen  Frage,  dans  Tubinger  Qttarlal- 
sehrift,  1847,  p.  045,  001  ;  Gerbais,  De  causis  majori- 
bits,  Lyon,  1085,  p.  228.  Mais  l'opposition  qu'elles  ren- 


contrèrent ne  fut  guère  consistant  .Dès  867  le  concile 
de  Troyes  parle  au  pape  dans  un  Ben  s  absolument 
conforme  aux  Décrétales  ita  ut  net  veslrU  nec  fu ta- 
ris lemporibus  prœter  consullum  Romani  pontij 
île  gradu  suo  quilibet  episcoporum  dejiciatur,  si 
eorunidem  sanctorum  antecessorum  vesirorum  mul- 
tiplicibus  decretis*et  numerosis  privilegiis  tlabilitum 
modis  mirificis  extat.  Hardouin,  t.  v,  col.  085.  Au 
concile  de  liasle  (pies  Reims)  de  991,  où  l'archevêque 
Arnulphe  de  Reims,  accusé  de  trahison  par  le  roi.  fut 
mis  en  jugement,  deux  partis  se  trouvèrent  en  pré- 
sence. Les  uns,  s'appuyant  sur  les  Fausses  Décret 
prétendaient  que  l'affaire  était  uniquement  du  ressort 
du  souverain  pontife;  les  autres  invoquaient  I  autorité 
des  canons  de  Nicée,  d'Antioche  et  d'Afrique  pour  se 
déclarer  juges  compétents.  Mais,  à  vrai  dire,  il  n'\  eut 
pas  de  protestation  contre  la  doctrine  du  pseudo- 
Isidore; ceux  qui  écartaient  l'idée  d'un  appel  à  Rome 
donnaient  pour  raison  que  l'affaire  traînait  déjà  trop 
en  longueur.  Voir  les  deux  lettres  des  évêques  dans 
Hardouin,  t.  vi,  col.  721.  Cf.  Baluze,  Additio  à  Pierre 
de  Marca,  Concordia  sacerdotii  cl  imperii,  1.  VII, 
c.  xxv.  L'hérésie  de  Bérenger,  dans  laquelle  se  trouvait 
compromis  l'évêque  Brunon  d'Angers,  amena  Deoduin 
de  Liège  à  invoquer  aussi  (vers  1050)  l'autorité  des 
Fausses  Décrétales.  Comme  le  roi  de  France  se  propo- 
sait de  [convoquer  un  concile  pour  juger  les  coupables, 
le  prélat  fait  observer  que  la  chose  n'est  pas  possible, 
parce  que  Brunon  est  évêque  et  que  l'évêque  ne  peut 
subir  de  sentence  de  condamnation  prœter  aposlolicam 
auctoritalent.  Hardouin,  t.  VI,  col.  1023  sq. 

Si  l'épiscopat  gallican  fit  bon  accueil  aux  Fausses 
Décrétales,  à  plus  forte  raison  Rome  n'eut  pas  l'idée  de 
les  désavouer.  Le  procès  commencé  à  Basle  contre  l'ar- 
chevêque de  Reims  ne  fut  terminé  qu'en  995  à  Senlis. 
llelele,'  Conciliengesclticlt  te,  1879,  t.  iv,  p.  612  sq.  Mai- 
la  sentence  de  déposition  prononcée  contre  lui  fut  cas- 
sée parle  pape  Silvestre,  uniquement  parce  qu'elle  axait 
été  portée  sans  l'agrément  du  pontife  romain.  Tibi,  écrit 
celui-ci  à  Arnulphe....  subvenire  duximus,  ut,  quia 
abdicalio  romano  assensu  caruil ,  rontanœ  pietatis  mtt- 
nere  credaris  posse  reparari.  Hardouin,  t.  VI,  col.  700. 
Léon  IX  porte  en  quelque  sorte  promulgation  des 
Fausses  Décrétales  en  Afrique,  [quand  il  adresse  au 
primat  de  Carthage,  en  1054,  les  observations  sui- 
vantes :  Hoc  autem  nolo  vos  laleal,  non  debere  prœter 
sentenliam  Romani  ponlificis  universale  concilium 
celebrari;  aut.  episcopos  damnari  veldeponi,  quia  etsi 
licet  vobis  aliquos  episcopos  examinare,  dif/initirant 
lamen  senlentiam  absque  consulta  Romani  ponlificis, 
ut  diclum  est,  non  licet  tiare  ;  quod  in  sanclis  canoni- 
bus  slatutum,  si  quierilis,  polestis  invenire,  etc.  Har- 
douin, t.  vi,  col.  949.  Le  pape  Victor  II  alla  plus  loin, 
au  dire  de  saint  Pierre  Damien  ;  il  donna  à  son  légat, 
le  célèbre  Hildebrand,  tout  pouvoir  sur  l'épiscopat 
gallican;  et  dans  un  concile  tenu  à  Lyon  en  1055. 
Hildebrand  déposa,  d'un  seul  coup,  six  évêques  ex 
apootolicœ  sedis  attctoritate.  Hardouin.  t.  vi,  col.  1040. 

Hildebrand,  devenu  pape  sous  le  nom  de  Gré- 
goire Vil.  lit  une  large  application  des  canons  pseudo- 
isidoriens.  Le  fameux  Diclatus  Gregorii,  où  il  est 
censé  revendiquer  pour  lui  seul  les  insignes  impériaux, 
et  où  se  lit  celle  bizarre  déclaration  que  tout  «  pape  ca- 
noniquement  institué  possède  le  privilège  de  la  sainteté 
en  vertu  des  mérites  du  bienheureux  Pierre,  o  Hardouin, 
l.  vi,  col.  1304  sq.,  est  évidemment  apocryphe  et  l'œuvre 
d'un  clerc  plus  papiste  que  le  pape.  Mais  nombre  de 
propositions  du  même  ouvrage  répondent  certaine- 
ment à  la  pensée  intime  de  Grégoire  et  lui  servirent 
de  règle  :  ijuoil  Romanus  ponlifej  solus  possit  depo- 
uere  episcopos  vel  reconciliare.  Quod  absque  synodali 
convenltt  possit  episcopos  deponere  vel  reconciliare. 
Quod  legatus  ejus  omnibus  episcopis  juœsit  in  conci- 


505 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES    CLERCS 


50& 


lia  eliam  inferioris  gradus  et  adversus  eos  sententiam 
deposilionis  possit  dare.  Conformément  à  ce  principe, 
tantôt  le  pontife  appelle  à  Rome  même  les  évêques 
inculpés  et  prononce  en  leur  présence  son  jugement. 
Epist.,  1.  II,  epist.  il,  ni,  Ilardouin,  t.  VI,  col.  1261  sq. 
Tantôt  il  fait  porter  ses  sentences  par  des  légats  ou 
charge  ceux-ci  de  juger  les  évêques  en  synode,  Epist., 
I.  V,  epist.  XI ;  1.  VIII,  epist.  xvm,  Ilardouin,  ibid., 
col.  1383,  1466  sq.;  1.  I,  epist.  xvr;  1.  IX,  epist.  XX XII, 
Ilardouin,  ibid.,  col.  1207,  1503.  Tantôt  il  délègue  des 
évoques  voisins  de  l'accusé  et  leur  donne  le  pouvoir 
comme  judices  in  parlibns  de  juger  leur  collègue  ou 
tout  simplement  de  promulguer  la  sentence  de  dépo- 
sition qu'il  a  lui-même  portée.  Epist.,  1.  V,  epist.  vin, 
Ilardouin,  t.  VI,  col.  1380. 

Ainsi  mises  en  vigueur,  les  Fausses  Décrétales  ren- 
dirent caduque  et  surannée  l'ancienne  discipline.  Gra- 
tien  en  les  insérant  dans  son  Décret  (1140),  qui  fit  peu 
à  peu  loi  dans  toutes  les  écoles,  consacra  cet  état  de 
choses.  Sur  un  point,  toutefois,  il  apporta  une  modifica- 
tion au  système  du  pseudo-Isidore.  A  coté  des  fausses 
Décrétales,  qui  réservaient  au  tribunal  du  pontife  ro- 
main les  affaires  criminelles  des  évêques  comme  causée 
majores,  Gratien  mentionna  les  canons  de  Nicée,  d'An- 
tioche  et  de  Sardique,  qui  affirmaient  sur  ce  point  la 
compétence  des  synodes  provinciaux,  dist.  XVIII,  c.  3; 
caus.  XI,  q.  m,  c.  73;  caus.  VI,  q.  iv,  cl,  5;  caus.  XXI, 
q.  v,  c.  2;  caus.  VI,  q.  iv,  c.  7;  caus.  II,  q.  VI,  c.  36.  La 
contradiction  était  flagrante.  Les  glossateurs  trouvèrent 
moyen  de  la  résoudre,  en  décidant  que  les  causse 
majores  seules  relèveraient  du  tribunal  du  pape,  et 
que  les  causes  mineures  resteraient  soumises  aux 
tribunaux  provinciaux.  Cf.  Guimier,  Pragmatica  san- 
ctio,  lit.  De  concubinariis.  Cette  distinction  laissait  en- 
tière la  compétence  du  pape  en  matière  de  déposition 
des  évêques. 

Les    Décrétales    maintinrent  cette  discipline.  Inno- 
cent III  sr  borna  à  lui  attribuer  le  caractère  d'une  ins- 
titution divine.  «   Rompre  le  mariage  spirituel  qui  unit 
un  évéque  à  son  Église,  par  translation,  par  déposition 
ou  par  cession,  appartient,  dit-il,  à  l'autorité  du  pon- 
tife romain,  et  ces  trois  choses  sont  réservées  au  pon- 
tife  romain   non   tant   constitulione  canonica,  quant 
institutione  divina,  1.  I,  lit.  vu,  c.  n,  De  translat.  epis- 
..7,   Ce  langage  a  provoqué  des  protestations  au  cours 
«les  âges.  Cf.  l'ien-e  de  Marra.  Concordia  sacerdotii  n 
■  ni,  I.  VII.  c.  wvi,  n.  8;  Gerbais,  De  cousis  majo- 
rais Innocent   a   expliqué   ailleurs   plus 
Clairement    -.i    pensée.  Il    n'entend    pas  que  son  privi- 
-oit   formellement    marqué   dans  les  ouvrages  des 
.  témoins  de   la   tradition.  Mais  il   estime  que  le 
développement  des  institutions  canoniques,  en  vertu 
desquelles  la  déposition   des  évêques  est  réservée  au 

rain  ponl   I  -ce  dans  la  parole  du  Christ. 

qui  a  donne  au  prince  des  apôtres  un  pouvoir  particu- 

Cum   ex  Mo  generali  prim 
quod  beatn  Pelm  el   per  eum   Ecclesi s  romanes   Do- 
induisit,  canonica  poslmodum    tnana- 
\linentia  msns 

per  hoc  trans- 
lation icut   deposiliones    eorum    ci 
ad    summum    apostolicss   sedis 
■   de  jun 

aliquid  debeat  attentari,miramur  non 
■  l<     '■-  ■/■    '  .  i    l.  epist.  i ./'/.,  t.  o 

i  I  ron         posée 

i  '  ne  pliquée,  sa  théorie  peut  laci 

lemi 

I     ;        Ud0- 

ut,au  concile  de  I  rente, 
une  confirmation  pleine  et  entiéri    L 

nelli  .,,iX 

ip$o  lanlu 


gnoscanlur  et  terminentur.  Sess.  XXIV,  c.  v,  De  re- 
forrn. Cf.  Sess.  XIII,  c.  vin,  De  reforrn.  Dans  la  consti- 
tution Si  de  protegendis  du  pape  Pie  V,  en  1569,  la 
même  réserve  est  indiquée.  Les  causes  mineures  res- 
tent dans  la  compétence  des  conciles  provinciaux  ou 
d'une  commission  nommée  par  ces  conciles.  Sess.  XXIV, 
c.  v,  De  reforrn . 

Cependant  dans  la  pratique  ces  conciles  se  dessaisi- 
rent facilement  des  causes  épiscopales  qui  pouvaient 
leur  être  déférées.  Et  insensiblement  on  prit  l'habitude- 
de  porter  à  Rome  toutes  les  affaires,  majeures  ou  mi- 
neures, qui  regardent  les  évêques.  Cf.  Giraldi,  Expo- 
sitio  juris  ponlif.,  p.  559,  1005. 

La  procédure  à  suivre  a  été  nettement  réglée  par  le- 
concile  de  Trente  et  par  les  papes.  En  voici  les  points 
principaux  : 

1°  Comme  les  évêques  étaient  assez  souvent  victimes 
d'accusations  plus  ou  moins  graves  et  plus  ou  moins 
justifiées,  et  comme  le  déplacement  des  accusés  qui, 
suivant  le  droit,  auraient  dû  comparaître  devant  leur 
juge,  offrait  de  graves  inconvénients,  le  concile  décida 
qu'un  évèque  mis  en  cause  ne  serait  obligé  de  se  pré- 
senter devant  le  pape  que  pour  des  fautes  qui  pour- 
raient entraîner  sa  déposition  ou  la  privation  d'un 
bénéfice  :  Episcopus  nisi  ob  causam  ex  qua  deponen- 
dus  sive  privandus  veniret...  ut  personaliter  compa- 
reat,  nequaquam  citetur  vel  moneatur.  Sess.  III,  c.  vi, 
De  reforrn.  Cf.  Pie  IV,  const.  De  salule  gregis  do- 
miniez de  1560,  sect.  ni,  dans  Bullarium  romanum, 
Luxembourg,  t.  n,  p.  21.  D'autre  part,  comme  une 
affaire  aussi  grave  que  la  déposition  nécessite  absolu- 
ment une  enquête,  cette  enquête  devra  être  faite  sur 
les  lieux  par  des  judices  in  partibus  qui  recevront  à  cet 
effet  une  délégation  du  pape.  Sess.  XXIV,  c.  v,  De  re- 
forrn. 

2°  Au  moyen  âge,  le  pape  était  libre  dans  le  choix  de 
ces  enquêteurs.  Les  défenseurs  de  l'Église  romaine, 
au  temps  de  Grégoire  le  Grand,  étaient  tout  simple- 
ment des  minorés.  Cf.  Thomassin,  part.  I,  1.  II,  c.  vin. 
Hildebrand  n'était  encore  que  cardinal  sous-diacre, 
quand  il  fut  délégué  par  Victor  11  pour  les  affaires 
épiscopales  de  France.  Et,  en  1262,  Urbain  IV  confia  à 
deux  religieux  de  l'ordre  des  mineurs  le  soin  d'étudier 
le  cas  de  l'archevêque  de  Trêves  menace  de  déposition. 
Hontheim,  Hist.  Trevirensis  diplomatica,  t.  i,  p.  743. 
Rien  en  tout  cela  qui  ne  fût  conforme  au  droit.  Cf. 
1.  V,  lit.  xx.xni,  De  privileg.,  c.  3.  Le  Liber  sains 
limita  celte  absolue  liberté  du  pape  et  décida  que  les 
ledits  seraient  pris  parmi  les  dignitaires  ecclésiastiques 
el  les  chanoines  des  cathédrales.  Sext.  Décret.,  1.  I, 
fit.  m,  De  rescript.,  cil:  Nullis  nisi  dignitate  prse- 
diiis  aut  personatum  obtinentibus  seu  ecclesiarum 
cathedraiium  canonicis.  Cette  limitation  avait  pour 
but  de  soustraire  les  évêques  à  l'enquête  de  clercs  trop 
inférieurs  à  eux  dans  l'ordre  hiérarchique. Mais  la  me- 
sure du  Seins  ne  remédiait  au  mal  que  d'une  façon 
insuffisante.  Plus  soucieux  du  respect  dû  à  la  dignité 
■pale,  le  concile  de  fiente  voulut  que  les  légats  en- 
quêteurs fussent  égaux,  sinon  supérieurs  aux  évêques, 
dont  ils  avaient  à  examiner  la  conduite  :  Xeninii  pror- 
sus  ea  committatur  nisi  metropolitanis  aut  episco- 
pis  a  beatissimo  papa  eligcndU.  Sess.  \\IV.  c.  \.  De 
reforrn.  Le  choix  du  pape  se  trouve  de  la  sorte  circons- 
crll  entre  les  métropolitains  et  te  corps  épiscopal. 

:;    ■  '  -  légats  du  pape  doivent  êtr unis  de  U 

delegationis,  t.  I.  lit.  wi\.  c.  31,  De  offle  judic.  dele- 
'/"/..  ei  les  présenter  aux  parties  en  cause.  Personne 

n  '  Il    tenu  .le  les  croire   sur  parole  :    Snl  nr,-  <!,,  rut,  se 

delegatum  sedis  ejutdem  creditur  vel  intenditur,niei 

,1,-  m, nul, il,,   apOltOliCO  /nie   il,„,nl    OCulata.    De   rirrl ., 

l.  m.  c,  l.  Exti ■•    •  i       ,,,i,iiii,   Bien  plus  i, 
delegationis  donent    porter   la    signature    même   du 

-  lit  et  nu 


507 


DÉPOSITION    ET    DEMI".  A  DATION    DES    CLERCS 


51  IN 


■ipsius  sanctissimi  pontifiais  signata.  Sess.  XXIV,  c.  v, 
De  reform. 

4°  D'après  le  droit  commun,  les  légats  du  pape  avaient 
non  seulement  le  droit  d'instruire  les  allaires,  niais 
encore  de  les  trancher  :  In  causse  cognilione  ac  dec't- 
sione  procedere,  1.  1,  Ut.  m,  c.  18,  De  rescript.;  cf.  1.  I, 
lit.  xxix,  De  of/ic.  judic.  delegat.,  c.  13;  et  de  faire 
■exécuter  leurs  sentences,  sententiam  àb  eo  lalam  suo 
effectui  mancipare,  delegatus  judex  cam  auctorilale 
nostra  sibi  commissa  polesl  exseculiotti  mandare,  etc., 
1.  I,  til.  xxix,  De  rescript.,  c.  7.  Cf.  ibid.,  c.  9.  Mais, 
pour  la  déposition  des  évêques,  leur  mandat  se  borne  à 
faire  une  enquête  et  à  instruire  le  procès;  ils  envoient 
toutes  les  pièces  au  pape  et  le  pape  se  réserve  de  pro- 
noncer la  sentence  :  nec  unquam  plus  liis  tribnal, 
quam  ut  solam  facli  instructionem  sumant  proces- 
■sumque  conficiant,  quem  slalim  ad  Romanum  ponli- 
fteem  transmittant,  reservata  eidem  Sanctissimo  sen- 
tenlia  definitiva.  Sess.  XXIV,  c.  v,  De  re/orm.  S'ils 
outrepassaient  leur  pouvoir,  leur  sentence  serait  nulle 
de  plein  droit.  De  rescript.,  1.  I,  tit.  in,  c.  22. 

5°  Dans  les  affaires  ordinaires  les  commissaires  délé- 
gués par  le  pape  peuvent  subdéléguer  leur  pouvoir, 
•1.  I,  tit.  xxix,  De  of/ic.  judic.  delegat.,  c.  27;  ibid., 
c.  28;  ibid.,  c.  5;  Sext.  Décret.,  1.  I,  lit.  xiv,  c.  5. 
Mais  bien  que  le  concile  de  Trente  n'en  dise  rien, 
cf.  Barbosa,  De  officio  et  poleslale  episcopi,  allegat. 
■cxn,  34,  les  canonistes  s'appuient  sur  une  règle  du  droit 
qui  réserve  les  affaires  graves  aux  délégués  eux-mêmes, 
•1.  I,  tit.  xxix,  De  of/ic.  jud.  delegat.,  pour  déclarer 
qu'en  matière  de  déposition  épiscopale  ceux-ci  ne 
sauraient  subdéléguer. 

6°  Les  Décrétâtes  avaient  déjà  fait  observer  que  sancli 
patres  provide  statuerunt  ut  accusalio  prœlatorum 
■non  facile  admittatur.  De  accusât.,  1.  V,  tit.  i,  c.  24. 
Le  concile  de  Trente  exige  que  les  témoins,  appelés  à 
déposer  contre  un  évêque  soient  bonse  conversationis, 
exislimationis  et  famse.  Sess.  XIII,  c.  vu,  Dereform.  Si 
leur  déposition  était  entachée  de  haine,  de  témérité  ou 
de  cupidité,  gravibus  pœnis  m ulctentur.  Le  châtiment 
infligé  aux  calomniateurs  en  pareil  cas  fut,  pendant 
longtemps,  la  peine  du  talion.  Cf.  la  législation  du 
moyen  âge  sur  ce  point,  Kober,  op.  cit.,  p.  480-482.  Et  le 
pape  Pie  V  a  encore  décrété  cette  peine  pour  certains 
crimes.  Const.  Cum  prinium,  de  1566,  sect.  xiv,  dans 
Bullarium  romanum,  t.  il,  p.  192.  Elle  est  pourtant 
tombée  en  désuétude  et  remplacée  par  d'autres  péna- 
lités dont  les  tribunaux  ecclésiastiques  sont  juges. 
Reiffenstuel,  Jus  canon.,  1.  V,  tit.  I,  n.  10  sq.;  tit.  il, 
n.  9. 

Dans  l'application,  ces  règles,  empreintes  d'une 
.grande  sagesse,  devaient  souffrir  quelque  difficulté. 
Nous  n'en  voulons  pour  exemple  que  le  procès  intenté 
à  René  de  Rieux,  évêque  de  Saint-Pol-de-Léon,  au 
xviie  siècle. 

Ce  prélat  qui  s'était  mis  en  opposition  avec  la  cour 
■de  Rome,  à  propos  d'une  sentence  d'excommunication 
prononcée  contre  les  carmélites  de  Morlaix  (sur  cette 
affaire,  voir  un  certain  nombre  de  documents  dans  les 
Mémoires  du  clergé  de  France,  t.  n,  p.  466-486;  Mer- 
cure français,  année  1626,  p.  933-934;  Archives  natio- 
nales, ms.  23-2,  L.  1046,  2"  liasse,  cote  C;  L.  1047 ; 
Archives  des  affaires  étrangères,  Home,  xxxvm; 
Bibliothèque  nationale,  fonds  Béthune  3668,  fol.  92; 
cf.  Houssaye,  Histoire  du  cardinal  de  Bertille,  t.  m, 
p.  72-85)  avait  en  outre  irrité  le  roi  de  France  qui  lit 
alors  bon  marché  de  ce  qu'on  appelait  les  «  libertés  de 
l'Église  gallicane  »  pour  satisfaire  sa  vengeance.  A  sa 
demande  Urbain  VIII,  par  un  bref  en  date  du  8  octobre 
1632,  chargea  quatre  commissaires,  l'archevêque  d'Arles, 
les  évêques  de  Boulogne,  de  Sainl-Flour  et  de  Saint- 
Malo,  d'instruire  le  procès  de  l'évèque  de  Léon.  Pour 
-ce  document  et  tous  ceux  qui  appuient  le  récit  qui  va 


suivre,  voir  Mémoires  du  clergé  de  France,  t.  n, 
p.  115-466.  Nous  n'avons  pas  leur  <  au  aa  .  mais  nous 
savons  qu'ils  dépouillèrent  René  de  Rieux  de  son 
évéché.  Sans  plus  tarder,  le  pape  lui  donna  un  succes- 
seur. Le  roi  était  satisfait. 

Mais  ces  mesures  soulevèrent  l'indignation  des 
ques  de  France.  Déjà  dans  l'affaire  des  carmélites  de 
Morlaix,  ils   avaient  cru    devoir  intervenir  el   avaient 
contraint  le  doyen  du  chapitre  de  Mantes,  le  D'  Loti 
qui,  au    nom  et  comme  subdélégué  des  commissaires 
d'Urbain  VIII,  avait  fulminé  l'interdit  contre  la  cathé- 
drale de  Léon,  à  reconnaître  ses  abus  de  pouvoir.  La 
condamnation  de   René   de  Rieux  leur  paraissait  plus 
irrégulière   encore.  Le  bref  d'Urbain  VIII    interdisait 
par  avance  tout  appel   de   la  sentence  que  pouvaient 
porter  les  commissaires;  il  confiait  à  quatre  évêques 
seulement  la  police  de  l'Église  de  France,  et  ces 
ques  n'étaient  ni  les  comprovinciaux  ni  les  voisin^  de 
l'évèque  de  Léon. Autant  d'atteintes  et  d'infractions  au 
droit  canon,  semblait-il. 

Urbain  VIII  mort,  les  évêques  s'adressèrent  à  son 
successeur.  Par  une  lettre  en  date  du  27  octobre  1645, 
ils  supplièrent  Innocent  X  de  «  recevoir  M.  l'évèque  de 
Léon  en  son  appel  interjeté  de  la  sentence  portée 
contre  lui  le  dernier  mai  1635.  »  Ils  osèrent  même 
critiquer  le  bref  d'Urbain  VIII,  en  vertu  duquel  René 
de  Rieux  avait  été  jugé,  et  demandèrent  qu'à  l'avenir 
pareil  bref  n'émanât  jamais  de  la  cour  de  Rome;  les 
membres  de  l'épiscopat  avaient  le  droit  de  n'être  jus- 
que par  douze  de  leurs  pairs  «  suivant  les  statuts  des 
anciens  conciles.  »  Les  conciles  dont  ils  invoquent  l'au- 
torité ne  sont  autres  que  ceux  de  Sardique,  de  Car- 
tilage, etc.  Le  doyen  de  Saint-Séran  était  chargé  d'in- 
diquer au  besoin  à  la  cour  de  Rome  les  références 
exactes. 

Il  n'est  pas  sûr  que  la  condamnation  de  l'évèque  de 
Léon  fût  aussi  irrégulière  que  le  pensaient  les  évêques 
de  France.  Le  concile  de  Trente,  qui  donne  le  dernier 
mot  en  matière  de  procès  canoniques,  ne  marquait 
pas  le  nombre  des  délégués  que  le  pape  devait  désigner. 
A  cet  égard  les  anciens  canons  pouvaient  être  consi- 
dérés comme  caducs.  L  assemblée  du  clergé  de  France, 
en  essayant  de  les  remettre  en  vigueur,  n'avait  donc 
guère  chance  de  succès. 

Elle  se  fût  placée  sur  un  meilleur  terrain  de  discus- 
sion, si  elle  avait  fait  appel  au  concile  de  Trente  pour 
montrer  que  le  procès  d'un  évêque  ne  pouvait  être 
tranché  que  par  le  pape  lui-même  et  non  par  ses  com- 
missaires. Mais,  de  fait,  Urbain  VIII  avait  ratifié  per- 
sonnellement la  décision  de  ses  délégués,  en  donnant 
un  successeur  à  René  de  Rieux. 

Restait  la  question  d'appel.  Il  semble  qu'ici  l'évèque 
de  Léon  invoquait  un  droit  imprescriptible.  L'assem- 
blée du  clergé,  en  appuyant  sa  requête,  ne  faisait  que 
sauvegarder  l'honneur  de  l'épiscopat. 

Elle  obtint  gain  de  cause.  Innocent  X  chargea  une 
commission  nouvelle  d'examiner  le  cas  de  René  de 
Rieux.  Cette  commission  n'était  pas  composée  de 
douze  membres  comme  l'auraient  désiré  les  évêques 
de  Fiance,  mais  de  sept  seulement  :  c'étaient  l'arche- 
vêque de  Sens,  les  évêques  d'Évreux,  de  Laon,  de  Sen- 
lis,  de  Maillezais,  d'Angoulême  et  du  Mans;  les  deux 
premiers  étant  décédés  furent  remplacés  par  les  évêques 
d'Amiens  el  de  Vabres.  René  de  Rieux  comparut 
devant  eux.  La  sentence  portée  contre  lui  en  1635  fut 
cassée.  Il  fut  rétabli  sur  son  siège. 

(\tail  un  réel  succès  pour  l'épiscopat  français.  Sa 
courageuse  intervention  avait  amené  l'annulation  de 
la  première  décision  de  la  cour  de  Rome.  Quelques 
évêques  furent  d'avis  de  ne  pas  s'en  tenir  là.  Dans 
l'assemblée  générale  de  1650,  on  avisa  aux  moyens 
n  d'empêcher  qu'à  l'avenir  le  procès  ne  fut  fait  aux 
évêques    par    commissaires.    »   Les    anciens   conciles 


509 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


510 


avaient  décidé  qu'en  première  instance  les  évoques 
seraient  jugés  par  douze  de  leurs  collègues  de  la  pro- 
rince ou  du  voisinage,  réserve  faite  de  l'appel  au  pape. 
Pourquoi  ne  reviendrait-on  pas  à  cette  procédure? 
C'esl  dans  ce  sens  que  l'assemblée  rédigea  une  sup- 
plique à  l'adresse  du  pape  Innocent  X.  Une  allusion 
y  ('tait  faite  au  bref  d'Urbain  VIII,  dont  on  déplorait  la 
ur.  On  exprimait  l'espoir  que  le  mal  qui  en  était 
résulte  pour  l'Église  de  France  ne  se  renouvellerait 
plus.  En  même  temps  l'assemblée  envoyait  à  tous  les 
membres  de  l'épiscopat  une  lettre  d'avis  du  même 
style  :  elle  «  protestait  de  nullité  contre  les  brefs  qui 
seraieul  expédiés  pour  des  causes  majeures  contre  les 
évéques,  dans  la  forme  de  celui  de  l'an  1632.  »  lit  elle 
ajoutait  :  «  On  n'aurait  nulle  puissance  de  nous  nuire 
si  nous  ('lions  tous  unis  pour  notre  légitime  conserva- 
tion, »  mettant  ainsi  l'épiscopat  en  garde  contre  les 
entreprises  de  la  cour  de  Rome. 

Cette  littérature,  où  perce  à  côté  d'un  juste  souci  des 
intérêts  de  l'Église  de  France,  ce  qu'on  est  convenu 
d'appeler  l'esprit  gallican,  ne  parait  pas  avoir  influencé 
la  curie  romaine.  En  dépit  des  anciens  canons,  Rome 
demeurera,  ainsi  que  l'avait  voulu  le  concile  de 
Trente, juge,  en  premier  comme  en  dernier  ressort,  des 
causes  épiscopales. 

Les  concordats  établis  entre  les  pontifes  romains  cl 
divers  gouvernements  chrétiens  n'ont  pas  modifié  cette 
discipline.  Il  est  vrai  que  l'Eglise  a  reconnu  à  l'Étal  le 
droit  d'intervenir  dans  la  nomination  des  évéques. 
Cf.  art.  i  du  concordat  de  1801,  voir  t.  m,  col.  750. 
,\lai<  j|  fut  bien  entendu  que  ce  serait  le  souverain 
pontife  qui  conférerait  l'institution  canonique.  »  D'où 
il  es)  aisé  de  conclure  que  la  déposition  des  évéques 
demeurait  la  prérogative  du  pape.  Le  concordat  autri- 
chien (art.   Il1   renferme  une  réserve  du  même  genre. 

Ce!  article,  est-il  dit,  ne  comprend  pas  les  causes  ma- 
jeures dont  parle  le  concile  de  Trente,  'es-.  XXIV,  c.  v, 
De  reforni.  Quand  il  s'agira  de  traiter  ces  affaires  le 
Très  saint  Père  et  Sa  Majesté  impériale  y  pourvoiront, 
m  besoin  est.  »  Manifestement  pas  plus  en  Autriche 
qu'en  France  le  pape  n'avait  l'intention  de  céder  aucun 
,l,.  ses  droits  de  juridiction  sur  l'épiscopat. 

I\.   DÉPOSITION    DB8   VÉTHOPOLlTAlttS    II    m-   PATRI- 

ipcbes.         L'épiscopal  remonte  aux  apôtres,  et  il  est 
d  institution  di\  ine.  Les  métropolitains,  le-  archevêques 
et  les  patriarches  ni   peuvent  revendiquer  une  origine 
aussi   liante,  [la  sont  d'institution  purement  ceci' 
tique.  Le  besoin  de  groupe ni  qui  esl  naturel  a  toute 

Ciation    et    surtout    ■<    mie   association   de   cai  : 

catholique  leur  m  donné  naissance. 

c    groupement    par    province    était    loul     indiqué. 

"il  >ic  dans  li     i iers  siècles,  on  voit  des  réu- 

DÎons  d'évéques  di    provin  es  fort  différentes.  Cf.  Du- 
,,.    Original  du   culte  chrétien,  2   .'dit.,  p.  17-20 

M. m-    c.i ie  l'-    divisions    territoriales    de    l'empire 

formaient  des    cadres   loul   tracés   pour  les    divi 

l h •  -.  elles  s'imposèrenl  vite  à  l'attention  du 
m  dei  inrent  'le-  n 

politains,  et  le  litre  n'alla  pas  sans  quelques  pn  i 

i  concile  de  Nier.  cm.  17.  le  groupement 

m  ■    pai    | ie  ■      et    leur  subordination  à 

que    de    |.,    métropole    civile    sont    déjà    ch 

n  i  '!■■  là  peu  iur  les  ordina 

iin-i  que  pour 
.le,     Ducliesne,  op.  cit., 
V    -> 

métropolitain  qu'il  appartient  de  conllrmer 
de  leur  donnei 
,    i  ...ii.  He  i  flj 

Hardouin,  t.  i 

Hardouin,  i    n. 

n   qui  con    Oque  I  Ii  iqUI    .uni.'. |  nu 

temps  et  à  l'aul  Dncili  proi  ne  ni.  .  i  le  pi 


Concile  de  Nicée,  can.  5,  Hardouin,  t.  i,  col.  325; 
concile  d'Antioche.  can.  20,  ibid.,  col.  599;  concile  de 
Cbalcédoine,  can.  19,  Hardouin,  t.  n,  col.  609.  En 
dehors  du  synode,  le  métropolitain  exerce  une  haute 
surveillance  sur  sa  province.  Concile  d'Antioche,  can.  9, 
Hardouin,  t.  I,  col.  595.  Aucune  affaire  importante  ne 
peut  être  réglée  sans  lui.  Can.  apost.,  can.  35,  P.  G., 
t.  cxxxvir,  col.  109.  Les  suffragants  ne  peuvent  même 
quitter  pour  un  temps  assez  long  leur  diocèse  sans  son 
autorisation.  Concile  de  Carthage,  can.  28,  Hardouin, 
t.  i,  col.  964.  Enfin  ses  comprovinciaux  relèvent  de 
son  tribunal  pour  les  conllits  que  s'élèvent  entre  eux, 
et  les  clercs  des  autres  diocèses  peuvent  en  appeler  à 
lui  du  jugement  de  leurs  évéques.  Concile  de  Milève 
de  416,  can.  21,  Hardouin,  t.  i,  col.  1221;  concile  de 
Sardique,  de  343,  can.  14,  ibid.,  col.  647. 

Si  telles  sont  les  prérogatives  du  métropolitain,  il  est 
clair  ipie.  dans  sa  province,  personne  n'a  d'autorité  sur 
lui.  Par  conséquent,  nul  ne  possède  le  droit  de  le 
déposer,  pas  même  le  concile  provincial,  puisqu'il  en 
est  le  président  de  droit.  C'esl  donc  en  dehors  de  sa 
province  qu'il  faut  chercher  son  juge. 

Ce  juge,  en  Orient,  sera  le  patriarche.  L'organisation 
provinciale  sur  laquelle  se  modela  l'organisation  ecclé- 
siastique n'était  pas  le  seul  groupement  imaginé  par 
les  empereurs.*  Au  dessus  des  gouverneurs  de  provinces 
Dioctétien  avait  établi  des  chefs  de  diocèses  ou  vicaires. 
Dans  la  partie  orientale  de  l'empire  les  diocèses  furent 
d'abord  au  nombre  de  quatre  :  ceux  d'Orient,  de  Pont, 
d'Asie  et  de  Thrace.  Vers  le  temps  de  Théodose,  ce 
nombre  fut  porté  à  cinq,  par  la  création  du  diocèse 
d'Egypte,  séparé  du  ressort  du  comte  d'Orient.  Au  con- 
cile de  Constantinople  en  381,  les  cinq  diocèses  furent 
adoptés  comme  ressorts  d'une  juridiction  ecclésiastique 
supérieure  à  celle  des  métropolitains  et  des  conciles  pro- 
vinciaux. Cette  juridiction  l'ut  attribuée,  dans  le  diocèse 
de  l'ont,  à  l'évéque  de  Césarée  en  Cappadoce;  dans  le 
diocèse  d'Asie  à  celui  d'Éphèse;  »  dans  celui  d'Orient  à 
l'évéque  d'Antioche,  eten  Egypte  à  l'évéque  d'Alexandrie. 

Pins  le  diocèse  de  Thrace,  Constantinople,  désormais 
en  possession  d'être  la  résidence  de  l'empereur,  était 
désignée  par  cela  même.  Mais  les  évéques  de  la  capi- 
tale ne  se  contentèrent  pas  longtemps  d'être  les  chefs 
ecclésiastiques  d'un  seul  diocèse.  Le  concile  de  381 
leur  avait  décerné  la  préséance  sur  tout  l'épiscopat, 
après  l'évéque  de  la  vieille  Rome...  Celle  décision,  il  est 
vrai,  ne  fut  point  acceptée  a  Rome...  Cela  n'empêcha 
pas  l'évéque  de  Constantinople  de  se  transformer  de 
plus  en  plus  en  une  soi  le  de  pape  de  l'empire  oriental...  B 

Son  ingérence  dans  li  des  trois  diocèses  du  nord 

augmenta  peu  >  peu  son  prestige  Nombre  de  faits  de 
étaient  déjà  produits,  cf.  Tillemonl.  Histoire 
ecclétiasl.,  t.  .xv.  p.  702,  quand  le  concile  de  Cbalcé- 
doine décida  que  l'évéque  de  Constantinople  aurait  le 
droit  de  consacrer  les  métropolitains  provinciaux  di  s 
trois  diocèses,  ceux-ci  conservant  l'ordination  de  leur- 
suffragants.  Le  même  droit  d'ordination  lui  l'ut  attribué 
relativement  aux  chefs  des  églises  nationales  relevant 
S,  can.  28.  Il  fut.  de  plus,  investi 
d'une  juridiction  concurrente  avec  celle  des  exarques 
mu  chefs  des  diocèses]  pour  juger  les  proi  es  ecclésias- 
tiques intentés  aux  métropolitains,  can  B,  17.x  huches  ne, 
Originel  du  culte  chrétien,  p.  23-35.  On  peu 
Duchesne,  ibid.,  p.  27.  comment  l'évéque  de  Jérusali  m 
parvint  a  ol. tenir  .m  concile  de  Chalcédoine  les  r 
gativei  du  pati  larcat.  Concile  de  Chali  édoine,  act.  VII, 
Hardouin,  t.  tt,  col.  wi.  De  la  -mie  ran  le  milieu 
du  v  iasiiques, 

«■n  Orient,  formèrent  fs  patriarcal  de  Constantinople, 
d'Antioche,  de  Jérusalem  et  >i  Uexandrie 

i-  patriarche  ou  exarque  exerça  sur  le-  métropoli- 
tain!  i  pi  n  pi '     lei   m  !"•      droit     que  l<  s  méti  opoli 

ni  sur  leurs  sur  .inpi'ov  inci.iiix. 


Ml 


DISPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


512 


C'est  lui,  notamment,  qui  préside  à  leur  sacre.  Concile 
de  Chalcédoine  de  151,  can.  28,  Hardouin,  t.  n,  col.  613. 
Cf.  Novell.,  vu,  c.  1  :  Quorum  metropolitas  ipse 
(Constantinopol.  episnop.)  ordinal.  Il  les  convoque  à 
sou  synode.  Cf.  Novell.,  cxxxvn,  c.  I.  Il  reçoit  les 
appels  do  ceux  qui  ont  pu  être  jugés  par  les  métropoli- 
tains. Concile  de  Chalcédoine,  can.  17,  Hardouin, 
ibid.,  col.  61)7;  Code  théodos.,  I,  tv,  De  episcop  audient., 
29.  Rien  d'important  ne  peut  être  décidé  par  un  métro- 
politain sans  l'agrément  du  patriarche.  Concile  de  Chal- 
cédoine, can.  30,  Hardouin,  t.  il,  col.  013.  Enfin  c'est 
le  patriarche  qui  juge  les  causes  où  la  responsahilité 
du  métropolitain  se  trouve  engagée  et,  en  cas  de  faute 
grave,  il  peut  prononcer  la  peine  de  déposition.  Concile 
de  Chalcédoine,  can.  9,  Hardouin,  col.  605,  dans  Gratien, 
caus.  XI,  q.  i,  c.  46.  Cf.  Novell.,  cxxxn,  c.  22. 

Que  ce  dernier  droit  ait  été  exercé  par  les  patriarches, 
cela  ne  fait  pas  l'objet  du  inoindre  doute.  On  s'est  de- 
mandé seulement  si  un  patriarche  pouvait  déposer  un 
métropolitain,  sans  faire  appel  à  son  synode.  Le  concile 
de  Constantinople  de  381  donne  à  entendre  que  cette 
déposition  doit  être  prononcée  en  synode,  can.  6,  Har- 
douin, t.  i,  col.  812.  On  peut  déduire  la  même  chose 
du  canon  9  du  concile  de  Chalcédoine  qui  suppose  que 
l'évêque  de  Constantinople  juge  ordinairement  en 
concile,  ij-jvoSo;  èvoïjixoO'ia.  Cf.  Hefele,  Histoire  des 
conciles,  trad.  Leclercq,  1908,  t.  Il,  p.  79.  Nul  doute  que 
tel  ait  été  le  principe  et  telle  la  pratique  à  l'origine. 
Mais,  exceptionnellement  et  lorsque  la  culpabilité  du 
métropolitain  était  évidente,  les  patriarches  n'hési- 
tèrent pas  à  agir  seuls.  C'est  ainsi  que  saint  Jean 
Chrysostome  prononça,  sans  convoquer  son  synode,  la 
peine  de  déposition  contre  Gérontius,  métropolitain  de 
Nicomédie,  et  lui  donna  sans  délai,  un  successeur. 
Sozomène,  H.  E.,  1.  VIII,  c.  vi,  P.  G.,  t.  i.xvn,  col.  1529. 
Un  tel  procédé  pouvait  être  irrégulier  au  point  de  vue 
du  droit,  mais  la  grande  autorité  du  patriarche  en  cou- 
vrait, pour  ainsi  parler,  l'illégalité.  Du  reste,  Justinien 
semble  reconnaître  que  les  exceptions  pouvaient  avoir 
leur  raison  d'être  et  autorisa  les  patriarches  à  juger 
Jes  métropolitains  sans  égard  à  leur  synode  :  Si  qui- 
deni  episcopus  est  qui  accusatus  est,  ejus  metropoli- 
tanus  examine l  ea  quse  dicta  sunt;  si  verometropoli- 
tanus  sit,  ejus  beatissimus  archiepiscopus,  sub  quo 
deget.  Le  synode  n'est  pas  mentionné.  Novell.,  cxxxvn, 
c.  5. 

En  Occident,  les  métropoles  se  constituèrent  plus 
tard  qu'en  Orient.  Mais  on  ne  connut  pas  le  régime  des 
patriarcats.  D'après  le  canon  6  du  concile  de  Nicée, 
l'évêque  de  Rome  parait  seul  assimilé  aux  patriarches. 
Et,  de  fait,  il  en  exerce  les  prérogatives  dans  toute 
l'Eglise  latine.  Il  ordonne  les  archevêques  par  lui- 
même  ou  par  ses  légats  :  lia  eos  melropolitanos  a  le 
volumus  ordinari,  écrit  saint  Léon  à  l'évêque  de  Thes- 
salonique.Êpi'st.,  vi,  adAnastas.  Thessalon.,  c.  \\,P.L., 
t.  liv,  col.  619.  Milan  et  Aquilée  échappent  à  celte 
règle  pendant  quelque  temps;  Milan  consacre  l'arche- 
vêque d'Aquilée  et  réciproquement  Aquilée  celui  de 
Milan.  Mais  le  pape  Pelage  fait  observer  qu'une  telle 
exception  est  justifiée  par  la  difficulté  des  rapports  de 
ces  deux  sièges  avec  Home.  Caus.  XXIV,  q.  i,  c.  33. 
Grégoire  le  Grand  a  soin  de  revendiquer  le  droit  de 
l'Église  romaine  et  il  exige  que  la  consécration  de 
l'archevêque  de  Milan  se  fasse  cum  noslro  consensn. 
Epist.,  1.  III,  epist.  xxxi,  ad  Romanum  Pairie,  P.L., 
t.  lxxvh,  col.  628.  Cf.  Epist.,  xxx,  ad  Joann.  subdiac, 
col.  627.  Les  papes  ('tendaient  la  juridiction  de  leur 
tribunal  sur  les  métropolitains.  Dès  378,  le  concile 
romain  affirme  ce  privilège  :  Vel si  ipsenietropolitaniis 
sit,Romam  necessario  veladcos  quos Romanus episco- 
pus judices  dederit,  conlendere  sine  dilatione  jubea- 
tur.  Epist. ad  GratianumetValenHnianum  imperat., 
dans  Schuenemann,  p.  359.  Cf.  la  réponse  de  l'empe- 


reur Gratien,  ibid.,  p.  364.  L'évêque  d'Arles  Patrocle 
s'était  fait  octroyer  du  pape  Zozime  117  le  droit  de 
consacrer  les  évéques  des  provinces  de  Vienne,  de  la 
Narbonnaise  I"  et  de  la  Narbonnaise  II*.  Le  concile 
de  Turin  accorde  au  contraire  à  Proculusde  Marseille 
une  juridiction  sur  la  Narbonnaise  II».  Comme  il 
usait  de  ce  pouvoir,  le  pape  Zozime  le  déposa.  Quid  de 
Proculi  damnatioue  censuerim.  Zozime.  Epist.,  i.  ad 
episcop.  Gallix,  c.  il;  Epist.,  vu,  ad  Patrocl.  Arelat., 
P.  L.,  t.  sx,  col.  668.  .Vous  n'avons  pas  à  voir  si  la 
conduite  du  pape  était  adroite  et  sage;  nous  constatons 
seulement  qu'il  usait  de  son  droit  île  déposition.  Saint 
Léon  agit  a  peu  près  de  même  vis-à-vis  du  successeur 
de  Patrocle,  Hilaire.  S'il  ne  le  déposa  pas,  ce  fut  pure- 
ment par  indulgence,  pro  sedis  aposlolicse  piclale,  mais 
il  le  priva  de  ses  droits  de  métropolitain  sur  la  province 
de  Vienne.  Qui  non  tanlum  noverit  se  ab  aliéna  jure 
depulsum,  sed  etiam  Viennensis  provinciœ,  quant 
maie  usitr paverai,  poteslalc  privation.  Epist.,  x,  ad 
episcop.  per  provinciam  Viennens.  constitutos,  c.  vu, 
/'.  L.,  t.  Liv,  col.  63L  Pour  les  détails  de  ces  affaires, 
voir  Duchesne,  Fastes  épiscopauxde  l'ancienne  Gaule, 
t.  i,  p.  102-1 17.  Personne  ne  sembleavoir  contesté  cette 
suprématie  du  siège  apostolique.  Aussi  quand  le  pape 
Nicolas  Ier  déposa  les  archevêques  de  Trêves  et  de  Co- 
logne, Thietgaud  et  Gunther,  il  s'exprima  en  des 
termes  qui  ne  laissent  planer  aucun  doute  sur  ce  qu'il 
considère  comme  son  droit  et  un  devoir  de  sa  charge  : 
''/  ideo  Spiritus  Sancti  jndicio  et  sancti  Pétri  per  nos 
auctoritale  omni  episcoj ali  exutos  regimine  a 
stère  definimus.  Décréta  Romanse  synodi,  a.  2.  Har- 
douin, t.  v,  col.  574.  Ailleurs,  il  est  vrai,  il  s'autorise 
du  9e  canon  du  concile  de  Chalcédoine  qui  défère  les 
métropolitains  ad  primaient  diœceseos  ou  à  l'évêque 
de  Constantinople.  Epist.  ad  Carolum  Calvum,  dans 
Hardouin,  t.  v,  col.  585.  Par  «  primat  »,  les  Pères  de 
Chalcédoine  n'entendaient  sûrement  pas  l'évêque  de 
Rome.  Mais,  tout  en  protestant  contre  la  tyrannie  du 
pape,  les  archevêques  de  Cologne  et  de  Trêves  ne  son- 
gèrent pas  un  instant  à  révoquer  en  doute  le  droit 
qu'il  entendait  exercer  sur  les  métropolitains. 

Cependant,  quel  que  fût  le  principe,  pendant  la  pé- 
riode mérovingienne,  les  métropolitains  furent  jugés 
par  les  conciles  nationaux,  qui  étaient  habituellement 
convoqués  par  les  rois.  Ce  fut  le  cas  de  Prétextât, 
évêque  de  Rouen,  au  synode  de  Paris  de 577  ;  de  Didier 
de  Vienne  au  concile  de  Chàlon  de  603;  d'Ebbon  de 
Reims  et  d'Agobard  de  Lyon  au  synode  de  Thionville 
en  835.  L'usage,  on  le  voit,  se  perpétua  sous  les  Caro- 
lingiens. Le  concile  de  Savonières  de  859  faillit  frapper 
également  de  la  peine  de  la  déposition  Wenilon  de 
Sens,  accusé  de  haute  trahison.  Wenilon  n'échappa  au 
coup  qu'en  faisant  amende  honorable.  Si  le  roi  ne 
lui  avait  accordé  son  pardon,  il  est  probable  qui 
collègues  lui  auraient  infligé  le  châtiment  prévu  par 
la  loi.  Cf.  Libellas  proclamationis  dontni  Caroli  régis 
adversus  Wenilonem  archiepiscop.  Senonens.,  Har- 
douin, t.  v,  col.  487;  Epist^  synodal,  ad  Wenilon. 
archiepiscop.,  ibid.,  col.  490  sq.  ;  Commonitorium 
Herardi  ail  Wenilonem ,  ibid.,  col.  500  sq. 

Mais  ces  faits  ne  périmèrent  pas  le  droit.  On  voit,  au 
IXe  siècle,  Hincmar  de  Reims  protester  contre  lu 
rence  de  l'État  et  se  tourner  décidément  vers  Home 
comme  vers  le  tribunal  suprême  auquel  devaient  être 
déférées  les  causes  des  métropolitains.  Le  pape  Benoit 
lui  répondit  en  affirmant  la  même  doctrine,  nec  alicui 
cujuscumque  juri  vel  judicio  te  subjici,  excepta  po~ 
1,'shih1  sedis  apostolicx  pontificum.  Epist.,  i.  ait  Hinc- 
marum  Remens.,  dans  Hardouin,  t.  v,  col.  102.  L'ap- 
parition des  fausses  Décrétâtes  ne  lit  que  fortifier  ces 
théories.  Et  le  concile  de  Trente  les  consacra.  Si  les 
causes  majeures  des  simples  évéques  ne  pouvaient  être 
jugées  que  par  le  souverain  pontife,  à  plus  forte  raison 


513 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES    CLERCS 


514 


celles  des  métropolitains.  Fagnan,  Comment.,  in  c.  25, 
De  accusât.,  V,  I.  n.  44  sq. 

En  Orient,  les  patriarches,  supérieurs  aux  métropo- 
litains, étaient,  à  l'origine,  égaux  entre  eux.  De  quel 
tribunal  pouvaient-ils  relever  ?  Jusqu'au  jour  où  Con- 
stantinople'eut  accaparé  la  suprématie  sur  tout  l'Orient, 
les  patriarcats  jouissaient  d'une  réelle  indépendance 
vis-à-vis  l'un  de  l'autre.  Un  seul  évêque,  le  pape,  pou- 
vait devenir  leur  juge.  Et,  en  effet,  au  concile  d'Éphèse 
de  431,  l'évêque  de  Jérusalem  lit  remarquer  que, 
d'après  la  tradition,  les  patriarches  d'Antioche  n'avaient 
jamais  eu  d'autres  juges  que  les  papes,  et  conformé- 
ment à  ce  principe  on  se  contenta  d'excommunier  le 
patriarche  Jean,  et  on  réserva  au  souverain  pontife  le 
droit  de  lui  appliquer,  s'il  y  avait  lieu,  la  peine  de  la 
déposition.  Epist.  synodi  Ephes.  ad  Celeslinum  pa- 
pam,  n.  4.  Nous  avons  vu  plus  haut  que  les  papes 
avaient  usé  de  leJur  droit  en  frappant  les  patriarches 
Nestorius  de  Constantinople  et  Dioscore  d'Alexandrie. 
En  484,  Félix  III  déposa  pareillement  le  patriarche  Acace, 
et  comme  les  Crées  se  plaignaient  que  le  pontife  eût 
prononcé  sa  sentence  sans  l'avis  de  son  synode,  le 
pape  Gélase  leur  répondit  que  le  pontife  romain  était 
personnellement  l'unique  juge  des  patriarches,  qu'il 
pouvait  exercer  ses  droits  sans  réunir  de  synode  et 
que.  du  reste,  Acace  avait  été  jugé  conformément  aux 
canons  de  Chalc'doine.  Gélase,  Epist.,  vu,  ad  episcop. 
Dardanitr,  Ilardouin,  t.  n,  col.  905  sq.,  cf.  col.  831  sq. 
Au  \r  siècle  les  papes  professaient  toujours  la  même 
doctrine.  On  la  retrouve  sous  la  plume  de  Nicolas  Ier, 
qui  proleste  conlre  la  déposition  du  patriarche  Ignace, 
décidée  au  synode  de  Constantinople  de  861,  par  suite 
des  intrigues  de  Photius.  Aucun  de  ceux  qui  ont  pro- 
cédé à  cette  déposition,  écrit  le  pontife,  n'était  juge 
légitime.  Epist.,  vin.  ad  Michaëlem  imperat.,  dans 
Ilardouin,  t.  v,  col.  150.  On  n'a  guère  d'exemple  qu'un 
patriarche  de  Constantinople  ait  jamais  été  re/ectus 
sine  consensn  romani  pont i fuis.  Ibid., col.  157.  C'est  le 
successeur  de  Pierre  qui  a  la  sollicitude  de  toutes  les 
Églises.  Il  est  le  primat  de  toute  l'Église,  comme  l'in- 
dique le  concile  de  Chalcédoine.  (Erreur  d'interpréla- 
tion,  que  nous  avons  signalée  plus  haut.)  Pierre  a 
fondé'  l'Église  d'Antioche,  il  a  placé  son  disciple  Marc 
à  la  tète  de  l'Église  d'Alexandrie,  etil  est  venu  mourir 
à  Rome.  Ibid.,  col.  162  sq.  Ses  successeurs  sont  donc 
au-dessus  des  patriarches  et  ils  sont  leurs  juges.  C'est 
pourquoi  noua  ordonnons  que  l'hotius  et  Ignace  com- 
paraissent devant  noire  tribunal,  pour  que  leur  cause 
jugée  à  nouveau,  et.  s'ils  ne  peuvent  venir  eux- 
méini-s.  qu'ils  aient  des  représentants.  Ibid.,  col.  166. 
Au  moment  où  Nicolas  rev<  ndiquait  ainsi  les  droits  du 
pontife  romain  sur  les  patriarches,  Photius  méditait 
le  schisme.  C'en  'tait  fait  de  l'autorité  du  pape  sur 
Constantinople  et  sur  l'Église  d'Antioche. 

i.     DÊPOSfTIOn    DBS     •   IRDIXACX.     —     Saint    Peinard 

exprimait  l'idée  que  les  cardinaux,  comme  tels,  occu- 

nl  dans   la   hiérarchie  une  place  inférieure  à  celle 

rèques.  /'*■  ■  ne,  I.  IV,  c.  v,  n.  16,  /'.  /,., 

t.  i.iawii.  col.  784,   Léon   X    pensait  tout   autrement, 

qu'il  déclarail  qu'ils  surpassaient  en  honneur  et  m 

dign  ipsa  Ecclesia  post  summum 

qsI    Supet  ■■■'    di    151 1.   -•■'  i .   wi,   /))//- 

mum,  I    i.  p.  544.  Déjà  Eugène  I \   dans 

Itntion  Non  médiocre  de  1439,  iect.  nv,  avait 

I  nu  une  di  mblable    Quit  non  videat  •  ar- 

dinalatut  dignitatem  archiepiscopali  esse   tnajt 

il  en  i  onclaail  'i1"'  personne,  m  ce  n  •   I 
h-  p  lit  le  'if.ii  de  les  juger     <  um  a  nemine 

papa,  judicentw  cardinale*.  BuUarium,{   i 
P 

ii  dinaux  tiennent  du  souverain 

tife,  donl  ils     ont  li     i  ollaboi  ateui  -.  toute  l'auto- 

[u'i  L'Ordo  i  omanui   XI V,    P,    /  . 

DICT.    DE  TIIÉOI..    CATHOL. 


t.  lxxviii,  col.  1122,  le  montre  assez  clairement.  Le 
Cœremoniale  romanum  indique  pareillement  que  la 
création  des  cardinaux  est  une  œuvre  proprement 
papale.  Hoffmann,  Nova  scriptorum  ac  monumento- 
rum  colleclio,  t.  Il,  p.  393  sq.  Et  cette  doctrine  a  été 
confirmée  par  le  concile  de  Trente,  sess.  XXIV,  c.  i, 
De  reform.  La  formule  employée  par  le  pape  en  con- 
sistoire, quand  il  crée  un  cardinal,  porte  en  effet  : 
Auctoriiate  omnipotentis  Dei,  sanclorum  apostolorum 
Pétri  et  Pauli  AC  NOSTBA  CREA  MUS  sanclie  Ecclesise 
Romanx  cardinalem  N.Analecta  juris  pontif. ,2esérie, 
col.  1940. 

Or,  d'après  le  principe  que  qui  peut  instituer  peut 
destituer,  les  souverains  pontifes  ont  évidemment  le 
pouvoir  de  déposer  les  cardinaux.  On  ne  s'étonnera 
donc  pas  que,  dans  la  pratique,  les  papes  aient  usé  de 
ce  droit.  Léon  IV  déposa  en  853  le  cardinal  Anaslase  : 
Sancta  communione  privavimus...,  deposilus  est  juste 
atque  canonice  Anastasius.  Ilardouin,  t.  v,  col.  85  sq. 
La  même  peine  fut  inlligéeau  cardinal  évoque  Rodoald 
de  Porto,  que  Nicolas  Ier  avait  envoyé  à  Constantinople 
pour  instruire  l'affaire  du  patriarche  Ignace  et  qui 
s'était  laissé  corrompre  par  les  amis  de  Photius.  Nostri 
apostolatus  judicio  deposuimus  eum,  écrit  le  pape  à 
l'empereur  Michel,  et  a  corpore  et  sanguine  Christi 
excommunicavimus.  Hardouin,  t.  v,  col.  141  sq.  C'est 
avec  un  semblable  sentiment  de  sa  suprême  autorité 
que,  quatre  siècles  plus  tard,  Boniface  VIII  frappait  les 
cardinaux  Jacques  et  Pierre  Colonna  :  Deposuimus 
dictos  Jacobum  et  Petrum  a  cardinalatibus  ejusdem 
ecclesise  et  ab  omni  cardinalalus  commodo  et  honore. 
Sexti  Décret.,  1.  V,  tit.  m,  De  schismat.,  c.  unie. 
La  formule  que  Pie  IV  emploie  pour  déposer  le  car- 
dinal Odet  de  Chatillon,  évêque  de  Beauvais,  qui  avait 
abandonné  l'orthodoxie  pour  passer  au  protestantisme, 
ne  diffère  guère  de  la  précédente  dans  les  termes  :  Et 
propterea  eum  ab  omni  cardinalatus  commodo  et 
honore  ac  privilegio  etiam  clericali...  ij^so  jure  de- 
positum...  declaramus.  Consl.  (Jnerosum,  de  1563, 
sect.  iv,  dans  Dullarium ,  t.  n.  p.  102. 

Tout  le  monde  est  d'accord  sur  le  droit  du  pape  à 
juger  les  cardinaux.  On  s'est  demandé  seulement  s'il 
pouvait  porter  seul  contre  eux  une  sentence  de  dépo- 
sition. Nombre  d'anciens  canonistes  estimaient  qu'un 
pareil  jugement  ne  devait  être  prononcé  qu'avec  l'agré- 
ment du  Sacré-Collège.  Cf.  Fagnan,  Comment.,  adc.2, 
X,  De  cleric.  non  résident.,  III,  iv,  n.  5,  7.  Ils  s'ap- 
puyaient  sur  le  texte  qui  concerne  la  déposition  du 
cardinal  piètre  Anaslase  au  synode  romain  de  853  :  lu 
hac  synodo  Anastasius  presbyter  cardinalis...  ab  om- 
nibus canonice  est  deposilus,  loc.  cit  ,  c.  2.  Mais  bien 
qu'en  fait  les  papes  se  soient  généralement  entourés  de 
la  lumière  des  membres  du  Sacré-Collège  pour  frapper 
un  cardinal  d'une  peine  disciplinaire,  il  n'en  est  pas 
moins  vrai  qu'ils  prononçaient  leur  sentence  uniquement 
en  leur  propre  nom;  les  cardinaux  qui  les  assistaient 
n'avaient  que  voix  consultative.  Les  actes  du  synode 
romain  de  853  portent,  il  est  vrai.  qu'Anastase  a  été  dé- 
posé tam  a  tummo  pontiflee  quamque  ab  universis 
■  ipis  tune  synodo  residentibus.  Mais  la  sentenc 
de  déposition  ne  lait  mention  que  de  l'autorité  papale 
Léo   ex    Dei    omnipotentis    et    beati    Pétri  apostoli 

ttOBTRAQUB    S1MUI    APOSTULtCA    Minimisa...    PRIVA- 
VIMV8,    etc.     Ilardouin,    t.    v.    col.   86     sq.    MicoUfl    I 

s'exprimi    de  la  même  manière  au  sujet  du  cardinal 
Rodoald  i  sanclissimorum  episcoporum  >/n- 

merosa  et  venerabili  synodo,  aucloritale  Dei  omnipo- 
tentis... neenon  si  nostri  apostolatus  judicio  deposui- 

Hardouin,  t.  v,  col,  141  sq    La  lam 
phrase   qui    regarde    le   cardinal    Vnastase       '"    hac 
anonice  est  rf<  posihts,  doit  donc 

ntend lans  un  sens  large;  elle  signifie  que  le 

a  pi  -    part  .m   procès  qui  lui  fui  intenté,  i  e 

i\ 


51 J 


DÉPOSITION   ET   DÉGRADATION    DES   GLERl  - 


51G 


qui  D'empêché  pas  que  la  sentence  suit  l'œuvre  exclu- 
sive du  souverain  pontife  :  ab  omnibus  approbantibus, 

connut'  porto  la  (Hum-,  caus.   IX.  <|.    III,  C.  17,  quuniam 

solus  papa  hune  cardinales  deposuit. 

Du  reste,  il  esl  naturel  que  le  pape  procède  pour  la 
déposition  des  cardinaux  comme  il  fait  pour  leur  créa- 
tion. D'après  le  c.  cxm  tics  Cseremonise  et  solemnilates 
saiiiir   servari   in    creatione    novorum   cardinalium, 
lorsque  le  souverain  pontife  veut  créer  un  cardinal,  il 
consulte  les  membres  du  Sacré-Collège,  niais  il  n'est 
nullement  force  de  suivre  l'avis  de  la  majorité.  Le  Ceere- 
moniale  romanum,  1.  I,  sect.  vin,  c.  i,  suppose  que 
le   pape   est  libre   dans   son    choix.    Et   le  concile   de 
Trente,  sess.  XXIV,  c.  i,  De  reform.,  affirme  le  même 
principe.    La    formule  employée    aujourd'hui    par    le 
pape  ne  laisse  place  à  aucun  doute  :  Illum  N.  in  ves- 
Irtim  collegium  adlegendum  esse  dechevimus.  A  la 
vérité,  s'adressant  aux  cardinaux,  il  leur  pose  la  ques- 
tion  :   Quid   rubis   videtur?  Mais  ce  n'est   là   qu'une 
simple  formalité.   Il   n'attend  même  pas   leur  réponse 
pour  procéder  à  la  nomination  de  leur  nouveau  col- 
lègue. Aualecta  juris  pontifi.cn,  2e  série,  col.  1939  sq. 
Même  procédure    pour  la   déposition  d'un  cardinal. 
Boniface  VIII   n'a  pas   frappé  les   Colonna  sans  avoir 
consulté  les  membres  du  Sacré-Collège.  De  schismat., 
Sexti  Décret.,  1.  V,  tit.  m,  c.  unie.   Pie  IV  en  usa  de 
même,  quand  il  déposa  le  cardinal  de  Cbàtillon  :  Habita 
cum  prœdictis  et  aliis  venerabilibus  fralribus  nostris 
ejusdem  S.  R.  E.  cardinalibus  maltira  deliberalione, 
de  eorumdem  unanimo  voto,  consilio  et  assenait,  etc. 
Const.  Onerosum  de   1563,  sect.  iv,  Bullarium,  t.  n, 
p.   102.  Par  contre,  en  1046,  le  pape  Innocent  X  in- 
fligea  à   certains  cardinaux,  qui   avaient  quitté  Rome 
sans  sa  permission,   la   peine  de  la  déposition  molli 
proprio,  en  ayant  soin  d'ajouter  que  sa  sentence  était 
aussi  valable  que  si  elle  eût  été  portée  en  plein  consis- 
toire :  ac  si  in  consistorio  nostro  secrelo  de  eorumdem 
venerabilittm  fratrum  nostrorum  consilio  et  unanimo 
assetisu  emanassel.  Const.  Cumjitxlasacrorum,  sect.  I, 
6,  Bullarium,  t.  v,  p.  432,  434.  Il  voulait  montrer  par 
là  que,  si  l'avis  des  membres  du  Sacré-Collège  pouvait 
être  en  pareil  cas  très  utile,  il  n'était  pas  rigoureuse- 
ment indispensable.  Et  c'est  ce  qu'enseignent  commu- 
nément les  docteurs.  Cf.  Julius  Ctarus,  Praclica  ciril. 
et  criminal.,  1.  V,  sect.  xxxv,  n.  10;  Fagnan,  Comment., 
ad  c.  2,  De  cleric.  non  résident.,  III,  iv,  n.  8. 

Un  document  apocryphe  inséré  par  le  pseudo-Isidore 
dans  les  Fausses  Décrétales  et  plus  tard  par  Gratien 
dans  son  Decretum,  caus.  III,  q.  iv,  c.  Il,  voudrait 
que  les  papes  ne  pussent  condamner  un  cardinal  sans 
un  nombre  considérable  de  témoins  :  soixante-douze 
pour  un  cardinal  évêque,  quarante-quatre  pour  un 
cardinal  prêtre,  vingt-sept  pour  un  cardinal  diacre. 
Cette  règle  a  été  imaginée  à  une  époque  où  les  clercs 
accusés  pouvaient  se  disculper  par  serment,  s'ils  avaient 
comme  témoins  à  décharge  un  certain  nombre  de  co- 
jureurs.  Pour  l'historique  du  document,  voir  Kober, 
op.  cil.,  p.  539-549.  Le  chiffre  de  ces  témoins  était 
llottant.  Le  pseudo-Isidore  a  voulu  le  fixer.  Mais  les 
faits  de  déposition  qui  sont  venus  à  notre  connaissance 
ne  nous  laissent  pas  entendre  que  la  règle  ait  jamais 
été  appliquée.  Ni  Boniface  VIII,  en  frappant  les  Co- 
lonna, ni  Pie  IV,  en  condamnant  le  cardinal  de  Cbà- 
tillon, ne  paraissent  s'être  souciés  d'entendre  les 
soixante-douze  témoins  que  requiert  la  lettre  du  droit 
écrit.  Ce  n'est  là,  il  est  vrai,  qu'un  argumettlum  ex 
siientio.  Nous  savons,  du  moins,  par  un  canoniste 
autorisé  du  xvr  siècle,, Iulius  Clarus,  que  de  son  temps, 
en  dépit  du  Décret  de  Gratien,  les  papes  procédaient  à 
la  déposition  des  cardinaux  sans  entendre  ni  soixante- 
douze,  ni  quarante-quatre,  ni  même  vingt-sept  témoins. 
Sni  certe  quidquid  sii  de  jure,  iste  numerus  testium 
/imite  de  consuetudine   n"n   servatur,  quando  papa 


procedit  contra  cardinale!.  H"  tettatur  card.  Ah 

ri  Un   m  facto  nostris  temporibut  >><ii  ri  h"/ ;  fuisse 
observatum.  .1.  Clarus,  Praclica  civil,  et  criminal., 

I.  V.  q.  i.xvi. 

17.  DÉPOSITJoy  BE8  PAPES.  —  Le  principe  d'après 
lequel  personne  ne  peut  être  destitué  que  par  celui 
qui  l'a  institué  s'applique  aux  papes  aussi  bien  qu'aux 
autres  clercs.  Or  les  papes  sont  .lus  par  le  collège  car- 
dinalice, mais  ils  ne  reçoivent  leur  autorité  que  de 
Dieu.  C'est  en  ce  sens  que  les  canonistes  interprètent 
le  1.  II,  tit.  i,  De  judic.,  c.  13,  qui  cite  saint  Paul  : 
Poteslas  nostra  min  esl  ex  homine,  sed  ex  Deo. 
Cf.  Fagnan,  Comment.,  ad  c.  4,  De  elecl.,  I,  vi,  n.  32. 
Aussi  le  pape  Innocent  111  proclamait-il  hautement  sa 
souveraine  indépendance  vis-à-vis  de  tout  pouvoir 
humain  :  «  Le  pontife  romain,  dit-il,  n'a  d'autre  supé- 
rieur que  Dieu,  t  pont  Deum  alium  superiorem  non 
habet.  Serm.,  IV,  in  consecral.  ponlif.,  /'.  L.,  t.  ccxvu. 
col.  670.  Et  il  en  concluait  que  personne  n'avait  le 
pouvoir  de  le  déposer  :  cum  romanus  pontifes 
liabeat  alium  dominum  nisi  Deum,  quantutnlibel 
eranescal,  quis  potest  eum  foras  milteref  Serm.,  iv. 
in  consecrat.  pontif.,  ibid. 

Cette  règle  s'est  trouvée  de  bonne  heure   formulée 
dans  les  termes  suivants  :  Prima  sedes  a  nemine  ju- 
dicetur.  Les  actes  apocryphes  du  concile  de  Sinuesse 
en  303  la  contiennent  déjà.  Le  pope  Marcellin,  accusé 
d'avoir  offert  de  l'encens  aux  dieux,  est  censé  s'être 
reconnu  coupable;  les  évêques  se  contentent  de  pro- 
noncer sa  déposition  et  ils  ajoutent   :    Juste   ore  suo 
condemnalus   esl...  Nemo  enim     ttnquam  judicavit 
ponlificem,  nec  prsesul  sacerdotem  suum  ;   quoniam 
prima  sedes  non  judicabilur  a  quoquam.   Hardouin. 
t.  i,  col.  217  sq.  Lorsque  plus  tard  le  pape  Symmaque, 
poursuivi  avec  un  acharnement  inouï  par  les  partisans 
de    l'antipape    Laurent,    fut    déféré    devant    plusieurs 
synodes  que  convoqua  le  roi  des  Ostrogoths.  Théodoric 
le  Grand,  on  n'osa  le  condamner,  ni  même  le  juger, 
parce  qu'on  craignait  d'attenter  à  son  autorité  suprême: 
on  estimait  qu'il  ne  pouvait  être  soumis  au  jugement 
de    ses  inférieurs    :    nec  antediclsc  sedis  antistitem 
minorum  subjacuisse  judicio.  Hardouin,  t.  n,  col.  967. 
Sur  cette  affaire,  voir  un  article  intitulé  :  Uno  antipajia 
e  uno  scisma  al  tempo  del  Theodorico,  dans  Civillà 
cattolica,  4  avril  1908,   p.   68-78.   Ennodius  de   Pavie 
(f  521)  écrit  à  ce  propos  que,  si  Dieu  a  voulu  que  «  les 
hommes  terminent  les  procès  des  hommes,  ■>  il  s'est 
réservé  à  lui-même  les  causes  du  saint-siège,  sed  sedis 
islitts  prœsulis  suo,  sine  quœslione,  reservavit  arbi- 
trio.  Caus.  IX,  q.  ni,  c.  14.  Les   décisions  du   concile 
connu  sous  le  nom  de  synodtts  Palmaris,  qui  inno- 
centa Symmaque,  furent  envoyées  aux  évêques  de  Gaule 
et  ceux-ci  chargèrent  saint  Avit  de  Vienne  de  répondre 
en  leur  nom  aux  sénateurs  de  Rome,  Fauste  et  Sym- 
maque. Avit  relève  dans  sa  lettre  le  principe  «  qu'un 
supérieur  ne  peut  être  jugé  par  des  inférieurs  »,  i 
farile  dattir  itttelligi  qua  lege  ab   inferioribus  emi- 
nenlior  judiceltir,  et  loue  le  synode  d'avoir  réservé  la 
conduite  du  pape  au  jugement  de  Dieu,  divino  pot 
servavit  examini.  Aussi  bien,  si  on  touche  au  pape,  ce 
n  i  -I   pas  un  évêque,  mais  l'épiscopat  tout  entier  qui 
chancelle.   »  Episl.  ad  sénat,  ttrbis  Rom  se,  dans  Har- 
douin. t.   n,  col.  982  sq.  Ainsi  ce  n'est  pas  seulement 
en  Italie,  mais  dans  un  cercle  beaucoup  plus  étendu 
que  prévaut  la  règle  :  prima  seilesa  nemine  judiceltir. 
Lors  donc  qu'un  faussaire  attribua  au  pape  Silvestre 
le  fameux  canon  :  Nemo  judicabit  primant  sedem,  quo- 
niam omnes  sedes  a  prima  sede  justitiam  desiderant 
temperari,  Act.,  H,  can.  20,  Hardouin,  t.  i,  col.  291.  il 
ne  faisait  que  formuler  la  doctrine  reçue  de  son  temps. 
Saint   lioniface,  l'apôtre   de   l'Allemagne,  ou   l'auteur 
quel  qu'il  soit  du  texte,  disl.    XL.  c.  6.  la  précise  en- 
core, quand  il  déclare  que,  sauf  le  cas  d'hérésie,  le  pape 


517 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERCS 


518 


ne  saurait  rire  jugé  par  personne,  quia  cunclos  ipse 
rudicaturus  a  nemine  est  judicandus,  nisi  deprehen- 
datur  a  fi.de  devins.  Ce  dernier  membre  de  phrase 
sera  expliqué  plus  loin.  Le  pape  Léon  III,  poursuivi 
par  la  calomnie,  comparut  en  800  devant  un  tribunal 
ecclésiastique  où  siégeait  Charlemagne.  On  n'osa  pas 
cependant  le  juger  :  tous  les  archevêques,  évoques  ou 
abbés  présents  se  récusèrent,  en  disant  :  Nos  sedem 
apostolicam...judicare  non  audemus,  nam  ab  ipsa  nos 
nés  et  vicario suo judicamur,  ipsa  aulem  anemine 
iudicatur,  quemadmodum  et  antiquitus mos  fuit.K&r- 
douin,  t.  iv,  col.  936.  Le  Dictatus  de  Grégoire  VII. 
Hardouin,  t.  vi,  col.  1304;  Gratien,  dans  son  décret, 
dist.  XL,  c.  6;  caus.  IX,  q.  ni,  c.  14-16,  répètent  la 
■  formule.  Et  le  principe  était  si  universellement 
reconnu  au  XIIIe  siècle  que  le  roi  Philippe  de  Souabe 
le  rappelle  dans  une  lettre  adressée  au  pape  Inno- 
cent III  :  Ab  Itom'me  non  estis  judicandus,  sed  judi- 
■  vestrum  soli  Deo  reservatur.  Scriptum  Pkilippi 
ad  dominum  papam,  Raynaldi,  Annal,  cèdes.,  an. 
1206,  n.  II).  Boniface  VIII  n'avait  donc  qu'à  consulter 
la  tradition  pour  écrire  à  Philippe  le  Bel  :  Si  deviat 
ipiritualis  /«iiestus  minor,  a  suo  superiore;  si  vero 
tuprema,  a  solo  Deo,  non  ah  homine  poterit  judicari. 
uvag.  communes,  I,  vin,  De  majorit.  et  obedient., 
c.  1. 

Aussi  bien  quel  pourrait  être  le  juge  du  souverain 
pontife?  Ce  n'est  pas  le  Sacré-Collège.  Quand  les  cardi- 
naux ont  nommé  un  pape,  leur  rôle  est  achevé;  celui 
qu'ils  viennent  d'élire,  une  fois  consacré,  devient  leur 
supérieur.  El  donc  ils  n'ont  plus  d'autorité  sur  lui. 

Serait-ce  l'empereur'.'  Les  empereurs  chrétiens  sont 
quelquefois  intervenus,  en  effet,  dans  les  affaires  ecclé- 
siastiques, voire  dans  les  affaires  papales.  Le  concile 
romain  de  378  rappelle  le  jugement  que  rendit  (ira- 
tien  en  faveur  du  pape  Damase.  Mais  il  s'agissait  de 
crimes  de  droit  commun,  où  l'État  avait  à  montrer  la 
force,  en  même  temps  qu'à  rendre  la  justice.  Epist. 
alian.  et  Valentinian.  invpe- 
rat.u.  11, cf.  a. 8,  dans  Schœnemann,  op.  cit.,  p.  360. 
Ii''  bonne  heure  le  principe  de  la  séparation  des  deux 
pouvoirs  l'ut  reconnu  dan-  I  Église.  L'immixtion  de 
l  Etal  dans  l<  -  choses  ecclésiastiques  parut  dès  lors  à 
tous  un  abus  intolérable.  Il  esl  vrai  qu'au  xiv  Biècle 
un  conseiller  de  Louis  de  Bavière,  Marsile  de  l'adoue. 
les  papes  m  avaient  de  juridiction  an 
nr  qu  eu  vertu  d'uni  ion  impériale  et, 

quent,  relevaient  de-  empereurs, qui  pouvaient 
I  f.  Defensor  pacis,  dans  Gol- 

i,     t.     II.     p.     loi      sq. 

dans  le   tumulte  d'un  conflit 

mpereur,  n  obtint  aucun  crédit  au- 

uistes.  La  tradition  écrite  lui  était  déjà 

fameux    canon    attribué    au     pape 

I  >|iii  est  du 

lempa  de  I  h<  odoi  i<  .  on  Msail  :  neque  uh   I  ugusto,  m 

•   regibus...  judicabitur.  Har- 
o,  t.  i.  col.  J'<i    II  le  pape  Nicolas  I",  rappelant  à 
l'empereur  Michel  le   principe  de  l'indépendanci 

il  avait  justement  conclu   que  le  pon- 

ail  être  di  pos<    par  le  pouvoir  Bécu 

ligai  i  i  tolvi 

'■/>■'■„,    Hardouin,  t.  v,  col.  I7I  sq.;  Gratien, 

tCVII,  «    i..  ',.  Le  VIII»  ci  iménique,  tenu 

1  9,  loi. n. il-   «olennellemi  m   la 

21,  Hardouin,  t.  \  DOS    tussi 

Otton,  a  la  dem  inde  du  concile  de 

le  pape  Jean  \  II.  reconnut  on 

droit 

le  on  <<■  trouvai!  I  i 

Har- 
douin   I 


L'incompétence  des  empereurs  à  déposer  les  papes 
résulte,  du  reste,  de  leur  situation  vis-à-vis  de  la  pa- 
pauté. Si  indépendants  qu'ils  fussent  dans  le  domaine 
des  choses  temporelles,  il  ne  faut  pas  oublier  qu'ils 
étaient  sacrés  par  les  pontifes  romains  et  que,  par  con- 
séquent, à  certains  égards  ils  tenaient  d'eux  ou  du 
moins  par  leur  entremise  l'autorité  suprême  qu'ils 
exerçaient  sur  les  peuples.  C'est  en  raison  de  ce  fait 
que  certains  papes,  Grégoire  VII,  par  exemple,  reven- 
diquaient le  droit  de  déposer  les  empereurs/ Cf.  sur  ce 
point  Cenni,  Monumenta  dominationis  pontif.,  dist.  1, 
n.  21-52;  dist.  VI,  n.  13-41  ;  Kober,  op.  cit.,  p.  568-572. 
De  leur  coté,  il  est  vrai,  les  empereurs  prétendaient 
que  la  nomination  des  papes  ne  pouvait  être  valable, 
s'ils  ne  la  ratifiaient.  Mais  celte  ratification  n'équivalak 
évidemment  pas  à  une  consécration^  et  ne  conférait 
pas  de  droit  sur  celui  qui  en  était  l'objet.  Jamais  un 
empereur  ne  fut  considéré  comme  le  supérieur  du 
pontife  romain.  Jamais,  par  conséquent,  il  ne  put 
s'attribuer  le  droit  de  le  déposer.  Les  tentatives  de 
Henri  IV  contre  Grégoire  VII  et  de  Louis  de  Bavière 
contre  Jean  XXII  échouèrent  nécessairement,  parce 
qu'elles  étaient  contraires  au  droit  et  à  la  tradition. 

Mais  si  les  entreprises  des  empereurs  sur  la  papauté 
ne  furent  qu'un  accident  temporaire  dans  l'histoire  de 
l'Église,  les  conciles  généraux  qui  possèdent  incontes- 
tablement l'autorité  suprême  dans  le  domaine  spiri- 
tuel ne  pourraient-ils  déposer  un  pape  qui  trahirait 
son  devoir?  En  fait,  le  concile  de  Constance  a  déposé, 
au  moment  du  grand  schisme  d'Occident,  Jean  XXIII 
el  Benoît  XIII,  cl  il  a  obtenu  la  démission  de  Gré- 
goire Xll.  Hardouin,  t.  vin,  col.  37G,  380.  Cet  événe- 
ment, qui  ramenait  la  paix  au  sein  de  la  chrétienté', 
fut  salué  par  des  cris  de  joie  universelle.  N'est-ce  pas 
un  indice  et  une  preuve  que  la  déposition  des  papes 
constitue  en  certaines  circonstances  un  droit,  voire  un 
devoir  des  conciles  généraux? 

Les  actes  du  concile  de  Constance  onl  besoin  d'être 
expliqués,  mais  n'ont  nullement  modifié  la  constitution 
de  I  I  glise.  Et  c'est  à  tort  que  les  Pères  du  concile  onl 
prétendu  posséder  la  suprématie  sur  le  pape.  Sess.  IV  el 
V,  Hardouin,  t.  vin,  col.  252,  258.  Cf..  sur  ce  point,  Bel- 
larmin,  De  concil.  et  Eccles.,  n,  19;  Bossuet,  Defensio 
declarationis  cleri  gallicani,  v,  2  sq.;  Tunnel,  His- 
de  la  théologie  positive,  t.  n,  p.  365,  373 

La  primauté  du  pape  esl  d'institution  divine,  aussi 
bien  que  l'épiscopat.  Que  le  pape  el  les  évéques  soient 
réunis  ou  qu'ils  soienl  séparés,  leur  condition  res 
même.  Sans  doute,  le  pape  n'esi  pas  un  monarque 
absolu  ei  dans  un  concile  les  évéques  collaborent  avec 
lui.   Il   est   la   tête   de    l'Église,    el   ils  en    sont    le  COI 

Mai-  on  ne  cou  te  d'auto- 

rité sans  la  tête;  on  ne  conçoit   pas  surtout  qu 
corps  domine  la  tête.  Aussi  bien  le  concile  œcuménique 
n'exisir  pas  s;in-  [a  participation  du  pape-,  si  l'on  sup- 
'iu  moment  que  le  pape  soi)  d'un  côté,  les  évéques 
de  i  autre,  l'I  -lis.-  .m rail  cessé  d'exister.  C'esl  don.  là 
une  hypothèse  chimérique.  D'autre  part,  il  esl  admis 
de  tout  le  monde  qu'un  évéque  isolé  ne  saurait  dépi 
un  pape.  Ce)  acte  de  suprématie  dép 
On    ,i    bien  vu,    il   esl    vrai,  un    hioseore   d'Alexan 

prononcer  l'exco unication  contre Ii  p.p.  gainl 

i.'  Grand,  el  Photiua  lancer  un.'  senteno  de  dépo 

[•'.  Mais  de  Eels  actes  oui  él 
déclarés  nul-  par  le  coneib.de  Chalcédoine  el  pai 
nstantinople.  Sur  tout  ceci,  voir  Libellut  11,, 
diacon ,  , ,  ntra  Dio  '  i  irdouin,   i.   n. 

Vnasla      le   Bibliothécaire,  Hardouin,    i.  v.  col.    76SI 

papam,   Har- 
douin, t.m,  co                                   n  lantinople  di 
Hardouin,  L  v,  col   '.HT   Ce  qu  un  év<  que  ne  peu)  faire 
deux   évéques   ni  dit  évi                 |<    poui  rail  ni   faire 
dix,  de  Vingt,  d..  ci  ni   me - 


r>i9 


DEPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES   CLERl  - 


pétences  ne  saurait  constituer  une  compétence.  Un 
concile  œcuménique,  privé  de  sanction  papale,  n'a  pas 
plus  d'autorité  qu'un  concile  particulier.  Si  donc  on 
reconnaît  qu'un  concile  particulier  n'a  pas  le  pouvoir 
de  déposer  le  souverain  pontife,  il  faut  en  conclure 
qu'un  concile  universel,  privé  de  son  chef,  ne  peut  non 
plus  le  déposer.  La  déposition  prononcée  par  le  concile 
de  Bàle  contre  Eugène  IV,  pape  certainement  légitime, 
était  radicalement  nulle.  Si  un  pape  commet  un  abus 
de  pouvoir  qui,  pour  un  simple  évèque,  entraînerait 
la  déposition,  tout  au  plus  peut-on  lui  résister  en  face, 
comme  lit  saint  Paul  vis-à-vis  de  saint  Pierre.  Mais 
ainsi  que  le  remarque  Yves  de  Chartres,  s'il  lui  a 
résisté,  il  ne  l'a  pas  déposé  :  In  faciem  reslitit,  non 
lamen  eum  abjecit.  Epist.,  ccxxxiii,  ad  Henric.  abbat., 
P.  L.,  t.  clxh,  col.  236.  Contre  un  pape  qui  s'obstine 
dans  le  mal  il  n'y  a  d'autre  ressource  que  «  d'attendre 
le  temps  de  la  moisson  »  et  de  s'en  rapporter  au  juge- 
ment de  Dieu.  Epist.,  ccvxxvi,  ad  Joann.  episcop. 
Lugdun.,  ibid.,  col.  210. 

Le  souverain  pontife  est  donc  au-dessus  de  toute  juri- 
diction terrestre.  Cela  est  si  vrai  que,  le  voulût-il,  il  ne 
pourrait  se  soumettre  à  un  tribunal  humain.  On 
allègue,  il  est  vrai,  que  le  pape  Damase  s'en  rapporta 
au  synode  romain  de  378  :  se  dédit  ipse  juciciis  sacer- 
dotum,  concile  de  Rome,  Epist.  ad  Gratian.  et 
Valentinian.  imperat.,  n.  iO,  dans  Schœnemann,p.  360; 
que  Symmaque  fit  la  même  chose  en  501,  Sijnodus 
roman.  Palmaris,  Hardouin,  t.  Il,  col.  967,  et  que 
Léon  III  convoqua  un  synode  à  Rome  en  860  pour  se 
justifier  des  crimes  qu'on  lui  imputait.  Vita  Leonis, 
dans  Hardouin,  t.  iv,  col.  936.  Cela  serait,  du  reste, 
conforme  au  droit  romain  qui  pose  en  principe  qu'un 
supérieur  a  le  droit  de  se  soumettre  à  la  juridiction 
d'un  inférieur.  Digest.,  De  juridict.  omnium  judic,  II, 
i,  14.  Mais  il  y  a  lieu  de  remarquer  que  ni  Damase, 
ni  Symmaque,  ni  Léon  III  n'ont  pris,  à  proprement 
parler,  les  conciles  romains  pour  juges;  ils  les  ont  simple- 
ment pris  à  témoin  de  leur  innocence  :  affeclu  pur g  a- 
tionis  suse  culmen  humilians,  ditle  synode  où  comparut 
Symmaque.  Hardouin,  t.  il,  col.  969.  Cf.  pour  Damase 
et  Léon  III,  loc.  cit.  Sans  doute,  il  est  de  droit  commun 
qu'un  particulier  peut  renoncer  à  son  privilège  :  Quilibet 
polest  renuntiare  jurisuo  atque  favori  privato.  Digest., 
loc.  cit.,  loi  14.  Mais  c'est  seulement  quand  il  s'agit 
d'une  faveur  personnelle.  Le  souverain  pontife  n'est 
pas  dans  ce  cas.  L'immunité  dont  il  jouit  lui  a  été 
octroyée  dans  l'intérêt  général.  Il  n'est  pas  en  son  pou- 
voir de  s'en  dépouiller.  Par  conséquent,  en  tout  état  de 
cause,  la  maxime  :  prima  sedes  a  nemine  judicetur, 
demeure  vraie. 

Toutefois  à  cette  règle  on  admet  communément  deux 
exceptions.  On  se  rappelle  que  le  canon  attribué  à  saint 
Boniface  et  cité  par  Gratien,  dist.  XL,  c.  6,  d'après 
lequel  «  le  pape  peut  juger  tout  le  monde  et  ne  peut 
être  jugé  par  personne,  »  contient,  cette  réserve  :  nisi 
deprehendatur  a  fide  devius.  L'hérésie  constitue  donc 
une  faute  pour  laquelle  un  pape  peut  être  déposé  par  le 
concile  général.  Le  concile  romain  de  503  fait  la  même 
remarque  à  propos  de  Symmaque  :  nisi  a  recta  fide 
exorbitaverit.  Hardouin,  t.  il,  col.  984.  Cette  doctrine 
fut  reçue  et  confirmée  par  tout  le  moyen  âge.  On  en 
trouve  l'expression  dans  la  troisième  allocution  du  pape 
Adrien  II  au  IVe  concile  de  Constantinople.  Hardouin, 
I.  v,  col.  86G.  Le  pseudo-Isidore  l'attribue  au  pape 
Eusèbe.  Epist.,  il,  ad  episcop.  Alexandrin.,  c.  xi;  Ilins- 
chius,  op.  cit.,  p.  237.  Gratien  l'insère  dans  son  Décret, 
caus.  II,  q.  vu,  c.  13.  Yves  de  Chartres  la  rappelle  à 
Jean,  archevêque  de  Lyon.  Enfin  le  pape  Innocent  III 
reconnaît  solennellement  que,  si  pour  ses  autres  péchés 
il  a  Dieu  seul  pour  juge,  «  en  matière  d'hérésie  il  peut 
être  jugé  par  l'Eglise,  »  propter  solum  peccatum  quod 
in    fide   commillitur  possern    ab   Ecclesia  judicari. 


Serin. ,  n,  in  consecrat.  ponlif.,  /'.  L.,  t.  o:\vn. 
col.  656.  Ce  principe  est  donc  hors  de  doute.  Cf.  sur 
ce  point,  Bellarmin,  De  concil.  et  Ecclesia,  n,  90; 
Cano,  De  locis  tlteologicis,  VI,  8;  Turrnel,  histoire  de 
la  théologie  positive,  du  concile  de  Trente  au  concile 
du  Vatican,  p.  366-368. 

La  règle  qui  s'applique  aux  papes  hérétiques  s'ap- 
plique également  aux  schismatiques,  et  c'est  là  la 
seconde  exception  que  nous  voulons  signaler.  Vers  le- 
milieu  du  xie  siècle,  trois  papes,  Benoit  IX,  Silvestre  III 
et  Grégoire  VI,  revendiquaient  le  droit  à  la  tiare.  Un 
concile  se  réunit  à  Sutri  en  1046  pour  examiner  la 
validité  de  leurs  titres.  Les  deux  premiers  furent 
déposés  comme  «'lus  par  simonie  ou  népotisme,  et 
Grégoire  A'I  consentit  à  donner  sa  démission.  Clément  II 
fut  élu  pape  à  leur  place  et  sacré  à  Saint-Pierre  de 
Home.  A  la  mort  d'Etienne  X,  Benoit  X  se  fit  élire 
par  la  force;  mais  vers  la  fin  de  1058  Hildebrand 
réussit  à  grouper  les  voix  de  la  majorité  du  Sacré- 
Collège  sur  Tévèque  de  Florence  qui  prit  le  nom  de 
Nicolas  II.  Le  concile  qui  se  réunit  l'année  suivante 
à  Sutri  prononça  la  déchéance  de  Benoit  X,  et  Xicolas 
fit  sans  opposition  son  entrée  solennelle  à  Borne.  La 
déposition  de  Jean  XXIII  et  de  Benoit  XIII  au  concile 
de  Constance  est  un  acte  du  même  genre.  Le  concile 
procéda  en  vertu  de  son  autorité,  parce  qu'il  s'agis- 
sait de  papes  schismatiques.  Pas  n'était  besoin,  pour 
justifier  sa  conduite,  d'invoquer  une  prétendue  supé- 
riorité du  concile  sur  le  souverain  pontife. 

Mais  quand  nous  disons  que  les  papes  peuvent  être 
exceptionnellement  déposés  pour  cause  d'hérésie  ou  de 
schisme,  nous  entendons  le  mot  «  déposition  »  dan- 
un  sens  large.  A  proprement  parler,  ni  dans  l'un  ni 
dans  l'autre  cas  le  pape  n'est  «  déposé  »  par  le  concile. 
Un  pape  qui  tomberait  dans  l'hérésie  et  qui  s'y  obsti- 
nerait cesserait  du  même  coup  d'être  membre  de 
l'Église  et  par  conséquent  d'être  pape;  il  se  déposerait 
lui-même.  Ainsi  l'entend  Innocent  III  :  Potest  (pon- 
lifex)  ab  hominibus  judicari  tel  potius  judicatus 
ostendi,  si  videlicet  evanescat  in  hseresim,  quoniam 
qui  non  crédit  jam  judicatus  est.  Serm.,  iv,  in  consecr. 
ponlif.,  P.  L.,  t.  ccxvn,  col.  670.  Cf.  Fagnan,  Com- 
ment, ad  c.  4,  De  elect.,  I,  vi,  n.  70.  Non  potest  exui 
jam  nudalus,  lit-on  encore.  Sexti  décret.,  1.  II,  tit.  v,  De 
reslit.  spoliât.,  c.  1.  Cf.  Gratien,  caus.  XXIV,  q.  i,c.  1. 
Un  jugement  que  le  concile  général  prononcerait  contre 
un  pape  schismatique  n'est  pas  davantage  une  déposi- 
tion. En  fait,  les  papes  schismatiques  ont  été  simple- 
ment traités  comme  usurpateurs  et  dépossédés  d'un 
siège  qu'ils  ne  possédaient  pas  légitimement.  Cf.  le  dé- 
cret contre  les  simoniaques  du  concile  de  Rome  de 
1059,  Hardouin,  t.  vi,  col.  1064;  Gratien,  dist.  LXX1X. 
c.  9;  Grégoire  XV,  const.  JEterni  Palris,  de  1621, 
sect.  xix,  Bullarium  roman.,  t.  m.  p.  416.  Les  con- 
ciles qui  les  ont  frappés  n'ont  fait  qu'examiner  leurs 
titres  à  la  tiare.  Ce  ne  sont  pas  les  papes  qu'ils  ont 
jugés,  mais  l'élection  et  l'acte  des  électeurs  :  Eo  casu 
non  pontifex  maximus,  sed  faction  potius  eligentium 
judicalur,  dit  fagnan,  loc.  cit.,  n.  65.  En  réalité,  per- 
sonne ne  saurait  déposer  un  pape  hérétique  ou  schis- 
matique, puisque  le  premier  a  cessé  d'être  pape  et  que 
le  second  ne  l'a  jamais  été.  Par  conséquent,  les  excep- 
tions à  la  règle  que  le  droit  écrit  semble  indiquer  ne 
sont  qu'apparentes.  Le  principe  :  prima  sedes  a  ne- 
mine  judicetur  est  absolu,  il  ne  souffre  pas  d'excep- 
tion :  un  pape,  quels  que  soient  ses  crimes,  n'a  pas.au 
for  extérieur,  d'autre  juge  que  Dieu. 

Ballerini,  De  vi  ac  ratione  primatus  romanorum  pontifl- 
•  ■nui,  dans  M  igné,  Theologias  cursus  complétas,  t.  ni;  Bar- 
bosa,  Collectanea  doctorum  in  V  lib.  Decretalium,  3  in-fot., 
Lyon,  1C56  ;  Bellarmin.  De  Uomano  pontifice;  De  conciliis  et 
Ecclesia;  Binterim,  Denkwiirdigkeiten  der  christkatliolis- 
chenKirche,  7  in-s  ,  Mayence,  1825-1832;  Bullarium  magnum 


521 


DÉPOSITION    ET    DÉGRADATION    DES    CLERCS 


DEPOT 


522 


I.  Du  dépôt  en  général.  II.  Du  dépôt 


Romanum,  19  in-fol.,  Luxembourg,  1727  sq.  ;  Bullarium  Bene- 
dicli  XIV,  4  in-fol.,  Rome,  1754-1758;  Van  Espen,  Jus  eccle- 
siasticum  universum,  4  in-fol.,  Louvain  (Paris),  1641  ;  Fagnan, 
Commentarius  in  V  lib.  Decretalium,  3  in-tol.,  Rome,  1G61  ; 
Ferraris,  Prompta  bibliotlteca  canonica,8  in-4%  Rome,  1885  sq.; 
Hardouin,  Conciliorum  collectio  regia  maxima,  12  in-fol.,  1715: 
Hefele,  Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq,  1907-1908,  en  cours 
de  publication;  Hinschius,  System  des  katholischen  Kirchen- 
rechts,  fi  in-8%  Rerlin,  1879-1897  ;  Decretales  Pseudo-Isidorianœ , 
in-8%  Leipzig,  1863;  Kober,  Die  Suspension  der  Kirehendiener , 
in-8°,  Tubingue,  1862  ;  Die  Déposition  und  Dégradation  nach 
den  Grundsâtzen  des  kirchlichen  Rechts,  in-8%  Tubingue,  1867 
(ouvrage  classique)  ;  Lœning,  Geschichte  des  deutschen  Kirchen- 
rechts,  2  in-8",  Strasbourg.  1878;  Marca,  De  concordia  sacer- 
dotii  et  imperii,  in-4%  Paris,  1641  ;  Massuet,  Dissertationes 
prsevise  in  Irsenei  libros,  P.  G.,  t.  vir,  col.  281  sq.  :  du  Perron, 
Réplique  à  la  réponse  du  sérénissime  roy  de  la  Grande-Bre- 
tagne, Paris,  1620;  Philipps,  Kirchenrecht,  7  in-8%  Ratisbonne, 
1845-1872:  Real-Encyklopiidie  der  christlichen  Alterthïtmer, 
Fribonrg-en-Hrisgau,  1882,  art.  Déposition  par  Kober;  Reiffens- 
tuel,  Jus  canonicum  universum, 5  in-fol.,  Ingolstadt,  1759; 
Sanii,  Prxlectiones  juris  canonici  juxta  ordinem  Decreta- 

.  5  in-8%  Ratisbonne,  1892  ;  Scbmalgrueber,  Jus  canonicum 
universum,  Rome,  1844;  Schœnemann,  Pontificum  romano- 
rum  epistolse  genuime  ;  Schulte,  Dos  Kirchenrecht,  2  in-8% 
Stuttgart,  1860;  Thomassin,  Vêtus  et  nova  disciplina  circa  béné- 
ficia et  benefteiarios,  3  in-fol.,  Venise,  1752;  Tunnel,  Histoire 
de  la  théologie  positive,  2  in-8%  Paris,  1904-1906  ;  Histoire  du 

le  de  la  papauté,  des  origines  ii  la  fin  du  iv  siècle,  in-12, 

Pari*.  1908:  Wasserscbleben.  Die  Bussordnungen  der  abend- 

l&ndischen  Kirche,  in-8%  Halle,  1851  ;  Wernz,  Jus  Decretalium 

•im  prselectionum  in  scholis  textus  canonici  sire  juris 

Decretalium,  3  in-8%  Rome,  1897-1908. 

E.    YaCANDARD. 

1.  DÉPÔT. 

proprement  dit. 

I.  Dr  dépôt  en  général.  —  1"  Définition.  -■  Le 
dépôt  en  général  est  «  un  acte  par  lequel  on  reçoit  la 
chose  d  autrui,  à  la  charge  de  la  garder  et  de  la  resti- 
tuer en  nature.  »  Code  civil,  a.  191,").  Dans  cette  défini- 
tion le  législateur  a  employé  le  mot  acte,  afin  d'y  faire 
rentrer  le  séquestre,  une  des  variétés  du  dépôl  qui  est 
un  acte  judiciaire  et  non  un  contrat. 

Le  i  I  peu!  signifier  soit  le  contrat  dont  il  va 

être  question,  soit  la  chose  déposée,  objet  de  ce  contrai. 
On  appelle  déposant  la  personne  qui  fait  le  dépôt,  dé- 
positaire celle  qui  le  reçoit. 

2°  Caraclires  essentiels.  —  I.  Le  dépôl  appartient  à 
la  catégorie  des  contrats  réels.  Lu  effet,  le  dépôt  en- 
;_.  mire  uniquement  l'obligation  de  restituer,  mais  on 
ne  peut  restituer  un  objel  qu'après  l'avoir  reçu,  c'est- 
à-dire  après  tradition.  D'ailleurs,  celte  tradition  peut 
icite.  Pierre  a  prêté  à  Paul  de  la  vaisselle 
pour  un  repas  de  noces.  Le  lendemain  delà  cérémonie, 
i  t  partir  en  voyage,  il  la  lui  conlie  en  dépôl  ju^- 
qu'à  son  retour.  Il  n'es!  pas  nécessaire  A  la  formation 
de  ce  contrat  de  di  p  luer  une  nouvelle  tradi- 

tion de  la  vaisselle,  qui  se  trouve  déjà  entre  les  mains 
de  Paul  et  l'on  peul  dire  que  la  tradition  esl  déjà  im- 
plicitement contenu  ivelée  dans  et  par  le  con- 
menl  des  parties. 
-'.  Le  di  pôl  esl  un  contrat  synallagmatiqu, 
fait.  D'une  pari,   en    effet,  au  moment  "ii   il  se  Forme, 
ntral  n'engendre  d'obligation  que  pour  le  di 
qui  esl  lenu  de  restituer  l'obji  i  sa  garde, 

''  doil  le  con  idi  1 1  r   coi i  un  contrai  uni- 

i  il.   D'autre  pari,  certaine    circonstances  peuvent 
la   charge  du  déposant, 
di  po  itaire  a  fait  des  dépenses  pour 
ition   de  la  (  I  dépôt  inl 

de  l'inden  uir.it.  parce  qu'il  en- 

gendre d<  a  ol  ntrac- 

el  la  f.rme  de  contrai  bilatéral  ou  syn 
que.  Il  «'ensuit  que   le  dépôl  n  esl  pas  un  contrai 
plemenl  unilatéral,  puisqu'il   peut,   dans  cerl 

ren- 
ie.n  pin  d'une  mai 


absolue  un  contrat  bilatéral,  puisque  le  déposant  se 
trouve  obligé  à  des  dommages-intérêts,  non  pas  en 
vertu  du  contrat  lui-même,  mais  par  certains  faits 
concomitants  ou  subséquents.  Voilà  pourquoi  on  a 
classé  le  contrat  de  dépôt,  ainsi  que  ses  congénères,  le 
commodat  et  le  gage,  dans  la  catégorie  intermédiaire 
des  contrats  synallaymatiques  imparfaits. 

II.  Du  dépôt  proprement  dit.  —  1°  Nature  du  contrat 
de  dépôt.  —  Le  dépôt  proprement  dit  est  un  contrat 
par  lequel  une  personne  —  le  déposant  —  remet  une 
chose  mobilière  à  une  autre  personne  — le  dépositaire 
—  qui  s'oblige  à  la  garder  gratuitement  et  à  la  rendre 
dans  son  individualité  au  déposant,  à  première  réquisi- 
tion. De  cette  définition  découlent  deux  propriétés  du 
dépôt  proprement  dit. 

1.  Le  dépôt  ne  peut  avoir  pour  objet  que  des  choses 
mobilières.  Le  but  de  ce  contrat  est,  en  effet,  la  garde 
d'une  chose.  Or  il  est  évident  que  les  immeubles  n'ont 
pas  besoin  d'être  donnés  en  garde  pour  que  le  proprié- 
taire soit  sur  de  les  retrouver.  Ainsi  lorsque  quelqu'un, 
partant  en  voyage,  confie  à  un  ami  les  clefs  de  sa  mai- 
son, le  dépôt  qu'il  fait  est  celui  des  clefs,  ou  encore 
des  meubles  qui  sont  gardés  sous  ces  clefs  dans  la 
maison;  mais  ce  n'est  pas  un  dépôt  de  la  maison  elle- 
même,  qui,  ne  pouvant  être  déplacée,  n'a  pas  besoin 
d'être  gardée. 

2.  Le  dépôt  esl  un  contrat  essentiellement  gratuit. 
Code  civil,  a.  1917.  Le  dépositaire  rend  un  service  bé- 
névole, il  ne  reçoit  pas  d'ordinaire  d'autre  rémunéra- 
tion que  le  témoignage  d'estime  et  de  confiance  con- 
tenu dans  le  choix  dont  il  est  l'objet  de  la  part  du 
déposant.  Mais  si  le  contrat  de  dépôt  est  essentielle- 
ment gratuit,  il  ne  l'est  pas  exclusivement .  Aussi  bien 
la  stipulation  d'un  salaire  ne  transforme  pas  nécessai- 
rement le  dépôt  en  un  louage  de  services.  Code  civil, 
a.  1928.  Le  salaire  convenu  peut  n'être  qu'une  faible 
compensation  des  soins  exigés  par  la  garde  du  dépôl, 
et  alors  le  contrat,  conservant  dans  une  certaine  mesure 
le  caractère  d'un  acle  de  bienveillance,  ne  cesse  pas 
d'être  un  dépôt.  Si,  au  contraire,  le  salaire  esl  l'équiva- 
le ni  exactdu  service  rendu  parle  dépositaire, le  contrai 
de  dépôt  devient  un  louage  de  services. 

L'intention  des  parties  peut  seule  permettre  de  dis- 
tinguer le  dépôt  de  plusieurs  contrats  similaires. Comme 
le  commodat  el  le  prêt  de  consommation,  le  dépôl  ne 
devient  parfait  que  par  la  prestation  de  la  chose,  mais 
dans  le  commodat  la  prestation  est  faite  pour  que  le 
co-conlraclanl  se  serve  de  la  chose,  dans  le  prêl  de 
consommation  pour  qu'il  la  consomme,  dans  le  dépôl 
pour  qu'il  la  garde,  Unis  certains  cas.il  sera  nécessaire, 
pour  déterminer  la  nature  du  contral.de  rechercher  la 
lin  principale  de  la  convention;  je  remets  des  pièces  i 
un  avoué  pour  qu'il  s'en  serve  dans  le  procès  que  je  lai 
ai  confié.  L'avoué  qui  reçoit  ces  pièces  s'oblige  évi- 
demment a  les  garder  et  à  me  les  remettre.  Est-ce  un 

dépôl    propre m  dit?  Non,  parce  que  la  garde  des 

pièces  n'est  pas  la  lin  principale  du  contrai  Mon  avoué 
a  reçu  mission  di  as  un  bul 

déterminé  :  c'esl  un  mandat. 

:;.  Le  dépôl  esl  volontaire  on  néc<  Code  civil, 

a.  1920.  Le  dépôl  esi  volontaire,  lorsque  le  déposant  a 
pu  choisir  en  toute  liberté  la  personne  du  dépositaire. 
Au  ras  où  son  chofo  est.  sinon  imposé,  du  moins  dicté 
par  les  circonstances  (incendie,  ruine,  pillage,  i  b 
dépôl  est  dit  nécessaire. 

2    Dépôl  volontaire.       Le  dépôl  volontaire  se  forme 

par  li  .ii.  Iproque  de  la   pei  sonne  qui 

la ii  le  dépôl  •  i  d>-  ceii<-  qui  le  reçoit,  Code  civil, a.  1931. 

I.  Capacité  requise.         La  loi  n'i  pa    chei  les 

pai  n.  -  contractantes  une  péciale  pour  la  \..ii 

dite  du  dépôl  volontaire     la  capacité  générale  de 

i     suffit,     (aide    civil,   a.     ||2i.    Si  donc   l'un. 

déni  ;  ''  '  ."i  d.  positaii  e.  esl  incapable  de 


523 


DEPOT 


524 


contracter,  le  contrai  de  dépôt  esl  frappé  de  nullité. 
D'après  l'art.  1125,  l'incapable  peut  seul  revendiquer 
l'action  en  nullité,  soil  par  lui-même,  si  l'incapacité  ;i 
cessé,  suit  par  son  représentant  légal,  si  elle  dure.  Par 
conséquent,  l'incapable  peut  à  son  choix  réclamer 
l'exécution  ou  l'annulation  du  contrat. 

D'après  l'art.  1922,  le  dépôt  volontaire  ne  peut  régu- 
lièrement être  fait  que  par  le  propriétaire  de  la  chose 
déposée  ou  de  son  consentement  exprés  ou  tacite.  Tou- 
tefois, il  n'est  pas  nécessaire  à  la  validité  du  dépôt  que 
l'objet  soit  la  propriété  du  déposant.  Je  vous  confie  en 
dépôt  un  livre  rare  qui  m'a  été  prêté,  vous  êtes  lié  par 
le  contrat  de  dépôt  et  devez  notamment  me  rendre  le 
livre  à  la  première  réquisition,  sans  pouvoir  objecter 
que  je  n'en  suis  pas  le  propriétaire. 

2.  Preuve  du  dépôt  volontaire.  —  La  preuve  du 
dépôt  volontaire  reste  soumise  aux  règles  de  droit 
commun.  —  a)  Le  dépôt  volontaire  doit  être  prouvé  par 
écrit.  La  preuve  testimoniale  n'en  est  point  reçue  pour 
une  valeur  excédant  150  francs.  Code  civil,  a.  1925.  11 
est  manifeste  qu'au  for  de  la  conscience  l'obligation 
existe  par  le  seul  fait  de  la  prestation  et  du  consente- 
ment des  parties.  —  b)  Même  en  matière  excédant 
150  francs,  l'existence  du  dépôt  pourrait  être  prouvée 
par  l'aveu  du  défendeur.  C'est  ce  qu'indique  l'art.  1924  : 
Lorsque  le  dépôt,  étant  au  dessus  de  150  francs,  n'est 
point  prouvé  par  écrit,  celui  qui  est  attaqué  comme 
dépositaire  en  est  cru  sur  sa  déclaration,  soit  pour  le 
fait  même  du  dépôt,  soit  pour  la  chose  qui  en  faisait 
l'objet,  soit  pour  le  fait  de  sa  restitution. 

3°  Obligations  du  dépositaire.  —  D'une  manière 
générale,  les  obligations  du  dépositaire,  telles  qu'elles 
se  déduisent  de  la  définition  du  contrat  de  dépôt  don- 
née plus  haut,  peuvent  se  ramener  aux  deux  suivantes  : 
1.  garder  avec  fidélité  la  chose  déposée;  2.  la  restituer 
au  déposant  à  première  réquisition.  En  particulier, 
quatre  règles  déterminent  les  obligations  du  dépositaire. 

i">  règle.  —  Le  dépositaire  doit  apporter  dans  la 
garde  de  la  chose  déposée  les  mêmes  soins  qu'il 
apporte  dans  la  garde  des  choses  qui  lui  appartiennent. 
Code  civil,  a.  1927.  Il  est  cependant  des  cas  où  le 
dépositaire  doit  apporter  un  soin  plus  grand,  une  dili- 
gence plus  attentive,  celle  qui  convient  à  un  bon  père 
de  famille.  —  a)  Si  le  dépositaire  s'est  offert  lui-même 
/mur  recevoir  le  dépôt.  —  En  allant  au  devant  de  l'offre 
du  déposant,  le  dépositaire  s'engage  tacitement  à 
donner  des  soins  particuliers  à  la  garde  de  la  chose 
déposée,  car  il  a  pu  empêcher  par  son  offre  le  déposant 
de  s'adresser  à  une  personne  qui  aurait  été  plus  dili- 
gente que  lui.  —  b)  S'il  a  stipulé  un  salaire  pour  la 
garde  du  dépôt.  —  Il  est  tout  naturel  d'exiger  une 
plus  grande  diligence  de  celui  qui  se  fait  payer  ses 
soins  que  de  celui  que  les  donne  gratuitement.  Citons 
comme  exemple  les  bagages  que  les  voyageurs  mettent 
à  la  consigne  dans  les  gares  de  chemins  de  fer.  — 
c)  Si  le  dépôt  a  été  fait  uniquement  dan*  l'intérêt  du 
dépositaire.  —  Voici  un  exemple  emprunté  à  Ulpien  et 
cité  par  Pothier  :  Vous  proposant  d'acheter  un  héritage, 
vous  me  demandez,  au  moment  où  je  suis  sur  le  point 
départir  pour  un  long  voyage,  de  vous  prêter  la  somme 
néci  ssaire  pour  cette  acquisition,  au  cas  où  vous 
concluriez  le  marché.  Alors,  je  vous  remets,  à  titre  de 
dépôt,  la  somme  nécessaire  en  convenant  avec  vous 
que,  si  vous  faites  l'acquisition,  le  dépôt  se  transfor- 
mera en  un  prêt  à  votre  profit,  —d)  S'il  a  été  convenu 
expressément  que  le  dépositaire  répondrai!  de  toute 
espèce  de  faute,  de  la  faute  légère  comme  de  la  faute 
lourde.  On  pourrait  aussi  convenir  que  le  dépositaire 
répondra  d'une  certaine  faute  seulement. 

règle.  —  Le  dépositaire'doit  rendre  identiquement 
la  même  chose  qu'il  a  reçue.  Code  civil,  a.  1932.  Ainsi, 
quand  j'ai  déposé  un  sac  de  mille  francs,  le  dépositaire 
devra  me  restituer  le  même  sac  de  mille  francs. 


Le  déposant  peut  donner  au  dépositaire  l'autorisation 
de  foire  delà  chose  déposée  un  usage  qui  la  consomme, 
saufâ  restituer  l'équivalent  de  cette  chose.  Par  exemple, 

lorsqu'on    opère    chez    un     banquier    le    dépôt     d'une 

somme  d'argent,  exigible  à  vue.  Cette  opération  con- 
stitue ce  qu'on  appelle  un  dépôt  irrégulier.  Dans  le 
i  irrégulier  comme  dans  le  prêt  de  consommation, 
l'emprunteur  n'est  tenu  de  restituer  que  dans  le  délai 
convenu,  tandis  que  dans  le  dépôt  régulier  le  déposi- 
taire doit  remettre  l'objet  déposé  à  la  première  réqui- 
sition. 

Si  le  dépositaire  découvre  que  la  chose  a  été  volée  el 
quel  est  le  véritable  propriétaire,  il  doit  dénoncer  à 
celui-ci  le  dépôt  qui  lui  a  été  fait,  avec  sommation  de 
le  réclamer  dans  un  délai  déterminé  et  suffisant.  Si 
celui  auquel  la  dénonciation  a  été  faite,  néglige  de 
réclamer  le  dépôt,  le  dépositaire  est  valablement 
déchargé'  par  la  tradition  qu'il  en  a  faite  au  déposant. 
Code  civil,  a.  1938. 

Dans  certains  cas,  la  charité  imposera  au  dépositaire 
le  devoir  de  ne  pas  restituer  le  dépôt;  par  exemple,  s'il 
prévoit  que  le  déposant  fera  de  cette  chose  un 
mauvais  usage,  principalement  à  l'égard  d'une  tierce 
personne.  Toutefois,  conformément  aux  règles  géné- 
rales de  la  vertu  de  charité,  cette  obligation  cesserait 
d'exister,  s'il  devait  en  résulter  pour  le  dépositaire  un 
grave  inconvénient.  Pierre  m'a  confié  en  dépôt  un 
fusil  chargé,  il  me  le  redemande  pour  attaquer  son 
ennemi,  j'ai  l'obligation  de  le  lui  refuser;  mais  il  insiste 
et  me  menace  de  mort;  dans  un  tel  péril,  je  puis  lui 
restituer  le  dépôt. 

Si  la  chose  déposée  a  produit  des  fruits  qui  ont  été 
perçus  par  le  dépositaire,  celui-ci  est  obligé  de  les 
restituer.  Mais  il  ne  doit  aucun  intérêt  de  l'argenl 
déposé,  si  ce  n'est  du  jour  où  il  a  été  mis  en  demeure 
de  faire  la  restitution.  Code  civil,  a.  1936. 

3e  règle.  —  Le  dépositaire  n'est  tenu  de  rendre  la 
chose  déposée  que  dans  l'état  où  elle  se  trouve  au 
moment  de  la  restitution.  Les  détériorations,  qui  ne 
sont  pas  survenues  de  son  fait,  sont  à  la  charge  du 
déposant.  Code  civil,  a.  1933. 

Si  le  dépôt  a  subi  des  détériorations,  ou  se  trouve 
détruit  par  le  fait  du  dépositaire,  deux  cas  peuvent  se 
présenter.  Ou  bien,  il  y  a  eu  faute  théologique  grave, 
de  la  part  du  dépositaire,  et  alors  celui-ci  est  tenu  en 
conscience  à  réparer  intégralement  le  dommage  causé 
au  déposant.  Ou  bien,  il  y  a  simplement  faute  juridique, 
et  alors  le  dépositaire  est  obligé  au  for  intérieur  à  la 
réparation  du  dommage  causé,  seulement  après  le  juge- 
ment du  tribunal. 

Le  dépositaire  a-l-il  de  bonne  foi  aliéné  l'objet  dépo- 
sé, il  doit  restituer  ce  qu'il  a  reçu  en  échange.  Code 
civil,  a.  1934.  Ainsi  j'ai  déposé  des  denrées  entre  vos 
mains,  une  guerre  étant  survenue,  vous  êtes  obligé  de 
livrer  ces  denrées  sur  une  réquisition  de  l'autorité 
militaire;  vous  ne  serez  tenu  de  me  restituer  que  le 
prix  que  vous  avez  reçu. 

4e  règle.  —  Le  dépositaire  ne  peut  se  servir  de  la 
chose  déposée,  sans  la  permission  expresse  ou  présumée 
du  déposant.  Code  civil,  a.  1930.  Pour  présumer 
timement  cette  permission,  il  est  nécessaire  de  consul- 
ter les  règles  de  la  prudence,  de  peser  les  dive 
circonstances  des  personnes  et  des  choses,  de  consi- 
dérer surtout  le  péril  auquel  serait  exposé  le  dépôt,  et 
le  dommage  qui  pourrait  résulter  pour  le  déposant. 
S'agit-il  d'un  objet  de  consommation,  l'argent  par 
exemple,  le  dépositaire  pourrait,  sans  commettre  de 
faute  théologique  grave,  aliéner  la  chose  déposée,  à 
condition  toutefois  qu'il  ait  la  certitude  de  pouvoir  à 
première  réquisition  restituer  le  dépôt  in  sequivalenti. 
I  elle  esl  l'opinion  commune  des  théologiens  moralistes. 
De  Lugo,  disp.  XXXIII,  n.  i.  Il  ne  semble  pas.  en  effet, 
que  dans  ces  conditions  le  déposant  subisse  une  injus- 


52r 


DÉPÔT   —    DÉPÔT    DE    LA    FOI 


526 


tice  grave.  Que  le  dépositaire  ne  se  fasse  pas  illusion 
en  comptant  sur  une  spéculation  heureuse  pour  se 
libérer,  car  ainsi  il  manquerait  gravement  à  ses  obli- 
gations contractuelles.  Si  l'usage  d'un  dépôt  d'argent 
contre  la  volonté  du  déposant  n'entraîne  pas  nécessai- 
rement une  faute  théologique  grave,  il  constituera  sou- 
vent une  infraction  à  la  loi.  En  tout  cas,  le  dépositaire 
pourra,  en  conscience,  garder  l'argent  gagné  par  l'emploi 
du  dépôt,  c'est  en  effet  le  fruit  de  son  travail  ou  de 
son  industrie  personnelle. 

4°  Obligations  de  la  personne  par  laquelle  le  dépôt 
a  été  fait.  —  La  personne  qui  a  fait  le  dépôt  est  tenue 
de  rembourser  au  dépositaire  les  dépenses  qu'il  a 
faites  pour  la  conservation  de  la  chose  déposée  et  de 
l'indemniser  de  toutes  les  pertes  que  le  dépôt  peut  lui 
avoir  occasionnées.  Code  civil,  a.  1947.  C'est  ainsi  que 
le  déposant  devra  indemniser  le  dépositaire  des  pertes 
résultant  de  vices  cachés  dont  la  chose  était  atteinte  et 
qui  se  sont  communiqués  par  contagion  à  d'autres 
choses  appartenant  au  déposilaire. 

Pour  garantir  l'exécution  des  diverses  obligations 
dont  le  déposant  peut  être  tenu  à  raison  du  dépôt,  la 
loi  accorde  au  déposilaire  un  droit  de  rétention  sur 
la  chose  déposée. 

5°  Dépôt  nécessaire.  —  1.  Dépôt  nécessaire  en  géné- 
ral. —  Le  dépôt  nécessaire  est  celui  qui  a  été  forci'- 
par  quelque  accident,  tel  qu'un  incendie,  une  ruine, 
un  pillage,  un  naufrage  ou  tout  autre  événement  im- 
prévu. Code  civil,  a.  1949.  A  lire  cette  définition,  on 
il  tenté  de  croire  que  le  dépôt  nécessaire  —  à  la 
différence  du  dépôt  volontaire  —  n'exige  pas  de  con- 
sentement préalable.  Mais  le  dépôt  ne  cesse  pas  d'être 
un  contrat,  lorsqu'il  devient  nécessaire  en  raison  des 
circonstances,  et  il  n'y  a  pas  de  contrat  sans  consente- 
ment. I.a  définition  du  dépôt  nécessaire  dit  simplement 
que  le  déposant  peut  être  obligé  en  certains  cas  de 
confier  le  dépôl  au  premier  venu  qui  veut  bien  s'en 
charger.  Le  dépôt  nécessaire  est  régi  par  toutes  les 
règles  précédemment  énoncées  concernant  le  dépôt 
volon'  '    eml.  a,  1951. 

La  précipitation,  avec  laquelle  il  doit  agir,  en  cas  de 
dépôt  nécessaire,  ae  permet  pas  au  déposant  de  se  pro- 
curer une  preuve  écrite  du   dépôt.   Aussi   l'art.    1950, 
eanl  sur  ce  point  aux  règles  de  droil  commun, 
dispi  la  preuve  par  témoins  peul  éiie  reçue 

pour  le  dépôt  nécessaire,  même  quand  il  s'agil  d'une 
\  aleur  au-dessus  de  150  franc 

—  On  donne    ce   nom    aux 

Il  -    fonl  de  leurs  effets  dans  les 

aubergistes  -mu  responsable 
appoi  i—  i  ar  li   voyageur  qui  loge  chez  eux,  Code  civil, 
a.  1952,  soit  que  le  vol  ail  été  fail  ou  que  le  .Ion, 
;iii  été  causé  par  les  domestiques  et  préposés  de  l'hôtel- 
'"i    par    des    étrangers    allanl   et    venant    dans 
■  llerie.  Art.  195  ons  allant  et  1 1 

l'hôtellerie  i  xpriment  dans  leur  généralité,  non 
rs    habitant    l'hôtellerie,   mais 
qui  s'}  -oui  introduits  furtivement. 
te  peul  avoir  .iiri-i  ;i  répondre  de  vols  qui, 

tient    a    la 

propriétaire,  co le  constituant  di 

l  a   loi  ne  décharge   l'a  que  lorsqu 

itue,  ie. n  plus  ,,,,  ,.,,  fortuit,  mais  un  i 
i    il    i   r.i.M. 
■  nu-  le  moi  effets  comprenait,  d'aj  juris- 

prudi  tante,  l'ai 

banque  et  lei  autn  i  poi  li  ur,  l"s  aubei . 

' 

ibles,  qu'a  été  édictée,  -in-  t,  péti- 
i  ux-rnémes,  la  loi  du  18  avril 

qui   limiti 

i  porteur 


de    toute  nature,   non   déposés    réellement    entre    les 
mains  des  aubergistes  ou  hôteliers. 

Cette  loi  laisse  subsister  intacte  la  responsabilité  de 
l'hôtelier  pour  tous  les  effets  du  voyageur  autres  que 
les  espèces  monnayées  et  les  titres  au  porteur,  notam- 
ment pour  les  bijoux.  Elle  maintient  aussi  dans  son 
intégrité  la  législation  du  Code  civil  relativement  aux 
espèces  monnayées  et  aux  valeurs  ou  titres  au  porteur 
déposés  réellement  entre  les  mains  de  l'hôtelier. 

Une  autre  amélioration  a  été  apportée  à  la  situation 
des  aubergistes  par  la  loi  du  31  mars  1896,  votée  elle 
aussi  à  la  suite  d'une  pétition  émanée  des  aubergistes. 

L'art.  l(r  de  cette  loi  porte  :  «  Les  effets  mobiliers 
apportés  par  le  voyageur  ayant  logé  chez  un  aubergiste, 
hôtelier  ou  logeur  et  par  lui  laissés  en  gage  pour 
sûreté  de  sa  dette  ou  abandonnés  au  moment  de  son 
départ,  peuvent  être  vendus  dans  les  conditions  et 
formes  délerminées  par  les  articles  suivants.  »  Aupa- 
ravant, les  aubergistes  ne  pouvaient  faire  vendre  les 
effets  dont  il  s'agit  que  dans  les  conditions  prescrites 
par  le  droit  commun,  c'est-à-dire  qu'ils  étaient  obligés 
de  faire  des  frais  qui  dépassaient  souvent  la  valeur  du 
gage  à  réaliser.  Ils  se  trouvaient  ainsi  exposés  à  être 
obligés  de  conserver  indéfiniment  la  possession  des 
objets  laissés  en  gage  ou  abandonnés  par  le  voyageur 
qui  n'avait  pas  payé  sa  note.  La  loi  nouvelle  a  donc 
fait  œuvre  de  justice  en  organisant  une  procédure 
moins  coùleuse  et  plus  expéditive. 

Malgré  ces  adoucissements,  la  responsabilité  des 
aubergistes  demeure  grande.  Il  ne  faut  pas  s'en  étonner. 
La  sécurité  des  voyageurs,  la  profession  des  aubergistes 
fondée  sur  la  confiance  qu'ils  inspirent,  exigent  impé- 
rieusement celle  garantie. 

Consulter  les  auteurs  classiques  de  théologie  morale  et  do 
droit  civil. 

C.  Antoine. 

2.  DEPOT  DELA  FOI.  -  I.  Étymologie.  II. Dépôt 

de  la  foi  sous  le  Nouveau  Testament.  III.  Dépôt  de  la 
foi  sous  l'Ancien  Testament. 

I.  ÉTYMOLOGIE.  —  Le  mol  deposilum,  TtapaOr.y.r,,  ap- 
pliqué à  la  doctrine  confiée  par  Jésus-Christ  à  son 
Église,  se  rencontre  dans  saint  Paul,  I  Tim.,  vi,  20; 
II  'fini..  I,  li,  et  dans  les  écrits  de  plusieurs  Pères, 
notamment  Tertullien,  De  prsescriptionibus,  c.  xxv. 
I'.  h.,  i.  n,  col.  37;  saint  Vincent  de  Lérins,  Commoni- 
torium  primum,  c.  xxn,  P.  L.,  I.  i.,  col.  6(57  sq. 

Les  théologiens  du  moyen  fige,  bien  qu'ils  aient 
connu  et  formulé  assez  clairement  le  concept  du  dépôt 
de  la  foi.  n'emploient  point  ce  terme  qui  reçoit  sa  con- 
sécration théologique  définitive  seulement  à  partir  de 
la  lin  du  xvp  siècle.  L'usage  en  a  été  sanctionné  parle 
concile  du  Vatican,  sess,  III,  c.  iv. 

II.  Dépôi  m  la  i  oi  soi  s  le  Nouveau  Testament.  — 
An  sens  strictement  théologique,  c'est  l'ensemble 
vérités  révélées  par  Jésus-Christ  à  l'humanité  pour  la 
dirigera  sa  fin  surnaturelle  et  confiées  par  lui  au  ma- 
gistère infaillible  de  l'Église  catholique  qui  doit  les 
garder  intégralement,  les  expliquer  el  les  défendre 
siii\,mi  les  besoins  des  fidèles  des  divers  temps.  I 

D     défini  parle  concile  du  Vatican  :  Neque  enim 
loctrina  </<<«/,)  Drus  revelavil  velul  philosoplii- 
cum  inventum  proposita  est  humants  nuirons  perfi- 
a,aed  tanquam  divinum  depositum  Chris li  sj 
idila,  fideliler  custodienda  cl  infallibilil 

III.    e.    IV. 

I     Pour   qu'une   vérité   soit  l'objet  du  dépôt  di 

■  •'tienne    ou    catholique,     il    .  d    requis 

qu'elle  appartienne  i  la  révélation  chrétienne  publique, 
strictement  obli  mr  ton-  les  fidèles         I,  La 

révélation  di  hrisl  comprend 

nient  publii  i  riture  ou  transmis  par 

l.i  tradition  chrétieni 
seulement  i 


527 


DÉPÔT    DE    LA    KOI 


528 


mais  aussi  des  manifestations  de  l'Esprit  de  vérité  par 
lequel  il  avait  promis  de  compléter  ses  instructions  : 
Ail  hue.  multa  habco  vobis  dicere,  sed  non  poleslis  por- 
tare  modo.  Cum  autan  vaieril  Me  Spirilus  veritalis, 
docebit  vos  oninent  veritatem.  Non  enim  loquelur  a 
semetipso  :  sed  qusecumque  audiel   loquelur  et  quse. 
ventitra  sunt  annuntiabil  rubis,  llle  me  clarificabit, 
quia  de  meo  accipiet  et  annuntiabil  vobis.  Soi,,  xvi, 
12-15.     Billot,    De    virtutibus    infusis,    Home,     1901, 
p.  252.  A  l'enseignement  public  de  Jésus  appartiennent 
aussi  les  vérités  précédemment  révélées  et  qu'il  a  lui- 
même  rappelées  au  monde  en  les  confirmant  par    sa 
divine  autorité.    De  cette    révélation    chrétienne    pu- 
blique  ne  relèvent  évidemment  point  les  révélations 
entièrement  privées,    faites   au    cours   des    siècles   et 
ayant  uniquement  pour  objet  la  direction  inorale  d'actes 
particuliers.   Quelque    certitude  que  l'on   possède    de 
leur  réalité  et  quelque  approbation  qu'elles  aient  reçue 
de  l'Église,  elles    restent  toujours  en  dehors  de  l'en- 
seignement que  Jésus  a   voulu  obligatoire  pour  toute 
son   Église.    L'autorité  ecclésiastique  en   leur  donnant 
une  approbation  simplement  négative  ne  modifie  aucu- 
nement leur  nature  strictement  privée.  Voir  RÉVÉLA- 
TIONS  privées.    —  2.  Toute   vérité  révélée  par  Jésus- 
Christ  appartient  au  dépôt  de  la  foi  chrétienne,  qu'elle 
soit  formellement  révélée  dans  son  propre  concept  et 
en  termes  exprès  comme  la  génération  et  l'incarnation 
du  Verbe,  ou  en  termes  équivalents  comme  la  divine 
maternité   de  Marie.   Une  vérité  appartient  encore  au 
dépôt  de  la  foi,  quand  elle  est  révélée  concomitamment 
ou  dans  une  vérité  qui  a  avec  elle  une  telle  connexion 
que  ce  dogme  révélé  ne  peut  être  pleinement  conçu  sans 
elle,  comme  l'infaillibilité  du  pontife  romain  est  inti- 
mement liée  avec  sa  primauté  effective,  et  l'immaculée 
conception  de  Marie  avec  sa  divine  maternité.  Vacant, 
Etudes  théologiques  sur  les  constitutions  du  concile  du 
Vatican,  Paris,   1895,  t.  il,  p.  292  sq.  Cette  connexion 
nécessaire  qui  se  découvre,  non  par  le  raisonnement, 
mais  par  une  simple  comparaison  des  dogmes   entre 
eux  ou   par   l'analyse   immédiate  du   contenu  de  l'un 
d'entre  eux,  peut  parfois  se  manifester  bien  tardivement 
et  comme  accidentellement,  surtout  à  l'occasion  de  nou- 
velles erreurs   qui  attirent  particulièrement  l'attention 
sur  telle  vérité  jusque-là  moins  explicitement  proposée 
ou  enseignée.  Ainsi,  en  considérant  attentivement  la 
primauté  effective  du  successeur  de  Pierre,  en  regard 
de  récentes  erreurs,  l'on  peut  facilement  se  convaincre 
que  la  plénitude  de  pouvoir  conférée  au  pape  compre- 
nait aussi  la  plénitude  du  magistère  infaillible  ou  l'in- 
faillibilité pontificale.  La  définition  vaticane  en  décla- 
rant celle-ci  vérité   révélée   ne   faisait  donc  que  mani- 
fester le  sens  plénicr  de  la  primauté  réelle  conférée  à 
Pierre   et    à    ses  successeurs.    En    ce    sens    restreint, 
l'Église  peut  aux  diverses  époques  de  son  histoire  faire 
progresser  le  formulaire  explicite  de  ses  dogmes:  sans 
jamais  rien  ajouter  au  dépôt  divin. 

2°  Pour  qu'une  vérité  appartienne  directement  au 
dépôt  de  la  foi,  il  est  encore  requis  qu'elle  soit  propo- 
sée par  l'Église  comme  révélée  et  comme  obligatoire 
pour  tous  les  fidèles,  soit  par  une  définition  solennelle, 
soit  par  l'enseignement  du  magistère  ordinaire  et  uni- 
versel :  l'orro  fi.de  divina  et  catholica  eu  onmia  cre- 
denda  sunt  quse  in  verbo  Dei  scripto  vel  trodito  con- 
linenlur  et  ab  Ecclesia  sive  solemni  judicio  sire 
ordinario  et  univcrsali  magisterio  tanquam  divinitus 
revelala  credenda  proponunlur.  Concile  du  Vatican, 
sess.  III,  c.  ni.  C'est  une  conclusion  rigoureuse  de  la 
divine  constitution  de  l'Église  à  laquelle  seule  il  appar- 
tient de  garder  ou  d'expliquer  l'enseignement  révélé 
que  Jésus  lui  a  exclusivement  confié. 

3°  Sur  ces  vérités  appartenant  directement  au  dépôt 
de  la  foi,  l'Eglise  possède  donc  exclusivement  un  triple 
droit  :  droit  de  déclarer  infailliblement  que  telle  vérité 


est  vraiment  révélée,  droit  de  conserver  et  de  défendre 
tout  renseignement  divin  et  droit  de  l'expliquer  avec 
autorité. 

1.  Dans  l'exercice  de  ce  droit  de  déclaration  toujours 
formellement  restreint  par  le  mandat  divin,  Matth., 
xxviii,  20,  aux  vérités  réellement  révélées  par  Jésus- 
Christ,  l'Église  ne  peut  jamais  rien  ajouter  au  dépôt 
qui  lui  est  confié  ni  rien  en  retrancher.  Mais  ses  décla- 
rations explicites  ne  comprennent  point  toujours  expres- 
sément toutes  les  vérités  particulières.  Il  peut  se  faire 
que  la  connaissance  distincte  de  quelques-unes  ne  se 
manifeste  que  tardivement  à  l'occasion  de  quelque 
erreur  menaçant  le  dépôt  de  la  révélation.  Toutefois, 
avant  cette  reconnaissance  positive,  la  vérité  particu- 
lière, toujours  implicitement  comprise  en  quelque 
dogme  expressément  professé,  ne  fut  jamais  niée  ni  com- 
battue par  L'Eglise.  11  est  également  certain  qu'à  aucune 
époque  l'Église  ne  faillit  à  sa  mission  d'enseigner  aux 
fidèles  les  vérités  dont  la  connaissance  explicite  leur  était 
particulièrement  nécessaire.  Enfin  ce  dogme  une  fois 
reconnu  ou  défini  ne  subit  plus  jamais  aucune  modifi- 
cation substantielle.  L'histoire  de  l'Église  otTre  plusieurs 
exemples  de  nouvelles  déclaratious  de  ce  genre  affir- 
mant d'une  manière  plus  expresse  comme  révélé  ce 
que  l'on  avait  implicitement  cru  jusque-là.  Voir  Dogme. 

2.  Exclusivement  chargée  de  veiller  à  la  conservation 
ou  à  la  défense  intégrale  du  dépôt  de  la  foi,  l'Église  a 
nécessairement  le  pouvoir  de  réprouver  toutes  les 
erreurs  qui  menacent  la  révélation  chrétienne,  sous 
quelque  forme  qu'elles  se  cachent  et  quelque  argument 
qu'elles  fassent  valoir.  Elle  a  toujours  exercé  et  reven- 
diqué ce  pouvoir  comme  contenu  dans  son  divin  mandat. 

3.  L'Église  possède  encore  le  droit  exclusif  d'expli- 
quer l'enseignement  révélé  pour  prémunir  ou  fortifier 
la  foi  des  fidèles.  Le  développement  des  hérésies  aux 
diverses  époques  de  l'histoire,  les  progrès  des  sciences 
humaines  ou  de  graves  transformations  sociales  ont 
fourni  à  l'Église  de  nombreuses  occasions  de  remplir 
ce  rôle  en  matière  dogmatique  ou  morale. 

4.  Gardienne  vigilante  et  fidèle  interprète  des  vérités 
révélées,  l'Église  doit  pouvoir  affirmer,  définir  ou  en- 
seigner infailliblement  toutes  les  vérités,  même  non 
révélées,  sans  lesquelles  le  dépôt  de  la  foi  ne  pourrait 
être  défendu  avec  efficacité  ni  proposé  avec  une  suffi- 
sante autorité.  L'Eglise  s'est  constamment  servie  de  ce 
droit  et  l'a  nettement  affirmé,  particulièrement  en  con- 
damnant les  propositions  du  Syllabus  et  en  faisant  au 
concile  du  Vatican  cette  déclaration  formelle  :  Ijuoniam 
vero  satisnon  est  hsereticam  pravitatem  derilare.nisi 
ii  quoque  errores  diligenter  fugiantur  qui  ad  illam 
jilus  minusve  accedunt,  onines  officii  monemus,  ser- 
vandi  eliani  conslilutiones  et  décréta,  quibus  pravse 
ejusmodi  opiniones  qu,v  isthic  diserte  non  enumeran- 
tur,  ab  hac  sancta  sede  proscriptœ  et  prohibitm  sunt. 
Sess.  III,  c.  iv.  Cette  même  doctrine  ressort  aussi  de 
la  condamnation  de  la  proposition  5e  réprouvée  comme 
erronée  par  le  décret  du  Saint-Office,  Lamentabili  sane 
du  3  juillet  1907  :  Quuni  in  deposito  /idei  uerilates 
tautum  revelatm  conlineantur,  nullo  sub  respeclu  ad 
Ecclesiam  pertinet  judicium  /Vive  de  assertionibus 
disciplinarum  humanarum.  Toutes  les  \érités  ainsi 
définies  par  l'Église,  bien  qu'elles  n'appartiennent  point 
au  dépôt  des  vérités  révélées,  en  relèvent  indirecte- 
ment, dans  la  mesure  où  l'Église  juge  leur  définition 
nécessaire  pour  l'accomplissement  de  sa  divine  mis- 
sion. Elles  constituent  ainsi  l'objet  indirect  du  dépôt 
de  la  foi. 

Cette  doctrine  de  l'objet  indirect  du  dépôt  de  la  foi. 
bien  qu'elle  découle  nécessairement  de  la  divine  consti- 
tution du  magistère  ecclésiastique,  ne  p. irait  pas  avoir 
été  nettement  indiquée  avant  saint  Thomas,  distinguant 
mi  double  objet  de  la  foi  :  l'un  comprenant  les  vérités 
immédiatement  proposées  à  noire  foi  ou  articles  de  foi 


529 


DEPOT   DE   LA   FOI 


530 


immédiatement  enseignés  par  Jésus-Christ,  l'autre  ren- 
fermant toutes  les  vérités  dont  la  négation  entraînerait 
le  rejet  de  quelque  article  de  foi.  Sum.  tlteol.,  lla  1I'\ 
q.  XI,  a.  2.  Cette  distinction,  dès  lors  communément 
admise  par  les  théologiens,  fut  plus  explicitement  for- 
mulée vers  la  fin  du  xvie  siècle  et  directement  appli- 
quée à  l'enseignement  du  magistère  ecclésiastique  par 
Grégoire  de  Valence,  Anahjsis  fideicatholicœ,  part.  VIIT, 
Ingolstadt,  1583,  p.  313  sq.,  et  au  xvne  siècle  par 
Bannez,  In  llîm  IIe,  q.  xi,  a.  2,  concl.  1,  Venise,  1602, 
col.  5't8  sq.,  et  De  Lugo,  De  virlule  fidei  divinœ, 
disp.  XX,  sect.  m.  n.  111  sq.,  et  dès  lors  unanimement 
suivie  par  les  théologiens,  surtout  au  XIXe  siècle  où  le 
traité  de  l'Eglise  reçut  de  si  considérables  développe- 
ments. 

5.  Le  concept  théologique  du  dépôt  de  la  foi,  logique- 
ment déduit  de  Matth.,  xxvm,  20  :  Docentes  eos  serrure 
omnia  quœcumque  mandavi  vobis,  est  expressément 
indiqué  par  saint  Paul  :  Déposition  cuslodi,  devitans 
profanas  vocum  noritales  el  oppositiones  falsi  nomï- 
nis  scientix.  I  Tim.,  vi,  20;  cf.  i,  3;  iv,  6,  10.  Bonum 
déposition  cuslodi  per  Spiritum  Sanction  qui  habitat 
in  iinbis.  II  Tim.,  I,  14;  cf.  n,  8,  li;  m,  li:  îv,  3;Tit., 
i,  9,  14;  n,  1;  Gai.,  i,  8,  9.  L'apôtre  saint  Jean  recom- 
mande aussi  de  conserver  ce  qu'on  a  reçu.  I  Joa.,  il, 
20;  II  Joa.,  9-12. 

Son  affirmation  implicite  se  rencontre  très  fréquem- 
ment dans  la  tradition  ecclésiastique,  avec  la  divine 
mission  de  l'Église  de  conserver  et  d'enseigner  intégra- 
lement les  vérités  que  Jésus-Christ  lui  a  confiées,  avec 
l'inviolable  unité  de  la  foi  et  de  la  communion  catho- 
lique, el  avec  le  juste  reproche  de  nouveauté  sacrilège 
adri  ssé  aux  hérétiques  de  tous  les  temps.  Comme 
exemples  de  ces  affirmations  implicites,  nous  citerons 
à  la  lin  du  i'r,  au  n»  et  au  me  siècle  la  Didaché,  l'Épl- 
tre  de  Barnabe,  saint  Irénée,  Clément  d'Alexandrie  et 
Origène.  La  Didaché,  iv,  13,  et  l'Épitrede  Barnabe,  xix, 
II,  répètent  une  règle  du  Deutéronome,  xn,  32  :  «  Tu 
garderas  ce  que  in  as  reçu  par  tradition,  n'ajoutant 
rien,  n'enlevant  rien.  »  l'uni»,  Patres  apostolici, 
2«  édit.,  Tubingue,  1901,  t.  i,  p.  14,92,  Sainl  (renée  dit 
expressément  que  l'Église  qui  a  reçu  des  apôtres  et  de 
leur-  disciple-  renseignement  de  Jésus-Christ  ie  garde 
avec  -"in.  l'enseigne  et  le  transmet  unanimement, 

une  p.iïT:il:-   unit:      >-■    j.-/.i,i;  yji^rT;     ...  '/.'/     c.'j..   r/i, 
-x:*-.x  KY)pV99ei,  v.x\  ô'.Ô'/T/î'..  /.%:  TtapaBtS'OOtV,  m;  iv  TTO'j.a 

v.i/.-.t  '    ir.cr.,  1.  I,  c.  x.  /'.  G.,  t.  vu.  col.  552. 

Clément  d'Alexandrie  en  prouvant  la  vérité  de  l'Eglise 
catholique  contre  les  hérétiques  affirme  l'unité  i 
foi  dont  H  montre  l'origine  dans  l'enseignement  d'un  des 
apôtres  qui  est  la  tradition  ecclésiastique.  Strom., 
VII.  c.  xvi,  xvii.  /'.  G.,  t.  ix.  col.  532,  552.  Oi 
■u  début  de  -un  II:-,;  ip/i»'  établi)  cette  règle  absolue  : 
l'on  doil  garder  l'ei  ni  ecclésiastique  réguliè- 

rement transmis  par  les  apôtres  et  encore  présentement 

i.-int  dans  h-  i  ule  celte  vérité  don 

crue  qui  n'est  nullement  en  désaccord  avec  la  tradition 
Mastique  el    apostolique,   I.  I,   proœmium,  n.  2, 
]'.  t...  t.  xi.  cl.  lin.  Cf.  I  .  lv. ,i.  Origène,  Paris,  1907, 

I'  ~ 

L'affirmation  explicite  du  concepl  théologique,  jointe 

dépôt  de  i.i  fui.  est   peu  fn  quente  chez 

lei  i'  inq  prem i  Son  expression  la 

pin-  complète  se  rencontre  chei  Tertullien  ;>  la  lin  du 

ni  Vincent  de   Lérim   .m  \ ■ .  Tertullien 

de  saint   Paul .  I    I  illl . .  \ I.  20. 

M  Tu  n.  i.  14,  déclare  que  ce  dépôl  du  in  esl  la  doctrine 

publiquemenl  par  Jésus-Christ,  absolument 

atoire  .il  j  »  »  i    De  | 

P.   /,.,  t.  n.  col.  'M.  Toute  doctrim 
nemenl    apostoliqui 

p.ir  '  ■  | r  vraie,  celle  qm 

ire   elle  II,  «  ni.    :'• 


même  doctrine  est  reproduite  aux  c.  xxxi  et  xliv, 
col.  4i,  59  sq.  Cf.  P.  de  Labriolle,  Tertullien,  De  prœ- 
scriptione  hœreticorum,  Paris,  P.!07,  p.  xxi-xxiv. 

Selon  saint  Vincent  de  Lérins,  le  depositum  de  saint 
Paul,  I  Tim.,  VI,  20,  est  le  talent  de  la  foi  catholique, 
confié  à  la  vigilance  pastorale  de  Timothée.  avec  obli- 
gation de  le  préserver  de  toute  atteinte.  Commonito- 
rium  prinium,  c.  xxn,  P.  L.,  t.  l,  col.  667.  Cette  garde 
vigilante  n'est  point  l'œuvre  personnelle  de  Timothée; 
elle  incombe  à  l'Église  de  Jésus-Christ  :  V.hristi  vero 
Ecclesia  sedula  et  eau  la  depositorum  apud  se  dog- 
matum  eus  t  os  nihil  in  /lis  unquani  permutât,  nihil 
minuit,  nihil  ad  dit,  col.  669.  Celte  conservation  im- 
muable des  dogmes  confiés  à  l'Église  n'empêche 
cependant  point  un  réel  progrès  dans  leur  connais- 
sance de  la  part  des  individus  ou  de  l'Église  entière, 
mais  in  eodem  dogmate,  eodem  sensu,  eadenique  sen- 
tenlia,  col.  668.  Dans  ses  conciles,  l'Église  ne  fait 
qu'expliquer  avec  plus  de  soin  ce  que  l'on  a  toujours 
cru  :  Denique  quid  unquani  aliud  conciliorum  decre- 
tis  enisa  esl  nisi  ut  quod  antea  simplicité)-  credeba- 
tur,  hoc  idem  postea  diligentius  crederetur,  quod 
antea  lenlius  pnvdicabatur,  hoc  idem  postea  inslan- 
lin*  prœdicaretur,  quod  antea  securius  colebatur,  hoc 
idem  postea  sollicitius  excolereturf  col.  669.  Cf.  P.  de 
Labriolle,  Saint  Vincent  de  Lérins,  2e  édit.,  Paris, 
1906,  p.  89-91. 

Chez  les  théologiens  du  moyen  âge,  bien  que  l'ex- 
pression déposition  /idei  ne  se  rencontre  point,  le 
concept  est  assez  nettement  indiqué.  Il  résulte  chez 
saint  Thomas  de  cette  doctrine,  plusieurs  fois  répétée, 
que  les  définitions  postérieures  des  conciles  ainsi  que 
les  additions  aux  symboles  sont  simplement  une  décla- 
ration plus  explicite  de  ce  qui  était  moins  expressé- 
ment contenu  dans  les  formules  ou  définitions  anté- 
rieures. Sum.  t/tcol.,  IL1  II*,  q.  i,  a.  9,  ad  2"'";  a.  10, 
ad  l"m.  En  reproduisant  communément  cette  explica- 
tion sommaire,  les  théologiens  scolasliques  approu- 
vaient implicitement  cette  même  notion  théologique 
du  dépôt  de  la  foi. 

A  partir  du  xvi"  siècle,  les  nécessités  de  la  polémi- 
que, en  attirant  l'attention  des  théologiens  sur  l'immu- 
tabilité substantielle  des  dogmes  catholiques  en  face 
des  nouveautés  el  des  multiples  variations  de  l'hérésie 
et  sur  le  divin  magistère  de  l'Église,  mirent  en  évi- 
dence le  concept  théologique  du  dépôt  invariable  de  la 
foi,  confie'1  à  l'autorité  ecclésiastique.  L'objet  direct  el 
indirect  de  ce  dépôl  fut  plus  nettement  déterminé.  En 
même  temps  l'expression  elle-même  entra  définitive- 
ment dans  le  formulaire  théologique. 

III.   DÉPÔ1    m.    LA    l  "I    90DS    i.'Ancikn    TESTAMENT.   — 

D'une  manière  générale,  c'est  l'ensemble  des  vérités 
révélées  par    Dieu   à    toute  l'humanité  ou  au  peuple 

israélite  en  particulier  pour  diriger  les  individus  ;'i 
leur   (in    surnaturelle    et   préparer  le   iel.    ,i    l.ivene- 

inent  définitif  du  christianisme.  Nous  n'avons  point  à 
exposer  ici  en  détail  chacune  'le-  vérités  ainsi  cor 
p. n-  Dieu  au  genre  I tain  ou  au  peuple  d'Israël  spé- 
cialement. Elles  rassortiront  suffisamment  de  l'étude 
de  chaque  dogme  dans  la  période  antéchrétienne, 
rvons  seulement  les  deux  unie-  caractéristiques 
dudépôl  de  la  foi  sous  l'Ancien  Testament  I  II  n'esl 
confié-  par  Dieu  a  aucune  autorité  doctrinale  divine- 
ment instituée  et  revêtue  d'une  un  sion  permanente 
el  de  prérogati'  i  I ,  Pour  l'humanité  en 

général,  le  principal  moyen  de  conservation  des  vérités 
révélées  est  la  tradition  du  peuple  fidèle,  pin-  tard 
aidée  par  celle  d'Israël   providentiellement  disséminé 

parmi  les  nations  de  la  gentilité,       l   I' '  Israël  en 

particulier,  le  principal  moyen  providentiel  esl  i  n 

I-  tradition  du  peuple  resté  fidèle   -  l  enseigne m  de 

Dieu  ■  c .'ud ni-    \i.n-   cette  tradition, 

u-   lll\  mes 


)31 


DÉPÔT    DE    LA    FOI    —    DESCARTES 


m 


successives  el  par  de  fréqucnles  interventions  provi- 
dentielles, est  plus  apte  à  transmettre  la  parole  divine 
sans  aucun  mélange  d'erreur  ou  de  corruption.  Pour 
maintenir  et  fortifier  cette  tradition,  Dieu  suscite  fré- 
quemment dans  son  peuple,  presque  à  toutes  les  pé- 
riodes de  son  histoire,  des  prophètes  ayant  la  divine 
mission  de  combattre  les  erreurs  opposée-  ;'t  l'unité  de 
Dieu  et  à  son  culte,  et  de  garder  dans  toute  son  inté- 
grité la  croyance  au  seul  vrai  Dieu  et  son  culte  unique. 
2°  Le  second  caractère  du  dépôt  de  la  foi  dans  l'An- 
cien Testament  est  sa  perfectibilité  successive,  non  par 
le  travail  de  l'homme  sur  la  vérité  divine,  mais  par  de 
nouvelles  et  plus  complètes  révélations,  rendant  la 
vérité  plus  manifeste  à  mesure  que  l'humanité  approche 
de  Jésus-Christ.  Ce  progrès  de  l'enseignement  divin 
est  particulièrement  manifeste  pour  la  manière  dont 
s'accompliront  dans  la  plénitude  des  temps  l'incarna- 
tion du  Verbe  et  sa  mission  rédemptrice.  Observons 
d'ailleurs  que,  dans  le  plan  divin,  la  révélation  primi- 
tive contenant  expressément  le  dogme  de  l'existence  de 
Dieu  rémunérateur  et  celui  d'une  libération  future, 
renfermait  implicitement  toutes  les  vérités  postérieure- 
ment révélées  à  l'humanité.  S.  Thomas,  Sum.  theol., 
IIa  IIœ,  q.  I,  a.  7.  En  ce  sens,  une  réelle  unité  ou  com- 
munion de  foi  relie  l'Ancien  au  Nouveau  Testament. 
Voir  Communion  dans  la  foi,  t.  ni,  col.  428  sq. 

Tei'tullien,  De  prsescriptionibus,  c.  x\v,  xxvni,  xxxi,  P.  L., 
t.  Il,  col.  37,  40,44;  S.  Irénée,  Cont.  hier.,  1.  I,  c.  x,  P.  G., 
t.  vu,  col.  552;  Clément  d'Alexandrie,  Strom.,  VII,  c.  xvi,  xvn, 
P.  G.,  t.  ix,  col.  532,  552;  Origène,  Periarchon,  1.  I,  proœmium, 
n.  2,  P.  G.,  t.  xi,  col.  116;  S.  Vincent  de  Lérins,  Commonito- 
rium  primum,  c.  xxu,  P.  L.,  t.  L,  col.  G67  sq.  ;  S.  Thomas, 
Sum.  theol.,  II"  II", q.  I,  a.  9,  ad2'"";  a.  10,  ad  1"'";  Grégoire  de 
Valence,  Analysis  fulei  catholicse,  part.  VIII,  Ingolstadt,  1583, 
p.  313  sq.;  Rannez,  In  II""  II",  q.  xi,  a.  2,  concl.  1  ,  Venise, 
1602,  col.  548  sq.  ;  De  Lugo,  De  virtute  fulei  divinœ,  disp.  XX, 
sect.  m,  n.  111  sq.:  Franzelin,  De  divina  traditione  et  Scrip- 
tura,  thés,  xn,  4"  édit.,  Rome,  1896,  p.  112 sq.;  Hurter,  Theologise 
dogmaticse  compendium,  4' édit.,  lnsprucl;,1883,  t.l,  p.267sq., 
'isê  sq.;  Berthier;  Tractatus  de  locis  theologicis,  Turin,  1888, 
p.  233  sq.  ;  Peseta,  Pra>lectiones  dognuitiae, 2' édit.,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1898,  t.  I,  p.  317  sq.  :  Wilmers,  De  Christi  Ecclesia, 
Ratisbonne,  1897,  p.  454  sq.,  469 sq.;  de  Groot,  Summa  apolo- 
getica  de  Ecclesia  catholica,  2'  édit.,  Ratisbonne,  1892,  p.  265  sq.; 
Billot,  Tractatus  de  Ecclesia  Christi,  2'  édit.,  Rome,  1903, 
p. 402  sq.;  De  virtutibus  infusis. thés.  XII,  Rome,  1901, p.  251  sq.; 
L.  de  Grandmaison,  Le  développement  du  dogme  chrétien, 
dans  la  Revue  pratique  d'apologétique  du  15  juin  1908,  p.  401- 
43G. 

E.    DUBLANCIIY. 

DER-KENNIS  Ignace,  théologien  ;  dogmatique,  né 
à  Anvers  le  3  mars  1598,  entra  dans  la  Compagnie  de 
Jésus  le  26  septembre  1614.  Après  avoir  professé  les 
humanités  et  la  rhétorique,  les  mathématiques  et  la 
philosophie,  il  enseigna  pendant  dix  ans  la  théologie 
à  Louvain  et  fut  des  premiers  à  combattre  les  erreurs 
de  Jansénius.  Il  gouverna  ensuite  les  collèges  d'Ypres 
et  de  Louvain;  il  mourut  dans  cette  dernière  ville,  le 
20  juin  1656.  Ses  écrits  théologiques  sont  nombreux; 
nous  indiquons  les  principaux  :  Positiones  sacrée  de 
auguslissimo  sacramento  eucharisties  ralionibus  illu- 
stratœ,  Anvers,  1638;  Thèses  Iheologicse  de  gralia, 
libéra  arbitrio,  prsedeslinatione,  etc.,  in  quibus  do- 
ctrina  theologorum  Soc.  Jcsu  contra  Cornelii  Jansenii 
Augustinum  defenditur,  Anvers,  1641.  C'est  le  premier 
ouvrage  qui  parut  contre  VAuguslinus  de  l'évêque 
d'Ypres,  publié  dans  l'année  même,  Jansénius,  étant 
mort  (1638),  par  ses  deux  amis  Libert  Froidmond  el 
Henri  Calcnsis;  Eximio  acadmod.  reverendo  D.  Libei'o 
Fromondo  el   reverendo   adm.    D.    Henrico  Caleno, 

lettre    par  le  professeur  de  théologie  du  collège 

des  jésuites   de   Louvain  el  adressée  aux  éditeurs  de 

l'Augustinus;  Thèses  theologicm,  apologelicœ  ci  mis- 

adversus  doctrinam  Corn.  Jansenii  propu- 

gnal Anvers,  1641.  Ces  thèses,  ainsi  que  celles  de 


la  grâce  et  du  libre  arbitre,  Furent  déféré)  -  i  l  Im 
prohibées  par  décrets  pontificaui  du  6  mars  et  du 
l  ■  aoûl  1641,  comme  contrevenant  à  la  défense  de  traiter 
les  questions  De  auxiliis;  elles  ne  sont  plus  dans  l'édi- 
tion officielle  de  ['Index  de  1900;  De  heu  uno,trino, 
créature,  Bruxelles,  1645;  Tractatus  de  creatione 
mundi  seu  opère  sex  dierum,  Vienne.  1719. 

Cf.  E.-H.  Reusens,  dans  Biographie  ■■  par 

l'Académie  royale  de  Belgique,  Bruxelles,  1865,  t.|v,  coL  679 
sq.;  Sommei vu;_iel,  lliljlioihèque  de  la  C"  de  Jésus,  t.  v. 
col.  1940-1944;  Huiler,  Nornenelator,  t.  i.  p.  422;  Dumas,  His- 
toire des  cit^q  propositions  de  Jansénius,  Paris,  1. 1  ;  (Gerberon,) 
Histoire  générale  du  jansénisme,  Amsterdam,  1701,  t.  î,  p.  30. 

P.  Bernard. 

DÉROGATION.  Derogalur  legicum  pars  delralti- 
lur,  abrogatur  legi,  cum  prorsus  tollitur.  Ainsi  - 
prime  le  vocabulaire  officiel  du  droit  romain.  Loi  Cil. 
De  verborum  significatione ;  loi  XVI,  au  Digeste.  La  dé- 
rogation est  un  des  trois  modes  par  lesquels  le  législateur 
rend  licites  les  actes  contraires  à  la  loi  qu'il  a  portée. 
Llle  se  place  entre  l'abrogation  et  la  dispense  dont  elle 
se  distingue  très  nettement. 

L'abrogation  (voir  ce  mot,  t.  i,  col.  126)  ne  laisse  rien 
subsister  de  la  loi,  prorsus  tollitur.  La  dispense  laisse 
subsister  au  contraire  toute  la  loi  en  elle-même.  Elle  en 
suspend  seulement  l'application  pour  un  temps,  pour 
une  personne,  pour  un  groupe,  pour  un  cas  concret. 
Voir  Dispense.  La  dérogation  atteint  la  loi  elle-même 
comme  l'abrogation,  mais  elle  la  laisse  subsister  en 
partie,  en  supprime  certains  articles  tout  en  laissant 
leur  valeur  aux  autres,  ou  bien  encore  elle  déclare  que 
toute  une  catégorie  de  faits  ne  tombe  plus  sous  le  coup 
de  la  loi. 

La  dérogation  n'étant  qu'une  abrogation  partielle, 
tout  ce  qui  est  dit  à  ce  mot  de  l'agent  abrogateur  et  des 
formes  de  l'abrogation  trouve  son  application  en  matiè- 
re de  dérogation.  Voir  t.  i,  col.  127-129. 

Le  fait  que  la  coutume  peut  déroger  à  une  loi,  comme 
d'ailleurs  l'abroger,  n'est  pas  en  contradiction  avec  le 
principe  que  seul  celui  qui  a  porté  la  loi  peut  faire  ces- 
ser l'obligation  qu'il  a  imposée.  Omnis  res  per  guas- 
cumque  causas  nascilur,  per  easdem  dissolvitur.  En 
effet,  la  coutume  ne  produit  son  effet  que  par  le  con- 
sentement tacite  du  supérieur  qui  connaît  et  approuve 
les  lois  ecclésiastiques  générales  qui  régissent  la  cou- 
tume. Il  n'y  a  là  qu'un  cas  d'abrogation  ou  de  dérogation 
tacite  analogue  à  ce  qui  se  passe  quand  le  supérieur 
porte  une  loi  nouvelle  inconciliable  avec  une  disposi- 
tion antérieure.  Voir  t.  m,  col.    1997-1998. 

Les  commentateurs  des  Décrétâtes  au  titre  De  constitutiuni- 
bus,  I,  il. 

P.  Fourni  .m  i. 

DESCARTES.—  I.  Le  christianisme  de  Descaries. 
II.  Les  rapports  de  la  raison  et  de  la  foi.  III.  Le  doute 
méthodique.  IV.  La  théodicée  de  Descartes.  V.  L'an- 
thropologie cartésienne.  VI.  La  doctrine  eucharistique. 
VII.  La  morale  de  Descartes. 

I.  Le  christianismi  m  Descartes.  —René  Descartes 
naquit  à  la  Haye  en  'fontaine,  le  '.'<\  mars  1596.  Au 
collège  des  jésuites  de  la  Flèche  qui  était  alors,  comme 
il  l'écrit  lui-même,  <  l'une  des  plus  célèbres  écoles  de 
l'Europe,  »  il  reçut  une  instruction  complète.  Il  y  apprit 
«  tout  ce  que  les  autres  \  apprenaient  o  et  même  un 
peu  plus.  Et  cependant,  cela  ne  satisfaisant  pas  sa  pas- 
sion de  vérité  et  de  certitude,  il  employa  «  quelques 
années  à  étudier  dans  le  livre  du  monde  el  à  tâcher 
d'acquérir  quelque  expérience.  ■  Apres  quoi,  dit-il.  je 
pris  un  jour  la  résolution  d'étudier  aussi  en  moi-même 
et  d'employer  toutes  les  forces  de  mon  esprit  à  choisir 
les  chemins  que  je  devais  suivre,  i  Discours  sur  la 
méthode,  1'    partie. 

Ceci  nous  montre  un  esprit  qui  sort  de  tous  les  -en- 
tiers battus,  qui  se  met  à  sa  propre  école;  et  abandon- 


533 


DESCARTES 


534 


nant  ainsi  la  tradition  des  maîtres  de  son  temps  sur 
le  terrain  des  sciences  naturelles,  s'expose  aussi  sur  un 
autre  terrain,  celui  des  connaissances  surnaturelles 
et  de  la  foi  religieuse,  à  quitter  volontairement,  ou  du 
moins  inconsciemment  à  ne  pas  suivre  la  grande  tradi- 
tion chrétienne.  Descartes  traçant  une  méthode  nou- 
velle d'arriver  au  vrai  et  à  tout  vrai,  cette  méthode  ne 
pouvait  pas  ne  pas  intéresser  directement  ou  par  contre- 
coup les  vérités  théologiques.  C'est  ce  côté  de  sa  doc- 
trine que  nous  étudions  ici  ;  nous  laissons  à  d'autres  le 
soin  de  raconter  la  biographie  de  ce  philosophe  et  d'ex- 
poser  la  synthèse  de  son  système,  nous  examinerons 
seulement  les  points  de  contact  de  ce  système  avec  le 
dogme  et  la  théologie. 

lue,  dans  le  for  extérieur,  il  ait  été  croyant,  prati- 
quant et  finalement  dévot,  c'est  ce  qui  est  hors  de  doute. 
Des  preuves  de  fait  en  faveur  de  ce  fait,  on  n'a  que 
l'embarras  de  les  choisir  :  professions  répétées  et  dé- 
clarations énergiques  même  en  face  de  ses  adversaires 
luthériens;  empreinte  reçue  de  sa  première  éducation 
dont  il  s'honore  toujours;  enthousiasme  pieux  et  même 
mystique;  vœux  accomplis  «  avec  toute  la  dévotion 
<  qu'on  a  coutume  d'y  apporter;  »  sens  de  sa  vocation 
philosophique  sous  la  direction  du  cardinal  de  Bérulle; 
part  qu'il  a  en  d'illustres  conversions;  déférence  ex- 
trême  à  l'autorité  de  l'Église;  zèle  qui  le  porte,  alors 
qu'il  ne  veut  plus  rien  imprimer,  à  «  publier  cinq  ou 
a  six  feuillets  touchant  l'existence  de  Dieu,  à  quoi  H  pense 
êl bligé  |>our  la  déchargede  sa  conscience;  »  fran- 
chise avec-  laquelle  il  approuve  contre  la  princesse  Eli- 
sabeth  la  conversion  de  son  frère;  soin  qu'il  met  à 
montrer  «  qu'on  ne  peut  inférer  de  son  discours  que 
«  les  infidèles  doivent  demeurer  en  la  religion  de  leurs 
parents,  »  que  la  religion  catholique  esl  la  meilleure, 
et  que  ses  vérités  sont  les  premières  en  sa  créance; 
désir  de  faire  disparaître  les  occasions  d'hérésies;  ami- 
tiés avec  des  hommes  qui  sont  les  garants  intimes  de 
entimenls;  souci  de  ne  s'établir  en  piy s  réformé 
qu'où  il  rencontre  des  prêtres  catholiques,  commi 
Bannius  et  Bloemaert,  et  où  «  l'on  peut  entendre  la 
messe  en  sûreté  :  «  scrupule  qui  l'empêche  d'assister  à 
l'office  luthérien  et  qui  le  fait  «  demeurer  contre  la 
juste  une  fois  pour  entendre  a  un  mi- 
tre français  donl  on  (ait  état;  »  patriotisme  pieux; 
I  de  faire  I  rancine  en  pays  catholique; 

il  a  rue  de  se  retin  r  eu  Italie,  ce  qui  semble 
eules   raisons    o  de  son  séjour  en 
sont  celles  qu'il  donne;  témoignages  sur  sa  fin 
.n  te,  tous  ces  arguments  que  de  récentes  recherches, 
iluui  il  faut  attendre  les  résultats  pour  épuiser  ce 
confirment  et  multiplient,  tendent  à  prouver  que,  selon 
l'expression  de  M.  Liard,  la  foi  ci  la  bonne  roi  de  Des- 

M.  Blondel,  Le  cliris- 
tiam  ■  D  dans    la    Revue  de  mélaphy 

juillet  1896,  p.  552-553.  'm  ne  doit 
pendant  oublier,  pour  l'interprétation  de  sa  con- 
duis ,  ce  qu'en  écrivait  Bossuetle24marsl70l 

i   M.    Pastl  I.   doctl  m    de  Soi  I  mine  \1 .    I  >e  -ci  ries  ;i  ton- 

craint  d'être  noté   par    l'Église;  el    on  lui  voit 
Ire  poui  (  ela  de-  pi  donl  quelques-uni 

ni   jusqti  à    l'excès        <  !  dit.   Guillaume, 

I.   IV.    p      !  Quoi    qu'il    en    soit   il.  s  scnli- 

ni  rite  du  christianisme  de 

qu'on  n'a  pat  i  isivea  de  sus- 

i  tain  que  -,  ,  bez  lui  le  philosophe  n'esl 

re  .le   l.i    foi,  du  i,  'tiloiophie 

loppe,  .1  iquea  ou  théo 

u  il  n'a  m  toute    pi 

qui.    portant     leurs    fruits 

ni  .m  détriment  de  i  . 

ii  .i  un  di  Halebran 

non  seulement  en  ci   point  de  la  nature  1 1  di 


mais  encore  en  beaucoup  d'autres  articles  très  impor- 
tants de  la  religion,  un  grand  combat  se  préparer  contre 
l'Église,  sous  le  nom  de  la  philosophie  cartésienne.  Je 
vois  naître  de  son  sein  et  de  ses  principes,  à  mon  avis 
mal  entendus, plus  d'une  hérésie.  «Lettre  du 21  mai  1C87, 
Œuvres,  édit.  Guillaume,  t.  ix,  p.  59.  Il  ne  fut  pas  né- 
cessaire de  mal  entendre  les  principes  de  Descartes 
pour  en  tirer  plus  d'une  hérésie.  Nous  Talions  voir. 

II.  Les  rapports  de  la  raison  et  de  la  eoi.  —  La 
première  question  qui  s'offre  à  nous  est  celle  des  rap- 
ports de  la  raison  et  de  la  foi.  de  la  théologie  et  de  la 
philosophie. 

1°  Les  vérités  de  foi,  Descartes  a  bien  soin  de  les 
mettre  à  l'écart  de  son  doute  méthodique  et  de  les 
enfermer  à  part  comme  en  une  arche  sainte,  qu'il 
n'est  pas  permis  d'ouvrir,  dont  on  ne  doit  ni  connaître, 
ni  encore  moins  vérifier  ou  contrôler  le  contenu,  à  la- 
quelle il  n'est  pas  permis  de  toucher.  Discours  sur  la 
méthode,  III1'  partie.  Cf.  Francisque  Bouillier,  Histoire 
de  la  pliilosophie  cartésienne,  c.  n,  Paris,  185i,  t.  i, 
p.  42.  Du  reste,  ce  serait  une  tentative  à  la  fois  impos- 
sible et  inutile,  «  .le  prétendais  autant  qu'aucun  autre 
à  gagner  le  ciel;  mais,  ayant  appris  comme  chose  très 
assurée,  que  le  chemin  n'en  est  pas  moins  ouvert  aux 
plus  ignorants  qu'aux  plus  doctes,  et  que  les  vérités 
révélées  qui  y  conduisent  sont  au-dessus  de  notre  in- 
telligence, je  n'eusse  osé  les  soumettre  à  la  faiblesse  de 
mes  raisonnements,  et  je  pensais  que,  pour  entreprendre 
de  les  examiner,  et  y  réussir,  il  était  besoin  d'avoir 
quelque  extraordinaire  assistance  du  ciel  et  d'être  plus 
qu'un  homme,  d  Discours  sur  la  méthode,  I"  partie. 
C'est  donc  une  chose  entendue  :  Descartes  professe 
l'agnosticisme  par  rapport  aux  vérités  de  la  foi;  il  les 
croit,  il  veut  les  croire,  il  ne  veut  en  aucune  façon  les 
examiner  avec  sa  raison.  C'est  la  préparation  ration- 
nelle à  la  foi  supprimée  avec  l'intelligence  de  tous  les 
dogmes,  mystères  ou  vérités  naturelles  révélées. 

Quant  à  la  raison,  il  professe  à  son  endroit  la  plus 
grande  confiance.  Il  a  la  conviction  que,  bien  utilisée, 
elle  le  conduira  jusqu'au  bout  des  sciences  humaines 
et  des  choses  connaissables.  «  Ces  longues  chaînes  de 
raisons,  toutes  simples  et  faciles,  dont  les  géomètres 
ont  coutume  de  si'  servir  pour  parvenir  à  leurs  plus 
difficiles  démonstrations,  m'avaient  donné  occasion  de 
m'imaginer  que  toutes  les  choses  qui  peuvent  tomber 
sous  la  connaissance  des  hommes  s'entresuivent  de 
même  façon,  ci  que,  pourvu  seulement  qu'on  s'abstienne 
d'en  recevoir  aucune  pour  vraie  qui  ne  le  suit,  el  qu'on 
garde  toujours  l'ordre  qu'il  faut  pour  les  déduire  les 
unes  des  autres,  il  n'y  en  peut  avoir  de  si  éloignées 
auxquelles  enfin  on  ne  parvienne,  ni  de  si  cacli.es  qu'on 
ne  découvre.  Discours  sur  la  méthode,  II'  partie  La 
raison  devient  donc  l'instrument  universel,  et  comme 
l'immortalité  de  l'âme  étant  une  vérité  de  foi  >    tn 

hors  de  son    domaine,    il    s'ensuit   que    la    raison   a  son 
Lui  dans  celle  vie,  dans  la  conduite  heureuse  de  i 
destinée  ici-bas  et  dans  le   progrès  de  notre  condition 

lie  :  d'OÙ    l'on  a    pu  conclure   sur    DeSCarteS  que 
ïtiviste,  il    l'est    plus  que  personne,   i  M.    lîlondcl, 

'..  p.  560. 
La  philosophie,  i  elle  ■■•  -  celle  qui 

mie.  tout  en  n'en  voulant  rien  dire,  voici  Ce  qu'il 
en  écrit  :      Je   ne  dirai  rien  de  la  pliilosophie.  sinon 

que.    voyant   qil  Lll tî    I  I     pal    I'  -   plUfl   excellents 

esprits   qui    aient    M  eu    depuis    plu-ieiil  '<   que 

n.   ni lis  il     n.    j'j    lue  .m.  un.    chose   donl 

..n  n..  dispute,  .i  pai  conséquent  qui  ne  soit  douteuse, 

je  n'avais  point  assez  de  présomption  i espérer  d  v 

titrer  mieux  que  les  autn  DU  -  mr  '"  nié' 
Ihode,  I1  partie.  Jusqu'à  lui.  la  philosophie  n'a  donc 
résolu  aucun  probb  me.  ni  produit  aucune  certitude. 

■  ml  il    la   o 

pour  pat  •   i  onnaissam  e  de  i..ni 


■535 


DESCARTES 


536 


choses  dont  son  osprit  serait  capable,  o  Discours  sur  la 

méthode.  IIe  partie,  il  découvre  cette  méthode  et  nous 
la  raconte.  Ainsi  crée-t-il  une  nouvelle  philosophie,  sa 
philosophie,  mais  il  ne  peut  y  arriver  qu'en  déclarant 
auparavant  la  guerre  à  la  théologie  scolastique  :c'estsa 
delenda  l'.arlhago.  Il  ne  veut  plus  entendre  parler  de 
cette  science  surnaturelle  et  naturelle  à  la  fois  qui 
apporte  à  l'explication  ou  au  développement  des  dogmes 
les  lumières  de  la  philosophie  de  l'École,  qui  compromet 
les  vérités  révélées  en  les  solidarisant  avec  les  élucu- 
brations  scolastiques  et  qui  donne  à  celles-ci  une  illé- 
gitime consécration  et  stabilité  en  les  alliant  avec  la 
parole  de  Dieu.  La  théologie  scolastique  à  son  sens  a 
fait  fausse  route.  Aussi  «  Descaries  commence  par 
rompre  toute  solidarité  entre  la  foi  et  la  théologie  sco- 
lastique; et  pourquoi'?  parce  que  cette  théologie  avait 
établi  une  solidarité  et  comme  une  continuité  entre  les 
données  delà  révélation  et  les  connaissances  naturelles, 
entre  le  christianisme  et  le  péripatétisme.  Et  d'autant 
que,  liant  indûment  les  dogmes  de  la  religion  aux  expli- 
cations de  la  philosophie,  elle  transforme  perfidement 
les  erreurs  humaines  en  vérités  divines  et  des  réformes 
salutaires  en  damnahles  hérésies,  la  scolastique,  voilà 
l'ennemie  qu'il  faut  exterminer,  comme  le  mauvais 
démon  des  théologiens  et  le  principe  de  leurs  calomnies 
chroniques.  »  M.  Blondel,  loc.  cit.,  p.  555.  Cf.  Revue 
bourguignonne  de  l'enseignement  supérieur,  1896, 
n.  1,  p.  48. 

2°  Nous  pouvons  maintenant  jeter  un  coup  d'oeil 
d'ensemble  sur  la  pensée  cartésienne  au  sujet  de  la 
question  qui  nous  occupe  et  en  constater  les  erreurs  et 
les  dangers. 

1.  L'Église  est  sans  doute  d'accord  avec  Descartes 
pour  distinguer  deux  ordres  de  vérités  :  les  vérités  ra- 
tionnelles et  les  mystères,  et  le  concile  du  Vatican  a 
nettement  précisé  la  distinction  :  Perpetuus  Ecclesise 
catholiese  consensus  tenuit  et  tenet  duplicem  esse  or- 
dinem  cognitionis.  Les  vérités  rationnelles  nous  sont 
enseignées  par  la  raison  naturelle  et  concernent  la  na- 
ture créée  ;  les  mystères  nous  sont  révélés  par  Dieu,  sont 
acceptés  par  la  foi  et  consistent  dans  des  arcanes  divins 
qu'aucune  intelligence  ne  peut  pénétrer  sans  le  flam- 
beau de  la  révélation.  La  démarcation  est  nette  et  Des- 
cartes y  aurait  souscrit.  Mais  où  bientôt  il  s'éloigne  de 
la  voie  tracée  par  la  tradition  catholique  et  que  le  con- 
cile du  Vatican  devait  définir  plus  tard,  c'est  sur  la 
question  des  rapports  entre  ces  deux  ordres  de  con- 
naissances. L'Eglise  déclare  possible  et  exige  comme 
nécessaire  et  indispensable  une  préparation  rationnelle 
à  la  foi,  afin  que  ralionabilc  sit  obsequinm  :  Rationis 
ttsus  fidem  prœcedil  et  ad  eatn  hominem  ope  revela- 
tionis  et  gratis  conducit,  Den/.inger,  Enchiridion, 
10e  édit.,  n.  1651  ;  la  philosophie  de  Descartes  ne  connaît 
pas  cette  préparation  rationnelle;  pour  elle,  l'assenti- 
ment de  foi  procède,  non  pas  d'une  conviction  intellec- 
tuelle, mais  d'un  pur  acte  de  volonté. 

2.  Par  où  se  découvre  une  nouvelle  opposition  entre 
les  deux  philosophies,  la  catholique  et  la  cartésienne  : 
l'analyse  de  l'acte  de  foi  catholique  révèle,  en  effet,  un 
élément  intellectuel  et  un  élément  volontaire  libre;  le 
chrétien  croit,  parce  qu'il  a  vu  qu'il  doit  croire  et  parce 
qu'il  veut  croire;  dans  l'analyse  de  l'acte  de  foi  carté- 
sien, l'élément  intellectuel  disparaît  pour  ne  laisser 
subsister  que  le  volontaire;  puisque  Descartes  n'osait 
pas  soumettre  les  vérités  révélées  «  à  la  faiblesse  de  ses 
raisonnements  »  et  qu'il  pensait  «  que  pour  entreprendre 
de  les  examiner  et  y  réussir,  il  était  besoin  d'avoir 
quelque  extraordinaire  assistance  du  ciel  et  d'être  plus 
qu'homme.  » 

3.11  y  a  d'autres  oppositions  entre  la  foi  chrétienne  et 
la  cartésienne  :  pour  l'Église,  il  y  a  entre  la  raison  et  la 
foi  des  vérités  mi. des  et  des  vérités  communes.  Les 
vérités  mixtes  sont  celles  que  la  raison  ne  peut  démon- 


trer, mais  qu'une  fois  révélées  elle  peut  entendre  :  ce 
sont  par  exemple  les  décrets  libres  de  Dieu;  l'exercice 
de  la  liberté  divine  est  le  secret  de  Dieu  ;  mais  ce  secret 
une  fois  révélé,  nous  pouvons  comprendre  les  desseins 
qu'il  enferme.  Nul  ne  pouvait  démontrer  que  Dieu  au- 
rait un  peuple  choisi,  que  le  Christ  établirait  une  Église. 
Mais  ce  plan  une  fois  manifesté,  nous  en  comprenons 
facilement  l'objet.  Ce  sont  encore  des  vérités  naturelles 
par  essence,  mais  que  la  raison  n'est  pas  arrivée  à  dé- 
couvrir et  que,  guidée  par  la  parole  de  Dieu,  elle  dé- 
montre maintenant  et  anahse  sûrement  :  telle  est  la 
création  du  monde.  Dieu  nous  l'a  révélée;  assurés  du 
fait,  nous  trouvons  maintenant,  dans  l'examen  du 
monde,  des  raisons  solides  pour  le  démontrer.  Vérités 
mixtes  donc  que  les  faits  dont  l'existence  est  affirmée 
par  la  révélation  et  la  nature  décrite  par  la  raison. 
Vérités  communes  que  celles  dont  l'existence  et 
la  nature  sont  établies  par  la  raison  et  confirmées  par 
la  révélation.  Nous  savons  par  la  philosophie  rationnelle 
que  Dieu  existe,  et  nous  le  croyons  de  foi  surnaturelle. 
Pour  Descartes,  ces  lumières  partagées  ou  communes 
n'existent  pas  :  le  flambeau  de  la  foi  n'éclaire  que  des 
régions  ignorées  de  la  raison  et  réciproquement;  ja- 
mais les  deux  flambeaux  ne  réunissent  leurs  rayons  sur 
un  même  objet  pour  en  éclairer  simultanément  la 
même  face  ou  distinctement  les  deux  cotés;  c'est  ce  qui 
ressort  d'une  foule  d'assertions  et  surtout  de  celle-ci: 
«  les  vérités  révélées  qui  y  conduisent  (au  ciel)  sont 
au-dessus  de  notre  intelligence.  » 

4.  La  religion  catholique  et  la  philosophie  cartésienne 
ne  sont  pas  non  plus  entièrement  d'accord  sur  la  valeur 
et  la  puissance  de  la  raison  :  Descartes  a,  en  celle-ci, 
trop  et  trop  peu  de  confiance. 

a)  Il  a  trop  de  confiance.  —  En  effet,  ne  professe-t-il 
pas  que  parmi  «  toutes  les  choses  qui  peuvent  tomber 
sous  la  connaissance  des  hommes...  il  n'y  en  peut  avoir 
de  si  éloignées  auxquelles  enfin  on  ne  parvienne,  ni  de 
si  cachées  qu'on  ne  découvre?  »  Comparez  à  cela  ce 
que  l'Eglise  a  toujours  senti, à  savoir  :  Huic  divinœ  re- 
velationi  tribuendum  quidem  est,  ut  ca  quse  in  rébus 
divinis  Immanse  rationi  per  se  impervia  non  sunt,  in 
prsesenti  quoque  generis  humani  condilione  ab  omni- 
bus e.rpedite,  firma  certitudine  cl  nullo  admixto  er- 
rore  cognosci  possint.  Concile  du  Vatican,  const.  De 
fide,  c.  n.  Même  après  la  découverte  de  sa  méthode  par 
Descartes  et  après  plus  de  deux  siècles  d'expérience  de 
cette  méthode,  l'Église  tient  que.  parmi  toutes  les  choses 
qui  peuvent  tomber  sous  la  connaissance  des  hommes, 
il  y  en  a  de  si  éloignées  et  de  si  cachées  que,  sans  le 
secours  de  la  révélation,  l'homme  est  dans  l'impossibilité 
morale  de  les  découvrir.  Le  concile  du  Vatican  n'est 
pas  cartésien. 

6)  Nous  avons  dit  aussi  que  Descartes  n'a  posasse:  de 
confiance  en  la  raison.  Si,  en  effet,  les  vérités  révélées 
sont  tellement  «  au-dessus  de  toute  intelligence  i>  que, 
c  pour  entreprendre  de  les  examiner  et  y  réussir,  »  il 
soit  «  besoin  d'avoir  quelque  extraordinaire  assistance 
du  ciel  et  d'être  plus  qu'homme,  «  à  moins  qu'il  n'ait 
voulu  affirmer  la  nécessité  du  surnaturel,  ce  (pie  rien 
dans  sa  doctrine  n'autorise  a  penser,  il  faut  désespérer 
de  pouvoir  obtenir  jamais  quelque  intelligence  des 
mystères,  ou  de  les  éclairer  par  des  analogies  tirées  de 
la  nature  ou  enfin  de  les  confirmer  par  des  déductions 
où  apparaissent  leur  enchaînement  ou  leurs  connexions. 
Il  cependant  l'Eglise  estime  assez  la  raison  humaine 
pour  en  attendre  une  illustration  très  féconde  des  dog- 
mes, .le  ratioquidem,  fide  illustrata,  cum  sedulo,  pie 
et  sobrie  quœrit  aligna»),  Deo  dan  te,  mysleriorum 
intelligentiam  eamque  fructuosissimam  assequitur, 
lion  e.i  eorum,  quse  naturaliler  cognoscit,  analogia, 
lum  i  Ueriorum  ipsorum  nexu  inter  se  et  cum 

fine  hominis  ultimo.  Concile  du   Vatican,  ibid. 

.">.  L'altitude  de  Descartes  à  l'endroit  de  la  théologie 


537 


DESCARTES 


53S 


scolastique  n'est  pas  plus  justifiée  ni  moins  opposée  à 
la  direction  permanente  de  l'Église.  L'erreur  de  Des- 
cartes a  été  de  penser  que  les  dogmes  et  la  théologie 
scolastique  sont  choses  très  distinctes  et  séparahles  ; 
que  la  théologie  scolastique  était  née  de  l'application 
de  l'aristotélisme  aux  vérités  révélées;  qu'à  cette  ap- 
plication une  autre  pouvait  succéder  et  que  l'aristoté- 
lisme n'était  pas  plus  désigné  que  tout  autre  système 
philosophique  pour  interpréter  les  dogmes;  qu'il  était 
donc  possible  et  loisible  de  renoncer  à  l'aristotélisme 
même  baptisé  et  christianisé  par  les  grands  docteurs  de 
l'École;  et  qu'on  pouvait  philosopher  en  dehors  des  sen- 
tiers battus  jusqu'ici,  et  que,  pourvu  que  les  vérités  de 
la  foi  fussent  bien  mises  hors  de  cause,  cette  philosophie 
nouvelle  pouvait  ratiociner  à  sa  guise.  Il  y  a,  en  tout 
cela,  une  illusion  profonde.  La  philosophie  scolastique 
n'est  pas  née  de  l'aristotélisme  indépendamment  des 
dogmes;  mais  elle  est  née  surtout  des  dogmes.  Ceux-ci 
apportent  avec  eux  une  vérité,  on  ne  peut  les  confesser 
sans  les  entendre  en  quelque  façon,  et  cette  intelligence 
des  dogmes  est  déjà  une  philosophie  religieuse.  Elle 
s'est  développée  par  l'effort  de  la  raison  aidée  de  la 
grâce.  Cette  raison  a  trouvé  dans  les  philosophies 
humaines,  dans  la  stoïcienne,  dans  la  platonicienne, 
mais  surtout  dans  l'aristotélicienne,  des  lumières  qui 
paraissaient  toutes  prêtes  à  se  fondre  avec  les  lumières 
de  la  révélation.  Klle  a  ainsi,  petit  à  petit,  l'œil  toujours 
lixé  sur  la  révélation,  élaboré  une  philosophie  qui 
n'est  pas  la  philosophie  aristotélicienne,  ni  la  platoni- 
cienne, ni  aucune  autre,  mais  la  philosophie  sortie  du 
sein  même  du  dogme,  et  tellement  unie  à  lui  qu'elle  ne 
peut  plus  s'en  séparer  et  qu'elle  sera  perpétuellement 
apte  à  en  rendre  raison  dans  la  mesure  possible  à  l'es- 
prit humain  et  postulée  par  les  opportunités  et  les 
exigences  des  siècles.  Evidemment  elle  doit  toujours 
tenir  compte  des  progrès  des  sciences;  mais  jaillie  des 
entrailles  du  dogme,  fille  de  la  vérité  éternelle,  elle  est 
sûre  de  sa  voie  et  ne  peut  rire  détrônée.  Aussi  l'Église 
a-t-elle  inscrit  dans  le  Syllabus  de  Pie  IX  et  condamné 
cette  proposition  que  Descaries  aurait  aimée  :  Metho- 
ihis  et  principia,  quibus  antiqui  doctores  scholaslici 
theologiam  e.rcoluerunl,  temporum  noslrorum  necessi- 
tatibus  scientiarumque  progressui  minime  congruunt, 
Proposit.  XIII»,  Denzinger,  ï<>  .dit.,  1908,  n.  1713.  On  le 
voit.  l'Église  parle  de  la  méthode  et  des  principes  em- 
ployés par  les  docteurs  scolastiques,  et  empruntés  par 
eux  à  la  raison  philosophique  pour  la  constitution  de 
la  théologie.  Ce  sont  ces  principes  et  cette  méthode 
qui,  dans  la  théologie,  se  Boni  mis  tellement  au  service 
du  dogme  et  se  sont  si  bien  scellés  à  lui,  qu'ils  l'accom- 
pagnent à  travers  les  siècles  et  ne  craignent  rien  des 
exigences  nouvelles  que  les  siècles  voient  naître  dans 
les  esprits  Nous  disons  qu'ils  ont  été  mis  au  service 
du  dogme,  car  c'est  là  une  théorie  chère  a  l'Église  et 
odieuse  au  cartésianisme,  que  la  raison  en  général  el 

la  raison  philosophiq n  particulier,  est  la  suivante 

ou  la  servante  de  la  théologie  et  de  la  foi  et  que  toul  en 
gardant  sa  méthode  prop  ini  ip<     el  sa  liberté 

d'allure  sur  son  terrain,  elle  doit,  sur  les  frontièn  et 
dans  les  questions  mixtes,  - 'inspin >r  d'abord  des  dou- 
anes de  la  foi  ou  de  la  théologie  et  subordon- 
na i  .i  l'autoriti  dei  urnalurellea  -es  propres 
affirmations.  Cl  concile  du  Vatican,  const.  De  fide, 
c.  rv,  Denzinger,  Enchiridion,  d    1799, 

Ml    l.i   len  ii   méthodique.        La  question  du  doute 
mis  l' n   t  i  prétendue  i estaura 

tion  philosophique,  bien  qu'à  premii  re  me  elle  semble 
ne  i  ii  .  lui  Importe  cependant 

quelque  pi  u         i    81  ét<  ado  qu'il  soit,  le  doute  de 

Poui         qu  iilurs  je 
désirai      iqui  t    euli  m<  ni  t  la  î  »  ni  rche  de  la 

qu'il  (allait  qui  t  ..mine  absolu- 

ment faux  toul  ce   .  n  quoi  je   i  ner  le 


moindre  doute,  afin  de  voir  s'il  ne  me  resterait  point 
après  cela  quelque  chose  en  ma  créance  qui  fût  indis- 
cutable. »  Discours  sur  la  mélliode,  IVe  partie.  Il  veut 
faire  table  rase  des  connaissances  du  passé  pour  édifier 
un  système  philosophique  nouveau  :  il  établit  en  pre- 
mier lieu  la  méthode  de  reconstruction,  laquelle  a  pour 
principal  instrument  le  doute.  Mais  à  ce  doute,  il  donne 
une  double  frontière  :  il  met  premièrement  hors  de 
cause  d'une  façon  définitive  les  vérités  de  la  foi,  d'une 
façon  provisoire  celles  de  la  morale;  voilà  un  premier 
terme  que  le  doute  méthodique  n'atteint  pas,  du  moins 
primitivement,  dans  son  plan.  Secondement,  il  cherche 
jusqu'où  il  pourra  aller  dans  la  voie  du  doute,  mais  il 
ne  pose  pas  en  principe  qu'il  arrivera  à  douter  de  tout, 
et,  en  fait,  de  démolitions  en  démolitions,  il  aboutit  à 
un  roc  stable  dont  la  fermeté  parait  inébranlable  et  la 
vérité  indubitable  :  c'est  la  constatation  de  sa  pensée 
et,  dans  sa  pensée,  de  son  existence.  Je  pense,  donc  je 
suis  :  de  cela  il  n'a  pas  douté  un  instant  même  d'un 
doute  méthodique.  «  En  considérant  que  celui  qui 
veut  douter  de  tout  ne  peut  toutefois  douter  qu'il  ne 
soit  pendant  qu'il  doute,  et  que  ce  qui  raisonne  ainsi, 
en  ne  pouvant  douter  de  soi-même  et  doutant  néan- 
moins de  tout  le  reste,  n'est  pas  ce  que  nous  disons 
être  notre  corps,  mais  ce  que  nous  appelons  notre 
âme  ou  notre  pensée,  j'ai  pris  l'être  ou  l'existence  de 
cette  pensée  pour  le  premier  principe  duquel  j'ai  dé- 
duit très  clairement  les  suivants.  »  Lettre-préface  de. 
la  traduction  française  des  Principes  de  la  philoso- 
phie, édition  des  Œuvres,  Napoléon  Chaix,  Paris,  1864,. 
t.  n,  p.  10. 

2"  Son  doute  n'est  pas  positif  et  réel.  On  distingue, 
en  philosophie  et  en  théologie,  le  doute  positif  et  réel 
et  le  doute  méthodique.  Dans  le  premier,  on  a  vrai- 
ment la  conviction  qu'une  chose  est  douteuse,  on  en 
doute  vraiment;  dans  le  second  on  prend  en  face  d'une 
affirmation  l'attitude  du  doute,  on  fait  comme  si  elle 
était  douteuse,  quoique  au  fond  on  ne  cesse  pas  d'y 
adhérer.  Le  premier  a  été  défendu  par  Hermès  qui 
le  regarde  non  seulement  comme  licite,  mais  même 
comme  ordonné.  Avant  tout  il  veut  que  le  doute,  dont 
il  prend  la  défense,  soit  étendu  à  toutes  les  connais- 
sances sans  exception.  Nous  devons  être  et  rester 
indécis  ou  en  suspens,  non  seulement  sur  la  vérité  de 
la  religion  chrétienne,  l'immortalité  de  l'âme,  l'exis- 
tence et  les  attributs  de  Dieu,  mais  encore  sur  la  réalité 
du  monde  extérieur  el  même  sur  l'existence  et  les 
divers  états  de  notre  propre  âme,  tant  que  nous  ne 
pouvons  pas  montrer  qu'il  y  a  nécessité  absolue  pour 
la  raison  de  Be  déterminer.  De  tout  temps,  dit-il,  on  a 
cru  nécessaire  de  démontrer  philosophiquement  la 
divinité  du  christianisme,  l'existence  de  Dieu  et 
d'autres  vérités  semblables,  mais  par  la  philosophie 
nouvelle,  il  est  devenu  douteux,  si  l'homme  peut  en 
général  porter  des  jugements  sur  la  vérité,  ou  si,  du 
moins,  notre  intelligence  est  assez  ('tendue  pour  qu'elle 
puisse  répondre  avec  certitude  à  ces  questions  prélimi- 
naires de  la  théologie.  Introduction  philosophique, 
Munster,  1819,  préface,  et  en  outre  §  12,  p,  71-77. 
Cf.  Kleutgen,  /."  philosophie  scolastique,  trad.  Const. 
Sierp,  diss.  III.  c.  t,  S  I.  "   224,  Paris,  1868,  t.  i,  p 

Ce  doute  positif,  Grégoire   \vi  le  rejetai!   par   ion 

bref  du  'iti  septembre  1835  où  étaient  condatnm 

œuvres  de  Geori  i    Hermès  el  où  nous  lisons  ces  mots  : 

Inter...  erroril  magisiri  tanti  et  fere  com~ 

muni  pet  Germanium  /.i>..«  adnumeratur  Georgius 

es  utpote  qui...  lenehrosam  ad  errorem  omni- 

n  viam  moliaturin  dubio  posUivo  tanquam  basi 

it  theologica  inquisitionis..,  Denzinger,  En* 

dion,  u.  K)I9.  Cf.  le  canon  6  De  fide  du  concile  du 

Vatican,  Denzinger,  n.  1816.  On  ■  voulu  trouver  cette 

tr  (he/   1 1  mai     ce  n'est  pa  -  .i  torl  que 

(.uniher  et  Papst  li   défendent  contre  une  semblable 


:vg 


DESCARTES 


5  !■  i 


accusation.  Kleutgen,  ïoc.  cit.  Il  s'en  explique,  du 
reste,  d'une  façon  fort  flaire  au  sujel  de  l'existence  de 
Dieu  donl  il  doute  d'abord  et  que  sa  méthode  lui  fait 
bientôl  connaître  et  démontrer  :  Si  guis  sibi  pro  scopo 
proponat  dubitare  de  Dm,  ut  in  kac  dubitatione per- 
sistât, graviter  peccat  dum  vult  in  re  tanti  momienti 
pendere  in  dubio.  Verum  cum  quis  hanc  sibi  dubila- 
tionetn  proponat  tanguant  médium  ad  clariorem 
ueritatis  cognitionem  asseguendam  rem  facit  omnino 
piam  et  honestam.  Epist.,  part.  Il,  epist.  x. 

3«  Le  doute  recommandé  par  Descartes  et  mis  par 
lui  au  point  de  départ  de  ses  démonstrations  philoso- 
phiques est  donc  le  doute  méthodigue,  c'est  un  pro- 
cédé de  dialectique,  ce  n'est  pas,  du  moins  dans  toute 
son  étendue,  un  état  ou  une  conviction  de  l'esprit.  Les 
scolastiques  en  ont  usé  largement  et  saint  Thomas  avec 
eux,  puisque  nous  le  voyons  se  demander  dans  sa 
Somme  théologique  sous  la  formule  du  doute,  mais 
sans  aucune  hésitation  d'esprit  :  utrum  Deus  sit,  utrum 
Deus  sit  unus,  etc.  Le  procédé  du  doute  méthodigue 
en  soi  n'est  donc  pas  condamnable  en  théologie.  En 
fait,  le  doute  méthodique  cartésien  n'est  pas  sans  dan- 
ger. Il  est  dangereux,  parce  qu'il  est  trop  étendu  et 
que,  ramenant  l'unique  certitude  primitive,  du  sein  de 
laquelle  toutes  les  autres  devront  sortir,  à  la  certitude 
subjective  de  l'existence  de  la  pensée  ou  de  l'âme,  il 
compromet  Vobjectivité  de  toute  connaissance  humaine 
et  donc  des  choses  rationnelles  et  de  la  foi  et  des  faits 
qui  légitiment  noire  croyance.  «  En  partant  du  point 
de  vue  adopté  par  Descartes  ou  de  la  simple  conscience 
que  l'esprit  a  de  lui-même  et  de  sa  pensée,  on  se 
voyait  dans  l'impossibilité  de  parvenir  à  la  connais- 
sance de  la  réalité  qui  existe  hors  de  l'esprit.  On  arri- 
vait ainsi  forcément  à  l'aveu  si  triste,  et  cependant  fait 
avec  une  incompréhensible  suffisance,  que  la  connais- 
sance scientifique  de  la  vérité  est  impossible  à  l'esprit 
humain  ou,  pour  me  servir  des  paroles  d'Hermès,  qu'il 
y  a  bien  une  nécessité  de  penser  les  choses  d'une 
manière  déterminée,  mais  non  de  regarder  comme 
vraies,  les  choses  ainsi  pensées.  »  Kleutgen,  op.  cit., 
n.  6,  t.  i,  p.  9.  Il  est  dangereux,  parce  que,  malgré  les 
réserves  faites  par  Descartes,  la  logique  doit  amener 
tout  esprit  à  douter  réellement  de  toutes  les  vérités 
autres  que  l'existence  de  sa  pensée  et  à  étendre  ce 
doute  réel  à  toutes  les  vérités  morales  ou  de  foi.  11  est 
dangereux,  parce  que  la  persuasion  qu'il  invoque  de 
l'inutilité  des  philosophies  qui  l'ont  précédé,  et  la 
volonté  qu'il  manifeste  de  créer  un  système  nouveau 
de  toutes  pièces,  porte  la  plus  terrible  atteinte  à  l'ar- 
gument d'autorité  qui  a  sa  valeur  en  philosophie  et 
qui  est  indispensable  dans  les  choses  de  la  tradition  et 
de  la  foi.  Comment  ne  pas  craindre,  quand  on  l'entend 
dire  «  de  ceux  qui  ont  commencé  par  l'ancienne  philo- 
sophie, que  d'autant  qu'ils  ont  plus  étudié,  d'autant  ils 
ont  coutume  d'être  moins  propres  à  bien  apprendre  la 
vraie.  »  Ibid. 

IV.   La  TUÉODICÉE  DE  DESCARTES.   —  /.   EXISTENCE  DE 

dieu.  —  1°  C'est  par  la  théodicée  que  Descartes  com- 
mence la  construction  de  tout  son  système;  c'est  sur 
Dieu,  son  existence  et  sa  véracité  qu'il  fonde  toute  cer- 
titude. «  Je  dois  examiner  s'il  y  a  un  Dieu,  sitôt  que 
l'occasion  s'en  présentera;  et  si  je  trouve  qu'il  y  en  ait 
un,  je  dois  aussi  examiner  s'il  peut  être  trompeur  ; 
car,  sans  la  connaissance  de  ces  deux  vérités,  je  ne 
vois  pas  que  je  puisse  jamais  être  certain  d'aucune 
chose.  »  Troisième  méditation,  édit.  X.  C.haix,  t.  i, 
p.  117.  Il  n'y  a  donc  pas  de  certitude  possible  pour 
les  athées. 

2°  Mais  comment  prouvera-t-il  l'existence  de  Dieu. 
si  le  doute  règne  partout  et  enveloppe  son  esprit,  sauf 
sur  le  point  unique  de  l'existence  de  sa  pensée  et  de 
son  àme?  Il  arrivera  à  se  démontrer  (nous  disons  à 
se  démontrer  et  non  pas  à  démontrer)  l'existence  de 


Dieu  par  l'existence  de  l'idée  de  parfait  ou  plutôt  d'im- 
parfait, parle  contenu  de  cette  idée  de  parfait,  par  sa 

propre  existence  :  ce  sont   là  les  trois  voies  que  >-uit 
son  raisonnement  et  que  nous  décrirons,  afin  de  bien 
montrer  en  quoi  l'argument  à  triple  face  de  Desi 
se  différencie  dans  la  forme  de  celui  de  saint  Anselme, 
tout  en  s'y  réduisant  au  fond. 

I.  Pour  Descartes,  l'idée  de  l'imparfait  et  du  fini 
suppose  celle  du  parfait  et  de  l'infini;  sans  celle-ci, 
celle-là  est  impossible  et  inconcevable  et. dès  lors,  le 
fait  que  je  doute,  que  j'ai  conscience  de  mon  doute  et 
donc  de  l'imperfection  qu'il  met  en  moi  prouve  que 
j'ai  préalablement  l'idée  de  quelque  état  plus  parfait 
que  celui-là,  de  quelque  être  supérieur  à  moi  en  qui 
ne  sont  pas  mes  imperfections.  «  Je  ne  dois  pas  ima- 
giner que  je  ne  conçois  pas  l'infini  par  une  véritable 
idée,  mais  seulement  par  la  négation  de  ce  qui  est  fini, 
de  même  que  je  comprends  le  repos  et  les  ténèbres  par 
la  négation  du  mouvement  et  de  la  lumière;  puisqu  au 
contraire  je  vois  manifestement  qu'il  se  rencontre 
plus  de  réalité  dans  la  substance  infinie  que  dans  la 
substance  finie,  et  partant  que  j'ai  en  quelque  façon 
premièrement  en  moi  la  notion  de  l'infini  que  du  fini, 
c'est-à-dire  de  Dieu  que  de  moi-même;  car  comment 
serait-il  possible  que  je  pusse  connaître  que  je  doute 
et  que  je  désire,  c'est-à-dire  qu'il  me  manque  quelque 
chose  et  que  je  ne  suis  pas  tout  parfait,  si  je  n'avais  en 
moi  aucune  idée  d'un  être  plus  parfait  que  le  mien, 
par  la  comparaison  duquel  je  connaîtrais  les  défauts 
de  ma  nature?  »  Troisième  méditation,  Œuvres,  t.  1. 
p.  127-128.  J'ai  donc  l'idée  de  l'infini;  or  la  présence 
de  cette  idée  en  moi  prouve  l'existence  de  Dieu.  J'ai 
l'idée  de  Dieu,  donc  Dieu  existe...  En  effet,  d'où  cette 
idée  a-t-elle  pu  venir?  De  moi  ou  du  dehors?  De  moi. 
je  puis  avoir  l'idée  des  autres  hommes,  puisqu'étant 
mes  semblables,  je  trouve  en  moi  de  quoi  les  concevoir. 
De  moi  encoreje  puis  tirer  l'idée  des  choses  inférieures, 
puisque  celles-ci  existant  entièrement  en  moi,  il  suffit 
pour  les  concevoir  que  j'enlève  à  la  connaissance  que 
j'ai  de  moi  quelqu'un  de  ses  éléments  ou  quelqu'une 
de  ses  perfections.  Mais  dans  l'idée  de  Dieu  il  y  a 
quelque  chose  qui  n'a  pu  venir  de  moi-même.  «  Par  le 
nom  de  Dieu,  j'entends  une  substance  infinie,  éter- 
nelle, immuable,  indépendante,  toute  connaissante, 
toute-puissante,  et  par  laquelle  moi-même  et  toutes  le< 
autres  choses  qui  sont  (s'il  est  vrai  qu'il  y  en  ait  qui 
existent)  ont  été  créées  et  produites.  Or,  ces  avantages 
sont  si  grands  et  si  éininents,  que  plus  attentivement 
je  les  considère,  et  moins  je  me  persuade  que  l'idée 
que  j'en  ai  puisse  tirer  son  origine  de  moi  seul.  Et  par 
conséquent,  il  faut  nécessairement  conclure  que  Dieu 
existe;  car,  encore  que  l'idée  de  la  substance  soit  en 
moi,  de  cela  même  que  je'suis  une  substance,  je  n'au- 
rais pas  néanmoins  l'idée  d'une  substance  infinie,  moi 
qui  suis  un  être  fini,  si  elle  n'avait  été  mise  en  moi  par 
quelque  substance  qui  fût  véritablement  infinie 
Troisième  méditation,  p.  127.  La  présent  e  en  moi  de 
l'idée  d'infini  ou  de  l'idée  de  Dieu  ne  peut  donc  s'expli- 
quer que  par  l'action  et  l'existence  de  ce  Dieu  infini. 
2.  Descaries  complète  sa  thèse  par  cet  argument  : 
que  le  contenu  de  l'idée  de  Dieu  postule  l'existence  de 
Dieu  :  «  Revenant  à  examiner  l'idée  que  j'avais  d'un 
être  parfait,  je  trouvais  que  l'existence  y  était  comprise 
en  même  façon  qu'il  est  compris  en  celle  d'un  triangle 
que  ses  trois  angles  sont  égaux  à  deux  droits  ou  eu 
celle  d'une  sphère  que  toutes  les  parties  sont  également 
distantes  de  son  centre,  ou  même  encore  plus  évidem- 
ment; et  que,  par  conséquent,  il  est  pour  le  moins 
aussi  certain  que  Dieu,  qui  est  cet  être  si  parfait,  est  ou 
existe,  qu'aucune  démonstration  de  géométrie  le  saurait 
être.  )  Discours:  sur  la  méthode,  IVe  partie.  Œuvres,  1. 1, 
p.  3i.  Ceci  est  proprement  l'argument  de  saint  Anselme. 
Voir  Anselme  >:>'«(/<(  i,  1. 1,  col.  1350.  Cf.  Notes  et  éclair- 


541 


DESCARTES 


542 


cissements  sur  la  troisième  méditation,  Œuvres,  t.  i, 
p.  261. 

3.  Tout  cela  est  confirmé  par  Descartes  de  la  manière 
suivante  où  l'existence  de  Dieu  est  prouvée  par  l'exis- 
tence imparfaite  d'un  être  qui  a  l'idée  du  parfait  : 
a  Lorsque  je  relâche  quelque  chose  de  mon  attention. 
mon  esprit,  se  trouvant  obscurci  et  comme  aveuglé  par 
les  images  des  choses  sensihles,  ne  se  ressouvient  pas 
facilement  de  la  raison  pourquoi  l'idée  que  j'ai  d'un  être 
plus  parfait  que  le  mien  doit  nécessairement  avoir  été 
mise  en  moi  par  un  être  qui  soit  en  ell'et  plus  parfait. 
C'est  pourquoi  je  veux  ici  passer  outre  et  considérer 
si  moi-même,  qui  ai  cette  idée  de  Dieu,  je  pourrais 
être,  en  cas  qu'il  n'y  eût  point  de  Dieu,  n  Troisième 
talion,  p.  130.  .le  tiens  mon  existence  de  moi-même 
ou  d'un  autre,  lequel  est  imparfait  ou  parfait.  Je  ne 
puis  la  tenir  de  moi-même.  Ce  qui  est  par  soi  et  qui 
pense  ne  peut  pas  ne  pas  être  parfait  :  car  se  donnant 
l'être,  il  se  donne  nécessairement  toutes  les  qualités 
dont  il  a  l'idée;  or  je  pense,  j'ai  l'idée  d'une  foule  de 
perfections  que  je  ne  possède  pas.  Je  ne  me  suis  donc 
pas  donné  l'être.  Je  l'ai  reçu  d'un  autre.  Il  faut  que 
celui-ci,  pour  faire  de  moi  une  àme  qui  pense  et  qui  a 
l'idée  du  parfait,  pense  lui  aussi  et  ait  l'idée  du  parfait. 
S'il  est  imparfait,  il  vient  comme  moi  d'un  autre  au  su- 
jet duquel  la  même  question  se  posera.  Il  faut  s'arrêter 
quelque  part  et  aboutira  un  être  qui  pense,  qui  a  l'idée 
du  parfait  et  qui  est  parfait,  et  ainsi  est  par  soi. 
Dieu.  Ainsi  «  de  cela  seul  que  j'existe  et  que 
l'idée  d'un  être  souverainement  parfait,  c'est-à-dire  de 
Dieu,  est  en  moi,  l'existence  de  Dieu  est  très  évidera- 
iiicn  i  démontrée.  »  Ibid.,  p.  134. 

i.  Il  y  a  un  certain  nombre  de  confusions  et  d'illu- 
sions dansées  divers  aspects  de  l'argument  de  Descar- 
te- Celui-ci  se  trompe  sur  la  nature  et  la  valeur  de  l'idée 
qui'  nous  avons  du  parfait  et  de  Dieu;  il  se  trompe  sur 
l'origine  de  cette  idée;  et  celte  double  erreur  enlève  toute 
valeur  objective  à  sou  argument.  —  m  (l'est,  en  effet,  une 
illusion  grave  de  penser  qu'il  a  une  <•  véritable  idée,  » 
,  p.  D27.  c'est-à-dire  une  idée  formelle,  adéquate, 
claire  •  i  distincte  de  l'infini.  Nos  agnostiques  modernes 

61    demi   tes    ont   de  toutes    Liions    battu    en    lu 

cette  prétention.  La   vérité,  c'est  qu'il  faut    proie 
sur  le  terrain  de  l'idéede  Dieu,  un  certain  agnosticisme, 
n  latif  et  modéré  sans  doute  et  fort  éloigné  de  celui  di  - 
modernistes,  mais  réi  l    Qu'elle  vienne  de  la  raison,  ou 
qu'elle  nous  soit  su  ir  la   loi.  l'idée  que  nous 

Dieu   ne  saurait  être  compréhensive,  ni  sur- 
tout exhaustive,  Les  comprehensores,  voir  Compréhen- 
ippartiennenl  à  I  autre  monde.  Ici-bas. 
il  n \  .i  que  des  apprefiensorei,  c'est-à-dire  desesprits 

eulemenl  quelque  chose,  quelque  a 
de  la  divinité,  celui  qui  la  rattache  au  monde  p 
li<  n  de  la  causalité.  I1-  ne  se   >  eprésentenl  cel 
que,  Voir  Analogie,  1. 1,  col.  1142.  Nous 

i  la  connaissance  di    heu   par  le  triple 
pi    aflirmatifs,  des  concepts  négatifs  et 
n  étninenls  el  quand  l'asi  I  ler- 

iniie  ition  humaine  es  di- 

imais  s'accomplir  en  cette  \  le,  l'idée 
qui  n  Bti  el  qui  s'approche  le  plus  de  l'objet  éterni 

n    infiniment  imparfaite.)   est  linsi  que  l'Aréopa- 
i  en  cela  par  toute  la  tradition,  ■>  pu   parler 
di    Dieu  tellement  brillantes  qVelli 
par  notre  regard  el  sont  pool 
ne  mu-  nuit  par  leur  excès  mém     Cf.  L 

■  m.  col. 586,590;  Chollet,  I 

linsi 

qu<  la  I  -  on  anthropomorphisme 

i  la  coiin  li    Dieu  el 

qui   i  l'aveu  de  i  imperfi  ction  de  notre 

lu  p.irf.iii  inthropomorphisme 

-  tre  pai  fait 


ou  d'être  inlini  n'est  encore  qu'un  cadre  vide,  on  cherche 
à  lui  donner  un  contenu;  et  l'on  croit  y  réussir  en  pui- 
sant à  pleines  mains  au  trésor  de  l'âme  humaine.  On 
prend  dans  son  esprit,  dans  sa  volonté  et  dans  son  cu-ur, 
tout  ce  qu'ils  recèlent  de  plus  noble  et  de  plus  exquis  ; 
on  le  purifie,  on  le  brûle  sur  l'autel  de  l'adoration  pour 
en  dégager  la  quintessence;  on  y  supprime  toute  trace 
de  finitude.  Puis,  on  jette  dans  le  gouffre  ce  précieux 
holocauste  convaincu  qu'il  est  digne,  non  seulement 
d'être  offert  à  l'Kternel.  mais  d'être  comme  élément 
dans  la  constitution  de  sa  très  auguste  et  très  sainte 
nature.  »  Clodius  Piat,  De  la  croyance  en  Dieu,  1.  I. 
c.  m,  Paris,  1907,  p.  128. 

b)  La  théorie  de  l'analogie  et  celle  de  l'anthropomor- 
phisme ne  montrent  pas  seulement  l'erreur  de  Descartes 
sur  la  valeur  de  notre  idée  de  Dieu,  elles  nous  décou- 
vrent aussi  l'origine  de  cette  idée.  L'idée  du  parfait  n'est 
pasprimitive,  ainsi  que  le  voulait  Descartes,  et  elle  n'est 
pas  une  condition  de  la  connaissance  de  l'imparfait. 
L'esprit  humain  est  tout  entier  dépendant,  pour  ses  re- 
présentations, de  l'expérience  sensible.  Il  n'y  a  rien  en 
lui  qui  n'ait  au  préalable  passé  par  le  sens  et  son  ob- 
jet propre,  c'est  la  nature,  l'essence,  disaient  les  scolas- 
tiques,  (.les  choses  corporelles.  C'est  pour  cela  qu'il  est 
abstraclif  et  que  ses  premiers  concepts  naissent  d'une 
abstraction  opérée  sur  les  perceptions  des  sens  et  les 
données  de  la  mémoire  sensible  ou  de  l'imagination. 
Ce  n'est  que  plus  tard,  grâce  au  principe  de  causalité, 
que  l'esprit  s'élève  à  la  découverte  d'êtres  ou  de  notions 
supérieures  et  que  l'analogie  suivant  les  trois  voies,  ex- 
plorées et  décrites  par  le  pseudo-Denys  l'Aréopagite  et 
saint  Thomas,  réalise  la  représentation  des  choses  ou 
des  notions  de  cette  région  plus  haute.  Finalement, 
elle  monte  jusqu'à  Dieu,  et  loin  de  connaître  l'imparfait 
par  le  parfait,  l'âme  humaine  ne  connaît  le  parfait  que 
par  l'imparfait,  c'est-à-dire  en  attribuant  à  celui-là  les 
qualités  de  celui-ci,  mais  sans  leurs  limites  el  avec  un 
degré  meilleur.  Que  si  parfois  nous  mêlons  à  l'idée 
d'imparfait  celle  du  parfait  et  si  même  nous  ne  nom- 
mons le  premier  que  par  la  négation  du  second,  le 
parfait  dont  il  est  question  est  le  parfait  créé,  le  par- 
fait  dont  nous  avons  fait  l'expérience,  dont  nous  ne 
trouvons  plus  toute  la  richesse  dans  des  êtres  inférieurs. 
Ainsi  l'animal  me  parait  irrationnel,  el  donc  imparfait. 
parce  qu'il  manque  d'une  perfection  que  j'ai  cons 
en  moi,  la  raison,  l'oint  n'esl  besoin  de  remonter  au 
parfait  absolu  pour  avoir  ce  concept  de  l'imperfection 
relative  animale.  Du  reste.  Descartes  lui-même,  quoi- 
qu'il ait  professé'  le  contraire,  a  reconnu  implicitement 
et  inconscii  m  ment  celle  source  de  l'Idée  de  par- 
tait dans  l'imparfait.  «  Il  établit  d'abord  que  Dieu  esl 
l'infini  dans  tou>  les  sens,  ['infiniment  infini  :  el  que 

par  là  mê ,  il  enveloppe  toutes  les  perfections.  Mais 

.n  quoi  consistent-elles,  ces  perfections?  Là,  le  phi- 
losophe descend  de  son  hyperciel  et  ne  trouve  d'autre 

iree  que  celle  d  n  Dieu,  à  l'étal  éminent, 

l.i  pensée,  la  liberté  el  la  force  :  autan)  de  projections 
des  propriétés  du  fini  dans  l'absolu,  d  Cf.  Piat,  ibid., 
p.  129. 

L'idée  de  l'infini  et  du  parfait  n'étant  pas  parfaite 

i  origine  s'expliquanl   par   les   différents   traite- 
ments que  l'abstraction  Intellectuelle  lait  subir  à 

hoses  finies  el  imparfaites,  l'arg ni  l'on. le  sur  la 

présence  en  non-  de  l'idée  innée  ou  infuse  d'un  Dit  u 
infini  et  parfait  ne  prouve  plus  l'existence  de  celui  i  i, 
puisque I  idée  n'esl  ni  innée  ni  infuse,  mais  acquise;  du 

ins,  H  ne  la  prouve  plus  a  la  fai  on  décrite  pai 

el  p ■  donner  quelque  ■. aleur  à  la  démon 

lion,  il  faudrait  la  reprendre  à  la  façon  de  Bossue*!  : 
i  Pourquoi  l'imparfait  serait  il,  el  le  parfait  ne  serai)  il 

■  dire.  | rquol  ce  qui   tien!  plus  «lu  néant 

lerail  IL  el  que  ce  qui  n  en  lient  i  Ien  du  tout  ne 

i  » ■  i  appelli  -t  on  parfait  !  i  n  être  i   qui   i  ii 


543 


DESCARTES 


r,ii 


manque.  Qu'appelle-t-on  imparfait?  Un  être  à  qui 
quelque  chose  manque.  Pourquoi  l'être  à  qui  rien  ne 
manque  ne  serait-il  pas  plutôt  que  l'être  à  qui  quelque 
chose  manque?  D'où  \ieni  que  quelque  chose  est  et 
qu'il  ne  se  peut  pas  faire  que  le  rien  soit  :  si  ce  n'est 
parce  que  l'être  vaut  mieux  que  le  rien,  et  que  le  rien 
ne  peut  pas  prévaloir  sur  l'être,  ni  empêcher  l'être 
d'être?  Mais  par  la  même  raison,  l'imparfait  ne  peut 
valoir  mieux  que  le  parfait,  ni  être  plutôt  que  lui,  ni 
l'empêcher  d'être.  Qui  peut  donc  empêcher  que  Dieu 
ne  soit'.'  »  Elévations  sur  les  mystères,  l,e  semaine, 
l«  élévation,  Œuvres,  t.  n,  p.  172. 

d)  La  seconde  «  voie  »  suivie  par  Descartes  pour  aller 
à  l'existence  de  Dieu,  est  précisément  celle  qu'avait 
suivie  saint  Anselme.  On  en  trouvera  la  discussion  à 
l'art.  Anselme  (Saint),  t.  i,  col.  1353-1354.  Elle  ne  peut 
valoir  pour  établir  réellement  l'existence  de  Dieu;  elle 
prouve  seulement  :  a.  qu'il  est  impossible  de  penser  un 
êlrc  parfait  sans  le  penser  existant,  autrement  il  ne 
serait  plus  parfait,  puisqu'il  lui  manquerait  quelque 
chose;  et  b.  qu'à  supposer  qu'il  soit,  il  est  par  soi  et 
nécessairement. 

e)  La  dernière  «  voie  »,  si  l'on  fait  abstraction,  dans 
un  de  ses  éléments  accidentels,  de  son  erreur  sur  la 
nature  et  l'origine  de  l'idée  du  parfait,  peut  se  rame- 
ner à  l'argument  traditionnel  et  objectif  par  lequel, 
de  l'existence  de  l'être  contingent,  on  prouve  la  réa- 
lité de  l'être  nécessaire.  Dans  l'argument  de  Descartes 
comme  dans  le  traditionnel,  le  point  de  départ  est  que 
j'existe  et  que  mon  existence  ne  peut  venir  de  moi;  on 
conclut  :  elle  me  vient  donc  d'un  autre  qui  lui  aussi 
aura  reçu  l'existence,  d'un  troisième  et  ainsi  de  suite. 
Et  comme  il  faut  s'arrêter  dans  la  série,  on  arrive  fina- 
lement à  quelqu'un  qui  est  par  soi  et  a  créé  les  autres. 
La  différence  entre  l'argument  cartésien  et  l'argument 
traditionnel  est  que,  dans  le  premier,  on  démontre  que 
mon  existence  ne  peut  venir  de  moi,  parce  que  j'ai  l'idée 
parfaite  du  parfait  et  qu'ayant  cette  idée  je  l'aurais  réa- 
lisée en  moi  si  je  m'étais  moi-même  posé  dans  l'exis- 
tence ;  dans  le  deuxième,  on  démontre  que  je  ne  me  suis 
pas  donné  l'existence,  parce  qu'elle  est  contingente  et 
qu'un  être  qui  est  par  soi  est  nécessaire;  la  seconde 
forme  d'argument  est  légitime,  la  première  ne  l'est 
pas,  parce  qu'elle  se  sert  du  postulat  faux  de  l'idée 
innée  et  parfaite  du  parfait. 

3°  A  la  triple  «  voie  »  qui  le  mène  à  admettre  l'exis- 
tence de  Dieu,  Descartes  en  ajoute  une  quatrième  qui 
part  du  fait  de  la  conservation  des  êtres.  Il  commence 
sa  démonstration  par  une  remarque  très  juste  :  c'est 
que  la  preuve  tirée  de  la  création  vaut,  même  dans 
l'hypothèse  de  l'existence  éternelle  du  monde,  car  ce 
qui  prouve  Dieu,  ce  n'est  pas  le  fait  que  nous  commen- 
cions, mais  le  fait  que  nous  soyons  insuffisants  à  nous 
donner  l'être.  «  Et  encore  que  je  puisse  supposer  que 
peut-être  j'ai  toujours  été  comme  je  suis  maintenant, 
je  ne  saurais  pas  pour  cela  éviter  la  force  de  ce  raison- 
nement, et  ne  laisse  pas  de  connaître  qu'il  est  nécessaire 
que  Dieu  soit  l'auteur  de  mon  existence.  »  Ceci  l'amène 
tout  naturellement  à  la  preuve  tirée  de  la  conservation, 
c'est-à-dire  de  mon  insuffisance  à  me  conserver  conti- 
nuant mon  insuffisance  à  me  poser  dans  l'être  :  «  Car 
tout  le  temps  de  ma  vie  peut  être  divisé  en  une  infinité 
de  parties,  chacune  desquelles  ne  dépend  en  aucune 
façon  des  autres  (ce  concept  est  exagéré  et  conduirait 
notre  vie  à  n'être  qu'une  série  de  moments  se  succédant, 
sans  enchaînement,  surtout  sans  lien  de  causalité;  une 
vie  ainsi  morcelée  en  parties  indépendantes  n'est  plus 
une  vie,  puisque  la  continuité  lui  est  au  contraire  indis- 
pensable); et,  ainsi,  de  ce  qu'un  peu  auparavant  j'ai  été, 
il  ne  s'ensuit  pas  que  je  doive  maintenant  être  (il  ne 
s'ensuit  pas  non  plus  que  je  doive  n'être  pas),  si  ce 
n'est  qu'en  ce  moment  quelque  cause  me  produise  et 
me  crée  pour  ainsi  dire  derechef,  c'est-à-dire  me  con- 


serve  (la  conservation  n'est  pas  une  production  ou  nue 
création  renouvelée  à  chaque  instant  :  ceci  serait  le  ren- 
versement de  la  loi  et  surtout  de  la  morale  sur  une 
foule  de  points;  comment  me  récompenser  ou  me  châ- 
tier si  à  chaque  instant  je  cesse  d'être  celui  qui  a  dé- 
mérité ou  mérité  pour  être  créé  de  nouveau  et  vivre 
une  partie  d'existence  qui  «  ne  dépend  en  aucune  façon 
des  autres  »  parties  de  ma  vie'.'  Le  concept  catholique 
de  la  conservation  dit  que  celle-ci  n'est  que  l'acte  lui- 
même  de  la  création  non  révoqué  et  se  perpétuant  d'un 
seul  trait  sans  interruption  ni  division  de  parties.  Voir 
Conservation,  t.  m,  col.  1194.  En  effet,  c'est  une  chose 
bien  claire  et  bien  évidente  à  tous  ceux  qui  considé- 
reront avec  attention  la  nature  du  temps,  qu'une  sub- 
stance, pour  être  conservée  dans  tous  les  moments 
qu'elle  dure,  a  besoin  du  même  pouvoir  et  de  la  même 
action  qui  seraient  nécessaires  pour  la  produire  et  la 
créer  tout  de  nouveau  si  elle  n'était  point  encore:  en 
sorte  que  c'est  une  chose  que  la  lumière  naturelle  nous 
fait  voir  clairement,  que  la  conservation  et  la  création 
ne  diffèrent  qu'au  regard  de  notre  façon  de  penser,  et 
non  point  en  eflet.  ».  (Ici,  Descartes  raisonne  absolu- 
ment comme  les  scolastiques  et  la  tradition  chrétienne.) 
Troisième  méditation,  Œuvres,  t.  I,  p.  I3l,  132. 
Cf.  Francisque  Bouillier,  Histoire  de  la  philosophie 
cartésienne,  c.  iv,  Paris-Lyon,  1854,  p.  75-95.  Voir 
Création,  t.  ni,  col.  2093. 

//.  NATURE  ET  ATTRIBUTS  de  mec.  —  Descartes  s'est 
surtout  appesanti  sur  les  preuves  de  l'existence  de  Dieu. 
Comme  s'il  avait  eu  conscience  de  leur  faiblesse,  il  les 
tourne  et  retourne  en  tous  sens,  en  décrit  tous  les 
aspects,  en  répète  les  exigences.  Quand  il  a  prouvé  que 
Dieu  existe,  il  croit  avoir  à  peu  près  terminé  sa  tâche 
en  théodicée;  cependant  il  est  possible  de  récolter  ou 
au  moins  de  glaner  çà  et  là  des  données  où  se  dessinent 
ses  pensées  sur  la  nature  et  les  attributs  de  Dieu. 

1°  C'est  l'idée  de  «  parfait  »  qui  sert  de  fil  conducteur 
à  Descartes  dans  l'exploration  du  monde  des  attributs 
divins.  Tout  ce  qui  réalise  d'une  façon  parfaite  quelque 
perfection  se  trouve  en  Dieu;  tout  ce  qui  enveloppe 
quelque  imperfection  en  soi  ou  dans  son  mode  d'être 
n'est  pas  en  Dieu.  «  Pour  connaître  la  nature  de  Dieu 
autant  que  la  mienne  en  était  capable,  je  n'avais  qu'à 
considérer,  de  toutes  les  choses  dont  je  trouvais  en  moi 
quelque  idée,  si  c'était  perfection  ou  non  de  les  possé- 
der; et  j'étais  assuré  qu'aucune  de  celles  qui  mar- 
quaient quelque  imperfection  n'était  en  lui,  mais  que 
toutes  les  autres  y  étaient  ;  comme  je  voyais  que  le  doute, 
l'inconstance,  la  tristesse  et  choses  semblables,  n'y  pou- 
vaient être,  vu  que  j'eusse  été  moi-même  bien  aise  d'en 
être  exempt.  Puis,  outre  cela,  j'avais  des  idées  de  plu- 
sieurs choses  sensibles  et  corporelles...  Mais,  pour  ce 
que  j'avais  déjà  connu  en  moi  très  clairement  que  la 
nature  intelligente  est  distincte  de  la  corporelle,  consi- 
dérant que  toute  composition  témoigne  de  la  dépendance 
et  que  la  dépendance  est  manifestement  un  défaut,  je  ju- 
geais par  là  que  ce  ne  pouvait  être  une  perfection  en 
Dieu  d'être  composé  de  ces  deux  natures,  et  que  par 
conséquent  il  ne  l'était  pas.  »  Discours  sur  la  méthode, 
IVe  partie,  Œuvres,  t.  I,  p.  33.  Dieu  n'est  donc  pas 
composé;  il  n'y  a  en  lui  ni  doute,  ni  inconstance,  ni  tris- 
tesse; un  peu  plus  haut  on  avait  dit  qu'il  est  «  infini, 
éternel,  immuable,  tout  connaissant,  tout-puissant.  » 
Ibid.  La  règle  qui  consiste  à  attribuer  à  Dieu  au  mode 
parfait  toutes  les  perfections  connues  est  bonne;  mais 
elle  ne  vaut  qu'à  la  condition  qu'une  preuve  objective 
valable  ait  établi  l'existence  de  l'être  parfait.  Dans  le  cas 
présent,  Descaries  est  toujours  hypnotisé  par  cette  con- 
sidération que  de  même  qu'il  est  compris,  dans  l'idée 
«  d'un  triangle,  que  ses  trois  angles  sont  égaux  à  deux 
droits,  ou  en  celle  d'une  sphère  que  toutes  ses  parties 
sont  également  distantes  de  son  centre,  »  ibid.,  p.  34, 
ainsi  il  est  compris  dans   l'idée  de  l'être,  doué  de  ces 


545 


DESCARTES 


546 


perfections,  qu'il  existe,  qu'il  est  infini,  éternel  et  donc 
il  est  infini,  éternel,  etc.  Nous  l'avons  déjà  fait  remar- 
quer :  ce  raisonnement  nous  prouve  simplement  qu'il 
est  impossible  de  penser  un  être  parfait,  sans  le  penser 
infini,  éternel,  tout-puissant,  simple,  existant,  etc. 
Observons  enfin  que  pour  Descartes  l'attribut  du  par- 
fait est  en  Dieu  la  source  de  tous  les  autres  et  contient 
l'essence  de  Dieu,  tandis  que  pour  la  scolastique  cette 
essence  est  Vaséité.  Voir  ce  mot,  t.  i,  col.  2079. 

2"  Parmi  tous  les  attributs  de  Dieu,  celui  dont  Des- 
caries s'est  le  plus  occupé,  après  celui  de  parfait  ou 
d'infini—  et  c'était  justice  —  est  l'attribut  de  créateur. 
Descartes  considère  Dieu  comme  créateur  de  toutes 
choses,  en  quoi  il  est  parfaitement  orthodoxe.  Mais  il 
s'écarte  de  la  théologie  traditionnelle  sur  plusieurs 
aspects  de  cet  attribut.  En  premier  lieu,  il  impose 
l'optimisais  comme  règle  de  l'acte  créateur,  ce  qui  ne 
laisse  pas  de  l'embarrasser  quelque  peu  en  face  des 
imperfections  qu'il  constate  en  lui,  ou  chez  les  autres. 
Il  se  tire  de  la  difficulté  en  faisant  observer  :  1.  que  ses 
facultés  sont  parfaites  en  leur  genre  ;  2.  qu'il  faut  consi- 
dérer Yensemble  des  êtres  plutôt  que  les  détails  ou  les 
individualités  séparées;  3.  qu'au  demeurant,  il  ne  faut 
pas  vouloir  découvrir  les  fins  impénétrables  de  Dieu. 
«  t. n  considérant  la  nature  de  Dieu,  il  ne  semble  pas 
possible  qu'il  ait  mis  en  moi  quelque  faculté  qui  ne 
soit  pas  parfaite  en  son  genre,  c'est-à-dire  qui  manque 
de  quelque  perfection  qui  lui  soit  due;  car  s'il  est 
vrai  que  plus  l'artisan  est  expert,  plus  les  ouvrages  qui 
nt  de  ses  mains  sont  parfaits  et  accomplis,  quelle 
chose  peut  avoir  été  produite  par  ce  souverain  créateur 
de  l'univers  qui  ne  soit  parfaite  et  entièrement  achevée 
en  toutes  ses  parties?  Et  certes,  il  n'y  a  point  de  doute 
que  Dieu  n'ait  pu  me  créer  tel  que  je  ne  me  trompasse 
jamais;  il  est  certain  aussi  qu'il  veut  toujours  ce  qui 
est  le  meilleur  ;  est-ce  donc  une  chose  meilleure  que  je 
puisse  me  tromper  que  de  ne  le  pouvoir  pas'.'  Considé- 
rant cela  avec  attention,  il  me  vient  d'abord  eu  la 
pensée  que  je  ne  me  dois  pas  ('•tonner  si  je  ne  suis  pas 
capable  de  comprendre  pourquoi  Dieu  la  il  ce  qu'il  fait... 
car,  sachantdéjà  quema nature  est  extrêmement  faible 
et   limitée,    et    (pie    celle    de   Dieu,    au    contraire,   est 

ii use,  incompréhensible  et  infinie,  je  n'ai  plus  de 

peine  a  reconnaître  qu'il  \  a  une  infinité  de  choses  en 
■a  puissance  desquelles  li  surpassent  la  portée 

de  m sprit...  I''   plus,  il    nie   vient  encore  a  l'espril 

qu'on  ne  doil  pas  considérer  mie  Beule créature  séparé- 
ment, lorsqu'on  recherche  si  les  ouvrages  de  Dieu  Boni 
si-,  mais  généralement  toutes  les  créatures  en- 
.1-  l.i  même  chose  qui  pourrait  peut-éti 
quelque  sorte  de  raison  sembler  forl  incomplète,  si  elle 
('■tait  seule  dans  le  inonde,  ne  lai  d'être   très 

ime  faisanl  partie  de  tout 
'     atrième  méditation,  Œuvret,   t.    i, 
(i.  139,  140.  L'optimisme  esl  une  erreur  dont  on 
il  qui  lui  sera    con 
ulement    ici   que  I  optimisme    de  Des 
limite  d'une  fa  ive  :  I.  la  possibilité  des  cl 

-la    seules    -ont   possibles    qui   sont    les 

Heures  :  2.  la  p\  .   puisqu'au   lieu  de 

tlonl  le-  éléments  ne  se  con- 

il    le     peut    plus    qui  |   ml    la 

■      (Ue.  ou  au  moins  dans  le  cadre  oii  il  les 

il    la  plu-  .  .   /o   liberté  humaine  qui 

i  -i  plus  loisible  de  faire  ce  que 

qui  '  chaque  instant 

ai  a  l  idi  -il  divin.  Choisir  autre  chose, 

di  faut  la  bonté  el  la  < \\  me. 

n  de  remarquer  plusieurs 

|ue  Dieu  n 

mai-  ,|,,,  ,,,|    ,,,,.,11,  ,  ,(||   ,| 

i    mi  qu'il  était 
leur  qtn    I'    monde  lut  cri     dan    le  temps  qu 

[(ICI.     H       ICI  (.! 


l'éternité,  qu'il  a  voulu  créer  le  monde  dans  le  temps 
mais  au  contraire  parce  qu'il  a  voulu  créer  le  monde 
dans  le  temps,  pour  cela  il  est  ainsi  meilleur  que  s'il 
eût  été  créé  dès  l'éternité.  »  Réponse  aux  sixièmes  ob- 
jection*, Œuvres,  t.  i,  p.  323.  Si  l'on  admettait  cela,  il 
s'ensuivrait  que  n'importe  quel  autre  monde  aurait  pu 
également  être  choisi  par  Dieu  et  serait  ainsi  devenu 
meilleur  :  ce  qui  est  la  négation  même  du  principe  de 
l'optimisme. 

3°  Descartes  n'y  a  pas  pris  garde,  parce  qu'il  tenait 
surtout  à  affirmer  une  théorie  très  personnelle  et  très 
fausse  concernant  la  liberté  divine  et  son  inlluence  sur 
la  possibilité  des  choses.  La  théologie  traditionnelle  en- 
seigne que  les  êtres  sont  possibles  antérieurement  à  la 
liberté  divine  et  indépendamment  d'elle;  que  l'homme, 
par  exemple,  n'est  pas  possible,  parce  qu'il  a  plu  à  Dieu 
de  le  rendre  tel,  mais  parce  qu'en  lui  réside  une  image, 
une  participation  finie,  non  contradictoire,  de  la  perfec- 
tion divine.  Et  ainsi  dans  l'ordre  des  moments  que  l'es- 
prit humain  distingue  en  l'infinie  simplicité  divine,  la 
théologie  range  en  premier  lieu  l'essence  parfaite  de 
Dieu,  de  laquelle  découle  la  possibilité  générale  et  in- 
déterminée d'êtres  extérieurs;  en  ^second  lieu,  la  con- 
naissance nécessaire  et  exhaustive  que  Dieu  a  de  son 
essence.  Au  premier  plan  de  cette  connaissance  se 
trouve  l'essence  divine;  en  elle,  mais  comme  au  second 
plan,  l'intelligence  divine  conçoit  un  nombre  infini  de 
modes  sous  lesquels  cette  essence  infinie  peut  être  par- 
ticipée et  imitée  au  dehors  par  les  créatures  finies;  cette 
connaissance  divine  qui  se  termine  à  toutes  et  à  cha- 
cune de  ces  participations  extérieures,  distinctes  et 
finies,  constitue  le  monde  des  idées;  et  les  créatures, 
termes  de  ces  idées,  sont  les  possibles.  En  troisième 
lieu,  vient  la  volonté  divine  qui  aime  l'essence  et  la 
perfection  de  Dieu  et  en  elle  tous  les  modes  finis  sous 
lesquels  la  participation  à  cette  perfection  est  pos- 
sible. Ici  vieni  la  liberté,  laquelle  est  donc  non  réel- 
lement et  chronologiquement,  mais  par  ordre  logique 
de  nature,  après  la  connaissance  el  la  constatation  et 
constitution  par  celle-ci  des  possibles,  Les  ('1res  finis 
sont  donc  nécessairement  possibles  el  antérieurement 
(dans  l'ordre  logique  bien  entendu)  à  l'apparition  et  à 
l'exercice  de  la  liberté  divine,  Celle-ci  n'intervient  qu( 
pour  choisir,  parmi  lespo  u\  qu'elle  appellera 

a  l'existence.  Voyons  combien  la  théorie  de  Descartes 
ipposée  à  ces  notions  catholiques  :  n  Quant  à  la 
liberté  du  franc  arbitre,  il  est  certain  que  la  raison  ou 
nce  de  celle  qui  est  en  Dieu  est  bien  différente  de 
celle  qui  est  en  nous,  d'autanl  qu'il  répugne  (pie  la  vo- 
lonté  de  Dieu  n'ail  pas  été  de  toute  éternité  indifférente 
a  toutes  les  choses  qui  oui  été  faites  el  qui  se  feront 
jamais;  n'\  ayant  aucune  idée  qui  représente  le  bien 
ou   le  \rai.  ce  i|ii'il  faut   croire,  ce  qu'il   laul   l'aire  ou  ce 

qu'il  faut  omettre,  qu'on  puisse  feindre  avoir  de  l'objet 
de  l'entendement  divin  avant  que  sa  nature  ail  ét< 
tituée  telle  par  la  détermination  de  -.,  volonté,  o  II  ne 

tre  plus  en  opposition  avec  la  théol 
el  la  psychologie  traditionnelle  qui  affirment  qu'en  I  heu 
comme  dans  l'homme,  la  liberté  est  une  fonction,  non 
le,   mais  éclairée  el    lumineuse  de    l.i  volonl 

que  précédée  de  l'intellij  asei- 

gnée  par  elle.  Ici.  c'esl  la  volonté  qui  précède  el  qui 
détermini  [ui  esl  bien  el  ce  qui  est  mal; 
I  entendement  re<  oil  d'-  la  volonté  le  décret  qui  lui  or- 
donne  ce  qu'il  doit  considérer  co •  bien  et  vrai  ou 

comme  mal  el  cm faUl     i  I  i  je  ne  parle  pas  ici  d'une 

simple  priorité   de  temps,  mais  bien  davantage,  je  dis 

qu'il  a  été  impossible  qu'une  telle  ni 

termination  de  la  volonté  de  Dieu  par  une  priorité  d'ordre 

ou  de  natureou  d  -  la  n me 

(Lui-  i  i  cole,  en  toi  te  que  »  Ile  idi  i    du  bien  ail  porté 
■  (lire  1  un  plutôt  que  l'autre.      Vinsi  ; 

i  pu-'  •■  que  bonnes,  mai  > 

iv.    -  is 


547 


DESCARTES 


548 


elles  bonnes  parce  que  choisies  de  Dieu;  le  choix  di- 
\in  leur  confère  leur  bonté  et  si  Dieu  eût  aimé  d'un 
amour  d'élection  le  vol,  l'assassinat  ou  la  fornication, 
ces  choses  seraient  devenues  par  le  l'ait  même  dési- 
rables et  bonnes.  «  Par  exemple  (aussi)  il  n'a  pas 
voulu  que  les  trois  angles  d'un  triangle  fussent  égaux 
à  deux  droits,  parce  qu'il  a  connu  que  cela  ne  pou- 
vait se  faire  autrement,  etc.  ;  mais,  au  contraire... 
d'autant  qu'il  a  voulu  que  les  trois  angles  d'un  triangle 
fussent  nécessairement  égaux  à  deux  droits,  pour  cela 
cela  est  maintenant  vrai,  et  il  ne  peut  pas  être  autre- 
ment, et  ainsi  de  toutes  les  autres  choses.  »  Réponse 
aux  sixièmes  objections,  Œuvres,  t.  i,  p.  322.  323.  Le 
P.  Daniel,  S.  ,1.,  écrit  dans  son  Voyage  du  monde  de 
Descartes,  Impartie,  Paris,  1703,  p.  5  :  «  Dieu  selon  lui 
peut  faire  que  deux  et  trois  ne  soient  pas  cinq;  qu'un 
carré  n'ait  pas  quatre  côtés;  que  le  tout  ne  soit  pas 
plus  grand  qu'une  de  ses  parties;  choses  que  tous  les 
autres  mettent  sans  scrupule  au-dessus  du  pouvoir  de 
Dieu.  »  Ainsi  la  liberté  divine  diffère  de  celle  de  l'homme 
en  ce  que  celle-ci  trouve  déjà  «  la  nature  de  la  bonté 
et  de  la  vérité  établie  et  déterminée  de  Dieu  »,  tandis  que 
celle-là  ne  trouve  aucune  nature  de  bonté  et  de  vérité 
déterminée  au  préalable,  et  au  contraire  indifférente 
entre  ce  que  nous  appelons  bien  ou  mal,  vrai  ou  faux, 
choisit  à  son  gré  parmi  toutes  choses  et  par  son  choix 
les  rend  lionnes  ou  mauvaises,  vraies  ou  fausses,  meil- 
leures ou  moins  bonnes,  certaines  ou  probables  :  affir- 
mations extrêmement  graves.  «  En  effet,  si  la  vérité  et 
le  bien  ne  sont  que  des  décrets  arbitraires  de  Dieu, 
il  n'y  a  plus  rien  de  solide  ni  dans  la  science  ni  dans 
la  morale  et  la  garantie  ontologique  du  critérium  de  l'é- 
vidence est  ruinée;  si  Dieu  peut  faire  tout  ce  qu'il  lui 
plait,  que  devient  la  maxime  que  Dieu  ne  peut  nous 
tromper?  Qui  nous  assure  que  ce  que  Dieu  a  établi  par 
un  décret  arbitraire,  indépendant  de  toute  considéra- 
tion de  sagesse,  il  ne  le  renversera  pas  par  un  au  Ire 
décret  arbitraire?  »  Fr.  Bouillier,  Histoire  de  la  philo- 
sophie cartésienne,  c.  iv,  Paris,  1854,  t.  i,  p.  88,  89- 
Cf.  Cudworth,  Système  intellectuel,  c.  in,Leyde,  1773; 
S.  Clarke,  Discours  concernant  l'être  et  les  attributs 
de  Dieu,  les  obligations  de  la  religion  naturelle,  la 
vérité  et  la  certitude  de  la  révélation  chrétienne, 
Amsterdam,  1727. 

4°  De  même  que  la  volonté  divine  est  le  principe  de 
tout  mal  et  de  tout  bien,  d'après  Descartes,  la  véracité 
de  Dieu  est  la  garantie  de  la  vérité  de  nos  facultés  en 
général,  de  notre  esprit  en  particulier.  «  Car,  premiè- 
rement, je  reconnais  qu'il  est  impossible  que  jamais  il 
me  trompe,  puisqu'on  toute  fraude  et  tromperie  il  se 
rencontre  quelque  sorte  d'imperfection...  Ensuite,  je 
connais  par  ma  propre  expérience  qu'il  y  a  en  moi  une 
certaine  faculté  de  juger  ou  de  discerner  le  vrai  d'avec 
le  faux,  laquelle  sans  doute  j'ai  reçue  de  Dieu,  aussi 
bien  que  tout  le  reste  des  choses  qui  sont  en  moi  et  que 
je  possède;  et  puisqu'il  est  impossible  qu'il  veuille  me 
tromper,  il  est  certain  aussi  qu'il  ne  me  l'a  pas  donnée 
telle  que  je  puisse  jamais  faillir  lorque  j'en  userai 
comme  il  faut.  »  Quatrième  méditation,  Œuvres,  t.  i, 
p.  137.  C'est  le  renversement  de  l'ordre  admis  dans  l'É- 
glise où  la  valeur  de  l'intelligence  et  du  raisonnement 
est  reconnue  d'abord  et  où  à  l'aide  des  connaissances 
naturelles  certaines,  l'homme  s'élève  à  la  certitude  de 
l'existence  du  Dieu  vrai,  omniscient  et  véridique.  Nous 
sommes  donc  sûrs  de  la  valeur  de  notre  raison  axant 
d'être  sûrs  de  la  véracité  divine.  D'autre  part,  avec 
Arnauld,  dans  les  Quatrièmes  objections,  nous  deman- 
derons «  comment  on  peut  se  détendre  de  ne  pas  com- 
mettre un  cercle  lorsqu'on   dit  que  nous  no  sou :S 

assurés  que  les  choses  que  nous  concevons  clairement 
et  distinctement  ne  sont  vraies  qu'à  cause  que  Dieu  est 
ou  existe.  Car  nous  ne  pouvons  être  assurés  que  Dieu 
est,  sinon  parce  que  nous  concevons  cela  très  clairement 


et  1res  distinctement:  donc  auparavant  que  d  : 
rés  de  l'existence  de  Dieu,  nous  devoi  -que 

toutes  les  choses  que  nous  concevons  clairement  et 
distinctement  sont  toutes  vraies.  » 

5°  A  la  théodicée  de  Descartes  appartient  aussi  sa 
théorie  sur  la  providence  et  sur  la  fin  de  la  création. 
A  la  providence  appartient  d'abord  la  prescience  : 
«  Avant  qu'il  nous  ait  envoyés  en  ce  monde.  Dieu  a  su 
exactement  quelles  seraient  toutes  les  inclinations  de 
noire  volonté;  c'est  lui-même  qui  les  a  mises  en  n 
c'est  lui  aussi  qui  a  disposé  de  toutes  les  autres  choses 
qui  sont  hors  de  nous,  pour  faire  que  tels  ou  tels 
objets  -e  présentassent  à  nos  sens  à  tel  ou  tel  temps,  à 
l'occasion  desquelles  il  a  su  que  notre  libre  arbitre 
nous  déterminerait  à  telle  ou  telle  chose,  et  il  l'a  ainsi 
voulu,  mais  il  n'a  pas  voulu  pour  cela  l'y  contraindi 
Lettre  ù  lu  princesse  Elisabeth,  édit.  Garnier,  t.  ni, 
p.  210.  Dieu  en  choisissant  l'univers  actuel  pour  lui 
donner  l'être  a  certainement  prévu  toutes  le-  actions 
bonnes  ou  mauvaises  des  libertés  qu'il  allait  ci 
mais  on  ne  peut  affirmer  qu'il  les  ait  voulues  purement 
et  simplement.  Il  a  voulu  les  bonnes,  il  a  permis  les 
mauvaises.  Du  reste,  avec  le  système  de  Descartes,  tout 
ce  qui  est  voulu  de  Dieu  étant  bon  par  le  fait  même, 
si  Dieu  avait,  comme  il  semble  le  dire  ici,  prévu  et 
préparé  et  voulu  toutes  nos  décisions  libres,  celles-ci 
seraient  toujours  morales  et  il  n'y  aurait  pas  de  péché*. 

—  Après  la  prescience  ou  avec  elle,  la  providence  :  «  Je 
ne  crois  pas  que  par  cette  providence  particulière,  que 
Votre  Altesse  dit  être  le  fondement  de  la  théologie,  vous 
entendiez  quelque  changement  qui  arrive  en  ses  d>  > 

à  l'occasion  des  actions  qui  dépendent  de  notre  libre 
arbitre,  car  la  théologie  n'admet  pas  ce  changement.  Et 
lorsqu'elle  nous  obligea  prier  Dieu,  ce  n'est  point  afin 
que  nous  lui  enseignions  de  quoi  nous  avons  besoin, 
ni  afin  que  nous  tachions  d'iinpétrer  de  lui  qu'il 
change  quelque  chose  en  l'ordre  établi  de  toute  éternité 
par  sa  providence,  l'un  ou  l'autre  seraient  blâmables, 
mais  c'est  seulement  afin  que  nous  obtenions  ce  qu'il 
a  voulu  être  de  toute  éternité  obtenu  par  nos  prièi 
Lettre  à  la  princesse  Elisabeth,  citée  par  Fr.  Bouillier, 
op.  cit.,  p.  94.  On  ne  voit  guère  ici  l'efficacité  réelle  de 
la  prière,  et  il  y  a  de  quoi  décourager  ceux  qui  prient. 
Descartes  oublie  de  dire  que,  si  les  décrets  divins  une 
fois  portés  ne  peuvent  plus  être  changés  par  nos  prières, 
dont  le  rôle  alors  est  de  nous  élever  jusqu'à  l'accepta- 
tion de  la  volonté  divine,  il  va  une  prescience  éternelle 
qui,  antérieurement  aux  décrets  définitifs,  prévoit  nos 
prières  et  inspire  ces  décrets  conformément  à  la  nature 
et  à  la  valeur  de  ces  prières.  Elles  sont  donc  en  ce  sens 
efficaces  et  agissent  abxterno  sur  les  décisions  divines. 

—  A  la  providence  aussi  appartient  la  théorie  des  fins, 
de  la  lin  suprême  des  créatures,  de  la  place  que  l'homme 
tient  dans  la  finalité  des  choses.  Sur  ce  point.  Descartes 
est  très  catégorique,  et  rejette  radicalement  la  recherche 
des  causes  finales  :  «  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  aussi 
à  examiner  les  fins  que  Dieu  s'est  proposées  en  créant  le 
monde,  et  nous  rejetterons  entièrement  de  notre  phi- 
losophie la  recherche  des  causes  finales.  »  Les  prin- 
cipes de  la  philosophie,  I«  partie,  Œuvres,  t.  u,  p.  H. 
«  Je  ne  me  dois  pas  étonner  si  je  ne  suis  pas  capable 
de  comprendre  pourquoi  Dieu  fait  ce  qu'il  fait...  Tout 

nre  de  causes  qu'on  a  coutume  de  tirer  de  la  tin 
n'esl  d'aucun  usage  dans  les  choses  physiques  ou  natu- 
relles; car  il  ne  nie  semble  pas  que  je  puisse  sans 
témérité  rechercher  et  entreprendre  de  découvrir  les 
lins  impénétrables  de  Dieu.  »  Quatrième  méditation , 
Œuvres,  t.  i,  p.  139.  Cette  théorie  est  logique  dans  le 
système  cartésien.  Étant  admis  que  tout  à  l'origine  esl 
indifférent  à  Dieu,  que  rien  n'est  essentiellement  bon 
ou  vrai,  que  le  choix  libre  de  Dieu  seul  constitue  la 
vérité,  la  bonté,  la  nécessité  et  l'essence  des  choses,  rien 
ne  s'impose  plus,  rien  ne  peut  être  perçu  directement 


549 


DESGARTES 


550 


par  notre  esprit  dans  les  raisons  et  les  buts  des  choix 
de  Dieu.  Dans  la  sphère  des  décrets  libres  de  Dieu,  il 
faut  une  révélation  qui  nous  dise  dans  quel  sens  et 
pourquoi  Dieu  s'est  décidé.  Or,  Descartes  professe  une 
philosophie  séparée  et  une  théologie  séparée  :  en  philo- 
sophie, il  ignore  la  révélation  et  donc  toutes  les  fins 
qui  ne  peuvent  être  connues  que  par  elle.  Mais  la 
théologie  traditionnelle  affirme  que  des  fins  s'imposent 
à  l»ieu,  que  Dieu  ne  peut,  par  exemple,  dans  ses  actes 
poursuivre  un  accroissement  impossible  de  sa  béatitude 
ou.  de  son  être,  qu'il  doit  agir  dans  le  but  de  manifester 
au  dehors  sa  perfection  dans  les  biens  qu'il  accorde  à 
ses  créatures,  que  celles-ci,  étant  donné  que  Dieu  les 
tire  du  néant,  ne  peuvent  être  produites  que  pour  la 
plus  grande  gloire  <lu  Seigneur,  que  tout  cela  peut  être 
connu  par  la  raison.  Cela  a  même  fait  l'objet  de  décla- 
rations solennelles  du  concile  du  Vatican   :   Hic  solus 

i  Deus  bonitale  sua  el  omnipolenli  virtute,  non  ttd 
augendam  suam  bealitudinem,  nec  acguirendam , 
ted  ad  manifestandam  perfectioncm  suam  per  bona, 
qum  creatu  is  impertitur,  liberrimo  consilio  simulab 
initio  lempoi'is  ulramque  de  nihilo  condidit  crealu- 
ra»i,  spiritualem  et  corporalem,  angelicam  videliccl 
et  mundanam,  ac  deinde  humanam  quasi  communem 

ea  spirilu  et  corp nstitutam.  Gonst.  De  fide,  c.  i, 

Denzinger,  n.  1783.  Voir  Cause,  t.  n,  col.  2017,  203i. 
Ailleurs,  parlant  de  l'homme.  Descartes  tient  un  langage 
plus  exact,  quoiqu'il  appelle  encore  quelques  réserves  : 
■.  liien  que  nous  puissions  dire  que  toutes  les  choses 
pour  nous,  en  tant  que  nous 
en  pouvons  tirer  quelque  usage  (c'est  donc  là  son  sens 
de  la  finalité  :  je  suis  la  lin  de  ce  qui  me  sert),  je  ne 
sache  point  néanmoins  que  nous  soyons  obligés  de 
croire  que  l'homme  soit  la  lin  de  la  création.  Mais  il 
es)  «lit  que  omnia  propler  ipsum  i  Deunx)  fada  sunt, 
que  c  est  Dieu  seul  qui  est  la  cause  finale  comme  la 
cause  ni  ute  de  l'univers  («  il  est  dit,  »  donc  dans  le 
domaine  de  la  révélation  que  Descartes  tient  soigneuse- 
ment à  l'écart);  et  pour  les  créatures,  d'autant  qu'elles 
ni  réciproquement  les  unes  aux  autres,  chacune  se 
peui  attribuer  cet  avantage,  que  toutes  relies  qui  lui 

ent    sont    faites    pour   elle.   H    est    vrai  que   les   si\ 

joursde  la  création  sont  tellement  décrits  en  la  C' 

qu'il  semble  que  l'homme  en  soil  le  principal  sujet  ; 

maie  <>n  pi  ni  dire  qui  ■    tti  ;     toire  de  la  Genèse  ayant 

crite  pour  l'homme,  ce  sont   principalement  les 

-  qui  le  regardent  que  le  Saint-Esprit  >  a  voulu 

:îer.  "t  qu'il  n  \   est   parlé  d'aucunes  qu'en   tant 

qu'elles  se  rapport)  ni  ;i  l'homme...  Je  ne  vois  point  que... 

■i"1  Dieu  '  faits  il  homme  empêchent 

qu  il  n'en  puisse  avoir  fait  une  infinité  d'autres  à  une 

infinité  d'autres  créatures.  El  bien  que  je  n'infèi 

qu'il  \  ail  des  créatures  intelligentes  dans  les 

a    ou    lilleurs,    je    ne    vois   pas   ans-,    qu'il    \  ail 

m. ni  par  laquelle  "n  puisse  prouver  qu'il   n'y 

•  U  Chanul,  Œuvres,  l.  n.  p.  290. 

ie   de   I  Église   n-    rejette  pas    la   possibilité 

ndes  habités,  m  par  conséquent  de  lin  a 

ne  prétend  pas  que  l'homme 
■oil  l'  leule  lin  pour  laquelle  l'univers  a  été  créé;  maïs 
on  n  imie  de  cela  qu  il  n  \  ;ni  aucune  finalité 

••"  I  I  il  n'esl  pas  la  fin  première  et  exclusive 

d<  i  il  est  une  iin  secondaire  et  relative  du 

■  n  particulier  de  la  tei  re,  donl  infi 

P    .      Mil. 

,;  8  ph  .    i.    22;   llei,.,   n,  7  8;    et 

•Ju  n  ■iion.  1.. n, de  toul  l'ordn 

I  donl  l'unique  raison  d'être  fut  le  rachat  et 

1  '  1  moN,  1.    m 

V.    I  -      I.      l'i    Mu 

i  Dit  n.  li  phi 

1  l'hommi  .1.   1 .  .  1.  .< 


trine  catholique  en  voulant  quitter  les  sentiers  tracés 
par  la  philosophie  scolastique.  Descartes  semble  ici 
oublier  la  définition  de  l'union  de  l'âme  et  du  corps 
donnée  par  le  concile  de  Vienne.  Je  sais  bien  qu'il  laisse 
les  dogmes  dans  une  région  où  il  se  défend  de  .pénétrer, 
mais  alors  il  ne  devait  pas  philosopher  sur  un  point 
touché  par  la  décision  de  l'Eglise  ou,  s'il  le  faisait,  il 
devait  avoir  alors  devant  les  veux  la  doctrine  définie 
par  le  concile.  Descartes  innove  sur  l'âme,  sur  le  corps 
et  sur  leur  union. 

J°  Pour  lui,  l'âme  est  uniquement  pensée,  pensée  en 
acte  et  non  pas  seulement  intelligence,  c'est-à-dire 
pouvoir  de  pensée,  si  bien  que  cesser  de  penser  amène 
la  cessation  de  l'être.  «  La  pensée  est  un  attribut  qui 
m'appartient;  elle  seule  ne  peut  être  détachée  de  moi. 
Je  suis,  j'existe  :  cela  est  certain  ;  mais  combien  de 
temps?  Autant  de  temps  que  je  pense;  car  peut-être 
même  qu'il  se  pourrait  faire,  si  je  cessais  totalement 
de  penser,  que  je  cesserais  en  même  temps  tout  à  fait 
d'être.  (Remarquons  ce  «  totalement  »  et  ce  «  tout  à 
fait  »  et  si  lorsqu'on  cesse  «  totalement  »  de  penser, 
c'est-à-dire  pour  toujours,  l'on  cesse  aussi  «  tout  à  fait  » 
c'est-à-dire  pour  toujours,  d'être,  est-ce  que  Descartes 
soutiendrait  que  lorsqu'on  cesse  «  provisoirement  »  de 
penser,  l'on  cesse  aussi  d'être  pour  un  temps'.'  L'idée 
serait  bizarre;  mais  s'il  ne  la  sous-entend  pas,  qu'est- 
ce  donc  qu'il  veut  dire  en  introduisant  ces  mots  «  tota- 
lement »  et  a  tout  à  fait  »?)  Je  n'admets  maintenant  rien 
qui  ne  soit  nécessairement  vrai  ;  je  ne  suis  donc,  préci- 
sément parlant,  qu'une  chose  qui  pense,  c'est-à-dire  un 
esprit,  un  entendement,  une  raison.  »  Deuxième  mé- 
ditation, Œuvres,  t.  1,  p.  106.  Cf.  Les  principes  de  la 
philosophie,  Impartie,  Œuvres,  t.  n,  p.  29. 

2°  Et  le  corps  qu 'est-il?  11  est  une  pure  et  simple 
étendue.  «  Encore  que  tout  attribut  soit  suffisant  pour 
faire  connaître  la  substance,  il  y  en  a  toutefois  un 
en  chacune  qui  constitue  sa  nature  et  son  essence,  el 
de  qui  Ions  les  autres  dépendent.  A  savoir  :  l'étendue 
en  longueur,  largeur  et  profondeur,  constitue  la  nature 
de  la  substance  corporelle,  el  la  pensée  constitue  la 
nature  de  la  substance  qui  pense.  Car,  tout  ce  que 
d'ailleurs  on  peut  attribuer  au  corps  présuppose  de 
l'étendue,  et  n'est  qu'une  dépendance  de  ce  qui 
étendu;  de  même,  toutes  les  propriétés  qm'  nous  trou- 
vons en  la  chose  qui  pense  ne  sont  que  des  I 
différentes  de  penser.  Ainsi,  nous  ne  saurions  conce- 
voir, par  exemple,  de  figure  si  ce  n'esl  en  nue  chose 
étendue,  ni  de  mouvement  qu'en  un  espace  qui  est 
étendu  ;  ainsi  l'imagination,  le  sentiment  et  la  volonté 
dépendent  tellement  d'une  chose  qui  pense  que  nous 

ne  pou   "n      les  Concevoir  sans  elle.   Mais,  au  conlr 
nous  pouvons  concevoir  l'étendue  sans  figure  ou  sans 
mouvement,  et  la  chose  qui  pense  sans  imagination  <>n 
sans  sentiment,  el   ainsi  du  reste.      Les  principes  de 
lu  philosophie,  I"  partie,  Œuvres,  t.  n,  p.  65. 

:'>    L'âme  est    pensée,    le   corps  est  étendue;  dans 
l'homme  il-  sonl  uni-.  Comment  cela  peut-il  ie  faire 
Ea  question  embarra  tes.  Il  iiii  bien 

qu'il  est  -  compoc    di    corps  et  d'an il  parle  bien 

dans  la  Si  litat       de  «  l'union  1  el  «  du  mé- 

l m  e  de   l'esprit  avec  le  corps.  »  —   1  -le  ne  suis  pua 

Seul ni    logl     'lui-    COrpS   ainsi    qu'un    pilote    .11 

son  navire,  mais  outre  cela  je  lui  suis  conjoint 
étroitement,  et  tellement  confondu  el  mêlé  que  jecom- 
comme  un  seul  tout  avec  lui      '/  wi  (•/•.«.t.  1,  p.  166 
Nonobstant,  cette  Si  éditalion  comme  la  pre- 

mière p.,i  v   in  philosophie  »'t  tend 

surtout  sur  la  distinction  'tu  corps  el  de  l'âme.   Des 

ible  avant  toul  préoccupi    de  ne  pas  lei 
fond  ri  ■■  il  les  a  tellement  distingués  qu'on  ne 

voit  plu-  comment  le-  unir  et  que  la  princi        1 
beth   l'interroge  anxieusement,  il  répond  a  oelli 

ible  'ire  celle  qu'on  peul  me 


551 


DESCARTES 


552 


demander  avec  le  plus  de  raison,  en  suite  des  écrits 
que  j'ai  publiés.  Car  y  axant  deux  choses  en  l'âme  hu- 
maine desquelles   dépend  toute  la  connaissance  que 

nous  pouvons  avoir  de  sa  nature,  l'une  desquelles  est 
qu'elle  pense,  l'autre,  qu'étant  unie  au  corps  elle  peut 
agir  et  pâtir  avec  lui,  je  n'ai  quasi  rien  dit  de  cette 
dernière  et  nie  suis  seulement  étudié  à  faire  bien  enten- 
dre la  première,  à  cause  que  mon  principal  dessein 
était  de  prouver  la  distinction  qui  est  entre  l'àme  et 
le  corps;  à  quoi  celle-ci  seulement  a  pu  servir,  et 
l'autre  y  aurait  été  nuisible.  »  Il  avoue  donc  que  la 
question  a  été  à  peine  soulevée  par  lui,  mais,  ajoute-t- 
il,  «  pour  ce  que  Votre  Altesse  voit  si  clair  qu'on  ne 
lui  peut  dissimuler  aucune  chose,  je  tâcherai  ici 
d'expliquer  la  façon  dont  je  conçois  l'union  de  l'àme 
avec  le  corps,  et  comment  elle  a  la  force  de  le  mou- 
voir. » 

Et  dans  une  longue  épître  fort  embarrassée  il  explique 
«  qu'il  y  a  en  nous  certaines  notions  primitives  qui  sont 
comme  des  originaux,  sur  les  patrons  desquels  nous 
formons  toutes  nos  autres  connaissances;  et  il  n'y  a  que 
fort  peu  de  telles  notions  :  car  après  les  plus  générales 
de  l'être,  du  nombre,  de  la  durée,  qui  conviennent  à 
tout  ce  que  nous  pouvons  concevoir,  nous  n'avons  pour 
le  corps  en  particulier  que  la  notion  de  l'extension,  de 
laquelle  suivent  celles  de  la  figure  et  du  mouvement;  et 
pour  l'àme  seule  nous  n'avons  que  celle  de  la  pensée 
en  laquelle  sont  comprises  les  perceptions  de  l'entende- 
ment, et  les  inclinations  de  la  volonté;  enfin  pour  l'àme 
et  le  corps  ensemble,  nous  n'avons  que  celle  de  leur 
union,  de  laquelle  dépend  celle  de  la  force  qu'a  l'àme 
de  mouvoir  le  corps  et  le  corps  d'agir  sur  l'âme,  en 
causant  ses  sentiments  et  ses  passions.  »  En  d'autres 
termes,  l'union  de  l'âme  et  du  corps  consiste  en  ce  que 
l'âme  est  unie  au  corps  et  conséquemmenl  le  meut,  et  en 
ce  que  le  corps  est  uni  à  l'âme  et  eonséquemment  agit 
sur  elle  et  l'émeut.  Quant  à  la  manière  dont  s'exerce  la 
force  de  l'àme  sur  le  corps,  il  pense  que  précisément 
l'idée  de  la  pesanteur  «  nous  a  été  donnée  pour  conce- 
voir la  façon  dont  l'âme  meut  le  corps.  »  Il  ne  faut  pas 
s'étonner  qu'après  cela  Deseartes  termine  sa  lettre  par 
ces  mots  :  «  Je  serais  trop  présomptueux  si  j'avais  pen- 
sé' que  ma  réponse  doive  entièrement  satisfaire  Votre 
Altesse.  »  Lettres,  t.  i,  lettre  xxix,  édit.  Cousin,  t.  i'x, 
p.  125  sq.  En  effet,  Son  Altesse  se  déclare  non  satisfaite 
et  réclame  des  éclaircissements.  Deseartes  répond  que 
«  c'est  en  usant  seulement  delà  vie  et  des  conversations 
ordinaires,  et  en  s'abstenant  de  méditer  et  d'étudier  aux 
choses  qui  exercent  l'imagination,  qu'on  apprend  à 
concevoir  l'union  de  l'âme  et  du  corps.  »  Au  fond,  il 
considère  l'union  de  l'àme  et  du  corps  comme  inconce- 
vable, puisqu'il  dit  ensuite  :  «  Il  ne  me  semble  pas  que 
l'esprit  humain  soit  capable  de  concevoir  bien  distinc- 
tement, et  en  même  temps,  la  distinction  d'entre  l'âme 
et  le  corps  et  leur  union  ;  à  cause  qu'il  faut  pour  cela  les 
concevoir  comme  une  seule  chose  et  ensemble  les  con- 
cevoir comme  deux,  ce  qui  se  contrarie.  »  Le  procédé 
qu'il  conseille  est  donc  de  concevoir  successivement 
l'union  et  la  distinction  :  «  Puisque  Votre  Altesse  re- 
marque qu'il  est  plus  facile  d'attribuer  de  la  matière  et 
de  l'extension  à  l'àme,  que  de  lui  attribuer  la  capacité 
de  mouvoir  un  corps  et  d'en  être  mue,  sans  avoir  de 
matière,  je  la  supplie  de  vouloir  librement  attribuer 
celle  matière  et  cette  extension  à  l'àme,  car  cela  n'est 
autre  que  la  concevoir  unie  au  corps  ;  et  après  avoir 
bien  conçu  cela,  et  l'avoir  éprouvé  en  soi-même,  il  lui 
sera  aisé  de  considérer  que  la  matière  qu'elle  aura  at- 
tribuée à  cette  pensée,  n'est  pas  la  pensée  même,  et  que 
l'extension  de  celte  matière  est  d'autre  nature  que  l'ex- 
tensionde  cette  pensée  (en  d'autres  termes,  il  faut  suc- 
i  vi  i  unit  considérer  l'àme  comme  avant  et  o'ayanl  pas 
l'attribul  de  la  matière;  c'est  toujours  l'inconcevable); 
et  ainsi  Voire  Altesse  ne  laissera  pas  de  revenir  aisément 


a  la  distinction  de  l'âme  et  du  corps,  nonobstant  qu'elle 
ait  conçu  leur  union,  i  Lettres,  t.  i.  lettre  xxx.  édit. 
Cousin,  t.  ix,  p.  127.  Aprée  cela,  Descartes  se  dérobe  et 
s'excuse  de  devoir  se  rendre  à  Utrecht  où  il  est  cité  par 
le  magistral  a  l'effet  de  s'expliquer  sur  "  ce  qu'il  a  écrit 
d'un  de  leurs  ministres  :  cela  me  contraint  de  linir  ici 
pour  aller  consulter  les  moyens  de  me  tirer  le  plus  tôt 
que  je  pourrai  de  ces  chicaneries.  •  En  somme,  il  n'a 
pas  résolu  le  problème,  parce  que,  par  sa  réduction  de 
l'âme  à  la  pensée  et  du  corps  à  l'étendue,  il  l'a  rendu 
impossible,  comme  il  a  rendu  impossible, ainsi  que  nou- 
le  verrons,  l'intelligence  du  dogme  eucharistique. 
Cf.  M«'  .Mercier,  Les  origines  de  la  psychologie  con- 
temporaine, c.  i,  Louvain,  Paris,  Bruxelles,  1897, 
p.  37  sq.  Au  reste,  le  «  moi  »  humain  semble,  d'après 
lui,  résider  dans  l'àme  seule  :  .le  ne  suis  pas  un  com- 
posé de  corps  et  d'âme,  mais  je  suis  une  pensée  acciden- 
tellement unie  à  un  corps.  .  Je  suis  une  chose  qui  pense... 
mon  essence  consiste  en  cela  seul  que  je  suis  une  chose 
qui  pense  ou  une  substance  dont  toute  l'essence  ou  la 
nature  n'est  que  de  penser.  Et  quoique  peut-être,  ou 
plutôt  certainement,  comme  je  le  dirai  tantôt,  j'aie  un 
corps  auquel  je  suis  très  étroitement  conjoint;  néan- 
moins, pour  ce  que  d'un  coté  j'ai  une  claire  et  distincte 
idée  de  moi-même,  en  tant  que  je  suis  seulement  une 
chose  qui  pense  et  non  étendue,  et  que  d'un  autre,  j'ai 
une  idée  distincte  du  corps,  en  tant  qu'il  est  seulement 
une  chose  étendue  et  qui  ne  pense  point,  il  est  certain 
que  moi,  c'est-à-dire  mon  cime,  par  laquelle  je  suis  ce 
que  je  suis,  est  entièrement  et  véritablement  distincte 
de  mon  corps  et  qu'elle  peut  être  ou  exister  sans  lui.  » 
Sixième  méditation,  Œuvres,  t.  i.  p.  163.  Le  raisonne- 
ment amène  à  la  conclusion  que  mon  corps  peut  exister 
sans  mon  âme  et  qu'il  n'y  a  entre  eux  qu'une  union  ac- 
cidentelle. Cf.  Landormy.  Descartes,  c.  IV,  Paris,  s.  d.. 
p.  101.  «  Quand  Dieu  même  joindrait  si  étroitement  un 
corps  à  une  âme  qu'il  fut  impossible  de  les  unir  davan- 
tage, et  ferait  un  composé  de  ces  deux  substances  ainsi 
unies,  nous  concevons  aussi  qu'elles  demeureraient 
toutes  deux  réellement  distinctes,  nonobstant  cette 
union.  »  Les  principes  de  la  philosophie,  I"  partie, 
Œuvres,  t.  n,  p.  60. 

Le  corps  humain  n'est  qu'une  merveilleuse  machine 
dont  tous  les  mouvements  se  produisent  en  vertu  des 
seules  lois  de  la  mécanique.  L'àme  ne  l'occupe  pas  tout 
entier  :  elle  siège  seulement  dans  la  glande  pinéale, 
est  en  communication  avec  les  autres  parties  du  corps 
par  le  moyen  des  esprits  animaux  et.  grâce  à  eux.  peut, 
non  pas  produire,  mais  diriger  les  mouvements  cor- 
porels. 

4°  Il  est  facile  de  constater  combien  tout  cela  est 
opposé  à  l'anthropologie  catholi  [ue,  et  en  particulier  à 
l'union  substantielle  de  l'àme  et  du  corps  qui  fait  du 
corps,  non  pas  un  automate  dont  les  mouvements  restent 
propres  et  sont  seulement  <  dirigés  i  par  l'âme,  mais 
une  substance  animée  et  donc  pénétrée,  informée  par 
l'àme;  celle-ci,  en  retour,  est  tellement  unie  au  corps 
qu'elle  constitue  avec  lui  un  seul  principe  organique 
duquel  procèdent  les  perceptions  sensibles,  les  appétits 
animaux,  les  passions,  les  opérations  vitales.  Elle  ne 
meut  pas  le  corps  par  des  intermédiaires,  esprits  plus 
ou  moins  animaux  dont  la  nature  devient  inexplicable 
s'ils  ne  sont  ni  esprits  ni  animaux  mais  quelque  chose 
d'intermédiaire  ni  chair  ni  poisson,  et  dont  le  rôle  est 
inutile  s'ils  sont  ou  esprits  ou  animaux,  puisqu'on  ne 
conçoit  plus  comment  lame  ne  pourrait  pas  aussi  di- 
rectement qu'eux  mouvoir  le  corps.  L'àme  meut  le 
corps  directement  et  immédiatement,  puisqu'elle  est 
unie  à  lui  dans  l'unité  de  nature  et  de  substance.  L'àme 
suliit  directement  aussi  et  pour  la  même  raison  le-  in- 
fluences <\u  corps:  il  y  a  action  propre  du  corps  sur 
l'àme  et  de  l'âme  sur  le  corps  et  non  ce  simple  oi 
sionnalisme  qui   découle   logiquement  du   système   de 


553 


DESCARTES 


554 


Descartes  où  Dieu  semble  émouvoir  l'âme  à  l'occasion 
des  mouvements  du  corps.  Cf.  M'"  Mercier,  op.  cit., 
c.  il,  p.  49.  L'âme  donc  réside  dans  tout  le  corps  et  non 
dans  une  petite  partie  :  du  reste,  son  union  avec  la 
glande  pinéale  est  aussi  diflicile  à  expliquer  que  son 
union  avec  le  corps  entier.  Enfin,  le  système  cartésien 
par  toutes  ses  parties  parait  en  opposition  directe  avec 
celte  définition  du  concile  de  Vienne,  1311-4312  : 
Porro  doctrinam  omnem  seit  posilioncm  teniere  asse- 
renlem  aut  vertentem  in  dubium,  quod  substantiel 
animes  rationalis  seu  inteUectivee  vere  ac  perse  hu- 
mant corporis  non  sit  forma,  relut  erroneam  ac  veri- 
tati  catholicae  inimicam  fidei,  pratdicto  sacro  appro- 
bante  concilio  reprobamus  :  diffinientes,  ut  cunctis 
nota  sit  fidei  sincerse  rcrilas  ac  prœcludatur  univer- 
sis  erroribus  aditus,  ne  subinlrenl  quod  quisquis 
deinceps  asserere,  defendere,  seu  tenere  pertinaciter 
prxsumpserit,  quod  anima  rationalis  seu  intelleclira 
h, -a  sit  forma  corporis  humani  per  se  et  esscntialiler 
tanquam  hsereticus  sit  censendus.  Pie  IX,  le 
30  avril  I8G0,  écrivant  à  l'évêque  de  Breslau,  renouvelait 
celle  doctrine  et  l'opposait  aux  erreurs  de  Gùnther  par 
lesquelles  il  déclarait  :  Isedi  catholicam  sententiam  ac 
inam  de  homme  qui  corpore  et  anima,  ilaabsol- 
•  ntue  ni  anima  caque  rationalis  sit  vera,  per  se, 
ai, lue  immediata  corporis  forma.  Si  l'on  songe  que 
ces  décisions  s'inspirent  du  langage  de  l'École  au  eom- 
mencement  du  xiv  siècle,  il  sera  difficile  d'admettre 
que  la  théorie  cartésienne  de  l'union  accidentelle  de 
l'âme  et  du  corp-  puisse  se  concilier  avec  la  doctrine 
calholique  de  l'union  substantielle  et  celle  de  l'âme 
forme  immédiate  el  donc  substantielle  du  corps.  Voir 
Ami:,  t.  I,  col.  1041. 

//.  flSf.vORJ  \i. in:  or  l'ami:.  —  1°  Descartes  ne  traile 
de  l'immortalité  de  l'âme  que  rarement  el  il  en  donne 
la  raison  dan-  V Abrégé  des  six  méditations  :  ■•  Parce 
qu'il  peut  arriver  que  quelques-uns  attendront  de  moi 
lieu-là  des  raisons  pour  prouver  l'immortalité  de 
l'âme,  j'estimi  r  ici  avertir  qu'ayant  tâché  de 

ne  rien  écrire  dans  fout  ce  traité  donl  je  [n'eussi 

dé nstrations  très  exactes,  ji    me  suis  vu  obligé  de 

suivre  un  ordre  semblable  à  celui  dont  se  servenl  les 
•  vancer    premièrement   toute     le 
i    desquelles    dépend     la    proposition    que    l'on 
he,  avant  il''   n'en  rien  conclure,      Q  uvt\  ■■,  t.   i. 
p,  '.«i.  i  i  st-à-dire  qu'il  n'a  pas  de  démonstration  1res 
•  de  l'immortalité  de  l'âme  <•!  que  la  démonstra- 
tion quelconque  qu'il  oir  exigé  de  longues 

pendant  comment  il 
esqn  monstration  :  a  Or  la  première  et  prin- 

[ui  esl  requise  pour  bien  connaître  l'im- 
mortalité de  l'âme  esl  d'en  former  une  conception  claire 
;!,-,  1 1  entièremenl  distincte  de  toutes  1rs  concep- 

principe 
il  va  pouvoir  tirer  une  conclusion     de  ce  que  nous  ne 
aucun  corps    que  comme  divisible,  au  lieu 

que  l'espril  ou  l'âme  de  l'bo e  ne  se  peut  concevoir 

que  comme  indivisible;  car.  eu  effet,  non-  no  saurions 

la   moitié   d'aucuin  mme  nous  pou- 

faire  du  plu-  petil  de  ton-  lis  corp  rte  que 

Ion  reconnaît    que   loin-   natures  ne  sont   pas  seule- 

■i  éme  en  quelque  façon  contraires... 

lairemenl  que  de  la 

iption  du  corps  la  mort  de  l'âme  ne    ensuit  pasel 

i    donner  aux     bon  d  une 

1 1  prou\  o  donc  l'immorta- 

i  itualité  de  I  ime  par  sa  stmpi 

I  ;  i   liant    ion  uptible, 

Il  ajoute  une  nouvelle  pi 

1  ■'    II'    l.lll    IIH'Ill 

i  qui 

ni  de 
leui  natun    ini    rrupl 


cesser  d'être,  si  Dieu  même  en  leur  déniant  son  con- 
cours, ne  les  réduit  au  néant.  »  La  notion  de  substance 
lui  fournit  une  dernière  preuve  :  «  Le  corps  pris  en  gé- 
néral est  une  substance,  c'est  pourquoi  aussi  il  ne  périt 
point;  mais  le  corps  humain,  en  tant  qu'il  diffère  des 
autres  corps,  n'est  composé  que  d'une  certaine  configu- 
ration de  membres  et  d'autres  semblables  accidents  là 
où  l'âme  humaine  n'est  point  ainsi  composée  d'aucuns 
accidents,  mais  est  une  pure  substance.  Car  encore 
que  tous  ces  accidents  se  changent,  par  exemple  encore 
qu'elle  conçoive  de  certaines  choses,  qu'elle  en  veuille 
d'autres,  et  qu'elle  en  sente  d'autres,  etc.,  l'âme  pour- 
tant ne  devient  point  autre,  au  lieu  que  le  corps  hu- 
main devient  une  autre  chose,  de  cela  seul  que  la  figure 
de  quelques-unes  de  ses  parties  se  trouve  changée  : 
d'où  il  s'ensuit  que  le  corps  bumain  peut  bien  facile- 
ment périr,  mais  que  l'esprit  ou  l'âme  de  l'homme"  est 
immortelle  de  sa  nature.  »  Abrégé  des  six  médita- 
tions, Œuvres,  t.  i,  p.  91.  Cf.  Réponse  aux  sixièmes 
objections,  Œuvres,  t.  i,  p.  343. 

2°  En  somme,  l'âme  est  immortelle,  parce  qu'elle  est 
simple,  parce  qu'elle  diffère  du  corps  humain,  lequel 
est  corruptible:  parce  qu'elle  a  été  créée  par  Dieu  el 
ne  peut  disparaître  que  par  sa  volonté,  parce  qu'elle 
est  une  substance.  Le  dogme  chrétien  n'a  rien  à  re- 
prendre à  celte  théorie,  puisque  Descartes  professe 
l'immortalité  de  l'âme  et  que  le  dogme  n'a  pas  déterminé 
par  quelles  preuves  la  raison  humaine  pouvait  ou  de- 
vail  assurer  cette  vérité'.  Mais  la  tradition  théologique 
et  philosophique  dans  l'Église  a  toujours  procédé  par 
d'autres  voies. 

En  premier  lieu,  la  philosophie  démontre  la  spiri- 
tualité de  l'âme  et  son  immortalité  par  l'étude  de  ses 
ululations;  c'est  la  transcendance  de  celles-ci  par 
rapport  à  la  matière  qui  prouve  la  transcendance  des 
facultés  et  de  la  substance  de  l'âme.  La  simplicité  on 
découle.  En  sorte  que  l'on  va  ainsi  de  la  spiritualité  à 
la  simplicité'.  Voir  Ame,  l.  i.  col.  I028sq.;  Mb'  .Mercier, 
Les  origines  de  la  psychologie  contemporaine,  c.  i, 
p.  16.  En  outre,  on  ne  peut  guère  admettre  la  preuve 
de  la  simplicité  de  l'âme  tirée  de  l'analyse  de  la  sen- 
sation. Ma»  Mercier,  La  psychologie,  n.  -2l20,  .V  édit., 
Louvain,  Taris,  l!ru\ollrs.  p.  'iTli.  IVsearles  au  con- 
traire professe  la  simplicité  de  la  sensation  qui  esl, 
i    lui.   une   opération    exclusive   de  l'âme,   el   de    la 

simplicité  de  l'âme  déduit  la  spiritualité  et  l'immorta- 
lité. 

En  second  lieu,  on  ne  voit  guère  comment  on  peul 
dire  que  l'âme  osl  immortelle,  parce  qu'elle  osl  autre 
que  le  corps  humain,  d'autant  que  plus  loin,  Descartes 
enseigne  qui'  le  corps  de  l'homme  a  une  structurée 

pari  ;  on  peul  donc   être  autre  que  h'   corps   humain  et 

pas  pour  cela   Incorporel  et  spirituel,  on  le  voit 
du  reste  à  la  dernière  preuve  on  Descartes  affirme  que 
le  corp-  en  général,  étant  substance,  ne  péril  pa 
nous  constatons  que  l'immortalité  conférée  par  De 
à  l'âme    ne  serait  pas  différente  de  celle  des  corps  i  n 

ralj  celle-là  el  ceux-ci  son'  des  substances,  i 
substances  reposant  sur  le  concours  de  lieu,  no  pé- 
ril   p.is    plus    que  celui-ci.    Premiers    princi 
D'  partie.  Œuvres,  t.  n.   p.  ">i.  Cen  esl  l'ait  de  l'im- 
mortalité (!<•  l'âme,  si  elle  ne  repo  ur  les  exi- 
de  la  notion  de  substance. 

mu   conl cette   crainte,  a   fait  par 

que  la  gubstance  n  étant  incorrup- 
tible qu'à  cause  du  concours  divin,  Dieu  esl  toujours 
libre  do  retin  i  que  vous 

ajoutez  quo  de  la  distinction  do  l'a i  -  ppj  il 

i  immortelle,  parce  que  Don- 

i   on   pi  ul  dire  quo    Dion   l'a    fail    il'une    telle 

iiatui i  celle  do  i.i  \ ii'  du  ci 

i.  i   \  répoti  n  ai 

tanl  d'    pi  ■   omption  quo  d'i  nlrepi  i  ndr<   de  ': 


.,.,., 


DESCARTES 


556 


miner  par  la  force  du  raisonnement  humain  une  chose 
qui  ne  dépend  que  de  la  pure  volonté  de  Dieu.  »  ld:- 
ponse  aux  sixièmes  objections,  Œuvres,  i.  i.  p.  343. 

11  y  a  ici  mie  confusion.  Évidemment  Dieu  peut  tou- 
jours retirer  son  concours,  non  seulement  à  l'àme, 
mais  à  tout  être  à  chaque  instant  de  sa  vie.  La  ques- 
tion est  autre.  11  s'agit  de  savoir  si,  le  concours  de  Dieu 
(Mant  supposé  acquis,  l'àme  a  telle  nature  qu'elle  puisse 
vivre  et  agir  en  dehors  du  corps  et  une  fois  sépari 
lui.  Si  oui,  elle  est  immortelle,  n'ayant  en  elle  aucun 
principe  de  dissolution,  mais  au  contraire,  un  principe 
permanent  de  vie.  Prétendre  que  l'àme  ne  saurait  être 
dite  immortelle,  parce  que  Dieu  peut  lui  retirer  son 
concours,  équivaut  à  refuser  le  nom  de  «  viable  »  à  un 
être  vivant  bien  constitué,  parce  que  Dieu  peutl'anéan- 
tir  à  chaque  instant. 

Enfin,  la  preuve  de  l'immortalité  par  la  création  de 
l'àme  ne  porte  pas  :  de  ce  que  Dieu  ait  créé  une  chose, 
il  ne  s'ensuit  pas  qu'elle  soit  incorruptible.  Il  pourrait 
créer  un  corps  humain,  lequel  serait  nonobstant  mortel. 
La  preuve  ne  vaudrait  que  si  l'on  disait  :  l'âme  ne  peut 
être  le  produit  de  forces  créées,  elle  doit  être  néces- 
sairement créée  par  Dieu,  donc  elle  est  immortelle. 

Descartes  a  donc  eu  raison  d'admettre  l'immortalité 
de  l'àme;  mais  il  faut  regretter  la  faiblesse  des  raisons 
sur  lesquelles  il  appuie  cette  vérité. 

VI.  La  doctrine  eucharistique.  —  1"  Nous  touchons 
ici  au  point  de  l'enseignement  dogmatique  le  plus  me- 
nacé par  la  philosophie  cartésienne.  Il  est  évident  à 
première  vue  que  si  l'essence  du  corps  réside  dans 
son  étendue,  si,  d'une  façon  plus  générale,  la  substance 
est  inséparable  de  ses  accidents,  la  formule  tradition- 
nelle du  mystère  eucharistique  devient  difficilement 
acceptable.  L'étendue  du  pain  reste  après  la  consécra- 
tion certainement.  Comment  confesser  avec  cela  que  le 
pain  a  été  transsubstantié,  c'est-à-dire  converti  en  la 
substance  du  corps  de  Notre-Seigneur  ?  Comment  ad- 
mettre l'absence  d'un  pain  dont  l'étendue  est  conservée, 
et  la  présence  d'un  corps  humain  dont  l'étendue  est 
absente?  Problème  extrêmement  difficile  à  résoudre  el 
en  face  duquel  Descartes  a  surtout  gardé  l'attitude  pru- 
dente du  silence.  Il  n'a  publié  à  ce  sujet  qu'une  réponse  au 
P.  Mersenne  relative  à  des  objections  faites  par  Arnauld, 
et  quelques  pages  de  méditations  métaphysiques  pro- 
voquées par  des  difficultés  soulevées  par  quelques  phi- 
losophes et  théologiens.  Ajoutez  à  cela  deux  lettres 
secrètes  au  P.  Mesland  (on  en  trouvera  le  texte  dans 
Fr.  Bouillier,  Histoire  de  lap/til.  cartes.,  c.  xxi,  t.  i, 
p.  438  sq.).  Sur  le  même  sujet,  M.  l'abbé  Lemaire  a 
découvert  à  Chartres  et  publié  une  courte  lettre  de 
Descartes  à  Clerselier  et  un  extrait  d'une  autre  lettre, 
écrite  à  une  personne  dont  Clerselier  déclare  ignorer  le 
nom.  Paul  Lemaire,  Boni  Robert  Desgabets,  Ire  partie, 
c.  IV,  Paris,  1902,  p.  100  sq.  Dans  ces  documents  on 
voit  que  Descartes  craignait  de  se  prononcer,  «  parce 
que  n'étant  point  théologien  de  profession,  j'avais 
peur  que  les  choses  que  j'en  pourrais  écrire,  fussenl 
bien  moins  reçues  de  moique  d'un  autre.  «  Aussi,  dit-il 
au  P.  Mesland  :  «  Je  me  hasarderai  ici  de  vous  dire  en 
confidence  une  façon  qui  me  semble  assez  commode 
et  très  utile  pour  éviter  la  calomnie  des  hérétiques  qui 
nous  objectent  que  nous  croyons  en  cela  une  chose  qui 
est  entièrement  incompréhensible  et  qui  implique  con- 
tradiction; mais  c'est,  s'il  vous  plait,  à  condition  que, 
si  vous  la  communiquez  à  d'autres,  ce  sera  sans  m'en 
attribuer  l'invention,  et  même  que  vous  ne  la  commu- 
niquerez à  personne,  si  vous  jugez  qu'elle  ne  soit  pas 
entièrement  conforme  à  ce  qui  a  été  déterminé  par 
l'Église.  »  Fr.  Bouillier,  p.  440,  Et  dans  l'extrait  de  lettre 
à  un  inconnu,  sur  la  difficulté  :  «  Comment  le  corps  de 
Jésus-Christ  peut  être  sous  les  mêmes  dimensions  où 
était  le  pain,  n  il  s'exprime  ainsi  :  «  Je  n'ai  plus  besoin 
de  chercher  aucune  explication,  et  bien  que  j'en  puisse 


p  quelqu  une,  je  m-  la  Uvulguer, 

qu'en  cea  matières  là  les  plu-,  communes  opinions 
sont  les  meilleures.  Lemaire,  Dont  Robert  Desgabets, 
p.  102. 

i  Ses  solutions  s,j|,t  très  obscures  et  non  moins  em- 
barrassées. Dans  la  première  lettre  au  P.  Mesland,  la 
plus  importante,  il  considère  d'abord  trois  superficies: 
celle  du   pain  qui  demie  a   moins 

que  le  pain  ne  change;  celle  qui  touche  le  pain,  la- 
quelle aussi  demeure  eadem  numéro  à  moins  que  l'air 
ne  change;  el  i  la  superficie  moyenne  entre  l'air  et  fi- 
pain  (lui  ne  change  ni  avec  l'un  ni  avec  l'autre,  mais 
seulement  avec  la  figure  des  dimensions  qui  sépare 
l'un  de  l'autre.  >>  C'est  ohscur  :  c'est  sans  doute  ce 
principe  qui  inspire  la  lettre  non  moins  obscure  à  Cler- 
selier. «  Pour  la  difficulté  que  vous  proposez  touchant 
le  saint-sacrement,  je  n'ai  autre  chose  à  y  répondre  que 
si  Dieu  met  une  substance  purement  corporelle  en  la 
place  d'une  autre  aussi  corporelle,  connue  une  pièce 
d'or  à  la  place  d'un  morceau  de  pain,  ou  un  morceau 
de  pain  à  la  place  d'un  autre,  il  change  seulement 
l'unité  numérique  de  leur  matière,  en  faisant  que  la 
même  matière  numéro,  qui  était  or,  reçoive  les  acci- 
dents du  pain,  ou  bien  que  la  même  matière  nuu 
qui  était  le  pain  A,  reçoive  les  accidents  du  pain  11. 
c'est-à-dire  qu'elle  soit  mise  sous  les  mêmes  dimen- 
sions, et  que  la  matière  du  pain  B  y  soit  ôtée;  mais 
il  y  a  quelque  chose  de  plus  au  saint-sacrement,  car, 
outre  la  matière  du  corps  de  Jésus-Christ,  qui  est  mise 
sous  les  dimensions  où  était  le  pain,  l'àme  de  Jésus- 
Christ,  qui  informe  cette  matière,  y  est  aus-i 

Descartes  considère  en  outre  dans  la  première  lettre 
au  P.  Mesland,  que,  grâce  à  la  circulation  du  sang  et  à 
la  nutrition,  il  n'y  a  «  aucune  particule  de  notre  corps 
qui  demeure  le  même  numéro  un  seul  moment;  encore 
que  notre  corps,  en  tant  que  corps  humain,  soit  toujours 
le  même  numéro  pendant  qu'il  est  uni  avec  la  même 
âme;  et  même  en  ce  sens  il  est  indivisible,  car  si  l'on 
coupe  un  bras  ou  une  jambe  à  un  homme,  nous  ne 
pensons  pas  que  celui  qui  a  un  bras  ou  une  jambe 
coupée,  soit  moins  homme  qu'un  autre.  » 

Il  considère  encore  que  «  lorsque  nous  mangeons  du 
pain  et  buvons  du  vin,  les  petites  parties  de  ce  pain 
et  ce  vin  se  dissolvant  dans  notre  estomac,  coulent  in- 
continent de  là  dans  nos  veines,  et  par  cela  seul  qu'elles 
s'y  mêlent  avec  le  sang,  elles  se  transsubstantient  na- 
turellement et  deviennent  parties  de  notre  corps,  bien 
que  si  nous  avions  la  vue  assez  subtile  pour  les  distin- 
guer d'avec  les  autres  parties  du  sang,  nous  verrions 
qu'elles  sont  encore  les  mêmes  numéro  qui  compo- 
saient auparavant  le  pain  et  le  vin  ;  en  sorte  que  si 
nous  n'avions  point  de  garde  à  l'union  qu'elles  ont 
avec  l'àme,  nous  le  pourrions  nommer  pain  et  vin 
comme  devant.  Or,  cette  transsubstantiation  se  fait  san> 
miracle,  r  On  sent  ici  une  préoccupation,  qui  grandira 
dans  l'école  cartésienne,  c'est  de  réduire  au  minimum 
la  part  du  miracle  dans  la  transsubstantiation  eucharis- 
tique. 

Toutes  ces  considérations  étant  présupposées,'  Des- 
cartes  aborde  son  interprétation  du  mystère.  A  l'exem- 
ple de  la  transsubstantiation  précédent  i  vois 
point  de  difficulté  à  penser  que  tout  le  miracle  de  la 
transsubstantiation,  qui  se  fait  au  saint-sacrement,  con- 
siste en  ce  qu'au  lieu  que  les  particules  du  pain  et  du 
vin  auraient  dû  se  mêler  avec  le  sang  de  Jésus-Christ, 
et  s'y  disposer  en  certaines  façons  particulières,  afin 
que  son  âme  les  informât  naturellement,  elle  les 
informe  sans  cela  par  la  force  des  paroles  de  la  Ce 
cralion;  et  au  lieu  que  cette  âme  de  Jésus-Christ  ne 
pourrait  demeurer  naturellement  jointe  avec  chacune 
de  ces  particules  de  pain  et  de  vin,  si  ce  n'est  qu'elles 
fussent  assemblées  avec  plusieurs  autres  qui  composas- 
sent tous  les  organes  du  pain  et  du  vin  nécessaires  à 


557 


DESCARTES 


558 


la  vie,  elle  demeure  jointe  surnaturellement  à  chacune 
d'elles,  encore  qu'on  les  sépare.  De  cette  façon  il  est 
aisé  à  entendre  comment  le  corps  de  Jésus-Christ  a'esl 
qu'une  fois  en  toute  l'hostie  quand  elle  n'est  point  di- 
visée; et  néanmoins  qu'il  est  tout  entier  en  chacune  de 
ses  parties  quand  elle  l'est;  parce  que  toute  la  matière 
tant  grande  ou  petite  qu'elle  soit,  qui  est  ensemble 
informée  île  la  même  âme  humaine,  est  prise  pour 
un  corps  humain  tout  entier.  »  Il  faut  avouer  que 
quoiqu'il  dise  que  c'est  «  aisé  à  comprendre  >).  toute 
celte  théologie  eucharistique  de  hescartes  est  fort  ma- 
laisée à  entendre. 

3°  Le  meilleur  moyen  de  l'entendre,  c'est  d'en  deman- 
der l'interprétation  à  l'un  de  ses  plus  fidèles  disciples, 
dom    Robert    Desgabets,   dont   le  langage    théologique 
est  plus  précis  et  fort  intéressant  sur  le  point  qui  nous 
occupe.  Selon  lui,  les  difficultés  de  la  philosophie  car- 
tésienne  en    face    de    la     croyance    eucharistique    se 
ramènent  à  deux  principales,  dont  l'une  regarde  l'exis- 
tence d'un   corps  en   plusieurs  lieux,  et  l'autre    l'exis- 
tence d'un  grand  corps  en  un  pelil  espace.  Voici  l'expli- 
cation de    Desgabets  :    «    Sans  nul  doute,  dit-il,   l'étal 
ordinaire  d'un  corps  humain  exige  la  continuité  locale 
de  sa  matière  pour  exercer  les  fonctions  communes  de 
la  vie.  qui  dépend  du   rapport  que  les  organes  ont  les 
uns  aux  autres,  ce  qui  fait  qu'un  chacun  n'est  qu'une 
partie,  et  non  pas  un  corps  entier,  mais  nous  appre- 
nons de  lioèce  que   les   substances  immatérielles  ne 
sont  pas  proprement  dans  le   lieu,  c'est-à-dire  qu'elles 
n'y   sont   que  par  leur  action  ou  passion...  de  sorte... 
qu'une  .'une   pourrait  être  unie  à  des  portions  de  ma- 
tière forl  éloignées  l'une  de  l'autre,  s'il  n'y  avait  aucune 
fonction   à    faire  qui  requit  de  la  continuité  end 
portions  de  la  matière  fort  éloignées  l'une  de  l'autre; 
c'est   pourquoi    la    forme    donnant    l'être  â    la    cl 
I  One  peut  avoir  son  corps  par   miracle  en  plusieurs 
lieux   séparés,  et,  en  cet  état,  elle  n'aurait  qu  un  seul 
-.  >i  ces  parties  de  matière  n'avaient  aucun  rap- 
port  entre  elles  de  tout  et  de   parties,    t   Desgabets 
examine  ensuite  comment   il  peul  se  faire  qu'un  grand 
corps  pniss,.    tenir  en  un  petit  espace  :    «    S'il   est  vrai 
que  Notre-Seigneur  a  toujours  été  le  même  homme, 
même  corps  pendant  sa  vie,  ne  faut-il  pas 
•maille  qu'on  pi  ul  dire  de  ce  même  corps  indivi- 
sible  qu'il   est  formé  du   plus   pur  sang   de   la    sainte 
u  il  ne  respire  pas  et  qu'il  respire....  qu'il  est 
ind,  qu'il  n'esi  jamais  dans  le  même 
!  qu'il  demeure  le  même,  si  tout  cela  se  dil  pro- 
ni  d'un  même  corps  d'homme  numéro  à  raison 
qui  lui  convient  en  divers  temps...  quelle  mer- 
veille que  ce  même  corps,  se  trouvant  tout  entii 
indivisiblemenl  i  n  divers  lieux,  ail  des  organes  et  du 

ii  '-n   ail    pas,   -oii   grand  et   petit,  \ isibl 
invisible,  se  divise  et  ne  se  divise  pas.  etc.    «  Mais  tout 
cela    i  jster  la  substance  du  pain  et  lui  unit 

de  .lésus-Clirist.  Comment  des  lors  échapper  à 
l'impanation  de-  luthériens  et  aux  condamnations  du 
conri  \  oici  la  réponse  du  carti  sianisme 

la  plu de  De  Ceux  qui  sont  accoutu- 

iux  principes  de  M,    De  ni  qu'il  pour- 

'    qu'un  corps  d'homme   parfaitement  i 

fonctions  animales,  n'aurait 
I  àme   raisonnai. le.    n  lit    animal 

à-dire  bête  i  oi les  autres.  Or, 

lorsque   l'éme   Mendia   ■.,   être  unie  A 

■  un  homme  tout   Fait,  1 1  la  bête  absolument 

chanj  -i  pins  une  bête  ou  un 

imal,  qu»  plus  ni  lion,  ni  cheval,  si 

unie  |iar  animaux. 

Voila  don»    toute  la   difficulté  uchanl   le   pain 

icré  qui  di  di  meure  pat .  qu'on 

ne   du  pain,  -i  on  d<  lourni 


attention  de  l'âme  qui  l'informe,  et  qui  n'est  plus  pain, 
si  on  le  considère  comme  informé  d'une  àme  qui  le 
change  au  corps  d'un  homme.  »  Lemaire,  op.  cit., 
p.  112-113,  note. 

4°  Il  est  certain  que  ces  théories  se  répandirent  vite 
et  finirent  par  constituer  une  théologie  nouvelle  en- 
tièrement opposée  à  la  théologie  scolastique.  Le  P.  Ber- 
tet,  jésuite,  écrivait  à  Clerselier  que  la  «  jeunesse  »  de 
sa  Compagnie  commençait,  grâce  à  lui.  à  s'attacher  à  la 
philosophie  cartésienne.  Lemaire,  op.  cit.,  p.  106.  Il  se 
vantait,  car  c'est  l'honneur  de  la  Société'  de  Jésus 
d'avoir  fourni  surtout  des  défenseurs  de  la  philosophie 
traditionnelle  contre  les  nouveautés  cartésiennes.  Néan- 
moins hon  nombre  d'esprits  allaient  à  la  suite  de 
Descartes  et  nous  recueillons  ce  détail  suggestif  dans 
un  Mémoire  de  dom  Mège  contre  un  écrit  du  P.  Gai 
(Le  Gallois),  au  sujet  de  l'eucharistie  :  ci  Je  ne  vous 
dirai  point,  écrit  dom  Mèi;c  aux  Pères  du  chapitre  gé- 
néral, le  25  mai  1672.  que  lorsqu'il  (dom  Le  Gallois) 
enseignait  cette  détestable  doctrine  i  cartésienne)  dans 
l'abbaye  de  Saint-Vandrille,  quelques-uns  de  nos  Pères 
qui  en  entendaient  tous  les  jours  parler  aux  maîtres  et 
aux  écoliers  en  élaient  affligés,  et  un  d'eux,  qui  est  su- 
périeur et  excellent  religieux,  m'a  dit  que  cela  lui  était 
la  dévotion  envers  ce  saint  mystère.  Et  ce  qui  vous 
inspirera  des  sentiments  d'horreur  el  une  juste  indi- 
gnation, j'ai  su  par  un  de  nos  Pères  que  le  jour  du 
he-  saint-sacrement,  lorsqu'on  chantait  à  matines 
les  leçons  du  second  nocturne,  dans  lesquelles  saint 
Thomas  explique  ce  divin  mystère,  ces  leçons  furent 
sifllées  par  quelques  écoliers.  >>  Lemaire,  Dom  Robert 
Desgabets,  p.  389. 

5°  On  lira  dans  les  deux  ouvrages  de  Francisque 
liouillier  et  de  Paul  Lemaire  le  récit  des  controverses 
auxquelles  donna  lieu  l'essai  d'explication  cartésienne 
du  mystère  de  l'eucharistie.  Quoi  qu'il  en  soit  de  ces 
controverses,  il  parait  certain  que  la  philosophie  de 
Descartes  est  en  opposition  directe  avec  l'intelligence 
catholique  du  dogme  de  l'eucharistie.  Le  concile  de 
l'renie,  sess.XIII,  c.  vi,  Denzinger,  n.  877,  définit  comme 
la  foi  perpétuelle  de  l'Église  que  par  la  consécration 
du  pain  et  du  vin  est  opérée  la  conversion  de  toute  la 
substance  du  pain  en  la  substance  du  corps  du  Christ, 
et  île  toute  la  substance  du  vin  en  la  substance  du 

igneur,  conversion  convenablement  ei  proprement 
appelée  transsubstantiation  par  l'Église  catholique.  Per- 
suasum  semper  in  Ecclesia  Uei  fuit  idque  nunc  denuo 
sancta  hmc  synodus  déclarât,  per  consecratùmem  panis 
ci  nui  conversionem  fieri  totius  substantiel  panis  in 
substantiam  corporis  Chrisli  Domini  nostri,  cl  totius 
substantiel  ion  m  substantiam  sanguinis  cjus,  (/»« 
conversio  convenienter  a  proprie  n  sancta  catholica 

lia  transsubslantiatio  est  appellata.  Si,  comme 
l'affirme  Descartes,  les  particules  qui  constituaient 
auparavant  le  pain  et  le  vin  restent  les  mêmes apn 

■  ration,  on    comprend  difficilement  qu'il    >    ait 

conversi i   transsubstantiation.   Elles  gardent  leur 

nature,  mais,  nous  dit-on,  elles  sont  Informées  par 
l'âme  du  Christ.  Il  faut  comprendre  que  cette  infor- 
mation par  l'âme  i\<\  Christ  n  une,  puisque 
c'est  un  simple  rapport  qui  fait  que  les  particules, 
appel,',-  pain  auparavant,  sont  niai  ntenanl  appelées 
.lu  Christ,  que  celle  âme  ne  les  vivifie  pas, 
qu'elles  n'ont  rien  de  l'organisation  du  corps,  qu'elles 

uverlies   au    propre    corp-    de     NotPe- 

ui   né  de  la  bienheuri  i  nme 

le    chaule    la     lilin     11        1     •         .     .  DUS     iinlllll]     ,lc 

I  -prit   et 

Marie    n  que  peut 

dire  Descartes,  c'est  que  les  particules  constitutives  du 

t  du  vin.  tout   en  gardant   leur   liai'.  ..me 

h'  dil  dom  Mège,  leur      mêmelé  numériq  ien« 

n.  ni  p  o  i  opi  i  ation  myali  u  un 


i59 


DES CARTES 


560 


corps  appartenant  à  l'âme  el  par  elle  à  Notre-Seigneur, 
mais  sa  théorie  lui  interdit  d'affirmer  qu'elle  devienne 
le  propre  corps  de  Notre-Seigneur,  celui  qui  a  souffert 
pour  nous.  <>n  ne  voit  donc  pas  comment  le  cartésia- 
nisme échappe  autrement  que  par  des  formules  vides 
à  l'anathème  prononcé  par  le  concile  de  Trente  :  Si 
guis  dixerit  in  sacrosancto  eucharislise  sacramento 
remanere  substantiam  panis  el  vini  una  cum  corpore 
el  sanguine  Doniini  Nosiri  Jesu  Christi,  anathema 
sil.  Denzinger,  n.  88'k  —  Descartes  et  ses  disciples 
diront  vainement  que  les  particules  du  pain  tout  en 
restant  les  mêmes  cessent  d'être  du  pain,  parce  qu'elles 
sont  informées  par  l'âme  du  Christ  :  celte  allégation 
est  contredite  par  la  doctrine  cartésienne  qui  fait  con- 
sister l'essence  du  corps  dans  l'étendue,  ici  on  a 
l'étendue  du  pain,  ses  dimensions  propres,  on  en  a 
donc  formellement  aussi  la  nature;  celte  allégation  est 
en  outre  contredite  par  la  doctrine  catholique  qui  fait 
de  l'information  substantielle  autre  chose  qu'une  sorte 
d'harmonie  préétablie  ou  d'occasionnalisme  qui  rap- 
porte une  parcelle  corporelle  quelconque  à  une  âme 
humaine  et  du  coup  affirme  que  cette  parcelle  corpo- 
relle, tout  en  gardant  sa  nature  de  pain  ou  de  vin. 
devient  un  corps  d'homme.  Ce  que  nous  avons  entendu 
que  toute  matière  quelle  qu'elle  soit,  qu'elle  soit  un 
corps  d'animal,  ou  de  plante,  ou  de  minéral,  peut 
garder  sa  constitution  propre  et  ses  qualités  antérieures 
et  devenir  simultanément  un  corps  d'homme  pourvu 
qu'elle  soit  «  informée  »  (à  la  façon  cartésienne)  par  une 
àme  humaine,  ne  peut  se  concilier  avec  la  doctrine 
dogmatique  rappelée  par  Pie  IX,  dans  son  href  du 
30  avril  1860  à  l'évêque  de  Breslau  sur  les  erreurs  de 
Baltzer  :  Considérantes  liane  sententiam  quse.  unum 
in  homine  ponit  vilse  principium  animant  scilicet 
rationalem  a  qua  corpus  quoque  etmotumet  vitam 
OMNBM  et  SENSUM  ACCIPIAT,  in  Dei  Ecclesia  commu- 
nissimam,  atque  docloribus  plerisque  el  probatissi- 
mis  quidem  maxime,  CUM  EcCLESIjE  DOGMATE  ha 
VIDER1  CONJTJNCTAM,  ut  hujus  sil  légitima solaqvevera 
interpretatio,  nec  proinde  sine  errore  in  vide  possit 
negari. 

C'est  donc  une  doctrine  catholique,  presque  de  foi, 
que  l'âme  est  ie  principe  de  la  vie  corporelle  et  que  le 
corps  reçoit  d'elle  le  mouvement,  toute  sa  vie  et  ses 
sens.  Or,  si  nous  en  croyons  Descartes,  «  si  nous  pou- 
vions séparer  d'un  corps  humain  l'âme  qui  s'y  trouve 
unie,  nous  verrions  ce  corps  continuer  à  vivre  comme 
par  le  passé,  ou  du  moins  accomplir  très  régulièrement 
toutes  les  fonctions  qui,  en  lui,  ne  dépendent  que  de 
lui-même  et  suffisent  à  le  conserver  sain  et  prospère. 
Ce  n'est  pas  parce  que  l'âme  quitte  le  corps  que  le 
corps  périt,  mais  c'est  parce  que  le  corps  périt  que 
l'âme  l'abandonne.  »  Landormy,  Descaries,  c.  vi,  Paris, 
s.  d.,  p.  121,  122. 

Ces  quelques  réflexions  montrent  toute  l'opposition 
de  la  philosophie  cartésienne  au  dogme  eucharistique, 
indépendamment  des  remarques  qu'il  serait  possible 
d'ajouter,  au  point  de  vue  purement  philosophique, 
sur  la  subtilité  et  l'inanité  de  la  distinction  rapportée 
plus  haut  des  «  trois  superlicies  »,  celle  de  l'air,  celle 
du  pain  et  la  moyenne.  —  Une  dernière  observation 
suffira  pour  indiquer  l'impossibilité  de  confesser  la 
transsubstantiation  et  la  présence  réelle,  si  l'on  ne 
professe  pas  la  distinction  entre  la  substance  et  les 
accidents  absolus  et  la  possibilité  par  un  miracle  de 
maintenir  ceux-ci  dans  l'être  en  l'absence  de  celle-là. 
Celle  distinction  et  celle  possibilité  ne  peuvent  s'accor- 
der avec  la  physique  ou  la  métaphysique  cartésienne  el 
montrent  ainsi  une  nouvelle  opposition  de  cette  doc- 
trine avec  la  foi. 

6°  A  toutes  ces  critiques  ajoutons  les  suivantes  que 
clcun  Mège  relevait  contre  dom  Le  Gallois  et  qui  por- 
l en t  contre  tout  vrai  tenant  de   la  philosophie  carté- 


sienne :  ■  ■  l.  Après  la  consécration,  la  même  matière 
numéro  qui  était  dans  le  pain  el  dans  le  vin  dem 

dans  le   saint-sacremeni  :  non  définit,  at.  Et 

elle  devient  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  'nous 
avons  observé  qu'elle  ne  devient  pas  le  corps,  mai! 
corps  de  Jésus-Christ,  ce  qui  aggrave  encore  l'en 
pai  une  nouvelle  union  de  l'âme,  de  la  divinité  et  de 
la  personne  du  Fils  de  Dieu  à  cette  matière,  de  la 
même  façon  que  la  matière  des  aliments  que  nous 
mangeons  devient  notre  corps  par  l'union  et  l'informa- 
tion de  notre  âme.  —  2.  Le  corps  de  Jésus-Christ  est 
dans  le  saint-sacrement  véritablement  et  très  propre- 
ment divisible  et  il  se  divise  en  effet  réellement  et  sub- 
stantiellement... —  3.  Que  le  corps  de  Jésus-Christ 
est  plus  grand- dans  une  plus  grande  partie  de  l'hostie 
et  plus  petit  dans  une  plus  petite.  C'est  une  suite  in- 
contestable de  sa  doctrine.  —  4.  Que  le  corps  de  Jésus- 
Christ  reçu  dans  l'estomac  des  fidèles  y  e>t  digél 
corrompu,  et  lorsque  la  matière  qui  le  composait  dans 
le  Sacrement  cesse  d'avoir  les  accidents  ou  dispositions 
de  pain  et  de  vin,  elle  passe  elle-même  en  la  propre 
substance  de  leurs  corps,  en  sorte  que  la  même  matière 
qui  était  le  corps  de  Jésus-Christ  devient  le  corps  de 
ceux  qui  l'ont  reçu.  »  Lernaire,  p.  390.  Tous  ces  points 
sont  manifestement  opposés  à  l'intelligence  catholique 
de  la  foi. 

7°  On  conçoit  dès  lors  que  Bossuet,  bien  que  s\m- 
pathique  à  Descartes,  écrivant  à  M.  Postel,  pour  lui 
demander  copie  de  la  première  lettre  écrite,  ait  trouvé 
«  de  grands  inconvénients  à  la  publier.  »  Œuvres, 
Paris,  1881,  t.  ix,  p.  133.  On  conçoit  surtout  le  juge- 
ment suivant  porté  par  lui  dans  une  lettre  du  21  mai 
1687  à  un  disciple  du  P.  Malebranche  :  «  Pour  ne 
vous  rien  dissimuler,  je  vois  non  seulement  en  ce 
point  de  la  nature  et  de  la  grâce,  mais  encore  en  beau- 
coup d'autres  articles  très  importants  de  la  religion. 
un  grand  combat  se  préparer  contre  l'Église  sous  le 
nom  de  la  philosophie  cartésienne.  Je  vois  naître  de 
son  sein  et  de  ses  principes,  à  mon  avis  mal  entendus, 
plus  d'une  hérésie;  et  je  prévois  que  les  conséquences 
qu'on  en  tire  contre  les  dogmes  que  nos  pères  ont 
tenus,  la  vont  rendre  odieuse,  et  feront  perdre  à 
l'Église  tout  le  fruit  qu'elle  en  pouvait  espérer,  pour 
établir  dans  l'esprit  des  philosophes  la  divinité,  el 
l'immortalité  de  l'âme.  »  Bossuet  est,  nous  l'avons  vu, 
Irop  confiant  surtout  sur  la  valeur  dos  preuves  carté- 
siennes de  l'existence  de  Dieu.  Du  reste,  il  suffit  de 
lire  la  suite  de  sa  lettre  pour  y  trouver  une  excellente 
critique  du  premier  principe  de  la  philosophie  de 
Descartes  :  «  De  ces  mêmes  principes  mal  entendus, 
un  autre  inconvénient  terrible  gagne  sensiblement  les 
esprits  :  car  sous  prétexte  qu'il  ne  faut  admettre  que 
ce  qu'on  entend  clairement,  ce  qui,  réduit  à  certaines 
bornes,  est  véritable,  chacun  se  donne  la  liberté  de 
dire  :  J'entends  ceci,  et  je  n'entends  pas  cela:  et  sur- 
ce  seul  fondement,  on  approuve  et  on  rejette  tout  ce 
qu'on  veuf,  sans  souper'  qu'outre  nos  idées  claires  et 
distinctes,  il  y  en  a  de  confus*  li  ne 

laissent  pas  d'enfermer  des  vérités  si  essentielles,  qu'on 
renverserait  tout  en  les  niant.  »   Ihid.,  p.  59. 

VII.  La  morale  ru:  Descartes.  —  On  ne  peut  dire 
que  peu  de  choses  bien  assurées  Mrr  la  morale  de  Des- 
cartes pour'  la  raison  que  sa  pensée  parcourt  deux 
étapes  sur  ce  point,  l'une  où  elle  n'établit  que  du  pro- 
visoire, l'autre  où  elle  semble  ne  pas  vouloir  se  pré- 
ciser. 

1°  Descartes  ayant  établi  son  àme  dans  le  doute, 
mais  pressé  cependant  par  la  nécessité  d'agir  que 
chaque  instant  fait  naitre,  rédigea  primitivement  le 
code   d'une   morale  provisoire.    Discours  sur  la 

'.  111    partie.  Ce  code  contient  une  règle  pour  l'in- 

jence,  une  pour  la  volonté,  une  pour  la  sensibilité. 

L'intelligence,  ne  pouvant  avoir  la  certitude,  irait  au 


561 


DESCARTES 


562 


plus  sur  et  sa  règle  serait  «  d'obéir  aux  lois  et  aux 
coutumes  de  mon  pa\s,  retenant  constamment  la  reli- 
gion en  laquelle  Dieu  m'a  fait  la  grâce  d'être  instruit 
dès  mon  enfance  o  et  mettant  «  entre  les  excès  toutes 
les  promesses  par  lesquelles  on  retranche  quelque 
chose  de  sa  liberté.  »  En  effet,  le  provisoire  pouvant 
toujours  être  abandonné,  ce  serait  imprudent  de  s'y 
fixer  par  des  promesses  ou  des  vœux.  —  La  règle  de  la 
volonté,  dont  le  rôle  est  de  suppléer  par  ses  décisions 
aux  incertitudes  de  la  raison.  «  était  d'être  le  plus  ferme 
et  le  plus  résolu  en  mes  actions  que  je  pourrais,  et  de 
ne  suivre  pas  moins  constamment  les  opinions  les  plus 
douteuses  lorsque  je  m'y  serais  une  fois  déterminé  que 
si  elles  eussent  été  très  assurées.  »  Cette  règle  eut  pour 
résultat  de  le  <  délivrer  de  tous  les  repentirs  et  les 
remords  qui  ont  coutume  d'agiter  les  consciences  »  des 
esprits  faibles  et  chancelants.  —  La  règle  de  la  sensi- 
bilité ou  de  l'action  était  celle  du  sacrifice.  «  La  nature 
même  de  l'action  restreint  notre  bonheur  :  agir,  c'est 
toujours  choisir  entre  une  infinité  de  partis  possibles, 
en  réaliser  un  et  renoncer  aux  autres  :  l'action  est 
essentiellement  un  sacrifice.  »  Landormy,  op.  cit., eu, 
p.  MO.  Sa  réple  est  donc  «  de  tâcher  toujours  plutôt  à 
me  vaincre  que  la  fortune  et  à  changer  mes  désirs  que 
l'ordre  du  monde.  >  —  Il  y  a  dans  cette  morale,  d'utiles 
préceptes,  mais  son  défaut  fondamental  est  de  reposer 
sur  le  doute  universel,  de  regarder  tous  les  comman- 
dements de  la  morale  naturelle  comme  provisoirement 
inexistants  et  universellement  douteux.  Or.  si  les  con- 
clusions plus  ou  moins  éloignées  de  la  loi  naturelle 
peuvent  être  ignorées  dé  certaines  consciences,  il  y  a 
lions  primordiales  qui  sont  manifestes  pour 
toute  âme  et  desquelles  il  n'esl  jamais  permis  de  douter, 
même  provisoirement. 

2°  A  cette  morale  provisoire.  Descartes  devait  en  sub- 
stituer une  définitive,  celle-ci  semble  être  l'objectif 
constant  de  ses  recherches  et  le  fin i t  attendu  de  sa 
méthode,  n  Quelle  est,  selon  les  Régula,  la  manière 
sérieuse  de  chercher  la  vérité?  C'est  de  souper  unique- 
ment à  accroître  la  lumière  naturelle  de  la  raison,  non 
pour  résoudre  telle  ou  telle  difficulté  d'école,  mais 
pour  rendre  l'entendement  capable,  en  chacune  des 
rencontre-  de  la  \i'-.  de  prescrire  à  la  volonté  ce 
qu'elle  doit  choisir.  Si  Di  scarti  a  un  très  vif  désir 
d'apprendre  à  distinguer  le  vrai  d'avec  le  faux,  c'est, 
nous  dit-il  dans  le  D  le  la  méthode,  I"  partie. 

qu'il  Bail  que  c  esl  le  moyi  n  de  voir  clair  en  se-  actions 
el  di   m. irel  issurance  en  cette  vie.  El  dans  la 

préface  di     I  pes,  il  définit  la  philosophie,  l'étude 

de  la  laquelle  consiste,  dit-il,  en  une  parfaite 

connaissance  de  toute-   les  choses  que  l'homme  peul 

r,  tant  pour  la   conduite  de   sa  vie,  que  pour  la 

rvation  de  sa  sanlé  el  l'invi  ntion  de  ton-  les  arts, 

Boutrou      Du  rapport  de  la  morale  à  dans 

I"  pi  irtes,  dan-  la  Revue  de  meta- 

que  et  de  moi  aie,  juillet  1896. 

De  fait,  selon  l'homme  du  monde  qui  semble  l'avoir 

connu  le  plu-  intimement,  Clerselier,  la  morale  faisait 

onsidérations  les  plus  ordinaires.  Bailli  t, 

Pai         I'  '»l.   I.  I.  p.  I  l.">.  Mai-  il 

jet  et  s'il  en  a  donné'  une 

i  m-  le  Di  /./  méthode,  ce  fut  mal- 

lal  ■  t  par  prudi  ace,     i  r.,,,  ,■  det  péd 
|ui 

'lion 

M.  Ch.   Adam.  dan 

r,   Cf.    le. Il 

trou  butin  la  morale  qu'l 

jaillir  du   sein  de  u  philosophie,  m 

fruii  m  I. 

rôle 
liberti  di  ntlitutlon  de  l'objet  de  la 


morale  et  des  lois  de  la  conscience;  elle  attribue  à  la 
raison  une  place  excessive;  elle  mène  au  déterminisme. 
Le  premier  grief  résulte  de  ce  que  nous  avons  dit  plus 
haut  de  la  dépendance  des  essences,  du  vrai  et  du  bien 
par  rapport  à  la  liberté'  de  Dieu.  C'esl  parce  que  Dieu 
l'a  voulu  librement  que  deux  et  deux  font  quatre  et  que 
l'adultère  est  coupable;  s'il  en  eût  décidé  autrement, 
deux  et  deux  feraient  cinq,  et  l'adultère  ferait  les  saints. 
Nous  avons  dit  la  gravité  de  cette  erreur  qui,  en  morale, 
peul  conduire  aux  pires  excès,  puisqu'on  pourra  pré- 
tendre (pie  la  révélation  par  laquelle  Dieu  nous  a  fait 
connaître  ses  libres  décisions  n'est  ni  claire  et  évidente, 
ni  définitive. 

L'autre  grief  n'est  pas  moins  grave.  La  morale  de 
Descartes  peut,  dans  sa  partie  spirituelle,  se  ramènera 
la  culture  de  l'esprit.  L'âme  étant  identifiée  avec  la 
pensée  et  la  morale  étant  la  recherche  de  la  perfection, 
celle-ci  consistera  dans  la  pensée  parfaite.  En  toutes 
choses,  écrit-il  au  début  de  ses  Règles,  c'est  la  bonté 
de  l'esprit  «  qu'il  nous  faut  chercher;  le  reste  ne  mérite 
d'être  estimé  que  dans  la  mesure  où  il  y  contribue.  » 
Et  dans  le  Discours  sur  la  méthode,  nous  lisons  :  «  11 
suffit  de  bien  juger  pour  bien  faire.  »  C'est  la  réduction 
de  l'homme  à  l'esprit,  de  la  vertu  à  la  droiture  du  juge- 
ment, de  la  vertu  morale  à  la  vigueur  de  la  pensée  : 
connaître,  c'est  pouvoir;  bien  conduire  son  esprit,  c'est 
bien  agir.  C'est  sans  témérité  qu'on  a  pu  rattacher  à 
ces  aperçus  la  doctrine  moderne  dont  quelques-uns 
seulement  commencent  à  revenir  :  la  science  rend 
l'homme  meilleur;  l'instruction  suffit  à  tous  ses  besoins  : 
lesavoir  a  une  vertu  éducative.  Lucien Roure,  Doctrines 
ci  problèmes,  Ilr  partie,  c.  i,  Descartes,  Paris.  1900, 
p.  Iti.  Nous  ne  saurions  instituer  ici  une  réfutation  com- 
plète île  ce  rationalisme  naissant  qui  a  l'ail  tant  de  mal 
aux  moralités  modernes.  Voir  MORALE,  Fin.  Nous 
dirons  seulement  que  confondre  seience  et  morale,  c'est 
supprimer  simplement  celle-ci,  ([lie  la  morale  esl  Ni 
recherche  du  bien  et  du  parfait  et  non  la  poursuite  du 
vrai:  que  la  sainteté'  consiste  à  vouloir  et  à  réaliser  b1 
perfection  et  non  à  savoir;  que  la  vertu  est  un  effort 
vers  le  mieux  cl  non  un  simple  reflet,  une  représenta- 
lion  du  vrai.  Il  v  a  dans  la  morale  de  Descartes  une 
confusion  absolue  de  deux  ordres  qui  doivent  rester  dis- 
tincts. —  Sans  doute  la  raison  doit  régler  les  actions 
morales,  elle  les  dirige,  mais  elle  n'en  est  pas  la  ///(.  La 
lin  de  la  vie  morale  est  triple  et  une  en  mémo  temps; 
elle  nous  mené  .i  la  glorification  de  Dieu,  à  notre  per- 
fection et  à  notre  bonheur  :  trois  choses,  disons  i 
qui  n'en  sont  qu'une  et  sauvent  ainsi  l'unité'  et  l'har- 
monie de  la  loi  morale;  car  Dieu  esl  glorifié  surtout  en 
image  qui  est  notre  nature,  cette  image  le  fait 
connaître,  le  loue,  dans  |;,  mesure  où  elle  est  parfaite, 
en  sort.'  que  noire  perfection  est  le  fait  même  qui  i 
ti  t  in-  la  gloire  de  Dieu;  la  paisible  possession  de  la  per- 
fection esl  source  de  bonheur  :  être  parfait,  c'esl  donc 

r  d me  coup  i,i  -bine  de  Dieu  et  le  bonheur 

de  l'homme.  Cette  doctrine  morale  prend  tout  l'homme 

dans    I  bar nie    de    Imite-    ses    bien  1 1.  -  el    lie    le   réduit 

■i e  Descartes,  ;i  n'être  qu'une  simple  peu 

Où  la  divergence  s'accentue  entre  le-  deux  morales, 

c'est  dans  V autorité  qui    oblige    la  conscience.    Pour 

ta  source  de  i  obligation  morale  esl  dans  la 

raison  :   non-   s nies  essentiellement  peu 

nature  parfaite  consistant  dans  la  perfection  <\<-  la 
son.  celle-ci  devient  l'idéal  ,i  pou rsui vi'e.  le  principe 
d'autorité  qui  noua  lie.  Si  Dieu  intervient,  c'esl  plus 
pour  garantir  la  véracité  de  la  raison  que  pour  pro- 
mulguer par  elli  des  commandements  moraux.  L'auto* 
non  lie  de  la  rai -..n  découle  en  droite  ligne  du  cai 
ni-ine.  \l   i  end   din  ctcui  de  uni  supéi  ieur, 

i    bi    Sor- 

bonne,  en   l'honneur   du    tro  de    la 

i   pu    .t  que 


r,63 


DESC U'.TKS 


564 


Descartes  a  fondé  (lune  manière  définitive  «  la  libi  rté 
de  l'espril  el  la  prépondérance  de  la  raison.  s  L.  Roure, 
il.,  p.  16.  I»;nis  la  doctrine  catholique,  au  contraire, 
si  l'on  consulte  la  raison,  ce  n'est  pas  pour  lui  deman- 
der ses  préceptes,  mais  ceux  de  Dieu,  elle  n'est  pas 
l'autorité  qui  commande,  mais  la  conscience  qui  pro- 
mulgue, elle  n'est  pas  source,  mais  seulement  instru- 

nt  d'obligation;  elle  n'oblige  pas,  mais  indique  les 

obligations  imposées  par  Dieu.  Suivanl  une  expression 
moderne,  l'hétéronomie  inspire  la  morale  chrétienne, 
même  dans  la  sphère  des  simples  préceptes  naturels. 
L'homme  juste,  en  suivant  sa  raison,  obéit  à  la  volonté 
de  llieu. 

'i"  La  morale  cartésienne  ne  mène  pas  qu'au  rationa- 
lisme. Le  déterminisme  est  un  autre  écueil  où  elle 
précipite  la  liberté  et  fait  sombrer  la  vertu.  Pour  Des- 
cartes,  la  science  royale,  c'est  la  mathématique;  il  est 
convaincu  que  tout  dans  la  nature  se  fait  mathéma- 
tiquement et  il  s'efforce  de  le  démontrer.  «  De  là.  tout 
d'abord,  ses  spéculations  métaphysiques.  Il  prouve  par 
les  perfections  de  Dieu  el  le  caractère  clair  et  distinct 
de  l'idée  d'étendue,  que  nous  sommes  en  droit  de  tenir 
les  qualités  mathématiques  pour  l'essence  des  choses 
matérielles.  Il  cultivera  donc  la  mathématique  et  son 
euvre  tout  entière  sera  dominée  par  cette  science; 
mais  c'est  que  dans  la  considération  des  choses  à  ce 
point  de  vue  gît  le  moyen  véritable  de  se  les  approprier.  » 
Baillet,  op.  cit.,  t.  n,  p.  227.  Et  cette  fin  pratique,  tou- 
jours présente  à  ses  yeux,  détermine  la  marche  géné- 
rale de  ses  études.  Il  ne  s'attarde  pas  aux  développe- 
ments de  la  science  qui  n'auraient  qu'un  intérêt  spécu- 
latif.  Il  demande  simplement  aux  mathématiques  les 
quelques  principes  généraux  qui  lui  permettront  de 
fonder  sur  elles  la  mécanique  et  la  physique.  Ces 
sciences  à  leur  tour  n'ont  besoin  d'être  développées  que 
dans  la  mesure  et  dans  le  sens  nécessaires  pour  rendre 
possible  la  science  de  la  vie.  Il  s'agit  d'arriver  à  prou- 
ver que  la  vie  elle-même  n'est  qu'un  mécanisme  et  par 
conséquent  tombe  sous  nos  prises.  »  Boutroux,  toc. 
cit.,  p.  505. 

Le  mécanisme,  telle  est  donc  la  base  de  la  science  de 
la  vie,  la  base  de  la  morale.  Celle-ci  dans  son  essence 
sera  encore  une  sorte  de  mécanique.  Selon  Descartes, 
la  science  de  la  vie  consiste  à  connaître  la  nature,  celle 
de  la  terre,  des  corps  inanimés,  des  plantes  ou  des 
animaux,  afin  d'arriver  par  cette  connaissance  à  agir  sur 
les  êtres  et  aies  dominer;  puis  elle  consiste  à  connaître 
l'homme,  son  état  physique,  afin  d'en  savoir  tous  les 
ressorts  et  de  diriger  par  cette  science  le  mécanisme 
du  corps  dans  son  inlluencesur  l'âme  ou  dans  l'inlluence 
de  l'âme  sur  lui.  La  morale  procède  de  la  physique  et 
de  la  médecine,  lesquelles  ne  sont  qu'une  mécanique, 
et  vient  les  couronner.  Préface  des  Principes,  Œuvres, 
t.  n,  p.  14.  Il  faut  donc  promouvoir  le  plus  possible  ces 
diverses  connaissances.  «  Mais  à  quelle  morale  ce  pro- 
grès va-t-il  aboutir?  Ne  tend-il  pas  simplement  à  nous 
mettre  en  mesure  de  disposer  de  la  nature  humaine, 
grâce  à  la  science  de  l'homme,  comme  nous  disposons 
de  la  nature  corporelle  grâce  à  la  science  des  corps? 
Une  mécanique  psychique,  n'est-ce  pas  tout  ce  que 
Descartes  a  en  vue?  Et  de  fait,  Descartes  a  jeté  les  fon- 
dements d'une  telle  morale  dans  son  Traite  des  pas- 
simis,  où,  en  en  découvrant  le  principe,  il  nous  ap- 
prend à  les  dresser,  à  les  conduire.  Comme  d'ailleurs 
cette  étude  même  nous  montre  à  quel  point  l'esprit 
dépend  du  tempérament  et  de  la  disposition  des  or- 
ganes du  corps,  Descaries  conclut  que,  s'il  est  possible 
de  trouver  quelque  moyen  qui  rende  communément 
les  hommes  plus  sages  et  plus  habiles,  c'est  dans  la 
médecine  qu'on  le  doit  chercher.  »  Boutroux,  loc.  cit., 
p.  507. 

Il  est  incontestable  que  tout  cela  respire  le  détermi- 
nisme le  plus  pur  et  le  moins  équivoque.  On  verra  1  a 


discussion  de  eeiie  erreur  aux  art.  Déterminisme,  Li- 
berté. Tout  ce  que  nous  avons  dit  des  erreurs  pro- 
par  la  philosophie  de  D<  écartes 
suffit  à  montrer  combien  légitimement  ses  œuvres  ont 
été  condamnées  par  le  Saint-Office  et  par  l'Index,  rfi 
corrigantur,  le  10  octobre  el  le  20  novembre  1663. 

I.  Œuvri  lrtes.   —  Œuvre»,  9  in-V,    a 
dam,  WiX'2:  7  in-V,  Francfort-sur-le-Meii  vres  com- 
plètes,    13    in-1'2,   Paris.    ITj'j  :   édit.    Victor  Cousin,    11    in-8*, 
Paris,   1824-1826;  Œuvres  ph                 les,  édit.  Ad.  Garnier, 
ï  vol.,  Paris,  1835;  Œuvres  philosophiques,  édit.  Aimé  Martin, 

Paris,  183H:  Œuvres   <  iiiliées  par  Fouch 

Careil,  2  in-8°,  Paris.  1858-1860;  Œuvres  choisies,  édit.  Napo- 
léon Cl  Paris,  1864  :  <J  Ch.  Adam 
et  Paul  Tannery  sous  le-  de  l'Instruction 
publique,  4  vol.  parus,  contenant  la  correspondance  jusqu'en 
avril  1647,  Paris,  1896-1901;  manuscrit  de  G< 
bourguignonne  de  l'en  'mis- 
ent de  Hanovre  {Bulletin  des  sciences  mathématiques,  18 

II.  Travaux.  —  1°  Sur  Descartes.  —  Baillet,  /../  m 
M.  Descartes,  Paris.  1691;  Et.  Thouverez,  I.a  vie  de  Dese, 
d'après  M.  Baillet,  dans  les  Annalesde  philosophie  chrétienne, 
1899;  E.  Saisset,  Descartes,  et  ses  disciples. 
Paris,  1865;  Paul  .lanet.  Descartes,  dans  la  Bévue  des 
mondes,  1868;  Liard,  Descartes,  Paris,  18*2:  A.  Fouillée, 
Descartes,  Paris,  1*9:1;  Fr.  Bouillier,  Deux  nouveaux  histo- 
riens de  Descartes,  dans  la  Bévue  philosophique,  1894; 
Landormy,  Descartes,  Paris,  s.  d.  ;  Haldane,  Descartes,  his  life 
and  Unies,  Londres,  1905:  J.  Millet,  Descartes,  savie,  ses  tra- 
vail c,  ses  découvertes  avant  1637,  Paris,  18t;7:  Id.,  Descartes, 
son  histoire  depuis  1G37,  sa  philosophie,  son  rôle  dans  le 
mouvement  général  de  l'esprit  humain,  Paris,  1870;  Foucher 
de  Careil,  Descartes  et  la  princesse  Palatine,  Paris,  1802; 
Id.,  Descaries,  la  princesse  Elisabeth  et  la  reine  Christine, 
d'après  des  lettres  inédites,  Paris,  1879. 

2  Sur  le  cartésianisme.  —  Bayle,  Becueil  de  pièces  cu- 
rieuses pouvant  servir  à  l'histoire  du  cartésianisme;  Bordas- 
Deiiioulin,  Le  cartésianisme   ou  la   véritable  rénovatior 

ces,  suivi  de  la  théorie  de  la  substance  et  deceile  de  l'n<- 
fuii  etprécédé  d'un  discours  sur  la  réfo<  laphiloso- 

pliie  au  xix'  siècle,  par  F.  Huet,  Paris,  1843;  Fr.  Bouillier. 
Histoire  de  la  pliilosophie  cartésienne,  Pari-.  1854  :  Smith, 
Studiesinthe  car  lésion  pltilosophy,  Londres,  1902;  H.G.HoUio, 
De  philosophia  Cartesii,  diss..  Berlin,  1820;  Paul  Lemaire,  Le 
cartésianisme  chez  les  bénédictins.  Dom  Bobert  Desgabets, 
Paris,  1902;  George;  Monchamp,  Histoire  du  cartésianisme  en 
Belgique,  Bruxelles,  1887;  Lucien  Roure,  Doctrines  et 
blêmes,  I.  Descartes,  Paris.  1900;  Victor  Brochard,  Dese 
stoïcien,  dans  la  Bévue  philosophique,  1880;  Fr.  Thomas, 
Descartes  et  Gassendi,  Paris,  1889;  F.  Brunetière,  Jansé- 
nistes et  cartésiens,  dans  les  Études  critiques,  4*  série,  l'ai  i-. 
1894;  Fr.  Papillon,  De  la  rivalité  de  l'esprit  leibnitzien  et  de 
l'esprit  cartésien  au  xvtir  siècle,  Orléans,  1873;  Ad.  Franck, 
Moralistes  et  philosoplies,  Paris,  1872;  A.  Fouillée,  Descartes 
et  les  doctrines  contemporaines,  dans  la  Bévue  philosopliiquc. 
1894;  le  numéro  de  juillet  1890  de  la  Bévue  de  métaphysique 
et  de  morale,  spécialement  consacré  à  Descartes,  contient  îles 
études  de  MM.  lî.  Gibson,  J.  Berthet,  P.  Nathorp,  A.  Manne- 
quin. H.  Schwarz,  P.  Tannery.  D.-.I.  Horteweg,  E.  Boutroux, 
V.  Brochard,  G.  Lanson,  Blonde!.  F.  Tocco,  et  Ch.  Adam: 
Fonsegrive,  Prétendues  contradictions  de  Descartes,  dans  la 
Bévue  philosophique,  1883. 

3-  Sur  la  doctrine  de  Descartes.  —  P.  Knoodt,  De  Cartesii 
senteutia  :  Cogito.  ergo  sum,  diss.,  Breslau,  1845;  .lut.  Bau- 
mann,  Doctrina  cartesiana  de  vero  et  falso  explicata  atque 
examinata,  diss.  inaug.,  Berlin,  1863;  Liard,  /.<i   m 
Descartes  et  ,la   mathématique    universelle,    dans  la  Bévue 
philosophique,  1880;   Adam.    De  méthode  a\ 
Spinozam  et Leibnitium,  Paris,  !Ss">;  Milbaud,  Utrum  < 
lesii  methodus  tantum   calent  quantum  ipse  senserit,  Mont- 
Paris,  1894;  Paul  Viallet,  Je  pense,  donc  je  suis.  Intro- 
duction à  la  méthode  c  Paris,  1897;  E.  Duboux,  La 
physique  de  Descartes,    Lausanne.  1881  ;  P.  Valois,   Les  Senti- 

1$  de  Descartes  opposés  à  ceux  de  l'Église  et  confort 
ceux  de  Calvin;  La  philosophie  de  Descartes  opposée  à  la  foi 
catholique,  Paris,  1682;  Quœdam  recentiorum  philosophorum 
praesertim  Cartesii   propositions    damnatse     et  prohibitif. 
Paris.  1705;  Ëmei  le  Descartes  sur  la  religion  et  la 

raie,  Paris.  1811;  Chr.  A.  Thilo,  Die  Religionsphilosi 
'escortes,  dans  Zeitschrifl   fur  ex.  Philosophie.   1862; 
cl,.  Waddington,    Descartes    et  le  spiritualisme.  Paris,   lsiy; 
Renouvier,  Histoire  et  solution  des  problèmes  métaphysiques, 


565 


DESCARTES 


DESCENTE  DE  JESUS  AUX  EX  FEUS 


566 


Paris,  1901;  .1.  N.  Huber.  Die  Cartesian  Beweise  vum  Dasein 
Gottes,  Augsbourg,  1851;  P.  .1.  Elvenich,  Die  Beweise  fur  das 
Dasein  Gottes  nach  Cartesius.  Breslau,  1868;  F.  Pillon,  l.a 
première  preuve  cartésienne  de  l'existence  de  Dieu  et  la  cri- 
tique de  l'infini,  dans  ['Année  philosophique,  1891:  E.  Bou- 
troux,  De  verilatibus  .vternis  apud  Cartesium,  Taris,  1875; 
E.  Melzer,  Augustini  atque  Cartesii  placita  de  menti* 
humanx  sui  cognitione  quomodo  inter  se  congruant  n 
seseque  différant,  quseritur,  diss.  inaug..  Bonn,  1860; 
Ant.  Koch,  Die  Psychologie  Descartes,  systematisch  und  his- 
torisch-kritisch  bearbéitet,  Munich,  1881;  P.  Nathorp,  Des- 
cartes Erkenntnisstheorie,  eine  Studie  zur  Vorgescliichte  des 
A'i ■  iticismus,  Marbourg,  18s2;  M«"  Mercier,  Les  origines  de  la 
psychologie  contemporaine,  Louvain,  1897;  J.  Prost,  Essai 
sur  l'atotnisme  et  l'occasionalisme  dan*  la  philosophie  car- 
tésienne, Paris,  1907.  On  trouvera  dans  la  bibliographie  de 
l'article  Anselme  {Argument  de  suint),  l'indication  d'autres 
ouvrages  sur  la  preuve  cartésienne  de  l'existence  de  Dieu,  t.  i, 
COl.   ! 

Sur  l'eucharistie,  un  manuscrit  de  Chartres,  n.  ;î6(i,  contient 
plusieurs  opuscules  inédits  :  Conjectures  du  P.  Daniel,  récol- 
let, sur  un  moyen  que  M.  Drscarti s  dit  avoir  dans  une  de 
ses  lettres,  pour  expliquer  le  mystère  de  l'eucharistie, 
fol.  818;  Lettre  du  R.  /'.  Le  Bossu,  chanoine  régulier  de  Saint- 
Augustin,  lequel,  ayant  eu  communication  du  présent  manuscrit, 
en  dit  son  sentiment,  et  expose,  en  même  temps,  une  façon 
d'expliquer  le  mystère  de  l'eucharistie,  selon  la  pensée  de 
M  Descartes,  mais  d'une  autre  manière  que  ce"e  contenue 
dans  il.  829;  Lettre  du  même  au  P.  de  Rragclongne, 

sur  le  sujet  de  la  lettre  précédente,  fol.  904;  Mémoire,  en  forme 
de  lettre,  du  R.  P.  Aubert,  chanoine  régulier,  touchant  la  conco- 
mitance, fol.  917;  Lettre  de  M.  Gravelle  de  Revei 
la  lettre  du  P.  Le  Bossu,  fol.  925;  Lettre  de  dom  Antoine  Vi- 
not,  bénédictin,  ou  il  n'approuve  pas  les  relations  de  jésuites 
et  de  M.  Clerselier,  particulièrement  avec  le  P.  Bertct,  et  lui 
fait  en  .i]sdes  difficultés  sur  la  manière  d'expliquer  le 

-sacrement,  suivant  les  pensées  de  M.  Descartes,  fol.  651  ; 
le  P.  -  1 1.   dan-,  la  Bibliothèque  de  la  C'    de  Jésus, 

>.  i,  col.  1374,  signale  un  manuscrit  inédit  «lu  P.  Bertet  : 
Traité  de  la  prèsenci  la  transsubstantiation,  du 

sacrifice  de  la   messe  où  toutes  les  disputes  sur  ce  sujet  sont 
recueillies  avec  une  concorde  des  anciens  Pères  et  des  coti- 
rnes;  Vernet,  Pièces  fugitives  sue  l'eucha- 
ristie,  Gen  tet,  Dissertations  théologiques  et 

Paris,  1727  ;  Brève  o\ tulum  quo  geo- 

monstratur  possibilitas  prsesenlise  corporis  Christi, 
1729;  E.  Levesqui  uvelle  explication 

1900. 
!..  Carrau,  Exposé  critique  de  la  théorie  des  passions 

branche  et  Spinosa,  thi  bourg,  1870; 

.M.   Heinze,   Die   Sittenlehrt  l 

le   ethica    <;<>.  ir,:,eK    senserit,    Paris,  1883; 
P.     liiricL,    La   morale  dans    les   Annales    de 

1898;  V.  de  Su  n 
Kleutgen,   La    philosophie    scolastique,     trad.     Sierp, 

i  i    Papillon,  iiist,,ire  ite  in  philosophi 
■    par  Ch.    Levêqui  .    l'a:    ,    1876;   Kun  .   Ges- 

;  lue.  Munich,  1878,  t.  i  ;  i  leberweg- 
Itichte  lier  Philosophie,  part.  ni. 
i    1901,  i 

A.  Cimi  i 
DESCENTE  DE  JÉSUS  AUX  ENFERS.    La  for- 
mule      Descendit   ad  inféras   constitue  la  première 
partie  du    '<     article   du   symbole,   selon   l'exposé    du 

■  '    (In    ,  oncile    'le     I  renie.  I.     |:  lai     de    la 

question.  II.  Démonstration  théologique  du  fait  el  du 

i  aux  enfers.  Ml.  Expli- 

n  doctrinale  du  fait  de  la  descente  aux  enfers.  IV. 

complic  par  \e  Christ  dan-  -a  descente  aux 

'  \t  tu  i  \  question.  -  Au  début  de  cette  étude, 

1,1       llll         ,,: 

les  :  le  Cl 

iimit  el 

1  i  toul 

"i  que,  h'  '.in  i-i  étant  t  et  son  cm  ( 

loin i  uilii  aux   enfi  '  ■  dire 

au  lieu  ou  di  mcuraienl  h 

lui-mémi  dan! 


le  sépulcre.  Mais  cette  croyance  en  enveloppe  évidem- 
ment une  autre.  Puisque  le  symbole  dit  :  le  Christ  est 
descendu  aux  enfers,  c'est  donc  que  la  personne  du 
Christ,  je  veux  dire  la  divine  personnalité  du  Verbe, 
se  trouva,  elle  aussi,  durant  ce  temps,  dans  les  enfers, 
avec  son  âme  séparée  de  son  corps  :  Une  nobis  creden- 
ilum  proponitur,  Christo  jam  mortuo,  ejus  animant 
cul  inféras  descendisse,  ibique  tamdiu  mansisse, 
quamdiuejusdem  corpus  in  sepulcro  fuit.  His  autem 
verbis  simul  etiam  confitemur  eamdem  Christi  per- 
sonani,  eodem  tempore,...  apud  inféras  fuisse.  Cate- 
chismus  ad  parochos,  pari.  I.  c.  vi,  n.  1,  Rome,  1902, 
p.  55. 

Cette  croyance  fut  commune  el  expresse,  parmi  les 
fidèles,  dès  les  origines;  nous  le  constaterons.  Elle  a 
cependant,  à  travers  les  âges,  rencontré  des  opposants 
qui  retenaient  le  mot  ou  la  formule,  mais  en  niaient 
le  sens  ou  la  chose.  —  Abélard  d'abord,  puis  Durand 
de  Saint-Pourçain,  admettaient  bien  l'existence  du  lieu 
souterrain  que  sont  les  enfers.  Quant  à  la  descente 
du  Christ,  ils  lui  reconnaissaient  quelque  réalité,  mais 
pas  celle  de  l'interprétation  traditionnelle.  Dans  leur 
pensée,  l'âme  du  Christ  ne  s'esl  pas  rendue  aux  enfers 
véritablement  et  réellement,  avec  sa  substance  indivi- 
duelle. La  descente  aux  enfers  est  une  expression 
impropre,  ou  plutôt  inadéquate,  signifiant  que  l'âme  du 
Christ  a  montré  ou  exercé  son  pouvoir  dans  les  enfers, 
en  faisant  du  bien  aux  âmes  des  justes.  —  Au  x\  Ie  siècle, 
avec  son  scepticisme  accoutumé,  Érasme  commence 
l'ébranlement  de  cet  article  du  symbole,  dans  son 
Catéchisme,  c.  iv.  Il  n'ose  l'attaquer  de  front,  ni  le 
répudier  trop  expressément,  à  cause  de  l'autorité  de 
l'Église.  Néanmoins  il  laisse  entendre  qu'il  ne  le  trouve 

pas  très  solide ni  établi,   et    il  n'est  pas  éloigné'  d'x 

voir  une  interpolation  introduite  dans  le  symbole.  — 
Bientôt  les  protestants,  plus  audacieux,  rejetèrent  l'exis- 
tence même  des  lieux  infernaux.  Par  suite,  ils  dénièrent 
à  la  formule  le  sens  propre  d'une  réelle  et  vraie  des- 
cente aux  enfers.  Selon  Calvin,  l'article  du  symbole  est 
une  métaphore  qui  désigne  la  tristesse  intérieure 
qu'éprouva  le  Christ,  la  lutte  qu'il  soutint,  au  temps 
de  sa  passion  el  île  sa  mort  el  qui  lui  causèrent  véri- 
table  m  el  réellement  les  douleurs  mêmes  de  l'enfer, 

Institut.,  I.   II,   c.   xvi,  n.  8  sq.    Pour  d'autres,  comme 
itor,  Arminius,   la    descente  aux    enfers  signifie   la 

mort  du  Christ;  pour  Bèze,  elle  exprime  sa  sépulture, 
et  pour  MarheineKe,  sa  charité  envers  les  pécheurs.  1  » < ■ 

Welle.  Hase  y  voient  celle  simple  indication  que  lieux  i  e 

du  Chris!  esl  salutaire  pour  tous,  sans  exception. 

Sur  ce  terrain  comme  sur  les  autres,  les  rationa- 
listes ont  fait  écho  aux  protestants;  avec  eux.  ils  ont 
travaillé  a  effaci  r  ce   poinl   de  la    doctrine.   Puis  les 
mistes  -oui  venus,  el  n'ont  vu,  dans  ce  dogme, 

e me  dans  Ions  les  aulres.  qu'un  produit  Ires  variable 

de  l  évolution  vitale  du  sentiment  religieux.  Il  se  peut 
qu'à  certaine  époque,  la  fui  collective  comme  la  foi 
individuelle  des  chrétiens  aient  tenu  pour  réelle  el 

ente  du  Chrisl  aux  enfers;  partant,  le  dogme  a 
pu  avoir,  à  certain  moment,  celle  signification.  Mais 
aujourd'hui,  avec  le  progrès  de  la  pensée  religieuse,  la 
formule  ou  le  symbole  dogmatique  esl  demeuré  i 
lemenl  le  même,  mais  [|  s'esl  vidé  de  sa  signification 
théologique  el  traditionnelle  pour  prendre  de-  sens 
tout  différents,  plus  en  rapport  avec  le  développement 

do    la    science    cl    a\  ee    la    i  ,  I |     moderne   du  COU 

de   la    personne    du    I  -I   par    un    effet  de 

perspective  que  nous  cro]  evoir  l'identité  dans 

nification  de-  formules,  aux  di  |uee    l 'ai 

l'effel  d'une  smie  de  mirage  uou     concluons  que  le 

udu  par  nous,  dans  les  articles  an.  i.  n-  de  la 

ti  Duvail    pareil  dans  la  pi  n 

ra  fidi  les.   Ces!  une  erreui  duc  a  ce  que  nous 

1 1  critique  de  nos 


567 


DESCENTE   DE   JÉSUS    AUX    ENFERS 


3G8 


propres  connaissances.  ■  J'aicité  des  exemples,  affirme 
audacieusemenl  M.  Loisy,  notamment  les  articles  du 
symbole  concernant  la  descente  du  Christ  aux  enfer» 
et  son  ascension  au  ciel.  »  Autour  d'un  petit  livre, 
Paris,  1903,  p.  202.  Voir  aussi  p.  46,  177;  L'Évangile 
et  l'Église,  Paris,  1902,  p.  L63-166.  Cf.  II.  Quilliet, 
Une  conséquence  de  l'évolution  vitale  appliquée  au 
dogme,  dans  la  Croix  de  Paris,  8-9  décembre  1907. 
L'écrivain  moderniste  fait  ici  allusion  à  des  études  qu'il 
a  publiées,  sous  le  nom  de  Firmin,  dans  la  Revue  du 
clergé  [ruinais,  t.  xxi,  p.  253  sq.  Cf.  Ed.  Le  Roy, 
Dogme  et  critique,  Paris,  1907,  p.  248,  263. 

Avec  M.  Sabatier,  nombre  de  protestants  contempo- 
rains ont  abandonné  le  terrain  des  négations  brutales, 
pour  embrasser  les  théories  évolutionistes.  C'est  en  ce 
sens  qu'ils  expliquent  aujourd'hui  la  descente  aux  en- 
fers. Pour  eux,  l'affirmation  du  symbole  abrite  des 
conceptions  très  diverses  de  l'esprit  religieux.  Tantôt, 
c'est  le  salut  même,  offert  et  gagné  dans  la  vie  d'outre- 
tombe,  comme  l'avait  conçu  l'école  d'Alexandrie.  Tantôt, 
c'est  la  descente  aux  limbes  d'où  sont  délivrés  les 
lidéles  de  l'Ancien  Testament.  Puis,  c'est  un  effort 
plus  accentué  pour  établir  la  doctrine  ecclésiastique 
du  purgatoire.  Plus  tard,  avec  la  Réforme,  la  descente 
aux  enfers  perd  toute  relation  avec  le  salut  des  morts. 
Finalement,  «  la  théologie  critique,  retrouvant  le  sens 
des  conceptions  primitives,  a  permis  de  découvrir,  dans 
les  textes  du  Nouveau  Testament,  la  pensée  même  des 
apôtres  :  le  salut  olfert  à  ceux  qui  n'avaient  pas  connu 
l'Évangile  de  leur  vivant.  Et  ceci  amène  à  ce  que  la 
théologie  anglaise  contemporaine  appelle  l'espérance 
plus  large.  »  Jean  Monnier,  La  descente  aux  enfers  : 
Etude  de  pensée  religieuse,  d'art  et  de  littérature, 
Paris,  1905,  Avant-propos,  et  p.  88-89.  Cet  élargissement 
des  espérances  chrétiennes  présente  une  singulière 
ressemblance  avec  ce  que  les  modernistes  appellent  la 
réforme  nécessaire  des  concepts  dogmatiques,  et 
notamment  de  celui  de  la  rédemption.  Cf.  prop.  61e  du 
décret  Lamentabili,  Denzinger,  Enchiridion,  10eédit., 
Fribourg-en-Brisgau,  1908,  n.  2064.  Ne  faut-il  pas  défi- 
nitivement rendre  le  salut  à  peu  près  universel,  même 
en  élargissant  une  voie  que  Nôtre-Seigneur  a  déclarée 
très  étroite?  Tel  est  le  sentiment  plus  ou  moins  avoué 
de  plusieurs  modernistes  contemporains. 

II.  Démonstration  théologique  du  fait  et  du  dogme 

DE    LA    DESCENTE  DU  ClIP.IST  AUX    ENFERS.     —    /.      luicf- 

MENTS  AUTHENTIQUES.  —  1°  Le  symbole  des  apôtres. 
—  11  fournit  tout  à  la  fois  un  argument  d'autorité,  un 
argument  historique  et  de  tradition. 

1.  Le  symbole  des  apôtres,  dans  la  forme  universel- 
lement reçue  aujourd'hui,  est  une  règle  ou  confession 
de  foi  imposée  aux  néophytes  par  l'Église,  dans  l'ad- 
ministration du  sacrement  de  baptême.  Il  en  est  ainsi 
depuis  le  ix1'  siècle.  Depuis  des  siècles  aussi,  l'Église 
a  communément  adopté  ce  symbole  dans  la  liturgie  et 
pour  l'enseignement  catéché tique.  Cet  usage  officiel  et 
séculaire  prouve  que  l'Eglise  considère  le  symbole 
comme  la  formule  exacte  de  sa  foi.  Sans  doute,  il  n'est 
pas,  dans  sa  teneur  présente,  une  définition  conciliaire 
proprement  dite,  une  déclaration  solennelle  émanée 
d'une  assemblée  œcuménique  des  évèques.  Jlais,  en 
vertu  de  la  discipline  liturgique  et  par  le  fait  de  l'en- 
seignement catéchétique,  le  symbole  se  présente 
comme  l'expression  authentique  de  la  prédication 
universelle  et  quotidienne  de  l'Église.  Il  est  donc  un 
moyen  voulu  et  approprié  de  son  magistère  catholique 
et  formel;  et  chacune  des  vérités,  chacun  des  articles 
qu'il  relève  expressément  s'impose,  sous  peine  d'hé- 
résie, à  la  foi  des  chrétiens.  Voir  Apôtres  [Symbole  des), 
t.  i,  col.  1680.  Dans  ces  conditions,  la  présence  de  la 
formule  descendit  ad  in  feras  dans  notre  symbole  actuel 
permet  d'affirmer  que  la  descente  du  Christ  aux  enfers 
constitue  un  article  fondamental  de  la  foi  catholique. 


2.  Au  point  de  vue  de  la  tradition  el  de  la  théol 
positive,  il   importe  rcher  l'origine  de  notre 

article  et  les  traces  de  son    insertion  dans  le  symbole. 
Sans  entrer  dans  la  question  générale  de  la  formation 

el    de    l'histoire   du    symbole    lui-même,    voir    APÔTRES 
{Symbole  des),  t.  i.  col.   1660-1673  (sur  son  histoi 
col.  1673-1679  (sur  son  origine) ;  E.  Vacandard,  Étude» 
de  critique  et  d'histoire  religieuse,  Paris.  1906,  p.  - 
rappelons  cependant  quelques  données  nécessaires. 
a)  Le  symbole  des   apôtres  s'est  élaboré'  pendani 
siècles,  et  peu  à  peu,  sous  des  formes  variables.  Tan- 
tôt, il  manque  de  tel  article,  tantôt  il  manque  de  tel 
autre;  d'autres  fois,  il  porte  une  aflirmation  à  la  place 
d'une  autre;  il  se  modifie  de  toutes  manières  jusqu'à 
ce  qu'il  arrive  enfin  à  la  formule  claire,  concise,  suffi- 
samment complète  que  l'Église  et  la  conscience  i 
Henné  cherchaient  comme  d'instinct  pour  l'expression 
adéquate   de  la   foi.  La   formule  aujourd'hui  reçue  du 
symbole,  qui  contient  l'article  descendit  ad  inferos,  esl 
un   développement    d'un   texte    antérieur,  le    symbole 
romain.  Celui-ci  se  forma  de  bonne  heure,  primitive- 
ment sans  doute  en  langue  grecque,  sous  les  indu* 
générales  que   nous  venons  d'indiquer  et  surtout    en 
raison  de   la  liturgie   baptismale.  Celle-ci  comprenait, 
dans  la  préparation   au  baptême,  la   traditio  symboli, 
c'est-à-dire   la    lecture    et    l'explication    données    aux 
catéchumènes   des  principaux  articles  de  la    foi.  Elle 
contenait  aussi,  dans  l'administration  du  sacrement,  la 
reddilio  symboli,  c'est-à-dire    l'attestation    de    sa    foi 
donnée  par  le  néophyte,  et  habituellement  sous  forme 
de  réponse  à   une  ou    plusieurs  interrogalions.  Il  esl 
incontestable   que,   dans    ses    parties    essentielles,    le 
symbole   romain  est   d'origine   apostolique.  Or,  même 
dans  sa  forme  définitive,  il  ne  porte  pas  notre  article. 
b)  Avant  le  ivc  siècle,  les  textes    symboliques  ou   les 
formulaires  de    la    foi   dans  lesquels  on  a   résumé  les 
traditions  apostoliques,  ne  contiennent  pas  l'article  de 
la  descente  aux  enfers.  Il   ne   se  rencontre,  ni   dans 
saint  Irénée  qui  nous  présente  deux  abrégés  de  la  doc- 
trine chrétienne,   Coût,  hser.,   1.  I,  c.   x.  n.  1.   P.  '>'.. 
t.  vu,  col.  549;  1.  III,  c.  iv,  n.  2.  col.  855-856;  ni  dans 
les  trois  règles  de  foi  rédigées  par  Tertullien,  De 
ginibus  velandis,  c.  I,  P.  L.,  t.  il,  col.  889;  Adv.  l'ra- 
xeam,  c.  Il,   ibid.,  col.  156-157;  De  praescriptionibus, 
c.    xin,  ibid.,  col.  26;   ni   dans  celle  d'Origène.   Ih-.l 
àpyûv,  1.  I,  Prologus,  n.    4-10,  P.  G.,  t.  xi,  col.  117- 
121.  Il  n'y  en  a  pas  trace  davantage  dans  les  esqm- 
ou  projets  de  symboles  des  Constitutions  apostoliques, 
I.  VI,  c.  xi-xiv,  P.  G.,  t.  i,  col.  935-917;  de  No  va  tien, 
De  Triuilate,  c.  i.  vin.  xxx.  P.  L.,  t.  m,  col.  886,  898, 
946;   de    saint  Cyprien,    Epis  t.,   i.xxvi,  P.  L.,    t.   ni. 
col.  1143;  t.  iv,  col.  ili;Epist.,  lxx,  t.  iv,  col.  408;  ou 
de  Victorin,  Schol.  in  Apoc,  xi.  1,  P.  L.,  t.  v,  col.  334. 
Même   au  iv  siècle,  nous  ne  remarquons  la   descente 
aux  enfers,  ni   dans  le   symbole   du  concile  de  Nicée 
(325),  Denzinger,  Enchiridion,  n.  17;  I0eédit.,n.54;  ni 
dans  celui  du  concile  de  Constantinople  (381);  Denzin- 
ger, n.   47;  10e  édit.,    n.  86;  ni  dans  celui  de  l'£glisi 
de  Jérusalem,  tel  qu'il  résulte  des  Catéchèses  de  saint 
Cyrille  de  Jérusalem.    Denzinger,  n.  13,   )(>  .'dit.,  n.  9- 
Voir  la  fin  de  la  Catéchèse  v.  /'.  G.,  t.  xxxin.  col.  514sq.  : 
et  les  titres  des  Catéchèses  xui  et  xiv  :  SrauptoOÉvra  xa« 
xxzi-i-y.  :   «ai  àvaTTï'/ra  i/.  vsxptôv.  Ibid.,  col.  771.  826. 
c)  La  première    mention  authentique  de  la  descente 
aux  enfers  dans  le  symbole  catholique  est  île  la  fin  du 
iv'  siècle.  Elle  vient  de  Rufin.  qui  rapporte  le  symbole 
baptismal   de  son    Eglise  d'Aquilée.    Nous  y    lisons  : 
Crucifixus  sub  Pontio   Pilato  et  sepultus.  DES(  i:\mr 
ID  INI  ERNA.  Tertia  die  resurre.rit.  Comment,  insym- 
bol.,  n.  14,  Denzinger,  Enchiridion,  n.  3.  Rufin  prend 
soin  de  remarquer   que  cet   article   ne    se    rencontre 
pas   dans    le    symbole    romain   ;    Sciendum    sane  est 
quod    in    Ecclesise    romanse    symbolo    non   habelur, 


569 


DESCENTE    DE   JESUS    AUX    ENFERS 


570 


additum  :  descendu  ad  inferna.  Comment,  in  sym- 
bol.,  n.  18,  P.  L.,  t.  xxi.  col.  356.  Il  ajoute  que  l'article 
manque  pareillement  dans  les  symboles  de  l'Orient  :  Sed 
neque  in  Orienlis  Ecclesiis  habetur  liic  sermo.  Ibid. 
Toutefois,  même    avant   Rufin,  nous    retrouvons   la 
doctrine  ou  la  formule  symbolique  de  la  descente  aux 
enfers.  Nous   n'insisterons  pas   sur  la  déclaration  de 
foi  qu'Eusèbe  prête  à  Thaddée,  disciple  du  Seigneur, 
dans  un  prétendu  sermon  donné  à  Edesse  :  Kctxé6-/\  si; 
t'.v  zSy|V,  v.x:  'j'Ai /'.m  ppocjCiôv  tov  s;  ïîtôvo;  \j.r,  (TjjtffGévTa. 
//.  Ê.,  I.  I,  c.  xm,  P.  G.,  t.  xx,  col.  128.  Mais  notons  que. 
vers  le  temps  du  concile  de  Nicée  (325),  la  Constitution 
ecclésiastique  égyptienne  présente,  sous  forme  de  red- 
dilio  xymboli  ou  d'interrogations  posées  aux  catéchu- 
mènes, une  sorte  de  confession  de  foi  qui  attribue  au 
Christ  une  véritable  activilé  dans  les  enfers  :  «  Croyez- 
vous  à  Notre-Seigneur  Jésus-Christ...  qui...  est  ressuscité 
au  troisième  jour,  qui  a  délivré  les  captifs,  qui  est  monté 
au  ciel'.'...  »  F.  Kattenbusch,  Das  apostolisclie  Symbo- 
lum,  Leipzig,  1894,  t.  i,  p.  320  sq.;  H.  Acbelis,  Die  Ca- 
nones  Hippolyti,  dans   Texte  und   Untersuch.,  1891, 
t.  \i,  fasc.  4,  p.   97.  —  Il  y  eut,  en  359,  à  Sirmium  en 
Pannonie,  un  concile  d'évéques  ariens  (boméens),  qui 
promulgua  un  formulaire  à  la  date  du  22  mai.  Il  professe 
que  le  Christ  est  mort;  qu'il  est  descendu  aux  enfers  et 
v  a  réglé  toutes  choses;  que  les  portiers  de  l'enfer  ont 
frissonné  à  sa  vue  :  'AitoSavivra,  xal  si?  ix  y.a-a/Oôvia 
xarg).86vTa,  xa't  -x  ïv.ilm  oixovo(j.V)<javTa,  m  itvXcopo'i  a6o'j 
îSovte;  £çpt$av.  Mansi,  Concil.,X.  ni,  col.  265;  A.  Ilabn, 
Bibliothek  der  Symbole  und  Glaubensregeln  deralten 
Kirche,  3«  édit.,  Breslau,  1897,  g  103.  Cette  dernière 
incidente  est  une  allusion  directe  à. lob,  XXXVIII,  17,  selon 
les  l.\.\  :  'Avoryiviat  ',i  uoi  v66w  miXai  Oâvdctoy,  rcuXtopol 
BÈ  SSou  l'Jii-.i;   as  \--.r"-'j.t.    Socrate  nous  apprend  que 
l'auteur  de  cette   quatrième  formule  de  Sirmium   fut 
l'évêque  syrien  et  arien,  Mare  d'Aréthuse.  //.  A'.,  1.  II, 
c.  xx\.  /'.  G.,  i.  i  xvii.  col.  280;  F.   Kattenbusch,  Das 
apostolische  Symbolum,  t.  i.  p.  897.  On  a  prétendu  que 
les  ariens  de  sirmium.  en  adoptant  la  formule  ci t - 
voulu  signifier  simplement  la  sépulture  du  Christ,  dont 
leur  symbole  ne  porterai!  pas  d'autre  trace.  Accordons, 
ce  qui  est  vrai,  que  leur  symbole  ne  contient  pas  l'ar- 
licle  de  la  sépulture  du  Christ.  Mais  soutenir  q 
formule  si    explicite    :    descendu   aux  enfers  pour  y 
■■■  toutes  choses,  marque  uniquement  que  le  Chrisl 
iveli,  est  d'une  interprétation  aussi  fantaisiste 
qu'exorbitante.  La   proposition  affirme  une  action  du 
lion  particulière  et  déterminée  .  mémi 
elle  l'explique, en  ajoutanl  que  si  le  Chrisl  est  descendu 
aux   enfers,  ce  fut   pour  y   régler    toutes  choses.    La 
même  année  que  l'assemblée  de  Sirmium,  deux  autres 

Iles,  pareillement  ariens,  éditèrent  desformul 
qui  contiennent  aussi  l'affirmation  de  la  descenti 

allusion  au  texte  de  Job,  mai  rvenl 

n  relative  au  règlement  de  toutes  choses. 
I        mcile  de  Nicée  ou  N'iké.  en  Thrace,  déclare 

i.-.j./1)',  i:x    /.x:i/', ',/-■/.,    u,     RvTb(     o 

ncil.,  i.  m,  col.  312.  Le  concile  de 
intinopli  professe  à  son  tour  :  K > 

ovxtva    v.x:    n-iti 

'     '  .'//'/..  col 

*  raison  di  es,   l  on   a   cru   i voii 

.  au  moins  probablement,  a  l'origine  orientale  de 
l'article  du  syn  hanl  la  descente  au 

rai  que  les  formula  i  rmium,  de  Nii 

inslinople  sonl  bien  antéi  ieurs  à  Rufin.  Mais 
mbole  d  \.|.ni- 1      i 

même   jusqu  à 
ndre  que  la  formule  de  Sirmium,  el   | 
quenl  |    -    Lantinople  qui  i 

oie  >l  Aqul 
.  i.   i.  p  n  non  pli 


bole,  aujourd'hui  encore  inconnu,  et  qui  ait  contenu  la 
descente  aux  enfers.  —  Pour  corroborer  cette  opinion 
de  l'origine  orientale  de  notre  article,  on  insinue  que 
la  descente  aux  enfers  est  une  manière  dramatique 
d'entendre  la  rédemption,  et  l'on  ajoute  :  «  C'est  en 
Orient  que  l'on  rencontre  d'abord  les  façons  drama- 
tiques de  se  représenter  la  rédemption.  »  Jean  Mon- 
nier,  La  descente  aux  enfers,  Paris,  1905,  p.  150-154. 
Un  autre  voit  dans  la  descente  aux  enfers  une  manière 
mythologique  d'entendre  l'activité  du  Christ  clans  le 
monde,  et  conclut  :  «  La  représentation  plus  ou  moins 
mythologique  de  l'activité  du  Christ  dans  le  monde  d'ici- 
bas  trahit  une  plus  haute  antiquité,  et  un  caractère 
plus  oriental  qu'occidental.  •>  Van  Loon,  Theologisch 
Tijdschrift,  1902,  p.  263.  Cf.  p.  254-265.  Les  documents 
patristiques  sur  l'intelligence  du  dogme  montreront  que 
ce  sont  là  des  appréciations  d'un  caractère  tout  subjectif 
et  a  priori.  Peut-être  aussi  ne  fait-on  pas  erreur  en  les 
jugeant  inspirées  par  le  désir  de  nier  la  réalité  du  fait 
affirmé  dans  le  symbole  catholique.  En  tout  cas,  l'opinion 
ne  tient  pas  compte  d'un  fait  présentement  acquis  :  c'est 
que  le  milieu,  dans  lequel  nous  trouvons  répandue 
d'abord  la  formule  symbolique  de  la  descente  aux  enfers, 
est  occidental  et  même  gaulois  :  d'où  il  semble  qu'elle 
a  passé  à  Rome  et  en  Orient,  et  dans  toute  l'Église. 

d)  En  elfet,  à  partir  de  l'époque  marquée  par  Rufin, 
nous  voyons  apparaître  notre  article,  de  divers  côtés, 
dans  les  symboles  catholiques.  Le  credo  récemment 
découvert  par  do  m  Germain  Morin,  s'il  n'est  pas  de 
saint  Jérôme  lui-même,  est  bien  de  son  temps.  Il  pro- 
fesse que  le  Christ  est  descendu  aux  enfers,  et  ajoute 
celle  explication  qu'il  a  foulé  aux  pieds  l'aiguillon  de  la 
mort  :  Descendit  ad  inferna,  calcavit  aculeum  mortis. 
Revue  bénédictine,  janvier  1904.  En  1895,  M.  Bratke  dé- 
couvrit à  la  bibliothèque  de  Berne,  dans  un  manuscrit 
du  vii'1  siècle  —  Bemensis  645  —  un  vieux  symbole  gal- 
lican. Il  juge  vraisemblable,  mais  pas  démontré,  que  ce 
symbole  soit  du  ive  siècle,  Sludien  und  Kritiken,  1895, 
p.  153  sq.,  tandis  que  Harnack  n'hésite  pas  à  le  décla- 
rer antérieur  à  l'an  100.  Bealencyclopâdie,  art.  Aposto- 
lisches  Symbolum,  t.  i,  p.  742.  Ce  symbole  contient  notre 
article  :  Crucifixum  et  sepultum.  Des<  en  du  \o  jni  i  - 
ros.  Tertia  die  resurrexit.  llalm.  Bibliothek  der  Sym- 
bole, s,  90;  Burn,  An  introduction  to  Ihe  creeds,  Lon- 
dres. 1899,  p.  242;  Apôtres  [Symbole  des),  1. 1,  col.  1662. 
Au  v  siècle,  la  descente  aux  enfers  n'est  mentionnée 
ni  dans  le  symbole  de  l'Église  de  Rome,  Denzinger, 
Enchiridion,  n.  2.  ni  dans  celui  de  l'Église  de  Ravenne, 
ibid.,  n.  i,  ni  dans  celui  de  Fauste,  évéque  de  Riez 
(f485),  Ilabn,  op.  cit.,  g  61,  ni  dans  celui  des  I  ! 
d'Afrique.  Denzinger,  Enchiridion,  n.  5.  On  lit  cepen- 
dant :  Qui  passus  est  pro  salute  nostiu,  descendit 
10  inferos,  tertia  d\  exit,  dans  le  symbole  dit 

tint   Atbanase.    qui    provient    certainement   d'une 
de  la  Gaule  méridionale.  Sa  date  doil  être  repor- 
;iii ■<■  i.'iti  et  600,  et  n.'  blemenl  vers  la  fin 

du  V  nzinger    l  m  hit  idion,  n.  136  ;  10'  édit., 

n     in.   Revue  bénédictine,   1901,  p.  336,   Kiinstle,  qui 

attribue  à  ce  symbole  une  origi spagnole   ne  tro 

pas  une  difficulté  à  son  sentiment  dans  la  mention  de 
la  desrenie  aux  enfers,  puisqu'elle  se  trouve  dan 
documents  espagnols  du   vi*  -  '    tipriscilliana, 

Fribourg-en-Brisgau,  1905,  p.  229-231.  Le  symbole  Atha- 
nasien,  n  .  u  en  '  lecidi  ni  el  en  Orient,  n  >  pat  dt 
s;m-  influence  pour  l'insertion  de  la  desi  ente  aux  en- 
iiis  le  symbole  des  apôtn  -,  tel  que  le  rapport,  ni 
les  missels  el  les  sacramentaires  du  vin   siècle. 

Au     i  \  ■  i oe  I  ortunat, 

évéque  de  1  révise   el   élei 

ne,  donne,  lui  aussi,  une  explical ion  du 

dans  laquelle  il  ri  mentaires 

de  Rufin  cl  I  .1  Vqui 

■ 


r»7l 


DESCENTE    DE   JÉSUS    A IX    ENFERS 


:.T2 


Denzinger,  Enchiridion,  n.  3;  Hahn,  Bibliolheh  det 
Symbole,  ï  38.  La  plus  ancienne  attestation  du  texte 
aujourd'hui  reçu  du  symbole  des  apôtres  se  trouve  dans 
un  sermon  du  pseudo-Augustin,  maintenant  restitué 
saint  Césaire,  évêque  d'Arles  f  543).  Il  >  a  descendu 
ad  inferna  au  lieu  de  descendit  ad  inferos.  Pseudo-Au- 
gustin, Serm.,  ccxuv,  De  symbolifide  et  bonis  moribus, 
P.  L.,  t.  xxxix,  col.  2194-2195;  Hahn,  op.  cit.,  §62. C'est 
aussi  la  leçon  adoptée  dans  le  symbole  espagnol  de  l'ar- 
chevêque Martin  de  Braga  (-j-580).  De correctione  rustico- 
runx,  édit.  Caspari,  Christiania,  1883;  Hahn,  op.  cit.,  §54. 

Cependant,  auvii6siècle,  ladescenteaux  enfers  manque 
encore  dans  la  liturgie  mozarabe  :  elle  ne  se  lit  pas 
dans  la  traditio  symboli  quia  lieu  au  jour  des  Hameaux. 
Denzinger,  Enchiridion,  n.  6;  Hahn,  op.  cit.,  S  58  ; 
P.  L.,  t.  LXXXV,  col.  395.  Mais  le  symbole  de  saint  llde- 
phonse  (f  669),  Liber  de  cognitione  baplismi,  c.  xlix, 
P.  L.,  t.  xcvi,  col.  132,  et  celui  d'Éthériuset  de  Beatus, 
écrit  en  785,  Etherii  episcopi  Uxamensis  et  Bcati 
presbyteri  adv.  EUpandum  archiep,  Toletanum  libri 
duo,  I.  I,  c.  xxii,  P.  L.,  t.  xcvi,  col.  906,  confessent  : 
Crucifixus  et  sepultus.  descendit  ad  inferna.  Tertia 
die  resurrescit.  Denzinger,  Enchiridion,  n.  6.  La  même 
formule  descendit  ad  inferna  est  reprise  dans  l'antique 
svmbole  gallican  que  rapporte  le  Missale  gallicanum 
vêtus,  qui  est  de  la  fin  du  VIIe  ou  du  commencement 
du  vme  siècle,  Denzinger,  n.  7;  Hahn,  op.  cit.,  §67; 
P.  L.,  t.  lxxii,  col.  3i9;  Mabillon,  De  liturgia  yulli- 
cana,  Paris,  1685,  t.  ni,  p.  339;  et  aussi  dans  la  Missa 
in  symboli  traditione  du  missel  de  Bobbio  :  Morluum  et 
sepultum.  Descendit  ad  inferna.  Tertia  die resurrexit 
a  mortuis.  P.  L.,  t.  lxxii,  col.  489;  Denzinger,  n.  7.  A 
la  fin  du  sacramentaire  de  Bobbio,  se  retrouve  un  article 
tout  semblable.  Denzinger,  n.  8.  D'autre  part,  le  symbole 
irlandais  que  nous  a  transmis  le  vieil  antiphonaire  de 
Bangor,  porte  :  Crucifixus  et  sepultus,  DESCENDIT  ad 
INFEROS.  P.  L.,  t.  lxxii,  col.  597;  Hahn,  op.  cit.,  §  76- 

e)  C'est  donc  à  partir  du  ive  siècle  que  l'article 
descendit  ad  inferos  paraît  dans  le  symbole.  Il  n'y 
fait  pas  une  entrée  solennelle  d'autorité,  comme  une 
définition  destinée  à  combattre  une  hérésie.  Il  s'intro- 
duit peu  à  peu,  d'une  manière  lente  et  sûre,  parce  qu'il 
fait  partie,  nous  le  verrons,  de  la  doctrine  ancienne- 
ment prêchée  et  reçue,  et  aussi  parce  que  les  Eglises 
et  les  consciences  chrétiennes  ont  jugé  opportun 
d'affirmer  ainsi  ce  point  de  leur  foi.  Il  est  bien  évident 
que  cette  addition  ne  se  fût  point  produite,  et  surtout 
ne  se  fût  pas  conservée,  si  elle  n'avait  eu  d'autre  but 
que  d'exprimer  une  nouvelle  fois,  et  de  manière  assez 
peu  intelligible,  la  sépulture  du  Christ,  qui  est  claire- 
ment indiquée  par  le  mot  propre,  sepultus.  Il  suit  de  là 
encore  qu'il  n'y  a  pas  lieu  d'invoquer  une  controverse 
particulière  pour  expliquer  l'insertion  dans  le  symbole 
du  descendit  ad  inferos. 

Pourtant  P.  King,  ressuscitant  et  développant  une 
opinion  déjà  signalée  par  Amandus  Polanus,  a  soutenu 
que  c'est  une  visée  polémique  qui  a  produit  notre 
article.  The  history  of  the  Aposùes'  creed,  Londres, 
1702.  L'intention  aurait  été  de  protester  ainsi  contre 
l'apollinarisme.  Apollinaire,  on  le  sait,  admettait  bien 
que  le  Christ  eût  un  corps  véritable,  animé  par  un 
principe  vital  d'ordre  pareillement  organique,  mais  il 
se  refusait  à  reconnaître  en  lui  l'âme  supérieure,  l'âme 
raisonnable  et  immortelle.  Le  Aôyo;  avait  pris  sa  place 
et  sa  fonction.  Proclamer  alors  le  descendit  ad  inferos, 
confesser  que  l'âme  du  Christ,  une  fois  séparée  de  son 
corps,  est  descendue  aux  enfers,  aurait  été  un  moyen  très 
habile  d'affirmer  la  réalité  de  l'âme  humaine  du  Christ. 

L'on  a,  depuis  longtemps,  démontré  la  gratuité  abso- 
lue de  l'opinion  de  King.  Ilolger  Waage,  De  asiate  ar- 
ticuli  quo  in  symbolo  aposlolico  traditur  Jesu  <:/<risti 
ad  inferos  descensus,  Copenhague,  1836;  Dictionnaire 
encyclopédique   de    la    théologie    catholique,    trad. 


(«osciller,  v°   Descente  du  Christ  aua    enfers,   l 
1869,  t.  vi,  p.  231-233;  Kattenbusch,  Dos  apostolische 
Symbolum,  1. 1,  p.  11.11  est  incontestable  :  ■  res 

ont  quelquefois  tiré  argument,  contre  les  apollinaii 
du  dogme  de  la  descente  ;nix  enfers.  C'était  de  bonne 
guerre,  le  fait  étant  admis  de  part  et  d'autre.  Hais  il 
n'y  a  aucun  indice  que  cette  argumentation  ait  été 
l'arme  principale,  moins  encore  l'arme  unique,  avec 
laquelle  les  Pères  combattirent  l'apollinarisme. 

Waage  a  victorieusement  réfuté  King;  mais  il  est 
tombé'  dans  un  travers  analogue,  en  prétendant  que 
l'insertion  de  la  descente  aux  enfers  dans  le  symbole 
est  due  au  désir  de  favoriser  la  doctrine  du  purgatoire, 
récemment  découverte  et  répandue.  C'était,  selon  lui, 
le  seul  moyen  de  rattacher  celte  invention  nouvelle  à 
la  chaîne  des  vieilles  croyances  chrétiennes.  L'auteur 
se  libère  du  souci  d'une  démonstration  positive,  en 
avouant  qu'il  n'a  pu  trouver,  pour  son  opinion,  un  seul 
témoignage  historique  de  quelque  valeur.  Aussi  s'est-il 
reporté  sur  des  considérations  a  priori,  tirées  d'une 
façon  toute  personnelle  et  purement  subjective  d'envi- 
sager l'histoire  des  dogmes.  Elles  trahissent  la  volonté 
de  ruiner  la  thèse  catholique  du  purgatoire  plutôt  que 
la  recherche  indépendante  de  la  vérité.  Aussi  ne  nous 
arrêterons-nous  pas  plus  à  réfuter  cette  opinion  que  la 
précédente.  Harnack  lui-même,  les  ayant  en  vue  toutes 
deux,  conclut  nettement  contre  elles  :  «  Je  suis,  écrit- 
il,  disposé  à  admettre  que  ce  qui  a  fait  accepter  cet 
article,  c'est  moins  le  dessein  de  combattre  l'apollina- 
risme ou  de  soutenir  une  théorie  donnée  sur  l'état  des 
âmes,  qu'un  effort  pour  présenter  de  la  façon  la  plus 
complète  les  faits  de  la  passion  et  de  la  glorification.  » 
Harnack,  dans  Realcncyclopôdie,  art.  Apostolisches 
Symbolum,  t.  i,  p.  755. 

La  vérité  est  donc  que  l'article  descendit  ad  inferos, 
à  la  différence  des  définitions  ecclésiastiques,  n'est  pas 
sorti  de  la  volonté  d'exclure  une  erreur.  Il  n'a  pas  da- 
vantage éfé  inspiré  par  le  désir  de  faire  prévaloir  un 
intérêt  particulier.  Comme  nous  l'avons  marqué,  il  est 
né  de  la  conscience  chrétienne,  cherchant,  sous  le 
contrôle  des  autorités  compétentes  et  avec  leur  concours, 
à  compléter  la  formule  de  sa  croyance  touchant  la  vie, 
la  mort  et  la  glorification  du  Christ.  Lorsque  l'Eglise 
de  Rome,  après  avoir  peut-être,  durant  un  certain 
temps,  substitué  le  symbole  grec  de  Nicée  au  vieux 
symbole  romain,  eut  décidément  accepté  le  symbole 
gallican,  l'article  de  la  descente  aux  enfers  prit  dans 
le  credo  sa  place  définitive.  C'était  chose  déjà  faite  au 
IXe  siècle,  comme  il  parait  par  YOrdo  roman  us  de 
l'époque  du  pape  Nicolas  Ie'  (858-867),  Dom  Germain 
Morin,  Revue  bénédictine,  1897,  Denzinger,  10e  édit.. 
n.  6.  Nous  constatons  aussi  qu'Amalaire  évêque  de 
Trêves,  dans  son  traité  des  Cérémonies  du  baptême, 
donne  la  formule  symbolique  :  mortuus  et  sepultus* 
DESCENDIT  au  INFERNA,  anima  tantum.  Epist.  de- 
cseremoniis  baplismi.  P.  L.,\.  xcix,  col.  896.  Çà  et  là. 
certains  manuscrits  pourront  bien  l'omettre  encore, 
et,  de  fait,  Théodulfe  d'Orléans  parait  l'ignorer.  Liber 
de  online  baptismi,  c.  vu,  P.  L.,  t.  cv,  col.  227. 
Nonobstant,  l'insertion  est  devenue  irrévocable. 
On  voit  renaître  alors  l'antique  légende,  suivant  la- 
quelle les  douze  apôtres  auraient  apporté  au  symbole- 
chacun  leur  article  particulier  :  et  l'on  attribue  celui 
de  la  descente  aux  enfers  à  saint  Thomas  ou  à  saint 
Philippe.  Le  témoignage  le  plus  ancien  de  cette  attri- 
bution est  le  serin,  ccxl,  du  pseudo-Augustin.  P.  L.. 
I.  xxxix,  col.  2189.  ou  encore  le  serm.  i  CXI  i.  ibid., 
col.  2190:  Hahn.  Bibliothek  der  Symbole.  §  12  : 
Thomas  dixit  :  descendit  a<!  inferna.  On  la  retrouve, 
mais  en  faveur  de  sainl  Philippe,  à  la  fin  du  sacra- 
mentaire de  liobbio.  Ad  calcem  sacramentarii  Bob- 
biensis,  /'.  L.,  t.  lxxii,  col.  580  :  Andréas  dixil  pas- 
siim   sub  Poutio  l'Halo,  crucifixum  et  sepultum.  — 


573 


DESCENTE    DE    JESUS    AUX    ENFERS 


..  574 


Thomas  dixit  :  terlia  die  resurrexit,  clans  S.  Pirmin, 
De  singulis  libris  canonicis  scarapsus,  P.  L.,  t.  lxxxix, 
col.  103t  ;  cf.  Caspari,    Kirchenhistorische   Anecdota, 

Christian*,  1883,  p.  151  ;  Halin,  op.  cit.,  §  92;  et  dans 
une  pièce  de  vers  attribuée  à  saint  Bernard  : 

Infera  Philippins  fugit,  Thomasqui  revixit. 

2»  Les  papes  et  les  conciles.  —  1.  Du  ive  siècle, 
mentionnons,  pour  ce  qu'il  vaut,  le  témoignage  suivant. 

II  se  trouve  dans  le  Dictionnaire  encyclopédique  de  la 
théologie  catholique,  trad.  Goschler,  Paris,  1869,  t.  vi, 
p.  234,  qui  le  rapporte  d'après  Mansi,  Concil.,  t.  m, 
col.  565,  où  il  n'existe  aucunement,  pas  plus  d'ailleurs 
que  dans  Hardouin,  et  d'après  Waage,  De  setate  arti- 
culi  quo  in  s</mbolo  aposlolico  traditur  Jesu  Christi 
a<l  inferos  descensus,  Copenhague,  1836,  p.  9i  sq.,  où 
nous  n'avons  pu  faire  la  vérification.  Les  orthodoxes 
présenteraient  une  définition  expresse  de  la  descente 
aux  enfers  dans  un  analhème  69e  du  IIe  concile  œcu- 
ménique de  Conslantinople,  tenu  en  381.  L'anathème 
serait  conçu  eu  ces  termes  :  E;  -:■  >.é—£i  Sri  oCy  ô 
A'/-/',;  roû  6cvj  rjapx<jù9e\ç  txv/.'i  iu.'Vj/ovijivr,,  'Vj/-/; 
)'j-;:yrÊ  xctî  vospà  xaT£>.Y|),v8ev  ='.;  rôv  îSrjv,  àvâOr){J.a  'inxio. 
Nos  textes  ne  connaissent  pas  cette  série  d'anathèmes, 
et  le  symbole  connu  de  Conslantinople  ne  contient  pas 
l'article  de  la  descente  aux  enfers.  Cf.  Denzinger,  En- 
chiridion,  n.  i"  ;  10"  édit.,  n.  86. 

2.  Le  21  juillet  'ii7.  le  pape  saint  Léon  le  Grand 
adresse  àTurribius,  évêque  d'AsIorga,  en  Espagne,  une 
lettre  dogmatique  très  importante  au  sujet  des  erreurs 
priscillianistes.  Il  y  parle  de  la  descente  du  Christ  aux 
enfers,  comme  d'un  point  de  doctrine  absolument  hors 
d*'  doute  pour  un  catholique  :  Miror  cujusquam  calho- 
ini  intelligenliam  laborare,  lanquam  incertum  sit, 
an  DBSCBNDBNl'B  AD  INFBRNA  CHRISTO,  Caro  cjus  re- 
quieverit  in  sepulcro  :  quœ  sicut  rere  et  mortua  est  i'i 
sepulla,  il"  vere  est  tertio  die  suscitata.  E/iist.,  xv,  ad 
Turribium  Asturicensem  episcopum,  c.  xvn,  P.  L., 
t.  i.iv,  col.  690 

:i.  Au  début  du  vpsiècle,  le  pape  Symmaque  écrit  à 

l'empereur  Anastase,  une  lettre  demeurée  célèbre,  pour 

se  défendre  de  l'accusation  d'hérésie  portée  contre  lui 

par  ce   souverain  qu'il  avait  dû    excommunier.  S\m- 

maque  écril  en   pape,  en  finalité'   de  sedis  apnslolicm 

vicarius,  'I'-   /•'.  Pétri  qualiscumque  vicarius  .'comme 

tel,  il  formule  sa  propre  foi  :  elle  n'esl  autre  que  la  foi 

catholique,  quam  in  sede  beati  apostoli  Pétri  veniens 

epi  :  el  il  croil  que  le  Christ  s'est 

rendu  aux  enfers,  comme  il  croil  iion  ci  ■<  sa 

résurrection  :  Chrislus  ilaque,   Dcus  veraciter  tutus, 

et  totut   Itomo  est,  sic  •  ersatus  in 

SIC    APDD   INFEROS,  sic   resusci ln- 

.  dans  Mansi,  t.  vin, 

col.  214;  /'    /..,  t.  i.xii,  col.  66  sq.  —  Peu  après,  llor- 

I I I  i  -«  i  -•  ~ .  -uccesseur  de  Symmaque,  dans  une  lettre  à 
I  em|  clare  dii r,i  elon  la  doctrine 

aints  conciles,  les  questions  souh  sou- 

n.  Tout  I  tendant  à   établir  que  Ji 

Chrisl  esl  Dieu  el  homme  tout  à  la  fois,  rapproche  in- 
iblement,  dan-  une  sorte  de  parallélisme  continu, 
rails  qui  se  rapportent  à  l'humanité  et  ceux  qui  se 
rapportent  à  la  divinité.  Ces)  ainsi  qu'il  écrit:  TpseDei 
■  homo...  ,  ■  um  et  $al 

ificalor  obeunl 
w>  i\i  i  n\  i  m  el  a  Paît  non  rece- 

.  dans 
Mansi  i  m  col  522;  Hardouin  I  •  nciliorum, 
t.  il.  col.   1015;  /'.  /..,    t    i\ni.  col.  515.  —   Nou 

plus  loin  qu'à  la   tin  de  ce  w   siècle,  le  papi  sainl 
le  Grand,  non    cont<  ni  d'<  nsi  if  ner  le  fail  de 

la  di        i  donné  ui iplication  qui 

■ 
I.  Il  y  eut  au  ,  ■..  ,|,.  con- 


ciles aussi  importants  par  la  netteté  des  affirmations 
doctrinales  que  par  leurs  statuts  disciplinaires.  Deux 
intéressent  particulièrement  notre  question.  Le  Tole- 
tanum  IV,  tenu  en  633,  sous  le  pape  llonorius,  par 
6-2  évéques,  déclare,  dans  sa  confession  de  foi  initiale, 
que  le  but  de  la  descente  du  Christ  aux  enfers  fut  la 
délivrance  des  justes,  détenus  jusqu'alors  dans  les  lieux 
inférieurs  :  Descendit  ad  inferos,  ut  sanctos  qui  ibi- 
dem tenebantur  efûeref,  devictoque  rr.orlis  imperio 
resurrexit.  Conc.  Toletanum  TV,  c.  i,  dans  Mansi, 
Concil.,  t.  x,  col.  616;  Kiinstle,  Antipriscilliana,  p.  69. 
Le  Toletanum  XVI,  tenu  en  693  par  59  évêques,  ex- 
plique à  son  tour  que  i'àme  du  Christ  est  venue  aux 
enfers  pour  arracher  les  Ames  justes  à  la  tyrannie  de 
Satan  qui  les  retenait  captives  :  Tarlara  penetravit 
in  a)iima  et  sanctorum  animas,  quas  illic  hostis 
vinclas  tenebat,  morsu  polentiiv  suai  exemil,  ut  pre- 
phelale  valicinium  inquit  :  0  inferne,  ero  morsus 
tuus.  Conc.  Toletanum  XVI,  c.  i,  dans  Mansi,  t.  xn, 
col.  67. 

5.  Au  ix'  siècle,  le  VIe  concile  d'Arles,  assembléjsous 
Charlemagne,  renouvelle,  dans  sa  profession  de  foi,  la 
déclaration  du  IVe  concile  de  Tolède  :  Descendit  ad  in- 
feros, ut  sanctos  qui  ibidem  tenebantur,  erueret.  Conc. 
Arelatense  VI,  dans  Hardouin,  t.  iv,  col.  1003. 

6.  L'an  1141,  le  concile  de  Sens  dut  censurer  cer- 
taines doctrines  d'Abélard,  et  ses  décisions  furent  so- 
lennellement confirmées,  le  16 juillet  de  la  même  année, 
par  le  pape  Innocent  II,  agissant  au  nom  de  sa  pleine 
autorité  pontificale.  Or,  la  18e-  proposition  ainsi  con- 
damnée avançait  que  l'âme  du  Christ  n'est  pas  descen- 
due aux  enfers  réellement  et  par  elle-même,  mais  seu- 
lement par  sa  puissance  :  Quod  anima  Christi  )>er  se 
non  ilescendit  ail  inferos  sed  per  potentiam  tantum. 
Den/.inger,  n.  327  ;  10e  édit.,  n.  385.  C'est  l'erreur  que 
devait,  au  xive  siècle,  rajeunir  Durand  et  que,  plus  lard, 
les  auteurs  du  Catéchisme  romain  croyaient  devoir  si- 
gnaler encore  expressément. 

7.  Au  xiif  siècle,  deux  conciles  œcuméniques  défi- 
nissent solennellement  le  dogme  de  la  descente  du 
Christ  aux  enfers.  En  1215.  le  IV'°  concile  de  Latran 
établit  la  profession  de  foi  catholique  contre  les  albi- 
geois et  d'autres  hérétiques.  Il  affirme  donc  que  le 
Christ  est  descendu  aux  enfers  :  passus  et  murtuus, 
DESCENDU  AD  INFERNOS,  rrsnrrr.ri (  a  mortuis,  el  as- 
cendit  in  cselum.  Mais,  de  plus,  le  concile  explique 
aussitôt  la  formule  dogmatique,  el  ajoute  que  le  Christ 
i^t  descendu  aux  enfers,  non  point  en  sa  chair,  mais 
en  son  aine  :  SED   DBSi  ES  DIT  n    ANIMA  et  resurrexit 

iscenditque  pariter  in  utroque.  Denzin 

n.  356;    10»  édit.,  n.  '.29.  En  1267,  Clément  I\  impose 

me  condition  du    retour  à  l'unité,  à  Michel  Paléo- 

.  une  confession  de  foi  catholique,  préparée  par 

rdre.  L'empereur  accepta  et  émit  solennellement 

cette   profession  de  foi,  au   concile   de    Lyon,  en  1274, 

devant  le  pape   Grégoire  X.    Elle  porte  :   Credimus... 

unum    et    unicum    Filium    f)ci...    in    humanitate... 

mortuum  et  sepultum,  si  descendisse  lo  ini  bros,  ac 

tertia  i/o'  resurrexisse.    Denzinger,  n.  384     10  .dit.. 

n     162 

:;  Let  catéchisn  es.  I.  Les  catéchismes  diocésains, 
publiés  par  ordre  des   évoques,  sans  'ire   des 

authentiques,   .m   <en^    Btricl  du   mol.  n'en    sont 

pas  moins  des  oi     i        u  des  moyens  officiels  de  l'en- 

i  no  ni  quotidien  ei  catéchétique  de  l'Église.  Pour 
n.  il  \  a  lieu  de  remarquer  que  ton-  pi opo 
senl  la  doctrine  de  la  desi  ente  aux  enfers.      2.  D'autre 
part,  le  Catéchisme  romain   >  l'en  -on  aut 

u  il  fut  par  onire  riu  concile  de  'i  i 
publie  parles  souverains  pontifi    Pii  v  el  Cli  menl  \  i  il. 
donné  aux  pasl  ne  texte  à  suivre  pour  la  pré 

dication  ou  l'i  i  ni  de  la  doeti  [que 

■ 


:.7.". 


D E S C E N T  E   D E    .1  É SUS   A  U  X    E  N  F I .  I ;  S 


>7G 


descente  du  Christ  aux  enfers,  dans  les  termes  rappe- 
lés dès  le  début,  mais  pour  inculquer  toute  la  portée 
du  dogme,  il  i nsi> te  sur  le  sens  propre  et  non  méta- 
phorique de  la  formule,  sur  la  réalité  du  l'ait  lui-même. 
Il  serait  insuffisant  de  penser  que  le  Christ  soit  des- 
cendu aux  enfers,  en  ce  sens  qu'il  \  aurait,  en  quelque 
manière,  manifesté  l'éclat  de  sa  force  ou  de  sa  puis- 
sance. Il  faut  tenir  que  son  âme,  toujours  unie  à  sa 
divinité,  s'est  vraiment  transportée,  s'est  rendue  réelle- 
ment présente  aux  enfers.  Nec  vero  exislimandum  est 
eum  (Chrisium)  sic  ad  inferos  descendisse,  ut  ejus 
lantummodo  vis  ac  virlus,  non  eliam  anima,  eo  per- 
oenerit  :  sed  omnino  credendum  est  'ipsam  animam 
HIC  ET  PRjESENTIA  au  inferos  descendisse;  de  quo 
exslat  firmissimum  iliud  Davidis  testimonium  :  Non 
derelinques  animam  meam  in  inferno,  Ps.  xv.  10. 
Catechismus  ad  paroclios,  part.  I,  c.  VI,  n.  i.  lîome, 
1902,  p.  56.  C'est  la  réplique  directe  à  la  théorie  erro- 
née d'Abélard  et  de  Durand. 

/;.  LES  DOCUMENTS  SCRIPTURAIRES.  —  La  descente 
aux  enfers  peut-elle  se  démontrer  par  les  Ecritures'.' 
Bellarmin  trouve  qu'on  ne  peut,  par  les  seules  Écri- 
tures, établir  cette  preuve  avec  une  certitude  telle 
qu'elle  rende  impossible  la  contradiction.  Il  veut  mon- 
trer la  fréquente  nécessité  de  traditions  autorisées 
pour  fixer  le  sens  des  Écritures,  et  il  écrit  :  Exempta 
sunt  plurima.  Nam  sequalitas  divinarum  persona- 
rum...  descensus  Chrisli  ad  inferos,  et  multa  similia 
deducunlur  quidem  ex  sacris  litteris,  sed  non  adeo 
facile,  ut  si  solis  pugnandum  sit  Scriptural  testimo- 
niis,  nunquam  lites  cum  protervis  finiri  possint. 
Disput.  de  controversiis  fidei,  De  Verbo  Dei,  1.  IV, 
c.  iv,  Ingolstadt,  1599,  p.  2C5.  Louis  de  Hlois  est  d'un 
avis  analogue.  Duns  Scot  déclarait  aussi  que  la  des- 
cente aux  enfers  n'est  pas  enseignée  par  l'Évangile, 
mais  il  faut  cependant  la  tenir  pour  un  article  de  foi  : 
Dico  quod  Christum  descendisse  ad  inferna  non 
docetur  in  Evangelio,  et  tamen  tenendum  est  sicut 
arlicidus  fidei,  quia  ponilur  in  symbolo  apostolorum. 
In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  XI,  q.  i,  Venise,  1617,  p.  723. 
Payva  Dandrada  étend  cet  avis  négatif  à  tous  les  écrits 
du  Nouveau  Testament.il  y  a  bien  quelque  exagération 
dans  ces  jugements  si  absolus. 

1°  Dans  l'Ancien  Testament,  il  n'y  a  que  des  pro- 
phéties, toujours  plus  ou  moins  voilées;  des  figures 
que  les  Pères  et  notamment  saint  Jérôme  et  saint  Au- 
gustin, saint  Hilaire  et  saint  Basile,  ont  expliquées  de 
la  descente  aux  enfers.  —  1.  Le  Ps.  xxxui,  7-9  :  Attol- 
lite  portas,  principes,  veslras,  et  elevamini  portée 
œternales,  est  une  sommation  aux  portes  de  la  forte- 
resse de  Sion  d'avoir  à  s'ouvrir  pour  laisser  passage  à 
l'arche  du  Seigneur.  On  l'interprète  d'une  sommation 
aux  portes  du  Schéol  pour  la  glorieuse  entrée  du  Christ, 
vainqueur  de  la  mort  et  du  démon.  —  Au  Ps.  xxix.  i  : 
Eduxisti  ab  inferno  animam  meam,  le  roi  David  re- 
mercie Dieu  d'une  guérison  qui  peut  être  regardée 
comme  une  résurrection,  comme  un  retour  du  Schéol, 
tant  la  maladie  était  grave.  Le  verset  s'entend  de  l'âme 
du  Christ  qui  est  sorti  du  Schéol  pour  se  réunir  à  son 
corps,  à  l'aube  du  troisième  jour.  —  On  interprète, 
dans  le  même  sens,  Ps.  xlviii,  16  :  Deus  redimel  ani- 
mam meam  de  manu  inferi,  ru  m  acceperit  me; 
Ps.  LXXXV,  13  :  Eripuisti  animam  meam  ex  inferna 
inferiori  ;  Ps.  evi,  16  :  Quia  contrivit  portas  œreas,  et 
vectes  ferreos  confregit,  et  même  Ps.  cxxxvin,  8  : 
Si  ascendero  in  cselum,  lu  illic  es;  si  descendero  in 
infemum,  ades,  ou  pourtant  il  est  assez  difficile  de 
trouver  une  prophétie  ou  une  figure;  car  le  psalmiste 
emploie  cette  formule  pour  marquer  que  Dieu  est  par- 
tout, si  loin  qu'on  se  transporte. 

2.  D'autres  textes  île  l'Ancien  Testament  ont  encore 
été  invoqués  :  par  exemple,  Eccli.,  XXIV,  15,  où  il  est 
directement  question  de  la  Sagesse  :  Penetrabo  omnes 


inferiores  parles  terra;,  et  mtpiciam  omnes  dor- 
mienlet,  et  Uluniinabo  omnes  sperantes  in  !)•>,, 
Zach.,  ix,  11,  où  Dieu  rappelle  ■<  Jérusalem  qu'il  a 
rendu  la  liberté'  aux  Juifs  exilés  en  Chaldée,  à  i 
de  l'alliance  consacrée  dans  le  sang  des  victimes 
quoque,  in  sanguine  te  t  tamen  ti  tui,  emitûti  vinclos 
tuos  de  lacu.  Mais  le  texte,  qui  parait  avoir  été  le  plus 
souvent  allégué,  est  la  prophétie  d'Osée,  xm.  14  :  De 
mnnn  morlis  liberabo  eos,  de  morte  redimam  eos. 
Ero  mors  tua,  o  mors;  morsus  tuus  ero,  in/erne. 
Littéralement,  il  est  ici  question  de  la  victoire  par 
laquelle  Dieu  délivrera  les  Israélites  de  tous  leurs 
ennemis.  Saint  Grégoire  le  Grand  y  voit  une  prophétie  : 
elle  a  trouvé  sa  réalisation  dans  la  victoire  que  le 
Christ  a  remportée  sur  la  mort,  et  aussi  sur  l'enfer 
lorsqu'il  y  descendit  :  lllos  ex  inferni  claustris  ra- 
puit,  qitos  suus  in  fide  et  aclibus  recognorit.  I 
recle  eliam  per  Osée  dicil  :  Ero  mors  tua,  o  mors: 
ero  morsus  tuus,  inferne,  Osée,  xm,  11.  1,/  namque 
quod  occidimus,  agimus  ut  penilus  non  s'il.  Ex  eu 
etenim  quod  mordemus,  parlent  abstrahimus  par- 
temque  relinquimus.  Quia  ergo  in  eleclis  suis  fundi- 
lus  occidit  mortem,  mors  morlis  exslilit.  Quia  vero  ex 
inferno  partem  abstulit  et  parlem  reliquit,  non  occi- 
dit penilus  sed  monwrdil  infemum.  Ait  ergo  :  Ero 
mors  tua,  o  mors.  Ac  si  aperte  dirai  :  Quia  in  eleclis 
■meis  le  funditus  perimo,  ero  mors  tua;  ero  morsus 
tuus,  inferne,  quia  sublatis  eis,  le  ex  parte  transfigo. 
Homil.  in  Evang.,  xxii,  n.  6,  P.  L.,  t.  lxxvi,  col.  1177. 
Cf.  S.  Cyrille  de  Jérusalem,  Cal.,  XIV,  17.  P.  G., 
t.  xxxiii,  col.  848;  S.  Jérôme,  lu  Ose.,  xm.  li.  P.  L., 
t.  xxv,  col.  937;  S.  Pirmin,  Desingulis  libris  canonicis 
scarapsus,  /'.  L..  t.  lxxxix,  col.  1033-1034. 

2°  Le  Nouveau  Testament  contient  des  assertions 
très  diverses  touchant  la  descente  aux  enfers.  Quelques- 
unes  sont  tellement  catégoriques  qu'elles  ne  laissent 
plus  place  à  l'hésitation. 

1.  En  saint  Matthieu,  xn.  39-40.  Notre-Seigneur. 
parlant  de  ses  contemporains,  annonce  le  grand  mi- 
racle qui  s'accomplira  sous  leurs  yeux  :  «  Cette  géné- 
ration méchante  et  adultère  demande  un  signe,  et  il 
ne  lui  sera  donné  d'autre  signe  que  le  signe  du  pro- 
phète Jonas.  Car  de  même  que  Jonas  fut  trois  jours  et 
trois  nuits  dans  le  ventre  d'un  grand  poisson,  ainsi  le 
Eils  de  l'homme  sera  trois  jours  et  trois  nuits  dans  le 
cœur  de  la  terre.  »  Plusieurs  interprètes  ont  vu  dans 
l'expression  :  in  corde  terra:.  ï-i  -r,  xapêia  rîKYÎjç,  uni. 
manière  poétique  de  désigner  le  sépulcre  de  Jésus- 
Christ.  Au  contraire,  un  bon  nombre  d'autres,  comme 
saint  Irénée,  Cont.  hser.,  1.  Y,  c.  xxxi,  n.  2,  P.  G., 
t.  vil,  col.  1209;  saint  Grégoire  de  N\sse.  Oral.,  i,  de 
resurreclione  :  Tôv  TcovSv  ).éy<o,  tôv  irraOw;  -/.a?à  toC 
XT,TOVç  y.3(Ta2-jôjj.svov,  xa\  Z-.yv.  -i6o'j;  iv.  roj  xt.to-.; 
àvaS-j&jiEvov,  tôv  y.y.\  Tpi^\v  r.uipa:;  xai  roca'jTai;  wS':v 
i/  -o':;     /.r.-'i'O'.:    (j-xliyy'/o::    ri)V    Èv    55ou    6tXTpt6T)V    roO 

Kvpc'ou  itpo&iavpâtliavToc,  P.  G.,  t.  xlvi,  col.  601:  saint 
Ambroise,  In  Epis  t.  ad  Eph.,  c.  iv.  9.  P.  L.,  t.  xvn. 
col.  587;  et  saint  Jérôme.  In  Jon.,  c.  il.  P.  L..  t.  xxv, 
col.  1131,  ont  jugé  difficile  d'admettre  que  le  sépulcre 
de  Notre-Seigneur  soit  présenté  comme  situé  au  cœur 
même  de  la  terre.  Aussi  ont-ils  trouvé  plus  naturel 
d'entendre  ces  mots  de  la  signification  du  lieu  infer- 
nal :  en  sorte  qu'il  \  aurait  ici.  du  Christ  lui-même, 
une  prophétie  de  sa  descente  et  île  son  séjour  aux  en- 
fers. Cf.  lînabenbaucr,  Comment,  in  Erang.  S.  Mat- 
ai, 39-40,  Paris,  1892,  i.  i.  p.  199-500. 
2.  En  plusieurs  endroits,  saint  Paul  parait  supp. 
pour    certain   le    fait   de   la    descente    aux    enfers.   — 

I, x,   li.   il   explique  aux  Juifs  combien  il  leur 

était  facile  d'adhérer  au  Christ  et  d'être  justifiés  par 
lui.  Pas  besoin  n'était  pour  cela,  soit  de  monter  au 
ciel  pour  en  faire  descendre  le  Christ,  soit  de  des- 
cendre dans  l'abîme  pour  en  rappeler  le  Christ  d'entre 


577 


DESCENTE    DE   JESUS    AUX    ENFERS 


578 


les  morls  :  Ne  dixeris  in  corde  tno  :  Quis  ascendel  in 
cœlum  ?  id  est,  Christum  deducere.  Aut  (juis  descen- 
del  in  abyssum?  hoc  est  Christum  a  morluis  rero- 
care.  D'où  il  semble  que,  dans  la  pensée  de  saint  Paul, 
le  Christ,  après  sa  mort  et  avant  sa  résurrection,  a  été 
dans  l'abime.  c'est-à-dire  dans  le  séjour  des  morts.  — 
b)  Eph.,  iv,  9-10,  l'apôtre  écrit  :  Quod  autem  ascendit, 
quid  est,  nisi  quia  et  descendit  primum  in  inferiores 
parles  terrée  (xa-Éër,  jtpwtov  ec;  ri  -/.a-o'jTcpa  (j.:'pr,  rfjç 
yf,ç)?  Qui  descendit,  ipse  est  et  qui  ascendit  super 
omîtes  ceelos  (àvÉëïi  ô-Epivi.)  7c<xvt<uv  t<5v  ovipavûv),  ut 
implerel  omnia.  D'après  les  uns,  les  inferiores  partes 
terne  marqueraient  l'abaissement  de  l'incarnation,  et 
le  passage  signifierait  que  le  Christ  est  monté  à  la 
gloire,  parce  qu'il  s'était  humilié  jusqu'à  revêtir 
l'humanité  terreslre;  saint  Thomas  n'accepte  pas  celte 
interprétation.  Selon  d'autres,  l'apôtre  enseigne  ici  que 
le  Christ,  afin  de  remplir  toutes  choses,  c'est-à-dire 
afin  de  parcourir  tout  l'univers  en  triomphateur  el 
de  partout  manifester  sa  puissance,  est  descendu  dans 
les  parties  inférieures  de  la  terre  et  monte''  au-dessus 
de  tous  les  cieux.  De  l'opposition  établie  entre  ces 
deux  extrêmes,  il  résulte  que  le  verbe  y.axéër\  doit  être 
pris  dans  le  même  sens  localisé  que  v.'iidr„  c'est-à-dire 
qu'il  marque  aussi  un  réel  passage  d'un  lieu  à  un  autre. 
Ainsi  se  trouve  exclue  l'interprétation  métaphorique 
de  la  descente  par  l'incarnation  et  de  l'ascension  par 
la  glorification.  D'autre  part,  il  parait  difficile  que  l'ex- 
pression :  inferiores  partes  terrée,  désigne  ou  toute  la 
terre,  ou  simplement  la  surface  terrestre  et  la  place  du 
tombeau  de  Notre-Seigneur.  Elle  semble  plutôt  mar- 
quer un  lieu  déterminé,  situé  dans  les  profondeurs  de 
la  terre,  je  veux  dire  les  enfers,  que  le  Christ  a  visités 
comme  il  avait  visité  la  terre  elle-même  et  devait  visiter 
le  ciel,  afin  de  loul  remplir  de  sa  présence  et  de  son 
influence  :  »/  in  nomine  Jesu  omne  genu  fleclatur, 
ceeleslium,  lerreslrium  ri  infemorutn.  Phil.,  n,  10. 
Aussi  paralt-il  beaucoup  plus  probable  que  l'apôtre 
mentionne  ici  la  descente  de  Jésus-Christ  dans  les  lieux 
infernaux.  —  c)  Col.,  n.  15  :  Et  eoespolians  principatus 
ri  po testâtes,  tradv  i  il  confidenter,  ),alam  triumphans 
iltus  u,  terne tipso.  Selon  les  uns,  l'apôtre  avertit  que 
les  chrétiens,  s'ils  demeurent  unis  à  Jésus-Christ,  n'ont 
plus  rien  à  craindre  des  dénions  :  car,  par  l'intermé- 
diaire de  son  Christ.  Dieu  les  a  terrassés  et  désarmés; 
il  a  triomphé  d'eux  publiquement,  les  conduisant  de- 
vant lui  comme  on  faisait  jadis  des  vaincus.  Mais 
d'autres  commi  ont  entendu  le  passage  d'une 

omplie  directement  par  !<•  Christ,  et,  par 
suite,  il  \  aurait  in  mention  de  la  descente  aux  enfers 
et  du   triomphe  qu'elle  fut  pour  le  Christ  sur  les  puis- 

3.  Les  textes  décisifs  el  classiques  nous  viennent  de 

1  Le  premier  est  le  discours  prononcé 

par  b'  prince  d<  -  apôln  -    i  Jérusalem,  au  jour  de  la 

Pentecôte  el  rapporté  par  fis   Actes.  N'ous  laissons  'le 

Act..  ii,  24  :  Quem  /'  lavit,  solutis  dolorv- 

"/■■tut.  parci    que   la   leçon  est  indécisi     on   ne 

faut    lue    î?ou  ou  ÛavdiTov,  et,   par 

■■u  ne  peut  dii  it  des  douleurs  de  l'enfer 

ou   il-  celles  de  la  mort.   Mus  nous  retenons   Vct.,  il, 

10  'In    l's.   XV   :    | 

inques  ani  nfei ,,,,  ;  ,\ 

I  peuvi  1 1  p   a  appliqu 

I   lui  même,  i  ar  il  i   t  mort,  il  a  li  et 

oui-  li  qui  le  contient.  <tr,  conti- 

Pii  rre,    i  prophète.  Il  savait  que 

lui  avait  juré  de  mettre  sur  son  trône  un  lil 

d  du  Christ,  qu  il   pré'  oyait, 

en  'ii  dam   le  séjour 

iii    n'a  pa    i  onnu  la  corruption. 

Au    li  'loue 

qui    le  <  i    mort  ei   avait 

DICT.    [)F.   7111  "ni  .  CiTHOL. 


résurrection,  iraiten  son  Ame  dans  les  enfers,  si;  SSou. 
Mais  elle  n'a  pas  été' abandonnée  en  ce  séjour  infernal  : 
à  la  résurrection,  elle  fut  réunie  à  son  corps.  Le  sens 
de  ce  passage  est  si  clair  que  les  commentateurs  catho- 
liques sont  unanimes  à  l'entendre  delà  réelle  descente 
de  l'âme  du  Christ  aux  enfers.  Nombre  de  protestants 
abondent  aussi  dans  le  même  sens.  En  fait,  il  faut  impo- 
ser aux  mots  une  véritable  violence  pour  en  tirer  les 
interprétations  opposées,  celle-ci,  par  exemple,  de 
Calvin  :  Saint  Pierre  marque  simplement  ici  que  l'âme 
du  Christ  ne  fut  pas  tout  à  fait  anéantie  par  la  mort; 
ou  cette  autre  de  Théodore  de  Bèze  :  En  disant  que 
l'âme  du  Christ  ne  fut  pas  abandonnée  dans  l'enfer, 
saint  Pierre  n'annonce  rien  autre  chose  sinon  que  le 
corps  du  Christ  n'a  pas  été  délaissé  dans  le  tombeau. 
Quand  on  accorderait  à  Théodore  de  Bèze  que  le  mot 
hébreu  néféê,  t-::,  a  parfois  la  signification  de  cadavre, 

il  ne  s'ensuivrait  nullement  qu'il  a  précisément  ici  ce 
sens  et  qu'il  faut  lire  :  non  relinques  cadaver  meum 
in  sepulcro;  d'autant  plus  que  le  mot  se'ô/,    ViNtf,  ne 

signifie  jamais  sépulcre,  mais  habituellement,  pour  ne 
pas  dire  toujours,  le  monde  inférieur,  le  royaume  des 
ombres,  l'enfer.  D'autre  part,  ce  qui  a  bien  son  impor- 
tance, le  texte  grec  des  Actes  traduit  Se'ôl,  non  par  râçoç, 
mais  par  Sôï|ç,  et  néféê  par  ■l-jyrr  Or,  malgré  que  Suicer, 
Thcs.  eccles.,  v»  <l>-jyr„  t.  n,  p.  1579,  veuille  donner  au 
mot  SSïjç,  dans  la  littérature  patristique,  le  sens  de 
sépulcre,  Dietelmaier  avoue  qu'il  n'a  rencontré  aucun 
texte  des  Pères  offrant  ce  sens  exclusif.  Historia  dog- 
matis  de  descensu  Christi  ad  inferos,  2e  édit.,  Altorf, 
1762,  p.  12.  Suicer  n'est  pas  plus  heureux  quand  il 
tente  de  traduire  anima,  \ivy_rn  par  cadavre.  D'où  l'on 
peut  conclure  absolument  qu'en  son  discours  saint 
Pierre  a  voulu  dire  et  a  dit  que  l'âme  du  Christ  ne  fut 
pas  délaissée  dans  les  enfers  où  elle  élait  descendue. 
Cf.  Bellarmin,  Controv.  fidei,  De  Christo,  I.  IV,  c.  xn, 
Ingolstadt,  ir>99,  p.  375-377;  Dictionnaire  encyclopé- 
dique delà  théologie  catholique,  trad.  Goschler,  Paris, 
1869,  t.  vi,  P.  -l-i-i-ïi). 

b)  Il  est  un  autre  enseignement  de  saint  Pierre  qui 
a  aussi  sa  grande  importance,  et  qui  est  consigné  dans 
la  la  Pet.,  m,  19.  Il  n'affirme  pas  simplement  le  fait 
de  la  descente  aux  enfers,  mais  en  expose  l'économie. 
Le  texte  sera  plus  utilement  étudie  plus  loin,  à  propos 
de  l'œuvre  du  Christ  aux  enfers. 

///.  LES  DOCUMENTS  PATRISTIQUES.  —  Nous  avons 
Constaté  que  la  première  attestation  de  la  descente  aux 

enfers  dans  les  symboles  ou  les  professions  de  loi  date 
du  iv  siècle.  Mais  les  Écritures  nous  ont  édifiés  sur  le 
sentiment  de  l'âge  apostolique,  et  l'ancienne  littérature 
patristique  témoigne  que.  dès  les  tempe  les  plus  reculés, 
la  croyance  se  trouve  établie  que  le  Christ  est  descendu 
aux  enfers. 

1»  La  plupart  des  écrits  ecclésiastiques  du  ir  siècle 
enseignent  cette  doctrine.  1,  Un  apocryphe,  VÉvan- 
gile  :ie  Pierre,  dit  qu'à  l'instant  ou  le  christ  sortit 
du  tombeau,  une  voix  cria  du  ciel  :  i  As  lu  prêché  aux 
morts?  »  Et  une    voix  partie  de   la   croix   répondit   : 

«  Oui.    ■>   Kal    •;<.  '",;    rjxouov   ï/.    rûv    oùpav&v   ).i",o  J-rr,;' 
.  /.  su  ùnaxa  .  a-  ■  to-j 

o-ravpoû  6tt'  val.  Evangel,  Pétri,  il.  Parmi  les  Testa- 
mente,  pareillement  apocryphes,  de-  douze  patriarches, 
celui  de  Benjamin  prophétise  le  fait,  c.  xn,  n.  9,  dans 
Galland,  Bibliot  Palrum,  t.  i,  p.  239;  P    <•  . 

t.  n,  col.  1148.  Cf.  Mo.  Mer.  Patrologie,  t.  i,  p.  966. 
Saiiii  [gnai  que  le  Sauveu i  les  pro- 

qui  attendaient   sa  venue  et  li      i  ressuscil 
Kal  '■'.■x  -', 

i  i  Hagn  ,  i x.  -2. 1  nul, .  Palrum 

i.  p.  Ifs.  Dans 

s.i  b  lire  aux  Trallii  ns,  il  semble  an  lluaion  i 

la  descente  aui   enfers,  lorsqu'il  écrit      Le  Sauveurs 

I\.       19 


579 


liKSCEXTE   DE   JESUS    AUX    ENFERS 


580 


été  vraiment  crucifié,  il  est  réellement  mort,  au  vu  et 
au  su  des  esprits  célestes,  des  hommes,  et  des  .'unes  re- 
tenues sous  terre.  BXeitdvtcov  tûv  £jcovpavtu>v  /.%:  ïr.:- 
•riîuyi  '/.al  •j7to/0'jvû.)v.  Ad  Trall.,  IX,  2,  Funk,  op.  cil., 
t.  i,  p.  208.  Le  pseudo-Ignace  a  commenté  ce  texte  par 
l'addition  suivante  :  Le  Christ  est  descendu  seul  aux 
enfers,  mais  il  est  remonté  en  nombreuse  compagnie  : 
Kai  y.aT7(/.0sv  eïç  x8ï)v  [làvoç,  àv/)X8ev  Sk  p.îTà  tcXtjOovç. 
^1(/  Trall.,  ix,  i,  Funk,  op.  eif.,  t.  il,  p.  70.  Au  milieu 
du  ne  siècle,  Ilermas  imagine  que  l'œuvre  du  Christ  se 
continue  après  lui  dans  les  enfers.  Voici  quarante  apô- 
tres et  docteurs  qui,  une  fois  décédés,  s'adressent  main- 
tenantaux  runes  des  morts,  les  amènent  à  la  connais- 
sance du  Fils  de  Dieu  et  leur  donnent  le  sceau  de  la  pré- 
dication (le  baptême)  :  Oûtoi  o\  a7i6<TTo).i-ji  /ai  oi  5'.5â<7-/.a- 
)oi  ol  xï)p'Ji;avTeç  tô  ovotj.a  to'j  \i\o\j  toû  0eoO  xotjj.r,6£vT£; 
Èv  8\jvap.£c  xai  ■xia-i:  toû  -jiov  toû  ©eoO  È-/ïjpui;av  /.ai  toï; 
7rpo5tExoi|J.Y)|jivoiç,  /.a"!  a-JTo\  È'ôar/av  a'jroî;  r/]v  ffçpayîSa 
toû  xr)pûy|JWiToç.  S<m.,  IX,  XVI,  5,  Funk,  op.  cit.,  t.  I, 
p.  532.' 

2.  Saint  Justin  blâme  les  Juifs  de  se  figurer  que  le 
Christ  a  paru  dans  les  enfers  comme  un  homme  ordi- 
naire. Il  leur  fait  grief  d'avoir  supprimé  de  la  prophétie 
de  Jérémie  ce  texte,  du  reste  apocryphe,  plusieurs  fois 
invoqué  au  IIe  siècle  :  «  Le  Seigneur  Dieu  s'est  souvenu 
des  morts  d'Israël  qui  dorment  sous  la  terre,  et  il  est 
descendu  vers  eux  pour  leur  annoncer  la  bonne  nou- 
velle de  son  salut.  »  Kai  àno  Taiv  Xôytov  to-j  avToû  Is- 
pejjiou  ôp.ot'a>ç  xaÛTa  7r£p:£-/.0'}/av.  «  'E|xvr,«ï6Y|  6k  KJptoç  ô 
èeoç  àirb  'I<rpar|X  tûv  vsxpûv  aijtoû  T<iiv  xsxot[i,Y][iiv<i>v  eIç 
vr,v  /(ôp-axoç.  Kai  •/.atÉgr,  Ttpôç  aÙToùç  E-JaYYEXcc-aTOai 
aOioîç  tô  o-a>TT,piov  avToû.  »  DiaL  cum  Tryph.,  72, 
P.  G.,  t.  vi,  col.  645.  Saint  Irénée  s'appuie  lui  aussi 
sur  ce  texte  apocryphe,  qu'il  attribue  tantôt  à  Isaïe  et 
tantôt  à  Jérémie,  Cont.  hser.,  l.*III,  c.  xx,  n.  4,  P.  G., 
t.  vu,  col.  945  (Isaïe)...  Et  descendit  ad  eos  evangelizare 
salutem  quae  est  ab  eo,  ut  salvavet  eos;  1.  IV,  c.  xxii, 
n.  1,  col.  1046  (Jérémie);  1.  IV,  c.  xxxm,  n.  12,  col.  1081  : 
Rccommcmoralus  est  Dominus  sanctus  lsrai'l  mor- 
tuorum  suoriim  qui  preedormierunt  in  terra  defossio- 
nis  et  descendit  ad  eos;  1.  V,  c.  xxxi,  n.  1,  col.  1208. 
Dans  l'ouvrage  du  même  Père,  récemment  découvert 
en  arménien,  il  cite  encore  ce  texte  apocryphe  sous 
le  nom  de  Jérémie  pour  en  conclure  que  Jésus  est 
descendu  aux  enfers  afin  de  sauver  les  morts,  qui  y 
étaient  enfermés.  Karapet  Ter-Mèkërttschian  et  Erwand 
Ter-Minassiantz,  Des  heiligen  1  rendus  Schrift  zum 
Erweise  der  apostolischen  Verkundigung,  n.  78,  dans 
Texte  und  Untersuchungen,  Leipzig,  1907,  t.  xxxi, 
p.  42,  63.  L'évêque  de  Lyon  s'appuie  encore  sur  une 
vieille  tradition,  venue  d'un  ancien  qui  la  tenait  des 
auditeurs  des  apôtres  :  Audivi  a  quodam  pre&bytero 
qui  audieral  ab  his  qui  apostolos  viderant...  Dominum 
in  ea,quse  suntsub  terra,  descendisse,  evangelizantem 
et  illis  adventum  suum,  remissione  peccatorum  exis- 
stente  his,  qui  credunt  in  eum,  I.  IV,  c.  xxvn,  n.  1-2, 
col.  1056-1058.  Parfois  aussi  saint  Irénée  part  du  fait 
même  de  la  descente  aux  enfers  comme  d'un  principe 
pour  combattre  ses  adversaires.  Reprenant  une  opinion 
de  saint  Justin,  il  soutient  que  les  âmes  des  défunts 
ne  sont  pas  immédiatement  accueillies  dans  le  ciel, 
mais  elles  vont  attendre  le  jour  de  la  résurrection  dans 
un  lieu  invisible  situé  dans  l'aôriç.  Ainsi  l'exige  la  res- 
semblance avec  Jésus-Christ  qui  est  allé  dans  l'endroit 
où  vont  les  âmes  des  morts  et  n'est  ressuscité  et  monté 
au  ciel  qu'après  cela.  Cum  enim  Dominus  in  medio 
umbree  mortis  abierit,  ubi  animée  mortuorum  erant, 
post  deinde  corporaliter  resurrexit,  1.  V,  c.  xxxi,  n.  2, 
col.  1209.  Aux  gnostiques  qui  tentaient  de  la  résurrec- 
tion une  explication  allégorique,  il  oppose  la  réalité 
du  fait  de  la  descente  aux  enfers  :  Dominus  legem 
mortuorum  servavitut  fieret  primogenitus  a  nwrtuis, 
et  commoratus  usque  in  diem  tertiam  in  inferioribus 


terrse.  Ft  il  s'agit  bien  là  des  enfers,  inferiora  terrée, 
car  c'est  le  lieu  de  l'ombre  de  la  mort,  ubi  animai 
mortuorum  erant,  1.  V,  c.  xxxi,  n.  2.  col.  1209.  Tribus 
ut  eonversalus  est  ubi  erant  mortui...  et  descendit 
ml  eos,  extrahere  eos  et  sahare  eos.  Ibid.,  n.  1. 
col.  1208. 

3.  Aux  confins  du  IIe  et  du  m»  siècle,  nous  rencon- 
trons Clément  d'Alexandrie.  Il  consacre  tout  un  chapitre 
de  ses  H tr ornâtes  à  l'empire  des  morts  dont  il  décrit 
les  conditions  ou  l'économie,  au  moment  de  la  venue 
du  Sauveur.  Or  il  affirme  que  le  Christ  est  descendu 
aux  enfers  pour  visiter  les  hommes  d'autrefois,  qui, 
toujours  vivants  en  leur  âme,  attendaient  son  arrivée. 
Le  seul  but  de  sa  visite  était  de  leur  annoncer  la  bonne 
nouvelle:  Eï  y'»5v  ô  K-jpto;  St'ovSsv  Êtepoy  s'.;  xSo*j 
xatTJXOev,  ïj  oià  tô  EÛayyEAÉffaffôat.  Slrom.,  VI.  c.  VI, 
/'.  G.,  t.  ix,  col.  268.  Cette  évangélisation  d'outre- 
tombe  ne  cesse  pas  avec  la  résurrection  du  Christ.  Clé- 
ment cite  expressément  deux  fois  le  passage  d'Hermas 
où  il  est  dit  que  les  apôtres  morts  ont  prêché  aux  âmes 
des  justes  qui  ne  connaissaient  pas  le  Christ  et  n'avaient 
pas  reçu  le  sceau  du  baptême.  A'.ôttes  6  K-jpto;  e-jyjy- 
YeXtVaTO  -/.ai  toî:  èv  S8o«.  Strom.,\l.  c.  VI, i*.  G.,  t.  ix. 
col.  265;  cf.  II,  c.  IX,  ibid.,  t.  vm,  col.  980. 

2°  Le  ine  siècle  apporte  aussi  sa  gerbe  de  témoignages 
plus  explicites  à  notre  moisson  patristique.  —  1.  Ter- 
tullien  est  formel.  Comme  saint  Irénée,  du  fait  de  la 
descente  aux  enfers,  il  tire  argument  contre  l'opinion 
qui  ouvre  le  ciel  aux  âmes  des  justes  immédiatement 
après  la  mort.  Le  Christ  s'est  conformé  aux  lois  de  la 
mort  humaine  :  il  n'est  monté  au  ciel  qu'après  être 
descendu  dans  les  profondeurs  de  la  terre  pour  se  ma- 
nifester aux  prophètes.  Ainsi  doit-il  en  être  de  ses  dis- 
ciples :  Siquidem  Chris tum  in  corde  terrse  triduum 
mortis  legimus  expunctum...  Quod  si  Chris  tus  Deus, 
quia  et  homo,  mortuus  secundum  Serij>turas  et  sepultus 
secundum  easdem,  huic  quoque  legi  satisfecit,  forma 
humanse  mortis  apud  in  feras  functus  ;nec  ante  OSi 
dit  in  sublimiora  cwlorum,  quant  descendit  in  infe- 
riora terrarum,ut  illic  patriarchas  et  proplwtas  com- 
potes sui  faceret.  De  anima,  c.  lv,  P.  L.,l.  n,  col.  742. 
Puis,  du  même  fait,  il  conclut  à  l'existence  réelle  d'une 
région  infernale  :  Si  Christus  Deus  descendit  in  infe- 
riora terrarum  ut  illic  patriarchas  el  prophelas  com- 
potes sui  faceret,  habes  et  regionem  inferorum  subler- 
raneam  credere.  De  anin}a,c.  l\,P.  L.,  t.  il,  col.  742- 
743;  cf.  c.  vu,  ibid.,  col.  657. 

2.  Contre  Celse,  Origène  soutient  la  foi  de  la  des- 
cente du  Christ  aux  enfers.  Les  prophètes  l'y  ont  pré- 
cédé, annonçant  sa  venue,  et  saint  Jean-Baptiste  a  été. 
là  comme  sur  terre,  son  précurseur.  A  l'heure  marquée, 
l'âme  du  Seigneur,  dépouillée  de  son  corps,  alla  vers 
les  âmes  qui  étaient  dans  le  même  état,  afin  de  con- 
vertir celles  qui  voudraient  recevoir  son  enseignement  : 
Kai  yi)(i.VTJ  <ra>(j.aTo;  yevdjtevoç  'V-yr,  xa:ç  yu(ivat;  TwiiaTN» 
f.'ej.i"/r.  'l/'j/ai;  È~'.<7T-pi;<ov  xàxEtvcov  Ta;  ëovXojiiva;  itpô; 
aùrôv,  rt  a;  âaSpa  Si'Su;  r/ji:  a^TÔ;  Xoyou;,  êTttTr.BetoTepaç. 
Cont.  Celsum.,  1.  II,  c.  xi.in,  P.  G.,  t.  xi,  col.  865.  Il 
ne  faut  pas  s'étonner  de  cette  démarche  :  ce  sont  les 
médecins  qui  visitent  les  malades,  et  il  est  le  grand 
médecin.  In  lib.  Regum,  homil.  u.  P.  G.,  t.  xu, 
col.  1025.  Patriarches,  prophètes,  tous  attendaient  l'ar- 
rivée de  Jésus-Christ  :  ileptltiEvov  ojv  ttjv  toû  K. 
|j.o-j  'Iï^tovi  Xp'.OT'-j-j  £-iSr,u.:av  -/.ai  -rraTp'.ipya:.  xai  ~'-0- 
çr.tat,  -/.ai  -ixvte;.  Ibid.,  col.  1028.  Après  son  triomphe 
sur  les  démons  ennemis,  il  emmène  ceux  qu'ils  déte- 
naient sous  leur  empire  comme  le  butin  de  sa  victoire 
et  il  emporte  les  dépouilles  du  salut  :  Yictis  adversariis 
deemonibus,  eos  qui  sub  ipsorum  dominalione  lene- 
bantur,  Christus  tjuasi  prsedam  victoriœ  suœ  ducit, 
et  spolia  salulis  reportai:  sic<<l  cl  in  aliis  déco  scrip- 
tum  est,  quia  ascendens  in  altuin  captivam  duxit  cap- 
tivitatem.  In  Num.,  homil.  wiii.  n.  i.  P.   G.,  t.  XII, 


581 


DESCENTE    DE   JÉSUS   AUX    ENFERS 


582 


col.  717-718.  Cf.  In  Gen.,  homil.  xix,  i;  xvm,  6;  In 
Exod.,  homil.  vi,  4;  In  1  Reg.,  homil.  xxvm;  In 
Ezech.,  homil.  i,  13.  —  Vers  la  même  époque,  saint 
llippolyte  martyr  souligne  lui  aussi  ce  trait  que  saint 
Jean-Baptiste  a  devancé  Jésus  dans  les  enfers  comme 
sur  la  terre,  et  qu'il  y  vint  annoncer  le  Sauveur  qui  ra- 
chète les  saints  des  mains  de  la  mort.  De  Christo  et  An- 
tichristo,  45,  P.  G.,  t.  x,  col.  764.  Ojtoç  npoésÇais  xai 
toï;  iv  SSï)  S'jjyyï/  ;.ij-x'7f)y.i,  âvatpedetç  ùizb  'HpcâSov,  itp<J- 
Bpojioç  -  :vvjsvoç  êxel.  Ailleurs,  il  relate  la  bienheu- 
reuse  passion  du  Christ,  sa  sépulture,  sa  descente  aux 
enfers,  sa  rédemption  des  âmes.  Cf.  A.d'Alès,  La  théo- 
logie de  saint  Bippolyte,  Paris,  1906,  p.  198.  C'est 
alors  que  saint  Cyprien  prêchait  à  Carthage,  et  rappe- 
lait la  victorieuse  descente  aux  enfers.  Testimonia, 
I.  II,  c.  xxiv,  P.  L.,  t.  iv,  col.  716-717;  Corpus  scripto- 
,-nm  latinorum,  Vienne,  1868,  t.  i,  p.  91.  Rapportons 
encore  un  témoignage  des  plus  anciens.  Il  se  trouve 
dans  l'une  des  deux  prières  de  Cyprien,  poète  italien  ou 
gallo-romain.  K.  Michel  estime  que  ces  prières,  dans 
leur  forme  actuelle,  sont  postérieures  à  Constantin, 
mais  qu'elles  procèdent  d'un  original  grec  du  ir'  ou  du 
ni'  siècle.  Dans  ces  conditions,  l'on  voit  comhien  est 
précieux  le  témoignage  ainsi  conçu  :  Qui  jiassus  es 
tub  Pontio  Pilato  bonam  confcssionem,gui  crucifiants 
•ndisti,  ri  conculcasti  aculeum  mortis.  P.L.,  t.  iv, 
col.  908.  Voir  CYPRIEN  (poète),  t.  m.  col.  2472. 

3.  Ne  quittons  pas  ce  ine  siècle  sans  accorder  une 
brève  mention  à  des  documents  qui,  pour  être  ano- 
nymes  ou  apocryphes,  n'en  sont  pas  moins  de  précieux 
témoignages  de  la  foi  primitive.  Dans  les  Oracula 
sybillina,  1.  VIII,  v.  310-316,  Leipzig,  1902,  la  sibylle 
chrétienne  chante  l'espérance  annoncée  dans  les  en- 
fers aux  Aines  des  saints,  la  victoire  remportée  sur 
la  mort  et  la  résurrection  inaugurée  par  le  Christ. 
L'Évangile  de  Nicodème  oflre  pour  la  question  une 
particulière  importance.  Il  se  compose  de  deux  par- 
tie- :1a  première  (c.  i-wn  contient  les  Actes  de 
l'ilote  dont  nous  n'avons  pas  à  nous  occuper;  la  se- 
conde (c.  xvn-xxix)  constitue  la  Descente  aux  enfers. 
Nous  en  possédons  un  texte  grec,  probablement  du 
ix«  siècle,  que  Thilo  a  publié,  Codex  apocr\j)ilius  \  • 
Testamenti,  Leipzig,  1832,  p.  666-786,  et  deux  traduc- 
tion- latines,  \  et  B,  éditées  par  Tischendorf,  Evangelia 
rypha,  2  édit.  Leipzig,  1876,  p.  389-416,  (47-432. 
Cf.  p.  lxvii-i.xxvi.  Le  texte  grec  de  Thilo  est  très  rap- 
proché de  la  version  latine  A.  tandis  que  la  version  B, 
fréquemment  retouchée,  s'éloigne  de  l'un  et  de  l'autre. 
Dans  ci  conditions,  il  faut  supposi  p  une  rédaction  pri- 
mitive de  laquelle  dérivent  les  textes  actuels.  Quelle  en 
est  la  il. ii'  '  Les  mis  supposent  un  auteur  gnostique 
du  ni'  ou  même  du  n  siècle,  II.  lioltzmann,  Einlei 
tung,$  191;  les  autn  ne  remarquent  aucun  Irait  qui 
oblige  à  remonter  plus  haut  que  le  iv«  siècle,  Harnack, 
igie,  p.  604;  l'abbé  J.  Variot,  Élude  sur  l'his 
giles  apocryphes,  Paris.  1866, 
p.  '.W.K  place,  sans  hésiter,  la  Descente  dans  la  première 
moitié  du  à  l'époque  où  la  formation  des  lé- 

Irouvail  'u  pleine  activité.  Cf.  M  igné,  Diction- 
apoi  ryphes,  i    i    col    1088  sq.   L'on  a  ob 
m  que  la   /'•   cente  est  un  véritabli 

la  lettre,  qui  sera  largi ni  utilisé  au  moyi  ■ 

i  action.  Au  proli 

m   une  multitude  de  n  •  i.  parmi 

1  n  ■  (Tel,  l'on  constate  que  leui  - 

t'/ui!  idi       Poui    'in,   [la    vivent  dans  la 

>  imathie.  Anne,  Caïphe,  Nii  odi  me  1 1  loseph 

d'Aï  irnalhie    »  iennenl    li  .  onjurent, 

au  nom  de  Dieu,  d<   dire  coi ni  Ils  sont  n 

de   la  croix  sur 
'  ■  <  me  leur  histoire.   I 
i  ni  .  et  nous  montre  i" 


lieu  infernal,  le  Fils  de  Dieu  requérant  l'ouverture  des 
portes,  Satan  la  refusant.  Adam  et  Seth,  Isaïe  et  Jean- 
Baptiste,  David  et  Jérémie  interviennent,  et,  dans  leur 
joie,  chantent  le  Benedictus  qui  venit  in  nomine  Do- 
mini.  Voici  qu'entre  à  la  dérobée  le  bon  larron.  Bien- 
tôt les  portes  sont  brisées,  seras  cotnminutse  et  vectes 
ferrei  fraeli.  Satan  est  enchaîné  par  le  Christ  qui  lui 
met  le  pied  sur  la  gorge,  pedemque  suum  sanction  ci 
posuit  in  gutliire.  Alors  Adam,  Eve,  tous  les  saints 
invoquent  Jésus,  qui  rejette  une  partie  des  morts  vers 
le  Tartare,  et  emmène  les  autres  après  lui.  Voilà,  au 
IIIe  siècle,  un  long  commentaire,  très  original  et  1res 
dramatique,  de  la  descente  aux  enfers.  Il  a,  nous  le 
verrons,  fréquemment  inspiré  l'iconographie  chré- 
tienne. Voir  Jean  Monnier,  La  descente  aux  enfers, 
c.  iv,  Paris,  1905,  p.  91-107. 

3°  A  partir  du  iv-  siècle,  la  tradition  patristique  re- 
joint les  affirmations  du  symbole.  Elle  devient  si  una- 
nime et  si  continue,  que  déjà  saint  Augustin  pouvait 
écrire  :  Seul,  un  inlidèle  peut  nier  la  descente  du 
Christ  aux  enfers  :  Quis  ergo  nisi  infideUs  negaverit 
fuisse  apud  inferos  Chrislum?  Epist.,  CLXJV,  ad  Evo- 
dium,  c.  n,  n.  3,  P.  L.,  t.  xxxm,  col.  710.  C'est  presque 
tous  les  Pères,  à  dater  de  cette  époque,  qu'il  faudrait 
citer  pour  être  complet,  et  plusieurs  très  longuement. 
Il  faudrait  au  moins  entendre,  pour  l'Occident,  Firmin 
Materne,  saint  Hilaire,  sainl  Ambroise,  saint  Augustin, 
saint  Jérôme,  Rulin,  Prudence,  Fulgence  et  saint  Gré- 
goire le  Grand;  pour  l'Orient,  Eusèbe  de  Césarée,  sainl 
Athanase,  saint  Cyrille  de  Jérusalem,  sainl  Basile, 
saint  Grégoire  de  Nazianze,  saint  Grégoire  de  Nysse, 
sainl  Épiphane,  saint  Jean  Chrysostome  et  saint  Jean 
Damascène.  Tantôt  ils  se  contentent  de  reproduire 
simplement  les  dires  des  anciens  sur  la  question; 
tantôt  ils  affirment  le  fait  et  en  esquissent  l'explication; 
tantôt  ils  commentent  les  textes scripturaires  que  nous 
avons  précédemment  indiqués  ;  d'autres  fois  même,  ils 
partent  de  la  descente  aux  enfers  pour  démontrer, 
contre  les  ariens  ou  les  apollinarisles.  l'existence 
d'une  âme  humaine  dans  la  composition  du  Verbe 
incarné.  On  trouvera  leurs  références  et  citations  dans 
Petau,  Dogmata  theologica,  De  incarnatume,  1.  XIII, 
c.  xvi.  xvii,  Venise,  1757.  t.  v,  p.  133-138;  Bellarmin, 
Disputationes  de  controversiis  i  In  istianse  fidei,  De 
ChrUto,  I.  IV,  c.  xiv,  Ingolstadt,  1599,  p.  386-391; 
Stentrup,  Soteriologia,  thés,  xi.vi.  Il  sera  tout  à  la 
fois  plus  pratique  et  plus  utile  à  notre  but  de  rappor- 
ter leurs  'ii-i  i l. n . - nts  principaux  à  propos  de  l'œuvre 

du  Christ  aux  enfers. 

M'.    LA    VRADIirON   THÉOLOGIQVB,  l«    La    théol 

scolastique  a  trouvé  le  dogme  si  bien  ancré  dans  la 
foi  des  fidèles  qu'elle  ne  s'est  guère  attardée  à  en  établir 
les  preuves.  Elle  en  a  plutôt  cherche  l'explication.  Le 
maître  des  Sentences,  I.  IN,  dist.  XXII,  s'il  rapporte 

quelques   textes    des    Tores,    I)(.    |r    |,n|    pas    pour    tirer 

démonstration  expresse  du  fait  de  la  descenti 
son  côio.  sainl  Thomas,  Sum.  theol.,  IIP.  q.  lu, 

le-  Imii  articles  de  cette  longue  question  à  noire 
sujet,  Le  premier  seul  peut  paraître  un  essai  de  dé- 
monstration :  mais,  en  réalité,  c'est  plutôt  une  esquisse 
onvenances  ou  du  but  de  la  descente  : 
nient  Chrislum  ad   inferos  des- 
I        ommentateurs  des  Senti  ni  es  el   de  la 
Somme  suivirent  le  sillon  ainsi  tracé,  el   les  chi 
demeurèrent  en  l'étal  jusqu'à  la  Réforme. 

2°  Au  xvi    liécle,  déniant  toute  valeur  démonstrative 
aux  Écritures  h  jusqu'alors,   les  protestants 

repoussèrent  cel  article  de  la  fol  traditionnelle 
bien  d'auti  fut  doue  aux  théologiens  catho- 

liques de  faire  front  iveaui  ad  L'un 

pi   i      Bellarmin  Conli 

sur  li   i  rote  chapil  lir,  contre  ( 

vin,  Théodoze  de  Bi  ze,  Buci  r,  la  n  alité  de  la  descente 


583 


DESCENTE    DE   JESUS   A IX    ENFERS 


aux  enfers.  La  question  bien  posée,  c.  vi,  il  prouve 
d'abord  que  «  descendre  aux  enfers  »  n'est  pas  une 
métaphore  pour  exprimer  un  anéantissement  complet, 

c.  vu;  ni  pour  marquer  que  le  Christ  a  enduré  les 
douleurs  infernales,  c.  vm;  ni  pour  signifier  qu'il  a 

été  enseveli  et  mis  dans  un  tombeau,  c.  ].\;  car  les 
enfers  sont  un  lieu  souterrain  tout  différent  des  lieux 
de  sépulture,  c.  x.  Ayant  rappelé  alors  que  les  âmes 
des  justes  ne  furent  pas  introduites  au  ciel  avant  l'as- 
cension du  Sauveur,  c.  xi,  Bellarmin  démontre  la  vérité 
de  la  descente  aux  enfers  par  les  Ecritures,  c.  XIV, 
explique  le  locus  obscurissinnis  de  la  7a  Pétri,  III,  19, 
et  iv,  6,  c.  xin,  relate  abondamment  les  attestations 
des  Pères  grecs  et  latins,  c.  xiv;  établit  contre  Durand 
que  l'âme  du  Christ  est  descendue  aux  enfers  au  sens 
propre  de  sa  réelle  présence  en  ce  lieu,  c.  xv;  et  ter- 
mine en  réfutant  quelques  objections  particulières  de 
Calvin,  c.  xvi.  Disputationes  de  conlrorersiis  chri- 
stianse  fidei,  De  Christo,  1.  IV,  c.  vi-xvi,  ingolstadt, 
p.  351-428.  —  En  même  temps,  Suarez  faisait  un  ellort 
analogue,  mais  plus  spéculatif,  De  mysterio  vitae 
Christi,  disp.  XLII,  XLIII,  Paris,  1866,  t.  xix,  p.  697- 
743;  et  Estius  venait  à  la  rescousse,  avec  sa  compé- 
ence  scripturaire.  Peu  après,  Petau  reprenait  toute  la 
question  à  sa  manière  et  au  point  de  vue  de  la  théo- 
logie positive.  Dogmata  Iheologica,  De  incarnat ione, 
1.  XIII,  c.  xv-xvm,  Venise,  1757,  t.  v,  p.  132-142.  Sa 
question  nettement  introduite,  c.  xv,  il  rapporte  en 
détail  l'enseignement  des  Pères  grecs,  c.  xvi,  celui  des 
Pères  latins,  c.  xvn,  et  il  explique,  avec  la  même  éru- 
dition, l'œuvre  accomplie  aux  enfers,  c.  xvm. 

3°  Peu  à  peu  cependant,  les  théologiens  catholiques, 
occupés,  sans  doute,  par  des  soucis  plus  urgents,  ont 
détourné  les  yeux  de  ce  terrain  de  combat.  Tandis  que 
les  protestants  continuaient  de  disserter,  en  leur  sens, 
sur  la  question,  les  catholiques  parurent  s'en  désinté- 
resser. Aujourd'hui  les  traités  ordinaires  de  théologie, 
ou  passent  la  question  sous  silence,  ou  l'effleurent  à 
peine.  Cette  abstention  est  d'autant  plus  regrettable 
que  la  descente  aux  enfers  est  un  article  du  symbole, 
un  point  de  la  foi  catholique  que  le  concile  de  Trente 
impose  aux  pasteurs  de  prêcher  et,  partant,  de  bien 
connaître,  une  vérité  que  les  modernistes  et  les  pro- 
testants plus  ou  moins  rationalistes  ne  négligent  pas 
et  cherchent  à  rejeter  aujourd'hui  dans  le  chaos  de 
leur  système  évolutioniste.  A  leurs  publications  nous 
n'avons  guère  à  opposer,  de  notre  côté,  que  l'étude 
critique  et  positive  de  M.  .1.  Turmel,  dans  la  collection 
Science  et  religion  :  La  descente  du  Christ  aux  en- 
fers, Paris,  1905,  laquelle  avait  paru  dans  les  Annales 
de  philosophie  chrétienne,  en  1903. 
III.  Explication  doctrinale  du  fait  de  la  descente 

AI  X  ENFERS.   —  /.  LE  LIEU  DE   LA  DESCENTE  DO  CHRIST. 

—  1«  L'enfer,  les  enfers  sont  exprimés,  dans  la  tradi- 
tion latine,  par  les  mots  :  inferi,  inféras,  inferxu*, 
infemi,  inferna;  dans  la  tradition  grecque  par  Hadès, 
"AS/,;;  dans  la  tradition  juive,  par  Se'ôl,  ViNtf.  Ces  dif- 
férents vocables  désignent  communément  le  lieu  où 
demeurent  les  âmes  des  morts.  Jamais  ils  ne  signifient 
sépulcre,  comme  Bèze  l'a  prétendu.  Quand  on  étudie 
soigneusement  les  textes  allégués  pour  soutenir  cette 
traduction,  on  constate  que  la  signification  naturelle 
et  obvie  de  ces  mots  est  celle  de  monde  inférieur,  de 
royaume  des  ombres.  Cf.  Bellarmin,  Disp.  de  contro- 
versiis  christ,  fidei,  Dr  Christo,  1.  IV,  c.  x.  xn,  Ingol- 
stadt, 1599,  p.  368,  374.  Pott,  Epislolx  catholicee,  Gœt- 
tingue,  1810,  p.  317,  affirme  qu'à  sa  connaissance  Wôl 
n'a  nulle  part  le  sens  de  sépulcre;  qu'il  est  synonyme 
du  grec  "AS/;;  et  que  ces  mots  désignent  tous  deux  le 
royaume  des  ombres.  Ajoutons  que  les  plus  anciennes 
versions  traduisent  unanimement  Se'ôl  par  enfer,  ra- 
rement par  mort,  jamais  par  sépulcre. 
2»  Dans  l'Ancien  Testament,  le  Se'ôl  est  le   séjour 


commun  aux  ânes  de  tous  les  morts.  Il  est  représenté 
comme  un  lieu  souterrain,  Gen.,  xxxvu.  35;  Num.,  XVI, 
30,  qui  se  trouve  dans  les  profondeurs  de  la  terre. 
Ps.  xi. vin.  18;  i.iv,  10;  LUI,  10;  i.xxxvn,  7;  cxxxvin, 
8;  Job,  xvn,  16;  Prov.,  IX,  18;  Is.,  xiv.  '.)  sq.  Mais  si  les 
livres  les  plus  anciens  considèrent  principalement  h 
Se'ôl  comme  la  demeure  où  sont  reçus  tous  les  morts, 
les  livres  postérieurs  montrent  que,  dans  ce  séjour,  I 
différent  est  le  sort  des  bons  et  des  méchants.  Les 
Psaumes  indiquent  cette  différence,  au  moins  comme 
une  espérance.  Ps.  xvi,15;  xlviii,  15-16;  i.xxn.  24-25; 
xv,  9-10.  Job,  lui,  célèbre  le  libérateur  qui  arrachera 
les  justes  au  Se'ôl  et  à  l'empire  de  la  mort,  xix,  23-27. 
Les  prophètes  insistent  sur  le  feu  et  les  autres  châti- 
ments dont  seront  punis,  dans  le  Se'ôl,  les  crimes  des 
impies.  Les  livres  deutérocanoniques  font  ressortir  les 
récompenses  que  les  justes  trouveront  déjà  dans  le  ie 
Ils  sont  «  dans  la  paix,  leur  espérance  est  remplie 
d'immortalité;  ils  sont  dans  le  lieu  du  rafraîchisse- 
ment. »  Sap.,  ni,  1  sq.;  IV,  7.  Même  le  IIe  livre  des 
Machabées  parle  de  la  purification  de  certaines  âmes 
dans  le  Se'ôl,  et  aussi  de  la  gloire  et  de  la  puissance  dont 
y  jouissent  des  justes.  II  Mach.,  xn.  42-46;  xv,  12-1  i. 
D'où,  pour  les  Juifs,  il  y  avait  trois  catégories  parmi 
les  âmes  des  morts  :  celle  des  justes  qui  se  trouvent  en 
condition  heureuse  et  peuvent,  par  leurs  prières,  venir 
en  aide  aux  vivants,  comme  Jérémie  et  Onias;  celle 
d'autres  justes,  qui  portent  encore  la  charge  de  fautes 
dont  ils  peuvent  être  délivrés  par  les  prières  des  vi- 
vants, tels  les  soldats  de  Judas  Machabée;  celle  enfin 
des  criminels  qui  ont  mérité  la  peine  du  feu. 

Il  y  a  un  changement  à  noter  avec  le  Nouveau  Tes- 
tament. Les  croyants  savent  que  le  Christ  a  tiré  les 
justes  de  l'enfer  et  leur  a  ouvert  le  ciel.  Par  suite,  l'enfer 
va  désigner  habituellement  le  séjour  de  ceux  qui  ne 
sont  pas  dans  le  ciel,  et  proprement  la  demeure  des 
damnés.  Néanmoins,  plusieurs  fois  encore,  il  sera  parlé 
du  se'ôl  d'après  la  conception  juive,  vraie  d'ailleurs 
jusqu'à  la  mort,  et  même  jusqu'à  la  résurrection  et 
l'ascension  du  Sauveur.  Ainsi  Jésus  déclare  que  les 
justes,  comme  Lazare,  sont  accueillis  dans  le  sein 
d'Abraham,  et  les  pécheurs  dans  les  tourments.  Luc. 
xvi,  19  sq.  Le  sein  d'Abraham,  c'est  la  partie  du  Se'ôl 
où  se  trouvaient  les  âmes  des  justes  décédés  avant 
Jésus-Christ  et  attendant  de  lui  l'ouverture  du  ciel. 
Ainsi  encore,  pour  saint  Paul  et  pour  saint  Jean, 
les  créatures  douées  de  raison  sont  de  trois  classes  : 
cœlestium,  terrestrium  et  infernorum;  il  en  est  qui 
sont  in  cselo,  super  terram  et  sub  terra.  Phil., 
H,  9-10;  Apoc,  v,  13.  Cf.  Dictionnaire  de  la  Bible, 
v  Enfer,  t.  n,  col.  1792  sq.  ;  v»  Hadcs,  t.  m.  col.  391: 
v"  Limbes,  t.  iv,  col.  256.  Voir  Abraham  (Sein  d'),  1. 1. 
col.  111  sq. 

3°  Le  catéchisme  du   concile  de  Trente  propose  très 
nettement  cette  doctrine  dans  son  explication  de  l'ar- 
ticle  du  symbole.  Il  expose   d'abord  ce  qu'il  faut,  de 
façon  générale,  entendre  par  les  enfers  :  ce  sont  ces 
lieux,  ces  dépôts  cachés  où  sont  retenues  prisonm 
les  âmes  qui  n'ont  pas  encore  obtenu  la  béatitudi 
leste,  lnferorum  nomen  ahdila  illa  receptacvla  signi- 
jicat,  in  quibus  anima;  detinentur,  quse 
titudinem    non   sunl  consequutœ.  L'on  confirme  cette 
définition  par  la  citation  de  Phil..  Il,  10,  et  de  Aet..  II, 
l'.i.  Ensuite  le  catéchisme  ajoute  que  ces  receptoculm 
ne  sont  pas  tous  semblables  et  d'une  seule  sorte  :  Xeque 
tamen  ea  receptacula  unius  et  ejusdeni  generis  sunt 
omnia.  Il  y  a  d'abord  une  prison  affreuse  et  obscure, 
où  les  âmes  des  damnés  sont  tourmentées  avec  les 
esprits  immondes  par  un  feu  perpétuel  et  qui  ne  s'éteint 
jamais,  ('.est  l'enfer  proprement  dit.  celui  des  damnés. 
'la   géhenne,  l'abîme  :   Est  enim   ieterrimus  et  obscu- 
rissimus  carcer,  Matth.,  xxv.  41,  ubi  perpetuo  et 
linguibili   »;/«<'  damnalomm   animx  simul  cum  îm- 


585 


DESCENTE    DE   JESUS    AUX    ENFERS 


586 


mundis  spirilibus  torquentur,  qui  etiam  gehenna, 
Apoc,  ix,  11,  abi/ssus  et  propria  significatione  infer- 
Yius  vocatur.  Luc,  xvi,  22.  Il  y  a  encore  le  purgatoire, 
où  les  âmes  des  justes  se  purifient  dans  des  souffrances 
qui  durent  un  temps  déterminé,  en  attendant  qu'elles 
soient  dignes  d'entrer  dans  l'éternelle  patrie  :  Prse- 
terea  est  purgalorius  ignis,  quo  pioruni  animas  ad 
definitum  tempus  cruciatae  expiantur,  ut  eis  in  seter- 
<nam  patriam  ingressus  patere  posait,  in  quant  niliil 
inquinatum  incurrit.  Apoc,  xxi,  27.  Enfin  il  y  avait 
le  sem  d'Abraham  pour  les  âmes  des  saints  qui  atten- 
daient la  venue  du  Sauveur,  exemptes  de  toute  douleur 
dans  un  séjour  tranquille  et  soutenues  par  l'heureuse 
espérance  de  leur  rédemption:  Tcrtiuni  postremo  re- 
ceptaeuli  genus  est,  in  quo  animas  sanctorum,  ante 
Chris ti  Domini  advenlum  excipiebanlur,  ibique  sine 
doloris  sensu,  beala  redemptionis  spe  sustentait, 
quieta  liabitatione  fruebantur.  Calechismus  ad  paro- 
dias, part.  I,  c.  vi,  n.  3,  Rome,  1902,  p.  56. 

1  Considéré  en  soi  et  absolument,  l'article  de  notre 
foi  enseigne  que  le  Christ  est  descendu  aux  enfers, 
: 1 1 ;> i s  sans  autre  précision.  La  considération  de  l'œuvre 
accomplie  par  le  Christ  vient  déterminer  le  lieu  par  lui 
visité.  Il  ne  s'est  rendu,  ni  à  l'enfer  des  damnés,  ni 
au  purgatoire,  ni  aux  limbes  des  enfants  que  la  sainte 
Ecriture  ne  mentionne  pas  directement.il  est  simple- 
ment descendu  aux  a  limbes  des  Pères  ». 

//.    /..l    PERSONNE    DESCENDUE    AUX    ENFERS    ET    SON 

.  —  1    C'est  le  Christ  en  son  âme.  —  1.  Quand  la 
foi  enseigne  que  le  Christ  est  descendu  aux  enfers,  il 
faut  entendre  évidemment  la  personne  même  du  Christ, 
c'est-à-dire  le   Verbe  de  Dieu.  Toutefois  ce  n'est  pas  le 
Verbe  seul  que  dénomme  le  Christ,  mais  le  Verbe  in- 
carné, c'est-à-dire  le   Verbe  en  tant  qu'il  a  pris,  dans 
l'union   hyposlalique,   une  âme  humaine  et  un   corps 
humain.  Or  nous  savons  que  le  corps  de  Notre-Seigneur, 
ré  de  son  .une  par  la  mort,  mais  demeuré  le  corps 
Inanimé  du    Verbe  auquel  il  restait  hypostatiquement 
uni.  fut  enseveli,  mis  et  gardé  dans  le  tombeau.  11  faut 
donc  que  le  Christ  soit  descendu  aux  enfers  avec  son 
âme,  séparée  de  son  corps,  mais  restée  l'âme  humaine 
et  immortelle   du    Verbe,    auquel    elle   était    toujours 
hypostatiquement  unie.  Suarez  n'hésite  pas  à  déclarer 
que  c'est  là  une  vérité  de  foi:  Christum  Dominum  ad 
infen               tndum    mu  muni  descendisse.  Assertio 
est  de  /ni,-.   De  mysterio   vitm  Christi,  disp.    \LIII, 
n.  n.  :\.  Paris,  1866,  i.  \ix,  \>.  7-28. 
2.  En  réalité,  la  conclusion  découle  nécessairement 
des  sources  rapportées  à  propos  du  fait  de  la  descente. 
La  tradition,  nous  l'avons  observé,  a  nu. un ment  in- 
terprété en  ce  sens  le  l's.  xv,  10,  commenté  par  saint 
Pierre  dans  les   \<  h  -.  it,  29-31.  Ainsi  l'entendit  saint 
Athanase,  ou  l'auteur,  quel  qu'il  soit,  du  livre  De  salu- 
ntu    Christi,  ou   du    Liber  secundus  contra 
em,  n     15,   /'     '.  .  t.    xxvi,   roi.    1156-H57, 
montrant  le  triomphe  de  l'âme  du  Christ  sur  la  mort, 
par  la  descente  aux  enfers,  i  i  le  triomphe  de  son  i 
•divin  sur  la  corruption,  par  la  résurrection  :  \\-j. 
'j./r,  8  o .   (   r.pâti)rsi;  ro-j  OavxtQ'j    /      --,.// 

-.',.  v.x:   -i:;   ls/7.::    ilrrfyî'i  i'Çeto"  èv 
<    i  /  x\  r,    àçOif/iria 

Aussi  bien,  nous   l'avon  noté,   déjà  Origène 

i    •  1 1 1  Seigneur,  dépouillée 

imi     c  n  eillemenl  dépouilli 

leui  i  i        l  'm .  i.  il. 

i 

i   leur  00. 
nl    que  la  du   Christ  .mv  enfet     su] 

ucni  en  lui  I  •  i  nue  .'une  vraimi  ni 

lune  ce  but  apologétique,  saint  Vthanase,  ou 

/'     ,\     / 

I 


ment  le  Seigneur,  arrivant  sans  son  corps  dans  les  en- 
fers, a  pu  être  pris  pour  un  homme  par  la  mort.  Il 
explique  que  le  Seigneur  présenta  une  âme  comme  les 
autres  âmes,  capable  de  subir  les  liens  ou  les  entraves 
de  la  mort.  C'est  dans  ces  conditions  qu'il  brisa  les  liens 
des  âmes  détenues  dans  l'enfer  :  IIw;  ïy.v.  7rapô>v  6  K-J- 
pio;  ai7(D[j.àT(i)r,  o>;  àvGptoiros  èvopu'o-0ï]  CiTtà  to-j  Qavâtou  ; 
î'va  •Iv/txïç  rai';  êv  jetijo;;  xaTE/ojjiÉvat:,  ij.op  ?•/•,'/  îêia; 
■{'■j/r,;  avent'fiexTOv  u»ç  oExnxr,-/  twv  Becr(iâ>v  to-j  Oavâtou 
7ïapoc7Tr|i7aç,  TrapoOirav  Tiapcjuatî,  8iappr,E-/)  rà  oin\>.x 
i'j/wv  TtoV  Èv   iôr,  xaTE/OUÉvwv.  P.  G.,  t.  XXV,  col.  1117. 

Cf. "n.  15-17.    '    ' 

Dès  la  fin  du  ivc  siècle,  les  Pères,  en  parlant  de  la 
descente,  mentionnent  que  c'est  l'âme  du  Sauveur  qui 
s'est  rendue  aux  enfers.  Même  l'on  ajoute  encore  une 
précision,  et  nous  lisons  communément  que  le  Christ 
est  descendu  aux  enfers  en  son  âme  sans  aucun  doute, 
mais  aussi  avec  sa  divinité.  Saint  Épiphane  se  plail  à 
le  répéter  :  Ka~éç>yj.Tai  si;  ta  xaTa-/ôov'.a  èv  (JEÔTr|Ti  xai 
èv  '1/jx/j.  Hœr.,  xx,  n.  2,  P.  G.,  t.  XLI,  col.  276.  Kai  èv  tm 
a8ï]  o-Jv  •:•/■  4/'-'Z"')  xaT£>.9t'i)v  Èv  rrj  Oeôt^ti  v.'/inr,  tb  xevTpov 
toO  Ôavâ-'o-j,  liier.,  i.xix,  n.'52,  P.  G.,  t.  XLII,  col.  28i; 
un  peu  plus  loin,  il  emploie  cette  autre  formule  que  la 
divinité  est  descendue  aux  enfers  avec  son  âme  : 
"ll[xe).>.E  yàp  'ô  &S0T7|ç  teXeioOv  Ta  7iàvTa,  ;a  xaià  ~h  \rjv- 
Tr,piov  toO  TiàOovç,  xcù  o-jv  -r,  tyvyfi  xaT£À0e;v  liz\  xà  xa- 
TayÔovta,  £7r\  to  èpysTa'j'Jat  tï]V  £/.£•  tôv npoxsxoi(iY|(iÉvb>v 
<7b>TY)plav,  çyjffV  S;  Tà>v  àyuov  Trarptap'/fov.  Ibid.,  n.  52, 
P.  G.,  t.  xlii,  col.  305-308.  Saint  Cyrille  d'Alexandrie 
nomme  l'âme  divine  qui,  avec  son  privilège  d'union  au 
Verbe,  est  descendue  aux  enfers,  et  par  le  moyen  de  sa 
divine  puissance  s'est  manifestée  aux  esprits  là  pré- 
sents :  i/'J'/jt  2è  r,  6et'a  tt,v  upôç  ocÙtov  ).a-/o0aa  ouv6po{ivjv 

Te    XM!    èv(0(7lV,    Xaxà    TIESOlTYiXS    [J.£V    Sl(    âîo'J,    0so7Tp£7t£Î    0£ 

Suvâ(l£l,  xa't  È^O'Jaia  /pd)i/èvr,,  xa\  toi;  èxEÏTE  7rv£-j(j.aoi 
xatEipxivETo.  De  incarnalione  Unigeniti,  P.  G.,  t.  i  xxv. 
col.  1216.  Saint  Jean  Damascène  écrit  que  l'âme  et  le 
corps  du  Christ  n'eurent  jamais  d'autre  subsistance  ou 
personnalité  que  la  subsistance  ou  personn alite''  du 
Verbe  :  ()-j6ét:ot£  yàp  où'ts  r;  i^vr/T),  o-jte  to  o-'D|j.a  iSiav 
k'o-/ov  •j-xà'jzznv/  Ttapà  tïjv  toC  A.dyOU  -j-oo-TaTiv,  \i.;.x  Zï 
'/.i:  r,  toj  Ao-;oj  •J7rôo'TaT,.;.  De  fide  orlhodoxa,  I.  III, 
c.  XXVII,  /'.  >'•.,  I.  xciv,  col.  1097.  C'est  pourquoi, 
ajoute-t-il,  l'âme  déifiée,  anima  deificata,  est  descendue 
aux  enfers  :  lvetTEiaiv  eI;  56r|v  'Vj/v,  t«8ea>jiévifi.  Ibid., 
c.  \ xix,  col.  1101.  Saint  Augustin,  de  son  côté,  ne  tient 
pas  un  autre  langage,  /o  Joa.,  tr.  M.\ll.  u.  10,  /'•  /.., 
t.  xxxv,  col.  1738,  et  dans  son  livre  Dr  fide  ad  P<  triim, 
ii.  II.  /'.  /,.,  t.  xi. ,  col.  757  :  Sed  in  sepulcro  secundum 
solam  carnem  idem  Unis  jacuit,  et  in  infernwm  se- 
cundum siiiam  animam  descendit.  Même  dans  un  9er- 

n  aux  catéchumènes  sur  le  bj  mbole,  le  docteur  d'Hip- 

pone  tire  de  ce  qui  précède  une  conclusion  très  juste  qui 
n'échappera  pas  aux  Bcolastiques  :  Totus  ergo  Filius 
n/, n,/  Patrem,  tains  in  cœlo,  lui  us  in  terra,  totus  in 
utero  Virginia,  totus  in  cruce,  totus  in  inferno,  toi"* 
m  paradiso  quo  latronem  introduxit.  De  symbolo  ad 
catechumenos  sermo  "ims,  c.  vu,  n.  7.  P.  /..,  t.  \i, 
col.  658. 

:;.  La  Bcolastique  n'a  p.i^  manqué  de  conserver  et  de 

défendre  cette  tradition.  Analysant  le  problème,  elle 

B'esl  demandé  si  le  Christ  est  allé  toul  entier  aux  en- 

utrum  Chris  tus  fuerii  totus  m  inferno  '  Elle  a 

répondu  en  distinguant  justement  la  personne  divine 

du  Christ,  sa  nature  divine  et  M  lut  lire  b  u  mai  ne.  Abus 
elle   a   Conclu    avec    saint    Thomas   :    In    mnrh'    autrui 

ti,  hrri  anima  fuerit  separala  a  oorpore,  neu- 
trum  lame»  fmi  separatum  a  persona  Filii  l><i  i  t 
ideo  m  ilto  tridt  Isli,  dicendum  r*t  quod 

I  mi   m    sepuli  i  o,  quia   tola 
fuit  ibi   pi  •  [militer,  totus 

isli  j  ml   ihi    i  almiir 
r,  at 


587 


DESCENTE    DE   JÉSUS   .MX    ENFERS 


588 


ubique    ralione   divines   natures.   Sum.    llieol.,    III  , 

(|.  i  ii,  a.  3.  Mais  il  est  clair  que  si  l'on  envisage  uni- 
quement  la  nature  humaine,  le  Christ  ne  fut  pas  tout 
entier  aux  enfers,  puisque  seule  son  âme  s'j  rendit. 

ï.  Aussi  bien  le  IVe  concile  de  Latran  avait  déjà  Bxé 
la  pensée  chrétienne.  «  Le  Fils  de  Dieu,  Jésus-Christ, 
avait-il  déclaré,  est  descendu  aux  enfers,  est  ressuscité 
des  morts,  est  monté  aux  cieux.  Mais  il  est  descendu 
selon  son  âme,  il  est  ressuscité  selon  sa  chair.  » 
Denzinger,  Enchiridion,  n.  350;  ÎO  édit.,  n.  429.  Dès 
lors,  la  doctrine,  de  quelque  façon  et  en  quelque  mi- 
lieu qu'elle  s'affirme,  reprend  toujours  des  formules 
identiques  ou  analogues.  Cf.  Ludolplie  de  Saxe,  Vita 
Jesu  Christi,  part.  II,  c.  lxviii,  édit.  Rigollot,  Paris, 
1870,  t.  îv,  p.  650;  Louis  de  Grenade,  Le  livre  de  l'a- 
mour de  Dieu,  IIe  traité,  Ve  médit,  sur  la  résurrection, 
dans  Les  (Entres  spirituelles,  Lyon,  1660,  p.  799; 
Médit,  sur  les  mystères  de  la  foy,  Ve  partie,  I"  médit., 
Paris,  1684,  t.  m,  p.  8. 

2°  Cette  descente  de  l'âme  du  Christ  aux  enfers  doit 
s'entendre  de  façon  réelle,  en  ce  sens  que  son  âme 
s'est  là  transportée  réellement  et  en  sa  propre  sub- 
stance, et  non  pas  seulement  par  son  opération.  Aux 
termes  mêmes  du  catéchisme  du  concile  de  Trente,  on 
aurait  tort  de  s'imaginer  que  Notre-Seigneur  descendit 
aux  enfers  uniquement  par  sa  puissance  et  par  sa 
vertu,  et  que  son  âme  n'y  pénétra  pas  réellement.  Au 
contraire,  l'exacte  vérité  est  qu'elle  y  descendit  véri- 
tablement et  qu'elle  y  fut  présente  substantiellement  : 
Nec  vero  existimandum  est  eum  sic  ad  inferos  des- 
cendisse,  ut  ejus  tanlummodo  vis  ac  virtus,  non  eliam 
anima  eo  pervenerit  :sed  omnino  credendum  est  ipsam 
an  imam  re  et  preesentia  ad  inferos  deseendisse  de  quo 
exslal  flrmissimum  illud  Davidis  lestimonium  :  Non 
derelinques  animam  meam  in  inferno.  Catechismus  ad 
parochos,  part.  I,  c.  vi,  n.  4,  Rome,  1902,  p.  55. 

Au  xive  siècle,  Durand  de  Saint-Pourçain,  s'inspi- 
rant  quelque  peu  sans  doute  de  la  proposition 
18e  d'Abélard.  Denzinger,  Enchiridion,  n.327;  10e  édit., 
n.  385,  rompit  avec  l'intelligence  traditionnelle  du 
dogme.  Il  admettait  bien  un  lieu  infernal;  il  confessait 
bien  que  le  Christ  y  est  descendu;  mais,  selon  lui,  il  y 
a  dans  la  descente  même  une  métaphore.  Le  Christ  est 
descendu  aux  enfers,  c'est-à-dire  qu'il  y  a  exercé  son 
pouvoir  et  ses  fonctions  rédemptrices.  Durand  fut  vive- 
ment combattu  sur  ce  point.  Plus  tard,  Bellarinin  et 
Suarez  ont  cru  devoir  réfuter  encore  son  opinion,  à 
laquelle  le  premier  inflige  la  note  d'erreur  :  liane  sen- 
lentiam  esse  erroneam  probalur.  Disp.  de  controver- 
siis  christ,  fidei,  De  Christo,  1.  IV,  c.  XV,  Ingolstadt, 
p.  392.  Suarez  va  plus  loin  et.  déclare  très  justement  cette 
prétention  hérétique  :  lia  interpretantiir  hoc  mysle- 
rium  omnes  doclores  scholastici ,  uno  excepto  Durando, 
eitjus  senlenlia  non  solum  non  est  jirobabilis,  verum 
potius  est  erronea  et  plane  liœretica.  De  mijsterio 
viles  Christi,  disp.  XLIII,  sect.  il,  n.  7,  Paris.  1866, 
t.  xix,  p.  729.  Nos  docteurs  n'ont  eu  aucune  peine  à 
démontrer  que  ni  l'Ecriture,  ni  la  tradition  ne  peuvent 
s'accommoder  de  l'interprétation  métaphorique  de 
Durand,  et  ils  eurent  facilement  raison  de  ses  subtilités 
métaphysiques  ou  exégé tiques.  Nous  ne  nous  y  attar- 
derons pas;  relevons  seulement  l'argumentation  sui- 
vante de  Suarez,  laquelle  ne  manque  ni  d'à-propos,  ni 
de  sel  :  Quia  si  propter  solam  operationem  dicilur 
anima  Christi  descendisse  ad  infernum,  patent  et 
dici  ascetidisse  in  cselum;  quia  etiani  ibi  aliquid  ope- 
rala  est,  angélus  illuminando.  Dicetur  eliam  irisse 
ml  paradisum  terre*! rem  rel  eum  locuni  iu  quo  Elias 
et  Enoch  vivunl;  quia  verisimile  est  illis  etiani  mani- 
festasse gloriam  suam,  eisque  gaudium  consummatm 
redemplionis  annunliasse.  Similiter  dicetur  anima 
Christi  profecta  in  domum  Virginis,  rel  in  locuni  ubi 
Petrus  amare  /lehat  peccatum;  denique  ubicumque 


aliquid   operata   est.    Conséquent    autem    répugnât 
Si  i  ipturis,ijuœ  il  uni  speciuliter  dicunt  un  m  m  m  Christi 
fuisse  in  inferno,  et  inde  fuisse  eduelaut  ut  Chris  tus 
resurgeret,  a/perte  significant,  et  tamlum  ibi  proprie 
fuisse,  et  ulin  modo  quant  esset  in  altis  locis  ubi  o 
rabatur.    Et   confirmatur,    quia  alias   codera   modo 
diceretur  mine  Christus  descendere  in  terrain,  q 
in  ea  milita  operatur  per  virlulem  animée  suée;  ■ 
et  m  infernum  nunc  descendit,  quia  interdum  aliquid 
ibi  operatur,  saltem  in  animabus  purgatorii.  lbid., 
p.  730. 

3°  L'âme  du  Christ  n'est  pas  descendue  aux  enfers 
comme  un  coupable  destiné  encore  à  de  nouvelles 
expiations,  mais  elle  s'y  est  rendue  en  triomphe.  — 
1.  Les  protestants,  et  notamment  Calvin  et  Brenz,  vou- 
laient que  l'âme  du  Christ  ait  pu  endurer,  ait  réelle- 
ment supporté  les  tourments  des  damnés  qui  sont 
cesse  devant  le  spectacle  d'un  Dieu  irrité  contre  eux 
et  s'abîment  dans  le  désespoir  du  salut.  Calvin  avance 
expressément  l'acceptation  par  le  Christ,  après  sa  mort, 
a  de  la  rigueur  de  la  vengeance  de  Dieu  en  son  âme... 
des  tormens  espovanlables  que  doivent  sentir  les  dam- 
nez et  perdus.  »  lnsl.  chrét.,  1.  II,  c  xvi;  1.  VIII, 
c.  ix,  dans  Corpus  reformatorum,  t.  xxxi,  p.  31, 
586  sq.  C'est  là  une  opinion  que  Suarez  déclare  avec 
raison  hérétique  et  blasphématoire.  Non  seulement  elle 
suppose  que  l'âme  du  Christ  n'avait  pas  déjà,  dans  celte 
vie  mortelle,  la  vision  intuitive  de  Dieu,  mais  elle  la 
présente  sujette  à  l'ignorance,  à  l'erreur,  aux  passions 
déréglées  et  à  leurs  mouvements  non  délibérés.  La 
théorie  nous  montre  même  l'âme  de.Iésus  abandoniiiV 
au  péché  soit  du  désespoir  soit  de  la  crainte  désordon- 
née qui  conduit  au  désespoir  et  provoque  des  paroles 
désespérées.  Cf.  Bellarmin,  Disp.  de  conlror.  chri- 
slianes  fidei,  De  Christo,  1.  IV,  c.  vin.  Ingolstadt,  p.  354- 
367.  A  ces  erreurs  et  autres  semblables,  saint  Hilaire 
de  Poitiers  répondait  par  avance  que  la  promesse  du 
Christ  au  larron  leur  donne  un  démenti  formel  :  Anne 
tibi  metuere  infernum  chaos...  credendut  est  dicens 
lalroni  in  cruee  :  Amen  dico  tibi,  hodie  mecum  eris  in 
paradiso?  Natures  hujus  potestatem  jam  non  dico  metu, 
sed  nec  infernes  sedis  regione  concludes,  qux  descen- 
dons ad  inferos,  a  paradiso  mm  desit...  Dominas 
communionem  ei  (lalroni)  mox  pollicetur  :  tu  Cliri- 
slum  in  inferis  sub  pœnali  terrore  concludis!  De  Trt- 
nilate,  1.  X,  n.  34,  P.  L.,  t.  x,col.  570-571. 

2.  A  sa  descente  l'âme  du  Christ  n'a  pas  davantage 
enduré  la  peine  du  sens,  je  veux  dire  le  feu  de  l'enfer 
ou  celui  du  purgatoire.  Car  ces  peines,  de  leur  nature, 
sont  destinées  soit  à  l'éternelle  punition  de  fautes  per- 
sonnelles devenues  irréparables,  soit  à  l'expiation  tem- 
poraire de  dettes  contractées  par  le  péché  personnel  et 
non  éteintes  encore.  Par  conséquent,  elles  supposent 
une  âme  réellement  pécheresse,  ce  qui  ne  va  pas  sans 
hérésie  ni  blasphème  dès  qu'il  s'agit  de  l'âme  du  Verbe 
de  Dieu  incarné.  D'autre  part,  tous  les  documents  ré- 
vélés aboutissent  à  montrer  que.  par  sa  moi  t  sur  la 
croix,  le  Sauveur  a  pleinement  satisfait  pour  nos  péchés 
et  consommé  l'œuvre  de  notre  rédemption.  C'est  le 
sens  de  cette  parole  prophétique  de  Jésus  :  Et  ce 
ascendimus  Jerosolymam,  et  consummabuntur  omnia 
quse  dicta  sitnt  a  prophetis  de  Filio  hominis,  Luc, 
XVIII,  31;  c'est  la  mission  déclarée  accomplie  en 
saint  Jean  :  Sciens  Jésus  quia  omnia  consummata  sunt, 
et  par  le  Consummatum  est  de  l'heure  suprême,  Joa.. 
xix.  28,  30;  c'est  le  sacrifice  définitivement  libérateur, 
le  prix  que  saint  Paul  expose  longuement.  Heb.,  ix  et  x. 
Aussi  bien  si  les  hommes  sont  rachetés,  le  prix  indiqué, 
que  Jésus  a  payé,  n'est  ni  la  torture  du  feu  infernal  ni 
la  peine  du  purgatoire,  mais  c'est  son  sang,  I  Pet.,  ni, 
18;  I  Joa.,  i,  7;  Apoc,  v,  9,  et  c'est  toujours  à  la  mort 
du  Sauveur,  et  non  aux  souffrances  des  enfers,  que 
notre  salut  est  rapporté.  Rom.,  v;  Col.,  I,  passim.  Du 


589 


DESCENTE    DE    JESUS    AUX    ENFERS 


590 


reste,  le  Christ  n'a-t-il  pas  dit,  en  parlant  de  sa  mort, 
aux  disciples  d'Emmaûs  :  Xonne  hœc  oportuit  pâli 
Christum,  el  ita  intrare  in  gloriam  suant?  Luc, 
xxiv.  26.  Et  saint  Paul,  observant  que  le  Christ  a  été 
obéissant  jusqu'à  la  mort  de  la  croix  :  factus  obediens 
usque  ad  morteni,  mortem  autcm  crucis,  ajoute  que 
cette  mort  a  été  le  point  de  départ  de  son  exaltation  : 
Peupler  quod  et  Deus  exaltavit  illum  el  donavit  Mi 
nomen  quod  est  super  omne  nomen,  ut  in  nonrine 
■lesu  onine  genu  flectatur,  cselestium,  lerrestrium  el 
infemorum.  Phil.,  n,  8-10. 

3.  Du  reste,  en  principe,  il  faut  admettre  avec  les 
Pères  el  Bellarmin  que  le  Christ  n'a  souffert  quoi  que 
ce  soit  en  enfer  :  Nec  ullo  modo  judicant  (Patres) 
Christum  aliquid passum  in  inferno.  Disp.  de  controv. 
christ,  pdei,  De  C/tristo,  1.  IV,  c.  vin,  p.  3.">8.  Aussi  à 
rencontre  de  saint  Thomas,  Sum.  tlteol.,  III3,  q.  i.h, 
a.  '1,  3,  et  avec  saint  Bonavenlure,  In  IV  Sent.,  1.  III, 
dist.  XXII,  q.  IV,  Bellarmin  estime  que  l'âme  du  Christ 
dans  les  limbes  n'éprouvait  aucune  douleur,  ni  d'être 
séparée  de  son  corps,  ni  de  se  trouver  dans  le  lieu  in- 
fernal.  Il  donne  de  sa  conclusion  ces  justes  raisons  : 
.1/  Bonaventura  dicit  Christi  animam,  dum  essel  in 
inferno,  fuisse  in  loco  pœnse,  sed  sine  pana,  cujus 
is  loquendi  mihi  videtur  magis  conformais  Pa- 
tribus.  Itaque,  etsi  quod  maneat  anima  separata  a 
corpore,  pâma  vel  pœnalilas,  vel  jioiius  minor  per- 
feclio  dici  possit,  tamen  mansionem  Chris ti  in  in- 
ferno... non  auderem  vocare  pœnam,  nec  pœnalita- 
tem.  Nam  illse  animas  pœnam  trahunl  ex  inferno, 
qum  ibi  sunt  tanquam  in  carcere,  nec  possunt  egredi 
quando  volunt.  Ai  Chris  tus  fuit  in  inferno  liber  et 
liberalor aliorum ,  ut  omnes  Paires  clamant.  Op.  cit., 
c.  xvi.  p.  367.  Cf.  .1.  de  l.i  Serviére,  La  théologie  de 
Bellarmin,  c.  il,  §  ï,  Paris,  1908,  p.  67. 

i"  l)e  ces  considérations,  et  selon  l'indication  mémo 
de  saint  Paul,  il  faut  conclure  que  l'âme  du  Christ  a 
visité  les  enfers  en  vrai  triomphateur.  L'œuvre 
accomplie  par  Jésus  en  ce  milieu  nous  révélera  ce  que 
fut  ce  triomphe.  Il  suflil  présentement  de  constater 
que  les  commentateurs  sont  unanimes  a  exposer  en  ce 
si  ii-  les  textes  de  l'Écriture  déjà  mentionnés,  spéciale- 
ment '  Iséi  .  \im.  I  î  :  Ps.  cvi,  16.  Les  sainis  Pères,  cons- 
tate  Bellarmin,  décrivent  la  descente  aux  enfers, 
comme  celle  d'un  vainqueur  et  d'un  triomphateur,  non 
comme  celle  d'une  victi  es  Patres,  uni  des- 

t  inferos  describunt,  describunt 
m  descensum  victoris  ri  triumphatoris,  mm  ni  ni. 
<)p.  cit.,  c.  vin.  p.  358.  Cf.  I.  '1,'  l.i  Serviére,  np.  cit., 
p.  iiT.  Saint  Cyrille  de  Jérusalem  parle  de  l'étonnement 
de  l.i  mort,  en  voyant  descendre  cette  âme  libre  de 
tous  les  liens  qui  retenaient  les  autres  aux  enfers: 
&  ôâvaTo;  Oecopirço'a;  xaivôv  Tiva  xaTeX6<5vra 
:   x'.-'/i:  \ic,  xïti/mje/ov.   Cat.,  XIV. 

n.  19,  /'  '.  .  t.  xxxiii,  ci.  848.  L'auteur  d'un  sermon 
■ttribui    •  >   -  ■  1 1 « f  Ambroise  prononce  le  unit  de  triom- 

llfistUS,   CU1 n    ml    lu,  In,  ,    ,,,,,, 

nderel,    tera     wferni     ianuasque    confring 
vinctat  peccalo  animas,  nwrtis dominalione  destt  ucta, 
e  diaboli  faucibus  revocavit  n<i  vitam,  alque  itadivi- 
/,/i/'~  teternii  characleribus  est  conscriplus. 
Sei  "  •  /..r,  c.  iv,  /'.  L..  t.  xvii, 

■  n-  'l  un  sermon,  pareillement  attribué 
complaît  .i  dr  imatiser  élégamment 
eddidit,  imita 
rofunda  descendit; 
■  ■i    terminum    '/un  latoi 

.  aspii  ii  nlet    i 

\  .,  ...   ., 
.  m  /.  débiter; 


plicem.  Venit  jubere,  non  succumbere ;  eripere,  non 
mancre...  Hic  si  reus  essel,  tain  potens  non  esset.  Ap- 
pendix  operum  S.  Avgustini,  Serin.,  clx,  De  Pascha, 
n.  2,  P.  L.,  t.  xxxix,  col.  2060. 

Aussi  bien,  explique  le  catéchisme  romain,  en  des- 
cendant aux  enfers,  Jésus-Christ  ne  perdit  rien  de  sa 
puissance  ;  et  l'éclat  de  sa  sainteté  ne  fut  point  obscurci  : 
bien  au  contraire.  L'événement  mit  en  belle  évidence 
la  vérité  des  magnifiques  descriptions  tracées  par  les 
prophètes  et  à  faire  voir  de  nouveau  qu'il  était  vrai- 
ment le  Fils  de  Dieu,  comme  il  l'avait  déjà  prouvé  par 
tant  de  prodiges.  La  chose  se  comprend  sans  peine,  si 
l'on  prend  soin  de  comparer  les  causes  diverses  qui 
ont  amené  aux  enfers  Jésus-Christ  et  les  autres  hommes. 
Ceux-ci  s'y  trouvaient  captifs;  lui,  était  libre  au  milieu 
des  morts,  libre  et  vainqueur,  puisqu'il  arrivait  terras- 
sant les  démons  qui  retenaient  les  hommes  enfermés 
et  enchaînés  à  cause  de  leurs  péchés.  Parmi  tous  ces 
prisonniers,  les  uns  enduraient  les  peines  les  plus 
cruelles;  les  autres,  quoique  exempts  de  châtiments, 
souffraient  cependant  de  la  privation  de  Dieu,  et  ne 
pouvaient  qu'espérer  sans  cesse  la  gloire  qui  devait  les 
rendre  heureux.  Jésus-Christ,  lui,  non  seulement  n'en- 
dura dans  l'enfer  aucune  souffrance,  mais  il  n'y  parut 
que  pour  délivrer  les  saints  et  les  justes  des  douleurs 
de  leur  triste  captivité,  el  pour  leur  communiquer  les 
fruits  de  sa  passion.  Ainsi  donc  sa  descente  aux  enfers 
ne  lui  fit  rien  perdre  de  sa  dignité,  ni  de  sa  puissance 
souveraine.  Catechismus  ad  parochos,  part.  I,  c.  vi, 
n.  5.  Borne,  1902,  p.  57. 

///.  I.i;  TEMPS  ni;  LA  DESCENTE  AUX  ENFERS.  — 
L'âme  du  Christ  fut  dans  les  enfers  depuis  le  moment 
de  la  séparation  suprême  jusqu'à  l'instant  de  la  résur- 
rection. C'est  là  une  conclusion  tout  à  fait  certaine  : 
Veritatem  banc,  écrit  Suarez,  non  minus  certain 
existimo,  quant  quod  Christus  in  infernum  descen- 
dent. De  mysterio  vitœ  Christi,  disp.  X.LIII,  secl.  iv. 
n.  6,  Paris,  1866,  t.  xix,  p.  742.  En  fait,  la  plupart  des 
arguments  qui  prouvent  la  vérité  de  la  descente,  dé- 
montrent en  même  temps  qu'elle  s'est  réalisée  par  le 
transpoli  aux  enfers  de  l'âme  du  Christ  unie  à  sa  divi- 
nité. Que  si  elle  est  demeurée  trois  jours  en  ce  lieu, 
ce  n'est  pas  qu'elle  eûl  une  expiation  quelconque  à 
fournir.  Elle  devait  attendre  l'heure  de  la  réunion  à 
son  corps,  et  celle-ci  ne  pouvait  avoir  lieu  immédiate- 
ment, sous  peine  de  provoquer  le  doute  sur  la  réalité 
de  la  mort.  Telle  est  la  pensée  de  saint  Thomas  :  Sicut 
Christus...  voluit  corpus  suum  in  sepulcro  poni,  ita 
etiam  voluil  animant  suant  ad  infernum  descendere. 
Corpus  aulem  ejus  mansitin  sepulcro  perdiem  inte- 
grunt  ci  duas  uoetes  ml  comprobandum  veritatem 
nwrtis  suse.  l'ode  etiam  tanlumdem  credendum  est 
a,,,, nam  ejus  fuisse  m  inferno,  ni  simul  anima  ejus 
educeretur  de  inferno  ci  corpus  de  sepulcro.  Sum. 
theol.,  III»,  q.  in,  a.  'i.  La  tradition  appuie  sa  croyance 
sur  ce  mot  de  Notre-Seigneur  lui-même  :  Le  Fils  de 
l'homme  sera  au  cœur  de  la  terre  trois  jours  et  trois 

nuits,   comme   .louas   dans  la    baleine.    Matlh.,    XII.    l'i 

linl  Pierre  remarque  que  si  l'âme  du  Sauveur  n'a 

il. m-  l'enfer,  cela  veul  dire  qu'elle 

•  sortie  pour  ressusciter  :  Providens  loculus  esl 

il,  résurrections  Christi,  quia  neque  deralictus  est  m 

inferno,  neque  caro  ejus  vidit  corruptiontm.  \ei..  n. 

31. 

IV.  L'ŒUVRl  ACCOMPLIE  eu;  il  CHRIS1  DANS  SA  DES- 
CEND    KVX  ENFERS.  —  /.    M  -    i  i  \  i  l  -  DB  SAINT  PII 

i  ni.,  m,  1 8-80,  Bi  iv,  5-6.  -  Us  ont  eu,  le  premier 

surtout,  1res  particulière  importance  pour  l'intelli- 

chrétienne  de  la  mission  remplie  par  le  Sauveur 
,i m-  la  di  ii  •  nie  aux   enfers,  et  il  esl  d'j 

ter. 
l    Le  texte  «le  la  i  '  Pet.,  m  ■  ■  u 


591 


DES C ENTE   DE   JESUS    Al  '  X    E N FE  B S 


592 


mortificalus  quidem  ru, ■m-,  vivificatus  aulem  spiritu, 
'm  quo  (spiritu)  el  his,  qui  in  carcere  erant,  spirili- 
bus  venient  prsedicavit,  qui  increduli  fuerani  ali- 
quando,  quando  expectabant  Dei  patientiam  in 
diebus  Noe,  cum  fabricarelur  arca,  in  qua  pauci,  id 
est  oclo  anima  salves  faclse  sunt  per  aquam.  — 
1.  Saint  Pierre  a  pour  IjuI  de  prouver  incidemment 
l'universalité  du  salut  apporté  par  le  Christ  :  car,  d'un 
côté,  Jésus  a  sauvé  les  âmes  depuis  longtemps  détenues 
aux  limbes;  de  l'autre,  il  sauve  les  chrétiens  par  le 
baptême.  Dans  la  pensée  du  prince  des  apôtres,  c'est 
le  Christ  qui  est  mis  en  cause,  le  Christ  in  spiritu,  en 
tant  qu'esprit,  selon  son  âme  et  pendant  que  son  corps 
reposait  au  tombeau.  En  cet  état  bien  déterminé,  le 
Christ  est  parti,  jtopeu9etç.  Il  s'est  véritablement  déplacé' 
pour  un  voyage  qui  eut  lieu  entre  sa  mort  et  sa  résur- 
rection. Ce  voyage  doit  s'entendre  au  sens  propre, 
aussi  réel  que  celui  de  l'ascension,  exprimé  de  la 
même  façon  à  l'endroit  parallèle  du  c.  îv,  22,  TtoprjOe't; 
el;  o-jpavôv.  —  2.  Il  s'est  rendu  à  la  prison,  cp'j),a/.r,, 
c'est-à-dire  au  ëëôl.  En  cette  demeure,  selon  l'en- 
seignement de  Jésus  lui-même,  il  y  a  au  moins  deux 
parties  :  à  savoir,  un  lieu  ou  une  place  exclusivement 
réservée  aux  damnés;  une  autre,  appelée  le  limbus 
patrum,  où  les  âmes  des  justes  attendaient  que  le 
Messie  vînt  les  délivrer  et  les  conduire  au  ciel.  C'est 
évidemment  de  cette  dernière  demeure  qu'il  est  ici 
question.  Cette  portion  du  ëeôl  est  justement  appelée 
une  prison,  puisque  les  âmes  étaient  là  tout  à  la  fois 
détenues,  et  privées  de  la  vie  bienheureuse.  Cf.  Is., 
XXXVIII,  18.  —  3.  Le  Christ  est  allé  vers  les  âmes, 
nvejjj.axa,  des  défunts  :  car  jamais  ce  mot  ne  s'emploie 
pour  désigner  les  hommes  encore  en  vie.  Il  est  allé 
aux  âmes  des  hommes  qui  avaient  été  incrédules,  en 
grec  :  qui  avaient  été  rebelles,  autrefois,  àiretO/ioaoïv 
jiots,  et  nommément  à  l'époque  du  déluge.  L'on  peut, 
en  effet,  supposer  que  beaucoup  parmi  ces  hommes 
qui  refusèrent  de  croire  à  la  parole  de  Noé,  furent 
pris  d'une  crainte  salutaire  à  l'instant  du  déluge,  firent 
pénitence  et  obtinrent  la  rémission  de  leurs  péchés.  A 
première  vue,  ces  détails  semblent  limiter  très  étroi- 
tement le  nombre  des  âmes  vers  lesquelles  le  Sauveur 
s'est  rendu  de  sa  personne  :  car  Yaliquando  peut  pa- 
raître restreint  à  l'époque  de  Noé...  aliquando,  quando 
expectabant  Dei  patientiam  in  diebus  Noe,  dum 
fabricaretur  arca.  Il  faut  néanmoins  reconnaître  au 
f.  19  une  portée  générale.  Seulement  l'apôtre  caracté- 
rise, par  leur  état  antérieur  d'incrédulité,  les  âmes 
visitées  par  Jésus.  Si  saint  Pierre  mentionne  spéciale- 
ment les  hommes  du  temps  de  Noé,  c'est  à  titre 
d'exemple  particulier,  et  parce  qu'ils  s'étaient  mon- 
trés plus  gravement  coupables,  et  parce  que  l'efficacité 
de  la  passion  du  Christ  s'est  ainsi  révélée  plus  grande 
à  leur  égard.  Car  l'opinion  juive,  même  au  temps 
apostolique,  était  que  tous  ceux  qui  avaient  péri  au 
déluge,  étaient  exclus  du  royaume  ou  du  salut  messia- 
nique. Cf.  L.  Cl.  Fillion,  La  Sainte  Bible  [commentée, 
Paris,  1904,  t.  vm,  p.  682-683.  —  4.  Et  donc  à  ces  âmes 
des  défunts,  le  Christ  est  venu  prêcher  :  ixrçp-jçe.  Non, 
certes,  qu'il  ait  voulu  proprement  les  convertir,  puis- 
qu'il n'y  a  pas  de  conversion  possible  dans  l'au-delà. 
Ce  n'est  pas  non  plus  qu'il  ait  voulu  signifier  leur 
damnation  à  ceux  qui  étaient  morts  en  état  de  péché, 
car  cxr'pvEs  ne  peut  avoir  et  n'a  jamais  cette  significa- 
tion ;  et,  d'ailleurs,  au  passage  corrélatif  du  chapitre 
suivant,  il  est  dit  que  la  bonne  nouvelle  a  été  apportée 
aux -morts  :  vexpoï;  ti^yyiK^firi,  mortuis  evangeliza- 
luni  est.  C'est  donc  l'Evangile  ou  la  bonne  nouvelle  de 
la  rédemption  accomplie  que  le  Christ  a  apportée  aux 
âmes  des  morts.  En  leur  appliquant  le  fruit  de  la  ré- 
demption, je  veux  dire  la  vision  béatilique.  il  les  a 
délivrées  de  leur  prison,  du  lieu  où  elles  étaient  déte- 
nues   dans     l'état    de    privation    de     la    vue    de    Dieu. 


Cf.  Stentrup,  Soteriologia,  thés,  xi.v  ;  Hundhausen, 
I)as  ersle  Pastoralschreiben  de»  Apostelfùrsteti  Pe- 
ints. Mayence,  1873,  p.  343  Bq.j  C.  Pesch,  Prsslec- 
tiones  dogmaticee,  De  Verbo  incarnate,  part.  II, 
sect.  m,  a.  4,  §  2.  Fribourg-en-Briegau,  1896,  t.  iv, 
n.  501,  p.  243-244  :  P.  Dracb,  Épilres  catholiques,  Pa- 
ris, 1879,  p.  99-100;. I.  A.  Van  Steenkiste,  Sanction 
Jesu  Christi  Evangelium  secundurn  Matthseutn, 
3  édit.,  Bruges,  1882,"  t.  iv.  p.  1308-1310;  Id.,  Epi 
catholiese  breviler  explicatœ,  2e  édit.,  Bruges,  1887, 
p.  82-84;  Th.  Calmes,  Epilres  catholiques,  Apocalypse, 
Paris,  1905,  p.  40. 

2°  L'autre  texte  de  saint  Pierre  est  celui-ci  :  Qui 
reddent  ralionem  e\  qui  paratus  est  judicare  vivos  et 
mortuos.  Propter  hoc  enim  et  mortuis  evangelizalum 
est,  ut  judicentur  quidem  (aoriste  dans  le  grec)  se- 
cundurn homines  in  ru  nie,  virant  autem  secundurn 
Deum  in  spiritu.  I  Pet.,  îv,  5-6.  —  1.  La  particule 
enim ,  reliant  les  deux  versets,  montre  que  saint  Pierre 
va  expliquer  ce  qu'il  a  avancé  dans  la  proposition  pré- 
cédente :  que  Jésus-Christ  jugera  les  morts  comme  les 
vivants.  Car,  aux  morts  eux-mêmes,  -/.ai  vexpoîç,  aussi 
bien  qu'aux  vivants,  c'est-à-dire  à  ceux  qui  sont  main- 
tenant décédés  comme  aux  vivants  de  l'heure  présente, 
l'Évangile  a  été  prêché  ;  on  leur  a  annoncé  la  bonne 
nouvelle  de  la  rédemption  accomplie  et  la  proximité 
du  salut  pour  ceux  qui  étaient  jusqu'alors  retenus  dans 
les  limbes.  Le  but  de  cette  évangélisalion,  -va.  ut, 
c'est  qu'après  avoir  été  jugés  (judicentur,  mais  l'aoriste 
grec  dénonce  un  fait  passé)  selon  les  hommes  quant  à 
la  chair  mortelle,  c'est-à-dire,  après  avoir  subi  le  juge- 
ment commun  à  tous  les  hommes,  la  mort,  ces  défunts 
vivent  dans  la  sphère  de  l'esprit  conformément  aux 
opérations  de  Dieu.  —  2.  Ce  passage  est  évidemment 
parallèle  de  m,  18-20  :  des  expressions  analogues  y 
désignent  les  mêmes  choses.  Ce  second  texte  énonce, 
en  termes  généraux,  le  principe  dont  l'apôtre  a  donné, 
au  c.  m,  l'indication  avec  une  application  particulière 
et  concrète.  Mais,  ici,  de  même  qu'au  c.  ni,  comme  il 
s'agit  d'un  ordre  de  choses  très  éloignées  de  notre 
conception  et  que  l'écrivain  touche  seulement  en  pas- 
sant, il  y  a  toujours  quelque  obscurité,  surtout  quand 
on  en  veut  venir  à  la  précision  des  détails.  Cf.  Fillion, 
op.  cit.,  p.  685-686;  P.  Drach,  op.  cit.,  p.  103-104;  Van 
Steenkiste,  Epistolae  catholiese,  p.  86-87. 

3°  Ces  textes  de  la  I,e  Épitre  de  saint  Pierre,  le  pre- 
mier surtout,  ont  pris,  dans  la  question  de  l'intelli- 
gence de  la  descente  aux  enfers,  une  place  trop  parti- 
culière pour  qu'il  ne  soit  pas  nécessaire  d'en  suivre 
l'histoire. 

1.  Durant  les  quatre  premiers  siècles,  le  passage  du 
c.  m  fut  communément  invoqué,  soit  pour  démontrer 
le  fait  de  la  descente,  soit  pour  les  essais  d'explication. 
Au  11e  siècle,  nous  en  avons  déjà  rapporté  les  preuves 
textuelles,  l'Évangile  de  Pierre,  il.  s'inspire  évidem- 
ment de  la  Ia  Pet.,  ni,  18-20,  pour  faire  demander  au 
Christ  s'il  a  prêché  les  morts.  Il  en  est  de  même  pour 
llermas,  quand  il  expose  que  les  apôtres  elles  disciples 
allèrent,  après  leur  mort,  prêcher  les  trépasses,  Sini., 
1\.  xvi,  l1.  G.,  t.  n,  col.  995-996;  Funk,  Opéra  /'.i- 
irum  apostolicorum ,  Tubingue,  1881,  t.  i,  p.  ,">:!2.  et 
pour  Clément  d'Alexandrie,  disant  que  le  Seigneur 
n'est  descendu  aux  enfers  que  pour  prêcher  l'évangile, 
si5ay,E).(ffao-8<xi.  Strom.,  VI,  c.  v.  P.  G.,  t.  îx.  col.  268. 
Du  nie  au  v  siècle,  les  Pères  continuent  de  citer  ou  de 
rappeler  le  même  texte.  Ainsi  Origène  dit  que  le  Sau- 
veur se  rendit  convertir  les  âmes  qui  voulurent  bien 
l'écouter.  Gonl.  Celsum,  I.  11.  n.  43,  P.  (.'..  t.  XI, 
col.  865.  Nous  pourrions,  après  Bellarmin,  mentionner 
saint  Athanase,  Epist.  ad  Epictetum,  /'.  (•'..  t.  xxvi, 
col.  1050  sq.;  l'auteur  déjà  cité  du  livre  De  incarner 
lione;  saint  Épiphane,  User.,  î.xxvn,  /'.  G.,  t.  xin. 
col.  642  sq.;  saint  Cyrille  d'Alexandrie,  De  recta  fuie 


593 


DESCENTE    DE    JESUS    AUX    ENFERS 


594 


<x>  Theodosium,  n.  22,  P.  G.,  t.  r.xxvi,  col.  1163; 
In  Joannis  Evangelium,  1.  XI,  c.  n,  P.  G.,  t.  i.xxiv, 
col.  456  :  TpnQjJLepoç  fàp  àveëta,  v.r,p-JEa;  xat  to?;  êv 
:'jr/.'',  7TV£-J;j.a'7t...  Kal  toi;  r(ÔT|  xaTOt^ofilvot;,  xal  iv 
roi;  Tr,;  àoÛT'70'J  p.'J/oï;  y.aOr  p.Evot;  âv  uzotoi...  Sia/.^p-jïat 
T7)v  ayinn  ;  saint  Ililaire,  7w  ps.  cxviil,  sur  le  verset 
Defecerunt  oculi  met,  P.  L.,  t.  ix,  col.  572-573;  l'Am- 
brosiasler,  In  Epist.  ad  Rontanos,  c.  x,  P.  L.,  t.  xvn, 
col.  143;  Hufin,  Cnnimentarius  in  sijmbol,  apostol., 
n.  18  sq.,  P.  L.,  t.  xxi.  col.  356  sq. 

2.  Au  v°  siècle,  saint  Augustin  change  la  situation. 
Son  ami  Evode  lui  demande  un  jour  :  «  .Tuels  sont  les 
esprits  dont  Pierre  dit  que  le  Christ  est  venu  dans 
l'enfer  les  évangéliser  tous  et  les  délivrer,  si  hien  quei 
•de  la  résurrection  du  Seigneur  à  l'heure  du  jugement, 
l'enfer  est  et  demeurera  vide.  »  Epist.,  CLXIII,  P.  L., 
t.  xxxni,  col.  708.  Le  grand  docteur  fut  hien  embar- 
rassé  et  ne  trouva  pas  moyen  d'éluder  les  difficultés 
entrevues  par  Évode  et  par  lui,  en  continuant  d'appli- 
quer  notre  texte  à  la  descente  aux  enfers.  Ce  n'est  pas 
que  saint  Augustin  ne  professât  fermement  la  vérité 
de  ce  fait  et  de  ce  dogme,  loin  de  là;  mais  il  avança, 
hien  qu'avec  une  certaine  hésitation,  que  saint  Pierre 
n'en  parle  aucunement  en  son  Épitre.  Pour  lui,  ce 
n'est  pis  après  sa  mort,»  mais  avant  son  incarnation, 
au  temps  du  déluge;  ce  n'est  pas  en  son  âme  humaine, 
mais  avec  sa  seule  divinité'  el  par  des  inspirations  inté- 
rieures, que  le  Christ  a  porté  l'Evangile  aux  esprits 
emprisonnés;  ou  bien  même  ce  n'est  pas  personnelle- 
ment et  directement,  mais  d'une  manière  indirecte, 
n    la  personne   et    par  le  ministère  de  Noé,  qu'il  a 

rempli  cette  mission.  Quant  à  la  prison,  il  faut  la 
prendre  au  li^uré,  pour  les  ténèbres  de  l'incrédulité 
qui  enveloppaient  les  contemporains  de  Noé.  Nous  le 
verrons,  cette  explication  s'écarte  de  l'interprétation 
autrefois  el  aujourd'hui  universellement  reçue  dans 
l'Eglise,  lie  plus,  elle  s'écarte  du  texte  lui-même. 
Sans  parler  du  reste,  rappelons  que  saint  Pierre,  très 
expressément,  relie  d'intime  façon  la  prédication  aux 
esprits  et  la  mort  de  Jésus.  Or  l'explication  augusli- 
nienne,  au  contraire,  interpose  une  longue  série  de 
siècles,  tout  le  temps  de  N'oé  ;'i  Jésus-Christ,  entre  [a 
même  prédication  el    la    mort  du  ur.    Epist., 

clxiv,  mi  Evodium,  n.  12,  13,  16,  21.  /'.  /..,  t.  \\.\m. 
col.  71  i.  715.  7is. 

Par  une  conséquence  logique  qui   ne  saurait  éton- 
ner, saint  Augustin  veut  aussi  prendre,  dans  un  sens 
figuré  '-i  .m  moral,  le  mot  et  mortuù du  second  pat 
de  l'Épltre  de  saint  Pierre.  Il  s'agit  la,  dans  sa  pi  n 
d'-  homm               >iit  morts  spirituellement,  de 
cheui                         iculièremenl  des  païens.  .Mais  il  y 
n  encore  une  réelle  violi                   au  teste.  Car, 
a  la  fin  du  \.  5,  gui  paratus  est  judicare  vivos  et  mor- 
te  mut  e^t  pris  dans   son  sens   propre;   et    rien 
n'autorise,-,   penser  qu'il  >  ail   dans  h  -  liions 

d  une  même  ligne,  dont    la   premi<  re  explique   I 
onde,  deux  ai  ci  ptions  ditTén  ntes  du  i te  i 

3.  L'Orient  ne  suivit  pas  sainl  luguslin.  Ni  Jobius, 
dan  Photius,  BU  lit  <  n.  38,  /'.  G.,  t.  cm, 
col.  80i,  i. 

'•  HI,  e.  xxix,  /'.  G  ,t.  xci   .  col.  1101,  ni  CEcumi  nias, 
'"  I      Pelri,  m.  l'.t.  /•.  c,..  t.  ,  ux,  col.  567,  m  l 
phylacte,  In  l      Pétri,  m,  19,  /•.  G.,  i.  cxxv.col.  1232, 

n'uni  •-■  ssé  de  r irir  .m  c.   m  d.'  la  I"    Épitre  de 

ni  la    qui    lieu   il.    la  desi  .nie  .m 
!-  m.  nu  l'influence  de  -.uni   \. 
lin  .i 

mentaire  bientôt  unanimement  Sccepté  el  propa        i 

insi      Le   •  ni  est 

m  nu  dans  l.i  chair  e,,   ni  ,  -,u\ 

hoinn  (,Mi 

ni  nu  rédu 
liarm  llement.    /e    /  ■,,,    |Q(    / 


t.  xcm,  col.  58  sq.  Walafrid  Strahon  recueillit  dans  sa 
Glose,  au  IXe  siècle,  cette  interprétation.  P.  L.,  t.  exiv, 
col.  686.  Le  mot  se  trouvait  ainsi  donné  par  ceux  qui 
furent  le  plus  écoutés  dans  le  monde  latin  du  moyen 
âge. 

Aussi  les  théologiens  scolastiques,  quand  il  s'agit  de 
démontrer  ou  d'expliqner  la  descente  aux  enfers,  pas- 
sent complètement  sous  silence  le  célèbre  texte  de 
l'apôtre.  Saint  Thomas  indique  la  raison  de  cette  atti- 
tude :  Ad  terlium  dicendum  quod  illud,  quod  ibi 
dicit  Petrus,  a  quibusdam  refertur  ad  descensum 
Ckristi  ad  inferos,  sic  exponentes  verbum  illud  :  Ilis 
qui  in  carcere  inclusi  eranl,  id  est  inferno,  spiritu, 
id  est  secundum  animant,  Chris  tus  reniais  prsedica- 
vit,  qui  increduli  fuerant  aliquando.  Un  de  et  Da- 
mascenus  dicit  in  III  libro,  c.  xix,  qnnd  sicut  his 
</ui  in  terra  surit  evangelizavit,  ila  et  his  qui  in 
inferno.  Non  quidem  ut  incrédules  ad  (idem  conver- 
lerel,  sed  ut  eorum  infidelitatem  confutarel.  Quia 
ipsa  prsedicalio  nihil  aliud  intelliqi  potesl  quant  ma- 
uifeslatio  divinilalis  ejus,  quse  'manifestant  est  in 
infernalibus  per  virtuosum  descensum  Christi  ad 
inferos.  Auguslinus  lamen  melius  exponit  in  Epist. 
ad  Evodium  ut  referatur  non  ad  descensum  Christi 
ail  inferos,  sed  ad  operationem  divinitatis  ejus,  quant 
exercuit  a  principio  mundi.  Cl  *it  sensus,  quod  lus 
qui  in  carcere  conclusi  erant  viventes,  scilicet  in  cor- 
pore  morlali  [quod  est  quasi  quidam  carcer  anima'), 
spiritu  suœ  divinitatis  veniens  prsedicavit  per  inter- 
nas inspirationes,  et  eliam  exteriores  admonitiones 
pérora  juslorunt;  liis,  inquam,  prsedicavit ,  qui  in- 
creduli fuerant  aliquando,  Noe  scilicet  prœdicanti, 
quando  expectabanl  Uei  palientiam,  per  quant  diffe- 
rebalur  ptena  diluvii;  unde  subdit  :  In  diebus  Sue, 
dum  fabricarelur  arca,  etc.  Sum.  theol.,  llla,  q.  LU, 
a.  2,  ad  3"'".  Cette  leçon  de  l'angélique  docteur  fut 
retenue,  comme  un  mot  d'ordre,  par  les  sententiaires 
ou  les  sommistes,  jusqu'au  XVIe  siècle. 

L'on  s'est  demandé  s'il  n'y  eut  pas  une  raison  spé- 
ciale pour  imposer  ou  conseiller  celte  prétermission 
du  texte  de  saint  Pierre.  Nous  verrons  que  les  Pères 
se  sont  représenté  l'œuvre  de  Jésus  aux  enfers,  les 
uns  comme  une  évangélisation,  les  autres  comme  une 
délivrance  ou  une  victoire.  Puisque  l'apôtre  parle  de 
prédication  aux  morts,  les  partisans  de  l'évangélisation 
s'appuyaient  volontiers  sur  lui,  tandis  qu'au  contraire 
liants  de  la  délivrance  l'auraient,  à  Cause  de  leur 
théorie,  laissé'  dans  un  ouhli  voulu,  .le  ne  sais  si  un 
pareil  calcul  a  été  fait  par  les  théologiens  en  cuise  : 
les  documents  semblent  faire  défaut  pour  l'établir. 
Peut  'lie  est  il  plus  simple  el  plus  vrai  tout  ensemble 
d'attribuer  l'attitude  des  scolastiques  Bur  ce  point  à  un 
courant  d'interprétation  déterminé  par  l'autorité  si 
particulière  de  saint  Augustin. 

i.  Quand  les  protestants  rejetèrent  en  bloc  et 
bruyamment  toutes  les  démonstrations  bibliques  de  la 
visite  aux  enfers,   les  thé'  catholiques  durent 

fortifier   leurs    positii  "    [dus   ap] 

fondi  et  une  critique  plus  serrée  des  textes.  Ainsi 
furenl  ils  amenés  ■<  constater  que  -.uni  Augustin 
abandonné  un  argument  présenté,  pendant  quatre 
sied. 's.  par  l'ensemble  des  écrivains  ecclésiastiques. 
Ausm  les  théologiens  de  ],i  réforme  ne  manquaient  pas 
In  belle  occasion  de  s'. il. nier,  .i  ce  propos,  sous  le  pa- 
',.1  doeti  ur  africain. 
Bellarmin  rétablit  la  pn  uvi  tirée  du  e.  m.  lequel, 
dit-il.  a   toujour     'i'    i  '  puté  poui  qui 

(locus)  tenipei  imtu  hal  Diap.  'le 

controv.  chrUlianœ  fidei,  De   Christo,  I-   1\.   c.    xm, 

tdt,  1599,  r  379  il  démontra,  dan-  une  dl  ■ 
mou  précise  el  très  détaillée,  que  l'interprétation  •"• 
tinienne  s'oppo  imme 

mie  logique  di 


DESCENTE    DE   JÉSUS   AUX    ENFERS 


596 


hsereni  :  Christus  in  passione  sua  carne  mortuus  est, 
spiritu  virus  mansit,  ideo  Deus  olim  prsedicavit  ho- 
minibus  per  Noe?  Ai  si  intelligamus  de  desceniu  ad 
inferos,  omnia  cotisèrent.  Nam  volens  Petrus  osten- 
dere  Christum  in  passione  et  morte  mansisse  vivum 
quoad  animani,  probat  quia  Mo  tempore  anima  ejus 
profecta  est  in  infemum  et  prsedicavit  spiritibus  in 
carcere  conclusis.  Ibid.,  p.  381.  Puis  il  saisit  l'objec- 
tion de  l'évêque  d'Hippone  :  Mais  alors  pourquoi  le 
Christ  s'est-il  borné  à  prêcher  aux  incrédules  du  temps 
de  Noé,  tandis  qu'il  y  en  avait  tant  d'autres  dans  les 
enfers? Bellarmin  répondait  que  l'objection  se  retourne 
aussi  bien  contre  son  auteur  :  Nam  eliam  non  apparet 
ratio,  cur  dicai  Peints  Christum  in  diebus  Noeprœ- 
ilicasse  potius  quam  in  diebus  Abraham  et  aliorum 
palriarcharum  vel  eliam  aliorum  omnium  liominum. 
Ibid.,  p.  382.  Alors  le  docte  jésuite  expliquait  le  fait 
objecté  de  façon  aussi  simple  que  juste  :  Dico  prœterea 
Christum  prœdicasse  ininferno  omnibus  bonis  spiri- 
tibus, sed  nominalim  fuisse  expressos  illos,  qui  fue- 
rant in  diebus  Noe  increduli,  quia  de  Mis  eral  majus 
dubium,  an  essent  salvi  necne,  cum  pvniti  fuerini  a 
Deo  et  submersi  aqids  diluvii.  Indicat  ergo  hic  Petrus 
eliam  ex  Mis  incredulis  fuisse  aliquos  qui  eliam  in 
fine  vitse  pœnitenliam  egerint,  et  licet  quantum  ad 
corpus  perierint,  tamen  quantum  ad  animam  salvi 
f tierint.  Ibid. 

b)  De  son  côté,  Suarez  trouva  l'exégèse  de  saint  Au- 
gustin creditu  difficilis;  et  cela,  pour  plusieurs  rai- 
sons. Primo  quia  mtdta  verba  e.vponunlur  impropvie 
et  per  translalionrm...  Deinde  per  carcerem  inler- 
prelari  covpus  valde  melaphoricum  est,  et  Origenis 
sapit  errorem,  eo  vel  maxime  quod  Petrus  dicitmor- 
tuis  prœdicasse  Christum,  quod  exponere  de  morluis 
spiritualité)-  per  peccalum,  valde  violentum  est,  prœ- 
sertim  cum  illos  mortuos  ab  hominibus  vivis  Petrus 
distinguât,  et  ibidem  in  hoc  sensu  dicat  Christum 
esse  judiccm  vivorum  et  mortuorum.  Denique  non 
placel  hsec  expositio  quia  juxta  illam  non  potest  lit- 
lera  connecti,  nec  reddi  ratio  cur  Petrus  repente  et 
absque  idla  occasione,  illius  pvœdicationis  feceril 
mentionem.  De  myslerio  vitse  Christi,  disp.  XLIII, 
sect.  m,  n.  7,  Paris,  1866,  t.  xix,  p.  736.  Mais  quand  il 
s'agit  d'indiquer  le  motif  pour  lequel  l'apôtre  a  spécia- 
lement mentionné  les  incrédules  du  temps  de  Noé, 
Suarez  rejeta  assez  légèrement  l'explication  de  Bellar- 
min pour  lui  substituer  celle-ci  qui  ne  la  vaut  certai- 
nement pas.  Selon  lui,  le  but  de  saint  Pierre  était  de 
consoler  et  d'encourager,  par  la  vue  des  célestes  ré- 
compenses, les  fidèles  diversement  éprouvés.  Alors  il 
suggéra  que  les  incrédules  du  temps  de  Noé  étaient 
cités  en  exemple,  parce  qu'ils  furent  les  plus  éprouvés 
des  hommes.  Ibid.,  n.  9,  p.  737. 

c)  Petau  prit,  lui  aussi,  sa  part  dans  le  débat.  [Du 
passage  de  saint  Pierre,  il  dit  :  Qui  locus  admoduni , 
ut  est,  visus  antiquis  est  obscurus  ac  perplexus ,  et  il 
ajoute  cette  malicieuse  réllexion  à  propos  de  saint  Au- 
gustin :  de  quo  (loco)  interrogalus  Augustinus  ab 
Evodio,  pro  responsione,  nihil  propemodum  prseter 
hsesilationem  explicavit  suam  epislola  undecentesima. 
Aces  explications  hésitantes,  Petau  ne  reconnaît  'pas 
la  moindre  probabilité  :  Neuliquam  Ma  (opinio)  pro- 
babilis  est.  Dogmata  théologien,  De  incarnalione , 
1.  XIII,  c.  xvni,  n.  14,  Venise,  1757,  t.  v,  p.  142.  Be- 
noit XIV  lui-même  reprit,  pour  son  compte,  une  partie 
de  l'argumentation  de  Bellarmin.  De  sabbatosanclo,5. 

d)  Par  ailleurs,  au  nom  des  exégètes  de  profession, 
le  savant  Estius  s'efforça  de  restituer  la  véritable  signi- 
fication des  textes  de  saint  Pierre.  Pour  le  premier,  il 
résume  ainsi  son  opinion  :  Christus  qui  homo  homi- 
nibus m  carne  evangelizavit,  idem  came  mortuus,  m 
spiritu,  al  est  secundum  animam,  profectits  ad  in- 
feros,  prsedicavit,  cl,  ut  infra  dicitur,  evangelizavit, 


id  est  hi'Uim  allulil  nunlium,  spiritibus.  hoc.  est  ani- 
mabus  quse  apud  in  fer  os,  m  ,</  pœnarum 

loco  conclusse,  delbiebanlur.   Qui    quidem    spirilus, 
alim  carne  induti,  increduli  fuerant,  lune  nimirum 
quando  Deus   patientei   et  longanimiler...'eos  expec- 
tabai  ad  psenitenliam,  idque  quo  tempore  Noe,  jussu 
divino,  fabricabat  arcam  in  quaipsecum  sua  fanii- 
lia...   servarelur  et  servatus   fuit   ab  aquis    diluvii, 
qnod  peccatoribns  tuperventurum  tam  uerbo  prsedi- 
cabal  quam  faclo.  Nam  et  i/isa  arese  fabricatio  q 
dam  prœdicatio  eral.  Cui  tamen  prsedicationi  et  prse- 
dictioni  credere  noluerunl...  donec  vend  diluvium  et 
consumpsit  omnes.   Ex   guibus  tamen  multi,  ipsius 
rei  quam   credere    noluerant  experienlia  et  prsest 
periculo  commonili,  tandem,  Deo  invocato,  ad  pseni- 
tentiam  converti   suut   et   cum    sjie   salulis  mortui. 
Propler  peccata  tamen  sua,  quoad  pœnam  adhuc  ex- 
pianda,  apud  inferos,  carceri  et   crucialibus  addicti 
remanserunl   usque  ad  Christi   redemptoris  a<< 
tum.  Unde    si  quseras    quid   Iseli  nantit   Christus  eis 
prsedicaveril,  respondeo  nunliasse  se  redemptorem, 
et  ad  hoc  venisse  ut  eos  e  pwnis  et  carcere  liberaret, 
atqae  ex   inferis  educlos  una  secum   et  cum   sanclo- 
rum    patrum    sjtiritibus    eveheret   ad    cselestia.    In 
omnes    divi    Pauli    Epislolas    commentaria,    Douai, 
1616,  t.  il,  p.  750-751.  —  Du  second  texte  Estius  donna 
une  explication  aussi  lumineuse  et  tout  aussi  ferme  : 
Jam  secundo  meminit  apostolus  hujusmodi  prœdica- 
tionis  ut   non   videatur  dubilandum   quin  eumdem 
sensum  ulrobique  speclel,  ul  ulerque  locus  ex  altero 
sit  illustrandus.  Quod  igitur  superiori  capite  dixit  : 
Christum  prœdicasse  spiritibus  qui  in  carcere  erant, 
idem  est  cum  eo  quod  hic  dicit  :  Evangelizatum  esse 
morluis...   De  Us  lantum    hic  agit    de   quibus    ante 
(apostolus)  egerat,  id   est    de  spiritibus    in    carcere 
purgatorio   conslitutis,    qui  in    diebus  Noe  increduli 
fuerant,  deque   aliis    quorum  similis  eral  causa,  cur 
eo  carcere    detinerenlur...  Non    vivis    lantum    ab  eo 
(Cliristo)    prœdicatum    est     evangelium,    sed    etiam 
mortuis,  tune  nimirum  quando  mortuus  ad  mortuo- 
rum loca   descendit.  Quodnam    evangelium  mortuis 
prsedicaveril   si  quseras,  respondemus  in  génère  qui- 
dem prœdicasse  idem  quod  vivis,  nempe  se  Messiam 
esse  et  Filium  Dei,  qui   sua  passione  et   morte  grenus 
laimanum   redemerit;  speciatim  vero,  se  ad  ea  loca 
descendisse    ut,   lanquam    morlis   et    inferni   victor, 
ipsos  e  carcere  quo  tenebantur  eriperel,  alque   una 
secum     ad  cœlos  subveheret...  Ad  hoc...  etiam  mor- 
luis evangelizavit  Christus  ut,  quamvis  judicali  fue- 
rint,  id    est    puniti  came    seu    corpore,  quando  eos 
aquœ  diluvii  sujfocarunt,  et  id  secundum  homines,hoc 
est  publiée   et    in   liominum    nolitia   (fuit  enini    Ma 
punitio  omnibus  hominibus  manifesta,  nec  discerne- 
bat  electos  a  reprobis),  vivant  tamen  féliciter  et  béate 
per  Christi  redemptionem  ;  spiritu,  id    est  anima, 
quam    Christus,    annuntiato   ipsis   evangelio,  glorise 
suse  participent  fecit,  etsi  came  adhuc  corruptionem 
patiente  ;  et  id  secundum    Dcum,  id  est  coram  Deo. 
licet  mundus  eos  apud  Dcum    viverc  nesciut  aut  mai 
credat.   Ibid.,    p.   756-757.    Estius    terminait   en  con- 
cluant que  son  interprétation  des  deux  passades  est  la 
plus  probable,  parce  qu'elle  s'éloigne  le  moins  possible 
de  la  signification  accoutumée  des  termes.   11  s'y  arrê- 
tait   d'autant  plus   volontiers   qu'elle  lui    parut   d'une 
grande  importance  pour  la  confirmation  du  dogme  du 
purgatoire. 

e)  Depuis  Bellarmin.  Suarez  et  Estius,  exégètes  el 
théologiens  se  sont  ralliés  au  fond  commun  de  leurs 
conclusions  :  ils  furent  et  sont  unanimes,  depuis  trois 
siècles  et  plus,  à  reconnaître  que  saint  Pierre  a  voulu 
dans  les  passages  indiqués,  parler  de  la  visite  du  Sau- 
veur aux  enfers. 

//.    LES  PERES    Ef    l'ŒCVRE    l>l     CHRIST  AUX  ENFERS.  — 


597 


DESCENTE    DE    JESUS    AUX    ENFERS 


598 


L'époque  palrislique  s'est  assez  justement  représenté 
l'œuvre  accomplie  dans  la  descente  aux  enfers  comme 
une  conséquence  et  une  application  de  l'œuvre  com- 
mencée par  l'incarnation  et  couronnée  par  la  rédemp- 
tion. Or,  l'antiquité  chrétienne  s'est  expliqué  le  mystère 
de  la  rédemption  par  deux  théories  principales  :  celle 
de  L'évangélisation  ou  de  la  lumière  apportée  aux  hom- 
mes enténébrés,  celle  de  la  délivrance  qui  renverse 
l'empire  du  démon  et  brise  les  chaînes,  ouvre  la  prison 
dans  lesquelles  il  détenait  les  hommes  en  réelle  capti- 
\ité.  Parallèlement  à  ces  concepts,  les  Pères  ont  exposé 
la  descente  aux  enfers,  soit  comme  une  prédication 
spéciale  adressée  aux  esprits  des  demeures  infernales, 
soit  comme  une  victoire  du  Sauveur,  je  veux  dire  un 
-ement  du  démon,  d'où  s'ensuit  la  délivrance  de 
ses  victimes. 

1°  Théorie  de  l'évangélisation  ou  de  la  prédicalii  n. 
—  I.  Nous  l'avons  rencontrée  dans  les  citations  déjà 
faites  de  V Évangile  de  Pierre,  d'Hermas,  de  Clément 
d'Alexandrie  et  d'Origéne;  et  c'est  grâce  à  l'influence 
de  celui-ci  qu'elle  se  répandit  si  largement.  En  même 
temps  qu'il  exalte  le  triomphe  du  Christ,  la  défaite  de 
la  mort  et  celle  du  diable.  Oral,  de  incarnatione  Verbi, 
il  23-27,  P.  (..,  t.  xxv,  col.  136  sq.,  saint  Athanase 
maintient  le  fait  de  la  prédication.  Ad  Epiclelum,n.5, 
6,  P.  G.,  t.  xxvi,  col.  1058-1061.  Saint  Hilaire  dit  que 
le  Christ  a  fait  ses  exhortations,  comme  l'apôtre 
Pierre  en  témoigne,  à  ceux  qui  étaient  en  prison,  aux 
incrédules  du  temps  de  Noé,  »  Tract,  in  ps.  CXVI1I, 
xi,  3.  P.  L.,\.  ix,  col.  572-573;  et  il  laisse  entrevoir  que 
la  conversion  demeurait  possible  dans  le  sombre  sé- 
jour. 

2.  Mais  quelle  fut  l'étendue,  quel  fut  l'effet  de  cette 
prédication?  Ses  partisans  l'ont  conçue  comme  un 
moyen  d'illumination  des  intelligences  et  de  réelle 
conversion  des  volontés.  Par  suite,  elle  se  trouvait 
inutile  pour  les  saints  patriarches  et  les  justes  de  l'an- 
cienne loi;  mais  elle  devait  s'adresser  aux  esprits  qui 
n'avaient  pas  reçu  la  lumière  de  la  foi,  et,  dans  cette 
théorie,  c'est  donc  pour  les  infidèles  que  le  Sauveur 
est  descendu  aux  enfers.  Tour  Clément  d'Alexandrie 
et  Origène,  ce  sont  tous  les  esprits,  à  qui  la  prédica- 
tion des  enfers  a  offert  la  lumière  évangélique,  et  tous 
oui  pu  obtenir  le  salut  à  la  seule  condition  de  la  bonne 
volonté-  :  èito[<rrp£çci>v  xàxeîvtov  -i»;  6ouXouivac  itpb(  aù- 
-.',,■  Origène,  Cont.  Celsum,  I.  II.  a.  13,  /'.  G.,  t.  xi. 
col.  8tJ5.  L'Ambrosiaster  expose  que  la  prédication  dans 
i'  -  enfers  consista  essentiellement  dans  .l'apparition 
même  de  Jésus,  el  il  ajoute  cette  conclusion  très  i 
que  Jésus  délivra  tous  ceux  qui  eurent  le  désir  ou 
l'amour  de  lui  Triumphato  ergo  diabolo,  descendit 
m  cor  terra,  ni   os  mor- 

tuorum,  et  quolquot  cupidi  ejus  estent  liberarentur. 
Comment,  in  ,Epist.  ad  P/di..  tv,  9,  /'.  L.,  i.  wn. 
col.  387.  Cet  amour  de  Jésus  était,  dans 
l'espérance  d'obtenir  par  lui  le  salut  :  Ornais  enim 
quicumque,  viso  Salvalon  apud  inferos,  sperani  <lr 
illo  taluiem,  liberalus  est,  Pelro  apostolohot  testante. 

1  ,,i>i .  mi  lioni.,  x,  7,  ibid.,  col.  143.  Saint 
lire  de  Na/ian/e  semble  ac<  i  pli  r  au  moins  I 
sibilité  du  -.dut  universi  l     il  ne  sait  si  le  Chi  isl  libéra 
qu'il  trouva  au  i  i  nfei  s,  ou  seulement 

n  ni  en  lui     \'  ,<.,'>:  ■/.%-.  -.%  \i  ■-.    -■,.  Xptw 

"i  r,;  xaTK6âa(W(,  t:; 

,-i.ii:;,    'rl     /A/v.    tOV< 
'    •'/..     MA.    21,      P.     L    .    t.    XXXVI.    Col.    li.'lT. 

Saint  Cyrille  d  Alexandrii  paraîtrait  aller  plus  loin  en- 
••t  adinettn    li    lui  du  salul  ,.■  aérai 

...    \\uii   dépouillé  tout 

I  i  nf  r,  el  iv. mi  '.i, 

diable  abandonm 


Homil.  paschal.,  vu,  P.  G.,  t.  lxxvii,  col.  552.  Il 
semble  cependant  que  cette  formule  absolue  doive 
s'entendre  avec  quelque  restriction,  celle-ci,  par  exem- 
ple, que  la  libération  atteignit  tous  ceux  qui  en  étaient 
dignes.  Car  saint  Cyrille  dit  ailleurs  formellement  que, 
prêchant  aux  esprits  en  prison,  le  Christ  a  délivré  ceux 
qui  auraient  cru  en  lui,  s'ils  avaient  vécu  au  temps  de 
sa  prédication  publique  sur  la  terre  :  î'va  \\)or\  toûtouç, 
ôaoc  ittareûstv  hi.ùlo-i.  Fragm.  in  Episl.  1  B.  Pétri, 
m,   19,  P.  G.,  t.'i.xxiv,  col.  1013. 

3.  Avec  saint  Jean  Damascène  la  doctrine  se  restreint 
en  se  précisant.  Il  retient  la  doctrine  de  l'évangélisa- 
tion des  âmes  aux  enfers;  il  n'accepte  pas  que  le  Sau- 
veur y  ait  accordé  le  salut  à  tous  indistinctement, 
mais  seulement  â  ceux  qui  alors  crurent  en  lui.  Pour 
lui,  en  dehors  des  justes  de  l'ancienne  loi,  ceux-là 
seuls  obtinrent  le  salut  qui  avaient,  sur  la  terre,  mené 
une  vie  très  pure,  pratiqué  la  modestie,  la  tempérance, 
la  chasteté,  sans  pourtant  avoir  reçu  la  lumière  de  la 
foi.  Ce  fut,  pour  eux,  comme  la  récompense  de  leurs 
vertus  naturelles.  De  fide  orlhodoxa,  1.  III,  c.  xxix, 
P.  G.,  t.  xciv,  col.  1101;  De  Us  qui  in  /ide  obierunl, 
a.  13,  P.  G.,  t.  xcv,  col.  257.  L'Église  grecque,  sauf 
quelques  exceptions  notables  cependant,  suivit  désor- 
mais son  grand  docteur.  Selon  la  pensée  d'Œcuinenius, 
quelque  peu  semblable  à  celle  de  saint  Cyrille  d'Alexan- 
drie, ceux  qui  avaient  mené,  sur  la  terre,  une  vie  de 
justice  et  qui  auraient  écoulé  Jésus  s'ils  avaient  vécu 
de  son  temps,  ont  éprouvé  aux  enfers  le  bienfait  de  la 
prédication  salutaire  du  Sauveur  :  Oi  ya.ç>  àpYQ'C  «ya- 
Oos;  tÔv  éaurtôv  vatà  ibv  rijç  s^r,;  ocÙTÛv  ypdvov,  itîp'.iv- 
ÔtffavTEî  fh'ov,  (i;  ei  xa't  tôtî  tiS  y.O(j[xu>  £7reSr||j.Y]<JE  Xf.T- 
T'JÇ,  (J.Y)  av  à7TOÀîtç0r|Vai  toû  ÏWOTIOIO'jVTOC  «vitoviç 
y./.p'J-Mj.aro;,  o'jtoc  xnù  t^tô  o;à  rjjç  St;  58o-J  toû  Kvpt'ou 
jeaèdéou,  rfjç  <roT»>piaç  ït-j/ov.  In  7ai"  Pétri,  ni,  18-19, 
/'.  I'..,  t.  exix,  col.  557-559.  Cf.  Théophylacte,  InP"  Pe- 
lri, m,  19,  P.  G.,  t.  cxxv,  col.  1232. 

2°  Théorie  de  la  délivrance  des  dmes  cl  de  la  vic- 
toire sur  le  démon.  —  Elle  fut  toujours  proposée  dans 
l'Église  en  même  temps  que  la  précédente,  mais  comme 
celle-ci  fut  surtout  soutenue  dans  l'Eglise  grecque, 
l'autre  se  retrouve  le  plus  fréquemment  dans  l'I 
latine. 

I.  lui  Orient,  la  note  doctrinale,  en  ce  qui  regarde 
l'étendue  de  la  libération,  fut  assez  exactement  donnée 
par  saint  Cyrille  de  Jérusalem.  Il  montre  le  Sauveur 
allant  aux  enfers  pour  délivrer,  non  toutes  les  âmes, 
mais  celles  des  justes  :  iXuTpoûvTO  nâvrsc  oî  Stxatoc 
o-3«  xatémev.  Cal.,  xiv,  n.  19,  P.  G.,  t.  xxxm,  col.  819. 
Cf.  n.  12,  18;  '.'»/..  IV,  n.  I.  col.  169.  Hé  ces  justes 
sont  [sale,  David,  Samuel,  Jean-Baptiste,  les  prophètes. 

I  usèbe  de  (  ■  sari  l     expose  que  le  but   du  Sauveur  était 
de  dominer  sur  les   morts  comme  sur  les  vivants,  de 
détruire  la  méchante  puissance  <\e>  démons. Aussi  a-t-il 
brisé  les  portes  des  ténèbres  et  ressuscité  avec  le 
saints  nombreux.  Dem.  evang.,  1.    IV.  c.  xn,  /'.  G., 

t.  WII,  col.  281.  ht  à  propos  d  I  Usèbe  Comme  île  saint 
Cyrille,  il  est  curieux  de  cueillir  dan-  un  ouvrage  pro- 

Ul    el    rationaliste    celte    juste    observation. 
bonne  .i  retenir  au  point  de  vue  catholique  :  «  <>n  voit 
combien  ces  théologiens  conservateurs, etqui  expriment 
l'opinion  moyenne,  se  rencontrent.  Il  y  avait  un  s. 
ment  commun  de  |  i  ce  sont  eux  qui  le  tra- 

duisent, i  l.  Uonnier,  /."  descente  aux  enfers,  Paris, 
1905,  p    129  Nous  avons  vu  que  saint   Êpiphane  d 
pour  but  a  la  descente   aux  enfers  le  lalul  des  saints 

•/.3CTX 

è-'l        "  'IjVOlV 

.    //'  r..   I  XIX.   11.   l'I. 
/'.   '...  I.   Mil.   ■  '    pour   lui.   i  '.  si   uni 

lut  m «el   •■  e-i  la  thèse  que  va 

iinl   i'  .m  i  brysosfc 


599 


DESCENTE    DE   JÉSUS    A.UX    ENFERS 


600 


dout'1.  il  a  écril  que  l'âme  do  Christ  va  aux  enfers 
pour  prêcher.  .Mais  sa  manière  de  comprendre  celte 
prédication  l'a  conduit  à  la  théorie  de  la  délivrance 
qu'il  expose  avec  une  réelle  éloquence.  C'est  un  en- 
fantillage  de  penser  que  la  prédication  peut  conver- 
tir après  la  mort.  Nous  n'avons  que  la  vie  présente 
pour  faire  le  Lien;  il  n'y  a  pas  de  place  pour  le  re- 
pentir efficace  dans  la  vie  d'outre-tombe.  «  Si  l'on 
admet  qu'il  suffit  de  croire  après  la  mort  pour  être 
sauvé,  personne  ne  périra.  Nous  savons,  en  effet,  que 
tous  doivent  faire  pénitence  et  adorer  le  Christ.  Saint 
Paul  nous  l'apprend,  quand  il  dit  que  toule  langue 
louera  et  que  tout  genou  llécliira  au  ciel,  sur  la  terre 
et  dans  les  enfers...  Toutefois  cette  soumission  sera 
inutile,  attendu  qu'elle  ne  sera  pas  volontaire  mais  im- 
posée par  la  nécessité.  »  In  Matth.,  liomil.  xxxvi,  n.  3, 
P.  G.,  t.  lvii,  col.  417.  Ne  quittons  pas  l'Orient,  sans 
écouter  le  syrien,  saint  Éphrem.  Dans  ses  hymnes  sur 
la  résurreclion,  il  décrit  la  descente  aux  enfers  à  la 
manière  de  l'Évangile  de  Nicodéme  :  on  y  retrouve  le 
défi  à  la  puissance  du  Christ,  la  victoire  soudaine  et 
éclatante  qu'il  remporte  en  enlevant  les  morts,  la  sou- 
mission au  roi  Jésus  de  la  mort  vaincue.  Cf.  J.  Mon- 
nier,  op.  cit.,  p.  118-119. 

2.  En  Occident,  nous  voyons  se  dresser  des  adver- 
saires très  déterminés  de  la  thèse  de  l'évangélisation. 
Ils  la  qualifient  purement  et  simplement  d'hérésie,  si 
elle  suppose  la  possibilité  de  la  conversion  dans  l'au- 
delà.  Avec  le  pape  saint  Grégoire  le  Grand,  rappelons 
deux  condamnations  expresses.  Saint  Philastre  de  Bres- 
cia  consacre  tout  le  c.  cxxv  de  son  livre  De  hœrcsibus 
à  Yhœresis  de  Christi  descensu  ad  inferos.  P.L.,t.iiu 
col.  1250.  Nous  y  lisons  :  Alii  sunt  hseretici  quidicunt 
Dominum  in  infernum  descendisse,  et  omnibus  )>osl 
niortem  eliam  ibidem  renuntiasse  ut  confilentes  ibi- 
dem salvarentur.  lbid.,  col.  1251.  Saint  Augustin  pro- 
nonce le  même  jugement  dans  son  livre  De  hxresibus 
■ad  Quodvultdeum ,  lxxix  :  Alia,  descendenle  ad  m- 
feros  C/iristo  credidisse  incredulos,  et  omnes  exinde 
exislimat  liberatos.  P.  L.,  t.  xxil,  col.  45. 

S'appuyant  sur  ces  autorités,  saint  Grégoire  le  Grand 
va  résoudre  le  problème  comme  gardien  suprême  de  la 
doctrine  et  fixer  nettement  les  lignes  de  la  tradition 
catholique.  Il  exclut  donc  du  concept  correct  de  l'œuvre 
■de  la  descente  aux  enfers  toute  espèce  de  conversion 
réelle  des  volontés  en  ce  lieu  :  il  ne  peut  être  désor- 
mais question  que  des  justes.  Des  représentants  du 
patriarche  de  Constantinople  étaient  venus  à  Rome  : 
le  prêtre  George  et  le  diacre  Théodore.  Après  leur  dé- 
part, le  pape  apprend  que,  de  leur  avis,  Jésus,  dans 
les  enfers,  aurait  sauvé  tous  ceux  qui  le  reconnurent 
pour  Dieu  :  Agnovi  quod  dilectio  vcstra  dixisset  om- 
nipotentem  Dominum  salvalorem  nostrum  Jesum 
Christum  ad  inferos  descendentem,  omnes  qui  illic 
confi lercnlur  eum  Deum,  salvasse,  alque  a  pœnis  de- 
bitis  libérasse.  Le  pontife  veut  qu'ils  abandonnent 
cette  opinion  :  De  qua  re  volo  ut  charilas  vcstra  longe 
■aliter  sentiat.  Il  leur  indique,  par  deux  fois,  la  véri- 
table doctrine  à  tenir  sur  ce  point  :  Descendais  quippe 
■ad  inferos,  solos  Mo  s  per  suam  gratiam  liberavit, 
nui  eum  et  venturum  esse  crediderunt,  et  prxeepta 
ejus  vivendo  lenuerunt...  Heec  itaque  omnia  pertra- 
ctantes,  nihil  aliud  teneatis  nisi  quod  vera  /ides  per 
catltolicam  Ecclesiam  docet  :  quia  descendent  ad  in- 
feros Dominus  illos  solummodo  ab  inferni  claustris 
eripuit  quos  viventes  in  carne  per  suam  gratiam  in 
fine  et  bona  operatione  servavit.  Le  pape  avance  de  la 
doctrine  ainsi  proclamée  cette  juste  raison  :  Il  est  cer- 
tain que  depuis  l'incarnation,  personne  ne  peul  être 
sauvé,  qui.  croyant  en  Jésus,  ne  mène  pas  la  vie  de 
l.i  f"i.  Constat  ai/lcut  quia  pusl  incarnat nmcm  Dnmiui 
nullus  etiam  ex  fris  salrari  jwtcst,  qui  /idem  illius 
nt  et  vitam  fidei  non  liabent.  Or,  si  aujourd'hui 


les  fidèles  ne  peuvent  se  gauvei  -an-  I.-  bonnes  iruvres; 
si,  d'autre  part,  les  fidèles  et  les  réprouvés  ont  été, 
sans  bonnes  œuvres  aucunes,  sauvés  lors  de  la  descente 
il  n  Seigneur  aux  enfers,  il  faut  avouer  que  la  condition 
des  hommes,  qui  n'ont  nullement  vu  1  incarnation,  est 
meilleure  que  celle  des  hommes  venus  après  la  réali- 
sation de  ce  mystère  :  Si  ergo  fidèles  nunc  tins  bonis 
operibus  non  salvantur,  et  infidèles  a<  reprobi  sine 
h, ma  aclione,  Domino  ad  inferos  descendenle,  salvali 
sunt,  tnelior  illorum  sors  fuit,  qui  incarnationem 
Diiniiiti  minime  viderunl,  quam  horum  qui  post 
incarnalionis  ejus  mysterium  nali  sunt.  Epist.,  1.  VII. 
epist.  xv,  ad  Georgium  presbyterum,  1'.  L.,  t.  i.xxvn. 
col.  KG9-870. 

3.  Telle  est  donc  l'explication  exacte  de  l'œuvre  du 
Christ  aux  enfers  :  c'est  la  libération  des  justes  ou  des 
saints,  des  Juifs  principalement  et  même  des  gentils 
qui  accomplirent  durant  leur  vie  les  préceptes  de  la 
loi  de  la  nature  ou  de  leur  loi  positive  et  obtinrent 
ainsi  la  grâce.  Toutefois,  en  attendant  que  cette  expli- 
cation prédomine  absolument,  il  se  produira  des  fluc- 
tuations. De  ci.de  là,  quelques  écrivains  ecclésiastiques 
étendront  ou  sembleront  ('tendre  le  bienfait  de  la  déli- 
vrance à  des  pécheurs,  dans  certaines  conditions  don- 
nées. Pour  ceux-ci,  elle  aurait  eu  le  caractère  d'un  réel 
pardon  octroyé  outre-tombe. 

Saint  Jean  Chrysostome,à  l'endroit  ci-dessus  rapporté, 
limite  correctement  l'œuvre  de  la  descente  aux  enfers  à 
la  libération  des  justes.  .Mais,  parmi  ces  justes,  il  ne 
range  pas  seulement  les  saints  de  l'ancienne  loi;  il  y 
ajoute  les  gentils  qui  n'eurent  ni  la  connaissance  ni 
l'espérance  du  rédempteur,  pourvu  qu'ils  n'eussent  pas 
adoré  les  idoles  et  qu'ils  eussent  connu  le  vrai  Dieu  : 
'Evïjv  yip  xoci  y.\  oixo/.oyr.'TavTa;  tov  Xp terri) v  tots  ctcoÔt,- 
vat.  Où  yaçi  toOto  à-r.T-'To  r:ap'  aÙTcôv,  à/./ i  rô  jj.j|  EÏSti)- 
)'j>aTDEÏv,  xaV  tô  tov  à/Y.Ov/ov  0sov  eïoévat.  In  Matth., 
homii.  xxvi,  n.  3,  P.  G.,  t.  lvii,  col.  416.  Saint  Philastre 
avait  soutenu  une  doctrine  identique,  quand  il  admet 
le  salut  possible  des  poètes,  des  philosophes  et  autres 
infidèles,  à  la  condition  qu'ils  aient  cru  en  Dieu  et 
n'eussent  pas  propagé  l'idolâtrie  :  Nam  si  Deum  esse 
credidissent,  deorum  et  dearum  lurpia  nomina  mm 
seminassent,  et  in  descensionc  Christi  in  infernum  re- 
niant impetrassent.  De  hxresibus,  cxxv.  haeresis  de 
Christi  descensu  ad  inferos,  P.  L.,  t.  XII,  col.  1251- 
1252.  Selon  cette  opinion,  les  païens  auraient  donc 
obtenu,  dans  les  enfers,  le  pardon  de  leur  incrédulité 
au  regard  du  Messie  rédempteur,  et  la  remise  des  péchés 
d'omission  que  suppose  l'absence  de  bonnes  œuvres. 

De  leur  côté,  saint  Épiphane  en  Orient,  saint  Irénée 
et  saint  Jérôme  en  Occident,  enseignèrent  expressément 
la  doctrine  de  la  délivrance  des  justes.  L'évêque  de 
Lyon  a  écrit:  Non  enim  propter  cos  solos  qui  tempori- 
bus  Tiberii  Caesaris  crediderunt  ci,  venit  Chris  tu*; 
nec  propter  eos  solos,  qui  nunc  sunt,  homines  provi- 
dentiam  fecit  Pater;  sed  propter  omnes  omnina 
homines  qui  ab  initia  propter  nrlutem  suam  in  sua 
generatione,  et  timuerunt,  el  dileieruiil  Deum,  etjuste 
ci  /ne  conversati  sunt  erga  proximos,  et  concupierunt 
videre  Christum  et  audire  vocem  ejus.  Cont.  hser., 
1.  IV.  c.  xxil.  n.  -1.  P.  '.'..  t.  vil,  col.  lOiT.  Mais,  en 
même  temps,  ces  docteurs  on  disent  expressément  ou 
semblent  insinuer  que  le  Christ,  dans  la  descente  aux 
enfers,  accorda  leur  pardon  à  des  croyants  en  état  de 
péché.  Saint  Épiphane  expose  que  le  Christ  a  accordé', 
non  par  voie  de  pénitence,  mais  par  voie  de  miséri- 
corde, la  rémission  de  leurs  fautes  à  tous  ceux  qui 
l'avaient  connu  jadis,  qui  ne  s'étaient  pas  détournes 
de  sa  divinité,  et  qui  se  trouvaient  détenus  aux  enfers 
a  raison  de  quelques  péchés.  ~O0:v  y.a\  rôv  %•■:■.  i  'A8à|i 
tôv  -aripa  £v  "ô>t:  jrErtareûxa|Asv  Si  '  5v  xai  -où;  x-  '  iùtoO 
r(;iâ;  ïrâvta;  Xpicrb;  ?,X0s,  toî;  (xèv  rcàXai  aÙTOv  -fivaxr- 
y.o'jc.,  /x'i  uv-,  itXavrl6e:o"t>i  ànb  -ft;  aùroù  8eÔTr,To;,  svexev 


601 


DESCENTE   DE    JÉSUS    AUX    ENFERS 


602 


Zï  nza.j.y.ô.-Ufi  èv  SSy)  xaTEÇ/Y.nsVj'.;  'AfJlvrjOTÎav  -/ap;<7a<T- 
8af  Toi;  p.iv  k'xt  âv  xô<ru.(i>  Six  [AEtavoiaç,  rotç  Se  èv  aOr) 
'>.'  D.éou;  -a'.  c(oTr,ç ia:.  Hser.,  XLVI,  11.  4,  iJ.  G.,  t.  XLI, 
col.  844.  Saint  Jérôme  mentionne  bien  quelque  part 
certaines  dispcnsations,  de  nous  ignorées,  que  le 
Sauveur  devait  accorder  dans  les  enfers,  en  outre  de 
l'accomplissement  de  la  loi  et  des  prophètes.  Car, 
écrit-il,  nous  ne  pouvons  savoir  comment  le  sang  du 
Christ  a  pu  être  utile  aux  anges  et  à  ceux  qui  se  trou- 
vaient dans  l'enfer;  nous  ne  pouvons  toutefois  ignorer 
qu'ils  en  aient  tiré  avantage  :  Descendit  ergo  in  infe- 
riora  terrée  et  ascendit  super  omîtes  cselos Filius  Dei, 
ut  non  tantum  legeni  prophetasque  compleret,  sed  et 
alias  quasdain  occultas  dispensât iones,  quas  soins  ipse 
novit  cum  l'aire.  Neque  enim  scire  possumus  quo- 
tnodo  et  angelis,  et  Itis,  qui  in  inferno  erant,  sanguis 
Christi  profuerit  :  et  tante»  quin  profuerit  nescire 
non  possumus.  Mais  si  cette  formule  parait  tellement 
large  qu'elle  devient  inexacte,  lisons  la  restriction  qui 
suit  immédiatement  et  peut  corriger  toute  exagération  : 
Descendit  quoque  ad  inferos  et  ascendit  ad  eselos,  ut 
impleret  eos,  qui  in  illis  regionibus  erant,  secundum 
id  quod  capere  poterant.  lu  Epis  t.  ad  Eph.,  iv.  10, AL., 
t.  xxvi,  col.  499.  Il  y  a  d'autant  plus  lieu  d'accepter 
cette  interprétation  bénigne,  que,  plus  tard,  écrivant  à 
Hédibia,  saint  Jérôme  restreindra  formellement  aux 
s  de  l'ancienne  loi  les  bienfaits  de  la  descente  aux 
enfers.  Epist.,  CXX,  ad  Hedibiam,  c.  vin,  P.  L.,  t.  xxu, 
col.  991  sq.  On  le  voit,  le  texte  de  saint  Jérôme,  pour 
si  élastique  qu'il  soit,  n'implique  pas  nécessairement 
la  rémission  proprement  dite  des  fautes  accordée  outre- 
tombe  :  puisque  chacun  a  reçu,  à  son  avis,  ce  qui  était 
dans  sa  capacité  :  secundum  id  quod  capere  paieront. 
Quant  à  saint  Irénée,  saint  Épiphane  et  les  quelques 
docteurs  qui  parlent  plus  expressément  de  pardon,  il 
importe  d'observer  qu'ils  tiennent  ce  langage  à  propos 
de  pécheurs  convertis  et  pénitents  dès  ce  inonde.  Ce 
pardon  alors,  sous  leur  plume  ou  sur  leurs  lèvres,  n'est 
que  la  consécration  officielle  et  divine,  apportée  dans 
l'enfer  par  le  <  Ihrist,  de  l'absolution  obtenue  sur  la  terre, 
el  aussi  le  premier  octroi  de  la  récompense  consécutive. 
Saint  Augustin  a  donné'  du  problème  en  cause  une 
solution  assez  particulière.  Il  pose  en  principe  que  le 
Sauveur  est  descendu  aux  enfers  pour  \  délivrer  des 
-  en  état  de  souffrance.  Il  tourne  à  son  opinion 
A  et.,  Il,  2k  qui  peut  ;  entendu  :  Vt  eos  dolores 

.  quibus  leneri  ipse  non  pote- 
rat,  sed  quibus  alii  tenebanlur,  quos  illenovrrat  libe- 
randi  ,clxi\,  ad)  i,  n.  3,  P.  L.,  t.  xxxm, 

col.  710.  11  invoque  d'autres  témoignages  encore,  no- 
tamment que  I  i  nfi  r  est  toujours  présenté  comme  un 
lien  de  punition  et  de  souffrance,  et  il  pose  sa  conclu- 
sion leiie  ntia  testimonia  el  infernutn 
commémorant  et  dolores,  nulla  causa  occurrii  cur 
iiln  credatur  venisse  Salvator,  nisi  ni  uii  ejus  dolori- 
but  talvoi  facerel.  Ibid.,  n.  8,  col.  712.  Or  les  justes 
comme  Abraham  i  t  Lazari  n'étaient  ni  en  enfer  ni  dans 
la  souffrant  i  I  es  justi  s  se  trouvaient  dans  un  lieu  de 
et  de  paix  si  uvenl  appelé  le  paradis  et  le  sein 
d'Abraham,  où  le  Sauveur  était  présent  bien  avant  le 
drame  du  Calvaire    !  igitui  in  paradiso  alque 

\brahm,etiam  anli    am  eral  beatifu  uni,-  %a\ 
lia.  Ibid.  Cette  demeure  paradisiaque  était  Béparéede 
l'enfei  par  un  chaoi  magnum.  Il  teste  donc  que  le 
I  descendu  dam  l'enfer  proprement  dit  pour 

■  itu- 
c'est-A-dire  di  e  tanu  n 

onttilutit  hoc 
te  >"  a  dubito.    /'  déli- 

pou  r  t  ou  s  les  péch  e  u  î 

dïStini   II    lli'   Ml.     OU      bien     flll    e||e     lin     p]  0|  ,|, 

pro- 
lolot  ibus) 


inrenit,  an  quosdam  qnos  illo  bene/icio  dignos  judi- 
cavit,  ad  hue  requiro.  Ibid.  Mais  ailleurs  saint  Augustin 
embrassera  formellement  la  première  solution  sans 
établir  d'autre  règle  pour  la  concession  de  cette  divine 
délivrance  que  la  volonté  souverainement  juste  et  à 
nous  cachée  de  la  providence  :  Et  Christi  quidem 
animant  venisse  usquead  ea  loca  in  quibus  peccatores 
crucianlur,  ut  eos  a  tormentis  quos  esse  solvendos  oc- 
culta nobis  sua  justitia  judicabat,  non  immerito  cre- 
ditur.  De  Genesi  ad  litterant,  1.  XII,  n.  G3,  P.  L.t 
t.  xxxiv,  col.  481.  Sur  ce  point,  comme  sur  tant  d'au- 
tres, saint  Fulgence  a  épousé  la  théorie  de  son  maître  : 
Et  usque  adinfernum  descenderet  anima  Salvatoris, 
nbi  peccati  merito  torquebatur  anima  peccaloris.  Une 
aulem  ideo  factum  est  ut per  ntorientem  temporalité) 
carnem  justi  donaretur  vila  eeterna  carni,  el  per  des- 
cendenlem  ad  infemum  animant  justi,  dolores  sol  er- 
rent ur  inferni.  Ad  Thrasymundum,  1.  III,  c.  xxx, 
P.  L.,  t.  lxv,  col.  294.  Un  peu  plus  loin,  il  explique 
que  le  Christ  est  venu  aux  enfers  en  son  àme  unie  à  sa 
divinité,  et  il  écrit  cette  formule  qui  se  retrouvera, 
elle  aussi,  chez  les  scolasliques  :  Secundum  divinita- 
lem  vero  suant  quai  nec  loco  tenetur,  nec  jine  conciu- 
iliiur,  tolus  fuit  in  sepulcro  cum  carne,  lotus  in  in- 
ferno cum  a)iima,  ac  pro  hue  plenus  fuit  ubique 
Chris  tus.  Ibid.,  n.  34,  col.  299. 

.Mais,  nous  l'avons  marqué,  au  milieu  de  ces  nuances 
plus  ou  inoins  divergentes,  la  doctrine  traditionnelle 
s'affirmait  de  plus  en  plus  nette,  et  saint  Grégoire  le 
Grand  l'avait  proclamée  avec  son  autorité  :  Neque  elc- 
nim  infidèles  quosque  et  pro  suis  criminibus  seternis 
suppliciis  deditos,  ad  veniam  Dominus  resurgendo 
reparavit ;  sed  illos  ex  inferni  claustris  rapuit,  quos 
suos  in  fide  et  actibus  recognorit.  Hontil.  in  Evange- 
lia,  1.  II,  homil.  XXII,  n.  6,  P.  L.,  t.   i.xxvi,  col.  1177. 

4.  Durant  la  période  qui  va  du  vnc  au  XIe  siècle,  la 
théorie  ne  change  guère  chez  les  écrivains  ecclésiasti- 
ques. Si  l'on  rencontre  des  variations,  elles  sont  de 
pure  forme,  et  l'on  ne  recueille  aucune  idée  nouvelle. 
Le  Vénérable  Bède,  s'il  suit  saint  Augustin  dans  son 
opposition  à  la  théorie  de  la  prédication  aux  morts, 
introduit  cependant,  dans  son  exposé'  de  la  délivrance, 
une  modification  qui  contredit  le  docteur  africain.  Se- 
lon son  sentiment,  les  saints  ou  les  justes  eux-mêmes 
i  ni  pas,  dans  l'enfer,  sans  y  souffrir  quelque  dou- 
leur :  Si  enini  in  lacu  locorum  infernalium  liberi 
proravi  i  e  munis  erant  sancli,  quare  dicit  eos 

vinctos,  donec  educereniur  in  sanguine  <:/irisii:'  Liber 
tu  in  mi  s  m  Ad.  Apost.,  II.  /'.  /..,  I.  xcii,  col.  1001. 

Alcuin  reproduit  saint  Jérôme  et   indique  coi but 

de  la  descente  aux  enfers  le  salut  des  justes.  Cum  ment, 
in  Bccle.,iu,  18-21,  /'.  /..,  t.  c,  col.  683;  Adv.  Elipand., 
1.  II,  n.  2,  /'.  /...  t.  CI,  col.  258-359.  Ilincmar  en-' 

res  d'Israël  :  ils  ont  cru  en  celui  qui 
devait  venir  comme  nous  croyons  en  celui  qui  est  venu, 
et    ils   ont   été'    Sauvés   par   la    même   foi    que  nous.   De 

prœdestinalione,  c.    xxvm,   xxxn,    /'.     /..,    t.    cxxv, 

col.  28:;,  299.  s.iint  Rémi  de  Lyon  déclare  que  jamais 

docteur  catholique  n'a  pensé'  ni  enseigné  que  le  S;m- 

iid u    aux   enfers   pour  la  multitude  des 

impies  :  il  lient  pour  le  salut  des  patriarches,  des  pro- 
phètes.  des  justes.  Lib.  <!<■  tribus  epist.,  c.  x\m.  /'./... 
t.    CXXI,  roi.    HlIT;    De  tel  S      ipl.'veril.,    c.    \l\. 

/'.    /..,  t.  CXXI,  col.    1122  Bq. 

D'un  autre  côté,  tandis  que  Walafrid  Strabon  consa 
crail  la  fausse  interpri  ition  aux  morts 

mentionnée  dans  la  [•  Pet.,  m,  19,  Scol  i  rig<  De  semail 
ins  plus  qu'hétéroclites  sur  l'eut,  r  el  le  para- 
dis qui  ne  soni  pas  des  lieui  déterminés,  mais  des 

I  :    lienl  pour  la 

ii    i  action  du   <  Ihrist  et   par 
l'épreuvi    et  il  <  dut  lin. il  de  toutes    />• 

6    /'.  /..,  t.  '  wii.  col.  980 


603 


DESCENTE   DE   JÉSUS   AUX    ENFERS 


604 


.").  Ces  théories  de  l'évangélisation  et  de  la  «I  Slivrance 
furent  donc  deux  efforts  parallèles  de  l'intelligence 
chrétienne  pour  concevoir  l'œuvre  de  la  descente  aux 
enfers.  Si  la  première  n'avait  mis  en  avant  que  l'illu- 
mination des  âmes  par  la  prédication  du  Christ,  c'est- 
à-dire  par  ces  facultés  qu'ont  les  âmes  séparées  de  re- 
cevoir et  de  se  communiquer  mutuellement  leurs  pen- 
et  leurs  volontés,  elle  n'eût  été  qu'une  opinion 
fort  juste  et  elle  eût  été  conservée.  Mais  on  l'exagéra; 
elle  fut  poussée  jusqu'à  la  ressemblance  avec  l'apos- 
tolat de  la  terre.  Ainsi  supposait-elle,  jusque  dans  l'au- 
delà,  la  possibilité  de  la  conversion.  Par  là,  elle 
aboutissait  à  des  conclusions  formellement  erronées  : 
pour  cela,  elle  fut  vivement  combattue  et  promptemeiit 
délaissée. 

Au  contraire,  la  théorie  de  la  délivrance,  dans  son 
concept  le  plus  général,  répondait  plus  exactement  à 
la  vérité  dogmatique.  Elle  prédomina,  et  prit,  dans  la 
littérature  de  l'époque  patristique,  des  expressions 
particulières  qu'il  convient  au  moins  d'indiquer. 

3°  Nous  avons  noté  déjà  que  l'œuvre  de  la  descente 
aux  enfers  fut  considérée  comme  l'exécution  partielle 
de  la  rédemption  du  genre  humain.  D'où  il  advint  que 
les  formes,  sous  lesquelles  les  Pères  se  sont  représenté 
la  rédemption,  eurent  leur  retentissement  sur  la  façon 
de  concevoir  et  d'exprimer  cette  œuvre  elle-même. 
Or,  chez  les  Pères,  le  point  de  départ  commun  des 
diverses  manières  de  concevoir  la  rédemption  fut 
celui-ci  :  Dieu  et  Satan  sont  comme  les  deux  maîtres 
qui  se  disputent  le  genre  humain.  Les  hommes  se  sont 
volontairement  éloignés  de  Dieu  et  ainsi  livrés  au  dé- 
mon qui  les  retient  esclaves  sous  son  joug.  Il  s'ensuit 
que  le  démon  a  sur  eux  une  sorte  de  droit  plus  ou 
moins  légitime,  droit  de  propriété  ou  de  conquête, 
peu  importe. 

1 .  Dans  ces  conditions,  des  écrivains  ecclésiastiques, 
et  parmi  eux  saint  Irénée,  Origène,  saint  Basile,  saint 
Grégoire  de  Nysse,  saint  Ambroise,  ont  expliqué  la 
rédemption  comme  une  rançon  réellement  payée  au 
démon  pour  le  rachat  de  l'humanité.  Ainsi  l'exigeait  la 
justice,  et  Dieu  a  voulu  user  de  justice  envers  le 
démon  lui-même.  Parfois,  l'on  considérait  le  sang 
versé  par  le  Sauveur  sur  la  croix  comme  le  prix  véri- 
table de  notre  rançon.  Alors,  l'œuvre  de  la  descente 
aux  enfers  était  la  délivrance  des  Ames  de  la  servitude 
particulière  dans  laquelle  elles  gémissaient.  D'autres 
fois,  l'âme  même  de  Jésus  rentrait  dans  le  prix  [deTa 
rançon.  Dans  ce  cas,  l'œuvre  de  la  descente;; aux  en- 
fers devenait  une  conception  assez  odieuse  :  c'était  la 
livraison  au  diable  de  l'àme  du  Christ  pour  la  rançon 
des  âmes  des  défunts  comme  des  autres  hommes.  Mais 
cet  abandon,  tout  passager  d'ailleurs,  devenait  immé- 
diatement le  commencement  de  la  ruine  du  démon. 
«Notre  Sauveur,  écrit  Origène,  alla  si  loin  qu'il  donna 
son  àme  pour  le  rachat  de  plusieurs.  Mais  à  qui  a-t-il 
donné  son  àme?  Ce  n'est  pas  à  Dieu.  N'est-ce  point 
alors  au  démon?  Celui-ci,  en  effet,  nous  tenait  sous 
son  pouvoir,  jusqu'à  ce  que,  pour  rançon  de  notre 
délivrance,  l'àme  de  Jésus-Christ  lui  fut  donnée.  » 
In  Mat  th.,  xvi,  8,  P.  G.,  t.  xin,  col.  1397.  Mais  le  dé- 
mon s'est  trompé.  Il  avait  rêvé  de  s'emparer  de  l'àme 
du  Sauveur,  mais  il  n'avait  pas  prévu  l'intolérable 
supplice  qu'il  allait  endurer  en  la  retenant.  Jésus  étail 
libre  entre  les  morts  et  plus  fort  que  la  puissance  de 
la  mort.  Aussi  son  âme  n'est-elle  pas  restée  au  pou- 
voir du  démon,  comme  il  est  dit  au  Psaume  :  Vous  ne 
laisserez  pas  mon  âme  dans  l'enfer.  Origène,  ibid. 
.\  insistons  pas  davantage.  La  conception  de  la  rançon, 
fausse  par  plusieurs  côtés,  fut  vivement  combattue  dès 
qu'elle  se  trouva  nettement  formulée  :  on  lui  substitua 
la  théorie  de  l'abus  de  pouvoir.  Cf.  J.  Rivière.  Le 
•  loijmede  la  rédemption,  c.  xxi,  Paris,  1905,  p.  373- 
391,  passim;  Henry  E.  Oxenham,  Histoire  du  dogme 


delà  rédemption,  trad.  .1.  Bruneau,  c.  ii.wi.   Paris, 
1909,  p.  124-186,  passim. 

2.  Cette  nouvelle  conception  <<  suppose  établie  entre 
le  démon  et  Dieu  une  délimitation  de  pouvoir^ 
comme  une  manière  de  charte.  Le  démon  a  reçu  de 
Dieu  le  pouvoir'  de  mettre  à  mort  les  hommes  à  cause 
de  leurs  péchés;  mais  en  s'attaquant  à  Jésus-Ci 
qui  était  innocent,  il  a  gravement  outrepassé  ses  droits 
constitutionnels  :  c'est  donc  en  toute  justice  que  Dieu, 
pour  cet  abus  de  pouvoir,  le  dépouille  de  ses  captifs. 
Le  démon  ne  reçoit  plus  une  rançon,  mais  le  juste 
châtiment  de  son  crime.  »  J.  Rivière,  op.  cit.,  p.  395- 
396.  Telle  est  la  théorie  nouvelle,  présentée  en  Orient 
par  saint  Jean  Chrysostome,  saint  Cyrille  d'Alexandrie 
et  Théodoret;  en  Occident,  par  saint  llilaire,  l'Ani- 
brosiaster,  saint  Augustin,  saint  Léon  le  Grand  et  saint 
Grégoire  le  Grarul.  Cf.  J.  Rivière,  op.  eit,  c.  xxn. 
p.  395-414.  Dans  cette  théorie,  la  descente  aux  enfers 
devient  plus  particulièrement  une  punition  et  une 
défaite  infligée  au  démon,  qui  voit  arracher  les  âmes  à 
sa  hrannie. 

3.  Qu'il  s'agit  de  rançon  ou  d'abus  de  pouvoir, 
l'opinion  se  compliquait  souvent  d'un  expédient  cé- 
lèbre. Dieu,  qui  voulait,  à  l'égard  du  diable,  procéder 
par  les  voies  de  justice  et  non  par  celles  de  force, 
envoya  sur  la  terre  son  propre  Fils,  mais  en  voilant  sa 
divinité  sous  les  dehors  d'un  homme.  Au  vu  des 
œuvres  miraculeuses  que  cet  homme  multipliait  par- 
tout, le  diable  vit  bien  qu'il  était  un  envoyé  divin, 
mais  il  le  prit  pour  un  envoyé  ordinaire,  tel  Moïse  ou 
Jilie.  Il  le  fit  mettre  à  mort  par  les  Juifs,  el  pour  enle- 
ver au  monde  sa  présence  trop  sanctifiante,  et  surtout 
pour  enfermer  son  àme  avee  les  autres  aux  enfers. 
C'est  alors  qu'il  fut  pris  au  piège,  à  la  souricière,  dit 
saint  Augustin,  à  l'hameçon,  dit  saint  Grégoire  le 
Grand.  Comme  toute  la  rédemption,  la  descente  aux 
enfers,  qui  en  est  un  épisode,  fut  aussi  prése 
comme  un  piège  dans  lequel  le  diable  tomba  sotte- 
ment :  et  il  eut  la  mortifiante  surprise  de  se  voir  en- 
lever ses  sujets  par  celui-là  même  qu'il  regardait  déjà 
comme  son  captif. 

4°  Quelle  que  fût  la  conception  utilisée,  la  descente 
aux  enfers  était  toujours,  en  réalité,  une  défaite  pour 
le  démon,  une  victoire  pour  le  Christ,  une  délivrance 
pour  les  âmes.  C'était  toujours  Satan  dépouillé  ou 
vaincu,  le  Christ  triomphateur,  les  âmes  sortant  de 
captivité.  Pour  traduire  le  plus  vivement  possible  la 
vérité  dogmatique,  les  écrivains  comme  les  orateurs 
avaient  recours  à  toutes  les  images  et  ils  épuisaient 
toutes  les  ressources  de  la  rhétorique.  La  descente 
aux  enfers  était  un  thème  merveilleux  pour  ces  déve- 
loppements littéraires  ou  oratoires  :  elle  offrait  tout  de 
suite  à  briser  les  portes  d'une  prison  séculaire,  on. 
depuis  les  origines,  les  âmes  des  justes  étaient  rete- 
nues captives;  elle  continuait  la  ruine  de  l'empire  du 
démon,  bien  avancée  déjà  sur  le  champ  de  lutte  «lu 
Golgotha;  elle  apportait  aux  générations  déjà  pas 
la  libération  que  le  sacrifice  du  Calvaire  avait  ass 
aux  générations  à  venir;  elle  se  présentait  comme  le 
couronnement  de  l'œuvre  divine  de  la  rédemption. 
Lutte  et  résistance,  victoire  et  défaite,  triomphateur  et 
vaincu,  ruine  et  dépouilles,  tout  se  rencontrait  en  un 
pareil  sujet,  et  tout  fut  exploité  avec  une  recherche 
voulue  pour  frapper  l'imagination  du  peuple  chrétien. 
Évidemment, toutes  ces  métaphores  doivent  être  pi 
dans  le  sens  où  les  écrivains  et  les  orateurs  eux-mêmes 
les  employaient,  comme  des  images  plus  ou  moins 
heureuses,  plus  ou  mains  éloignées,  parfois  peu  adap- 
tées, toujours  très  inadéquates,  jamais  comme  des  for- 
mules exprimant  exactement  le  dogme.  On  a  pu  obser- 
ver déjà  cette  rhétorique  dans  les  textes  antérieure- 
ment rapportés.  Il  ne  sera  pas  inutile  d'en  consigner 
ici  quelque  s  exemples  spéciaux  et  typiques. 


605 


DESCENTE    DE   JÉSUS    AUX    ENFERS 


606 


1.  Saint  Proclus,  évêque  de  Constantinople,  célèbre, 
en  ces  termes,  dans  un  sermon  pour  le  vendredi-saint, 
la  victoire  du  Sauveur  :  «  Aujourd'hui  la  mort  a  reçu 
un  mort  qui  vit  toujours.  Aujourd'hui  sont  brisés  les 
fers  que  le  serpent  forgea  dans  le  paradis.  Aujourd'hui 
sont  délivrés  ceux  qui  étaient  esclaves  depuis  des  siè- 
cles. Aujourd'hui  le  brigand  a  enfoncé  le  paradis  gardé 
depuis  cinq  mille  cinq  cents  ans  par  le  glaive  de 
flamme.  Aujourd'hui  la  lumière  a  lui  dans  les  ténèbres 
et  vidé  tout  le  trésor  de  la  mort.  Aujourd'hui  le  roi  est 
rentré  dans  la  prison.  Aujourd'hui  il  a  brisé  les  portes 
d'airain  et  les  verrous  de  fer,  celui  qui,  absorbé  comme 
un  mort  ordinaire,  a  dévasté  l'enfer  en  Dieu.  Aujour- 
d'hui le  Christ,  pierre  angulaire,  a  ébranlé  l'antique 
fondement  de  la  mort;  il  a  arraché  Adam,  sauvé 
AJbel  et  renversé  toute  la  demeure  infernale.  Aujourd'hui 
ceux  qui  pleuraient,  ceux  que  la  mort  avait  dévorés 
crient  à  haute  voix  :  0  mort,  où  est  ta  victoire,  où  est 
donc  ton  aiguillon?  »  Serm.,  vi.  n.  1,  P.  G.,  t.  lxv, 
col.  721.  Cf.  J.  Rivière,  op.  cit.,  p.  424. 

In  sermon,  faussement  attribué  à  saint  Augustin, 
voit  dans  le  lion  et  l'ours  abattus  par  David,  la  ligure 
du  diable  vaincu  par  le  Christ  :  Hoc  totum....  quod 
lune  in  David  legimus  figuration,  in  Domino  Jesu 
Christo  cognoscimus  esse  contpletum.  Tune  etenim 
leonrm  et  ursum  strangulavit,  quando  ad  inferna 
descendais,  omnesde  eorum  faucibus  liberavit.  P.  L., 
I.  xxxix,  col.  1819. 

Dans  sa  fameuse  Catéchèse  xiv  déjà  mentionnée, 
saint  Cyrille  de  Jérusalem  donne  cette  description  assez 
vive  de  l'arrivée  du  .[('sus  aux  enfers  et  de  l'œuvre  qu'il 
accomplit  :  'EgenXâYi)  o  Oïvocto;  ôïwpr.oa;  xatvtfv  -riva 
xaxsXQrfvTa  sic  a5r,v,  Znaoî^  toî;  a'j-çfji  jj.r,  xaTe^épevov. 
T:V>;  Ivexev,  ù>  7cu).fa>po\  aSo-j,  toOtov  îSovte;  Eirc^ÇcKFÔej 
-■:  ô  /.3.-ï/mi  ûuâ;  à<Tvvrç8ï)î  çôêoç  ;  îyvyvi  ô  ôàvaroî, 
/.%.  p«Y*l  r*lv  Sei\(*v  V  -'."/.-*''■  Hfj'Jîtpc/ov  ol  ocyio".  irpo- 
frJTon,  xai  McoiiffYJç  6  voyoûir/:,  xai.'Aëpaàu., -/.ai  'Io-ai/., 
y.a'i  'Iaxtuê'  Ax-viô  Tî  /.ai  Eap.0l)Y)X,  xal  'IItoci-x:,  v.x: 
•',  Ba-TfjTr,;  'Ia)âvvT|ç,  ôXéycov  xas  [iaptvpcSV  Su  si 
o  èpxd|i.Evo(,  t,  êtepov  7ïpo;  ôo  x<ôu.evj  'EXwcpoOvto 
-v/t:;  o'i  Sixatoi,  o-'j;  xaxéictev  6  Bâvatoç  ïli'.  yàp  "'"'' 
XT)pu.j(6£vTa  BaeiXéa  tûv  xaXûv  xvjpuxcov  ycvio-Oou  X'jrpto- 
Tr.v.  EÏtï  Exaffto;  tûv  Bcxaicov ëXeye.  IloC  aov,  Bâvats, 
fxoç;  jtoï  7  0/,  S6t)(  tb  xévtpovj  iXvTpt&accro  yàp 

ïo.î:    o    v.y.o-oio;.    (ïrt/.,    XIV.    n.    19,     P.    ff.,    t.    XXXIII, 

B48-849. 

2.  D'autres  fois,  c'est  un  vrai  drame  que  les  Pères 
font  se  dérouler  devant  le  lecteur  ou  l'auditeur.  Nous 
lavons  dii  déjà  :  Il  vangile  de  Nicodème,  que  les  meil- 
leurs critiques  placent  au  v  siècle,  est  comme  un  mys- 
tère que  l'on   a  pu,  sans  effort  exagéré,  distribuer  en 

en  tableaux.  I.  Monnier,  La  descente  aua 
enfer»,  Paris,  1905,  c.  iv,  p.  '.10-107.  Vers  le  vr  siècle, 
nous  rencontrons  la  même  dramaturgie  dans  trois  ho- 
mélies, 'i  1829  et  attribuées  à  Eusèbe 
il  I  in  discours  sont  aussi  comme  o  une  pre- 
mière ébauche  des  mystères     et  comi une  trilogie 

dramatique       sur  |a  ruine  de  l'empire   infernal.    La 
troisième  partie,  qui  se  ra]  beaucoup  de  l'Evan- 

de    Nicodème,   contient   la   de  cription  de   la  d< 
aui    enfers.   A    la   vue  i  nés   qui  accompa- 

n t  la  nmei  de  Jésus,  le  démon  comprit  qu'il  était 
fuit  ch(  /  ll.nl.  ■     \  ii.  .  cria-t-il,  fermon 
les   portes   pour   qu'il   n'entre   pas  et    ne  vienni 
empire.    D< 

ndant  avei  qui  chantent 

\ti  ■  •   :  voici  le  Roi  l 

i  '  ■  -i  lui,  demande  tiadès,  que  vient  il 
H  .  ient  détruire  ta  pui   iam  e.       Alors 
Nul.  -    .   tournant  vers  le  démon  lai  reprochi 

dit  '  lu  si  voulu  lui  faire  l.i 
ni  il  vient  nom  enchalm  i 
'u  '  réplique   le  dén  pp 


faiblesse  m'ont  trompé.  —  Et  les  anges  reprennent 
leur  chant,  et  le  Seigneur  entre,  victorieux.  Cf.  Eusèbe 
d'Émèse,  P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  403-406;,!.  Rivière. 
op.  cit.,  p.  436-437. 

C'est  une  peinture  toute  semblable  que  nous  retrou- 
vons dans  une  homélie  faussement  attribuée  à  saint 
Epiphane.  M.  Rivière  en  donne  cette  analyse  :  «  Jésus 
va  ;tux  enfers  pour  délivrer  les  âmes  qui  s'y  trouvaient 
enfermées;  comme  un  berger,  il  va  chercher  jusque 
dans  leurs  profondes  ténèbres  les  brebis  perdues.  Il 
trouve  là  Adam,  Abel,  Abraham  et  tous  les  patriarches 
et  prophètes,  qui  tous  adressaient  au  ciel  des  vœux 
pour  leur  délivrance.  Jésus-Christ  vient  briser  la  puis- 
sance du  tyran  (tôv  t<;>  xpârei  xpoctalov  -xari  v.pàxo; 
y-paiei  toû  xpdiTouç  xpaToirupavvovj.  Il  s'entoure  donc 
d'une  armée  d'anges  pour  descendre  en  maître,  en 
guerrier,  en  Dieu;  et,  avec  eux,  il  s'empare  triompha- 
lement des  enfers.  Les  anges  crient  le  psaume  Tollile 
portas  :  oui,  n'ouvrez  pas,  arrachez  ces  portes  pour 
que  jamais  plus  elles  ne  se  ferment.  Les  démons  se 
troublent  dans  le  plus  affreux  désordre.  L'un  se  tient 
là,  bouche  bée;  l'autre  cache  son  visage  dans  ses  ge- 
noux; celui-ci  est  tombé  la  face  contre  la  terre,  l'autre 
rigide  comme  un  mort.  Les  anges  les  poursuivent  dans 
leur  dernière  retraite,  amènent  les  captifs  au  Seigneur 
et  leur  rivent  des  fers.  Pendant  ce  temps  Adam,  ré- 
veillé par  tout  ce  bruit,  comprend  que  sa  délivrance 
est  arrivée  et  vient  se  prosterner  aux  pieds  du  Sau- 
veur, qui  l'emmène  au  ciel  et  tous  les  hommes  avec 
lui.  »  Op.  cit.,  p.  437-438;  P.  G.,  t.  XLHI,  col.  432-464. 

Enfin  voici,  dans  une  homélie  restituée  à  saint  Césaire 
d'Arles,  un  curieux  monologue;  c'est  le  démon  qui 
exhale  son  désespoir  en  une  suite  d'antithèses  cher- 
chées. Au  moment  où  le  Sauveur  arrive,  l'enfer  devient 
tout  à  coup  resplendissant.  Les  pleurs  cessent,  les 
chaînes  tombent.  A  ce  spectacle,  les  démons  apeurés 
se  communiquent  leur  stupéfaction  et  leur  crainte  : 
Quisnam  est  iste  lerribilis  et  niveo  splendore  décor  us? 
Numquid  truster  talent  excepit  Tarlarus?  Numquid 
in  noslram  cavernam  taicm  evomuit  mundus?  Invasor 
iste,  non  debitor ; extractor  est,  non  peccator ;  judicem 
videmus,  non  supplicem;  venit  juberc,  non  succum- 
bere;  erumpere,  non  matière,  l'binam  pulalis  jani- 
lores  nosiri  dormicrunl,  cuni  iste  bellator  claustra 
nostra  vexabat?  Hic,  si  reus  esset,  superbus  velaudax 
mm  essri.  Si  mm  aliqua  delicta  fuscarent,  nunquam 
fulgore  suo  nostreu  tenebras  dissiparet.  Sed  si  Deus 
est.  quid  m  tepulcro  facit?  Si  bomo,  quid  prasump- 
si  Drus,  ulquid  venit  f  Si  liomo,  quare  caplivos 
tolvitf  Numquidnam  iste  cuni  auctore  nostro  compo- 
sait, aut  \ortc  ipsum  aggressus  viril,  et  sir  nostra 
régna  transivit?  Certemortuus erat,  cerle  victus  erat. 

liator  noslrr  in  muudo  ;  nrsrivit  quant 

hic  stragem  procuraret  inferna  crux  illa  fallens  gau- 
dia  nostra,  parturiens  damna  nostra.  Per  liguum 
dilati  sumus,  per  lignum  evertimur;  périt  potestas 
illa  semper  populia  formidata.  Nullus  hic  virus  m- 
irurii,  nemo eamiflees  lerru.it.  Nunquam  hoc  ni  loco, 
fuligine  et  nigra  sn,t />r,  caligine  cm  ato,  injucundum 
lumen  apparuit.  l"  forte  soi  </,•  mundo  migra 
Sed  nec  cmlum  nobis  aslraque  parent,  et  tamen  in- 
fernus  lucet.  Quid  agimusf  Quo  modo  verlimurf 
Oefendere  contra  islum  non  valemut  '  Voir  turbati 
tumus.  Lumen  obtenebrare  nequivimus,  insuper  et 
de  nostro  interitu  farmidamus.  Homil  .  t,  De  }>as- 
chate,  I'.  L.,  i.  i  xvn,  roi.  1043. 

Intercalé  dans  un  sermon 

du  pteudo-  Vu^iMin.  Son  discours  est,  lui  aussi,  comme 

'i'  taillé  d'un  drame  en  cinq  actes.  \u  pre- 

tnier  point,  un  récitatif  met  en  reliel  la  liberté  du  Sau- 

montre  qu'il  est  la  mort  de  la  mort  et  la  moi 
de  l'enfer,   tu  second  point,  ce  sont  les  exclamations 
du  Tartan  •■    l'arrivée  du  Christ,    tu  troisième,  le^ 


607 


DESCENTE    DE   JÉSUS   AUX    ENFERS 


608 


objurgations  de  l'enfer  au  diable  son  cliof;  au  quatrièmi  . 

les  supplications  des  justes  à  leur  Sauveur.  Au  cin- 
quième,  par  une  permission  de  Dieu,  les  justes  se  re- 
tournent contre  leurs  bourreaux,  et  chantent  la  victoire 
du  Verbe  incarné.  Serm.,  ci.x,  De  pascha,  /'.  L-, 
t.  xxxix,  col.  2059-2061. 

3.  Les  expressions  de  victoire  et  de  défaite,  de  ruines 
et  de  dépouilles,  sont  passées  jusque  dans  la  poésie 
chrétienne  et  l'hymnographie.  Prudence  décrit  longue- 
ment, dans  l'hymne  consacrée  aux  louanges  du  Christ, 
son  voyage  aux  enfers,  la  porte  brisée  qui  laisse  échapper 
les  âmes  des  défunts,  sa  victoire  sur  les  puissances 
infernales  : 

Ouin  et  ipsum,  ne  salutis  inferi  expertes  forent 
Tartarum  benignus  intrat,  fracta  cedit  janua, 
Vectibus  cadit  revulsis  cardo  dissolubilis, 
Illa  prompta  ad  irruentes,  ad  revertentes  tenax. 
Objice  exli'orsum  recluso  porta  reddit  mortuos. 

Calhemerinon,  hymn.  ix,  P.  L.,  t.  lix,  col.  870. 
Sidoine  Apollinaire  expose,  non  sans  les  exagérer, 

les  résultats  de  la  visite  du  Sauveur  aux  enfers  : 
Postremo  mortem,  sed  surrecturus,  adisti 
Eripiens  quidquid  veteris  migraverat  hostis 
In  jus,  per  nostrum  facinus... 

Il  explique  aussi  comment  le  démon  s'est  lui-même 
leurré,  en  poursuivant  le  Christ  : 

Sic  niorlua  mors  est, 

Sic  sese  insidiis  quas  fecerat  ipsa,  fefellit, 
Nam  dum  indiscrète  petit  insonlemque  reosque, 
Egit  ut  absolvi  possent  etcrimine  nexi. 

Carmen,  xvi,  eucharisticum,  P.  L.,  t.  lvii,  col.  719. 
Elle  ne  manque  pas  non  plus  d'un  certain  charme, 
la  description  du  séjour  du  Christ  aux  enfers,  que  fait 
Dracontius,  au  IIe  livre  de  son  Carmen  de  Deo  : 

Dum  vita  perennis 

Limina  mortis  adit,  Stygii  tremuere  ministri, 

Etïugiunt  tormenta  reos,  invita  pepercit 

Tortorum  metuenda  marins,  lux  funditur  umbris, 

Descensum  comitata  Dei,  simul  orbe  fugata, 

Tartarus  infelix  nunquam  satiabilis  umbris, 

Et  solitus  gaudere  neci,  turbatur  amare, 

Et  supplex  augmenta  dolet.  Nam  damna  futura 

Heec  augmenta  dabant;  animas,  uuas  claustra  tenebant 

Carceris  asterni,  redituras  lucis  ad  usus 

Infremit,  et  legem  violari  deflet  Averni. 

Luminis  impatiens,  ut  jam  remearet  ad  auras 

iEtliereas,  orat  Dominum,  regemque  polorum, 

Ne  gravet  omnem  Hecaten  jubar  insuperabile  Christus; 

Aut  spoliet  toto  nigros  simul  agmitie  mânes. 

Ad  superos  revocans  animas  virtute  parentis. 

Carmen  de  Deo,\.  II,  v.  526-541,  P.  L.,  t.  lx,  col. 812-814. 
C'est  une  note  analogue  dans  le  Vexilla  reg\s  de 
Venance  Fortunat  : 

Beata  cujus  brachiis 

Pretium  pependit  seeculi, 

Statera  facta  corporis 

Tulitque  praedam  Tartari. 

Miscellanea,  1.  II,  c.  vu,  Hymnus  in  hon.  S.  Crucis, 
P.  L.,  t.  lxxxviii,  col.  96. 

On  devrait  encore  rappeler  ici  la  série  des  hymnes 
pascales.  Toutes  célèbrent  le  Christ  revenant  des  enfers, 
et  font  penser  aux  rentrées  triomphales  des  généraux 
vainqueurs.  Voici,  à  titre  d'exemple,  comme  chante 
Fulbert  de  Chartres  : 

Quo  Christus,  invictus  leo, 
Dracone  surgens  obruto, 
Dum  voce  viva  personat, 
A  morte  functos  excitât. 
Quam  devorarat  improbus 
Praedam,  refudil  tartarus, 
Captivitate  libéra, 
Jesuni  sequiintur  agmina. 
Triumphat  il  le  splendide. 

Hymnus  paschalis,5-l'à,  P.  L.,  t.  cxli,  col.  352. 


5°  Au  xir  siècle,  saint  Anselme  et  Abélard  s'attaquè- 
rent tour  à  tour,  et  victorieusement,  à   celle  tl 
des  droits  du  démon  et  â  celle  du  piège,  son  corollaire 
habituel.   S.  Anselme,   Cur  Dent  homo,  1.   I.  c.   vu, 
/'.    L.,   t.   ci.vm,   col.    367-368j    Méditât.,    xi,   ibid., 
col.  763-764;   Abélard,   h,  Rom.,    I.   II,  c.  m.   P.    /.., 
t.  ci.xxvm,  col.  833-335.  Cf.  J.  Rivièn  .  le  dogme  de  la 
rédemption,  c.  xxiv,  p.  446-486;  Henry  E.  Oxenl 
Histoire  du  dogme  de  la  rédemption,  trad.  Bruneau, 
c.  iv,  Paris,  1909,  p.  187-232.  Bientôt  l'on  vit  dispar 
aussi  de  la  littérature  théologique  ces  explications  qui 
représentent  la  descente  aux  enfers  comme  le  moyen 
employé-  pour  renverser'  un    empire  qui   n'eut  jamais 
d'existence  qu'en  de  fausses  imaginations. 

///.  L'ŒVTRE  DP  CBRIST  Al  X  B.VFRRS,  APRÈS 

PATRtSTlQUE.    —   \»  La    littérature    théologique.    — 
1.  Après  l'intervention  de  saint  Anselme  et  d'Abélard, 

c'est  la  doctrine  du  sacrifice,  et  de  la  satisfaction  off 
à  Dieu,  qui  prévalut  justement  dans  le  concept  et  l'ex- 
plication théologiques  de  la  rédemption.  Saint  Paul 
l'avait  expressément  enseignée,  et  de  l'aveu  même 
des  protestants,  on  la  rencontre  dans  nombre  d'écrits 
de  l'époque  patristique,  avec  les  théories  précédem- 
ment indiquées.  Comme  conséquence,  pour  rendre 
compte  de  l'œuvre  de  la  descente  aux  enfers,  la  lie  se 
du  Christ  libérant  les  Ames  des  limbes  où  elles  l'atten- 
dent, prit  plus  de  précision  et  devint  bientôt  la  thèse 
unique  et  universelle.  L'idée  ou  l'image  de  victoire 
pour  le  Christ  et  de  défaite  pour  le  démon  put  y  de- 
meurer associée  en  un  certain  sens.  Le  démon  se  trouve, 
comme  tentateur,  avoir  entraîné  le  genre  humain  dans 
sa  révolte  et  sa  punition,  en  causant,  pour  sa  part,  la 
faute  originelle  et  même  les  fautes  actuelles.  Par  suite, 
il  semble  subir  une  sorte  de  défaite  personnelle,  quand 
le  Christ,  effaçant  le  péché  d'origine  et  ses  conséquen- 
ces, délivre  des  limbes  les  âmes  des  justes. 

2.  L'ancienne  scolastique,  tout  en  répétant  simple- 
ment l'enseignement  traditionnel,  ne  tarda  pas  à  sou- 
lever, à  propos  de  la  descente  aux  enfers,  une  foule 
de  problèmes  connexes.  Hugues  de  Saint-Victor  se 
demande  si,  durant  la  mort  de  Jésus,  la  divinité  fut 
séparée  de  l'humanité.  Summa,  tr.  I,  c.  xix,  P.  L., 
t.  ci.xxvi,  col.  78-80.  Le  premier,  Robert  Pulleyn.  étudie, 
en  détail  et  dans  un  ordre  systématique,  la  délivrance 
des  patriarches  et  des  pères  d'Israël  dans  les  limbes.  Il 
se  pose  à  ce  sujet  les  problèmes  les  plus  minutieux. 
Sent.,  1.  IV,  c.  xvi-xxvi:  1.  V,  c.  i-ih,  P.  L.,  t.  u.xxxvi. 
col.  823-830,  829-831.  Pierre  Lombard  n'offre  sur  la 
descente  aux  enfers  que  des  considérations  très  géné- 
rales, bien  que  très  élevées,  mais  ses  commentateurs, 
les  Sententiaires,  en  prendront  texte  pour  l'exposé 
plus  développé  de  la  doctrine.  Sent.,  1.  111,  dist.XXH. 
Innocent  III  recherche  à  quel  moment  précis  la  des- 
cente a  eu  lieu  :  Ulrvm  ipsa  die  mortis?  Serm.,  v. 
De  resurect.  Domini;  Serin.,  xx.  in  dont.  I  ]>o$t 
pascha,  P.  L.,  t.  ccxvn,  col.  469  sq.,  102.  Alexandre 
de  llalés  ne  s'étend  pas  sur  l'ouvre  de  .lésus  au  séjour 
infernal,  mais  il  étudie  plutôt  l'état  de  sa  personne,  se- 
demandant  si  alors  il  était  vraiment  homme,  s'il  est 
allé  au  véritable  enfer,  s'il  n'était  pas  indigne  de  la 
nature  divine  de  descendre  en  ces  lieux.  Summa, 
part.  I.  q.  xix,  m.  i-v. 

Avec  saint  Thomas,  les  contours  définitifs  de  la  doc- 
trine sont  arrêtés  désormais.  Siim.  theol.,  III1,  q.  ni. 
L'avenir  ne  fera  que  le  répéter,  tout  en  développant  da- 
vantage certains  points  secondaires,  ou  en  tirant  les 
conclusions  contenues  dans  ses  prémisses.  Nous  ne 
rapporterons  ici  aucun  texte  :  ceux  que  la  théologie 
nous  obligera  plus  loin  d'invoquer  suffiront  amplement 
à  démontrer  que  le  grand  courant  théologique  est 
demeuré  identique  depuis  l'époque  de  saint  Thomas, 
en  passant  par  les  Sommistcs  et  par  les  théologiens 
modernes.    Les    poètes,  comme  Dante,  n'ont  rien   dit 


-609 


DESCENTE    DE   JESUS    AUX    ENFERS 


610 


d'autre  dans  leur  langage  épique,  Inferno,  iv,  18-21, 
37-38;  xn,  13  sq.;  et,  dans  leurs  plus  vives  peintures 
de  la  scène  de  la  descente,  les  prédicateurs  et  les  mys- 
tiques ont  conservé  l'exposé  traditionnel  de  la  théolo- 
gie. Cf.  Ruysbroeck,  L'ornement  des  noces  spirituelles; 
S'*  Brigitte  de  Suède,  Sancta  Birgitta,  édit.  F.  Ham- 
merich,  p.  225;  Ludolphe  de  Saxe,  Vita  Jesu  Christi, 
part.  II,  c.  lxviii,  De  sabbato  sanclo,  édit  Rigollot, 
Paris,  1870,  t.  iv,  p.  648-654;  Louis  de  Grenade,  De 
l'amour  de  Dieu,  IIe  traité,  De  la  résurrection  de 
Xostre-Seigneur,  ire  médit.,  dans  Œuvres  spirituelles, 
Lyon,  1660,  p.  799-803;  Louis  du  Pont,  Méditations 
sur  les  mystères  de  la  foy,  part.  V,  ire  médit.,  Paris, 
1684,  t.  III,  p.  6-16. 

3.  Il  faut  noter  encore  cependant  quelques  déviations 
ou  même  quelques  oppositions.  On  connaît  l'erreur  de 
Durand  de  Saint-Pounain.  Elle  fut  reprise,  à  la  fin  du 
xve  siècle,  par  Pic  de  la  Mirandole.  L'une  de  ses 
900  thèses  était  celle-ci  .Chrislus  non  veraciteret  quan- 


1,  —  Les  limbes. 
D'aj  'uartalschrift,  t.  i.  pi.  vu,  B{ 

tum  ad  rcalem  prsesenliam  descendit  ad  infcros,  ut 
punit  Thomas  et  conmiunis  o)>inio,  sc<l  solutn  quoad 
effectum.  Opéra,  Bâle,  1601,  t.  t,  Conclusioncs,  n.  29; 
Apologia,  \>.  83-90.  Marsile  l'icin  soutint  une  explica- 
tion analogue  :  Neque  mutavit  tuncsedem  divina  ma- 
jestas,  quutn  sit  temper  ubique;  neque  te  ad  humana 
quati  /«''•  defeclum  defecit  divina  sublimitas,  sed 
humana  ad  se potius  elevavit.  Marsile  ne  pouvait  com- 
prendre la  présence  [dus  particulière  du  Verbe  aux 
enfers  par  le  moyen  de  son  âme.  De  religione  chri- 
ttiana,  c.  i\  ,  Brème,  1617. 

D'un  autre  côté,  le  cardinal  Cajetan  semble  admettre, 
(Lui-  les  enfers,  une  véritable  prédication  suivie  d'effi- 
ippuyanl  sur  ce  que  saint   Pierre  ilii  que  le 
Christ  a   prêché  .ni  ceux  qui  lurent  incré- 

dules •,,,  temps  de  Noé,  il  conclut  :  l'nde  insinuatur 
quod  prsedicatw  hm  /"*'  fructuoea.  In  omneë 
n.    PauH  a,  1639,    p,  871 

lut   lurtoul  re- 

ii    l'.l.iu     Umiêêiê  onini- 

<mr  ratio  ri" - 

,  et,  que  'n  'l  ii  .■  Chri- 

\  illapium,  non- 

tt    talutem   niiprrt tssr  :  îiiiiiiriini 

iffecti 
ml  ejui  (idem 
tent  iiiiiimi  /.>• 

DICT.    CF.   7111  ol..   CATIIOL. 


Spiritu,  id  est  effîcaci  divinitatis  suse  potentia,  infe- 
ros  adiens,  copiam  sut  mortuis  ipsis  bénigne  prse- 
buit,  et  eos  ad  agnitionem  sui  veneralionemque  con- 
vertit, non  omnes  quidem,  sed  eos  dumlaxat,  qui  ab 
orbe  condito  in  Dei  gratia  et  amicitia  decesserant. 
Dogmata  theologica,  De  incarnatione,  1.  XIII,  c.  xvm, 
n.  14,  Venise,  1757,  p.  142. 

4.  Du  coté  de  l'Église  grecque,  nous  savons  déjà 
qu'Œcurnénius  et  Théophylacte  retiennent  la  théorie  de 
l'évangélisation  dans  leurs  commentaires  de  la  7a  Pétri, 
in,  19,  P.  G.,  t.  exix,  col.  557-559  ;  t.  cxxv,  col.  1232. 
Ils  accordent  le  bénéfice  de  la  descente  du  Christ  à  ceux 
qui  ont  bien  vécu.  C'est  la  doctrine  qui  semble  conser- 
vée en  Orient  jusqu'à  la  lin  de  l'empire  grec.  Pendant 
l'époque  troublée  de  la  conquête  musulmane,  il  n'y  a 
rien  à  retenir  comme  mouvement  théologique.  Mais  au 


2.  —  Descente  de  Jésus  aux  enfers. 
D'après  un  ancien  ivoire  byzantin  du  Brltisb  Muséum. 

xvir  siècle,  nous  remarquons  que  les  confessions  de  foi 
sehismatiquesont  subi  l'influence  de  l'Église  catholique  : 
elles  suppriment  l'explication  de  la  descente  par  la 
prédication,  La  confession  de  Critopoulos  dit  que  le 
Christ  délivre  «  ceux  qui  avaient  déjà  cru  en  lui;  » 
et  celle  de  Pierre  Mogilas  précise  qu'il  sauve  les  saints 
patriarches  et  le  brigand,  i  Telle  esl  toujours  la  foi  de 
l'Église  orthodoxe.  Aujourd'hui  encore  elle  enseigne 
que  le  Christ  descendit  BUS  enfers  «  pour  prêcher  sa 
victoire  sur  la  mort,  et  délivrer  les  fîmes  qui  attendait  ni 

sa  venue  avec  foi.  »  Cf.  .1.  Monnier.  op,  cit.,  C.  IX, 
p.   183-492, 

2°    L'iconographie   chrétienne,    —    L'iconographie, 
qui  a  traité  avec  prédilection  ce  thème  de  la  descente 

aui  enfers,  apporte  son  té ignage,  non  seulement  au 

fait  lui-même,  n  Date 

I.  l.a  plus  ancienne  manière  'le  représenter  la 

rente  aui  enfers  est  tout   Inspiréi   de  V Évangile  '/<• 

i  •  Christ,  entouré  d'une  gloire,  ■>  le  démon 

il  tend  la  main  t   idam  qu'il  aidi   a 

'lu  séjour  infernal    aucune  idée  de  prédication 

ici.  mais  la  victoire  du  Chrial  et  la  délivrance  des  i" 

ni  I'    Sam  eu r  lient  en   mains  gg  crois,  COnsidt  "  e 

comme  i  Instrument  de  ion  triomphe  autant  que  il 

l\. 


611 


DESCENTE    DE   JÉSUS    AIN    ENFERS 


012 


supplice.  L'enfer  est  assez  semblable  à  une  caverne 
d'où  parfois  s'échappent  des  flammes.  Elles  ne  signifient 
pas  les  peines  des  damnés,  mais  les  tourments  purifi- 
cateurs  auxquels  les  justes  eux-mêmes  n'écliappent  pas 
toujours  (fig.  1).  M. .).  Monnier  reproduit,  comme  exem- 
ples de  ce  type,  une  peinture  du  ix,É  siècle  qui  se  trouve 
dans  l'église  inférieure  de  Saint-Clément,  une  minia- 
ture du  XIe  siècle,  tirée  d'un  ExsuUel,  un  ivoire  by- 
zantin du  xii*  siècle  (fig.  2). 

2.  De  ce  type  initial  sont  nées  deux  façons  différentes 
de  représenter  ensuite  la  descente. 

a)  La  première,  plutôt  orientale,  s'en  tient  au  type 
primitif,  avec  cette  différence  que  la  délivrance  des 
justes  devient  leur  résurrection.  Par  suite,  c'est  du 
séjour  de  la  mort  plutôt  que  de  l'enfer  que  le  Seigneur 
fait  sortir  ses  justes.  A  ce  genre  se  rapportent  les 
Anastasis  ou  résurrections  si  nombreuses  dans  les 
églises  d'Orient.  Le  Christ  est  debout,  à  l'entrée  de 
l'enfer,  de  l'Hadès,  entre  des  montagnes.  Il  tend  la 
main  à  Adam  qui  sort  d'un  sarcophage.  Eve  et  d'autres 
justes  l'accompagnent.  Voilà,  dans  ses  lignes  générales 
un  type  assez  fixe,  qui  se  retrouve  aujourd'hui  encore 
dans  les  icônes  russes. 

b)  La  seconde  manière,  plutôt  occidentale,  continue 
de  représenter  la  délivrance  des  justes  en  accentuant 
son  caractère  de  triomphe  sur  la  mort  et  sur  le  diable. 
La  scène,  évidemment,  soit  comme  personnages,  soit 
comme  topographie,  se  développe  de  façon  différente, 
selon  le  génie  particulier  à  chaque  époque. 

Tantôt,  l'entrée  de  l'enfer  est  une  gueule  largement 
ouverte,  aux  dents  acérées,  d'où  parfois  s'échappent 
des  ilammes.  Telle  nous  la  montre  un  parement  d'autel 
de  Charles  V,  au  xive  siècle.  Tantôt,  l'enfer  est  «  le 
chastelet  des  diables  ».  On  les  y  voit  aux  créneaux,  ils 
sonnent  du  cor  et  se  préparent  à  la  défense,  ou  bien 
ils  sont  dans  l'attitude  des  vaincus.  Tantôt  encore, 
l'enfer  est  une  caverne,  dont  une  paroi  s'écroule  pour 
livrer  passage  à  la  foule  des  justes.  Dès  la  fin  du 
XIVe  siècle,  les  miniatures  deviendront  cependant  moins 
sévères.  Là,  dans  tel  livre  d'heures,  l'on  pourra  voir 
s'ouvrir  la  caverne  des  limbes  sur  une  riante  prairie; 
et  sur  les  portes  renversées,  Adam  et  Eve  se  trouvent 
à  genoux  devant  le  Christ  en  robe  blanche. 

Les  primitifs  italiens  se  sont  attachés  à  exprimer  la 
hâte,  la  confiance,  la  ferveur  des  justes.  Ainsi,  à  Flo- 
rence, dans  sa  fresque  de  la  chapelle  des  Espagnols, 
Simone  di  Martino  fait  avancer  vers  le  Sauveur  la 
théorie  des  patriarches,  des  prophètes,  des  rois,  des 
saintes  femmes,  en  vêtements  magnifiques.  Au  xve  siècle, 
voici  la  splendide  fresque  du  couvent  de  Saint-Marc  à 
Venise  et  le  petit  tableau  de  l'Académie,  dus  au  pin- 
ceau de  Fra  Angelico.  Il  y  plane  un  silence  d'ineffable 
adoration;  et  les  esprits  en  prison,  aux  pieds  du  Christ, 
dirigent  vers  lui  leurs  mains  jointes,  leurs  lèvres  trem- 
blantes, leurs  regards  aimants  et  passionnés,  cependant 
qu'ils  ont  instinctivement  fléchi  les  genoux.  C'est  le 
même  genre  et  la  même  expression  dans  le  tableau  de 
l'école  de  maître  Guillaume  de  Cologne. 

Mais  bientôt  la  descente  deviendra  un  thème  ou  un 
prétexte  à  des  détails  plus  ou  moins  pittoresques  et  à 
des  académies,  qui  n'ont  plus  rien  à  voir  avec  le  sens 
religieux,  ni  même  quelquefois  avec  le  sens  moral. 
Cf.  J.  Monnier,  La  descente  aux  enfers,  c.  x,  p.  193- 
209,  passim. 

IV.  L'ŒUVRE  DE  LA  DESCENTE  ht  CHRIST  AUX  i:.\- 
/■7;7(N,  d'après  I.A  THÉOLOGIE  CATHOLIQUE.  —  Avec 
saint  Thomas,  Bellarmin  et  Suarez,  la  théologie  a  établi 
ses  dernières  conclusions  sur  l'intelligence  chrétienne 
de  l'article  du  symbole.  Nous  allons  simplement  ré- 
sumer leurs  données. 

1"  L'œuvre  de  la  ilescente  du  Cln-ist  aux  enfers  et  les 
anges.  —  Nous  ne  posons  la  question  que  pour  être 
complet.  En  fait,  bien  qu'il  ait  pu  exister  et  qu'il  y  ait 


en  réellement  des  rapports  entre  la  descente  du  Christ 
i  i  le,  ;mges,  leurs  conséquences  ne  regardent  pas  di- 
rectement l'oeuvre  accomplie  dans  le  séjour  infernal. 
Ouoi  qu'il  en  soit,  disons  avec  Suarez  que   l'âme  du 

Christ,  descendue  aux  enfers,  n'a  pas  rnodifiéessentiel- 
lement  la  béatitude  des  anges;  sous  ce  rapport,  elle  est 
immuable  de  sa  nature.  Mais  ils  ont  reçu  des  lumières 
et  des  grâces  qui  augmentèrent  accidentellement  leur 
état  bienheureux.  Cum  Mi  (angeli)  jam  vicU 
Deuni,  cerluni  esl  animant  Cliristi  nihil  novi  m  eot 
influxisse,  quod  ad  essentialem  beatitudinem  perti- 
nuerit  :  quia  bealitudo  esl  immulabilis,  et  itugeri  non 
potest  secundum  naturam  suam,  et  secundum  legem 
hi'i  ordinariam,  et  non  sunl  fingenda  miraeula 
fundamento  aut  necessitate.  Quoad  accidentaient  vero 
beatitudinem,  credendum  esl  Cliristi  animam  e  cor- 
pore  egredienlem  illuminasse  angelos  atqtie  nova  gau- 
dia  illis  atlulisse.  Ea  tanien  actio  per  tenon  perlinet 
ad  effeclus  a  Cltristo  faclos  in  loco  infemi,  quia  an- 
geli sancti  per  se  ad  illum  locuni  non  pertinent  : 
quanquant  ditbitandum  non  sit  eos  cum  C/tristo  illm 
descendisse.  De  myslerio  vitse  Chrisli,  disp.  XLIII, 
sect.  m,  n.  1,  Paris,  1866,  t.  xix,  p.  733. 

2°  L'œuvre  de  la  descente  du  <:/uisi  aux  enfers  et 
les  damnés.  —  1.  Le  Christ  est-il  descendu  dans  l'enfer 
proprement  dit,  au  lieu  où  les  âmes  des  damnés  su- 
bissent leurs  tortures  vengeresses?  —  a)  Saint  Thomas 
précisela  question  pour  y  répondre.  Si  l'on  suppose  que 
l'âme  du  Christ  s'est  rendue  réellement  et  de  sa  per- 
sonne au  lieu  déterminé  où  les  damnés  subissent  leur 
supplice,  il  est  de  fait  que  le  Christ  n'est  pas  descendu  là. 
Alio  modo  dicitur  aliquid  esse  alicubi  per  suam  essen- 
liam  ;elsous  ce  rapport,  dit  le  docteur  angélique,  l'âme 
du  Christ  ne  s'est  rendue  que  dans  les  limbes.  Si  l'on 
suppose  que  l'âme  du  Sauveur  a  produit  quelque  effet, 
amené  quelque  résultat  jusque  chez  les  damnés,  oui, 
le  Christ  est  descendu  en  ce  lieu  :  car  son  âme  a  achevé 
de  convaincre  les  damnés  de  mauvaise  foi  et  de  réelle 
malice.  Dupliciler  dicitur  esse  aliquid  alicubi.  Vno 
modo  per  suum  effeclum.  Et  hoc  modo  Cliristus  in 
quemlibel  inferorum  descendit.  Aliter  tamen  et  aliter. 
Nam  in  infernum  damnatorum  liabuit  hune  effectum, 
quod  descendens  ad  inferos,  eos  de  sua  incredulilale 
et  malitia  confutavit.  Sum.  theol.,  III»,  q.  i.h,  a.  2. 

b)  Cette  solution  n'agréa  pas  à  Bellarmin.  Selon  lui, 
il  est  tout  à  fait  probable  que  le  Christ  a  visité  tous  les 
lieux  infernaux,  et  aussi,  par  conséquent,  l'enfer  des 
damnés.  Prohabile  est  profeclo  Cliristi  animant  ail 
ontnia  loca  infemi  descendisse.  Il  invoque  Eccli.,  XXIV, 
45  :  Penetrabo  omnes  inferiores  partes  terrse,  inspi- 
ciam  otiines  dormientes,  et  illuminaboomnesspe7%antes 
in  Domino.  Il  appelle  en  sa  faveur  saint  Augustin,  saint 
l'ulgence,  saint  Cyrille  de  Jérusalem.  Disput.  de  con- 
troversiis  c/tristianœ  fidei,  De  Cltristo,  1.  IV,  c.  xvi, 
Ingolstadt,  1599,  p.  396.  Même  il  aurait  pu  fortilier  son 
argumentation  par  cette  considération,  suggérée  par 
Suarez  :  Cliristus  in  omnibus  infemi  locis  aliquid 
ojieralus  est  ;  sed perfectior  modus  operandi  magisque 
connaturalis  est  per  realem  prsesentiam.  lient  in 
morte  sua  declaralus  est  Cliristus  dominas  vivorum 
et  morluorum,  ila  ut  omnes  etiam  dxmones  et  dam- 
nati  ad  ejtts  regnum  pertineaut  ejusquepotestati  sub- 
diti  sint.  Ergo  oportuit  ut  sua  prsesentia  veluti  pos- 
sessionem  regni  sui  caperet  ac  de  omnibus  trium- 
pharet.  De  mysterio  vitse  Cliristi.  disp.XLllI.sect.lv, 
n.  1,  Paris,  1866,  t.  xix,  p.  740-741. 

c)  Envisageant  le  problème  à  son  tour.  Suarez  ac- 
corde que  la  solution  de  Bellarmin,  pour  nouvelle 
qu'elle  soit,  ne  lui  semble  pourtant  ni  téméraire  ni 
dénuée  de  toute  probabilité.  C'était  généreux.  Mais 
l'opinion  opposée  lui  parait  beaucoup  mieux  fondée. 
Peut-être  Suarez  aurait-il  pu  accentuer  davantage  cette 
note.  Il  conteste  la  valeur  du  texte  allégué  par  Bellar- 


G 13 


DESCENTE    DE   JESUS    AUX    ENFERS 


614 


ni  in,  car  il  n'est  pas  du  tout  démontré  qu'il  doive  s'ap- 
pliquer à  la  question  débattue,  moins  encore  qu'il 
doive  seul  la  dirimer.  Il  revendique  pour  lui  le  con- 
sentement des  théologiens,  dont  la  démonstration  com- 
mune part  de  ce  fait  :  toute  la  raison  de  la  descente 
aux  enfers,  indiquée  dans  les  sources  révélées,  est  que 
le  Christ  devait  visiter,  consoler,  délivrer  les  saints 
pères.  Theologi  nullam  aliam  probationem  adducunt, 
nisi  quoi!  potissima  et  adseqitala  ratio,  ob  quant 
Christus  ad  inferos  descendit,  fuit  ut  sanclos  patres 
visitaret  et  consolarelur  aique  eos  inde  educeret. 
Ibid.,  n.  2,  p.  740.  En  réalité,  les  saintes  Écritures 
donnent  surtout  ce  motif  de  la  visite  du  Sauveur,  et 
aussi  les  Pères  eux-mêmes  invoqués  par  Bellarmin. 
Enfin,  Suarez  fait  ainsi  ressortir  l'inutilité  et  l'inconve- 
nance de  la  visite  du  Christ  chez  les  damnés.  Ad  gehen- 
nam  aillent  nullam  habuit  occasioneni  descendendi, 
i/uia  neque  ille  locus  erat  accommodatus  ipsi  (quemad- 
nwdunt  linibus  aplus  erat  ad  animas  sanctas),  neque 
effeclus  quem  ibi  habuit,  hoc  requirebat.  Quia  lotus 
fuit  per  moduni  locutionis  seu  cujusdam  manifesta- 
tionis.  Ut  aulem  unus  spiritus  cum  altero  loquatur 
teque  illi  manifeslet,  nulla  loci  propinquitas  neces- 
saria  est.  Deinde  ut  rex  possessionem  regni  capiat, 
mm  perambulal  omnia  Iota,  eliam  vilia  et  objecta, 
sed  in  ea  civitale  qux  est  capul  regni,  in  qua  eum 
maxime  residere  decet,  tolius  regni  suscipil  guber- 
naculn.  Igitw  "i  Christus  omnibus  damnatis  ac  dse- 
monibus  dontinaretur  eosque  lerrerel  et  sibi  genua 
flectere  coi  l,  nec  necessarium,  nec  espediens 

fuit  ut  eorum  teterrintum  locuni  descenderet.  Ibid., 
n.  3,  p.  711.  Cependant  Suarez,  comme  saint  Thomas, 
admet  quelque  opération  de  l'âme  du  Christ  sur  les 
damnés.  Ram  seipsum  secundum  animant  illis  nta- 
nifestavit,  et  utse  adorarcnl  compulit,  ut  generaliter 
verum  sit  illud:  In  nomine  Jesti  omne  genu  fJeclalur. 
ctelestiunt,  terrestrium  et  infernorum.  Inde  conse- 
quenter  factum  rut  ut  et  Christus  earum  maliliam  et 
pertinaciam  reprehenderit,  et  ipsx  ex  superbia  no- 
quamdam  afflictionem  invidiamque  persenserint. 
Ibid.,  n.  10,  p.  738. 

2.  Mais,  sans  se  transporter  réellement  au  séjour 
des  damnés,  le  Sauveur  n'a-t-il  pas  arraché  l'un  ou 
l'autre  d'entre  en,  à  ses  tourments  trop  justifl 
—  a)  Saint  Thomas  résout  le  problème,  très  fermement, 
en  partant  d'un  principe  fort  juste  :  l'œuvre  accomplie 
aux  enfers  ne  pouvait  être  qu'une  application  des 
ne  ni  .le  la  divine  passion;  pareille  application  ne 
pouvait  se  faire  qu'aux  sujets  rendus,  par  la  foi  et  la 
charité,  capables  île  recevoir  ce  couronnemenl  surna- 
turel, lu-  telle  n'esl  pas  la  condition  des  damnés. 
Chris  ndens  «<l  inferos  operatus  est  tu  virtute 

I     ideo  ejus  ad  inferos  illis 

toli.t  liberalionis  contulit  fruclum,  qui  fuerunt  pa<- 
Christici  er /idem  cliaritale  formatant, 

nia  tolluntur.   Illi  autem  qui  erant  in 
inferno  damna  i  penilus  jute,, 

kabuerant,  ticut  infidèles,  nui  si  fidem  habuerant, 
nulla  mitatem     habebanl     ad     cltaritatem 

mie  née  a  peccati    •  uis  erant  w»«n- 
ilnh    El  propter  hoi  descen  ut  Chrisli  ad  inferos  non 
lulit  eit  lib  ealu  pœnœ.  Sum.  theol., 

III     .    .|      Ml 

b    I  Imettanl  la  réelle  visite  du  s,  ,._,,,  ur  ;,ux 

Mai  min  ni  tnenl  qu'il  en  ail  délivré' 

un  damm    quelconque.  Il   rappelle  qui    Philaslre  di 

Un  ni  Auguxlin  ont  qualifia  celle  ifflrmation 

die  i  ■    i-     i  ■  .  onclusion 

'  quod   nii- 

qui   fuet  <■  1     lamnatt 

■ 
•ht  •  '  ■  ,  >iinii    fiineinhi  .    Ai  quo 


modo  certi  esse  possunt  se  sine  fine  puniendos,  qui 
aliquando  liberantur?  Op.  cit.,  p.  399.  Aussi  doit-on 
tenir  pour  une  légende  l'histoire,  rapportée  par  Nicétas, 
de  Platon  apparaissant  et  venant  attester  son  accession 
à  la  foi,  lors  de  la  descente  du  Christ  aux  enfers. 

c)  Suarez  a  pris  une  attitude  moins  catégorique.  Il 
est  certain,  dit-il,  que  le  Christ,  en  descendant  aux 
enfers,  n'en  a  retiré  aucun  damné.  Tel  est  le  sentiment 
commun  des  Pères  et  des  théologiens.  Poussant  plus 
loin,  notre  docteur  se  demande  si  sa  conclusion  est 
certaine  en  la  foi,  certa  de  ftde.  Impressionné  par 
l'autorité  des  Pères  qui  ont  soutenu  l'extension  du 
salut  aux  damnés,  par  la  prédication  de  Jésus  aux 
enfers,  il  risque  cette  solution,  qui  n'est  peut-être  pas 
celle  d'un  esprit  très  assuré  de  ses  principes.  La  con- 
clusion est  certaine  de  foi,  dit-il,  selon  la  providence 
ordinaire,  secundum  legem  Dei  ordinariam.  Il  dé- 
montre fort  bien  son  assertion  par  le  principe  de 
l'éternité  des  peines  et  par  cet  autre  :  que  l'acquisition 
du  salut  est  strictement  réservée  à  cette  vie,  au  temps 
de  la  voie,  ad  tempus  vise.  Hoc  argioucntunt  convincit, 
secundum  comniuneni  legem  divina-  justitite  nullam 
ex  illis  animabus  fuisse  inde  eductam,  quia  hsec  est 
lex  lata,  ut,  ubi  ceciderit  lignum,  ibi  maneat,  sive  ad 
austrum,  sive  ad  aquilonem.  Item  quia  hujus  vitae 
tempus  concession  est  liominibus  ac  comparandam 
vel  amittendam  seternam  vilam,  et  ideo,  qui  liic  non 
fuit  usus  mediis  enneessis  a  Deo  ad  fidem  et  gratiam 
obtinendam,  secundum  legem  ordinarium  consequi 
salutem  non  polest.  Tandem  quia  alias  pejoris  con- 
ditionis  fuissent  homines  qui  nunc  damnanlur,  quam 
qui  ante  mortem  Christi.  Non  ergo  eduxit  Cltrislus 
ab  inferno  animas  damnatas.  Ibid.,  sect.  m,  n.  6, 
p.  735.  Pour  ces  motifs,  il  faut  traiter  comme  fables 
toutes  les  histoires  qui  se  colportent  sur  la  libération 
de  telle  ou  telle  Ame  damnée,  comme  par  exemple, 
celle  de  Trajan  qui  aurait  été  sauvée  grâce  aux  prières 
de  saint  Grégoire  le  Grand.  Pour  se  libérer  de  ses 
scrupules  patristiques,  Suarez  a  admis  la  possibilité 
d'exceptions  à  cette  loi  générale.  An  vero  ex  speciali 
privilégia  sua  volunlate  et  arbitrio  aliquem  damna- 
tion e  gehenna  Christus  eduxerit,  dubitari  quoquo 
modo  potes  t.  Xant  licel  videatur  lemcrariitm  hoc  affir- 
mare  contra  générales  régulas  Scripturœ  sine  funda- 
mento  vel  auctoritate,  simpliciter  tamen  nonvidetw 
esse  erroneum  vel  hsereticum  :  quia  non  est  de  fuie 
gêneraient  illam  legem,  nullam dispensationem  privi- 
legiumve  admittere.  fftid.  Suarez  a  vu  lui-même  la  fai- 
blesse de  sa  preuve.  Précisément,  parce  que  les  sources 
révélées,  loin  d'autoriser  semblable  exception,  l'ex- 
cluent au  contraire  expressément,  il  fallait  logiquement 
s'en  tenir  là.  L'on  ne  devait  pas  ouvrir,  sans  raison  au- 
cune, cette  porte  d'un  salut  exceptionnel  :  l'on  ne  devait 
pac  émettre  une  hypothèse  d'autant  plus  dangereuse, 
qu'on  peut  la  généraliser,  avec  autant  de  raison  que 
notre  théologien  l'a  émise,  pour  l'un  ou  l'autre  cas  par- 
ticulier. A  la  vérité,  la  première  position  de  Suarez 
était  la  bonne.  Ou  il  faut  nier  l'éternité  des  peines  de 
l'enfer  et  admettre  que  le  temps  de  la  voie  et  .te 
l  épreuve  n'est  pas  déflnitivemi  ni  cloi  pour  tous  ,. 

vie;  ou    bien    il    fini    tenir    que    le    Sau\''iir  lia    tir    de 

l'enfer  aucun  damné.  Et  qu'on  ne  le  taxe  point,  è  e  mse 
de  cela,  >l  impuissai  n  est  pas  ton  pouvoir 

qui  est  iei  en  cause,  mais  les  bus  qu'il  a  établies  et  h 
condition  Irrémédiable  dans  lesquelles  les  damm 

-..ni  eux-mêmes  libre ut  jet 

.i    /  ente  'in  Chritt  aux  enft 

\ortt  eu  état  de  /.<;<  hé  •  I .   L'am 

île.  réellement  el  di  nu. .  venue  aux 

imii  ■  i  en 

étal  'i  el?  La  question  doit  évidemment 

'e    d'apn     '■     i'i  m.  Ipe  -  qui  ii. .us  ..ni 
i    problèmi  pai  illèli  con  em  ml  li  i  damnés   •  'i 


G15 


DESCENTE    DE   JÉSUS    A.UX    ENFERS 


616 


la  présence  réelle  et  personnelle  de  Jésus  ne  convenait 
pas  plus  en  ce  lieu  qu'en  l'autre;  et,  d'autre  part,  nous 
ne  savons  pas  exactement  si  l'âme  <lu  Sauveur  a  exercé 
aux  limbes  une  action  quelconque.  Quse  (ce  qui  est  dit 
du  lieu  des  damnés)  pari  fere  probabilitate  procedunt 
de  loco  puerorum.  Quia  licet  in  Mo  non  sinl  horror 
et  inordinalio  quse.  in  loco  damnatorum,  tamen  eliani 
non  congruebat  Cliristo.  Ac  prœterea,  quia  ad/atr  esl 
incertum  an  Christus  sese  manifestaverit  his  pueris 
vel  aliquid  eis  contulerit;  et  si  quid  contulil,  non  per- 
tinuit  ad  eorum  salutem  aut  spirilualem  prnfectum, 
sed  solum  ad  recognitionem  dominii  Christi,  ad  quem 
effectum  satis  superque  eral  loculio  et  spiritualis 
prsesentia  secundum  cognitionem.  Ibid.,  sect.  iv.  n.  3, 
p.  741. 

2.  Mais,  laissant  de  côté  la  présence  réelle  de  Jésus 
aux  limbes,  demandons-nous  si  certaines  âmes  d'en- 
fants n'ont  pas  été  alors  délivrées  par  le  Christ.  Sur  ce 
point  saint  Thomas,  Bellarmin,  Suarez  tiennent  una- 
nimement pour  la  négative.  En  effet,  à  part  les  souf- 
frances, la  condition  des  enfants  est  la  même  que  celle 
des  damnés  :  leur  sort  est  définitivement  fixé  pour 
l'éternité.  Par  ailleurs,  n'ayant  eu  ni  la  foi  ni  la  grâce, 
ils  étaient  incapables  de  recevoir  la  vision  béatilique. 
Voici  le  juste  raisonnement  de  saint  Thomas  :  Descen- 
sus Christi  ad  inferos  in  illis  solis  effectum  liberatio- 
nis  habuit,  qui  per  fidem  et  charitatem  passioni 
Christi  conjungebantur,  in  cujus  virtute  descensus 
Christi  ad  inferos  liberatorius  erat.  Pueri  autem, 
qui  cum  originali  peccato  decesserant,  nullo  modo 
fueranl  conjuncti  passioni  Christi  per  fidem  et  dilec- 
tionem  ;  neque  enim  fidem  propriam  habere  potue- 
rant,  quia  non  habuerant  usum  liberi  arbilrii,  neque 
per  /idem  parentum  aut  per  aliquod  fidei  sacramen- 
tum  fuerant  a  peccato  originali  mundati.  Et  ideo 
descensus  Christi  ad  inferos  hujusmodi  pueros  non 
liberavit  ab  inferno.  Et  prœterea  sancti  patres  ab 
inferno  sunt  liberati  per  hoc  quod  sunt  ad  gloriam 
divinse  visionis  admissi;  ad  quam  nullus  potest  per- 
venire,  nisi  per  gratiam.  Cum  igitur  pueri  cum  ori- 
ginali peccato  decedentes  gratiam  non  habuerint,  non 
fuerunt  ab  inferno  liberati.  Sum.  theol.,  IIIa,  q.  lu, 
a.  7.  Suarez  ne  fait  que  préciser  davantage  les  mêmes 
motifs  :  llla  enim.  pana  (parvulorum)  ex  divina  lege 
est  seterna,  et  ideo  descendens  Christus  ad  inferos 
illam  non  immulavit,  neque  hujusmodi  damnatis  sua 
mérita  applicavit.  Quse  ratio  alio  etiam  modo  expli- 
cari  potest...  scilicet  neminem  pervenire  ad  Dei  visio- 
nem  nisi  per  fidem.  At  hi  parvuli  nunquam  habue- 
runt  fidem  Christi,  et  ideo  non  fuerunt  capaces  ut  per 
visioncm  beatam  ab  Mo  statu  liberarentur.  llle  au- 
tem status,  sicut  non  erat  status  vise  neque  merili, 
ita  non  erat  status  acquirendi  fidem,  per  quam  per- 
veniretur  ad  sj>em.  Ibid.,  n.  1,  p.  "18.  Cf.  Bellarmin, 
De  Cliristo,  1.  TV,  c.  xvi,  p.  i(0  :  Eadem  est  ratio  de 
animabus  infantium  qui  discessenmt  cum  peccato 
originali. 

4°  L 'œuvre  de  la  descente  du  Clirist  aux  enfers'et  le 
purgatoire.  —  1.  L'âme  du  Sauveur  a-t-elle,  en  propres 
termes,  visité  le  lieu  de  souffrances  où  les  âmes  des 
justes  achèvent  de  satisfaire  à  la  divine  justice  pour 
leurs  péchés?  Sur  ce  point,  bien  qu'avec  moins  d'assu- 
rance, Suarez  répond  encore  négativement.  Son  argu- 
mentation d'ailleurs  est  bonne.  C'est  qu'aucune  raison 
positive  n'autorise  à  affirmer  la  visite  du  purgatoire;  et 
d'un  autre  coté,  la  révélation  indique  comme  cause  de 
la  descente  aux  enfers  la  délivrance  des  justes  :  ce  qui 
ne  semble  pas  regarder  '  le  purgatoire.  Suarez  écrit 
donc  :  Probabilius  censeo  Christum  adillum  nondes- 
cendisse.  Privnum  i/uia  e.ristimo  non  eduxissc  omnes 
animas  e  purgatorio,  et  si  alignas  eduxit,  eas  non  in 
purgatorio  sed  in  sintt  patrum  glorificasse.  Atqui  ut 
cas  Mue  adduccret ,  non  oportuit  ut  ad  locum  purga- 


torii  descenderet,  sed  ut  suam  voluntatem  ac  impe- 
rium  manifeslaret.  Ad  illuminandas  vero  cœterat 
m muas,  jam  diximus  non  esse  necessariam  propin- 
quilalem  loci;  ergo  cum  alias  nec  loci  qualilas  et  n>n- 
ditio  essel  aninîse  Christi  accommodata,  nec  ex  parle 
animarum,  quse  ibi  purgabanlur ,  esset  ea  congruitas 
quse  in  animabus  patriarcharum  ri  p,nphetarum,non 
oportuit  Cliristi  animam  Mue  descendere.  Ibid., 
sect.  iv,  n.  3,  p.  741-742. 

Il  se  peut  cependant  que  les  ârnes  du  purgatoire, 
sans  que  le  Christ  les  ait  visitées,  aient  reçu  quelque 
bienfait  de  sa  descente  aux  enfers.  En  effet,  l'on  peut 
admettre  qu'à  l'occasion  de  ce  voyage,  le  Sauveur  a 
adouci  les  souffrances  de  toutes  les  ârnes  en  augmentant 
leur  espérance,  ou  par  quelque  autre  moyen  :  In  qui- 
bus  (animabus  purgatorii)  certum  est  Christum  ha- 
buisse  aliquem  effectum  Muminalionis,  gaudii  et 
consolalionis .  Ibid.,  sect.  ni,  n.  11,  p.  738. * 

2.  Mais  les  âmes,  ou  des  âmes  du  purgatoire,  ont- 
elles  été  pleinement  libérées  de  leurs  dettes  et  ainsi 
amenées  à  la  vision  bienheureuse?  Si  nous  envisageons 
la  question  dans  son  étendue  la  plus  large,  si  nous 
l'entendons  et  de  la  délivrance  totale  des  peines  et  de 
la  libération  universelle  des  âmes,  l'on  peut  dire  que 
la  réponse  négative  est  certaine.  La  raison  en  est  que 
ces  âmes  n'avaient  pas  achevé  de  satisfaire  à  la  justice 
divine,  et,  d'un  autre  côté,  l'on  ne  peut  admettre  que 
la  descente  du  Christ  ait  opéré  au  purgatoire  à  la  ma- 
nière d'un  sacrement  spécial  de  pénitence  ou  d'un 
sacrifice  expiatoire.  Tel  est  le  sens  de  la  réponse  de 
saint  Thomas  :  Descensus  Christi  ad  inferos  liberato- 
rius fuit  in  virtute  passionis  ipsius...  El  sic  patel 
quod  non  habuit  tune  majorent  efficaciam  passii> 
Christi,  quam  habeat  nunc.  Et  ideo  Mi  qui  fuerunt 
laies  quales  nunc  sunt  qui  in  purgatorio  detinentur, 
non  fuerunt  a  purgatorio  liberati  per  descensum 
Christi  ad  inferos.  Ibid.,  a.  8. 

Bellarmin  embrasse  le  sentiment  de  saint  Thomas. 
Après  lui,  il  remarque  que  si  des  âmes  en  étaient  arri- 
vées à  la  fin  de  leurs  expiations,  rien  n'empêche  de  \ 
croire  que  la  descente  du  Sauveur  les  ait  délivrées  : 
Si  qui  autem  inventi  sunt  taies,  quales  etiam  nunc 
virtute  passionis  Christi  a  purgatorio  libetxmtur,  talcs 
nihil  prohibe!  per  descensum  Christi  ad  inferos  a 
purgatorio  esse  liberatos.  S.  Thomas,  ibid.  Bellarmin 
renouvelle  cette  autre  concession  de  saint  Thomas  : 
que  des  âmes  ont  pu  mériter  durant  leur  vie  d'être 
délivrées  par  le  Christ  au  moment  de  sa  descente. 
Addit  tamen  B.  Thomas,  duobus  modis  potuisse  ac- 
cidere  ut  tune  aliqui  liberarentur.  Primo,  si  cxpleve- 
rant  lempus  purgationis  suse.  Secundo,  si  ex  devo- 
tione  peculiari  ad  Christi  passionon  id  meruerant  in 
hac  vila,  ut  tune  liberarentur,  cum  Christus  in  cum 
locum  descenderet.  Ibid.,  p.  401. 

Suarez  rapporte  d'abord  les  diverses  opinions  soute- 
nues sur  le  sujet.  L'une  défend  la  libération,  sans  con- 
dition, de  toutes  les  âmes  du  purgatoire;  l'autre  tient 
pour  la  délivrance  de  celles  qui  avaient  achevé  de 
purger  leurs  peines;  une  troisième  s'inscrit  pour  la 
libération  universelle,  mais  en  ajoutant  qu'elle  eut  lieu 
moyennant  une  sorte  de  compensation,  l'intensité  des 
peines  ayant  suppléé  ce  qui  restait  à  expier.  Pour  lui, 
il  s'arrête  à  la  thèse  fort  sage  de  saint  Thomas.  Il  est 
certain,  dit-il,  que  le  Christ  n'a  pas  vidé  le  purgatoire, 
en  sauvant  toutes  les  âmes.  Ce  point  acquis,  il  déclare 
accueillir  comme  la  meilleure,  l'opinion  qui  croit  à 
la  délivrance  de  quelques  âmes  en  particulier.  Inler 
omnes  opinxones,  sententia  D.  Thomse  ridetur  majo- 
rent speciem  probabilitatis  simulque  pietatis,  ac  jus- 
tilix  divinse  congruentem  rationem  habere.  Ibid., 
sect.  ui.  n.  1.").  p.  710.  Sans  doute,  sur  la  question,  à 
défaut  île  documents  positifs,  le  théologien  en  esl  ré- 
duit   à  des  conjectures,    ou   plutôt  à  des  raisons    de 


617 


DESCENTE    DE   JESUS    AUX    ENFERS 


618 


convenance  et  à  des  analogies.  Voici  celles  qui  ont 
touché  le  cardinal  Cajetan  (sur  ce  passage  de  la  Somme)  : 
Ralionabiliter  dicitur  quod  Christus,  descendons  ad 
inferos,  multos  in  purgatorio  existentes,  qui  non  lam 
cito  fuissent  liberali,  ex  spécial!  gratiâ  bescensus 
si  i  liberavit.  Consentaneum  siquidem  est  ut  mullse 
personse  propinquse  tempori  mortis  Christi,anle  ipsum 
mortuse,  prseparalse  sint  a  Deo  cum  simili  devolionc, 
ut  sicut  nascens  Simeonem  et  Annam  perfeclos  inve- 
nit,  et  paslores  et  magos  prseparatos,  ut  digni  essenl 
consolatione  nativilalis  suse,  ila  moriens  non  solum 
Patres  sanetos  perfeclos,  sed  eliam  in  purgatorio 
speciali  devolionc  prseparatos  inveniret,  qui  digni 
essenl  consolari  ex  descensu  ad  inferos  "liber alorio. 
Suarez  invoqua  des  convenances  ou  des  analogies  du 
même  genre  :  Nam  sicut  Christus  Dominas  lac  vivais 
quibusdam  remisit  peccala  speciali  gralia  et  libera- 
litale,et  moriens  similem  lalroni  impertivit  graliam, 
et  postea  resurgens  quosdam  secum  suscitavit,  non 
tamen  omnes,  ila  verisimile  est  aliquibus  animabus 
purgatorii  hoc  beneficium  conlulisse  propter  aliquam 
specialem  rationem  merili  et  devotionis.  Item  suffra- 
gia  et  orationes  sanctorum  j avant  animas  purgatorii 
ut  cilius  liberentur ;  ergo  multo  magis  juvare  poterit 
Christi  oralio,  si  illse  speciali  aliquo  tilulo  e<>  modo 
juvari  merenlur.  Ergo,  simili  modo,  credibile  est 
sua  voliintate  et  petitione  alignas  lune  libérasse,  quai 
ad  hoc  magis  erant  disposilse.  lbid.,  n.  13,  p.  740. 
Louis  du  Pont  se  laissait  donc  entraîner  en  dehors  des 
limites  du  vrai,  quand  il  écrivait  :  «  Il  est  probable  que 
lf  Fils  de  Dieu  tira  des  llammes  du  purgatoire  toutes 
les  âmes  souffrantes,  ou  en  abrégeant  la  durée  de  leur 
supplier,  ou  en  leur  remettant  leurs  dettes,  par  l'ap- 
plication des  mérites  île  son  sang  nouvellement  ré- 
pandu, l'eut-estre  leur  envoya-t-il  des  anges  pour  les 
délivrer  les  unes  après  1rs  autres.  »  Méditations  sur 
les  mystères  de  la  foy,  part.  Ve,  v-  médit.,  Taris, 
1684,  p.  14-15. 

ô  L'œuvre  du  Christ  aux  enfers  et  les  limbes  des 
justes.  —  1.  L'àme  du  Christ  est-elle  vraiment  descen- 
due au  sein  d'Abraham,  aux  limbes  des  pères,  en  ce 
lieu  mi  les  âmes  des  justes  attendaient  la  venue  du 
eur  pour  entrer  en  possession  de  la  béatitude  La 
question  ne  saurait  être  douteuse.  Tous  sont  d'accord 
pour  l'affirmative,  et  elle  découle  nécessairement  dis 
solutions  données  antérieurement.  La  foi  enseigne  qui 
b'  Chrisl  i  -«i  descendu  aux  enfers,  s'il  ne  s'est  rendu 
ni  cbe/  b'-  damnés,  ni  chez  les  âmes  en  état  de  pi 
originel,  ni  au  purgatoire,  il  reste  qu'il  a  visiti 
limbes  di  -  justes  Certum  <"-/,  écrit  Suarez,  descen- 
disse ad  s  inu  m  Abrahœ,  qui  erat  proprius  locus  ju- 
Btorum  :  diffici      •  est   de  es  lbid., 

sect.  iv,  n.  I,  p.  710. 

I  ii  i>  i  ité       une  du  Sauveur,  séparée  de  son  corps, 
devait   se   rendre  qui  Ique  part.  Or,   il  existait  un   lieu 
idenliellemenl   destiné    a    recevoir    les    âmes    des 
.  depuis  l'origine  du  monde,  ils  étaienl  là  recueil- 
li   semble    tout    naturel    que    le    Christ,    homme 
comme  eux,  ait   voulu,  pour  cette  raison  et  indépen 
damment  des   autn    .   passer    par  la  même  demeure 
mi  Christi  anima, 

■  n,i     lolum     ]n(>i>lr,      cffCCl  uni ,     yi'l 

tupposito 
Ma  anima  a 
ila  alicubi  futura  1 1  et,  null 
leret    ' 
Me  I  m  depulalui  pro  anima- 

nt hominui 

,/</  debuli 

OëSUi  | 

■  '..  p   741, 


2.  Que  le  Christ,  ainsi  descendu  aux  limbes,  ait 
immédiatement  délivré  les  âmes  des  justes,  en  leur 
conférant  la  bienheureuse  vision,  la  béatitude  essen- 
tielle, comme  dit  l'École,  c'est  une  conclusion  abso- 
lument certaine.  Suarez  déclare  même  que  c'est  là 
une  vérité  de  foi  :  Certum  est  Chrislum,  descendendo 
ad  inferos,  animabus  sanctis  quai  in  sinu  Abralise 
erant,  essentialem  bealitudinem,  ac  cœtera  animai 
dona  quse  illam  consequuntur,  conlulisse.  Hoc  de  fide 
certum  exislimo.  Quia  de  fide  est  illas  animas  non 
vidisse  Deum  anle  Christi  morlem...  Deinde  est  de 
fide  certum  Chrislum  per  morlem  aperuisse  homi- 
nibiis  januam  regni...  ideoque  de  fide  etiam  certum 
est  animas  sanctorum  omnium  post  Christi  morlem 
decedentium,  si  ni/iil  purgandum  habeant,  stalim 
videre  Deum.  Ergo  idem  de  prœdictis  animabus. 
lbid.,  sect.  m,  n.  1,  p.  733. 

Saint  Thomas  recourt  toujours  au  très  juste  principe 
de  l'efficacité  de  la  passion  du  Sauveur.  C'est  par  elle, 
en  effet,  qu'a  été  supprimé  cet  empêchement  qui  retient 
les  hommes,  en  punition  du  péché  d'origine,  dans 
l'impossibilité  de  voir  Dieu.  Il  ajoute  cette  explication 
et  cette  comparaison  tout  à  fait  appropriées  :  Sancli 
paires, dam  adhuc  viverent,  liberali  fuerunl  per  fidem 
Christi  ab  omni  peccalo,  tam  originali  quam  actuali, 
et  a  reatu  pœnse  aclualium  peccatorum,  non  tamen  a 
realu  pœnse  originalis  jieccali,  per  quem  excludeban- 
tur  a  gloria,  nondum  solulo  prelio  redemptionis 
humante.  Sicut  etiam  nunc  fidèles  Christi  liberantur 
per  baplismum  a  realu  aclualium  peccatorum  et  a 
realu  originalis,  quantum  ad  exclusionem  a  gloria; 
rémanent  tamen  adhuc  obligati  reatu  originalis  pec- 
cati,  quantum  ad  necessitalem  corporaliter  moriendi. 
Sum.  theol.,  IIIa,  q.  lu,  a.  5,  ad  2"m.  Le  catéchisme  du 
concile  de  Trente  s'est  inspiré  de  cette  doctrine,  part.  1, 
a.  5,  n.  i)  :  Repetere  debemus  pios  homines  non  solum 
qui  post  ailvenlum  Domini  in  lucem  editi  erant,  sed 
qui  ilhim  post  Adam  antecesseranl,  vel  qui  usque  ad 
/inrm  sseculi  fiiinri  sunt,  ejus  passionis  bénéficia 
salutem  consecutos  esse.  Quamobrem  antequam  Me 
morerelur  ac  resurgerel,  cseli  portée  nemini  unquam 
patuerunt.  Celte  délivrance  se  lit,  du  reste,  d'une 
manière  admirable  et  infiniment  glorieuse.  Car  la  seule 
présence    du    Sauveur    répandit    immldiatement,    au 

milieu  des  justes,  une  lumière  resplendissante  ;  el  le  lis 
lii  d'une  joie  et  d'une  allégresse  ineffable,  et   lis 
mit  en  possession  de  celte  béatitude  qu'ils  désiraient 
tant,  et  qui  consiste  dans  la   vue  de  Dieu  :  Doccnilum 
erit propterea  Christum  Dominum  ad  inferos  descen- 
disse ut,  ereptis  dœmonum  spoliis,  sanclos  Mût  patres 
cœterosque  pios  >■  carcere  liberatos  secum  adducerel 
m  cselum    quod  admirabiliter  summaque  cum  gloria 
•'nui  est. Stalim  enim  illius  a*i>erius  clarissimam 
lucem    rupiiris   iillulit,  eorumque   animas    immensa 
i  gaudioqueimplevit  ;  quibus  etiam  optatissimani 
ni i  ne  m .  qum  m  lin  visione  consistit,  impertivit  : 
1/i'n  facto,  ni  '  nmprobatum  est  quod  lalroni  protni- 
serai  illis  verbis  :  Ilodie  mecum  cris  m   paradiso. 

I  u  us dès  I  arrivée  du  Christ  aux  limbes,  ( 

à-dire  aussitôt  après  sa rt,les  Imes  desjustes  furent 

)  de  l'obstacle  qui  les  empêchai!   de   voir  Dieu. 

elles  furent  pénétré*  s  il,   la  lumière  de  gloire  et  m 
en  possession  de   la  vision   intuitive.    Dès  lors,  ell<  a 
commencèrent  à  jouir  du  bonheur  quien  esl  la  coi 
quence,  et   d'une   joie   d'autan)   plus  parfaite  qu'elle 
comblai!  di  s  espérances  plus  longti  mps  différées  ci  des 

plus  ardents.   Les  mystiques   se  complaisent  ■• 
analysi  i  1 1  situation,  s'attardent  :i  mon 

n  viennent,  par  troupes,  s'incliner  devant  leur 

sauveur  pour  lui  rendre  gloire  di   son  in phe  el  lui 

offrir  i'  m  s  adoi  ationa  el  leur  \  oir 

Ludolphe de  Saie,  VilaJt  .  part.  II.  c.  LXVIU, 

.dit    Rigollot,  l'  6  il. 


619 


DESCENTE   DE   JESUS   AUX    ENFERS 


DESESPOIR 


620 


:i.  Que  devinrent  lésâmes  en  cet  étal  bienheureux? 
Sortirent-elles  immédiatement  du  sein  d'Abraham  et 
des  limbes?  Plusieurs  écrivains  ecclésiastiques,  qui 
avaient  proposé  la  théorie  de  l'évangélisation  aux  enfers, 
ont  enseigné  que  les  .nues  délivrées  furent  d'abord 
reçues  au  paradis  terrestre,  fermé  depuis  l'expulsion 
d'Adam;  ils  y  laissaient  1rs  âmes,  soit  jusqu'à  l'ascen- 
sion, soit  jusqu'à  la  résurrection  générale.  Origène, 
saint  Cyrille  de  Jérusalem,  saint  Jean  Cbrysostoine  ont 
écrit  ou  parlé  en  ce  sens,  dans  [es  textes  que  nous 
avons  déjà  indiqués.  Mais  cette  opinion  assez  bizarre 
disparut  avec  la  tbéorie  de  l'évangélisation,  grâce  à 
l'enseignement  de  saint  Grégoire  le  Grand.  Il  exposa, 
en  effet,  que  les  âmes,  pures  de  toute  faute,  sont 
admises  dans  le  ciel  sans  retard. 

Restait  donc  à  se  demander  simplement  si  les  âmes 
des  justes  sortirent  des  limbes  et  entrèrent  au  ciel 
aussitôt  après  la  descente  du  Sauveur,  ou  seulement 
plus  tard.  On  eut  vite  remarqué  qu'il  appartenait  au 
Cbrist  d'entrer  au  ciel  le  premier.  Comme  il  n'y  fit  son 
entrée  qu'à  l'ascension,  les  justes  attendirent  jusqu'à 
ce  jour  pour  y  prendre  aussi  leur  place.  Ils  demeurèrent 
donc  encore  quarante-deux  jours  dans  les  limbes,  en 
jouissance  toutefois  du  bonbeur  de  la  vision  avec  le 
droit  acquis  et  inamissible  à  l'entrée  du  ciel.  Telle  fut 
la  solution  bientôt  universellement  adoptée,  et  toujours 
retenue  depuis.  Saint  Thomas  la  formule  ainsi  :  Chri- 
stus  statim  ad  infernum  desccndens  sanctos  ibi  exi- 
ste nies  liberavit,  non  quidein  statim  educendo  eos  de 
loco  inferni,  sed  in  ipso  inferno  eos  de  luce  glorix 
illuslrando.  Sum.  theol.,  M»,  q.  lu,  a.  4,  ad  lum.  A  la 
question  lvii,  a.  6,  le  saint  docteur  explique  que  ces 
âmes  bienheureuses  entrèrent  au  ciel  avec  Notre- 
Seigneur,  faisant  un  cortège  triomphal  à  leur  sauveur 
et  rédempteur.  Cf.  Bellarrnin,  De  Christo,  1.  IV,  c.  xn; 
Benoit  XIV,  De  festo  ascensionis,  xxxix. 

Nous  ne  donnons  pas  une  bibliographie  détaillée  :  à  propos 
de  chaque  point,  les  références  utiles  ont  été  indiquées.  Rappe- 
lons seulement  :  Pierre  Lombard,  Sent.,  1.  III,  disp.  XXII,  et  les 
sententiaires  sur  ce  passage;  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  III", 
q.  i.n,  et  les  sommistes  sur  ce  passage;  Catechismus  ad  paro- 
chos,  part.  I,  a.  4;  les  théologiens,  au  traité  De  Verbo  incarnato, 
par  exemple:  Bellarrnin,  Disput.  de  controversiis  christianœ 
fldei,  De  Christo,  1.  IV,  Ingolstadt,  1599,  p.  337-401;  Suarez,  De 
mysterio  vitm  Chrisli,  disp.  XLI-XLIII,  Paris,  1866,  t.  xix, 
p.  697-743;  Petau,  Dogmata  theologica,  De  incarnatiene, 
1.  XIII,  c.  xv-xvin,  Venise,  1757,  p.  132-142;  Stentrup,  Soterio- 
logia,  thés,  xlv-liii;  C.  Pesch,  Prxlectiones  dogmaticx.  De 
Verbo  incarnato,  n.  498-506,  Fiibourg-en-Brisgau,  t.  iv, 
p.  242-247;  A.  Paquet,  Disputationes  theologicse.  De  incarna- 
tions Verbi,  disp.  IX,  q.  v,  Québec,  1899,  p.  475-483;  L.  Jans- 
sens,  Summa  theologica,  Tractatus  de  Deo-Homine,  sect.  m, 
m.  iv,  Friliourg-en-Brisgau,  1902,  p.  879-889  ;  G.  Weber,  Doc- 
trina  tutior  de  descensu  Christi  ad  inferos;  Dietelmaier, 
Historia  dogmatis  de  descensu  Christi  ad  inferos,  2e  édit., 
Altorf,  1762;  Kiinig,  Die  Lehre  von  Christi  HOllenfahrt, 
Francfort,  1842;  Giïder,  Die  Lehre  von  der  Erscheinung  Jesu 
Christi  unter  den  Todten,  Berne,  1853;  Koeiber,  Die  ka- 
tholische  Lettre  von  der  HOllenfahrt  Jesu  Christi,  Landshut, 
1860;  Dictionnaire  encyclopédique  de  la  théologie  catho- 
lique, trad.  Goschler,  v°  Descente  du  Christ  aux  enfers, 
Paris,  1809,  t.  VI,  p.  221-237;  Huidekoper,  The  belief  of  the 
first  three  centuries  concerning  Christ' s  mission  to  the  un- 
derworld,  New-York,  1S76;  Bruston,  La  descente  du  Christ  aux 
enfers,  1897;  P.-.).  .lensen,  Laereu  om  lîristi  Nedfarl  til  de 
Dude, Copenhague,  1903;  J.  Tunnel,  La  descente  du  Christ  aux 
enfers,  dans  la  collection  Science  et  religion,  n.  3i2,  Paris, 
1905;  J.  Monnier,  La  descente  aux-  enfers.  Étude  de  pensée 
religieuse,  d'art  et  de  littérature,  Paris,  1905;  Encyclr, 
des  sciences  religieuses  de  Lichtenberger,  v  Descente  du 
Christ  aux  enfers,  Paris,  1878,  t.  m,  p.  074-680. 

H.  Quii.i.iet. 
DESERICIUS  (DESERIZ)  Joseph-Innocent,  reli- 
gieux des  Kcoles  pies,  né  à  Neîtra  en  Hongrie,  en  1702, 
et  mort  dans  le  même  pa\s  à  Watzen  en  ITtiô.  Profes- 
seur de  théologie  au  séminaire  de  Raal,  puis  supérieur 
de  diverses  maisons  de  sa  congrégation  et  enfin  assis- 


tant du  général  â  Rome,  il  fut  nommé-  cardinal  par 
Benoit  XIV  qui  l'envoya  comme  légat  en  Valachie.  De 
retour  en  Hongrie,  il  se  retira  a  Watzen,  où  il  se  con- 
sacra entièrement  a  l'étude  et  où  il  mourut  en  1765. 
On  a  de  lui   :  Tractatus  ad   p  icularum 

flammarum,  1,1738;  Lapisangv 

laris  sive  prœnwlio  physica  l/wmistica,  in-4°,  Tymau, 
17M;  De  initiis  acmajoribus  Ifungarorum  conu 
taria,  3 in-fol..  liude,  1748,  1753,  1758,  suivis  de  2  in-fol., 
l'est,  1700;  Historia  episcopalus,  diœcesis  ac  civilatis 
Vaciencis,  in-fol.,  1703,  ouvrages  érudits,  mais  sans 
beaucoup  de  critique. 

Michaud,  Biographie  universelle,  t.  x,  p.  481;  Hœfer,  .Y'..<- 
velle  biographie  générale,  t.  xni,  col.  705-790;  Feller.  Biogra- 
phie universelle,  Paris,  1848,  t.  ni,  p.  210. 

A.   INOOLD. 

DÉSESPOIR.  —  1.  Péché  de  désespoir.  II.  Tenta- 
tion de  désespoir. 

1.  Péché  de  désespoir.  —  1  Définition  Ihéologique. 
—  C'est  un  acte  de  la  volonté  se  détournant  de  Dieu 
comme  fin  dernière,  parce  que  l'on  juge  l'acquisition 
du  bonheur  éternel  entièrement  impossible  pour  soi- 
même.  —  1.  Se  détourner  de  Dieu  comme  fin  der- 
nière, parce  qu'on  le  hait  positivement,  est  un  péché 
de  haine  de  Dieu,  immédiatement  opposé  à  la  charité, 
péché  le  plus  considérable  de  tous,  puisqu'il  est  le 
plus  radicalement  contraire  à  la  fin  dernière.  Voir 
t.  n,  col.  2261  sq.  S'éloigner  de  Dieu  comme  tin  der- 
nière à  cause  du  découragement  ou  de  l'abattement 
causé  par  une  difficulté  jugée  insurmontable  est  le 
péché  de  désespoir,  que  l'impossibilité  porte  sur  la  fin 
dernière  elle-même  ou  sur  les  moyens  nécessaires 
pour  y  parvenir.  —  2.  Cette  aversion  est  un  acte  positif 
de  la  volonté  écartant  délibérément  toute  espérance. 
Une  vive  impression  de  découragement,  surtout  si  elle 
se  prolonge  et  si  elle  cause  quelque  trouble  dans 
l'exercice  normal  des  facultés,  peut  constituer  un 
danger  d'entraînement  pour  la  volonté.  Elle  ne  peut 
être  une  faute  tant  que  la  volonté  n'a  point  consenti. 
Ce  que  l'on  doit  aussi  appliquer  aux  troubles  plus  pro- 
fonds de  découragement  et  de  désespoir  que  l'âme 
peut  involontairement  éprouver  dans  les  purifications 
passives  précédant  toujours  dans  le  plan  divin  les 
faveurs  extraordinaires  des  états  mystiques.  —  3.  L'aver- 
sion de  la  volonté  suppose  toujours  un  faux  jugement 
de  l'intelligence  considérant  le  bonheur  éternel  comme 
inaccessible  à  l'individu  lui-même.  Par  ce  faux  juge- 
ment l'on  nie  absolument,  au  moins  pour  soi.  la  con- 
cession de  l'indispensable  secours  divin,  ou  l'on  se 
persuade  faussement  que  toute  coopération  personnelle 
est  impossible  ou  trop  difficile  pour  être  essayée  avec 
succès.  Dans  le  premier  cas,  il  y  a  hérésie  formelle,  si 
l'on  adhère  positivement  et  sciemment  à  cette  proposi- 
tion hérétique  qu'il  est  au  moins  un  fidèle  dont  Dieu 
ne  veut  réellement  point  le  salut.  Dans  le  second  cas, 
il  n'y  a  point  hérésie,  mais  seulement  jugement  erroné. 
En  l'une  et  l'autre  circonstance,  l'on  doit  soigneuse- 
ment distinguer  entre  l'adhésion  positive  de  l'intelli- 
gence et  une  simple  suggestion  ou  soupçon  même  per- 
sistant, auquel  on  ne  consent  point  d'une  manière 
gravement  coupable. 

2°  Malice.  —  1.  Malice  spécifique.  —  a)  En  soi,  le 
désespoir  est  un  péché  spécifiquement  opposé  au  pré- 
cepte surnaturel  de  l'espérance  chrétienne,  puisqu'il 
supprime  son  terme  final,  la  récompense  éternelle, 
jugée  inaccessible  faute  de  secours  divin  ou  de  coopé- 
ration personnelle.  —  b)  A  la  violation  spécifique  du 
précepte  de  l'espérance  peuvent  accidentellement  se 
joindre  d'autres  péchés,  notamment  le  péché  de  haine 
ou  d'infidélité,  ou  de  blasphème  et  l'abandon  complet 
de  tous  les  devoirs  religieux  avec  tout  son  cortège  de 
fautes. 

2.  Gravité  objective.  —  Directement  opposé  au  gi 


G21 


DESESPOIR 


DESGABETS 


622 


précepte  de  l'espérance  chrétienne,  le  désespoir  plei- 
nement consenti  par  la  volonté  est  toujours  une  faute 
mortelle,  quel  que  soit  le  jugement,  hérétique  ou  sim- 
plement erroné,  qui  lui  donne  naissance.  Toutefois 
une  imperfection  accidentelle  du  consentement  empê- 
cherait toujours  la  gravité  subjective  dans  une  circon- 
stance donnée.  Salinanticenscs,  Cursus  Iheologiœ  mo- 
ralis,  tr.  XXI,  c.  vi,  n.  51. 

'à.  Gravité  comparée.  —  Le  péché  de  désespoir. 
quand  il  n'est  accompagné  ni  de  haine  ni  d'infidélité, 
est  un  péché  d'une  gravité  moindre  que  celle  de  ces 
deux  péchés  opposés  à  la  foi  ou  à  la  charité,  mais 
même  en  ce  cas  il  surpasse  en  malice  les  péchés 
opposés  aux  autres  vertus  à  cause  de  l'excellence  par- 
ticulière de  la  vertu  d'espérance.  S.  Thomas,  Sum. 
theoh,  II"  II*,  q.  xx,  a.  3;  Suarez,  De  spe,  disp.  II, 
sect.  il  ;  Salmanlicenses,  Cursus  théologiens,  tr.  XVIII, 
disp.  V,  n.  8sq.;  Billuart,  De  spe,  a.  5;  Gotti,  tr.  XI, 
De  spe  theologica,  q.  n,  n.  32,  Theologia  scholaslico- 
dogmatica,  Venise,  1750,  t.  n,  p.  504.  Pratiquement, 
le  désespoir  pleinement  consenti  est  souverainement 
nuisible  et  dangereux,  plus  même  que  l'infidélité  et 
la  haine  de  Dieu,  parce  que,  dans  l'âme  où  il  continue 
à  régner,  il  paralyse  entièrement  tout  effort  dans 
l'ordre  surnaturel  et  pose,  pour  ainsi  dire,  l'arrêt  de  la 
damnation  éternelle,  s.  Thomas,  loc.  cit.,  bien  que  le 
repentir  soit  toujours  possible  avec  le  secours  de  la 
grâce  divine. 

II.  Tkntation  de  désespoir.  —  1°  Xature.  —  Cette 
tentation,  nous  l'avons  déjà  observé,  est  une  suggestion 
de  l'imagination  ou  de  l'intelligence,  accompagnée  le 
plus  souvent  d'un  trouble  sensible  et  constituant  pour 
la  volonté  un  danger  d'entraînement  au  péché  de  déses- 
poir. Comme  toute  autre  tentation,  elle  peut  se  pro- 
duire sans  aucune  faute  de  notre  part  même  in  causa, 
et  elle  n'est  point  en  elle-même  une  faute  tant  que  son 
objet  n'est  point  ratifié  par  la  volonté.  Mais  elle  con- 
stitue pour  la  volonté  un  danger  plus  ou  moins  immé- 
diat et  plus  ou  moins  grave  de  se  laisser  entraîner  au 
consentement. 

2°  Causes  et  remèdes.  —  Dans  chaque  cas  particulier, 
plusieurs  causes  peuvent  contribuer  à  la  naissance  ou 
au  développement  de  la  tentation.  Le  confesseur  ou  le 
directeur  devra  les  anah  soin  pour  déterminer 

les  remèdes  Bpirituels  les  plus  appropriés.  —  1.  Cette 
ti  ntation  peu!  prendre  naissance  dans  la  grandeur  et 
la  fréquence  d  I  l'impossibilité  pré- 

sumée d'en  briser  le  joug,  i  on  devra  opposer  le  motif 
souverainement  efficace  de  l'infinie  miséricorde  de  Dieu 
et  de  la  toute-puissance  de  sa  grâce  toujours  assurée 
aui  âmes  de  lionne  volonté.  —  2.  La  tentation  peut 
encore  provenir  de  l'habitude  de  scrupules  non  com- 
battus el  dominant  entièrement  l'intelligence  el  la  vo- 
lonté'. Le  remède  sera  un  patienl  el  persévérant  traite- 
ment du  scrupule  assuji  ttissanl  la  conscience  par  la  i 
de  l'ol  ■  n     |i"int  tenir  compte  des  doutes  non 

f.. mies  qui  la  torturent  sans  relâche.  —  3.  La  < 
déterminante  des  tentations  p  ut  i  tre  parfois  la  lecture 
d'auteurs  moralistes  ou  ascétiques  r  i-. . | >  rigides  décri- 
vant h--  préceptes  chrétiens  ou  les  conseils  de  perfec- 
tion comme  inaccessibles  à  l'humaine  fragilité.  Le  même 
effet  peut  résulter  d  une  direction  spirituel!  dont  les 
trop  .  butent  et  découragent.  Dans 

I  un  1 1  I  antre  ii-.  i  .,ii  de'  ra  i  loigner  ces  funestes  In- 
tlueu  ibstituer  une  direction  sage  el  prudente. 

orales  du  pénitent. 

•    i  nvenl  être  puissammi  ut 

i  une  disposition  habituelle  di 

■  ni  du  tempérament  on  de  la 
maladie  SI  I  on  veut,  en  i  ..  rcer  une  influi  m  ■ 

salutaire,  Ion  >i  thérapeuti 

ou  préventifs  <<  utiles        ."•   i  s    cas  pins 

ptionm  1-  ■!■  i  particulier*  ment  i  • 


Dieu  pour  purifier  l'âme  et  la  disposer  aux  plus  hautes 
faveurs  surnaturelles  méritent  une  attention  spéciale. 

—  a)  L'occasion  principale  de  ce  profond  sentiment  de 
désespoir  est  la  conscience  intime  que  l'on  éprouve  de 
la  grandeur  de  ses  fautes  et  de  l'étendue  de  ses  misères 
et  défaillances.  Plus  l'âme  est  favorisée  de  lumières 
extraordinaires  lui  manifestant  l'infinie  sainteté  de  Dieu, 
plus  elle  tend  à  s'abaisser  dans  la  conscience  de  sa 
propre  indignité;  et  si  elle  n'a  soin  de  s'appuyer  forte- 
ment sur  la  confiance  en  Dieu,  elle  peut  facilement  être 
entraînée  vers  le  découragement  et  le  désespoir.  Phi- 
lippe de  la  Sainte-Trinité,  Summa  theologia'  mystiese, 
Paris,  1874,  t.  r,  p.  iôô  sq.  —  b)  Pour  une  âme  qui  aime 
Dieu  sincèrement,  la  souffrance  que  cause  ce  violent 
état  d'abattement  est  la  plus  douloureuse  et  la  plus  in- 
tense qui  puisse  être  ressentie,  surtout  parce  qui1  le 
mal  que  l'on  redoute  est  éternellement  irrémédiable. 

—  c)  Dans  cette  redoutable  épreuve,  il  est  souvent  dif- 
ficile de  juger  dans  quelle  mesure  l'on  a  pu  consentir 
imparfaitement.  Mais  puisqu'il  s'agit  d'âmes  très  dési- 
reuses de  s'unir  à  Dieu  et  très  soucieuses  d'éviter  les 
moindres  fautes,  on  peut  facilement  présumer  qu'elles 
n'ont  aucunement  offensé  Dieu,  surtout  en  des  circon- 
stances où  le  jeu  normal  des  facultés  est  si  bouleversé. 
D'ailleurs  des  grâces  spéciales  soutiennent  ces  âmes  en 
vue  des  hautes  faveurs  auxquelles  Dieu  les  destine. 
Schram,  Theologia  mystica,  2eédit.,  Paris,  1848,  t.  i, 
p.  IÎ5  sq.  —  (/)  Le  principal  effort  du  directeur  spiri- 
tuel doit  être  de  soutenir  la  confiance  et  la  générosité 
de  ces  âmes  troublées,  en  leur  montrant  dans  ces 
grandes  épreuves  une  marque  de  l'amour  tout  spécial 
de  Dieu  qui  veut  les  combler  ensuite  d'ineffables  fa- 
veurs et  qui  saura  les  soutenir  par  sa  grâce  toute-puis- 
sante. Qu'on  s'efforce  surtout  de  les  maintenir  dans  une 
généreuse  et  constante  conformité  à  la  volonté  de  Dieu, 
dictée  par  son  amour  et  soutenue  par  les  héroïques 
exemples  d'âmes  semblablement éprouvées,  puis  libéra- 
lement récompensées  par  Dieu.  Philippe  de  la  Sainte- 
Trinité,  op.  cit.,  p.  158  sq.;  Meynard,  Traité  de  la  vie 
intérieure,  '■<■  édit.,  Paris,  1899,  t.  n,  p.  266  sq. 

Parmi  les  théologiens  moralistes  et  mystiques  on  peut  parti- 
culièrement consulter  :  S.  Thomas.  Sum.  theol.,  Il'  II',  q.  xx, 
a.  ;!;  Suarez,  De  spe  theologica,  disp.  II,  sect.  n    Philippe  de  la 

imjsticœ,   Paris,   1K74,    t.   i, 

Bq.;  Salmanttcenses,  Cursus  théologiens,  tr.  xyiii. 
disp.  \  Jnt-Espril  c\-  1677),  DirectoHum  mystir 

cura,  tr.  II.  disp.  VIII,  sect.  i.  n.  813  sq.,  Paris,  1904,  p.  167  Bq., 
ni  si|.  :  Salmanticences,  Cursus  theolog  lis,  tr.  XXI, 

c.  vi  :  Thomas  de  Vallgornera,  Mi/stica  theologia  divi  Thomse, 
q.  n,  disp.  vu.  a,  9,  Turin,  1890,  t.  i,  p.  293  Bq.  :  Billuart,   I 
lutins  de  spe,  a.  5 ;  Schram,  Theologia  mystica, 2  édit.,  Paris, 

i.  p  125  Bq  :  Meynard,  l'raitc  de  la  vie  intérieure, 
3- édit.,  Paris,  1899,  i.  n,  p.  259  sq.,266  sq.;  Lehmkuhi,  Theo- 
logia moralis,  t.  r,  n.  810 

E.    Dl  BLANCHY. 

DESGABETS  Robert,  bénédictin,  né  è  Aneemont 
dans  le  diocèse  de  Verdun,  morl  .i  Breuil  pris  de  > 

■< pj  le  19  mars    1678.  Il   lit  profession  sous  la  t 

ni  Benoit  dans  la  congrégation  de  Saint-Vanne  le 
■2  juin  1636  à  l'abbaye  d'Hautvillers  près  de  Reims. 
Chargé  d'enseigner  la  théologie  à  Saint-1  i  de  roui  et 
dans  quelques  autri  -  monastères,  il  s'attacha  à  l'étude 
■  i  -  Pèrei  et  de  sain!  Augustin  en  particulier.  Il  fut 
prieur  de  Saint- Léopold  de  Nancy,  en  1654.  Ayanl 
ris  comme  procureur  d< 
■  ■n.  il  se  lis  avec  les  plus  célèbres  théologiens 
et  philosophes  de  son  époque.  Comme  il  était  i  m- 
dément  désireux  de  nouveautés,  i  >l  prit  une  part 
active  aui  réuni  ivanta  de  cette  ville,  el  ce  fut 

,i  la  -uite  d'une  de  •  qu'il  composa  an 

petit   Traité  <'•  'ue,  qal   se  trouve  i 

œuvres  philosophiques,  kucun  genre  d'études  d'ail! 
ne  lin  était  i  avait  découvei  i  i  > 

;  usion    >i  ii    eut    ■>  gouvei  ner   comme 


G23 


DESGABETS   —    DESIR 


624 


prieur  Saint-Arnotil  de  Metz  et  plusieurs  autres 
abbayes,  fui  visiteur  de  sa  congrégation  et  enfin  sous- 
prieur  de  Breuil.  Comme  plusieurs  de  ses  confrères, 
dom  Desgabets  avait  été  attiré  par  la  philosophie  de 
Descartes  dont  il  aurait  voulu  faire  comme  le  portique 
de  la  théologie  catholique.  Tout  en  admirant  le  génie 
de  ce  philosophe,  il  voulut  rectifier  ou  compléter  ce 
qui  lui  semblait  défectueux  ou  incomplet  dans  ses  doc- 
trines. Il  s'efforça  d'en  tirer  toutes  les  conséquences, 
mais  celles-là  seulement  qui  y  sont  renfermées  légi- 
timement. Il  composa  donc  un  Supplément  à  la  philo- 
sophie île  Descartes.  Mais  s'il  corrige  quelquefois  celui- 
ci,  lui-même  se  laisse  entraîner  dans  d'autres  erreurs  et 
on  lui  a  reproché  avec  raison  d'incliner  au  sensualisme 
et  au  panthéisme.  Ce  fut  surtout  dans  les  questions  de 
physique  et  de  mécanique  qu'il  se  montra  ardent  parti- 
san de  Descartes.  Les  principes  énoncés  par  ce  philo- 
sophe suffisaient, aflirmait-il.pourexpliquer  les  miracles 
et  le  mystère  de  l'eucharistie.  Dans  les  discussions  à 
ce  sujet,  dom  Desgahets  intervint  avec  une  fougue 
allant  jusqu'au  fanatisme  et  avec  un  mépris  constant 
de  la  scolastique.  Pour  défendre  Descartes,  pour  se 
justifier,  il  composa  plusieurs  traités.  Il  soumit  ses 
travaux  à  Bossuet  qui  les  comhattit  dans  un  opuscule 
qui  était  demeuré  inédit  jusqu'à  nos  jours  :  Examen 
d'une  nouvelle  explication  du  mystère  de  l'eucharis- 
tie, et  que  M.  Levesque  a  publié  dans  la  Revue  Bossuet, 
juillet  1900,  p.  129.  Pascal  se  déclara  également  contre 
la  théologie  eucharistique  de  dom  Desgabets.  L.  Couture, 
Commentaire  d'un  fragment  de  Pascal  sur  l'eucha- 
ristie, in-8°,  Paris,  1899.  Elle  ne  reçut  pas  un  meilleur 
accueil  de  Nicole  et  des  autres  théologiens  jansénistes. 
Quelques-uns  de  ses  confrères  l'avertissaient  des  erreurs 
où  il  se  laissait  entraîner,  et  l'un  d'eux,  Thomas  le 
Géant,  le  dénonçait  aux  supérieurs  de  la  congrégation 
de  Saint-Vanne.  L'archevêque  de  Paris,  François  de 
Harlay,  intervint  à  son  tour  et  des  explications  lurent 
demandées  à  dom  Desgabets.  Pour  se  justifier  il  écrivit 
divers  mémoires.  Voir  col.  557-558. 

Après  les  avoir  examinés,  ses  supérieurs  lui  ordon- 
nèrent, le  15  décembre  1672,  de  renoncer  à  ses  senti- 
ments, et  lui  défendirent  d'en  écrire  à  l'avenir  et  de 
communiquer  ses  nouvelles  opinions  sur  l'eucharistie. 
Dom  Desgabets  se  soumit  aussitôt  et  demanda  la  per- 
mission de  se  retirer  à  la  Trappe.  On  le  lui  accorda; 
mais  après  réflexion  il  préféra  aller  en  qualité  de  sous- 
prieur  au  petit  monastère  de  Breuil.  Là,  il  devait  ren- 
contrer le  cardinal  de  Betz,  qui,  en  donnant  sa  démission 
d'archevêque  de  Paris,  avait  obtenu  de  pouvoir  se  reti- 
rer dans  ses  terres  de  Commercy.  Entre  eux  il  y  eut 
de  longues  conférences  philosophiques.  Dom  Desgabets 
«  distillait  Descartes  à  l'alambic  »  et  le  cardinal  réfutait 
les  théories  du  sous-prieur  de  Breuil.  Ces  discussions 
ont  été  l'origine  de  quelques-uns  des  plus  curieux 
ouvrages  de  dom  Desgahets.  Celui-ci  d'ailleurs  ne 
savait  demeurer  oisif;  il  écrivit  sur  une  foule  de 
sujets;  il  composa  même  contre  le  chanoine  Simon 
Foucher  une  défense  de  Malebranche  dont  celui-ci 
parut  peu  satisfait.  Soumis  aux  ordres  de  ses  supérieurs 
lui  défendant  d'exposer  ses  sentiments  sur  le  mystère 
de  l'eucharistie,  dom  Desgabets  ne  montra  pas  la  même 
docilité  en  se  refusant  toujours  à  signer  le  formulaire. 
Dans  les  jansénistes  il  voyait  surtout  les  adversaires 
des  ennemis  de  la  philosophie  cartésienne.  Il  tradui- 
sit en  français  un  abrégé  de  l'extrait  de  YAugustinus, 
fait  par  un  chanoine  régulier  de  la  congrégation  du 
Saint-Sauveur  en  Lorraine.  Les  nombreux  ouvrages  de 
dom  Desgabets  sont  presque  tous  demeurés  manuscrits. 
Les  Mémoires  de  Trévoux  en  septembre  1707  en  ont 
donné  le  catalogue.  Ils  avaient  été  recueillis  par  dom 
Catelinot  et  élaient  conservés  à  l'abbaye  de  Senones,  d'où 
à  la  Bévolution  ils  passèrent  à  la  bibliothèque  d'Épi- 
nal.  On  en  trouve  également  à  la  Bibliothèque  nationale, 


à  celle  de  l'Arsenal  à   Paris  et  à  la  bibliothèque   de  la 
ville  de  Chartres.  Dom  Desgabets  publia  lui-mi 
Critique  de  la  critique  de  la  recherche  de  la  vérité, 

où  l'on  découvre  le  chemin  qui  conduit  aux  connais- 
sances solides  pour  servir  de  réponse  à  la  lettre  d'un 
académicien,  in-12,  Paris,  1675;  Considérations  sur 
l'état  présent  de  la  controverse  louchant  le  très  saint- 
sacrement  de  l'autel  oii  il  est  traité  en  peu  de  I 
de  l'opinion  qui  enseigne  que  la  matière  du  pain  est 
changée  en  celle  du  corps  de  Jésus-Christ  par  son  u  ■ 
substantielle  à  son  âme  et  à  sa  personne  divine,  in-12, 
en  Hollande,  s.  d.  Après  la  mort  de  l'auteur  fut  pu- 
bliée :  Lettre  à  dom  Jean  Mabillon  sur  la  question 
des  azymes,  dans  le  t.  i  des  'Œuvres  posthumes  de 
dom  Mabillon  et  de  dom  Ruinart,  in-4»,  Paris,  1724 
Dans  ses  Fragments  de  philosophie  carti'sienne,Var\s, 
1852,  Victor  Cousin  donna  quelques  extraits  des  œuvres 
de  dom  Desgabets.  Dans  son  ouvrage  :  Dom  Robert 
Desgabets,  M.  Paul  Lemaire  a  publié  :  Descartes  <<  la 
lambic(sic)  distillé  par  dom  Robert,  p. 302-325;  ce  titre 
appartient  au  cardinal  de  Betz;  De  l'union  de  l'âme  et 
du  corps,  p.  326-347;  Réponse  d'un  cartésien  n  la  l 
d'un  philosophe  de  ses  amis,  p.  347-378;  Lettre  de 
Desgabets  à  M.  l'évëque  de  Condom,  5  septembre  1671, 
p.  378-387. 

Dom  Calmet,  Bibliotliéque  lorraine,  Nancy,  1751,  col.  396- 
403;  [dora  François,]  Bibliotliéque  générale  des  écrivains  île 
l'ordre    de   Saint-Benoit,    in-4",   Bouillon,    1777,  t.  I,  p.   ! 
A.  Hennequin,  Les  œuvres  philosophiques  du   cardinal  de 
Retz,  Paris,  1842;  F.  Bouillier,  Histoire  de  la  philosophie  car- 
tésienne, Paris,  1854,  t.  i,  p.  521-530;  P.-  Lemaire,  Dom  Robert 
Desgabets,   son   système,  son    influence  et  son  école,   in-8*, 
Paris,  1902;  C.   de  Kirwan,  Le  cartésianisme  chez   les 
dictins,  dans   la  Revue   thomiste,   1903,    t.  xi,   p.   379: 
J.-B.  Delpouve,  Dom.  Robert  Desgabets,    dans  la  Revue  des 
sciences  ecclésiastiques,  novembre  1902;  Revue  bénédictine , 
1900,  p.  314,  422;  1903,  p.  267. 

B.  Heirtebize. 

DESGRANGES  Michel.  Voir  Archange  de  L\on 
(le  P.),  t.  i,  col.  1758-1759. 

DÉSIR.  —  I.  Nature.  IL  Moralité. 

I.  Nature.  —  Nous  n'avons  à  considérer  ici  le  désir 
qu'au  point  de  vue  de  la  morale,  et  spécialement  en 
tant  qu'il  est  un  péché.  Or,  par  péché  de  désir,  ou 
entend  la  volonté  délibérée  de  commettre,  autant  qu'il 
dépend  d'elle,  le  mal  dont  la  pensée  s'est  présentée  à 
l'esprit. 

1°  Il  ressort  de  cette  définition  que  le  péché  de  désir 
ne  se  confond  pas  avec  celui  de  mauvaise  pen- 
autrement  dit,  de  délectation  morose,  comme  il  a  été 
expliqué  déjà.  Voir  Délectation  morose.  Il  y  a  néan- 
moins plus  d'un  rapprochement  à  faire  entre  ces  deux. 
péchés,  car  ils  ont  un  élément  commun,  la  complaisan- 
ce de  la  volonté  pour  un  objet  mauvais;  aussi,  de  la 
mauvaise  pensée  passe-t-on  facilement  au  mauvais 
désir  et  à  l'acte  extérieur,  afin  de  trouver  dans  la 
possession  de  l'objet  une  délectation  plus  parfaite. 
S.  Thomas,  De  veritate,  q.  xv,  a.  8.  C'est  pourquoi 
Suarez,  In  /""  II*,  tr.  V.  De  passionibus,  disp.  V, 
sect.  vu,  n.  I,  regarde  la  délectation  comme  un  genre 
dont  les  deux  espèces,  la  délectation  morose  et  le  désir^ 
se  distinguent  en  ce  que  la  délectation  morose  exclut, 
tandis  que  le  désir  inclut  la  volonté  de  commettre  l'acte 
extérieur.1 

2°  Le  désir  est  absolu  ou  conditionnel  :  absolu,  quand 
il  est  émis  sans  condition,  exemple  :  je  veux  piller  l'é- 
glise; conditionnel,  lorsqu'il  est  subordonné  à  une  con- 
dition :  si  je  le  pouvais,  je  pillerais  l'église.  Plus  com- 
munément, les  théologiens  appellent  désir  efficace  le 
désir  absolu  e!  désir  inefficace  celui  dont  la  réalisation 
est  suspendue  par  une  condition  quelconque.  S.  Alphon- 
se, Theol.  moralis,  1.  I,  n.  15. 

II.  Moralité.  —  1»  Le  désir  absolu  de  faire  ce  qu'on 


62Û 


DESIR 


626 


sait  être  mal  est,  de  l'avis  de  tous  les  moralistes,  un 
poché  du  même  genre  (mortel  ou  véniel)  et  de  même 
espèce  que  l'acle  extérieur  que  l'on  veut  commettre. 
Celte  doctrine  est  celle  même  de  Jésus-Christ,  Matth., 
V,  28,  et  un  corollaire  du  principe  général  en  vertu  du- 
quel la  moralité  des  actes  intérieurs  se  tire  de  l'acte 
extérieur  auquel  ils  se  rapportent.  La  seule  différence 
est  que  le  péché  de  désir  (et  ceci  est  vrai  également  de 
la  délectation  morose)  n'entraine  pas  les  conséquences 
qui  sont  inhérentes  au  seul  péché  extérieur,  telles  que 
la  réserve,  l'obligation  de  restituer,  etc.,  mais  cela  n'em- 
pêche pas  que,  par  exemple,  le  désir  de  voler  ne  soit 
un  péché  contre  la  vertu  de  justice.  Gn  doit  donc,  en 
accusant  en  confession  un  péché  de  désir,  indiquer  les 
circonstances  numériques  et  spécifiques  comme  si  le 
péché  avait  été  extérieurement  commis.  Mais,  en  pra- 
tique, cette  obligation  est  ignorée  de  beaucoup  de  péni- 
tents et  il  est  souvent  difficile,  inutile  ou  même  dange- 
reux de  les  interroger  sur  les  circonstances  spécifiques 
des  désirs  auxquelles  ils  ont  consenti.  C'est  pourquoi 
d'ordinaire,  on  est  obligé  de  se  contenter  de  demander 
au  pénitent  s'il  y  a  eu  consentement  et  combien  de  fois. 
Voir  Délectation  morose,  col.  219. 

2°  Le  désir  conditionnel  de  faire  un  acte  mauvais  cesse 
d'être  un  péché  ou  du  moins  un  péché  grave,  quand  la 
condition  à  laquelle  il  est  subordonné  rend  l'acte  licite. 
—  1.  Si  l'acte  dont  il  s'agit  n'est  pas  opposé  à  la  loi 
naturelle,  mais  prohibé  uniquement  par  une  loi  posi- 
tive, il  est  permis  de  désirer  faire  cet  acte  sous  la  con- 
dition qu'il  ne  lut  pas  défendu.  Il  n'y  a  donc  aucun 
péché  dans  ce  désir  :  je  ferais  gras  vendredi,  si  l'Église 
ne  le  défendait  pas.  En  effet,  l'apposition  de  cette  con- 
dition montre  que  la  volonté  n'est  nullement  attachée  au 
mal.  puisque  tout  ce  qu'il  y  a  de  mal  dans  l'acte  dési- 
ré tient  à  ce  que  cet  acte,  permis  en  soi,  est  interdit 
par  la  loi  de  l'Église.  Suarez,  De  legibits,  1.  III,  c.  xn. 
n.  10.  —  2.  Parmi  les  actes  opposés  à  la  loi  naturelle 
il  en  est  qui  sont  néanmoins  permis  dans  certains  cas, 
notamment  dans  certains  états  de  vie,  et  non  point 
ailleurs;  dès  lors,  d'après  ri'  qui  précède,  il  est  permis 
de  désirer  faire  un  acte  de  cette  nature  sous  la  condi- 
tion qui  autorise  cet  acte.  Ainsi  un  religieux  peut  licite- 
ment exprimer  ce  désir  :  si  je  n'étais  pas  religieux,  je 
ferais  de  grandes  aumônes,  je  me  marierais,  etc.  Hais 
les  moralistes  font  observer  que  ces  désirs  sont  ordi- 
nairement des  péchés  véniels,  puce  que.  le  plus  sou- 

ils  sont  oiseux  o me  dangereux,  s.  Alphonse, 

Theol  ,i.  V,  n.  13,  sol.  2«. 

'.',    Le  désir   conditionnel  de    faire   un   acte   mauvais 
coupable,  quand    la    condition    dont  il   esl   affecté 
ipprime  pas   la    malice  de  l'acte.    Effectivement, 
dans  ce  cas,  i.,  volond  se  montre  attachée  au  mal  tout 
comme  m  le  désir  était  absolu.    —  I.   Toutefois  les  for- 
mules qui  expriment  ci  Ite    sorte  de   désirs  n'oni 

neiit  le  sens  coupable  qui  vient  d'être  dit; 

car  elles  peuvent  également  bien  indiquer  un  étal  de 

volonté    tout    a    fait    irrépréhensible    ou    même    1res 

Innalile,  Par  exemple,  «elle  formule  :   Si  je  n'avais  pas 

fait   vœu  de  chasteté,  je   commettrais    la  fornication. 

atendue  di   deus  fa<  ons  diffi  rentes.  D'abord, 

que  le  sujet  est  disposé  I   commettre  l'acte 

mauvais  dans  le  cas  où  il  -•  rail  lil  re  de  tout  vœu,  dis 

nent  coupable,  puisqu'elle  implique   la 

volonté  il-  e ne  lin   uni   I  tul  d      ondi- 

iinn  qui  n  empêche   point   qui  mu  péché 

i.   in  deuxii  me  sens 
qui   b-  -n'  ianl   pour  le  péché  dont 

i!    p  n  I. 

condamn 
plutôt  il  être  loué        ■_'.  On  expliqu 

nient    le    ,'.  p  , 

inclut  «m  exclut  la  ■  olonté  de  péi  1er  selon 

que    II 


n'existât  pas,  pour  pécher  à  mon  aise,  ou  :  quoique 
porté  au  mal,  je  ne  veux  pas  pécher,  parce  que  l'enfer 
existe.  —  3.  Les  expressions  conditionnelles  :  Si  ce 
n'était  pas  un  péché,  je  ferais  tel  ou  tel  acte  défendu, 
ont  ceci  de  particulier  qu'elles  paraissent  innocenter  le 
désir  qu'elles  accompagnent.  Il  en  est  évidemment 
ainsi,  lorsque  l'acte  en  question  peut  devenir  licite 
moyennant  l'apposition  d'une  condition  appropriée 
comme  il  a  été  dit  ci-dessus,  mais  il  est  des  actes  dont 
aucune  condition  ne  peut  supprimer  la  malice  comme 
le  montre  cet  exemple  :  si  cela  était  permis,  je  me  par- 
jurerais; quelle  est  alors  la  valeur  de  la  condition  ap- 
posée? Ici  encore,  il  faut  se  référer  à  l'intention  du 
sujet,  au  sens  que  la  condition  a  dans  l'esprit  du  sujet. 
Si,  vraiment,  elle  signifie  :  Je  voudrais  que  tel  acte 
(intrinsèquement  mauvais)  fût  permis,  elle  manifeste 
l'attachement  du  sujet  à  la  malice  de  l'acte,  il  y  a  péché 
tout  comme  si  le  désir  était  absolu.  Mais  il  arrive  sou- 
vent que  la  condition  :  si  cela  était  permis,  apposée  par 
le  sujet  à  un  acte  qu'il  sait  n'être  pas  et  ne  pouvoir 
être  licite,  n'exprime  rien  de  répréhensible,  vu  qu'elle 
indique  simplement  le  penchant  indélibéré  qui  porte 
le  sujet  à  cet  acte  et  sa  volonté  de  ne  pas  le  commettre 
parce  que  cela  n'est  pas  permis.  Sanchez.,  In  decal., 
I.  I,  c.  n,  n.  22  sq.;  Laymann,  Theol.  moralis,  tr.  II, 
c.  v,  n.  Il;  S.  Alphonse,  Theol.  moralis,  1.  V,  n.  13. 
6°  Comme  complément  à  la  théorie  des  désirs  condi- 
tionnels, les  théologiens  se  sont  demandé  s'il  est  per- 
mis de  se  délecter  intérieurement  d'un  acte  mauvais, 
('■tant  donné  que  l'on  envisage  cet  acte  sous  les  condi- 
tions qui  permettent  de  le  désirer  licitement?  Pour 
répondre  à  cette  question,  plusieurs  auteurs,  entre 
autres  Sanchez,  In  decalogum,  1.  I,  c.  il,  n.  lii.  s,. 
basent  sur  la  distinction  de  deux  espèces  de  délectation  : 
l'une,  dite  rationnelle,  existe,  lorsque  la  volonté  se 
complaît  dans  la  pensée  que  la  raison  lui  présente; 
l'autre  est  appelée  délectation  sensible,  parce  qu'elle  a 
pour  siège  l'appétit  sensilif  et  parce  qu'elle  détermine 
dans  l'organisme  des  mouvements  passionnels.  A  la 
vérité,  la  seule  pensée  d'un  acte  ou  d'un  objet  agréable 
à  l'appétit  sensitif  suffit  ordinairement  à  provoquer  la 
lation  sensible,  surtout  lorsque  la  pensée  touche  à 
des  choses  qui  sont  capables  d'exciter  la  concupiscence 
eba ruelle,  voir  In  i  ei  rATiON  MOROSE;  néanmoins,  malgré 
cette  affinité  physique,  les  deux  délectations  diffèrent 
iielleni.nl  au  point  de  vue  moral.  En  effet,  si  l'on 
suppose  un  acte  mauvais  en  général,  mais  qui  devient 
licite  dans  certaines  conditions  déterminées,  la  raison 
peut  ne  proposer  à  la  volonté  cet  acte  que  revêtu  des 
conditions  qui  le  rendent  licite,  et  des  lors  le  consen- 
tement de  la  volonté,  autrement  dit,  la  délectation  ra- 
tionnelle est  également  licite.  H  n'en  est  pas  de  même 
de  la  délectation  sensible  que  provoque  l'image  de  l'acte 
mauvais,  car  L'imagination,  qui  est  une  faculté  irration- 
nelle, ne  peut  pas  mettre  des  conditions  a  l'acte  dont 
elle  présente  l'image  à  l'appétit  sensible;  d'où  il  suit 
que  la  délectation  de  cet  appétit  a  pour  objet  l'acte  maii- 
i.i  i  s.  tel  quel,  -ans  aucune  modification  conditionnelle,  et 

que,    de-    lorS,    SI     elle    est     volontaire,     elle     est     illicite. 

C'est   pourquoi,  à    la  question  ci-dessus,   les  auteurs 

répondent  que  la  délectation  volontaire  portant 

sur  un  acte  mauvais  mais  envi  conditions 

qui    le    rendent    licite    sérail     en    soi    licite.     Mais    celle 

opinion  n'a  guère  qu'un  intérêl  théorique,  car.  en  fait. 
la  délectation  même   rationnelle  cesse  d'être  pern 
quand  il  y  a  dan  hain  que  le  sujet  consenti 

délectation  sensible;  or  c'esl  <•<•  qui  a  heu  le  plus 

vent.   Voir  In  m  i  uii"\  HOROSI  . 

■ 

1  \\  I . 

I 
Opuê  theol   m,,v«lr,  tr.   IV,  | 

i  iv,,   it  n.  Mot  m  vi  , 


(327 


DÉSIRANT 


028 


DÉSIRANT  Bernard,  théologien  el  polémiste  belge, 
de  l'ordre  des  ermites  de  Saint-Augustin,  naquit  à 
Bruges  le  21  mai  1050,  d'une  famille  honorable, 
médiocrement  favorisée  des  biens  de  la  fortune.  Entré 
très  jeune  encore  chez  les  augustins  de  sa  ville  natale, 
il  se  distingua  très  vite  par  sa  grande  pénétration 
d'esprit  el  son  ardeur  à  défendre  ses  convictions.  Après 
ses  études,  on  le  chargea  d'abord  du  cours  de  rhéto- 
rique au  collège  de  Bruges  en  1079.  puis  quelques 
années  plus  tard,  de  celui  de  philosophie  au  couvent 
de  Bruxelles.  Mais  bientôt,  il  se  donna  tout  entier  à  la 
théologie  et  spécialement  aux  questions  de  controverse. 
Ces  dernières  offraient  alors  un  vaste  champ  à  son 
activité  naturellement  impétueuse  :  l'université  de 
Louvain,  où  il  prit  le  grade  de  docteur  en  1685, 
était  divisée  en  deux  camps  :  celui  des  rigoristes  à 
tendances  jansénistes,  représenté  par  Van  Espen  et 
Huyghens,  et  celui  des  modérés,  groupés  autour  de 
Steyaert  et  Dubois.  Le  P.  Désirant,  dans  une  thèse 
retentissante,  se  déclara  pour  ces  derniers  contre  les 
jansénistes,  le  11  mai  1683.  Dès  cette  époque,  il  occupa 
la  chaire  de  théologie  à  l'intérieur  de  son  couvent. 
En  1689,  la  chaire  d'histoire  du  collège  universi- 
taire de  Busleyden  lui  fut  confiée  malgré  plusieurs 
oppositions  de  la  part  du  conseil  des  Régents,  après 
dispense  accordée  par  le  pape  Innocent  XII  et  grâce  à 
l'appui  du  roi  Charles  II  qui  avait  déjà  nommé  le 
nouveau  titulaire  historiographe  royal  en  1688.  En 
même  temps,  il  occupa  dans  son  ordre  plusieurs  postes 
de  confiance  ;  il  fut  définiteur  provincial  en  1689,  sous- 
prieur  de  Louvain  en  1691,  président  du  chapitre  le 
28  avril  1697,  visiteur  des  couvents  en  1700,  et  de  nou- 
veau définiteur  en  1703. 

Mais,  au  sein  de  l'université,  les  controverses  étaient 
devenues  plus  aiguës,  et  le  P.  Désirant  fut  choisi  en 
1692,  par  l'archevêque  de  Malines,  pour  transmettre  à 
Rome  les  plaintes  suscitées  en  Belgique  par  l'enseigne- 
ment des  docteurs  rigoristes.  Il  avait  extrait  des  ouvrages 
de  ses  adversaires  les  plus  inarquants,  65  propositions 
qu'il  voulait  faire  condamner.  Les  docteurs  dénoncés 
se  firent  représenter  devant  les  congrégations  romaines 
par  le  docteur  Hennebet,  et  la  condamnation  ne  fut  pas 
portée.  Le  22  avril  1697,  dans  une  réunion  tenue  à 
Bruxelles,  de  vifs  mécontentements  éclatèrent  de  nou- 
veau; on  voulait,  pour  remédier  au  mal,  désorganiser 
l'université  elle-même.  A  cette  occasion,  le  P.  Désirant 
publia,  mais  sans  grand  succès,  l'opuscule  :  Accusalio 
el  querela  populi  Bclgici,  dédié  au  général  de  son  ordre. 
A  la  suite  de  troubles  politiques  et  à  cause  de  son 
ardeur  contre  le  rigorisme,  il  fut  relégué  par  Louis  XIV, 
pendant  cinq  mois,  dans  la  ville  de  Saint-Trond. 
Rétabli  dans  ses  fonctions,  il  reprit  ses  études  et  ses 
controverses.  Quatre  ans  plus  tard,  survint  l'affaire 
connue  sous  le  nom  de  «  fourberie  de  Louvain  ».  De 
notoriété  publique,  les  rigoristes  désiraient  voir  la 
Belgique  transformée  en  République  ou  Provinces- 
Unies.  On  prétend  que  le  P.  Désirant  se  chargea  de 
faire  la  preuve  d'une  réelle  conjuration,  en  produisant 
au  jour  de  nombreuses  pièces  accusatrices.  Les  inculpés 
soutinrent  énergiquement  que  tout  le  dossier  ne  conte- 
nait que  des  pièces  fabriquées  par  l'accusateur  pour  le 
besoin  de  la  cause.  Voir  le  recueil  publié  à  l'occasion 
du  procès:  Conclu  sio  /inalis  proconsultissimo  Domino 
Joanne  Baptista  Van  Cutscm  J.  U.  L.  universitatis 
Lovaniensis  promotore  seu  fisco  generali,  nomine 
officii  adore,  contra  Pat  rem  Désirant  réuni  inquisi- 
tion, personaliter  citatum,  et  signé  par  II.  Malcorps. 
Après  un  procès  de  15  mois,  le  P.  Désirant  fut  condamné 
le  18  mai  1708,  destitué  de  sa  charge  et  banni  des 
Pays-Bas.  Toutefois,  la  sentence  ne  porte  que  cette 
accusation  :  Tanquam  suspectus  qui  concurrent  ad 
fabricandum  prsescriptas  Htteras,  formulariael  réso- 
lu tiones.  Après    avoir  passé   quelque  temps   à  Aix-la- 


Chapelle,  le  P.  Désirant  fut  appelé  à  Home  par  Clé- 
ment Kl,  qui  lui  confia  la  chaire  d'Ecriture  sainte  an 
collège  de  la  Sapience;  le  registre  du  général  des  augus- 
tins, Thomas  Cervioni,  ajoute  qu'il  fut  nommé  préfet 
des  études  au  collège  de  la  Propagande,  et  qualificateur 
du  Saint-Office.  De  son  côté,  l'empereur  Joseph  I"  lui 
envoya  le  15  septembre  1710  un  diplôme  des  plus 
Matteurs  danslequel  il  le  déclarait  theologum  caesareum. 
Enfin,  le  principal  accusateur  du  P.  Désirant.  Pierre 
Nicolas  Tourteau,  sur  le  point  de  mourir,  fit  réd 
par  son  confesseur,  assisté  de  deux  témoins,  un  acte  de 
rétractation,  dans  lequel  il  déclarait  calomnieuses  ses 
anciennes  imputations  contre  ce  religieux  et  il  deman- 
dait humblement  pardon  de  ses  torts.  Voir  Pétri 
Nicolai  Tourteau  Lovaniensis  pxnitentia  c/iristiana, 
clumdie  17  octobris  1713  in  articula  mortis  déclarât 
sefalsitatis  labe  inusisse  eximium  Pati  ■ 
Désirant,  ordinis  eremitarum  S.  Auguslini,  etc 
eoque  veniam  petit,  et  in  révocation-  jurata  pie  ut 
con fidilur,  quarto  die  posldcfungilur.  Contra  D.  Hen- 
ricum  Malcorps  tanquam  evulgatorem  famosx  con- 
clusions jinalis,  Cologne,  1713.  Le  P.  Désirant  continua 
à  Rome,  entouré  d'égards,  la  guerre  sans  merci  qu'il 
avait  déclarée  aux  jansénistes  et  à  leurs  partisans  :  il 
joua  notamment  un  rôle  appréciable  dans  les  dém 
où  fut  compris  le  cardinal  de  Xoailles.  Il  mourut  le 
le  2  mars  1725  à  l'âge  de  74  ans. 

On  a  de  lui  un  grand  nombre  d'ouvrages,  dirigés  la 
plupart  contre  les  jansénistes.  Nous  en  donnons  la  liste 
à  peu  près  complète  :  1°  De  Ecclesia  cl  pontifice,  in-  i  . 
Louvain,  1681,  1686;  2°  Oratio  de  veritate  SS.  cruoris 
Domini,  qui  Brugis  Flandrorum...  colilur,  in-4°. 
Louvain,  1686;  3°  De  auxiliis  divinis  in  via  média 
S.  Auguslini,  in-4»,  Louvain,  1687;  4°  Clarissimi  Do- 
mini Zegeri  Bernard  i  Van  Espen  juris  utriusque 
doctoris  et  professoris  Palinodia  Palinodies  bullse 
démentis  VIII,  quintuplez  capitulis  corruptio, silen- 
tiiini  multiplex  et  csetera,  sive  confutalv  Ar 
giss  de  verbo  ad  verbum,  Louvain.  1686;  51  Tl 
theologicse  et  conclusiones  in  theologia  universa,  Lou- 
vain, 1683,  1688;  6°  De  Romani  pontificis  infalli- 
bililale,  in-4°,  Louvain,  1687;  7°  De  methodo  romano- 
catholica  remit tendi  peccata,  Louvain.  1688;  8°  De 
prœscriplionibus  sacrosanctse  eucharislise  ad  prote- 
stantes noslri  temporis,  in-8°,  Louvain,  1689,  1691; 
9°  Epistolica  responsio  ad  Valcnlinum  Randour 
S.  facultalis  theologicse  Duacense  pro  tempore  deca- 
num  el  Theodorum  van  Converden  ejusdem  faculta- 
tis  S.  theologicae  doclorem  et  professorem,  s.  1.  (Bibl. 
Angelica,  Q.  5.  24);  10°  Commonitorium  ad  orllio* 
do. vos  de  accusalis  in  urbe  doclrinis  DD.  Gummari 
Huygens,  Joannis  Libérait  Hennebelt,  Zegeri  Ber- 
nardi  Vati  Espen,  Joannis  Opstraet  cum  suis,  sive 
imposturarum  quœ  ipsorum  nomine  prodierunt  con- 
futatio  dispunctoria,  in-4°,  Louvain,  1701,  condamné 
parle  Saint-Office,  le  26  octobre  1707;  Il  Apologia 
pro  P.  Bernardo  Désirant...  contra  impressam  con- 
clusionem  finalem  consultissimi  H.  de  Malcorps, 
in-8°,  Liège,  1709;  12°  Consolatorium  pro  romano- 
cal/iolicis  per  luiitas  provincias  dispersis  contra  sex 
calumniatoria  édita  per  octo  Vltrajeclinos  missiona- 
rios  lapsos,  cum  octo  aliis  Amslelodamensibus  et  no- 
vemdecim  similibus  Delphis,  circa  excommunicatio- 
nem  partim  a  nuncio  pont.  Coloniensi,  de  expresso  SS. 
christianitatis  parentis  mandato  légitime  per  nuntia- 
turam  adversus  Matthiam  Tork,  partim  contractant 
per  quosdam  filios  iniquitatis,  Liège,  1709;  cet  ouw 
a  paru  en  flamand  la  même  année,  et  a  été  traduit  en 
français  par  le  P.  Théodose  Bouille,  carme;  13"  Concor- 
dantia  litterarum  Z.  11.  V.  E.  Zegeri  Bernardi  Van 
Espen)  Lovanii  in  januario  110'  et  litterarum  llen- 
rici  Grasper  ibidem  in  sequenti  februario  detectorum, 
De    variis    consiliis    adversus    romanum    pontificem, 


629 


DÉSIRANT 


DESMARETS 


G30 


ln-8°,  Liège,  1709;  14»  Dialogi  paciftci  inter  theologum 
et  jurisconsultum  contra  libellum  de  ijuœstione  facti 
Jansenii,  varias  quasstiones  juris  et  responsa,  aliosque 
anonynws  cum  designatione  V  famosarum  proposi- 
tionwm  in  libro  Jansenii,  Liège,  1710;  15"  De  nullila- 
libus  aliisque  defectibus  schedulse,  quam  D.  Henricus 
Malcorps  cum  suis  corruperunt,  publicisque  typis 
donarunt  sub  nomine  sententise  latae  contra  P.  Ber- 
nardum  Désirant,  1710,  apologie  personnelle,  condam- 
née par  le  Saint-Oflice,  le  31  janvier  1713;  10»  C/iri- 
siiana  salvatio  testium  calholicorum  rev.  admodum 
Patruni  Silvani  a  S.  Francisco...  et  Leopoldi  a 
S.  Theresia,  adversus  schediasma  Maximiliani  Del- 
becquecujus  titulus  :  Juslilia  et  veritas  vindicata  ad- 
verses calumnias,  errores  et  falsitates  quibus  scatet 
Apologia  P.  Désirant,  l'trecht,  1710;  17»  De  la  ré  for- 
mation régulière  contre  le  libelle  du  Révérend  D.  Ni- 
colas Heyendal  :  Orthodoxie  de  la  foi  et  de  la  doctrine 
de  l'abbé  et  des  chanoines  réguliers  de  Saint-Augustin 
de  l'abbaye  de  Roduel,  Maastricht,  1710;  en  latin,  la 
même  année;  18°  Consolalorium  secundum  ad  ro- 
mano-catholicos  per  imitas  provincias  dispersas, 
contra  calumniatoria  nova  Xlatthiee  Tork  et  simi- 
tium  circa  Lelhargiam  anno  majorem  novorum 
protestantium  in  démérita  sua  excommunicatione  in- 
sordescentium  cum  approbalione  legati  apostohci, 
Aix-la-Chapelle,  1711,  traduit  aussi  en  français  et  en 
flamand;  19°  Antidotum  doloris  contra  crudelia  gau- 
dia  exultantium  quod  D.  Petrus  Codde  in  finali  erga 
sedem  apostolicam  vmbedienlia  excesseril,  sive  res- 
ponsio  ad  libellum  vernaculum  cui  lilulus  :  Succinct  a 
relatio  ritse  et  rnortis  Revmi  et  lllmi  D.  Pétri  Codde 
archiepiscopi  iSebasleni  et  per  imitas  provincias  vica- 
rii  pontifiai  qui  obiit  Ultrajecti  die  18  decembris 
1~,  10,  Aix-la-Chapelle,  1711; -20»  Honorais  papavindica- 
lus,salva  integritate  concilii  VI,  sive  historia  mono- 
thelismi  contra  ultima  jansenislarum  effugia,  Aix-la- 
Chapelle,  171 1  ;  la  Bibliothèque  Angelica  (Cod.  A,  7,  10) 
contient  un  remaniement  inédit  du  même  travail,  dont 
l'auteur  espérait  donner  une  seconde  édition;  21°  Dis- 
sertatio  dogmatica  de  oralione  Pharisœi  et  publiai  m 
sive  île  catholico  sensu  orationis  dominicss  contra 
II.  I).  Nicolai  Heyendal  priori»  Rodensis  Apologia,,, 
/'/■</  ubbale  et  priore  monasterii  Rodensis,  Aix-la-Cha- 
pelle, 1712;  22°  Actio  epistolaris  de  gratta  et  libero 
arbitrio  contra  imum  Intention   in  3.3  /• 

irptii  e  qvibusdam  II.  D.  Nicolai  Heyen- 
dal, abbatisi  RodensU  prions  ci  doctoris,  dictalis,  Aix- 
la-Chapelle,  1712;  23°  Prosecutio  actionis  epistolaris, 
m  qnu  principaliler  impenditur  judicium  cum  cen- 
sura S.  facultatif  theologicse  Coloniensis,  super 
loi>i  i   liliro  ,ui  titulus  :  Defensio 

torum   theologicorum    de   gratia   Cliristi  a  Nicolao 
Heyendal  dictatorum,  ci  peo  générait   iotius 
nolitia,  prsemiUilur  brevis  historia  de  vita,  doctrina, 
et  moribus   Paschasii  '.tues, ici,  jansenistarum 
signani,  Cologne,  1713;  -i     Vuctoritas  epUcopal 
dicala,  sue  expostulalio  contra  II.  /'  A.  mn  Ertborn 
nsem  libi  ni,  tan- 

quamapprobal  ipti  eu,  titulus  .  Sub  etobrep- 

tio  demontlrata  m  causa  libri  abbatit  Rodensis  cui 
titulus  :  D  torunx  theologicorum,  Cologne, 

1713;  25"   Nullibista  castigatut    seu    defensio 

■  ,  /,,  Islia  i  anonymam  satiram  i  ui  titu- 

lus     /,     tola  familiarit    mi  jurisconsultum    I 

/».     1  ,,u,  tenu    ■tel  u  ,.  ..      p       II 

rani  et  contra   jansenismi  1714; 

atis  de  t\  .,i,iin  , 

||  -/  '  '  mues  :  I .  l'hi  h)gn   I  I 

Galliarum  /■• 

ira   Boni/  VIII  ;  II,  loannis  Chat 

lier  Cri  "/'/"  """  '' 


futurum  concilium  générale,  i  vol.,  Rome,  1720-1725; 
27"  S.  Augustinus  vindicatifs  contra  centum  et  imam 
damnatas  Paschasii  Quesnelli  propositiones,  et  contra 
.loannis  Frickii,  luterani  Ulmensis,  in  clementiam  dé- 
mentis examinatam,  \lli;Joh.  Wolfg.  Jœgeri,  luterani 
tubicemiSjbullam  novitiampont.maximiClementisXI 
sub  examine vocatam,[l['t;  GolllobFridericiJenichen, 
luterani  lipsiensis,  historiam  et  examen  bullm  dé- 
mentis XI,  I7B;  et  contra  anonymi  (seu  Paschasii 
Quesnelli  cum  suis)  Hexaplas,  1713;  Libri  centum  el 
unus,  opus  in  7  partibus  distributum,  in-'t°,  Rome, 
17-21-1728. 

Ossinger,  Bibliotheca  augustiniana,  p.  291-292;  Lanteri, 
Postrema  sxcula  sex  religionis  augustinianse,  t.  m.  p.  27-29  ; 
Hutter,  Scriptores  eremitani  ordinis  sancti  Augustini,  dans 
Ciudad  de  Dios.  1883,  t.  vi,  p.  157-159;  Hurter,  Nomenclator, 
t.  ii,  col.  1026-1027;  Biographie  nationale  (de  la  Belgique), 
t.  v,  p.  731-741;  P.  Keeloll",  Histoire  de  l'ancien  couvent  des 
ermites  de  Saint-Augustin  à  Bruges,  p.  2'i5-261  ;  (iœtlials, 
Lectures  relatives  à  l'histoire  des  sciences,  etc.,  en  Belgique, 
t.  I,  p.  200-218. 

N.  Merlin. 
DESLIIONS  Jean,  né  à  l'on  toise  en  1615,  mort  le 
26  mai  1700  à  Senlis,  nommé  doyen  théologal  de  cette 
ville,  le  11  septembre  1638.  En  1636,  il  avait  été  exclu 
de  la  Sorbonne  pour  n'avoir  pas  voulu  souscrire  à  la 
condamnation  d'Arnauld.  On  a  de  lui  :  Défense  de'  la 
véritable  dévotion  à  la  sainte  Vierge,  in-4°,  Paris.  1651, 
pour  justifier  un  sermon,  intitulé  :  Enlèvement  de  la 
Vierge  par  les  anges,  in-12,  Paris,  1647,  censuré  par 
l'évêque  de  Senlis;  Discours  ecclésiastiques  ami  vi- 
le paganisme  des  roys  de  la  Fève  el  duroy  boit,  in-12, 
Paris,  1664;  2e  édit.,  1670;  Lettre  ecclésiastique  tou- 
chant la  sépulture  des  prêtres,  dans  laquelle  il  combat 
ceux  qui  prétendent  que  les  prêtres,  comme  les  laïques, 
doivent  être  enterrés  la  face  et  les  pieds  tournés  vers 
l'autel;  d'autres  écrits  imprimés  et  quelques  œuvres 
restées  manuscrites,  dont  de  curieux  Journaux  (1653- 
1671)  conservés  à  la  Bibliothèque  nationale. 

Nicéron,   Mémoires,   t.  xi,  p.  322-342;  Michaud,  Biographie 

universelle,   t.   x,   p.  514-615;  Rœfer,    Nouvelle    biographie 

aie,  t.  xin.  col.  838-889;  Potier,  Biographie  universelle. 

1848,  t.  m,  p.  215-216;  Sainte-Beuve,  Port-Royal, 

«im;  Féret,  Lu  faculté  de  théologie  d*    Paris,  Époque  mo- 

■.  i.  iv,  p.  304. 

A.  Lnoold. 
OESM  ARES  Toussaint-Gui-Joseph,  ii  in  fran- 
çais, né  à  Vire  en  1603,  mort  à  l.ianeoiirl,  en  1687, 
un  des  prédicateurs  et  des  directeurs  les  plus  célèbres 
du  wii  siècle,  unis  imbu  'les  erreurs  du  jansénisme, 
ce  qui  le  mil  aux  prises*  avec  les  jésuites  et  M.  Olier. 
En  1658,  il  Fui  député  à  Rome  pour  essayer  d'empi 
la  condamnation  des  cinq  propositions  (voir  le  Jour- 
nal ,le  Saint-Amour),  dont  il  parait  cependant  bien 
avoir  ensuite  signe1  la  condamnation.  . i i 1 1 - i  que  le 
mulaire.  La  plupart  de  ses  ouvrages  sonl  restés  manus- 
Parmi  ceux,  surtout  de  controverse,  qui  ont  êti 
imprimés,  il  fiant  citer  :  Les  laints  Pères  vengés  par 
noies,  in  i  .  P. iris,  1652.  <  >n  lui  a  attribué,  mais 
à  tort,  semble-t-il,  la  1™  partie  de  ['Idée  du  sacerdoce 
du  P.  de  Condren,  et  le  Nécrologe  de  Port-Royal. 

Batti  ligues,  i.   i  Beuve, 

l'ort-l  licha 

i.  \.  p.  .MT  .  Ha  I) 
i.  mu    col   841-t 

\.    Im.iiI  II. 

DESMARETS     Charles,    ornière  n     II  m.   ils,    lié'    à 
|lj(.|)|„         i      1600    H  Q,  en  167."..  OÙ  il   fut  I 

dateur  de  belles 
\  \tre- Seigneur,  que 
publ  :  en  1876;  2  édit.,  in-18,  Paris,  1677. 

/urf.   I    III.  p.  10 

\    [Ml  old. 


o:h 


DESPREZ    DE   BOISSY   —   DESTIN 


(;:;•_ 


DESPREZ  DE  BOISSY  Charles,  né  à  Paris  vers 

1730,  mort  le  29  mars  17X7.  Connu  par  sis  Lettres  sur 
les  spectacles,  1759,  donl  l'édition  de  1774  et  celle  de 
1780,  2  in-12,  contient  un  Catalogue,  raisonné  des  ou- 
vrages pour  et  contre  les  théâtres. 

Feller,  Biographie  universelle,  Paris,  t.  [II,  p.  220-221. 

A.  Ingold. 

DESPRUETS  Jean,  prémontré,  nT>  vers  1525,  mort  à 
Prémontre''  le  5  mai  1596.  Nommé  abbé  général  de  son 
ordre  le  15  décembre  1572,  il  déploya  un  grand  zélé 
pour  en  visiter  et  réformer  toutes  les  maisons,  tant  de 
France  que  de  l'étranger.  Outre  quelques  livres  de 
controverse  contre  les  calvinistes,  on  a  de  lui  un  Recueil 
de  sermons  et  de  discours,  et  un  Traité  des  sacrements, 
et  des  commentaires  sur  la  Bible. 

Michaud,  Biographie  universelle,  t.  x,  p.  548;  Hœfer.  Nou- 
velle biographie  générale,  t.  xni,  col.  900-901  ;  Feller,  Biogra- 
phie universelle,  Paris,  1848,  t.  III,  p.  221. 

A.   INGOLU. 

DESSERVANTS.  Voir  Curks,  t.  m,  col.  242  sq. 

DESTIN.  En  grec,  7t£ii:pu>(ji.evri,  de  ircpaTÔw,  ce  qui  est 
déterminé,  décrété  sans  retour  et  constitue  ainsi  la  \>.rj~:çz, 
lVtp|i.ap[i.évY)  (autre  nom  du  Destin,)  c'est-à-dire  la  part 
de  chaque  chose,  son  partage  définitif.  En  latin  fatum, 
la  parole  immuable,  le  verbe  qui  domine  toutes  choses, 
commande  aux  destinées  et  se  réalise  infailliblement. 
—  I.  La  mythologie.  IL  La  philosophie  antique.  III.  La 
théologie  chrétienne.  IV.  Le  fatalisme  arabe.  V.  Conclu- 
sion. 

I.  La  mythologie.  —  1°  Le  Destin  ne  pouvait  pas  ne 
pas  y  être  personnifié.  Tantôt  il  se  confond  avec  Zeus 
et  tantôt  il  s'en  distingue  pour  le  tenir  sous  sa  sujétion, 
ainsi  que  les  autres  dieux.  Tantôt  il  s'appelle  Moira, 
par  exemple  dans  la  littérature  homérique.  Hésiode  le 
nomme  Moros  et  le  fait  descendre  du  Chaos  et  de  la  Nuit; 
il  se  multiplie  plus  tard  en  plusieurs  Moirai  qui  chez 
les  Latins  s'appelleront  les  Parques;  et  tantôt  il  s'ap- 
pelle Ananké  et  Tyché  ou  Fortune  et  Nécessité  suivant 
qu'on  suit  la  mythologie  des  Grecs  ou  des  Latins.  —  2°  Le 
Destin  avait  un  symbolisme  qui  soulignait  ses  caractères 
de  nécessité  aveugle,  de  force  inéluctable.  On  lui  mettait 
sur  la  tète  une  couronne  surmontée  d'étoiles;  la  cou- 
ronne était  l'indice  de  sa  puissance,  l'étoile  de  chacun 
et  qui  décidait  de  son  sort  appartenait  à  la  constellation 
qui  enveloppait  la  tète  du  Destin.  Celui-ci  était  aveugle, 
car,  s'il  avait  la  'toute-puissance,  il  ignorait  les  lois 
d'exercice  de  sa  puissance,  c'est  pour  cela  qu'on  le  disait 
fils  de  la  Nuit.  Dans  les  mains  il  avait  un  sceptre,  signe 
de  sa  royauté;  ou  une  urne  contenant  le  sort  des  hu- 
mains; ou  une  balance  où  leur  destinée  était  mesurée 
et  pesée.  A  ses  côtés  une  roue  qu'une  chaîne  fixait  pour 
montrer  l'immutabilité  des  arrêts  du  Destin;  un  livre 
sur  lequel  ces  arrêts  étaient  inscrits  de  toute  éternité 
et  où  les  dieux  allaient  lire  les  choses  futures;  les 
Parques  étaient  chargées  d'exécuter  les  décrets  éternels. 
Sous  ses  pieds,  la  terre,  qui  représentait  son  domaine. 
Plus  simplement  le  Destin  était  parfois  représenté  sous 
les  traits  d'une  femme  portant  la  corne  d'abondance  ou 
tenant  le  gouvernail,  attributs  de  la  Fortune,  ou  écri- 
vant sur  un  registre  les  décrets  immuables.  —  3° L'idée 
qui  se  dégage  de  cette  personnification  et  de  ce  symbo- 
lisme du  Destin,  représente  une  force  toute-puissante 
à  laquelle  rien  dans  les  cieux  ni  sur  la  terre  ne  résiste. 
Cependant  on  trouve  chez  les  païens,  en  particulier  dans 
la  l'Iiarsaletie  Lucain,  deux  sortes  de  Destins,  les  majora 
el  les  minora,  ceux  que  rien  ne  peut  rompre,  pas  même 
la  divinité,  et  ceux  qui  peuvent  être  conjurés  par  les 
prières  et  par  l'action  des  hommes  ou  par  la  protection 
divine.  A  la  toute-puissance  se  joint  V immutabilité  : 
le  Destin  peut  tout,  sauf  changer  ses  décrets.  Ce  qui 
est  dit,  est  dit;  c'est  la  fatalité  :  ce  qui  est  écrit  est 
écrit.  Le  Destin  ne  s'arrête  ni  ne  se  reprend,  ni  ne  se 


repenl  jamais  ;  il  suit  sa  voie  inéluctablement.  Le  mo» 
s  fatalité  »  qui  indique  ce  côté  immuable  des  décrets- 
du  Destin  est  souvent  pris  aussi  dans  un  sens  mauvais 
et  pour  désigner  seulement  les  arrêts  malheureux,  ceux 
qui  sèment  le  mal,  la  douleur  ou  le  crime. 

L'immutabilité  vient  surtout  de  ce  que  le  Destiii 
aveugle  :  c'est  une  force  brutale  que  nul  ne  compi 
dont  les  desseins  sont  supérieurs  et  incompréhensibles 
pour  les  humains  et  pour  le  Destin  lui-même.  Mais  où 
est  le  siège  de  cette  force,  d'où  vient  cette  nécessité? 
Qui  a  porté  ces  décrets?  Ce  siège  est  transcendant,  il 
dépasse  le  monde  des  hommes  et  des  dieux.  Cette  né- 
cessité ne  sort  pas  des  lois  naturelles  des  choses.  Quand 
le  Destin  voue  des  hommes  au  malheur,  ou  des  géné- 
rations entières  au  crime  et  à  la  malédiction,  rien  dans- 
la  nature  n'explique  cette  fatalité.  La  divinité  qui  est 
intelligence  et  raison,  sagesse  et  bonté,  n'est  pas  davan- 
tage l'organe  qui  a  écrit  ou  dicté  les  arrêts  du  Destin;, 
celui-ci  se  distingue  donc  de  la  nature;  il  la  domine, 
comme  il  est  au-dessus  des  hommes  et  des  dieux.  En 
résumé,  le  Destin  dans  la  mythologie  apparaît  comine- 
une  force  toute-puissante,  inéluctable,  aveugle  et  trans- 
cendante. -;  4°  L'origine  de  l'idée  du  Destin  est  dans 
le  sentiment  que  l'homme  païen  éprouvait  de  son  im- 
puissance à  conduire  sa  destinée  et  à  comprendre  le 
sens  de  la  vie.  Ceci  l'amenait  à  constater  sur  les  évé- 
nements dont  la  trame  constituait  son  existence,  l'action 
d'une  force  étrangère  et  supérieure,  dont  les  buts  ne 
lui  apparaissaient  pas  et  dès  lors  lui  semblaient  abso- 
lument impénétrables  en  eux-mêmes. 

II.  La  philosoi'Hie  antique.  —  Elle  s'attacha  tou- 
jours à  éclairer  et  à  préciser  la  notion  du  Destin.  Aussi 
bien  celle-ci  intéressait  les  principales  préoccupations 
religieuses  de  l'esprit  humain.  On  verra  bientôt  le  Destin 
aveugle,  incompréhensible,  distinct  des  dieux  et  des- 
hommes et  leur  imposant  sans  raison  sa  fatalité  impla- 
cable, s'irradier  d'une  lumière  plus  douce  et  plus  hu- 
maine. On  cherchera  dans  l'idée  de  Dieu  ou  dans  la 
nature  des  choses  une  explication  à  cette  force  mysté- 
rieuse et  la  définition  du  Destin  variera  suivant  qu'on  y 
donnera  une  place  plus  grande  à  la  providence  divine 
ou  aux  exigences  de  la  matière.  Esprit  et  matière,  sa- 
gesse supérieure  et  nécessité  d'en  bas  seront  les  élé- 
ments dont  la  combinaison  formera  le  Destin.  —  1°  Py- 
thagore  et  son  école,  cherchant  dans  le  nombre  et  dans 
l'harmonie  l'explication  de  toutes  choses,  identifieront 
le  Destin  avec  les  lois  du  nombre  et  de  l'harmonie;  la 
mathématique  et  la  musique  en  dicteront  les  décrets  et 
il  s'appellera  la  mesure  des  choses,  la  nécessité  qui  en- 
veloppe tous  les  êtres,  la  raison  qui  les  pénètre  dans 
leur  essence.  Hiéroclés,  Carm.  aur.;  Stobée,  Eclog. 
phys.,  1.  I,  c.  vi.  —  2°  Avec  Platon,  l'idée  du  Bien  do- 
minera la  notion  du  Destin.  Le  Bien  est  le  principe  de 
toutes  choses  :  Dieu  et  les  «  idées  »  en  découlent  pa- 
rallèlement. C'est  Dieu  qui  crée  les  êtres,  qui  les  gou- 
verne, mais  conformément  à  la  loi  inéluctable  du  Bien 
duquel  il  procède  et  dont  il  ne  peut  s'écarter.  C'est  là 
le  Destin,  force  dominatrice,  mais  bonne  et  suave.  La 
création  trouve  sa  raison  d'être  dans  1  amour  que  le 
Bien  impose  à  Dieu.  «  Il  (Dieu)  était  bon;  it  celui  qui 
était  bon  n'a  aucune  sorte  d'envie;  voilà  pourquoi  il  a 
voulu  que  toutes  choses  fussent,  autant  que  possible, 
semblables  à  lui-même.  Quiconque,  instruit  par  de- 
hommes  sages,  admettra  ceci  comme  la  raison  princi- 
pale de  l'origine  et  de  la  formation  de  l'univers,  sera 
dans  le  vrai.  »  Platon,  Tintée,  29-30.  L'amour  uni  à 
l'idée  du  meilleur  gouverne  également  le  monde  et  y 
ramène  sans  cesse  chaque  partie  à  l'intérêt  du  Tout  : 
«  Toi-même,  chétif  mortel,  si  petit  que  tu  sois,  tu 
entres  pour  quelque  chose  dans  l'ordre  général  et  tu 
t'y  rapportes  sans  relâche.  Mais  tu  ne  vois  pas  que 
toute  génération  se  fait  en  vue  du  Tout,  afin  qu'il  vive 
d'une  vie  heureuse;  que  l'univers  n'existe  pas  pourtoi, 


-633 


DESTIN 


634 


■mais  que  tu  existes  toi-même  pour  l'univers...  Et  si  tu 
murmures,  c'est  faute  de  savoir  comment  ton  propre 
bien  se  rapporte  à  toi-même  et  au  tout,  suivant  les  lois 
du  devenir  universel.  »  Platon,  Luis,  X,  899-904. 
Cf.  Gorgias,  479;  République,  11,  379-380.  Ainsi  le 
monde  marche  sans  cesse  vers  le  Bien,  par  les  voies 
•du  «  devenir  universel  »;  les  lois  de  cette  marche,  où 
l'individu  est  subordonné  au  Tout,  sont  l'exécution  du 
Destin,  oracle  de  bonté  et  d'amour.  Il  n'est  pas  jusqu'au 
mal  lui-même  qui  ne  trouve  sa  place  dans  cette  har- 
monie de  toutes  choses  et  ne  concoure  au  bien.  Le  mal 
•est  nécessaire  :  «  Il  ne  cessera  pas,  ô  Théodore;  car 
c'est  impossible.  Le  bien  aura  toujours  son  contraire  : 
ainsi  le  veut  la  nécessité.  Sans  doute,  le  mal  ne  sié- 
gera jamais  parmi  les  dieux;  mais  cette  nature  mor- 
telle et  cette  région  de  l'univers,  il  les  enveloppera  tou- 
jours. »  Théétète,  176.  Le  parfait  ne  peut  exister  sans 
le  mal,  mais  celui-ci  finira  toujours  par  se  changer  en 
bien.  République,  X,  613;  Lois,  IV,  715-716.  Cf.  Cl.Piat, 
Plalon,  c.  v,  §  3,  Paris,  1906,  p.  175-177.  —  3°  Le  Des- 
tin redevient  plus  rigoureux  et  plus  sombre  dans  la 
philosophie  stoïcienne,  où  il  s'allie  avec  l'idée  de  cau- 
salité nécessaire  et  de  déterminisme.  Selon  les  stoï- 
ciens, en  effet,  l'univers  est  soumis  à  la  loi  du  Destin. 
Un  enchaînement  fatal  et  nécessaire  y  lie  les  effets 
aux  causes.  Une  cause  étant  posée,  l'effet  s'ensuit  in- 
failliblement et  celui-ci,  a  son  tour,  devient  une  cause 
nécessaire  pour  le  fait  suivant.  El  non  seulement  tout 
■effet  est  lié  à  la  cause  qui  le  précède  immédiatement, 
mais  encore,  par  celle-ci,  il  procède  de  la  série  de  tous 
les  faits  antérieurs  et  il  porte  en  lui-même  la  trace 
de  chacun  d'eux  et  de  leur  somme.  Dès  lors, 
deux  effets  absolument  semblables  sont  impossibles, 
car  il  faudrait  qu'ils  fussent  le  résultat  de  deux  séries 
identiques,  ce  qui  ne  peut  être.  Le  monde  suit  donc 
une  voie  inéluctable  et  il  parcourt  toute  la  suite  des 
possibilités.  Quand  celle-ci  sera  épuisée,  le  cercle  sera 
terminé,  la  lin  du  monde  se  produira.  —  De  cette 
théorie  du  Destin,  en  découle  une  autre  sur  la  divina- 
tion (fj  (iotvTixT|).  Si,  en  effet,  toutes  choses  sont  en- 
chaînées fatalement  et  se  suivent  nécessairement,  il  est 
clair  que  quiconque  tiendra  un  bout  de  la  chaîne 
pourra  en  parcourir  tous  les  anneaux,  et  que,  ('tant 
donnée  la  connaissance  de  quelques-uns  de  ces  an- 
neaux, on  peut,  avec  un  peu  de  perspicacité,  prévoir 
ceux  qui  suivront  et  annoncer  l'avenir.  La  divination 
du  futur,  impossible,  hormis  à  Dieu,  quand  on  a 
affaire  ■<  des  causes  complètement  libres,  devient  rela- 
tivement facile  ou  au  moins  possible,  quand  on  se 
trouve^  en  face  de  causes  prédéterminées  à  des  effets 
certains.  Aussi  les  stoïciens  accordaient-ils  à  l'homme 
['api  de  la  divination.  ('.(.  Cicéron,  Dr  divinatione,  I.  I. 
cm;  Chollet,  /."  morale  stoïcienne  en  face  de  la 
morale  chrétienne,  n.  IN,  35.  l'ans,  1808,  f)  39^  -102. 
La  prière  devenait  impossible  avec  une  pareille  notion 
du  Destin  et  de  l'enchaînement  rigoureusement  dét*  r- 
miné  des  causes.  Aussi  les  stoïciens,  el  parmi  eux  Sé- 
néque,  la  rejettent-ils.  Cependant,  ils  ne  s'v  < . j •  j ,  . 
pas  toujours  radicalement,  soit  par  l'effet  dis  contra- 
dictions qui  fourmillent  entre  leur  doctrine  dogma- 
tique et  leur  morale,  soit  grâce  à  la  distinction  que 
ppelée  plu-  haut  de-  fata  majora,  qu'on 
ie  peut  éviter,  et  des  /"'<<  minora,  qu'on  peut  conjun  1 

La    |"  IlX-Cl.    «   1  Qg  se 

complaisaient   (fin-   l'admiration  de    cette    invincible 
■  in  h'   tin  qui,  dirigeant  et  qui  cède,  entraî- 
nant ce  qui  d<   le  mond  1    le  ici,  1^ 
\ers  un  terme  unique,  l  lie 

l.l     h»    COn 

et  toujours  suivie,  de  gré  ."i 
de  force,  fait  du  monde  un.-  rit.  bien  policée  Elle 
est   1 

1    qui    domine  el    gou  •  1  m 


tous  les  êtres.  Elle  est  encore  la  raison  ().ôvo;),  qui, 
disposant  toutes  choses  avec  ordre  et  mesure, 
établissant  partout  la  symétrie,  répand  la  beauté  et 
fait  du  monde  tout  entier  une  œuvre  d'art  parfaitement 
belle.  Elle  est  la  pensée  prévoyante  et  sage,  la  providence 
(Ttpovoia),  qui  veille  avec  un  soin  toujours  vigilant;à  la 
conservation  des  êtres,  fait  des  uns  un  moyen  pour  la 
vie  des  autres,  et  les  subordonne  tous  à  une  fin  suprême 
qui  n'est  autre  qu'elle-même;  en  un  mot  elle  est  le 
principe  d'universelle  activité  (t'o  TtopoOv)  par  rapport 
auquel  lout  le  reste  n'est  que  passif;  elle  est  la  qualité 
(tô  Ttopôv)  dont  les  autres  êtres  sont  la  matière,  l'âme 
(^uy/i)  dont  ils  sont  le  corps.  0  Ogereau,  Essai  sur  le 
système  philosophique  des  stoïciens,  c.  ni,  Paris,  1885, 
p.  52-53.  —  4°  Une  telle  conception  du  Destin,  cette 
loi  commune  jamais  transgressée,  parlout  et  toujours 
suivie  de  gré  ou  de  force,  comment  est-elle  conciliable 
avec  la  liberté  humaine?  Son  déterminisme  n'est-il  pas 
la  suppression  radicale  du  libre  arbitre?  Comment, 
en  effet,  espérer  voir  survivre  la  liberté  dans  une  mo- 
rale pleine  de  fatalisme,  qui  affirme  que  tout  dans  le 
monde  arrive  suivant  des  lois  fatales  et  invariables  ; 
que  tous  les  êtres  sont  ainsi  soudés  ensemble  par  un 
lien  de  causalité  inéluctable;  que  ce  lien  les  rattache 
à  une  cause  première  dont  le  nom  est  indifféremment 
Dieu,  matière,  Destin,  nécessité  ou  fortune  ;  que  chaque 
événement  est  l'effet  nécessaire  de  l'événement  qui  a 
précédé  et  la  cause  non  moins  nécessaire  de  l'effet  qui 
suivra  :  que  cet  enchaînement  inflexible  de  toutes 
choses  s'accomplira  entièrement  jusqu'à  ce  que,  la 
dernière  heure  arrivée,  tout  périsse  dans  une  univer- 
selle combustion  pour  renaître  à  une  autre  existence 
pareillement  fatale  ?  Ce  fut  la  grande  préoccupation  de 
Cicéron  qui,  dans  son  De  fato,  revendiqua  les  droits  de 
la  liberté  et  aima  mieux  compromettre  la  prescience 
et  la  providence  divine,  c'est-à-dire  le  Destin,  que  de 
sacrifier  le  libre  arbitre  de  l'homme.  —  5°  Les  systèmes 
précédents  expliquaient  le  Destin  par  l'action  de  la 
puissance  et  de  la  providence  divine  et  par  la  réaction 
de  la  matière  éternelle  dont  la  nature  et  les  lois  sont 
inéluctables.  La  combinaison  de  cette  action  etde  cette 
réaction  amenait  une  résultante  qui  était  le  fatum. 
Mentionnons  pour  mémoire  l'école  sceptique  ou  sensua- 
lité, pour  laquelle  la  matière  seule  existe  et  qui  explique 
le  Destin  par  les  nécessités  des  lois  qui  gouvernent  cette 
matière.  Cf.  Franck,  Dictionnaire  des  sciences  philo- 
sophiques, art.  Drstiu. 

III.  La  THÉOLOGIE  CHRÉTIENNE.  —  Elle  ne  pouvait  pas 
se  désintéresser  de  la  théorie  du  Destin  qui  avait  tant 
eupé  le  paganisme  et  menaçait  tant  de  dogmes.  — 
I  \ussi  voyons-nous  saint  Augustin  consacrer  de 
nombreuses  pages  du  I.  V  de  la  Cité  de  Dieu,  à  ce 
problème.  Il  cherche  à  quoi  est  du  le  développement 
de  la  puissance  romaine,  écarte  l'erreur  qui  voudrait 
en  faire  honneur  au   hasard,  au  fatum,  et  montre   le 

pôle  de  la  providence.  !l  y  a   la  tonte   une   réfutation  et 

une  théorie  dont  la  tradition  chrétienne  profitera ple- 

ment.  —  1.  L'évéque  d'Hippone  réfute  d'abord  la  fo 
astrologique  de   la  pensée  païenne  ^ur  le  Destin.      La 
de  la  grandeur  de  l'empire  n'est  donc  ni  fortuite. 
ni  fatale,  .m  sens  de  ceux  qui  tiennent  pour  fortuit  ce 

qui  esl  sans  cause  on  s,ms  convenance   avec   l'ordre  de 

la  raison;  1 r  fatal,  ce  qui  arrive  en  dehors  de  la 

volonté  de  Dieu  et  des  hommes  par  un  certain  ordre 
1  1    t,  en  effet,  la  divine  providence  qui  éta- 
blit les  royaumes  de  la  terre.  Celui  qui  en  fait  hon- 
neur au  Destin,  parce  qu  il  donne  a  la  volonté  ou  ■<  la 

mee  divine  le  nom  de  Destin,  peut  garderson 
opinion,  mais  il  doitchangei  -en  lan    igi       kinai  voilà 

ind  principe,  n  d'j  :i  pas  de  Destin  proprement 
cl i  1 ,  n  n'\  a  qu'une  providence  divine,  improprement 
appelée  1  lestin  par  quelqui     uni    x<  que  peu 

-,i  des   astres  <■!  de  la  fatalité  qui  pèse  sur  certaines 


635 


DKSTI.X 


030 


existences  commencées  sous  des  conjonctions  détermi- 
nées? Le  Destin  se  prend,  en  effet,  dans  Le  langage 
ordinaire,  pour  l'influence  de  la  position  des  astres  à 
l'instanl  de  la  naissance  on  de  la  conception  ;  et  les 
uns  regardent  celte  influence  comme  distincte,  les 
autres  comme  dépendante  de  la  volonté  de  I>ieu.  » 
Saint  Augustin  trouve  les  deux  interprétations  égale- 
ment condamnables.  Contre  les  premiers  il  s'écrie  : 
«  Loin  de  nous  ces  insensés  qui  attribuent  aux  astres 
le  pouvoir  de  disposer,  sans  la  volonté  divine,  et  de 
nos  actions,  et  de  nos  joies  et  de  nos  souffrances...  Car 
oii  tend  cette  opinion,  si  ce  n'est  à  abolir  tout  culte, 
toute  prière?  »  Aux  seconds  il  objecte  :  «  Quant  à  la 
croyance  qui  attribue  à  l'influence  des  astres  la  déter- 
mination des  pensées  et  de  la  fortune  des  hommes, 
inlluence  subordonnée  toutefois  à  la  volonté  divine. 
cette  croyance,  dis-je,  que  les  astres  tiennent  de  la 
souveraine  puissance  celle  de  disposer  ainsi  à  leur 
gré,  n'est-elle  pas  pour  Dieu  la  plus  cruelle  injure? 
Quoi!  cette  cour  céleste,  ce  sénat  radieux,  ordonne  des 
crimes,  tel  qu'au  tribunal  du  genre  humain  la  ville 
qui  en  autoriserait  de  semblables  encourrait  sa  ruine? 
Et  d'ailleurs,  en  accordant  aux  astres  une  influence 
nécessitante,  quelle  faculté  de  juger  les  actions  hu- 
maines laisse-t-on  à  Dieu,  maître  des  astres  et  des 
hommes  ?  »  Saint  Augustin  ne  veut  même  pas  que  les 
astres  soient  de  simples  signes,  du  reste  sans  influence, 
des  destinées  commencées  sous  leurs  constellations. 
«  Si  l'on  dit  que  les  étoiles  sont  plutôt  les  signes  que 
les  causes  des  événements  et  que  leur  position  n'est 
que  la  voix  qui  prédit  l'avenir  sans  le  réaliser,  comme 
le  pensent  certains  hommes  d'une  érudition  peu  com- 
mune, »  outre  que  c'est  tenir  un  langage  différent 
de  celui  des  astrologues,  «  d'où  vient  qu'ils  n'aient 
jamais  pu  rendre  raison,  pourquoi,  dans  l'existence 
de  deux  jumeaux,  dans  leurs  actions,  leur  fortune, 
leurs  occupations,  leurs  emplois,  dans  toutes  les  circon- 
stances de  la  vie,  et  jusque  dans  la  mort,  il  se  trouve 
d'ordinaire  une  diversité  si  grande  qu'à  cet  égard  ils 
ont  l'un  avec  l'autre  moins  de  rapports  qu'avec  des 
étrangers,  quoiqu'un  imperceptible  intervalle  sépare 
leur  naissance  et  qu'un  seul  moment  ait  opéré  leur 
conception  dans  le  sein  maternel?  »  Cet  argument  des 
deux  jumeaux  parait  si  décisif  à  saint  Augustin  qu'il  le 
développe  tout  le  long  de  plusieurs  chapitres. 

2.  «  Quant  [à  ceux  qui  appellent  destin,  non  la  situa- 
tion des  astres  au  moment  de  toute  conception,  de  toute 
naissance,  de  tout  commencement,  mais  l'enchaîne- 
ment et  l'ordre  des  causes  de  tout  ce  qui  arrive,  nous 
n'avons  pas  à  disputer  sérieusement  avec  eux  sur  ce 
mot,  puisqu'ils  attribuent  cet  ordre  même  et  cet  en- 
chaînement des  causes  à  la  volonté,  à  la  puissance  du 
Dieu  suprême,  dont  nous  avons  ce  sentiment  juste  et 
véritable  qu'il  connaît  toutes  choses  avant  qu'elles  arri- 
vent et  ne  laisse  rien  qu'il  n'ait  prédisposé,  lui  de  qui 
viennent  toutes  les  puissances  de  l'homme,  quoique 
toutes  les  volontés  de  l'homme  ne  viennent  pas  de  lui. 
C'est  donc  cette  volonté  de  Dieu,  dont  l'irrésistible 
pouvoir  s'étend  sur  tout,  qu'ils  appellent  Destin.  »  Pour 
saint  Augustin,  l'antique  Destin  doit  laisser  place  à  la 
puissance  de  Dieu,  guidée  par  sa  volonté  et  éclairée 
par  sa  prescience.  La  puissance  divine  est  irrésistible, 
et  s'étend  sur  tout,  cependant  toutes  les  volontés  de 
l'homme  ne  viennent  pas  d'elle. 

Ici,  saint  Augustin  rencontre  Cicéron  et  sa  négation  de 
la  prescience  divine.  Le  grand  orateur,  en  effet,  nous 
l'avons  dit,  était  entré  en  lutte  contre  les  stoïciens  et 
leur  idée  du  Destin  qui  détruisait  toute  liberté.  Pour 
sauver  le  libre  arbitre,  Cicéron  avait  renoncé  à  admet- 
tre quelque  divination  que  ce  soit,  même  en  Dieu, 
parce  qu'il  lui  semblait  que  la  divination  supposait 
l'enchaînement  fatal  des  choses  et  que  d'autre  part  cet 
enchaînement  fatal    lui  paraissait,  comme  il   l'est  du 


reste,  inconciliable  avec  la  liberté-  humaine,  i  Cicéron 
s'attache  à  réfuter  ces  philosophes  et  ne  croit  pouvoir 
y  réussir  s'il  ne  détruit  la  divination.  C'est  pourquoi  il 
va  jusqu'à  nier  la  science  de  l'avenir.  Il  soutient  de 
toutes  ses  forces  qu'elle  n'existe  ni  en  Dieu,  ni  en 
l'homme,  et  qu'il  n'est  point  de  prédiction  possil 
Mais  c'est  une  prétention  insoutenable  :  »  Car  recon- 
naître un  Dieu  et  lui  refuser  la  prescience  de  ce  qui 
doit  être,  c'est  une  folie  des  plus  évidentes.  »  Mais, 
reprend  Cicéron,  «  choisir  la  prescience,  c'est  anéan- 
tir le  libre  arbitre  :  choisir  le  libre  arbitre,  c'est  anéan- 
tir la  prescience...  l'admission  de  l'une  emporte  la 
négation  de  l'autre.  Ainsi  en  homme  docte,  en  sage, 
dont  toutes  les  méditations  sont  dévouées  aux  grands 
intérêts  de  la  société  civile,  Cicéron  se  détermine  en 
faveur  du  libre  arbitre.  Pour  l'établir  il  renversera  la 
prescience,  et  c'est  sur  un  tel  sacrilège  qu'il  prétend 
fonder  la  liberté.  »  Ici  se  révèle  le  génie  de  saint  Au- 
gustin, supérieur  à  celui  de  Cicéron.  Il  veut  sauvera  la 
fois  et  il  sauve  la  prescience  et  la  liberté,  «  il  pose  l'une 
et  l'autre  sur  les  bases  de  la  foi  et  de  la  piété.  »  Et  il 
écrit  :  «  Contre  ces  témérités  sacrilèges  et  impies  nous 
disons,  nous,  que  Dieu  connaît  toutes  choses  avant 
qu'elles  soient,  et  que  c'est  notre  volonté  qui  fait  tout 
ce  que  nous  savons,  tout  ce  que  nous  sentons  ne  faire 
que  parce  que  nous  voulons...  Quant  à  l'ordre  des 
causes  où  la  volonté  de  Dieu  exerce  un  souverain  pou- 
voir, nous  sommes  également  loin  de  le  méconnaître... 
Mais  de  ce  que  l'ordre  des  causes  est  certain  dans  la 
puissance  divine,  il  ne  s'ensuit  pas  que  notre  volonté 
perde  son  libre  arbitre.  Car  nos  volontés  elles-mêmes 
sont  dans  l'ordre  des  causes,  certain  en  Dieu,  embrassé 
dans  sa  prescience,  parce  que  les  volontés  humaines 
sont  les  causes  des  actes  humains.  Et  assurément  celui 
qui  a  la  puissance  de  toutes  les  causes  ne  peut  dans  le 
nombre,  ignorerjios  volontés  qu'il  a  connues  d'avance 
comme  causes  de  nos  actions.  » 

Saint  Augustin  peut  dès  lors  conclure  :  «  Nous  ne 
sommes  donc  nullement  réduits  à  cette  alternative  ou 
de  nier  le  libre  arbitre  pour  maintenir  la  prescience 
de  Dieu  ou  d'élever  contre  sa  prescience  une  négation 
sacrilège  pour  sauver  le  libre  arbitre,  mais  nous  em- 
brassons ces  deux  vérités,  nous  les  confessons  toutes 
deux  d'un  cœur  fidèle  et  sincère.  L'une  fait  la  recti- 
tude de  notre  foi,  l'autre  la  pureté  de  nos  mœurs.  On 
vit  mal,  si  l'on  n'a  de  Dieu  la  croyance  qu'on  doit.  Loin 
de  nous  donc  de  nier,  pour  être  libres,  la  prescience  de 
celui  dont  la  grâce  nous  rend  ou  nous  rendra  libres! 
Et  ce  n'est  pas  en  vain  qu'il  y  a  des  lois  et  encourage- 
ments, louanges  et  blâmes,  toutes  choses  prévues  de 
Dieu  et  qui  ont  toute  la  force  qu'il  a  prévue.  Et  la 
prière  sert  à  obtenir  tout  ce  qu'il  a  prévu  devoir  accor- 
der à  la  prière,  et  c'est  avec  justice  que  des  récom- 
penses sont  réservées  aux  bonnes  œuvres  et  des  sup- 
plices aux  péchés,  car  ce  n'est  point  parce  que  Dieu  a 
prévu  qu'il  pécherait  que  l'homme  pèche;  quand  il 
pèche,  il  est  indubitablement  l'auteur  de  son  péché: 
l'infaillible  prescience  voit  que  ce  n'est  ni  le  destin,  ni 
la  fortune,  ni  rien  autre  que  lui-même  qui  pèche.  Et 
il  ne  pèche  point,  s'il  a  une  ferme  volonté',  et  cette  vo- 
lonté même,  Dieu  la  connaît  par  sa  prescience.  >>  De 
civil.  Dei,  1.  V.  c.  i-x.  trad.  L.  Moreau,  Paris,  1899, 1. 1, 
p.  235-261. 

2°  A  la  doctrine  de  saint  Augustin  sur  le  Destin,  il 
faut,  pour  avoir  l'ensemble  de  l'enseignement  de  l'Ecole, 
joindre  le  passage  classique  du  De  consolatione  philo- 
so/'/tiœ  de  lîoèce,  1.  IV.  prosa  vi,  interprété  par  saint 
Thomas,  dans  son  commentaire.  Opéra,  Parme, t.  xxiv, 
col.  116  sq.  Boèce  rapporte  le  destin,  le  fatum,  à  la 
providence,  et  établit  le  parallèle  entre  celle-ci  et 
celui-là.  Le  destin  suit  la  providence  et  s'en  distingue 
sans  cesse.  La  providence  est  en  Dieu,  le  destin  est 
dans  les  choses.  En  Dieu,  la  providence  est  la  vue  sim- 


G37 


DESTIN    —    DESTINEE 


638 


pie  et  le  décret  qni  décide  de  la  génération  et  de  l'en- 
chaînement de  toutes  les  créatures  :  le  destin  est  la 
réalisation  objective  ou  extérieure  de  ce  plan  divin. 
Omnium  generatio  rerum,  cunctusque  mutabilium 
naturarum  progressus,  et  quidquid  aliquo  movetur 
modo,  causas,  ordinem,  formas,  ex  divinœ  nienlis 
slabilitale  sortitur.  Hœc  in  suœ  simplicitatis  arte 
composila,  multiplierai  rébus  gerendis  modum  sta- 
tuit;  qui  modus  cum  in  ipsa  divinœ  intelligentiœ  pu- 
ritate  conspicitur,  prôvidbntia  nominatur ;  cum  veru 
ad  eu  qttœ  svnl,atque  disponit  refertur,  FATUM  a  ve- 
teribus  appellatus  est.  De  cette  double  définition 
jaillissent  de  multiples  oppositions  ou  différences, 
ijuip  diversa  esse  facile  Uquebit  si  quis  utriusque  vim 
>nenle  conspexerit.  La  providence  est  un  plan  ration- 
nel, ratio,  elle  siège  en  Dieu  créateur,  elle  préside  à 
l'organisation  de  tout;  le  destin  est  inhérent  aux  créa- 
tures, il  est  leur  mobilité  même  ou  plutôt  l'orientation 
de  leur  mobilité  conformément  aux  décisions  de  la 
providence.  Nam  providenlia  est  illa  ipsa  divina  ratio 
in  summo  omnium  principe  constitula,  quse  cuncla 
disponit  :  fatum  vero  inhserens  rébus  mobilibus  dis- 
posilio,  per  qnam  providenlia  suis  quœque  connectit 
ordinibus.  La  providence  domine  les  temps,  les  lieux, 
les  contingences,  et  s'occupe  également  de  toutes  choses, 
le  destin  est  mêlé  aux  mouvements,  et  avec  une  mer- 
veilleuse plasticité  se  moule  sur  les  natures,  les  forces, 
les  conditions  d'espace  et  de  durée  pour  y  assurer 
l'exécution  îles  volontés  providentielles.  Providenlia 
namque  cuncla  pariter,  quamvis  diversa,  quamvis 
m  finit  a,  compleclitur  :  fatum  vero  singula  digerit 
m  mut  uni,  locis,  formis,  ai  temporibus  distributa; 
ut  Usée  temporalis  ordinis  explicatio,  in  divinœ  mentis 
adunata  prospectu,  providenlia  sit;  eadem  vero  adu- 
natio  digesta,  atquc  explicata  temporibus,  fatum 
vocelur.  On  saisit  dès  lors  la  dépendance  étroite  et 
essentielle  qui  reliele  destin  a  la  providence;  la  com- 
plexité ordonnée  de  celui-là  à  la  simplicité  de  celle-ci  ; 
l'activité  toujours  en  mouvement  de  celui-là  à  la  rigou- 
reuse immobilité  de  celle-ci.  Quœ  licet  >liversa  tint, 
alterum  tamen  pendel  ex  al  ter o.  Ordc  namque  fatalis 
ex  providenlia siniplicitate  procedit...  Drus  providen- 
tia quidem  singulariter  stabiliterque  facienda  dispo- 
nit, multiplh  iteret  temporaliter  administrât.  Les  ins- 
truments de  la  providence  utilisés  par  le  destin  sonl 
multiples,  et  cela  explique  les  nombreuses  acceptions 
données  au  destin  par  l'antiquité,  qui  confondait  celui-ci 
avec  les  forces  ou  agents  donl  se  servait  la  divine  pro- 
vidence. Si  eigitur,  famulantibus  quibusdam  provi- 
dentise  divinis  tpiritibtis,  fatum  exercetur,  teu  anima, 
■eu  tota  imerviente  natura,  sc>>  ctelettibut  tiderum 
motibus,  seu  angelica  virlute,  seu  dsemonum  varia 
tôlier tia,  seu  aliquibus  horum,  seu  omnibus,  fatalis 
séries  t   rilur,    illud  certe  manifestum  est,    imtnobi- 

ida  "m  formant   rerum  esse 
providentiam  .  fatt  >rum  quss  divina  simpli- 

mobilem  nr.rum  atque 
ordinem  temporalem.  h'où  la  conclusion  9  impose  que 
tout  ce  qui  es)  mené  par  le  destin  est  soumis  à  la 
providence,  el  que  celle-ci  domine  le  destin  lui-même. 
Quofitul  omniaqua  identité  quoque 

.<)//.//■•  etiam  tubjacet  fatum,  1 

m  de  bien  expliquer  la  nature  du 

ition  ;i  la  i>n>\  ni  m  ■  qu'il  multiplie  li  - 

comparaisons  dan    ci    but;  c<    que  le  raisonnement  1  n 

:  .1  1  intelligence  calme,  ce  que  la  porte  es)  an 

cl. île  -m  lequi  l  elle  roule,  ce  que  le  commen- 

•  1  n.    le  t'  im|i-  qui  cou li 
riiniiiii.il'  li    'i    1  m    1  ■  -1   pai   1  apport  I   1 1 

len  ■       Igitur   uti  ■  tum   1  aliot  ino 

;  ;  \  t  ttierni talent 

,t,i   ,,%t  fati 

nlicilalem. 


Après  saint  Augustin,  après  Boèce  interprété  par  saint 
Thomas,  la  notion  du  destin  est  baptisée  et  fixée.  La 
théologie  catholique  ne  l'admettra  plus  que  comme  la 
réalisation  temporelle  et  fidèle  du  plan  immuable 
conçu  dans  la  prédestination  divine. 

IV.  Le  fatalisme  arabe.  —  Il  lit  renaître  la  théorie 
antichrétienne  du  Destin.  On  en  verra  le  développement 
à  l'article  Fatalisme,  à  l'article  Coran,  t.   m,  col.  1809 
sq.;    nous  signalerons   seulement   dans    la    littérature 
arabe  le   traité  d'Avicenne  sur  le  Destin,  où  le  philo- 
sophe musulman  s'attache  surtout  à  faire  ressortir  cette 
idée  que  le  destin  n'est  autre  que  le  mystère  qui  enve- 
loppe les   décisions  divines  et  les  voies  par  lesquelles 
Dieu  exécute  ses  prédestinations.  Le  destin,  c'est  l'in- 
cognito de  la   providence;  d'où  le  problème  insoluble 
de    la    présence    simultanée  des   biens  et  des  maux  : 
«  Si  le  beau  et  le  laid,  le  bien  et  le  mal  étaient  aux 
yeux  de  Dieu  ce  qu'ils  sont  aux  yeux  des  hommes,  il 
n'aurait  pas  créé  le  lion  redoutable  aux  dents  disloquées 
et  aux  jambes  tordues,  dont  la'faim  n'est  satisfaite  qu'en 
mangeant  la    chair    crue    et  sanglante,  nullement  en 
broutant  des  herbes  et  des  baies;  ses  mâchoires,  ses 
griffes,   ses  tendons    solides,   son    cou  imposant,    sa 
nuque,  sa  crinière,  ses  côtes  et  son  ventre,  la  forme  de 
tous   ses    membres    excitent    en    nous    l'étonnement, 
quand  nous  considérons  que   tout  cela   lui  est  donné 
pour  atteindre  le  bétail  fugitif,  le  saisir  et  le  déchirer. 
Il  n'aurait  pas  non  plus  créé   l'aigle   aux  griffes  cro- 
chues, au  bec  recourbé,   avec    ses   ailes  souples  et  di- 
visées, son  crâne  chauve,  ses  yeux  pénétrants,  son  cou 
élevé,  ses  jambes    si  robustes;   et   cet  aigle  n'a   pas  été 
créé  ni  pour  cueillir  des  baies,  ni  pour  mâcher  ses  ali- 
ments et  brouter  des  herbes,    mais   pour  saisir  et  dé- 
chirer sa  proie.  Dieu,  en  le  créant,  n'a  pas  eu  le  même 
égard  que  toi  aux  sentiments  de  compassion,   ni  suivi 
les  mêmes  principes  d'intelligence.  Lui,   il  ne  s'est  pas 
conformé    à     ton    avis,    qui    eût    été    d'éloigner    les 
malheurs  et  d'éteindre    la  llamme  brûlante.   Dans  sa 
sagesse  impénétrable  aux   yeux  de  notre   intelligence, 
il  y  a   donné  son  consentement    et   lu  n'aurais   pas   le 
droit  d'exiger  de  lui  la  compensation  des  membres  dé- 
chirés, ni  des   cous  cassés.    Le  temps   fait  oublier  les 
douleurs,   éteint    la    vengeance,   apaise     la    colère  et 
étouffe  la  haine;   alors  le  passé  est  comme  s'il   n'eût 
jamais  existé,  les  douleurs   affligeantes   et  les  pertes 
subies    ne    sont    nullement    prises    en     considération; 
Dieu  ne  fait  aucune  distinction   entre  la  compensation 
et  le  don  gratuit  ;  entre  l'initiative    de  sa  grâce  el   la 
récompense;  les  siècles  qui  liassent,  les  vicissitudes  du 
temps  enlacent  toul  rapport  causal.  «Traduction  du  baron 
Carra  de  Vaux,  dans  Avicenne,  c.  x.  Paris,  1900,  p.  282. 
En  résumé,  Dieu  mène  toutes  choses,  mais  à  sa  manière 
qui  nous  esl   incompréhensible;  et  cette  marche 
choses  sous  la  force  mystérieuse  divine  est  leur  destin. 
V.  Conclusion.  —  Par  cette  esquisse  on  voit  com- 
bien de  dogmes  sonl  intéressés  i    la  doctrine   du  des- 
tin. Si.  en  ellel,  celle-ci   reste   païenne,   elle    peut  com- 
promettre gravement    les  dogmes  ou  les  vérités  reli- 
-  di    1  '"■  1  tem  ■    di    Dii  u,  de  sa  puissance  1  1  d< 
son  intervention  dans  le  monde,  de  sa  prescience,  de 
sa  providence,  de  l'accord  de  la  prédestination  avec  la 
liberté,  de  l'utilité  el  de  l'efficacité  de  la  prière,  de 
l'i  spérance,  du  met  ite  el  do  démérite.  Si,  au  contraire, 
on  suit  lea  principes  de  aainl  Augustin  el  de  B01 
tous  1.  .   toutea  cei  rériti  'ises,  sont 

sauvegardés.  Dieu  est  le  maître  du  monde,  où  rien  ne 
le  i.ut    ..11    m  permission  el  son  concours;  où  cepen- 
dant l'homme  reste  libre  el  où  la  prière  garde 
Ml|    el  le  ■  1  naire  place. 

I    '  

DESTINÉE.    La    desth  un    dea  prt 

Ihéologiquei  lea  plu  li  -  plua  n  1 

aux  autrei  problémea  Ses  éléments  sont  dont  tous  tral 


.;.!'.( 


DESTINÉE   —   DÉTENTION   INJUSTE   DU    BIEN    D'AUTRUl 


040 


tés  ailleurs;  il  nous   suffira  d'indiquer  l'idée synthé-   I 

tique  qui  les  relie  enlre  eux.  La  destinée,  c'est  la 
question  de  la  fin  de  l'homme  (voir  ce  mot).  On  peut 
donc  se  demander  à  son  sujet  : 

1°  S'il  y  a  une  destinée,  c'est-à-dire  si  l'homme  a  I 
une  fin,  s'il  y  a  une  orientation  nécessaire  et  provi- 
dentielle de  sa  vie,  ou  s'il  est  tout  simplement  un  ré- 
sultat de  forces  aveugles  qui  vont  au  hasard  et  pro- 
duisent sans  cesse,  sans  les  prévoir,  sans  les  vouloir, 
sans  y  tendre,  de  nouveaux  résultats.  Voir  CAUSE,  t.  il, 
col.  2033  sq.;  Hasard,  ÉVOLUTION,  HOMME.  La  religion 
naturelle  et  la  révélation  affirment  que  l'homme  est 
l'œuvre  d'un  créateur  intelligent  et  sage,  qui  n'a  pu 
agir  sans  imposer  un  hut  à  son  œuvre.  Voir  C.  Piat, 
Déminée  de  l'homme,  Paris,  1898. 

2°  Quelle  est  cette  destinée?  —  Est-elle  en  dehors  de 
l'homme,  dans  l'avantage  utilitaire  ou  honorifique  du 
créateur;  ou  dans  l'homme?  En  l'homme  consiste- 
t-elle  dans  sa  perfection  ou  dans  son  bonheur  ou  dans 
les  deux?  Si  elle  réside  dans  la  poursuite  de  sa  féli- 
cité, quelle  félicité  doit-il  chercher,  celle  des  sens  ou 
celle  de  l'esprit,  ou  les  deux?  Toutes  ces'solutions  ont 
été  données  par  les  morales  humaines.  Voir  Création, 
t.  m,  col.  2034  sq.  ;  Béatitude,  t.  il,  col.  497  sq.  ;  Dieu.  La 
réponse  de  la  théologie  chrétienne  est  que  la  destinée  de 
l'homme  réunit  en  un  seul  terme  trois  aspects  divers  : 
l'homme  est  créé  pour  la  gloire  de  Dieu,  mais  celle- 
ci  réside  surtout  et  essentiellement  dans  la  perfection 
de  l'homme,  image  et  glorification  de  la  divinité;  et 
la  perfection  à  son  tour  rend  heureux  l'homme  qui 
l'a  obtenue,  qui  en  a  conscience  et  se  repose  en  elle. 
En  sorte  que  le  terme  pour  l'homme  est  dans  la  gloire 
de  Dieu,  dans  la  perfection  personnelle  et  dans  la 
félicité. 

3o  A  quel  ordre  appartient  cette  destinée?  —  Est- 
elle d'ordre  naturel  ou  d'ordre  surnaturel?  Voir 
Nature,  Surnaturel,  Ordre.  A  ce  sujet  encore  de 
longs  développements  se  donnent  là  où  est  discutée  la 
vocation  de  l'homme  à  l'ordre  surnaturel.  Les  uns  nient 
<;ette  vocation;  ils  sont  les  tenants  du  naturalisme  sous 
toutes  ses  formes;  les  autres  adoptent  cette  vocation. 
Selon  eux,  et  selon  la  religion  catholique,  chacun  a 
été  appelé  primitivement  à  la  vie  surnaturelle,  puis, 
l'ayant  perdue,  y  a  été  restauré  par  la  rédemption. 
L'ordre  surnaturel  comporte  une  fin  nouvelle,  qui 
enveloppe  et  complète  la  fin  de  l'ordre  naturel,  et 
donne  à  l'homme  une  destinée  correspondante  au 
caractère  spécial  de  l'ordre  surnaturel  ;  destinée  de 
participation  à  la  vie  divine,  d'élévation  à  une  per- 
fection inabordable  par  nos  moyens  naturels  d'explo- 
ration, de  connaissance  ou  de  conquête.  L'homme  a 
donc,  depuis  le  Christ,  une  destinée  surnaturelle. 

4°  Cette  destinée  est-elle  libre  ou  obligatoire?  — 
Autre  question  qui  touche  la  destinée  et  qui  fut  sou- 
levée par  des  libéraux  (voir  Liréralisme,  Vie  surna- 
turelle) pour  lesquels  la  vie  surnaturelle  serait  un 
don  facultatif  offert,  mais  non  imposé  par  Dieu  à  notre 
bonne  volonté.  La  thèse  catholique  est  que  la  desti- 
née surnaturelle  est  gratuite,  mais  obligatoire.  Dieu 
nous  la  donne  par  un  pur  effet  de  sa  bonté,  qui  au- 
rait pu  nous  refuser  une  si  grande  faveur;  mais  en  nous 
la  donnant,  Dieu  pousse  la  bonté  jusqu'à  nous  l'impo- 
ser, afin  que,  par  notre  caprice,  nous  ne  soyons  pas 
privés  d'un  tel  privilège.  Nous  ne  sommes  donc  pas 
libres  d'accepter  la  destinée  surnaturelle  ou  d'y 
renoncer. 

5°  Où  celte  destinée  doit-elle  se  réaliser?  —  Ici-bas 
ou  dans  une  autre  vie?  Les  matérialistes,  qu'ils  portent 
ce  nom  ou  que,  sous  d'autres  appellations,  ils  nient 
l'autre  vie,  s'accordent  à  dire  que  l'homme  est  fait 
pour  cette  vie  et  qu'il  doit  se  borner  aux  horizons 
terrestres.  La  destinée  serait  dès  lors  d'y  jouir  le  plus 
et  le  plus  longtemps  possible,  d'où  la  curée  des  volup- 


tés, des  richesses  et  des  honneurs.  La  doctrine  catho- 
lique affirme  l'immortalité  et  la  spiritualité  de  l'âme, 

voir  Ame,  t.  1.  col.  1022,  et  lui  attribuant  une  destinée 
correspondant  à  sa  nature  en  relarde  la  plein.-  réalisa- 
tion jusqu'à  l'autre  vie.  Voir  Ciel,  t.  11,  col.  2i7i; 
Purgatoire,  Enfer. 

6"  Dans  quel  acte  principal  cette  destinée  doit-elle 
s'accomplir?  —  Est-ce  dans  l'action,  dans  l'amour,  ou 
dans  la  vision?  La  théologie  enseigne  que  le  terme  de 
l'homme  surnaturalisé  est  dans  l'acte  de  la  vision  in- 
tuitive de  Dieu.  Voir  ComprÉhensive  {Science),  t.  m, 
col.  631  ;  Vision,  Ciel.  Cette  vision  rayonnera  dans  la 
volonté,  pour  y  provoquer  un  amour  suprême  et  irré- 
vocable de  Dieu,  dans  toutes  les  facultés  pour  les  éta- 
blir dans  l'état  bienheureux  de  pleine  possession  de 
leurs  objets,  mais  l'acte  premier,  essentiel,  qui  cons- 
titue l'homme  dans  sa  fin,  c'est  le  face  à  face  avec 
Dieu,  en  quoi  Dieu  est  souverainement  glorifié,  et 
l'homme  divinement  perfectionné  et  béatifié. 

7°  Comment  l'homme  accomplit-il  sa  destinée?  — 
Librement  ou  nécessairement  ?  Les  déterministes  assu- 
rent que  l'homme  est  conduit  par  la  fatalité,  ou  la  né- 
cessité des  forces  créées,  vers  une  fin  prédestinée  et 
inéluctable;  la  foi  enseigne  que  l'homme  est  libre  et 
que,  si  sa  fin  est  obligatoire,  il  a  l'honneur  et  le  mérite 
de  la  réaliser  librement  et  volontairement.  Voir  Déter- 
minisme, Lirerté,  Prédestination. 

8°  Où  a  commencé  la  destinée  de  l'homme?  —  La 
marche  de  l'homme  et  le  travail  qui  accomplit  sa  des- 
tinée commencent-ils  à  sa  naissance,  ou  remontent- 
ils  au  delà  du  berceau  ?  La  métempsycose  et  l'évolu- 
tionisme  (voir  ces  mots)  font  de  la  vie  humaine  un  seul 
instant,  un  anneau  d'une  chaîne  infinie  qui  s'est  dé- 
roulée auparavant  dans  des  existences  préparatoires  à 
la  vie  humaine  et  se  prolongera  après  dans  l'épanouis- 
sement d'une  espèce  nouvelle  et  supérieure,  qui  sera 
le  surhomme,  ou  un  esprit  pur.  ou  dans  la  déchéance 
d'une  matérialité  douloureuse  où  l'homme  subira  le 
châtiment  et  la  purification  de  ses  fautes  et  de  ses 
vices.  La  révélation  enferme  l'homme  dans  son  espèce, 
créée  par  Dieu,  douée  d'une  âme  créée  spécialement 
pour  chacun,  au  moment  de  sa  conception;  sa  destinée 
est  de  se  perfectionner  dans  son  individualité  propre  et 
son  espèce  humaine.  Le  surhomme  est  une  utopie. 
L'homme  marche  vers  l'homme  parfait  décrit  par  saint 
Paul  :  donec  occurramus  omttes  in  unitatem  fidei  et 
agnitionem  Filii  Dei  in  virum  perfection,  in  men- 
suram  œtatis  plenitudinis  Christi.  Eph.,  iv,  13. 

90  y  a-l-il  une  destinée  sociale?  —  L'homme  peut- 
il  se  sauver  individuellement,  ou  doit-il,  pour  le  salut, 
s'unir  en  société,  ou  recourir  aux  sociétés  existantes? 
L'homme  est  essentiellement  social;  il  ne  peut  accom- 
plir ni  sa  destinée  terrestre,  ni  sa  destinée  céleste, 
sans  le  secours  de  l'humanité  groupée  en  société.  Il 
faut  à  l'homme  une  patrie,  au  chrétien  une  Église  : 
c'est  dans  ces  grands  organismes  seulement  qu'il 
trouve  les  moyens  indispensables  à  la  réalisation  de  sa 
destinée,  et  la  destinée  de  ces  sociétés  est  précisément 
de  faire  à  l'homme  le  milieu  et  les  moyens  de  salut  et 
de  vie  naturelle  et  surnaturelle.  Voir  Société,  Église. 

A.  Ciiollet. 

DÉTENTION  INJUSTE  DU  BIEN  D'AUTRUl. 
Le  septième  commandement  de  Dieu,  Xon  furtum 
faciès,  Exod.,  xx.  15,  défend  non  seulement  de  prendre 
le  bien  d'autrui,  mais  aussi  de  le  retenir  contre  sa 
volonté,  car  on  fait  aussi  tort  au  prochain  en  détenant 
injustement  son  bien  qu'en  le  lui  prenant.  Detinere 
quod  ulteri  debetur,  eamdem  ralionem  nocumenti ha- 
bet  cum  acceptione  injusla;  ideo  sub  injusta  accep- 
tione  intelligitur  etiam  injusta  detentio.  S.  Thomas. 
Sum.  theol.,\\*  H',  q.i.xvi.  a.  3,  ad2u  .  De  plus,  la  dé- 
tention injuste  du  bien  d'autrui  n'est  pas  un  acte  tran- 
sitoire, comme  l'est  le  simple  vol;  mais  c'est  un  état,  la 


641 


DÉTENTION    INJUSTE    DU    BIEN    D'AUTRUI 


DÉTERMINISME       642 


prolongation  du  vol,  et  comme  un  vol  continué  et  renou- 
velé. On  peut  supposer  même  qu'il  n'y  a  pas  eu  vol, 
dans  le  principe,  c'est-à-dire  pas  d'injustice  formelle, 
comme  il  arrive  lorsque  quelqu'un  possède  de  bonne 
foi  ce  qui  ne  lui  appartient  pas,  mais  ce  qu'il  croit 
lui  appartenir.  S'il  s'aperçoit  ensuite  de  son  erreur, 
et  qu'il  ne  rende  pas,  dès  qu'il  le  peut,  ce  qu'il  sait 
alors  n'être  pas  à  lui,  il  commet  un  vol  par  cette  dé- 
tention qui,  à  partir  de  ce  moment,  devient  injuste. 

Aussi  les  théologiens,  sans  exception,  enseignent-ils 
qu'on  pèche  contre  le  septième  commandement  de 
Dieu,  soit  en  s'emparant  injustement  du  bien  d'au- 
trui.  soit  en  le  gardant,  ou  le  détenant,  sans  le  consen. 
tement  de  celui  qui  en  est  le  légitime  propriétaire  : 
ralionc  injustse  acceplionis,  vel  injuslx  detenlionis. 
Ces  deux  cas  sont  une  même  violation  de  la  justice 
exigeant  que  chacun  ait  la  libre  disposition  de  ce  qui 
lui  appartient  :  cuique  sinon. 

Comme  le  septième  commandement  de  Dieu  est  né- 
gatif, il  oblige  sans  cesse,  et  à  chaque  instant.  Celui 
donc  qui,  le  sachant,  détient  injustement  le  bien  d'au- 
ti'ui,  est  dans  un  péché  continuel,  et  il  le  renouvelle 
toutes  les  fois  que,  s'apercevant  de  l'injustice  commise 
par  lui,  il  ne  consent  pas,  dans  son  for  intérieur,  à 
restituer  quam  primum  le  bien  injustement  détenu. 
mais  réitère,  au  contraire,  sa  ferme  volonté  de  ne  pas 
le  rendit1. 

La  détention  injuste  du  bien  d'autrui  impose  à  l'in- 
juste détenteur,  non  seulement  l'obligation  stricte  de 
rendre  le  bien  à  son  légitime  propriétaire;  mais,  en 
outre,  celle  de  réparer  tous  les  dommages  que  celui-ci 
a  subis,  ou  subit  encore,  par  le  fait  de  cette  injuste  dé- 
tention. Voir  Restitution,  Vol. 

T.  Ortolan. 
DÉTERMINISME.    -    I.    Définition.  II.    Histoire. 
III.  Théorie  et  critique. 

I.  DÉFINITION.  —  On  désigne  du  nom  commun  de 
déterminisme  les  systèmes  philosophiques  qui  consi- 
dèrent tous  les  phénomènes  de  l'univers  et  en  particu- 
lier les  actes  humains  comme  des  produits,  en  sorte 
que  ce  que  l'on  a  appelé  liberté  morale  ou  libre  arbitre 
(voir  LIBERTE  |  ne  correspond  à  aucune  réalité.  Le  déter- 
minisme  Be  < 1 1 < i i ji l: n <■  du  fatalisme  (voir  ce  mot),  en 
ce  que  le  fatalisme  fait  dépendre  tous  les  événements,  et 
les  actes  humains  qui  y  sont  compris,  d'une  première 
cause  qui  peut  être  aussi  bien  une  volonté  libre  absolue, 
telle  que  parait  être  l'Allah  musulman,  qu'un  fatum 
m  une  Moïra  obscure,  tels  que  les  révérai! 
l'antiquité  grecque  el  latine.  Voir  Destin.  Cette  pre- 
mière cause  pourrait  être  libre  elle-même,  indétermi- 
u  Le  déterminisme  n'admet  que  du  déterminé.  11  ne 
remonte  pas  au  delà  d<  s  phénomènes  du  monde,  un  être 
transcendant  quelconque  pourrait  par  cette  transcen- 
dante échapper  >  la  détermination;  le  déterminisme 
es!  i  ssentiellemenl  une  doctrine  de  l'immanence.  Un 
bref  exposé  historique  va  confirmer  ces  quelques  no- 
tion-. 

II.  Histoire.      I.  qui  n'admettaient  ni  mou- 

venu  ut   ni  aucun  changement  dans   le  monde  devaient 
voisins  du  déterminisme,  mais  les  atomistes, 

tels  que  Démoci  ite,  qui  ramènent  tous  les  phén mes 

impli  -  déplacements  mécaniques  di 
p.  ndanl  'le  lois  m  ,,.■  pouvaient  être  que  di  - 

terministei  Êpicure  et  ses  disciples,  bien  qu'ad ttanl 

la  physique  de    Démocrite,  échappèrent  u  cli- 

namen,  an  déterminisme.  M.  Fouillée,  Philotophie  de 

J  in   S  .   Pai  i-.    [889,  a  voulu  f.nre  de    Si 

un  déterministe     Di     ■  que  -ncr.tte  professe  (pu-  p,  , 
échanl  volontairement  et  que  toute  but* 
s,  M    I  ouillée  conclut  q 
ne  i   la    olonti    iou    la   di  pi  nd  me.  .  Qtière  de  l'intelli 

Il        p   lll    .Ile     qui      il. 

terminée,  il  s'en  ui  ite  aurait  p: 

MCI.    DS    7111  OL.    f.ATIIOL. 


déterminisme  intellectualiste.  Et  Platon  l'aurait  à  peu 
près  suivi  sur  ce  point.  Ces  vues  historiques  assez  in- 
complètes sont  fort  contestables,  comme  l'auteur  de  cet 
article  a  essayé  de  le  faire  voir,  Essai  sur  le  libre  ar- 
bitre, 1.  I,  c.  H,  mais  il  reste  de  ces  discussions  que 
toute  doctrine  métaphysique  qui  prétend  tout  ramener 
à  des  lois  intellectuelles  ou  mettre  tous  nos  actes  sous 
la  dépendance  de  l'intelligence,  en  un  mot  tout  intellec- 
tualisme est  et  ne  peut  être  que  déterministe.  Les 
stoïciens  paraissent  soumettre  entièrement  l'homme  à 
la  nature  et  enfermer  toutes  ses  actions  dans  la  série 
rigoureusement  ordonnée  des  événements,  série  dont  la 
trame  forme  l'siij.ap[jiv/]  ou  fatum,  cependant  ils  ad- 
mettent un  certain  pouvoir  intérieur  de  la  volonté  qui 
parait  pouvoir  donner  ou  refuser  son  assentiment  aux 
forces  qui  dominent  les  actions.  Fa  ta  voleniem  ducunt, 
nolenteni  trahunt. 

Une  nouvelle  forme  de  déterminisme  résulta  des  spé- 
culations théologiques  qui  succédèrent  aux  écoles  de 
philosophie  antique  :  les  uns,  comme  les  mahométans, 
très  frappés  de  l'omniscience  que  devait  posséder  la  divi- 
nité, crurent  en  pouvoir  déduire  que  Dieu,  sachant  tout, 
prévoyait  d'avance  l'avenir  et  ils  professaient  par  suite 
que  cet  avenir,  d'avance  prévu,  ne  pouvait  être  dès  lors 
qu'arrêté,  fixé  et  déterminé;  les  autres,  tels  que  Jean 
lluss,  Wycleff,  Luther,  Calvin  (voir  ces  mots),  ne  croient 
pas  que  la  toute-puissance  divine  puisse  laisser  quelque 
place  à  l'activité  humaine  :  ce  n'est  pas  seulement  dans 
un  sens  surnaturel,  mais  dans  un  sens  tout  positif  et 
naturel,  qu'ils  entendent  le  mot  de  saint  Paul  :  Doits 
operatur  in  vobis  et  relie  et  per/iccre.  Phil.,  Il,  13. 
L'homme  n'agit  point,  il  est  seulement  agi  :  non  agit, 
sed  agitur,  car  ils  ne  peuvent  admettre  que  l'homme 
puisse  produire  par  lui-même  aucune  réalité;  ce  serait, 
leur  semble-t-il,  autant  de  dérobé  au  domaine  de  la 
puissance  de  Dieu.  C'est  sur  cette  pente  que  glissèrent 
les  jansénistes  (voir  Jansénisme)  ;  c'est  pour  des  raisons 
semblables  que  Malebrancbe  (voir  ce  mot),  tout  en  vou- 
lant maintenir  le  libre  arbitre,  refuse  à  l'homme  toute 
causalité  véritable,  et  c'est  enfin  tout  à  fait  dans  le 
même  sens  que  Spinoza  disait  :  «  L'homme  n'est  pas 
un  empire  dans  un  empire.  <> 

L'un  des  premiers  philosophes  modernes  qui  professe 
ouvertement  le  déterminisme  est  Hobbes  qui,  réduisant 
tout  à  la  matière  et  au  mouvement,  ne  peut  que  faire 
dépendre  les  actes  humains  comme  tous  les  autres  évé- 
nements des  mouvements  corporels.  Le  monde  n'est 
qu'une  horloge  et  nos  plaisirs,  nos  souffrances,  nos  désirs 
ne  sont  que  des  conséquences  des  mouvements  des 
rouages.  Nos  volitions  ne  sont  que  la  dépendance  de  nos 
désirs,  car  celui  de  nos  désirs  qui  l'emporte  sur  les  autres 
et  se  réalise  est  ce  que  nous  appelons  volonté.  Descartes, 
voir  col.  563,  parait  tantôt  faire  dépendre  le  jugement  de 
la  volonté  et  tantôt  mettre  la  volonté  sous  la  dépendance 
du  jugement.  Dans  ces  derniers  cas,  il  est  détermi- 
niste el  c  est  au  déterminisme  que,  par  l'intellectualisme, 
incline  tout  son  système.  Cet  intellectualisme,  Spinoza 
le  construit  et  le  développe  dans  ['Éthique.  Tout  l'être 
du  inonde  se  réduit    à    une   seule   substance  qui  existe 

menl  par  cela  seul  qu'elle  esl  pensée,  en 
vertu  de  la  preuve  ontologique  (voir  Du  i  .  son  es 
enferme  donc  son  existence  el  c'esl  de  cette  nécessaire 
,  iseneeque  i  existence  is  déduit.  Mais  l'essence  n'est  que 
la  somme  des  attributs  sf  les  attributs  A  leur  leur  ns 
i.  i  en»  mbli  de  l'être,  il  s'ensuit  que, 

si  un  seul  des  modes  venail  ■<  chan  nce  sérail 

changée  el  le  rail  plus     I  on 

modes  de  i  être  tonl  donc  né 

ittribuls,  ii  ICe  pour  que  soft 

ti  m  e   Mus  ji  n'\  .i  el  il  ne  psul 
u  qu'une  ■<  aie  Substance,  un    eul  Êtrt    êri 
Dieu  ;  toui  ce  qui  existe  ■  i  ■'  quoi  l'on  donne  le  nom 
d'être  d  une  (ai  on  équivoque  n'esl  que  mouvant  tssem 

iv.  -  SI 


643 


DETERMINISME 


644 


blage  de  modes, d'attributs  divins.  Chaque  homme  en 
particulier  n'est  qu'une  série  de  modes  de  pensée  que 
l'on  désigne  sous  le  nom  d'âme,  unie  et  coordonnée  à 
une  série  de  modes  d'étendue  à  laquelle  on  donne  le 
nom  de  corps.  Il  n'est  donc  rien  en  nous  qui  ne  découle 
de  la  nature  même  de  Dieu,  tout  en  nous  comme  hors 
de  nous  est  déterminé  par  l'essence  divine  comme 
toutes  les  propriétés  du  triangle  sont  déterminées  par 
sa  loi  de  construction.  LeibniU  ne  professe  peut-être 
pas  une  métaphysique  aussi  rigoureusement  détermi- 
niste qu'on  l'enseigne  d'ordinaire,  il  distingue  soi- 
gneusement le  contingent  du  nécessaire,  il  admet  la 
liberté  de  Dieu,  mais  il  soutient  que  Dieu  ne  peut 
être  que  déterminé  par  sa  nature  morale  et  que  toute  la 
création  est  également  déterminée.  Leibnitz  critique 
avec  la  plus  extrême  rigueur  le  concept  de  la  liberté 
d'indifférence.  Tous  les  phénomènes  de  l'univers  sont 
dominés  par  le  principe  de  raison  suffisante.  Rien 
n'existe  qui  n'ait  une  raison  d'exister  et  à  ce  qui  n'existe 
pas  la  raison  suffisante  fait  défaut.  D'où  il  suit  rigou- 
reusement que  tous  les  états  du  monde,  à  un  moment 
quelconque  de  sa  durée,  dépendent  de  tous  les  états 
antérieurs  et  conditionnent  tous  les  états  postérieurs. 
«  Le  présent  résulte  du  passé  et  est  gros  de  l'avenir.  » 
L'homme  n'est  donc  qu'une  sorte  d'  «  automate  spiri- 
tuel ».  H  y  a  toujours  pour  nous  faire  choisir  une  ac- 
tion plutôt  qu'une  autre  de  petites  raisons  souvent 
inaperçues,  mais  qui  n'existent  pas  moins.  L'action  qui 
n'a  pas  été  choisie  manquait  de  raison  suffisante,  et  c'est 
pour  cela  qu'elle  ne  s'est  pas  réalisée.  Le  libre  arbitre 
que  l'homme  croit  exercer  n'est  donc  que  l'ignorance 
des  raisons  qui  le  font  agir.  Les  événements  de  notre 
âme  sont  gouvernés  aussi  bien  que  les  événements 
matériels  par  la  raison  suffisante  et  la  seule  différence 
qu'il  y  ait,  c'est  que  les  phénomènes  corporels  ne  sont 
soumis  qu'à  la  loi  de  causalité  efficiente,  tandis  que 
les  phénomènes  de  l'âme  sont  régis  par  la  loi  de 
causalité  finale.  Ainsi  tout  est  intelligible,  tout  peut 
s'expliquer  et  par  conséquent  se  ramener  à  des  raisons 
antécédentes.  On  peut  dire  qu'après  Leibnitz,  le  déter- 
minisme n'a  plus  fait  aucun  progrès.  Toutes  les  théo- 
ries que  l'on  a  développées  ne  sont  guère  que  des  appli- 
cations du  principe  posé  par  Leibnitz,  c'est-à-dire  des 
déductions  du  principe  de  raison  ou  plus  simplement 
de  causalité.  Une  action  vraiment  libre  serait  sans 
cause,  aurait,  comme  dit  Kant,  son  point  de  départ 
en  elle  seule.  C'est  pour  cela  que  Kant,  suivi  en  cela 
par  Schopenhauer,  n'admet  pas  le  libre  arbitre  phé- 
noménal et  rejette  la  liberté  dans  le  noumène.  Les 
matérialistes,  tels  que  K.  Vogt,  Bùchner,  réduisent 
l'univers  à  n'être  plus  qu'un  système  mécanique  où 
tout  est  par  suite  rigoureusement  déterminé,  et  les 
monistes,  tels  que  Ha?ckel,  soutiennent,  à  la  suite  de 
beaucoup  de  savants,  que  la  quantité  de  force  devant 
demeurer  constante  dans  l'univers,  rien  ne  peut 
venir  rompre  le  déterminisme  des  forces.  Car  si  quel- 
que mouvementpouvait  se  produire  qui  ne  résultat  pas 
des  forces  déjà  existantes,  ce  mouvement  supposerait 
une  véritable  création  de  force  et  tous  les  principes  de 
la  science  seraient  renversés.  Tous  les  résultats  mêmes 
de  la  science  seraient  remis  en  question,  car  la  science 
n'a  de  valeur  que  par  les  prévisions  qu'elle  permet  et 
si,  à  chaque  instant,  par  le  jeu  des  libertés,  des  forces 
nouvelles  pouvaient  venir  introduire  leurs  effets  dans 
le  cours  des  phénomènes,  toutes  les  prévisions  de  la 
science  seraient  renversées. 

III.  Théorie  et  critique.  —  On  voit  par  cet  exposé 
historique  quelles  sont  les  raisons  qui  ont  amené  les 
philosophes  au  déterminisme  et  d'où  ils  ont  tiré  tous 
leurs  arguments.  On  apercevra  mieux  encore  quelle  est 
l'essence  de  ces  raisons,  si  l'on  rappelle  brièvement  les 
principaux  raisonnements  que  font  les  déterministes 
pour  établir  le  bien  fondé  de  leur  système.  Ces  argu- 


ments peuvent  se  diviser  en  arguments  psychologiques, 
arguments    scientifiques,    arguments    métaphysiques. 

Xous  allons  les  formuler  tour  à  tour  et  les  critiquer  à 
mesure. 

1°  Arguments  psychologiques.  —  «  Xous  nous  croyons 
libres,  parce  que  nous  n'apercevons  pas  les  causes  qui 
nous  font  agir.  Nous  ne  voyons  pas  ces  causes,  nous  en 
concluons  qu'elles  n'existent  pas.  »  Il  est  facile  de  voir 
que  l'argument  n'a  aucuneValeur,  car,  si  de  ce  que  notre 
conscience  ne  découvre  pas  de  causes  qui  nous  fassent 
agir,  il  ne  s'ensuit  peut-être  pas  à  la  rigueur  que  ces 
causesn'existentpas,ils'ensuit  bien  moins  encore  qu'elles 
existent.  Si  dire  :  je  ne  vois  rien,  donc  il  n'y  a  rien,  peut 
être  aventureux,  il  est  bien  plus  aventureux  encore  de 
dire  :  je  ne  vois  rien,  donc  il  y  a  quelque  chose.  —  «  La 
volonté  n'est  autre  chose  que  le  désir  qui  l'emporte; 
or,  tous  nos  désirs  sont  déterminés,  donc  la  volonté  est 
aussi  déterminée.  »  On  fait  remarquer  que  la  volonté 
ne  saurait  se  confondre  avec  le  désir,  car,  s'il  est  vrai 
qu'on  ne  veut  que  ce  qu'on  désire,  il  n'est  pas  vrai  qu'on 
veuille  toujours  ce  qu'on  désire  le  plus  fortement.  Il  y 
a  même  une  différence  de  nature  entre  le  désir  et  la 
volonté,  car  plus  le  désir  est  violent,  plus  l'intelligence 
est  réduite,  tandis  qu'au  contraire  plus  l'intelligence 
s'exerce,  plus  la  volonté  a  le  sentiment  de  son  énergie. 
—  «  La  volonté  se  décide  toujours  d'après  des  motifs, 
elle  n'est  jamais  indifférente,  le  motif  qui  l'emporte  est 
évidemment  le  plus  fort,  c'est  donc  ce  motif  qui  décide 
tout  et  l'âme  n'est  bien,  comme  on  l'a  dit  si  souvent, 
qu'une  balance  qui  penche  du  côté  le  plus  fort.  » 
Toute  cette  argumentation  repose  sur  une  équivoque. 
On  considère  les  motifs  comme  des  forces  extérieures 
à  l'âme,  tels  les  poids  par  rapport  à  la  balance,  mais  la 
force  des  motifs  dépend  de  l'âme  elle-même,  c'est  nous 
qui  donnons  aux  motifs  leur  force,  de  façon  déter- 
minée si  tout  est  déterminé,  mais  aussi  librement  si 
nous  sommes  libres.  La  question  n'a  pas  fait  un  pas. 

2°  Arguments  scientifiques.  —  «  Si  la  volonté 
humaine  était  libre,  si  tout  n'était  pas  déterminé,  la 
liberté  humaine  apporterait  des  perturbations  dans  les 
chiffres  des  statistiques,  crimes,  suicides,  mariages, 
divorces,  etc.  Or,  la  marche  des  statistiques  est  régu- 
lière, donc  la  cause  perturbatrice  n'existe  pas.  t  Ici. 
c'est  le  point  de  départ  même  de  l'argumentation  qui 
est  contestable,  car  :  1.  les  statistiques  sont  loin  d'em- 
brasser la  totalité  des  actes  humains;  2.  leur  marche  n'a 
pas  la  régularité  que  les  démographes  leur  attribuent; 
à.  enfin  et  surtout,  alors  même  que  les  statistiques  sui- 
vraient des  courbes  très  régulières,  et  que  les  nombres 
totalisés  paraîtraient  déterminés,  il  ne  s'ensuivrait  pas 
à  la  rigueur  que  chacun  des  actes  singuliers  qui  for- 
ment les  nombres  ait  été  tout  entier  déterminé.  — 
«  Mais,  reprennent  les  déterministes,  la  science  établit 
que  la  quantité  d'énergie  qui  se  trouve  dans  le  monde 
demeure  constante.  Rien  ne  se  crée,  rien  ne  se  perd. 
Une  indétermination  quelconque  permettrait  d'ajouter 
ou  de  retrancher  quelque  chose  à  la  somme  constante 
des  forces  et  serait  par  conséquent  contraires  la  grande 
loi  sur  laquelle  repose  toute  la  science  moderne,  la  loi 
de  la  conservation  de  l'énergie.  »  11  suffit,  pour  re- 
mettre les  choses  au  point,  de  faire  observer  que  la  loi 
de  la  conservation  de  l'énergie  ne  repose  que  sur  un  très 
petit  nombre  de  mesures  qui  n'expriment  que  des 
moyennes.  L'expérience  ne  permet  d'affirmer  que  cette 
proposition  :  La  quantité  d'énergie  est  sensiblement, 
moyennement,  c'est-à-dire  à  peu  près  constante.  Vou- 
loir transformer  cet  à  peu  près  en  absolument,  c'est 
supposer  ce  qui  est  en  question  et  faire  une  pétition  de 
principe.  Car  des  mathématiciens,  tels  que  Cournot  et 
Saint-Venant,  ont  montré  que  des  forces  par  elles- 
mêmes  insensibles,  pourvu  qu'elles  soient  plus  grandes 
que  0.  peuvent,  dans  des  systèmes  mécaniques  appro- 
priés, produire  des  effets  très  considérables.  —  ><   II 


€45 


DÉTERMINISME 


646 


n'en  est  pas  moins  vrai,  soutient  le  déterminisme,  que 
si  les  événements  du  monde  ne  sont  pas  déterminés, 
la  science  est  impossible.  Car  il  n'y  a  science  que  du 
déterminé.  Si  l'esprit  humain  ne  peut  pas  formuler  des 
lois  et  d'après  ces  lois  établir  des  prévisions,  il  n'y  a 
plus  de  science.  Or,  quelles  lois  certaines  peut-on  for- 
muler dans  un  monde  qui  ne  serait  pas  déterminé  et 
quelles  prévisions  peuvent-elles  être  assurées?  »  Ainsi 
que  l'a  fait  souvent  remarquer  avec  force  Charles  Re- 
nouvier,  en  raisonnant  ainsi  les  déterministes  prennent 
pour  accordé  précisément  ce  qu'on  leur  conteste.  Il 
n'est  pas  douteux  que  ce  qui  est  indéterminé  n'est  pas 
scientifique,  mais  la  question  est  précisément  de  savoir 
si  tous  les  événements  du  monde,  si  tout  sans  excep- 
tion doit  entrer  dans  le  domaine  de  la  science.  Si  la 
science  peut  et  doit  s'étendre  à  tout,  si  tout  doit  être 
nécessairement  soumis  à  des  lois  incoercibles,  alors  le 
déterminisme  [a  gain  de  cause.  Mais  qui  ne  voit  que 
c'est  précisément  là  toute  la  question? 

3°  Arguments  métaphysiques.  —  Nous  retrouvons 
la  même  pétition  de  principe  dans  les  arguments 
métaphysiques.  Le  premier  est  celui  de  la  prescience  de 
Dieu.  «  Dieu  voit  tout  d'avance,  donc  tout  est  prévu, 
et  par  suite  des  aujourd'hui  demain  est  fixé,  arrêté, 
déterminé.  »  Il  suffit  pour  répondre  de  faire  remar- 
quer que  Dieu,  à  proprement  parler,  ne  prévoit  pas, 
mais  voit.  Sa  connaissance  des  événements  du  temps 
est  intemporelle  et  de  cette  connaissance  intemporelle 
on  ne  peut  intelligiblement  déduire  quoi  que  ce  soit 
par  rapport  aux  événements  du  temps.  Si  l'on  voulait 
appliquer  à  la  connaissance  de  Dieu  les  règles  ordi- 
naires de  la  connaissance,  on  devrait  dire  :  Dieu  con- 
naît les  choses  qui  sont  parce  qu'elles  sont  et  elles  ne 
sont  pas  parce  qu'il  les  connaît.  —  Mais  ici  intervient 
la  toute-puissancc|de  Dieu.  «  Si  Dieu  est  tout-puissant, 
comment  se  peut-il  qu'il  ne  fasse  pas  tout  ce  qui  se  fait 
et  par  suite  que  les  choses  et  nos  volontés  comme  tout  le 
reste  ne  soient  pas  de  simples  dépendances  de  sa  vo- 
lonté'.' »  Tous  les  théologiens  catholiques  ont  fait 
remarquer  que  c'est  précisément  parce  que  Dieu  est 
tout-puissani  qu'il  a  pu  donner  à  la  créature  la  liberté 
et  toute  l'indépendance  compatible  avec  la  nature  de 
l'être  créé.  —  Voici  enfin  la  dernière  raison  du  déter- 
minisme, c'est  que  l'indéterminé,  le  vraiment  libre, 
serait  sans  raison.  «  Il  serait  déraisonnable  d'admettre 
que  quoi  que  ce  soit  puisse  arriver  sans  raison.  Or, 
une  action  libre  est  par  définition  celle  qui  ne  peut 
pas  se  ramener  à  ses  antécédents,  qui  ne  peut  pas 
pliquer,  car  si  l'on  pouvait  explique!'  le  choix,  il 
i  alors  déterminé  par  les  raisons  mêmes  qu'on  en 
donnerait.  Mais  j|  n'est  pas  possible  à  l'intelligence 
d'admettre  que  rien  puisse  arriver  sans  une  raison  suf- 
Hsante.  Tout  ce  qui  esl  rationnel  es)  déterminé,  cela 
donc  qui  ne  serait  pas  déterminé  serait  par  là  même 
Irrationnel.  El  l'irrationnel  ne  peut  entrer  dans  la 
nature  des  choses  car,  autrement,  le  inonde  devien- 
drait inintelligible  el  notre  connaissance  n'aurait  plus 

a  m  ■util-  règle  qui  luipermll  d<-  s'i  ■■  n  i  r  sur  1,   nc|r. 

ulemenl  la  science  qui  deviendrai! 
Impc  lis  aussi  bien  la  métaph  toute 

sorte  de  er;mi a  i  laine.  » 

un  voit   que  ce)  argumenl  résume  ''n  lui  tous  les 

i  Fond  de  tous.  Il  en 
i  le  nerf  caché.  Leibnltz,  en  le 

formulant,  a  si  pi  In  ace  mé du  déter 

mlnll Toute    la    question    est   là    en  effet  :  Y    a-l-il 

mènes  du  monde,  tel    que  certains  ad 

lonté  i aine,  qui  ne  \  ramener  a  des 

et  d  l' i  tnim  es?  Si  on  n'admi  I  p  i 
la  d  terminisme,  il  Faut  répondre  par  1  affirmative 
iine  i  "M  i  -  ivec  la  raison  toute  nob 

talligc  i  au  dilemme,  il  suffi)  de  foin 

:  .  ■  n  particulier  celles  di 


actes,  peuvent  demeurer  de  véritables  raisons  et  cepen- 
dant n'être  pas  semblables  aux  causes  ou  aux  impul- 
sions physiques.  Nous  pouvons  agir  raisonnablement 
sans  qu'il  soit  nécessaire  ni  même  possible  de  sou- 
mettre nos  raisons  à  la  mesure  et  au  calcul.  M.  Berg- 
son dans  deux  livres  importants  :  Essai  sur  les  don- 
nées immédiates  de  la  conscience,  in-8°,  Paris,  1889, 
et  L'évolution  créatrice,  in-8°,  Paris,  1907,  a  insisté 
avec  raison  sur  le  caractère  purement  qualitatif  de 
nos  événements  spirituels.  Ce  n'est  que  par  des  artifices 
d'analogie  que  nous  les  assimilons  à  des  faits  physiques 
et  la  raison  psychique  est  quelque  chose  de  très  diffé- 
rent de  la  causalité  physique.  Or,  le  déterminisme  de 
la  succession  n'a  jamais  été  conçu  qu'en  fonction  de  la 
succession  des  événements  physiques.  Nos  actes  peuvent 
donc  n'être  pas  rigoureusement  conditionnés  par  les 
événements  antérieurs  ou  concomitants  et  ne  pas  pour 
cela  manquer  de  raison.  Leur  raison  profonde  se 
trouve  dans  ce  qui  nous  constitue  à  l'état  de  puissances 
libres  -capables  d'apporter  dans  l'univers  des  qualités 
nouvelles.  Et  l'existence  de  telles  puissances  n'est  pas 
elle  non  plus  sans  raison.  Car  il  n'y  a  dans  le  monde 
un  domaine  propre  de  la  moralité  que  si  de  telles 
puissances  existent.  Dans  un  monde  tout  entier  déter- 
miné, le  vice  et  la  vertu,  ainsi  que  Spinoza  l'a  admi- 
rablement déduit,  ne  sont  que  la  nocuité  ou  la 
bienfaisance  nécessaires  résultant  de  la  nature  des  êtres 
et  ne  sont  pas  du  tout  ce  que  l'humanité  a  toujours 
voulu  signifier  par  ces  mots.  Le  devoir,  le  droit,  la 
responsabilité,  le  mérite,  la  sanction,  toutes  les  notions 
morales  changent  de  sens.  Si  le  déterminisme  est  vrai, 
il  n'y  a  pas  de  monde  moral.  La  moralité  se  trouve 
donc  être,  en  dernière  analyse,  la  raison  de  la  liberté. 
Si  le  déterminisme  a  tant  de  prises  sur  beaucoup 
d'esprits,  c'est  qu'il  satisfait  le  besoin  qu'a  l'intelli- 
gence non  seulement  de  tout  expliquer,  mais  encore 
de  tout  unifier.  Un  monde  déterminé  présente  en  effet 
au  plus  haut  point  tout  l'aspect  d'un  être  unique, 
extérieurement  modifié  ou  diversifié,  mais  constitué 
essentiellement  par  son  unité,  substance  de  Spinoza, 
matière  des  matérialistes,  force  des  dynamistes.  L'in- 
telligence tend  au  monisme;  elle  tend  donc  aussi  au 
déterminisme.  Mais  l'aspect  du  monde  montre  que  les 
différences  n'ont  pas  moins  de  réalité  que  les  analogies, 
et  que  la  diversité  existe  aussi  bien  que  l'unité.  Si  tout 
pouvait  se  ramener  au  passé  et  qu'il  n'y  eût  rien  de 
réel  dans  la  nouveauté,  comment  pourrait  exister  l'as- 
pect nu' de  la   nouveauté!  M.  Bergson,  op.  cit.,  a 

insisté  avec  beaucoup  de  force  sur  ces  divers  points  et  il 
semble  bien  qu'il  faille  tenir  grand  compte  de  ces  in- 
contestables constatations.  En  résumé,  le  déterminisme 
établit  que  si  l'on  considère  le  monde  comme  tout 
entier  tributaire  do  la  science  positive,  tout  doit  y  être 
déterminé;  il  pousse  même  un  peu  plus  loin  et  il  tend 
à  montrer  que  si  tout  dans  l'univers  esl  objet  d'intel- 
ice,  d'une  intelligence  discursive  el  définissante  telle 
que  la  nôtre,  tout  aussi  doit  j  être  déterminé.  Mais  la 

question  est  précisé ni  de  savoir  si  le  point  de  vue  de 

rallie  n'esl  pas  aussi  légitime  que  le  point  de  vue 
de  la  science,  si  même  la  moralité  i>>  di  passe  pas  la 
science,  si  enfin  I  intelligibilité  esl  la  lin  véritable  de 
l'univers, si  on  n'a  pas  le  droit  de  placer  celle  lin  dans 
la  l.oni.'.  Si  la  si  m  ie 

le  vrai,  mais  la  science  ebaorbe-t-elle  tOUl   el  la  morale 
ll'a-l-elle    pal    'I  i  III  p'T  ie  II  X   '     I  o  il  s     |,-    i.H-oii 

nementa  déterministes  supposi  ni  la  qui  stion   résolue 

en  faveur  d'1  la  science  contre  la  morale,  c'eal  i reela 

qu'ils  soni  tous  viciés  par  la   pétition  de  prini  Ipe  qui 
non-  avon  an  chacun  deux. 

lit    .     IM-S    ,     I 

'  I    i  ni  sur  |f  Moi  t 

arbitre  2"  édlt,  in 


G47 


DETERMINISME 


DEUSDEDIT 


048 


ris,  1894,  18P5;  Couailbac,  Lu  liberté  et  la  conservation  de 
l'énergie,  ln-8*,  Paris,  1897;  J.  Guibert,  Les  croyances  reli- 
gieuses et  les  sciences  de  la  nature,  c.  VI,  2'  édit.,  Paris.  1908, 
p,  169-495. 

G.  FONSEGRIVE. 
DÉTRACTION.  Voir  MÉDISANCE. 

DETTE.  Voir  RESTITUTION. 

1.  DEUSDEDIT  I.  Voir  DlEUDONNÉ. 

2.  DEUSDEDIT  II.  Voir  AdÉODAT,  t.  I,  col.  394-395. 

3.  DEUSDEDIT,  cardinal.  —  1.  Vie.  II.  Œuvres. 
III.  Doctrine. 

I.  Vie.  —  On  ignore  également  le  lieu,  la  date  de  sa 
naissance,  ses  débuts  dans  la  vie  religieuse,  et  tout  ce 
que  l'on  sait  de  lui  se  borne  à  fort  peu  de  chose. 
Rérenger  de  Tours,  dans  le  récit  de  sa  comparution  au 
synode  romain  de  1679,  Mansi,  Concil.,  t.  xix,col.  762; 
P.  L.,  t.  cxLvin,  col.  809,  le  cite  comme  cardinal  et 
abbé  de  Todi.  Il  aurait  donc  été  moine  avant  que  Gré- 
goire VII  Je  nommât  cardinal-prêtre  du  titre  des 
Apôtres  in  Ewlo.cia,  c'est-à-dire  de  Saint-Pierre-ès- 
liens;  il  vécut  sous  les  pontificats  de  Victor  III  et 
d'Urbain  II,  et  mourut  en  1099.  Quant  à  savoir  quel  fut 
exactement  son  rôle  au  milieu  des  conflits  suscités  par 
la  querelle  des  investitures- et  par  les  agissements  de 
l'antipape  Clément  III,  c'est  chose  assez  difficile.  Fut-il 
chargé  d'une  mission  en  Allemagne,  dont  il  profita 
pour  recueillir  des  documents,  ou  y  alla-t-il  à  titre 
privé  et  dans  un  but  scientifique?  On  ne  saurait  le  dire. 
Mais  certainement  il  s'y  rendit,  comme  en  témoigne  ce 
passage  de  sa  collection  canonique  :  Juramentum  fu- 
turï  imperatoris.  Hoc  sacramentum  invenit  scriptor 
hujus  libri  in  Saxonia,  in  monaslerio  quod  dicitur 
Luineburg.  Collectio  canonum,  1.  IV,  c.  clxi. 

On  peut  croire  que,  dans  l'entourage  de  Grégoire  VII, 
il  fut  sympathique  à  la  personne  de  Bérenger,  sinon  à 
ses  erreurs.  C'est  du  inoins  ce  qu'affirme  le  fameux 
archidiacre,  loc.  cit.,  car  il  le  cite  à  côtéd'Atto  de  Milan 
parmi  ceux  qui  furent  favorables  à  sa  cause  et  avaient 
embrassé  son  parti. 

Vis-à-vis  de  Guibert  de  Ravenne,  l'ancien  fauteur  de 
Cadaloùs  (l'antique  Honorius  II),  l'ennemi  d'Alexandre  II, 
l'inspirateur  de  la  plupart  des  complots  tramés  contre 
Grégoire  VII,  et  qui  avait  fini  par  se  faire  élire  lui- 
même,  à  Brixen,  en  1080,  grâce  à  l'appui  de  l'empereur 
Henri  IV  et  des  simoniaques,  sous  le  nom  de  Clément  III, 
il  se  montra  un  adversaire  décidé.  Pendant  de  longues 
années  Clément  ne  cessa  d'agiter  l'Église,  soit  à  Rome, 
quand  il  s'en  fut  emparé,  soit  hors  de  Rome,  avec  la 
connivence  du  pouvoir  impérial;  mais  Deusdedit  fla- 
gella ce  Cleinens  ou  plutôt  ce  Démens,  comme  il  l'ap- 
pelle, composa  en  grande  partie  contre  lui  son  Libellus 
contra  incasores  et  symoniacoset  reliquos  scismaticos. 
Champion  de  l'Église,  il  prit  énergiquement  la  défense 
du  droit  ecclésiastique  contre  l'empereur  Henri  IV,  ses 
conseillers  et  ses  juristes  césariens.  A  l'exemple  de 
quelques-uns  de  ses  prédécesseurs  et  de  ses  contempo- 
rains, tels  que  Anselme  de  Lucques,  Boni/.o  de  Sutri, 
l'auteur  anonyme  de  la  Collectio  Britannica,  et  Yves 
de  Chartres,  il  composa  un  recueil  de  lois  ecclésias- 
tiques. Mais  ses  ouvrages,  comme  nous  allons  le  voir, 
prouvent  qu'il  fut  meilleur  canoniste  que  théologien. 

II.  ŒuvrtES.  —  La  première  en  date,  qu'il  publia  sous 
Victor  III  et  qu'il  dédia  à  ce  pape  entre  mai  1086  et 
septembre  1087,  est  sa  Collectio  canonum,  celle  que 
les  correcteurs  romains  du  Decretum  de  Gratien  ap- 
pellent Libri  quatuor  de  rébus  ecclesiasticis  (e.r  Vati- 
cana).  Elle  suivit  de  près  la  collection  d'Anselme  de 
Lucques  et  précéda  le  Decretum  de  Bonizo  de  Sutri. 
qui  se  trouve  dans  Mai,  Bibliotheca  nova  vet.  Patrum, 


Rome,  1854,  t.  vu,  part.  III,  p.  2  sq.  Elle  .-.  été  éditée, 
d'après  le  codex  Vaticanus  38.33,  d'abord  par  Marti- 
nucci,  Venise,  1869,  et  tout  récemment  par  Glanvell, 
Paderborn,19U.">.  Le  but  de  Deusdedit  est  de  montrer  que 
les  laïques  n'ont  pas  le  droit  d'interposer  leur  autorité 
dans  la  collation  des  bénéfices  ecclésiastiques  et  que  la 
prééminence  dans  le  gouvernement  de  l'Église  appar- 
tient exclusivement  au  siège  romain.  Dans  son  épitre 
dédicatoire,  P.  L.,  t.  Ci-,  col.  1565-1570,  il  indique  le 
sujet  et  la  division  de  son  travail.  Primus  liber,  dit-ilr 
conlinet  privilegium  auctoritatis  Bomanse  Ecclesise. 
Et  quoniam  sine  clero  Ecclesia  esse  non  -potes!,  nec 
clerus  absque  rébus,  quibus  subsistai,  huic  subj< 
secundum  et  lertium  de  clero  et  rébus  Ecclesise.  Quia 
vero  sseculi  potestas  Dei  Ecclesiam  subjugare  nititur, 
libertas  ipsius  Ecclesise  et  clerici  et  rerum  ejus  tertio 
et  ma:iime  quarto  libro  evidenter  ostendilur.  Ses 
sources  sont  :  1°  l'Écriture,  quand  il  y  a  lieu;  2°  les 
canons  des  conciles,  dont  il  prend  le  texte  latin,  quand 
il  s'agit  des  conciles  grecs,  tantôt  à  la  traduction  de 
Denys  le  Petit,  tantôt  à  celle  qui  est  connue  sous  le  nom 
de  l'risca,  quelquefois,  mais  plus  rarement,  à  celle  d'Isi- 
dore ;  3°  les  décrets  des  souverains  pontifes,  quelques- 
uns  empruntés  à  la  collection  du  pseudo-Isidore,  plu- 
sieurs de  Grégoire  VII;  4°  les  Pères,  les  lois  de  Justinien. 
l'histoire  d'Anastase  le  Bibliothécaire,  le  Pontifical  ro- 
main, le  Liber  diurnus,  l'histoire  de  Paul  Diacre,  etc. 
Le  tout  forme  un  ensemble  de  251  chapitres  ou  titres 
pour  le  1.  P1,  de  131  pour  le  1.  IIe,  de  159  pour  le  1.  IIP, 
et  de  162  pour  le  1.  IVe. 

Le  second  ouvrage  du  cardinal  Deusdedit  est  son 
Libellus  contra  invasores  et  symoniacos  et  reliquos 
scismaticos,  adressé  aux  clercs  de  l'Église  romaine. 
Postérieur  à  la  lettre  d'Urbain  II  à  Lucius  de  Pavie, 
en  1089  ou  1090,  à  laquelle  il  est  fait  allusion,  et  an- 
térieure au  concile  de  Plaisance  du  printemps  de  1095. 
dont  les  décisions  importantes  auraient  certainement  été 
mentionnées,  ce  Libellus  se  compose  de  quatre  chapi- 
tres. Les  deux  premiers,  dans  les  manuscrits,  sont 
placés  après  le  Contra  Guibertum  d'Anselme  de  Lucques 
et  ont  été  édités  sous  le  titre  de  1.  IIe  comme  apparte- 
nant à  ce  canoniste,  P.  L.,  t.  cxlix,  col.  455-476.  lisse 
trouvent  aussi,  mais  augmentés  d'additions  nombreuses 
sur  les  sacrements  des  simoniaques,  dans  \esLibelli 
de  lite  imperatorum  et  pontificum  des  Monumenta 
Germanise  historica,  Hanovre,  1892,  t.  il,  p.  300-340; 
mais  Sackùr,  leur  éditeur,  a  eu  soin  de  mettre  entre 
crochets  les  parties  ajoutées  et  de  les  faire  suivre  de 
deux  chapitres  nouveaux.  Ibid.,  p.  3U-365.  Déjà  édité 
par  Mai,  Bibliotheca  nova  veterum  Patrum,  Rome, 
1854,  t.  vu,  part.  3.  p.  77-11  i.  Cette  double  rédaction 
des  deux  premiers  chapitres  du  Libellus  représente 
deux  éditions,  la  première  dirigée  contre  l'investiture 
laïque  et  la  simonie,  la  seconde  englobant  les  schis- 
matiques  avec  les  simoniaques,  c'est-à-dire  les  guiber- 
tins  et  les  henriciens  ou  partisans  de  l'antipape  Clé- 
ment III  et  de  l'empereur  allemand  Henri  IV.  Bien  que 
ce  Libellus  renferme  des  décisions  canoniques  et  des 
témoignages  empruntés  aux  Pères  et  aux  papes,  ce 
n'est  pas  à  vrai  dire  une  collection  de  canons  du  même 
genre  que  l'ouvrage  précédent  :  c'est  un  traité  à  la  fois 
canonique  et  théologique,  une  œuvre  de  polémique 
contre  les  envahisseurs  et  les  trafiquants  des  biens 
ecclésiastiques,  entachés  de  simonie  ou  de  schisme. 
Le  c.  isr,  intitulé  :  Quod  régi  non  liceat  sacrosanctis 
ecclesiis  episcopos  constituere,  condamne  l'abus  de 
pouvoir  de  l'empereur  et  des  princes  dans  la  provision 
des  sièges  épiscopaux.  Le  c.  Il,  De  simoniacis,  schis- 
maticis  et  eorum  sacerdotio  et  sacrifteio,  condamne 
les  simoniaques  qui  achètent  ou  vendent  à  prix  d'ar- 
gent les  titres  et  les  offices  ecclésiastiques,  et  les  schis- 
matiques  qui  se  contentent  de  recevoir  gratuitement  de 
la  puissance  séculière  la  provision  des  bénéfices  ;  il  nie 


649 


DEUSDEDIT 


650 


en  outre  la  validité  du  sacrement  de  l'ordre  qu'ils  con- 
fèrent et  du  sacrifice  qu'ils  offrent.  Le  c.  m,  Quod  cle- 
rus  a  ssecularibus  pasci  débet  alque  honorari,  non 
infamari,  soutient  les  droits  du  clergé  à  son  entretien 
matériel  et  au  respect  sans  qu'un  prince  quelconque 
puisse  poursuivre  les  clercs  ou  les  juges.  Le  c.  iv, 
Quod  sœculari  potestali  non  licet  in  ecclesias  clericos 
introducere  vel  expellere,  nec  res  ecclesiasticas  regere 
vel  in  sua  jura  trans ferre,  dénie  à  la  puissance  ci- 
vile le  droit  d'introduire  des  clercs  dans  l'Église  ou  de 
les  en  chasser,  de  régir  les  biens  ecclésiastiques  ou  de 
s'en  emparer. 

III.  Doctrine.  —   1°  Au  point  de  vue  dogmatique, 
particulièrement  en   matière  sacramentaire.  —  Mal- 
gré  l'opinion   d'Anselme  de  Lucques  et  de  Bonizo  de 
Su  tri,  qui  se  prononcent  en  faveur  de  la  validité  des 
sacrements  conférés  par  les  simoniaques,  et  qu'il  a  pu 
connaître,  Deusdedit,  à  la  fin  du  xie  siècle,  sert  encore 
d'écho  aux  principes  erronés  invoqués  jadis  en  Cappa- 
doce  et  à  Carthage  par  saint  Firmilien  et  saint  Cyprien, 
puis  exploités  par  les  donatistes.  Sa  pensée  se  manifeste 
déjà  dans  sa  Collectif)  canonum,  mais  s'accuse  surtout 
dans    son   Libellus.  Il  parle  comme   parlait  quelques 
années  avant  le  cardinal  Humbert  dans  son  Adversus 
simoniacos  et  semble  avoir  eu  pour  but  de  réfuter  l'opi- 
nion  du  cardinal  Pierre  Damien.  Voir  Damien.  Aussi 
accumula-t-il  les  textes  les  plus  défavorables  à   la  vali- 
dité des  sacrements  conférés  en  dehors  de  l'Église.  Il 
rappelle    que    le    baptême   administré   en    dehors    de 
l'Eglise  ne  se  renouvelle  pas  sans  doute,  mais  il  répète 
qu  il  ne  confère  pas  le  Saint-Esprit,  qui  ne  peut  être 
donné  que  par  l'imposition  des  mains.lorsde  la  récon- 
ciliation de  ces   baptisés  avec  l'Église.  Beaucoup  plus 
sévère  qu  Urbain    II,  qui  admettait  du  moins  que  les 
prêtres  ordonnés  gratuitement  dans  l'Église  célébraient 
■validement  l'eucharistie,  même  quand  ils  étaient  passés 
au    schisme,  Deusdedit   estime   que    l'eucharistie   des 
schismatiques  et  des  simoniaques  est  nulle  et  ne  con- 
tient pas  la  présence  réelle  de  Jésus-Christ.  Libelli  de 
lile,  loc.  cit.,  t.  ii.  p.  319-323.  Quant  à  l'administration 
du   sacrement  de  l'ordre,  il  croit  expliquer  le  fait  des 
rèordinations  par  le  pouvoir  qu'aurait  l'Église  de  rati- 
fier ou  de  repousser  telle  ou  telle   ordination.  A  ses 
yeux,  toute  ordination  faite  à  prix  d'argent  est  nulle,  et 
tout  clerc  entaché  île  simonie  ne  peut  plus  être  ordonné 
pour  des   motifs  d'ordre  canonique.  Libelli  de  lile, 
1.   m,  p.  326.  Cf.  Sallet,  Les   réordinations, 
1907,  p.  244-246.  Comme  tous  les  partisans  de  la 
réforme  et   les  \rais  défenseurs  de  l'Église,  Deusdedit 
.iv. ut  raison  de  combattre  la  simonie,  cette  plaie  du 
xi'  siècle;  mais  les  motifs  qu'il  fait  valoir  pour  démon- 
trer la  nullité  des  sacrements  «les  simoniaques  et  d< 
schismatiques  sont  erronés.  Son  excuse,  il  est  vrai,  se 
trouve   dans    l'abseno     d'une    théorie   sacramentaire, 
patronnée  par  quelques-uns,  mais  non   acceptée  par 
tout    Dans  celte  question  des  sacrements,  c'est  Pierre 
Damien  qui  se  trouvait  dans  le  vrai  courant  tradition- 
nel, '1  c'esl  \n  i  I <!>•    Lucques,  lionizo  de  Sutri,  et 

même  l'antipape  Clémenl  III  qui  avaienl  raison  contre 
lui.  Guiberl  île  Ravenne,  en  effet,  étail  sans  doute  inté- 
mlenir  la  validité  des  sacrements  a, h, m, 

mais,  en   s'inspiranl    di  -    solides 
P'"1'  ainl  Augustin,  Decretum   u  iberti,  dans 

I.  s    /  ,/,,  //,    ,/,.  I,,,,t  l,„.      ,  ,,        |     ,      ()    ,,_,-;      /.    ;        ,      ,   Vl  Xlll 

col.  Kïl  s,|,.  ,i  professait  une  théologie  ncri intaire 

■  elle  '|ui  devait  triompher  définitivement  au 
laatiquei  du   xiir  s,, ,  |,. 
tiédit,  meilleur  c  inonl  te  que  théologien,  •> 

ipinion  de  -uni  Pu  rre  Damien  ..  un  inti  ri  i 
<b  polémique,  m  k  rappi  lant  pu  on  m  connai 

■i'"  tt  ine  do  i  anu  U  1 1  sacramentel 

unique,      Son  meilleui  Utn 

A  ■■•■      i    cleno    canonique,  Deusdedit 


appartient,  en  effet,  à  cette  lignée  de  canonistes  de  la 
seconde  moitié  du  xie  siècle,  qui  ont  précédé  Gratien 
et  méritent  de  prendre  place  parmi  ses  heureux  pré- 
curseurs. Tels  Anselme  de  Lucques,  dont  la  Collection 
canonique  va  être  enfin  publiée  (Thaner  vient  d'en  don- 
ner le  1er  fascicule);  Bonizo  de  Sutri,  dont  le  Decretum 
a  été  édité  par  Mai,  Bibliotheca  nova  veterum  Patrum, 
Rome,   1854,  t.   vu,  part.  3,    p.  2  sq.;  l'auteur  de   la 
Colleclio  Britannica,  cf.  Ewald,  Die  Papstbriefe  der 
britischen  Sammlung,  dans  les  Neues  Archiv  der  Ge- 
selschaft  fur  altère  deutsche  Geschichtskundc ,  Hano- 
vre, 1880,  t.  v,  p.   275-414,  505-596;  Yves  de  Chartres, 
dont  le  Decretum  et  la  Panormia  sont   déjà  connus, 
P.  L.,  t.  clxi.  Cf.  Fournier,  Les  collections  attribuées 
à  Yves  de  Chartres,  Paris,  1897.  Voir  Décrets.  Aussi 
nul  désaccord  avec  ses  contemporains  sur  les  principes 
directeurs  de  la  jurisprudence  ecclésiastique.  Comme 
eux,  il   proclame  avant  tout  l'indépendance  et  la  su- 
prématie du  siège  romain  dans  le  gouvernement  spiri- 
tuel de  l'Eglise,  particulièrement  dans  la  nomination  des 
évéques  et  la  provision  des  bénéfices,  auxquelles  ni  les 
empereurs  ni  les  princes  ne  sauraient  avoir  le  moindre 
droit  en  qualité  de  supérieurs  séculiers;  comme  eux,  il 
revendique  pour  le  clergé  le  droit  de  posséder  des  biens 
temporels,  de  vivre  de  sa  charge,  sans  avoir  à  être  mo- 
lesté dans  la  gestion  de  ces  biens,  moins  encore  à  en  être 
injustement  dépouillé.  Les  princes  abusaient  de  leur  au- 
torité pour  s'immiscer  dans  les  affaires  qui  sont  du  res- 
sort exclusif  de  l'Église;  ils  ne  se  contentaient  pas  de 
nommer  aux  évêchés  et  aux  bénéfices,  ils  empiétaient  sur 
la  juridiction  ecclésiastique,  ils  acceptaient  ou  repous- 
saient les  clercs,  au  gré  de  leurs  caprices  et  selon  les 
besoins  de  leur  politique  ;  ils  géraient  ou  s'appropriaient 
injustement  les  biens  de  l'Église  ;  et  c'était  là  une  source 
de  désordres  et  comme  la  main  mise  par  l'Etat   sur 
l'Église,  contre  lesquelles  Deusdedit  protesta  énergi- 
quement.  Sans  doute,  le  pouvoir  séculier  ne  peut  pas  se 
désintéresser  de  l'action  du  pouvoir  spirituel,  mais  il  y 
a  loin  d'une  entente  et  d'un  accord  nécessaires  à  une 
subordination  de  l'Eglise  à  l'État,  telle  qu'entendait  la 
pratiquer  Henri  IV,  en  essayant  de  faire   revivre    les 
droits  césariens  de  l'empire   romain.  Le  prêtre,  disait 
Deusdedit,   règne  par  le  glaive  de  la  parole,  le  roi  par 
le  glaive  matériel;  l'un  et  l'autre  se  doivent  un  mutuel 
appui,  des  égards  réciproques,  sans    empiétement  de 
part  ni  d'autre,  car  ils  ont  besoin  l'un  de  l'autre.  Mais 
dans  cette  réciprocité  et  ce  concours,  le  sacerdoce  et 
l'empire  doivent  rester  chacun  dans  sa  sphère,  le  pre- 
mier   réglant  les   affaires   spirituelles,    le    second    les 
affaires   temporelles,  l'Etat  protégeant  matériellement 
l'Eglise  sans  chercher  à  l'asservir,  l'Église  protégeant 
1  II. il  en  respectant  ses  droits.  L'accord  doit  être  har- 

nieux  avec  la  subordination  nécessaire    de  l'Etal  à 

l'Église;  car  la  prééminence,  dans  l'ordre  voulu  par 
Dieu,  revient  incontestablement  à  l'Église.  Or,  cette 
prééminence  de  l'Église  dans  les  affaires  spirituellei 
un  droit  imprescriptible,  qui  ne  porte  aucune  atteinte 
aux  droits  de  l'État  en  matière  temporelle;  et  l'i.tat. 
bien  que  subordonné  par  la  nature  même  des  intérêts 
qu'il  gère,  et  tenu  par  son  propre  avantage  à  seconder 
l'action  bienfaisante  de  l'Église,  ne  perd  rien  de  son 
indépendance  et  de  sa  dignité.  On  reconnaît  ici  la 
théorie  de  I  accord  des  deux  pouvoirs  telle  que  la  com- 
prenait  Grégoire  VII.  Deusdedit,  comme  lescanoni 

ni'  mporains,  s'en  fait  l'écho  :  il  la  proclame  et  la 

justifie  par  toute  la  législation  canonique  Intervenue 

dans  la  su  il.   .1.  s  .,._,■.  .  i  sani  tu. tin.  «    par  .1,  fl  |,,i-   ii..|.. 

riales. 
Oldoln,   \ii:r  ri  ras  gtttm  pontifleum  et  8   u   E.eanHna> 

\   ■  JUStO 

sa,  UT77,  t.  i.  p  se:..  Ballerint,  D<  attff- 

qui»  '  [t.  IV,  0.  XIV,  P.  1      I    LYt,  OOl    :*  ;"    'I 


651 


DEUSDEDIT 


DEUTERONOME 


652 


Gsilhit  Hzstoir*  yint  'aU  des  auteurs  eccliszastzjues,  Fsn» 
1863,  t.  xi ii,  p.  568-569;  Merkel,  Geschichte  des  rômischen 
Reclus  i»i  Mittelalter,  2  édit.,  Heidelberg,  1851  ;  Giesebrecht, 
Die  Schriften  des  rOmiscken  Cardinale  Deusdedit,  dans 
Munchener  Ilislur.  Jahrbuch,  Munich,  1866,  p.  180-188; 
Stevenson,  Osservazionisulla  Collecliocanonum  di  Deusdedit, 
dans  VArchivio  délia  Sm-ieta  Romana  di  sturia  patria,  1885, 
t.  vhi,  p.  305-398 ;  Liiwenfeld,  Die  Canonensammlung  de^Kar dî- 
nais Deusdedit  und  des  Reyister  Greyors  VII,  dans  Neues 
Archiv  der  Gcsellscliaft  fur  altère  deutsche  Geschichtskunde, 
1885,  t.  x,  p.  309-329;  Fitling,  Ueber  die  Stellne  des  rômischen 
Redites  in  einer  Streilschrift  des  Kardinals  Deusdedit,  dans 
Zeitschriftder  Saviyiiy-Stiftuny  fiir  Reclitsyescliicltte,  W'eimar, 
1888,  t.  IX,  p.  370-381  ;  Sackiir,  Zu  den  Streitschriften  des 
Deusdedit  und  Hugo  von  Fleury,  dans  Neues  Archiv,  1891, 
t.  xvi,  p.  349-369;  Libelli  de  Vite  imperatorum  ac  pontificum 
sxculis  xi  et  xn  conscripti,  dans  Monurnenta  Germanise 
historica,  Hanovre,  1872,  t.  il;  Der  Diclatus  papx  und  die 
Canonsammluny  des  Deusdedit,  dans  Neues  Archiv,  1893, 
t.  xvill,  p.  135-153;  Langen,  Geschichte  der  rômischen  Kirche 
von  Gregor  VII  lis  Innocenz  III,  Berne,  1893;  Potthast,  Bi- 
bliotheca  historica  medii  sévi,  1'  édit.,  Berlin,  1896;  Sagmiiller, 
Die  Thatiykeit  und  Stellung  der  Kardinàle  bis  Papst  Bonifaz 
VIII,  Fribourg-en-Brisgau,  1896;  Kirchenlexikon,  art.  Deus- 
dedit; Chevalier,  Répertoire.  Bio-bibliographie,  2'  édit.,  t.  i, 
col.  1184;  .Saltet,  Les  réordinations,  Paris,  1907,  p.  241-246; 
E.  Hirsch,  Deusdedits  Stellung  zur  Laien  investitur,  dans 
Archiv  fur  kath.  kirchenrecht,  1908,  t.  lxxxviii,  p.  34-49. 

G.  Bareille. 
DEUTÉROCANONIQUES    (LIVRES).  Voir   Ca- 
non des  Livres  saints,  t.  n,  col.  1571  sq.,  1588  sq. 

DEUTERONOME.  Après  avoir  traité  les  questions 
générales  d'introduction  relatives  à  ce  cinquième  livre 
du  Pentateuque,  nous  exposerons  spécialement  la 
prophétie  messianique,  xvm,  15-19. 

I.   DEUTERONOME.     QUESTIONS      GÉNÉRALES.     — 

I.  Nom.  II.  Contenu.  III.  Théories  des  critiques.  IV.  Au- 
thenticité mosaïque.  V.  Doctrine.  VI.  Commentaires. 

I.  Nom.  —  Comme  sa  forme  l'indique,  le  nom  Deu- 
téronome  dérive  du  grec  AeijTEpov6p.iov.  C'est  le  titre  que 
les  Juifs  hellénistes  ont  donné  au  cinquième  livre  du 
Pentateuque,  en  se  fondant  sur  la  traduction  que  les 
Septante    ont   faite   des    mots   héhreux   :  n-npn  n:rs 

t       t       ■•  :   •  ' 

Deut.,  xvu,  18,  8s'jTopovô(xiov  toOto,  traduction  fautive, 
puisqu'il  ne  s'agit  que  d'un  exemplaire  de  cette  loi, 
celle  de  ce  livre  lui-même  qui  se  nomme  toujours 
min,  «  loi  »,  exemplaire  que  le  futur  roi  devait  rece- 
voir des  mains  des  prêtres  au  début  de  son  règne.  Les 
Septante  avaient  traduit  de  même  Jos.,  vin,  32,  où  il 
ne  s'agit  que  de  la  loi  de  la  rénovation  de  l'alliance. 
Deut.,  xxvn,  1-xxvin,  68.  Les  traducteurs  reconnais- 
saient dans  ces  lois  le  Deutéronome  tout  entier.  Ils  con- 
sidéraient donc  le  livre  comme  une  mischnah,  une 
SeuTÉpcoo-iç  toû  vô(jtou,  une  récapitulation  concise  et  po- 
pulaire de  la  législation,  contenue  dans  l'Exode,  le 
Lévitique  et  les  Nombres,  la  rénovation  de  l'alliance 
contractée  à  l'Horeb  par  Dieu  avec  Israël.  Le  livre  se 
présente,  en  effet,  comme  une  explication  de  la  légis- 
lation antérieure,  explication  faite  par  Moïse  dans  les 
plaines  de  Moab,  ou  sur  la  rive  orientale  du  Jourdain, 
le  1er  jour  du  11e  mois  de  la  40e  année  après  la  sortie 
d'Egypte.  Deut.,  i,  1-5.  Les  rabbins  adoptèrent  plus 
tard  cette  désignation  et  nommèrent  le  5e  livre  du 
Pentateuque  m'W  nawa,  ou  répétition  de  la  loi,  quoique. 

t  ••  :  • 

dans  la  Bible  hébraïque,  ce  livre  soit  simplement  dé- 
signé par  les  premiers  mots  :  onn^n  n'îx,  ou  simple- 
ment nnz^r. 

•  t  : 

II.  Contenu.  —  Ce  livre  a,  dans  le  Pentateuque,  une 
physionomie  à'part.  Il  se  juxtapose  aux  précédents  plutôt 
qu'il  ne  s'y  relie,  et  il  en  diffère  par  la  forme.  Au  lieu 
d'être  composé  de  récils  et  de  lois,  il  comprend,  en  dehors 
d'une  introduction,  I,  1-5,  et  d'une  conclusion  histo- 
rique, xxxi-xxxiv,  des  discours,  prononcés  par  Moïse 


et  exposant  la  législation  à  observer  avec  les  motifs  de 
le  faire.  D'autre  part,  il  forme  un  tout  complet  en  lui- 
iii. mi',  dont  le  plan  est  très  simple  et  l'unité  manifeste. 
Quatre  discours  de  Moïse  constituent  le  fond  du 
livre.  Le  premier,  i,  C-iv,  il),  a  un  caractère  général; 
après  un  résumé  des  faits  qui  ont  suivi  la  promulga- 
tion de  la  loi  au  Sinaï,  i,  6-in,  29,  vient  une  exhorta- 
tion à  observer  cette  loi,  iv,  1-40.  Entre  ce  discours  et 
le  suivant,  on  trouve  deux  fragments  historiques  : 
1°  une  note  sur  les  villes  de  refuge,  situées  à  l'est  du 
Jourdain,  iv,  41-43,  qui  est  un  véritable  bloc  erratique; 
2°  le  récit  des  circonstances  dans  lesquelles  le  2e  dis- 
cours a  été  prononcé;  c'est  certainement  l'introduc- 
tion de  ce  discours,  iv,  44-49.  Celui-ci,  qui  est  très 
long,  v,  1-xxvi,  19,  après  un  rappel  de  la  loi  sinaïtique 
et  une  reproduction  du  décalogue,  v,  1-vi,  3,  com- 
prend :  1°  une  exhortation  à  obéir  à  la  loi  avec  l'exposé 
des  motifs  de  le  faire,  vi,  4-xi,  32  (les  versets  6  et  7  du 
c.  x  interrompent  la  suite  du  discours  et  sont  généra- 
lement tenus  pour  une  interpolation);  2°  un  code  de 
lois  morales  et  religieuses,  xu,  1-xxvi,  15,  terminé  par 
une  courte  exhortation,  qui  sert  de  péroraison,  xxvi, 
16-19.  Le  3e  discours  roule  sur  le  cérémonial  de  la  ré- 
novation de  l'alliance,  qui  devra  être  célébrée  après  le 
passage  du  Jourdain,  avec  les  malédictions  et  les  béné- 
dictions, qui  seront  prononcées  ce  jour-là.  et  gravées 
sur  les  pierres  de  l'autel,  et  d'autres  bénédictions  et 
malédictions,  promulguées  par  le  législateur  en  faveur 
des  observateurs  de  la  loi  ou  contre  ses  violateurs, 
xxvii,  1-xxvni,  68.  Le  verset  69  de  l'hébreu  (Vulgate, 
xxix,  1)  indique  la  signification  de  ce  discours.  Dans 
le  4e  discours,  xxix,  1  (Vulgate,  2)-xxx,  20,  Moïse 
rappelle  sommairement  les  bienfaits  de  Dieu  envers 
son  peuple,  exhorte  celui-ci  à  être  fidèle  à  l'alliance 
conclue,  indique  que  la  loi  est  facile  à  observer  et 
résume  les  bénédictions  réservées  aux  observateurs  de 
la  loi  et  les  malédictions  prononcées  contre  les  viola- 
teurs. La  conclusion  historique  relate  les  derniers  évé- 
nements de  la  vie  de  Moïse,  xxxi,  1-xxxiv.  12. 

III.  Théories  des  critiques.  —  1°  Le  Deutéronome 
est  un  code  spécial  et  indépendant.  —  Les  critiques 
rationalistes  ne  reconnaissent  pas  dans  le  Deutéronome 
primitif  une  réitération  sommaire  de  la  précédente 
législation  des  livres  du  milieu,  Exode,  Lévilique  et 
Nombres,  puisque  ce  code  ne  mentionne  pas  les  lois 
strictement  lévitiques  et  sacerdotales.  Ils  prétendent 
que  le  rédacteur  définitif  du  Pentateuque,  en  mettant 
le  Deutéronome  à  la  place  qu'il  occupe  maintenant,  lui 
a  donné  cette  signification  qu'il  n'avait  pas  originaire- 
ment. Pour  eux,  le  Deutéronome  n'est  que  l'un  des 
quatre  documents,  qui  ont  servi  à  la  rédaction  dernière 
du  Pentateuque,  le  document  D.  Primitivement,  il  se 
présentait  comme  une  législation,  donnée  par  Moïse 
au  pays  de  Moab  avant  l'entrée  des  Israélites  en  Cha- 
naan.  C'est  un  code  spécial,  dit  moabite  du  lieu  de  sa 
promulgation.  Il  est  presque  sans  précédent.  Tout  au 
plus  se  réfère-t-il  au  décalogue,  qu'il  reproduit,  v,  1- 
33,  en  le  modifiant,  voir  col.  162.  et  à  la  législation  du 
livre  de  l'alliance,  Exod..  xx.  22-xxin,  33,  qui  a  Tut 
partie  du  document  élohiste,  E.  Il  s'en  inspire,  le 
prend  pour  base,  le  développe,  en  tire  les  consé- 
quences et  y  ajoute  des  dispositions  nouvelles.  Ce 
code,  en  grande  partie  nouveau,  est  fait  pour  le  peuple 
Israélite,  établi  au  pays  de  Chanaan;  il  ne  s'adresse  pas 
aux  prêtres  et  contient  peu  de  prescriptions  rituelles, 
celles  seulement  qui  intéressent  et  obligent  les  fidèles. 
D'autre  part,  il  n'est  pas  complet  ni  très  détaillé.  Il 
n'envisage  que  les  devoirs  ordinaires,  ne  pose  que  des 
règles  générales  et  ne  traite  que  des  cas  les  plus  usuels 
et  les  plus  fréquents,  même  au  sujet  de  la  famille  et  de 
la  vie  domestique.  Il  est  essentiellement  moral  et  reli- 
gieux, sans  être,  pour  la  forme  extérieure,  ni  systéma- 
tisé ni    logiquement  ordonné.  Les  prescriptions  sont 


653 


DEUTÉRONOME 


654 


insérées  dans  des  discours  parénétiques.  Le  législateur 
les  explique  plutôt  qu'il  ne  les  codifie;  il  exhorte  à  les 
observer  plutôt  qu'il  ne  les  promulgue  et  il  y  ajoute 
les  motifs  qui  portent  à  les  pratiquer.  Le  vocabulaire 
et  le  style  de  l'homéliste  sont  caractéristiques.  Des 
périodes  spéciales  reviennent  fréquemment,  comme 
des  sortes  de  refrains;  des  mots  ou  locutions,  exclusi- 
vement propres,  distinguent  sa  langue  de  celle  des 
autres  documents.  Le  style  du  Deutéronome  est  par 
suite  nettement  accusé  et  aisément  reconnaissable. 
L'auteur  a  le  ton  prédicateur;  il  ne  raconte  pas,  il 
n'expose  pas;  il  exhorte,  il  plaide,  il  stimule.  Il  est 
onctueux  et  persuasif;  sans  manquer  d'énergie,  il  n'a 
pas  la  véhémence  des  prophètes;  il  s'exprime  avec 
clarté  pour  être  compris  du  peuple, auquel  il  s'adresse; 
il  s'insinue  doucement  dans  l'esprit  de  ses  auditeurs, 
et  insiste  longuement  et  sans  se  lasser  sur  l'obligation 
d'observer  fidèlement  la  loi  de  Dieu. 

2"  Absence  d'unité  et  couches  successives  de  rédac- 
tion. —  L'unité  du  livre  actuel  n'est  qu'apparente;  la 
structure  interne  de  la  composition  et  le  caractère 
disparate  du  contenu  font  ressortir  le  manque  d'homo- 
généité et  fournissent  des  indices  que  l'écrit  actuel 
n'est  qu'un  remaniement  d'un  fond  primitif,  complété, 
retouché  et  finalement  arrangé  pour  servir  de  conclu- 
sion au  Pentateuque.  Mais  les  critiques  sont  très  divi- 
sés sur  l'étendue  du  Deutéronome  primitif,  D  1,  et  sur 
la  nature,  le  nombre  et  l'importance  des  additions  ou 
modifications,  I)  2,  faites  au  noyau  du  livre.  Les  plus 
modérés,  tels  que  Pillmann,  Driver  et  Montet,  attri- 
buent à  D  I,  l'ensemble  des  c.  i-xxxi,  retouchés  par 
Rj.  D'autres  restreignent  D  1  aux  c.  v-xxvi,  avec  iv,  45- 
49,  comme  introduction,  et  une  conclusion  variable 
selon  les  individus  (Kuenen,  Kônig,  Reuss,  Renan, 
Westphal  et  Bertholet).  Un  troisième  groupe  le  réduit 
davantage  encore  et  le  ramène  aux  c.  xn,  1-xxvi,  19. 
AVellhausen  avait  imaginé  deux  éditions  :  la  première 
comprenait  i,  1-iv,  ii,  comme  introduction,  le  code, 
XII -XXVI,  et  la  conclusion,  xxvn;  la  seconde  avait  iv, 
r>  \i.  :!'.),  comme  introduction,  le  code,  xn-xxvi,  et  la 
conclusion,  xxvui-xxx.  Die  Composition  des  Hexa- 
teuchê,  Ilerlin,  1889,  p.  189-2I0.  Cornill  a  disposé  un  peu 
différemment  les  éléments  de  ces  deux  éditions,  Einlei- 
tung  in  das  A.  T.,  .'{'  et  i'  édit.,  Fribourg-en-Brisgau, 
1895,  p.  27  28,  et  ses  conclusions  ont  été  admises  par 
Holzinger,  Einleitung  m  dm  Rexateuch,  l'ribourg- 
en-Brisgau  el  Leipzig,  1893,  p.  274-27.");  Wildeboer, 
Die  Literatur  des  A.  T.,  2-  édit.,  Gœttingue,  1905, 
p.  177, el  I..  Gautier,  Introduction  à  l'A.  T.,  Lausanne, 
1906,  t.  i,  p.  79-84;  /."  lui  dans  l'ancienne  alliance, 
Lausanne,  1908,  p.  54-57  Le  comte  de  Baudissin,  Ein- 
leitung m  d,,-  i  •  s  A.  T.,  Leipzig,  1901,  attribue 
à  It  1  le  code,  xn-xxvi,  les  bénédictions  et  les  malé- 
dictions, xxvii-xxvm.  Pour  L.  Ilorst.  Élude»  sur  le 
Deutéronome,  dans  la  Revue  de  l'histoire  de»  religi 
1887,  t.  xvi,  p.  28-65,  le  code  lui-même  manque  d'unité; 
mie  compilation  d'éléments  antérieurs,  réunis  sans 
ordre  H  presque  au  hasard.  L'ne  nouvelle  raie  a  été 
inaugurée  par  Staerk,  Mrs  Deuteronomium,  Leipzig, 
el  par  Steuernagel,  Dei  Rahmcn  de»  Deulcro- 
itum*,  Halle,  1894;  u,,  Enstehung  de»  deuterono- 
'<<*'.,  1896.  IN  ont  distingué,  cha- 
cun i  h  fai  -n  dans  le  code  les  lois  promulguées  à  la 
ilr-u xj.  u,.  personne  du  singulier  (ta)  el  celles  qui  le 
ode  du  pluriel  l  I  Steuernagel, 
'"i  Itingui  .  1900,  p.  m  m. 
mentcompl 
remanié  ;  ppartenanl 

■  il     <  In  dis- 

tingui  par  suiti  h.1  D  3,  auteurs  de*  couches  secon- 
daires   du    livi  .rler  du    rédactl  m    l;.|.    .pu  ,, 

mu  Da  Jl    • .  i  it  foi  m.  .1.  |.,  de  la  réunion  de  I  ■'■l<.i 


3°  Date.  —  Le  même  désaccord  règne  au  sujet  de  la 
date  du  Deutéronome.  La  découverte  de  ce  livre  au 
temple  de  Jérusalem,  la  18e  année  du  gouvernement 
de  Josias  (621).  II  (IV)  Reg.,  xxn,  3-xxm,  23,  sert  de 
point  de  départ  à  sa  fixation.  Sauf  quelques  critiques 
français  sans  autorité  (L.  Havet,  G.  d'Eichthal,  Ilorst, 
M.  Ternes),  qui  ont  dénié  toute  valeur  au  récit  de  ce 
fait  et  ont  rabaissé  la  composition  du  Deutéronome 
après  le  retour  des  Juifs  de  Babylone,  sinon  sous  la 
domination  perse,  on  tient  généralement  ce  fait  pour 
historique  et  on  en  conclut  que  D  1  (plus  ou  moins 
étendu)  est  antérieur  à  621,  date  de  l'événement.  Mais 
de  combien  de  temps  la  composition  du  livre  (ou  du 
noyau  primitif)  a-t-elle  précédé  la  découverte?  Kuenen, 
Reuss,  Wellhausen  et  leurs  partisans  ne  le  font  guère 
remonter  plus  haut  que  621.  A  leur  sens,  la  trouvaille 
n'a  été  ni  fortuite  ni  imprévue;  elle  a  été  préméditée 
et  faite  à  dessein.  Le  nouveau  code  avait  été  fabriqué 
en  vue  de  préparer  une  réforme  qu'on  voulait' intro- 
duire, et  la  scène  de  la  découverte  organisée  pour 
impressionner  le  roi.  Comme  dans  le  code  les  idées 
prophétiques  sont  associées  aux  pratiques  rituelles, 
on  y  reconnaît  une  sorte  de  compromis  entre  le  parti 
des  prophètes  et  celui  des  prêtres,  une  transaction 
faite  par  les  tenants  des  deux  tendances  divergentes  de 
l'époque  ou,  puisque  la  part  de  sacerdoce  y  est  peu  con- 
sidérable, le  programme  religieux  et  politique  du  parti 
prophétique,  un  produit  et  un  résumé  de  l'enseigne- 
ment des  prophètes,  un  précipité  et  une  cristallisation 
de  leurs  vues  et  de  leurs  espérances.  Colenso  el  Renan 
en  rapportaient  la  rédaction  à  Jérémie.  La  législation 
est  remplie  de  son  esprit;  on  y  remarque  ses  idées  et 
son  style.  Pour  d'autres,  si  elle  n'est  pas  de  lui,  elle 
est  au  moins  de  son  temps;  elle  en  reflète  l'esprit  et 
en  a  le  ton.  Cependant,  tout  un  groupe  de  critiques 
rejette  l'hypothèse  d'une  fraude  pieuse  et  de  la  fabrica- 
tion intentionnelle  du  Deutéronome.  Ce  code  avait  réel- 
lement disparu  de  la  circulation  et  il  était  entièrement 
inconnu,  sous  le  règne  de  Josias.  Sa  disparition  n'a 
pu  avoir  lieu  qu'à  une  épo que  où  l'idolâtrie  était  ré- 
pandue en  Juda  :  ce  qui  convient  bien  au  règne  de 
Mariasse.  Toutes  les  idées,  d'ailleurs,  se  rapportent  à 
un  temps  de  réaction  contre  cette  idolâtrie,  introduite 
parAchaz.  Le  Deutéronome  a  donc  été  rédigé  au  cours 
du  vin"  siècle  sous  Ezéchias  et  Manassé  et  perdu  dès  la 
lin  de  ce  siècle,  du  temps  de  Manassé.  Mais  il  a  pro- 
bablement été  plutôt  composé  sous  ce  prince  par  réac- 
tion contre  sa  politique  el  son  infidélité,  et  en  vue 
d'une  future  réforme.  Il  ne  fut  pas  répandu  dans  le 
public,  et  peut-ilrc  n'en  exista-t-il  qu'un  seul  exem- 
plaire. La  longueur  du  règne  retarda  la  réforme  proje- 
i  lit  oublier  le  programme,  secrètement  élaboré. 
Quelques-uns  toutefois  pensent  qu'il  servit  déjà  de 
base  à  la  réforme  d'Ézéchias,  II  (IV)  Reg.,  xvm,  i-6, 
ou  même  à  celle  de  Josaphat.  II  Par.,  xvn,  9.  Kleinert 
disait  que  le  Deutéronome  avait  été  rédigé  à  la  fin  de 
l'époque  des  Juges  pour  obvier  à  l'anarchie  religieuse 
qu'avait  produite  alors  l'absence  de  tout  code  écrit. 
Cf.  E.  Mangenot,  L'authenticité  mosaïque  du  l'enta- 
teuque,  Paris,   1907.  |».  96-131. 

Toutes  ces  théories  si  diverses  n'ont  de  commun  que 
le  rejel  de  l'authenticité  mosaïque  du  Deutéronoiw 
abandon  de  l'origine  mosaïque  de  ce  livi st-il fondé? 

IV.  Ai  tiii.ntk  ni  MOSAÏQUE.  —  /.  PRBOVB8 P08ITIVB8. 
_  i  •  / ,  j .,. signagt  du  Deutéronome  lui-même.  — 
Dans  l'épilogue  du  livre,  il  est  rapporté  que  Moïse,  sur 
le  puiiii  de  mourir  el  prenant  tes  dernières  dispositions, 
remit    aui  prêtres   el  aui   ancii  n  loi  »  qu'il 

avait  écrite,   ixxi,  9,  et  leur  ordonna  de  la  faire  lira 
les  sept  ans  ;m  peuple  assemblé,  10-13.    Ayant 
achevé  d'écrire  i  les  paroles  de  cette  loi,  dans  un  livi 
il  le  fit  déposer  par  les  lévites  auprès  de  l'arche  < i ' ^ »  1 
liance,  U  loi,  qui  ne  contenait  qui 


655 


DKI'TKItONOME 


656 


ceptes  à  observer,  ne  peut  pas  èlre  le  Pentaleiique  en- 
tier, comme  le  prétend  l'abbé  Troclion,  Le  Deutéro- 
norne, Paris,  1887,  p.  188.  C'est  le  code,  auquel  le 
c.  wxi  est  rattaché;  donc  le  Deutéronorne  lui-même, 
lia  il  leurs,  Moïse  présente  le  contenu  de  ce  livre  comme 
une  législation  nouvelle  qu'il  promulgue  au  paysdeMoab, 
iv,  1-8,  41-49;  v,  1;  xn,  1;  xxvi,  16;  xxvn,  1;  xxvm, 
1, 15.  Nous  avons  déjà  remarqué  que  le  livre  est  dit  une 
loi,  dont  un"  exemplaire  devra  être  remis  aux  rois  fu- 
turs au  début  de  leur  règne,  xvn,  18,  19,  et  les  termes 
de  celte  recommandation  sont  identiques  à  ceux  de 
Deut.,  xxxi,  12,  13.  Cette  loi,  ou  au  moins  une  de  ses 
parties,  devra  être  transcrite  sur  la  pierre,  lors  du  re- 
nouvellement de  l'alliance,  xxvm,  1-8.  Les  malédictions, 
portées  contre  les  violateurs  de  cette  législation  nou- 
velle, xxvm,  15,  rappelées,  xxix,  20,  21,  27,  atteignaient 
tous  ceux  qui  n'observeraient  pas  «  toutes  les  paroles 
de  cette  loi,  qui  sont  écrites  dans  ce  volume,  »  xxvm, 
58,  qui  forme  le  Deutéronorne.  Moïse  fit  écrire  le  can- 
tique, xxxi,  19,  qui  est  reproduit,  xxxn,  1-43,  et  il 
rappela  les  bénédictions  promises  aux  fidèles  observa- 
teurs des  préceptes  écrits  de  cette  loi,  xxxn,  46.  Ce 
livre  législatif  est  donc  de  la  main  de  Moïse,  et  l'épi- 
logue, s'il  n'a  pas  été  rédigé  par  lui,  a  été  au  moins 
écrit  par  son  ordre.  Cf.  J.  Brucker,  L'Église  et  la  cri- 
tique biblique,  Paris,  s.  d.  (1908),  p.  105-106. 

2°  Témoignage  des  autres  livres  de  l'Ancien  Testa- 
ment. —  Ce  témoignage  du  livre  lui-même  est  confirmé 
par  ce  qui  est  raconté  dans  le  livre  de  Josué.  Le  vo- 
lume de  la  loi,  que  Josué  doit  connaître,  méditer  et 
faire  observer,  Jos.,  i,  7,  8,  répond  à  celui  qui  est 
mentionné,  Deut.,  xxvm,  58,  d'autant  mieux  que  les 
termes  de  la  recommandation  divine  se  rapprochent 
de  Deut.,  xvn,  18-20;  xxxi,  7,  23.  L'alliance  est  renou- 
velée, Jos.,  vin,  30-35,  conformément  aux  ordres  donnés 
par  Moïse  dans  le  volume  de  sa  loi,  Deut.,  XXVIII,  58, 
avec  les  bénédictions  et  les  malédictions  indiquées, 
xxvn,  12-26.  Le  volume  de  la  loi  de  Moïse,  dont  Josué, 
avant  de  mourir,  recommande  d'observer  les  prescrip- 
tions, est,  d'après  les  expressions  employées,  Jos.,  xxin, 
■6,  celui  que  Dieu  lui  avait  ordonné  de  faire  pratiquer, 
I,  7,  8.  On  comprend  fort  bien  que  Josué,  le  successeur 
immédiat  de  Moïse,  ait  eu  5  cœur  de  recommander 
spécialement  au  peuple  la  législation  que  son  prédé- 
cesseur avait  promulguée  et  écrite  pour  ce  peuple, 
lorsqu'il  était  sur  le  point  de  pénétrer  dans  le  pays  de 
Chanaan.  Cf._.l.  Drucker,  op.  cit.,  p.  111-112. 

Les  recommandations  de  Josué  ne  semblent  pas  avoir 
été  fidèlement  observées.  L'époque  des  Juges  fut  un 
temps  d'anarchie  religieuse,  durant  lequel,  faute  de 
roi,  chacun  faisait  ce  qui  lui  semblait  bon.  Jud.,  xvn, 
6;  XXI,  24.  David  mourant  recommande  à  Salomon 
d'observer  les  préceptes  divins,  consignés  dans  la  loi 
de  Moïse,  I  (III)  Reg.,  II,  3,  et  les  termes  qu'il  emploie 
sont  ceux  du  Deut.,  vi,  1;  vu,  11.  Amasias,:faisant  périr 
les  meurtriers  de  son  père,  épargna  leurs  enfants 
«  selon  ce  qui  est  écrit  dans  la  loi  de  Moïse  où  Jéhovah 
donne  ce  commandement.  »  II  (IV)  Reg.,  xiv,  6.  Or 
cette  prescription  se  trouve  Deut.,  xxiv,  16.  La  plupart 
des  rois  d'Israël  et  de  Juda  furent  infidèles  et  ne  firent 
pas  observer  les  prescriptions  du  Deutéronorne.  Ainsi 
Jéhu  ne  marcha  pas  de  tout  son  cœur  dans  la  loi  de 
Jéhovah,  II  (IV)  Reg.,  x,  31;  ce  qui  est  une  expression 
particulière  au  Deutéronorne.  Le  livre  lui-même  fut 
perdu  et  retrouvé  dans  le  temple  sous  Josias.  II  (IV) 
Reg.,  xxn,  8 -xxiii,  25.  Le  prêtre  juif  qui  fut  envoyé  aux 
tribus  assyriennes,  exportées  à  Samarie,  pour  leur  en- 
seigner le  culte  de  Jéhovah,  leur  recommande  d'obser- 
ver une  loi  écrite  et  de  ne  plus  adorer  les  idoles, 
Il  (IV)  Reg.,  xvn,  34-39,  en  des  termes  qui  sont  les 
expressions  caractéristiques  du  Deutéronorne.  Daniel 
parle  de  la  loi  divine,  promulguée  par  les  prophètes, 
violée  par    Israël,   écrite  dans  le    livre   de  Moïse,  qui 


contient  des  malédictions  et  des  serments,  ix.  9-13,  et 
sa  description  convient  au  Deutéronorne,  dont  le  code 
est  suivi  de  malédictions  contre  les  violateurs  de  la 
loi.  Esdras  et  Néhémie,  dans  la  question  des  mari 
avec  les  étrangers,  s'appuient  sur  le  Deutéronorne. 
I  Esd.,  ix,  1,  12,  et  Deut..  vu.  3;  II  Esd.,  xm,1,  3.  et 
Deut.,  xxiii,  3.  Le  prophète  Malachie,  m,  22,  désigne 
le  Deutéronorne  comme  la  loi  de  Moïse.  Les  expressions 
employées  sont  strictement  deutéronorniques,  Deut., 
iv,  44;  v,  28;  xn,  1;  xxv,  16,  et  l'IIoreb  est  donné 
comme  le  théâtre  de  la  promulgation  de  cette  loi. 
Cf.  Deut.,  i,  6;  iv,  10,  15;  v,  2;  ix,  8:  xvm,  16.  D'ail- 
leurs, on  a  constaté  sa  dépendance  vis-à-vis  du  Deuté- 
ronorne. Mal.,  i,  8,  et  Deut.,  xv,  21;  Mal.,  n.  16.  et 
Deut.,. xxiv,  3,  etc.  Voir  A.  Van  Hoonacker.  Les  O 
petits  prophètes,  Paris,  1908,  p.  700,  701,  710.  Le  can- 
tique, Deut.,  xxxi,  est  cité,  II  Mach.,  vu,  6,  connue 
l'œuvre  de  Moïse. 

3°  Témoignage  du  Nouveau  Testament  et  de  la  tra- 
dition chrétienne.  —  Saint  Pierre,  parlant  aux  Juifs 
au  temple  de  Jérusalem,  cite  Deut.,  xvm,  15,  comme 
parole  de  Moïse.  Act.,  ni,  22.  Plusieurs  Pères  de 
l'Église,  nous  le  verrons  dans  l'article  suivant,  ont  en- 
tendu strictement  de  la  prophétie  messianique.  Deut., 
xvm,  15,  la  parole  de  Noire-Seigneur  :  «  Moïse  a  écrit 
de  moi,  »  rapportée  par  saint  Jean,  v,  46.  D'ailleurs, 
ils  ont  tous  tenu  le  Pentateuque  entier  pour  l'œuvre 
de  Moïse.  Quelques-uns  ont  eu  l'occasion  d'affirmer 
spécialement  l'origine  mosaïque  du  Deutéronorne. 
Saint  Hippolyle  commente  dans  ce  sens  Deut.,  xxxi, 
9,  24-25.  Achelis,  Arabische  Fragmente  zum  Penta- 
leuck,  dans  Hippolyius,  Leipzig,  1897,  t.  i,  p.  118. 
Saint  Ambroise  affirme  que  Moïse  a  écrit  le  Deutéro- 
norne. In  ps.  cxvm,  serm.  il,  n.  13,  P.  L.,  t.  xv, 
col.  1214.  Saint  Grégoire  de  Nysse,  cité  par  Euthymius, 
Panoplia  dogmatica,  part.  I,  tit.  vin,  P.  G.,  t.  cwx, 
col.  260,  affirme  que  Moïse  a  écrit  le  Deutéronorne. 
Saint  Jérôme  énumère  les  cinq  livres  de  Moïse,  dont 
le  cinquième  est  le  Deutéronorne.  Epist.,  cxi.,  n.  2, 
P.  L.,  t.  xxn,  col.  1167.  Saint  Augustin  voit  les  cinq 
livres  de  Moïse  figurés  par  les  cinq  pierres  que  David 
prit  dans  le  torrent  pour  armer  sa  fronde.  Serm., 
xxxi,  c.  v,  vu,  P.  L.,  t.  xxxvm,  col.  198,  199,  et  dans 
les  cinq  portiques  de  la  piscine  de  Bethsaïde.  Serm., 
cxxiv,  c.  ni,  ibid.,  col.  687.  Le  pseudo-Athanase,  Epist. 
ad  Marcellin.,  n.  5,  32,  P.  G.,  t.  xxvn,  col.  17,  20,  14. 
qui  est  du  IVe  ou  du  vc  siècle,  rappelait  que  Dieu  avait 
ordonné  à  Moïse  d'écrire  un  cantique  et  le  Deutéro- 
norne tout  entier.  L'auteur  de  la  Synopsis  Scripturx 
sacrœ,  attribuée  à  saint  Athanase,  n.  9,  P.  G., t. xxvm, 
col.  308,  dit  que  Moïse  a  écrit  le  Deutéronorne;  il  est 
du  commencement  du  vie  siècle.  Procope  de  Gaza  dé- 
clare expressément  que  le  Deutéronorne.  résumé  des 
livres  précédents,  est  de  la  main  de  Moïse.  In  Deut., 
P.  G.,  t.  i.xxxvn,  col.  893-894.  Junilius  sait  de  la  tradi- 
tion des  anciens  que  Moïse  a  écrit  les  cinq  premiers 
livres  historiques  de  l'Ancien  Testament,  bien  que 
leurs  titres  ne  mentionnent  pas  son  nom.  De  partions 
divinx  legis,  1.  I,  c.  vm,  P.  G.,  t.  i.xvin,  col.  28. 
Cf.  Kihn,  Theodor  von  Mopsuestia  und  Junilius  Aftgr 
canus  als  Eregeten,  Fribourg-en-Brisgau,  1880,  p.  180. 
Saint  Isidore  de  Séville  connaît  même  le  temps  que 
Moïse  mit  à  rédiger  ce  livre.  Qusest.  in  V.  T.,  in  Deut., 
i,  2,  P.  L.,  t.  lxxxiii,  col.  359. 

4°  Témoignage  des  Juifs  et  des  rabbins.  —  L'histo- 
rien juif  Josèphe,  qui  était  palestinien  d'origine  et 
vivait  au  Ier  siècle  de  notre  ère,  attribue  explicitement 
au  législateur  hébreu  le  récit  même  de  son  trépas  qui 
termine  le  Deutéronorne.  Ant.  jud.,  IV,  vin.  48.  Philon, 
juif  helléniste  du  même  temps,  rapporte  comme  une 
merveille  que  Moïse,  sur  le  point  de  mourir,  fit  par 
inspiration  divine  le  récit  prophétique  de  sa  mort. 
De  vila  Mosis,  I.  III,  Opéra,  Genève.  1613,  p.  538.  Ce- 


657 


DEUTERONOME 


G58 


pendant  les  Juifs  de  Babylone  attribuaient  à  Josué  huit 
versets  de  la  loi,  les  huit  derniers  qui  racontent  la 
mort  de  Moïse;  le  Pentateuque  entier  était  de  Moïse 
lui-même.  Talmud  de  Babylone,  traité  Baba  Balhra. 
Tel  était  aussi  le  sentiment  de  Rabbi  Juda.  Cf.  traité 
Makkoth,  fol.  11  a;  traité  Menachoth,  fol.  30  a.  Mais 
une  autre  beraïtha  du  même  traité  Baba  Bathra, 
c.  Kama,  relate  l'opinion  de  Rabbi  Siméon,  suivant 
laquelle  il  ne  pouvait  manquer  une  seule  lettre  au 
livre  de  la  Loi;  aussi  ce  rabbin  concluait-il  que  jusqu'à 
Deut.,  xxxiv,  4,  «  Dieu  dictait,  Moïse  répétait  et  écrivait; 
à  partir  de  là,  Dieu  dictait  et  Moïse  écrivait  en  pleu- 
rant. »  L.  Wogue,  Histoire  de  la  Bible  et  de  l'exégèse 
biblique  jusqu'à  nos  jours,  Paris,  1881,  p.  21-23; 
G.  Wildeboer,  De  la  formation  du  canon  de  l'A.  T., 
Irad.  franc.,  Lausanne,  s.  d.,  p.  44.  Au  xme  siècle, 
Rabbi  Becchai  enseignait  encore  que  Moïse  avait  écrit 
la  Loi  depuis  le  premier  mot  de  la  Genèse  jusqu'au  der- 
nier du  Deutéronome.  Au  xve,  Abarbanel  rejetait  le 
sentiment  d'Abenesra  qui  attribuait  à  Josué  les  douze 
derniers  versets  de  la  Loi.  Cf.  Richard  Simon,  Critique 
de  la  Bibliothèque  des  auteurs  ecclésiastiques  d'E.  Du- 
pin,  Paris,  1730,  t.  ni,  p.  215-220.  Remarquons  qu'au- 
cun écrivain  ecclésiastique,  sauf  Origène,  Cont.  Celsum, 
1.  II,  n.  54,  P.  G.,  t.  xi,  col.  88i,  n'a  admis  l'opinion  de 
ces  rabbins.  L'authenticité  mosaïque  du  Deutéronome 
n'exige  pas  que  Moïse  ait  écrit  les  huit  ou  les  douze 
derniers  versets  de  ce  livre.  Cette  opinion  inadmissible 
doit  être  laissée  au  compte  des  rabbins. 
5  Le  contenu  du  Deutéronome  répond  bien  au.r 
nstances  de  la  rédaction  de  ce  livre  par  Moïse. 
—  1.  Souvenir  et  influence  de  l'Egypte.  —  .Moïse  rap- 
pelle souvent  à  ses  auditeurs  leur  séjour  en  Egypte  et 
i)  en  parle  comme  d'un  événement  important  qui  doit 
exercer  une  inlluence  considérable  sur  leur  conduite. 
Les  maux  que  les  Israélites  ont  endurés  en  ce  pays,  ne 
les  frapperont  plus;  ils  sont  réservés  à  leurs  ennemis, 
vu.  15.  Ils  sont  donc  une  cause  de  confiance  en  l'ave- 
nir et  Dieu  quia  frappé:  de  grandes  plaies  les  Égyptiens, 
oppresseurs  de  son  peuple,  saura  frapper  de  même 
les  adversaires  futurs  d'Israël,  [6-24.  Parce  que  les 
Israélites  ontété  étrangers  en  Egypte,  ils  doivent  aimer 
les  étrangers,  x,  19.  Parce  qu'ils  ont  été  esclaves  dans 
ce  pays,  ils  sont  tenus  de  traiter  favorablement  leurs 
esclaves,  XV,  15.  Pour  la  même  raison,  ils  doivent  être 
justes  envers  les  étrangers,  les  veuves  et  les  orphelins 
et  leur  permettre  le  glanage  et  le  grapillage,  wiv,  17-22. 
Ils  ne  doivent  pas  haïr  les  Egyptiens,  bien  qu'ils  aient  été 
esclaves  chez  eux,  xxiii,  7.  La  sortie  d'Egypte,  favorisée 
par  Dieu  et  provoquée  par  il.  -  miracles  manifestes,  est 
rappelée  à  tout  instant,  i,  27,  30;  iv,  20,  34,  37;  v,  (i, 
).-.:  m,  13,  21-23;  vu,  8,  18,  19;  vin.  Il;  ix,  12,  26; 
\i.  •-'.  3,  10;  xiii,  5,  l(i.  \\,  I  ,  XXIV,  9;  x\v,  17;  xxix,  ~1. 
3,  16.  Ce  souvenir  est  invoqué  comme  nn  pressant  mo- 
tif d'être  fidèle  à  Dieu,  d'obéir  à  ses  préceptes  et  de  se 
fl<  r  i  lui.  Les  violateurs  de  la  loi  divine  seront  punis 
de  la  plaie  d'Egypte,  xxviu,  27,  60,  et  seront  ramenés 
68.  L'institution  de  la  Pàque  el  de  la  Pente- 
côte est  rattachée  à  la  délivrance  de  cette  servitude  dont 
la  Pftque  est  l'anniversaire,  xvi,  1-8,  Ce  souvenirdevra 
transmis  aux  descendants  des  Israélites,  xxvi,  5-8. 
le  roi  futur  ne  devra  pas  ramener  son  peuple  en 
pte,  xvn,  16.  i  n  écrivain,  postérieur  aux  événe- 
plusieurs  siècles,  a'anrail  pas  eu  ces  toave 
nin  si  présents  à  la  pensée  el  il  n'aurail  pu  espérer 
ut  pu  être,  a  une  époque  tar- 
dive, un  motif  ni  fort  et  si  pn     ant  d'i  Ira  Bdèleà  Dieu 

tes     II  fallait  plutôt  que    || 

pour  faire  impression. 
D  autre  part,  di  fptiena    ..,,1  mentionnés 

auteur.  Le  paj  d  iaa  ae  ressemble  pas  i 

pte,  où  on  irn.  ,,.  ,m 

pécial  d'arrosage,  xi,  10.  Moïse  Inslitui 


Soterhn,  xx,  5,  dont  le  nom  ressemble  à  celui  des 
scribes  égyptiens.  Il  applique  à  certains  délits  la  peine 
de  la  bastonnade,  infligée  à  la  mode  égyptienne,  xxv,  2. 
Les  pierres,  enduites  de  chaux,  sur  lesquelles  on  devra 
écrire  le  texte  de  la  rénovation  de  l'alliance  avec  Dieu, 
xxvil,  1-8,  rappellent  une  des  manières  dont  les  Égyp- 
tiens écrivaient.  Ces  imitations  des  usages  de  l'Egypte 
supposent  un  écrivain  ayant  habité  ce  pays,  et 
empruntant  ce  qui  s'adaptait  à  la  législation  nouvelle 
qu'il  donnait  à  son  peuple. 

2.  Souvenir  du  se  jour  de  quarante  ans  dans  le  désert. 
—  C'est  le  1er  jour  du  11e  mois  de  la  10e  année  du  séjour 
au  désert  que  Moïse  commence  à  promulguer  sa  nou- 
velle loi,  i,  3;  iv,  44-49.  Or,  ses  discours  sont  remplis 
du  souvenir  d'événements  accomplis  durant  cet  inter- 
valle, depuis  le  passage  de  la  mer  Rouge,  i,  20;  xi,  4,  et 
la  législation  donnée  au  Sinaï  jusqu'à  l'arrivée  dans  les 
plaines  de  Moab,  i,  6-m,  29;  iv,  3,  10-14;  v,  2-31;  vin, 
2-4,  15,  16;  ix,  7-x,  11;  XI,  5-7;  xvm,  16-19;  xxm,  4-6; 
xxiv,  9;  xxv,  17,  18.  Tous  ces  souvenirs  des  bienfaits 
et  des  châtiments  divins  avaient  pour  but  de  pousser 
les  Israélites  à  l'obéissance  et  à  la  fidélité  envers  un 
Dieu,  à  la  fois  si  bon  et  si  sévère.  Israël  devra  agir  à 
l'égard  des  peuples  conformément  à  leur  conduite 
respective  à  son  égard  durant  le  séjour  au  désert.  Ces 
souvenirs,  comme  ceux  d'Egypte,  ne  pouvaient  être  si 
vifs  que  pour  un  contemporain;  ils  ne  devaient  faire 
impression  que  sur  des  contemporains.  A  la  distance 
des  temps  ils  auraient  perdu  et  de  leur  fraîcheur  et  de 
leur  efficacité. 

3.  Exhortation  el  législation  données  avant  l'entrée 
au  pays  de  Chanaan.  —  Le  Deutéronome  tout  entier 
est  écrit  en  vue  de  la  mise  en  possession  de  la  Terre 
promise.  La  promesse,  faite  aux  patriarches,  est  fréquem- 
ment rappelée  pour  exciter  la  confiance  en  Dieu  et 
encourager  à  la  pratique  de  la  foi  par  motif  de  recon- 
naissance, vi,  3,  23;  vu,  8,  12,  13;  vin,  1;  ix,  5,28;  x, 
11;  xi,  9;  xix,  2;  XXVI,  3,  15;  xxvn,  3;  xxvin,  il;  xxxi, 
7,  20.  Dieu  donnera  ce  pays  à  Israël,  non  à  cause  des 
mérites  de  ce  dernier,  mais  par  amour,  ix,  4-6.  La 
confiance  en  Dieu  est  excitée  aussi  par  le  rappel  de 
l'engagement  pris  par  Jéhovah  d'aider  son  peuple  à 
vaincre  les  tribus  chananéennes,  iv,  38;  VI,  18,  19;  vu, 
I,  7,  19-21;  ix,  1-3;  xi,  23;  xn,  29;  xix,  1;  xxv,  19; 
xxxi.  3,  4.  Diverses  mesures  sont  prises  pour  assurer 
cette  possession  par  la  conquête.  Les  tribus  de  Ruben 
et  de  Gadet  la  demi-tribu  de  Manassé,  établies  à  l'est  du 
Jourdain,  ont  l'ordre  d'aider  les  autres  tribus  à  con- 
quérir la  partie  occidentale  de  la  région,  III,  18-20.  La 
mission  est  confiée  à  Josué  d'introduire  Israël  en  cette 
contrée,  ni,  21-28;  xxxi,  7.  L'ordre  est  donné  d'extermi- 
ner les  tribus  vaincues,  parce  qu'elles  sont  idolâtres. 
XIII,  15.  L'alliance  avec  Dieu  devra  être  renouvelée  sur 
le  mont  Garizim,  xi,  29-31;  xxvn,2-26.  La  loi  est  portée 
précisément  pour  l'époque  de  l'occupation  du  pays  con- 
quis, vi.  1,  ni;  vu.  I,  in,  16;  xn,  1,9, 10;  xv, 7;  xvi,  20; 
xvin,9;  xix.  2,  10,  l  i .  xxi.  I,  83;  xxiv,  i;  xxvi.  1,  9, 
15;  x\xi.  13.  En  particulier,  la  loi  du  culte  est  établie 
pour  le  lieu  unique,  que  Dieu  aura  choisi  et  désigni 
a  cette  lin  dans  le  pays,  une  fois  occupé,  XII,  11,14,  18, 
21,26;  xvi.  II.  I(i.  xvil.  8;  xxxi.  II.  L'exhortation  tend 
à  faire  pratiquer  la  loi  dans  le  paya, que  l'on  va  conquérir, 
iv,  l.  :..  r,.  m,  v.  31,  38;  w,  18,  80-85;  vui,  1,  7-10. 
Lea  bénédictions  divine!  s. .ni  assurées  à  Israël,  s'il 
observe  fidèlement  cette  loi  en  Palestine,  v,  16;  vu. 
l  13;  xv,  4;  xxm,  20;  xxv,  15;  xxx,  16, 20.  Dea  menaces 

de  ruine  lui  sont  fait  il  ne  l'ob 

iv,  86;  vi.  li.  15;  mi,  80;  xxvm,  52;  xxx,  18; 
xxxi,  16-20,  Le  11  vre  entier  convient  donc  ans  Israélites 
sur  le  polnl  de  traverser  le  Jourdain  pour  s'emparer 
,i,.  [g   i.rre   promise  à   leurs   ancêtres,  Un  écrivain, 

rieur  de  plusieurs  siècles,  surail  pu  difficilement 

imaginer  constamment   cette    situation  Bl    v    conformer 


659 


DEUTÉHONOME 


660 


toute  sa  rédaclion.  Au  lieu  de  prétendre  qu'il  a,  parartifice 
littéraire,  fait  parler  Moïse  rétrospectivement,  comme 
il  aurait  dû  parler  sur  la  rive  orientale  du  Jourdain,  il 
est  plus  naturel  de  reconnaître  que  le  législateur  lui- 
même  a  résumé  la  loi  qui  devrait  régir  son  peuple  en 
Clianaan  et  a  exhorté  itérativement  celui-ci  à  la  prati- 
quer. Tout  donc  dans  le  contenu  du  Deutéronome 
concourt  à  confirmer  la  rédaction  par  Moïse  lui-même 
dans  les  circonstances  historiques  qui  sont  indiquées 
au  déhut  du  livre. 

//.  RÉPONSE  AUX   THÉORIES    DES  CRITIQUES.   —  1°    Le 

Deutéronome  n'est  pas  indépendant  des  livres  précé- 
dents. —  11  en  dépend,  au  contraire,  et  pour  l'histoire 
et  pour  la  législation.  Les  critiques  le  reconnaissent,  à 
leur  manière,  lorsqu'ils  disent  que  l'auteur  du  Deutéro- 
nome a  connu  et  utilisé  les  documents  élohiste  et  jého- 
viste,  soit  à  l'état  isolé,  Eet  J,  soit  à  l'état  combiné,  JE. 
Voir  les  tableaux  de  Driver,  Einleitung  in  die  Littera- 
tur  des  A.   T.,  trad.  Rothstein,  Berlin,  1896,  p.  73-76, 
pour  la   législation,  et  p.  82-83,  pour  l'histoire.  Mais, 
en  dehors  des  emprunts  faits  à  ces  prétendus  documents, 
on  remarque  dans  le  Deutéronome  des  indications  de 
faits  et  de  lois,  qui  ne  proviennent  pas  de  E  et  de  J.  Il 
y  a  au  moins  trois  faits,  qui  sont  dans  ce  cas  et  qu'on 
trouve  mentionnés  cependant  dans  les  livres  du  milieu 
ou  dans  le  document  que  les  critiques  appellent  code 
sacerdotal  ou  P.  Ce  sont  le  nombre  des  douze  espions 
envoyés  au  pays  de  Chanaan,  i,  23;  les  70  personnes 
qui  sont  entrées  en  Egypte,  x,  22;  la  matière  (bois  de 
sittim)  dont  l'arche  d'alliance  était  faite,  x,  1 ,  3.  On  peut 
bien,  pour  les  besoins  du  système,  supposer  qu'ils  étaient 
déjà  rapportés  dans  des  fragments  perdus  de  l'histoire 
élohiste  ou  jéhoviste.  Il  reste  vrai  qu'ils  font  partie  des 
livres    actuels,    dits    du    milieu,  et  il  est  légitime  de 
conclure  qu'ils  leur  ont  été  empruntés.  La  législation 
deutéronomique   a    aussi    des    traits,    qui  n'ont  leur 
pendant    ni    dans    le    décalogue  ni  dans   le  livre  de 
l'alliance,   mais  qui  se  remarquent  dans  le  soi-disant 
code  sacerdotal.  Assurément  les    critiques  rapportent 
la  plupart  à  la  loi  de  sainteté,  11,  Lev.,  xvii-xxvi,  qui, 
selon  eux,  a  été  insérée  dans  le  code  sacerdotal.  Il  est 
d'autres   détails   toutefois,  dont  le    plus  remarquable 
concerne  les  animaux  purs  et  impurs.  Deut.,  xiv,  3-20; 
Lev.,  xi,  2-22.  Cf.  Deut.,  xn,  29-32,  et  Num.,  xxxm,  52; 
Deut.,  xiv,  22-29,  et  Num.,  xvm,  21-32;  Deut.,  xv,  19-23, 
et  Num.,  xvm,  17;  Deut.,  xvi,  1-17,   et  Num.,  xxvm, 
xxix;  Deut.,  xvm,  1-8,  et  Lev.,  vu,  32-34;  Num.,  xvm, 
1-20;  Deut.,  xix,  1-13,  et  Num.,  xxxv;  Deut.,  xxn,  12,  et 
Num.,  xv,  37-41;  Deut.,  xxm,  10-15,  et  Num.,  v,  1-4; 
Deut.,  xxm,  22-24,  et  Num.,  xxx,  3;  Deut.,  vu,  2-4,  16, 
et  Num.,  xxxm,  55;  Deut.,  vu,  6;  xiv,  2,  21;  xxvi,  19; 
xxvm,    9,    et   Lev.,     xi,    44;    Num.,   xv,    40;    Deut., 
xvi,    4,    et    Num.,    ix,    12;    Deut.,    xvn,  6;    xix,    15, 
et  Num.,  xxxv,  30.  Ou  bien,  on  n'en  tient  pas  compte, 
ou  bien  on  observe  que  ces  points  communs  ne  sont 
rien  en  comparaison  des  prétendues  divergences  qu'on 
signale    entre    les    deux    législations.    Cependant    des 
critiques,  comme  Dillmann  et  M.  Bruston,  pensent  que 
le  code  sacerdotal  est  antérieur  au  Deutéronome  et  lui 
a  servi  de  source.  Bruston,  L'histoire  sacerdotale  et  le 
Deutéronome  primitif,  Paris,  1906,  p.  28-40.   Si   on 
n'admet  pas  la  distinction  des  documents  du  Penta- 
teuque,  on  conclura  légitimement  de  ces  faits  que  les 
livres  du  milieu  ont  précédé  le  Deutéronome.  L'omission 
des  lois  sacerdotales  et  lévitiques  se  comprend  suffi- 
samment dans  un  code  populaire,  qui  n'a  rien  de  rituel 
et  n'est  pas  destiné  aux  prêtres.  Moïse  n'a  pris  dans  la 
législation  antérieure  que  les  dispositions  du  droit  qui 
convenaient  aux   particuliers.  Cf.  F.  de  Hummelauer, 
Deuleronomium ,  Paris,  1901,  p.  149-151;  J.  Brucker, 
op.  cit.,  p.  173-175. 

2°  L'uiixié  du  Deutéronome  exige  un  seul  auteur. 
—   Le   Deutéronome    donne    l'impression    d'un    écrit 


d'une  seule  et  unique  inspiration,  produit  tout  entier 
d'un  seul  jet.  Le  même  but  y  est  poursuivi  d'un  bout 
à  l'autre;  l'esprit  et  la  langue  sont  partout  identiques, 
tellement  que  les  critiques,  tout  en  découvrant  des 
mains  différentes,  reconnaissent  qu'elles  sont  d'écri- 
vains de  la  même  école,  qu'ils  appellent  deutérono- 
miste.  Mais  leurs  dissections  du  texte  ne  s'imposent 
pas.  Outre  qu'elles  ne  se  rencontrent  pas  dans  les  ré- 
sultats soi-disant  acquis,  elles  sont  faites  sur  le  texte 
massorétique,  qui  est  altéré  en  divers  endroits,  et  elles 
ne  réussissent  pas  à  entamer  sérieusement  l'unité  du 
livre.  Kuenen  a  admis  longtemps  l'unité  du  discours 
parénétique,  v-xi,  avec  le  code,  xii-xxvi,  et  Dillmann 
l'a  péremptoirement  établie  ainsi  que  celle  des  c.  xxvn- 
xxxi.  Numeri,  Deuterononium  und  Josua,  2e  édit., 
Leipzig,  1886,  p.  263  sq.  Ce  grand  discours  forme,  en 
effet,  une  introduction  au  code,  une  exhortation  pro- 
longée à  observer  un  code,  reproduit  plus  loin.  Or.  il 
est  difficile  d'admettre  qu'elle  a  été  composée  après  ce 
code,  qui  en  était  indépendant,  comme  un  supplément 
parénétique.  L'exhortation  avec  ses  références  conti- 
nuelles à  une  législation,  avec  ses  reprises  perpé- 
tuelles, suppose  plutôt,  comme  cela  est  attesté  d'ail- 
leurs au  c.  iv,  que  l'orateur  vise  une  législation,  qu'il 
a  présente  à  l'esprit,  qui  était  connue  de  ses  auditeurs 
et  dont  il  se  propose  de  faire  un  résumé.  Si  ses  audi- 
teurs ne  l'avaient  pas  connue  déjà,  l'exhortation  à 
observer  une  loi,  dont  l'orateur  recule  sans  cesse 
l'énoncé,  aurait  été  insupportable.  Joignez  à  cela  que 
le  ton  parénétique  se  retrouve  encore  dans  le  code 
lui-même  et  que  les  motifs  de  pratiquer  les  ordon- 
nances promulguées  s'ajoutent  au  texte  du  code. 
D'autre  part,  les  quatre  premiers  chapitres  du  Deuté- 
ronome n'ont  pas  une  origine  distincte  des  c.  v-xxvi; 
ils  présentent  avec  eux  une  unité  de  conception  et  de 
style,  qui  en  font  un  préliminaire  obligé  du  corps 
même  du  livre.  M.  Van  Hoonacker  l'a  solidement 
prouvé.  L'origine  des  quatre  premiers  chapitres  du 
Deutéronome,  dans  Le  Muséon,  Louvain,  1888,  t.  vu, 
p.  464-482;  1889,  t.  vm,  p.  67-85,  141-149.  F.  Montet 
admet  aussi  l'unité  des  c.  i-xxvi.  xxvm-xxx.  Le  Deuté- 
ronome et  la  question  de  V Hexaleuque,  Paris,  1891, 
p.  49-116.  Pour  l'identité  du  style  dans  toutes  les  par- 
ties, voir  F.  de  Hummelauer,  Deuteronomium,  Paris, 
1891,  p.  110-135.  Cf.  Josue,  Paris,  1903,  p.  57-60.  Les 
derniers  chapitres,  formant  épilogue,  ont  pu  être 
ajoutés  par  une  autre  main,  sans  que  ni  l'unité  du 
livre  ni  sa  rédaction  par  Moïse  en  soient  atteintes. 

3»  Les  dates  diverses,  proposées  par  les  critiques, 
ne  sont  pas  démontrées.  —  Les  Pères  de  l'Église  ont 
justement  remarqué  que  le  livre,  retrouvé  au  Temple 
de  Jérusalem  sous  le  règne  de  Josias,  était  le  Deuté- 
ronome. Le  pseudo-Athanase,  Epist.  ad  Marcellinum, 
n.  32,  P.  G.,  t.  xxvn,  col.  4i;  S.;Jérôme,  AdvcrsusJo- 
vinianum,  1. 1,  n.  5,  P.L.,  t.  xxm,  col.  217;  Comment. 
in  Ezech.,  i,  1,  P.  L.,  t.  xxv,  col.  17;  S.  Chrysostome, 
In  Matth.,  homil.  ix,  n.  4,  P.  G.,  t.  lvii,  col.  181; 
Jn  1  Cor.,  homil.  vu,  n.  3,  P.  G.,  t.  i.xi,  col.  58; 
Procope  de  Gaza.  Comment,  in  Deut.,  xvn,  18,  P.  G., 
t.  lxxxvii,  col.  916.  Or,  ce  livre  ainsi  retrouvé  com- 
prenait au  moins  les  c.  v-xxvi  et  le  c.  xxvm.  En  effet,  la 
réforme  de  Josias,  faite  conformément  au  code  retrouvé, 
concernait  non  seulement  l'abolition  des  cultes  étran- 
gers et  de  leurs  infiltrations  dans  le  culte  de  Jéhovah, 
la  centralisation  du  culte  au  temple  de  Jérusalem  et  la 
célébration  correcte  de  la  fête  de  Pâque,  trois  points 
spécialement  recommandés  par  le  code  proprement 
dit,  niais  aussi  la  rénovation  de  l'alliance,  signalée  v, 
2,3;  xxvi.  17-19.  Cf.  F.  de  Hummelauer,  Deuterono- 
nium, p.  46-60,  83-87.  D'autres  rapprochements  entre 
le  Deutéronome  et  II  (IV)  Reg.,  xxu.  8-xxiH,  .23,  con- 
firment cette  conclusion.  Cf.  E.  Mangenot,  L'authen- 
ticité mosaïque  du  Penlateuque,  p.  117-118.   D'autre 


661 


DEUTERONOME 


662 


part,  le  fait  de  cette  découverte  ne  prouve  pas  l'origine 
récente  du  livre.  Le  code  en  particulier  doit  être  bien 
antérieur  à  l'époque  à  laquelle  on  le  rapporte.  Plu- 
sieurs de  ses  dispositions,  telles  que  la  loi  militaire, 
xx,  2-8  (à  la  veille  de  la  bataille  de  Mageddo),  la  re- 
mise des  dettes  à  l'année  sabbatique,  xv,l-9,  la  distinc- 
tion des  animaux  purs  et  impurs,  xiv,  3-21,  et  les  im- 
puretés légales,  xxni,  9-14,  ne  sont  pas  appropriées  à 
la  situation  et  aux  conditions  du  règne  de  Josias. 
P,  Martin,  De  l'origine  du  Pentateitque  (lithog.),  Paris, 
1887-1888,  t.  n,  p.  243-270.  Du  reste,  si  le  code  avait 
été  fabriqué  en  vue  de  la  réforme  à  procurer,  il  n'au- 
rait contenu  que  les  lois  réformatrices.  Or,  le  Deuté- 
ronome  contient  beaucoup  d'ordonnances,  qui  n'ont 
aucun  rapport  avec  ce  projet.  Ce  manque  d'adaptation 
ne  permet  pas  de  voir  dans  le  code  le  programme, 
exactement  défini  et  rédigé  par  écrit,  du  parti  prophé- 
tique. C'est  une  hypothèse  sans  fondement  de  dire 
qu'ayant  échoué  une  première  fois  sous  Ézéchias,  faute 
d'un  code  écrit,  ce  parti,  instruit  par  l'expérience  et 
voulant  réagir  contre  les  abus  du  règne  de  Manassé, 
présenta  à  Josias  un  code  rédigé.  Il  a  bien  tardé,  en 
attendant  jusqu'à  la  18=  année  de  ce  roi  pieux  ;  il  eût 
pu  commencer  plus  tôt,  si  la  découverte  du  livre 
n'avait  été  réellement  fortuite.  Si  Jérémie  en  avait  été 
l'auteur,  il  eût  pris  part  à  la  réforme  qui  suivit  la  dé- 
couverte, ce  qui  n'apparaît  pas  dans  le  récit  du  livre 
des  Rois.  D'ailleurs,  il  était  bien  jeune  à  cette  époque, 
et  s'il  a  pris  l'esprit  et  imité  le  style  du  Deutéronome, 
c'est  qu'il  avait  été  frappé  de  l'importance  du  code, 
récemment  retrouvé,  et  s'en  était  fait  le  champion  en 
Juda. 

Les  autres  dates,  proposées  en  dehors  de  l'origine 
mosaïque,  dépendent  de  la  théorie  documentaire  et 
des  vues  qui  en  résultent  sur  le  développement  de  la 
religion  chez  les  Israélites.  Elles  n'ont  plus  de  fonde- 
ment, si  l'on  n'admet  pas  les  prémisses  sur  lesquelles 
elles  reposent.  Si  le  Deutéronome  était  égaré  depuis 
longtemps,  on  comprend  qu'il  n'ait  pas  exercé  d'in- 
lluence  sur  les  prophètes  du  vuie  siècle  qui  ne  le  con- 
naissaient pas,  tout  en  étant  animés  du  même  esprit, 
du  véritable  esprit  mosaïque,  et  qu'il  n'ait  pas  non 
plus  été  observé.  D'ailleurs,  la  non-observation  d'une 
loi  ne  prouve  pas  la  non-existence  de  celte  loi.  Le  code 
deutéronomique  a  été  violé,  avant  de  s'égarer,  et  il  n'a 
pu  èlre  perdu  di  vue,  que  parce  qu'on  ne  pratiquait 
plus  ses  prescriptions.  D'autre  part,  nous  avons  dit 
précédemment,  col.  655,  que  le  livre  ('tait  connu  de 
l'auteur  du  livre dea  Rois  et  du  livre  de  Josué.  Comme 
les  caractères  intrinsèques,  rappelés  plus  haut,  col.  I>Ô7- 
659,  conviennent  parfaitement  à  l'époque  de  Moïse, 
rien  ne  s'oppose  à  ce  que  nou^  attribuions  le  Deuté- 
ronome à  ("  législateur  lui  même.  Cf.  P.  Martin,  De 
l  n,  ujoie  du  Pentateuque  lithog.),  Paris,  1886-IS87. 
t.  i,  p.  295-609;  -I.  Brucker,  op.  m.,  p,   183-189. 

\.  Doctrine.  Le  Deutéronome esl  plus  qu'un  code 
de  lois.  Dans  toutes  ses  parties  historiques,  parénétiques 

et  législatives,  il  énonce  une   doctrine  dogmatiq I 

m<.i  aie  très  i  levée. 

I     Dogme         II  profe^-.    le  monothéisme  le  plus 

absolu    Le  Dieu  d  [srai  1  est  le  seul  Dieu  el  Seigneur, 

vi.  i    II  est  le  l'on  des  dieux,  le  Seigneur  dea  seigneurs, 

le  lueu  grand  el  puissant  el  terrible,  juste  aussi,  ne 

faisant  pat  acception  des  personnes,  el  bon,  x.  17,  18. 

m  'i"  toutes  chi  I  ne  faut-il  ado 

initie  de  ses  créatures,  le  ciel,  le  soleil,  la  lune, 

n'en  faire  aucune  Image,  de  peur 

mbei  dans  i  idolâtrie,  18  18.  Les  Israélites  devront 

don<  •  nananéenm  -.  un,  2, 

interdiction    de  foin    aui  uni    Image  de   Dit  u 
I  affli  mation  di      •  ipiritualité.  Il  fan)  adorer  1 1  iei  vii 
Dieu  seul,  »    20  L<  Dieu  unique  est  le  maître  de  toutes 
il  aurai)  pu  mettre  Moïse  ■•  la  tête 


d'un  peuple  plus  grand  qu'Israël,  ix,  4.  Il  a  le  pouvoir 
sur  la  matière  et  il  fait  des  prodiges  qui  témoignent  de 
sa  toute-puissance.  Moïse  rappelle  souvent  les  miracles 
accomplis  en  Egypte  pour  tirer  Israël  de  la  servitude. 
Etre  spirituel,  il  n'a  pas  de  forme  sensible,  il  s'est  ma- 
nifesté seulement  au  milieu  des  éclairs  et  du  tonnerre 
et  a  fait  entendre  sa  voix,  iv,  11,  12;  et  il  ne  s'est  pas 
montré  au  peuple  sous  une  apparence  extérieure,  de 
crainte  d'être  honoré  par  lui  sous  forme  d'idole,  13.  Il 
est  fidèle  et  immuable;  il  a  tenu  les  promesses  qu'il 
avait  faites  aux  patriarches;  par  fidélité  encore  il  don- 
nera aux  Israélites  la  terre  de  Chanaan,  qu'il  a  promise 
à  leurs  pères  et  à  eux-mêmes.  Il  observera  l'alliance 
contractée  avec  eux  et  il  donnera  ses  faveurs  à  ceux  qui 
l'aiment  et  qui  pratiquent  ses  commandements,  jusqu'à 
mille  générations,  vu,  9.  U  garde  sa  parole  même  à 
l'égard  des  étrangers;  aussi  interdit-il  aux  Israélites  de 
conquérir  l'Idumée,  qu'il  a  donnée  aux  fils  d'Ésaii,  II,  5. 

liien  qu'il  soit  le  Dieu  du  monde  entier,  Jéhovah  a 
cependant  des  rapports  particuliers  avec  Israël,  qui  est 
son  peuple  spécialement  choisi,  vu,  G;  XIV,  2;  XXVI, 
18.  Dans  le  désert,  il  l'a  porté  comme  un  père  porte 
son  petit  enfant  sur  le  chemin  qui  l'amenait  aux  rives 
du  Jourdain,  i,  31;  il  l'a  instruit  comme  un  homme 
instruit  son  fils,  vin,  5.  Les  Israélites  sont  donc  les 
enfants  du  Seigneur,  leur  Dieu,  XIV,  1.  11  aimait  déjà 
leurs  ancêtres,  et  il  les  aime  eux-mêmes,  iv,  37;  vu, 
8;  xxiii,  5.  S'il  a  choisi  Israël  pour  son  peuple  spé- 
cial, ce  n'est  pas  à  cause  de  sa  grandeur  extérieure, 
puisqu'il  est  inférieur  en  nombre  à  tous  les  peuples, 
mais  par  amour,  vu,  6-8.  S'il  lui  assure  la  possession 
du  pays  de  Chanaan,  ce  n'est  pas  en  considération  de  sa 
justice  propre,  puisqu'au  contraire  il  a  été  infidèle  à 
son  Dieu,  IX,  6-24;  c'est  par  fidélité  à  la  parole  donnée 
aux  ancêtres,  vu,  8;  ix,  4,  5.  Dieu,  en  effet,  a  contracté 
une  alliance  avec  les  patriarches,  iv,  31;  vu,  12;  vm, 
18.  Elle  a  été  renouvelée  avec  leurs  descendants  à 
l'Iloreb,  v,  2,  3;  ix,  9;  xxix,  1,  aussi  bien  qu'au  pays 
de  Moab.  Or,  cette  alliance  ne  suppose  pas  l'égalité 
des  contractants  et  n'a  pas  été  conclue  et  consentie  de 
la  même  manière  des  deux  côtés.  Jéhovah  l'a  imposée 
à  Israël  et  en  a  dicté  les  conditions,  qui  ont  été  volon- 
tairement acceptées.  Le  pacte  ainsi  conclu  établit  entre 
les  contractants  une  certaine  égalité,  qui  consiste  dans 
l'obligation  mutuelle  de  fidélité  à  la  parole  donnée.  Dieu 
tiendra  ses  promesses  à  l'égard  d'Israël,  si  celui-ci  est 
fidèle  aux  obligations,  qu'il  a  acceptées  et  qui  le  lient  à 
Dieu.  Os  obligations  concernent  l'observation  exacte 
des  lois,  imposée--  par  Dieu  à  son  peuple,  IV,  13,  23; 
xxix,  9;  xxxiii.  9.  Si  Israël  esl  fidèle  à  l'alliance,  Dieu, 
qui  l'a  tiré  de  la  servitude  d'Egypte  et  qui  va  le  mettre 
en  possession  du  pays  de  Chanaan,  continuera  à  le 
protéger;  s'il  la  viole,  il  le  châtiera,  xi.  26-28.  De  celte 
alliance  découlent  donc  les  devoirs  qu'Israël  a  à  rem- 
plir à  l'égard  de  son  I  lieu. 

2  Morale.  —  La  fidélité  aux  conditions  de  l'alliance 
el  l'observation  des  préceptes  divins,  de  ceux  du  déi  a 
ni^i  bien  que  ceux  du  code,  qu'il  soit  d'ordre 
il.  rituel  ou  purement  juridique,  sont  donc  les  pre- 
miers devoirs  d'Israël  envers  son  Dieu.  Cette  obéissance 
aux  volontés  divines  attirera  sur  Israël  la  bénédiction 
de  Jéhovah  et  lui  assurera  le  bonheur.  Les  formul 
■  Pour  que  .léhovali.  ton  Dieu,  te  bénisse,  <■  xi\.  24; 
XV,  i.   10;  XVI,   10,   15,  etc. :  g  Pour  qu'il  t'en  arrive 

du  bien,  afin  que  tu  vives  longtemps,  »  i\.  i":  v,  10 
28,  29;   m.  2,  8,  18;   si,  9;  in,  26,   28;  un,  7, 
viennent    fréquemment  comme    motifs    d'observer  les 
commandements    Mal     cet    eudémonisme   esl  pei 
lionne  par  des  mot  ils  plu-  désintéressés.  Il  ne  faut  pas 
obéir  par  intén  lent,  ni  par  crainte,  quoique 

liment  attende  le  coupable.  Puisque  Jéhovah 
le  bienfaiteui  d'israi  l  et  qu'il  aime  ton  pi  uple,  M  peuple 
doit  w  montrer  reconnai  n  Dieu  et  aimer  t  n 


6G3 


DEUTÉRONOME 


GC4 


retour  celui  qui  l'aime.  Dieu  veut  être  aimé,  parce  que 
lui-même  aime.  Aimer  Dieu  de  tout  son  cœur,  de  toute 
son  âme,  de  toutes  ses  forces,  est  une  recommandation 
très  fréquente  et  très  caractéristique  du  Deutéronome, 
vi,  5;  x,  12;  xi,  1,  13,  22;  xni,  4;  xix,  9;  xxx,  6,  16,20. 
Les  vrais  serviteurs  de  Dieu  sont  désignés  par  l'expres- 
sion :  «  ceux  qui  m'aiment,  »  expression  qui,  par  sa 
fréquence  et  l'accent  mis  à  son  emploi,  prend  une  signi- 
lication  spéciale  et  exprime  le  motif  le  plus  élevé  qui 
puisse  être  donné  aux  actions  humaines.  Agir  par 
amour  pour  Dieu,  telle  est  donc  la  suprême  recom- 
mandation que  Moïse  fait  aux  Israélites.  Notre-Seigneur, 
interrogé  sur  le  premier  et  le  plus  grand  commande- 
ment de  la  loi,  a  cité  celui  du  Deutéronome,  vi,  5,  qui 
ordonne  d'aimer  Dieu  de  tout  son  cœur,  de  toute  son 
âme  et  de  tout  son  esprit.  Matth.,  xxn,  36-38;  Marc, 
xn,  28-30.  Cf.  Luc,  x,  25-28. 

Du  reste,  l'observation  de  la  loi  divine  est  facile. 
L'Israélite  n'a  pas  à  s'enquérir  au  loin  de  la  volonté  de 
Dieu.  La  loi  lui  est  très  accessible;  elle  est  à  sa  portée, 
et  il  peut  sans  difficulté  la  comprendre,  la  retenir,  en 
faire  le  sujet  de  ses  discours  et  l'objet  de  sa  pratique, 
xxx,  11-14.  Le  Deutéronome  lui-même  est  le  statut,  fixé 
par  Dieu.  Les  ordonnances  sont  promulguées,  la  loi 
écrite,  et  il  suffit  de  régler  sur  elle  sa  conduite,  xxx, 
15,  16.  Cette  loi  n'est  pas  au-dessus  des  forces  de  l'Is- 
raélite, et  il  peut  aisément  s'y  conformer.  Le  particu- 
lier doit  l'apprendre  pour  son  propre  compte  et  l'en- 
seigner à  ses  enfants  pour  qu'ils  la  suivent,  VI,  6,  7, 
19  ;  cet  élément  pédagogique  est  très  significatif.  Moïse 
indique  souvent  les  raisons  des  institutions  religieuses 
d'Israël,  pour  qu'elles  puissent  être  répétées  aux  en- 
fants qui  interrogeront  leurs  parents  sur  leur  origine 
et  leur  signification,  vi,  20-25.  Le  roi  futur  d'Israël 
devra  lire  le  Deutéronome  pour  apprendre  à  servir 
Dieu  et  à  observer  ses  prescriptions,  xvn,  18,  19. 

Ce  ne  sont  pas  seulement  les  individus  qui  doivent 
agir  .d'après  ces  principes  religieux  et  moraux;  la  vie 
de  la  communauté  elle-même  doit  être  gouvernée  par 
eux.  Israël  est  un  peuple  saint,  vu,  6;  xiv,  2;  xxvi,  19, 
à  cause  de  ses  relations  avec  Dieu,  à  cause  du  choix 
dont  il  a  été  l'objet.  Il  doit  demeurer  digne  de  sa  con- 
sécration à  Jéhovah  et  s'astreindre  à  des  observances 
particulières  de  pureté,  même  de  pureté  extérieure, 
XIV,  1-21;  xxiii,  10-15.  La  morale  sociale  se  rencontre 
encore  dans  ce  qu'on  appelle  les  ordonnances  humani- 
taires du  Deutéronome.  Ce  code  recommande  souvent 
la  bienfaisance  envers  tous  ceux  qui  sont  dans  le  besoin, 
à  l'égard  de  la  veuve,  de  l'orphelin,  du  pauvre,  de 
l'étranger,  xn,  12,  18,  19;  xiv,  27-29;  xvi,  11,  14;  xxiv, 
17,  19-22;  xxvi,  11-13,  même  pour  l'esclave,  xv,  13, 
14;  xxiii,  15,  16.  Cette  bienfaisance  doit  spécialement 
s'exercer  aux  trois  fêtes  annuelles.  Durant  l'année  sab- 
batique, les  produits  spontanés  du  sol  doivent  être 
abandonnés  aux  pauvres.  Cette  loi  d'amour  et  de  fra- 
ternité inspire  et  pénètre  tout  le  programme  de  vie 
sociale  que  trace  le  Deutéronome.  On  recommande  la 
patience,  et  l'équité,  xx,  5-11,  19;  xxi,  10-14,  17;  xxn, 
8;  xxiii,  25-26;  xxiv,  5,  6, 16,  19-22;  xxv,  3,  l'humanité 
à  l'égard  même  des  animaux,  xxn,  7;  xxv,  4.  Nulle  part 
ailleurs  dans  l'Ancien  Testament,  on  ne  voit  tant  de 
bienveillance  envers  les  hommes.  Une  seule  exception 
est  faite  pour  les  idolâtres,  qu'il  ne  faut  pas  tolérer  en 
Israël,  XVII,  2-7.  C'est  par  crainte  de  la  contagion  ido- 
lâtrique  que  Dieu  ordonna  l'extermination  des  tribus 
chananéennes,  vu,  1-5,  16. 

Cette  doctrine  monothéiste  et  celte  morale  spiritua- 
liste  s'allient  aux  actes  rituels,  aux  fêtes,  aux  sacrifices, 
à  l'oll'rande  des  prémices,  des  premiers-nés  et  des 
dîmes,  et  à  une  observance  du  culte.  La  religion  lie 
l'homme  tout  entier  et  embrasse  le  culte  intérieur  et  le 
culte  extérieur.  Même  chez  les  Juifs,  les  pratiques  de- 
vaient être  vivifiées  par  l'amour  de  Dieu.  Cf.  G.  Stern- 


berg,  Die  Ethik  des  Deuteronomiums,  in-8°,  Berlin, 
1908. 

VI.  Commentaires.  —  1»  Pères.  —  Origène,  Selecta 
et  homilix  in  Deuleronomium,  P.  G.,  t.  xu,  col.  NJ.V 
817;  Théodoret,  Quœstiones  in  Deuteronomium,  P.  G., 
t.  i.xxx,  col.  401-456;  S.  Augustin,  Quœslinnes  in 
lleptateuchum  (pour  le  Deutéronome),  1.  V.  P.  L., 
t.  xxxiv.  col.  747-776;  S.  Isidore  de  Séville,  Quœstiones 
in  V.  T.  Pentateuchum  (pour  le  Deutéronome),  P.  /.., 
t.  i.xxxin,  col.  359-370;  l'rocope  de  Gaza,  Comment. 
in  Deuteronomium ,  P.  G.,  t.  i.xxxvn,  col.  893-992  ; 
S.  Bède,  In  Penlateuchum  commentarii,  lu  br,it.t 
P.  L.,  t.  xci,  col.  379-394;  pseudo-Bède,  Qusesl< 
super  Pentateuchum  (pour  le  Deutéronome],  P.  L., 
t.  xcin, col. 409-416;  Raban  Maur,  Enarrat. super  Dent., 
P.  L.,  t.  cvm,  col.  837-998;  Walafrid  Strabon.  Glosta 
ordinana  (pour  le  Deutéronome],  P.  L.,  t.  cxm,  col.  445- 
506. 

2°  A  a  moyen  âge.  —  S.  Bruno  d'Asti.  Expotitio  in 
Deuteronomium,  P.  L.,  t.  clxiv,  col.  505-550;  Rupert 
de  Deutz,  De  Trinitale  et  operibus  ejus,  Liber  in  Deu- 
teronomium, P.  L.,  t.  clxvii,  col.  917-1000;  Hugues  de 
Saint-Victor,  Adnotationes  elucidatoriee.  in  Pentateu- 
chum (pour  le  Deutéronome],  P.  L.,  t.  clxxv.  col.  86; 
Denys  le  Chartreux,  Comment,  in  Pentateuchum  (pour 
le  Deutéronome),  Opéra  omnia,  Montreuil,  1897,  t.  n, 
p.  519-721. 

3°  Aux  temps  modernes.  —  1.  Protestants.  —  Calvin 
a  commenté  le  Pentateuque  entier;  J.  Gerhart  (fl637  a 
fait  un  commentaire  sur  le  Deutéronome.  Au  xixe siècle, 
Sehultz,  Das  Deuleronomium  erklàrt,  Berlin,  1859; 
Knobel,  Numeri,  Deuteronomium  und  Josua,  Leipzig, 
1861;  2<  édit.,  par  Dillmann,  1886;  Schroder,  Das  Deu- 
teronomium,  Bielefeld,  1866;  2e  édit.  par  Stosch,  1902; 
Keil,  Leviticus,  Numeri  und  Deuteronomium,'!'  édit., 
Leipzig,  1870;  trad.  anglaise,  Edimbourg,  1885  ;  Oettli, 
Deuleronomium,  Josux  und  Richter,  Munich,  1893; 
Bertholet,  Das  Deuleronomium,Tubingue,  1899;  Steuer- 
nagel,  Deuleronomium  und  Josua,  Gœttingue,  1900. 
En  Angleterre,  Howarth,  The  books  of  Numbers  and 
Deuteronomy,  Cambridge,  1857  ;  Cook,  The  Holy  Bible, 
Londres,  1877,  t.  n;  Driver,  Deuteronomy,  Edimbourg, 
1895;  Harper,  Deuteronomy,  Londres,  1895  ;  Alexander, 
Deuteronomy,  Londres,  1897;  Maclaren,  The  Books  nf 
Deuteronomy,  Londres,  1906.  En  France,  E.  Montet. 
Le  Deutéronome  et  l'tiexaleuque,  Paris,  1901. 

2.  Catholiques.  —  En  outre  des  commentaires  sur  le 
Pentateuque  entier  de  Cajelan  (1531),  de  Jérôme 
Oleaster  (1566),  de  Corneille  de  la  Pierre,  de  Corneille 
.lansénius  (1641),  de  Bonfrère  (1625),  etc.,  J.  Lorin, 
Commentarius  in  Deuteronomium,  Anvers,  1625;  Tro- 
chon,  Le  Deutéronome,  Paris,  1885;  F.  de  Hummelauer, 
Deuteronomium,  Paris,  1901. 

Monographies:  E.  Biehm,  Die  Gesetzgebung  Mosis  im  Lande 
Moab,  Gotha,  1854;  L.Reinke,  L'berdas  unterdem  KonigeJosia 
aufgef.  Gesetzbuch,  dans  Beitràge  mr  Erklarung  des  A.  T., 
1872,  t.  vin,  p.  131  sq.  ;  Kleinert,  Das  Deuteronomium  und  die 
Deuteronomiker,  Bielefeld,  1872;  G.  d'Eichthal,  Étude  sue  le 
Deutéronome,  dans  Mélanges  de  critique  biblique.  Paris,  1886, 
p.  81-350;  M.  Veines,  Une  nouvelle  hypothèse  sur  la  rompo- 
•  sition  du  Deutéronome,  examen  des  vues  M.  G.  d'Eichthal, 
Paris,  1887;  Horst,  Études  sur  le  Deutéronome.  dans  la  Revue 
de  l'histoire  des  religions.  1887,  t.  xvi,  p.  28-65;  1888,  t.  xvn, 
p.  1-22;  t.  XVIII,  p.  320-33'»;  F.  de  Moor,  La  date  et  la  compo- 
sition du  Deutéronome,  dans  la  Revue  des  religions,  1891, 
I.  m,  p.  223-252;  A.  Westphal,  Le  Deutéronome.  Étude  de  crt- 
tique  et  d'histoire,  Toulouse,  1891;  Staerk,  Das  Deuterono- 
mium, sein  Inhalt  und  sei)ie  litterarische  Form,  Leipzig, 
Steuernagel,  Der  Rahmen  des  Deuteronomiums.  Halle,  1SÏ4; 
M.,  Die  Enstehung  des  deuteronomischeit  Gezetses,  Halle, 
1896;  O.  Naumann,  Das  Deutoronomium,  Gùtersloli,  18'.'7; 
1  •'.  .le  Hummelauer,  '/.uni  Deuteronomium,  dans  les  Bibltsche 
Studien,  l'ribourg-en-Brisgau,  1901,  t.  VI,  p.  13  sq. 

Wellhausen,  Die  Composition  des  Hexateuclis,  2*  édit., 
Berlin,   1889,  p.  189-210;  A.  Westphal,  Les  sources  du  Penta- 


665 


DEUTÉRONOME    (PROPHÉTIE    MESSIANIQUE    DU) 


666 


leuquc.  Paris,  1892,  t.  Il,  p.  42-113;  H.  Holzinger,  Einleitung  in 
den  Hexateuch,  Fribourg-en-Brisgau  et  Leipzig,  1893,  p.  255- 
331  ;  Driver,  Einleitung  in  die  Literatur  des  aUen  Testa- 
ments, trad.  Rothstein,  Berlin,  1896,  p.  69-108;  Cornill,  Einlei- 
tung  in  das  Alte  Testament,  3"  et  4"  édit.,  Fribourg-en-Brisgau 
et  Leipzig,  1896,  p.  20-36  ;  G.  Wildeboer,  Die  Literatur  des 
Alte  Testament.  2'  édit.,  Gœttingue,  1905,  p.  173-189;  H.  Stracl;, 
Einleitung  in  das  Alte  Testament.  6"  édit.,  Munich,  1906, 
p.  62-64;  L.  Gautier,  Introduction  à  l'Ancien  Testament, 
Lausanne,  1906,  t.  I,  p.  78-84, 154,  159-160,  165-166,  180-183:  Id.. 
La  loi  dans  l'ancienne  alliance,  Lausanne,  1908,  p.  54-57.  92, 
'.10.  117,118,  120. 

E.  Mangenot. 

II.  DEUTÉRONOME  (PROPHÉTIE  MESSIANIQUE  OU). 

—  Elle  se  trouve,  Deut.,  xvm,  15-19.  Comme  la  Vulgate 
rend  exactement  le  texte  hébreu  et  comme  le  Penta- 
teuque  samaritain  et  la  version  des  Septante  ne  présen- 
tent que  des  variantes  insignifiantes,  il  suffira  de 
reproduire  la  traduction  française  de  l'hébreu  tout  en 
replaçant  l'oracle  dans  son  contexte  immédiat. 

Après  avoir  interdit  aux  Israélites  d'avoir  parmi 
eux  des  devins  et  des  augures  de  toute  sorte,  pareils  à 
ceux  des  tribus  chananéennes,  Moïse  pour  écarter  plus 
sûrement  de  son  peuple  ce  qui  est  une  abomination 
aux  yeux  du  Seigneur,  annonce  ce  que  Dieu  lui-même 
donnera  à  Israël  en  remplacement  des  devins  de 
Chanaan  : 

Jéhovah,  ton  Dieu,  te  suscitera  du  milieu  de  toi,  d'entre  tes 
frères,  un  prophète  tel  que  moi  :  vous  t'écouterez.  C'est  ce  que 
tu  as  demandé  à  Jéhovah,  ton  Dieu,  en  Horeb,  le  jour  de  l'as- 
semblée, en  disanl  :  Que  je  n'entende  plus  la  voix  de  Jéhovah, 
min  Dieu,  et  que  je  ne  voie  plus  ce  grand  feu,  de  peur  de  mou- 
rir. Exod.,  xx,  in.  Jéhovah  me  dit  :  «  Ce  qu'ils  ont  dit  est 
bien,  .le  leur  susciterai  d'entre  leurs  frères  un  prophète  tel  que 
toi  ;  je  mettrai  mes  paroles  dans  sa  bouche,  et  il  leur  dira  tout 
ce  que  je  lui  commanderai.  Et  si  quelqu'un  n'écoute  pas  mes  pa- 
roles qu'il  dira  en  mon  nom,  c'est  moi  qui  lui  en  demanderai 
compte.  >  Traduction  de  Crampon,  La  Sainte  Bible,  Tournai, 
1V'i.  t.  I,  p.  646. 

Dieu  oppose  ensuite  à  ce  prophète,  qui  parlera  en 
son  nom,  le  faux  prophète,  qui  mourra,  parce  qu'il 
parle  sans  mission  divine,  20.  Il  indique  enfin  les 
signes  auxquels  on  distinguera  le  vrai  prophète  du 
faux,  2t.  22.  —  I.  Ce  passage  est-il  messianique? 
II.  Dans  quel  sens  l'est- il? 

I.  Ce  passage  est-h.  messianique?  —  L'existence  du 
sens  messianique,  littéral  ou  spirituel,  d'un  texte  de 
l  \inien  Testament  doit,  pour  élre  certaine,  être  attes- 
p.ir  les  organes  de  la  révélation  divine  dans  le 
Nouveau  Testament  et  reconnue  par  la  tradition  ecclé- 
siastique. Ces  deux  conditions  se  vérifient  pour  le  pas- 
sage qui  nous  occupe. 

1     D'aprèt  U    ^oreau  Testament.  —  Saint  Pierre  au 
temple   de    Jérusalem,    parlant   aux  Juifs    des    temps 
messianiques,   prédits  par  les  prophètes,  Act.,  m.  20, 
21.  cite,  22,2.1.  ranime  paroles  de  Moïse  les  versets  !•"> 
et  19  du  c.  xvm  du  Deutéronome.  Il  entend  bien  prou- 
ver par  là   qii"    Ji  ^ii^  est  le  Messie  annoncé-  sous  les 
trait-    du     prophète  juif,  semblable   a   Moïse,  à  qui    il 
fallait  obéir  sous  peine  d  être  exclu  du  peuple  de  Dieu, 
qu'il  voulait  convertir  ses  auditeurs  et  les  amener 
tire  pénitence,  19,  il  donne  un  argument  qui  doit 
convaincant  pour  eux  et  qui  prouve,  s.m<  conteste, 
la  messianité  '!■    Jésus    "r.  l'argument,  tiré  du  texte 
deutéronotnique,  pour  être  convaincant,  suppose  que 
inl  Pierre  reconnaissaient  le  Messie 
le  prophète  prédit  par  Moïse.  Saint  Pierre  a  donc 
Intel  texte    conformément  au   sens  qu'on  lui 

dont  i  il  a  consacré  l'interprétation 

"  parmi  i     mporaina,  qui,  en  effet,  atten- 

tif     b  pi  l'M..  i.  21.      au  sujet  duquel 

•    loi  '■,.,   .    I.    '(■">    Cl      l"-l    .  'm.    I  i , 

mi.  i     [  linl  Etienne  semble  bien  confir r 

mmum  alors,  lorsqni  .  en   résumant  i  a 
Il  signale  comme  un  trait 


important  que  Moïse  «  a  dit  aux  fils  d'Israël  :  Dieu 
vous  suscitera  un  prophète,  etc.  »  Act.,  vu,  37.  L'inter- 
prétation de  saint  Pierre  prouve  donc  que  le  Messie 
était  certainement  prophète,  qu'il  fallait  lui  obéir  et  que 
ce  caractère  et  cette  obligation  avaient  été  prédits  par 
Moïse. 

2°  D'après  la  tradition.  —  Beaucoup  de  Pères  et 
d'écrivains  ecclésiastiques  ont  accepté  et  proposé  cette 
interprétation  du  passage  deutéronomique.  Plusieurs, 
dont  les  témoignages  seront  rapportés  plus  loin,  se  sont 
contentés  de  faire  purement  et  simplement  application 
de  ce  texte  à  Jésus-Christ.  Quelques-uns  ont  expressé- 
ment exclu  la  série  des  prophètes  d'Israël  et  ont 
reconnu  dans  le  prophète,  semblable  à  Moïse,  Jésus- 
Christ  seul.  D'autres,  qu'il  faut  citer  ici,  excluaient  une 
interprétation  juive,  qui  entendait  ce  passage  de  Josuë, 
le  successeur  de  Moïse.  Dans  sa  Disputatio  cum  Ma- 
nete,  43,  P.  G.,  t.  x,  col.  1501,  après  avoir  appliqué 
au  Messie  cet  oracle,  Archélaiis  affirme  qu'il  ne  peut 
pas  être  dit  de  Josué.  Saint  Grégoire  de  Nysse,  cité  par 
Euthymius  Zigabenus,  Panoplia  dogmatica,  part.  I, 
tit.  vin,  P.  G.,  t.  cxxx,  col.  260,  disait  aussi  que  le 
prophète  annoncé  par  Moïse  ne  pouvait  être  Josué.  Il 
doit  ressembler  à  Moïse,  le  législateur;  or  Josué  n'a 
pas  été  législateur.  D'ailleurs,  Josué  avait  déjà  été 
depuis  plusieurs  années  déclaré  le  successeur  de  Moïse, 
et  cela  à  dessein  pour  que  les  Israélites  ne  pussent  pas 
le  prendre  pour  le  prophète  futur.  Enfin  le  Deutéro- 
nome, xxxiv,  10,  dit  qu'il  n'y  avait  pas  eu  encore  un 
prophète  semblable  à  Moïse,  et  cependant  l'auteur  de 
cette  affirmation  connaissait  Josué.  Saint  Augustin, 
réfutant  Fauste,  rapporte  que  les  Juifs  de  son  temps 
prétendaient  que  Josué,  le  successeur  de  Moïse,  était 
le  prophète  prédit  dans  le  Deutéronome.  Cette  inter- 
prétation faisait  rire  l'évêque  d'Hippone;  il  y  répondit 
toutefois  sérieusement.  Il  observe  d'abord  que  le  nom 
de  Josué  a  été  changé,  pour  qu'il  ne  fût  pas  confondu 
avec  le  véritable  Jésus,  qui  conduit  à  la  vie  éternelle. 
De  plus,  Josué  n'a  pas  été  semblable  à  Moïse;  il  lui  a 
été  inférieur,  et  il  n'a  rien  ajouté  à  la  loi.  Enfin,  si 
Moïse  avait  parlé  de  Josué,  il  aurait  dit  :  Suscitavit, 
et  non  pas  :  Siisrilabit,  puisque  son  exaltation  avait 
déjà  eu  lieu.  Conl.  Faustum,  1.  XVI,  c.  xix,  P.  L.. 
t.  xi, u,  col.  327-328.  Saint  Isidore  de  Péluse  écrivit 
une  petite  lettre  pour  réfuter  un  juif,  qui  reconnais- 
sait Josué  dans  le  prophète  prédit  par  Moïse.  Ce  pro 
phète  devait  être  écouté  en  tout  ce  qu'il  dirait  :  ce  qui 
ne  peut  convenir  à  Josué.  Epiât.,  1.  III,  epist.  xciv. 
/'.  (',.,  t.  i.xxvn,  col.  797,  800.  Procope  de  Gaza  déclare 
aussi  que  ce  prophète  ne  peut  pas  être  Josué'.  Com- 
ment, in  Deut.,  P.  G.,  t.  i.xxxvn,  col.  916.  Ces  Pères 
excluaient  donc  catégoriquement  l'application  littérale 
à  Josué.  Clément  d'Alexandrie  cependant  l'avait  admise, 
mais  en  reconnaissant  que  Josué  était  la  figure  de 
Jésus-Christ.  Selon  lui,  Moïse  annonce  prophétique- 
ment le  Pédagogue,  le  Verbe,  et  il  recommande  de  lui 
obéir;  il  le  fait  en  parlant  de  Josué,  qui  représente 
Jésus,  le.  Fils  de  Dieu.  Psed.,  I.  I,  c.  vu.  /».  <'..,  t.  vin, 
col.  321,  324.  Le  Vénérable  Unie  a  soutenu  un  senti- 
ment analogue.  Quoique,  selon  l'histoire,  ce  passage 
puisse  être  entendu  de  Josué,  cependant  c'est  une  pro- 
phétie manifeste  du  Christ,  qui  esl  un  véritable  pro- 
phète,  issu  d'Israël.  Joa.,  \,  W.  /"  Penlattuch.  com~ 
ment.,  Deut.,  c.  xvi-xvm, P.  L.,\   ici,  eol.887. 

Au  moyen  Âge,  les  rabbins  Abencsra  et  liecchai  con- 
tinuaient à  entendre  de  Josué  l  annonce,  laite  par  Mofse, 
d'un  prophète,  semblable  à  lui.  Denyï  le  Chartreux  ré 

fuie    encore    Ce    sentiment .     //.      I  h  ,,  l ,..,,,, on  i  nui ,  .dans 

"; tnia,  Mon  treuil,  1897,  t.  n,  p.  600,  501    Parmi 

itholiques,  wuls  Vatabla  et  Sa  y  uni  (ait  écho  au 
xvii"  siècle,  en  voyant  toutefois  en  Josué  le  type  du 

ne  interpn  tal i  i  té  just<  ment  délai 

car  rien  dans  la  prédiction  ne  convient  aargi 


6G7 


DEUTÉRONOME   (PROPHÉTIE   MESSIANIQUE   DU 


008 


seulement  delà  mission  de  conquérir  la  Terre  promise. 
Les  exégètes  catholiques  et  beaucoup   de  protestants 
ont  maintenu  avec  raison  l'explication  messianique. 
II.  F.N  QUEL  SENS  ce  passage  est-il  messianique?  — 

Cette  prophétie  est-elle  exclusivement  messianique,  ou 
comprend-elle  tous  les  prophètes  d'Israël,  dont  le  Messie 
est  le  dernier  et  le  plus  grand?  Les  exégètes  ont  sou- 
tenu les  deux  sentiments. 

1°  Le  prophète  annoncé  est  le  Messie  seul,  à  l'exclu- 
sion de  tout  autre.  —  La  plupart  des  commentateurs 
l'ont  ainsi  entendu  et  l'entendent  encore  ainsi.  Ils  fon- 
dent leur  sentiment  sur  les  raisons  suivantes. 

1.  L'application  que  saint  Pierre  a  faite  de  cet  oracle 
au  Messie  seul  et  la  croyance  universelle  des  Juifs,  au 
temps  deNotre-Seigneur,  que  le  Messie  ou  le  prophète 
attendu  allait  venir,  parce  que  l'époque  messianique 
devait  bientôt  s'ouvrir,  montrent  que  ce  prophète  de 
l'oracle  du  Deutéronome  était  le  Messie  lui-même  et 
personne  autre.  Jean-Baptiste,  en  effet,  qui  était  pro- 
phète, Luc,  i,  76;  Matin.,  XI,  9;  Luc,  vu,  26,  déclare 
qu'il  n'est  pas  le  prophète.  Joa.,  i,  21.  Selon  la  juste 
remarque  de  saint  Isidore  de  Péluse,  loc.  cit.,  7ipoçr,Tir)ç 
|xèv  yàp  v,  6  icpoçr,Tïi;  Sa  oûx  ?,v.  Saint  Pierre,  en  don- 
nant l'interprétation  messianique  de  ce  texte,  l'a  entendu 
du  Messie  seul,  et  nullement  de  la  série  des  prophètes 
juifs,  dont  le  Messie  devait  être  le  dernier. 

La  plupart  des  Pères  n'ont  reconnu  dans  ce  prophète 
que  le  Messie,  et  quelques-uns  ont  exclu  positivement 
les  autres  prophètes.  ïertullien  cite  cet  oracle  à  propos 
delà  scène  de  latransfiguralion.il  rapproche  la  recom- 
mandation faite  d'écouter  ce  prophète  futur  de  la  parole 
divine  prononcée  au  sujet  de  Jésus  :  «  Écoute-le.  » 
Hune  audite  quem  prœdixerat  (Moïse,  présent  à  cette 
scène).  S'il  est  annoncé  ex  filiis  veslris,  c'est  que  Jésus 
est  juif  selon  la  chair.  Adc.  Marcionem,  1.  IV,  c.  xxn, 
P.  L.,  t.  il,  col.  414.  Saint  Cyprien  cite  le  passage  du 
Deutéronome  sous  ce  titre  :  Prop/teta  alius  sicut 
Moyses,  qui  Teslamenluni  novuni  daret  et  qui  magis 
audiri  deberet,  et  il  en  rapproche  Joa.,  v,  39,  40,  45, 
47.  Ce  prophète  est  donc  Jésus,  qui  ressemble  à  Moïse, 
parce  qu'il  a  donné  aux  hommes  la  nouvelle  alliance, 
et  qui  doit  être  plus  écouté  encore  que  Moïse.  Tesli- 
monia  adversus  Judœos,  1.  I,  c.  XVIII,  P.  L.,  t.  iv, 
col.  688.  Novatien  se  borne  à  appliquer  ce  texte  à  Jésus. 
De  Trinitate,  P.  L.,  t.  m,  col.  900-901.  Origène  a  sou- 
vent entendu  cet  oracle  de  Jésus-Christ.  Moïse  a  pro- 
phétisé par  lui  le  Christ,  qui  a  attesté  lui-même  que 
Moïse  avait  écrit  de  lui.  Joa.,  v,  46.  In  Num., 
homil.  xxvi,  n.  3,  P.  G.,  t.  xn,  col.  774-775.  Comme  il 
avait  écrit  cela  de  Jésus,  Moïse,  à  la  transfiguration,  fut 
joyeux  de  voir  celui  qu'il  avait  prédit,  et  d'entendre 
Dieu  le  Père  dire  :  «  Écoutez-le,  »  de  celui  dont  il  avait 
dit  lui-même  :  «Vous  l'écouterez.  »  InExod.,  homil.  xn, 
n.  3,  ibid.,  col.  385.  Jésus  est  prophète  pour  toutes  les 
nations.  Moïse  l'a  prédit.  In  Jer.,  homil.  i,  n.  12,  P.  G., 
t.  XIII,  col.  268-269.  Origène  cite  Deut.,  xvm,  15,  pour 
prouver  que  Jésus  est  prophète,  et  il  ajoute  que  la  foule 
le  tenait  pour  prophète.  In  Mat  th.,  tom.xvn,  n.  14,  ibid., 
col.  1517.  Comme  il  y  avait  eu  beaucoup  de  prophètes 
en  Israël,  on  en  attendait  un  spécial,  prédit  par  Moïse. 
Aussi  les  Juifs  firent-ils  demander  à  Jean-Baptiste  s'il 
était  ce  prophète.  In  Joa.,  tom.  vi,  n.  4,  P.  G.,  t.  xiv, 
col.  213.  L'auteur  des  Récognitions  clémentines,  qui 
écrivait  au  mc  siècle,  raconte  que  Moïse,  voyant  l'ido- 
lâtrie très  répandue  chez  les  Juifs,  laissa  à  l'autre  pro- 
phète le  soin  de  la  détruire,  1.  I,  n.  36,  P.  G.,  t.  i, 
col.  1229.  Or,  c'est  au  nom  de  ce  prophète,  prédit  par 
Moïse,  qu'on  baptise;  c'est  lui  qui  a  choisi  douze  dis- 
ciples; c'est  le  Fils  éternel  de  Dieu,  n.  39,  40,  43, 
col.  1230,  1231,  1232.  Archélaiis  applique  à  Jésus-Christ 
qui  a  reconnu  y  être  annoncé,  Joa.,  v,  46,  cette  parole 
de  Moïse.  On  y  trouve  unde  renturus  est,  c'est-à-dire 
que  le  Messie  devait  être  de  la  race  juive,  Disputatio 


cum  Manele,  n.  41.  Y.',,  /'.  G.,  t.  x,  col.  1496,  1301. 
Pour  saint  Méthode,  la  Loi  dit  qu'il  faut  écouter  Ji 
Deut.,  XVIII,  15,  et  que  toute  âme  qui  ne  lui  obéira  pas 
sera  exterminée,  19.  DeSimeoneel  Anna,  n.  II,  P.  G., 
t.  XVIII,  col.  376.  Selon  F.usèbe,  Dcmonst.  evangel., 
1.  III,  c.  il,  P.  G.,  t.  xxn,  col.  168-169,  Moïse  a  prophé- 
tisé le  Messie,  un  autre  prophète  de  la  nation  juive.  Il 
a  dit  que  ce  prophète  devait  lui  être  semblable.  Les 
autres  prophètes  d'Israël  ne  peuvent  être  comparés  à 
Moïse.  Celui-ci  parle  d'un  seul,  qui  lui  sera  semblable; 
c'est  Notre-Scigneur  Jésus-Christ.  Et  Eusèbe  développe 
longuement  les  ressemblances  de  ces  deux  prophètes, 
col.  169-176.  D'ailleurs,  il  est  dit,  Deut.,  xxxix,  10,  11, 
qu'il  n'y  eut  pas  en  Israël  de  prophète  semblable  à  Moïse. 
Ce  dernier  fut  législateur,  les  autres  prophètes  ne  le 
furent  pas.  1.  IX,  c.  xi,  col.  689,  693.  Êusèbe  explique 
encore  ce  passage  de  Jésus-Christ  seul.  Eclogss  pro- 
pheticœ,  1.  I,  15,  ibid.,  col.  1072-1073.  Pour  Lactance, 
Moïse  a  prédit  un  prophète,  supérieur  à  la  Loi  et  qui 
dirait  les  paroles  mêmes  de  Dieu  :  ce  qui  ne  s'est  réa- 
lisé qu'en  Jésus-Christ.  Instit.  div.,  1.  IV,  c.  xvn,  P.  L., 
t.  vi,  col.  499-500.  Saint  Athanase  déclare  que  les  Juifs 
ont  erré  et  errent  encore  de  son  temps,  en  interprétant 
ce  passage  de  quelque  prophète  et  pas  de  Jésus.  Orat.,  I, 
contra  arianos,  n.  54,  P.  G.,  t.  xxvi,  col.  125.  Saint 
Cyrille  de  Jérusalem  l'applique  à  Jésus.  Il  renvoie  à 
plus  tard  l'explication  des  mots  :  «  semblable  à  moi.  i 
explication  qu'il  ne  donne  nulle  part.  Cal.,  xn,  17. 
P.  G.,  t.  xxxiii,  col.  744.  Tite  de  Bostra  déclare  que 
Dieu  par  Moïse  a  dit  ces  paroles  de  son  Fils.  Adrersus 
manicltxos,  1.  III,  c.  VI,  JP.  G.,  t.  xvm,  col.  1225.  Pour 
saint  Grégoire  de  Nysse,  le  prophète  annoncé  ne  prê- 
chera pas  la  loi  de  Moïse,  et  on  n'ajoutera  rien  à  ses 
lois.  Dieu  a  mis  sa  propre  parole  dans  sa  bouche,  et  la 
recommandation  de  l'écouter  montre  son  excellence. 
Tout  cela  ne  convient  qu'à  Jésus.  Teslimonia  adversus 
Judœos,  1.  II,  P.  G.,  t.  XLVI,  col.  204.  Saint  Épiphane 
remarque  que  les  prophètes  ont  été  les  serviteurs  de 
Jésus,  prédit  par  Moïse,  et  que  Jésus  lui-même  a  re- 
connu être  ainsi  annoncé.  Joa.,  v,  46.  Hœr.,  XLH,  n.  11, 
P.  G.,  t.  xli,  col.  744-745.  Plus  loin,  liv,  n.  3,  col. 965, 
il  note  que  Théodote  faisait  ce  raisonnement  :  La  Loi  a 
parlé  du  Christ;  or,  Moïse  a  dit  [qu'il  était  homme; 
donc  le  Christ  n'est  qu'un  homme.  Épiphane  observe 
que  chaque  mot  de  l'Écriture  a  sa  caution  ailleurs.  Si 
le  prophète  est  dit  issu  de  ses  frères,  c'est  que  Jésus, 
né  de  Marie,  a  une  chair  humaine;  mais  ailleurs  il  est 
dit  le  Fils  de  Dieu.  Donc,  quoiqu'il  soit  homme,  il  est 
Dieu  néanmoins.  Enfin,  Hœr.,  lxix,  n.  37,  P.  G., 
t.  xlii,  col.  260,  ce  Père  affirme  encore  que  Jésus  est 
proclamé  prophète  dans  la  Loi,  et  il  se  réfère  à  notre 
passage.  Saint  Philastre  le  cite  aussi  au  sujet  du  Christ. 
Hœr.,  119,  P.  L.,  t.  xn,  col.  1942.  Saint  Gaudence  dit 
que  Moïse  a  ainsi  annoncé  d'avance  la  venue  de  Xotre- 
Seigneur.  Serm.,  ix,  P.  L.,  t.  xx,  col.  909-910.  Saint 
Augustin  réfute  Fauste  le  manichéen.  Celui-ci  compa- 
rait le  Christ  et  Moïse  et  montrait  qu'ils  étaient  dis- 
semblables. Il  en  concluait  que  le  prophète,  prédit  par 
Moïse  comme  semblable  à  lui,  n'était  pas  le  Christ. 
Saint  Augustin  répond  qu'il  y  a  entre  eux  quelque  res- 
semblance. Le  Christ  est  semblable  à  Moïse  comme 
prophète,  puisqu'il  a  fait  des  prédictions.  D'ailleurs,  il 
a  reconnu  que  Moïse  a  écrit  de  lui.  11  y  a  eu  beaucoup 
de  prophètes  en  Israël  ;  Moïse  n'en  avait  qu'un  seul  en 
vue,  et  ce  n'était  pas  Josué.  Jean-Baptiste  était  prophète; 
il  n'était  pas  «  le  prophète.  »  Jésus  a  été  proclamé  le 
prophète,  lorsqu'il  a  fait  des  miracles.  Cont.  Faustum, 
1.  XVI,  c.  xv,  xvm,  xix,  ]'.  L.,  t.  xlii,  col.  321-325,  326- 
328.  Pour  saint  Chrysostome,  Moïse  indique  ainsi  aux 
disciples  le  maître,  pour  qu'ils  l'ëcoutent.  Joa.,  v,  46. 
De  Christi  divinitate  contra  anomœos,  orat.  xn,  n.  1. 
P.  G.,  t.  xlviii,  col.  803.  11  parle  du  Christ  dans  la  Loi. 
ceux]qui  n'obéissent  pas  au  Christ  désobéissent  à  la  Loi. 


<3G9 


DEUTÉRONOME     (PROPHÉTIE    MESSIANIQUE    DU 


670 


In  Gai,  c.  Il,  n.  7,  P.  G.,  t.  lxi,  col.  645.  De  ce  texte 
il  résulte  que  la  Loi  devait  prendre  tin  dans  le  Christ. 
In  II  Cor.,  horail.  vu,  n.  3,  ibid.,  col.  446.  Pour  saint 
Cvrille  d'Alexandrie,  Moïse  prononça  cet  oracle,  parce 
qu'il  avait  vu  la  forme  du  Christ,  qui  est  plus  grand 
que  lui.  De  adoratione  in  spiritu,  1.  II,  P.  G.,  t.  lxviii, 
col.  213.  Il  prédit  le  Christ,  qui  a  reconnu  que  Moïse 
avait  écrit  sur  lui.  In  Malach.,  1.  IV,  n.  40,  P.  G., 
t.  lxxii,  col.  364.  Il  annonçait  que  le  Christ  serait  pro- 
phète, In  Joa.,  1.  I,  c.  x,  P.  G.,  t.  lxxui,  col.  184, 
médiateur  entre  Dieu  et  le  peuple,  Joa.,  v,  46,  1.  III, 
c.  m,  col.  428-432.  Il  faut  donc  écouter  le  Messie,  1.  V, 
c.  n,  m,  col.  760-765,  816,  qui  était  attendu  comme 
prophète,  1.  VI,  col.  997.  Voir  encore  1.  IX,  t.  i.xmv, 
col.  105.  De  la  comparaison  établie  entre  ce  prophète 
et  Moïse,  Julien  l'Apostat  concluait  que  le  fils  de 
Marie,  s'il  ressemblait  à  Moïse  ,  n'était  pas  Dieu.  Cont. 
Jvlian.,  1.  VIII,  P.  G.,  t.  lxxvi,  col.  888.  Saint  Cyrille 
répond  que  la  ressemblance  de  Jésus  avec  Moïse  peut 
s'expliquer  de  diverses  manières.  Ils  ont  eu  une  mis- 
sion semblable,  celle  de  racheter  leur  peuple  de  la 
servitude;  ils  ont  été  tous  deux  législateurs.  Dieu  a 
donné  à  Jésus  sa  parole,  et  par  sa  seule  parole  Jésus  a 
fait  des  miracles.  En  cela,  il  est  supérieur  à  Moïse  et 
aux  autres  prophètes,  qui  ne  faisaient  que  répéter  les 
paroles  de  Dieu,  col.  892-893,  896.  Procope  de  Gaza  re- 
connaît dans  ce  prophète  Jésus-Christ,  qui  est  sem- 
blable à  Moïse,  parce  qu'ils  ont  tous  deux  racheté  leur 
peuple  de  la  servitude.  Comment,  in  Deut.,  P.  G., 
t.  i.xxxvii,  col.  917.  L'auteur  des  Quœstiones  ad  ortho- 
doxes, qui  est  du  v  siècle,  entend  dans  ce  passage  les 
paroles  de  la  Loi  prédisant  le  Christ,  q.  Ci,  P.  G., 
t.  vi.  col.  1345.  Dans  les  Consultaliones  entre  le  chré- 
tien Zachée  et  le  philosophe  Apollonius,  celui-ci  objecte 
que  les  Juifs  prétendaient  que  le  Messie  était  une 
créature.  Zachée  répond  qu'il  est  Dieu  et  homme,  et 
pour  prouver  son  humanité,  il  cite  Moïse  disant,  etc. 
Il  ajoute  que  Xotre-Seigneur  a  confirmé  cette  explica- 
tion, Joa..  v.  46,  1.  II,  c.  iv,  P.  L.,  t.  xx,  col.  1113. 
Plus  tard,  Hupert  de  Peut/  n'a  pas  de  doute  que  ce 
prophète  ne  soit  Xotre-Seigneur  Jésus-Christ.  De  Tri- 
nitateet  operibus  ejus. Liber  in  Deut.,  P.  L.,i.  clxvii, 
col.  919-920. 

2.  On  trouve  dans  l'oracle  deutéronomique  lui-même 
des  indices,  qui  prouvent  que  Moïse  parlait  du  Messie 
seul. 

Le  nom  s'::  y  est  au  singulier,  aussi  bien  que 
tous  hs  verbes  et  les  pronoms  suffixes,  lîien  qu'il  soit 
employé  ainsi.  Dan.,  ix,  24,  pour  désigner  la  collec- 
tion des  prophètes,  il  faut  l'entendre  ici  d'un  seul  pro- 
phète,  puisqu'il  s  >-ii  'lu  Messie  el  puisque,  si  le  nom 
singulier  désignai!  la  série  des  prophètes,  les  verbes 
el  les  pronoms  devraient  être  plus  régulièrement  au 
pluriel. 

b)  Cet  oracle  a  été  communiqué  par   Dieu    a   Moïse 
sur  le   mont   lloreb,  sur   la   demande   du    peuple    qui 
craignait   le    Seigneur    transmettant    directement    ses 
-  .m  milieu  des  éclairs  el  du  tonnerre.  Accédant 
prière,  Pieu  résolu!   de  parler  a  son   peuple  par 
le  ministère  di    Moïse.  Celui-ci  lut  donc  un  prophète 
i    En  prédisant  un  autre  prophète,  semblable 
.i  Motte,  Dieu  annonçait,  non  pas  les  autres  prophi 
qui  n'ont  pas  promulgui   uni   oou  •  !!•  législation  divine, 
ur  île  la  nouvellle  alliance  et, 
i   i  ipport,  prophi  te  semblable  ■<  M 
■  n  le  di  M'  m-. .ii,  n.  visai!  que  le  Mi 

■  qualité  de  prophète  d'Israël. 

i    /..  ;,.  ophi  i  ,     7 

/  le  des  niei  et  le  plut  grand, 
—  Nonobstant  de  Niçois 

uni  autn   inlerpi   Niion  s'est   produite  dans  l'exi 

lique.  Pan-  le  prophète  annoncé  elle  reconnaît 
tout'  la  si  i  ii  di  -  prophi  lesd'l  rai  i 


le  pernier  de  ces  prophètes  et  l'objet  principal  de  leurs 
prophéties  messianiques.  Elle  repose  sur  ces  argu- 
ments : 

1.  Saint  Pierre,  Act.,  m,  22,  23,  en  appliquant  au 
Messie  l'oracle  deutéronomique,  n'a  pas  exclu  les  pro- 
phètes d'Israël.  Il  a  seulement  indiqué  le  caractère 
littéralement  messianique  des  paroles  de  Moïse  et 
affirmé  que  le  Messie  v  avait  été  annoncé.  Il  parle  à  ses 
contemporains  et  à  ses  coreligionnaires  conformément 
au  sentiment  commun  de  l'époque.  Or,  les  Juifs  sa- 
vaient que  les  temps  de  ce  dernier  prophète  étaient 
proches.  Tous  les  prophètes  depuis  Samuel  ont  prédit 
«  ces  jours  »,  ainsi  que  saint  Pierre  le  leur  rappelle. 
Act.,  m,  24.  Comme  la  série  de  ces  intermédiaires 
entre  Dieu  et  son  peuple  va  être  close,  l'attention  des 
Juifs  ne  se  porte  plus  sur  les  anciens  prophètes,  mais 
bien  sur  le  dernier,  sur  «  le  prophète  »  par  excellence, 
que  les  autres  avaient  précédé  et  annoncé.  C'est  pour- 
quoi saint  Pierre,  parlant  de  lui,  lui  applique  cet  oracle, 
principalement,  mais  non  exclusivement.  En  d'autres 
termes,  il  applique  ce  texte  à  un  objet  auquel  il  se 
rapporte,  mais  il  n'en  fait  pas  l'exégèse  littérale  qui 
exige,  nous  le  verrons,  qu'on  l'entende  de  la  série  des 
prophètes.  Son  application  messianique  du  texte 
n'exclut  donc  pas  les  autres  prophètes  d'Israël. 

2.  La  tradition  catholique  n'a  pas  complètement 
ignoré  cette  interprétation.  Origène,  qui  a  plusieurs 
fois  entendu  notre  texte  du  Messie,  y  a  reconnu  cepen- 
dant les  prophètes  juifs,  qui  sont  prédits  dans  leur  Loi 
et  opposés  aux  augures  et  aux  devins  des  tribus  cha- 
nanéennes.  Cont.  Celsum,  1.  I,  n.  36,  P.  G.,  t.  xi, 
col.  728-729.  Quand  il  en  faisait  l'application  au 
Messie,  il  n'excluait  donc  pas  les  prophètes.  Eusèbe 
lui-même,  pourtant  si  explicite,  entend  ce  texte  une 
fois  au  moins  de  tous  les  prophètes  d'Israël.  Eclogm 
prophéties:,  1.  IV,  proœm.,  P.  G.,  t.  xxn,  col.  1192- 
1193.  Selon  Théodoret,  In  ,1er.,  c.  VI,  P.  G.,  t.  i.xxxi, 
col.  545,  Moïse  par  ces  paroles  indique  la  bonne  voie, 
qui  est  Notre-Seigneur  ;  mais  il  indique  aussi  les  pro- 
phètes, qui  montrent  cette  voie  et  sont  eux-mêmes  des 
sentiers  qui  y  conduisent.  Saint  Jérôme,  d'après  le 
contexte,  oppose  aux  devins  des  nations  le  prophète 
promis  par  Dieu  à  Israël.  Celui-ci  ne  doit  pas  consulter 
les  devins,  mais  entendre  et  écouter  son  Dieu  qui  lui 
parle  par  les  prophètes.  ]n  haiam,  1.  III,  vin,  19, 
/'.  /..,  t.  xxiv,  col.  122.  Saint  Jérôme  ne  nomme  pas 
le  Messie,  mais  il  ne  l'exclut  pas;  il  l'inclut  plutôt 
dans  la  série  des  prophètes.  Raban  Maur,  Enarratio 
super  Deut.,  c.  xix,  P.  /..,  t.  c:\iii,  col.  906-907,  re- 
marque que.  quoique  plusieurs  veuillent  entendre  ce 
passage  de  tous  les  prophètes  d'Israël  selon  l'histoire 
(ou  le  sens  historique),  cependant  il  s'agit  aussi  de 
Jésus-Christ,  dont  Moïse  a  parlé,  Joa.,  v.  16,  et  qui  a 
été  appelé'  prophète.  Walafrid  Strabon  dit  la  même 
chose.  Glossa  ordinaria.  In  Deut.,  P.  L.,  t.  cxni, 
eol.  17 1 .  Saint  liruno  d'Asti  l'entend  aussi  il«s  nombreux 
prophètes   d'Israël  et   spécialement    de   Jésus-Christ. 

Eteporitio  i»  Déni.,  c.  XVIII,  /'.  /..,  t.  '  ixiv,  col.  512. 
On  peut  penser  que  les  Pères,  qui  ne  nomment  que  le 

Me  sie  sans  exclure  expressément  les  prophètes,  fai- 
saient commi  Origène  el  i  usèbe,  et  entendaient  l'oracle 
a  la  fus  du  Messie  el  des  prophètes  d'Israël.  Quant 
;\  qui  excluent  la  série  des  prophètes  el  com- 
parenl  le  Messie  seul  6  Mofse, il  est  a  remarqui  r  qu'ils 
ne  tiennent  compte  que  de  quelques  expressions  d<  - 
15  't  19  du  '■   n t  qu'ils  perdent  ant 

nient     de    vue    tout     le    eunt'Ale.      Or,    c'mI     Ifl    '"lllexle, 

allons   le  voir,  qui  exige   i  interprétation  dont 
qoui   nous  occupons  présentement,  Leur  exégèse  ne 

l'impi  nniiieiir-  catholiques  peuvent 

légitimement  en  proposer  une  autre,  plus  littérale  el 

[ua  su  pre. 

.:   La  texte  lui  méma  et  le  contexte  justifient  Tinter- 


G71        DEUTÉRONOME    (PROPHÉTIE   MESSIANIQUE    DU)    -   DEVARIS       072 


prétation  qui  joint  le  Messie  à  la  série  des  prophètes 
d'Israël. 

a)  Le  singulier  sa:  peut,  de  soi,   équivaloir  à   un 

pluriel  et  il  est  ici  nécessairement  collectif.  Ce  pro- 
phète du  \.  1")  avait  déjà  été  promis  par  Dieu  sur  le 
mont  Horeb;  il  devait  continuer  la  mission  de  Moïse, 
parler  au  nom  de  Dieu  et  transmettre  aux  Israélites 
tous  les  ordres  du  Seigneur,  18.  On  devra  écouler  ses 
paroles  sous  peine  d'être  exclu  du  peuple  de  Dieu,  19. 
On  le  distinguera  du  faux  prophète,  20-22.  Notons  que, 
dans  ces  derniers  versets,  la  série  des  faux  prophètes 
est  désignée  par  le  singulier  collectif  n>=:.  Donc  le 
véritable  N»3J,  prédit  ici,  n'est  pas  un  personnage 
unique,  le  seul  Messie;  il  embrasse  une  série  d'indivi- 
dus, qui  seront  prophètes  de  Dieu  en  Israël.  D'ailleurs, 
de  semblables  noms  singuliers  collectifs  désignent  aux 
versets  10  et  11  les  diverses  espèces  de  devins  chana- 
néens.  A  des  catégories  interdites  Moïse  opposait  une 
catégorie,  autorisée  en  Israël,  d'intermédiaires  attitrés 
entre  Dieu  et  son  peuple. 

b)  Le  contexte,  en  effet,  oppose  les  prophètes  aux 
devins  et  aux  sorciers.  En  interdisant  à  son  peuple  ces 
derniers  comme  une  abomination,  Dieu  cependant  ne 
veut  pas  laisser  Israël  privé  d'hommes  qui  lui  découvrent 
l'avenir  et  lui  révèlent  ses  propres  volontés.  A  la  place 
des  augures,  il  suscitera  d'entre  les  Israélites  et  au  mi- 
lieu d'eux  des  prophètes  qui,  comme  Moïse,  parleront 
en  son  nom  et  communiqueront  ses  volontés.  Ces  re- 
présentants autorisés  de  Dieu  devaient  donc  exister  en 
Israël  d'une  manière  à  peu  près  continue  pour  suppléer 
à  l'absence  des  devins,  les  remplacer  et  empêcher  qu'on 
ne  les  consultât.  Si  Israël  avait  dû  attendre  le  Messie 
avant  de  connaître  les  volontés  divines,  il  aurait  couru 
dans  l'intervalle  le  danger  de  recourir  à  ces  devins 
païens,  dont  la  consultation  lui  était  prohibée.  Dieu 
n'eût  pas  opposé  de  remède  efficace  au  danger  qu'il 
voulait  prévenir.  Le  Messie  devait  seulement  être  un 
de  ces  prophètes. 

D'ailleurs,  c'était  à  la  demande  du  peuple,  qui  redou- 
tait les  manifestations  directes  de  Dieu,  que  Dieu  avait 
promis  à  Moïse  ce  prophète,  qui  lui  ressemblerait,  qui, 
comme  lui,  serait  en  relations  avec  Jéhovah  et  parle- 
rait au  peuple  en  son  nom.  La  promesse  divine  avait 
obtenu  sa  première  réalisation  en  Moïse,  qui  dès  lors 
servit  d'intermédiaire    entre   Dieu  et  son  peuple.  S'il 
avait  fallu   attendre  jusqu'au  Messie    pour    avoir    un 
second  et  unique  prophète,  semblable  à  Moïse,  la  pro- 
messe divine,   rappelée  par   Moïse  à  la  fin  de  sa  car- 
rière, aurait   bien  tardé   à  recevoir  son  exécution  et 
aurait  laissé  la  prière  d'Israël  inexaucée.  Le  prophète 
prédit  devait  remplir  sa  mission  durant  tout  le  cours 
de  l'histoire  israélite,  et  le  Messie  ne  fut  que  le  dernier 
de  la  série  ainsi  annoncée.  Il  ne  faut  pas  urger  la  res- 
semblance  avec  Moïse   et  prétendre  que  ce  prophète 
devait  nécessairement  être  législateur  comme   Moïse. 
La  ressemblance   indiquée  n'entraîne  pas  une  égalité 
parfaite,   qui  ne    s'est  pas   même  rencontrée  dans  le 
Messie,  supérieur  à   Moïse  plutôt  que  son  égal,  mais 
seulement  une  communauté  de  mission  et  le  rôle  d'in- 
termédiaire officiel  entre  Dieu  et  son  peuple.  Du  reste, 
les  prophètes  d'Israël  avaient  le  droit  de  porter  des  lois 
de  par  l'autorité  de  Dieu.    C'est   à   tort  que  quelques 
Pères  ont  reconnu  un  privilège  spécial  au  Messie  dans 
la    promesse    que    Dieu   mettrait  ses  paroles  dans   sa 
bouche;  les   mêmes  termes  sont    employés  par  Dieu 
lui-même  au   sujet  des  prophètes.  Is.,  li,  16;  i.ix,  21. 
Tous  ont  parlé   au  nom  du  Seigneur  et   ont  transmis 
ses  ordres. 

Enfin,  les  signes  auxquels  on  reconnaîtra  les  faux 
prophètes,  20-22,  indiquent  qu'il  est  question  de  vrais 
prophètes  dans  la  prédiction  précédente.  Ils  sont 
donnés  pour  servir  aux  Israélites  de  critères  au  cours 


des  temps  et  pas  seulement  à  l'époque  du  Messie.  C'esl 
donc  la  série  des  vrais  prophètes,  qui  était  ainsi  prédite 
comme  une  institution  divine  en  Israël, qui  devait  dur  i 

autant  que  les  autres  institutions,  autant  que  les  JU( 
les  rois  et  les  prêtres,   Dent.,   xvi,    18-xvni,  22,  et  se 
continuer  jusqu'au  Christ. 

Salomon  Jarchi.    Moïse  Mairnonide    et   hiinchi   ont 
donc  bien  compris  le  sens  de  l'oracle  deutéronomique 
en  l'enlendant  de  la  série  des  prophètes  d'Israël  ;  ils  ont 
eu  le  tort  unique   d'en  exclure  le  Messie,  qui  devait 
être  prophète.  Denys  le  Chartreux  mentionne  celte  inter- 
prétation, donnée  par  Rabbi  l'aul   (probablement  Paul 
de  Burgos);  mais  quoiqu'il  la  trouve  catholique,  il  pro- 
fère entendre  les  versets  15  et  18deNotre-Seigneur  seul. 
In  Deuleronomium ,  dans  Opéra,  t.  h,  p.  590-591.  Des 
commentateurs   catholiques  ont  joint  le  Messie  à 
devanciers  et  à  ses  précurseurs.  Leur  interprétation  a 
le  double  mérite  de  rendre  exactement  compte  de  la 
lettre  et  de  maintenir  très  fermement  l'interprétation 
messianique  de  l'oracle.  C'est  plus  qu'une  conclusion 
exégétique.  Albert  le  Grand  reconnaissait  la  prédiction 
de  la  série  ininterrompue  des  prophètes  d'Israël.  Enar- 
ral.  in  Aggteum,u,&,  Opéra  oninia,  Paris,  1892.  t.  xix, 
p.    507.    Après     Nicolas    de    Lyre,    Tostat,    Oleaster, 
Corneille  de  la  Pierre,  Bonfrère,  Tirin,  Calmet,  Frassen, 
Beinke,  le  cardinal  Meignan,  les  Pères  Cornely,  Knaben- 
bauer,  de   Hummelauer  et  Murillo,   nous    l'acceptons. 
L'oracle  ainsi  entendu  nous  apprend  que  le  Messie  sera 
un  prophèle  juif  et  qu'il  achèvera  en  Israël  la  mission 
des  autres  prophètes,  ses  prédécesseurs  et  ses  précur- 
seurs, en  communiquant  pleinement  à  l'humanité   la 
révélation  divine  que  tous  devront  recevoir. 

Pour  la  première  interprétation,  voir  Cajetan,  In  Dent.,  xvm. 
15-19;  Sherlock,  De  l'usage  et  des  fins  de  la  prophétie  dans  les 
divers  âges  du  monde,  discours  vi,  dans  Sacra;  Scripturx 
cursus  completus  de  Migne,  Paris,  1840,  l.  xvm,  col.  669-673, 
et  dans  Démonstrations  évangéliques  de  Migne,  Paris,  1843, 
t.  vu,  col.  519-523:  Bade,  Die  Christologie  des  A.  T.,  2-  édit., 
1858;  Patrizi,  Biblicarum  quxstionum  decas,  Rome.  Is", 
p.  161-175;  F.  Vigouroux,  Manuel  biblique,  12'  t'dit.,  1 
1906,  t.  i,  p.  779;  J.  Corluy,  Spicilegium  dogmatico-biblicurn , 
Gand,  1884,  t.  l,  p.  447-455;  Ch.  Trocuon,  Le  Deutéronome, 
Paris,  1888,  p.  8-13,  119-120. 

Pour  !a  seconde,  Corneille  de  la  Pierre,  Comment,  in  Deut., 
Lyon,  1732,  p.  764;  Calmet,  Commentaire  littéral,  2'  édit., 
Paris,  1726,  1. 1  b,  p.  497-498;  Reinke,  Beitràge  zur  ErkUirung 
des  A.  T.,  Munster,  1855,  t.  iv,  p.  301  sq.  ;  Meignan,  Les  pro- 
phéties messianiques.  Le  Pentateuque,  Paris,  1856,  p.  619  sq.  ; 
Id.,  De  Moise  à  David,  Paris,  1896,  p.  292-313;  Knabenbauer, 
Erklàrung  des  Propheten  Isaias,  Fribourg-en-Brisgau,  1881, 
p.  3-5;  Cornely,  Introductio  specialis  in  didacticos  et  prophe- 
licos  V.  T.  libros,  Paris,  1887,  p.  275-277,  278-280;  Oettti,  Deu- 
teronomium,  Josua  und  Richter,  Munich,  1893,  p.  72;  F.  de 
Hummelauer,  Deuleronomium,  Paris,  1901,  p.  371-377;  M.  Het- 
zenauer,  Theologia  biblica,  Fribourg-en-Brisgau,  1908.  t.  i, 
p.  580-581;  L.  Murillo,  San  Juan.  Estudio  critico-exegético 
sobre  il  cuarto  Evangelio,  Barcelone.  1908,  p.  175-177. 

E.  Mahgenot. 

DEUTMAYR  Bernard,  bénédictin  bavarois,  né  le 
28  décembre  17i7,  mort  le  29  juillet  1827.  Profès  de 
l'abbaye  d'Oberaltach  et  docteur  en  théologie,  il  publia  : 
E.rercitationes  de  juribus  ecclesiasticis  Gennanim 
specialibus,  Straubingen,  1779;  De  jure  publico  uni- 
versali  ecclesiastico  una  eut»  subjectis  ex  jure  Ger- 
manise particulari  neenon  de  nexn  sacerdotium  inter 
et  imperium  corollariis,  in-8°,  Ratisbonne,  1781;  De 
limitibus  utriusque  potestalis  neenon  de  juribus  prin- 
cipum  circa  sacra,  Straubingen.  1782. 

Ilurter,  Nomenclator.  in-8%  1895,  t.  m,  col.  886. 

B.  Hh'l  RTEBIZE. 

DEVARIS  Mathieu,  littérateurgrec  du  xvi<  siècle,  ué 
à  Corfou.  Paul  III  (1534-1549)  le  nomma  correcteur  des 
manuscrits  de  la  Bibliothèque  vaticane.  Sa  mort  eut 
lieu  en  15(38.  En  dehors  du  Liber  de  grseese  lingux  par- 
ticulis,  qui  le  rendit  célèbre  comme  philologue,  il  est 
l'éditeur  des  Actes  du  concile  de  Florence  en  grec  : 


673 


DEVARIS 


DEVOLUTION 


674 


'H  àyht  /.où  o!xou(J.evtXT|  èv  $tapevT(*  Yevo(*^vïl  Euvofioç, 
Rome,  1577.  M.  Vaast  attribue  au  cardinal  Bessarion 
cette  rédaction  grecque  des  Actes  du  concile  de  Flo- 
rence. Le  cardinal  Bessarion,  Paris,  1878,  p.  437-439. 
Devaris  est  aussi  le  traducteur  grec  des  canons  du 
concile  de  Trente  :  Kavôvsç  xal  So-'tj.aTa  -»i;  iepfiç  -/.ai 
iv;xr  oi>to-jacV'./.r;;  èv  TpiSsvrcd  YEVO|jivr)C  o-jvôoo'j...  sv.  tjj; 
AcctÎvoiv  <pa)-/î);  ec;  t»jv  Ttôv  Fpar/.(ov  jj.STajpaTÛ^vTot, 
publiés  après  sa  mort  par  son  neveu  Mathieu  Devaris, 
Rome,  1583. 

Satlias,  NeoeX1i)v»j|  ?tîioXoTi'«,  Athènes,  18G8,  p.  158-159;  Legrand, 
Bibliographie  hellénique  du  vr'-.vrr  siècle,  t.  r,  p.  cxcv- 
cxcviii;  t.  H,  p.  33-40,  52-60. 

A.  Palmieri. 

DEVELLES  Claude-Jules,  théatin  français,  né  à 
Autun  en  1692,  mort  en  juin  1765.  On  a  de  lui  :  De  l'im- 
mortalité de  l'âme.  A  l'abbé  B.,  in-12,  1730,  réim- 
primé dans  la  Continuation  des  Mémoires  de  littérature 
et  d'histoire,  du  F.  Desmolets,  t.  x;  Traité  de  la  simpli- 
cité de  la  foi,  in-12,  Paris,  1733;  Xouveau  traité  de 
l'autorité  de  l'Église,  in-12,  1736,  1749. 

Michaud,  Biographie  universelle,  t.  x,  p.  580;  Hœfer,  Nou- 
velle biographie  générale,  t.  xm,  col.  942. 

A.  Ini.oi.1i. 

DEVIENNE  D'AGNEAUX  Charles-Jean  Baptiste, 
bénédictin,  né  à  Paris  en  1745,  mort  en  1792.  II  entra 
fort  jeune  dans  la  congrégation  de  Saint-Maur  et  lit 
profession  le  30  mai  1745  à  l'abbaye  de  Saint-Martin  de 
>•  t/.  l.n  1755,  il  fut  chargé  avec  plusieurs  de  ses  con- 
frères d'écrire  une  histoire  de  Guyenne.  Il  ne  tarda  pas 
à  se  créer  de  nombreuses  difficultés  avec  ses  supérieurs 
et  avec  do  m  Carrière  qui  avait  entrepris  de  publier  les 
Annales  de  Bordeaux.  En  1776,  il  ne  parait  plus  appar- 
tenir à  la  congrégation  de  Saint-Maur  :  «  II  ne  réside 
plus  dans  ce  corps  par  ordre  de  la  cour,  »  écrira-t-il 
plus  tard.  A  l'époque  de  la  Révolution,  il  embrassa  avec 
ardeur  les  idées  nouvelles.  Dom  Devienne  a  laissé-  les 
ouvrages  suivants  :  Prospectus  de  l'histoire  générale 
de  Guyenne  par  des  religieux  de  la  congrégation  de 
Saint-Maur,  in-i  ,  Paris,  1755;  Lettre  en  (orme  de 
dissertation  contre  l'incrédulité,  in-12,  Avignon,  I75ii; 
Eclaircissements  sur  plusieurs  antiquités  trouvées  à 
Bordeaux,  in-12,  1757;  Point  de  rue  concernant  l'étal 
religieux,  in-12.  Paris,  1757  et  1771  ;  Plan  d'éducation, 
1769  ;  Histoire  de  la  ville  de  Bordeaux,  in-4".  Bordeaux. 
1771  :  dom  Devienne  ne  publia  que  le  i"  volume;  le 
ir  parut  par  les  soins  de  l'éditeur  Laca/.e  :  Seconde  et 
troisième  partie  contenant  l'histoire  de  l'église  de 
Bordeaux  et  les  mœurs  et  coutumes  des  Bordelais, 
in  i  .  Bordeaux,  1862;  Dissertation  sur  la  religion  de 
Montaigne,  in-12,  Bordeaux,  1773;  Eloge  historique  de 
Michel  Montaigne  et  discours  sur  sa  religion,  in-12, 
1775.  Administration  particulière  et  générale  de  la 
France,  in  8°,  Taris,   1775;  Lettres  à   M.  X"  sur  l'Ins- 

■  de  la  France,  in-12,  Paris,  1782;  Nouvelle  méthode 

pour  apprendt  eàlir<  meut  la  langue 

française,  m-s  ,  Paris,  1782;  Histoire  de  l'Artois  {jus- 

Il  I",  ,2in  8°,  1785-1787;  Le  triomphe  de  l'huma- 

nité  ou  la  mort  de  Léopold  de  Brunswick,  poème  qui 

.iiinii  pour  le)  icadémie  française,  In-8 

Lille,  1787;  Le  triomphe  du  chrétien,  traduit  de  l'an- 
nts  d'Young  .  in-8  ,  1788;  Histoire 
le  la  li  ant  <■,  <■< ,  ,i,-  ,i  apt  ■  i  les  pi  im  ipet  qui 
la  Révolution,  par  t'.h.-.l.  It.  Dagneaux,  ci- 
ne,  2  in  8  .  Paris,  1791    le  n   roi 
■■H  1560  Dom  Devienne  a  en  outre  publié  deux  Mémo 

périeun  on  set  con- 

imphlets  révolutionnaire!  eom 

Pari  .  1780;  I  ir  de 

i  dom  Devienne...  chan- 

ni  B  .   l'aris. 
DICI.   Dl  mi  mi  .  CATHOI . 


des  écrivahis  de  la  congrégation  de  Saint-Maur,  in-12,  Munich 
et  Paris,  1882,  p.  208;  A.  de  Lanlenay,  Les  prieurs  claustraux 
de  Sainte-Croix  île  Bordeaux,  in-8",  Bordeaux,  1884,  p,  104- 

110,  136-137;  Tamizey  de  Larroque,  Reliquix  bénédictins?.  : 
Lettres  et  mémoires  de  dom  Devienne,  dans  la  Revue  de  Gas- 
cogne, t.  xxxvi  (1885),  p.  283,  438,  443. 

B.  Heurtedize. 
DEVIN.  Voir  Divination. 

DEVOIR  CONJUGAL.  Voir  Époux  (Devoirs  des). 

DÉVOLUTION.    -   I.   Définition.    II.    Historique. 

111.  Discipline  actuelle. 

I.  Définition.  —  Dévolution  vient  du  latin  de  volvere, 
rouler  ou  transporter  d'un  lieu  dans  un  autre  endroit. 
En  jurisprudence  civile  et  canonique,  ce  mot  signifie, 
en  général,  la  transmission  d'un  droit,  ou  d'un  bien, 
d'une  personne  à  une  autre.  Il  a  pris  cependant,  de 
bonne  heure,  un  sens  tout  particulier.  Ainsi,  dans  le 
droit  civil,  il  désigne  le  transfert,  par  hérédité,  des  biens 
de  la  ligne  paternelle  à  la  ligne  maternelle,  ou  vice 
versa,  quand  l'une  de  ces  deux  lignes  est  éteinte,  ou  a 
renoncé  à  la  succession.  Dans  le  droit  ancien,  en  effet, 
en  vertu  de  la  règle  patenta  pa  ternis,  materna  m  a  ter- 
nis, les  biens  immeubles  ne  pouvaient  par  succession 
passer  à  une  famille  différente  de  celle  dont  ils  prove- 
naient. Les  collatéraux  maternels  d'un  défunt,  par 
exemple,  étaient  incapables  de  recevoir  en  héritage  ce 
qu'il  avait  eu  lui-même  de  ses  parents  paternels,  et 
vice  versa.  Le  droiteonsidérait  cette  translation  comme 
un  renversement  de  l'ordre  régulier,  et  une  violation  de 
la  justice.  Le  seul  cas  où  il  la  permettait,  était  celui  où 
la  branche  dont  il  voulait  par  ce  moyen  maintenir  les 
droits  s'était  éteinte,  ou  avait  renoncé  de  plein  gré  à  la 
succession. 

Sans  avoir  adopté  dans  toute  sa  rigueur  la  formule 
ancienne,  patenta  paternis,  materna  mateniis,  la 
plupart  des  droits  modernes  emploient  dans  un  sens 
analogue  le  mot  dévolution.  Cf.  Code  civil  fronçais, 
a.  733,  750,  752  sq.  ;  Rogron,  Le  code  civil  expliqué 
par  ses  motifs,  par  des  exemples  et  par  la  jurispru- 
dence, in-12,  Paris,  1840,  p.  438  sq.,  453  sq.;  Mourlon, 
Répétitions  écrites  sur  lecode  civil,  contenant  l'exposé 
des  principes  généraux,  leurs  motifs  et  la  soin/ion 
des  questions  théoriques,  1.  III,  lit.  i,  c.  m,  sect.  i. 
3  in-8",  Paris,  1849,  t.  Il,  p.  33  sq.,  U  sq.  ;  llicci,  Corso 
leorico-pratico  di  diritto  civile,  10  in-8",  Turin,  1886, 
t.  III,  p.  11;  Lomonaco,  Istituzioni  di  diritto  civile 
italiano,  7  in-8»,  Naples,  1895,  I.  III,  part.  II,  n.  81, 
t.  iv,  p.  44;  Laneyrie  et  Dubois,  Code  civil  portugais, 
il  cl  minute,  I.  III,  lit.  Il,  c.  HI-1V,  in-8°,  Fuis. 
1896,  p.  586  sq.;  De  la  Grasserie,  Code  civil  allemand, 
traduit  et  annoté  avec  introduction,  1.  V,  sert,  i-iii, 
in-8",  l'iris,  1901,  p.  407  sq.  ;  Servais  et  Mechelynck, 
Les  codes  et  les  lois  spéciales  les  plus  usuelles  en 
eur  en  Belgique,  avec  notes,  in-8°,  Bruxelles, 
1907,  p.  93 sq 

Le  droit  de  dévolution,  étendu  jusqu'à  ses  dernières 
limites,  fait  passer  à  l'Étal  les  biens  de  ceux  qui 
meurent  sans  héritiers  au  delà  d'un  certain  degré  de 
parenté,  variant  avec  les  pays.  Cf.  Code  civil 
a.  768;  Code  civil  espagnol,  ■>.  956;  Code  civil  porlu- 
i.  2006;    Rogron,   1  civil  expliqué,  etc., 

i'  168  sq.;  Mourlon,  Répétitions  écrite*  sur  le  code 
civil,  |.  m,  m.  i,  c.  n.  net,  ii.  p.  77,  Prudhomme, 
Code  enii  iioi  .,/,  annoté  et  précédé  d'une 

introduction,  1.  III.  lit.  n,  sect.  vi,  in-8»,  l'an-  1896, 
p,  M8 

Dans  certaini  .  comme  i  \i- i  lea  1 

[uand  N'  défunt  s'était  marié  plusieurs  fois,  li  'in 

premier  mariage  n'était  ni  Issui    qui   di  -  Biles,  b-  droil 

de  dévolution  les  i  i  i  onn  i  Limes  hi  ritii  pi 

préférenci  bui  (lia  n  nd  lil   Ce  fui  en  raison 

droit  de  dévolution  que  Louis  XIV,  après  la  mort 

IV.   -  22 


675 


DÉVOLUTION 


676 


de  Philippe  IV.  roi  d'Espagne,  réclama  les  Pays-Cas 
espagnols.  Il  fondait  ses  prétentions  sur  les  droits  de 
sa  femme  Marie-Thérèse,  fille  et  unique  descendante  de 
Philippe  IV,  par  son  premier  mariage.  Charles  II, 
successeur  de  Philippe  IV,  n'était  que  (ils  du  second 
lit.  De  ce  conllit  résulta  la  guerre  dite  de  dévolution 
I  1667). 

En  droit  canonique,  la  dévolution  est  le  transfert  à 
un  autre  du  droit  de  conférer  un  hénéfice  ecclésiastique, 
quand  celui  qui  devait  le  conférer  a  négligé  de  le  faire 
dans  un  certain  espace  de  temps  déterminé  par  les 
canons,  ou  l'a  attribué  à  un  sujet  indigne  et  inhabile. 
Le  droit  de  conférer  ce  bénéfice  passe  alors,  pour  cette 
fois,  au  supérieur  immédiat  du  collateur  ordinaire,  et, 
en  cas  de  négligence  de  la  part  de  ce  second  collateur, 
monte  de  degré  en  degré  jusqu'au  pape.  Cf.  Décrétai., 
1.  I,  tit.  vi,  De  eleclione,  c.  41,  Ne  pro  defectu;  tit.  x, 
De  supplenda  negligenlia  prselatorum,  c.  3,  Licet; 
1.  III,  tit.  vin,  De  concessione  prsebendse,  c.  2,  Nulla; 
Reiffenstuel,  Jus  canonicum  universum  juxta  quinque 
libros  Decrelalium,  1.  I,  tit.  x,  §  2,  n.  18  sq.,  6  in-fol., 
Venise,  1730-1735,  t.  i,  p.  248;  Pichler,  Jus  canonicum 
secundum  qxiinque  Decrelalium  lilulos,  1.  I,  lit.  x, 
n.  2,  2  in-fol.,  Venise,  1750,  t.  i,  p.  66;  Schmalzgrueber, 
Jus  ecclesiasticum  universum ,  1. 1,  tit.  x,  n.  1,  12in-i°, 
Rome,  1843-1845,  t.  i,  p.  424;  Hinschius,  System  des 
kat/i.  Kirchenrechts,  3  in-8",  Berlin,  1878,  t.  in, 
p.  167  sq.;  De  Angelis,  Preelectiones  jura  canonici  ad 
melhodum  Decretalium,  4  in-8°,  Rome,  1887-1891,  1.  I, 
tit.  x,  n.  4,  t.  I,  rp.  188;  Wernz,  Jus  Decrelalium, 
5  in-4»,  Rome,  1898-1907,  part.  II,  c.  n,  tit.  xv,  §  4, 
n.  324,  t.  n,  p.  440;  Ojetti,  Synopsis  rerum  moralium 
et  juris  pontifiai,  alphabetico  ordine  digesla,  v° 
Devolulio,  2  in-4»,  Prato,  1905,  t.  i,  p.  542. 

II.  Historiquk.  —  Il  importe  pour  le  bien  des  âmes 
et  la  gloire  de  Dieu  que  les  bénéfices  ecclésiastiques  ne 
restent  pas  longtemps  vacants,  afin  que  les  divers 
services  auxquels  le  bénéficier  doit  pourvoir  ne  de- 
meurent pas  en  souffrance.  Les  canons  ont  fixé  le 
temps  que  la  vacance  ne  doit  pas  dépasser,  suivant  les 
cas.  Or,  il  arrivait  souvent  que  les  collateurs,  chargés 
de  nommer  aux  bénéfices,  tardaient  trop  à  le  faire, 
soit  par  négligence,  soit  par  cupidité,  afin  d'en  percevoir 
eux-mêmes  les  fruits,  en  tout  ou  en  partie.  C'est  pour 
obvier  à  cet  inconvénient  si  grave  et  stimuler  le  zèle 
des  collateurs,  que  fut  introduit  peu  à  peu,  dans  la 
jurisprudence  canonique,  le  droit  de  dévolution,  attri- 
buant au  supérieur  immédiat  du  collateur  ordinaire 
le  droit  de  conférer  le  bénéfice  que  celui-ci  avait  négligé 
de  conférer  dans  les  délais  prescrits. 

Ce  point  de  discipline  ecclésiastique  remonte  à  la 
plus  haute  antiquité.  Il  en  est  déjà  fait  mention  au 
milieu  du  Ve  siècle.  Le  concile  de  Chalcédoine,  IVe 
œcuménique,  tenu  en  451,  statue  dans  son  25e  canon 
disciplinaire  que  les  églises  doivent  être  pourvues 
dans  les  trois  mois,  èvt'oç  rpioiv  u,y)vô>v.  Le  canon 
26e  fait  allusion  aux  peines  encourues  dans  le  cas 
contraire.  Cf.  Mansi,  Concil.,  t.  vu,  col.  368,  380, 
391  sq.,  400;  Décret  de  Gratien,  part.  I,  dist.  LXXX1X. 
c.  4,  Quia;  part.  II,  caus.  XVI,  q.  vu,  c.  21,  Quoniam 
in  quibusdam ;  Justinien,  Novell,  cxxm,  c.  i. 

Un  siècle  et  demi  plus  tard,  le  pape  saint  Grégoire 
le  Grand  revient  sur  cette  question.  Il  rappelle  d'abord 
la  règle  établie  par  le  concile  de  Chalcédoine,  et  en 
vertu  de  laquelle  les  églises  ne  doivent  pas  rester 
vacantes  plus  de  trois  mois.  Epist.,  1.  VII,  epist.  xiv, 
xlii,  P.  L.,I.lxxvii,  col.  869,  901.  Cf.  Décret  de  Gratien, 
part.  I,  dist.  L,  c.  Il,  Poslquam;  dist.  LXXV,  c.  2, 
Quoniam.  Il  parle  ensuite,  en  propres  termes,  du  droit 
de  dévolution,  même  pour  les  charges  inférieures  à 
l'épiscopat.  Chaque  évêque,  dit-il,  doit  avoir  un  économe 
dans  son  église,  et  s'il  néglige  de  le  nommer  lui-même, 
ce  droit  est  dévolu  à  son  clergé.  Si  vero  négligente))! 


cum  prospicis,  et  ea  quie  diximus  implere  differenlem, 
omnis  clerus  ejus  adltiberi  débet,  ut  communi contilio 
ipsi  eliganl.  Epist.  ad  Anlltemiurn  subdiaconum, 
1.  XI,  epist.  lxxi,  P.  L.,  t.  i.xxvn,  col.  1241.  Cette 
prescription  fut  introduite  dans  le   Corf  ano- 

nid,  cf.  Décret  de  Gratien,  part.  I,  dist.  LXXXIX.  <  .  J. 
Volumus.  Le  IIe  concile  de  N'icée,  VII1  œcuménique, 
tenu  en  787,  régla  par  son  canon  11«,  que  ce  droit  serait 
dévolu  au  métropolitain,  quand  l'évêque  ne  l'exercerait 
pas;  et  si  le  métropolitain  se  rendait  coupable  de  la 
même  négligence  dans  sa  propre  église,  le  patriarche  de 
Constantinople  aurait  à  y  pourvoir.  Cf.  .Mansi,  Concil., 
t.  xiii.  col.  752. 

A  partir  du  xn*  siècle  surtout,  le  droit  de  dévolution 
se  précisa  de  plus  en  plus,  dans  tous  ses  détails.  Le  IIP 
concile  œcuménique  de  Latran,  tenu  sous  Alexandre  III. 
en  1179,  renouvela  dans  son  canon  8e,  la  règle  que  les 
bénéfices  ecclésiastiques  ne  devaient  pas  rester  long- 
temps vacants,  mais  qu'ils  devaient  être  conférés  dans 
les  six  mois:  quselibet  officia  non  diu  maneant  m 
suspenso,  sed  inlra  sex  menses  personis  quse  digne 
administrare  valeant,  conferanlur.  Cf.  Mansi,  Concil., 
t.  xxn,  col.  222.  11  lit  ensuite  les  prescriptions  sui- 
vantes :  1°  Si  c'est  l'évêque  qui  est  négligent  dans  la 
collation  des  bénéfices,  son  droit  est  dévolu  au  chapitre  : 
Si  episcopus  conferre  distillent,  per  capitulum  ordi- 
netur.  2°  Si  c'est  le  chapitre  qui  est  coupable  de  cette 
faute  dans  la  collation  des  bénéfices  qui  dépendent  de 
lui,  son  droit  est  dévolu  à  l'évêque  :  Quod  si  ad  capitu- 
lum pertinuerit,  et  intra  prœscriplum  terminum  hoc 
non  fecerit,  episcopus...  exequatur.  3°Sil'un  et  l'autre 
sont  coupables,  le  droit  est  dévolu  au  métropolitain  : 
Si  omnes  forte  neglexerinl,  melropolitanus  de 
ipsis  secundum  Deum  absque  illorum  contradictu 
disponal.  Mansi,  loc.  cit.;  Décrétai.,  1.  III.  tit.  VIII,  De 
concessione  prœbendx,  c.  2,  Nulla.  Cf.  tit.  cit.,  c.  •">. 
Quia;  c.  10,  Exporte; c.  13,  Dileclus;  c.15,  Postulastis. 

En  1215,  le  IVe  concile  général  de  Latran,  tenu  sous 
Innocent  III,  dans  son  canon  23',  édicta  pour  les  préla- 
tures  électives  un  règlement  analogue,  mais  encore  plus 
sévère,  puisqu'il  réduisit  à  trois  mois  les  délais  cano- 
niques. Si,  dans  les  églises  cathédrales  et  dans  celles 
des  réguliers,  les  élections  n'étaient  pas  accomplies 
dans  ce  laps  de  temps,  le  pouvoir  d'élire  était  dévolu  au 
supérieur  immédiat,  et  le  concile  énonçait  clairement 
les  raisons  de  ces  prescriptions  canoniques  :  Ne  j>ro 
defectu  pastoris  gregem  dominicum  lupus  rapax 
invadal,  aut  in  facullatibus  suis  ecclesia  viduata  grave 
dispendium  patialur,  volentes  in  hoc  etiam  occurrere 
periculis  animarum...  slaluimus  ut  ultra  très  mentes 
cathedralis  vel  regularis  ecclesia  prwlato  non  vacel; 
infra  quos,  juslo  impedimenta  cessante,  si  eleclio 
celebrata  non  fuerit,  qui  eligere  debuerant,  eligendi 
poteslate  careant  ea  vice,  ac  ipsa  eligendi  poteslas  ad 
eum  qui  pro.cimo  prœesse  dignoscitur,  devolvatur.  1s 
vero  ad  quem  devoluta  fuerit  poteslas,  Dominvm 
habens  prie  oculis,  non  différât  ultra  très  menses... 
si  canonicam  voluerit  effugerc  ultionem.  Mansi. 
Concil.,  t.  xxn,  col.  1011;  Décrétai.,  I.  I,  tit.  vi,  De 
electione,  c.  41,  Ne  pro  defectu. 

Boniface  VIII,  en  1298,  étendit  ce  temps  à  quatre 
mois  pour  les  bénéfices  inférieurs  soumis  au  droit  de 
patronage  laïque,  et  à  six  mois  quand  le  droit  de 
patronage  appartenait  à  une  église  ou  à  un  monastère. 
Décrétai.,  1.  III,  tit.  xix,  De  jure  palronatus,  c.  1.  s  2. 
Verum,  in  6°. 

Afin  d'assurer  l'observation  de  ces  prescriptions,  le 
concile  général  de  Vienne  (1311-1312)  régla  que  l'évêque 
serait  considéré  comme  le  supérieur  immédiat  des 
collateurs  réguliers  de  son  diocèse.  Les  chapitres  des 
cathédrales  et  des  collégiales  qui,  dans  le  but  >! 
soustraire  à  l'autorité  épiscopale,  avaient  voulu 
soumettre   immédiatement  ;au   saint-siège,  ne    furent 


(377 


DÉVOLUTION    —    DEVOTI 


678 


pas  exemptés  de  celte  loi.  Ces  décrets  furent  insérés 
dans  le  Corpus  juris  canonici.  Cf.  Clémentines,  1.  1, 
tit.  v,  De  supplenda  negligentia  prœlaloruni,  c.  1, 
Quia  regulares  prselali. 

Ainsi  le  délai  se  renouvelait  tour  à  tour  à  chaque 
degré  de  la  hiérarchie  auquel  passait  le  droit  de  dévo- 
lution. Chaque  supérieur  avait  successivement  six  mois 
pour  conférer  le  bénéfice.  Il  devait  se  conformer,  en 
outre,  aux  conditions  spéciales  auxquelles  était  soumis 
le  premier  collateur,  et  les  elfets  de  sa  négligence  étaient 
les  mêmes.  Décrétai.,  1.  I,  tit.  u,  De  constilulionibus, 
c.  8,  Cum  accessissent.  Cf.  Fagnan,  Commcntaria 
in  c/uinque  libi'os  Decretalium,  1.  III,  De  concessione 
prœbendœ,  c.  n,  n.  21-10,  5  in-fol.,  Venise,  1697,  t.  m, 
p.  187  sq.;  Schmalzgrueber,  Jus  ecclesiaslicum  univer- 
sum,  1.  I,  tit.  x,  De  supplenda  negligentia  prœlato- 
rum, %  1,  n.  6,  t.  i,  p.  429;  Tliomassin,  Ancienne  et 
nouvelle  discipline  de  l'Eglise  louchant  les  bénéfices 
et  les  béné/iciers,  part.  II,  1.  I,  c.  LI,  Du  droit  de 
dévolution,  3  in-fol.,  Paris,  1725,  t.  il,  p.  322  sq. 

Dans  le  cas  où  le  bénéfice,  conféré  dans  les  délais 
prescrits  par  les  canons,  avait  été  donné  à  un  sujet 
indigne,  ou  inhabile  par  le  défaut  des  qualités  requises 
dans  le  titulaire,  le  droit  de  conférer  ce  bénéfice  était 
également  dévolu  au  supérieur  immédiat,  ou  directe- 
ment au  pape,  s'il  s'agissait  d'évêchés.  Décrétai.,  1.  III, 
lit.  vm.  De  concessione  prœbendœ,  c.  2,  Nulla;  1.  I, 
tit.  VI,  De  electione,  c.  18,  Quanquam,  in  6°.  Mais 
alors  il  fallait  que  l'indignité  ou  l'inhabileté  du  déten- 
teur du  bénéfice  fût  juridiquement  démontrée,  et  qu'une 
sentence  en  ce  sens  intervînt  de  la  part  du  juge.  Celui 
qui  dénonçait  à  l'autorité  compétente  le  fait  d'indignité 
ou  d'inhabileté  du  titulaire,  et  réclamait  ensuite  le  bé- 
néfice pour  lui,  devait  être,  à  mérite  égal,  préféré  à 
tout  autre.  Les  papes  avaient  institué  ce  droit  de  préfé- 
rence pour  favoriser  l'observation  des  règles  canoniques 
et  débarrasser  l'Église  de  ministres  indignes. 

L'action  en  dévolu  devait  être  intentée  dans  les  trois 
mois.  Celui  qui  soutenait  ce  procès  ne  pouvait  entrer 
en  jouissance  du  bénéfice  qu'après  le  prononcé  de  la 
sentence,  et  mention  de  la  cause  spéciale  du  dévolu 
devait  être  faite  dans  l'acte  de  provision.  Cf.  Thomas- 
sin, ancienne  el  nouvelle  discipline  de  l' Église,  f&rl.  Il, 
I.  I,  c.  il,  n.  7-12.  t.  il,  p.  321!  s,,. 

L'impétralion  et  l'attribution  d'un  bénéfice  ecclésias- 
tique à  de  pareilles  conditions  s'appelait  dévolu,  ou 
dévolul  [devolutum).  On  donnai!  le  nom  de  dévolutaire 
.i  ('lui  qui  l'obtenait,  et  le  nom  de  dévolutéà  celui  qui 
en  >tait  exclu.  De  là  vinrent  les  expressions  :  plaider 
t\n  dévolu  :  obtenir  un  dévolu  ;  jeter  son  dévolu  sur  un 
bénéfice,  c'est-à-dire  le  solliciter  de  cette  façon;  puis, 
on  en  vint  à  dire  simplement  jeter  son  dévolu  sur  quel- 
que chose,  pour  signifier  qu'on  prétendait  .i  sa  posses- 
sion, ou  qu'on  arrêt, ni  n  choix,  sur  tel  objet. 
dévolutaires  n'étaient  pas  toujours  supposés  agir 
uniquement  dans  les  intérêts  de  l'Eglise,  mais  aussi  i  I 
souvent  pour  leurs  propres  intéi  ôts.  I  In  les  soupçonnait 
donc,  bien  des  fois,  'i  être  mus  par  l'ambition,  l'avarice 
■  i  la  cupidité.  Les  canonistes  gallicans  étaient  particu- 
lièrement si    ère    •(  li  'i     gard,  disanl  qu'ils  n'étaient 

dignes  d'aucui msidération,  mais    bien   plutôt  de 

Dbation  el  de  pris.    Il-  a  hésitait  ul  i"-  à  leur 

donner  des  épithètet  ofli  osante    telles  que  celli 

de  bénéfici  de  procès, 

Impétrante*  jun  devolulo  non  favoredigni  tunt, 

umunii  ii 

udicantw    Sunt  beneficiorum  erutcato- 

i  i   benefii  ioruni . 

nantê»,  rxpiematomr 

■    itttmmnm,  fortunit  alienis  inhiante».  Louet, 

"c.  n.  1 12. 
m  '•  .   i'  Ancii  nne  el  nouvelle 

diteipline  d<  oc,  cil. 


Le  concile  de  Trente  publia  un  décret  très  important 
pour  suppléer  à  la  négligence  des  chapitres  des  églises 
cathédrales,  qui,  dans  les  huit  jours  après  la  mort  de 
l'évéque,  n'auraient  pas  élu  un  vicaire  capitulaire  pour 
l'administration  spirituelle  du  diocèse,  et  un  économe, 
ou  commissaire  de  la  mense,  pour  l'administration  des 
biens  temporels.  Il  décida  que,  passé  ce  laps  de  huit 
jours,  le  droit  d'élire  le  vicaire  capitulaire  et  l'économe 
serait  dévolu,  ipso  facto,  au  métropolitain.  Dans  le  cas 
où  il  s'agirait  de  l'église  métropolitaine  elle-même,  et 
que  le  chapitre  fût  négligent,  le  droit  d'élire  serait 
dévolu  à  l'évéque  le  plus  ancien  de  la  province,  anli- 
quior  episcopus  ex  suffraganeis.  Enfin,  s'il  s'agissait 
d'une  église  cathédrale  exempte,  le  droit  serait  dévolu  à 
l'évéque  le  plus  rapproché.  Sess.  XXIV,  c.  xvi,  Dereform. 

III.  Discipline  actuelle.  —  A  notre  époque,  la 
plupart  des  degrés  de  la  hiérarchie  ecclésiastique, 
intermédiaires  entre  l'évéque  et  le  souverain  pontife, 
sont  devenus  des  titres  purement  honorifiques,  tels 
que  ceux  de  patriarches,  de  primats,  etc.  Par  suite,  le 
droit  de  dévolution,  quoiqu'il  n'ait  pas  été  formellement 
abrogé  et  subsiste  encore  en  théorie,  se  réduit  prati- 
quement à  peu  de  chose,  si  l'on  excepte  celui  du 
métropolitain  pour  suppléer  à  la  négligence  des  cha- 
pitres des  églises  cathédrales  dans  l'élection  du  vicaire 
capitulaire,  sede  vacante.  Dans  les  autres  cas,  si  les 
collateurs  ordinaires,  prélats,  évèques,  etc.,  sont  négli- 
gents, le  droit  de  -conférer  les  bénéfices  est  dévolu 
directement  au  saint-siège.  Cf.  Wernz,  Jus  Decrelalium , 
part.  II,  c.  n,  tit.  xv,  S  4,  n.  32i,  t.  n,  p.  i'(2. 

Fagnan,  Commcntaria  in  quinque  libros  Decretalium,  1.  III 
De  concessione  prsebendx,  c.  Il,  n.  21-40,  5  in-fol.,  Venise, 
1G97,  t.  m,  p.  187  sq.  ;  Tliomassin,  A  ncienne  et  nouvelle  disci- 
pline  de  l'Eglise  louchant  les  bénéfices  et  les  béné/iciers, 
part.  II,  1.  I,  c.  Li,  Du  droit  de  dévolution,  3  in-fol.,  Paris,  1725, 
t.  n,  p. 322-325;  lteitl'enstuel,  Jus  canonicum  universumjuxta 
quinque  libros  Decrelalium,  1.  I,  tit.  x,  De  supplenda  negli- 
gentia prselatorum,  s  1,  n.  1-16;  §2,  n.  17  27,  6  in-fol.,  Venise, 
1730-1735,  t.  i,  p.  246-248;  Leurenius,  Forum  ecclesiaslicum  in 
quojus  canonicum  explanatur,  part.  II,  q.  ix.cxxxvii-dccxi.v, 
5  in-fol.,  Venise,  1729;  Schmalzgrueber,  Jus  ecclesiasticum  uni- 
versutn,  1.  I,  tit.  x,  S  1,  n.  1-0,  12  in-4\  Rome,  1843-1845,  t.  I, 
p.  124-430;  Pichler,  Jus  canonicum  secundum  quinque  Decre- 
talium Htulos,  I.  I,  tit.  x,  n.  1  sq.,  2  in-fol.,  Venise,  1750,  t.  I, 
1  ;  llinscliius,  System  des  Uuth.  Kirchenrechts,  8  in-fol., 
Berlin,  187K,  t.  III,  p.  167-173;  De  Angclis,  Pnrlectioucs  juris 
canonici  ad  methodum  Decretalium,  1. 1,  tit.  x,  n.  1-6,  4  in-8-, 
Rome,  1**9-  18.it,  1.  i,  p.  185-192;  Wernz,  Jus  Decretalium, 
part.  II.  C.  u,  lit.  xv,§  'i,  n.  324-326,  5 in-4",  Rome,  1898-1907,  t.  n, 
],.  iin-'i't'i:  (  ijrtti,  Si/nupsis  t  erum  moralium  et  juris  pontiflen, 
alphabetico  ordine  digesta,  V  Devulutio,  2  in-'r,  Prato,  1905, 
i.  i,  p.  542. 

T.  Ortolan. 
DEVOTI  Jean  naquit  à  Rome,  le  11  juillet  17V't. 
Entré  dans  l'état  ecclésiastique,  il  se  sentit,  de  bonne 
heure,  porté  spécialement  vers  l'étude  de  la  jurispru- 
dence. Il  y  réussit  à  tel  point  que,  docteur  en  l'un  et 
l'autre  droit,  et  avocat  à  la  cour  romaine,  il  fut.  à 
peine  âgé  de  vingt  ans,  nommé  professeur  de  droit 
canonique  à  l'université  de  la  Sapience,  Pendant  vingt- 
cinq  ans  il  occupa  cette  chaire  que  tant  d'autres  avaient 

illustrée,  el  lui  donna  un  nouvel  éclat.  Les  succès  de 
son  enseignement  lui  acquirent  une  grande  réputation, 

Bl    le    mirent    en   vue    pour   les  plus    hautes  dignités  de 

l  Eglise.  Pie  VI  lecréa  évoque  d'Agnani,  a  quarante-cieq 
1789).  Quinze  ans  après,  Devoti,  ayant  résigné  Bette 
charge,  fui  attiré  à  la  cour  pontificale  pai  PU  \ll.  qui 
im  <i' m na  le  titre  d'archevêque  de  Carthage  in  purtibus, 
le  lii  des  brefs  bus  princes,  camérii  r  secret, 

i  .m  -u  i  i.iir  îles  s.c.  de  l'Immunité,  de  l'Index  et  de  plu 

sieurs  aotr  ind   Pli    \  1 1   ndil  ■<  P 

pour  le    de  Napoli  On   I    .  il  voulut  que  Devoti  fui 

parmi  les  prélats  qui  devaient  l'accompagner.  Devoti 
mourut  a  itnme,  le  18  septembre  1890,  el  fut  inhumé 
dam  l'église  de  Sainl  Eustache. 


G79 


DEVOTI    —    DÉVOTION 


080 


Le  plus  renommé  et  le  plus  répandu  de  ses  ouvrages 

est  celui  qui  a  pour  titre  :  lnslilulionum  canonicarum 
libri  quatuor,  î  in-8°,  Rome,  1785,  très  souvent  réédita 
depuis  avec  de  nombreuses  additions  de  l'auteur,  non 
«seulement  en  Italie,  mais  en  Espagne  et  en  Allemagne  : 
Rome,  1814;  Rologne,  1818;  Gand,  1816,  1822,  1830; 
Venise,  1827,  1834,  1836,  1838,  1852;  Liège,  1860,  etc. 
Ces  lnsliluliones  se  distinguent  par  la  limpidité  du 
style,  par  la  sûreté  delà  méthode  et  la  clarté  de  l'expo- 
sition, comme  aussi  par  des  notes  historiques  très 
appréciées.  Devoti  s'était  proposé  de  combattre  surtout 
les  erreurs  d'Eyhel,  qui,  pendant  la  dernière  moitié  du 
xvme  siècle,  avait  fait  tant  de  mal  en  Allemagne,  par 
ses  écrits  en  faveur  du  joséphisme,  condamnés  par 
l'Index,  le  6  décembre  1781.  Cf.  Schulte,  Die  Ge- 
schichte  der  Qucllen  und  Lileratur  des  canon.  Redits, 
Stuttgart,  1875-1880,  t.  m,  p.  528  sq.  ;  Hurter,  Nomen- 
clator, t.  ni,  col.  680  sq.  L'ouvrage  de  Devoti  parut  si 
décisif  pour  la  défense  des  doctrines  orthodoxes,  que 
le  roi  d'Espagne  ordonna,  en  1817,  qu'on  ne  se  servirait 
désormais,  à  l'université  royale  d'Alcala,  que  de  ses 
Instilutiones  pour  l'enseignement  du  droit  canonique, 
à  l'exclusion  de  celles  de  Cavallari,  dont  on  avait  usé 
jusqu'alors,  et  qui  venaient  d'être  mises  à  l'Index  avec 
toutes  les  œuvres  de  cet  auteur,  par  le  décret  du 
27  janvier  1817,  parce  qu'il  y  professait,  entre  autres 
erreurs,  la  supériorité  du  concile  sur  le  pape.  Cf.  Hurter, 
Nomenclator,  t.  ni,  col.  443.  Vu  leur  mérite,  les 
Instilutiones  de  Devoti  furent  également  adoptées  par 
l'université  de  Louvain  et  par  le  séminaire  Saint-Sulpice, 
de  Paris. 

On  a  prétendu  que  les  notes  historiques  si  pleines 
d'érudition,  insérées  presque  à  toutes  les  pages  des 
Institutiones,  ne  furent  pas  l'œuvre  de  Devoti,  mais 
celle  de  l'un  de  ses  plus  illustres  élèves,  le  jeune 
François-Xavier  Castiglione,  plus  tard  cardinal  et  pape 
sous  le  nom  de  Pie  VIII.  Cette  opinion  fut  répandue 
dans  le  public  par  divers  auteurs.  Moroni,  Dizionariu 
di  erudizione  slorico-ecclesiaslica,  109  in-8°,  Venise, 
1840-1879,  t.  lui,  p.  172  sq.  Michaud  s'est  fait  l'écho  de 
ce  bruit.  Biographie  universelle,  v°  Pie  VIll,t.  xxxm, 
p.  232.  Mais  un  simple  rapprochement  de  dates  montre 
combien  peu  celte  opinion  est  fondée.  Ces  notes,  en 
effet,  se  trouvent  déjà  dans  la  l'e  édition  des  Institu- 
tiones, en  1785,  et  Devoti  les  revendique  comme  étant 
de  lui  :  Reliquum  est  ut  aliqind  dicam  de  notis,  quibus 
Instilutiones  lias  meas  illuslrandas  curavi.  Prœfatio, 
p.  vil.  Professeur  depuis  une  vingtaine  d'années,  en 
possession  des  fruits  de  nombreuses  recherches,  et 
dans  le  plein  épanouissement  de  son  talent,  Devoti 
pouvait  écrire  ces  notes  remarquables;  mais  comment 
les  supposer  l'œuvre  d'un  jeune  homme  de  vingt-quatre 
ans  à  peine,  car  Pie  VIII  était  né  en  1761  ?  Comment 
admettre  que,  pour  la  partie  la  plus  difficile  de  son 
ouvrage,  le  professeur  si  apprécié  ait  dû  recourir  à  la 
collaboration  d'un  de  ses  élèves  encore  inconnu,  se 
soit  approprié  son  travail,  et,  sans  aucune  indication 
qui  pût  faire  soupçonner  le  contraire,  l'ait  présenté  au 
public,  comme  son  œuvre  à  lui?  Cette  opinion  est  consi- 
dérée comme  une  fable  par  les  critiques  plus  mordernes, 
tels  que  Nilles,  Acl.  theol.  Œnip.,  t.  î,  p.  282;  Wernz, 
Jus  Decrelalium,  part.  III,  tit.  xvi,  Historia  lilteraria 
juris  ecclesiaslici  a  concilio  Tridenlino  usi/ue  ad 
Leonem  Xlll,  S  2,  n.  319,  5  in-4»,  Rome,  1898-1907, 
t.  î,  p.  401. 

Les  autres  ouvrages  de  Devoti  sont  :  1°  De  notissimis 
injure  legibus  libri  duo,  dont  la  6e  édition  fut  publiée 
à  Rome  en  1830.  Cette  œuvre  est  aussi  estimée  pour  la 
pureté  du  styl<;  que  pour  l'importance  du  sujet.  2"  Juris 
canonici  universi  publia  et  privati  libri  quinque. 
Dans  la  pensée  de  son  auteur,  ce  dernier  ouvrage 
devait  avoir  de  vastes  proportions;  mais  l'Age  et  les 
infirmités  l'empêchèrent  de  le  terminer,  quoiqu'il   y 


eût  travaille''  pendant  longtemps.  Les  trois  premiers 
volumes  seulement  ont  pain,  et  ils  n  embrassent  que 
les  deux  premiers  livres  des  Décrétales,  3  in-4°,  Rome. 
1803-1815,  1837. 

Micliaud,  liiouraphie  universelle,  t.  x,  p.  591  sq. .  t.  xxxm, 
p.  232:  Moroni,  Dizionario  di  erudizione  storico-ecclesiastica , 
109  in-8-,  Venise,  18i0-1879,  t.  Lin,  p.  172  sq.  ;  Scbulte,  Die  Ge- 
8chichte  der  Quellen  und  Literatur  des  canon.  Rechls,  Stuttgart, 
1875-1880,  t.  m,  p.  528  sq.  ;  Hurter,  Nomenclator,  t.  ni.  col.  077: 
Wernz,  Jus  Dccretulium,  part.  III,  tit.  XVI,  $  2,  n.  319,  5  in-4*, 
Rome,  1898-1907,  t.  î,  p.  401  sq.;  h'irchenlexikon,  t.  m, 
col.  1650-1 051. 

T.  Ortolan. 

DÉVOTION.  —  I-  Nature.  II.  Relalions  avec  la  per- 
fection. III.  .Moyens  principaux  d'acquérir,  de  conser- 
ver et  de  développer  la  dévotion. 

I.  Nature.  —  /.  Définition.  —  Au  strict  sens  théo- 
logique, c'est  l'acte  de  la  volonté  se  donnant  avec  fer- 
veur au  service  divin.  —  1°  L'objet  vers  lequel  se  porte 
la  dévotion  est  l'objet  même  de  la  vertu  de  religion,  ou 
le  culte  divin  intérieur  et  extérieur  dans  lequel  est 
également  compris  le  culte  religieux  rendu  aux  saints 
comme  serviteurs  et  amis  de  Dieu.  Appartiennent  en- 
core à  cet  objet  toutes  les  pratiques  extérieures  du  culte 
et  leurs  objets  sensibles;  car  notre  nature  ne  peut 
s'accommoder  d'un  culte  purement  spirituel  et  l'Église 
impose  à  tous  ses  fidèles  quelque  culte  extérieur.  Voir 
Culte  en  général,  t.  ni,  col.  2410-2411. 

2°  Par  la  dévotion  la  volonté  se  porte  avec  ferveur 
vers  le  culte  divin.  —  1.  Cette  ferveur  consiste  premiè- 
rement et  principalement  dans  la  ferme  détermination 
de  la  volonté  de  rester  fidèlement  dévoué  au  service 
de  Dieu,  même  malgré  la  douloureuse  et  fréquente 
étreinte  des  désolations  et  épreuves  spirituelles.  Cette 
ferveur  de  la  volonté,  appelée  aussi  dévotion  substan- 
tielle, est  tout  à  la  fois  le  fondement  assuré  sur  lequel 
repose  toute  la  pratique  de  la  dévotion  et  la  cause  de 
tout  son  mérite  devant  Dieu.  Sans  elle,  la  dévotion 
purement  sensible  n'a  plus  ni  consistance  ni  utilité 
vraie.  Avec  elle,  l'âme  reste  tranquillement  inébranlable 
au  service  de  Dieu  malgré  les  fluctuations  des  impres- 
sions sensibles.  Même  dans  l'aride  désolation  des  puri- 
fications passives  et  en  l'absence  de  toute  consolation, 
comme  cela  arrive  surtout  aux  âmes  fortes  que  Dieu 
purifie  d'une  manière  plus  intense  et  plus  rapide,  la 
dévotion  substantielle  continue  à  mouvoir  et  à  soutenir 
l'âme  dans  ses  pratiques  habituelles.  Ajoutons  toutefois 
que  celte  dévotion,  grâce  à  l'ardente  charité  qu'elle 
suppose,  cause  toujours  à  l'âme  quelque  joie  ou  délec- 
tation spirituelle  que  ne  peuvent  empêcher  les  plus 
dures  épreuves  de  la  partie  sensible.  Schram,  T/ieologia 
mystica,%>  édit.,  Paris,  1848,  t.  î,  p.  146.  —  2.  A  cette 
dévotion  substantielle  de  la  volonté  peut  se  joindre 
fréquemment  la  dévotion  accidentelle  consistant  dans 
une  abondante  joie  spirituelle  causée  à  l'intelligence 
et  à  la  volonté  par  la  considération  ou  contemplation 
de  l'infinie  perfection  ardemment  aimée.  S.  Thomas. 
Sum. theol.,  II»  11"=,  q.  lxxxii,  a.  4;  q.  ci.xxx.  a.  7,  ou 
même  dans  la  délectation  sensible  qui  souvent  résulte 
de  nos  fortes  affections  ou  émotions  spirituelles.  Ces 
eifets  sensibles  de  la  joie  spirituelle  peuvent  aller  jus- 
qu'aux larmes,  lbid.,  q.  LXXXII,  a.  4,  ad  3um.  Par  le 
contentement  qu'elle  répand  dans  l'âme  et  l'attrait 
qu'elle  donne  pour  les  choses  célestes,  la  dévotion 
accidentelle  surtout  affective  est  un  puissant  stimulant 
d'activité  spirituelle  et  de  vertu  solide,  à  condition 
d'être  constamment  accompagnée  d'une  humble  dé- 
fiance de  soi-même  et  de  faire  tendre  efficacement  à  la 
vertu  solide  et  à  la  vraie  perfection. 

3°  Cette  ferveur  de  la  dévotion  suppose  dans  la  vo- 
lonté la  charité,  la  religion  et  la  piété,  et  dans  l'intel- 
ligence une  foi  suffisamment  éclairée  et  agissante.  — 
1.  C'est  la  charité  envers  Dieu  qui  est  la  source  pre- 
mière et  principale  d'où  jaillit  et  où  s'alimente  sans 


681 


DÉVOTION 


682 


cesse  l'amour  du  service  divin,  tandis  que  la  vertu  de 
religion  dicte  immédiatement  à  la  volonté  aimante  les 
actes  religieux  auxquels  elle  doit  se  dévouer.  S.  Tho- 
mas, Sum.  l/ieol.,  ID  IIe,  q.  LXXXir,  a.   2,  ad  l"m.   La 
religion    est  encore  aidée  dans  son  rôle  par  le  don 
complémentaire  de  piété,  qui  nous  incline  à  rendre  plus 
parfaitement  à  Dieu  considéré  comme  notre  père  tous 
les  devoirs  qui  lui  sont  dus.   S.Thomas,   Sum.  theol:, 
lla  H",  q.  cxxi,  a.  1.  Ajoutant  au  motiC  général  de  la 
vertu  de    religion  le   motif  plus  puissant  de  la  piété 
filiale,  la  piété  augmente  dans  la  volonté  l'inlensité  de 
la  charité  qui  rejaillit  sur  la   ferveur  de  la  dévotion. 
A  cause  de  leur  rôle  prépondérant  dans  la  genèse  de  la 
dévotion,  la  charité  et  la  piété  sont  souvent  identifiées 
avec  elle.  —  2.  Les  actes  de  la  volonté  que  supposent 
la  dévotion,  la  piété,  la   religion  et  la  charité,  doivent 
primitivement    s'appuyer    sur    une    foi   suffisamment 
éclairée  et  agissante.  Car  c'est  un  principe  très  assuré 
que  la  foi  doit  diriger   les  actes  de  la  volonté  dans  sa 
recherche  de  la  lin  surnaturelle  et  des  moyens  qui  y 
conduisent,  comme  la  raison  doit  conduire  la  xolonté 
on  tout  ce  qui   est  du  domaine   naturel.   S.  Thomas, 
Sum.  Iheol.,  II»   IL,   q.  n,  a.  3.   Il  est  d'ailleurs  très 
certain  qu'il   n'y  a   point  de  charité    ou  d'amour  sans 
connaissance,  hien  que  l'amour  puisse  être  aussi  aug- 
menté par  l'expérience  ou  connaissance  pratique  résul- 
tant de  l'intime  jouissance  de   l'objet  aimé.   Voir  t.  II, 
col.  223Ô.  C'est  donc  dénaturer  la  dévotion  que  de  la 
représenter  uniquement  comme  une  exubérance  d'un 
sentiment  religieux  plus  ou  moins  instinctif.  Concept 
familier  à  beaucoup  de  protestants  pour  qui  d'ailleurs 
la  foi  elle-même  n'est  le  plus  souvent  qu'un  vague  sen- 
limenl  religieux.  iibservons  d'ailleurs  avec  saint  Tho- 
mas,   que  la  perfection   de  la  connaissance  ou  de  la 
science,  loin  de  nuire  à  la  dévotion,  l'augmente  plutôt 
dès  lors  qu'elle  ne  se  complaît  point  en   elle-même  et 
qu'elle  reste  humblement  soumise  à  Dieu.  Sum.  iheol., 

Il»  U«,  q.  i.xxxn,  a.  3,  ad  3 

4°  La  ferveur  de  la  dévotion,  au  lieu  d'être  l'acte 
passager  que  nous  venons  d'analyser,  peut  être  une 
disposition  habituelle,  constamment  existante  dans  la 
pratique  des  actes  du  culte  divin.  Alimentée  par  une 
généreuse  et  constante  charité  et  Fortifiée  par  les  dons 
du  Saint-Esprit,  particulièrement  par  le  don  de  piété' 
el  par  les  dons  d'inl  el  de  sagesse, 
cette  disposition  habituelle  est  encore  puissamment 
aidée  par  une  incessante  pratique  des  mômes  devoirs 
généralement  accomplis.  Pour  être  parfaite,  cette  dé- 
votion habituelle  doit  se  porter  non  seulement  aux 
actes  religieux  commandés  par  quelque  précepte  divin 
ou  ecclésiastique,  mais  encore  à  ce  qui  est  recommandé 
comme  plus  agréable  à  Dieu.  Cette  définition  de  la 
dévotion  adoptée  par  saint  François  de  Sales,  Introduc- 
tion "  la  vie  dévole,  c.  i.  se   rencontre  fréquei en! 

chez  les  théolog  ii  n    ascétiques. 

5  Enfin, dans  un  sens  plus  particulier,  on  donne  le 
nom  de  dévotion  ou  dévotion  particulière  à  toute  pra- 
tique habituelle  d'actes  religieux  commandés  ou  non 
command  -.  caractéris  -  par  un  objet  spécial.  Telles 

V(mt  ls  dévoi au  saint  Bacremenl  ou  au  Cœur  sacré 

lie  Jésus,  la  dévotion  ••  la  très  sainte  Vierge  ou  à  son 

cœur  ires  pur,  ;,„,  quelque  .mire 

Suivant  la  -  inction  dont  I  Église  les  honon 

ommandi  du  moins 

i"  m  ipalei  manifestations,  ou  simplement 
mesure  sagement  r<  itreinte.  Pu- 
bliques quand  ter»  nt  su   nom  de 

ni,  dans  i 
coni.  Quelle  que  soit   leur 

i.i  direction  de 
pratiquées  sm-.., ni  ion  nfoi 

ne  ne  ni  ei  décret  du  concili  de  I  n  *<\.  .  //,  ,, ,■■ 

acrli  ima  i 


bus,  sess.  XXV,  on  doit  s'abstenir  de  toutes  les  pra- 
tiques cultuelles  que  l'Église  réprouve,  n'en  réprouver 
aucune  qu'elle  autorise,  et  ne  point  devancer  le  juge- 
ment de  l'Eglise  sur  celles  qu'elle  n'a  point  encore 
sanctionnées.  L'Église  a  d'ailleurs  toujours  interdit  aux 
fidèles  toute  dévotion  publique  ou  particulière  entachée 
d'erreur  ou  de  superstition.  Elle  s'est  toujours  opposée 
à  toute  nouveauté,  même  apparente,  qui  n'offrait  point 
de  litre  suffisant  de  justification.  Si  elle  en  approuve 
quelqu'une,  c'est  après  mûr  examen  de  sa  pleine  légi- 
timité et  moyennant  certaines  conditions  déterminées. 
Toujours,  d'ailleurs,  elle  a  énergiquement  défendu 
contre  les  hérétiques  de  tous  les  temps  les  pratiques 
légitimement  appuyées  sur  le  dogme  traditionnel  et 
sur  l'usage  constant  des  fidèles.  Cette  direction  de 
l'Église  doit  être  invariablement  suivie.  On  doit  aussi 
se  conformer  à  l'esprit  de  l'Église  suivant  lequel  les 
dévotions  publiques  ou  particulières  sont  de  simples 
moyens  de  réaliser  plus  efficacement  et  plus  sûrement 
l'observation  des  commandements  de  Dieu  et  de  l'Église, 
de  tous  les  devoirs  de  la  vie  chrétienne  et  d'aider  à  la 
pratique  de  la  vraie  perfection.  Loin  de  conférer  au- 
cune exemption  ou  dispense  des  devoirs  chrétiens  ou 
d'en  diminuer  l'importance,  ces  dévotions  doivent 
plutôt  aider  à  leur  intégral  accomplissement.  En  ob- 
servant fidèlement  sur  ce  point  l'esprit  de  l'Église,  on 
dissipera  ou  l'on  préviendra  les  reproches  les  plus 
habituels  adressés  à  la  dévotion  catholique. 

//.  QUALITÉS  PRINCIPALES.  —Comme  elles  ressortant 
suffisamment  de   la  définition   précédente,    nous  nous 
contenterons    de   les  résumer    succinctement    :  1°  La 
dévotion  ayant  sa  source   première  dans   la    charité  et 
devant  finalement  tendre  à  Dieu   comme  fin  dernière, 
sera  d'autant  plus  parfaite  qu'elle  sera   plus  exempte 
d'amour-propre  et  de  recherche  de  soi-même  et  qu'elle 
s'attachera  plus  généreusement  à  suivre    parfaitement 
la  volonté  de  Dieu.   —  1.    Rechercher  sa  propre  satis- 
faction dans   l'exercice  de  la   dévotion,  en  tirer  vanité 
ou  en  prendre   occasion   pour  s'estimer  au-dessus  de 
ceux  qui  ne  la  pratiquent  point,  c'est  profaner  les  dons 
de    Dieu    et    ruiner    l'ordre    providentiel,    Pour   nous 
contenir  dans   un   humble  désintéressement   et    nous 
apprendre  à  tout  attendre  de  lui  et  à  ne  rechercher  que 
lui,  Dieu  prend  soin  de  nous  laisser  Fréquemment  expé- 
rimenter notre  propre  infirmité.  Par  le  détachement 
des   consolations  spirituelles    ou    sensibles  et    par   la 
constante  el  généreuse  conformité  à  la  volonté  divine 
au  milieu    des   plus    dures   épreuves,    l'âme    s'enracine 
fortement  dans  l'habitude  de  la  plus  pure  charité  et  \ 
puise  toute  sa  perfection.  —  2.  Cependant   la  recherche 
ou  la  demande  humble  el  résignée  des  divines  faveurs 
est    conforme    au    plan   providentiel,    quand  on  reste 
parfaitement  soumis  à    la  volonté  de  Dieu  cl  que  l'on 
se  propose  uniquement  de  progresser  dans  son  amour 
par  lencouragemcntet  la  force  qu'elles  donnent  à  l'âme. 
Schram,  op.  cit.,  t.  t,  p.   147;  Meynard,    frotte*  de  la 
vie  intérieure,   3"  êdit.,   Paris,    1899,    i.  i.   p.  86  sq. 
D'ailleurs,  la  proposition  opposée  a  été  condamnée  en 
Molinos  par   Innocent    M,   le    20   novembre    1687  :   i.'i'i 
detiderat  ci  atnplectitur  devotionem  lensibUem  non 
lerat  necquatrii  Deum  ted  teip$um;  et  maie  agit 
r,n,i  ,11)11  detiderat  <■/  eam  habere  conatur  (/m  per 
viam  iuii'i  mini   incedit  tant  m  locii  tocris  quam  in 
iiichiis  soletnnibuB.  Prop,  27,  Denzinger, 
lu   édit.,  n.  1347. 

i   Pour  mieux  atteindre  son  but  final,  pour  se  main- 
tenir dans  m iacte  orthodoxie  toujoui  is,<- 

menl  exigée  par  l'Eglise  el  pour  éviter  de  nombreux 

.  la  dévotion  doit  consti m  s'appuyer  sur  une 

foi  suffisamment  >  i  lairéi     i  .     | 

les  mpérieuri  religieux  el  les  directeurs  spirituels  qui 

doivent  pi",  uni   abondi ml  aux  fidèles  el  surtout 

aux  .'unes  plu-  parfaite*.  l'instruction  .  <  I .  ■  i  \ .  m 


683 


DEVOTION 


(184 


la  puiser  avec  soin  dans  la  doctrine  traditionnelle  de 
l'Église  et  dans  l'enseignement  le  plus  autorise''  des 
théologiens.  Nous  n'avons  point  à  examiner  ici  si,  de 
fait,  d.ins  l'histoire  de  la  dévotion  ou  des  dévotions,  cette 
nécessaire  qualité  a  toujours  été  pleinement  réalisée 
dans  tous  les  fidèles.  Les  lacunes  qui  pourraient  être 
constatées  sur  ce  point  ne  pourraient  être  aucunement 
attribuées  à  la  direction  de  l'Église  ou  à  l'enseignement 
théologique  autorisé  par  elle. 

II.  Relations  avec  la  perfection.  —  1°  La  dévotion 
substantielle,  provenant  d'une  charité  fervente  et  cons- 
tante, suppose,  surtout  quand  elle  est  habituelle,  quelque  I 
réalisation  permanente  de  la  perfection  ou  y  conduit 
facilement.  Car  cette  charité  fortement  établie  dans 
l'àme  et  la  disposant  à  faire  constamment  et  prompte- 
mentee  que  l'on  sait  être  plus  agréable  à  Dieu,  c'est  la 
perfection  elle-même.  Voir  t.  i,  col.  2038  sq. 

En  même  temps,  la  dévotion  substantielle  contribue 
puissamment  au  développement  de  la  perfection,  par 
l'emploi  constant  et  fructueux  des  plus  puissants  moyens 
de  perfection,  la  mortification,  la  prière,  la  méditation 
et  la  contemplation.  La  dévotion  substantielle,  généreu- 
sement maintenue  dans  les  douloureuses  épreuves  des 
purifications  passives,  a  une  valeur  et  une  efficacité 
particulièrement  intenses  pour  la  sanctification  per- 
sonnelle à  cause  des  vertus  héroïques  qu'elle  suppose 
ou  fait  pratiquer. 

2°  La  dévotion  accidentelle,  considérée  en  elle-même, 
ne  suppose  point  nécessairement  l'acquisition  de  la 
perfection.  Dieu  se  plaît  parfois  à  la  dispenser  libérale- 
ment aux  débutants  qui  n'ont  point  encore  dépassé  la 
voie  purgative.  Il  veut  ainsi  les  détacher  des  affections 
périssables  et  les  attacher  définitivement  à  son  amour. 
Il  est  non  moins  vrai  que  la  dévotion  accidentelle 
n'aide  point  toujours  effectivement  à  l'acquisition  de  la 
perfection.  A  l'âme  imprudente  qui  s'y  comptait  ou  s'y 
affectionne  excessivement  et  qui  en  prend  occasion  de 
négliger  la  mortification  et  les  vertus  solides,  elle  peut 
devenir  une  occasion  de  perdition.  Mais  quand  elle 
procède  d'une  ardente  charité  et  qu'elle  est  accompa- 
gnée d'une  humble  défiance  de  soi-même,  d'une  cons- 
tante résignation  à  la  volonté  divine  et  de  sérieux  efforts 
vers  les  solides  vertus,  elle  aide  puissamment  à  la  vraie 
perfection.  Celte  efficacité  est  particulièrement  intense 
dans  les  ineffables  jouissances  qui  résultent  de  la  con- 
templation mystique  et  qui  ont  pour  effet  immédiat 
dans  l'âme  un  très  grand  amour  envers  Dieu  et  envers 
le  prochain.  Philippe  de  la  Sainte-Trinité,  Summa 
theologix  mysticx,  Paris,  1874,  t.  ni,  p.  108  sq.;  Mey- 
nard,  Traité  delà  vie  intérieure,  3e  édit.,  Paris,  1899, 
t.  il,  p.  113  sq. 

3°  Les  dévotions  particulières,  publiques  ou  privées, 
peuvent  être  d'excellents  moyens  auxiliaires  de  perfec- 
tion, suivant  leur  nature  et  leur  importance  et  suivant 
l'esprit  avec  lequel  on  les  pratique.  C'est  ce  que  réalisent 
principalement  les  dévotions  dont  le  but  immédiat 
entièrement  spirituel  est  intimement  lié  avec  la  charité 
et  les  autres  vertus  chrétiennes. 

Bien  différentes  peuvent  être  parfois  les  dévotions 
où  l'on  se  propose  surtout  l'obtention  de  faveurs 
temporelles.  Directement  stériles  au  point  de  vue  ascé- 
tique pour  les  âmes  trop  oublieuses  des  dispositions 
spirituelles  toujours  nécessaires,  elles  peuventeependunt 
procurerde  sérieux  avantages,  en  soulageant  de  réelles 
misères,  en  maintenant  quelque  pratique  de  la  prière 
et  en  facilitant  l'accomplissement  de  quelques  devoirs 
religieux.  Il  appartient  aux  prêtres  d'éclairer  et  de 
diriger  les  fidèles  de  manière  à  assurer  aux  dévotions 
autorisées  par  l'Église  leur  plein  effet  spirituel  et  â  en 
écarter  les  défauts  qui  les  discréditent  parfois  aux 
yeux  des  non-catholiques. 

III.  .Moyens  principaux  d'acquérir,  de  conserver 
et  de  développer  la  dévotion.  —  Il  n'est  point  néces- 


saire de  montrer  dans  la  grâce  divine  la  source  pre- 
mière d'où  procède,   avec  tout  bien  surnaturel,   toute 
vraie  dévotion.  Nous  avons  seulement  à   indiquer  lés 
moyens  qui  produisent  immédiatement  en  notre  âme 
cette  salutaire  disposition.  On  peut  avec  saint  Thomas, 
Suni.  theol.,  IIa  II»,  q.  i.xxxii,  a.  3,  les  ramener  tous  â 
la  méditation  ou  contemplation.   Selon  saint  Thomas, 
cette  méditation  ou  contemplation  est  toute  considéra- 
tion de   la    vérité    divine,    dont   le    but    principal   est 
d'exciter  et  d'augmenter  notre  charité  envers  l'infinie 
perfection  de  Dieu.   Op.  cit.,  q.  CLXXX,  a.  1.  Qu'elle  ait 
pour  objet  les  effets  de  la  puissance  et  de  la  miséricorde 
divine  dans  les  créatures  ou  qu'elle  se  porte  immédia- 
tement  sur  les   perfections  divines,  la   contemplation 
tend  toujours  à  exciter   en   nous   une  ardente  charité 
envers  Dieu,  charité  d'où  jaillit  spontanément  la  ferveur 
de  la  dévotion.  Op.  cit.,  q.  lxxxii.  a.  3.  Voir  Contempla- 
tion, t.  m,  col.  1617.  Mais  pour  produire  en  nous  cet 
effet  habituel,  la  méditation  ou  contemplation  doit  être 
précédée  et  accompagnée  de  la  pratique  du  recueille- 
ment intérieur  et  de  la    mortification   ou  modération 
constante  des  passions  aptes  à  distraire  et  à  tourmen- 
ter  l'âme.   Op.  cit.,  q.   clxxx.   a.    2.  Elle   doit  encore 
s'appuyer  constamment  sur  la  prière,  source  habituelle 
de  lumière  pour  l'âme,  et  sur  les  autres  moyens  provi- 
dentiels de  communication  de  la  vérité  divine,  tels  que 
l'enseignement  d'autrui,    les  lectures  pieuses,    et   les 
réflexions  personnelles,  lbid.,  a.  3,   ad  4am.   Enfin  le 
saint  docteur  exigeque  la  contemplation  tende  incessam- 
ment non  à  la   connaissance   intellectuelle,  si  louable 
qu'elle  soit,   mais  â  la  charité  vraiment  effective,  avec 
tous  les  sacrifices  qu'elle  exige  de  nous,  q.  clxxx,  a.  1 
et  7,  ad  lum. 

Cet  enseignement  de  saint  Thomas  résume  fidèlement 
les  moyens  partiellement  indiqués  par  les  Pères  et 
autres  ascétiques  antérieurs.  S.  Ambroise,  De  institu- 
tion virginis,  c.  il,  n.  10  sq.,  P.  L.,  t.  xvi,  col.  308; 
S.  Grégoire  de  Nysse,  De  instituto  c/irisliano,  P.  G., 
t.  xlvi,  col.  304;  Cassien,  Collaliones,  collât.  X,c.  xiv. 
P.  L.,  t.  xlix,  col.  843;  S.  Jean  Climaque,  Scala  para- 
disi,  gradus  xxvm,  P.  G.,  t.  lxxxviii,  col.  1133; 
Hugues  de  Saint-Victor,  Erudilionis  didascalicx,  1.  V, 
c.  ix,  P.  L.,  t.  CLXXVI,  col.  797;  De  modo  orandi,  c.  I, 
col.  977  sq.  ;  S.  Bernard,  De  consideratione,  1.  I.  c.  vu. 
P.  L.,  t.  clxxxii,  col.  736  sq. 

De  tout  ce  qui  précède  l'on  est  en  droit  de  conclure 
que  les  personnes  particulièrement  obligées  par  état  à 
la  perfection  et  à  des  devoirs  qui  ne  peuvent  convena- 
blement s'accomplir  sans  la  dévotion  au  moins  substan- 
tielle, sont  tenues  à  quelque  pratique  habituelle  de  la 
méditation  ou  contemplation  des  choses  divines.  Con- 
clusion applicable  non  seulement  aux  personnes 
engagées  dans  l'état  religieux,  mais  encore  aux  prêtres 
séculiers  particulièrement  obligés  â  la  perfection  par 
leurs  fonctions  sacerdotales  et  par  leur  ministère. 
Voir  t.  I,  col.  2040.  Enseignement  d'ailleurs  fortement 
exprimé  par  saint  Grégoire  le  Grand,  exigeant  que  le 
pasteur  des  âmes  soit  prx  ciinclis  contemplât ione 
suspensus,  Rcgulx  pasloralis  liber,  part.  II,  c.  v, 
P.  L.,  t.  i.xxvn,  col.  32,  et  que  sludiose  quotidie  sacri 
eloquii  prxcepta  meditetur,  ut  in  eo  vim  solticitudiniî 
et  erga  cxlestem  vitam  providœ  circumspcctionis 
quant  humanx  conversationis  usus  indesinenter  de- 
slruil,  divinx  admonilionis  verba  restaurent;  et  gui 
ad  vetustatem  vitx  per  societatem  sxcularium  duci- 
tur,  ad  amorem  semper  spiritalis  patrix  compun- 
ctionis  aspiralione  renovetur,  col.  48.  C'est  aussi  la 
pensée  de  saint  Bernard,  De  consideratione,  1.  I,  c.  vu; 
1.  II,  c.  IV,  ix.  xi-xiii,  P.  L.,  t.  clxxxii.  col.  736  sq.. 
745  sq. 

S.  Thomas,  Sum.  theol.,  II"  II',  q.  î.xxxu;  S.  .lean  de  la 
Croix,  /.«  montée  du  Carmel,  1.  111.  c.  xxxv  sq.,  (Ktirres, 
Paris,  1893,  t.  m,  p.  186  sq.;  Thomas  de  Vallgornera,  Myftica 


685 


DEVOTION   —   DIACONESSES 


686 


tkeologia  divi  Thomœ,  q.  lv,  disp.  I,  a.  14,  Turin,  1891,  t.  n, 
p.  90  sq.  ;  S.  François  de  Sales,  Introduction  à  la  vie  dévote, 
1.  I,  c.  i;  Jean  de  Jésus  Marie  (f  1615),  Opéra  omnia,  Florence, 
1772.  t.  Il,  p.  518  sq.  ;  Antoine  du  Saint-Esprit  (f  1677),  Dire- 
ctorium  mysticum,  tr.  III,  disp.  II,  sect.  xvi,  n.  195  sq.,  Paris, 
1904,  p.  292  sq.  ;  Philippede  la  Sainte-Trinité.  Summa  theologise 
mysticx,  Paris,  1874,  t.  II,  p.  256  sq.  ;  Scliram,  Theologia 
mystica,  2'  édit.,  Paris,' 1818,  t.  I,  p.  138  sq.  ;  Meynard,  Traité  de 
ta  vie  intérieure,  3"  édit.,  Paris,  1899,  t.  I,  p.  85  sq.,  207  sq., 
403  sq.,  530  sq.  ;  Frederick  William  Faber,  Groivth  in  holiness, 
2'  édit.,  Londres,  iar>5,  p.  396  sq. 

E.   Dl'BLANCHY. 

DEZ  Jean,  controversiste,  né  à  la  Neuville-au-Pont 
près  de  Sainte-Menehould  (Marne),  le  3avriH6i'3,  entra 
dans  la  Compagnie  de  Jésus  en  1660.  Après  avoir  ensei- 
gné la  rhétorique  et  les  mathématiques  à  l'université 
de  Pont-à-Mousson  et  exercé  un  ministère  fructueux  à 
Sedan,  un  des  centres  principaux  du  calvinisme  fran- 
il  fut  premier  recteur  du  nouveau  séminaire  épis- 
copal  de  Strasbourg  (1682-1691);  recteur,  par  deux  fois, 
de  l'université  épiscopalede  la  même  ville  (1704-1708  et 
1711-1712);  il  gouverna  aussi  plusieurs  provinces  de 
son  ordre,  la  Champagne  trois  fois,  la  Gallo-Belgique 
et  la  France  (Paris);  il  mourut  à  Strasbourg,  le  12  sep- 
tembre  1712.  Il  s'occupa  beaucoup  de  la  réunion  des 
protestants,  mais  ne  fut  pas  d'abord  trop  heureux  dans 
son  programme  en  quatre  pages,  contenant  31  articles  : 
Articuli  fideiprœcipui  ad  unionem  utriusque  Ecclesise, 
Romano-catliolicœ  et  lutlieranœ,  qui  fut  publié  à  son 
insu  et  sans  nom  d'auteur,  à  Strasbourg,  en  latin  et  en 
allemand,  1685.  Vivement  attaqué  par  les  docteurs  lu- 
thériens d'Allemagne,  ce  programme  fut  mis  à  l'Index 
de  Rome,  sans  doute  comme  ne  sauvegardant  pas  la 
plénitude  de  l'enseignement  catholique.  En  1687,  il 
donna  La  réunion  des  protestans  de  Strasbourg  à 
l'Église  Romaine  également  nécessaire  pour  leur  salut, 
et  facile  selon  leurs  principes,  in-8°.  Ce  volume,  qui 
porte  en  tête,  entre  autres  approbations,  celle  de  Bos- 
suet,  très  élogieuse,  a  été  réédité  à  Strasbourg  (1689) 
et  à  Paris  (1701),  augmenté  des  réponses  de  l'auteur 
aux  écrits  que  deux  ministres  avaient  publiés  contre 
son  ouvrage,  Une  traduction  allemande,  due  au  savant 
converti  Ulrich  Obrecht,  préteur  royal  de  Strasbourg, 
parut  dans  cette  ville,  in-8",  1688.  Un  autre  travail  consi- 
dérable  du  P.  Dez,  La  foy  des  chrétiens  et  des  calho- 
lique»  justifiée  conti  tes,  les  Juifs,  les  Maho- 

inélans,  les  satinions  et  les  autres  hérétiques  .ouvrage 
où  l'on  réduit  la  foy  à  ses  irritables  principes,  et  où 

l'elle  est  toujours  conforme  à  lu  m 
ne  fui  édité  qu'après  la  mort  de  l'auteur  par  le  I'.  de 
Laubrussel,  >-n  i  in -12.  avec  dédicace  au  roi,  Paris, 
171  i  Le  P.  H' /  publia  sous  le  voile  de  l'anonymat  deux 
opuscules  pour  la  défense  'l'-  Fénelon  contre  Bossue! 
■  n  1697  el  1698.  Enfin  on  lui  attribue  la  rédaction  de 
quelques-uns  des  mémoires  qui  furent  présentés  à  la 
du  Sainl  Office,  en  1697  el  Kilts.  ,.„  faveur  de  la 
pratique  des  missionnain  -  de  la  Compagnie  de  h 
concernant  la  tolérance  des  rili 

De  I  Bibliothèque  ■'<?  la  us,  lu- 

it», col.  3"  Vomenclal 

•  Int.cr     !r:i  .     |t.  ,,,,,.  | ,,-, , 

Lèvre         I  nnales  des  pi 

1871). 

I 

•I.    BRI  CK1  R. 
DIABLE.  Voir  lu  mon,  col.  321  -  |. 

DIACONAT.  Voir  lu 

DIACONESSES.  I      I  il      |  ,„„, 

IH.Qualili  -  n  quises.  I\ 
\    Eitinction  de  i  ordri  ..   \  i.  n, 

1.0  Oriçi  i 


des  femmes,  vierges  ou  veuves,  officiellement  char- 
gées de  certaines  fonctions  attenant  au  ministère  ecclé- 
siastique. Leur  institution  n'est  pas,  comme  celle  des 
diacres,  rapportée  dans  les  livres  du  Nouveau  Tes- 
tament. Il  n'est  pas  douteux  cependant  qu'elle  ne 
remonte  à  l'âge  apostolique.  Dès  les  débuts  des  com- 
munautés chrétiennes,  on  dut  sentir  le  besoin  de 
créer,  pour  le  service  spirituel  des  femmes,  surtout 
pour  sauvegarder  les  règles  de  la  décence  dans  les 
cérémonies  du  baptême,  qui  se  conférait  habituelle- 
ment à  des  adultes  et  toujours  par  immersion,  un  office 
qui  serait  confié  à  des  personnes  du  sexe  féminin.  Les 
textes  ne  manquent  pas  du  reste,  qui  en  attestent 
l'ancienneté. 

1.  Trois  passages  de  saint  Paul  peuvent  s'y  rapporter. 
a)  Le  premier,  qui  se  lit  Rom.,  xvi,  1,  parait  absolu- 
ment probant.  L'apôtre  y  recommande  aux  Romains 
de  «  recevoir  dans  le  Seigneur,  comme  il  convient  aux 
saints,  notre  sœur  Phœbc,  diaconesse  de  l'Église  de 
Cenclirées  :  4>o:êr,v  rijv  àci),z>rfi  fiixôiv,  o'Tiaav  xoù  Stâxovov 
tt(;  èy.xAr,(îc'a;  èv  Ksvypeat;.  »  Il  les  engage  à  «  l'assister 
dans  tous  ses  besoins,  elle  quia  assisté  bien  des  gens 
parmi  lesquels  Paul  lui-même.  »  Malheureusement,  il 
ne  nous  fournitaucune  indication  sur  la  nature  de  son 
ministère.  Les  deux  autres  passages  appartiennent  à  la 
Ire  Epitre  à  Timothée.  —  6)  Au  c.  m,  f.  11,  dans  ce 
qu'il  dit  des  qualités  nécessaires  aux  diacres,  l'auteur 
intercale  cette  proposition  :  «  Que  les  femmes  pareil- 
lement soient  dignes,  n'ayant  pas  l'esprit  de  dénigre- 
ment, sobres,  fidèles  en  toutes  choses.  »  Il  est  clair 
qu'il  ne  parle  pas  des  femmes  en  général,  mais  d'une 
catégorie  spéciale,  d'une  élite  parmi  elles.  A-t-il  voulu 
désigner  les  épouses  des  diacres,  comme  le  pense  saint 
Thomas?  C'est  possible,  mais  non  probable;  car  alors 
il  eût  sans  doute  rattaché  ce  verset  aux  précédents, 
en  disant  :  Que  leurs  femmes.  Aurait-il  eu  en  vue  les 
épouses  des  prêtres  et  des  évoques,  comme  le  veut 
Estius'.'  Ceci  se  comprendrait  à  peine,  puisqu'il  n'est 
question  dans  le  contexte  ni  desévêquesni  des  prêtres. 
Il  est  bien  plus  vraisemblable  que  la  mention  incidente 
de  ces  femmes  a  été  amenée  par  la  similitude,  par  le 
rapprochement  naturel  de  leur  office  et  de  l'office 
des  diacres.  Aussi  beaucoup  d'interprètes  catholiques 
concluent-ils,  à  la  suite  de  saint  Jean  Chrysostome, 
Homil.,  xi,  in  1  Jim.,  /'.  G.,  t.  t.xn,  col.  553,  qu'il 
s'agit  là  des  diaconesses.  Cf.  Eslius.  In  om.net  Pauli 
epislolas  comment.,  I  'fini.,  m,  11.  —  c)  Nous  rencon- 
trons au  c.  v,  y.  9-11,  de  la  même  Epitre  un  troisième 
passage  qui  mérite  également  attention,  mais  dont  le 
sens  est  plus  douteux  :  «  Qu'on  n'inscrive  comme  veuve 
que  celle  qui  n'a  pas  moins  de  soixante  ans  et  qui> 
n'a\ant  eu  qu'un  mari,  mérite  bon  témoignage  sous  le 
rapport  des  bonnes  œuvres,  qui  a  bien  élevé  ses  enfants, 
l'hospitalité,  lavé  les  pieds  des  saints,  secouru  les 
affligés,  accompli  toutes  sortes  de  bonnes  œuvres,  Mais 
écartes  les  jeunes  veuves,  i  Selon  certains  commenta- 
teurs, cette  règle  concernerait  indistinctement  toutes 
les  veuves  pauvres  nourries  aux  frais  de  la  commu- 
nauté,  ses  pensionnaires  habituelles.  Le  nom  de 
sérail  in  employé'  comme  il  l'est,  Atl..  VI,  I,  à  propos 
de  i  Église  de  Jérusalem.  Estius,  "/'■  cit.,  m  h,  lue. 
Mais  d'autres  pensent,  el  avec  plus  de  raison,  ce  Bemble, 
qu'il  B'agit,  dans  notre  texte,  d'un  collège  de  veuves 
spécialement  consacrées  a  Dieu,  telles  qu'il  en  exista 
certainement  un  peu  plus  tard,  ri  secondant  plus  ou 
moin  i  le  <  lergd  'lin  son  min  I 

social.    Autrement,    l'espliqucrait-on    la   sévérité  des 
condition  ir  l'apôln  '  il  paraîtrait*  exorbi- 

tant, dii  M.  Bellamy, d'exigei  a  la  fois  ni 
el  une  perfection  m  haute  pour  l'admissibilité  a  des 
distributions  <i  matériels,  -  En  revendu 

d<    conditions  toutes  naturel!*  i  pour  (aire  pai  !"■ 
d'un  corps  officiel  cl  choi-i     folle  .,  .  i.   précl    ment, 


087 


DIACONESSES 


688 


de  tout  temps,  la  situation  des  diaconesses.  Voilà 
pourquoi  plusieurs  ont  cru  les  reconnaître  dans  les 
veuves  dont  parle  saint  Paul.  C'est  en  particulier  l'avis 
deTeriullien,  Aduxorem,  1. 1,c.  vu,  P.  L.,t.  i,  col.  1286, 
et  de  saint  Épiphane,  Jlecr.,  lxxix,  3-'t,  P.  G.,  t.  xi.fi, 
col.  744-745.  lit,  de  fait,  les  documents  postérieurs,  la 
Didascalie  des  apôtres,  par  exemple,  m,  1,  et  passim, 
sous  le  nom  de  veuves  désignent  assez  souvent  les 
diaconesses.  C'est  au  point  qu'ils  appliquent  sans  plus 
à  celles-ci,  comme  prescription  antique  et  aposlolique, 
la  règle  de  l'âge  sexagénaire  et  que  la  Didascalie, 
m,  8,  leur  attribue  le  pouvoir  d'imposer  les  mains  aux 
malades.  Cf.  Didascalia  et  Constitutiones  apostulo- 
rum,  édit.  Funk,  Paderborn,  1906,  t.  i,  p.  182,  196.  Ici 
pourtant  il  y  aurait  plutôt  lieu  d'admettre  entre  dia- 
conesses et  veuves  une  distinction,  qui  se  rencontre, 
elle  aussi,  et  plus  fréquemment  peut-être,  dans  les 
textes  anciens  :  les  Constitutions  apostoliques,  III,  8, 
édit.  Funk,  t.  I,  p.  197,  proclament  que  les  veuves  doi- 
vent «  obéir  aux  évêques,  aux  prêtres,  aux  diacres,  et 
de  plus  aux  diaconesses,  ê'-t  [J.f,v  y.a\  raïç  5ia/.ovoiç  ;  » 
nous  y  lisons,  VI,  17,  Funk,  t.  i,  p.  341  :  «  Qu'on  prenne 
comme  diaconesse  une  vierge  pure,  ou  du  moins  une 
veuve  tidèle,  honorable,  qui  n'ait  été  mariée  qu'une 
fois;  »  et  tandis  qu'elles  assimilent,  vm,  19,  20,  Funk, 
t.  I,  p.  525,  le  grade  des  diaconesses  aux  ordres  sacrés, 
en  déterminant  la  manière  dont  «  l'évêque,  avec  l'as- 
sistance du  presbyterium,  des  diacres  et  des  diaconesses, 
leur  imposera  les  mains,  »  elles  déclarent,  vin,  24, 
Funk,  t.  i,  p.  529,  que  «  la  veuve  ne  reçoit  pas  d'ordina- 
tion'ou  d'imposition  des  mains  :  -/^Pa  où  yeipo-coveîTai.  » 
Il  semble  d'ailleurs  que  des  personnes  de  soixante  ans 
ou  davantage  auraient  pu  difficilement  remplir  toutes  les 
fonctions  que  l'histoire  des  premiers  siècles  attribue 
aux  diaconesses.  Le  Testament  de  Noire-Seigneur  Jé- 
sus-Christ distingue  aussi  les  veuves  des  diaconesses. 
Il  détermine  les  qualités  qu'elles  doivent  avoir,  le  rite 
de  leur  bénédiction  par  l'évêque,  leurs  attributions, 
leurs  fonctions  qui  consistent  à  louer  Dieu  le  samedi- 
et  le  dimanche  et  aux  fêtes  de  Pâques,  de  l'Epiphanie 
et  de  la  Pentecôte,  de  veiller  sur  les  diaconesses,  d'ins- 
truire les  femmes  catéchumènes,  de  reprendre  les 
chrétiennes,  de  visiter  les  malades  et  d'oindre  les 
femmes  durant  l'administration  du  baptême,  1.  I,  40- 
43,  édit.  Rahmani,  Mayence,  1899,  p.  94-105.  Pour  les 
diaconesses,  il  n'indique  aucun  rite  de  bénédiction  et 
ne  leur  reconnaît  d'autre  ministère  que  celui  de  porter 
l'eucharistie  aux  femmes  malades,  1.  II,  20,  p.  142. 
Elles  habitent  dans  une  maison  près  de  la  porte  de 
l'église,  1.  I,  19,  p.  26,  et  elles  reçoivent  la  communion, 
après  les  enfants,  avant  les  femmes  laïques,  tandis  que 
les  veuves  communient  après  les  diacres  et  avant  les 
lecteurs,  1.  I,  23,  p.  46.  Cf.  p.  153-166.  La  Constitution 
ecclésiastique  aposlolique,  qui  parle  des  veuves,  voir 
t.  il,  col.  1613,  la  Constitution  ecclésiastique  égyp- 
tienne et  les  Canons  d'Hippolyte  ne  connaissent  pas 
les  diaconesses.  Pour  ces  raisons,  nous  inclinons  à 
considérer  le  collège  des  veuves  visées  par  saint  Paul, 
non  pas  comme  identique,  mais  comme  parallèle  au 
collège  des  diaconesses,  ayant  servi,  d'abord  régulière- 
ment, puis  partiellement,.à  le  recruter.  Les  veuves  qui 
occupaient  d'abord  le  premier  rang,  ont  peu  à  peu  cédé 
la  place  aux  diaconesses  et  celles-ci  ont  finalement 
rempli  las  fonctions  des  premières.  Cf.  Van  Steenkiste 
Actus  apostolornv}  illustrait,  4e  édit.,  Bruges  1882, 
appendice  vi,  De  diaconissis. 

2.  Après  saint  Paul,  le  plus  ancien  témoin  explicite 
de  l'existence  des  diaconesses  aux  premiers  temps  du 
christianisme,  se  trouve  être  Pline  le  jeune,  écrivant, 
vers  l'an  111,  a  ïrajan,  Epist.,  1.  X,  epist.  xcvn,  qu'il 
a  soumis  à  la  torture  deux  chrétiennes  honorées  du 
titre  de  «  ministres  »,ou  diaconesses  :  Quo  magis 
necessarium  credidi  e.r  duabus  ancillis,quœ  ministres 


dicebantur,  quid  esset  vert  et  per  tormenta  quxrere. 

3.  A  ce  témoignage,  du  commencement  du  n«  siècle, 
on  ne  peut  en  ajouter  un  autre,  qui  lui  serait  postérieur 
d'une  cinquantaine  d'années.  Il  a  été  attribué  au  pape 
Soter  (165-174)  par  le  pseudo-Isidore.  Celui-ci  a  supposé 
qu'à  celte  époque  des  femmes  consacréesà  Dieu  s'étaient 
attribué  le  droit  d'encenser  autour  de  l'autel  et  de  tou- 
cher les  vases  sacrés,  comme  les  vestales  brûlaient  de 
l'encens  et  tenaient  le  simpulum  dans  les  sacrifices. 
Cf.  Labbe,  Concilia,  t.  I,  col.  586;  Martigny,  Diction- 
naire des  antiquités  chrétiennes,  Paris,  1865,  p.  205. 
L'interdiction  attribuée  à  saint  Soter  a  été  conservée 
dans  le  Décret  de  Gratien,  c.  Sacratas,  dist.  XXIII. 
édit.  Friedberg,  Leipzig,  1879.  t.  i,  col.  86  :  «  Soter  pape 
à  tous  les  évêques  d'Italie.  Il  a  été  rapporté  au  siège 
apostolique  que  des  femmes  consacrées  à  Dieu,  ou  des 
religieuses,  se  permettaient,  chez  vous,  de  toucher  les 
vases  sacrés  et  les  saintes  pâlies  et  de  faire  des  encen- 
sements autour  de  l'autel.  Qu'une  telle  pratique  soit 
abusive  et  digne  de  répression,  c'est  ce  qui  n'est  dou- 
teux pour  aucun  homme  sage.  En  conséquence,  par 
application  de  l'autorité  de  ce  saint-siège,  nous  voulons 
que  toutes  ces  choses  soient  radicalement  supprimées, 
et  cela  le  plus  têt  possible;  et  de  peur  que  cette  peste 
ne  se  répande  davantage,  nous  ordonnons  qu'elle  soit 
au  plus  vite  bannie  de  toutes  les  provinces.  »  D'ailleurs, 
les  diaconesses,  distinctes  des  veuves,  n'apparaissent  en 
Occident  qu'au  Ve  et  au  VIe  siècle. 

2°  Origine  du  nom.  —  Si  la  fonction  et  l'ordre  des 
diaconesses  remontent  à  l'aurore  du  christianisme,  il 
n'en  est  pas  de  même  de  leur  nom  propre  et  caracté- 
ristique. La  diaconesse  s'est  appelée  d'abord,  dans 
l'Église  grecque,  soit  r\  Siaxovo;.  comme  chez  saint 
Paul,  soit  yjv/]  ôiâxovo;,  soit  même  /vjpa,  et  dans 
l'Église  occidentale,  diacona,  vidua,  virgo  canoitica. 
Cf.  Duchesne,  Origines  du  culte  chrétien,  Paris,  1889, 
p.  329.  Ce  n'est  qu'au  IVe  siècle,  avec  la  traduction  la- 
tine de  la  Didascalie  et  avec  les  Constitutiones  afo 
slolorum,  que  nous  voyons  apparaître  le  terme  nouveau, 
en  grec  comme  en  latin,  de  diaconissa.  Cf.  Didascal., 
ii,  26,  Funk,  t.  i,  p.  104;  Const.  apost.,  m,  11;  vi.  17; 
vm,  19,  28,  31,  Funk,  t.  i,  p.  201,  341,  524,  530,  532. 
Mais  les  Constitutions  continuent  à  evnplojer  concur- 
remment les  désignations  anciennes  r,  Siâxovo;,  il.  26, 
58;  m,  8,  16,  Funk,  t.  i,  p.  103,  171,  197,  211,  et  r:-,r, 
Stdcxovoç,  m,  16,  Funk,  t.  i,  p.  209.  Les  diaconesses 
sont  encore  nommées  7;pe<jo-jTiô*e:,  seniores,  dans  un 
concile  tenu  à  Laodicée  vers  360,  can.  11,  et  par  saint 
Épiphane,  Hœr.,  lxxix,  n.  4,  à  cause  évidemment  de 
l'âge  généralement  requis  pour  la  promotion  à  cette 
charge.  Cf.  Hefele,  Histoire  des  conciles,  trad.  Le- 
clercq.  t.  i,  p.  1003-1005. 

II.  Fonctions.  —  Le  rôle  des  diaconesses  s'est  déve- 
loppé avec  le  temps  ;  on  constate  aussi  des  différences 
locales  très  notables.  Nous  tâchons  de  le  résumer  en 
nous  tenant  aux  grandes  lignes  de  son  complet  épa- 
nouissement. 

1»  Dans  les  Églises  latine  et  grecque.  —  Pour  l'Église 
grecque,  et  aussi,  bien  que  moins  directement,  pour 
l'Église  latine,  la  période  classique  du  diaconat  féminin 
est  principalement  représentée  par  la  Didascalie 
(me  siècle)  et  les  Constitutions  apostoliques  (lin  du  iv). 
En  consultant  ces  sources,  nous  constatons  que  le  mi- 
nistère de  la  diaconesse  était  avant  tout  un  office  de 
charité  et  d'hospitalité,  analogue  à  celui  que  les  diacres 
remplissaient.  Les  diaconesses  devaient  :  a)  prendre 
soin  des  pauvres  et  des  malades  de  leur  sexe  et,  au  be- 
soin, les  visiter  à  domicile,  Didascalie,  ni,  8,  12, 
Funk,  t.  i,  p.  196,  208;  Con.'.t.  apost.,  m,  16,  Funk, 
t.  i,  p.  209;  S.  Épiphane,  Hier.,  i.xxix,  n.  3;  b)  exercer 
une  sorte  de  direction  et  de  surveillance  à  l'égard  des 
«  veuves  ecclésiastiques  »,  qui  étaient  tenues  de  Iput 
obéir,  Const.  apost.,  m,  8,  Funk,  t.  I,  p.  199;  et  l'on 


689 


DIACONESSES 


G90 


peut  croire,  par  analogie,  que  cette  action  directrice 
s'étendait  aux  vierges  chrétiennes;  c)  servir  d'intermé- 
diaires entre  les  femmes  et  les  chefs  de  la  communauté 
et  se  trouver  généralement  présentes  aux  entretiens 
particuliers  des  premières  avec  l'évêque,  les  prêtres  et 
les  diacres,  Const.  apost.,  Il,  '26,  Funk,  t.  i,  p.  105; 
d)  aider  les  personnes  de  leur  sexe  qui  se  préparaient 
au  baptême,  en  leur  inculquant  les  éléments  de  la  doc- 
trine et  en  leur  apprenant  la  manière  de  répondre  aux 
interrogations  du  ministre  du  sacrement,  IVe  concile  de 
Carthage,  Labbe,  Concilia,  t.  n,  col.  1201;  e)  visiter 
soit  les  catéchumènes  soit  les  chrétiennes,  notamment 
dans  les  familles  encore  païennes  et  partout  où  les  mi- 
nistres ordinaires  ne  pouvaient  décemment  ou  pru- 
demment pénétrer,  pour  rendre  tant  aux  convalescentes 
qu'aux  infirmes  tous  les  bons  offices  que  les  circons- 
tances comportaient,  Didascal.,  m,  12,  Funk,  t.  i. 
p.  208;  Const.  apost.,  m,  16,  Funk,  t.  i,  p.  209; 
cf.  S.  Jérôme,  Epist.,  lu,  ad  Nepotianum,  P.  L., 
t.  XXII,  col.  532;  /)  se  charger  des  visites  et  constatations 
corporelles  indispensables,  suivant  la  discipline  du 
temps,  en  cas  de  procédure  judiciaire  contre  des  reli- 
-i'  uses  accusées  d'infidélité  à  leur  vœu  de  chasteté, 
S.  Kpiphane,  Hsev.,  i.xxix,3;  gr)  exercer  une  sorte  de  fonc- 
tion liturgique,  en  gardant  la  porte  par  laquelle  les  femmes 
entraient  à  l'église,  ou  au  malroneum,  et  en  veillant  à 
l'ordre,  au  silence,  à  la  distribution  des  places  dans 
l'assemblée  féminine,  Const.  apost.,  il,  58;  vm,  28, 
Funk,  t.  i.  p.  171,  530;  Epist.  ad  Anlioclienos,  xn,  dans 
les  Opéra  de  saint  Ignace,  P.  G.,  t.  v,  col.  908;  h)  enfin, 
prêter  leur  concours  à  l'évêque  dans  l'administration 
du  baptême  des  femmes.  Ce  ministère  était  de  tous  le 
plus  important;  c'est  même  le  seul  mentionné  dans 
beaucoup  de  textes  anciens,  bien  qu'il  ne  soit  pas  le 
premier  en  date.  On  conçoit  quelle  en  était  l'utilité 
alors  que  le  sacrement  se  donnait  généralement  à  des 
adultes  cl  par  immersion.  Dans  ce  casdonc,  le  minisire 
ne  faisait  la  première  onclion,  celle  du  catéchuménat, 
que  sur  le  front,  et  les  diaconesses  achevaient  d'oindre 
le  reste  du  corp^.  Elles  aidaient  ensuite  les  baptisées  à 
entrer  dans  la  piscine,  puis  elles  les  recevaient  de  la 
même  manière  que  les  diacres  faisaient  pour  les  hommes, 
et  elles  les  présentaient,  revêtues  de  la  robe  baptismale, 
pour  être  confinm  i  -  par  l'évêque.  Cf.  Didascal.,  m,  12, 
Funk.  i.  i.  p.  208,  210;  Const.  apost.,  ni,  16,  Funk. 
t.  i,  p.  209,  211:  s.  Êpiphane,  Expositio  fidei,  n.  21, 
/'.  '.'.,  t.  xi.ii.  col. 824,825.  Les  diaconesses  procédaient 
encore  a  la  toilette  funèbre  dis  chrétiennes.  J.  Hona, 
lient»!  liturgicarum,  I.  I,  c.  xxv,  note  10,  in-fol., 
I  orin,  1749,  p  358. 

Nonobstant   la  multiplicité  île  leurs  fonctions  et   la 
Similitude  de  nom  qui  les  rapprochait  des   diacres,  les 

diaconessi  restaient  bien  en  dessous  du  rang  de  ceux- 
ci.  Elles  leur  di  raient  respect  et  obéissance  el  ne 
pouvaient  agir  que  suivant  leurs  indications.  Au  1.  VIII, 
c.  xxvni.  I  iink,  t.  i.  p.  531,  di  -  Constitutions  apost»- 
liqut  i  ie, n,  lison  La  diaconesse  ne  bénit  pas  et  ne 

fait  nen  de  ce  que  li mi  le    prétri     el  les  diacres;  elle 

quand  les  femmes  sont 
baptisées,  ■  'e  ,l;ms  |*jntérêl  de  la 
d<  cent  •  i  mmunie  le  bous  diacre,  le  lei 
leur,  le  chantre.  I,,  diaconease,si,  en  l'absence  du  prêtre, 
requii  rent.  Ni  le  loua-diacre,  ni  le 
'"  ■  ni  le  i  hanln  .  m  la  di  ni  peuvent  ex- 
communier soi!  clei lalquei 

viteun  du  die  , 

i luisirenl  a  di- 

i''   là  li  irestii    que  men- 

''•■""■    '  hi  la  i  in., ii,,i.  dam  le  heu  saint,  la 

conti  •    l'administration  proprement  dHe  du 

bapti  ,  bien  que  le  l'autel,  furent 

'""e  mi  diacom     •      i>, 

i  nnk,  t.  i   p    188  193,  198;  Cotut, 


apost.,  ut,  5,  6,  9,  Funk,  t.  i,  p.  189-193,  199.  L'attri- 
bution, faite  par  le  pseudo-Isidore,  d'une  décrétale  du 
pape  Soter  pour  interdire  aux  diaconesses  de  toucher 
aux  «  pâlies  »  de  l'autel  et  d'imposer  l'encens,  suppose 
qu'à  son  époque  ces  vierges  consacrées  avaient  usurpé 
ces  fonctions. 

2°  Dans  les  Églises  syriennes.  —  Telles  étaient  les 
bornes  fixées  au  ministère  des  diaconesses  par  la  légis- 
lation canonique  des  Grecs  et  des  Latins.  Mais  il  faut 
ajouter  que,  dans  les  communautés  monophvsites  ou 
nestoriennes  d'Orient,  elles  furent  considérablement 
élargies. 

1.  Dans  l'Eglise  nestorienne.  —  Chez  les  nestoriens, 
les  diaconesses  suppléaient  le  diacre  absent,  pour 
présenter  aux  femmes  communiant  dans  le  temple  le 
pain  consacré  et  le  calice.  Elles  faisaient  la  lecture  des 
livres  sacrés  dans  les  assemblées  des  femmes,  sans 
doute  en  dehors  du  service  religieux  proprement  dit. 
Enfin,  elles  avaient,  au  défaut  des  clercs,  le  soin  des 
lampes  et  même  de  l'autel.  Elles  conservaient  du  reste 
le  rôle  sacramentel,  si  important  et  si  nécessaire,  que 
nous  leur  avons  vu  remplir  chez  les  chrétiens  d'Occi- 
dent. C'est  ce  que  constate,  entre  autres,  un  synode 
réuni  en  676,  dans  l'île  de  Dàrin  par  le  patriarche 
Georges  Ie1',  lorsqu'il  porte  un  canon  1 1e,  où  nous  lisons  : 
«  Que  la  diaconesse  oigne  de  l'huile  sainte  les  femmes 
qui  sont  baptisées  à  l'âge  adulte,  el  qu'elle  accomplisse 
à  leur  égard  la  cérémonie  du  baptême  dans  les  choses 
exigées  par  la  pudeur.  »  Cf.  Synodicon  orientale,  ou 
Recueil  de  synodes  nestoriens,  publié,  traduit  et  an- 
noté par  ,1.-15.' Chabot,  Paris,  1902,  p.  i8G. 

2.  Dans  l'Eglise  nwnopliysite.  —  Au  VIe  siècle,  sui- 
vant la  législation  de  Sévère,  patriarche  d'Antioche,  et 
de  Jean  bar  Cursus,  évèque  de  Telia  ou  Constantine, 
les  abbesses  étaient  diaconesses  et  pouvaient,  en  l'ab- 
sence des  ministres  ordinaires,  pénétrer  dans  le  sanc- 
tuaire et  y  faire  la  prière  publique,  donner  l'eucharis- 
tie à  leurs  religieuses,  du  moins  en  cas  de  nécessité,  à 
condition  toutefois  que  ce  fût  dans  leurs  propres  mo- 
nastères et  qu'elles  prissent  les  saintes  espèces  là  où 
elles  sont  gardées  sous  forme  de  réserve,  mais  non  pas 
a  l'autel  pendant  le  sacrifice;  car  elles  ne  devaient  pas 
approcher  de  l'autel  ni  loucher  la  table  sacrée. 

Jean  de  Telia  défend  aux  diaconesses  d'administrer 
la  communion  à  un  garçon  de  plus  de  cinq  ans.  Elles 
présidaient  l'assemblée  des  femmes  et  y  lisaient  les 
Ecritures,  même  l'Evangile.  Elles  avaient  aussi  le  droit, 
si  les  prêtres  et  les  diacres  manquaient,  d'offrir  l'en- 
cena,  mais  sans  récitera  voix  haute  la  prière  qui  ac- 
compagne d'ordinaire  l'encensement.  Si  elles  étaient 
autorisées  à  pénétrer  dans  le  sanctuaire,  c'était  pour 
nettoyer  l'autel,  préparer  les  lampes  et  prendre  soin 
du  mobilier  liturgique.  L'évêque  pouvait  leur  permettre 
île  verser  l'eau  et  le  vin  dans  le  calice,  ainsi  que  cela 
se  pratique  dans  la  liturgie  monophysite,  tout  au  com- 
mencement de  la  messe;  cependant  elles  ne  partici- 
paient pas  directe nt  aux  fonctions  de  l'autel,  comme 

font  les  diacres,  parce  que,  dit  Jacques  'i  Edesae,  elles 

sont  iliai'on  a  de  l'autel,  mais   des  femmes  ma- 

lades, i  Iles  restaient  chargées  de  l'onction  de  ces  der- 
aussi  bien  que  de  l'onction  complète  dans  \,< 
baptême  di  ■  toujours  sous  la  surveillance  du 

prêtre.   Enfin,    ordonn  es  pour  le  service  d'une  église 
d,  i,  i  minée,  elli  dans 

aucune   autre.    <;t'.    Barhébrs  n       \     , i     vu, 

n,  dans  Mai,  Scriptorum  velerum  novaeollectio, 

t.  \,  p.  50,  51,  J.  Si d  Assémani,  Bibliolhe 

talis,  t.  ii,  dissertât,  de  monophysitis,  t.  m  i>.  p  847- 

mi,  Codex  Mut  ■    p    134 . 

De  Syrorum  fide  et  disciplina  in   re  euchari- 

itica,  Louvain,  1859,  p  87,  203;  Nau,  dans  le  Canon 

contemporain,  1908,  i    sxvi,  p.  ï  16  417, 

m.  Qualités  n ses.  —  On  ne  conférait  pas  la 


G91 


DIACONESSES 


092 


charge  du  diaconissat  à  toutes  sortes  de  personnes  in- 
distinctement. Or,  dans  les  conditions  auxquelles  elle  en 
subordonne  l'honneur,  l'ancienne  législation  en  appelle 
généralement  à  l'autorité  de  saint  Paul.  Elle  suppose 
que  c'est  celte  dignité  que  l'apôtre  a  en  vue  non  seu- 
lement I  Tim.,  m,  11 ,  mais  encore  I  Tim.,  v,  0-11 . 
Effectivement,  nous  l'avons  vu,  le  premier  de  ces  deux 
passages  ne  présente  guère  d'autre  sens  raisonnable; 
et,  quant  au  second,  sans  doute  il  ne  nomme  pas  ex- 
pressément, lui  non  plus,  les  diaconesses,  mais  ou 
bien  il  les  vise  directement,  l'appellation  de  veuve  équi- 
valant à  celle  de  diaconesse,  ou  bien  il  s'applique  au 
collège  des  veuves  ou  «  anciennes  »,  presbylerse,  qui 
exerçait  à  l'origine,  dans  la  partie  féminine  de  la  com- 
munauté cbrétienne,  une  action  parallèle  à  celle  des 
«  anciens  »,  presbyleri,  parmi  les  bommes.  Les  diaco- 
nesses proprement  dites  se  recrutaient  vraisemblable- 
ment.dans  ce  corps  qu'elles  ont  finalement  remplacé. 
Aussi  voyons-nous  :  1°  qu'elles  étaient  choisies  (y.ata- 
li^i^ix),  dit  l'apôtre  ;  collocari,  adlegi,  dit  Tertullien), 
par  les  chefs  de  l'Église  ou  par  l'assemblée  féminine, 
parmi  les  veuves  qui  n'avaient  été  mariées  qu'une  fois. 
C'était  une  condition  semblable  à  celle  qu'on  exigeait 
pour  les  diacres  et  les  prêtres.  Delà  vient  que  souvent, 
dans  les  textes,  les  noms  vidua  etdiaconissa,  viduatus 
et  diaconatus,  apparaissent  comme  synonymes.  Cf.  Ter- 
tullien, Ad  uxorem,  1.  I,  c.  vu,  P.  L.,  t.  i,  col.  1286; 
De  virginibus  velandis,  c.  ix,  P.  L.,  t.  n,  col.  951.  Que, 
plus  tard,  on  ait  admis  aussi  des  vierges,  c'est  ce  que 
nous  atteste  formellement,  au  ve  siècle,  saint  Épiphane, 
Exposilio  fidei,  1.  III,  c.  Il,  n.  11,  P.  G.,  t.  xlii, 
col.  825,  lorsqu'il  dit  des  diaconesses  qu'elles  «  vivent 
dans  la  continence,  soit  veuves  après  un  seul  mariage,  soit 
vierges  perpétuelles.  »  Mais  les  deux  catégories  doivent 
avoir  été  reçues  dans  certaines  églises  bien  plus  tôt, 
le  même  nom  de  veuves  désignant  d'ailleurs  indiffé- 
remment l'une  et  l'autre,  à  cause  du  noyau  primitif. 
Impossible,  semble-t-il,  d'interpréter  autrement  la 
salutation  que  saint  Ignace  adresse,  Ad  Smyrn.,  xm, 
Paires  apostolici,  édit.  Funk,  t.  i,  p.  286,  aux  «  vierges 
qui  sont  appelées  veuves  :  'At7izi.Coii.xi  -àçTtapOsvou;  Taç 

2°  Au  point  de  vue  de  l'âge,  toujours  en  supposant 
une  tradition  apostolique,  on  exigeait  la  soixantaine 
accomplie.  Ici  encore  donc  on  entendait  suivre  la  recom- 
mandation de  saint  Paul,  I  Tim.,  v,  11-13:  «  Quant  aux 
jeunes  veuves,  écarte-les;  car  lorsque  l'attrait  des 
voluptés  les  a  dégoûtées  du  Christ,  elles  veulent  se 
remarier  et  se  rendent  coupables  en  manquant  à  leur 
premier  engagement.  De  plus,  dans  l'oisiveté,  elles  s'ac- 
coutument à  aller  de  maison  en  maison  ;  et  non  seule- 
ment elles  sont  oisives,  mais  encore  jaseuses,  intri- 
gantes, parlant  de  choses  qui  ne  conviennent  point.  » 
Dans  l'application  de  cet  article,  comme  dans  celle  du 
précédent,  des  exceptions  se  produisirent  assez  vite, 
et  en  partie  sans  doute  pour  la  même  raison.  Le  minis- 
tère assigné  aux  diaconesses  pouvait,  en  effet,  deman- 
der une  force  et  une  agilité  qui  se  rencontrent  malai- 
sément dans  des  veuves  sexagénaires.  Tertullien  signale, 
De  virginibus  velandis,  c.  ix,  P.  L.,  t.  il,  col.  951,  par 
rapport  à  l'âge,  un  cas  bien  singulier.  Il  s'agit  d'une 
jeune  fille  Agée  de  vingt  ans  à  peine,  qu'un  évêque 
avait  élevée  à  l'honneur  du  diaconat  :  Plane  scio  alicubi 
virginem  in  viduatu  ab  annis  nonduni  viginli  collo- 
calam.  Il  est  vrai  que  le  bouillant  Africain  proteste  avec 
véhémence  contre  une  anomalie  qu'il  qualifie  de  mons- 
trueuse, alléguant  l'usage  apostolique  de  «  n'élire  à  ce 
siège  »  que  des  femmes  «  parvenues  à  la  soixantaine, 
mères  de  famille,  n'ayant  été  mariées  qu'une  fois.  » 

Malgré  des  dérogations  accidentelles,  la  limite  d'âge 
primitive  fut  maintenue  en  principe  jusqu'au  Ve  siècle. 
A  la  suite  du  concile  de  Nicée,  can.  74  de  la  version 
arabe,  Labbe,  Concilia,  t.  n,  col.  287,  saint  Basile  jus- 


tifie encore  l'entière  application  aux  diaconesses  du 
texte  de  saint  Paul  ;  et  Théodose,  par  un  décret  daté  de 
Milan,  en  390.  confirme  l'interprétation  et  les  exigen- 
ces canoniques  :  Nulla,  nisi  emensis  sexaginla  annis, 
cui  votiva  domi  proies  sil,  secundum  prxceplum 
aposloli,  ad  diaconissarnm  consortium  transferalur. 
Code  théodosien,  1.  XVI,  tit.  n,  27.  La  disposition  exi- 
geant qu'elles  fussent  veuves  et  eussent  des  enfants, 
fut  abrogée  la  même  année.  D'autre  part,  c'est  vers 
cette  époque,  au  témoignage  de  So/.ornène.  //.  E., 
1.  VIII,  c.  ix,  P.  G.,  t.  i.xvn,  col.  1540,  qu'à  Constan- 
tinople  le  patriarche  Nectaire  ordonnait  la  célèbre  Olvui- 
piade,  qui  n'avait  pas  encore  atteint  sa  quarantième 
année.  Bientôt  on  en  vint  à  permettre,  par  mesure  géné- 
rale, l'ordination  à  quarante  ans.  Le  concile  de  Chalcé- 
doine  (151)  le  décida  ainsi,  can.  15,  en  prescrivant  du 
reste  de  soumettre  les  candidates  à  un  examen  sérieux. 
Voir  Hefele,  Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq,  t.  il, 
p.803sq.Asontour,.Iustinien,  Novelle, CXXIH,  13,  Corpus 
juris  civ.,  édit.  Weidmann,  Berlin,  1895,  t.  m,  p.  604,  lit 
entrer  celte  disposition  dans  la  législation  de  l'empire, 
alors  qu'il  avait  primitivement  fixé  l'âge  de  50  ans,  du 
moins  s'il  faut  admettre  comme  authentique  le  texte  de 
la  Novelle,  vi,  6,  ibid.,  p.  43.  Cf.  Devoti,  Inst.  can.,  1.  II, 
tit.  n,  p.  523.  En  692,  le  concile  in  Trullo,  can.  14,  40, 
fit  sien  le  décret  de  Chalcédoine.  La  nouvelle  discipline 
n'avait  pas  attendu  ce  moment  pour  s'implanter  :  on  a 
retrouvé  l'épitaphe  d'une  diaconesse  du  nom  [de  Théo- 
dora,  morte  en  539,  à  l'âge  de  48  ans;  une  autre,  nom- 
mée Daciana,  n'a  vécu  que  45  ans.  Cf.  Marligny,  Dic- 
tionnaire des  antiquités  chrétiennes,  p.  206. 

3°  Autres  qualités  et  obligations.  —  La  législation 
ecclésiastique  exigeait  de  ces  femmes  une  vertu  et  leur 
imposait  des  règles  de  conduite  en  rapport  avec  les 
fonctions  religieuses  dont  elles  étaient  honorées.  D'après 
le  canon  12  du  prétendu  IVe  concile  de  Carthage,  elles 
étaient  tenuesde  connaître  parfaitement  tout  ce  qui  inté- 
ressait l'accomplissement  de  leur  ministère.  Elles  de- 
vaient aussi  avoir  fait  profession  monastique,  ainsi  qu'il 
résulte  de  cette  disposition  du  rituel  grec  qui  leur  pres- 
crit de  se  pi-ésenter  à  l'ordination  revêtues  de  l'habit 
religieux.  En  qualité  de  personnes  consacrées  à  Dieu, 
elles  n'administraient  leurs  propres  revenus  que  sous 
le  contrôle  des  chefs  ecclésiastiques.  D'après  la  loi 
théodosienne  de  390,  les  diaconesses  n'avaient  que 
l'usufruit  de  leurs  biens,  ceux-ci  appartenant  à  leurs 
héritiers  naturels.  Les  donations  et  les  legs  testamen- 
taires qu'elles  auraient  faits  en  faveur  des  pauvres  ou 
des  églises  étaient  nuls  de  plein  droit.  Sozomène,  H.  E., 
1.  VIII,  c.  ix,  P.  G.,  t.  lxvii,  col.  1539. 

Le  mariage  leur  était  interdit  après  la  réception  du 
diaconissat,  et  l'union  qu'elles  auraient  alors  prétendu 
contracter  était  réputée  nulle,  comme  l'est  aujourd'hui 
celle  des  hommes  promus  aux  ordres  sacrés.  Concile  de 
Cbalcédoine,  can.  15,  Mansi,  t.  vu,  col.  364;  S.  Basile» 
Epist.,  clxxxviii,  ad  Amphilockium,  can.  6,  P.  G., 
t.  xxxn,  col.  673.  On  ne  leur  permettait  la  cohabitation 
sous  le  même  toit  qu'avec  leurs  proches  parents.  Le  droit 
ecclésiastique  disposait  à  leur  endroit  de  peines  ana- 
logues à  celles  que  pouvaient  encourir  les  [clercs.  \ 
compris  la  déposition  canonique.  Aux  termes  d'une 
constitution  de  Justinien,  qui  en  appelait  au  supplice 
des  vestales  infidèles,  la  violation  de  leur  vœu  de  conti- 
nence devait  être  punie  de  mort;  mais  les  canons  de 
l'Eglise  ne  comminaient  contre  ce  crime  que  la  peine, 
moins  rigoureuse  humainement,  de  la  destitution  ou  de 
l'excommunication.  En  vertu  des  mêmes  lois  civiles, 
la  mort  par  le  glaive  était  réservée  au  corrupteur  d'une 
diaconesse,  sans  prescription  de  temps  ni  privilège  de 
noblesse,  sans  même  l'intervention  de  l'autorité  judi- 
ciaire; et  le  coupable  n'était  pas  excusé  par  le  consen- 
tement, fût-il  démontré,  de  sa  complice.  Matthieu  Blas- 
tares,  Quxst.  matrim.,P.  G.,  t.  cxix.  col.  1272,  constate 


693 


DIACONESSES 


694 


qu'au  Xe  siècle  la  législation  civile  relative  au  mariage 
des  diaconesses  était  abandonnée  et  oubliée. 

Relativement  aux  diaconesses  pour  lesquelles  des 
raisons  de  nécessité  ou  d'utilité  avaient  fait  devancer 
l'âge  canonique  primitif,  les  Novelles  établissent  qu'elles 
seront  tenues  de  résider  dans  des  monastères  de  reli- 
gieuses, au  moins  jusqu'à  leur  cinquantième  année, 
afin  qu'elles  n'exercent  leur  ministère  qu'à  l'abri  des 
regards  des  hommes  et  qu'elles  ne  soient  point  expo- 
sées aux  dangers  d'une  vie  trop  libre.  Novelle,  vi,  6, 
Corpus  juris  civilis,  édit.  Weidmann,  Berlin,  1895, 
t.  il,  p.  43  sq.  ;  Nomocanon,  tit.   ix,  c.  XXVIII, 

IV.  Rang  et  situation  canoniques.  —  Les  diacones- 
ses   étaient  constituées    dans    leur  grade    propre    par 
une   imposition  des  mains  ou  ordination;  elles  rece- 
vaient de  l'évéque  la  ys-.poTovîa  ou  ysipoOîd!».  Baronius, 
Annales  eccles.,  an.  3i,  et  quelques   autres  l'ont  nié; 
mais  leur  négation  repose   sur   une  méprise  :  ils  ont 
entendu  comme  énonçant  une  coutume  générale  ou  un 
principe  le  canon  19e  du  concile  de  Nicée,  où,  d'après 
le  contexte,  il  s'agit  uniquement   de  quelques  femmes 
ambitieuses,  de  la  secte  des  paulianistes,  qui   préten- 
daient aux  droits  d'un  ministère   dont  elles  n'avaient 
pas  reyu  le  rite  initiateur.  Voir  Hefele,  Histoire  des 
conciles,  trad.  Leclercq,  t.  i,  p.  616-618.  Tous  les  textes 
anciens  sont  formels.  Le  concile  de  Chalcédoine,  par 
exemple,  en  son  canon  15e,  applique  ici  les  deux  termes 
consacrés  de  yzipozovia  et  -/stpoOEo-ia.  -Mais  il  nous  suf- 
fira de  citer  les  Constitutions  apostoliques,  xm,  19,20, 
Funk,  t.  i,  p.  524,  qui  non  seulement  attestent  le  fait  de 
l'ordination,  mais  en  prescrivent  la  manière  et  la  for- 
mule :  «  Quant  à  la  diaconesse,  voici  ce  que  moi,  Barthé- 
lémy, je  dispose.  Évêque,  tu  lui  imposeras  les  mains  avec 
l'assistance  du  presbyteriurn,  des  diacres  et  des  diaco- 
!S,  el  tu  diras  :  Dieu  éternel,  l'ère  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  créateur  de  l'homme  et  de  la  femme,  vous 
qui  avez  rempli   de   votre  esprit  Marie,  Débora,  Anne 
et  llolda,  vous  qui  n'avez  pas  dédaigné  de  faire  naître 
d'une  femme  votre  Fils  unique,  vous  qui  dans  le  taber- 
nacle de   l'alliance  et   dans  le  temple  ave/  établi  des 
femmes  gardiennes  de  vos  saintes  portes;  jetez  mainte- 
nant un  regard  sur  votre  servante  que   voici,  destinée 
au  diaconat  :   donnez-lui   l'Esprit-Saint,  purifiez-la  de 
toute   souillure    corporelle  et   spirituelle,  afin    qu'elle 
remplisse  dignement  l'office  qui    lui   sera  confié,  pour 
votre  gloire  et  à  la  louangr   de  rotre  Christ,  avec  lequel 
honneur  el  adoration  soient  à  vous  et  au  Saint-Esprit 
dans  tous  les  siècles.  Amen,  i  Ce  passage  des  Conttitu- 
m  est  décisif.  Il   l'est    d'autant  plus  que  le  même 
ri  cueil  avait  décrit  en  détail,  vu,  i-18,  l'  «  ordination  », 
•/ï'.'-oto v:a,  des  évéques,  des  pi  des  diacres,  qu'il 

décrit   de  même,  21,  -11,  V  «   ordination   »  des  sous- 
diacres  el  des  lecteurs,  et  qu'il  ajoute  expressément, 
'•    que   ni    les   confesseurs,  ni    les   vierges,   ni  les 
veuves,  ni  les  exorcistes  ne  sont  «  ordonnés  ». 

I  •  s  diaconesses  entraient  ainsi  dans  la  hiérarchie 
ecclésiastique,  el  leur  ordre,  suivant  saint  l-.piphane, 
Ihr,  ,  i.wix.  ',.  Expositio  fidei,  n.  21,  l'.c..  t.  xi.n. 
col.  Tt.'p.  77-2,  en  terminai!  la  chaîne.  Elles  étaient  ins- 
crites a  la  suite  du  clergé,  au  canon  ou  catalogue  des 
clercs  ou  i  ntretenues  pai  mais  à 

un  titre  plus  élevé  que  les  personnes  a  \   con- 

de  Tolède,  can,  1.  •">.  dam  Labbe,  Concilia,  t.  vi. 

COl      I  aient,  en  ellet.  awe  le-   clerCS,  l-ur 

Brand<    non  i  tandis  que  les  veuves 

el  i  avrei  de  la  communauti  . 

droit  qu'à  une  pari  des  dlmea    U     Cotuti 

tuttotu  apostolique!,  vm,  81,  Funk,  t.  i,  p. 682,  sont 

""■    ■  tel  di  -  ..Mations 

.■ni  par  h  -  .ii...  ras  distribuées  au 

a  l'évéque 
lui-même,  quatn   portions;  au  prêtre,  trois  poi  I 
diai  n  .  di  m     iui    ooi  diacn  i,  aui  l< 


chantres,  aux  diaconesses,  une  seule.  »  Par  assimilation 
encore  aux  clercs  inférieurs,  les  diaconesses  étaient 
soumises  aux  évoques,  aux  prêtres  et  aux  diacres,  sans 
que  les  sous-diacres  eussent  sur  elles  aucune  autorité. 
C'est  parce  que  l'on  comprenait  les  diaconesses  dans 
la  hiérarchie  cléricale  que  le  concile  de  Nicée,  en  sta- 
tuant, par  son  canon  19e,  sur  la  rebaptisation  et  la 
réordination  des  clercs  ordonnés  par  les  paulianistes, 
s'occupe  aussi  de  leurs  diaconesses,  qui  n'ont  point 
reçu,  dit-il,  d'imposition  des  mains  et  doivent  donc 
être  considérées  comme  de  simples  laïques.  Sous  .lus- 
tinien,  Sainte-Sophie  de  Constantinople  comptait  60  dia- 
conesses dans  son  personnel  ecclésiastique. 

L'immatriculation  des  diaconesses  au  canon  du  clergé 
leur  valut  d'être  souvent  appelées  xocvovixaf,  bien  que 
ce  terme  ait  été  appliqué  également  aux  diverses  sortes 
de  réguliers  et  spécialement  aux  membres  des  confré- 
ries de  sépulture,  à  Byzance. 

Les  monuments  archéologiques  témoignent,  à  leur 
manière,  de  la  considération  dont  jouit  jadis  cet  ordre 
dans  l'Eglise,  notamment  pour  sa  coopération  discrète 
à  la  fonction  enseignante.  Nous  lisons  sur  d'anciennes 
pierres  tumulaires  cette  formule,  surprenante  à  pre- 
mière vue  :  Vidua  sedit...,  elle  a  siégé,  en  qualité  de 
veuve,  vingt  ans,  trente  ans,  etc.,  absolument  comme 
pour  les  évéques  et  les  prêtres.  Cette  expression  fait 
allusion  au  siège,  catltedra,  sur  lequel  les  veuves  ecclé- 
siastiques s'asseyaient  pour  catéchiser  et  exhorter.  La 
même  pensée  se  retrouve  dans  ce  texte  de  Tertullien, 
De  virginibus  velandis,  vin  :  Ad  quam  sedem,  prmtev 
annos  sexaginta,  non  tanlum  univirx,  id  est  nuptae 
aliquando,  eligunlur,  sed  et  matres.  Nul  doute  que  ce 
trait  ne  convienne  tout  particulièrement  aux  veuves 
promues  à  la  dignité  de  diaconesses.  On  a  mis  au  jour, 
en  certains  carrefours  des  catacombes,  des  sièges  taillés 
dans  le  tuf  et  tout  pareils  aux  chaires  épiscopales, 
mais  qui,  à  raison  de  leur  position,  ne  peuvent  être 
confondus  avec  elles.  Au  jugement  des  archéologues, 
il  est  probable  qu'ils  ont  servi  aux  diaconesses,  que 
plusieurs  fresques  de  ces  cimetières  présentent  assises 
sur  des  sièges  semblables.  Cavedoni,  Ragguaglio  crit, 
délie  art.  crist.,  p.  9. 

Si  considérées  étaient  les  diaconesses  qu'on  vit,  sur- 
tout à  Constantinople,  des  femmes  de  condition  très 
distinguée  embrasser  ce  ministère  et  \  servir  glorieu- 
sement l'Église.  La  plus  illustre  fut  Olympiade,  au 
IV siècle,  qui,  devenue  veuve  à  dix-huit  ans,  refusa  les 
propositions  de  l'empereur  Théodose,  fut  l'amie  de 
saint  Jean  Chrysostome,  partagea  ses  travaux,  répandant 
parmi  les  pauvres  de  son  diocèse  d'inépuisables  lar- 
gesses, essuyant  le  contre-coup  de  ses  disgrâces  et  de 
ses  persécutions  et  le  consolant  dans  son  exil;  elle 
mourut  en  410.  A  la  même  époque  appartiennent  Pro- 
cula  et  l'enladia,  estimées  aussi  de  saint  Chrysostome, 
qui  leur  adressa  plusieurs  lettres;  Anastasie.  qui  fut 
en  commerce  épistolaire  avec  Sévère,  patriarche 
d'Antioche;  Macrine,  so'ur  de  saint  Basile  el  de  saint 

Grégoire  de  \\ssc,  dont  tous  exaltaient  la  beauté' et  qui 
préféra  le  service  du  Seigneur  aux  brillantes  perspec- 
tives qui  s'ouvraient  devant  elle;  enfin  I.ampadia,  amie 
de  Macrine.  nions  encore  Basilina,  que  Baronius  ap- 
pelle Regina,  au  \t  siècle.  Il  arrivait  aussi  que  les 
femmes  des  personnages  élevéi  ans  hautes  dignités 
ecclésiastiques,  obligées  qu'elles  étaient  par  les  canons 
a  entier  dans  les  ordre*  ou  du  moins  a  ne  se  point 
irler,  devinssent  diai  Uns!  en  advint-il  de 

e  de  sam:  .le  Nysse. 

Hais  le  rang  di     diai  s  lui  jamais  tel  que 

leut    ministère   ne  restât    essentiellement  distinct  de 

celui  des    ministres    d'institution    divine.    Nous    avons 

consulté  plus  haut  comment  l<  lulioru  •ipmto- 

leur  Interdisaient  tout  ..(lire  propre  aux  pri 
..u  aui  diacres.  Saint  Epiphane  dil  également,  h 


695 


DIACONESSES 


fi'JC 


i.xxix,   3  :   .   Si  les   femmes  étaient  appelées,   dans  le 
Nouveau  Testament,  à  exercer  le  sacerdoce  ou  à  remplir 
un  autre  ministère  canonique  (7,  xavovtxtfv  ti  èpYaÇécrOai), 
c'est  à  Marie,  avant  toute  autre,  que  la  fonction  sacer- 
dotale eût  dû  être  confiée.  Mais  Dieu  en  a  disposé  dif- 
féremment, en  ne  lui  donnant  même  pas  le  pouvoir  de 
baptiser.  Quant  à  l'ordre  des  diaconesses,  s'il  existe 
dans  l'Eglise,  il  n'y  est  cependant  pas  établi  pour  la 
fonction  du  sacerdoce  ni  aucun  ministère  de  ce  genre. 
Les  diaconesses  sont  destinées  à  sauvegarder  la  décence 
qui  s'impose  à  l'égard  du  sexe  féminin,  soit  en  prêtant 
leur  concours   dans  l'administration  du  baptême,  soit 
en  examinant  celles  qui  souffrent  de  quelque  infirmité 
ou  auraient  été  l'objet  de  quelque  violence,  soit  en  inter- 
venant chaque  fois  qu'il  y  a  lieu  de  découvrir  lecorpsd'au- 
tres  femmes,  afin  que  ces  nudités  ne  soient  pas  exposées 
aux  regards  des  hommes  qui  accomplissent  les  saintes 
cérémonies  et    qu'elles  ne  soient  vues  que  des  diaco- 
nesses mêmes.  »  Déjà  Tertullien  avait  dénoncé,  Prœ- 
script.,  xli,  P.  L.,  t.  il,  col.  56,  comme  d'intolérables 
usurpations,  les  prétentions  des  femmes  de  certaines 
sectes  :  Ipsœ  niulieres  liœrelicœ,  quant  procaces,  quœ 
audeant  docere,  coniendere,  exorcismos  agere,  cura- 
tiones  repromiltere,  forsitan  et  tingere!  Et  faut-il  rap- 
peler que  saint  Paul,  le  premier  témoin  de  l'existence 
et  de  l'utilité  des  diaconesses,  Rorn.,  xvi,  1,  a  aussi  été 
le  premier  à  interdire  —  et  avec  quelle  énergie!  —  à 
toutes  les  femmes  sans  distinction  de  prendre  la  parole 
ou  de  prétendre  enseigner  dans  les  réunions  publiques? 
Vers  le  même  temps,  probablement  la  même  année  où 
il  recommandait  aux  Romains  la  diaconesse  Phœbé,  il 
écrivait  aux  Corinthiens,  I  Cor.,  xiv,  34,  35  :  «  Comme 
cela  a  lieu  dans  toutes  les  églises  des  saints,  que  les 
femmes  se  taisent  dans  les  assemblées.  Il  ne  leur  ap- 
partient pas  de  parler,  mais  qu'elles  soient  soumises... 
Il  est  malséant  à  une  femme  de  parler  dans  une  as- 
semblée. »  Un  peu  plus  tard,  il  répétait,  I  Tim.,  n,  11, 
12,  la  consigne  en  ces  termes  :  «  Que  la  femme  écoute 
l'instruction  en  silence,  avec  une  entière  soumission. 
Je  ne  permets  pas  à  la  femme  d'enseigner  ni  de  pren- 
dre autorité  sur  l'homme  ;  mais  elle  doit  se  tenir  dans 
le  silence.  » 

_  De  même  que  le  ministère  des  diaconesses  n'avait 
rien  de  sacerdotal,  de  même  leur  ordination  n'avait 
rien  de  sacramentel.  Jamais,  dans  les  textes,  le  rite  de 
leur  initiation  n'est  présenté  ni  comme  divinement 
établi  ni,  à  plus  forte  raison,  comme  possédant  de  ce 
chef  une  vertu  sanctificatrice,  une  causalité  instrumen- 
tale pour  produire  la  grâce  et  imprimer  un  caractère 
indélébile.  L'Église,  en  restreignant  de  bonne  heure 
et  en  finissant  par  supprimer  l'ordre  et  l'office  des 
diaconesses,  a  bien  montré  qu'elle  les  tenait  pour  une 
création  ecclésiastique,  essentiellement  modifiable 
suivant  les  circonstances.  Saint  Thomas,  résumant 
avec  sa  précision  accoutumée  la  doctrine  traditionnelle, 
explique,  Sun),  theol.,  III»  Supplem.,  q.  xxxix,  a.  1, 
pourquoi  il  ne  peut  être  question  ici  ni  de  sacerdoce 
ni  de  sacrement  :  Qusedam  requiruntur  in  recipïente 
sacramentum  quasi  de  necessilate  sacramenti  ;  quœ 
si  desint,  non  potest  aliquis  suscipere  neque  sacra- 
menlum neque  rem  sacramenti  ;  qusedam  vero  requi- 
runtur non  de  necessilate  sacramenti,  sed  de  necessi- 
late prœcepti...  Dicendum  ergo  quod  sexus  virilis 
requirilur  ad  susceptionem  ordinum,  non  solum  se- 
cundo modo,  sed  etiam  primo.  Unde  etsi  mulieri  e.r- 
Itibeantur  omnia  quœ  in  ordinibus  fiunt,  ordinem  ta- 
men  non  suscipil,  quia,  cum  sacramentum  sit  signum, 
in  Us  quœ  in  sacramenlo  aguntur  requirilur  non 
solum  res,  sed  significalio  rei...  Cum  igilur  in  sexu 
fœmineo  non  possit  sif/ni/icari  aliqua  eminenlia  gra- 
dus,  quia  mulier  slalum  subjeclionis  habel,  ideo  non 
potest  ordinis  sacramentum  suscipere.  Cf.  Chr.  Pesch, 
Prœlect.    dogm.,    Fribourg-en-Brisgau,    1S97,   t.    vu, 


p.  204,  283;  Polile, Lehrbvch  der  Dogmalik,  Paderborn, 
1905,    t.    ni,   p.   569;  Devoti.    1  nsliluliones  canon 
I.  I,  tit.  ix. 
V.  Extinction  de  l'ordre  des  diaconesses.  —  Le 

diaconat  des  femmes,  qui  ne  s'était  pas  développé  en 
tous  lieux  de  la  même  façon,  n'eut  pas  non  plus  par- 
tout une  égale  durée. 

1°  En  Occident,  il  se  maintint  certainement  comme 
institution  régulière  jusqu'au  VIe  siècle. *A  cette  époque, 
les  conditions  du  ministère  ecclésiastique  s'étaient  mo- 
difiées. Les  baptêmes  d'adultes  étaient  devenus  relati- 
vement rares,  les  diaconesses  n'avaient  plus  guère  l'oc- 
casion d'exercer  la  principale  de  leurs  fonctions  litur- 
giques. Des  matrones  ou  de  pieuses  femmes,  dépour- 
vues de  tout  caractère  officiel,  suffisaient  désormais  à 
remplir  les  devoirs  de  charité  et  de  bienséance  pu- 
bliques qui  s'imposaient  à  l'égard  des  personnes  de 
leur  sexe.  D'ailleurs,  les  vierges  et  les  autres  chré- 
tiennes vouées  à  la  vie  religieuse  se  retiraient  dans 
les  monastères,  dont  les  abbesses  recevaient  parfois, 
telle  sainte  Radegonde,  l'ordination  des  diaconesses. 
Fortunat,  VilaS.  Radegundis,  n.  12,  P.L.,  t.  lxxxviii, 
col.  502.  En  dehors  de  ces  cas  exceptionnels,  le  titre 
de  diaconesse  semble  représenter  alors,  surtout  dans 
les  Gaules,  une  simple  appellation  honorifique,  que  les 
veuves,  les  dames  pieuses  et  même  les  moniales  s'attri- 
buaient indépendamment  d'une  ordination  quelconque. 
Plusieurs  conciles  de  cette  contrée  décrétèrent  l'aboli- 
tion du  diaconissat.  Déjà  le  Ier  concile  d'Orange,  en 
441,  s'était  prononcé  dans  ce  sens,  en  ajoutant  que  les 
diaconesses  existantes  devraient  se  soumettre  à  rece- 
voir la  bénédiction  ordinaire,  que  l'on  donnait  au 
peuple  :  Diaconissœ  omnimode  non  ordinandœ.  Si 
quœ  jam  sunt,  benediclioni  quœ  populo  impendilur 
capita  submiltant.  Can.  26,  dans  Labbe,  Concilia,  t.  m, 
col.  1451;  Hefele,  Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq, 
Paris,  1908,  t.  n,  p.  446-447.  Celui  d'Épaone  (517) 
abroge  entièrement  »  la  consécration  des  veuves  que  l'on 
appelle  diaconesses  »,  ne  leur  laissant,  si  elles  veulent 
renoncer  au  monde,  que  le  privilège  de  la  bénédiction 
pénitentielle  :  Viduarum  consecralionem,  quas  diaco- 
nas  vocitant,  ab  omni  regione  noslra  penitus  abroga- 
mus,  sola  eis  pœnilentiœ  benediclione,  si  converti 
rnluerinl,  imponenda.  Can.  21,  dans  Labbe,  t.  IV, 
col.  1578.  Enfin  le  concile-  d'Orléans  (533)  est  on  ne 
peut  plus  formel  :  Vt  nulli  poslmodum  fœminœ  dia- 
conalis  benediclio,  pro  conditionis  hujus  fragililate, 
credalur.  Can.  18,  Labbe,  t.  iv,  col.  1782. 

Ce  n'est  pas  à  dire  toutefois  que  ces  mesures,  prises 
pour  des  provinces  ecclésiastiques  déterminées,  aient 
eu  immédiatement  un  effet  universel.  Les  diaconesses 
subsistèrent  encore,  sinon  dans  les  Gaules,  du  moins 
dans  le  reste  de  l'Occident.  Un  concile  de  "Worms,  de 
la  seconde  moitié  du  î.v  siècle  (868),  reproduit  sim- 
plement le  15e  canon  de  Cbalcédoine  les  concernant. 
Can.  73,  Labbe,  t.  vin,  col.  958.  Le  Liber  pontificalis, 
édit.  Duchesne,  t.  n,  p.  6,  mentionne  des  diaconesses 
dans  le  cortège  qui  accompagnait  Léon  III  rentrant  à 
Rome  :  Cunt  sanctimonialibus  et  diaconissis  et  nobi- 
lissimis  matronis  seu  universis  fœminis.  Alton  de 
Yerceil  (934-950),  dans  une  lettre  au  prêtre  Ambroise, 
atteste  à  la  fois  la  survivance  et  la  décadence  de  l'in- 
stitution des  diaconesses.  Episl.,  vin,  P.  L.,  t.  cxxxiv, 
col.  114.  Trois  papes  du  xie  siècle  garantissent  à  des 
évèques  suburbicaires  le  droit  d'en  ordonner  :  Be- 
noit VIII  (1018),  à  l'évèque  de  Porto,  Epist.,  xvn,  P.  L., 
t.  cxxxix,  col.  1621;  cf.  Ughelli,  llalia  sacra,  t.  i, 
p.  116;  Jean  XIX  (1021-10331,  à  l'évèque  de  Sylva  Can- 
dida,  P.  L.,  t.  cxxxu.  col.  1056;  S.  Léon  IX  .1049),  à 
l'évèque  de  Porto,  P.  L.,  t.  cxliii,  col.  598.  Certains 
missels  de  même  date  contiennent  encore  l'oraison 
Ad  diaconissam  faciendam  :  Exaudi  Domine. 
F.  E.  ^'arren,  The  Lœfric  missal,  in-8°,  Oxford,  1883, 


697 


DIACONESSES 


698 


p.  216;  Pontifical  d'Egbert  d'York,  dans  Martène,  D 
anliquis  Ecclesipe  ritibus,  t.  il,  p.  99.  L'Ordo  roma- 
nus  IX,  n.  3,  édité  par  Mabillon,  P.  L.,  t.  lxxviii, 
col.  1003,  signale  encore  la  bénédiction  des  diaconesses 
et  le  rite,  distinct  de  la  consécration  des  vierges  et 
des  veuves,  est  décrit  dans  l'Ordo  romanus,  publié  par 
Hittorp  en  tête  de  son  traité  De  divinis  of/iciis,  Cologne, 
1568,  p.  144.  Mais  à  partir  de  cette  époque,  ce  n'est  plus 
qu'à  titre  historique  que  les  diaconesses  sont  mention- 
nées parles  écrivains  occidentaux,  par  Hugues  de  Saint- 
Victor,  Pierre  Lombard,  saint  Thomas  notamment  et 
les  autres  scolastiques.  La  rareté  du  baptême  conféré 
alors  aux  adultes  et  la  suppression  du  baptême  par 
immersion  dans  l'Église  latine  ont  amené  insensible- 
ment l'extinction  de  l'ordre  des  diaconesses,  sans  qu'il 
soit  intervenu  aucune  décision  de  l'autorité  ecclésias- 
tique. 

2°  Dans  les  Églises  orientales,  les  phases  delà  dispa- 
rition se  succédèrent  d'une  façon  analogue,  bien  qu'un 
peu  plus  lentement.  Encore  faut-il  distinguer  entre 
Grecs,  Syriens  occidentaux  et  nestoriens. 

1.  A  Constantinople,  les  femmes  qui  continuaient, 
au  xiii"  siècle,  à  être  élues  au  rang  de  diaconesses 
n'en  remplissaient  plus  le  ministère  traditionnel  ;  non 
seulement  elles  n'approchaient  pas  de  l'autel,  mais 
elles  ne  recevaient  plus  l'ancienne  consécration.  Leur 
rôle  se  bornait  à  présider  les  assemblées  féminines, 
lialsamon,  sur  le  canon  15e  du  concile  de  Chalcédoine, 
P.  G.,  t.  cxxxvii,  col.  142,  et  liesponsa  ad  inlerroga- 
tiones  Marci,  resp.  35,  P.  G.,  t.  cxxxviii,  col.  987. 
Dans  plusieurs  couvents,  ce  nom  était  devenu,  comme 
en  Occident,  un  simple  titre  honorifique,  pris  abusive- 
ment par  des  moniales.  Les  eucologes  grecs  du  même 
temps  cessent  de  donner  le  rite  de  l'ordination  diaco- 
nale  des  femmes,  témoignant  ainsi  qu'elle  était  tombée 
en  désuétude  ou  qu'elle  n'existait  plus  qu'à  titre  d'ex- 
ception. 

2.  Relativement  aux  Églises  syriennes  occidentales, 
nous  rencontrons,  dans  les  dernières  années  du  xir  siè- 
cle, un  témoignage  du  patriarche  jacobite  Michel  le 
Grand  (j  1199),  qui  permet  encore,  mais  seulement 
comme  chose  absolument  exceptionnelle,  d'ordonner 
de  véritables  diaconesses.  «  Les  diaconesses,  dit-il,  ont 
cessé  depuis  longtemps,  par  cessation  dos  baptêmes 
d'adultes  et  pour  d'antres  motifs.  Toutefois  le  rite  de 
leur  ordination  subsiste  dans  beaucoup  délivres,  et  si, 
pour  une  raison  urgente,  un  évéque  veut  en  ordonner, 
qu'il  le  fasse,  à  la  condition  de  choisir  des  femmes  de 
bonne  réputation  el  avancées  en  âge,  selon  le  précepte 
des  Pères  et  des  apôtres.  »  Cf.  Sim.  Assémani,  Biblio- 
Iheca  orientalii,  t.   n,  Disserl.  de  monophyritis.  La 

lation  canonique  du  siècle  suivant  leur  maintenait 
Il  -  antiques  pr<  dont  nous  avons  donné  plus 

haut  l'énumération. 
S.  Les  nestoriena  se  sont  montres  en  ceci  plus  con- 
iteurs  que  les  autres  communautés  chrétiennes. 
Le  /."'<   des  Pères,  traité  des  hiérarchies  céleste  et 
ique,  attribué  à  Simi  on   bar  Sabbâé    |  341), 
mais  œuvre  probable  de  Siméon  Schankelavaya,  auteur 
irien  du  xn  asacre  un  chapitre  aux  dia- 

donl  il  dit  :  i  On  les  choisi!  parmi  les  femmes 
•  renom  de  pureté  el  de  crainte  de  Dit  d  el 
unti   ant  i  t  ao-di  nus    Leur  ministère  con 
les  cérémonies  du   baptême  des  femmes,  i  n 
tandis  qu'elles   plongent  les  bap 
u,  le  prétn    loil  par  une  ouverture,  soit 
ten  ml  le  do    tourné,  étend  seulement  la  m. un. 
poui  m    de  la  croix 

,      '       I     nmei     m  et  I  onction  totale-  m 

I  ■     i  iluel   publié  en    I.W.I 

donne  encoi  e  i  or 

•  lin  il  ;  il  ti  moî(  (e   .iiii-i  . | ■  ■ ., 

■  /  les  chrétiens  de  P 


et  de  Chaldée.  Mais  depuis  lors  cet  ordre,  aussi  bien 
que  la  vie  conventuelle  et  les  monastères  de  femmes, 
a  complètement  disparu  du  milieu  des  mêmes  commu- 
nautés. C'est  uniquement  à  titre  de  souvenir  que  le 
pontifical  nestorien  conserve  aujourd'hui  la  mention 
des  diaconesses  dans  les  prières  de  la  consécration 
des  évèques,  là  où  le  consécrateur  appelle  sur  l'élu  la 
grâce  de  «  créer  des  prêtres,  des  diacres,  des  diaconesses, 
des  sous-diacres  et  des  lecteurs  pour  le  service  de 
l'Eglise.  » 

4.  Les  Maronites  ont  encore  aujourd'hui  un  petit 
nombre  de  diaconesses.  Suivant  le  synode  tenu  au 
Mont-Liban  en  1736,  il  n'y  en  a  plus  que  dans  les  mo- 
nastères de  femmes.  Les  abbesses  de  ces  maisons  sont 
ordonnées  diaconesses  et  en  remplissent  les  fonctions 
à  l'égard  des  religieuses  qui  sont  sous  leur  autorité. 
Elles  ne  distribuent  pas  cependant  la  communion, 
même  en  l'absence  de  prêtre  ou  de  diacre.  Les  évêques 
peuvent  encore,  s'il  en  est  besoin,  ordonner  des  diaco- 
nesses, pour  remplir  différentes  fonctions  à  l'égard  des 
personnes  de  leur  sexe.  Colleclio  Lacensis,  t.  Il, 
col.  272. 

VI.  Diaconesses  protestantes.  —  Le  nom  de  dia- 
conesses a  été  repris  et  remis  à  l'ordre  du  jour  par  le 
protestantisme  moderne,  qui  en  a  fait  une  application 
nouvelle.  Il  le  donne  à  des  femmes  groupées  sous  forme 
d'associations  charitables  pour  se  dévouer  au  soin  des 
malades,  à  la  visite  des  pauvres,  à  l'enseignement  po- 
pulaire et  à  d'autres  services  de  ce  genre. 

"On  sait  qu'une  des  premières  conséquences  de  la  «  ré- 
formation  »  du  xvie  siècle  pour  les  pays  où  elle  s'est 
installée  en  maîtresse,  avait  été  la  suppression  des  ordres 
monastiques,  la  dispersion  de  leurs  communautés,  l'ac- 
caparement de  leurs  couvents  et  de  leurs  biens  par  les 
princes  séculiers.  Mais  ave»  les  couvents  étaient  tom- 
bées toutes  les  institutions  de  charitéet  de  bienfaisance, 
toutes  les  œuvres  consacrées  au  soulagement  des  mi- 
sères humaines,  dont  ils  étaient  les  centres,  auxquelles 
ils  fournissaient  et  ouvriers  et  moyens  matériels.  Le 
besoin  de  quelque  chose  qui  put  y  suppléer  se  faisait 
vivement  et  universellement  sentir;  il  était  reconnu  et 
publiquement  avoué  dans  les  milieux  intéressés.  Toute- 
fois l'horreur  du  «  monachisme  >>  et  la  crainte  de  faire 
quoi  que  ce  soit  qui  y  ressemblât  empêchèrent  pen- 
dant longtemps  de  rien  essayer.  Ce  n'est  que  dans  la 
première  moitié  du  xtx"  siècle,  à  l'époque  de  ce  raoti- 
vement  que  les  historiens  du  protestantisme  appellent 
«  le  réveil  »,  qu'il  se  trouva  enfin  des  hommes  assez 
courageux  pour  vouloir  sortir  de  la  phase  des  regrets 
el    des  vieux  stériles   et    passer  à   celle  de   l'action.  La 

pensée  en  vint,  dit-on,  presque  simultanément  à  trois 
pasteurs,  dont  chacun  prépara  son  entreprise  indépen- 
damment des  deux  autres  :  c'était  Th.  Fliedner,  de 
Kaisers  werth,  pies  de  Dnsseldorf;  Haerter,  de  Stras- 
bourg, <t  Vermeil,  de  Paris.  Mais  c'est  Fliedner  qui 
doit  être  réputé  historiquement  le  créateur  des  dit 
ttesses  protestantes,  parce  (pie,  le  premier,  en  1836,  il 

mit  son  idée  à  exécution,  ouvrant  ainsi   la   voie  où   de 

nombreux  émules  allaient  bientôt  le  suivre. 

i  i.ins  son  intention,  le  nom  même  de  diaconesses  devait 
rattacher  le  nouvel  organisme  aux  origines  de  l'Église, 
en  évoquant  le  souvenir  de  ces  généreuses  chrétiennes, 
Phœbé,  les  Priscille,  les  Perside,  les  Tryphème, 
les  Prypli  odie, etc.,  que  snint  Paul  mentionne 

el  qu'il  appel  le  ses  collaboratrices.  Néanmoins, 
linsl  que  plusieurs  écrivains  pr  l'ont  justement 

inche ni  remarqué,  ce  serait  se  tromper  que  de 

conclure  de  l'identité  du   nom  a   l'identiti 
dénommés     entre  les  diai  apostolique!  et  leurs 

(elles,    qile    l'on    CnlIMllere       Oll    l8     lâche, 

soit  li  tni  nt-  des  unes  el   de     aotrt      il  n'y 

;,    qu  ie    et    tort    Imparfaite    ressemblanci 

cr.    WkIhiu.    iian-    Herzog,    Realencyclopâdie    fur 


699 


DIACONESSES 


700 


protestantische  Théologie,  2e  édit. ,  Leipzig,  1877,  t.  in, 
p.  581. 

Quoi  qu'il  en  soit,  depuis  ses  origines,  l'institution 
des  diaconesses,  si  elle  a  parfois  rencontré  de  l'oppo- 
sition, même  parmi  les  coreligionnaires  de  Eliedner, 
a  pourtant  pris  de  grands  développements.  C'est  en 
Allemagne  que  son  essor  a  été  le  plus  rapide  et  le  plus 
puissant.  D'après  une  statistique  de  1881,  il  y  avait 
alors  en  territoire  allemand  trente-deux  fondations  ou 
maisons  distinctes  de  diaconesses,  comprenant  environ 
36i0  sœurs.  Dans  ce  nombre,  après  la  maison  primor- 
diale de  Kaiserswerth,  la  plus  remarquable  est  sans 
doute  celle  de  Neuendetlelsau,  prèsd'Ansbacb  (Bavière), 
qui,  par  les  écrits  de  son  fondateur  Lôhe,  a  exercé  et 
exerce  une  inlluence  considérable  sur  l'esprit  de  toutes 
les  autres.  L'exemple  de  l'Allemagne  a  été  suivi  à 
l'étranger,  quoique  avec  beaucoup  moins  d'entrain  et 
d'ampleur;  et,  dans  la  plupart  des  cas,  on  s'est  inspiré 
des  idées  et  des  règles  adoptées  en  Allemagne.  11  y  a 
actuellement  des  maisons  de  diaconesses  en  Russie,  en 
Suède,  en  Norvège,  en  Danemark,  en  Angleterre,  en 
Hollande,  en  Autricbe-Hongrie,  en  Suisse.  11  en  existe 
également  aux  Etats-Unis.  La  France  possède,  pour  sa 
part,  deux  maisons  mères  à  Paris  ;  elle  a  aussi  quelques 
établissements  en  province,  par  exemple  à  Nancy. 
Chaque  maison  répartit  ses  sujets  dans  différentes 
«  stations»,  suivant  les  circonstances.  En  1890, cinquante- 
quatre  ans  après  la  première  fondation,  on  comptait 
soixante-quinze  maisons  mères  ou  fondations  indépen- 
dantes et  8478  diaconesses,  dont  l'activité  embrassait  à 
peu  près  toutes  les  formes  de  la  charité  :  hôpitaux, 
hospices,  orphelinats,  pensions,  dispensaires,  établisse- 
ment d'aliénés,  refuges,  etc. 

Les  créateurs  et  les  organisateurs  des  diaconesses  ont 
toujours,  par  conviction  assurément,  mais  peut-être 
aussi  en  partie  par  un  opportunisme  nécessaire,  c'est- 
à-dire  par  ménagement  pour  l'opinion  publique  de 
leurs  milieux,  proclamé  hautement  leur  intention  de  se 
tenir  bien  à  distance  des  institutions  catholiques  simi- 
laires :  c'est  pour  cela  qu'ils  déclarent  exclure  les  vœux 
proprement  dits  de  religion,  surtout  les  vœux  perpé- 
tuels de  pauvreté,  d'obéissance  et  de  chasteté;  c'est 
pour  cela  aussi  que  |  lusieurs  ont  protesté  contre  tout 
dessein  de  restauration  même  partielle  de  la  vie  con- 
templative. Il  semble  que  ces  derniers  aient  craint  un 
retour  à  ce  que  Calvin  appelait  élégamment  «  l'ordre 
oisif  des  nonnains.  »  Et  pourtant,  il  faut  bien  le 
reconnaître  :  malgré  les  craintes,  les  protestations  et 
les  précautions,  la  plupart  des  établissements,  parleur 
organisation  extérieure  du  moins,  par  leurs  moyens  et 
leur  forme  de  vie  sociale,  rappellent  étrangement, 
quelques-uns  à  s'y  méprendre,  les  ordres  religieux 
dont  s'honore  le  catholicisme.  Le  groupe  des  «  Sœurs 
de  la  Miséricorde  »,  qui,  fondé  en  1864,  a  étendu  son 
action  jusqu'à  Ilonolulu,  la  capitale  des  iles  Sandwich, 
fut,  le  23  août  1871,  de  la  part  de  l'évêque  Stanley, 
l'objet  d'une  déclaration  désobligeante,  portant  qu'il 
était  «  fort  utile  dans  les  écoles,  mais  dangereux  par 
son  organisation  et  trop  semblable  aux  ordres  romains.  » 
En  Angleterre  et  en  Amérique,  les  diaconesses  forment 
le  plus  souvent  de  véritables  congrégations,  qui  sont 
complètement  sous  la  dépendance  de  l'évêque.  De  là 
cette  définition,  formulée  dans  un  manifeste  épiscopal 
et  rapportée  par  le  Rev.  J.  S.  Howson,  Deaconesses, 
Londres,  1862  :  «  Une  diaconesse  est  une  femme  qui  a 
été  mise  à  part  par  l'évêque  pour  le  service  de  l'Eglise 
et  revêtue  par  lui  de  ce  titre.  Il  pourra  toujours  la 
révoquer.  » 

Abstraction  faite  de  ce  trait,  particulier  aux  instituts 
de  langue  anglaise,  et  à  s'en  tenir  aux  grandes  lignes, 
on  peut  ainsi  esquisser  la  physionomie  commune  des 
maisons  de  diaconesses.  Les  postulantes,  jeunes  filles 
ou  veuves,  qui  n'y  sont  reçues  généralement  qu'après 


dix-huit  ans  et  avant  quarante,  doivent  se  soumettre  à 
une  ('preuve  de  deux  ans;  pendant  la  première  ain 
elles  s'appellent  sœurs  d'essai,  et  pendant  la  second'-, 
novices  ou  sœurs  adjointes.  Vient  ensuite  la  «  consécra- 
tion »  (Einsegnung),  à  laquelle  elles  se  préparent  par 
une  retraite  de  huit  à  quinze  jours.  Elle  est  entourée 
de  différentes  cérémonies  religieuses,  mais  consiste 
essentiellement  dans  rémission  des  «  promesses  des 
diaconesses  »  et  la  réception  d'une  bénédiction  par 
imposition  des  mains  du  ministre  ou  de  la  supérieure. 
Aux  promesses  ainsi  émises,  dans  la  plupart  des  maisons 
on  donne  le  nom  de  vœux,  tandis  qu'ailleurs  on  repousse 
celte  appellation  comme  équivoque  et  dangereuse. 
Elles  ont  pour  objet  «  l'obéissance,  la  bonne  volonté 
(WUligkeit)  et  la  fidélité  dans  la  fonction  de  diaco- 
nesses. »  A  ces  trois  obligations  certaines  règles  ajou- 
tent celle  de  «  franchise  »,  entendant  par  là  le  devoir 
de  ne  point  contracter  de  promesse  de  mariage  sans  en 
avoir  averti  au  préalable  l'inspecteur  ou  la  supérieure 
de  l'établissement.  Par  ces  mêmes  promesses,  la  diaco- 
nesse s'engage  simplement  «  pour  aussi  longtemps  que 
le  Seigneur  la  laissera  dans  cette  vocation;  »  mais 
chacune  doit,  par  devers  soi,  avoir  l'intention  sérieuse 
de  persévérer  indéfiniment,  de  se  dévouer  toute  sa  vie. 
Les  sœurs  de  chaque  maison  portent  un  costume 
uniforme,  et  elles  font  ensemble  un  certain  nombre 
d'exercices  pieux,  qui  constituent  précisément  leur  vie 
religieuse  commune  :  prières,  méditations,  lectures, 
assistance  à  l'office  divin  et  à  des  conférences,  partici- 
pation à  la  cène,  et,  presque  partout,  «  demi-heure 
quotidienne  de  recueillement  »  (stille  halbe  Stunde). 
La  matière  des  lectures  est  très  souvent  fournie,  sans 
parler  de  l'Écriture  sainte,  par  les  ouvrages  spéciaux 
de  Fliedner  et  de  Lobe.  Celui-ci  a  puisé  abondamment 
pour  composer  ses  recueils  et  ses  instructions,  aux 
sources  canoniques,  rituelles,  ascétiques  et  hagiogra- 
phiques dont  l'Église  a  conservé  le  patrimoine  tradi- 
tionnel. Celles  qui  le  suivent  se  meuvent  donc,  sans 
s'en  douter,  sur  un  terrain  catholique,  elles  vivent  du 
fonds  doctrinal  et  moral,  toujours  inépuisable,  du  catho- 
licisme. La  congrégation  des  «  Diaconesses  du  Mary- 
land  »  a  une  règle  qui  prescrit  même  les  six  heures 
canoniques  de  la  prière.  En  dehors  des  pratiques 
susdites,  on  recommande  la  confession  et  l'absolution 
publiques,  voire  la  c'onfession  privée.  Celle-ci,  dit 
Schàfer,  «  est  le  pivot  de  toute  conduite  spirituelle; 
sans  elle  il  n'est  point  de  direction  forte  et  efficace  ». 
Bien  que,  théoriquement,  les  sœurs  doivent  s'atta- 
cher à  leur  vocation  par  pure  reconnaissance  pour 
Jésus-Christ,  en  souvenir  des  grâces  reçues  de  lui: 
bien  qu'elles  ne  doivent  voir  dans  le  célibat  auquel 
elles  sont  astreintes  qu'une  nécessité  résultant  de  leurs 
obligations  d'état,  et  que  le  dogme  protestant  leur 
interdise  de  rêver  d'œuvres  méritoires  ou  d'une  excel- 
lence intrinsèque  de  la  virginité,  l'expérience  prouve 
que  beaucoup  suivent  l'indication  concordante  de  la 
raison  et  de  la  révélation  chrétienne,  en  s'encourageant 
dans  leur  tâche  par  l'espérance  de  la  récompense 
céleste;  elle  établit  aussi  que  beaucoup,  parmi  celles 
qui  persévèrent,  en  viennent  à  envisager  et  à  aimer  la 
virginité  comme  une  condition  en  soi  plus  noble  que 
celle  du  mariage. 

J'ai  dit  :  parmi  celles  qui  persévèrent.  La  plupart, 
en  effet,  ne  fournissent  qu'un  service  temporaire.  Les 
meilleurs  amis,  les  promoteurs  les  plus  intelligents  de 
cette  institution  constatent  le  fait,  en  le  déplorant  et  en 
détaillant  et  recommandant  les  mesures,  trop  souvent 
inopérantes,  par  lesquelles  on  tente  d'j  remédier.  Des 
160 sœurs  qui  ont  desservi  l'hôpital  Elisabeth,  de  Berlin, 
pendant  une  période  de  vingt-cinq  ans,  de  1837  à  1862, 
cent-vingt,  soit  exactement  les  trois  quarts,  n'ont  pas 
persévéré.  L'établissement  de  Bélhanie,  dans  la  même 
ville,  a  vu  passer,  durant  une  période  égale  (1847-t! 


701 


DIACONESSES 


702 


586  sœurs  dont  337,  c'est-à-dire  plus  de  la  moitié,  ont 
quitté  l'habit.  De  1836  à  1881,  1  054  sœurs  ont  été  reçues 
à  la  maison  de  Kaiserswerth  ;  de  ce  nombre,  110  sont 
mortes  comme  diaconesses,  tandis  que  460,  soit  encore 
la  moitié  du  reste,  «  ont,  dit  Schàfer,  contracté  mariage, 
sont  rentrées  chez  des  parents  qui  avaient  besoin  de 
leurs  soins  ou  se  sont  engagées  dans  d'autres  car- 
rières. »  Le  même  auteur  se  plaint  de  la  défiance  à 
laquelle  les  diaconesses  se  heurtent  fréquemment 
auprès  des  particuliers  comme  des  autorités  publiques, 
et  du  petit  nombre  de  recrues  qu'elles  font  là  où  elles 
devraientsurtouten  trouver,  parmi  les  filles  des  pasteurs. 
.Malgré  ses  desiderata  et  ses  imperfections,  l'œuvre 
de  Fliedner  et  de  ses  imitateurs  a  son  mérite  propre, 
que  nous  ne  songeons  pas  à  nier  ou  à  dissimuler;  elle 
répond  à  une  sorte  de  nécessité  sociale.  Les  diaconesses 
ont  rendu  et  rendent  des  services  très  appréciables,  et 
beaucoup  remplissent  leurs  devoirs  avec  une  conscience 
et  un  dévouement  dignes  de  tous  éloges.  Leur  création 
et  leur  activité  multiple  feraient  incontestablement 
honneur  au  protestantisme,  si  elles  n'existaient  et  ne 
se  maintenaient  en  grande  partie  à  rencontre  et  aux 
dépens  des  principes  mêmes  du  protestantisme.  Des 
protestants,  tels  M.  et  Mme  Agénor  de  Gasparin,  en 
France,  le  leur  ont  reproché  et  les  ont  combattues  de 
ce  chef.  De  fait,  il  ressort  de  ce  que  nous  avons  dit 
qu'elles  s'organisent,  se  développent  et  se  fortifient 
précisément  dans  la  mesure  où  elles  s'éloignent  des 
théories  fondamentales  de  la  réforme  sur  l'individua- 
lisme religieux,  sur  la  gratuité  du  salut,  sur  l'immo- 
ralité des  vœux  et  des  engagements  delà  vie  monastique, 
sur  l'inutilité  ou  le  danger  tant  de  la  vie  contemplative 
que  d'une  foule  de  pratiques  extérieures,  cultuelles  ou 
ascétiques.  Par  contre,  si  leurs  organismes  restent 
faibles  et  branlants,  s'ils  soutirent  de  la  tiédeur  el  de 
l'inconstance  des  membres,  si  les  défaillances  et  les 
défections  individuelles  y  sont  de  tous  les  jours,  si  le 
succès  enfin  ne  répond  qu'imparfaitement  aux  vues 
généreuses  des  créateurs  et  des  promoteurs,  cela  tient 
à  des  lacunes  doctrinales  et  à  des  pauvretés  inorales 
que,  seul,  le  retour  à  l'unité  romaine  pourrait  combler. 
Il  n'est  personne,  parmi  les  protestants  éclairés  et  im- 
partiaux,qui,  comparant  les  sœurs  de  charité  catholiques 
aux  diaconesses,  ne  proclame  la  supériorité  des  pre- 
miêrea,  sous  le  rapport  de  la  vitalité  interne  comme  de 
l'activité  bienfaisante.  Autant  le  fait  est  incontestable  et 
incontesté,  autant  les  raisons  en  sont  manifestes.  Les 
de  charité  s'  pour  toute  la  vie,  de  tout 

leur  cœur,  Bans  réserve  ni  arrière-pensée;  aux  diaco- 
ii'  ministère  n'apparaît  souvent  que  comme  un 
d'attente,  parfois  comme  un  pis-aller  provisoii 
Contre  les  difficultés  inséparables  de  leur  tâche,  contre 
les  angoisses  du  doute,  contn  oùts  et  découra- 

gements éventuels,  les  premières  trouvent  un  refuge  el 
un  appui  BÛrs  dans  l'enseignement  séculaire  de  l'J 
concernant  notamment  la  nécessité  et  le  mérite  des 
œuvres  charitables,  l'excellence  de  la  virginité  et  des 
vœux  de  religion;  cet  appui  et  cet  abri,  les  diaconesses 
chercheraient  vainement  dans  le  sentimentalisme 
'■t    les   ih  '-ues,   inconsistantes,  du  piétiame, 

du  néo-luthéranisme  ou  même  de  l'anglicanisme;  or, 
i  trois  tendant  i  -  générales  que  semblent  te 

ni  r  pi'  -  |ue  touti     leurs  maisons.  C -ou lien 

di     la   volonté  pour  loua  l<  a  jour-  el   pour  tous  li  a 

"i1-.  i al ut  continuel  d'un  zèle  el  d  un 

uement  qui  n-  doivent  jamais  se  démentir,  que 
pourrait-on  comparer  i  ci  \w  possède  la  sœur  de 
chariti  dam  m  •  t  onstitution  éprouvées 

par  i  ■  ip<  i  ii  r,  .1  .n-  la  méditation  el  les 

prièrei  en  com n  el  en  particulier;  dans  des reti 

i  m     la   dire*  lion    de    aupéi  ieures,    qui 
omme  elle,  pour  toujours  i  la  roi  ation 
mune,  ont  touti  aaconl  tout  dans  la  confi 


sacramentelle,  l'assistance  à  la  sainte  messe,  la  visite 
au  saint-sacrement,  la  communion  fréquente  ou  quoti- 
dienne? On  a  vu  au  prix  de  quelles  inconséquences  et 
sous  l'empire  de  quelles  nécessités  les  fondateurs  et 
organisateurs  des  diaconesses  ont  tenté  d'imiter  ces 
choses,  de  suppléer  à  ces  ressources.  Envisagés  au  point 
de  vue  de  la  logique  et  de  la  cohérence  intrinsèque, 
tous  leurs  essais,  tous  leurs  efforts  se  présentent  encore 
moins  comme  des  imitations  que  comme  de  malheu- 
reuses contrefaçons.  Il  est  trop  clair  qu'à  leurs  pres- 
criptions et  règlements  il  manque  une  solide  base 
théologique,  et  elle  manquera  nécessairement  jusqu'au 
jour  où,  faisant  un  dernier  pas,  ils  se  décideraient  à 
rendre  leurs  œuvres  purement  et  simplement  catho- 
liques. En  attendant,  ce  n'est  pas  seulement  par  leur 
constance,  leur  abnégation,  leur  aptitude  et  fous  leurs 
mérites  professionnels,  c'est  aussi  par  leur  puissance 
de  diffusion  et  de  recrutement,  que  les  sœurs  de  charité 
continueront  à  laisser  loin,  bien  loin  derrière  elles 
leurs  émules  dissidentes.  Sur  ce  dernier  point,  voici, 
empruntée  à  une  source  non  suspecte,  au  Lexikon  fur 
Théologie  und  Kirchenwesen,  de  Iloltzinann  et  Zopffel, 
Leipzig,  1882,  une  constatation  digne  de  remarque  ; 
«  Dans  la  Prusse,  où  les  protestants  sont  en  majorité, 
il  y  a  plus  de  sœurs  de  charité  catholiques  qu'il  n'y  a 
de  diaconesses  dans  toute  l'Église  protestante;  le  nombre 
des  champs  d'activité  des  premières  en  Prusse  dépasse 
celui  des  établissements  desservis  par  les  diaconesses 
dans  le  monde  entier.  » 

A  consulter,  en  dehors  de  plusieurs  ouvrages  cités  au  cours  de 
cet  article  : 

1"  Sur  les  diaconesses  en  général,  Funk,  Didascalia  et  Con- 
stitutiones  apostolurum,  I'aderborn,  l'JOO,  t.  i;  Th.  Raynaud, 
De  sobria  aUerius  sexus  frequentatione  per  sacros  et  reli- 
giosos  homines,  c.  vin,  Lyon,  1633;  J.  Morin,  Commentarius 
de  sacris  Ecclesix  ordinationibus,  part.  III,  exercitatlo  X  : 
De  diaconissis,  earum  ordinatione  et  ministeriis,  secundum 
licclrsix  grœcœ  et  latines  praxim,  Paris,  1655,  p.  182-192; 
Thomaaein,  Vêtus  et  nuva  Ecclesix  disciplina,  Paris,  1688, 
c.  xlix-li,  p.  803-814;  J.  Pien  (Pinius),  dans  les  Acta  sancto- 
rum,  t.  xi. i,  p.  I-XXVin  :  De  Ecclesix  diaconissis;  Binglian:, 
Origines  ecclesiastici,  1.  Il,  c.  xxu,  Halle,  1751,  t.  i,  p.  351  sq.; 
Goar,  Rituale  Grœcorum,  Paris,  1C47,  p.  262-207:  llatlicr.  De 
sacris  eleclionibus,  part.  Il,  sect.  iv,  c.  n,  n.  14-20,  édit.  Migne, 
col.  830  sq.;  Binterim,  Dentwùrdigkeiten  der  christ. -katho- 
llschen  Kirche,  part.  I,  sect.  il,  c.  i,  s  0,  Mayence,  1825,  t.  i, 
p.  484-455;  dom  Parisol,  Les  diaconesses,  dans  la  llevue  des 
sciences  ecclésiastiques  (Lille)  de  1890,  8'  série,  t.  îx,  p.  289- 
304,481-496;  t.  x,  \>.  193-209;  Martfgny,  Dictionnaire  des  anti- 
quités chrétiennes,  Paris,  lue,;,,  art.  Diaconesses,  el  Veuves 
chrétiennes ;Chr.  Pescb,  Pralectiones  iogmaticx,  Kribourg-en- 

B is:iT,t.  vu,  p.  264 sq. ;  Petau,  dans  YAppendix  dt 

mi)  qui  fait  suite  au  Panarium  de  Baint  Êpiphane,  /'.  c, 
t.  xi.ii,  col.  1079,  10*0;  Hundhausen,  dans  le  Kirchenlea 

.  Fribourg-en-Brisgau,  Is84,  t.  m.  art.  Diaconissoi  ; 
.i  Wordsworth,  The  tninistry  of  grâce,  c.  v,  2,  Londres,  1903, 
p.  276-282;  S.  Many,  Pralectiones  de  sacra  ordinatione  I 
1905,  p.  170-183;  une  longue  note  de  dom  Leclercq,  dans  sa  tra- 
duction de  llefele.  Histoire  des  conciles,  Paris,  1908,  t.  il, 
p.  446-452. 

2*  Sur  les  données  du  JVouveai  i  aux 

diaconesses,  Beltamy,  art  Diaconesses,  dans  le  Dictionn 

la  Bible,  do  \  >  u,  col.  1400-1401;  Van  Sleenklste,  A  dus 

apostolorum  illustrât),  l*  édit.,  Bruges,  1882,  append.  VI  :  De 

Itres  'le  saint  Paul,  traduci 

enlaire,  Paris,  1905,  1. 1,  p.  336;  t.  n,  p.  139,  140,  ii"-i  19. 

.'.  sur  les  diaconesses  syriennes,  Sln 

■  '    '.  III  h. 

ianiê,  p.  B47-886    1         ^ 

I24aq.;  Laxoy,  De 
i 
18,  202-206, 

',   s  ■■il  •  uses  publica- 

tions 'i' 

n    i  mfan  U,  •<  vol.,   Haml rg,    is:  • 

\fonat  n  if  l/ï  ;  :  ' 

1880;  Monatssi  hrifl  fur  m>. 

1 


703 


DIACONESSES   —    DIACRES 


704 


Hanke,  etc.,  Gutersloh,  1880  sq.  ;  ensuite,  le  journal  de  Kaisers- 
werth  :  Der  Armen  und  Krankenfreund,  Katserawerth,  18W 
sq.,  el  celui  de  Neuendettelsau  :  Corrcspondenzblatt  der  Dia- 
conissenvon  Neuendettelsau,  Nordlingcn,  1808  sq.  ;  deux  ouvra- 
ges de  LShe,  Etwas  aus  der  Gescliiehte  des  Diaconissenh.au- 
ses  Neuendettelsau,  Niirnberg,  1870;  Von  der  Barmherzigkeit, 
2' édit..  Nôrdlingen,  1877;  Adélaide  liandau,  Zwôlf  Jahre  als 
Diaconissin,  2"  édit.,  Berlin,  1881  ;  Disselhoff,  Der  Rltein- 
Westf,  Diaconissen  Verein  und  seine  Arbcitsstiitten,  Kaisers- 
werth,  1882;  Hundliausen,  dans  le  Kirchenlexikon,  article  déjà 
cité;  Appia,  dans  le  Dictionnaire  des  sciences  religieuses,  de 
Lichtenberger,  Paris,  1878,  t.  III,  art.  Diaconesses;  Realency- 
clopildie  fur  protestantische  Théologie  und  Kirche,  3"  édit., 
1898,  t.  îv,  p.  604-016;  G.  Schul/.e,  Bethanien,  Die  ersten  50 
Jaltre  und  der  gegemvàrtiger  Stand  des  Diakonissenhauses 
Bethanien  zu  Berlin,  Berlin,  1897;  ld.,  Tropfen  aus  stillen 
Wassern,  Leipzig,  1902;  L.  Algenstaedt,  Frei  zutn  Dienst.  Dia- 
Itonissengeschichte,  3'  édit.,  1903;  E.  Wacker,  Der  Diakonis- 
senberuf,  3*  édit.,  2  vol.,  1902;  Kirchliches  Handlexikon,  Mu- 
nich, 1907,  t.  i,  col.  1099. 

J.   FORGET. 

DIACRES.  Le  diacre,  suivant  l'acception  usuelle 
du  mot,  est,  dans  l'Église  catholique,  le  ministre  sacré 
qui  occupe  le  degré  inférieur  de  la  hiérarchie  d'ordre 
divinement  instituée,  et  qui  reçoit,  par  son  ordination, 
le  pouvoir  d'assister  immédiatement  l'évêque  et  le 
prêtre  pour  la  célébration  de  la  messe  solennelle.  — 
I.  Nom. et  acceptions  diverses.  II.  Origine.  III.  Nombre. 
IV.  Attributions.  V.  Institution  divine.  VI.  Qualités  re- 
quises. VIL  Nature  sacramentelle  de  l'ordination  des 
diacres.  VIII.  Sa  matière  et  sa  forme.  IX.  Son  céré- 
monial. 

1.  Nom  et  acceptions  diverses.  —  Le  nom  français 
diacre  dérive,  par  le  latin  diaconus,  du  grec  Stâxovoç, 
dont  il  est  resté  l'équivalent  partiel  et  qui  le  repré- 
sente dans  la  littérature  primitive.  Ces  trois  termes 
ont  une  seule  et  même  histoire  ;  une  même  évolution  a 
produit,  dans  la  langue  du  chrislianisme,  leurs  diffé- 
rentes significations,  et  ils  ne  peuvent  convenablement 
s'étudier  qu'en  celui  qui  est  la  souche  commune.  A  son 
tour,  le  substantif  concret  Scâxovo;  correspond  au  verbe 
StàxovsTv  et  au  substantif  abstrait  £ia-/.ovc'a,  qui  nous 
serviront  à  l'expliquer. 

1°  Atav.ovEÏv.  —  1.  En  général,  c'est  aider,  assister 
quelqu'un,  lui  rendre  service.  En  ce  sens,  le  mot  im- 
plique une  idée  de  subordination,  de  dépendance,  qui 
toutefois  n'est  pas  accentuée  comme  dans  son  synonyme 
SouXe'Jscv.  Cf.  Matth.,  iv,  11;  vin,  15;  xx,  28;xxv,  44; 
xxvn,  55;  Marc,  t,  13,  31;  x,  45;  xv,  41;  Luc,  iv,  39; 
vin,  3;  x,  40;  xn,  37;  xvn,  8;  xxn,  26;  Philem.,  13; 
Heb.,  vi,  10;  IPet.,  i,  12;  iv,  10,  11. 

2.  De  là  -plusieurs  acceptions  particulières  :  a]  ser- 
vir à  table.  Ainsi,  Luc,  xxn,  17  :  «  Car  quel  est  le 
plus  grand,  de  celui  qui  est  à  table,  ou  de  celui  qui 
sert  ?  N'est-ce  pas  celui  qui  est  à  table?  Et  moi,  ce- 
pendant, je  suis  au  milieu  de  vous,  comme  celui  qui 
sert.  »  De  même  Matth.,  vin,  15;  Marc,  i,  31;  Luc,  iv, 
39;  x,  40;  xn,  37;  xvn,  8;  Joa.,  xn,  2.  Act.,  vi,  2,  4, 
ôiaxovstv  TparcéÇouç  est  opposé  à  Siaxovca  to-j  Xoyou 
upouxaptEpeiv  ;  non  pas,  pourtant,  qu'il  pût  être  ques- 
tion pour  les  Douze  qu'on  leur  proposât  de  servir 
personnellement  à  table  :  ce  qu'on  leur  demandait, 
c'était  de  veiller  à  une  juste  répartition  des  aliments, 
et  c'est  pour  ce  soin  qu'ils  firent  élire  les  sept  diacres. 
—  b)  Assister,  soulager  l'indigence,  recueillir  et  distri- 
buer des  aumônes.  Rom.,  xv,  25;  II  Cor.,  vin,  19; 
Heb.,  vi,  10.  —  c)  Rendre  service  dans  l'ordre  du  sa- 
lut,  mais  en  agissant  d'après  les  volontés,  sous  la  dé- 
pendance d'un  supérieur.  Act.,  xix,  22,  nous  lisons  : 
•<  Il  (Paul)  envoya  en  Macédoine  deux  de  ses  auxiliaires 
(SiaxovojvTwv  au™),  Timothée  et  i^raste.  »  Cf.  II  Cor., 
m,  3;  II  Tim.,  i,  18.  —  d)  Assister  comme  diacre,  dans 
l'acception  postérieure  et  toute  spéciale  du  terme. 
C'est  le  cas  pour  I  Tim.,  m,  10  :  «  Or,  ceux-ci  doivent 
être  d'abord  éprouvés,    et    ensuite,   s'ils  sont   trouvés 


sans  reproches,  qu'ils  exercent  l'office  de  diacre  (v.a- 
y.ovciTi.iTjv);  »  et  m,  13  :  «  Car  ceux  qui  rempliss',,/ 
bien  l'office  de  diacre  (8iaxovr,o-avTe;)  s'acquièrent  un 
rang  honorable  et  une  grande  assurance  dans  la  foi  en 
Jésus-Christ.  » 

2°  Les  diverses  acceptions  de  Staxovt'a  sont  sensible- 
ment parallèles  à  celles  de  Staxoveïv.  —  1.  Au  substan- 
tif aussi  il  faut  reconnaître  la  signification  générique 
d'assistance  ou  de  service  rendu,  d'un  ministère  quel- 
conque, l'idée  de  dépendance  que  nous  avons  notée 
dans  le  verbe  tendant  ici  à  s'atténuer.  —  2.  Quant  aux 
significations  particulières,  elles  se  succèdent  dans  le 
même  ordre  que  plus  haut,  avec  cette  différence  que 
le  dernier  sens,  le  sens  technique,  apparaît  à  peine 
dans  les  écrits  canoniques.  —  a)  Le  service  de  la  table, 
et  parfois  aussi  les  divers  soins  domestiques.  —  Marthe, 
la  sœur  de  Lazare,  lors  de  la  visite  du  Sauveur,  Luc. 
x,  40,  «  était  occupée  aux  multiples  besognes  du  mé- 
nage (tcoXXt)v  Bkxxovhxv);  »  et  les  Actes,  vi,  1,  nous  par- 
lent du  «  service  quotidien  »  (des  tables).  —  6)  Assis- 
lance  pécuniaire  ou  autre  semblable,  ministère  de 
bienfaisance,  consistant  à  recueillir  et  à  distribuer  des 
aumônes.  Je  dis  :  assistance  en  argent,  distribution  de 
secoursou  de  dons,  et  non  pas  simplement  secours,  dons, 
argent,  comme  on  a  traduit  quelquefois.  Cf.  Erinoni, 
Les  premiers  ouvriers  de  l'Evangile,  t.  i,  p.  8,  et,  en 
regard,  Wilke-Grimm,  Lexicon  grœco-lalinum  in  li- 
bros  N.  T.,  v°  Aiaxovta.  Les  Actes  nous  racontent,  xi. 
29,  que  les  disciples,  instruits  par  Agabus  de  la  famine 
qui  ravageait  la  terre,  «  résolurent  d'envoyer,  chacun 
selon  ses  moyens,  de  quoi  secourir  £::  Scaxoviav  jiéu.- 
^at)  les  frères  qui  habitaient  la  Judée  »  ;  xn,  25,  nous 
voyons  que  «  Barnabe  et  Saul,  après  s'être  acquittés  de 
leur  ministère  (de  bienfaisance),  s'en  retournèrent  de 
Jérusalem,  emmenant  avec  eux  Jean,  surnommé  Marc,  i 
Saint  Paul  exhorte  les  Romains,  Rom.,  xv.  31,  à 
adresser  à  Dieu  des  prières  en  »a  faveur,  «  afin  qu'il 
échappe  aux  incrédules  qui  sont  en  Judée  et  que  le 
ministère  (decharité)  qu'il  va  remplir  à  Jérusalem  soit 
agréable  aux  saints;  »  II  Cor.,  vin,  3,  4.  il  atteste  que 
tous  les  fidèles  de  la  Macédoine  «  ont  donné  volon- 
tairement, selon  leurs  moyens,  et  même  au  delà  de 
leurs  moyens,  demandant  avec  de  grandes  instances  la 
grâce  d'être  associés  à  ce  ministère  en  faveur  des 
saints  t>;  ix,  1,  il  revient  sur  «  le  ministère  en  faveur 
des  saints  »,  qu'un  peu  plus  bas,  ix,  12,  13,  il  appelle 
encore  «  le  ministère  de  cet  office  solennel»  et  dont  il 
dit  que  «  non  seulement  il  subvient  aux  nécessités  des 
saints,  mais  qu'il  vaut  à  Dieu,  par  surcroît,  de  nom- 
breuses actions  de  grâces,  provoquées  par  l'expérience 
de  ce  ministère.  »  —  c)  Service  oit  ministère  en  vue 
de  procurer  le  salut.  —  Celte  acception  est  celle  qui  se 
rencontre  le  plus  souvent  dans  les  livres  du  Nouveau 
Testament.  Saint  Paul  parle  aux  anciens  d'Éphèse,  Act., 
xx,  24,  du  «  ministère  qu'il  avait  reçu  du  Seigneur 
Jésus  »,  comme  il  en  parlera  plus  lard  aux  Corinthiens, 
II  Cor.,  iv,  1;  xi,  18,  et  à  Timothée,  I  Tim.,  i,  12. 
Rom.,  xi,  13,  il  déclare  qu'il  veut  faire  honneur  à  son 
ministère;  »  I  Cor.,  xn,  14,  il  atteste  qu'il  y  a  «  diver- 
sité de  ministères  sous  un  seul  Seigneur;  »  Eph..  iv. 
11,  12,  il  rappelle  que  Dieu  a  constitué  dans  l'Eglise 
différentes  fonctions  «  en  vue  du  perfectionnement  des 
saints,  pour  l'œuvre  du  ministère,  pour  l'édification  du 
corps  du  Christ».  La  IIe  Épitre  aux  Corinthiens  oppose, 
m,  7-9,  «  le  ministère  de  la  mort  et  de  la  condamna- 
tion »  au  o  ministère  de  l'esprit  et  de  la  justice.  »  donl 
on  peut  rapprocher  «  le  ministère  de  réconciliation, 
mentionné  v,  18.  Un  peu  plus  loin,  II  Cor.,  vi.  3, 
l'apôtre  affirme  qu'il  «  ne  donne  aucun  sujet  de  scan- 
dale, afin  que  le  ministère  ne  soit  pas  un  objet  de 
blâme.  » 

Ce  ministère  en  vue  du  salut,  de  même  que  Paul  l'a 
reçu  du  Seigneur,  ainsi  il  le  transmet  à  d'autres  au  nom 


705 


DIACRES 


706 


du  Seigneur,  et  c"est  dans  le  Seigneur  que  tous  doivent 
l'accomplir.  En  insistant  là-dessus,  l'apôtre  montre  qu'il 
s'agit  d'un  but  supérieur  aux  choses  de  ce  monde,  d'une 
fin  surnaturelle.  Voilà  pourquoi  il  mande  aux  Colos- 
siens,  iv.  17,  de  dire  de  sa  part  à  Archippe  :  *<  Consi- 
dère le  ministère  que  tu  as  reçu  dans  le  Seigneur,  afin 
de  le  bien  remplir;  »  c'est  dans  le  même  sens  qu'il 
écrit  à  Timotbée,  II  ïim.,  IV,  5  :  «  Quant  à  toi,  sois 
circonspect  en  toutes  choses,  endure  la  soullrance,  fais 
l'œuvre  d'un  prédicateur  de  l'Évangile,  sois  tout  entier 
à  ton  ministère.  »  Aussi  bien  les  anges  eux-mêmes  sont, 
Heb.,  I,  14,  «  envoyés  pour  exercer  le  ministère  dans 
l'intérêt  de  ceux  qui  doivent  recueillir  l'héritage  du 
salut;  »  et  Rom., xii,  7,  le  ministère  est  mis  au  nombre 
des  charismes,  mais  des  charismes  entendus  assuré- 
ment dans  l'acception  large  du  mot,  celle  que  connaissent 
les  documents  de  celle  époque.  Cf.  Bruders,  Die  Ver- 
fassung  der  Kirclie,  p.  69  sq.,  396. 

Nous  retrouvons  ce  sens  spirituel,  mais  général,  du 
terme  5  ta  ovi'a  dans  les  Pères  apostoliques.  C'est  ainsi 
(|ue  la  7a  Cor.,  de  saint  Clément,  xi.,  5,  I'unk,  Paires 
apostolici,  2e  édit.,  Tubingue,  1801,  t.  i,  p.  150,  men- 
tionne les  ministères  propres  aux  lévites  de  l'ancienne 
loi.  Saint  Ignace  adopte  plusieurs  fois  la  même  accep- 
tion :  Ad  Magn.,  vi,  1,  Funk,  t.  i,  p.  23 i-,  il  déclare  que 
le  ministère  de  Jésus-Christ  a  été  confié  aux  diacres;  » 
Ad  Philad.,  I,  1,  Funk,  t.  I,  p.  26i.  il  enseigne  que 
a  l'évéque  ne  tient  ni  de  lui-même  ni  des  hommes,  mais 
de  la  charité  de  Dieu  le  Père  et  du  Seigneur  Jésus- 
Christ,  le  ministère  qu'il  remplit  à  l'égard  de  la  com- 
iituiiauli '■  ;  g  iliitl.,  x,  2,  I'unk,  t.  I,  p.  272,  il  proclame 
c  heureux  en  Jésus-Christ  celui  qui  sera  trouvé  digne 
d'un  tel  ministère,  ■  c'est-à-dire  d'être  député  parles 
Philadelphiens  à  l'Église  d'Antioche  pour  fêter  reli- 
gieusement avec  elle  la  paix  que  Dieu  lui  a  accordée. 

*'  Mais.  Ad  Smyrn.,  xn,  1,  Funk.  t.  i,  p.  284,  il 
semble  bien  que  la  8eoû  Staxovîct,  parce  qu'elle  est 
jointe  au  nom  du  diacre  Burrhus,  qui  en  est  «  un 
modèle  i .  soit  le  diaconat  au  sens  propre  el  spécial  du 
Nouveau  Testament.  Peut-être  est-ce  également  le  cas 
pour  ce  passage  de  l'Épltre  aux  Romains,  xn.  7,  où 
saint  Paul  nomme  deux  fois  la  Siaxovfa  eu  l'opposant 
à  d'autres  •  charismes  »  ou  fonctions  et  notamment  ■> 
l'office  des  prophètes  et  à  celui  des  docteurs.  Cf.  Wilke- 
Grimm,  Lexicon  grseco-lat.,  v  Âtaxovla. 

NOUS  arrivons  au  terme  fondamental   îtâxovoç.  — 

I.  Se  rattachant,  d'après  les  étymologistea  modernes, à 

la  racine  ît/.,   qui  exprime  l'idée  de  lancer,  il  désigne 

ni  un  serviteur  en  général,  celui  qui,  par  l'ordre 

direction  d'un  autre,  s'acquitte  d'une  tâche 

quelconque.  Ici,  la  notion  de  subordination  dans  l'action 

est  beaucoup  plus  marquée  que  dans  l'abstrait  Sioxovfa; 

apparaît,  peur  ainsi  dire,  au  premier  plan.  Qu'on 

uge  par  quelques   exemples,  s. nui  Paul  écril  aux 

\\  .s  I  aMii  ne   que  li    Christ      •  -i  fait   le 

îtixovov,  de  la  circoncision,  pour  confirmer 

aux  t  lalates,  n,  17  :       l  i 

Christ  serait-il  serviteur  du  péché?  Loin  delà'      In- 

ni   par  développement  de  la  même  idée  d'infério- 

rit'  .  de  subordination,  Stixovoç  désigne  celui  qui  a  les 

i  attitude    de   I  humilité  chrétienne.    Le 

'■  celte  rec mandalion  disi  iples, 

Mai"  onque  veut  être  grand  parmi 

qu'il  te  fasse  voti  et  il 

un,   Il  Le  plus  grand  pai mi   von 

■    Ulleur  11  déi  lan  plm 

meut  encore        Si  quelqu'un  veut  être  le  premier, 
nier  de  t<       el         •     ileur  de  to 

S.  t  ni  logique- 

iquemenl  tmis 
i  ■   (liai  c    ou  plutôl  le  •   I  ivenl  celui 

table   l' m    la  p  iraboli  du  t 

un  I.  D1    rilÊOL.  <  fcTHOl  . 


Matth.,  xxii,  13,  «  le  roi  dit  aux  serviteurs.  »  Le  récit  des 
noces  de  Cana  présente  deux  fois,  Joa.,  n,  5,  9,  la  même 
acception.  Nous  voyons  d'ailleurs  par  Act.,  vi,  5,  que 
c'est  à  l'occasion  de  cette  fonction  matérielle  que  furent 
institués  les  sept  premiers  diacres  proprement  dits  dont 
l'histoire  fasse  mention.  —  b)  Le  Stâxovoç  est,  en  second 
lieu,  celui  qui  sert  Dieu  en  travaillant  à  l'œuvre  du 
salut,  dans  l'économie  chrétienne.  Le  nom  est  donc 
applicable  à  tous  les  fidèles,  et  Jésus  a  pu  dire  de  tous 
ceux  qui  le  suivraient,  Joa.,  xir,  26  :  «  Là  où  je  suis, 
là  aussi  sera  mon  serviteur.  »  Mais,  par  l'usage,  cette 
signification  s'est  précisée  :  puisque  le  diacre  est  l'ou- 
vrier du  salut,  on  comprend  que  le  mot  ait  désigné 
plus  parliculièrement  les  hommes  choisis  et  adaptés 
par  Dieu  à  cette  œuvre.  Paul  se  donne  lui-même,  Eph., 
mi,  7;  Col.,  i,  23,  25,  comme  «  devenu  ministre  de 
l'Évangile  selon  le  don  de  la  grâce  divine;  »  c'est  Dieu, 
dit-il,  II  Cor.,  ni,  6,  qui  «  l'a  rendu  capable  d'être 
ministre  d'une  nouvelle  alliance.  »  11  étend  cette  déno- 
mination à  ses  coopérateurs  tant  ambulants  que  séden- 
taires, lorsqu'il  écril,  parexemple,  II  Cor.,  vi,  4:  «  Nous 
nous  rendons  recommandables  en  toutes  choses,  ainsi 
qu'il  sied  à  des  ministres  de  Dieu.  »  Par  application 
du  même  sens,  I  Thess.,  m,  2,  Timotbée  est  qualifié  de 
«  ministre  de  Dieu  dans  l'Évangile  du  Christ  »; 
Tychique  est  appelé  par  deux  fois,  Eph.,  VI,  21;  Col., 
iv,  7,  «  frère  bien-aimé  et  fidèle  ministre  dans  le  Sei- 
gneur »  ;  Fpaphras  est  dit  également,  Col.,  I,  7,  un 
«  fidèle  ministre  du  Christ  ».  Par  analogie,  Rom.,  xm, 
ï,  le  pouvoir  séculier,  auquel  nous  devons  obéissance, 
est  proclamé  «  ministre  de  Dieu  ».  Cette  acception  est 
tellement  usuelle  que  le  même  terme  est  appliqué  par 
contraste,  II  Cor.,  xi,  15,  au  «  ministre  de  Satan  ». 
Xous  avons  enfin  un  exemple  de  l'exlension  du  nom  à 
une  femme,  puisque  l'apotre,  Rom.,  xvi,  1,  recommande 
«  Phœbé,  diaconesse  (oîffav  ôidxovov)  de  1  Église  de 
Cenchrées.  »  —  c)  Jusqu'ici  le  mot  Stâxovoç  a  embrassé 
les  différentes  formes  d'activité  que  les  croyants  exer- 
cent en  faveur  de  l'Evangile.  En  poursuivant  son  évo- 
lution et  en  se  précisant  davantage,  il  finit  par  indi- 
quer une  classe  déterminée  de  minisires  à  fonctions 
spéciales.  Les  diacres  proprement  dits  vont  apparaître, 
pour  constituer  un  troisième  degré  hiérarchique,  après 
les  évéques  et  les  prêtres.  A  cette  phase  se  rattachent 
l'hil.,  I,  1,  où  Paul  salue  »  les  saints  dans  le  Christ 
Jésus  qui  sont  à  Philippes,  ainsi  que  les  épiscopes  el 
les  diacres,  »  et  I  Tim.,  ni,  8-12,  où  nous  trouvons 
énuinérées  les  qualités  des  diacres,  notamment  qu'ils 
doivent  être  honnêtes,  éloignés  de  la  duplicité,  des 
excès  du  vin,  d'un  gain  sordide  et  mariés  une  seule 
fois.  L'apôtre  ne  définit  pas,  d'une  façon  précise,  le 
rôle  des  diacres.  D'après  l'ensemble  des  données  que 
nous  fournissent  les  Epitres  pastorales,  ils  forment,  i 
côté  et  visiblement  au-dessous  des  presbj  très  ou  i  pis 
copes,  une  cati  jorie  d'officiers  inférieurs  el  chai 
surtout  des  services  matériels.  Saint  Paul  n'exige  pas 
expressément  pour  eux,  comme  pour  les  presbytres- 
épiscopes,  l'aptitude  A  enseigner.  Cf.  Lemonnyer, 
Epitres  de  saint  l'uni,  t.  m.  p.  139,  lin. 

Les  écrits  de  l'âge  apostolique  confirment  cet  Indi- 
cations en  les  complétant.  La  Didachè  <■'  borne,  x\. 
1,2,  d.i n-  Punk,  /'n  (ici,  1. 1.  p.  32.  i  nommer 

évéquea  el  ■<  énumérer  les  qu  il 
requise    dam  I  les  .mires,  en  ajoutant  qu'ils 

el    ■!'  -  docteurs  et 
qu'ils  sont  hou  me  eux.  La  /    Cor.  nom  ap- 

j  ■  i  ■  mi .  vin.  i.  dans  I'unk.  t.  i.  |i    169,  que  l( 
i  établirent  leurs  prémicea  comme  évéques  et  diai 
des  futurs  croyants.     Poui     tintl  kntloche  les 

diai  !•      ont  ordinairement  une  troisième  i  lasse  'i  ofB 

■  [vent  .iu\ 
Ephésiens,  il  loubaite,  it,  I,  I  unk,  t.  i,  p  ..'li.  que  le 
diacre  Burrhus  <  demeure  auprèi  de  lui,  pour  l'bon- 

l\     -   23 


707 


DIACRES 


708 


neur  des  Éphésiens  mêmes  et  de  leur  évêque.  o  Aux 
Magnésiens,  II,  Funk,  t.  i,  p.  232,  il  parle  de  leur 
[ue  Damas,  des  presbvtres  Bassus  et  Apollonius  et 
du  diacre  Zotion,  son  coopérateur;  il  mentionne  en- 
core les  trois  ordres,  vi,  I  ;  un,  1,  Funk,  p.  234,  240. 
Il  dit  aux  Tralliens,  il,  3,  Funk,  t.  i,  p.  244,  que  «  les 
diacres,  ministres  des  mystères  de  Jésus-Christ,  doivent 
plaire  à  tout  le  monde,  car  ils  ne  sont  pas  les  servi- 
teurs, les  diacres,  des  aliments  et  du  breuvage,  mais 
les  ministres  de  l'Eglise  de  Dieu,  obligés  dès  lors  à  se 
garder  des  reproches  comme  du  feu.  »  «  Que  tous, 
ajoute-t-il,  m,  1,  Funk,  t.  I,  p.  244,  respectent  pareil- 
lement les  diacres,  l'évêque  et  les  presbytres  :  sans 
eux  il  n'est  point  d'Église;  »  et  vil,  2,  Funk,  t.  i,  p.  248, 
il  déclare  que  «  quiconque  fait  quelque  chose  sans 
l'évêque,  le  presbyterium  et  les  diacres,  n'est  pas  pur  de 
conscience.  »  La  suscription  de  la  lettre  aux  Philadel- 
phiens,  Funk,  t.  i,  p.  264,  nomme  les  diacres  à  côté  de 
l'évêque  et  des  presbylres;  ibid.,  iv,  Funk,  t.  i,  p.  266, 
nous  lisons  :  «  Il  n'y  a  qu'un  autel,  comme  il  n'y  a  qu'un 
évêque  avec  le  presbyterium  et  les  diacres;  »  vu,  1, 
Funk,  t.  I,  p.  270,  l'auteur  «  crie  d'une  grande  voix,  de 
la  voix  de  Dieu  :  Attachez-vous  à  l'évêque,  au  presby- 
terium et  aux  diacres;  »  x,  1,  2,  Funk,  t.  i,  p.  272,  il 
recommande  de  choisir  un  diacre,  pour  le  députer  à 
Antioche,  d'autres  églises  voisines  y  ayant  envoyé  soit 
des  évêques,  soit  des  presbytres  et  des  diacres.  Aux 
Smyrniens  il  ordonne,  vin,  1,  Funk,  t.  i,  p. 282  :«Tous, 
obéissez  à  l'évêque,  comme  Jésus-Christ  au  Père,  et 
au  presbv  terium,  comme  aux  apôtres  ;  quant  aux  diacres, 
respectez-les  comme  le  commandement  de  Dieu;  »  un 
peu  plus  loin,  ibid.,  xn,  2,  Funk,  t.  i,  p.  286,  il  «  salue, 
avec  l'évêque  et  le  presbyterium,  les  diacres,  ses  coo- 
pérateurs  dans  le  service  de  Dieu.  »  Sa  lettre  à  Poly- 
carpe  proteste,  VI,  1,  Funk,  t.  i,  p.  292,  qu'  «  il  est  prêt 
à  donner  sa  vie  pour  ceux  qui  sont  soumis  à  l'évêque, 
aux  presbytres,  aux  diacres.  >> 

Partout,  du  reste,  dans  les  lettres  d'Ignace,  les  diacres 
sont  présentés  comme  formant  le  degré  inférieur  de 
la  hiérarchie  tripartite  :  non  seulement  ils  sont  con- 
stamment nommés  les  derniers,  mais  Ad  Magnes.,  n, 
F'unk,  t.  i,  p.  232,  le  diacre  Zotion  est  loué  d'être  «sou- 
mis à  l'évêque,  comme  à  la  grâce  de  Dieu,  et  au  pres- 
byterium, comme  à  la  loi  de  Jésus-Christ.  »  Il  est  éga- 
lement clair,  surtout  par  Ad  Trall.,  m,  1,  et . 4d  Sm yrn. , 
vin,  1  (voir  plus  haut), que  leur  existence  et  leur  auto- 
rité reposent  sur  le  fait  de  l'institution  divine. 

Peu  après  la  mort  de  saint  Ignace,  saint  Polycarpe, 
dans  sa  lettre  aux  Philippiens,  semble  assigner  le 
même  rôle  et  la  même  dignité  aux  diacres  :  v,  2,  3. 
Funk,  t.  i,  p.  300,  302,  il  les  distingue  expressément 
des  presbytres,  et  il  détaille  les  qualités  qui  leur  sont 
nécessaires,  en  établissant,  tout  comme  nous  avons  vu 
Ignace  le  faire,  Ad  Trall.,  il,  3,  un  rapprochement 
entre-leur  nom  officiel  de  diacres,  Sientovoi,  et  le  sens 
primitif  de  ce  nom  :  «  Les  diacres  doivent  être  irré- 
prochables, en  tant  que  diacres  de  Dieu  et  non  des 
nommes,  étrangers  à  la  médisance  et  à  la  duplicité, 
désintéressés,  modérés  en  tout,  miséricordieux,  soi- 
gneux, marchant  selon  la  vérité  du  Seigneur,  qui  s'est 
fait  le  serviteur  (Siâxovo;)  de  tous.  » 

Ainsi,  dans  l'usage  ecclésiastique,  le  sens  du  terme 
Siâxovoç  s'était  vite  restreint  et  fixé  aux  limites  que 
son  dérivé  diacre  devait  garder  au  cours  des  siècles. 
La  Vulgate  n'emploie  le  mot  diaconus  que  dans  ce 
sens.  Cf.  Phil.,  i,  1;  I  Tim.,  m,  8,  12.  C'est  celui 
que  nous  aurons  désormais  devant  les  yeux.  Remar- 
quons en  passant  que  les  anciens  écrivains  et  les  Pères, 
pour  désigner  le  ministre  dont  il  s'agit,  se  servent 
assez  souvent  du  nom  de  lévite,  emprunté  à  l'Ancien 
Testament.  Saint  Clément  leur  avait  ouvert  la  voie, 
dans  un  passage  célèbre  de  la  Ja  Cor.,  xi.,  5,  Funk,  1. 1, 
p.  150,  où,  tout  en   parlant   directement  du   «   grand- 


prêtre,  des  prêtres  et  des  lévites  »  de  la  loi  mosaïque, 
il  a  manifestement  en  vue  les  trois  degrés  de  la  hié- 
rarchie chrétienne. 

II.  OmiiiNE  des  diacres.  —  Bien  n'appuie  l'opinion 
de  Vitringa,  De  sijnagoga  velere,  p.  895,  suivant  la- 
quelle le  diacre  correspondrait  au  liazzdn  (virr,p£n)Ci 
Luc,  iv,  20),  ou  serviteur  de  la  synagogue.  Cf.  Michiels, 
L'origine  de  l'épiscopat,  Louvain,  1900,  p.  117.  Établi 
en  exécution  de  la  volonté  du  divin  fondateur  de 
l'Église,  le  diaconat  date  historiquement  de  l'aurore 
même  du  christianisme.  Selon  l'opinion  commune  des 
exégètes,  ce  sont  les  circonstances  de  sa  naissance  que 
nous  retrace  le  c.  vi,  1-6,  des  Actes. 

On  sait  que  les  premiers  fidèles  de  Jérusalem  avaient 
poussé  la  ferveur  et  la  charité  fraternelle  jusqu'à 
mettre  leurs  biens  en  commun.  Il  en  résultait  que 
tous  devaient  recevoir  du  fond  commun  ce  qui  était 
indispensable  à  leur  subsistance.  Voir  COMMUNISMI  . 
t.  ni,  col.  574  sq.  La  répartition  quotidienne  se  faisait 
vraisemblablement  par  certaines  personnes  agissant  au 
nom  et  sous  le  contrôle  des  apôtres.  Mais  la  commu- 
nauté ne  resta  pas  longtemps  à  l'abri  des  inconvénients 
humainement  très  explicables,  voire  malaisément  iné- 
vitables avec  un  semblable  régime.  Le  nombre  des  dis- 
ciples augmentant,  dit  saint  Luc,  des  plaintes  s'éle- 
vèrent du  milieu  des  Hellénistes,  c'est-à-dire  de  ces 
Juifs  qui,  nés  dans  la  Diaspora,  mais  fixés  dans  la  ville 
sainte,  continuaient  à  y  parler  entre  eux  le  grec,  leur 
langue  maternelle.  Les  réclamations  étaient  dirigées 
contre  «  les  Hébreux  ><  ;  entendez  les  fidèles  sortis  des 
rangs  des  Juifs  palestiniens.  Les  veuves  des  Hellé- 
nistes étaient,  disait-on,  négligées  ou  moins  bien  trai- 
tées que  les  autres  dans  la  distribution  habituelle  des 
vivres.  Il  semble  que  les  apôtres  aient  reconnu  au 
moins  quelque  fondement  à  ces  plaintes  ;  voici,  en  effet, 
comment  il  y  fut  donné  suite,  Act.,  vi,  2-6  :  «  Alors  les 
Douze,  ayant  réuni  la  multitude  des  disciples,  leur 
dirent  :  Il  ne  convient  pas  que  nous  laissions  la  parole 
de  Dieu  pour  servir  aux  tables.  Choisissez  donc  parmi 
vous,  frères,  sept  hommes  d'un  bon  témoignage,  rem- 
plis de  l'Esprit-Saint  et  de  sagesse,  à  qui  nous  puis- 
sions confier  cet  office;  et  nous,  nous  continuerons  à 
nous  appliquer  à  la  prière  et  au  ministère  de  la  parole. 
Cette  proposition  .plut  à  toute  l'assemblée  et  ils  élurent 
Etienne,  homme  plein  de  foi  et  du  Saint-Esprit,  Phi- 
lippe, Prochore,  Nicanor,  Timon,  Parménas  et  Nicolas, 
prosélyte  d'Antioche.  Ils  les  présentèrent  aux  apôtres, 
qui,  après  avoir  prié,  leur  imposèrent  les  mains.  » 
L'imposition  des  mains,  qui  fait  ici  son  apparition  dans 
l'histoire  des  origines  chrétiennes,  était  un  rite  en 
usage  depuis  longtemps  dans  la  religion  d'Israël.  On 
imposait  les  mains  aux  lévites,  Nu  m.,  vin,  10;  xxvn,  18; 
Moïse  impose  les  mains  à  Josué,  Deut..  xxxrv,  9  :  i  Et 
Josué,  fils  de  Navé,  fut  rempli  de  l'esprit  d'intelligence; 
car  Moïse  avait  placé  ses  mains  sur  lui.  »  Cette  céré 
monie  était  dans  l'ancienne  loi  et  elle  restera  dans  la 
nouvelle  un  rite  consécraloire,  le  symbole  de  la  trans- 
mission d'une  fonction  religieuse,  marquant  aussi,  gé- 
néralement, que  l'élu  recevait  la  grâce  spéciale  néces- 
saire pour  l'accomplir.  C'est  ainsi  que  Paul,  Il  Tim.,  i, 
6,  et  le  presbyterium.  I  Tim.,  iv,  li,  imposeront  les 
mains  à  Timothée;  c'est  ainsi  que  Timothée,  à  son 
tour,  devra  imposer  les  mains,  mais  prudemment  et 
seulement  après  mûr  examen,  1  Tim.,  v,  22.  à  d'autres 
ministres.  Cf.  Rose.  Les  Actes  des  apôtres,  p.  53;  Bru- 
ders,  Die  Verfassung  der  Kirche,  p.  356,  397. 

Les  sept  hommes  dont  saint  Luc  nous  rapporte  les 
noms  ne  sont,  ni  ici  ni  en  nul  autre  endroit  du  Nou- 
veau Testament,  qualifiés  diacres;  leurs  fonctions  seu- 
lement sont  caractérisées  par  les  mots  S-.axovia  et 
oiaxovîïv,  minis terium,  ministrare.  Mais  la  tradition 
chrétienne  a  toujours  vu  dans  ce  passage  le  récit  de  la 
création  du  diaconat  proprement  dit;  et   son   témoi- 


709 


DIACRES 


710 


gnage.  qui  remonte  jusqu'aux  origines,  est  d'autant 
plus  digne  de  foi  qu'il  est  impossible  de  découvrir 
ailleurs,  dans  les  écrits  apostoliques,  la  trace  de  l'in- 
stitution effective  de  ces  diacres  que  les  Épitres  pasto- 
rales mentionnent  comme  suffisamment  connus  déjà. 
Nous  ne  nous  arrêtons  pas  à  l'idée  émise  par  Dôllinger 
et  reprise  récemment  par  Funk,  Lehrbuch  der  h'ir- 
chengeschichte,  ie  édit.,  p.  42,  d'après  laquelle  il  s'agi- 
rait ici  d'une  fonction  générale,  d'où  seraient  ensuite 
issus,  par  dédoublement,  le  presbytérat  et  le  diaconat. 
C'est  là  une  simple  conjecture,  que  rien  ne  justifie  et 
qui  va  à  rencontre  de  l'affirmation  unanime  des  plus 
anciens  monuments  cbrétiens.  Nous  savons  d'ailleurs, 
par  l'histoire  des  premiers  siècles,  que  les  diacres 
furent  de  bonne  heure  chargés  du  soin  d'administrer 
les  biens  des  églises.  Pour  ceux  du  c.  vi  des  Actes,  le 
service  des  tables,  s'il  fut  l'occasion  de  leur  création, 
n'en  fut  point  le  but  intégral;  ceci  paraîtra  tout  naturel 
à  qui  se  rappellera  qu'à  l'époque  primitive  le  service 
de  la  table  était  en  connexion  étroite  avec  l'agape  et,  par 
l'agape,  avec  l'eucharistie.  I  Cor.,xi,  21.  Cf.  Funk,  Die 
Agape,  dans  Kirchengescliichlliche  Abliandlungen 
und  Unlersuchungen,  Paderborn,  1907,  t.  m,  p.  1  sq. 
Mais  il  y  a  plus  :  parmi  les  sept  élus  dont  les  noms 
figurent  au  v.  5,  deux  seulement,  Etienne  et  Philippe, 
reparaissent  dans  les  pages  qui  suivent;  or,  l'un  et 
l'autre  sont  bien  éloignés  de  se  confiner  dans  un  mi- 
nistère purement  matériel.  Flienne,  cet  «  homme  plein 
île  foi  et  de  l'Fsprit-Kaint,  rempli  de  grâce  el  de  force, 
opère  de  grands  prodiges  parmi  le  peuple»;  il  dispute 
avec  des  membres  de  la  svnagogue,  qui  «  se  montrent 
incapables  de  résister  à  l'esprit  parlant  »  par  sa 
bouche;  traîné  et  accusé  devant  le  sanhédrin,  il  con- 
fond accusateurs  et  juges  par  sa  science  divine  et  par 
sa  fermeté,  et,  le  premier  de  tous,  il  donne  à  la  reli- 
gion du  Christ  le  témoignage  du  sang.  Act.,  vi,  vu. 
Quant  au  diacre  'Philippe,  d'après  l'opinion  commune 
des  exégétes,  contredite  pourtant  par  quelques-uns, 
entre  autres  par  Kellner,  Jésus  von  Nazareth,  Pader- 
born, I'.hiS;  Anzeiger  fi'ir  die  Uatholisclie  Geistlich- 
keit,  15  août  1908,  Francfort-sur-le-Main,  c'est  bien  lui, 
et  non  l'apotre  Philippe  qui  va  d'abord  prêcher  l'Évan- 
gile à  Sarnarie,  Act.,  vm,  et  qui  y  convertit,  entre 
beaucoup  d'autres.  Simon  le  Magicien:  de  là  il  se  rend. 
par  l'ordre  du  ciel,  sur  la  route  de  Jérusalem  à  Gaza, 
pour  catéchiser  el  baptiser  le  ministre  de  Candace, 
reine  d'Ethiopie.  Plus  tard,  nous  le  retrouvons.  \.  I  . 
xxi, 8-14,  établi  à  Césarée,  \  remplissant  le  rôle  d'  «  évan- 
til  l'hospitalité  à  l'égard  de  Paul  et 
d.-  .mires  ouvriers  évangéliques.  On  peut  conclure  de 
ces  deux  exemples  quelle  dut  'ire  l'ampleur  du  rôle 
dont  les  premiers  diacres  se  savaient  investis. 

Mai-,  ceux  dont  nous  parlons  sont-ils  bien  les  pre- 
miers '  Si  leur  zèle  pour  la  prédication  au  sein  et  au- 
tour de  l'Kglise  naissante  et  leur  puissante  collabora- 

1 ■'  la  multiplication  de  ses  membres  el  à  l'extension 

■  -  limites  les  font  regarder  â  juste  titre  o 
is.  ni-  île   ceux  qui  fonctionnaient  au  lem| 
Ëpltn  n'ont-ils  pas  eux-mêmes  d'autres 

irsi  ui  -  '  La  question   <  été  posi  e  île  nos   joui 
quelques-uns  l'onl  résolue  affirmativement,  Voici,  brié 

.  i  incipales  ur  lesquelles 

fondent.  Cf.  Michiels,  op.  cil  .  p,  110  sq.  I    Le  codes 
i  date  du  vi«  H.rie.  présente,  pour  le  vee. 

i  Uculii  h   :  à  la  fin  du  texte 
•"'*■      :  .   D'antre 

Il    \|«  «ire 

un  texte  plus  explicite,  qui  serait  :  Sti  lv  rt  • 

M\  variantes  iai^s,.ni 
ndre  qu  il  i  des  dlacn  i,  dont  le  tninii 

des  pauvn  -    Pai  un  les  i 


liques,  M.  Belser,  Retirage  zur  Erklàrung  der  Apostel- 
geschiclite,  Fribourg-en-Brisgau,  1897,  p.  29-33,  s'est 
montré  le  défenseur  convaincu  et  intelligent  de  ce  texte 
occidental.  Il  avait  été  devancé  par  les  protestants  Blass, 
Acta  apostolorum,  Gœttingue,  189i;  Aeta  apostolo- 
rum secundum  formant,  quse  videlur,  Romanam, 
Leipzig,  1896,  et  Hilgenfeld,  Die  Apostelgeschiclite 
nach  ihren  Quellenschriften  untersucht,  dans  la  Zeil- 
schrift  fur  viss.  Théologie,  1895;  et  il  a  été  suivi  par 
le  P.  Rose,  La  critique  nouvelle  et  les  Actes  des  apô- 
tres, dans  la  Revue  biblique,  1898.  2»  On  fait  valoir  en 
faveur  de  ce  sentiment  que  les  Douze  n'eussent  pu 
suffire  au  service  des  pauvres  quand  la  communauté 
comprenait  déjà  3000,  puis  5000  membres,  et  qu'ils 
ont  dû  s'adjoindre  sans  tarder  des  auxiliaires;  ceux-ci, 
choisis  parmi  les  Hébreux,  auraient  favorisé  leurs 
pauvres  au  détriment  des  veuves  des  Hellénistes,  d'où 
les  plaintes  de  ce  dernier  groupe.  Mais  3°  il  y  a 
mieux,  ajoute-t-on  :  bien  comprise,  la  réllexion  des 
apôtres  consignée  au  y.  2  :  «  11  ne  convient  pas  que  nous 
laissions  la  parole  de  Dieu  pour  servir  aux  tables,  » 
suppose  qu'ils  n'ont  pas  été  jusqu'ici  chargés  do  la  dis- 
tribution des  vivres.  Ne  rappelle-t-elle  pas  que  leur 
fonction  principale  était  la  prédication,  comme  v,  12, 
l'a  marqué  expressément?  Ceux  qui  éclairent  notre 
verset  2  d'après  iv,  35,  et  v,  2,  ne  saisissent  peut-être 
pas  le  vrai  sens  de  ces  deux  autres  passages  :  si  les 
frères  qui  avaient  vendu  leurs  biens  venaient  en  dé- 
poser le  prix  aux  pieds  des  apôtres,  il  ne  s'ensuit  pas 
que  les  apôtres  eux-mêmes  s'occupaient  du  service 
quotidien  de  la  répartition  des  vivres.  Le  principe  for- 
mulé dans  le  verset  2  du  c.  vi  semble  poser  une  alter- 
native: ou  prêcher  ou  servir  aux  repas:  tout  le  monde 
comprend  que  les  Douze  ne  peuvent  renoncer  à  leur 
ministère,  qui  est  celui  delà  prédication.  Fnlin  4°,  les 
sept  diacres,  énumérés  par  saint  Luc,  ont  été  choisis 
exclusivement  dans  le  groupe  helléniste,  car  ils  portent 
tous  des  noms  grecs.  Nicolas,  «  prosélyte  d'Anlioche,  t 
est  même  Grec  de  race.  Or  il  serait  difficile  de  justifier 
cette  manière  de  faire,  s'ils  eussent  été  les  seuls:  les 
Hébreux  auraient  été  mécontents  à  leur  tour,  si  leurs 
intérêts  n'avaient  été  assurés  par  des  diacres  de  leur 
langue,  il  semblerait  donc  qu'on  a  adjoint  aux  diacres 
hébreux  déjà  existants  des  diacres  hellénistes,  propres 
à  donner  satisfaction  au  parti  des  plaignants.  Que  si 
cetle  opinion  est  fondée,  la  variante  du  codex  /.'.:;<  et 
la  leçon  du  palimpseste  de  Fleury  présenteront  un 
sens  ires  naturel  et  cadrant  bien  avec  toutes  les  vrai- 
semblances historiques. 

III.  NuMir.i  DES  i'Iacres.  —  On  s'est  demandé  pour- 
quoi le  nombre  sept,  fixé  par  les  apôtres  dans  leur  pro- 
position qui  s,,  ut  .\ct..  vi,  3.  Ce  nombre  était  sacn 
pour  les  Juifs,  comme  on  peut  le  voir  par  Gen.,  XXI, 
28;  Fxod..  xxwn.  23:  Apoc.  i.  i.  12.  1(1.  11  est  permis 
de  conjecturer  que  celle  circonstance  n'a  pas  été  sans 
influer  sur  la  détermination  apostolique.  Certains 
commentateurs  ont  supposé',  mais  Bans  fondement  sé- 
rieux, qu'il  y  aurait  eu  sept  tables.  Encore  celte  hypo- 
devrait-elle  s'entendre  de  sept  tables  nouvelles  ou 
destinées  aux  veuves  du  groupe  helléniste,  si  l'on  admet 
l.i  leçon  du  codes  Cantabrigientit. 

Quelle  qu'ail  été  la  pensée  intime  de-  apôtres  en 
s'arrétanl  au  nombre  sept,  ce  petit  détail  de  leur  con 
duite  a  eu  une  répercussion  considérable  dans  le  cours 
des  siècles.  In  effet.  Dé  a  Jérusalem,  le  diaconat  i 
rapidement  au  dehors:  nous  en  avons  la  preuve  dans 
a  empruntés  ci-dessus  >  l'EpItre  aux 
Philippieni  et  aux  Epltn  li     de  saint    Paul, 

.iin-i  qu'aux  écrits  des  premlei  Pèrei  ipostolfques, 
\v;ini  le  milieu  du  ii*  siècle,  les  diacres  existaient  de 
lait  dans  toutes  les  communauti  i  chrétiennes  dont  l'his- 
toire i  ml    "il  p' u  connue,  et  nul  doute  qu'ils 

I.    ,1,- 


711 


DIACRES 


712 


la  propagation  de  l'Évangile.  Saint  lynace  d'Antiodie, 
outre  (ju'il  les  mentionne  partout  à  côté  de  l'évêque  et 
des  prêtres,  proclame  qu'a  il  faut  les  vénérer  comme 
un  commandement  de  Dieu  »  et  que  «  sans  eux,  il  n'est 
point  d'église  »  entièrement  constituée.  Voir  plus  haut, 
col.  707.  Saint  Justin  atteste,  Apol.,  I,  65  sq.,  P.  G., 
t.  vi,  col.  426,  428,  que,  dans  les  réunions  des  lidèles, 
ce  sont  eux  qui  sont  chargés  de  la  distrihulion  de 
l'eucharistie.  On  songea  naturellement,  dans  les  diffé- 
rents lieux,  à  proportionner  leur  nombre  à  l'impor- 
tance des  communautés;  mais  presque  partout,  pour 
se  conformer  exactement  à  l'exemple  des  apôtres,  on 
le  porta  à  sept,  sans  qu'il  fût  permis  d'aller  au  delà.  Le 
Liber  pontificalis,  édit.  Duchesne,  t.  i,  p.  126,  nous 
montre  autour  du  pape  Évariste  (de  90  à  107  environ), 
un  groupe  de  sept  diacres.  Saint  Pierre  aurait  déjà, 
ibid.,  p.  118,  ordonné  sept  diacres  pour  assister 
l'évêque  à  la  messe.  Nous  savons  par  Eusèbe,  H.  E., 
VI,  43,  P.  G.,  t.  xx,  col.  621,  que  l'Église  romaine  en 
avait  sept  sous  le  pontificat  de  saint  Corneille,  en  251. 
Prudence,  Peristeph.,  h,  P.  L.,  t.  lx,  col.  293,  relève 
le  même  fait  pour  cette  Église,  du  temps  de  saint  Lau- 
rent, et  pour  celle  de  Saragosse,  ibid.,  v,  col.  380,  du 
temps  de  saint  Vincent,  c'est-à-dire  sous  Dioclétien. 
Un  concile  tenu  à  Néocésarée  vers  314,  Mansi,  Concil., 
t.  h,  col.  546,  548,  défend,  par  son  15e  canon,  d'en  or- 
donner davantage,  même  dans  les  plus  grandes  villes, 
et  il  cite  comme  modèle  obligatoire  la  communauté 
primitive  de  Jérusalem.  Hefele,  Histoire  des  conciles, 
trad.  Leclercq,  Paris,  1907,  t.  I,  p.  334.  Le  Testament 
de  Notre-Seigneur,  1.  I,  34,  édit.  Rahmani,  Mayence, 
1899,  p.  82,  ordonne  qu'il  y  ait  sept  diacres  dans 
chaque  église.  L'archidiacre,  chargé  du  soin  des  étran- 
gers, demeurait  à  l'hospice  en  habit  blanc  ell'orarium 
sur  l'épaule.  Ibid.  Cf.  1.  I,  19,  p.  26,  où  il  est  dit  que 
cet  hospice  devait  être  proche  de  l'église.  Saint  Jé- 
rôme signale,  Epist.,  cxlvi,  ad  Evangelum,  P.  L., 
t.  xxn,  col.  1194,  le  petit  nombre  des  diacres  comme 
une  des  raisons  pour  lesquelles  ils  étaient  fort  consi- 
dérés. 

Pendant  longtemps,  on  resta  fidèle  à  l'ancienne  règle. 
C'est  du  moins  et  surtout  le  cas  pour  Rome,  où  les 
sept  diacres  furent  préposés  aux  sept  régions  ou  dia- 
conies  établies  par  le  pape  Fabien,  Liber  pontif.,  t.  i, 
p.  118.  avec  mission  d'y  pourvoir  au  soin  des  pauvres 
et  des  malades;  d'où  le  nom  qui  leur  fut  donné  de 
diaconi  rcgionarii.  L'un  d'eux,  qui  jouissait  d'une 
certaine  prééminence  sur  ses  collègues,  portait  le 
titre  d'archidiacre.  Tous,  parleurs  relations  nécessaires 
et  constantes  avec  la  personne  du  pape,  acquirent  à  la 
longue  une  très  grande  influence,  dans  ses  conseils 
comme  aux  yeux  du  public,  et  devinrent  ainsi  les  car- 
dinaux-diacres. Voir  Cardinaux,  t.  n,  col.  1717  sq.  Mais 
même  sous  cette  nouvelle  dénomination,  leur  nombre 
septénaire  fut  d'abord  maintenu.  Ce  n'est  que  plus  tard 
et  peu  à  peu  qu'on  voit  apparaître  à  côté  d'eux,  dans  les 
diverses  églises  de  la  ville,  d'autres  diacres,  qualifiés  de 
slalionarii,  qui  n'avaient  comme  tels  aucune  région  ou 
diaconie  à  administrer,  mais  dans  les  rangs  desquels 
se  recrutaient  les  rcgionarii.  Mabillon  nous  apprend, 
Muséum  ilalicuni,  Paris,  1724,  t.  H,  p.  18,  que  dès  l'an 
520  Rome  comptait  en  tout  une  centaine  de  diacres.  Il 
y  en  avait  parmi  eux  dont  l'oflice  consistait  à  veiller 
sur  les  tombeaux  ou  confessions  des  martyrs  dans  les 
catacombes;  on  les  appelait,  pour  cette  raison,  marty- 
rarii.  Le  Liber  pontificalis  les  appelle  aussi  cubicula- 
rii  et  custodes  martyrum;  il  emploie  le  premier  terme 
à  propos  de  saint  Léon  le  Grand,  qui  en  attacha,  dit-il, 
au  tombeau  des  apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul,  édit. 
Duchesne,  t.  i,  p.  239,  et  le  second,  dans  un  passage, 
relatif  à  sainl  Sylvestre;  Duchesne,  t.  i,  p.  771,  où 
nous  est  attestée  l'ancienneté  de  cette  fonction  comme 
propre  aux  diacres  :  Constituit  ut  si  quis  dcsidcraret 


m  Eccletia  militari'  aut  proficere,  ut  essct  leclor  an- 
nos triginla,  exorcista  dies  triginta,  acolylus  annos 
quinque,  sul/diaconus  annos  quinque,  custos  marty- 
rum annos  decem,  diaconus  annos  teptem,  j/resbyter 
annos  très...  et  sic  ad  ordinem  cpiscopalus  ascendere. 
Cf.  Martigny,  Dict.  des  antiquités  chrétiennes,  v°  Mar- 
tyrarii.  Quant  aux  cardinaux-diacres  en  particulier, 
ce  n'est  qu'au  XIe  siècle  que  leur  nombre  primitif  fut 
doublé,  en  même  temps  que  l'était  celui  des  diaconies, 
par  suite  de  la  multitude  toujours  croissante  des  né- 
cessités auxquelles  il  fallait  subvenir;  peu  après,  il  fut 
porté  à  dix-huit.  Ce  chiffre,  d'après  Mabillon.  op.  cit., 
t.  ii,  In  ordinem  Rom.  comment.,  p.  xxin.  avait  déjà 
été  atteint,  sinon  dépassé,  sous  Ilonorius  II  (1124- 
1130;;  mais  Sixte-Quint,  en  1586,  le  ramena  à  quatorze, 
et  celte  règle  est  encore  observée  de  nos  jours. 

D'autres  Églises  avaient  devancé  l'Église  romaine 
pour  l'augmentation  du  nombre  des  diacres.  L'histoire 
rapporte  qu'à  Alexandrie,  au  ive  siècle,  il  s'en  trouva 
neuf  qui  se  rangèrent  au  parti  d'Arius,  et  rien  ne  per- 
met de  penser  qu'ils  fussent  seuls  de  leur  ordre  dans 
la  cité.  A  Édesse,  lors  du  concile  de  Chalcédoine  (451), 
les  documents  en  accusent  trente-neuf.  Mansi,  Concil., 
t.  vu,  col.  255.  A  Constanlinople,  au  vp  siècle,  il  n'y 
en  avait  pas  moins  d'une  centaine,  suivant  une  Novelle 
de  Justinien,  qui  défend  de  dépasser  ce  chiffre.  Malgré 
cette  défense,  nous  apprenons  par  Photius,  Nomoca- 
non,  tit.  i,  c.  L,  qu'au  VIIe  siècle  ils  étaient  cent  cin- 
quante; aussi  le  concile  in  Trullo  (692),  pour  mettre 
la  discipline  contemporaine  en  règle  avec  la  tradition 
et  éluder  le  canon  15e  de  Néocésarée,  imagina-t-il  que 
les  sept  premiers  diacres,  exclusivement  chargés  du 
service  des  tables,  n'avaient  rien  de  commun  avec  les 
diacres  attachés  au  service  de  l'autel.  Le  canon  15e  de 
Néocésarée  a  été  inséré  dans  le  Corpus  juris  cano- 
uici,  dist.  XCIII,  c.  12. 

Actuellement  et  depuis  des  siècles  déjà,  une  réaction 
remarquable  s'est  produite  :  à  peu  près  partout  la 
classe  des  diacres  a  diminué  en  nombre  comme  en  im- 
portance, pour  finir  par  disparaître  presque  complète- 
ment. Aujourd'hui,  si  l'on  excepte  l'Église  romaine,  le 
diaconat  n'est  plus  guère  considéré  que  comme  un 
ordre  de  transition,  comme  l'acheminement  à  la  prê- 
trise, devenue  son  complément  ordinaire  et  en  quelque 
sorte  obligé.  A  Rome  même,  parmi  les  quatorze  cardi- 
naux-diacres, il  en  est  peu  qui  n'aient  reçu  l'ordination 
sacerdotale  ou  épiscopale. 

IV.  Attributions  des  diacres  —  1°  11  n'y  en  a  que 
trois  qui  soient  indiquées  dans  les  livres  canoniques  du 
Nouveau  Testament  :  le  service  des  tables,  Act..  vi.  2; 
la  prédication,  Act.,  vu,  2-53;  vin,  5;  l'administration 
du  baptême.  Act.,  vin,  38.  Mais  l'Église  les  a  tour  à 
tour,  selon  les  besoins  et  les  circonstances  du  temps, 
singulièrement  amplifiées,  puis  ramenées  à  des  limites 
relativement  étroites. 

1.  Anciennement,  les  fonctions  du  diacre  furent  in- 
comparablement plus  étendues  et  plus  variées  que  de 
nos  jours.  Non  seulement  il  lisait  ou  chantait,  à  la 
messe,  du  haut  de  Jambon,  et  l'évangile  et  Tépitre, 
mais  il  recevait  des  mains  des  fidèles  les  offrandes, 
qu'il  transmettait  au  célébrant,  et  il  inscrivait  sur 
les  diptyques  les  noms  des  donateurs,  qu'il  proclamait 
ensuite.  Il  distribuait  l'eucharistie,  surtout  quand  elle 
se  donnait  avec  le  calice,  ou  il  assistait  le  prêtre  faisant 
cette  distribution,  et  il  portait  la  communion  aux 
absents.  Cf.  S.  Justin,  Apol.,  i,  65-67,  P.  G.,  t.  vi, 
col.  426-429;  S.  Innocent  Ier,  Epist.  ad  Decentium, 
n.  5,  P.  L.,  t.  xx,  col.  553;  S.  Jérôme,  Epist.,  cxlvii, 
adSabium,  n.  6,  P.  L.,  t.  xxn,  col.  1200;  In  Jer.,  xi, 
15.  16.  P.  L.,  t.  xxiv,  col.  755;  lu  Ezech.,  xvm.  5.  ti, 
P.  L.,  t.  xxv,  col.  175;  Testament  de  N.  S.,  1.  I.  27; 
I.  II.  10,  20  (des  diacres  agitaient  le  flabellum  sur  le 
calice  consacré),  p.  58,  130,  141  ;  Canons  d'HippoUjte, 


713 


DIACRES 


714 


20, 142, 1 45, 216  ;  Constitution  ecclésiastique  égyptienne, 
dans  Achelis,  op.  cit.,  p.  48,  100,  101,  124.  C'est  à  lui 
qu'était  confiée  la  police  du  lieu  saint  :  il  en  faisait  ou- 
vrir et  fermer  les  portes,  y  assurait  en  tout  temps  l'ordre 
extérieur  et  l'observation  des  lois  de  la  bienséance,  re- 
prenait, même  publiquement,  ceux  qui  y  contrevenaient, 
annonçait  et  dirigeait  les  prières  à  faire  en  commun. 
Cf.  Const.  apost.,  vin,  11,  édit.  Funl<,  t.  i,  p.  494;  Tes- 
tamentum  D.  N.  J.  C,  I.  I,  23,  34-36,  p.  36,  38,  44, 
80-88;  1.  II,  7,  19,  p.  120, 124,  138;  Canons  d'Hippoly te, 
34,  36,  dans  Acbelis,  p.  64,  65;  Constitution  ecclésias- 
tique égyptienne,  ibid.,  p.  57,  58,  60.  C'est  lui  qui, 
durant  l'office  liturgique,  congédiait  successivement  les 
diverses  catégories  de  personnes  admises,  suivant  la  dis- 
cipline du  temps,  aux  diverses  parties  du  sacrifice.  On 
sait  que  même  les  hérétiques  et  les  infidèles  étaient 
autorisés  à  assister  aux  lectures,  à  la  psalmodie  et  aussi 
à  l'instruction  épiscopale,  qui  formaient  la  première 
partie  de  la  messe  des  catéchumènes.  Mais  alors,  ainsi 
que  les  Constitutions  apostoliques,  vm,  6,  Funk,  t.  i, 
p.  478,  nous  l'apprennent,  le  diacre  les  renvoyait,  et 
avec  eux  une  certaine  classe  de  pénitents,  en  prononçant 
d'un  lieu  élevé  ces  paroles  :  «  Plus  d'écoutant,  plus 
d'infidèle  :  ne  guis  audientium,  ne  quis  infidelium.  » 
Eux  sortis,  il  ordonnait  aux  catéchumènes  de  prier,  et 
aussi  aux  fidèles  de  prier  pour  eux,  loc.  cit.  :  Orate, 
catechunieni  :  et  omnes  fidèles  pro  illis  cuni  attentione 
orent,  dicentes...;  après  quoi,  il  faisait  sortir  les  caté- 
chumènes eux-mêmes,  ibid.,  p.  480  :  Exile,  catechu- 
nieni, in  pace.  Testament/on  D.  N.  J.  C,  1.  I,  35,  p.  82. 
Il  donnait  encore,  toute  la  messe  terminée,  le  signal 
de  la  sortie  générale,  en  disant  :  In  pace  discedite, 
formule  qui  a  été  remplacée  par  notre  lte,  missa  est. 
C'était  aux  diacres  qu'il  incombait  d'instruire  ceux  qui 
se  préparaient  au  baptême  et  d'assister  le  ministre  du 
sacrement,  Canons  d'Hippolyte,  61,  121,  dans  Achelis, 
p.  76,  96;  Constitution  ecclésiastique  égyptienne,  46, 
ibid.,  p.  95.  96;  Testament  de  Notre-Seigneur,  1.  II, 
7,  8,  p.  I2d,  121,  126,  128;  mais  il  ne  leur  arrivait  de 
baptiser  eux-mêmes  que  rarement  et  dansdes  conjonc- 
tures extraordinaires.  D'après  le  Testament  de  Notre- 
Seigneur,  1.  II,  10,  p.  132,  ils  le  faisaient  en  l'absence 
du  prèlre,  en  cas  de  nécessité.  Ils  le  pouvaient  encore 
avec  la  permission  de  l'évéque.  Tertullien,  De  baptismo, 
c.  xvii,  /'.  /..,  t.  i,  col.  1218;  S.  Jérôme,  Dial.  eont. 
luciferianos,  n.  9.  /\  A.,  t.  win.  col.  165;  s.  Gélase, 
Epist.,  ix.  ad  episcopos  I. maniée,  n.  7,  P.  L.,  I.  nx, 
col.  51.  Ils  avaient  parfois  à  intervenir  dans  l'admi- 
nistration de  la  pénitence  publique  :  quand  un  pécheur 
était  en  danger  de  mort,  ils  pouvaient,  à  défaut  de 
prêtres,  provoquer  et  recueillir  se-  aveux,  puis  pro- 
noncer, sans  absolution  sacramentelle,  sa  réconciliation 
extérieure  avec  l'Église  et  lui  donner  ensuite  la  sainte 
eucharistie.  Tel  est  le  sens  naturel  de  celte  déclaration 
de  saint  Cyprien,  Epist.,  xvm,  n.  1,  P.  J..,  t.  iv, 
col.  25s  :  Si  presbyte)  repertus  mm  fuerit  el  exitus 
urgerr  cœperit,  apud  dia*  onum  quoque  exomologesim 
facere  delicti  m  possint,  ^t  manu  ejus  ad  pœniten- 
tiam  imposita  rouant  <ut  //,.,,,,,  ,„,„  pace,  J.  Mo- 
rin.  Comment,  histor.  de  disciplina  m  admim 
tione  sacramenti  pœnitenliœ,  Paris,  ICI.  I.  VIII,  -j:i. 
il  là  de  confession  sacra- 
mentelle, puisque  le  m<  ,  ,  gou- 
""  '■"■"  extra-sacramentel  d'humiliation  volon- 
■  i  publique.  I.  usage  autorisé  par  s;,,ni  Cyprien 
au  x  siècle;  nous  i  n  avons  pour  garant 
non,  abbé  de  Prûm  i  \  915),  qui  écrit,  De  i 
*'""  .  1  I,  c  295,  P.  /..,  t.  <  wxn. 
col.  2i7      >,  ul  sa  ,.  /„■„,   „,w 

lave*  reg\ 

byler 
tcipiai  , 


sanclam  communionem.  La  même  coutume  est  encore 
attestée  et  approuvée  par  les  conciles  d'York  (1195),  de 
Londres  (1200)  et  de  Rouen  (1231).  Sa  véritable  portée  ré- 
sulte clairement  de  ces  paroles  d'Odon  de  Sully  (-{-1208), 
évèque  de  Paris,  Slaluta  diœc.,  P.  L.,  t.  ccxn,col.  68: 
Item  prohibeturdistrictene  diaconi  ullo  modo  audiani 
confessiones  nisi  in  arctissima  necessitate;  claves 
enini  non  habent  ncc  possunt  absolvere.  L'erreur  de 
quelques-uns,  qui  revendiquaient  pour  les  diacres  le 
pouvoir  d'absoudre  sacramentellement,  fut  formelle- 
ment condamnée  par  un  concile  provincial  de  Poitiers, 
de  1280,  dont  voici  la  sentence,  Mansi,  Concil.,  t.  xxiv, 
col.  383  :  Abusum  crroneum,  qui  in  nostra  diœcesi  ex 
perniciosa  ignorant ia  inolevit,  eradicari  volentes,  in- 
liibemus  ne  diaconi  confessiones  excipiant  et  ne  in 
foro  pxnitentiali  absolvant ,  cuni  certum  el  indubita- 
tum  sit  ipsos  absolvere  non  passe,  cum  claves  non 
habeant,  quse  in  solo  sacerdolali  online  confcrun- 
lur.  Cf.  Schanz,  Die  Lehre  von  den  heiligen  Sacra- 
menten,  Fribourg-en-Iirisgau,  1893,  p.  608,  609;  Pohle, 
Lehrbuch  der  Dogmatik,  Paderborn,  1905,  t.  m, 
p.  447,  448;  Laurain,  De  l'intervention  des  laïques, 
des  diacres  et  des  abbesses  dans  l'administration  de 
la  pénitence,  Paris,  1899.  Voir  Confession,  t.  m, 
col.  827  sq. 

Il  est  à  peine  besoin  de  relever  ici  une  assertion 
étrange,  d'après  laquelle  l'Église  des  premiers  siècles 
aurait  reconnu  aux  diacres,  aussi  bien  qu'aux  prêtres, 
le  pouvoir  de  consacrer  l'eucharistie.  Elle  avait  été 
avancée  et  défendue  par  Basnage,  dans  son  Histoire 
de  l'Église,  1.  XIV,  c.  ix,  §  8;  mais  il  ne  s'est  guère 
rencontré  d'historiens  ni  de  théologiens,  même  parmi 
les  coreligionnaires  de  l'auteur,  pour  lui  faire  écho. 
Aujourd'hui,  cette  thèse  singulière  est  abandonnée  de 
tous.  Cf.  Lichtenberger,  Dictionnaire  des  sciences  reli- 
gieuses,  art.  Diacres.  Elle  répugnait  Irop  manifestement 
aux  faits  et  aux  textes  pour  mériter  un  meilleur  sort. 

lîasnage  se  fondait  principalement  sur  ces  trois 
arguments  :  1.  Saint  Ambroise,  De  of/iciis  ministro- 
rum,  1.  I,  c.  xxi,  n.  204,  P.  L.,  t.  xvi,  col.  84,  met 
dans  la  bouche  de  saint  Laurent,  diacre  de  Rome,  ces 
paroles  à  l'adresse  du  pape  et  martyr,  saint  Sixte,  an 
moment  où  celui-ci  était  conduit  au  supplice  :  «  Vous 
qui  m'avez  confié  la  consécration  du  sang  de  .lésus- 
Christ,  me  refusez-vous  la  faveur  de  répandre  mon  sang 
avec  le  votre?  i  —  2.  Au  témoignage  de  saint  Jérôme, 
bs  diacres  auraient  été  privés  du  pouvoir  de  consacrer 
par  le  concile  de  Nicée;  ce  qui  implique  évidemment 
qu'ils  l'exerçaient  légitimement  auparavant.  —  3.  La 
même  conclusion  se  dégagerait  des  canons  de  deux 
synodes  du  commencement  du  iv  siècle,  du  I"  synode 
d'Arles  et  du  1"  s\node  d'Ancyre,  réunis  l'un  et  l'autre 
vers  l'an  313. 

Nous  répondons  brièvement  que  les  documents  les 
plus  anciens  et  les  plus  authentiques  établissent  entre 
les  prêtres  et  les  diacres  une  différence  essentielle, 
fondée  notamment  sur  ce  fait  que  ceux-là  sont  les 
ministres  consécrati  urs  du  mystère  eucharistique, 
tandis  que  ceux-ci  n'en  sont  que  les  dispensât!  ni 
s.iini  Justin,  dans  sa  In  Apologie, publiée  vers  150 
on  ne  peut  plus  catégorique.  Il  écrit,  op.  cit.,  n.  65, 
/'.  G.,  t.  vi,  col.  138  "Eicstva  itpooçipstai  r<ji  nposarûTi 
t<Bv  iSeXqrôv  xproc,  nal  norrçpiov  Oôxt'k  %x\  y.pot|j.*To;- 
y.-/;  OVTOC,  Xa6âkv,  «ïvov  y.a'i  5o:av  t<.>  Hcrrpl  -'■"  'dmi  Bta 
bv6uato{  roQ  flou  «ai  toî  iIv»\ju.ato<  tov  hylov 
i.-i3.TÀ\i.-iV  y.a't  i -J/aotiTiav  -j-jp  -f'j  xaTT](lfta6ai  tOvTCOV 
KVTOÛ   c-'i  TtoXÙ  ROttlTSI'  oî  OVVTlMo'avTOC  Tac  E'J/.ài 

xal  rijv  iv^apiarfav,  itS(  i  icapùv  Xab(  l-vj^rti).ti  )iyiiv/, 
\'iy/.  I  '. ,  !■■-.  i,nxi-.',:  I.  nv  ~rs'i  •<■  è-î'jçT,- 

|irjaavTo<    itavrb(    toQ    m-o,,   oî    xaXovusvoi    -ap' 

/7T'.>   tûv    -3.Ç.-,  a~o 

IptOV  xaï  o  ôit'/;,  /ai  toi; 

où  itapoûatv  Kftoflpoufft.  On  l<  t  au  Rpoior<û( 


715 


DIACRES 


710 


seul,  au  président,  évéque  ou  prêtre,  de  l'assemblée 
des  fidèles  qu'il  appartient  de  réaliser  l'eucharistie;  et 
Justin  lui  oppose  les  diacres,  chargés  de  distribuer  le 
sacrement  aux  personnes  présentes  et  de  le  porter  à 
celles  qui  sont  absentes.  Cette  idée  est  répétée  quelques 
lignes  plus  loin,  ibid.,  col.  429,  en  termes  presque 
identiques  :  ...xa'i  r,  StàSoffi;  y.al  /,  |j.îTà>.r,}/i;  àîtô  T<i>v 
£^/apt<7T/,Û£VTcov  âxexoro)  yc'vîTat,  y.a'i  toi;  oj  7tapoô<7!  fît it 
rfi>v  Sta/.ovio/  iréjiTCSTai.  Après  cela,  personne  ne  s'éton- 
nera que  le  concile  de  Nicée  (325)  ait  argué  du  pouvoir 
de  consacrer  propre  aux  prêtres  comme  d'un  principe 
incontesté,  pour  faire  ressortir  la  prééminence  du  sa- 
cerdoce à  l'égard  du  diaconat  et  pour  inculquer  aux 
diacres  des  dispositions  et  des  allures  plus  humbles  et 
plus  respectueuses.  Nous  lisons,  en  effet,  ce  qui  suit 
dans  son  canon  18e,  Mansi,  Concil.,  t.  Il,  col.  675  : 
Pervenit  ad  sanctam  sijnodum,  quod  in  nonnullis  locis 
cl  civitalibus  diaconi  dont  presbyteris  eucharistiam, 
quod  nec  canon  neque  consuetudo  trad.it,  ut  qui  offe- 
rendi  polestatem  non  habent  iis  qui  offerunt  dent 
corpus  C/irisli.  Jam  vero  illud  etiam  cognitum  est, 
quod  jam  quidam  ex  diaconis  eliam  anle  episcopos 
eucharistiam  attingunt.  Hxcergo  omnia  auferantur, 
et  diaconi  intra  suas  mensuras  permaneanl  :  scientes 
quod  suni  quidem  episcopi  ministri,  presbyteris  vero 
minores.  Accipiant  autem  suo  ordine  eucharistiam 
post  presbyleros,  eis  prœbente  episcopo  vel  presbytère 
Scd  nec  in  medio  quidem  presbyterorum  îiceat  dia- 
conis sedere.  Id  enim  fit  prseler  canonem  et  ordinem. 
Si  quis  aulem  non  vult  obedire  post  has  constitu- 
tiones,  a  diaconatu  désistât.  Hefele,  Histoire  des 
conciles,  1907,  t.  i,  p.  610-611.  Les  Statuta  Ecclesiœ  an- 
tiqua  de  saint  Césaire  d'Arles,  voir  t.  il,  col.  1806-1810, 
résumaient  la  pensée  des  Pères  de  Nicée,  lorsqu'ils  di- 
saient, can.  4,  Labbe,  Concilia,  t.  n,  col.  1437,  que  la 
consécration  du  diacre  est  ministérielle,  et  non  sacerdo- 
tale, ad  ministerium,  non  ad  sacerdotium ,  et  lorsqu'ils 
ajoutaient,  can.  37,  ibid.,  col.  1440  :  Diaconus  ila  se 
presbyteri,  ut  episcopi  ministrum  noverit.  Hefele, 
Histoire  des  conciles,  trad.  Leclercq,  t.  i,  p.  611-614. 
Le  Testament  de  Notre-Seigneur,  1.  II,  10,  p.  132. 
déclare  aussi  que  le  diacre  ne  doit  pas  donner  l'eucha- 
ristie aux  prêtres;  le  diacre  doit  découvrir  la  patène 
ou  pyxide,  et  le  prêtre  se  communier,  le  diacre  dis- 
tribue la  communion  aux  fidèles  de  sa  propre  main. 
D'après  les  Canons  d'Hippolyle,  159,  dans  Achelis, 
p.  104,  si  un  fidèle  veut  faire  une  oblation,  à  l'heure 
où  le  prêtre  n'est  pas  à  l'église,  le  diacre  peut  rem- 
placer le  prêtre  en  toutes  choses,  à  la  seule  exception 
d'offrir  le  grand  sacrifice  et  la  prière.  Can.  215,  216, 
p.  118,  si  un  prêtre  est  malade,  un  diacre  lui  apporte 
les  sainte  mystères,  que  le  prêtre  prend  lui-même;  le 
diacre  distribue  la  communion  au  peuple  fidèle,  si 
l'évèque  ou  le  prêtre  le  lui  ordonne. 

Puisque  telle  a  été,  dès  l'origine,  la  doctrine  univer- 
sellement et  publiquement  affirmée,  il  serait  au  moins 
surprenant,  a  priori,  que  des  Pères  ou  des  synodes 
particuliers  l'aient  ignorée  ou  contredite  sans  paraître 
même  s'en  douter.  De  fait,  un  simple  coup  d'œil  sur 
les  textes  dont  Basnage  a  cru  pouvoir  se  prévaloir  nous 
fait  découvrir  en  tous  un  sens  parfaitement  conforme  à 
l'enseignement  authentique  de  l'Église. 1.  Quant  à  saint 
Ambroise,  il  y  a  utilité  à  considérer  dans  leur  contexte 
les  paroles  qu'on  nous  oppose.  Voici  donc,  de  façon 
plus  complète,  la  touchante  plainte  du  diacre  Laurent, 
Voc.  cit.,  P.  L.,  t.  xvi,  col.  84, 85  :  Quo  progrederis  sine 
filio,  palerf  quo,  sacerdos  sancle,  sine  diacono  pro- 
peras  luo?  Nunquam  sacrificium  sine  ministro  offerre 
consueverus...  Expcrire  certe  utrum  idoneum  mini- 
strum elegeris.  Cui  commisisti  dominici  sanguinis 
consecralionem,  cui  consummandbrum  consortium 
sacramentorum,  huic  sanguinis  lui  consortium  negas? 
11  résulte  de  là  que  saint  Laurent  attribuait  en  premier 


lieu  et  directement  au  pontife  l'oblation  proprement 
dite  du  sacrifice  et  qu'il  ne  se  reconnaissait  à  lui-même 
que  le  rôle  accessoire  de  serviteur  et  d'auxiliaire.  La 
même  idée  fondamentale  se  retrouve  dans  la  réponse 
de  saint  Sixte  :  Mox  renies ,  flere  désiste,  post  triduum 
me  sequeris.  Sacerdotem  et  levilam  hic  médius  nu- 
merus  decel.  Sixte  seul  est  prêtre,  c'est-à-dire  sacrifi- 
cateur; Laurent  n'est  qu'un  «  lévite  »,  appelé  en  cette 
qualité  à  prêter  son  concours  au  prêtre.  Sixte  est 
même  sacerdos,  c'est-à-dire,  suivant  le  style  de  l'époque, 
éveque;  il  affirme  la  distance  qui  le  sépare,  comme 
tel,  de  son  diacre;  et  lorsqu'il  dit  :  Sacerdotem  et  le- 
vilam hic  médius  numerus  decel,  il  fait  sans  doute 
allusion  au  triple  degré  de  la  hiérarchie  divine  :  épis- 
copat,  presbytérat  et  diaconat.  On  ne  saurait  donc, 
sans  introduire  une  contradiction  flagrante  dans  la  de- 
mande de  saint  Laurent,  interpréter  les  mots  sanguinis 
consecralionem  comme  impliquant,  pour  le  diacre 
aussi,  la  faculté  d'offrir,  en  qualité  de  ministre  visible 
principal,  le  sacrifice  eucharistique.  L'expression  est, 
en  réalité,  susceptible  de  deux  autres  acceplions  :  on 
peut  croire  qu'il  s'agit  d'une  coopération  matérielle  à 
l'acte  consécratoire,  d'un  simple  concours  ministériel 
et  subordonné  ;  et  cette  hypothèse  cadre  fort  bien  avec 
l'ensemble  du  petit  dialogue,  avec  l'opposition  desdeux 
rôles  qu'insinue  toute  la  terminologie  employée  :  sine 
ministro  offerre,  idoneum  ministrum  eligere,  consor- 
tium, sacerdotem  et  levitam.  D'après  les  principes 
tbéologiques,  tous  les  fidèles  présents  au  saint  sacri- 
fice s'associent  et  prennent  une  part  active  à  son  obla- 
tion; à  plus  forte  raison,  le  diacre  qui  assiste  le  prêtre 
à  l'autel,  qui  lui  prépare,  lui  met  en  mains,  élève  et 
soutient  avec  lui  la  matière  même  du  sacrifice.  Mais  il 
est  permis  également  de  voir  dans  le  terme  consecratio 
un  exemple  de  l'abstrait  pour  le  concret,  de  sorte  que 
la  locution  complexe  sanguinis  consecratio  soit  l'équi- 
valent de  sanguis  consecratus.  N'est-ce  pas  ainsi  que 
les  juristes  définissent  un  trésor  pecunix  deposilio, 
pour  pecunia  deposilaL?  N'est-ce  pas  aussi  le  cas  dans 
le  canon  de  la  messe,  là  où  le  prêtre,  mélangeant  les 
saintes  espèces,  dit  :  Hœc  COMMIXTIO  et  CONSECRATIO 
corporis  et  sanguinis  Domini  noslri  Jesu  Christi  fiât 
ACCIPIBNTIBDS  NOBis  in  vitam  selernam  ?  Dans  notre 
texte,  l'expression  consummandorum  consortium  sa- 
cramenlorum,  parallèle  à  la  première  et  ajoutée  en 
guise  d'explication,  parait  en  restreindre  la  portée  à 
l'usage  et  à  la  distribution  du  sacrement  déjà  existant. 
Remarquons  encore  que,  ceci  admis,  on  comprend 
mieux  pourquoi  il  est  fait  mention  seulement  du  sang 
consacré,  et  non  point  du  corps;  nous  savons,  en  effet, 
par  l'histoire  des  premiers  siècles,  que  les  diacres  in- 
tervenaient surtout  pour  la  communion  sous  l'espèce 
du  vin  :  ils  présentaient  le  calice  aux  fidèles,  ils  le  fai- 
saient passer  de  main  en  main  et  de  bouche  en  bouche. 
Cf.  Bona,  Rerum  liturgicarum,  1.  II,  c.  V,  ^  4. 

2.  La  pensée  de  saint  Jérôme  concernant  l'infériorité 
des  diacres  par  rapport  aux  prêtres  ne  saurait  être 
douteuse  pour  personne  :  il  l'a  exposée  ex  professa  en 
maintes  occasions.  Il  s'attache  notamment  à  dévelop- 
per celte  vérité  dans  toute  sa  lettre  à  Evangelus. Epist ., 
CXLVI,  P.  L.,  t.  xxii,  col.  11921195.  Or,  il  est  remar- 
quable que  lui  aussi  tire  argument  du  pouvoir  de  con- 
sacrer, qu'il  accorde  aux  prêtres  et  refuse  aux  diacres. 
Toute  sa  thèse  est  pour  ainsi  dire  résumée  dans  ces 
deux  phrases  du  début  :  Audio  quemdam  in  tantam 
erupisse  vecordiam  ut  diaconos  presbyteris,  id  est, 
episcopis  aiilefcrret.  Nam  cum  aposlolus  perspicue 
doceat  eosdem  esse  presbyleros,  quos  episcopos,  quid 
palilur  mensarum  et  viduarum  minislcr,  ut  supra 
cos  se  lumidus  cfferal,  ad  quorum  preces  Christi  cor- 
pus  sanguisque  conficitur?  Si  donc  il  écrit  que  le  con- 
cile de  Nicée  a  privé  les  diacres  du  pouvoir  de  consa- 
crer, il  n'y  a  là  qu'une  de  ces  tournures  rapides  et 


717 


DIACRES 


718 


concises,  une  de  ces  breviloquentix  énergiques  dont  il 
est  coutumier  :  il  dit  que  le  concile  les  a  privés  d'une 
prérogative,  pour  signifier  que  le  concile  a  officielle- 
ment déclaré  la  privation,  l'absence  de  cette  préroga- 
tive. C'est  sa  manière  à  lui  de  condenser  la  signification 
du  canon  18e,  rapporté  ci-dessus;  et  cette  manière 
n'étonnera  que  ceux  qui  n'ont  jamais  lu  attentivement 
une  page  de  saint  Jérôme. 

3.  Reste  l'autorité  des  synodes  d'Arles  et  d'Ancyre. 
Quant  au  premier,  observons  simplement  qu'il  cons- 
tate une  erreur,  une  usurpation,  qui,  sur  ce  point 
comme  relativement  à  la  confession,  tendait  à  s'im- 
planter dans  certains  milieux;  mais  qu'au  lieu  de  s'y 
montrer  favorable,  il  la  réprouve  absolument.  Le  texte 
de  son  15'  canon  est  assez  clair  et  assez  catégorique 
pour  se  passer  de  commentaire,  Mansi,  Concil.,  t.  n- 
col.  473  :  De  diaconibus  quos  cognovimus  multis 
locis  offerre,  placuit  minime  fieri  debere.  Voir  Hefele, 
Histoire  des  conciles,  1907,  t.  I,  p.  291-292.  Le  2e  canon 
d'Ancyre  est, à  première  vue,  plus  embarrassant.  Il  con- 
cerne les  diacres  qui,  après  avoir  d'abord  faibli  dans  la 
persécution  et  brûlé  de  l'encens  aux  idoles,  se  sont  en- 
suite relevés  au  point  d'affronter  et  de  supporter  victo- 
rieusement les  tourments.  En  voici  la  teneur,  suivant 
la  traduction  d'Isidore  Mercator, Mansi,  t.  il,  col.  529  : 
Diaconos  simililcr,  qui  immolaverunt,  postea  aittem 
iterum  reluctati  sunt,illum  guident  \honorem]  habere 
oporlet; cessare vero  dcbcnt  ab  onini  sacro  minislerio, 
ita  ut  nec  panem  nec  calicem  offeranl,  nec  pronun- 
cienl;  nisi  forte  aliqui  episcoporum  conscii  sinl  labo- 
ris  eorum,  et  liumilitalis,et  manmeludinis,  et  volue- 
rint  eis  aliquid  ampli  es  tribuere  vel  adimere.  Pencs 
ipsos  ergo  de  his  erit  potestas.  Voir  Hefele,  op.  cit., 
t.  i.  p.  303-304.  Quand  on  rapproche  ce  texte  de  la  doc- 
trine primitive,  clairement  et  publiquement  attestée 
par  saint  Justin  ;  du  décret  contemporain  et  péremptoire 
du  synode  d'Arles;  de  l'affirmation  solennelle,  posté- 
rieure seulement  de  quelques  années,  que  nous  ren- 
controns dans  le  concile  de  Nicée,  on  doit  regarder 
comme  absolument  invraisemblable  qu'il  contienne  une 
note  discordante,  fût-elle  locale  et  momentanée,  par 
rapport  à  l'objet  qui  nous  occupe.  Qu'on  se  rappelle 
d'ailleurs  les  deux  manières  déjà  exposées  d'offrir  le 
sacrifice  eucharistique,  et  que  l'une  d'elles,  subordon- 
na et  ministérielle,  convient  incontestablement  aux 
diacres  :  celle-ci  constitue  tout  naturellement,  ce  «  mi- 
Distère  »  dont  l'exi  rcice  restera  interdit  à  ceux  qui 
mi  me  apr<  -  leur  conversion  prouvée 
par  une  nouvelle  lutte  victorieuse.  Cf.  Hefele,  op.  cit., 
I.  i,  p.  611  'il  1  Ajoutons,  pour  être  complet,  que  cer- 
tains commentateurs  préfèrent  expliquer  le  terme 
offerre  en  suppléant  (idelibus  ou  quelque  synonyme, 
alors  il  n  lit,  ici  encore,  que  du  ministère  'le 
la  dispensalion.  C'est  ainsi  que  le  canon  a  été  entendu 
pu  Isidore  Mercator,  qui.  en  marge  de  l'expression 
êaerominiiterio,  annote  :  Panis  et  calicit  ,    ,tare 

neque  minittrare.  Si,  appliquée  aux  prêtres,  l'exprès- 
/' !i  i  e,  étant  donnée  la  dignité 
du  ministre,  signifie  ordinairement   l'oblalion  faite  à 
Dieu,  laquelle  implique  la  consécration  mène',  elle  peut 
lit,  quand  "II''  se  <U\  des  diacri  i,  s'interpréter  de 
la  présentation  et   distribution  aux  communiants,  lie 
Cyprien  parle  expressé nt,  dans  son  traité 

/'        /      .      >       IV,    (   -I        199,     'le 

vertu  duquel  le-  «li...  i.  .  apn  i  l.i  consécration,  allait  ni 
■  offrir  le  calici      i  Qts.  Voir  L  m,  col    MO. 

Pi  n  lanl  longtemp    l<  -  diacres  ont  pris  une  pari  im- 
i  ;■  m  des  <  i —     el  des 

.Ut    lie     vile,     ils 

ont  rendu  de  grand  équi      n 

mi  qu      I  nptit  trouvés  investis  du 

soin   des    pauvi 

I         - 1 1 <  1  r- - .  .m  ' 


des  persécutions,  celle  des  chrétiens  enfermés  dans 
les  cachots;  ils  avaient  mission  de  les  visiter,  autant 
que  possible,  et,  en  tout  cas,  de  leur  faire  tenir  les 
choses  indispensables  à  leur  subsistance.  Pour  satis- 
faire à  ces  obligations,  ils  en  vinrent  à  centraliser  entre 
leurs  mains  toutes  les  offrandes  des  fidèles,  toutes  les 
ressources,  tous  les  biens  meubles  et  immeubles  de  la 
communauté.  Ils  les  gardaient,  les  faisaient  valoir  et 
les  employaient  au  nom  et  sous  la  direction  du  chef  du 
diocèse.  L'histoire  atteste  les  merveilles  de  charité  et 
de  bienfaisance  qui  sortirent  de  cette  organisation  et 
le  soulagement  qu'elle  apporta,  des  siècles  durant,  aux 
innombrables  misères  humaines.  Les  diacres  aidaient 
encore  en  d'autres  manières  à  l'administration  épisco- 
pale  :  chargés  d'abord  de  la  surveillance  des  fidèles 
pendant  l'office  divin,  ils  exercèrent  bientôt,  même 
hors  du  temple,  une  sorte  d'inspection  officielle,  ren- 
seignant le  pasteur  sur  l'état  et  sur  les  besoins  de  son 
troupeau,  lui  fournissant,  dans  beaucoup  de  cas,  des 
lumières  précieuses,  capables  enfin  de  lui  suggérer 
bien  des  mesures  utiles  au  bien  commun.  Constitution 
ecclésiastique  égyptienne,  33,  56,  dans  Achelis,  p.  64, 
117;  Canons  ,1'Hippolyte,  34,  36,  37,  199,  ibid.,  p.  64, 
65,  117;  Testament  de  JS'otre-Seigneur,  1.  I,  30,  34, 
37,  p.  74,  90.  Tout  ceci  nous  explique  que  les  Consti- 
tutions apostoliques,  n,  44,  Funû,  t.  i,  p.  139,  aient  pu 
voir  dans  le  diacre  à  la  fois  «  l'œil,  l'oreille,  la  bouche, 
le  cœur  et  l'âme  de  l'évêque  :  i'otoi  ô  ôciy.ovo;  to-j  lni<7- 
xdnou  i-'.o-^  ■/.%•.  09fJ3c)(j.ô;  y.ai  a-ôy.-j.,  xapSi'a  xe  xal  'iu/'v  » 
Cf.  Testament  de  Notrc-Seigneur  Jésus-Christ,  1.  I, 
:!i.  t'dit.  Rahmani,  p.  82.  Auxiliaires  de  l'évêque  en 
tant  de  façons,  les  diacres  lui  servaient  en  outre  sou- 
vent comme  garde  d'honneur,  comme  témoins  perpé- 
tuels et  garants  de  sa  vie  et  de  sa  doctrine;  ils  étaient 
pour  lui,  ce  que  l'ancien  droit  appelait  diaconi  tatimo- 
niales,  ce  qu'on  a  nommé  aussi  des  syncelles  (ffoyxêX- 
Xot,  compagnons  de  cellule).  Ainsi,  par  la  force  des 
choses,  ils  pénétrèrent  dans  son  conseil,  y  prenant 
place  à  côté  du  presbyterium,  et  plus  mêlés  que  les 
prêtres  au  maniement  des  affaires,  ils  les  eurent  vite 
dépassés  en  inlluence  extérieure.  C'est  souvent  parmi 
eux  que  nous  rencontrons  les  hommes  de  confiance 
îles  évéques  et  même  des  papes,  qui  leur  commettent 
volontiers  le  soin  des  négociations  les  plus  importantes  ; 
ils  sont  envoyés  comme  apoerisiaires  à  la  cour  de 
Constantinople.  ou  députés,  en  qualité  de  représentants 

ipaux  ou  pontificaux,  à  des  conciles  soit  particu- 
liers, soit  œcuméniques,  au  sein  desquels  ils  obtien- 
nent fréquemment  voix  délibérative. 

Que  ce  contact  permanent  el  celte  sorte  île  familia- 
rité ou  ils  vivaient  avec  l'évêque  ou  le  souverain  pon- 
tife, que  tant  el  de  si  graves  cli.ire.es  concentrées  en 
leurs  mains,  surtout  si  l'on  y  ajoute  la  multitude  de 
sous-diacres  et  de  clercs  inférieurs  qu'à  la  longue  on 
avait  dû  mettre  à  leurs  ordres  comme  aides  et  suppléants, 
aient  fait  naître  dans  la  classe  des  diacres  quelques  sen- 
timents de  complaisance  trop  humaine,  quelque  dan- 
gereuse ambition  même,  qui  pourrait  s'en  étonner? 
Etant  donnée  leur  influence  prépondérante,  étant 
donné'  nu^si  leur  nombre  toujours  1res  restreint  com- 
ein.ni  i  celui  îles  prêtres,  plusieurs  en  vinrent 
i \-i  i  une  sorte  di  supéi  i 
universelle,  .i  prétendre  tout  au  moins  ne  leur  cédei 
en  tien,  même  dans  les  choses  relatives  au  pouvoir  de 
l'ordre.  Cette  tendance  se    révéla  ci  el  fi  de  bonne 

.   ■  i   les  loi1-  et  la    littérature  ecclésiastique   en 

multiples  \esti-es.  Saint  Jérôme,  i  la  lin  du 

naît.  Epiit.,  cxi.vi,  ad  Evangelutn, 

/'.  /...  t.  xxii,  col.  1193-1195,   Voir  cl.  Tlti.  Avant  lui, 

23,     le     COI1I   lie    île     \|,,e     ,,\.i|l      i|,'j,,     dû,     il. HIS     s,,|| 

Don,   que   non  produit,  col.  715,  il 

«lie  aux  «h  icrei  'i''  donner  la  communion  aux  prêtres 
ou  de  vouloir  prendre  le  pas  sur  eux.  en  allant  la  re- 


719 


DIACRES 


720 


cevoir.  Nous  rencontrons  encore  dans  la  législation  pos- 
térieure,  par  exemple  dans  le  IVe  concile  de  Tolède, 
en  633,  et  dans  le  concile  in  Trullo,  en  002,  des  dispo- 
sitions attestant  l'opportunité  de  rappeler  aux  diacres 
leur  infériorité  hiérarchique,  de  droit  divin,  par  rapport 
au  sacerdoce.  Nous  avons  déjà  signalé  l'étrange  aber- 
ration  de  ceux  qui,  dans  la  province  de  Poitiers,  au 
xiii''  siècle,  attachaient  au  diaconat  la  puissance  de  re- 
mettre sacramentellement  les  péchés. 

2°  Si  les  fonctions  diaconalcs  ont  été  jadis  si  nom- 
breuses, la  discipline  actuelle  n'en  a  guère  conservé 
que  trois,  résumées  dans  cette  formule  du  Pontifical 
romain,  pour  l'ordination  du  diacre  :  Diaconum  oportel 
ministrare  ad  al  tare,  baptizare  el  prœdicare.  La  prin- 
cipale, celle  qui  s'exerce  le  plus  habituellement  et  de 
plein  droit,  consiste  à  assister  l'évêque  ou  le  prêtre 
dans  la  célébration  solennelle  du  saint  sacrifice;  ce  qui 
vaut  au  diacre  d'être  appelé  dans  le  Pontifical  romain, 
loc.  cit.,  comminisler  et  cooperator  corporis  et  san- 
guinis  Domini.  A  l'autel  donc,  il  nous  apparaît  comme 
l'auxiliaire  et  l'assistant  immédiat  du  célébrant,  Décret. 
Grat.,  dist.  XXV,  c.  50,  tandis  que  le  sous-diacre  est  son 
assistant  à  lui  et,  dans  certains  cas,  son  suppléant.  Au 
diacre  seul  il  appartient  de  prendre  place  en  un  lieu 
relativement  élevé  pour  chanter  l'évangile,  de  présen- 
ter au  prêtre  la  matière  du  sacrifice,  d'inviter  publi- 
quement les  fidèles  à  plier  le  genou  ou  à  prier,  de  les 
congédier,  d'exposer,  s'il  y  a  lieu,  le  saint-sacrement 
et  de  le  remettre  dans  le  tabernacle.  Pour  les  moments 
où  nulle  attitude  ou  action  spéciale  ne  lui  est  prescrite, 
il  a  sa  place  marquée  en  arrière  du  célébrant,  sur  le  pre- 
mier degré  en  dessous  de  ce  que  le  langage  des  rubricistes 
appelle  le  suppedaneum,  le  sous-diacre  se  tenant  der- 
rière lui,  in  piano.  En  dehors  de  son  ministère  stric- 
tement liturgique,  il  peut,  sur  l'invitation  du  curé', 
distribuer  la  sainte  communion,  dist.  XCIII,  c.  17, 
bien  que,  aux  termes  d'une  déclaration  de  la  S.  C.  des 
Rites,  du  25  février  1717,  cette  invitation  ne  soit  justi- 
fiée qu'en  cas  de  nécessité  ou  par  des  raisons  graves. 
Voir  t.  m,  col.  490-491.  S.  Many,  Prœlecliones  de  sacra 
ordinatione,  Paris,  1905,  p.  51-52.  Il  peut  encore, 
suivant  le  droit  commun,  dist.  XCIII,  c.  13,  être 
autorisé  par  l'évêque  ou  le  desservant  à  administrer 
le  baptême  solennel;  mais  cette  autorisation  doit  être 
motivée,  elle  aussi,  par  une  nécessité  ou  une  utilité' 
sérieuse  :  ce  serait  le  cas  si,  le  curé  étant  malade, 
excommunié,  retenu  par  des  occupations  urgentes, 
aucun  autre  prêtre  ne  se  trouvait  présent.  Le  diacre 
a  bien  reçu  dans  son  ordination  le  pouvoir  de  bap- 
tiser solennellement,  mais  seulement  en  sous-ordre, 
comme  ministre  extraordinaire  et  suppléant.  C'est  le 
sens  de  cette  remarque  de  saint  Thomas,  Sum.  theol., 
IIIa,  q.  lxvii,  a.  1  :  Ad  diaconum  non  pertinel  quasi 
ex  proprio  of/icio  tradere  sacramentum  baptismi, 
sed  in  collatione  Itujus  sacramenli  et  aliorum  assi- 
stere  el  minislrare  majoribus.  Parce  qu'il  n'y  a  point 
pour  le  baptême  solennel  d'autre  ministre  ordinaire 
que  le  prêtre,  la  plupart  des  théologiens  et  des  cano- 
nistes  soutiennent  que  le  diacre  qui  le  donnerait, 
même  en  cas  de  nécessité, 'sans  une  délégation  spéciale, 
encourrait  la  peine  de  l'irrégularité,  comminée  par  le 
canon  Si  quis,  dist.  IV,  De  cons.,  contre  les  clercs  assez 
téméraires  pour  exercer  des  ordres  qu'ils  n'ont  pas.  Il 
y  a  pourtant  des  auteurs  modernes  qui  tiennent  cette 
manière  de  faire  pour  légitime.  Sans  aller  jusque-là, 
Gousset,  Théologie  morale,  Traité  du  sacrement  de 
baptême,  c.  IV,  n.  73,  la  croit  au  moins  à  l'abri  de  la 
censure.  Ajoutons  qu'aujourd'hui,  dans  plusieurs  pays, 
l'usage  a  dérogé  en  ceci  au  droit  des  curés  et  réserve  à 
l'évêque  la  faculté  de  déléguer  un  diacre  pour  l'adminis- 
tration du  baptême  solennel.  Enfin,  il  appartient  au  diacre 
d'instruire  le  peuple  fidèle  sous  forme  de  catéchismes 
et  aussi,  avec  la  permission  de  l'évêque  ou  du  curé,  sous 


forme  de  prédication.  Ad  diaconurtl,  dit  encore  saint 
Thomas,  Sum.  theol.,  IIIa,  q.  lxvii,  a.  1.  ad  I  .  pertinel 
récit  are  evangelium  in  ecclesiaet  prwdicai  <■  iptum  per 

modum  calec/iizanlis ;  sed  docere,  id  est  exponevee 
gelium,  pertinel  proprie  ad  episcopum,  cujus  actus  ett 
perficere.  Cf.  Testament  de  N.  S.,  I.  I,  37,  p.  90. 

Comme  insignes  extérieurs  de  leur  dignité  hiérar- 
chique et  de  leurs  fonctions,  les  diacres  ont  eu.  dès 
les  premiers  temps,  la  tunique  ou  le  colobium  et  l'étole. 
L'étole,  qui  était  primitivement  un  manteau,  ils  la  por- 
tèrent d'abord  sur  les  deux  épaules,  puis  sur  une  seule, 
pour  se  différencier  des  prêtres.  Dans  une  mosaïque 
de  Saint-Laurent-hors-des-murs,  Ciampini,  Vetera 
numenla,  tab.  xxviii,  on  voit  saint  Laurent  et  saint 
Etienne  avec  l'étole  sur  l'épaule  gauche.  Quant  au 
colobium,  il  devint  tellement  propre  aux  diacres  qu'il 
prit  le  nom  de  levitonarium,  c'est-à-dire  d'habit  des 
lévites.  On  leur  accorda  plus  tard  l'usage  de  la  dalma- 
lique,  antérieurement  réservée  au  souverain  pontife  et 
aux  évèques  qui  l'avaient  obtenue  de  lui  comme  dis- 
tinction spéciale.  Actuellement,  la  slola  transversa  et 
la  dalmatique  restent  les  deux  ornements  caractéris- 
tiques du  diacre  dans  l'accomplissement  de  son  minis- 
tère liturgique.  Cf.  Martigny,  Dict.  des  anliq.  chrét., 
art.  Colobium  et  Diacre. 

V.  INSTITUTION  divine.  —  Établi  de  fait  par  les  apô- 
tres, le  diaconat  est  en  soi  une  création  de  droit  divin. 
Celte  proposition  est  de  foi  :  elle  a  été  définie  claire- 
ment, sinon  explicitement  et  en  propres  termes,  par 
l'Église.  Le  concile  de  Trente,  sess.  XXIII.  can.  6,  dit 
«  anathème  à  qui  nierait  l'institution  par  disposition 
divine  dans  l'Eglise  catholique  d'une  hiérarchie  com- 
prenant les  évèques,  les  prêtres  et  les  ministres,  a  I  Ir, 
dans  ce  dernier  terme,  le  concile  a  dû  comprendre  au 
moins  les  diacres,  qui,  parmi  tous  les  ordres  inférieurs 
au  sacerdoce,  tiennent  la  tète  et  sont  par  office  les 
assistants  du  prêtre,  qui  sacerdotio  ex  officio  deser- 
viunt,  ainsi  que  nous  le  lisons  au  c.  2  de  la  même 
sess.  XXIII".  Il  n'est  pas  difficile  de  montrer  comment 
cette  doctrine  est  contenue  dans  le  dépôt  traditionnel. 

1°  Les  sept  élus  dont  nous  parlent  les  Actes,  vi,  ne 
sont  pas,  nous  l'avons  vu, de  simples]ministres  des  tables, 
mais  des  ministres  sacrés,  de  vrais  ministres  du  culte. 
D'autre  part,  en  comparant  ce  passage  à  ceux  où, 
comme  I  Tim.,  m.  8,  10,  et  Phil.,  i,  1.  il  est  question 
nommément  des  diacres,  on  comprend  qu'il  s'agit  dans 
tous  non  d'un  ministère  transitoire  et  d'origine  pure- 
ment humaine,  mais  d'une  institution  plus  haute, 
ayant  un  caractère  définitif  et  suggérée  aux  apôtres 
par  l'Esprit-Saint.  Sans  cette  circonstance,  on  ne  s'ex- 
pliquerait bien  ni  l'importance  majeure  que  les  Dou/e 
attachent  au  choix  des  sept  premiers  diacres,  ni  la 
préoccupation  visible  qu'ils  apportent  à  marquer  les 
conditions  auxquelles  ils  entendent  subordonner  ce 
choix,  ni  la  solennité  dont  ils  entourent  la  nouvelle 
création,  ni  non  plus  la  série  des  rares  qualités  que 
saint  Paul  vent  rencontrer  dans  les  diacres,  ni  enfin 
l'étroite  association  qu'il  établit  entre  eux  et  les  évè- 
ques. Par  contre,  l'origine  divine  du  diaconat  admise, 
tout  cela  se  con'-oit   à   merveille,  ton t   cela  va  de  soi. 

2°  Le  témoignage  de  la  tradition  patristique  est  bien 
plus  explicite  :  il  est  tel  qu'il  supplée  à  ce  qui  pourrait 
manquer  de  précision  rigoureuse  dans  les  données  et 
les  insinuations  bibliques.  Saint  Clément  de  Rome 
connaissait  déjà  une  hiérarchie  chrétienne  à  trois  de- 
grés, bien  qu'il  ne  donne  pas  encore  rénumération  de 
ceux-ci  dans  les  termes  que  les  siècles  ont  consacrés. 
Qui  pourrait  en  clouter,  quand  on  lit,  /  for.,  XL,  5  . 
xi.i,  I,  Funk, Patres  apostol.,  t.  i,  p.  150,  en  un  endroit 
où  il  inculque  aux  fidèles  et  aux  clercs  de  Corinthe  le 
devoir  «  pour  chacun  de  se  tenir  sans  écart  à  son  rang 
et  à  son  ministère,  »  ces  paroles  :  «  Le  grand-prêtre  a 
ses  attributions  propres;  aux  prêtres,  leur  place  a  été 


721 


DIACRES 


722 


déterminée;  les  lévites  ont  leurs  offices  particulier?, 
tandis  que  les  laïques  sont  soumis  à  des  régies  qui  con- 
viennent aux  laïques?  »  Cela  étant,  il  devient  très  vrai- 
semblable, que,  quand  une  ou  deux  pages  plus  loin,  il 
nomme  les  diacres,  qu'il  juxtapose  aux  évoques,  il  parle 
des  uns  et  des  autres  au  sens  propre  et  théologique. 
Or,  avec  une  insistance  vraiment  étonnante,  il  rattache 
les  uns  et  les  autres  à  l'institution  divine,  xlii,  1-4; 
x mu,  1,  Funk,  t.  i,  p.  152  :  «  Les  apôtres  ont  été  envoyés 
par  le  Seigneur  Jésus-Christ  pour  prêcher  l'Évangile 
parmi  nous;  Jésus-Christ  avait  été  envoyé  par  Dieu.  Le 
Christ  vient  donc  de  Dieu,  et  les  apôtres  viennent  du 
Christ;  et  ces  deux  choses  sont  fondées  sur  la  volonté 
divine.  C'est  pourquoi,  ayant  reçu  leurs  instructions,... 
(ces  apôtres)  sont  allés  préchant  dans  les  campagnes  et 
les  villes,  et  des  prémices  qu'elles  ont  produites  ils  ont 
fait,  après  les  avoir  éprouvées  par  l'Esprit,  les  évéques 
et  les  diacres  de  ceux  qui  devaient  venir  à  la  foi.  Ceci 
n'était  pas  nouveau;  il  y  a  beau  temps,  en  effet,  que 
l'Écriture  s'est  occupée  des  évéques  et  des  diacres,  en 
disant  :  J'établirai  leurs  évéques  dans  la  justice  et 
leurs  diacres  dans  la  foi.  Et  faut-il  s'étonner  que  ceux 
qui  avaient  reçu  de  Dieu  dans  le  Christ  cette  mission, 
aient  institué  ceux  que  nous  avons  nommés'.'  » 

Pour  saint  Ignace  d'Antioche,  personne  aujourd'hui 
ne  doute  plus  qu'il  n'ait  connu  nos  diacres  actuels. 
Voir  plus  haut,  col.  7()(i-707.  Tout  en  indiquant  claire- 
ment leur  subordination  à  l'égard  do  l'évéqae  et  des 
prêtres,  il  les  nomme  constamment  à  coté  d'eux,  comme 
faisant,  au  même  titre  qu'eux,  partie  de  l'Église  divi- 
nement constituée.  Il  enseigne,  Ad  Smyrn.,  VIII,  I, 
qu'on  doit  «  respecter  les  diacres  à  l'instar  du  com- 
mandement de  Dieu;  Ad  Trall.,  m,  1,  il  énumére 
les  trois  rangs  de  ministres  divins  et  ajoute:  «  Sans 
eux.  on  ne  parle  pas  d'église  :  /losl;  toû-rtov  gxxXijetx 
OÙ  xaXeÏTai.  »  Apres  lui,  le  courant  de  la  tradition  va 
se  renforçant  toujours,  et,  détail  digne  d'être  noté, 
il  marque  bien  plus  nettement  encore  la  dill'érence  du 
diaconat  au  sacerdoce  que  du  simple  sacerdoce  à 
l'épiscopat.  Saint  Polycarpe  (f  16'})  rappelle  aux  l'Iii- 
lippiens,  v,  Funk.  p.  :'.00,  que  «  les  diacres  doivent 
irréprochables  en  présence  de  la  justice  divine. 
comme  il  convient  à  des  ministres,  non  des  hommes, 
mai-  de  Dieu  et  du  Christ.  »  Clément  d'Alexandrie 
(f  2I7>  dit.  Slrom.,  vi,  13,  P.  <•-,  t.  ix,  col.  2:38,  que. 
i  dans  l'Eglise,  la  succession  des  évéques,  des  prétn  s 
et  des  diacres  lui  semble  être  uni-  imitation  de  la  hiérar- 
chie des  ai  i  la  place  des  divers  ordres  est  bien 
Dxée  par  Origène  ;  254),  qui.  prêtre  lui-même,  écrit, 
tiomil.,  xi,  in  Jcr.,  n.  3.  /'.  (..,  t.  XIII,  col.  369  :  !>• 
moi  on  exige  plus  que  d'un  diacre;  d'un  diacre,  plus 
que  d'un  laïque;  quanl  a  celui   qui  occupe  la  tour  de 

ise  (l'évéque),  il  devra  rendre  compte  pour  toute 
I  l  glise.  Enfin,  saint  Optai  de  .\lile\e.  au  iv«  siècb  . 
déplore  en  ces  termes,  /<•  schism  <it>n<it.,  i.  FI.  /'.  /... 
t.    xi,    roi.    209-211,    le>.    nombreuses   défections  qui 

ienl  produites  pendant  la  persécution  île  Diocté- 
tien :  Quid  comme rem  laicos,  </<"  tune  in  Ecclesia 

milla  fueruni  dignitate  tuffulti  '  quid   ministros  plu- 
-  '  quid  d  n  tertio,  quid  presbytère 

\tio  <  omtitutoi  '   1 1  ■<  apù  et  et  prin- 

aliqui  episcopi  illis  temporibut  inslru- 

tradidei  uni.  Cf.  de  Smedt, 

tequ'au  milieu 

<iu  nr  tu  ■  le,  dam  li  endu  du  l  ient 

•T    Sq. 

t  '     '  hl\i  RK8,     -    .Nous 

ides  i  ondilions  requ 
lion    validi    d  un   ordre  quelconqui 

i  que  le  sujet  appartii  me  i,n  ,.|  qu'il 

■'il  '  U    I'  [  I"  diaconat  étant,  de  par  l'inslitu- 

ti""  divine,  le  dej  f  pn  para  toi  ri  sa  an  ordri 

qui  asso<  ie  di  ja  •  ti  i  bu  qui  tn  i    tn    •  tu   i 


l'acte  du  sacrifice  eucharistique  et  qui  donne  accès  a 
d'autres  fonctions  importantes,  rien  d'étonnant  qu'on 
ait  toujours  exigé  des  diacres  des  garanties  spéciales, 
tant  morales  que  physiques,  d'aptitude  professionnelle. 
1°  Les  qualités  morales  ont  été  résumées  par  saint 
Paul,  dans  sa  Ire  Épitre  à  Timotbée.  m,  8-10,  12.  Les 
unes,  exprimées  sous  forme  négative,  consistent  sur- 
tout dans  l'absence  des  défauts  incompatibles  avec 
l'état  ecclésiastique  :  les  diacres  doivent  être  «  irrépro- 
chables »;  et  pour  cela,  «  qu'ils  ne  soient  pas  doubles 
dans  leur  parole,  ni  adonnés  au  vin  ni  avides  de  gains 
honteux.  »  Les  autres,  énumérées  sous  forme  positive, 
se  peuvent  ramener  à  cinq  :  l'honnêteté  ou  la  dignité 
de  la  vie  en  général,  cejxvoj;;  la  connaissance  des  mys- 
tères chrétiens,  la  pureté  de  la  conscience,  une  répu- 
tation solide  de  prudence  dans  la  conduite  du  per- 
sonnel et  des  affaires  domestiques,  et  enfin  la  conti- 
nence, sinon  absolue,  du  moins  relative,  qui  exclut 
les  secondes  noces  :  unius  u.roris  viri.  L'opinion  qui 
ne  voit  dans  cette  dernière  prescription  que  l'exclusion 
de  la  bigamie  simultanée  est  inadmissible  :  pareille 
remarque  eût  été  superflue  pour  des  chrétiens  et,  à 
plus  forte  raison,  pour  des  ministres  des  autels,  après 
la  restauration  par  le  Christ  de  la  loi  matrimoniale 
primitive,  Matth.,  xix,  9;  d'ailleurs,  l'expression  \i.:ï; 
•;■ jvaixô;  avo?£;  s'expliquerait  au  besoin  par  l'expres- 
sion absolument  parallèle  :  èvô;  àvôpbç  yj'nt,  qui  se 
lit  c.  v,  y.  9,  de  la  même  Épitre  et  qui,  tout  le  monde 
eu  convient,  ne  vise  que  la  bigamie  successive.  Au 
fond,  les  qualités  détaillées  par  saint  Paul  sont  les 
mêmes  que  les  apôtres  demandaient  pour  les  sept  pre- 
miers diacres.  Act.,  VI,  3.  Avoir  «  bon  témoignage  »  du 
public  ou  »  être  irréprochable  »,  c'est  tout  un.  A  qui 
est  «  rempli  de  l'Esprit-Saint  et  plein  de  sagesse  »,  ni 
i  la  dignité  de  la  \ie  »,  ni  «  la  connaissance  des  mys- 
tères chrétiens  dans  une  conscience  pure,  »  ni  la 
sagesse  dans  l'accomplissement  du  premier  des  devoirs 
sociaux,  ne  sauraient  manquer.  Toutes  ces  conditions 
sont  bien  celles  que  requièrent  raisonnablement  la 
dignité  el  Foflice  d'un  ministre  sacré,  appelé  spéciale- 
ment à  jouer  un  rôle  très  marqué  dans  l'administra- 
tion du  temporel  ecclésiastique.  Le  Pontifical  romain 
les  rappelle  longuement  aux  intéressés  dans  le  moment 
ne  nie  où  ils  se  présentent  pour  la  réception  du  dia- 
conat, et  il  souligne  notamment  les  principales  en  ces 
i  rmes  :  Abundet  m  as  lutins  forma  virlutis,  ancto- 
riias  modesta,  pudor  constant,  innocentise  puritas  et 
spiritualis  observantia  disciplinée.  Cf.  Testament  de 
N.  s..  I.  I.  33,  p.  78-80. 

2"  Le  célibat,,  —  La  double  préoccupation  d'assurer 
dans  les  diacres  la  parfaite  décence  de  leurs  fonctions 
liturgiques,  en  même  temps  que  l'accomplissement 
/■  lé  et  désintéressé  de  leurs  devoirs  administratifs,  se 
retrouve  dans  l'obligation  qui.  avec  le  temps,  leur  i 
été  imposée  de  garder  le  célibat.  On  sait  que  la  pra- 
tique du  célibat  ecclésiastique,  fondée  sur  l'exemple 
■  1rs  apôtres,  toujours  tenue,  d'après  la  doctrine  pauli- 
nienne  de  la   supériorité  de  la  continence  sur  le  m 

pour    très    recommandable    en    soi,    toujours 
observée  non  seulement  par  une  élite,  mais  par  beau- 
coup des  clercs  majeurs,  n'a  pas  cependant  été  obliga 
I  lire  dèi      n  gine     suivant  I  u  ■■;-'   di     Irais  pren 
siècles,  il  était  défendu  de  contracter  mariage  après  i, 
réception  des  oi  lis  les  cleri     n    '  lient  libres 

en  principe  de  renoncer  ou  de  ne  point  renoncer  à  un 
mariage  contracté  antérieurement;  de  fait,  souvent  Ils 
f  renoi  //    /.  .  i.  1 1 . 

.  i.  i  v. ii.  col.  102,  et  par  Sozotnène,  //    /•-'.,  i,  23, 
ibid  .  col.  926,  qu  au  coni  il''  di  Ni'  i  326,  le  saint 

Paphnuce,  lui-même  célibataire  et  réputé  pour 
I  i ..iiMii.  ni  encoi .     v ivemenl 
pour  b-  maintien  de  la  disi  ipiine  traditionnelle,  i  outre 
un.-    motion    tendant    a    Impose)    la    contineno    aux 


723 


DIACl'.KS 


724 


évéques,  aux  prêtres  et  aux  diacres.  C'est  en  Espagne 
que  nous  voyons  apparaître  d'abord  une  loi  sur  cette 
matière.  Le  concile  d'Elvire,  réuni  vers  l'an  300,  publia 
un  canon  33",  dont  voici  la  teneur  :  Plaçait  in  totum 
prohiberi  episcopis,  presbyteris  et  diaconis  vel  omni- 
bus clericis  positis  in  ministerio  abslincre  se  a  con- 
jtigibus  suis  et  non  generare  filios;  quicumque  vero 
fecerit,  ab  honore  clericatus  exlerminetur.  Celte  dis- 
position locale,  mais  atteignant  indistinctement  les 
clercs  employés  au  saint  ministère,  fut  bientôt  étendue 
à  toute  l'Église  latine,  en  même  temps  que  restreinte 
aux  évèques,  aux  prêtres  et  aux  diacres.  C'est  ce  que 
nous  atteste,  en  385,  une  lettre  du  pape  Sirice  à  Ilirne- 
rius  de  Tarragone,  n.  7,  P.  L.,  t.  xm,  col.  1138-1141, 
où  nous  lisons  :  Onines  sacerdotes  algue  levitse  inso- 
lubili  lege  constringimur ,  ut  a  die  ordinalionis  no- 
slrse  sobrielali  ac  pudicilise  et  corda  noslra  mancipe- 
mus  et  corpora,  dumnwdo  per  omnia  Deo  nostro  in 

his    quoe    cotidie    offerimus    placeamus El    quia 

exempta  prœsentia  cavere  nos  prsemonenl  in  futu- 
rum,  quilibet  episcopus,  presbyter  alque  diaconus 
deinceps  fueril  talis  inventus,  jam  nunc  sibi  omnem 
per  nos  indulgenlise  aditum  inlelligat  obseralum, 
quia  ferro  necesse  est  excidantur  ruinera  quse  fomen- 
torum  non  senserint  medicinam.  Nous  trouvons  une 
application  et  une  confirmation  historique  de  cette 
règle  dans  le  canon  2e  du  IIe  concile  de  Carthage  (390)  : 
Episcopos,  presbyteros  et  diaconos  ila  placuit,  ut 
condecet  sacros  antisliles  et  Dei  sacerdotes  necnon  et 
levilas  vel  qui  sacramentis  divinis  inserviunt,  conti- 
nentes esse  in  omnibus,  quo  possint  suppliciter  quse 
a  Deo  postulant  impetrare,  ut  quod  apostoli  docue- 
runt  et  ipsa  servavit  antiquitas  nos  quoque  custodia- 
mus.  Saint  Jérôme  applique,  lui  aussi,  et  justifie  la 
nouvelle  loi  de  l'Église,  lorsqu'il  écrit,  Epist.,  xlviii, 
ad  Pammach.,  n.  28,  P.  L.,  t.  xxii,  col.  510  :  Chri- 
slus  virgo,  virgo  Maria  utrique  sexui  virginilalis  de- 
dicavere  principia.  Apostoli  vel  virgines,  vel  post 
nuplias  continentes.  Episcopi,  presbyleri,  diaconi  aut 
virgines  eliguntur,  aut  vidui,  aut  certe  post  sacerdo- 
lium  in  seternum  pudici.  D'ailleurs,  le  même  saint 
Jérôme,  dans  sa  polémique  contre  Vigilantius,  qui 
conseillait  de  n'admettre  aux  ordres  que  des  hommes 
déjà  mariés,  pouvait  en  appeler  à  la  coutume  la  plus 
répandue  tant  en  Orient  qu'en  Occident,  Contra  Vigi- 
lant., c.  n,  P.  L.,  t.  xxiii,  col.  341  :  Quid  facient 
Orientis  ecclesise'!  quid  JEgypti  et  sedis  aposlolicse? 
quw.  aut  virgines  clericos  accipiunt  aut  continentes, 
aut  si  uxores  habuerint ,  mariti  esse  desislunt.  On  re- 
marquera que,  dans  aucun  de  ces  testes,  les  sous- 
diacres  ne  sont  nommés;  c'est  que,  relativement  à 
ceux-ci,  la  discipline  demeura,  même  chez  les  Latins, 
flottante  et  variable  suivant  les  lieux  et  les  circon- 
stances jusque  vers  la  fin  du  xue  siècle,  c'est-à-dire 
jusqu'au  moment  où  le  sous-diaconat  fut  définitive- 
ment élevé  à  la  dignité  d'ordre  sacré.  Il  est  inutile  de 
rappeler  que  les  Grecs  et  d'autres  chrétiens  orientaux 
ont  conservé  en  partie  la  faculté  d'option  que  garan- 
tissait le  droit  antique;  chez  eux,  le  célibat  n'est  ré- 
puté obligatoire  que  pour  les  évêques.  Quant  à  l'Église 
latine,  personne  n'ignore  la  lutte  héroïque  et  finale- 
ment victorieuse  que  saint  Grégoire  VII  soutint,  au 
xie  siècle  (1073-1085),  pour  bannir  des  rangs  du  clergé 
à  la  fois  l'incontinence,  la  simonie  et  toutes  les  servi- 
tudes que  ces  deux  abus  traînaient  à  leur  suite.  Toute- 
fois, ce  n'est  que  plus  tard  que  la  défense  faite  aux 
clercs  majeurs  de  se  marier  fut  renforcée  par  une 
clause  invalidante.  Cette  dernière  remonte  à  tout  le 
moins  jusqu'au  IIe  concile  de  Latran,  dont  le  canon  7e 
est  ainsi  conçu  :  Slaluhnus  qualcnus  episcopi,  pres- 
byleri, diaconi...  qui  uxores  sibi  copulare  prœsum- 
pserint,  separenlur ;  hujusmodi  namque  copulalionem 
malrimonium    non  esse  cens em us.  Non    content   de 


renouveler  la  prohibition  et  la  clause  y  ann* 
le  concile  de  Trente  éleva  l'une  et  l'autre  à  la  hauteur 
d'une  définition  solennelle,  sess.  XXIV,  can.  9  :  Si 
quis  dixerit,  clericos  in  sacris  ordinibus  conslilutos... 
posse  malrimonium  conlrahere  conlraclumque  vali- 
dum  esse,  non  obstante  lege  ecclesiaslica,...  anathema 
sit.  Cf.  Funk,  Colibat  und  Prieslerehe  im  christli- 
chem  Allerlhum,  dans  Kircliengesclticfitlicltc  Abliand- 
lungen  und  Unlersuchunqen,  Paderborn,  1897,  t.  i, 
p.  121  sq.,  450  sq.  Voir  Célibat  ecclésiastique,  t.  n. 
col.  2068  sq. 

3°  L'âge.  —  Il  n'y  a  pas  lieu  de  nous  arrêter  à  un 
antique  usage  qui  n'intéresse  notre  sujet  qu'indirecte- 
ment, je  veux  dire  à  la  coutume,  jadis  communément 
reçue,  en  vertu  de  laquelle  de  tout  jeunes  enfants 
étaient  offerts  à  l'évêque  par  leurs  parents  et  dès  lors 
enrôlés  dans  le  clergé  par  la  collation  de  la  tonsure  et 
même  de  l'ordre  de  lecteur,  sauf  la  faculté,  pour  ces 
«  oblats  »  arrivant  à  l'âge  de  puberté  (18  ans  accom- 
plis), de  choisir  librement  entre  les  ordres  sacrés  et  le 
mariage.  Disons  seulement  que  le  IIe  concile  de  Tolède 
(531)  et  le  concile  in  Trullo  (692)  avaient  déterminé 
l'âge  de  vingt  ans  pour  la  réception  du  sous-diaconat, 
qu'un  concile  de  Melfi  autorise  cette  ordination  dès  la 
14e  ou  15e  année,  et  que  Clément  V,  dans  Clament., 
Generalem,  de  œtate  et  qualilate  ordinandorum,  1.  I, 
tit.  vi,  c.  3,  édit.  Friedberg,  t.  n,  col.  1140,  reporte 
la  limite  inférieure  à  18  ans.  Deux  articles  du  Décret 
de  Gratien,  les  c.  5  et  6  de  la  dist.  LXXVII,  con- 
cernent les  ordres  supérieurs  :  ils  défendent  d'or- 
donner un  diacre  avant  25  ans,  et  un  prêtre  avant 
trente.  Clément  V,  Clément.,  I,  vi,  De  œtate,  c.  3, 
décide  qu'on  sera  admis  au  diaconat  après  vingt  ans 
accomplis.  Mais  le  droit  actuellement  en  vigueur  est 
celui  qui  a  été  sanctionné  par  le  concile  de  Trente, 
sess.  XXIII,  c.  12,  De  reform.  Il  fixe  l'âge  désormais 
requis  pour  chacun  des  ordres  sacrés  :  la  22e  année 
pour  le  sous-diaconat,  la  23e  pour  le  diaconat,  la  25" 
pour  la  prêtrise.  A  celui  qui,  sans  dispense  du  saint- 
siège,  se  fait  ordonner  en  devançant  l'âge  canonique 
l'exercice  de  son  ordre  est  interdit;  et  s'il  viole  cette 
interdiction,  il  encourt  une  irrégularité.  Cf.  Devoti, 
Inslilutiones  canonicx,  1.  I,  tit.  iv,  sect.  n. 

VII.  Nature  sacramentelle  de  l'ordination  diaco- 
nale.  —  Cette  thèse,  intimement  liée  à  la  question  de 
l'institution  divine,  s'en  distingue  cependant  tant  en 
soi  et  au  point  de  vue  des  concepts  qu'au  point  de  vue 
de  la  certitude  théologique.  Le  diaconat,  comme  tel  et 
séparé  des  ordres  supérieurs,  est-il  un  sacrement  ? 
Des  théologiens  en  ont  douté;  quelques-uns,  et  entre 
autres,  Durand,  Cajetan  et  Salmeron,  l'ont  nié.  Ils  allé- 
guaient que  ni  l'Écriture  ni  la  tradition  ne  contiennent 
de  témoignage  péremptoire  et  que  l'Église  non  plus  n'a 
rien  défini.  Aujourd'hui,  personne,  semble-t-il,  parmi 
les  catholiques,  ne  le  conteste  plus;  mais  on  n'est  pas 
d'accord  sur  la  nature  de  l'assentiment  qu'on  doit  à 
l'affirmation.  Vasquez,  disp.  CCXX XVIII,  c.  n,  n.  12. 
veut  qu'elle  soit  de  fuie;  Sylvius,  Supplem.,  q.  xxxvn, 
a.  2,  concl.  2,  la  dit  certaine  :  Diaconalu}ti  esse  sa- 
cramentum  ila  cerlum  est  ut  absque  lemerilatc  negari 
non  possit ;  Bellarmin,  De  ordine,  c.  v,  la  tient  pour 
l'aide  probabilis ;  Dominique  Soto,  In  IV  Seul., 
dist.  XXIV,  q.  I,  a.  4,  conclut  simplement  :  Qui  opinio- 
nem  Durandi  sustincre  vellet  non  esset  magna  repre- 
hensione  dignus ;  nihilominus  non  est  lam  facile  de 
communi  senlentia  de/leclendum,  esset  enim  nonnulta 
temeritatis  nota.  Sur  quelles  raisons  s'appuie  la  doc- 
trine commune  ? 

1»  Quoi  qu'on  en  ait  dit,  le  récit  de  saint  Luc,  Act..  m. 
ne  suffit  pas  à  trancher  la  question  :  s'il  relève  que  les 
sept  élus  furent  institués  en  charge  parle  rite  de  l'im- 
position des  mains  joint  à  une  prière,  il  n'ajoute  pas 
expressément  qu'une  grâce  ait  été  attachée  au  double 


725 


DIACRES 


726 


élément  sensible.  Néanmoins  ce  dernier  point  restera  à 
peine  douteux  pour  qui  fera  attention  aux  nombreuses 
et   difficiles   vertus   que  saint  Paul  exige  des  diacres- 
I  Tim.,  m,  8  sq.  Toute  hésitation  devra  même  disparai- 
tre,  si  l'on  s'en   rapporte  à  l'interprétation  tradition- 
nelle,   qui  a  toujours   vu   dans   le  c.   VI  des  Actes   la 
relation  d'une  ordination  sacramentelle  d'où  sont  sortis 
les  premiers  diacres.  Citons-en  un  seul  témoin,  saint 
Jean  Chrysostome.  Dans  Homil.,  xiv,  in  Acl.  apost., 
n.  3,  P.  G.,  t.  lx,   col.  116,  il  commente  ainsi  le  pas- 
sage dont  il  s'agit:  «  Prenez  garde  que  l'écrivain  sacré 
ne  donne    aucun   détail  superflu;  car  il    ne   dit    pas 
de   quelle    manière    ils   ont  été    ordonnés,    mais  sim- 
plement qu'ils  l'ont  été  par  l'imposition  des  mains  et 
la  prière,  6-:  È%eipoTovrfii\aa»  8ià  TtpooTj/r,;.  C'est  bien  là 
l'ordination,  toCto  yàp  r|  XEtporovia  éa-tiv  :  l'homme  im- 
pose sa  main;  mais  c'est  Dieu    qui  opère  tout,    c'est 
Dieu   dont  la  main  touche  la  tète  du  sujet  ordonné.  » 
2°  Les  plus  anciens  rituels  fournissent  une  preuve 
traditionnelle  indépendante  et  certaine,  en  tant  qu'ils 
nous  montrent  le  Saint-Esprit  conféré  par  l'imposition 
des  mains  de  l'évéque.  D'après  les  Constitutions  apos- 
toliques, vin,  17,  édit.  Funk,  t.  i,  p.  523,  le  prélat  con- 
si'crateur    dit:    Deus  omnipotens,...    ostende  faciem 
tuam  super  servuvi  luum  hune ,  eleclum  tibi  in  diaco- 
natus    minislerium,  et  impie  eum  Spiritu  et  virlute, 
sicut  implevisti  Step/ianum.  D'après  le  Testament  de 
Noire-Seigneur,  1.   I,   38,    édit.   Rahmani,  p.   90,  92, 
l'évéque,  en  imposant  la  main  aux  diacres,  demande 
à    Dieu   une  effusion  de  l'Esprit-Saint  dans  l'àme   de 
l'ordinand  en  vue  de  l'aider  à  bien  remplir  ses  fonc- 
tions. Voir  aussi  les  Canons  à" Hippolyte ,  39-42,  édit. 
Achelis,  p.  66-67.  Non   moins  expressives  ces  paroles 
du  Sacramentaire  grégorien,  P.  L.,  t.  lxxviii,  col.  222  : 
Emitte  in  eum,  Domine,  quœsumus,  Spiritum  San- 
etum,  (jun   in  oj,us    minislevii   fideliter  exsequendi 
teptiformis  gratis  tua  minière  roboretur.  La  prière 
épiscopale  en  usage  chez   les  Grecs,  Goar,  Eucholo- 
gium,  p.   250,   est  semblable  aux  prières  précédentes 
et  plus  explicite  encore  :  Domine  Deus  nosler,...  gra- 
tiam  Slepliano  protomartyri    tua    in    opus    minisle- 
rii huju*   a  te   primum  vocato  concessam  largire... 
Ipte,  Domine, servum  luum  hune,  quem  diaconi  mi- 
nitterium  sub'  li,  sancli  ri  vivifici  Spirilus 

lin  adventu  omni  fide  ri   carilate  et   sancli/icalione 
»/>/-'  On  peut  voir  d'autres  formules  de  même  sens 
et  de  même  portée  dans  Martène,  De  antiquie  Ecrlesiœ 
"s.  t.  ii.  p.  s.")  m|..  et  Denzinger,  Ititus  Orienia- 
lium,  Wurzbourj    1863-1864    I    a,  p.  8,  69, 133,  etc. 

Contre  la  conclusion  tirée  par  nous  de  ces  textes 
qu'on  n'objecte  pas  que  la  matière  de  l'ordination 
diaconale  consisti  dans  la  porrection  du  livre  des  Evan- 
.  lequel  n'existail  pas  encore  lors  du  fait  consigné 
au  c.  vi  des  Acte-  L'antériorité  du  diaconat  par  rap- 
poi  i  -' 1 1 x  écrits  du  N'ouveaujl  estamenl  esl  uni'  des  con- 
■idérations sur  lesquelles  nous  établirons  plus  loinque 
Cette  porrection  n'appartient  pas  à  la  matière  essm- 
lielle.  On  ne  nous  oppi  plus  de  fonde- 

ment que,  suivant  certains  recueils  liturgiques,  la  col- 
lation  des  ordres  mineurs  se  f.iii  aussi  par  nue  impo- 
li tu  m  des  mains  accompagnée  d'un  appel  à  l'Esprit-Saint, 
d'une  Invocation  tendant  ■>  l'attirer  sur  l'ordinand,  et 
que  ■  luvenl  même  dans  la  con. 

t.  "/"    '  .  vin,  20.  I  iink . 
t.  i.  i     •-'  il.  cai  actère  particula- 

•  ttreint  di  !  qoi, 

on)  d'ailleurs  b 
il    suffira   de  n  marquer  qui   personm 
•  ndiquer  pour  eux  ni   un.   ..i 

or,  celle  i  léfaut,  le  i  Eté  auqui  I  i  II'-  manqui 

■al  par  cela  nombre  d        cremi 

:'-  Le  concile  d.-   i  n  uti    ■<   tout   au   mois 


notre  thèse.  Qu'on  rapproche,  pour  en  juger,  les  ca- 
nons 2'\  3e,  4e  et  6e  de  sa  XXIIIe  session.  Par  le  2e,  il 
définit  l'existence,  dans  l'Église  catholique,  à  côté  du 
sacerdoce,  d'autres  ordres  majeurs  et  mineurs,  et  par 
le  3e  et  le  4e,  l'existence  d'une  ordination  vraiment  sa- 
cramentelle. En  ajoutant  ensuite,  dans  le  6e,  qu'il  y  a 
une  hiérarchie  divinement  instituée  et  comprenant  les 
évêques,  les  prêtres  et  les  diacres,  il  semble  bien  oppo- 
ser ces  trois  degrés  aux  ordres  inférieurs,  simples 
créations  ecclésiastiques  et  donc  non  sacramentelles, 
non  seulement  au  point  de  vue  de  l'origine  divine, 
mais  aussi  de  l'efficacité  propre  aux  sacrements.  Nous 
pouvons  encore  dégager  la  même  pensée  par  une  autre 
voie  :  le  4e  canon  dit  anathème  à  «  quiconque  préten- 
drait que  l'ordination  sacrée  ne  donne  pas  le  Saint- 
Esprit  et  que,  par  conséquent,  les  évêques  prononcent 
en  vain  la  formule:  Recevez  le  Saint-Esprit.  »  N'est- 
ce  pas  affirmer  implicitement  que  toute  ordination  où 
cette  formule  est  employée  opère  ce  que  la  formule 
signifie  ?  Or  le  canon  6e  nous  parle  de  ministres 
ou  diacres  d'institution  divine,  dont  l'ordination, 
nous  le  savons  d'ailleurs,  se  fait  par  la  formule 
en  question.  La  conclusion  parait  s'imposer  :  l'ordina- 
tion des  diacres  leur  confère  le  Saint-Esprit,  elle  tient 
de  Dieu  même  une  vertu  sacramentelle.  Cf.  Benoît  XI\  , 
De  si/nodo  diœcesana,  1.  VIII,  c.  ix,  n.  2. 

VIII.  Matière  et  forme  de  l'ordination  diagonale.  — 
La  matière  et  la  forme  de  l'ordination  diaconale  sont 
controversées  comme  celles  de  la  consécration  épisco- 
pale et  de  l'ordination  sacerdotale. 

1°  Matière.  —  Quant  à  la  matière,  il  s'agit  surtout  de 
savoir  si  elle  comprend  essentiellement  la  o  porrection 
ou  tradition  des  instruments,  »  c'est-à-dire,  pour  le 
diaconat,  la  présentation  et  l'attouchement  du  livre  des 
Évangiles.  Les  théologiens  se  partagent  ou  se  sont 
partagés  entre  trois  opinions  d'inégale  valeur. 

1.  Saint  Bonaventure,  In  IV  Seul.,  dist.  XXIV,  p.  II, 
a.'l,  q.  iv,  Pierre  Soto,  J.  Morin,  Goar,  Martène,  Tour- 
nely  et  la  plupart  des  représentants  modernes  de  la 
théologie  dogmatique  :  Perrone,  Franzelin,  Schwetz, 
Oswald,  Chr.  Pesch,Tepe,  Gihr,  etc.,  placent  la  matière 
essentielle  exclusivement  dans  l'imposition  des  mains. 
Pour  eux,  la  présentation  du  livre  des  Evangiles  est 
une  cérémonie  ajoutée  par  l'Eglise  et  destinée  à  mieux 
marquer  l'effet  et  le  but  de  l'ordination.  Les  arguments 
sur  lesquels  ils  s'appuient  sont  des  plus  graves,  sinon 
péremptoires.  o)  Il  est  tout  d'abord  très  remarquable 
que  le  Nouveau  Testament  ne  fait  nulle  part  menlion 
que  de  l'imposition  des  mains.  Peut-on  raisonnable- 
ment supposer  que,  gardant  constamment  le  silence 
sur  la  seule  matière  essentielle  ou  sur  une  partie  de 
cette  matière,  il  ne  nous  aitdépeinl  qu'un  rite  acciden- 
tel, tout  au  plus  un  rite  essentiellement  incomplet,  en 
\  rattachant  expressément,  II  Tim.,  i.  6,  la  grâce  sacra- 
mentelle? Ajoutons  que  les  premières  ordinations  de 
diacres  sont  antérieures  à  l'origine  même  des  Evanl 
giles  et,  plus  encore,  à  leur  réunion  en  un  recuei- 
unique. 

/.  NI  les  Pères  de  1  I  glise  ni  les  conciles  des  neuf 
premiers  siècles  ne  disenl  mot  des  instrument»;  ils  ne 
parlent  que  de  l'imposition  des  mains,  gsiporovia, 
■/EipoOî?:*.  Voir  le  Testament  de  Notre-Seigneur,  I.  I, 
:Î8,  p.  90;  Consiituh  [astique  ég  ■  83, 

dans  Achelis,  p.  fii;    Cations   d' Hippolyte,  38,   ibid., 
p,  06.  On  trouvera  un  cln>i\  de  témi 
Pesch,  Prselect.  dogmat.,  t.  vir,  p.  874,  27.").  Le  ooncili 
de  l  rente  lui-m<  MV,  Dee»  frem.  unct.,  c.  tu, 

XXIII,  c.  n,  m.  attribue  la  grâce  de  l'ordina- 
tion, comme  effet,  non  pas  i  la  Iraditio  \Uh 
■i  l'imposition  des  mains;   ce  qui  exclut 
manifestement  l'explication  du  silence  des  documenta 
'h  <  ipline  de  l'an  ane. 
e   11  est  un  (ait  liturgique    qui  suffirait  à  lui  seul  à 


727 


DIACRES 


728 


emporter  conviction  :  aucun  des  rituels  écrits  avant 
l'an  900  de  notre  ère  ne  prescrit  la  porrection  des  ins- 
truments, si  l'on  excepte  l'imposition  du  livre  des 
Évangiles,  laquelle  est  en  usagedepuis  le  iv  siècle  en- 
viron pour  la  consécration  épiscopale.  .1.  Morin,  De 
sacris  Ecclesise  ordinalionibus,  fournit  en  abondance 
les  preuves  de  cette  assertion.  En  présence  des  pre- 
miers monuments  qui  commençaient  à  mentionner 
une  porrectio  instrunienloram  pour  les  trois  ordres 
supérieurs,  les  plus  anciens  commentateurs  ne  man- 
quent pas  d'attirer  l'attention  sur  le  caractère  accessoire 
et  purement  déclaratif  de  cette  cérémonie.  Ainsi  fait, 
par  exemple,  Hugues  de  Saint-Victor  (f  vers  1141), 
lorsqu'il  dit,  à  propos  de  l'ordination  sacerdotale,  De 
sacramenlis,  u,  3,  12  :  Accipiunt  cl  calicem  cum  vino 
et  païen am  cum  Itostiis  de  manu  episcopi,  quatenus 
his  instruments  polcstatem  se  accepisse  cognoscant 
placabiles  Deo  hoslias  offerendi.  En  Occident  donc,  le 
rite  des  «  instruments  »  n'apparaît  qu'au  Xe  siècle, 
introduit  par  l'Église  elle-même;  il  en  résulte  qu'il 
n'est  ni  d'origine  divine,  ni,  par  conséquent,  essentiel 
au  sacrement.  Il  ne  servirait  de  rien  d'objecter  que 
l'Église  a  pu  n'user  qu'au  Xe  siècle  du  pouvoir  qu'elle 
aurait  reçu  du  Christ  de  déterminer  la  matière  essen- 
tielle; car,  de  quelque  manière  qu'on  entende  ce  pou- 
voir, il  est  a  priori  souverainement  invraisemblable 
que  l'Église  ait  voulu  réduire  le  rite  apostolique  de 
l'imposition  des  mains  au  rùle  d'accessoire  purement 
accidentel,  pour  lui  substituer,  comme  élément  essen- 
tiel, un  autre  rite  absolument  nouveau.  Cf.  BenoitXIV, 
Desynodo  diœc,  1.  VIII,  c.  x,  n.  10. 

d)  Enfin,  ce  qui  complète  la  preuve,  c'est  que  les 
Églises  orientales  n'ont  de  tout  temps  employé  et  n'em- 
ploient encore  aujourd'hui  que  l'imposition  des  mains, 
pour  la  collation  des  trois  ordres  supérieurs  aussi  bien 
que  pour  celle  du  sous-diaconat  et  de  l'ordre  de  lecteur. 
Jamais  pourtant,  au  cours  des  négociations  entreprises 
en  vue  de  leur  réunion  à  l'Église  romaine,  ni  à  Lyon, 
en  1274,  ni  à  Florence,  en  1439,  il  n'y  eut  d'observa- 
tions de  la  part  des  Latins  à  ce  sujet.  Les  papes  ont 
agi  en  ceci  de  la  même  manière  que  les  conciles.  Il 
nous  suffira  de  rappeler  Clément  VIII,  qui,  selon  la 
remarque  de  Benoit  XIV,  De  synode-  diœc,  1.  VIII, 
c.  x,  n.  7,  «  admit  à  l'unité  catholique  des  évêques, 
des  prêtres  et  des  diacres  russes,  avec  leurs  ordres  tels 
qu'ils  les  avaient  reçus,  conformément  au  rituel  des 
Grecs,  à  l'époque  où  ils  étaient  schismatiques.  »  L'hy- 
pothèse d'une  diversité  de  matière  essentielle  en  Orient 
et  en  Occident,  qui  a  souri  à  quelques  théologiens,  no- 
tamment à  De  Lugo,  à  Franzelin,  à  Gutberlet,  parait 
assez  inutile';  elle  est  d'ailleurs  peu  en  harmonie  avec 
l'unité  nécessaire  à  l'Église,  non  seulement  dans  la 
doctrine,  mais  aussi  dans  toutes  les  parties  du  culte  et 
autres  pratiques  qui  sont  en  connexion  étroite  avec 
cette  même  doctrine. 

2.  Une  seconde  opinion,  dont  on  peut  dire  qu'elle 
est  actuellement  surannée,  s'oppose  diamétralement  à 
la  précédente;  elle  en  prend  exactement  le  contre-pied. 
Elle  a  été  défendue  par  Dominique  Soto,  Capréolus, 
Grégoire  de  Valence,  Gonet,  Estius,  etc.  Aux  yeux  de 
ces  théologiens,  il  n'y  a  point  d'autre  matière  essen- 
tielle du  sacrement  de  l'ordre  que  la  porrection  des 
instruments,  point  d'autre  matière  essentielle  de  l'or- 
dination du  diacre  que  la  tradition  du  livre  des  Évan- 
giles; l'imposition  des  mains  est  étrangère  à  l'essence 
sacramentelle,  elle  est  simple  materia  intégrons.  Les 
défenseurs  de  cette  théorie  s'appuient  principalement, 
presque  uniquement,  sur  le  décret  d'Eugène  IV,  l'ro 
Armenis  (en  1439).  On  lit,  en  effet,  dans  ce  document. 
Denzinger,  Enchiridion,  10e  édit.,  n.  701  :  Sexlum 
sacramentum  est  ordinis,  cujus  materia  est  illud  per 
citjus  tradilionem  conferturordo  :sicut  presbyteralus 
tradilur  per  calicis  cum  vino  et  patense  cum  pane 


porreclionem  ;  diaconalus  vero  per  libri  evangeliorum 
daiionem;  tubdiaconatus  vero  per  calicis  vacui  cum 
palena  vacua  superpoiita  tradilionem  ;  et  similiter  de 
idiisperrcrum  ail  m  inisleria sua  pertinenliu ni  assigna- 
lionem.  Mais  il  importe  avant  tout  «le  saisir  la  véritable 
portée  de  ce  décret,  qui  reproduit  souvent  mot  pour  mot 
un  opuscule  de  saint  Thomas,  De  jidei  articulis  et  seplem 
sacramenlis.  Or,  s'il  a  ce  caractère  d'autorité  qu'on  doit 
reconnaître,  dans  l'Église,  à  tous  les  actes,  à  toutes  les 
directions  du  pouvoir  suprême,  on  aurait  tort  cepen- 
dant d'y  voir  soit  une  définition  ex  cathedra,  soit 
même  un  exposé  doctrinal  essentiellement  complet.  Il 
est  proprement  une  instruction  pratique,  adressée  am 
Arméniens  afin  de  les  amener  à  la  plus  grande  confor- 
mité possible  avec  l'Église  latine  dans  l'administration 
des  sacrements  et  insistant,  pour  cette  raison,  unique- 
ment sur  ceux  des  rites  romains  qui  n'étaient  pas  en 
usage  parmi  ses  destinataires.  S'il  en  'tait  autrement, 
on  ne  comprendrait  pas  comment  Eugène  IV  a  pu  ad- 
mettre au  concile  de  Florence  les  évêques  arméniens, 
ordonnés  sans  la  porrection  des  instruments  et  donc  in- 
validement;  on  ne  comprendrait  pas  davantage  pour- 
quoi il  ne  mentionne  pas  expressément  l'imposition  des 
mains,  considérée  pourtant  et  pratiquée  comme  essen- 
tielle par  tous  les  Latins.  Il  est  vrai  qu'un  peu  plus 
loin  il  en  indique  la  nécessité,  mais  de  façon  implicite 
seulement  et  en  renvoyant  aux  prescriptions  du  rituel 
romain  :  El  sic  de  aliorum  ordinum  formis,  pro»t  in 
Ponti/icali  romano  laie  continelur.  En  résumé,  tout 
nous  amène,  concernant  la  signification  du  décret  Pra 
Armenis,  à  cette  conclusion  de  Benoit  XIV,  De  synodo 
diœc,  1.  VIII,  c.  x,  n.  8:  Xecesse  est  igitur  fateri 
Eugenium  locutum  esse  de  maleria  et  forma  inté- 
grante et  accessoria,  quam  optavit  ab  Armenis  su)  er- 
addi  rnanuum  impositioni  jam  diu  ab  illis  adhibitae, 
ut  Ecclesiœ  lalinse  moribus  se  accomodarent .  Ainsi 
tombe  l'unique  argument,  plutôt  spécieux  que  sérieux. 
de  la  seconde  opinion. 

3.  Mais  il  en  est  une  troisième,  qui  essaie  de  concilier 
les  deux  précédentes  en  s'appropriant  ce  que  chacune 
d'elles  a  de  positif,  c'est-à-dire  en  considérant  comme 
matière  essentielle  et  l'imposition  des  mains  et  la  por- 
rection, suivant  l'ordination  dont  il  s'agit,  soit  de 
l'évangéliaire  soit  d'autres  objets  caractéristiques.  l'Ile 
se  refuse  donc  à  restreindre,  avec  la  seconde,  la  matière 
sacramentelle  à  la  tradition  des  instruments;  mais  elle 
n'admet  pas  avec  la  première  que  cette  tradition  soit 
une  pure  démonstration  intuitive,  une  simple  expression 
symbolique  de  la  grâce  conférée  ;  elle  y  voit  au  contraire 
une  véritable  partie  essentielle  du  rite  divinement 
institué,  partie  qui  forme  avec  l'imposition  des  mains 
un  tout  moral,  avec  l'imposition  des  mains  et  la  forme, 
une  seule  cause  sanctificatrice  complète.  Dans  l'ordi- 
nation sacerdotale,  par  exemple,  non  seulement  l'impo- 
sition des  mains  et  la  présentation  du  calice  et  de  la 
patène  symbolisent,  celle-là.  surtout  le  pouvoir  d'absou- 
dre, celle-ci.  surtout  le  pouvoir  de  consacrer,  mais  elles 
confèrent  ensemble  sacramentellement  l'un  et  l'autre. 
Bellarmin,  De  Lugo.  Vasquez,  Maldonat,  Ledesma,  Liil- 
luart,Berti.  Gotti.  et,  parmi  nos  contemporains.  Billot, 
De  sacramenlis,  t.  n,  thés,  xxx  ;  Gutberlet,  Dogmalisclte 
Théologie,  t.  x,  p.  288  sq.,  défendent  cette  théorie. 
Faisant  leur  profit  des  arguments  propres  aux  deux 
autres,  ils  insistent  principalement,  en  faveur  de  l'im- 
position des  m. uns.  sur  l'autorité  de  l'Ecriture  et  de  la 
tradition,  et  en  faveurde  la  porrection  des  instruments, 
sur  la  pratique  de  l'Église  latine  et  le  décret  d'Eugène I\  ■ 
Ils  se  vantent  du  reste,  et  à  bon  droit,  d'échapper 
aux  difficultés  spéciales  de  la  seconde  opinion:  et  pour 
résoudre  les  objections  historiques,  ils  supposent 
généralement  que  le  Christ  a  déterminé  la  matière  et 
la  l'orme  de  l'ordination  seulement  in  génère  et  que. 
laissant  à  l'Église  le  soin  de  les  déterminer  in  specie, 


729 


DIACRES 


730 


il  lui  a  conséquemment  laissé  la  faculté  d'autoriser 
certaines  divergences  et  variations  suivant  les  temps 
et  les  lieux. 

Sans  entrer  dans  une  discussion  détaillée  des  divers 
éléments  de  ce  système  et  sans  nier  la  faculté  de  déter- 
mination spécifique  qu'il  attribue  à  l'Église  par  rapport 
aux  éléments  sensibles  de  quelques  sacrements,  nous 
remarquerons  que  plusieurs  des  témoignages  bibliques, 
patristiques,  liturgiques  et  bistoriques  produits  ci- 
dessus,  col.  725,  nous  montrent  l'imposition  des  mains 
comme  seule  essentielle. 

Théoriquement  donc,  nous  concluons  sans  hésiter 
pour  la  première  opinion.  Toutefois,  en  pratique,  la 
question  se  présente  et  doit  se  résoudre  autrement. 
Chaque  fois  qu'un  doute  porte  sur  les  conditions  de 
validité  d'un  sacrement,  le  tutiorisme  s'impose.  Voilà 
pourquoi  l'Église  agit  et  veut  qu'on  agisse  autant  que 
possible  conformément  à  la  troisième  opinion;  voilà 
pourquoi  aussi  elle  ordonne,  quand  la  tradition  des 
instruments  a  été  omise,  qu'on  la  supplée,  et,  dans 
certains  cas,  que  toute  l'ordination  soit  réitérée,  tantôt 
absolument,  tantôt  conditionnellement.  Cf.  Pourrat, 
La  théologie  sacramentaire,  2e  édit.,  Paris,  1907, 
p.  270  sq.;  Chr.  Pesch,  Prselecliones  dogmalicœ,  Fri- 
n-Brisgau,  1897,  t.  vil,  p.  273  sq. 

2°  Forme.  —  Après  ce  que  nous  avons  dit  de  la  matière 
de  l'ordination  diaconale,  la  question  concernant  la 
forme  est  plus  qu'à  moitié  résolue.  La  forme  doit  natu- 
rellement consister  dans  des  paroles  ou  dans  une 
prière  qui  accompagne  la  matière  essentielle,  c'est-à- 
dire  l'imposition  des  mains.  Cf.  Testament  de  Notre- 
Seigneur,  1.  I,  38,  p.  90-92;  Canons  d'Hippolyte,  33, 
39-42,  dans  Achelis,  p.  64,  66-67.  Mais  concurremment 
avec  celle-ci,  le  rituel  de  l'ordination  des  diacres  prescrit 
deux  prières.  L'une,  plus  courte,  est  énoncée  en  manière 
de  commandement  :  Accipe  Spiritum  Sanclum  ad 
robur  et  ad  resistendum  diabolo  et  lenlalionibus 
ejus  in  nomine  Domini ;  l'autre,  seconde  partie  de  la 
préface  chantée  ou  récitée  par  le  prélat  ordinateur, 
débute  ainsi  :  Emitte  in  eos,  quœsumus,  Domine, 
tum  Sanctum,  quoin  opns  ministerii  luifideliler 
exsequendi  septiformis  gratis:  tuai  munere  roboren- 
hn  ...  La  formule  impérative,  dont  les  premiers  mots  : 
Accipe  Spiritum  Sanctum  se  retrouvent  également  à 
propos  de  la  consécration  épiscopale,  de  l'ordination 
:  totale  et  de  l'ordination  diaconale,  n'est  pas  1res 
ancienne  dans  I  Église.  Martène  i  établi,  De  antiquis 
Ecclesite  ritibui,  t.  ir,  p.  21,  27,  qu'elle  ne  remontait 
pins  de  quatre  siècles  chez  les  Latins.  On  ne  la 
rencontre  d'ailleurs  dans  aucun  Eucologc  grec.  La 
seconde,  en  revanche,  semble,  quant  au  sens,  avoir 
été  toujours  et  partout  en  usage.  C'est  donc  dans  la 
seconde  qu'il  faut  voir  la  forme  essentielle  de  l'ordina- 
tion. 

IX.  Cérémonies  de  l'ordination  diaconale.  —  Beau- 
coup de  cérémonies  se  reproduisent  identiques  dans 
la  collation  de  tous  les  ordres,  surtout  de  tous  les 
ordres  majeurs.  Voici  quelques-unes  de  celles  qui  sont 
spécialement  caractéristiques  de  l'ordination  du  diacre. 

,■■  .i  récité  les  prières  de  la  mi 

qu'à    l'épitre  inclusivement,   l'archidiacre  s'avance    et 

lui  présente   les  candidats,  i  n  lui  demandant  au  nom 

'h-    l  vouloir    bien    les  ordonm  r        Po$lulat 

m  mater  Ecclesia...  Sur  quoi.  le  prélat   l'inter- 

voua   s'ils  sont  dignes?  —  Autan)  que 

le  humaine  permet  de  le  connaître,  répond 

lidiacre,  je  le  sais  et  je  l'atteste,  i  L'évéque  re r- 

ponsi  .  pul  .  i  adresi  tnl  au  cli  rgé 
et  au  peuple,  il  continue  I  l'aide  de  Dieu,  noua 
■ii -m  re  que  voici  pour  l'ordre  du  diaconat: 
-i  quelqu'un  a  contre  loi  quoi  que  (•<■  soit,  qu'il  s'avam  i 
hardiment,  poui  l'amour  de  Dieu,  el  qu  il  le  déclare: 
mai«  qu'il  million,      h  i 


le  Pontifical  prescrit  une  courte  pause.  La  notification 
et  la  pause  rappellent  l'ancienne  discipline,  qui  com- 
portait une  consultation  des  clercs  et  des  fidèles  avant 
les  ordinations.  Ce  moyen  d'information  est  suppléé 
aujourd'hui  par  les  publications  qui  se  font  au  prône 
et  par  les  enquêtes  et  examens  auxquels  les  sujets  sont 
soumis;  mais  on  ne  peut  qu'approuver  l'usage,  qui 
s'est  maintenu,  d'inviter  le  public,  dans  l'acte  même 
de  l'ordination,  à  la  production  des  griefs  éventuels. 
Se  tournant  alors  vers  les  ordinands,  l'évéque  leur  dit, 
entre  autres  choses  :  «  Vous  devez  penser  combien  est 
grand  le  degré  où  vous  montez  dans  l'Église.  Un  diacre 
doit  servir  à  l'autel,  baptiser  et  prêcher.  Les  diacres 
tiennent  la  place  des  anciens  lévites;  ils  sont  la  tribu  et 
l'héritage  du  Seigneur,  ils  doivent  garder  et  porter  le 
tabernacle,  c'est-à-dire  défendre  l'Eglise  contre  ses 
ennemis  invisibles  et  l'orner  par  leur  prédication  et 
par  leur  exemple.  Ils  sont  obligés  à  une  grande  pureté, 
comme  étant  ministres  avec  les  prêtres,  coopérateurs 
du  corps  et  du  sang  de  Notre-Seigneur,  chargés 
d'annoncer  l'Évangile.  »  Toute  l'exhortation  épiscopale 
insiste  surtout  sur  la  nécessité,  pour  ceux  à  qui  elle 
s'adresse,  de  servir  de  modèles  à  leurs  frères  :  Curate 
ut  quibus  Evangelium  ore  annuntialis  vivis  operibus 
exponatis,  ut  de  vobis  dicatur  :  Beati  pedes  evangeli- 
zantium  pacem,  evangelizantium  bona.  Ilabete  pedes 
vestros  calceatos  sanctorum  exemplis,  in  prœpara- 
lione  evangelii  pacis.  Viennent  ensuite  les  litanies, 
récitées  ou  chantées  par  le  chœur,  durant  lesquelles 
les  ordinands  se  prosternent  la  face  contre  terre;  et  les 
litanies  terminées,  l'évéque,  dans  une  allocution  à 
l'assistance,  l'invite  instamment  une  première  fois, 
puis  une  seconde,  à  s'unir  à  lui  pour  implorer  le 
Seigneur  en  faveur  des  ordinands.  L'ordination  propre- 
ment dite  débute  par  une  prière  plus  solennelle  ou 
«  préface  »,  dont  les  idées,  le  style  et  le  chant  ont 
quelque  chose  de  majestueux  et  de  joyeux  tout  ensemble. 
Après  la  première  partie,  qui  est  une  effusion  enthou- 
siaste de  respect,  de  louange  et  de  remerciement  à  la 
providence  divine,  admirable  et  adorable  dans  l'orga- 
nisation de  l'univers,  non  moins  admirable  ni  moins 
adorable  dans  l'organisation  de  l'Église  et  des  degrés 
de  la  hiérarchie  ecclésiastique,  l'évéque  s'interrompt 
tout  à  coup.  Il  étend  la  main  droite  sur  la  tête  de 
chaque  ordinand,  en  disant  :  Accipe  Spiritum  Sanctum 
ad  robur  et  ad  resistendum  diabolo  et  tentationibus 
ejus,  in  nomine  Domini.  Reprenant  alors  le  chant  ou 
la  récitation  de  la  préface  et  tenant  jusqu'au  bout  sa 
main  droite  ('tendue  sur  tous  les  ordinands,  il  sollicite 
de  nouveau  pour  eux  les  grâces  divines,  par  l'éloquente 
et  pressante  supplication  dont  le  commencement  a  déjà 
été  indiqué  :  Emitte  in  eos,  qusesumus...  Cette  prière 
finale,  Domine  sanclc,  constituait,  dans  la  forme  pure 
de  la  liturgie1  gallicane,  toute  l'ordination  du  diaconat. 
Le  Missale  Francorum,  P.  L.,  t.  i.xxii,  col.  321,  a  ac- 
cueilli plus  tard  les  prières  précédentes  de  la  litti 
romaine.  Doni  Leclercq,  dans  Ilefele,  Histoire  des 
lies,  Paris.  1908,  t.  II,  p.  112,  note.  Nous  avons 
suffisamment  exposé  plus  haut  ce  qu'il  fini  penser  de 
l'antiquité  respective  et,  conséquemment,  du  rôle  sacra- 
mentel de  ces  deux  invocations,  qui  accompagnent  et 
commentent  l'imposition  des  mains.  Autrefois,  la  i 
monie  de  l'ordination  prenait  fin  ici.  Dans  le  courant 
du  moyen  âge,  on  j  a  ajouté  trois  actes,  qui  en  aug- 
mentent  l'expressive  solennil  lodifier  son 

sence  :  c'est  l'imposition  par  l'évéque  de  l'étole  et  de 
la  dalmatique  et  la  présentation  du  livre  di  i  i  van) 
En  accomplissant  chacun  de  ces  actes,  l'ordinateur 
prononce  une  Formule  'i111  en  marque  la  signification. 
En  plaçant  l'étole  sur  l'épaule  gauche  de  l'ordinand,  il 
dit  lecipe  ttolam  candidam  de  manu  Oei...,*en  don- 
nant la  dalmatique  Induai  te  Dominui  indumento 
salut>  tlitim,  el  dedmatù "  jut l 


731 


DIACI'.KS 


DIACRINOMÈNES 


732 


circumdet  te  semper ;  enfin,  en  présentant  le  livre  des 
Évangiles,  que  les  nouveaux  diacres  doivent  toucher  : 
Accipite  potestatem  legendi  Evangeliutn  in  Ecclesia 
Dei,  tant  pro  vivis  quant  pro  clef  une  Us,  in  nomme 
Domini.  Deux  oraisons,  récitées  par  l'évéque,  clôturent 
le  cérémonial  de  l'ordination  des  diacres. 

A  consulter,  outre  différents  ouvrages  cités  dans  le  corps  de 
notre  article    : 

1°  Sur  l'ensemble  de  la  question  :  Seidl,  Der  Diakonat  in 
ilcr  katholischen  Kirche, 'dessen  hieratische  Wiïrde  und  ge- 
schichtliche  Enlwicklung,  Ratisbonne,  1884;  S.  Thomas,  Sum. 
theol.,  III*  Suppl.,  q.  xxxiv  sq.,  et  les  commentateurs  de  la 
Somme  théologique,  par  exemple  Billuart,  De  sacramento 
ordinis,  édit.  Lequette,  t.  vu,  et  Vasquez,  In  ///■"  partent, 
disp.  CCXXX  V  sq.  ;  ensuite  tous  les  grands  traités  théologiques  ou 
canoniques  sur  les  sacrements,  notamment  :  Barbosa,  Jus  eccle. 
siasticum  universum,  1.  I;  Drouvenius,  De  re  sacramento- 
ria  contra  perdelluos  hxreticos,  Venise,  1737;  Tournely, 
Prxlectiones  theologicx  de  sacramentis,  Paris,  1739;  Muszka, 
De  sacramentis N.  L.  dissertationum  theologicarum  libri  VIII, 
Vienne,  1758;  oberndorfer,  De  sacramento  ordinis,  Freising, 
1759;  .Merlin,  Traité  historique  et  dogmatique  sur  les  paroles 
ou  formes  des  sept  sacrements  de  l'Église,  Paris,  1744,  réédité 
dans  le  Theologix  cursus  completus  de  Migne,  t.  xxi,  et. 
parmi  les  modernes,  Gaspard,  Tractatus  canvnicus  de  sacra 
ordinatione,  Paris,  1893;  Schanz,  Die  Lettre  von  den  Sacra- 
menten  der  katholischen  Kirche,  Fribourg-en-Brisgau,  1893; 
Oswald,  Die  dogmatische  Lettre  von  den  lieiligen  Sakramen- 
ten,  5* édit.,  Munster,  1894,  t.  n;  Billot,  De  Ecclesix  sacramen- 
tis, Rome,  1895,  t.  n  ;  Chr.  Pesch,  Prxlectiones  dogmaticx, 
Fribourg-en-Brisgau,  1897,  t.  vu;  Noldin,  De  sacramentis, 
Inspruck,  1901;  Gihr,  Die  lieiligen  Sakramente  der  katholis- 
chen Kirche,  2'  édit.,  Fribourg-en-Brisgau,  1902,  t.  n  ;  Polile, 
Lehrbuch  der  Dogmatik  in  sieben  Bùchern,  Paderborn,  1905, 
t.  ni  ;  S.  Many,  Prxlectiones  de  sacra  ordinatione,  Paris, 
1905,  p.  9-12,  14-16,  49-54,  439,  448-450,  460-461,  468-469,  473, 
475,  476,  478,  480,  508-512. 

2'  Sur  les  données  scripturaires  :  Seidl,  Der  Diakonat  in 
der  Apostelgeschichte  und  den  paulinischen  Briefen,  dans 
Der  Katholik,  1883,  t.  i,  p.  585  sq.  ;  t.  n,  p.  40  sq.';  Bellamy,  art. 
Diacre,  dans  le  Diction,  de  la  Bible,  de  Vigouroux;  Belser, 
Beitriige  zur  Erkldrung  der  Aposlelgescltichte,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1897;  A.  Michiels,  L'origine  de  l'êpiscopat,  Louvain, 
1900,  p.  110,  371,390;  Bruders,  Die  Verfassung  der  Kirche  von 
den  ersten  Jahrzehnten  der  apostolischen  Wirksamkeit  an  bis 
zum  Jahre  115  n.  Chr.,  Mayence,  1904;  Rose,  Les  Actes  des 
apôtres,  traduction  et  commentaire,  3°  édit.,  Paris,  1905,  p.  50- 
56;  Lcmonnyer,  Épitres  de  saint  Paul,  traduction  et  commen- 
taire, Paris,  1905,  t.  n,  p.  7,  139;  Ermoni,  Les  premiers 
ouvriers  de  l'Évangile,  Paris,  1905,  t.  n. 

3"  Sur  les  premières  origines  :  Sancti  Ignatii  epistulx, 
dans  les  Patres  apostolici,  édit.  Funk,  2*  édit.,  Tubingue,  1901, 
t.  i;  Didascalia  et  Constitutiones  apostolorum,  édit.  Funk, 
Paderborn,  1906,  t.  i  ;  De  Smedt,  L'organisation  des  Églises 
chrétiennes  jusqu'au  milieu  du  iw  siècle,  dans  le  Compte 
rendu  du  congrès  scientifique  international,  Paris,  1888,  t.  n; 
M«r  Rahmani,  Testamentum  D.  N.  J.  C,  Mayence,  1899,  p.  161- 
162;  H.  Achelis,  Die  Canones  Hippolyti,  dans  Texte  und 
Untersuchungen,  Leipzig,  1891,  t.  VI,  fasc.  4,  p.  168-173.  Ajou- 
tez les  ouvrages,  déjà  indiqués  ci-dessus,  de  Bruders  et  d'Ermoni. 

4"  Sur  le  côté  et  le  développement  historiques  :  Hallier,  De 
sacris  electionibus  et  ordinationibus  ex  antiquo  etnovo  jure, 
Paris,  1636,  réédité  dans  le  Theologix  cursus  complétas  de 
Migne,  t.  xxiv  ;  Petau,  Theologica  dogmala,  diss.  IV,  1.  II; 
J.  Morin,  De  sacris  Ecclesix  ordinationibus,  Paris,  1655; 
Aringhi,  Roma  subterranea  novissima,  Rome,  1651;  2'  édit., 
Paris,  1659;  Thomassin,  Vêtus  et  nova  Ecclesix  disciplina, 
Paris,  1088;  Ciampini,  Vêlera  monimenta,  Rome,  1690-1699; 
Martène,  De  antiquis  Ecclesix  rilibus,  Rouen  (le  iv  vol.  à 
Lyon),  1700-1706;  Hahn,  Die  Lehre  von  den  Sakramenten  in 
ihrer  geschichtlichen  Entuiicklung  innerhalb  der  abendlân- 
dischen  Kirclie  bis  zum  Konzil  von  Trient,  Breslau,  1864; 
Laurain,  De  l'intervention  des  laïques,  des  diacres  et  des 
dbbesses  dans  l'administration  de  la  pénitence,  Paris,  1899; 
Maltzew,  Die  Sakramente  der  orthodox-katholischen  Kirche 
des  Morgenlandes,  Berlin,  1898;  A.  Leder,  Die  Diakonen  der 
Bischôfe  und  Presbyter  und  ihre  urehristlichen  Vorlàufer, 
Stuttgart,  1905  (traite  principalement  de  l'archi-diacre);  Pourrat, 
La  théologie  sacramentaire,  étude  de  théologie  positive, 
2'  édit.,  Paris,  1907. 

J.  FORGET. 


DIACRINOMÈNES.  Glaire,  Dictionnaire  de»  scien- 
ces ecclésiasti<iues,  t.  i,  p.  (il!),  désigne  sous  ce  nom 
«  une  sorte  de  sectaires  qui,  d'après  l'opinion  d'Eutychès, 
ne  voulaient  reconnaître  aucun  chef,  parce  qu'ils  refu- 
saient d'adhérer  aux  décisions  de  concile  de  Chalcé- 
doine  et  de  s'unir  à  ceux  qui  prononçaient  des  ana- 
thèmes  contre  ce  même  concile.  »  Il  cite  comme  réfé- 
rences Prateolus  et  liaronius.  Or  Prateolus,  De  vilis, 
seclis,  Cologne,  1581,  p.  1445,  ne  parle  que  des  acé- 
phales. Baronius,  Annales,  an.  431$,  n.  1,  21,  rapporte 
d'abord  l'opinion  du  diacre  Liheratus,  Breviarium,  vin, 
ix;  édit.  Garnier,  Paris,  1675;  P.  L.,  t.  lxviif,  col.  984 
988,  d'après  laquelle  le  nom  d'acéphales  remonterait  au 
milieu  du  ve  siècle  et  s'appliquerait  pour  la  première 
fois  à  ceux  qui,  ne  voulant  pas  tenir  compte  du  pacte 
intervenu  entre  Jean  d'Antioche  et  Cyrille  d'Alexandrie, 
sous  prétexte  qu'on  n'aurait  pas  dû  faire  la  paix  avec 
le  patriarche  d'Alexandrie  sans  avoir  préalablement 
condamné  les  douze  chapitres  qu'il  avait  formulés  con- 
tre Nestorius,  abandonnèrent  à  la  fois  le  parti  de  Jean 
d'Antioche  et  de  Cyrille  et  restèrent  sans  chef  pour 
célébrer  leurs  synaxes.  Dans  la  suite,  Annales,  an.  482, 
n.  42;  an.  492,  n.  44,  Baronius  ne  parle  que  des  acé- 
phales. Les  diacrinomènes  seraient  donc  à  identifier 
avec  les  acéphales.  Or,  il  n'en  est  rien.  Les  acéphales 
n'ont  été  que  l'un  des  groupes  nombreux  formés  parmi 
les  diacrinomènes.  Ceux-ci  constituent  plutôt  l'ensemble 
des  opposants  du  concile  de  Chalcédoine  et  des  parti- 
sans plus  ou  moins  tranchés  d'Eutychès  et  du  mono- 
physisme. 

C'est  Léonce  de  Byzance  qui  nous  renseigne  à  ce  su- 
jet, car  il  les  connaissait  bien  et  les  a  solidement  ré- 
futés, dans  la  première  moitié  du  vi«  siècle.  Or,  d'après 
Léonce  de  Byzance,  De  seclis,  act.  iv,  7,  P.  G., 
t.  lxxxvi.  col.  1225,  lorsque  saint  Léon  eut  approuvé 
la  condamnation  et  la  déposition  d'Eutychès  par  Fla- 
vien,  patriarche  de  Constanlinople,  les  5iaxpiv6(ievot, 
le  mot  est  de  lui  et  est  traduit  par  hassitantes,  les 
hésitants,  doutèrent  de  la  lettre  du  pape.  Sur  la 
réclamation  d'Eutychès,  l'empereur  chargea  Dioscore, 
patriarche  d'Alexandrie,  d'examiner  la  sentence  portée 
par  Flavien.  Celle-ci  fut  rapportée  etEutychès  réintégré. 
Mais  le  concile  de  Chalcédoine,  en  451,  donna  raison 
à  Flavien,  déjà  décédé,  frappa  d'anathème  Eutychès  et 
condamna  Dioscore  à  l'exil. 

A  partir  de  ce  moment  et  pour  plus  d'un  demi-siècle, 
l'Église  d'Alexandrie  fut  en  pleine  anarchie.  Les  mono- 
physites  y  eurent  des  évêques  et  y  formèrent  plusieurs 
groupes,  entre  autres  celui  des  acéphales,  qui  répu- 
dièrent Pierre  Monge  parce  qu'il  avait  accepté  Yttcno- 
licon  de  Zenon.  De  seclis,  act.  v,  2,  col.  1229.  A  Zenon 
succéda  l'empereur  Anastase  (491-518),  qui  était  dia- 
crinomène,  De  sectis,  act.  v,  2,  col.  1229,  et  qui  favo- 
risa de  tout  son  pouvoir  les  eutychiens,  aidé  par  Sé- 
vère, patriarche  d'Antioche,  et  parTimothée,  patriarche 
d'Alexandrie.  Mais  à  sa  mort,  Justin  d'abord,  puis 
Justinien  (527-566)  résolurent  de  faire  rendre  au  con- 
cile de  Chalcédoine  l'obéissance  qui  lui  était  due,  pour 
supprimer  toute  division  entre  catholiques  et  monophy- 
sites.  Leur  tentative  ne  fut  pas  couronnée  de  succès. 
Elle  détermina  au  contraire  de  nouvelles  discussions 
théologiques,  de  nouveaux  groupements  eutychiens, 
séparés  les  uns  des  autres,  ou  par  de  simples  questions 
de  personnes,  ou  par  des  points  de  doctrine  secondaires. 
Et  c'est  surtout  à  Alexandrie,  dans  ce  milieu  surexcité, 
où  s'étaient  réfugiés  Sévère  d'Antioche  et  Julien  d'IIa- 
licarnasse,  que  la  résistance  des  diacrinomènes  se  lit 
sentir. 

Léonce  de  Byzance  prit  alors  la  plume  pour  réfuter 
ces  sectaires.  11  expose  les  objections  diverses  qu'ils 
empruntaient  soit  à  l'histoire,  De  sectis,  act.  VI, 
col.  1233-1237,  soit  à  la  philosophie,  act.  vu.  col.  1240- 
1252,    soit   aux   témoignages  des  Pères,    act..    vin-ix, 


733 


DIACRINOMÈNES   —    DIDASCALIE    DES    APÔTRES 


734 


col.  1252  sq.,  et  les  réfuta  solidement.  Bien  qu'il  les 
qualifie  de  diacrinomènes,  c'est  en  somme  le  parti  des 
•eutvchiens  ou  monophysites  qu'il  a  en  vue,  pris  dans 
son"  ensemble,  depuis  la  moitié  du  vc  siècle  jusqu'à  son 
époque,  sous  le  règne  de  Justinien.  Dès  lors,  le  terme  de 
diacrinomènes  qu'il  emploie  ne  désigne  pas  un  groupe 
spécial  d'hérétiques,  mais  simplement  les  partisans 
d'Eutychès  et  les  adversaires  du  concile  de  Chalcédoine- 
Voir  Eutvchiens. 

Léonce  de  Byzance,  De  sectis,  P.  G.,  t.  lxxxvi,  col.  1193-1208. 

G.  Pareille. 

DIADOQUE  DE  PHOTIKÉ.  Nous  ne  savons  à  peu 
près  rien  sur  la  vie  de  cet  évèque  de  Photiké,  ville  de 
la  Vieille- Épire.  Il  signa  la  lettre  adressée  à  l'empereur 
Léon  1er  au  sujet  de  la  mort  de  Proterius  d'Alexandrie, 
«n  458,  Mansi,  Concil.,  t.  vu,  col.  619;  ce  qui  nous 
donne  la  date  approximative  de  son  existence.  De  même 
on  pense  que  c'est  de  lui  qu'il  est  question  dans  le  pro- 
logue de  Yllistoria  perseculionis  Africanse provinciœ, 
écrite  par  Victor  de  Vite  en  486.  On  lui  attribue  la 
composition  de  cent  Capita  de  perfectione  spirilali, 
publiés  seulement  en  traduction  latine,  P.  G.,  t.  LXV, 
col.  1167-1212.  et  dans  le  texte  grec  dans  la  $iXoxec- 
>.ia,  Athènes,  1893,  t.  i,  p.  139-164.  Photius,  Biblio- 
tlieca,  cod.  201,  donne  déjà  un  excellent  résumé  de 
cet  ouvrage  et,  dans  la  première  moitié  du  vne  siè- 
cle, Thalassius  cite  une  pensée  du  c.  c,  P.  G.,  t.  xc, 
col.  792,  n.  10,  laquelle  se  retrouve,  en  effet,  au  c.  c 
■des  œuvres  imprimées,  P.  G.,  t.  lxv,  col.  1212.  On 
attribue  de  même  à  notre  Diadoque  un  Sermo  de 
ascensione  D.  N.  Jesu  Chrïsli,  qu'a  édité  Mai,  Spicile- 
glum  romanum,  t.  iv,  p.  xcvin-cvi,  et  reproduit,  P.  G., 
t.  LXV,  col.  1141-1148.  l'ar  contre,  l'auteur  du  Serr»o 
contra  arïanos,  P.  G.,  t.  lxv,  col.  1149-1166,  qui  dans 
les  manuscrits  s'appelle  Marc  Diadoque,  a  vécu  au 
IV  siècle  selon  toutes  les  vraisemblances;  il  est  donc  à 
distinguer  de  l'évéque  île  Photiké.  Celui-ci  diffère  en- 
core d'un  Diadoque,  dont  le  codex  Arnbros.  O8  sup.  du 
xi'-xii'  siècle  contient  les  scholies  sur  l'Échelle  de 
saint  Jean  Climaque,  auteur  du  vu"  siècle. 

Kirchenlexikon ,  t.  Vlll,  col.  683-684;  DUtionavtj  of  rhris- 
biography,  •  Us.,  Londres,  1877,  t.  i,  p.  823. 

S.  Vaii.iié. 
DIAKROUSIS  Anthime,  hiéromoine,  né  dans   l'Ile 
de  Céphalonie.  On  n'a   pas  d.'  renseignements  sur  sa 
vie.  On  sait  seulement  qu'il  fréquenta  dans  sa  jeunesse 
les  cours  du   collège    Flanginien   (çXaffivtccvbv    - 

de  Venise,  et  qu'il  embrassa  la  vie  monasti- 
que,  i'n  changeant  son  nom  de  baptême  en  relui  d  A 
Il  édita   h-  \='<;   Hapâfieiaoc    d'Agapios    Landos,   Ve- 
nise, 1664.  Il  a  écrit  :  I"  'AxoÂovOfei  toî  byiov  NixoXio'j 
tiiov    idopâpTupo;    tov    tw    fJo'Jvtocç    &0xv)aavtoc, 
Vienne,    1791.   J    I;-.  -, ,   topcuéTatov   -Epu'yv/    7?r//<v: 
"'.r-'./v,;     xjcrà    T.'ii'i  i    •l/'j/iofE/i'.;    il;    x/,v     bmpBCfl&V 
-//'.'.  il:  -.!■!  p.axapfav  TptaSa,  ïi;  tôv  jiîtouov  zoi- 
/  Tcapouviav,  xal  ï-z-.^x  Bisfopa  -y,z 
i  ypriJovta,  Venise.  1659. 

'  ttaèni  1 1  i      i 

222-223;  Zavir.. 

■ries,   IH72.   p.    130;  Zigeli,    K:;,,, ,,.,,.,  L,.  ,-,-•,,   Allié- 

oes,  1004,  '    i,  p,  1  I 

A.  l'Ai  Mil  RI, 

Dl AMANTES  Rhysios.  profi   leurel  polémiste 

de  Rhysioti    Aretzou,  dam  le  golfe  Asta- 
Qom,  il  lit  se-  .  tudi     il'éi  oie  patriai* 

du  Phanai  ntinople,  \  i  nseigna  lui-mé 

plusieurs  innéi  ii  quelque  temps  le  directeur 

1704,  il  vécut  trois  ans  en  Cri 
•  n  l7o;  fui  appelé  pai  li  -  habitanti  de  8m 
toujours  comm<  du. .  t<  m  <\  ■  coli    n  ,  ,.i,  . ,  .,  longtempi 

fonction,  puii 
mourut  en  I7J7.  t  ie  de  tes  quatre  Biles  tut  la  mi  re  de 
'  '""         '  I  qui  nous  inté- 


resse ici  est  intitulé  :  Aa-ivtov  ôp-^axeca;  ï'/sy/oi  36  -/.aï 
tî';  6  êxi<TTO-j  ).ôyo;,  in-16,  Amsterdam,  1748.  Les  £).Ey-/oi 
de  Diamantès  sont  en  mauvais  vers  iambiques  trimètres. 
Malgré  le  titre,  les  33  premiers  seuls  concernent  les 
Latins,  les  3  derniers  sont  consacrés  aux  Arméniens. 
En  dehors  des  points  dogmatiques  controversés  entre 
Latins  et  Grecs,  l'auteur  reproche  aux  Latins  les  usages 
que  leur  reprochaient  déjà  les  Byzantins  ;  il  critique 
en  outre  les  statues,  le  calendrier  grégorien,  la  dévotion 
des  jubilés,  etc. 

C.  Satlias,  NcoiV./.v<i*<i  yiXoio-,ia,  Athènes,  1^68,  p.  467; 
A.  P.  Kerameus,  'AvéxSotoi  ^yçaya,  dans  ù*apva<ro-oç,  1880,  t.  IV, 
p.  203-217;  M.  Gédéon,  Xçov.xà  t?,  -^-.^/^  UwHr^.y.;,  Con- 
stantinople,  1883,  p.  135. 

S.  PÊTRIDÊS. 

DIANA  Antonin,  né  à  Palerme  en  1585,  mort  à 
Rome,  le  20  juillet  1663.  En  1630,  il  entra  chez  les 
théatins,  et  acquit  bientôt  un  grand  renom  de  théolo- 
gien moraliste.  On  le  consultait  de  tous  côtés.  Il  a  été 
examinateur  des  évêques  sous  trois  papes.  Ses  résolu- 
tions de  cas  de  conscience  ont  été  publiées  sous  le  titre 
de  Resolutiomtm  moralium  pars  prima  et  secunda 
in-fol.,  Palerme,  1629;  d'autres  parties  furent  éditées 
de  1636  à  1656.  Elles  eurent  de  nombreuses  rééditions; 
celle  du  chartreux  Alcolea  a  pour  titre  :  P.  Antoninus 
Diana...  coordinatus,  suasomnes  resolutiones  murales 
ejus  ipsissimis  verbis  ad  propria  loca  et  matériau 
fideliter  dispositae  ac  dislribulse,  in-fol.,  Lyon,  1667- 
l'édition  d'Anvers,  1656,  par  Antoine  Cotonio,  porte  le 
litre  :  Summa  Dianie.  Très  savant  casuiste,  Diana 
penche  vers  le  laxisme.  Voir  S.  Liguori,  T/ieol.  mo- 
ralis,  1.  VI,  n.  257.  On  a  fait  divers  abrégés  de  ses 
solutions.  Tomasi  a  donné  :  Tabula  aurea  operum 
omnium  Anlonini  Dianaa,  qua  resolutiomtm  plusquam 
sex  millia  ordinantur,  in-fol.,  Rome,  1664.  On  a  encore 
de  Diana  :  De  primatu  sedis  D.  Pétri  disceplationes 
apologelicœ,  in-4°,  1647;  réimprimé  par  Roeaberti,  lii- 
bliotheca  maxima  ponti/icia,  t.  iv.  Ch.  Morales  a  re- 
cueilli de  tous  les  ouvrages  de  Diana  ce  qui  concerne 
l'autorité  des  papes  :  .1.  R.  P.  D.  Antoninus  Diana 
Panormilana,  in-fol.,  Rome,  1697,  avec  une  apologie 
intitulée  :  Diana  vindicatus. 

Mlcbaud,  Biographie  universelle,  t.  xi,  p.  4:  Kirchenlexi- 
kon, t.  m,  coL  1602:  Hurter,  Nomenclator,  3' édit.,  [nspruck 
1907,  t.  m,  col.  1191-1193. 

A.  Ingold. 
DICASTILLO  (Jean  de),  théologien  moraliste,  né  à 
Xaplesde  parents  espagnols,  le  28  décembre  1584,  reçu 
au  noviciat  de  la  Compagnie  de  .(ésus  en  1600,  profes- 
seur de  théologie  scolaslique  pendanl  vingt-cinq  ans  à 
Murcie,  à  Tolède,  (d  d'exégèse  biblique  .i  Vienne,  où 
il  remplit  les  fonctions  de  prédicateur  de  la  cour.  Il 
mourut  à  Ingolsladt  le  (i  mars  1653.  On  a  de  lui  un 
traité  célèbre  sur  la  justice  et  le  droit  :  Dejustitia  n 
jure  ceterisque  virtutibus  cardinalihus,  Anvers.  1641. 
Ses  aulres  ouvrages  méritent  encore  d'attirer  l'atten- 
tion :  Tractalus  de  incarnatione,  2  in-fol.,  Anv<  rs, 
1642;  De  sacramenlis,  3  in-fol..  Anvers,  1646  et  1652. 
Le  traite  de  la  pénitence  est  à  signaler  entre  tous  BU 
point  de  vue  de  l'érudition  et  de  la  sûreté  de  la  doctrine. 
Tractatus  duo  de  juramento,  perjurio  et  adjuratione, 
neenon  de  censuris  et  pœnis  ccclesiaslicis,  Anvers 
1662. 

p.    Backer-Somraervoget,  Bibl.  de  >■•   <:-  de  .'■sus.  t.  ni, 
lo,    Bibliotheca  Hisj  i.   i, 

nnl,  Olorioi  del  tegundo  sujin.  i.  n. 
■ 

P.  Bl  i  vm'.h. 
DIDACHÉ.   Volt    \  LA  DOCTRINE  DES  DOUZE), 

t.  i,  col.  1680  16*7. 

1.    DIDASCALIE    DES    APOTRES,  :   ,    lue 

i/e  apotrei    ii  des 


7:*5 


DIDASCALIE    DES    APÔTRES 


<3G 


saints  disciples  de  notre  Sauveur,  document  ecclésias- 
tique du  nie  siècle  de  notre  ère.  L'écrit  original,  en 
langue  grecque,  est  perdu.  Il  n'en  subsiste  qu'un  rema- 
niement dans  les  six  premiers  livres  des  Constitution* 
apostoliques  et  plusieurs  versions.  Nous  avons  déjà 
exposé  ici,  voir  t.  m,  col.  1522-1523,  comment  la  con- 
naissance de  la  Didascalie  a  conduit,  dès  Kenaudot, 
mais  surtout  au  XIXe  siècle,  à  reconnaître  la  nature  el 
l'origine  des  Constitutions  apostoliques.  Nous  avons 
aussi  indiqué  les  principales  modifications  que  l'inter- 
polateur,  auteur  du  dernier  ouvrage,  a  fait  subir  à  la 
Didascalie.  Ibid.,  col.  1523-1524.  Le  présent  article 
comprendra  donc  seulement  :  1.  Versions.  IL  Sources. 
III.  Enseignements.  IV.  Origine  de  la  Didascalie. 

I.  Versions.  —  On  connaît  deux  anciennes  versions  : 
latine  et  syriaque,  et  deux  versions  plus  récentes  déjà 
interpolées  :  éthiopienne  et  arabe. 

1'  Version  latine.  —  Des  fragments  de  cette  version, 
à  peu  près  les  deux  cinquièmes  de  l'ouvrage,  sont  con- 
servés dans  un  seul  manuscrit  palimpseste,  à  Vérone. 
L'écriture  est  du  vie  siècle,  mais  la  traduction  a  déjà 
été  corrigée,  et,  surtout,  elle  cite  la  Bible  d'après  la 
Vêtus  llala  el  non  d'après  la  Vulgale.  M.  Hauler  sup- 
pose donc  que  cette  traduction  est  du  rv«  siècle.  Elle 
contient  les  parties  qui  correspondent  aux  Constitutions 
apostoliques,  i,  1-2,  5-7;  8-n,  2;  6-12;  14-15;  18-20; 
20-22;  22-24;  25-28;  34-35;  57-59;  m,  6-8;  15-iv,  5;  v, 
7-8;  vi,  7-12;  12-20;  22-23;  24-30,  et  à  quelques 
canons  coptes-arabes,  canons  13-20.  Voir  t.  il,  col.  1613. 
Tous  ces  fragments  latins  ont  été  édités  par  M.  E.  Hau- 
ler, Didascaliœ  apostolorum  fragmenta  veronensia 
latina,  in-8c,  Leipzig,  1900.  M.  Hauler  avait  déjà  publié 
quelques-uns  de  ces  fragments  dans  les  Comptes  ren- 
dus de  l'Académie  des  sciences  de  Vienne,  t.  cxxxiv, 
fasc.  3  (paru  en  1896)  sous  le  titre  :  Eine  lat.  palimpsest. 
l'ebersetzung  der  Didascalia  apostolorum.  Enlin 
F.-X.  Funk  a  réédité  cette  version  latine  en  comblant 
ses  lacunes,  comme  texte  parallèle  aux  Constitutions 
apostoliques.    Didascalia  et   Constitutiones   apostolo- 


rum, 


2  in-8",  Paderborn,  1906. 


Le  traducteur  latin,  sans  souci  du  génie  de  la  langue 
latine,  a  violenté,  tourmenté  sa  phrase;  on  pourrait 
même  citer  un  grand  nombre  de  mots  qui  ne  sont 
qu'une  pure  transcription  du  grec,  comme  softslia, 
parochia,  prosforir,  orfanitas,  plasma,  paralipome- 
num.  M.  Viard,  La  Didascalie  des  apôtres,  Langres, 
1906,  p.  14-15.  On  suppose  souvent  que  l'auteur  visait 
ainsi  à  rendre  plus  fidèlement  son  texte  :  nous  croyons 
plutôt  qu'il  possédait  mal  la  langue  grecque,  il  suivait 
donc  le  texte  de  près,  de  crainte  de  contre  sens  s'il 
traduisait  de  manière  un  peu  plus  libre;  il  transcrivait 
les  mots  grecs  qu'il  ne  savait  comment  traduire  en 
latin.  Par  endroits  même,  il  traduisait  et  transcrivait 
ensuite  des  mots  qu'il  comprenait  peu  :  universa  dis- 
pcnsalio  [quod  dicit  grsecus  'mconomia]...  inlumina- 
tionem  [quod  dicit  graecus  folisma].  M.  Viard,  op.  cit., 
p.  15.  Comparons,  par  exemple,  les  premières  lignes 
des  traductions  latine  et  syriaque  aux  Constitutions 
apostoliques. 


Constitutions 
apostoliques 

0Eûv  yjTsîa  T| 
y.aOoXixr,  'Exxavj- 
ot'a,  xal  àjj.Tce/.àr/ 
a-jToû  èxXexfbc,  oî 

TUTtlOTEV/.ÔTE;      EIÇ 

xr,v  aTt/.avr,  Oîoa;- 
ficiav  ayTO'j,  oî 
tï)V  aioSviov  xap- 
r.ryj\j.v/<ji  5tà  7ti<7- 
xeco;  paoV/.siav  aO- 


Syriaque 

(traduit  mot  à  mot 
en  grec) 

*I>UTEÎa  Osoû  xaî 
àu/irEAtov  âyioî  T'ôî 
EXXAY)0-£a{  a-JToO 
xocOoAtX7)f  éxXex- 

Toi  ol  iteittoreux6- 

teç  si;  tï]v  ctTiXavri 
TÏjî  OcOCTEÊEia;  a-j- 

TOÙ,  Ol  Ôlà  7ttOTc(OÎ 

aùràiv       x).V|povo- 
|j.oiij.Evoi  Tïjv  aicô- 


Latin 


Deiplantatio  vinete 
catholica  Ecclesia 
ejus  et  electi  sunt, 
qui  ciediderunt  in 
eam,  quœ  sineerrore 
est  vera  religio,  qui 
œternum  regnum 
fructuantur  et  per 
fidem  regni  ejus 
virlutem  acceperunl 


TO'j,         Ol      'jj-t  X\V.I 

kutoû  eiXtjçhSte; 
■/.ai  (leTOVfft'av  -.v. 
■x-y.',-j  [Iyeû|ueTo;. 


vtov    aJTo-j    fiaTt-     et     parlicipationem 
>  v.'Xi,  ol  tu  ', .'',:  -  "-cti  ejus  Spiritus. 

5*jva|uv  xal  (ietovi- 
i':%i  toO  àyiou 
KUTOÛ    \\iZ\i\i.ti.-.',: 

—  xxovete.... 


Tandis  que  le  traducteur  syrien  est  maître  de  son 
texte  et  ne  craint  pas  d'intervertir  les  mots  et  d'ajouter 
ce  qu'il  croit  nécessaire  au  sens;  le  traducteur  latin 
se  traîne  dans  les  non-sens  et  les  contresens  :  I'Ian- 
lalio  vinesc  est  censé  rendre  vjt::'*  xal  ày-rf/oi.,  qui 
se  trouve  dans  les  Constitutions  apostoliques,  dans  le 
svriaque  et  même  dans  une  citation  de  saint  Epiphane, 
Hser.,  xi.v,  n.  5,  P.  G.,  t.  i,  col.  544,  etqui  appartient 
donc  sans  conteste  à  la  Didascalie  grecque;  quae  sine 
errore  est  vera  religio,  semble  un  contre  sens  pour 
rendre  t>,v  àirAavfj  tt,;  HeoaeSelxz;  fructuantur  est  un 
barbarisme  imaginé  par  l'auteur  qui  ne  savait  comment 
rendre  xapiro-j(iEvo(  par  un  équivalent  latin;  per  fidem 
ejus  est  transposé  et  oblige  à  répéter  regni  ejus. 

Toutes  ces  fautes  nous  ont  conduit  à  désigner  saint 
Paulin  de  Noie  comme  l'auteur  possible  de  cette  tra- 
duction latine.  Actes  du  XIVe  congrès  international 
des  orientalistes,  Paris,  1906,  t.  i,  p.  35-38. 

En  l'an  408,  saint  Paulin  adresse  en  effet  à  Rufin  la 
traduction  d'un  ouvrage  de  saint  Clément;  il  le  remer- 
cie de  l'avoir  dirigé  vers  les  études  grecques  et  réclame 
son  aide  pour  poursuivre  ces  études  :  Kam  quomodo 
jirofectum  capere  potero  sermonis  ignoti,  si  desit  a 
quo  ignora  ta  condiscam?  Credo  enim  in  translatione 
sancti  démentis,  preeter  alias  ingenii  met  defecliones , 
hanc  le  polissimum  imperitise  mew  penuriam  consi- 
dérasse quod  aliqua  in  quibus  intelligere  vel  expri- 
mere  verba  non  potui,  sensu  potius  appreltenso,  vel, 
ut  verius  dicam,  opinata  translulerim  :  quo  magis 
egeo  misericordia  Dei,  ut  pleniorum  mihi  lui  copiant 
Iribuat,  cito.  P.  G.,  1. 1.  col.  1192-1193. 

Ainsi,  d'une  part,  saint  Paulin  a  traduit,  avant  l'an 
408,  un  ouvrage  attribué  à  saint  Clément;  d'ailleurs,  il 
a  mal  fait  son  travail,  par  endroits  il  n'a  pas  com- 
pris, il  n'a  pas  su  rendre  les  mots,  il  a  tâché  de  se 
borner  au  sens  ;  d'autre  part,  nous  avons  une  traduc- 
tion latine  d'un  ouvrage  attribué  à  saint  Clément  (Di- 
dascalie et  Canons)  faite  par  un  auteur  qui  avait  étudié 
la  Velus  ltala  (et  non  la  Vulgate,  composée  par  saint 
Jérôme  vers  l'an  400),  mauvaise  traduction  d'ailleurs  : 
son  auteur,  par  endroits,  n'a  pas  compris  ni  su  rendre 
les  mots  grecs,  il  les  a  donc  transcrits  ou  bien  il  les 
a  traduits  et  ensuite  transcrits;  par  endroits,  il  a  voulu 
se  borner  à  rendre  le  sens  et  est  tombé  comme  on  l'a 
vu  dans  de  nombreux  contresens.  Nous  pouvons  donc, 
sinon  avec  certitude,  du  moins  avec  certaines  probabi- 
lités, identifier  le  traducteur  latin  de  la  Didascalie  avec 
saint  Paulin  de  Noie. 

Ajoutons  qu'un  manuscrit  palimpseste  de  la  biblio- 
thèque Ambrosienne  de  .Milan  contient  la  traduction 
latine,  faite  par  Rufin,  des  Récognitions  attribuées  à 
saint  Clément  et  que  ce  manuscrit  du  vi«  siècle  semble 
être  de  la  même  main  que  le  manuscrit  de  la  Didas- 
calie. Nous  serions  donc  conduit  aux  résultats  suivants  : 
la  version  latine  de  la  Didascalie  a  été  faite  par  Paulin 
de  Noie  avant  l'an  408,  sur  un  texte  grec  fourni  sans 
doute  par  Rufin.  Saint  Paulin  a  remis  son  travail  à 
liulin  en  lui  demandant  ses  conseils  et  Rufin  a  >an^ 
doute  laissé  dans  sa  bibliothèque  cet  ouvrage  si  im- 
parfait. Au  VIe  siècle,  un  scribe,  pour  former  un  *  Clé- 
ment »  complet,  a  transcrit  et  les  Récognitions  traduites 
par  Rufin  et  la  Didascalie  traduite  par  saint  Paulin.  Sur 
ces  deux  manuscrits  démembrés,  on  a  transcrit  du 
VII«  au  VIII'  siècle  les  sentences  d'Isidore  et  ils  sont 
conservés  sous  celte  dernière  forme,  l'un  à  Milan  et 
l'autre  à  Vérone. 


737 


DIDASCALIE    DES   APOTRES 


738 


2°  Version  syriaque.  —  Elle  est  conservée  en  entier 
dans  d'assez  nombreux  manuscrits  :  1.  Paris,  n.  62,  ap- 
pelé aussi  Sangermanensis,  du  VIIIe  et  IXe  siècle,  donné 
par  le  duc  de  Toscane  à  Renaudot  et  laissé  par  celui-ci 
à  la  bibliothèque  de  l'abbaye  de  Saint-Germain-des- 
Prés,  édité  par  de  Lagarde,  sans  nom  d'auteur,  en  185i, 
Didascalia  aposlolorum  syriace,  Leipzig.  —  2.  Le  ma- 
nuscrit du  musée  Borgia,  maintenant  au  Vatican  et  coté 
Siro  148.  D'après  .Abir  Rahmani,  Testamentum  Domini 
nostri  Jesu  Christi,  Mayence,  1899,  p.  xn,  ce  manuscrit, 
qui  provient  du  séminaire  de  Scharfé,  a  été  écrit  en 
"1576.  11  est  de  la  même  famille  que  le  précédent;  nous 
l'avons  décrit,  La  Didascalie,  Paris,  1902,  p.  161-162,  et 
Mme  D.  Gibson  a  reproduit  ses  principales  variantes.  — 
3.  Un  manuscrit  acheté  en  .Mésopotamie  par  M.  Rendel 
Harris,  transcrit  sur  un  ancien  ms.  daté  de  1036,  édité 
par  Mm«  D.  Gibson,  The  Didascalia  apostolorum  in 
Syriac,  Londres,  1903.  Ce  manuscrit  est  caractérisé 
surtout  par  un  emprunt  fait  à  l'Octateuque  de  Clément, 
p.  20-33,  et  par  de  nombreuses  omissions.  —  4.  Vati- 
canus,  lai.  5403,  fol.  1-72,  écrit  en  1596,  qui  porte  une 
traduction  latine  interlinéaire,  il  est  apparenté  de  très 
près  au  manuscrit  de  Paris  sur  lequel  il  a  sans  doute 
été  transcrit.  Les  autres  manuscrits  sont  fragmentaires: 
5.  le  manuscrit  add.  20-23  de  Cambridge,  écrit  en  1591  ; 
ses  variantes  ont  été  relevées  par  M°"  1).  Gibson;  (i.  le 
manuscrit  add.  12154  du  British  Muséum,  du  vm« 
au  ix«  siècle,  renferme  une  citation  en  dix  lignes  de 
la  Didascalie,  ses  variantes  ont  été  relevées  par 
M",e  D.  Gibson;  7.  un  manuscrit  de  Séert  (Kur- 
distan), tronqué  au  commencement,  renferme  les 
quinze  derniers  chapitres  de  la  Didascalie.  Cf.  A.  Scher, 
Catalogne  îles  manuscrits  syriaques  et  arabes  conser- 
vés dans  la  bibliothèque  épiscopale  de  Séert,  Mos- 
soul,  1905,  p.  52.  Enfin  on  rapporte  quelquefois  à  la 
Didascalie.  I).  Gibson,  p.  v-vn  ;  M.  Viard,  p.  11,  note  2  : 
1.  un  second  manuscrit  de  Rende!  Harris;  2.  un  Mala- 
bar  coder,  Cambridge  Oo,  1,  identique  à  un  Mossul  codex 
(sans  doute  le  manuscrit  de  Mossoul  d'où  .\bir  Rahmani 
a  tiré  le  Testamentum  D.  X.  J.-C.  et  dont  une  copie 
se  trouve  an  Vatican),  mais,  d'après  les  variantes  appor- 
tées par  M'  D.  Gibson,  p.  213-219,  et  d'après  le  Cata- 
logue  des  mss.  syriaques  de  Cambridge,  p.  1012,  il 
nous  Bembleque  ers  manuscrits  ne  renferment  rien  de 
la  Didascalie,  mais  seulement  le  1.  IIIe  de  Clément  qui 
porte  un  tilro  analogue  el  qui  contient  en  fait  VJEgyp- 
tische  Kirchenordnung.  Voir  t.  u,  col.  1616. 

La  meilleure  famille  de  manuscrits  est,  sans  doute 
possible,  la  famille  I.  2.    i  (Paris,  Mu-  <     Va- 

tican); le  manuscril  :î  (Rendel  Harris)  ne  contient 
qu'un  texte  remanie  :  interpolé  au  commencement  à 
l'aide  surtout  'h-  1  Octateuque  i  i  éi  I  i  (in. 

Nous  ;nonspeu  de  choses  à  ajouter  sur  l'importance 
de  cette  version  :  la  seule  complète  et  la  plus  fidèle, 
elle  remonte  , -m  moins  au  n  siècle;  noua  avons  cité 
plus  haut  (en  grec  es  premières  lignes.  Ce  n'est  pas 
adiré  qu'elle  ne  renferme  pas  de  fautes  dues  au  tra- 
ducteur ou  aux  transcripteurs  La  rsion  l.itine,  et 
même  le-  Constitutions  apostoliques,  permettent  par 
endroits  de  la  cori  i 

La  n  -jr,  chapitn  s    J7 

ndel  il  1 1  wiii  est  parta| 

deui  n  n  ,,  aucune  chance  di 

monter  ■<  l'original,  puisqu'on  n'en  trouve  pas  trace 
dans  la  version  latine.  Voici  des  chapih 

leur  plar  • 

l.  De 

■ 
■ 

-u*  (loi 

DICT.   DB  Tlli  oi.  <  àTHOl . 


P.  G.,  t.  i,  col.  561,  avant-dernière  ligne,  $wrtàZ,m  oav).  m.  Ins- 
truction aux  femmes  pour  qu'elles  plaisent  seulement  à  leurs 
maris  et  les  honorent,  qu'elles  s'acquittent  avec  diligence,  sa- 
gesse et  zèle  du  travail  de  leurs  maisons,  qu'elles  ne  se  baignent 
pas  avec  les  hommes,  qu'elles  ne  s'ornent  pas  et  ne  soient  pas 
une  cause  de  scandale  pour  les  hommes,  qu'elles  ne  les  recher- 
chent pas,  qu'elles  soient  pures  et  tranquilles,  qu'elles  ne  que- 
rellent pas  leurs  maris  (Const.  apost.,  i,  8).  IV.  Quel  doit  être 
celui  qui  est  choisi  pour  l'épiscopat  et  comment  il  doit  se  conduire 
(Const.  apost..  Il,  1).  v.  Doctrine  au  sujet  du  jugement  (Const. 
apost.,  n,  6,  P.  G.,  t.  i,  col.  605,  lig.  31,  Sv  SîT).  vi.  Des  pécheurs 
et  de  ceux  qui  font  pénitence  (Const.  apost.,  Il,  12).  vu.  Sur  les 
évoques  (Const.  apost.,  Il,  18,  P.  G.,  t.  I,  col.  G29,  lig.  5,  «a! 
-'/■;  |icTavoo3<rcY).  vin.  Avis  aux  évoques  sur  leur  conduite  (Const. 
apost.,  Il,  24,  P.  G.,  t.  I,  col.  G00,  lig.  5,  K  v.-.izi. >■;-;.().  ix.  Exhor- 
tation au  peuple  afin  qu'il  honore  l'évèque  (Const.  apost..  Il,  25, 
P.  G.,  t.  i,  col.  661,  lig.  38,  'AxoCete  tcot*).  x.  Des  faux  frères 
(Const.  apost.,  II.  37,  P.  G.,  t.  i,  col.  689,  lig.  10,  lÏZufEÏ  vij), 
xi.  Exhortation  aux  évêques  et  aux  diacres  (Const.  apost.,  n,  43. 
P.  G.,  t.  i,  col.  704,  lig.  4,  i'j  o:jv).  XI.  Aux  évêques,  pour  qu'ils 
soient  pacifiques  (Ci  ist.  apost.,  Il,  57).  xm.  Instruction  au 
peuple,  qu'il  soit  fidèle  à  se  réunir  dans  l'église  (Const.  apost.. 
n,  ô'.l).  xiv.  Du  temps  (âge)  de  l'ordination  des  veuves  (Const. 
apost.,  m,  1).  xv.  Comment  les  veuves  doivent  se  conduire.  Des 
fausses  veuves.  Des  veuves  pauvres.  Que  les  veuves  ne  doivent 
rien  faire  sans  l'ordre  des  évêques.  Reproches  aux  veuves  re- 
belles. Qu'il  ne  convient  pas  de  prier  avec  celui  qui  est  séparé  de 
l'Église,  qu'il  n'est  pas  permis  à  une  femme  de  baptiser.  Des 
jalousies  des  veuves  menteuses  entre  elles.  Réprimande  aux 
veuves  maudites  (Const.  apost.,  m,  5).  xvi  De  l'ordination  des 
diacres  et  des  diaconesses  (Const.  apost.,  III,  15;  P.  G.,  t.  i. 
col.  793,  lig.  32,  Stfc  toOto).  XVII.  De  l'éducation  des  jeunes  or- 
phelins. Ceux  qui  reçoivent  une  aumône  sans  en  avoir  besoin 
sont  coupables  [Const.  apost.,  IV,  1).  xvm.  Que  l'on  ne  doit  pas 
recevoir  l'aumône  de  ceux  qui  sont  répréhensibles  (Const.  apost., 
iv,  5).  XIX.  Qu'il  convient  de  prendre  soin  des  martyrs  affligés 
pour  le  nom  du  Messie  (Const.  apost.,  v,  1).  xx.  De  la  résurrec- 
tion des  morts.  Confirmation  de  la  résurrection  d'après  les  livres 
des  païens  (sibylle)  et  par  des  exemples  pris  dans  la  nature 
(phénix).  Qu'il  ne  faut  pas  refuser  le  martyre  pour  le  Messie 
(Const.  apost..  v,  ')■  xxi.  De  la  Pàque  et  de  la  résurrection  du 
Messie  notre  Sauveur  (Const.  apost.,  v,  10).  xxn.  Qu'il  convient 
d'apprendre  des  métiers  aux  enfants  (Const.  apost.,  IV,  11  ; 
nous  avons  donc  ici  une  transposition  ).  xxiu.  Des  hérésies  et 
des  schismes  (Const.  apost.,  vi,  1).  xxiv.  Sur  la  constitution  de 
l'Église.  (Ce  chapitre)  apprend  en  plus  que  les  apôtres  se  réu- 
nirent pour  redresser  les  torts  (Const.  apost.,  vi,  11).  xxv.  (Ce 
chapitre)  nous  apprend  que  les  apôtres  retournèrent  de  nouveau 
aux  églises  (après  le  concile  de  Jérusalem)  el  les  constituèrent 
(Const.  apost.,  VI,  13).  XXVI.  Des  liens  de  la  Deutérosis  (loi 
juive).  Sur  relies  qui  observent  les  jours  du  flux  (menstruel). 
Des  femmes  qui  observent  le  flux  menstruel  el  se  croient  impures 
durant  sept  jours  (Const.  apost.,  vi,  18,  P.  G.,  t.  I,  col.  961, 
lig.  37,  ti'tn). 

3°  Version  arabe.  —  Presque  tous  les  manuscrits 
arabes  consi  rvés  remontent  à  une  môme  source  :  à  la 
compilation  canonique  faite  au  commencement  du 
\iv  siècle,  par  Abou  Maqarah  (Macaire),  moine  du 
monastère  de  Sain)  Jean-le-Petit,  au  désert  de  Scété, 
A  celle  compilation  appartiennent  en  effet  les  deux 
manuscrits  arabes  de  Paris  251  (de  l'an  1353),  252  (le 
ms.  845  de  Paris  semble  un  extrait  des  précédents  . 
un  de  Londres,  deux  d'Oxford,  deux  du  Vatican  et  un 
de  la  bibliothèque  Barbérini  [de  l'an  1350),  Jusqu'à  ces 
dernières  années  toutes  les  éludes  avaient  port 
l'un  ou  l'autre  des  mss.  de  cette  seule  collection  el  les 
résultats  ne  pouvaient  donc  qu'être  concordants.  Il  a 
existé  cependant  d'antres  venions  arabes  de  jla  D 
calie,  comme  en  témoignent  les  analyses  d'Aboul  Ba- 
rakal  el  de  Vansleb;  M.  Baumstark  vient  encore  d'en 
.  1003 

I.  /..>  arabe  oV  Ibou  Maqarah,       Bile  est  ca 

ractérisée  par  des  intervei  ion  dans  lea  l.  III  el  l\ 
des  Constitution»  apostoliques.  Nous  l'avions  étudiéi 
sur  le  ms.  253  de  Paris  copié  .m  Caire  sur  un  manus- 
crit de  la  bibliothèque    patriarcale  par   les 

leb,  I  unk,  Ihe  apostolischen  Konstitutù 
Rottenbourg,  1901,  p.  221-323,  le  croyait  différenl 
autres,  mais  il  leur  est  Identique,  comi d  pouvait  le 

IV.  -  24 


739 


D1DASCALIE    DES   APOTRES 


740 


deviner,  puisqu'il  n'est  lui  aussi  qu'une  transcription 
de  la  collection  d'Abou  Maqarali.  En  voici  une  courte 
analyse  : 

La  Didascalie  suit,  dans  la  compilation,  les  canons 
coptes- arabes,  une  introduction  de  dix   lignes  a  donc 
été  ajoutée,  au  nom  des  apôtres,  pour  relier  les  canons 
à  la  Didascalie.  Le   texte  de   ces  dix  lignes  se    trouve 
dans  T.  P.  Platt,  The  Ethiopie   Didascalia,   Londres, 
1834,  p.  xin,   et  la  traduction  allemande  dans   Funk. 
p.  217.  Vient  ensuite  le  commencement  de  la  Didasca- 
lie sous  le  titre  :  Commencement  de  la  sainte  Didas- 
calie des  apôtres,  des  prêtres  et  des  docteurs  à   tous 
ceux  des  gentils  qui  ont  cru  en  Noire-Seigneur  Jésus- 
Christ.  Puis  :  Que  la  grâce  et  la  paix  se  multiplient 
sur  vous  de  la  part  de  Dieu,  le  Père  tout-puissant,  et 
de  Noire-Seigneur  Jésus-Christ  pour  l'instruction  de 
toute  l'Église.    Celle-ci  est  une  belle  plantation   de 
Dieu  et  celui  qui  croit  en  son  culte  divin  infaillible, 
celui-là  est  pour  lui  une  vigne  élue.  Ce  sont  ceux  qui 
par  le  moyen  de  leur  foi  acquièrent  le  royaume  éter- 
nel et  sa  force,   et  qui    reçoivent  la  participation  du 
Saint-Esprit,  etc.  P.  G.,  t.  i,  col.  557.  C'est  en  somme 
la  traduction  du  texte  des   Constitutions  apostoliques. 
En  particulier,  les  petites  additions  des  Constitutions 
apostoliques    à    la    Didascalie    syriaque  (P.    G.,   t.    i, 
col.  500,  lig.  30-38,  <pr)cù  yâp-TraTÉpcç  aou)  se  retrouvent 
dans  la  Didascalie  arabe.   —  i.  Que  les  riches  doivent 
étudier  et   lire  la  sainte  Écriture  (Const.  apost.,  I,  4, 
P.  G.,  t.  i,col.  569,  lig.  9,  'AXX'etxai).  n.  Que  les  femmes 
doivent  obéir  à  leurs  maris  et  marcher  dans  la  pureté 
(Const.  apost.,  i,  8).  ni.  Sur  les  évêques,  les  prêtres  et 
les  diacres  (Const.  apost.,  n,  1).   iv.  Que  les  évêques 
doivent  accueillir  avec  bonne  grâce  les  pénitents  (Const. 
apost.,  n,  15).  v.  Que  l'on  ne  doit  rejeter  personne  avant 
que  la  preuve  de  ses  fautes  n'ait  été  soigneusement  faite 
{Ccnst.  apost.,  n,  21,  P.  G.,  1. 1,  col.  640,  lig.  42,  6  psv  èx- 
êa*/.o')v).  vi.  Sur  les  laïques,  qu'ils  sont  tenus  de  donner 
selon  leurs  moyens,  des  offrandes  à  l'église  (Const.  apost., 
il,  25,  P.    G.,  t.  I,    col.  664,   lig.   38,    'A/.o^ets  tccO™). 
vu.  Sur  les  diacres,  qu'ils  doivent,  pour  tous  leurs  pro- 
jets, demander  la  permission  de  l'évêque   et   ne  rien 
faire  sans  sa  permission  (Const.  apost.,  u,  30,  P.  G., 
t.   I,   col.  677,  lig.   9,   xoù  oidirep).   vin.    Que   l'évêque 
doit  tout  examiner  avec  justice  et  conformément  à  la 
vérité  (Const.  apost.,  n,  37,  P.  G.,  t.  i,  col.  689,  lig.  4, 
rfvËoSe  o'jv).  IX.  Que  les  chrétiens  doivent  toujours  se 
pardonner  les  fautes,  ne  pas  garder  rancune  du  mal  et 
ne  pas  le  conserver  dans  leur  cœur  (Const.  apost.,  n, 
53,  P.   G.,  t.   i,  col.  717,  lig.   22,  olsv  si),   x.  Que  les 
évêques  doivent  être  pacifiques  et  miséricordieux,  qu'ils 
doivent  accueillir  avec  bonté  les  pénitents  (Const.  apost., 
il,  54,  P.  G.,  t.  i,  col.  720,  lig.  9,  El  Sa  aXHiç).  xi.  Que 
les  chrétiens  n'aillent  pas  dans  les  réunions  des  païens 
(Const.  apost.,  n,  62-63).  La  compilation  de  Maqarah  pré- 
sente, à  partir  d'ici,  la  plus  grande  confusion  :  Cousl. 
apost.,  ni,  1-11  =c.  xix-xxi  de  Maqarah;  Const.  apost., 
n,  12  b-d  et  15-20=  c.  xxxiv;  Const.  apost.,  m,  14-15  = 
c.  xxii ;  Const.  apost.,  iv,  1-4  =  c.  xii-xm;  Const.  apost., 
iv,  5  =  c.  xxiv;  Const.  apost.,   IV,  6-10  =  c.   xiv-xv; 
Const.  apost.,  iv,  11  =  c.  xxv;  Const.  apost.,  iv,  12-13 
=  c.  xvi  ;  Const.  apost.,  îv,  14  =  c.  xxvi;  Cont.  apost., 
v,  1-6»  =  c.  xxvn ;   Const..  apost.,  v,  7  ll-'1  =  c.  xvn; 
Const.  apost.,  v,  8-9  =  c.  xxvin;  Const.  apost.,  v,  10 
=  c.  xxix  ;  Const.  ajwst.,  v,  11-12  =  c.  xxx;  Const. 
apost.,  v,  13-16  =  c.  xvin;  Const.  apost.,  v,  17-20  = 
c.'xxxi  ;  Const.  apost.,  vi,  1-6  =  c.  xxxn  ;  Const.  apost., 
vi,  30*-'1  =  c.  xxxiii.  Les  c.  xxxv-xxxix  de  la  Didascalie 
arabe  ne  se  trouvent  ni  dans  le   syriaque   ni  dans   les 
Constitutions  apostoliques.   Funk   y  reconnaissait  des 
traits  du  1.  VIII  des  Constitutions  ;  en  réalité,  ces  cha- 
pitres ne  constituent  qu'une  interpolation  et  sont  em- 
pruntés au  Tcstamentum  Domini  nostri  Jesu-Christi. 
Ils  ont  été  traduits   d'abord   en    allemand  par   Funk, 


o)i.  cil-,  p.  226-236,  puis  en  latin  par  le  même  auteur, 
Didascalia  et  Constitutions  aposlolorum ,  p.  120-136. 
H  est  donc  facile  de  les  comparer  à  l'édition  de 
•M"  Rahmani  :  c.  xxxv  =  Test.,  i.  19,  p.  23;  c.  xxxvi 
=  Test.,  i,  20,  p.  27;  c.  xxxvn  =  Test.,  i,  22s  P-  33; 
c.  xxxvin  =  Test.,  i,  22b  et  23a  fortement  interpolé, 
p.  33;  c.  xxxix  =  Test.,  i,  28,  p.  59. 

2.  Autres  versions  arabes.  —  Aboul-Darakat  (+  1363) 
nous  apprend  déjà  qu'on  a  trouvé  trois  exemplaires  de  la 
Didascalie  dans  lesquels  l'ordre  des  chapitres  était  dif- 
férent. W.  Riedel,  Die  Kirchenrechtsquellen  des  Pa- 
triarchals  Alexandricn,  Leipzig.  19U0.  p.  28-32.  Vans- 
leb  a  aussi  donné  une  analyse  de  la  Didascalie  arabe 
où  l'ordre  des  chapitres  diffère.  Histoire  de  l'Eglise 
d'Alexandrie,  Paris,  1677,  p.  256-259.  Cf.  Funk,  Die 
aposlolichen  Konstitutionen,  p.  221-224.  D'ailleurs,  la 
Didascalie  éthiopienne,  qui  a  été  traduite  sur  un  texte 
arabe,  n'a  pas  les  interversions  que  nous  avons  cons- 
tatées dans  la  version  de  Maqarah.  On  s'attendait  donc  à 
trouver  une  ou  plusieurs  versions  nouvelles  de  la  Di- 
dascalie arabe.  Enfin,  M.  Baumstark  a  signalé,  Oriens 
christianus,  t.  m  (1903),  p.  201-208,  un  manuscrit 
arabe  de  la  Propagande  (K,  iv,  24).  traduit  sur  le  copte 
en  1295,  qui  ne  présente  pas  les  interversions  de  la 
compilation  de  Maqarah  et  qui  semble  être  le  texte,  sur 
lequel  a  été  faite  la  version  éthiopienne;  le  ms.  corres- 
pond aux  Constitutions  apostoliques,  i-vn  (hormis  vil, 
47-48),  il  est  divisé  en  44  chapitres  dont  les  34  premiers 
correspondent  aux  six  premiers  livres  des  Constitutions. 
Cf.  Funk.  Die  arabische  Didashalia,  dans  Theol. 
Quartalschrift,  Tubingue,  1904,  p.  233.  C'est  ce  ms. 
arabe,  semble-t-il,  qui  a  été  signalé  et  utilisé  par 
Mir  Rahmani,  Teslamentum  D.  N.  J.-C,  Mayence, 
1899.  p.  xn,  xiv. 

4°  Version  éthiopienne.  —  C'est  une  traduction  d'un 
texte  arabe.  Il  en  reste  de  nombreux  manuscrits.  Les 
22  premiers  chapitres  (sur  39  ont  été  édités  et  traduits 
en  anglais  par  Thomas  Pell  Plaît,  Londres,  1834.  Le 
ms.  d'Abbadie,  n.  79,  est  divisé  en  46  chapitres. 

Après  la  courte  introduction  et  les  11  premiers  cha- 
pitres qui  sont,  en  substance,  les  mêmes  que  dans  la 
compilation  de  Maqarah,  l'éthiopien  suit  l'ordre  des 
Constitutions  apostoliques  :  xn.  Des  veuves  Ci'itst. 
apost.,  m,  11).  xin.  Que  les  femmes  ne  doivent  pas 
baptiser  (Const.  apost.,  ni.  9).  xiv.  Que  les  laïques  ne 
doivent  pas  présumer  de  faire  ce  qui  est  réservé  aux 
prêtres  (Const.  apost.,  ni,  10).  xv.  Des  veuves  (Const. 
apost.,  m,  12.  P.  G.,  t.  i,  col.  789,  lig.  3,  àitsior  . 
xvi.  Qu'il  n'est  pas  bien  de  faire  du  mal  à  son  pro 
chain  (Const.  apost.,  m,  15,  P.  G.,  t.  i,  col.  793,  lig.  13- 
tov  oc-jt'ov  tsottov).  xvii.  Sur  les  orphelins  (Const.  apost., 
iv,  1).  XVIII.  Qu'il  est  ordonné  à  l'évêque  d'avoir  soin, 
des  veuves  et  des  orphelins  (Const.  apost..  IV,  2-4),  etc. 
Il  est  donc  certain  que  tous  les  exemplaires  des 
Didascalies  arabe  et  éthiopienne  découlent  d'un  texte 
grec  (ou  copte  ou  syriaque)  interpolé  comme  le  sont 
les  six  premiers  livres  des  Constitutions  apostoliques. 
Ils  ont  d'ailleurs  des  omissions  et  des  additions  propres. 
On  doit  se  demander  dés  lors  si  ces  Didascalies  cons- 
tituent une  étape  intermédiaire  entre  la  Didascalie 
syriaque  et  les  Constitutions  apostoliques,  ou  bien  si  ce 
ne  sont  que  des  extraits  des  six  premiers  livres  des 
Constitutions.  Funk  tient  pour  la  seconde  hypothèse, 
voir  t.  m,  col.  1525-1526,  mais  il  se  trompe  lorsqu'il 
suppose  que  l'auteur  de  la  Didascalie  arabe  cite  WEgijp- 
tische  Kirchenordnung  et  les  canons  de  Clément.  Il 
ne  l'ait  en  réalité  que  rattacher  la  Didascalie  aux  canons 
coptes-arabes  qui  précèdent  et,  en  fait  de  Kirchenord- 
nung, on  ne  trouve  qu'un  emprunt  au  Tcstamentum, 
analogue  à  l'emprunt  que  fait  déjà  à  l'Oetateuque  le 
ms.  syriaque  de  Rendel  Harris.  Voir  col.  737.  —  Il 
semble  donc  plus  probable  que  les  Didascalies  arabe  et 
éthiopienne   représentent    des    étapes     intermédiaires 


741 


DIDASCALIE    DES    APOTRES 


742 


entre  la  Didascalie  syriaque  et  la  compilation  en  huit 
livres  des  Constitutions  apostoliques. 

Le  texte  arabe  de  Maqarah  est  1res  mauvais;  ici, 
comme  pour  le  Testamentum  D.  N.  J.-C,  «  c'est  une 
traduction  servile,  au  style  aussi  peu  cliâtié  que  pos- 
sible, confus,  obscur.  Les  phrases  ne  sont  pas  bien 
liées  entre  elles  et  sont  souvent  très  incomplètes.  Quant 
aux  règles  de  la  grammaire  elles  y  sont  méconnues 
presque  à  chaque  ligne.  »  Cf.  Revue  de  l'Orient  chré- 
tien t.  x  (1905),  p.  423.  Toute  la  suite  de  cet  article  sera 
donc  fondée  sur  la  version  syriaque,  telle  que  Paul  de 
Lagarde  l'a  éditée. 

II.  Sources.  —  On  s'est  demandé  si  la  Didascalie 
était  un  ouvrage  original  ou  un  remaniement  d'un  ou- 
vrage plus  ancien.  M.  Ilolzhey  supposait  que  la  Didas- 
calie était  une  interpolation  de  la  Didachè,  Compte 
rendu  du  IV"  congrès  scientifique  international  des 
catholiques,  Fribourg,  1897,  Scie?ices  religieuses,  p.  249- 
278,  mais  la  disproportion  des  deux  ouvrages  l'obli- 
geait bientôt  à  imaginer  deux  autres  Didascalies  inter- 
médiaires entre  la  Didachè  et  la  Didascalie  syriaque. 
Ce  sont  pures  hypothèses.  Cf.  F.  Xau,  La  Didascalie, 
Paris,  1902,  p.  'i-ê>.  161-163.  M.  Ilarnack  a  écrit  qu'un 
antinovatien  avait  introduit  les  passages  relatifs  à  la 
pénitence,  mais  on  s'accorde  à  reconnaître  que  la  Didas- 
calie D'à  aucune  tendance  polémique.  De  même,  l'ou- 
vrage contient  certainement  des  digressions,  des  ré- 
pétitions, peut-être  même  d'apparentes  contradictions, 
Achelis  et  Fleinming,  Die  syrische  Didaskalia,  p.  262- 
266,  mais  il  a  été  écrit  sans  divisions,  d'un  style  homi- 
létique  diffus  et  nullement  précis,  ses  défauts  ne 
peuvent  donc  nous  étonner  et  nous  sommes  conduits  à 
carder  comme  une  production  originale  fidèlement 
représentée  —  hors  les  fautes  des  traducteurs  et  trans- 
cripteurs  —  par  la  version  syriaque. 

La  source  principale  est  la  Bible,  qui  fournit  près  du 
cinquième  de  l'ouvrage.  L'Évangile  de  saint  Jean  et 
les  Epltres  de  saint  Paul  ne  sont  pas  cités  explicite- 
nient,  nuis  sont  visés  ou  imités  en  plusieurs  endroits. 
Achelis  et  Flemming.  op.  cit.,  p.  320-323;  M.  Viard, 
op.  cit.,  p.  21-22.  La  I"  Épitre  de  saint  Pierre  est 
peut-être  aussi  l'Épltre  de  saint  Jacques;  l'Apo- 

calypa mble  connue  Achelis  et  Flemming,  op.  cit., 

p.  323.  L'auteur  cite  les  Sepkjinte  (et  non  une  version 
|ue   faite  sur  l'hébreu);    il  groupe  souvent  à  la 

suite  plusieurs  passagi  -  il.-  mê sens  comme  s'il  uti- 

une  concordance.  Ses  citations  sont  parfois  assez 
négligées;  il  est  le  premier  à  citer  la  prière  de  Ma- 
nas*  ,  cai  c'esl  de  la  Didascalie  que  paraissent  prove 
nir  i  -ions  connues  de  celte  petite  pièce. 

Cf.  /tel  uc  <h-  l'Orient  chrétien,  t.  xiil  (1908),  p.  134-141. 
En  di  hors  de  la  Bible,  l'auteur  a  pu  encore  utiliser 
'■'   Didachè,   !■  de  s.iint  Ignace,  un  Évangile 

apocnphe  l  angili  j  II  breux  ou  Évangile  de  Pierre), 
Achelis  et  Flemming,  p  324-330,  les  Acla  Pelri  et 
l'auli  -tir  Simon  I"  Magicien,  le  livre  de  la  Sibylle. 
L'histoii  du  phénix,  y  83-84,  esl  peut-être  empruntée 
:'<  I'  I  I  pitre  de  -uni  Clément  aux  Corinthiens.  P.  Cf., 
col     261  265.    Enfin  l'auteur    i  dis]  I  nue    tra- 

dition orale;  il  a  pu  croire  qu'elle  remontait  jusqu'aux 
il  a  donc  pu.  de  bonne  foi,  leur  attribuer 
oe  consigner  que  des  tradi- 
dea  paroli  apostoliques. 

"I  La  Didascalii   nous  rensi 

mit  l.i  i  onstitution  d  au  m-  si.  cle. 

on  l  .i  fait  n  marquer    Ichelia  el  l  lenuning, 

tolique,  d'Hip- 
'  laconiq  forme   de 

indis  qie   la    Didascalii  . 
i 
la    vie    publique     chrétii  un 
iteur  parle  de   toul      de  l'aocien  el  du 
nouveau;  il  fournit  donc  de  nombreux  m 


l'historien.  Nous  utiliserons  surtout  ici  le  travail  de 
M.  Marcel  Viard.  Nous  renvoyons  à  la  pagination  de 
Paul  de  Lagarde  qui  a  été  reproduite  dans  toutes  les 
traductions. 

1°  L'évêque  et  ses  fonctions.  —  Tout  converge  vers 
la  personne  de  l'évêque,  Achelis  et  Flemming,  p.  269, 
il  n'y  a,  en  dehors  de  lui,  que  des  serviteurs  et  des 
sujets.  La  constitution  est  donc  monarchique,  rigide. 

1.  La  personne  de  l'évêque.  —  L'évêque  doit  être 
un  homme  «  d'au  moins  50  ans,  qui  sera  ainsi  éloigné 
des  passions  de  la  jeunesse,  des  volontés  du  démon,  de 
la  calomnie  et  du  blasphème  que  de  faux  frères  por- 
tent contre  beaucoup.  »  Cependant,  à  défaut  d'un  su- 
jet âgé,  si  la  paroisse  est  petite,  on  pourra  nommer 
un  jeune  frère  qui  montre,  «  dans  la  jeunesse,  une 
mansuétude  et  une  tranquille  conduite  digne  de  la 
vieillesse,  »  «  si  c'est  possible,  qu'il  soit  instruit  et 
docteur,  »  p.  10.  «  Voici  comme  il  faut  que  l'évêque 
soit  :  un  homme  qui  a  pris  une  femme,  qui  conduit 
bien  sa  maison.  Que  l'on  s'enquière,  lorsqu'il  recevra 
l'imposition  des  mains  pour  prendre  la  charge  de 
l'épiscopat  :  s'il  est  pur,  si  sa  femme  est  fidèle  et  pure, 
si  ses  enfants  ont  grandi  dans  la  crainte  de  Dieu,  s'il 
les  a  réprimandés  et  instruits,  si  ses  serviteurs  le  crai- 
gnent et  le  respectent  et  si  tous  lui  obéissent,  »  p.  11. 
On  trouve  aussi  de  longues  énumérations  des  vertus 
morales  qui  lui  sont  nécessaires,  «  tout  ce  qui  existe 
de  beau  chez  les  hommes  se  trouvera  aussi  dans  l'évê- 
que. »  p.   12. 

2.  L'enseignement.  —  En  sus  du  bon  exemple, 
l'évêque  doit  dispenser  au  peuple  «  les  paroles  vivantes 
et  vivifiantes  du  Dieu  vivant  qui  peuvent  délivrer  et 
sauver  du  feu  et  conduire  à  la  vie,  »  p.  60.  C'est 
l'évêque  qui  doit  nourrir  les  fidèles  «  de  la  parole 
comme  du  lait,  »  p.  39,  et  la  dispenser  à  chacun  selon 
son  besoin. 

3.  La  discipline  sacramentelle.  —  On  trouve  sou- 
vent mentionnés  le  baptême,  l'eucharistie  et  la  pénitence. 

Lorsqu'un  païen  déclare  qu'il  croit,  on  le  reçoit 
dans  l'assemblée  pour  qu'il  entende  la  parole,  mais  il 
ne  prend  pas  part  à  la  prière  et  doit  sortir  de  l'église, 
on  ne  l'admet  pas  aux  autres  actes  de  la  vie  chrétienne 
avant  qu'il  ail  reçu  le  signe  (du  baptême:  el  qu'il  soit 
accompli,  p.  44.  L'évêque  oint  la  tète  de  tous  ceux  qui 
doivent  êlre  baptisés  :  des  hommes  el  ensuite  des 
femmes  —  c'est  sans  doute  l'onction  avec  l'huile  d'exor- 
cisme. Rahmani,  Testamentum,  p.  127-129  -  puis  les 
baptisés  descendent  dans  l'eau  et  sont  oints  de  l'huile 
de  l'onction,  les  hommes  par  les  diacres  ou  les  prêtres 
et  les  femmes  par  les  diaconesses  ou  par  une  chré- 
tienne. Cf.  Rahmani,  Testamentum,  p.  129-131.  Il  n'est 
pas  question  de  l'invocation  du  Saint-Esprit  et  de  la 
troisième  onction  qui  esl  la  conlirmation,  Testamen- 
tum, n,  9,  p.  131,  mais  nous  ne  pouvons  pas  conclure 
qu'elle  n'existait  pas,  car  la  Didascalie  n'a  pas  de  cha- 
pitre ex  professo  sur  le  baptême;  tout  ce  que  nous  ve- 
nons d'exp  lire  du  chapitre  sur  les  diaconesses 
et  leurs  devoirs,  p.  Tu  7 1 . 

Le  baptême  remet  complètement  lea  péchés,  aussi 
doit-il  être  un  ppléer  aux  vaines  ablutions  de 

l'ancienne  loi;  il  ne  peut    'Ire   réitéré,   il  rend  le  i 
lien  til-  'le  lieu  ei  lui  confère  le  Saint-Esprit. 

L'eucharistie  art  un  sacrifice,  la  matière  en  esl   le 

pain  délicat  fait  dans  le  feu  el   Sanctifié  par  les   in 

ifferte  par  l'évêque  au   nom  de  toute  la 
communauté,  elle  ne   peut   •  du   Si  igneur 

entre  eux,  c  esl  la  nour- 
riture divine  qui  demeure  éternellement,  p.  1 19,  39,  54, 

•  *-t  l'euch                       de  heu.  p 
par  l  i  iprit-Saint,  p,   116,  I  image  du  corpi  royal  du 
Christ,  p.  118 .  on  doil  I  "iii  Ir  pour  les  morte,  p.  1 19. 
On  trouve  d'ailleurs  de  nombreux  détails  matériels  aur 
n.  les  places  a  attril raux  Bd<  li  - 


743 


DIDASCALIE    DES   APOTRES 


74i 


un  diacre  place  les  assistants,  un  autre  diacre  se  tient  près 
de  l'autel.  L'office  commence  par  la  lecture  des  Livres 
saints,  p.  IIS,  qui  inspire  la  prédication  de  l'évéque, 
on  fait  ensuite  sortir  les  catéchumènes  et  les  pécheurs 
avant  la  prière  qui  comprend  sans  doute  la  récitation 
de  formules  liturgiques  et  le  chant  des  psaumes,  p.  93; 
vient  alors  l'eucharistie,  les  deux  diacres  servent  à 
l'autel,  l'évéque  prononce  les  invocations  sanctifica- 
trices, p.  57,  119;  avant  la  distribution  de  l'eucharistie, 
le  diacre  demande  si  personne  n'est  en  conflit  avec  son 
prochain.  S'il  en  est,  l'évéque  les  réconcilie,  p.  54-55. 
Une  collecte  termine  la  cérémonie. 

L'évéque  est  le  juge  des  pécheurs,  tout  ce  qu'il  lie 
sur  la  terre  est  lié  dans  le  ciel,  p.  15,  21.  Il  ne  faut  pas 
encourager  la  délation,  mais  s'il  se  trouve  un  pécheur, 
il  faut  le  réprimander  devant  rassemblée  réunie,  p.  21; 
s'il  promet  de  s'amender,  on  lui  impose  une  pénitence, 
des  jours  de  jeûne  d'après  son  péché,  deux  semaines, 
ou  trois,  ou  cinq,  ou  sept;  durant  tout  ce  temps  il  quitte 
l'office,  avec  les  catéchumènes,  après  l'audition  de  la 
parole,  p.  20;  lorsque  ses  bonnes  dispositions  ont  pro- 
duit des  fruits  durables,  l'évéque  impose  les  mains  au 
repentant,  et  le  Saint-Esprit  prend  de  nouveau  posses- 
sion de  son  âme. 

4.  L'évéque  et  les  affaires  temporelles.  —  L'évéque 
doit  juger  tout  conllit  entre  les  fidèles,  qui  ne  doivent 
pas  prendre  les  païens  pour  juges  ni  même  pour  té- 
moins, p.  49-50;  il  gère  les  biens  de  l'église,  tous  les 
dons  doivent  venir  entre  ses  mains,  les  diacres  doivent 
le  renseigner  sur  les  vrais  nécessiteux,  les  veuves,  les 
orphelins,  les  pauvres,  les  infirmes.  L'évéque  dispense 
sans  contrôle,  il  ne  doit  de  comptes  qu'à  Dieu,  p.  42. 

2°  La  hiérarchie  subalterne.  —  Elle  comprend  les 
presbytres,  les  diacres,  les  veuves  et  diaconesses  et 
peut-être  le  lecteur  et  le  sous-diacre. 

4,  Les  presbytres.  —  L'évéque  les  choisit,  p.  40;  dans 
les  assemblées  liturgiques,  ils  sont  assis  autour  du  trône 
épiscopal,  mais  ils  ne  remplissent  aucune  fonction  sa- 
cerdotale, ils  ne  prêchent  pas,  ils  n'administrent  pas 
les  sacrements.  Ils  semblent  venir  après  les  diacres, 
car  le  diacre  est  comparé  au  Messie,  la  diaconesse  au 
Saint-Esprit,  tandis  que  les  presbytres  ne  sont  comparés 
qu'aux  apôtres,  p.  36,  et  ne  paraissent  pas  avoir  un 
droit  strict  aux  oblations,  p.  37. 

2.  Les  diacres.  —  Ils  sont  vraiment  les  «  serviteurs  » 
de  l'évéque.  Durant  la  sainte  liturgie,  ils  surveillent 
l'entrée  de  l'église,  maintiennent  le  bon  ordre,  servent 
à  l'autel.  Au  baptême,  ils  oignent  le  corps  des  hommes 
catéchumènes.  Chaque  jour,  ils  visitent  les  malades, 
portent  à  l'évéque  les  olfrandes  des  fidèles  et  remettent 
aux  nécessiteux  les  aumônes  de  l'évéque.  Le  diacre  est 
«  l'oreille  de  l'évéque,  sa  bouche,  son  cœur  et  son  âme,  » 
ils  sont  «  deux  en  une  seule  volonté,  »  p.  48. 

3.  Les  veuves.  —  Au-dessus  des  veuves  ordinaires 
qui  ont  droit  à  l'appui  et  au  secours  de  la  communauté 
par  cela  seul  qu'elles  ont  perdu  leur  mari,  on  trouve 
dans  la  Didascalie  une  espèce  d'ordre  que  nous  appel- 
lerons «  les  veuves  religieuses  ».  Elles  sont  établies  — 
nous  dirions  presque  ordonnées  —  par  l'évéque,  elles 
ne  doivent  pas  avoir  moins  de  50  ans,  afin  que  leur  âge 
ne  les  porte  pas  à  prendre  un  nouveau  mari  ;  elles  pro- 
mettent la  continence,  p.  62;  elles  prient  pour  les  ma- 
lades, pour  les  bienfaiteurs,  pour  toute  l'Église;  elles 
visitent  les  malades  et  leur  imposent  les  mains,  p.  66; 
elles  vivent  retirées  dans  leurs  demeures  et  tissent  des 
vêtements  pour  les  pauvres,  p.  66.  Ce  sont  bien  là, 
semble-t-il,  les  premières  «  religieuses  »  ;  mais  la  Di- 
dascalie n'admet  pas  dans  cet  état  les  jeunes  veuves 
que  leur  âge  pourrait  porter  à  vouloir  prendre  un  se- 
cond mari,  à  plus  forte  raison  n'admet-elle  pas.  dans 
l'étal  religieux,  les  jeunes  personnes  qui  n'ont  pas  été 
mariées,  car  elle  fait  une  obligation  aux  parents  de  les 
marier,  sous  peine  d'être  responsables  des  fautes  que 


"   leur  jeunesse  et  la   force  de  leur  âge   »    leur  ferait 
commettre,  p.  96. 

ï.  Les  diaconesses.  —  Celles-ci  sont  toutes  déw 
aux  œuvres  et  ne  semblent  donc  qu'un  dédoublement  fé- 
minin du  diaconat.  Elles  sont  choisies  par  l'évéque,  sont 
peu  nombreuses,  certaines  communautés  n'en  ont  pas, 
elles  concourent  au  baptême  des  femmes  et,  après  le 
baptême,  elles  les  initient  plus  parfaitement  aux  dogmes 
de  la  foi  et  aux  prescriptions  de  la  morale  chrétienne, 
p.  70-71;  elles  visitent  les  femmes  malades.  «  leur 
fournissent  ce  qui  leur  est  nécessaire  et  lavent  II  s 
personnes  faibles  qui  sortent  de  maladie,  «  p.  71.  Elles 
sont  pour  le  pasteur  «  des  aides  qui  conduisent  (son) 
peuple  vers  la  vie.  » 

5.  Lecteur  et  sous-diacre.  —  Il  existait  parfois  un 
lecteur  qui,  pour  les  oblations,  est  assimilé  aux  pres- 
bytres, p.  37.  S'il  n'y  en  a  pas,  l'évéque  remplit  cet  of- 
fice, p.  57-58.  Le  sous-diacre  est  mentionné  en  un 
seul  endroit,  p.  40  :  l'évéque  choisira  dans  le  peuple 
les  hommes  dont  il  a  besoin  pour  l'aider,  il  se  choisira 
des  presbytres  «  ainsi  que  des  diacres  et  des  sous-diaci  e.? 
autant  qu'il  en  aura  besoin  pour  le  service  de  sa  mai- 
son. »  Certains  regardent  les  mots  «  et  des  sous- 
diacres  »  comme  une  interpolation,  Achelis  et  Flemrning, 
p.  265,  mais  ils  figurent  à  la  fois  dans  le  latin  et  dan< 
le  syriaque;  d'ailleurs,  les  diacres  qui  servaient  l'évéque 
ont  dû  songer  de  bonne  heure  dans  certaines  commu- 
nautés à  choisir  aussi  des  serviteurs.  C'est  ainsi  qu'on 
trouve  mention,  p.  64,  «  des  jeunes  gens  de  l'église,  » 
qui  semblent  être  aussi  les  auxiliaires  des  diacres. 

3°  Eté  interne  de  la  communauté.  —  1.  La  société 
chrétienne.  —  Tous  les  chrétiens  ne  doivent  former 
qu'un  corps  bien  uni,  centralisé  entre  les  mains  de 
l'évéque.  11  ne  faut  donc  pas  de  brandons  de  discorde 
entre  les  frères,  une  des  obligations  les  plus  impor- 
tantes de  l'évéque  est  de  maintenir  la  paix  et  le  bon 
accord.  Les  pécheurs  doivent  être  rejetés.  Il  ne  faut 
pas  faire  à  autrui  ce  qu'on  ne  veut  pas  que  les  autres 
nous  fassent,  p.  2.  Le  but  est  de  se  conformer  à 
la  conduite  et  à  la  doctrine  du  Messie  qui  est  le 
maître  et  le  docteur  des  chrétiens,  p.  79,  81  ;  de 
comprendre  les  commandements  de  Dieu  et  de  les 
garder,  p.  2;  de  plaire  à  Dieu  et  de  vivre  pour  Dieu, 
p.  1,  5.  Comme  sanction,  les  bons  trouveront  le  repos 
éternel  dans  le  royaume  de  notre  Seigneur,  tandis  que 
si  quelqu'un  pèche  et  se  perd,  Satan  s'impwnte  en  lui. 
p.  21,  il  se  trouve  privé  de  la  vie,  maudit  devant  le 
Seigneur  Dieu,  p.  4,  et  condamné  à  la  géhenne  du  feu, 
p.  14.  Nombreuses  sont  les  objurgations  et  les  recom- 
mandations que  la  Didascalie  prodigue  à  tous,  clercs 
et  laïques,  hommes  et  femmes,  pour  les  rendre  con- 
formes à  l'idéal  évangéliqne  de  l'auteur. 

2.  La  famille.  —  La  chrétienne  ne  doit  plaire  qu'à 
son  mari,  elle  doit  le  servir  avec  respect  et  soumission, 
l'homme  ne  doit  plaire  qu'à  son  épouse,  car  l'impor- 
tant, dans  le  mariage,  c'est  de  garder  le  lien  conjugal 
dans  toute  son  inviolabilité  et  non  de  recourir  aux 
vaines  purifications  observées  par  les  judaïsants.  Les 
secondes  noces  sont  licites,  les  troisièmes  équivalent  à 
la  fornication,  p.  62.  Éviter  la  mollesse  et  employer  la 
verge  dans  l'éducation  des  enfants,  ils  ne  doivent  pas 
fréquenter  les  enfants  de  leur  âge,  il  faut  leur  apprendre 
un  métier  et  les  marier  jeunes,  sous  peine  d'être  res- 
ponsable de  leurs  désordres,  p.  96. 

3.  Le  martyre.  —  La  communauté  apparaît  comme 
6  l'Église  de  tranquillité  et  de  repos  »,  p.  26,  cependant 
elle  a  connu  l'âge  des  persécutions,  elle  doit  se  pré- 
parer à  les  affronter  de  nouveau  :  ((Aidez  avec  grand 
soin  les  fidèles  qui  sont  arrêtés,  emprisonnés  et  en- 
chaînés par  la  force  inique  comme  s'ils  étaient  crimi- 
nels, afin  de  les  arracher  à  la  main  des  méchants.  Si 
quelqu'un  s'approche  d'eux,  est  arrête  en  même  temps 
qu'eus  et  est  traité  iniquement  à  cause  de  son  frère. 


74Ô 


DIDASCALIE    DES    APOTRES 


74C 


liienheureux  est-il  d'être  appelé  chrétien  et  d'avoir  con- 
fessé le  Seigneur...  Recevez  et  aidez  ceux  qui  sont 
persécutés  pour  la  foi  et  qui  fuient  d'une  ville  à  l'autre... 
Quand  un  chrétien  est  poursuivi,  martyrisé  et  mis  à 
mort  pour  la  foi,  il  devient  un  homme  de  Dieu...  S'il 
renie  et  dit  qu'il  n'est  pas  chrétien,  on  l'appellera 
pierre  de  scandale,  il  sera  rejeté  par  les  hommes  et 
par  Dieu,  il  n'aura  pas  de  part  avec  les  saints  dans  le 
royaume  éternel,  »  p.  78-79. 

4.  La  résurrection  et  la  fin  du  monde.    —  «  Accep- 
tons  (le  martyre)  avec    joie,  de  toute  notre    ;'ime,  et 
croyons   que  le  Seigneur  Dieu  nous  ressuscitera  dans 
une  lumière  de  gloire,  »  p.  84.  Non  seulement  «  les 
pèches  des  frères  qui  quittent  le  monde  par  le  martyre 
sont  couverts,  »  p.  86,  mais  le  Seigneur  fera  d'eux  ses 
conseillers,  il  les  revêtira  d'une  lumière  éblouissante, 
p.  8i-85.  Tout  le  monde  d'ailleurs  ressuscitera,  fidèles 
et   impies,  par  le   moyen  de  Notre-Seigneur,  dont  la 
résurrection  est  le  gage  de  la  notre,  p.  81-83;  «  il  nous 
['  ssuscitera  tels  que  nous  sommes,  avec  la  figure  que 
nous  avons  maintenant,  mais  dans  la  grande  gloire  de 
la  vie  éternelle,  sans  que  rien   nous  manque,  »  p.  81, 
en  quelque  état  que  notre  corps  ait  été  réduit;  les  pré- 
dictions de  la   Sibylle  et  l'histoire   du  phénix  sont  des 
témoignages  de   la    résurrection    que  les  païens  eux- 
mêmes  ne  peuvent  récuser,  p.  83-8i.   On   ne  conn;iit 
pas  l'époque  de   l'arrivée  nouvelle   du  Messie,  on  sait 
seulement  que    de    grandes    calamités    en    seront   les 
avant-coureurs,  p.    106.   L'évèque,  comme  le  guetteur 
de  l'oracle  d'Ézéchiel,  doit  réveiller  sans  cesse  le  sou- 
venir du  jugement,  p.  13. 

i  Vie  externe  de  la  communauté.  —  1.  Rapports 
avec  les  hérétiques  et  les  schismatiques.  —  Chaque 
communauté  appartient  à  l'Église  catholique  et  uni- 
Ile  dont  elle  revendique  le  titre,  p.  1,  32,  36,  avec 
qui  elle  est  en  communion  de  prière,  p.  89-90,  et  dont 
elle  se  sent  membre  par  l'unité  de  foi  et  d'amour,  p.  17. 
On  doit  rejeter  de  l'Église  ceux  qui  sont  en  révolte 
contre  l'autorité  (les  schismatiques),  p.  96;  ils  seront 
engloutis  dans  les  llammes  comme  les  compagnons  de 
Dathan  et  Abiron,  p.  97-98.  «  Quant  aux  hérésies 
n'accepte/  même  pas  d'entendre  leur  nom...  les  héré- 
tiques seronLcondamnéa  parce  qu'ils  résistent  à  Dieu,  » 
p.  99  Satan  entra  dans  un  certain  Simon  qui  avail 
magicien...  il  lui  adjoignit  Cléobius...  Tous  De 
croyaient  pas  à  la  résurrection...  Beaucoup  enseignaient 
que  personne  ne  devait  prendre  de  femme  et  disaient 
que  citait  sainteté  pour  un  homme  de  ne  pas  prendre 
de  femme;  d'autres  ii  ni  que  personne  ne  de- 

vait minier  de  chair;  d'antres  disaient  que  la  chair  de 
porc  était  seule  défendue...  D'autres  enseignaient  de 
re  iliii.  n  nti  .  i  ngi  ndraient  des  disputes  el  trou- 
blaienl  les  Égl  p    100- 101 .  <ui  ne  doîl  avoir  com 

merci   a  ec  les  hérétiques  ni  par  la  parole,  ai  par  les 
prières,  car  il-  sont  les  ennemis  el  les  spoliateurs  de 
■  .  p.  105. 
-    /.'■<//  'ifs  et  les  judaïëanlë.  —  I. 'au- 

teur i  nguement  l'abrogation  de  l'ancienne 

loi  qui  est  ri  mplacée  par  I  Évangile,  l'inutilité  des  pra- 
tiqui  qui    étaient  un  joug   et   une   punition, 

1  100,  107-120,  la  substitution  du  dimanche  au  sab- 
n  pascale  occupe  aussi  une  large  place, 
que  la  chronologie  de  la  semaine  de  la  passion, 

Il  faut  fuir  li 
livres,  éviter  mi  mi  de  parler 
qu'ils  toui  ie ni  la  docli  ine  chrétii  uni 
irii  la  plupai  i  des  fldi  les  soi  U  ni 
ilité,  il  leur  •>  raffl  pour  i  els  de  renom 

imp- 
uté de    Dl  n  mur   i   tous   le 
'  toutes  li                     .n  i.  mpiir  la  salle  i 

■thollqui 


que  tous  soient  joyeux  et  contents  et  louent  Dieu  qui 
les  a  appelés  à  la  vie,  »  p.  55-56. 

IV.  Origine.  —  1°  Destinées.  —  Saint  Épiphane 
(318-403)  nous  apprend  que  les  audiens  regardaient  la 
Didascalie  comme  une  œuvre  apostolique  et  il  en  fait 
plusieurs  citations.  P.  G.,  t.  xlii,  col.  369.  Or  les  audiens, 
qui  avaient  été  très  nombreux  en  Palestine,  en  Mésopo- 
tamie et  en  Arabie,  s'étaient  vu  enlever  leurs  monas- 
tères et,  de  son  temps,  n'occupaient  plus  que  deux 
bourgs.  Ibid., col.  373.  Il  s'ensuit  que  dès  leur  origine, 
au  moins  dès  325,  les  audiens  regardaient  déjà  la  Didas- 
calie comme  une  œuvre  apostolique,  et  la  composition 
de  cet  ouvrage  se  trouve  ainsi  reportée,  sans  doute  pos- 
sible, au  ine  siècle. 

Du  IVe  au  v  siècle,  avant  la  diffusion  de  la  Vulgate, 
la  Didascalie  était  traduite  en  latin.  Nous  avons 
émis  l'hypothèse  que  Rulin,  le  plus  grand  traducteur 
de  cette  époque,  avait  pu  rapporter  de  Palestine  ou 
d'Egypte  un  exemplaire  de  cet  ouvrage  et  le  remettre 
à  saint  Paulin,  qui  lui  adressait  sa  traduction  en  408. 
Vers  cette  époque,  la  Didascalie  était  remaniée  pour 
constituer  le  prototype  des  Didascalies  arabes,  puis  les 
Constitutions  apostoliques. 

Au  VIe  siècle,  un  scribe  transcrivait  en  Italie  le 
manuscrit  des  Récognitions  et  de  la  Didascalie  et  son 
travail  est  conservé  à  Milan  et  à  Vérone.  Du  Ve  au 
VIe  siècle,  l'auteur  arien  de  l'0/>«s  imporfectum  in 
Mallheeum  utilise  aussi  la  Didascalie.  Cf.  Funk,  Di- 
dascalia  el  Constitutiones,  I.  n,  p.  8-11. 

C'est  sans  dou-te  au  VIIe  siècle  que  la  Didascalie  a  été 
traduite  en  syriaque,  du  moins  on  n'a  pas  de  faits 
pour  prouver  qu'elle  l'a  été  plus  tôt.  Le  traducteur  a  pu 
être  Jacques  d'Édesse  qui  traduisait  déjà  l'Octateuque 
de  Clément.  La  Didascalie,  traduite  par  un  jacobite  au 
VIIe  siècle,  n'est  donc  pas  connue  des  auteurs  syriens 
antérieurs  et  ne  sert  ensuite  pendant  longtemps  qu'à 
l'Église  jacobite. 

Il  nous  reste  au  moins  deux  manuscrits  de  la  Didas- 
calie qui  remontent  au  VIIIe  siècle  ou  au  ixp  siècle 
(Paris  62  et  Londres  add.  l?lî>4).  Au  xm"  siècle,  Bar- 
Hébraeus  s'appuyait  sur  la  Didascalie  dans  sa  codifica- 
lion  jacobite  du  droit  canon.  Cf.  Komocanon  Gregorii 
Bar  Heorasi,  édit.  P.  Bedjan,  Paris,  1898,  p.  26,  87,  97. 
480;  traduit  dans  Punk,  Didascalia  et  Constitutiones, 
t.  n.  Bar-Hébrœus  l'a  encore  citée  dans  son  Éthique- 
D'ailleurs,  en  I  gypte,  une  recension  grecque  interpo- 
lée, I.  I-VII,  fut  traduite  en  copie,  bien  que  I  on  ne  con- 
pas  encore  d'exemplaire  de  cet  intermédiaire 
copte,  puis  du  copte  en  arabe  el  de  l'arabe  en  éthiopien. 
La  Didascalie  arabe  était  analysée  par  Aboul  Barakat 
(y  13»i3),  utilisée  au  xii"  siècle  par  Ibn  el  Assal  (dans 
sa  compilation  canonique  conservée  en  arabe  et  Ira- 
duile  en  éthiopien  sous  le  titre  de  Fetha  Naga 
au  xiii'  par  Michel  de  Damiette  et  enfin  une  recension 
particulière (I.  I-VI  des  Constitutions  apostolique»,  avec 

n I. reuses  interversions)  était  insérée  au  \i\    siècle 

dans  la  collection  canonique  d'Abou  Maqarah. 

2°  Pairie  el  époque.  Il  est  naturel  de  localiser  la 
Didascalie  d.ms  le  pays  où  elle  u<>us  apparaît  d'abord 
ei  .m  elle  a  eu  le  plus  de  Mue  en  Méso- 

potamie, car  Audo  était  d'J  desse  et   c'est  en  Mésopo- 
tamie que  furent  faites  la  plupart  des  traductions  du 

'  iaque.  Il  n'est  pas  étonnant  que  Àphra 
et  jainl  Ephrem  c'en  fassent  paa  mention,  cai 
deux  auteurs  comprenaient  peu  ou  pat  l   la 

Didascalie  n'était  sana  douti   paa  traduite  en  syriaque, 
puisqu'on  ne  la  trouve  pat  dans  i  i  alise  nestoi  ii 
pendant  lea  nombreuse!  polémiques  contre  les  judal- 

smblenl  indiqni  r  un  paj l'élément  juil  di  - 

rail  être  encore  puissant  On  n     i  se 

i  ippi  ocher  de  la   Syrie  1 1  de  la   Dét  spole,   \i.  \  lard, 
op.  ■  ît.,  p   39;  de  la  Ca  lé  Syrie,  Achelii  el  Flemml 
d'Ali  p.  /  •    non    1. 


747 


DIDASCALIE    DES    APOTRES 


DIDV.ME    L'AVEUGLE 


im 


Nous  avons  vu,  par  témoignage  externe  (saint  Épi- 
phane),  que  la  Didascalie  remonte  au  111e  siècle;  pour 
aller  plus  loin,  on  ne  dispose  plus  que  de  la  critique  in- 
terne, c'est  dire  que  le  champ  est  ouvert  à  toutes  les 
hypothèses  et  à  toutes  les  incertitudes.  M.  llarnack  a 
placé  la  composition  de  la  Didascalie  dans  la  seconde 
moitié  du  i IIe  siècle,  depuis  il  a  préféré  la  première 
moitié  ;  Funk,  au  contraire,  a  indiqué  d'abord  la  pre- 
mière moitié  et  depuis  la  seconde  moitié;  Kaltenbusch 
a  toujours  tenu  pour  la  lin  du  IIIe  siècle,  pendant  que 
Zahn  et  d'autres  semblent  tenir  pour  la  première 
moitié.  Achelis  et  Flemming,  op.  cit.,  p.  370.  M.  Ache- 
lis  lui-même,  après  avoir  opiné  pour  les  dix  premières 
années  du  me  siècle,  reconnaît  que  la  question  est  in- 
décise et  penche  plutôt  pour  la  lin.  Ibid.,  p.  370-377. 
M.  Marcel  Viard  propose  «  quelques  années  après  258,  » 
p.  35. 

3°  Auteur.  —  L'importance  et  les  prérogatives  qu'il 
attribue  à  l'épiscopat  et  l'expérience  qu'il  semble  avoir 
du  gouvernement  des  âmes  le  désignent  comme  un 
évêque  catholique  du  me  siècle.  Achelis  et  Flemming, 
p.  378;  Viard,  p.  35.  Il  devait  être  excellent  adminis- 
trateur et  pasteur  dévoué,  mais  il  n'était  pas  théolo- 
gien, il  n'en  a  pas  les  formules,  son  ouvrage  n'a  au- 
cune tendance  dogmatique,  mais  est  tout  entier  moral 
et  disciplinaire.  Encore  la  discipline  canonique  ne  s'y 
trouve-t-i  lie  que  sous  forme  homilétique,  c'est-à-dire 
chargée  de  digressions,  d'inutilités,  de  redites.  «  Sa 
pensée  n'arrive  pas  à  se  manifester  du  premier  coup, 
il  sent  toujours  le  besoin  d'en  reprendre  l'exposé.  Ce 
défaut  se  remarque  principalement  quand  il  se  lance 
dans  les  théories  générales;  dans  les  recommandations 
pratiques,  il  est  plus  sobre  et  plus  précis.  »  M.  Viard, 
p.  37.  Il  est  peut-être  d'origine  juive,  cela  expliquerait 
sa  connaissance  des  fêtes  juives  et  de  l'Ancien  Testa- 
ment qu'il  utilise  beaucoup  plus  que  le  Nouveau, 
Achelis  et  Flemming,  p.  384;  «  il  garde  des  sentiments 
de  fraternelle  compassion  pour  ses  anciens  coreli- 
gionnaires, en  termes  touchants  il  implore  pour  eux 
les  prières  des  chrétiens  pendant  les  fêtes  de  Pâques 
(c.  xxi),  aucune  amertume  quand  il  enseigne  la  dé- 
chéance du  peuple  élu  (c.  xxvi).  »  M.  Viard,  p.  37. 
Comme  indice  d'origine  syrienne  nous  pouvons  citer 
la  comparaison  de  la  diaconesse  au  Saint-Esprit,  car 
dans  cette  langue  «  esprit  »  est  féminin.  Cf.  Achelis  et 
Flemming,  p.  329. 

M.  Achelis,  p.  381-384,  croit  que  l'auteur  de  la  Di- 
dascalie était  médecin.  En  effet,  il  compare  l'évêque  à 
un  médecin,  p.  26;  il  compare  longuement  aussi  la 
conduite  à  tenir  envers  les  pécheurs  aux  diverses  opé- 
rations que  l'on  peut  être  amené  à  faire  sur  un  membre 
malade,  p.  45-46;  il  sait  même  que  des  hommes  «  nais- 
sent avec  des  membres  superllus,  par  exemple  des 
doigts  ou  quelque  chair  de  surcroît  »  que  le  praticien 
enlève,  p.  47;  ailleurs,  p.  80,  il  donne  de  nombreux 
exemples  de  maladies.  Cf.  p.  106. 

Si  l'on  demande  comment  ce  médecin,  juif  converti, 
d'ailleurs  fort  honnête  homme  et  pasteur  dévoué,  a  pu 
commettre  un  tel  faux  littéraire.  M.  Achelis  et  M.  Viard, 
p.  36,  répondent  que  bon  nombre  d'Églises  croyaient  à 
l'origine  apostolique  de  toutes  leurs  traditions  discipli- 
naires, jusque  dans  leurs  détails  divergents;  il  s'ensuivait 
que  les  mettre  par  écrit  n'était  que  faire  œuvre  de  secré- 
taire des  apôtres  et  que  l'on  avait  toujours  le  droit  de 
signer  l'ouvrage  de  leur  nom.  La  question  serait  encore 
plus  simple  si  l'auteur  s'était  borné  à  remanier  et  à  in- 
terpoler un  écrit  apostolique  plus  ancien. 

I.  Éditions  et  traductions.  —  1°  Syriaque  :  Didascalia 
apvslolorum  syriace,  Leipzig,  1854,  sans  nom  d'éditeur  (Paul 
de  Lagarde);  The  Didascalia  apostolorum  in  Syriac,  par 
Margaret  Dunlop  Gibson  (Horse  semiticse,  n.  1),  Londres  et 
Cambridge,  1903;  F.  Nau,  La  Didascalie,  c'est-à-dire  rensei- 
gnement catholique  des  douze  apôtres  et  des  saints  disciples 


de  Notre  Sauveur,  traduite  du  syriaque  pour  la  premii-i' 
Paris,  1902  (extrait  du  Canoniale  contemporain,  février  1901 

à  mai  1902)  ;  The  Diilascalia  aposluloi  i!ish,  trans- 

lated  fromthe  Syriac,  par  M.  Dunlop  Gibson  (Hors  eemitiae, 
n.  2>,  Londres  et  Cambridge,  1908;  Dit  tyrteche  Didaskalia, 
Iraduite  et  expliquée  par  Hans  Achelis  et  Joli.  Flemming,  Leip- 
zig, 1904  (Texte  und  Unterauch.  de  Gebbardt  et  Hurnack, 
t.  xxv,  fasc.  2).  —  2"  Latin  :  E.  Hanter,  IJine  lut.  palimpsest 
Uebersetzung  der  Didascalia  apostolorum,  dans  les  l 
rendus  de  l'Académie  des  sciences  de  Vienne,  1895,  t.  cxxxiv, 
fasc.  3, 1895  (publié  en  1896;  ;  E.  Hauter,  Didascalia!  apostolcrum 
fragmenta  Veronensia  latina  accedunt  canonum  qui  dicuntur 
apostolorum  et  Mgyptiorum  reliquix,  fa-ciculus  prior,  Leip- 
zig, 1900;  F.  X.  Funk,  Didascalia  et  < -onstilutiones  apostolo- 
rum, Paderboro,  1906  (texte  de  l'ancienne  traduction  latine 
complété  à  l'aide  du  syriaque;  on  trouve  aussi  t.  [,  p.  m-xiv, 
et  t.  n,  p.  xxvni-xxxii,  120-130,  une  étude  sur  la  Didascalie 
arabe  avec  la  traduction  latine  de  la  préface  et  des  chapitres 
propres  à  cette  version  qui  proviennent  du  Testamenlum).  — 
3°  Arabe  et  éthiopien  :  Thomas  Pell  Platt,  The  Elh 
Didascalia,  Londres,  1834  (texte  du.  commencement  de  l'arabe, 
texte  el  traduction  anglaise  des  vingt-deux  premiers  chapitres  de 
l'éthiopien);  F.  N.  Funk,  Vie  apostolischen  Konstitutii 
Hottenbourg  sur  le  Necker,  1891,  p.  207-236  (traduction  alle- 
mande du  commencement  et  de  quelques  chapitres  de  1  Oth 
et  de  l'arabe). 

II.  Ouvrages  divers.  —  J.  C.  Grabe,  An  essay  upon  two 
Arabie  mamiscripts  in  Ihe  Bodleian  Library,  and  lhat  an- 
cient  book  called  tlie  Dtclrine  of  Ihe  Apostles,  Oxford,  1711; 
Londres,  1712;  Vansleb,  Histoire  de  l'Église  d'Alexandrie, 
Paris,  1677;  Ludolf,  Commentarius  ad  suam  historiam 
.Ethiopicam,  Francfort-sur-le-Main,  1691,  ont  analysé  lesDidas- 
calies  arabe  et  éthiopienne;  .1.  W.  Bickell,  Gesch.  des  Kir- 
chenrechts,  1843;  Hamack,  Altchristliche  Literaturgeschiclite, 
t.  i,  p.  517;  Achelis,  Realencyclopàdie  fur  prol.  Théologie, 
3e  édit.,  t.  i,  p.  735;  W.  Riedel,  Die  Iiirchenrechlsquelle, 
Palriarchats  Alexandrie»,  Leipzig,  1900;  C.  Holzhey,  Die 
Abhiingigkeit  der  syrischen  Didaskalia  von  der  Didaché, 
dans  Compte  rendu  du  IV'  congres  intem.  des  catholiques. 
Fribourg,  1897,  Sciences  religieuses,  p.  249-278;  et  Theolo- 
yisch-prakt.  Monatschrift,  1901,  p.  515-523;  O.  Bardenliewer. 
Les  Pères  de  l'Église,  trad.  banc.  Paris,  1898,  t.  i.  p.  45-47; 
F.-X.  Funk,  La  date  de  la  Didascalie  des  apôtres,  dans  la 
Revue  d'histoire  ecclésiastique,  Louvain,  t.  II  (1901),  n.  4; 
Die  arabische  Didaskalia  und  die  Konstit.  der  Apostel,  dans 
Theol.  Quartalschrift.  1904,  p.  233-248;  Marcel  Viard,  La  Di- 
dascalie des  apôtres,  introduction  critique,  esquisse  historique, 
thèse  de  doctorat  en  théologie  présentée  à  la  faculté  catholique  de 
Lyon,  Langres,  1906.  Voir  l'indication  des  comptes  rendus  qui 
ont  été  donnés  des  traductions  Nau,  Gibson,  Achelis-Flemming, 
dans  Byzantinische  Zeitschrift,  t.  xm  (1904),  p.  246-247,  610- 
612  ;  t.  xiv  (1905),  p.  683. 

F.  Nau. 

2.  DIDASCALIE  DE  NOTRE-SEIGNEUR  JÉ- 
SUS-CHRIST. C'est  le  titre  donné  par  le  ms.  grec 
Yalic.  2072  du  xie  siècle  à  la  «  Constitution  des  saints 
apôtres  »,  que  nous  avons  analysée,  t.  III,  col.  1536. 
Nous  avons  édité  et  traduit  ce  document,  au  plus  tôt  du 
ve  siècle,  peut  être  du  VIIe  au  vin*,  dans  la  Revue  de 
l'Orient  chrétien,  t.  xn  (1907),  p.  225-254. 

F.  Nau. 

DIDYME  L'AVEUGLE.  -  I.  Vie.  II.  Ouvrages. 
III.  Doctrine. 

I.  Vie.  —  Didyme,  sans  mériter  au  pied  de  la  lettre 
les  éloges  enthousiastes  de  ses  contemporains,  ne  laisse 
pas  d'être  une  des  ligures  les  plus  curieuses,  sinon  les 
plus  grandes,  du  IVe  siècle.  Né  vers  313  à  Alexandrie, 
dès  l'âge  de  quatre  ans,  selon  Palladius,  Hist.  Laus., 
c.  iv,  P.  G.,  t.  xx.\iv,col.  1012,  de  cinq  ans,  selon  saint 
Jérôme,  Chronic.  ad  an.  Abr.  2388,  P.  L.,  t.  xxvn. 
col.  695,  il  perdit  la  vue.  Nulle  part,  il  n'a  parlé  lui- 
même  de  sa  cécité,  encore  que  moralement  il  en  ait 
beaucoup  souffert,  S.  Jérôme,  Ejiist.,  î.xvm,  ad  Cas- 
Irutium,  P.  L.,  t.  xxil,  col.  652  sq.;  à  peine  y  trouve- 
t-on  dans  ses  livres  une  seule  et  unique  allusion,  d'ail- 
leurs très  douteuse.  In  Prov.,  P.  G.,  t.  xxxix,  col.  1624. 
La  cécité  du  jeune  Didyme  décida  probablement  de 
l'orientation  de  sa  vie  et  en  assura  certainement  la 
tranquillité.  La  prière  et  l'étude  furent  dès  lors    les 


749 


DIDYME    L'AVEUGLE 


750 


douces  et  puissantes  consolatrices  de  Didyme;  il  se 
voua  en  particulier  à  l'étude  avec  une  ardeur  ingé- 
nieuse et  opiniâtre  qui  porta  tous  ses  fruits.  Rulin, 
H.E.,  ii,  7,  P.L.,  t.  xxi,  col.  516.  Adiré  vrai,  Ru  fin, 
op.  cit.,  Socrate,  H.  E.,  iv,  25,  P.  G.,  t.  i.xvn,  col.  525, 
528,  et  Théodoret,  H.  E.,  iv,  26,  P.  G.,  t.  lxxxii, 
col.  1189  sq.,  ont  un  peu  surfait  leur  héros,  en  exagé- 
rant la  profondeur  comme  l'étendue  de  son  savoir; 
Didyme  n'est  pas  plus  un  mathématicien,  un  astro- 
nome, un  polyglotte  de  premier  ordre,  qu'il  n'est  un 
métaphysicien  et  un  théologien  de  génie,  liais  son 
érudition,  pour  n'égaler  pas  celle  d'un  Origène  ou  d'un 
Eusébe  de  Césarée,  ne  laisse  pas  néanmoins  d'être 
vaste  et  variée,  et  d'attester,  dans  les  débris  qui  en  ont 
survécu,  son  culte  passionné  de  la  science.  Sans  avoir 
jamais  quitté  sa  ville  natale,  et  malgré  son  attachement 
à  la  foi  de  Nicée,  Didyme  dut  à, sa  cruelle  infirmité 
d'échapper  aux  persécutions  des  ariens,  qui  aussi  bien 
s'imaginaient  n'avoir  rien  à  craindre  pour  leur  cause 
d'un  savant  aveugle.  Saint  Athanase,  qui  connaissait 
Didyme,  Palladius,  op.  cit.,  lui  confia,  on  ne  sait  trop 
à  quelle  date  précise,  la  direction  de  l'école  catéché- 
tique  d'Alexandrie.  Par  conviction  personnelle  et  par  un 
pieux  respect  pour  la  mémoire  de  son  plus  illustre  de- 
vancier, peut-être  aussi  à  l'instigation  de  quelques 
moines  origénistes  et,  entre  autres,  d'Évagre  le  Pon- 
tique,  Didyme  fera  revivre  au  Didascalée  l'enseigne- 
ment d'Origéne,  non  toutefois  sans  expliquer  dans  un 
sens  orthodoxe  les  expressions  ambiguës  du  maître,  ni 
sans  modifier  ici  et  là  sa  pensée.  Après  avoir  rempli  sa 
charge  avec  éclat  et  compté  parmi  ses  élèves  les  Gré- 
goire de  Nazianze,  les  Jérôme,  les  Rufin,  les  Palladius, 
les  Isidore  de  Péluse,  etc..  il  semblera  emporter  avec 
lui  la  gloire  de  l'institution  célèbre  qu'il  avait  long- 
temps honorée.  L'opinion  commune,  assise  notamment 
sur  le  De  Trinit.,  il,  727;  m,  1,  P.  G.,  t.  xxxix,  col.  595, 
768,  784,  tient  que  Didyme  était  marié  et  père  de  fa- 
mille. M.  J.  Leipoldt,  Didymus  dcr  Blinde  von  Alexan- 
dria,  Leipzig,  1905,  p.  6,  7.  s'autorise,  au  contraire,  des 
traditions  du  Didascalée,  de  l'austérité  de  la  vie  du 
docte  aveugle,  de  ses  relations  familières  avec  les 
moines  les   plus   renommés  de    toute    l'Egypte,  pour 

faire  de   Didym On  a  placé  sa  mort  tantôt 

c  ii  395,  selon  saint  Jérôme,  tantôt  en  1598  ou  399,  selon 
Palladius. 

S'il  est  difficile   d'apprécier  le  rôle  de  Didyme  dans 
l'histoire  et  le    progrès  de  la  théologie  catholique,  on 
lurail  du  moins  lui  contester  une  part  d'influence 
is  contemporains  et  sur  les  générations  qui  ont 
sui\i.  Didyme,  en  eflet,  ne  mourut  pas  tout  entier;  la 
preu\e  en  esl  dans  les   disgrâces  encourues   par  sa 
mémoire  du  fait  de  l'origénisme.  Un   le  verra  excom- 
munié, plus  'I  un    siècle  el   demi  mort,  pour 
soutenu  les  doeti  ines  de  la  préexistence  des  âmes 
el  de  V apocalasla.se.  Au  mois  de  mars  ou  d'avril  553,  les 
■  véques  convoqués  au  V«  concile  général  el  déjà   ras- 
semb                 tantinople  avant  l'ouverture  du  concile, 
5  mai -2  juin  553,  condamnèrent,  avei   Ori     ne,  les  théo- 
ries origénistee  de  Didyme  l'Aveugle  et  d'Évagre  le  Pon- 
tique,  moi                  Les  VD,  Vil»  et  VIII*  conciles  œcu- 
méniques anathématiserent  de  nouveau,  en  se  référant 
par  ern  ur  au  \    concile,  I  Irigène,  Didyme  et  I     i 
m    Diekamp,   Die  Origenistischen  Slreitigkeiten 
i  Tahrh.  unddas  V<  alîgeni.  Komil,  Munsti  r,  1899. 
II.  0                -   Didyme  ■  beaui  oup  écrit.  Hais  il  ne 
■  I  .imiiiie  préoccupation  littéi  aire  .  Mail  M  de 
la  rhétorique,  bien  qu'il  ne    l'ignore   pas.    Son    style, 
i  simple  el  clair.  Kn  revanche,  on  y  relève 
quantité  di                       i  de  fautes  de  goût,  l'abu 
épithi                      I  d"  pur  oi oement,  l'abui  d<  i  dl 
\  di    In      rar  pai 
,  li  .  /''   i ■  "<  .  i.  26;  ii.  l.  /•  G.,t.  \\\\\.  col.  884, 
■  Tob,  col.  1186,  1138,  point  de  coloris,  poinl  de 


vie  et  de  mouvement,  nul  souci  de  persuader  et  d'en- 
trainer.  La  plupart  des  œuvres  de  Didyme  ont  péri  ou 
disparu  dans  les  querelles  origénistes,  ne  laissant  que 
leur  seul  titre  ou  de  courts  fragments.  Dans  les  œuvres 
mêmes  qui  nous  restent,  les  lacunes  foisonnent.  Les 
travaux  de  Didyme  roulent,  les  uns  sur  le  dogme,  les 
autres  sur  l'exégèse. 

/.  TRAVAUX  DOGMATIQUES,  —  1°  Le  premier  en  date 
peut-être  des  écrits  de  Didyme,  cet  opuscule  Contre 
Arius  el  Sabellius,  Ariyo;  xonî  'Apsio'j  xa\  XaSf/'/.ioo, 
qui  nous  a  été  conservé  sous  le  nom  de  saint  Grégoire 
de  Nysse,  P.  G.,  t.  xlv,  col.  1281-1302,  et  qui  remonte 
assurémentbienau  delà  de  362,  vient  d'être  rendu  à  son 
auteur,  et,  ce  semble,  d'une  façon  définitive,  lloll,  ÏJber 
die  Gregorvon  Nt/ssa  zugeschriebene  Schrift  Adversus 
Arinni  et  Sabellium,  dans  Briegers  Zeit schrift  fur 
Kirchengeschichte,  190't,  t.  xxv,  n.  3,  p.  380-398. 

2°  L'opuscule  Sur  le  Saint-Esprit,  1 1 s p\  ro0  àyiov 
IIvsjij.aTo;  ).ôyo;,  un  des  meilleurs  écrits  de  l'antiquité 
chrétienne  en  pareille  matière,  ne  nous  est  parvenu  que 
dans  la  version  latine  qu'en  a  faite  saint  Jérôme,  à  la 
prière  du  pape  saint  Damase,  entre  38i  et  389.  P.  G., 
t.  xxxix,  col.  1031-1086;  P.  L.,  t.  xxm,  col.  103-154. 
La  perte  du  texte  primitif  est  avant  tout  le  fait  des  que- 
relles origénistes,  peut-être  aussi,  pour  une  part,  de  la 
supériorité  littéraire  de  la  version  sur  l'original. 
M.  Schanz,  Geschichle  dcr  rôm.  Litteratur,  1904,  l.iv, 
p.  437.  Mais  ni  Jacques  Rasnage,  dans  son  édition  des 
Lectiones  antiquse  de  Canisius,  Anvers,  1725,  t.  i, 
p.  202,  ni  M.  Schermann,  Die  griecliischen  Quelle)! 
des  hl.  Ambrosius  in  De  Spirilu  Sancto,  Munich. 
1902,  p.  80,  n'ont  réussi  à  convaincre  la  traduction  de 
saint  Jérôme  d'une  infidélité  substantielle.  Tout  con- 
court à  prouver  que  cette  traduction,  loin  d'être  une 
refonte  du  travail  primitif,  reproduit  sans  altération 
comme  sans  mélange  d'idées  étrangères  la  pensée  de 
Didyme,  et  jusqu'aux  inexactitudes  de  ses  citations  bi- 
bliques. Stolz,  dans  Theologische  Quartalschrift,  1905, 
t.  i. xxxvii,  n.  3,  p.  379-387.  L'opuscule  comprend 
63  chapitres  et  se  divise,  indépendamment  de  l'intro- 
duction et  de  la  conclusion  morale,  en  deux  parties  : 
l'une,  qui  établit  successivement  la  divinité  du  Saint- 
Ksprit.sa  consubstanlialité  avec  le  Père  et  le  Fils,  l'iden- 
tité de  l'opération  des  trois  personnes  divines  ad  extra; 
l'autre,  qui  explique,  à  la  façon  et  dans  le  Ion  de  l'ho- 
mélie, 1ns  passages  scripturaires  sur  lesquels  s'appuie 
la  foi  au  Saint-Esprit. 

3°  Les  trois  livres  De  la  Trinité,  Ihp'i  tptôôoi;  fJiêXfa 
:■/•/.  /'.  ('•.,  t.  \x.\ix,  col.  269-992,  ont  été  retrouvés  par 
.1.  A.  Mingarelli  dans  un  manuscrit  très  défectueux  et 
mutilé  du  xr  siècle;  ils  ont  été  publiés  en  1769  à 
Bologne  par  les  soins  du  même  savant,  avec  une  traduc- 
tion latine.  De  ces  trois  livres  le  Ier  traite  principale- 
ment de  la  personne  du  Fils, et  le  II*  de  la  personne  du 
Saint-Esprit;  le  III",  après  un  résumé  rapide  en  55  syl- 
mes  du  dogme  de  la  trinité,  discute  el  résout  les 
objections  scripturaires  les  plus  fortes  des  hérétiques 
du    temps.  C'est    la   le    chel'-d  ou  \  ce   île    Didyme.   Saint 

Jérôme,  De  viris,  109,  ]'.  I..,  t.  «m.  col.  705,  n'en  fait 
pas   mention,   sans   doute    par©    qu'en  399  il    n'avail 

;  mu  paru.  J.  Leipoldt,  op.  cit.,  p.  12.  En  tous 
cas,  l'ou  -i  postérieur  très  probablement  au  con- 
cile de  Constantinople  de  381,  c'est-à-dire  à  la  condam- 
nation de  Macédonius  et  de  ses  adhérents.  On  s'expli- 
que ainsi  l'ardeur  maccut le  que  déploie  Didyme 

contre   la  nouvelle  héréaia  pneumatomaque,  au  point 
d'oublier  presque  les  ariens  el  les  eunomiens    Stolz, 
kn  .  i  it-.  p 
l    ti  n. ni  dans  le  texte  original  un  opus- 

18  chapitres)  Contre  les  manichéens,  Kat*  (Aotvt- 
vafov,  /'.  '»..  t.  \\\i\.  col.  1085  1110,  Réfutation  phi- 

Iquedu  manichéisme,  en  même  tempe  qu'examen 

il  ni. 


751 


DIDYME   L'AVEUGLE 


752 


Nombreux  et  puissants  en  Egypte,  les  manichéens  ont 
toujours  été  le  point  de  mire  de  Didyme,  notamment 
dans  ses  travaux  d'exégèse.  <m  rencontre  au  début  de 

notre  opuscule  une  lacune,  que  les  Parallèles  sacrés 
ili  saini  Jean  Damascène,  /'.  ('•.,  t.  xcv,  col.  1532,  ont 
comblée  en  partie. 

5°  11  y  a  grande  apparence  que  les  deux  livres  pseudo- 
basiliens  (1.  IV  et  V)  Contre  Eunomius,  P.  G.,  t.  XXIX, 
col.  671-77i,  sont  l'œuvre  de  Didyme,  et  nous  dirent 
en  définitive  un  résumé  de  ses  deux  livres,  mentionnés 
par  saint  Jérôme,  De  viris,  109,  loc.  cit.,  le  De  dogma- 
liOus  et  le  Contra  arianos.  Funk,  Compte  rendu  du 
IVe  congrès  scientifique  international  à  Fribourg 
(Suisse),  1897,  t.  H,  p.  217-248;  Kirchengeschichtl. 
Abhandlungen  und  Untersuchungen,  Paderborn,  1899, 
t.  Il,  p.  291-329;  Theologisehe  Quartahchrift,  1901. 
p.  113-116.  M.  J.  Leipoldl,  op.  cit.,  p.  26-31,  n'aper- 
çoit pourtant  rien,  ni  dans  le  style  ni  dans  les  idées  du 
pseudo-Basile,  qui  mette  hors  de  conteste  la  paternité 
de  Didyme. 

6u  M.  Stolz,  loc.  cit.,  p.  395-396,  attribue  à  Didyme 
les  sept  dialogues  De  la  Trinité,  qui  nous  sont  parve- 
nus sous  les  noms  de  saint  Atbanase  et  de  saint  Maxime 
le  Confesseur.  P.  G.,  t.  xxvili,  col.  1113-1338.  M.  Leit- 
poldt,  op.  cit.,  p.  24-20,  n'y  reconnaît  pas  le  style  ordi- 
naire du  célèbre  aveugle. 

7°  On  n'a  pas  encore  retrouvé  l'opuscule  écrit  par 
Didyme  en  386  sur  la  mort  des  petits  enfants,  S.  Jé- 
rôme, Adversus  Rufinum,  m,  28,  P.  L.,  t.  xxm, 
col.  478;  le  IIpô;  cfO.ôuotpov,  dont  il  ne  nous  reste 
qu'une  seule  phrase,  P.  G.,  t.  xxxix,  col.  1109;  le 
Ilepi  àc<o|j.âTO'j,  dont  saint  Jean  Damascène  nous  a 
conservé  un  court  fragment,  P.  G.,  t.  xcv,  col.  1532; 
t.  xevi,  col.  524;  le  IIep\  Au/f,;,  sauf  un  fragment  de 
découverte  récente,  J.  Leipoldt,  op.  cit.,  p.  16;  les 
opuscules  Ilsp't  -îipovoi'ac  xal  koictemcJ  la  célèbre  apolo- 
gie du  IIsp\  àpyûv  d'Origine.  S.  Jérôme,  op.  cit.,  i,  6; 
il,  11,  16,  P.  L.',  t.  xxm, col.  401-402,  434,  438-439,  etc. 

//.  travaux  d'exégèse.  —  Didyme  avait  tout  em- 
brassé dans  ses  travaux  d'exégèse,  l'Ancien  et  le  Nou- 
veau Testament.  De  ces  vastes  travaux,  où  l'auteur  de- 
meurait fidèle,  non  sans  quelques  réserves,  à  la  mé- 
thode allégorique  d'Origène,  et  partant  se  gardait  en 
général  de  suivre  le  sillage  de  saint  Athanase  et  des 
Cappadociens,  nous  ne  possédons  plus  que  des  débris, 
dispersés  pour  la  plupart  dans  les  Chaînes. 

1°  Ancien  Testament.  —  On  doit  à  la  Chaîne  du 
moine  Nicéphore,  Leipzig,  1772-1773,  quelques  frag- 
ments sur  la  Genèse,  sur  l'Exode,  sur  le  IIe  livre  des 
Rois,  P.  G.,  t.  xxxix,  col.  1111-1120.  Mentionnons  ici, 
en  outre,  une  scolie  latine,  Gen.,  n,  27,  publiée  par 
dom  Pitra,  Spicilegium  iSolesmense,  t.  i,  p.  284.  Un 
fragment  sur  le  IIIe  livre  des  Rois  a  été  signalé  dans 
un  manuscrit  de  l'Escurial  par  Faulhaber,  Die  Katenen- 
handschriften  der  spanischen  Bibliolheken,  dans  Bi- 
blische  Zeitschrifl,  1903,  t.  i,  p.  251.  A  la  Cliaine  de 
Nicélas,  éditée  par  P.  Junius  (Young),  Londres,  1637, 
on  est  redevable  d'importants  fragments  sur  Job,  P.  G., 
ibid.,  col.  1119-1154.  Peut-être  que  le  passage  de  Di- 
dyme, inséré  dans  les  Parallèles  sacrés,  P.  G.,  t.  xcv, 
col.  1256,  est  extrait  de  l'explication  de  Job.  Voir  aussi 
le  Aôyo;  et;  rbv  'Itoë,  P.  G.,  t.  xevi,  col.  141.  La  relique 
la  plus  considérable  de  l'exégèse  de  Didyme,  un  long 
fragment  de  l'explication  du  Psautier,  a  été  retrouvée 
par  le  cardinal  Mai,  Rome,  1854,  P.  G.,  t.  XXXIX, 
col.  1155-1616,  et  a,singulièrement  grossi  les  trouvailles 
antérieures  de  B.  Cordier,  Exposilio  Patrum  Greeco- 
rum  in  psalmos,  Anvers,  1643,  et  de  Mingarelli.  Bo- 
logne, 1784,  P.  G.,  ibid.,  col.  1617-1622.  Cf.  Faulhaber, 
loc.  cit.,  p.  355.  Le  cardinal  Mai  a  publié  aussi  des 
scolies  sur  les  Proverbes,  7'.  G.,  ibid.,  col.  1621-1646; 
entre  les  textes  de  Mai  et  ceux  de  Th.  Peltanus,  Catena 
Grœcorum  Patrum  in  Proverbia  Salomonis,  Anvers, 


1614.  l'accord  n'est  pas  complet.  La  Chaîne  de  J.  Meur- 
sins,  Eusebii  Polychronii,  Pselliin  Canticum  canti- 
corum  erposiliones  greece,  Leydc  1617.  p.  19,  contient 
une  scolie  sur  le  Cantique  des  cantiques.  Une  vieille 
Chaîne,  encore  inédite,  renferme  des  scolies  sur  l'Ec- 
clésiaste.  J.  Leipoldt,  op.  cit.,  p.  20.  Les  Parallèles 
sacrés,  P.  G.,  t.  xcv,  col.  1093,  1196;  t.  xevi.  col.  525, 
nous  ont  conservé  des  fragments  d'une  explication  de  la 
deuxième  partie  d'Isaïe,  mentionnée  par  saint  Jérôme, 
De  viris,  109,  P.  L.,  t.  xxm.  col.  705;  Prol.  in  lsaiani, 
ibid.,  t.  xxiv,  col.  21.  Des  deux  amples  commentaires 
écrits  en  386  à  la  prière  de  saint  Jérôme,  De  viris,  109, 
l'un  en  trois  livres  sur  le  prophète  Osée,  l'autre  en  cinq 
livres  sur  le  prophète  Zacharie,  il  ne  subsiste  plus 
rien,  qu'un  fragment  du  premier,  recueilli  dans  les 
Parallèles  sacrés,  P.  G.,  t.  xcv,  col.  1381;  t.  xevi. 
col.  520.  Ghisleri,  In  Jeremiam  prophetam  conimen- 
tarii,  Lyon,  1623,  t.  i,  p.  39;  t.  il,  p.  Tin.  753,  a  rangé 
parmi  les  textes  des  Pères  grecs  etv  latins  trois  courts 
fragments  de  Didyme  sur  Jérémie.  Faulhaber,  p.  107, 
en  indique  un  quatrième  inédit.  On  retrouve  dans 
Faulhaber,  Die  Proplœlen-Catenen  naclt  rômischen 
Handschriften,  dans  Biblische  Sludien,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1899,  t.  iv.  fasc.  2  et  3,  p.  169, 179,  deux  scolies 
sur  Daniel. 

2°  Nouveau  Testament.  —  L'explication  de  l'Évan- 
gile de  saint  Matthieu,  le  texte  original  des  scolies  sur 
la  I"  Fpilre  aux  Corinthiens  donl  saint  Jérôme  nous  a 
conservé  des  fragments  dans  une  version  latine,  P.  L., 
t.  xxii,  col.  511,  968-970,  le  commentaire  sur  l'Epitre 
aux  Galates,  antérieur  à  l'an  387,  la  brève  explication, 
commentarioli,  de  l'Epitre  aux  Éphésiens,  ont 
lement  péri.  On  rencontre  des  scolies  sur  l'Évangile 
de  saint  Jean  dans  les  Parallèles  sacrés,  P.  G.,  t.  xevi, 
col.  484,  dans  la  Cliaine  de  B.  Cordier,  Catena  Pa- 
trum Grœcorum  in  sanction  Joannem,  Anvers,  1630, 
et  dans  celle  de  Cramer,  Calense  G  rsecorum  Patrum 
in  Novum  Testamenlum,  Oxford.  1844,  t.  il,  enfin 
dans  la  Bibliolheca  nova  de  Mai.  P.  G.,  t.  xxxix. 
col.  1645-1654.  J.  Chr.  Wolf,  Auecdota  Grxca,  Ham- 
bourg, 1724,  t.  iv,  a  donné,  d'après  une  Chaîne,  des 
fragments  sur  les  Actes  des  apôtres,  P.  G.,  ibid., 
col.  1653-1678;  on  doit  à  Cramer,  op.  cit.,  t.  m,  une 
trentaine  de  fragments  nouveaux.  Il  s'en  trouve  encore 
dans  Théophylacte.  On  lit  en  outre  dans  Cramer, 
op.  cit.,  t.  îv,  p.  196  sq.,  un  fragment  sur  l'Epitre  aux 
Bomains,  et,  t.  vu,  p.  131  sq.,  un  autre  fragment  sur 
l'Epitre  aux  Hébreux.  Le  cardinal  Mai  a  publié  des 
fragments  étendus  de  l'explication  de  la  IIe  lettre  aux 
Corinthiens,  P.  G.,  ibid.,  col.  1679-1732.  Ce  qu'il  y  a 
comme  traduction  de  moins  mutilé,  c'est  le  commen- 
taire des  sept  r.pitres  catholiques.  In  Epistolas  cano- 
nicas  enar ratio.  Il  nous  en  reste  la  version  latine 
d'Epiphane,  l'ami  de  Cassiodore  ;  Lucke,  dans  son  édi- 
tion critique  du  texte,  y  a  joint  quelques  fragments 
grecs,  P.  G.,  ibid..  col.  1719-1818.  On  est  aussi  rede- 
vable à  Cramer  de  quelques  autres  fragments  grecs, 
op.  cit.,  t.  vin.  Un  fragment  de  Didyme  sur  la  I*  Pétri 
est  signalé  dans  deux  manuscrits  de  l'Escurial  par 
Faulhaber,  dans  Biblische  Zeitschrifl,  t.  i.  p.  378. 
L'authenticité  intégrale  de  la  traduction  latine  a  été  na- 
guère contestée  par  Klostermann,  dans  Texte  und  Un- 
tersuchungen, Leipzig,  1905,  t.  xxvm,  fasc.  2.  Cf.  J.  Lei- 
poldt. op.  cil.,  p.  22-23. 

III.  Doctrine.  —  La  théologie  de  Didyme  n'est  pas 
un  monument,  l'œuvre  d'une  pensée  originale  et  puis- 
sante; on  dirait  plutôt  une  mosaïque,  dont  les  mor- 
ceaux, tle  provenances  diverses,  attestent,  avec  l'érudi- 
tion de  l'auteur,  le  cours  des  idées  et  l'état  des  esprits 
au  iv«  siècle. 

Origéniste  avant  tout.  Didyme  n'est  pourtant  pas 
l'écho  servile  d'Origène,  et,  si  marqué  que  soit  l'air  de 
famille   entre  les  deux   doctrines,  on   y  constate   plus 


753 


DIDYME    L'AVEUGLE 


754 


d'une    dissonance.   La  théodicée,  l'angélologie,  la  psy- 
chologie, l'eschatologie  de  Didyme  portent  en  particu- 
lier l'empreinte  du  maître  qui  l'avait  fasciné.  La  sim- 
plicité de  Dieu,  o-jui'a  âir/.r,,  P.  G.,  t.  xxxix,  col.  1064, 
1560,  etc.,  avec  ses  corollaires  naturels,  immutabilité, 
spiritualité  parfaite,   invisibilité,  transcendance  souve- 
raine, etc.,  fait  le  fond  de  la  théodicée  de  Didyme,  qui 
volontiers  réduirait  Dieu  à  n'être  qu'une  sorte  de  point 
mathématique.  La   chaleur  de  la  lutte  contre  la  philo- 
sophie aristotélicienne    d'Aétius  et  d'Eunomius,  l'en- 
traîne  à  insister   fortement  sur  l'incompréhensibilité 
de  Dieu.   L'homme  ne  peut  se  former  ici-bas   quelque 
idée  de  Dieu  que  par  voie  d'analogie,   col.  308,  1066. 
L'Kcriture  elle-même   ne  nous  en  donne  qu'une  con- 
naissance très  imparfaite  et  disproportionnée  à  la  na- 
ture divine,  col.  505.  Ce  n'est  qu'à  la  fin  des  temps  que 
nous    acquerrons   une    pleine   connaissance    de  Dieu, 
col.  1317.  Comme  Origène,  Didyme  admet  la  création 
ab  seternu  ;   Dieu,   en    effet,    agit   sans    cesse,  t.   XXV, 
col.  1288;  penser,  pour  lui,  c'est  agir,  t.  x.xxix,  col.  277. 
Les  anges  sont  sortis  les  premiers  des  mains  de  Dieu. 
Rons  ou  mauvais,  ils  ne  sont  pas,  au  sens  rigoureux  du 
mot,  de  purs  esprits;  ils  ont  tous,  sinon  un  corps  ter- 
restre analogue  à  celui  de  l'homme,  col.  481,  1773,  du 
moins   un  corps  plus  ou    moins  éthéré  et  subtil,  selon 
l'éminence    de    leur  perfection     ou      la     profondeur 
de   leur   chute,    col.    1109.    Pendant   que    les    démons 
conspirent    noire    perte,    col.    1157,    1171,     les    bons 
-  veillent  sur   nous  et  intercèdent  pour  nous;  en 
sorte  que  nous  leur  devons  un  culte,  'col.   1039,    1772, 
177.'!.  .Mais,  point  d'anges  qui  soient  les  âmes  des  astres 
et   leur  communiquent   le    mouvement   avec    la    vie. 
col.  428.  Tandis  que  Didyme  rejette  la  fable  de  la  mé- 
tempsycose, col.  1145,  1332,  sans  conlredit  il  croit  à  la 
préexistence  de  l'âme  humaine,  col.  773.  777.  17.").").  etc. 
Il   n'est  pas  sûr  que   Didyme   soit  trichotomiste.  Car, 
outre   qu'en   maints    passages,   col.    765,    1115.    1185. 
1520,  etc..  il  professe  la  dicholoinie  el   n'aperçoit  rien 
dans  l'homme  qu'un  corps  et  une  âme,  les  textes  nom- 
breux  dans  lesquels  il  reconnaît,  à  côté  du  corps  et 
de    l'âme,    •!/-//,  un   autre  élément  constitutif, 
ii  impliquent   pas    nécessairement  une  troisième  sub- 
stance; pourquoi   ne    les   pas  entendre  au   contraire 
d'une  distinction  modale,  d'une  distinction  entre  l'âme 

il   -,i    plus    noble    faculté,    la    raison?    La     pensée    de    la 

isie  H.-  semble  pas  avoir  hanté  l'esprit  de!  hdyme  ; 
il  n'a  parlé  qu'une  fois.  col.  76.").  sous  l'empire    peut 

émotion,  de  la  lin  pro- 
chaine du  monde.  Quanl  aux  espérances  fantaisisti 
millénarisme,  il  le-  réprouve  avec  énergie,  col.  1756- 
Nul  doute  qu'il  n'enBeigne  la  résurrection  de  la  chair, 
col.  1309,  et  qu'en  faisant  ressortir  les  qualités  nou- 
velles  du  corps  ressuscité,  col.  I7ni.  1818,  il  ne  main- 
tienne   l'identité   essentielle    de   ce  corps    avec  noire 

corp  ,  re,  col.    1309. 

Saini   Jérôme,  Advenu»  Ruftnum,   i.  6;   ti,   II,  16. 

/'./..,  t.  wiii.  col.  101-402,  134,  138-489,  accuse  Didj 

d'avoir     soutenu    Vapocalaslase    d'Orîgène.    On 
''lotir  > r  il  n'esl  pa    rare d  entendre 

Didyme  parler  de  1  éternité  des  peines  de  l'enfer    /'  '■  . 
t.  xx.xix.  ci,  669,  7i'.".   Il"i    II  faut  remarquer  toute- 

■  i  "•■  Didyme  te  ours   des 

d'été)  lernilè  dans  lent-  seus  précis  el  rigou- 

col  516-517.  \  lilleurs  que  sa  théorie  du 

itiellemenl  médicinal  des  châtiments  di  - 
\ins,  col.  <i7.;.  I0HS.  [108,   1176,  121,1.  [404 
autn  thi  <•!  i.  de  l'efficacité  souveraine  de  la  rédemption, 
col.  104  106    109,  1759,   [770,  cadrent,  I  lonl  prendre, 
lauration  univei  selle  el  sem- 
blent donm  t  rai  ion  au  réquisitoire  ne 
I  ti  présence  do  dogme  de  la  triniié.  Didyme,  esprit 
•iii.  manque  parfois  de  pri  ci  lion  el  de  net- 

unie-  de   fixité   el  de    COtll 


dans  ses  pensées  ;  mais,  tout  compte  fait,  l'orthodoxie  de 
sa  doctrine,  laquelle  se  ressent  à  la  fois  de  saint  Atha- 
nase  et  de  saint  Basile,  est  hors  de  conteste,  S.  .lérôme, 
Adversus    Rufinum,   n,   16;   ni,   27,  P.    L.,    t.    xxm, 
col.  438,  477  ;  ni  les  ariens,  ni  encore  moins  peut-être 
les  macédoniens  ne   trouveront  rien  à  glaner  dans  la 
doctrine  de  Didyme.  Les  deux  faces,  pour  ainsi  parler, 
du    dogme   trinitaire,   l'unité   numérique  de  la  nature 
divine,  De  Trinit.,  i,  27;  ri,  1,  3,  7,  etc.,  /'.  G.,  t.  xxxix, 
col.  405,  452,  476,  565,  581,  etc.,  et  la  distinclion  des 
trois  personnes  en  Dieu,  avec  leur  égalité  parfaite,  De 
Trinit.,  i,  16,  26,  27;  m,  2,  col.  332-336,  389,  396,  792, 
et  leur  absolue  consubstantialité,  De  Trinit.,  I,  18,  20, 
col.  356,  369,  y  sont  respectées  et  mises  en  relief.  La 
célèbre  formule,  fju'a  oùa-ia,  rpsi;  -j^o^r-'    si:,  dans   son 
sens  traditionnel,  est  probablement  de  Didyme;  on  la 
rencontre  du  moins  sous  sa  plume,  avant  qu'elle  n'ait 
reçu  du  concile  d'Alexandrie,  en  362,  son  brevet  d'or- 
thodoxie, et  que  les  Basile  et  les  Grégoire  de  Nazianze 
ne  l'aient  popularisée.  Didyme  est  aussi  le  partisan  dé- 
terminé de  Vhomoousicn,  qu'il  applique  soit  à  la  Tri- 
nité tout  entière,  soit  à  chacune  des  personnes  divines 
en  particulier.  De  Trinit.,  i,   19,  27,  28,  col.  368,  397, 
409.  Mais,  en  reconnaissant  au  sein  de  la  Trinité  l'unité 
du  vouloir  et,  par  suite,  l'unité  de  l'action,  fj.ia  ÈvÉpyEta, 
Didyme  ne  laisse  pas  de  se  montrer  indécis  et   impré- 
cis. Car,  tantôt  il  entend  cette  jx:a  èvép-yeioe  dans  toute  la 
rigueur  des  termes,  De   Trinit.,   il,   7,  8,  15,  col.  565, 
624,  717;  tantôt  il  se  réduit  à  dire  que  les  trois  per- 
sonnes divines  agissent  toujours  en  commun,  De  Trinit., 
ii,  1,  col.  452;  tantôt  il  attribue  à  chacune  des  personnes 
divines  son   activité  spéciale,  De  Spiritu  Sanclo,  27, 
col.  1058,  et  semble  répartir  entre  elles  l'ouvrage  de  la 
rédemption.  De   Trinit.,  m,  39,  col.  980.  Quant  à  la 
distinction  du  l'ère,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  Didyme, 
après  avoir   semblé  d'abord  la  regarder  comme  pure- 
ment  nominale   ou    peu    s'en   faut,    De  Trinit.,    I,  36, 
col.   140,  revient  sur  ses  pas  et  tient  qu'elle  repose  sur 
un  fondement  réel.  De  Trinit.,  n,  6,  col.  552.  Entre  les 
personnes  divines  tout  est  identique,  sauf  ce  qui   dé- 
coule de  leurs  relations.  C'est  le  propre  du  l'ère  que 
H  i  ngendrer,  que  d'être  père.  C'est  le  propre  caractère 
du    Fils  et  du  Saint-Esprit   qu'ils    procèdent    l'un    el 
l'autre,  celui-là  du   Père  seul,  celui-ci  du  Père  el  du 
Fils,  celui-là  par  voie  de  génération,  yi-rrr^i:.  celui-ci 
par  voie  de  spiralion,  '  ir6peu<rcç.   Dr  Trinit.,  I,  9,   15, 
35;  m,  38,  col.  277.  320,    137,  976.   Deux   aeles  éternels 
et  continus,  sans  commencement  el  sans  lin.  Mais  l'in- 
telligence complète  de  la  différence  de  ers  deux  actes 

est  absolument  au-dessus   de  la   portée   de  Ions   les  es- 
prits créés.    De   Trinit.,   Il,    1;    ni,  38,  col.   448,   976. 
Didyme,  du  reste,   proclame   1res  haut  et  sans  .nul 
la  divinité  du  Saint-Esprit 

La  christologie  de   Didyme,  bien  qu'un  examen  su- 
perficiel  \    relève  plus  d'un   emprunt  au  vocabul 
d'Arius,  reflète  en  réalité  la  christologie  de  sainl  Atha- 
nase   el   prépare  celle  de  saint   Cyrille  d'Alexandrie. 
Tout  s'y  inspire  de  l'axiome  des  premiei  lire- 

liens,  -■>  iitp6ffX7j«Tov  dtôepiitsvtov,  quod  auumplum 
non  est,  neque  sanatum  est.  \  rencontre  d'Arius, 
Didyme,  après  Origène,  reconnaît  une  âme  humaine  an 

incarné.  De  Trinit.,  ni,  2.21.  In  P».,  col, 
900,904,  1284,  1465.  \  rencontre  d'Apollinaire  le  jeune, 

qu'il   c t  al     an  -  h     nommi  r  el  touji  n  une 

courtoisie  parfaite,  en  Jésus-Chris!  il  reconnaît,  indé- 
pendamment de  la  i.,r.  le  /•,.:  humain.  l'Ame  rai- 
sonnable. /"  P».,  col.  Ii."ii>.  1465.  Il  s'élève  aussi  contre 
l'idée  prêt»  |ue  de  Laodicée,  que  le  corps  de 

di   cendu  du  ciel,  De  rVinfl  .  m.  s . 
col   B49,  I79(i.  el  H  réfute  p 
■ion  quelques  hérétiq  n  temps  qui  reléguaient 

dans  le  loleil,  jusqu'au  temps  de  la  paroutie,  le  corps 

1269.  Nonobstant 


755 


DIDYME  L'AVEUGLE  —  DIEU  (CONNAISSANCE  NATURELLE  DE 


756 


laines  locutions  impropres  ou  équivoques,  on  ne  sau- 
rait douter  que  Dklyinc  n'enseigne,  sans  toutefois  le 
formuler  explicitement,  le  dogme  des  deux  natures  en 
Jésus-Christ,  De  Trinit.,  i,  9;  ni,  1,  3,  «10,817;  ht  Ps., 
col.  289,  SI 7,  1233;  et  qu'il  ne  professe  pareillement 
celui  de  l'unité  de  la  personne  de  l'Ilomme-Dieu.  De 
Trinit.,  i,  27,  col.  397.  Aussi  se  plait-il  à  saluer  Marie 
du  nom  de  Mère  de  Dieu,  Beétoxoç,  lie  Trinit.,  i,  31  ; 
ii,  ï;  m,  G,  41,  col.  421,  481,  484,  848,  988;  et  à  pro- 
clamer sa  virginité  perpétuelle,  à£t7iapOÉvo;.  De  Trinit., 
i,  27,  col.  404. 

Tillemont,  Mémoires,  1730,  t.  x,  p.  135-152,  330;  Fabricius 
Harless,  Biblivtheca  Grxca,  t.  IX,  p.  269  sq.,  dans  P.  G., 
t.  xxxix,  co!.  131-140;  J.  A.  Mingarelli,  De  Didgmo  commenta- 
rius,  ibid.,  col.  139-216;  Epistola  de  opère  antiqui  theologi 
inedito,  ibid.,  col.  993-1030;  Th.  Schermann,  Die  Gottheit  des 
ht.  Geistes,  c.  vu,  p.  189-223;  Bardenhewer,  Les  Pères  de 
l'Église,  nouv.  t'dit.  franc.,  Paris,  1905,  t.  il,  p.  124-128; 
J.  Leipoldt,  Didymus  der  Blinde  von  Alexandria,  Leipzig, 
1905,  dans  Texte  und  Untersuchungen,  t.  xxix,  fasc.  4;  Stolz, 
Didymus,  Ambrosius,  Hieromjmus,  dans  Theologische  Quar- 
talschrift,  1905,  t.  xxxvn,  n.  3. 

P.  Godet. 

DiERINGER  François-Xavier,  théologien  catholi- 
que allemand,  né  le  22  août  1811  à  Rangendingen  dans  le 
Hohenzollern-llechingen,  alla  en  1831  étudier  à  Tu- 
bingue,  reçut  la  prêtrise  en  1835  a  Fribourg-en-Brisgau 
et  fut  nommé  répétiteur  de  théologie  systématique  et 
d'homilétique  au  séminaire  de  cette  ville;  il  fut  aussi 
chargé  de  la  bibliothèque  de  la  maison.  En  1840,  il  de- 
vint professeur  de  dogme  au  grand  séminaire  deSpeier 
et  dès  l'année  suivante,  en  même  temps  professeur  de 
philosophie  au  convict  de  cette  ville.  En  1843,  le  gou- 
vernement prussien  le  nomma  aux  chaires  de  dogma- 
tique et  d'homilétique  à  l'université  de  Bonn  ;  il  y 
enseigna  aussi  la  morale.  De  1841  à  1843,  il  avait 
dirigé  le  Katliolik  de  Mayence.  De  1844  à  1846,  il  diri- 
gea la  Katholische  Zeitschrift  fur  Wissenschaft  und 
Kunsl,  fondée  pour  contrebalancer  la  Zeitschrift  fur 
Théologie  und  Philosophie,  et  il  y  publia  de  nombreux 
articles  contre  Hermès  et  sa  doctrine.  En  1847,  sa  revue 
prit  le  titre  :  Katholische  Vicrteljahresschrift  fur 
Wissenschaft  und  Kunsl.  En  1844,  il  fut  encore  direc- 
teur d'un  séminaire.  L'année  suivante,  il  devint  membre 
du  Verein  vont  hl.  Karl  Borroniàus,  et  à  partir  de 
1871,  il  en  fut  le  président.  Dès  1853,  tout  en  gardant 
sa  chaire,  il  fut  nommé  doyen  du  chapitre  de  Cologne. 
Il  combattit  dès  lors  le  giinthérianisme.  Il  fut  exclu 
par  le  gouvernement  de  la  liste  des  candidats  comme 
persona  minus  grala,  en  t856  pour  l'évêché  de  Pader- 
born  et  en  1861  pour  celui  de  Trêves.  En  1862,  il  devint 
prédicateur  de  l'université.  Au  moment  de  la  tenue  du 
concile  du  Vatican, il  fut  opposé  d'abord  à  l'opportunité 
de  la  définition  de  l'infaillibilité  pontificale,  puis  au 
dogme  lui-même.  En  1871,  il  abandonna  sa  chaire  et 
devint  curé  de  Veringendorf,  dans  le  Hohenzollern; 
il  mourut  dans  sa  paroisse,  le  8  septembre  1876.  Il 
a  publié  :  1°  System  der  gôtllichen  Thalen  des  Chris- 
tenlums,  2  vol.,  1841,  1842;  2e  édit.,  1857;  cet  ouvrage 
lui  valut  le  titre  de  doclor  honoris  causa  de  l'université 
de  Munich;  2°  Der  hl.  Karl  Borromùus  und  die  Kir- 
chenverbesserung  seiner  Zeil,  Cologne,  1846;  3°  Lehr- 
buch  der  katltolischen  Dogmatik,  Mayence,  1847; 
5e édit.,  1865;  4° Dogmalischen  Erôrterungcn  miteinem 
Gïinlherianer,  Mayence,  1853;  5°  Das  Epistelbuch  der 
kalholischen  Kirche  Iheologisch  erkh'irt,  3  vol., 
Mayence,  1863;  6°  Laienkatcchismus  liber  Religion, 
O.ffenbarung  und  Kirche,  Mayence,  1865;  2L'  édit.,  1868. 
Kirchenlexikon,  t.  m,  col.  1727-1731;  Kirchliches  Hand- 
lexikon,  Munich,  1907,  1. 1,  col.  1116. 

E.  Mangenot. 

DIERTINS  Joseph,  théologien  flamand,  né  à 
Bruxelles,  le  27  avril  1626,  admis  dans  la  Compagnie 
de  Jésus  le  18  septembre  1642.  Outre  un  ouvrage  de 


polémique  sur  l'ignorance  invincible  du  droitnaturel  : 
De  peccatis  ignorantiœ,  Cologne,  1681,  le  I'.  Diertins 
a  laissé  des  commentaires  sur  les  Exercices  sjiiriluels 
de  saint  Ignace,  qui  rendent  encore  des  services  de  nos 
jours  :  Sentut  Exerciliorum  spiritualium  .S".  /'.  lguaiii 
Loyolae  explanatus,  Ypres,  1691.  plusieurs  fois  réim- 
primé ;Exercitiaspiritualiasancti  Pal  ris  nos  tri  Ignatii 
cum  sensu  eorumdem  explanalo,  avec  un  appendice 
sur  la  distribution  des  Exercices  pour  la  retraite  de  huit 
jours,  Anvers,  1693.  Cette  édition  est  du  P.  Papenbroeck. 
A  l'édition  de  Rome,  1698,  est  joint  un  appendice  qui 
a  été  souvent  réimprimé  à  part  sous  ce  titre  fort  connu  : 
Praxis  medilalionum  .S'.  /'.  Ignatii  Loyola?,  Rome, 
1698;  Prague,  1721;  ou  encore  Exercilia  spiritualia 
S.  P.  Ignatii  Loyola-,  Turin,  1826,  1838;  Rome,  1835. 
Ce  dernier  ouvrage  a  été  traduit  par  M.  Abel  Gaveau  : 
Méditations  sur  les  Exercices  de  saint  Ignace,  Paris, 
1876;  2e  édit.,  1886.  L'histoire  de  l'ascétique  a  été  enri- 
chie également  par  le  P.  Diertins  d'un  ouvrage  de  haute 
valeur  :  Historia  Exerciliorum  spiritualium  S. P.  Igna- 
tii de  Loyola,  pars  1*,  liber  7u%  Rome,  1700.  La  2«  édi- 
tion en  sept  livres  est  de  1733.  La  première  édition  a 
été  rééditée  par  les  soins  du  P.  Watrigant,  Lille,  1882. 
Le  P.  Diertins  est  mort  à  Rome,  le  4  novembre  1700, 
après  avoir  rempli  les  plus  hautes  charges  de  son 
ordre. 

De  Backer-Sommervogel,  Bill,  de  la  C'  de  Jésus,  t.  m. 
col.  53-55;  Doliinger,  Geschiclite  der  Moralstreitigkeiten,  t.  il, 
p.  125  sq.  ;  Hurter,  Komenclator,  2*  édit.,  t.  ni,  col.  555. 

P.  Bernard. 
DIETENBERGER  Jean,  dominicain,  né  vers  1475 
à  Francfort-sur-le-Main,  entra  de  bonne  heure  chez  les 
dominicains  de  sa  ville  natale,  fut  licencié  en  théolo- 
gie le  23  septembre  1514,  et  docteur,  l'année  suivante, 
à  Mayence.  De  1510  à  1520,  il  fut  cinq  fois  prieur  de 
son  couvent,  et  plusieurs  fois  encore  plus  tard.  En 
1517,  il  fut  envoyé  comme  régent  à  Trêves,  où  il  com- 
mença, le  27  janvier  1518,  ses  leçons  sur  saint  Thomas. 
En  1526,  il  était  prieur  du  couvent  de  Coblentz.  A  la 
diète  d'Augsbourg  (1530),  il  fut  employé  à  rédiger  la 
Confutatio  de  la  Confession  d'Augsbourg.  En  sa  qua- 
lité d'inquisiteur,  il  fut  mêlé  à  l'affaire  de  Reuchlin. 
De '1533  à  1537,  il  fut  chanoine  et  professeur  à 
Mayence.  Il  mourut  en  cette  ville,  le  4  septembre 
1537.  De  1522  à  1530,  il  a  publié  des  écrits  ascétiques  et 
polémiques  contre  les  protestants  sur  la  messe,  la  pé- 
nitence, les  vœux,  les  cérémonies,  etc.  Xoinmons  seu- 
lement Fragstuck  an  aile  Chrislglùuoiyen,  Cologne, 
1530.  En  1534.  il  publia  une  traduction  allemande  de  la 
liible,  faite  sur  la  Vulgate,  iu-fol.,  Mayence. Elle  a  eu 
plus  de  100  éditions.  Pan/.er,  Versuch  einer  kurzen 
Geschichte  der  rômisch-kathoUschen  deutschen  Bibel- 
iibersetzung,  Nuremberg,  1781,  p.  94  sq.  ;  Dictionnaire 
delà  Bible  de  M.  Vigouroux,  t.  I,  col.  380-381.  Il  com- 
posa aussi  un  des  premiers  catéchismes  allemands, 
publié  en  1537.  Voir  t.  Il,  col.  1913. 

H.  Wadever,  Johannes Dietenberger,  1  i~û-l~>3~ :  seinLeben 
und  Wirken,  in-4",  Fribourg-en-Brisgau,  1888;  Kirchenlexi- 
kon,  t.  in,  col.  1739-1741;  Kirchliches  Randlexikon,  .Mu- 
nich, 1907,  t.  I,  col.  1117-1118. 

E.  Mangenot. 

DIEU.  Nous  étudierons  successivement  :  Ma  connais- 
sance naturelle  que  nous  pouvons  avoir  de  Dieu  ;  2U  les 
preuves  de  l'existence  de  Dieu;  3  la  nature  de  Dieu 
d'après  la  sainte  Ecriture;  4°  d'après  les  Pères;  5°  d'après 
les  scolastiques;  6°  d'après  les  philosophes  modernes; 
7°  d'après  les  définitions  de  l'Église.  Sur  l'activité  de 
Dieu  ad  extra,  voir  Création,  Conservation,  Concours, 
Providence,  et  sur  la  vie  divine  ad  intra,  voir  Trinité. 

i.  dieu  (connaissance  naturelle  de).  —  I.  Dé- 
limitation du  sujet.  II.  En  quel  sens  il  est  théologique. 
III.  Origine  historique  des  erreurs  condamnées  au  con- 


757 


DIEU    (CONNAISSANCE   NATURELLE    DE] 


cile  du  Vatican.  IV.  Le  protestantisme.  V.  Le  nomina- 
lisme.  VI.  Le  pseudo-mysticisme.  VII.  Le  jansénisme. 
VIII.  Le  traditionalisme.  IX.  Le  modernisme  et  l'en- 
cyclique Pascendi.  X.  Erreurs  visées  par  le  concile. 
XI.  Sens  précis  de  la  définition  conciliaire.  XII.  Jus- 
tification et  sources  de  la  doctrine. 

1.  Délimitation  du  sujet.  —  Le  problème  de  la 
connaissance  de  Dieu,  comme  il  est  de  tous  les  pro- 
blèmes le  plus  important,  est  aussi  des  plus  complexes. 
Essayer  d'en  écrire  ici  l'histoire  complète  serait  tenter 
l'impossible  :  la  seule  bibliographie  du  sujet  compose- 
rait plusieurs  gros  volumes.  C'est  qu'au  fond  l'histoire 
de  l'idée  de  Dieu  dans  l'humanité  serait  l'histoire  de 
toutes  les  religions,  de  toutes  les  civilisations,  de  toutes 
les  philosophies.  Il  faut  donc  se  borner  à  l'essentiel. 
D'ailleurs,  pour  les  détails,  l'ensemble  de  ce  diction- 
naire constitue  déjà  une  mine  féconde  de  renseigne- 
ments, et  il  n'est  pas  douteux  que  nos  collaborateurs 
continueront  à  nous  donner  sur  ce  point  la  pensée  des 
auteurs  qu'ils  étudient. 

Pour  orienter  le  lecteur  et  lui  donner  la  clef  du  choix 
auquel  nous  nous  sommes  arrêté,  rappelons  quelques 
distinctions  classiques  dont  la  suite  de  ce  travail  don- 
nera tout  le  sens  et  fera  sentir  la  valeur.  —  1°  Suivant 
la  nature  et  le  mode  d'action  des  moyens  internes  et 
externes  qui  interviennent  dans  la  connaissance  que 
nous  pouvons  ici-bas  avoir  de  Dieu,  les  théologiens 
distinguent  la  connaissance  naturelle,  la  connaissance 
surnaturelle  et  la  connaissance  mystique  de  Dieu.  Ils 
appellent  connaissance  naturelle  de  Dieu,  celle  qui  se 
produit  par  le  moyen  objectif  des  créatures  et  par  les 
seules  lumières  de  la  raison;  la  connaissance  surnaturelle 
s'obtient  par  la  révélation  proprement  dite,  à  l'aide  de  la 
grâce  intérieure  de  la  foi  ;  enfin  la  connaissance  mystique 
de  Dieu  est  donnée  par  l'expérience  intérieure  du  divin. 
Nous  ne  traiterons  ici  directement  que  de  la  connais- 
sance naturelle  de  Dieu.  Voir,  pour  la  connaissance  sur- 
naturelle et  mystique,  les  articles  Révélation,  Mystère, 
Trinité,  Foi,  Vision  intuitive,  Mystique,  Contempla- 
tion. —  2°  On  peut  poser  le  problème  de  la  connais- 
sance de  Dieu  soit  par  rapport  à  l'existence,  soit  par 
rapport  à  la  nature  de  la  divinité.  De  là  deux  questions: 
qui'  9avons-nous  de  l'existé de  Dieu;  que  connais- 
sons-nous de  la  nature  divine?  Et  chacune  de  ces  ques- 
tions reçoit  uni'  solution  différente  suivant  qu'il  s'a_ii 
de  la  connaissance  naturelle,  de  la  connaissance  sur- 
naturelle ou  de  la  connaissance  mystique  de  Dieu.  Nous 
n'avons  ici  en  vue  directement  que  la  connaissance 
naturelle  de  ['existence  de  Dieu.  Cependant,  comme, 
d'une  part,  il  est  impossible  d'affirmer  l'existence  objec- 
tive d'un  être,  si  l'on  ne  saisit  intellectuellement  rien 
de  -,i  nature  ;  comme,  d'autre  part,  la  connaissance  que 
nous  pouvons  naturellement  avoir  de  Dieu  est  celle 
d'un  Dieu  personnel,  les  deux  questions  proposé) 

sont  pas  adéquatement  distineti  -  :  el  i '  traiter  de  la 

première  comme  il  convient,  nous  devrons  m 
lairement  toucher  à  la  seconde,  sur  laquelle  on  peul 
d'ailleurs  consulter  le-  articles  Agnosticisme, ÂNALOQi) . 
Attributs  divins,  Nati  re  di  Do  i  .  :;  On  peul  étu- 
dier la  connaissance  naturelle  que  nous  .nous  de  l'exis- 
'!•■  Dieu,  soit  à  un  point  de  vue  purement  philo- 

ique,  ioil  A   un   poinl  de   \ ne   puremenl   do 
tique.  Dam  ce  problème,  pour  le  philosophe,  tout    se 
réduit  en  dernière  analyse  ■<  la  critique  des  preuves  de 
di  Dit  m  ou  à  la  critique  il.'  notre  tu  ulté  de 
connaître;  pour  le  chrétien,  toul  s,-  ramène  a  consl 
pour  \  adhérei  fermement,  ce  que  la  révélation 
enseir  ur  le  fui  soil   sur  la  possibilité  de  la 

naturelle  de    Dieu,    i  nlre  l  attitude  du 
phil  -II"  du  simple  croyant  l'intercali  m  i.  - 

di  mai  du  théolog  ■  ■•    i 

pr<  mit  i  pn  nd  poui  poinl  di  d<  pai  i  l<  -  donné)  i  de  la 

n,  ou  tout  au  h  h  interlocuteur  veul 


bien  admettre  pour  données,  S.Thomas,  Sum.  theol.,1*, 
q.  i,a.  8, et  il  s'achemine  vers  la  connaissance  naturelle, 
puis  vers  la  connaissance  surnaturelle  de  Dieu  par  la 
foi.  Le  second  s'appuie  sur  les  données  intégrales  de 
la  révélation  et  de  la  doctrine  catholique,  qui  lui  ser- 
vent de  principes;  et  partant,  sinon  de  la  pleine  lumière, 
du  moins  de  la  pleine  certitude,  il  tend  la  main  à  la 
spéculation  philosophique.  Dans  le  présent  article  nous 
envisagerons  surtout  la  face  dogmatique  du  sujet.  Dans 
l'article  suivant,  Existence  de  Dieu,  nous  essaierons  de 
satisfaire  moins  indirectement  aux  exigences  de  la  pen- 
sée philosophique.  Cette  distribution  a  paru  nécessaire 
pour  que  ces  pages  fournissent  au  fidèle,  au  théologien, 
au  philosophe  et  à  l'apologiste  la  réponse  aux  trois 
questions  :  1.  Quel  est  l'objet  de  ma  foi  sur  la  connais- 
sance naturelle  de  Dieu?  2.  Quelle  est  la  doctrine  com- 
mune de  l'Église  sur  la  connaissance  de  l'Absolu'.' 
3.  Quelles  sont  les  limites  entre  lesquelles  peul  et  doit 
se  mouvoir  un  apologiste  catholique  et  hors  desquelles 
les  constructions  ou  concessions  apologétiques  cesse- 
raient d'être  conciliaires  soit  avec  le  dogme,  soit  avec 
l'enseignement  autorisé  dans  l'Église? 
II.  En  quel  sens  est  théologique  le  problème  de 

LA  POSSIBILITÉ  DE  LA  CONNAISSANCE  NATURELLE  DE  DIEU  ? 

—  Un  peut  très  bien  concevoir  comme  possible  dans 
l'abstrait,  bien  plus,  étant  donnée  la  condamnation  de 
la  proposition  53e  de  Baius,  la  masse  des  théologiens 
catholiques  considère  comme  possible  au  concret,  un 
état  de  l'humanité  ou  un  ordre  de  providence  dans 
lequel  aucunerévélation  proprement  dite  ne  serait  faite  à 
l'homme.  Dans  cet  état,  que  nous  pouvons  désigner  par 
le  nom  classique  d'état  de  nature  pure,  l'homme,  sans 
aucun  secours  strictement  surnaturel,  tant  d'ordre  sub- 
jectif que  d'ordre  objectif,  connaîtrait  Dieu  à  l'aide  de  ses 
facultés  naturelles  par  le  seul  témoignage  des  créatures. 
Supposons  cet  état  réalisé  :  1°  L'homme  pourrait  avoir 
la  connaissance  certaine  de  Dieu;  2°  il  pourrait  réflé- 
chir sur  cette  connaissance,  parce  que  la  faculté  de 
réfléchir  sur  les  opérations  de  notre  esprit  est  une  pro- 
priété  essentielle  de  notre  nature;  3°  comme,  d'ailleurs, 
créé  dans  un  tel  état,  l'homme  serait  exposé,  ainsi  qu'il 
est  aujourd'hui,  au  doute  et  à  l'erreur,  il  devra  il  avoir 
et  par  conséquent  —  c'est  l'hypothèse  —  aurait  le 
moyen  naturel  [debilum,  exigé]  de  résoudre  les  diffi- 
eullés  philosophiques  que  soulève  le  problème  de  la 
possibilité  de  connaître  Dieu  parles  lumières  naturelles. 
Ces  difficultés  peuvent  se  ramener  à  trois  chefs,  sui- 
vanl  qu'elles  sont  prises  :  1.  de  l'objet  de  noire  con- 
naissance; 2.    de  nos    facultés    de    connaître;  3.   de  la 

méthode  à  tenir  pour  parvenir  à  la  vérité'.  L'ensemble 

dt s  difficultés   constitue    ce  qu'on  appelle  depuis 

Kanl  le  problème  critique,  où  tout  se  réduit  en  der- 
nière analyse  à  l'examen  des  facultés  de  la  connaissance. 
Cf.  J.  F.  Buddeus,  Traité  de  l'athéisme  et  de  lasuper- 
Blition,  c.  vi,  Amsterdam.  1740.  p.  218.  D'où  l'on  con- 
clut, par  définition,  que  dans  l'étal  de  nature  pure, 
l'homme  aurait  le  moyen  de  résoudre  le  problème  cri- 
tique  el  que  ce  moyen  sérail  rigoureusement  naturel, 
cel  état,  la  possibilité  de  la  connaissance  natu- 
relle de  Dieu  sérail  donc  une  question  d'ordre  exclu- 

sivemenl   philosophique. 

Mais  H": vivons  pas  dans  l'état  de  nature  pun 

la  révélation  proprement  dite  nous  a  été  donnée.  On 

peui  -.,'  demander  si  le  fait  de  la  révélation  a  changé 

notre  situation  pic  rapport  au  problème  critique  qui 

nous  occupe.  Spéculativement,  deux  bypothèaes  sont 

possibles     1°  la  c  relation   positive  est  muette  sur  le 

naître  Dieu  par  le.  force-  naturelli 

la  i    télation  renferme  di  itions 

i  n\  hypothi  -■     lonl  |  Dieu 

étant  le  maître  de  la  mesure  ;  n  naturels, 

^i  la  pn  nu  re  étail  en  d  auti  il  la 

dépôt  «le  la  révélation  qui  nous  a  été  transmis  ne  con- 


759 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE) 


760 


tenait  rien  sur  la  possibilité  naturelle  de  connaître 
Dieu,  nous  serions  actuellement  en  face  du  problème 
critique  exactement  dans  la  situation  de  l'homme  créé 
dans  l'état  de  nature  pure;  ce  problème  serait  philo- 
sophique et  la  théologie  n'aurait  pas  à  s'en  occuper 
directement.  Si,  au  contraire,  la  seconde  hypothèse 
était  vérifiée,  nous  aurions  pour  la  solution  du  problème 
critique  des  éléments  nouveaux,  des  arguments  pro- 
prement théologiques.  Le  fait  de  la  révélation  de  ces 
éléments,  la  mise  en  œuvre  de  ces  arguments  ne  nous 
feraient  évidemment  rien  perdre  des  moyens  de  solu- 
tion de  ce  problème  qui  sont  dus  à  notre  nature  : 
ajouter  de  nouvelles  données  ne  serait  pas  supprimer 
celles  que  nous  fournissent  les  lumières  naturelles  de 
notre  raison;  ce  serait,  au  contraire,  faciliter  l'exercice 
de  notre  activité  naturelle.  Si  donc  Dieu  avait  bien  voulu 
nous  manifester  sa  pensée,  et  par  conséquent  la  vérité, 
sur  notre  pouvoir  naturel  de  le  connaître,  la  critique 
philosopbique  ne  serait  pas  éliminée;  mais,  à  l'examen 
philosopbique  se  juxtaposerait  un  examen  théologique; 
à  la  certitude  que  peut  produire  la  philosophie  se  su- 
perposerait la  certitude  qui  dérive  de  l'affirmation 
divine. 

Quiconque  a  saisi  la  portée  de  la  seconde  hypothèse 
que  nous  venons  de  faire,  voit  avec  évidence  que,  dans 
cette  hypothèse,  il  n'y  aurait  aucune  pétition  de  prin- 
cipe, aucun  cercle  vicieux,  à  traiter  dogmatiquement 
ou  théologiquement  du  problème  de  la  possibilité  de 
la  connaissance  naturelle  de  Dieu.  Or,  cette  hypothèse 
est  précisément  celle  que  la  foi  catholique  nous  en- 
seigne avoir  été  réalisée.  Donc,  sans  nous  attarder  à 
dire  ici  comment  les  conceptions  protestantes,  jansé- 
nistes, etc.,  sont  embarrassées  sur  cette  question  de 
méthode,  nous  pouvons  commencer  notre  exposé  théo- 
logique. La  suite  de  ce  travail  justifiera  d'ailleurs  notre 
position.  Cf.  Franzelin,  Le  Deo  uno,  Rome,  1883  ; 
Traclatus  de  divina  tradilione  et  Scriptura,  Appen- 
dix  de  habit udine  ralionis  humanse  ad  divinam  /idem, 
surtout  c.  m,  Rome,  1875,  p.  620. 

III.  Origine  historique  des  erreurs  condamnées  au 
concile  du  Vatican.  —  1°  C'est  un  fait  depuis  long- 
temps remarqué  et  universellement  admis  que 
l'athéisme  spéculatif,  très  rare  au  moyen  âge,  n'a  cessé 
de  devenir  de  plus  en  plus  fréquent  depuis  le  xvie  siè- 
cle :  on  peut  dire  que  le  scepticisme  et  l'athéisme  à 
l'état  endémique  datent  de  la  Renaissance  et  de  la 
Réforme.  Bayle,  si  empressé  à  grossir  le  nombre  des 
athées  anciens  et  modernes,  cite,  sans  oser  y  contre- 
dire absolument,  ces  paroles  de  Clavigny  de  Sainte- 
Honorine,  Discernement  et  usage  des  livres  suspects, 
p.  82  :  «  Je  ne  trouve  pas  d'athées  chez  nous  avant  le 
règne  de  François  Ier,  ni  en  Italie  qu'après  la  prise  de 
Constantinople.  »  Et,  de  fait,  avant  le  XVIe  siècle  on 
trouve  peu  d'écrits  pour  ou  contre  cette  forme  parti- 
culière de  scepticisme  qui  consiste  à  nier  ou  à  mettre 
en  doute  l'existence  de  Dieu,  tout  en  ayant  une  notion 
correcte  de  la  divinité.  A  partir  du  XVIe  siècle,  au  con- 
traire, le  scepticisme  universel  ou  le  pyrrhonisme  en 
religion  et  en  morale  pullule  de  toute  part.  Sur  ce 
point,  le  témoignage  des  protestants  s'accorde  avec 
celui  des  catholiques.  Le  ministre  Viret  (y  L">71)  nous 
apprend  qu'il  «  y  en  a  plusieurs  qui  confessent  bien 
qu'ils  croient  qu'il  y  a  quelque  Dieu  et  quelque  divi- 
nité...; mais  quant  à  Jésus-Christ...  ils  tiennent  tout 
cela  pour  fables  et  rêveries...  J'ai  entendu  qu'il  y  en  a 
de  cette  bande  qui  s'appellent  déistes,  d'un  mot  tout 
nouveau,  lequel  ils  veulent  opposer  à  a  théiste...  Ces 
déistes  se  moquent  de  toute  religion,  nonobstant  qu'ils 
s'accommodent  quant  à  l'apparence  extérieure  de  la 
religion  de  ceux  avec  lesquels  il  leur  faut  vivre,  et 
auxquels  ils  veulent  plaire,  ou  lesquels  ils  craignent. 
Et  entre  ceux-ci  il  y  en  a  les  uns  qui  ont  quelque  opi- 
nion de  l'immortalité  des  âmes  :  les  autres  en  jugent 


comme  les  épicuriens,  et  pareillement  de  la  providence 
de  Dieu   envers  les  hommes...  L'horreur  me  redouble 
que  plusieurs...  sont  infectés  de  cet  exécrable  athéisme. 
Par  quoi    nous  sommes    venus  en  un  temps  où  il  y  a 
danger  que  nous  n'ayons   plus  de  peine  à   combattre 
avec  tels  monstres  qu'avec  les  superstitieux  et  idolâtres 
(c'est-à-dire  les  papistes).  Car,  parmi  les  différends  qui 
sont  aujourd'hui  en  la   matière  de  religion,  plusieurs 
abusent  grandement  de  la   liberté  qui  leur  est  donnée 
de  suivre  des  deux  religions  qui  sont  en  différend,  ou 
l'une  ou  l'autre.  Car  il  y  en  a  plusieurs  qui  se  dispen- 
sent de  toutes  les  deux  et  qui  vivent  du  tout  sans  au- 
cune religion.   »  Viret,  Instruction   chrétienne,   1565, 
t.   il,  épitre  dédicatoire,  cité  par  Bayle,  art.   Viret.  Le 
théologien  espagnol  Vasque/  écrivait  un  peu  plus  tard: 
In  ea  vero  (alheorum)  senlenlia  noslro  sseculo  multi 
hœrelici  plane  conquiescunt.   l't  enini  testantur  He- 
dio,in  epist.  ad  Philip.  Melanchthonem,  et  Lindanus, 
in  suo  Dubitantio,  dutn  pravi  homines  hujus  tempo- 
ris  niaxima  inconstantia  ex  catholicis  /iuntlulheraui, 
e.c  lutheranis  zwingliani,  et  ex  his  calrinistœ  algue 
singulas  seclas  experiunlur  et  profitentur,  in  profun- 
dum  malorum  prolapsi  Deum  esse  negant.  InSum., 
I-'.disp.  XX,  c.  i.  Le  même  théologien  ajoutait,  dans  un 
passage  qu'on  ne  lit  que  tronqué  dans  les  vieilles  édi- 
tions de  Lyon,  «  qu'on  appelle  ces  athées  poliligues, 
parce  qn'avec  Machiavel  ils  ne   voient    plus   dans   la 
religion  qu'un  moyen  de  gouvernement,  témoin  Henri  III 
de   France,  dont  la  fin  devrait  leur  ouvrir  les  yeux.  » 
Outre  ces  témoignages  directs,  la  dilïusionde  l'athéisme 
au  xvie  siècle  se  prouverait  encore  parla  multiplication 
des  écrits  contre  les  athées.  Dans   l'épilre  dédicatoire 
que  nous  venons  de  citer,  le  ministre  Viret  avertissait 
le  lecteur  qu'il  augmentait    beaucoup  la  seconde  édi- 
tion de  son  ouvrage  :  a)  «  pour  ce  que  l'esprit  de  Dieu 
nous  propose  souvent,   es   saintes  Ecritures,   tout   ce 
monde   visible  comme  un  grand  livre  de  nature,  et  de 
vraie  théologie  naturelle;  b)  à  cause  de  l'athéisme.»  La 
même  pensée  et  la  même  préoccupation  amenèrent  le 
calviniste   Pacard,    ségusiain,  à   écrire    sa    Théologie 
naturelle  ou   recueil   contenant   plusieurs  arguments 
contre  les  épicuriens  et  athéisles  de  notre  temps,  La 
Hochelle,  1579.  Pacard  dédie  son  travail  à  François  de 
la  Rochefoucault.  prince  de  Marcillac,  et  lui  fait  cet  aveu  : 
«  Au  commencement  de  mon  ministère  j'ai  eu  à  com- 
battre plutôt  contre  telles  gens  (épicuriens  et  athées), 
que  contre  ceux  qui  nous  sont  adversaires  au  fait  de  la 
religion.  Et  Satan  ne  s'est  point  contenté  de  me  pour- 
suivre en  ce  commencement,  mais  m'a  presque  conti- 
nuellement exercé  en  cette  sorte  de  combat.  »  C'est  la 
mode  parmi   les  universitaires  de  crier  à  l'exagération 
quand  ils  lisent  dans  le  P.  Garasse  ou  dans  le  P.  Mer- 
senne  certains  chiffres  sur  le  nombre   des    athées  de 
leur  temps;  il  était  donc  utile  de  produire  les  aveux 
du  ministre  réformé  Pacard. 

2°  Après  avoir  constaté  le  fait  de  la  diffusion  de 
l'athéisme  à  partir  du  XVIe  siècle,  il  faut  dire  un  mot 
des  causes  de  ce  fait.  Évidemment,  il  faut  ici  se  gar- 
der des  explications  simplistes,  unilatérales,  et  du  so- 
phisme :  posl  h>>c.  ergo  propter  hoc,  auquel  les  cher- 
cheurs de  filiations  doctrinales  semblent  spécialement 
exposés.  Sans  doute,  l'histoire  ne  manque  pas  de  con- 
tinuité, mais  il  y  faut  laisser  une  large  place  à  la  con- 
tingence. Une  chose  est  nécessaire  :  le  rapport  de  con- 
venance ou  d'opposition  des  idées  entre  elles:  le  fait 
île  l'association  de  ces  mêmes  idées  en  tel  cerveau,  à 
telle  date,  est  chose  contingente,  qui  dépend  elle- 
même  de  beaucoup  de  contingences.  Ces  faits  contin- 
gents sont  l'objet  propre  de  l'histoire.  Constatés,  ils 
sont  du  plus  haut  intérêt  pour  le  psychologue,  dont  ils 
élargissent  le  champ  d'observation;  ils  sollicitent  l'at- 
tention du  métaphysicien  et  du  théologien  spéculatif, 
dont  ils  fécondent  les  méditations  sur  des  rapports  que, 


761 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE) 


762 


sans  eux,  il  n'eût  peut-être  pas  aperçus  ou  qu'il  eût 
négligés;  la  théologie  positive  fait  de  ces  contingences 
une  étude  minutieuse, d'abord,  parceque  celte  étude  est 
nécessaire  à  l'intelligence  des  données  traditionnelles, 
dont  un  théologien  ne  doit  jamais  s'écarter  quand  il 
expose  les  sources  de  la  doctrine;  ensuite,  parce  que 
cette  étude  est  très  utile  à  l'interprétation  des  docu- 
ments ecclésiastiques,  dont  le  contenu  doctrinal,  in- 
variable depuis  les  temps  apostoliques,  prend  de  nou- 
veaux sens  adversatifs  à  mesure  que  paraissent  de  nou- 
velles erreurs.  Mais  de  la  contingence  même  de  ces 
faits  résulte  l'extrême  difficulté,  sinon  l'impossibilité, 
de  leur  appliquer  convenablement  les  régies  de  la 
méthode  d'induction;  et  c'est  ce  que,  dans  leurs  affir- 
mations de  filiations  et  de  dépendances,  semblent 
oublier  beaucoup  de  nos  contemporains,  dont  la  spé- 
cialité est  d'exercer  leur  flair  sur  l'histoire  des  dogmes, 
sur  la  philosophie  ou  la  théologie  historiques,  et  plus 
généralement  sur  l'histoire  plus  ou  moins  comparée 
des  religions.  Dans  toutes  ces  histoires  à  visées  phi- 
losophiques, le  sophisme  non  causa  pro  causa  est 
l'abime  perpétuellement  côtoyé.  Enfin,  l'on  accordera 
qu'il  est  bien  hasardeux  de  prétendre  déterminer 
exactement  la  genèse  du  théisme  ou  de  l'athéisme  dans 
un  individu  donné.  Quù  enim  hominum  scit  quœ 
stint  hominis  nisi  spirilus  hominis  qui  in  ipso  est? 
I  Cor.,  il,  11. 

3°  Sous  le  bénéfice  de  ces  réserves,  nous  pouvons 
nous  dispenser  de  discuter  beaucoup  de  prétendues 
causes  de  l'athéisme  moderne  souvent  alléguées  par 
des  auteurs  protestants,  qu'il  est  inutile  de  nommer  et 
qui  ont  soutenu  longtemps,  par  exemple,  que  l'Église 
romaine  est  athée,  parce  que  pélagienne;  que  les  sco- 
lastiques  sont  alliées,  parce  que  disciples  d'Aristote  et 
donc  partisans  du  système  de  la  matière  et  de  la  forme, 
des  générations  spontanées,  etc.;  que  les  jésuites  sont 
athées,  parce  que  leur  politique  est  celle  de  Machiavel; 
que  les  cartésiens  sont  alliées,  parce  qu'ils  usent  du 
doute  méthodique,  etc.,  etc.  Nous  pouvons  de  même 
négliger  cette  observation,  que  reprit,  au  xix,;  siècle, 
l'abbé  Gaume  dans  sa  lutte  contre  les  classiques 
païens  :  ItaXorum  philologiœ  majusquam  verm  theo- 
logiœ  studium,  )>oeta>um  Italorum  elhnicismiun . 
Le  luthérien    Reimann,  qui,  un   siècle   avant  damne, 

ne  ces  deux  causes  à  l'athéisme  des  papisles  ita- 
liens, s'appuie  sur  l'autorité  de  Philippe  de  Hornay, 
De  verilate  religionis  christianœ,  c.  xxvi,  p.  567,  de 
Gisbertus  Voêtius,  Paralip.,  t.  i,  p.  I  146,  cl  de  Bayle, 
Dictionnaire,  p.  2920.  Cf.  Lotterus,  De  causis  atheismi, 
Leipzig,  1711.  Nous  n'avons  pas  davantage  ■<  nous  arrê- 
ter à  uni'  autre  cause  du  'le  l'irréligion,  sou- 
vent mise  en  avant  depuis  Voltaire, à  savoir  le  progrès 
cl.-  lumières  el  des  sciences  Mise  à  la  mode  el  exploi- 
tée par  les  philosophes  du  xviii»  siècle,  celle  prétendue 
cause  et  excuse  de  l'athéisme  est  devenue,  chez 
Auguste  Comte,  /"  l<>i  des  trais  états.  Connue  dans 
h-  deui  cas  précédents,  nous  sommes  ici  en  face  du 
sophisme  non  causa  pro  causa,  el  d'une  induction 
Incorrecte.  I>u  fait  de  la  liaison  contingente  de 
l'athéisme  el  de  la  culture  littéraire  ou  scientifique 
dans  qui  Iques  cerveaux,  on  pisse  à  l'affirmation  d'un 
rapport  nécessaire,  d'un  l'ail  universel.  Or,  il  est  histo- 
riquemenl  prouvé  que  les  vrais  initiateurs  du  merveil- 
leux progrès  di  iciences  modernes  ne  furent  ps 
alliées,  que, parmi  nos  contemporains, beaucoup di 

•  i  qu'il  •  h   ■  -i  de  dévots.  <»n   saii 

i  que  les  principe-,  directeurs  de  la  u  ii  n< 

plus  favorabli  me  qu'à  l'athéisme  ou  même 

.m  déisme.  Cf.  le  bon  travail   du  prolestant  i.  Navllle, 

La  phy$iq[  dil  .  Pai  ls,  1800.  il  esl  de  mi  me 

in  que  la  théol  i  andemenl  aidé 

su  il                   ni  de  i  i    ,  ntiflqus  tnodei  n 

■  o    ■  prépart  li ne  i    Voir,  a  o   itijat,  de  bonnes 


indications,  remarquées  autrefois  par  Renouvier,  dans 
Fréd.  Morin,  Dictionnaire  de  philosophie  et  de  théolo- 
gie scolastique,  2  vol.,  Paris,  1856,  dans  la  troisième 
Encyclopédie  théologique  de  Migne,  t.  xxi,  xxn.  Enfin, 
qui  croit  encore  aujourd'hui  à  la   loi   des  trois  états'.' 

11  en  va  autrement,  croyons-nous,  d'une  autre  cause 
de  la  diffusion  de  l'athéisme  dans  les  temps  modernes, 
à  laquelle  nous  avons  fait  allusion,  le  protestantisme. 
C'est  ce  qu'il  est  nécessaire  d'expliquer,  pour  exposer 
clairement  et  dans  son  entier  le  coté  théologique  du 
problème  de  la  connaissance  naturelle  de  Dieu.  Ces 
doctrines  protestantes  nous  donneront  la  clef  des  er- 
reurs jansénistes,  traditionalistes  et  modernistes,  et 
nous  fourniront  l'occasion  d'indiquer  le  rôle  du  nomi- 
nalisme  et  du  pseudo-mysticisme  dans  le  problème 
de  l'athéisme  et  de  l'agnosticisme. 

IV.  Le  protestantisme.  —  1»  Un  certain  nombre  de 
protestants  allemands  ont  affecté  de  déclarer,  après 
l'encyclique  Pascendi,  que  leur  protestantisme  n'a  rien 
à  voir  avec  le  modernisme.  De  même,  beaucoup  de  catho- 
liques ont  été  surpris,  lorsqu'ils  ont  entendu  la  même 
encyclique  rapprocher  le  modernisme  du  protestantisme, 
et  les  deux  de  l'athéisme.  Le  concile  du  Vatican,  dans 
le  préambule  de  la  constitution  Dei  Filins,  avait  déjà 
souligné  le  fait  de  la  coïncidence  de  l'apparition  de  la 
Réforme  et  de  la  diffusion  de  l'athéisme.  Cf.  Acta  con- 
cilii  Yalicani,  dans  Colleciio  Lacensis,  t.  vu,  col.  219. 
Il  est  à  remarquer  que  le  concile  écarta  une  première 
rédaction  où  la  filiation  des  doctrines  parut  trop  inar- 
quée. Cf.  ibid.,  col.  507,  1612  sq.,  1628,  1648  sq.,  70, 
91,  emend.  9,  n.  4;  puis  col.  96,  nouvelle  rédaction. 
Notons  ensuite  avec  soin  que  ce  préambule  historique 
ou,  si  l'on  veut,  ce  morceau  d'histoire  des  doctrines 
n'est  pas  de  foi;  la  chose  est  évidente;  et  le  rapporteur 
eut  soin  de  le  déclarer  en  plein  concile  :  cum  prœam- 
bulum...  ad  /idem,  ad  doctrina))/  minime  pertincal, 
Acta,  col.  91.  Mais  ce  préambule  reproduit  la  pensée 
commune  des  théologiens  catholiques  depuis  le  xvi«  siè- 
cle. Ainsi,  par  exemple  les  dissertations  [X -XI  du  traité 
De  religionc  de  Neubaer  dans  Tlteologia  Wircebur- 
gensis,  t.  Il,  écrites  dans  h  seconde  moitié  du  xviii"  siè- 
cle, pourraient  servir  de  commentaire  au  texte  du 
concile  et  par  suite  à  l'encyclique  Pascendi  qui  ne  fait 
guère,  sur  ce  point,  que  répéter  le  concile. 

Les  deux  faits  suivants  justifient  la  pensée  commune 
des  théologiens  catholiques  sur  les  rapports  du  protes- 
tantisme el  de  l'athéisme,  ou  de  l'agnosticisme 
1  ■'  Aux  témoignages  déjà  cités  du  calviniste  Viret  et  du 
jésuite  Vasquez,  on  pourrait  joindre  ceux  d'autres 
écrivains  s'accordant  à  considérer  la  liberté  de  penser 
et  la  fluctuation  entre  les  différentes  sectes  issues  du 
protestantisme,  comme  liées  au  développement  du 
déisme  el  de  l'athéisme.  Les  controversistes  protestants 
ci  catholiques  du  xvr»  siècle  j  reviennent  fréquemment. 
Ainsi,  pour  lîacon  de  Verulam,  la  principale  caus,  de 
l'athéisme  est  la  multiplicité'  des  religions,  divisiones 
circa  religionem.  Sermones  fidèles,  xvi,  de  atheismo, 
I 1res,  1(538,  p.  184.  L'érudit  Spizelius,  de  la  con- 
fession d'Augsbourg,  s'accordait  encore  mieux  que 
Bacon  avec  Vasque/.,  qu'il  cite  à  plusieurs  reprises, 
De  atheismo  eradicaiido,  Augsbourg,  1660;  d'après  lui. 
De  atheismi  radiée,  epUt.  ad  Henr.  Sleibomium, 
p. 30,  cen'i   I  pu  précisément  la  diversit  ions, 

le  mélange  «les  religions,  le  changement  de  reli- 
gion, qui  est  la   cause  principale  du  mal.  Cu/us    i, 

cjuë  religiot  -     i  On  accordera  que  le  protestantisme 

libéral,  qui  ne  >  herche  déjà  plus  à  éi  Iter  î'agnosticis 

ie  vers  l'athéisme.  <  >r.  de  tous  cotés,  le  proteatan- 
libéral   se  vante  de  n  êti  s   que  le  dé'  eloppement 
complet  dei  doctrines  de  Luther  •■!  ds  Calvin,  On  s. ut 
que   les   polémistes   catholiques  écrivirent    de    bonne 
lieun  ipelaienl  les      athéi 

Luthei  ilvin. 


703 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE) 


764 


Cette  littérature  futabon  lante.  Citons  Claude  de  Sainctes,  plue 
tard  évêque  d'Évreux,  Déclaration  //'aucuns  alhéismea  de 
la  doctrine  de  Calvin  et  de  Bèze,  contre  lespremiers  fonde- 
ments de  lu  chrétienté,  etc.,  Paris,  1568  ;  Posscvino,  Ath 
Lutheri,  Melanchthonis,  Calvini,  liezve,  ubiquetariorum, 
anabaptistarum,  picardorum,  puritanorum,  urianorum  et 
aliorum  nostri  temporis  hsereticorum,  Vilna,  15W3  ;  ld.,  Biblio- 
theca  selecta,  l.  VIII,  Rome,  1503  ;  ld.,  Judicium  de  Xuoe 
militis  ijalli  scriptis,  etc.,  Lyon,  1593  :  contre  François  de  la 
Noue,  Jean  lîodin,  Philippe  du  Plessis-Mornay,  Machiavel,  etc.; 
Keuardent,  Tlieomachia  culvinistica  XVI  libris  profligata 
quibus  mille  et  quadringeiiti  hujus  sectœ  novissimse  errores 
diligenter  excutiuntur  et  profligantur,  1604.  On  trouve  des 
réminiscences  de  ces  écrits  polémiques  dans  Garasse,  Somme 
théologique  des  vérités  capitales,  Paris,  1025,  a  vert.,  p.  35;  1.  I, 
et  surtout  1.  II,  contre  l'agnosticisme  (athéisme  couvert)  de  Char- 
ron; Mersenne,  Quxstiones  celeberrimse  in  Genesim.  In  hoc 
volumine  atkei  et  deistx  impugnantur,  Paris,  1623,  col.  15- 
676;  ld.,  L'impiété  des  déistes,  alliées  et  libertins  de  ce  temps 
combattue  et  renversée,  Paris.  1624;  voir  c.  ix,  x,  le  juge- 
ment sur  Charron,  Cardan  et  Bruno;  Théoph.  Raynaud,  Erote- 
mata  de  bonis  et  malts  libris,  part.I.erot.  3  et  4,  dansOpera, 
Lyon,  1665,  t.  xi,  p.  211. 

Durant  trois  siècles,  les  protestants  mirent  sur  le 
compte  de  «  la  rage  des  papistes  »  et  sur  «  l'esprit  de 
parti  »  les  conséquences  athées  que  les  polémistes  ca- 
tholiques déduisaient  des  écrits  des  réformateurs.  Ce 
n'était  certes  pas  sans  quelques  fondements  que  luthé- 
riens et  réformés  rejetaient  l'épithèle  d'atliéisles  ;  car 
si  athée  signifie  «  qui  n'admet  point  de  Dieu,  »  ni 
Luther  ni  Calvin  n'étaient  athées.  Les  auteurs  catho- 
liques dont  nous  parlons  avaient  donc  tort  d'employer, 
sans  toujours  le  bien  définir,  un  terme  péjoratif  très 
odieux.  Mais  de  cette  concession,  que  nous  faisons  très 
volontiers,  à  conclure  que  les  conlroversisles  catho- 
liques étaient  aveuglés  par  la  rage  papiste,  il  va  loin.  Au 
contraire,  ce  qui  se  passe  depuis  cent  ans  dans  le  monde 
protestant  démontre  que  nos  théologiens  voyaient  juste. 
En  effet,  sous  le  nom  d'athéismes  de  Luther,  de  Calvin, 
etc.,  que  désignaient-ils?  Qu'on  les  relise  avec  soin, 
sans  s'arrêter  à  l'écorce  des  mots;  ce  terme  d'athéisme 
désigne  chez  eux  ce  que  nous  nommons  aujourd'hui 
naturalisme,  rationalisme,  panthéisme,  agnosticisme. 
Or,  il  n'est  pas  rare  que  les  mêmes  textes  de  Luther  et 
de  Calvin  qui  servirent  à  de  Sainctes,  à  Possevin,  à 
Feuardent,  etc.,  pour  dénoncer  au  monde  chrétien  ce 
qu'ils  appelaient  en  bloc  «l'athéisme  »,  soient  précisé- 
menteeux  sur  lesquels  s'appuyaient,  il  y  a  quatre-vingts 
ans,  Wegscheider  et  Bretschncider  pour  prouver  l'iden- 
tité du  protestantisme  et  du  rationalisme,  ou  ceux  que 
mettent  en  avant  de  nos  jours  llarnack,  Plleiderer, 
Sabatier,  Paulsen,  etc.,  pour  se  persuader  qu'ils  sont 
encore  protestants,  tout  en  ayant  depuis  longtemps 
cessé  d'être  chrétiens  ou  même  déistes.  Nous  pouvons 
donc  conclure  que,  si  l'anglican  Bacon,  le  calviniste 
Viret,  le  luthérien  Spizelius  étaient  d'accord  avec  le 
jésuite  espagnol  Yasquez  pour  reconnaître  une  coïnci- 
dence de  fait  et  quelque  liaison  entre  l'hérésie  protes- 
tante et  la  diffusion  de  l'athéisme  proprement  dit,  de 
nos  jours  les  protestants  libéraux  pensent,  comme  de 
Sainctes,  Possevin,  Feuardent,  Mersenne,  Garasse  et 
Raynaud,  que  la  doctrine  protestante  contenait  en  germe 
toutes  les  thèses  que  nous  voyons  systématiquement 
développées  autour  de  nous  et  dont  l'aboutissement 
naturel  n'est  autre  que  l'athéisme  pur  et  simple.  Le 
cours  de  l'histoire  n'a  donc  fait  que  confirmer  ce  que 
la  perspicacité  des  théologiens  catholiques  avait  deviné, 
cf.  Duns  Scot,  In  IV  Sent.,  q.  tu,  prologi,  qu;est.  later.2, 
Ex  diclis ;  Yasquez,  In  Sum.,  Ia,  disp.  X,  n.  8,  15;  el 
le  protestantisme  libéral,  en  se  rattachant  aux  doctrines 
des  premiers  réformés. justifie  les  assertions  historiques 
du  concile  du  Vatican.  D'ailleurs,  nous  pouvons  négli- 
ger les  réclamations  de  certains  protestants  libéraux 
allemands  contre  l'encyclique  :  L'encyclique,  démas- 
quant le   modernisme,  démasquait  du   même  coup  le 


protestantisme  libéral  ;  de  là,  chez  certains  protestants 
libéraux,  la  préoccupatipn  de  séparer  leur  cause  de 
celle  du  modernisme.  Mais  l'attitude  que  le  protestan- 
tisme libéral  dans  son  ensemble  a  prise  à  l'égard  du 
modernisme,  condamné  par  Rome,  montre  assez  que 
la  parenté  des  doctrines  n'est  pas  imaginaire. 

2°  Ce  serait  pourtant  manquer  de  toute  justice  et  de 
toute  mesure  que  de  prétendre  que  les  protestants 
sont  tous  et  fatalement  sur  le  chemin  de  l'athéisme  ou 
de  l'agnosticisme.  Il  n'en  est  heureusement  rien.  Les 
excès  de  quelques-uns  de  ses  premiers  adeptes 
effrayèrent  Luther,  comme  plus  tard  le  socinianisme 
lit  reculer  le  calvinisme.  Aussi,  dès  ses  débuts,  le  pro- 
testantisme eut-il  une  théologie  ou  science  de  Dieu; 
les  Loci  communes  de  Mélanchthon  sont  célèbres;  le 
calviniste  Yirel,  nous  l'avons  dit,  donnait  des  preuves 
philosophiques  de  l'existence  de  Dieu;  la  Théologie 
naturelle  du  huguenot  Pacard  a  pour  épigraphe  Rom.,  I, 
20.  La  bibliographie  des  ouvrages  protestants  anciens 
du  même  genre  est  immense.  Disons  simplement  que 
Lobstein  a  raison  d'affirmer  que  «  la  Réforme  n'en- 
tama point  la  notion  consacrée  du  Dieu  personnel.  I 
Etudes  sur  la  doctrine  chrétienne  de  Dieu,  Paris  et 
Lausanne,  1907,  p.  160.  Et,  grâce  à  Dieu,  il  serait  facile  de 
citer  parmi  les  protestants  contemporains  beaucoup 
d'écrivains  dont  la  pensée  est  correcte  sur  le  sujet  qui 
nous  occupe.  C'est  une  appréciation  très  fausse,  pro- 
pagée à  dessein  par  les  modernistes  dans  les  pays 
néo-latins,  que  tout  le  monde  protestant  partage  leurs 
idées  sur  l'impuissance  de  la  raison  à  connaître  Dieu; 
il  suffît  de  vivre  en  pays  protestant  pour  savoir  que 
c'est  calomnie  pure.  D'ailleurs,  à  côté  de  la  littérature 
du  protestantisme  libéral  dont  on  fait  tant  de  bruit,  il 
y  a,  aussi  bien  en  Allemagne  et  aux  États-Unis  qu'en 
Angleterre,  en  Suisse  et  même  en  France,  tout  un  monde 
de  penseurs  protestants  qui  sont  aussi  éloignés  que 
nous  de  Hume  et  de  Comte,  de  Kant  et  de  Ritscbl,  de 
Buchner  et  de  Spinoza;  il  y  a  du  reste  longtemps  que 
l'on  a  remarqué  que  «  rien  n'est  moins  voltairien  qu'un 
huguenot  »  orthodoxe.  Lorsque  donc  les  théologiens 
catholiques  rapprochent  les  doctrines  de  la  Réforme 
de  l'athéisme,  leur  pensée  ne  vise  pas  l'ensemble  des 
doctrines  ;  on  veut  simplement  énoncer  un  fait  :  la 
coïncidence  du  développement  de  l'hérésie  protestante 
et  de  l'athéisme;  et  on  explique  celte  coïncidence  d'une 
manière  générale  par  la  mentalité  faite  aux  protestants 
par  quelques-unes  de  leurs  doctrines,  d'une  façon  plus 
spéciale,  par  les  liaisons  logiques  de  ces  doctrines  avec 
certaines  positions  philosophiques,  qui  conduisent  au 
lidéisme,  à  l'agnosticisme  ou  à  l'athéisme. 

3°  Dans  tout  ce  travail,  qu'il  s'agisse  des  protestants 
ou  des  modernistes,  nous  n'avons  en  vue.  même  lorsque 
nous  donnons  des  noms  propres,  ni  les  croyances  per- 
sonnelles, ni  la  foi  subjective  des  individus.  Il  n'est 
question  que  des  idées  et  de  leur  liaison  ai  eenotre  sujet. 
Hans  l'histoire  des  sciences,  on  discute  la  valeur  d'une 
hypothèse  comme  d'un  objet  qui  n'a  rien  à  voir  avec 
la  personnalité  de  son  auteur.  Les  juristes  et  les  mo- 
ralistes rejettent  tous  les  jours  tel  principe  d'un  au- 
teur classique  sans  mettre  en  question  sa  moralité. 
Les  théologiens  font  de  même.  Dans  le  cas  particulier 
qui  nous  occupe,  nous  sommes  d'autant  plus  à  l'aise 
pour  procéder  ainsi  scientifiquement  que  nous  tenons, 
avec  h  doctrine  commune  des  Pères  et  de  l'Ecole,  que 
l'idée  de  Dieu  est  rarement  absente  chez  l'homme 
normal;  car  la  croyance  en  Dieu  naît  et  s'impose  spon- 
tanément. Cf.  Dictionnaire  apologétique  de  la  foi  ca- 
tholique, Paris,  1900,  t.  i,  col.  10  sq.  D'où  il  suit,  par 
exemple,  que  si  nous  voyons  M.  Lobstein,  qui  est 
symbolo-lidéiste,  protester  qu'il  admet  un  Dieu  per- 
sonnel, nous  n'avons  aucune  raison  de  mettre  en 
doute  sonaflirmation,  bien  que  nous  soyons  convaincu 
(iiie  les    Études  sur  la  doctrine  chrétienne  de  Dieu 


765 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE) 


766 


du  même  auteur  ne  justifient  et  ne  légitiment  pas  cette 
ferme  croyance.  D'ailleurs,  et  d'une  façon  générale,  un 
écrivain,  protestant  ou  catholique,  peut  avoir  et  dé- 
fendre une  idée  sans  en  voir  toutes  les  conséquences 
logiques.  Par  exemple,  tel  principe  d'Occam  peut  avoir 
l'athéisme  spéculatif  ou  l'agnosticisme  comme  consé- 
quence logique,  sans  qu'Occam  ait  admis  ou  entrevu 
ce  lien,  faute  de  pénétration  ou  d'examen.  Et  quand  il 
s'agit  du  cas  particulier  de  l'idée  de  Dieu,  rien  n'est  plus 
facile  à  expliquer  qu'une  telle  inadvertance,  parce  que 
l'idée  de  Dieu  est  chez,  nous  antérieure  à  la  réllexion 
philosophique.  Cette  antériorité  explique  pourquoi 
tant  de  philosophes  modernes,  qui  réfutent  Descartes, 
se  donnent  l'équivalent  de  l'idée  innée  de  Dieu,  que 
leurs  philosophies  seraient  incapahles  de  leur  fournir. 
Est-ce  un  mal  de  constater  celte  impuissance  et  de 
dire,  par  exemple,  que  dans  le  système  d'Occam  et 
dans  la  Grammar  of  assent  de  Newman,  on  se  donne 
l'idée  de  Dieu  ?  Cf.  Fifleen  sermons,  xv,  n.  41,  où, 
pour  éviter  le  sombre  scepticisme  qu'engendrent  les 
théories  modernes  sur  la  connaissance,  Newman  fait 
entrer  en  ligne  de  compte,  comme  Victor  Cousin, 
«  l'existence  et  la  providence  de  Dieu,  d'un  Dieu  qui 
est  à  la  fois  miséricorde  et  vérité.  »  —  Il  arrive  sou- 
vent qu'un  auteur  énonce  un  principe  ou  fasse  une 
théorie  inconciliables  avec  le  dogme  ou  avec  la  théologie 
et  qu'ailleurs,  dans  le  même  ouvrage,  cet  auteur  atté- 
nue ses  dires;  il  arrive  aussi  que,  soit  par  suite  du 
progrès  de  sa  pensée,  soit  comme  résultat  de  polé- 
miques, cet  auteur  modifie  ses  premières  vues  ou  même 
les  abandonne.  Le  critique  des  idées  n'a  pas  à  s'occuper 
de  ces  contingences,  pourvu  qu'il  prenne  bien  le  sens 
de  l'auteur  qu'il  cite  dans  le  passage  précis  auquel  il 
renvoie.  C'est  au  lecteur  à  ne  pas  généraliser  et  à  se 
souvenir  qu'une  discussion  sur  le  rapport  des  idées 
n'estpas  le  tableau  littéraire'dela  mentalité  d'un  auteur 
ni  l'histoire  de  sa  pensée  intime. 

i  Si  étonnant  que  le  fait  puisse  paraître  au  scepti- 
cisme et  au  rationalisme  modernes,  c'est  sur  un  terrain 
proprement  théologique  que  se  posa  le  problème  de  la 
connaissance  naturelle  de  Dieu,  à  l'époque  de  la  Réforme. 
Laissons  de  coté  la  question  des  origines  psychologiques 
des  erreurs  de  Luther  sur  laquelle  on  discute  encore, 
il  reste  que  la  doctrine  de  la  justification  est  la  base 
de  tout  le  système  protestant,  et  que  celle-ci  repose 
sur  la  doctrine  luthérienne  de  la  chnte  originelle.  Voir 

Justification,    P originel.    D'après  Luther,  la 

concupiscence,  que  n'avait  poinl  Adam,  est  chez  nous 
insurmontable,  car  le  libre  arbitre  a  péri;  et  de  même 
que  les  énergies  de  notre  volonté  pour  le  bien  ont  dis- 
paru, noire  raison  naturelle  a  été  obscurcie.  Incapable 
d'aimer  Dieu  sans  péché,  l'homme,  même  justifié,  n'a 
gardé  la  raison  qu'en  matière  de  boire  et  de  manger, 
de  chevaux  et  de  mariages,  d'objets  terrestres.  Impuis- 
sant à    toute    vertu    naturelle,    virtutei    paganorum 

tplendida   vitia,  I  homn >t  aveugle  pour  les  choses 

divines.  Attaque''.  Luther  nia  les  droits  de  la  philosophie 
et  de  la  tb  péculative,  puis,  il  eut  recours  contre 

b's  sorbonistes  à   la  théorie  des  deux  vérités  :   verum 
vero  contradicei  e  polat.  Enfin,  contre  1rs  anabaptistes, 
qui  prétendaient  que  l'exercice  de  la  i  ai  on  esl  la  condi- 
tion de  la  foi,  il  soutint  que  les  lumières  fumeu 
la  raison  ne  sont  que  ténèbres  puantes   wieein  Drech 

•.s  sur  ces  violences  de  I  '■ 

d<   i"  n  ■  e,  bien  qu'elles  aient  pi  • 
ne  point  s'étonner    de   rencontrer 
partout  di    antinomi       de  la  conception  luthérienne 
de  li  chule  originelle,  il  était  logique  de 
lure  à  l'impossibilité  di    tonte  connaissant   natu- 
relle de  Dieu,  el  la  conclusion  fut  d<  duile,  Calvin,  tout 
oncédanl  la  connaissanci   naturelle  de     quel 

Dieu    .  nia  la  possibilité  de  la  i  on nce  naturelle 

du  i  »r.n   Dieu       l  lai  i  u     ni  ricui  alla   plus  loin  i  I 


soutint  que,  si  nous  avons  été  faits  à  l'image  de  Dieu, 
ce  miroir  a  été  brisé.  De  cette  image  il  nous  reste,  il 
est  vrai,  quelque  chose,  mais  c'est  seulement  quoddam 
perversum  et  distortum  lumen,  quod  verum  Deum 
ejusque  relijionem  damnel  ut  extremam  stultitiam 
et  falsos  deos  ut  colendos  monstre!.  Cicéron  parle 
d'une  certaine  prolepsis  de  la  divinité  admise  par 
Epicure.  Cette  anticipation  est  réelle,  dit  Illyricus; 
mais,  au  lieu  du  vrai  Dieu,  ce  qu'elle  nous  représente, 
c'est  le  polythéisme  anthropomorphique,  quod  dii  sint 
jihires  et  humanam  forniam  habeant. 

On  trouvera  les  textes  de  Calvin  au  premier  livre  de  l'Insti- 
tution chrétienne,  s  qui  est  de  connaître  Dieu  en  titre  et  qualité 
de  créateur  et  souverain  gouverneur  du  monde,  »  Genève, 
1502.  Voir  aussi  1.  II,  c.  il,  «  Que  l'homme  est  maintenant 
dépouillé  de  franc  arbitre  et  misérablement  assujetti  à  tout  mal.  j> 
Le  P.  Mersenne.  Quxstiones  celeberrinix  in  Gcnesim,  Paris 
1623,  col.  233  sq.,  donne  toute  l'argumentation  de  Flaccus  Illy- 
ricus. «  Illyricus,  observe  Mersenne,  ne  nie  pas  ex  professo  et 
directement  l'existence  de  Dieu,  cependant  par  une  conséquence 
—  légitime  ou  non,  peu  importe  ici  —  il  est  certain  que  plusieurs 
en  partant  de  cet  axiome  que  nousiie  connaissons  pas  ce  qu'est 
Dieu,  arrivent  à  se  persuader  qu'il  n'existe  pas.  Il  est  donc 
nécessaire  de  discuter  les  arguments  d'Illyricus,  qui  sont  au 
nombre  de  seize.  »  Cf.  Bellarmin,  Controv.  de  tjratia  et  libero 
arbitriez,  1.  IV,  c.  Il,  Lyon,  159G,  t.  m,  p.  529;  J.  de  la  Servière, 
La  théologie  île  Bellarmin,  Paris,  1908,  p.  613;  Kleul^en,  De 
ipso  Ueo,  Hatisbonne,  1881,  n.115;  < k>nst.  Germanus,  Re/orma- 
torenbilder,  Fiïbourg-en-Drisgau,  1883,  p.  90;  Lobstein,  Études 
sur  la  doctrine  chrétienne  de  Dieu,  Paris,  1907,  p.  111. 

D'autres  protestants  sont  arrivés  à  se  défier  de  la 
raison  naturelle  en  matière  religieuse  par  des  voies 
plus  courtes,  par  la  doctrine  de  la  «  Bible  seule  ».  Il 
existe  en  Ecosse  une  secte  fondée  au  xvine  siècle  par 
John  Barclay  et  nommée  «  les  béréans  ».  Elle  a  pris  ce 
nom,  parce  qu'elle  se  pique  d'imiter  les  habitants  de 
Rérée,  dont  il  est  dit,  Act.,  xvn,  11  :  Suiceperunl  ver 
bum  cttm  omni  avidilale,  quolidie  scrutantes  Scrip- 
luras,  si  ila  se  haberent.  Certes,  celle  origine  textuelle 
n'a  rien  de  philosophique.  Cependant,  voyez  les  consé 
quences  que  l'on  a  déduites  de  ce  texte  scripturaire. 
En  ce  qui  touche  la  connaissance  de  Dieu,  les  béréans 
professent  «  que  la  majorité  des  prétendus  chrétiens 
errent  sur  le  seuil  même  de  la  révélation  ;  en  admet- 
tant une  religion  naturelle,  des  connaissances  natu- 
relles, etc.,  non  fondées  sur  la  révélation  ou  non 
dérivées  d'elle  par  voie  de  tradition,  ces  prétendus 
chrétiens  rendent  impossible  toute  apologétique  du 
christianisme  :  car  l'incrédule,  si  on  lui  concède  qu'il 
peut  connaître  Dieu  par  les  forces  naturelles  de  sa 
raison,  prétendra  que  la  parole  de  Dieu  est  inutile.  Il 
faut  donc  soutenir  que  sans  la  révélation  nous  n'au- 
rions pas  même  l'idée  eh'  Dieu.  »  Cf.  The  denonrina- 
tional  reason  why...  giving  the  origin...  of  tlie  Christ- 
ian secls,  Londres,  1890,  p.  22G.  n.  77  sq,  Voila  donc 
toute  une  philosophie,  toute  une  méthode  d'apologé- 
tique, fondée,  non  pas  sur  l'observation  ou  l'induction, 
mais  sur  un  bout  de  texte  mal  compris.  Il  y  a  dans  le 
monde  pi ti s  de  béréans  que  l'on  ne  pense. 

i  incluons.  Entendu  au  sens  catholique,  le  dogme  de 
la  chute  originelle  ne  nous  prive  que  des  dons   surna- 

turels  d'Ail indebita simplicité)' et  secundum quid). 

Entendu  au  sens  protestant,  le  même  dogme  constitue 
une  déchéance,  non  pas  seulement  de  l'étal  historique 

ou   vécut   Adam,  mais    bien    de  uns   facultés   naturelles. 

Or,  un'  de  ces  (acuités  est  la  raison,  puissance  natu- 
relle qui, entre  autres,  a  Dieu  pour  objet.  Luther, Calvin, 
us  [llyricus,  etc.,  déclarent  celte  puissance  inca- 
pable d'atteindre  cet  objet.  D'autres  arrivent  au  m 
résultat  en  exagérant  la  néo  ssité  de  la  révélation  et  par 
suite  en  mettant  le   I  'le  la  reli| 

D'où  cette  conséquence:  tout  système  philosophique 
qui  tend  ■>   déprimer  la  raison,  à  en  nier  la  valeur,  à 

prouver   qii  •  n   m  île  re    n  lïgiet  Unes  e ne 


767 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE] 


768 


les  brutes,  est  un  confirmatur  de  la  thèse  fondamen- 
tale du  protestantisme;  le  mouvement  anti-intellectua- 
liste actuel  est  foncièrement  protestant.  L'Eglise  catho- 
lique, au  contraire,  prend  la  défense  de  la  raison. 
M.  Ollé-Laprune  a  fort  bien  dit  :  «  L'Eglise  condamne 
tout  fidéisme.  Elle  qui,  sans  la  foi,  ne  serait  pas,  elle 
commence  par  rejeter,  comme  contraire  à  la  pure 
essence  de  la  foi,  une  doctrine  qui  réduirait  tout  à  la 
foi.  L'ordre  de  la  foi  n'est  assuré  que  si  l'ordre  de  la 
raison  est  maintenu.  »  Ce  qu'on  va  chercher  à  Rome, 
Paris,  1895,  p.  36.  Ce  n'est  rien  dire  de  trop;  et  le  con- 
cile du  Vatican,  en  délinissant  que  nous  pouvons  con- 
naître Dieu  par  les  lumières  naturelles  de  notre  raison, 
avait  explicitement  en  vue  de  défendre  les  droits  de  la 
raison.  «  Il  semble,  disait  M«r  Simor,  primat  de  Hon- 
grie, un  des  rapporteurs  du  concile,  dans  une  des  pre- 
mières séances  de  l'assemblée,  que  nous  voyons  se  réa- 
liser aujourd'hui  ce  qu'un  grand  philosophe  d'Allema- 
gne avait  prédit  il  y  a  deux  siècles,  à  savoir  qu'un 
temps  viendrait  où  l'Eglise  catholique  aurait  à  défendre 
la  raison  humaine  contre  les  incrédules  et  que 
l'athéisme  serait  la  dernière  des  hérésies.  »  Acla,  col. 92. 
Si,  depuis  quatre  siècles,  les  philosophies  négatives 
ont  tant  de  succès,  c'est  surtout  au  protestantisme 
primitif  qu'il  faut  en  demander  compte;  Paulsen  a 
raison  :  «  Les  conséquences  que  nous  voyons  étaient  au 
fond  des  premières  tendances  du  protestantisme.  » 
Kant,der  Philosoph  des  Protestantismus,  p.  10. 

On  trouvera  des  développements  et  des  textes  sur  ce  sujet 
dans  Mohler,  La  symbolique,  3  vol.,  passim;  Dbllinger,  La 
Réforme,  passim,  et  t.  i,  p.  449-454;  Denifie,  Luther  und 
Lulherthum,  Mayence,  1904,  t.  I,  passim;  Oistiani,  Luther  et 
le  luthéranisme,  Paris,  1908. 

L'anglican  Litton,  Introduction  to  dogmatic  theology  on 
the  basis  of  the  xxxix  articles  of  the  Churchof  England, 
Londres,  1882,  p.  211,  parlant  de  Mohler  lui  reproche  de  ne  pas 
s'être  souvenu  que  par  «  l'image  de  Dieu  »  dans  laquelle 
l'homme  a  été  créé,  les  protestants  entendent  «  la  justice  origi- 
nelle •>  et  non  pas  la  simple  capacité  de  la  raison  à  la  religion, 
qui  «  sans  aucun  doute  reste  dans  l'homme  tombé.  »  Que  cette 
manière  de  voir  ait  été  adoptée  par  beaucoup  de  protestants 
depuis  que  les  déistes  d'abord,  les  athées  ensuite,  ont  fait  argu- 
ment de  l'ancienne  opinion  que  nous  avons  rapportée,  la  chose 
n'est  pas  douteuse.  Mais  d'autres  protestants  continuent  encore 
à  regarder  comme  fondamentale  la  théorie  luthérienne  de  la 
chute.  Lire  sur  ce  sujet  James  Gibson  de  l'Église  libre  écossaise, 
Présent  truths  in  theology,  Man's  inability  and  God's 
sovereignty  in  the  «  things  of  God,  »I  Cor.,  n,  11,  2  vol., 
Glascow,  1863.  Ce  fanatique,  qui  pourtant  connaissait  le  pro- 
testantisme libéral,  n'a  pas  l'air  de  se  douter  que,  plus  il  prouve 
par  maintes  citations  anciennes  que  la  doctrine  luthérienne  de  la 
chute  originelle  est  le  fondement  du  protestantisme,  plus  il  ap- 
paraît que  le  protestantisme  libéral  actuel  est  l'aboutissement 
logique  de  la  Réforme.  Il  est  vrai  que  les  protestants  libéraux 
n'admettent  plu«  le  dogme  du  péché  originel,  bien  qu'il  y  en  ait 
encore  quelque  trace  dans  la  chute  extratemporelle  de  Kant; 
mais  ils  conçoivent  l'intelligence  de  l'homme,  comme  les  anciens 
protestants  s'étaient  appliqués  à  la  représenter  en  vue  d'établir 
leur  doctrine  de  la  justification. 

V.  Le  nominalisme.  —  Les  objections  les  plus  répan- 
dues de  nos  jours  contre  la  possibilité  de  la  connais- 
sance naturelle  de  Dieu  ou  bien  sont  dirigées  contre 
les  preuves  qu'on  donne  de  cette  existence,  ou  bien 
contre  la  conclusion  que  l'on  déduit  de  ces  preuves. 
Les  premières  attaquent  la  valeur  objective  de  nos 
idées  et  l'universalité  ou  la  nécessité  des  premiers 
principes  qui  font  le  nerf  des  preuves  classiques.  Les 
secondes  tendent  à  montrer  que  nous  ne  pouvons  pas 
porter  de  jugements  valables  sur  la  nature  intrinsèque 
de  Dieu,  d'où  l'agnosticisme.  On  ramène  ordinairement 
toutes  ces  objections  à  deux  systèmes:  l'empirisme,  qui 
dérive  toutes  nos  connaissances  de  la  sensation,  l'idéa- 
lisme, qui  en  trouve  l'origine  dans  la  pensée  même.  Si 
l'on  va  au  fond  de  ces  difficultés,  on  reconnaît  qu'elles 
ont  un  point  commun,  le  nominalisme. 

Ce  mot,  souvent  employé  en  différents  sens,  a  besoin 


d'être  délini.  On  sait  que  l'activité  de  l'esprit  intervient 
dans  la  formation  de  nos  idées  universelles  et  par 
suite  dans  celle  des  principes  nécessaires  qui  servent 
de  base  à  tous  nos  raisonnements.  Cf.  Suarez,  Dispni. 
metaphys.,  disp.  VI,  sect.  il,  n.  1,  On  sait  aussi  que 
le  fondement  objectif  de  nos  idées  universelles  git  aux 
diverses  relations  de  similitude,  de  causalité,  etc.,  que 
nous  percevons.  Suarez,  op.  cit.,  disp.  VI,  sect.  v,n.  .'1, 
ad  3""1;  cf.  disp.  XLV1I,  surtout  sect.  xi  sq.;  Minges, 
Sur  le  prétendu  réalisme  de  Duns  Scot,  dans  Beilrùge 
de  Baeuinker,  Munster,  1908,  t.  vu.  Le  nominalisme 
prend  occasion  de  ce  rôle  de  l'activité  de  notre  esprit 
dans  la  formation  des  idées  générales  et  des  principes 
universels  et  nécessaires,  et  dans  la  perception  des  rela- 
tions de  similitude,  de  causalité,  etc.,  qui  en  sont  le 
fondement  objectif;  et  il  consiste  essentiellement  — 
essentiellement,  car  de  là  on  déduit  les  conclusions 
contre  les  substances,  les  causes,  le  noumène,  etc.  — à 
nier  la  réalité  objective  de  ces  relations  pour  les  attri- 
buer à  l'activité  du  sujet  :  duo  albaesse  sirnilia  est  nie 
percipere  duo  alba.  «  Une  relation,  dit  M.  Bergson. 
après  une  foule  d'autres,  est  une  liaison  établie  par  un 
esprit  entre  deux  ou  plusieurs  termes.  »  L'évolution 
créatrice,  Paris,  1907,  p.  385.  Biel,  résumant  son  maître 
Occam,  avait  dit  de  même  :  Relationes  important  con- 
cepluni  mentis  quo  intellectus  fornialiter  refert  rem 
unam  ad  aliam...  Et  l'observation  est  exacte,  re- 
marque Suarez.  Mais  Suarez  avec  le  reste  de  l'Ecole 
disait  :  Notre  esprit  découvre  dans  les  choses,  non  seu- 
lement la  ressemblance  d'essence  et  de  propriétés, 
mais  encore  la  connexion  intrinsèque  entre  les  essen- 
ces et  leurs  propriétés,  en  vertu  du  principe  de  fina- 
lité interne.  Cf.  Hahn,  Philosoph ia  naluralis,  Fribourg- 
en-Brisgau,  th.  xn,  n.  86;  Kaufmann,  La  cause  finale 
et  son  importance,  Paris,  1896.  Biel,  au  contraire, 
pensait  que  les  relations  ne  sont  rien  en  dehors  de 
l'esprit.  Et  ille  conceptus,  quo  res  cognoscunlur  ah 
intelleclu  taies,  dicitur  relalio.  tn  IV  Sent.,  1.  I. 
dist.  XXX,  a.  3.  Conséquemment,  Duo  alba  esse 
similia  est  me  percipere  duo  alba;  on  bien  :  Simili- 
tudo  Socratis  et  Platonis  in  albedine  niliil  aliud  est 
quant  Sacrâtes  et  Plato ;  ordo  est  partes  ordinatx, 
etc.  lbid.,  a.  3,  Brescia,  1574,  p.  278.  M.  Bergson, 
bien  qu'il  soit  subjectiviste,  tandis  que  Biel  était  objec- 
tiviste,  ne  va  pas  plus  loin,  lorsqu'au  passage  cité  il 
ajoute  :  «  Un  rapport  n'est  rien  en  dehors  d'un  esprit 
qui  rapporte.  » 

Nous  n'avons  pas  à  dire  ici  comment  autrefois 
l'école  d'Occam,  plus  tard  les  nominalistes  Arriaga,  de 
llurtado,  de  Benedictis  et  ceux  qu'on  nommait  les  Con- 
notatores,  enfin  depuis  Descartes  une  infinité  d'écri- 
vains, non  scolastiques  mais  nominalistes.  sont  parve- 
nus, quelquefois  au  prix  de  notoires  contradictions 
avec  leurs  principes,  soit  à  se  donner  soit  à  légitimer 
l'idée  de  Dieu  et  à  éviter  l'agnosticisme.  Ce  qui 
nous  intéresse,  ce  sont  les  relations  de  la  position  nomi- 
naliste  avec  la  possibilité  de  la  connaissance  naturelle 
de  Dieu.  Cf.  Dictionnaire  apologétique,  Paris,  1909, 
1. 1,  col.  53.  Or.  il  est  aisé  de  comprendre  qu'il  suffit  de 
se  mettre  dans  l'hypothèse  fondamentale  d'Occam  et  de 
s'y  tenir  pour  ruiner  toute  la  théodicée.  Celle-ci,  en  effet, 
soit  pour  prouver,  soit  pour  penser  Dieu,  se  sert  des 
notions  de  cause,  efficiente  et  finale,  de  substance, 
d'ellets  et  de  propriétés,  etc.  Un  nominaliste  a  comme 
tout  le  monde  ces  notions;  comme  tout  le  monde,  en 
vertu  du  principede  raison  suffisante,  il  applique  spon- 
tanément à  la  cause,  à  la  substance,  finies,  la  notion  de 
relation  intrinsèque  et  déterminée  aux  effets  et  aux 
propriétés.  Mais,  à  la  réllexion.  par  esprit  de  système, il 
pose  en  fait  que  cette  relation  n'est  pas  objective,  réelle, 
qu'elle  est  le  produit  de  la  seule  activité  de  son  esprit  : 
duo  alba  esse  similia  est  tue  percipere  duo  alba  ;  «  un 
rapport  n'est  rien  en  dehors  d'un  esprit  qui  rapporte.  » 


769 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE 


770 


Ce  principe  admis,  peu  importe  que  le  nominaliste  soit 
objectiviste  avec  l'école  d'Occam  ou  subjectiviste  avec 
les  modernes,  peu  importe  qu'il  cherche  à  légitimer 
son  relativisme  par  l'association  et  par  l'hérédité  avec 
l'école  anglaise,  ou  parles  lois  subjectives  de  la  pensée 
avec  Kant;  quelques  traits  de  l'histoire  des  doctrines 
vont  nous  montrer  que,  placé  dans  l'hypothèse  de  la 
subjectivité  des  relations,  on  arrive  vite  à  rejeter  les 
preuves  rationnelles  de  l'existence  de  Dieu  ou  à  l'agnos- 
ticisme, parce  que,  dans  cette  hypothèse,  la  copule 
des  jugements  universels  et  nécessaires  n'a  et  ne  peut 
avoir  d'autre  sens  que  celui  d'un  rapport  posé  par  l'es- 
prit. Cf.  Brunschwicg,  La  modalité  du  jugement, 
p.  53 sq.  D'où  il  suit  que  notre  science  est,  non  des 
choses,  mais  de  noire  connaissance,  scienlianon  est  de 
rébus,  sed  de  terni inis,  cf.  Denille,  C/iartularium  uni- 
versilalis  Parisiensis,  Paris,  1891,  t.  n,  p.  506;  et, 
conséquemrnent,  nous  ne  pouvons  désigner  le  supra- 
sensible  que  par  des  dénominations  extrinsèques,  tirées 
de  nos  états  subjectifs  (agnosticisme  croyant),  à  moins 
que  l'on  ne  soutienne  avec  Hume,  Comte  et  Huxley 
qu'il  est  absolument  inconnaissable  :agnosticime  pur). 
I  '  L'école  d'Occam  et  la  possibilité  de  la  connais- 
sance naturelle  de  Dieu.  —  Deux  noms  sont  à  retenir, 
celui  de  Pierre  d'Ailly  et  celui  de  Nicolas  d'Au- 
trecourt.  Les  scolastiques  depuis  cinq  siècles  repro- 
chent tous  à  Pierre  d'Ailly  d'avoir  enseigné  que  l'exis- 
tence de  Uieu  ne  peut  pas  se  prouver.  Le  reproche 
est  fondé.  Occamiste,  Pierre  d'Ailly  soutient  que  la 
croyance  en  Dieu  que  nous  fondons  sur  les  données 
naturelles  de  notre  intelligence  est  non  pas  certaine, 
mais  seulement  probable.  Nam  ex  nullis  apparen- 
tions natur aliter  potes  t  concludi  Deumesse  evidenter. 
Comme  d'ailleurs  il  déclare  sophistique  l'argument 
de  saint  Anselme,  il  suit  que,  Dieu  n'étant  natu- 
rellement connu  ni  par  intuition  ni  par  démonstration, 
la  foi  est  le  seul  moyen  de  tenir  son  existence  pour 
certaine.  11  en  dit  autant  de  l'unité  de  Dieu.  (Ju/cst. 
m  Sent.,  1.  1.  q.  m,  a.l  ;  q.  xr,  a.  2;  q.  n.  a.  1  ;  Quod- 
lib.  I,  q.  i,  cité  par  Salembier,  Pelrus  ab  Alliaco, 
Lille,  1886,  p.  209  sq.  Cf.  l'.ouchitté,  Dictionnaire 
des  sciences  philosophiques  de  Franck,  Paris,  1875, 
art,  d'Ailly,  p.  18. 

Nicolas  d'Autrecourt,  un  contemporain  d'Occam,  dé- 
duisit d'un  seul  coup  les  conséquences  de  l'occamisme 
en  théodicée.  La  publication  récente  de  ce  qui  reste  de 
•  rils  nous  permet  de  reconstituer  en  partie  son 
san- divination.  Retenant  le  principe  de  con- 
tradiction, comme  premier  principe,  Nicolas  se  posa  la 
même  question  que  se  pose  Kant.  dans  son  essai  sur 
l'introduction  en  philosophie  du  concept  des  quantités 
négatives.  Cf.  Kant,  Opéra,  édit,  de  l'académie  de 
Berlin,  t.  n.  p.  202:  trad.  latine  de  liorn,  Leip/.ig, 
1798,  t.  iv.  p.  197.  Ma  question,  dit  Kant,  se  pose  sous 
celle  forin  nple  :  Pourquoi  pensé-je,  de  ce  que 
quelque  chose  existe,  qu'une  autre  chose  existe?  » 

On  avait  l<  ans  condamnées  de  Niçois    d'Autrecourt, 

lu  Boolny   el  <l  Vrgentré.   Le  P.   Denifle  en  a  donn 

édition  dan»  le  t.   n  du  Chartulariam   uni 

1124,   |        76     q.    DenJfle  a 
pour  la  numérotation  de  ces  propositions   les  chiQri 
May;  nous  ferons  de  m'  mi    Ma!    quelquea-unes  des  pro- 
se liseni  dan    D<  nifli     ont  inintelllf 

i  ippe, 
lit-   de  Ne  olaa  qui  ""'  survécu. 
■ 
t.  vu  ne  bonna 
laquelle  noua  lai  i  voiB. 

Nicolai  'i  \>iii i  p..ri  donc  de  li ! question 

que  Kantel  \->  résout  comme  lui  parla  négative:  '■>  t 
eo  quod  un  ■.   non  potest  évidente»  evidenlia 

dedut  ta    ■  \  ,,.,.,  .,,,,,,1  „;„, 

*'<■    /"  ■•'  idôm    i  i.   prop.  12.   Kanl  a 

dict.  de  riiftoL.  CATIIOL. 


recours  à  la  croyance;  Nicolas,  à  la  foi  :  11.  Dixi  quod 
excepta  eertiludine  fidei  non  eral  alia  rertitudo  7iisi 
certitudo  prinii  principii  vel  quse  in  primum  princi- 
piurn  polest  resolvi.  Faisant  et  revocandam.  Voir 
Lappe,  texte,  p.  8, 15.  Quant  à  l'agnosticisme  de  Nicolas, 
on  peut  juger  de  son  étendue  par  ces  quelques  propo- 
sitions: 21.  Quod  quacumque  re  demonstrata  nullus 
scit  evidenter  ijiiiu  excédai  nobililale  omnes  alias. 
Faisant,  hœreticam  et  blasphemarn.  22.  Quod  quacum- 
que re  demonstrata  nullus  scit  evidenter  quin  ipsa  sit 
Deus,  si  per  Deuni  intelligantus  ens  nobilissimunt. 
Faisant,  hœreticam  et  blasphémant .  23.  Quod  aliquis 
nescit  evidenter  quod  una  res  sit  finis  alterius.  Fai- 
sant, hœreticam  et  blasphemarn.  Nous  laissons  de 
côté  d'autres  conclusions  étranges  :  Quod  Deus  et  crea- 
tura  non  sunl  aliquid,  32,  formule  occamiste  déjà 
interdite  en  1339,  cf.  Chartul.,  t.  n,  pièce  10'i2,  p.  500; 
Quod  Sacrâtes  et  Plalo,  Deus  et  creatura  nihil  sunt, 
ou  encore  celle-ci  :  Propositiones  :  Deus  est,  Deus 
non  est,  penilus  idem  signi/icanl,  licet  alto  modo,  3, 
condamnées  comme  fausses  et  scandaleuses,  pour 
nous  arrêter  à  la  négation  du  devoir  de  la  religion 
naturelle  :  24.  Nullus  scit  evidenter  qualibel  reoslensa, 
quin  sibi  debeat  impendere  maximum,  honorent. 
Faisant,  hœreticam  et  blasphemarn.  Ici  Nicolas  d'Au- 
trecourt parait  dépasser  Kant,  mais,  n'étant  pas  ratio- 
naliste, il  recourt  à  la  foi  chrétienne. 

Essayons  de  comprendre  comment  du  principe 
d'Occam  sur  la  non-objectivité  des  relations  suivent 
les  conclusions  de  Nicolas,  et  bornons-nous  à  ce  qui 
louche  aux  preuves  de  l'existence  de  Dieu  a  posteriori. 
De  l'existence  d'une  chose,  on  ne  peut  pas  conclure 
avec  une  certitude  absolue  à  l'existence  d'une  autre 
chose  :  c'est  en  ces  termes  que  Nicolas  formule  sa  con- 
clusion contre  l'emploi  en  philosophie  du  principe  de 
causalité,  p.  9.  Car,  dans  une  telle  inférence,  dit-il,  le 
conséquent  ne  serait  identique  ni  à  l'antécédent  ni  à 
une  partie  de  l'antécédent.  Or,  il  n'y  a  certitude  absolue 
que  lorsqu'il  y  a  identité  entre  le  conséquent  et  l'an- 
técédent ou  une  partie  de  l'antécédent,  comme  il  ar- 
rive dans  les  démonstrations  de  la  géométrie,  p.  8. 
Donc  ex  una  re  non  polest  evidenter  inferri  alia,  p.  16. 
Sous  les  apparences  de  cette  pure  chicane  de  logique 
formelle  se  cachent,  suivant  la  mode  des  \iv°  et  x\"  siè- 
cles, d'assez  gros  problèmes,  repris  par  les  modernes 
depuis  Euler. 

Nicolas  d'Autrecourt,  suivant  l'esprit  et  la  méthode 
de  son  temps,  établit  ses  conclusions  nominalistes  plu- 
lot  par  déduction  que  par  induction,  et  ne  dit  à  peu 
[ires  lien  de  l'induction  qui  lui  servait  de  hase.  Il 
prit  pour  point  de  départ  la  certitude  spéciale  des 
mathématiques. 

La  certitude  spéciale  des  mathématiques,  remarque 
saint  Thomas,  leur  vient  soit  du  grand  rôle  que  joue 
l'activité  de  notre  esprit  dans  la  constitution  de  leur 
objet,  quantité'  abstraite,  continue  ou  discrète,  soit  de 
ce  qu'elles  ne  démontrent  pas  une  chose  par  une  autre, 
mais  toujours  par  sa  propre  définition,  lu  Boeth.,  de 
l  i  mit.,  q.  vi,  incorp.et  ad  2""'  ;  lu  metaphys.,  I.  II, a 
la  lin.  En  effet,  dans  les  axiomes  mathématiques,  le 
sujetet  l'attribut  sont  de  même  nature  et  appartiennent 
tous  deux  à  la  catégorie  de  la  quantité;  les  raisonne 
mathématiques  vont  loujours,  sinon  du  même 
au    même,   ilu    moins   à    l'équivalent.  '  lr,  il  snflil  de  se 

mettre  dan-  l'hypothèse  occamiste  de  la  subjectivité  di  - 
relations  pour  ramener  (eus  les  raisonnements  au  type 
du  raisonnement  mathématique,  où  seule  l'id 
rapports  est  considérée.  El  Nicolas  d'Autrecourt,  bien 

avant    Sluart    Mill,   vil    très    bien   que,  si    Ion    f.iil  Cette 

rédaction,  il  ne  peut  \  .noir  d'inférence  que  du  m 
au  même  on    >  l'équivalent.  Euclide  a  démontré  dans 
sr,u  V«  livre,  définitions  xu  iq.,   qu'en   géométrii 
rapport  de  I  anfc  ■  i  dent  au  i  onséquenl 

I  \  .    -  25 


77) 


DIEU   (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE 


772 


dans  tous  les  cas.  ce  qui  est  l'opposé  de  l'une  des  ri 
du  syllogisme  classique  :  ab  opposito  antecedenlit  non 
valet  semper  ad  oppositum  consequenlis.  Cf.  Diction- 
naire apologétique,  Paris,  1909,  t.  i,  col.  69.  Nicolas 
d'Autrecourt,  pour  qu'il  y  eût  certitude  absolue,  exigea 
qu'on  s'en  tint  à  la  règle  d'Kuclide.  «  Il  n'y  a  certitude 
absolue  dans  1< -s  inférences  que  lorsqu'il  y  a  identité 
entre  le  conséquent  et  l'anlécédent  ou  une  partie  de 
l'antécédent,  comme  il  arrive  dans  les  démonstrations 
de  la  géométrie,  »  p.  8.  Donc,  concluait-il,  par  le 
principe  de  causalité  on  ne  peut  pas  inférer  de  l'exis- 
tence d'une  chose,  l'existence  d'une  autre  chose. 

Si  l'on  concède  le  principe,  la  conséquence  de 
Nicolas  est  rigoureuse.  En  effet,  la  règle  d'Kuclide  est 
valable  :  1°  parce  que  les  mathématiques  considèrent 
le  quantum  en  dehors  de  tout  rapport  avec  la  sub- 
stance, S.  Thomas,  Melaphys.,  1.  XI,  lect.  i;  2°  et 
aussi  en  dehors  de  tout  rapport  ou  de  toute  dépendance 
causale,  S.  Thomas,  Sum.  l/icvl.,  Ia,  q.  xliv,  a.  1, 
ad  31"";  3°  parce  que  les  mathématiques  ne  s'occupent 
nullement  de  l'essence  de  la  quantité,  qui  pour  elles 
est  une  donnée,  mais  n'envisagent  dans  la  quantité 
abstraite  que  la  propriété  de  la  mensurabilité,  cf.  Pto- 
lema?us,  Philosophia  mentis,  Rome,  1702,  p.  258;  4° 
et  cette  propriété  n'a  pas  la  même  espèce  d'objectivité 
que  les  relations  simplement  réelles  de  similitude,  de 
causalité,  etc.,  sur  lesquelles  repose  la  doctrine  des 
universaux  et  des  premiers  principes  de  la  physique 
(sens  scolaslique  du  mot)  et  de  la  métaphysique.  En 
effet,  l'activité  de  l'esprit  et  son  mode  de  connaître 
dans  la  durée  successive  jouent,  dans  la  perception  des 
relations  qu'étudient  les  sciences  mathématiques,  un 
rôle  qu'elles  n'exercent  pas  dans  la  connaissance  des 
relations  de  similitude,  de  causalité.  Anima  complet 
tempus,  avait  dit  Aristole;  saint  Thomas  le  suit  et 
répète  plusieurs  fois  que,  s'il  n'existait  pas  d'âme,  le 
temps  n'existerait  pas.  In  plujsic.,  1.  IV,  lect.  xvi  sq., 
surtout  lect.  xxm;  In  IV  Sent.,  1. 1,dist.  XIX,  q.  n,a.  1. 
VoirBergomo,  Tabula,  v°  Tempus,  7,  35;  cf.  dub.  H 49. 
C'est  parce  que  nous  sommes  nous-mêmes  dans  la 
durée  successive  que  dans  nos  jugements  est  impliqué 
le  temps  :  anima  coinlelligit  ten,pus.  S.  Thomas,  De 
veril.,  q.  i,  a.  5,  à  la  fin;  voir  Vasquez,  In  Sum.,  Ia, 
disp.  LXIV,  c.  v,  Paris,  1905,  p.  529.  Mais,  si 
telles  sont  les  raisons,  fondées  sur  la  nature  spéciale 
de  «  l'abstraction  mathématique  »,  pour  lesquelles  la 
règle  d'Kuclide  est  valable,  il  est  clair  que  Nicolas 
d'Autrecourt,  en  «  demandant  »  qu'on  appliquât  cette 
règle  à  tous  les  raisonnements,  rendait  impossible  tout 
passage  de  l'effet  à  la  cause,  des  propriétés  à  la  sub- 
stance, etc. 

D'un  seul  coup,  toutes  les  preuves  a  posteriori  de 
l'existence  de  Dieu  étaient  ruinées;  l'agnosticisme 
avait  le  dernier  mot;  et  cela,  par  le  principe  même  du 
relativisme,  indépendamment  de  toute  hypothèse  occa- 
sionnaliste  ou  phénoméniste;  car  ces  hypothèses  ne 
sont,  chez  Nicolas,  que  des  conséquences  et  nullement 
des  principes. 

2°  Répercussions  du  nominalisnie  de  la  dogmatique 
protestante  sur  ta  doctrine  de  la  connaissance  natu- 
relle de  Dieu.  —  La  doctrine  catholique  enseigne  la 
volonté  salvifique  universelle,  la  prédestination  gratuite, 
la  grâce  suffisante  donnée  à  tous  et  la  justice  inhérente. 
Assurément  ces  vérités  ne  peuvent  pas  se  démontrer 
par  la  seule  raison  philosophique,  c'est-à-dire  en  vertu 
du  principe  de  causalité  efficiente  et  finale.  Mais,  ces 
vérités  admises  par  la  foi.  la  réalité  du  monde  invi- 
sible et  de  l'ordre  surnaturel  se  présente  à  la  réllexion 
comme  de  tout  point  conforme  à  la  loi  de  causalité  et 
de  finalité.  Au  sommet,  la  bonne  volonté  de  Dieu;  au 
bas,  notre  libre  activité';  à  l'intersection  des  deux  plans, 
la  grâce,  don  intérieur,  créé,  actuel  ou  habituel.  La 
grâce  est  cette  réalité  objective, par  laquelle  le  dispen- 


sateur du  salut  gratuit  nous  conduit  efficacement,  avec 

notre  coopération  active,  à  notre  lin  surnaturelle.  Ainsi, 
dans  la  théologie  catholique,  rien  ne  peut  nous  amener 
à  douter  de  la  réalité  du  lien  causal  et  téléologique  par 
lequel  nous  soiiiincs  unis  â  Dieu,  soit  dans  l'ordre 
naturel,  soit  dans  l'ordre  surnaturel.  Nous  avons  l'unité 
dépensée.  Sans  doute,  pour  la  pensée  catholique,  toutes 
les  certitudes  ne  viennent  pas  de  la  foi  ou  n'en  dépen- 
dent pas.  Mais  on  peut  dire  que  le  dogme  catholique 
oriente  nos  spéculations  philosophiques  et  scientifi- 
ques dans  le  sens  du  sage  réalisme  du  bon  sens.  Il 
en  va  tout  autrement  dans  la  dogmatique  protestant'-. 
Inclinée  par  la  doctrine  luthérienne  de  la  chute  à  se 
défier  de  la  raison  naturelle  en  matière  religieuse,  la 
philosophie  protestante  se  voit  imposer  par  la  dogma- 
tique de  la  Réforme  une  loi  de  développement  dans  le 
sens  nominaliste.  Il  serait  facile  de  montrer  que,  dès 
le  temps  du  concile  de  Trente,  pour  éluder  la  justice 
inhérente  comme  cause  formelle  de  notre  justification. 
l'efficacité  des  sacrements  ex  opère  operalo,  ou  la 
présence  réelle  et  la  transsubstantiation,  lescontrover- 
sistes  protestants  s'appliquèrent  à  développer  la  philo- 
sophie nominaliste  d'Occam.  Dès  cette  époque,  on 
trouve  chez  eux,  pour  attaquer  ces  dogmes,  les  argu- 
ments et  les  hypothèses  —  sans  en  excepter  l'associa- 
tionisme  —  qu'ont  exploités  plus  lard  Hacon,  Ilobbes, 
Locke,  Hume,  etc.,  contre  la  connaissance  des  sub- 
stances, des  causes  et  des  fins.  Les  doctrines  zvvin- 
gliennes  et  calvinistes  sur  la  cène  posaient  les  prin- 
cipes de  l'idéalisme  moderne  et  du  relativisme  le  plus 
radical.  Lorsque  Bèze,  au  colloque  de  Poissy.  avouait 
la  présence  réelle,  en  ce  sens  que  «  la  foi  rend  les 
choses  promises  présentes,  »  il  disait  exactement  ce 
que  soutient  aujourd'hui  l'évéque  anglican  Gore. 
lorsqu'il  enseigne  que  a  la  foi  commune  de  l'Église 
constitue  la  réalité  spirituelle  du  sacrement  —  le  corps 
du  Christ  —  comme  la  raison  constitue  les  objets  du 
monde  matériel.  »  The  body  of  Christ,  3'  édit.. 
Londres,  1904,  p.  124-157.  La  terminologie  de  Gore 
diffère  de  celle  de  Bèze,  mais  la  pensée  est  identique, 
comme  il  ressort  de  la  critique  de  Bèze  faite  par  le 
carme  Beauxamis,  Histoire  des  sectes  tirées  de  l'armée 
sathanique,  etc.,  Paris,  1570,  p.  102  sq.  La  seule  dif- 
férence est  que  Gore,  lorsqu'il  soutient  que  i  les 
choses  n'ont  pas  d'existence  en  dehors  des  esprits  qui 
les  connaissent,  que  les  relations  sont  l'œuvre  de  l'es- 
prit et  sont  nécessaires  pour  faire  les  objets.  »  fait  ap- 
pel à  des  systèmes  philosophiques,  tandis  que  Bèze 
s'appuyait  sur  l'interprétation  huguenote  de  Heb..  XI, 
1  :  reprœsenlatio  eorum  qusc  speranlur  et  denwn- 
stralio  eorum  quœ  non  lidenlur.  Cf.  Reding.  Œcume- 
nici  concihi  Tridentini  veritas,  Einsielden,  168L  t.  il, 
p.  26i;  Atmales  de  philosophie  chrétienne,  t.  ci  i. 
p.  357.  Mais  la  prétendue  métaphysique  qu'allègue 
Core  n'est  en  réalité  que  le  résultat  d'une  extension  au 
monde  extérieur  de  vues  philosophiques,  systémati 
d'abord  pour  un  autre  objet,  c'est-à-dire  pour  la  cène 
au  sens  zwinglien  et  calviniste.  La  résistance  des  pro- 
testants au  cartésianisme  eut  surtout  pour  cause  la  doc- 
trine de  l'idée  innée  de  Dieu,  qui  ruinait  le  dogme  lu- 
thérien de  l'impuissance  de  l'homme  déchu.  Locke 
employa  contre  cette  idée  innée  le  vert  et  le  sec  .  el 
Descartes  fut  accusé'  d'athéisme  par  des  gens  qui  pen- 
saient prouver  Dieu  «  par  l'insuffisance  des  lumières 
naturelles  pour  le  salut,  s.ms  remarquer  qu'ils  s'en- 
fermaient dans  un  cercle  vicieux.  Mais  on  ne  tarda  pas 
à  remarquer  que  la  philosophie  cartésienne  pomail 
être  utilisée,  soit  contre  la  justice  inhérente,  soit  en 
faveur  du  subjectivisme  qui  est  au  fond  des  doctrines 
de  la  Réforme,  et  on  se  radoucit.  Ce  fut  une  fête, 
lorsque,  du  cartésianisme,  Leibniz  déduisit  le  subjec- 
tivisme de  la  monade,  et  Malebranche  les  fondements 
de  l'idéalisme  :  idéalistes  en  théologie  dans  les  thèses 


773 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DEN 


774 


•de  la  justification,  de  l'efficace  des  sacrements  et  de  la 
présence  réelle,  beaucoup  de  protestants  pensèrent 
faire  un  pas  vers  l'unité  de  pensée  en  acceptant  avec 
Berkeley  l'idéalisme  en  philosophie.  De  son  coté,  sans 
aller  à  ces  extrêmes,  Wolf  imagina  un  petit  principe 
de  psychologie  pour  exorciser  le  réalisme  des  papistes. 
Il  posa  a  priori  que,  si  par  les  sens  nous  connaissons 
le  monde  matériel  et  ses  modifications,  l'âme  a  con- 
science de  toutes  ses  modifications.  Comme  les  catho- 
liques concèdent  que  nous  n'avons  pas  conscience  de 
la  grâce  du  baptême,  on  voit  de   quelle  utilité  pouvait 

cette  magnifique  extension  du  rôle  de  l'introspec- 
tion en   philosophie.  Cf.   Amort,    Philosop/iia  pollin- 

■  >.  Augsbourg,  1730,  de  logica  neotericorum,  sect. 
vi,  p.  578.  Le  principe  de  Wolf  a  d'ailleurs  fait  son 
chemin.  Eucken,  dans  la  préface  d'une  récente  tra- 
duction allemande  des  Pensées  de  Pascal,  écrit  avec 
aplomb  :  «  Il  n'y  a  rien  de  certain  que  ce  qui  se  mani- 
feste de  sa  propre  réalité  dans  le  cœur;  ce  qui  doit 
•être  prouvé  est  toujours  contestable  et  ne  peut  être 
qu'une  amplification  de  ce  qui  nous  est  fourni  par  la 
réalité  immédiate.  »  Eucken  admet-il  l'immanence 
comme  doctrine  ou  seulement  comme  méthode?  Peu 
importe  ici.  Dans  l'un  et  dans  l'autre  cas,  il  dépend  de 
Wolf;  et  par  là  sa  thèse  est  un  postulat  non  évident, 
mais  inventé  et  posé  sans  preuves  pour  étayer  une 
thèse  de  la  théologie  huguenote.  Plus  ou  moins  nomi- 
nalisles  sur  ces  points  particuliers,  les  penseurs  pro- 

uts,  quand  ils  exposent  les  solides  fondements 
réalistes  de  la  théologie  naturelle,  ont  fort  souvent 
l'air  d'être  mal  à  l'aise,  et  font  l'effet,  tant  ils  sont  hé- 
sitants et  pleins  de  restrictions  et  de  sourdines,  de 
craindre  de  ruiner  1rs  ouvrages  de  défense  nomina- 
listes  de  leur  dogmatique.  Cette  gène  explique  assez 
pourquoi,  du  xvi»  siècle  à  nos  jours,  ils  ont  peu  à  peu 
en  si  grand  nombre  abandonné  la  plupart  des  preuves 
traditionnelles  de  l'existence  de  Dieu,  pour  se  réfugier 
avec  Butler  et  Pale  y  dans  l'unique  argument  de  lina- 
lité  ou  de  moralité. 

Par  ailleurs,  la  doctrine,  commune  à  tous  les  pro- 
testants, de  la  justification  par  la  foi  sans  grâce  inhé- 
rente, cf.  Adolphus,  Compendium  theologicum  or  ma- 
nualfor  students  in  theology,  •>  (dit.,  Cambridge,  1881, 
p.  i'.iT.  remarques  sur  le  11'  des  39  articles,  explique 
la  direction  de  leur  philosophie  constructive. 

Luther  l'étant  persuadé  que  la  concupiscence  est  le 
péché  originel  lui-même,  puis  constatant  ce  fail  d'ex- 

•nce  que  la  concupiscence  rest^  dans  le  baptisé, 
conclut  que  la  grâce  de  notre  justification  n'est  pas 
intérieure,  mais  extrinsèque.  L'école  d'Oecam,  tout  en 

ervant  la  croyance  de  l'infusion   dans  le   baptême 

d'un  don  intérieur,  créé,  distinct  de  Dieu,  de  l'a i 

de  ses  actes,  avail  cru  pouvoir  expliquer  certaines  pro- 
priétés  de  la  justification  par  des  dénominations  extrin- 
f  liiel,  In  I  VSenl.,  1.  Il,  dist.  XXVI,  q.  i.  a. 2, 
.'1;  dist.  XXX,  q.    I,  vantait    il  être 

occamiste.  En  réalité,  M  dépassait  beaucoup  son  maître, 
quand  il  écrivait,  au  sens  exclusif,  contre  l'Écriture  et 
la  tradition  :  gratia  significai  favorem  </"'■  Deu»  nos 

I  lectitur.  C'était  nier  toute  justice  inhérente,  n'ad- 
mettre qu'i justice  imputée  :  on  faisai  dans 

fait-  ce  que  les  nominalistea  avaient  été  ame- 
dire,  dans  l'ordre  des  possibilités  abstraites,  par 
de  leur  concept  bâtard  des  relation  Dans 

i  naturel,  pour  Luther,  sur  un  plan  éternel, la 

art-  de   |.,  volonté  divine  tout    extérieur  S.  nous; 

'in    autre    plan,    l'ordre    historique    et    la    pilovihle 

die  de  la  race  di  chue     pas  d  intersection.  Le  lieu 
'  donc   inexistant   entre   Dieu  et   nous  dans 

i  naturel. 

combler   le  gouffre      d  un  i  Aie,  il  re- 
connul  une  manifestation  objective  de  Dieu  dan 

li  l'autre,  il  conserva  dam  l'humanité  déchue 


une  sorte  d'idée  innée  qu'il  y  a  «  quelque  Dieu  >>,  et  il 
crut  ainsi  pouvoir  damner  les  païens  «  sans  excuses  ». 
Qu'on  admette  les  trois  thèses  calvinistes  :  1°  Dieu  est 
l'auteur  du  mal  ;  2°  la  volonté  salvifique  n'est  pas  uni- 
verselle; 3°  certains  hommes  sont  positivement  réprou- 
vés, le  système  ne  manquera  pas  de  quelque  cohé- 
rence; ces  trois  aspects  d'une  même  affirmation  relient, 
en  effet,  les  dires  de  Calvin.  Mais  l'hiatus  reste  entre 
Dieu  et  nous,  dans  l'ordre  surnaturel,  chez  Calvin  aussi 
bien  que  chez  Luther  :  car  la  téléologie  très  rigide  de 
la  prédestination  calviniste  reste  toute  entière  dans  le 
plan  de  l'éternité  sans  atteindre  le  sujet  raisonnable. 

Leibniz  s'est  appliqué  à  masquer  ce  défaut;  pour 
donner  de  l'apparence  aux  doctrines  théologiques  qui 
étaient  les  siennes,  il  construisit  le  monde  de  ses  mo- 
nades sur  le  modèle  du  monde  surnaturel  protestant. 
Pas  de  liberté  proprement  dite  en  Dieu,  non  plus  que 
dans  le  monde  créé,  mais  seulement  la  spontanéité  : 
d'où,  la  vocation  au  salut  étant  nécessaire,  une  notion 
du  surnaturel  où  la  divergence  avec  la  doctrine  catho- 
lique va  «  jusqu'à  la  contradiction  »,  comme  l'a  fort 
bien  entrevu  M.  Fonsegrive.  Cf.  Les  idées  religieuses 
de  Leibniz,  dans  le  Correspondant,  25  juin  1908-, 
p.  1165.  Le  principe  de  causalité  cède  donc  tout  natu- 
rellement la  place  au  principe  de  raison  suffisante  : 
aussi  la  monade  fermée  contient-elle  toutes  ses  déter- 
minations et  «  exprime  tout  l'univers  en  un  certain 
sens».  Cf.  Leibniz,  Opéra,  édit.  Gerhardt, t.  n,  Corres- 
pondance de  Leibniz  et  d'Arnaud,  p.  105-111  Sïp  Mais 
l'harmonie  préétablie  ne  sauve  pas  le  principe  téléolo- 
gique,  précisément  parce  qu'elle  est  une  harmonie  préé- 
tablie, c'est-à-dire  parce  qu'elle  est  une  causalité  sans 
efficience  réelle  et,  par  suite,  sans  finalité  digne  de  ce 
nom. 

Wolf  tente  une  autre  solution  du  côté  du  concept  de 
finalité.  Il  se  fait  de  la  téléologie  une  idée  telle  que, 
«  si  l'on  acceptait,  dit-il,  la  thèse  de  l'idéalisme  absolu, 
l'argument  de  finalité  subsisterait,  puisqu'il  resterait 
une  succession  d'états  constante.  »  Psychol.  ration.. 
sect.  m,  c.  i,  §  50(1.  Cf.  Faure,  Enehiridion  de  fuie,  spe 
et  carilate  S.  Augustini.  Xaples,  1837,  p.  13.  Ceux  qui 
ont  lu  et  compris  L'évolution  créatrice  de  M.  Bergson 
savent  où  cette  métaphysique  peut  conduire;  qu 
ail  des  attaches  Ihéologiques,  il  sullitpour  s'en  apei 
voir  de  citer  celte  phrase  nouiinaliste  de  Pierre  d'Ailh  : 
Aliquis  non  dignus  cita  œterna  potest  fieri  digims 
potenlia  absoluta  (les  protestants  supposenl  réa- 
lisée cette  abstraction)  absque  mutatione  aliqua  in 
ipsoaut  in  quolibet  alio  farta,  prœter  solam  iraus,- 
lionem  temporis existenlis  vel  possibilis.  In  IV  Seul.. 
I.  I.  q.  i\,  a.  -l.  prop.  3". 

D'un  autre  côté,  Hume  nia  la  causalité  efficiente. 
L'écossais  Thomas  Brown  entreprit  pour  l'efficieno 
que  Wolf  avait  essayé  pour  la  [Inalité;  M  écrivit  une 
dissertation  pour  établir  que  l'empirisme  sceptique  de 
Hume  «  se  concilie  avec  n'importe  laquelle  des  vérili  - 
fondamentales  de  la  religion  et  de  la  moralité.  »  Exami- 
nalion,  nouvelle  édition  en  1806 ;  refonte  en  1818  sous 
le  titre  :  .1"  Tnquiry  inlo  t/w  relation  of  cause  and 
effect. 

Rivé  au  nominalisme  d'Oecam  par  la  Uns,,  de  la 
justification  extrinsèque,  le  protestantisme  ■>  été  amené 

dernier  dans   la    même    doctrine   en    philosophie. 

Cf.    Decurtins,    Héfoxme  sociale    chrétienne  ci    ré- 
formisme catholique,  dans  l'Association  catholique, 
lût   1907,  p.   163.   lussi  a-t-il  développé  lea  deux 
systèmes  philosophique!  auxquels  le  nominalisme  ri 
goureusement  appliqué  aboutit,  l'empirisme  positiviste 

et    I  Idl 

'.'■  Le  nominalitme  empirique  L'École,  i  esl  une 
chose  assez  c  mnue,  i    t  empiriste, en  ci   n  ns,  que  dans 

i.i  quesl le  l'on,  ne   d.  nos  Idéi   -  elle  ■ 

l'expérience  peu    tout  expliquer,   Mali  elle  n'est  pas 


77:» 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DEi 


"V, 


nominaliste  et  soutient  l'objectivité  du  rondement  des 
relations  contre  les  occamistes.  Par  là,  elle  défend  la 
valeur  des  arguments  a  posteriori  par  lesquels  on 
prouve  l'existence  de  Dieu  ;  par  là  aussi,  elle  a  un 
moyen  d'expliquer  comment  nous  arrivons  à  porter  des 
jugements  valables  sur  la  nature  intrinsèque  de  Dieu; 
et  cela,  tout  à  fait  indépendamment  du  problème  de  la 
perception  immédiate  des  substances,  sur  laquelle  la 
majeure  partie  des  scolastiques  tient  la  négative  avec 
saint  Thomas,  Scot  et  Suarez;  d'ailleurs,  les  partisans 
de  la  perception  immédiate  dessubstancesne  se  servent 
pas  de  cette  vue  systématique  pour  expliquer  notre 
connaissance  des  êtres  immatériels  et  de  Dieu,  je 
parle  des  grands  maîtres  de  la  scolastique  avant  Des- 
cartes. Et  il  est  bon  de  remarquer  que  le  grand  dé- 
fenseur moderne  de  la  perception  immédiate,  Hamil- 
ton,  est  tombé  dans  l'agnosticisme,  pour  avoir  négligé 
de  noter  qu'il  percevait  «  les  relations  des  choses  ». 

On  trouvera  la  doctrine  de  l'École  sur  ce  sujet  dans  Suarez, 
De  anima,  1.  IV,  c.  iv-vi  ;  JHsp.  metaph.,  disp.  XXX,  sect.  xu  ; 
Lossada,  Curs.  philos.,  Barcelone,  1883,  t.  IX,  Animastica, 
disp.  VII,  c.  i  ;  Ptolemceus,  Philosophia  mentis  et  sensuum,  etc., 
Rome,  1702,  logico-physica,  diss.  XII,  omnium  logico-phy- 
sicarum  facile  princeps,  donne  un  bon  exposé  synthétique  du 
problème  de  la  connaissance  intuitive  et  abstractive  dans  l'École 
et  l'état  de  la  question  vers  la  fin  du  XVII'  siècle,  p.  76-91.  On 
sait  que,  sous  l'influence  du  cartésianisme,  ce  qu'on  appelle  la 
philosophie  «  éclectique  »,  au  xvnr  siècle,  se  donna  la  connais- 
sance per  species  proprias  des  êtres  immatériels;  voir  ce  sys- 
tème bâtard  dans  E.  Amort,  Philosophia  Pollingaua,  Augs- 
bourg,  1730,  p.  481-506.  Neubaucr,  dans  Thcoloijia  Wirceb., 
De  religione,  diss.  XI,  Paris,  1852,  t.  H,  p.  283,  sent  le 
besoin  d'expliquer  que  le  déisme  n'est  pas  du  à  la  philosophie 
éclectique,  qui  d'ailleurs  n'est  pas  la  sienne.  Ce  jugement  parait 
exact;  mais  la  philosophie  d'Amoit  qui  sauvait,  comme  il  s'en 
vante  naïvement, toutes  les  entités  de  la  scolastique,  n'en  sauvait 
pas  les  principes  essentiels  ;  elle  se  donnait  la  connaissance  des 
êtres  immatériels  et  de  Dieu,  sans  pouvoir  en  rendre  compte  ; 
enfin  en  réagissant  à  l'excès  contre  l'empirisme  qui  tire  nos  idées 
de  l'expérience,  elle  préparait  les  esprits,  non  moins  efficace- 
ment que  l'idée  claire  de  Descartes  et  les  monades  de  Leibniz, 
à  l'idéalisme  subjectiviste,  qui  les  tire  toutes  de  la  raison  elle-même. 
Cf.  IJict.  apologét.  de  la  foi,  Paris,  1909,  t.  i,  col.  58.  De  nos 
jours,  on  est  revenu  aux  doctrines  de  l'Ecole.  Cf.  Pesch,  Institut, 
psychologie,  Fribourg-en-Brisgau,  1898,  t.  Il,  n.  871.  Boedder, 
Psychologia  rationalis,  ibid.,  1894,  énonce  la  thèse  classique 
que  nous  ne  connaissons  clairement  la  nature  des  substances  im- 
matérielles que  par  un  raisonnement  et  donc  par  des  concepts 
analogues  (analogie  logique),  th.  xx,  p.  114.  Cf.  Coconnier. 
art.  Ame,  dans  Dictionnaire  apologétique,  Paris,  1909,  col.  95. 
Voir  Piat,  Insuffisance  des  philosophies  de  l'intuition,  Pa- 
ris, 1908;  Moisant,  Dieu,  l'expérience  en  métaphysique,  Paris, 
1907;  Maher,  Psychology,  5'  édit.,  Londres,  1003;  Bickaby,  The 
lirst  principles  of  Knowledge,  Londres,  1888;  Peillaube,  Théo- 
rie des  concepts,  Paris.  On  peut  dire  que  le  grand  ouvrage  de 
Kleutgen  sur  la  Philosophie  scolastique,  4  vol.,  trad.  Sierp,  et 
sur  la  Théologie  der  Vorzcit,  5  vol.  non  traduits,  a  surtout 
pour  but  la  défense  delà  doctrine  scolastique  de  la  connaissance: 
après  l'avoir  exposée,  il  montre  comment  elle  est  nécessaire  ou 
suffisante  pour  résoudre  les  grands  problèmes  philosophiques  ou 
dogmatiques.  Heinrich  a  repris  ce  travail  en  ce  qui  concerne  la 
connaissance  naturelle  de  Dieu.  Dogmatische  Théologie, 
Mayence,  1884,  t.  ni,  surtout  au  S  141,  P-  131-152.  Voir  aussi 
Polile,  Lehrbucli  der  Dogmatik,  Paderborn,  1902,  t.  i,  p.  33. 

Il  ne  s'agit  donc  pas  ici  d'attaquer  l'empirisme,  mais 
de  montrer  comment  l'empirisme,  s'il  accepte  la  thèse 
occamiste  de  la  subjectivité  des  relations,  arrive  à  nier 
la  possibilité  de  connaître  Dieu.  —  Dès  que  les  protes- 
tants se  mirent  à  attaquer  la  possibilité  pour  l'homme 
déchu  d'arriver  à  connaître  Dieu  par  la  raison  naturelle. 
les  théologiens  catholiques  insistèrent  sur  ce  que  les 
Pères  ont  appelé  la  connaissance  «  spontanée,  natu- 
relle, native,  innée  »  de  Dieu.  Un  chanoine  régulier  du 
Saint-Sauveur,  Augustin  Steuchus  d'Eugubio,  composa 
un  traité  De  perenni  philosophia  lib.  X,  réimprimé 
à  Paris  en  1578,  pour  montrer  que  les  philosophes 
païens  ont  reconnu  de  tout  temps  un  Être  souverain,  etc. 
Un  de  ses  arguments  était  tiré  des  textes  patristiqu.es 


sur  la  connaissance  spontanée  de  Dieu  :  et  on  ne  trouve 
guère  de  théologiens  catholiques  de  la  lin  du  xvi*  siècle 
qui,  sur  la  thèse  classique  de  la  possibilité  de  l'athéisme, 
ne  renvoient  pas  à  Steuchus  Eugubinus.  Mersenne, 
ses  Commentarii  in  Genesim,  Paris,  1623,  et  dans 
V Impiété  dévoilée,  Paris,  1(>2i.  développa  la  thèse  de 
Steuchus.  Aussi,  lorsque  Descaries  se  mit  à  parler  de 
l'idée  innée  de  Dieu,  sans  d'ailleurs  bien  expliquer  ce 
qu'il  entendait  par  là,  cf.  Vacant,  De  nostra  naturali 
cognilione  Dei,  Nancy,  1879,  p.  110  sq.,  le  mol  et  dans 
un  certain  sens  la  chose  étaient  familiers  aux  penseurs 
catholiques,  qui  rejetaient  la  thèse  de  l'impuiss 
naturelle  de  la  raison  eu  matière  religieuse,  aussi  bien 
sous  la  forme  rigide  proposée  par  les  premiers  proles- 
tants, que  sous  la  forme  adoucie  de  l'agnosticisme 
croyant  ou  dogmatique,  proposée  par  Charron  sous  le 
nom  «  d'ignorance  consciencieux       di    Dieu. 

Le  père  des  déistes  anglais,  Herbert  de  Cherbury, 
voir  Cherbury,  avait  insisté  sur  la  connaissance  natu- 
relle de  Dieu  dans  son  De  veritate,  prout  distinguitw 
a  revelatione,  etc.,  1645.  Mais  dans  son  De  religione 
gentilium  errorumque  apud  eos  causis,  1651,  il  s'était 
appliqué  à  montrer  que  toutes  les  erreurs  religieuses 
des  païens  venaient  de  l'inlluence  sacerdotale  et  des 
lois  civiles.  La  religion  naturelle  des  païens  était  pure; 
leurs  «  croyances  »  étaient  fausses.  Uobbes  nia  que 
«  nous  ayons  une  connaissance,  gravée  par  la  nature 
dans  notre  âme.  de  la  divinité  ;  »  ce  qui  était  la  thèse 
fondamentale  de  Cherbury;  «  et  son  opinion  était  qu'on 
ne  la  peut  acquérir  ni  par  les  arguments,  ni  par  les 
idées;  non  par  les  idées,  parce  qu'on  ne  peut  avoir 
l'idée  de  l'infini;  ni  par  les  arguments,  car  quoiqu'on 
puisse  inférer  assez  justement  de  ce  que  rien  ne  peut 
se  mouvoir  de  soi-même,  qu'il  y  a  un  premier  moteur 
éternel,  l'on  n'en  infère  pas  néanmoins  un  être  éternel 
immuable,  mais  un  être  éternel  en  mouvement:  puisque, 
de  même  qu'il  est  vrai  que  rien  ne  se  meut  par  soi- 
même,  aussi  est-il  vrai  que  rien  n'est  mis  en  mouvement 
que  par  une  chose  qui  est  en  mouvement.  »  Phys., 
part.  IV,  c.  xxvi.  Cf.  Samuel  Parker,  De  Deo  et  provi- 
dentiel, Londres,  1678,  disp.  I,  c.  xxvii.  Partant  de  ce 
principe  que  nous  ne  pouvons  avoir  l'idée  naturelle 
d'une  essence  immatérielle,  Hobbes  en  avait  déduit  que 
notre  âme  est  matérielle.  Leviathan,  1651,  c.  xu. 
Cependant  Dieu  n'est  pas  un  corps  et  «  c'est  contre 
l'honneur  de  Dieu,  qui  est  infini,  de  lui  attribuer  une 
figure.  »  lbid.,  c.  xxxi. 

Ces  conclusions  peuvent  paraître  contradictoires. 
Hobbes,  pour  se  mettre  d'accord  avec  lui-même  et 
avec  les  lois,  recourt  à  la  distinction  du  connaître,  du 
croire  et  de  la  foi.  Cherbury  déclarait  fausses  toutes  les 
croyances  fondées  sur  la  commune  opinion.  Hobbes. 
qui  déduit  et  dérive  tout  du  souverain,  asseoit 
les  croyances  sur  le  respect  des  lois;  mais  pour  lui 
«  croyance  »  ne  va  pas  sans  agnosticisme.  L'on  peut 
arriver  à  la  croyance  en  Dieu  —  opposée  au  connaître 
—  dit-il,  soit  par  la  raison  naturelle,  soit  par  le  respect 
des  lois  :  le  prince  ayant  le  droit  de  faire  et  d'imposer 
la  commune  «  opinion  > ,  qui  devient  objet  de  croyance. 
Cf.  Samuel  Clarke,  Praires  de  la  religion  tant  natu- 
relle que  révélée,  dans  Défense  de  la  religion  de 
Burnet,  t.  III.  Cette  doctrine  de  la  commune  opinion, 
origine  des  croyances,  est  à  rapprocher  :  1.  avec  le 
rôle  assigné  aux  prêtres  et  au  souverain  dans  l'origine 
des  cultes  par  Voltaire,  etc.,  et  aussi  parDupuis,  dans 
{'Origine  (astrale)  des  ailles,  171)5  :  ceux-ci  suivent 
la  tradition  de  Cherbury  ;  '2.  avec  les  vérités  du  seus 
commun  de  Huilier  et  de  l'Ecole  écossaise,  qui  ne  nous 
apprennent  rien  du  fond  des  choseset  au  fond  suppriment 
la  métaphysique  :  ce  mouvement  a  abouti,  on  le  sait, 
à  l'agnosticisme  désir  Hamilton,  d'où  est  venu  Mansel. 
puis  Spencer,  qui  ne  fait  que  mettre  en  oeuvre  ces 
deux  derniers.  Cf.  Spencer,  Les  premiers  principes, 


777 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE   DE; 


778 


c.  v,  Réconciliation  de  la  science  et  de  la  religion  par 
la  croyance,  c'est-à-dire  par  l'Inconnaissable. 

Hobbes  concède  en  paroles  que  «  la  foi  »,qui  corres- 
pond à  la  révélation,  nous  renseigne  sur  la  nature  in- 
trinsèque de  Dieu  —  comment,  l'ernpiriste  matérialiste 
ne  le  dit  pas;  et  on  explique  ordinairement  cette  con- 
cession par  le  besoin  d'être  en  règle  avec  les  pouvoirs 
établis.  La  croyance,  au  contraire,  qui  résulte  soit  de 
l'exercice  naturel  de  nos  facultés  sur  Dieu,  soit  de  la 
commune  opinion,  du  consentement  commun  à  la 
volonté  du  prince,  ne  nous  apprend  rien  de  la  nature 
de  Dieu.  «  Elle  nous  enseigne  seulement  à  lui  donner 
des  noms  honorifiques,  soit  négatifs,  soit  d'excellence, 
comme  infini,  très-haut;  mais  par  ces  termes  nous  ne 
disons  pas  ce  qu'est  Dieu  en  soi,  mais  seulement 
combien  nous  l'honorons  et  restituons.  Car,  quand 
nous  disons  qu'une  chose  est  infinie,  nous  voulons 
seulement  dire  que  nous  ne  pouvons  concevoir  les 
bornes  et  limites  de  cette  chose,  et  que  nous  ne 
concevons  que  notre  propre  impuissance.  »  Levia- 
l/tan,  c.  m,  n.  26.  Dans  le  De  cive,  c.  v,  S  14,  après 
avoir  repété  que  l'on  ne  peut  se  former  l'idée 
de  Dieu,  «  parce  que,  concevant  toutes  choses  par 
la  voie  de  la  sensation,  l'homme  ne  peut  rien  ima- 
giner que  ce  qui  frappe  ses  sens,  »  il  enseigne  que, 
lorsque  nous  désignons  Dieu  par  les  attributs  positifs 
€l  lui  attribuons,  par  exemple,  la  science  ou  l'entende- 
ment. "  l'on  n'a  point  d'autre  vue  que  de  réveiller 
l'esprit  plongé  dans  les  choses  sensibles.  »  Dans  le 
passage  du  nominalisme  empirique  à  l'interprétation 
pragmatique  des  formules  religieuses,  sauf  à  faire  appel 
à  l'incoiiipréhensibilité  divine,  Hobbes  devait  avoir  de 
nos  jours  plus  d'un  imitateur. 

Hobbes,  dans  le  De  corpore,  avait  rejeté  tous  concepts 
qui  prétendraient  au  titre  de  premiers  ou  d'innés;  ce 
qui  était  se  séparer  à  la  fois  et  de  Descartes  et  de 
l'École.  Locke,  place'  entre  l'empirisme  absolu  de 
Hobbes  el  I  innéismede  Descartes,  rejeta  nettement  et 
combattit  non  sans  finesse  les  idées  et  les  principes 
innés  cartésiens,  Essai,  1.  I;  mais,  tout  en  prenant 
pour  base  l'empirisme,  il  reconnut  la  valeur  de  la  ré- 
flexion, rejeta  la  commune  opinion  comme  origine  de 
la  croyance,  et  soutint  la  possibilité  de  prouver  l'exis- 
tence de  Dieu.  Essai,  1.  IV.  c.  xv,  xvi  ;  1.  II,  c.  xxm, 
S  12;  I.  IV,  c.  x.  où  Rom.,  i,  20,  est  allégué.  Inutile  de 
dire  que  l'auteur  du  fameux  chapitre  De  l'enthou- 
$iasme,l.  IV,  c.  \i\.  ne  s'accommode  pas  delà  préro- 
gative e  par  Hobbes  à  la  foi  de  nous  instruire 
sur  la  nature  divine  :  pour  Locke,  la  révélation  et  par 
suite  la  foi  sont  impossibles. 

Locke  essaie  donc  de  prouver  l'existence  de  Dieu  el 
<l  i  tpliquer  comment,  par  la  raison  naturelle,  nous  en 
avons  l.i  connaissance.  Mais  il  échoue  sur  le  premier 
point:  et,  quanl  au  second,  il  aboutit  aux  mêmes  con- 
clu-ions subjectivisles,  relalivistes,  et  par  conséquent 
stiques,  que  le  sensualiste  son  devancier.  Il  -  I 
inslrucl il  de  le  voir  à  l'œu\ re. 

.me  Occam,  Locke  attribue  les  relations  à  l'acti- 
vité du  sujet,   D'où  cette  th<  se,  sur  laquelle  Locke  ne 
de  revenir  que  «    toute   notre  connaissance  con- 
dans  la   vue  de  nos  propres  idées,  el  que  c'est 
Ile  que   roule  toute   notre  connaissance,   n  Essai, 
I.    IV,   c.    i.    n.    Venu    apn      Descartes,    Locke    ne 
lue  pas   pins    que  Malebranche  de  confirmer   la 
erreui     di      sens,  p  ir   la   non-obji 
vile    des    qualité  -    sensibles,    par   le   besoin    d  ii 
clain  par  la  confusion  entre  la  simple 

nce  d'une  cho  •   et  la  connaissance  adéquate, 

i  ompréhenslon,  do  bjel   Hobbi  - 

i  appliqué  la  conception   nominaliste  de  la 

Dti  il.  clui  H'  kl  idi  e  de  cause  :  pour  lui 

me  pour  Nicolas  d  tutrecourt  el  pour  l<  -  positivistes 

I<  rnea,  la  n  lation  d<  que   celle 


d'un  antécédent  à  un  conséquent.  Hobbes  définit  la 
causalité  :  aggregalitm  omnium  accidentium,  tiim 
agentium  quotquot  sunt,  tum patientis,  quibus  omni- 
bus supposilis  intelligi  non  potest  quxn  effectus  sit 
una  productus ,  et  supposito  quod  unum  eorum  desit, 
intelligi  non  potest  quin  effectus  non  sit  productus. 
Prima  philosoph.,  c.  ix.  Locke,  sans  même  remarquer 
qu'une  telle  définition  supprime  non  seulement  la 
liberté  d'indifférence,  mais  tout  libre  arbitre,  y  sous- 
crit volontiers.  «  Tout  ce  que  nous  considérons  comme 
contribuant  à  la  production  de  quelque  idée  simple, 
excite  par  là  dans  notre  esprit  la  relation  d'une  cause 
et  nous  lui  en  donnons  le  nom.  »  Essai,  1.  II,  c.  xxvi,  §  1. 

Aussi  Locke  voit-il,  après  Hobbes  et  comme  Stuart 
Mill  devait  le  remarquer  plus  tard,  que  dans  un  tel  sys- 
tème les  arguments  du  premier  moteur  et  de  la  pre- 
mière cause  ne  concluent  pas  à  Dieu  ;  que,  logiquement 
et  en  rigueur,  ils  ne  concluent  qu'à  l'impossibilité 
pour  nous  de  penser  qu'à  un  instant  donné  rien  n'était  ; 
que,  tout  au  plus,  grâce  à  l'action  latente  du  vrai  prin- 
cipe de  causalité  qui  est  présent  à  l'esprit  des  nomina- 
listes  comme  du  reste  des  hommes,  ils  ne  concluent 
qu'à  la  matière  éternelle.  Pour  exclure  cette  dernière 
conclusion,  Locke  raisonne  ainsi  :  parmi  les  choses  dont 
l'existence  est  certaine  se  trouve  l'âme,  qui  est  immaté- 
rielle. Or  la  matière  ne  peut  pas  être  la  cause  d'un  être  im- 
matériel; donc  Dieu,  la  première  cause,  est  immatériel. 
L'argument  est  excellent,  s'il  est  possible  d'en  prouver 
la  majeure.  Mais  Locke  en  est  incapable,  toujours  à 
cause  de  son  nominalisme.  En  effet,  l'âme  est  une 
substance  ;  or  Locke  en  vingt  endroits  répète  que  les 
«  substances  nous  sont  inconnues.  »  «  Le  mot  de 
substance  n'emporte  autre  chose  à  notre  égard  qu'un 
certain  sujet  indéterminé  que  nous  ne  connaissons 
point,  c'est-à-dire  quelque  chose  dont  nous  n'avons 
aucune  idée  particulière,  distincte  et  positive,  mais 
que  nous  regardons  comme  le  subslralum  des  idées 
que  nous  connaissons,  >  1.  I,  c.  III,  £  18;  1.  II,  C.  xxm, 
S  2,45.  Il  en  est  de  même  pour  les  essences  des  choses. 
Locke  trouve  «  beaucoup  plus  raisonnable  »  que  celle 
qui  soutient  que  nous  pouvons  les  connaître,  l'opinion 
de  6  ceux  qui  reconnaissent  que  toutes  les  choses  natu- 
relles ont  une  constitution  réelle,  mais  inconnue,  de 
leurs  parties  insensibles,  »  1.  III,  c.  m,  S  17.  Avec  un 
nominalisme  aussi  rigoureux,  comment  Locke  peut-il 
savoir  que  notre  âme  est  immatérielle?  Et  s'il  l'ignore, 
que  vaut  son  argument  en  faveur  de  l'existence  de 
Dieu?  Or,  il  l'ignore,  et  il  avoue  cette  «  ignorance  où 
nous  sommes,  concernant  la  nature  de  cette  chose 
pensante  qui  est  nous-mêmes,  »  1.  II,  c.  XXVI I,  §  27. 
En  ajoutant  à  la  sensation  la  réllexion  comme  source 
de  nos  idées.  Locke  s'est  donné  l'âme;  mais  son  nomi- 
nalisme le  prive  du  bénéfice  de  sa  trouvaille.  Car  il 
connaît  si  peu  l'âme  el  si  peu  la  matière,  quoiqu'il  ait 
des  idées  de  la  matière  et  de  la  pensée,  qu'il  écrit  : 
<  Peut-être  ne  serons-nous  jamais  capables  de  connaître 
si  un  être  purement  matériel  pense  ou  non.  par  la 
raison  que  sans  révélation  il  nous  est  impossible  de 
découvrir  si  Dieu  n'a  point  donné  à  quelques  amas  di 
matière  disposés  comme  H  le  trouve  ;i  propos,  la  puis- 
i  de  penser,  »  I.  III.  c.  iv,  §  (">.  Mais 
s'il  en  est  ainsi,  Locke  n'a  pas  prouvé  l'existence  de  Dieu. 

Mais,  homme,  il  avail   ci  tû  idée  naturelle  de  Dieu 
et  de  sou  existence  que,  philosophe,  il  mettait  en  péril, 

sinon  en    doute.   Il  n'a  pas   réussi   à    l'expliquer  mieux 

qu'il  n'avait  fait  à  la  légil r.  Lee.  xxm  du  1.  H  de  I  I 

insacré  i  cette  explication,  fin  y  lit  :  o  Les  idées 

simples  que  nous  avons  de  Dieu  sont  c posées  des 

impies  que  nous  recevons  de  la  réflea  u 

constitue,  nous    l'avons    dit.    un    propres    sur    Hobl 

hujusmodi  autem  simili  potest  in  potenliii 

il  <•/  m  virtutibus  operativit    humanis,  'dil 

saint   Thomas,  t'.nnt .  gvul  .,1.   I.  e.  xx\l.  (I.  UUngWI 


77!» 


DIEU    (CONNAISSANCE   NATURELLE    DE) 


7» 


Personalily  liuman  and  divine,  Londres,  1903.  «Après 
avoir  formé,  continue  Locke,  par  la  considération  de  ce 
que  nouséprouvons  en  nous-mêmes,  les  idées  d'existence 

cl  ilf  durée,  de  connaissance,  de  puissance,  de  plaisir, 
de  bonheur  et  de  plusieurs  autres  qualités  el  puissances 
qu'il  est  plus  avantageux  d'avoir  que  de  n'avoir  pas, 
lorsque  nous  voulons  former  l'idée  la  plus  convenable  à 
I  Être  suprême,  qu'il  nous  est  possible  d'imaginer,  nous 
étendons  chacune  de  ces  idées  par  le  moyen  de  celle 
que  nous  avons  de  l'infini,  et  joignant  toutes  ces  idées 
ensemble  nous  formons  notre  idée  complexe  de  Dieu,« 
§  33,  Sans  entrer  dans  la  discussion  détaillée  du  procédé. 
qui,  quoi  qu'en  pensent  les  modernistes,  est  bien  dillé- 
rent  de  celui  de  l'École,  puisque  Locke  est  nominaliste, 
ne  retenons  que  ce  qui  concerne  l'idée  d'infini.  Cette 
idée  est  la  pierre  d'achoppement  de  tous  les  systèmes 
nominalistes  ou  ultra-réalistes.  Malebranche  s'y  est 
heurté  aussi  bien  que  Spinoza,  bien  que  par  un  autre 
biais;  Locke  s'y  heurta  après  Ilobbes,  et  de  la  même 
façon  que  M.  Le  Roy.  Ce  dernier  prononce  que  le  mot 
infini  désigne  seulement  «  ce  double  fait  que,  dans  le 
progrés  des  représentations,  on  ne  peut  s'en  tenir  à 
aucun  stade  et  que  chaque  stade,  pleinement  vécu, 
suscite  aussitôt  le  suivant.  »  Dogme  el  critique,  2e  édit., 
Paris,  1907,  p.  280.  D'après  Locke,  «  lorsque  nous  nom- 
mons ces  attributs  [de  Dieu]  tn/mis,  nous  n'avons  aucune 
autre  idée  de  cette  infinité,  que  celle  qui  porte  l'esprit 
à  faire  quelque  sorte  de  réllexion  sur  le  nombre  ou 
l'étendue  des  actes,  ou  des  objets  de  la  puissance,  de 
la  sagesse  et  de  la  bonté  de  Dieu,  »  1.  II,  c.  xvn,  §  1. 
On  a  souvent  reproché  à  Locke  d'avoir  ici  confondu 
l'indélini  avec  l'infini,  et  de  n'avoir  réfuté  Hobbes,  qui 
niait  comme  Malebranche  toute  idée  de  l'infini  dans  un 
être  fini,  que  par  une  pure  équivoque.  En  réalité,  Locke 
avait  l'idée  de  l'infini,  puisqu'il  avoue  que  «  les  attri- 
buts de  Dieu  contiennent  toute  perfection  possible.  » 
Son  erreur  est  de  soutenir  que  nous  n'en  avons  que 
la  représentation  symbolique  qu'il  décrit  :  «  Telle 
est,  dis-je,  la  manière  dont  nous  les  concevons, 
telles  sont  les  idées  que  nous  avons  de  leur  infinité.  » 
Que  Hobbes  dise  que,  «  lorsque  nous  parlons  de 
l'infini,  nous  ne  signifions  que  notre  impuissance;  » 
que  Locke  explique  que  cette  impuissance  est  du 
même  ordre  que  celle  d'atteindre  le  nombre  infini 
par  la  multiplication  interne  d'une  infinité  de  nom- 
bres multipliés  sans  fin;  pour  un  métaphysicien, 
c'est  tout  un;  les  deux  empiristes  nominalistes  ne  dé- 
signent l'infini  positif  que  par  une  dénomination  extrin- 
sèque fondée  sur  leurs  actes  internes  et  s'interdisent 
systématiquement  tout  jugement  sur  sa  nature  intrin- 
sèque :  l'essence  de  l'agnosticisme  dogmatique  est  tout 
entière  dans  ce  procédé.  Du  même  point  de  vue  méta- 
physique, c'est  de  même  tout  un,  quant  au  fond  des 
choses,  sous  la  diversité  des  modalités  systématiques, 
de  dire  avec  M.  Le  Roy  :  «  Connaître  Dieu,  c'est  pren- 
dre ^conscience  de  ce  qu'implique  [l'acte  de  vivre,  » 
Revue  de  métaphysique  et  de  morale,  1907,  p.  498,  et 
de  parler  du  Dieu,  postulat  de  la  conscience  morale  de 
Kant,  du  Dieu  résumé  de  nos  expériences  intérieures 
de  Ritschl  et  de  Sabatier,  de  l'absolu  qu'implique  notre 
connaissance  du  relatif  de  Spencer,  de  l'immense  être 
inconnu  dont  l'être  personnel  a  le  sentiment  intime 
qu'il  dépend  de  Schleiermacher,  de  l'objet  de  la  foi 
morale  et  religieuse  de  sir  Hamilton  et  de  Mansel. 
Toutes  ces  formules,  dont  nous  n'épuisons  pas  la  liste, 
ont  ce  trait  commun  qu'elles  désignent  le  vrai  Dieu 
exclusivement  par  une  dénomination  extrinsèque,  sans 
pouvoir  arriver  à  rien  affirmer  de  défini  et  de  positif 
sur  la  nature  intime  de  la  substance  divine.  C'est  la 
position  de  Locke,  qui  très  logiquement,  puisque, 
d'après  lui,  même  les  substances  finies  nous  sontincon- 
uues,  se  refuse  à  dire  catégoriquement  que  Dieu  est 
une  substance,  1  II,  c.  xm,  $  17  sq. 


C'est  chez  Locke  un  principe  que  noire  «  connais- 
sance ne  va  point  au  delà  de  nos  idi'-js,  »  1.  IV,  c.  m, 
S  1.  Si  l'on  fait  abstraction  du  sens  snbjectiviste 
Locke  donne  au  mot  idée,  ce  principe  est  ('vident.  Or, 
d'un  autre  côté,  Locke  n'a  aucune  idée  des  causes,  des 
substances,  de  l'infinité  divine  ou  plutôt  la  seule  idée 
qu'il  en  ait  est  celle  de  l'activité  qu'il  déploie  pour  les 
penser,  de  la  pression  de  la  loi  subjective  qui  les  lui  fait 
nécessairement  concevoir.  Mais  cette  idée  subjective 
pourluin'estpas  représentative  de  la  cause, de  la  substan- 
ce, de  l'infini  en  soi,  dont  par  hypothèse  ou  par  système 
il  n'a  pas  connaissance.  Cependant  il  se  tient  pour 
assuré  de  la  réalité  de  ces  divers  objets,  et  donc  •  sa 
croyance  dépasse  ses  idées.  »  Telle  est  la  genèse  philo- 
sophique de  cette  formule  souvent  employée,  d'abord 
par  les  cartésiens,  alind  est  credere,  aliud  8< 
cf.  Lossada,  op.  cit.,  t.  iv,  p.  47;  Jourdain,  Histoire 
de  l'université  de  Paris,  Paris,  1862,  p.  209;  appendice, 
p.  144  sq.  ;  puis  par  les  jansénistes,  Denzinger,  n.  1392  ; 
enfin  par  les  agnostiques  dogmatiques;  et  telle  est  aussi 
l'origine  historique  de  la  distinction  des  vérités  notion- 
nelles  et  des  vérités  réelles,  reçue  depuis  Locke  chez 
les  idéalistes  et  chez  les  empiristes  anglais  et  familière 
sous  d'autres  noms  aux  pseudo-imsliques.  VoirXewman, 
An  essay  in  aid  of  a  grammar  of  assenl,  Londres, 
1892,  c.  vin,  §  1,  p.  282,  sur  la  ressemblance  abstraite 
de  Jean  et  Richard,  ce  qui  explique  la  théorie  de  l'ap- 
préhension des  propositions,  c.  I,  §  2,  p.  9  sq.  Cf.  Bau- 
din,  La  philosophie  de  la  foi  chez  Neivman,  dans  la 
Revue  de  philosophie,  Paris,  1906,  surtout,  juin,  p.  580; 
juillet,  p.  27.  En  sens  opposé,  Toohey,  An  index  lo  the 
grammar  of  assent,  Londres,  1907;  The  grammar  of 
assent  and  the  old  philosophy,  dans  The  Irish  theolo- 
gical  quarterly,  octobre  1907;  Neivman  ami  Moder- 
nisai, dans  The  Tablet,  4  janvier  1908. 

Convaincu  que  nous  ne  pouvons  avoir  aucune  idée 
de  l'infini,  Malebranche  recourt  à  la  fois  au  lidéisme 
et  à  la  vision  en  Dieu,  Recherche  de  la  vérité, 
part.  I,  I.  III,  c.  iv;  part.  II,  I.  III;  vers  le  même  temps, 
Pascal  pour  la  même  raison  recourt  à  la  foi  du  cœur. 
Dans  le  pays  de  Hume,  le  nominalisme  bien  développé 
dans  toutes  ses  conséquences  jette  Berkeley  dans  l'idéa- 
lisme de  Malebranche.  En  France,  Rousseau  décrie  la 
raison,  Emile,  Paris,  1793,  t.  n,  p.  356.  et  résout  le 
problème  religieux,  comme  tous  les  autres,  par  le  sen- 
timent, unique  voie  pour  arriver  à  la  vérité.  En  Alle- 
magne, Jacobi,  Kant,  Schleiermacher  se  précipitent, 
l'un  dans  le  sentiment  obscur  de  Dieu,  l'autre  dans  la 
conscience  morale,  le  troisième  dans  le  sentiment  de 
dépendance,  tous  au  fond  dans  le  subjectivisme  de  la 
doctrine  de  la  foi  justifiante,  qu'ils  accommodent  au 
scepticisme  et  au  rationalisme  de  leur  temps. 

L'histoire  le  prouve,  comme  la  logique  le  prévoit. 
Le  nominalisme  rigidement  exposé  aboutit  à  l'athéisme 
et  au  nihilisme  de  Hume,  ou  tout  au  moins  à  l'agnosti- 
cisme pur  d'Auguste  Comte,  de  Huxley  et  du  «  rationa- 
lisme »  anglais  contemporain.  Si  l'on  veut,  tout  en 
acceptant  la  position  nominaliste,  éviter  celte  abdica- 
tion de  la  conscience,  il  ne  reste  plus  qu'à  mettre  en 
système  que  «  notre  croyance  dépasse  nos  idées,  »  que 
seule  elle  atteint  le  réel,  et  à  construire  des  Glnubens- 
lehren,  qui  justifient  cette  retraite.  De  là  tant  de  livres 
d'apparence  constructive.  qui  ne  sont  au  fond  que  des 
apologies  déguisées  de  la  foi  subjective,  dont  le  protes- 
tantisme avait  semé  l'idée.  Locke  lui-même,  tout  ratio- 
naliste qu'il  est,  donne  l'exemple  de  cette  méthode. 

Comme  beaucoup  de  nos  contemporains,  Locke  - 
fait  de  la  conception  une  idée  toute  cartésienne  :  en 
dehors  de  l'idée  claire,  il  n'y  a  rien  pour  lui.  Or  il  est 
obligé  d'avouer  que,  dans  son  système,  une  substance 
immatérielle  échappe  à  notre  conception.  C'est,  en  effet, 
un  de  ces  objets  que  nous  ne  pouvons  concevoir  clai- 
rement qu'à  l'aide  des  relations  réelles  entre  la  cause 


781 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE 


782 


et  son  effet,  la  substance  et  ses  propriétés,  ou  à  l'aide 
de  l'application  objective  du  principe  de  raison  suffisante. 
La  difficulté  est  grande  pour  Locke,  puisqu'il  croit  à 
un  immatériel.  11  essaie  donc,  pour  la  résoudre,  de 
prouver  qu'à  «  bien  approfondir  les  idées  que' nous 
avons  de  toute  substance,  nous  ne  'connaissons  pas 
mieux  à  fond  la  corporelle  que  l'incorporelle.  »  Essai, 
1.  II,  c.  xxm.  Les  cboses  sont  donc  parfaitement  égales 
des  deux  cùtés.  A  l'oreiller  du  doute  substituons  le 
cbarme  des  ténèbres  en  religion. 

Dans  la  pbilosophie  nominaliste,  l'analogie  se  réduit 
à  une  vague  ressemblance,  et  le  raisonnement  par  ana- 
logie est  de  nulle  valeur.  Cf.  Stuart  Mill,  System  of 
logic,  1.  III,  c.  x.\  ;  Ilamilton,  Lectures  on  metaphysics 
and  logic,  édit.  Mansel.  Edimbourg,  1866,  t.  IV,  p.  170. 
D'autres  nominalistes,  comme  Kant,  Prolégomènes,  etc., 
§  r>7,  et  Whately,  Eléments  of logic,  2e  édit,  p.  138,  ré- 
duisent toute  analogie  à  une  ressemblance  de  rapports. 
Voir  Analogie.  Cf.  llastings,  Encyclopsedia  of  reli- 
gion and  ethics,  Edimbourg,  1908,  art.  Analogy. 

î  Le  nominalisme  idéaliste.  —  Nous  employons  ici  le 
mot  idéalisme  dans  le  sens  qu'on  lui  donne  le  plus  sou- 
vent quand  on  l'oppose  à  empirisme,  pour  désigner  les 
doctrines  qui  expliquent  la  genèse  de  nos  concepts  et 
des  principes  par  la  raison  elle-même. 

Hume  avait  déduit  les  conséquences  du  nomina- 
lisme jusqu'à  détruire  non  seulement  la  connais- 
sance des  substances  et  des  causes,  mais  bien  les 
substances  etles  causes  mêmes,  sans  en  excepter  la  sub- 
stance de  son  tnoi.  La  science  devenait  impossible.  Kant 
parait  s'être  proposé  de  sauver  du  naufrage  la  science, 
tout  en  restant  fidèle  à  la  thèse  protestante  de  l'impos- 
sibilité de  connaître  Dieu  par  la  raison  naturelle.  Ce 
~.i  ait  à  la  fois  la  ruine  du  déisme  et  du  catholicisme,  ces 
deux  formes  du  naturalisme  ou  du  pélagianisme  pour 
les  sectes  piétistes.  En  gaulant  la  croyance  en  Dieu 
donnée  par  la  conscience  morale,  on  préserverait  l'es- 
sentiel de  la  foi  justifiante;  et  il  n'y  aurait  qu'à  res- 
treindre l'objet  de  la  foi  à  la  simple  croyance  en  Dieu, 
pour  pouvoir  rester  protestant  quand  même,  tout  en 
admettant  le  rationalisme  de  Lessing.  Résoudre  d'un 
seul  coup  un  problème  ;iusm  complexe  était  difficile  • 
mu-  les  éléments  de  solution  étaient  dans  l'atmosphère 
du  monde  protestant  vers  la  tin  du  xvnr  siècle. 

kant  -avait  que  la  science  tendait  à  devenir  mathé 
malique  ;  sauvi  i  ilhématiques,  c'était  donc  sau- 

ver la  Bl  i'  DC  II  savait  aussi,  car  en  dehors  du  carté- 
sianisme (•'.'■tan  chose  admise,  que  les  mathématiques 
tint  Thomas  le  concède  après  Aristote,  font 
abstrael h'-  substances  el  dea  causes,  et  que  l'acti- 
vité du  sujet  pi  i  ie  un  rôle  considérable  dans 
la  constitution  de  l'objet  même  dis  mathématiques,  le 
quantum  abstrait,  continu  ou  discret.  D'ailleUI 
considération  de  la  subjectivité  de  nos  idées  était  à 
la  mode  depuis  I1  Locke,  Spinoza,  Leibaiz, 
Berkeley,  '-te.  Sans  s'expliquer  nettement  sur  l'objecti- 
vité de  l'espace  et  du  temps  on  discute  encore  sur 
-  Kant  mit  en  relief  le  côté  subjectil  de  notre 
connaissance  di  ci  -  quantités,  ■■!  -ans  trop  rie  pi  in 
lit  des  formes  de  notre  sensibilité.  Il  fallait  passer  aux 
nutri  -.  Kant  B'empara  de  I  hypothèse  nomi- 
naliste de  la  tubjectivité  des  relations  di  similitude,  de 
ubslance,  .'te.,  el  nui  tout  ion  ai  I  a  persuadai 
.m  lecteur  cette  hypothèse,  en  se  servant  adroitement 
■><  h-  deux  formes  de  la  si  li- 
sibilité.  Il  parvint  ainsi  a  parler  d 

d'un  x  inconnu     ce  que  faisaient  di  ià 

Vutrecoui  i  , ,,,,.  , ,  i 

i'"  «  biais,  h  %  en  a  moins  dans  Kant 

■I"  on  m-  'lit  ordim ment        consistait  a  pré»  nb  r, 

"ii'  .  l'objectivité  dei  rela 

l.  etc.     et  celle 
du   quantum  al, -Ira  .,„..   !,,,,     je  (/„„„_ 


tu  m  abstrait,  objet  des  sciences  mathématiques,  est  hors 
des  relations  substantielles  et  causales,  et  de  ce  que, 
d'autre  part,  par  les  sciences  nous  atteignons  le  réel 
puisque  nous  agissons  sur  lui,  on  concluait  que  la 
connaissance  des  substances  et  des  causes  est  hors  de 
la  science,  hors  de  notre  connaissance;  cependant  la 
connaissance  mathématique  subsistait.  D'ailleurs,  de  ce 
que  notre  activité  est  nécessaire  pour  qu'il  y  ait  temps, 
animacomplet  tempus,  on  concluait  au  droit  d'ériger  1» 
représentation  dos  relations  causales,  etc.,  en  pure  fonc- 
tion de  notre  activité.  Ces  points  acquis,  nos  concepts 
expriment  le  réel,  mais  symboliquement,  comme  en 
mathématiques  x  est  le  symbole  de  l'inconnue.  On  con- 
naît la  suite,  antinomies,  critique  des  preuves  de  l'exis- 
tence de  Dieu,  etc.,  qui  repose  sur  le  principe  de  Ni- 
colas d'Autrecourt. 

Après  avoir  accepté,  dans  la  Critique  de  la  raison 
pure,  la  distinction  du  connaître  et  du  croire  dont 
nous  avons  dit  les  origines  nominalistes,  Kant  se 
donne  l'idée  de  Dieu.  Ainsi  il  peut  croire  en  Dieu, 
qu'il  désigne  par  une  dénomination  extrinsèque, 
fondée  sur  ses  besoins  subjectifs  :  Dieu  devient  un 
postulat.  Mais  il  se  déclare  incapable  de  porter  au- 
cun jugement  valable  sur  la  nature  intrinsèque  de 
celui  que  sa  conscience  lui  présente  —  mais  dans  son 
hypothèse  nominaliste  ne  peut  pas  lui  représenter  — 
comme  juste  et  bon.  Critique  du  jugement,  î  86.  De 
cet  agnosticisme  croyant,  qu'il  légitime  par  l'exemple 
des  proportions  en  mathématiques,  Prolégomènes,  -?57, 
58,  il  déduit  l'impossibilité  de  la  révélation  propre- 
ment dite,  el  par  suite  de  tout  dogme;  mais  il  est  pro- 
testant, et  donne  des  formules  de  la  Bible  et  de  son 
Kglise  une  interprétation  morale.  La  religion  dans  les 
limites,  etc.  Cf.  i  Herzog,  Realencyclopâdie,  3e  édit.. 
art.  Theismus,  p.  592. 

5°  Critique.  —  I.  Le  nominalisme  prouve-t-il  la  sub- 
jectivité des  relations  de  causalité,  de  raison  suffisante, 
de  similitude,  etc.,  qui  sont  le  fondement  des  univer- 
saux  el  des  premiers  principes  et  par  suite  des  preuves 
de  l'existence  de  Dieu'.'  2.  Prouve-t-il  que  nous  n'avons 
aucune  connaissance  des  substances  et  des  causes  en 
soi,  que  nous  ne  pouvons  que  les  désigner  par  des 
dénominations  extrinsèques  sans  porter  sur  leur  nature 
intrinsèque  des  jugements  valables,  et  que  par  suite 
la  connaissance  de  Dieu  en  soi  nous  est  absolument 
impossible  ? 

A  la  première  question,  on  répond  que,  sans  excep- 
tion, depuis  Occam  jusqu'à  M.  Bergson,  les  nomina- 
listes se  donnent  la  subjectivité  des  relations  de  cause 
a  effet,  de  substance  à  propriétés,  etc.,  mais  ne  démon- 
trent pas  cette  hypothèse.  M.  Bergson,  dans  L'évolution 
créatrice,  reproche  avec  raison  à  Kant  de  se  donner  les 
formes  ou  moules  u  priori  el  à  Spencer  de  ne  rendre 
compte  de  rien  avec  ses  idées  héréditaires.  Pour  se 
mettre  hors  de  pair,  .M.  Bergson  recourt  à  une  seconde 
hypothèse  :  le  monisme  plotinien  lui  -cil  a  donner  de 
l'apparence  a  l'hypothèse  du  subjectivisme.  Mai-  la  lo- 
gique enseigne  que  la  probabilité  des  conclu-ion-  dé- 
croît  a   -m-    que    l'on  introduit  dan-  -c-    prémi 

plus  de   vues   systématiques,  et  que  cette  probabilité 

Bl     nulle    si    l'une    des    li  introduite 

absurde.   Nous  pouvons  donc  conclure  (pie  les  divi 

philosophiea  nominalistes  ne  prouvent  rien  (•■mire  li  - 
principes  et  les  conclusion-  classiques  de  la  théologie 
naturelle. 

reposent  sur  les  faits  suivants.  «.rnand 
distinguons  un  homme  qui  raisonne  d'un  animal 
qui  brait,  non-  connaissons  nettement  par  le  principe 
util- mie  me    propriété  de  la  lubi tan 

I  un    qui    e-t    exclusive  de  certaines    propriétés  ■  •  élue  - 

ubslance  ds  l'attire .  de  même,  pour  la  eau 

son  rapport   avec   l'effet,    dont    notre  acli 

lonne  mu  .  ,    typiqui     i    I In  nous  objecta  la 


7HH 


DIEU    (CONNAISSANCE   NATURELLE    DE 


784 


d'illusions  des  sens,  d'erreurs, etc. ;  nous  acceptons  les 
faits  constatés,  tout  en  nous  déliant  des  interprétations 
que  l'on  en  donne;  mais  nous  nions  la  parité  des  cas. 
—  2.  On  nous  montre  que  les  sciences  de  classification, 
par  exemple  la  botanique,  n'atteignent  guère  <|ue  les 
dehors  des  choses;  et  que  les  sciences  physiques  font 
souvent  de  même,  par  exemple  quand  elles  définissent 
l'électricité,  «  la  cause  inconnue  des  phénomènes  sui- 
vants. »  On  répond  avec  saint  Thomas  que  les  sciences 
de  classification  ne  définissent  les  êtres  que  par  leurs 
accidents,  comme  lorsqu'on  dit  que  l'homme  est  un 
bipède,  et  que  souvent  les  sciences  physiques  ne  dé- 
finissent les  causes  que  par  leurs  effets,  parce  que  les 
différences  essentielles  des  êtres  nous  échappent  sou- 
vent :  essentielles  differentise  ex  accidenlibus  nomi- 
nantur,  In  IV  Seul.,  I.  III,  dist. XXVI,  q.  l,a.i,  ad  3""'; 
sicul  causa  signi/icatur  per  suum  effectum,  vicul 
bipes  ponitur  differentia  hominis.  De  ente  et  essenlia, 
c.  vi,  Venise,  1595,  t.  v,  p.  28.  Mais  nous  échappent- 
elles  toujours?  Et  ne  savons-nous  réellement  rien  de 
l'électricité,  des  champignons,  etc?  Les  apparences  ne 
nous  appprennent-elles  absolument  rien  des  réalités'.' 
Cf.  Hastings,  Encijclopœdia  of  religion  and  elltics, 
Edimbourg,  1908,  art.  Agnostieism  et  Absolule;  Ca- 
tholic  Enajclopsedia,  New-York, 1907,  art.  Agnostieism. 
Enfin,  la  méthode  des  sciences,  telle  que  nous  l'a  léguée 
le  xviii«  siècle,  qui  ne  se  préoccupe  ni  des  causes,  ni 
des  origines,  est-elle  toute  la  méthode?  Cf.  Gwatkin, 
The  Knowledge  of  God,  Edimbourg,  1906,  t.  i,  p.  11. 

—  3.  On  fait  appel  aux  sciences  mathématiques,  aux 
intuitions  spatiales  et  temporelles  —  Kant  et  Renouvier, 
La  monadologie  nouvelle,  p.  102,  111,  et  passim  —  aux 
jugements  synthétiques  et  analytiques,  au  symbolisme 
■et  à  la  conventionnalité  des  formules  mathématiques, 
qui  ne  représentent  le  réel  que  par  correspondance 
'.Spencer).  Nous  avons  indiqué  ce  qu'il  faut  concéder 
sur  ce  point.  Mais  ici  encore  on  devrait  pour  conclure 
nous  prouver  la  parité  des  cas  ;  et  on  oublie  celte  règle 
de  logique.  De  ce  que  l'activité  du  sujet  joue  un  grand 
rôle  dans  la  constitution  de  l'objet  des  mathématiques; 
de  ce  que  dans  l'étude  du  quantum  qui  est  leur  objet 
nous  faisons  abstraction  des  relations  substantielles, 
causales,  etc.,  il  ne  suit  pas  que  le  rôle  de  notre  esprit 
soit  le  même  dans  la  perception  des  relations  de  simi- 
litude, de  causalité  qui  régissent  le  monde  concret,  ni 
que  nous  n'atteignons  pas  ces  relations  dans  le  monde 
des  réalités  qui  nous  environnent  et  agissent  sur  nous. 

—  i.  Enfin,  Kant,  comme  autrefois  Nicolas  d'Autrecourt, 
a  la  prétention  de  nous  faire  «  passer  par  ses  condi- 
tions ».  L'évidence  des  propositions  de  géométrie  n'est 
pas  celle  des  autres  propositions;  or,  dans  les  propo- 
sitions de  géométrie,  il  ne  s'agit  que  de  rapports  posés 
par  l'esprit;  donc  nos  jugements  sur  toutes  les  caté- 
gories ne  sont  qu'un  «  lien  logique  »,  et  penser,  c'est 
quantifier,  qualifier,  etc.;  toutes  opérations  qui  ne 
nous  apprennent  rien  de  l'ae  inconnu.  Celle  négation  de 
la  possibilité  de  toute  métaphysique  objective  suivrai! 
chez  Kant  comme  chez  Nicolas  d'Autrecourt,  s'il  était 
nécessaire  que  toute  évidence  soit  de  l'ordre  des  évi- 
dences mathématiques.  Mais  nous  ne  pouvons  avoir 
d'évidences  mathématiques  qu'en  faisan1  abstraction 
de  toutes  les  relations  réelles  connues  de  ions,  autres 
que  les  relations  de  la  quantité;  et  cette  abstraction 
n'est  possible  d'une  manière  réfléchie  qu'autant  que 
nous  connaissons  ces  autres  relations,  qui  ne  sont  pas 
des  relations  quantitatives.  Mais  s'il  en  est  ainsi,  il  y 
a  un  cercle  vicieux  à  passer  du  fait  de  la  possibilité  de 
l'abstraction  mathématique  à  la  négation  d'une  des 
conditions  de  ce  l'ait.  Sur  ce  point,  il  faut  se  séparer  de 
ceux  qui  avec  M.  Sentroul,  Revue  néoscolastique, 
Louvain,  mai  1906,  p.  185  sq.,  pensenl  qu'il  o  faut 
passer  par  les  conditions  »  de  Kant. Cf.  Baille,  Qu'est-ce 
que  la  science  ?  l'aris,  1907. 


L'hypothèse  de  la  subjectivité  des  relations,  qui  sont 
le  fondement  objectif  des  universaux  el  des  principe! 
nécessaires  et  universels,  n'est  donc  pas  démontrée. 
Nous  pouvons  donc  rester  sans  trouble  fidèles  au 
lisme  du  bon  sens.  En  indiquant  la  trame  générale  d<  a 
j  raisonnements  par  lesquels  on  montre  que  l'hypothèse 
nominaliste  n'enlame  pas  les  preuves  classiques  de 
l'existence  de  Dieu,  nous  avons  donne'-  la  réponse  à  la 
seconde  question  posée.  Nous  avons  quelque  connais- 
sance des  substances,  des  causes  finies;  très  souvent, 
nous  ne  les  désignons  que  par  des  dénominations  ex- 
trinsèques; mais  nous  pouvons  aussi  dans  bien  dé- 
porter des  jugements  valables  sur  leur  nature  intrin- 
sèque. L'analogie  ne  se  réduit  donc  pas  toujours  à  une 
vague  ressemblance,  ni  à  une  ressemblance  de  rapports, 
comme  le  veulent  les  nominalistes.  Le  raisonnement 
par  analogie  peut  donc  être  valable;  et  nous  pouvons 
penser  par  des  concepts  analogiques  les  êtres  immal  - 
riels,  Dieu  lui-même  (analogie  logique).  L'agnosticisme 
dogmatique  ou  croyant  avoue  penser  Dieu,  puisqu'il 
croit  à  l'existence  de  l'Absolu;  mais  il  se  refuse  à  recon- 
naître que  nos  jugements  sur  Dieu  ont  une  valeur  de 
vérité  :  ab  eo  quod  res  est  aut  non  est,  oralio  dicitur 
vera  vel  falsa.  Quand  nous  disons  que  nou>  pouvons 
penser  Dieu,  nous  allons  plus  loin  :  en  affirmant  de 
Dieu  les  attributs  absolus,  c'est  de  Dieu  considéré  en 
lui-même,  abstraction  faite  des  créatures  et  de  notre 
mode  de  penser,  que  nous  parlons.  Si  l'on  admet  la  va- 
leur objective  des  relations  de  causalité,  de  similitude 
et  de  raison  suffisante,  l'explication  philosophique  de 
notre  dogmatisme  est  facile. Tout  se  réduit  à  ce  raison- 
nement :  qui  finxil  oculum,  non  considérât'.'  Y's.  xem, 
9.  Raisonnement  spontané,  qui  s'explicite  :  l'effet  procède 
de  sa  cause  suivant  un  mode  déterminé',  par  lequel  il  lui 
ressemble.  Le  principe  de  raison  suffisante  exige  donc 
que  la  cause  soit  d'abord  déterminée,  avant  que  reflet 
le  soit;  car  toute  action  est  produite  en  vertu  d'un  prin- 
cipe qui  est  dans  la  cause.  S.  Thomas,  De  potentnt. 
q.  vu,  a.  6.  Donc,  si  parmi  les  effets  produits  par  Dieu 
se  trouve  celui  que  nous  appelons  science,  il  faut 
qu'il  y  ait  en  Dieu  quelque  chose  qui  réponde  à  la  dé- 
finition de  la  science.  S.  Thomas,  In  IV  Sent.,  1.  I. 
dist.  XXXV,  a.  1,  ad  2unl.  Sans  doute,  Dieu  est  infini, 
et  nous  n'obtenons  de  sa  nature  intrinsèque  par  ce 
procédé  qu'une  connaissance  très  inadéquate,  très  im- 
parfaite. Mais  notre  connaissance  reste  vraie.  Le  même 
saint  Thomas  indique  bien  le  résultat  auquel  on  ar- 
rive :  «  On  parle  du  sourire  des  prés  en  Heurs;  la 
sagesse  incréée,  si  l'on  considère  ce  qu'elle  est  en  Dieu 
—  où  elle  est  la  substance  divine  —  diffère  plus  de  la 
sagesse  créée  que  la  lloraison  des  prés  ne  diffère  du 
sourire  de  l'homme;  mais  quant  à  la  raison  objective 
pour  laquelle  on  donne  le  nom  de  sagesse  et  A  la  sa- 
gesse divine  et  à  la  sagesse  créée,  la  ressemblance  est 
plus  grande  qu'entre  les  lleurs  des  préset  le  sourire  de 
l'homme,  parce  que  cette  raison  objective  est  une  par 
analogie  (ontologique),  se  trouvant  en  Dieu  comme 
dans  le  premier  principe  et  dans  la  créature  par  voie 
de  causalité.  «  lu  IV  Sent..  1.  1,  disp.  XXII,  q.  1, 
a.  2,  ad  3'"".  C'est  tout  ce  que  la  logique  exige,  quoi 
qu'en  ait  dit  Duns  Scot,  partisan  de  l'univocilé  ontolo- 
gique, pour  que  notre  connaissance  de  Dieu  soit  telle 
que  nous  puissions  procéder  par  déduction  en  théodi- 
cée  et  en  théologie.  Et,  puisque  le  nominalisme  n'est 
qu'une  hypothèse,  nous  gardons  le  droit  de  rester 
fidèle  à  l'intellectualisme  objectiviste  qui  est  celui  de 
l'humanité  et  de  l'Église.  A  côté  des  autres  sciences, 
il  estime  science  per  ullimas  causas,  la  métaphysique. 

Pour  les  discussions  de  détail  avec  les  positivistes  et  les  kan- 
tistes.  voir  Mac  Cosh,  The  méthod  o/  the  divine  government, 
4'  édil.,  Edimbourg,  1855;  The  mutilions  of  the  miiui,  ilntl., 
1860;  M.  Cosh  montre  bien  que  l'agnosticisme  de  Kant  et  de 
Hamilton  vient  de  leur  nominalisme,  au  sens  où  nous  avons  pria 


78; 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE) 


786 


ce  mot;  Hodge,  Systematic  theology  (protesl.).  Londres,  1871. 
t.  i,  p.  335-365  ;  De  Rroglie,  Le  positivisme  et  la  science  expé- 
rimentale, 2  in-8°,  Paris,  -1880;  Ward,  Essays  on  the  philoso- 
phy  oftheism,  2  vol.,  Londres,  1884;  Gruber,  Auguste  Comte  ; 
Le  positivisme  depuis  Comte,  2  vol.,  Paris,  1893;  Pescb,  Insti- 
tutiones  logicales,  Fribourg-en-Brisgau,  1889,  t.  n,  p.  349-366, 
et  n.  874,  critique  de  Kant.  Dehove,  La  critique  kantienne  des 
preuves  de  l'existence  de  Dieu,  Lille,  1905,  montre  très  bien 
que  cette  critique  se  ramène  à  nier  la  valeur  de  l'infércnce  :  de 
ce  que  quelque  chose  existe,  une  autre  existe;  et  cela  en  vertu 
de  l'hypothèse  subjectiviste  non  démontrée.  Sentroul,  L'objet  de 
la  métaphysique  selon  Kant  et  selon  Aristote,  a  essayé  une 
méthode  qui  a  soulevé  bien  des  discussions  que  l'on  trouvera 
dans  Godsdienst,  Wetenschap,  Lctteren,W06,  p.  53-78  (Begout); 
Ilevue  néo-scolastiquc,  mai  1906,  p.  164-200  (Sentroul)  ;  Revue 
de  philosophie,  juillet  1907  (Farges)  ;  novembre  1907,  p.  446- 
471  (Sentroul);  Revue  pratique  d'apologétique,  15  septembre 
1908  (Piat),  Pesch,  liant  et  la  science  moderne,  trad.  Lequien  ; 
Paris;  Piat,  L'idée  ou  critique  du  kantisme,  Paris,  1907; 
Farges,  La  crise  de  la  certitude,  Paris,  1907;  Laminne,  La 
philosophie  de  l'Inconnaissable,  Bruxelles,  1908;  Gérard,  The 
uhl  riddle  and  the  newest  answer.  Londres,  1904;  Gruber, 
art.  Positivismus ,  dans  Kirchenlexicon,  2"  édit.,  Fribourg-en- 
Brisgau.  Chossat,  art.  Agnosticisme,  dans  le  Dictionnaire 
apologétique,  Paris,  1909,  t.  i,  col.  1-75,  expose  et  discute 
d'après  saint  Thomas  l'agnosticisme  de  Maimonide  et  d'Avicenne 
et  montre  que  nos  problèmes  modernes  ne  sont  pas  tout  à  fait 
neufs.  Tour  la  vulgarisation,  Halleux,  La  philosophie  condam- 
lusitiviste  et  kantienne),  Paris,  1908. Pour  la  bibliographie 
de  lliistoire  du  sujet,  col.  798-799. 

VI.  Le  pseudo-mysticisme.  —  La  possibilité  de  la 
connaissance  certaine  de  Dieu  par  la  raison  naturelle 
suppose  qu'on  admet  la  valeur  des  éléments  intellec- 
tuels dans  la  connaissance  religieuse.  Les  pseudo- 
mystiques  l'ont  souvent  mise  en  question.  11  y  a  pour 
toutes  les  âmes  menées  par  les  voies  mystiques  un 
danger  contre  lequel  tous  les  directeurs  orthodoxes 
les  prémunissent,  celui  d'attacher  trop  d'imporlance 
au  sentiment,  à  la  vie  émotive  dans  la  vie  spirituelle; 
c'est  de  là  que  naît  souvent  la  tcntalion  qu'elles  ont 
de  préférer  leurs  lumières  ou  leurs  obscurités,  en  un 
mot  la  connaissance  religieuse  qui  leur  vient  de  leurs 
expériences  intérieures,  aux  données  de  la  foi.  Poussée 
à  la  limite,  l'exagération  de  la  valeur  religieuse  du 
sentiment,  de  l'expérience  intérieure,  suflit  à  elle 
seule  .i  faire  déclarer  impossible  et  non  valable  toute 
connaissance  rationnelle  de  Dieu.  Deux  exemples  nous 
sufliront  pour  le  montrer. 

I.  MOLINOS  ET  JACQUES  BOEHMB.  —Le  pseudo-m\s- 
tique  libidineux  Molinos,  dont  M.  William  .lames  s'est 
constitué'  le  chevalier.  Varieties  of  religious expérience, 
Londres.  1902,  p.  130,  était  entiché  de  -  foi  obscure  et 
universelle,  »  c'est-à-dire  d'une  certaine  expérience 
mystique  de  l'Être  illimité'.  Il  écrit  d'un  trait  :  «  Celui 
qui  dans  l'oraison  se  sert  d'images,  de  ligures,  de 
représentations  el  de  conceptions  propres,  n'adore 
pas  Dieu  eu  espril  i  t  en  vérité.  Celui  qui  aime  Dieu 
■nivanl  que  la  raison  argumente  ou  que  l'esprit  com- 
prend, n  adore  pas  le  vrai  Dieu.  Denzinger,  n.  1 105 sq. 
En  d'autres  tenues,  les  représentations  intellec 
tuelles,  que  nous  pouvons  avoir  par  le  discours  ou 
par  les  formules  traditionnelles,  en  dehors  de  l'expé 
rience  mystique  de  la  «  foi  obscure  el  universelle  -. 
sont  tant  valeur  objective.  On  voit  que,  sans  se  per- 
dra dans  le  dédale  des  philoaophies,  Molinos  aboutis- 
ticisme,  relalivemenl  i  l'ordre  de 
eption,  au  aotionnel.  Donc,  pour  lui,  sans  expé- 
1  ii  ure     urnaturelle,  pa  ibilit*    di 

connaître  le  vrai  Dieu, 


bien,  v*  leçon;  E.  Xaville,  Les  philosophies  négatives,  Paris, 
1900,  p.  185-222. 

Iiu  mysticisme  au  panthéisme  ou  à  la  connaissance 
purement  négative  de  Dieu  des  néoplatoniciens  et  du 
soufisme,  il  n'y  a  qu'un  pas  :  et  plus  d'un  mystique  le 
franchit  au  moyen  âge.  Dans  les  deux  cas,  c'est  encore 
l'impossibilité  de  toute  connaissance  rationnelle  de 
Dieu.  Le  «  Philosophe  allemand  »,  Jacques  Boehme,  et, 
après  lui,  les  «  enthousiastes  »ou  fanatiques  tombèrent 
dans  ces  erreurs.  Ils  appelaient  Dieu,  considéré  en 
lui-même  et  sans  les  créatures,  un  Rien,  nihil. 

Comme  les  vues  de  Boehme  se  rattachent  à  celles  de 
Fichte,  de  Hegel  et  de  Schelling,  par  l'intermédiaire 
de  Geulincx,  de  Spinoza,  de  Malebranche  et  de  Berke- 
ley, cf.  l'hégélien  Schvvegler,  Geschiclile  der  Philaso- 
pliie,  tiré  à  part  de  la  Neue  Encyclopudie  der  Wis- 
senschaften  und  Kûnste,  Stutlgart,  1848,  p.  90.  la 
doctrine  de  l'immanence  n'est  pas  sans  lien  avec  lui. 
D'autre  part,  les  dévots  actuels  de  l'Inconnu  ou  de 
l'Inconnaissable  s'inspirent  souvent  de  Boehme  ou  de 
ses  ancêtres.  Cf.  Thamiry,  De  ralionibus  seminalibus 
el  immanentia,  Lille,  1905.  Il  est  donc  nécessaire  de 
noter  que,  si  certains  mystiques  orthodoxes  ont  autre- 
fois employé  l'expression  de  Boehme,  ainsi  que  nous 
l'apprend  M.  Sertillanges,  qui  connaît  mais  ne  nomme 
pas  de  «  grands  mystiques  thomistes  qui  ont  parlé  avec 
une  sorte  d'épouvante  religieuse  du  néant  de  Dieu,  » 
dans  la  Revue  de  p/dlosophie,  février  1900,  p.  lii. 
cette  formule  n'avait  pas,  sous  leur  plume,  le  même 
sens  que  chez  Hoehme. 

En  ellet,  les  mystiques  orlliodoxes  :  1"  faisaient  une 
dill'érence  entre  Rien,  niltil,  et  Néant,  non  ens. 
Cf.  Denille,  Chartularium  universilatis  Parisie)isis, 
t.  il,  pièce  10i2,  p.  506.  2°  Ils  admeltaient,  à  l'inverse 
des  pseudo-mystiques  comme  maître  Eckart,  Denzinger. 
n.  428,  et  Boehme,  qu'on  peut  se  faire  une  idée  de 
Dieu,  lorsqu'on  le  considère  en  lui-même  et  sans  rap- 
port aux  créatures.  3°  Enfin,  les  mystiques  orthodoxes 
n'appliquaient  à  Dieu  considéré  en  lui-même,  à  la  plé- 
nitude de  l'Etre,  l'épi thèle  de  nihil,  que  pour  exprimer 
sa  grandeur  par  l'apport  à  nos  connaissances  et  à  nos 
lumières  et  l'absolue  incompréhensibilité  de  la  nature 
divine,  qu'une  forme  de  pensée,  tirée  des  créatures,  ne 
peut  pas  adéquatement  représenter  et  saisir.  La  ques- 
tion n'est  pas  ici  de  savoir  si  cette  façon  de  s'exprimer 
de  ces  mystiques  orthodoxes  était  heureuse.  Tout  le 
monde  aujourd'hui  la  trouvera  choquante,  fondée  sur 
une  distinction  à  peine  intelligible  entre  nihil  et  non 
ens,  et  de  nature  à  induire  en  erreur  :  tous  défauts 
qu'on  ne  lui  fait  pas  perdre,  en  l'isolant  des  contextes 
oubliés  où  elle  se  trouve.  Mais,  heureuse  ou  non,  Cette 
expression  n'a  pas,  chez  les  mystiques  orthodoxes,  le 
sens  puremenl  négatif  qu'elle  a  chez  ceux  qui,  comme 
Boehme  et  les  fanatiques,  ne  le  sont  pas. 

Chez  les  mystiques  orthodoxes  qui  l'emploient,  ce 
nihil  ne  signifie  pas  que  Dieu  est  l'indéterminé,  ni 
que  la  connaissance  mystique  est  puremenl  négative. 
Elle  vent  dire  que  la  connaissance  )><isilire  de  la  divi- 
nité donne  à  l'une  la  claire  notion  de  l'incompréheu- 
sibililé  divine,  en  sorte  que  par  la  l'âme  si'  forme  de 
Dieu  une  idée  1res  relevée,  bien  que  confuse,  et  com- 
prend qu'il  \  a  pour  elle  une  grande  intelligence  de  la 
nature  divine  ■<  saisir  que  nul  être  fini  n'a  le  pouvoir 
de  la  comprendre,  de  la  pénétrer  adéquatement  Dans 
cii  état,  tous  |eg  termes  de  comparaison  font  défaut  a 
elle  écarte  toutes  les  formes  ordinaires  de  pensée 

ec w  impropret  •■  Iraduin   ce  qu  elli    i  on  ">i    el,  à 

n  ell i I  précisémenl  qu'aucune  foi  me 

n'esl  adéquate  ■<  I  ei  i  nce  divine  Les  lignes  sui- 
vantes de  sainte  tagéle  de  Poligno  montrent  que  tel 
■  si  le  sens  de  nihil,  dans  la  formule  nihil  videt,  d'où 

est  venue  I  ,,   que   Dieu   ,sl    uihd   .     Kl    ulen  r] - 

ht  in lenebra,  quiae  bonum,quod  ne<  poêtil 


787 


1)1  KU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE 


788 


cogilari  nec  inlelligi,  et  omne  quod  potesl  Cogitari 
rel  intelligi  non  attingit  ad  illud...  Et  nihil  videt 
omnino  cuiinia  quod  narrari  jiossit  ore,  nec  etiam 
concipi  corde  ;  et  nihil  videt  et  omnia  videt.  Cf.  Acla 
sanctorum,  Anvers,  1643,  t.  i  januarii,  p.  197,  n.  72; 
cf.  ri.  148,  207;  S.  Thomas,  In  IV Sent.,  1.  I,  dist.  VIII, 
q.  i,  a.,1,  ad  5um;  De  potentia,  q.  vu,  a.  5,  ad  13W|"  sq.; 
Suarez,  Disi>.  metaph.,  disp.  XXX,  sect.  xu,  n.  12. 

On  objecle  que  saint  Thomas,  après  saint, Jean  Da- 
mascène,  parle  de  «  l'être  indéterminé  de  Dieu  »,Sum. 
theol.,  Ia,  q.  xi,  a.  4;  q.  xm,  a.  14;  De  potentia, q.vii, 
a.  5;  que  par  conséquent  pour  lui  comme  pour  l'iotin, 
IIIe  Ennéade,  1.  VIII,  c.  IX,  et  pour  Spinoza,  omnis 
determinatio  est  limitatio  seu  negalio ;  d'où  il  suit 
que  tous  les  noms  de  Dieu  sont  purement  négatifs. 
Cf.  de  Munninck,  Praelectiones  de  Dei  exislentia,  Lou- 
vain,  1901,  p.  96,  99;  Sertillanges,  dans  La  quinzaine, 
1«  juin  1905,  p.  412  sq.,  et  dans  la  Revue  du  clergé 
français,  1er  octobre  1905,  p.  317.  —  Réponse.  —  La 
formule  de  saint  Jean  Darnascène  estclassique  pour  ex- 
primer la  plénitude  de  l'être  divin  ;  si  nous  appelonscette 
plénitude  «  indéterminée  »,  ce  n'est  pas  qu'elle  n'est 
pas  saisissante  en  soi,  c'est  parce  que  nous  savons  que 
la  simplicité  de  sa  nature  parfaite  et  certains  de  ses 
modes  d'opérer  que  nous  connaissons,  sont  absolument 
incommunicables  à  tout  être  fini;  de  plus, ce  terme  né- 
gatif connole  l'impossibilité  où  nous  serons  toujours 
d'épuiser  la  richesse  de  la  simplicité  divine  et  l'impos- 
sibilité d'une  représentation  adéquate  de  l'infinie  per- 
fection par  des  perfections  créées.  D'ailleurs,  pour 
saint  Thomas,  qui  suit  en  ce  point  le  pseudo-Denys, 
De  potentia,  q.  vu,  a.  2,  ad  9"m;  Sum.  Iheol.,  Ia  II*, 
q.  il,  a.  5,  ad  2om,  les  déterminations  dans  les  êtres 
finis  ne  sont  pas  des  négations,  mais  bien  des  addi- 
tions. L'être  infini,  au  contraire,  est  le  seul  à  qui  onto- 
logiquement  rien  ne  peut  s'ajouter,  parce  que,  tous 
les  êtres  finis  étant  limités  à  une  perfection  déterminée, 
liieu  est  au  contraire  en  soi  et  par  soi  toute  perfection, 
in  se  inclv.dit  omnem  modum  perfeclionis;  c'est  en 
cela  que  consiste  son  infinité  positive.  De  verilate, 
q.  XXIX,  a.  3.  Cf.  Penzinger,  n.  1631.  Pans  ce  sens, 
saint  Thomas  répète  souvent  que  l'être  divin  est  l'être 
sans  addition,  esse  sine  additione  est  esse  divinum, 
parce  qu'il  est  de  son  concept  d'exister,  et  de  ne  rien 
pouvoir  recevoir,  vu  qu'il  est  l'infinie  perfection,  Sum. 
Iheol.,  Ia,  q.  m,  a.  4,  ad  l"ra;  et  il  se  sert  souvent  de 
cette  considération  pour  rejeter  le  panthéisme  de  Plo- 
tin  et  des  Arabes,  De  potentia,  q.  VII,  a.  2,  ad  6um,pour 
écarter  du  pseudo-Denys  tout  soupçon  de  panthéisme. 
Cont.  génies,  1. 1,  c.  xxvi.  Dieu  est  donc,  pour  saint  Tho- 
mas, distinct  du  monde,  bien  qu'immanent,  c'est-à-dire 
bien  qu'omniprésent,  ibid.  ;  et  il  est  absolument  déter- 
miné en  soi.  Celte  dernière  formule  est  fréquente  chez 
saint  Thomas  et  il  signale  les  inconvénients  de  penser 
autrement.  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  XXIV,  q.  i,  a.  1, 
ad  3""';  dist.  VIII,  q.  îv,  a.  1,  ad  l"m;  1.  II,  dist.  III, 
q.  i,  a.  2;  De  potentia,  q.  i,  a.  2,  ad  7"1";  q.  vu,  a.  2, 
ad  6i,m;  Cont.  génies,  1.  I,  c.  \.\vi;  Quodlibet.,  q.  vu, 
a.  1,  ad  I"»;  a.  6.  Cf.  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  XIX,  q.i, 
a.  1,  ad  lum;  Sum.  theol.,  I1,  q.  xm,  a.  11,  ad  2UI". 
D'où  il  suit  que  nos  jugements  sur  Dieu,  sans  avoir 
une  valeur  de  définition,  nos  concepts  appliqués  à 
Dieu  laissant  rem  incomprehensam  et  excedentem 
nominis  signi/icalionem  (analogie  ontologique),  ibid., 
a,  5,  portent  cependant  sur  l'essence  divine  considérée 
en  soi,  subslanlialilcr.  Ibid.,  a.  2.  Et  nous  pouvons 
parler  de  la  perfection  divine  «  absolument  »  et  aussi 
de  l'être  divin  «  au  sens  absolu  ».  Sum.  theol.,  I», 
q.  xm,  a.  11,  ad  3».œ;  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  XXII, 
q.  i,  a.  2,  ad  2llm.  Au  point  de  vue  absolu,  tout  ce  qu'on 
peut  dire  de  Dieu  n'est  donc  pas  faux,  ibid.,  ad  4um; 
et  si  tout  cela  n'est  pas  faux,  les  formules  ne  sont  pas 
indifférentes,  De  potentia,  q.  vil,  a.  i,  ad  8"m;  Penzin- 


Lfv,  n.  155;  et  nous  »  savons  au  vrai  ce  que  nous 
disons  de  Dieu,  »  lorsque  nous  disons,  par  exemple, 
que  Dieu  est  personnel.  De  potentia,  q.  vu,  a.  2, 
ad  I""  ;  Cont.  génies,  1.  I,  c.  xu  ;  Sum.  theol.,  I  . 
q.  m,  a.  '».  ad  2"m;  q.  XIII,  a.  8,  ad  2um;  a.  12.  On  sait 
d'ailleurs  que  dans  celte  dernière  question  de  la  Somme 
saint  Thomas  a  réfuté  ex  professa  la  théorie  de  la 
connaissance  purement  négative  d  Avicenne  et  de 
Maimonide.  Cf.  les  censures  de  l'inquisition,  dans 
Eymericus,  Directorium  inquisitorum ,  II*,  q.  i.viii, 
q.  IV,  Krrores  Avicennœ,  prop.  13;  Alchindi,  prop.  5; 
Maimonidis,  prop.  1-3,  Rome,  1585.  p.  254  sq.,  Saint 
Thomas  ne  favorise  donc  en  aucune  façon  l'agnosti- 
cisme des  pseudo-mystiques.  Mais  il  se  rendait  si  bien 
compte  des  dangers  des  voies  mystiques  qu'il  écrivit 
un  article  de  la  Somme  pour  proposer  de  faire  passer 
les  contemplatifs  par  des  maisons  d'études.  S 
llteol.,  IIa  II*,  q.  clxxxii,  a.  5. 

//.  1.1:  PSBVDO-MYSTIC1SMB  DES  PROTESTANTS  ET  LA 
CONNAISSANCE  NATURELLE  blC  DIEU.  —  On  distingue 
deux  sortes  d'agnosticisme,  l'agnosticisme  pur  —  agnos- 
licism  of  unbelief  —  qui  est  celui  de  Comte  et  de  Hux- 
ley, pour  lequel  l'absolu  est  totalement  inconnaissable; 
l'agnosticisme  dogmatique  ou  croyant  —  agnosticism  nf 
belief  —  qui  concède  à  l'agnosticisme  pur  qu'il  n'y  a 
pas  et  ne  peut  pas  y  avoir  de  preuves  rationnelles  de 
l'existence  de  Dieu,  mais  qui  fait  profession  de  croire 
en  Dieu  pour  des  raisons  purement  subjectives,  sans 
toutefois  reconnaître  aucune  valeur  objective  aux  di- 
verses formes  de  pensée  par  lesquelles  il  pense  Dieu  ;  tel 
est  l'agnosticisme  de  Kant,  Hamilton,  Mansel,  Spencer 
et  des  modernistes.  Ce  que  nous  avons  dit  de  la  doc- 
trine luthérienne  des  suites  de  la  chute  originelle  et 
du  nominalisme  explique  assez  pourquoi  beaucoup  de 
prolestants  abandonnent  les  preuves  de  l'existence  de 
Dieu,  et  comment  ils  arrivent  à  désigner  Dieu,  au- 
quel ils  croient  encore,  seulement  par  des  dénomina- 
tions extrinsèques.  Le  fait  delà  persistance  de  quelque 
croyance  en  Dieu,  dans  des  conditions  aussi  défavo- 
rables, s'explique  aussi  par  la  connaissance  naturelle 
et  spontanée  de  la  divinité  qu'ont  tous  les  hommes  et 
par  l'influence  du  milieu  chrétien.  Mais  les  construc- 
tions systématiques  que  l'on  voit  se  multiplier  ne  se 
comprennent  pas,  si  l'on  ne  tient  pas  compte  de  l'élé- 
ment pseudo-mystique  qui  gît  au  fond  des  doctrines 
de  la  Réforme  sur  la  connaissance  religieuse. 

1°  La  foi  fiduciale  cl  le  mysticisme.  — On  sait  que 
Luther  en  appelait  aux  mystiques  contre  les  théologiens. 
Une  de  ses  propositions  censurées  par  la  Sorbonne 
portait  :  In  sermonibus  Joannis  Tauleri  lingua  teuto- 
nica  conscriptis  plus  reperio  tlteologise  syncerm  et  so- 
lidm  quam  in  omnibus  omnium  universitatum  sco- 
lasticis  docloribus  repertum  aul  reperiri  possit  in 
omnibus  suis  senlentiis.  Cf.  [Mélanchthon],  Confutatio 
determinationis  doctorum  parrhisiensium  contra 
M.  L.,  etc.,  Bàle,1523,  p.  241-252.  On  sait  aussi  que  de 
nos  jours  les  protestants  libéraux,  qui  en  sont  à  la 
croyance  en  Dieu  «  sans  preuves  »,et  qui  ne  conçoivent 
Dieu  qu'en  fonction  des  états  subjectifs  de  leur  con- 
science religieuse,  se  réclament  des  mystiques  et  du 
mysticisme  de  la  doctrine  protestante  de  la  foi.  Cet 
appel  n'est  pas  sans  fondement. 

Les  mystiques  parlent  tous  d'une  connaissance  ex- 
périmentale de  Dieu.  Theologia  mystica,  dit  Gerson, 
est  expérimentales  cognitio  habita  de  Deo  per  con- 
junclionem  a/fectus  spiritualis.  Opéra,  s.  I..  1 488,  t.  m, 
De  mystica  theologia  spéculai  ira,  consid.  xxvn,  n.  ï. 
verso.  Pour  faire  entendre  le  mot  experimentalis,  les 
mystiques,  spécialement  saint  Bernard,  parlent  de  sens 
spirituels  dans  notre  âme,  analogues  à  nos  sens  inté- 
rieurs et  extérieurs.  Sermo  de  cita  et  quinque  sensi- 
bus  animse,  P.  L.,  t.  CLXXXIII,  col.  567.  «  De  même  que 
par  les  sens  corporels  nous  avons  l'expérience  des  objets 


789 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE; 


790 


sensibles,  de  même  par  les  sens  spirituels  nous  pouvons 
avoir  l'expérience  des  choses  spirituelles.  »  Pierre 
d'Ailly,  Spéculum  considerationis,  part.  III,  De  spiri- 
lualibus  scnsibus,  c.  ni.  Ces  sens,  sous  une  action  spé- 
ciale du  Saint-Esprit,  qui  n'est  ni  nécessaire  au  salut  ni 
donnée  à  tous  les  fidèles,  goûtent,  aiment  Dieu,  présent 
dans  l'âme;  et,  remarque  Gerson,  comme  il  n'y  a  pas 
d'all'ection  sans  quelque  connaissance  expérimentale, 
on  dit  quedans cet  état  l'âme  connaît  expérimentalement 
les  choses  divines.  Sur  ces  points  l'accord  existe  entre 
les  mystiques  orthodoxes. 

Le  débat  commence,  lorsqu'on  se  demande  :  Dans 
la  contemplation  affective  dont  nous  parlons,  la  con- 
naissance intellectuelle  précède-t-elle  l'amour  ou  le 
suit-elle  '?  Tous  conviennent  —  il  s'agit  toujours  des 
orthodoxes  —  qu'ordinairement  une  connaissance 
intellectuelle,  au  moins  confuse,  de  Dieu  précède  le 
mouvement  affectif  d'où  résulte  la  connaissance  dite 
expérimentale,  suivant  l'adage  :  nihilvoliiuni  nisi  prse- 
cognilum.  Mais  Gerson,  quelques  franciscains,  Alva- 
rez de  Paz,  Oviedo  et  quelques  autres  soutiennent, 
contre  les  thomistes,  Suarez,  Vazquez,  Lossada  et  la 
plupart  des  auteurs,  qu'il  peut  y  avoir  une  contempla- 
tion affective,  surnaturelle  et  en  somme  miraculeuse, 
sans  connaissance  réfléchie  ou  même  directe,  antécé- 
dente ou  concomitante.  Dans  ce  cas,  la  connaissance 
est  donc  subséquente  à  l'état  all'ectif. 

Gerson  lui-même  a  fort  bien  vu  les  dangers  de  l'opi- 
nion qu'il  soulienl  et  en  particulier  celui  de  l'agnosti- 
cisme :  nec  i  ■<lalis  cognitio  fit  per  solam 
abnegationem,  car  la  voie  de  négation  doit  inclure  celle 
d'excellence  et  de  causalité  ;  propterea  damnât  us  est 
arliculus  parisiensis  dicens  quod  m.u  cognoscimus  de 
Dec  hacin  vita  nisi  quod  non  est.  Alphabetum  i.xxxvi, 
o,  et  passim;  De  elucidatione  scholaslica  mysticee 
théologies,  consid.  xi.  Cf.  de  Munnynck,  Prxlecliones 
de  foi  existentia,  Louvain,  1904,  p.  25-31.  Cette  erreur 
et  d'autres  écartées,  il  reste  que  quelques  mystiques 
orthodoxes  ont  admis  la  possibilité  et  même  le  l'ail, 
non  pas  seulement  d'une  aperception,  nouvelle  au 
moins  quant  à  ses  modalités,  par  voie  de  réllexion,  de 
souvenir le  raisonnement,  à  la  suite  d'un  état  affec- 
tif—  ce  que  tout  le  inonde  accorde  —  mais  bien  d'une 
fonction  de  représentation  issue  d'une  fonction  du 
vouloir.  l'riminn  tangitur  supremus  apex  affectus, 
ndum  quem  movelur  \n  Deuni,  el  ex  ixio  eontactu 
relinquilur  in  mente  verissima  cognitio  intellectus  ; 
namgue  illudsolum  quod  sentit,  de  divinis  verUtime 
apprehendil  intellectus.  Pseudo-Bonaventure,  Opéra, 
édit.  Vaticane,  q.  unie,  t.  vu,  p. 729,  Vue  Sion  lugent,à 
la  lin  des  solutions. 

Si  l'on  définit  la  connaissance  fidéiste,  subjectiviste 
.i  ri  lativiste,  celle  qui  :  I.  consiste  en  un  sentiment 
meun  jugement  préalable,  nulle  prœvertente  men- 
culiarem  quemdam  commovet  sensuni, 
ilii  l'encycliqui  Pascendi,  HU  tamen  agnosticismus ; 
•J.  qui  tire  -"ii  origine  du  sujet,  sans  que  l'objet  lui 
■oit  intellectuellement  représenté  avant  qu'il  réagisse 
sentimentalement;  3.  qui  n'exprime  son  objet  qu'en 
fonction  de   l'opération   par  lequel    elle   le   constitue 

eu t  objet,  la  connaissance  expérimentale  de  Dieu 

équente,   dont   Gerson   admet    la    possibiliti 

unie  ni   lld  \u^si. 

h.  parlant  d'elle,  ne  trouve  aucun  argument  de 
ii  pour  montrer  qu'elle  n'<  il   pat  purement  i 
de    la   difficulté   en   recourant   à  I 

il  d'autorité,  condt  mnatui  >  il  artit 

,ir.  ii  ni  a  propot  que  li  -  Pères  el  les  tl 
-  n'admet)  trois  voiei 

h  n'  dans  l'hypothèse  qu'il  soutient 
on  i  wlement,  Pe  fait,  dans  cette  b]  po 

'in     ,i    t.,    -,  iaion    en     he,, 

telque  lie  celle 


de  l'inclusion  des  choses  dans  les  monades,  on  ne  voie 
pas  comment  on  pourrait  parvenir  à  dépasser  le  stade 
où  Dieu  est  désigné  uniquement  par  des  dénominations 
extrinsèques,  et  à  porter  des  jugements  déterminés  sur 
la  nature  intrinsèque  de  Dieu. 

Voir  Gerson,  Opcra.  1488,  outre  les  passages  cités  dans  le 
texte,  Magnificat,  tr.  V,  alphabetum  i.xxxiv,  n.  I,  o;  alphabe- 
tum  i.xvi,  consid.  xil;  tr.  VII,  alphabetum  i.xxxvi,  j;  Alvarez 
de  l'az,  De  inquisitione  pacis.  1.  IV,  part.  III,  c.  vm,  Opéra. 
Paris,  187G,  t.  vi,  p.  299  sq.  ;  Oviedo,  Integer  cursus  philoso- 
phicus,  t.  II,  De  anima,  cont.  vm,  p.  nr.  En  sens  contraire, 
Suarez,  De  religioue.  tr.  IV,  de  oratione,  1.  II,  c.  xm,  Opéra, 
édit.  Vives,  t.  xiv,  p.  17G  ;  Disput.  metaphys.,  disp.  XXI II , 
sect.  vn  ;  Vasquez,  In  Sum.  theol.,\"  II",  q.  IX,  a.  1,  disp.  XXXV; 
Lossada,  Cursus  philosophicus.  Animastica,  disp.  VII.  c.  IV, 
n.  74,  Barcelone,  1883,  t.  IX,  p.  127;  Gravina,  Lapis  lydius, 
1.  II,  e.  xnr,  Naples,  1638,  p.  150. 

C'est  sur  le  modèle  de  la  connaissance  subséquente 
des  mystiques  que  Luther  calqua  sa  théorie  de  la  foi 
fiduciale  qu'il  appelle  expressément  agnitio  experi- 
mentalis.  Cf.  Calvin,  Institution  chrétienne,  1.  III, 
c.  n,  14,  Genève,  1562,  p.  335.  On  sait  que  les  anciens 
protestants  distinguaient  la  foi  des  histoires  ou  des 
dogmes  et  la  foi  justifiante.  Cf.  Harent,  Expérience  et 
foi,  dans  les  Éludes,  20  octobre  1907  et  avril  19(18.  La 
foi  justifiante  considérée  précisément,  c'est-à-dire 
comme  distincte  de  la  foi  des  dogmes,  dont  Luther  ne 
l'avait  pas  complètement  purgée  comme  font  les  pro- 
testants libéraux,  est  une  expérience  intérieure. 
L'Évangile  proposait  la  promesse  générale  de  la  ré- 
mission des  péchés;  comment  passer  à  la  certitude  de 
la  justification  personnelle1?  Par  le  sentiment,  répondit 
Luther,  par  l'expérience  intérieure.  Tamisée  par  le 
sentiment,  la  promesse  générale  se  réalisait  en  certi- 
tude du  salut  personnel.  Cette  certitude,  on  le  voit, 
est  nettement  fidéiste,  puisqu'elle  ne  se  légitime  pas 
par  un  motif  qui  puisse  intellectuellement  se  formuler 
par  un  jugement  qui  la  précède,  niais  seulement  par 
le  goût  intérieur,  par  la  certitude  immédiate  du  contact 
ou  de  l'action  divine,  parle  témoignage  de  l'Esprit,  etc. 
Voir  Crédibilité,  t.  tu,  col.  2299,  et  Foi.  Les  théolo- 
giens protestants  ont  fait  subir  à  la  doctrine  primitive 
bien  des  retouches.  Mais,  pour  tous  ceux  qui  ne  sont 
pis  de  purs  rationalistes,  comme  Wegscheider,  la  foi 
justifiante  est  restée  fidéiste.  On  y  croit,  comme  les 
mystiques  de  Gerson  aiment,  sans  raisons  intellectuelles. 
La  foi  fiduciale  est  de  même  subjectiviste.  En  effet, 
l'objet  précis  de  celte  foi  se  réduit  au  contenu  des  états 
i  iprésentatifs  issus  de  l'expérience.  Les  protestants  ne 
s'accordent  pas  sur  cet  objet  ni  sur  la  genèse  de  ces 
états  :  les  opinions  vont  de  l'orthodoxie  à  l'Inconnais- 
sable, du  mysticisme  le  plus  outré  au  voisinage  du  ra- 
tionalisme. Mais  tons  s'accordent  à  dire  que  l'objet  de 
celte  foi  est  déterminé  par  l'expérience  intérieure  et 
qu'il  se  réduit  à  ce  qui  est  expérimenté,  senti,  goùlé. 
Seule  la  connaissance  expérimentale  il'1  cel  objel  est 
pour  eux  un''  véritable  connaissance  religieuse,  de 
même  que  l'état  de  celui  qui  est  justifié  par  la  foi.  est 
•  ni  i  religieux  ».  Cel  exclusivisme  suit,  soit  de  la 
thèse  fondamentale  de  l'impuissance  de  la  raison  na- 
turelle de  l'homme  déchu  en  matière  religieuse;  soit 
qu'avant  la  foi  et  même  avec  la  loi.  tout  ce  qui 
n'est  pas  la  foi  est  péché,  suivant  le  sen-.  donné  par  le 
libre  examen    an   texte    de    saint    l'aul   .     Onuic   iiiilem 

quod  mm  est  ex  flde,  peccatum  est,  Rom.,  xiv,  23;  soit 
enfin  «le  ce  qu'il  n'j  a  de  vraie  connaissance  religieuse 

Celle    qui   lerl   BU    MIuI    et    qui'    sans    la     fol     on    ne 

saurait  plaire  .,  lion.  1  n  pa  B(  1  de  Kanl  indique 
bien  leur  pensée.  Parlant  «le  la  croyance  en  Dieu.  Kant 

o!    pal    que    DOUS    disions   :    «   Il   Bel    moralement 
certain  que    Dieu  existe,    I     liens    seul,  ne  ni  ! 

moralement  certain,  i    lanl   M  se  défie  de  la  certitude 

rationnelle,  il    tanl  il  donne  de  prix  .1    la  1  onnai 


791 


DIEU    (CONNAISSANCE   NATURELLE    DE) 


792 


qui  naît  de  la  certitude  qu'il  appelle  morale  et  définit  : 

celle  qui  s'appuie  sur  des  causes  subjectives.  Critique 
de  la  raison  pure,  Méthodologie  transcendantale,  c.w, 
sect.  m,  trad.  Born,  t.  i,  p.  569.  Tel  est  le  sens  pour 
eux  de  ces  expressions  :  la  religion  est  une  vie;  une 
impression  précède  les  formules  religieuses  qui  en 
fournissent  une  expression  extérieure  et  formelle;  Dieu 
■est  le  résumé  de  nos  expériences  religieuses,  etc.  Si  on 
veut  les  entendre  dans  le  sens  où  ils  les  emploient  — 
et  qui  est  tout  différent  de  celui  qu'elles  pourraient 
avoir  sur  des  lèvres  catholiques  —  il  faut  se  souvenir 
que,  de  même  que  la  connaissance  subséquente  à 
l'amour  des  mystiques,  la  foi  justifiante  est  une  con- 
naissance qui,  par  déiinition,  manque  de  fondement 
rationnel,  objectivement  adéquat  soit  à  la  représenla- 
tion  produite,  soit  à  l'adhésion  donnée;  dont  l'objet, 
comme  tel,  ne  vient  pas  du  dehors  (extrinsécisme), 
mais  est  constitué  exclusivement  par  l'action  ou  parla 
réaction  du  sujet;  et  où  la  vérité  objective  et  la  certi- 
tude subjective  ne  se  résolvent  en  aucun  cas,  soit  à  des 
raisons  logiques,  soit  à  l'autorité  du  témoignage  divin 
garantissant  la  vérité  de  la  pensée  divine  contenue 
dans  la  révélation  générale. 

Fidéiste  et  subjectiviste,  la  foi  fiduciale  est  nécessai- 
rement relativiste.  Car,  puisque  seule  elle  constitue 
l'objet  religieux  comme  objet,  elle  l'exprime  nécessai- 
rement en  fonction  de  l'opération  par  laquelle  elle  le 
saisit  et  s'en  tient  pour  assurée.  La  conséquence  est 
nécessaire,  puisque,  d'une  part,  la  foi  justifiante 
comme  connaissance  religieuse  valable  se  distingue 
adéquatement  de  la  foi  des  dogmes  ou  des  histoires; 
puisque,  d'autre  part,  l'éclosion  dans  l'âme  de  cette  foi 
est  indépendante  de  tout  motif  rationnel  adéquat  et 
reste  un  fait  impénétrable  à  l'analyse.  La  «  bonne  nou- 
velle »  à  laquelle  doit  répondre  le  «  oui  »  de  l'âme, 
pour  être  justifiée,  se  réduit,  on  le  sait,  à  peu  de  chose 
pour  la  plupart  des  protestants.  Or,  quanu  on  examine 
de  près,  dans  les  meetings  de  la  rue,  au  temple,  dans 
la  conscience  ouverte  des  néophytes  aussi  bien  que 
dans  les  livres,  cet  acte  de  foi,  on  observe  que  rien  n'y 
est  affirmé  de  Dieu  objectivement.  L'idée  de  Dieu  n'y 
intervient  qu'indirectement,  soit  comme  cause,  soit 
comme  terme  d'un  état  actuel  ou  futur  de  la  conscience 
subjective  du  croyant  :  on  croit  non  quee  vera,  mais 
seulement  quee  promissa  sunt.  Ce  fut  la  raison  pour 
laquelle  le  concile  de  Trente,  que  le  concile  du  Vati- 
can n'a  fait  que  développer  sur  ce  point,  inséra  ces 
mots  :  credenles  vera  esse  quai  divinilus  revelalct. 
Denzinger,  n.  680.  Les  anciens  protestants  disaient 
que  dans  la  foi  fiduciale  tout  se  passe  comme  dans  la 
foi  des  miracles.  Or  le  thaumaturge  qui  affirme  avec 
certitude  que  dans  un  quart  d'heure  il  opérera  un  pro- 
dige, n'énonce  directement  et  explicitement  rien  de  la 
toute-puissance  divine;  ce  qu'il  affirme  objectivement, 
c'est  l'œuvre  merveilleuse.  De  même,  la  foi  fiduciale 
qui  se  tient  pour  assurée  de  la  rémission  actuelle  des 
péchés  ou  de  la  réalité  future  et  définitive  du  salut, 
n'affirme  directement  rien  de  la  bienveillance  divine 
considérée  en  elle-même.  Dans  la  foi  des  miracles  et 
dans  la  foi  justifiante,  l'idée  de  Dieu  et  de  ses  attributs 
n'est  impliquée  dans  le  phénomène  subjectif  de  la  cer- 
titude que  par  manière  de  postulat.  Sans  doute,  il  est 
possible  dans  certaines  conditions  de  désigner  l'objet 
religieux,  Dieu  lui-même,  à  l'aille  d'étals  subjectifs. 
Cf.  Dictionnaire  apologétique,  Paris,  1909,  t.  i, 
col.  13  sq.  Mais,  enfermé  dans  le  subjectivisme,  si  l'on 
ne  se  donne  pas  par  ailleurs  l'idée  de  l'Infini  —  et 
comment  se  la  donner  si,  faisant  abstraction  de  la  ré- 
vélation extérieure  et  tenant  pour  nulles  les  connais- 
sances rationnelles,  on  ne  tient  pour  vrai  en  matière 
religieuse  que  ce  qui  est  vécu,  donné  par  l'expérience 
intérieure  —  on  n'arrivera  jamais  par  des  formules 
construites    rigoureusement  avec   des   états   subjectifs 


à    exprimer    rien    d'intrinsèque   a    la    nature    divine. 

2»  lié  percussion  de  la  doctrine  de  la  foi  justifiante 
sur  la  doctrine  de  la  connaissance  naturelle  de  Dieu.  — 
.Nous  avons  vu  (pie  la  doctrine  luthérienne  des  suites 
du  péché  originel,  le  nominalisme  de  la  dogmatique 
protestante  poussaient  la  Réforme  a  se  délier  des  moyens 
rationnels  de  connaître  Dieu.  La  théorie  de  la  foi  jus- 
tifiante, commune  à  tous  les  protestants,  mais  déve- 
loppée surtout  chez  les  sectes  mystiques  et  piétistes.  a 
puissamment  contribué  à  les  confirmer  dans  cette  dé- 
fiance. On  se  souvient  que  le  pseudo-mysticNne  de 
Molinos  l'amena  à  nier  la  valeur  de  la  connaissance 
intellectuelle  de  Dieu,  et  que  Boehme  réduit  a  rien 
notre  connaissance  de  Dieu  considéré  en  lui-même  et 
indépendamment  des  créatures.  Il  s'est  passé  quelque 
chose  de  semblable  dans  le  monde  protestant,  par  suite 
du  rôle  prépondérant,  exclusif,  attribut'  à  la  foi  justi- 
fiante dans  la  constitution  de  nos  idées  véritablement 
religieuses,  et  par  suite  du  relativisme  du  mode  de  re- 
présentation de  l'objet  religieux  impliqué  dans  ce  pré- 
tendu acte  de  foi.  Cf.  Le  Bachelet,  art.  Apologétique, 
dans  le  Dictionnaire  apologétique,  Paris,  1909,  t.  i. 
col.  207.  C'est  sur  le  modèle  des  diverses  théories  pseudo- 
mystiques de  la  foi  fiduciale  qu'ont  été  construits,  de- 
puis la  fin  du  wiii"  siècle,  tous  les  systèmes  protestants 
—  doctrines  de  la  foi  et  philosophies  de  la  religion  — 
qui,  prenant  pour  base  la  distinction  du  connaître  et 
du  croire,  ont  nié  que  nous  connaissions  Dieu  ration- 
nellement et  pourtant  gardé  la  croyance  en  Dieu.  A 
défaut  d'une  histoire,  qui  ne  saurait  trouver  place  ici, 
voici  quelques  faits,  qui  serviront  d'indications. 

1.  Le  flottement  doctrinal  du  protestantisme  permet- 
tait de  ramener  toute  la  religion  â  l'idée  de  Dieu;  en 
d'autres  termes,  les  «  essences  du  christianisme  »,  puis 
«  l'unité  des  religions  sous  la  diversité  des  théologii 
étaient  dans  la  logique  et  partant  dans  la  psychologie 
du  système  des  articles  fondamentaux.  Le  protestantisme 
manque  de  règle  de  foi  objective;  car  ni  la  Bible,  ni  les 
formulaires  ecclésiastiques,  livrés  aussi  bien  que  les  dé- 
cisions du  prince,  à  l'interprétation  privée,  ne  sont  des 
règles  de  foi  extérieures.  Intérieurement,  chacun  réduit 
le  dogme  à  ce  qu'il  expérimente.  De  là,  l'indifférentisme, 
le  rationalisme,  puis  le  latitudinarisme.  Cf.  Herzog. 
Realencijclopiidie ,  3e  édit.,  v»  Adiaphora  :  Wetzer  el 
Welte,  Kirchenlexikon,  2e  édit..  v°  Adiaphora. 

2.  Même  pour  les  protestants  qui  admettent  encore 
la  révélation  positive,  il  est  à  remarquer  que  dans  la 
foi  fiduciale  l'autorité  du  témoignage  divin  n'est  pas 
le  motif  de  l'assentiment  et  la  base  de  la  certitude. 
Denzinger,  n.  1G3S.  Car  l'objet  de  cette  foi  renferme 
toujours  quelque  chose  de  personnel,  qui  n'a  pas  été 
révélé,  qui  n'est  pas  contenu  dans  la  révélation  exté- 
rieure. Etant  donné  que  dans  le  système  est  valablement 
religieux  seulement  ce  qui  est  donné  par  et  dans  l'ex- 
périence intérieure,  on  crut  depuis  Lessing  pouvoir  se 
passer  de  la  révélation  proprement  dite,  tout  en  restant 
protestant,  le  protestantisme  étant  réduit  à  l'idée  de 
Dieu  et  à  la  connaissance  par  h'  sentiment  moral  et 
religieux.  On  en  est  venu  à  confondre  tellement  la  foi 
et  la  connaissance  naturelle  de  Dieu  que  certains  pro- 
testants, conscients  de  la  dureté  de  la  prédestination 
luthérienne  et  calviniste,  admettent  la  justification  des 
païens  par  la  première  idée  de  Dieu.  Cf.  Hastings,  Die- 
tionary  of  the  Bible,  Edimbourg,  1899,  t.  n,  art.  Jus- 
tification, p.  828;  Denzinger,  n.  L040. 

3.  La  théorie  de  la  foi  justifiante  fournissait  un  cas 
typique  de  connaissance  religieuse  tenue  pour  va- 
lable sans  connaissance  intellectuelle  antécédente,  de 
croyance  «  sans  raisons  intellectuelles  ».  comme  dit 
M.  Payot.  Voir  Croyance.  Pour  accorder  le  dogme  lu- 
thérien de  l'impuissance  de  la  raison  en  matière  morale 
et  religieuse  et  le  privilège  de  vérité  que  Ion  attribuait 
à  l'expérience  religieuse,  on  imagina  d'abord  que.  s'il 


793 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE) 


794 


y  a  des  preuves  rationnelles  île  l'existence  de  Dieu, 
elles  ne  sont  point  suffisantes.  «  Ce  sont  les  preuves  de 
sentiment  •>  qui  donnent  la  vraie  persuasion;  «  ce  sont 
elles  qui  font  le  véritable  fidèle,  »  disait  déjà  un  des  tra- 
ducteurs de  la  Vraie  religion  de  Grotius,  Amsterdam, 
1728,  p.  xv.  Et  l'on  retrouve  cette  même  théorie  fort 
nettement  exposée  dans  Hastings,  Encyclopsedia  of 
religion  and  ethics,  Edimbourg,  1908,  t.  I,  art.  Apolo- 
getics,  p.  612,  622.  L'auteur  de  l'article,  M.  Crafer, 
professeur  à  Cambridge,  ne  veut  pas  être  agnostique  et 
il  admet  les  preuves  de  l'existence  de  Dieu  ;  «  maisau- 
cune  d'elles  ne  va  jusqu'à  être  une  preuve  positive.  » 
■  L'expérience  personnelle  du  chrétien  peut  seule  être 
la  preuve  finale.  «  ••  La  preuve  rationnelle  s'achève  dans 
la  région  de  l'Esprit  (Spiril)  par  la  faculté  spirituelle 
de  la  foi.  »  Pour  la  raison,  le  mot  «  infini  »  est  purement 
négatif;  mais,  pour  la  foi,  il  est  entièrement  réel  et 
positif.  La  foi  est  un  moyen  ou  organe  de  connaissance 
«  distinct  de  nos  autres  moyens  de  connaissance,  en 
sorte  qu'elle  doit  être  ajoutée  à  nos  sens  et  à  notre  rai- 
son pour  compléter  notre  être  cognoscitif.  »  Car  «l'es- 
sentiel de  la  vraie  religion  estl'exercice  de  la  foi  (faitli)  ;  » 
or  Dieu  fait  appel  non  à  la  raison,  mais  au  cœur. 
M.  Crafer  voit  bien  que  ce  fidéisme  choquera;  il  ré- 
pond que  «  la  raison  ne  doit  pas  se  moquer  de  la  fa- 
culté spirituelle  de  la  foi,  mais  doit  l'accepter  comme 
supérieure  à  elle.  »  Dcn/.inger.  n.  1639,  1643. 

On  est  allé  bien  plus  loin.  .lacobi  recommanda  le 
taltn  mortale  du  fidéisme  aveugle.  Kant  écrivit  la  Cri- 
tique de  la  raison  pure  pour  ruiner  les  preuves  ratio- 
nelles  de  l'existence  de  Dieu.  Le  premier  en  appelait 
directemenl  à  l'expérience  religieuse,  à  celle-là  même 
que  l'ensemble  des  protestants  admet  dans  la  justifica- 
tion. Le  second  déguisa  savamment  sa  pensée,  qui 
pourtant  n'échappa  pas  à  ses  contemporains,  qui  par- 
lèrent de  son  mysticisme  el  dirent  tout  haut  que  le 
système  n'était  autre  que  la  doctrine  piétiste  «  de  la 
foi  qui  opère  par  la  charité.  »  C'est  bien  en  effet  ce  que 
veut  dire  Kant,  lorsqu'il  fait  reposer  la  croyance  sur 
des  causes  subjectives,  c'est-à-dire  sur  des  raisons  mo- 
rales. Son  habileté-  fut  de  profiler  du  fait  que  le  senli- 
nii'iit  de  l'obligation  morale  n'esl  jamais  absent  de  la 
conscience  et  qu'il  est  lié  à  l'idée  de  Dieu.  Saenger, 
Kanls  Lehre  votn  Glauben,  1903.  Cependant  la  doctrine 
de  Kanl  parut  trop  rationaliste  à  Schleiermacher.  qui 
s'appliqua  à  rendre  au  sentiment,  à  l'expérience  reli- 
se proprement  dite,  son  importance.  Pas  de  con- 
ance  religieuse  sans  l'expérience  de  la  foi  :rien  de 
plus  conforme  au  luthéranisme  primitif.  Ce  qui  explique 
l'énorme  influence  de  Schleiermacher  dans  les  milieux 
protestants,  c'est  qu'en  Be  réfugiant  dans  l'expérience 
intérieure  on  croyail  Irouvercontre  l'athéisme  un  asile 
Imprenable,  uni'  forteresse  inattaquable  :  c'est  aussi 
qu'on  se  débarrassai!  pai  n  du  poids  morf  di  - 

dogmes,  qu'avaient  retenus  les  premiers  protestants, 
tout  en  n'ayanl  pas  l'air  de  tomber  dans  le  pur  rationa- 
lisme d'un  Wegscheider.  Cf.  T.  Parker.  Discourse  of 
matlei  v  pei  taining  lo  religion,  1846;  Morell,  Philosophy 
•  i(  religion,  I8i9;  Kerrier,  Institutes  o\  metaphysic, 
Edimbourg,  1854.  Le  pasteur  <  toquerel  écrivil  Le 
tiani  niai,  Paris,  IsiT,  «pour  les  esprits 

doués  d  un  juste  instinct  religieux,  i  dans  le  bul  i  di 
remplacer  la  foi  objective  puiséi   dam  les  dehors  de  la 
i    une   foi   subjective  puisée  dans  l'homme 
en  lui-même,      p    mi.  Pour  cette  fol  sub- 
•'.  disait  Coqui  rel,  nfler  en   heu.  c\ 

confier  en  soi-mémi     Pai   pli      e  confier  en  Dieu 

connue  en  un  éire  aimant  ei  bon.  c'i    tu    confli  i  en 

l'idée    qui  d<       On   amour  el  dl 

bonti  Vewman,  encore  protestant,    Di$- 

tw    le  •'  ii.nl    Saleilli  i,  La 

>>n  et  p    ' 
i7,  n    il 


i.  Nous  avons  dit  que  le  nominalisme  rigoureux, 
s'il  garde  la  croyance  en  Dieu,  ne  peut  le  désigner  que 
par  de  pures  périphrases,  par  des  dénominations 
extrinsèques, sans  arriver  à  porter  sur  Dieu  en  soi  des 
jugements  valables.  Nous  avons  dit  aussi  que  l'objetre- 
ligieux,dans  l'expérience  intérieure  sans  connaissance 
antécédente  de  la  foi  fiduciale,  est  nécessairement  dé- 
signé de  la  même  manière.  Dès  qu'on  eut  réduit  l'objet 
de  la  foi  à  la  croyance  en  Dieu  par  l'expérience  reli- 
gieuse, il  était  donc  naturel  de  ramener  notre  connais- 
sance de  Dieu  à  ce  qu'elle  est  dans  l'hypothèse  nomina- 
liste,  et  de  nier  la  portée  ontologique  de  nos  jugements 
sur  la  nature  divine.  Kant  le  fil,  on  le  sait.  Schleier- 
macher, bien  que  fort  peu  dogmatique,  ne  déduisit  pas 
lui-même  nettement  cette  conclusion  agnostique,  du 
moins  en  ce  qui  regarde  Dieu  en  soi.  Mais  il  se  ren- 
contra bientôt  des  esprits  qui  tentèrent  l'aventure.  Cela 
se  fit,  soit  par  réaction  contre  les  prétentions  outrées 
de  l'intellectualisme  de  Cousin  et  de  la  philosophie 
spéculative  de  Hegel,  et  tel  est  le  cas  de  sir  Hamilton, 
Discussions  on  philosophy  and  literalure,  1852;  Lec- 
tures on  metaphysics  and  logic,  édit.  Mansel  et  Veitch, 
Edimbourg,  1866,  et  aussi  de  Mansel,  The  limits  of 
religions  Thought,  1859;  soit  dans  un  esprit  plus 
rationaliste,  et  tel  est  le  cas  de  Parker  et  de  Coque- 
rel  qui,  dès  ces  temps  lointains,  parlent,  l'un,  de  la 
«  vérité  mobile  »  et  de  «  l'unité  des  religions,  sous  la 
diversité  des  théologies,  »  Denzinger,  10e  édit.,  n.  2058, 
2082,  parce  que  l'expérience  religieuse  «  ne  nous  ren- 
seigne pas  plus  sur  son  objet  que  ne  le  font  nos  sens 
sur  la  nature  intime  des  choses,  »  Parker,  op.  cit., 
p.  !i  sq.;  l'autre,  du  principe  «  que  la  nature  de  Dieu 
n'est  connue  que  de  lui,  que  Dieu  n'est  pas  matière  à 
raisonnement.  »  Coquerel,  op.  cit.,  passim.  Le  moyen 
terme  employé  fut  simplement  l'adjonction  de  l'hypo- 
thèse noininaliste  à  l'interprétation  de  l'expérience 
religieuse  sentimentale.  On  sait  que  le  c.  V,  Réconci- 
liation, des  Premiers  principes  de  Spencer  est  le  ré- 
sultat de  cette  manœuvre.  L'agnosticisme  empiriste  a 
été  l'issue  de  ces  spéculations. 

En  Allemagne,  on  est  arrivé  au  même  résultat  de 
l'agnosticisme,  mais  idéaliste,  avec  Albert  Ritschl. 
Celui-ci,  pour  bien  marquer  les  origines  prolestantes 
de  son  système,  l'a  exposé  dans  un  livre  qui  a  pour 
litre.  Die  christliche  Lehre  der  Rechtfertigung  und 
Versôhnung,  édition  modifiée  de  1888.  Il  faut  analyser 
cette  doctrine,  parce  que  c'est  de  Ritschl  que  dépendent 
llarnack,  Sa  ha  lier,  etc.,  et  par  suite  ceux  des  modernistes 
qui  ne  sont  pas  simplement  spencériens  ou  positivistes. 
La  théorie  de  la  connaissance  religieuse  de  Ritschl  est 
fondée  sur  la  théorie  kantienne  de  la  connaissance, 
bornée  au  seul  phénomène,  bien  que  Ritschl  accepte  la 
formule  de  Lotze  :  g  Nous  connaissons  les  choses  dans 
les  phénomènes,  i  Car  il  semble  bien,  malgré  des  flot- 
temi  nis,  que  «  les  choses  »  sont  pour  lui  un  produit  de 
noire  activité'  mentale,  une  image,  résidu  de  plusieurs 
ptions  sensibles;  et  sur  ce  point,  le  système  cou- 
ine a  l'idéalisme  phénoméniste.  Quoi  qu'il  en  soit, 
Ritschl  distingue  expressément  une  connaissance  reli- 
gieuse el  une  connaissance  théorique,  -  fondions  dis- 
tinctes, qui.  même  appliquées  au  même  objet,  ne 
ident  su  rau  (un  point,  mais  divei   -  ni  entii  n  ment.  » 

ait  i i.  en  effet,  se  référer  de  deux  façons 

ptions  :  ou.   le,  regai daol  e.  di  me  i 

objectives,  il  cherche  ■>  le*-  organiser  en  un  système 
cohérent  de  la  nature,  au  moyen  du  heu  causai,  et 
porti  '  leur  sujet  des  jugements  théoriques,  scienti- 
fiques, d'existence;  ou  il  le,  considère  comme  a^is- 
-ani  sur  le  sujet  sensible  et  porte  à  leur  soji  ; 
jugement  i  de  valeur    Werlurteile),  caracti  risés  par  ce 

l'ail  qu'ils  font   al.    h   n  lion   île  la    n  ilui'e   ODJeCtivi     •  I   di  • 

relaie  entre  elli       1 1  appi ■  tu  ni  feule- 

ment leur  aptitude  i  latisfaire  b-s  besoins  (esthétiques, 


795 


DIEU    (CONNAISSANCE   NATURELLE   DE 


796 


moraux,  religieux)  du  sujet.  Ainsi  est  établie  la  distinc- 
tion entre  la  connaissance  religieuse,  exclusivement 
relative  au  sujet,  intéressée,  s'exprimant  par  des  <■  juge- 
ments de  valeur  indépendants  »  —  et  la  connaissance 
théorique.  Par  exemple,  l'homme  religieux  n'a  pas  à 
se  prononcer  sur  ce  jugement  :  Jésus  est-il  Dieu?  — 
mais  sur  celui-ci  :  Jésus  a-t-il  pour  moi,  pour  ma  vie 
religieuse  et  morale,  la  valeur  d'un  Dieu'.'  Et  le  second, 
pour  Ritschl,  ni  n'implique  le  premier,  ni  n'en  dé- 
pend. La  théorie,  de  la  religion  est  faite  pour  s'accor- 
der avec  celle  théorie  de  la  connaissance  religieuse. 
La  religion  n'a  pas  pour  objet  les  rapports  de  Dieu 
•avec  l'homme  ou  l'union  de  l'âme  avec  Dieu.  Son  but 
est  de  donner  une  solution  au  problème  que  voici  : 
l'homme,  jugeant  qu'il  est  un  être  spirituel  et  personnel, 
voit  qu'il  est  né  pour  dominer  le  inonde;  d'autre  part, 
il  se  sent  dépendant  du  monde,  opprimé  par  lui.  Il 
trouve  une  solution  de  ce  problème  pratique  dans  l'idée 
d'un  pouvoir  supérieur  au  monde,  qui  le  gouverne 
pour  les  fins  delà  vie  spirituelle.  Celte  idée  de  Dieu 
n'est  ni  une  intuition,  ni  une  inférence  rationnelle, 
mais  un  postulat  de  l'homme  qui  en  a  besoin  pour  exer- 
cer sa  maîtrise  personnelle  et  spirituelle  sur  le  monde. 
Ce  postulat  s'exprime  sous  une  forme  symbolique, 
par  exemple,  Dieu  est  amour.  Par  là,  on  voit  ce  que 
signifie  la  célèbre  phrase  de  Ritschl  :  «  Dieu  n'est  qu'un 
simple  nom  qu'emploie  le  chrétien  pour  résumer  ses 
impressions  religieuses.  »  Mais  toute  intrusion  du  ju- 
gement théorique  en  matière  religieuse  est  nulle  et  sans 
valeur  :  exemples,  dogmes  de  la  Trinité,  des  deux  na- 
tures dans  le  Christ.  Tout  ce  que  nous  pouvons  dire  est 
que  Jésus  est  Dieu  pour  nous,  a  pour  nous  une  valeur 
divine,  parce  qu'il  nous  révèle  Dieu,  c'est-à-dire  parce 
qu'il  nous  manifeste  une  maîtrise  complète  sur  le 
monde  matériel  (rédemption,  justification,  vie  éter- 
nelle), un  dévouement  absolu  au  royaume  de  Dieu 
(communauté  de  personnes  agissant  d'après  les  lois  de 
la  vertu).  Donc  notre  religion,  notre  christianisme, 
conclut  Ritschl,  sont  indépendants  de  ce  que  nous 
pensons  comme  philosophes,  de  ce  que  nous  tenons 
comme  historiens. 

Sous  la  phraséologie  moderne  de  Ritschl,  on  recon- 
naît la  vieille  doctrine  de  la  foi  fiduciale,  où  tout  en 
matière  religieuse  dépend  de  l'impression  du  sujet,  où 
l'objet  religieux  se  définit  en  fonction  des  besoins,  des 
états,  des  émotions  du  sujet,  sans  qu'aucune  donnée 
intellectuelle  intervienne.  Le  système  a  été  développé 
et  appliqué  à  la  connaissance  de  Dieu.  On  croit  à  l'exis- 
tence de  Dieu  «  sans  raisons  intellectuelles  »;  ou  bien, 
si  l'on  garde  encore  ces  raisons,  on  déclare,  comme 
Molinos,  sans  valeur  la  conclusion  à  laquelle  on  aboutit 
par  le  discours,  sauf  à  déguiser  le  procédé  par  un  appel 
à  Kant  ou  à  la  philosophie  positiviste.  A  la  réllexion 
■cependant,  on  concède,  ou  bien  avec  Kant  que  l'on  croit 
à  cause  de  nos  besoins  moraux,  ou  bien  avec  Rainquc 
la  croyance  est  un  «  développement  de  la  volonté  à  la 
poursuite  de  fins  immédiates  »  et  qu'elle  «  dépend  de 
nos  tendances  actives  et  émotionnelles.  »  Mental 
science,  1.  IV,  c.  vin,  lre  et  3e  édit.  Toutes  explications, 
d'apparence  scientifique,  que  donnait  déjà  d'un  mot  le 
traducteur  ancien  de  Grotius,  quand  il  affirmait  que  la 
preuve  qui  fait  le  vrai  fidèle  est  la  preuve  de  sentiment 
«  par  les  besoins  de  la  conscience  ».  D'ailleurs,  que 
pour  éviter  en  apparence  le  pur  sentiment,  on  ait  re- 
cours à  l'intuition  immédiate,  sans  preuves,  avecM.  Mo- 
nod,  art.  Foi,  dans  Lichtenherger,  Encyclopédie  des 
sciences  religieuses,  Paris,  1878,  t.  v,  p.  1;  qu'on  fasse 
appel  à  une  vue  mystique  et  suprarationnelle,  avec 
Rradley,  Appearance  and  reality,  2e  édit.,  1902;  au 
subconscient,  avec  William  James;  à  l'action  de  l'Esprit, 
avec  Heard,  The  triparlite  nature  of  man,  5e  édit., 
Edimbourg,  1882;  à  un  fait  de  conscience  «  impéné- 
trable à  l'analyse  »,  avec  Sabatier,  Esquisse  d'une  phi- 


loeophie  religieuse,  etc.,  Paris,  1898,  p.  in:  c'est  tou- 
jours à  l'expérience  intérieure,  à  l'exclusion  de  toute 
connaissance  rationnelle,  qu'on  a  recours.  Le  thème 
sur  lequel  on  exécute  toutes  ces  variations,  n'est  autre 
que  la  pseudo-mystique  de  la  foi  liduciale  des  premiei  - 
protestants. 

Inutile  d'ajouter  que,  ne  reconnaissant  aucune  valeur 
aux  preuves,  à  la  connaissance  intellectuelle  en  ma- 
tière religieuse,  on  s'abstient,  comme  Locke  ou  connue 
Kant,  de  tout  jugement  sur  la  nature  intrinsèque 
Dieu.  Dieu  reste  aussi  inconnu  dans  le  système  d  Au- 
guste Sabatier  que  dans  celui  de  Spencer.  Dans  les 
deux  cas,  on  le  désigne  par  une  dénomination  extrin- 
sèque et  par  de  pures  métaphores.  Les  métaphores  bi- 
nent, mais  le  procédé  est  identique.  (Jue  Spencer  dé- 
crive le  travail  de  la  religion  :  «  Construire  sans  fin 
des  idées  qui  exigent  l'effort  le  plus  énergique  de  nos 
facultés,  et  découvrir  perpétuellement  que  ces  idées 
ne  sont  que  de  futiles  imaginations  et  qu'il  faut  les 
abandonner,  telle  est  la  lâche,  qui,  plus  que  toute 
autre,  nous  fait  comprendre  la  grandeur  de  ce  que 
nous  nous  efforçons  en  vain  de  saisir,  a  Premiers  prin- 
cipes, §  31;  ou  que  Sabatier  nous  apprenne  que  «  la 
définition  de  l'objet  adoré  se  tire  du  culte  et  du  bienfait 
qu'on  en  attend  »,  Les  religions  d'autorité  et  la 
gion  de  l'esprit,  Paris,  1904,  p.  529,  534;  c'est  philoso- 
phiquement tout  un.  Nous  n'avons  dans  les  deux  cas 
qu'une  connaissance  symbolique,  et  Dieu  n'est  désigné 
que  par  nos  états  subjectifs. 

On  pourrait  s'imaginer  que  cet  agnosticisme  croyant 
était  totalement  étranger  aux  anciens  protestants.  Les 
protestants  libéraux  ici  encore  ont  raison;  ils  ont  des 
ancêtres.  La  multiplicité  des  sectes,  l'ambiguité  voulue 
des  formulaires  ecclésiastiques,  les  variations  perpé- 
tuelles sur  les  dogmes  particuliers,  l'unité  extérieure 
sauvegardée,  sans  unité  de  pensée,  par  le  soin  de  vider 
les  formules  de  tout  sens  ferme  et  précis  qui  s'imposât, 
firent  naître  de  bonne  heure  l'idée  de  la  relativité  de 
nos  connaissances  sur  Dieu.  On  s'attacha  surtout  à  ce 
qui  répondait  à  un  intérêt  moral,  à  ce  qui  procédait 
des  besoins  de  l'âme.  De  tout  le  reste,  on  fit  des  sym- 
boles, qui  ne  sont  que  des  images  subjectives,  d'une 
vérité  toute  relative;  on  considéra  ces  symboles,  créés 
par  les  besoins  de  notre  esprit  et  correspondant  aux 
lois  psychologiques  de  notre  être  spirituel,  comme  des 
produits  de  la  réflexion,  sans  portée  objective  et  méta- 
physique. Tel  est  le  sens  de  l'apologétique  d'aveugles 
adoptée  par  le  D'  Harris  ;  pour  défendre  la  religion 
naturelle,  il  s'appuie  sur  ce  que  nous  sommes  dans 
une  ignorance  complète  de  la  nature  de  tout  ce  qui 
nous  entoure  :  il  en  est  de  même  pour  Dieu.  Quoi  de 
surprenant?  Cf.  Rurnet,  Défense  de  la  religion  tant 
naturelle  que  révélée  (fondation  Boylei,  La  Haye.  17'ii. 
t.  il,  p.  34  sq.  Vers  la  même  époque,  et  donc  bien  avant 
Mansel,  Limits,  etc.,  et  M.  Tyrrell,  Through  Scylla 
and  Charybdis,  Londres,  1907.  c.  Révélation,  l'arche- 
vêque anglican  de  Dublin,  King,  Discoursc  of  predes- 
linalion,  1709,  réimprimé  par  Whately,  dans  ses  Bantp- 
lon  lectures,  Appendix,  p.  480.  et  l'évêque  de  Cork. 
Browne,  Procédure,  e.rtenl  and  limits  of  human  under- 
slanding,  1728,  soutinrent,  dans  des  vues  iréniques,  à 
propos  de  la  prédestination,  que  notre  connaissance  de 
Dieu  est  purement  analogique  au  sens  nominaliste,  en 
sorte  que  nous  «  n'avons  aucune  conception  directe 
et  propre  des  attributs  divins,  pas  plus  que  de  quelque 
autre  chose  de  ce  monde.  »  Cf.  S.  Thomas.  Sum.  theol., 
1»,  q.  xin,  a.  3.  Voir  Berkeley,  Alciphron,  dial.  iv. 
c.  xxi,  et,  en  sens  contraire,  Spinoza.  Ethica,  pari.  I. 
prop.  xvn,  scholion  ;  pari.  II.  prop.  xi. v-xi. vu  ;  Copies- 
ton,  Enquiry  into  the  doctrines  of  necessity  andpre- 
destination,  1821  ;  Grinfield,  Vindiciiv  analogies,  182-2; 
Ruchanan,  Analogij  considered  as  a  guide  la  truth, 
2«   édit.,    186.").  Le  rôi   Jacques   Ier,  pour  écarter   tout 


797 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE 


798 


blâme  de   l'Église  anglicane,  parle  de  sa  «  religieuse 
modération  dans  la  curiosité  aux  mystères,  »  et  pense 
résoudre  les  controverses  par  une  solution  agnostique. 
Cf.  Du  Perron,  Réplique  à  la  réponse  du  sérénissime 
roi  de  la  Grande-Bretagne,  Paris,  1620,  p.  858  sq.  Voir 
ïxrrell,  op.  cit.,  p.  95,  99  ;  Denzinger,  n.  1392, 1644  ;  Le 
Roy,   Dogme  et  critique,  Paris,  1907,  p.   32.   Calvin, 
malgré  son  dogmatisme,  pour  résoudre  les  difficultés 
de    la    prédestination   telle   qu'il   la   conçoit,  recourt  à 
l'échappatoire  de  la  «  docle  ignorance  »  pseudo-mvslique 
et  agnostique  de   Nicolas  de  Cusa.    Institution  chré- 
tienne, 1.  III,  c.  xxi,  3;   c.  xxiii,  8.  D'ailleurs,  d'après 
Calvin,  «  l'intelligence  de  la  foi  consiste  plus  en  certi- 
tude   qu'en  appréhension.    »   Lobstein,  Élude  sur   la 
doctrine  chrétienne  de  Dieu,  Lausanne,  1907,  p.  115  sq. 
La  position  de  Luther  relativement  à  l'agnosticisme  se 
manifeste  par  cette  proposition  :  Istis  novissimis  tre- 
cenlis  aunis  multa perperam  detcrminala  sunl,  quale 
est  essentiam   divinam  nec  generari   nec  generare. 
Pour  détendre  cet  article,  condamné  par  la  Sorbonne, 
Mélanchtlion,  après  avoir  parlé  des  stidtas  et  nugato- 
rias  qusestiones  et  de  lana  caprina  logomacltias  que, 
d'après  lui,  discutent  les  théologiens,  cherche  à  légi- 
timer l'agnosticisme  de   Luther  par  un  texte  de  saint 
Augustin,  souvent  cité  durant  ces  dernières  années  : 
Augustinus  percutit    vcstram  audaciam.    Vis   scire, 
inquit,  naluram  Dei'?  Hoc  scito,  quod  nescias.  Confu- 
tatio,  p.  71.    Sans   doute,    ni  Luther   ni   Mélanchtlion 
n'auraient  admis,  avec  M.  Simrnel,  «  que  toutes  les  reli- 
gions se    valent  théoriquement,  puisque    le    contenu 
d'aucune  n'est   logiquement  déterminable.    »  Simrnel, 
De  la  religion  au  point,  de  vue  de   la  théorie   de    la 
connaissance,  dans    Bibliothèque   du  congres    inter- 
national de  philosophie  de  1900,  Paris,  t.  il,  p.  319. 
Mais    s'ils    auraient    reculé    devant    les    conclusions. 
M.  Harnack  n'a  pas  complètement  tort  de  penser  qu'ils 
posaient  les  prémisses. 

Critique.  —  1°  Il  ne  manque  pas  de  protestants  qui 
voient  clairement  que  «  c'est  abuser  du  langage  de  rem- 
plir ses  pages  des  mots  foi,  vie  spirituelle,  quand  on 
croitàl'Kcritnre  comme  on  croit  à  Homère  et  à  Platon.  » 
MacCosh,  The methodofthe divine government,  'redit., 
Edimbourg,  1855,  p.  507.  Il  en  est  d'autres  qui  continuent 
rationaliste  Wegscheider,  que  a  la  raison 
guider  et  juger  le  sentiment.  <   Institutiones  theo- 
■   1844,  p.  5::.  D'autres  pensent  avec  saint  Paul. 
I  Église  et  ie  concile  du  Vatican,  Denzinger,  n.   1643, 
Hi.".:i,  1658,  qu'il  est  deux  ordres  de  vérités  moral* 

ii  uses,  celui  que  la  raison  peut  atteindre  naturel- 
le  ni  el  celui  don)  la  connaissance  suppose  la  révé- 
lation, et  ils  regrettent  que  cette  distinction  soit  mé- 
connue par  tanl  d<  réformés.  .Vaille.  Les  philosophie* 
négatives,  Paris,  \>    13  il».  Il  ne  leur  échappe  pas  que 

n  fait,  (le  la  f,,i.  indi ml  confondue  avec  la  con- 

naissance  nalun  Ile  de  Dieu,  un  «  pur  sentiment,  qui  m 

pas  plus  sur  le  caractère  intime  di 
objet  que  ne  i,,nt  les  sens,    imites  les  relij  aient. 

Buchanan,  Faith  n,  God,  Edimbourg,  1855,  t.  il, p.  219. 
Enfin  beaucoup  combattenl  l'agnosticisme  en  généralel 
"1er"  du  pragmatisme.  Oui  ou  non,  sa- 
que Dieu  i  •!  rémunérateur  '  ■  Si  l'on  admel 
alité  objective  du  jugemenl  el  du  juge,  il  m  a  plus 

i  un  quid  divin, il  ya  connaissance, 
affirmation  s,,, 
nalité  de  Dieu    Si  l'on  n'admel  pa 

ni  le  texte  de  sainl  Paul,  Heb.,  si 
Seing  and  allributei  o/  God,  I  ondre  .  1886, 
P    106    Le  i"  li 

'  inqargumi  n  rti  .  ncycliqui 

il  aux 
ur  le  modèle  de  la 
'I'""1'    i  '  étal  affectif  qu'admel   Gerson,  lia  ont 
(mil  ou  calqué  des  il <iei  im  l'i 


religieuses  et  toute  une  épistémologie.  Mais  c'est  pren- 
dre pour  accordée  une  hypothèse  psychologique  et 
oublier  de  prendre  pourpoint  de  départ  un  fait  cons- 
taté. Ensuite,  chez  les  mystiques  orthodoxes  qui  la 
soutiennent,  cette  hypothèse  est  réservée  à  certains  cas 
d'états  mystiques;  aucun  auteur  orthodoxe  ne  confond, 
avec  ces  états,  la  foi  surnaturelle  proprement  dite,  et 
encore  moins  la  simple  connaissance  naturelle  de  Dieu 
par  la  raison.  D'ailleurs,  cette  hypothèse  est  contre  l'a- 
dage :  lgnoli  nulla  cupido,  et  contre  le  mot  de  saint 
Augustin  :  Invisa  diligere  possumus,  incognila  non 
valemus.  Mot  et  adage  qui  expriment  un  fait  d'expé- 
rience, parfaitement  indépendant  de  l'opinion  qu'on  se 
fait  sur  la  question  de  la  distinction  réelle  des  facultés 
Peut-on  raisonnablement  fonder  toute  la  religion  sur  une 
hypothèse  aussi  branlante  que  celle  de  Gerson?  Est-ce 
là  procéder  scientifiquement?  Enfin,  quand  l'hypothèse 
de  Gerson  serait  confirmée  par  les  faits  et,  par  suite, 
pourrait  servir  au  théologien  dans  la  théorie  de  l'inspi- 
ration ou  de  la  révélation  immédiate,  c'est  un  saut  de 
génère  ad  genus  de  transporter  à  notre  foi  qui  est 
j  médiate  et  non  œuvre  d'amour  mystique,  ce  que  Ger- 
!  son  et  ses  adhérents  disent  d'un  certain  état  de  l'amour 
|  mystique.  .4  fortiori,  ce  saut  est-il,  comme  celui  de 
Jacobi,  mortel,  si  on  passe  de  l'amour  mystique  dont 
parle  Gerson  à  la  simple  croyance  à  l'existence  de 
Dieu. 

Il  serait  illusoire  d'essayer  ici  une  bibliographie.  Nous  nous 
bornons  de  parti  pris  aux  indications  suivantes,  où  l'on  trouvera 
les  renseignements  qu'il  nous  est  impossible  de  donner.  Beiman- 
nus,  HistoriaUmversalisatheismietatheorum...apudJudwos 
christianos,  muhamedanos.ordinechronologico  descripta  et  à 
suis  initiis  usque  ad  nostra  tempora  deducta,  Hildesheim 
1725;  Jean  François  Buddeus,  Traité  de  l'athéisme  et  de  la 
superstition  avec  des  remarques  historiques  et  philosophi- 
ques, trad.  L.  Philon,  Amsterdam,  1740  ;  J.  Brucker,  Historia 
critica  philosophise...  ad  nostram  usque  tetatem  deducta 
2-  édit.,  6  vol.,  Leipzig,  1767.  Ces  trois  ouvrages  de  main  protes- 
tante donneront  l'histoire  et  la  bibliographie  de  toutes  les  ancien- 
nes controverses  sur  notre  sujet.  Pour  la  (in  du  xvm  siècle  et 
le  début  du  xix-,  le  même  service  sera  rendu,  à  un  point  de  vue 
plus  rationaliste  que  protestant,  par  G.  Bretschneider,  Systema- 
tische  Entwickelung  aller  in  der  Dogmatik  vorkommenden 
Begriffe,  nach  den  symbolischen  Schriften  der  evangeliscl.. 
lutherischen  und  reformirten  Kirche,  etc.,  4-  édit.,  Lei 
1841  (ouvrage  publié  en  1803,  mais  tenu  à  jour);  Wegscheider.' 
Institutions  theologise  christianm  iogmaticœ,  8-  édit.,  Leip- 
zig, 1844.  Depuis  cette  époque  à  nos  jours,  cette  littérature  pi  - 
ciale  esi  touffue  plus  que  jamais.  On  trouvera  des  références 
suffisantes,  pour  l'Angleterre,  dans  le  rationaliste  (sens  8 
actuel),  Benn,  The  Mstory  o)  english  rationalistn  in  the  xix 
iry,  2  vol..  Londres,  1906;  peur  l'Allemagne,  dans  Uh!- 
mann  (catholique),  Die  Peradnlichkeii  Goltes  und  ihre  mo- 
dernen  Gegner,  1906.  D'une  manière  générale,  la  bibliographie 
abondante  de  Sabatier,  Esquisse  d'une  philosophie  de  la  reli- 
V après  la  psychologie  et  l'histoire.  Parle,  1896;  celle  de 
Morris  Jastrov,  The  study  of  religion,  Londres,  191  I 

in,  Études  sur  la  doctrine  chrétienne    île  Dieu,  I  au- 
sanne,  1907,  Indiqueront  le-  travaux  récentsà 
i  ...     ii  humaine  m  noug 

de  donner  indirectement  l'ind  „■, ,, 

avoir  lu  qu'Une  mince  partie,  en  cherchant  a  choisir,  P 
trôler  les  vues  que  nos  études  nouBavalenl    i 
avant  de  publie,  .  nté  nos  conclus!'  . 

ouvrages    elles  dans   le     ■  suivants,  qui  m 

atlon  du  nominal 
rges  Lyon,  /  «  p\  \>\>cs, 

Parla,  1898;]  inglelcrre  au   wnr  slàt       I 

1888:  D(  me   moral   dont  SptMi  ,/),,,- 

Boutroux,  Éludes  d'histoire  de  la  phii 
phie,  P  tines  de  m  , 

aine,  Lonvaln,  186 
sophy  of  Immanuel  Kant,  2  vol.,  161  ,,/,,,. 

pratique  de  Kant,  Pari  ,  I»  Léon    I  a  )  hil  tophie 

i  B        .In  philosopha 

Parla,  1894  ;  Maillet    /  ■  ,,,f  /„ 

1  '  '  '     I  ■  1 1  ■ :    I  h  la 

m  : 

Essence  du  christianisa  ,„„_' 


799 


DIEU   (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE 


800 


nés  Duns  Scotus,  Leipzig,  1000;  Pfleiderer,  Geschichte  der  Re- 
ligionsphilosophie, 3*  édit.,  1893;Balllie,  Theorigin  and 
ftcance  of  Hegel's  logic,  19CM  :  J.  Caird,  A«  introduction  to  tl»' 
philosophy  ofreligion,  1880;  .i-  Orr,  llw  Ritsehlian  theology 
and  the  evangelical  faith,  1897  ;  Kattenbusch,  VunSchleierma- 
cher  zu  Ritachl,  2*  «jdit.,  1893;  Ecke,  Die  theologische  Schule 
.\.  RitschV»,  1897:  Rébelliau,  Boasuet  historien  du  protestan- 
tisme, Paris,  1892. 

VII.  Le  jansénisme.  —  Baius  cl  après  lui  Jansénius 
acceptèrent  en  partie  les  doctrines  de  Luther  et  de  Calvin 
sur  les  suites  de  la  chute  originelle,  et  cherchèrent  à 
les  accréditer  sous  le  grand  nom  de  saint  Augustin. 
Pour  Baius,  comme  pour  Calvin,  dans  L'état  de  nature 
déchue,  les  forces  de  la  raison  en  ce  qui  concerne  les 
vérités  morales  sont  entièrement  éteintes.  Baius  traite 
de  pélagiens  ceux  qui  «  entendent  des  nations  qui  n'ont 
point  la  gr;'ice  de  la  foi  »  le  texte  de  saint  Paul  :  Godes, 
(/use  legeûi  non  habent.  Boin.,  h,  14.  Denzinger,  n.  902. 
Voir  Baius,  t.  n,  col.  70-71. 

1»  Jansénius.  —  L'Augustinus,  Rouen,  1 6 43 ,  reprit 
les  vues  de  Baius.  Au  premier  abord,  il  semble  que 
Jansénius  se  sépare  de  Baius;  car  il  concède  que  les 
philosophes  platoniciens  ont  pu  connaître  Dieu  par  les 
créatures,  que  tel  est  bien  le  sens  de  Rom.,  i,  20,  et 
l'opinion  définitive  de  saint  Augustin.  De  statu  naturse 
purse,  1.  I,  c.  xin,  p.  304.  Il  dit  même  expressément 
qu'ils  l'ont  connu,  nalurali  ralionis  lumine,  nulla  reve- 
latione,  par  le  principe  naturel  de  l'obligation  absolue 
où  nous  sommes  d'aimer  Dieu  par-dessus  toutes  choses. 
lbid.,  c.  xv,  p.  307. 

Mais  :  1.  cette  connaissance  était  de  nulle  valeur  au 
point  de  vue  moral  et  religieux  sans  la  grâce.  Jansénius 
Fait  ici  l'équivoque,  déjà  signalée  chez  les  protestants,  qui 
confond  l'utile  au  salut  éternel,  le  méritoire  du  salut 
éternel,  avec  l'honnête.  Comme  il  n'admet  pas  que 
l'homme  déchu  puisse  rien  faire  de  naturellement 
honnête  sans  la  grâce,  comme  d'ailleurs  il  est  vrai  que 
sans  la  grâce,  dans  l'état  où  de  fait  nous  sommes,  nous 
n'atteindrons  pas  la  vie  éternelle,  il  conclut  que  les 
païens  ne  pouvaient  avoir  aucune  connaissance  de  Dieu 
valable  moralement  sans  la  grâce  :  comme  si  «  mora- 
lement honnête  »  et  «  méritoire  de  la  vie  éternelle  i> 
étaient  équivalents.  Le  vice  du  système  est  facile  à 
découvrir.  Jansénius  concède  que  les  païens  ont  eu 
une  connaissance  naturelle  de  Dieu  spéculativement 
valable,  mais  non  une  connaissance  pratique,  une 
connaissance  avec  laquelle  ils  aient  eu  le  pouvoir  de 
commencer  leur  vie  morale  et  religieuse.  A  l'objection 
que  saint  Paul,  Rom.,  i,  20,  déclare  les  païens  inexcu- 
sables de  n'avoir  pas  honoré  Dieu  qu'ils  connais- 
saient, et  que  par  conséquent  ces  païens  n'avaient  pas 
une  connaissance  simplement  spéculative  de  Dieu,  mais 
une  connaissance  moralement  utile,  les  jansénistes  ré- 
pondaient par  la  plus  immorale  des  doctrines  :  Deus 
impossibilia  jubet.  C'est  ce  que  veut  dire  Jansénius 
quand,  pour  expliquer  comment  la  connaissance  de  Dieu 
(ju'il  concède  aux  païens  n'était  que  spéculative,  il  leur 
octroie  pour  honorer  Dieu  «  l'impuissance  morale  »  où 
nous  sommes  d'observer  toute  la  loi  :  or,  on  sait  que 
d'après  Jansénius  cette  impuissance  morales-  ramenait 
à  une  véritable  impuissance  physique.  lbid.,c.  xiv,  p. 306. 
2.  Cette  connaissance  purement  spéculative  de  Dieu, 
que  Jansénius  concède  à  quelques  païens  manquait 
d'ailleurs  de  certitude,  sans  la  grâce.  Jansénius  veut 
prouver  que  1'  «  état  de  nature  pure  »  est  impossible. 
Denzinger,  n.  935.  Entre  autres  arguments,  il  apporte 
celui-ci  :  Car  le  bonheur  y  serait  impossible.  Une  des 
conditions  du  bonheur  parfait,  en  effet,  d'après  saint 
Augustin  et  le  sens  commun,  est  qu'il  soit  assure''.  Or, 
dit  Jansénius,  dans  l'état  de  nature  pure,  o  quand  même 
on  accorderait  que  l'homme  pourrait  connaître  Dieu, 
auteur  des  choses  naturelles,  il  ne  pourrait  pas  arriver 
à  la  certitude.  Car,  bien  que  dans  cet  état  il  pourrait 


connaître  les  vérités  rationnelles  tenuiter,  il  n'aurait 
pas  la  certitude  de  son  immortalité  personnelle,  non 
tamen  quamdiu  vel  ipsemet  qui  cognoscit,  puisque  au- 
cun philosophe  n'y  est  parvenu.  »  lbid.,  1.  II.  c.  vu, 
p.  337.  En  d'autres  tenues,  la  philosophie  spiritualiste 
esl  impossible,  sans  la  grâce.  Cf.  Denzingi  r,  n.  1506, 
la  proposition  que  dut  signer  lionnetiy. 

3.  Lnlin,  cette  connaissance  spéculative  et  incertaine 
de  Dieu,  que  Jansénius  concède  à  quelques  païens  etqu'il 
appelle  naturelle,  en  réalité  vient  de  la  révélation  par  la 
grâce  de  l'amour.  D'après  M.  Laberthonnière,  la  foi  et 
l'amour  se  confondent.  «  Avoir  la  foi,  la  foi  vive  et  com- 
plète, c'est  posséder  liieu.  .Mais  nous  ne  pouvons  possé- 
der Dieu  qu'en  nous  donnant  à  lui;  et  nous  ne  pouvons 
nous  donner  à  lui  que  parce  qu'il  se  dorme  à  nous.  La  foi 
apparaît  ainsi  comme  la  rencontre  de  deux  amours.  » 
Essais  de  philosophie  religieuse,  1903,  p.  166;  cf.  p.  110. 
D'ailleurs,  le  don  surnaturel  de  l'amour  précède  La  foi 
et  même  la  recherche  de  Dieu.  «  Lorsqu'en  elle!  on  en- 
treprend de  chercher  Dieu,  c'est  que  déjà  d'une  certaine 
façon  on  l'a  trouvé,  »  p.  145.  C'est,  à  peine  démarqué,  le 
fameux  «  Tu  ne  me  chercherais  pas,  si  lu  ne  m'avais 
trouvé.  »  Mystère  de  Jésus.  Et  ailleurs  :  «  La  foi,  pour 
se  réaliser,  suppose  la  grâce,  »  p.  165;  cf.  p.  182.  t  Mais  le 
désir  [déposséder  Dieu,  d'être  Dieu]  n'est  pas  naturel,  je 
veux  dire  que  l'homme  ne  saurait  l'avoir  par  lui-même, 
car  on  ne  peut  pas  posséder  Dieu  malgré  lui,  comme 
on  possède  une  chose.  Et  si  l'homme  désire  posséder 
Dieu  et  être  Dieu,  c'est  que  déjà  Dieu  s'est  donné  à  lui. 
Voilà  comment  dans  la  nature  même  peuvent  se  trouver 
et  se  trouvent  des  exigences  au  surnaturel,  »  p.  171.  Ces 
exigences  sont  équivoques;  oui  ou  non,  la  nature  exige- 
t-elle  de  posséder  Dieu'.'  Rien  n'est  plus  exige  dans  un 
être  que  ses  constitutifs  intrinsèques.  M.  Laberthonnière 
répond  avec  une  précision  qui  ne  lui  est  pas  coutu- 
mière  :  «  Ce  qui  fait  que  l'homme  est  homme,  c'est 
justement  qu'il  a  le  pouvoir  de  mettre  Dieu  dans  sa  vie 
en  le  prenant  pour  fin,  »  p.  78. 

Cette  psychologie  de  la  foi-amour  n'esl  rien  moins 
qu'originale.  Jansénius  avait  dit  au  fond  la  même  chose 
que  M.  Laberthonnière.  Chez  Jansénius  aussi  la  mani- 
festation de  Dieu  se  fait  par  la  grâce  surnaturelle  de 
l'amour  (surnaturelle,  au  sens  janséniste  du  mot).  En 
effet,  dans  le  passage  où  il  semble  accorder  que 
l'homme  peut  connaître  Dieu  par  les  lumières  natu- 
relles de  sa  raison  et  sans  révélation,  l'évèque  d'Ypres- 
dit  bien  «  que  la  lumière  naturelle  de  la  raison  dicte 
que  Dieu  seul  doit  être  aimé  par-dessus  toutes  choses;  » 
que  cette  vérité  appartient  «  à  la  loi  naturelle,  o  parce 
que  sans  un  tel  amour  de  Dieu  aucun  acte  ne  peut 
èlre  même  ethice  bon;  il  ajoute  même  que,  bien  qu'in- 
capable de  remplir  un  tel  précepte,  l'homme  •  sans 
révélation,  par  la  seule  lumière  naturelle,  connaît  celte 
obligation.  9  Mais  la  connait-il  parles  seules  forces  d< 
sa  raison  sans  la  grâce  de  l'amour?  Non.  le  don  sur- 
naturel de  l'amour  est  supposé.  Les  platoniciens,  dit-il^ 
ont  fait  consister  la  sagesse  dans  l'amour  de  Dieu; 
mais  ces  païens  eux-mêmes  ont  attribué  cet  amour  à- 
la  grâce.  Cet  amour  doit,  d'après  eux,  être  inspiré  de 
Dieu,  il  doit  «  être  imprimé  en  nous  par  lu  forme  de- 
l'élernelle  et  immuable  substance;  «ceux  en  qui  cet 
amour  esl  ainsi  inspiré,  ceux-là.  et  non  pas  les  autres,, 
connaissent  Dieu  et  leur  lin.  Liquida  sequilur  amorent 
Dei,  quo  naluralis  ratio,  site  christianorum,  sive- 
gentilium,  dictai  eunt  relut  bonum  naturie  lalionalis 
beatificum  esse  diligendum...  nullo  modo  posse  ei 
crcalurce  viribus  naluralibus  pro/icisci.  lbid.,  I.  I. 
c.  Xlil,  p.  305;  c.  xv,  p.  307.  La  volonté  qu'avait  Jansé- 
nius de  donner,  par  des  bouts  de  textes,  l'impression 
que  saint  Augustin  pensait  comme  lui,  explique  le  dé- 
dale de  ces  raisonnements.  Mais,  la  pensée  de  Jansé- 
nius saisie,  la  ressemblance  de  ï'Augustinus  et  du  Dog- 
matisme moral  est  ici  frappante. 


801 


DIEU    (CONNAISSANCE   NATURELLE    DE' 


802 


Dans  les  deux    cas,  la   manifestation  de    Dieu  dans 
l'homme  se  fait  par  l'amour,  la  foi-amour,  don  surna- 
turel. Dans    les    deux  cas,    c'est    la    fin    dernière    de 
l'homme  qui  sert  de  moyen  terme.   Dans  les  deux  cas, 
le  don  de  l'amour  est  à  la  fois  exigé  (naturel)  et  gratuit 
(non  naturel).   Dans  les  deux  cas,  l'état  d'impuissance 
de  l'homme  joue  le  même   rôle.  Que  les  deux  auteurs 
parlent  d'un  don  de  l'amour,  nécessaire  à  la  manifesta- 
tion de  Dieu,  c'est  évident.  Chez  Jansénius,  la  fin  dont 
il  est  question  est  la  vision  intuitive,  par  laquelle  seule 
on  possède  Dieu,  on  est  divinisé  :  bonum  beatificum. 
Chez  M.  Laberthonnière,  il    s'agit  de  la  même  fin,  car 
les  expressions  «    posséder  Dieu,  être  Dieu  »  ne  s'em- 
ploient pas  en  dehors  de  l'élévation  à    l'ordre  surnatu- 
rel;   d'ailleurs,  l'auteur    exprime    la    nécessité   de   la 
grâce, ce  qui  n'aurait  pas  de  sens  s'il  parlait  d'une  autre 
fin  que  de  la  vision  face  à  face.  Chez  Jansénius,  le  don  de 
l'amour  est  surnaturel,  au  sens  janséniste,  c'est-à-dire 
exigé  par  la  nature  intègre,  gratuit  pour  la  nature  dé- 
chue.   Chez  M.    Laberthonnière,     le    même    don    est 
m  exigé  »,  puisque  la  fin  pour  laquelle  il  est  nécessaire 
est  strictement  exigée;  on    nous  dit,  en  effet,   que  le 
pouvoir  de  prendre  Dieu  pour  fin  est  ce  qui  fait  que 
l'homme  est  l'homme:  mais  rien  n'est  plus  strictement 
que  ce  qui  résulte  des  constitutifs  de  l'individu 
ou  de  l'espèce.  Ce  don  est  en  même  temps  «  gratuit  », 
puisqu'on    nous    avertit    que  «    le   désir  »   dont  il  est 
question  «  n'est  pas   naturel  ».    Enfin,  dans  les  deux 
systèmes,    l'impuissance    de    l'homme  joue  le  même 
rôle  :  d'après  Jansénius,  l'amour  ne  peut  pas  sortir  des 
forces    de    l'homme;  d'après  M.    Laberthonnière,  «  le 
désir  n'est  pas  naturel,  je  veux  dire  que  l'homme  ne 
saurait  l'avoir    par    lui-même.   »  Il    y  a   bien  quelques 
nuances,  qui    viennent  de   ce  que  Jansénius  parle  de 
deux  états,  celui    d'Adam  avant  le    péché,  et  celui  de 
l'homme  déclin,  landis  que  M.  Laberthonnière  ne  parle 
que  d'un  seul,  le    noire.    Mais,  si    l'on    va    au  fond  des 
choses,  c'est  la  même  conception  du  surnaturel  exigé 
dans  les  deux  cas.  M.  Laberthonnière   a  ses  réponses, 
nous  allons  y  venir  après  avoir  conclu.  Comme  le  désir 
de  la  vision  intuitive  suppose  la  révélation,  qui, à  cause 
de  notre  élévation  à  cette  fin,  est  absolument  nécessaire 
d'après  te  concile  du  Vatican,  Denzinger,  n.  1635,  il  Bail 
que  Jansénius,  eu   vertu  de  sou  système  dans  lequel 
le--  dons  surnaturel-;  d'Adam  sont  exigés,  el  M.  Laber- 
thonnière. puisqu'il  fait  profession  d'admettre  le  con- 
cile du    Vatican,  sont  d'accord    et  sur  l'origine,  par  la 
révélation,  de  la  connaissance  de  Dieu,  ontologiquement 
et  moralement  valable,  et  sur  l'impuissance  physique 
de  l'homme  déchu  a  parvenir  à  cette  connaissance  par 
les    -eules   lumières  de   sa  raison  naturelle.  Cette    im- 
puissance est  moins  masquée  dans   VAugustinus  que 
(buis  le  Dogmatisme  moral,   parce   que  Jansénius  ne 
donne  pas  la  grâce  de  la  foi-amour  a  tout  le  monde  el 
n'a    pas    de     peine  à    damner    ceux  qui    ne    l'ont    pas, 

M.  Laberthonnière,  que   les  athées  embarrassent,  mel 
tout  le   toit  sur  eux    :  ils  croiraient,  s'ils  si-  donnaient 
les  dispositions  morales  requises  pour  croire;  mais  la 
de  l'amour  esl  universellement  donnée  ■<  tous. 
Cette  dernière  assertion  fournit  à  M.  Laberthonn 
I    Le  don  de  l'amour  n'esl  pas  i 
m   pas  posséder   Dieu  malgré  bu.     I 
qui  ■  b-  pouvoir,  la  lin  »,  mais  non  pas 

désir    .       Réponse.  —  I .  Si  la  lin  est  exi| 

ent,  •-   Dani  cette  question,  quand 
on  parle   .  toujoui  -  d'exi{  eni  es  hy- 

i  hypothèsi     >   d<  i"  ndu    •  t   d<  i"  ad  de 
llcation    rien  .loue  ne  te  i 
LU  est  vrai  que  les  tl 
nple   de  la  cou  i  i  ration,  du  corn 

débita,  et  ajoutent 

i    que    n  :.    vivre  on 

que   m    I  ■  I  ion. 

D1CT.    !>F     Mil  OL.    Ci  moi.. 


ni  le  concours  général  ne  sont  en  notre  pouvoir.  Mais 
quel  est  le  théologien  qui  a  jamais  ditou  pensé  que  si, 
par  exemple,  je  vis  demain,  ma  vie  ne  sera  pas  natu- 
relle, sous  le  prétexte  qu'il  n'est  pas  en  mon  pouvoir 
de  me  la  donner  par  moi-même?  Or,  c'est  ainsi  que 
parle  M.  Laberthonnière  :  «  Le  désir  n'est  pas  naturel, 
je  veux  dire  que  l'homme  ne  saurait  l'avoir  par  lui- 
même.  »  —  2°  On  nous  réplique  encore  et  surtout  :  Mais 
il  n'est  question  que  du  surnaturel  exigeant  et  nulle- 
ment du  surnaturel  exigé,  comme  chez  Jansénius  ou 
Baius.  —  Réponse.  — 1.  «Ce  qui  fait  que  l'homme  est 
homme  »  est  du  surnaturel  exigeant'.'  C'est  plus  qu'é- 
trange. 2.  On  conçoit  un  surnaturel  exigeant  ex  hypo- 
thesi  elevationis  gratuilœ,  mais  on  nous  parle  d'un 
surnaturel  exigeant  ex  hypothesi  elevationis  debitse. 
Cf.  Thamiry,  Les  deux  aspects  de  l'immanence,  Paris, 
1908,  c.  ix,  p.  230-294. 

2°  Qucsnel.  —  Les  jansénistes  développèrent  la  doc- 
trine de  VAugustinus.  Charron,  après  Montaigne, 
s'était  appliqué  à  montrer  que  par  «  les  seules  forces 
de  la  raison  »,  l'homme  ne  peut  pas  connaître  Dieu,  et 
que,  même  quand  on  le  connaissait  par  la  foi,  on  res- 
tait dans  une  «  ignorance  consciencieuse  »,  à  savoir 
dans  l'agnosticisme.  Cf.  Garasse,  Somme  théologique, 
1.  II,  sect.  il,  m.  L'abbé  de  Saint-Cyran  prit  la  défense 
de  Charron;  il  ('tait  d'ailleurs  convaincu  qu'il  y  a 
«  quelque  danger  à  prouver  par  des  raisonnements  la 
vérité  d'un  Dieu.  »  Les  théologiens  de  la  secte  s'atta- 
chèrent surtout  à  confondre  la  foi  et  la  charité.  Voir 
les  propositions  condamnées  de  Quesnel,  Denzinger, 
n.  1200,  1267.  Celte  confusion  établie  contrairement  au 
concile  de  Trente,  sess.  VI,  can.  28,  Denzinger,  n.  720, 
et  à  toute  expérience  psychologique,  ils  soutinrent  : 
1.  que  la  foi  est  la  première  des  grâces  que  l'homme 
reçoit  et  peut  recevoir,  Denzinger,  n.  1242,  1241;  2.  que 
la  charité    seule    parle  à  Dieu   et    que    Dieu    n'entend 

qu'elle  :  «  Tu  ne  chercherais  pas,  si  tu  ne  m'avais 

trouvé.  »  On  rencontre,  il  est  vrai,  cette  formule  chez 
certains  mystiques,  mais  dans  un  tout  autre  sens.  Nemo 
i/uwrere  valet,  dit  saint  Bernard,  nisi  (/ni  prius  inve- 
ncrit.  De  diligendo  Dca,  c.  vu,  22,  P.  L.,  t.  clxxxii, 
col.  987.  Celle  phrase  décrit  ce  qui  se  passe  dans  l'âme 
justifiée  (lui  ne  goûte  plus  les  douceurs  de  l'amour  di- 
vin et  en  soutire;  celte  angoisse  qu'elle  ('prouve  est 
encore  de  l'amour  ou  vient  de  l'amour;  l'âme  cherche 
Dieu  et  court  vers  lui  comme  le  cerf  altéré  \ers  l'eau 
des  fontaines;  si  elle  cherche,  c'est  que  déjà  elle  a 
trouvé.  De  plus,  chez  certains  mystiques,  cette  for- 
mule s'entend  d'une  «  possession  de  Dieu  par  dispo- 
sition potentielle  ;  ce  qui  ne  favorise  d'aucune  façon 
m  le  jansénisme  ni  la  philosophie  ou  la  méthode  d'im- 
manence. Cf.  Rousselot,  Pour  V histoire  du  problème 
de  l'amour  au  moyen  âge.  Munster,  1908,  dans 
Beitrâge  de  Baeumker,  t.  vi,  p.  8ô.  :î.  Quesnel  parle 
d'une  certaine  connaissance  naturelle  de  Dieu  même 
pour  les  païens,  Rom.,  i,  19,  mais  elle  esl  mauvaise  el 
pernicieuse,  bien  que  venant  de  Dieu,  Denzinger, 
n    1256  ans  la  lumière  de  la  foi,  sans  le  Christ 

el  sans    la  charité,   que  pouvons-nous  être,   sinon  té- 
nèbres,  aberration   et   péché'.'  s  Denzinger,   n.    i 
i.  Dernière  conséquence,  qui  montre  bien  à  quel  rela 
n  isme  peut  conduire  une  exagération  pseudo-mystique 
en  théologie     Vec  Detu   e$t,nei     ■  igio,  ttoi  non  < si 
chantas.    Denzinger,   n.    1273.    Quesnel  alléguait  en 
faveur  de  cette  proposition  un  rersel  de  -.uni  Jean  : 
nui  non  diligil,  "<"    }iovit    Deum   :  quoniam    /• 
charitat  eil.  I  Joa.,  iv-,  s.  Le  sens  de  ce  ,  il  le 

■divan!     Qui  nondiligitnon  novit  D  itoporlet 

tii  talubrller;  ce  qui  lignifie  que   personne    ne 
auvé   sans   la   chai  ité.    Corni  111e   de  la    PI 
ajoute  :   Eslo  spéculative  noicat  Deum,  praclice   ia- 
,i,rn.  ni  etl  experimentaliter,  fui,  \  sapide, 

i >     ,,i  .  ticul   melli  •*  el  duU  ■ 

IV. 


8o:î 


DIEU   (CONNAISSANCE   NATURELLE   DE; 


804 


nem  nenio  novit  per  experientiam  et  saporem,  nui 
qui  illud  gustat  et  sapit.  Sicul  enim  sapor  sapiendo, 
iia  amoi'  amando  practicecognoscitur,gu8latur  et  sa- 
pitur.  Quesnel  confond  donc  deux  choses  :  la  connais- 
sance qui  assure  le  salut,  expérimentale,  et  la  connais- 
sance purement  spéculative,  de  pure  foi;  et  il  donne 
tellement  d'importance  à  la  première  qu'il  conclut  à  la 
nullité  de  la  seconde  comme  Molinos  ou  Ritschl. 

Sur  les  propositions  de  Quesnel,  voir  Greg.  Kurlz,  O.  S.  B., 
Theologia  suplristica  in  compeiulio  délecta,  Bamberg,  1736; 
il  examine  537  propositions  condamnées  ;  Calatayud,  Uivus 
Thomas,  Valence,  17'ii,  t.  n,  et  pasaim  ;  l'auteur  s'occupe  beau- 
coup des  faits  mystiques  allégués  alors  comme  aujourd'hui  ;  Jac. 
de  la  Fontaine,  Conslitutio  Unigenitus  iheotogice  propugr.ata, 
4  in-fol.,  Dillingen,  1720,  où  l'ordre  des  propositions  est  suivi  ; 
les  textes  scripturaires  et  patristiques.  cités  par  Quesnel  et  ses 
défenseurs,  sont  rapportés  et  discutés. 

3°  Pascal.  —  On  trouve  dans  les  Pensées  de  Pascal 
un  grand  nombre  des  conséquences  ou  des  hypothèses 
de  YAuguslinus,  bien  que  les  cinq  propositions  n'y 
soient  pas.  De  .même,  on  n'y  trouve  pas  toutes  les  pro- 
positions de  Quesnel,  mais  les  germes  de  tout  ce  qu'a 
condamné  la  bulle  Unigenitus  y  sont  assez  apparents. 
Je  parle  bien  entendu,  non  pas  des  Pensées  éditées  en 
1669  et  1670  par  les  jansénistes  où,  spécialement  sur  le 
sujet  qui  nous  occupe,  furent  faites  des  corrections 
importantes,  cf.  Pensées  de  Biaise  Pascal,  édition  des 
grands  écrivains,  Paris,  1901,  t.  i,  p.  clxxvi,  lit.  xx; 
fragments  242,  243,  t.  u,  p.  175,  et  des  omissions  sa- 
vamment calculées,  cf.  fragment  556,  t.  m,  p.  4,  note  2, 
avec  les  renvois.  Mais  il  est  question  des  Pensées  telles 
que  nous  les  lisons  aujourd'hui,  telles  que  les  admire 
M.  Eucken,  telles  que  les  recommande  M.  Laberthon- 
nière.  Essais  de  philosophie  religieuse, p.  193-224. 

1.  La  doctrine  de  Pascal  sur  les  suites  du  péché  ori- 
ginel est  celle  de  Luther,  de  Calvin,  de  Baius,  de  Jan- 
sénius;  elle  n'est  pas  la  doctrine  catholique. 

2.  La  doctrine  de  la  connaissance  religieuse  de  Pas- 
cal, en  tant  qu'elle  suppose  que  notre  raison  n'est  na- 
turellement que  ténèbres  et  aveuglement,  et  en  tant 
que  sous  le  nom  de  foi  du  cœur  elle  propose  au  fond 
les  vues  de  Jansénius  et  de  Quesnel  sur  la  foi-amour, 
a  été  condamnée  parla  bulle  Unigenitus;  l'Église  n'est 
donc  pas  responsable  des  défauts  de  l'apologétique 
qu'on  en  peut  tirer. 

3.  Sur  le  point  spécial  qui  nous  occupe,  à  savoir  de 
l'impuissance  de  l'homme  à  parvenir  à  la  connaissance 
de  l'existence  de  Dieu  par  les  lumières  naturelles  de 
sa  raison,  sans  l'aide  de  la  révélation,  Pascal  est  héré- 
tique; il  a  été  condamné  avec  les  traditionalistes, 
comme  nous  le  verrons  bientôt,  par  le  concile  du  Vati- 
can. Il  écrit  en  effet  :  «  Parlons  maintenant  selon  les 
lumières  naturelles.  [XI  vient  de  dire  que  par  la  foi 
nous  connaissons  l'existence  de  Dieu,  mais  non  sa  na- 
ture.] S'il  y  a  un  Dieu,  il  est  infiniment  incompréhen- 
sible... Nous  sommes  donc  incapables  de  connaître  ni 
ce  i/it'll  est,  ni  s'il  est.  »  Pensées,  t.  H,  p.  145,  frag- 
ment 233.  C'est  précisément  ce  que  le  dernier  concile 
a  condamné.  Denzinger,  n.  1634,  1653.  Aussi,  de  même 
que  Jules  Simon  avait  raison  de  soutenir  contre  les 
traditionalistes  français  que  leur  Église  les  désavouait, 
quand  ils  prétendaient  que  lui,  rationaliste,  ne  pouvait 
pas,  indépendamment  de  la  révélation,  écrire  une 
théodicée,  et  qu'il  n'y  a  pas  de  «  philosophie  séparée  », 
Religion  naturelle,  Ie  édit.,  Paris,  1857,  p.  ix  sq.j  de 
même,  le  protestant  de  Genève,  E.  Naville,  et  «  l'évadé  », 
M.  Hébert,  ont  raison  de  ranger  Pascal  parmi  les  au- 
teurs condamnés  au  concile  du  Vatican.  E.  Naville, 
Philosophies  négatives,  Paris,  1900,  p.  63  sq.j  Hébert, 
L'évolution  de  la  foi  catholique,  Paris,  1905,  p.  135. 
Aussi  M.  Decurtins  n'a-t-il  fait  (pie  tirer  une  consé- 
quence de  bon  sens,  lorsqu'il  a  écrit  dans  un  article 
qui  avait  pour  but  de  dégager  du  mouvement  moder- 


niste «  la  réforme  sociale  chrétienne  »  :  <■  Nous  ne 
comprenons  pas  comment,  après  le  Vatican,  on  peut 
construire  une  apologie  du  christianisme  sur  Pascal.» 

Parlant  des  preuves  classiques  de  l'existence  de 
Dieu  c  par  les  ouvrages  de  la  nature  »,  l'édition  de 
1 070  faisait  dire  à  Pascal  :  «  Je  n'attaque  pas  la  soli- 
dilé  de  ces  preuves  consacrées  /mr  l'Écriture  sainte.  » 
En  réalité,  Pascal  avait  écrit  :  «  C'est  une  chose  admi- 
rable que  jamais  auteur  canonique  ne  s'est  servi  delà 
nature  pour  prouver  Dieu.  »  Fragment  243,  t.  il,  p.  177. 
«  N'oublie-t-il  pas,  demande  M.  Naville,  la  déclaration 
du  psalmisle,  Ps.  xtx?  N'oublie-t-il  pas  la  parole  si 
claire  de  saint  Paul  que  les  perfections  de  Dieu  se 
voient  comme  à  l'œil  dans  ses  ouvrages,  Rom.,  I,  20?» 
Pascal  n'oublie  rien;  mais  son  exégèse  est  celle  de 
YAuguslinus  tout  comme  sa  psychologie  et  sa  morale. 
Cf.  Pensées,  t.  n,  p.  285,  frag.  375;  p.  21,  frag.  294;  t.  i, 
p.CLXii.«  Je  n'entreprendrai  pasici.  dit-il,  de  prouver  par 
des  raisons  naturelles  ou  l'existence  de  Dieu,  ou  la  tri- 
nilé,  ou  l'immortalité  de  l'âme  ni  aucune  des  choses  de 
celte  nature;  non  seulement  parce  que  je  ne  me  sen- 
tirais pas  assez  fort  pour  trouver  dans  la  nature  de 
quoi  convaincre  des  athées  endurcis,  mais  encore  parce 
que  cette  connaissance  sans  Jésus-Christ  est  inutile 
et  stérile.  »  Fragment  556,  t.  m.  p.  4.  Port-Royal  avait 
écarté  ce  passage  compromettant,  parce  que  trop  voi- 
sin de  YAuguslinus.  En  le  présentant  au  public, 
Etienne  Périer  prit  soin  de  gloser,  afin  de  faire  ou- 
blier cette  filiation;  mais  Mme  Périer  en  fait  le  centre 
de  YApologie,  prononçant  avec  Quesnel  que  «  hors 
Jésus-Christ,  il  n'y  a  que  vices,  que  misère,  que  déses- 
poir, et  nous  ne  voyons  qu'obscurité  dans  la  nature  de 
Dieu  et  dans  la  nôtre,  »  t.  i,  p.  cxciv,  ccxliv.  Qui 
avait  tort  ou  raison  de  la  préface  d'Etienne  Périer  ou 
de  Mme  Périer'?  L'une  et  l'autre.  Car  Etienne  Périer 
écrivait  sa  préface  pour  une  édition  où  on  lisait  seule- 
ment qu'on  n'attaquait  pas  la  solidité  des  preuves  de 
l'existence  de  Dieu,  mais  que  souvent  ces  preuves  ne 
son  pas  assez  proportionnées  à  la  disposition  d'esprit 
de  ceux  pour  qui  elles  sont  destinées.  Mais  Mme  Périer 
pouvait  lire  dans  le  manuscrit  :  «  Ces  personnes  desti- 
tuées de  foi  et  de  grâce,  recherchant  de  toutes  leurs 
lumières  tout  ce  qu'elles  voient  dans  la  nature  qui  les 
peut  mener  àcette  connaissance  [de  Dieu],  ne  trouvent 
qu'obscurité  et  ténèbres.  »  Fragment  242,  t.  n,  p.  176. 
Là  est  le  mot  de  l'énigme. 

Car,  pour  Pascal,  comme  pour  Jansénius,  «  il  est 
certain  (pie  ceux  qui  ont  la  foi  vive  dedans  le  cour 
voient  incontinent  que  tout  ce  qui  est  n'est  autre  chose 
que  l'ouvrage  du  Dieu  qu'ils  adorent.  »  lbid.  Avec  la 
grâce  de  la  foi  vive  le  ca>ur  connaît  bien  des  raisons. 
Kt  sans  elle?  Nec  unus  quidem  tôt  sœculorum  lapsu, 
répond  Jansénius,  in  tanta  liistoriarum  vastitate 
reperiri  potest,  qui  summum  bonum  ,  id  est  Deum 
verum,  naturse  sagacitale  sine  Dei  gratia  invenerit 
et  coluerit.  Augustinus,  De  statu,  etc.,  1.  II,  c.  v, 
p.  335.  Le  cœur  de  ceux  qui  ont  la  grâce  de  la  foi  vive 
voit  clairement  toutes  les  raisons  de  croire;  la  raison 
des  autres  ne  voit  rien,  ou  ce  qu'elle  voit  est  inutile. 
Sans  doute  le  Crede,  ut  inlelligas  a  un  certain  sens 
vrai,  mais  1' «  abêtissez-vous  ne  parait  en  avoir  aucun. 
Le  tort  de  Pascal  est  de  ne  pas  distinguer  entre  la 
connaissance  des  mystères  proprement  dits,  et  celledes 
vérités  rationnelles  sur  Dieu.  Denzinger,  n.  1631.  1643, 
entre  les  vérités  que  la  foi  nous  propose  et  celles  qui 
constituent  lespréambules  delà  foi,  dont  l'existence  de 
Dieu  fait  partie,  lbid.,  n.  1638.  Pour  lui,  l'homme  cor- 
rompu a,  relativement  à  toutes  ces  vérités,  la  même 
impuissance  physique,  tant  qu'il  n'a  pas  la  grâce;  et.  il 
n'y  a  pas  plusieurs  variétés  de  grâces  :  ou  bien  nous 
avons  l'amour  céleste  et  tout  est  sauf,  ou  bien  nous 
sommes  les  esclaves  de  la  cupidité  et  tout  est  perdu. 
Denzinger,  n.  1385  sq. 


805 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE; 


806 


Aussi  Pascal  se  proposait-il  d'écrire  contre  ceux  qui 
tiennent  que  l'existence  de  Dieu  est  manifeste,  que 
nous  en  avons  une  connaissance  spontanée  et  natu- 
relle. Fragment  242.  Il  ne  s'agit  pas  ici  de  Descartes,  pour 
lequel  Pascal  est  d'ailleurs  très  dur,  fragments  76  sq.; 
ni  précisément  de  ceux  qui  comme  Grotius  commencent 
leur  apologétique  par  les  preuves  en  forme  de  l'exis- 
tence de  Dieu,  fragments  243,  556;  mais  bien  des  théo- 
logiens, qui  prenaient  pour  base  de  leur  apologétique 
le  lait  de  la  connaissance  spontanée  et  certaine  de  Dieu, 
considérant,  comme  le  fait  encore  un  des  meilleurs 
théologiens  du  XIXe  siècle,  Scheeben,  La  dogmatique, 
trad.  Bélet,  t.  n,  n.  29,  que  dans  l'espèce  «  les  preuves 
scientifiquement  développées,  bien  loin  de  donner  à 
l'homme  la  première  certitude  de  l'existence  de  Dieu, 
ne  font  qu'éclaircir  ou  consolider  celle  qui  existe  déjà.  » 
Le  P.  Colon,  dans  un  entretien  laissé  dans  ses  manus- 
crits et  publié  plus  tard  (en  1683,  d'après  Sommervogel) 
par  le  P.  Boutauld,  Le  théologien  dans  les  conversations, 
i  eilit.,  Avignon.  1853,  avait  employé  cette  méthode. 
Interrogé'  par  un  athée  sur  les  preuves  de  l'existence  de 
Dieu,  le  théologien  de  f'.oton  refuse  d'abord  de  «  par- 
ler de  la  nécessité'  de  l'Etre  absolu,  de  la  non-impli- 
cance  en  sa  définition,  de  V impossibilité  des  causes 
infinies  en  nombre,  de  tous  les  autres  arguments  in- 
ventés par  la  logique  artificielle  des  académies,  «  p.  40. 
Il  y  vient  plus  tard;  mais  il  débute  par  une  sorte  de 
démonstration  ad  oculos  :  Voyez  et  regardez  le  soleil  et 
le>  astres  et  vous  sentirez  naître  la  science  de  Dieu, 
avec  un  instinct  qui  vous  portera  à  l'honorer.  Cf. 
Illingworlh.  Th  mmanence,  Londres,  1904;  au 
c.  n.  The  religious  influence  of  the  material  wo  ld, 
p.  i:i--27,  l'auteur  a  rassemblé  de  curieuses  citations  sur 
ce  sujet.  C'est  à  celle  méthode  des  théologiens  que  s'en 
prend  Pascal  au  fragment  242.  Les  rencontres  verbales 
avec  le  texte  de  Colon  sont  d'ailleurs  remarquables. 
Coton  et  Pascal  discutent  à  peu  prés  les  mêmes  diffi- 
cultés des  athées,  bien  qu'ils  les  résolvent  très  différem- 
ment. «  Leur  argi >nl  principal,  dil  Eugène  le  théo- 

logien  de  Coton,  ù  propos  des  anciens  docteurs,  quand 
ils  ont  voulu  convaincre  les  infidèles,  a  toujours  été  de 
leur  montrer  le  firmament  el  les  astres,  et  les  autres 
parties  de  l'univers.  Je  vous  les  montre,  Messieurs,  et 
je  vous  dis  :  Regardez.  Eugène  s'étant  arrêté  après 
avoir  prononcé'  cea  il"u\  paroles,  Léonce  [l'athée  du 
diali  i  -lit  de  continuer  el  de  rapporter  les  rai- 

sons et  les  preuves  que  les  anciens  avaient  formées  là- 
ii3.  Quand  j'ai  dit  :  Regardez,  repartit  Eugène,  j'ai 
■  lit  tout  ci-  que  je  dois  dire;  car  la  maxime  de  ces  pre- 
niiei  i    l'avis  qu'ils  m'ont  donné',  est  que.  ap- 

porter des  raisons  à  ceux  qui,  après  avoir  regardé  le 
monde,  ne  savent  pas  encore  qu'ils  ont  un  Dieu,  c'est 
apporter  le  flambeau  pour  montrer  le  soleil  à  ceux  qui 
ne  le  voient  pas  en  plein  midi,  •  p.  18.  C'est  ruiner 
toute  l'apologétique  de  Pascal,  dont  la  base  esl  que 
depuis  la  corruption  de  notre  nature,  Dieu  nous  a 
I. lisses  dans  un  aveuglement  «  dont  nous  ne  pouvons 
ir  que  pai    la  foi  i  lin  tii  nne.    lussi   Pascal  écrit-il 

de  ci  -  l qui  n'ont  pas  la  grâce  de  la  foi 

Dire  à  i  ■  ux-là  qu'ils  n'ont  qu'à  voir  la  moindre 
!  qui  les  environnent  el  qu'ils  verront  Dieu  à 
•overt,  "i    leur  donner    pour   toute  preuve  de  ce 
nd  et  important  sujet  le  cours  de  la  lune  i  i  ,i 

'm  i'  l 

I   leur    donm  r  sujet   de   it les 

preuvi  ide  notre  religion  sont  bien  faibles,    ■  i     l 
la  i  omparaisondu  joui  en  plein  midi,  Pascal  alli , 

de  i  i  i  niui.   et  ajoute       r.,-r  n'esl 

•  "•'  '""'i'  c  .  qu'on  parle  eu ■  le  joui  •  n 

plein  midi.  On  d<   dil  point  que  ceui  qui  i  herchenl  le 
■  "  plein  midi  ou  de  i  eau  à  la  mer,  en  trouveront 

et  ainsi  il  faut  bien  que  l'évid de  Dieu  ne  Mil  pas 

telle  dan  ,.,  ,,i  i;i.  i.,  i,  ,_,,,,  „i  244 


jetle  quelque  lumière  sur  ce  dernier  passage  :  «  Ne 
dites-vous  pas  vous-même  que  le  ciel  et  les  oiseaux 
prouvent  Dieu?  demande  l'athée  à  Pascal.  —  Non.  — 
Et  votre  religion  ne  le  dit-elle  pas?  —  Non  [au  con- 
trairej.  Car  encore  que  cela  est  vrai  en  un  sens  pour 
quelques  âmes  à  qui  Dieu  donne  cette  lumière,  néan- 
moins cela  est  faux  à  l'égard  de  la  plupart.»  Ceux  qui 
ont  la  foi  vive  voient,  les  autres  sont  aveuglés.  Pascal 
se  souvient-il  de  la  phrase  de  Calvin  sur  les  païens  : 
S'ils  ont  eu  quelques  éclairs  de  la  vérité,  c'était  pour 
les  mieux  perdre?  La  doctrine  catholique  est  que  Dieu, 
après  la  chute,  nous  a  laissé  la  raison,  l'usage  de  la  rai- 
son, la  puissance  physique  de  le  connaître,  afin  de 
nous  sauver,  si  profitant  de  ses  bienfaits  nous  ne 
manquons  pas  à  notre  devoir  :  facienli  quod  in  se  est, 
Veus  non  denegat  gratiam,  cela  est  vrai  de  tous. 

Lnfin,  que  savons-nous  de  la  nature  intrinsèque  de 
Dieu,  même  lorsque  nous  croyons  en  lui?  Nominaliste 
comme  Locke,  Pascal  est  agnostique  comme  lui.  Il 
s'applique  à  montrer  «  qu'on  peut  bien  connaître  qu'il 
y  a  un  Dieu  sans  savoir  ce  qu'il  est.  »  Fragment  233, 
t.  n,  p.  143.  Des  éditeurs  modernes  rapprochent  de  ce 
fragment  plusieurs  textes  de  Charron  où  il  con- 
clut à  «  l'ignorance  consciencieuse  ».  Ces  textes  sont 
précisément  ceux  que  le  P.  Garasse  avait  relevés  et 
où  il  avait  flairé  «  l'athéisme  couvert  »;  ce  sont  donc 
bs  mêmes  que  Saint-Cyran,  défenseur  de  Charron, 
avait  jugés  orthodoxes.  Pascal  et  Saint-Cyran  s'accor- 
daient sur  l'agnosticisme  croyant  :  «  Voilà  ce  que  c'est 
que  la  foi  :  Dieu  sensible  au  cœur,  non  à  la  raison,  » 
parce  que  dans  le  système  janséniste  il  n'y  avait  pas  de 
foi  sans  amour.  Fragment  278,  t.  il,  p.  201,  avec  la  noie 
très  instructive.  Cela  est  exact  de  la  «  foi  parfaite  »  ; 
aussi  les  éditeurs  de  1670  ajoutèrent-ils  cette  épithèle 
au  texte  original  ;  mais  cela  est  faux  de  la  foi  tout  court. 
Et,  si  on  soutient  cette  erreur,  le  danger  de  mettre  la 
foi  dans  le  sentiment  et  de  réduire  l'objet  de  la  foi  au 
l'ait  brut  de  l'existence  de  Dieu  est  difficile  à  éviter.  Ce 
pas  franchi,  si  vraiment  «  c'est  le  cœur  qui  sent  Dieu,  et 
non  la  raison  o,  et  si  ce  sentiment  est  la  foi,  il  est  lo- 
gique d'écrire  :  o  Par  la  foi  nous  connaissons  son  exis- 
tence; par  la  gloire  nous  connaîtrons  sa  nature,  >■  t.  II, 
p.  144.  Le  sentiment,  en  effet,  ne  peut  pas,  en  tant 
qu'opposé  à  la  raison,  nous  renseigner  sur  la  nature 
intrinsèque  de  Dieu.  Mais  la  raison,  d'après  Pascal,  .  ne 
connaît  ni  l'existence  ni  la  nature  de  Dieu,  parce  qu'il 
n'a  ni  étendue  ni  bornes.  »  lbid.  Il  reste  donc  que  ni 
par  la  raison,  ni  par  la  loi,  isolées,  ou  prises  ensemble, 
nous  ne  pouvons  porter  un  jugement  sur  la  nature  in- 
trinsèque de  Dieu:  ce  qui  esl  l'agnosticisme  croyant 
de  Spencer,  de  Kant,  de  Mansel  el  des  modernistes. 
VIII.  I.i.  TRADITIONALISME.  —  Le  traditionalisme  est 
la  doctrine  d'après  laquelle  une  révélation  primitive 
fut  absolument  nécessaire  au  genre  humain,  non  seu- 
lement pour  acquérir  la  connaissance  des  vérités  de 
l'ordre  surnaturel,  mais  bien  pour  acquérir  la  con- 
naissance  des  vérités  suprasi  nsibles,  c'est-a-dire  des 
<.  rites  fondamentales  de  l'ordre  métaphysique,  moral 
et  religieux;  les  vérités  dont  il  s'agit  sont  spécialement 
tence  de  Dieu,  la  spiritualité'  et  l'immortalité  de 

l'âme  et  l  i  aie  sii  ictemenl  obli- 

ie.  Cette  révélation  non-  esl  parvenue  par  la  tra- 
dition, l'enseigni  i i  oral  el  social,  d'une  génération 

à    l'autre    ;    don    le    nom  de  Iradil  loua  hsiue.   Celle  doc- 

trine  admet  donc  dans  Ile le  une  véritable  Impuis- 
sance physique  a  pai   enii   soit  i  la  i  onnai 
à  la  certitude  de  l'existence  de  Dieu,  indépendamment 
do    la    révélation.  Celle-ci  devient    donc  absolument 
lire. 
N .  .i  i  -  a'.  ..n-  déjà  lie  onlré  cet  te  Idée  de  |,,  i 
lue  il    la  révélation  chez  lei  protestants  et   chez 
Pô  mi  |i  -  calholiqui  i,  >  e  lui  une  qui  ■ 
■  i    i    m  le 


807 


DIEU    (CONNAISSANCE   NATURELLE   DE; 


808 


pyrrhonisme  t'  1  a i t  plus  favorable  à  la  religion  que  le 
dogmatisme.  >  L'influence  janséniste  poussait  à  humi- 
lier la  raison,  cette  superbe.  Malebranche  se  déclara 
pour  le  fidéisme,  tant  à  cause  de  prétendues  difficultés 
déduites  de  la  théorie  de  la  connaissance,  qu'à  cause 
de  l'impossibilité  pour  l'homme  d'avoir  l'idée  de 
l'infini  ;  mais  il  ne  recourut  pas  à  la  révélation;  la 
vision  en  Dieu,  d'où  devait  sortir  ce  qu'on  a  appelé 
Yonlologisme,  lui  servit  d'échappatoire.  Xous  n'avons 
pas  ici  à  nous  occuper  de  cette  solution,  parce  qu'elle 
ne  nie  pas  précisément  le  pouvoir  pour  l'homme  de 
connaître  Dieu  par  les  lumières  de  sa  raison,  mais 
explique  le  fait  d'une  façon  incorrecte  et  inconciliable 
avec  le  dogme  de  l'invisibilité  divine.  Muet,  dans  son 
traité  De  la  faiblesse  de  l'esprit  Immain,  paru  après 
sa  mort,  fit  de  grandes  concessions  au  pyrrhonisme. 
Il  accordait  bien  que  l'homme  a  quelque  pouvoir  de 
parvenir  à  la  vérité,  mais  il  lui  refusait  le  pouvoir 
d'arriver  à  la  pleine  certitude  par  les  seules  forces  de 
la  raison.  Mais  la  bonté  divine  nous  a  enlevé  cette 
infirmité,  en  nous  concédant  le  don  inestimable  de  la 
foi,  qui  chasse  tous  les  brouillards.  L'ouvrage  posthume 
de  Muet  fut  désavoué  par  ses  amis'  La  question  devait 
être  reprise  au  xixe  siècle. 

Durant  le  xvrïï*  siècle,  on  débattit  onguement  la 
question  de  l'origine  du  langage.  On  se  souvient  que 
Fénelon,  dans  sa  Lettreà  l'Académie,  s'inspired'Horace: 
Sylvestres  homines,  et  que  le  passage  ne  s'accorde 
guère  avec  la  tradition  biblique.  L'Italien  ,T.-B.  Vico, 
tout  en  concédant  qu'avant  le  déluge  l'homme  avait 
conservé  la  religion,  la  vie  sociale  et  le  langage,  soutint 
que  les  fils  de  Noé  furent  tellement  dispersés  par  la 
crainte  des  bêtes  féroces  que  ceux  qui  échappèrent  à 
leur  voracité  perdirent  d'abord  toute  religion,  puis  le 
langage,  enfin  la  vie  sociale  et  l'usage  de  la  raison;  ils 
vécurent  ainsi  mille  ans,  au  bout  desquels,  réveillés 
par  la  foudre,  ils  retrouvèrent  quelque  connaissance 
de  la  divinité,  le  langage,  puis  la  vie  sociale.  De  con- 
stantia  philologiœ,  c.  IX,  Scienlia  nova,  passim.  On  ne 
tarda  pas  à  dire  des  «  premiers  »  hommes,  supposés 
barbares,  ce  que  Vico  avait  imaginé  pour  les  descen- 
dants de  Noé.  Avec  Rousseau,  Discours  sur  l'origine 
de  l'inégalité  parmi  les  hommes,  Œuvres,  Paris, 
1819,  t.  iv,  p.  201-373,  la  question  s'embarrassa  dans 
celle  de  l'origine  des  sociétés.  Comme  les  rationalistes 
et  les  déistes  pour  faire  une  nasarde  à  la  Bible,  les 
sensualistes  et  les  matérialistes  pour  renforcer  leurs 
systèmes,  se  ralliaient  en  grand  nombre  à  cette  idée  de 
l'homme  sauvage,  sans  langage;  il  arriva,  ce  qui  n'est 
pas  rare,  que  certains  apologistes  crurent  bien  faire 
de  soutenir  l'impossibilité  pour  l'homme  d'inventer 
le  langage.  Après  la  Révolution,  de  Bonald  lit  entrer 
cette  apologétique  dans  son  système  philosophique  et 
social.  Voir  Bonald,  t.  n,  col.  959;  Bonald,  Recherches 
philosophiques  sur  les  premiers  objets  des  sciences 
morales,  1818. 

La  même  année  parut  le  premier  volume  de  V Essai 
sur  l'indifférence  en  matière  de  religion  de  Lamennais. 
Bans  le  IIe  volume,  Lamennais  reprenait  les  objections 
des  pyrrhoniens  et  concluait  :  «  Il  est  de  fait  que  sou- 
vent les  sens  nous  trompent,  que  le  sentiment  intérieur 
nous  trompe,  que  la  raison  nous  trompe  cl  que  nous 
n'avons  en  nous  aucun  moyen  de  reconnaître  quand 
nous  nous  sommes  trompés,  aucune  règle  infaillible 
du  vrai.  C'en  est  assez,  comme  on  l'a  vu,  pour  ne  pou- 
voir rigoureusement  affirmer  quoi  que  ce  soit,  pas 
même  notre  propre  existence.  »  Essai,  1820,  t.  Il, 
c.  XIII,  p.  29.  Cependant  la  raison  individuelle,  à  celte 
impuissance  d'arriver  au  vrai  et  à  la  certitude,  joint 
un  invincible  «  besoin  de  croire  ».  Le  consentement 
commun  (l'ordre  de  foi)  supplée  à  notre  faiblesse,  el 
6  devient,  dans  l'institution  de  la  nature,  le  point 
d'appui  de    nos  connaissances,   le   titre  qui   nous  en 


assure   la    possession  certaine,  en  un  mot  la  véritable 
base  de  notre  raison,  t  c.  xiv,  De  l'existence  de  Dieu, 
p.  37.  Le  consentement  commun  ou  l'autorité  du  genre 
li uiiiain   renferme   donc  le   plus  haut   degré  de  certi- 
tude où    il  nous   soit  donné'   de   parvenir.   Lamennais 
montre    ensuite    qu'il   n'est    aucune    proposition    sur 
laquelle  l'accord  du  consentement   commun  soit  aussi 
unanime    que  celle    de    l'existence  de  Dieu.   «    Cette 
immense  idée  n'est  pas  seulement  en  harmonie  avec 
notre  intelligence;  elle  est  notre  intelligence  même, 
p.  70.  L'athéisme  est  donc  l'extrême    folie.    Le  c.    XV 
traite  des  «  Conséquences  de  l'existence  de  Dieu  par 
rapport  à  l'origine  et  à  la  certitude  de  nos  connaissant 
L'auteur  y   conclut  :  »  Il  existe  donc  nécessairement, 
pour  toutes  les  intelligences,    un   ordre  de  vérités  ou 
de  connaissances  primitivement  révélées,  c'est-à-dire 
reçues  originairement  de  Dieu,  comme  les  conditions 
de  la  vie  ou  plutôt  comme  la  vie  même;  et  ces  vérité» 
de  foi  sont   le  fonds  immuable  de  tous  les  esprits  et 
la  raison  de  leur  existence,   »  p.  81.  Et  un  peu  plus 
bas  :  «  De  même  que  la  vérité  est  la  vie,  l'autorité,  ou 
la  raison  générale  manifestée  par  le  témoignage  ou 
par  la  parole  (ce  n'est  pas  nous  qui  soulignons  ici)  est 
le  moyen  nécessaire  pour  parvenir  à  la  connaissance 
de   la   vérité,   ou  à   la   vie  de   l'intelligence,    »    p.   81. 
Lamennais  soutient  ensuite  que  l'on  ne  saurait  parler 
sans  nommer  Dieu,  puisqu'on  ne  «  saurait  parler  sans 
prononcer  ou  sans  concevoir  le  mot  est,  »  qui  est  le 
nom  de  Dieu.  «  Ainsi  l'homme  n'a  pu  exister  comme 
être  intelligent,  n'a   pu  parler  sans  connaître  Dieu,  et 
ne  l'a   pu  connaître  que  par  la  parole,  »  p.  82.  Repre- 
nant ici  l'argumentation  de  Bonald,  qu'il  cite  en  note. 
Lamennais  prétend  que   l'homme   n'a  pu   inventer  la 
parole,    puisque   cette    invention    suppose    des    idées 
préexistantes,  et   le  besoin,  et  même  le  moyen  de  les 
communiquer.  Donc  il  a  fallu  qu'il  reçût   à  la  fois  les 
idées  et  les  mots.  »  Enfin  :  «  Ainsi  In  pensée,  la  parole 
ont  été  révélées  simultanément  »  et,  avec  elles,  Dieu, 
p.  83. 

Le  traditionalisme  de  Bonald  et  de  Lamennais  excita 
de  l'enthousiasme,  spécialement  clans  les  milieux  ecclé- 
siastiques et  même  chez  les  protestants.  Le  jansénisme 
n'était  pas  mort  :  ce  qui  rendait  moins  choquantes  alors 
la  confusion  de  l'ordre  naturel  et  de  l'ordre  surnaturel, 
et  la  thèse  fondamentale  de  l'impuissance  de  l'homme, 
tel  qu'il  est  depuis  la  chute,  en  matière  religieuse,  doc- 
trines jansénistes  que  le  traditionalisme  acceptait.  Les 
ennemis  de  la  foi,  afin  de  saper  par  la  base  la  révéla- 
tion divine,  s'efforçaient  de  montrer  que  la  connaissance 
des  vérités  de  la  religion  naturelle  dérivent  de  la  puis- 
sance, de  la  spontanéité  absolue  et  indépendante  de  l'es- 
prit humain.  De  là,  l'hypothèse  des  premiers  hommes. 
sauvages,  muets,  se  développant  spontanément  par  le 
moyen  de  leur  seule  raison,  découvrant  le  langage,  fon- 
dant la  société  civile,  inventant  un  culte  religieux,  pas- 
sant du  fétichisme  au  polythéisme,  s'élevant  au  mono- 
théisme, puisa  la  religion  chrétienne.  Produit  du  génie 
de  l'homme,  la  religion  était  donc  soumise  au  jugement 
et  à  la  souveraineté  de  la  raison  humaine  et  devait  parle 
seul  moyen  de  cette  raison  se  perfectionner  conformé- 
ment à  la  loi  nécessaire  du  progrès  continu.  Cf.  Laforét, 
Les  dogmes  catholiques,  Tournai.  I8(i0,  t.  i.  p.  458  sq. 
lai  face  de  tels  adversaires,  on  crut  aller  a  la  racine  du 
mal,  en  niant  à  la  raison  humaine  toute  force,  toute 
spontanéité  en  matière  religieuse  et  morale,  ou  même 
avec  Lamennais  en  toute  matière;  on  remplaça  la 
raison  par  la  révélation  comme  liant  l'avait  remplace 
sur  le  terrain  moral  et  religieux  par  la  raison  pra- 
tique, comme  Schleiermacher  la  remplaçait  par  le  sen- 
timent. 

Il  y  eut  chez  les  traditionalistes  un  très  grand  nombre 
de  nuances  et  on  les  divise  en  deux  groupes. 
1.    Les    traditionalistes   rigides  soutenaient  :  a)  que 


809 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE   DE] 


810 


l'institution  sociale  riait  le  seul  moyen  par  lequel 
l'homme  pouvail  parvenir  à  la  première  idée  des 
vérités  suprasensibles;  b)  que  l'unique  motif  efficace 
sur  lequel  la  raison  pouvait  s'appuyer  en  adhérant  à 
ces  vérités  était  immédiatement  l'autorité  sociale, 
médiatement  et  en  dernière  analyse  l'autorité  de  la 
révélation  divine.  Ce  rôle  attribué  à  la  foi  seule  dans 
l'acquisition  d'une  vraie  certitude  des  principes  de  la 
raison  les  a  fait  nommer  fidéistes.  Pour  défendre  cette 
position,  Lamennais  lit  de  la  raison  une  puissance 
purement  passive,  la  connaissance  des  vérités  suprasen- 
sibles venant  du  seul  enseignement  extérieur.  L'abbé 
Jiaulain,  plus  théologien  que  Lamennais,  rattachait 
cette  opinion  aux  doctrines  de  la  grâce.  Dans  l'exposi- 
tion et  la  défense  de  son  système  qu'il  présenta  à  l'évêque 
de  Strasbourg,  21  novembre  1837,  il  disait  :  «  Soutenir 
que  l'homme  peut,  par  les  seulsarguments  de  la  raison, 
démontrer  l'existence  de  Dieu  et  ses  infinies  perfec-. 
tions,  qu'est-ce  autre  chose  que  prétendre  que  l'homme 
peut  par  ses  propres  forces  s'élever  à  Dieu  et  connaître 
Dieu  sans  Dieu.'  Kst-ce  que  par  là  on  n'attribuerait 
pas  à  la  raison  humaine  Vinilium  fidei,  contrairement 
au  concile  d'Orange?  Xe  serait-ce  pas  affirmer  que 
l'homme  n'a  pas  besoin  de  la  grâce  pour  croire  en 
Dieu  et  que  nous  sommes  les  auteurs  de  noire  foi'.'  o 
Cité  dans  les  Acla concilii  Valicani,  col.  520. 

2.  Les  traditionalistes  mitigés  —  on  range  ordinai- 
rement  dans  celte  catégorie  Ventura,  Bonnetty,  et  les 
professeurs  de  Lo'jvain,  Ubaghs,  Laforèt,  etc.,  bien 
que  certaines  phrases  de  deux  premiers  semblent  quel- 
quefois aller  plus  loin  —  faisaient  plusieurs  restric- 
tions :  o)  Il  ne  -:i-:iss;iii  plus  de  l'acquisition  de  toutes 
nos  idées  par  la  révélation,  mais  seulement  des  vérités 
morales  el  religieuses,  b)  D'après  Bonnetty  et  Ventura, 
l'homme  avait  besoin  du  magistère  social  pour  les 
premières  notions  de  Dieu,  de  l'âme,  de  la  vie  future 
'■I  des  principaux  devoirs;  après  y  avoir  adhéré  par  un 
acte  de  foi  purement  humain,  l'homme  avait  la  force 
gu Disante  pour  se  les  démontrer  par  les  procédés  ra- 
tionnel- ordinaires,  c)  Les  professeurs  de  Louvain 
pensaient  éviter  la  nécessité  absolue  de  la  révélation, 
li  confusion  de  l'ordre  naturel  et  surnaturel,  les  doc- 
trincs  de  Calvin,  de  Baiusel  de  Jansénius  sur  les  suites 
du  péché  originel  —  erreurs  qu'ils  voyaient  à  bon 
droit  impliquées  dan-  le  traditionalisme  rigide  —  en 
disant  :  I.  esprit  humain  esl  doué  d'une  force  interne 
qui   lui  esl   propre;  il  est  actif  par  lui-même  i 

ité  esl  continue;  néanmoins,  pour  que  l'homme 
doin-  de  cel  •  -prit   parvienne  au  véritable  usage  de  la 
oin  d'un  secours  intellectuel  extérieur. 
Les  principes  des  vérités  rationnelles,  métaphysiques 
i-i   morales,  onl  été  mis  dans  l'espril    humain   par  le 
iteur.    Mu-  telle  esl   la  loi  gique  ou  natu- 

relle de  noire  espril  que  l'homme  a    besoin  d'un  en- 
m  ne  ni  intellectuel   pour  arrivei    <  i  ■  i  usage  de  la 
n  suffisant  peur  pouvoir  acquérir  une  connais 
distincte    de   heu    el  des   vérités   morale  Lai 

catholiques,  I.  i.  p.  'ii>7.  dans  un  rapport  à  la 

di    l'indei    Donc,  d'après  ces  auteurs,   pour  que 

m  me  arrive  à  une  connaissance  claire  el  certaine, 

•  el  cerla,  de  l  •  «istence  de  Dieu,  il  fallait  un  en- 

1       ■  n  ■  ignemenl    n'étail   p  i 

■'•  tisoi  leulemenl  une 

laquelle  on  ne  pourrait  p  is  ai  i  iver  i  cel 

1     la  raison  acquis  «ous  l'inllu- 

m.  l'homme  pom.ui  démontrer 

n  particulier  -     di 

De  n    i     n  il  était  absolue,  pour 

lai  actuel,   qualet  nuru    na$' 

i  rue  n    restriction  avait   pour  luit  de 

du  p<  ché  originel  isité 

"■  d  '"'  •  de  façon  a  pou 

von  dln    ivec  la  tl  -  idilionnella  qui 


lation  primitive  n'avait  pas  été  absolument  nécessaire. 
Rome  donna  un  inslant  un  laisser-passer,  sous  la  si- 
gnature du  cardinal  d'Andréa.  Laforèt,  op.  cit.  Mais 
un  bref  pontifical,  puis  divers  documents,  s'opposèrent 
à  celte  forme  extrêmement  adoucie  du  traditionalisme. 
Cf.  Annuaire  de  l'université  catholique  de  Louvain 
pour  l'année  1876,  où  ces  pièces  ont  été'  publiées  après 
la  mort  d'Ubaghs;  elles  ont  été  reproduites  par  Bouix, 
dans  la  Revue  des  sciences  ecclésiastiques,  1876,  p.  541- 
552,  Ces  professeurs  de  Louvain  avouaient  bien  que 
l'usage  de  la  raison  précède  la  foi,  qu'affaiblie  par  le 
péché  originel,  notre  raison,  excitée  par  l'enseignement 
social,  pouvait  démontrer  Dieu.  Mais  l'usage  de  la  rai- 
son, tel  qu'ils  l'entendaient,  supposait  la  connaissance 
de  Dieu  et  des  principes  rationnels,  issue  de  l'ensei- 
gnement social,  el  l'enseignement  social  découlait  de 
la  révélation  primitive. Acla  concilii  Valicani,  col.  ÎMO. 
A  supposer  qu'à  l'aide  de  quelque  subtilité  on  put 
encore  dans  ce  système  soutenir  la  non-nécessité 
absolue  de  la  révélation  primitive,  il  restait  que  cette 
nécessité  est  absolue  pour  nous  depuis  la  chute,  et  que 
parmi  les  suites  du  péché  originel  il  fallait  admettre 
une  impuissance  physique  personnelle  de  connaître 
Dieu  avec  cerlitude  indépendamment  de  toute  révéla- 
lion. 

Sur  te  traditionalisme  on  trouvera  l'essentiel  :  1-  au  point  de 
vue  philosophique,  dans  Rozaven,  Examen  d'un  ouvrage  inti- 
tulé de§  doctrines  philosophiques  sur  la  certitude  dans  leurs 
rapports  avec  les  fondements  de  la  tliéologie  de  l'abbé  Gerbet, 
Avignon,  1831,  1833 ;  Chastel,  De  la  valeur  de  la  raison  hu- 
maine OU  c  que  peut  la  raison  par  elle  seule,  Paris,  1854: 
Kleutgen,  La  philosophie  scolastique,  Irad.  Sierp,  Paris,  1868, 
ti  I,  diss.  III,  p,  132-455.  Les  ontologistes  comme  Gioberti  atta- 
quêrenl  de  leur  côté  le  traditionalisme,  jusqu'à  ce  que  i  baghs 
joignit  le  système  de  Gioherti  au  sien.  Les  protestants  ortho- 
doxes se  félicitèrent  de  voir  Rome  défendre  les  droits  de  la  rai- 
son  contre  le  scepticisme.  Voir  James  Buchanan,  Failli  in  God. 
Edimbourg,  1866,  t.  II,  Theory  of  certitude,  of  scepticism, 
p.  -lu  sip  i)  mires  affectèrent  da  croire  au  scepticisme  de  1 1  „lr-e 
romaine  en  présentant  le  traditionalisme  comme  sa  doctrine 
piopreil.a  Placette,  De  insanabili  Romanm  Ecclesis  scepti- 
cisme —  2*  Au  point  de  vue  theologique  spécial  des  rapports  de 
la  connaissance  de  Dieu  avec  l'ordre  surnaturel,  voir  Constantin 
von  Schazler,  Natur  und  Vebernatur,  Dus-   I  n  der 

ini,i  die  theologinche  Frage  der  Gegenwart,  Mayence, 
tsiio.  Kleutgen  touche  souvent  à  la  même  question.  Dit  i ■■. 
gie  der  Vorzeit,  5  édit.,  5  vol..  Munster,  1K72.  spécialement  au 
commencement  du  t.  n.  —  3"  Au  point  de  vue  historique,  voir  de 
L'abbé  Hautain,  sa  rie  et  ses  oeuvres,  Paria,  1884; 
.  Études  théologiques  sur  les  constitutions  du  concile 
du  Vatican  Pai  ,1896,  t.  I,  p.  120 sq.,  329  sq.;  Didiot,  J.< 
surnaturelle  subj  édit.,  Lille,  1894,  n.  505  sq. 

i\.  Le  hodernishi  ei  l'encyclique Pascbnoi.  —  Le 
modernisi st  une  doctrine  dont  les  origines  histo- 
riques el  la  parenté  philosophique  et  theologique  sont 
des  plus  complexes.  Cf.  Parodi,  Le  pragmatisme,  dans 
la  Revue  de  métaphysique  et  de  morale,  Paris,  janvier 
1908,  p.  10t.  Dan-  les  pages  précédentes  non-  avons  in- 
diqué' les  doctrines  philosophiques  el  pseudo-théol 
ques  dont  dépend  le  modernisme.  Les  lecteurs  par 
suite  comprendront  plus  facilement  ce  qui  est  dit  dans 
lîque  Pascendi  de  la  connaissance  religieuse  i  a 
-('•niral  cten  particulier  de  la  connaissance  naturelle  de 
Dieu.  Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  indiquer  l  la  position 
de  l'encyclique  ;  2"  ce  qu'il  faui  répondre  aux  moder- 
nistes qui  prétendent  que  nous  ne  connaissons  Dieu 
que  par  la  i  le  intérieure. 

I     La  rationnelle  île   Dieu    el    les    1710- 

après  l'encyclique.       San-  donner  le  détail 
des  origines  historiques  du  modernisme,  l'encyclique 
en  indique  nettemenl  la  parenté  philosophique  el  II 
i  ■     modei  niâtes,  dit-elle,  pai  li  ni  <!■  ci  prei 
principe  :  •  La  raison  humaine,  enfermée  rigoun 

ut  dan    le  cercle  d<     phénomi  n  due  des 

ni  el  tell 


811 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE 


812 


apparaissent,  n'a  ni  la  faculté  ni  le  droit  d'en  franchir 
les  Hlnites;  elle  n'est  donc  pas  capable  de  s'élever  jus- 
rp^a   Dieu,    non    pas    même    pour  en   connaître  par   le 
moyen  des  créatures,  même  phénoménales,  l'existence. 
D'où  ils  infèrent  que  Dieu  nepeutpas  être  directement 
un  objet   de  science.    »    Denzinger,  ICC  édit.,  n.  207'2. 
On    sait  que,  dans  la    terminologie   moderne,   «    notre 
connaissance  est  bornée  aux  phénomènes  »  a  deux  sens. 
Dans  les  sciences,  telles  qu'elles  sont  aujourd'hui  cons- 
tituées,  un  phénomène  signifie  a    un  fait  à  expliquer, 
un  individu  réellement  connu  à  ramener  à  une  loi  ou  à 
une  cause  inconnue.  «C'est  dans  ce  sens  que  les  positi- 
vistes entendent  le  mot,  lorsque  —  faisant  non  plus  de 
la  science,  mais  de  la  mauvaise  philosophie  —  ils  énon- 
cent avec  Comte,  Huxley,  Spencer  que  notre  connais- 
sance est  bornée   aux  phénomènes.  En   sl\le   kantien, 
c'est  autre  chose  :   «   notre  connaissance   bornée   aux 
phénomènes   »    signifie    que    le  seul  être    qu'atteigne 
notre  intelligence    est   l'être  que   nous  présentent  nos 
sens;  cet  être,   qui    s'interpose    officieusement    entre 
l'esprit  qui  connaît,   et   ce    que   l'esprit  connaît  de  la 
réalité,  est  le  phénomène.  L'encyclique  s'est  servie  pour 
énoncer  le  premier  principe  des  modernistes,  de  termes 
tels  qu'ils  désignent    à  la  fois  le  nominalisme  empi- 
riste  sous  tous  ses  formes  et  le  nominalisme  idéaliste 
de  Kant  et  des  philosophies  qui  dérivent  de  lui.  On  se 
souvient   qu'avant    l'encyclique    les   modernistes  don- 
naient pour  prétextes  à   leurs  innovations  «  les  résul- 
tats acquis  de  la  critique  kantienne  et  spencérienne  » 
et  la  nécessité  d'accepter  le  nominalisme.  Depuis  l'en- 
cyclique ceux  d'entre  eux  qui  ont  élevé   la  voix  pour 
protester  n'ont  pas  nié  ou  même  ont,  comme  le  Pro- 
gramma dei  modernisa,  Rome,  1908,  avoué  que  telle 
est  bien  leur  manière  de  voir. 

Mais  les  modernistes,  tout  en  acceptant  les  résultais 
acquis  de   la   critique  kantienne  et  spencérienne,  pré- 
tendaient dépasser  Kant  et  Spencer,  et  rien  ne  les  cho- 
quait plus,   à    en   juger    par   leurs    protestations,  que 
d'être  confondus  avec  des   kantistes.  Le   lecteur  a   vu 
qu'on  peut  arriver  aux  résultats  de  Kant  et  de  Spencer, 
quant  à  l'impossibilité  de   connaître  la  nature  intime 
des  choses  par  des  procédés  qui  ne  sont  pas  spécifique- 
ment les  leurs   :  Nicolas  d'Autrecourt  par  exemple  au 
xive  siècle  a  parcouru  toute   la  carrière  agnostique  à 
l'aide  d'une  seule   hypothèse  et  d'un  seul  postulat.  De 
même,  si  l'on  restreint  la  question  à  la  connaissance 
religieuse,  Molinos  niait  la  valeur  de  toute  connaissance 
intellectuelle   sur   Dieu   en    dehors    du    sentiment,    de 
l'expérience  intérieure;  Quesnel   soutenait  qu'il  n'y  a 
pas  de  Dieu  pour  qui  n'a  pas  la  foi-amour,  la  charité; 
Pascal,  comme  Hobbes,  et  à  l'aide  du  même  argument 
concluait  que,  même  avec  la  foi,  nous  ne  savons  rien 
de  la  nature   divine,   mais  seulement  le   fait   brut    de 
l'existence  de  Dieu,  Pensées,  édit.  Brunschvicg,  1904, 
t.  n,  p.  143  sq.;  cf.  Slapfer,  dans  la  Revue  des  Deux 
Mondes,  15  novembre  1908,  p.  383  sq.  ;  Boehme  rédui- 
sait à  rien   notre  connaissance  de   Dieu  considéré  en 
soi  et  par  suite  pouvait,  comme  certains  modernistes, 
affirmer   de    l'absolu,  les    contradictoires.     Denzinger, 
n.  2102.  Il  ne  répugne  donc  pas  qu'un  moderniste  soit 
arrivé   à  ses  conclusions  indépendamment  de  Kant  et 
de  Spencer.  Dans  la  réalilécependant,  les  textes  montrent 
que,   si    M.  Loisy  emploie  la  terminologie  et  la  philo- 
sophie des  idées  héréditaires  de  Spencer,  d'autres  ont 
utilisé  Comte,  et  d'autres  Kant,  soit  par  l'intermédiaire 
de  Ritschl  et  de  son  école,  soit  directement.  Cf.  Léon  XIII. 
Encyclique  au  clergé  de  France,  8  septembre  1899; 
Eucken,    Thomas   von   Aquino,    ein    Kampf    zweier 
Welten,  Berlin,  1901. 

L'encyclique  Pascendi  ne  fait  aucune  recherche  sur 
le  détail  de  ces  filiations  philosophiques.  Elle  constate 
simplement  :  a)  que  les  modernistes  admettent  la  posi- 
ion  des  philosophes  pour  lesquels  l'idée  de  Dieu,  notre 


connaissance  intellectuelle  (abstraite,  spéculative,  ra- 
tionnelle, notionnelle)  de  Dieu  est  sans  valeur  objec- 
tive, n'atteint  ou  ne  représente  pas  le  réel  el  n'a  pas 
de  portée  ontologique.  Denzinger,  n.  2091  —  '<  Qu'ils 
expliquent  l'origine  de  cette  idée  par  l'immanence 
vitale,  par  un  sentiment  qui  jaillit  en  nous  sans  ju( 
ment  intellectuel  qui  le  précède  (fidéisrne).  lbid., 
n.  2074.  —  e)  Que  cette  idée  ne  devient  une  connaissance 
ayant  une  portée  ontologique,  atteignant  la  réalité,  que 
par  la  croyance,  lbid.,  n.  2081.  —  d  Que,  même  avec 
la  croyance  ou  la  foi,  la  connai-sance  que  nous  avons 
de  Dieu  reste  toujours  purement  symbolique,  ibid., 
n.  2108,  soit  à  cause  de  son  origine  purement  sub- 
jective, ibid.,  n.  2079,  soit  à  cause  de  l'élaboration 
que  nous  lui  faisons  nécessairement  subir  suivant  nos 
besoins  et  nos  états,  ibid.,  n.  2080.  soit  à  cause  de 
l'universalité  de  la  loi  d'évolution,  lbid.,  n.  2080,  2058. 
De  la  sorte  aucune  affirmation  sur  Dieu  en  soi  n'est 
possible,  d'où  le  manque  de  valeur  métaphysique 
formules,  lbid.,  n.  2080,  2020.  Ce  qui  revient  a  dire 
que  les  modernistes  admettent  donc  la  distinction  du 
connaître  et  du  croire  au  sens  de  Hobbes,  Locke, 
Pascal,  Kant,  Mansel,  Spencer,  Ritschl,  etc.  —  e\  Enfin, 
les  modernistes  font  dépendre  la  croyance  de  «  l'expé- 
rience individuelle,  »  qu'ils  expliquent  par  une  •■  certaine 
intuition  du  cœur.  »  Le  texte  ajoute  :  «  Ils  se  séparent 
ainsi  des  rationalistes,  mais  pour  verser  dans  la  doc- 
trine des  protestants  et  des  pseudo-mystiques.  »  lbid., 
n.  2081.  En  d'autres  termes,  les  modernistes,  après 
avoir  admis  la  thèse  du  relativisme  de  Kant  et  de 
Spencer,  les  dépassent,  tout  en  continuant  avec  eux  à 
tenir  pour  symbolique  notre  connaissance  de  l'absolu, 
par  un  appel  à  Schleiermacher,  c'est-à-dire  à  la  thèse 
protestante  qui  fait  consister  la  foi  en  une  expérience 
intérieure,  ou  par  un  appel  à  la  doctrine  des  pseudo- 
mystiques  qui,  avec  Molinos  par  exemple,  nient  toute 
valeur  à  la  connaissance  intellectuelle  indépendamment 
de  l'expérience  mystique. 

L'encyclique  fait  remarquer  :  a)  Que  la  conclusion 
moderniste  :  «  Dieu  ne  peut  pas  être  directement 
objet  de  science  »  a  déjà  été  condamnée  par  le  concile 
du  Vatican.  »  Voir  col.  857.  —  b)  Que  la  théorie  pro- 
testante de  la  croyance  ou  de  la  foi,  qu'ils  confondent  à 
tort,  à  laquelle  ils  ont  recours,  a  été  rejetée  comme  héré- 
tique par  le  même  concile  :  sola  interna  cujusijue  e.r- 
perientia.  Cf.  de  Broglie,  Les  relations  entre  la  foi  et 
la  raison,  Paris,  p.  54;  Denzinger,  n.  2072.  —  c)  Que 
dans  leur  recours  à  l'expérience,  ils  débutent  par  le 
fidéisrne.  lbid.,  n.  2074.  —  d  Que  de  parti  pris  ils  ne 
s'élèvent  pas  au-dessus  du  symbolisme,  c'est-à-dire  des 
théories  d'après  lesquelles  nous  ne  pouvons  désigner 
Dieu  que  par  de  pures  dénominations  extrinsèques. 
lbid.,  n.  2079.  —  e)  D'où  il  suit  qu'ils  s'enlèvent  tout 
moyen  de  distinguer  les  religions  fausses  de  la  vraie. 
ibid.,  n.  2082,  et  de  ne  pas  tomber  dans  le  panthéisme, 
puis  dans  l'athéisme.  Ibid.,  n.  2108  sq.  On  sait  assez 
que  l'agnosticisme  dogmatique  de  Locke,  de  Kant.  de 
Mansel,  etc.,  n'a  pas  abouti  à  autre  chose.  —  f)  Enfin 
l'encyclique  consacre  un  paragraphe  au  sentiment  pro- 
testant, ou  pseudo-mystique,  dont  les  modernistes  ont 
tant  abusé.  Elle  fait  remarquer  que.  considérée  philo- 
sophiquement, leur  psychologie  est  en  défaut  :  car 
qu'est-ce  après  tout  que  le  sentiment  sinon  une  réac- 
tion de  l'âme  à  l'action  de  l'objet  proposé  par  l'intelli- 
gence ou  par  les  sens?  »  De  plus,  au  point  de  vue 
moral,  cette  importance  donnée  au  sentiment  est  dan- 
gereuse ;  de  même,  elle  est  caduque  au  point  de  vue 
apologétique,  car  le  bon  sens  n'admettra  jamais  que 
l'émotion  soit  un  moyen  sûr  de  découvrir  la  vérité; 
elle  est  en  outre  ruineuse  au  point  de  vue  religieux, 
car  n'aboutissant  à  aucune  affirmation  ferme  et  précise 
sur  la  nature  intrinsèque  de  Dieu,  elle  ne  peut  pas 
décider  s'il  existe  un  Dieu  rémunérateur,  lleb..  XI,  6: 


813 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE' 


814 


car  le  sentiment  est  incapable  de  résoudre  objective- 
ment celte  question.  Il  est  vrai  qu'on  cberche  dans  le 
système  à  suppléer  à  cette  insuffisance  par  l'expérience. 
Mais  l'expérience  n'est  elle-même  dans  l'espèce  qu'un 
sentiment  à  l'état  fort,  dont  l'intensité  peut  bien  en- 
traîner une  persuasion  plus  grande  de  la  réalité  de 
l'objet  religieux,  si  déjà  l'on  a  des  éléments  intellectuels 
objectifs  de  cette  persuasion,  mais  ne  peut  pas  suppléer 
ces  éléments.  Denzinger,  n.  2106  sq. 

2°  La  connaissance  rationnelle  de  Dieu  et  la  vie  in- 
térieure. —  Avant  l'encyclique,  les  modernistes  ont 
souvent  fait  appel  aux  mystiques  et  aussi  à  la  vie  reli- 
gieuse ordinaire  des  chrétiens  pieux  pour  conclure  au 
manque  de  portée  ontologique  des  notions  religieuses, 
en  debors  de  la  «  vie  de  foi  »  ou  en  dehors  de  la  «  vie 
de  foi,  qui  opère  par  la  charité  ».  Depuis  l'encyclique, 
M.  Tyrrell  a  prétendu  que  le  pape  avait  décrété  la  mort 
de  la  piété  dans  l'Église.  Il  n'est  pas  douteux  que  les 
modernistes  n'aient  réussi  à  s'attirer  les  sympathies  de 
plusieurs  catholiques  plus  fervents  qu'instruits  par  cette 
argumentation,  qui  ne  tend  à  rien  moins  qu'à  rendre 
ou  impossible  ou  sans  valeur  toute  connaissance  natu- 
relle de  Dieu.  Il  faut  donc  exposer  les  faits,  l'objection 
qu'on  en  tire,  et  donner  une  solution. 

1.  Les  faits  discutés.  —  Tout  homme  de  quarante 
ans  et  qui  pense,  s'il  est  vraiment  religieux  et  aussi 
capable  d'un  retour  nettement  réfléchi  sur  sa  vie  mo- 
rale, fait  un  jour  ou  l'antre  cette  découverte,  que  Dieu 
est  maintenant  pour  lui,  habituellement  ou  à  certaines 
heures,  un  Être  bien  différent  de  celui  qu'il  priait  et 
adorait  dans  son  enfance  ou  même  à  vingt  ans.  Prier, 
adorer,  ces  mots  semblent  n'avoir  plus  le  même  sens 
qu'ils  avaient  dans  la  famille,  au  collège  ou  au  lycée, 
à  la  faculté.  La  définition  abstraite  qu'on  en  donnerait, 
est  bien  la  même  que  celle  du  catéchisme  de  première 
communion  ou  du  manuel  de  séminaire;  mais  combien 
plus  profondes  en  sont  dans  l'âme  les  répercussions; 
combien  modifié  le  sens  perçu,  vécu;  combien  trans- 
formée,  l'attitude  intérieure  que  ce  sens  commande. 
Et  du  côtéde  Pobjel  :Dieu  représenté  sous  des  attributs 
moins  distincts,  plus  uns,  parce  que  plus  dégagés  des 
triées  d'anthropomorphisme,  que  ceux  qui  avaient  sou- 
tenu les  premiers  pas  vers  le  devoir;   Dieu  connu    par 

oncepts  moins  abstraits, moins  métaphysiques  ou, 
plus  exactement,  moins  théoriques,  moins  académiques 
et  scolaires,  que  ceux  qu'avaient  élaborés  les  efforts 
juvéniles  de  la  spéculation  personnelle.  Dieu,  essen- 
tiellement, au  concret,  distinctement,  se  présente  sans 
ellort  et  comme  spontanément  à  l'âme,  meilleur  que 
notre  bonté',  plus  vrai  que  notre  vérité,  plus  grand  que 
nos  hommages;  non  seulement  autre  et  différent  de 
ses  œuvres  —  cela  il  l'était  dés  le  commencement  — 
mais  dessus  d'elles,  el  cependant  intimement 

m',  dissemblable   à  tout,  et  pourtant  et 
surtout  infiniment  digm   d'être  aimé. 

tte  impression  (l'une  connaissance  vraiment  nou- 
velle, autre,  grandit  encore, si  le  Seigneur  invite  l'âme 

iter  combien  il  est  doux,  gustate  et  vide  te,  plutôt 

entimenl  que  par  lumières  :  pise  devotionis  cru- 

diamur  affectu,  'lit    la   liturgie.   Supposons    le    cas, 

tiques  pour  se  faire  entendre,  où  nous 

n  .ninon-  jamais  goûté  de  miel.  On   pourrait  par  le 

raisons  démonstratives  nous 

donni  i .     mi    que  is  j   touchions,  quelque  Idi 

ir  el  de  son  parfum  omettrions,  soil 

pai  la  loi  au  |  :  par  raison  scientifi 

que  li   miel  est  doui    La  connaissanci  que  nous  s 
de  Dieu  pai  la  raison  naturelle,  el  au 

:  an  quelq  mblableé  celle 

que  non-  aurions  de  la  douceur  du  m 

donn  di  ,i.  votion  ressi  mble 

plol  oe    que  nous  am  Ion    di 


du  miel,  si  nous  venions  à  en  goûter  pour  la  première 
fois.  A  ces  moments  bénis,  cette  connaissance  parait 
suivre  l'expérience  que  nous  faisons  de  l'amour  divin. 
Cet  amour  nous  pénètre  et,  sans  raisonnement,  un 
regard  amoureux  de  notre  àme  perçoit  confusément 
la  douceur  des  perfections  divines.  Ce  n'est  pas  Dieu 
tel  qu'il  est  en  lui-même  et  face  à  face,  puisque  nous 
sommes  dans  l'exil;  mais  ce  n'est  pas  non  plus  autre 
chose  que  Dieu,  qui  fait  l'objet  de  cette  sorte  d'intuition, 
que  les  mystiques  nomment  regard  intérieur.  Dès  lors, 
pour  l'âme,  le  cruciiix  de  son  prie-Dieu,  le  Dieu  de  ses 
méditations,  ce  Dieu  toujours  présent  et  qu'elle  sent 
tout  près  d'elle,  comme  dans  l'obscurité  on  sent  un 
ami  près  de  soi  sans  le  voir  ni  l'entendre,  paraît  autre 
qu'on  ne  le  décrit  dans  les  livres,  autre  qu'on  ne  le 
prouve  par  les  philosophies  :  il  est  bien  l'Être  néces- 
saire, l'Etre  suprême,  l'Être  des  êtres,  le  Père  des  idées, 
le  ijuo  majus  cogitari  naquit;  mais  il  paraît  différer 
en  bien,  beaucoup  plus  que  ressembler  à  ce  qu'autre- 
fois l'esprit  saisissait,  non  sans  peine,  dans  ces  formules 
abstraites.  De  même,  le  rédempteur,  auquel  s'adresse 
le  culte,  et  sur  lequel  s'appuie  toute  l'espérance  de 
l'âme  exilée,  à  qui  va  lout  son  amour,  parait  au  regard 
intérieur,  vraiment  plus  rédempteur  que  dans  le  sym- 
bole :  cruci/ixus  sub  Pontio  Pilalo,  plus  divin,  dans  sa 
divine  et  miséricordieuse  condescendance,  que  dans  la 
formule  conciliaire  :  consubslantialis.  Cf.  Acta  sancto- 
rum,  Anvers,  1643,  t.  i.  p.  197,  n.  70.  Enfin,  le  mystère 
île  Jésus  parait  plus  réel  que  tous  les  syllogismes,  tous 
les  textes  et  toutes  les  conclusions  de  l'École  sur  ce 
même  mystère.  Il  est  réel  comme  une  relation  de  per- 
sonne à  personne  :  ce  qu'il  n'est  pas  dans  les  livres. 

Oui,  à  mesure  qu'on  progresse  dans  la  vie  intérieure, 
l'objet  religieux  parait  à  l'âme  plus  réel  :  elle  le  «  réa- 
lise »,  disait  Nevvman.  En  même  temps,  cet  objet  de- 
vient pour  elle  plus  certain.  Sans  raisonner  sur  la  vérité 
des  paroles  divines,  sur  la  fidélité  des  promesses, l'âme 
prend  conscience  d'une  certitude  des  réalités  divines 
et  surnaturelles,  qui  paraît  indépendante  du  motif 
d'autorité  divine,  el  uniquement  fondée  sur  l'expérience 
qu'elle  a  de  ces  réalités.  Quand  toute  l'Écriture  et  tous 
les  écrits  des  Pères  seraient  brûlés,  ma  foi  resterait  la 
même,  disait  un  grand  saint,  tant  il  était  sur  de  celui 
à  qui  il  s'était  donné  et  dont  il  avait  goûté  les  incom- 
préhensibles perfections. 

Tels  sont  les  faits,  qu'indubitablement  perçoit  lies 
souvent  la  conscience  religieuse  des  pieux  fidèles.  Sché- 
matiquement,  la  situation  est  la  suivante  ;  la  descrip- 
tion de  Dieu  traditionnelle,  la  définition  des  actes  du 
culte,  également  traditionnelle,  ne  paraissent  plus, a  la 
pensée  réfléchie, adéquates  à  leur  objet;  bientôt  même 
la  pensée  directe  de  Dieu  à  l'aide  des  concepts  s'accom- 
pagne de  cet  épi  phénomène  :  «  Cela  n'est  pas  tout,  H 
n'est  pas  tout  à  fait  cela,  mais  plus;  i  el  pour  parler  le 
langage  de  saint  Augustin,  l'âme  «  distingue  Dieu  . 
qui  n'est  pas  lui   „    beaucoup    plus   par    l'abandon 

l'aveu  de  son  néant,  par  la  confiance  en  lui  que  par 
un  discours  métaphysique.    I.  I  tre suprême  •■  n  épi 

plus  le  contenu   île   l'idée   île    Dieu.  Ile  contenu,    qui 
trefois  paraissait  à  l'âme  venir  du  dehors  par  le  moyen 
Compliqué   des    Concepts    abstraits    (le   la    formule   | 

chismale  ou  métaphysique,  parait  maintenant  .ire  réa- 
lisé sans  ell.nl  par  un  mouvement  qui   vient  du  dedans. 

Quand,  p.u-  la  mémoire,  le  sujet  compare  ta  i.  pi 
talion    mentale,  qui   accompa                   iffectil  ai  luel, 
ii  nnes,  d.s   juvéniles  repré- 
sentations religieuses,   l'aperci  ption   actuelle  déborde 
tellement  le  contenu  primitif,  le  modifie  et  le  transforme 
.  ce  point  que  la  formule  catéchismale,  associée  dan 
l'esprit  a vi             i                                        parall   ni 
plui  .'ire  qu'uni   -..rie  de  schème  vide,  Im  el,  une 
de  projection  maladroite  et  .t                                  ,,,1, 
tel  qu'il  eal  maintenant  p.  r\  a.  El    il  (li 


815 


DIEU    (CONNAISSANCE   NATURELLE   DE) 


816 


cliii  sur  ses  expériences  successives,  sur  la  transfor- 
mation  de  plus  en  plus  complète  pour  elle  de  l'objet 
réel  île  son  adoration  et  de  son  amour,  elle  constate  un 
écart  de  plus  en  plus  marqué  entre  cet  objet,  tel  que  le 
saisit  sa  pensée  actuelle,  et  le  même  objet,  tel  qu'elle 
le  saisissait  autrefois  à  l'aide  de  la  seule  formule  tradi- 
tionnelle. Bref,  l'objet  des  formules  catéchismales  el 
métaphysiques  lui  paraît  comme  inanimé,  indillérent 
au  cœur,  sans  valeur  d'action  sur  sa  vie  morale  et  re- 
ligieuse; au  contraire,  l'objet  de  l'expérience  intérieure 
affirmé,  semble-t-il,  par  un  autre  organe  que  le  cer- 
veau, est   bien   vivant;  bien  que   très  imparfaite nt 

connu  —  et  l'âme  a  conscience  de  celte  imperfection 
et  de  cette  insuffisance  —  c'est  Lui,  moins  inadéqua- 
teinent,  le  vrai  Dieu,  à  qui  l'âme  s'abandonne  et  se  lie, 
prête  à  tous  les  sacrifices  :  Dominus  meus  et  Deus 
meus.  Et  la  certitude  delà  foi  en  paraît  toute  rajeunie; 
une  certitude  nouvelle,  qui  est  d'essence  diûerenteque 
la  certitude  appuyée  sur  la  pure  autorité  du  témoignage 
divin  extérieur,  paraît  dans  la  conscience. 

2.  L'objection.  —  Certains  modernistes  se  sont  em- 
parés de  ces  faits  de  conscience,  pour  vider  de  toute 
valeur  ontologique  la  connaissance  que  nous  pouvons 
avoir  de  Dieu  par  les  concepts,  par  les  formules  reli- 
gieuses, par  l'abstraction.  «  Notre  foi  va  plus  loin  que 
nos  idées.  »  disait  l'un;  «  vous  le  savez  bien,  si  vrai- 
ment vous  avez  la  foi.  »  «  C'est  par  la  croyance  que 
nous  atteignons  la  réalité  intérieure  des  choses  que 
n'atteignent  pas  les  sens,  »  disait  l'autre,  qui  se  flattait 
d'inaugurer  l'objectivisme  postkantien.  «  Dieu  n'est  pas 
une  vérité  abstraite,  c'est  une  réalité  qu'on  perçoit,  et 
dont  on  vil,  par  le  sentiment,  faculté  immédiate  du 
réel,  »  disait  un  troisième.  «  On  ne  démontre  pas  une 
réalité  concrète,  on  la  perçoit.  Elle  n'est  pas  objet 
d'analyse  conceptuelle,  mais  d'intuition  vécue...  Dé- 
duire Dieu  équivaut  à  le  nier.  Prétendre  vouloir  le 
trouver  ainsi  revient  à  vouloir  l'atteindre  par  une  mé- 
thode athée,  »  écrivait  sans  sourciller  M.  Le  Roy,  dans 
la  Revue  de  mélaj>hysiqne  et  de  morale,  1907,  p.  472, 
474.  Quelques-uns  de  ces  écrivains,  pour  satisfaire  aux 
nécessités  du  dogme,  sauver  la  possibilité  de  la  révéla- 
tion extérieure  et  garder  la  notion  ebrétienne  de  la  foi, 
assentiment  de  l'esprit  à  l'autorité  du  témoignage  divin, 
gardaient  quelque  nexus  objeclivus  entre  nos  idées 
religieuses  et  leur  objet,  cf.  Webrlé,  dans  la  Revue 
biblique,  juillet  1905,  sans  d'ailleurs  toujours  éviter,  à 
cause  de  la  distinction  du  connaître  et  du  croire,  de 
tomber  dans  «  la  foi  du  cœur  hermésienne  ».  Acta 
concilii  Vaticani,  col.  527,  529  sq.  Cf.  Annales  île 
philosophie  chrétienne,  octobre  1908,  p.  1-79.  Mais 
d'après  la  majorité,  l'absolu,  le  fonds  substantiel  de 
l'être,  la  réalité  sous-jacente  aux  formules, pour  parler 
net.  Dieu,  perçu,  senti,  vécu,  ne  pouvait  être  exprimé 
qu'en  formules  de  vie  :  sous  les  espèces  et  symboles  de 
l'action,  d'après  M.  Le  Roy  ;  par  des  images  décolorées, 
résidu  de  notre  expérience,  d'après  M.  Loisy;  par  de 
pures  métaphores,  d'après  M.  Tyrrell.  Cf.  Programma 
dei  modernisti,  p.  95.  Mais  tous  s'entendaient  sur  le 
point  suivant  :  avant  et  sans  la  croyance  ou  la  foi,  im- 
possibilité pour  la  raison  de  connaître  Dieu,  la  réalité 
divine,  objectivement;  car,  indépendamment  de  l'expé- 
rience, la  «  notion  »  n'a  pas  de  valeur  et  de  sens  rela- 
tivement à  la  réalité.  Outre  les  arguments  communs  à 
l'école  nominaliste  et  qui  se  résument  à  nier  que  nous 
ayons  aucune  connaissance  «  par  les  causes  »,  Pro- 
gramma, loc.  cit.,  on  prouvait  cette  conclusion  par 
l'appel  aux  mystiques,  au  grand  chrétien  Pascal,  par 
des  attaques  contre  les  théologiens  qui  ont  la  supersti- 
tion de  formules  mortes  et  vides,  et  par  le  développe- 
ment vibrant  des  faits  de  la  vie  intérieure  que  nous 
ayons  rapportés,  suivi  du  raisonnement  suivant  :  La 
vie  intérieure  atteint  la  réalité  spirituelle;  donc,  en 
dehors  de  l'expérience  intérieure,  les  formules  n'uni 


pas  de  portée  ontologique,  et  par  suite  en  dehors  de 
•  l'expérience  actuelle  du  divin  opérant  en  nous  et  en 
tout,  »  Programma,  loc.  cil.,  pas  de  connaissance  de 
Dieu,  et  donc  pas  de  connaissance  rationnelle  de  Dieu. 
lbid.,  p.  105. 

ÎJ.  Réponse.  —  Les  théologiens  connaissent  et  admet- 
tent les  faits  religieux  que  j'ai  essayé  plus  haut  de  dé- 
crire brièvement.  Dire  que  l'Eglise  réprouve  ces  états 
d'âme,  reviendrait  de  fait  à  dire  qu'elle  bannit  de  son 
sein  la  piété  et  la  vie  intérieure,  qu'elle  renie  saint 
Bernard,  saint  Bonaventure, l'Imitation,  saint  François 
de  Sales,  etc.,  et  bille  environ  les  deux  tiers  des  Patro- 
logies  deMigne.  Le  Credo  commence  par  ces  mots  :  Je 
crois  en  Dieu  ;  et  nos  catéchismes,  à  la  question  :  Pour- 
quoi dites-vous,  je  crois  en  Dieu  et  non  pas  seulement 
je  crois  qu'il  y  a  un  Dieu?  répondent  :  Parce  que  non 
seulement  je  tiens  pour  certain  que  Dieu  existe,  mais 
encore  je  mets  en  lui  loute  ma  confiance.  Où  est  le 
théologien  catholique  qui  a  mis  en  question  la  valeur 
de  cette  réponse'.'  Quelques  protestants  ont  soutenu  en 
Allemagne  que  la  distinction  célèbre  Credere  Deum, 
credere  Deo,  credere  ni  Deum  était  spécifiquement 
hussite  et  luthérienne.  Le  P.  Denifle  leur  a  montré 
que  c'est  ignorance  pure.  Le  plus  mince  étudiant  catho- 
lique en  théologie  sait  que  cette  formule  se  trouve  dans 
le  Maître  des  Sentences  et  par  suite  dans  tous  les 
théologiens  scolastiques.  On  faisait  de  même  au  sub- 
jectivisme  de  Luther,  à  sa  doctrine  de  l'expérience  in- 
térieure, l'honneur  de  formules  émues,  qu'il  emploie. 
Le  même  Denille  a  montré  que  Luther  n'avait  eu  pour 
composer  ces  formules  touchantes  qu'à  traduire  le  bré- 
viaire et  le  missel  de  l'ordre  des  augusliniens.  auquel 
il  avait  appartenu.  Denille,  Luther  und  Lutherthum, 
Mayence,  1904,  t.  i,  p.  416  sq.  Non,  l'Église  catholique 
n'a  jamais  fait  de  la  vie  religieuse  une  affaire  de  gla- 
ciale élégance  académique  et  de  froide  correction  con- 
ceptuelle. 

On  nous  objecte  la  froideur  de  nos  manuels  de  théo- 
logie, et  il  n'est  pas  difficile  de  montrer  qu'elle  est 
grande.  Disons  que  cette  froideur  est  voulue,  calculée, 
non  certes  pour  bannir  la  vie  alfective  de  la  religion, 
mais  pour  la  rendre  plus  intense.  11  n'est  pas  de  pro- 
fesseur de  théologie  qui  ne  pense  et  ne  sente  autrement 
de  la  Trinité,  quand,  en  chaire,  il  raisonne  pour  ses 
élèves  sur  ce  profond  mystère,  et  quand  il  est  à  son 
prie-Dieu.  Dans  les  deux  cas,  c'est  delà  même  Trinité, 
considérée  objectivement,  qu'il  s'occupe,  de  la  même 
réalité  mystérieuse,  qu'il  parle.  Mais  en  chaire,  il  rai- 
sonne; à  son  oratoire,  il  adore,  il  aime  et  il  prie.  Si. 
en  classe,  il  sent  l'émotion  religieuse  le  gagner,  le 
prendre  à  la  gorge,  il  la  refoule  le  plus  souvent,  pré- 
férant laisser  à  ses  auditeurs  de  rigoureuses  et  lumi- 
neuses démonstrations  plutôt  que  le  souvenir  de  la 
vibration  d'un  instant.  C'est  que  le  professeur  de  théo- 
logie sait  parfaitement  que,  si  son  élève  comprend  bien 
la  doctrine,  le  dogme,  il  y  trouvera  pour  lui-même  et 
pour  les  autres,  l'heure  de  Dieu  venue,  une  source  in- 
tarissable de  chaudes  lumières  et  de  pieuses  affections. 
Bien  de  glacial  comme  les  Respondeo  dicendum  de 
saint  Thomas;  en  apparence,  rien  de  moins  religieux 
que  les  o  disputes  »  de  Suarez.  Faut-il  les  supprimer 
ei  les  remplacer  dans  les  cours  de  théologie  par  la 
lecture  de  l'Imitation  et  le  chant  de  quelque  pieuse 
prose  du  moyen  âge?  Non,  parce  que,  à  qui  sait 
regarder  comment  les  choses  se  passent  ici-bas,  les 
pages  incolores  de  saint  Thomas  et  de  Suarez  sont  des 
foyers  de  vie  religieuse  intense,  d'une  incomparable 
puissance.  «  Il  vaut  mieux,  dit  limitatif»,  sentir  la 
componction  que  d'en  savoir  la  définition.  »  C'est  exact, 
pour  la  conduite  personnelle  et  le  salut  de  chacun. 
Mais  si  mil  ne  savail  définir  la  componction,  qui  en- 
seignerait aux  autres  à  la  sentir,  à  la  distinguer  de  ce 
qui  n'est  pas  elle?  D'ailleurs,  c'est  encore  honorer  Dieu 


817 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE) 


818 


que  de  se  donner  beaucoup  de  peine  pour  comprendre 
de  son  mieux  ce  qu'ila  bien  voulu  nous  révélerde  lui- 
même   et  de  ses   œuvres.  J'ai    signalé    tout  à   l'heure 
l'écart  qui,  par  suite  du  développement  de  la  vie  reli- 
gieuse profonde,   apparaît  au   fidèle    entre  la  formule 
abstraite  et  le   Dieu    vivant   de  son   cœur.  Les    pages 
glacées  de  saint  Thomas  et  de  Suarez  n'auraient-elles 
pas,  d'aventure,  pour  but  d'expliquer  cet  écart  apparent, 
d'en  faire  comprendre  le  sens,  d'en  mesurer  la  portée? 
Jusqu'à  preuve  du  contraire  —  et  on  ne  me  la  fournira 
pas  —  je  pense  que   l'étude  approfondie  des    grands 
théologiens  reste  la   meilleure  apologétique  contre  les 
modernistes,  qui  prennent  occasion  de  cet  écart  appa- 
rent pour  nier  la  portée  ontologique  des  notions  abs- 
traites sur  Dieu  et  en  général  des  formules  dogmati- 
ques. Aller  dans  l'étude  des  mystères  divins  jusqu'au 
bout  de  l'analyse  conceptuelle  et  logique,  c'est  le  meil- 
leur antidote  contre  la  défiance  de  la  pensée  spéculative, 
que  peut  faire  naître  la  réflexion  sur  les  caractères  de 
la  croyance  vécue  et  vivante.  Là  où   les  modernistes, 
pour  n'avoir  pas  rompu  l'os  et  atteint  la  substantifique 
moelle  du  dogme  objectif,  concluent  que  «  la  formule 
est  vide  de  sens  et  de  valeur,  qu'elle  est  irréelle,   o   le 
théologien  voit  intellectuellement  que  la  parole  divine, 
la    langue  de  l'Église  ont  un  sens  tellement  plein,  une 
valeur  ontologique  tellement  riche  que  les  battements 
de  cœur,  les  enthousiasmes  de  la  foi,  les  folies  d'amour 
religieux    de  toutes  les  générations  ne  seront  jamais 
adéquats  à  l'objet  que  cette  parole  sacrée  et  cette  langue 
officielle  nous  manifestent.  Comprise  autant  que  l'intel- 
ligence humaine  peut  la  comprendre,  la  formule  révé- 
lée nous  découvre  l'objet  de  notre  foi,  bien  au-dessus 
de  ce  que  l'amour  réuni  des  hommes  et  des  anges  pour- 
rait  nous  faire  soupçonner,  s'il   nous  était   donné   de 
pouvoir  l'analyser.  Ce  qui  est  vrai  des  vérités  révélées, 
l'est,   toute   proportion   gardée,  des  formules    philoso- 
phiques. .Mais  pour  mettre  dans  un  livre  la  métaphy- 
sique sur  Dieu  dont  nous  parlons,  il  ne  suffit  pas  de 
l'écrire  avec   son  coeur,  il  \  faut  de  la  pensée  pure;  et 
celle-ci  est  en  quelque  sorte  impersonnelle,  c'est-à-dire 
t,  pour   ceux  qui   ne  sont  pas  formés  à  celte 
discipline,  glaciale.   Il  parait  donc  que  les  pages  déco- 
lorées des  théologiens,  loin  d'être  une  preuve  de  leur 
ïndilTérence    à    la  vie  spirituelle    intime  et  profonde. 
lui  'ont  en  réalité'  ordonn 

Le  préjugé  de  religion  académique  el  d'intellectua- 
lisme exclusif  écarté,  serrons  de  près  le  raisonnement 
qu'on  nous  oppose  :  La  \ie  intérieure  itteint  la  réalité 
spirituelle;  donc,  en  dehors  de  l'expérience  intérieure, 
de  la  foi  du  cœur, pas  de  connaissance  rationnelle  de 
Dieu,  valable. 

Sur  l'antécédcnl  de  cel  enthymème,  mettons-nous 
d'accord  quant  aux  points  suivants  :  a)  Il  est  vrai  que 
la  vie  intérieure  des  chrétiens  atteint  la  réalité  spiri- 
tuelle. ||  esl  vrai  que  les  mahométans,  qui  croient  i 
•  du  vrai  Dieu,  atteignent  la  même  réalité, 
bien  que  d'une  autre  manière,  puisqu'ils  n'ont  pas  la 
vertu  théologale  di  foi.  b  On  convient  aussi  que  sans 
m  vitale  du  sujet,  l'individu  n'atteint  pas  cette 
réalité.  Beaucoup  di  nts  des  modernistes 

prouvent  que.  dans  la  connaissance  religieu  •  .  nous  ne 

uremenl  passifs;   i|  j  a    longtemp 
l'Eglisi    i  condamné  la  | ■  passivité  des  pseudo-mys- 
tiques. <    M    ["yrrella  découverl  i  une  unité  an  n 

t  ■  péi  du  féti- 

chisn  lints  et  des  extal  iqui  - 

i ''ii-   •  n  effet,   d  après  lui,  se   N\ i 
■i  inti  rprétei    I  ln<  onnu   sans    limid 

le     eette     fraction      i  II  I  i  II  I  t.  s  i  „,;,  | ,.      ,),,      ï„,,|      ,|m 

née    de   l'homm 
i  iimi  Charybdin,  Londi  .  272, 

175.  I  ■  •   que  l'encyclique  /'  rail 

remarquer  aux  mod  |ue    dam  leur  systi 


toutes  les  religions  se  valent,  et  qu'il  n'y  a  pas  pour 
eux  de  moyen  de  montrer  la  vérité  de  l'une  et  la  fausseté 
des  autres.  Comment  le  feraient-ils,  puisque,  d'après 
eux,  d'une  part  les  principes  abstraits  n'ont  pas  de 
portée  ontologique  en  dehors  de  l'expérience  intérieure, 
et  d'autre  part  tous  les  hommes  ont  une  expérience 
religieuse  qui  atteint  la  réalité  divine?  On  ne  voit  donc 
pas  comment  ils  pourraient  convenablement  exclure 
de  la  vraie  religion,  par  exemple  les  hallucinés  de  nos 
hôpitaux  qui  se  croient  le  Père  éternel,  celui  des 
Monod  qui  s'est  dit  le  Messie,  le  fondateur  de  l'Agape- 
inone,  bref  tous  les  fanatiques,  derviches  hurleurs, etc. 
Mais  pour  simplifier  la  présente  discussion,  laissons 
de  côté  ce  point  et  convenons  de  ne  parler  pour  le  mo- 
ment que  de  l'expérience  religieuse  des  bons  chré- 
tiens. 

Le  sens  de  l'antécédent  étant  ainsi  bien  déterminé, 
et  concédé,  nous  demandons  par  quelle  «  conséquence  » 
passe-t-on,  de  la  proposition  :  la  vie  intérieure  des  bons 
chrétiens  atteint  la  réalité  spirituelle,  à  cette  autre 
proposition  :  les  formules  religieuses,  en  dehors  de 
l'expérience  intérieure,  n'ont  pas  de  portée  métaphy- 
sique? Cette  inférence  est  légitime,  si  l'on  sous-enlend 
dans  l'antécédent  le  mot  seule,  en  d'autres  termes,  si 
l'on  donne  un  sens  exclusif  à  la  proposition  :  la  vie 
intérieure  atteint  la  réalité  spirituelle.  Et  c'est  bien  en 
réalité  ce  que  font  les  modernistes. 

En  effet,  l'appel   aux  mystiques  et  aux  grands  chré- 
tiens, l'étalage  des  bénéfices  de  l'apologétique  nouvelle, 
la  description  émue  des  expériences  religieuses  tendent 
à  suggérer  au  lecteur  que  seule  l'expérience  intérieure 
al  teint  l'être  substantiel;  quand  le  lecteur  esta  point, 
on  lui  glisse  la  conclusion,  et  le  tour  est  joué.  Mais  a) 
l'appel  aux  mystiques  esl  un  leurre  :  a.  parce  que  les 
mystiques   supposent  explicitement  la  foi,  une  pensée 
de    foi,  par    exemple,  celle   de    la    présence  de    Dieu, 
c'est-à-dire  une  connaissance  notionnelle  au  début  de 
leurs   expériences;    et,    seuls,    les    pseudo-mystiques 
comme  Molinos  nient   la   valeur   ontologique  de  cette 
pensée  initiale   proposée  par   la  foi.  b.  11  est  vrai  que 
Gerson  et  quelques  autres  ailleurs  admettent  la  possi- 
bilité d'une    connaissance  subséquente  à  l'état  affectif, 
sans  connaissance  antécédente.  .Mais  alors  il  faut  dire  : 
quelques   mystiques    et    non  pas  :    les   mystiques.   De 
plus,  ces  quelques  mystiques  n'admettent  la  connais- 
sance subséquente  que  comme  un  cas  singulier.  Pour 
le  reste  des  cas.  ils  parlent  comme  tous  les  autres.  — 
b)  L'étalage  des  avantages  de  l'apologétique  nouvelle, 
en  vue  d'amener  le  lecteur  à  penser  que  seule  la  vie 
intérieure  atteint  le  réel,  est  une  amorce   assez  gros- 
sière.  Elle  sert  à  la  fois  à  dissimuler  les  concessions 
que  l'on  fait  aux  agnostiques,  et  à    donner  de    l'appa- 
rence aux  moyens  que  l'on  propose,  par  la   beauté  de 
la  fin.  «  La   pensée  moderne  est  jalouse   de  la  notion 
d'immanence,  etc.;  si   nous  ne  concédons  rien,  nous 
serons  sans  action  sur    noire   temps.   »    le  n'en   crois 
rien;  mais,  soit!   Suit-il  de  là   que  seule  la  vie  inté- 
rieure atteint   le  réel?  Nos  théories,  fussent-elles  de 
Kant,  changent-elles  l'ordre  causal  du  inonde?  —  cl  La 
description    émue  de  la  vie  spirituelle  des  bons  catho- 
liques,   aux    lins    de   produire  la    ne  stion    en 

f.neur  de  la  \aieur  exclusive  de  la  connaissance  issue 
de  l'expérience,  couvre  un  triple  sophisme. 

n.  On  nous  décrit  avei  ïnes  modalités  de  la 

vie  intérieure.  Mais  I  numération  complet* 

parties.'  Non,  les  éUlfl  que  l'on  denit   sont  triés  sur  le 

volet;  "n  néglige,  de  parti  pris,  ceux  qui  contrediraient 
la  thèse,  par  exemple  le  Pail  de  la  foi  sans  amour  dans 
l'étal  île  péché,  Denzinger,  n,  740,  le  fait  de  i  i 
en  Dieu  sans  la  foi  dans  l'hérétique  formel,  le  fait  de 

la  foi  dans    Vacedia,  le  fait    de    la  foi  dans  ce  que  saint 

Jean  •  i ■    la  Croix   appelle  la  nuit  obscure,  ou  encore 
le  Lut  di   la  foi  dans  t  oraison  de  pan   foi,  etc   i  i  puis, 


819 


DIEU    (CONNAISSANCE   NATURELLE   DE) 


820 


on  n'explique  pas  la  croyance  en  Dieu  chez  ceux  qui 
n'ont  pas  la  révélation,  clic/,  les  fidèles,  qui,  soit  par 
ignorance,  soil  par  grossièreté,  ne  sont  pas  capables 
de  toutes  les  analyses  psychologiques  dont  on  nous 
parle.  Et,  d'une  énumération  1res  incomplète,  portanl 
sur  le  cas  spécial  des  catholiques  fervents,  on  passe  à 
une  généralisation  comprenant  tous  les  individus, 
toutes  les  situations. 

b.  On  nous  décrit  avec  art  certaines  modalités  de  la 
vie  intérieure;  on  nous  fait  remarquer  que  les  réalités 
suprasensililes  prennent  pour  nous,  lorsque  ces  moda. 
lités  accompagnent  nos  actes,  un  aspect  de  vérité,  d'ob- 
jectivité spécial  :  ce  qui  est  incontesté;  et  on  nous 
demande  d'avouer  que  la  connaissance  que  nous  avons 
de  ces  réalités  n'est  objective,  réelle,  que  par  ces  mo- 
dalités. Mais  réel  signifie  deux  choses  :  existant  hors 
de  moi  indépendamment  de  mes  états,  ou  bien  dont 
l'existence  objective  m'affecte  dans  ma  vie  émotive, 
dans  mes  jugements  de  valeur.  Les  modernistes,  pour 
tirer  leur  conclusion,  devraient  nous  montrer  que  nous 
ne  pouvons  pas  percevoir  le  réel  au  premier  sens,  sans 
passer  par  la  perception  du  réel  au  second  sens.  Est-il 
vrai  qu'il  n'y  a  pas  connaissance  du  réel,  de  l'objectif, 
indépendamment  de  l'état  émotif  que  le  réel  excite 
quelquefois  en  moi,  ou  de  l'estime  qu'il  fait  naître?  Je 
ne  nie  pas  qu'en  certains  cas  la  réllexion  philoso- 
phique ne  puisse,  de  cet  état  émotif,  de  cette  estime, 
s'ils  sont  donnés  dans  la  conscience,  remonter  à  la 
réalité;  il  y  a  très  longtemps  que  certains  théologiens 
ont  essayé  de  défendre  par  cette  voie  l'argument  de 
saint  Anselme.  Je  ne  nie  pas,  dans  tous  les  sens  du 
mot,  que  le  sentiment  soit  «  faculté  du  réel  ».Mais  les 
observations  qu'on  nous  apporte  prouvent-elles  qu'il 
est  «  la  faculté  du  réel  »?  La  répétition  des  mots 
«  réalité  vécue,  réel  agi  »  n'est  pas  une  réponse  à  la 
question. 

c.  Les  bons  catholiques  atteignent  les  réalités  divines 
dans  leur  vie  intérieure.  Nous  en  convenons.  Comme 
pour  argumenter,  on  a  choisi  des  cas  où,  d'une  cer- 
taine façon,  ils  les  atteignent  par  le  sentiment,  par 
l'estime,  on  conclut  que  le  sentiment  est  «  la  faculté 
du  réel  ».  Admettons-le  pour  un  instant.  Cela  exclut-il 
la  connaissance  objectivement  valable  du  réel,  je  ne 
dis  pas  indépendamment  du  sentiment,  ce  qui  serait 
contre  l'hypothèse  que  je  concède  à  ce  moment,  mais 
par  un  autre  moyen,  x?  Non.  En  effet,  mettons  que  le 
sentiment  soil  un  épiphénomène  nécessaire  et  constant 
de  x,  il  restera  vrai  de  dire  que  le  sentiment  est  «  la 
faculté  du  réel  »,  même  si  l'on  admet  que  x  atteint  le 
réel.  Quand  donc  on  nous  démontrerait  qu'il  n'y  a  pas 
connaissance  du  réel  sans  sentiment,  par  exemple, 
parce  que  l'homme  va  à  la  vérité  de  toute  son  âme,  il  ne 
s'ensuivrait  aucunement  que  notre  puissance  abslrac- 
tive  n'atteint  pas  le  réel;  il  s'ensuivrait  seulement  qu'elle 
ne  l'atteint  pas,  sans  que  le  sentiment  ne  l'atteigne 
aussi  à  sa  façon.  En  d'autres  termes,  le  rôle  du  senti- 
ment n'exclut  pas,  mais  suppose  l'exercice  de  notre 
faculté  intellectuelle  de  connaître;  et  les  analyses  des 
modernistes  ne  contiennent  rien  qui  démolisse  la  po- 
sition classique  en  cette  matière. 

Nous  croyons  donc  pouvoir  conclure  que  leur  ar- 
gument :  «  la  vie  intérieure  atteint  le  réel,  donc  la 
connaissance  purement  intellectuelle  ne  l'atteint  pas,  » 
pèche  par  nullité  d'inférence,  puisqu'ils  n'établissent 
pas  le  sens  exclusif  de  l'antécédent.  Si  d'ailleurs  ils 
disent  qu'ils  ont  le  droit  de  donner  le  sens  exclusif  à 
cet  antécédent,  parce  que  les  «  résultats  acquis  de  la 
critique  kantienne  et  spencérienne  «démontrent  l'ina- 
nité de  la  connaissance  intellectuelle,  nous  n'avons 
qu'à  observer  qu'en  réalité  ils  concèdent  la  valeur  du 
Kantisme  et  du  positivisme,  qu'ainsi  la  conclusion  de 
leur  enlhymème,  qu'ils  se  donnent  l'air  de  déduire  de 
l'étude  du  fait  religieux,  ne  suit  en  réalité  de  leur  an- 


técédent que  parce  qu'ils   se   la  donnent  a   priori   et 
in  verba  magislri. 

4.  Interprétation  des  faits.  —  Bien   que   suffisante 
pour  montrer  le  défaul    du  raisonnement  des  rnoder- 
nistes,  cette  première  réponse  n'explique  pas  la  ques- 
tion qu'ils  ont  soulevée  des  rapports  de  la  connaissance 
rationnelle  de  Dieu  et  de  la   vie  intérieure.  Nous  em- 
pruntons à  Ferez,  théolog  nol  du  xvir   siècle, 
une  page  qui  mettra  le  lecteur  sur  la  voie  a  suivre.  Ens 
intenllonale  aliud  est  logicum,  aliud  est  reale  seu 
roi iniialis,  aliud  est  commune  u trique.  Logica  enim 
solum  agit  de  esse  objective)  conslilulo  per  triplicem 
inlcllcclus  operalionem  humanam  ;  philosophia  au- 
tem  moralis  progreditur  ad  esse  volili  et  noliti,  et  ad 
esse  œslimati  per  a/lectum  aut  contemplum.  Comparer 
avec  l'action,  la  pensée-action  et  les  jugements  de  va- 
leur. Ulrunique  ens  convenil  in  génère  enlis  intentlo- 
nalis ;  neque  est  necesse  iilud  restringere  ad   intelle- 
ctum    aul    volunlalern  humanam,   sed  oportet    illud 
e.clendere  ad  omnem  intellectum  et  voluntalem.  Fer./ 
fait  cette  dernière  remarque  pour  préparer  le   moyen 
dont  il  se  sert  pour  défendre  l'argument  de  saint  An- 
selme. Voici  ce  procédé:  nidlum  bonum  est  esse  chime- 
ram;  sed  carens  omni  defectuest  bonum  :  ergo  eurent 
omni  defectu  non  est  chimera.  La  majeure  est  évi- 
dente, dit-il,  parce  qu'il  est  de  l'essence  de  l'être  chi- 
mérique de  ne  pas  pouvoir  être  l'objet  d'une  volilion 
ex  judicio  vero,  et  que,  si   on  le  veut  quand  même, 
nécessairement  la  volilion  ne  peut  aboutir.  On  se  sou- 
viendra que  Leibniz  avai!  lu  Ferez  et  l'avait  trouvé  in- 
génieux. Est  autem    intellectus  universim    loquendo 
potenlia   cognosciliva   perceptiva    contradiclionis    et 
invenliva  rationum  contradiclionis  seu  delectiva  illa- 
rum.  Voluntas  autem  est  potentia  lendensin  objectum 
ut  intellectum,  nullam    novam    ralionem    addens  in 
objeclo  sed  inclinationem  ex  parte  subjecli  aut  decli- 
nalionem.  Comparer   avec  ce  qu'ont  dit  du  rôle  des 
causes  subjectives  de  la  croyance  le  F.  Gardeil,   voir 
Créuiiulité,  t.  m,  col.  2306  sq.,  et  le  P.  Ilarent,  voir 
Croyance.  Ens  autem  intentionale  est  illud  quod  Itabel 
esse  per  denominalionem  ab  aclu  intellectus  aut  vo- 
lunlatis,  relut  si  habeal  esse  voliti  aut  cogniti.  El  sic, 
positiviun  intentionale  est  :  esse  nominati  nomine  dicta 
per  affirmationem;  aul  esse  af/irmati  per  judicium  ; 
aul  esse  voliti,  aut  esse  œslimati,  wstimalione  dan  le 
aliquam  magnitudinem.  En   ce  sens,  et  si    l'on   s'en 
tient  à   une  observation    sommaire,    cf.    Dictionnaire 
apologétique,  Paris,  "1909,  t.  I,  col.  64,   noire  foi  peut 
aller  bien  plus  loin  que  notre  connaissance  purement 
notionnelle  :  esse  nominati,  ou  purement  logique  :  esse 
af/irmali.  Mais   on  va  voir  pourquoi  il  n'en   faut    pas 
conclure  que  la  connaissance  notionnelle  ou  logique 
manque  de  portée  ontologique  ou  que  notre  foi  «  pro- 
longe nos  idées  ».  En  effet,  est  autem   talis  sestimalio 
judicium  de  re  ex  amore,  cm  iniitcio  respondet  nomen 
nobile  et  honori/icum.  L'âme  religieuse  qui  aime  Dieu 
s'incline  au  Gloria  Patri  avec  une  altilude  intérieure 
de  respect,  commandée  par  son  amour  ;  mais  son  amour 
lui-même  dépend  de  l'objet  intellectuellement  connu, 
et  n'ajoute  rien  à  l'objet  en  soi.  L'auteur  a  recours  à 
des  exemples  aujourd'hui  classiques,  l'iui  hujus  nomi- 
nis  quilibel  intelliget  et  sentiet  multo  melius  quam 
ullis  verbis  possit  exprimi,  si  quis  reflectat  super  hoc 
nomen  ego  et  supra  illud  mea  cita,  mea  sapientia. 
Comparer  avec  la  réalisation  de  New man.  Voir  Croyance, 
t.  m,  col.  2373  sq.  Comparer  aussi  avec  la  vérité  ;<  per- 
sonnelle, pour  moi,  agio,  vécue  »,  dont  on  nous  parle 
tant.   <juia  enim  unusquisque  se  amat,  aliter  se  xsti- 
mat  dicendo  ego  atque  dicendo  tu,  0/7111'  aliter  affi- 
citur  ad  meum  et  ad  tuum.   Hujus   causa  est,   quia 
unusquisque  judicat  et  xstimat  ex  affectu.  Cette  re- 
marque  est   du   prince   de   la    logique    conceptuelle. 
Aristote.  Le  chaste,  dit  saint  Thomas,  juge  autrement 


821 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE; 


822 


de  la  pureté  que  l'incontinent  :  suit-il  qu'il  juge  plus 
mal,  et  que  son  jugement  n'a  qu'une  valeur  purement 
relative?  L'idée  de  Dieu  émeut  et  fait  vibrer  autrement 
l'homme  pieux  que  l'impie,  faut-il  en  conclure,  comme 
on  le  fait,  que  l'impie  n'a  pas  d'idée  objectivement 
valable  de  Dieu,  et  que  l'homme  pieux  n'a  de  Dieu  que 
l'idée  que  son  émotion  peut  lui  en  donner?  A  ce  compte, 
dans  le  fameux  jugement  de  Salomon,  celle  qui  par 
l'émotion  de  sa  réponse  fut  jugée  la  vraie  mère,  ne 
l'était,  et  ne  savait  l'être,  que  par  l'émotion  que  lui 
causa  la  proposition  du  roi.  Qui  ne  voit  que  la  réponse 
de  cette  femme  et  l'accent  qu'elle  y  mit  furent  com- 
mandés par  la  réalité  objective,  par  le  fait  de  la  gesta- 
tion, de  la  parturition  et  de  l'allaitement?  Salomon 
compta  sur  la  réaction  émotive  de  sa  proposition  pour 
distinguer  la  vraie  mère,  et  nos  juges  d'instruction, 
qui  épient  «  l'accent  de  vérité  »  d'un  témoin,  font  de 
même;  mais  tous  savent  et  admettent  que  l'émotion  et 
l'accent  de  vérité  du  témoin  ne  créent  pas  la  connais- 
sance du  fait,  qu'au  contraire  ils  la  supposent,  et  c'est 
précisément  parce  qu'ils  la  supposent,  qu'on  en  tient 
compte.  De  même,  l'indifférence  du  témoin  est,  dans 
bien  des  cas,  la  meilleure  garantie  de  son  témoignage  : 
vérité  admise  de  tous,  mais  que  ne  peuvent  pas  expli- 
quer ceux  qui  tiennent  que  ce  qui  n'est  pas  émotionnel 
ne  saurait  atteindre  le  réel.  C'est  que  la  connaissance 
objectivement  valable  du  réel  est  antérieure  à  la  réac- 
tion affective.  111a  autem  nomina  quœ  praecedunt 
affectum,  c'est-à-dire  les  formules  purement  concep- 
tuelles et  logiques,  possimt  esse  œstimaliva  realiter, 
sed  formaliter  non  sunt.  Ce  qui  signifie  que  la  formule 
purement  spéculative  peut  être  prégnante  de  toutes  les 
réactions  affectives  du  sujet  de  façon  à  les  légitimer 
logiquement,  sans  que  subjectivement  le  sujet  réagisse; 
$unt  lacrymx  rerum,  a  dit  le  poêle  dans  le  même 
sens.  Par  exemple,  la  formule  abstraite  du  Credo,  qui 
esl  l'objet  direct  de  noire  foi,  n'est  pas  moins  repré 
tentative  de  la  réalité  en  soi,  pour  nous  laisser  froids 
à  certains  jours,  quand  par  exemple  nous  avons  une 
forte  migraine.  Os  jours-là,  le  Credo  reste  pourtant  la 
parole  de  Dieu,  et  par  suite  la  vérité;  et  le  fait  que 
nous  ne  réagissons  pas,  à  cause  de  la  migraine,  n'en- 

rien  à  la  valeur  objective  de  notification  de  la 
formule.  Perez  conclut  :  Patei  ergo  quid  sitesse  inlen- 
tionab-  quod,  juxta  dicta,  non  solum  constituitur  per 
triplicem  opérai ionem  logicam,  sed  per  quartam  ro- 
lili,et  per  quintam  sestimati.  Volilioenim  estquœdam 
illatin— i\  n'est  pas  nécessaire  qu'il  \  ait  inférence  for- 
melle, de  même  plus  haut  il  n'est  pas  question  de 
jugement  formel  :  les  scolasliques  connaissaient  les 
apprehensiones  virlualiter  judicativa  et  illativse  — 
ntelleclione ,  et  cet  timatio  est  Mario  ex  volitione 
Ant.    Perez,   In   I  n  divi    Thomm 

tract,  quinque,  Rome,  1656,  t.  i.  p.  3. 

On  voit  par  ce  texte  que  l'admission  des  notions  con- 
ceptuelles  valables  dans  la  vie  morale  et  religieuse,  loin 

d'être  ■  gêne  pour  l'interprétation  des  faits,  sert  au 

Contraire  à  les  comprendre. 

"ii  nous  objei  lera  que  les  scolasliques  ne  s'occupent 
jamais  que  des  concepts  i  t  des  opérations  logiqui 
que  nous  serions  bien  embarras  é  pour  citer  un  autre 
auteur  que  Perez,  qui  parle  d'une  quatrième  opération 

■  et  d'une  i  Inqui  i,  Nous  avouons  qu'il 

nir,  où  nous  avons  trouvi 

Mai!    la  cl qu  ils  expriment   rail  le  fond  de 

la  "  :  tique  des  vertu   ;  el  l'on    ail  que,  dans 

la  religion  esl   uni    ver 

r'Pl  ite  qu'un  ai 

de  toutes  les  vertu    p ., 

ni  de  la  rertu  de  prudence,  j  intervient. 

i  fournil  la  réponse  aux 
'ions  que  lin  m  des  tut    rappi 
'"-  moderniiti  libéraux,  pour  con- 


clure que  nous  n'avons  la  certitude  du  réel  en  religion 
que  par  l'intuition  dans  le  sentiment  ou  l'expérience. 
—  1.  Il  y  a,  disent-ils,  progrès  dans  la  connaissance  du 
réel  divin  par  l'expérience;  donc  l'expérience  est  le 
seul  moyen  de  l'atteindre.  —  Réponse.  —Nous  admettons 
le  fait  du  progrès,  que  nous  expliquons  très  facilement 
sans  avoir  à  concéder  la  conséquence  que  l'on  déduit 
de  ce  fait.  Cf.  Kleutgen,  Théologie  der  Vorzeit, Munster, 
1874,  t.  v,  p.  272;  S.  Bonaventure,  Opéra,  édit.  Qua- 
racchi,  t.  v,  p.  55;  Bossuet,  Œuvres  oratoires,  édit. 
Lebarq,  t.  v,  p.  10't. 

2.  Par  la  vie  intérieure,  disent-ils,  on  a  une  sorte 
d'intuition  des  vérités  divines;  donc  la  connaissance 
du  réel,  qui  ne  peut  être  qu'intuitive,  s'acquiert  par 
l'expérience.  —  Réponse.  — Dans  le  conséquent  on  prend 
pour  accordée  la  non-valeur  de  la  connaissance  abstraite, 
c'est-à-dire  précisément  ce  qui  est  en  question.  Quant 
à  l'antécédent,  nous  concédons  une  sorte  d'intuition,  à 
condition  qu'on  ne  prenne  pas  ce  mot  au  sens  où  les 
théologiens  l'emploient  quand  ils  trailent  de  la  vision 
intuitive.  Cette  équivoque  écartée,  l'emploi  du  motintui- 
tion  n'a  rien  qui  nous  choque.  Cf.  Harent,  Expérience  et 
foi,  dans  les  Etudes,  20  octobre  1907,  p.  233.  On  le  trouve 
équivalemment  dans  saint  Thomas  :  In  hac  etiani  rila 
purgato  oculoper  donum  intellectus  Deusquodammodo 
videri  potest.  Sum.  l/ieol.,  I»  II",  q.  i.xix,  a.  2,  ad  3"m. 
Huarez, De  oratione,  c.  xm,  dit  :  quasi  intuitu  ;  Benoit  XIV 
définit  la  contemplation  :  simplex  intellectualis  in- 
tititus  cum  sapida  dilectione.  De  bealificalione,  1.  111, 
c.  xxvi.  Le  sens  de  cette  expression  se  détermine  par 
celui  des  termes  auxquels  on  l'oppose,  qui  sont  «  mé- 
ditation et  discours  ».  Méditation  et  discours  emportent 
proposition  d'une  vérité  de  foi,  puis  raisonnement, 
ell'ort  conscient;  intuition,  au  contraire,  signifie  appré- 
hension de  la  vérité  de  foi  sans  raisonnement,  avec 
clarté  et  sans  effort;  c'est  ainsi  que  nous  saisissons  les 
premiers  principes,  et  que  nous  voyons  que  deux  et 
deux  font  quatre.  Par  la  pratique  de  la  vie  intérieure, 
sous  l'action  de  la  grâce  de  Dieu,  il  arrive  que  le  fi- 
dèle saisit  les  vérités  de  foi,  comme  on  voit  les  pre- 
miers principes  spontanément,  sans  elïort,  avec  clarté, 
qu'il  leur  donne  son  assentiment  sans  raisonnement 
conscient,  et  qu'ainsi  tenues  pour  certaines,  ces  véri- 
tés, qu'énonce  la  formule  traditionnelle,  mieux  péné 
trées sollicitent  fortement  les  puissances  affectives.  Dans 
ce  cas,  l'illusion  serait  de  croire  que  la  formule  abs- 
traite n'exprimait  pas  objectivement  de  quoi  justifier 
tout  l'ébranlement  ressenti.  Parce  qu'on  a  mieux  com- 
pris le  dogme,  on  en  a  été  plus  touché  :  et  parce  que 
les  objets  que  nous  voyons,  nous  sont  plus  distincte- 
ment présents  à  l'esprit  et  nous  émeuvent  plus  que  ceux 
qui  sont  absents,  on  dit  ici  par  analogie  que,  dans  ces 
cas,  on  a  l'intuition  de  la  réalité  divine.  Cf.  Scaramelli, 
La  direction  mystique,  Irad. Catoire,  S  vol..  Tournai, 
1863;  l'auteur  avait  en  vue  Molinos  et  ses  disciples,  el 
par  suite  traite  les  questions  précisément  au  point  de 
vue  qui  nous  occupe  ici;  Schram,  Theologia  myslica, 
Paris,  I Sis.  Voir  aussi  Moisant.  Dieu,  l'expérieni 
métaphysique,  Paris.  1907, 

3.  Dans  l'expérience  religieuse,  on  n'a  pas  consi  ienci 
d'un  travail  intellectuel  ,  la  connaissance  semble  venir 
du  dedans    et  non  du  dehors,  du   cœur  plutôt  que   du 

au.  —  Réponse.  —Ce  que  i s  venons  de  dire  ex- 
plique pourquoi  la  conscience  de  Pefforl  rail  défaut, 
qu'il  n'}  t  ni  effort,  ni  raisonnement  explicite.  La 
ade  partie  de  l'observation,  que  nous  admettons 
comme  la  premii  re,  a  été  députa  longtemps  i  tpliquée 
par  les  thi  dans  le  ti  i  rlus,  à  propos 
des  habitudi  acquises  que  non-  laissent  nos  icti  rai 
naturels.  Cf.  de  Coninck,  De  moral)  la  te,  natu 
efferlibut  acluum  tupernaturalium  in  génère,  etc., 
Ame.  lisp  \  il.  dub.  m,  n.  Si,  I  n  vertu  «le 
l'unitédu  sujet  humain,  tout  ce  quenou  non*. 


823 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE 


824 


même  les  objets  spirituels,  dans  l'acte  le  plus  épuré  de 
l'intelligence,  a  une  représentation  concomitante  dans 
notre  imagination,  et  par  suite  émeut  d'une  certaine 
manière  nos  puissances  affectives  sensibles.  D'où  il 
arrive,  observe  de  ConincU,  que  si  notre  piété  produit 
un  acte  d'amour  de  Dieu  très  sensible,  nous  éprouvons 
aussi  une  certaine  douceur  dans  tout  notre  être  :  Cor 
nieum  et  caro  mea  exultaverunt  in  Deunt  vivum. 
l's.  lx.\xiii,3.  Ile  là  naît  dans  nos  puissances  inférieures 
une  inclination  aux  appréhensions  et  aux  affections  de 
même  nature.  Kl  celle  inclination  est  très  utile  pour 
faciliter  à  la  volonté  les  actes  surnaturels,  soit  parce 
que  cette  inclination  fait  disparaître  les  empêchements 
que  la  partie  sensible  de  notre  êtreapporte  souvent  aux 
actes  de  la  partie  supérieure,  soit  parce  que,  grâce  à 
cette  inclination,  l'intelligence  est  excitée  et  aidée  à 
proposer  son  objet  à  la  volonté  avec  plus  de  perfection 
et  plus  de  force.  L'objet  étant  ainsi  proposé,  l'imagina- 
tion le  présente  à  sa  manière  à  l'appétit  sensible,  qui 
d'un  mouvement  nécessaire  se  porte  à  lui,  in  objectum 
aliquo  modo  simile  corporali  modo  apprehensum. 
D'où  il  suit  que  l'objet  religieux  apparaît  à  la  volonté 
libre  d'autant  plus  digne  d'amour  que  celte  puissance 
est  sollicitée  à  l'acte,  à  la  fois,  par  l'objet  vivement  pré- 
senté par  l'intelligence,  et  par  l'état  émotionnel  de  la 
partie  inférieure.  A  la  lumière  de  cette  explication,  il 
nous  semble  qu'on  se  rend  assez  compte  pourquoi, 
dans  certaines  expériences  religieuses,  la  connaissance 
parait  venir  du  dedans,  du  cœur,  et  non  du  dehors,  du 
cerveau.  Mais  on  a  tort  de  conclure  que,  dans  ces  cas, 
le  réel  n'est  pas  atteint  par  la  connaissance  abstraite, 
par  l'intelligence.  Si  on  retranche  cet  élément,  on 
tombe  dans  le  subjectivisme  et  dans  le  relativisme  ra- 
dical. 

4.  On  objecte  enfin  :  La  vie  intérieure  nous  donne 
une  certitude  sui  generis  de  la  réalité  de  l'objet  reli- 
gieux. Donc  cet  objet  n'est  pas  alteint  par  les  notions.  — 
Réponse.  —  Les  théologiens  concèdent  que  la  répétition 
des  actes  surnaturels  engendrent  une  habitude  de  ces 
actes.  Actuellement,  la  plupart  des  théologiens  admettent 
que  cette  habitude  est  naturelle.  La  raison  qu'ils  en 
donnent  est  le  fait  d'expérience  suivant.  Le  fidèle  qui 
devient  hérétique  formel  perd  tous  ses  dons  surnaturels  : 
cependant  il  lui  reste,  s'il  était  théologien,  Vhabitus 
acquis  de  la  théologie;  et,  bien  qu'il  n'ait  plus  la  foi, 
il  lui  reste,  pour  les  articles  qu'il  admet  encore,  une 
fermeté  et  une  certitude  subjectives  d'adhésion  à  ces 
articles,  dont  il  a  conscience.  Cet  habilus  n'est  pas  sur- 
naturel maintenant,  puisque,  par  hypothèse,  tous  les 
dons  surnaturels  sont  perdus;  il  est  donc  naturel;  et, 
s'il  est  actuellement  naturel,  il  l'était  quand  l'héré- 
tique avait  la  foi.  On  admet  donc,  en  même  temps  que 
la  certitude  de  la  foi  proprement  dite,  qui  repose  sur 
l'autorité  du  témoignage  divin,  une  certitude  naturelle 
des  vérités  révélées,  acquise  par  la  pratique  de  la  vie 
spirituelle.  Les  modernistes  réduisent  la  certitude  de 
la  foi  à  celte  certitude  naturelle  acquise.  C'est  ce  que 
l'on  ne  peut  pas  leur  concéder.  De  l'existence  de  cette 
certitude  naturelle,  ils  concluent  à  la  non-valeur 
ontologique  de  l'assentiment  ferme,  donné  aux  propo- 
sitions révélées  précisément  parce  qu'elles  sont  la 
parole  de  Dieu.  Encore  une  fois,  la  conséquence  ne 
vaudrait  que  si  l'on  prouvait  par  ailleurs  que  les  for- 
mules abstraites  ne  représentent  pas  le  réel  et  nous  ont 
été  transmises,  uniquement  comme  des  types  d'expé- 
riences religieuses,  et  non  pas  tout  d'abord  comme  des 
manifestations  des  réalités  divines,  garanties  par  le 
témoignage  divin. 

Études  sur  le  décret  Lamentabili,  lire  à  part  de  V Univers, 
août  1907;  Heiner,  Dcr  neue  Syllabus  Pins  .Y.  2'  âdit.,  Mayence, 
1908;  Michelitsch,  Der  bibliscli-tlog»iatiscl>er  Syllabus  Pius  A 
sarm  dcr  Encyclica  gege>i  den  Modernismus'  2'  édit.,  Ciraz. 

1908. 


X.  I  i;i;i  [  US  -l  R  LA  POSSIBILITÉ  DE  LA  CONNAISSANCE 
CERTAINE  DE  DlEl  PAR  LA  RAISON  NATURELLE  VISÉES  l'Ait 
LE  CONCILE  ni'  Vatican.  —  Le  concile  se  proposa  de  con- 
damner: L»  le  traditionalisme,  Acla,  coi.  79,  131  .  2"  l'er- 
reur très  répandue  depuis  les  encyclopédistes  fran 
et  depuis  l'apparition  de  la  philosophie  critique  en  Alle- 
magne, qui  consiste  à  nier  la  possibilité  de  connaître 
Dieu  par  la  raison,  soit  faute  d'arguments  valables, 
soit  pareeque  les  impressions  dites  intuitions  sensibles 
sont  seules  l'objet  réel  de  la  connaissance,  ralii 
per  se  nihil  eognoscere,  sed  tanlum  percipeve,  Acla, 
col.  520,  79,  8(3,  129  sq.;  3°  ceux  qui  nient  la  possibilité 
ou  la  légitimité  de  la  théodicée,  qui  tlieologiam  natu- 
ralem  negant.Acta,  col.  1  i8, 127.  Le  concile  a  condamné' 
les  partisans  d'une  religion  exclusivement  naturelle  : 
dans  l'ordre  de  providence  où  nous  sommes,  elle  est 
insuffisante.  Mais  cela  ne  veut  pas  dire  qu'il  n'y  a  pas 
une  science  naturelle  de  Dieu  et  des  mœurs  :  scientia 
de  Deo  et  rébus  moralibus;  l'expression  est  du  concile, 
Denzinger,  n.  1658,  qui  ne  l'emploie  pas  pour  la  reje- 
ter, mais  simplement  pour  avertir  de  leur  erreur  ceux 
qui  confondent  la  théodicée  et  la  morale  avec  la  foi 
proprement  dite.  4°  Le  concile  n'a  pas  entendu  défi- 
nir seulement  la  possibilité  d'une  connaissance  de 
Dieu  abstraite,  sans  inlluence  sur  la  vie  morale  et  re- 
ligieuse. La  connaissance  de  Dieu,  dont  il  affirme  que 
la  raison  naturelle  est  capable,  est  une  connaissance 
telle  que  la  conscience  de  nos  principaux  devoirs 
envers  Dieu  en  découle.  En  effet,  un  des  membres  du 
concile  ayant  proposé  un  amendement  qui  indiquait 
explicitement  que  la  connaissance  de  Dieu  dont  on 
définissait  la  possibilité,  emporte  avec  elle  la  connais- 
sance de  nos  principaux  devoirs  moraux  et  en  particulier 
de  la  religion  naturelle,  Acta,  col.  121,  emend.  11,  la  cor- 
rection fut  rejetée  comme  superflue  sur  l'observation 
suivante  que  fit  le  rapporteur  :  «  Nous  disons  que 
l'homme  peut  connaître  Dieu,  «  principe  et  fin  de  toutes 
c  choses;  »  notre  formule  énonce  donc  aussi  que 
l'homme  peut  connaître  ses  principales  obligations  mo- 
rales. Car  personne  ne  peut  tendre  à  Dieu,  auteur  de 
la  nature,  comme  à  sa  fin  naturelle,  sans  connaître  au 
moins  ses  principaux  devoirs  envers  Dieu.  »  Acta, 
col.  133,  507 sq.  Le  concile  admet  donc,  antérieurement 
à  tout  acte  de  foi,  la  possibilité  d'une  théodicée  dont  la 
certitude  et  l'étendue  permettent  à  l'homme  de  commen- 
cer sa  vie  morale  et  religieuse.  D'ailleurs,  parmi  ces 
devoirs,  le  concile  énumère  plus  loin  celui  de  se  sou- 
mettre à  la  révélation;  il  suppose  donc  qu'avant  la  foi 
l'homme  peut  arriver  par  sa  raison  à  une  connaissance 
de  Dieu  telle  qu'elle  puisse  servir  de  préambule  à  la  foi. 
Mais  une  telle  connaissance  ne  peut  pas  être  sans  quel- 
que jugement  de  portée  ontologique  sur  la  nature  in- 
trinsèque de  Dieu. 

XL  Sens  précis  de  la  définition  du  concile  du  Va- 
tican. —  Les  passages  du  concile  qui  touchent  directe- 
ment à  notre  sujet  sont  les  deux  suivants  : 

Eadem  sancta  mater  Eccle-  La  même  sainte  Église, notre 

sia  tenet  et  docet  Deum,  re-  mère,    tient   et   enseigne  que 

rum  omnium    principiutn    et  par  la  lumière  naturelle  de  la 

Bnem,  naturali  humanse  ratio-  raison    humaine,   Dieu,  prin- 

nis    lumine    e    rébus    creatis  cipe  et  lin  de  toutes   il 

ccrlo  cognesci  p"s^e:  invisibi-  peut  être  connu  avec  certitude 

lia    enim    ipsius,  a    creatura  an  moyen  des  choses   créées; 

mundi.  per  ea quse  facta  sunt,  car     depuis    la    création     du 

intellecta,  conspiciuntur  ;  at-  monde,  ses  invisibles  perfec- 

tamen  placuisse  ejus sapientiœ  tions   sont  vues   par   l'intelli- 

el  bonitati,    alia,    eaque    su-  gence  des  hommes  au  moyen 

pernaturaii    via,    seipsum    ac  des  êtres   qu'il    a    faits;    que 

a  tenu  voiuntatis  sua;  décréta  néanmoins  il  a  plu  à  la  sagesse 

liumano    generi   revelare,   di-  et  à  la  bonté  de  Dieu  de  se  ré 

cente  apostolo  :  Multxfariam  voler  lui-même  et  les  éternels 

mullisque  modis  olim    /'eus  décrets    (le    sa     volonté,    par 

loquens  patribus  in  proplie-  une   autre   voie    et  cela  par 

lis;  novissime,  diebus    istis  une  voie  surnaturelle.  C'est  ce 

locutus  est  nobis  in  Filio.  que  dit  l'apôtre  .  Aprcsavoir 


825 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE; 


826 


Huic  divinœ  revelationi  tri- 
buendum  quiilem  est,  ut  ea, 
quae  in  rébus  divinis  humanae 
rationi  per  se  impervia  non 
sunt,  in  praesenli  quoque  ge- 
neris  humani  conditione  ab 
omnibus  expedite,  firma  certi- 
tudine  et  nullo  admixlo  errore 
cognosci  possint.  Non  hac  ta- 
men  de  causa  revelatio  abso- 
lute  necessaria  dicenda  est, 
sed  quia  Deus  ex  infinita  bo- 
nitate  sua  ordinavit  bominem 
ad  finem  supernaturalem,  ad 
participanda  scilicet  bona  di- 
vina,  quaj  humanœ  mentis  in- 
telligentiam  omnino  superant  : 
siquidem  oculus  non  vidit, 
nec  auris  audivit,  nec  in  cor 
hominis  ascendit,  quse  prepa- 
ravit  Deus  illis  qui  diligunt 
illum.  Oonst.  Dei  Filius,  en, 
De  revelatione,  Acta  concilii 
Vaticani,  col.  250;  Denzinger, 
n.  1634,  1635. 


parlé  autrefois  à  nos  pères  à 
plusieurs  reprises  et  de  plu- 
sieurs manières  par  lespro- 
plwtes:  pour  la  dernière  fois. 
Dieu  nous  a  parlé  de  nos 
jours  par  son  Fils. 

On  doit,  il  est  vrai,  attribuer 
à  cette  divine  révélation  que 
les  points,  qui  dans  les  choses 
divines  ne  sont  pas  par  eux- 
mêmes  inaccessibles  à  la  rai- 
son humaine,  puissent  aussi 
dans  la  condition  présente  du 
genre  humain  être  connus  de 
tous,  sans  difficulté,  avec  une 
ferme  certitude  et  à  l'exclusion 
de  toute  erreur.  Ce  n'est  pas 
pourtant  pour  cette  cause  que 
la  révélation  doit  être  déclarée 
absolument  nécessaire,  mais 
parce  que  Dieu,  dans  son  in- 
finie bonté,  a  ordonné  l'homme 
à  la  fin  surnaturelle,  c'est-à- 
dire  à  la  participation  de  biens 
divins  qui  dépassent  tout  à 
fait  l'intelligence  de  l'esprit 
humain  ;  car  l'œil  n'a  point  vu, 
ni  l'oreille  entendu,  ni  le  coeur 
de  l'homme  conçu  les  choses 
que  Dieu  a  préparées  à  ceux 
qui  l'aiment.  (Traduction  de 
\l.   Vacant.) 

Après  une  série  d'anathémes  où  sont  rejetés  l'athé- 
isme, le  matérialisme,  toutes  les  formes  du  panthéisme, 
etc.,  vient  le  canon  suivant  : 


Si  quis  dixerit  Deum  unum 
et  verum,  creatorem  ei  Domi- 
niini  nostrum,  per  ea  qu;e 
facta  sunt.  naturali  rationis 
humanse  luminc  certo  cognosci 
non  posse,  anathema  sit.  A  cta, 
col.  25r>  :  1  lenzinger,  n.  1653. 


Si  quelqu'un  dit  que  le  Dieu 
unique  et  véritable,  notre  créa- 
teur et  Seigneur,  ne  peut  pas 
èlre  connu  avec  certitude  par 
la  lumière  naturelle  de  la  rai- 
son humaine,  au  moyen  des 
i  très    Cl  ''■-.    qu'il     soit    ana- 


1    l,e  concile   a  défini  que   l'homme  a  le  pouvoir 
physique  de  s'élever  à  la  connaissance  de  Dieu.  — 
L'accenl  doit  être  mis  mit  le  mot  posse  dans  le  canon 
cité.  11  ne  s'agit  donc  pas  du  fait.  En  d'autres  t< 
on  n'a  pas  voulu  définir  que  chacun  des  hommes  tire 
en  fait  la  première  connaissance  qu'il  a  de  Dieu,  de  la 
manifestation  naturelle  de  Dieu  par  les  créatures,  mais 
bien  que  la  r;i is<,n  humaine  possède  en  elle-même  des 
ce   auxquelles  elle  peut  connaître  Dieu 
par  le  moyen  de  cette  manifestation.   Acta,  col.  127. 
(580,  79;  emend.  51  el  98,  col.  224,  228,  238.  Établir  ce 
on,  c'était  poser  un  principe    qui 
excluait  à  lui   seul  toutes  les  erreurs  que  l'on  voulait 
atteindre   el    spécialemenl    le   traditionalisme    rigide. 
■   M  rsi  notre  but,  disait  le  rapporteur  de  la  commis- 
sion de  la  foi;  el  ce  principe  est  le  suivant  :  in  homi 
otentiam   esse  Deum   p< 
■  loi  cei  in  idi.      Acta,  col.  79,   127.    130. 

Cette  puissance  n'est  pas  affirmée  indistinctement  de 
chacun  d<s  individus  de  l'espèce  humaine,  col.  2:!<>. 
mais  on  veut  dire  'i'"'  l'homme  qui  a  l'usage  de  la 
•  n.  col.  520,  quelles  que  soient  d'ailleurs  les  con- 
ditioni  pour  qu'il  parvienne  ;i  cel  état,  col.  520,  79, 
di   la  bu  ce  de  remonter  à    on  auteur,  p 

i  aide  des  lumièn  -  naturelles 

de  ol.  7!t.  150  :  te  formule  n'exclut 

directement  tout  traditionalisme  mitigé,  mais  elle 

■  mi  ni  opposée  au  di  Luther,  La- 

et(     A    i  emarquei  le     '    fo\  i 

1  imennais  n  avait  p.is  nié  toute  pui 

i puisque  d'api  es  lui  l'homme 

li    recevoir   la  vérité,  On 
ni  ttemenl  dan    le  i  on<  ile  que  le  pouvoir  qu'on 


délinissait,  est  un  pouvoir  physique,  actif.  Acta,  col.  127 
230,  521. 

La  solution  donnée  au  concile  de  quelques  difficul- 
tés qui  peuvent  se  présenter  à  l'esprit,  fera  mieux 
saisir  la  portée  réelle  de  ce  que  nous  venons  d'exposer. 
On  objectait  :  Mais  les  païens  n'ont  pas  connu  Dieu, 
principe  et  lin  de  toutes  choses.  On  répondit  :  Nous 
ne  définissons  pas  le  fait,  mais  la  puissance.  Acta, 
col.  236.  Un  autre  répliquait  :  Mais  le  sourd-muet, 
l'homme  des  bois  ne  connaissent  pas  Dieu,  n'ont  pas 
la  faculté  de  le  connaître.  On  répondit  :  Nous  ne  par- 
lons pas  de  chaque  individu,  mais  de  la  nature  humaine. 
Ibid.  On  reprenait  :  Mais  pas  de  religion,  pas  de  mo- 
rale, sans  vie  sociale.  La  réponse  fut  que  l'on  ne 
délinissait  rien  sur  les  conditions  du  développement 
des  facultés  humaines,  mais  seulement  l'existence  en 
nous  d'un  moyen  naturel  d'atteindre  les  vérités  mo- 
rales et  religieuses,  col.  239.  L'adversaire  ajoutait  que 
si,  de  fait,  les  païens  ont  connu  Dieu,  ils  ne  l'ont  pas 
connu  indépendamment  de  toute  tradition.  Le  rappor- 
teur, après  avoir  répété  que  l'on  ne  définissait  rien  sur 
les  conditions  de  l'exercice  des  facultés  de  l'homme, 
refusa  d'entrer  dans  la  controverse  de  la  question 
historique  que  l'on  soulevait,  parce  que  saint  Paul,  qui 
affirme  que  les  païens  ont  connu  Dieu,  dérive  cette 
connaissance  non  de  la  révélation  primitive,  mais  bien 
du  miroir  des  créatures,  per  ea  (jux  facta  sunt,  liom., 
1,20,  col.  238.  Enfin,  un  dernier  amendementopposait  — 
et  nous  avons  souvent  retrouvé  cette  objection  chez  les 
modernistes  —  que  l'on  ne  pouvait  pas  parler  dans  le 
canon  de  la  lumière  naturelle  de  la  raison,  puisque, 
de  fait,  l'homme  n'a  jamais  été  dans  l'état  purement 
naturel  :  Adam  était  dans  l'état  de  justice  originelle, 
nous  sommes  déchus,  mais  relevés.  La  réponse  fui  que 
la  difficulté  ne  portait  pas,  puisque  le  concile  parlait 
seulement  des  principes  de  la  raison,  sans  parler  de 
['exercice  de  la  raison  :  nos  solummodo  loquimur  de 
principiis  rationis,  quod  Deus  e.r  principiis  rationis 
certo  cognosci  possit ;  quidquid  sit  de  exercitio  ra- 
lionis.  S'il  était  question  de  l'exercice  de  la  raison, 
évidemment  le  problème  de  la  nécessité  de  la  grâce  se 
poserait  et  il  faudrait  entrer  dans  des  questions  d'écoles; 
maison  ne  parlait  que  des  principes  de  la  raison.  Or, 
nonobstant  le  l'ait  de  l'élévation  de  l'homme  à  l'état 
surnaturel,  l'expression  lumière  naturelle  de  la  raison 
pour  désigner  notre  faculté  de  connaître,  en  tant  que 
distincte  de  la  foi,  avait  un  sens  net  admis  par  tous 
les  théologiens  et  par  tout  le  inonde  sans  exception. 
Acta,  col.  238;    Denzinger,  n.  1643  sq. 

2»  Le  pouvoir  physique  de  connaître  Dieu  par  la 
raison  naturelle,  défini  par  le  concile,  ne  se  réduit 
pus  à  uur  impossibilité  morale,  bien  moins  encore  à 
mu-  impossibilité  absolue.  —  Il  pourrait  paraître  au 
premier  abord  que  le  pouvoir  physique  de  connaître 
Dieu,  défini  par  le  concile,  doit  s'entendre  d'un  pouvoir 
physique  a  né  d'une  impossibilité  morale  de 

jamais  parvenir  naturellement  à  cette  connaissance 
En  d'antres  termes,  le  pouvoir  physique  affirmé'  sérail 
,i  peu  près  de  la  même  espèce  que  le  pouvoir  physique 
impliqué  dans  la  phrase  suivante  :  Archimède  i  I  ses 
contemporains  avaient  le  pouvoir  physique  de  connaître 
notre  télégraphie  sans  fil.   Quelques  modernistes  ont 

pr  tendu  se  mettn  d'i I  a  ei    le  concile  par  cette 

interprétation,  dont  les  sophismes  j  sur  l'im- 
morale constituent  toul  le  fond.  Voici  leur 
nnement,   Après  avoir  défini  la   possibilité   pour 
l'homme  de  connaître  Dieu,  le  concile  admet  implici- 
tement la  n              raie  de  la  révélation  proprement 

dite.     dm.  col.   136,  1672.  D'ailleurs,  qui  dit    n 

site  morale  d'an  sec i    el    admet  comme 

corrélatif  une   impossibilité   morale.   Acta,    col.  524, 
n.  il.  Or,  parmi  los  idijois  pour  lesquels  le  concile 
t  que  la  révélation  est  moralement  né< 


827 


DIEU   (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE 


828 


trouve  l'existence  de  Dion.  Donc,  concluent-ils,  le 
concile,  tout  en  définissant  que  l'homme  a  le  pouvoir 
physique  de  connaître  Dieu,  a  admis  que  ce  pouvoir 
est  environné  de  telles  difficultés  qu'en  fait  il  ne 
s'exerce  jamais  :  ce  qui  est,  sinon  la  définition  essen- 
tielle, du  moins  la  description  caractéristique  de  l'im- 
possibilité morale.  D'où  il  suit  que,  si  avec  les  jansé- 
nistes on  étudie  bien  le  problème,  on  peut  concéder 
que  les  individus  sont  dans  l'impuissance  morale 
absolue  de  connaître  Dieu  par  la  raison  naturelle  et 
que  cette  impuissance  absolue  provient  d'une  sorte 
d'impuissance  physique.  Acta,  col.  236. 

Rien  de  plus  fallacieux  que  ce  raisonnement,  rien  de 
plus  contraire  à  la  pensée  certaine  du  concile  (piécette 
jonglerie  de  mots.  En  effet,  même  en  supposant  pour 
un  instant  que  du  fait  d'impuissance  morale  on  puisse 
jamais  conclure  à  une  impossibilité  absolue  ou  même 
à  une  impuissance  physique,  eneore  faudrait-il,  pour 
que  l'inférence  fût  correcte,  que  la  proposition  où  est 
impliquée  l'impuissance  morale  et  celle  où  est  affirmé 
le  pouvoir  physique  de  connaître  Dieu  par  la  raison 
naturelle  fussent  de  eodem  et  sub  eodem  respectu.  Or, 
nousallons  montrer  que  cette  condition  essentielle  n'est 
pas  vérifiée;  nous  dirons  ensuite  d'une  manière  plus 
générale  pourquoi  le  passage  de  l'impuissance  morale 
à  l'impuissance  absolue  ou  physique  est  illégitime  dans 
la  question  qui  nous  occupe. 

1.  L'objet  pour  lequel  le  concile  admet  un  pouvoir  phy- 
sique de  connaissance  rationnelle  est  différent  de 
l'objet  pour  lequel  il  admet  la  nécessité  morale  de  la 
révélation.  L'objet  de  connaissance  assigné  aux  forces 
naturelles  de  la  raison  est  Dieu  et  les  principales  obli- 
gations morales  et  religieuses.  Acia,  col.  133.  Au  con- 
traire, l'objet  de  connaissance  pour  lequel  on  déclare 
la  révélation  moralement  nécessaire  est  beaucoup  plus 
étendu,  in  rébus  divinis.  La  dill'érence  des  formules 
n'est  due  ni  au  hasard  ni  à  un  caprice  de  style.  A  un 
amendement  qui  proposait  de  remplacer  les  mots 
choses  divines  par  ceux-ci  :  Dieu  et  la  loi  naturelle, 
Acta,  col.  509,  122,  emend.  19,  on  répondit  que  la  for- 
mule à  sens  moins  restreint  avait  été  intentionnellement 
choisie,  col.  136,  239,  1652,  1672.  Donc,  même  en  né- 
gligeant les  raisons  de  ce  choix,  il  est  certain  que, 
lorsque  le  concile  enseigne  équivalemment  que  l'homme 
se  trouve  dans  l'impuissance  morale  de  connaître  les 
choses  divines,  bien  que  dans  cet  objet  l'existence  de 
Dieu  et  les  premiers  principes  de  la  morale  et  de  la 
religion  naturelle  soient  sûrement  compris,  cependant 
l'impuissance  morale  implicitement  admise  ne  porte 
pas  directement  sur  cet  objet  restreint,  mais  bien  sur 
un  ensemble  de  vérités  plus  étendu.  On  ne  peut  donc 
pas  légitimement  et  de  bonne  foi  conclure  du  texte 
voté  par  le  concile  qu'il  admet  dans  l'homme  une  im- 
puissance morale  à  connaître  précisément  Dieu  et  ses 
principaux  devoirs.  Cf.  Granderath,  p.  78,  n.  1. 

Dans  le  paragraphe  où  il  est  traité  de  la  connaissance 
de  Dieu,  le  concile  parle  du  pouvoir  de  connaître  ;  dans 
la  phrase  où  est  impliquée  la  nécessité  morale  de  la 
révélation,  il  s'agit  de  la  connaissance  actuelle  des 
choses  divines.  De  plus,  l'impuissance  morale  suppo- 
sée parle  texte  conciliaire  n'est  implicitement  affirmée 
que  par  rapport  à  une  connaissance  universellement 
répandue,  prompte,  sans  mélange  d'incertitude  et  d'er- 
reurs. Acta,  col.  135,  524,  n.  11;  voir  Granderath, 
p.  78,  n.  3;  Fran/.elin,  De  Scriptura  et  traditione, 
2e  édit.,  p.  617.  Si  je  constate  l'impuissance  où  se  trou- 
vent nos  paysans  de  suivre  l'exposé  des  fondements 
des  géométries  non  euclidiennes,  si  je  reconnais  qu'Ar- 
chimède  était  dans  l'impuissance  morale  de  découvrir  la 
télégraphie  sans  fil,  il  ne  suit  nullement  de  ces  impuis- 
sances relatives  que  le  pouvoir  physique  d'enlendre 
Lobatchefsky  ou  de  devancer  MM.  liranly  et  Marconi 
ait  été  refusé  à  l'humanité,  ni  même  à  nos  paysans  et 


aux  savants  anciens.  La  raison  en  est  que  le  pouvoir 
nu  de  poser  un  acte  esl  différent  du  pouvoir  prochain 
de  le  poser,  ou  encore  que  le  pouvoir  physique  de 
connaître  un  objet  n'est  pas  du  tout  le  pouvoir  de  la 
connaissance  actuelle  de  cet  objet.  Il  y  a  loin  de  la 
coupe  aux  lèvres,  c'est-à-dire  qu'entre  la  faculté  et  son 
exercice  s'intercale  toute  une  série  de  circonstances, 
de  conditions,  de  causes  variables  et  variées,  qui  peu- 
vent être  favorables  à  l'activité  de  la  faculté  et  à  la 
perfection  de  son  acte, qui  peuvent  aussi  leur  être  nui- 
sibles. Or,  en  théologie,  quand  on  parle  de  l'impuis- 
sance morale  où  se  trouve  un  agent  par  rapport  à  une 
action,  on  veut  dire  que  le  pouvoir  physique,  faculté 
ou  inclination  naturelle  à  l'acte,  subsistant  intact,  les 
circonstances,  conditions  et  causes,  extérieures  à  ce 
pouvoir,  mais  requises  à  son  exercice,  sont  défavorables 
ou  empêchent  l'acte  de  se  produire.  Passer  de  l'impuis- 
sance morale,  comme  les  théologiens  l'entendent,  à 
l'absence  du  pouvoir  physique  serait  donc  une  parfaite 
ignoratio  elenchi.  Le  sophisme  est  dillérent  d'espèce, 
mais  reste  un  sophisme  classé,  si  l'on  passe  de  l'im- 
puissance morale, concédée  relativement  à  la  connais- 
sance actuelle,  à  une  impuissance  morale  affectant  le 
pouvoir  même  de  connaître.  Les  jansénistes,  malgré 
toule  leur  subtilité,  n'ont  pas  réussi  à  persuader  le 
contraire  aux  théologiens  dans  la  question  analogue 
de  la  nécessité  de  la  grâce  pour  l'observation  prolon- 
gée de  toute  la  loi. 

Une  troisième  différence  entre  les  deux  passages  que 
nous  comparons  est  que,  c'est  de  V /tontine  en  géné- 
ral, de  la  nature  philosophique  de  l'homme,  qu'on 
affirme  le  pouvoir  physique  de  connaître  rationnelle- 
ment Dieu;  c'est  au  contraire  des  individus  qu'on  ad- 
met l'impuissance  morale  dont  il  s'agit.  Le  texte  du 
concile  suffit  à  lui  seul  à  prouver  cette  différence  :  dans 
le  canon  le  mot  homme  est  absent  ;  on  lit  seulement  ces 
mots:  nalurali  rationis  /tum a nselumine (supposition ab- 
solue); la  nécessité  morale  de  la  révélation  est  au  con- 
traire enseignée  ut  ab  omnibus  (supposition  relative). La 
première  rédaction  du  canon  portait  ces  mots  :  ab 
homine.  Un  membre  du  concile  en  demanda  la  sup- 
pression «  de  peur  que  le  concile  ne  parût  définir 
comme  un  dogme  de  foi  qu'il  ne  saurait  jamais  se 
rencontrer  d'adulte  qui  ignore  Dieu  invinciblement,  » 
conséquence  qui  suivait  du  texte  proposé,  si  l'on  y  pre- 
nait les  mots  ab  /tontine  au  sens  de  la  supposition  rela- 
tive. L'observation  parut  exacte  et  l'amendement  fut 
accepté.  Acta,  col.  126,  emend.  49,  149.  Voir  Vacant, 
n.  273  sq. 

Enfin,  dans  le  canon,  il  s'agit  de  la  nature  philoso- 
phique de  l'homme  et  non  de  l'homme  dans  l'état  his- 
torique; la  nécessité  morale  de  la  révélation  est  affir- 
mée au  contraire,  non  pour  l'homme  en  général,  mais 
pour  l'homme  dans  l'état  où  il  se  trouve  de  fait.  Le 
rédacteur  du  projet  de  canon,  M«'  Martin,  s'était  placé 
au  point  de  vue  historique,  et  il  avait  écrit  :  ab  fco- 
ntine  lapso  cognosci  posse.  Acta,  col.  1631,  131,  1672. 
La  commission  chargée  d'étudier  ce  projet  biffa  le  mot 
lapso  qui  ne  se  trouve  pas  dans  le  texte  soumis  aux 
délibérations  du  concile.  Acta,  col.  76,  1655.  Dans  le 
cours  des  discussions,  plusieurs  amendements  furent 
proposés,  qui  tendaient  de  diverses  manières  à  reprendre 
ce  point  de  vue  :  ab  homine  in  societate  adulto,  ab 
homine  prouli  nuncest.  Acta,  col.  1652, 120,  emend.  3, 
i..">:col.  125,  emend.  51,  52,  .">;>;  col. 224, emend.  51,52; 
col.  228.  emend.  98.  Un  de  ces  amendements  demandait 
qu'on  omît  le  mol  naturali,  parce  que  l'homme  n'ayant 
jamais  été  dans  un  étal  purement  naturel,  on  ne  pou- 
vait pas  parler  d'une  connaissance  de  Dieu  naturelle. 
Ces  amendements  ollraient  une  issue  au  traditionalisme 
mitigé  et  extirpaient  moins  radicalement  le  traditiona- 
lisme rigide.  Car  l'école  de  Louvain  aurait  pu  dire  que 
ce  pouvoir  de  l'homme  déchu  n'aurait  jamais  été  ce 


829 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE) 


830 


qu'il  est,  sans  la  révélation  faite  à  Adam;  Lamennais 
ou  ses  héritiers  auraient  pu  essayer  de  retrouver  un 
acte  de  foi  dans  l'exercice  de  ce  pouvoir;  en  tout  cas, 
les  uns  et  les  autres  n'auraient  pas  manqué  de  dire 
que  ce  pouvoir  n'était  pas  simplement  naturel,  puis- 
qu'il n'aurait  été  défini  que  pour  un  état  de  l'humanité 
qui  ne  l'est  pas.  D'un  autre  côté,  comme  les  expres- 
sions prouti  mine  est,  ab  homme  lapso,  etc.,  rappel- 
lent non  seulement  la  chute,  mais  aussi  l'état  antérieur, 
la  rédemption  et  tout  l'ordre  de  providence  surnaturel 
où  nous  vivons,  c'était  s'exposer  à  voir  remettre  en 
question  à  propos  du  texte  conciliaire  la  gratuité  ab- 
solue de  notre  élévation  à  l'ordre  surnaturel,  la  possi- 
bilité de  l'état  de  nature  pure  ou,  ce  qui  revient  au 
même,  la  distinction  réelle  entre  l'ordre  naturel  et 
l'ordre  surnaturel;  et  il  devenait  ainsi  nécessaire  de 
s'engager  à  fond  dès  le  début  dans  diverses  questions 
délicates  touchant  le  traité  de  la  grâce,  que  le  concile 
devait  examiner  plus  tard  et  sur  lesquelles  il  n'a  pas 
eu  le  temps  de  statuer. 

Ces  amendements  qui  tendaient  à  ne  définir  que 
pour  l'homme  historique  la  possibilité  naturelle  de 
connaître  Dieu  furent  tous  rejetés  sur  la  demande  du 
rapporteur  delà  commission.  Acta, co\.  130  sq.,  150, 236, 
238,  243.  Celui-ci  sous  dill'éren tes  formes  répéta  que,  si 
l'on  voulait  porter  le  remède  à  la  racine  du  mal,  il 
fallait  définir  une  proposition  universelle,  s'appliquant 
â  l'homme  en  général,  non  pas  seulement  à  des  hommes 
existant  dans  un  état  particulier,  réel  ou  hypothétique  : 
Agitur  i»  génère  île  conditione  naturse  humanse, 
col.  150;  et  la  raison  de  cette  insistance  se  trouve  for- 
mulée en  quelques  mots  :  cum  eaquœ  in  ista  doctrina 
docentur,  generatim  vera  habenda  sinl,  sive  sumalur 
homo  in  statu  naturse  purée,  sive  in  statu  naturœ 
lapsx,  col.  131.  Quant  à  l'argutie  tirée  de  la  grâce  de 
l'ordre  où  nous  sommes,  on  répondit  que  la  question 
de  la  grâce  se  posait  relativement  à  l'exercice  de  la 
faculté,  et  que  le  concile  ne  disait  rien  de  cet  exer- 
cice, se  contentant  d'affirmer  que  l'homme  a  les  prin- 
cipes naturels  de  ht  connaissance  de  Dieu,  col.  238. 

Au  contraire,  dans  le  passage  où  le  concile  parle  de 
la  nécessité  morale  de  la  révélation,  il  s'agit  de 
l'homme  historique  :  in  prsesenti  quoque  gencris  hu- 
mant conditione.  Bien  que  les  modernistes  aient  fait 
les  plus  grands  efforts  pour  persuader  au  public,  qui 
lias  théologien,  que  le  mot  naturel,  dans  l'expres- 
sion «  lumières  naturelles  de  la  raison  »,  doit  s'entendre 
au  sens  composé  de  l'état  où  nous  sommes  qui  est 
surnaturel  —  ce  qui  ruine  tous  les  fondements  ration- 
nels de  la  religion,  puisque  la  valeur  de  la  raison  est 
niée  ou  grandement  mis..  ,n  suspicion  —  il  est  certain 
qu'en  adoptant  la  formule  du  canon  que  nous  éludions 
le  concile  lit  aux  rationalistes  un.'  grande  roncession, 
celle  précisément  que  les  traditionalistes  leur  déniaient.' 
Rome,  a  diverses  reprises  dans  le  cours  du  siècle. 
;iv:i '  »  r"ni1 ne  le  rationalisme  et  aussi  le  semi-rationa- 
lisme de  quelques  Vllemands.  Les  traditionalistes  fran- 
ivaienl  affecté  de  prendn  .  ou  pi  ut-é(re 
simplement  pris,  ces  condamnations  pour  une  appro- 
bation de  leurs  doctrines.  Quand  Rome  exigea  des  rétrac- 
tations (!-•  Bautain  el  de  Bonnetty.les  semi-rationalistes 

1  ur  tour  triomphé  de  I  autre  côté  du  Lin 
Religion  naturelle  de  lui.     Simon,  ouvrage  nettement 
rationaliste,  fui  un-   à    l'Index.  Les  traditionalistes,  à 
'I'"  '«le*  Simon  a  ail  '.ni  remarquer  A  bon  droit,  dans 
"»  v  m  daté  du  10  août  1856,   V  édît.,  | 

M""  u  r th(  liqui    idmel  la  valeur  de  la  raiBon  el 

qu'ils  n'étaient   dan  qui    .1.  g       dl    idi  nui  el 

,l"s  '  di  renl  ou  dirent  que  l'Index 

'  '•"'  l"1"  •"''•  ur.  La  nécessité  di  mettre  lin  a  cel  im- 

tail   pas  un    pour  li 
-""•  itanl  que   le  Syllabus,  très  clair  r 

'"~  "  n    pourceuiquioun'avaienl 


aucune  théologie  ou  avaient  plus  de  zèle  pseudo-apo- 
logétique que  de  doctrine.  Sur  ce  point,  le  concile 
donna  raison  au  rationaliste  Jules  Simon  :  l'Église 
admet  la  valeur  de  la  raison  en  matière  morale  et  reli- 
gieuse; mais  en  même  temps  il  eut  soin  de  tracer  une 
ligne  nette  de  démarcation  entre  la  doctrine  catholique, 
le  rationalisme  qui  exagère  les  forces  de  la  raison,  et 
le  traditionalisme  qui.  à  la  suite  de  Luther  et  de  Jan- 
sénius,  les  déprimait  à  l'excès.  Tel  est  le  but  du  para- 
graphe qui  nous  occupe  en  ce  moment. 

La  théologie  juive  et  arabe  avait  eu  au  xil«  siècle  sa 
crise  de  rationalisme.  Cette  crise  fournit  â  saint  Thomas 
l'occasion  de  poser  les  principes  qui  ont  triomphé  au 
concile  du  Vatican,  après  une  étude  de  la  question 
qui  n'avait  pas  duré  moins  de  six  siècles.  Le  concile  du 
Vatican  se  trouvait  en  face  de  trois  solutions  :  a)  Celle 
de  ceux  qui  se  déliaient  de  la  raison  naturelle  pour  des 
raisons  soi-disant  théologiques  (doctrine  de  la  chute, 
pseudo-mysticisme),  ou  philosophiques  (scepticisme,  no- 
minalisme,  impossibilité  de  découvrir  le  langage,  etc.), 
et  qui  de  la  nécessité  morale  de  la  révélation  concluaient 
à  la  nécessité  absolue  de  la  même  révélation,  b)  Celle 
des  rationalistes  qui,  niant  le  dogme  de  la  chute  dont 
les  précédents  exagéraient  les  suites,  soutenaient  que 
le  pouvoir  de  connaitre  Dieu  et  de  mener  une  vie  reli- 
gieuse et  morale  digne  de  ce  nom  est  un  des  consti- 
tutifs de  l'esprit  humain,  et  concluaient  de  là  que  la 
révélation  positive,  loin  d'être  nécessaire,  soit  relati- 
vement, soit  absolument,  est  inutile  ou  même  nuisible, 
puisque  naturellement  et  nécessairement  l'homme  à 
tout  le  pouvoir  de  connaitre  Dieu  dont  il  est  suscep- 
tible, c)  Celle  des  semi-rationalistes,  Ces  derniers  ad- 
mettaient le  principe  du  rationalisme,  que  la  religion 
tout  entière  n'est  et  ne  peut  être  que  le  développement 
complet  de  l'esprit  humain;  mais  ils  se  flattaient  de 
rester  dans  l'orthodoxie  en  maintenant  le  dogme  de  la 
chute  originelle.  La  conception  baianiste  du  surna- 
turel leur  servait  â  réaliser  ce  prodige  d'équilibre. 
D'après  (Jùnther,  comme  d'après  Raius  et  Jansénius, 
I  étal  de  justice  primitive  était  nécessaire  et  par  con- 
séquent naturel.  .Mais,  par  suite  du  péché  originel, 
l'homme  sans  un  secours  d'en  haut  ne  peut  plus 
atteindre  à  son  développement  religieux  normal.  Les 
rationalistes,  concluaient-ils,  ont  donc  tort  de  rejeter 
toute  grâce  (révélation)  de  Dieu,  puisque  l'homme  dé- 
fini et  non  relevé  ne  pourrait  rien  dans  l'ordre  reli- 
gieux sans  la  rédemption. Cependant,  le  secours  requis 
n'esl  point  nécessairement  pour  l'homme  déchu  el 
relevé  celui  de  la  révélation  proprement  dite  ou  ma- 
nifestation de  vérités;  car  la  raison  humaine  est  ca- 
pable de  comprendre  toutes  les  vérités  religieuses;  de 
son  côté,  la  grâce  n'a  point  pour  rôle  de  constituer 
notre  être  dans  un  étal  supérieur  à  l'état  naturel  el 
normal  de  l'humanité.  Grâce  et  révélation  ne  servent 
qu'à  nous  rendre  la  facilité  perdue  de  mener  la  vie  re- 
ligieuse et  morale  qui  est  «le  l'essence  de  notre  nature 
unable;  et  c'est  en  ce  sens  seulement  qu'elles  sont 

Surnaturelles.   De  là  à  ré', luire  toul  h'  dogmi    i  une  phi- 
losophie purement  déiste  ou    même  â    un    symhol 
moral  el  métaphysique,  il  n'j  avait  qu'un  pas. 

Pour  extirper  d'un   seul    coup  toutes  ces   erreurs,  le 
concile  proposa  la  doctrine  traditionnelle  sur  la  ni 
site  de  la  révélation,  qui  avail  servi  de  hase  aux  diversi  ■-, 

mm ns  renfermées  dans  le  Syllabut.a)  C'eaté  la 

révélation  qu'il  (aut attribuer  que.  même  dansl'ordi 
nous  tous  puissent  sans  difficulté,  sans  in 

litude  ei  sans  erreur  connaître  les  pointa  qui.  dan 

ni  pas  par  eux  mêmes  Inai 
la  raison  humain  ormule  condamnait  le  rat 

lisme  en  affirmant  la  néi  •     ib  morale  di  la  révi  lation, 
pour  l'homme  tel  qu'il  est.   Elle  condamnait  le 
rationaliame  qui,  ionien  accordant  la  nécessité  morale 
d'un  n  b. mi.  ur  lalaait  pas  eonal 


831 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE 


832 


dans  la  révélation  proprement  dite  :  huic  divinœ  reve- 
latiom  tribuendum,  dit  le  concile,  et  donc  à  la  révé- 
lation extérieure,  et  non  pas  précisément  à  la  grâce,  à  la 

foi  du  cœur,  à  la  foi-amour,  etc.  Le  semi-rationalisme 
attribuait  la  nécessité  morale  de  la  révélation  unique- 
ment à  la  chute.  In  pnvsenti  quoque  generis  humant 
condition?,  répond  le  concile.  En  d'autres  termes,  il 
est  vrai  qu'historiquement  l'impuissance  morale  où  gît 
l'humanité  est  la  suite  du  péché  d'Adam  ;  mais  la  fai- 
blesse qui  affecte  l'ensemble  de  notre  race  dans  l'état 
actuel,  est  de  telle  nature  que,  bien  que  dépendant  en 
fait  du  péché  d'Adam,  elle  eût  pu  se  rencontrer  dans 
une  autre  hypothèse  :  c'est  ce  qu'exprime  le  mot  quo- 
que.  Acta,  col.  122,  emend.  20-21,  col.  136.  Le  semi- 
rationalisme  niait  la  distinction  entre  les  vérités  reli- 
gieuses accessibles  à  la  raison  et  celles  qui  ne  le  sont 
pas,  le  concile  avait  soin  de  la  maintenir.  Enfin,  la 
même  formule  condamnait  le  traditionalisme  et  tous  les 
hétérodoxes  qui  dépriment  outre  mesure  la  raison  : 
car  la  phrase  même  qui  constatait  la  nécessité  morale 
de  la  révélation,  affirmait  implicitement  que  nos  facul- 
tés naturelles  nous  sont  restées  après  la  chute,  puisque 
certaines  vérités  religieuses  ne  nous  sont  pas  d'elles- 
mêmes  inaccessibles,  même  dans  l'état  où  nous  sommes. 

b)  Le  concile  déclare  ensuite  que  la  révélation  n'est 
pas,  absolument  parlant,  nécessaire.  On  ne  peut  la 
dire  absolument  nécessaire,  que  si  l'on  envisage  notre 
destinée  actuelle  qui  est  surnaturelle,  puisque  notre  fin 
est  la  vision  intuitive.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  Ia, 
q.  i,  a.  1;  Visio  intuiliva  tolius  ordinis  supernatu- 
}'alis  origo  et  radie  (Suarez).  Voir  Appétit,  Surnatu- 
rel. Cette  doctrine  du  concile  était  un  dernier  coup 
contre  le  rationalisme  :  la  révélation  est  nécessaire, 
étant  donnée  la  fin  gratuite,  mystérieuse  et  au-dessus 
de  nos  forces  et  des  exigences  de  notre  nature,  que  la 
bonté  divine  nous  a  librement  assignée.  Le  semi-ratio- 
nalisme, qui  n'admettait  la  nécessité,  soit  morale,  soit 
absolue,  de  la  révélation  que  pour  remédier  à  une  im- 
puissance accidentelle  provenant  de  la  chute  origi- 
nelle, était  par  là  également  de  nouveau  condamné.  Le 
concile,  en  enseignant  que  la  nécessité  absolue  de  la 
révélation  provient  d'une  impuissance  radicale  de 
l'homme  dans  l'ordre  surnaturel,  indiquait  en  même 
temps  contre  les  protestants  pseudo*-mystiques  pourquoi 
l'expérience  intérieure,  sans  révélation  proprement  dite, 
ne  permet  pas  de  retrouver  tout  le  contenu  vrai  et  réel 
du  Credo  et  des  formules  ecclésiastiques  ni  d'en  déter- 
miner le  sens. 

Le  concile  mettait  ainsi  fin  à  la  confusion  entre 
l'ordre  naturel  et  l'ordre  surnaturel  introduite  dans  le 
monde  chrétien  à  la  suite  du  dogme  luthérien  de  la 
chute.  Le  traditionalisme  même  le  plus  mitigé  était 
atteint,  j4cta,  col.  136,  en  même  temps  que  le  baianisme 
et  le  jansénisme  recevaient  la  condamnation  la  plus 
radicale  qu'ils  aient  jamais  subie.  Depuis  trois  cents 
ans,  les  théologiens  s'étaient  servis  contre  Baius  et 
Jansénius,  pour  expliquer  saint  Paul  et  saint  Augustin, 
de  la  distinction  entre  la  nature  philosophique  et  la 
nature  historique  de  l'homme,  entre  le  surnaturel 
absolu  et  le  surnaturel  relatif:  le  concile,  en  assignant 
la  vision  intuitive  comme  raison  de  la  nécessité  absolue 
de  la  révélation,  faisait  sienne  la  substance  de  cette 
doctrine.  Acta,  col.  547,  n.  38.  De  là,  en  grande  partie, 
les  criailleries  des  modernistes  contre  les  théologiens, 
fidèles  à  la  pensée  du  concile  du  Vatican;  de  là  aussi, 
l'inutilité  des  efforts  d'érudition  de  certains  moder- 
nistes, pour  déterrer,  chez  quelques  théologiens  tradi- 
tionalistes ou  anciens,  des  opinions  moins  opposées 
au  baianisme  et  au  jansénisme  :  la  question  est  de 
savoir  si  ce  que  l'on  a  pu  dire  avant  le  concile  du  Va- 
tican, peut  correctement  et  loyalement  se  dire  ou  se 
soutenir  après. 

c)  Que,  par  exemple,  il  y  ail  eu  des  théologiens  qui 


de  l'impuissance  morale  aient  pensé  pouvoir  conclure 
à  une  impuissance  absolue  ou  même  physique,  qu  im- 
porte, puisque  le  concile  du  Vatican  dit  expressément 
que  de  la  nécessité  morale  de  la  révélation  on  ne  doit 
pas  conclure  à  une  nécessité  absolue  :  non  hac  tamen 
de  causa  rerelalio  absolute  necessaria  dicenda  est. 
C'est  ce  qui  nous  reste  à  expliquer,  avec  d'autant  plus 
de  soin  que  les  modernistes,  qui  parlent  tant  du  pro- 
grès  de  la  théologie,  ont  comme  pris  plaisir  de  n 
ter  sur  ce  point  les  sophismes  des  jansénistes  et  les 
à-peu-près  des  traditionalistes. 

2.  Le  concile  enseigne  implicitement  que  la  révéla- 
tion est  moralement  nécessaire  pour  que  tous  puissent 
arriver  à  la  connaissance  prompte,  certaine  et  pure 
d'erreurs,  des  points  qui  dans  les  choses  divines  ne 
sont  pas  par  eux-mêmes  inaccessibles  à  la  raison; 
comme  la  nécessité  morale  a  pour  corrélatif  l'impuis- 
sance morale,  le  concile  admet  donc  dans  l'homme  une 
impuissance  morale  relativement  aux  vérités  reli- 
gieuses d'ordre  naturel.  Quelle  est  au  juste  cette  im- 
puissance? Si  l'on  prend  la  formule  conciliaire  indé- 
pendamment des  délibérations  de  l'assemblée,il  semble 
au  premier  abord  qu'elle  peut  rendre  trois  sens  : 
a)  chaque  individu  est  impuissant  et  par  suite  l'ensem- 
ble; b)  quelques  individus  arriveront  ou  peuvent  arri- 
ver à  la  connaissance  de  toutes  les  vérités  par  elles- 
mêmes  non  inaccessibles  à  la  raison,  mais  l'ensemble 
n'y  parviendra  pas,  même  avec  l'aide  de  l'élite  des 
intelligences;  c)  sans  rien  spécifier  sur  les  individus, 
l'ensemble  ne  parviendra  pas  à  cette  connaissance  sans 
le  secours  extérieur  de  la  révélation.  De  ces  trois  sens 
logiquement  possibles,  quel  est  celui  que  de  fait  le  con- 
cile a  eu  en  vue? 

Deux  hypothèses  classiques  sont  ici  à  examiner.  Duns 
Scot,  saint  Thomas  d'après  le  Ferrariensis,  Vasquez 
admettent  que  toutes  les  véiilés  d'ordre  naturel  ne 
sont  pas  accessibles  à  l'esprit  humain;  cette  opinion 
était  chère  aux  nominalistes  qui.  avec  Grégoire  de  l!i- 
mini,  insistaient  sur  le  vulnus  ignoranlise  :  et  peut-être 
Capréolus  l'enseigne-t-il  :  mnltas  esse  de  Deoverilates 
cognoscibilcs,  quas  nullus  inlellectus potest  naturaliter 
cognoscere.  Dans  cette  hypothèse,  la  révélation  des  vérités 
morales  et  religieuses  est  moralement  nécessaire,  non 
pas  seuleinentpour  l'ensemble  et  par  suite  pour  les  indi- 
vidus, mais  pour  chaque  individu  et  par  suite  pour  l'en- 
semble; l'impuissance  morale  gît  donc  en  chaque  indi- 
vidu, et,  sans  la  révélation,  personne  ne  sait  fout  ce  qui 
de  soi  est  naturellement  connaissable  sur  Dieu.  Vas- 
quez à  l'appui  de  cette  opinion  cite  saint  Thomas.  Sum. 
theol.,  IIa  II*, q.  ii.  a.  4,  dont  l'argument  pour  démon- 
trer la  nécessité  de  la  foi  vaut,  semble-t-il,  pour  chaque 
individu  :  ratio  enim  Itumaua  in  divinis  est  multum 
deficiens;  il  tire  aussi  un  argument,  peu  solide  il  est 
vrai,  de  Sap.,  i.\,  15  :  Corpus  enim  quod  corrumpi- 
tur  aggravât  animant.  Cf.  Vasquez,  In  /am,  disp.  I,  c.  il. 
Cajetan,  sur  le  même  l e \  l o  de  saint  Thomas,  intro- 
duit une  hypothèse  tout  opposée.  D'après  lui.  tout  le 
vrai  spéculatif  d'ordre  naturel  est  accessible  sinon  à  la 
foule,  du  moins  à  l'aristocratie  intellectuelle,  dont  le 
rôle  est  de  diriger  les  masses.  In  II*"  11' .  q.  il,  a.  i. 
Cette  opinion  d'un  intellectualisme  ambitieux,  d'après 
laquelle  dans  l'ordre  naturel  il  y  a  du  provisoirement 
inconnu,  mais  point  d'inconnaissable,  n'a  jamais. 
semble-t-il,  rencontre  beaucoup  de  faveur  chez  les  théo- 
logiens et  l'encyclique  Pascendi  se  sert  de  la  notion 
d'inconnaissable,  Denzinger,  10e  édit.,  n.  2109;  et  la 
raison  en  est  que.  même  avec  la  foi.  nous  devons  dire 
avec  saint  Paul  :  e.r  parle  cognoscimus.  On  peut  cepen- 
dant y  rattacher  l'opinion  adoucie  de  omni  vero  co- 
gnoscendo  in  complexu  vel  distributive,  voir  Suarez, 
De  gratia  actuali,  1.  I,  c.  i.  el  n.  20;  et  aussi  le 
système  intellectualiste  d'Eusèbe  Amort,  dont,  pour 
sauver  le  péripalétisme,  l'éclectisme  allait  jusqu'à  sou- 


833 


DIEU    (CONNAISSANCE   NATURELLE    DE; 


834 


tenir  que  le  monde  intellectuel  est  exactement  sem- 
blable au  monde  réel.  Dans  cette  hypothèse  de  Cajetan, 
la  nécessité  de  la  révélation  ne  subsiste  que  pour  la 
multitude,  mais  non  pas  pour  tous  et  chacun  des 
individus;  pour  lui,  certains  individus  sont  exempts 
de  toute  impuissance  morale  relativement  à  tout  le  vrai 
spéculatif  d'ordre  naturel. 

Un  des  théologiens  du  concile  proposa  une  rédaction 
où  le  texte  de  la  Sagesse,  allégué  par  Vasquez,  se  trou- 
vait introduit.  Acla,  col.  1652,  La  commission  refusa 
d'entrer  dans  cette  voie.  Durant  les  délibérations  du 
concile,  des  amendements  assez  favorables  à  l'hypo- 
thèse de  Cajetan  furent  proposés,  Acla,  col.  121, 
emend.  17,  18;  mais  ils  furent  rejetés.  Acta,  col.  135, 
524,  n.  10.  Enfin,  à  la  dernière  discussion,  un  amen- 
dement mit  sur  le  tapis  l'hypothèse  même  de  Cajetan. 
Acta,  col.  225,  emend.  56.  L'auteur  de  cet  amendement 
demandait  qu'on  omit  le  passage  que  nous  étudions, 
celui  où  la  révélation  est  déclarée  n'avoir  pas  été 
absolument  nécessaire  pour  remédier  à  l'impuissance 
morale  de  l'homme  quant  aux  vérités  religieuses  d'ordre 
naturel.  Il  résulterait  du  texte  proposé  par  la  commis 
sion,  disait-il,  que  dans  l'état  de  nature  pure  l'homme 
pourrait  sans  aucun  secours  spécial  pleinement  se 
suffire  à  lui-même  :  ce  qui  suit  de  l'hypothèse  de  Caje- 
tan; or,  faute  de  preuves  théologiques,  vous  ne  pouvez 
introduire  rien  de  semblable  dans  un  texte  dogmatique; 
et  le  saint-siège  n'a  jamais  eu  recours  à  cet  argument 
(dont  s'était  servi  Zigliara  contre  Ventura,  Œuvres  phi- 
losophiques,  Lyon,  1880,  t.  r,  p.  124,  n.  97;  p.  63,  n.55, 
et  passim)  dans  le  cours  du  siècle  pour  condamner 
ceux  qui  ont  le  tort  de  déprimer  trop  les  forces  de  la 
raison.  La  commission  du  concile  examina  cet  amen- 

nt  et  le  rejeta,  quia  id  a  quo  in  allcra  [emenda- 
tione]  abhorretur,  in  textu  non  e.rprimitur.  Le  texte, 
en  effet,  n'entraîne  en  aucune  façon  que  l'homme  eût 
pu  pleinement  se  suffire  à  lui-même  dans  l'état  de  na- 
ture pure  :  des  secours  naturels  autres  que  la  révéla- 
tion pourraient,  en  effet,  remédier  naturellement  à 
l'impuissance  morale  de  l'homme  en  matière  religieuse. 
Voir  Vacant,  t.  i,  n.  335.  p.  350.  Bien  plus,  le  rappor- 
teur donna  en  séance  plénière  la  raison  pour  laquelle 
li'  texte  proposé  et  accepté  ne  permet  pas  de  déduire 
rien  qui  favorise  les  thèses  du  progrès  indéfini,  de  la 
perfection  et  indépendance  naturelles  absolues,  qui 
sont  le  rempart  du  rationalisme.  Nous  ne  disons  pas. 
lit-il  observer,  que  toutes  les  vérités  naturelles  sont 
accessibles  à  la  raison.  Non  dicimus  quod  mimes  veri- 
lales  /<<"'<  I  humanm  rationi  pervite.  L'hypo- 

thèse de  Cajetan  ne  fut  donc  pas  adoptée.  Quant  à  celle 

cot  el  de  Vasquez,  elle  resta  en  l'étal  :   pi 
hypothesis   il!**,  ulrum  sint   qusadam  veritates  natu- 

,  qupe  homim  pe\  /  ■  ■  •  <  non  sint,  hmc  hypo- 
thesis, quse  est  utic/ue  niera  hypothesis,  per  doclri- 
uaui  nostram  non  tangitur.  Aria,  col.  239.  Mais  par 
le  fait  seul  que  le  concile  s'abstenait  de  prendre  parti, 
il  suivait  que,  des  trois  sens  logiquement  possibles  de  la 
formule  ut  ab  omnibus,  le    i  iffirmail  que  le 

dernier. 
Voici  donc    i     sens  du  concile.   Prenant   pour 

dm   el  définie  qu'il  j  a  dans  les  choses  divin 
vértl  naturel  qui   par  elles-mêmes  ne  sont 

la  r.n  son  humaine,  .1 1  ta ,  col.  238 
affirme,  quant  à  ces  vérités,  la  nécessité  mo. 
■  pour  l'ensemble  du  genre  humain 
impliqui  i  i  tains  indi- 

vidu happenl   à    cette  néci  Balte  el  que 

tOUt  IglbU 

ider  que  nul  indiv  [du 

-nient    \  ,, 

que/   On  arrive  donc  par  la  tir  l'impul 

Ité  morale  de  i., 
affe<  tant  mble 

tJK.T.    r>F.   TIIÏ'iI..    CATHOI.. 


de  la  race  humaine.  Au  sens  du  concile,  cette  impuis- 
sance morale,  qui  affecte  précisément  l'ensemble  de 
notre  espèce,  signifie  que,  sans  considérer  les  individus 
séparément,  sans  les  distribuer  en  groupes  favorisés  ou 
non,  l'ensemble  des  hommes  se  trouve,  par  rapport  à 
l'exercice  de  la  faculté  que  chacun  d'eux  a  de  connaître 
certaines  vérités  morales  et  religieuses,  dans  des  con- 
ditions telles  quV/i  fait  cet  ensemble  ne  les  connaît 
pas,  sans  le  secours  de  la  révélation  extérieure,  comme 
il  convient  à  l'homme  et  à  Dieu,  c'est-à-dire  expedite, 
firnia  certitudine  et  nullo  admixto  errore. 

Reste  à  conclure.  Nous  voulions  montrer  pourquoi 
il  serait  illégitime  de  déduire  du  texte  qui  traite  de 
l'impuissance  morale  où  l'homme  actuel  se  trouve  par 
rapport  aux  vérités  d'ordre  naturel,  l'impuissance  abso- 
lue et  a  fortiori  l'impuissance  physique.  Le  sophisme 
qui  se  glisserait  dans  cette  inférence  est  évident,  puisque 
nécessairement  on  passerait  du  sens  collectif  au  sens 
distribué. 

3°  Le  concile  n'a  pas  défini  que  le  pouvoir  physique 
de  connaître  naturellement  Dieu  passe  facilement  à 
Vacte,  mais  cette  doctrine  est  au  moins  proxima  fidei, 
et  le  texte  du  concile  est  favorable  à  cette  interpréta- 
tion. —  Que  le  concile  n'ait  rien  défini  sur  ce  sujet,  la 
chose  est  certaine  et  suit  de  la  position  qu'il  prit  : 
«  Nous  affirmons  le  pouvoir,  les  principes,  sans  rien 
dire  de  Yexercice  de  ce  pouvoir.  >>  Il  n'est  donc  point 
défini  que  tout  individu  peut  et  doit  acquérir  une  con- 
naissance certaine  du  vrai  Dieu  par  suite  du  dévelop- 
pement normal  de  sa  nature  intellectuelle.  Mais,  qu'il 
en  soit  ainsi,  la  chose  n'est  pas  douteuse,  parce  que, 
dans  l'Écriture,  la  connaissance  certaine  du  vrai  Dieu 
est  présentée  comme  facile,  plus  facile  que  la  science 
du  monde,  vider i,  Sap.,  xm,  5,  9,  conspiciunlur, 
Rom.,  I,  20,  de  telle  sorte  que  l'homme  est  responsable 
devant  Dieu  de  ne  pas  la  posséder  ou  de  la  renier.  Les 
Pères  ont  souvent  affirmé  que,  même  chez  les  païens, 
il  y  a  une  connaissance  élémentaire  de  Dieu  qui  est 
spontanée,  congénitale,  d'où  conclut  saint  Cyprien 
après  ïertullien  :  Summa  delicti  est,nolle  agnoscere, 
quem  ignorare  non  possis.  De  idol.  vanit.,  n.  9,  P.  L., 
t.  iv,  col.  577.  Cf.  Tertullien,  Apolog.,  c.  xvn,  P.  L., 
t.  i,  col.  376.  Que  le  texte  du  concile  soit  favorable 
à  la  doctrine  traditionnelle,  cela  suit  du  principe  gé- 
néral que  les  documents  ecclésiastiques  doivent  se 
prendre  au  sens  de  la  doctrine  scripturaire  et  patris- 
tique;  dans  le  cas  particulier,  le  concile  fait  appel  au 
passage  de  saint  Paul,  Rom.,  i,  20,  où  sûrement  il  est 
question  d'un  pouvoir  physique  de  connaître  Dieu  qui 
passe  facilement  a  farte,  Rom.,  i,  19;  enfin,  le  grand 
soin  qu'a  pris  le  concile  de  bien  distinguer,  comme 
nous  l'avons  explique,  l'objel  de  la  connaissance  pour 
lequel  il  admet  une  impuissance  morale  dans  l'homme, 
est  un  indice  certain  que  s'il  Considérai)  coin  nie  difficile 
la  connaissance  rapide,  sûre  el  sans  erreur  de  tout  ce 
que  nous  pouvons  connaître  de  Dieu  par  la  manifes- 
tation de  ses  perfections  dans  ses  o'iivres.  il  entendait 
que  la  simple  connaissance  de  Dieu,  qui  suffit  à  com- 
mencer la  vie  morale  et  religieuse,  est  i  la  portée  de 

tous.  Nous  n'avons   pas  à  discuter  ici  la  question   de  la 

possibilité  de  l'athéisme,  voir  athéisme,  el  Kilber,  De 
/'.    .  e.  i,  dans  Theologia  Wireeburgetuii .  mais  ce  que 
venons  d'exposeï    fera  comprendre  au   lecteur 
pourquoi    lis   théologiens  :   a)  refusent   de  suivi 

qu'ils  ne  considèrenl  comme  valable  que 
la  connaissance  de  Dieu  qui  explicitement  saisit 
l'Absolu,  l'inflniment  parfait,  etc. ;  fr)  ni  prél  ni  pas 
aux  systèmes  apologétiques  qui.  sous  le  prétexte  de 
jouer  un  vilain  tour  aux  historien  eom- 

ti  ni  ou  mettent  en  question  i  ment 

uni'..  di    I  al  i      i 

leur   .  C)    i  -'  jettent  aussi  bien   b-   tle  01  II       'I  api  ' 
quelles    la    raison  naturelle  ne   pourrait  aboutir   qu'au 

I  \     -  27 


83t 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE 


8:36 


panthéisme  (Dr  Kuhn),  que  celles  qui  posent  en  prin- 
cipe qu'ii  y  a  des  hommes  déterminés  à  l'erreur  ou  à 
la  vérité,  comme  M.  l'abbé  Martin  le  prétend  pour  le 
philosophe  de  génie.  «  Pour  lui  [liant,  Spinoza,  saint 
Augustin,  Bossuel],  la  seule  raison  est  sa  raison  propre, 
déjà  déterminée  à  penser  telle  doctrine.  »  La  démons- 
tration philosophique,  Paris,  1898,  p.  213.  Les  théolo- 
giens ont  de  honnes  raisons  de  cultiver  une  psychologie 
moins  simpliste. 

i'  Le  concile  n'a  pas  défini  que  le  pouvoir  physique 
de  connaître  Dieu,  par  la  raison  au  moyen  des  créa- 
tures, est  tellement  personnel  qu'il  passe  nécessaire- 
ment à  l'acte  indépendamment  du  milieu  social,  ou 
que  tout  individu  en  possession  de  sa  raison  a  par  le 
fait  le  moyen  de  connaître  Dieu  sans  l'aide  d'aucune 
autorité  extérieure  ;  mais  celte  doctrine  est  certaine, 
proxima  fidei.  —  En  d'autres  termes,  la  thèse  que  le 
dernier  critérium  de  l'évidence  soit  le  consentement 
universel  n'a  pas  été  condamnée  directement  par  le 
concile,  pas  plus  que  la  théorie  cartésienne  qui  fait  dé- 
pendre la  valeur  du  témoignage  de  nos  facultés  de  la 
véracité  divine.  Sans  doute,  si  le  concile  avait  dû  ou 
pu  procéder  par  voie  d'investigation  philosophique,  il 
eut  fallu  discuter  ces  questions;  mais  les  conciles  dé- 
cident directement  par  voie  d'autorité  scripturaire  et 
traditionnelle.  D'ailleurs,  sur  un  point  donné,  les  con- 
ciles le  plus  souvent  ne  définissent  pas  toute  la  doc- 
trine, mais  seulement  ce  qui  est  indispensable  pour 
écarter  du  peuple  chrétien  les  erreurs  régnantes;  or 
il  n'est  pas  toujours  nécessaire  pour  atteindre  ce  but 
de  trancher  tous  les  problèmes  philosophiques  affé- 
rents. C'est  ainsi  que  le  traditionalisme  a  été  condamné 
en  vertu  d'un  principe  théologique.  Il  suivait  des  spé- 
culations philosophiques  du  traditionalisme  rigide  que, 
sans  la  révélation  transmise  par  la  société,  l'homme 
est  incapable  de  connaître  Dieu,  d'où  la  nécessité 
absolue  de  la  révélation,  et  l'insuffisance  de  la  raison 
naturelle.  Ces  conclusions  étaient  contre  le  dogme  ré- 
vélé :  le  concile  les  a  rejetées  directement. 

Un  amendement  fut  proposé  demandant  l'insertion 
dans  le  texte  de  ces  mots  :  cilra  quamlibet  de  Deo 
traditam  doctrinam.  Acta,  col.  121,  emend.  8.  Si  cet 
amendement  eût  été  voté,  le  traditionalisme  le  plus 
mitigé  eut  été  directement  condamné  et  on  eût  déter- 
miné que  le  pouvoir  de  la  raison  est  strictement,  adé- 
quatement, personnel.  Mais  le  concile,  sur  la  demande 
de  la  commission  et  de  son  rapporteur,  rejeta  cet 
amendement.  Acta,  col.  130;  cf.  col.  150,  emend.  52. 
Cependant  le  traditionalisme  mitigé,  qui  posait  l'ensei- 
gnement social  comme  condition  de  la  connaissance 
certaine  de  Dieu,  se  trouvait  indirectement  atteint,  non 
point  précisément  à  cause  de  son  appel  à  l'enseigne- 
ment social,  à  l'autorité  extérieure  —  le  concile  ayant 
constamment  refusé  de  s'occuper  des  conditions  du 
développement  et  de  l'exercice  de  la  raison  —  mais  en 
tant  qu'il  dérivait  l'apport  de  l'enseignement  social,  en 
matière  morale  et  religieuse,  de  la  révélation  surnatu- 
relle :  ce  qui  réintroduit  la  nécessité  absolue  de  cette 
révélation,  au  moins  pour  arriver  à  une  connaissance 
de  Dieu  certaine  :  certo  cognoscere. 

Une  hypothèse  fera  comprendre  tout  le  sens  de  celle 
conséquence.  Si  quelqu'un  disait  :  L'apport  de  la  tra- 
dition ne  dérive  pas  précisément  de  la  révélation  pri- 
mitive surnaturelle  [indebila)  faite  à  Adam,  mais  seule- 
ment de  la  science  religieuse  infuse  par  accident  (adulto 
débita)  qu'il  reçut,  de  l'avis  de  tous  les  théologiens,  au 
moment  de  sa  création,  science  qui  n'était  pas  stricte- 
ment surnaturelle  mais  seulement  miraculeuse  comme 
serait  la  connaissance  que  nous  aurions,  par  exemple, 
d'une  langue  étrangère  par  des  espèces  soudainement  in- 
fuses; cette  façon  de  défendre  le  traditionalisme  mitigé 
s<  rait,  d'après  Granderath,  p.  37,  note  3,  à  l'abri  de  la 
condamnation  même  indirecte  du  Vatican,  parce  que, 


tout  bien  pesé,  la  nécessité  absolue  de  la   révélation 
surnaturelle  n'en  découlerait  pas. 

On  peut  admettre  et  nous  admettons  la  concession 
de  Granderath  ;  mais  il  faut  remarquer  qu'elle  ne  sauve 
pas  de  l'erreur  ceux  qui  nient  le  pouvoir  perso, 
de  connaître  Dieu.  En  effet,  quand  on  admet  que  la 
science  religieuse,  per  accidens  infusa,  d'Adarn  était 
due  à  son  état  d'adulte  et  par  suite  non  surnaturelle 
au  sens  strict,  c'est  qu'on  considère  comme  due,  et 
par  conséquent  comme  naturelle,  la  connaissance  cer- 
taine de  Dieu  chez  l'adulte.  En  d'autres  termes,  la 
théorie  classique  sur  la  science  infuse  d'Adam  suppose 
et  la  notion  du  surnaturel  et  le  pouvoir  de  connaître 
Dieu,  que  le  concile  du  Vatican  a  solennellement  sanc- 
tionnés. On  ne  peut  donc  rien  déduire  de  celte  théorie 
contre  le  pouvoir  physique  personnel  de  connaître 
Dieu  qu'admettent  les  théologiens,  puisque  la  suppo- 
sition d'un  tel  pouvoir  personnel  est  à  la  base  de  toute 
la  théorie  classique  sur  laquelle  on  s'appuie. 

Il  est  d'ailleurs  aisé  de  se  rendre  compte  des  raisons 
pour  lesquelles  les  théologiens,  tout  en  concédant  si 
l'on  veut  avec  Corluy,  .S'pi'cHegriMH^Gand,  1884,  t.  i,p.  9t. 
que  l'on  ne  peut  rien  déduire  de  l'Écriture  pour  les  cas 
singuliers  de  l'homme  des  bois,  du  sourd-muet,  voir 
cependant  Franzelin,  De  traditione,  2e  édit.,  p.  609. 
enseignent  que  la  thèse  du  pouvoir  physique  personnel 
est  proxima  fidei.  Dans  l'hypothèse  des  adversaires,  il 
faudrait  donner  aux  passages  classiques,  Sap.,  xm,  5; 
Rom.,  i,  20,  le  sens  suivant  :  L'ignorance  de  Dieu  est 
inexcusable,  parce  que  la  connaissance  de  Dieu  a  été 
donnée  à  tous  les  hommes  par  la  science  infuse  natu- 
relle d'Adam,  grâce  à  laquelle  tous  les  individus  peuvent 
avec  certitude  découvrir  Dieu  dans  les  créatures.  Mais 
est-il  vraisemblable  qu'un  pareil  sous-entendu,  si  peu 
dans  les  idées  communes  de  l'humanité,  se  trouve  dans 
ces  textes?  Ne  faut-il  pas  ranger  une  pareille  exégèse 
parmi  ces  tours  de  passe-passe  que  l'envie  de  décou- 
vrir ou  de  mettre  une  théorie  philosophique  dans 
l'Écriture  fait  inventer?  D'ailleurs,  la  tradition  a  tou- 
jours entendu  ces  textes  d'un  pouvoir  personnel  el 
exclu  tout  autre  témoignage  que  celui  des  créatures. 
Cf.  Heinrich,  Dogmatische  Théologie,  Mayence,  1881. 
t.  i,  p.  135-199;  Perrone,  Prxlect.,  De  locis  theol.t 
part.  III,  sect.  i,  c.  i,  Louvain,  t.  ix,  p.  383. 

Les  modernistes  ayant  mis  à  la  mode  un  certain  mé- 
pris pour  les  dires  de  l'École,  pour  les  décrets  doctri- 
naux des  Congrégations  romaines  et  pour  les  condamna- 
tions pontificales,  il  est  ici  opportun  de  rappeler  que 
le  concile  du  Vatican  lui-même  a,  en  quelque  sorte,  pris 
à  son  compte  les  décisions  romaines  sur  le  sujet  qui 
nous  occupe.  On  lit,  en  effet,  à  la  fin  de  la  constitution 
Dei  Filius,  cet  avertissement  :  *  Comme  il  ne  suffit  pas 
d'éviter  l'hérésie,  si  l'on  ne  fuit  aussi  avec  soin  les 
erreurs  qui  en  sont  plus  ou  moins  voisines,  nous  aver- 
tissons tous  les  fidèles  du  devoir  qu'ils  ont  d'observer 
aussi  les  constitutions  et  les  décrets  par  lesquels  le 
saint-siège  a  proscrit  et  prohibé  les  opinions  de  ce 
genre  dont  mention  expresse  n'est  pas  faite  ici.  »  Den- 
zinger,  n.  ItiGti;  Acta,  col.  131.  Cf.  Franzelin,  De  tradi- 
tione, 2e  édit.,  1875.  p.  131  sq.  Or,  on  sait  que  Lamen- 
nais, Bautain,  Bonnetty,  Ubaghs,  etc..  ont  été  condam- 
nés. Il  est  vrai  que  celte  monition  du  concile  ne 
change  rien  par  elle-même  aux  notes  théologiques  que 
méritent  les  erreurs  de  ces  auteurs;  mais  comment  se 
dire  fils  soumis  de  l'Église,  si  l'on  tient  pratiquement 
pour  non  avenues  les  monilions  d'un  concile  œcumé- 
nique? Observons  que  dire  avec  presque  tous  les  théo- 
logiens qu'en  fait  la  première  connaissance  que  nous 
ayons  de  Dieu  nous  vient  le  plus  souvent  de  l'éduca- 
tion, c'est  constater  un  fait  facilement  observable;  dire 
qu'elle  ne  peut  venir  que  de  l'éducation,  du  langage, 
c'est  construire  toute  une  théorie. 

5"  Le  pouvoir  physique  de  connaître  Dieu  qu'a  défini 


837 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE} 


838 


le  concile,  ne  se  borne  pas  au  pouvoir  de  connaître  le 
fait  brut  de  l'existence  de  Dieu,  sans  atteindre  au- 
cune de  ses  déterminations  intrinsèques.  —  En  d'autres 
termes,  l'agnosticisme  dogmatique  est  inconciliable  avec 
le  concile  du  Vatican.  Cet  agnosticisme  consiste  essen- 
tiellement à  soutenir  :  1.  contre  l'agnosticisme  pur, 
que  nous  croyons  à  l'existence  de  Dieu  ;  2.  contre  le 
dogmatisme,  que  nous  ne  connaissons  cependant  en 
aucune  façon  la  nature  intrinsèque  de  Dieu  auquel  nous 
croyons;  notre  connaissance  de  Dieu  se  réduit  donc 
au  fait  brut  de  l'existence.  Dans  ce  système,  le  sujet 
Dieu  n'est  désigné  que  par  de  pures  périphrases.  Nous 
n'avons  pas  à  expliquer  ici  pourquoi  et  comment  cette 
forme  d'agnosticisme,  qui  est  celle  des  modernistes 
aussi  bien  que  de  Kant,  llamilton,  Mansel  et  Spencer, 
diffère  de  l'athéisme.  Voir  Agnosticisme,  t.  i;  Diction- 
naire apologétique  de  la  foi,  1909,  t.  I,  et  The  Catho- 
lic  Encyclopsedia,  New-York,  1907,  t.  i.  Il  nous  suffit 
de  montrer  que  le  concile  entend  parler,  non  seulement 
de  la  connaissance  de  Vexislence  de  Dieu,  mais  aussi 
d'une  connaissance  de  l'essence  divine,  telle  que  nous 
puissions  former  des  jugements  de  valeur  objective 
sur  sa  nature  intrinsèque,  en  particulier  sur  la  per- 
sonnalité et  sur  la  providence  divines.  Si  l'on  pèse  bien 
tous  les  termes  du  chapitre  et  du  canon  que  nous  étu- 
dions, on  y  trouve  joints  au  nom  de  Dieu,  les  mots 
«  principe  et  fin  de  toutes  choses,  un,  vrai,  notre 
créateur  et  notre  maître.  »  Dans  le  cours  des  discus- 
sions du  concile,  divers  amendements  furent  proposés 
demandant  la  suppression  de  toutes  ces  appositions. 
Acla,  col.  22i,  228,  229,  1629, 1631,  1652,  1655.  La  prin- 
cipale raison,  apportée  à  l'appui  de  tous  ces  amende- 
ments, était  qu'en  employant  ces  termes  le  concile  avait 
l'air  de  trancher  des  questions  controversées  dans 
l'École,  par  exemple  celle-ci  :  «  La  création  proprement 
dite,  e.r  nihilo,  peut-elle  être  connue  parla  seule  rai- 
son naturelle?  »  Le  rapporteur  répondit  qu'en  em- 
ployant ce  terme,  on  ne  faisait  que  suivre  et  adopter 
l'exemple  et  l'usage  de  l'Écriture.  Sap.,  xm,  5.  Or, 
tout  le  monde  dans  l'Kcole  convient  que  ce  texte  ne 
démontre  pas  à  lui  seul  la  création  ex  nihilo  et  ne 
décide  pas  qu'elle  soit  démontrable  par  la  seule  rai- 
son; il  en  serait  de  même  du  texte  conciliaire,  si  le 
concile  adoptait  la  rédaction  proposée.  Acla,  col.  79, 
I  i'.».  243.  Ii'où  il  suit  que  la  formule  adoptée  par  le  concile 
signifie  que  la  raison  naturelle  peut  connaître  avec 
certitude  le  Dit  u  q\ii,  dans  l'Écriture,  se  dit  unique  et 
wai,  notre  créateur  et  notre  maître.  En  d'autres  termes, 
il  est  défini  que  la  raison  peut  connaître  le  Dieu,  qui 
est  créateur  au  sens  large  du  mot,  mais  il  n'est  pas 
défini  qu'on  puisse  par  la  seule  raison,  indépendamment 
de  toute  révélation,  le  connaît  i  rtitude,  comme 

créateur,  au  sens  strict,  que  tous  les  chrétiens  entendent 
dan  i  .  Voir  t.  in,  col.  2192-2195. 

Lei  déclarations  très  nettes  du  rapporteur  sur  le  mot 

indiquent  aussi  commenl  il  faul  entendre  ces 
•  principe  et  lin  de  toutes  choses,  comme  le  fait 
justement   remarquer    Granderath,   p.   16.    Si,  eu 

■  laissé  indécis  le  point  d  i  la  raison, 

ule,  peul  d>  montrer  la  création  ex  nihil 

i  "ment  dan-  la  ne  ne    indécision  le  point 
•i  li 'ne*  raison,  non  éclairéi    par  la 

ut  connaître  heu   comme  principe  el  lin  de 
■  ar  "i  lu.  u  n'a  p  ■  -  ci  •  ex  nihilo,  mais 
iplemenl  pro  luil  i  I  ordonné  le  monde,  il  nV 

el     II    lill    (le    tOl  plein 

que  rendi  lani   l  hjpothi  se  de  la  cré  ition 

ni  dite.  Il  faul  il. me  dire  que  le      I  u     pi 
foi  d    l'Église  pai  i  principi 

' 
du  e. m,, n,  ,i  dire  que   pu  la  seule 
connaître  Dieu,  principe  el  lin  de 
toutes  chosea  rge  di      mol  ,  tan*  décidi 


notre  pouvoir  physique  naturel  de  connaître  Dieu  va, 
sans  l'aide  de  la  révélation,  jusqu'à  saisir  avec  certitude 
que  non  seulement  il  est  notre  principe  et  notre  fin, 
mais  encore  qu'il  est  en  fait  et  en  droit  l'unique  éter- 
nel principe  de  tout  ce  qui  n'est  pas  lui.  Acla,  col.  236. 
Tout  le  monde  conviendra  que  si  le  concile  eut  défini 
ce  dernier  point,  l'agnosticisme  dogmatique  eût  été 
par  cette  décision  nettement  rejeté.  Mais  bien  que  la 
définition  du  concile  n'ait  pas  toute  cette  ampleur,  ce 
qu'elle  contient  exclut  sans  aucun  doute  non  seulement 
l'agnosticisme  pur,  qui  nie  que  nous  puissions  connaî- 
tre l'existence  de  Dieu,  mais  encore  l'agnosticisme 
dogmatique  qui  nie  que  nous  puissions  jamais  porter 
de  jugement  valable  sur  la  nature  intrinsèque  de  Dieu, 
spécialement  sur  la  personnalité  et  sur  la  providence 
divines.  En  effet,  connaître  Dieu,  notre  principe  et  notre 
fin,  notre  créateur  et  notre  maître,  ne  va  pas  sans  quel- 
ques jugements  sur  sa  nature  intrinsèque.  Certains 
agnostiques  concéderont  avec  Kant  et  même  avec  Spencer 
la  présence  dans  notre  esprit  de  ces  jugements,  mais  ils 
en  contesteront  la  valeur  objective.  Or,  il  est  certain 
que  c'est  précisément  cette  valeur  objective  que  le  con- 
cile a  eu  en  vue  d'affirmer.  En  effet,  comme  nous  l'avons 
rapporté,  col.  824,  les  théories  kantiste  et  positiviste 
sur  la  connaissance  furent  visées  nommément  par  le 
concile,  aussi  bien  que  le  traditionalisme,  qui  lui  du 
moins,  s'il  était  agnostique  ou  sceptique  avant  la  foi,  ne 
l'était  pas  avec  elle.  Un  amendement  fut  d'ailleurs 
proposé  qui  demandait  la  condamnation  expresse  de 
ceux  qui  «  sans  précisément  nier  l'existence  de  Dieu  » 
errent  de  diverses  manières  sur  sa  nature  et  tombent 
dans  le  panthéisme.  L'amendement  fut  rejeté,  non 
pas  comme  hors  de  la  pensée  du  concile,  mais 
comme  inutile,  étant  donnée  la  portée  du  texte  préparé 
par  la  commission.  Acla,  col.  98,  103.  Non  seulement 
le  concile  se  sépara  des  agnostiques  croyants,  mais  il 
voulut  affirmer  plus  que  ne  faisaient  les  déistes.  On 
sait  que  les  déistes  —  ces  dogmatiques  dont  parle  Kant 
—  admettaient  que  nous  avons  la  connaissance  des 
attributs  métaphysiques  de  Dieu,  mais  ,non  pas  une 
connaissance  qui  puisse  servir  de  base  à  la  vie  morale 
et  religieuse.  Or,  nous  l'avons  déjà  dit,  col.  82 i,  le 
concile  en  parlant  de  Dieu,  principe  et  fin  de  toutes 
choses, entendit  expressément  affirmer,  non  seulement 
avec  les  déistes  que  nous  pouvons  avoir  de  Dieu  une 
connaissance  spéculative  el  purement  théorique  objec- 
tivement valable,  mais  encore  contre  les  déistes  que 
cette  connaissance  est  telle  qu'elle  rend  possible  le 
commencement  de  la  vie  morale  et  religieuse  :  ce  qui, 
a  n'en  pas  douter,  inclut  la  personnalité  et  la  provi- 
dence divines.  Les  modernistes  auront  beau épiloguer ; 
ils  ne  réussiront  pas  à  faire  que  telle  n'ait  pas  été  la 
pensée  du  concile,  car  ad  prwlerilum  non  datur  po- 
I a: lui;  el  il  n'est  pas  de  théorie  de  l'évolution  qui 
fuie  ipn-  le  sens  historiquement  déterminé  d'un 
texte  diffère  demain  de  ce  qu'il  est  aujourd'hui  el  de 
ce  qu'il  était  au  jour  où  il  a  été  écrit.  Or,  il  est  certain 
«pie  le  concile  a  \oiilu  affirmer  que,  parles  seules  lu- 
mières de   la    raison,   nous  BOmmeS   capables  de  porter 

sur  Dieu  des  jugements  de  valeur  objective,  tels  qu'ils 

ni  d.'  fondements  a  notre  vie  morale  el  religieuse, 

jioBa  el  nhiriiii  qua  Dette  apprehende- 

retur  utcolendu»  <■!  cm  obediendum  tit;  bien  plus,  le 

le    a    VOUlll  dire  que    •  née  naturelle 

de  Dit  n  i amène  au  seuil  d'-  la  révélation  positive. 

i  non-  prépare  a  la  rece  ■  oir  .  ce  qui  inclut 
toute  une  théodicée.  (  les  /<"  I  Hanta 

pour  ceux  doni  la  preiiiiere  démarche  en  apologétique 
est  d'admettre,  •  ndo       ce  qui  peul  se  faire 

al  el  ni  si",  rent  néa     iir< 
rende,  que  la  critique  kantienne  >  i  ipencéi  i<  ans  de  la 
conn.  '  dont  toute  la  théodicée 

luil  a  la  seuls  idée  absti  aitc  de  l'incompn  i 


839 


DIEU    (CONNAISSAN'CE    NATURELLE   DE) 


840 


bilité  divine,  soit  par  transcendance,  soit  par  imma- 
nence. Mais  ce  sont  des  faits  dont  il  faut  tenir  compte. 
D'ailleurs,  tout  ce  que  le  concile  a  affirmé  se  trouve 
dans  le  texte  de  saint  Paul,  Rom.,  i,  20;  les  païens  y 
sont  déclarés  inexcusables  de  ne  pas  avoir  honoré  celui 
dont  ils  ont  connu,  vu  les  attributs  invisibles  par  le 
moyen  des  créatures.  C'est  donc  qu'ils  ont  connu  Dieu 
de  telle  sorte  que  l'adoration,  l'obéissance  devaient 
suivre  de  la  connaissance  qu'ils  avaient.  Mais  sans  la 
connaissance  d'un  Dieu  personnel  et  provident,  ces 
termes  n'ont  plus  de  sens,  à  moins  qu'on  ne  fasse  con- 
sister la  religion,  avec  l'athée  Clill'ord,  dans  «  l'émotion 
cosmique  »,  et  qu'on  ne  prenne  pour  de  la  religion  le 
tressaillement  que  peut  subir  un  névrosé  en  pensant 
qu'à  chacun  de  ses  efforts  musculaires  «  collabore  la 
masse  des  étoiles  ». 

6°  Le  concile,  sans  exclure  toute  connaissance  im- 
médiate de  Dieu  et  sans  décider  si  oui  ou  non  la  pre- 
mière connaissance  de  Dieu  peut  nous  être  donnée 
par  la  révélation,  enseigne  que  nous  avons  le  pouvoir 
physique  de  connaître  Dieu  médiatement,  per  ea 
qu.e  facta  sunt,  E  rébus  creatis.  —  1.  Une  propo- 
sition affirmative  n'est  pas  une  proposition  exclusive. 
En  affirmant  un  pouvoir  naturel  médiat  de  connaître 
Dieu,  le  concile  n'exclut  donc  pas  d'autres  manières  de 
le  connaître,  s'il  en  est.  En  particulier,  a)  la  doctrine 
de  la  connaissance  immédiate  de  Dieu,  soutenue  par 
les  ontologistes,  n'est  pas  condamnée  directementpar  le 
texte  du  concile.  Il  fut  question  des  ontologistes,  dans 
l'assemblée  et  hors  de  l'assemblée,  à  plusieurs  reprises. 
Acta,  col.  1652,  120,  1672,  849,  127,  128,  153.  Mais  la 
question  ne  fut  pas  discutée  à  fond  ;  on  se  contenta  de 
l'écarter  et  de  la  «  laisser  en  l'état  ».  L'ontologisme 
n'est  donc  pas  opposé  au  texte  du  concile,  à  la  condi- 
tion pourtant  que  la  connaissance  immédiate  ne  soit 
pas  proposée  comme  l 'unique  moyen  de  connaître  Dieu, 
à  l'exclusion  de  toute  connaissance  médiate  certaine; 
et  que  l'on  prouve  que  cette  connaissance  immédiate 
est  naturelle.  Les  ontologistes  soutiennent  le  second 
point;  mais  comme  les  théologiens  prouvent  solide- 
ment, par  des  moyens  termes  proprement  théologiques, 
l'impossibilité  de  la  vision  intuitive  par  les  seules 
forces  naturelles,  la  doctrine  des  ontologistes  se  trouve 
inconciliable  avec  le  mot  naturali  du  texte  conciliaire. 
D'autre  part,  plusieurs  ontologistes  expliquaient  la 
vision  en  Dieu  de  telle  sorte  que  la  création  ex  nihilo 
et  la  distinction  adéquate  de  Dieu  et  du  monde  dispa- 
raissaient. Cette  forme  d'ontologisme  est  inconciliable 
avec  la  distinction  de  Dieu  et  du  monde  et  de  la  création 
ex  nihilo  enseignées  par  le  concile.  Acta,  col.  85,  86. 
Cf.  Granderath,  p.  75,  n.  1  ;  Denzinger,  n. 1521  sq.  Enfin, 
un  bon  nombre  d'ontologisles  enseignaient  avec  Ubaghs 
que,  sans  l'intuition  préliminaire  immédiate  de  Dieu, 
l'homme  ne  peut  pas  par  les  créatures  connaître  Dieu  avec 
certitude.  Ubaghs,  Theodicese  seu  l/teologise  naturalis 
elementa,  Louvain,  1852,  p.  66  sq.  Cette  proposition,  en 
tant  qu'elle  est  exclusive  de  la  connaissance  médiate 
pour  amener  à  la  certitude,  est  immédiatement  opposée 
à  la  définition  du  Vatican.  Cf.  Granderath,  op.  cit.,  p.  37. 
Voir  Ontologisme. 

6)  M.  Baeuinker  dislingue  deux  voies  pour  parvenir 
à  Dieu.  L'une  qui  dérive  de  la  doctrine  platonicienne 
des  idées,  et  qui  a  pour  principe  que  l'ordre  objectif 
correspond  à  l'ordre  de  nos  idées  et  qu'un  objet  réel 
répond  à  notre  système  de  concepts.  Souvent  saint  Au- 
gustin s'en  est  servi,  comme  plus  tard  saint  Anselme, 
puis  Descartes,  Leibniz.  On  peut  appeler  cette  méthode 
immédiate,  en  ce  sens  que,  sans  nier  la  valeur  du  pro- 
cédé par  voie  de  causalité,  elle  n'a  pas  recours  à  la 
considération  des  causes.  L'autre  voie  est  celle  d'infé- 
rence  causale,  qui  part  du  monde  pour  remonter  à  son 
auteur.  Cf.  Baeumker,  Witelo,  Munster,  1908,  p.  289  sq., 
dans  Beitrâge,  t.  ni.  Voir  Grabman,  Die  philosophisc/ie 


und  l/teologisclie  Erkennlnislehre  des  Cardinals  Mat- 
thœut  von  Aquasparta,  Vienne,  1906.  Le  concile  du 
Vatican,  en  définissant  que  nous  pouvons  connaître 
Dieu  per  ea  qusa  facta  sunt,  e  rébus  creatis,  n'a  pas 
voulu  exclure  la  première  voie.  Le  rapporteur,  en  elîet, 
exposa  en  plein  concile  que  le  texte  n'entraînait  nulle- 
ment la  condamnation  «  du  très  célèbre  argument  de  saint 
Anselme.  »  ^4c<a,  col.  132.  Les  cartésiens  qui  siégeaient 
au  concile  se  trouvèrent  donc  fort  à  l'aise  pour  voter 
le  texte;  car  on  sait  que  peu  de  cartésiens  nient  la 
valeur  des  arguments  fondés  sur  la  causalité,  efficiente 
ou  finale. 

Cependant  le  P.  Piccirelli,  De  Dco  uno  et  trino, 
Naples,  1902,  p.  21,  et  n.  29  sq.,  soutient  cette  thèse  : 
Fide  divina  edocemur...,  sine  ullo  subsidio  neque  im- 
médiates et  directe  visionis  divini  esse,  neque  prm- 
lernaturalis  idese  innalse  Dei  ad  mentent  cartesiano- 
rum,  ex  rébus  factis...  in  Dei  exislenlis  cognilionem 
posse  assurgere.  Nous  ne  saurions  le  suivre.  —  a)  Le 
P.  Piccirelli  fait  sur  les  idées  innées  un  raisonnement 
analogue  à  celui  que  nous  avons  fait  nous-mêrne  à  pro- 
pos de  l'ontologisme.  Mais  il  y  a  entre  les  deux  cas  de 
notables  différences.  C'est  par  des  moyens  termes  théo- 
logiques qu'on  prouve  l'impossibilité  de  la  vision  im- 
médiate par  les  seules  forces  naturelles,  et  le  P.  Piccirelli, 
pour  prouver  l'impossibilité  des  idées  innées,  n'a  que 
ce  refuge,  qui  n'a  rien  de  théologique,  ut  docelur  in 
psychologia.  La  philosophie  la  plus  scolastique  du 
monde  n'a  jamais  démontré  la  répugnance  intrinsèque 
des  idées  innées;  car,  de  l'avis  de  tous  les  théologiens, 
Adam,  le  Christ  en  ont  eu  et  les  anges  n'en  manquent 
pas.  Au  contraire,  la  même  philosophie  scolastique, 
qui  en  psychologie  se  borne  à  montrer  que  les  idées 
innées  ne  sont  pas  données  dans  l'expérience  et  ne 
sont  pas  requises  pour  expliquer  notre  connaissance 
intellectuelle,  donne  de  bonnes  et  solides,  bien  que 
subtiles,  raisons  contre  toute  vision  immédiate  de  Dieu 
par  les  seules  forces  naturelles.  —  b)  Pour  prouver  sa 
thèse  anticartésienne,  l'auteur  introduit,  soit  dans  les 
textes  qu'il  cite,  soit  dans  les  livres  cartésiens,  des  dis- 
tinctions scolastiques  —  excellentes  sans  doute  —  mais 
qui,  bien  que  familières  à  tous  les  théologiens  actuels, 
ne  se  trouvent,  ni  chez  les  cartésiens,  ni  dans  les  docu- 
ments conciliaires.  Il  parle,  à  propos  des  idées  innées, 
qu'un  cartésien  ne  lui  concédera  jamais  être  «  préter- 
naturelles  »,  de  l'acte  second,  et  de  l'exercice,  des 
principes  quo,  quod,  in  quo.  Mais  le  concile  du  Vati- 
can n'a  parlé  que  du  pouvoir  de  connaître  Dieu  et  s'est 
abstenu  de  parti  pris  de  toucher  à  la  question  des  con- 
ditions et  de  l'exercice  de  ce  pouvoir.  Mais,  de  plus, 
l'idée  innée  de  Dieu  des  cartésiens  n'est  pas  un  acte 
second,  et  les  cartésiens  objectivistes  concéderont 
volontiers  au  P.  Piccirelli,  s'il  leur  montre  la  nécessité 
de  cette  concession,  que  leur  idée  innée  est  un  princi- 
pium  quo.  —  c)  Sans  doute,  le  P.  Piccirelli,  quand  il 
donne  comme  de  foi  divine  que  les  idées  innées  sont  à  re- 
jeter, suit  cette  opinion  que  les  conclusions  théologiques 
peuvent  être  objet  de  foi  divine.  Sans  discuter  cette 
opinion  —  ce  qui  demanderai l  beaucoup  de  distinctions 
qu'il  ne  paraît  pas  fairedans  sa  thèse  —  nousnousborne- 
rons  à  faire  observer  que  la  conclusion  du  P.  Piccirelli 
ne  nous  parait  en  aucune  manière  suivre  des  prémisses 
qu'il  avance,  de  façon  à  pouvoir  être  ou  devenir  objet 
de  foi.  Nous  ne  connaissons,  d'ailleurs,  aucun  autre 
théologien  qui  affirme  une  telle  conclusion.  Bien  que, 
d'après  nous,  la  connaissance  immédiate  de  Dieu  par 
lidée  innée  soit  une  chimère,  ce  n'est  pas  une  hérésie, 
et  le  concile  ne  l'a  pas  condamnée. 

Pour  ne  pas  avoir  à  revenir  sur  le  cartésianisme, 
rappelons  la  doctrine  commune  des  théologiens.  Plu- 
sieurs auteurs  catholiques  ont  soutenu  et  soutiennent 
que  la  connaissance  spontanée,  naturelle,  dont  parlent 
les  Pères,  n'est  autre  chose  que  l'idée  innée  des  carte- 


841 


DIEU   (CONNAISSANCE   NATURELLE   DE; 


842 


siens,  au  sens«  d'une  représentation  actuelle  »  de  Dieu 
(Thomassin,  Klee,  Staudenmayer,  Kuhn,  etc.).  La  masse 
des  théologiens  soutient,  et  avec  raison,  l'opinion  con- 
traire; on  trouvera  dans  ce  dictionnaire  sous  le  nom  des 
principaux  Pères  les  textes  les  plus  discutés  etleur  inter- 
prétation historique.  La  masse  des  théologiens  n'admet 
donc  pas  qu'il  y  ait  une  tradition  patristique  en  faveur 
des  idées  innées.  Mais  de  cette  constatation  à  donner 
une  «  note  »  théologique  au  cartésianisme,  il  y  a  d'autant 
plus  loin  qu'en  se  donnant  l'idée  de  l'infini  positif 
Descartes  se  donnait  toute  la  théodicée.  Les  théologiens 
de  l'école  se  contentent  donc  de  considérer  la  doctrine 
cartésienne  sur  l'origine  des  idées  comme  «  philoso- 
phiquement fausse  »,  et  la  grande  raison  des  théologiens 
est  que  cette  doctrine  ne  peut  pas  se  concilier  avec  le 
fait  de  l'athée  par  l'ignorance.  Cf.  Pohle,  Lehrbuch  der 
Dogmalik,  Paderborn,  1902,  t.  i,  p.  14.  Si  cependant 
l'innéisme  cartésien  est  proposé  de  manière  à  exclure 
toute  véritable  preuve  de  l'existence  de  Dieu,  per  ea 
quae  facta  sunt,  e  rébus  creatis,  on  s'accorde  à  le 
regarder  comme  «  téméraire  »,  parce  que  les  preuves 
de  l'existence  de  Dieu  ont  un  solide  fondement  dans 
l'Écriture  et  dans  la  tradition.  Cf.  Granderath,  p.  41; 
Pesch,  Prxlect.  theolog.,  t.  il,  n.  27. 

c)  On  connaît  l'argumentation  que  Kant  a  tirée  de 
Locke  pour  démontrer  l'impossibilité  de  toute  révéla- 
tion positive  sur  Dieu.  Selon  lui,  la  première  idée  de 
Dieu  ne  peut  pas  nous  venir  de  la  révélation;  donc  ni 
la  seconde,  car  il  faudrait  apprécier  celle-ci  par  la 
première.  Pendant  que  dura  la  controverse  traditiona- 
liste, quelques  apologistes  employèrent  une  argumen- 
tation partant  du  même  principe.  Cf.  Valerga,  Del  tra- 
dizionalismo,  Gènes,  1861,  p.  24  sq.  La  première  idée  de 
Dieu  ne  peut  pas  nous  venir  de  la  révélation;  car  la 
foi  est  essentiellement  libre,  nemo  assent'Uur  aUer't 
tiisi  volons;  or,  pour  vouloir  donner  son  assentiment 
à  quelqu'un,  il  faut  déjà  le  connaître.  Donc.  Quelques 
théologiens  continuent  à  se  servir  de  cette  réfutation 
du  traditionalisme,  et  la  mettent  sous  l'égide  du  con- 
cile. Les  vues  systématiques  se  manifestent  ici  ;  on  veut 
défendre  la  théorie  d'après  laquelle  l'existence  de  Dieu 
ne  peut  pas  être  objet  de  foi;  et  comme  il  semble  bien 
que  le  concile  du  Vatican  pense  autrement,  cf.  Didiot, 
Logique  surnaturelle  subjective,  Lille,  1894,  p.  323, 
n.  i78sq.;  A cta,  col.  171  ;  Pesch,  l'rœ.lect.  theol.,  t.  il, 
n.  40  sq..  on  s'ingénie  à  déduire  de  la  condamnation 
du  traditionalisme  par  le  même  concile  un  principe 
qui  sauve  l.i  thèse  préférée.  Noua  n'avons  rien  décou- 
vert dans  les  Actes  du  concile  qui  nous  permette  de  dire 
qu'il  ;iit  résolu  cette  question  :  la  première  idée  de 
Dieu  peut-elle  nous  venir  de  la  révélation?  Acta, 
col.  127.  De  ce  que  le  concile  affirme  que  la  révéla- 
tion n'est  pas  nécessaire  à  la  connaissance  certaine  de 
Dieu,  en  s'appuyant  sur  des  textes  révélés  el  par  voie 
d'autorité,  le  principe  de  Kanl  ne  suit  du  texte  que  si 
l'on  démontre  que  le  dogme  défini  ne  peut  pas  se 
vérifier  autrement.  M  ;i i -  comment  fera-t-on  cette  dé- 
monstration '  Su. ne/  s'est  posé  la  question,  el  a  résolu 
ince  1  objection  de  Locke  et  de  Kanl,  De  Deo, 
1.  I.  c.  i.  n.  3  sq.;  et  depuis  trois  roui-,  ans  on  n'a  pas 
re  démontré  contre  lui  l'impossibilité  de  cet  acte  : 
a$seni>)i  primo  Deum  ene  e.r  testimonio  ipritu  Dei. 
D'ailleurs,  ceux  qui  se  séparent  ici  di  Suarei  el  en 
appellent  avec  confiance  à  v;,ini  Thomas,  ne  paraissent 
jamais  di  mandi  li  li  nrs  doctrim  i  a'accor- 
•  tit  facilement  avec  ce  que  'lit  le  grand  docteur 
delà  première  grâce  d'Adam,  question  où  Suarez, 
comme  tout  le  inonde  le  tait,  suit  ci  défend  sainl  Tho- 
0  dit  I  wm,  I.  III,  c.  wiir  sq.  ;  s.  Tho- 

mas,  De  verilate,  q,  xvm,  a.  2  sq.  Enfin  est-il  bien 
dans  la   méth<  ifnl   i  homaa    d.'    prou<  i  r    de  - 

ruines,  là  ou  ipe  de   pri 

lide  de  principe    douteux,  simplement  probables, 


et  d'où  on  peut  tirer  aussi  bien  l'erreur  que  la  vérité? 
Nous  croyons  donc  qu'après,  comme  avant  le  concile, 
l'argument  de  raison  théologique  contre  les  traditio- 
nalistes doit  se  formuler,  sans  entrer  dans  cette  ques- 
tion controversée  et  sans  introduire  des  vues  systéma- 
tiques  sur    l'obscurité    et    la  liberté  de  l'acte  de  foi. 

L'argument  suivant,  d'ailleurs  classique,  parait  satis- 
faire aux  conditions  indiquées;  et  il  vaut  contre  tous 
ceux  qui,  pour  expliquer  la  première  connaissance  de 
Dieu,  font  appel  à  la  foi,  ou  à  la  croyance  commandée 
par  la  volonté  libre.  Le  premier  élément  et  le  plus 
important  de  la  crédibilité  de  la  religion  chrétienne 
est  la  connaissance  certaine  de  l'existence  de  Dieu.  Si 
donc  on  soutient  que  cette  connaissance  certaine  ne 
peut  être  obtenue  que  par  la  révélation,  ou  en  vertu 
d'un  acte  commandé  par  notre  volonté  libre,  on  est 
amené  à  conclure  que  la  foi  chrétienne  n'est  pas  évi- 
demment croyable,  et  par  conséquent  que  l'assentiment 
de  foi  ne  peut  pas  être  prudent  et  raisonnable.  Or,  on 
démontre  qu'il  en  est  autrement.  Voir  Crédibilité, 
Foi.  Nous  préférons  cette  argumentation  à  celle  qui 
suppose  que  la  révélation  ne  peut  pas  donner  à  quel- 
qu'un la  première  idée  de  Dieu,  parce  qu'elle  nous 
parait  solide  et  tout  à  fait  conforme  au  concile  du 
Vatican. 

2.  Que  nous  ayons  le  pouvoir  physique  de  connaître 
Dieu  d'une  façon  médiate,  l'Écriture  elle-même  nous 
l'apprend.  Les  passages  classiques  sont  ceux  que  nous 
avons  déjà  cités  souvent,  Sap.,  xm;  Rom.,  i,  20;  et 
il  serait  facile  d'en  citer  beaucoup  d'autres,  par 
exemple,  Rom.,  Il,  12  sq.;  Act.,  xiv,  14  sq.;  XVII, 
24  sq.,  etc.,  où  la  nature  créée  nous  est  présentée 
comme  un  miroir  où  Dieu  se  rend  visible  au  regard  de 
notre  esprit,  non  certes  immédiatement,  mais  par 
l'entremise  des  créatures,  que  nous  voyons  placées  sous 
sa  dépendance  et  dont  nous  saisissons  qu'il  est  la 
cause.  Hien  plus,  l'Écriture  nous  apprend  que  de  la 
contingence  des  créatures  imparfaites  nous  pouvons 
passer  à  l'être  nécessaire,  ht  tcôv  ôpo|/ivtov  àyaOûv 
E'ios/ai  -'•>■>  'jvtoc,  Sap.,  xm,  1,  et  remonter  par  discours 
intellectuel  des  perfections  finies  à  la  perfection  divine 
à  l'aide  des  principes  de  causalité  et  de  raison  suffi- 
sante :  a  nwgnitudine  enim  speciei  et  crealurse  co- 
gnoscibiliter  [«vaX^yait]  poterit  creator  horion  videri. 
Ibid.,  5.  Cf.  .lansénius  d'Ypres,  dans  Cursus  sacrse 
Scriptura  completus  de  Mi^ne,  t.  xvn,  col.  5:>7. 

Est-il  besoin  d'ajouter  que  l'expression  per  ea  quse 
facta  sunt  est  très  générale,  que  notre  Ame  et  toute 
s.i  vie  intérieure  y  sont  comprises,  comme  eut  soin 
de  le  déclarer  le  rapporteur  du  concile  :  Nam  si 
iliciotits  Drum  cognosci  nnlurali  rationis  lumine  per 
crealuras,  id  est  per  vesligia  quse  creaturis  omnibus 
impretta  snni  ;  mulio  minus  excludimu»  imaginent 
quw.  anima  immortali  hominit  vmpresaa  estl  Aria, 
col.  132, 149.  Est-il  besoin  de  rappeler  le  soin  avec  lequel 
[es  Pères  el  les  docteurs  scolastiques  ont  suivi 
indications  scripturaircs'.'  11  vaut  mieux  signaler  8 
l'attention  du  lecteur  la  magnifique  cohérence  de  la 
doctrine  scripturaire  et  traditionnelle,  reproduite  par 

n  île.  Parlant  de  la  création,  le  concile  déclare, 
conformément   i   de   nombreux  témoigi  riptu- 

raires,  que  Dieu  a  tout  créé  «  à  cause  de  sa  bonté  el  de 

ite  puissante  vertu,  non  en  vue  d'augmenter  sa 
béatitude,  ni  pour  acquérir  sa  perfection,  maia  pour  la 
manifester  par  les  biens  qu'il  accorde  aux  créatun 
Denzinger,  n.  1683,  Calvin  lui-même  avait  retenu  cet» 
vérité,  lorsqu'il  parlait  des  magnifiques  flambeaux  allu- 

ii   temple  du  inonde  pour  nous  montrer  Dieu; 
mais   Calvin,   | >- •  i    esprit  de  système,  noua  imaginait 
aveugles  depuis  la  chute.  La  doctrine  catholique  est 
que,  même  apn  i  la  chuta,   nous  somn 
voyants  :  le  livre  du  monde  non  seulement  sel  ouvert 

l,  mais  nous  pouvon  •  I  n   pi  uétTOI  Tous 


843 


DIEU   (CONNAISSANCE    NATURELLE   DE) 


844 


les  liions  que  Dieu  nous  accorde,  soit  dans  l'ordre  na- 
turel, soit  dans  l'ordre  surnaturel,  portent  l'empreinte 
de  l'infinie  perfection  de  leur  auteur;  et  cette  empreinte 
est  dans  le  plan  divin  ordonnée  à  notre  esprit  :  non 
sine  testimonio  scipsum  reliquit.  Act.,  xiv,  1G.  Car, 
quoi  qu'il  en  soit  de  la  question  spéculative  de  la  possi- 
bilité d'un  monde  créé  sans  créature  intelligente,  il  est 
sûr  que  le  monde,  tel  qu'il  est,  est  ordonné  à  nous  signi- 
fier la  gloire  de  son  créateur  :  Caeli  enarrant  gloriam 
Dei,  Ps.  xvni,  2;  et  que  du  signe  nous  avons  le  pou- 
voir physique  de  passer  à  l'Être  signifié.  C'est  ce  qu'on 
veut  dire  quand  on  parle  de  notre  pouvoir  de  connaître 
Dieu  «  médiatement  »  par  la  raison  naturelle.  Mais  ces 
deux  derniers  mots  demandent  quelques  explications 
qui  compléteront  cette  étude  de  la  définition  du  con- 
cile du  Vatican. 

7°  Comme  moyen  subjectif  de  la  connaissance  na- 
turelle de  Dieu  le  concile  désigne  la  raison  naturelle. 
—  Notons  d'abord  que  cette  partie  de  la  phrase  n'a 
rien  d'exclusif  :  on  condamne  ceux  qui  soutiendraient 
que  la  raison  naturelle  n'est  pas  un  moyen  de  con- 
naître Dieu,  mais  on  n'exclut  pas  les  autres  moyens 
de  connaître  Dieu,  s'il  en  est,  comme  la  révélation 
proprement  dite,  l'expérience  mystique,  ou  même 
simplement  le  témoignage  humain  des  parents,  etc. 
Le  but  du  concile  n'est  pas  de  donner  l'énumération 
de  tous  les  moyens  de  parvenir  à  connaître  Dieu,  mais 
d'enseigner  qu'un  de  ces  moyens  est  la  raison  natu- 
relle. Tous  les  modernistes  qui  excluent  ce  moyen 
sont  donc  condamnés  aussi  bien  que  les  traditiona- 
listes, les  kantistes  et  les  positivistes  que  le  concile 
avait  en  vue.  Par  exemple,  on  ne  saurait  regarder 
comme  orthodoxes  les  anonymes  italiens  qui  ont  écrit 
le  Programma  dei  modernisli,  Rome,  1908,  en  réponse 
à  l'encyclique  Pascendi.  Ils  rejettent,  en  effet,  la  raison 
du  nombre  des  moyens  subjectifs  que  nous  avons  de 
connaître  l'existence  objective  de  Dieu,  sous  le  prétexte 
que  le  concile  était  plein  de  thomistes  infatués  d'intel- 
lectualisme, et  qu'on  peut  modifier  le  sens  des  défini- 
tions ecclésiastiques,  conformément  à  la  loi  de  l'uni- 
verselle évolution.  Op.  cit.,  p.  105.  Cf.  Denzinger, 
n.  1665. 

1.  D'une  manière  générale  :a)  le  mol  «  raison  »,  dans 
le  concile  du  Vatican,  n'est  pas  employé  au  sens  vul- 
gaire du  terme;  b)  il  n'est  pas  davantage  employé  au 
sens  spécifiquement  péripalélicien,  platonicien,  sco- 
laslique,  cartésien,  leibnizien,  etc.  ;  c)  mais  il  est  em- 
ployé au  sens  philosophique,  répandu  au  XIXe  siècle 
chez  tous  les  tliéologiens  et  chez  tous  les  philosophes, 
sans  en  excepter  ceux  qui,  kanlisles,  positivistes  ou 
traditionalistes,  niaient  alors  la  valeur  de  la  raison.  — 
a)  Sans  aller  aussi  loin  que  les  auteurs  du  Pro- 
gramma, quelques  écrivains  français,  sous  le  prétexte 
que  les  conciles  ne  font  pas  de  philosophie,  soutiennent 
que  le  mot  raison  dans  la  définition  conciliaire  doit 
être  entendu  au  sens  vulgaire.  Le  principe  d'hermé- 
neutique invoqué  est  inexact,  cf.  Ami  du  clergé, 
5  mars  1908;  mais  nous  n'avons  pas  à  le  discuter  ici. 
Car  le  sens  du  mot  raison  dans  notre  texte  est  une 
question  de  fait.  Que  ce  mot  ne  soit  pas  employé  par 
le  concile  au  sens  vulgaire,  comme  équivalent  d'une 
capacité  quelconque  de  connaître  et  de  juger,  la  chose 
est  évidente;  car  le  concile,  distinguant  la  lumière  de 
la  raison  de  la  lumière  de  la  foi,  caractérise  la  raison 
«  par  la  connaissance  de  la  vérité  intrinsèque  des 
choses;  »  or,  on  avouera  que  cette  description  dépasse 
«  le  sens  courant,  étranger  aux  systèmes,  qu'un  homme 
du  peuple  pourra  voir  »  du  mot  raison.  Le  mot  raison, 
dans  le  langage  vulgaire,  entendu  de  tout  le  monde,  y 
compris  les  enfants  qu'on  dit  avoir  atteint  l'âge  de  rai- 
son, rend  un  sens  plus  large.  Acta,  col.  171. 

b)  Le  même  mot  n'est  pas  employé  par  le  concile 
dans  le  sens  spécial  que  lui  donnent  les  diverses  écoles 


de  théologie  et  les  diverses  philosophies  suivant  leurs 
doctrines  variées,  touchant  la  table  rase,  l'intellect 
actif,  l'origine  des  principes,  les  différentes  concep- 
tions de  la  matière  et  de  l'esprit  et  de  leurs  relations. 
On  en  conviendra  facilement  à  l'égard  des  systèmes 
que  le  concile  a  eu  en  vue  de  proscrire.  Il  en  est  de 
même  à  l'égard  de  ceux  qu'il  n'a  pas  condamnés.  Le 
mot  raison  dans  le  concile  n'est  employé  ni  au  sens 
spécifiquement  péripatéticien,  ni  au  sens  de  saint  Au- 
gustin, ni  dans  celui  qui  est  spécifiquement  de  saint 
Thomas.  Ce  n'est  pas  môme  le  mot  raison  au  sens  des 
scolastiques,  en  tant  que  ce  sens  est  spécifiquement 
distinct,  par  exemple,  du  cartésianisme  et  du  plato- 
nisme. Les  modernistes  italiens  dans  leur  Programme 
parlent  du  sens  thomiste  du  mot  raison  dans  le  concile. 
Il  faut  dire  pourquoi  ils  se  trompent. 

a.  Où  dans  le  concile  se  serait  trouvée  une  majorité 
pour  voter  le  mot  raison  dans  le  sens  scolastique  pré- 
cis? D'où  serait  sortie  cette  majorité,  puisque  le  car- 
tésianisme, l'ontologisrne,  le  traditionalisme  s'ensei- 
gnèrent un  peu  partout,  sans  excepter  Rome,  durant 
les  soixante  années  qui  précédèrent  le  concile?  Sans 
doute,  la  scolastique  durant  cette  longue  période  n'était 
pas  complètement  morte;  mais  pour  cent  cartésiens 
qui  ont  écrit  durant  les  trois  premiers  quarts  du 
xixe  siècle,  on  serait  bien  embarrassé  de  nommer  dix 
scolastiques,  au  sens  spécifique  du  mot.  Le  Programma 
des  modernistes  italiens  est  donc  victime  d'une  pro- 
jection du  présent  dans  le  passé,  quand  il  parle  de 
concile  thomiste,  à  propos  du  Vatican.  Il  y  avait  des 
thomistes  —  encore  un  mot  devenu  équivoque  depuis 
quelques  années  —  au  Vatican,  par  exemple,  des  ban- 
néziens  —  quelques  amendements,  non  acceptés,  trahis- 
sent leur  présence,  leurs  préoccupations  et  leur 
mentalité.  Mais  la  masse  des  amendements  fut  dans  un 
sens  tout  opposé;  et  ceux  qui  furent  les  ancêtres 
des  divers  néo-thornismes  actuels  ne  paraissent  avoir 
eu  que  fort  peu  d'influence  dans  l'assemblée.  Les  dis- 
cours des  rapporteurs  sont  aussi  peu  thomistes  que 
possible;  ils  renferment  même  plus  d'une  saillie  qui 
dut  plaire  médiocrement  aux  thomistes  présents,  par 
exemple,  l'éloge  du  fameux  argument  de  saint  Anselme, 
rejeté  par  saint  Thomas,  et,  durant  des  siècles,  par 
toute  l'école  thomiste.  Sans  doute,  Franzelin,  qui 
écrivit  les  travaux  préparatoires  de  l'assemblée,  était 
scolastique  et  thomiste.  Il  était  scolastique  dans  toute 
la  force  du  terme;  mais  la  rédaction  qu'il  avait  pré- 
parée fut  rejetée,  parce  que  trop  scolastique.  Vacant, 
t.  i,  n.  16,  p.  32.  En  un  sens  très  réel,  qui  est  celui 
qu'avait  dans  l'esprit  le  nominaliste  Arriaga  lorsqu'il 
pensait  diminuer  son  adversaire  Suarez  en  le  qualifiant 
de  thomiste,  Franzelin  était  thomiste,  comme  Kleutgen, 
comme  je  le  suis  moi-même;  mais  les  modernistes 
italiens  savent  très  bien  que  Franzelin  n'était  pas 
thomiste  au  sens  où  ils  emploient  ce  mot,  et  que  le 
«  thomisme  »  qu'ils  ont  en  vue  n'a  pas  Franzelin  ou 
Kleutgen  pour  patrons. 

b.  Qu'on  parcoure,  je  ne  dis  pas  les  travaux  de  polé- 
mique et  de  littérature  courante,  mais  les  livres  qui 
comptent  et  qui  représentent  la  pensée  du  monde 
théologique,  parce  qu'ils  sont  écrits  par  des  hommes 
qui  dominent  leur  sujet;  on  verra  combien  ils  sont 
réservés  pour  avancer  que  tel  ou  tel  auteur  est  con- 
damné ou  atteint  par  le  concile  du  Vatican.  Le 
P.  Gratry  excluait  tout  syllogisme  du  procédé  par 
lequel  nous  connaissons  Dieu  ;  il  le  décrivait  comme 
«  une  opération  de  la  raison,  qui,  regardant  l'être  Qui, 
monde  ou  Ame,  voit  par  contraste  et  par  regrès,  dans 
ce  fini  l'existence  nécessaire  de  l'infini.  »  Connnissance 
de  Dieu,  t.  n,  c.  VIH.  Or  je  ne  connais  pas  un  théolo- 
gien qui  affirme  que  le  P.  Gratry  soit  condamné;  tous 
disent,  il  est  vrai,  que  le  procédé  est  imaginaire  et  par 
suite  faux.  Il  est  pourtant  bien  évident  que  si  la  doc- 


845 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE 


846 


trine  scolastique  de  la  raison  avait  été  inclue  dans  le 
texte  du  Vatican,  le  P.  Gratry  comme  le  procédé  «  mé- 
talogique  »  des  giinthériens  seraient  hérétiques.  Pour 
d'autres  auteurs,  il  est  vrai,  les  théologiens  discutent, 
par  exemple  pour  Kuhn  et  aussi  pour  la  Grammar  of 
assent  de  Newman.  Le  fait  de  ces  discussions  montre 
à  l'évidence  que  la  doctrine  scolastique  de  la  raison 
n'est  pas  considérée  par  les  théologiens  comme  néces- 
sairement impliquée  par  la  doctrine  du  concile.  Si 
elle  l'était,  ni  Kuhn,  ni  Newman  ne  feraient  l'objet 
d'un  doute,  puisqu'il  est  certain  que  leurs  théories  de 
la  connaissance  ne  sont  pas  celle  de  l'École. 

c)  Que  le  concile  ait  employé  le  mot  raison  dans  le 
sens  philosophique  commun  au  xixe  siècle  à  tous  les 
théologiens  et  à  tous  les  philosophes,  sans  en  excep- 
ter ceux  qui,  positivistes,  kantistes  ou  traditionalistes, 
niaient  alors  la  valeur  de  la  raison  humaine,  les  Actes  de 
l'assemblée  nous  l'apprennent;  l'histoire  du  concile  et 
le  texte  volé  nous  le  disent  encore  plus  clairement. 
Dans  un  moment  de  vivacité,  dont  la  sténographie  nous 
a  conservé  la  trace,  le  rapporteur,  comme  il  arrive,  dit, 
à  ce  sujet,  toute  sa  pensée.  Les  amendements  favorables 
au  traditionalisme  mitigé  se  multipliaient;  le  rappor- 
teur se  lassait  de  répéter  qu'on  parlait,  non  de  l'exer- 
cice, mais  des  principes  de  la  raison.  «  Si,  dans  ce 
sens,  ajouta-t-il,  on  ne  peut  pas  employer  l'expression 
de  «  lumière  naturelle  de  l'homme  »,  il  faudrait  biffer 
absolument  tous  les  livres  tant  des  théologiens  scolas- 
tiques  que  de  tous  les  autres.  »  Acla,  col.  238.  Le  rejet 
des  amendements  fut  acquis. 

La  position    même  des  controverses  que  le  concile 
avait  en  vue  de  terminer,  amenait  d'ailleurs  l'assemblée 
à  prendre  le  parti  qu'elle  prit  en  effet.  Par  raison,  tous 
ceux  que   le  concile  visaient,  entendaient  précisément 
ce  que   les  théologiens  et  les  philosophes,  qu'ils  com- 
battaient,  signifiaient    par  le  même  mot,  à  savoir  le 
pouvoir  des  idées   ou    concepts,  des  principes  et  des 
conclusions.  C'est  ce  pouvoir  dont  les  traditionalistes, 
les  kantistes  et  les  positivistes  contestaient  la  valeur 
objective    aux    cartésiens,    aux    rationalistes    comme 
Wegscheider   et  .luhs  Simon,    enfin    aux  théologiens 
catholiques.  Or,  comme  pour  niera  un  adversaire  sa 
position,  il  est   nécessaire  de  s'entendre  avec  lui  sur 
cette  position,  on  peut  dire  que  les  ennemis  de  la  raison 
i  atendaient  ce  mot  comme  ses  défenseurs.  Le  concile, 
s'il  eût  pris  le  mol  dans  un  sens  différent,  n'eût  atteint 
ni  les   traditionalistes,  ni  les  kantistes,  ni   les  positi- 
vistes ;  et  dan  agi  -  où  il  enseigne  contre  les 
rationalistes  les   limites  de  la  raison  et  ses  véritables 
rapports  avec   la   révélation,    il   eût  parlé  une  langue 
Inintelligible    <>n  objectera    que   le  concile  aurait  pu 
définir  sa    terminologie  et  par  là,  sans  parler  la  même 
langur-  que  ci  ux qu'il  condamnait,  les  atteindre.  On  en 
convient;  mais  il  ne  l'a  pas  fait,  les  Actes  de  l'assem- 
blée en  fonl  roi,  el  si  le  où  le  mot  raison  b'j 
trouve  employé  dans  le  sens  admis  par  les  adversaires 
sont  tns  nombreux,  nous  n'avons  pu  en  découvrir  au- 
cun où  le  concile  ait  produit  une  définition  spéciale  de  la 
raison, 

n   plus,  ce  qui  esl   dit  de  la   raison  dans  le  texte 

oguement  discuté  de  la    constitution    Dci   Filius 

confirme  ci    que  l'histoire  nous  apprend.  La  raison  y 

'      idéi     ou  i ■■  ipts,  puisqu'elle  est  le 

pouvoir  de  l'idée  de  Dieu,  objel   central  du  débat  avec 
d  ingi  r  M   1634.  Elle  eal  le  pou- 
voir des  princi]  ,iii<ini  le  vrai,  propter 

tant,  objet  que 
1   n'atteinl  pat  de  la   même    manière.  Denzinger, 
o.  163  oir  d'inférer  el  de  déduit 

elle  peut,  a)  indépi  adammenl  di 
la  fol,  atteindre  certaines  vérités    ur  Dl  lare 

dépendant    au    devoir  «le  la   fol,    Denzin 
n.  1618,   1688;    li  ta,  col.  503 


par  le  discours,  à  l'aide  du  raisonnement  par  analogie 
et  par  téléologie,  à  une  certaine  intelligence  des  mys- 
tères sans  toutefois  les  épuiser,  Denzinger,  n.  1644; 
c)  et  enfin  démontrer  les  fondements  de  la  foi  et  cul- 
tiver la  science  des  choses  divines,  ibid.,  n.  1658,  1646; 
tous  actes  qui  ne  vont  pas  sans  le  pouvoir  de  porter 
des  jugements  objectivement  valables  sur  la  nature 
intime  des  choses  et  de  Dieu.  Décidément,  à  défaut 
d'autre  mérite,  le  Programma  des  modernistes  italiens 
ne  manque  pas  de  clairvoyance,  quand  il  reconnaît  que 
l'idée  de  la  raison,  telle  qu'elle  est  exprimée  dans  le 
concile,  est  incompatible  avec  les  théories  modernistes 
sur  la  connaissance  philosophique,  scientifique  et  reli- 
gieuse. D'autre  part,  il  nous  parait  évident  que  le  texte 
du  concile  exprime  de  la  raison  un  concept  qui  ne  se 
réduit  pas  au  sens  commun.  C'est  que  le  concile,  qui 
n'avait  pas  de  l'objet  de  la  foi  et  de  la  philosophie  qu'il 
implique,  la  notion  exténuée  des  écrivains  français  que 
nous  réfutons,  ne  pouvait  pas  concevoir  comme  eux  le 
rôle  delà  raison. 

Si   maintenant   l'on    demande  sur    quel    fondement 
scripturaire  ou  patristique  le  concile  s'est  appuyé  pour 
parler  de  la  raison  dans  le  sens  philosophique,  bien  que 
non  systématique,  que   nous  venons  d'indiquer,  la  ré- 
ponse est  très  simple.  L'Écriture,  soit  dans  des    ma- 
tières faciles  à  tous,  soit  dans  des  matières  qui  dépas- 
sent l'intelligence  commune  et  vulgaire,  est  pleine  de 
quia,  enim,  ergo,  etc.  ;  or  ces  particules  n'ont  pas  de 
sens  sans  l'idée  de  la   raison  que  nous  avons  décrite 
Au  début  du  xvnc  siècle,  quelques  controversistes  fran- 
çais imaginèrent  d'acculer  les  protestants,  qui  préten- 
daient s'en  tenir  à  la  Bible  seule,  à  l'absurde  et  au  si 
lence,  en  leur  refusant  de  raisonner  d'aucune  façon  sur 
l'Écriture,  sous  le  prétexte   que   l'Écriture    ne  donne 
nulle  part  les   règles  de  la  logique  et  «  les  formes  de 
conséquence  »;  par  conséquent,  disaient-ils  aux  protes- 
tants,   en   raisonnant   même  exclusivement   avec   des 
textes    d'Écriture,    vous    allez    contre    votre   premier 
principe  sur  la   règle  de    foi,  qui  est    la  Bible  seule. 
Cf.   Chossat,  Les  jésuites  el  leurs  œuvres  à  Avignon, 
Avignon,  1896,  p.  20Ô.  Celte  chicane  embarrassa   peut- 
être  le  premier  huguenot  auquel  on  la  fit,  mais  l'Église 
n'approuva  pas  cette  nouvelle  apologétique,  qui  se  pla- 
çait en  dehors  du    bon  sens  et  aussi  en  dehors  de  la 
tradition.  Les  Pères  ont  raisonné  beaucoup  sur  Dieu  et 
sur  les  choses  divines;  ils  ont  employé  la  raison  pour 
pénétrer  et  pour  exposer  les  «  conséquences  »  que  nous 
propose   l'Écriture,  par  exemple,  la  métaphysique  des 
attributs  divins  de  la  seconde  partie  d'Isaïe;  ils  ont  de 
plus  tenu  pour  valables  les  conclusions  aussi  bien  que 
les  principes  de  ces  conséquences.  La  réflexion  philo- 
sophique chrétienne  n'a  pas  eu  de  peine  à  tirer  de  ces 
faits    la  notion    de    raison,  telle    qu'elle    est  exprimée 
dans  le  concile  du  Vatican.  Et,  comme  le  disait  le  rap- 
porteur,  si  l'on   ne  veut  pas  admettre  celle  notion,  il 
faut  fermer  tous  les  livres  anciens  et  modernes. 

2.  Bien  que  le  concile,  quand  il  parle  de  noire  j 
voir  de  connaître  Dieu  naturellement,  entende  le.  mot 
raison  au  sens  philosophique  indiqué,  cependant  il  ne 
définit  pas  que  oe  pouvoir  toit  un  pouvoir  d'inférence, 
soit  médiate,  soit  immédiate.  —  Ce  point  demande  A 
être  étudié  afin  d  éviti  rtouti  ition  dans 

Usures,  afin    aussi  de    diminuer    les  équivoques 

nombreuses    auxquelles    la     position    du     eourilr.    m. il 

comprise,  a   donné  lieu.   Quelques  uns,  en  effet,  rai- 

nl  ainsi  :  Dans  ou  il  s'agit  de  la 

première  connaissance  de  Dieu,  le  concile  a  entendu 

le  '  in  on  dani  un  len    très  lâche, puisqu'il  n'a  pas 

voulu  définir  que  la  raison  puisse  démontrer,  ou  d 
pronvi  r,  l'<  de  Dieu,  n  boi  né  I  dire 

qu'elle  peut  connaître  Dieu  avec  certitude  Donc  le  mol 
m  sens  le  plu-  1  ulgaire  ir  être  d'accor  1 

avec  le  concile.  Rappelons  les  faits,  leurs  raisons  d 


847 


DIEU    (CONNAISSANCE   NATURELLE   DE) 


848 


et  examinons  les  conséquences  qu'on  en  a  déduites. 
a)  Les  faits.  —  II  est  certain  que  les  mois  prouver  et 
même  démontrer  ont  été  proposés,  que  quelques  amen- 
dements en  réclamèrent  l'insertion.  Acta,  col.  1631, 
li;r>;i  sq.,  121.  Il  est  certain  également  que  la  commis- 
sion du  concile  ne  voulut  pas  proposer  ces  termes  à  la 
délibération,  qu'en  fait  ils  ne  furent  pas  proposés  el 
qu'un  amendement  qui  les  introduisait  fut  rejeté.  Acla, 
col.  76,  132.  Quamvis  aliquatenus  cerlo  cognoscere  el 
demonstrare  sit  unum  idemque,  tanien  phrasim  nii- 
tiorem  depulatio  de  /ide  sibi  eligendam  censuit  et  non 
islam  duriorem,  déclara  le  rapporteur.  Il  n'est  donc 
pas  de  foi  délinie  :  a.  que  le  pouvoir  physique  que 
nous  avons  de  connaître  Dieu  par  les  créatures  implique 
nécessairement  une  inférence  soit  immédiate  soit  a  for- 
tiori médiate;  et  sur  ce  point  nous  ne  pouvons  pas 
arriver  à  comprendre  comment  le  P.  Buonpensiere  peut 
écrire  que  la  démonstrabilité  de  Dieu  est  un  dogme  de 
foi  depuis  la  délinition  du  Vatican.  Commentaria  in 
/a«  partem,  Borne,  1902,  p.  110,  n.  160,  163.  —  b.  11 
n'est  pas  davantage  défini  que  la  certitude  de  l'exis- 
tence de  Dieu,  à  laquelle  nous  avons  le  pouvoir  phy- 
sique de  parvenir  par  la  raison  naturelle,  soit  entière- 
ment et  exclusivement  fondée  sur  une  inférence  immé- 
diate ou  médiale,  même  implicite. 

Je  ne  trouve  sur  ces  deux  points  aucun  désaccord 
ferme  chez  les  théologiens  catholiques.  C'est  la  raison 
pour  laquelle  ils  conviennent  par  exemple  que  l'idée 
innée  des  cartésiens,  le  passage  du  fini  à  l'infini  du 
P.  Gratry,  le  procédé  métalogique  des  gùnthériens,etc, 
et  d'un  autre  côté  la  doctrine  de  l'illumination  de  saint 
Augustin,  voir  Augustin,  t.  i,  col.  2336,  celle  de  la  pur- 
gation,  ibid.,  col.  2332,  celle  qui,  avec  Vasquez,  re- 
quiert une  grâce  naturelle  pour  la  première  connaissance 
de  Dieu,  Vasquez,  In  7am,  disp.  XCVII,  c.  V,  surtout 
n.  33;  cf.  disp.  I,  n.  15;  disp.  XIX,  n.  9,  etc.,  ne  sont 
pas  condamnées  par  le  concile.  Scheeben,  qui  a  fort 
bien  exposé  cette  question,  La  dogmatique,  t.  n,  n.  14- 
20,  n'en  excepte  pas  même  la  théorie  mystique  du  ca- 
pucin Juvenalis  Ananiensis,  Sol  inlelligentix,  Paris, 
1876,  p.  343,  d'après  laquelle  nous  connaissons  Dieu 
sans  inférence  même  immédiate  à  travers  le  miroir  inté- 
rieur de  l'âme. 

Mais  il  faut  bien  remarquer  :  a.  qu'une  doctrine  peut 
n'être  pas  définie  par  un  concile,  et  cependant  apparte- 
nir à  la  foi;  la  raison  en  est  que,  pour  appartenir  à  la 
foi,  une  doctrine  n'a  pas  besoin  d'avoir  été  définie,  il 
suffit  qu'elle  soit  contenue  dans  l'Écriture  ou  dans  la 
tradition.  Nous  avons  d'ailleurs  déjà  dit  que  les  con- 
ciles se  bornent  ordinairement  à  définir  ce  qui  est  stric- 
tement requis  pour  écarter  les  erreurs  qu'ils  ont  en 
vue,  et  telle  fut  l'intention  explicite  du  dernier  concile. 
Acla,  col.  84.  Ne  peuvent  s'en  étonner  ou  s'en  plaindre 
que  ceux  qui  ont  la  mentalité  de  ce  théologien  angli- 
can, converti  au  catholicisme,  qui  dans  son  zèle  de 
néophyte  aurait  voulu  que  chaque  matin  le  Times  lui 
apportât  une  définition  ex  cathedra;  mais  telle  n'est 
pas  la  mentalité  ordinaire  des  théologiens,  encore 
moins  celle  des  modernistes.  —  b.  Une  doctrine  peut 
n'être  ni  définie,  ni  explicitement  contenue  dans  le 
dépôt  de  la  foi,  et  cependant  toucher  à  la  foi  ou  être 
théologiquement  certaine.  Il  est  vrai  que  le  concile  n'a 
pas  défini  que  la  raison  pour  connaître  Dieu  fasse  une 
inférence,  ni  que  toute  la  certitude  que  nous  avons  na- 
turellement de  l'existence  de  Dieu  soit  fondée  sur  une 
inférence;  mais  abstraheiitium  non  est  mendacium, 
c'est-à-dire  ne  pas  spécifier  n'est  pas  nier.  Dans  le  cas 
particulier,  d'ailleurs,  bien  que  le  concile  n'ait  rien 
défini  sur  ces  deux  points,  l'histoire  du  concile  nous 
montre  qu'en  ne  spécifiant  pas,  l'assemblée  n'avait  pas 
l'intention  de  nier.  On  y  parla  plus  d'une  fois  officielle- 
ment des  preuves  de  l'existence  de  Dieu;  nous  avons 
entendu    le    rapporteur    explicitement    affirmer    que 


»  jusqu'à  un  certain  point,  aliquatenus,  connaitreavoc 
certitude  et  démontrer  sont  une  seule  et  même  cho- 
Acla,  col.  132.  Enfin,  le  concile  renvoya  aux  décisions 
pontificales  antérieures.  Or,  hautain  et  Bonnette  avaient 
dû  >igner,  entre  autres,  ces  propositions  :  «  Le  raison- 
nement peut  prouver  avec  certitude  l'existence  deDieu 
el  l' infinité  de  ses  perfections.  —  Quelque  faible  et 
obscure  que  soit  devenue  la  raison  par  le  péché  origi- 
nel, il  lui  reste  assez  de  clarté  et  de  force  pour  nous 
guider  avec  certitude  à  l'existence  de  Dieu.  .etc.  Voir 
Hautain,  ou  Denzinger,  10e  édit.,  n.  1622,  1627.  Ratio- 
nis  usus  fidem  prsecedil,  et  ad  eam  hominem  ope  re- 
velationis  et  graliœ  conducil.  Voir  Bonnetty,  et 
Denzinger,  n.  1507.  Donc  le  concile,  en  ne  spécifiant 
pas  dans  sa  définition  quel  acte  de  la  raison  intervient 
dans  la  connaissance  naturelle  de  Dieu,  n'a  pas  voulu 
faire  une  proposition  exclusive  de  l'inférence  et  du 
raisonnement.  De  même,  en  n'excluant  pas  nécessaire- 
ment par  le  mot  naturel  toute  espèce  de  secours  sub- 
jectif —  voir  plus  loin  col.  861  —  son  intention  n'a 
pas  été  de  faire  entendre  que  ces  secours  sont  néces- 
saires, soit  pour  le  fait,  soit  pour  la  certitude  de  cette 
connaissance. 

b)  Raisoyis  de  la  réserve  du  concile.  —  Il  est  facile 
de  se  rendre  compte  pourquoi  le  concile  s'est  tenu  sur 
cette  réserve,  a.  soit  que  l'on  considère  le  but  qu'il 
poursuivait;  b.  soit  qu'on  tienne  compte  de  l'état  des 
documents  traditionnels;  c.  et  de  ce  que  nous  enseigne 
l'Écriture. 

a.  Le  concile,  nous  l'avons  déjà  dit  plusieurs  fois, 
ne  voulait  définir  que  ce  qui  suffisait  à  atteindre  les 
erreurs  à  la  mode.  Acla,  col.  84.  Or,  ces  erreurs,  bien 
que  pour  des  raisons  très  diverses,  s'accordaient  à  nier 
le  pouvoir  et  la  valeur  de  la  raisoii.  Il  suffisait  donc 
d'affirmer  que  la  raison  est  le  moyen  subjectif  de  con- 
naître Dieu,  sans  qu'il  fût  nécessaire  de  préciser 
davantage. 

b.  Il  est  très  facile  de  montrer  dans  l'Écriture  et 
dans  la  tradition  que  la  connaissance  de  Dieu  peut 
s'obtenir  par  voie  de  causalité  et  par  conséquent  par 
une  inférence  comme  en  font  même  les  simples,  sinon 
par  un  syllogisme  à  la  manière  des  doctes.  Cf.  S.  Tho- 
mas, Sum.  theol.,  Ia,  q.  xn,  a.  12;  q.  XIII,  a.  10,  ad5um; 
De  veritale,  q.  x,  a.  12,  ad  lum;  In  Boeth.,  de  Trinit., 
q.  i,  a.  3,  ad  6um.  Saint  Thomas  enseigne  que  la  pre- 
mière idée  de  Dieu  nous  vient  par  cette  voie.  Il  n'est 
pas  difficile  de  trouver  chez  les  Pères  nombre  de  pas- 
sages qui  indiquent  la  même  origine  psychologique  à 
la  toute  première  idée  de  Dieu.  Mais  il  ne  serait  pas 
facile  de  faire  la  preuve  qu'il  y  a  consentement  des 
Pères  pour  attribuer  exclusivement  à  une  inférence  la 
première  idée  certaine  de  Dieu,  que  l'homme  a  ou 
peut  avoir.  Saint  Thomas  sur  ce  point  est  très  réservé; 
car  certains  raisonnements  de  saint  Augustin  l'embar- 
rassent, et  bien  qu'il  les  fasse  de  son  mieux  rentrer 
dans  son  système,  cf.  par  exemple,  Cont.  gent.,  1.  III, 
c.  xlvii,  il  écrit  cependant  avec  beaucoup  de  prudence  : 
Est  ijuxdam  communia  et  confusa  Dei  cognitio,  qux 
quasi  omnibus  liominibus  adesl,  sive  hoc  sit  quod 
Deum  esse  sit  per  se  nolum,  sicut  alia  demonstratio- 
uis  principia,  ut  quibusdam  videlur  [ut  in  llibro,c.  x, 
dictum  est),  sive  quod  magis  ver  uni  videlur  —  voilà 
ce  que  saint  Thomas  pense  de  sa  propre  opinion  — 
quia  naturali  ratione  —  par  une  inférence  —  in  ali- 
qualem  Dei  cognilionem  pervenire  potest.  Et  aussitôt 
saint  Thomas,  comme  procédé  de  cette  inférence,  in- 
dique la  considération  de  l'ordre  du  monde. Cont. gent., 
1 . III,  c.  xxxvm.  Cf.  Schmid,Die  thomistischeund  sco- 
listische  Gewissheilslehre,  Dillingen,  1859.  Exposons 
l'état  du  problème. 

Qu'on  lise  la  plume  à  la  main  les  auteurs  nombreux 
qui  depuis  trois  ou  quatre  cents  ans  ont  construit  des 
systèmes  sur  la  première  idée  de  Dieu,  on  remarquera 


849 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE) 


850 


que  les  séries  de  textes  qu'ils  apportent  sont  toujours 
les  mêmes.  Thomassin  a  ramassé  beaucoup  de  textes 
en  faveur  des  idées  innées.  Vers  la  même  époque,  l'ora- 
torien  Martin  se  servait  des  mêmes  textes  en  faveur  de 
la  thèse  janséniste,  à  savoir  que  sans  une  grâce  surna- 
turelle nous  ne  sommes  pas  capables  d'une  bonne 
pensée,  même  naturelle,  et  par  conséquent  pas  de  la 
pensée  de  Dieu.  Cf.  de  Rochemonteix,  Le  collège 
Henri  IV  de  la  Flèche,  Le  Mans,  1889,  t.  iv,  p.  231, 
233,  235.  Or  qu'est-il  arrivé?  Au  xixe  siècle,  un  ontolo- 
gisle  ardent,  l'abbé  Fabre,  a  réédité  l'ouvrage  de 
Martin,  en  y  changeant  seulement  le  titre  de  quelques 
chapitres,  et  il  a  fait  de  l'ouvrage  une  «  démonstra- 
tion »  de  l'ontologisme.  Les  mêmes  textes  se  retrouvent 
chez  le  mystique  capucin  Ju vénal,  Sol  intelligentiœ, 
1686,  et  en  partie  chez  Malebranche;  le  môme  abbé 
Fabre  n'a  pas  manqué  d'enrichir  la  littérature  ontolo- 
giste  d'une  réédition  enthousiaste  de  Juvénal.  Rossuet 
appuyait  sur  une  partie  de  ces  mêmes  textes  l'argument 
des  vérités  éternelles,  pendant  que  bon  nombre  de 
scolastiques  en  faisaient  usage,  comme  leurs  prédéces- 
seurs, pour  soutenir  que  l'idée  de  Dieu  est  per  se  nota 
et  que  l'argument  de  saint  Anselme  est  patristique.  De 
nos  jours,  Staudenmayer,  Kuhn  ont  puisé  aux  mêmes 
sources  et  ont  abouti  à  des  vues  plus  ou  moins  nou- 
velles. Voilà  donc,  pour  les  mêmes  séries  de  textes, 
huit  interprétations,  et  il  faudrait  y  ajouter  celle  de 
saint  Bonavcnture,  celle  de  saint  Thomas,  celle  de 
Vasquez,  etc.  On  sait  enfin  que  les  modernistes  ap- 
portent leur  interprétation,  à  la  suite  des  érudits  alle- 
mands qui  travaillent  à  donner  au  protestantisme  libé- 
ral uneassielte  traditionnelle.  Ces  faits  sont  indéniables. 

L'accord  n'est  pas  encore  complètement  fait  parmi 
les  érudits  sur  la  portée  réelle  de  ces  séries  de  textes, 
bien  que,  d'une  manière  générale,  on  s'accorde  à  les 
rattacher  aux  doctrines  platoniciennes,  solution  que 
saint  Thomas  avait  déjà  entrevue  à  propos  des  Noms 
divins  du  pseudo-Denys.  Déjà  nos  collaborateurs  ont 
donné,  dans  les  articles  parus,  le  sens  objectif  de  ces 
formules  palristiques,  et  nous  sommes  sur  que  ce 
que  nous  écrivons  ici  ne  gênera  aucun  des  rédacteurs 
des  futurs  articles  et  que  tous  continueront  à  traiter 
scientifiquement  une  question  scientifique.  Voici,  en 
quille  est  la  position  des  théologiens  sur  ce  su- 
jet; elle  explique  pourquoi  le  concile  s'esl  abstenu  de 
rien  spécifier  sur  la  nature  de  l'acte  de  la  raison  par 
h  quel  nous  connaissons  Dieu  par  les  lumières  natu- 
relles. 

Des  Ion;.  de  textes  où  les  Pi  res  parlent  de 
la  première  idée  naturelle  de  Dieu  même  chez  les 
païens,  les  théologiens  concluent  à  la  certitude  théolo- 
gique  de  la  Ihèse  qui  enseigne  une  connaissance  natu- 
relle. Bponlanée,  de  Dieu.  Les  Pères  du  Vatican  con- 
naissaient  parfaitement  cette  doctrine  solidement  établie 
depuis  le  xvr  siècle  contre  li  -  prolestants.  Ensuite, 
dans  un-  traités  d<  théologie,  nous  prouvons  que  pour 
|uerla  genèse  de  cette  idée  spontanée  de  Dieu,  on 
ne  démontre  pas  le  consentement  di  s  Pi  res  soil  pour 
l'inn  il  pour  l'ontologisme,  soil  pour  l'illumi- 
nation, Boil   pour  la  purgation,  soil    i r  l'argument 

ii  même  pour  celui  qui  perle 
le  nom  de  saint  Anselme,  etc.  Et,  pour  administrer 
preuve  aux  unilatéraux  ou  :mx  esprits  systéma- 
tiques en  quête  de  parrains,  il  sufBl  de  prendre  les 
lexti  s  dans  leur  sens  objectif,  tel  qu'on  peut  le  déter- 
miner par  l'application  rigoureuse  de  la  méthode  his- 
torique  Di  cette  enquête  les  théologien  concluent 
qu'aucune  dei  interprétations  de  Martin,  de  Juvénal 

Hune   doctrine  catholique,  lia  fonl  re- 
[uer  ensuit)  qui  le    Pèrea  n'ont  pas  parlé  au 
isif,  m. us  qu'ils  ont  admis  it   employé,  a  coté  de 
léa  qui  leur  sont  spéciaux,  la  voie  ordl 

-lé  qui  a     îles     fondements    précis  dani 


l'Écriture.  Mais,  de  cette  enquête,  il  ne  résulte  pas 
que  nous  ayons  la  clef  de  tous  les  passages  des  Pères 
discutés;  et  par  suite,  la  preuve  n'est  pas  faite  que 
le  consentement  unanime  des  Pères  ait  exclusive- 
ment considéré  la  première  idée  de  Dieu  comme  pro- 
venant d'une  inférence.  Et  voilà  pourquoi  la  commis- 
sion du  concile,  qui  n'était  pas  composée  d'ignorants, 
refusa  de  préciser  que  notre  première  idée  de  Dieu  — 
il  s'agissait  de  celle-là  contre  les  traditionalistes  —  est 
due  à  une  inférence  médiate  ou  même  immédiate. 

Quand  il  s'agit  de  la  première  connaissance  certaine 
de  l'existence  de  Dieu,  outre  la  difficulté'  générale  inhé- 
rente à  cette  sorte  de  questions  —  qui  se  souvient  de 
l'heure  où  il  eut,  à  un  âge  où  il  n'était  pas  capable  de 
retour  réfléchi  et  méthodique  sur  ses  actes  intérieurs, 
la  première  idée  de  cause,  d'addition,  de  multiplication, 
et  qui  peut  reconstituer  la  psychologie  de  cet  instant? 
—  il  est  une  autre  difficulté  qui  vient  de  la  singularité 
du  cas  de  cette  idée  :  a.  L'idée  de  Dieu  comme  celle, 
par  exemple,  de  la  réalité  objective  du  monde  extérieur, 
est  spontanée.  On  veut  dire  par  là,  non  seulement 
qu'elle  parait  de  bonne  heure,  mais  qu'elle  jaillit  de 
notre  nature  raisonnable  un  peu  à  la  manière  des  pre- 
miers principes  de  la  raison  ;  qu'elle  trouve  de  l'écho  dans 
les  plus  profonds  replis  de  notre  nature  raisonnable, 
morale  et  religieuse,  puisqu'elle  donne  la  réponse  au 
besoin  inné  d'assigner  une  dernière  cause  à  tout,  puis- 
qu'elle explique  ou  fait  naître  le  sentiment  de  l'obli- 
gation, puisqu'elle  assigne  un  objet  à  la  conscience  de 
notre  dépendance,  à  ce  fond  d'amour  respectueux  et 
de  désir  du  bonheur  qui  sommeillent  en  nous.  On  veut 
dire  enfin  qu'elle  est  facile  et  s'harmonise  avec  les  prin- 
cipes de  la  raison,  au  point  que,  si  elle  implique  un 
procédé  logique,  il  est  à  peine  perceptible.  —  h.  A  l'in- 
verse de  ce  qui  arrive  pour  la  plupart  de  nos  idées 
primitives,  la  genèse  de  l'idée  de  Dieu  est  susceptible 
de  plusieurs  explications,  suivant  qu'il  s'agit  de  la  con- 
naissance confuse  de  Dieu,  ou  d'une  connaissance  plus 
développée.  On  a  ou  on  n'a  pas  l'idée  de  cause.de  ligne 
droite;  sans  doute,  on  peut  faire  et  on  fait  des  progrès 
dans  ces  sortes  de  concepts,  mais  la  notion  primitive 
reste  identique,  et  l'explication  réflexe  el  consciente 
qu'on  se  donne  de  celle  notion  n'est  que  le  développe- 
ment île  la  perception  primitive  de  l'activité  causale,  du 
quantum,  Au  contraire,  l'idée  de  Dieu  admet  bien  des 
degrés  dont  le  contenu  est  le  même  objet,  mais  fort 
diversement  connu  ;  et  on  n'arrive  pas  à  chacun  di 
degrés  par  le  même  procédé.  On  peut,  en  effet,  parler 
île  la  connaissance  de  Dieu  par  pures  dénominations 
extrinsèques  :  par  exemple,  la  cause  défait  de  cet  uni- 
vers; ou  s'élever  à  une  connaissance  de  sa  nature  in- 
trinsèque :  par  exemple,  la  cause  de  droit  de  tout  ce 
qui  est;  et  cette  dernière  connaissance  sera  plus  ou 
inoins  parfaite,  suivant  qu'elle   représentera   Dieu  plus 

ou  moins  nettement,  personnel,  libre,  infini,  provident, 
bon,  etc.  Or,  ces  différentes  connaissances  de  Dieu  ne 
se  justifient  pas  philosophiquement  de  la  même  façon. 

Les   théologiens  l'ont  bien  VU,  qui  admettent  avec  saint 
Thomas  qu'il  y  a  une  connaissance   île  Dieu  rudi li- 
tres facile  à   tous;  et   une  autre  qui  demande  les 

plus  grands  efforts  de  la  pensée  philosophique.  Cont. 
gent.,  I.  I,  c.  iv.  Cf.  Dictionnaire  apologétique  de  i<< 
foi  catholique,   1910,  t.  t.  col.  Il  sq.,  58.       c,  lutin. 

comme    le    remarque   très   finement  Selieeb'  II.    Lu  1/117- 

matique,  t.  11.  p.  20,  n.  28.  quel  qu'il  soit.  "  le  moyen 
par  lequel  nous   nous  formons  l'idée  de  Dieu  1 
même  par  lequel  nous  arrivons  a  la  certitude  d 
réalité  objective,  et  nous  ne  pouvons  pas  admettre  que 

1  idée  que  nous  avons  'te  lu.  u  soil  vraie  el  légili m 

idmettre  l'i  de  Dieu.  1  Scheeben  1 1 

pliqne,  i  l'aide  de  cette  double  remarque,  ['illusion  '!• 
ceux  qui  admettent  la  valeur  de  l'argument  de  saint 
\n-i  luie,  parce  qu'en  fait  l'i  ti  [ble 


851 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE) 


852 


qu'autant  qu'il  existe  réellement,  ot  parce  que  nous  ne 
pouvons  pas  concevoir  Dieu  comme  cause  première  el 
nécessaire  sans  le  supposer  lui-même  existant.  Il  suffit 
d'étendre  cette  observation  à  d'autres  arguments  moins 
célèbres,  mais  également  historiques,  et  de  la  joindre 
aux  deux  singularités  précédentes  pour  comprendre 
les  explications  variées  des  Pères  sur  la  genèse  de  la 
première  idée  de  Dieu. 

En  effet,  tous  ne  parlent  point,  et  le  même  Père,  par 
exemple  saint  Augustin,  ne  parle  pas  toujours  de  la 
même  espèce  de  connaissance  de  Dieu  :  d'où  le  besoin 
chez  les  Pères  comme  chez  les  scolastiques,  de  proposer 
des  arguments  très  différents.  En  second  lieu,  le  fait 
que  l'idée  de  Dieu  trouve  un  écho  profond  dans  notre 
conscience  amena  ces  écrivains  à  donner  souvent  une 
grande  importance  au  procédé  par  lequel,  d'une  ma- 
nière réflexe,  on  peut  remonter  à  Dieu  en  partant  de 
la  conscience  morale  et  de  la  vie  religieuse  :  toutes 
choses  qui,  elles  aussi,  font  partie  du  pcr  ea  quœ  facla 
sunt.  Entrer  dans  cette  voie  était  d'autant  plus  naturel 
que  la  grande  facilité  et  la  grande  limpidité  de  la  con- 
naissance rendent  peu  perceptible  le  procédé  psycho- 
logique qui  y  intervient.  Si  l'on  joint  à  ces  observations, 
qu'il  est,  dans  le  cas  singulier  dont  il  s'agit,  très  facile 
de  s'illusionner  sur  «  la  valeur  de  preuve  »  des  argu- 
ments d'allure  scientifique,  réflexe  et  consciente  que 
l'on  apporte;  et  si  l'on  ajoute,  d'une  part,  que  les 
Pères  n'emploient  pas  de  formules  exclusives,  comme 
font  tant  de  modernes,  d'autre  part,  que  pour  eux  qui, 
ainsi  que  les  théologiens,  n'admettaient  pas  facilement 
l'absence  de  toute  idée  de  Dieu  dans  l'âme,  les  preuves 
scientifiquement  développées  étaient  beaucoup  plus 
des  moyens  d'écarter  les  doutes  ou  de  parvenir  à  une 
connaissance  plus  parfaite,  que  des  recettes  pour  faire 
naître  la  première  conviction  de  l'existence  de  Dieu; 
on  se  rendra  compte  de  l'état  de  la  littérature  patris- 
tique,  et  de  la  réserve  très  prudemment  scientifique  de 
saint  Thomas,  du  concile  du  Vatican  et  des  théologiens 
qui  les  suivent. 

c.  Une  dernière  raison  de  cette  réserve  est  l'état  des 
données  scripturaires.  L'Écriture  propose,  il  est  vrai, 
des  arguments  en  faveur  de  l'existence  de  Dieu,  mais 
sans  dire  partout  que  ces  arguments  nous  en  donnent 
la  première  idée.  Or,  si  le  débat  contre  les  kantistes  et 
les  positivistes  s'étend  aussi  à  ces  arguments,  la  con- 
troverse avec  les  traditionalistes  roulait  surtout  sur 
la  première  idée  de  Dieu.  D'ailleurs,  décider  de  la 
première  idée  à  l'aide  d'un  texte  révélé,  c'était  tran- 
cher dans  leurs  racines  profondes  toutes  les  difficultés 
pseudo-théologiques  sur  les  suites  de  la  chute 
qu'avaient  soulevées  Luther,  Calvin,  Illyricus,  etc., 
Jansénius,  Pascal,  Quesnel,  etc.,  Hautain,  etc.  ;  c'était 
ruiner  toutes  les  prétentions  du  pseudo-mysticisme 
contre  la  connaissance  rationnelle  en  matière  religieuse; 
c'était  juger  les  doctrines,  diverses  en  apparence,  mais 
se  réduisantau  fond  au  nominalisme,  que  différents  phi- 
losophes employaient  pour  ruiner,  soit  la  possibilité, 
soit  la  valeur,  et  de  l'idée  rationnelle  de  Dieu  et  des 
arguments  classiques  en  faveur  de  son  existence.  Or, 
deux  passages  de  l'Écriture,  Sap.,  xm  ;  Rom.,  i,  18  sq.; 
spécialement  ce  dernier,  permettaient  de  décider  dog- 
matiquement les  controverses  pendantes;  la  tradition 
était  d'ailleurs  ferme  sur  le  sens  du  texte  de  saint  Paul. 
Saint  Irént'e  et  Tertullien  s'en  servent  déjà  contre 
l'agnosticisme  des  gnostiqucs.  Cf.  Irénée,  Conl.  Iiœr., 
1.  IV,  c.  vi,  P.  G.,  t.  vu,  col.  939,  1061;  Tertullien,  Adv. 
Herruogen.,  c.  xuvsq.,  P.  L.,  t.  n,  col.  238.  Dans  l'Épitrc 
aux  Romains,  saint  Paul  veut  montrer  que  les  jugements 
de  Dieu  sont  justes,  soit  sur  les  Juifs,  qui  ont  la  révéla- 
tion, soit  sur  les  païens,  qui  ne  l'ont  pas.  La  conduite 
de  Dieu  à  l'égard  des  païens  est  juste  :  «  Car  la  con- 
naissance de  Dieu  est  à  leur  portée;  Dieu,  en  effet,  la 
leur  a  clairement  proposée.  Car,  depuis  la  création  du 


inonde,  les  attributs  invisibles  de  sa  nature,  à  savoir 
son  éternelle  puissance  et  sa  divinité,  sont  vus  claire- 
ment dans  la  connaissance  intellectuelle,  voovixevcc,  qui 
les  perçoit  à  l'aide  des  choses  qui  ont  été  faites,  et  de 
la  sorte  ils  sont  inexcusables  eux  qui,  ayant  connu 
l)ieu,  n'ont  pas  voulu  l'honorer.  »  Ce  texte  est  décisif. 
Acta,  col.  520.  L'homme  déchu  —  et  par  conséquent 
l'homme  dont  s'occupe  la  philosophie,  qui  n'en  connaît 
pas  d'autre  —  a  le  pouvoir  de  connaître  Dieu  avec 
certitude  par  la  raison  naturelle;  avec  certitude,  parce 
que  s'il  y  avait  impossibilité  d'exclure  le  doute,  il  n'y 
aurait  pas  obligation  et  responsabilité  morale;  par  la 
raison,  parce  que  ce  mot  désigne  le  pouvoir  de  former 
des  concepts  objectifs,  et  parce  que  si  directement  ou 
indirectement  la  connaissance  de  Dieu  n'était  pas  ra- 
tionnelle, les  doutes  sur  sa  valeur  seraient  légitimes, 
et  l'homme  athée  ne  serait  pas  sans  excuse.  Tout  cela 
est  impliqué  et  dans  le  texte  de  saint  Paul  et  dans  la 
formule  du  concile  qui  allègue  ce  texte.  Cependant  — 
et  c'est  ce  que  nous  voulions  faire  remarquer  —  saint 
Paul  n'entre  pas  dans  le  dernier  détail  quant  à  la 
nature  du  procédé  psychologique  et  logique  par  lequel 
l'homme  connaît  Dieu  au  moyen  des  créatures.  Le  con- 
cile, qui  s'appuie  spécialement  sur  ce  texte,  a  voulu 
rester  dans  la  même  indétermination. 

c)  Examen  des  conséquences  déduites.  —  Tels  sont 
les  faits  et  leur  raison  d'être.  Suit-il  de  là  que  toute  théo- 
rie de  la  connaissance  religieuse  s'accorde  avec  l'Ecri- 
ture, la  tradition  et  le  texte  du  concile?  Suit-il  de  là  qu'on 
est  en  règle  avec  le  concile,  si,  avec  les  modernistes,  on 
soutient  que  la  première  idée  objectivement  valable  de 
Dieu  nous  vient  d'une  expérience  qui  n'a  rien  de  ration- 
nel; si  l'on  concède  aux  protestants  libéraux  que  II  lie 
est  la  transcendance  divine  que  la  raison  est  impuis- 
sante à  s'en  former  une  idée  valable,  pourvu  qu'on 
ajoute  que  l'immanence  divine  est  telle  que  l'homme 
prend  conscience  de  l'action  de  Dieu  sur  lui?  etc.  Suit- 
il  de  là  enfin,  comme  plusieurs  écrivains  français  le 
prétendent,  qu'on  est  en  règle  avec  le  concile,  si  l'on  se 
contente  du  simple  bon  sens  vulgaire  pour  expliquer 
la  première  idée  de  Dieu  ?  En  répondant  à  ces  questions, 
nous  ferons  connaître  pourquoi  les  théologiens  jugent 
qu'il  n'en  est  pas  ainsi. 

Pour  n'avoir  plus  à  y  revenir,  disons  d'abord  que  les 
écrivains  français  qui  insistent  tant  sur  le  simple  bon 
sens  sont  en  règle  avec  le  concile,  pourvu  que  le  bon 
sens  dont  ils  parlent  soit  bien  un  pouvoir  de  connaître 
objectivement  valable,  et  pourvu  qu'on  ne  donne  pas  à 
l'appel  au  bon  sens  un  sens  exclusif.  Ils  sont  en  règle 
avec  le  concile  sur  la  première  idée  certaine  de  Dieu, 
parce  que  les  théologiens  qui  admettent  l'universalité 
de  la  connaissance  de  Dieu  ne  requièrent  pas  autre  chose 
que  le  sens  commun,  le  bon  sens  vulgaire,  pour  qu'on 
y  arrive.  Mais  il  ne  faut  pas  que  ce  simple  bon  sens 
soit  limité  à  un  pouvoir  de  connaître  qui  ne  peut  pas 
arriver  à  une  affirmation  ferme  et  précise  sur  la  nature 
intrinsèque  de  Dieu,  par  exemple,  sur  la  personnalité' 
divine;  car  le  concile  a  défini  le  pouvoir  de  connaître 
Dieu  de  façon  à  commencer  la  vie  morale  et  religieuse, 
et  cela  se  trouve  dans  le  texte  même  de  saint  Paul.  Il 
ne  faut  pas  non  plus  que  ce  bon  sens  soit  opposé  en 
un  sens  exclusif  à  la  raison  discursive,  par  laquelle 
nous  arrivons  ou  pouvons  arriver,  même  sans  la  foi,  à 
une  connaissance  plus  développée  de  Dieu,  à  ce  que  le 
concile  appelle  à  deux  reprises  au  moins  la  «  science» 
de  Dieu.  Denzinger,  n.  1616,  1658.  Or.  malheureusement, 
les  écrivains  dont  nous  parlons  ont  quelquefois  oublié 
ces  conditions  d'un  langage  correct  en  ces  matières. 
Ajoutons  qu'on  peut  être  en  règle  avec  la  définition 
conciliaire  entendue  rigoureusement,  c'est-à-dire  ne 
pas  être  hérétique,  et  cependant  ne  pas  satisfaire  à 
toutes  les  conditions  d'orthodoxie;  cela  résulte  assez 
de  ce  que  nous  avons  rapporté  de  l'enseignement  de 


853 


DIEU    (CONNAISSANCE   NATURELLE    DE; 


854 


l'Écriture  et  des  Pères  sur  les  preuves  rationnelles  de 
l'existence  de  Dieu.  Cf.  Franzelin,  De  Deouno,  th.  vr. 
Quant  aux  modernistes,  ils  ont  été  condamnés,  en  ce 
qui  concerne  le  point  spécial  qui  nous  occupe  ici  : 
a.  à  cause  de  leurs  formules  exclusives;  b.  à  cause  de 
leurs  conclusions  agnostiques. 

a.  Formules  exclusives  des  modernistes.  —  L'Ecri- 
ture, les  Pères  et  le  concile  désignent  comme  le  moyen 
objectif  de  connaître  Dieu  les  créatures,  e  rébus  crea- 
lis,per  ea  quse  factasunt,  et  cela  comprend  sans  doute 
le  monde  ou  miroir  intérieur,  S.  Thomas,  Cont.gentes, 
1.  I,  c.  xxxi  :  huj nsmodi  autem  simile  inveniri  polest 
m    potentat  cognoscilivis  et   in  virtutibus  operativis 
humanis,  mais  aussi  le  monde   ou    miroir  extérieur. 
Qu'on  le  remarque,  le  concile  n'a  pas  défini  que  c'est 
par  une  inférence   que  nous   acquérons  per   ca  quse 
facta  sunt   la  connaissance  certaine  de  Dieu,  mais  il 
ne  l'a  pas  nié  —  ce  qui  eut  été  contre  l'Écriture  et  spé- 
cialement contre  Sap.,xni  —  et  en  employant  l'expres- 
sion générale  per  ea  quse  facta  sunt,  il  n'a  pas  exclu 
le  monde    extérieur.  Qr,  le  modernisme  exclut  toute 
méthode  qui  tient  compte  de  la  manifestation  de  Dieu 
par  le  monde  extérieur.  En  effet,  d'après  lui,  la  vraie 
philosophie   est  celle  «  où  rien  n'est  communiqué  du 
dehors,   où   tout  croît  du    dedans.  »  D'où    la  bizarre 
conception  de  «  la  pensée,  efficace  de  Dieu  ».  Ci.  Revue 
de  philosophie,  novembre  1907,  p.  4£2.  Un  moderniste 
dira  :  .Mais  s'il  faut  tenir  compte  du  miroir  extérieur 
et  ne  pas  l'exclure,  la  théorie  scolastique  de  la  connais- 
sance s'impose!  On  répond  :  En  elfet,  il  est  bien  diffi- 
cile de  ne  pas  admeltre  cette  conséquence  :  plus  la  cri- 
liqtie  moderne,  qui  a  laissé  intacte  la  doctrine  scolas- 
tique,   démolit   de    systèmes,    plus  celte  conséquence 
s'impose;    et   c'est  la  raison  pour  laquelle  les  théolo- 
giens s'y  rallient  de  plus  en  plus  et  c'est,  croyons-nous, 
la  raison  pour  laquelle  le  magistère  insiste  tant  sur  le 
retour  à  saint  Thomas  et  à  l'École.  Cf.  Léon  XIII,  En- 
cyclique au  clergé  de  France,  8  septembre  1899,  dans  les 
Etudes,  octobre  1899,  p.  12.  Cependant,  ici  où  il  s'agit 
autant  qu'il  est  possible  de  parler  en  rigueur,  je  con- 
cède que  cette  conséquence  n'est  pas  définie  et  qu'elle 
n'est  impliquée  dans  le  dogme  qu'autant  qu'on  en  dé- 
montrer,) l'absolue  nécessité  :  certo  cognoscere  et  pro- 
bare  est  aliquatenus  idem,  disait  le  rapporteur. 

L'Ecriture  et  la  tradition  proposent,  même  pour  les 
simples,  des  arguments  en  faveur  de  l'existence  de  Dieu, 
airemenl  implique  la  connaissance  et  la 
valeur  des  principes  de  la  raison.  Le  modernisme  rejette 
parce  qu'il  n'admet  pas  qu'on  raisonne 
avant  d'avoir   fait  la   critique  des  premiers  principes. 
méthode  d'immanence  consiste  à  prendre  l'atti- 
tude philosophique  des  disciples  de  Kant.  c'est-à-dire 
■i  ne  pas  chercher  à  s'élanci  r  hors  de  soi-même,  comme 
d'un  bond,  appuyé  sur  des  principes  auxquels  on  donne 
d'emblée  une  valeur  obj  e,  dans  La 

Quinzaine,  1"  janvier  I,s!i7.  p.  124.  Celle  formule  en- 
traîne toute  une  série  d'exclusions  par  ricochets. 
D'abord,  tous  l<  •  simples,  c'est-à-dire  9999  individus 
sur  10000,  sont  exclus  de  la  vraie  et  certaine  connais- 
sance de  Dieu  par  voie  d'inférence,  par  le  seul  fait 
qu'ils  n'ont  pas  eu  la  chance  d'être  éduqués  par  l'uni- 
ité  de  France  depuis  qu'elle  esl  aux  trois  quarts 
iviste  ou  kantiste.  Cf.  la  statistique  dans  la  R 

d'apologétique,    15  novembre   1908,  p.  296. 
Ensuite,  coi e  il  esl  bien  entendu   pour  le  moder- 
nisme que   la  critique    démontre   la   non-valeur    di 
premiers  prim  ip<  -  et   di     ip<    l  illusion   qui  leur  fait 
'■onii  litre  par  |<    I  on       n    une   valeur 

i  i  ipturaire    i  t  traditionm 
dont  le  princip  la  ba         .ni  exclus 

pour  les  tin,  i.  - .  car  le  princi]  dite     a'appai 

tient  qu'à  la  législation  interne  de  l'ordre  phéni 
BU,  qu'il  ne   peut  donc   ser<ir  a   n   passeï         Le  1 


dans  la  Revue  de  métaphysique  et  de  morale,  mars 
1907,  p.  143.  En  sorte  que,  par  exemple,  saint  Paul 
proposant  un  argument  très  simple  en  faveur  de  l'exis- 
tence de  Dieu  aux  habitants  de  Lystres,  qui  étaient 
incapables  de  critique,  perdait  son  temps  et  manquait 
de  méthode,  et  le  même  apôtre  donnant  à  l'Aréopage 
des  arguments  plus  relevés  se  trompait  lui-même  et 
décevait  ses  auditeurs.  D'où  il  suit  que  les  habitants 
de  Lystres  eurent  tort  de  croire  à  l'existence  de  Dieu 
sur  les  raisons  avancées  par  l'apôtre,  puisqu'ils  n'avaient 
pas  fait  la  critique  du  principe  de  causalité  d'après 
Kant  et  Spencer,  et  que  les  Arcopagiles  eurent  raison 
de  n'y  pas  croire  et  de  s'en  tenir  au  culte  du  «  Dieu 
incompris  »,  puisque  saint  Paul  faisait  devant  eux  «  un 
usage  transcendant  du  principe  de  causalité,  »  ce  qui 
est  un  paralogisme. 

Enfin,  le  concile,  tout  en  affirmant,  avons-nous  dit, 
la  certitude  rationnelle  de  l'existence  de  Dieu,  ne  spé- 
cifie pas  dans  sa  définition  les  conditions  d'un  tel  acte; 
il  se  contente  d'exclure  toutes  les  doctrines  d'après  les- 
quelles   l'homme  est  incapable  de  s'élever  à  une  con- 
naissance rationnellement  valable  et  certaine  de  l'exis- 
tence  de  Dieu.  D'où   il   suit  que  tous  les  procédés  qui 
aboutissent   à    la    certitude    rationnelle   de    l'idée  de 
Dieu  se  concilient  avec  la    définition    conciliaire.  La 
position  des  modernistes   consiste  ici,   comme  on  dit 
dans  l'École,  à    nier  l'hypothèse,  negare  supposilum, 
ce  qui,  comme  le  savent  ceux  qui  connaissent  les  règles 
de  la  civilité  des  disputes  scolastiques,  est  la  manière 
la  moins  polie  du  monde  de  contredire  un  adversaire. 
Il  faut  bien  noter  cette  nouvelle  exclusion   des   mo- 
dernistes, parce  que  c'est  à  la  faveur   de  ce  procédé 
qu'ils  cherchent  à   se  couvrir  de   l'autorité  des  Pères 
et  aussi  des   théologiens.  Ils  n'ont,  en   effet,   pas  de 
peine  à  trouver,   dans  les  vieux  textes,  bien  des  argu- 
mentations sur  Dieu  qui  ont  le  même  point  de  départ 
que   les   leurs,    par    exemple   le    célèbre    Fecisti    nos 
ad  te  de  saint  Augustin,  ou  la  considération  de  la  reli- 
gion naturelle   comme  principe  de  vie  répondant  à  la 
nature  de  l'homme,  etc.  Comme  il  est  certain  que  ni 
l'Ecriture,   ni   les  Pères,  ni  l'Ecole,   ni  le  concile,  ni 
l'ensemble  des    théologiens   depuis  le  concile,    n'ont 
exclu    ces    argumentations    —    nous    avons  dit  pour- 
quoi —  il  parait  au  public  qu'on  ergote  vraiment  trop 
contre  les    modernistes,    puisque  l'on  regarde  comme 
non  orthodoxes,  chez  eux,   des  arguments  qu'on    ap- 
prouve ou  tout  au  moins  qu'on  ne  condamne  pas  che?. 
d'autres;   et  on  sait  que  bien  des  apologistes,  qui  ne 
sont  pas  modernistes,  ont  emboîté  le  pas,  en    vue  de 
satisfaire  à  ce  qu'on  appelle  les  exigences  ou  les  be- 
soins de  la  pensée  moderne.  D'où  grand  désappointe- 
ment à  l'apparilion  de  l'encyclique  Pascendi.  Le  grand 
public  et  aussi   les  apologistes  que  j'ai  en  vue  ont  été 
victimes  d'une  équivoque.  Ils  n'ont  pas  remarqué  que, 
lorsque  les  modernistes  partent  du  Fecisti  nos  ail  te, 
ou  de  ce  fait  d'expérience  :  la    nature  postule  la  vie,  et 
concluent  :  donc  l'objet   nécessaire  de  cette  vie,  de  ce 
désir,  Dieu,    existe,  ces  formules,  tout  en  étant  mot 
pour  mot  les  mêmes  que  celles  de  beaucoup  de  Pères 
et  de  quelques    scolastiques,   rendent   chez  les  moder- 
nistes un  tout  autre  sens  que  chez  les  auteurs  ortho- 
doxes. 

Chez  les  auteurs  orthodoxes,  ces  sortes  de  raisonne- 
n'onl  rien  d'exclusif,  car  ces  auieurs  n'excluent 

pas  les  autres  raisonnements,  et  ils  s'appliquenl  a 
montrer  que  des  faits  moraux,  religieux,  on  peut  dé- 
duire sur  l'existenct  de  Dieu  des  conclu  ions  ration- 
nellement valables  el  Ils  n'j  réussissent 
toujours,  il  est  vrai,  d'où  il  suit  qu'ils  trouvent  sou- 
vent des  contradicteui  parmi  les  théologiens;  n 
comme  leui  n'a  rieu  d'exclusif  et  comme  ils 
parlent  dans  l'hypothèse  de  la  possibilité  d'arrivei  i 
une  certitude  rationnelle  ,1     |  existi  Di  S  de  Dieu,  il  est 


855 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE) 


850 


conciliable  avec  le  concile  du  Vatican.  Rien  plus, 
l'apologiste  peut  légitimement  ad  hominem  y  avoir 
recours,  si  la  mentalité,  c'est-à-dire  les  préjugés,  de 
l'adversaire  ou  du   néophyte  le  demandent. 

Chez  les  modernistes,  au  contraire,  l'emploi  de  ces 
mêmes  arguments  ne  va  jamais  sans  deux  arriére- 
pensées  exclusivistes  :  il  s'agit,  bien  entendu,  des  ar- 
riére-pensées manifestées  dans  les  textes.  D'abord, 
ils  ont  toujours  à  l'esprit,  en  exposant  ces  sortes  de 
preuves,  ce  principe  que  la  réflexion  détruit  la  force 
de  tous  les  autres  arguments,  que  seules  «  les  consé- 
quences déduites  de  prémisses  confiées  au  travail  de 
la  vie  résistent  à  la  dissolution  critique.  »  Ce  qui  veut 
dire  que  Pascal  a  bien  fait  d'aflirmer  l'inanité  de  la  rai- 
son; et  que  Kant  et  Hume,  Comte  et  Spencer  ont  dé- 
montré l'assumption  de  Pascal;  et  que,  par  suite,  le 
même  Pascal,  Rousseau,  Jacobi,  Kant,  Schleiermacher 
ont  vu  juste  en  recourant  au  cœur,  au  sentiment,  à  la 
conscience  morale,  à  la  piété,  etc.  Ensuite,  ces  argu- 
ments eux-mêmes  sont  donnés  par  les  modernistes  de 
façon  à  exclure  des  débuts  de  notre  vie  morale  et  re- 
ligieuse précisément  cette  certitude  rationnelle  que  le 
concile  du  Vatican  a  voulu  affirmer.  Ce  sont  ces  deux 
arrière-pensées  que  les  théologiens  qui  suivent  le  con- 
cile et  la  tradition  ne  peuvent  pas  accepter;  car  elles  faus- 
sent l'usage  des  arguments  moraux,  même  les  plus  classi- 
ques, chez  les  modernistes.  Donnons  quelques  exemples. 

Bon  nombre  de  théologiens  admettent  une  interven- 
tion des  tendances  naturelles  dans  la  formation  delà 
première  idée  de  Dieu  :  c'est  le  testimonium  animas 
naturaliter  christianse  de  Tertullien  ;  beaucoup  d'au- 
tres considèrent  comme  valables  les  démonstrations  de 
l'existence  de  Dieu  partant  du  fait  de  l'obligation  mo- 
rale, du  désir  du  bonheur;  d'autres  enfin  parlent  d'une 
certaine  illumination  de  l'esprit  ou  des  dispositions 
morales  du  sujet.  Mais  tous  évitent  ou  cherchent  à  évi- 
ter le  fidéisme,  c'est-à-dire  un  assentiment  subjective- 
ment certain,  non  fondé  et  appuyé  sur  un  jugement 
intellectuel  antécédent  et  non  susceptible  de  se  légiti- 
mer rationnellement;  en  d'autres  termes,  tous  pré- 
tendent sauver  la  certitude  rationnelle. 

Par  exemple,  saint  Thomas  est  un  des  auteurs  qui 
parle  le  plus  souvent  d'un  «  instinct  de  nature  », 
«  d'un  instinct  divin  »,  qui,  d'après  lui,  joue  un  grand 
rôle  dans  l'acquisition  rapide  des  premiers  principes 
spéculatifs  et  surtout  pratiques.  Une  de  ces  premières 
vérités  est,  d'après  lui,  la  connaissance  de  Dieu.  Mais 
voici  comment  il  explique  lui-même  la  spontanéité  de 
cette  connaissance  :  Ejus  cognitio  nobis  innata  dicitur 
esse  in  quantum  per  principia  nobis  innata  de  facili 
percipere  possunius  Deum  esse.  In  Boeth.,  deTrinit., 
q.  I,  a.  3,  ad  Qamj  Sum.  theol.,  Ia,  q.  il,  a.'l,ad  lura  ;  1*11*, 
q.  i,  a.  4;  q.  il,  a.  8;  q.  lxxxix,  a.  6;  Contra  génies, 
1.  III,  c.  xxxviii.  Il  serait  facile  de  multiplier  ces  cita- 
tions; quiconque  aura  parcouru  celles-ci  conviendra 
que  M.  Mallet  a  raison  de  penser  que  plusieurs  des 
«  données  »  de  la  philosophie  de  l'Action  sont  iden- 
tiques à  quelques-unes  des  données  de  la  scolastique. 
Mallet,  La  philosophie  de  V Action,  dans  la  Revue  de 
philosophie,  septembre  1906,  p.  239.  Le  même  auteur 
expose  que  la  philosophie  de  V Action  s'occupe  du 
cognilum  ex  actione  et  volitione  elicilum.  Ibid.,p.  243. 
J'ai  moi-même  montré  plus  haut  que  cette  sorte  d'objet 
n'est  pas  inconnu  des  théologiens.  Mais  de  nouveau, 
comme  le  fait  très  bien  remarquer  M.  Baudin,  «  il  y  a 
deux  manières  de  trouver  Dieu  dans  les  impératifs.  La 
première  consiste  à  entendre  psychologiquement  sa 
voix,  par  une  expérience  personnelle  et  une  réalisation 
affective  et  imaginative...  La  seconde  consiste  à  relier 
niétapli[isi<iuemcnt  les  lois  morales  à  l'intelligence  et 
à  la  volonté  divine,  par  une  rationalisation,  et  c'est  la 
méthode  de  saint  Thomas.  »  La  philosophie  de  la  foi 
chez  Newman,  dans  la  Revue  de  philosophie,  octobre 


1906,  p.  377.  Ajoutons  que  cette  seconde  méthode  est 
celle  de  tous  les  théologiens,  qui  développent  les  ar- 
gumente dont  il  est  ici  question.  De  même,  Vasquez 
qui  donne  une  grande  importance  aux  dispositions 
morales  quand  il  s'agit  de  connaître  Dieu,  explique 
son  point  de  vue  ainsi  :  Licet  in  demonstralionibus 
necessarius  non  sit  affectus  volunlalis,  et  bonaillius 
disposilio,  ut  apprehensis  proposilionibus  stalim  ho- 
mo...  assensum  prsebeal  iis  rébus  quse  notissimse 
sunt,  et  nullo  modo  adpielatem  perlinent;in  iis  tamen 
quse  ad  pictatem  spectaut,  quales...  sunt  de  unitate 
Dei,  de  illius  scientia  et  providenlia,  etiamsi  demons- 
trationes  in  Ira  propriam  mensuram  habeantur,  ne- 
cessarius est  pius  affectus...  Jn  iis  ergo  plurimum 
confert  affectus  bonus,  non  quideni  ut,  visa  extre- 
morum  conformitate,  assenliatur  intelleclus,  sed  ut 
illam  propositionem  tali  modo  appréhendât  et  formel, 
ut  faciat  apparere  eam  extremorum  conformitatem. 
InPm,  disp.  I,  c.  ii,  n.  15.  Ailleurs  le  même  théologien 
applique  cette  théorie  à  la  démonstration  de  l'existence 
de  Dieu  elle-même,  lbid.,  disp.  XIX,  c.  ni,  n.  9.  Donc, 
pour  les  théologiens  qui  emploient  des  arguments  ana- 
logues à  ceux  que  développent  les  modernistes,  l'assen- 
timent s'appuie  toujours  en  dernière  analyse  sur  une 
évidence  rationnelle.  Saint  Augustin  est  probablement 
de  tous  les  Pères  celui  qui  a  le  plus  insisté  sur  le  côté 
psychologique  du  problème  que  nous  étudions  : 
cependant  il  déclare  nettement  que  nous  ne  pourrions 
pas  croire  si  nous  n'avions  pas  des  âmes  raisonnables. 
Credere  non  possemus,  nisi  rationales  animas  habere- 
mus.  Episl.,  cxx,  n.  'S,  P.  L.,  t.  xxxm,  col.  454.  Et 
ailleurs  :  Eslenim  Dcus,  et  vere  summeque  est;  quod 
jam  non  solum  indubitatum,  quantum  arbitror.  fi  de 
relinemus,  sed etiam  cerla,  quamris  adhuc  tenuissima, 
forma  cognitionis  altingunus.  De  libero  arbitrio,  1.  II, 
c.  xv,  n.  39,  P.  L.,  t.  xxxu,  col.  1262.  La  certitude  de 
la  connaissance  naturelle  de  Dieu  est  donc,  d'après 
saint  Augustin,  rationnelle.  Cf.  Enchiridion,  c.  IV  : 
H  sec  sunt  defendenda  ratione  vel  a  sensibus  corporis 
inchoata,  vel  ab  intelligentia  mentis  inventa.  P.  L., 
t.  XL,  col.  233. 

Non,  répliquent  les  modernistes,  les  raisons  morales 
de  croire  ne  sauraient  donner  lieu  à  une  certitude  ra- 
tionnelle, c'est-à-dire  à  une  certitude  fondée  sur  des 
principes  objectifs  nécessaires  et  universels.  La  critique 
kantienne  et  post-kantienne  a  définitivement  ruiné 
tous  ces  prétendus  principes.  L'àme  moderne  ne  les 
admet  plus.  D'ailleurs,  «  la  foi  est  introduite  par  une 
impulsion  émotive  en  présence  de  raisons  qui  ne  sont 
pas  absolument  des  preuves.  »  Cf.  Saleilles,  La  foi  et 
la  raison,  Paris,  1905,  p.  xxxvn.  Les  arguments  en 
faveur  de  l'existence  de  Dieu,  fondés  sur  des  faits  de 
conscience  morale  et  religieuse,  doivent  donc  être  traités 
et  développés  comme  des  preuves  d'expérience;  et  il  ne 
peut  en  tout  cela  être  question  que  d'une  «  expérience 
qui  n'a  rien  de  rationnel,  mais  qui  est  supérieure  à 
toute  expérience  rationnelle.  »  Cf.  encycl.  Pascemli, 
S  Alque  hsec,  Denzinger,  10'  édit.,  n.  2081.  Tel  est  le 
fond  de  l'exclusivisme  des  formules  modernistes,  dans 
le  développement  des  arguments  moraux  et  vécus  de 
leur  théodicée  ou,  plus  exactement,  de  leur  doctrine  de 
la  croyance.  C'est  donc  le  fidéisme  mis  à  la  base  de 
notre  vie  morale  et  religieuse,  le  fidéisme  que  le  concile 
du  Vatican  a  repoussé  du  sein  de  l'Eglise,  parce  que 
contraire  à  la  révélation.  C'est  ce  que  sans  doute 
n'avaient  pas  assez  démêlé  les  apologistes  que  l'ency- 
clique Pascendi  a  surpris.  Concluons  :  ce  qui  est 
condamné,  ce  n'est  pas  l'usage  des  arguments  moraux 
ni  l'étude  de  la  psychologie  de  la  vie  religieuse;  c'est 
simplement  cet  usage  et  cette  élude  avec  la  mentalité 
exclusiviste  des  modernistes.  Cf.  Raille.  L'idée  de  Dieu 
et  l'âme  contemporaine,  extrait  de  la  Revue  apologé- 
tique de  Bruxelles,  1908. 


857 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE) 


858 


b.  Conclusions  agnostiques  des  modernistes.  —  Sans 
rien  répéter  de  ce  qui  précède  sur  le  sens  du  concile, 
nous  pouvons  affirmer  que  dans  les  passages  que  nous 
étudions,  le  concile  par  «  raison  naturelle  »  entend  le 
pouvoir  physique  que  nous  avons  d'atteindre  et  de 
distinguer  le  réel,  suprasensible,  matériel  ou  non,  de 
façon  à  porter  sur  lui  des  jugements  valables  fondés 
sur  la  connaissance  de  la  nature  intrinsèque  deschoses. 
Cela  suit  de  ce  que  le  concile  définit  qu'on  peut  con- 
naître Dieu  «  par  les  choses  »,  et  de  ce  qu'avec  l'apôtre 
saint  Paul  il  entend  parler  d'une  connaissance  de 
Dieu  telle  que,  si  nous  ne  l'honorons  pas  d'un  culte 
religieux,  après  l'avoir  connu  par  ce  moyen  nous  som- 
mes inexcusables.  Il  est  vrai  que  la  considération  du 
a  monde  phénoménal  »  peut  amènera  la  connaissance 
d'une  première  cause,  d'un  premier  moteur.  Stuart 
MiU  admet  cette  conséquence;  mais,  positiviste,  il 
conclut  au  matérialisme.  Cf.  Maillet,  La  création  et  la 
providence  devant  la  science  moderne,  Paris,  1897, 
p.  107.  Or,  ce  n'est  que  par  la  connaissance  de  la 
nature  intrinsèque  des  choses  que  l'on  exclura  l'hypo- 
thèse matérialiste  ou  panthéiste,  Denzinger,  n.  1648- 
1651;  et,  d'un  autre  côté,  si  l'on  n'admet  pas  que  la 
raison  est  capable  de  porter  sur  la  nature  intrinsèque 
des  choses,  et  par  conséquent  de  Dieu,  des  jugements 
objectivement  valables,  il  est  impossible  de  légitimer  le 
devoir  du  culte.  Cf.  Dictionnaire  apologétique  de  la 
foi,  t.  i,  col.  7.  Nous  n'ajoutons  donc  rien  au  concile, 
en  décrivant  la  raison  comme  nous  venons  de  le  faire. 

Sans  doute,  cette  description  en  un  sens  ne  dépasse 
pas  le  sens  commun,  si  dépasser  le  sens  commun  c'est, 
comme  les  philosophies  nouvelles  l'entendent,  le  con- 
tredire, en  cessant  d'être  avec  lui  objectiviste  et  dogma- 
tique. Elle  ne  dépasse  pas  non  plus  le  sens  commun 
en  ce  sens  que,  moralement  parlant,  tout  homme 
venu  en  ce  monde  est  capable  de  faire  les  actes  qu'elle 
implique.  Mais  elle  le  dépasse  de  beaucoup,  si  dépasser 
le  sens  commun,  c'est  distinguer  par  l'analyse  ce 
qu'impliquent  nos  actes  directs,  ce  qu'expriment  les 
textes  de  la  Sagesse,  xm,  et  de  saint  Paul,  Rom.,  i,  qui 
interprétés  par  la  tradition  chrétienne  ont  servi  de 
i  la  décision  conciliaire. 

11  est  donc  certain  que  le  concile  n'admet  pas  qu'on 
soit  confiné  dans  l'agnosticisme,  ni  avant  ni  après  la 
première  adhésion  de  la  raison  à  l'existence  de 
Dieu,  ni  avant  ni  après  le  premier  acte  de  foi 
proprement  dite.  Or  les  modernistes  préfèrent,  avant 
la  croyance  ou  la  foi,  se  rallier  à  l'opinion  des 
positivistes  ou  des  kantistes,  sauf  à  essayer  avec 
If.  Brunetière  d'utiliser  l'inconnaissable  de  Spencer. 
Brunetii  re,  Pour  le  centenaire  d'A  uguste  Comte,  dans 
la  Revue  des  Deua  Mondes,  1--  juin  1902,  p.  691  sq- 
Cf.  Itevue  de  philosophie,  février  1903,  p.  237.  après 
ou  dans  la  croyance  et  la  foi.  ils  préfèrent  se  rallier 
a  l'opin i<>ti  des  protestants  libéraux.  Pour  eux,  comme 
pour  M.  Ménégoz,  la  raison  est  impuissante  en  ma- 
tière religieuse  —  el  il  s'agit  bien  de  la  raison  des 
philosophes,  telle  que  je  viens  de  la  décrire;  nous 
n'atteignons  Dieu  que  par  la  croyance,  et  nous  expri- 
mons cette  croyance  par  des  images  (Tyrrell),  dos  sym- 
boles, des anthi  opomorphismes,  des  formules  absti 

mes  un  caractère  s\ mbolique,  car  .  Iles 

s  riment  direi  li  menl  que  les  luis  de  notre  esprit, 

ibitudes  de  conduite  qui  résultent  de 

notre  croyance  &  la  vérité  du  conc<  pi  de  Dien,  de  même 

que  les  formules  mathématiqui  -  n  i  (priment  que  notre 

lion  aux  intuitions  du  réel  el  aussi  notre  action, 

commodité  qui  nous  guident  dans  notre  choix  de 

/  he  •  eality 
of  God,  dan-   Uibbert  i  ctobn    1906,  p    106 

bien  plus,  cet  t  ipn     Ions  sont  contingentes,  variables, 
comme  tout  le  reste,  aux  I".  lution 

|  •>/.  dans  I  1907,   II.  I  . 


Cf.  Denzinger,  10'  édit.,  n.  2074,  2079  sq.,  2094,  2026, 
205$.  M.  Le  Roy  ayant  proposé  son  symbolisme  mathé- 
matique ou  pragmatique,  M.  Sertillanges  prononça  que 
«  la  foi  est  un  problème  de  vie,  non  un  problème  phi- 
losophique; »  et  que  «  fùt-on  relativiste  en  philosophie, 
si  l'on  maintient  —  et  cela  se  peut  —  dans  le  système 
des  relations  une  place  pour  les  réalités  dogmatiques, 
qu'importe  que  la  réalité  totale  ait  été  définie  tout  d'a- 
bord, philosophiquement,  par  la  relation  ou  par  autre 
chose'.'»  Cf.  Revue  du  clergé  français,  novembre  1905, 
p.  5't3;  octobre,  p.  317.  M.  Desbuts  marcha  sur  les 
traces  de  M.  Sertillanges  et  exténua  l'analogie  de  pro- 
portionalité  de  Cajetan,  en  «  prolongeant  »,  dit-il,  la 
pensée  de  saint  Thomas,  p.  384,  au  point  de  pouvoir, 
dans  des  vues  apologétiques,  proposer  sérieusement  de 
renoncer  «  à  connaître  Dieu  par  et  dans  nos  concepts.  » 
Desbuts,  La  notion  d'analogie,  dans  les  Annales  de 
philosophie  chrétienne,  janvier  1906,  t.  eu,  p.  385. 
Depuis,  le  même  écrivain  a  écrit  sans  embarras  :  «  Se- 
lon le  saint  docteur  [saint  Thomas],  notre  idée  de  Dieu 
est  une  idée  analogue  selon  l'analogie  de  proportiona- 
lité.  Une  telle  idée  n'exprime  pas  une  propriété  abstraite 
commune  à  Dieu  et  aux  créatures;  elle  n'est,  en  aucune 
façon,  une  représentation,  même  obscure,  de  la  nature 
divine.  »  Ibid.,  juin  1908,  p.  255.  Voir  sur  la  position 
réelle  de  l'ancienne  école  thomiste,  Dictionnaire  apo- 
logétique de  la  foi,  Paris,  1908,  1. 1,  col.  45. 

Toutes  ces  formules  reconnaissent  avec  la  scolastique 
et  avec  Kant  que  nous  pouvons  désigner  Dieu  par  des 
périphrases  tirées  de  nos  états  subjectifs,  par  des  déno- 
minations extrinsèques;  mais  elles  nient  avec  le  même 
kant,  non  pas  seulement  contre  la  scolastique,  mais 
bien  contre  la  pensée  de  l'Eglise  et  de  tous  les  fidèles, 
S.  Thomas,  Sum.  theol.,  Ia,  q.  xm,  a.  2,  que  nous  soyons 
capables  de  porter  un  jugement  défini,  ayant  une  valeur 
de  connaissance  objective  précise,  sur  la  nature  intrin- 
sèque de  Dieu.  Peu  importe  ici,  où  il  s'agit  de  l'abou- 
tissement, de  savoir  si  toutes  ces  philosophies  ont  ou 
n'ont  pas  dépassé  Kant,  si  elles  ont  ou  n'ont  pas  re- 
trouvé le  réel;  peu  importe  de  même  les  diverses 
allonges  essayées;  nous  parlons  du  résultat.  Or,  qu'ils 
soient  à  la  remorque  de  Spencer  et  de  ses  idées  hérédi- 
taires, comme  M.  Loisy;  qu'ils  tiennent  que  tous  les 
termes  de  l'Ecriture  sur  Dieu  sont  figurés,  comme  le 
juif  Maimonide  et  M.  Tyrrell;  que  leur  symbolisme  soit 
métaphysique,  avec  M.  Desbuts,  ou  pragmatique,  etc., 
avec  M.  Le  Roy,  etc.  ;  tous  s'accordent  à  nier  que  la 
raison  humaine  ait  le  pouvoir  de  se  faire  une  idée 
rationnelle  valable  de  l'absolu,  de  façon  à  pouvoir 
porter  sur  la  nature  intrinsèque  de  l'ion  desjugements 
définis;  tous  s'accordent  avec  il.  Dunanà  considérer  le 
et  et  l'estime  de  l'Église  pour  la  raison  «  comme 
une  erreur  ».  Cf.  Rifaux,  Les  conditions  du  retour 
au  catholicisme.  Enquête,  réponse  de  M.  Ounan, 
p.  205.  Ceux-là  seuls  qui  ne  connaissaient  ni  le  sens  de 
la  définition  du  Vatican,  ni  les  prétentions  du  moder- 
nisme, ont  pu  s'étonner  de  la  condamnation  de  ce 
«  rendez-vous  de  toutes  les  hérésies  ».  L'expression  a 
froiss.  ■  ii  tins  protestants  libéraux,  qu'elle  démasquait 
—  car  ces  messieurs  sont  souvent  gens  d'église  et  vivent 
de  ri  venus  ou  d'aumônes  ecclésiastiques       et  d'i 

.    I   Ile    n'est  pourtant   que  juste,    I 

dinairei  n'errent   que  sur  quelques  points;    mais   la 

théorie  de   la  connaissance  religieuse  du  lern 

exige  qu'on  erre  à  la  fois  sur  tous  les  dogmes;  bien 

plOS,    elle    siippri aussi    l.ien    la    foi  que  la    raison,   la 

révélation   que    la    connaissance    naturelle    de    1  »  i . 

que  ne  faisaient  ni  le  luthéranisme,  ni  le  calvinisme, 

ni  le  traililion.il 

go  /  snii/i ,  t<i  tir  connu 

naturelle.        Non 
suffisamment  telles  sont  l<  s  dot  trini 

mh  la  raison  qui  ne  peuvent  TS)0  le 


859 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE) 


SGO 


texte  du  concile,  et  quelles  sont  les  conséquences  de 
la  doctrine  révélée  sur  les  théories  de  la  raison.  Il  ne 
reste  plus  qu'à  répondre  à  une  dernière  tliflicu  1 1<'-  en 
exposant  le  seul  mot  du  canon  conciliaire  que  nous 
n'avons  pas  encore  expliqué.  11  s'agit  dans  notre  texte 
de  la  raison  naturelle.  Ce  mot,  tout  le  monde  en  con- 
vient, a  été  voté  par  le  concile  en  vue  d'exclure  le  tra- 
ditionalisme. Cette  hérésie  admettait  que  l'homme,  tel 
qu'il  est,  n'a  pas  les  forces  rationnelles  suffisantes  pour 
arriver  à  la  connaissance  certaine  de  Dieu;  il  lui  fallait 
donc  un  secours,  une  aide,  pour  suppléer  à  son  insuffi- 
sance; cette  aide  était  la  révélation  proprement  dite, 
cette  révélation  qui  est,  d'après  l'Ecriture,  strictement 
surnaturelle,  c'est-à-dire  indebila.  En  employant  le 
mot  naturel,  le  concile  a  eu  explicitement  en  vue 
d'exclure  ce  secours  surnaturel  qui  est  la  révélation; 
et  dous  avons  déjà  dit  que  le  texte  de  saint  Paul,  qui 
parle  des  païens  qui  n'ont  pas  la  révélation,  a  bien  ce 
sens. 

1.  Questions.  —  Ici  certains  apologistes  cherchent  à 
greffer  leurs  théories  sur  le  texte  du  concile.  Voici 
comment.  Le  concile,  disent-ils,  n'a  exclu  par  le  mot 
naturali  que  cette  espèce  particulière  de  secours,  qui 
est  la  révélation  proprement  dite.  Mais,  puisque  les 
Pères  ont  admis,  par  exemple,  les  théories  de  l'illu- 
mination et  de  la  pur  galion,  puisque  certains  théolo- 
giens ont  admis  des  secours  surnaturels  pour  la  pre- 
mière connaissance  de  Dieu,  on  peut  concevoir  et 
admettre  la  nécessité  de  secours  autres  que  la  révéla- 
tion proprement  dite,  sans  lesquels  la  raison  ne  peut 
pas  parvenir  à  la  connaissance  certaine  de  Dieu.  Or,  si 
l'on  admet  la  nécessité,  et  par  conséquent  la  réalité 
historique  de  tels  secours —  lesquels  ne  sont  pas  exclus 
par  la'définition  conciliaire  —  le  premier  assentiment 
certain  donné  à  l'existence  de  Dieu  n'est  plus  néces- 
sairement déterminé  par  le  seul  poids  des  preuves;  il 
n'est  donc  plus  simplement  rationnel.  D'où  il  suit  que, 
sans  contredire  en  rien  le  concile  du  Vatican,  on  peut 
très  bien  concéder  que  le  pouvoir  physique  de  con- 
naître Dieu  avec  certitude  ne  gît  pas  dans  les  principes 
intrinsèques  et  constitutifs  de  notre  nature  :  sinon,  il 
faudrait  dire  que  le  concile  du  Vatican  a  défini  la  pos- 
sibilité de  l'état  de  nature  pure,  ce  que  nul  n'accor- 
dera. On  peut  donc,  tout  en  restant  fidèle  au  concile, 
concéder  aux  philosophies  modernes,  qu'en  réalité  nous 
n'avons  intrinsèquement  en  nous  aucun  principe  -na- 
turel par  lequel  nous  soyons  capables  d'atteindre  et  de 
distinguer  l'absolu.  Cette  opération  n'est  possible  que 
grâce  à  un  secours  de  Dieu,  à  une  action  divine;  et  de 
la  sorte,  sans  admettre  la  doctrine  de  l'immanence, 
nous  pouvons  très  bien,  tout  en  restant  catholiques,  en 
admettre  la  méthode.  Nous  dirons  donc  que  dans  la 
connaissance  religieuse,  l'action  divine  supposée,  tout 
croît  du  dedans;  qu'il  suffit  de  l'observation  psycholo- 
gique pour  expliciter  avec  une  infaillible  sûreté  le 
contenu  de  l'action  divine,  confié  au  travail  de  la  vie; 
que  la  croyance  en  Dieu  est  une  forme  de  l'être  moral, 
que  par  son  action  Dieu  ramène  à  lui;  que  la  connais- 
sance intellectuelle  de  Dieu  n'est  que  le  rellet  de  la  vie 
morale  et  religieuse;  et,  comme  les  théologiens,  à  bon 
droit,  rejettent  l'agnosticisme  dogmatique  et  veulent 
porter  sur  Dieu  en  soi  des  jugements  objectifs,  nous 
ajouterons  que  ce  reflet  ne  va  pas  sans  un  nexus  obje- 
ctivus  avec  la  réalité.  Sur  ce  dernier  point,  il  est  vrai, 
notre  doctrine  se  séparera  des  philosophies  issues  de 
Kant.  Mais  notre  apologétique  nouvelle  aura  l'immense 
avantage  de  tenir  compte  de  ce  fait,  signalé  par 
M.  Blondel,  que  «  la  pensée  moderne,  avec  une  sus- 
ceptibilité jalouse,  considère  la  notion  d'immanence, 
comme  la  condition  même  de  la  philosophie.  » 

Ces  quelques  lignes  résument  fidèlement,  croyons- 
nous,  la  pensée  un  peu  confuse  qui,  ces  dix  dernières 
années,  a  inspiré  beaucoup  d'articles,  parus  dans  la 


Revue  du  clergé  français,  dans  les  Annales  de  philo- 
sophie chrétienne,  dans  The  New  York  Heview  et  ail- 
leurs. Pour  soutenir  celle  méthode  d'apologétique,  on 
a  cherché  chez  les  anciens  théologiens  diverses  théories 
sur  le  surnaturel,  absolu  et  relatif;  on  a  travaillé  à  \ 
enrégimenter  les  cardinaux  Newrnan  et  Dechamps;  on 
a  discuté  de  l'état  de  nature  pure;  on  a  découvert  «  le 
point  de  départ  de  la  recherche  philosophique,  »  etc. 
Tous  ceux  qui  ont  pris  part  à  la  lutte  contre  les  posi- 
tions classiques,  ne  s'en  écartaient  pas  également;  et 
bien  que  des  modernistes  avérés,  c'est-à-dire  des  agnos- 
tiques, se  soient  servis  des  vues  émises  en  faveur  de 
la  méthode  d'immanence  ou  du  dogmatisme  moral, 
nous  ne  reviendrons  pas  sur  l'agnosticisme  ;  mais  il  reste, 
après  tout  ce  que  nous  avons  dit,  à  traiter  à  part  du 
problème  des  rapports  de  la  nature  et  de  la  grâce,  dans 
la  connaissance  de  Dieu.  La  question  à  laquelle  il  nous 
faut  répondre  est  donc  la  suivante  :  Cette  apologétique 
nouvelle,  en  tant  qu'elle  s'appuie  sur  la  doctrine  des 
auxilia,  pour  expliquer  notre  première  idée  valable  et 
certaine  de  Dieu,  est-elle  conciliable  avec  le  concile? 
Nous  n'oublierons  pas  plus  que  dans  ce  qui  précède, 
que  les  textes  dogmatiques  sont  striclissirnse  interpre- 
tationis.  Acta,  col.  131. 

2.  Réponse.  —  a)  Les  théologiens  divisent  les  secours 
divins,  auxilia,  en  deux  grandes  catégories  :  les  natu- 
rels ou  débita,  et  les  surnaturels  ou  indebita.  Les  se- 
cours naturels  comprennent  le  concours  général,  sans 
lequel  aucune  créature  ne  peut  agir;  les  secours  spé- 
ciaux, exigés  pour  un  acte  déterminé,  par  exemple, 
pour  que  l'intelligence  passe  à  l'acte  ou  pour  que  la 
volonté  soit  excitée  et  rende  l'intelligence  attentive  : 
c'est  à  cette  classe  que  se  rapportent,  si  on  les  déclare 
nécessaires,  l'idée  innée  cartésienne,  l'illumination,  la 
purgation,  les  dispositions  morales,  l'exemple  des 
autres,  l'enseignement  social,  etc.  Les  secours  surna- 
turels sont  destinés  à  élever  les  puissances  à  l'ordre 
divin,  sans  tomber  sous  le  champ  de  la  conscience, 
par  exemple,  la  grâce  infuse  du  baptême;  ou  bien,  ils 
excitent  nos  puissances  à  l'acte,  par  exemple,  les 
grâces  actuelles  qui  éclairent  et  sollicitent  la  volonté. 
Ces  derniers  secours,  relativement  à  l'objet  qui  nous 
occupe,  sont  de  deux  espèces  :  per  modum  mère  sub- 
jectivi,  et  per  modum  objectivi.  On  appelle  secours 
objectif,  tout  ce  qui  se  tient  du  côté  de  l'objet;  et  pu- 
rement subjectif,  ce  qui  influe  sur  l'acte  sans  consti- 
tuer une  présentation  de  l'objet  et  sans  varier  la  nature 
ou  la  force  perçue  des  motifs  d'adhésion.  En  d'autres 
termes,  est  dit  «  secours  objectif  »,  ce  qui  se  présente 
à  l'esprit  comme  objectif;  «  subjectif  »,  ce  qui  inllue  sur 
l'acte  sans  constituer  un  objet.  Par  exemple,  la  révéla- 
tion proprement  dite  est  un  secours  objectif,  parce 
qu'elle  présente  l'objet,  et  le  motif  d'adhésion  :  l'auto- 
rité divine.  Mais,  si  nous  supposons  qu'en  même  temps 
que  Dieu  révèle  une  proposition  au  prophète,  il  agit  sur 
ses  puissances  pour  les  inclinera  l'assentiment,  celte 
action  qui,  par  hypothèse,  ne  constitue  pas  l'objet  pro- 
posé à  l'adhésion  du  prophète  et  ne  varie  pas  la  nature 
ou  la  force  perçue  du  motif  d'adhésion,  qui,  dans 
l'espèce,  est  l'autorité  divine,  est  appelée  secours  pure- 
ment subjectif.  Ainsi,  dans  cette  terminologie,  l'hérésie 
traditionaliste  consistait  à  soutenir  que,  sans  un  se- 
cours objectif,  la  raison  de  l'homme  ne  peut  pas  à 
l'aide  des  créatures  connaître  Dieu  avec  certitude. 

De  ces  divers  auxilia  quels  sont  ceux  que  le  concile 
a  exclus,  quels  sont  ceux  où  le  champ  reste  ouvert  aux 
opinions?  —  a.  Le  mot  «  naturel  »  du  concile  exclut  la 
nécessité  de  tout  secours per  minium  objectivi, c'est-à- 
dire  précisément  l'erreur  traditionaliste.  Acta,  col.  K10. 
h'où  il  suit  que  si  l'on  requiert  un  secours  de  celte 
espèce,  en  soutenant  que,  sans  lui,  l'homme  n'a  pas  le 
pouvoir  physique  de  connaître  Dieu  avec  certitude,  on 
est  condamné.  On  est  condamné,  soit  parce  qu'on  pro- 


861 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE 


862 


fesse  le  fidéisme,  soit  parce  qu'on  confond  le  concours 
général  avec  les  dons  gratuits,  et  la  raison  avec  la  foi 
surnaturelle,  soit  parce  qu'on  exige  la  révélation  comme 
absolument  nécessaire,  soit  parce  qu'on  exclut  la  suffi- 
sance de  la  présentation  médiate  de  Dieu  par  les  créa- 
tures à  la  raison.  Cf.  encyclique  Pascendi,  passiin.  — 
b.  Le  concile  est  absolument  muet  sur  tous  les  autres 
auxilia,  soit  naturels,  soit  surnaturels.  Cela  suit  de  la 
déclaration,  faite  plusieurs  fois  dans  le  concile,  qu'on 
ne  voulait  pas  parler  de  l'exercice  de  la  raison,  mais 
de  ses  forces,  et  qu'il   fallait  établir  une  proposition 

raie  qui  s'appliquât  à  tous  les  états,  aussi  bien  à 
celui  de  nature  pure  qu'à  notre  état  actuel. 

Que  tel  soit  le  sens  du  concile,  je  ne  vois  aucun 
théologien  qui  le  mette  en  doute.  Par  là,  le  concile  et 
les  théologiens  laissent  donc  la  porte  grande  ouverte 
aux  hypothèses  sur  les  divers  secours  qui  peuvent  in- 
tervenir dans  la  connaissance  spontanée  de  Dieu,  et 
aussi  à  l'étude  et  à  l'analyse  psychologique  de  notre 
première  adhésion  certaine  à  l'existence  de  Dieu.  On 
peut  donc  —  je  ne  dis  pas  :  on  doit  —  si  l'on  a  de 
solides  raisons  à  en  donner,  faire  l'hypothèse  de  divers 
secours  nécessaires  ou  exigés,  c'est-à-dire  naturels,  et 
aussi  faire  l'hypothèse  de  certains  secours  gratuits, 
préternaturels  ou  surnaturels,  non  exigés  dans  l'état 
où  nous  sommes,  mais  donnés  en  fait,  pour  incliner 
notre  nature  à  l'assentiment.  Ces  hypothèses  faites,  on 
peut  s'en  servir  pour  la  description  psychologique  des 
faits,  et  ad  hominem  pour  résoudre  les  difficultés  de 
l'athée  ou  du  sceptique  à  qui  l'on  s'adresse,  s'il  veut 
bien  les  admettre;  on  peut  même,  comme  faisaient  par 
exemple  les  cartésiens  pour  l'idée  innée,  essayer  de 
construire  sur  ces  hypothèses  une  doctrine  générale. 
La  plus  stricte  théologie,  même  après  l'encyclique 
Pascendi,  permel  toutes  ces  études,  dont,  nous  l'avons 
dit,  les  Pères  et  certains  théologiens  orthodoxes  nous 
ont  donné  l'exemple.  Nous  disons  que  la  théologie  per- 
met l'emploi  de  ces  procédés;  cela  ne  signifie  pas  du 
tout  qu'elle  en  garantit  la  valeur.  Il  faut  toujours  s'en 
souvenir,  les  conclusions  ne  dépassent  jamais  la  valeur 
des  prémisses.  Dans  ci  -  études  psychologiques  où  l'on 
f.iit  intervenir  diverses  hypothèses  de  secours  néces- 
saires ou  gratuits,  les  conclusions  ne  peuvent  jamais 
avoir  que  la  certitude,  la  probabilité  ou  la  fausseté  de 
la  moins  certaine,  de  la  plus  douteuse  ou  de  la  plus 
inexacte  des  prémisses  emplo; 

h  De  ce  que  la  théologie  permet,  sans  toujours  les 
garantir,  la  prise  en  considération  des  facteurs  psycho- 
logiques, religieux  ettnoraux,  qui,  sans  en  excepter  divi  rs 

iurs,  naturels  ou   gratuits,  peuvent    inlluer  sur  la 

notre   connaissance  certaine  de  Dieu,  il  ne 

faudrait  pas  toutefois   se  hâter  de  conclure  que  taules 

les  hypothèsi  -  possibles  sont  concilia  blés  avec  le  dogme 

défini  et  ~es  exigences.  Il  n'en  est  rien;  caria  définition 

du  concile   exige   que  1rs   hypothèses  sur   les  secours 

pour  la    première  connaissance  de  Dieu  ne 

..munir  !■•   caractère   rationnel  de  cette 

connaissance  et  de  la  certitude  qui  l'accompagne  :  sinon, 

i  erreui    mi  me  que  le  concile  a  voulu  pros' 
le  fldéisme;  que  ces  hypothèses  soient  telles  qu'elles 

ni  rien  d'exclusif  relativement  aux  procédés  de  la 
nante,  indiqués  par  l'Écriture  el  employés 

par  la  tr.idiii t  que  le  concile  n'a  pas  ex<  lus,  bien 

qu'il  ne  li  I  Unis,  comme  nous  l'avons  expliqué 

li  "i i .  que  ces  hypothèses  soienl  telles  qu'elles 

t,t  valables  pour  loul  étal  de  l'humanité,  puisque  le 
ment    enli  min    définir   IV  \is!ence 

ins  l'homm  rai,  •  toi)  i  dans  l'étal  actuel, 

dans  l'étal  d<   nature  [une.     du  pouvoir  physique 
Dieu  pai    les  lumières  naturelles.  Acta, 
131.  Il   faut  enfin,  pour  reati  i  dani  l  oi  thod 

nouvellenl  pu  les  propositions 
ni  \  l  el  par  Pie  \  i    Denxingi  i . 


n.  1040,  1381,  1385,  1380,  1527.  Cf.  Franzelin,  De  Dec 
uno,  3e  édit.,  Rome,  1883,  p.  09;  Yiva,  Damnatarum 
tliesium  theologica  trutina,  Padoue,  1723,  p.  238,  sur 
la  proposition  23e  d'Innocent  XI,  en  1679;  Faure,  En- 
chiridion,  Naples,  1847,  p.  19-28,  sur  les  doctrines 
jansénistes. 

Ces  quatre  conditions  d'orthodoxie  expliquent  bien 
la  position  de  la  théologie  classique.  On  reproche  beau- 
coup aux  théologiens  de  n'avoir  pas  envisage'  le  coté 
moral,  subjectif,  du  problème  de  l'idée  de  Dieu,  et  on 
renvoie  à  l'article  très  sec  de  la  Somme  où  saint  Thomas 
propose  ses  cinq  arguments.  D'un  autre  côté,  on  se 
fait  un  plaisir  de  citer  à  l'appui  de  la  méthode,  dite 
psychologique  et  morale,  des  thèses  de  divers  théolo- 
giens. Voici  la  clef  de  l'imbroglio.  Dans  les  traités  de 
la  grâce  et  des  vertus  infuses,  les  théologiens  ont  été 
amenés  à  considérer  bien  des  hypothèses  sur  les  auxilia 
naturels  ou  gratuits  que  Dieu  nous  donne;  et  ils  les 
étudient.  Quelques-uns  y  ont  admis  des  secours  sur- 
naturels pour  les  débuts  de  notre  vie  morale  et  reli- 
gieuse. C'est  là  qu'on  les  pille  aujourd'hui,  sans  beau- 
coup de  critique  et  de  discernement .  Quand,  au  contraire, 
les  mêmes  théologiens  donnent  les  preuves  de  l'exis- 
tence de  Dieu,  ils  font  presque  tous  totalement  abstrac- 
tion de  ces  auxilia,  c'est-à-dire  des  illuminations,  des 
inclinations,  en  un  mot  des  raisons  d'adhérer  subjec- 
tives. Nous  avons  cité  Yasquez,  qui  admet  l'intervention 
d'une  «  grâce  naturelle  »  pour  la  première  connais- 
sance de  Dieu,  mais  qui  là  où  il  donne  les  preuves 
de  l'existence  de  Dieu  réduit  l'action  de  cette  grâce 
«  à  faire  saisir  comme  il  faut  les  prémisses  objectives,  » 
par  exemple,  de  l'argument  de  saint  Anselme,  qu'il 
défend  en  même  temps  que  celui  de  la  contingence. 
La  raison  de  celte  conduite  suit  des  quelques  remar- 
ques qui  précèdent.  Ces  théologiens  ont  conscience  de 
tout  ce  qu'ont  d'hypothétique  leurs  doctrines  sur  la 
nature  et  la  distribution  des  divers  auxilia  :  à  côté 
d'un  certain  nombre  de  thèses  certaines,  il  y  a  là  bien 
des  vues  purement  systématiques  ou  conjecturales, 
que  la  logique  interdit  d'employer  quand  on  a  en  vue 
une  conclusion  certaine.  De  plus,  faire  intervenir  la 
notion  d'un  secours  divin  quand,  par  hypothèse,  on 
ne  sait  pas  si  Dieu  existe,  ne  parait  guère  correct  à 
beaucoup  de  logiciens.  Ensuite,  les  théologiens  partent 
toujours  du  principe  que  la  connaissance-  de  Dieu  est 
rationnelle,  possible  dans  tous  les  états  de  l'humanité 
et  non  exclusive  des  mo\ens  de  la  raison  raisonnante. 
De  là,  leur  effort  d'objectivité',  leur  sécheresse  dans  la 
proposition  des  preuves  de  l'existence  de  Dieu.  L'émo- 
tion, l'appel  au  sentiment,  etc.,  n'est  pas  leur  allai  i, 
leur  lecteur,  s'il  a   de   l'âme  et  du  doigté',  saura  parier 

i  ire  comme  il  convient,  el  ci les  circonstances 

l'exigeront  :  c'est  affaire,  la  doctrine  acquise,  d'éloquence 
naturelle,  de    poésie,  de    piété,   de   zèle,  etc.,    mais  ce 
pas  de  la  science  théologique. 
c)  Les  écrivains  que  nous  avons  ici  en  vue  procèdent 
tout  autrement  que  l'École.  N'ous  avons   .1    jà   parlé  de 
leur  exclusivisme  :  il  n'y  a  que...  est  leur  premier  mot, 
quand  ils  parlent  de    leur  système;  tant  pis  pour  ceux 
qui  ne  se  payant  pas  de  mots,  de  sentiments  et  d'hypo- 
mandent  des  raisons;  c'est  leurfaute  s'ils  ne 
croient  pas.  Cf.    encyclique    Pascendi,   §   Atqut  hsx, 
Denzinger,   lo   édit.,  n.  3081.  Saint  Paul,  Rom.,  i,  20, 
il  est  vrai,  el  le  livre  de  la  Sagesse,  mu.   ont  affirmé 
donner  de  raisons;  mais  ces  deux  auteurs  étaient 
inspirés,  el  ni  le  moyen  objectif,  ni  le  moyen  sui.joctif 
qu'ils  assignent,  n'est  précis ni  celui  de  nos  apolo- 
gistes    l'un  el  l'autre, en  effet,  parlent  du  monde  i 
rieur  et  'b   cette  raison  par  laquelle  b  -  n  ont 

tantum  /"-/ne,  uni  teit  <   "i  ; 
Kstitnarc  seeculum,  quo  mode  hujus   Dont 

.    Mil.    9. 

i  nei  pi  ■  n  iH-ii  i  pour  accord 


863 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE; 


864 


et  considèrent  comme  certaines  des  hypothèses,  qui 
ne  sont  que  des  vues  systématiques  —  et  ils  sont  étonnés 
que  les  théologiens,  même  ceux  qui  admettent  ces  hypo- 
thèses, prolestent  contre  le  sophisme  qu'il  y  a  à  les 
prendre  comme  hases  d'une  démonstration  qui  prétend 
aboutir  à  la  certitude  rationnelle.  A  ces  hypothèses,  ils 
joignent  des  thèses  qu'aucun  théologien  catholique  ne 
concède.  M.  Nouvelle,  en  effet,  répondant  à  Mur  Turinaz, 
raisonne  ainsi  :  «  Tout  homme  en  fait  est  appelé  à  vivre 
surnaturellement,  à  devenir  consors  divinee  naturœ. 
Dès  lors,  je  ne  puis  pas  voir  comment  l'homme  qui 
doit  lihreinent  atteindre  cette  fin  pourrait  seulement 
s'orienter  vers  elle,  si  au  moins  implicitement  il  n'en 
sent  pas  le  hesoin  et  n'en  éprouve  pas  le  désir...  Il  faut 
donc  bien  admettre  que,  pour  atteindre  sa  lin  surnatu- 
relle, qui  est  d'être  participant  de  la  nature  divine, 
tout  homme  doit  désirer  posséder  Dieu  et  être  Dieu.  » 
Réponse  «  M'Jr  Turinaz,  dans  les  Annales  de  philoso- 
phie chrétienne,  décembre  1905,  p.  271.  Cf.  Denzinger, 
n.  1387,  perinde  ac  si  non  daretur  dilectio  humana 
licila.  M.  Laberthonnière,  continuant  la  même  contro- 
verse, affirme  que  «  le  désir  d'être  Dieu,  de  posséder 
Dieu  est  bien  certainement  constitutif  et  caractéristique 
de  l'humanité  que  nous  sommes.  »  Ibid.,  p.  400. 
Cf.  Denzinger,  n.  1040,  1527,  1385.  Pour  M.  Blondel, 
antérieurement  aux  grâces  surnaturelles,  «  il  y  a  une 
autre  grâce,  une  vocation  première,  un  état  qui  résulte 
de  la  perte  du  don  initial.  »  Histoire  et  dogme,  p.  68. 
Cf.  Denzinger,  n.  1381.  De  son  côté,  M.  Desbuts  pro- 
posant Une  utilisation  de  la  doctrine  thomiste  du 
concours,  écrit  :  «  Sans  doute  le  concours  divin  n'est 
pas  toujours  ordonné  directement  à  l'ordre  surnaturel. 
Quand  il  tombe  dans  une  âme  séparée  de  Dieu,  il  se 
moule,  comme  partout,  sur  la  nature  qui  le  reçoit,  et 
il  ne  vise  alors  immédiatement  que  des  actions  natu- 
relles. Et  cependant,  cette  âme,  appelée  à  un  ordre 
surnaturel,  créée  pour  lui,  n'est  pas  à  l'état  de  «  nature 
pure  »  :  elle  possède,  de  par  la  bonté  gratuite  de  Dieu, 
un  vide  qui  demande  à  être  comblé.  Dieu...  tôt  ou  tard, 
l'amènera  à  se  poser  l'inévitable  question  de  sa  vocation 
surnaturelle;  il  prépare  tout  en  vue  de  ce  moment 
gros  de  toute  une  éternité.  Aussi  le  concours  divin, 
même  quand  il  est  en  soi  naturel,  n'est-il  jamais  ce 
qu'il  serait  chez  une  âme  dont  la  destinée  normale 
serait  naturelle  ;  il  conserve  toujours,  s'il  est  permis 
de  risquer  cette  métaphore,  une  arrière-pensée  surna- 
turelle. Il  est  donc  forcé  que  notre  idée  d'infini,  issue  de 
l'action  divine  en  nous,  ne  puisse  s'appliquer  qu'au  but 
dernier  vers  lequel  nous  conduit  cette  action,  »  c'est- 
à-dire  à  notre  fin  surnaturelle.  Cf.  Denzinger,  n.  677, 
1381,  1010,  1527.  La  question  ici  n'est  pas  de  savoir  si 
M.  Desbuts  fausse  ou  non  la  notion  de  la  prémotion 
bannézienne,  cf.  Pègues,  dans  la  Revue  thomiste,  juillet 
1908,  p.  316,  ni  si  l'emprunt  qu'il  fait  à  une  des  écoles 
néo-thomistes  de  Rome,  à  savoir  que  albedo  separata 
esset  (simpliciter)  infini  ta,  est  vrai  ou  faux,  ad  rem  ou 
non.  Nous  ne  nous  arrêtons  de  même  pas  à  remarquer 
que  sans  le  concours,  avec  «  arrière-pensée  surnatu- 
relle »,  M.  Desbuts  avoue  ne  pas  s'élever  au-dessus  de 
la  connaissance  de  «  l'idéal  »,  p.  254.  Desbuts,  Utilisa- 
tion de  la  doctrine  thomiste,  dans  les  Annales  de  phi- 
losophie chrétienne,  juin  1908,  p.  259.  De  même,  nous 
ne  discutons  pas  la  portée  de  l'écart  que  l'on  remarque 
entre  les  doctrines  classiques  sur  la  grâce,  sur  notre 
élévation  extrinsèque  et  intrinsèque  au  surnaturel,  sur 
notre  justification  et  les  thèses  de  MM.  Nouvelle,  Laber- 
thonnière et  Blondel.  Ces  graves  questions  sont  hors  de 
notre  sujet,  qui  est  l'interprétation  du  concile,  cf.  Mm 
Turinaz,  Lettre  au  R.  P.  Nouvelle,  dans  les  Annales, 
t.  eu,  p.  387.  Nous  retenons  seulement  .qu'aussi  bien 
dans  le  «  vide  »  de  M.  Desbuts  que  dans  le  «  désir  » 
de  M.  Laberthonnière,  le  secours,  donné  dans  l'ordre 
actuel  pour  nous  amener  à  la  première  connaissance 


certaine  de  Dieu  est  intrinsèquement  surnaturel.  11  le 
faut  bien  puisque,  dans  les  deux  cas,  c'est  par  le  <•  sur- 
naturel exigeant  »  que  nous  arrivons  à  connaître  véri- 
tablement Dieu. 

II  est  vrai,  avons-nous  dit,  que  quelques  théologiens 
ont  parlé  de  l'hypothèse  de  secours  surnaturels  con- 
cédés de  fait  dans  l'ordre  actuel  pour  nous  amener  à 
la  connaissance  certaine  de  l'existence  de  Dieu.  Mais 
lorsque  nos  apologistes,  en  quête  de  justification  pour 
la  méthode  d'immanence,  ont  recours  aux  vues  de  ces 
théologiens  et  disent  que  sans  les  dons  surnaturels  on  ne 
peut  pas  connaître  Dieu,  la  formule  n'a  pas  chez  eux  le 
même  sens  que  chez  les  théologiens  orthodoxes.  En  effet, 
la  phrase  peut  avoir  deux  sens  :  de  fait,  sans  un  secours 
surnaturel,  l'homme  n'arrive  pas  à  la  connaissance  de 
Dieu;  ou  bien,  en  droit,  sans  un  secours  surnaturel, 
l'homme  n'arrive  pas  à  la  vraie  connaissance  de  Dieu. 
Le  premier  sens  est  conciliante  avec  le  concile  —  et 
c'est  celui  des  théologiens  orthodoxes;  le  second  ne 
l'est  pas  —  et  c'est  celui  de  Luther,  de  Jansénius,  etc. 
Expliquons-nous. 

Le  premier  sens  est  conciliable  avec  le  concile,  à 
savoir,  de  fait,  sans  un  secours  surnaturel,  l'homme  n'ar- 
rive pas  à  la  connaissance  de  Dieu  dans  l'ordre  actuel  de 
providence;  en  ce  sens,  il  ne  peut  pas  connaître  Dieu 
sans  l'aide  d'une  grâce.  En  effet,  le  concile  n'a  rien 
voulu  décider  sur  les  «  conditions  »  de  l'exercice  du 
pouvoir  qu'il  définissait.  Dire  qu'un  secours  surnatu- 
rel, différent  de  la  révélation,  est  accordé  pour  que  ce 
pouvoir  passe  à  l'acte  ne  contredit  donc  pas  le  concile. 
Quand  on  ajoute  :  de  fait,  dans  l'ordre  actuel,  l'homme 
ne  peut  pas  connaître  Dieu  sans  la  grâce,  on  peut 
encore  concilier  la  pensée  avec  le  texte  voté.  En 
effet,  le  concile  a  défini  que  l'homme  en  général,  c'est- 
à-dire  l'homme  qu'étudie  la  philosophie,  est  constitué 
de  telle  sorte  que  par  sa  raison  naturelle  il  peut  con- 
naître Dieu  avec  certitude;  ce  qui  entraine  un  pouvoir 
intrinsèque  à  l'homme  de  connaître  Dieu,  et,  de  plus,  si 
un  secours  est  nécessaire  pour  que  ce  pouvoir  passe  à 
l'acte,  que  ce  secours  soit  assuré,  ne  fasse  jamais  défaut, 
quel  que  soit  l'ordre  de  providence  envisagé.  Cf.  l'appli- 
cation de  ces  principes  au  cas  de  l'idée  de  l'infini  du 
Dr  Kuhn,  faite  par  le  P.  Granderalh,  p.  41.  Les  théolo- 
giens orthodoxes  anciens  que  l'on  cite,  concilieraient 
donc  leur  doctrine  des  secours  surnaturels  avec  le 
concile,  en  disant  :  de  fait,  Dieu  ne  refuse  à  personne 
dans  l'ordre  où  nous  sommes  cette  grâce  surnaturelle 
qui  est  la  condition  de  la  connaissance  de  Dieu  ;  et, 
dans  l'état  de  nature  pure,  ce  secours  serait  remplacé 
par  un  autre,  en  dehors  de  toute  révélation.  Comme 
d'ailleurs,  chez  les  anciens  théologiens,  le  secours  dont 
ils  parlent  n'est  pas  per  modum  objectivi,  mais  servait 
seulement  à  faire  voir,  saisir  ou  admettre  les  prémisses 
naturelles  et  la  conclusion,  dans  leur  hypothèse,  c'était 
encore  au  sens  propre  qu'il  était  question  d'un  pouvoir 
rationnel  intrinsèque  à  l'homme,  et  la  certitude  aussi 
bien  que  la  connaissance  restaient  rationnelles.  Enfin, 
la  connaissance  n'atteignait  pas,  sans  la  révélation. 
Dieu,  comme  auteur  et  fin  de  l'ordre  surnaturel. 

Le  second  sens,  à  savoir,  en  droit,  sans  un  secours 
surnaturel,  l'homme  n'arrive  pas  à  la  connaissance  di 
Dieu;  en  ce  sens,  il  ne  peut  pas  connaître  Dieu  sans 
secours  surnature],  est  hérétique,  parce  que  la  formule 
ainsi  entendue  signifie,  comme  le  voulaient  Luther, 
Jansénius,  etc.,  l'homme,  en  général,  n'a  pas  le  pouvoir 
physique  de  connaître  Dieu.  On  nous  demandera  : 
Mais  comment  concilier  cette  conclusion  avec  l'aveu  fait 
précédemment  que  le  concile  n'a  rien  défini  sur  les 
auxilia  soit  naturels,  soit  surnaturels,  qui  peuvent 
intervenir,  hormis  les  secours  objectifs  qu'il  a  exclus  '.' 
Rien  n'est  plus  simple.  Le  concile  admet  que  l'un  des 
constitutifs  intrinsèques  de  l'homme  est  la  raison, 
pouvoir  physique  d'arriver  à  une  connaissance  et  à  une 


865 


DIEU    (CONNAISSANCE    NATURELLE    DE 


866 


certitude  rationnelles  de  Dieu;  qu'il  y  faille  de  l'aide, 
ni  il  ne  l'affirme,  ni  il  ne  le  nie;  qu'on  pense  qu'ac- 
tuellement, l'homme  a  de  fait  une  aide  non  exigée, 
surnaturelle,  c'est  conciliaire  avec  le  concile,  parce 
que  cette  hypothèse  n'entraine  pas  nécessairement  la 
négation  ou  la  mise  en  question  du  pouvoir  physique 
défini,  ainsi  que  nous  venons  de  l'expliquer;  de  même, 
qu'on  dise  que  nécessairement  un  secours  est  exige, 
debitum,  par  exemple,  l'idée  innée,  l'illumination,  la 
purgation,  si  le  pouvoir  physique  en  question  pour  l'acte 
et  l'objet  déterminés  dont  il  s'agit,  reste  intact,  on  est 
encore  en  règle  avec  le  concile.  .Mais,  si  l'on  combine 
les  deux  hypothèses  —  ce  qu'un  théologien  qui  tient  la 
notion  du  surnaturel  qui  résulte  du  concile  ne  fera 
jamais  —  et  que  l'on  dise  :  dans  l'ordre  où  nous  sommes 
une  aide,  surnaturelle,  gratuite,  est,  en  droit ,  nécessaire, 
on  dira  une  absurdité,  que  les  théologiens  qu'on  allè- 
gue n'ont  pas  dite;  et,  si  quelqu'un  l'a  dite,  il  n'est  pas 
à  suivre,  quel  qu'il  soit.  Si  on  donne  un  sens  à  celte 
absurdité,  on  niera  par  là  l'existence  dans  la  nature 
humaine  actuelle  du  pouvoir  physique,  actif,  défini  par 
le  concile.  Tel  est  le  cas  de  Jansénius.  Nous  avons  plus 
haut  exposé  comment,  d'après  lui,  nous  ne  pouvons 
arriver  à  la  connaissance  de  Dieu  que  par  la  foi-amour. 
Voici  ce  qu'il  écrit  sur  le  même  sujet  dans  son  com- 
mentaire du  livre  de  la  Sagesse,  xm,  5.  A  magnitudine 
enim  speciei,  id  est.  prsestanlia  puïchriludinis,  cognos- 
cibiliter  poterit  horum  crealor  videri;  per  inlellectus 
discursu.ru  quo  ex  creaturœ  cognilione,  ad  Deuni  se 
erigit.  L'nde  grxcc  clarkis  est  :  analogice  sive  per 
proportionem  poterit  videri.  Jusque  là  rien  de  plus 
orthodoxe,  et  les  modernistes  n'en  concéderaient  pas 
un  mot.  Mais  voici  :  quod  intellige,  nisi  mens  variis 
gentilitiorwn  deorum  erroribus  ebria  sit  ac  nimium 
déprava  ta,  ni  docet  August.,  tractatu  JOO  in  Joannem. 
'l'uni-  enim  mm  niai  magmr  gratis  adjutorio  lumen 
verse  divinitalis  intuetur.  Cursus  Scripturse  sacras 
de  M  igné,  t.  xvn,  col.  531.  Voilà  bien  le  secours  sur- 
naturel, nécessaireà  l'homme  tombé  d'après  Jansénius, 
parce  que  cet  homme  n'a  pas  !es  forces  suffisantes 
pour  s'élever  à  Dieu.  Or,  le  concile  du  Vatican  en- 
que  l'homme,  en  tout  état,  a  ces  forces.  Et  voilà  comment 
précisément  parce  que  le  concile,  sans  entrer  dans  la 
question  des  différents  états  de  l'humanité  et  dans 
celle  des  auxilia  de  ces  états,  a  défini  que  dans 
i  l'homme  en  général  Icta,  col.  131,  150,  se  trouve 
le  pouvoir  physique,  la  force  naturelle  de  connaître 
Dieu,  A'  ta,  col.  70.  1-27.  130,  il  résulte  du  texte  voté, 
par  uni  conséquence  qui  \  est  impliquée  et  que  le 
concile  connaissait,  Acta,  col.  131,  523,  n.  10,  547, 
n.  38  sq.,  1623,  que  loutet  le  doctrines  de  la  chute 
qui  nient  ce  pouvoir  veut  condamnées,  et  que  toutes 
1.  -  hypothèses  sur  le-  auxilia  qui  mettent  ce  pouvoir 
en  question  ou  le  nienl  sont  inconciliables  avec  la  doc- 
trine di  flnil  <  i  '  ainsi  que  d'un  coup  Luther,  Calvin. 
•  al,  Quesm  I.  Bautain,  le-  traditionaliste! 
de  Louvain  sont  frapp  - 

Maintenant,  des  deui  ibles    de  la  formule 

que   nous    étudions,    quel   esl    relui  que   prennent    les 

de  l'immanence,  les  apologistes  à  qui  déplai- 

rocédés  <  I  <   Il  col<      Le  pn  mil  i    sens  ne  ser- 

virait  île  rien  aux  immanentistes  pour  leur  but, qi 

d'arriver  à  pou  dei  aux  kantistes  et  auj 

■m  moyen  rationnel  d'at- 
teindre i  ml  i  chercher  ■<  le  retrouver  dans 

I  e\|  d'une  aide  surnatu- 

relle, du    rarnaturi  at.  Ils  choisissent  donc  le 

•  I  celui  qu'a  condamné  l'Église.  Luther,  Cal 

lu 
"u  que  l'homme  tombé  o  a  p  i    dan      ■  i 
les  forces  poui    un  si    >    la   connal  tance  de  Dieu- 
parallèlement,  et  non    ans  Ils 

Ique.,  la  philosophie  nominaliste,  i  mpi- 

t)lf.T.    Dl   Tllioi..    CAT1IOI. 


riste  ou  idéaliste,  est  arrivée  à  une  conclusion  iden- 
tique. Les  nouveaux  apologistes  qui,  sans  adopter  l'im- 
manence comme  doctrine,  l'acceptent  comme  méthode 
exclusive,  commencent  par  concéder  cette  impuissance 
de  la  raison  en  matière  morale  et  religieuse,  en  s'ap- 
puyant  sur  Pascal,  sur  les  pseudo-mystiques,  ou  bien 
sur  les  prétendus  «  résultats  acquis  »  de  la  critique  kan- 
tienne et  positiviste;  puis,  ils  se  donnent  —  à  quel 
titre  logique  et  rationnel,  on  ne  sait  —  ils  se  donnent 
donc,  non  sans  soupçon  de  fidéisme,  le  surnaturel  pro- 
prement dit,  dans  le  concours,  ou  dans  le  désir,  etc., 
sans  remarquer,  semble-t-il,  que  la  question  dogma- 
tique se  pose  :  oui,  ou  non,  avons-nous  le  pouvoir 
physique  de  parvenir  à  une  certitude  rationnelle  de 
Dieu,  qu'a  défini  le  concile?  Précisons  notre  pensée. 
L'encyclique  Pascendi  regrette  que  des  catholiques 
se  servent  en  apologétique  de  la  méthode  d'immanence. 
Denzinger,  10e  édit.,  n.  2103.  Il  s'agit,  dans  ce  pas- 
sage, de  l'apologétique  de  la  religion  catholique;  et  le 
document  fait  remarquer  que  ces  apologistes  ont  eu 
tort  de  mettre  en  l'homme  une  «  exigence  »  et  non 
pas  seulement  une  «  convenance  »  au  surnaturel.  11 
ne  suit  pas  de  ce  passage  que  l'encyclique  enseigne 
qu'on  ne  puisse  pas  démontrer  Dieu  en  prenant  pour 
point  de  départ  notre  nature  morale  et  religieuse,  con- 
sidérée comme  un  fait.  Lorsque  donc,  il  y  a  quinze  ans, 
M.  lilondel  partait  des  faits  de  conscience  moraux  et 
religieux  et  concluait  à  Dieu  dans  L'action,  il  était  sur 
ce  point  précis  —  et  en  ne  tenant  pas  compte  ni  de  ses 
concessions  très  larges  au  kantisme,  ni  de  ses  pré- 
tentions à  tout  retrouver  dans  sa  conscience  de  philo- 
sophe chrétien  —  moins  loin  de  beaucoup  de  théolo- 
giens qu'on  ne  pourrait  le  croire  au  premier  abord. 
Mais  depuis,  sous  le  prétexte  de  chercher  des  appuis 
théologiques,  pour  éviter  le  surnaturel  exigé,  dont  on 
avait  d'abord  parlé,  on  a  introduit  la  considération  des 
auxilia,  et  l'on  a  parlé  du  surnaturel  «  anonyme  » 
exigeant.  Cf.  Laberthonnière,  Essais  de  philosophie 
religieuse,  Paris,  1903,  Appendices,  p.  316  sq.  L'ency- 
clique Pascendi  décrit  à  merveille  ce  qui  s'est  passé. 
Denzinger,  10e  édit.,  n.  2074,  2081.  L'action  divine  est 
devenue  la  cause  de  la  connaissance  religieuse,  et  dans 
cette  connaissance  l'expérience  a  remplacé  la  raison, 
comme  chez  beaucoup  de  protestants  et  chez  les  pseudo- 
mystiquee.  Que  deviennent,  si  les  choses  se  passent 
ainsi,  la  connaissance  et  la  certitude  rationnelles  de 
l'existence  de  Dieu  définies  par  le  concile  ' 
11  ne  m'échappe  pas  que  les  apologistes,  dont  il  est 
moment  question,  font  —  quelques-uns  du  moins 

—  les  plus  grands  efforts  pour  aller  moins  loin  que 
les  protestants  et  les  psoudo-linsliques,  et  pour  arriver 
a  une  connaissance  vraiment  rationnelle  de  Dieu. 
Cf.  Blonde),  dans  les  Annales,  t.  cm,  p.  '230  sq.  Nous 

tenons  compte  de  ces  ellorts,  tout  en  restant  sceptique 
sur  la  valeur  du  résultat;  nous  savons  que  M.  I  aber- 
thonniere  entend,  par  les  procédés  qu'il  emploie,  prou- 
ver l'existence  de  Dieu,  Essais,  p.  78,  note;  «le  même 
nous  savons  que  ces  apologistes  refusent  d'avouer  que 
le  surnaturel  soit  dans  leur  syslèmi \igé  „.  Ibid., 

p,  315  sq     M  us  il  nous  semble  que  deux  choses  les  ont 

La  premièn    esl  que,    partant   de   l'hypothèse  que 
entimenl  certain  donné'  a  l'idée  de  Dieu  n'eal  pas 
déterminé  uniquement  par  le  poids  des  preuvi 

d. m-   i'     Béni   D'est  pas  pure ut   rationnel,   il-   ont  (in 

pouvoir  négliger  ce  que  cet  assentiment  .i  de  rationnel 

—  de  lé  fi-  concessions  initiales  au  kantisme,  au 
pai  udo  m] sti<  i  au    lien    de    s'attacher, 

ne  font  1  mettra  en 

relief  cet  élément  rationnel.  Ensuite,  l'étant  donni 
auxilia  surnaturels,  ils  parai  |u'on 

peut  ienl  <  i  .<  bon  droit  transport 

que  les  tii  de  la  libei  té  di  i  acte  lui  oa» 

iv.  -  n 


807 


DIEU    (CONNAISSANCE   NATURELLE    DE) 


868 


turel  de  foi,  au  cas  de  l'adhésion  certaine,  que  natu- 
rellement nous  sommes  capables  de  donner  ration- 
nellement à  l'existence  de  Dieu.  Jansénius,  on  s'en 
souvient,  avait  eu  la  même  conception;  les  païens  qui 
ont  connu  Dieu,  d'après  lui,  ont  rc(,u  la  grâce  surna- 
turelle de  l'amour;  dans  et  par  cet  acte  libre  ils  ont 
connu  Dieu,  dont  ils  ont  pu  rationnellement  se  légiti- 
mer ensuite  la  connaissance  par  le  discours. 

A  cette  conception  on  oppose  le  raisonnement  sui- 
vant, qui  n'est  pas  usé  pour  avoir  servi  contre  les  tra- 
ditionalistes. Si  vous  prétendez  que  l'existence  de  Dieu 
ne  peut  pas  être  aflirmée  avec  certitude  sans  un  acte 
essentiellement  libre  (produit  avec  ou  sans  la  prémo- 
tion physique,  avec  tel  ou  tel  secours  surnaturel,  etc., 
peu  importe),  vous  devez  concéder  qu'antérieurement  à 
cet  assentiment  libre  personne  n'a  et  ne  peut  avoir  la 
connaissance  certaine  de  Dieu  —  c'est  bien  de  fait  ce 
que  les   apologistes  de  l'immanence   soutiennent,    les 
mots  «   action,   vie,  orientation   »,  etc.,   désignant  un 
acte  libre.  D'où  la  singulière  conséquence  :  dans  votre 
système,  avant  d'avoir  librement  voulu  tenir  pour  cer- 
taine l'existence  de  Dieu,  c'est-à-dire  avant  d'avoir  pro- 
duit l'acte  libre  dans  et  par  lequel,  ou  bien  à  la  suite 
duquel,  on  connaît  Dieu,  il  est  impossible  à  l'homme 
de   se   considérer    rationnellement   comme  obligé  en 
conscience  de  suivre  la  loi  naturelle;  car  cette  obliga- 
tion ne  va  pas  sans  la  connaissance  certaine  du  légis- 
lateur. Et  qu'on   ne  dise  pas  :  Mais,  comme  beaucoup 
de    théologiens,     nous    admettons    le   fait    initial    de 
l'obligation.  Car  il  y  a  disparité.  En  effet,  les  théolo- 
giens qui  admettent   la  valeur  de  la  preuve  de  l'exis- 
tence de  Dieu  par  le  fait  de  l'obligation,  montrent  que 
ce  fait  entraine  la  connaissance  certaine  de  Dieu  —  en 
cela  vous  faites  comme  eux  ;  mais  ces  mêmes  théologiens 
ne  donnent  à  la  liberté  aucune  part  dans  la  genèse  du 
fait  de  conscience  subjectif,  qu'on  appelle  le  sentiment 
de   l'obligation.  Or,   dans  votre   système,  si  la  liberté 
n'intervient  pas  dans  la  genèse  du  sentiment  de  l'obli- 
gation, ce  sentiment  ne  peut  pas  impliquer  la  connais- 
sance certaine  de  Dieu,  puisque,  dans  voire  doctrine, 
l'existence  certaine  de  Dieu  ne  peut  être  affirmée  que  par 
un  acte  libre.  «  Sous  une  forme  ou  sous  une  autre,  écrit 
M.  Blondel,  Lettre  sur  les  exigences,  etc.,  p.  GO,  est 
fait  nécessairement  à  l'homme  un  don  surnaturel...  et 
l'homme  doit  sentir  en  quelque   manière  l'obligation 
d'accepter  ce  don.  »  Et  si  la  liberté  intervient  dans  la 
genèse  du  sentiment  de  l'obligation,  de  la  responsabi- 
lité —  ou  du  fait  psychologique  quelconque  qui  vous 
sert  de  base,  car  la  nature  spécifique  de  ce  fait  est  ici 
indifférente,  pourvu  qu'il  dépende  de  la  liberté  —  si, 
dis-je,  la  liberté  intervient  dans  le  fait  qui  sert  de  base 
à   votre    argumentation    pour   prouver  l'existence   de 
Dieu  :  que  devient  chez  vous  la  morale?  Sera  obligé, 
qui  le  voudra  bien.  Quant  à  trouver  Dieu,  l'Etre  non 
pas  seulement  subjectivement  nécessaire,  mais  l'Être 
objectivement  nécessaire,  en  partant  d'un  tel  fait,  il  n'y 
faut  pas  songer  :  debiliorem  scquilur  'parlent  conclu- 
sio.  Tout  au  plus,  déduirez-vous  «  la  catégorie  de  l'idéal», 
esthétique,  eudémonique,  social,  etc.  Et  la  nature  in- 
trinsèque du  concours  ou  du  secours  que  vous  mettez 
à  la  clef,  ne  changera  rien  à  la  portée  du  résultat.  Il 
ne   restera  toujours  qu'une  vérité  et  qu'une  certitude 
subjectives  à  la  fin  de  tous  vos  raisonnements.  Mais, 
s'il  en  est  ainsi,  que  deviennent  la  connaissance  et  la 
certitude  rationnelles  définies  par  le  concile?  Il  faut 
s'en  souvenir;  le  mot  cerlo  fut  très  attaqué  au  concile. 
Un  amendement  proposa  de  le  supprimer,  Acta, col.  224, 
«  comme  superflu  pour  les  catholiques,  puisque  con- 
naître et  connaître  avec  certitude  sont  équivalents,  et 
comme  très  utile  aux   rationalistes,   »  qui  en  profite- 
i  lient  sans  doute  pour  s'en  tenir  à  la  religion  naturelle 
de  Wegscheider  et  de  Jules  Simon.  Le   concile,  pour 
éviter  un  abus  possible,  ne  voulut  pas  sacrifier  la  vérité; 


il  préféra  maintenir  les  droits  de  la  raison  et  vota  le 
mot  cerlo,  dont  celte  discussion  montre  les  consé- 
quences et  la  portée. 

Une  autre  cause  de  l'illusion  des  mêmes  apologistes 
est  leur  appréciation  de  la  doctrine  du  concile  relati- 
vement à  l'état  de  nature  pure.  Cf.  Iiirot,  dans  les 
Annales  de  philosop/iie  chrétienne,  t.  eu,  p.  :#>;  Fon- 
segrive,  dans  le  Correspondant,  juin  1908,  p.  1166.  Il 
est  vrai,  comme  ils  le  disent,  que  le  concile  n'a  pas 
défini  la  possibilité  de  l'état  de  nature  pure.  Mais  il  est 
absolument  faux  que  les  théologiens  ne  peuvent  et  ne 
doivent  rien  déduire  du  concile  relativement  à  cette  » 
possibilité,  il  est  absolument  faux  que,  relativement 
au  pouvoir  spécial  de  connaître  Dieu  avec  certitude  par 
la  raison  naturelle,  les  controverses  antérieures  au 
concile  soient  restées  en  leur  état.  Acta,  col.  1623  sq. 
Le  lecteur  aura  remarqué  dans  nos  citations  que 
l'expression  «  état  de  nature  pure  »  est  revenue  sou- 
vent dans  les  discussions  du  concile.  Cependant,  le 
concile  n'a  rien  décidé  sur  ce  sujet  directement;  il 
s'en  est  tenu  à  ce  qui  se  trouve  dans  l'Épitre  aux  Ro- 
mains, entendue,  non  au  sens  luthérien,  calviniste  ou 
janséniste,  mais  au  sens  de  la  tradition  catholique. 

Nous  pourrions  nous  contenter  ici  de  conclure  : 
comme  les  théologiens  prouvent  très  bien  que  l'Écri- 
ture ainsi  entendue  exige  la  déduction  de  la  possibilité 
de  l'état  de  nature  pure,  la  question  est  vidée.  Mais,, 
sans  entrer  dans  ce  très  vaste  sujet,  bornons-nous  au 
point  spécial  qui  nous  occupe.  Le  concile  a  voulu  défi- 
nir qu'il  y  a,  dans  «  l'homme  en  général  »,  un  pouvoir 
physique  de  connaître  Dieu  par  les  lumières  de  la 
raison  naturelle;  ce  qui  signifie  que  ce  pouvoir  est 
un  des  constitutifs  intrinsèques  de  l'homme,  quelque 
chose  qui  est  de  l'essence  de  l'homme  ou  qui  en  dé- 
coule nécessairement,  de  telle  sorte  que,  quoi  qu'il  en 
soit  des  conditions  de  l'exercice  de  ce  pouvoir,  ce  pou- 
voir existe  par  le  fait  qu'un  individu  humain  est  donné. 
Les  anciens  protestants  et  les  jansénistes  concédaient 
que  dans  l'idée  de  l'homme  se  trouve  un  tel  pouvoir; 
mais  ils  ajoutaient  que  l'homme  déchu  l'a  perdu  et  que- 
l'homme  relevé  ne  l'a  que  par  la  foi.  Or,  nous  avons 
vu  que  saint  Paul,  parlant  de  l'homme  déchu  et 
relevé,  c'est-à-dire  de  l'homme  tel  qu'il  est  de  fait,  de 
«  l'homme  historique  »,  affirme  qu'il  ace  pouvoir;  et,. 
aussi  bien  dans  saint  Paul  que  dans  le  livre  de  la 
Sagesse,  le  moyen  objectif  et  le  moyen  subjectif  assi- 
gnés ne  sont  ni  la  révélation  proprement  dite,  ni  la 
foi,  mais  le  témoignage  des  créatures  et  la  raison.  La 
conception  protestante  et  janséniste  des  suites  de  la 
chute  et  de  la  rédemption  se  trouve  donc,  sur  ce  point 
spécial,  condamnée. 

Cependant,  bien  que  saint  Paul  parle  de  «  l'homme 
historique  »,  on  peut  légitimement  et  on  doit  affirmer 
le  même  pouvoir  de  «  l'homme  en  généra]  ».  Qu'est-ce. 
en  effet,  que  «  l'homme  en  général  »?  Rien  autre  que 
les  principes  constitutifs  de  l'homme  et  tout  ce  qui  en 
découle  nécessairement,  ce  sans  quoi  on  ne  peut  pas 
penser  l'homme  et  cette  expression  connote  en  même 
temps  qu'on  fait  abstraction  des  conditions  particule 
des  individus  de  l'espèce  humaine  et  qu'on  doit  cette 
notion  à  l'observation  de  l'espèce  humaine,  telle  qu'elle 
nous  est  donnée  dans  l'expérience:  en  d'autres  termes, 
la  base  de  cette  idée  abstraite  est,  non  un  être  de  raison, 
mais  l'homme  historique.  Mais,  si  l'homme  en  général 
n'est  pas  autre  chose  que  cela,  il  se  trouve  que  saint 
Paul,  partant  et  parlant  lui  aussi  de  l'homme  historique, 
ne  disant  rien  des  conditions  particulières  des  individus, 
et  affirmant  d'une  manière  absolument  universelle  dans 
l'homme  historique  l'existence  d'un  pouvoir  subjectif 
de  connaître  Dieu  auquel  correspond  un  moyen  objectif, 
les  créatures,  énonce  une  proposition  sur  l'animal  rai- 
sonnable, qui  est  l'homme  en  général,  comme  font  tous 
les  jours  les  philosophes  et  aussi  beaucoup  de  ceux. 


869 


DIEU    (CONNAISSANCE   NATURELLE    DE; 


870 


qui  ne  le  sont  pas.  Voilà  ce  qui  se  trouve  dans  saint 
Paul  et  dans  le  concile  du  Vatican.  Et,  je  le  répète,  ce 
n'est  pas  la  définition  de  la  possibilité  de  l'état  de 
nature  pure. 

.Mais  les  théologiens  peuvent  et  doivent  déduire  du 
texte  du  concile  plusieurs  conséquences  relativement 
à  cette  possibilité.  Laissons  de  côté  ce  qui  touche  à  la 
concupiscence,  à  l 'immortalité  et  au  mal  physique.  On 
sait  que,  depuis  longtemps,  les  théologiens  déduisaient 
la  possibilité  de  l'état  de  nature  pure  de  la  théorie 
classique  du  surnaturel  et,  en  second  lieu,  de  la  pos- 
sibilité pour  l'homme  actuel,  sans  révélation,  d'avoir 
quelque  vie  morale  et  religieuse.  L'argumentation 
protestante  et  janséniste  contre  la  possibilité  de  cet  état 
était  au  contraire  principalement  fondée  sur  une  autre 
notion  du  surnaturel  et  sur  l'impossibilité  de  toute  vie 
morale  et  religieuse  pour  l'homme  déchu,  faute  du 
pouvoir  de  connaître  Dieu  avec  certitude.  Le  raisonne- 
ment des  théologiens  orthodoxes  était  le  suivant. 
L'homme  tel  qu'il  nait  aujourd'hui,  outre  les  principes 
constitutifs  et  consécutifs  de  sa  nature,  a  le  péché  ori- 
ginel, la  privation  de  la  grâce  sanctifiante  et  de  la  fin 
surnaturelle,  la  concupiscence,  la  mort  et  les  misères 
de  la  vie  :  toutes  suites,  qui  sont  maintenant  des  peines 
du  péché  d'Adam  ;  enfin  l'homme  actuel  a  en  naissant 
la  simple  «  carence  »  ou  absence  des  dons  surnaturels 
ou  préternaturels  d'Adam.  Or,  Dieu  n'a  pas  pu  créer 
l'homme  soit  avec  le  péché  originel,  soit  avec  les 
peines  du  péché  originel,  mais  très  bien  avec  la  simple 
«  carence  »  ou  l'absence  des  dons  gratuits  histori- 
quement conférés  à  Adam.  Mais  l'homme  ainsi  créé 
serait  précisément  dans  l'état  de  nature  pure.  Donc  cet 
état  est  possible.  Comment  prouvait-on  que  Dieu  pou- 
vait créer  l'homme  avec  la  simple  absence  des  dons 
conférés  à  Adam?  Précisément,  par  la  doctrine  de  la 
gratuité  des  dons  surnaturels  dune  part,  et  par  la  pos- 
sibilité pour  l'homme  d'avoir,  sans  ces  dons,  quelque 
vie  morale  et  religieuse,  c'est-à-dire  parce  que  l'homme 
avait  dans  sa  nature  intrinsèque  le  pouvoir  de  con- 
naître Dieu  avec  certitude.  D'où  suivait  la  méthode 
scolastique,  attaquée  par  Bonnetty  comme  conduisant 
mm  rationalisme,  au  naturalisme  et  au  panthéisme,  mais 
défendue  par  l'Église,  Denzinger,  n.  1508;  d'après  la- 
iu>  Ile  méthode,  dans  l'état  actuel  de  l'humanité— qui 
est  le  même  que  celui  de  la  nature  pure,  si  on  fait 
abstraction  du  péché'  originel  et  de  ses  suites  qui  sont 
maintenant  des  i"  ines  —  sont  possibles  uni'  philoso- 
phie objectiviste,  une  morale,  une  théodicée  et  même 
une  religion  naturelles,  insuffisante-,  il  est  vrai,  pour 
le  salut  dans  l'ordre  de  providence  surnaturelle  où  la 
boni'  ei  |cl  miséricorde  divines  a  voulu  nous  placer, 
mai-  objectivement  valables,  moralement  utiles  et 
bonnes. 

Or,  qu'a  fait  le  concile  >\u  Vatican?  Il  a  f.iit  sienne 
l.i  doctrine  traditionnelle,  celle  de  l'Ecole  par  consé- 
quent,  loui  hanl  le  surnaturel,  Denzinger,  n.  1635;  il  ■> 
défini  li'  pouvoir  physique  de  l'homme  ■<  connattre 
Dieu.  Uni).,  n.  I6.'li.  Par  là,  Ii  protestants  el 

jansénistt  deux  points  sont  jugés.  Donc,  bien 

que  du  concile  on  ne  puisse  pas  d  dune  la  possibilité 
de  l'étal  de  nature  pure  en  bloc,  parce  que  cette  con- 
ique  i  i  théologiquemenl  1 1  i  taine  dép<  ml 
i  ib  plusieurs  .miles  questions  dont  le  concile  n  .. 
point  parlé,  cependant  il  esl  faux  de  due  que  du  eon- 
c  île  rien  ni  -une  -m  cette  possibilité.  Les  plu 
diflli  nid  ..lues  cl  ce  n  ter  la 

"M  autori  •  •  .lue  oncile  que  de  les  r<  i  hauffer.  On 
rit,  comme  si  tout  ce  qu'ont  Imagim   sur 
olestants,  les  jansi  ailles,  el  m 
'i  ailleui  !  .h  iont<  nable 

srd'hui.  Il  faudrall  pourtant  te  louvenii  que 
■  ni  a  la  notion  du  surnaturel  et  turtoul  relativt 
m  ni  .  c  Ile  du  pouvoir  de  connaître  Dieu  .née  . 


tude  par  les  lumières  de  la  raison  naturelle,  l'état  des 
controverses  n'est  plus  le  même  qu'il  y  a  quarante  ou 
quatre  cents  ans. 

Quand  donc  on  nous  dit  que  le  concile  n'a  pas  défini 
la  possibilité  de  l'état  de  nature  pure,  etque,par  consé- 
quent, le  pouvoir  physique  de  connaître  Dieu  avec  cer- 
titude ne  gît  pas  dans  les  principes  intrinsèques  et 
constitutifs  de  notre  nature,  l'on  se  trompe;  car  bien 
que  le  concile  n'ait  pas  décidé  de  toute  la  question  de 
l'état  de  nature  pure,  il  a  tranché  précisément  le  point 
que  nous  étudions.  On  nous  oppose  immédiatement  les 
rares  théologiens  molinistes  qui  ont  admis  le  fait  de 
secours  surnaturels  donnés  dans  l'ordre  de  providence 
actuel  pour  arriver  à  la  connaissance  de  Dieu;  et  l'on 
dit  :  puisque  ceux-là  ne  sont  pas  condamnés,  pourquoi 
le  serions-nous?  comme  eux,  nous  ne  parlons  que  de 
secours  surnaturels,  donnés  en  fait,  et  nous  nous  refu- 
sons à  les  dire  exigés,  nécessaires.  J'ai  déjà  répondu. 
Je  me  résume. 

Supposons  qu'un  de  ces  molinistes  emploie  toutes 
les  formules  de  la  méthode  d'immanence  :  dans  l'ordre 
où  nous  sommes,  la  connaissance  de  Dieu  est  due  à 
l'action  d'une  aide,  qui  est  surnaturelle,  et  cela, 
précisément  en  tant  que  cette  aide  est  surnatu- 
relle; cette  aide  est  donc  dans  l'ordre  actuel  né- 
cessaire, indispensable;  nous  connaissons  Dieu  grâce 
au  surnaturel  exigeant.  Sûrement  le  moliniste  qui 
parlerait  ainsi  serait  attaqué  et  par  les  siens  et  par  les 
autres  écoles  —  et  avec  raison.  Mais,  sur  le  point  spé- 
cial de  l'accord  avec  le  concile  quant  au  pouvoir  phy- 
sique défini  et  quant  à  la  distinction  de  l'ordre  su  i  na- 
turel (au  sens  du  concile)  et  de  l'ordre  naturel,  ce  mo- 
liniste hypothétique  se  disculperait  par  cette  simple 
remarque.  Je  ne  mets  pas  en  péril  le  pouvoir  physique 
de  la  raison,  parce  que  j'admets  que  dans  un  autre 
ordre,  sans  aucune  aide  surnaturelle,  le  m.  nie  homme 
pourrait  connaître  Dieu  par  sa  raison.  Quand  donc  je 
disque  l'aide  surnaturelle,  précisément  en  tant  qu'elle 
est  surnaturelle,  est  maintenant  indispensable,  néces- 
saire, d'une  part,  je  ne  mets  pas  en  question  le  pouvoir 
physique  de  la  raison,  je  ne  parle  que  des  conditions 
de  l'exercice  de  ce  pouvoir  dont  le  concile  n'a  rien  dit; 
d'autre  part,  je  ne  peux  pas  être  acculé  au  surnaturel 
i  :,  soit  parce  que  je  tiens  fermement  à  la  possibilité 
de  l'étal  de  nature  pure,  ou,  par  définition, 'il  u'j  aurait 
point  de  surnaturel,  soit  pareeque,  quant  à  la  manifes- 
tation de  l'existence  de  Dieu,  dans  mon  système,  elle 
ne  dépend  pas  précisément  de  la  surnaturalité  du 
secours.  En  eiïel,  si  j'admets  dans  cet  ordre  la  néces- 
■  hypothesi)  d'un  secours  qui  est  surnaturel,  el 
si  je  dis  que  ce  secours  nous  aide  de  fait  à  connaître 
Dieu  précisé nt  en  tant  qu'il  est  surnaturel,  remar- 
quez que  j'admets  que,  dans  l'état  de  nature  pure,  .. 
secours  serait  remplacé  par  un  autre,  non  surnaturel, 
qui  amènerait  l'homme  exactement  A  la  même  connais- 
sance. La  Burnaturalité  du  secours  n'est  dune  pas  préci- 
sément ce  qui  nous  amène  i  connaître  Dieu.  Tout  cela 

serait  compliqué';  mais  enfin,  pour  un  théologien,  c'est 

intelligible.  Un  bannézien,  qui  se  placer,,  il  .fins  h 'nie 

hypothèse,  emploierait   pour  répondre  une  terminolo- 
gie diffi  rente,  mais  le  fond  de  >a  >  épon  e  et  le  pi  ■ 
employé  reviendraient  au  même    \  l'issue,  il  esl  vrai, 
li  bannézien  aurait  du  pouvoir  physique  naturel  affirmi 
un  concept  qui  serait  moins  fort  que  celui  du  moliniste, 
..  cause  de  la  différence  qui  existe  dans  les  deux  1 1 
».  des  pouvoirs  finis,  des  < 
deux  écoles  aboutiraient,    dans  l'hypotl 
introduite,  i  un  pouvoir  physique  naturel,  constitutif, 

iliel    i   l'homme  dans  loul  état.    Cf.   Desjardins, 
ttr  l'ordre  rurnaturel,  dans  la  Revue  dei 

iquea,  1872,  t.  \w.  p,  188,  348;  Salmantlcen 

diap    KX,  dub.  I,  §  3,  n.  i't  sq   <  . 
point         '  ir  lerest<  de  l'hypotl 


87] 


DIEU    (CONNAISSANCE   NATURELLE   DE) 


872 


Que  ilisent  les  auteurs  dont  nous  discutons  la  posi- 
tion'.' Excluant  la  possibilité  de  la  nature  pure,  ils  ne 
peuvent  pas  expliquer,  comme  le  moliniste  et  le  ban- 
nézien  hypothétiques  dont  je  viens  de  parler,  comment 
ils  gardent  le  pouvoir  physique  rationnel  défini  par  le 
concile.  Concédant,  d'une  part,  la  thèse  kantiste  et 
positiviste  de  l'impuissance  de  la  raison  à  connaître 
Dieu,  et  soutenant,  d'autre  part,  que  nous  le  connaissons 
à  l'aide  du  surnaturel  intrinsèque,  ils  font  dépendre 
cette  connaissance  précisément  de  l'aide  surnaturelle 
en  tant  que  surnaturelle;  et  cette  formule,  dans  leur 
hypothèse,  met  en  question  la  réalité  du  pouvoir  phy- 
sique rationnel  délini  par  le  concile,  puisque  leurs 
concessions  aux  résultats  acquis  (?)  du  kantisme  et  du 
positivisme  ne  signifient  pas  autre  chose  que  la  négation, 
ou  la  non  considération,  de  ce  pouvoir.  C'est  donc  chez 
eux  la  sumaturalité  même  du  secours  qui  précisément 
manifeste  l'existence  de  Dieu  :  cela,  ils  ne  le  nient  pas, 
puisqu'ils  parlent  du  consors  divinœ  naturse  et  con- 
cluent à  la  possession  de  Dieu,  fin  surnaturelle.  D'où  il 
suit  que,  chez  eux,  le  surnaturel  est  exigé,  et  non  pas 
seulement  exigeant.  Il  est  exigé,  debitum,  parce  que 
l'homme  sans  obligation  morale,  sans  (in,  est  inconce- 
vable; mais  la  morale  et  la  fin  exigent  la  connaissance 
certaine  de  Dieu  ;  or  tout  le  système  est  construit  sur 
l'hypothèse  que,  dans  l'ordre  actuel,  seule  la  sumatu- 
ralité du  secours  manifeste  Dieu.  Le  secours  surnaturel 
est  donc  exigé  dans  l'ordre  actuel,  et  par  conséquent  la 
révélation  et  tout  le  reste.  Mais  le  concile  a  délini  que 
tout  l'ordre  surnaturel  est  gratuit,  n'est  pas  absolument 
nécessaire,  même  pour  l'état  actuel  de  l'humanité,  .le 
ne  vois  donc  pas  comment,  malgré  l'affirmation  des  dits 
apologistes  que  leur  système  n'admet  pas  le  surnaturel 
exigé  et  par  suite  n'entraîne  aucune  confusion  de  l'ordre 
naturel  et  de  l'ordre  surnaturel,  ils  évitent  ces  consé- 
quences. Me  déliant  ici  de  ma  mentalité  moliniste,  je 
me  mets  un  instant  dans  l'hypothèse  bannézienne,  ou 
dans  le  scotisme,  et  je  vois  bien  qu'il  y  faut  juger 
comme  dans  l'hypothèse  moliniste.  Comme,  d'autre 
part,  les  néo-thomistes  ont  réclamé  contre  la  méthode 
d'immanence,  et  la  repoussent  presque  tous;  bien  que 
je  ne  puisse  pas  juger  de  leurs  raisons,  parce  qu'ils 
n'ont  pas  encore  eu  le  temps  ou  le  génie  de  produire 
sur  l'ensemble  de  la  théologie  des  travaux  exhaustifs, 
analogues  à  ceux  que  nous  ont  laissés  les  scotistes,  les 
bannéziens  ou  les  molinistes;  je  pense  que,  même  dans 
ces  systèmes  récents,  malgré  des  hésitations  constatées 
çà  et  là  et  des  concessions  malheureuses,  on  arriverait 
aux  mêmes  conclusions  que  celles  des  molinistes  et 
des  bannéziens.  D'où  je  conclus  que  Mo1'  Turinaz  a  eu 
raison  de  dire  que  les  nouvelles  méthodes  sont  inconci- 
liables avec  le  Vatican;  en  tout  cas,  si  elles  sont  conci- 
liables,  je  ne  le  vois  pas;  et  les  réponses  faites  jusqu'à 
ce  jour  ne  le  montrent  pas  quant  au  point  spécial  dont 
il  est  ici  exclusivement  question,  celui  du  pouvoir  phy- 
sique de  connaître  Dieu  par  les  lumières  naturelles  de 
la  raison.  Sans  rien  connaître  ni  directement  ni  indi- 
rectement des  secrets  des  Congrégations  romaines,  je 
m'explique  donc  très  bien  la  mise  à  l'Index  des  Essais 
de  M.  Laberthonnière. 

Pour  l'interprétation  du  concile  sont  à  étudier  d'abord  les  Acta 
concilii  Vaticani,  dans  la  Collectif)  Lacensis,  t.  vu.  La  partie 
olïicielle  de  cette  publication  s'étend  jusqu'à  la  col.  500  du  vo- 
lume. C'est  surtout  là  que  nous  avons  puisé.  Les  références  à  ce 
qui  suit  cette  colonne  se  rapportent  aux  travaux  préparatoires 
des  théologiens  et  aux  études  de  la  commission  conciliaire. 
Ktisuite  sont  à  consulter  :  Granderath,  Constitutiones  dogtna- 
tiese  sacrosancti  œcumen. concilii  Vaticani,  Fribourg-en-Rris- 
gau,  1892,  p.  32,  77,  97;  Vacant,  Études  thcologiques  sur  les 
constitutions  du  concile,  du  Vatican,  2  in-8°,  Paris,  1895,  t.  i. 
p.  282-305,  et  passim.  Nous  devons  beaucoup  a  ces  Jcm  auteurs; 
el  souvent  nous  n'avons  fait  qu'appliquer  leurs  principes  à  des 
problèmes  qui  n'étaient  pas  soulevés  de  leur  temps  parmi  les 
'  atholiques.  Les  théologiens  qui  ont  écrit  après  Je  concile  sont 


ment  à  consulter,  surtout  Franzelin,  lie  Deo  uno  et  De 

traditiune.  Appendix.  Voir  la  bibliographie  de  la  section  suivante. 

XII.  Justification  f.t  sources  de  i.a  doctrine.  —  La 

méthode  que  nous  avons  suivie  pour  exposer  le  sens  pré- 
cis de  la  définition  conciliaire,  et  qui  a  consisté  à  dé- 
terminer ce  sens  à  l'aide  des  arguments  sur  lesquels  le 
concile  s'est  appuyé,  nous  dispense  d'entrer  ici  dans  de 
longues  études  scripturaires  et  patristiques.  Tout  ce 
que  nous  pouvions  faire  dans  un  sujet  qui  touche  à 
tant  de  points,  c'était  d'orienter  le  lecteur  à  travers  ce 
fouillis  de  faits  et  de  doctrines,  qui  encombrent  aujour- 
d'hui, comme  a  dit  M.  Piat,  les  abords  de  l'idée  de  Dieu. 
Les  détails  trouveront  place  dans  les  différents  articles 
de  ce  dictionnaire,  spécialement  en  ce  qui  concerne 
la  doctrine  des  Pères.  Esquisser  cetle  question  nous  a 
paru  inutile;  car  elle  est  elle-même,  si  on  veut  la  traiter 
scientifiquement,  très  complexe.  Mieux  vaut  ne  rien 
dire  sur  un  pareil  sujet  que  de  paraître  écourlé  et  de 
rester  insuffisant.  Nous  préférons  nous  borner  à  quel- 
ques références  utiles. 

1°  Ecriture.  —  Les  commentaires  de  Corneille  de  la  Pierre 
sur  Sap.,  xiii,  et  Rom.,  i,  sont  à  lire  ainsi  que  le  commentaire 
de  saint  Thomas  sur  l'Épitre  aux  Romains.  Pour  le  livre  de  la 
Sagesse,  Lorin,  Comment,  in  Sapientiam,  Lyon,  1607;  dom 
Calmet  ajoute  à  son  commentaire  du  même  livre  une  intéressante 
étude  sur  l'origine  de  l'idolâtrie  ;  C.  L.  Grimm,  Das  Buch 
der  Weislieit,  dans  Kurzgefasstes  exegetisches  Handbuch  zu 
den  Apocnjphen  des  A.  T.,  Leipzig,  1860;  C.  Gutberlet,  Das 
Buch  der  Weislieit  ïtbersetzt  und  erklàrt,  Munster,  1874.  Sur 
Rom.,  i,  19  sq.,  les  meilleurs  théologiens  renvoient  à  Tolet, 
Commentarii  et  annotât,  in  Epist.  B.  Pauli  ad  Romanos, 
Rome,  1602;  Cornely,  Epist.  ad  Rom.,  dans  le  Cursus  Serip- 
turse  sacrse,  Paris,  18?6;  VVieser,  Pauli  Apostoli  doctrina  de 
justificatione,  Trente,  1874;  Prat,  La  théologie  de  saint  Paul, 
Paris,  1908;  Schaefer,  Erklàrung  des  Briefes  an  die  Rômer, 
Munster,  1891  ;  Quirmbacb,  Die  Lehre  des  lil.  Paulus  von  der 
naturlichen  Gotteserkenntniss  und  dem  natûrlichem  Sitten- 
gesetz,  Fribourg,  dans  Strassburg.  theolog.  Studien,  t.  vu. 
Parmi  les  travaux  protestants  citons  Sanday.  A  critical  and 
exeg.  commentary  on  the  Epistle  to  the  Romans,  4*  édit., 
Edimbourg.  1900,  p.  43,  et  comparaison  avec  Sap.,  xm,  p.  53 
sq.  ;  Rogge,  Die  Anschauungen  des  Ap.  Paulus  von  dem 
religids-sittlichen  Character  des  Heidenthums,  1888  ;  Klopper, 
Die  durch  naturliche  Offenbarung  vermitlelle  Gotteser- 
kenntniss der  Heiden  bei  Paulus,  Rom.,  i,  18  sq.,  dans  Zeil- 
schrift  fur  iviss.  Théologie,  1904,  p.  169.  Ceux  qui  ne  pourront 
pas  aborder  ces  commentaires  et  travaux  trouveront  l'essen- 
tiel dans  Corluy,  Spicilegium,  t.  i,  p.  75-96,  et  dans  les  premiè- 
res thèses  du  De  Deo  uno  de  Franzelin. 

2*  Patristique.  —  Petau  et  Thomassin  ont  recueilli  beaucoup 
de  textes.  A  mesure  que  les  discussions  sont  nées  ou  se  sont 
renouvelées  sur  le  sens  des  textes,  les  théologiens  en  ont  repris 
l'étude;  le  mouvement  traditionaliste  et  l'ontologisme  ont  occa- 
sionné de  bons  travaux.  Consulter  spécialement  Heinrich,  Dog- 
matische  Théologie,  2'  édit.,  Mayence,  1883,  qui  est  très  riche 
au  t.  i  et  m;  Kleutgen,  Théologie  der  Vorzeit,  t.  il;  Stentrup. 
Prxlect.  dogmat.  de  Deo  uno,  Inspruck,  1879,  explique  surtout 
les  textes  cités  par  le  D'  Kuhn.  L'Histoire  de  la  philosophie 
de  Stôckl  et  aussi  son  Lehrbuch  der  Geschichte  der  Philoso- 
phie, Mayence,  1875,  indiquent  nettement  les  positions  des  Pères 
en  face  des  erreurs  sur  la  connaissance  de  Dieu.  Il  en  faut  dire 
autant  de  la  Dugmengeschichte  de  Schwane,  2'  édit.,  Fribourg, 
1892,  1895,  t.  i,  n;  trad.  franc. ,  2'  édit.,  Paris,  1903,  t.  i,  il. 
L'opuscule  de  Cari  van  l'.ndert.  Der  Gottesbewris  m  der  po- 
tristischen  Zeit  mil  beaond.  Beriiksicht.  Augustins,  Fribourg, 
1869,  est  encore  utile  et  souvent  employé.  Le  Itr  Deo  uno  de 
Franzelin  et  le  t.  il  de  la  Dogmatique  de  Scheeben  donneront 
une  vue  synthétique  des  résultats  acquis.  Le  t.  I  de  l'excellent 
Lehrbuch  der  Dogmatik  de  Pohle,  Paderborn,  1902,  dont  la 
traduction  en  français  serait  très  utile,  donne  la  bibliographie 
des  principales  monographies  récentes  à  consulter. 

Conclusion.  —  Pour  faciliter  au  lecteur  une  vue 
synthétique  du  sujet,  indiquons  la  place  que  le  dogme 
délini  au  concile  du  Vatican  occupe  dans  la  théologie 
catholique,  et  aussi  quelle  situation  il  nous  fait  au 
point  de  vue  philosophique.  La  doctrine  que  nous  avons 
exposée  occupe  une  place  importante  dans  la  théologie 
systématique  catholique.  Car  I"  elle  consacre  la  distinc- 


873 


DIEU    (SON    EXISTENCE 


874 


tion  des  deux  ordres  de  vérités  religieuses  et  morales, 
celles  auxquelles  la  raison  et  la   conscience   peuvent 
parvenir  par  leur  fonctionnement  naturel,  et  celles  que 
nous  ne  connaissons  que  par  la  révélation,  Denzinger, 
n.  16i.'5;  et  l'on  sait  que,   s'il  s'agit  des  préliminaires 
de   la  foi,  sans   cette  distinction  aucune  apologétique 
rationnelle  n'est  possible.  2°  Si  l'on   n'admet  pas  la 
doctrine  délinie  sur  la  cognoscibilité  de  Dieu,  on  est 
forcé,  ou  bien  de  nier  la  possibilité  de  l'état  de  nature 
pure,  ou  de  dire  que  dans  l'ordre  présent  la  révéla- 
tion est  absolument  nécessaire,  ou    de  soutenir  que 
le  péché  originel,  non  seulement  —  ce  qui  est  de  foi 
—  nous  a  fait  déchoir  de  l'état  historique  d'Adam,  mais 
a  corrompu  dans  leur  fond  nos  puissances  naturelles, 
les  constitutifs  de  l'homme.  Or,  la  première  conséquence 
est  contre  tous  les  théologiens  de  l'École,  qui  enseignent, 
comme  théologiquement  certaine,  la  possibilité  de  l'état 
de  nature  pure  ;  il  s'ensuit  d'ailleurs  cette  absurdité  que 
l'homme  n'est  pas  nécessairement  dirigea  Dieu  comme 
à  sa  fin  et  qu'il  est  incapable,  tel  qu'il  est,  de  loi  et  de 
religion  naturelles.  La  seconde  conséquence  est  contre 
le  concile  :  non  absolute  nccessaria  (licencia  est  reve- 
latio.    Denzinger,   n.    1635.  Elle    suit  d'ailleurs  de  la 
première,  car  l'homme,  sans  destination  à  Dieu  comme 
à  sa   fin,  sans  loi  et  sans  religion  naturelles,  est  une 
monstruosité  que  Dieu  ne  peut  pas  faire.  Donc,  la  ré- 
vélation devient  nécessaire,  exigée,  débita,  c'est-à-dire 
naturelle.  L'adversaire  a  une  échappatoire  :  Je  ne  sou- 
tiens pas  en  thèse  que  la  révélation  est  débita,  mais 
seulement  dans  l'hypothèse  de  la  chute.  On  lui  répond 
en  lui  faisant  remarquer  qu'alors  il  admet  la  troisième 
conséquence,   c'est-à-dire  la  ruine  de  nos   constitutifs 
naturels  par  le  péché    d'Adam.    En    effet,  si  l'homme 
déchu    est    incapable  de  connaître   Dieu,  c'est  que  sa 
tendance  nécessaire,  naturelle,  à  Dieu  comme  (in,  sa 
capacité  de  loi  et  de  religion  naturelles  sont  détruites; 
c'est  que  le  péché  originel  a  totalement  corrompu  les 
éléments  de  notre  nature  philosophique  et  éteint  notre 
libre  arbitre,  ce  qui  a  été  condamné  chez  les  premiers 
protestants  par  le  concile  de  Trente.  Cf.  Piccirelli,  De 
Deo  uno  et  (rino, Naples,  1902,  n.  38,  p.  42.  Cet  aperçu 
montre  la  cohérence  de  la  doctrine  théologique. 

Muant  à  la  philosophie,  nous  avons  vu  que  le  concile 
n'a  pas  exclu  l'argumenl  de  saint  Anselme,  c'est-à-dire 
tout  le  mode  de  philosopher  qui  se  rattache  ordinaire- 
ment à  Platon  et  aux  Pères  platonisants.  Ce  fait  seul 
réduit  anéanties  accusations  de  «  thomisme  »  outré  et 
de  médiévalisme  g  absurde  que  le  Programma  des 
modernistes  italiens  et  M.  Tyrrell  adressent  à  l'Église, 
dont  ils  n'écoutent  plus  la  voix.  Les  faits  sont  les  faits. 
En  réalité,  toutes  les  philosophies  qui  admettent  que 
l'homme  a  le  pouvoir  de  connaître  les  principes  de 
causalité,  efficiente  el  finale,  el  de  raison  suffisante,  et 
que  ces  principes  oui  une  valeur  universelle,  comme 
le  principe  de  contradiction,  admettent  h'  minimum 

saire  pour  que  l'homme  puisse   par  le  moyen  des 

créatures  h  par   les  lumières  naturelle     de  sa  raison 
l'élever  à  la  connaissance  certaine  de  Dieu.  Ne  peuvent 
donc  avoir  des  difficultés   contre  le  dogme  que  nous 
n-   d'exposer,  que   les    philosophies   qui,  ou   bien 
d'une  façon  générale  rejettent  la  valeur  objective  uni- 
Ile   de  in n-    les  principes  de  la  raison,  ou    bien 
rejettent  les  principes  de  causalité  el  «h-  raison  sufli- 
Dii  leur  emploi  hors  de  l'ordre  phénoménal.  D'où 
il  vu  it  qui-  le  dogme  défini  nous  met  philosophiquement 
-    bonm   posture   La  métaphysique  scolaslique, 
qus  i  re  ordinaire  nous  recommande,  el  qui 

niiii'  .i  la  <  ..nii.il-  .m.  •  di  -    ubstam  e 
itions  objectives  el  des  formi 
.    ul  d'ailleui  iculs 

principes    i  nseignom  donc  une  philosophie  sagement 
obji  i  m  me  celle  de  l'I  coli    i  I    -i  noui 

i  m n    n 


l'encyclique  vient  de  le  rappeler  à  tous  avec  autorité  — 
qu'en  fin  de  compte  notre  néophyte  doit  aboutir  à  une 
dogmatique  et  par  suite  à  une  philosophie  objectivistes. 
Sans  doute,  comme  le   fait   remarquer  saint  Thomas, 
Sum.  t/teol.,   Ia,  q.  i,  a.  8,  on  ne  peut  discuter  avec 
quelqu'un  qu'en  se  mettant  d'accord  avec  lui  sur  quelques 
principes,  el  par  conséquent  en  se  plaçant  ad  hominem 
à  son  point  de   vue.  Mais  il  est  certaines  concessions 
qu'on  ne   peut  pas  faire,   puisque   les  accorder,   c'est 
s'enlever  tout  moyen  de  conclure.  Dans  ce  cas,  saint 
Thomas  nous  dit  encore  ce  qu'il  reste  à  faire  et  ce  qui 
est  utile  :  Si  l'adversaire  ne  concède  aucun  des  prin- 
cipes nécessaires  pour  aboutir  à  la  conclusion  que  l'on 
a  en  vue,  on  ne  peut   pas  discuter  avec  lui,  si  autem 
nihil  concedit,  non  polest  cum  eo  disputari.  Les  kan- 
tistes  et   les  positivistes  sont-ils  donc  à  abandonner? 
Non,  car  nous  pouvons  dans  nos  principes,  et  souvent 
dans  les  leurs,  résoudre   leurs  difficultés  el  leur  faire 
comprendre   qu'elles  ne   sont  que   la  duperie  de  leur 
imagination,  le  résultat  d'un  manque  de  méthode,  le 
fruit  d'un  abus    de  la  réllexion  philosophique  :  potest 
tamen  solvere  rationes  ipsius.  C'est  plus  utile  et  moins 
dangereux  que    de  construire  de  soi-disant  nouveaux 
systèmes.  M.  CiiOSSAT. 

II.  DIEU  (SON  EXISTENCE).  —  I.  Déinonstrabililé  de 
l'existence  de  Dieu  :  1°  dans  la  connaissance  spontanée; 
2°  dans  la  connaissance  rélléchie  ou  scientifique. 
II.  Exposé  sommaire  des  preuves  classiques. 

I.    DÉMONSTRABILITÉ  DE  L'EXISTENCE  DSDlEU.  —  Buon- 

pensiere,  Commentaria  in  lam  parlent  Summse  theolo- 
gicse,  Rome,  1902,  p.  110,  et  de  San,  Tractatus  de  Deo 
uno,  Louvain,  1894,  t.  i,  p.  (55,  n.  34,  affirment  que  la 
démonslrabilité  de  l'existence  de  Dieu  est  une  vérité 
de  foi,  définie  par  le  concile  du  Vatican.  Mais  l'ensemble 
des  théologiens  n'admet  pas  cette  conclusion,  qui  est 
d'ailleurs  démentie  par  les  actes  du  concile.  Le  concile, 
en  effet,  parlant  du  vrai  Dieu,  distinct  du  monde,  per- 
sonnel et  provident,  a  seulement  défini  que  l'existence 
de  Dieu  peut  être  connue  avec  certitude  par  les  lumières 
naturelles  de  la  raison;  mais,  bien  qu'il  ait  assigne 
comme  moyen  objectif  de  connaître  Dieu,  les  créatures, 
per  ea  qusefacla  sunt,  el  par  conséquent  admis  en  ce 
sens  une  connaissance  médiate  de  Dieu,  il  n'a  pas 
spécifié  que  l'idée  de  Dieu  soit  le  résultat  d'une  infé- 
rence  médiate  ou  immédiate,  ou  que  la  certitude 
rationnelle  de  l'existence  de  Dieu  dépende  d'un  syllo- 
gisme. Voir  col.  8i(>.  Cependant  la  doctrine  commune 
de  l'Eglise  est  que  l'existence  de  Dieu  esl  démontrable. 
Pour  exposer  avec  clarté'  cette  doctrine,  distinguons  la 
connaissance  spontanée,  commune,  de  Dieu  et  la  con- 
naissance  réfléchie  ou  scientifique.  La  première  a  pour 
caractères  d'être  très  facile,  de  précéder  la  réflexion 
et,  en  ce  sens,  on  l'appelle  souvent  immédiate;  la 
ide  esl  plus  difficile,  el  ne  s'obtient  que  par  une 
recherche  volontaire  et  méthodique  :  ce  qui  lui  fait 
souvent  donner  le  nom  de  médiate.  Dans  l'une  et  dans 
l'autre  de  ces  connaissances,  il  \  ■<  bien  des  degrés, 
qu'il  ne  faut  pas  confondre,  -i   l  •  > 1 1  m  ni   parler  avec 

quelque    précision. 

/.  de  i..\  cor  ftAiss  t  vcb  spoa  i  wi  r  m  DIEU.  L'étude 
de  la  connaissance  spontanée  de  Dieu  a  de  m"-  i 

rande  importance  ;car  beaucoup  d'auteurs,  tenant 

pour     acquise    la    critique    kantienne    de-     preuves    «le 

l'existence  île  Dieu,  n.    - ipenl  plus  que  .le  la  con 

naissance  naturelle  'le  Dieu  qu'implique  l'universalité 
du  fait  religieux.  Ces  études  ■-uni  commandées  par  des 

cupations  très  variées,  les  uns  prétendant  lé| 

mer  le  scepticii religieui  ou    l'athéisme,  d'autres 

voulant    il tir  ■<  l'unité  des  religions,  etc.,  d'autres 

enfin  cherchant  de  bonne  foi  un  moyen  de  connaître 
Pieu  san-  infèrent  i    i  tusale,  Au  milieu  d<  ce>  di  bats 

utile   d'indlqui  i  .1'-  l'I  cole  el    I 


87Ô 


DIEU    (SON   EXISTENCE) 


870 


fondements.  Car  il  faut  ici  marcher  entre  deux  écueils. 
Depuis  que  Descartes  a  misa  la  mode  les  idées  claires, 
un  très  grand  nomhre  d'auteurs  admettent  que  nous 
n'avons  pas  d'idée  réelle  de  Dieu  à  moins  qu'explici- 
tement nous  ne  saisissions  la  note  d'infini  té.  Cf.  Janet, 
Principes  de  métaphysique,  Paris,    1897,  t.  ri,  p.  8(i; 
Desbuts,  Annales  de  philosophie  chrétienne,  juin  11)08, 
p.  258.  De  là,  les  préjugés  très   répandus  contre  l'uni- 
versalité de  la  connaissance  de  Dieu,  contre  ladémons- 
trabilité  de  cette  existence;  dé>  là  aussi,  les  essais  très 
nombreux  de   se    passer  des    preuves   rationnelles  de 
l'existence  de  Dieu  :  le  traditionalisme,  l'intuitionisme, 
le  sentimentalisme  ont  dû  une  grande  partie  de  leurs 
succès  à  cette  préoccupation.  A  l'opposé  du  cartésia- 
nisme,   nous    rencontrons    l'agnosticisme    moderne. 
L'universalité   du    fait    religieux    s'est     imposée    aux 
esprits,    et   la    critique   de    la    connaissance    a   ruiné 
l'intellectualisme  outré  des  idées  claires  cartésiennes  : 
idea  clara,   dit  la  Philosophie  de  Lyon,   ea  est   quee 
objeclum  sunm  ila  représentât  ut  quid  et  quale  sit 
bene    intelligatur.    Philosophia   Lugdunensis,     Lyon, 
1807,  t.  I,  p.  31.  On  s'est  enfin  aperçu  que  nous  pou- 
vons désigner  Dieu  par  des  dénominations  extrinsèques  : 
ce  dont  convient  toute  l'École.  Mais,  sous  l'influence 
du  nominalisme,  empiriste   ou    idéaliste,    on    a    avec 
Hobbes,  Pascal,  Locke,  Kant  et  Spencer  limité  notre 
pouvoir  de  connaître  Dieu  à  ce  mode  de  connaissance. 
Il  en  est   résulté   la  théorie  de  «   l'unité  des  religions 
sous  la  diversité  des  théologies,   »  chère  d'abord  aux 
protestants  libéraux,  T.  Parker,  Discourse  of  mallers 
pertaining   lo  religion,  18i6,  p.    14,  puis  aux  positi- 
vistes et  aux  historiens  des  religions,  Spencer,  Principes 
de  sociologie,  1876-1882;  Frazer,  Golden  Bougli,  Londres, 
1890;  Salomon  Reinach,    Cultes,  mythes  et  religions, 
Paris,  1906;  Chantepie  de  la  Saussa je,  Manuel  d'histoire 
des  religions,  trad.  Hubert  et  Lévy,  Paris,  1904  ;  Morris 
Jastrow,  The  study  of  religion,  Londres,  1901  ;  enfin 
aux  positivistes  orthodoxes,   comme  F.  Harrison,  The 
plûlosopliy  of  common  sensé,  Londres,  1907;  et  aux 
modernistes.  Cf.  Tyrrell,   Through    Scylla  and    Clta- 
rybdis,  Londres,  1907,  p.  272  sq.  VoirMackintosh,  Chris- 
tian thcology  and  comparative  religion,  dans  YExposi- 
tor,  septembre  1907;  Toutain,  Éludes  de  mythologie, 
Paris,  1909;  G.  Foucart,  La  métlwdc  comparative  dans 
l'histoire  des  religions,  Paris,  1909.  La  vérité  se  trouve 
entre  ces  deux  extrêmes.  On  peut  avoir  l'idée  valable  du 
vrai  Dieu  sans  avoir  l'idée   claire  de  l'infini,   que  se 
donnent  les  cartésiens;  la  connaissance  spontanée  de 
Dieu  va  plus  loin  qu'une  simple  désignation  de  Dieu 
par  de  pures  dénominations  extrinsèques. 

Comme,  depuis  Descartes,  beaucoup  de  termes  dont 
nous  avons  ici  besoin  ont  changé  de  sens,  il  est  néces- 
saire de  rappeler  la  terminologie  de  l'École.  On  y  oppose 
l'idée  claire  à  l'idée  obscure.  On  définit  l'idée  claire, 
celle  qui  distingue  son  objet  de  tout  autre  objet,  l'idée 
obscure,  celle  qui  ne  le  dislingue  pas  ainsi.  L'idée  claire 
est  ou  bien  confuse,  ou  bien  distincte.  L'idée  claire  est 
dite  confuse,  si  l'objet  y  est  distingué  de  tout  autre 
par  des  dénominations  extrinsèques,  sans  que  l'esprit 
porte  de  jugement  déterminé  sur  la  nature  intime  de 
l'objet;  cela  peut  se  faire  de  deux  façons,  suivant  que 
la  nature  intime  de  l'objet  échappe  totalement  à  l'esprit 
(pures  dénominations  extrinsèques),  ou  suivant  que 
l'esprit  atteint  quelques  notes  ou  propriétés  caracté- 
ristiques intrinsèques  de  l'objet,  mais  sans  les  dis- 
tinguer expressément  (connaissance  implicite,  interpré- 
tative, virtuelle,  etc.).  Enfin  l'idée  claire  est  dite  dis- 
tincte, expresse,  explicite,  si  elle  atteint  d'une  façon 
nette  la  nature  intrinsèque  de  l'objet.  Plus  on  atteint, 
mieux  on  distingue  les  notes  de  l'objet,  plus  la  connais- 
sance est  parfaite,  bien  que,  s'il  s'agit  de  Dieu,  la 
connaissance  la  plus  parfaite  soit  celle  qui  se  rapproche 
davantage  de   la  divine   simplicité.   Nous  emploierons 


cette  terminologie  classique,  parce  qu'elle  est  plus  pré- 
cise et  beaucoup  plus  psychologique  que  le  langage 
d'origine  cartésienne. 

1°  Universalité  de  la  connaissance  spontanée  de  Dieu. 
—  Les  Pères  ont  beaucoup  insisté  sur  la  connaissance 
spontanée,  naturelle,  commune  à  tous  les  hommes, 
même  aux  païens.  Cf.  Tertullien,  Adversus  Marcionem, 
c.  x,  xm,  P.  L.,  t.  il,  col-.  257,  260;  De  teslimonio 
animas,  1. 1,  col.  609 sq.  ;  Apologeticus,  c.  xvn,  col.  : 
voir  Xourry,  ibid.,  col.  804;  S.  Irénée,  Cont.  hser., 
1.  II,  c.  «, P.  G.,  t.  vu,  col.  724;  S.  Cyprien.  De  ido- 
lorum  vanilate,  n.  9,  P.  L.,  t.  IV,  col.  577  ;  Clément 
d'Alexandrie,  Cohortatio  ad  génies,  c.  vi-ix.  P.  G., 
t.  vin,  col.  174;  Strom.,  Y,  c.  XIH  sq.,  ibid.,  t.  ix, 
col.  127  ;  S.  Augustin,  In  Joa.,  P.  L.,  t.  xxxv,  col.  1910; 
S.  Cyrille  d'Alexandrie,  Contra  Julianum,  1.  Il,  P.  G., 
t.  lxxvi,  col.  580;  S.  .lérôme,  Comment.  inEpist.  ad 
Gai.,  1.  I,  c.  i,  15.  P.  L.,  t.  xxvi,  col.  326;  Cornn,, 
in  Epist.  ad  TH.,  c.  I,  10,  ibid.,  col.  570.  On  sait  que 
l'auteur  du  De  vocatione  gentium  met  en  relief  cette 
connaissance  spontanée  de  Dieu,  comme  premier 
moyen  de  salut  donné  par  la  bonté  divine  à  tous  les 
hommes.  Saint  François-Xavier  eut  recours  à  la  même 
pensée  lorsque,  pour  répondre  aux  Japonais  qui  lui 
objectaient  qu'un  Dieu  bon  ne  les  eût  pas  laissés  tant 
de  siècles  sans  moyen  de  salut,  il  leur  répondit  qu'ils 
l'avaient  toujours  connu  par  la  loi  morale.  Lettres  de 
saint  François-Xavier,  trad.  Pages,  Paris,  1855,  t.  Il, 
p.  225,  lettre  de  Cochin,  29  janvier  1552.  Bossuet  n'a 
donc  fait  que  résumer  l'enseignement  traditionnel, 
lorsqu'il  a  parlé  de  l'étincelle  du  feu  céleste  qui  brille 
dans  nos  âmes,  du  secret  instinct  qui  élève  nos  yeux 
au  ciel  vers  l'arbitre  des  choses  humaines  dans  toutes 
les  nécessités  de  la  vie  :  «  c'est  une  adoration  que  les 
païens  même  rendent,  sans  y  penser,  au  vrai  Dieu; 
c'est  le  christianisme  de  la  nature  ou,  comme  l'appelle 
Tertullien,  le  témoignage  de  l'âme  naturellement  chré- 
tienne. »  Premier  sermon  pour  la  Circoncision,  édit. 
Lebarq,  Lille,  1890,  t.  i,  p.  251  sq. 

L'École,  avant  et  après  Bossuet,  est  restée  fidèle  à  la 
tradition  sur  le  fait  de  l'universalité  de  la  connaissance 
de  l'existence  de  Dieu,  mais  sans  nier,  comme  les  carté- 
siens, toute  possibilité  de  l'athéisme  négatif,  et  sans 
prétendre  que  tous  les  hommes  ont  l'idée  claire  de  l'in- 
fini. Cf.  Hontheim,  Inslitutiones  theodiceœ,  Fribourg- 
en-Brisgau,  1893,  n.  615;  Bœdder,  Theologia  naturalis, 
ibid.,  1895,  n.  147;  Kleutgen,  Philosophie  scolastique, 
n.  225-232,  432  sq.,  929;  Dublin  review,  1S69,  t.  n. 
Explicit  and  implicit  thought,  p.  421-442;  1871,  t.  i. 
Certitude  in  rcligious  assenl,  p.  253-275,  à  propos  de 
la  Grammar  of  assent  de  Newman. 

2°  Connaissance  spontanée  et  obscure  de  Dieu.  — 
Tous  les  anciens  scolasliques,  disent  les  savants  com- 
mentateurs desaint  Bonaventure.  Quaracchi,  1882,  t.  i. 
p.  156,  tiennent  que  l'existence  de  Dieu  nous  est  i>er 
se  nota,  s'il  s'agit  d'une  connaissance  obscure  :  non 
sub  ratione  propria,  sed  communi.  nempe  cutis, 
unius,  veri,  boni,  beatiludinis,  etc.  Laissons  de  côté 
les  nombreuses  controverses  verbales  sur  l'expression 
perse  nota;  elle  signifie  que  la  vérité  delà  proposition 
dont  il  s'agit  apparait  évidente,  dos  qu'on  en  comprend 
les  termes.  Par  exemple,  le  tout  est  plus  grand  que  «a 
partie,  est  une  proposition  per  se  >wla,  parce  que.  les 
termes  saisis,  l'esprit  perçoit  nécessairement,  sans 
réflexion  ultérieure,  et  sans  aucun  discours,  la  vérité 
de  la  proposition.  Cf.  Jean  de  Saint-Thomas,  Cursus  théo- 
logiens, In  /■"",  dis]).  III,  q.  n,  a.  I  ;  Frassen.  Seotut  aca- 
demicus,  Home.  1900.  p.  108.  Voici  comment  Alexandre 
de  llalés  explique  la  connaissance  obscure  de  Dieu  : 
Cognitio  alicujus  potest  esse  duobus  modis,  in 
ratione  communi  et  in  ratione  propria.  Potesl 
igitur  aliquid  cognosci  in  ratione  communi,  et  ta- 
mi'ii  ignorarisub  ratione  propria,  sicut  cum  aliquis 


«77 


DIEU    (SON   EXISTENCE' 


878 


■cognoscit  mel  sub  ratio  ne  communi,  videlicet  quod 
est  corpus  molle,  rubeum,  ignorât  autem  sub  ra- 
tione  propria;  et  ideo  cuni  videt  fel  esse  corpus 
molle,  rubeum,  deceptus  crédit  ipsum  esse  mel.  Simi- 
liler  cognilio  beatitudinis  et  appetitus  ipsius  nobis 
innalus  est  ralione  communi,  quod  est  status  omnium 
bonorum  aggregatione  perfectus;  tamen  in  ralione 
propria  ab  aliquibus  ignoralur...  Similiter  dicendum 
quodidololatrœ  Deum  in  ralione  communi  non  igno- 
rant, quod  est  ens,  principium...  tamen  sub  ratione 
propria  ignorant.  Summa,  part.  I,  q.  m,  m.  u,ad  3am. 
Albert  le  Grand  a  repris  la  comparaison  du  miel  et  du 
fiel  d'Alexandre.  Summa,  part.  I,  tr.  III,  q.  xix,  m.  H, 
édit.  Vives,  t.  xxxi,  p.  128.  Saint  Conaventure  enseigne 
expressément  que  l'idée  de  l'unité  de  Dieu  est  connue 
de  tous  comme  les  premiers  principes  d'une  façon 
implicite.  De  mysterio  Trinitatis,  q.  il,  a.  1,  Quaracchi, 
t.  v,  p.  61;  cf.  llinerarium  mentis  in  Deum,  c.  v, 
ibid.,  p.  309.  Saint  Thomas  n'est  pas  moins  affirma- 
tif  :  nos  facultés  sont  ordonnées  à  Dieu,  et  le  prin- 
cipe est  général  :  omnia  cognosccnlia  cognoscunt  im- 
plicite Deum  in  quolibet  cognilo,  De  vcritate,  q.  XXII, 
a.  2,  ad  l,lra;  car  rien  n'est  connaissable  sinon  par 
ressemblance  avec  la  première  vérité.  On  reconnaît 
l'influence  du  célèbre  passage  de  saint  Augustin  sur  la 
première  vérité.  De  Trinilate,  1.  VIII,  c.  n  sq.,  P.  L., 
t.  XLII,  col.  9i8.  Voir  Duns  Scot,  In  IV  Sent.,  1.  I, 
dist.  III.  q.  ni,  n.  26;  Lodigerius,  Disput.  theolog., 
Home,  1698,  t.  i,  p.  67.  C'est  surtout  à  propos  de  la 
volonté,  de  nos  appétits  naturels  et  de  nos  actes  libres 
que  les  scolastiques  ont  parlé  de  cette  connaissance 
obscure  de  Dieu,  naturelle  à  tous.  Saint  Thomas  y 
revient  souvent.  L'homme  veut  nécessairement  sa  béa- 
titude. Sum.  theol.,  I",  q.  i.xxxii,  a.  1  ;  Ia  II*,  q.  v,  a.  8; 
q.  x,  a.  1,  2;  De  malo,  q.  ni,  a.  3.  Cf.  Suarez,  Disp. 
metaphys.,  disp.  XIX,  sect.  vin,  n.  8.  Or,  l'objet  de 
cette  béatitude,  l'idéal  du  bonheur  que  nous  nous  for- 
mons, n'est  autre  que  Dieu  obscurément  conçu.  Sum. 
theol.,  I»,  q.  n,  a.  I,  ad  1um  et  3"m  ;  Contra  génies,  l.I, 
c.  Kl,  ad  i ■"";  l.  III,  c.  XXXVIII  ;  De  vcritate,  q.  XXII, 
a.  2  ;  //i  /  V  Sent.,  I.  I,  dist.  III,  q.  I,  a.  2.  De  nouveau, 
on  reconnaît  l'inlluence  de  sainl  Augustin,  de  Denys 
et  des  néoplatoniciens.  Cf.  Rousselot,  Pour  l'/iistoire 
du  problème  de  l'amour  au  moyen  âge,  Munster; 
1908,  dans  Beitrâge  de  Baeumker,  t.  vi,  p.  32,  et  pas" 
sini.  Bien  plus,  Scol  ne  craini  pas  de  dire  :   Cognot- 

■  quodeumque  eus,  ut  /<<»'  ent  est,  indistinctis- 

Deu     h,  i  V  Sent.,  1.  I.  disp.  III,  q.  n, 
n.  3.  Henri  de  Gand,  Summa,  a.  24,  a  même  prétendu 

que  la   première  notion  de  l'être  que  i sacquerons 

l'être  divin.    Les  ontol  >nt,   mais  à 

tort,  attribué   cette   opinion  d'Henri  de  Gand  à  saint 
Bonavi  nture   <  I    0)    ra,  Quaracchi,  t.   v,  p.  313;  t.  i. 
p.  Tu.  -'  liolion  in  I.  I,  dist.  III.  p.  i.  q.  i.  Ludovicus  a 
iplanio,   Sei  aphu  ■ .    Home.    1874; 

h79.  Voir  S.  Bonaventure, /«  IV Sent.,  1.  II,  dist. III, 
p.  II.  a.   "2,  q.   il.   ad   2""'  sq.;  dist.    XXIII.  a.  2,   q.  III, 

■  ■n  l.i  retrouve  pi  ut-étre  ch<  /  Richard,  rmn  i 
llgimut  ens   in    commut  ndendo  ad  eus 

Uum,   inlelligimus    /v<<. 
t$ima,  In  I  V  Sent.,  I.  I,  dist.  III,  q,  m  ; 
remeni  chez  les  néoplatoniciens  de  la  renaissance. 
m.  Theologise  plalonicœ,  I.  XII,  c.  vu. 

l<  non  i   i ipte   'le  cette  opinion 

d'Henri  de  Gand  qui  la  critique  de  -'-,,i  avail  ébranlée, 
/"  tV  Sent.,  i  i,  dist.  Ml.  q.  n.  m.  et  que  Suarei  a 
ru  in  melaphyê.,    disp.    II.    sect.    u.   n.  8; 

NW  Ml.  -•  i  I    m.  n.  17.  il  reste  que  l< 
i.e  n   \n    que  pu 
naturel,  iponl  iné  •  l  ,  ,i,  ,,„.,, 

notre  bon/on  intellectuel  el 
quelque  idée  de  Dit  n    l  n  ologlquei 

■ 


cières,  ou  si  l'on  veut  de  nos  besoins  intellectuels  et 
eudémoniques,  surgit  un  idéal  d'être,  d'unité,  de  vrai 
et  de  bien,  qui  n'est  pas  encore  déterminément  Dieu 
lui-même,  mais  qui  nous  oriente  vers  lui;  cet  idéal, 
d'après  saint  Thomas,  s'inspirant  de  Boèce,  De  veri- 
tate,  q.  x,  a.  12,  ad  3um,  n'est  autre  chose  qu'une  simi- 
litude de  Dieu.  Notre  esprit  la  forme  malgré  lui  et  se 
refuse  à  la  traiter  de  vaine,  comme  le  montrent  les 
dires  des  athées  qui  croient  encore  à  «  la  catégorie  de 
l'idéal  »  ou  de  «  la  justice  immanente  des  choses  ».  Ne 
désignant  Dieu  qu'en  fonction  de  nos  tendances  subjec- 
tives les  plus  générales,  cette  connaissance  ne  l'exprime 
que  par  de  pures  périphrases  et  par  des  dénominations 
extrinsèques,  comme  saint  Paul  décrit  les  biens  célestes  : 
nec  oculus  vidit,  nec  auris  audivit,  nec  in  cor  homi- 
nis  ascendit.  D'où  il  suit  que  cette  connaissance  reste 
obscure,  c'est-à-dire  ne  parvient  pas,  si  l'on  ne  va  pas 
plus  loin,  à  une  idée  précise  qui  distingue  Dieu  du 
reste  des  êtres.  Elle  n'exclut  donc  pas,  par  elle-même, 
le  monisme,  le  panthéisme,  le  po  ythéisme,  etc.;  et, 
de  soi,  elle  ne  nous  apprend  rien  de  Dieu  considéré 
en  lui-même,  non  pas  même  sous  un  concept  qui  le 
désigne  exclusivement,  son  existence.  Survienne  l'idée 
claire,  confuse  ou  distincte,  de  Dieu,  par  laquelle  nous 
concevons  la  divinité  comme  excedens  sua  causata, 
non  lalis  qualis  ejfectus,  S.  Thomas,  De  anima,  q.  Il, 
a.  16;  Sum.  theol.,  I«,  q.  XII,  a.  12;  cet  idéal  nous  ser- 
vira beaucoup  pour  passer  par  jugements  catégoriques 
à  l'exclusion  de  ce  qui  ne  convient  pas  à  Dieu;  cette 
similitude  nous  aidera  à  porter  des  affirmations  nettes 
et  de  plus  en  plus  précises  sur  l'original.  Cf.  Wieser. 
Die  natùrliche  Goliescrkenlniss,  dans  Zeitschrift  fur 
kalholische  Théologie,  Inspruck,  1879,  p.  7 18  sq. 

Un  exemple  fera  comprendre  combien  il  est  impor- 
tant de  ne  pas  concéder  que  toute  notre  connaissance 
naturelle  de  Dieu  se  réduit  à  l'idée  obscure  dont  nous 
parlons.  D'après  le  positiviste  orthodoxe  Harrison. 
l'amour,  le  respect,  le  dévouement,  le  culte  et  l'abné- 
gation sont  aussi  essentiels  à  l'animal  humain  que  le 
protoplasme  ou  l'appareil  digestif.  Dans  toutes  les 
croyances  que  l'on  nomme  religions,  dit-il,  il  y  a  un 
élément  commun.  «  Cet  élément  commun  est  :  1.  la 
croyance  à  quelque  pouvoir  considère  comme  plus 
grand  que  l'individu  ou  la  communauté,  comme  capa- 
ble de  faire  du  bien  ou  du  mal  et  comme  s'intéressanl 
aux  actes  de  l'individu  et  de  la  communauté  ;  -.  un  sen- 
timent de  respect,  ou  d'amour  el  de  gratitude,  pour  ce 
pouvoir,  non  sans  quelque  manière  de  manifester  ce 
sentiment;  3.  certaines  pratiques,  ou  ligne  el  règle  de 
conduite  et  de  vie.  que  l'on  pense  être  agréables  à  ce 
pouvoir  et  capables  d'assurer  sa  faveur.  »  Les  descrip- 
tions analogue  s   du  fait  religieux  sont  aujourd'hui  très 

fréquentes  chez  les  écrivains  qui  s'occupent  de  religions 
comparées.  Elles  peuvent  rendre  trois  sens  fort  diffi  - 
renls.    Si    l'on    accorde    quelque    valeur  objective   aux 

représentations  qu'impliquent  les  termes   %    pouvoir, 

intérêt,  faveur  »  que  l'on  y  rencontre,  elles  expriment 
I  idi  e  distincte  de  Dieu.  Si  l'on  met  l'accent  sur  la 
'lité  du  pouvoir  dont  on  parle  et  sur  la  valeur 
morale  des  pratiques  employées  pour  lui  i  '"  agréable, 
elles  expriment  l'idée  confuse  de   Dieu,  telle  qui 

l'ont  reconnu.'  nui jhei  les  pâli  ns.  Mais  pln- 

gieurs  des  historiens  des  religions  el  M.  Harrison  les 
entendent  dan    un    en    absolument  relatif,  de  ('.non  a 
rdani  l'indétermination  absolue  l'objet  religieux, 
m  par  nos  états  sul 
formules  eipriment  la  connaissance  obai 
dont  nous  parloi  que  plus  d'un  êcrl 

vain,  Bprès  avoir  restreint  notre  connaissance  de  Dleo 
e  l'objet  relia; eux  parmi  li  -  pro 
■  i    notn  r  i  onnalité  dans  le  champ  de  lin 
Feuerbach,    Dm    H  Chrwtenthunu,  Optra, 

t.    vu,    p.  62;  t.    vin.    p.  809  .   qui'    <l '..  lient 


879 


DIEU    (SON    EXISTENCE) 


880 


l'athéisme  déclaré,  comme  Faust  interrogé  par  Margue 
riir,  Gœthe,  Faust,  Berlin,  1873,  p.  137,  que  pour  tom- 
ber  dans  un  vague  panthéisme,  Loisy,  Quelques  lettres, 
1908,  p.  44;  que  d'autres  reprennent  la  vieille  thèse  de 
l'âme  du  monde,  William  James,  Principles,  t.  i, 
p.  370;  Denzinger,  10e  édit.,  n.  2109,  sauf  à  nous  pro- 
poser aussi  le  polythéisme,  V ariettes  <>{  religious 
expérience,  Londres,  1902,  p.  526;  que  d'autres  s'en 
tiennent  à  la  religion  de  l'Inconnaissable,  Spencer, 
Premiers  principes,  c.  v;  Principes  de  sociologie,  d'où 
il  suit  que  d'autres  enfin  ne  voient  aucune  difficulté  à 
proposer  aux  agnostiques,  comme  planche  de  salut, 
«  l'émotion  cosmique  en  face  de  l'énergie  du  système 
sidéral  »  ou  la  religion  de  l'Humanité.  Fortnightly 
Review,  février  1885.  La  religion  de  l'Humanité,  pense 
M.  Harrison,  op.  cit.,  faite  d'un  sentiment  de  gratitude 
pour  les  services  passés  de  l'organisme  social  et  d'un 
sentiment  de  bienveillant  dévouementpour  les  services 
futurs  du  même  organisme,  remplit  toutes  les  condi- 
tions de  la  vraie  religion.  Ces  conclusions  et  d'autres 
du  même  genre  montrent  assez  quels  écueils  n'évitent 
pas  les  écrivains  qui  concèdent  que  toute  notre  idée 
naturelle  de  Dieu  se  réduit  à  celle  d'un  «  idéal  »  et  «  à  la 
conscience  que  nous  prenons  de  notre  élan  pour  aller 
au  delà.  »  Cf.  Desbuts,  loc.  cit.,  p.  253  sq.  Cette  intui- 
tion de  l'idéal  désigne  Dieu,  mais  sub  rations  communi, 
non  sub  ratione  propria,  pour  parler  avec  les  anciens 
scolastiques,  en  ce  point  fidèles  rapporteurs  de  la  pen- 
sée des  Pères 

Saint  Augustin  a  écrit  :  Sicut  ergo  mentibus  nostris 
impressa  est  nolio  beatitatis,  itaetiam  sapientiœ  no- 
tionem  Itabemus  impressam.  De  libero  arbitrio,  1.  II, 
c.  xin,  P.  L.,  t.  xxxn,  col.  1254.  Boèce  a  dit  de  même  : 
Inserta  est  mentibus  hominum,  veri  bonique  cupidi- 
tas.  De  consolations,  pliilosophise,  I.  III,  prosa  n,  ix-xl, 
P.  L.,  t.  lxiii,  col.  724,  768.  Ces  tendances  natives  de 
notre  esprit  et  de  notre  cœur  posent  bien  le  problème 
de  l'au-delà  et  ne  nous  permettent  pas  de  l'oublier 
complètement,  de  rester  froids  devant  la  solution,  quand 
elle  nous  est  proposée;  elles  sont  à  la  racine  de  notre 
inquiétude  religieuse  :  Fecisli  nus  ad  te,  et  irrequie- 
tum  est  cor  noslrum  donec  requiescat  in  te.  Et  c'est 
pourquoi  on  peut  les  prendre  pour  base  d'une  argu- 
mentation en  faveur  de  l'existence  de  Dieu.  Cf.  Hettinger, 
Apologie  du  christianisme,  t.  I,  c.  ni,  p.  162.  Mais  par 
elles-mêmes  elles  ne  résolvent  pas  la  question  qu'elles 
soulèvent.  Les  raisonnements  de  saint  Augustin  lui- 
même,  quand  il  y  a  recours,  le  montrent  assez.  Cf.  Jean 
de  Saint-Thomas,  In  iai",  q.  II,  disp.  III,  a.  1,  n.  11  j 
d'Aguirre,  Theologia  sancti  Anselmi,  tr.  I,  disp.  VI, 
sect.  iv,  n.  31,  Rome,  1688,  t.  I,  p.  142. 

3°  Connaissance  spontanée  et  confuse  de  Dieu.  — 
La  connaissance  confuse  est  celle  qui  distingue  son 
objet  de  tout  autre  par  des  dénominations  extrinsèques, 
sans  que  l'esprit  porte  de  jugement  déterminé  sur  la  na- 
ture intime  de  cet  objet.  C'est  le  mininum  de  connais- 
sance de  Dieu  que  les  théologiens  requièrent  pour  que 
l'homme  puisse  commencer  sa  vie  morale  et  religieuse. 
Omnes,  nalura  duce,  co  vehimur,  deos  esse,  avait  dit 
Cicéron.  De  natura  deorum,  1.  I,  c.  i.  Or  les  anciens 
donnaient  à  leur  Dieu  principal  le  nom  d'Optimus, 
Maximus.  C'est  donc  que  la  divinité  était  conçue  par 
eux,  même  dans  le  paganisme,  comme  une  nature  supé- 
rieure. Cf.  Cicéron,  ibid.,  1.  II,  c.  vi.  Les  platoni- 
ciens désignaient  volontiers  Dieu  par  l'excellence  et 
la  bonté.  Saint  Augustin,  qui  connaissait  le  passage  de 
saint  Luc,  xvm,  19,  remarque  que  pour  tous  le  nom  de 
Dieu  signifie  en  latin  une  nature  supérieure  :  Omnes 
latinae  linguae  socios,  quum  aures  sonus  iste  tetigerit, 
movet  ad  cogitandum  excellenlissimam  quamdam 
immortalemque  naluram.  De  doclrina  christ.,  1.  I, 
c.  vi  sq.,  P.  L.,  t.  xxxiv,  col.  21.  Hune  plane  falebor 
Deum,  quo  nihil  superius  esse  constiterit,  phrase  qui 


probablement  inspira  plus  tard  saint  Anselme.  De  libero 
arbitrio,  1.  II,  c.  VI,  P.  L.,  t.  xxxn,  col.  1248.  I.n 
second  lieu,  rien  n'était  [il us  fréquent  dans  la  littéra- 
ture de  l'antiquité  païenne,  grecque  et  romaine,  que 
la  désignation  de  Dieu  sous  les  noms  de  principe  des 
choses,  d'architecte  de  l'univers;  les  beaux  développe- 
ments de  l'argument  de  l'ordre  du  monde  de  Socrate, 
cf.  Xénophon,  Memorabilia,  1.  I,  c.  iv,  4;  1.  IV,  c.  m, 
3,  de  Platon,  De  legibus,  1.  X,  XII,  et  de  Cicéron,  sont 
connus  de  tous.  Les  Pires  y  reviennent  fréquemment, 
plus  souvent  qu'à  l'argument  de  contingence,  quand  il 
s'agit  de  prouver  aux  païens  qu'ils  ont  l'idée  du  vrai 
Dieu.  Minucius  Félix,  Octavius,  c.  XVII  sq.,  P.  L.,  t.  m. 
col.  286;  S.  Théophile  Ad  Autolgcum,  1.  I,  5,  P.  G., 
t.  vi,  col.  1031;  à  rapprocher  de  Maimonide,  Guide  des 
égarés,  trad.  Munk,  Paris,  1856,  t.  i,  p.  157;  S.  Athanase, 
Oratw  contra  génies,  n.  27,  43.  /'.  G.,  t.  xxv,  col.  54, 
86;  S.  Augustin,  De  civilate  Dei,  1.  XI,  c.  IV,  2,  P.  L., 
t.  xli,  col.  319;  Confessiones,  1.  XI.  c.  iv,  t.  xxxn, 
col.  811;  S.  Grégoire  de  Na/.ianze,  Oral.,  xxviii,  n.  6. 
P.  G.,  t.  xxxvi,  col.  32;  S.  Grégoire  de  Nysse,  Oratio 
catechetica,  P.  G.,  t.  xlv,  col.  11  ;  S.  Jean  Damascène, 
De  (ide  orlhodo.ca,  1.  I,  c.  m,  P.  G.,  t.  xciv,  col.  796. 
Le  monde  tout  entier  est  une  école  où  par  les  choses 
visibles  Dieu  nous  montre  les  choses  invisibles.  Voir 
col.  842.  S.  Basile,  In  Hexaemeron,  hornil.  I,  n.  6,  P.  G. , 
t.  xxix.col.  15.  Bien  entendu,  la  considération  de  l'âme 
humaine,  faite  à  l'image  de  Dieu,  n'est  pas  exclue. 
S.  Athanase,  ibid.,  n.  30,  col.  59  sq.;  S.  Basile,  Homil. 
Attende,  P.  G.,  t.  xxxi,  col.  196;  S.  Augustin,  De  do- 
clrina christiana,  1. 1,  c.  vin  sq.,  P.  L.,  t.xxxiv,  col.  22  ; 
De  Trinitate,  1.  VIII,  c.  v  sq.,  t.  xlii,  col.  952;  1.  IX, 
c.  m-vi,  ibid.,  col.  962;  De  Genesi  ad  lit  ter am,  1.  X, 
c.  xxiv,  t.  xxxiv,  col.  426;  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  I1, 
q.  lxxxviii,  a.  1,  ad  lam;  q.  lxxxiv,  a.  7,  ad3unl;  Con- 
tra génies,  I.  I,  c.  m,  n.  2;  c.  xxxi.  Et  cela  inclut  la 
présence  et  l'action  de  Dieu  dans  l'âme.  Minucius  Félix. 
Octavius,  c.  xxxn,  P.  L.,  t.  ni,  col.  341;  S.  Thomas, 
Contra  génies,  1.  I,  c.  XXVI,  à  la  fin;  De  veritate,  q.  x. 
a.  9,  contra,  ad  7l,m;  a.  11,  ad  lluu>;  hi  Boeth.  de  Tri- 
nitate, q.  i,  a.  1. 

Enfin,  bien  que  l'antiquité  classique  ait  eu  des  sys- 
tèmes de  philosophie  et  de  morale  sans  Dieu,  la  philo- 
sophie populaire  et  la  littérature  des  païens  n'avaient 
pas  séparé  l'idée  de  Dieu  de  celle  de  la  loi  morale  et  reli- 
gieuse. Les  discours  de  Socrate  dans  sa  prison  sont  pré- 
sents à  tous  les  esprits;  on  sait  aussi  que  les  Érynnies 
poursuivaient  le  coupable,  que  les  païens,  même  dans 
le  bonheur,  n'ignoraient  point  que  l'impie  n'a  point  la 
paix.  Job,  xv,  21.  Les  Pères  se  servirent  de  ces  faits  indé- 
niables pour  convaincre  les  païens  qu'ils  avaient  quelque 
connaissance  d'un  Dieu  unique  et  provident  ou  rému- 
nérateur. C'est  le  sens  de  Tertullien,  lorsqu'il  raisonne 
sur  les  exclamations,  qui,  en  certaines  circonstances, 
échappaient  aux  païens,  au  singulier  :  Deus  videt  omniar 
et  Deo  commendo,  et  Deus  in  ter  nos  judicabit.  Vnde 
hoc  tibi  non  christiana:'  De  testimonio  animas,  c.  il, 
P.  L.,  1. 1,  col.  612.  Cf.  S.  Hilaire,  /v  Trinitate,  L  I.  2-11, 
P.  L.,  t.  x,  col.  27.  Les  Pères  entrèrent  d'autant  plus 
facilement  dans  cette  voie  que  leurs  expériences  per- 
sonnelles du  inonde  et  du  cœur  païens  se  trouvaient 
confirmées  par  l'Écriture.  Celle-ci,  en  effet,  suggère  les 
arguments  dont  ils  se  servaient.  Yoircol.8i2.851.  Elle  ne 
laisse  d'ailleurs  aucun  doute  sur  la  culpabilité  de  ceux 
qui  errent  sur  Dieu,  Rom..  I,  20,  ita  ut  sint  inexcusa- 
biles;  Sap.,  xiii.  8  :  nec  liis  débet  ignosci.  On  n'est 
tombé  dans  ces  erreurs  que  par  un  juste  châtiment  de 
Dieu  qui,  connu,  n'a  pas  été  honoré  et  remercié.  Prin- 
cipale crime»  generis  humani,  dit  Tertullien,  summus 
sxculi  reatus,  tola  causa  judicii,  idololatria.  De  ido- 
lolatria,  P.  L.,  t.  i,  col.  663.  Merilo  igilur  omnis  ani- 
ma rea  et  testis  est,  in  tantum  el  rea  erroris  in  quan- 
tum testis  verilatis.  Ibid.,  col.    618.  Cf.  S.  Athanase, 


881 


DIEU  (SON  existence; 


882 


Oratio  contra  gentes,  n.  11,  14,  35,  P.  G.,  t.  xxv, 
col.  23,  30,  70.  Comparer  le  n.  8,  col.  15,  avec  saint 
Basile,  Homilia  in  ps.  xxxm,  n.  3;  in  ps.  xxxir,  n.  3, 
P.  G.,  t.  xxix,  col.  357,  329;  Homil.  Attende,  n.  7,  ibid., 
t.  xxxi,  col.  214.  Saint  Grégoire  de  Nazianze,  Orat., 
xxviii,  c.  xiv,  P.  G.,  t.  xxxvi,  col.  43;  saint  Augustin, 
De  vera  religione,  c.  xxxv,  n.  67,  P.  L.,  t.  xxxiv, 
col.  152;  Lactance,  De  origine  erroris,  P.  L.,  t.  vi, 
col.  254,  assignent  la  même  origine  au  paganisme.  Et 
cette  observation  donne  la  clef  d'une  grande  partie  de 
ce  que  les  Pères  ont  écrit  sur  les  dispositions  morales 
nécessaires  pour  connaître  Dieu.  Cf.  Dôllinger,  Paga- 
nisme et  judaïsme,  Bruxelles,  1858,  1. 1,1.  II,  n.  1,  p.  95; 
llettinger,  Apologie  des  Christenthums,  Fribourg,1875, 
t.  I,  p.  30-51  ;  trad.  Felcourt  et  Jeannin,  3e  édit.,  t.  i, 
p.  29  ;  Hontheim,  op.  cit.,  n.  615,  a.  3. 

4°  Elaboration  scolastique  de  la  doctrine  tradition- 
nelle. —  Les  scolastiques  ont  remarqué  de  bonne  heure 
que  l'idée  spontanée  de  Dieu  ne  s'exprime  pas  chez  les 
Pères  en  une  formule  unique  et  fixe.  Voici,  distribuées 
en  trois  groupes,  les  différentes  formules  que  l'on  ren- 
contre chez  les  Pères  ou  chez  les  théologiens.  —  1.  Na- 
lura  excellentissima,  ens  realissimum,  ens  enlium,ens 
quo  majus  cogitari  nequit,  ens  necessarium.  L'idée 
d'être  y  e3t  déterminée  à  signifier  Dieu  par  un  super- 
latif, qui  le  distingue  de  tout  ce  qui  n'est  pas  lui  et  le 
met  a  part.  —  2.  Principium  omnium  rerum,  causa 
hujus  mundi,  supremus  artifex,  gubernalor  hujus 
mundi.  Dieu  est  conçu  comme  la  cause  du  monde  et 
de  l'ordre  du  monde.  —  3.  Auclor  et  vindex  legis  mo- 
ralis,  remunerator,  summum  bonum,  ens  imprsefe- 
ribile,  ens  ab  omnibus  colendum,  Dominus,  etc.  De 
même  que,  dans  le  second  groupe,  l'idée  d'être  est  dé- 
terminée à  signifier  Dieu  par  l'adjonction  de  la  dépen- 
dance physique  des  choses,  dans  le  troisième  la  même 
idée  signifie  déterminémenl  Dieu  et  lui  seul  grâce  à  la 
considération  de  notre  dépendance  morale  et  religieuse, 
manifestée  par  les  tendances  spéciales  à  l'animal  qui 
est  l'homme;  car  personne  ne  prendra  au  sérieux  ce 
que  l'on  a  écrit  <■  sur  le  sentiment  religieux  des  chiens 
qui  aboient  à  la  lune.  11  est  d'ailleurs  facile  de  voir 
que  tontes  ces  notions  sont  connexes  et  s'impliquent 
mutuellement  les  unes  les  autres. 

-  trois  groupes  de  formules   el  leurs  équivalents 

nent  bien  Dieu  il  lui  seul,  comme  distinct  de  tous 
les  autres  êtres,  puisqu'elles  le  caractérisent  par  une 
propriété  qui  lui  convient  et  ne  convient  qu'à  lui,  pi 
catum  converlibile  ■  uni  Deo.  Cajetan,  Commmlarii  i« 
/  Sunimm,  q.  il.  a.  '■'>.  Cf.  Dictionnaire  apologétique 
de  la foi p  Paris,  1909,  1. 1,  col.  13,  59  ;  Hontheim,  op.  cit., 
p.  10,  n.  Hi;  Boed  li  i  op.  cit.,  a.  6.  Mais  on  peul  1rs 
entendre  en  des  si  ne  forl  différents.  —  L  On  peul  1rs 
entendre  au  sens  absolu,  ou  de  droit.  En  ce  sens,  ens 
ijiui   ,  igilari    nequit,    principium    omnium, 

muni  bonum  di  signent  i  xpliciternenl  l'être  infini, 
li  Ire  le  plus  grand  (superlatif  absolu),  la  cause  de 
iln. ii  de  loutes  choses,  notre  cause  finale  nécessaire 
S.  Thomas,  In  IV  Sent.,  I.  I.  dist.  XVIII,  q,  i.  .,.  .".. 
De  telles  notions  de  Dieu  sonl  1res  relevées,  difficiles  à 
acquérir,  mais  elles  sont  de  soi  exclusives  de  toute 
erreur  sur  la  nature  divine  :  dès  que  l'esprit  les  a  for- 

.  H  juge  avec  la   (dus  grande  facilité  que   l'être  à 
qui  elles  con\  iennenl  est  unique,  éternel,  omniprésent, 
ut,  intelligent,  libre  el  loul  puissant,  i  n   d'autres 
termi  les  conclusions  de  la  plus  sublime  théo- 

%  sonl  données.  --  2.  On  peul  les  entendre  au 
tem  relatif  ><n  iir  fait.  Ainsi  comprises  elles  signifient  : 
Dieu  esl  l'être  qu  il  nous  esl  impossible  de  pi  n  i  i 
meilleur  ou  ini  li  tant    Dli  a  ■   I  de  fail  le  plus  grand 

très  (superlatif  relatif);  Dieu  est  la  cause  de  fait 
■l"  cel  anivi  rs;  Dieu  esl  «le  fait  l'objet  qui 
tout  notre  désii  <b'  bonheur  ou,  comme  dit  M.  Tyrrell, 
«  tous  nos  besoins  spirituels,  nui  et   mystiqui 


Op.  cit.,  p.  274.  Nous  n'avons  pas  à  discuter  ici  le  sens 
historique  de  saint  Anselme,  cf.  Piccirelli,  De  Deo 
disputationes  metaphysicœ,  Paris,  1885,  p.  511-544; 
Adloch,  dans  le  Pliilosopliisches  Jahrbucli,  Fulda, 
1895,  1896,  1897;  Pesch,  Prselectioncs  théologien, 
Fribourg,  1899,  t.  n,  p.  19;  Baeumker,  Witelo,  dans 
Beiti-âge,  Munster,  1908,  t.  m,  p.  304;  ni  la  valeur  de 
cet  argument.  Voir  ANSELME,  t.  I,  col.  1350.  Il  nous 
suffit  de  noter  que  celui  qui  conçoit  l'être  qu'il  nous 
est  impossible  de  penser  meilleur  ou  inexistant  conçoit 
en  réalité  Dieu,  quoi  qu'il  en  soit  de  la  question  de  sa- 
voir si  cette  idée  est  spontanée  et  naturelle  à  tous  ou 
s'il  est  possible  de  passer  de  cette  idée  à  un  jugement 
existentiel  certain.  Il  en  est  de  même  du  superlatif 
relatif,  le  plus  grand  des  êtres,  et  aussi  de  la  formule, 
cause  de  fait  el  arbitre  de  fail  du  monde.  De  même, 
Dieu  conçu  en  fonctions  de  nos  tendances  morales  et 
religieuses,  est  bien  le  vrai  Dieu.  S'il  est  vrai  que  nos 
tendances  générales  à  l'unité,  au  vrai,  au  bien  ne 
peuvent  par  elles-mêmes  et  sans  réflexion  et  discours 
ultérieurs  ne  nous  donner  qu'une  idée  obscure  de 
Dieu,  comme  nous  l'avons  dit,  il  est  certain  que  nous 
pouvons  désigner  Dieu  distinct  du  monde  par  les  idées 
de  législateur,  d'objet  du  culte  universel,  etc.  On  sait 
que  les  sceptiques  modernes  ont  essayé,  à  la  suite  des 
anciens  athées,  deos  fecil  timor,  et  de  certains  protes- 
tants anciens  comme  Flaccus  Illyricus,  voir  col.  766, 
d'expliquer  la  genèse  de  l'idée  de  Dieu  par  divers 
sentiments,  par  exemple  la  crainte  en  présence  des 
grands  phénomènes  de  la  nature,  la  terreur  de  l'esprit 
des  morts  et  des  fantômes  vus  en  rêve,  elc.  Voir  Marillier, 
art.  lieligion,  dans  la  Grande  encyclopédie,  p.  346. 
Notre  intention  n'est  pas  de  nier  que  les  phénomènes 
de  la  nature,  ces  apparitions,  etc.,  puissent  concourir  à 
aider  l'homme  à  former  les  concepts  de  pouvoir  supé- 
rieur, de  puissance  invisible,  immatérielle,  etc.,  qui 
enlrent  dans  les  concepts  corrects  quo  nous  avons  de 
Dieu.  Cf.  Sap.,  xiv,  et  la  dissertation  de  dom  Calmet 
«sur  l'origine  de  l'idolâtrie  ».  jointe  à  son  commentaire 
de  ce  livre.  Sans  aller  aussi  loin  que  quelques  écrivains 
récents  qui  regardent  le  spiritisme  comme  un  achemi- 
nement vers  la  vérité,  Vasque/,  fai-t  celte  remarque  à 
propos  de  la  France  et  de  l'Angleterre  de  son  temps  : 
Teslantur  riii  gravissimi  eontagis  hominesabatheismo 
detineri  quo  avidius  magicis  artibus  student  .'  quod 
nisi  inler  hœreticos  Deus  permisisset,  pêne  omnes  jam 
in  atlieismo  versarcnlur.  In  /".  disp.  XX,  n.  10. 
Cl.  hu  l'Iessis  Mornay,  De  la  vérité  de  lu  religion  chré- 
tienne, Anvers,  1581,  c.  i;  Spizelius,  De  atlieismo 
eradicando.  Augsbourg,  1669,  p.  36-42.  Mais  les  athées 
el  les  sceptiques  modernes  ne  trompent  qu'eux-mêmes, 
lorsqu'ils  confondent  avec  l'idée  spontanée  il''  Dieu  les 
représentations  issues  des  répercussions  en  nous  des 
orages,   des   fantômes,    etc.   L'idée   de  Dieu  est  tout 

autre,  parce  qu'elle  est  mêlée  de  respect,  jointe  à  l'idée 
de  bonté  :   «    Si   lu    es  dieu,    disaient    les    Scythi 
Alexandre,  C'esl  en  faisant    du   bien  el  non  du    mal   aux 

hommes  que  tu  dois  le  témoigner,  «  Quince-Curce,  mi. 

8;  enfin,  elle  ne  va  pas  Bans  l'idée  du  devoir  et  du  châ- 
timent.   Hettinger,    Apologie  'lu   christianisme,   t.   i, 

p.  118-121.   Nous  pouvons  dont    c dure  que  le  troi- 

s groupe  des  formules  que  nous  étudions  désigna 

bien  le   vrai    Dieu    el    lui    seul:   il    le    désigne    comme 

l'être  dont  l'idée  excite  en  nous  des  retentissements 
d'ordre  moral  el  religieux  très  profonds  qu.  n'excite 
aucune  sutn  idée. 

Les  icolasliquea  ont  ensuite  remarqué  que  l'idée  de 
Dieu,  telle  que  fis  Pères  i.i  découvraient  naturelle  et 
spontanée  chei  fis  paons,  était  moini  parfaite  que 
l'Idée  qu'en  ont  les  chrétiens  par  la  révi  lation,  "n  ne 
voit  pas  que  le.  Péri  aient  jamais  prétendu  que  la 
ni  m  i  ld<  i  préi  ise  de  Dieu  qu'i  n 
donnent  nos  catéchismi      Dieu  i   t  un  esprit  souverai- 


883 


DIEU  (SON  existence; 


884 


nement  parfait,  infini,  éternel,  omniprésent,  créateur 
et  maître  de  toutes  choses.  Au  contraire,  c'est  un  lieu 
commun  de  l'apologétique  patristique  d'insister  sur  la 
grande  supériorité  de  la  notion  révélée  et  chrétienne 
de  Dieu.  D'où  l'Ecole  a  conclu  que  les  formules  par 
lesquelles  les  Pères  ont  exprimé  la  connaissance  spon- 
tanée que  nous  avons  naturellement  de  Dieu  ne  doivent 
pas  se  prendre  au  sensahsolu,  mais  bien  au  sens  rela- 
tif. Ce  n'est  que  depuis  Descartes  qu'on  a  imaginé  des 
sauvages,  remplis  de  l'idée  explicite  d'infini.  On  ne 
veut  pas  insinuer  par  là  que  la  philosophie  païenne  ne 
pouvait  pas  s'élever  à  la  notion  d'infini  et  l'appliquer 
à  Dieu,  mais  seulement  que  rien  n'est  moins  conforme 
à  l'observation  et  à  la  tradition  chrétienne  que  de  pré- 
tendre que  l'infinité  de  Dieu  est  une  idée  spontanée, 
qui  s'impose  clairement  à  tout  homme  venant  en  ce 
monde  dès  le  début  de  sa  vie  morale. 

D'un  autre  côté,  les  Pères  supposent  chez  les  païens 
plus  et  mieux  que  l'idée  obscure  de  Dieu  dont  nous 
avons  parlé.  En  effet,  pour  affirmer  que  les  païens 
connaissaient  Dieu,  les  Pères  s'appuyaient  non  seule- 
ment sur  leur  expérience  personnelle  du  monde  et  du 
cœur  païens,  mais  encore  sur  l'Écriture.  Or  on  ne  peut 
pas  douter  que  saint  Paul,  Rom.,  i,  II,  et  l'auteur  de  la 
Sagesse,  xin,  xiv,  aient  parlé  d'une  connaissance  de 
Dieu  qui  le  distinguât  du  reste  des  êtres  :  invisibilia 
conspiciunlur,  creator  horum  videri.  Jl  est  vrai  que 
saint  Augustin  a  quelquefois  pris  pour  point  de  départ 
dans  son  argumentation  la  connaissance  obscure  de 
Dieu;  mais  un  don  médiocre  d'observation  psycholo- 
gique suffit  pour  se  rendre  compte  que  la  masse  de 
l'humanité  n'a  jamais  été,  n'est  pas  et  ne  sera  jamais 
capable  de  découvrir  spontanément  les  déductions  que 
saint  Augustin  a  appuyées  sur  celte  base.  D'ailleurs, 
saint  Augustin  dans  ses  démonstrations  psychologiques, 
qu'il  ne  donnait  pas  non  plus  comme  spontanées  ou 
possibles  sans  quelque  maïeutique,  prétendait  bien 
s'élever  au-dessus  de  l'idée  obscure  de  Dieu.  La  plu- 
part des  Pères,  sans  remonter  comme  saint  Augustin 
jusqu'à  la  racine  profonde  de  l'inquiétude  religieuse  de 
l'homme,  se  contentaient  de  partir  du  fait  de  l'idée  de 
la  divinité  distincte  du  monde.  Qu'on  lise  par  exemple 
le  Discours  contre  les  gentils  de  saint  Athanase,  on  y 
remarque  vite  que  le  but  de  l'auteur  est  moins  de  prou- 
ver l'existence  de  la  divinité  que  de  faire  reconnaître 
et  avouer  le  vrai  Dieu.  Le  grand  docteur  était  donc 
convaincu  que  l'idée  de  Dieu  était  tellement  présente  à 
la  pensée  des  païens  qu'il  suffisait  de  la  rapprocher  des 
notions  qu'ils  se  faisaient  soit  du  double  principe  soit 
des  dieux  anthropomorphes,  etc.,  pour  les  amener  à 
reconnaître  la  contradiction  entre  leur  pensée  intime  et 
la  religion  ou  le  culte  qu'ils  professaient.  Saint  Gré- 
goire de  Nysse  nous  a  donné  un  bon  résumé  de  la 
méthode  apologétique  des  Pères.  Si  l'infidèle  ne  croit 
pas  à  l'existence  de  la  divinité,  on  la  lui  prouvera  par 
l'ordre  du  monde;  s'il  admet  cette  existence,  mais  erre 
sur  la  nature  divine,  on  lui  fera  remarquer  que,  même 
dans  sa  pensée,  les  dieux  sont  excellents  (superlatif 
relatif)  :  o-j  yàp  av  '£-<.  Oeôtt,to;  tiç  cy_o;ï]  ûït^X»)<plv,  ou  y) 
toO  yîîpovo;  oûx  arceem  irpoTY)Y0P'-a'  Et  par  ce  moyen 
terme  on  lui  fera  avouer  que  la  divinité  n'est  pas  mul- 
tipliée, qu'elle  est  intelligente,  etc.  Oralio  catechetica, 
P.  G.,  t.  xlv,  col.  12.  Mais  cette  méthode  suppose  évi- 
demment plus  qu'une  idée  obscure  de  Dieu  au  début; 
et,  si  celle-ci  seulement  est  présente,  l'emploi  de  l'ar- 
gument de  l'ordre  du  monde,  en  même  temps  qu'il 
prouve  l'existence  de  la  divinité,  amène  à  la  concevoir 
comme  distincte  de  tous  les  autres  êtres. 

Si  la  connaissance  initiale,  spontanée  et  universelle 
de  Dieu  n'est  ni  la  connaissance  développée  et  de  soi 
exclusive  des  erreurs  sur  Dieu,  ni  seulement  la  connais- 
sance obscure,  il  reste  qu'elle  est  ou  une  connaissance 
distincte  ou  au  moins  une  connaissance  confuse.  Or 


elle  n'est  pas  une  connaissance  distincte,  c'est-à-dire 
une  connaissance  qui  exprime  d'une  façon  nette  et 
explicite  la  nature  intime  de  Dieu.  Si,  en  effet,  les  païens 
eussent  eu  la  connaissance  distincte  de  Dieu,  ils 
n'eussent  pas  honoré  les  idoles;  de  plus,  toute  l'argu- 
mentation des  Pères  eût  été  inutile,  puisqu'elle  n'a  pas 
d'autre  but  que  d'amener  les  païens  à  cette  connais- 
sance distincte.  Il  reste  donc  que  la  connaissance 
spontanée  de  Dieu  est  une  connaissance  confuse. 

Que  la  connaissance  confuse  exprimée  par  les  trois 
groupes  de  formules  précédemment  rapportés  soit  une 
connaissance  par  dénominations  extrinsèques,  la  chose 
est  facile  à  prouver.  Car,  si  Dieu  n'avait  rien  créé,  il 
serait  en  lui-même  exactement  ce  qu'il  est,  puisqu'il  est 
absolument  immuable,  éternel  et  indépendant.  Dans 
cette  hypothèse,  il  ne  serait  donc  pas  relativement  le 
meilleur  des  êtres  existants,  la  cause  de  fait  de  cet 
univers,  la  fin  à  laquelle  de  fait  nous  sommes  ordon- 
nés. D'où  il  suit  que  celui  qui  conçoit  Dieu  simplement 
et  rigoureusement  comme  le  meilleur  de  tous  les  êtres 
existants,  comme  la  cause  de  fait  du  monde,  comme 
l'être  dont  la  non-existence  est  pour  nous  inadmis- 
sible et  dont  l'idée  excite  en  nous  certains  états  affec- 
tifs d'ordre  moral  et  religieux  très  spéciaux,  1.  distingue 
bien  Dieu  des  autres  êtres,  mais  2.  ne  conçoit  direc- 
tement et  explicitement  rien  des  constitutifs  intrin- 
sèques de  la  nature  divine.  Cette  dernière  conséquence 
est  évidente,  car  la  nature  divine  considérée  en  soi 
serait  exactement  ce  qu'elle  est  dans  une  hypothèse  où 
de  fait  rien  de  ce  que  cet  homme  affirme  ne  serait 
exact.  C'est  dans  ce  sens  que  Cajetan,  parlant  de  la 
conclusion  directe  et  explicite  des  cinq  preuves  de 
l'existence  de  Dieu  proposées  par  saint  Thomas,  re- 
marque que  ces  preuves  ne  prouvent  pas  Dieu,  ut  Deus 
est,  mais  seulement  l'existence  d'un  être  à  qui  con- 
viennent certains  prédicats,  qui  objectivement  ne  se 
trouvent  réalisés  qu'en  Dieu  :  prsedicata  qusedam  in- 
veniri  in  rerum  nalura,  quse  secundum  veritatem 
sunt  propria  Dei.  In  Sum.,  I»,  q.  il,  a.  3.  Cette  simple 
remarque  suffit  à  résoudre  les  neuf  dixièmes  des  diffi- 
cultés proposées  par  et  depuis  Kant  contre  la  démons- 
trabilité  de  l'existence  de  Dieu.  Cf.  Tolet,  In  Pm,  Rome, 
1869,  t.  I,  p.  69,  n.  3:  Jean  de  Saint-Thomas,  lu  1  . 
q.  il,  disp.  III,  a.  2,  n.  1;  Gayraud,  dans  la  Revue  de 
philosophie,  juillet  1908.  Cette  doctrine  n'est  pas 
d'ailleurs  particulière  à  Cajetan,  comme  le  montre  la 
thèse  classique  suivante,  tirée  de  saint  Anselme,  Mo- 
nologium,  c.  xiv,  P.  L.,  t.  CLVIH,  col.  162,  et  de  saint 
Thomas,  Sum.  theol.,  Ia,  q.  XIII,  a.  2,  ~,  ad  l'">  :  .4/- 
tribula  contingenter  relaliva  ad  creaturas,  fomialiter 
considerata,  nihil  rcale  in  Dco  exprimunt  ;  quan- 
ijuam  malerialiler  et  fundamentaliter  considerata 
divinam  ipsam  substantiam  désignant.  Cf.  Urraburu. 
Institulionès  philos.,  Valladolid.  1899,  t.  vu.  p.  299; 
d'Aguirre,  Theologiasancti Anselmi,  tr.  III.  disp.  XX III. 
sect.  n,  Rome,  1688, 1. 1,  p.  411.  Cf.  Tertullien,  Advenu» 
Hermogenem,  c.  ni,  P.  L.,  t.  n.  col.  L 79 ;  S.  Grégoire 
de  Nazianze,  Orat.,  xxvm,  n.  9.  P.  G.,  t.  XXXVI,  col.  55. 
Or,  celui  qui  conçoit  Dieu  rigoureusement  en  fonction, 
soit  de  la  dépendance  des  créatures  à  leur  auteur,  soit 
de  ses  tendances  morales  et  subjectives,  n'atteint  que 
les  attributs  relatifs  de  Dieu;  il  ne  porte  donc  par  là, 
si  sa  pensée  ne  va  pas  plus  avant,  aucun  jugement 
déterminé  sur  la  nature  de  Dieu  considéré'  en  soi, 
puisqu'il  le  désigne  seulement  par  des  dénominations 
extrinsèques  tirées  de  ses  oeuvres. 

Ici  un  très  grave  problème  se  pose.  Nous  avons  dit 
que  la  cgnnaissance  confuse  se  rencontre  de  deux 
façons  :  ou  bien  la  nature  intrinsèque  de  l'objet  nous 
échappe  totalement,  et  alors  l'objet  est  désigné  par  de 
pitres  dénominations  extrinsèques;  ou  bien  la  nature 
de  l'objet,  désigné  par  des  dénominations  extrinsèques, 
ne  nous  échappe  pas  totalement,  mais  l'esprit  ne  dis- 


885 


DIEU    (SON    EXISTENCE 


88G 


tingue  pas  explicitement  les  propriétés  caractéristiques 
de  l'objet.  A  laquelle  de  ces  deux  sortes  de  connais- 
sance confuse  faut-il  rapporter  la  connaissance  spon- 
tanée de  Dieu,  commune  à  tous  les  hommes? 

On  sait  que  beaucoup  de  nos  contemporains  opinent 
en  faveur  de  la  connaissance  par  pures  dénominations 
extrinsèques  :  tous  les  agnostiques  croyants  ou  dogma- 
tiques en  sont  là.  Cette  manière  de  voir  est  loin  d'être 
nouvelle.  Plusieurs  philosophes  arabes  et  juifs,  entre 
autres  Avicenne  et  Maimonide,  l'ont  soutenue  au  moyen 
âge.  Il  est  impossible  de  rapporter  ici  tous  les  arguments, 
voir  Dictionnaire  apologétique,  Paris,  1909, 1. 1,  col.  30- 
(><>;  voici  le  fond  de  leur  raisonnement.  Les  preuves 
ordinaires  de  l'existence  de  Dieu  sont  valables,  mais, 
si  elles  prouvent  le  fait  brut  de  l'existence  de  Dieu, 
elles  ne  nous  apprennent  rien  de  sa  nature.  Car  tous 
lis  noms  de  Dieu  expriment  un  rapport  causal;  or, 
d'une  part,  un  rapport  causal  ne  nous  renseigne  pas 
nécessairement  sur  la  nature  de  la  cause,  puisque  par 
exemple  on  peut  dire  «  c'est  Zéid  qui  a  charpenté  cette 
porte,  sans  penser  à  la  capacité  artistique  de  Zéid;  » 
d'autre  part,  nous  pensons  toujours  Dieu  relativement: 
cum  Deus  dicitur  primus,  non  intelligitur  nisi  relatio 
essenlix  ejus  ad  esse  alterius;  et  cum  dicitur  polens, 
non  intelligitur  per  hoc  nisi  quod  esse,  quod  est  rea- 
liler  necetse  esse,  est  ad  aliquid  quod  potesl  haberc 
esse  ab  eo,  Avicenne,  VIII  Metaphys.;  cf.  .1.  Bacon. 
In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  II,  q.  i,  a.  1,  Venise,  1527, 
fol.  22;  mais  il  ne  peut  y  avoir  en  Dieu  aucun  rapport 
réi  1.  non  pas  même  de  similitude,  entre  Dieu  et  la 
créature.  Maimonide,  Cuide  des  égares,  Paris,  1856, 
t.  i,  p.  201,  203,  227.  Donc  toute  notre  connaissance 
de  Dieu  se  réduit  à  de  pures  dénominations  extrin- 
sèques et  nous  ne  saurions  porter  aucun  jugement 
affirmatif  sur  Dieu  considéré  en  soi.   Kant  est  arrivé 

an  mé résultat.  Poussant  plus  loin  le  nominalisme 

que  ne  l'avait  fait  Maimonide,  il  rejette  les  preuves 
classiques  de  l'existence  de  Dieu  par  voie  de  causalité 
et  cherche  à  s'expliquer  ou  plutôt  à  se  légitimer  l'idée 
de  Dieu  par  la  loi  morale.  Voir  col.  TS-J.  Là  où  Avi- 
cenne  et  Maimonide  désignaient  Dieu  par  de  pures  dé- 
nominations extrinsèques  fondées  sur  la  causalité,  Kanl 
recourt  lui  aussi  à  de  semblables  dénominations,  mais 
fondées  sur  la  moralité  :  Dieu  devient  le  postulai  de 
notre  vie  morale  et  la  condition  de  notre  bonheur.  De- 
puis Kant  un  grand  n bre  de  philosophes  sont  entrés 

dans  cette  voie  el  ne  conçoivent  Dieu  <|u'en  «  fonction 
du  i  i    nt  de  la  réalité  divine  dans  l'homme.  » 

Le  l  e  el  critique,  p.  134;  Tyrrell,  T/nougli 

•Sri//'  arybdis,  Londres,  1907,  p,   289,  I  ncorc 

li  iii i ■  ra  il  ipassent-ils  ici  les  juifs  el  les  arabes  du 
moyen  âge  i  t  Kant.  En  effet,  Maimonide  n'écrivail  que 
pour  les  esprits  cultivés,  Kant  composait  ses  fameux 
Prolé\  pour  une  métaphysique  future  :   ions 

accordaient  que  la  masse  pi  nse  autremenl  que  la  phi- 

phie  nominaliste.  Depuis  Spi  ncer  el  Ritschl,  beau- 
ns  des  religions,  les  proies  ta  ni  s  libéraux 
lernistes  considi  n  ni  que  la  connaissance  par 
dénomination;  extrinsèques  est   une  loi  de  na- 
ture, ef.   I.e    Roy,   l,,c.  cit.,  p,    133;  Tyrrell,  op.   cit., 

M11''  »ponU nt  l'humanité  pi  nsi    •  i e 

Maimonide  comme  chez   Kant,  1  \ 

pn  sente  que  comme  une  attitude  com- 

idi  e  par  la  réllexion  philosophique;  pour  les  n 

litial.  Noti  ince  ipontam  e 

de  Dieu    i  n  duirail  dont  ■<  ne.   di   i.  nation  de  I 

•-ii  pu-  l'alti- 
tude que  l'idée  de  Dieu  i  ommande  ou  pai  \'efficcu  ité 
a  't'in  mil  m-,  que  de  l'obji  I  di 
d'il" tationi   doui  échapperai!   tota- 

•  ut 

que  notn  atanée  ds  Dieu 

ill-dessiis  d'uni 


dénominations  extrinsèques?  Non,  pour  des  raisons 
théologiques,  et  aussi  pour  des  raisons  philosophiques. 
Saint  Paul  déclare  les  païens  inexcusables,  parce  que, 
ayant  connu  Dieu,  ils  ne  l'ont  pas  honoré  et  ne  lui  ont 
pas  rendu  grâces.  Rom.,  i,  20.  Il  ne  s'agit  pas  seulement, 
comme  l'a  soutenu  Calvin,  delà  connaissance  de  «  quel- 
que Dieu  »,  ni  comme  l'a  imaginé  Flaccus  Illyricus,  de  la 
connaissance  i  des  faux  dieux  ».  Voir  col.  765  sq.,  773sq. 
Car  saint  Paul  parle  du  vrai  Dieu.  Les  païens  ont  donc 
connu  le  vrai  Dieu,  et  de  telle  façon  que  le  devoir  du 
culte  et  de  l'action  de  grâces  s'imposait.  Mais  pour  qu'il 
y  ait  culte,  il  faut  que  l'homme  tienne  pour  certain  que 
l'objet  de  son  culte  lui  est  supérieur,  et  du  moment  que 
nous  sommes  des  êtres  intelligents  et  libres,  cette  supé- 
riorité ne  va  pas  sans  quelque  connaissance  au  moins 
implicite  d'un  Dieu  personnel.  Voir  col.  837,  857  sq.  ; 
Dictionnaire  apologétique,  1. 1,  col.  7,  21  sq.  Kant  a  vu 
juste  lorsque,  dans  son  système  agnostique,  il  a  conclu 
à  l'impossibilité  de  toute  relation  intime  enlrc  Dieu 
et  l'homme  et  rejeté  la  prière.  Cf.  Herzog,  Realency- 
clopàdie,  art.  Theismus,  p.  592.  Que  devient  en  effet  la 
prière,  si  Dieu  n'est  pas  personnel,  provident?  Si  l'on 
objecte  que  les  Athéniens  honoraient  «  le  Dieu  inconnu  », 
il  faut  remarquer  qu'ils  sacrifiaient  à  un  être  qu'ils 
pouvaient  croire  supérieur  à  ses  adorateurs,  ce  que 
ne  peuvent  pas  logiquement  faire  nos  contradicteurs, 
et  que  saint  Paul  n'a  pas  considéré  que  les  Athé- 
niens aient  en  cela  suivi  la  nature.  Ensuite,  il  est 
certain  que  les  Pères  ont  admis  chez  les  païens  une 
connaissance  spontanée  de  Dieu  telle  que,  suffisante 
pour  commencer  la  vie  morale  et  religieuse,  elle 
était  capable  de  progrès  et  renfermait  implicitement 
diverses  aflirmations  catégoriques  sur  la  nature  intrin- 
sèque de  la  divinité.  Toute  l'argumentation  des  Pères 
contre  les  païens  montre  que  telle  était  leur  pensée. 
Ils  supposent,  en  effet,  toujours  que  les  païens  ont  avec 
eux  de  la  divinité  un  concept  naturel  commun. 
S.  Thomas,  Sum.  theol.,  Ia,  q.  xm,  a.  10.  Cf.  Vasquez, 
in  loe.;  Lossada,  Summulœ,  Barcelone,  1882,  disp.  VI. 
c.  v  sq.,  p.  132,  et  noter  le  mot  singulcu'is,  Denzinger, 
n.  1631;  voir  Acta  concilii  Vaticani,  col.  99,  emend.  13; 
col.  106.  Ils  supposent  ensuite  que  c?  concept  est  expli- 
citahle.  Donc,  dans  la  pensée  des  Pères,  l'idée  spon- 
tanée de  Dieu  chez  les  païens  ne  se  bornait  pas  à  de 
pures  dénominations  extrinsèques.  In  effet,  si  elle  est 
réduite  a  de  telles  dénominations,  d'une  part,  aucun 
concept  commun  sur  Dieu  n'eut  existé  chez  lis  fidèles 
i  i  i  Ife2  les  païens,  puisque  les  païens  n'eussent  jamais 
pensé  Dieu  que  par  ce  que  l'Ecole  appelle  terminus 
indiffèrent  ad  Deum  verum  oui  ftclum,  ce  que  ne 
font  pas  les  chrétiens;  d'autre  pari,  l'idée  sponi 
de  Dieu  des  païens  n'eût  jamais  pu  se  développer  en 
affirmations  catégoriques.  M.  William  .lames,  un  fer- 
vent des  nouvelles  doctrines,  aboutit  à  penser  que,  si 
l'on  prend  rigoureusement  pour  bise  les  états  reli- 
gieux subjectifs  dans  la  détermination  de  l'objet  reli- 
gieux, le  polythéisme  satisfait  au^sj  bien  que  le  mono- 
tin'' sine  aux  données  duproblé .Varieties  of  religions 

e,  Londres,  1902,  p,  526.  En  rigueur  logique, 
conclusion  est  exacte  ;  et  celte  exactitude  pi 
invinciblement    que    les    l'eus    qui   montraient    aux 
païens   que    le    monothéisme    seul     répondait    ■!     ! 

aspirations    religieuses,  a  leur  idée  naturelle  de   la 
divinité,  ne  partageaient  pas  le-  préjugés  nominalistes 

de    M.  \V.  .lames.    D'où   il    f.iul     COncl |Ue    d 

la  tradition,  par  l.i  connais  ance  religieuse  naturelle  el 
spontanée,  l'homme  ne  distingue  pas  Dieu  du  resta  dea 
par  de  purei  dénominal  n  èqui 

A  i  lues,  ajoutons  un  -n  gument 

pnn  ne  m  philosophique.   Le   nominalisme,  emp 
ou  idéaliste,  ail   le  résultai  dune  savante  el  difficile 
réflexion  de  |\  ,  itioni    \  qui 

fera  -i 


N87 


DIEU    (SON    EXISTENCE) 


888 


humain  soient  nominalistes?  Autant  vaudrait  soutenir 
que  l'homme  commence  par  douter  de  la  réalité  du 
monde  extérieur,  que  les  enfants  qu'on  vient  de  sevrer 
se  livrent  au  doute  méthodique,  etc.  Soit  une  abstrac- 
tion dégagée  de  l'expérience,  par  exemple  celle  de  la 
série  des  espèces  botaniques  ;  c'est  déjà  une  grave  faute 
de  méthode  de  proposer  cette  abstraction  comme  une 
formule  rationnelle,  objective  et  nécessaire  du  déve- 
loppement du  monde  végétal.  Que  faut-il  penser  de 
l'acribie  logique  de  ceux  qui  transportent  dans  le  monde 
des  réalités  humaines  et  donnent  pour  des  faits  univer- 
sels, leurs  attitudes  intellectuelles  les  plus  artificielle- 
ment acquises,  des  vues  abstraites  qui  n'ont  d'autre 
fondement  que  des  réllexions  de  l'esprit  sur  sa  propre 
activité,  après  qu'on  s'est  mis  par  système  et  préjugé 
d'école  dans  l'hypothèse  contre  nature  de  la  subjectivité 
des  relations  de  cause  à  effet,  de  substance  à  propriété? 

5°  Solution  scolaslique.  —  1.  L'idée  obscure  de 
Dieu  n'est  pas  le  résultat  d'une  inférence;  2.  comme 
l'est  l'idée  spontanée,  personnelle,  mais  confuse  de 
Dieu;  3.  la  première  certitude  rationnelle  et  person- 
nelle de  l'existence  de  Dieu  confusément  conçu  est 
le  résultat  d'une  inférence  ;  4.  dont  on  admet  généra- 
lement trois  procédés. 

Bien  que  l'idée  de  Dieu  ne  nous  vienne  pas  de  l'en- 
seignement social  comme  le  prétendaient  les  traditio- 
nalistes; bien  que  «  le  Dieu  de  la  religion  ne  soit  pas 
posé  par  l'imagination  collective  spontanée,  »  comme  l'a 
sans  preuves  affirmé  M.  Belot  au  troisième  congrès 
international  de  philosophie,  cf.  Revue  de  métaphy- 
sique et  de  morale,  novembre  1908,  p.  718;  nous  recon- 
naissons que  la  plupart  des  hommes  acquièrent  en 
fait  leurs  premières  idées  religieuses  par  l'éducation 
aussi  bien  parmi  les  infidèles  que  parmi  les  chrétiens.  De 
là  vient  l'extrême  importance  de  la  première  éducation. 
Mais  nous  ne  nous  occupons  pas  ici  de  l'idée  de  Dieu 
acquise  par  cette  voie  de  l'enseignement  social  ni  des 
retards  et  des  déformations  que  l'école  neutre,  la  mo- 
rale sans  Dieu,  ou  l'enseignement  polythéiste  peuvent 
apporter  à  la  connaissance  spontanée  de  Dieu.  Cf.  Hon- 
theim,  op.  cit.,  n.  615,  a.  3.  Voici,  en  court,  comment 
les  scolastiques  expliquent  la  genèse  de  cette  connais- 
sance. 

1.  L'idée  obscure  deDieu  n'est  pas  le  résultat  d'une 
inférence,  c'est  plutôt  une  simple  appréhension,  issue 
d'une  réllexion  spontanée  de  l'esprit  sur  ses  tendances 
fondamentales.  C'est  ce  que  signifie  Jean  de  Saint-Tho- 
mas, quand,  par  opposition  à  l'idée  confuse  de  Dieu  ac- 
quise par  inférence,  il  parle  du  concept  quidditatif  de 
l'être  in  commuai.  In  l3-'",  q.  il,  disp.  III,  a.  I ,  n.  10.  Cela 
suit  du  moyen  terme  qu'emploie  saint  Thomas  pour 
montrer  l'universalité  de  l'idée  obscure  de  Dieu  : 
l'homme  connaît  d'abord  Dieu  in  communi,  ut  scilicet 
appelât  naluraliler  se  esse  coniplelum  in  bonitate.  De 
veritate,  q.  xxn,  a.  7.  Ce  qui  est  vrai  de  l'idée  de  bien, 
l'est  également  de  celle  d'être,  d'unité,  de  vérité,  comme 
il  est  facile  de  s'en  rendre  compte.  Cf.  pour  l'unité, 
S.  Augustin,  De  libero  arbilrio,  1.  II,  c.  vin,  P.  L., 
t.  xxxii,  col.  1251;  De  vera  religione,  c.  xxxii-xxxiv, 
t.  xxxiv,  col.  149;  pour  la  vérité,  De  libero  arbilrio, 
ibid.,  c.  ix  sq.;  pour  le  bonheur,  Confessioncs,  1.  X, 
c.  xxi  sq.,  t.  xxxii,  col.  792;  De  Trinitale,  1.  VIII, 
c.  vi  sq.,  t.  xlii,  col.  953.  On  a  dit  plus  haut,  col.  855, 
que  M.  Mallet  a  raison  de  penser  que  les  données  fonda- 
mentales de  la  philosophie  del'Action  sont  identiquesà 
quelques-unes  des  données  de  la  scolastique;  on  a  mon- 
tré aussi,  col.  820,  que  les  scolastiques  n'ont  pas  ignoré 
ce  que  M.  Mallet  appelle  cognitum  ex  aclione  et  voli- 
tionc  elicilum,  sans  pour  cela  tomber  dans  le  sentimen- 
talisme. Il  leur  suffisait  d'avoir  lu  saint  Augustin  pour  en 
être  instruits;  et  saint  Thomas  en  fait  expressément  la 
remarque  à  propos  du  passage  des  Confessions  auquel 
nous  venons  de  renvoyer   le  lecteur.    Saint  Augustin 


dit-il,  parle  d'un  triple  mode  de  connaissance  :  Terlius 
modus  est  eorum  quse  pertinent  ad  partent  affecti- 
vam,  quorum  ratio  cognoscendi  non  est  in  inlel- 
lectu  sed  in  ajfeclu;  et  ideo  non  per  sui  prsesentiam, 
quœ  in  affecta,  sed  per  ejus  notitiam  vel  rationem 
quse  est  in  inlellectu,  cognoscunlur,  sicul  per  im- 
medialum  principium ,  etc.  De  veritate,  q.  x,  a.  9, 
contra,  ad  1"'",  3u,n;  a.  11,  ad  6U'". 

2.  L'idée  spontanée,  personnelle,  mais  confuse  de 
Dieu  est  le  résultat  d'une  inférence.  —  Nous  n'avons 
pas  à  répéter  ici  ce  que  nous  avons  dit,  d'une  part, 
contre  les  nominalistes  qui  nient  la  possibilité  d'une 
vraie  connaissance  de  Dieu  par  inférence,  col.  782, 
d'autre  part,  contre  les  pseudo-mystiques  qui  ne  con- 
naissent pas  d'autre  origine  à  notre  idée  valable  de 
Dieu  que  le  sentiment  ou  l'expérience  intérieure, 
col.  797,  816.  Hontheim,  op.  cit.,  n.  72.  Rappelons 
seulement  que  dans  l'École  l'innéisme  cartésien  est 
écarté,  soit  parce  que  contre  l'expérience  il  se  donne 
l'idée  d'infini  et  la  prête  à  tous,  soit  parce  que  le  petit 
fait  du  sauvage  alliée  par  ignorance  le  contredit, 
col.  840  sq.  Les  doctrines  strictement  intuitionistes  sont 
écartées,  parce  que  la  vision  naturelle  immédiate  de 
Dieu  est  impossible.  Voir  Ontologisme,  et  col.  839.  On 
écarte  également  les  théories  diverses  d'après  lesquelles 
le  concept  spontané  et  premier  d'être  in  communi  nous 
représenterait  Dieu  sans  inférence  aucune,  d'abord  et 
surtout  parce  que  Dieu  n'est  pas  l'être  en  général, 
mais  la  plénitude  de  l'être,  S.  Thomas,  Contra  gentes, 
1.  I,  c.  xxvi ;  d'où  il  suit  que  l'être  en  général  ne 
signifie  pas  déterminément  Dieu,  mais  seulement  in 
communi.  Que  si  l'on  prétend  que  la  plénitude  de 
l'être  au  concret  est  l'objet  de  notre  première  intuition, 
on  répond  que  l'observation  psychologique  récuse  celte 
assertion,  de  même  que  celle  des  panthéistes  qui 
prétendent  que  la  totalité  de  l'être,  l'Absolu,  est  le 
contenu  de  notre  concept  abstrait  d'être.  De  veritate, 
q.  i,  a.  1;  q.  x,  a.  11,  ad  10u°>;  Sum.  llieol.,\  . 
q.  lxxxviii,  a.  3.  Cf.  Franzelin,  De  Deo  uno,  Rome, 
1883,  th.  xxiv.  En  d'autres  termes,  l'idée  de  la  pléni- 
tude concrète  de  l'être  aussi  bien  que  celle  de  la  col- 
lection totale  des  êtres  sont  des  idées  élaborées  et  non 
pas  le  concept  primitif  et  spontané  de  l'èlre  en  géné- 
ral. Voir  col.  787.  Ces  exclusions  faites,  on  conclut  que 
l'idée  confuse  de  Dieu  s'acquiert  par  inférence  et  qu'elle 
est  par  conséquent  ce  que  les  logiciens  appellent  un 
concept  discursif.  Cf.  Hontheim,  op.  cit.,  n.  29,  39. 

Le  rôle  du  discours,  du  syllogisme  proprement  dit, 
peut  être  très  saillant.  Supposons  un  homme  instruit, 
mais  ignorant  Dieu,  qui  se  pose  la  queslion  philoso- 
phique suivante  :  la  série  des  causes  subordonnées 
peut-elle  être  infinie?  Si  au  bout  de  ses  déductions,  il 
conclut  à  la  négative,  la  conclusion  à  laquelle  il  par- 
vient lui  fournit  l'idée  de  la  cause  première.  L'infé- 
rence  peut  être  d'un  autre  ordre.  Qu-on  reprenne  les 
trois  groupes  de  formules  par  lesquelles  les  théolo- 
giens ont  l'habitude  d'exprimer  l'idée  confuse  de  Dieu  : 
il  s'agit,  une  fois  qu'on  a  les  idées  simples  d'être,  de 
cause  et  de  maître,  de  passer  à  l'être  de  fait  et  rela- 
tivement le  plus  grand,  à  la  cause  de  fait  du  inonde 
et  de  l'ordre  du  monde,  à  l'auteur  et  au  vengeur  de 
la  loi  morale,  ou  sous  des  termes  plus  abstraits  au  bien 
à  qui  tout  doit  être  sacrifié  et  qui  doit  être  préféré  à 
tout  le  reste,  etc.  Or,  rien  n'est  plus  facile  que  le  pas- 
sage des  idées  simples  d'être,  de  cause,  de  maître,  aux 
suivantes.  Ajoutons  que  rien  n'est  plus  spontané  qu'une 
telle  démarche  de  l'esprit.  Et  cette  spontanéité  s'ex- 
plique fort  bien  par  les  tendances  de  notre  raison  spé- 
culative et  de  notre  raison  pratique,  vers  l'unité,  et 
par  notre  besoin  de  nous  expliquer  à  nous-mêmes  le 
monde,  notre  faculté  de  connaître  et  plus  encore  nos 
facultés,  indigences  et  aspirations  morales  et  religieuses. 
Telle  est  en  peu  de  mots  la  genèse  psychologique  de 


889 


DIEU    (SON   EXISTENCE) 


890 


notre  première  idée  confuse  de  Dieu.  Cf.  VVieser,  Die 
natùrïiche  Gottcserkenntniss,  dans  Zeilschrift  fur 
kat/tolische  Théologie,  Inspruck,  1879,  p.  725 sq. 

3.  La  première  certitude  de  l'existence  de  Dieu 
dépend  d'une  inférence.  —  L'idée  de  Dieu  sans  la 
certitude  de  son  existence  ne  servirait  pas  au  but  pour 
lequel  Dieu  nous  a  faits  à  son  image;  et  il  faut  que 
nous  ayons  une  certitude  rationnelle  de  l'existence  de 
Dieu;  sinon,  l'idée  confuse  dont  nous  venons  d'expli- 
quer avec  l'École  l'origine  ne  nous  mettrait  en  présence 
que  d'une  simple  hypothèse.  Voyons  donc  les  raisons 
qui  ont  amené  presque  toute  l'École  à  soutenir  que  c'est 
par  une  inférence,  par  un  raisonnement,  que  l'homme 
arrive  naturellement  à  la  première  certitude  de  l'exis- 
tence de  Dieu. 

On  pose  le  problème  en  ces  termes  :  utrum  Deuni 
esse  sit  per  se  notum  ?  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  tlieol., 
I»,  q.  il,  a.  1;  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  III,  q.  i,  a.  2; 
Contra  génies,  1.  I,  c.  x  sq.  ;  De  veritate,  q.  x,  a.  12. 
Le  sens  de  la  question  est  le  suivant.  On  ne  cherche 
pas  d'où  nous  vient  l'idée  de  Dieu  :  de  même  que  si 
on  dit  que  la  proposition  homo  est  rationalis  est  évi- 
dente, on  ne  met  pas  en  question  qu'on  a  formé  cette 
proposition  par  induction.  Il  n'est  pas  davantage  ques- 
tion de  savoir  si  certaines  propositions  qui  impliquent 
une  hypothèse  de  la  part  de  Dieu  sont  évidentes;  car 
tout  le  monde  concède  comme  évidentes  :  Si  Deus 
conservât  mundum,  e.cistil  ;  si  Deits  existil,  est  colen- 
dus,  etc.  Mais  on  demande  si  nous  arrivons  spontané- 
ment à  nous  faire  de  Dieu  une  idée  telle  que  la  con- 
nexion qui  existe  réellement  entre  l'objet  représenté 
par  cette  idée  et  L'existence  de  cet  objet  nous  devienne 
manifeste  par  le  seul  énoncé  des  termes,  sans  réflexion 
ultérieure  et  sans  l'aide  d'aucun  raisonnement. 
Cf.  d'Aguirre,  Theologia  sancli  Ansehni,  tr.  I,  disp.  VI, 
Rome,  1688,  t.  i,  p.  133-152.  Les  termes  nalura  excel- 
lentissima,  principium  omnium  rerum,  auclor  et 
vindex  legis  moralis,  summum  bonum,  étant  saisis 
par  l'esprit,  l'assentiment  à  l'existence  de  cette  nature 
supérieure,  de  ce  principe,  etc.,  s'impose-t-il  avec 
avec  évidence  à  notre  esprit? 

I  (eus  opinions  se  sont  partagé  les  théologiens.  Albert 
le  Grand,  l.iher  de  causis,  c.  vin  sq.,  édit.  Vives,  t.  x, 
p.  377;  Su, mini  theol.,  I»,  li-.  III.  q.  XVII,  t.  xxxi, 
p.  116;  li.  IV,  q.  xix,  m.  il.  p.  127;  Gilles  de  Rome, 
h,  IV  Sent.,  I.  I.  dist.  III,  q.  il  sq.;  Thomas  de 
Strasbourg,  In  IV  s,-,, t.,  |.  I,  dist.  III,  q.  i,  a.  3, 
Venise,  1564,  fui.  33  sq.;  Denys  le  Chartreux,  il, ni., 
<[.  il,  a.  3,  Cologne,  1535,  \<.  101-104;  Nicolas  de  Lyre, 
lu  postUla,  Exod.,  v,  2,  Biblia  sacra  cum  (/hissa  et 
lia  Lirani  de  Strabo.  Anvers,  1031,  t.  i,  col.  534; 
'  ,  v.  2,  Opéra,  Cologne,  1613,  t.  Il, p. 53; 
Michel  Palacios,  lu  IV  Sent  .  I.  I.  prologi  q.  v,  pour 
ne  citer  que  des  auteurs  anlérieurs  à  Descartes,  ont 
soutenu  qu'on  peut  arriver  et  qu'on  arrive  de  fui  i 
avoir  de  Dieu  une  idée  ti  Ile  que,  sans  aucun  raison- 
nement, la  réalité  de  l'existence  de  Dieu  appai 
nettement  .<  l'intelligence.  Il  y  a  parmi  ces  auteurs 
quelques  divergences,  par  exemple  Albert  le  Grand  pense 
que  l  ■  tisii  h.  .  de  Dieu  reste  démontrable,  bien  qu'évi- 
dente, tandis  que  Gilles  de  Rome  soutient  le  contraire 
parce  que  l'évident  in-  se  prouve  pas;  quelques  uni  accor- 
d  eut  que  seuls  les  hommes  instruits  arrivent  à  se  former 
idée,  les  autres  affirment  qu'une  telle  Idée  est 
ipontam  e  ch<  /  tou  Mai-  tous  s'accordent  a  dire  que, 
jdi  e  donm  b  dam  i  esprit,  l'intelligent  e  poi  le 
ir  Diea  un  jugement  existentiel  i  ertain,  sans 
réflexion,  ni  discoui  - 

lie  opinion  ..  contra  elle  l'ensemble  de  i  i 
D'abord  lalnl  i  in.>n.i~  .  i  i.,  longui  thomistes, 

ndanl  quelques  néothomistes,  qui  ont 

■  "  de  la  philosophie  chi 

I  hypothèse  de  la  distinction  réelle  de  IV     ence  et  d< 


l'existence,  réfutée  par  saint  Thomas  chez  Avicenne, 
et  une  thèse  de  l'épistéinologie  d'Averroès  dont  Caje- 
tan  s'est  un  jour  servi.  Scot  et  toute  l'école  scotiste 
partagent  sur  le  fond  l'opinion  de  saint  Thomas,  In 
IV  Sent.,  1.  I,  dist.  II,  q.  h,  ainsi  que  l'école  nomina- 
liste  d'Occam,  cf.  Biel,  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  III, 
q.  iv,  Brescia,  1574,  p.  110.  Les  jésuites  Suarez,  Dis- 
pulaliones  metaph.,  disp.  XXX,  sect.  m,  n.  33-37; 
Valenlia,  In  Jam,  q.  il,  disp.  II,  p.  i,  Lyon,  1603,  t.  i, 
col.  61;  Molina,  Comment,  in  7»,n,  q.  n,  a.  1,  Venise, 
1602,  t.  i,  p.  33;  Vasquez,  In  P<»,  disp.  XIX;  les 
sorbonistes  Ysambert,  Disputaliones  in  /am,  q.  il, 
disp.  I,  a.  1,  Paris,  1643,  t.  i,  p.  30;  Gamache,  Summa 
theologica,  q.  n,  a.  1,  Paris,  1627,  p.  36;  Grandin,  De 
Deo,  q.  n,  a.  1,  Opéra,  Paris,  1710,  t.  i,  p.  38,  ne  sont 
pas  d'un  autre  avis. 

Ces  auteurs  s'accordent  à  ne  point  donner  de  «  note 
théologique  »  à  la  première  opinion;  saint  Thomas 
avait  donné  l'exemple  de  cette  abstention.  Contra 
génies,  1.  III,  c.  xxxvin.  Voir  col.  848.  Ils  s'accordent 
aussi  à  rejeter  cette  même  opinion  comme  «  moins 
vraie,  moins  bonne,  fausse;  »  et  chose  remarquable 
leur  principal  argument  est  qu'elle  est  contraire  à 
l'expérience.  Si  l'existence  de  Dieu  nous  était  connue 
à  la  façon  des  premiers  principes,  nul  ne  pourrait  la 
mettre  en  doute,  ni  la  nier;  or,  l'expérience  montre 
qu'il  en  est  autrement.  Donc,  s'il  est  vrai  que  l'hypo- 
thèse Dieu  confusément  conçu  se  présente  naturelle- 
ment à  l'esprit,  la  vérité  de  cette  hypothèse  ne  s'im- 
pose pas  à  nous  comme  celle  des  axiomes.  D'ailleurs, 
les  arguments  d'autorité  qu'apportent  les  adversaires 
sont  de  nulle  valeur.  Ils  s'appuient  sur  saint  Augustin 
et  Boèce  ;  mais  l'un  et  l'autre  n'ont  considéré  comme 
per  se  nota  que  la  connaissance  obscure  de  Dieu,  in 
communi ;  tous  deux  pour  passer  de  cette  idée  obscure 
de  Dieu  à  l'idée  confuse,  puis  distincte  de  Dieu,  ont 
proposé  des  raisonnements  variés  et  souvent  compli- 
qués, comme  l'a  fait  plus  tard  saint  Anselme;  ni  l'un 
ni  l'autre  n'ont  cru  à  la  spontanéité  de  ces  raisonne- 
ments, puisqu'ils  requièrent  pour  passer  de  l'idée  du 
bonheur,  etc.,  à  celle  du  bonheur  en  Dieu  une  grande 
élévation  d'âme,  des  dispositions  morales  qui  sont 
rares;  n'est-ce  pas  saint  Augustin  qui  s'écrierO  animée 
pervicacet,  date  mini  <jit<  videat  sine  ulla  imagina- 
tione  visorum  carnalium  ;  date  milii  qui  videat  om- 
nis  unius  principium  non  esse  niai  unum  solum,  a 
quo  sit  omne  unum.  De  vera  religione,  c.  xxxiv, 
/'.  /..,  t.  xxxiv,  col.  150.  Quelques-uns  des  adversaires 
se  retranchent  derrière  la  distinction  per  se  notum  sa- 
pientibus  et  soutiennent  que  du  moins  les  hommes 
instruits  arrivent  à  saisir  avec  évidence  la  connexion 
entre  l'idée  de  Dieu  et  l'existence.  C'est  une  illusion 
dont  rendent  compte  1  éducation,  l'habitude  et  aussi  la 
culture  philosophique.  Quand  Boèce  dit  que  les  - 
voient  avec  évidence  que  les  êtres  immatériels  ne  sont 
pas  dans    le  lieu,  cela   ne  signifie   pas  qu'il   ne  leur  a 

fallu  aucun  raisonnement  pour  se  faire  à  cette  ma- 
nière de  concevoir  les  choses,  qvasi  >ion  indiguerint 
ibus  aliquilms  assentibus,  quitus  rus  proposi- 
tiones  sibi  persuadèrent,  sed  dicuntur  ipsis  per  se 
natte,  quia  consuetu  'uni  illis  tueentiri  soient 

immédiate  sine  pressenti  diseur  su;  memores  nimi- 
rum  argumentorum  saltem  in  confuso,  'imbus  cas 
aliquando  sibi  i  uni,  Valentia,  ioc.cif., ad! 

Suarez,  lor.  rit.,  n.  37;  s.  Thomas,  ('.unira  gentes, 

I.  I.  r.  \i.   n.  I . 

Enfin  m  l'on  étudie  à  la  lumière  de  la  métaphysique 

la    façon    dont  en   fail    l'idée   de    Dieu   s.  à  la 

lui  que  "m-  mi. 
rence  nous  ne  ponvon    pa     noir  l'évidence  naturelle 
dr  la  réalité  objective  de  Dieu,  i  o  effet,  quand  nous 
peu  on     à  Dieu,  bien  que,  considén    en  soi,  il  soit 
absolu,  nous  ne  poui pas  penser  à  lui  sans  quelque 


891 


DIEU   (SON   EXISTENCE) 


892 


relation  à  la  créature,  comme  l'expérience  le  prouve. 
Significatum  nominis  Deus  relata  concipitur  ad  uni- 
versuni,  vel  per  modum  excedentis,  vel  per  modum 
causai  vel  donùni,  etc.  Nom,  dit  Vasque/.,  non  possu- 
mus  audita  voce  Deus,  ut  ipsam  rem  inlelligamus, 
non  appréhende  re  aliqidd  aliud,  cujus  instar  Deus 
ipse  a  nobis  cognoscatur : quod  nullus  scholaslicorum 
negare  polesl.  In  7"",  disp.  LVIII,  n.  6.  D'un  autre 
côté,  bien  que  nous  puissions  arriver  à  porter  sur  la 
nature  divine  considérée  en  soi  des  jugements  valables, 
subslanlialiter  dicuntur,  cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol., 
I»,  q.  xin,  a.  2;  S.  Anselme, Monologium,  c.  xiv,  et  en 
particulier  ce  jugement  que  l'existence  est  du  concept 
de  l'essence  de  la  divinité,  cependant  nous  ne  pouvons 
pas  penser  celle  identité  elle-même  autrement  que  par 
deux  concepts  distincts.  Il  en  est  ici  comme  de  la  sim- 
plicité divine;  celle-ci,  nous  le  savons,  est  la  substance 
même  de  Dieu,  cependant  nous  la  concevons  comme 
une  propriété  de  cette  substance.  Vasquez,  ibid., 
disp.  XLI,  n.  6.  Donc,  bien  que  nous  concevions 
l'Absolu  et  l'Ktre  nécessaire  considéré  en  soi,  n'en 
ayant  pas  la  vision  intellectuelle  immédiate,  nous  ne 
pouvons  pas  en  former  un  concept  absolu  et  totale- 
ment simple.  Si  tlicis  :  Deus  est  terminus  absolulus, 
et  volo  quod  sic  acclpialur  in  nostra  proposilione, 
Deus  est.  Dicendum  quod  illa  vox  Deus...  in  quan- 
tum subordinalur  conceptui  quem  solum  format 
vialor  non  est  absolula,  sed  vel  complexa  vel  connola- 
tiva.  Biel,  lac.  cit.,  et  q.  il,  a.  2.  Concept  connotatif, 
nam  aliud  a  Deo  concurrit  in  ratione  objecti;  concept 
complexe,  parce  qu'il  est  formé  de  plusieurs  concepts 
abstraits  simples,  dont  chacun  en  particulier  s'applique 
à  Dieu  et  à  la  créature.  De  là,  conclut  Vasquez,  ibid., 
disp.  XIX,  n.  10  sq.,  l'impossibilité  pour  nous  de 
jamais  passer  de  l'idée  de  Dieu  à  l'affirmation  de  son 
existence  objective  sans  inférence.  Cf.  Jean  de  Saint- 
Thomas,  ramenant  l'argument  de  saint  Thomas  à  celui 
de  Vasquez,  In  I*u',  q.  n,  disp.  III,  a.  1,  n.  7,  et 
d'Aguirre  cherchant  à  sauver  l'évidence  immédiate  de 
Dieu  pour  les  sages.  Tlieologia  sancti  Anselmi,  t.  i, 
tr.  I,  disp.  VI,  n.  21  sq. 

En  effet,  ou  bien,  comme  le  remarque  finement  Hau- 
nold,  T/teologise  speculalivse  libri  IV,  Ingolstadt,  1G70, 
1.  I,  cont.  il,  n.  27,  on  considère  l'idée  de  Dieu  pris 
en  soi  indépendamment  de  l'existence  des  créatures, 
comme  l'a  fait  saint  Anselme  très  probablement,  et 
comme  ont  essayé  de  le  faire  plusieurs  théologiens 
espagnols  et  allemands  au  xvne  siècle,  entre  autres 
A.  Ferez,  Derkennis,  Spiznagl,  qui  partaient  de  l'idée 
ens  carens  omni  defeclu,  ou  de  cette  autre  ens  habens 
cumulum  omnium  perfectionum  ;  ou  bien,  on  consi- 
dère Dieu  conçu  sous  un  prédicat  qui  lui  convient  et 
ne  convient  qu'à  lui,  mais  qui  n'a  pas  la  prétention 
d'exprimer  la  quiddité  divine.  Ibid.,  cont.  i,  n.  1  sq. 

Si  l'on  considère  la  nature  divine  en  soi,  par  exemple 
comme  existant  de  droit  :  Deuni  nempe  esse  ex  se 
delerminatum  ut  existât  minimeque  indifferentem 
ut  non  existât,  on  ne  peut  pas  sans  inférence  passer  à 
l'existence  réelle  de  Dieu.  Car  pour  penser  cette  exis- 
tence de  droit  nous  nous  servons  fatalement  de  notre 
concept  d'existence,  qui  convient  et  à  l'existence  objec- 
tive réelle  et  à  l'existence  pensée  ou  même  simplement 
possible.  De  là  vient  que  la  liaison  de  Dieu  considéré 
en  soi  et  de  l'existence  n'est  pas  immédiatement  évi- 
dente pour  nous;  car  la  liaison  du  prédicat  et  du  sujet 
ne  peut  pas  nous  être  évidente,  si  la  cohérence  des 
concepts  par  lesquels  nous  pensons  le  sujet  ne  l'est 
pas.  Scot,  remarque  Platel,  Synopsis  cursus  theologici, 
xvii,  n.  7,  Douai,  1706,  a  fort  bien  dit  :  Quod  dicilur 
de  subjccto  complexo  non  est  magis  notion  quam 
nolum  sit  partes  subjecli  inler  se  uniri.  Or,  la  cohé- 
rence des  concepts  par  lesquels  nous  pensons  Dieu 
considéré  en   soi  n'est   pas   immédiatement   évidente. 


Donc,  et  sans  entrer  dans  la  question  de  l'analogie  de 
l'être  afin  d'éviter  tout  cercle  vicieux,  cf.  de  Rhodes, 
Uisput.  theol.,  Lyon,  1661,  t.  I,  De  Deo,  disp.  I,  q.  i, 
sect.  i,  S  2,  ad  2["",  la  liaison  de  Dieu  considéré  en  soi  e 
de  l'existence  ne  peut  se  faire  qu'à  l'aide  de  quelque 
discours,  conclut  Vasquez,  partisan  de  l'argument  de 
saint  Anselme;  pour  passer  de  l'idée  d'ens  quo  nia  jus 
cogitari  nequil  à  celle  d'existence  réelle,  il  faut  au 
moins  une  deductio  ad  absurdum.  Le  passage  pour- 
rait se  faire  correctement,  si  la  possibilité  de  l'être 
existant  était  prouvée,  pense  avec  beaucoup  d'autres 
Esparza,  Cursus  theologicus,  Lyon,  1685,  t.  i,  1.  I,  q.  i. 
a.  5,  ad  2um  :  formule  empruntée  aux  théologiens  par 
Leibniz,  mais  avec  une  nuance  qui  dépend  de  sa  con- 
ception des  possibles.  Perez,  Derkennis,  etc.,  pensaient 
pouvoir  légitimer  le  passage  et  trancher  la  question  de 
possibilité  par  un  appel  à  la  finalité  interne;  si  Dieu 
est  le  bien,  il  doit  avoir  réalisé  son  existence.  Voir 
col.  820.  Mais  il  reste  cette  grosse  difficulté  qui  vient  de 
la  singularité  du  cas  de  Dieu  et  qu'a  soulignée  Chris- 
tophe Cil,  Commenlationum  theolog.  de  essentia 
alque  unitale  Dei  libri  duo,  Lyon,  1610,  1.  I.  tr.  VIII, 
c.  ni,  à  savoir  :  lorsque  la  connexion  du  sujet  et  du 
prédicat,  y  compris  celui  d'existence,  ne  dépend  pas  de 
la  nature  du  sujet  lui-même,  nous  pouvons  voir  immé- 
diatement cette  connexion  à  l'aide  d'un  principe  uni- 
versel sans  pénétrer  la  nature  du  sujet;  car  la  conve- 
nance du  prédicat  au  sujet  dépend  dans  ce  cas  d'autre 
chose  que  de  la  nature  du  sujet,  et  par  suite  on  conçoit 
que  cette  convenance  puisse  être  connue  en  vertu  d'un 
principe  commun  à  tous  les  êtres  ou  à  certaines  caté- 
gories d'êtres.  Mais  lorsque  la  connexion  du  prédicat 
et  du  sujet  n'a  pas  d'autre  fondement  que  la  nature 
intrinsèque  du  sujet,  et  tel  est  le  cas  pour  l'existence 
divine,  celui  qui  par  hypothèse  s'est  interdit  de  consi- 
dérer les  créatures  et  le  fait  de  leur  existence,  ne  sau- 
rait voir  immédiatement  que  Dieu  existe,  s'il  ne  pé- 
nètre pas  la  nature  même  de  Dieu.  De  plus,  dans  la 
même  hypothèse,  aucune  inférence  ne  peut  aboutir  à 
la  réalité  de  l'existence  divine;  car  cette  existence 
n'ayant  pas  d'autre  raison  immédiate  que  Dieu  lui- 
même,  rien  ne  peut  la  manifester  à  celui  qui,  d'une 
part,  n'a  pas  la  vision  intuitive  de  Dieu  et  qui,  d'autre 
part,  s'est  interdit  la  considération  des  œuvres  divines. 
Donc  saint  Thomas  a  fort  bien  conclu  :  In  ralionibus 
in  quibus  demonslratur  Deum  esse,  non  oportet  assu- 
mi  pro  medio  divinam  esse7itiam  seu  quidditatem. 
Contra  génies,  1.  I,  c.  xn,  ad  lum,  2U,U;  De  potenlia, 
q.  vu,  a.  2,  ad  lm".  Aucune  inférence  non  causale  ne 
peut  donc  suffire  à  légitimer  un  jugement  existentiel 
sur  Dieu,  concluent  tous  les  adversaires  de  l'argument 
de  saint  Anselme.  Cf.  Kleutgen.  Théologie  der  Vorxeit, 
t.  v,  n.  423;  P/iilosophie  scolastique,  t.  iv.  n.  939.  Il 
est  d'autant  moins  utile  d'insister  que  de  nos  jours  le 
débat  ne  porte  guère  sur  la  valeur  do  l'argument  de 
saint  Anselme,  spécialement  quand  il  est  question  de 
la  connaissance  spontanée  de  Dieu.  Avertissons  seule- 
ment le  lecteur  qu'il  ne  faut  pas  confondre  les  discus- 
sions sur  l'argument  de  saint  Anselme,  avec  cette  autre 
question  :  L'existence  de  Dieu  étant  supposée  connue 
par  le  moyen  des  créatures,  le  métaphysicien  peut-il 
arriver  à  se  démontrer  a  priori,  positive,  sed  logice 
l'existence  divine?  Cf.  Suarez,  Disp.  metaphys., 
disp.  XXIX,  sect.  m;  Godoy,  De  Deo,  tr.  I,  disp.  111, 
p.  n,  n.  31;  Borrull,  Tractatus  duo  de  essentia, 
attribulis  et  visione  Dei,  tr.  I,  disp.  II,  sect.  iv  sq., 
Lyon.  1661,  p.  S7-102. 

Si,  abandonnant  la  voie  de  la  preuve  de  l'existence 
de  Dieu  qui  prend  pour  point  de  départ  l'essence 
divine  considérée  en  soi,  on  considère  Dieu,  non  plus 
en  soi,  mais  au  sens  relatif—  et,  comme  le  remarquait 
déjà  saint  Grégoire  de  Xazianze.  Orat.,XX\Ul,n.  li.P.C-. 
t.  XXXVI,  col.  42,  on  n'arrive  jamais  ici-bas  à  se  dégager 


893 


DIEU  (SON  existence; 


894 


complètement  de  ce  point  de  vue  —  il  est  de  nouveau 
aisé  de  voir  que  sans  inférence  on  ne  peut  pas  passer 
de  l'idée  des  attributs  relatifs  et  de  l'existence  objective 
niais  idéale,  qu'on  leur  donne  comme  à  tous  les  objets 
de  la  pensée,  à  l'existence  objective  et  réelle  de  Dieu.  La 
raison  en  est  que  l'existence  de  Dieu  n'a  rien  de  rela- 
tif, mais  est  totalement  absolue.  Mais,  remarque  saint 
Anselme,  de  relativis  nulli  dubium,  quia  nullum 
connu  substantielle  est  Mi,  de  qtto  relative  dicitur. 
Quare  si  quid  de  summa  natura  dicitur  relative,  non 
est  ejus  signi/îcativum  substantiœ.  Unde  hoc  ipsum, 
quod  summa  est  omnium,  sive  major  omnibus,  quse 
ab  Ma  facla  sunt,  vel  aliquid  aliud,  quod  similiter 
relative  dici  polest,  non  ejus  naluralem  désignât 
esseuliam.  Si  enim  nulla  earum  rerum  unquam  esset, 
quaruni  relatione  summa  et  major  dicitur  ipsa;  nec 
summa  nec  major  intelligeretur  ;  nec  tamen  ideirco 
minus  bona  esset,  aut  essentialis  suse  magniludinis 
in  aliquo  detrimenlum  pateretur.  Quod  ex  eo  mani- 
feste cognoscitur,  quoniam  ipsa,  quidquid  boni  vel 
magni  est,  non  est  per  aliud  quam  per  se  ipsam.  Si 
igitur  summa  natura  sic  potest  inlelligi  non  summa, 
ut  tamen  nequaquam  sit  major  aut  minor  quam  cum 
inlelligitur  summa  omnium;  manifeslum  est  quo- 
niam summum  non  simpliciler  significat  summam 
i liant  essentiam,  quas  omnino  major  aut  ntelior  est, 
(juam  quidquid  non  est,  </uod  ipsa.  Quod  autem  ratio 
docet  de  summo,  non  dissimililer  invenitur  in  simi- 
liter relativis.  Monologium,  c.  Xiv.  Donc.  Dieu  conçu 
par  les  attributs  relatifs,  Dieu  désigné  par  des  dénomi- 
nations extrinsèques,  et  d'une  manière  plus  générale, 
pour  parler  comme  les  modernes,  l'bypothèse  Dieu,  est 
ce  sans  quoi  Dieu  serait  Dieu;  l'existence  réelle  de 
Dieu  est  au  contraire  «  ce  sans  quoi  Dieu  ne  serait  pas 
Dieu  et  son  culte  anéanti.  «  Personne  n'admet  comme 
légitime  le  passage  immédiat  d'une  hypothèse  abstraite 
.1  l'affirmation  catégorique  de  l'existence  concrète, 
mettons  par  exemple  de  î'éther.  A  plus  forte  raison,  ce 
passage  doit-il  cire  tenu  pour  incorrect,  quand  il  s'agit 
rie  l'hypothèse  Dieu,  parce  qu'il  y  faudrait  passer  de 
ce  sans  quoi  Dieu  serait  Dieu  à  ce  sans  quoi  Dieu  ne 
il  pas  Dieu.  Si  donc,  en  général,  l'intelligence 
d'une  hypothèse  m  sert  à  rien  pour  donner  la  certi- 
tude rationnelle  d'un  jugement  d'existence  sur  l'objet 
hypothétique  considéré,  et  s'il  y  faut  une  preuve;  le 

ingulier  de  l'hypothèse  Dieu,  où  l'objet  hypothé- 
tique nVsi  désigné  que  par  des  dénominations  extrin- 
sèques, loin  de  nous  dispenser  de  la  preuve,  l'exige 
absolument.  Soutenir  que  l'intelligence  peut  porter  un 

juge ni  existentiel  cei  tain,  Bans  autre  appui  que  l'idée 

de  l'hypothèse  Dieu,  reviendrait,  en  effet,  à  dire  qu'on 
peut  avoir  l'évidence  de  cette  absurdité  «pie  ce  sans 
quoi  Dieu  sérail  Dieu  esl  identiquement  ce  sans  quoi 
Dieu  )//■  sérail  pas  Dieu,  Denzinger,  n.  428,  ou  du 
moins  que  ce  sans  quoi   Dieu  sérail  Dieu  nous  mani- 

imrnédiatemenl  ce  par  quoi  Mien  esl  Dieu. 
Il  faul   ici,   sans  prétendre  exclure  en  détail   toutes 
les  bypotl  .    mentionner  les  principales; 

car  actuellemeul  une  grande  partie  du  débal  sur  l  idée 

leuse  se  déroule  sur  ce  terrain,  comme  l'ont  fort 
bien  \u  MM.  Moisant,  Dieu,  ,  ,■  en  métaphy- 

sique, Paris,  1907;  Piat,  Insuffisance  de»  théorie»  de 

\ition,  Paris,  l908;Michelet,  Dieuetl'agnosti\ 
oonteniporain,  Paris,  1909  Laissant  di  côté!  as,  ou 
l'intuition  sensible  de  Dieu,  inventé  ou  plutôt  réédité 
par  Max  Huiler,  Origine»  et  développement  de  !" 
Paris,  1879,  p.  32  sq.,  il  nous  reste,  après  les 
exclu  .  liminer  ce  qui 

li  -  hypothi  n  imi  talogique,  psychologique, morali  . 

logique  el  m<  I  iphysique.  " 

"   '  ni n 

onl  1 1                ption  ■!■■  Ii  coni  ibs traite  Immi 

diau  del  i  m-',  n,  ■  .1-  i L'amei      rda.nl  l'être  uni, 


monde  ou  âme,  voit,  par  contraste  et  par  regrès,  dans 
ce  fini  l'existence  nécessaire  de  l'infini.  »  Gratry,  Con- 
naissance de  Dieu,  1.  II,  c.  vin,  Paris,  1854,  p.  100; 
Logique,  t.  n,  p.  42.  —  Critique.  —  a.  Victor  Cousin 
d'une  part  s'est  donné  l'intuition  du  fini,  de  l'infini  et 
de  leur  rapport  et  a  professé  le  panthéisme;  Spencer 
voyant  l'absolu  dans  le  relatif  ne  dépasse  pas  l'agnos- 
ticisme. Toute  doctrine  dont  l'emploi  est  si  dangereux 
demande  à  être  précisée.  —  b.  Gratry  voyait  juste,  lors- 
qu'il disait  que  c'est  par  le  fini  que  nous  nous  élevons  à 
l'infini;  la  chose  n'est  pas  douteuse.  Cf.  Urraburu, 
Instilulioncs  p/tilosophicx,  Valladolid,  1891,  t.  il, n.  193. 
Mais  la  conscience  nous  révèle  que  penser  au  fini,  ce 
n'est  pas  nécessairement  penser  à  l'infini,  et  encore 
inoins  saisir  l'infini  existant  de  fait.  Cf.  Hontheim, 
op.  cit.,  n.  101;  Urraburu,  op.  cit.,  t.  vu,  p.  79; 
Kleutgen,  Philosophie  scolastique,  t.  IV,  n.  926.  Gratry 
pensait  qu'il  faut  que  la  philosophie  débute  par  la 
théodicée,  parce  que  l'idée  d'infini  éclaire  tout  pour  le 
chrétien.  Connaissance  de  Dieu,  2e  édit.,  185i,  t.  i, 
p.  51,  71.  Il  est  vrai,  et  saint  Thomas  en  a  fait  la 
remarque,  Contra  gentes,  1.  II,  c.  IV,  que,  la  certitude 
de  l'existence  de  Dieu  acquise,  l'âme  chrétienne  éclairée 
par  la  foi  envisage  le  fini  en  fonction  de  l'infini;  mais 
cette  association  est  contingente  et  n'est  pas  une  loi 
de  l'esprit  :  quod  aliter  considérât  de  crealuris  theo- 
logus,  aliter  philosophas.  Ce  fait  d'expérience  quoti- 
dienne détruit  à  lui  seul  la  théorie  de  la  connaissance 
abstraite  immédiate.  Cf.  ibid.,  c.  il  sq.,  sur  l'utilité 
réelle  de  l'élude  des  créatures;  voir  l'application  de 
ces  principes  dans  saint  Ignace,  K.vercitia  spiritualia, 
Fundamentum,  Conlemplatio  ad  amorem. 

b)  Hypothèse  psychologique.  —  Au  xvue  siècle,  quel- 
ques théologiens  espagnols  ont  essayé  le  raisonnement 
suivant  pour  soutenir  que  la  proposition  Deus  est  peut 
être  immédiatement  évidente.  Existentia  Dei,  prout 
relucens  in  existentia  créatures,  codent  judicio  immé- 
diate affirmatur,  sicut  audita  mec  Pétri,  nobis  bette 
nota,  immédiate  judicamus  existere  Pelrum,  ut  con- 
nexum  cum  voce  quant  audimus,  el  af/irmantus 
existere.  Celte  opinion  a  été  reprise  et  développée  par 
Julius  Millier.  ])ie  chrislliche  Le  lire  von  der  Sûnde, 
:i  édit.,  Breslau,  1849,  t.  i.  1.  I.  c.  n,  et  par  John 
Tulloch,  Theisnt,  Edimbourg,  1855,  p.  265,  Dans  cette 
théorie,  l'idée  de  I  lieu  esl  le  nilet  lumineux, (/<■>•.!  bglanz, 
de  notre  propre  personnalité;  on  le  montre  d'abord 
par  l'Écriture,  der  Mensch  ist  der  Abglant  der 
Gottheit;  puis  parla  représentation  Imaginative  de  la 
grande  barbe  du  Père  éternel;  »  par  le  «  tu  »,  qui 
s'échappe  naturellement  de  nos  lèvres  quand  nous 
implorons  grâce  ou  secours;  par  le  sentiment  que  dans 
les  Centres  les  plus  profonds  de  noire  vie,  un  Autre, 
tout  |ires  de  chacun  de  nous,  se  trouve,  in  qno  riii- 
mus,  minemurcl  sumiis.  Act.,  xvn.  JTsq.  <in  reconnaît 
la  réalisation  Imaginative  et  affective  qui  Berl  de 
base  au  sens  illatif  de  Newman.  —  Critique,  —  a.  Si 
l'on  voulait  réfuter  cette  hypothèse  par  ses  consé- 
quences, il  suffirai!  de  remarquer  que  la  plupart  des 
théories  athées  modernes  prennent  pour  accordé  que 
le  théisme  n'a  pis  d'autre  fondement  que  cette  bypo- 
i  hologique  :  les  ailées  affectent  de  prendre 
.m  sérieux  cette  doctrine,  puis  n'ayant  pas  de  peine  à 
la  démolir  par  l'hypothèse  des  projections  subjei  li 
du  double,  etc.,  il-  concluent  ■<  leurs  philosophiea 
..es.  —  ii.  M. us  voici  la  position  de  la  théol 
que.  Nous  ne  contestons  nullement  le  faii  psy- 
chologique observé,  à  savoir  que  noua  avons  une  n 

ion  Imaginative  el  aussi  une  représentation  Intel* 
lectuellede  Di<  u,  On  peut  mémeconci  d<  i  avi  c  Haunold, 
Théo  lativa,  Ingolstad,  1670, 1,  I,  c.  I,  cont.  i, 

que  lorsque  non-  entendons  la  voix  connut  d< 
Pien  ace  de  Pierre  ou  sa  pi 

sence  tant  Infi  n  n< 


895 


DIEU    (SON    EXISTENCE) 


896 


effet,  pouvoir  suffire,  sans  même  que  nous  fassions  cette 
simple  réflexion,  hxc  vox  est  connexa  cuni  exislenlia 
Pétri.  De  la  sorte  nous  pouvons  concéder  que,  pour 
celui  qui  a  l'habitude  de  la  vie  chrétienne,  la  réalisa- 
tion imaginative  ou  intellectuelle  de  Dieu  suflit  pour 
que,  sans  inférence,  il  juge  que  Dieu  existe.  Mais  il  ne 
suit  nullement  de  là  que  l'idée  confuse  de  Dieu  dont 
nous  étudions  la  genèse  soit  ou  puisse  être  naturelle- 
ment telle  qu'elle  nous  manifeste  avec  évidence  l'exis- 
tence réelle  de  son  objet.  Ne  prêtons  pas  nos  habitudes 
acquises  à  la  nature.  C'est  pour  l'avoir  fait  qu'on  reste 
sans  réponse  devant  ceux  qui  assignent  pour  tout  fon- 
dement aux  religions  «  des  émotions  puissantes  et 
vagues,  unies  par  un  lien  fort  lâche  à  des  images  con- 
fuses et  instables,  qui  prêtaient  à  l'objet  religieux  pour 
un  instant  une  forme  objective.  »  Marillier,  art.  Reli- 
gion, dans  la  Grande  encyclopédie,  p.  347. 

c)  Hypothèse  morale.  —  On  a  essayé  de  suppléer  à 
l'insuffisance  évidente  de  l'hypothèse  psychologique 
par  l'adjonction  de  considérations  morales.  On  attribue 
aujourd'hui,  en  France,  à  Kant  l'honneur  d'avoir  intro- 
duit en  théodicée  la  morale  pour  expliquer  la  genèse 
de  l'idée  de  Dieu.  En  réalité,  Kant  pensait  que  le  ciel 
étoile,  l'ordre  du  monde,  nous  donne  la  première  idée 
de  Dieu,  Critique  de  la  raison  pure,  Dialectique 
transcendantale,  1.  II,  c.  m,  sect.  VI,  et  que  la  loi  morale 
seule  nous  donne  la  certitude  subjective  de  son  exis- 
tence. Cf.  Caird,  The  critical  philosophy  of  Kant, 
Glasgow,  -1889,  t.  n,  1.  II,  c.  v,  p.  289;  1.  III,  c.  v,  p.  507. 
Avant  Kant,  l'école  écossaise  avait  beaucoup  étudié 
les  relations  entre  l'idée  de  Dieu  et  la  morale;  et  c'est 
aux  Sermons  on  human  nature  de  Butler  que  le 
Royaume-Uni  doit  la"  vulgarisation  de  cet  ordre 
d'études.  Vulgarisation,  car  les  moralistes  protestants, 
les  jansénistes  et  aussi  les  théologiens  catholiques 
avaient  beaucoup  écrit  sur  ce  sujet  avant  Butler.  Voir 
Péché  philosophique;  Denzinger,  n.  1156-1159.  Les 
théologiens  catholiques  et  avec  eux  Butler  et  plus 
récemment  le  théologien  écossais  Chalmers,  Natural 
theology,  Opéra,  Glasgow,  1836,  t.  i,  p.  331,  consi- 
dèrent la  conscience  morale  comme  un  pouvoir  délégué, 
c'est-à-dire  en  langage  augustinien  comme  une  parti- 
cipation de  la  loi  éternelle,  et  en  ce  sens  comme  la  voix 
de  Dieu.  Le  fait  des  impératifs  nous  donne,  en  effet,  le 
sentiment  d'une  autorité  et  nous  suggère  ainsi  puissam- 
ment et  immédiatement  la  notion  d'un  législateur  et 
d'un  juge  souverain  :  comme  cette  autorité  ne  s'est  pas 
constituée  d'elle-même  en  nous,  par  une  inférence  cau- 
sale très  rapide  nous  passons  à  l'affirmation  d'un  légis- 
lateur, extérieur  et  supérieur  à  nous.  Rien  n'est  plus 
classique.  Mais  on  a  cherché  à  se  passer  de  cette  infé- 
rence; dans  cette  vue  on  a  conçu  la  conscience  morale, 
non  pas  comme  un  pouvoir  délégué,  comme  un  guide 
intérieur,  mais  bien  comme  la  perception  d'un  pouvoir 
directeur  dans  un  autre  que  nous;  et  on  a  dit  que  le 
fait  des  impératifs  est  une  intuition  de  la  volonté 
divine  et  que  l'autorité  avec  laquelle  la  conscience  nous 
parle  est  l'expression  directe,  et  par  conséquent  litté- 
ralement, la  voix  de  Dieu  en  nous.  Cf.  Tullocb,  op.  cit., 
p.  273.  Nevvman  s'est  approprié  cette  doctrine,  qui,  se 
donnant  l'audition  d'une  parole  étrangère  dans  la  con- 
science morale,  supprime  toute  inférence  dans  la  con- 
naissance spontanée  de  l'existence  de  Dieu.  Cf.  Baudin, 
La  philosophie  de  la  foi  chez  Neivman,  dans  la  Revue 
de  philosophie,  octobre  1906,  p.  377.  M.  Le  Roy  se 
déclare  prêt  à  accepter  la  preuve  de  l'existence  de 
Dieu  parles  aspirations  de  l'âme,  à  la  condition  toute- 
fois que  l'on  parvienne»  à  établir  que  les  données  dont 
elle  part,  je  ne  dis  pas  entraînent,  mais  constituent 
l'affirmation  de  Dieu,  »  c'est-à-dire  à  la  condition  que 
cette  preuve  ne  soit  plus  une  preuve,  mais  se  réduise 
à  une  intuition.  Le  Boy,  Comment  se  pose  le  problème 
de  Dieu,  dans  la  Revue  de  métaphysique  et  de  morale, 


mars  1907,  p.  156.  —  Critique.  —  a.  On  a  vu  plus  haut, 
col.  841,  que  Suarez  admet  que  dans  une  révélation 
privée  l'homme  peut  apprendre  de  Dieu  lui-rnéme 
l'existence  de  la  divinité.  Cf.  Ulloi,Theologia  scolastica, 
Augsbourg,  1719,  t.  i,  disp.  I,  c.  il.  Mais  nous  nous  occu- 
pons ici  de  la  connaissance  naturelle,  et  donc  sans 
révélation  proprement  dite;  et  personne  ne  soutiendra 
que  l'expérience  nous  donne  ce  que  requiert  Suarez 
pour  qu'une  telle  ré  vélation  soit  rationnellement  certai  in  • 
Saint  Augustin,  Confessiones,  I.  VII,  c.  x,  P.  I.., 
t.  xxxii,  col.  732,  parlant  de  la  révélation  du  nom  de 
Dieu,  écrit  :  El  clamasli  de  longinquo  :  Imo  vero  :  Ego 
sum  qui  sum.  Et  audivi  sicut  auditur  in  corde  et  non 
erat  prorsus  unde  dubitarem;  faciliusque  dubilarem 
vivere  me,  quant  non  esse  veritatem,  quee  per  ea  quse 
facta  sunt,  intellecta  conspicitur.  Donc  saint  Augustin, 
parvenu  à  la  connaissance  de  Dieu  par  la  voie  de  cau- 
salité, superior  quia  ipse  fecit  me,  et  ego  inferior, 
quia  faclus  sum  ab  eo,  compare  à  la  parole  et  à  l'audi- 
tion intérieure  l'action  divine  et  sa  répercussion  en 
son  âme  :  le  cas  n'est  pas  chimérique,  cela  s'appelle 
en  scolastique  apprehensio  suasira,  vi  cujus  absque 
ulla  alia  suadente  ac  probante  ratione  certi  omnino 
sumus.  Mais  le  phénomène  est  rare;  et  le  texte  de 
saint  Augustin  n'attribue  pas  à  cette  audition  la  pre- 
mière certitude  de  l'existence  de  Dieu,  mais  seulement 
une  connaissance  plus  parfaite  de  la  nature  divine. 
D'ailleurs,  les  protestants  qui  ont  si  souvent  cité  les 
Confessions,  1.  XI,  c.  m,  P.  L.,  t.  xxxn,  col.  811,  en 
faveur  de  l'inspiration  privée,  de  la  parole  intérieure. 
n'ont  pas  remarqué  qu'après  s'être  adressé  à  la  vérité 
pour  être  instruit,  saint  Augustin  nous  en  donne  la 
réponse  :  Ecce  sunt  cselum  et  terra,  clamant  quod 
facla  sint.  —  b.  Enfin,  l'âme  chrétienne  habituée  à  rece- 
voir avec  respect  la  parole  révélée  de  l'Écriture  et  de 
l'enseignement  de  l'Église,  habituée  aussi,  puisque  le 
décalogue  est  révélé,  à  regarder  comme  exprimant  la 
volonté  divine  révélée  la  voix  de  sa  conscience,  n'a  pas 
de  peine  à  ne  plus  considérer  dans  les  impératifs  le 
diclamen,  comme  un  fruit  de  son  propre  esprit;  elle 
le  conçoit  comme  la  voix  du  législateur  suprême.  Mais 
peut-on  soutenir  que  tout  homme  réalise  spontanément 
la  loi  morale  comme  le  font  les  chrétiens  fervents  et 
même  comme  l'éducation  a  formé  nos  athées  modernes 
à  le  faire?  Non,  parce  que  les  faits  sont  là,  brutaux, 
indéniables.  La  conscience  n'est  jamais  absente,  mais 
elle  s'impose  chez  les  athées  «  comme  le  dictamen  de 
leur  propre  esprit  et  rien  de  plus.  »  C'est  Newman  lui- 
même  qui  reconnaît  le  fait,  ldea  of  a  Universily, 
dise,  vin,  n.  5,  3e  édit.,  Londres,  1873,  p.  192.  «  La 
conscience  n'est  pas  pour  eux,  dit-il,  comme  elle  le 
devrait,  la  voix  d'un  législateur.  »  Mais,  s'il  dépend  de 
nous  de  ne  pas  entendre  l'affirmation  de  l'existence  de 
Dieu  dans  le  dictamen,  c'est  donc  que  le  fait  de  l'impé- 
ratif n'est  pas  lié  pour  notre  esprit  à  l'existence  de  Dieu 
comme  2  et  2  sont  pour  lui  liés  à  i. 

d)  Hypothèse  épistémologique.  —  On  sait  que  du 
cartésianisme  on  a  déduit  l'idéalisme,  c'est-à-dire  la 
doctrine  d'après  laquelle  nos  idées  sont  le  fruit  de  notre 
propre  activité,  de  notre  raison;  il  est  historiquement 
certain  que  de  bonne  heure  les  cartésiens,  sans  beau- 
coup se  préoccuper  des  arguments  de  Descartes,  ont  fait 
l'assomption  d'une  connaissance  immédiate  de  Dieu. 
On  commença  avec  Fénelon  par  parler  de  «  la  merveil- 
leuse représentation  de  l'infini,  qui  tient  de  l'infini 
même  et  qui  ne  ressemble  à  rien  de  fini.  >:  De  l'exis- 
tence et  des  attributs  de  Dieu,  c.  H.  Mais  Fénelon, 
comme  plus  tard  Louis  Racine,  La  religion,  c.  I,  de 
cette  idée  remontait  à  Dieu  par  la  causalité.  «  Ouelle 
main,  quel  pinceau,  dans  mon  âme  a  tracé,  d'un  objet 
infini,  l'image  incomparable ?,»  Mais  déjà  Saguens.  De 
perfectionibus  divinis,  Cologne,  1718,  t.  i.  p.  363, 
soutenait  que  l'idée  innée  de  Dieu  précède  la  connais- 


897 


dieu  (son  existence; 


898 


sance  de  tous  les  premiers  principes,  parce  que  nous 
avons  veram  speciem  divinilatis,  unius,  simplicis, 
immenses,  omnipotentis,  etc. 

A  côté  du  courant  cartésien  il  faut  signaler  le  cou- 
rant mystique.  Un  capucin  originaire  de  Milan,  Yalé- 
rianus  Magnus,  mort  en  1601,  avait  écrit  un  opuscule 
mystique  De  luce  menlium  et  ejus  imagine,  où  par 
quarante  degrés  il  conduisait  son  lecteur  à  la  plus  haute 
contemplation.  Un  capucin  tyrolien,  Juvenalis  Ananien- 
sis,  dans  un  ouvrage  du  même  genre,  Solis  intelli- 
genlise,  cui  non  succedit  no.r,  lumen  indeficiens  ac 
inextinguibile,  illuminons  omnem  hominem  venien- 
teni  in  hune  mundum,  seu  immediatum  Christi  cru- 
cifixi  internum  magisterium,  Augsbourg,  1186,  réim- 
primé en  1876,  imagina  d'appliquer  à  la  connaissance 
spontanée  de  Dieu,  une  théorie  familière  à  certains 
mystiques.  Plusieurs  des  mystiques  qui  admettent  la 
possibilité  d'un  acte  surnaturel  d'amour  de  Dieu  sans 
connaissance  antécédente  ou  concomitante,  mais  avec 
connaissance  de  Dieu  subséquente,  voir  col.  78!), 
expliquent  que  par  cet  amour  mystique  l'âme  connait 
Dieu,  et  sait  que  c'est  Dieu  qu'elle  aime,  parce  qu'elle 
saisit  intellectuellement  la  relation  transcendanlale  du 
don  infus  de  l'amour  à  Dieu  son  auteur,  Cerson  revient 
assez  souvent  à  celte  explication.  Le  P.  Juvénal  exploite 
cette  veine  on  alléguant  Yltinerarium  de  saint  Bona- 
venture.  Si  je  vois,  dit-il,  les  traces  d'un  lièvre  sur  la 
neige,  il  faut  une  inférence  pour  passer  des  traces  au 
lièvre,  parce  que  le  lièvre  n'est  en  aucun  sens  contenu 
dans  la  neige.  Si,  au  contraire,  je  vois  le  soleil  ou  la 
tête  de  César  dans  un  miroir,  je  n'ai  qu'à  bien  regarder, 
et  je  passe  sans  inférence  de  l'image  à  la  réalité,  parce 
que  dans  ce  cas  la  réalité  est  d'une  certaine  façon  dans 
le  miroir.  De  même,  deux  procédés  pour  connaître 
Dieu;  en  tant  que  Dieu  est  cause  efliciente  et  finale 
des  choses,  il  faut  un  discours  pour  le  connaître;  mais 
Dieu  est  en  tout  per  essenliam,  prsesentiam  et  polen- 
tiam,  et  en  particulier  dans  l'âme  intelligente  et  dans 
les  actes  de  sa  raison,  il  suffit  donc  de  se  contempler 
soi-même  pour  connaître  Dieu  sans  inférence.  Cepen- 
dant on  ne  tombe  point  par  là  dans  l'erreur  de  la 
vision  intuitive  naturelle,  parce  qu'on  ne  connaît  pas 
Dieu  ut  in  se  est,  mais  seulement  in  aller o.  En  effet, 
Dieu  est  en  nous  ut  principium  et  terminus,  el  donc 
comme  terme  d'une  relation.  Porro  relativa  sunt 
cognii  ognoscuntur  per  discursum; 

qui  intuetur  relalivum,  et  ejus  terniinum  intuetur, 
mosci  specificatum  sine  suc  speci- 
!  i,i  tan a-,  moscitur  lermi- 

olum  sub  hoc  solo  extrinseco 
mus  illius  artus.  Op.  cit., 
1876,  p.  :iî'i  Cf.  Scheeben,  La  dogmatique, t.  Il, n.  17,  19. 

L'alliance  du  mysticisme  el  du  cartési  tnisme  se  lit 
par  l'intermédiaire  d'une  Ihéorie  néoplatonicienne  el 

I  i  jetan.  De  celle 

alliance  naquit  ce  qu'on  a  appelé  la  philosophie  éclec- 
tique au  xviir  siècle.  Les  initiateurs  de  ce  système 
ienl  proposés  d'éviter  à  la  fois  le  cartésianisme  el 
la  vision  en  Dii  n  de  Malebranche  et  de  sauvi  r  ce  qu'ils 
prenaient  pour  le  péripatétisme.  Cajetan  assez  tard,  il 
l'avoue  lui  même,  avait  emprunté  aui  averrofsles  leur 
opinion  que  no  onl  la  similitude  formelli 

iar  les  idées  îonl  unies  à  notre 

par  manière  de  cause  f telle.  Jn  /    ,  q.xit,a  2,  ad 

l    ont  volon- 
ipinion  de  Cajetan,  moins  pour  expliquer 
ossibilité  de  la  vision  intuitive  que  pour  dont 
quelques  text<  an  ienl  i  onfi  ; 

leurs    princip  nu    sur  l'activité   des  ca 

■  n ni i ~  aucun  pai mi  le    anciens  qui 
iur  expliqui  i  notre  i  onnaissance  de 
Dieu  li  au  xviii"  siècle,    I  usèbe 

ndamentale  l'opinion  d'Avi 

DICT.   ri    nu  01  .   '  ITHOL. 


et  de  Cajetan.  Nos  idées  sont  la  représentation  exacte 
des  choses,  et  les  choses  connues  font  un  avec  notre 
esprit  :  similitude  inler  mundum  inlcllectualem  et 
realem  est  perfeclissima  ;  et  ex  intelleclu  el  specie  fit 
magis  iinum  quani  ex  materia  et  forma;  car,  a  dit 
Aristote,  anima  est  quodam  modo  om>iia.  Donc,  en 
contemplant  nos  idées,  nous  voyons  le  monde  spirituel 
per  species  proprias  ut  sunt  in  scijisis.  Amort  est  fier 
de  son  invention;  elle  sauve,  pense-t-il,  toutes  les 
entités  de  la  scolastique, /on»as,  accid  en  l  ia  ,relationcs , 
modos,  puisqu'elle  nous  donne  des  idées  claires  de 
tout,  aussi  bien  de  Dieu  que  de  la  chaleur,  de  la 
lumière  et  des  ubications.  Cependant  par  elle  on  ne 
tombe  ni  dans  la  doctrine  de  Doscartes,  de  Locke,  de 
Malebranche,  de  Leibniz  ou  de  Wolf,  puisqu'on  rejette 
les  idées  innées  et  que  l'on  garde  les  entités  réellement 
distinctes  :  à  chaque  idée,  la  sienne.  Philosophia  Pol- 
lingana,  Augsbourg,  1730,  p.  480-506.  Cette  philosophie 
eut  beaucoup  de  succès,  et  plut  aux  mystiques  qui  n'y 
virent  qu'une  extension  de  la  doctrine  en  vertu  de 
laquelle  ils  se  flattaient  de  connaître  sans  inférence 
l'existence  de  Dieu  par  la  contemplation  de  la  similitude 
formelle  qu'ils  pensaient  en  avoir  dans  leur  âme  rai- 
sonnable ou  dans  quelques-uns  de  ses  dons  ou  actes. 
On  a  beaucoup  parlé  ces  derniers  temps  de  l'action 
divine  et  de  la  motion  de  Dieu;  poussant  l'analyse  de 
ce  que  nous  avons  vu  chez  Juvénal,  que  Dieu  peut  être 
immédiatement  connu  parce  qu'il  nous  est  intimement 
présent,  les  éclectiques  en  vinrentà  expliquer  l'origine 
de  nos  idées  de  Dieu  et  des  premiers  principes  par 
l'action  immédiate  de  Dieu.  Quare  qitod  ad  rei  fun- 
iliini,  licet  maximum  idearum  partent  acquisitam 
esse  aul  medilalione  parlant  dicamus;  mentis  tamen 
ef/icaciam  et  motionés  quasdam  animœ  a  Deo  inditas, 
quibui  anima  ipsaad  Dei  et  primnrum  principiorum 
cognitionem  perveniat,  tenemus.  Utrum  vero  motionés 
illse  humants  mentibus  ab  illo  inditx,  qui  illuminai 
omnem  hominem venientem  in  hune  mundum,  appel- 
lenlur  a  te  idese  neene,  nihil  moror.  Philosophia 
eclectica,  1770,  Ars  crilica,  part.  I,  lect.  m,  annot. 
hist.,  n.  'i0.  Cf.  le  platonicien  Philippe  Mocenicus, 
l  niversales  institutiones  ail  hominum  perfeclionem, 
Venise,  1581.  En  d'autres  termes,  comme  on  peut  le  voir 
dans  Para  du  Phanjas,  Théorie  des  êtres  insensibles  ou 
cours  complet  de  métaphysique,  Paris,  1779.  t.  i, 
p.  516;  Philosophie  de  la  religion,  dans  les  Démon- 
strations évangéliquei  de  Migne,  t.  ix,  col.  41,  53,  la 
philosophie  éclectique,  rejetant  les  idées  innées,  la 
vision  en  Dieu,  l'acquisition  de  nos  idées  par  l'expé- 
rience, concluait  que  Dieu  <>  es!  l'unique  cause  effi- 
ciente de  toutes  nos  idées  primordiales  »,  que  de  ces 
idées  celle  de  Dieu  est  la  première,  qu'elle  nous  mani- 
immédiatetnenl  l'existence  de  Dieu,  et  que  nous 
sommes  sûrs  de  sa  valeur  par  le  «  sentiment  intime 
qui  donne  toujours  une  certitude  infaillible  de  son 
objet,  par  le  témoignage  des  idées  claires  el  par  le 
consentement  généi 

D'autres  prirent  une  autre  voie.  J'ai  sous  les  \<  ui 
un  essai  d'apologétique  mystique  par  Udalric a  Gablii 
Imago  Dei  sive  anima  rationalis  ad  exprestionem 
rùt  œternm  facla,  Verceil,  177-J.  qui  pourrait 
servir  i  prouver  que  l'histoire  est  quelquefois  un  re- 
commencement. L'auteur  s'adn  sse  a  i  i  cli  ctique  et  lui 

.o  de  l'origine  di  a  idéi 
inadéquate,  bien  qu'exacte  en  ci  qu'elle  affirme  i 
naissance  de   Dieu   sans  aucune   Inférence.  Admettez, 

ilit-il     .i\n-     Ainoi'l,    que    noire     .une      COOnOScendO    fit 

a,  p.  10,  el  que  nos  Idées  sont  la  similitude  for- 
melle des  choses  comme  notre  ai si  l'image  expi 

île  Dieu,  p.  li  sq.  Puisque  nous  ,i\,,iis  l'idée  de  Dieu, 

us  onl  appi  i-   i  le  faire   li  i 

capucins  Juvénal  el  Valetianus  Ma  mme  cette 

Idéi  ie  i"  ul  venir  que  de  Pieu  qui  nous  Illumine  tous, 

l\.  -  » 


809 


DIEU    (SON   EXISTENCE) 


900 


consequilur  Henni  Ter  Optimum  Maximum  esse 
onmi  homini  ralione  ulenti  per  se  ac  immédiate  anle 
m, Dion  illationem,  demonstrationem  et  argumenla- 
tionem  aliquo  modo  nolum,el  neeessario  ante  omnem 
aclum  rationis  sive  perceptivum,  sire  judicathum 
aut  illativum,  ipsum  Deum  sub  ralione  Enlis  perfe- 
ctissimi,  scu  Entis  qua  ens,  velut  œternum,  immula- 
bile  et  incircumscriptum  motivum  cidem  menti  na- 
luraliter  lucere,  p.  65.  Udalric  fait  ensuite,  valoir  que 
sa  doctrine  a  le  grand  avantage  de  mettre  l'existence 
de  Dieu  hors  de  question,  p.  66,  et  de  dispenser  de 
l'étude  du  problème  des  critères  delà  vérité,  p.  108sq. 
Ce  qui  advint  est  connu  du  lecteur.  Kant  se  trouva 
en  présence  d'apologistes  qui  avaient  renoncé  à  l'usage 
du  principe  de  causalité  et  même  à  celui  de  (inalité, 
pour  se  réfugier  dans  la  connaissance  immédiate  de 
l'existence  de  Dieu.  Il  ramena  la  question  à  cet  unique 
point  et  n'eut  pas  de  peine,  dans  sa  critique  de  la 
preuve  ontologique,  à  monlrer  qu'elle  ne  fournissait 
pas  la  connaissance  immédiate  dont  on  se  flattait  :  ce 
qui  ne  peut  pas  faire  de  doute  même  pour  les  scolas- 
tiques  qui  défendent  cet  argument.  Alors  la  philosophie 
éclectique  se  disloqua.  Jacobi  et  Schleiermacher  res- 
tèrent fidèles  au  sentimentintime,  à  l'expérience  pseudo- 
mystique, voir  col.  793,  tout  en  renonçant  à  l'idée  claire 
de  Dieu.  Lamennais  garda  la  connaissance  immédiate 
de  Dieu,  mais  la  justifia  par  la  révélation  attestée  par 
fe  consentement  général  :  la  connaissance  immédiate 
est  impossible,  cependant  l'humanité  l'a,  donc  elle  a 
été  révélée.  Voir  col.  807.  Gerdil,  Gioberti,  puis  les 
ontologistes  français  et  Rosmini  pensèrent  sauver  la 
connaissance  immédiate  en  recourant  à  la  vision  en 
Dieu  de  Malebranche  et  de  Berkeley.  Un  thomiste  mo- 
derne signale  les  rapports  que  la  philosophie  spécula- 
tive allemande  eut  avec  l'hypothèse  averroïste  de  Caje- 
tan  et  d'Amort  et  avec  certaine  mystique.  Quidquidest 
realitatis divines,  etiamillud  minimum  (tiostro  modo 
concipiendi)  quod  est  «  reprsesenlari  »  est  idenlicum 
cum  toto  esse  divino,  cum  totali  «  Ipsum  esse  ».  Et 
sic  Itabemus  ut  profundissimum  pronuntialum  tho- 
mislicte  philosophiœ  aliquam  asserlionem,  quam 
perverse  extendens  Hegel  —  une  note  avertit  le  lecteur 
que  Fichte  a  devancé  Hegel  et  Schelling  dans  cette 
voie  —  assumpsit  ut  primum  siti  si/slemalis  funda- 
mentum  ;  quseque  forte  coincidit  cum  assertionibus 
quibusdam  omnino  mysteriosis  mysticorum.  DeMun- 
nynck,  Prselecliones  de  existentia  Dei,  p.  13,  20.  Je  ne 
contredirai  pas  le  P.  de  Munnynck;  la  ressemblance 
des  doctrines  n'est  pas  niable,  Hegel  disant  pour  cette 
vie  ce  que  Cajetan  imagine  pour  l'autre;  mais  la  filia- 
tion directe  ne  me  parait  pas  sûre,  parce  que,  sans  avoir 
à  recourir  à  la  grossière  équivoque  des  formules  anima 
fit  omnia,  exobjecto  et  intellectu  fit  unum,  entendues 
au  sens  averroïste,  plotinien  et  pseudo-mystique,  Hegel 
avaitdes  ancêtres  dans  Boehme  et  Spinoza.  Voir  col.  786. 
Mais  c'est  bien  en  partant  de  la  même  doctrine  néo- 
platonicienne de  l'identité  de  la  connaissance  et  de 
l'être  que  M.  Bergson  aboutit  à  l'espèce  de  monisme 
idéaliste  qu'il  professe;  il  avoue  d'ailleurs  celte  filiation 
et  cite  à  son  tour  le  mot  d'Aristote  voOç  7(7>  uàv-a 
yfveaOat,  qu'il  interprète  dans  le  sens  de  Plotin.  Evolu- 
tion créatrice,  Paris,  1907,  p.  348,  229.  C'est  du  mé- 
lange de  toutes  ces  données  pseudo-épistémologiques 
et  des  plus  larges  concessions  faites  au  nominalisme, 
positiviste  ou  idéaliste,  que  sont  sorties  les  diverses 
théories  courantes  de  l'origine  des  idées  religieuses 
et  en  particulier  la  doctrine  d'immanence.  L'ency- 
clique Pascendi  fait  remarquer  que  le  protestan- 
tisme libéral  et  le  modernisme  attribuent  la  con- 
naissance religieuse  à  l'action  divine  et  que  dans  cetle 
connaissance  qui,  chez  eux,  ne  dépasse  pas  l'agnosti- 
cisme, l'expérience  et  le  sentiment  ont  remplacé  la 
raison.    Denzinger,     10e    édit.,    n.    207i,    2081;    voir 


col.  805.  Sans  qu'il  soil  nécessaire  d'insister,  le  lec- 
teur à  l'aide  de  ce  que  nous  venons  d'exposer  pourra 
facilement  juger  à  quelles  préoccupations  sont  dues 
certaines  doctrines  épistémologiques  à  la  mode  chez 
certains  néo-scolastiques  et  aussi  d'où  sont  venues 
certaines  concessions  qui  peut-être  l'ont  surpris. 

Critique.  —  Il  n'est  rien  en  tout  ceci  dont  les  causes 
profondes  et  les  conclusions  n'aient  été  indiquées  et 
discutées  au  cours  de  l'article  sur  la  connaissance  na- 
turelle de  Dieu,  sauf  cependant  deux  points  dont  il 
faut  dire  un  mot.  —  a.  La  théorie  de  Cajetan,  d'à] 
laquelle  nos  idées  sont  la  similitude  formelle  des 
choses,  tandis  cjue  les  choses  nous  sont  d'abord  unies 
par  manière  de  causes  formelles  pour  que  l'intellec- 
lion  soit  produite,  est  plus  que  douteuse.  Ce  n'est  pas 
du  tout,  quoi  qu'en  puissent  dire  quelques  néo-tho- 
mistes, une  vérité  acquise  en  philosophie  scolastique; 
le  nombre  des  théologiens  qui  la  rejettent  et  pour 
celte  vie  et  aussi  pour  l'autre  est  immense.  Cf.  Lossada, 
Cursus  pliilosophicus,  Barcelone,  1883,  Animatlica, 
disp.  VI,  c.  n,  n.  15,  t.  ix,  p.  13.  Ensuite  confondre  la 
doctrine  de  Cajetan  et  des  thomistes  qui  l'ont  ici  véri- 
tablement suivi,  avec  celle  d'Amort,  de  certains  mys- 
tiques et  néo-thomistes,  de  Hegel  et  de  M.  Bergson,  qui 
tous  prétendent  en  cette  vie  atteindre  immédiatement 
l'absolu,  est  profondément  injuste  et  inexact.  Cajetan,  en 
effet,  maintient  expressément  que  l'idée  est  produite  par 
l'objet  et  que  l'idée  et  l'intelligence  concourent  comme 
deux  causes  partielles  à  l'intellection;  à  cela  il  ajoute, 
il  est  vrai,  ce  qu'il  emprunte  à  Averroès  et  aux  néo- 
platoniciens, à  savoir  qu'avant  de  féconder  l'esprit 
comme  cause  efficiente  l'objet  s'unit  à  lui  natura  prias 
comme  cause  formelle.  Je  n'admets  en  aucune  façon 
la  probabilité  intrinsèque  de  cette  hypothèse,  cf.-  S.  Tho- 
mas, De  verilale,  q.  x,  a.  7;  mais  il  faut  reconnaître 
qu'en  ce  qui  concerne  le  point  qui  nous  occupe,  la  doc- 
trine de  Cajetan  et  de  tous  les  thomistes  qui  lui  sont 
fidèles  est  absolument  correcte  et  conforme  à  l'enseigne- 
ment commun  de  l'École.  Ils  admettent,  en  effet,  que 
notre  idée  de  Dieu  ici-bas  est  acquise  par  inférence, 
grâce  à  notre  activité  sous  Faction  causale  des  éléments 
de  notre  expérience  intérieure  et  extérieure  ;  cette  idée, 
comme  toutes  les  autres  dans  leur  système,  nous  identifie 
à  l'objet  qu'elle  représente  à  la  manière  des  causes  for- 
melles; comme  cependant,  vu  son  origine,  elle  est  adé- 
quatement distincte  de  Dieu,  le  péril  du  panthéisme  et 
du  monisme  est  écarté;  comme  en  vertu  de  la  même 
origine  elle  ne  représente  aucunement  Dieu  per  spe- 
ciem  propriam  ex  propriis,  mais  seulement  per  spe- 
ciem  propriam  ex  communions,  la  connaissance  sans 
inférence  de  l'existence  de  Dieu  que  se  donnent  Aniort, 
les  pseudo-mystiques  et  certains  néo-thomistes  est  impos- 
sible, puisque  l'esprit  n'est  informé  et  fécondé  que  par 
une  similitude  déficiente.  Cf.  Thomas.  De  teritale,  q.x, 
a.  12.  ad  10'"";  De  potentia,  q.  vu,  a.  7,  ad  6um;  a.  9, 
ad6"m;  a.  2,  ad  l"m;  Sum.  theol.,  I»,  q.  i.xxxvm,  a.  .'!, 
ad  3um;  q.  m.  a.  i.  ad  -J  :  Contra  génies,  1.  I.  c.  xn; 
voir  les  commentaires  de  Cajetan  et  du  l'orrai  ionsis  sur 
ces  deux  derniers  passages.  Bref,  les  anciens  thomistes 
qui  ont  accepté  l'opinion  de  Cajetan.  afin  de  pouvoir 
se  passer  de  toute  similitude  formelle  de  Dieu  en 
l'autre  vie,  étaient  trop  bons  logiciens  pour  admettre  en 
celle-ci  ce  qu'ils  prétendaient  démontrer  impossible 
pour  l'autre.  —  b.  L'hypothèse  du  P.  Ju vénal  survient 
ici.  Ne  peut-on  pas  concevoir  une  connaissance  de 
Dieu  comme  terme  et  principe  de  nos  états  subjectifs, 
naturels  et  surtout  surnaturels,  sans  inférence  et 
pourtant  sans  vision  intuitive?  Les  anciens  théologiens 
ont  longuement  discuté  ces  sortes  de  possibilités,  soit 
à  propos  des  anges,  soit  à  propos  d'Adam  avant  la  chute, 
soit  aussi  à  propos  de  quelques  faits  mystiques.  Mais 
nous  ne  sommes  ni  des  anges,  ni  des  enfants  d'Adam 
avant  la  chute,  ni  tous  dans  les   voies  mystiques.  On 


901 


DIEU    (SON    EXISTENCE) 


902 


fait  aujourd'hui  de  la  psychologie  comparée  avec  les  ani- 
maux; les  scolastiques  en  ont  fait  à  leur  manière  à 
propos  des  anges  et  d'Adam;  et  l'étude  de  ce  qu'ils  en 
ont  dit  est  utile  pour  connaître  toute  leur  pensée  sur 
notre  propre  psychologie.  Mais,  prendre  pour  des  faits 
toutes  leurs  hypothèses  en  ces  matières  serait  de  la 
naïveté;  transporter  ces  faits  à  notre  cas  serait  un  dé- 
faut radical  de  méthode.  Je  sais  bien  qu'on  le  commet 
souvent  de  nos  jours  pour  rapprocher,  croit-on, 
l'École  de  la  pensée  moderne;  mais  ce  souci  ne 
saurait  autoriser  la  construction  d'une  apologétique 
sans  solides  fondements.  De  même  pour  les  états  mys- 
tiques; ils  sont  dits  mystiques,  parce  qu'ils  sont  en 
marge  de  la  psychologie  de  tout  le  monde.  Quand  même 
les  choses  se  passeraient  dans  les  états  mystiques 
comme  le  prétend  le  P.  Ju vénal,  quand  il  serait  prouvé 
qu'il  ne  répugne  pas  que  par  l'intuition  de  notre  âme, 
de  nos  dons  surnaturels  infus  ou  actuels,  de  nos  actes 
el  états  affectifs  religieux,  on  peut  arriver  à  une  con- 
naissance abstraite  mais  immédiate  de  Dieu  existant  et 
présent,  la  solution  du  problème  que  nous  étudions  ne 
serait  pas  avancée  d'une  ligne.  Tout  cela  ne  nous  don- 
nerait pas  la  certitude  rationnelle  de  l'existence  de 
Dieu  que  nous  cherchons;  etqui  dira  que  tout  homme 
venu  en  ce  monde  a  expérimenté  ce  que  décrivent  les 
mystiques?  Que  notre  Ame  est  faite  à  l'image  de  Dieu, 
nous  n'y  pensons  pas  toujours,  et  beaucoup  n'y  pensent 
jamais.  Cf.  S.  Thomas,  De  veritate,  q.  x,  a.  11,  ad  11»1". 
—  c.  On  a  répondu  que  l'on  peut  supposer  un  secours 
(h'  Dieu  tel  que  notre  attention  soit  dirigée  sur  cette 
similitude,  qu'il  est  possible  que  le  secours  de  Dieu 
lui-même  nous  la  manifeste.  Le  lecteur  a  déjà  vu, 
col.  859  sq.,  combien  ce  recours  à  une  action  spéciale 
de  hieu,  soit  naturelle,  soit  surnaturelle,  est  délicat; 
ensuite,  on  arrive  par  cette  voie  à  exclure  le  monde 
extérieur  du  nombre  des  moyens  par  lesquels  nous 
pouvons  naturellement  connaître  Dieu,  col.  812,  853. 
Inutile  d'insister. 

Hypothèse  métaphysique.  —  Le  lecteur  sait  que 
plusieurs  de  nos  conlemporains  onl  essayé  île  trouver 
une  voie  raccourcie  pour  parvenir  à  l'existence  de 
Dieu  m  moyen  de  nos  tendances  naturelles.  Accordant 
comme  acquis  les  résultais  de  la  critique  kantienne 
et  spencérienne,  ils  se  sont  demandés  s'il  ne  serait  pas 
possible  de  trouver  Dieu  sans  passer  par  la  causalité, 
efficiente  ou  finale.  Comme  ces  auteurs  Faisaient  des 
emprunt'-  assez  luges  aux  doctrines  issues  des  quatre 
hypothèses    pr  !  ment   à    la  doctrine 

il  immanence,  on  a  donné  à  leur  méthode  le  nom  de  mé- 
thode d'immanence.  Le  détail  de  la  gamme  des  nuances 
entre  ceux  qui  de  près  ou  de  loin  se  sont  ralliés  à 
cette  méthode  serait  infini  et  ne  saurait  trouver  place 
ici.  Quelques  théologiens  espagnols  et  romains  du 
xvir  siècle  se  sont  |i  isé  exactement  le  même  problème 
ontre  de  nos  apologistes  actuels,  en  rei 
tant  dans  les  limites  de  la  plus  -tricle  orthodoxii 
tuteurs,  i  h  effet,  d'une  part  admettaient  la  valeur 
démonstrativi  d">  preuves  classiques  de  l'existence  de 
Dieu,  d'autre  part  il-  ne  mêlaient  a  leur  hypothèse 
[lie.  i  in  trouve  donc  chez  eux 
■  i  l'étal  pur  tout  ce  qui  peut  faire  l'intérêt  du  probli  mi 
traité  par  les  philosophie!  de  l'action,  du  dogmatisme 

moral,  du  pragmatic Si  après  avoir  eu  un  moment 

«le  vogue,  leui  ont  onl  été  abandi 

M  et  intén  --  mi  .1  en  donner  les  rai- 
la    critiqui    dei    philosophiei   de 
l'immani  n  tte  discussion  four- 

n  de  dire  pourquoi  non  seulement 
l«  méthode  d'immanence,  mus  encore  lei  quatre  I 

iboutir  .i  nous  don- 
ner •                                    une   certitude  rationnelle 
de  I  ■                di   Dieu. 
<»i>  .mi  qu  Ani  m-  Perez  a<  


saint  Anselme,  en  partant  de  l'idée  de  Dieu  considéré  en 
soi,  à  prouver  son  existence,  et  cela  par  la  finalité  in- 
terne. Mirabilis  theologi  Antonii  Père:...  in  iam  par- 
lem  tractalus  quinque,  opus  posthumum,  Rome,  1656, 
1. 1,  disp.  I,  c.  iv  sq.  Le  même  auteur  avait  aussi  essayé 
de  prouver  Dieu  considéré  en  soi  directement  par  nos 
tendances  ou  comme  on  dit  aujourd'hui  par  l'action  et 
par  nos  jugements  de  valeur.  Cette  voie  avait  été  ouverte 
par  Scot,  dont  l'esprit  subtil  s'était  un  jour  amusé  à 
«  colorer  »,  comme  il  dit,  l'argument  de  saint  Anselme. 
Ver  illud  potest  colorari  ratio  Anselmi  de  sumnio 
cogitabili.  Intclligenda  est  descriptio  ejus  sic  :  Deus 
est  quo,  cogitato  sine  contradiclione,  majus  cogilari 
non  potest  sine  contradiclione...  Sequitur  autan  laie 
gamme  cogilabile  esse  in  re,  per  quod  describitur 
Deus.  Quo  oslendi  tur  primo  de  esse  quiddilativo  : 
quia  in  tali  cogitabili  summo  summe  quiescit  intel- 
leclus;  ergo  est  in  ipso  ratio  primi  objecti  intelleclus, 
scilicet  enlis,  et  in  summo.  Ultra  de  esse  existentiœ  : 
summum  cogitabile  non  est  tantum  inlelleclu  cogi- 
tante, quia  tune  possel  esse  quia  cogitabile  ;  et  non 
possel  esse,  quia  ralioni  ejus  répugnât  esse  ab  alio. 
Scot,  De  primo  rerum  omnium  principio,  c.  iv,  n.  24, 
édit.  Vives,  t.  iv,  p.  778.  Voir  In  IV  Sent.,  1.  I, 
dist.  II,  q.  n,  n.  32.  Perez  reprit  le  procédé  indi- 
qué par  Scot  :  demander  la  concession  d'une  idée 
de  Dieu  correspondant  à  nos  tendances  naturelles  :  in 
summo  cogitabili  summe  quiescit  intellectus,  et  de 
cette  tendance  conclure,  par  un  appel  implicite  au 
principe  de  finalité  interne,  que  la  réalité  correspon- 
dant à  cette  idée  existe;  il  prétend  même  que  cette 
manière  d'argumenter  est  facile  et  populaire  et,  d'après 
lui,  c'est  à  cet  argument  que  se  réduit  le  raisonnement 
fameux  d'Aristote:  non  est  bona  multitudo principum  : 
entia  volunl  bette  gubernari ;  uno  ergo  principe.  Ibid '., 
n.  57  sq.  D'après  beaucoup  de  scolastiques  l'argument 
île  saint  Anselme  vaudrait  si  la  possibilité  de  l'essence 
divine  était  prouvée.  Sylvester  Maurus  essaya  de  mon- 
trer cette  possibilité  à  l'aide  du  procédé  de  Scot  el  de 
Perez.  Quia  cenlrum  ad  quod  impelus  et  volutitas 
summo  impetu  feruntur  ut  in  co  quiescanl  non  est 
./  impossibile;  il  le  montre  parce  que  si  le  centre 
('■tait  impossible  les  graves  n'y  tendraient  pas. 
datur  aliquod  ens  carens  defeclu  in  quo  quiescat  in- 
tellectus cnntemplans  et  volunlas  amans, eo  quodnihil 
in  ipso  displiceat,  ac  per  displicentiam  stimule/  a<l 
quserendum  melius.  Qussstiones  philosophicœ,  q.  xn, 
phytico-nietaphysica,  Rome,  1670,  édit.  Liberatore, 
Paris,  1876,  t.  m,  p.  349.  On  se  lama  dans  ces  sortes 
d'argumentations,  qui  n'ont  pas  encore  complètement 
disparu  de  nos  jours.  Cf.  Lepidi,cité  par  de  Munnynck, 

/.,  p.  19;  Cuevas,  allégué  par  Urraburu,  op, 
t.  vu,  p.  63.  Et  l'on  pensa  prouver  l'existenci  de  Dieu 
en  déduisant  directement  de  nos  tendances  naturelles 
son  éternité,  sa  nécessité,  son  infinité.  Par  exemple, 
nouspercevons  le  principe  de  contradiction  comme  per- 
manent :  mais  il  faut  un  vérificatif  à  toute  proposition 
vraie;  donc  un  éternel  existe.  Ou  bien,  la  > 

île  nous  donne  l'idée  d'un  impraferibile,  d'un 

qui  ne  peut   déplaire  4  nul  non sensé;  mais  seul 

unet re  peut  être  impraferibile,  ou  quodnulli 

sapienlidù  semery,  Friennium  phi' 

bicum,R 1688, t.  m.  p. ils.  Ou  encore, la  con- 
science morale  nous  donne  l'idée  d'un  être  non  hos 

',■  uni  fugibile  ub  aliquo  ;  ted  omne  habeni  defec- 

aliquem  vel  imperfectionem  est  honeste  odibile 
nul  fugibile  ab  aliquo;  donc  l'objet  que  non 
conscience  moi  i  omble  de  la  perfection, 

infini;    doue  il   existe.  Esparza,  Cwiut    th 
I,  I.  q.  ii,  .i-  7,  Lyon,  1666,  t.  i.  I  lison- 

nemi  nta  -ont  Indiqués  dans  tous  les  manuels  qui  dîs- 
cutenl   -i    foml    l'argument   de  ..uni  Anselme,  1 1 
faciles  à  découvrir.  D'ailleurs,  bien    qu'on  •  n 


903 


1)1  EU    (SON    EXISTENCE, 


904 


encore  solennellement  le  contraire  dans  plusieurs  lycées 
de  France,  ils  n'ont  jamais  été  les  seuls  arguments  que 
l'École  ait  employés  pour  prouver  l'existence  de  Dieu. 

Ceux-là  même  qui  les  proposent  maintiennent  les 
preuves  a  posteriori  classiques. 

A  coté  de  ce  vernissage  de  l'argument  de  saint  An- 
selme, les  théologiens  que  nous  venons  de  citer, 
Espar/a,  Pallavicini,  Semery,  Maurus,  avaient  un  autre 
procédé  qui  leur  était  davantage  personnel  et  qui  se 
distingue  du  précédent,  bien  que  souvent  ils  les  aient 
entremêlés,  pour  rendre  la  solution  de  leur  argumen- 
tation plus  difficile.  Ils  connaissaient  la  thèse  classique 
qu'en  vertu  de  nos  tendances  les  plus  générales,  Dieu 
nous  est  connu  in  communi  :  Deum  esse  in  communi 
est  per  se  notum.  Voici  l'interprétation  qu'ils  en  don- 
nèrent. Nous  désignons  Dieu  en  soi  et  Dieu  en  fonc- 
tion des  créatures  :  prsedicata  absohtta  et  relative/.,  et 
ils  reproduisaient  les  trois  groupes  de  formules  données 
plus  haut,  et  qui  peuvent  s'entendre  soit  au  sens  absolu, 
soit  au  sens  relatif.  Or,  ajoute  Esparza,  op.  cit.,  1.  I, 
q.  I,  a.  3;  q.  il,  a.  4,  7,  certwn  est  esse  per  se  notant 
respect»  vostri  existenliam  Dei  sub  multiplici  con- 
ceptu  reipsa  converlibili  cum  iis  prœdicatis  quai  modo 
enumerala  sunt,  licet  non  sit  per  se  nota  convertibili- 
tas  cum  iisdem.  Voici  comment  on  montre  ce  fait. 

Une  tendance  spontanée  de  notre  esprit  nous  impose 
le  principe  de  contradiction,  et  bien  que  ce  principe 
soit  disjonclif,  il  nous  est  absolument  impossible  de 
penser  que  rien  n'existe.  Qu'il  est  impossible  que  rien 
n'existe  n'est  pas  seulement  une  vérité  d'expérience, 
contingente;  mais  c'est  une  vérité  nécessaire,  immédia- 
tement fournie  par  la  conscience.  Or,  lorsque  nous 
réfléchissons  à  ce  fait  subjectif  que  nous  ne  pouvons 
pas  penser  que  rien  n'existe,  l'objet  de  notre  pensée 
directe  est  en  réalité  Dieu,  fondement  des  possibles, 
principe  des  existences,  bien  qu'à  ce  stade  notre  pen- 
sée ne  démêle  pas  encore  que  ces  propriétés  désignent 
Dieu  et  ne  conviennent  qu'à  lui.  Pallavicini,  Assertio- 
nes  theologicœ,  1.  VIII,  c.  n,  n.  5,  Rome,  1652.  Nous 
avons  donc  sans  aucune  inférence  l'existence  actuelle 
de  la  raison  de  la  possibilité  des  choses  et  du  principe 
de  leur  existence.  D'un  autre  côté,  dit  Esparza,  cum 
omnes  absque  discursu  necessario  retint  esse  beali, 
alque  assequi  suum  fincm  ultimum  bonumque 
suum  bealificum,  quod  fieri  non  potesl  absque  prvevio 
assensu  ex  sola  lerminorum  apprehensione  concepto, 
quod  detur  bonum  bealificum  et  ullimus  finis, sequi- 
tur  esse  per  se  notum  dari  aliquem  finem  hominis  et 
bonum  bealificum  respectu  ejusdem.  Donc  de  nouveau 
sans  inférence  nos  tendances  nous  donnent  un  juge- 
ment existentiel  sur  Dieu  ;  car  dans  la  réalité,  c'est 
Dieu  qui  est  notre  béatitude. 

Cependant  la  conscience  qui  nous  fournit  immédia- 
tement l'existence  de  Dieu  per prsedicatum  identifica- 
tum  cum  Deo  et  cum  ipso  converlibile,  cujus  lixc 
identitas  et  convertibililas  ignoratur  a  nobis,  ne  nous 
donne  pas  sans  quelque  discours  la  connaissance  de 
cette  identité  et  de  cette  convertibilité.  Licet  non  sil 
per  se  notum  dari  Deum  sub  conceptu  Dei,  tamen  est 
perse  notum  dari  sub  conceptu  converlibili  cum  Deo, 
itaul  hœc  convertibililas  non  sit  per  senota  sed  debeat 
demonstrari.  Nam  est  per  se  notum  necessc  esse  ut 
quodlibel  sit  velnon  sit;dari  sufficientiam  ad  hoc  ut 
sint  omnia  quse  sunt,  etc.;  sed  haec  nécessitas  et  htec 
sufficientia  identificantur  cum  Deo,  licet  nobis  non 
s'il  per  se  nota  lisec  identitas  ideoque  a  multis  nege- 
tur.  Dum  igilur  cognoscimus  cl  affirmamus  Deum 
sub  conceptu  veritatis  necessariœ,  sub  conceptu  beati- 
tudinis,  etc., cognoscimus  et  Deumquasi  per  accidens, 
eo  paclo  quo  videns  venientem  qui  est  Petrus  sed  non- 
tinm  discernens  Muni  esse  Pelrum,  cognoscit  Petrum 
per  accidens,  Maurus,  Opus  theologicum,  Rome,  1083, 
l.  i,  1.1,  q.  xiv,  n.  S,  p.  39.  Le  lecteur  remarquera  que 


.Maurus  dans  cette  dernière  phrase  interprète  saint  Tho- 
mas, Sum.  t heol.,  [•,  q.  nta.l,ad  I  " .  dans  le  sen 

précisions  formelles  de  l'école  d'Occam,  tandis  qu'il  est 
certain  que  saint  Thomas,  tous  les  thomistes,  scotistes 
et  suaréziens  admettent  les  précisions  objectives. 

Après  avoir  trouvé  dans  les  données  immédiates  de 
leur  conscience  l'existence  de  Dieu  en  soi.  per  / il 
catum  identifieatum  cum  Deo,  restait  à  prendre  une 
conscience  distincte  du  donné  de  la  spontanéité.  L'ac- 
tivité de  notre  intelligence  nous  impose  le  principe  de 
contradiction  et  sa  valeur  objective;  elle  nous  fournit 
aussi  l'idée  de  la  possibilité  des  choses,  comme  quod- 
libel esse  tel  non  esse,  et  de  l'impossibilité,  comme 
simul  esse  et  non  esse.  Donc,  puisque  ce  principe  est 
disjonctif.  indépendamment  de  toute  considération  des 
choses  existantes  et  des  conditions  de  leur  existence, 
par  le  seul  principe  de  contradiction,  nous  connaissons 
la  détermination  absolue  des  choses  à  être  ou  à  n'être 
pas,  raison  suffisante  de  la  possibilité  des  possibles  et 
de  l'impossibilité  des  impossibles,  racine  dernière,  si 
de  fait  quelque  chose  existe,  de  l'existence  des  unes  et 
de  la  non-existence  des  autres.  On  se  souvient  que 
Leibniz  avait  lu  Perez  et  les  écrivains  de  son  école  et 
que  l'on  retrouve  chez  lui  sur  les  êtres  contingents  des 
idées  analogues  à  celles-ci;  mais  les  théologiens  rejet- 
tent les  vues  de  Leibniz  parce  qu'inconciliables  avec 
la  liberté  absolue  de  la  création.  De  même  pour  la 
volonté,  poursuivaient  les  théologiens  que  nous  élu- 
dions. La  conscience  morale  nous  présente  certains 
objets  comme  absolument  inéligibles:  mais  cette  idée 
ne  va  pas  sans  la  notion  corrélative  d'un  objet  imprae- 
feribile;  per  cujus  oppositionem  malum  morale  est 
taie  ;  quod  nullisapientidisplicerepotest, etc.  Nous  voilà 
donc  sans  aucune  inférence  causale,  par  la  simple  ana- 
lyse des  notions  fournies  par  l'activité  de  nos  facultés 
intellectuelles  et  morales,  en  possession  des  idées  sui- 
vantes :  nécessitas  quam  res  habent  ad  alterulram 
parlent  contradiclionis,  possibilitas  possibilium  et 
impossibilitas  impossibilium,  sufficientia  omnium 
quse  sunt  vel  esse  possunt,  primm  régula'  synderesis, 
ultimi  finis  quo  a  natura  ducimur. 

Ces  notions  acquises,  il  serait  facile  de  passer  à  l'af- 
firmation de  l'existence  objective  de  l'objet  qu'elles 
représentent  :1°  par  le  principe  de  causalité,  efficiente 
ou  finale,  à  la  manière  de  l'Ecole;  2°  par  le  principe 
platonicien,  qui  n'est  qu'une  forme  déguisée  du  prin- 
cipe de  finalité,  d'après  lequel  l'ordre  objectif  corres- 
pond à  l'ordre  subjectif  de  nos  pensées:  3°  par  les  pro- 
cédés de  vernissage  de  l'argument  de  saint  Anselme 
rapportés  plus  haut.  Mais  on  peut  arriver  au  même 
résultat  par  une  autre  voie  sans  inférence  causale 
d'aucune  sorte.  En  effet,  nous  avons,  d'une  part,  Vexis- 
tence  du  fondement  des  possibles,  du  principe  des  exis- 
tences, du  bien  béatilique;  d'autre  part,  nous  avons  la 
notion  de  la  détermination  absolue  des  choses  à  être  ou 
à  n'être  pas,  de  la  raison  suffisante  des  possibles,  de 
la  racine  dernière  de  l'être,  du  bien  dont  le  respect  et 
l'estime  s'imposent  à  la  conscience  morale,  du  but  auquel 
la  nature  nous  pousse  impérieusement.  Si  nous  pou- 
vons montrer  l'identité  du  premier  objet  et  du  second, 
le  premier  étant  connu  comme  existant,  le  second  sera 
donc  connu  comme  existant.  Or.  le  second  indubita- 
blement est  Dieu  connu  comme  Dieu.  Donc. 

L'identité  de  ces  deux  objets  ne  fait  aucun  doute,  dit 
Pallavicini,  toc  cit.,  n.  7.  si  l'on  fait  une  hypothèse. 
niée  par  beaucoup  de  théologiens  avant  Vasquez,  par 
Vasquez  et  depuis  pur  quelques  rares  auteurs,  mais  que 
l'on  peut  d'ailleurs  démontrer.  Supposila  veriore  sen- 
tentia  inferius  probanda,  quod  entitas  Dei  non  sil 
aliquid  intrinsece  preescindens  a  possibilitate  aliisque 
prœdicatis  necessariis  creaturarum,  Deum  ex  parle 
objecti  identi/icari  palet  exempli  gratia  in  conce/  tu 
necessitatis  quam  res  habent  ad  alterulram  partent 


905 


DIEU    (SON    EXISTENCES 


906 


contradiclionis,  item  in  eonceptu  exislentise  quant  ha- 
bent  res  in  aliqua  causa,  in  eonceptu  primée  reguix 
synderesis,  in  eonceptu  ullinti  finis  quo  ducimur  a 
natura  et  similibus.  Hi  enim  omnes  conceptus  objec- 
tivi  reipsa  idem  sunt  ac  Deus,  quse  lamen  identitas 
non  constat  nobis  nisi  per  discursum. 

Quel  est  enfin  ce  raisonnement?  Le  voici,  ramené 
à  ses  termes  généraux.  Quand  l'esprit  saisit  un  des 
termes  d'une  connexion  logique,  physique  ou  méta- 
physique comme  connexe,  il  saisit  nécessairement  du 
même  coup  l'autre  terme  de  la  connexion.  Or,  si  on 
rejette  la  doctrine  de  Vasquez  sur  l'être  absolu  de 
Dieu,  In  I3m,  disp.  CIV,  Dieu  est  connexe  avec  la  déter- 
mination absolue  des  choses  à  être  ou  à  n'être  pas, 
avec  la  possibilité  des  possibles  et  l'impossibilité  des 
impossibles,  avec  la  raison  suffisante  des  existences, 
avec  la  conscience  morale  et  la  tendance  à  la  fin  der- 
nière. De  plus,  tous  ces  objets  nous  sont  présentés 
par  la  conscience  comme  connexes  avec  quelque  chose  : 
en  effet,  toutes  les  notions  dérivées  de  l'étude  du  prin- 
cipe de  contradiction  sont  vraies  et  nécessairement 
vraies,  donc  liées  avec  quelque  chose  d'objectif,  puis- 
qu'il faut  un  vérificatif  à  toute  proposition  vraie,  comme 
le  démontrent  les  thomistes  qui  soutiennent  la  présen- 
tialité  éternelle  des  existants;  ou  du  moins  comme  le 
pensent  saint  Augustin  et  saint  Thomas.  De  veritale, 
q.  i.  a.  ô;  quant  aux  notions  fournies  par  la  conscience 
morale,  celle-ci  nous  les  présente  toujours  en  fonction 
d'un  être  supérieur,  et  donc  comme  connexes  avec  lui. 
D'où  il  suit  enfin  qu'il  esf  un  moyen  d'avoir  la  certitude 
rationnelle  de  l'exisfence  de  Dieu  sans  aucune  infé- 
fi  n  i  par  voie  de  causalité,  soit  efficiente,  soit  finale. 
Cf.  L'Iloa,  Prodromus,  disp.  Y,  c.  vin,  Rome,  1711, 
p,  17."). 

Critique.  —  Notre  but  n'étant  pas  de  faire  un  cours 
de  haute  métaphysique,  mais  seulement  de  dire  pour- 
quoi cette  méthode  est  insuffisante,  nous  nous  borne- 
rons à  quatre  observations,  après  avoir  signalé  au 
passage  sur  la  genèse  du  principe  de  contradiction  et 
sur  la  notion  de  vérité,  Blondel,  Principe  élémentaire 
logique  de  la  vie  morale,  dans  la  Bibliotlu 
ngrè»  international  de  ;  le  de  1900,  t.  H, 

p.  .">l  ;  Royce.  The  probien i  of  truth,  dans  la  lierur  de 
métaphysique el  de  morale, novembre  1908,  p.  930.  Com- 
parer avec  saint  Thomas,  lu  IVSent.,  1.  I,  dist.  XXXV, 
theol.,  [«  Il  ■  |  ([.  i.xxii.  a.  0;  De  quatuor 
itis;   avec    Scot.    ///   metaphys.,    1.    VII,   q.   xill  ; 
Ix  IVSent.,  !.  II.  dist.  III.  Minges  explique  les  ti 
de  Scot  et  montre  leur  accord  avec  Suarez, c'est-à-dire 
li  .  dans  le  fascicule  I     'lu  t.  vu  des  Jleitrâge 
eumker.  Le  même  auteur  a  préci  demment  réduit 
à    leur    jusle    valeur    les    accusations   de    volontarisme 
outré'  portées  contre  Se,, t.  au  fascicule  i"  du  t.  v  de  [g 
m.  !..  ii.  intitulé  :  ht  Dons  Scotus  Indéter- 

miné 

".  Les  faits  psychologiques  qui  servenl  - 
toute  I  argumentation  sont  mal  interpn  tés,  comme  le 
montre  finement  saint  Thomas,  De  veritate,  q.  X,  a.  12, 
■d  5",  8  De  &  que  nous  ne  pou  ons  pas  penser 
que  rien  n'existe,  on  conclut  que  l'objet  de  notre 
I-  ns  ■    esl  d  m  :  Heu  .  mai-  cette  formule  peu) 

nifiei  qui   ci    Lui  <\<-  co>>  bien  qu'il  nous 

n  ■  i   que  nous  n'existons  pas,  il 

ible  d.-  porti  >    un  juge ni  férue 

■  en  réalifa  i  e  que  nous  donne 
[ue,  et  dai 

•gique  qui  périmentoni  .  On  objecte  que, 

menl 
'I11''1  ible  que  i  i ,,,  ,   pond 

-i  l'on  pente  en  nu  que 

maintenant,  ou  que  quelque  i  I 


n'a  qu'une  nécessité  hypothétique  et  non  absolue;  donc 
la  conséquence  ne  suit  pas,  à  moins  que  l'on  ne  passe 
par  le  principe  de  causalité.  Si  l'on  fait  totalement 
abstraction  de  toutes  les  existences,  il  ne  reste  qu'un 
principe  purement  formel  auquel  ne  répond  qu'une 
vérité  purement  logique,  d'où  rien  ne  suit  dans  l'ordre 
des  réalités,  quia  de  ente  et  non  ente  contingit  verum 
dicere.  Esparza  n'observe  pas  mieux  à  propos  du  désir 
du  bonheur.  Nous  voulons,  dit-il,  être  heureux;  cela 
suppose  l'idée  antécédente  du  bonheur  et  un  jugement 
d'existence.  .Mais  ou  bien  on  nous  parle  de  la  tendance 
innée  à  Dieu  dont  il  est  question  dans  saint  Thomas, 
Sum.  theol.,  D,  q.  LX,  a.  3;  F  II1',  q.  cix,  a.  3;  II» II», 
q.  xxvi,  a.  3;  Maslrius,  In  IV  Sent.,  I.  III,  disp.  YI, 
q.  xxv  ;  Tolet,  Comment,  in  l-im,  Rome,  1869,  1. 1,  p.  488; 
et  cette  tendance,  qui  n'est  pas  un  acle  mais  un  fait  et  la 
racine  métaphysique  de  notre  liberté,  n'inclut  aucune 
appréhension  antécédente  ;  et,  pour  en  déduire  quoi 
que  ce  soit,  il  faut  recourir  à  la  (inalité  interne.  Voir 
le  procédé  dans  Schiffini,  Dispulationes  meta/Jnjsicse 
specialis,  Turin,  1888,  t.  n,  th.  m,  n.  395;  Hontheim, 
op.  cit.,  n..">(>7,  el  à  un  autre  point  de  vue  dans  Cafhrein, 
Philosophia  moralis,  Fribourg,  1893,  th.  i,  n.  10.  Ou 
bien  on  nous  parle  de  l'appétit  élicile,  du  désir  actuel 
du  bonheur,  qui  naît  de  l'appétit  naturel  quo  quodlibet 
appétit  naluraliter  se  esse  completum  in  bonitate, 
comme  parle  saint  Thomas,  De  veritale,  q.  XXII,  a.  7. 
Celui-ci,  en  saine  philosophie,  suppose  quelque  connais- 
sance de  son  objet  :  nihil  volitum,  nisi  prsecognilum . 
Mais  Esparza  devrait  prouver  que  l'objet  d'un  tel  acte 
ne  pouf  pas  être  impossible,  ou  que  la  simple  idée  de  la 
possibilité  du  bonheur  ne  suffit  pas  à  provoquer  un 
acle  de  ce  genre.  Or,  ces  exclusions  ne  sont  possibles 
qu'à  l'aide  de  la  causalité  efficiente  ou  finale.  El  lors- 
qu'elles sont  faites,  on  n'a  pas  encore  l'existence  du 
bien  béatifique,  à  moins  de  faire  un  nouvel  appel  au 
discours  causal.  Voir  le  procédé  dans  saint  Thomas, 
Sum.  theol.,  F  II-1',  q.  I,  a.  4;  Contrit  génies,  1.  III,  c.  il, 
n.  2  sq.,  bien  différent  de  celui  de  Kant,  cf.  Frins, 
De  actibus  humanis,  Fribourg-en-Brisgau,  1897,  i.  i, 
p.  07-8.");  et  pour  se  persuader  qu'on  n'a  pas  attendu 
Kant  pour  entrer  en  plein  dans  cette  voie,  lire  Bagot, 
Apologeticus  fidei,  part.  Il,  I.  II.  disp.  I.  c.  m-vi, 
in-fol.',  Paris,   1645,   I.  il,  p.  99-118. 

b.    Quand    bien  même  on   devrait  au  point  de  vue  de 

rvation  psychologique  concéder  à  Esparza,  comme 

il  le  veut,  que  nous  percevons  immédiatement  l'exis- 

lu  vrai  el  du  bien,  il  ne  suivrait  pas  du  tout  que 
ce  soit  là  concevoir  Dieu  considéré  eu  soi,  per  prsedi- 
calum  inlrinsecum  Deo,  Tous  les  anciens  scolastiques 
concèdent  une  connaissance  spontanée  mais  obscure 
de  Dieu,  sub  rations  unius,  veri,  boni,  beatutidinis ; 
mais  celte  connaissance  obscure  ne  distingue  pas  Dieu, 

ils.  du  resté  des   êtres;  elle  ne  le  saisit  donc 
i  soi.  per  prœdicatum  identi/icatum,  mais  seu- 
lement à  l'aide  d'un   concept  abstrait,  prœscindens  << 
creatura,  <<  Deo  vero  et  ficto.  A  s'en  tenir  là, 
c'est  donc  une  désignation  de  Dieu  par  dénominations 
extrinsèques,  convenant  de  rail  exclusivement   i  Dieu. 

mais    dont    la    COUVI -natice    exclusive    à    Dieu   échappe  a 

Uum  non  identiflealum  cum  De 
converlibile,  sed  cujus  hsn  convertibilitas  ig\ 
nobis.    Esparza,  au   contraire,  prétend  que  cette  pre- 
mière notion  atteint  Dieu  en  soi  etque  le  seul  proj 

a    faire    eSl    de    le    Con-lalel.    ;„•/-  /o\r,/o  ,,  I  ,,  lu     ull'U  1 1  /Iffl- 

luni  cum  Deo  et  converlibile,  sed  ■  njus  htec  identitas 
ri   convertibiliti  l«r.   Di  ne,  d 

nie-   d.  -   donni  et  immédiates  de  i  île 

(bndi  ment   de  droi  I  la  cause  efficiente 

et  finale  di  ou  nous 

.ii    ommes, l'homme  ignore  que  ce  donné  esl  Dieu  lui* 
même;  mail   il   est   hoi     d<  doute  que  l'objet  'font  la 

i  en  réalité  Dieu, et  Dieu 


907 


1)1  KU    (SON    EXISTENCE) 


908 


considéré  on  soi.  Car  la  doctrine  de  Vasquez  esl  fausse. 
I!  esl  vrai,  dirons-nous,  que  la  doctrine  de  Vasquez 
sur  l'être  absolu  de  Dieu  est  communément  abandonnée 
par  les  théologiens  ;  mais  elle  reste  probable,  et  donc 
le  procédé  d'Esparza  ne  peut  pas  aboutir,  comme  il  le 
prétend,  à  nous  donner  une  certitude  rationnelle  de 
l'existence  de  Dieu  :  debiliorem  sequilur  conclusio 
partent.  Si  l'on  répond  qu'on  peut  prouver  la  fausseté 
do  la  thèse  de  Vasquez,  ceux  qui  ont  étudié  la  question 
du  médium  de  la  science  des  futurs  conditionnels 
avoueront  qu'on  ne  se  débarrasse  pas  très  facilement 
de  la  formule  vasquézienne  :  si  par  impossible  une 
mouche  possible  devenait  impossible,  rien  ne  serait 
changé  en  Dieu.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  question 
et  de  la  question  voisine  du  constitutif  de  la  liberté  de 
Dieu  ad  extra  où  Vasquez  suit  l'opinion  des  thomistes 
antérieurs  à  Godoy  et  à  Jean  de  Saint-Thomas—  Cajetan 
excepté,  dont  tous  aujourd'hui  rejettent  l'opinion  —  il 
est  certain  que  l'opinion  dont  a  besoin  Esparza  ne  se 
prouve  qu'en  faisant  un  large  usage  du  principe  de 
causalité  et  de  raison  suffisante.  Voilà  donc  que,  sans 
recourir  à  l'inférence  causale,  on  ne  parvient  pas  à 
échafauder  le  système  dont  l'originalité  consiste  à 
vouloir  se  passer  de  ce  moyen. 

Et  il  faut  ici  remarquer  que  si  ce  dernier  argument 
n'a  pas  beaucoup  de  force  contre  Esparza  et  son  école, 
il  est  insurmontable  contre  les  modernes  qui  ont  renou- 
velé leur  tentative.  Il  n'a  pas  beaucoup  de  force  contre 
Esparza;  car  celui-ci  pourrait  répondre  non  sans 
logique  :  Il  y  a  dans  l'Ecole  seize  essais  de  solution 
du  difficile  problème  des  relations  de  l'infini  et  du 
fini,  que  l'on  a  l'habitude  de  ramener  à  quatre  types 
dans  la  question  de  la  conciliation  de  l'immutabilité 
divine  et  des  actes  libres  de  Dieu  ad  extra.  Nos  actes 
spontanés  se  font  indépendamment  de  la  connaissance 
de  ces  spéculations,  tout  le  monde  en  convient.  Je 
les  étudie  donc  tels  que  la  conscience  me  les  révèle, 
je  suis  amené  à  penser  que  l'une  des  seize  solutions 
classiques  est  explicative  des  faits  observés;  et  je 
conclus  que,  si  cette  hypothèse  est  admise,  l'existence 
de  Dieu  considéré  en  soi  est  donnée  par  la  conscience. 
Ensuite,  pour  résoudre  les  difficultés  que  l'on  soulève, 
j'ai  recours  aux  principes  de  causalité  et  de  raison  suf- 
fisante; ce  que  j'ai  le  droit  de  faire,  puisque  je  ne  les 
mets  nulle  part  en  question  et  que  je  concède  qu'avec 
leur  emploi  on  prouve  l'existence  de  Dieu  et  que  je 
soutiens  qu'on  démontre  celle  des  seize  solutions  que 
suit  la  conscience.  Mais  les  philosophes  modernes  qui 
font  quelque  concession  au  kantisme  ne  peuvent  pas 
éviter  le  cercle  vicieux,  comme  faisaient  les  anciens 
théologiens  dont  nous  parlons.  Us  concèdent,  en  effet, 
la  valeur  de  la  critique  kantienne,  ou  tout  au  moins,  ils 
cherchent  à  persuader  de  l'existence  de  Dieu  ceux  qui 
admettenteette  valeur  et  qui,  par  suite, rejettent  l'usage 
transcendantal  du  principe  de  causalité.  Or,  Kantdans 
la  troisième  et  dans  la  quatrième  antinomie  prétend 
démontrer  qu'aucune  des  seize  solutions  classiques 
dont  nous  venons  de  parler  et  qu'il  ramène  à  deux 
n'est  recevable  :  si  donc  l'on  admet  soi-même  la  valeur 
du  kantisme,  ou  si  l'on  a  la  prétention  d'argumenter 
contre  un  kantiste,  on  ne  pourra  pas  supposer  comme 
Esparza  que  nos  actes  spontanés  se  font  suivant  une  de 
ces  solutions,  et  si  on  le  suppose  il  restera  à  démontrer 
que  cette  solution  est  valable.  Or,  on  s'est  enlevé  le 
moyen  de  faire  cette  démonstration,  soit  avant  la  connais- 
sance certaine  de  l'existence  de  Dieu,  soit  après,  puis- 
qu'on a  renoncé  à  l'usage  transcendantal  du  principe  de 
causalité.  M.  Blondel  conclura  :  cela  montre  que  le 
kantisme  est  contre  nature.  C'est  ce  dont  je  conviens, 
sans  accorder  qu'il  en  suive  que  Dieu  existe  ou  que 
l'existence  de  Dieu  considéré  en  soi  soit  une  donnée 
immédiate  de  ma  conscience,  comme  le  veut  Esparza. 
C'est  aussi  ce  dont  ne  conviendra  pas  le  kantiste  que 


l'on  veut  persuader;  pour  peu  qu'il  ait  pénétré  le  sens 
des  deux  dernières  antinomies  et  ce  que  la  méthode 
d'immanence  lui  demande  d'accorder,  il  répondra  : 
mais  l'acte  que  vous  supposez  que  je  fais  ou  que  vous 
m'invitez  à  faire  implique  précisément  la  solution  dans 
un  sens  très  déterminé  des  antinomies.  Esparza,  s'il 
eût  connu  Kant,  n'eût  pas  nié  le  fait  ;  et  je  pense  que 
tous  les  théologiens  seraient  ici  de  son  avis.  Cf.  sur  les 
antinomies,  Dictionnaire  apologétique,  t.  i,  col.  33, 
36  sq.  D'où  l'on  conclut  à  l'inefficacité  spéciale  de  la 
méthode  d'immanence  contre  les  kantistes  intelligents 
et  convaincus.  On  a  beaucoup  exploité  pour  l'aire  de 
la  réclame  à  la  méthode  d'immanence  la  «  colère  »  de 
certains  universitaires  et  athées  en  présence  de  V Action  ; 
c'est  qu'élevés  dans  la  mentalité  cartésienne  ces  pro- 
fesseurs concédaient  sans  examen  critique  que  notre 
idée  de  Dieu  est  toujours  per  prsedicatum  idenlifica- 
tum  cum  Deo ;  or,  c'est  précisément  ce  que  nie  Kant 
qui  la  réduit  toute  entière  à  de  pures  dénominations 
extrinsèques;  M.  Le  Roy  a  vu  plus  juste  quand,  tout  en 
se  réclamant  de  la  méthode  d'immanence,  il  a  conclu 
à  l'agnosticisme  sous  le  nom  de  pragmatisme.  C'est, 
nous  allons  le  voir,  tout  ce  qu'on  peut  tirer  de  la  mé- 
thode, si  l'on  s'y  "obstine  à  se  défier  du  principe  de  cau- 
salité et  de  la  finalité  interne. 

c.  Esparza  et  Pallavicini  admettaient  un  discours 
pour  légitimer  dans  leur  système  tous  les  passages 
d'idée  à  idée,  d'objet  à  objet,  et  toutes  les  conversions 
de  propositions  dont  ils  avaient  besoin.  Ce  discours 
reposait  tout  entier  sur  la  thèse  épistémologique  sui- 
vante :  L'esprit  qui  connaît  un  des  termes  d'une  con- 
nexion comme  connexe  connaît  du  même  coup  l'autre 
terme  de  la  connexion.  Cette  thèse,  il  faut  le  remar- 
quer, fait  le  fond  réel  des  quatre  hypothèses  précé- 
demment rejetées.  Gratry  fait  l'assomption  du  fini  et 
par  contraste  ou  regrès,  Gûnther  disait  par  contra- 
position,  de  l'infini  :  creatura  connexa  rjua  connexa. 
L'hypothèse  psychologique  imagine  la  personnalité  et 
son  prolongement  ou  son  objectivation,  c'est  encore 
une  connexion.  L'hypothèse  morale  postule  une  lo- 
cution intérieure  et  son  origine  :  encore  une  chose 
finie  expérimentée  et  son  lien  avec  autre  chose. 
Les  diverses  hypothèses  épistémologiques  font  de 
même,  en  insistant  soit  sur  les  similitudes  dans  les 
choses  ou  dans  les  espèces  et  images  intentionnelles, 
soit  sur  quelque  autre  donnée;  il  en  faut  dire  autant 
de  ceux  qui  ont  essayé  de  résoudre  tout  le  débat  par 
la  notion  de  vérité,  à  laquelle  appelait  d'ailleurs 
Esparza.  Voir  les  textes  cités  par  Esparza,  sagement 
interprétés  par  Suarez,  Disp.  metaphys.,  disp.  VIII. 
sect.  vu,  n.  21,  La  petite  école  dont  nous  parlons,  qui 
eut  en  Espagne,  à  Rome  et  en  Allemagne  ses  jours  de 
gloire,  sans  se  hasarder  dans  des  thèses  discutables, 
posait  simplement  le  problème  en  termes  généraux, 
comme  la  logique  l'exige  quand  on  a  la  prétention 
d'arriver  à  une  conclusion  certaine. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  la  question  de  savoir  s'il  v 
intervient  deux  idées  ou  une  seule,  il  est  incontestable 
et  incontesté  dans  l'École  que  l'esprit  qui  perçoit  un 
des  termes  d'une  relation  comme  connexe,  saisit  l'autre 
terme  de  la  relation.  Tout  irait  donc  bien  si  Esparza 
montrait,  indépendamment  de  toute  liaison  ou  dépen- 
dance causale,  que  subjectivement  nous  percevons 
creaturam  connexam  cum  Deo  ut  connexam.  M;ii< 
l'expérience  montre  qu'il  n'en  esl  rien.  Tous  les  êtres, 
en  effet,  sont  connexes  avec  les  décrets  divins  dont  ils 
dépendent;  or  la  conscience  psychologique  ne  nous 
dit  rien  de  ce  rapport.  C'est  la  raison  pour  laquelle 
Esparza  choisit  des  cas  où  la  conscience  psychologique 
ou  morale,  surtout  cette  dernière,  nous  avertit  d'un 
rapport,  d'une  dépendance,  etc.  Mais  il  suffit  pour  vé- 
rifier le  principe  de  la  simultanéité  de  la  connaissance 
des  connexes  que  le  terme  non  directement  saisi  soit 


909 


DIEU    (SON    EXISTENCE* 


910 


appréhendé  abslracte,  genericc  et  in  eommuni;  il 
n'est  pas  du  tout  nécessaire,  en  vertu  du  principe  gé- 
néral invoqué,  qu'il  le  soit  determinate,  privai  im  et 
in  individuo.  C'est,  par  exemple,  ce  qui  se  fait  en 
physique  quand  on  y  définit  l'électricité,  la  cause  des 
phénomènes  suivants.  De  vcritate,  q.  x,  a.  1,  ad  6u,n. 
Cela  ne  veut  pas  dire  que  nous  ne  savons  rien  de  l'élec- 
tricité, hors  le  fait  brut  de  l'existence,  et  qu'elle  soit 
une  cause  totalement  inconnue.  Elle  est  totalement  in- 
connue dans  l'hypothèse  nominaliste  qui  refuse  de  re- 
monter des  effets  aux  causes  par  le  principe  de  raison 
suffisante.  Voir  col.  784.  Elle  ne  l'est  pas,  si  l'on  rejette, 
comme  il  faut  absolument  la  rejeter,  la  subjectivité  des 
relations  de  cause  à  effet,  de  substance  à  propriété,  etc. 
Aussi  a-ton  cherché  à  déterminer,  dans  la  question  qui 
nous  occupe,  la  nature  de  la  connexion  donnée  par  la 
conscience,  afin  de  pouvoir  atteindre  Dieu  considéré  en 
soi.  C'est  de  ce  souci  que  procèdent  les  appels  aux 
similitudes,  aux  espèces  intentionnelles,  à  la  nature  de 
la  vérité,  a  la  thèse  du  vérificatif  des  jugements,  etc., 
que  nous  avons  rapportés  ou  omis.  Le  mouvement  est 
bon,  mais  il  ne  peut  pas  aboutir. 

Sans  avoir  à  discuter  la  valeur  des  différents  moyens 
auxquels  on  a  eu  recours,  sans  même  faire  remarquer 
qu'étant  systématiques  ils  empêcheraient  d'arriver  à 
une  conclusion  certaine,  voici  pourquoi  ils  sont  vains.  — 
a.  Avant  de  savoir  avec  certitude  que  Dieu  existe,  nous 
ignorons  absolument  si  les  créatures  lui  sont  sem- 
blables; quia  quamvis  finita  sint  quodamnwdo  spécu- 
lum et  imago  Dei,  liane  tamen  rationcm  imaginis 
non  deprehendes  in  ente  finito  donec  cognoveris  hoc 
esse  illiuse  effetum.  Cf.  Urraburu,  op.  cit.,  t.  vu,  p.  81. 
Que  les  créatures  soient  semblables  à  Dieu  cela  vient, 
en  effet,  de  ce  qu'il  est  leur  cause.  Mais  que  Dieu  soit 
la  cause  des  effets  considérés  n'est  pas  immédiatement 
donné  par  la  conscience  avec  certitude,  ni  par  consé- 
quent qu'une  relation  de  similitude  intervient  :  est  per 
se  nolum  veritatem  esse,  dit  d'une  façon  absolument 
raie  saint  Thomas,  non  autem  est  per  se  nolum 
noliis  esse  aliquod  primum  ens  quod  sit  causa  omnis 
entis,  quousque  Itoc  vel  fides accipiat  vel  demonstratio 
probet.  De  vcritate,  q.  x,  a.  12,  ad  .'!""'.  On  objectera  : 
mais  les  principes  généraux  sur  la  similitude  formelle 
des  espèces,  sur  la  théorie  de  la  vérité,  adxqualio  rei 
et  intellectus,  etc.  D'abord,  tout  cela  n'est  pas  sûr;  car 
beaucoup  de  théologiens  nient  la  susdite  similitude 
formelle  ;  et  jamais  dans  l'Ecole,  avant  ces  dernières 
années,  on  n'a  pressé  le  mot  adxquatio  comme  on  l'a 
fait  récemment,  du  tique  pour  conclure  que 

nous  ne  connaissons  pas  Dieu  en  soi,  du  côté  catho- 
lique pour  réfuter  l'agnosticisme  tout  en  se  donnant  le 
plaisir  de  soutenir  un  système  préféré  el  ordinairement 
décoré  du  nom  de  saint  Thomas.  Suarez  se  contente 
de  dire  :  Supponimusde  ralione  intellectionit  imo  el 
cognitionis  esse  ut  per'quamdani  assimilationem  intra 
mentent  inlelligentis  fiai.  De  angelis,  I.  II,  c.  ni.  n.  7. 
Cf.  Kleutgen,   Philosoplu  <que>  •  •   '.  n-  23  Bq. 

Mais,  connue  les  constructeurs  de  systèmes  ne  se  ren- 
dront pas  devant  ci  de  simple  bon  sens  et 
de  logique,  voici  la  raison  "  priori  de  l'inutilité  de 
'•  '"  Ile  -e  tire  de  la  nature  I  de  du 
pariicnliei  don)  il  a  agit,        b,  Juxta  hanc  do 

uod  agnoscatur  fundamentum  ut 

i  i  go,  e 
jnoicatur    lie,, s.    non    cognoteitur 

Intel  ligitur  i ,  ■  atut  a  ut  1 1  nnei  ■• 

l    h,  u$  est  i  omlitutivum 

Deo,  Sed  hoc  ett  falt\ 

Deo  lantummodo  redupli- 

""  ■  Di        .    •  ■  ont)  -  juate 

uipote  idenlij  cala  adéquat* 
■'<"    n  n';    i  i  h  n  dam  i  e  i  lisonnemenl  qui  ne 


soit  admis  par  les  thomistes  anciens,  par  les  scotistes 
et  par  Suarez.  Seuls  ceux  qu'on  a  appelés  les  Conno- 
latoves  pourraient  se  plaindre  qu'on  y  introduise  l'ar- 
gument forgé  contre  eux  par  Lugo,  omne,  quo  solo 
non  intellecto,  non  intelligitur  aliud,  aut  est  Iota 
essentia  aut  est  pars  essentix  illius  alius.  Mais  cet 
argument  est  solide  et  fait  toucher  du  doigt  le  danger 
de  panthéisme.  Si  l'on  en  fait  d'ailleurs  abstraction,  il 
reste  que,  lorsque  nous  pensons  à  Dieu  ici-bas  et  à  la 
dépendance,  ressemblance...,  connexion  des  créatures 
avec  lui,  ce  qui  nous  sert  pour  nous  élever  à  lui  est 
toujours  adéquatement  distinct  de  l'objet  de  notre  pen- 
sée. Car  si  les  créatures  sont  semblables  à  Dieu,  Dieu 
ne  leur  est  pas  semblable.  Et  c'est  la  raison  pour  la- 
quelle, toute  révélation  mise  à  part,  nous  ne  saisissons 
avec  certitude  rien  de  Dieu  considéré  en  soi,  per  prx- 
dicatuni  idenlificatum  cuni  Deo,  sans  passer  par  le 
lien  causal. 

L'école  d'Esparza  l'avait  bien  senti;  aussi  avait-elle 
enchevêtré  son  argumentation  dans  celle  de  saint 
Anselme,  comme  nous  l'avons  rapporté,  ce  qui  signifie 
qu'elle  se  donnait  directement  l'idée  d'infini  et  par 
suite  l'existence  intrinsèque  de  Dieu.  Tout  revient  là; 
ou  bien,  on  se  donne  l'idée  de  l'infini  proprement  dit, 
l'idée  de  l'être  dont  l'essence  se  définit  par  l'existence 
actuelle,  et  alors  on  n'a  pas  besoin  de  passer  par  la 
causalité;  ou  bien,  on  constate,  quoique  la  phrase  ens 
necessarium  est  ens  necessarium  et  par  suite  aussi 
celle-ci  ensnecessarium  est  ens  necessario  existais  soient 
évidentes,  que  cette  évidence  n'entraîne  pas  l'existence 
réelle  de  l'être  nécessaire,  soit  parce  qu'une  proposi- 
tion tautologique  peut  impliquer  quelque  contradiction 
dans  son  sujet,  soit  parce  que  dans  ces  propositions 
l'être  nécessaire  n'est  pris  qu'au  sens  abstrait  et  nulle- 
ment au  sens  d'un  être  positivement  réel;  et  le  seul 
moyen  de  lever  le  doute  sur  la  possibilité  de  passer 
de  l'abstrait  au  réel,  est  de  passer  par  la  causalité. 
Cf.  d'Aguirre,  Theologia tancti  Anselmi,  tr.  I,  disp.  VI, 
sect.  iv,  n.  33  sq.  C'est  ce  que  dit  saint  Thomas  :  Ra- 
tio illa  procederet,  si  hoc  esset  nobis  }>er  se  notion 
quod  deilas  sit  esse  Dei,  quod  guident  nunc  nobis  non 
est  notuni  per  se  cum  Deuni  peressentiani  non  videa- 
uius,  sed  indigemus  ad  hoc  tenendum  vel  ilemonstra- 
tione  vel  l'ide.  lbid.,  ad  i"m. 

d.  Esparza  ne  semble  avoir  traité  toute  la  question 
que  d'une  façon  spéculative.  Un  de  ses  élèves,  compo- 
sant une  apologétique,  pensa  qu'il  pouvait  utiliser  la 
théorie  pour  la  réfutation  des  athées  el  aussi  pour 
l'explication  au  concret  de  notre  permière  connais- 
sance de  Dieu.  Iionc,  Michel  de  Elizalde,  Forma  verse 
religionis  quœrendse  et  inveniendœ,  Naples,  1672, 
ii.  85,  écril  Deus  est  primum  nolum,  cl  universale et 
transcendais  omnium  principiorum  principium,  uni- 
cuni  et  sufficiens,  et  omnium  probationum  probatio, 
rationum  rotin  et  conclvsio  ac  omnium  verilatum 
veritas  et  conclusio.  Séries  t"ia  verilatum  ad  pri- 
resolvitur,  quse  demum  omnes  édi- 
tâtes verificet  el  qua  sublata  ,  um  ta,  ut  vocant,  neutra, 
ambigua,  net  falsa  nec  vera  et  injudicabilia.  Tout 
cela  pourrait  se  concéder  de  l'ordre  ontologique  des 
êtres,  mais  le  mol  nolum  du  début  el  toul  le  discours 
qui  précède  nous  force  à  le  prendre  de  l'ordre  même 
de  nos  connaissances.  L'auteui  -•■  souvient  cependant 
du  fameux  aziome  d'Ariatole  que  les  princi|  i  i  ne 
doivent  pas  se  démontrer;  il  répond  lestement  .  Quid 
,i,ini  ArittoteU  el  de  tummis  rebut  docuil 

tUSI  Ci  I  I  apottolut  .1 1 br- 
uis ih  kct.,  X \  II. 
In,,,  prope  enim  adest  •'!  qui  se  <•/  tua  tanlitj 
tiderare  velit,  tul  a  I 
originem  el  genut.  Vbi  omilto  alla.  Au  paragraphi 
suivant,  Elizalde  nous  apprend  que  par  I  idée  de  tin 
dernii  i  nnallre  1                [dus 


<  Il 


DIEU    (SON   EXISTENCE) 


912 


de  chut'';  mais  il  renvoie  â  un  autre  ouvrage  ce  déve- 
loppement, quia  hoc  de  Deo  fine  hominis  unico  multa 
infert  non  recepta  communiter.  A  défaut  des  vues 
morales  d'Elizalde,  nous  avons  aujourd'hui,  sur  le 
même  sujet  ,  une  littérature  assez  abondante  écrite  du 
même  point  de  vue. 

Remarquons  d'abord  que   dans  son   «  apologétique 
nouvelle    »    Elizalde    introduisait    deux    éléments,    la 
priorité  de  la  connaissance  de  Dieu  et  l'appel  à  la  pré- 
sence intime  de  Dieu  dans  l'âme,  dont  le  premier  était 
positivement  exclu  et  dont  le  second  n'était  pas  einplové 
par  Esparza  et  Pallavicini.  Saint  Thomas  avaitdéjà  re- 
marqué qu'une  conception  inexacte  de  l'omniprésence 
divine  conduit  au  panthéisme,  non  intelligentes  rjuod 
Deus  non  sic  est  in  rébus  quasi  aliijuid  rei,  sed  sieut 
rei  causa,  qux  nullo  modo  sui  effectui  deest.  Contra 
génies,  1.  I,  c.  xxvt,  à  la  lin.  Et  ailleurs  il  avait  expliqué 
que,  hien  que  Dieu  soit  présent  à  notre  intelligence,  il 
ne  lui  est  pas  uni  comme  une  forme  intelligible,  non 
est  tamen  ei  conjuncla,  td  forma  intelligibilis,  quam 
intclligere  possit  quandiu  lumine  glorise  non  perfici- 
lur.  Car  autre  chose  est  l'union  par  essence,  présence  et 
puissance,  autre  chose  l'union  par  manière  de  forme 
intelligible.  De  veritate,  q.  x,  a.  11,  ad  8llm,  llum.  Nos 
habilus  sont  pour  nous  intelligibles  et  Dieu  ne  l'est  pas 
immédiatement,  hien    qu'il  soit  plus  présent  à  notre 
âme  que  nos  habitas,  quia  habitas  saut  proportionali 
ipsis  objectis  et  actibus  et  sunt  proxima  eorum  prin- 
cipia,  quod  de  Deo  dici  non  pot  est,  ibid.,  a.  9,  ad  7,lm  ; 
ce  qui  donne  l'exégèse  de  Sum.  l/ieol.,  h1,  q.  xn,  a.  2, 
et  fait  de  saint  Thomas  un  excellent  moliniste  au  lieu 
d'en  faire  un  averroïste  comme  le  veut  Cajetan.  Elizalde 
se  réfugie  derrière  le  texte  de  saint  Paul.  Act.,  xvn,  28. 
Mais,  fait  très  bien  remarquer  Yasquez,  saint  Paul  ne 
parle  pas  directement  dans  ce  passage  de  l'omnipré- 
sence de  Dieu,  il  exprime  simplement  que  nous  pou- 
vons facilement  connaître    Dieu  par   ses   œuvres,  par 
l'action  de  sa  providence  en  nous.  In  7am,  disp.  XXVIII, 
c.  iv,  n.  17.   Et  cette  interprétation,  outre  qu'elle  en- 
lève toute  base  à  l'abus  que  Spinoza  a  fait  de  ce  passade 
a  l'avantage  d'être  conforme  aux  données  patristiques. 
Corneille  de  la   Pierre,  Comme7it.   in  Acta  apostolo- 
rum,  loc.  cit.;  Verhoer,  In  Actus,  dans  le  Cursus  coni- 
pletus  Scriplurœ  de  Migne,  t.  xxm,  col.  1289;  Beelen 
Comment,  in  Acta  aposlolorum,  Louvain,  1864,  p.  435- 
Patrizzi,  In  Actus,  Rome,  1867,  pensent  comme  Yas- 
quez; et  Chase  observe  que  si  saint  Paul  cite  un  poète 
stoïcien,    partisan    de    l'immanence    panthéistique   du 
Portique,   il   a  grand  soin   de  maintenir  la   transcen- 
dance divine,  cseli  et  terrœ  cum  sit  dominas.  Chase 
The  credibilily  oft/ie  book  of  llte  Acts  of  the  Aposiles 
Londres,  1902,  p.  227.  Sur  la  doctrine  chrétienne  dé 
l'immanence  divine,  consulter  Scheeben,  La  dogma- 
tique, t.  n,    n.  234,  24-0,  360.   Dans  ces  conditions,  il 
est  facile  de  comprendre  pourquoi  un  appel  à  l'imma- 
nence   divine,   ou,   pour  parler  correctement   et  sans 
équivoque,  à  l'omniprésence   de  Dieu,   ne  sert  â  rien 
pour  expliquer  la   connaissance   que    nous   avons    de 
lui. 

Elizalde  commet  une  autre  faute.  Il  suppose  que 
notre  première  connaissance  certaine  est  celle  de 
l'existence  de  Dieu.  Pallavicini  avait  expressément  re- 
jeté cette  opinion.  Rejicimus  senlentiam  Henrici  asse- 
rentis  Deum  esse  id  quod  primo  concipitur  in  cogni- 
tione  en  lis  indéterminable .  Kl  la  raison  qu'il  apportait 
est  curieuse  à  noter,  si  l'on  se  soinient  qu'il  écrivait  avant 
Spinoza,  en  1652  :  Nom  primo  falsum  est  quod  assu- 
milur,  essentiam  Dei  consistore  in  hoc  quoi!  sit  ens  et 
nihil  aliud,  hoc.  est  nullam  habens  dijferentiam  ex  iis 
lier  i/iius  limitatur  esse  crealum.  Ex  hoc  enim  seque- 
retur  Dcum  differre  a  créât urispersolam  negationem 
se  tenentem  ex  parle  Dei,  aeproinde  sequeretur  dif- 
férencias positivas  creaturarum   qualenus  positivas 


esse  pura   mala,  et  per  illas  (quœ  tamen  ut  po$iti 
procedunl  a  D<o   nullam  dari  aimililudinem  in  en 
turis  i-iim  Dr,,,  Confirmalur,quia  conceptu$  négation 
nis  non  est  conceptus  entis,  adeoque  non  est  < 
boni,  quod  est  proprielas  entis;  sed  différentiel  ! 
iront  differl  a  créa  turis,  est   tenta.   Ergo.    Op.  cit., 
c.    iv,   n.   29   sq.   Cf.   S.  Thomas,  In  IV  Sent.,   1.    1. 
disl.  XXIV,  q.  i,  a.  1,  ad  3"'";  De  veritate,  q.  x,  a.  1. 
ail  .">"'". 

Laissons  donc  de  côté  l'apologétique  dangereuse  et 
lidéiste  d'Elizalde  et  voyons  si  la  doctrine  d'Espai/.i. 
de  Pallavicini,  etc..  telle  qu'ils  l'ont  exposée,  est  sus- 
ceptible d'utilisation  en  apologétique.  Deux  de  leurs 
contemporains  montrèrent  clairement  qu'elle  ne  l'est 
pas,  â  savoir  Izquierdo,  Pharus  sciei  disp.  Il, 

q.  m,  n.  135  sq.:  disp.  X,  q.  1,  n.  39,  Lyon,  1659;  0\ 
theologicum...  de   Deo  uno,   Rome,   1664,   t.    i,  tr.  I, 
disp.  I,  q.  vin,  n.  155;  t.  il,  disp.  XXIII,  q.  VI,  n.  I 
et  Haunold,   Theologia  speculativa,  Ingoldstadt,   1670. 
1.  I.  tr.  I,  c.  i,  cont.  i  sq.  En  effet,  disent-ils,  l'at! 
quand  on  lui  fait  remarquer  qu'il  ne  peut  pas  penser 
que  rien  n'existe,  et  que  l'idée  du  bonheur  s'impose  à 
lui,  concédera  l'observation;  mais  de  cette  nécessité  il 
refusera  de  conclure  â  Dieu.  Car  quand  on  lui  parle  des 
vérificatifs  objectifs  nécessaires  de  ces  sortes  d'idi 
il  répondra  qu'il  convient  de   l'existence  éternelle   île 
quelque  chose  et  que  cela  suffit  à  vérifier  la  nécessité 
du  principe  de  contradiction;  il  pourra  ajouter  que  les 
nécessités  subjectives  et  objectives  dont  on  lui  parle  ont 
leur  raison  suffisante  dans  la  collection  totale  de  tous 
les  êtres  qui  se  succèdent,  que  l'apparition  â  un  instant 
donné  aussi  bien   que  la  possibilité  de  chacun  de  ces 
êtres  dépend  de  l'ensemble  de  la  collection;  et  ainsi  on 
ne  pourra  jamais  le  forcer  à  s'élever  au-dessus  de  l'idée 
d'une  nature  universîlle;  il  restera  matérialiste  ou  pan- 
théiste  tant  que  par  un  appel  au  principe  de  causalité 
on  ne  lui  montrera  pas  que  l'ensemble  de  la  collection 
des  êtres  de  l'univers  dépend  d'une  cause  supérieure. 
Deus  ergo  nonnisi  per  illationem  ex  creaturis  •■ 
rimenlaliler  cognilis  certo  cognosci  potest  /telle  est 
la  conclusion  fort  sage  de  l'Ecole. 

4.  Preuves  qui  de  fait  produisent  la  première  cer- 
titude rationnelle  et  personnelle  de  l'existence  de 
Dieu.  —  Dans  la  détermination  de  ces  preuves  le  pro- 
blème â  résoudre  est  le  suivant.  Tenir  compte  de 
l'inlluence  de  nos  tendances  générales  et  particulières 
qui  nous  inclinent  à  l'idée  de  Dieu  et  à  l'admission 
de  son  existence;  assigner  cependant  un  moyen  non 
purement  subjectif,  mais  rationnellement  valable,  qui 
remplisse  les  conditions  suivantes  :  qu'il  soit  facile,  à  la 
portée  de  tous;  qu'il  aboutisse  à  une  connaissance  qui 
distingue  réellement  Dieu  de  tous  les  autres  êtres,  de 
façon  â  ce  que  l'homme  puisse  commencer  sa  vie  mo- 
rale et  religieuse,  mais  de  manière  aussi  à  ce  que  la 
possibilité  de  toute  erreur  sur  Dieu  ne  soit  pas  exclue. 
tout  en  laissant  la  voie  ouverte  au  progrès  dans  la 
connaissance  religieuse.  Ces  conditions  sont  requises 
par  la  nature  même  du  cas  envisagé,  et  aussi  pour 
rester  en  harmonie  avec  l'ensemble  des  données  scriptu- 
raires  et  patristiques.  Yoici  les  preuves  que  l'on  pense 
y  satisfaire. 

L'action  de  la  providence  divine  dirige  toutes  nos 
tendances  et  puissances  actives  â  leur-  actes  conformé- 
ment aux  vues  du  créateur.  Prseter  operalionem  enim 
t/ua  Deus  naturas  rerum  iustiluil,  singulis  formas  cl 
virlutes  proprias  tribuens,  quibus  possent  suas 
valûmes  exercer e,  operatur  etiam  in  rébus  opéra  pro- 
\}idenlim,omnium  rerum  virtutes  propriis actibus  diri- 
gendo.  S.  Thomas,  In  Boethium  de  Trinitate,  q.  i. 
a.  1.  Sans  même  faire  avec  Vasquez  l'hypothèse  d'une 
faveur  spéciale  de  Dieu,  lu  1*">,  disp.  XCI,  c.  xiv; 
disp.  XCY1I.  c.  v.  n.  33;  cf.  col.  856,  sans  recourir  à 
une  grâce  surnaturelle  avec  quelques  thomistes,  Sal- 


913 


DIEU    (SON    EXISTENCE 


maticenses,  De  vitiis,  disp.  XX,  dub.  i,  n.  29  sq.,  saint 
Thomas  par  cette  remarque  qui  implique  la  perma- 
nence après  la  chute  de  toutes  nos  lendances  naturelles 
actives  à  la  vérité  et  au  hien,  In  IV  Sent.,  1.  III, 
dist.  XXIII,  q.  i,  a.  4,  ad  3""';  Sum.  Iheol.,  II»  II*, 
q.  x,  a.  4,  explique  assez  ce  que  manifeste  l'intro- 
spection, à  savoir,  comme  dit  Kleutgen,  que  «  sans 
beaucoup  de  réflexions,  nous  sommes  excités  et  con- 
traints, non  seulement  par  une  inclination  spontanée 
du  cœur,  mais  encore  par  une  puissante  nécessité  de 
l'esprit  à  reconnaître  l'existence  d'un  être  suprême  et 

lu,  cause  et  maître  souverain  de  toutes  choses.  » 
Kleutgen,  Philosophie  scolastique,  t.  iv,  n.  929,  p.  318. 
Telle  est  la  raison  profonde  pour  laquelle  tout  homme 
arrive  à  se  former  d'abord  l'idée  obscure  de  Dieu  en 
vertu  de  ses  tendances  les  plus  foncières,  puis,  comme 
cette  connaissance  de  Dieu  in  communi  ne  suffit  pas, 
vu  qu'elle  ne  distingue  pas  Dieu  du  reste  des  êtres, 
l'idée  confuse  ou  distincte  de  Dieu.  De  veritale,  q.  xxn, 
a.  7,  a.  2. 

La  connaissance  de  Dieu  inspectai!  s 'acquiert  proba- 
blement parla  considération  de  l'ordre  du  monde,  pense 
saint  Thomas.  Cseli  enarrant  gloriam  Dei.  Ps.xviii,  2. 
testimonio  semelipsum  reliquit,  benefaciens 
decœlo,  dans  plumas,  etc.  Acl..  xv.  16;xvn,  26.  Vit  lentes 
enim  hommes  res  naturelles  secundum  ordinem  cer- 
tum  currere,  cum  ordinatio  absqueordinatorenon  sit, 
percipiunt,  ut  in  pluribus,  aliquem  esse  ordinatorem 
rerum  quas  videmus.  Contra  génies,  1.  III,  c.  xxwin. 
C'est  l'argument  de  la  montre  et  de  l'horloger.  Rai- 
sonnement facile,  tout  à  fait  rationnel,  employé  chaque 
jour  dans  la  vie  courante  et  aussi  dans  les  sciences 
physiques,  naturelles  et  morales.  Le  cas  du  fils  de 
l'écossais .  Beattie,  raconté  par  Paul  Janet  dans  son 
excellent  ouvrage  :  Les  causes  finales,  Paris,  1870,  1.  II, 
c.  I,  p.  129,  montre  d'ailleurs  que  ce  procédé  est  tout 
à  fait  dans  la  psychologie  infantile.  F.t  qu'on  ne  s'y 
trompe  pas.  Kepler  ou  Newton  s'inclinant  religieu- 
sement devant  la  sagesse  ordonnatrice  du  cours  des 
astres  ne  faisaienl  pas  d'autre  raisonnement,  au  point 
de  vue  purement  logique,  que  le  jeune  fils  du  philo- 
sophe Beattie,  concluant  du  fait  que  son  nom  se  trou- 
vait formé  par  les  pousses  d'une  plate-bande  de  cresson 
alénois  à  l'existence  de  quelqu'un  qui  en  avait  disposé 
les  r  i 

al  II -  admet  aussi  que  les  païens  arrivent  â 

la  connaissance  de  Dieu  par  la  causalité  proprement 
dite  Sum.  theol.,  Ia,q.  xm, a.  10,  ad  5»  ;  q.  xii,  a.  12, 
Quel  est  l'auteur  des  choses,  est  une  question  qui  se 
pose  spontanément  à  l'esprit,  tout  aussi  hien  que  celle 
de  l'auteur  de  l'ordre.  Souvent  même  les  deux  n'en 
font  qu'une.   L'application   naturelle   du    principe    de 

dite  nous  amène  à  répondre  par  l'affirmation 
d  une  eau  lire  au   monde  et  à  nous-mi 

tentem  sua  eau  ala  -  Chômas,  Queesliones  disp'., 
/'<  anima,  a.  16.  ■  Il  \  a  quarante  ans,  disait  lord 
Kelvin,  en  Khi:;,  m    promenant  dans  la  campa 

Liebig,  je  lui  demandais  s'il  croyait  que  I  herl t  les 

(leurs  que    nous   voyions   autour    de    nous   poussaient 

]  action  di  -  si  uli  3  forces  chimiques.  Il  me  répon- 
dit ti   Non,  pat  plus  que  je  ne  pourrais  croire  qu'un 
re  de  botanique  qui  les  décrit  peut  être  produit  par 
i  I,. .que  acte  de  la  libre  ai 
1  un  miracle  pour  la    cieno   chimique 
■thématique.  ma  le  Speclalor,  21    dé 

ceiul. i •    1907    l.        lémenl    d1  ippi é<    ': ion,  le  coi 
d'idi  l  mi.  renct  .  la  vue 

de    la    n 

i  aient    tout    auti  •  -    que   chez 
lord  Kelvin  et  Lieb  ni  qui  arriverait  par 

d"  Dieu  ;  mais 
lit  identique  et  ni  \a- 

lahle.  la  \  il Ii  d<  p  ndanl  pa 


de  l'étude  de  la  philosophie,  a  magnitudine  enim 
speciei  et  créatures  cognoscibiliter  poterit  crealor 
horum  videri,  Sap.,  xm,  5,  et  l'étude  des  sciences  et 
de  la  philosophie  ne  faisant  qu'augmenter  notre  cul- 
pabilité, si  nous  venons  à  ignorer  Dieu  :  si  enim  lan- 
tum  poluerunl  scire  «t  ssstimarent  sseculum,  quomodo 
/nijus  Dominum  non  facilitas  invenerunt?  lbid.,  9. 
C'est  dans  ce  sens  que  les  Pères  entendent  ce  texte  et 
aussi  très  souvent  Rom.,  i,  20.  Cf.  S.  Jean  Chrysostome, 
In  Rom.,  homil.  ni,  n.  2,  P.  G.,  t.  lx,  col.  412; 
s.  Augustin, Serm.,  cxli,  2,  /'.  L.,  t.  xxxvni,  col.  776; 
In  .loa.,  tr.  II,  n.  4,  P.  L.,  t.  xxxv,  col.  1390.  Saint 
Grégoire  expliquant  Job,  xxxvi,  25.  omnes  homines 
vident  eum,  écrit:  Omnis  homo  eo  ipso  quo  rationa- 
lis  est  condilus,  débet  ex  rations  colligere  eum  qui  se 
condidit  Deuni  esse.  Quem  nimirum  jam  videre  est 
dominationem  illius  ratiocinando  conspicere...  quem 
videre  est  transcendentem  omnia  ejus  essenliam  ex 
ratione  colligere.  Moral.,  1.  XXVII,  c.  v,  n.  8,  /'.  L., 
t.  lxxvi,  col.  403. 

Tous  les  théologiens  concèdent  que  la  connaissance 
de  Dieu  acquise  par  les  deux  voies  indiquées  suffit 
pour  que  l'homme  soit  en  état  de  commencer  sa  vie 
morale  et  religieuse.  Dieu  j  est,  en  effet,  conçu  comme 
existant,  et  comme  cause  et  chef,  ut  prineipium  et 
capot,  ce  qui  entraîne  au  moins  implicitement  la  per- 
sonnalité divine  et,  outre  le  souverain  domaine  de 
Dieu  et  notre  dépendance,  la  volonté  divine  comme 
règle  de  notre  conduite.  Cf.  Suarez,  De  bonilate  et 
malilia,  disp.  I,  sect.  II.  Il  n'est  donc  pas  nécessaire  de 
recourir  à  l'obligation  morale  pour  expliquer  la  possi- 
hilité  de  la  connaissance  de  Dieu,  ('.(«pendant  on  ne 
peut  pas  nier  que  les  faits  de  conscience  morale  ne 
nous  servent  grandement  à  prendre  conscience  de  ce 
qu'est  Dieu.  Indépendamment  de  toute  preuve  de 
l'existence  de  Dieu  par  la  conscience  morale,  il  est 
certain,  remarque  judicieusement  Mac  Cosh,  que  la 
conscience  nous  manifeste  avec  évidence  que  Dieu 
connu  existant  se  comptait  à  la  rectitude  morale.  Nous 
soi s  contraints  de  penser,  dit-il,  que  celui  qui  a 

mis  dans  nos  Cieurs  la  conscience,  aime  la  vertu  qu'elle 

nous  recommande,  et  déteste  le  crime  dont  elle  nous 
inspire  la  répulsion.  Par  l'analogie  de  l'intention 
humaine,  nous  inférons  un  ordonnateur  plus  puissant 
que  l'homme;  par  l'analogie  de  noire  conscience  et  de 
notre  activité  psychologique,  nous  inférons  une  cause 
mnelledonl  nous  dépendons; par  l'analogie  de  nos 

idées  morales,  non-  concluons  que  l'auteur  de  l'univers 

ne  manque  pas  des  qualités  morales  qui  font  de  lui  le 
juste  gouverneur  du  monde  et  le  juge  di  nos  actions- 
The  methodof  the  divine  governmeni,  r  édit.,  Edim- 
1855,  p  9.  Suarez  a  d'un  mol  profond  expliqué 
l 'quoi et co enl  morales  nous  instrui 

sur  la  perfection    divine.    Toutes   les    créatures   tendent 

a  Dieu,  dit  saint  Thomas,  mais  les  i  tri  ^  raisonnables 
j  tendent  autrement  que  les  animaux  et  les  êtres  ina- 
nimés; car  srul-  les  êtres  doués  il"  raison  sont  capables 
de  réflexion  sur  celle  tendance  et  par  suite  de  tendre 

a   Dieu    explicitement    connu,  ce    en    quoi  consiste  leur 

■  lion    morale.    Ile   veritate,   q.   XXII,    a.    2.    Mais, 

ajoute  Suarez   pénétrant    la  pensée  de  saint   rhomas, 

Dieu  n'est  pas  le  bien  de  la  piern  comme  il  est  le  bien 

de  Thon parce  que  l'homme  a  par  rapport  ■■  Dieu 

d'autre-  aptitudes  naturelles  que  la  matière  inanimée. 
bonum  et  /mis  hominis  cl  aliter  Infodis, 
quia  m  eo  est  a  lit  in  lapide,  l 

en  deu»   ts    fort  simples  et  non  métaphoriques  le 

fond  métaphysique  de  la  célèbre  doctrine  il 

séminales  que  M.   I  ni i 

d, -,  n-  ion  de   la  doctrini  ut    de  la    méthode 

d'immani  n 

lient, a,  Lille,  1905.  Voici  la  conséquence  qui  nou 


915 


DIEU    (SON    EXISTENCE) 


916 


signiflcat  in  Deo  perfectionem  et  connolat  in  homme 
capacitateni.  Convenienlia  ergo  nihil  aliud  essepotcsl 
quant  denominalio  orla  ex  Itujusmodi  rébus  et  eorum 
coexistentia  seu  connexione.-  lllud  ergo  objeclum  ha- 
neslum  est  taie  quale  exigil  dignilas  seu  capacilas 
naturne  hunianx  secanduni  propriam  inclin  a  tionem 
naturalem.  lbid.,  disp.  II,  sect.  n,  n.  17.  C'est  donc 
une  perfection  intrinsèque  de  Dieu  d'être  tel  que  seul 
il  soit  le  bien  qui  peut  satisfaire  nos  tendances  foncières 
et  aussi  nos  tendances  morales  et  religieuses.  Cette  per- 
fection de  Dieu  ne  nous  est  pas  manifestée  directement 
non  plus  que  l'existence  divine.  Mais,  pour  parler  avec 
saint  Thomas  qui  a  fait  l'emprunt  de  cette  terminologie 
à  lioèce,  l'idéal  d'unité,  de  vérité,  de  bonté,  de  justice, 
de  perfection  morale  qui  jaillit  de  l'activité  de  nos 
puissances,  n'est  autre  chose  qu'une  certaine  similitude 
de  Dieu,  un  de  ses  effets  plusexpressifsque  d'autres  de 
ce  qu'il  est  en  lui-même.  Le  lecteur  sait  pourquoi  de 
cette  similitude  on  ne  peut  pas  sans  inférence  causale 
ou  téléologique  remonter  avec  certitude  à  l'existence  de 
Dieu.  Mais  dès  que  nous  sommes  assurés  de  son  exis- 
tence par  une  autre  voie,  comme  la  preuve  même  qui 
nous  amène  à  reconnaître  celte  existence  nous  le  dé- 
couvre supérieur  à  nous  et  à  ses  œuvres,  nous  ne  pouvons 
avoir  aucun  doute  sur  son  excellence.  Cette  excellence 
perçue  par  l'esprit,  mise  en  face  de  notre  misère,  des 
besoins  de  notre  intelligence  et  de  notre  cœur,  nous 
amène  par  l'application  spontanée  du  principe  de  fina- 
lité interne  à  comprendre  qu'il  est  objectivement  et  en 
soi  notre  idéal.  Ce  sont  des  jugements  de  nature,  dont 
n'arrivent  à  se  débarrasser  ni  les  impies  ni  même  les 
athées.  Ils  gardent,  en  effet,  si  bien  cette  idée  que  Dieu 
ne  peut  être  que  d'une  souveraine  élévation  morale  et 
ils  sont  si  persuadés  que  tout  le  monde  en  juge  ainsi, 
que  leurs  blasphèmes  et  leurs  arguties  tirées  de  l'exis- 
tence du  mal  n'ont  pas  d'autre  but  que  de  chasser  en 
eux  ou  dans  les  autres  cette  obsédante  idée,  qui 
malgré  tout  survit.  Bien  plus,  une  application  spontanée 
du  principe  de  causalité  nous  apprend  très  vite  que 
Dieu  est  bien  supérieur  à  tout  notre  idéal;  car  l'idée 
même  que  nous  nous  formons  de  la  vérité,  de  la  bonté, 
de  l'excellence  morale  est,  comme  tout  le  reste,  une  des 
choses  qu'il  a  faites. 

Sans  doute,  l'enfant  qui  arriverait  par  lui-même  à  la 
connaissance  de  l'existence  de  Dieu  serait  absolument 
incapable  de  démêler  l'écheveau  complexe  des  procédés 
logiques  impliqués  dans  ses  actes  directs;  il  n'est  d'ail- 
leurs pas  probable  ni  nécessaire  que  tous  les  actes  in- 
diqués dans  cette  analyse  se  produisent  tout  d'un  coup. 
Mais  on  voit  que  l'analyse  des  scolastiques  rend  bien 
compte  de  la  possibilité  d'arriver  à  connaître  rationnel- 
lement Dieu  de  manière  à  commencer  la  vie  morale  et 
religieuse.  Elle  tient  compte  aussi  de  ce  que  les  Pères 
ont  si  souvent  répété  sur  le  rôle  des  dispositions  mo- 
rales dans  la  connaissance  religieuse.  On  a  souvent  dans 
les  récentes  controverses  interprété  les  Pères  comme 
s'ils  faisaient  dépendre  la  première  idée  de  Dieu  des 
dispositions  morales.  C'est  une  erreur.  Les  Pères  sup- 
posent Dieu  spontanément  connu;  leur  but  est  plus  de 
dégager  l'idée  de  Dieu  de  la  gangue  où  elle  gît  dans 
l'âme  de  leurs  contemporains  infidèles,  que  de  la  faire 
naître.  Unusquisque  judicat  secundum  quod  af/icilur, 
dit  Aristote.  Cela  est  surtout  vrai  en  matière  morale, 
comme  le  remarque  saint  Thomas.  Étant  donc  donné 
le  grand  rôle  que  jouent  nos  idées  morales  dans  le 
développement  de  notre  idée  de  Dieu,  il  n'est  pas  sur- 
prenant que  les  Pères  aient  souvent  attribué  les  erreurs 
des  païens  à  leur  mauvaise  vie.  Cela  toutefois  ne  veut 
pas  dire  que  les  dispositions  morales  soient  l'unique 
moyen  d'arriver  à  connaître  avec  certitude  l'existence 
de  Dieu.  Voir  t.  i,  col.  2333,  2336. 

Cependant,  bien  qu'aucun  argument  par  la  moralité 
ne  soit  nécessaire  pour  expliquer  la  connaissance  spon- 


tanée de  Dieu  et  comprendre  comment  par  un  pr<  i 
très  simple  l'homme  se  trouve  mis  à  même  de  tendre 
par  son  activité  libre  a  sa  lin  dernière,  les  théologiens 
se  sont  demandé  s'il  n'était  pas  possible  que  l'homme 
arrive  à  connaître  rationnellement  Dieu  par  le  seul  fait 
de  la  conscience  morale.  Ils  ne  sont  pas  du  même  avis 
à  ce  sujet.  Leur  désaccord  ne  porte  pas  précisément 
sur  la  possibilité  de  remonter  à  Dieu  d'une  mai; 
réfléchie  par  les  faits  moraux,  mais  sur  l'ordre  logique 
de  cette  démarche.  Donc,  beaucoup  de  théologiens 
pensent  que  par  le  texte,  Rom.,  n,  14  sq.,  on  peut 
prouver  que  d'après  saint  Paul  les  païens  ont  connu 
Dieu  ;  car,  disent-ils,  ils  ont  connu  la  loi  et  la  loi  coiniie- 
les  obligeant;  mais  une  telle  connaissance  de  la  loi 
suppose  la  connaissance  antérieure  du  législateur;  don-c 
ils  avaient  cette  connaissance.  Cf.  Franzelin,  De  !•■ 
uno,  th.  ni,  n.  3.  Les  autres  théologiens,  au  contraire, 
soutiennent  que  le  même  texte  permet  de  raisonner 
ainsi  :  les  païens  ont  connu  Dieu  par  le  fait  même  du 
dictamen ;  car  le  diclamen  manifeste  Dieu  implicite- 
ment et  un  raisonnement  très  facile  permet  de  remon- 
ter par  lui  à  Dieu  explicitement.  Cf.  Hontheim,  op.  cit., 
n.  38.  Celte  question  a  été  grandement  étudiée  au 
xvnc  siècle  à  propos  du  péché  philosophique.  Voir  ce 
mot. 

J'emprunte,  en  me  bornant  à  notre  sujet  actuel, 
l'exposé  de  la  question  au  P.  Le  Tellier,  dans  un  opus- 
cule anonyme,  L'erreur  du  péché  philosophique  com- 
battue par  les  jésuites,  Liège,  1692,  p.  234.  On  distingue 
deux  idées  différentes  sous  lesquelles  Dieu  peut  être 
connu  :  celle  de  premier  principe  qui  a  fait  toutes 
choses,  et  celle  de  juge  des  actions  humaines,  témoin 
et  vengeur  des  péchés  les  plus  secrets.  Or,  quoi  qu'il  en 
soit  de  cette  vérité  qu'il  y  a  un  créateur  de  l'univers; 
soit  que  des  barbares  la  puissent  ignorer  longtemps 
invinciblement  ou  non;  on  s'occupe  ici  de  celle-ci,  qu'il 
y  a  un  souverain  juge  qui  défend  le  mal  et  qui  doit  le 
punir.  On  imagine  donc  un  jeune  sauvage  qui.  étant 
parvenu  à  l'âge  de  raison,  est  déjà  assez  éclairé  pour 
savoir  que  le  parricide  ou  l'inceste  par  exemple  est  un 
grand  péché,  mais  qui  faute  d'esprit  ou  d'instruction, 
et  d'ailleurs  tout  occupé  du  soin  des  nécessités  de  la 
vie  au  milieu  des  forêts,  n'a  encore  fait  aucune  réllexion 
qu'il  existe  une  divinité.  On  suppose  d'ailleurs  que. 
n'ayant  jusque-là  commis  aucun  crime,  il  se  trouve  sur 
le  point  d'en  commettre  un  avec  autant  d'advertance  et 
de  liberté  qu'il  lui  en  faut  pour  être  coupable  d'un 
péché  grave.  Cela  supposé,  voici  comment  ce  sauvage 
pensera  alors  à  Dieu  pour  le  moins  confusément  et 
implicitement.  Comme  il  n'est  pas  encore  endurci  par 
une  habitude  criminelle,  il  ne  saurait  manquer  de  sentir 
à  la  vue  du  crime  un  reproche  intérieur  de  sa  con- 
science et  une  secrète  appréhension  de  quelque  châti- 
ment. Or  ce  reproche  et  cette  appréhension  qu'il  ressent 
malgré  lui,  lors  même  qu'il  n'a  rien  à  craindre  du  colé 
des  hommes,  d'où  lui  peuvent-ils  venir  que  d'un  senti- 
ment occulte,  par  lequel  il  entrevoit,  pour  ainsi  dire, 
qu'il  y  a  quelqu'un  au-dessus  de  lui  qui  sait  son  crime, 
qui  le  défend  et  qui  est  en  état  de  le  punir?  S^r.s 
doute  que  si  l'on  interrogeait  alors  ce  barbare  et  que, 
rentrant  en  lui-même,  il  développât  ce  qui  se  passe 
dans  son  cœur,  il  avouerait  que  c'est  de  là  que  procède 
le  remords  qui  le  détourne  du  mal  avant  qu'il  le  com- 
mette et  qui  lui  en  fait  sentir  la  peine  après  qu'il  l'a 
commis.  Le  barbare  ne  commet  donc  point  ce  crime 
sans  avoir  quelque  notion  et  quelque  pensée  d'un  Dieu, 
au  moins  confuse  et  implicite,  qui  suffit  pour  exclure 
l'ignorance  invincible  et  pour  faire  que  le  péché  soit 
une  vraie  offense  de  Dieu.  Et  si  le  premier  crime  est 
un  péché  théologique,  il  est  impossible  que  tous  les 
suivants  ne  le  soient  aussi.  Cf.  Viva,  Cursus  théologiens, 
De  Deo  uno,  part.  I,  q.  i,  a.  1,  n.  6. 

Les  thomistes  expliquent  généralement  d'une  autre 


917 


DIEU    (SON    EXISTENCE) 


918 


façon  pourquoi  tout  péché  est  théologique.  On  sait  que 
saint  Thomas,  contre  l'opinion  la  plus  commune  des 
théologiens,  parle  d'un  devoir  strict  pour  l'homme  par- 
venant à  l'âge  de  raison  de  se  tourner  ou  convertir  à 
Dieu,  le  souverain  bien.  Sum.  tlieoh,  1*11*,  q.  lxxxix, 
a.  6.  Nous  n'avons  pas  à  discuter  ici  celte  opinion,  ni 
les    interprétations  divergentes  que   l'on   a    essayé   de 
donner  au  texte.  Cf.  Vasquez,  In  ljm  113-,  disp.  CXL1X; 
d'Aguirre,  Theologia  sancli  Anselmi,  t.  i,  tr.  I,  disp.  VI, 
sect.  iv,  n.  40-44;  Salmanticenses,  De  vitiisetpeccatis, 
disp.  XX,  dub.  i,  n.  17,  édit.  Palmé,  t.  vin,  p.  498.  Il 
nous  suffit  de  rappeler  l'interprétation  donnée  par  Caje- 
t.m,7/i  Il'mIIx,q.  x,  a.  4;  Médina,  Jn7amJJB,q.  lxxxix, 
a.  6,   concl.  1;  Jean  de   Suint-Thomas,   In  7am,   q.   n, 
disp.  III,  a.  1,  n.   19,  édit.  Vives,  t.  i,  p.  537.  Ces  au- 
teurs pensent  que  pour  remplir  cette  prétendue  obli- 
gation il  suffit  de  connaître  Dieu  in  communi  et  con- 
fuse; et  que  la  conversion  totale  à  Dieu  que  demande 
saint  Thomas  se  fait  suffisamment,  si  l'on  adhère  à  Dieu 
en  tant  que  Dieu  est  renfermé  dans  l'idée  générale  du 
bien    conforme   à  la    raison.    Communior    sententia, 
disent    les    carmes    de    Salamanque,    tenet   sufficere 
amorem  Dei  /mis  naturalis  implicilum,  contentant 
in  ipso  amoreet  eleclioneboni  honesti  et  in  proposito 
virendi    secunclum    reclani     ralioncm.     Cf.     Zumel, 
/,,  ;»m  Hxt  q.  lxxi,  a.  6,  p.  174.  Donc,  pour  reprendre 
la  psychologie  du  jeune  barbare  de  Le  Tellier,  l'inquié- 
tude  et   l'avidité   insatiable   du  cœur    humain,  qui    le 
porte    toujours  à  souhaiter    plus    qu'il  ne    possède,  à 
aspirer  à  un  état  plus  heureux,  supposent  en  lui  néces- 
sairement quelque  idée  d'un  bien  souverain  et  capable 
de  contenter  tous  ses  désirs.  Et  il  faut  le  noter,  l'idée 
du  souverain   bien   ne  doit  pas  être  ici  disjointe,  dans 
l'opinion  des  thomistes  que  nous  rapportons,  de  celle 
d'un  législateur  souverain.  «  On  ne  doit  point  accorder, 
disent  les  carmes  déjà  cités,  que  personne  puisse  com- 
mettre un  péché   sans  connaître  au   moins   implicite- 
ment qu'il  y  a  quelqu'un  au-dessus  de  lui  qui  a  droit 
de  lui  commander  par  la  loi  et  qu'il  est  obligé  de  lui 
obéir;  ce  qui  renferme    une   connaissance  au    moins 
virtuelle   et  implicite  de  Dieu  en  tant  que  législateur; 
de  sorte  qu'il  sait  ou  peut  savoir  qu'en  violant  la  loi  il 
agit    contre   cet   être  supérieur   et  qu'il    l'offense.    » 
Tr.  XIII,  De  peccatis,  disp.  VII,  dub.  m,  n.  18. 

Noua  n'avons  pas  à   discuter  les  diverses  et  graves 
questions    morales   qui    se   présentent   ici,  soit  dans 
l'hypothèse  de  Le  Tellier,  soit  dans  celles  des  thomistes 
cités.  Cf.  Lacroix,  Theologia moralis,  1.  Y,  q.  vi,n.25; 
q.  xii,  n.  19.  Nous  constatons  seulement  qu'ils  admettent 
tous  une  connaissance  implicite  de  Dieu  contenue  soit 
dans  le  dictamen  de  la  conscience,  soit  dans  le  désir  du 
souverain  bien  et  dans  la  conscience  de  l'obligation.  Peul 
on  de  cette  connaissance  implicite  passera  un  jugement 
orique  sur   l'existence  de    Dieu?  Oui,   répondent 
beaucoup   d'auteurs   catholiques.    Il    est   peu    probable 
que  dans    la  fjenèsi    de    la  connaissance  spontanée  île 
l'existence   de  Dieu    les  choses  se   passent   comme  le 
supposent  c.i-u\  des  thomistes  qui  suivent  ici  Cajetan. 
SI   toutefois  on  l'admet,  la  connai  sance  certaine  de 
'■■nci'  de  Dieu  pourrait    e  déduire  de  l'étal  décrit 
ide  du  principe  de  causalité  et  de  finalité',  exacte- 
ment comme  dans  l-  ■  as  du  barbare  de  Le  Tellier.  Un 
trouvera  le  procédé  di    •  loppé  a  ec  des  nuancée  dans 
Hontheim,  h,  titutionei    theodiceœ,    i  ribourg,    1893, 
n.  387-399;  Schiffini   Ditp\  lalione»  metaph 

.  Turin.  1888,  i.  n.  p.  il.  n.  397;  de  Broglie,  La 

mora  Heu,  Pari     1886,  p.  307;  d'Hulst,  Confé- 

Notre-Danu  .  Pari  -  1892,  p    \S    q. .  Sertil- 

Dieu     t 
fond  du  raisonnement  revicnl  à  dire  ; 
L'Imp  ires!  donné  parla  i  onsi  ieni  i 

Dieu,  il  ne  -  explique  paa,  n  i  p  i 
■     an  te;  donc  le  vrai  Di<  u  i    Isti    I 


raisonnement,  remarque  Msr  d'Hulst  avec  bon  droit,  est 
fort  différent  de  celui  de  Kant  dans  la  Critique  de  la 
raison  pratique,  parce  qu'on  ne  s'est  pas  confiné 
comme  lui  dans  le  cercle  infranchissable  des  concep- 
tions subjectives.  Voir,  sur  les  défauts  de  l'argumenta- 
tion de  Kant.  Naville,ies  philosophies  nrgatives,  Paris, 
1900,  p.  159. 

Il  résulte  assez  clairement,  pensons-nous,  de  cet 
exposé  que  la  solution  scolastique  du  problème  de  la 
connaissance  spontanée  de  Dieu  satisfait  bien  à  toutes 
les  conditions  que  nous  avons  énumérées.  Sans  nier 
l'élan  subjectif  qui  nous  porte  à  l'affirmation  de  Dieu, 
elle  assigne  des  moyens  faciles,  rationnels  qui,  le  prin- 
cipe de  causalité  intervenant  toujours,  distinguent  Dieu 
de  ses  œuvres  et  le  manifestent  de  telle  sorte  que  le 
devoir  du  culte  s'impose  en  même  temps  que  le  respect 
de  la  loi  morale.  Mais  il  faut  préciser  le  contenu  de 
cette  connaissance. 

D'après  les    agnostiques    croyants  ou   dogmatiques, 
quel  que  soit  d'ailleurs  le  moyen  qu'ils  assignent  à  la 
genèse  de  l'idée   de  Dieu,  toute  notre  connaissance  de 
Dieu,  et  par  conséquent  notre  connaissance  spontanée 
de  la  divinité,  se  réduit  au  fait  brut  de  l'existence,  sans 
que  nous  puissions  jamais  parvenir  à  porter  sur  Dieu 
considéré   en   lui-même,   sur    sa    nature    intrinsèque, 
prxdicalum  identification,  aucun  jugement  objective- 
ment valable.  Quelques-uns,  comme  Avicenne  et  Mai- 
monide,  admettent  que   l'existence  de  Dieu   nous  est 
connue  par  la  causalité,  et  donnent  des  arguments  péri- 
patéticiens;    mais,    disent-ils,    la    causalité    ne    nous 
apprend  rien  <le  Dieu  considéré  en  soi,  hors  le  fait  de 
son  existence,  pas  plus  que  la  phrase  :  «  c'est  Zéid  qui  a 
charpenté  cette  porte,  »  ne  nous  renseigne  de  soi  sur  la 
capacité  artistique  de  Zéid.  Beaucoup  d'autres,  surtout 
parmi  les    modernes,   conçoivent  que  nous  désignons 
Dieu  par  de  pures  dénominations  extrinsèques  fondées 
sur  nos   états   subjectifs    et    non  sur  la  causalité.   Si 
nous  écrivons  à  un  ami  dont  la  correspondance  avec 
nous  est  en  retard  :  Anne,  ma  sœur  Anne,  ne  vois-tu 
rien  venir?  nous  exprimons  notre  état  subjectif  d'attente 
par  une  pure  dénomination  extrinsèque;  l'existence  de 
cet  état,  c'est  toutee  que  peut,  par  notre  lettre,  connaître 
avec  certitude  notre  correspondant,  mais  les  modalités 
intrinsèques  de  notre  désir  de  recevoir  des  nouvelles  lui 
échappent.  Le  langage  lui-même  est  souvent  construitsur 
de  telles  dénominations,  comme  saint  Thomas  en  fait  la 
remarque.  In  IV  Sent.,  I.  III.  dist.  XXVI,  a.  I,  ad  3"1". 
Celui  qui  attend,  dit-il,  a  coutume  de  regarder  souvenl 
si  l'objet  de  son  désir  intérieur  arrive,  et  ideo  d\ 
sitio  prœdicta  quielis  cum  niotu  appctilus  expectatio 
dicitur.  Nous  ne  nions  pas  que  souvent  nous  ne  pen- 
sions ainsi  et  désignions  les  existences  de  fait  à  l'aide 
dépures  dénominations  extrinsèques.  Saint  Thomas  le 
concède  explicitement  a  Maimonide.  De  veritate,  q.  n, 
a.  1.  Mais  pensons-nous  toujours  ainsi  '.'et  quand  il  s'agit 
de  Dieu,  sommes-nous  réduits  à  ce  mode  de  peu 
D'abord,  bien  que  nous  signifions  le  rail  |  gique 

de  l'attente  par  des  dénominations  extrinsèques,  il  est 
faux    que   nous    n'en    connaissions    rien    de  plus  :   la 
conscience  psychologique   noua   en  dit  bien  davant 
et  tout  autre  chose.  Quand  donc  nou  m    Anne, 

m'  Inné,  ne  vois-tu  rien  venir?  noua-même  el 
notre  >  intellectuellement  autn 

chose  qu'une  pure  dénomination  extrinsèque.   Hume, 
dont  le  nominalisme  allait  jusqu'à  confondre  l'éti 
la  coi  site  est  percipi,  n.  sera  jamais  suivi 

par  le  bon  sens.  Kant  va  moins  loin,  mais  il  est  induit 
n  nominalisme,  quand  il  prétend  que 

|-|   unie  lit    rien     de 

leur  sujet,  linon  l'existence  d'ut  i  ice 

.n m  ne  lit   qui   faisait    dire  â    Ma  iiiiniiiile  qu 

non!  i   i  rien  de  di 
miné  concernant  la  cause,  el  que  par  consi  qui  ni  l'i 


919 


DIEU   (SON    EXISTENCE] 


920 


tence  de  I )ioti  elle-même  n'est  exprimée  par  nous 
qu'en  fonclion  de  l'impossibilité  subjective  où  nous 
sommes  de  penser  qu'il  n'existe  pas.  Il  est  assez  facile 
de  montrer  et  à  Maimonide  et  à  Kant  qu'il  en  est  au- 
trement. L'un  et  l'autre  concèdent  que  nous  concevons 
Dieu  en  relation  avec  le  monde.  «  De  même,  dit  Kant 
dans  ses  Prolégomènes,  S  57.  qu'une  horloge,  un  vais- 
seau, un  régiment  se  rapportent  à  un  horloger,  à  un 
ingénieur,  à  un  colonel,  de  même  le  monde  sensible  se 
rapportf  à  un  inconnu.  »  Cf.  Maimonide,  Le  guide 
des  égarés,  t.  i,  p.  247.  Si  la  thèse  de  l'agnosticisme 
croyant  est  vraie,  pourquoi  Kant  ne  dit-il  pas  qu'une 
horloge  se  rapporte  à  un  colonel,  un  vaisseau  à  un 
horloger,  etc.?  C'est  que  le  bon  sens  réclamerait;  c'est 
qu'en  remontant  de  la  montre  à  l'horloger,  de  l'exis- 
tence de  l'une  à  l'existence  de  l'autre,  par  la  causalité 
nous  ne  faisons  pas  totalement  abstraction  de  la  «  capa- 
cité artistique  »  de  l'ouvrier.  Quand  donc,  par  l'emploi 
du  principe  de  causalité,  nous  inférons  de  l'elfet  l'exis- 
tence de  la  cause,  nous  ne  concevons  pas  dans  la 
conclusion  la  cause  par  une  pure  dénomination  extrin- 
sèque tirée  de  l'effet.  Ainsi  en  est-il  dans  la  question 
de  l'existence  de  Dieu.  Les  raisonnements  spontanés 
que  nous  étudions  mettent  en  relief  le  fait  de  l'exis- 
tence et  par  là  nous  font  atteindre  ce  qu'on  appelle  la 
nature  physique  de  Dieu,  quelque  chose  sans  quoi  Dieu 
ne  serait  pas  Dieu,  cf.  Theoîogia  Wirceburgensis,  De 
Deo  uno,  n.15:  Secundum  aliquod  prœdicatum  essen- 
tielle cognoscitur  Dei  essenlia  prœsertim  physica.  Et 
en  même  temps  les  dénominations  extrinsèques  tirées 
de  ses  œuvres,  par  lesquelles  nous  concevons  cette 
cause  existante,  nous  donnent  d'elle  une  notion  qui 
ne  pourrait  pas  s'appliquera  quelque  autre  cause  que 
ce  soit,  per  prxdicata  converlibilia. 

Les  vues  des  cartésiens  sur  le  sens  de  la  conclusion 
dans  les  preuves  de  l'existence  de  Dieu  sont  à  l'extrême 
opposé  de  celles  des  agnostiques  croyants.  Le  passage 
suivant  du  P.  Gratry  les  résume  fidèlement.  «  Il  est 
clair  que,  comme  le  dit  Descartes,  ce  procédé  donne  du 
même  coup  la  démonstration  de  l'existence  de  Dieu  et 
la  connaissance  de  ses  attributs.  Car  Dieu  ne  peut 
être  démontré  qu'autant  qu'il  est  démontré  comme 
doué  de  ses  attributs  essentiels,  sans  quoi  on  aurait 
démontré  l'existence  de  quelque  autre  chose,  non  celle 
de  Dieu.  La  démonstration  de  l'existence  de  Dieu  nous 
donne  tout  en  même  temps.  »  De  la  connaissance  de 
Dieu,  Paris,  1854,  t.  n,  p.  100.  Mais,  s'il  en  est  ainsi, 
comment  les  païens  ont-ils  pu  errer  aussi  grossièrement 
sur  la  nature  de  Dieu  ;  et  pourtant,  d'après  saint  Paul, 
ils  ont  assez  connu  Dieu  pour  être  tenus  de  l'adorer, 
et  pas  assez  pour  éviter  toute  erreur  sur  Dieu.  Le 
P.  Gratry  est  ici  victime  du  préjugé  de  «  l'idée  claire  », 
au  sens  cartésien.  La  doctrine  traditionnelle  est  que 
tous,  moralement  parlant,  non  seulement  ont  le  pou- 
voir de  produire,  mais  encore  produisent  l'acte  de  con- 
naître Dieu;  et  pourtant  cette  même  doctrine  enseigne 
aussi  que  la  révélation  est  moralement  nécessaire  pour 
que  tous  arrivent  sans  mélange  d'erreur,  nullo  admixlo 
errore,  à  connaître  de  Dieu,  ce  qui  n'est  pas  de  soi  inac- 
cessible à  la  raison.  D'après  les  cartésiens,  au  contraire, 
Dieu  prouvé,  tout  ce  qu'on  peut  savoir  de  Dieu  est 
connu,  donné  dans  la  conscience.  On  nous  dit  que  si 
l'on  ne  démontre  pas  Dieu,  comme  doué  de  ses  attri- 
buts essentiels,  on  ne  démontre  pas  l'existence  de  Dieu, 
mais  celle  de  quelque  autre  chose.  Nous  accordons  qu'il 
faut  que  la  preuve  atteigne  quelque  chose  d'essentiel. 
d'intrinsèque  à  Dieu,  sinon  Dieu  ne  sérail  pas  distin- 
gué suffisamment  du  reste  des  êtres;  et  nous  avons 
dit  que  ce  que  la  preuve  spontanée  par  la  causalité 
atteint  de  la  sorte  est  précisément  et  directement  le 
fait  de  l'existence  divine.  Quis  auteni,  vel  qualis  sit, 
vel  si  unus  iiiiihiiii  est  ordinator  natures,  nondum 
slaiim    ex    hac    communi     consideraliune   habetur. 


Contra  génies,  1.  III,  c.  xxxvm.  El  ailleurs  le  même 
docteur  explique  que  la  preuve  nous  apprend  d'abord 
de  Dieu  an  est, quod  scilicet  omnium  est  causa  et  par 
conséquent  qu'il  est  distinct  du  monde;  mais  il  reste 
à  chercher  ca  qux  necesse  esl  ■ 

quod  est  prima  omnium  eau  ns  omnia  sua 

causala.  Sum.  llteol.,  Ia,  q.  XII,  a.  12.  En  d'autres 
termes,  nous  connaissons  Dieu  d'abord  par  ses  attri- 
buts relatifs,  qui  nous  servent  à  le  désigner  comme 
existant  à  l'aide  de  dénominations  extrinsèques;  reste 
à  le  connaître  au  sens  absolu,  comme  la  cause  de  droit 
de  tout  ce  qui  n'est  pas  lui,  comme  l'existence  néces- 
saire et  par  suite  comme  l'infini,  etc.  On  a  vu  que 
nous  ne  voulons  pas  des  pures  dénominations  extrin- 
sèques des  agnostiques;  c'est  une  hérésie.  L'Ecole  rejette 
aussi  le  cartésianisme  en  tant  qu'engoué  d'idées  claires 
il  nie  la  valeur  de  toute  connaissance  par  dénomina- 
tions extrinsèques. 

On  objecte  à  la  fois,  dans  des  intentions  différentes, 
du  côté  agnostique  et  du  côté  cartésien,  que  nous  tom- 
bons dans  l'agnosticisme.  La  réponse  est  facile.  Quand 
nous  affirmons  l'existence  objective  de  Dieu,  per  prai- 
dicalum  identificatum,  ce  que  n'arrivent  pas  logique- 
ment à  faire  les  agnostiques  croyants,  et  que  nous 
disons  que  cette  existence  est  affirmée  d'abord  du  sujet 
Dieu,  désigné  par  des  dénominations  extrinsèques,  per 
relaliva,  per  prœdicatum  convertibile,  nous  avouons 
que  dès  le  premier  raisonnement  par  lequel  l'esprit 
infère  l'existence  de  Dieu,  il  ne  porte  pas  de  jugement 
déterminé  sur  la  nature  intrinsèque  de  la  divinité. 
Mais  il  y  a  plus  qu'une  nuance  entre  ne  pas  distinguer 
des  éléments  objectifs  du  connu  et  ne  pas  les  atteindre 
du  tout.  Nous  reconnaissons  avec  saint  Thomas  qu'en 
vertu  du  premier  raisonnement  spontané,  l'esprit  ne 
distingue  pas  par  exemple  la  personnalité  divine;  cela 
ne  veut  nullement  dire  qu'il  ne  la  perçoive  pas  impli- 
citement. Ceux-là  seuls  peuvent  confondre  ces  propo- 
sitions, «  Dieu  n'est  pas  perçu  d'une  façon  distincte 
comme  personnel,  infini;  Dieu  n'est  pas  personnel, 
infini,  »  qui  ignorent  ce  qu'est  la  différence  entre 
la  connaissance  pênes  implicitum  et  explicitum. 
Cf.  S.  Thomas,  Sum.  Iheol.,  I»,  q.  xm,  a.  2,  7, 
ad  lum.  Autre  chose  est  de  dire  :  la  conclusion  du  pre- 
mier raisonnement  par  lequel  on  arrive  à  la  première 
connaissance  certaine  et  personnelle  de  Dieu  ne  se 
présente  pas  sous  la  forme  de  ce  jugement  :  Dieu  est 
personnel,  infini;  autre  chose  est  de  dire,  il  n'est  ni 
l'un  ni  l'autre.  Quamvis  Deus  cogitari  possit  sine 
hoc  quod  bonitas  ejus  cogitetur,  non  tamen  potest 
cogitari  quod  sit  Deus  et  non  sit  bonus.  D'un  autre 
côté,  dato  quod  ab  aliquo  non  cognoscatur  ut  jus/us, 
non  sequitur  quod  nullo  modo  cognoscatur.  De  veritate, 
q.  x,  a.  12,  ad  9'""  sq.  Cf.  De  potentia,  q.  vu,  a.  5, 
ad  8anl.  L'Église  a  depuis  longtemps  condamné  comme 
hérétique  la  doctrine  d'après  laquelle  nos  jugements 
sur  Dieu  sont  indifférents.  Denziuger,  n.  iôô.  D'ail- 
leurs, un  examen  attentif  du  contenu  réel  de  cette 
conclusion  :  «  un  ordonnateur,  une  cause  de  l'univers, 
existe  o,  découvre  qu'obtenue  par  inférence  causale 
et  par  le  procédé  même  qui  nous  manifeste  l'existence 
de  son  objet,  l'idée  du  sujet  de  la  phrase  implique  la 
personnalité,  etc.,  soit  à  cause  que  l'esprit  le  saisit 
comme  supérieur  à  nous,  soit  en  vertu  du  principe  de 
raison  suffisante  que  l'esprit  applique  en  même  temps 
que  celui  de  causalité,  sans  avoir  une  conscience  nette 
du  procédé  qu'il  emploie.  D'ailleurs,  rien  de  plus  facile 
que  de  passer  de  l'implicite  à  l'explicite,  de  la  connais- 
sance confuse  qui  atteint  mais  ne  distingue  pas  les 
notes  intrinsèques  de  Dieu  à  une  connaissance  distincte. 
Nous  pensons  Dieu  à  ce  stade  par  exemple  comme 
cause  ;  s'il  esi  cause,  il  a  le  pouvoir  de  produire,  est 
un  raisonnement  facile.  Ensuite,  dès  que  Dieu  est 
connu    exister    sous    le  concept  de  cause  de  fait  des 


921 


DIEU    (SON    EXISTENCE) 


922 


choses,  de  la  nature  de  l'effet,  il  est  facile  aussi  de 
remonter  à  celle  de  la  cause,  en  vertu  du  principe  que 
toute  cause  produit  son  effet  par  un  principe  qui 
est  antérieur  a  l'effet  et  intrinsèque  à  la  cause.  Qui 
finxil  oculum,  non  considérai?  Ps.  xcm,  9.  Voir 
col.  784.  Cf.  De  veritate,  q.  H,  a.  3;  In  IV  Sent.,  1.  I, 
dist.  XXXV,  q.  i.  a.  2.  Si  donc  la  conclusion  du  premier 
raisonnement  par  lequel  on  arrive  à  affirmer  rationnel- 
lement l'existence  de  Dieu  n'est  qu'un  simple  jugement 
existentiel,  le  sujet  de  ce  jugement  n'est  pas  conçu  par 
de  pures  dénominations  extrinsèques;  et  des  inférences 
très  simples  permettent  d'expliciter  vite  le  contenu  de 
la  première  idée  de  Dieu  et  de  passer  de  la  connais- 
sance confuse  à  des  jugements  déterminés  objective- 
ment valables  sur  sa  nature  intrinsèque.  Si  l'homme 
fait  son  devoir,  le  progrès  ne  manquera  pas  de  se  réa- 
liser et  le  secours  de  la  providence  ne  fera  pas  défaut. 
Ainsi  l'agnosticisme  est  écarté,  mais  de  telle  sorte 
que.  d'une  part,  les  dogmes  de  l'absolue  incompréhen- 
sibilité  de  Dieu  et  de  l'invisibilité  naturelle  de  Dieu  et 
la  doctrine  patristique  de  l'impossibilité  d'une  connais- 
sance quidditative  de  l'essence  divine  soient  hors  de 
toute  atteinte,  et  que,  d'autre  part,  l'imperfection  de 
notre  connaissance  de  Dieu  reçoive  une  explication, 
qui  rende  intelligible  le  fait  des  erreurs  sur  Dieu  chez 
les  païens  et  la  possibilité  du  progrès  dans  la  connais- 
sance naturelle  de  Dieu.  Dieu  est  incompréhensible, 
naturellement  invisible,  de  plus  nous  ne  pouvons  pas 
ici-bas  connaître  de  Dieu  quidest,  ut  est  in  se,  on  pour 
parler  avec  les  Pères  nous  savons  de  Dieu  seulement 
quia  est  et  non  qttiil  sit.  La  doctrine  de  l'École  rend 
compte  de  toutes  ces  thèses.  Car  puisque,  d'un  côté, 
nous  ne  pensons  Dieu  qu'à  l'aide  de  concepts  tirés  des 
créatures,  et  puisque,  d'un  autre  côté,  certains  attributs 
de  Dieu  sont  absolument  incommunicables,  il  esl  évi- 
dent que  nous  ne  pouvons  avoir  ni  la  compréhension, 
ni  la  vision  intuitive  naturelle,  ni  une  connaissance  qui 
nous  représente  l'essence  divine  comme  elle  est  en  soi. 
Cf.  S.  Jean  Damascène,  !><•  fide  orthodoxa,  1.  I,  c.  il, 
iv,  /'.  (',.,  I.  m:iv,  col.  791,  800.  Une  représentation  de 
cette  dernière  espèce  serait  quidditative  el  se  défini!  : 
cognoscere  de  re  omnia  prœdicata  quidditativa  usque 
ad  differenfiam  vel  quasi  differentiam  ullimam,  eam 

Ipiendo  proprioet  positivo  conceplu.  L'impossibi- 
lité d 'm  iif  connaissance  abstraite  de  ce  genre  relativement 
divine  suil  immédiatement  du  fait  que  les 
œuvres  de  Dieu  n'épuiseni  pas  son  pouvoir.  Cf.  S. 
mas,  Sum.  theol.,  I»,  q.  xti,  a,  Il  sq.  Mais  ces  mêmes 
œuvres  nous  permettent  d'avoir  quelque  connais 
de  la  quidditédivim  ère  quodeumque  prsedi- 

le,  ce  que  Bossnel  traduit  o   connaître 
les  i"  - 1 1 1 ■—  lesquelles  Dieu  neserail  pis  Dieu.  • 

Saint  Thomas  pour  signifier  la  même  d  lit  que 

nous  |  nnaitrcDieu  secundum  eubslanliam,o\i 

ndum  ijti.,1  ,,   se  est,  Sum.  tlieol.,  l.q.  xm.  a.  2; 

ad  -  '"  ;  et  Suarez  précise  :  cognoscere  de  re  qûid 
■  licatum    quidditalivum 

..nu  tantum  ut  commune  n  utproprium. 

\aph.,  'li  i'    \\\.  sect.  xn,  n.  9.  Cf.  S.  Tho- 
De  verilale,  q.  n,  a.    I,  ad  9um  sq.  Mais,  en  vertu 
même   du  procédé   p;ir  lequel   cette  connaissant 

nue,  elle  i  si  d'abord  confuse  et  mêlée  d'élémi  nts 
i  confuse,   p;irce  qu'elle    pri 

i  I    Dieu  coi aliquid  supi 

m  ab  om- 
nl  Thomas,  Sum.  theol.,  I  \  q.  xm. 
■d  -  '  un  léi  d  éli  menti  in  .  car  |*ex- 

lîvine  n'esl 

muni .  pi S   qui    im- 
plique |.,   tu. ii«,n  .i                 ,i,i,'.  comme  l'a  forl   bii  n 
en  n  lief  lllingworth,    /  .   and 

'  ondn       i  qm   entratm    ausal  di 

r<'pr  i.  commi  | 


Bossuet,  «  des  images  grossières,  indignes  de  la  pure 
essence  »  divine.  Œuvres  oratoires,  édit.  Lebarq,  t.  v, 
p.  lOi.  On  a  beaucoup  abusé  de  ce  fait  psychologique 
pour  essayer  de  montrer  que  nous  n'avons  le  choix 
qu'entre  l'agnosticisme  à  la  façon  de  M.  Le  Roy  et 
l'anthropomorphisme.  Mais  c'était  oublier,  d'abord  que 
toute  notre  connaissance  de  Dieu  n'est  pas  symbolique, 
ensuite  que  le  procédé  rationnel  par  lequel  nous  l'ob- 
tenons nous  permet  de  distinguer  ce  qui  convient  à 
Dieu  et  ce  qui  tient  à  l'imperfection  du  symbole,  enfin 
comme  le  remarque  saint  Thomas  :  hoc  quod  in  modo 
significandi  (metaphorice)  importetur  aliqua  imper- 
feclio  non  facit  prsedicationem  esse  faisant  vel  impro- 
priam,  sed  impèrfectam.  In  IV  Sent.,  1. 1,  dist.  XXII, 
q.  I,  a.  2,  ad  i'"";  De  veritate,  q.  x,  a.  7,  ad  10'"". 
Suarez  explique  avec  son  habituelle  exactitude  et  pro- 
fondeur la  même  doctrine.  Disp.  metaph.,  disp.  XXX, 
sect.  xn,  n.  12;  De  anima,  1.  IV,  c.  îv,  n.  i;  c.  v. 
Cf.  Mayr,  Philosophia  peripatelica,  part.  IV,  disp.  IV, 
q.  n,  a.  i,  Ingoldstadt,  17:!!).  I.  iv,  p.  424.  Ce  que 
disent  saint  Thomas,  Suarez  et  après  eux  Bossuet  se 
trouve  d'ailleurs  clairement  dans  saint  Augustin,  à  pro- 
pos de  Josué,  xxiv,  23.  Queestiones  in  Heptateuchum, 
1.  VI,  c.  xxix,  P.  L.,  t.  xxxiv,  col.  790.  Cf.  De  Trinitate, 
1.  I,  c.  i,  n.  1,  t.  xlii,  col.  819-820. 

Si  l'on  a  eu  tort  de  conclure  de  la  confusion  de 
notre  première  idée  de  Dieu  à  l'agnosticisme,  et  des 
images  grossières  qui  l'accompagnent  à  l'anthropo- 
morphisme; s'il  est  totalement  faux  qu'un  païen  et  un 
chrétien  parlant  de  Dieu  ne  s'entendent  que  par  la 
fonction  religieuse  dont  la  représentation  que  le  nom 
de  Dieu  désigne  serait  le  symbole,  dételle  sorte  qu'abs- 
traction faite  du  contenu  de  cette  représentation  le 
païen  parlant  de  Jupiter  et  le  chrétien  du  vrai  Dieu 
n'attacheraient  à  la  divinité  aucun  autre  sens  que  celui 
de  l'identité  des  rôles  que  Jupiter  et  Jahvé  jouent  par 
rapport  à  différentes  dénominations  religieuses,  cf.  Be- 
lot,  Note  sur  la  triple  origine  de  Vidée  de  Dieu,  dans 
la  Bévue  de  )i><:t<ipl<ijsi</ue  el  de  morale,  novembre 
1908,  p.  717,  il  reste  vrai  que  l'imperfection  de  cette 
idée  primitive  de  Dieu  rend  possibles  les  erreurs  sur 
la  nature  divine  et  que  la  doctrine  scolastique  rend 
compte  de  cette  possibilité.  Saint  Augustin,  De  vera 
religions,  c.  xxxvn.  /'.  /..,  t.  xxxiv,  col.  132,  énumère 
les  diverses  créatures  que  l'on  a  confondues  avec  le 
créateur,  l'âme,  les  puissances  génitales,  divers  ani- 
maux, les  astres,  le  ciel,  le  m  on  de  conçu  connue  animé 
etc.,  et  l'on  s, lit  ;isse/  que  les  pi iriis  avaient  multiplié 
les  dieux  anthropomorphes.  Deux  passages  de  sainl  Iîo- 
naventure  donnent  l'explication  des  faits.  Quœst. 
dispul,  île  mysterio  Trinilatis,  q.  i,  a.  I,  ad  3in;  q.  n, 
a.  1.  Le  païen,  dit-il,  ne  conçoit  pis  Dieu  connue  le 
bien  absolu  (superlatif  absolu),  mais  plutôt  par  voie 
de  comparaison  (superlatif  relatif),  ut  0/17110/  païens, 
quod  homo  non  potes  t.  ('.<■  superlatif  relatil  di 
bien  le  Mai  Dieu,  et  ainsi  c'est  bien  le  vrai  Dieu  que 
uvre au  païen  l'instinct  naturel;  mais,  comme  b' 
fait  remarquer  Lossada,  Summulœ,  Barcelone, 
i'    13S,  Dieu  ainsi  connu  ne  se  présente  pas  à  l'esprit 

l'unicité  ;  le-  exclamations  rel 
par  Tertullien  montrent  que  s, m--  la  croûte  des  ei  reura 
du  polythéisme  sommeillai!  l'idée  de  l'unité  de  Dieu, 
mais  les  païens  peu  Instruits  n  j  prenaient  pas  gardi 
•  i  ne  se  ie nil.i ien i  pas  compte  de  la  contradiction  de 
leurs  propri  Idéi  sur  la  divinité.  Aussi,  dit  saint  Bo- 
naventure,  (/nia  homines  tunl  opinait  illud  esse  Deum 
ip"tti  ,,iti   humanum  lut  hutnemum 

teire,  et  hoc  viderunl  /  lide- 

runt  ■  que  dit  saint  Bonaventure  du 

n'ile  d.      di  ne  1  puisque  saint 

Paul  a  écril  :  qua  immolant  ger  •  im- 

molant,  et  non  Deo    1  <  "i  .   \.   J"  d   cuit*    di 
.  '!■     1  la,  d  'i'   1.1  nalui  • .  1 


923 


DIEU    (SON    EXISTENCE 


924 


plique  donc  par  la  confusion  de  l'idée  spontanée  de 
Dieu  et  aussi  par  les  dénominations  extrinsèques  à 
l'aide  desquelles  à  ce  stade  Dieu  se  trouve  désigné.  Ce- 
pendant le  livre  de  la  Sagesse  et  saint  Paul  nous  ap- 
prennent que  l'erreur  des  païens  était  coupable.  La 
doctrine  classique  rend  compte  de  cette  culpabilité, 
puisqu'elle  explique  comment  ils  ont  un  vrai  pouvoir 
physique  de  connaître  Dieu;  bien  plus,  en  ajoutant 
que  ce  pouvoir  est  personnel,  qu'il  passe  facilement  à 
l'acte,  elle  nous  permet  aussi,  même  dans  l'affreux 
châtiment  qu'est  le  paganisme  ou  l'athéisme  spécula- 
tif, d'admirer  la  suavité  de  la  providence  divine,  qui  a 
si  bien  ordonné  toute  chose  à  notre  salut  que  l'idée 
de  Dieu  est  toujours  prête  à  jaillir  de  nouveau,  surtout 
si  l'homme  ne  néglige  pas  de  suivre  la  voix  de  sa  con- 
science morale  et  ne  corrompt  pas  violemment  sa  na- 
ture. S.  Thomas,  Sum.  theol.,  II»  II*,  q.  x,  a.  4. Obser- 
vons en  finissant  que  la  solution  scolastique  du  problème 
de  la  connaissance  spontanée  de  Dieu,  tout  en  mettant 
en  relief  la  nécessité  morale  de  la  révélation,  voir 
col.  824  sq.,  et  la  grande  différence  qui  existe  entre  la 
connaissance  spontanée  de  Dieu  et  celle  qui  nous  vient 
de  la  révélation  ou  de  la  spéculation  philosophique, 
cf.  S.  Thomas,  Cont.  gent.,  1.  I,  c.  iv  ;  Sum.  theol., 
Ila  IIœ,  q.  il,  a.  4,  a  le  grand  avantage  d'assurer  l'ho- 
mogénéité de  l'idée  de  Dieu  à  tous  les  stades  de  son 
développement  naturel.  Le  lecteur  remarquera,  en  effet, 
dans  ce  qui  va  suivre,  que  le  même  principe  de  causa- 
lité, efficiente  ou  finale,  par  lequel  l'homme  peut 
d'après  les  Pères  et  les  scolastiques  arriver  par  lui- 
même  à  l'affirmation  de  l'existence  de  Dieu  confusé- 
ment conçu,  cgmmande  toutes  les  démonstrations 
scientifiques  de  l'existence  de  Dieu  dont  les  conclusions 
contiennent  implicitement  toute  la  théodicée. 

Dans  tout  cet  exposé  nous  avons  procédé  en  théolo- 
gien. On  nous  permettra  pourtant  de  mentionner  ici 
que  l'étude  directe  des  faits,  au  grand  émoi  des  histo- 
riens athées  et  évolutionnistes  des  religions,  confirme 
l'enseignement  traditionnel.  Malgré  les  indéniables 
difficultés  de  l'observation  en  pareille  matière,  malgré 
aussi  la  chance  de  mal  interpréter  les  faits  observés,  il 
devient  de  jour  en  jour  expérimentalement  plus  mani- 
feste que  la  religion  de  tous  les  peuples  contient 
quelque  idée  de  la  divinité,  conçue  comme  un  être  re- 
lativement supérieur  :  c'est  la  formule  des  scolastiques, 
c'est  la  pensée  des  Pères,  et  M.  Lang  l'a  retrouvée. 
Cf.  Christian  Pesch,  Der  Gollesbegriff  in  den  heid- 
nischen  Beligionen  des  Alterthums,  der  Neuzeit, 
3  fascicules,  Fribourg-en-Brisgau,  1888;  Lang,  The 
making  of  religion,  2e  édit.,  Londres,  1900;  Schmidt, 
enquête  poursuivie  méthodiquement  dans  Anthropos  ; 
Mo'  Le  Roy,  La  religion  des  primitifs,  Paris,  1909, 
p.  170-198;  Bugnicourt,  art.  Animisme;  Condamin, 
art.  Babylone  et  la  Bible,  VI,  dans  le  Dictionnaire 
apologétique,  Paris,  1909.  Neque  enim  erant  ab  initio. 
Sap.,  xiv,  13. 

Outre  les  ouvrages  cités  dans  le  corps  de  l'article,  voir  Petau, 
Theol.  dogmata,  t.  i,  De  Deo,  1.  I,  c.  i-iv;  Thomassin,  Dog- 
mata  theologica,  t.  i,  1.  1;  Staht,  Die  naturliche  Gotteser- 
kenntniss  aus  der  Lehre  der  Vàter  dargestellt,  dans  Der  Ka- 
tholik,  1861,  t.  1,  p.  9,  129;  Franzelin,  De  Deo  uno,  sect.  i,  n, 
surtout  th.  vi,  x  ;  Heinrich,  Dogmalische  Théologie,  Mayence, 
1883,  t.  m,  p.   35-113. 

//.    CONNAISSANCE    RÉFLÉCHIE    El    SCIENTIFIQUE   DE 

l'existence  de  dieu.  —  La  connaissance  infléchie  de 
l'existence  de  Dieu  est  celle  où  l'esprit  prend  nette- 
ment conscience  des  procédés  par  lesquels  cette  exis- 
tence est  connue  avec  certitude.  Cette  conscience  sup- 
pose qu'on  est  en  possession  de  l'idée  de  Dieu  ou, 
comme  dit  saint  Thomas,  qu'on  en  connaît  au  moins 
la  définition  nominale.  Les  théologiens  appellent  scien- 
tifique la  connaissance  de  Dieu,  soit  en  raison  de  la 
Valeur  des  preuves  qui  l'appuient;  soit  en  raison  du 


dispositif  où  ils  les  présentent.  Ils  ne  veulent  pas  dire 
que  c'est  aux  sciences,  telles  que  les  modernes  les  en- 
tendent, qu'il  revient  de  prouver  l'existence  de  Dieu. 
Mais,  pour  eux,  1»  l'existence  de  Dieu  est  une  vérité 
scientifique  en  ce  sens  que,  sans  avoir  l'évidence  im- 
médiate des  premiers  principes  ou  des  données  de 
l'expérience,  elle  a  l'évidence  médiate  d'une  conclusion 
correctement  déduite.  C'est  là  le  sens  large  du  mot 
scientifique,  qu'on  retrouve  dans  la  vieille  définition  : 
l'ropositio  scibilis  scioitia  proprie  dicta  est  propositio 
necessaria,  dubitabilis,  nala  fieri  evidens  per  propo- 
siliones  necessarias  ecidcnter  )>er  discursum  syllogi- 
slicum  ad  eam  applicatas.  2°  La  théologie  naturelle  ou 
théodicée  tient  à  présenter  ses  preuves  de  l'existence 
de  Dieu  dans  un  ordre  naturel  et  scientifique,  qui 
permet  à  la  connaissance  de  progresser  du  connu  à 
l'inconnu,  et  d'appuyer  constamment  les  conséquences 
sur  les  principes  :  dispositif  qui  vaut  à  la  théologie  à 
la  fois  son  unité  d'exposition,  la  ferm»té  de  ses  con- 
structions doctrinales,  et  qui  donne  à  ses  thèses  l'as- 
pect élégant  et  solide  de  théorèmes  à  la  façon  d'Ku- 
clide. 

Pour  enlever  ici  toute  équivoque,  il  ne  s'agit  donc 
point  d'une  démonstration  mathématique.  En  effet,  par 
démonstration  mathématique,  ou  bien  on  entend  un 
raisonnement  qui  va  du  même  au  même  ou  à  l'équi- 
valent, et  nous  avons  déjà  expliqué,  col.  770,  pourquoi 
le  procédé  mathématique  ne  démontre  pas  Dieu  ; 
ou  bien  on  entend  une  preuve  qui  arrache  l'assenti- 
ment et  produit  la  conviction  dans  n'importe  quel 
esprit,  comme  le  font  par  exemple  les  premiers  théo- 
rèmes d'Euclide.  Jamais  l'ancienne  tradition  ni  les 
théologiens,  en  soutenant  la  démonslrabilité  de  Dieu, 
n'ont  prétendu  que  toutes  les  preuves  de  l'existence  de 
Dieu  s'imposent  à  l'esprit  de  chacun  avec  cette  force. 
Clément  d'Alexandrie  en  donne  déjà  la  raison.  Il  dis- 
tingue la  connaissance  confuse  de  Dieu  qui  s'impose  à 
tous,  et  la  connaissance  moins  imparfaite  qu'en  ont  eue 
les  philosophes  grecs,  Strom.,  V,  c.  i,  xiv,  P.  G., 
t.  ix,  col.  15,  196;  de  l'une  et  de  l'autre  de  ces  con- 
naissances il  reconnaît  qu'on  les  met  en  question,  soit 
à  cause  de  leurs  conséquences  morales,  soit  à  cause 
de  la  difficulté  intrinsèque  du  sujet,  lbid.,  c.  mi. 
col.  121  sq.  Le  même  auteur  avertit  aussi  que  Dieu  n'est 
pas  connu  lmavi\^.i\  t/j  <x-oZi:x-r/.?,,  ce  qui  signifie  exac- 
tement ce  que  les  scolastiques  expriment  en  écartant  du 
problème  actuel  toute  démonstration  propter  quid. 
Car  Dieu  n'a  point  de  cause.  Il  n'est  donc  question 
que  d'une  démonstration  a  posteriori,  ex  effeclibus. 

Toute  démonstration,  pour  être  légitime,  suppose 
des  prémisses  vraies,  ab  eo  quod  res  est  aut  non  est 
oralio  dicitur  vera  vel  falsa,  et  dont  la  vérité  est 
saisie  par  l'esprit.  Mais  la  vérité  des  prémisses  d'un 
raisonnement  peut  être  intuitive  et  tellement  manifeste 
qu'elle  frappe  tous  les  esprits;  il  en  est  ainsi  de  la 
vérité  des  propositions  qui  énoncent  des  faits  d'expé- 
rience commune  ou  des  inductions  spontanées  sur  ces 
faits;  dans  les  cas  où  la  vérité  des  prémisses  apparaît 
ainsi  à  l'esprit,  l'évidence  des  prémisses  rejaillit  sur 
la  conclusion,  qui  est  elle-même  déclarée  non  seule- 
ment certaine,  mais  évidente  pour  tous.  Quand  on  dit 
que  l'existence  de  Dieu  est  démontrable,  on  ne  prétend 
point  que  les  prémisses  et  la  conclusion  y  soient  néces- 
sairement et  pour  tous  évidentes  à  ce  degré.  Cf.  Suarez. 
De  dirina  substantiel,  1.  I,  c.  i,  n.  20;  d'Aguirre, 
Theologia  sancti  Anselmi,  tr.  II,  disp.  XII,  sect.  i. 
n.  11,  Rome,  1688,  t.  1,  p.  251.  Aussi  Vasque/,  écrit-il, 
en  transcrivant  presque  Bannez,  Commentaria  in  lli<", 
q.  ii,  a.  3,  Venise,  1587,  col.  227.  advertendum  est  talis 
natures  esse  eas  demonstrationes  ut  in  eis  ea  vis  et 
evidentia  requirenda  non  sit  qux  in  mathemalicis 
reperilur,  sed  quam  naturalis,  aut  melaphysica,  vel 
moralis  scienlia  exposcit  :  ad  /<;<■<•  enim  tria  capita 


925 


DIEU    (SON    EXISTENCE) 


926 


omnes,  quas  subinde  adducemus,  refcrunlur.  In  7aul, 
disp.  XX,  c.  m,  n.  9.  Ces  nuances  n'étonneront  que 
ceux  qui  ne  connaîtraient  qu'une  seule  espèce  d'évi- 
dence, la  fulgurante,  et  une  seule  espèce  de  certitude, 
celle  qui  exclut  la  possibilité  cie  tout  doute,  même 
sophistique.  Voir  Croyancf.,  t.  ni,  col.  2388. 

Ces  équivoques  dissipées,  et  c'est  pour  les  éviter  que 
dans  notre  langue  nous  parlons  plutôt  des  preuves  que 
des  démonstrations  de  l'existence  de  Dieu,  quand  on 
dit  que  Dieu  est  démontrable,  cela  signifie  que  son 
existence  se  prouve  par  un  syllogisme,  pariens  scien- 
liam.  Cf.  Frassen,  Scotus  academicus,  1. 1,  tr.  I,  a.  1, 
q.  ni,  Rome,  1900,  1. 1,  p.  116.  On  sait  qu'Aristote  définit 
la  démonstration  :  syllogismus  conslans  ex  veris,pri- 
et  immediatis  notionibus,  causisque  conclusionis. 
Anabjt.  post.,  1.  I,  c.  n.  Cette  définition  convient 
spécialement  à  la  démonstration  désignée  sous  le  nom 
de  propter  cjuid,  dans  laquelle  les  prémisses  doivent 
contenir  les  causes  de  la  conclusion  dans  l'ordre  onto- 
logique. Les  logiciens  expliquent  comment  la  même 
définition  s'applique  à  la  preuve  a  posteriori,  mutatis 
mutandis.  Kans  cette  dernière,  les  prémisses  ne  sont 
plus  les  causes  de  la  conclusion  que  dans  l'ordre  logique. 
Prsemissse,  dit  Lossada,  sint  causée  conclusionis  saltem 
in  cognoscendo,  licet  non  in  essendo,  ita  scilicel  ut 
objectum  prœmissarum,  quamvis  non  sil  causa  vel 
radix  ohjccti  conclusionis,  sil  lamen  tilulo  neccssariœ 
connexionis  efficaxmotivum  et  ratio  cur  assentiamur 
><*iniiis  objecto.  Cursus  philosophions,  Logica, 
tr.  VI,  disp.  II,  c.  n,  n.  6,  Barcelone,  1883,  t.  m,  p.  252. 
Quand  donc  on  se  demande  dans  l'École  si  Dieu  est 
démontrable,  le  sens  revient  à  ceci  :  l'esprit  humain 
peut-il  d'une  façon  réfléchie,  artificiellement,  être  dé- 
terminé à  un  jugement  existentiel  certain  sur  Dieu, 
par  le  moyen  d'une  connexion  nécessaire  saisie  entre 
lui  et  ses  œuvres? 

A  la  question  ainsi  posée,  depuis  le  maître  des  Sen- 
tences jusque  vers  le  milieu  du  XVIIIe  siècle,  lous  les 
théologiens,  sauf  Pierre  d'Ailly  et  Nicolas  d'Aulrecourt, 
col.  769,  ont  répondu  par  l'affirmative  et  très  catégori- 
quement. Pierre  Lombard, Sent.,  1.  I,  dist.  111,  appuyé 
sur  Rom.,  l,  20,  sur  saint  Ambroise  et  saint  Augustin, 
avait  montré  comment  par  les  créatures  le  créateur 
Ire  connu,  et  indiqué  brièvement  les  raisonne- 
ments par  lesquels  nous  arrivons  à  voir  intellectuelle- 
ment d'une  façon  réfléchie  les  perfections  invisiblesde 
Dieu.  L'École  entière  l'a  suivi.  Ces  dernières  années 
<>n  ;i  cherchée  mettre  en  doute  l'accord  des  scolas- 
tiques  sur  ce  point;  le  1'.  Fox,  pauliste  américain,  a 
déterré  un  opuscule  de  Scot.  d'authenticité  d'ailleurs 
douteuse,  pour  insinuer,  plutôt  que  pour  conclure  net 
lemi  nt.  '['!'■  Scol  rejetait  la  doctrine  commune,  Seotus 
redivivus,  dans  The  New  Yorh  Revicw,  juin  1905, 
p,  :;.">.  d'autres  ont  mis  en  avant  dans  le  même  sens 
[et  noms  de  quelques  nominalisles  comme  llolcolt,etc. 
Mais  quand  on  étudie  les  textes,  on  remarque  vite  que 
le  mot  démonstration  a  bien  que  durant  la 

■■!'■    en( •     de    logique    formelle    des    xiv    el 

,  on  raffina  beaucoup,  surtout  parmi  les  no- 
minaliatea,  sur  les  différentes  i  pèces  de  démonstra- 
tion, ■  t  qu'en  aorome  b  rares  auteurs  qui  énoncer*  ni 
la  thèse  que   Dieu  n'esl  pas  démontrable,  entendaient 

snn|il nt  qu'elle   n'est   pas   <\\i  genre  des  preuves 

mathématiques,   ni   une  démonstration  polissima,  ni 

une  démonstration   quia,  ea   effeclu,  m.iis  seulement 

lilanti,  etc.,    louti      façon     étranges  pour 

•ner.  mais  qui  i ■■<.  iennenl  exactement  ■< 

diri   ■  i > j  ii  i  une  di  -  d<  monatrations  que 

■  rvanl  de 
us    facilement  ai   non-inl 

I,  In  I  V  Sent.,  I.  I.  prologut,  q.  ii-vi,  lu. 
15"  i.  i'    15-W    i  n  -  •■  qui  '  ont  i  ■  n<   Si  ol     l  ra>  tat 

■  dit.  \  iv  38,  M.  on 


n'a  pas  remarqué  qu'il  ne  s'agit  nullement  dans  cet 
opuscule  de  la  démonstrabililé  de  l'existence  de  Dieu, 
mais  seulement  delà  démonstrabilité  de  certains  attri- 
buts de  Dieu,  vivus,  sapiens,  volons,  unions,  ce  qui 
est  fort  différent.  Le  P.  Fox  aurait  pu  noter  aussi  que 
Scot  ne  se  demande  pas  simplement  si  l'unité  et  la 
personnalité  divines  peuvent  se  démontrer,  mais  qu'il 
examine  si  lelsou  tels  arguments  les  démontrent  d'une 
manière  rigoureuse;  les  arguments  dont  il  entreprend 
l'examen  critique  sont  du  genre  de  ceux  qui  emploient 
ce  qu'on  appelle  un  médium  physicum.  Scot  parait  ne 
pas  les  accepter,  comme  plus  lard  Suarez  les  rejettera; 
de  ce  fait  conclure  que  Scot  n'a  pas  enseigné  la  thèse 
de  la  démonstrabilité  de  Dieu,  ou  même  l'a  mise  un 
instant  en  doute,  c'est  raisonner  à  peu  près  comme  si 
du  fait  que  l'auteur  de  cet  article  tient  pour  inefficace 
la  méthode  d'immanence  on  concluait  qu'il  n'admet 
pas  la  démonstrabilité  de  l'existence  de  Dieu;  la  men- 
talité de  Scot  dans  son  examen  critique  est  la  même 
que  celle  de  Suarez  :  plus  un  théologien  est  convaincu 
que  Dieu  est  démontrable,  plus  il  est  sévère  dans  l'exa- 
men des  preuve-.  Cf.  Scot,  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  Il, 
q.  m,  n.  C,  à  la  lin.  11  peut  se  tromper  dans  ses  appré- 
ciations, et  peut  proposer  comme  valable  une  démon- 
stration défectueuse,  ce  que  ses  contemporains  ou  la 
postérité  ne  manqueront  pas  de  remarquer;  mais  son 
effort  même,  quoique  malheureux,  est  une  preuve  de 
son  adhésion  à  la  thèse  de  la  démonstrabilité.  Ajoutons 
d'ailleurs  que  Scot  est  dans  le  reste  de  ses  ouvrages  très 
catégorique  en  faveur  de  la  thèse  traditionnelle,  et  que 
le  prince  des  nominalisles  Occam  ne  l'est  pas  moins, 
bien  qu'il  hésite  sur  la  rigoureuse  démonstrabilité  de 
l'unité  divine,  comme  plus  tard  Molina,  partisan  déclaré 
de  la  démonstrabilité  de  l'existence,  sera  moins  affir- 
matif  sur  la  démonstrabilité  de  l'infinité.  Molina,  Coni- 
ment.  in  /■"»,  q.  vu,  a.  1,  Venise,  1602,  p.  60.  Cf.  Oc- 
cam, In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  II,  q.  x,  a.*l;  Biel,  ibid., 
p.  93. 

L'accord  des  scolastiques  va  plus  loin.  Ils  donnent 
une  note  théologique  à  l'opinion  qui  nie  la  démonstra- 
bilité de  l'existence  de  Dieu.  Saint  Thomas  la  qualifie 
d'erreur,  Cont.  gcnl.,  1.  I,  c.  xn;  ailleurs,  De  veritate, 
q.  x,  a.  12,  il  la  déclare  manifestement  fausse,  invenitur 

hoc  quod  est  Deum  esse  rationibus  irrefragabi- 
libus  ctiam  a  philosophie  probatum.  Cf.  Scot,  In 
IV  Sont.,  1.  I.  dist.  II,  q.  ni,  n.  7.  Iiannez,  parlant  de 
l'opinion  de  Pierre  d'Ailly,  écrit  :  H  sec  sententia  est 
temeraria  cl  ut  quibusdam  videtur  erronea.  Sed 
nihilominus  mihi  distinguendum  videtur.  Si  enim 
quia  neget  naluraliter  posse  cognosci  quantum  sat 
est  ad  obligandum  Iwmincs  ad  cultum  Dci,  negare 
Deum  esso  demonstrari  posse  est  hœresis;  si  qui 
autem  dicunt  non  demonstrari secundum  artem  ar.- 
slotelicam,  <<"//  est  error  in  fuie,  sed  in  physica  aut 
melap/n/sica,  et  temerarium  in  fide.  Quapropler 
sil  nobis  cerla  conclusio.  Sententia  sancli  Thomas  in 
secunda  sua  eonclusione  (Dcmonslrabile  est  Deum 
esse  démons!  rat  urne  quia,  id  est  ea  e/Jectibus)  est 
certissima  et  oppositum  ejut  est  temerarium.  Scola- 

commentaria  m  /"",  q.  il,  a.  9,  Venise,  1587, 
p.  216.  Molina  est  plut  aflinnatif  encore  que  Bannezj 
il  cite  l'Écriture,  Rom.,  1,20;  Sap.,  xm;  Pa.  xvni,  2, 
et  l'interprétation  des  Père  a  et  il  conclut  :  Ex  his  palet 
non  solum  temerarium,  sed  in  ftde  minime  lutum 
esso,  ne  ampliui  ti>  iars  lecundam 

propositani.  "/».  cit.,  q.  n,  ■>    2,   p.  35.  Suarei 
danc    n    métaphysique  constate  que  les  thi 
traitent  d'erreur  l'opinion  de  Pierre  d'Ailly 
melaphyt.,  disp.  X  \  \  ,  tect.  n.  n.  8 ,  dans  son  ou 
théologique  mr  Dieu  on  lit     Dieu  oalde  consentant 
naturali  d  iemonstrai     / 

>l    hOC  nrgarc  tenu 

«    Trac tatus  de  divinu  subit antia,  \.  I,e.  t,n.l3j 


927 


DIEU    (SON    EXISTENCE 


928 


c.  vi,  n.  7.  Cf.  Valentia,  In  [<"»,  disp.  I,  q.ii,  p.ii,  a.  2  sq. 
Vasquez  attaqua  non  pas,  comme  on  l'a  prétendu,  la 
démonstrabilité  de  Dieu,  mais  la  rigueur  des  censures 

que  l'on  donnait  ordinairement  à  l'opinion  de  Pierre 
d'Ailly.  In  lim,  disp.  XX,  c.  III,  n.  8.  Il  opinait  que 
les  textes  scripturaires  et  patristiques  n'exigeaient  pas 
la  possibilité  d'une  démonstration  qui  donnât  la  certi- 
tude; car,  disait-il,  on  prétend  que  la  certitude  est  né- 
cessaire pour  expliquer  comment  ceux  qui  nient  Dieu 
sont  inexcusables  ;  mais  ad  hoc  ut  non  possentexcusari, 
satis  est  si  probabilissimam  quamdam  et  prudente»! 
nol'Uiam  habere  po unissent.  Quelques  scotistes  se 
rangèrent  du  coté  de  Vasquez;  tels  Smising,  tr.  I. 
disp.  I,  n.  00;  Ilerincx,  Sum.  theol.,  part.  I,  disp.  I, 
q.  il,  a.  3,  Anvers,  1680,  t.  I,  p.  22.  Sylvius,  In  iai", 
q.  il,  a.  2,  concède  à  Vasque/,  que  l'Écriture  ne  décide 
pas  la  question,  mais  se  retranche  derrière  les  Pères. 
Suarez  montra  la  «  frivolité  »  des  raisons  de  Vasquez, 
parce  que  l'Ecriture  et  les  Pères  insistent  sur  l'évi- 
dence de  la  connaissance  discursive  de  Dieu  obtenue 
par  le  moyen  des  créatures,  et  aussi  parce  qu'il  fallait 
bien  pour  l'état  de  nature  pure  en  venir  à  une  certitude 
rationnelle  absolue  et  par  conséquent  à  la  possibilité 
d'une  preuve  évidente  au  moins  pour  quelques  indivi- 
dus ;  et  donc  aussi  pour  notre  état.  Op.  cit.,  c.  i,  n.  15- 
22.  Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  Il"  D>,  q.  i,  a.  5, 
ad  3um.  Le  sorboniste  Cxamache  se  rallia  à  Suarez  et 
soutint  la  démonstrabilité  évidente  jusqu'à  la  certitude 
comme  une  donnée  de  la  tradition.  In  Iam,  q.  il,  c.  il. 
Le  grave  Ysambert  enchérit  même  sur  Suarez  contre 
Vasquez.  Comme  Valentia  et  Molina,  de  ce  que  ni 
l'Écriture  ni  les  Pères  ne  parlent  d'une  très  grande 
probabilité,  mais  bien  d'une  certitude  de  l'existence  de 
Dieu  produite  en  nous  par  le  moyen  des  créatures, 
Ysambert  conclut  que  la  démonstrabilité  de  l'existence 
de  Dieu  par  les  œuvres  divines  paraît  être  une  doc- 
trine révélée,  videatur  de  fide.  Dispululiones  in  I*"', 
q.  n,  disp.  I,  a.  3,  Paris,  1643,  p.  34. 

Nous  nous  trouvons  donc  en  présence  d'un  accord 
moralement  unanime  de  l'École  durant  plusieurs  siè- 
cles en  faveur  de  la  thèse  de  la  démonstrabilité  de 
l'existence  de  Dieu.  Si  les  scolastiques,  comme  nous 
l'avons  dit,  n'ont  pas  censuré  ceux  qui  soutenaient  la 
proposition  Deum  esse  est  per  se  notum,  ils  ont  con- 
sidéré comme  hérétiques,  ou  comme  errants,  ou  comme 
téméraires,  ceux  qui  excluaient  toute  preuve  de  l'exis- 
tence de  Dieu  par  le  moyen  des  créatures.  Vasquez  et 
quelques  autres  ont  mis  en  question  la  solidité  de  cette 
censure;  mais  leur  opinion  n'a  pas  ébranlé  l'ensemble 
des  maîtres,  et  il  est  inutile  de  la  discuter,  puisque  le 
concile  du  Vatican  a  défini  que  nous  pouvons  connaî- 
tre Dieu  avec  certitude  et  enseigné  que  la  raison 
«  démontre  les  fondements  de  la  foi,  »  dont  l'exis- 
tence de  Dieu  est  le  principal.  Denzinger,  n.  1656.  Cf. 
Heinrich,  Dogmatische  Théologie,  Mayence,  1881.  t.  i, 
p.  134  sq.  Et  cet  enseignement  officiel  exclut  le  moyen 
terme  imaginé  par  Vasquez  pour  laver  de  toute  cen- 
sure Pierre  d'Ailly,  dont  il  ne  partageait  d'ailleurs  pas 
l'opinion.  D'ailleurs,  cet  accord  des  théologiens  ne 
s'explique  pas  par  des  préjugés  philosophiques,  puisque 
des  auteurs  qui,  par  exemple,  n'admettent  aucun  des 
arguments  de  saint  Thomas  en  faveur  de  l'existence  de 
Dieu,  comme  Aurioli  ou  Lherminier,  affirment  la  dé- 
monstrabilité aussi  bien  que  l'ensemble  des  nominalistes 
et  les  autres  écoles.  Enfin  tous  en  appelaient  à  l'Écriture 
et  aux  Pères  sur  ce  point.  Hujusmodi  autem  sentenlise 
falsitas  ostenditur...  tuni  etiam  apostolica  veritate 
asscrente,  Hom.,  i,  20,  Invisibilia,  etc.,  disait  déjà 
saint  Thomas.  Cont.  gent.,  1.  I,  c.  xn.  Or,  on  sait  que 
dans  ces  conditions  l'accord  des  Écoles  constitue  un 
argument  théologique  valable.  Cf.  Franzelin,  Tracta- 
tus  de  divina  traditione  et  Scriptura,  th.  xvn,  Rome, 
187"),  p.  2U0.  D'où  l'on  conclut  qu'il  est  au  moins  témé- 


de  nier  la  démonslrabilité  de  l'existence  de  Dieu. 
Telle  est  la  conclusion  minimiste  de  Bannez,  de  Sua- 
rez el  à  leur  suite  du  P.  Pesch,  Prselecliones  degma- 

ticœ,  t.  il,  n.  29.  Kleutgen  propose  la  conclusion  i  n 
ces  termes:  Si  quelqu'un  reconnaît  que  Dieu  peut  être 
connu  avec  certitude  par  le  moven  des  créatures, 
comme  l'a  défini  le  concile  du  Vatican,  et  nie  qu'on 
puisse  démontrer  strictement,  c'est-à-dire  jusqu'à 
l'évidence,  l'existence  de  Dieu,  son  assertion,  bien  que 
non  hérétique,  est  néanmoins  peu  sure  dans  la  foi. 
De  ipso  Ben,  Ralisbonne,  1881,  n.  156. 

Si,  laissant  de  côté-  l'argument  tiré  de  l'autorité  de 
l'Ecole,  on  étudie  la  question  en  elle-même,  on  se 
trouve  en  face  des  faits  suivants.  D'après  l'ensemble  de 
l'Ecriture  et  de  la  tradition,  entre  Dieu,  les  créatures 
et  la  position  par  notre  esprit  d'un  jugement  existen- 
tiel certain  sur  Dieu,  il  y  a  une  relation  telle  que  la 
position  de  ce  jugement  découle  de  la  connaissance  des 
créatures.  Voir  col.  842.  Tel  est  sans  conteste  le  con- 
tenu de  la  révélation.  C'est  équivalemment  dire  que 
Dieu  est  démontrable  a  posteriori,  dira-t-on;  et  ainsi 
en  jugent  de  fait  les  théologiens  qui,  avec  Molina, 
Valentia,  Ysambert,  disent  que  la  thèse  que  nous  étu- 
dions est  de  foi  divine.  Non,  disent  les  autres,  il  y  a 
une  nuance.  Car  l'Écriture  ne  dit  pas  explicitement 
tout  ce  que  signifie  la  thèse  que  Dieu  est  démontrable. 
Cette  thèse,  en  effet,  dit  que  la  relation  entre  les  créa- 
tures et  l'affirmation  certaine  de  l'existence  de  Dieu 
est  celle  des  prémisses  à  la  conclusion;  elle  dit  aussi 
qu'il  intervient  dans  le  procédé  suivi  par  l'esprit  la 
connexion  entre  un  terme  plus  connu  et  un  ternie 
moins  connu,  que  cette  connexion  non  seulement  est 
perçue  par  l'acte  direct  de  l'esprit,  mais  que  l'esprit  a 
la  conscience  réfléchie  du  procédé  qu'il  emploie  pour 
conclure.  Or,  toutes  ces  précisions  ne  sont  pas  dans  les 
textes  scripturaires  explicitement.  Mais,  ajoutent-ils 
avec  Suarez,  elles  s'y  trouvent  à  l'état  implicite,  loc.  ci  t., 
n.  13.  L'Écriture,  en  elfet,  nous  propose  de  vrais  argu- 
ments en  faveur  de  l'existence  de  Dieu  et  nous  invite 
par  là  à  faire  intellectuellement  les  actes  que  fait  tout 
homme  qui  suit  une  démonstration  :  si  ergo  demon- 
stratur,  denwnslrabile  est;  et  si  ratione  naturali  sci- 
tur  Deum  esse,  etiam  scimus  nos  hoc  scire  et  demon- 
strare.  Ces  conséquences  sont  si  naturelles,  et  les  ré- 
flexions de  l'esprit  qu'importe  le  terme  démonstrabilité 
sont  dans  l'espèce  si  faciles,  qu'on  en  conclut  à  la  note  de 
témérité  dans  la  foi  contre  l'opinion  deXicolas  d'Autre- 
Court  et  de  Pierre  d'Ailly.  On  ne  voit  pas,  en  effet, 
comment  le  contenu  de  la  révélation  reste  intact,  sj 
l'on  nie  la  démonstrabilité  de  Dieu  au  sens  où  ce  terme 
est  pris  dans  l'Ecole.  Voir  col.  853  sq. 

La  même  conclusion  se  déduit  de  la  formule  définie 
parle  concile  du  Vatican.  Denzinger,  n.  1653.  Quelques- 
uns  font  cette  déduction  par  le  raisonnement  suivant. 
Le  concile  définit  que  l'homme  peut  connaître  l'exis- 
tence de  Dieu  avec  certitude  par  le  moyen  des  créatures. 
Or,  il  n'y  a  pas  de  certitude  si  l'assentissenient  n'est 
pas  fourni  en  vertu  d'un  motif  qui  exclut  la  possibilité' 
du  contraire,  el  si  l'esprit  ne  connaît  pas  clairement 
que  toute  possibilité  d'erreur  est  exclue.  Mais  seule  une 
démonstration  proprement  dite  peut  déterminer  un 
assentiment  de  ce  genre.  Donc.  Cf.  Stentrup,  De  Deo 
uno,  Inspruck,  1879,  th.  iv.  p.  76;  Hontheim,  Institu- 
tions theodicex,  n.  79;  Frick,  Logica,  n.  210.  131. 
p.  133,  291.  Ce  raisonnement  est  fallacieux;  d'abord, 
parce  qu'il  s'ensuivrait  que  jamais  la  connaissance 
spontanée  de  Dieu  ne  pourrait  donner  la  certitude  ; 
ensuite,  parce  que  dans  la  mineure  on  prend  pour 
accordé  que  le  concile  en  employant  le  mot  certo  a 
nécessairement  fait  sienne  celle  des  diverses  théories 
classiques  sur  la  certitude  el  sur  le  critérium  de  la 
vérité  que  l'on  adopte  soi-même.  Voir  Ci'.uvanci:.  t.  m. 
col.  2389  sq.  Il  faut  donc,  si  l'on  veut  déduire  avec  cer- 


929 


DIEU    (SON    EXISTENCE 


930 


titude  du  texte  conciliaire  la  thèse  de  la  démonstrabilité 
de  Dieu,  procéder  autrement. 

Le  concile  a  défini  que  par  la  raison  naturelle  au 
moyen  des  créatures  on  peut  arriver  à  connaître  Dieu 
avec  certitude;  mais,  ou  bien  on  reconnaît  que  notre 
connaissance  spontanée  de  Dieu  s'obtient  par  inférence 
causale,  ou  bien  on  ne  le  veut  pas  reconnaître.  Or,  dans 
les  deux  cas.  pour  satisfaire  au  concile,  il  faut  admettre 
la  thèse  de  la  démonstrabilité.  Dans  le  premier  cas,  la 
conséquence  est  évidente;  car  dire  que  Dieu  est  démon- 
trable quand  on  reconnaît  d'ailleurs  que  c'est  par  une 
inférence  causale  qu'on  obtient  la  certitude  de  son  exis- 
tence, ce  n'est  ajouter  à  ce  que  l'on  concède  déjà  que 
la  possibilité  d'un  retour  réfléchi  de  la  pensée  sur  son 
opération  de  façon  à  en  constater  la  légitimité;  et, 
remarque  Kleutgen,  op.  cil.,n.  157,  bien  que  ce  retour 
réfléchi  de  la  pensée  ne  soit  pas  nécessaire  avant  l'acte 
de  foi  à  celui  qui  a  la  certitude  spontanée  de  l'existence 
de  Dieu,  ni  même,  avait  dil  saint  Thomas,  Sum.  theol., 
H» II»,  q.  r,  a.  5,  ad  3um,  à  celui  qui  ne  connaîtrait  Dieu 
que  par  la  foi  humaine,  on  ne  peut  pas  nier  qu'il  est 
souvent  nécessaire  soit  avant  soit  même  après  l'acte  de 
foi  proprement  dit.  Si  l'on  opte  pour  l'hypothèse  que 
notre  première  connaissance  de  Dieu  n'est  pas  le  résul- 
tat d'une  inférence  causale,  ou  bien  on  en  explique  la 
se  par  l'argument  de  saint  Anselme,  ou  bien  on  a 
recours  à  quelque  élément  subjectif  indémontrable. 
Hais  l'argumenl  de  saint  Anselme  ne  donne  pas  la  cer- 
titude; et  l'expérience  aussi  bien  que  l'histoire  de  la 
philosophie  el  de  la  théologie  nous  apprennent  qu'il 
l,i  plan'  à  des  doutes  raisonnables  sur  la  légiti- 
mité de  la  conclusion  qu'il  prétend  imposer  à  l'athée. 
A  plus  forle  raison  en  faut-il  dire  autant  de  tous  les 
aystèmes  qui  fonl  dépendre  la  certitude  de  la  première 
connaissance  de  Dieu  d'un  élément  subjectif  indémontré 
et  indémontrable  el  dont  les  titres  ne  peuvent  pas  s'ex- 
pliciter  à  la  raison.  Cf.  Pesch.  op.  cit.,  n.  25. 

Sur  ce  point  la  pensée  du  i  ordinaire  n'esl 

ni  douteuse  ni  équivoque.  Le  moyen  âge  condamna  Xi- 
colas  d'Autrecouri.  Voir  col.  770.  En  1835, 1  Irégoire  \  VI 
reprochait  à  Hermès  de  ne  pas  rester  fidèle  a  la  doc- 
trine catholique  en  ce  qui  concerne  les  argun 
par  lesqui  Is  on  a  coutume  d'établir  et  de  confirmer 
l'existence  de  Dieu.  Denzinger,  a.  1620.  La  même 
année,  on  demanda  à  Bautain  de  signer  que  le  rai- 
sonnement peut  prouver  rtitude  l'existence  de 
Dieu,  i  Voir  Bautain.  Cf.  Denzinger,  10«  édit.,  n.  1622. 
In  1843,  la  S.  C.  de  l'Index  demanda  diverses  correc- 
tion, a   (Jbaghs.    En  particulier    l  baghs  ayant  écrit  : 

ad  quandam  (idem, 
nul  fundari  in  hac  fide,  <i"<i  non  tam  videmu»  quanx 

jeu  pet  suasum  »ooi  •  est,  ideam 
fidelem,  id  qui  d  •■>  iden  'ia  met  e  il 

.  l'Index  observait  :  Qua;  verba  signij 
nlur  potius  credi  quam  demonstrari  Dei  existen* 
:  quod  quidem  <<  vero  omnino  dislat.  Cf.  les  dé- 
tail* singuliers  de  l'affaire  dan?  Dec  Kalholik,  1865,  l.  i. 
p,  210;  1866  i  ii.  p.  191  .  toutes  les  pièces  ont  été 
publiées  par  V Annuaire  <lr  l'université  de  Louvain 
pour  1876,  el  réimpi  imées  par   Bouix,   dans  la   H 

miens,  1876,  p.  ô.Vi  «\.  En 
Pie  I  \  rappela  dan-  une  encyclique  que  la  r 

■ils  de  la  f.,i.  Denzinger,  n    1635;  el 
n    inl    ur  ce    ujel  à  propos  des  erreurs  de 
rimer,  en  faisant  mi  ntion  expre  se  de  : 

> .  n.   1670.  I  n   1855,  Bonnettj 

la  même  proposition  qu'on  avait  pro 

1650.  Les  con 

mon  •  renl  dan-  le  même 

oir,  p  ir  exemple,  I"  concili 

d"  i  1873, 

i-  !'■  Bordi  aui  en   1856,  ibid  , 

col.  f.'.'l .  autrichien  di 

nui.  i.t.  t  m  i  ot    (  ITHOL 


Vienne  en  1858,  ibid.,  t.  v,  col.  130;  celui  de  Cologne 
en  1860,  col.  27 1,  294,  300;  celui  de  Kalocsa  en  1S62, 
ibid.,  col.  612;  celui  d'Utrechten  18(55,  ibid.,  col.  746. 
On  a  vu  plus  haut,  col.  Si"  sq.,  pourquoi  le  concile  du 
Vatican  n'a  pas  voulu  employer  le  mot  demonstrare 
dans  la  définition  dogmatique  qu'il  a  proposée  à  la 
foi  de  l'Église;  mais  en  se  tenant  sur  la  réserve,  parce 
qu'il  importait  surtout  de  décider  du  pouvoir  naturel 
que  nous  avons  de  parvenir  à  la  première  connais- 
sance certaine  de  Dieu,  le  concile  ne  désavoua  ni  le 
saint-siège  ni  les  conciles  provinciaux  que  nous  ve- 
nons de  citer.  Certo  cognoscere  et  demonstrare,  dit  le 
rapporteur, aliquatenus  est  unum  idemque,  et  le  concile 
eut  soin  de  recommander  à  tous  les  fidèles  de  suivre 
les  décisions  du  saint-siège.  Voir  col.  836.  Depuis  le 
concile,  la  direction  du  magistère  n'a  pas  varié'.  On 
sait  que  Léon  XIII  a  donné  une  vigoureuse  impulsion 
au  retour  à  la  philosophie  de  l'École,  spécialement  da 
saint  Thomas.  Or,  dans  une  encyclique  au  clergé'  de 
France,  8  septembre  1899,  il  expliquait  que  son  but  en 
poussant  à  l'étude  de  la  scolaslique  était  surtout  d'en- 
rayer le  nominalisme  moderne,  qui  rend  impossible  la 
preuve  des  préambules  de  la  foi.  Acta  l. rouis  XIII, 
Rome,  1900,  t.  xix,  p.  168.  C'était  redire  après  vingt  ans 
ce  que  Kleutgen  avait  écrit  dans  l'encyclique  JEtemi 
Patris,  dont  la  rédaction  lui  avait  été  confiée  :  Et  rê- 
vera divinse  Sapientise  eloquiis  graviter  reprehenditur 
eorum  hominum  stullitia  qui  de.  his  quai  videntur 
bona  non  poluerunt  intelligere  cum  qui  est,  ne  que 
operibus  altendentes,  agnoverunt  quis  esscl  artifex. 
Tgitur  primo  loco  magnus  hic  et  prxclarus  ex  hu~ 
riiana  ratione  fructus  capitur,  quod  illa.  Deum  esse 
demonstret  :  a  magnitudine  enim  speciei  el  creaturœ 
cognoscibiliter  poterit  creatùr  horion  videri.  Acta 
Leonis  XIII.  Home,  1881,  t.  I,  p.  268.  Ceux  donc  qui 
parmi  les  catholiques  pensent  que  la  question  de  la 
démonstrabilité  de  Dieu  est  une  question  libre,  font 
preuve  d'une  connaissance  peu  ('tendue  de  la  littérature 
officielle  de  leur  Église;  il  en  faut  dire  autant  d'un 
grand  nombre  d'autres  qui  prétendent  être  tout  à  fait 
en  règle  avec  l'orthodoxie,  parce  qu'ils  admettenl  une 
inférence  causale  dans  la  genèse  de  noire  pren 
idée  de  Dieu,  sauf  a  nier,  pour  excuser  l'athéisme  spé- 
culatif, toute  démonstrabilité  proprement  dite  de  I 
tence  divine. 

II.  Exposé  sommairi    des    preuves    di    l'existence 
de  Dieu.   —   <»n  peut   étudier  les   preuves  de   l'exis- 
tence de  Dieu  à  un   triple  point  de  vue.  qu'il  imp 
de  distinguer,  I i  «pie   souvent  il  soit  confondu  par- 
les auteurs  qui  traitent  de  ces  questions    :    le 
vue  historique,  le  point  de  vue   pratique  ou   apoli 
tique,  le  point  de  vue  scientifique. 

1"  Point  de  vue  historique.  —  Placé  a  ce  point  de 
vue.  on  ne  cherche  à  convaincre  personne  de  l'exis- 
tence de  Dieu  ni  même  à  faire  la  critique  des  preuves 
qui  ont  été  proposées  dans  le  cours  des  lg<  s,  I  e  but 
poursuivi  esl  d<    dresser  un  catalogue  exact  el  coi 

des  ai .  m  n  axant,  d'en  indiquer  les  nuai 

les  filiation'-  el  d  en  découvrir  les  relations  avi 
doctrines  soit  des  auteurs  qui  les  ont  employés,  soil  de 
leur  milieu  Ces  recherches  ne  vonl  pas  sans  quelque 
danger  de  dilettantisme  ou  même  de  positivisme; 
qui  s'y  livrent  exclusivement  el  sans  une  lorte  éducation 
philosophique,  Unissent  par  opini  r  avec  Ri  nan  i  qu'il 
esl  plus  important  de  savoir  ce  que  l'espril  humain  i 
•  n  problème,  que  d'avoir  un  a\is  hh-  cepro- 
i.i'  m  i  i  1866,  p.  IX. 

Mais    '  -ont    bien     conduiti 

sortent  d<  qui 

ein brenl  encoi  e  les  I  e  la  philosophie  mé- 

diévale, elles  sont  d'un  haut  intén  t  ■  t  d'une  ti 
utilité  pour  I  inli  lligem  en      h  Carl 

van  Endert  a  laiss    uni  bonne  étude  de  o  genre  pour 

IV.    -  30 


931 


DIEU    (SON    EXISTENCE 


932 


la  période  palrislique,  Der  Gottesbeweis  in  der  patris- 
lischen  Zcit,  Fribourg-en-Brisgau,  1869.  Beaucoup  de 
monographies  sur  différents  Pères  ou  (;crivains  ecclé- 
siastiques contribuent  à  celte  enquête;  elles  ont  été  ou 
seront  indiquées  aux  différents  articles  de  ce  diction- 
naire. L'attention  des  érudits  juifs  et  chrétiens  s'est  en 
Allemagne  beaucoup  occupée  des  arguments  donnés 
par  les  grands  docteurs  du  moyen  âge,  spécialement 
par  saint  Thomas.  On  a  surtout  étudié  l'origine  de  l'ar- 
gument du  premier  moteur,  tel  qu'il  se  lit  au  Contra 
génies,  1.  I,  c.  xm.  On  trouvera  le  matériel  des  résul- 
tats obtenus  et  des  controverses  pendantes  dansRolfes, 
Die  Gotlcsbeweise  beim  Thomas  von  Aquin  und 
Aristoteles,  Cologne,  1898;  Baeumker,  Witelo,  dans 
Beitrâge  zur  Geschichle  der  Philosophie  des  Mittelal- 
lers,  t.  ni,  p.  288-343;  Weber,  Der  Gottesbeweis  ans 
der  Beivegung  bei  Thomas  von  Aquin,  Fribourg,  1902; 
Grunwald;  Geschichte  der  Gollesbeweise  im  Mitlelal- 
ter  bis  zum  Ausgang  der  Hochscholastik,  Munster, 
1907,  dans  les  Beitrâge,  t.  vi. 

Ces  essais  sont  encore  très  imparfaits  pour  bien  des 
raisons  qu'il  serait  fort  long  d'exposer.  Qu'il  suffise  en 
général  de  mentionner  que  la  critique  actuelle  des 
sources  de  saint  Thomas  dépend  beaucoup  trop  du 
préjugé  mis  ù  la  mode  par  Renan,  à  savoir  que  saint 
Thomas  fut  surtout  un  adversaire  d'Averroès  et  s'ins- 
pira principalement  d'Avicenne.  Les  emprunts  à  Avi- 
cenne  surtout  par  l'intermédiaire  de  Mairnonide  ne 
sont  pas  niables;  il  est  certain,  par  exemple,  que  la  ter- 
minologie du  troisième  argument  de  saint  Thomas  dans 
la  Somme,  Ia,  q.  n,  a.  3,  est  d'Avicenne.  Cf.  Mairnonide, 
Guide  des  égarés,  trad.  Munk,  Paris,  1861,  t.  n,  p.  19. 
Mais  il  n'est  pas  douteux  que  chez  saint  Thomas  cet 
argument  a  un  sens  tout  différent  de  celui  que  lui  don- 
nait Avicenne,  puisque  saint  Thomas  a  constamment 
rejeté  avec  Averroès  la  distinction  réelle  de  l'essence 
et  de  l'existence  qu'admettait  Avicenne.  Cf.  S.  Thomas, 
In  metaph.,  1.  IV,  lect.  il,  n.  3;  1.  X,  lect.  m,  n.  8;  De 
ente  et  essentia,  c.  iv,  voir  le  commentaire  de  Cajetan, 
q.  v,  x.  On  n'a  pas  assez  remarqué  aussi  qu'en  théo- 
dicée  saint  Thomas  emprunte  a  Averroès  ses  arguments 
décisifs  contre  l'agnosticisme  d'Avicenne  et  de  Mairno- 
nide et  qu'en  physique  il  modifie  la  théorie  du  mouve- 
ment d'Avicenne.  Malgré  tous  ces  défauts,  les  travaux 
publiés  ont  remis  en  lumière  un  fait  que  l'on  avait 
perdu  de  vue  depuis  Cajetan  et  depuis  Suarez,  à  savoir 
que  saint  Thomas  à  la  suite  d'Albert  le  Grand,  Summa 
tlieol.,  part.  I,  tr.  III,  q.  xvm,  m.  I,  édit.  Vives,  t.  xxxi, 
p.  119,  mais  avec  beaucoup  plus  de  sens  critique,  s'est 
grandement  inspiré  des  philosophes  arabes  et  du  juif 
Mairnonide  dans  l'exposé  qu'il  nous  a  laissé  des  preuves 
de  l'existence  de  Dieu.  Il  nous  en  avertit  d'ailleurs  lui- 
même,  Contra  génies,  1. 1,  c.  xm,  procedamus  ad  po- 
nendum  raliones  quibus  tam  philosophi  quam  do- 
ctores  catholici  Deum  esse  probaverimt. 

Il  faut  donc  distinguer  dans  saint  Thomas  deux 
sources  :  la  tradition  chrétienne  qu'il  reçoit  du  Mailre 
des  Sentences,  et  la  tradition  péripatéticienne  qu'il  reçoit 
des  philosophes  arabes  et  juifs.  Ce  qui  provient  de  ces 
derniers  nous  intéresse  seul  ici, et  on  peut  le  ramener  à 
deux  points.  D'abord,  saint  Thomas  emprunte  à  la 
philosophie  arabe  l'argument  du  premier  moteur 
tel  qu'il  le  développe  dans  le  Contra  génies,  loc.  cit. 
L'idée  foncière  de  cet  argument  est  la  suivante  :  le 
changement  est  un  passage  de  la  puissance  à  l'acte; 
c'est  la  définition  du  mouvement  métaphysique  et  celle-ci 
n'est  pas  discutée;  mais,  pense  saint  Thomas,  aucun  pas- 
sage de  la  puissance  à  l'acte  ne  se  fait  dans  le  monde  de 
notre  expérience  sans  qu'un  mouvement  de  translation, 
motus  localis,  moins  physicus,  n'ait  précédé.  Ce  que 
Mairnonide  exprime  en  ces  termes  :  «  Le  mouvement 
de  translation  est  antérieur  à  tous  les  mouvements  et 
en  est  le  premier  selon  la  nature  ;   car  même  la  nais- 


sance et  la  corruption  sont  précédées  d'une  transfor- 
mation; et  la  transformation  à  son  tour  est  préct 

d'un  rapprochement  entre  ce  qui  transforme  et  ce  qui 
doit  être  transformé;  enfin  il  n'y  a  ni  croissance  ni 
décroissement  sans  qu'il  y  ait  d'abord  naissance  et  cor- 
ruption. »  Loc.  cit.,  p.  13.  Si  donc  on  constate  un  change- 
ment, il  y  a  eu  mouvement  local  :  Omne  molum  mo- 
vetur  ab  alio ;  mais  cela  ne  peut  pas  se  continuer  à 
l'infini.  Donc.  Voir  le  développement  du  raisonnement 
dans  Mairnonide,  loc.  cit.,  p.  29,  et  remarquer  que  saint 
Thomas  emprunte  au  rabbin  jusqu'à  ses  exemples  : 
«  cette  pierre  qui  se  meut,  c'est  le  bâton  qui  l'a  mise 
en  mouvement;  le  bâton  a  été  mû  par  la  main,  »]  etc. 
Le  second  emprunt  de  saint  Thomas  consiste  à  dire 
que  la  non-éternité  du  monde  ne  se  démontre  pas; 
proposition  qui  excila  beaucoup  de  murmures,  comme 
nous  l'apprend  saint  Thomas  lui-même  dans  son  opus- 
cule De  xlernitale  mundi  contra  murmurantes,  et 
l'on  sait  que  parmi  ceux-ci  se  trouvait  saint  lionaven- 
ture.  Voir  t.  m,  col.  2174.  De  là  saint  Thomas  concluait 
que  les  preuves  de  l'existence  de  Dieu  doivent  être  in- 
dépendantes de  la  question  de  la  création  proprement 
dite  ou  tout  au  moins  du  dogme  de  la  création  dans 
le  temps.  Cette  position  fut  empruntée  par  lui  à  Mai- 
rnonide. Cf.  Worms,  Die  Lehre  von  der  Anfanglosig- 
keit  der  Welt,  etc.,  dans  les  Beitrâge  de  Daeumker, 
t.  m;  Raymond  Martin,  Pugio  fidei,  part.  I,  c.  vi  sq.; 
Guttmann,  Moses  ben  Maimon,  Leipzig,  1908,  t.  i. 
p.  189. 

Ces  deux  emprunts  de  saint  Thomas  à  la  spéculation 
orientale  n'ont  pas  eu  la  même  fortune  dans  les  écoles. 
Bien  qu'on  trouve  encore  jusqu'au  XVIIIe  siècle  cette 
question  discutée  par  les  auteurs,  an  eœistenlia  Dei 
possil  demonslrari  permisso  progressu  in  infinitum, 
bien  que  ce  problème  ait  encore  une  grande  utilité  pé- 
dagogique, il  semble  que  l'accord  est  fait  pour  le  ré- 
soudre dans  le  sens  de  saint  Thomas.  Cf.  l'exposé  de 
la  question  dans  Sertillanges,  La  preuve  de  Dieu  et 
V éternité  du  monde,  Paris,  1897;  Les  sources  de  la 
croyance  en  Dieu,  Paris,  1905,  p.  69  sq.;  Hontheim, 
Institutiones  theodicese,  Fribourg-en-Brisgau,  1893, 
n.  198.  Ce  qui  ne  veut  pas  dire  qu'on  s'interdise  le 
droit  de  chercher  à  montrer  directement  la  répugnance 
du  progrès  à  l'infini,  soit  qu'on  admette  les  nombres 
infinis,  soit  qu'on  les  rejette.  Quant  à  l'argument  du 
premier  moteur  tel  que  saint  Thomas  l'a  compris,  il  y 
a  longtemps  qu'il  ne  s'enseigne  plus,  même  dans 
l'École  thomiste.  L'histoire  en  serait  fort  curieuse,  mais 
longue;  voici  quelques  points  de  repère  sans  discussion. 

Pour  Scot  comme  pour  saint  Thomas,  les  corps  ont 
un  lieuet  un  appétit  naturel  pour  ce  lieu.  Cf.  Sum.  theol., 
Ia,  q.  vu,  a.  3.  Ils  l'atteignent  ou  y  tendent  par  divers 
changements  qui  se  font  sous  l'action  des  sphères 
célestes,  celles-ci  se  communiquant  de  degré  en  degré  le 
mouvement  de  la  première  sphère.  Celle-là  est  mue 
par  le  premier  moteur.  Mais,  observe  Scot.  dans  ces 
conditions  l'argument  tiré  de  l'impossibilité  du  progrès 
à  l'infini  du  mouvement  local  ne  prouve  pas  l'existence 
de  Dieu.  En  effet,  1.  le  principe  quod  movetur,  ab  alio 
movetur,  entendu  dans  ce  sens  qu'un  mouvement 
local  précède  tout  changement,  n'est  pas  un  principe 
universel  el  nécessaire;  car  il  admet  bien  des  exceptions, 
spécialement  dans  les  êtres  libres  et  vivants.  L'induc- 
tion ne  prouve  ce  principe  que  dans  les  limites  sui- 
vantes :  quod  movetur,  ab  alio  etiam  movetur,  c'est-à- 
dire  rien  dans  notre  expérience  n'est  la  cause  adéquate 
de  son  mouvement,  cf.  Suarez,  Disp.  melaphys.,  disp. 
XXII,  sect.  il,  n.  23,  17  :  si  on  l'étend  davantage,  il  est 
faux,  quia  aliquid  potest  esse  i)i  actu  virtuali  et  i» 
potentia  formali.  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  III,  q.  vu, 
n.  28  sq.  Ce  qui  peut  se  traduire  familièrement  :  dans  le 
monde,  il  n'y  a  pas  que  des  toupies  à  fouet,  mais  aus>i 
des  toupies  à  ressort.  —  2.  D'ailleurs,  si  l'on  adme!  l'hy- 


933 


DIEU    (SON    EXISTENCE 


934 


pothèse  des  Arabes  sur  le  mouvement  de  translation 
cause  de  tous  les  changements,  l'argument  ne  conclut 
pas  à  Dieu,  vu  qu'il  ne  conclut  qu'à  un  moteur  qui 
n'est  pas  mû  par  un  autre  et  non  pas  à  un  moteur  abso- 
lument immobile.  Saint  Thomas  avait  cru  pouvoir  passer 
d'un  tel  moteur  à  Dieu  en  s'appuyant  sur  «  l'assomplion  » 
d'Aristote,  Physic,  I.  VI,  c.  x,  édit.  Bekker,  t.  i,  p.  2i0, 
que  les  êtres  simples  ne  peuvent  être  mus  que  par  ac- 
cident; théorie  qui  suppose  que  tous  les  mouvements 
locaux  sont  des  mouvements  absolus,  qu'il  n'y  a  pas  et 
nepeul  pas  y  avoir  de  mouvements  relatifs.  Scot  conti- 
nue à  penser,  comme  tout  le  monde  jusqu'à  Copernic, 
que  de  fait  les  mouvements  de  l'univers  sont  des  mou- 
vements absolus,  bien  qu'il  entende  ce  mot  dans  un 
sens  moins  strict  que  ses  contemporains;  mais  son  génie 
lui  a  fait  remarquer  qu'il  n'est  pas  du  concept  de  mou- 
vement de  translation  qu'il  y  ait  application  d'un  quan- 
tum sur  un  quantum;  il  suflit,  dil-il  à  propos  desanges, 
de  considérer  l'espace  parcouru;  c'est,  en  effet,  ce  que 
nous  faisons  tous  aujourd'hui  en  mécanique  dans  les 
problèmes  de  composition  des  mouvements.  In  IV  Sent., 
1.  II,  dist.  II,  q.  ix.  Donc,  conclut-il,  le  premier  moteur 
non  mû  par  un  autre,  auquel  aboutit  l'argument  em- 
prunté par  saint  Thomas  aux  Arabes  et  à  Maimonide, 
serait  en  réalité  un  moteur  non  immobile;  il  ne  serait 
pas  plus  immobile  que  notre  âme:  Ibid. ,q.\u.  —3.  Dans 
ses  Theoreniata,  Scot  attaqua  d'une  autre  façon  encore 
la  preuve  de  l'existence  de  Dieu  par  un  moyen  terme 
physique;  mais  dans  ce  passage  l'argumentation  du 
docteur  subtil  vise  plus  Albert  le  Grand  que  saint 
Thomas  et  déborde  l'argument  du  premier  moteur. 
Cf.  Suarez,  Dispul.  metaphys.,  disp.  XXIX,  sect.  i, 
n.  1S. 

Iles  trois  observations  de  Scot,  les  scotistes  dévelop- 
pai eut  surtout  la  première;  les  nominalistes.  à  fini 
leur  occasionalisme  ne  permettait  pas  de  suivre  en  ce 
point  Scot,  développèrent  les  deux  autres.  Voir  les 
arguments  d'Aurioli  dansCapreolus,  Defensiones  théo- 
logies tancli  Thomee,  I.  I.  dist.  III,  q.  i.  Tours,  1900, 
t.  i,  p.  164.  Cf.  Occam,  ibid.  Les  thomistes  firent 
preuve  pour  défendre  le  texte  et  la  pensée  de  saint 
Thomas  d'une  ingéniosité  rare.  Cf.  Ferrariensis,  Contra 
génies,  1. 1,c.  xm.  Mais  la  subtilité  des  scotistes  triompha, 
aidée  Bans  aucun  doute  par  tout  le  mouvement  scienti- 
fique qui  devait  aboutir  à  Galilée  et  :i  l'application  de 
l.i  mathématique  .i  l'étude  des  mouvements  réels.  Aussi, 
après  ;i\oir  vivement  lutté  spécialement  contre  le  sco- 
liste  Trombetta,  qui  avait  dédié  •■  Léon  X  son  opuscule  : 
De  effleienlia  primi  principii...  quid  senserinl  Ari- 
tlolelet  <H  Commenlator  Averroès)  de  effleienlia 
primi  principii  inftnitate  inten- 

,  Venise,  1313,  Cajetan  >-  signait  ;i  avouer  dans 
la  compilation  qu'il  écrivait  sur  la  Somme  de  saint 
Thomas  que  l'argument  du  premier  moteur  ne  con- 
clut pas  à  un  moteur  plu-  immobile  que  n'esl  l'Ame 
humaine.  -  /"  l*m,  q.  n,  a.:1..  Suarez  ne  dit  guère  antre 
•  -    1598,  lorsqu  il    i  iul    !•■    débat  el 

lut  que  le-  ne. s,  n-  tei  mes  physiques  ne  sufl 

-n   infinité.  Disp.  metaphys., 
disp.  XXI)  t;  disp.  X\  \.   sect.   n.   On  pouvait 

croire  la  question  vida  •    Il  n'en  fui  rien.  Bannei  prit  la 

position  suivante  .Sinomine  motus  solum  intelligatui 

nwlut  physicut,  b<  mut  quod  per 

solum  de\  enilui    a  I  i  molorem  i»i- 

quidenx  per  se,  per  accident  lamen  potetl 
mobilis.   En  d'autres  termes,   li  «m  prend  I 

ment  dans  le  -•  ni  où  bistoi  iqui  m»  nt  -  uni  Thon 

runlé  aux  Irabi  -   il  m    conclut  pas,  el  la  critique 
■me/  ajoute  de  ion  cru  : 

8a  d  non  débet  iti  ,.,  ehendal 

■ 
ipplu  oh,,  potentiel 
■  i  elUÛn  motut  metaphi 


qualis  est  modo  finis.  El  tune  ratio  ista  sic  débet  dis- 
poni.  Omne  quod  movelur  quoeumque  motu,  sive  spi- 
ritual), sire  melaphysico,  sive  morali  propter  appeli- 
lum  alicujus  (i)iis  superioris,  ab  alio  movelur,  el  in 
islis  motibus  non  dalur  processus  in  infinitum.  Ergo 
deveniendum  est  ad  unum  motorem  qui  islis  motibus 
est  omnino  immobilis,  qualis  esl  Deus.  Scolaslica  com- 
menlaria  in  7a"<,  q.  n,  a.  3,  Venise,  1387,  p.  230. 

Depuis  Bannez,  on  n'est,  pour  son  école,  thomiste 
que  si  l'on  admet  l'argument  du  premier  moteur  en 
transférant  au  concours  divin  ce  qui  fut  écrit  de  l'action 
de  la  première  sphère.  Goudin  prononce  sans  hésiter  : 
Qui  negant  praemotioncin  negare  soient  lioc  axioma, 
quod  movelur,  abalio  movelur ,  sicque expedilissimam 
scalam  subruunt  qua  philosophi  anliqui  ad  cognilio- 
nem  Dei  ascendebant.  I'hysica,  part.  I,  disp.  III,  q.  vi, 
t.  n,  p.  389.  De  nos  jours,  le  P.  de  Munnynck  pense  de 
même  :  «  Si  Suarez  n'admet  pas  l'argument  du  pre- 
mier moteur  de  saint  Thomas,  c'est  que  cet  argument 
favorise  trop  la  prémotion  physique.  »  Prœlecliones 
de  Dei  existenlia,  Louvain,  1904,  p.  64.  Les  thomistes 
bannéziens  font  donc  de  l'argument  du  premier  mo- 
teur un  argument  métaphysique,  ex  ratione  metaphy- 
sica,  non  ex  medio  plujsico.  Il  en  est  de  même  des 
différentes  espèces  de  néo-thomistes,  qui  ne  sont  pas 
bannéziens;  ils  ont  recours  pour  soutenir  cet  argu- 
ment à  diverses  notions  sur  la  limitation  des  êtres 
finis,  sur  la  composition  des  êtres,  sur  l'acte  et  la 
puissance,  etc.,  dont  se  servaient,  il  est  vrai,  les  tho- 
mistes anciens  à  l'époque  où  ils  défendaient  encore 
contre  les  scotistes  la  valeur  de  l'argument  de  saint 
Thomas  pris  au  sens  de  l'antériorité  du  mouvement 
de  translation,  mais  qui  n'ont  aucun  rapport  telles 
qu'elles  sont  entendues  par  les  néo-thomistes  avec  l'ar- 
gument ex  medio  physico.  Cette  intervention  récente 
du  néo-thomisme  a  fait  de  cette  question  le  carrefour 
le  plus  systématique  de  tonte  la  théologie,  et  on  s'j 
querelle  aujourd'hui  en  pleine  obscurité.  Du  moins  les 
bannéziens  anciens  sont-ils  toujours  restés  fidèles  au 
principe  qu'on  ne  doit  pas  prouver  les  choses  certaines 
par  des  opinions  controversées;  c'est  ainsi  que  Jean  de 
Saint-Thomas  refuse  de  se  servir  de  la  distinction  i 

de  l'essena t  de  l'existence  pour  prouver  l'infinité  de 

Dieu,  parce  que,  dit-il.  ce  n'est  là  qu'une  opinion  con- 
troversée. ///  / q.  vu,  disp.  Vil,  a.  1, n. 7,  édit.  Vives. 

t.  i,  p.  696.  De  lie  nie.  le  P.  Lepidi  considère  avec 
D.  Soto  comme  une  question  secondaire  dans  le  tho- 
misme l'existence  distincte  de  cette  entité'.  Cité  par 
Reinstadler,  Elementa  philosophie!  scolasticœ,  Fri- 
bourg-en-Brisgau,  1907,  t.  i,  p.  256.  Les  néo-thom 
ont  abandonné  cette  Bage  méthode  et  procèdent  ainsi. 

S.iinl  Thomas  a  dit  que  l'argument  du  premier  moteur 

est  le  pins  manifeste;  or,  pour  qu'il  soit  valable,  au 
métaphysique  où  nous  l'entendons,  telles  el  telles 
hypothèses  métaphysiques,  telles  entités,  telles  distinc- 
tions réelles  oie.,  nous  sont  nécessaires;  c'est  donc 
que  d  après  saint  Thomas  ces  hypothèses  sont  évidentes, 
D'où  il  suit  que  l'argument,  que  les  néothon 
déclarent    à    l<  le  meilleur  pour   démontrer 

l'existi  nce  de  Dieu,  esl  finalement  basé'  chez  eux  sur  un 
appel  à  l'autorité  du  docteur  angélique,  interprété  à 
sens.  Sans  discuter  la  question  de  fond,  nous 
constaton  qui  l<  néo-thomistes,  par  le  moyen  de  con- 
sidérations métaphysiques  qu'Us  déclarent  très 
fondes,  fondamental!      ibandonnenl  en  réalité  comme 

tout  le  reste  de  l'École  l'argument  physique  du  pre t 

moteur,  tel   que  sainl  Thomas  le  reçnl  di  -    \<  ib«  - 

Cf.  Honll op.  •  '/.,  n 

si.  pour  les  raisons  el  de  la  mania  reque  noua  n  non» 

d'indiquer,  l'argument  tin- du  mouvement  de  transi  a 

lion  .i  disparu  de  l  l  cole  depuis  pluaieu  .  il  •> 

écu  dans  la  ei  quelques 

philo  i  chez  quelques  apologistes  de  I 


935 


DIEU     So.N    EXISTENCE 


936 


volonté.  De  nos  jours,  nous  assistons  au  mouvement  de 
réaction  suivant.  Beaucoup  île  philosophes  ayant  réduit 
au  sentiment  tout  le  fondement  de  la  croyance  en  Dieu, 
les  positivistes  se  sont  mis  à  attaquer  la  légitimité  de 
la  connaissance  sentimentale;  AI.  Ribot,  par  exemple, 
a  t'-cri t  La  logique  <ics  sentiments,   en  prenant  pour 
accordé  que  la  connaissance  religieuse  n'a  pas  d'autres 
origines  que  l'émotion,   sauf  à   montrer  dans  tout  son 
ouvrage  qu'il  n'y  a  là  aucun  moyen  valable  de  connaître. 
Or,    nous    avons   vu   une    levée    de    boucliers  contre 
M.  Jlibot  :  on  croit  rendre  grand  service  à  la  religion 
en  défendant  contre  lui  «  la  logique  des  sentiments,  » 
et  on  ne  se  rend  pas  compte  qu'une  telle  apologétique 
est   de   nature  à  confirmer  les   positivistes  dans  leur 
erreur  et,  comme   dit  l'encyclique  Pascendi,  que  ja- 
mais «  le   bon  sens    n'admettra  que   l'émotion  soit  un 
moyen  sûr  de  découvrir  la  vérité.  »  Denzinger,  10e  édit., 
n.  2106.  Il  s'est  passé  pour  l'argument  du  mouvement 
local  quelque  chose  de  semblable.  Hobbes,  voir  col.  776, 
Pascal,  voir  col.  805,  et  de  nos  jours  Stuart  M i  1 1  ont 
allecté  de  prendre  cette  preuve  pour  la   seule  valable; 
puis,  ils  ont  montré  ou  affirmé  qu'elle   n'est  pas  con- 
cluante ;  et  depuis  Hobbes  jusqu'à  nos  jours,  il  s'est 
trouvé  des  théologiens  protestants,  des  philosophes  et 
des  apologistes  pour  réfuter  Hobbes  d'abord,  puis  To- 
land,  lorsque  celui-ci  riposta  que  le  mouvement,  c'est- 
à-dire   l'effort  que  fait  un    corps  pour   se  transporter 
d'un   lieu   à  un  autre,   est  essentiel   à   toute   matière. 
Cf.  Samuel  Parker,  De  Deo  et  providentiel,  Londres, 
1678,  disp.  I,  c.  xxvm  ;  Abbadie,  Traité  de  la  vérité  de 
la  religion  chrétienne,  sect.  i,  c.  IV,  Rotterdam,  1684; 
Samuel  Clarke,  Démonstration   de  l'existence  et   des 
attributs  de  Dieu,  dans  la  Défense  de  la  religion  de 
Burnet,  La  Haye,  1740,  t.   m,   p.  13,  33  sq.  ;  Buddeus, 
Traité  de  l'atliéisnte,  Amsterdam,  1740,  p.  179.  La  polé- 
mique contre  Stuart  Mill,  même  après  l'hypothèse  de  la 
nébuleuse,  a  rajeuni  le  zèle  de  quelques  écrivains  d'ail- 
leurs bien  pensants,  qu'il  vaut  mieux  ne  pas  nommer  et 
dont  il  suffit  de  dire  ici  qu'ils  eussent  bien    fait  de  se 
demander  si  leurs  prétendues  démonstrations,  tirées  de 
la    physique   et   des  mathématiques,    n'étaient  pas  de 
nature  à  fournir  une  excuse  aux  athées  bien  informés. 
Cf.  par  exemple  Keyser,  The  message  of  modem  ma- 
themalics  to  theology,  clans  Hibbert  Journal,  janvier 
1909.  Saint  Thomas  faisait   déjà  de   son   temps  la  re- 
marque que  le  fidéisme  doit  son  origine  à  la  faiblesse 
des  raisons  que  l'on  apporte  quelquefois   en  faveur  de 
l'existence  de  Dieu.  Contra  génies,  1.  I,  c.  xn. 

2°  Point  de  vue  'pratique  ou  apologétique.  —  Quand 
on  se  place  à  ce  point  de  vue  dans  l'exposé  des  preuves 
de  l'existence  de  Dieu,  on  a  pour  but  ou  bien  d'amener 
quelqu'un  à  la  croyance  au  vrai  Dieu,  ou  bien  de  lui 
montrer  que  la  croyance  en  Dieu  qu'il  professe  est 
raisonnable,  ou  enfin  de  résoudre  certaines  difficultés 
qui  se  sont  élevées  dans  l'esprit  d'un  croyant  ou  d'un 
homme  qui  a  cru  en  Dieu  mais  a  cessé  d'y  croire  pour 
diverses  raisons.  Dans  l'ordre  de  providence  où  nous 
sommes  placés,  la  méthode  apologétique  est  en  celte 
matière  dominée  par  les  faits  suivants. 

1.  Tout  homme  est  personnellement  capable  de  par- 
venir à  la  connaissance  certaine  de  Dieu  de  façon 
à  pouvoir  commencer  sa  vie  morale  et  religieuse. 
Voir  col.  831.  Nous  avons  dit  par  quel  procédé  lo- 
gique il  y  aboutit.  L'apologiste  n'a  donc  rien  de  mieux 
à  faire  que  de  développer  et  de  présenter  d'une 
façon  adapté'e  à  l'intelligence  de  ses  lecteurs  pro- 
bables l'argument  tiré  de  l'ordre  de  l'univers,  celui 
de  causalih',  enfin  les  arguments  muraux  dont  nous 
avons  parlé.  Dans  la  pratique,  c  esl  bien  ce  que  donnent, 
en  effet,  les  apologistes  les  plus  autorisés,  protestants 
aussi  bien  que  catholiques.  La  littérature  de  ce  genre, 
spécialement  en  ce  qui  concerne  l'argument  de  l'ordre 
du  monde,  est  immense  depuis  trois  siècles.  Il  esl  â 


remarquer  que  souvent  les  apologistes  dont  nous  par- 
lons n'excluent  pas  <  ni  dans  leur  manière  de 
présenter    leurs    preuves    le   matérialisme  ou   le  pan- 
théisme; ils  supposent   que  l'on   admet   par  exemple 
l'existence  et  la  spiritualité  de  lune,  la  distinction  de- 
Dieu  et  du  monde  et   autres  vérités  de   même  espèce 
qui    ne   font    communément    aucun    doute   parmi    les 
chrétiens.  Ils  ne  donnent  donc  pas  une  démonstration 
rigoureusement    complète.    Par    exemple,   la    célèbre 
preuve  tirée  de  l'existence  de  notre  pensée  et  de  notre 
âme,  indiquée  par  Hugues  de  Saint-Victor,  De  sacra- 
ruenlis,  1.  I,  part.  III,  c.  vu  sq.;  Erudilio  didascalica, 
1.  VII,  c.  xvn,  P.  L.,   t.   CLXXVI,  col.   219,  8-25.  reprise 
par  les  cartésiens,  cf.  Fabri,  Summa  theologica,  tr.  I, 
c.   i,  n.  6,  Lyon,  1669,  et   de  nouveau  remise  en  hon- 
neur par  Illingworth,  Personalily  hum  an  and  dix 
1894,  et  par  l'abbé  de  Broglie,  Preuves  psychologiques 
de  l'existence  de  Dieu,  Paris.  1905,  prend  pour  accor- 
dées bien  des  choses  que  l'athée  mettrait  en  question.  Il 
est  vrai  que  dans  ses  négations  l'athée  se  mettrait  en 
marge  du  sens  commun.  On  peut  donc,  si  l'on  écrit 
pour  des   hommes  qui  ne  sont  pas  décidés  à  faire  ce 
mauvais  pas,  leur  épargner  les  dédales  d'une  démons- 
tration complète  et  argumenter  ex  concessi*. 

2.  Cependant,  la   plupart  des  hommes,  surtout  dans 
nos  sociétés   chrétiennes,   n'acquièrent  pas  par  eux- 
mêmes  la  première  idée  de  Dieu,  mais  la  reçoivent  en 
fait  de  l'enseignement  social.  Voir  col.  835.  De  là,  au 
point  de  vue  pratique,  l'importance  de  l'argument  tiré 
du  consentement  universel  des  peuples.  Cf.  S.  Thomas, 
Sum.  theol.,  II»  IIe,  q.  i,  a.  5.  ad  3"m.  C'est  donc  avec 
raison  que  les  apologistes  lui  donnent  souvent  la  pre- 
mière place  dans  leurs  traités.  Cf.  Hettinger.  Apologie 
du   christianisme,   t.    1,   p.   117;  Crafer.   Apologelics, 
dans  Y Encgclopaedia  of  religion  and  ethics  de  Ilas- 
tings,  Edimbourg,   1908,  p.  613,  620;  Sertillanges,  Les 
sources  de  la  croyance  en  Dieu,  c.  1,  Paris,  HHJ5.  Cette 
preuve    morale    est   d'ailleurs   solide;   car,    remarque 
Cicéron,  De  natura  deorum,  1.  I.  c.  xvn.  «  une  opi- 
nion  qui    a    pour   elle   le  témoignage  positif  de  tout 
le    genre  humain  ne   peut  pas  ne  pas   être   vraie.   » 
Quand  on  se  sert  dans  la  question   qui    nous  occupe 
de  cet  adage,  il  est  à  noter  que  l'on  n'invoque  pas  le 
sens    commun    comme    autorité.   Car,  remarque  jus- 
tement Mgr  Mercier,  «  son  témoignage  commande  des 
réserves.  L'humanité  n'a-t-elle  pas  cru  unanimement  à 
la  solidité  des  cieux,  au  mouvement  du  soleil  autour  de 
la  terre?  »    Critériologie  générale.  5e  édit.,  Louvain. 
1906,  p.  153.  On  ne  considère  pas  davantage  le  consen- 
tement universel  comme    le  véhicule  de  la  révélation, 
ou  comme  le  résultat  d'un  instinct  aveugle,  ainsi  que 
le  faisaient  Reid   et  les  traditionalistes.  On  le  prend 
comme  sigtie  d'une  tendance  delà  nature  intelligente 
à  adhérer  à  certaines  propositions,  connue  résultat  de 
l'usage  normal  des  facultés  de  connaître  de  l'espèce  hu- 
maine. Cf.  Farges,  La  crise  de  la  certitude,  Paris,  L907, 
p.  216.  Ainsi  envisagé,  le  consentement  universel  ou  le 
sens  commun  est  un  critère  de  vérité,  mais  fondé  sur 
l'induction.  Si,  en  effet,  dans  un  c;is  déterminé,  on  peut 
faire  voir  que  la  rencontre  de  toutes  les  intelligences  en 
une  même  affirmation  n'est  pas  explicable  par  des  causes 
accidentelles,  il  est  permis  de  conclure  qu'elle  a  pour 
cause  une   même   perception   chez  toutes  d'un  même 
objet.  11  est   facile  de  se  rendre  compte  que  c'est  bien 
de  la  sorte  que  procèdent   les  apologistes  et  les  philo- 
sophes qui  développent  l'argument   du   consentement 
universel.  Cf.   Tongiorgi,    histitutiones    philosophas, 
'.y  édit.,  Bruxelles,  1864,  t.  m,  p.343-3ôi;  Palmieri,  In- 
stil.  philos.,  Rome,  1876.  t.  ni.]).  77-83;  Hontheim,  op. 
cit..  n.  405-417;    Boedder,    Thcologia  naturalis,   Fri- 
bourg-en-Brisgau,  1895,  p.  76-87.  Quant  au  degré  de  cer- 
titude que  donne  cet  argument,  les  auteurs  sont  parta- 
gés. Tous  ceux  qui  n'admettent  pas  la  valeur  apodictique 


937 


DIEU    (SON    EXISTENCE 


938 


de  la  preuve  de  l'existence  de  Dieu  par  la  finalité  in- 
terne, soutiennent  ici  que  l'argument  du  consentement 
universel  ne  peut  produire  qu'une  certitude  morale  ou 
même    une   très   haute    probabilité.   Cf.  par  exemple 
Buonpensiere.  In  7   ",  Rome,  1902,  p.  130  :  Hoc  argu- 
mentum    quia  innililur  consensui  humani  generis, 
qui  consensus  prxbet  solam  certitudinem  moralem, 
non  habet  nisi  certitudinem   moralem;  Sertillanges, 
op.  cit.,  p.  31,  juge  «  qu'il  est  capable,  si  on  l'examine 
à  son  vrai  point  de  vue,  d'emporter  la  conviction  de 
l'homme  prudent.    »  Sans  partager  la  même  défiance 
contre  la  réduction  de  cet  argument  à  celui  de  la  fina- 
lité interne,  d'autres  auteurs  ne  font  pas  cette  réduc- 
tion; d'où  il  suit  que  pour  eux  cet  argument  ne  donne 
également    qu'une    certitude    morale;    ainsi    pensent 
Tongiorgi,  Palmieri,    Hontheim  et   Boedder,  loc.  cit. 
Quelques  philosophes   vont  plus  loin   avec  Kleutgen, 
J'/iilosop/tie  scolas tique,  t.  iv,  n.  931,  et  cherchent  à 
montrer  par  le  moyen  du  consentement  universel  que 
nous  sommes  en  présence  «  d'une  loi  de  notre  esprit, 
en  vertu  de  laquelle  l'homme  doit  reconnaître  la  réalité 
de  l'idée  de  Dieu.  »  Car,  si  la  raison  est  une  faculté  de 
connaître,   il    faut  aussi  que  ses  pensées  et  ses  juge- 
ments, conformes  aux  lois  qui  la  régissent,  possèdent 
la  vérité.    Iniis,  dit  Heinstadlcr,   quse   ratio   naturali 
motu  ut  verum  admit tit,  non  potest  esse  error.  Ele- 
menta  p/iilosopltiœ  scliolaslicœ,  3e  édit.,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1907,  t.  i,  p.  202;  t.  n,  p.  23S.  Le  protestant 
Crafer  fait  dans  le  même  sens,  loc.  cit.,  la  remarque 
suivante  :  Sans  doute,  la  croyance  en  Dieu  est  dans  un 
individu  donné  un  fait  subjectif;  mais  quand  on  considère 
que  ce  fait  se  reproduit  chez,  tous  les  individus  de  l'espèce 
el  quels  sont  les  caractères  singuliers  qui  distinguent 
l'idée  de  Dieu  d«-loule  autre,  le  fait  subjectif  constitue 
un  fait  nouveau,  objectif,  dont  en  vertu  du  principe  de 
raison  suffisante  ri  de  finalité  interne  l'existence  réelle 
de    Dieu   fournit   seule  l'explication.    Cf.    S.  Thomas, 
Contra  génies,  1.  Il,  c.  xxxiv.  n.  I. 

■  >.  Un  dernier  fait  dont  l'apologiste  doit  tenir  compte 
est  que  l'athéisme  spéculatif  absolu  est  relativement 
rare,  bien  que  les  doutes  ou  même  les  défaillances 
dans  la  crovance  en  Dieu  soient  chose  fréquente  sur- 
tout depuis  que  l'impiété  jouit  de  la  funeste  liberté  de 
répandre  partout  les  sophismes  dont  elle  s'autorise.  La 
fermeté  dans  la  foi  esl  sûrement  le  meilleur  conseil  à 
donner,  d'autant  que  pour  le  croyant  qui  prie  et  observe 
les  préceptes  bien  des  difficultés  s'évanouissent,  par 
exemple  celle  de  l  existence  do  mal  dans  le  monde. 
Cependant,  au  point  de  vue  apologétique,  on  peut  tris 
utilement  recourir  à  certains  arguments,  qui  par  eux- 
mêmes  ne  prouvent  pas  l'existence  de  Dieu,  mais  qui 
d'une  part  font  sentir  à  celui  qui  fait  parade  u'incré- 
dulité  qui  -ons  de  ne  pas  croi; 

sont  pas  solidi  -,  el  qui  d'autre  part  suffisent  pour  écar- 
ter li  il   du   croyant    que   des   (toutes 
ébranlent  ou  inquiètent.  L'emploi  de  tels  moyens  esl 
parfaitement  ]•  ar  il  m-  oduire 
la  croyance,  qui              m   fond  de  l'âme,  mais  seule- 
ment de  chasser  un  brouillard  qui  obscurcit  la  lumière 
donm  e-  de  la   raison   naturelle   ou   de   la  foi.  si 
donc,  et  h                 pas  i  him  i  ique,  en  rencontre  une 
ou   même   niant  Dieu   par  suite  d'une 
difficulté  d'ordn    |  •                                 bien  détermi- 
ii  peut  i  in'  il.  ■  utile,  après  avoir  expliqué  com- 
ment  la   méthode  des   scieni                          n'est    pas 
'oui.-  la  méthode,  cf.  s.  Tho                        ntes,  I,   II. 
'ii.nl/'                              ,■      jue  de  la 

1909,   I    i.  i  .1.  27.  39,  de  discuter  de  près  1 1 
"due   difl    alfa     P  n    ■  temple,  on    sait    qui 
vieilles  difficultés  de  Lucrèce  sur  les  atomes  ctei 
produisant   le   monde  tonl  fréquemment   reprises,  el 
que  pour  expliquer  la  vie  dans  i  e  monde  ■ 
venu  .i  l'hypothi  -■   de  la  rie  universelle  qui  si  and  ilisa 


si   fort  le   xvic  siècle,   lorsque  Césalpin  et  Cardan  la 
proposèrent  en  s'appuyant  sur  les  générations  sponta- 
nées. Cf.  Andréas  Caesalpinus  Aretinus,  Quseslionum 
peripaleticarum   libri   V,  Venise,  1593,  1.  V,  q.  i.   On 
répondit  longtemps  que  «  l'origine  toute  récente  des 
états,  des  lois,  des  arts  et  des  sciences  sont  des  preuves 
incontestables  de  la  nouveauté  du  monde;   et  que  ces 
preuves  se  confirment  par  la  découverte   de  diverses 
choses  utiles  que  font  les  modernes,  étant  impossible 
qu'on  eût  fait   ces  découvertes    si   tard,  si   le    monde 
eût  été  éternellement  ce  qu'il  est.   »  Cf.  Gastrell,  dans 
Ilurnet,  op.  cit.,  t.  i,  p.  417.  Pour  éluder  cette  réponse, 
l'incrédulité  eut  recours  à  l'hypothèse  de  la  réversibi- 
lité, «  le  spectacle  actuel  du  monde  n'étant  que  l'une 
des  répétitions  sans  nombre  d'un  même  ensemble  de 
phénomènes  périodiques.  »  Mais  le  principe  d'entropie 
admis  par  la  science  montre  que  toutes  les  modifica- 
tions dans  l'univers  matériel  ne  sont  que  des  pas  vers 
un  équilibre  final,  vers  une  répartition  uniforme  de  la 
température  de  l'espace  et  vers  le  repos  des  masses  de 
matière   pondérable.    L'argument  ad  homineni   qu'on 
déduit  de  ce  principe  pour  montrer  que  le  monde  n'est 
pas  éternel  et  a  une  cause  n'est  donc  pas  à  dédaigner. 
Cf.  Hontheim,  op.  cit.,  n.  336;  Dressel,  dans  Stimmen 
ans  Maria-Laach,  février  1909;  Reinsladler,  Elemenla 
pliilosopliise  scolaslicse,  Fribourg-en-Brisgau,  1907,  t.  Il, 
p.  232.   De  même,  on  attaque  l'athéisme  et  on   résout 
certains  doutes  en  partant  des  découvertes  de  Pasteur 
a  propos  des  prétendues  générations  spontanées.   S'il 
n'\  a  pas  de  générations  spontanées,  d'où  vient  la  vie? 
Et  la  difficulté  croit  dans  l'hypothèse  de  la  nébuleuse, 
que  généralement  l'on  admet.  Cf.  Hontheim,  op.  cit., 
n.  346.  Ces  arguments,  j'en  conviens,  ne  constituent 
pas  plus  une  preuve  apodictique  de  Dieu  que  l'argument 
des  Arabes   tiré   du    mouvement   de   translation.   Mais 
entre  les  mains  d'un  théologien,  initié  aux  théories  et 
aux    méthodes  scientifiques   modernes,   ils    sont  d'un 
merveilleux  effet  pour  montrer  que  l'athéisme  spécu- 
latif se  repaît  d'évidences  purement  subjectives,  et  pour 
débarrasser  l'esprit  des  croyants  des  doutes  que  les 
affirmations  de  vulgarisateurs,  comme  Bùchner,  etc., 
jettent  dans  les  esprits. 

8°  l'oim  de  vue  scientifique.  —  L'étude  scientifique 
des  preuves  de  l'existence  rie  Dieu  n'est  pas  à  propre- 
ment parler  œuvre  de  théologien,  si  par  théologie  on 
entend  la  science  des  choses  divines  dont  les  principes 
sont  les  articles  de  notre  foi;  et  c'est  la  raison  pour 
laquelle  ces  preuves  sont  omises  ou  très  sommairement 
dans  beaucoup  de  traités  théologiques.  Cepen- 
dant les  travaux  de  l'École  sur  ce  point  sont  considé- 
rables. Tour  en  faciliter  l'étude  directe  que  rien  ne 
saurait  suppléer,  nous  indiquerons  :  t.  les  principes 
directeurs  des  théologii  us  dans  leur  exposé  des  preuves 
nies;  2.  le  si  n-  el  la  mai  élu1  de  la  démonstration 

dans  les  cinq  preuves  données  par  saint  Thomas 

1.  Princ'i  leurs  de  i  ficole  dans  l'élaboration 

technique    des  —  si  l'on   étudie   attentive- 

ment l'ensemble  des  travaux  de  l'École  sur  notre  sujet. 
on  remarque  que  leur  développement  a  éb  commandé 
par  les  préoccupations  suivantes  -  »   Le  théologien  qui 
i  les  preuve-  .1"  l'existence  de  Dieu  n'a  pas 
la  prétention  de  produire  la  première  conviction  reli- 
n  en  donm    l.i  raison  :       La   preuve 
Mie"  |  "m  acquêt  ir  une  plein*   i 
titude  esl  si  facile  si  si  claii  e  qu'on  It  a  peine 

du  procédé  logique  qu'elle  implique,  et  qi  pi   uvee 

scientifiquemi  nt  développées,   bien  loin  de  donn 
l'homme  la  prei  tude  de  l'existence  de  Dieu, 

et  consolider  celle  qui  existe  déjà. 

De  plu-,  comme  la  preuve,  dans  sa  for iriginelli 

il.,  en  qui  Iqui  uni    d<  monslration 

le-    pin-    prol 

'i.'  la  nature  raisonnable  de  l'homme,  'lie  i..> 


939 


DIEU    (SON    EXISTENCE) 


940 


à  ce  litre,  une  conviction  plus  forte  et  plus  inébran- 
lable que  n'importe  quelle  conviction  artificiellement 

obtenue  et  ne  peut  être  ébranlée  p;ir  aucune  objec- 
tion scientifique.  »  La  dogmatique,  t.  n,  p.  21,  n.  29. 
Cf.  Schanz,  Apoloyic,  3e  édit.,  Fribourg,  1903,  t.  i, 
p.  499.  Cela  ne  veut  pas  dire  que  les  preuves  classiques 
ne  sont  pas  de  soi  capables  de  produire  la  certitude  de 
l'existence  de  Dieu  ou  de  ramener  à  la  croyance  en 
Dieu  celui  qui  l'a  perdue;  car  nous  ne  concédons  en 
aucune  façon  à  M.  Le  Dantec,  L'athéisme,  Paris,  1906, 
p.  24,  que  ces  preuves  sont  «  bonnes  pour  ceux  qui 
croient  »  à  l'exclusion  de  ceux  qui  ne  croient  pas,  ou 
que  leur  insuffisance  excuse  l'incrédulité.  Elles  sont  de 
soi  valables  et  suffisantes  pour  tous;  mais,  comme  pour 
en  saisir  intellectuellement  toute  la  force,  il  faut 
«  beaucoup  de  pénétration  et  de  profondes  éludes  dont 
peu  d'hommes  sont  capables,  »  S.  Thomas,  Contra 
gentes,  I.  I,  c.  iv,  il  est  comme  impossible  d'avoir 
de  fait  à  les  présenter  à  un  homme  assez  cultivé  pour 
les  entendre  pleinement  et  qui  ne  soit  pas  déjà  arrivé 
à  la  certitude  spontanée  et  réfléchie  de  l'existence  de 
Dieu,  nécessaire  et  suffisante  pour  commencer  sa  vie 
morale  et  religieuse  et,  si  la  révélation  extérieure  lui 
est  proposée,  pour  faire  l'acte  de  foi.  D'où  il  suit  que 
le  fidèle  qui  ne  saisirait  pas  la  force  démonstrative  de 
ces  preuves,  ne  saurait  trouver  dans  ce  fait,  qui  résulte 
de  l'opacité  naturelle  ou  du  manque  de  culture  de  son 
esprit,  un  motif  raisonnable  de  mettre  en  suspicion  sa 
foi,  et  que  l'athée  ne  saurait  être  excusé  de  ne  pas  se 
servir  des  lumières  qu'il  a  eues  ou  qu'il  a,  sous  le  pré- 
texte que  d'autres  sont  mieux  partagés  que  lui.  Cf.  Ba- 
det,  Le  péché  d'incroyance,  Paris,  1899;  Gardeil,  La 
crédibilité  et  l'apologétique,  Paris,  1908,  p.  237  sq.  Les 
prétendues  insuffisances  que  l'athéisme  ou  l'agnosti- 
cisme pensent  découvrir  dans  les  preuves  scientifique- 
ment exposées  de  l'existence  de  Dieu,  de  même  que 
les  nombreuses  erreurs  sur  Dieu  dans  lesquelles  nous 
voyons  tomber  les  rationalistes  qui  ont  rejeté  la  foi 
chrétienne,  loin  de  le  troubler  constituent  aux  yeux  du 
théologien  une  excellente  preuve  expérimentale  de  la 
nécessité  inorale  de  la  révélation  pour  que  tous  puissent 
connaître  sans  erreur  l'ensemble  des  vérités  religieuses 
que  la  raison  peut  démontrer.  Cf.  conciles  de  Reims  en 
1858,  d'Avignon  en  1849,  de  Bordeaux  en  1856  et  1868. 
Colleclio  Lacensis,  t.  iv,  col.  187,  360,  692,  843. 

Les  autres  principes  directeurs  de  l'École  sont  : 
b)  Respect  de  la  tradition  scripturaire,  patristique  et 
même  philosophique.  Ce  souci  part  d'une  idée  très 
juste,  à  savoir  que  les  preuves  scientifiques  ne  diffèrent 
pas  essentiellement  des  arguments  par  lesquels  on 
parvient  à  la  connaissance  confuse,  spontanée,  puis 
réfléchie  de  l'existence  de  Dieu.  —  c)  Recherche  de  la 
rigueur  logique  dans  la  démonstration;  ce  qui  inclut  le 
rejet  de  toutes  prémisses  qui  ne  seraient  pas  absolu- 
ment certaines,  c'est-à-dire  qui  dépendraient  d'une  hy- 
pothèse non  évidente  et  non  démontrée,  et  la  réduction 
au  "minimum  des  principes  invoqués.  —  d)  Recherche 
de  moyens  termes  qui  amènent  à  une  conclusion  telle 
que  les  principales  thèses  de  la  théodicée  chrétienne 
puissent  facilement  en  être  déduites.  C'est  ainsi  par 
exemple,  remarque  Jean  de  Saint-Thomas,  que  le  doc- 
teur angélique  démontre  l'existence  d'un  premier  mo- 
teur immobile,  d'une  première  cause  efficiente,  d'un 
être  nécessaire,  d'un  être  parfait  et  d'un  souverain 
gouverneur  du  monde,  ex  his  nolis  quinque  conditio- 
nibus  pendent  omnia  alia  allributa,  quœ  in  hoc  opère 
de  Deo  démons  Iran  lur.  In  7e"",  q.  il,  disp.  III,  a.-  2, 
n.  1.  De  même  Duns  Scot  réduit  toutes  les  preuves  à 
la  démonstration  de  ce  qu'il  appelle  «  trois  primautés  ». 
Dalur  primum  efjectivunt,  quod  non  sil  effeclibile, 
nec  effectivum  virtute  altérais,  sed  a  se  ;  dalur  pri- 
mum fînitivum,  seu  aliquod  simpliciter  primum  in 
ratione  finis,  quo   nullum    aliud   sil  jirius,  seu    ita 


primum  in  finibus  ut  adnullum  aliud nt  ordinabile> 

dalur  aliquod  simpliciter  primum  secundum  emi- 
nentiam.  De  l'existence  de  ces  trois  primautés  Scot 
déduit  toute  la  théodicée  :  quod  est  ///  imum  secundum 
unam  primilalem,  idem  est  primum  secundum  duat 
alias  ;  et  liœc  triplex  primilas  uni  soli  nalurx  conve- 
nu, et  hase  est  Deus  infini  tus.  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  11. 
q.  n;  De  primo  principio,  c.  i  sq.  Cf.  Seeberg,  Die 
Théologie  des  Jo/tanncs  Scotus,  Leipzig,  1900,  p.  I  i.'i- 
152;  .Montefortino,  Summa  Iheolagica  Yen.  Duns  Scott, 
Rome,  19C0,  t.  I,  p.  82-92;  Belmond,  L'existence  de 
Dieu  d'après  Duns  Scol,  dans  la  Revue  de  jiltiloso- 
phie,  septembre  1908.  —  Enfin  on  ne  comprendra  jamais 
l'ordonnance  des  preuves  de  l'existence  de  Dieu  et  de 
la  théodicée  chez  les  grands  docteurs  scolastiques.  -i 
l'on  néglige  d'observer  que  leurs  démonstrations  sont 
à  deux  degrés. 

Après  avoir  prouvé  l'existence  de  Dieu  par  la  c 
efficiente,  là  où  un  esprit  non  rigoureux,  un  cartésien, 
concluraient  à  Dieu  considéré  en  soi,  Albert  le  Grand 
fait  cette  remarque,  qui  parait  obscure  à  .M.  Grunuald. 
mais  qui  est  fort  claire  :  et  hsce  ratio  non  probal  mu 
quod  Deus  est  per  modum  causx.  Summa  theol., 
part.  I»,  tr.  III,  q.  xviu,  édit.  Vives,  t.  xxxi,  p.  118.  En 
d'autres  termes,  cette  preuve  conclut  à  l'existence  de 
Dieu,  conçu  par  un  attribut  relatif,  sans  entraîner  par 
elle-même  d'affirmation  sur  la  nature  intrinsèque,  sur 
les  attributs  négatifs  et  absolus,  delà  divinité.  Scot  pro- 
cède de  même.  Il  veut  prouver  l'existence  d'un  être  infini, 
bien  loin  de  conclure  directement  à  cette  propriété  in- 
trinsèque, qui  n'esl  pas  immédiatement  accessible  à  notre 
esprit,  il  remarque  que  nos  raisonnements  sur  Dieu  ne 
concluent  immédiatement  qu'aux  attributs  relatifs  :  nam 
immédiate  ex  esse  unius  relativi  sequilur  esse  sui 
correlalivi ;  ideo  primo  declarabo  esse  de  proprietati- 
bus  relativis  entis  in  finiti;  et  secundo  ex  his  declarabo 
esse  de  ente  inftnilo,  quia  istse  proprietales  relativse 
soli  euti  infinito  conveniunt.  In  IV  Sent.,  1.  I.  dist.  Il, 
q.  n,  n.  10.  Si  l'on  met  ici  de  coté  l'effort  de  Scot  pour 
passer  directement  de  ses  trois  primautés  à  l'idée  po- 
sitive de  l'infini  et  par  l'infini  à  tous  les  attributs  négatifs 
et  absolus  de  Dieu,  la  méthode  est  exactement  celle  que 
suit  saint  Thomas.  Celui-ci  distingue,  en  eflet,  soigneu- 
sement deux  degrés  dans  sa  démonstration.  Par  les 
effets  de  Dieu  nous  pouvons  conclure  démonslrativement 
qu'il  existe,  scire  an  est  ;  cette  conclusion  ne  nous  donne 
qu'une  connaissance  pour  ainsi  dire  toute  négative  de 
Dieu,  quid  non  sit,  parce  qu'elle  n'atteint  directement 
que  les  attributs  relatifs  de  Dieu  qui  suffisent  à  le  dis- 
tinguer du  monde  dont  il  est  la  cause,  mais  sans  nous 
renseigner  fur  sa  nature  :  habiludinem  ipsius  ad 
creaturas,  seupotius  creatttrarum  ad  ipsum.  Reste  à 
chercher  les  attributs  intrinsèques  de  Dieu,  qui  lui 
appartiennent  nécessairement;  ca  quse  necesse  est  ei 
convenir e  secundum  quod  est  prima  omnium  causa 
excedens  omnia  sua  causata.  Sum.  theol.,  I  .  q.  XII, 
a.  12;  Contra  gentes,  1. 1,  c.  xiv,  xxx sq.  Or.  prima, causa, 
excedens,  autant  de  dénominations  extrinsèques,  mais 
choisies  de  telle  sorte  qu'elles  sont  prégnantes  de  toute 
la  théodicée.  Kant  dans  ses  antinomies  prétend  qu'il  \ 
a  un  saut  de  génère  ad  genus  et  par  conséqent  un  so> 
phisme  dans  le  passage  des  causes  conditionnées  à  la 
cause  inconditionnée  et  que  par  suite,  bien  que  logi- 
quement valable,  la  déduction  des  attributs  métaphy- 
siques de  Dieu  est  \aine  et  ne  peut  rien  nous  apprendre 
sur  Dieu  en  soi.  11  en  serait  de  fait  ainsi,  si  d'une  part 
l'iispothèse  nominalisle  était  la  vérité,  voir  col.  782.  et 
si  d'autre  part  quand  on  conclut  à  la  cause  première, 
on  aboutissait,  comme  Kant  affecte  de  le  croire,  à  la 
cause  première  dans  le  loups,  et  non  à  la  cause  qui 
causalement  ne  dépend  pas.  Cf.  Dictionnaire  apologé- 
tique, t.  i,  col.  38,  48.  Les  preuves  scientifiques  de 
l'existence  de  Dieu  concluent  directement  à  l'existence 


949 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA   RIRLE 


950 


La  Bible  affirme  donc  seulement  la  révélation  du 
monothéisme  aux  premiers  liommes.  Le  Dieu  unique, 
créateur  de  toutes  choses,  se  montre  uniquement 
comme  le  souverain  de  l'univers  et  en  particulier  des 
hommes,  qu'il  lie  par  une  obligation  morale  et  dont  il 
agrée  le  culte.  Il  a  des  droits  sur  les  consciences 
morales  et  il  reçoit  les  sacrifices,  celui  de  Noé,  Gen., 
vin,  20-22,  comme  ceux  d'Abel.  Gen.,  iv,  4.  Aucune 
notion  métaphysique  de  la  divinité  n'est  incluse  dans 
ces  manifestations  anthropomorphiques.  Gen.,  ni,  8; 
vu.  16;  vin.  21;  xi,  5.  Voir  t.  I,  col.  1368-1369.  La 
lliljle  n'ajoute  pas  que  le  monothéisme  primitif  se  soit 
fidèlement  conservé.  Elle  suggère  plutôt  le  contraire, 
car  si  elle  n'enseigne  pas  ex  professe*  l'origine  du  poly- 
théisme, au  moins  dans  le  P.entateuque,  elle  en  constate 
l'existence;  mais  elle  n'explique  pas  comment  cette 
déchéance  s'est  produite.  Celle-ci  a  eu  lieu  dans  les 
époques  que  la  Bible  laisse  vides  entre  Adam  et  Noé, 
entre  Noé  et  Abraham.  Quelles  qu'en  soient  les  causes, 
d'après  la  Bible,  le  monothéisme  a  précédé  le  polythé- 
isme, et  ce  dernier  ne  peut  être  sorti  du  premier  «  que 
comme  une  erreur  sort  d'une  vérité,  par  voie  de  néga- 
tion ou  d'oubli.  »  P.  Lagrange,  Eludes  sur  les  religions 
sémitiques,  2*  édit..  Paris,  1905,  p.  3. 

2°  Son  nom  principal.  —  Dans  les  onze  premiers 
chapitres  de  la  Genèse,  qui  racontent  l'histoire  de 
l'humanité  primitive,  Dieu  est  appelé  tantôt  Élohim, 
tantôt  Jahvé,  quand  il  n'est  pas  dit  Jahvé  Élohim.  Les 
récits  dits  élohistes  nomment  Elohim  le  Dieu  créateur, 
qui  dirige  les  premiers  hommes;  les  récits  dits  jého- 
vistes  nommaient  .léhovah  ou  Jahvé  le  Dieu  qui  a  formé 
l'homme  et  qui  a  été  invoqué  dès  le  temps  d'Énos.  Nous 
reviendrons  plus  loin  sur  la  dénomination  Jahvé,  en 
parlant  de  la  révélation  de  ce  nom  faite  à  Moïse.  Le  nom 
d'Élohim,  donné'  au  créateur  de  l'univers,  nous  ren- 
seigne sur  la  nature  divine,  telle  qu'elle  était  connue 
dr-  premiers   hommes. 

Elohim  est  le  pluriel  du  singulier  Ëlôha,  postérieure- 
ment formé,  selon  le  sentiment  général,  contre  lequel 
élevé  pourtant  .1.  Halévy,  i'Aoah,  dans  le  Journal 
asiatique.  1905,  t.  ni,  p.  339-340.  L'étymologie  de  ce 
nom  est  incertaine.  Quelques-uns  l'ont  fait  venir  de  la 
racine  â'lah,  ■  avoir  peur,  chercher  un  refuge  »,  et  lui 
ont  donné  le  sens  de  mime»  iremendum  ou  colendmv, 
objet  de  terreur  et  de  crainte.  Mais  le  plus  grand 
nombrr  des  hébraïsants  d'aujourd'hui  le  tiennent 
pour  un  augmentatif  de  l'A,  dont  l'emploi  était  plus 
ancien.  Il  aurait  alors  la  même  signification  étymolo- 
e.  Voir  plus  loin.  Quoi  qu'il  en  soit  de  l'origine  et 
du  Bens  primitif  de  ce  nom,  il  ne  désigne,  dans  les 
on/e  premiers  chapitres  de  la  Genèse  que  le  véritable 
et  unique  lien.  Pour  l'auteur,  la  forme  plurielle  ne 
portait  donc  aucun  préjudice  ;i  l'unité  divine.  C'est  en 
vain  que  différents  critiques  \  uni  vu  un  indice  du 
polythéisme  primitif,  pui  nom  pluriel  est  tou- 

jours suivi  d'un  verbe  ou  d'un  qualificatif  au  singulier. 
Élohim  n'esl  pas,   d'ailleurs,  le  nom  primitif  de  Dieu 
l'-  Bémite;  .  il  est.  au  contraire,  une  des  formes 
plus  secondaires  du  nom  divin.  Il  n'indique   donc 
la  somme  d  divins  qui  habitaient  dans  un 

les   religions  séim- 

77  78.  Aussi  b  9  grammairiens  le  regardent 

.  comme  un  pluriel  de  majesté  eu  d'ex- 

anl  que  Dieu  esl    la  somme  de  h 

!•'-  i"  h  mil.-  pi  nsi  ni  que  ■  "  pluriel  di 

uin-  n         l.i    divinité     .    Voir    I.    Drusius, 

Francfort-sur-le-Main, 
1606,1    vi,  roi.  2115  2140;    Dictionnaire  de  /«  Bible  de 
M.  Vigouroui,  .ut.  Élohim,  t.  il,  col.  1701  1792;  I     \  i 
>ui,  /.</  /.'  ,  ,,,, ,/,  ,  net,  6«  édit., 

"'•.  t   iv,  p.  170  180;  Driver,  The  booh  o/ 

1904,  p    102;  M.  Hctzenauer,  Theologia 
■  '.  r  ribourg-en-Brisgau,  1908,  t.  i.  p.  373-374.  On 


peut  conclure  de  là  que,  depuis  Adam  jusqu'à  Tharé, 
Dieu  s'est  manifesté  aux  hommes  comme  Dieu  en  gé- 
néral, Dieu  de  tous,  sans  relation  encore  avec  un  peuple 
choisi.  L'humanité  primitive  connaissait  donc  par  révé- 
lation ou  naturellement  Dieu  comme  distinct  des  créa- 
tures, parfaitement  unique,  infiniment  puissant,  juste 
et  bon,  et  gouvernant  le  monde. 

//.  dieu  a  l'époque  des  Patriarches.  —  Nous  ne 
connaissons  les  idées  des  patriarches  sur  Dieu  que  par 
la  Bible.  Tout  ce  qu'on  peut  dire  en  dehors  de  son 
témoignage  n'est  qu'hypothèse  pure  ou  système  a 
priori.  Il  faut  donc  extraire  delà  Genèse  les  renseigne- 
ments qu'elle  a  recueillis  à  ce  sujet.  —  1°  Relation* 
deDieu  avec  les  patriarches.  — Tandis  que  des  branches 
de  la  famille  de  Tharé  étaient  devenues  idolâtres  en 
Mésopotamie,  Jos.,  xxiv,  14,  15;  Judith,  v,  7-9;  Gen., 
xxxi,  19,  30,  34  (Rachel  avait  enlevé  les  tcrapliim  de 
Laban,  son  père),  Abraham,  par  une  vocation  spéciale 
de  Dieu,  se  retire  d'abord  à  Haran,  Judith,  v,  7,  9, 
puis  au  pays  de  Chanaan,  pour  échapper  à  l'idolâtrie 
et  être  la  souche  d'un  peuple  fidèle  au  vrai  Dieu.  Voir 
t.  i,  col.  94-98.  C'est  le  Seigneur  du  ciel,  qui  choisit 
ainsi  Abraham  et  le  fit  sortir  de  la  maison  de  son  père. 
Gen.,  xxiv,  7.  Jahvé  apparaît  aux  patriarches  et  inter- 
vient dans  leur  vie  ordinaire.  Il  leur  promet  une  nom- 
breuse postérité,  à  laquelle  il  donnera  le  pays  de 
Chanaan,  et  des  bénédictions  spéciales.  Voir  t.  i, 
col.  106-111.  11  est  le  Dieu  de  l'humanité,  puisqu'il 
dispose  des  contrées  idolâtres.  Gen.,  xn,  7;  xm,  14-17; 
xv,  18-21;  xvii,  8.  Il  est  connu  de  Melchisédech,  roi 
de  Jérusalem,  Gen.,  xiv,  18,  et  d'Abimélech,  roi  de 
Gérare.  Gen.,  xx,  3.  Il  sait  l'avenir  de  son  peuple  futur 
et  prédit  à  Abraham  la  servitude  des  Israélites  en 
Egypte  et  leur  délivrance.  Gen.,  xv,  13-16.  Il  fait  un 
pacte  éternel  avec  la  postérité  d'Abraham  pour  être 
toujours  son  Dieu,  Gen.,  XVII,  7,  et  il  institue  la  circon- 
cision comme  signe  de  celte  alliance,  9-14.  Voir  t.  Il, 
col.  2520.  Il  sera  donc  le  Dieu  spécial  du  peuple  choisi, 
comme  il  est  déjà  le  Dieu  d'Abraham,  Gen.,  XXIV,  12, 
27,42,  48,  et  d'Isaac,  Gen,,  XXVIII,  13;  XXXI,  28,  42; 
XXXII,  9;  xi  vin,  15,  tout  en  étant  le  Dieu  de  l'humanité 
entière,  puisqu'il  punit  les  habitants  des  villes  de  la 
Pentapole.  (un.,  xvm,  16-21;  XIX,  24,  29.  Il  renouvelle 
à  Isaac  les  bénédictions  et  les  promesses  faites  à  Abra- 
ham. Gen.,  XXVI,  2-5,  22,  21;  XXVIII,  13-15;  XXXV,  9-12; 
xi, vin,  3,  i.  Il  intervient  dans  leur  vie  journalière  et 
ii.ni  ses  promesses,  en  les  protégeant.  Gen.,  xxvi,  12- 
IV.  22.  28;  XXXI,  Il  13,42;  XXXII,  30;  XXXIII,  10,  11.  Les 
femme-  de  Jacob  attribuent  à  Dieu  leur  fécondité. 
Gen.,  xxix,  33,  33.  35;  xxx,  2,  6.  s.  17.  is.  20,  22-24. 
Elles  reconnaissent  que    Dieu  a   fait    passer  à  Jacob, 

leur    mari,    les    richesses    de    Laban,   leur    père.   lien.. 

xxxi.  16.  Dieu  voit  les  pactes  jurés,  et  M  en  est  le  garant 
connue  le  témoin.  Gen.,  xx,  22-24;  xxxi.  lu  53.  Jacob 
purifie  sa  maison  et  enlève  toutes  les  idoles  qui 

venus  de  Mésopotamie,  pouvaient  avoir  gardées. 
1..  n..  xxxv,  2-4.  Dieu  punit  les  Ris  de  luda  coupables. 
Gen.,  xx.xvni,  7,  10.  Il  protège  Joseph  clic/  Putiphar, 
Gen.,  xxxix,  2,  :'..  5.  ri  dans  la  prison.  Gen  .  \\\i\.  21- 
23.  Il  envoi.'  des  songes  au  pharaon  d'Egypte.  Gen  . 
xi  1,  25,  32.  30.  Les  frères  .le  Joseph  lui  attribuent  ce 
qui  leur  arrive,  Gen.,  XLii,  26,  ainsi  que  Joseph  lui- 
même,  lien.,  m. m.  23.  Jacob  demande  que  Dieu  rende 
l'intendant  d  1  _  •-  pte  fa  rorable  A  set  01  Gen.,  kliii, 
1 1 .  .1..  ieph  .iiii  il. ne  ;i  ta  \ ..I. .ni.  .ii .  Ine  la  1  ..n. tuile  .le 
ses  !:•  rd  et  y  reconnaît  un  dessein  de  la 

providence.  Gen.,  m  v.  5.  7.  8,  0.  1 .  19,  20.  Dieu  prédit 
.i  Jacob  ce  qu'il  adviendra  de  1  famille  en  Egypte, 
Gen  .  ilvi,  2  I  i"  eph  regardi  ses  Dis  comme  un  don 
.le  Dieu,  Gen  .  xi  vm,  9.  et  Jacob  appelle  sur  eus  1.  s 
bénédictions  divines,    15.  ainsi    que    -m'   Lui    ; 

21  ;  m  i\.  .'  m  mi  1  appelli  •>  les  fn  res  que 

Dieu  s'occupera  d'eus  et  li    fera  n  toui  uer  au  p  1 


1)51 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    BIBLE 


952 


Chanaan,  qu'il  avait  promis  à  Abraham,  à  Isaac  et  à 
Jacob.  Gen.,  L,  23. 

Sans  avoir  donc  encore  aucune  idée  métaphysique 
de  Dieu,  les  patriarches  le  reconnaissaient  cornue-  le 
seul  vrai  Dieu,  digne  d'être  honoré,  comme  le  créateur 
du  ciel  et  de  la  terre,  le  Dieu  de  l'humanité,  avant 
conclu  avec  Abraham  et  sa  famille  un  pacte  particulier, 
en  vertu  duquel  il  sera  toujours  leur  Dieu,  à  l'exclusion 
de  tout  autre.  Par  suite,  sans  se  désintéresser  des 
autres  hommes,  qu'il  bénit  ou  qu'il  punit  selon  qu'ils 
le  méritent,  Dieu  protège  spécialement  les  patriarchi  - 
veille  sur  eux,  intervient  clans  leur  vie  et  règle  par  sa 
providence  leur  sort.  Le  Dieu  d'Abraham,  d'Isaac  et 
de  Jacob  est  ainsi  le  Dieu  unique  et  véritable,  dont  la 
nature  sera  mieux  manifestée  à  leurs  descendants  par 
des  révélations  postérieures.  Il  n'y  aura  pas  d'interrup- 
tion dans  la  connaissance  de  lui-même  que  Dieu  com- 
muniquera à  l'humanité.  Cf.  P.  de  Broglie,  Questions 
bibliques,  2»  édit.,  Paris,  190i,  p.  294-295,  299. 

2°  Les  noms  divins  à  celle  époque.  —  La  Genèse 
continue  à  nommer  Dieu  à  l'époque  patriarcale,  tantôt 
Elohim,  tantôt  Jéhovah,  selon  les  narrations  élohisles 
ou  jéhovistes.  Cependant,  Dieu  est  parfois  désigné  par 
le  nom  commun  El,  qui  est  le  nom  de  Dieu  par  excel- 
lence. Ces  deux  noms  nous  apprennent  quelle  idée  se 
faisaient  de  Dieu  ceux  qui  les  employaient.  Il  faut  donc 
les  étudier  ici. 

1.  Jéhovah,  le  Dieu  des  pères.  —  Beaucoup  d'exégètes 
ont  pensé  que  ce  nom  propre  de  Dieu  avait  été  révélé 
pour  la  première  fois  à  Moïse  au  Sinaï,  Exod.,  ni,  14, 
et  que  c'est  pour  cette  raison  que  les  récits  dits  élo- 
histes  commencent  seulement  à  partir  de  cette  révéla- 
tion à  nommer  Jéhovah  le  Dieu  d'Israël.  Ce  serait  donc 
par  prolepse  ou  par  anticipation  que  les  récits  jého- 
vistes auraient  employé  ce  nom  divin  à  l'époque  pa- 
triarcale. Dieu  aflirme,  en  effet,  à  Moïse  qu'il  a  apparu 
à  Abraham,  à  Isaac  et  à  Jacob  comme  Êl-Sadda't  et 
qu'il  n'a  pas  été  connu  d'eux  sous  son  nom  de  Jévo- 
vah.  Exod.,  vi,  3.  Cependant,  dans  les  récits  élohistes 
eux-mêmes,  Jéhovah,  qui  se  manifeste  à  Moïse,  se  dit 
expressément  le  Dieu  d'Abraham,  d'Isaac  et  de  Jacob. 
Exod.,  in,  6,  15,  16.  C'est  donc  au  moins  le  même  Dieu 
qui  s'est  manifesté  et  qui  était  honoré  sous  des  noms 
différents.  Il  parait  néanmoins  certain,  nous  le  verrons 
plus  loin,  que  le  nom  de  Jéhovah  était  connu  des  pa- 
triarches avant  Moïse.  Il  est,  d'ailleurs,  peu  vraisem- 
blable que  Moïse  ait  pu  proposer  aux  Israélites  comme 
leur  Dieu  spécial,  un  Dieu  inconnu  d'eux.  Aussi  Moïse 
répète-t-il  que  Jahvé  avait  été  le  Dieu  des  pères. 
Deut.,  i,  21;  vi,  3;  xxvn,  3.  Israël  le  connaissait  donc, 
quoiqu'il  ne  le  reconnût  pas  encore  pour  son  Dieu 
spécial.  C'est  pourquoi  les  récits  jéhovistes  emploient 
constamment  ce  nom  pour  désigner  le  Dieu  créateur  et 
le  mettent  dans  la  bouche  de  Dieu  parlant  à  Abraham 
ou  d'Abraham  parlant  à  Dieu,  Gen.,  XV,  6-8;  qu'ils 
disent  aussi  que  Jahvé  a  été  l'El  de  Sem  et  de  sa  race, 
Gen.,  ix,  26;  qu'il  était  connu  de  Tharé  et  de  Nachor, 
Gen.,  xxxi,  53,  de  Laban  et  de  Bathuel,  Gen.,  xxiv,  50, 
51;  xxvi,  28,  29;  xxx,  27;  xxxi,  2i,  49,  50,  de  Melchi- 
sédech,  Gen.,  xiv,  18-20,  22,  et  d'Abimélech.  Gen..  xx. 
3-7;  xxi,  23.  Ce  nom  convenait  donc  déjà  au  Dieu  des 
patriarches  avec  sa  signification  précise,  que  nous 
fixerons  plus  loin,  quoique  peut-être  elle  n'ait  pas  en- 
core été  parfaitement  comprise. 

2.  7'.'/  et  'Êl-Saddaï.  —  Le  Dieu  des  patriarches  est 
spécialement  désigné  par  le  nom  de  'F.l  seul  ou  avec 
des  épithètes,  qui  expriment  divers  attributs. 

a)  'El.  —  Ce  nom,  qui  était  le  nom  propre  de  Dieu 
chez  tous  les  sémites  primitifs,  voir  P.  Lagrange, 
Etudes  sur  les  religions  sémitiques,  p.  70-77,  a  dû 
être  aussi  employé  de  la  sorte  par  les  Hébreux,  quoi- 
qu'il soit  devenu  appellalif  dans  l'usage  chez  eux, 
comme  partout  ailleurs.  Un  le  retrouve  au  moins  deui 


fois  avec  certitude-  .1. m  la  Genèse.  A  Bersabée,  Jacob 
venait  d'offrir  des  sacrifices  à  l'ÉIohim  de  son  | 

Cet  Elohim  lui  apparaît  et  lui  dit  :  g  Je  suis  Kl  (l'article 
qui,  en  général,  est  de  basse  époque,  a  dû  être  ajouté 
plus  tard;,  l'ÉIohim  de  ton  pire.  ..  Gen.,  xi.vi,  3.  A  Si- 
chem,  Jacob  avait  élevé  déjà  un  autel  et  y  avait  honoré 
El,  l'EIohim  d'Israël.  Gen.,  XXXIII,  20.  Il  se  pourrait 
que  ce  nom  eût  le  même  caractère  en  d'autres  passages, 
tels  que  Gen.,  xxxi.  13;  xxxv,  I.  Stade,  Biblische 
Théologie  des  Allen  Testaments,  Tubingue,  1905,  t.  i, 
p.  7i-7.").  a  prétendu  que,  dans  ces  passages,  El  désignait 
un  dieu  local,  un  numen  loci,  honoré  dans  ces  lieux 
de  culte.  .Mais,  dans  le  contexte,  ce  sens  est  impos- 
sible. Ce  n'est  pas  un  £1  quelconque,  qui  apparaît  à 
Réthel  ou  à  Phanuel,  Gen..  XXXII,  30,  31;  c'est  l'El  de 
Jacob,  qui  se  montre  à  lui  en  ces  lieux,  ainsi  dénom- 
més pour  cette  cause.  Du  reste,  l'El  de  Béthel  apparaît 
à  Jacob  en  Mésopotamie, Gen.,  xxxi,  13;  ce  n'est  donc  pas 
un  dieu  ou  génie  local.  C'est  Élohïm,  qui  se  manifeste 
en  divers  lieux  et  qui  est  l'unique  Dieupour  Jacob  comme 
pour  son  père  Isaac.  Cf.  P.  Lagrange,  op.  cil.,  p.  81.  A  une 
époque  où  El  avait  déjà  partout  ailleurs  le  sens  appel- 
latif,  Jacob,  n'ayant  qu'un  Dieu,  pouvait  employer  ce 
nom  pour  désigner  la  divinité.  Avant  de  consacrer  un 
lieu  pour  en  faire  un  sanctuaire,  les  patriarcl. 
avaient  eu  une  marque  de  la  puissance,  de  la  bonté  ou 
de  la  présence  toujours  vigilante  du  Dieu  qu'ils  adoraient 
comme  auteur  de  la  nature.  Les  sanctuaires  de  leur 
époque  n'étaient  pas  dédiés  à  divers  dieux,  aux  génies 
de  la  contrée  et  ne  sont  pas  des  traces  du  polythéisme 
primitif  des  Hébreux. 

El  se  retrouve  dans  les  noms  araméens  Camuel  et 
Bathuel,  Gen..  xxii,  21,  23,  et  dans  celui  d'Ismaël. 
Gen.,  xvi,  11. 

L'étymologie  de  El  n'est  pas  certaine.  Beaucoup  font 
dériver  ce  mot  de  la  racine  verbale  inusitée.  '--s,  à 
laquelle  ils  donnent,  entre  autres,  le  sens  de  <■  être 
fort  »,  de  sorte  que  Ll  signifierait  •■  le  fort  >-.  D'autres 
le  font  venir  de  rï'-s,  qui  a  le  même  sens.  D'autres  ont 

T  T 

donné  au  nom  le  sens  de  «  premier  ».  P.  de  La.^arde 
a  proposé  la  signilicalion  de  terme  auquel  tendent  les 
hommes  par  leurs  désirs  et  leurs  efforts;  mais,  au 
jugement  de  Stade,  loc.  cit..  p.  75.  -s  indique  la  direc- 
tion et  non  pas  le  but.  M.  Hetzenauer,  op.  cit.,  t.  i, 
p.  372.  Cf.  P.  Lagrange.  op.  cit.,  p.  79-81;  F.  Delitzsch, 
Babel  und  Bibel,  Ier  discours,  5e  édit..  Leipzig.  IC05, 
p.  49,  75,  note  36;  A.  Jeremias,  Monotheistische  Slrô- 
mungen  innerhalb derbabylonischen  Religion,  Leipzig, 
1904,  p.  19;  .T.  Nikel,  Cer  Ursi  rang  des  alllestameal- 
lic/ien  Goltesglaubens,  ,'!•  édit..  Munster,  1908,  p.  31. 
Tous  ces  concepts  sont  très  relevés  et  montreraient 
que  les  patriarches  avaient  un  sentiment  profond  de 
la  supériorité  de  la  nature  divine.  —  Mais,  en  dehors 
de  toute  étymologie,  on  peut  déterminer  le  sens  -  - 
néral  de  El  chez  les  sémites  primitifs,  pour  qui  il 
était  le  plus  ancien  nom  de  Dieu.  «  Ou  bien  c'est  le 
nom  propre  du  dieu  des  sémites  employé  ensuite 
comme  appellatif,  ou  c'est  un  nom  commun  devenu  le 
dieu  des  sémites  par  excellence.  Nous  pouvons  pour 
le  moment  laisser  la  question  en  suspens.  Mais  en 
revanche  un  point  parait  clair.  Si  El.  nom  appellatif, 
c'est-à-dire  s'appliquant  à  la  nature  divine,  a  pu  deve- 
nir un  nom  personnel,  eest  donc  que  la  nature  divine 
était  à  ce  moment  considérée  comme  unique,  et  si 
d'autre  part  c'est  un  nom  personnel  qui  est  devenu  le 
nom  commun  pour  désigner  tout  ce  qui  participe  à  la 
nature  divine,  c'était  donc  derechef  qu'on  donnait  à 
cette  personne  divine  toute  la  plénitude  de  la  divi- 
nité', n  P.  Lagrange,  op.  cil.,  p.  77.  A  l'origine,  il  dé- 
signait donc  le  divin  conçu  comme  distinct  du  ri  ste 
des  choses  et  comme  unique  d'une  certaine  façon.  Pour 
le  sémite  primitif,   El  était  «  un  être  supérieur  sans 


953 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRES    LA    BIBLE) 


954 


aucune  attache  ni  à  un  lieu  spécial,  ni  à  une  force  de 
la  nature,  ni  à  un  objet  animé  ou  inanimé.  La  concep- 
tion première  va  à  Dieu  sans  s'arrêter  à  tout  le  reste  : 
il  est  l'au-delà.  »  Ibid.,  p.  82.  Ces  idées  très  relevées 
des  anciens  sémites  ont  pu  passer  chez  les  ancêtres 
des  Hébreux  avec  le  nom  de  El.  Cf.  Barns  (Lagrange), 
La  révélation  du  nom  divin  «  tétragrammalon  »,dans 
la  Revue  biblique,  1893,  t.  n,  p.  339  340. 

b)  FA  Roi.  —  Agar,  ayant  fui  au  désert,  eut  une  vi- 
sion et  donna  à  la  personne  divine  qui  lui  parlait  le 
nom  d"Êl  Roi.  Gen.,  xvi,  18.  Dans  le  récit,  c'est  .Tahvé 
qui  reçoit  ce  nom.  Primitivement,  il  devait  être  ques- 
tion de  El,  de  qui  est  venu  le  nom  d'Ismaël  et  que 
V-  ir  appelle  El  Ro'i.  On  entend  généralement  ce  nom 
dans  le  sens  du  Dieu  qui  voit  partout;  le  Dieu  qu'Agar 
a  vu  est  le  Dieu  dont  le  regard  s'étend  sur  tous  les  pays. 
11  pourrait  aussi  signifier  dans  la  bouche  de  cette 
femme,  qui  vise  la  vision  qu'elle  a  eue,  le  Dieu  de 
l'apparition  au  sens  actif  du  mot. 

c)  'El  'Olâni.  —  Abraham,  après  avoir  fait  une  al- 
liance solennelle  avec  Abimélech,  plante  un  tamaris  et 
invoque  le  Dieu  de  l'éternité.  Gen.,  xxi,  33.  C'est 
Jahvé  qui  est  désigné  sous  ce  vocable,  parce  qu'il  est 
identique  à  El.  El  est  donc  le  Dieu  de  la  durée,  qui 
vivra  toujours  à  l'avenir,  tandis  que  l'homme  passe. 
L'idée  de  Baethgen,  Deilragezur  semitischen  Religions- 
geschicltle,  Berlin,  1888,  p.  292,  suivant  laquelle  Abra- 
ham opposait  le  Dieu  «lu  vieux  temps  à  celui  des  temps 
nouveaux,  ne  repose  sur  rien. 

d)  'Kl  'Elyôn.  —  Melchrsédech,  roi  de  Salem,  est 
prêtre  du  Dieu  très  haut;  il  bénit  Abraham  au  nom  du 
li  •  --Haut,  qui  a  créé  le  ciel  et  la  terre,  et  il  bénit  ce 
Dieu,  dont  la  protection  a  donné  au  patriarche  la  vic- 
toire sur  ses  ennemis.  Abraham,  de  son  côté,  jure  par 
le  Très-Haut,  mailre  du  ciel  et  de  la  terre.  Gen.,  XIV, 
18-20,  22.  Ce  nom  désigne  le  Dieu  suprême  et  marque 

ublimité  etsa  transcendance. 

e)  'i-'A  Saddaï.  —  On  adonné  au  qualificatif  Saddaï 
des  significations  bien  différentes.  Les  uns  le  font  ve- 
nir de  iâdad,  qui  signifie  «  dévaster  »,  et  le  traduisent, 
comme  a  fait  la  Vulgate,  par  «  tout-puissant  »  ;  il  ex- 
prime donc  pour  eux  la  vigueur  et  l'énergie  avec  la- 
quelle  Dieu  accomplit  des    prodiges  clans  la   nature  et 

ige  pour  punir.  Gesenius  y  a  vu  plutôt  un  pluriel  de 
majesté,  dérivant  de  Sâd,  «  fort  ».  à  la  première  per- 
sonne, et  il  a  traduit:    mei   potentes,    di    mei,  ou   mi 
drus.  Thésaurus,  p.    1366-1367.   Ch.  Robert,  à  la  suite 
ald,  a  rattaché  ce  mol  a  la  racine  Sddâh,  qui  si- 
gnifie    répandre  avec  abondance     el  d'où  vient  le  mot 
melli         Par     til       Kl  Saddaï  désigne  Dieu 
la  puissance  qui  donne  la  fécondité  dans  les  fa- 
milles, les  troupeaux  et  les  champs.  Cet  exégète  a  ensuite 
montré,  par  l'examen  de  (ou-  les  passages  de  la  Genèse, 
xvii.  I  ;  icxviii,  ■'.:  xxxv,  1 1  ;  xi  ni.  1 1  ;  xlviii,  3;  xiix,  25, 
que  Dieu  s'esl   nanifesb     ous  cet  aspect  aux  patriarches. 
ElShaddai  et  léhovah,  dans  Le  Mu  éon,  I  -main,  1891, 
t.  x.  [>.  361-370;  l.n  révélation  du  nom  divin  Jéhovah, 
dans    la    Revw     biblique,     I89i,     t.    m,  p.    162-164. 
I    t.  p.  76  :  M.  Hetzenauer,  op.  cit., 
t.  i.  p.  383.  Sur  I  I  seul   ou  né  d'épith 
P.  Lagrange,  El  et   hthvi  .  dan    la  Revue  bibl 
1903,  l.  mi.  p.  362-370,  article  que  j'ai  mis  largement 
itribuli  .n  dans  les  pa  Di  iver,  The 
p    102  H  o    M    I:  u  m  ch  a  cru  ri 

qu'honorait  Abraham,  un  dieu 
■ 
h1    dieu   lunain     "-m  des    Babyloniens,  et  locali 

quenl  la  n  H,  I  >n  'lu  pa- 

un  moni  >tl  que,  si   conciliant  avec 

le    polytl  n    r,  était   pat    nié   théoriquemi  ut. 

titrait   la  religion   en   un    dieu  snpi 
\/.  -, 
Tubil 


Ces  idées  sur  Dieu  unique,  omniprésent,  éternel, 
très  haut,  et  principe  répandant  partout  la  fécondité, 
les  Israélites  les  ont  reçues  de  leurs  pères  et  les  ont 
portées  en  Egypte.  Tandis  que,  dans  cette  contrée,  la 
masse  demeurait  fidèle  à  l'El  des  sémites  et  au  Dieu 
des  ancêtres,  Deut.,  xxvi,  6-8;  Exod.,  m,  7,  quelques- 
uns  versèrent  dans  l'idolâtrie  égyptienne.  Jos.,  xxiv, 
14;  Ezech.,  xx,  7,  8.  Avant  de  les  constituer  en  peuple, 
spécialement  voué  à  son  culte,  et  pour  affirmer  la  foi 
ancienne,  Dieu  voulut  se  faire  mieux  connaître  aux 
fils  de  Jacob  et  il  leur  révéla  sa  nature  intime  par  le 
ministère  de  Moïse. 

///.  RÉVÉLATION  i>r:  JAHVÉ  A  MOÏSE.  —  1°  Double 
révélation.  —  Dans  l'Exode,  il  y  a  deux  récits  succes- 
sifs de  la  manifestation  de  Jahvé  à  Moïse.  Le  premier, 
Exod.,  m,  12-25,  que  les  critiques  attribuent  au  docu- 
ment élohiste,  contient  une  explication  plutôt  qu'une 
révélation  du  nom  divin.  Le  second,  Exod.,  VI,  2-8,  qui 
dériverait  du  code  sacerdotal,  affirme  un  changement 
de  nom  divin  et  la  substitution  de  Jahvé  à  'El  Saddaï. 

1.  Première  révélation.  Exod.,  m,  2-15.  —  Dieu, 
voulant  choisir  Moïse  pour  délivrer  les  Israélites  es- 
claves en  Egypte,  se  révéla  à  lui  au  pied  de  l'Horeb  au 
milieu  d'un  buisson  ardent.  Il  se  nomma  d'abord 
comme  le  Dieu  de  son  père,  le  Dieu  d'Abraham,  d'Isaac 
et  de  Jacob,  G;  il  lui  promit  son  secours  pour  l'accom, 
plissement  de  la  mission  difficile  qu'il  lui  confiait,  12- 
Moïse,  sachant  ainsi  que  le  Dieu  des  ancêtres  lui  parle. 
lui  demande  quel  est  son  nom  propre,  afin  de  pouvoir 
le  dire  aux  Israélites  qui  l'interrogeront,  et  Dieu  répond 
d'abord  à  Moïse  :  «  Je  suis  celui  qui  suis.  »  C'est 
d'avance  la  définition  du  nom  qui  va  être  prononcé. 
Puis, ayantainsi  préparé  son  interlocuteur,! comprendre 
son  nom,  il  le  lui  révèle  :  «  Tu  parleras  ainsi  aux  fils 
d'Israël  :  Je  nuis  m'envoie  vers  vous,  »  14.  Enfin,  il 
affirme  que  Jahvé  est  le  nom  du  Dieu  des  pères  et  que 
ce  sera  désormais  et  pour  toujours  son  nom  propre  et 
caractéristique,  15.  Le  nom  que  le  Dieu  des  pères 
prend  et  explique  est  contenu  dans  les  quatre  consonnes 
hébraïques  mn»,  d'où  lui  est  venu  le  nom  grec  tétra- 
grammalon. 

a)  Prononciation  de  ce  nom.  —  La  lecture  Jéhovah, 
à  laquelle  nous  sommes  habitués,  est  généralement  te- 
nue pour  inexacte.  Les  rabbins  modernes  l'ont  admise 
cependant,  et  elle  a  été  défendue  par  quelques  éru- 
dits,  entre  autres  par  Michaelis,  Supplementa  ad  lexica 
hebraica,  1792,  t.  i,  p,  524,  par  Drach,  De  l'harmonie 

l'Eglise  et  la  Synagogue,  Paris.  l,Si  i,  |.  i,   p,  572- 

488,  par  J.  II.  Lévy,  The  Tetra(9)grammaton,  dans 
Jcwish  quarterly  Review,  octobre  1902,  p.  97-99,  et 
par  l'rquhart,  Die  Bûcher  derBibel,  Stuttgart,  1904, 1. 1. 
p.  24.  Les  rabbins  y  trouvaient  l'expression  simultanée 
du  présent,  au  passé  et  du  futur.  Voir  Drach.  op.  cil., 
t.  I,  p.  319-333.  Cette  lecture  suppose  une  forme  ver- 
monstrueuse;  elle  est  donc  inadmissible.  On  pré- 
tend  généralement  qu'elle  est  d'origine  moderne,  et  on 
l'attribue  à  llalalin,  qui  l'aurait  mise  en  vogue  vers 
1520.  Or,  Galalin  a  déclaré  qu'elle  était  connue  et  re- 
nie de  son  temps.  Arcana  calholù  itis,  Paris, 
1516,  p.  77.  De  fait,  elle  était  employée  au  xvi« 
par  tous  les  protestants  et  par  plusieurs  catholiques. 
Denys  le  Chartreux  1402  1471  l'empruntait  au  x.\ 
rie  ;i  Nicolas  de  Lyre  el  A  Paul  de  Bui  '  ■ 
in  Exod.,  a.  II.  Opéra,  Montreuil,  1896,  t.  t,  p.  521, 
522.  Porchetti,  théologien  du  début  du  xiv  siècle,  s'en 

en  I.  Cf.  D 
sacri,  Amsterdam,  1698,  t.  tfe, col.  351.  Enfin  Raymond 
Martin,  que  Galatin  ;>  copié,  l'employait  dans  son  /'»- 
gio  fidei   (écrit   vers    1270),  part.   III,  dist.   II.  c.   tu, 
lii.M.  p.  lis.  -,  | 
Quoi  qu'il  en   soil   de 
l'union  'fis  voyelles  du  nom  AdanaX  avec  les  consonnes 
I  ont  ïjoul  i  i  c  les 


953 


DIEU   (SA    NATURE    D'APRÈS   LA    BIBLE 


95G 


modifications  rendues  nécessaires  par  la  différence  des 
consonnes,  pour  suggérer  la  lecture  Adonaï,  «  le  Sei- 
gneur ",  qui  devait  être  substituée  au  nom  ineffable 
de  Dieu.  C'est  un  qeri,  «  ce  qui  est  à  lire  »,  perpétuel, 
remplaçant  le  kctib,  «  ce  qui  est  écrit  ».  Par  respect 
pour  sa  transcendance,  les  Juifs  ont  restreint  de  plus  en 
plus  l'usage  du  nom  divin  par  excellence  et  ont  fini 
par  le  supprimer  entièrement,  préférant  prononcer 
Adonaï  ou  se  servir  de  nu,  «  le  nom  »,qui  le  rempla- 
çait. Déjà  les  Septante  ont  traduit  le  tétragramme  par 
K-Jptoç,  qui  est  devenu  en  latin  Bominus  et  en  français 
«  le  Seigneur  ».  Josèphe  aussi,  dans  son  récit  de  la 
révélation  divine  à  l'Horeb,  ne  transcrit  pas  le  nom 
divin  révélé,  parce  que  cette  transcription  est  interdite. 
Ant.  jud.,  II,  xii,  4.  Voir  Drusius,  Telragramma- 
tan,  8-10,  dans  Critici  sacri,  Francfort-sur-le-Main, 
16S6,  t.  vi,  col.  2153-2155;  Drach,  op.  cit.,  t.  i,  p.  350- 
365,  512-516. 

La  véritable  prononciation  du  nom  ineffable  n'est 
pas  connue  avec  certitude.  Les  anciens  écrivains  pro- 
fanes et  ecclésiastiques  en  ont  signalé  différentes,  qui 
peuvent  se  ramener  à  trois  principales  :  la&ï  (à  pro- 
noncer Javé),  Taà>  ou  Jao  et  'là  ou  Ma.  —  a.  'Lzoï  se 
trouve  dans  Clément  d'Alexandrie,  Strom.,  v,  6,  P.  G., 
t.  ix,  col.  60;  Clemens  Alexandrinus,  Leipzig,  1906, 
t.  il,  p.  348,  sous  les  formes  Taoùat  ou  'Ixovz;  dans 
saint  Épiphane,  Hier.,  XL,  n.  5,  P.  G.,  t.  xu,  col.  685; 
dans  Théodoret,  In  Exod.,  q.  xv,  P.  G.,  t.  lxxx, 
col. 244,  qui  le  cite  comme  usité  chez  les  Samaritains; 
et  dans  un  manuscrit  éthiopien  de  la  Bodléienne,  à  la 
lin  d'une  énumération  des  noms  divins.  Cf.  Driver, 
Récent  théories  on  the  Tetragrammaton ,  dans  Studia 
biblica,  Oxford,  1885,  t.  i,  p.  20.  —  b.  'Iaw  est  repré- 
senté par  Diodore  de  Sicile,  I,  94,  et  par  Lydus,  qui 
l'attribue  à  Varron  et  à  Herennius  (Philon  de  Byblos). 
Demensibus,  édit.  Wuensch,p.  111.  Saint  Irénée,  Cont. 
User.,  1.  I,  c.  iv,  n.  1,  P.  G.,  t.  vu,  col.  481,  nomme 
l'éon  Taù>  des  valentiniens,  que  ïertullien  déclare  avoir 
été  emprunté  à  l'Écriture.  Adversus  valentinianos, 
c.  xiv,  P.  L.,  t.  n,  col.  565.  Origène  connaît  ce  vocable 
divin,  puisqu'il  interprète  le  nom  de  Jérémie  [j.£Tsa>pi<7- 
(jl&;  'Iaw.  In  Joa.,  tom.  i,  n.  \,P.  G.,  t.  xiv,  col.  105;  Uri- 
genes,  Leipzig,  1903,  t.  iv,  p.  53.  Les  Grœca  fragmenta 
libri  nominum  hebraicorum,  attribués  à  Origène  et  soi- 
disant  traduits  en  latin  par  saint  Jérôme,  contiennent 
ce  nom,  à  qui  ils  donnent  le  sens  d'  «  invisible  », 
P.  L.,  t.  xxm,  col.  1189-1190,  ainsi  que  VOrigenianum 
texicon  nominum  hebraicorum.  Ibid.,  col.  1225-1226. 
Théodoret  l'a  emprunté  à  une  interprétation  des  noms 
hébraïques,  qui  lui  donnait  le  sens  d'  «  être  ».  Qusest. 
in  1  Par.,  prœi.,  P.  G.,  t.  lxxx,  col.  605.  Cf.  Grsec. 
affect.  curalio,  serm.  Il,  De  principio,  P.  G.,  t.  lxxxiii, 
col.  840.  Saint  Jérôme  le  cite  comme  un  des  dix  noms 
divins.  Traclatus  de  ps.  cxlyi,  dans  Morin,  Anecdota 
Maredsolana,  Maredsous,  1897,  t.  m  b,  p.  293.  A  son 
avis,  le  nom  ineffable,  qui  est  le  nom  propre  de  Dieu, 
legi  potesl  Jaho.  Commenlarioli  in  psalmos,  Ps.  vm, 
ibid.,  1895,  t.  ma,  p.  20-21.  Le  Breviarium  in  psalmos, 
faussement  attribué  à  ce  saint  docteur,  lui  a  emprunté 
cette  affirmation.  Ps.  vin,  P.  L.,  t.  xxvi,  col.  838.  La 
forme  'Iaù  se  rencontre  enfin  très  souvent  sur  les 
pierres  gravées,  dites  Abraxas.  Voir  Baudissin,  Stiidien 
ztir  semilischen  Religionsgeschichte,  Leipzig,  1876, 1. 1, 
p.  185  sq.;  Driver,  toc.  cit.,  p.  8.  Cette  forme  est  pro- 
bablement  la   transcription  du  nom  in>,  qui  entre  en 

T 

composition  dans  des  noms  théophores  de  la  Bible  et 
qui  a  été  récemment  lue  sur  les  nouveaux  papyrus 
d'Éléphantine.  Voir  Revue  biblique,  juillet  1908,  p.  326- 
328.  —  c.  Ta  est  attesté  par  Origène,  qui  reproche  aux 
ophites  d'avoir  emprunté  leur  'Iaù  au  'là  des  Hébreux. 
Cimt.  Celsum,  1.  VI,  c.  xxxn,  P.  G.,  t.  xi,  col.  1345 
(voir  la  note);  Urigenes,  Leipzig,  1899,  t.  il,  p.  102  (où 


on  lit  Tsuws).  Cet  écrivain  y  fait  encore  une  allusion 
dente,  lorsque,  au  début  du  ps.  n,  à  propos  de  gXXqXovfa, 
il  dit  que  partout  où  on  lit  Ta/,  (transcription pour  là) 
dans  le  texte  hébreu  de  l'Ancien  Testament,  les  Grecs 
ont  traduit  Kûpioç.  Selecla  in  psalmos,  l's.  Il,  /'.  G., 
t.  xu,  col.  1104.  Saint  Jérôme  a  noté  que  la  cinquième 
version  des  Hexaples  d'Origène  avait  traduit  alléluia, 
laudate  la,  id  est  Bominum.  lu  unum  est  de  décent 
nominibus  Bei.  Commentarioli  in  psalmos,  Ps.  CXLVI, 
dans  Morin.  op.  cit.,  t.  ma,  p.  99.  Dans  son  Traclatus 
sur  le  même  psaume,  ibid.,  t.  iwb,  p.  293,  il  signale, 
parmi  les  dix  noms  divins,  celui  de  la,  qu'il  inter- 
prète invisibilis.  Il  le  retrouve  dans  alléluia,  allelu  la, 
et  il  rapporte  que  Théodotion,  volens  interpretalionit 
edicere  veritatem ,  ait  aivstTô  tôv  Ta.  Voir  aussi  Epist., 
xxvi,  ad  Marcellam,  n.  3,  P.  L.,  t.  xxn,  col.  130. 
Saint  Épiphane,  User.,  XL,  n.  5,  P.  G.,  t.  xi.i,  col.  685, 
met  'là  au  nombre  des  noms  divins  et  il  le  traduit 
K-Jpioç.  Théodoret  dit  que  les  Juifs  nomment  Dieu 
'Aïà  ou  !Ta.  In  Exod.,  q.  xv,  P.  G.,  t.  lxxx.  col.  244. 
Sur  les  différentes  formes  du  nom  divin  dans  les  papy- 
rus magiques  de  l'Egypte,  voir  A.  Deissmann,  Griechis- 
che  Transskriplionen  des  Tetragrammaton,  dans 
Bibelstudien,  Marbourg,  1895,  p.  3-20. 

Les  critiques  modernes  ont  généralement  reconnu 
que  la  leçon  mn»  de  l'Ancien  Testament  et  de  la  stèle 
de   Mésa,  lig.  18,  devait  se  prononcer  --->,  que  l'on  a 

transcrit  en  français  Vahvé,  ou  Yahvéhyou  Jahweh,  ou 
lahveh,  ou  Iahvé.  Quelques-uns  ont  conclu  que  telle 
était  l'unique  et  authentique  prononciation  du  nom 
ineffable  et  que  les  autres  formes  Iao  ou  Iaou  et  la 
avaient  été  extraites  des  noms  théophores  de  la  Bible. 
Mais  la  forme  T\i  se  trouvant  employée  régulièrement 

par  la  colonie  juive  établie  à  Éléphantine  avant  la  do- 
mination des  Perses,  elle  apparaît  désormais  comme 
une  forme  nouvelle  du  nom  divin,  et  c'est  d'elle  que 
dérive  la  forme  abrégée  Iah.  Elle  a  coexisté  avec  mn>, 
sans  qu'on  puisse  déterminer  laquelle  des  deux  a  été 
primitive.  Grammaticalement,  elles  peuvent  être  déri- 
vées l'une  de  l'autre;  elles  pourraient  cependant  être 
distinctes,  si  mn>  est  la  forme  indicative  (imparfait  kalj 
du  verbe  hébreu  ~^~   ou  araméen  -"-  «  être  ■   et  si  --• 

T  T  T  T 

est  la  forme  jussive  du  même  verbe. 

b)  Elymologie  et  sens.  —  Cette  origine  est  généra- 
lement admise  aujourd'hui  et  on  rejette  communément 
la  dérivation  d'une  racine  arabe,  signifiant  •  souffler 
ou  «  tomber  »,  imaginée  pour  faire  de  Jahvé  un  dieu 
de  l'orage,  qui  verse  la  pluie  ou  lance  la  foudre.  Dès 
lors,  on  ne  discute  plus  que  pour  savoir  si  mn>  est  à  la 

voix  hiphil  ou  à  la  voix  l;al.  Dans  le  premier  cas,  ce 
nom  aurait  le  sens  de  «  celui  qui  donne  l'être  »,  le 
créateur,  ou  celui  qui  fait  «  arriver  ■>  les  événements  ou 
ses  promesses,  le  Dieu  provident  et  fidèle  à  sa  parole. 
Mais  la  forme  hiphil  de  ce  verbe  n'existe  pas  en  hébreu, 
et  il  est  hasardeux  d'y  recourir  pour  expliquer  le  nom 
divin.  Il  vaut  mieux  donc  lui  donner  la  forme  indica- 
tive avec  le  sens  d'  «  être  »,  que  lui  a  toujours  reconnu 
la  tradition  hébraïque.  Cette  étymologie  admise,  il  reste 
à  déterminer  si  ce  nom  désigne  l'être  historique  ou 
l'être  métaphysique,  ce  que  Dieu  est  pour  les  autres  ou 
ce  qu'il  est  en  lui-même.  Les  protestants  sont  en 
néral  du  premier  sentiment.  Les  uns  prennent  le  sens 
du  futur  :  «  Je  serai  ce  que  je  serai.  >  ce  que  je  dois 
être,  votre  protecteur.  Exod.,  m.  12,  ou  ce  que  je  veux 
être,  étant  le  maître  absolu  de  ma  propre  conduite. 
Arnold,  The  divine  name  tu  Exodus,  m.  li.  dans 
Journal  of  biblicul  literature,  1907.  t.  xxiv.  p.  107- 
165.  Les  autres  traduisent  par  le  présent.  Selon  eu\.  le 
verbe  mn  exprime  l'être  en  mouvement,  l'être  qui  de- 
vient, et  l'imparfait  indique  une  action  commencée, 
mais  encore    incomplète.  Pour  .Œlher,   Théologie  de* 


957 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    BIBLE; 


958 


àlten  Testaments,  Stuttgart,  1882,  p.  "142,  Jahvé  est 
l'être  divin  qui  entre  en  relations  avec  les  hommes  et 
spécialement  avec  Israël  et  qui  se  montre  constamment 
dans  son  intervention  historique  celui  qui  est  et  celui 
qui  est  qui  il  est.  Il  lui  reconnaît  donc  l'indépendance, 
la  constance  absolue  et  la  fidélité  à  ses  promesses. 
Cf.  Baenlsch,  Exodus,  Leviticus,  Numeri,  Gœttingue. 
1903,  p.  23.  Pour  Driver,  loc.  cit.,  p.  15;  The  book  of 
Genesis,  p.  407-408,  Jahvé  est  celui  qui  est,  non  seu- 
lement celui  qui  existe  simplement,  mais  celui  qui 
affirme  son  existence  et  qui,  différent  en  cela  des  faux 
dieux,  entre  en  relations  personnelles  avec  ses  adora- 
teurs. Mais  le  second  sentiment,  qui  donne  à  Jahvé  le 
sens  de  l'être  en  soi,  est  plus  fondé.  Le  verbe  mn  ex- 

prime  l'être  stable  autant  que  l'être  en  mouvement,  et 
l'imparfait  hébreu  s'emploie  pour  énoncer  des  maximes 
générales,  faisant  ainsi  abstraction  du  temps.  Jahvé,  du 
reste,  se  nomme  à  Moïse  :  «  Je  suis  »,  Exod.,  ni,  14,  et 
il  désigne  ainsi  ce  qu'il  est  en  lui-même,  l'être  par  ex- 
cellence, comme  nous  allons  le  voir. 

c)  Signification  de  cette  première  re'i<élalion.  — 
A  Moïse,  qui  lui  demande  son  nom,  Dieu  répond  :  «  Je 
suis  celui  qui  suis.  »  Cette  première  réponse  ressemble 
à  certaines  manières  de  parler  qui,  dans  la  bouche  de 
Dieu,  Exod.,  iv,  13;  xxxm,  19,  inarquent  l'indépen- 
dance suprême  de  celui  qui  parle,  de  telle  sorte  qu'on 
pourrait  la  traduire  :  Je  suis  qui  je  suis.  »  Mais  Dieu, 
loin  de  déclarer  ainsi  qu'il  est  innommable,  indique 
dans  la  phrase  suivante  qu'il  a  révélé  son  nom  véri- 
table, puisqu'il  ajoute  :  «  Tu  diras  aux  lils  d'Israël  : 
Je  suis  m'a  envoyé  vers  vous.  »  Je  suis  exprime  donc 
bien  ce  qu'est  Dieu,  qu'il  est  l'être.  Se  délinissant  lui- 
même,  Dieu  devait  dire  :  c  Je  suis  celui  qui  est  je  suis.  » 
Toutefois,  cette  formule  à  la  première  personne  ne  pou- 
vait reproduire  le  nom  de  Dieu  dans  l'usage  des 
hommes.  En  nommant  Dieu,  les  hommes  devaient  ex- 
primer son  être  à  la  troisième  personne.  Aussi  Dieu, 
révélant  enfin  son  nom.  se  nomme  mn».  Ce  verbe  si- 
gnifie :  6  11  est  .  et  pris  comme  substantif  :  «  Celui 
qui  est  ».  Cette  révélation  montre  donc  que  Dieu  a  en 
lui  seul  sa  raison  d'être  nommé  et  que  l'idée  d'être 
rend  le  mieux  sa  propre  nature.  Jahvé  signilie  l'être 
absolu,  l'être  métaphysique,  celui  en  qui  l'essence  et 
l'existence  se   confondent,   et  il  indique   l'attribut   de 

l'aséité  coi e  caractéristique  de  la  nature  divine.  Il 

est  inutile  d'objecter  que  celle  notion  métaphysique  de 
Dieu  'tait  trop  abstraite  pour  être  comprise  en  ces 
temps  primitifs,  lin  cessaire  d'affirmer  que  les 

Israélites  du  \i\  siècle  avanl  Jésus-Chrisl  et  que  Moïse 
lui-même   comprenaient   parfaitement   la  signification 

du  nom  divin.  Il  suffit  que  le  nom  révélé  ail 
contenu  ce  sens,  qui  a  été  plus  lard  saisi  et  compris 
dans  la  r<    élation  laite  .<  Moïse.  Voir  t.  m,  col. 

2.  Seconde  révélation.  Exod.,  VI,  2-8.  —  Apres  l'in- 
succès île  Moïse  auprès  de    Pharaon  et  les  récrimina- 
tions 'l' •   Israélites  opprimés  davantage  ■<  la  suite  de 
démarche,  Exod.,  v,  1-21,  Moïse  se  plainl  à    Dieu 
de  la   mission  qu'il  lui   a  confiée,  22,  23.  et   Dieu  lui 
ond  qu'il  obligera    le   pharaon   à  laisser  partir  les 
id.,  vi,  I.  Puis,  il  ajoute:  «  Je  suis  Jahvé. 
<>r,  j'ai  apparu  à  Abraham,  à  Isaac  el  à  Jacob  en  qua- 
lité à''Êl-Sadda\,  •  sous  mon  nom  de  Jahvé,  je  m 

pas  fut  connaître  à  eux.  i   Exod.,  m.  •!.  3.  lie 
li  ibuenl  au  code  lacerdo- 
lat,  il  semble  résulter  que  les  patriarches,  dont  pour- 
tant t.ili'.'  était  le  Dieu,  ne  l'onl  pas  connu  sous  ce  nom, 

il  i  conclu  qu'à  partirde  Moïse,  ce  nom.  révél 
la  premièn  fois,  a  remplacé  celui  d"Êl-Saddaî, 
denznent  usité  seul  Or,  cette  affirmation  ne  -accorde 
l'emploi  int<  i  ieur  du  nom  de  Ji  hovah  dans 
la  i.>n,   i   ni  ave<   le  fail  que  le  nom  nouveau  enti 
composition    dant    des    noms    propres     intérii 


l'Exode,  à  tout  le  moins  dans  celui  de  Jochabed,  mère 
de  Moïse.  Exod.,  vi,  20;  Num.,  xxvi,  5,  9. 

On  a  résolu  cette  difficulté  de  différentes  manières. 
Plusieurs  commentateurs  catholiques  ont  pensé  que  le 
nom  divin,  révélé  à  Moïse  pour  la  première  fois,  a  été 
employé  dans  la  Genèse  par  prolepse  ou  anticipation, 
et  que  le  nom  de  Jochabed  n'est  pas  primitif;  la  mère 
de  Moïse  se  nommait  Elichabed;  plus  lard,  quand  le 
nom  de  Jahvé  a  été  usité,  on  a  remplacé  le  nom  divin 
El.  qui  élait  en  composition,  par  celui  de  Jahvé,  comme 
celui  de  HôsC a  a  été  changé  par  Moïse  en  celui  de 
Jhôëû a.  Num.,  xm,  8,  16.  Cf.  Eranzelin,  Troc-talus  de 
Deo  uno  secundum  naturam,  2L'  édit.,  Rome,  1876, 
p.  272.  Le  P.  de  Hummelauer  pensait  que  le  nom  de 
Jahvé  a  été  introduit  dans  la  Genèse  par  des  copistes, 
longtemps  après  sa  rédaction,  et  qu'il  était  entièrement 
inconnu  avant  sa  révélation  à  Moïse.  Commcnlarius  in 
Genesim,  Paris,  1895,  p.  7-9-  Il  a  changé  d'avis  et  il  a 
admis  que  les  patriarches  connaissaient  le  nom  de 
Jahve  et  sa  signification,  mais  qu'ils  ne  savaient  pas  que 
Dieu  lui-même  l'avait  adopté  comme  son  nom  propre. 
Commentarius  in  Exodum  el  Leviticum,  Paris,  1897, 
p.  71,  73.  M.  lloberg,  Moses  und  der  Penlateuch,  dans 
Biblische  Studien,  Eribourg-en-Brisgau,  1905,  l.  x, 
fasc.  4,  p.  50-52,  admet  aussi  la  permutation  des  noms 
divins  dans  les  passages  delà  Genèse,  où  sont  racontées 
des  révélations  surnaturelles,  permutation  faite  par 
Moïse  lui-même  ou  par  les  copistes  postérieurs.  Cf. 
Die  Genesis,  2e  édit.,  Fribourg-én-Brisgau,  1908, 
p.  xxv-xxvn.  Ce  n'est  "qu'une  hypothèse,  qui  ne  se 
vérifie  pas  partout,  puisqu'il  y  a  des  récits  de  révéla- 
tion surnaturelle  dans  lesquels  le  nom  d'Élohim  a  été 
conservé.  M.  lloberg  n'y  voit  qu'une  inconséquence 
d'application.  La  preuve  de  la  substitution  n'est  pas 
faite. 

D'autres  exégètes  ont  pensé  que  le  nom  de  Jahvé  était 
connu  des  patriarches,  mais  que  ceux-ci  en  ignoraient 
la  signification  profonde,  n'a\ant  pas  compris  que  l'être 
est  l'attribut  caractéristique  de  Dieu.  Le  sens  et  la  valeur 
du  nom  divin  ont  été  révélés  seulement,  du  temps  de 
l'Exode,  a  Moïse  et,  par  son  intermédiaire,  aux  Israé- 
lites. Cf.  Corneh,  Introductio  specialis  in  historicos 
V.  T.  tibros,  Taris.  KS87,  l.  i,  p.  108-111.  Plus  récem- 
ment, on  a  fait  remarquer  que,  dans  ce  récit,  l'anti- 
thèse n  est  pas  tant  entre  deux  noms  divins  qu'entre 
deux  manifestations  de  la  divinité.  A  l'époque  des  pa- 
triarches. Dieu  s'était  manifesté  en  qualité  de  'Êl-Saddaï, 
parce  qu'il  comblait  ses  adorateurs  de  toute  sorte  de 
biens,  tandis  qu'au  temps  de  Moïse,  il  s'est  manifesté 
connue  I  lire,  le  maitre  de  tout  ce  qui  est,  de  la  terre 
entii  i.  et  de  tous  les  peuples.  Cela  ne  veut  pas  dire 
qu'il  a  révélé  son  nom  ou  en  a  explique''  le  sen-  I 
nom  était  connu,  ainsi  que  sa  signification;  mais  Dieu, 
par  ses  actes  et  sa  conduite  à  l'égard  d'Israël,  en  a 
manifesté  la  pleine  signilication.  Tandis  que  par  sa 
manière  d'agir  avec  les  patriarches,  il  se  mollirait 
prolecteur  bienfaisant  de  leur  famille,  désormais  il  se 
montrera  h  l'égard  des  Israélites  le  maitre  du  inonde, 
disposant  des  royaumes  et  des  contn  es,  partageanl  la 

terre  co !  bon   lui  semble,  privant  les  Ghanan 

de  leur  territoire  pour  y  introduire  son  peuple  choisi. 
C.Robert,  El-Shadda'i  et  Jéhovah,  dans  Le  Sfui 
1891,  t.  x.  p.  372-374;   /.«   révt  lu   nom   divin 

Jéhovah,  dans  la   Revue  biblique,   1894,  i.  m,  p.  170- 
172.  On  a  justifié  cette  distinction  entre  se  manifester 

SOUS  Ull   attribut     particulier  et    révéler  OU  expliquer  le 

nom.  pai  de    formules  analogues, 
I  .   Etobiou,   /."    révélation  du  nom  divin  Jéhovah  à 
Moite,  dans  i.i  Science  catholique,  1888,  p.  818-624,  ei 
i   Bible  elle-même.  A.  Delattre,  •s'»c  un  eniptbi 
pari  u  mots  i  a  dont  la 

Bible,ibid.,  1882,  p.  673-687.  Cf.  Van  Kasteren, /oAvé 

i.e  p,  Lagi 


959 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    BIBLE 


960 


d'abord  sous  le  pseudonyme  de  Bams,  La  révélation 
du  nom  divin  «  télragrammalon  »,  dans  la  Revue 
biblique,  L893,  t.  h,  p.  338-341  (auquel  s'esl  rallie-  le 
P.  do   Ilummelauer,    Commentarius   in  Exodum  cl 

Leviticum,  p.  71),  puis  sous  son  nom,  El  cl  Jalivé, 
ibid.,  1903,  t.  xn,  p.  381-382,  établit  l'antithèse  entre 
'Êl-Saddaî  et  Jahvé.  Dieu  s'était  manifesté  aux  patriar- 
ches sous  le  nom  divin,  'El,  commun  à  tous  les  sémites, 
et  avec  la  qualité  de  Saddaï  comme  créateur  du  ciel  et 
de  la  terre.  Quand  il  se  choisit  un  peuple,  il  se  mani- 
festa et  se  fit  reconnaître  officiellement,  sous  le  nom 
propre  et  personnel  de  Jahvé,  comme  le  Dieu  particu- 
lier des  Israélites;  et  pour  éviter  le  danger  d'être  con- 
sidéré seulement  comme  le  Dieu  national  de  son 
peuple,  il  a  adopté  la  dénomination  absolue  et  univer- 
selle d'Être,  qui  convenait  au  Dieu  absolu  et  universel. 
Cf.  P.  de  Broglie,  Questions  bibliques,  p.  307-308. 

2°  Origine  du  nom.—  Si  le  nom  de  Jahvé  était  connu 
avant  la  révélation  qui  en  a  été  faite  à  Moïse,  il  y  a  lieu 
de  se  demander  d'où  il  provient,  s'il  était  l'apanage 
des  Israélites  ou  s'ils  l'ont  emprunté  à  un  clan  ou  à 
un  peuple  étranger.  On  a  multiplié  les  hypothèses 
d'emprunt  et  on  a  fait  dériver  le  nom  de  Jahvé  de 
différents  peuples.  Trois  de  ces  hypothèses  ont  encore 
besoin  d'être  discutées. 

1.  Origine  égyptienne.  —  Moïse,  ayant  été  élevé  dans 
la  sagesse  des  Egyptiens,  Act.,  vu,  22,  il  était  naturel 
de  penser  qu'il  avait  appris  le  nom  de  Jahvé  en  Egypte. 
Si  on  n'a  pas  trouvé  dans  le  panthéon  égyptien  un  nom 
semblable  à  celui  de  Jahvé,  on  a  rapproché  la  formule  : 
«  Je  suis  celui  qui  suis  »  de  celle  qu'on  lit  dans  le 
Livre  des  morts  :Nuk  pu  nuk,  «  moi,  c'est  moi  »,  que 
prononce  l'âme,  lorsqu'elle  franchit  divers  passages 
difficiles  dans  son  voyage  d'outre-tombe  à  travers  les 
diverses  régions  des  enfers.  Mais  cette  formule  signifie 
seulement  :  «  C'est  bien  moi  »  un  tel,  et  n'a  aucun 
rapport  avec  l'Être  absolu.  Le  pharaon  ne  connaît  pas 
Jahvé,  Exod.,  v,  2,  et  le  culte,  que  Jahvé  exige  de  ses 
adorateurs,  aurait  été  une  abomination  pour  les  Égyp- 
tiens, Exod.,  vin,  25-27,  puisqu'il  imposait  le  sacrifice 
d'animaux  que  les  Égyptiens  adoraient. 

2.  Origine  qénite.  —  Selon  plusieurs  critiques, 
Tiele,  Stade  et  Budde,.Tahvé  était  primitivement  le  dieu 
local  de  la  montagne  du  Sinaï  ou  de  l'Horeb.  D  y  ap- 
parut à  Moïse  dans  le  buisson  ardent,  Exod.,  m,  2sq.  ; 
Israël  y  vint  lui  offrir  des  sacrifices,  12;  il  s'y  montra 
à  tout  le  peuple,  Exod.,  xix,  2-4;  il  y  donna  la  loi  à 
Moïse,  Exod.,  xx,  22  sq.;  il  y  demeura  tandis  que 
Moïse  par  son  ordre  introduisit  son  peuple  dans  la 
terre  promise,  Exod.,  xxxm,  1  sq.;  il  vint  du  Sinaï  se- 
courir ce  peuple  au  pays  de  Chanaan,  Deut.,  xxxm,  2; 
Jud.,  v,  5;  Élie  alla  au  Sinaï  l'y  chercher.  I  (III)  Reg., 
xix,  8  sq.  Or,  cette  montagne  est  située  au  pays  des 
Madianites.  Stade,  Biblische  Théologie  des  A.  T.,  Tu- 
bingue,  1905,  t.  i,  p.  29.  Moïse  donna  ce  dieu  comme 
dieu  national  aux  tribus  nomades  Israélites  qu'il  avait 
enlevées  à  la  suzeraineté  des  Égyptiens  et  qu'il  avait 
confédérées.  Elles  l'acceptèrent  parce  qu'elles  étaient 
persuadées  que  ce  dieu  les  avait  aidées  à  secouer  le 
joug  égyptien,  comme  plus  tard  il  leur  donna  la  vic- 
toire sur  les  Amalécites  et  les  Chananéens.  76k/.,  p.  31. 
Moïse,  en  effet,  avait  rencontré  Jahvé  en  faisant  paître 
dans  la  région  les  troupeaux  de  son  beau-père,  le  Ma- 
dianite  Jéthro,  Exod.,  ni,  1  ;  ce  prêtre  offrit  des  sacri- 
fices à  Jahvé  en  reconnaissance  de  la  libération  des 
Israélites,  Exod.,  xvni,  11,  12,  et  Aaron  et  les  anciens 
du  peuple  participèrent  à  ce  sacrifice  :  ce  qui  est  un 
indice  qu'Israël  apprit  de  Jéthro  à  connaître  Jahvé. 
Jéthro,  nommé  Hobab,  servit  de  guide  aux  Israélites 
dans  les  marches  et  campements  au  désert.  Num..  x. 
29-32.  Or, Hobab  était  un  qénite, on  cinéen,  Jud.,  iv.ll, 
et  sa  famille  s'établit  en  Juda.  Jud.,  î,  16.  Cf.  I  Reg., 
xxvn,  10;    xxx,   29.    Elle  fut  toujours  bien  traitée  par 


les  Israélites,  1  lie-.,  xv,  1-6,  et  les  Réchabites,  quien 
descendaient,  I  Par.,  H,  55,  restèrent  fidèles  adora- 
teurs de  Jahvé,  IV  lieg.,  x.  15,  16,  en  même  temps 
qu'ils  continuaient  à  mener  la  vie  nomade  de  leurs 
ancêtres,  ,1er.,  xxxv,  9,  10.  D'autre  part,  si  le  conseil 
de  Jéthro  a  déterminé  l'institution  des  juges  en  Israi  I. 
Exod.,  xviii,  13-27,  on  peut  penser  que  le  prêtre  de 
Madian  avait  fait  connaître  à  son  gendre  le  dieu  qu'il 
adorait,  le  dieu  du  lieu  qu'habitaient  I"-  Israélites  et 
que  par  suite,  selon  les  idées  du  temps,  ils  devaient 
eux-mêmes  honorer.  Budde,  Die  Religion  des  Yolkes 
Israël,  Giessen,  1900,  p.  15 sq.;  Baentsch,  Exodus,  Le- 
viticus,  Numeri,  Gœllingue,  lin:;,  p.  24-25;  Altorien- 
lalischer  und  israelitischer  Monotheismus,  Tubic 
190G,  p.  51-52,  67-77.  C'était  un  dieu  de  la  nature,  le 
dieu  de  la  tempête  ou  de  l'orage,  et,  selon  Uacntsch, 
le  dieu  lunaire  Sin.  Sa  puissance  sur  les  éléments  lui 
permettait  de  réprimer  vigoureusement  les  désordres. 
Ses  actes  de  répression  du  mal  lui  firent  attribuer  un 
caractère  moral  et  plus  tard  une  sainteté  incompatible 
avec  les  moindres  déchéances.  A.  Réville,  Jésus  de  Xv- 
zareth,  Paris,  1897,  t.  i,  p.  13-17.  Pour  R.  Smend, 
Leltrbuch  der  alltestamentlichen  Religionsgeschichte, 
2e  édit.,  Fribourg-en-Brisgau,  1899,  p.  3i-36,  Jahvé.  le 
dieu  du  Sinaï,  était  déjà  avant  Moïse  le  dieu  national 
des  Israélites,  qui  habitaient  depuis  longtemps  avant 
l'exode  les  environs  du  Sinaï  et  qui.  en  se  formant  en 
nationalité  parla  réunion  de  différentes  tribus,  avaient 
adopté  le  culte  du  dieu  de  la  contrée.  M.  Loisy,  La 
religion  d'Israël,  Paris,  1901,  p.  11-42,  ne  se  prononce 
pas  entre  les  deux  sentiments. 

Mais  ces  systèmes  manquent  de  fondement.  Les  Ci- 
néens  n'habitaient  pas  au  Sinaï.  puisque  Moïse  y  mena, 
de  loin  peut-être,  paître  les  troupeaux  de  son  beau- 
père  et  puisque  celui-ci  y  vint  ramener  à  son  gendre 
Séphora  et  ses  fils.  Exod.,  xvm,  1-5.  L'Horeb  est  nommé 
la  montagne  de  Dieu,  avant  la  théophanie  du  buisson 
ardent,  Ëxod.  ni,  1,  ou  bien  par  anticipation,  ou  bien 
parce  que  peut-être  il  était  couronné  déjà  par  un  sanc- 
tuaire et  indiqué  ainsi  pour  être  le  centre  de  réunions 
religieuses.  Voir  Revue  biblique,  1901.  p.  500-501 .  Celte 
circonstance  expliquerait  seulement  pourquoi  Jahvé  l'a 
choisi  pour  théâtre  de  sa  manifestation.  Si  Jéthro  est  le 
même  personnage  que  Hobab,  il  opposa  un  refus  éner- 
gique aux  propositions  que  lui  fit  Moïse  de  l'accompa- 
gner et  de  guider  les  Israélites  au  désert,  afin  de  re- 
tourner dans  son  pays  et  parmi  les  siens.  Num.,  x,30. 
Du  reste,  les  Cinéens  habitaient  le  pays  de  Chanaan. 
Gen.,  xv,  19,  à  côté  des  Amalécites  et  dans  une  région 
rocheuse.  Num.,  xxiv,  21,  22.  Si  une  fraction  de  la 
tribu  s'unit  aux  Israélites  et  vécut  au  milieu  d'eux,  elle 
avait  plutôt  reçu  d'eux  le  culte  de  Jahvé,  cf.  I  Par.,  iv. 
10,  qu'elle  ne  le  leur  avait  communiqué,  car  en  Orient 
jamais  un  peuple  fort  n'a  accepté  la  religion  d'une 
peuplade  plus  faible.  C'est  donc  une  pure  hypothèse 
d'imaginer  que  Jéthro  a  fait  connaître  Jahvé  à  Moïse. 
Le  récit  du  sacrifice,  offert  par  le  piètre  de  Madian, 
Exod.,  XVIII,  II.  12,  signifie  que  Jéthro  s'associe  au 
culte israélite.  D'autre  part,  rien  dans  l'Exode  ne  prouve 
que  les  Israélites  axaient  eu  avant  leur  venue  en 
Egypte  quelque  attache  avec  le  Sinaï.  Quand  Moïse 
demande  au  pharaon  l'autorisation  d'aller  ofiriràJahvé 
un  sacrifice  au  désert.  Exod..  \.  3.  il  n'allègue  pas  une 
ancienne  coutume,  mais  l'ordre  de  Dieu,  Exod..  ni.  12; 
pour  l'offrir  il  fallait  sortir  de  l'Egypte,  parce  qu'un 
sacrifice  d'animaux,  honorés  dans  ce  pays,  eut  irrité  les 
I  gyptiens.  Exod.,  vin,  26.  Si  Jahvé  s'est  révélé  à  lui 
dans  le  buisson,  c'est  soudain,  par  une  manifestation 
inattendue,  sans  liaison  préalable  avec  le  Sinaï.  S'il 
conduisit  les  Israélites  au  pied  de  celte  montagne, 
Exod.,  ni.  12,  ce  fut  pour  les  délivre!  de  la  servitude; 
et  pour  cette  œuvre  il  a  opéré  des  prodiges  en  Egypte 
au  nom  île  Jahvé.  I>ans  la  bénédiction  de  Moïse  mou- 


961 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA   RIBLE' 


962 


rant,  la  parole  :  «  Jahvé  est  venu  du  Sinaï  »  signifie 
seulement  que  Dieu  a  donné  sa  loi  du  haut  du  Sinaï 
au  milieu  des  éclairs.  Deut.,  xxxm,  2.  Le  psalmisle 
qui  dira  plus  tard  que  Jahvé  est  venu  du  Sinaï  au  sanc- 
tuaire de  Jérusalem,  Ps.  i.xvu  (lxviii),  18,  rappelle 
seulement  encore  la  proteclion  divine  accordée  à  son 
peuple  depuis  le  départ  du  Sinaï,  8-11,  et  il  dit  plus 
loin  que  ce  Dieu  est  porté  sur  les  cieux,  14.  Bref,  ni 
.Moïse  ni  les  Israéliles  n'ont  jamais  su  que  leur  Dieu 
était  le  dieu  du  Sinaï,  et  que  leurs  ancêtres  avaient 
adopté  un  dieu  local  pour  en  faire  leur  dieu  national. 
Cf.  Diilmann,  Eandbuch  der  allteslamenllichen  Théo- 
logie, Leipzig,  1895,  p.  103. 

3.  Origine  assyrobabylonienne. —  Les  deux  formes 
du  nom  divin,  Jahou  et  Jahvé,  ont  été  rencontrées  dans 
les  documents  babyloniens  du  temps  d'Hammourabi. 
Elles  entrent  en  composition  dans  des  noms  tlu'o- 
phores.  Jahou,  au  début  ou  à  la  fin  de  ces  noms,  est 
toujours  rendu  en  assyrien  par  ia-u.  Ainsi  le  nom 
la-u-um-ilu  répond  à  Iaou-el  ou  Joël.  De  même,  dans 
les  contrats,  on  a  rencontré  d'autres  noms,  tels  que 
Ia-pi-ilu  et  la- -pi-ilu.qui  contiennent  certainement  la 
transcription  de  Jahvé,  puisque  le  signe  pi  est  ordinai- 
rement prononcé  wi,  comme  le  prouve  le  code  d'Ham- 
mourabi. L'absence  du  déterminatif,  qui  indique  la  di- 
wnilé,  n'est  pas  une  raison  de  nier  que  le  premier 
élément  de  ces  noms  était  divin. Cf.  F.  Delitzsch,  llabrl 
und  Bibel,  Leipzig,  1902,  p.  47;  Ed.  Kônig,  Bibel  und 
Babel,  Berlin,  1902,  p.  37-45;  Schrader,  Die  Keilin- 
scliriften  und  das  Aile  Testament,  3e  édit.,  Berlin, 
Khi:!,  p.  M38.  Toutefois,  la  lecture  de  ces  deux  noms 
n'est  pas  encore  tout  à  fait  sûre.  Cf.  S.  Daiches,  Ko>n- 
nii  das  Telragrammalon  rnn>  in  den  Keilintchriften 
VOr9  dans  Zeilsclirift  fur  Assyriologie,  novembre  1908, 
p.  125-136;  I.  Nikel,  Der  Crsprung  des  alttestamen- 
Uiclien  Gottesglaubens,  p.  32.  Dans  des  noms  analo- 
gues, donl  le  premier  élément  est  certainement  un 
nom  de  dieu,  tel  que  Aku-ilum  (Aku  est  dieu),  le  déter- 
minatif (h  l.i  divinité  manque.  Or,  tandis  que  le  nom 
babylonien  lahou  se  présente  grammaticalement 
cor e  un  substantif  en  raison  de  la  forme  indéter- 
minée '"",  l'autre  forme  la-wi  est  verbale  (forme  qui 
se  rencontre  dans  beaucoup  d'autres  noms),  avec  la 
préformanle  ia.  Cela  prouve  qu'ils  ne  sont  pas  baby- 
loniens, mais  qu'ils  appartiennent  au  groupe  septen- 
trional ou  occidental   des  langues  sémitiques  (chana- 

néenne,  ar: lenne  el  arabe).  Cf.  P.  Lagrange,  Enct  re 

le  nom  de  Jahvé,  dans  la  Revue  biblique,  1907, p. 383- 
386.  <>n  connail  aussi  par  les  inscriptions  assyriennes 
un  roi  de  Hamalh,  qui  esl  nommé  t.mtol  laubi'di,  tantôt 
Ilu-ibi'di.  Il  m  résulte  que  1  lu  et  lau  sont  synonymes 
el  que  [au  esl  un  dieu,  car  ce  nom  esl  précédé  de  l  idéo 

;:r.- ne  divin,  Mais  ci  9  inscriptions  sont  du  vnr  siècle, 

cl  le  nom   royal  qu'elles  produisent  peul   provenir  de 
l'influence  israélile  en   un  royaume   voisin. 
S'il  en  esl  ainsi,  on  doil  l 'gitimemenl  conclure  que 

le  nom  divin.   m,ih  ses    deux    for s  Jahou  et  Jahvé, 

i  ta  ii  connu  déjà  avanl  Moïse  en  Babylonîe.  <*n  ne  peul 
toutefois  en  conclure  que  le  dieu  ainsi  nommé  appar- 
tenait au  panthéon  babylonien, coi iHommel  l'a  fait, 

en  disant  «pie  le  nom  de  dieu  .1.1  devait  se  proni 
.li  nu  lu.  el   qu'il  désignai!    le   dieu  d'Eridou.  Outre 
que  l'identité  de  celli  divinité  n'a  pas  été  prouvée,  la 
forme  laou,  rapprochée  de  la-wi,  ne  peu'   pins  «tic  la 

forme  noniinali   i   ih    la    el  la  supposition  de  Hom I 

■m-   fondi ni.  lin  resle,  le  nom  hébreu  n 

|iu  •'•ire  emprunté  aux  Habylonii  ns,  car  les  II   l  reus  ou 

ii  auraient  jamais  ajouté  h'  n  qui  manque 

■  n  ltab\lonie.  Il  manque  plus  probablement,  pane  que 

i ■  ih\ lonii  n •  .-iit  n  gligé  'i"  le  li  rivanl 

un  ii'iin  .  transi  i    i  ■    i i  de  Jahvé  el   ''<■  Jahou  élail 

donc  i  o'ii  <  'n  celui  d lieu  étranger,  d'un  dieu  d< 

.  •  eni 

DE   TIIH.I..    CATIIOL. 


4.  Origine  chananéenne.  —  Max  Mùller,  Asien  und 
Europa,  1893,  p.  162,  312,  313,  et  Winckler,  Geschichle 
lsraels,  t.  i,  p.  36  sq.,  reconnaissent  en  Jahvé  un  dieu 
chananéen.  Le  premier  fondait  son  sentiment  sur  la 
présence  d'une  localité  de  Palestine,  nommée  Bai-ti-y  à. 
a  maison  de  la  »,  dans  une  liste  de  Touthmès  III.  Nous 
avons  prouvé  plus  haut  que  les  Israéliles  connaissaient 
Jahvé  avant  leur  entrée  au  pays  de  Chanaan,  et  il  est 
toul  à  fail  invraisemblable  que  Jahvé, s'il  avait  été  pri- 
mitivement un  dieu  des  Chananéens,  fût  devenu, 
comme  il  l'est  dans  la  Bible,  l'adversaire  des  tribus 
ehananeennes  et  de  leurs  idoles.  La  forme  mn»,  si  elle 
dérive  de  mn,  ne  peut  venir  des  Chananéens,  qui,  dès 
le  temps  des  lettres  d'El-Amarna,  se  servaient,  comme 
les  Hébreux  plus  tard,  de  n'~.  Les  Phéniciens  expri- 
maient l'idée  d'être  par  ir.  Enfin,  ce  nom  ne  se  ren- 
contre nulle  part  avec  certitude  dans  les  letlres  d'El- 
Amarna,  et  la  forme  y'à,  signalée  par  Max  Mûller,dans 
une  transcription  égyptienne,  ne  représente  peut-être 
pas  très  bien  le  nom  divin.  Sellin  fait  élat  du  nom  de 
Jali,  trouvé  récemment  à  Jéricho  gravé  sur  une  cruche 
chananéenne.  Die  alttestamentliche  Religion  im  llah- 
men  der  anderen  orientalisclten,  Leipzig,  1908,  p.  (il. 
Cf.  .1.  Nikel,  op.  cit.,  p.  33.  Bien  que  le  nom  de  Jahvé 
ait  eu  une  large  diffusion  dans  le  monde  sémitique  et 
peut-être  en  Palestine  dès  le  xvr  siècle  avant  notre 
ère,  il  n'est  pas  d'origine  chananéenne,  et  par  sa  forme 
il  dérive  plutôt  de  la  langue  araméenne. 

ô.  Origine  araméenne.  —  Elle  résulte  donc  déjà  de 
l'étymologie,  venant  de  la  racine  araméenne  mn,  et  de 
la  forme  araméenne  du  nom  divin.  Elle  est  confirmée 
par  l'usage  de  ce  nom  dans  la  famille  de  Nachor,  Ëlié- 
zer  l'emploie  chez  Laban,  lorsqu'il  demande  la  main 
de  Rébecca  pour  Isaac.  Gen.,  xxiv,  31,  30,  51.  Laban, 
bien  qu'idolâtre,  prend  Jahvé,  le  Dieu  d'Abraham  et 
de  Nachor,  connue  juge  de  ses  engagements  avec 
Jacob,  Gen.,  xxxi,  49,  53,  et  on  a  remarqué  que  l'au- 
teur jéhovisle,  à  qui  on  attribue  ces  récits,  a  soin  de 
ne  pas  mettre  le  nom  divin  sur  les  lèvres  des  hommes 
qui  n'appartiennent  pas  à  la  race  choisie.  S'il  est  ara- 

méen  d'origine,  ce  nom  n'était  donc  pas  une  énig 

pour  la  famille  de  Tharé.Maissi  Jahvéélail  déjà  connu 

ite  tribu,  ne  pourrait  on  pas  faire  remonter  le  fail 

île  connaissance  jusqu'à  Sein,  dont  Jahvé  était  le 

Dieu,  Gen.,  ix,  26,  jusqu'à  Énos,  au  temps  de  qui  on 

c meiii  a  à  invoquer  Jahvé  par  son  nomV  Gen., tv, 26. 

Si  la  révélation  de  ce  nom  divin  n'a  pas  eu  lieu  pour 
la  première  fois  au  Sinaï,  elle  aurait  été  faite  anté- 
rieurement à  l'humanité  primitive  et  se  serait  con- 
servée  dans  la  descendance  de  Sem  el  d'Abraham. 
M.  Dôller,  Bibel  und  Babel,  Paderborn,  1903,  p.  Il, 
i  ependanl  que  les  hommes  ont  pu  à  l'aide  des 
créatures  connaître  l'être  en  soi  el  lui  donner  le  nom 
de  Jahvé  comme  nom  propre,  el  le  P.  Hetzenauer,  I 

!  i  ibourg-en-Brisgau,  1908,  t.  i.  p.  :;~<> 
377,  approuve  ce  sentiment. 

J,  Dru  lus,  Tetragrammaton,  dans  Critici  sacri,  Frai 

141   H80;  J,  '  i  rluy,  Spii  ilegium 
ttico-biblicum,  G  112;  G.  d  E  ii  I 

Sur  le  nom  el  le  caractère  du  Dieu  <i  fsrai  I  Jahvt  u.  ci 
M  élat  ges  de  critique  biblique,  P 
La  gran  ge) ,  La 

,,,.  biblique,    1893,  t.  n.  p.  3 
vélatii  Jéhovah,  ibid.,  1804,  t.  m.  p.  161-181  ; 

Hummelaui 

p.  47-."2.  70  Jéhovah 

1ê  '"   Bible  di    M    V      \.  i.  m,  col 

i 

iv.  -  :;i 


963 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    BIBLE 


964 


3°  Nature  et  al  tributs  de  Jahvê  pour  Moïse  et  les 

Israélites  de  son  temps.  —  1.  D'après  les  livres  du 
milieu  (Exode,  Lévilique,  Nombres).  —  Si,  avec  les 
eritiques  rationalistes,  on  y  distingue  trois  documents, 
pour  le  jéhoviste,  voir  Baentsch,  E.rodus,  Leviticus, 
iXitmeri,  p.  xvin-xx,  pour  l'élohiste,  ibid.,  p.  xxxi- 
xxxn,  et  pour  le  code  sacerdotal.  Ibid.,  p.  xi.iv-xi.v. 
Cf.  E.  Mangenot,  L'authenticité  mosaïque  du  Penta- 
teuque,  Paris,  1907,  p.  55-56,  83-85,  142-144.  Mais  en 
considérant  ces  trois  livres  comme  l'œuvre  de  Moïse, 
on  y  trouve  une  doctrine  sur  Dieu,  qui  a  son  point  de 
départ  dans  la  révélation  du  Sinaï  et  qui  est  d'accord 
avec  elle.  Jahvé,  le  Dieu  des  pères,  s'étant  manifesté  à 
Moïse  comme  l'Etre  par  excellence,  l'Être  en  soi,  a  tous 
les  attributs  du  vrai  Dieu.  Il  est  le  Dieu  unique,  qui 
veut  pour  lui  seul  le  culte  de  son  peuple  et  qui  interdit 
rigoureusement  à  ses  adorateurs  d'honorer  d'autres 
dieux  et  de  se  faire  aucune  idole,  d'aucune  forme  et 
d'aucune  matière.  Exod.,  xx,  3,  5,  23;  xxm,  13;xxxiv. 
14,  17.  Il  ordonne  de  détruire  les  autels  des  dieux  cha- 
nanéens  et  défend  de  s'allier  aux  habitants  idolâtres 
de  la  Terre  promise,  afin  d'éviter  la  contagion  de  l'ido- 
lâtrie. Exod.,  xxm,  24;  xxxiv,  12-16.  Il  est  un  Dieu 
puissant  et  jaloux,  Exod.,  xx,  5;  xxxiv,  14;  il  ne  tolère 
pas  en  Israél  un  autre  Dieu  que  lui,  comme  l'époux 
qui  ne  veut  pas  qu'un  autre  ait  part  à  l'amour  de  son 
épouse.  Il  punit  l'iniquité  des  pères  jusqu'à  la  troisième 
et  la  quatrième  générations,  mais  sa  miséricorde  s'étend 
jusqu'à  mille  générations  sur  ceux  qui  l'aiment  et  qui 
observent  ses  préceptes.  Exod.,  xx,  5,  6.  Il  hait  l'impie. 
Exod.,  xxm,  7.  Il  a  formé  l'homme,  et  il  a  créé  le  sourd 
et  le  muet,  l'aveugle  et  le  clairvoyant.  Exod.,  IV,  11. 
Il  est  le  Dieu  universel,  et  il  agit  en  Egypte,  sur  les 
forces  de  la  nature,  pour  montrer  qu'il  est  le  maître 
de  la  terre  entière.  Exod.,  IX,  29.  Il  manifeste  aussi  sa 
souveraineté  universelle  en  disposant  des  biens  des 
Égyptiens,  Exod.,  m,  21,  22,  et  du  pays  de  Chanaan  en 
faveur  des  Israélites  et  par  fidélité  aux  promesses  qu'il 
avait  faites  à  leurs  pères.  Exod.,  m,  8,  17;  vi,  8.  Il  règle 
le  sort  des  tribus  chananéennes.  Exod.,  xxm,  27-33; 
xxxiv,  24.  Il  choisit  spécialement  Israël  pour  son  peuple 
et  il  en  fait  son  premier-né.  Exod.,  iv,  22.  Aussi  s'in- 
téresse-t-il  à  son  sort  pénible  en  Egypte  et  le  tire-t  il 
de  la  servitude,  Exod.,  m,  7,  10, 16, 17,  en  opérant  des 
coups  de  puissance  pour  décider  Pharaon  à  laisser  sortir 
les  Israélites,  19,  20;  vi,  6;  vu,  4,  5.  Il  intervient  ainsi 
dans  les  événements  de  l'histoire,  et  par  les  prodiges 
qu'il  accomplit,  il  se  montre  le  maître  des  éléments, 
qu'il  fait  servir  à  ses  desseins.  Les  plaies  d'Egypte  sont 
en  même  temps  des  représailles  de  sa  vengeance  sur  les 
oppresseurs  d'Israël  et  des  marques  de  sa  souveraineté. 
Exod.,  vu,  17;  vm,22;  ix,  14-16;  xiv,  4,31.  Il  sera  désor- 
mais le  Dieu  d'Israël,  Exod.,  vi,  7,  qui  sera  son  peuple. 
Exod.,  xix,  4-6.  Jahvé  n'est  donc  pas  la  divinité  a  bstraite  ; 
c'est  le  Dieu  vivant,  qui  s'occupe  des  hommes  et  règle 
les  destinées  d'Israël.  C'est  pourquoi  il  guidait  ce  peuple, 
Exod.,  xui,  21,  22;  il  combattait  pour  lui,  xiv,  14.  Aussi, 
après  le  passage  de  la  mer  Rouge,  Moïse  célèbre-t-il 
la  toute-puissance,  la  sainteté  et  la  bonté  du  Sauveur 
d'Israël.  Exod.,  xv,  3-13.  La  providence  spéciale  de  Dieu 
sur  son  peuple  se  manifeste  durant  tout  le  séjour  de 
celui-ci  au  désert,  malgré  ses  ingratitudes  et  ses  révoltes 
réitérées.  Dieu  lui  donne  une  législation  religieuse,  mo- 
rale et  sociale.  Il  lui  promet  de  le  protéger  s'il  est  fidèle 
et  de  l'introduire  dans  la  Terre  promise,  dont  il  fixe  les 
limites.  Exod.,  xxm,  20-33.  Il  fait  un  pacte  solennel 
avec  lui.  Exod.,  xxiv,  7,  8.  Israël  obéira  à  tous  les 
ordres  de  son  Dieu.  Après  une  première  infidélité  de 
ce  peuple  à  tète  dure,  Exod.,  XXXII,  9;  xxxm,  5,  qui 
avait  adoré  le  veau  d'or,  Dieu,  qui  est  miséricordieux, 
palient  et  fidèle  à  sa  parole,  Exod.,  xxxiv,  7;  Num., 
xiv,  18,  renouvelle  solennellement  le  pacte  violé.  Exod., 
xxxiv,  10,  27.  Les  Israélites,  plusieurs  fois  révoltés,  sont 


punis,  surtout  au  désert  de  Pharan  où.  après  un 
volte  générale,  Dieu  prive  de  l'entrée  eu  Palestine  toute 
la  population,  ayant  20  ans  et  au-dessus.  N'urn.,  xiv, 
28-35.  Cette  punition  sévère  succède  à  des  pardon-  de 
séditions  moins  graves.  Dieu  ''tait  plus  patient,  Num.,  xiv, 
18,  que  Moïse  qui  se  plaignait  amèrement  à  lui  d'un 
peuple  indocile,  qui  lui  était  à  charge.  Num.,  xi.  10-15. 
Quand  les  40  années  de  pénitence  dans  le  désert  fuient 
accomplies,  Dieu  fit  des  miracles  pour  aider  son  peuple 
à  parvenir  jusqu'aux  frontières  du  pays  de  Chanaan  et 
à  occuper  la  partie  orientale  de  la  contrée,  qu'il  lui 
avait  destinée.  Il  régla  même  les  droits  de  la  conquête 
et  les  limites  du  pays  à  conquérir.  Num..  XXXIII,  10; 
xxxiv,  15. 

Ce  Dieu  invisible  se  manifestait,  sous  des  formes  sen- 
sibles, à  Moïse  dans  le  buisson  ardent;  le  lieu  de  sa 
manifestation  était  saint  par  le  fait  même,  et  Moïse  se 
voilait  la  face  pour  ne  pas  voirie  Seigneur.  Exod..  m. 
2-6.  Au  Sinaï,  il  se  montra  au  peuple  dans  la  nuée,  au 
milieu  du  tonnerre  et  des  éclairs.  Exod.,  xix,  9,16-18. 
Le  peuple  entendait  sa  voix,  mais  ne  le  voyait  pas.  Seule, 
une  partie  des  anciens  put  d'abord  le  contempler,  sous 
des  formes  extérieures.  Exod.,  xxiv,  9,  10.  Israël  tout 
entier  vit  ensuite  la  gloire  de  son  Dieu,  qui  apparut  sur 
le  Sinaï  comme  un  feu  brillant  au  milieu  d'une  nuée, 
15-17.  Dieu  se  manifestait  au  tabernacle  de  l'alliance 
dans  une  colonne  de  nuée,  Exod.,  xl.  32-36;  Num., 
xiv,  10,  et  il  y  parlait  à  Moïse  bouche  à  bouche.  Exod., 
xxxm,  9-11.  La  plupart  des  lois  ont  été  portées  par 
Dieu,  parlant  directement  à  Moïse.  Cependant,  Moïse 
lui-même  n'avait  pas  vu  la  face  du  Seigneur.  Il  demanda 
à  Dieu  de  lui  montrer  sa  gloire;  mais  Jahvé.  tout  en 
reconnaissant  qu'il  était  clément  et  miséricordieux  en- 
vers qui  il  lui  plait,  déclara  à  son  envoyé  que  personne 
ne  pouvait  voir  sa  face  sans  mourir,  et  il  lui  accorda 
seulement,  dans  l'anfractuosité  du  rocher,  de  le  voir  au 
passage  par  derrière,  autant  que  le  permettait  l'écarte- 
ment  momentané  de  sa  main  qui  le  cachait.  Exod.. 
xxxm,  13-23.  Ce  fut  pour  Moïse  un  privilège  unique  de 
parler  à  Dieu  bouche  à  bouche  et  publiquement;  les 
prophètes  n'entendront  Dieu  que  par  énigmes  et  par 
ligures,  en  vision  ou  en  songe.  Num..  xn,  6-8.  Dieu 
parlait  de  nuit  à  Balaam.  Num.,  xxn,  8,  20.  Dans  ses 
relations  avec  les  hommes,  Dieu  parfois  agit  à  la  ma- 
nière des  hommes  et  éprouve  les  mêmes  sentiments 
qu'eux.  Il  fond  sur  Moïse  et  veut  le  tuer,  Exod.,  îv.  -Ji; 
il  brise  les  roues  des  chars  égyptiens,  Exod.,  xiv,  25;  il 
écrit  de  son  doigt  le  décaloguesur  des  tables  de  pierre. 
Exod.,  xxxi.  18;  xxxn,  16.  Il  s'irrite  contre  Moïse,  Exod., 
iv,  14,  et  contre  le  peuple  coupable  et  se  laisse  apaiser 
par  l'intervention  de  Moïse.  Exod..  xxxn,  10-14;  Num., 
xi,  1-3;  xvi,  46-48;  xxv,  3.  Dieu  s'irrite  aussi  contre 
Marie  et  Aaron.  Num.,  xn,  9.  Il  fait  des  sermenls. 
Num.,  xi,  12;  xiv,  17. 

Dieu  règle  la  conduite  des  hommes  et  il  impose  aux 
Israélites  des  règles  morales  par  la  promulgation  du 
décalogue.  Exod..  xx.  1-17.  Dans  le  petit  code  de  sain- 
teté, il  ordonne  aux  Israélites  de  ne  pas  imiter  les 
Egyptiens  et  les  Chananéens,  mais  d'observer  les  règles 
qu'il  leur  a  tracées  parce  qu'il  est  leur  Dieu.  Lev.,  xviu, 
1-5;  xx,  26;  xxn,  31-33.  Il  impose  la  sainteté  extérieure, 
parce  qu'il  est  saint  lui-même.  Lev..  six,  2.  Ses  lois 
morales  sont  suivies  de  sa  signature  :  Je  suis  Jahvé; 
je  suis  Jahvé  votre  Dieu.  Lev.,  xvin.  6,  21,30;  xix. 
3,  10,  12,  14,  16,  18,  25,  28,  30,  31,  etc.  Il  sanctifie  lui- 
même  ses  adorateurs  fidèles,  Lev.,  xx.  8,  et  ses  prêtres. 
Lev.,  xxi,  8,  15;  xxn,  16.  Il  veille  a  l'observation  des 
préceptes  positifs  et  fait  punir  de  mort  un  Israélite  qui 
avait  violé  le  repos  sabbatique.  Num.,  xv.  32-96.  Au 
désert  les  Israélites  sont  bénis  ou  punis  selon  qu'ils  ont 
été  fidèles  ou  infidèles  à  ses  prescriptions,  Dieu  n'étend 
pas  seulement  sa  providence  sur  le  peuple  tout  entier, 
il  s'occupe  de  la  conduite  des  individiis.il  punit  Marie 


965 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    RIRLE) 


966 


et  Aaron,  Num.,  xil,  1-15,  Coré,  Dathan  et  Abiron, 
Num.,  xvi,  1-4,  Moïse  lui-même  et  Aaron.  Num.,  xx, 
12,  13.  S'il  endurcit  le  cœur  de  Pharaon,  Exod.,  IX, 
12;  x,  1.  20;  xr,  10;  xiv,  8,  c'est  qu'on  est  en  droit  de 
lui  attribuer  un  effet,  qu'il  a  voulu  directement,  Exod., 
IV,  21  ;  VII,  3;  xiv,  4,  17.  et  qui  s'est  réalisé  par  le  jeu 
des  événements,  dirigé  par  lui-même.  Exod.,  vil,  13, 
22;  vin.  15,  19,  32;  ix,  7,  35. 

2.  Dans  le  Deutéronome.  —  Moïse  y  insiste  sur 
l'unité  de  Dieu,  et  il  pose  en  principe,  pour  l'avenir, 
l'unité  de  sanctuaire.   Deut.,  xii,  4-8.  Voir  col.  6til-6G2. 

Conclusion.  —  Le  véritable  monothéisme  :  «  11  n'y  a 
qu'un  Dieu  et  il  est  mon  Dieu,  »  qui  est  l'apanage 
propre  et  exclusif  du  peuple  juif  dans  l'antiquité,  n'est 
donc  pas,  comme  beaucoup  le  prétendent  aujourd'hui, 
la  création  des  prophètes  d'Israël.  Il  a  été  donné  à  ce 
peuple  par  Moïse,  son  fondateur,  et  le  monothéisme  de 
Moïse  est  absolu.  Ce  législateur  n'a  donc  établi  en  Israël 
ni  la  monolâtrie  nationale,  comme  si  Jahvé  n'avait  été 
que  le  dieu  unique  et  particulier  de  ce  peuple,  ni  le 
jahvisme,  culte  du  Dieu  national.  Il  n'est  pas  reste»  â 
mi-chemin,  ayant  institué  un  monothéisme  national  et 
pratique,  comme  le  pense  M.  Baentsch,  Altorientalis- 
clier  und  Uraelitisclier  Monolheismus,  p.  77-94.  Il  a 
atteint  le  monothéisme  théorique  et  parfait,  en  con- 
damnant définitivement  le  polythéisme.  Les  Israélites, 
mêlés  à  des  peuples  idolâtres,  ont  bien  pu  demeurer 
fortement  enclins  à  l'idolâtrie  et  avoir  été  infidèles  à  la 
foi  monothéiste,  du  vivant  même  de  Moïse  et  après  sa 
mort;  le  monothéisme  existait  parmi  eux,  et  Dieu  avait 
accompli  de  grands  miracles  pour  l'instituer  définiti- 
vement dans  son  peuple  de  choix,  dépositaire  de  sa 
révélation.  Les  prophètes  ramèneront  leurs  contempo- 
rains à  cette  révélation  première,  qu'il;-,  rappelleront; 
ils  épureront  et  élèveront  les  idées  populaires,  en 
préchant  l'unité  de  Dieu,  et  en  luttant  contre  l'idolâ- 
trie, ils  n'auront  pas  à  inaugurer  une  doctrine  qui 
avait  retenti  devant  Israël  des  hauteurs  du  Sinaï. 
Cf.  Konig,  Bibel  und  Babel,  llerlin,  1902.  p.  45-47. 

IV.  lu:  MOÏSE  WX  PROPHÈTES  m  vilf  SIECLE.  — 
Suivant  la  théorie  dominante  parmi  les  critiques  ra- 
tionalistes, c'est  le  jahvisme  populaire  qui  caractérise 
la  religion  d'Israël,  durant  celte  période.  Ce  peuple 
considère  Jahvé  comme  son  Dieu  national,  mais  il  re- 
connaît comme  de  véritables  dieux  les  dieux  des  autres 
nations  et  il  les  honore  parfois  ace  titre,  liref,  la  mo- 
nolâtrie, établie  par  Moïse,  aurait  régné  jusqu'au 
VIII*  siècle.  Voyons  si  celte  théorie  répond  aux  faits. 
racontés  dans  la  Bible. 

I  Sous  Josué.  ~  loMié.  choisi  par  Dieu  pour  suc- 
céder à  Moïse,  Num.,  xxvn,  12-23;  Dent.,  xxxi,  1-X, 
li  23;  xxxiv,  9,  continue  avec  la  protection  divine  la 
mission  du  législateur  israélite,  en  conquérant  et  en 
partageant  entre  les  Iribus  la  terre  promise,  .los.,  i, 
1-9.  Jahvé,  dont  le  siège  n'est  pas  fixé  au  Sinaï,  lui 
parle  et  le  protège  Rahab,  qui  a  appris  les  merveilles 
mplies  par  lui  en  faveur  d'Israël,  sait  qu'il  est  le 
Dieu  du  ciel  et  de  la  terre,  et  elle  a  confiance  en  un 
serinent  f.iil  en  s,,M  num.  .los.,  il,  8-14.  Pour  Josué, 
Jahvé  \it  au  milieu  de  sm,  peuple;  il  est  le  Dieu  de  la 

mplil     des    miracles    pour    les 

siens,  .los.,  ni,  5-10.  Le  monument  de  pierres,  élevé  a 

la    apn  s    le     pa    âge    miraculeux    du    Jourdain, 

devait    rappelé,'   .,  toute   la   postérité  des  Israélites  cl 

.i  tons  les  peuples  de  la  terre  la  pui  sance  de  Jahvé  et 

l'obligation  de  le   révérer.  .Lis.,  iv,  19-25.    La  pril 

ho   fut    un  nouvel   indice   que   le   Seigneur  était 

losué.   .los.,   vi,    27.    Dieu    punit    une    désobéis- 

n.  lo  13,  et  il  livre  le  roi  de 

H  h  "i\  mains  de  Josw  ,  lo  .,  vin,  I.  7.  Is   Les  «éd.. m, 

nites,  ayanl  appris  i  •■  qui    Jahvi    ..  ..ni   fait  pour  I 

•■"  I  gyple  '  '    ni"  la  rive  orientale  du  Jourdain,  veulent 

■'«Hi  l   i  (élites,  .los..  i\.  '.i.   lu,  i  eux-ci  ob- 


servent exactement  un  serment,  prêté  au  nom  de 
Jahvé,  bien  qu'il  ait  été  obtenu  par  fraude,  .los.,  ix,  18- 
20.  Dieu  livre  à  Josué  les  rois  chananéens,  ,Ios.,  x,  8, 
19,  30,  32,  et  il  livrera  de  même  aux  Israélites  tous 
leurs  ennemis,  25.  Il  combattait  avec  Israël,  42.  Cf.  xi. 
8.  11  avait  endurci  les  cœurs  de  tous  les  Chananéens, 
pour  que,  ayant  attaqué  eux-mêmes  les  Israélites,  ils 
ne  méritent  aucune  merci  et  qu'ils  périssent  comme 
il  le  voulait.  .los.,  XI,  20.  Il  tint  ainsi  la  parole  qu'il 
avait  donnée  aux  patriarches.  .los.,  xxi,  41.  Les  tribus, 
situées  à  l'est  du  Jourdain,  devaient  accomplir  les  pré- 
ceptes divins,  aimer  le  Seigneur  leur  Dieu  et  le  servir 
de  tout  leur  cœur  et  de  toute  leur  âme.  .los.,  xxn,  5. 
En  élevant  un  autel,  ils  ne  voulaient  pas  transgresser 
les  ordres  de  Jahvé,  10-34.  Josué,  avant  de  mourir, 
rassemble  les  tribus  à  Sichem,  leur  rappelle  les  actes 
et  les  promesses  de  Dieu  et  leur  recommande  d'éviter 
l'idolâtrie,  d'aimer  le  Seigneur  et  de  ne  pas  s'allier  aux 
Chananéens  par  crainte  de  perversion.  .los.,  xxm,  1-16. 
Dieu  expose  aux  Israélites  réunis  tout  ce  qu'il  a  fait 
pour  leurs  pères  et  pour  eux.  Puisqu'il  a  tiré  Abraham 
de  l'idolâtrie,  ils  doivent  rejeter  les  dieux  étrangers  et 
le  servir  lui  seul.  Il  leur  donne  à  choisir  entre  lui  et 
les  dieux,  et  tous  choisissent  le  service  de  Jahvé. 
.los.,  xxiv,  2-18.  Josué  rappelle  à  la  foule  que  Jahvé  est 
un  Dieu  saint,  puissant,  jaloux,  vengeur  des  crimes  et 
spécialement  de  l'idolâtrie,  mais  bienfaiteur  de  ceux 
qui  le  servent.  11  les  prend  tous  a  témoin  de  leur 
libre  choix.  Tous  rejettent  solennellement  les  dieux 
étrangers  et  s'engagent  à  servir  Jahvé  seul  et  â  obéir  à 
ses  préceptes.  Un  monument  fut  dressé  comme  témoi- 
gnage perpétuel  de  cet  .engagement  public.  19-27,  Donc, 
en  Israël,  il  n'y  avait  pas  place  pour  le  culte  des  dieux 
étrangers  et  Jahvé  était  l'unique  Dieu,  â  qui  la  na- 
tion entière  devait  rendre  des  hommages.  En  principe 
et  en  droit,  c'était  le  monothéisme  absolu  comme 
sous  Moïse. 

2°  Sous  les  Juges.  —  En  fait,  la  foi  monothéiste  subit 
en  Israël  de  nombreuses  éclipses,  et  l'histoire  de  cette 
époque  se  résume  en  une  série  d'infidélités  â  Jahvé  et 
de  retours  au  Dieu  unique,  qui  avait  permis  le  châti- 
ment des  coupables.  Israël  servit  son  Dieu  durant 
toute  la  vie  de  .losué  et  tant  que  vécurent  les  anciens, 
qui  l'avaient  connu  et  qui  avaient  vu  les  merveilles  ac- 
complies par  Dieu  de  son  temps,  .lui!.,  il,  7.  La  nouvelle 

génération,  qui  n'avait  pas  été  témoin  de  ces  merveilles, 

abandonna  Jahvé,  se  livra  â  l'idolâtrie  et  servit  les 
Baalimet  les  Astaroth,  .Dul..  n,  10-1.'!.  la  cause  de  cette 

infidélité  était  dans    les  alliances  conclues,  malgré   les 

prohibitions  de  Dieu,  par  les  Israélites  avec  les  Chana- 
néens idolâtres  demeurés  au  milieu  d'eux  par  la  volonté 
divine.  Jud.,  II.  1-5.  Dieu,  irrité  contre  les  coupables, 
les  livrait  aux  mains  de  leurs  ennemis  pour  les  punir 
de  i.urs  crimes.  Dans  l'aflliction,  les  Israélites  recon- 
naissaient leurs  loris  et  revenaient  à  leur  Dieu.  Celui-ci 
suscitait  des  juge9,  qui  délivraient  le-  tribus  de  l'op- 
pression chananeenne  et  les  maintenaient  dans  le  culte 
du  vrai  Dieu.  Après  la  mort  des  juges,  les  Israélites 
retombaient  dans  l'idolâtrie.  Jud.,  n.  10-19.  Dan 
coli  ce.  Dieu  maintint  en  Palestine  des  Iribus  chana- 
néennes  qui  auraient  dû  être  an  Nanties,  et  elles  conti- 
nuèrent â  servir  d'occasion  d'idolâtrie  aux  Mb.  d'Israël, 
Jud..  ii,  2ii  m.  ii  Ces  taiis  résument  l'histoire  d'Israël, 
telle  que  l'auteur  du  livre  des  luges  la  présente. 
i  lepi  ndani  l'infidélité  n  était  le   m  absolue. 

Iribus  n'apostasiaienl  pis  en  même  temps  ,t 
Jahvé  avait   toujours  de   fld            lorateura.   l  ■>  conta- 
Idolfltriqyi    gagnait       nie m     quelques-unes 

d'entre    ellei     et    bientôt   même     le    malheur    raie 

■  n  culte  du  vrai  Dieu   Le  but  de  i 
vain  B  été  de   montrer  par  des  exemples   historiques 
que  l'infidélité  â  Jahvé  a  toujours  éti    punie,  pour  en 
lure  que  lahvéesl  le  seul  Dieu  d'Israël  et  q u 


%7 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    BIBLE) 


968 


culle  constitue  la  religion  véritable.  Les  faits  racontés 
ne  sont  que  des  épisodes  choisis.  Ce  livre  ne  nous 
donne  donc  que  la  philosophie  religieuse  de  l'histoire 
d'Israël  durant  celte  période. 

Ces  récits  détachés  contiennent  cependant,  en  outre, 
quelques  traits  qui  caractérisent  le  Dieu  d'Israël. 
L'unité  de  l'arche  d'alliance,  comme  symbole  de  la  pré- 
sence de  Jahvé  parmi  les  Israélites,  est  un  fait  mono- 
théiste et  l'absence  d'image  dans  l'arche,  un  indice  delà 
prohibition  de  toute  forme  idolàlrique.  La  puissance  de 
Dieu  sur  la  nature  est  célébrée  dans  le  cantique  deDébora 
par  allusion  aux  faits  antérieurs  de  l'histoire  d'Israël. 
Jud.,  v,  4,  5.  On  a  conclu  de  ce  passage  que  Jahvé 
habitait  le  Sinaï  et  qu'il  en  vint,  en  passant  par  Édom, 
pour  secourir  Israël,  sous  la  forme  d'un  orage.  Mais, 
dans  l'état  actuel  du  texte,  le  Sinaï  lui-même  est  une 
des  montagnes  qui  tremblaient  quand  Jahvé  se  mit  en 
marche.  Quelques  critiques  pensent  que  la  mention  du 
Sinaï  est  une  glose,  empruntée  au  Ps.  lxvii  (lxviii),  9. 
P.  Lagrange,  Le  livre  des  Juges,  Paris,  1903,  p.  81-83. 
La  victoire  de  Barac  sur  Sisara  lui  est  attribuée. 
C'était,  de  sa  part,  une  œuvre  de  justice  et  de  bonté, 
11.  Par  la  volonté  divine,  les  étoiles  elles-mêmes,  du 
haut  du  ciel,  ont  combattu  contre  Sisara,  20.  Cela  ne 
veut  pas  dire  qu'elles  aient  participé  au  combat  parun 
orage  extraordinaire,  mais  simplement  que  la  nature  a 
pris  part  à  la  lutte.  P.  Lagrange,  op.  cit.,  p.  97-98.  La 
cause  de  Jahvé  y  était  engagée  et  le  poète  maudit  ceux 
qui  ne  sont  pas  venus  la  défendre,  en  combattant  pour 
lui  et  sous  ses  ordres,  23.  Ibid.,  p.  100.  Ce  poète  sou- 
haite que  tous  les  ennemis  de  Jahvé  périssent  comme 
Sisara,  et  que  ceux  qui  aiment  le  Seigneur  brillent 
comme  le  soleil  à  son  lever,  31.  La  religion  de  Jahvé 
exigeait  donc  l'amour  de  Dieu.  Dans  l'histoire  de  Gé- 
déon,  Jahvé  envoie  aux  Israélites  un  prophète  pour 
leur  reprocher  de  l'avoir  oublié  et  leur  rappeler  qu'il 
a  fait  sortir  leurs  pères  de  l'Egypte,  qu'il  les  a  délivrés 
de  tous  leurs  ennemis  et  qu'il  est  leur  Dieu,  VI,  8-10. 
Au  souvenir  de  la  même  délivrance  d'Egypte,  Gédéon 
s'étonne  que  Jahvé  n'intervienne  pas  pour  sauver  les 
siens  de  l'oppression  madianite,  vi,  31.  L'ange  lui 
annonce  précisément  le  secours  de  Jahvé  et  lui  confie 
la,  mission  de  battre  les  Madianites,  14-16.  Il  lui  donne 
un  signe,  17-21.  Gédéon  craint  de  mourir,  parce  qu'il 
a  vu  l'ange  de  Jahvé;  Jahvé  le  rassure,  22,  23.  Il 
ordonne  à  Gédéon  de  renverser  l'autel  de  Baal  et  de  lui 
élever  un  autel  à  lui-même  à  la  place.  Gédéon  exécute 
cet  ordre  de  nuit.  Les  habitants  du  lieu  voulaient  le 
faire  mourir,  mais  son  père  déclare  que  Baal,  s'il  est 
Dieu,  se  défendra  seul,  27-32.  Pour  montrer  sa  puis- 
sance, Jahvé  veut  vaincre  Madian  avec  300  hommes, 
et  il  réduit  l'armée  de  Gédéon  à  ce  petit  nombre,  vu, 
2-8.  Il  leur  livra  le  camp  des  Madianites,  sans  coup 
férir,  9-23.  Les  Israélites  offrirent  à  Gédéon,  leur  sau- 
veur, la  royauté  qu'il  refusa,  en  disant  :  «  C'est  Jahvé 
qui  est  votre  maître.  »  Jud.,  vin,  22,  23.  Avec  les  an- 
neaux d'or  qu'il  préleva  sur  le  butin,  Gédéon  fit  un 
éphod,  non  pas  sansdoule  une  image  de  Jahvé,  mais 
plutôt  un  instrument  divinatoire,  pour  rendre  des 
oracles  au  nom  de  Jahvé;  après  sa  mort,  cet  objet  de 
culte  devint  pour  les  Israélites  une  cause  d'idolâtrie, 
27,  28,  cf.  33-35. 

Au  début  de  l'histoire  de  Jephté,  Dieu  semble  se 
lasser  des  rechutes  continuelles  des  Israélites  dans 
l'idolâtrie  et  les  menacer  d'une  rupture  définitive,  en 
raison  du  progrès  du  mal.  Le  repentir  réitéré  et  la 
conversion  généreuse  des  fils  d'Israël  excitèrent  la 
compassion  divine  sur  leurs  souffrances,  x.  10-10.  Les 
anciens  de  C.alaad  prirent  Dieu  à  témoin  de  leur 
serment,  quand  ils  reconnurent  Jephté  pour  chef,  XI, 
10  Jephté  déclare  aux  Ammonites  que  les  Israélites 
ont  occupé  le  pays  des  Amorrhéens  par  la  volonté  de 
Jahvé.    Par   suite,  les  Ammonites  n'ont  pas   droit   de 


reprendre  le  pays  conquis.  Est-ce  qu'ils  ne  possèdent 
pas  légitimement  les  contrées  que  leur  dieu  Chamos  a- 
enlevées  à  leurs  possesseurs?  xi,  15-24.  Ce  langage  di- 
plomatique n'est  pas  une  profession  de  foi  en  la  divi- 
nité ri.-  Chamos.  Si  on  ne  peut  pas  dire  que.  pour 
Jephté,  Chamos  était  une  vaine  idole  qui  ne  pouvait 
rien  posséder,  on  ne  peut  pas  davantage  prétendre  que 
Jephté  mettait  ce  dieu  au  même  rang  que  Jahvé.  Il 
raisonne  selon  les  idées  communes  du  temps  et  il 
part  de  principes  admis  par  ses  contradicteurs.  Chacun 
a  donc  droit  de  profiter  des  victoires  de  son  Dieu.  Or. 
Jahvé  n'a  pas  combattu  pour  les  Ammonites,  qui  n'ont 
rien  à  réclamer  du  pays  conquis  sur  les  Moabites.  En 
parlant  des  victoires  obtenues  par  Chamos,  Jephté  ne 
veut  pas  limiter  le  pouvoir  de  Jahvé,  puisqu'il  n'est 
pas  question  des  droits  du  plus  fort.  Les  droits  d'Israël 
à  occuper  le  pays  conquis  sont  indiscutables  et  les  ad- 
versaires doivent  les  respecter.  C'est  tout  ce  que  dit 
Jephté,  qui  n'établit  pas  une  comparaison  entre  Jahvé 
et  Chamos.  P.  Lagrange,  op.  cit.,  p.  199-200.  D'ailleurs, 
il  considère  Jahvé  comme  juge  de  la  querelle,  xi.  27 
Le  Dieu  d'Israël  est  juge  des  peuples.  Dans  le  cas 
particulier,  il  ne  combattra  pas  seulement  pour  son 
peuple,  il  décidera  entre  les  deux  nations  en  conllil. 
Jephté  ne  parle  plus  de  Chamos  et  n'en  appelle  pas  à 
son  arbitrage.  Ibid.,  p.  203,  215.  Aussi  l'esprit  de  Jahvé 
fut-il  sur  Jephté,  qui  voue  en  sacrifice  à  son  Dieu  la 
première  personne  qui  sortira  de  sa  maison  pour  venir 
à  sa  rencontre  après  la  victoire  sur  les  Ammonites,  xi. 
29-31.  Jahvé  ayant  livré  les  ennemis,  32,  Jephté  exécute 
son  vœu  sur  la  personne  de  sa  fille  unique,  qui  accepte 
d'être  la  victime  d'un  vœu  imprudent  et  brutal.  34-49. 
De  ce  fait  on  ne  peut  conclure  que  Jahvé  n'a  pas  toute 
l'horreur  du  sang  que  l'on  pourrait  attendre  d'un 
Dieu  juste  et  bon.  Ce  serait  accorder  trop  d'imporlance 
à  un  fait  particulier.  Jephté  a  voué  à  Jahvé  une  victime 
humaine  et  il  semble  qu'il  en  a  laissé  le  choix  à  Dieu, 
arbitre  des  événements;  il  croyait  donc  que  son  Dieu 
agréait  de  telles  victimes.  Si,  après  la  victoire,  il  im- 
mole sa  propre  fille,  du  plein  consentement  de  celle-ci. 
c'est  que  tous  deux  reconnaissaient  l'obligation  de 
tenir  un  vœu,  même  imprudent  et  cruel.  Jephté  est  un 
aventurier;  bien  qu'il  apparaisse  comme  un  fidèle  ser- 
viteur de  Jahvé,  il  a  vécu  à  une  époque  troublée  et 
avant  que  les  idées  morales,  contenues  dans  le  culte 
de  Jahvé,  aient  reçu  leur  plein  développement  et  aient 
exercé  leur  complète  inlluence  sur  un  peuple,  encore 
grossier.  P.  Lagrange,  op.  cit.,  p.  215-217. 

Manué,  père  de  Samson,  oll're  un  sacrifice  à  Jahvé, 
qui  fait  des  miracles.  Jud.,  xm,  19.  Il  craint  de  mourir, 
parce  qu'il  a  vu  Dieu,  mais  sa  femme  le  rassure,  car  sr 
Jahvé  avait  eu  l'intention  de  les  faire  mourir,  il  n'aurait 
pas  agi  à*leur  égard  comme  il  venait  de  le  faire.  22. 
23.  Jahvé  veut  le  mariage  de  Samson  avec  une  philis- 
tine  comme  un  moyen  d'arriver  à  ses  fins  contre  les 
Philistins,  xiv,  4.  Du  reste,  les  actes  de  Samson  sont 
pour  la  plupart  attribués  à  une  forte  action  de  l'esprit 
de  Jahvé  sur  lui,  xiv.  0.  19;  xv.  IL  Jahvé  opère  un 
miracle  pour  étnncher  la  soif  de  son  héros  el  exaucer 
sa  prière.  XV,  18,  19.  Jahvé,  dont  il  était  nazireen.  XVI, 
17.  était  considéré  comme  la  cause  immédiate  de  sa 
force,  puisqu'il  l'avait  abandonné,  des  que  le  rasoir 
avait  coupé  la  chevelure  du  héros,  20.  Afin  de  se  venger 
des  Philistins.  Samson  demande  à  Jahvé  de  lui  accor- 
der pour  une  fois  encore  les  forces  suffisantes  pour 
ébranler  les  colonnes  de  l'édifice,  où  ils  étaient  réunis, 
ei  pour  les  écraser  tons  avec  lui.  28  30. 

L'histoire  de  Michas,  se  fabriquant  une  idole  en 
l'honneur  de  Jahvé.  un  temple,  un  éphod  et  tles  léra- 
phims,  instituant  prêtre  un  de  ses  fils,  puis  prenant  à 
son  service  un  lévite  de  Bethléhem,  xvn.  1-13,  la  con 
sultation  des  espions  daniles,  xvm,  5.  0.  le  vol  îles 
objets   idolàlriques   du   sanctuaire  de  Michas  par  les 


«69 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    BIRLE) 


ï»70 


Danites,  14-27,  pour  les  honorer  chez  eux,  29-31,  ces 
faits  constituent  un  cas  isolé,  une  institution  humaine, 
contraire  aux  usages  reçus.  Le  lévite  consulte  Dieu,  il 
est  vrai,  sur  la  requête  des  explorateurs  danites,  mais 
on  ne  dit  pas  que  Jahvé  a  répondu  et  a  ainsi  sanc- 
tionné ce  culte  idolàlrique.  Jahvé  ne  favorise  pas  l'en- 
treprise de  Michas,  comme  celui-ci  l'avait  espéré, 
xvii,  13,  puisque  les  Danites  emportent  l'Élohim  que 
.Michas  s'était  fait,  xvm,  24,  31.  Le  culte  que  les  Da- 
nites lui  rendent  n'est  pas  légitime,  puisque,  à  cette 
époque,  la  vraie  maison  de  Dieu  était  à  Silo,  31.  Que 
ressort-il  de  tout  cela?  Un  particulier  organise  de  son 
chef,  mais  sans  scrupule,  un  culte  idolàtiique.  La  trihu 
de  Dan  vole  son  idole  et  l'honore.  La  défense  de  faire 
des  images  de  Jahvé  n'avait  pas  prévalu  partout,  on  ne 
peut  conclure  qu'elle  n'existait  pas,  ni  que  la  loi  de 
l'unité  de  sanctuaire  n'était  pas  portée,  parce  que  les 
Danites  la  violaient.  En  un  temps  d'anarchie,  où  cha- 
cun faisait  ce  qu'il  voulait,  xvn,  6;  XVIII,  31,  les  abus 
se  multipliaient;  mais  les  abus  supposent  la  régie 
établie,  et  ces  faits  d'idolâtrie,  la  défense  d'honorer 
Jahvé  sous  forme  d'idole.  Cf.  P.  Lagrange,  op.  cit., 
p.  293-295. 

Dans  l'épisode  de  l'horrible  crime  des  Bethléhémites, 
les  autres  Israélites  consultent  trois  fois  Jahvé  à 
Béthel,  xix,  18,  23,  26-28.  Jahvé  autorise  la  répres- 
sion et  livre  les  (ils  de  Benjamin  aux  mains  de  leurs 
frères,  28,  35.  A  l'assemblée  générale  suivante  à  Bé- 
thel, on  constata  l'absence  de  la  tribu  de  Benjamin, 
xxi.  i  fi.  Le  culte  de  Jahvé  était  donc  universel,  et  les 
Benjaminites  eux-mêmes,  si  peu  moraux  qu'ils  étaient, 
adoraient  Jahvé,  l'unique  Dieu  d'Israël.  Les  Israélites 
respectent  rigoureusement  leur  serment  de  ne  pas 
donner  leurs  fi  Iles  aux  Benjaminites,  xxi,  1,  5,  7,  et  ils 
recourent  à  de  singuliers  moyens  pour  ne  pas  y  man- 
quer, 8-14,  17-23. 

Noémi,  émigrée  au  pays  de  Moab,  déclare  que  Jahvé 
a  eu  pitié  de  son  peuple,  en  lui  donnant  des  aliments 
après  la  famine.  Ruth,  i.  6.  Llle  souhaite  à  ses  brus 
que  Dieu  leur  soit  miséricordieux  comme  elles  l'ont 
été  pour  elle  et  ses  fils  défunts,  i,  8,  9.  La  main  de 
Jahvé  lui  a  causé  ses  malheurs,  i,  13.  Cf.  20,  21,  où 
Jahvé  est  aussi  nommé  Saddaï.  Tandis  q'u'Orpha  re- 
tourne en  Moab  à  se-  dieux,  15,  Ruth  reconnaît  le  Dieu 
de  Ba  belle-mère,  16.  Booz  salue  si  -  moissonneurs,  en 
appelant  sur  eux  les  bénédictions  de  Jahvé,  n,  î.  Il 
souhaite  à  Ruth  que  Jahvé,  le  Dieu  d'Israël,  vers  qui 
elle  est  venue  el  sous  les  ailes  de  qui  elle  s'est  réfugii  e, 
lui  accorde  la  pleine  récompense  de  sa  démarche.  II, 
12.  Noémi  bénit  Jahvé  de  la  faveur  qu'il  a  accordée  à 
léfanta  dans  la  personne  de  Ruth,  faveur  pareille 
à  celle  qu'il  leur  avait  donnée  de  leur  vivant,  il,  20. 
Booz  déclare  à  Ruth  qu'elle  est  bénie  par  Jahvé  el 
qu'elle  en  a  obtenu  une  plus  grande  miséricorde, 
qu'elle  n'a  pas  cherché  d'autre  mari,  ni,  10.  13. 
La  foule  appelle  les  bénédictions  divines  sur  Ruth,  iv. 
II.  12.  Jahvé  donne  à  Ruth  un  (ils.  13,  el  1rs  fem 
de  Bethléhem  en  félicitent  Noémi  comme  d'une  béné- 
diction divine,  1 4. 

On  attribue  aussi  à  Jahvé  la  stérilité  d'Anne,  I  Sam., 
i.  '>.  cette  femme  demande  elle-même  au  Seigneur  les 
joiea  de  la  maternité,  II.  el  le  grand  prêtre  Héli  di 
que  c<  tte   pi  ii  re    soil  exaucée,   17.    Dieu    se    souvint 
d  Ame'.    19,    20,   qui   accomplit   son   vœu  et   consacra 

ni  au  service  du  Seigneur,  20-28,  Dans  sou 
tique  de  reconnaissance,  elle  célébrait  la  sainteté  de 
Dieu,  son  unité,  sa  puissance,  ta   science  universelle, 
n.  2,  •'!.  Jahvé  donne  la  vi'-  el  la  mort,  la  richesse  el  la 
reté,  l'humiliation  et  la  gloire;  il  est  le  maître  di 
i  us  si  n  (ail  périr  les  Impies 
qui  le  craignent;  il  les  frappe  de  h  fondre,  il  m 
v"i'   jugement  iur  la  lerre  entière  el  il  eoioi.nn. 
son  autoriti   an  roi  d'Israël,  i  in    Eiéll  demande  que 


Dieu  accorde  à  Anne  d'autres  enfants  pour  remplacer 
Samuel,  20,  et  Dieu  rendit  Anne  mère  de  trois  fils  et 
de  deux  filles,  21.  Selon  le  grand-prêtre,  Dieu  accorde 
plus  facilement  le  pardon  des  péchés  commis  contre 
le  prochain  que  des  sacrilèges  contre  son  culte,  25. 
Aussi  punit-il  sévèrement  les  crimes  des  fils  d'Iléli, 
24-34;  m,  13,  14.  Le  grand-prôlre  se  soumet  à  la  sen- 
tence de  Jahvé,  qui  fait  ce  qui  lui  semble  bon,  m,  18. 
Dieu  communiquait  ses  volontés  à  Héli  par  un  pro- 
phète, n,  27-36,  et  directement  à  Samuel,  ni,  1-15,  qui 
était  son  prophète,  20,  21.  Les  anciens  d'Israël  attri- 
buent à  la  volonté  divine  leur  défaite  par  les  Philistins, 
iv,  3.  Ceux-ci  ne  regardent  Jahvé,  présent  dans  l'arche, 
que  comme  un  puissant  Élohim,  qui  a  battu  les  Égyp- 
tiens au  désert,  iv,  7,8,  et  dont  le  bras  était  fort  contre 
eux  et  contre  leur  dieu  Dagon,  v,  7.  Cf.  2-6,  9-12.  Ils 
veulent  l'apaiser  et  ils  renvoient  son  arche  en  Israël, 
vi,  2-12,  16-18.  Parce  que  Jahvé  est.  saint,  il  a  puni  la 
faute  des  Bethsamites,  vi,  20.  L'idolâtrie  s'était  intro- 
duite de  nouveau  parmi  les  Israélites.  Samuel,  voulant 
une  conversion  sincère,  exige  l'exclusion  complète  des 
Baals  et  des  Asthartés  et  le  culte  unique  de  Jahvé.  A  ce 
compte,  Jahvé  délivrera  son  peuple  de  l'oppression  des 
Philistins,  vu,  3.  4.  Jahvé  était  donc  plus  que  le  «  Dieu 
personnel  »  de  Samuel,  comme  l'a  prétendu  Renan, 
Histoire  du  peuple  d'Israël,  0e  édit.,  Paris,  1887,  t.  i, 
p.  386.  La  demande  d'un  roi,  faite  à  Samuel,  est  consi- 
dérée par  Dieu  comme  un  désir  d'écarter  son  règne  sur 
Israël  et  comme  une  nouvelle  apostasie  de  son  peuple, 
vin,  7,  8.  Dieu  y  accède  cependant,  mais  après  avoir 
exposé  les  droits  des  rois  futurs  et  déclaré  que,  quand 
Israël  recourra  à  lui  contre  eux,  il  n'exaucera  pas  leurs 
prières,  10-18;  cf.  x,  18,  19. 

3°  Sous  Saul,  David  el  Salomon.  —  Rien  que  Dieu 
ait  chargé  Samuel  d'élire  le  premier  roi  d'Israël, 
l  Sam.,  vin,  22,  il  indiqua  lui-même  Saùl  au  voyant, 
ix,  15-17,  qui  attribue  à  Dieu  le  choix  et  l'onction  du 
fils  de  Cis,  x,  1.  L'esprit  du  Seigneur  entra  dans  Saùl 
ci  en  lit  un  homme  nouveau,  6,  9,  10.  Après  la  ratifi- 
cation du  choix  divin  par  le  sort,  20,  21,  cet  esprit  mani- 
festa qu'il  animait  le  roi  des  le  premier  acte  de  souve- 
raineté qu'il  eut  à  accomplir,  xi,  6,  el  Jahvé  lui  donna 
la  victoire  sur  les  Ammonites,  13.  Samuel,  en  abdi- 
quant la  judicature,  en  appelle  au  témoignage  de  Dieu 
qu'il  n'a  pas  opprimé  le  peuple  ni  reçu  de  cadeau,  el 
le  peuple  s'en  rapporte  à  ce  témoignage,  xn,  3-5.  Il 
rappelle  les  bienfaits  du  Dieu  de  Moïse  et  d'Aaron.  la 
séi  ie  des  infidélités  d'Israël,  ses  conversions  success 
sous  les  juges,  les  délivrances  d'oppression  que  Dieu  > 
accordées  à  leur  repentir;  il  exhorte  tout  le  peuple  el 
son  roi  à  la  fidélité  envers  Jahvé,  el  les  menace  de  la 
vengeance  divine  s'ils  sont  infidèles,  6-15.  H  ajoute 
que,  bien  qu'ils  nient  en   tort  (le  demander   un    roi,  ils 

doivent  éviter  un  plus  grand  mal.  celui  de  s'éloigner  de 
Dieu,  qui  a  juré  de  faire  d'eux  son  peuple,  et  de 
s'adresser  aux  idoles,  qui  sont  vaines.  La  voie  bonne 
et  droiie  est  de  servir  Jahvé  de  tout  son  cœur,  lie 
grands  biens  seront  la  récompense  de  ce  service 
table,  tandis  que  la  min.'  du  peuple  ei  t\n  roi  sera  le 
châtiment  de  la  persévérance  dans  le  mal.  20-25.  Une 

issance  de  Saul  aux  ordres  du   Seigneur  prive 

.i  race  du  droit  de  la  sureessj,,n  au  trône.  Dieu  •>  déjà 

choisi  mu  autre  roi.  mu.  13,  li    La  victoire rempoi 

sur  les  Philistins  est  Pœuvre  de  Dieu,  \iv,  '-•'..  et  le 

lion  divme  est   le  châtiment   de   l'in- 

n  Involontaire  d'un  vœu,  87-44.  Dieu  ordonni  ■< 
Saul  de  faire  périr  tous    les   âmalécites,  parce  qu'il 
s'étaient  op]  refois  au  pat   i  e  d'1  raël,  w.  1-3. 

s.,  1 1 1  ayant  épargni  la  vie  au  nu  tgag,  Dieu  se  plaignit 
i  ince   lui   esl    plus 

i  dires,  et  il  lui  enleva  les  dn 
la  royauté.  Malgré  le  repentir  de  Saul,  Dieu  ne  revint 
on,  car  il  n'es)  pas  un  i i poui 


!I71 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    BIBLE: 


972 


repentir,  10-29.  Cf.  XXVIII,  46-18.  Samuel  tua  Agag  de 
sa  propre  main  devant  Jahvé,  xv,  33.  Ce  trait  de 
cruauté  a  été  reproché  à  Jahvé,  pour  qui  la  vie^des 
Amalécites  ne  compte  pas.  Mais  la  ruine  des  Ainalé- 
cites  était  un  châtiment  mérité,  et  la  barbarie  de 
lYpoque  se  reflète  dans  l'expression  des  idées  reli- 
gieuses. 

Jahvé  choisit  David  pour  régner  sur  Israël  à  la  place 
de  Saiil,  xvi,  1-13,  et  l'esprit  du  Seigneur  s'éloigna 
de  Saiil,  tandis  qu'un  esprit  mauvais,  envoyé  par  le 
Seigneur,  l'agitait,  14,  15,  23.  Jahvé  avait  donc  pouvoir 
sur  les  esprits  mauvais,  qui  n'agissaient  qu'avec  son 
autorisation.  Cf.  xvm,  10;  xix,  9.  Pour  David,  Jahvé 
était  le  Dieu  vivant,  xvn,  26,  36,  et  ce  Dieu,  qui  l'avait 
tiré  de  la  grille  du  lion,  saurait  bien  le  délivrer  de  la 
main  de  Goliath,  37.  Le  jeune  homme  allait  au-devant 
du  Philistin  incirconcis  au  nom  du  Dieu  des  armées, 
qui  le  lui  livrera  pour  que  la  terre  entière  sache  qu'il 
y  a  un  Élohim  en  Israël  et  que  les  deux  armées  en 
présence  apprennent  que  Jahvé  ne  sauve  pas  son  peuple 
par  le  glaive  et  par  l'épée;  c'est  de  lui  que  dépend 
l'issue  de  la  guerre  et  il  livrera  les  Philistins  aux 
mains  des  Israélites,  45-47.  L'esprit  de  Jahvé  agitait 
les  soldats  de  Saiil  et  le  roi  lui-  même,  qui  se  joignaient 
aux  prophètes  de  Ramatha,  xix,  20-23.  Jonalhas  s'unit 
par  serment  à  David,  et  ce  pacte  élait  garanti  par  Jahvé, 
xx,  8,  23,  42  ;  Jonathas  souhaite  que  Dieu  détruise 
tous  les  ennemis  de  son  allié,  15,  16.  Jahvé,  consulté 
par  David,  connaît  et  indique  des  faits  qui  se  seraient 
réalisés,  si  David  ne  s'était  échappé  de  Ceila  par  la 
fuite,  XXIII,  2-13.  David,  qui  venait  d'épargner  Saiil 
dans  la  caverne,  bien  que  Dieu  lui  ait  livré  ainsi  son 
ennemi,  en  appelle  au  Seigneur  comme  juge  et  ven- 
geur, xxiv,  5,  11,  13,  16.  Saiil,  reconnaissant  la  justice 
de  son  adversaire,  souhaite  que  Dieu  le  récompense  de 
cette  bonne  action,  20,  et  demande  un  serment  au 
nom  de  Jahvé  pour  assurer  la  vie  sauve  à  ses  descen- 
dants, 22.  Abigaïl  attribue  à  la  providence  divine  la 
venue  pacifique  de  David,  qu'elle  avait  elle-même  mé- 
nagée, xxv,  26,  et  elle  fait  des  vœux  pour  que  Jahvé 
garde  David  clans  le  faisceau  des  vivants  et  lui  accorde 
ses  bienfaits,  28-31.  David,  à  son  tour,  bénit  Jahvé,  qui 
a  mis  Abigaïl  sur  son  chemin  et  l'a  ainsi  empêché  de 
verser  le  sang  innocent,  32-34.  Pour  eux,  Dieu  dirige 
donc  les  événements  par  sa  providence.  Dieu  fait  mou- 
rir Nabal,  38,  et  David  voit  encore  dans  cette  mort 
l'action  de  Dieu,  qui,  après  l'avoir  empêché  de  mal 
faire,  prend  en  main  sa  cause  et  le  venge  de  l'opprobre 
reçu,  39.  Dieu  met  de  nouveau  la  vie  de  Saiil  au  pou- 
voir de  David,  xxvi,  8,  qui  épargne  une  seconde  fois  son 
adversaire,  9-11.  Fort  de  son  innocence,  il  déclare  au 
roi  que  si  c'est  Dieu  qui  le  pousse  à  le  persécuter,  il 
faut  l'apaiser  par  un  sacrifice,  pour  qu'il  ne  permette 
plus  une  mauvaise  action.  Si  ce  sont  des  méchants, 
qu'ils  soient  maudits  par  le  Seigneur,  eux  qui  obligent 
David  à  quitter  la  terre  qui  est  l'héritage  de  Jahvé,  et 
l'envoient  en  exil  servir  des  dieux  étrangers,  comme  si, 
chassé  de  son  pays,  il  élait  forcé  de  rendre  hommage 
aux  dieux  de  la  contrée  de  son  exil,  18,  19.  David  en 
appelle  plus  tard  encore  à  la  justice  de  Jahvé  et  à  sa 
lidélité,  et  il  met  en  lui  seul,  et  non  en-  Saiil,  toute  sa 
confiance,  23,  2i.  Samuel,  évoqué  par  Satil,  annonce 
au  roi  que  Jahvé  l'abandonnera,  lui  et  ses  fils,  aux 
Philistins,  xxvin,  19. 

L'oracle  divin  permet  à  David  de  poursuivre  les 
Amalécites  et  lui  annonce  qu'il  reprendra  le  butin 
qu'ils  ont  fait,  xxx,  8.  Un  Egyptien  demande  à  David 
un  serment  par  Élohim, et  David  le  fait.  15,  parce  que, 
pour  lui,  Jahvé  seul  est  Dieu.  Le  succès  de  l'expédition 
esl  rapporté  par  lui  à  Jahvé,  23,  car  les  Amalécites 
sont  ses  ennemis,  26.  C'est  après  avoir  consulté  Jahvé 
que  David  se  rend  à  Ilébron.  II  Sam.,  n,  1.  Il  appelle 
la  miséricorde  divine  sur  les  habitants  de. labès-Galaad, 


qui  ont  enseveli  Saiil,  G.  Pour  rallier  à  David  les 
Israélites,  attachés  à  Isboseth,  Abner  leur  rappelle  que 
Jahvé  a  promis  de  sauver  Israël  de  tous  ses  ennemis 
par  le  moyen  de  ce  prince,  m,  18.  David  se  déclara,  lui 
et  son  royaume,  purs  devant  Jahvé  du  meurtre  d'Ab- 
ner,  28,  et  il  appela  la  vengeance  divine  sur  ceux  qui 
lavaient  commis,  39.  Les  meurtriers  d'Isboseth  attri- 
buent à  Jahvé  sa  mort  en  vue  de  venger  David  de 
Saûl,  iv,  8,  mais  au  nom  de  Jahvé,  qui  l'a  délivré  de 
toute  épreuu-,  David  punit  de  mort  les  meurtriers  d'un 
innocent,  9-12.  Tous  les  Israélites  reconnurent  l'élec- 
tion divine  de  David,  v,  2,  et  Jahvé,  le  Dieu  des  armées, 
fit  prospérer  le  nouveau  roi,  10.  David  vit  ainsi  que 
Dieu  confirmait  son  choix  précédent,  12.  L'oracle  de 
Jahvé  lui  assura  la  victoire  sur  les  Philistins,  19,  et 
après  le  succès,  David  reconnut  que  le  Seigneur  sépa- 
rait ses  ennemis  devant  lui  comme  des  eaux  qui  se 
séparent  aisément,  20.  Une  autre  fois,  Jahvé  indique 
au  roi  la  tactique  à  suivre  pour  tourner  les  Philistins 
et  les  prendre  par  derrière,  23-25.  Jahvé.  qui  avait 
frappé  Oza,  vi,  7,  8,  bénit  la  maison  d'Obédedom,  où 
on  avait  déposé  l'arche  d'alliance,  11,  12.  David  ne 
craint  pas  de  s'humilier  devant  le  Dieu  qui  l'a  choisi, 
et  il  estime  être  glorifié  en  s'abaissant  devant  lui,  21, 
22.  Quand  Dieu  lui  eut  fait  répondre  par  Xathan  qu'il 
ne  lui  bâtirait  pas  un  temple,  et  que  le  trône  serait 
assuré  à  sa  postérité,  vu,  4-17,  David,  dans  son  action 
de  grâce,  s'humilie  encore  devant  Dieu;  il  déclare  que 
Jalivé  n'a  pas  son  semblable  et  qu'il  n'y  a  pas  de  Dieu 
en  dehors  de  lui  et  qu'il  n'est  aucun  peuple,  qui, 
comme  Israël,  ait  reçu  de  Dieu  de  pareils  bienfaits. 
Dieu  l'a  pris  pour  son  peuple  pour  toujours  et  est  de- 
venu son  Dieu,  22-24.  David  supplie  ensuite  le  Seigneur 
de  tenir  ses  promesses,  pour  que  son  nom  en  soit 
glorifié  éternellement  et  qu'où  dise  :  Le  Seigneur  des 
armées  est  le  Dieu  d'Israël,  25,  26.  Les  promesses  de 
Dieu  sont  vraies  ;  que  l'on  commence  dès  lors  à  en  voir 
l'accomplissement  par  les  bénédictions  répandues  sur 
la  maison  de  David! 28,  29. 

De  fait,  Jahvé  ramena  David  sain  et  sauf  de  toutes  les 
guerres  qu'il  entreprit,  vm,  14.  Cependant,  l'adultère 
de  David  déplut  à  Jahvé,  xi,  27,  qui  envoya  Xathan  l'en 
reprendre,  xu,  1.  Par  la  bouche  du  prophète,  Dieu 
rappelle  au  roi  coupable  les  bienfaits  reçus  de  lui,  lui 
reproche  son  double  crime,  commis  en  sa  présence  et 
au  mépris  de  sa  défense  et  il  lui  annonce  la  punition 
publique  d'une  faute  secrète,  7-12.  A  cause  de  son  re- 
penlir,  Dieu  ne  lui  appliqua  pas  la  peine  de  mort,  qu'il 
méritait;  mais  parce  que  le  roi  a  provoqué  par  sa  con- 
duite les  blasphèmes  des  ennemis  de  Dieu,  le  fils  de 
l'adultère  mourra,  13,  14.  Les  prières  et  les  jeunes  du 
père  ne  désarmèrent  pas  le  Seigneur,  qui  frappa  l'en- 
fant d'une  maladie  mortelle,  15-17.  David  avait  espéré 
que  Dieu,  touché  par  ses  jeûnes  et  ses  larmes,  lui 
accorderait  la  vie  de  l'enfant,  22.  Jahvé  aima  Salomon, 
qui,  pour  cela,  fut  appelé  Jedidiah,  "Ji,  25.  La  femme 
de  Thécué  rappela  à  David  que  Dieu  ne  veut  pas  faire 
périr  le  coupable  aussitôt  après  sa  faute,  mais  qu'il 
cache  ses  desseins  pour  que  le  malheureux  ne  périsse 
pas,  xiv.  14.  David,  luxant  an  moment  de  la  révolte 
tî'Absalom,  espère  que  Dieu  accordera  miséricorde  et 
justice  au  fidèle  Êthai,  xv.  20;  il  attend  de  la  faveur 
divine  son  retour  à  Jérusalem,  25,  el  il  demande  au 
Seigneur  de  rendre  insensé  le  projet  d'Achitophel,  31. 
Séinéi  reproche  au  roi  en  fuite  de  recevoir  de  Dieu  la 
vengeance  de  sa  conduite  à  l'égard  île  la  maison  de 
Saiil,  xvi,  S  :  c'est  Dieu  qui  a  donné  la  dignité  royale 
a  Absalom  révolté.  David  refuse  de  punir  cette  injure, 
parce  que  Dieu  a  commandé  à  Séméi  de  le  maudire; 
il  fallait  donc  laisser  l'insulteur  continuer  ses  attaques, 
pour  que  Dieu  considère  l'affliction  du  roi  et  lui  rende 
le  bien  à  la  place  de  cette  malédiction  injustifiée.  10- 
12.  Chusaï  feint  de  reconnaître  Absalom  comme  l'élu 


973 


DIEU    (SA   NATURE    D'APRÈS    LA    BIBLE 


974 


de  Jahvé,  18.  Dieu  permit  que  l'utile  conseil,  donné  par 
Achilophel  à  Absalom,  fut  abandonné,  afin  de  causer 
le  malheur  du  révolté,  XVII,  li.  La  victoire  remportée, 
David  bénit  Dieu,  qui  avait  mis  fin  à  la  révolte,  xviu, 
28.  Chusaï  pense  aussi  que  Dieu  a  été  juge  entre  le  roi 
et  les  rebelles,  31. 

C'est  un  trait  de  mœurs  cruelles  que  la  demande  des 
Gabaonites  :  ils  veulent  que  David  leur  livre  sept  descen- 
dants de  Saiil,  leur  persécuteur,  pour  les   mettre  en 
croix  et  ainsi  apaiser  la  colère  divine,  qui  avait  envoyé 
une  famine,  parce  que  le  crime  de  Saùl  n'avait  pas  été 
expié,  xxi,  6.  David  les  leur  livra,  et  les  Gabaonites  les 
crucifièrent  devant  Jahvé,  pour  lui  donner  satisfaction, 
9.  Après  cet  acte  de  justice  tardive,  Dieu  fut  de  nou- 
veau favorable  à  la  contrée,  en  faisant  cesser  la  famine, 
14.  David,    délivré   par    Dieu    de    tous   ses    ennemis, 
chanta  un  cantique  d'action  de  grâces,  qui  est  repro- 
duit II   Sam.,   xxn,  2-xxiii,   7,  et  qui  n'est,  sauf  des 
variantes,  que  le  psaume  xvn  (xvin).  Jahvé  est  sa  force, 
son   rocher,  sa  forteresse,  son   bouclier,  sa  citadelle, 
son  libérateur,  puisqu'il  l'a  délivré  de  tous  ses  enne- 
mis. Aussi  il  l'aime  et  il  le  prie,  2-4.  Dans  sa  détresse, 
il  a  cric'-  vers  lui,   et  il  décrit  le  secours  obtenu  sous 
l'image  d'une  théophanie.  Au   milieu   des   nues,    des 
éclairs  et  des  tonnerres,  Dieu,  porté  par  les  chérubins 
et  planant  sur  les  ailes  des  vents,  descend  du  ciel,  qui 
est    son    palais,  et    met    en   déroute  les  ennemis   de 
David,  .VI!).    Il    est   intervenu  sur  terre,    parce   qu'il 
.limait  son  serviteur;  il  l'a   traité  favorablement,  parce 
que  David  était  juste,  observateur  exact  de  ses   pré- 
ceptes et  que  ses  actions  étaient  pures,  20-25.  Dieu  se 
montre    pieux    envers    l'homme    pieux,    intègre    avec 
l'homme  intègre,  pur  avec  celui  qui  est  pur,  mais  per- 
iits.  c'est-à-dire  rendant  le  mal  mérité,  avec  le  pervers, 
2G-27.  Les  voies  de  Dieu   sont  parfaites,  sa  parole  est 
épurée,  31.  Qui  est  Dieu,  sinon  Jahvé'.'  32.  Il  protège 
tous  ceux  qui  se  confient  en  lui;   il  a  donné  à  David 
aide  et  protection,  33-46.  Louange  donc  à  Jahvé  parmi 
les  nations.  Gloire  a  son  nom  !  47-51. 

David  a  manifesté  sa  foi  en  Dieu  dans  d'autres 
psaumes,  et  elle  est  très  élevée  cl  1res  pure.  Jahvé 
connail  la  voie  du  juste.  Ps.  i,  G.  Il  est  assis  dan-  les 
cieux  et  il  se  rit  des  vains  complols  tramés  par  lis 
nations  conlre  lui  et  contre  son  Christ,  Ps.  n.  i.  Il 
punira  les  révoltés,  5.  Aussi  les  rois  et  les  juges  de  la 
(erre  doivent-ils  le  servir  avec  crainte,  II.  Protégé  pri- 
son Dieu,  le  psalmislene  craint  pas  ses  ennemis,  l's.  m. 
2-8.  Jahvé,  -on  Dieu  juste,  a  pilié  de  lui.  exauce  sa 
prière  el  hn  donne  pleine  sécurité,  l's.  iv,  2,  4,  !).  Il 
n.'  prend  pas  plaisir  au  mal,  el  les  méchants  ne  saù- 
raienl  habiter  avec  lui,  Ps.  v.  5  7;  il  bénil  le  juste  et 

l'entoure  de  sa  bienveillance  co e  d'un  bouclier,  13. 

Il  châtie  le  coupable,  conlre  lequel  s'anime  sa  colère. 
l's.  vi.  ■>.  Il  esl  le  juge  des  peuples  ri  >l  sonde  les  reins 
al  li--  cœurs;  il  rend  justice  selon  le  droit,  parce  qu'il 
e«l  juste.  Ps  vu.  9-12;  ix,  '<.  8-11,  17.  Son  nom  eal 
glorieux  sur  la  terre,  il  .*  créi  I--  cieux  el  il  a  fait 
de  l'homme  le  roi  de  la  création,  l's.  via,  2,  MO.  Les 
Dations  l'oublient;  il  le  jugera  l's.  ix,  18,  20.  Le 
nnéchanl  impuni  i  i  prospère  prétend  qu  il  n'\  a  pas  de 
Dieu  ;  que  I  ii<  u   ni  pas   mépriser,  Ps.  i\  (x  . 

h  11,  13    n      I  roi  .,  jamais,  10.  Il  •>  son  trône  dan  - 
eux,  mais  ses  yeux  sont  ouverts  sur  les  hommes; 
il  est  juste  «i  il   aime  la    justice.   I'      \    ■  ■  u      i ■  . 
paroles  sont  (  ms  mensonge.  Ps.  \i  (xii),  7. 

M  eal  bon.  et  on  peut  .mur  confiance  en  lui.  Ps,  \n 
(mm  ,  6.  I  dil  dans  Bon  cœur  :  «  Il  n'y 

de  Dieu  .     mais  l<    Seij  neui  •  justi      Pa.xill 

I.  5.  Pour  venii    d  ms  -on  tabernacle,  il  faul 
niv    v  .  I  •">.  Pour  David,  Jahvé  eal  li 

Ili- 

plienl  l<  -  idoli  -.  dont  le  p  almiste  refuse  de  pi  oni i 

ta  nom.  p  :  ;   n  signale  n  bonfa  .  ■  n  lauvanl 


ceux  qui  se  réfugient  sous  sa  droite.  Ps.  xvi  (xvn),  7. 
Il  s'est  révélé  dans  la  création,  et  les  cieux  chantent  sa 
gloire,  Ps.  xvm  (xix),  2-7;  sa  loi  est  parfaite  et  sa  reli- 
gion sainte,  8-12.  Des  cieux  où  il  demeure,  il  a  exaucé 
et  sauvé  le  roi  de  son  peuple,  qui  a  eu  plus  de  confiance 
en  lui  que  dans  les  chars  et  les  chevaux  de  son  armée. 
Ps.  xix  (xx),7-10.  Cf.  Ps.  xx  (xxi),  2-8.  Abandonné  par 
son   Dieu,  David  rappelle  à  Jahvé  qu'il  est  saint,  que 
les  ancêtres  des  Israélites  ont  eu  confiance  en  lui,  l'ont 
prié  et  ont  été  exaucés,  et  que  ses  ennemis  se  moquent 
de  la  confiance  qu'il  a   mise  en   lui  dès  sa  naissance. 
Ps.  xxi  (xxn),  1-12.   S'il   est  secouru,  il    célébrera   la 
bonté  de  son  protecteur,  23-2G.  A  lui  est  l'empire;  il 
domine  sur  les  nations,  29.  Jahvé   est  le    pasteur  de 
David.  Ps.  xxn  (xxinj,  1.  A  lui  le  monde  entier,  et  la 
terre  qu'il  a  créée,  Ps.  xxm  (xxiv),  1,2;  il  faut  être  saint 
pour  le  servir  dignement,  3-6.  Il   est  fort  et  puissant, 
Jahvé  des  armées;  c'est   un  roi  glorieux,  7-10.   D'une 
parole,  il  a  créé  les  cieux  et  leur  armée  (les  astres),  et 
il  a  rassemblé  les  eaux  de  la  mer.  Que  la  terre  entière 
et  tous  ses  habitants  craignent  le  créateur  de   toutes 
choses.  Ps.  xxxn    (xxxiii),  6-7.   Il  est   l'espérance  du 
psalmiste  et  son  guide,  Ps.  xxiv  (xxv),  1-5;  sa  miséri- 
corde et  sa  bonté  sont  éternelles;  il  est  bon  et  droit,  et 
il  pardonne   les  péchés,  6-11  -  La   grandeur   divine  se 
manifeste  dans  l'orage  que,  de  son  trône,  il  fait  passer 
sur   la    Palestine    entière.   Ps.   xxvui  (xxix),  1-11.   La 
colère  de  Dieu  ne  dure  qu'un  instant,  mais  sa  grâce  se 
manifeste  toujours.  Ps.   xxix  ixxx),  6.  Grande   est  sa 
bonlé  pour   ceux  qui  le  craignent.  Ps.  xxx  (xxxi),  20. 
Il  garde  ses  lidèleset  il  punit  sévèrementlesorgueilleux, 
21.  Celui  qui  se  confie  en  Jahvé  est  environné  de  sa 
grâce.  Ps.  xxxi  (xxxn),  10.  Sa  bonté  s'exerce  à  l'égard 
des  bons,  et  sa  sévérité  conlre  les  méchants.  Ps.  xxxin 
(xxxiv),9, 16-23.  Quel  protecteur  est  semblable  à  Jahvé? 
l's.    xxxiv  (xxxv),  10.  Le  psalmiste  célèbre  la  bonté,  la 
fidélité  et  la  justice  de  Jahvé.  Ps.  xxxv  (xxxvi),  6-11. 
Le  Seigneur  se  rit  du  méchant  et  soutient  les  justes. 
Ps.  xxxvi  (XXXVII),  13,17-20,  23,  2i.  Il  aime  la  justice, 
28.    Il    préfère    l'obéissance   du    co^ur    aux  sacrifices. 
Ps.  xxxix    (xi. i,  7-9.  Il  a   pitié  du   pécheur  repentant. 
Ps.  l(i.i),  3,  19.  Sa  bonté  subsiste  toujours.  Ps.  i.iii.ii). 
3;  cf.  Ps.  lui   (liv),  8.  Il  siège  éternellement.  Ps.  i.iv 
il .vi,  20.  Il  est  le  très  haut.Ps.  i.vi  (i.vii),  3.  Sur  terre, 
il  récompense  le  juste  et  il  montre   ainsi  qu'il  y  a  un 
juge.  Ps.  i.vn  (i.vni),  li2.  Dieu  désarmées  et  Dieu  d'Is- 
raël, il  peut  châtier  toutes  les  nations.  Ps.  i.vin  ii.ix), 
li.  0.  A  lui, le  puissance  et  la  bonté,  el  il  rend  à  chacun 
selon   sis    oeuvres,  Ps.  i  ai  (lxii),  12,  13.  Il  remplit  la 
terre  de  ses  bienfaits.  Ps.  i.xiv  (lxv),  6-14.  il  esl  venu 
du  Si  nui ,  en  multipliant  les  prodiges  en  faveur  d'Israël. 

l's.   UXVII  ll.Wllli.  8-19,   Il    esl    port,'  sur   les  cieux  el  il 

fait  entendre  sa  voix  paissante,  3'i  36.  Le  1'-.  i\\\\ 
1 1  \.\\\  1 1.  s'il  n'est  pas  de  David,  est  au  moins  comp 

de  sentences   empruntées    aux    ps.i >s    de   ce    roi. 

L'auteur  se  De  en  la  bonté, la  clémence  el  la  miséricorde 
de  Jahvé,  5,  15,  le  Dieu  suprême  et  tout-puissant,  l'unique 
Dieu,  8-10.    David    esl   plein   de    confiance  en    Dieu   au 

milieu  des  dangers,  parce  que  Jahvé  rend  justice  •■> n  x 
pauvres  al    aux    misérables,    Ps.    cxxxix   (cxx),  2-18; 
cf.  l's.  cm  i    <  mu.  2  s.  n  demande  que  Jahvé  le  pré 
de  la  société  des  méchants  et  de  toute  participation 

à  leur  malici     Ps.  exi    cxli),  'i   Pour  l irel  célébrer 

Jahvé,   Asaph    rappelle    aux    générations    futures 
prodiges  que  Dieu  ..  accomplis  en  laveur  de  li  urs  pères, 
malgré  leur-    révoltes  el  leurs  idolàtrii      P      lxxvii 

i  SX VII I  ) , 

i  i  doctrim  du  roi  p  almi  le  sur  l lieu  i  i  donc  In  - 
élevée.  Il  ne  faul  pas  s'étonner  qu'il  demande  si  ardem- 
ment ■'  -"U  i  lieu  la  punition  anémia  el 

oit-,  Jahvé    est  pour    lui    le   vengeur  du   juste 

opprimé,  el  David  réclai oergiquemeni  inci 

divine.  C'est  qu  divine  devail 


91 


DIEU     SA    NATURE    D'APRÈS   LA   BIBLE 


976 


«'exercer  dès  ici-bas,  et  il  y  allait  de  la  gloire  de  Dieu 
que  les  méchants  ne  prospèrent  pas  toujours.  L'imper- 
feclion  de  l'ancienne  alliance  se  relléle  dans  celle  con- 
ception  d'un  Dieu  vengeur  des  justes  et  des  opprimés. 
Cependant,  David  coupable  préfère,  pour  la  punition 
de  sa  faute,  s'en  remettre  à  Dieu,  dont  la  miséricorde 
est   infinie,  qu'aux   hommes,  et  il  choisit  la  peste  que 

I  Heu  envoya  en  Israël  et  que  par  miséricorde  il  lit  cesser. 

II  Sam.,  xxiv,  14-16. 

Saûl  etDavid  ontétédeslieutenantsde.Iahvé.  Ds  n'ont 
pas  adoré  d'autres  dieux.  Saûl,  en  nommant  deux  de 
ses  fils  Esbaal,  I  Par.,  vin,  33;  IX,  39  (c'est  Isbosetb),  et 
Melchisna,  I  Sam.,  xiv,  49;  I  Par.,  vin,  33;  IX,  39, 
David,  en  donnant  à  l'un  des  siens  le  nom  de  Baaliada, 
I  Par.,  xiv,  6  (Elioda,  II  Sam.,  V,  16),  n'avaient  pas 
l'intention  d'honorer  un  baal  quelconque,  mais  le 
Seigneur,  c'est-à-dire  Jahvé,  qui  était  vraiment  le  baal 
d'Israël.  En  effet,  baal  et  mélek  n'étaient  pas  des  noms 
individuels  comme  Jahvé  ou  Charnos,  c'étaient  des  noms 
communs,  qui  signifient  «  maître  »  et  (•.  roi  »  et  pou- 
vaient être  appliqués  à  un  dieu  quelconque  ou  au  Dieu 
unique.  Cf.  P.  Lagrange,A'ii(des  sur  les  religions  sémi- 
tiques, 2*  édit.,  Paris,  1905,  p.  83-109.  Comme  ces 
titres  divins  étaient  aussi  les  noms  personnels  de  divi- 
nités chananéennes,  on  comprit  plus  tard  qu'il  y  avait 
inconvénient  à  les  appliquer  au  vrai  Dieu.  Baal  tomba 
entièrement  en  désuétude,  et  si  Jahvé  continua  de 
l'appeler  «  roi  »,  on  établit  une  distinction  très  nette 
entre  lui  et  ledieu  Moloch,à  qui  l'on  sacrifiait  des  enfants 
dans  la  vallée  de  Hinnom.  Le  nom  d'Esbaal,  «  homme 
du  Seigneur»,  fut  changé  en  celui  d'Isboseth,  «  homme 
d'ignominie  »,  bôset  étant  le  nom  donné  aux  idoles, 
et  Baaliada,  «  le  Seigneur  connaît  »,  devint  Elioda,  qui 
a  le  même  sens,  pour  que  le  premier  nom  ne  fût  pas 
pris  dans  le  sens  :  «  Baal  connaît  ».  Le  règne  de  David 
marque  la  suprématie  incontestée  de  Jahvé  en  Israël, 
et  ce  prince,  nonobstant  sa  faiblesse  morale,  est 
demeuré  à  juste  titre  l'idéal  du  roi,  soumis  à  Jahvé.  Par 
lui  Dieu  régnait  véritablement  parmi  son  peuple.  Son 
fils  Salomon  établit  un  État  llorissant  et  en  paix,  de 
par  la  volonté  de  Jahvé,  le  vrai  conquérant  et  le  pos- 
sesseur réel  du  sol  ehananéen. 

Adonias,  d'abord  candidat  au  trône,  reconnaît  bien- 
tôt que  l'élévation  de  son  frère  Salomon  était  l'œuvre 
de  Jahvé.  I  (III)  Beg.,  n,  15.  Mais  il  parlait  par  ruse, 
et  Salomon,  qui  attribuait  aussi  au  Seigneur  sa  royauté, 
le  fit  mourir,  23,24.  Ce  roi  justifie  le  meurtre  de  Joab, 
comme  un  acte  de  la  vengeance  divine  sur  un  meur- 
trier, 32.  Il  rapporte  à  la  même  vengeance  la  conduite 
de  Séméi,qui  lui  vaut  la  mort,  44.  Il  demande  à  Dieu, 
si  miséricordieux  envers  David,  un  cœur  docile  et  un 
jugement  droit,  et  Jahvé  lui  accorde,  en  outre,  les 
richesses  et  la  gloire  qu'il  n'avait  pas  désirées,  m,  6- 
14.  La  sagesse  que  Dieu  avait  donnée  au  jeune  roi,  se 
manifeste  bientôt  dans  un  jugement  célèbre,  28,  et 
dans  toute  sa  conduite,  iv,  29-34.  Jahvé  donna  la  paix 
à  son  règne,  v,  4.  Hiram,  roi  de  Tyr,  bénit  Jahvé  qui 
a  rendu  Salomon  si  sage,  7.  Cf.  12.  Jahvé  approuve  le 
projet  de  lui  élever  un  temple  à  Jérusalem  et  promet  à 
Salomon,  s'il  est  fidèle  observateur  de  ses  lois,  de 
demeurer  toujours  au  milieu  d'Israël,  VI,  11-13.  Au 
jour  de  la  dédicace  la  gloire  de  Jahvé  remplit  le  temple, 
vin,  10,  11.  Dans  sa  prière,  Salomon  déclare  que  Jahvé, 
le  Dieu  d'Israël,  n'a  pas  son  pareil  ni  au  ciel  ni  sur  la 
terre  pour  la  fidélité  à  sa  parole  et  pour  sa  bonté  en- 
vers ses  serviteurs,  23-26.  Peut-on  croire  que  Dieu 
habite  véritablement  sur  terre?  Si  les  cieux  ne  peuvent 
le  contenir,  comment  habitera-t-il  dans  un  temple? 
C'est  pourquoi  Salomon  demande  à  Jahvé  que  du  haut 
du  ciel  il  exauce  toutes  les  prières  qu'on  lui  adressera 
dans  le  temple,  28-53.  En  bénissant  le  peuple,  le  roi 
demande  que  Jahvé  protège  toujours  Israël,  pour  que 
tous  hs  peuples   de  la  terre  sachent  qu'il  est  le  seul 


Dieu  el  qu'il  n'y  en  a  pas  d'autre  que  lui,  GO.  Les  fit'  - 
terminées,  les  Israélites  s'en  retournèrent  joyeux  au 
souvenir  des  biens  que  Jahvé  avait  accordésà  David  et 
à  Israël,  G6.  Dieu  dit  en  songe  à  Salomon  que  sa  prière 

était  exaucée,  que,  s'il  était  lui-même  fidèle,  sa  post  - 
rite  régnerait  perpétuellement  en  Israël,  et  que  si  les 
Israélites  l'abandonnaient  pour  servir  des  dieux  étran- 
gers, il  détruirait  Israël  et  le  temple,  jx,  2-9.  La  reine 
de  Saba,  attirée  à  Jérusalem  par  le  renom  de  sagesse 
de  Salomon, -bénit  Jahvé,  qui  l'a  fait  roi,  x,  9.  Ce  roi, 
dont  toute  la  terre  louait  la  sagesse,  don  de  Jahvé,  21. 
épousa  des  femmes  étrangères  et  adora  leurs  dieux, 
xi,  1-8.  Jahvé,  irrité  de  cette  apostasie,  en  reprit  Salomon 
et  lui  prédit  qu'en  punition  de  sa  faute,  une  partie  du 
royaume  se  détacherait  de  l'autorité  de  son  fils,  9-13. 
Il  suscita  contre  lui  Adab  et  Bazon,  14,  23,  et  il  promit 
à  Jéroboam  dix  tribus,  31-37.  en  lui  assurant  sa  protec- 
tion, s'il  était  fidèle,  38,  39. 

Si  le  psaume  i.xxi  (i.xxii)  est  de  Salomon,  le  roi 
demande  qu'on  révère  Dieu,  tant  que  subsistera  le 
soleil,  tant  que  brillera  la  lune,  5;  il  bénil  Jahvé  qui 
fait  seul  des  prodiges  et  il  souhaite  que  toute  la  terre 
soit  remplie  de  sa  gloire,  18,  19.  Dans  les  Proverbes, 
le  sage  roi  a  déclaré  que  la  crainte  de  Jahvéest  le  com- 
mencement de  la  sagesse,  i,  7.  La  sagesse  elle-même 
fait  comprendre  la  crainte  de  Jahvé  et  donne  la  con- 
naissance de  Dieu.  Jahvé  dispense  la  sagesse,  et  de  sa 
bouche  sortent  la  science  et  la  prudence;  il  protège  les 
justes,  il,  5-8.  La  confiance  en  Jahvé  et  la  fuite  du  mal 
font  partie  de  la  crainte  de  Dieu,  m,  5-8.  Si  Jalné 
corrige  et  éprouve,  c'est  par  amour. comme  un  père  qui 
chàlieson  enfant,  11,  12.  C'est  par  la  sagesse  que  Jahvé 
a  créé  le  ciel  et  la  terre  et  qu'il  a  ouvert  les  sources  de 
la  pluie  et  de  la  rosée,  19,  20.  Jahvé  déteste  et  maudit 
les  méchants;  il  bénit  les  justes  et  les  humbles,  32-34. 
Il  faut  éviter  l'adultère,  car  les  yeux  de  Jahvé  regardent 
les  voies  de  l'homme,  v,  21.  Jahvé  a  en  horreur  sept 
choses  mauvaises,  vi,  16-19.  La  sagesse  de  Jahvé  est 
éternelle,  vin,  22-31,  et  les  sages  obtiennent  la  faveur 
de  ce  Dieu,  35.  Jahvé  ne  laisse  pas  le  juste  souffrir  de 
la  faim,  mais  il  repousse  la  convoitise  du  méchant,  \. 
3.  La  bénédiction  du  Seigneur  procure  la  richesse.  22, 
et  la  crainte  de  Jahvé  augmente  lesjours,27.  La  balance 
fausse  est  en  horreur  à  Jahvé,  mais  le  poids  juste  lui 
est  agréable,  xi,  1.  L'homme  au  cœur  pervers  est  en 
abomination  à  Jahvé;  celui  qui  est  intègre  est  l'objet 
de  ses  complaisances,  20.  Celui  qui  est  bon  obtient  la 
faveur  de  Jahvé,  qui  condamne  le  méchant.  XII, 2.  Les 
lèvres  menteuses  sont  en  horreur  à  Jahvé;  ceux  qui 
agissent  selon  la  vérité  lui  sonl  agréables.  22.  Celui  qui 
craint  Jahvé  appuie  sa  confiance  sur  un  fondement 
inébranlable  et  ses  enfantsont  un  sûr  refuge.  La  crainte 
de  Jahvé  est  une  source  de  vie,  xiv,  26.  27.  Les  yeux  de 
Jahvé  sont  en  tous  lieux  et  ils  observent  les  méchants 
et  les  bons,  xv,  3.  Jahvé  déleste  les  premiers  el  aime 
les  autres,  8,  9.  Il  voit  le  cœur  des  hommes  mieux  que 
le  séjour  des  morts  et  l'abime,  ouverts  devant  lui,  11. 
La  crainte  de  Jahvé  est  l'école  de  la  sagesse,  33.  Quels 
que  soient  les  projets  que  l'homme  agite  dans  son  cœur, 
c'est  Jahvé  qui  met  sur  les  lèvres  la  meilleure  réponse  à 
faire.  Jahvé  pèse  les  esprits  et  juge  de  leur  valeur  mo- 
rale, xvi,  1,  2.  Cf.  xxi.  2.  Jahvé  a  tout  fait  pour  la  lin 
qu'il  s'est  proposée  et  le  méchant  lui-même  pour  le  jour 
du  malheur.  Tout  cœur  hautain  lui  est  en  abomination, 
et  il  ne  sera  pas  impuni,  xvi,  4,  5.  Quand  Jahvé  a  pour 
agréables  les  voies  d'un  homme,  il  réconcilie  avec  lui 
ses  ennemis  eux-mêmes,  7.  Lecœurde  l'homme  médite 
sa  voie,  mais  c'est  Jahvé  qui  dirige  ses  pas.  9.  Celui 
qui  se  confie  en  Jahvé  est  heureux,  20.  On  jette  les 
sorts  dans  le  pan  de  la  robe,  mais  c'est  Jahvé  qui  dé- 
cide. 33.  I.e  Seigneur  éprouve  les  cœursel  connaît  leur 
valeur,  xvn.  3.  Celui  qui  absout  le  coupable  et  celui 
qui  condamne  le  juste  sont  tous  deux  en  abomination 


977 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    RIRLE 


978 


à  Jahvé,15. Le  nom  de  lahvé  est  une  tour  forte;  le  juste 
s'y  réfugie  et  y  est  en  sûreté,  xvin,  10.  Celui  qui  trouve 
une  vraie  femme  a  reçu  de  Jahvé  une  faveur,  22.  Cf. 
xix,  14.  Celui  qui  a  pitié  du  pauvre  prête  à  Jahvé,  qui 
l'en  récom pensera,  xix,  17.  L'homme  propose;  Jahvé 
fait  réussirson  propre  dessein, 21.  La  crainte  de  Jahvé 
mène  à  la  vie,  23.  Avoir  deux  poids  et  deux  mesures 
est  en  horreur  à  Jahvé,  xx,  10,23.  Il  a  fait  l'oreille  qui 
entend  et  l'œil  qui  voit, 12.  Il  dirige  les  pas  de  l'homme, 
24.  L'àme  de  l'homme  est  une  lampe  de  Jahvé,  la  con- 
science a  été  allumée  par  Dieu,  27.  Le  cœur  du  roi  est 
un  cours  d'eau  dans  la  main  de  Jahvé;  il  l'incline  par- 
tout où  il  veut,  xxi,  1.  La  pratique  de  la  justice  et  de 
l'équité  est  préférable  aux  sacrifices  aux  yeux  de  Jahvé, 
3.  Cf.  27.  On  équipe  le  cheval  pour  le  jour  du  combat, 
mais  de  Jahvé  dépend  la  victoire,  31.  Le  riche  et  le 
pauvre  sont  les  œuvres  de  Jahvé,  xxn,  2.  Cf.  xxix,  13. 
Les  yeux  de  Jahvé  veillent  sur  les  sages;  il  confond  les 
paroles  du  pervers,  xxn,  12.  Celui  contre  qui  Jahvé  est 
Irrité  tombera  clans  le  piège  qu'ouvre  la  bouche  des 
courtisanes,  14.  Jahvé  prend  en  main  la  cause  du  pau- 
vre et  du  malheureux,  et  il  ôle  la  vie  à  ceux  qui  les 
dépouillent,  23.  On  ne  doit  pas  se  réjouir  du  malheur 
de  son  ennemi,  de  peur  que  Jahvé,  à  qui  cela  déplaît, 
ne  tourne  sa  colère  sur  celui  qui  agirait  ainsi,  xxm. 
IN.  On  doit  secourir  son  ennemi  malheureux;  Jahvé  en 
récompenser;!,  x\v,  21,  22. 

î  Depuis  le  schisme  jusqu'au  viw  siècle.  —  Jahvé, 
qui  avait  décidé  la  scission  de  dix  tribus,  détourna 
Roboam  d'écouter  les  sages  conseils  des  anciens. 
1  (111)  Keg.,  xii,  1.").  Comme  cette  scission  était  son 
œuvre,  il  empêcha  la  guerre  entre  les  deux  royaumes, 
24.  Jéroboam  ne  fut  pas  fidèle  à  Jahvé.  lie  peur  que 
son  peuple,  en  allant  adorer  Dieu  à  Jérusalem,  ne 
retournât  sous  l'autorité  de  Roboam,  il  compléta  la 
scission  politique  par  un  schisme  religieux  et  proposa 
â  Israël  deux  veaux  d'or,  l'un  à  Béthel,  l'autre  à  Dan, 
comme  l'image  du  Dieu  qui  l'avait  tiré  d'Egypte,  iii  38. 
Cette  innovation  de  Jéroboam  ne  prouve  pas  que  l'an- 
cienne tradition  Israélite  ait  admis  la  représentation 
de  Jahvé  en  forme  de  taureau.  Jéroboam  a  imité  les 
cultes  chananéens,  ou  peut-être  les  cultes  égyptiens, 
qu'il  avait  connus  dans  son  exil.  Jahvé  condamna  le 
culte  (Ir  Béthel,  xm.  l-ln.  32.  La  faute  de  Jéroboam  fut 
punie  par  la  chute  de  sa  dynastie,  '■'<'■'•,  34,  chute  prédite 
pu  Ahias,  xiv.  7-11.  li-l(),  et  réalisée  sous  Nadab,  xv. 

39,  30.  Le9   habitants  de  Juda  i bèrenl    aussi    dans 

l'idolâtrie  sous  Roboam,  xiv.  22-24,  et  sous  Abia,  \v,3. 
Hais  tsa  détruisit  les  idoles,  ll-li.  Nadab,  Bis  de  Jé- 
roboam, favorisa  l'idolâtrie,  26,  ainsi  que  les  usurpa- 
teurs, Baasa,  :'.i,  Zambri,  xvt,  19,  Amri,  26.  Le  dis  de 
rr  dernier,  Achab,  surpassa  en  malice  ses  prédécesseurs 
ei  adora,  en  même  temps  que  Jahvé,  Baal,  dieu  de 
Sidon;  ce  qui  accrut  la  colère  de  Jahvé  contre  lui, 30, 
33.  Il  introduisit,  en  effet,  en  Israël,  en  face  de  Jahvé, 
un  dieu  étranger,  ci  nsé  puissant,  et  le  nouveau  culte 
n'était  pas  institué  uniquement  pour  Jézabel  el  les 
Tyriens  de  la  cour, Achabl'adoptaitel  sollicitait  l'adhé- 
sion <l< -s  Israélites.  Élie  lui  reprocha  de  troubler  Israël 
par  l  introduction  du  culte  de  Baal,  xviit.  IN.  Sur  le 
mont  Carne  1.  i  •■  prophète,  demeuré  seul,  proposa  un 
défl  aux  i."jo  prophèti  di  Baal  :  «m  ne  peut  t  clochi  r 
entre  deux  dieux;  il  faut  choisir  entre  lahvé  et  Baal; 
celui  des  deux  qui  allumera  le  feu  du  sacrifice  i  i  i 
nnu  pour  Dieu,  21-24.  Élie  repoussait  donc  le  s\n- 
crélisme  d'Achab,  qui  unissait  Jahvé  et  Baal.  Après 
la  vaines  prières  des  prophètes  de  Baal,  25-28,  Êlie 
Invoqua  Jahvé,  le  Dieu  d'Abraham,  d  I  aac  et  de  J 
b  suppliant  de  montrer  qu'il  était  le  vrai  Dieu,  38,  '■~ 
La  prière  exaucée  obligea  le  peuple  i  reconnaître  que 
il  Dieu,  38,  39.  La  vu  toire  a  donc  été  pour 
Jahvé.  Êlie,  dont  nous  n'avons  pa«  ■!  1 1  rit,n  t  pa  I 
d'autre    li  >   théologie.  Nous  ne  pourofl 


affirmer  qu'il  ait  dit  expressément  que  Baal  n'était  rien 
et  que  Jahvé  seul  était  Dieu;  mais  s'il  ne  l'a  pas  dit,  il 
est  incontestable  que  Baal  n'était  rien  pour  lui.  Il  se 
moquait  de  lui  au  Carmel,  en  disant  à  ses  prêtres  : 
8  Criez  plus  haut,  car  il  est  Dieu;  il  est  en  méditation, 
ou  il  est  occupé,  ou  il  est  en  voyage,  peut-être  qu'il 
dort,  et  il  se  réveillera.  »  I  (III)  Reg.,  xvin,  27.  Toute 
sa  carrière,  du  reste,  a  été  une  profession  de  foi  mono- 
théiste. Cf.  Gunkel,  Elias,  Jahve  und  Baal,  Tubingue, 
19Ù6,  p.  48-6L  Cependant,  au  milieu  de  l'apostasie 
d'Israël,  tous  n'avaient  pas  abandonné  Jahvé,  témoin 
Abdias,  le  majordome  d'Achab,  qui  avait  servi  Dieu 
dés  son  enfance, xvin,  12.  Aussi  Élie  e.xagérait-il, quand 
fuyant  la  colère  de  Jézabel,  et  parvenu  à  la  montagne 
de  Dieu,  l'Horeb,  xix,  8,  il  se  plaignait  à  Jahvé,  Dieu 
des  armées,  de  lui  être  seul  demeuré  fidèle,  10,  li. 
C'est  pourquoi  le  Seigneur  lui  donna  symboliquement 
une  leçon  de  patience,  en  lui  montrant  que  Jahvé  ne 
passait  pas  dans  le  souffle  impétueux  ni  dans  le  feu. 
mais  comme  un  vent  léger,  11,  12.  Il  lui  déclara  ensuite 
qu'il  s'étaitréservé  en  Israël  7000  hommes,  qui  n'avaient 
pas  fléchi  le  genou  devant  Baal,  18.  Élie  n'était  donc 
pas  isolé  en  Israël;  il  trouvait  dans  le  peuple  un  point 
d'appui  pour  lutter  avec  le  roi  et  pour  défendre  le  culte 
traditionnel  de  Jahvé.  Celui-ci  le  chargea  enlin  d'oindre 
Hazaël  comme  roi  de  Syrie  et  Jéhu  comme  roi  d'Israël, 
I."),  16.  11  promit  la  victoire  à  Achab  pour  lui  montrer 
qu'il  était  Jahvé,  xx,  13.  Les  Syriens  attribuèrent  celte 
victoire  à  la  protection  du  dieu  de  la  montagne,  et  ils 
voulurent  faire  la  guerre  dans  la  plaine,  23;  mais 
Jahvé  donna  encore  le  succès  aux  Israélites  pourprou- 
ver  qu'il  était  le  Dieu  des  vallées  aussi  bien  que  des 
montagnes,  28,  Dieu  en  tout  lieu.  Quand  Jézabel  eut 
fait  mourir  Naboth  pour  qu'Achab  put  s'emparer  de  sa 
vigne,  Dieu  envoya  Élie  annoncer  an  roi  quelle  serait 
la  punition  de  son  injustice,  xxi,  17-24,  injustice  que 
lahvé  ne  peut  tolérer.  Son  caractère  mural  apparaît 
clairement  dans  cet  épisode.  Cette  punition  fut  retardée 
à  cause  de  la  pénitence  du  roi,  27-29.  Jahvé  décide  du 
sort  de  Ramoth-Galaad,  xxu,  15.  Michée  le  voit  sur 
son  trône,  entouré'  de  l'armée  du  ciel  et  envoyant  un 
esprit  menteur  pour  tromper  Achab.  19-23.  Ochozias 
suivit  les  mauvais  r\<<ni|iles  de  m. n  père  el  servit  Baal, 
ce  qui  excita  le  courroux  de  Jahvé,  53,  .Vi.  H  consulta 
aussi  Beelzebub,  dieu  d'Accaron.  Êlie  vint  lui  dire:  Il 
n'j  a  donc  plus  de  Dieu  en  Israël,  que  tu  consultes  Ir 
Dieu  d'Accaron'.'  Il  (IV)  Reg.,  I,  2-8.  Il  lui  annonça  une 
prompte  mort  en  punition  de  sa  finie,  Iti. 

Mans   le   royaume    de  Juda.  Josaphat   imita   SOU    père 

Isa,  -m-  oser  toutefois  abolir  le  culte  des  hauts-lieux. 
I  Reg.,  xxn,  i3.  li.  lue  victoire  que  ce  roi  remporta 
sur  les  Ammonites  el  les  Moabites  l'ut  célébrée  comme 

I  œuve  de  Jahvé,  qui  est  très  haut  et  redoutable,  qui  est 

i   de   toute  la   terre,   l's.  xt.vi  (xlvii),   2-10.  cf. 

II  Par.,  xx,  20-22.  Que  les  ennemis  de  Juda,  COBlisi  - 
peur     l'attaquer,    soient  traite-   comme   les    an 

ennemis  de  leur-  pères  I  I   qu'ils  saelienl  que  JatlVI 

est    le    Dieu     très    haut    sur    toute    la    tel  i  \X\II 

fi  x\  un).  Dans  le  royaume  d'Israi  I,  loram  enleva  la.  n 

!  itues  de  Baal,  mais  il  conserva  les  veaux  d'or,  qui' 

Jéroboam    avait   fabi  Iqués,    M     IV)  Reg.,   m.  '2.     i  • 

trois  rois  d'Israël,  de  Juda  et  del'Idll  I     " li . 

Mésa,  roi  de  Moab,  consultent  Jahvé  et  lui  demandent 
s'il  les  a  livrés  a  leur  adversaire.  Elisée  ri  nvoie  Joram 
aux  prophètes  de  on  i"  pi  el  de  ta  mère  et  déclare 
que  ^i  Jahvé  ne  les  a  pas  livrés  aux  Moabites, 
uniquement  en  considération  de  .iosapb.it.  roi  de  Juda, 
10-14.  Jahvé  avail  sauvé'  la  Syrie  par  l'intermédl 
de  Naaman,  v,  I.  La  lèpre  de  celui-ci  ne  pouvait  être 
gm  rie  que  pat  Dieu,  qui  a  le  pouvoir  de  la  vie  et  de  la 
mort,  7.  Naaman  pensait  qu  Éliséi  le  guéi  nui  en  in« 
voquanl  le  nom  de  Jahvé,  son  l'on.  Il  Quérl  après 
- .  h .   lavi    d  m-  i.    i  'n  .1. un.   il   pi  ofi  isa  ouvertemi  ni 


(17'.) 


DIEU    (SA   NATURE    D'APRÈS    LA    BIBLE) 


980 


qu'il  n'\  avait  pas  de  Uieu  sur  toute  la  terre,  en  dehors 
d'Israël,  15,  et  qu'il  n'offrirait  plus  désormais  d'holo- 
caustes aux  dieux  étrangers,  sinon  à  Jahvé,  17,  quoi- 
(|ii'il  pensât  pouvoir  assister  avec  son  roi  au  culte  de 
Remmon,  sans  que  Jahvé  en  fût  offensé,  18, 19.  Le  roi 
de  Samarie  attribuait  à  Jahvé  la  famine,  survenue 
durant  le  siège  de  sa  capitale  par  Benadad,  roi  de  Syrie, 
vi,  33.  Mais  Jahvé  annonça  pour  le  lendemain  l'abon- 
dance des  vivres,  vu,  1.  Benadad  malade  lit  consulter 
Jahvé  sur  l'issue  de  sa  maladie,  vin,  8.  Elisée  apprit 
de  Jahvé  que  le  roi  mourrait  de  mort  violente,  qu'Ha- 
zaël  lui  succéderait  et  causerait  beaucoup  de  maux  à 
Israël,  10-13. 

Joram,  fils  de  Josaphat,  épousa  une  fille  d'Achab  et 
introduisit  l'idolâtrie  en  Juda.  Jahvé  cependant  ne 
voulut  pas  perdre  Juda  à  cause  de  la  promesse  qu'il 
avait  faite  à  David,  18,  19.  Ochozias  suivit  les  traces  de 
Joram,  son  père,  29.  Jéhu  fut  élu  par  Jahvé  pour  régner 
en  Israël  et  frapper  la  maison  infidèle  d'Achab,  ix,  3, 
6-10,  12,  26,  36;  x,  10,  17.  Il  abolit  le  culte  de  Baal  en 
Israël,  x,  18-28,  mais  il  y  maintint  celui  des  veaux  d'or 
à  Béthel  et  à  Dan,  29.  Parce  qu'il  avait  accompli  les 
volontés  de  Jahvé  contre  la  maison  d'Achab,  Dieu  pro- 
mit le  trône  à  sa  postérité  jusqu'à  la  quatrième  géné- 
ration, 30,  mais  parce  qu'il  avait  conservé  les  institu- 
tions religieuses  de  Jéroboam,  Dieu  prit  Israël  en 
dégoût,  31,  32.  Quand  le  grand-prêtre  Joiada  établit  le 
jeune  Joas  roi  de  Juda,  il  fit  un  pacte  entre  Jahvé,  le 
roi  et  le  peuple  pour  faire  reconnaître  les  droits  exclu- 
sifs de  Jahvé  sur  le  royaume,  et  le  peuple  renversa  les 
autels  et  les  images  de  Baal,  xi,  17,  18.  Joas  ne  dé- 
truisit pas  cependant  les  hauts-lieux,  xn,  2.  Après  la 
mort  de  .loaida,  il  se  livra  à  l'idolâtrie  et  tua  le  grand- 
prêtre  Zacharie  qui  lui  reprochait  sa  conduite.  Il  Par., 
xxiv,  18-22.  Il  en  fut  puni  par  Dieu,  24.  En  Israël,  Joa- 
chaz,  II  (IV)  Reg.,  xui,  2-6,  Joas,  II,  furent  idolâtres, 
et  cependant  Jahvé  les  exauça,  quand  ils  recoururent 
à  lui,  4,  5,  23,  ne  voulant  pas  encore  ruiner  entière- 
ment Israël.  En  Juda,  Amasias  conserva  les  hauts- 
lieux,  xiv,  3,  4,  et  se  livra  à  l'idolâtrie.  II  Par.,  xxv, 
14-16.  En  Israël  ,  Jéroboam  II  suivit  les  voies  de  Jéro- 
boam I»',  II  (IV)  Reg.,  xtv,  2i;  néanmoins,  Jahvé  ne 
fit  pas  encore  périr  Israël,  26,  27. 

Durant  cette  période,  les  faits  le  prouvent,  Jahvé  est 
demeuré  le  Jahvé  de  Moïse.  Malgré  de  trop  fréquentes 
apostasies  de  la  masse  de  la  nation,  il  était  le  Dieu 
unique,  maître  du  monde,  le  Dieu  tout-puissant  et 
juste  par  excellence,  bien  que  les  idées  qu'on  se  faisait 
parfois  de  sa  justice  aient  été  imparfaites  et  gâtées  par 
le  vieux  principe  de  la  vengeance  rigoureuse,  qu'on  at- 
tendait de  lui  et  qu'on  lui  demandait.  Il  ne  souffrait 
point  de  rival  et  punissait  sévèrement  les  infidélités  de 
son  peuple.  L'adoration  d'autres  dieux  était  une  faute, 
à  laquelle  on  se  laissait  entraîner  trop  souvent  par 
l'imitation  des  cultes  grossiers  et  sensuels  des  peuples 
voisins.  Parfois,  la  masse  du  peuple  a  pu,  dans  ses  pra- 
tiques religieuses  et  sa  vie  morale,  ne  pas  dépasser 
de  beaucoup  le  niveau  d'une  monolâlrie,  à  moitié 
païenne.  Le  monothéisme  était  néanmoins  connu.  Jahvé 
n'a  jamais  manqué  de  fidèles  adorateurs  ni  en  Israël 
ni  en  Juda.  Son  nom  entre  en  composition  dans  les 
noms  de  presque  tous  les  rois  de  Juda  à  partir  d'Abia. 
Les  rois  les  plus  impies  d'Israël  lui  vouent  leurs  enfants. 
Achab  nomme  son  fils  Ocbozias,  «  Jahvé  me  possède  »,  et 
sa  fille  Athalie,  «  Jahvé  est  ma  force  ».  Jahvé  est  consi- 
déré comme  étant  la  cause  de  tous  les  phénomènes  na- 
turels et  des  principaux  événements  de  l'histoire, 
comme  une  sorte  d'agent  universel  et  la  providence 
spéciale  d'Israël.  Lien  qu'il  ait  des  droits  à  gouverner 
l'univers,  il  semble  n'exister  que  pour  Israël  et  n'exer- 
cer que  les  fonctions  d'un  dieu  national.  Cependant, 
il  s'occupe  dis  peuples  voisins  d'Israël,  il  règle  leur 
sort  et  il  s'en  sert  comme  ministres  de  sa  colère  contre 


les  siens.  Son  caractère  de  Dieu  universel  était  reconnu, 
quoique  ses  relations  avec  les  nations  païennes  n'aient 
pas  encore  été  clairement  définies.  Son  caractère  moral 
est  nettement  dessiné,  bien  qu'il  doive  s'élargir  et 
s'épurer  dans  la  prédication  des  prophètes.  C'est  un 
Dieu  juste  et  saint,  aimant  la  justice  et  préférant  l'obéis- 
sance du  cœur  aux  sacrifices  offerts  par  des  méchants. 
Il  règne  dans  les  cieux,  d'où  il  veille  sur  la  terre  pour 
y  faire  sentir  sa  providence  tutélaire  sur  les  bons  et  sa 
justice  vengeresse  sur  les  impies  et  les  méchants.  Kt 
ces  caractères  de  Dieu  résultent  des  seuls  livres  histo- 
riques de  la  Bible.  Par  conséquent,  nos  conclusions 
seraient  les  mêmes,  si  on  ne  voulait  pas  tenir  compte 
des  Psaumes,  que  nous  avons  regardés  comme  l'œuvre 
de  David,  ni  de  la  doctrine  d'une  partie  des  Proverbes, 
que  nous  avons  attribuée  à  Salomon. 

Un  nouveau  nom  est  donné  à  Dieu  durant  cette  période; 
c'est  celui  de  Jahvé  ou  d'Élohim  Sabaotfa  ou  Dieu  des 
armées.  Quel  que  soit  le  sens  que  ce  vocable  prendra 
plus  tard,  il  ressort  des  documents  les  plus  anciens  où 
il  est  employé,  qu'il  désigne  Jahvé,  comme  chef  des 
armées  d'Israël.  Il  a  certainement  ce  sens  dans  plu- 
sieurs textes  du  livre  de  Samuel.  On  le  trouve  sur  les 
lèvres  de  Samuel,  rapportant  à  Saùl  un  oracle  dans  le- 
quel Dieu  ordonne  de  faire  la  guerre  aux  Arnalécites. 
I  Sam.,  xv,  2.  Le  jeune  David  court  au  devant  de  Go- 
liath au  nom  du  Dieu  des  armées,  du  Dieu  des  bataillons 
d'Israël.  I  Sam.,  xvn,  4,  5.  A  ce  titre,  Jahvé  fit  prospé- 
rer David,  devenu  roi,  en  lui  donnant  la  victoire  sur  ses 
ennemis.  II  Sam.,  v,  10.  D'ailleurs,  Jahvé,  honoré  à 
Silo  où  était  l'arche,  est  souvent  nommé  le  Dieu  des 
armées.  I  Sam.,  i,  3,  11;  iv,  4;  II  Sam.,  vi.  2,  18.  Or, 
l'arche  était  emportée  dans  les  batailles  comme  sym- 
bole de  la  présence  de  Jahvé  à  la  tète  des  armées  de  son 
peuple.  Jos.,iv,  6-16;  I  Sam.,  îv, 3-1 1.  Enfin,  un  ancien 
document  était  intitulé  :  «  Le  livre  des  guerres  de 
Jahvé.  »  Xuin.,  xxi,  14.  Ce  nom  de  chef  des  armées 
d'Israël  convient  à  Jahvé  à  une  époque  de  luttes  et  de 
combat.  Cf.  J.  P.  P.  Valeton,  dans  le  Manuel  d'histoire 
des  religions,  de  Cbantepie  de  la  Saussaye,  trad.  franc., 
Paris,  1904,  c.  vin,  §  48,  p.  202-205;  M.  Lôhr,  Untersu- 
chungen  zum  Bach  Amos,  Giessen,  1901,  p.  59-65; 
Stade,  Biblisclie  Théologie  des  A.  T.,  t.  i.  p.  73-74; 
J.  Touzard,  Le  livre  d'Amos,  Paris,  1909,  t.  lix-lx. 

5°  D'après  le  livre  de  Job.  —  Par  sa  langue,  ce  livre 
appartient  à  l'âge  d'or  de  la  littérature  hébraïque,  qui 
s'étend  de  David  à  Isaïe.  Sa  composition  peut  donc 
être  fixée  entre  Salomon  et  Ézéchias,  quoique  des  cri- 
tiques modernes  la  rapportent  au  temps  qui  a  suivi  le 
retour  de  la  captivité.  Comme  la  théodicée  de  ce  poème 
est  très  développée,  il  importerait  grandement  de  fixer 
exactement  sa  date  pour  marquer  chronologiquement 
les  progrès  de  l'idée  de  Dieu  en  Israël.  Toutefois,  l'im- 
portance de  cette  question  est  diminuée  par  cette  consi- 
dération certaine  que  la  doctrine  du  livre  de  Job,  ex- 
posée à  propos  du  problème  de  la  souffrance  du  juste 
et  de  l'innocent,  n'a  qu'un  rapport  éloigné  avec  celle 
qui  précède  et  celle  qui  suit.  Elle  forme  donc  une  étape 
distincte  et  presque  complètement  isolée  des  autres. 
Elle  doit  donc  être  étudiée  à  part  et  elle  peut  l'être 
même  en  dehors  de  son  époque  certaine,  tant  elle  est 
spéciale.  Chaque  lecteur  la  replacera  mentalement  à  la 
date  précise  qu'il  assigne  à  ce  livre. 

Un  homme  intègre,  droit,  craignant  Dieu  et  éloigné 
du  mal,  passe  de  la  plus  grande  prospérité  à  une  ex- 
trême misère.  Dieu  permit  à  Satan  d'éprouver  s'il  craint 
Dieu,  en  le  frappant  dans  ses  biens  et  sa  personne, 
sauf  la  vie.  Soumis  à  la  volonté  du  Seigneur,  qui  lui 
reprenait  les  biens  qu'il  lui  avait  donnés,  le  vertueux 
Job,  loin  de  s'irriter  contre  Dieu,  bénit  son  nom  au 
milieu  de  ses  afflictions  malgré  les  reproches  <l 
femme,  qui  le  poussait  à  maudire  Dieu,  auteur  de  ces 
maux.  H  recevait   de  sa  main   le   mal  comme  le  bien, 


D81 


DIEU    ('SA    NATURE    D'APRÈS    LA    RIRLE: 


982 


i,  I-n,  10.  Trois  de  ses  amis  vinrent  le  consoler;  les 
plaintes  de  Job  et  leurs  discours  posent  le  problème  de 
la  souffrance,  que  Dieu  cause  lui-même  aux  hommes, 
m,  23.  Éliphaz,  Baldad  et  Sophar  pensent  que,  par  le 
moyen  des  maux  temporels,  le  Seigneur  punit  les  fautes 
commises  par  les  hommes  et  concluent  que  Job  est 
malheureux,  parce  qu'il  a  été  coupable.  Dès  le  début 
de  son  discours,  Éliphaz,  pour  forlilier  Job,  l'invite  à  la 
crainte  de  Dieu  et  à  la  pureté  de  la  vie,  iv,  6.  Jamais 
l'innocent  n'a  péri  ni  le  juste  n'a  été  exterminé;  tou- 
jours, au  contraire,  les  méchants  périssent  au  souflle  de 
Dieu  et  sont  consumés  par  le  vent  de  sa  colère,  7-9. 
Une  vision  nocturne  a  confirmé  son  expérience  et  lui 
a  rappelé  qu'aucun  homme  n'est  juste  devant  Dieu, 
aucun  mortel  en  face  de  son  créateur  ;  Dieu  découvre 
des  fautes  dans  ses  anges,  à  plus  forte  raison  dans  les 
hommes,  17-19.  Job  n'a  donc  qu'à  se  tourner  vers  Dieu, 
dont  les  actes  sont  insondables  et  les  prodiges  innom- 
brables, qui  rend  le  bonheur  aux  affligés  et  déjoue  les 
projets  des  méchants,  v,  8-16.  C'est  Dieu  qui  châtie,  le 
tout-puissant  qui  corrige,  mais  il  guérit  la  blessure 
qu'il  a  faite  et  il  tire  de  tous  les  malheurs,  17-20.  Job, 
qui  sent  vivement  les  flèches  du  tout-puissant  le  trans- 
percer et  voit  les  terreurs  de  Dieu  rangées  en  bataille 
contre  lui,  VI,  4,  demande  à  Dieu  la  mort,  pourvu  qu'il 
ait,  en  mourant,  la  consolation  de  n'avoir  jamais  trans- 
gressé les  commandements  du  Saint,  8-10.  Le  mal- 
heureux eût-il  abandonné  la  crainte  du  lout-puissant, 
a  droit  à  la  pitié  de  ses  amis,  14.  Mais,  fort  de  son 
innocence,  Job  demande  à  Éliphaz  quelles  fautes  il  a 
commises.  24-30;  puis,  il  se  plaint  amèrement  à  Dieu 
de  ses  soullrances,  vil,  11-16.  Pourquoi  éprouve-t-il 
l'homme  à  ce  point  et  sans  lui  laisser  de  répit?  Si 
Job  a  péché,  que  peut-il  faire  pour  être  à  l'abri  des 
traits  du  gardien  des  hommes?  17-21. 

Baldad  reproche  à  Job  de  telles  plaintes,  vin,  2. 
«  Est-ce  que  Dieu  fait  fléchir  le  droit?  Le  tout-puissant 
renverse-t-il  la  juslice?  »  3.  Le  droit  est  ceci  :  Dieu 
livre  les  pécheurs  aux  mains  de  leur  iniquité.  Si  Job 
a  recours  à  Dieu,  s'il  implore  le  tout-puissant,  s'il 
est  droit  et  pur,  il  sera  protégé  et  béni  par  Dieu  de 
nouveau.  1-7.  Les  maximes  des  anciens  affirmant  que 
ceux  qui  oublient  Dieu  sèchent  connue  le  jonc  sans 
e.iu  et  que  l'espérance  des  impies  périt,  tandis  que  Dieu 
ne  rejette  pas  l'innocent,  8-22.  Job  reconnaît  que 
l'homme  ne  peul  être  juste  vis-à-vis  de  Dieu,  que  Dieu 
est  sage  en  son  cœur  el  que  son  bras  a  la  puissance. 
H  commande  à  toutes  lescréalures  qu'il  a  faites,  el  per- 
sonne ne  peut  s'opposer  à  ses  actes.  Dieu  ne  lléchit  sa 
colère.  IX,  iî  -  K  î .  Job,  fût-il  juste,  ne  contesterait  donc  pas 
tvttC  lui  ;  il  implorerait  plutôt  la  clémence  de  Bon  juge, 
II,  15.  Dieu  est  fort,  personne  n'a  le  droit  de  l'assign<  r 
an  jugement .  ses  arrêta  son!  irréformables,  19,  20,  Aussi, 
parce  qu'il  est  innocent,  Job  pose  le  problème  :  a  Dieu  ne 
fait-il  pas  périr  égalemenl  le  juste  et  l'impie?  ■  21-24. 

Toutefois,   parce  que  Dieu  n'esl  pas  un  homme  cou 

lui, et  bien  qu'il  se  croie  lui-même  innocent,  28-81,  il 
ni  pas  entrer  en  discussion  avec  lui  ni  comparaître 
nble  en  justice;  il  n'v  a  \\.\-  d'arbitre  entre  eux. 
U"'-  Dieu  cesse  seulement  île  le  frappei ,  32  34.  De  nou- 
veau, il  donne  libre  coui     i    e    plaintes  amérea  el  re- 
Dieu,   s, ,n   créateur,  de  punir  a  ce  poinl  ses 
iniquités,  \.  1-22. 

Bophar  veut  < mdre  Job,  xi,  2,  '■',.  Celui-ci  se  pré- 
tend irréprochable  devant   Dieu;  si   Dieu  voulait  révé- 
ler li  lob,  on  verrait 
qu'il  a  •  t.   indulgent,  1-6.  La  perfection  divine  est  in- 
ensurabb                  mce  irrésistible  el 
■  selle,  :<  II.  Si  .loi.  prie  Dieu,  -'il  cesse  de  l'oflen 
il  redeviendra  |                  |   heureux,  13-19    Raillé 
nis,  qui  se  i  ii  ni   d'un  juste  el  d'un  inno 
Job  invoque  Dieu,  1 1  Dieu  daigne  l'écouter,  mi.  I,  Connu.' 
•ux,  il  iail  que  le  créateui  de  toutes  chosea  ■  puis*  im  • 


surtout,  qu'il  est  fort,  sage  et  prudent  et  qu'il  fait  tout 
ce  qu'il  veut,  xn,  7-xiii,  2.  C'est  avec  Dieu  et  non  avec 
eux.  qui  sont  de  mauvais  avocats  de  Dieu  et  le  dé- 
fendent par  des  mensonges,  qu'il  veut  plaider  sa  cause, 
3-22,  et  il  lui  demande  hardiment  pour  quelles  fautes 
il  le  punit,  23-28.  Dieu  poursuit-il  donc  ainsi  l'homme 
fragile  et  mortel?  xiv,  4-6.  Au  lieu  de  le  faire  mourir, 
Dieu  le  punit  de  ses  péchés,  13-17. 

Éliphaz  reproche  alors  à  Job  de  détruire  ainsi  la 
crainte  de  Dieu  et  d'anéantir  la  piété,  xv,  4.  Il  avoue 
donc  son  iniquité,  5,  6.  A-t-il  assisté  aux  conseils  de 
Dieu?  8.  Tient-il  pour  peu  de  chose  les  consolations 
de  Dieu,  qu'on  lui  apporte?  11.  11  tourne  sa  colère  contre 
Dieu,  13.  Dieu  ne  se  fie  pas  même  à  ses  saints,  et  les 
cieux  ne  sont  pas  purs  devant  lui;  combien  moins 
l'homme,  pervers  et  injuste,  peut-il  l'être,  lui  qui  fait  le 
mal  comme  on  boit  de  l'eau?  14-16.  C'est  à  la  fois  un 
fait  d'expérience  et  l'enseignement  des  sages,  17-19:  le 
méchant  qui  a  levé  sa  main  contre  Dieu,  qui  a  bravé 
le  tout-puissant,  25,  est  malheureux  durant  sa  vie;  sa 
prospérité  est  passagère,  et  Dieu  le  fera  périr  par  le 
souffle  de  sa  bouche,  20-30.  Job  riposte  que  Dieu  l'a 
livré  au  pervers  et  l'a  jeté  aux  mains  des  méchants, 
xvi,  11,  quoiqu'il  n'y  ait  pas  d'iniquités  dans  ses  mains 
et  que  sa  prière  soit  pure,  17.  Si  ses  amis  l'accusent,  il  a 
au  ciel  un  témoin,  un  défenseur  dans  les  hauteurs  : 
c'est  Dieu  qu'il  implore,  qu'il  constitue  son  juge  et  sa 
caution,  19-21  ;  xvn,  2-4. 

Baldad  décrit  le  sort  funeste  du  méchant,  dont  il  est 
assuré,  XVIII,  5-21,  en  laissant  entendre  qu'il  vise  Job 
coupable.  Celui-ci  prend  sur  lui  la  responsabilité  de  sa 
faute,  xix,  4,  et  déclare  que  Dieu  l'opprime  et  l'enve- 
loppe de  son  filet,  6-20.  La  main  de  Dieu  l'a  frappé,  21. 
Il  a  pourtant  la  certitude  qu'il  sera  vengé,  qu'il  verra 
Dieu  et  que  la  justice  de  sa  cause  sera  reconnue,  23- 
29.  Sophar  réplique  vivement,  en  décrivant  à  son  tour 
la  terrible  destinée,  que  Dieu  réserve  au  méchant,  xx, 
4-29.  Job  a  vu,  au  contraire,  la  prospérité  des  mé- 
chants. La  verge  de  Dieu  ne  les  touche  pas,  xxi,  7-9. 
Ils  refusent  de  reconnaître  le  tout-puissant  et  de  le 
prier.  14-15,  et  Dieu  ne  leur  donne  pas  un  lot  dans  sa 
colère,  17.  Il  les  punit,  dit-on,  dans  leurs  enfants;  mais 
ce  sont  eux  qu'il  devrait  châtier,  19-21.  Ln  prétendant 
que  Dieu,  le  juge  des  êtres  les  plus  élevés,  donne  tou- 
jours le  malheur  aux  méchants,  veut-on  lui  faire  une 
leçon  de  sagesse?  22.  En  fait,  au  jour  du  malheur,  le 
méchant  est  épargné  et  il  meurt  heureux,  23  33. 

Pour  la  troisième  fois,  les  amis  de  Job  reprennent 
la  discussion  et  lui  reprochent  directement  ses  fautes. 
Eliphaz  déclare  catégoriquement  que.  puisque  la  justice 
el  l'intégrité  de  l'homme  ne  sont  d'aucune  utilité  à 
Dieu,  ce  n'esl  pas  à  cause  de   sa   pieté  que    Dieu  châtie 

Job,  xxii,  2-4,  el  il  énumère  les  fautes  de  son  ami,  .">- 

II.  Dieu,  qui  habite  les  hauteurs  du  ciel,   les   voyait  et 

les  jugeait,  12-20.  Que  Job  se  réconcilie  donc  avec  lui 
el  l'apaise,  el  la  prospérité  lui  reviendra.  21-30.  Job 
voudrait  rencontrer  Dieu,  arriver  jusqu'à  son  trône 
pour  plaider  sa  propre  cause  devant  lui  el  ôti 
xxiii.  3-7;  mais  il  ne  le  trouve  pas,  8,  0  Cependant 
Dieu  connaît  ses  voii  idélité,   i'1  12.  Mai-  Il  aal 

souverain   el   innoiialile   en    ses  desseins,  el    il  exécutera 

celui  qu'il  a  d'éprouver  Job.  13-17.  Pourtant,  puisque 
le  tout-puissani  connaît  les  temps,  pourquoi  ne  fait-il 
pas  voir  son  jour  à  ceux  qui  le  servent?  xxiv.  1.  Les 
méchants  oppriment  les  innocenta,  bI  Dieu  ne  prend 
forfaits,  i  12.  Les  violenta  el  lea  impiea 
sont  heureux  jusqu'à  la  mort.  13-26  En  réponse,  Bal- 
dad se  contente  de  dire  que  Dieu  eal  puissant  el  que 
l'homme  ne  peut  pasi  tre  purel  juste  devant  lui,  puisque 
la  inné  perd  ut  clarté  et  les  étoiles  ne  sont  pas  pures 
veux,  xxv.  2-6,  .lob  proclami  aussi  hautement 
qui    on  ami  la  pi  divine,  qu'il  décrit  mervalK" 

leusement,  xxvi,  '■>  1 1 


H83 


DIEU    (SA    NATURE   D'APRÈS    LA    BIBLE 


1184 


Dans  un  discours  nouveau,  Job,  tout  en  constatant 
que  le  Dieu  vivant  lui  refuse  justice,  que  le  tout-puis- 
sanl  remplit  son  âme  d'amertume,  XXVII,  2,  proclame 
son  innocence,  3-7. 11  n'a  pas  les  sentiments  de  l'impie, 
quand  Dieu  l'afflige,  8-10.  Le  riche  heureux  jusqu'à  la 
mort  est  puni  dans  sa  postérité,  qui  ne  jouit  pas  des 
biens  amassés,  11-23.  Dieu,  qui  voit  tout  et  qui  a  tout 
créé,  a  enseigné  la  sagesse  aux  hommes,  en  leur  disant 
qu'elle  consiste  dans  la  fuite  du  mal  et  la  crainte  du 
Seigneur,  xxviii,  23-28.  Puis,  Job  décrit  les  années  de 
sa  prospérité,  les  jours  où  Dieu  veillait  à  sa  garde, 
quand  il  le  visitait  familièrement  et  vivait  avec  lui,  xxix, 
2-5.  Il  leur  oppose  par  contraste  ses  misères  présentes, 
xxx,  1-31.  Pourtant,  en  prévision  de  la  récompense  que 
le  tout-puissant  lui  réservait  de  son  ciel,  xxxr,  2,  lui 
qui  conviait  ses  voies  et  a  compté  tous  ses  pas,  4,  il  a 
mené  une  vie  irréprochable  et  il  ne  craint  pas  le  juge- 
ment de  Dieu,  5-13.  S'il  était  coupable,  il  ne  saurait 
que  répondre  à  son  créateur,  14-34;  parce  qu'il  n'a  pas 
fait  les  crimes  qu'il  énumère,  il  ne  craint  pas  de  rendre 
compte  à  son  juge,  35-37. 

Un  jeune  homme,  auditeur  muet  des  discours  précé- 
dents, intervient  avec  impétuosité.  11  rejette  la  théorie 
des  amis  de  Job,  qui  voient  dans  tous  les  malheurs  un 
châtiment  que  Dieu  intlige  aux  coupables,  aussi  bien  que 
le  sentiment   de  Job,  qui   trouve  dans  ses  maux  une 
sorte  d'injustice  de  la  part  de  Dieu,  xxxn,  13,  14.  Ce 
n'est  pas  l'âge  qui  donne  la  sagesse,  mais  le  souflle  du 
tout-puissant,  8,  9.  Créature  de  Dieu  comme  Job,  le 
jeune  homme  est  son  égal  devant  Dieu  et  peut  lui  faire 
la  leçon,  xxxm,  4-7.  La  haine  que  Job  a  supposée  en 
Dieu  qui  frappe  un  innocent,  n'existe  pas,  8-11.  Dieu  est 
plus  grand  que  l'homme,  et  il  n'a  de  compte  à  rendre 
à  personne,  12, 13.  Dieu  parle  aux  hommes  de  diverses 
manières,  par  la  douleur  aussi  bien  que  par  les  songes 
et  les  visions,  14-22.  La  douleur  est  un  ange  qui  ramène 
à  Dieu  et  fait  reconnaître  que  la  maladie  et  l'épreuve, 
même  réitérées,  sont  profitables,  23-30.  S'adressant  en- 
suite aux  sages,  Éliu  demande  catégoriquement  si  Job 
a  eu  raison  de  se  proclamer  innocent  et  de  dire  que  Dieu 
lui  refusait  justice,  xxxiv,  5,6.  Il  lient  ces  paroles  pour 
blasphématoires;   c'est  une  impiété  de  dire  :  «   Il   ne 
sert  de  rien  à  l'homme  de  chercher  la  faveur  de  Dieu,  » 
7-9.  Le  tout-puissant  est  juste;   Dieu  ne  commet  pas 
l'iniquité  ni  ne  viole  pas  la  justice;  il  rend  à  l'homme 
selon  ses  œuvres,  il  rétribue  chacun  selon  ses  voies, 
10-12.  Il  gouverne  le  monde  et  il  veille  sur  lui  pour  le 
conserver;  s'il  ne  pensait  qu'à  lui-même,  s'il  retirait 
son  esprit  et   son   souffle,  toute   chair    expirerait    et 
l'homme  retournerait  à  la  poussière,  13-15.  Du  reste, 
un  ennemi  de  la  justice  ne  peut  avoir  le  pouvoir  su- 
prême; le  juste,  le  puissant  ne  fait  pas  acception  des 
personnes,  il  condamne  les  grands,  qui  sont  mauvais, 
il  ne  regarde  pas  le  riche  plus  que  le  pauvre,  parce  que 
tous  sont  l'ouvrage  de  ses  mains.  Ses  yeux  sont  ou- 
verts sur  les  voies  de  l'homme;  il  voit  toutes  les  ini- 
quités; il  n'a  pas  besoin  d'ouvrir  d'enquête;  il  frappe 
les  impies  et  les  puissants  injustes,  les  individus  aussi 
bien  que  les  peuples,  17-32.  Job  a  donc  parlé  contre 
Dieu,  37.  Il  n'est  pas  juste  de  dire  :  «  J'ai  raison  contre 
Dieu,  »  xxxv,  2.  La  méchanceté  des  hommes  n'est  pas 
plus  nuisible  à  Dieu  que  leur  justice  ne  lui  est  utile, 
6,  7.  Mais  Dieu  n'exauce  pas  les  discours  insensés  et  le 
tout-puissant  n'écoute  pas  les  reproches  immérités,  13- 
16.  Le  créateur  est  juste,  en  effet,  xxxvi,  2,  3,  car  il  est 
puissant  et  ne  dédaigne  personne;  il  punit  le  méchant 
et  il  fait  justice  au  juste  malheureux,  5-7.  Si  les  bons 
sont  aflligés,  c'est  pour  les  éloigner  du  mal;  s'ils  com- 
prennent la  leçon,  ils  sont  heureux;  sinon,  ils  péris- 
sent comme  les  impies,  qui  ne  crient  pas  vers   Dieu 
quand  il  les  frappe.  Dieu  sauve  le  malheureux,  en  l'in- 
struisant par  la  souffrance,  8-15.  Que  Job  craigne  que 
Dieu,  irrité  contre  lui,  ne  lui  inllige  un  châtiment  ir- 


rémédiable. 18.  Dieu  est  sublime  dans  sa  puissance;  il 
est  le  maître;  personne  ne  peut  lui  tracer  sa  voie  et 
lui  reprocher  d'avoir  mal  fait.  Ses  ouvres  sont  admi- 
rables; il  est  souverainement  grand  et  éternel;  il  est 
tout-puissant  sur  la  nature  et  sur  les  peuples,  22-33.  Il 
commande  à  la  foudre,  il  fait  tomber  la  neige  et  la 
pluie,  il  commande  à  la  nature  pour  que  les  hommes 
reconnaissent  leur  créateur,  xxxvn,  2-13.  Il  produit 
des  merveilles  dans  la  nature;  sa  majesté  est  redou- 
table, sa  toule-puissance  sans  bornes.  Il  est  grand  par 
la  force,  par  le  droit  et  par  la  justice;  il  n'a  pas  égard 
aux  sages  qui  veulent  lui  en  remontrer,  14-24. 

Dieu,  du  sein  des  nuées,  répond  à  Job  qui  a  obscurci 
sa  providence,  xxxvui,  1-3.  Il  l'interroge,  et  il 
trace  un  magnifique  tableau  de  son  œuvre  créatrice, 
XXXVIII,  4-xxxix,  30.  Que  peut  répondre  le  censeur  du 
tout-puissant?  XL,  2.  Job  est  réduit  au  silence,  3-5.  Dieu 
n'est  pas  seulement  tout-puissant,  il  est  juste  encore, 
8,  9,  lui,  le  créateur  de  l'hippopotame  et  du  crocodile, 
15-33.  Si  personne  n'ose  provoquer  le  crocodile,  qui 
oserait  résister  à  Dieu  en  face?  Dieu  ne  doit  rien  à 
personne,  et  tout  ce  qui  est  sous  le  ciel  lui  appartient. 
xli,  I,  2.  Job  confesse  la  toute-puissance  de  Dieu;  per- 
sonne ne  peut  obscurcir  sa  providence,  et  Job  recon- 
naît qu'il  a  eu  tort  de  se  plaindre  de  la  providence 
divine,  xi.ii,  1-6.  Dieu  blâme  ensuite  les  trois  amis  du 
patriarche,  parce  qu'ils  n'ont  pas  parlé  de  lui  selon  la 
vérité,  7.  Il  rétablit  Job  dans  son  premier  état  et  lui 
rendit  le  double  de  ses  biens,  10. 

Y.  DANS  LA  PBÉDICATIOK  DES  PnOPBÊTES  DP  VJIP  M 
vi"  siècle.  —  D'après  les  critiques  rationalistes,  c'est 
au  vme  siècle  seulement  que  le  monothéisme  remplaça 
en  Israël  la  monolâtrie  nationale.  Les  prophètes  de 
cette  époque  conçurent  de  Jahvé  une  idée  bien  supé- 
rieure à  celle  qu'on  en  avait  eue  auparavant.  Il  fut, 
pour  eux,  non  plus  seulement  le  Dieu  unique  de  leur 
nation,  mais  l'unique  vrai  Dieu,  et  un  Dieu  nettement 
spirituel  et  moral.  Jahvé  tout-puissant  et  saint  punis- 
sait Israël  de  ses  nombreuses  infidélités,  en  faisant 
marcher  les  nations  contre  lui,  et  ne  voulait  plus  d'un 
culte  purement  extérieur,  mais  désirait  d'être  aimé  et 
obéi  par  des  adorateurs,  amis  de  la  justice  et  fidèles 
observateurs  de  la  loi  morale.  Les  dieux  des  autres 
peuples  n'existaient  pas  et  étaient  des  non-dieux.  Les 
prophètes  seraient  donc  les  créateurs  du  monothéisme, 
du  monothéisme  pur  et  absolu.  Voir  Kuenen.  cité  par 
l'abbé  de  Broglie,  Questions  bibliques,  2e  édit.,  Paris. 
1904,  p.  248. 

Personne  ne  nie  que  les  prophètes  de  cette  période 
n'aient  été  les  ardents  prédicateurs  du  monothéisme 
et  les  adversaires  résolus  de  l'idolâtrie.  Mais  de  l'exposé 
précédent,  il  résulte  qu'ils  n'ont  pas  été  les  créateurs 
de  l'idée  du  Dieu  unique  et  universel.  Les  Israélites. 
avant  eux,  avaient  cette  idée,  bien  que  leur  conduite 
pratique  ait  été  souvent  polythéiste.  Si  on  veut  que 
les  prophètes  aient  été  les  créateurs  du  monothéisme, 
il  faut  considérer  Moïse  comme  le  premier  d'entre  eux. 
Les  prophètes,  d'ailleurs,  ne  donnent  pas  leur  théologie 
comme  une  doctrine  nouvelle  :  ils  prêchent  l'adoration 
du  Dieu  de  leurs  pères;  loin  de  prétendre  innover,  ils 
ne  veulent  que  conserver  la  religion  antique.  ■•  Ils  ne 
supposent  jamais  contestable  pour  un  enfant  d'Israël 
le  principe  qui  réserve  au  seul  Jahvé  l'hommage  de 
son  peuple;  ils  parlent  comme  avant  pour  eux,  non 
l'évidence  de  la  raison,  dont  il  n'est  pas  question,  mais 
le  droit  traditionnel;  ils  ne  croient  pas  avoir  à  plaider 
leur  propre  cause,  à  défendre  des  opinions  particu- 
lières, ils  admettent  implicitement,  et  sans  chercher 
de  preuves,  comme  si  le  fait  ne  prêtait  pas  à  discus- 
sion, que  toute  pratique  polythéiste  vient  d'une  in- 
fluence étrangère.  De  quel  droit  nous  inscririons-nous 
en  faux  contre  ce  jugement,  qui.  pour  n'être  pas  le 
résultat  d'une  étude  archéologique,  n'est  pas  davantage 


085 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    RIRLE; 


986 


une  conjecture  de  théologien  et  un  subterfuge  d'apolo- 
giste, mais  se  fonde  sur  une  situation  historique  et 
un  fait  traditionnel?  Les  prophètes  n'ont  pas  la  pré- 
tention d'instituer  une  nouvelle  religion.  Leur  exis- 
tence, le  succès  relatif  de  leur  prédication,  l'attitude 
même  de  ceux  dont  ils  condamnent  les  errements  sont 
de  pures  énigmes,  si  on  ne  doit  pas  les  considérer  comme 
les  représentants  de  la  plus  ancienne  et  de  la  meilleure 
tradition  Israélite,  et  si  les  coutumes  qu'ils  combattent 
avaient  été  réellement  sanctionnées  parla  pratique  du 
jahvéisme  primitif.  Il  fait  beau  parler  de  création  pu- 
rement morale  et  de  Jahvé  s'idenlifiant  à  la  conscience 
des  prophètes  ;  la  création  morale  dont  il  s'agit  et  la  con- 
science des  prophètes  n'ont  pu  s'appuyer  sur  le  vide. 
Le  passé  les  soutient,  et  la  tradition  les  couvre  de  son 
prestige,  o  A.  Loisy.  La  religion  d'Israël,  Paris,  1901, 
p.  50.  Cf.  P.  de  Broglie,  Questions  bibliques,  p.  70-71, 
277-282,  310-315,  317.  «  Il  existe  en  Israël  de  faux  pro- 
phètes comme  il  y  en  a  de  véritables;  les  uns  et  les 
autres  sont  constamment  en  lutte,  mais  leurs  discus- 
sions portent  toujours  sur  les  événements  qu'ils  an- 
noncent, ou  sur  les  fausses  divinités  dont  quelques-uns 
prétendent  s'inspirer,  jamais  sur  la  nature  du  vrai 
Dieu  ni  sur  la  manière  de  le  concevoir.  »  F.  Vigouroux, 
La  Bible  et  1rs  découvertes  modernes,  G"  édit.,  Paris, 
1896,  t.  IV,  p.  492.  Enfin,  «  si  les  prophètes  n'avaient 
jamais  fait  appel  qu'à  leur  inspiration  personnelle,  s'ils 
ne  s'étaient  rattachés  à  aucun  principe  reconnu  autour 
d'eux,  à  aucune  tradition  autorisée  par  un  long  passé, 
leur  rôle  serait  inconcevable  et  leur  action  impossible 
h  expliquer.  »  A.  Loisy,  op.  cit.,  p.  i9-50.  «  Kn  l'absence 
de  toute  loi  religieuse  monothéiste  antérieure,  com- 
ment s'expliquer  la  doctrine  des  prophètes?  Où  l'ont- 
ils  puisée?  Étaient-ce  donc  des  philosophes  à  la  manière 
de  Socrate  et  de  Platon?  Comment  se  sont-ils  trouvés 
d'accord  sur  une  même  doctrine?  Comment  se  fait-il 
que  le  berger  Amos  et  le  prince  de  sang  royal,  Isaïe, 
professent  le  culte  du  même  Dieu?  Se  sont-ils  trouvés 
d'accord  par  hasard  sur  la  définition  de  l'Être  suprême, 
ou  l'un  d'entre  eux  lavant  découverte,  les  autres  mil- 
Us  eu  la  rare  docilité  de  le  prendre  pour  maître,  et 
il  accepter  sa  doctrine  sans  la  modifier?  Comment  ce 
maître  serait-il  demeuré  inconnu'.'  »  P.  de  liroglie,  op. 
cit.,  p.  71.  cf.  p.  310-311,  Voir  Kônig,  Die  Hauptpro- 
blemc  der  allisraelilischen  Ueligionsgeschichte,  Leip- 

1884,  p.   15-22;   -I.   Robertson,  Early  religion   of 

!  :>  .dit..    1896,  p.  r» i  t:î. 

Toutefois  m  |r-  prophètes  du  VIIIe  siècle  ne  sont  pas 
les  créateurs  du  monothéisme  absolu,  il  faut  recon- 
naître que,  sous  linspiralion  divine,  ils  ont  développé 
li  uolion  du  Dieu  unique  et  universel,  créateur  de 
toutes  choses  el  maitre  du  monde,  qu'ils  ont  mis  en  lu- 
mière l'universalité  de  sa  miséricorde  et  de  son  amour, 
qu'ils  oui  montré  avec  plu-  de  clarté  dans  b>  Dieu 
'l  Israël  le  Dieu  de  tous  les  peuples,  et  qu'ils  ont  insisté 
plus  fort  que  jamais  sur  l'inutilité  des  sacrifices  el  du 
culte  extérieur  lorsqu'on  m-  pratique  pas  la  justice.  Ils 
ont  donc  prêché  le  monothéisme  transcendant  et  moral, 
encore  une  i"i-  ils  ne  l'ont  pas  créé  de  toutes 
condamnent   dis   praliqu  uses, 

plus  <iii    moins    tolérées  avanl  eux,  il  n'en  résulti 
davantage  qu  M    aii  ni  inventé  le  principe  qui  leur  a  l'ait 
II-  oui   seulement  fait  progre    ei 

raël   l'esprit   monothéiste,  qui  \    régnait  aupara- 
vant. Il  nous  i  onstater,  dans  l'œm  ri    de 
chaque   prophète,  le   progrés   qu'il  a    apporte,   poui   sa 
pu  '    ■>  l'idée  du  vrai  Dieu, 
'■     livre  d'A -.  qui  i  -i  reconnu   par  les  critiques 

lus  avancés  coi authentique  dans  ia  majeure 

partie,   est  un  document  de  tout  pie i  ordn    sur  la 

doctrine  Idéologique  de-  prophètes  dans  li  première 
moitié  du    m  i| .  je  monothéisme  le  plu-  pui 

plus  il  olu  -  -.  m  .mi'  ste  avec  fon  e  et  clarl  ,el  le 


prophète  ne  le  propose  pas  comme  une  doctrine  nou- 
velle, inconnue  du  passé  et  qu'il  prêcherait  le  premier, 
pas  plus  qu'il  ne  le  formule  en  termes  exprès,  tant  il  le 
suppose  connu  théoriquement,  sinon  toujours  dans  la 
pratique.  Une  fois  seulement,  v,  26,  il  parle  du  culte 
des  dieux  étrangers,  d'origine  assyrienne,  introduit 
déjà  dans  le  royaume  d'Israël,  au  moins  chez  quel- 
ques particuliers.  Cf.  A.  Van  Hoonacker,  Les  douze 
petits  prophètes,  Paris,  1908,  p.  252-254;  ,1.  Touzard, 
Le  livre  d'Amos,  Paris,  1909,  p.  55-58.  Il  avait  fait  aussi 
allusion  aux  pratiques  idolâtriques,  usitées  dans  le 
royaume  de  Juda,  il,  4.  Pour  désigner  Jahvé,  il  em- 
ploie des  appellations  anciennes,  celles  d'Adonaï  et  de 
Seigneur  des  armées;  mais  il  parait  bien  donner  à 
celte  dernière  une  signification  nouvelle.  Adonaï  seul, 
vu,  7,  8;  IX,  1,  8,  plus  souvent  avec  Jahvé,  désigne,  sous 
sa  forme  plurielle  qui  fait  de  ce  nom,  ainsi  que 
d'Elohim,  un  pluriel  de  majesté,  Jahvé  comme  maître 
suprême  et  exprime  avec  force  la  toute-puissance  divine. 
Quant  au  nom  de  Dieu  des  armées,  dont  AYellhausen, 
Smend  et  Cornill  ont  attribué  l'origine  à  Amos  lui- 
même,  il  ne  désigne  plus  Jahvé  comme  le  chef  et  le 
guide  des  armées  d'Israël  au  combat.  Dans  le  livre 
d'Amos  comme  dans  ceux  des  prophètes,  ses  succes- 
seurs, il  «  évoque  surtout  l'idée  des  armées  célestes, 
celle  des  astres  dont  les  mouvements  si  régulièrement 
ordonnés  suggéraient  l'idée  de  troupes  conduites  par 
un  chef  habile  et  puissant,  celles  des  esprits  dont  le 
séjour  était  placé  dans  les  régions  supérieures.  Ainsi 
ce  titre  est-il  une  nouvelle  expression  de  la  majesté  de 
Dieu,  de  cette  autorité  qui  s'exerce  dans  les  cieux  aussi 
bien  que  sur  la  terre  et  les  phénomènes  qui  s'y  suc- 
cèdent; c'est  une  nouvelle  affirmation  de  la  toute- 
puissance  divine.  »  ,1.  Touzard,  op.  cit.,  p.  i,x.  Cf.  Lôhr, 
op.  cit.,  p.  66.  Du  reste,  Jahvé  est,  aux  yeux  d'Amos,  le 
maître  tout-puissant  de  la  nature  et  l'auteur  des  phé- 
nomènes cosmiques.  Sans  parler  des  doxologies,  îv,  13  ■ 
v,  8;  ix,  5,  6,  que  certains  critiques  déclarent  inter- 
polées, il  reste  encore  dans  l'œuvre,  reconnue  par  tous 
pour  authentique,  du  prophète,  des  affirmations  de  la 
souveraineté  de  Jahvé  sur  la  nature.  En  effet,  Jahvé  es{ 
l'auteur  des  astres,  v,  8,  des  vents  et  des  montagnes,  IV 
13.  Il  est  le  maitre  des  éléments,  et  tous  les  fléaux  de 
la  nature  sont  des  actes  de  sa  volonté,  iv.  7-11.  Cf.  vin, 
8,  9;  ix,  5,  6.  Tandis  que  les  polythéistes  distinguenl 
autant  de  dieux  qu'il  y  a  d'éléments  a  diriger,  Amos 
attribue  à  Jahvé  le  gouvernement  de  tous.  Ce  maitre 
des  cieux,  de  la  terre,  de  la  mer,  poursuit  en  tous 
lieux  ceux  que  sa  vengeance  \eiil  atteindre,  ix.  2-4. 
Dieu  de  la  nature  entière,  il  est  aussi  le  Dieu  de  tous 
les  peuple-  et  le  Dieu  de  l'histoire.  Il  a  fait  venir  les 
Philistins  de  Caphtor  et  les  Syriens  de  Qir  foinn 
Israélites  de  l'Egypte,  el  le-  Éthiopiens  sont  pour  lui 
autant  que  les  Israélites  coupables,  i\.  7.  De  Sion,  on 
il  habite,  i.  2,  il  demande  compte  de  leurs  crimes  aux 
Syriens  de  Damas,  3-5,  .iu\  Philistins  de  Gaza,  6-8,  aux 
Tyriens,  9,  lo.  aux  Iduméens,  11,  12.  aux  ammonites, 
13-15,  aux  Moabites,  n,  1-3.  aussi  bien  qu'aux  Jud 
i.  .").  et  aux   Israélites,  6-16.   Il   reproche  aux  peuples 

qs  d'Israël  d'avoir  violé,  surtout  à   la  guerre,  les 

lois  d'humanité, communes  à  tons,  el  il  lestientcomp- 

tables  de  ion  jugement.  Il   s  détruit  les  Amorrhéens, 

ir,  9,  Il  convoque  les  Philistins  d'Asdod  el  les  Egyptiens 

au   jugement   d'Israël,  m,    9,    Il    susciti  i  b 

i.      i  i-aélite*  un    peupi.     |{  g   Vssyi  lens    pour 

pi si .  n.  13-16;  VT,  14,  el  les  emmener  captifs 

.m  delà  de  Damas,  \.    17.  Jahvé  esl  donc  le  Dieu  de 
',,,,-  i.  i  pi  aples,  ci  il  l'esl  précisément  par  son  i 
tèi  e  moral,  puisqu'i  I  ur  les  Dations 

qui   onl  violé   le     loi     fondamentales  de  la 
i  violation  de  i  ■  lois 

qu'il  reproche  ■<   ion   peuple  de  choix    el  qu'il  punil 

■  mi  ni     Bii  n    qu  il    ail    librement    choisi    I 


<>87 


DIEU 


NATURE    D'APRÈS   LA   BIBLE; 


1188 


pour  son  peuple  parmi  toutes  les  tribus  de  la  terre  lors 
de  la  sortie  d'Egypte,  m,  1,  2,  il  ne  favorise  pas  ses 
crimes;  il  en  tirera  plutôt  une  vengeance  plus  écla- 
tante. Malgré  ses  privilèges  et  à  cause  d'eux  Israël  sera 
puni  et  considéré  par  Dieu  comme  tout  autre  peuple 
coupable,  ix,  7.  S'il  condamne  Juda  parce  qu'il  a  rejeté 
sa  loi  et  n'a  pas  observé  ses  décrets,  n,  4,  il  reprocbe 
surtout  à  Israël  ses  injustices  et  ses  mauvais  procédés 
à  l'égard  des  pauvres,  6-8,  reprocbe  d'autant  plus  mé- 
rité qu'Israël  avait  été,  de  sa  part,  l'objet  de  marques 
de  prédilection,  9-12.  A  différentes  reprises,  Jabvé 
condamne  les  violences  des  siens  contre  les  faibles  et  les 
petits,  m,  9,  10;  iv,  1  ;  v,7,  10-12;  vi,  12;  vin,  4-7.  Pour 
écarter  le  châtiment  divin,  il  faudrait  haïr  le  mal  et 
faire  le  bien,  et  en  particulier  restaurer  le  droit  à  la 
Porte  dans  les  jugements,  iv,  15.  Au  lieu  de  multiplier 
les  fêtes  et  les  sacrifices,  il  vaudrait  mieux  que  le  droit 
coule  comme  l'eau  et  la  justice  comme  un  torrent  in- 
tarissable, 21-24,  Ce  n'est  pas  toutefois  que  Dieu  blâme 
les  nombreuses  pratiques  religieuses  d'Israël,  qui  sont 
toutes  accomplies  en  son  honneur,  il  condamne  seule- 
ment qu'on  les  associe  à  l'injustice.  Le  culte  qu'il  aime 
est  un  culte  moral;  il  censure  le  caractère  purement 
formaliste  et  extérieur,  qu'on  lui  donne  en  Israël,  iv,  4, 
3;  v,  4-7,21-24.  Il  proteste  contre  les  abus  et  contre  les 
pratiques  immorales  du  culte,  n,  7,  8.  Il  détruira  les 
hauts-lieux  d'Israël,  vu,  9.  11  n'attaque  pas  directement 
les  veaux  d'or,  emblèmes  de  Jahvé,  à  moins  qu'on  n'y 
voie  une  allusion  dans  le  «  péché  de  Samarie  »,  et  le 
Dieu  de  Dan,  vm,  14.  Cf.  Touzard,  op.  cit.,  p.  lxix-lxxii. 
Israël  n'a  pas  compris  les  châtiments  que  son  Dieu  lui 
avait  iniligés  au  cours  de  son  histoire  pour  le  retirer 
du  mal,  iv,  6-11;  vu,  1-6.  S'il  veut  échapper  à  une  pu- 
nition plus  grave,  Israël  doit  chercher  Jahvé,  c'est-à- 
dire  le  bien  connaître,  l'écouter  et  lui  obéir,  v,  4  ;  pra- 
tiquer le  bien  et  fuir  le  mal,  14,  15;  écouter  les  pro- 
phètes et  imiter  les  Naziréens,  n,  11,  12.  A  un  peuple 
enrichi,  aux  gens  satisfaits,  VI,  1,  aux  dames  de  Sa- 
marie, iv,  1,  Amos  prêche,  au  nom  de  Jahvé,  un  idéal 
de  justice,  et  il  les  menace  du  jour  de  Jahvé,  du  Dieu 
juste  et  justicier,  grand  redresseur  des  torts  de  tous  les 
peuples,  iv,  2;  vi,  8;  vm,  7.  Les  versets  5  et  6  du  c.  ix 
sont  une  élévation  sur  la  grandeur  et  la  puissance  de 
Dieu,  destinée  à  mettre  en  relief  la  force  avec  laquelle 
il  poursuivra  l'œuvre  du  châtiment.  Cf.  C.  Duhm,  Die 
Théologie  der  Prophelen,  Bonn,  1875,  p.  118-126;  J.-J. 
P.  Valeton,  Amos  und  Hosea,  trad.  allemande,  Giessen, 
1898,  p.  101-115;  J.  Touzard,  op.  cil.,  p.  lvi-lxxxi; 
A.  Van  Hoonacker,  op.  cit.,  p.  193-195. 

Osée  ne  considère  guère  Jahvé  que  dans  ses  rapports 
avec  Israël.  Ces  rapports  se  ramènent  à  ceux-ci  :  Jahvé 
est  le  Dieu  d'Israël,  et  Israël  est  le  peuple  de  Jahvé.  Ils 
datent  de  la  sortie  d'Egypte,  il,  17;  xn,  10;  xm,  4,  Israël 
ne  doit  pas  connaître  d'autre  dieu  que  celui  qui  a  été 
son  sauveur  et  son  pasteur  dans  le  désert,  xm,  4,  5, 
par  le  ministère  d'un  prophète  (Moïse),  XII,  14.  Depuis 
l'jigypte,  Jahvé  a  appelé  Israël  son  fils,  et  il  l'a  aimé, 
quand  il  était  enfant,  XI,  1.  Il  trouva  les  Israélites 
comme  des  raisins  dans  le  désert,  comme  des  primeurs 
sur  un  figuier,  ix,  10.  C'est  Osée  qui,  le  premier  des 
prophètes,  parle  ainsi  de  la  paternité  de  Dieu  à  l'égard 
d'Israël.  Israël  encore  enfant,  au  lieu  de  répondre  aux 
appels  réitérés  de  Jahvé,  se  détourna  de  lui  et  offrit 
des  sacrifices  aux  Baals,  â  Caal-Peor,  ix,  10.  A  ces 
ingratitudes  Dieu  répondit  par  les  soins  d'un  amour 
persévérant;  il  apprit  à  Kphraïm  à  marcher;  il  le  prit 
sur  ses  bras,  voulant  le  guérir;  il  cherchait  à  s'atta- 
cher les  Israélites  par  des  liens  d'amour;  il  fut  pour 
eux  comme  une  nourrice  qui  embrasse  un  enfant,  se 
penche  vers  lui  et  lui  donne  à  manger,  xi,  1-4.  Ils 
ne  reconnurent  pas  ces  marques  d'amour.  Il  avait 
conclu  avec  eux  une  alliance  qu'ils  ont  violée,  en 
péchant  contre  sa  loi,  VIII,  1;   cf.  VI,  7.  Cette  alliance 


était  si  étroite  qu'elle  est  représentée  comme  un  ma- 
riage entre  Jahvé  et  Israël,  considéré  comme  une  unité. 

Par  suite,  les  membres  de  la  nation,  épouse  de  Jahvé, 
sont  les  enfants  de  Dieu.  Si    la   nation  se   livre  à  l'ido- 
lâtrie, elle   tombe  dans  la  fornication  et   l'adultère,  il, 
î-9;  iv,  10,  12-15;  V,  .'3,  4,  7;  vi.  10;  ix,  1,  etc.  Il  en  est 
ainsi  à  l'époque  d'Osée,  qui  insiste  fortement  sur  l'ido- 
lâtrie de  ses  contemporains,  I.   2,  représentés  par  les 
enfants  de  fornication,  nés  â  Osée,   I,  2-9.  Voir  aussi 
IV,  12-14;  v,  .'i-7;  vi,  7, 10;  vm,  1,  i;  ix,  1.  Les  Israélites 
ne  sont  plus  le  peuple  de  Jahvé,  de  celui  qui  est  l'Être  par 
excellence,  i,  9,  et  Israël  n'est  plus  son  époux,  il,  i. 
Jahvé  le  punira  en  barrant  son  chemin,  pour  lui  faire 
regretter  son  premier  état  et  le   ramener  à  son  époux. 
n,8,  9;  ce  peuple  avait  employé  les  biens  reçus  de  Jahvé 
à  honorer  les  Baals;  Jahvé  lui  enlèvera  ses  biens.  10-15: 
puis  parlera  à  son  cœur  et  lui  rendra  les  biens  enb 
16, 17.  Comme  ce  sont  les  Baals  qui  l'ont  fait  prévariquer, 
il  supprimera  de  sa  bouche  le  nom  même  des  Baals.  et 
ne  voudra  plus  que  son  épouse,  revenue  à  lui,  l'appelle, 
comme  par  le  passé,   son   baal  ou   son    maître,   mais 
qu'elle  lui  donne  le  nom  plus  tendre  de  son  homme, 
18,   19.     Une    alliance    sera    contractée    par  lui    avec 
Israël,   de   nouvelles  fiançailles,   qui  seront  éternelles, 
mais  des  fiançailles  dans  la  justice  et  le  droit,  dans  la 
bienveillance  et  l'amour.  La  fidélité  d'Israël  ainsi  assu- 
rée, Israël  connaîtra  Jahvé,  qui  lui  sera  propice  et   lui 
rendra    la    prospérité   temporelle.   A    Pas-mon-Peuple 
Jahvé  dira  :  «  Tu  es  mon  peuple,  »  et  lui,  dira  â  Jahvé: 
«  Mon  Dieu!  »  20-25.  Les  Israélites  seront  alors  appelés 
«  les  enfants  du  Dieu  vivant,  »  n,   1.  Jahvé  avait  conti- 
nué à   aimer  les  Israélites,  lors   même   qu'ils  se    tour- 
naient vers  d'autres  dieux,  m,  1.  S'ils  cessent  de  for- 
niquer, ils  se  convertiront  et  rechercheront  Jahvé,  leur 
Dieu,  et  tremblants  de  joie,  ils   s'empresseront    vers 
Jahvé,    dont   ils    recevront  les    bienfaits,   3-5.    Jahvé. 
l'époux  d'Israël,  avait  donc  pour  les  enfants  d'Israël  les 
sentiments  d'un  père.  Il  veut  que  ses  enfants  coupables 
le  recherchent,  se  mettent  en  quête  de  lui  et  reviennent 
à  lui,  v,  15-vi,  3.  Cette  recherche  consiste  à  le  connaître 
tel  qu'il  est  et  à  l'honorer  comme  il  veut  être  honoré. 
C'est  pourquoi  il  réprouve  le  culte  idolâtrique  et  pu- 
rement extérieur  qu'on  lui  rend  à  Samarie  aussi  éner- 
giquement  que  les  cultes  chananéens  infiltrés  en  Israël. 
Il  préfère  la  piété,  le  culte  intérieur,  aux   holocaustes 
et  aux  sacrifices,  vi,  6.  Il  répudie  le  veau  de  Samarie, 
vin,  5,  qui  a  été  fabriqué  par  un  artisan  et  qui  n'est 
point   Dieu,  6.   Il    sera    emporté   en    Assyrie,   x,  5,  6. 
Éphraïm  a  multiplié  les  autels  pour  pêcher,  vm.  Cf.  x, 
1.  A  cause  de  la  malice  de  leurs  œuvres.  Jahvé  chassera 
les  Israélites  de  sa  maison  et  ne  continuera  pas  à  les 
aimer;  il  les  a  pris  en  haine,  vm,  15;  il  les  a  répudiés, 
parce  qu'ils  ne  l'ont  pas  écouté,   17.  Leurs  hauts-lieux 
seront  détruits,  xi,  8.  Jahvé  punit  pour  convertir  et  ra- 
mener   les    coupables    à    lui.    Il    ne   veut   pas  perdre 
Ephraïm,  il  l'éprouve  seulement,  parce  qu'il  est  Dieu 
et  non  pas  homme,  parce  qu'il  est  saint  et  n'agit  pas 
par  un  mouvement  de  vengeance  impitoyable  ;  il  ne  te 
plaît   pas  â   détruire,   x,  9.  Il  fera  périr  seulement  les 
Israélites  impies  avec  leurs  idoles  de  néant.  A  Gilgal, 
ces  rebelles  avaient  offert  des  sacrifices,  mais  leurs  au- 
tels seront  comme  des  tas  de  pierre  sur  les  sillons  des 
champs, xn,  11,  12.  Ils  s'étaient  l'ait  un  ouvrage  en  fonte 
de  leur  argent  et  des  statues,  simple  travail  d'artisans, 
qu'ils  appelaient  des  dieux  et  à  qui  ils  offraient  des  sa- 
crifices.   Des    hommes   adressaient   des  baisers  à    des 
veaux!    xm,    1,  2.  L'expiation   arrive  à  Samarie.  parce 
qu'elle  s'est  révoltée  contre  son  Dieu.  Qu'Israël,  qui  a 
trébuché  dans  son    iniquité,    retourne   donc  a  Jahvé! 
XIV,    1,  2.  Que    les   Israélites  ne  disent  plus  :  •■  Noire 
Dieu,  »  à  l'œuvre  de  leurs  mains,  t.  Qu'Éphraïm  res- 
tauré n'ait  plus  rien  de  commun  avec  les  idoles!  9.  Que 
celui  qui  est  sage  comprenne  ces  choses,  que  celui  qui 


989 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    RIRLE' 


990 


est  prudent  les  connaisse!  Car  elles  sont  droites  les 
voies  de  Jahvé;  les  justes  marcheront  en  elles,  tandis 
que  les  méchants  y  trébucheront,  10. 

Osée  fait  enfin  ressortir  le  caractère  moral  de  Jahvé. 
Il  reproche  à  ses  contemporains  leurs  injustices  autant 
que  leurs  infidélités.  Les  princes  de  Juda  sont  devenus 
pareils  à  des  déplaceurs  de  bornes;  Éphraïm  opprime 
le  droit,  v,  10.  11,  et  Jahvé  l'en  punira,  12-14.  Il  se 
retirera  même  de  lui  et  retournera  en  son  lieu,  jus- 
qu'à ce  que  les  Israéliles  aient  expié  leur  faule  et  qu'ils 
cherchent  sa  face.  Quand  ils  auront  été  dans  l'angoisse, 
ils  se  mettront  en  quête  de  Jahvé,  ils  retourneront 
à  lui,  et  ils  s'efforceront  de  le  mieux  connaître,  de  le 
connaître  tel  qu'il  est  réellement,  v,  15;  vi,  3,  juste  et 
aimant  le  droit.  Jahvé  désire  la  piété,  et  non  le  sacri- 
fice, la  connaissance  de  Dieu  chez  ses  adorateurs  plus 
que  les  holocaustes,  vi,  6.  Les  Israélites  avaient  violé 
l'alliance,  qui  exigeait  la  pratique  de  la  justice  et  de 
la  piété.  Galaad  était  devenue  une  ville  de  malfaiteurs, 
une  ville  dont  les  brigands  faisaient  la  force,  7,  8. 
Les  vices  de  Samarie  sont  la  fausseté,  le  vol  et  le  bri- 
gandage; ils  sont  patents  aux  yeux  de  Jahvé,  vu,  1,  2. 
Israël  a  répudié  le  bien;  l'ennemi  le  poursuivra,  vin,  3. 
A  cause  de  la  malice  de  leurs  œuvres,  Jahvé  chassera  les 
Israélites  de  sa  maison  et  ne  continuera  pas  à  les  aimer, 
ix.  15.  Que  le  châtiment  leur  serve  à  faire  des  semailles 
de  justice  et  à  se  préparer  des  récoltes  de  piété  ;  qu'ils 
cherchent  Jahvé,  qui  viendra  leur  enseigner  la  justice, 
x.  12.  Jahvé,  qui  habite  Israël,  y  est  entouré  de  men- 
songe et  de  fraude.  Juda  est  traître  envers  Dieu.  Éphraïm 
fait  le  vent  et  poursuit  l'ouragan;  il  multiplie  la 
fausseté  et  la  frivolité  par  ses  alliances  avec  les  peuples 
étrangers,  xu,  1,  2.  S'il  veut  revenir  à  son  Dieu,  qu'il 
observe  la  piété  et  le  droit,  qu'il  mette  toujours  en 
Dieu  son  espérance,  7.  Ephraïm  est  un  marchand, 
dont  la  main  tient  une  balance  trompeuse  et  qui 
aime  la  fraude,  8  Que  les  Israélites  convertis  disent  à 
Jahvé  «  Pardonne  toute  iniquité  et  accueille  ce 
qui  est  bon,  ■  xiv,  3.  Cf.  B.  Duhm,  op.  cit.,  p.  137- 
141;  J.  P.  P.  Valeton,  Anws  und  Hosca.  p.  141-155; 
A.  Van  Hoonacker.  Les  douze  petits  prophètes,  p.  4-6, 
et  passim. 

Un  psalmiste  do  l'école  d'Asaph  invile  les  Israélites 
à  célébrer  une  fête,  prescrite  par  Jahvé,  après  la  sortie 
d'Egypte,  el  les  exhorte  à  rejeter  du  milieu  d'eux  tout 
dieu  étranger,  puisque  Jahvé  est  le  Dieu  qui  les  a  fait 
monter  d'Egypte.  Ils  ont  été  infidèles  et  Jahvé  les  a 
laissés  à  l'endurcissement  de  leur  cœur.  Si  Israël 
l'écoutait  et  marchaildans  ses  voies,  Jahvé  le  protégerait 
contre  ses  oppresseurs  el  assurerait  sa  durée  pour 
toujours.  Ps.  i  xxx  (lxxxi  , 

[raie,  pour  sa  doctrine  sur  Dieu,  se  rapproche  plus 
d'Amos  que  d'Osée.  Il  donne  au  Seigneur  deux  noms 
principaux  :  le  Saint  d'Israël  el  Jahvé  des  armées.  Par 
les  armées  dont  j|  est  le  Dieu,  il  faut  entendre  les 
armées  célestes,  wiv,  21.  23;  xxxiv,  i.  aussi  bien  que 
relies  de  la  terre,  xm,  i.  xxxi,  'i.  Les  étoiles  sont  de 
lui,  xiv,  13;  les  cieux  el  la  lerre  doivent  ('coûter  sa 
roix, quand  il  parle,  i.  I  :  xxxiv,  I.  Il  est  le  créateur 
de  l'homme,  xvn,  7.  Dans  sa  colère,  il  exerce  sa  puis- 
sur  les  éléments  de  la  nature,  dont  il  est  le 
maître,  xm,  10,  13.  Il  demeure  au  ciel,  xxvi,  21  ;  xxxiv, 
5.  H  ur  un  troue,  entouré  des  séraphins,  qui 

forment   sa  cour  el   célèbrent   sa  sainteté,   vi,  I  i    Sa 
royauté  est  encore  affirmée,  \.\i\.  23.  Dieu  de  toute  la 
nature,   il    esl  aussi  le  Dieu    de   tous  les    peuples.    Il 
nations,   n.    1     Sa    main    es|    étendue  sur 
-,  \\i\.  26.   Il  règle  le  «ni  du  nu  de  Syrie  aussi 
que   celui    du    roi    d  Israël,   vu,    1-9.   Il    appi  Ile 
pie  et   l'Ass\ri«',    v,    26-29;   vil,    18,  et   il  s'en   serl 
comme  d  instrument  [jour  châtier  Juda,  vu,  20,  Quand 
I  Instrument  de  sa  colère  a  outrepassé  sa  mission,  il  le 
v   5  II,  ou   le  trappe.    |',-|i;.   xxx,  27-33.    Il 


suscite  et  fortifie  les  ennemis  d'Israël,  vm,  7,  8;  IX, 
10,  11.  Il  excite  les  Mèdes,  xm,  17;  xxi,2.  Il  commande 
aux  Éthiopiens,  XVIII,  1-3.  Mais  il  punit  tous  les  peuples 
coupables  :  Babylone,  xm,  19;  xiv,  5,  22,  et  tous  ses 
dieux,  xxi,  9;  les  Philistins,  xiv,  28-32;  Moab,  xv, 
xvi;  Damas,  xvn,  1-3;  l'Egypte,  xix,  xx;  Tyr,  xxm,  1- 

15.  Au  bruit  de  son  tonnerre,  il  met  en  fuite  les 
peuples  et  disperse  les  nations,  XXXIII,  3;  il  partage  la 
terre  au  cordeau,  xxxiv,  17.  Tous  ses  desseins  s'accom- 
plissent, XIV,  2i;  xxv,  1;  xxxvn,  26.  Il  est  le  Dieu 
d'Israël,  xxv,  9,  et  de  David,  XXXVIII,  5,  le  puissant 
d'Israël,  i,  24;  xxxin,  5,  et  le  roi  de  Juda,  xxxm,  22. 
Il  est  sublime  et  grand  dans  ses  œuvres,  x,  4-6,  sur- 
tout dans  ses  jugements,  v,  16  ;  xxxv,  2,  qui  manifestent 
sa  majesté  et  le  font  redouter,  u,  10,  16.  Il  punil  et 
abaisse  les  orgueilleux,  et  il  sera  seul  exalté,  n,  17.  Il 
voit  et  connaît  tout,  parce  qu'il  est  le  créateur  de  l'œil 
et  de  l'oreille,  xxix,  15,  16. 

Il  a  été  un  père  pour  Israël  et  a  élevé  des  fils,  i,  2; 
il  n'a  rien  négligé  pour  sa  vigne,  v,  1-4.  Ézéchias  met 
en  lui  sa  confiance,  xxxvi,  7.  Le  général  en  chef  du 
roi  d'Assyrie  compare  Jahvé  aux  dieux  des  autres 
nations,  qui  n'ont  pas  pu  défendre  leurs  peuples  contre 
les  forces  de  son  maître,  18-20;  xxxvn,  10-13.  Celle 
comparaison  ne  diminue  pas  la  confiance  d'Ézéchias. 
parce  que  Jahvé,  lui,  est  le  Dieu  vivant,  xxxvn,  4.  Il  a 
pour  trône  les  chérubins,  il  est  le  seul  Dieu  de  tous 
les  royaumes  de  la  terre,  et  il  a  créé  le  ciel  et  la  terre, 

16.  Il  est  le  Dieu  vivant,  tandis  que  les  dieux  des 
nations,  vaincues  par  les  Assyriens,  n'étaient  pas  des 
dieux,  mais  l'œuvre  des  mains  de  l'homme,  du  bois  et 
de  la  pierre,  19.  Jahvé  délivrera  ses  serviteurs,  pour 
que  tous  les  royaumes  de  la  lerre  apprennent  qu'il  est 
le  seul  Dieu,  20.  Cependant,  beaucoup  de  Judéens 
avaient  abandonné  le  Seigneur  et  s'étaient  livrés  à 
l'idolâtrie,  i,  29;  xvn,  10,  11.  Leurs  bois  sacrés  seront 
détruits  et  leurs  autels  renversés,  xxvn,  9;  en  se  con- 
vertissant, ils  rejetteront  leurs  idoles  d'or  et  d'argent, 
il,  20;  xxx,  22,  qu'ils  avaient  fabriquées  de  leurs 
mains,  xxxi,  7.  Ézéchias  avait  enlevé  les  hauts-lieux 
et  les  autels  idolàtriques;  il  était  ainsi  plus  assuré  du 
secours  divin,  XXXVI,  7.  Cf.  II  (IV)  Beg.,  XVIII,  i-7,  22; 
II  Par.,  xxxii.  12. 

Les  habitants  de  Juda  étaient  des  enfants  rebellas-; 
ils  étaient  couverts  de  crimes,  i,  2-5,  21-23;  111,8;  9, 
12.  15;  v.  7,  S.  20-23;  IX,  1,2.  Non  seulement  Jahvé  11  B 
en  punit,  I,  5-9,  24-26;  mais  il  rejette  encore  leur 
eulle  purement  extérieur,  parce  que  leurs  mains  sont 
pleines  de  sang.  11-15.  11  demande  la  pureté  des  aeles 
et  des  pensées,  les  œuvres  de  justice  et  de  miséricorde, 
16,  17,  et  à  ce  compte  il  accordera  le  pardon  des  péchés 
et  rendra  ses  bonnes  grâces,  18-20.  Cepen dan I  il  endur- 
cira les  coupables,  vi.  !•.  lu.  et  aveuglera  son  peuple. 

VXIX.    1(1-12.    I.e     DieU    de   toute  justice,    XXX.    I8j    XXXIII, 

5,  tirera  vengeance  des  crimes.  \m,  1  ;  il  préparera  de 

loin  ses  vengeances,  XXII,  II;  XXXI,  2.  et  dévastera  la 
leur.  \xiv.  I;  XXXVIII,  21.  22.  Il  donne  l'esprit  de 
justice  a  ceux  qu'il  veut  sauver,  xxxviu,  <i.  Les  justes 
sauvés  célébreront  sa  majesté,  xxiv,  li.  Il  esl  le  n 

du    faible.    XXV.    i.  et   on   peut  inetlre  en    lui   sa   OOnfl 

a   jamais,   XXVI,    i:    cf.    Xll,    I,  2.   Il   n  esl   pas  seulement 

juste;  M  asl  saint.  Il  se  nomma  le  sainl  d'Israël,  i.  'i. 
etc.,  on  de  Jacob,  xxix.  J.l.  Il  esl  trois  toi-  saint, 
vi.   3     Lei    éraphini   proclament    sa    sainteté,    et    les 

hommes  doivent    le  tenir   pour  sainl.    le  ri.nndi I    le 

redouter,   vm.    13.   Il  esl  rainl  par  la  justice,  \.   II». 
luifi  ont  répudié  la  loi  el  méprisé  le  -ami,  \.     , 
aussi  est-il  en  colère  contre  son  peuple,  25,  U  veul 

survivant-  -ainl-,  III,  3,  un  germe   saint,  VI,    18.    Il 

Mu  .i  le  régne  de  la  justice,  xxxil,  1-6,  16,  ■  t  dans  la 

Me    Sioii.    il    prendra     le     droit     pOUI     I  ..rdeaii    et 

la  justice  pour    niveau,    xxviu.  17    aussi  Isafe  reut- 

i        pin     pour    parler    au     saint     d  Israël.     VI. 


991 


DIEU     SA   NATURE   D'APRÈS    LA    BIBLE) 


992 


Celte  sainteté  n'était  pas  une  sainteté  purement 
extérieure  et  légale,  mais   bien  une  sainteté  morale, 

imposant  des  bonnes  oeuvres.  Dulim,  op.  cit.,  p.  168- 
178.  Majesté  et  sainteté  sont  donc  les  deux  principaux 
attributs  de  Dieu  qu'Isaïe  fait  ressortir  dans  la  pre- 
mière partie  de  ses  oracles. 

Dans  la  seconde  partie  d'Isaïe,  c'est  encore  la  majesté 
de  Jahvé  qui  paraît  dans  sa  toute-puissance  créatrice 
et  dans  sa  domination  souveraine,  plutôt  que  dans  sa 
colère  vengeresse  contre  les  peuples.  Jahvé  est  le  créa- 
teur de  toutes  choses,  des  cieux  et  de  la  terre,  XL,  12, 
21,22;  xi.iv,  24;  XLV,  7, 12.  Par  sa  force  et  sa  puissance, 
il  a  créé  les  armées  des  cieux,  XL,  26.  Aussi  les  créa- 
tures sont-elles  invitées  à  chanter  sa  gloire,  xliv,  23; 
XLix,  13.  Le  ciel  est  son  trône,  lxvi,  l,et  cette  demeure 
élevée  est  sainte  et  glorieuse.  LVI,  15;  lxiii,  15.  Il  n'a 
pas  eu  besoin  de  conseiller,  XL,  13,  14.  Toutes  les 
nations  sont  néant  devant  lui,  XL,  16,  17,  ainsi  que 
leurs  princes,  23,  24.  Il  juge  les  îles,  xli,  1-3,  5;  il  a 
prédit  et  il  suscitera  Cyrus,  xu,  2,  5;  xlv,  1,  3,  9.  Il 
n'y  a  pas  d'autre  Dieu  que  lui;  il  est  le  premier  et  le 
dernier,  Dieu  dès  l'éternité;  personne  ne  peut  discuter 
avec  lui,  xlii,  5,  10,  11;  xlv,  5,  6,  9,  10;  xlviii,  12,  13; 
li,  13.  Il  n'a  pas  son  pareil  ;  lui  seul  connaît  l'avenir; 
il  est  l'unique  refuge,  xlvi,  6,  7.  Il  est  le  Dieu  du 
monde  entier,  liv,  5.  On  ne  peut  le  comparer  aux  idoles 
des  nations,  qui  sont  l'œuvre  du  fondeur,  XL,  18-20; 
xli,  6,  7.  Aussi  leur  lance-t-il  un  défi,  xu,  21-24,  à 
ces  idoles,  qui  ne  sont  rien,  que  pur  néant,  29.  Cf.  xliv, 
9-20;  xlvi,  6,  7.  Ceux  qui  se  confient  en  elles  seront 
couverts  de  honte,  xlii,  17.  On  n'a  donc  à  les  redouter 
en  aucune  manière.  Dieu  éternel  est  aussi  immuable; 
il  ne  se  fatigue  ni  ne  s'épuise,  XL,  28.  Il  est  dès  le 
commencement,  et  toujours  le  même,  xli,  4.  11  exécute 
tout  ce  qu'il  a  décrété,  xlvi,  10,  11.  Ses  pensées  et 
ses  voies  ne  sont  pas  comme  celles  des  hommes,  lv, 
8,  9;  sa  parole  s'accomplit,  11.  Gloire  donc  à  Jahvé 
seul,  xlii,  8,  et  partout,  10-13.  Jahvé  est  cependant 
tout  spécialement  le  Dieu  d'Israël,  xl,  1,  2,  8,  9;  il  a 
élu  Jacob,  il  l'a  créé,  il  l'a  formé,  il  est  son  roi,  xli, 
8-10;  xi.iii,  1,  15;  xliv,  1,  2,  21.  Il  était  le  père  des 
Juifs,  lxiii,  16;  lxiv,  7.  Mais  parce  que  Israël  a  été 
coupable,  Dieu  l'a  puni,  xlii,  21-25.  Israël  élait  sans 
vérité  ni  justice,  xlviii,  I  ;  il  avait  adoré  les  idoles,  5; 
il  était  devenu  ainsi  adultère  et  s'élait  prostitué,  lvii, 
3-13;  lxv,  2,  3,  7,  11;  lxvi,  3.  Dieu  lui  a  pardonné, 
après  l'avoir  puni,  XLIII,  25.  Il  le  ramènera  de  l'exil, 
xuii,  5-9,  16-21.  Il  se  vengera  sur  Bab\lone,  qui  l'a 
fait  captif,  xlvii,  1-15.  Sa  gloire  sera  manifestée  par  le 
retour  des  Juifs  dans  leur  pays,  XL,  5.  Il  vient  avec 
puissance;  son  bras  lui  soumet  tout,  10.  Toute  chair 
le  verra  et  saura  qu'il  est  seul  Dieu,  xxix,  26  ;  lu,  10. 
Il  anéantira  les  ennemis  d'Israël,  xli,  11,  12,  et  le  saint 
d'Israël  sera  le  sauveur  de  son  peuple,  14,  qui  devra 
mettre  en  lui  toute  sa  confiance,  13-20.  Dieu,  qui  l'a 
sauvé,  XLIII,  1-4,  le  protège  désormais  et  l'aime,  xlvi. 
3-5,  comme  une  mère  aime  ses  enfants,  lxvi,  13.  Il  l'a 
instruit  pour  le  bien,  xlviii,  17;  il  en  fera  un  peuple 
saint,  lxii,  12.  Il  lui  reproche  ses  crimes  passés,  i.ix. 
1-8,  12-15,  et  il  lui  recommande  d'observer  le  droit, 
lvi,  1,  qu'il  aime,  lxi,  8.  Il  fera  germer  en  lui  la 
justice,  11,  et  il  accepte  l'observation  du  jeûne  et  du 
sabbat,  qui  est  jointe  à  L'équité,  i.viii,  (i,  7,  9,  10.  Il 
protège  les  pauvres  et  les  malheureux,  xu,  17.  Les 
nalions  se  convertiront  à  lui  et  l'honoreront,  ni.v,  14, 
20-25,  Son  serviteur  leur  exposera  sa  loi,  LI,  i;  LU,  1. 
'■>.  15;  ix,  1-4,  Le  règne  futur  du  Dieu  unique  et  uni- 
versel  sera  universel  et  s'étendra  à  la  terre  entière. 
Cf.  Duhm,  o)>.  cit.,  p.  279-282. 

Michée,  i|iii  était  contemporain  d'Isaïe,  a  sur  Dieu 
les  mêmes  idées.  Il  convoque  tous  les  peuples,  la  terre 
entière,  les  montagnes  cl  les  collines  ;ï  servir  de  témoins 
au  jugement  que  Jahvé  \;i  porter  contre  son  peuple,  i, 


2;  vi,  1,  2.  Du  fond  de  son  palais,  qui  est  le  ciel,  Dieu 
descend  sur  les  hauteurs  de  la  terre,  qui  s'effondrent 
en  sa  présence,  I,  3.  Il  vient  juger  Sarnarie  et  la  con- 
damner à  cause  de  ses  crimes  :  sa  prostitution  aux 
idoles,  i,  7,  ses  injustices,  ses  pensées  iniques  et  la 
violation  du  droit,  il.  1,  2,  surtout  de  la  part  de  ses 
juges,  m,  1-4,  7,  9-11.  Ses  idoles  seront  supprimées 
pour  que  les  Israélites  n'adorent  plus  l'œuvre  de  leurs 
mains,  i,  7  ;  v,  12.  Les  injustices  et  les  mauvaises  actions 
seront  punies,  vi,  10-13;  vu,  2-4.  Ou'on  n'accuse  pas 
Jahvé  d'impatience;  qu'on  ne  lui  reproche  pas  de  traiter 
ainsi  son  peuple.  Ses  paroles  ne  sont-elles  pas  bienveil- 
lantes envers  celui  dont  la  conduile  est  droite?  il,  7. 
Son  peuple  a  été  ingrat.  VI,  3,  4.  Ce  que  Jahvé  demande 
d'Israël,  ce  ne  sont  pas  les  sacrifices  multipliés  et 
variés;  seuls,  ces  actes  de  religion  ne  sont  pas  capables 
d'obtenir  la  faveur  ou  le  pardon  de  Dieu.  Ce  qui  est 
bon  et  ce  que  Jahvé  demande,  c'est  d'accomplir  le  droit, 
d'aimer  la  bonté  et  d'être  humble  devant  lui,  VI,  6-8. 
Les  juges  iniques  ont  beau  immoler  des  victimes  et 
crier  vers  Jahvé,  il  ne  les  écoute  pas;  à  cause  de  leur 
perversité,  il  cache  loin  d'eux  sa  face,  m,  3,  4.  II  ne 
veut  pas  toutefois  faire  périr  son  peuple;  il  sera  le 
pasteur  des  bons  au  milieude  la  détresse,  il, 12;  iv,6-8; 
vu,  14.  La  nation  se  reconstituera  et  sera  en  sécurité, 
car  le  pouvoir  de  Jahvé  sera  reconnu  par  toute  la  terre, 
v,  3.  Tous  les  peuples  viendront  honorer  Jahvé  à  Jéru- 
salem, iv,  1-8.  Il  faut  donc  espérer  en  Jahvé,  le  Dieu 
sauveur  d'Israël,  vu,  7-10.  Les  peuples  admirent  les 
prodiges  qu'il  accomplit  en  faveur  d'Israël  et  tremblent 
de  crainte  devant  lui,  16,  17.  C'est  pourquoi  le  pro- 
phète termine  son  livre  par  cet  éloge  de  Jahvé  :  i  Quel 
Dieu  est  pareil  à  toi,  enlevant  l'iniquité  et  pardonnant 
la  prévarication!  Il  ne  s'obstine  pas  perpétuellement 
dans  sa  colère,  car  il  aime,  lui.  la  miséricorde.  Il  a 
pitié  d'Israël,  à  qui  il  pardonne  ses  fautes,  parce  qu'il 
est  fidèle  à  Jacob,  propice  à  Abraham,  selon  ses  antiques 
promesses,  »  18-20.  Cf.  Duhm,  op.  cit.,  p.  183-188. 

Des  poètes,  probablement  contemporains  d'Kzéchias, 
ont  exprimé  la  foi  des  Israélites  pieux  de  leur  temps. 
Ils  ont  une  confiance  absolue,  au  milieu  des  plus  grands 
dangers,  en  la  protection  de  Dieu,  qui  vient  d'ailleurs 
de  se  manifester  d'une  manière  éclatante  (lors  de  l'in- 
vasion des  armées  de  Sennachérib).  Dieu  habite  au 
milieu  de  Jérusalem.  Il  fait  entendre  sa  voix  et  les  na- 
tions qui  s'agitaient  se  fondent  d'épouvante.  Jahvé  des 
armées  est  avec  les  siens;  il  a  montré  avec  éclat  qu'il 
est  Dieu  et  qu'il  domine  sur  les  nations  et  sur  la  terre. 
Le  Dieu  de  Jacob  est  en  Israël  une  citadelle.  Ps.  xi.v 
(xlvi),  2-12;  cf.  xlvii  (xlviii),  2-9;  xlv  (xlvii,  1-11; 
lxxiv(lxxv);  lxxv  (lxxvi).  Le  Ps.  xlix  (l)  est  dans 
l'esprit  des  prophètes  de  cette  époque.  Jahvé  convoque 
la  terre  et  le  ciel  pour  assister  au  jugement  qu'il  va 
porter  sur  son  peuple,  1-6.  11  ne  lui  reproche  pas  de 
lui  refuser  les  sacrifices  dont  il  n'a  pas  besoin.  7-1  i. 
mais  plutôt  de  ne  pas  pratiquer  des  préceptes  et  de 
faire  alliance  avec  les  voleurs,  les  adultères  et  les  frau- 
deurs, 16-20.  Dieu,  qui  préfère  l'action  de  grâce  aux 
sacrifices  et  qui  sauve  ceux  dont  les  voies  sont  droites, 
reprend  les  coupables  et  les  menace  pour  les  convertir, 
21-23.  Un  asaphite  déclare  que  Dieu  est  bon  pourceux 
qui  ont  le  cœur  pur.  Ps.  i.xxn  (lxxxiii),  1.  Il  a  cepen- 
dant été  ébranlé  dans  sa  foi  en  la  providence,  en  voyant 
l'insolente  prospérité  des  méchants,  2-9,  qui  est  un 
scandale  pour  le  peuple  fidèle,  10-15;  mais  il  a  consi- 
dère que  Dieu  conduit  les  méchants  à  leur  perle.  18. 
Aussi  met-il  en  Dieu  seul  sa  confiance.  23-28.  Dieu, 
juge  de  la  terre,  rend  son  arrêt  contre  les  juges  infi- 
dèles, qui  prennent  parti  pour  les  méchants,  (.[  il  leur 
ordonne  de  rendre  justice  aux  faibles  et  aux  orphelins, 
aux  pauvres  et  aux  malheureux.  Ps.  i  xxxi  i  xxxi 
Ps.  XC1H  (xciv)  est  l'appel  d'un  opprimé  à  la  justice  et 
à  la  vengeance  de  Jahvé.  1,2.  Les  méchants  triomphent 


$93 


DIEU    (SA    NATURE    D'APBÈS    LA    BIBLE; 


004 


•et  prétendent  que  Jahvé  ne  regarde  pas  leurs  oppres- 
sions, 3-7.  Mais  Dieu,  créateur  des  hommes,  entend  et 
voit  leurs  crimes,  il  connaît  la  vanité  de  leurs  pensées, 
■8-11.  Jahvé  fera  que  le  jugement  redevienne  conforme 
à  la  justice,  15;  il  soutient  les  opprimés,  16-19,  et  il 
châtiera  les  mauvais  juges,  20-23.  Pour  un  psalmiste 
inconnu,  Jahvé  est  roi,  roi  des  peuples  et  de  la  terre, 
rui  de  Sion;  son  nom  est  grand  et  redoutahle;  c'est 
un  roi  puissant  qui  aime  la  justice.  Ps.  xcvm  (xcix),  1-5. 
Il  faut  l'exalter,  car  il  est  saint  le  Dieu  de  Sion,  9.  Gloire 
à  Jahvé  à  cause  de  sa  bonté  et  de  sa  fidélité!  Ps.  cxm 
i  \v  1. 1.  Les  nations  demandent  où  est  le  Dieu  d'Israël, 2. 
«  Notre  Dieu  est  dans  le  ciel;  tout  ce  qu'il  veut,  il  le 
fait,  »  3.  Les  idoles  d'argent  et  d'or,  ouvrage  de  la 
main  des  hommes,  sont  muettes,  aveugles  et  sourdes, 
immobiles  et  sans  parole,  4-8.  Jahvé  est  le  secours  et 
le  bouclier  d'Israël  qui  peut  mettre  en  lui  sa  confiance, 
9-11.  et  il  continuera  ses  bienfaits,  12-14.  Il  a  fait  les 
deux  et  il  a  donné  la  terre  aux  hommes,  15,  16. 

Est-il  vrai  que  e  l'intervention  de  l'Assyrie  dans  les 
affaires  des  peuples  palestiniens  obligea  les  prophètes 
à  regarder  bien  loin  au  delà  des  frontières  d'Israël  et 
à  concevoir  du  monde  et  de  l'humanité,  par  conséquent 
■de  Dieu,  une  idée  plus  large  et  plus  profonde,  >>  comme 
le  pense  M.  Loisy?  La  religion  d'Israël,  p.  63.  Cela  ne 
veut  pas  dire,  comme  l'a  prétendu  Renan,  Histoire 
du  peuple  d'Israël,  Paris,  1889,  t.  il,  p.  465,  que  «  le 
Jahvé  national  n'avait  qu'une  manière  de  se  sauver, 
lit  de  devenir  le  Dieu  universel.  »  Jahvé  avait  tou- 
jours été  le  Dieu  universel,  tout  en  étant  le  Dieu  spécial 
d'Israël.  Il  continua  de  garder  la  primauté  absolue  qui 
lui  appartenait  auparavant.  Mais  l'horizon  politique 
s'étendant,  les  rapports  d'Israël  avec  les  conquérants 
assyriens  firent  mieux  comprendre  le  gouvernement 
providentiel  de  Jahvé  sur  les  nations.  Le  Dieu  tout- 
puissant  et  juste  suscitait  ce  nouveau  peuple,  parce 
que  tout  ce  qui  se  passe  dans  le  monde  arrive  par  sa 
volonté  ;  il  lui  permettait  d'opprimer  Israël,  parce  que 
celui-ci  n'avait  pas  été  fidèle  à  son  Dieu,  lui  avait  pré- 
féré des  idoles,  ne  l'avait  pas  honoré  comme  il  voulait 
l'être  et  n'avait  pas  obéi  à  sa  loi.  L'unité  divine  ne 
résulta  pas  de  ces  conceptions.  Si  elle  n'avait  pas  été 
admise  auparavant  en  Israël,  elle  n'aurait  pas  été 
gérée  par  la  nouvelle  situation  politique.  Beaucoup 
d'aulres  peuples  ont  eu  à  souffrir  des  Assyriens  et  n'ont 
pas  fait  cependant  un  pas  vers  le  monothéisme;  ils 
sont  demeurés  fidèles  à  leurs  dieux  nationaux,  'Poule- 
fois,  les  succès  de  l'empire  assyrien  voulus  par  Jahvé 
étaient  une  occasion  de  manifester  plus  nettement  aux 
jeux  de  tous  la  providence  divine,  de  mieux  marquer 
■on  caractère  moral  et  de  donner  une  idée  plus  com- 
plète des  rapports  de  Jahvé  avec  son  peuple  et  avec 
l'humanité.  Les  événements  politiques  de  l'époque  ont 
servi  à  développer  l'idée  de  Dieu  en  Israël  par  la  pré- 
dication  morale  des  prophètes.  Cette  idée  ne  se  trans- 
forme pas.  elle  s'élève  seulement  et  s'élargit. 

règne  de  Manassé,  fils  d'Ézéchias,  l'idolâtrie 
reprit  en  Juda  avec  une  nouvelle  recrudescence.  Ce 
roi  impie  restaura  les  hauts-lieux  el  releva  les  autels 
de  Baal,  que  son  père  avait  détruits.  Il  alla  plus  loin 
et  dresv.i  des  autels  idolàtriqui  \  dans  le  temple  même 
de  Jahvé  ■<  Jérusalem.  Il  IV  Reg.,  xxt,  2-9.  En  puni- 
lion  de  ce  crime,  Jahvé  lit  annoncer  par  sis  prophètes 
la  rume  rie  Jérusalem,  10  15.  Amon  imita  Bon  pi 
abandonna  Jahvé,  le  dieu  des  ancêtres,  20-22.  Mais  le 
pieux  ir.j  Josias  marcha  sur  les  Iraces  de David,xxil,2. 
Après  l.r  découvcrle  du  Deutéronome,  il  renouvela 
l'alliance  avec  Jahvé;  el  il  extirpa  l'idolâtrie  du  milieu 
de  Jérusalem,  xxm,  :i  I  i.  el  il  renversa  l'autel  de 
Béthel,  15-20.  In  vérilablr  Israélite,  il  honora  Jahvé 
oui   -"ii   cœur,  de  touli n  âme  1 1  de  tout) 

observa   fidèlement    la   loi   que  Moïse 
donnée  au  nom  de  Jahvé,  25.  Néanmoins,  Jahvé  punit 

DICI.    DE    Mil  ni..    CATIIOI.. 


Juda  à  cause  des  crimes  que  Manassé  lui  avait  fait 
commettre,  26,  27;  xxiv,  3,4.  D'ailleurs,  la  masse  du 
peuple  n'avait  pas  été  convertie;  l'esprit  idolàtrique 
fut  seulement  comprimé  pendant  quelques  années  et 
le  vrai  culte  de  Jahvé,  consistant  dans  l'amour  de  la 
justice,  ne  fut  pratiqué  que  par  la  minorité.  La  ven- 
geance divine  est  prédite  par  les  prophètes  contempo- 
rains de  Josias,  Sophonie  et  Jérémie. 

Au  vne  siècle,  Sophonie,  prophète  de  Juda,  proclame 
la  justice  terrible  de  Jahvé,  qui  frappera  la  terre  en- 
tière, I,  2,  3,  et  d'abord  Juda  et  les  habitants  de  Jéru- 
salem, du  milieu  desquels  il  fera  disparaître  les  der- 
niers restes  d'idolàirie,  en  punissant  ceux  qui  n'ont 
point  cherché  ni  honoré  Jahvé,  4-6,  les  chefs,  qui  ont 
abusé  de  leurs  richesses,  8-12.  Le  jour  de  Jahvé'  est 
proche,  7;  il  sera  terrible,  14-18.  Pour  y  échapper,  il 
faudrait  se  conformer  à  la  règle;  pour  éviter  les  eflets 
de  la  colère  divine,  il  faudrait  chercher  Jahvé,  prati- 
quer sa  loi,  chercher  la  justice  et  l'humilité,  n.  1-3. 
Mais  Jérusalem  est  rebelle  à  Jahvé,  qu'elle  n'a  pas 
écouté;  elle  ne  s'est  pas  laissé  instruire;  ses  chefs 
sont  mauvais,  m,  1-4.  Jahvé  estjusle  au  milieu  d'elle  ; 
il  ne  fait  pas  l'iniquité;  tous  les  matins,  il  établit  son 
jugement,  5;  c'est  pourquoi  il  exterminera  les  cou- 
pables, pour  se  faire  craindre  par  eux  et  les  amener  à 
se  laisser  instruire,  6,  7.  Son  jugement  s'étendra  à 
tous  les  peuples  contre  qui  il  prononce  des  menaces, 
n,  4-10,  12-15.  Il  se  fera  craindre  d'eux;  il  fera  périr 
tous  leurs  dieux,  et  tous  les  hommes  l'adoreront,  11 
Il  rendra  leur  lèvre  pure  pour  qu'ils  invoquent  son 
nom  et  le  servent  avec  un  zèle  unanime,  ni,  9-10.  Jéru- 
salem elle-même,  débarrassée  de  ses  vantards  arrogants, 
sera  un  peuple  humble  et  modeste,  qui  mettra  son 
espoir  dans  le  nom  de  Jahvé.  Ces  survivants  d'Israël 
ne  commettront  plus  l'iniquité,  ne  proféreront  pas  le 
mensonge  et  leur  langue  ne  sera  plus  trompeuse,  11-43. 
Que  Sion  se  réjouisse!  Jahvé  sera  son  sauveur  et  son 
restaurateur,  14-20.  Le  jour  de  Jahvé,  pour  Sophonie, 
est  donc  le  jour  où  Dieu  assurera  le  triomphe  de  sa 
justice  sur  l'iniquité  dans  le  monde  entier,  même  en 
Juda.  Celui-ci  triomphera,  mais  après  que  les  arrogants 
auront  élé  exterminés,  et  le  reste  sera  constitué  par  les 
humbles.  Ce  prophète  montre  donc  le  caractère  moral 
de  Jahvé  dans  toute  sa  rigueur.  Cf.  Duhm,  op.  cit., 
p.  222-228;  Van  Hoonacker,  op.  cit.,  p.  501-502. 

La  prophétie  de  Xahuin,  contemporain  de  Sophonie 
est  dirigée  contre  Ninive,  n.  i-ni,  19.  sans  que  la  ruine 
prédite  de  celte  ville  soit  attribuée  à  Jahvé  mi  justifiée 
par  la  conduite  de  cette  ville  à  l'égard  d'Israël. La  ven- 
gr  ance  divine  n'est  donc  pas  affirmée  directement.  .Mais 
le  psaume  alphabétique  du  début,  i,2-u,  3,  caractérise 
Jahvé  sous  deux  aspects.  C'est  un  Dieujaloux,  promps 
à  la  colère  et  à  la  vengeance  à  l'égard  de  ses  advi  r 
saires;  il  met  en  œuvre  les  éléments  de  la  nature  et 
rien  ne  peut  résister  à  son  courroux,  I,  2-6.  Mais  il  est 
bon  pour  ceux  qui  espèrent  en  lui:  il  esl  leur  i 
au  jour  delà  détresse.  Il  connaît  ceux  qui  onl  recours 
à  lui  et  il  Les  protège  contre  leurs  ennemis, 7,8.  Israël 
coupable  sera  lui-même  puni.  Jahvé  extirpera  du  mi- 
Lieu  de  lui  les  images  sculptées  el  les  idoles  fondi 
Son  peuple  sers  détruit,  mais  pour  être  restauré,  i,  13, 
n,  8.  Cf.  Duhm,  op.  cit.,  p.  218-219. 

Jérémie  commenr  t  ion  ministère  prophétique  sou 
.  en  même  temps  que  Sophonie  el  Nahum,  Dieu 
i   connu  avant  n   et  l'avait  sanctifié 

avant  s. ,  n  -  ,,  v le  la  mission   qu'il  voulail 

lui  confier,  i,  5,  el  pour  l'accomplissement  rie  laquelle 
il  le  fortifie,  (i  in.   n  veillera  a   la   réalisation  di 

rd  rie  Juda,  J<  i  êmie  est  chargé  de 
lui  reprocher  ses  fautes,  i  n  par  iculii  ■  on  idolâtrie,  16, 
et  île  lui  en  prédire  le  châtiment.  Dieu  soutiendi  <  on 
prophète,  qui  sers  seul  I  luit»  r  contre  tout  »on  pi  uple, 
19.  Commi  <  Isi  e,   Ji  1 1 i  i  onsidi  i  t     li     >  Dppoi 

IV.  -  3-2 


i)95 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    BIBLE) 


996 


Jahvé  avec  Israël  comme  un  mariage,  cont raclé  par 
amour,  n,  2.  De  même  que  leurs  pères,  lesJudéensse 
sont  adonnés  à  l'idolâtrie,  •">,  8.  Ils  se  sont  conduits  à 
l'égard  de  leur  Dieu  d'une  façon  plus  indigne  que  les 
païens  à  l'égard  des  leurs.  Si  ceux-ci  changeaient  leurs 
dieux,  qui  ne  sont  rien,  le  peuple  de  Jahvé  l'a  échangé 
lui-même  pour  une  idole,  qui  n'est  rien,  11.  Les  cieux 
doivent  en  être  dans  la  stupéfaction,  12.  Ils  ont  aban- 
donné Jahvé  pendant  qu'il  les  guidait,  17,  et  ils  ne  le 
craignent  plus,  19.  Ils  ont  refusé  de  le  servir  et  se 
sont  prostitués  aux  idoles,  20,  23;  ils  ont  dit  au  bois  : 
«  Tu  es  mon  père,  »  et  à  la  pierre  :  «  Tu  m'as  engen- 
dré, »  27.  Mais  les  dieux,  qu'ils  se  sont  faits,  ne  les 
sauveront  pas  au  jour  de  l'aflliction,  28.  En  oubliant 
Dieu,  ils  n'ont  pas  suivi  la  bonne  voie  et  ont  commis 
des  injustices,  32-35.  Cependant,  ils  peuvent  espérer 
leur  pardon;  Jahvé  reprendra  son  épouse  adultère,  III, 
1-5.  Juda  n'a  pas  compris  l'exemple  d'Israël  et  s'est 
livré  comme  lui  à  la  fornication  idolàtrique,  6-10.  Mais 
Jahvé  est  saint;  il  ne  se  met  pas  en  colère  pour  toujours; 
il  pardonnera  aux  coupables,  s'ils  se  convertissent, 
11-25,  s'ils  appellent  Dieu  leur  père,  19.  La  conversion 
consiste  à  marcher  dans  la  vérité,  le  jugement  et  la 
justice  et  à  circoncire  le  cœur,  iv,  1-4.  Jérusalem  sera 
punie,  5-13;  qu'elle  se  convertisse  plutôt!  14-18.  Sa 
corruption  consiste  dans  l'absence  de  justice,  V,  1-6,8, 
25-28;  ix,  2-9,  13,  14,  et  dans  l'idolâtrie  qui  est  une 
fornication,  v,  7;  ix,  14.  Elle  en  sera  punie  par  Jahvé, 
v,  19-24.  Les  peuples  et  la  terre  en  seront  les  témoins, 
vi,  18,  19.  Juda  se  confie  dans  le  temple  de  Jérusalem, 
qui  est  la  maison  de  Jahvé.  Ceux  qui  ont  pratiqué  les 
œuvres  de  justice  et  qui  n'ont  pas  suivi  les  dieux 
étrangers,  peuvent  avoir  cet  espoir,  vu,  2-7.  Mais  les 
méchants,  les  violents  et  les  idolâtres  ont  une  espé- 
rance trompeuse,  8-15.  La  prière  de  Jérémie  pour  les 
coupables  ne  sera  pas  exaucée,  16;  xi,  14;  xn,  11. 
Jahvé  a  demandé  à  leurs  pères,  non  de  lui  oll'rir  des 
holocaustes,  mais  d'observer  ses  préceptes;  ils  ne  lui 
ont  pas  obéi,  ils  ont  fait  le  mal,  n'ont  pas  écouté  les 
prophètes.  Leurs  descendants  ont  fait  pire,  n'ont  pas 
entendu  la  voix  de  leur  Dieu  et  ne  se  sont  pas  soumis 
à  ses  ordres.  La  piété  a  péri  en  eux,  21-25;  Jahvé  en 
tirera  vengeance,  29-34.  Parce  qu'ils  n'ont  pas  eu  de 
repentir  et  se  sont  endurcis  dans  leurs  crimes,  vin, 
4-12,  ils  seront  punis,  13-17.  Jahvé  se  complaît  dans  la 
miséricorde,  la  justice  et  le  droit,  ix,  24;  xv,  19;  xxi, 
12;  xxn,  3.  Il  frappera  tous  les  incirconcis  et  avec  eux 
les  Israélites,  dont  le  cœur  est  incirconcis,  ix,  25,  26. 
Il  n'y  a  pas  d'espoir  à  avoir  dans  les  idoles,  qui  sont 
faites  de  main  d'homme  et  qui  ne  sont  capables  de 
rien  faire  ni  en  bien  ni  en  mal,  x,  1-5.  Jahvé  n'a  pas 
son  pareil;  lui  seul  est  grand  et  puissant;  il  est  le  roi 
des  peuples;  tous  doivent  le  craindre.  Les  idoles  d'or 
et  d'argent  ne  sont  rien.  Jahvé  seul  est  le  vrai  Dieu,  le 
Dieu  vivant  et  le  roi  éternel.  Les  dieux  n'ont  pas  fait 
le  ciel  et  la  terre;  qu'ils  disparaissent  de  dessous  le 
ciel  et  de  dessus  la  terre!  Celui  qui  a  fait  le  ciel  et 
la  terre  dans  sa  puissance,  sa  sagesse  et  sa  pru- 
dence, qui  amasse  les  nuages,  donne  la  pluie  et  fait 
gronder  le  tonnerre,  est  la  part  de  Jacob,  l'héritage 
d'Israël.  Jahvé  des  armées  est  son  nom,  6-16.  Il  avait 
fait  avec  Israël  un  pacte,  xi,  2-8,  qui  n'a  pas  été  ob- 
servé, 9-10,  17;  xxn,  9;  Israël  en  sera  puni  et  ne  sera 
pas  protégé  par  les  dieux  qu'il  a  choisis, 12,  13.  Jérémie 
se  plaint  de  la  prospérité  des  impies,  xn,  1-3,  et  de 
celle  des  ennemis  de  Juda,  7 -13;  Jahvé  frappera  ceux-ci, 
14-17.  Juda  et  Jérusalem  sont  coupables,  XIII,  8-10,27; 
xvi,  11,  12,  18,  20;  XVII,  2,  3;  xix,  4,5,  13;  xxv,  4-7. 
Leurs  jeûnes  et  leurs  prières  jointes  à  l'iniquité  sont 
inutiles,  xiv,  12.  Dieu  scrute  les  cœurs  et  rend  à  cha- 
cun selon  ses  mérites,  xvn,  10;  xx,  12.  Les  bons  re- 
viendronl  de  la  captivité,  xxiv,  5-7.  Jahvé  recommande 
l'observation  du   sabbat,   xvn,  19-27;  l'obéissance  â   la 


loi,  xxvi,  i,  5;  xxxv.  13:  en  particulier  au  décret  sur 
l'esclave  hébreu,  xxxiv,  13-16.  Il  exige  donc  la  pratique 
des  œuvres  extérieures  autant  que  la  justice  et  la  cha- 
rité fraternelle.  Parce  que  Jahvé  est  juste,  Lament.,  i, 

18,  sa  colère  a  été  justement  provoquée  contre  Soin, 
Lament.,  n,  2,  3;  m,  42,  13;  iv,  11,  et  il  ajustement 
réalisé  ses  desseins  de  vengeance.  Lament.,  il,  17.  Ce- 
pendant, il  est  miséricordieux,  Lament..  ni,  22,  et  on 
peut  espérer  en  lui,  25.  Il  a  promis  de  restaurer  Juda  : 
il  sera  définitivement  son  Dieu,  et  Juda  sera  son  peuple. 
Jer.,  xxx,  22;  xxxn,  38.  Il  l'a  aimé,  xxxi.  3;  il  en  a  eu 
pitié,  20,  et  l'a  remis  dans  la  voie  droite,  21.  Il  contrac- 
tera avec  lui  une  nouvelle  alliance,  et  mettra  sa  loi  dans 
son  cœur;  tous  connaîtront  Jahvé,  31-31.  Ils  n'auront 
tous  qu'un  seul  cœur  et  ils  suivront  une  seule  voie, 
celle  delà  crainte  de  Jahvé,  et  le  pacte  nouveau  sera 
éternel,  xxxn,  39,  40.  A  l'alliance  écrite,  contractée 
avec  tout  un  peuple,  Dieu  substituera  une  alliance  im- 
primée dans  le  ca'ur  de  chacun.  La  solidarité  collective 
d'Israël  sera  détruite,  et  chaque  âme  aura  avec  Dieu 
un  lien  direct  et  personnel.  Parce  que  Jahvé  est 
bon  et  miséricordieux,  xxxiii,  11,  il  se  réserve  en 
Juda  un  germe  de  justice,  15.  Les  Judéens,  réfugiés 
en  Egypte,  se  livrèrent  à  l'idolâtrie  à  l'exemple  de 
leurs  ancêtres;  ils  en  seront  punis,  xliv,  3,  8.  15.  19, 
23,  25. 

Jahvé,  le  Dieu  d'Israël,  est  le  créateur  de  toutes  choses, 
xxvn,  5;  xxxn,  17.  Il  est  miséricordieux  et  sévère,  très 
fort,  grand  et  puissant;  on  ne  peut  le  concevoir  et  il 
reste  incompréhensible.  Ses  yeux  sont  ouverts  sur  tous 
les  fils  d'Adam,  et  il  rend  à  chacun  selon  ses  voies  et 
selon  les  fruits  de  ses  pensées,  xxxn,  18,  19.  Il  est 
éternel  et  immuable.  Lament.,  v,  19.  Il  est  le  roi  de  tous 
les  peuples.  Jer.,  x,  7.  Aussi  présente-t-il  le  calice  de  sa 
fureur  à  toutes  les  nations  ainsi  qu'à  Juda,  xxv,  15-18.  et 
envoie-t-il  des  chaînes  aux  peuples  voisins  d'Israël, 
xxvn,  2-11.  C'est  pourquoi  Jérémie  prononce  en  son 
nom  une  série  d'oracles  contre  l'Egypte,  xlvi,  les  Phi- 
listins, xlvii,  Moab,  xi.vni,  Ammon.  l'Idumée,  Damas, 
Cédar  et  Asor,  Élam,  xlix,  et  contre  Babylone,  l,  qui 
ne  sera  pas  défendue  par  ses  idoles  contre  la  vengeance 
du  créateur  de  toutes  choses,  15-16.  Cf.  Duhm,  op.  cil  , 
p.  235-240. 

Habacuc,  que  .M.  Van  Hoonacker,  op.  cit.,  p.  ix,  place 
sous  le  règne  de  Joakim,  vers  605-600,  est  contempo- 
rain de  Jérémie.  La  providence  de  Jahvé  s'exerce,  pour 
lui,  sur  les  peuples  étrangers,  puisque  Jahvé  suscite 
les  Chaldéens  contre  Juda,  i,  5,  6.  Il  permet  à  ces 
conquérants  cupides  de  prendre  dans  leurs  filets  toutes 
les  nations  et  il  rend  les  hommes  opprimés,  pareils  à 
des  poissons,  enlevés  à  l'hameçon  et  au  filet,  i.  li-17: 
n.  14,  15.  Jahvé,  qui  est  ainsi  le  roi  de  l'humanité, 
commande  aux  forces  et  aux  éléments  de  la  nature, 
quand  il  vient  au  secours  de  Juda,  ni,  2-16.  H  habite 
au  ciel  dans  son  saint  palais,  et  la  terre  entière  doit  se 
taire  devant  lui,  H,  20.  Les  idoles  de  bois  et  de  pierre 
n'agissent  pas  et  n'ont  pas  un  souille  de  vie:  ce  sont 
des  nullités  muettes,  fabriquées  ou  fondues  parla  main 
de  l'ouvrier,  18,  19.  Cependant  Jahvé  est  spécialement 
le  Dieu  saint  de  Juda  depuis  les  premiers  temps  de  sa 
nation;  il  a  établi  ce  peuple  pour  le  droil  et  la  justice; 
il  ne  le  laissera  donc  pas  périr  entièrement,  i,  12,  mal- 
gré ses  fautes,  car,  en  face  de  son  oppresseur,  Juda 
est  comme  le  juste  aux  prises  avec  l'impie;  il  ne  peut 
être  abandonné,  autrement  le  droit  serait  faussé,  i,  -J-i. 
13;  ni,  13.  L'injuste  vainqueur  doit  périr  et  le  juste 
avoir  la  vie  en  raison  de  sa  confiance  en  Dieu,  il,  i. 
Les  attributs  de  sainteté  et  de  pureté  de  Jahvé  exigent 
le  triomphe  du  juste,  i.  13.  Jahvé  répondit  à  cette  con- 
fiance du  prophète  que  la  punition  de  l'oppresseur  est 
assurée  et  qu'elle  arrivera  ;  si  l'exécution  en  est  retardée, 
il  faut  prendre  patience  et  croire  à  sa  promesse,  qui 
ne  faillira  pas,  II,  3,  car  Jahvé  doit  frapper  le  brigand, 


997 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA   RIRLE; 


998 


.").  Cf.  Duhm,  op.  cil.,  p.  219-222;  Van  Hoonacker, 
op.  cit.,  p.  459-460. 

Tandis  que  Juda  agonisait  et  allait  devenir  la  proie 
des  Babyloniens,  les  Israélites,  transportés  depuis  721 
en  Assyrie,  conservaient,  en  partie  du  moins,  la  foi 
monothéiste  de  leurs  ancêtres.  Tobie  qui.  dans  sa  jeu- 
nesse, n'avait  pas  adoré  les  veaux  d'or  d'Israël  et  était 
demeuré  fidèle  à  Jahvé,  Tob.,  i,  4-8,  n'abandonna  pas 
la  vraie  voie  au  pays  de  sa  captivité,  2.  Il  apprit  à 
son  (ils  à  craindre  Dieu  et  à  s'abstenir  de  tout  péché, 
10.  Parce  qu'il  se  souvenait  de  Jahvé  de  tout  son  cœur, 
.lahvé  lui  lit  trouver  grâce  aux  yeux  de  Salmanasar, 
13.  Sous  le  règne  de  Sennachérib,  Tobie  continua  ses 
bonnes  œuvres,  19-21;  il,  1-9,  craignant  Dieu  plus  que 
le  roi.  Il  supporta  patiemment  comme  Job  l'épreuve 
de  la  cécité  que  Jahvé  avait  permise,  et  il  attendait  de 
Dieu  la  récompense  de  ses  bonnes  actions,  II,  12-18. 
Objet  de  moquerie  pour  ses  amis,  ses  parents,  et  même 
sa  femme,  il  se  confia  en  la  justice  de  Jahvé,  dont  les 
voies  sont  miséricorde,  vérité  et  droit,  et  demanda  au 
Seigneur  d'oublier  ses  fautes  et  celles  de  ses  pères,  m, 
1-6.  De  son  coté,  Sara,  fille  de  Raguel,  recourait  à  Dieu 
dans  les  mêmes  sentiments,  espérant  de  sa  bonté  la  lin 
de  ses  épreuves  et  bénissant  son  nom  malgré  tout,  12- 

23.  Dieu  exauça  les  prières  de  ses  deux  bons  serviteurs. 

24.  Tobie  conseille  à  son  Mis  la  fuite  du  mal,  la  pra- 
tique  de  la  vertu  et  la  fidélité  constante  à  Jahvé,  iv, 
6-20.  En  cela  consiste  le  vrai  bien,  23.  Raguel  bénit  le 
jeune  Tobie  et  Sara  au  nom  du  Dieu  d'Abraham,  d'Isaac 
et  de  Jacob,  vu,  15.  Le  jeune  Tobie  bénit  aussi  Jahvé, 
le  Dieu  de  ses  pères  et  le  créateur  de  toutes  choses, 
vm,  7,  8.  Raguel  désire  que  le  Dieu  d'Israël  soit  reconnu 
par  toutes  les  nations  comme  le  seul  vrai  Dieu  sur 
toute  la  terre,  17-19.  L'ange  Raphaël  appelle  Jahvé  le 
Dieu  du  ciel,  qui  a  eu  pour  agréables  les  bonnes  œuvres 
de  Tobie,  tout  en  éprouvant  la  vertu  de  ce  juste,  xn, 
6-1.").  Le  vieux  Tobie  célébra  alors  les  louanges  de 
Jahvé,  sa  grandeur,  son  règne  éternel  el  sa  providence 
universelle.  Lis  Israélites,  dispersés  parmi  les  nations 
qui  ignorent  Dieu,  doivent  raconter  ses  merveilles  et  le 
proclamer  comme  le  seul  Dieu  tout-puissant.  Il  les  i 
châtiés  à  cause  de  leurs  iniquités,  il  les  sauvera  par 
miséricorde.  Il  faut  donc  le  bénir  comme  le  Dieu  des 
siècles;  il  a  manifesté  sa  majesté  contre  un  peuple 
pécheur.  Les  Israélites  doivent  se  convertir,  être  justes 
et  espérer  ensuite  eu  -..-i  miséricorde,  xm,  1-8.  Jahvé 
rétablira  Jérusalem,  11-23;  xiv,  6-H. 

Les  menaces  divines  contre  Jérusalem  et  Juda 
commençaient  ■<  se  réaliser.  Sons  Jéchonias,  fils  de 
.lo-i.is.  les  Chaldéens  investirent  Jérusalem  et  einmc- 
nèrenl  en  captivité  le  roi  el  la  majeure  partie  de  |a  na- 
tion. II  (IV)  Reg.,  xxiv,  10-16.  Cinq  ans  après,  Barucb, 
ancien  sécréta  in  de  Jérémie,  lut  aux  Juifs  captifs  sa 
prophétie,  Bar.,  i,  _'  i.  i  i  ceux-ci  amassèrent  de  l'argent 
pour  faire  offrir  à  Dieu  des  sacrifices  au  temple  de 
Jérusalem,  encon    debout,  pour  demander  le  coi 

upporter  l'épreuve  el  la  lumière  pour  réparer  leurs 
10-  13.  Ils  reconnaissaient  la  justii 
Jahvé  leur   Dieu,   qui   les  avail  justement  i  har| 

usion  à  cause  de  leur  incrédulité  el  de  leur  ido- 
lâtrie, 15-22;  il,  1-10.  Ils  imploraient  la  miséricorde  du 
Dieu  d'Israël,  11-19,  qui  les  avail  par  ses  prophètes 
menacés  de  châtiment,  s'ils  ne  se  convi  rtissaient,  20-30, 
ei  qui  avait  prédit  que  leur  rerail 

qu'au  pays  de  la  captivité,  31-35.  Reconnaissant  leui 
m  •  ni   donc    i  ec  confiance  au  I  heu  huit 
ant,  éternel  •  i  miséricordieux  d'Israël,  m,  l-S.  La 
lu  lie  de  liai  m  h,  donl  la  I  produit  chez  le 

sentiments    ,.i  une  exhortation  du  pi o 
ph<  ie  .m  p<  i  j  | .  e  ibirii  sur  la  terre  étran 

qu  il  .i   ili  indonm  qui  n'i    iste  ni  i  nez 

■  ut .   m  île/  le-     ir .  ,  ci,      na  lion  .  m  • 
Dieu  .i  donn  c  à  J  lils,  et  à  Isi  bien- 


aimé,  et  qui  se  trouve  dans  la  loi,  le  livre  des  préceptes 
de  Dieu,  ni,  9-iv,  4.  Le  peuple  de  Dieu  n'est  pas  vendu 
aux  nations  pour  sa  perte,  mais  parce  qu'il  a  provoqué 
la  colère  de  son  Dieu.  Il  a  irrité  ce  Dieu  éternel,  en 
immolant  des  victimes  aux  démons,  qui  ne  sont  pas 
des  dieux,  et  en  oubliant  Dieu  qui  l'a  nourri,  iv,  5-8. 
Jérusalem  se  plaint  aux  nations  voisines  et  à  ses  fils 
eux-mêmes  de  leur  désobéissance  aux  préceptes  de 
Dieu,  qui  les  en  a  justement  punis,  mais  qui  les 
ramènera  dans  son  sein;  le  Saint  les  sauvera  par  mi- 
séricorde, et  Israël  marchera  avec  soin  désormais  pour 
l'honneur  de  Dieu,  iv,  9-v,  9.  D'autre  part,  Jérémie 
avait  écrit  aux  Juifs  captifs  à  Babylone,  pour  les  pré- 
munir contre  le  péril  d'idolâtrie.  Us  voyaient  autour 
d'eux  des  dieux  d'or,  d'argent,  de  pierre  et  de  bois,  por- 
tés en  procession  et  se  faisant  craindre  des  nations. 
Loin  de  se  laisser  séduire  par  leur  culte,  qu'ils  disent 
au  fond  de  leurs  cœurs  :  «  Il  vous  faut  adorer  seul, 
ô  Jahvé,  »  vi,  3-5.  Treize  fois,  le  prophète  répète  :  «  Ce 
ne  sont  pas  des  dieux,  ne  les  craignez  pas,  ne  les  ado- 
rez pas,  »  14,  15,  22,  28,  39,  44,  46,  49,  51,  55,  63,  64,  68, 
71.  Cette  vérité  qu'il  inculque  si  fortement,  il  l'établit 
par  les  raisonnements  les  plus  simples.  Ces  idoles  sont 
fabriquées  et  ornées  de  main  d'homme.  Elles  ne  peuvent 
se  défendre  contre  la  poussière,  la  fumée,  l'incendie, 
les  voleurs,  la  rouille  et  les  vers.  Elles  ne  peuvent 
marcher,  ni  se  relever,  lorsqu'elles  sont  tombées.  Elles 
sont  incapables  de  donner  les  richesses,  de  punir  le 
mal,  de  constituer  un  roi,  d'exiger  qu'on  exécute  les 
vieux  faits  en  leur  honneur,  d'accorder  aux  hommes 
aucun  bien,  pas  même  la  pluie.  Elles  sont  pareilles  aux 
pierres  de  la  montagne,  d'où  elles  sont  tirées.  Le  culle 
qu'on  leur  rend  est  immoral,  puisqu'il  comprend  la 
prostitution  des  femmes.  Ces  dieux  sont  inférieurs  à 
un  roi,  qui  accorde  des  faveurs  à  ses  sujets,  au  soleil,  à 
la  lune,  aux  astres,  aux  forces  de  la  nature,  qui  sont 
utiles  aux  hommes,  aux  animaux  domestiques  qui 
peuvent  fuir  et  rendre  service  à  leur  propriétaire.  Les 
honneurs  qu'on  leur  rend  sont  donc  inutiles,  et  l'homme 
juste,  qui  n'a  pas  d'idole,  sera  exempt  des  opprobres, 
dont  ces  dieux  ne  peuvent  délivrer  leurs  adorateurs, 
vi,  7-72. 

La  même  année,  un  des  captifs,  emmenés  avec 
Jéchonias,  eut  des  visions  à  Tell-Abib,  prés  du  Meuve 
Chobar,  en  Chaldée.  Ezech.,  i,  2,  '.].  La  gloire  de  Jahvé 
lui  apparut  sur  un  char  mystérieux,  i,  4-II,  I.  Dieu  lui 
traça  sa  mission,  qui  était  d'annoncer  aux  Israélites 
apostats  le--  châtiments  de  leur  apostasie  et  de  tâcher 
de  se  faire  écouter  de  cette  maison  irritante,  il,  3-7; 
ni,  16-21.  Mai*  ils  ne  voudront  pas  ('coûter  le  prophète 
pas  plus  que  Dieu  qui  l'envoie,  m.  4-9.  Parce  que  Jéru- 
salem a  méprisé  lesjugements  de  Dieu  et  n'a  pas  observé 
ses  préceptes,  Dieu  la  jugera  aux  yeui  des  nations  et 
dans  son  indignation  la  dépeuplera  el  la  rendra  déserte. 
Jahvé  l'a  dit,  v,  5-17.  Tout  le  pays  sera  désert  a  < 
de  l'idolâtrie  qui  y  règne  el  ses  habitants  seront  tués 
devant  li  *  autels.  Les  survivants  se  souviendront  que 
Jahvé  a  infligé  celle  punition  aux  idol  lires  fornicateurs, 
vi,  1*14.  La  fin  de  Juda  approche.  Jahvé  irrité  juge  le 
royaume  d'apn  < bominations,  vu.  -i- 

l .;.  il  ie  fera  plus  miséricorde.  Rien  ne  pourra  lesau* 
ver,  ni  l'or  ni  l'argent,  dont  il*  ont  fait  les  idole*.  19, 
ijo  Le  pays  est  rempli  d'injustice  el  d'iniquité,  23.  Dieu 
■  Ion  leurs  voies,  el  il*  sauront  qu'il  est  Jahvé, 
-.: .  i  i  gloire  de  Jahvé  emporte  en  vision  le  prophètes 
ileiu  ei  lui  fail  voir  les  abominations  idolâtriques 
i|uis'\  commettent  jusque  dans  le  (empli  Leui  gravité 
ne  permet  plu*  que  Jahvé  ilmer  pai  les  pi 

vm,  I  18    l"n    périront,    iuf  ceux  qui  sont  marqués  du 
lha\ ,  ix,  3-6.  A  i  I      «  inlquib      lai       ibandonne 

le  pays  tout  entier  ;  il  sei  .i  sans  misi le,  9,  10.  La 

di    lai t  du  temple  sur  le  i 

.  i  -   i  •    princi     ■    upal  lalvi 


999 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    BIBLE 


1000 


xi.  1-12.  Les  survivants  se  sanctifieront  au  pays  de  la  cap- 
tivité; ils  retourneront  en   Israël  et  y  seront  fidèles  a 

Dieu  et  à  sa  loi,  14-21.  Cf.  xn,  16.   Toute  prédiction  de 
Jahvé  se  réalisera,  Xir,  25-28.  Les  fausses  prophétesses, 
qui   empéclient  le  peuple  de  se  convertir,  ne   prophé- 
tiseront plus  le  mensonge,  xm,  22,  23.  Aux  Vieillards 
impurs  qui  viennent   le  consulter,  Jahvé  fait  répondre 
qu'Israël,  pour  échapper  au  sort  qui  l'attend,  devrait  se 
convertir,  car  il  punira  tout  Israélite  idolâtre  et  injuste, 
xiv,  1-8,  ainsi  que  tout  prophète  trompeur,  9-11.  Les  trois 
justes,  Noé,  Daniel  et.Ioh,  s'ils  étaient  encore  au  milieu 
du  peuple  coupahle,  ne  le  délivreraient  pas  du  châti- 
ment qu'il  mérite,  12-20.  La  ruine  de  Jérusalem  est 
causée  par  les   prévarications  de  ses  habitants,  xv,  8. 
Cette  ville  s'est    honteusement   prostituée  aux   idoles, 
qu'elle  a   honorées  par   des  sacrifices  humains  et  des 
turpitudes;  elle  sera   sévèrement  châtiée,  car  elle  est 
plus  coupable  que  Sodome  et  Samarie,  xvi,  1-52.  Jahvé 
cependant  lui  pardonnera  et  fera  avec  elle  une  nouvelle 
alliance,  qui  sera  éternelle,  53-63.  Mais  la  violation  de 
l'ancienne   alliance    sera    punie,  xvn,   19-21.  Tous   les 
hommes  appartiennent  à  Jahvé  :  les  jusles  vivront,  mais 
si  leurs  fils  sont  mauvais,  ils  périront,  tandis  que  le  fils 
innocent  d'un  père  coupable  ne  sera  pas  puni.  L'impie 
qui  fera   pénitence  sera   sauvé;    le  juste  qui   prévari- 
quera  sera  châtié,  xvm,  4-28.  Ézéchiel  considère  donc 
chaque  individu  dans  ses  rapports  .avec  Dieu   autant 
que  le  peuple  entier,  et  cet  oracle  est  un  des  premiers, 
dont  le  caractère  individualiste  est  des  plus  marqués. 
La  voie  de  Jahvé  est  équitable;  celle  des  Israélites  est 
mauvaise.  Qu'ils  se  convertissent,  s'ils  veulent  vivre,  car 
Jahvé  ne  veut  pas  la  mort  du  mourant,  29-32.  Après 
avoir  rappelé  les  prévarications  d'Israël  en  Egypte,  au 
désert  et  dans  la  terre  promise,  xx,  4-29,  Jahvé  refuse 
de  répondre  aux  anciens  du  peuple  qui  le  consultent, 
parce  qu'ils  ont  été  idolâtres  comme   leurs    pères,  30, 
31.   Il   établira  son  règne  sur  eux  dans  sa  fureur,  en 
exterminant  tous  les  impies,  mais  il  ramènera  les  sur- 
vivants à  Jérusalem,  malgré  les  crimes  de  leurs  pères, 
pour  y  être  honoré  par  eux,  pour  la  gloire  de  son  nom, 
32-44.  Le  roi  de  Babylone  est,  dans  les  mains  de  Jahvé, 
un  glaive  tranchant,  qui  frappera  bientôt  Juda  et  Arti- 
mon, xxi,  1-32.  Ézéchiel  fait  une  nouvelle  description 
des  péchés  de  Jérusalem  :  l'idolâtrie  et  l'injustice,  XXII, 
1-31.  Deux  sœurs,  la  grande  Oolla  ou  Samarie,  la  petite 
Ooliba  ou  Jérusalem,  se  sont  livrées  à  la  fornication  en 
adorant  les  idoles  de  l'Assyrie,  de  l'Egypte  et  de  la  Chal- 
dée.  De  même  que  la  première  a  été  livrée  aux  Assyriens, 
ses  amants,  la  seconde  sera  livrée  aux  siens,  les  Cbal- 
déens,  xxiii,  1-35.  Les  deux  sœurs   porteront  ainsi  la 
peine  de  leur  idolâtrie,  32-49.  Jérusalem  sera   brûlée  à 
cause  de  ses  violences  et  de  ses  impuretés,  xxiv,  6-14. 
Mais    Ézéchiel    prophétise   aussi    contre    les    peuples 
étrangers:  les  Ammonites,  les  Moabites,  les  Iduméens 
et  les  Philistins,    xxv,  1-17,  contre  les  Tyriens,   xxvi, 
1-xxviii,  24,  contre  les  Égyptiens  et  les  Assyriens,  xxix, 
1-xxxn,  32.  Tous  ces  peuples  orgueilleux  seront  hu- 
miliés et  apprendront  ainsi  à  connaître  que  Jahvé  est 
Dieu,  le  seul  Dieu,  le  Dieu  de  la  terre  entière. 

Quand  Jahvé  aura  humilié  ces  peuples,  il  sanctifiera 
les  restes  d'Israël  aux  yeux  de  toutes  les  nations,  et  il 
les  rétablira  à  Jérusalem,  pour  qu'ils  sachent  eux- 
mêmes  qu'il  est  leur  Dieu,  xxvm,  25,  26.  En  effet  s'il 
fait  périr  l'impie  qui  persévère  dans  son  impiété,  il 
conserve  la  vie  à  l'impie  qui  se  convertit,  xxxm,  7-9. 
Or,  il  ne  veut  pas  la  mort  de  l'impie,  mais  sa  conver- 
sion. C'est  un  nouveau  trait  de  la  prédication  indivi- 
dualiste d'Ezéchiel.  Aussi  ce  prophète  doit  dire  à  la 
maison  d'Israël  de  se  convertir  et  lui  montrer  l'équité 
des  voies  de  Jahvé,  10-20.  Quand  Jérusalem  eut  été  dé- 
sistée par  Nabuchodonosor,  Jahvé  lit  annoncer  aux  ha- 
bitants qui  demeuraient  dans  les  ruines  de  leur  ville  de 
ne  pas  se  llalter  d'un  vain  espoir  :  leurs  péchés  les  ont 


voués  à  la  ruine.  23-29.  Jahvé  demande  ensuite  aux  pas- 
teurs coupables  d'Israël  compte  du  troupeau  qui  leur 
était  confié  et  qui  leur  sera  enlevé  j  causede  leurs  crimes, 
XXXIV,  1-10.  Lui-même  gouvernera  désormais  ses  brebis 
dispersées;  il  les  rassemblera  et  leur  donnera  pour  chef 
un  nouveau  David.  Il  sera  leur  Dieu,  fera  avec  eux  un 
pacte  de  paix,  les  bénira,  les  protégera,  et  ne  permettra 
plus  qu'elles  soient  l'opprobre  des  nations.  Ces  brebis, 
ce  sont  des  hommes,  et  lui  est  Jahvé  leur  Dieu,  11-31. 
Si  lTdumée  doit  être  dévastée,  parce  que  les  Iduméens 
ont  versé  le  sang  des  Israélites  et  voulu  s'emparer  de 
la  -terre  d'Israël,  xxxv,  1-15.  les  montagnes  d'Israël, 
dévastées,  seront  repeuplées  pour  toujours,  xxxvi,  1-15. 
Jahvé,  quia  puni  les  crimes  de  leurs  anciens  habitants, 
purifiera  les  survivants  de  leurs  impiétés  et  de  leurs 
iniquités  et  les  ramènera  dans  leur  terre,  16-38.  Ce 
sera  une  résurrection,  et  les  ressuscites  auront  l'esprit 
de  Jahvé,  xxxvn,  1-14.  Les  survivants  des  deux  royaumes 
d'Israël  et  de  Juda,  une  fois  purifiés,  ne  formeront 
qu'un  seul  peuple  de  Jahvé,  qui  marchera  dans  la  pra- 
tique de  ses  préceptes  et  qui  sera  le  peuple  saint  de 
Jahvé  au  milieu  de  toutes  les  nations,  15-28.  Les  enne- 
mis, qui  attaqueront  ce  nouveau  peuple  de  Dieu, 
seronte.xterminés  par  Jahvé,  pour  que  toutes  les  nations 
sachent  qu'il  est  le  Saint  d'Israël,  xxxviii,  1-xxxix.  2. 
La  maison  d'Israël  saura  aussi  que  Jahvé  est  désormais 
et  pour  toujours  son  Dieu,  et  qu'elle  est  son  peuple, 
purifié  par  la  captivité  et  animé  de  l'esprit  de  Jahvé, 
22-29.  La  25e  année  de  la  transmigration,  Ézéchiel  vit 
en  vision  la  théocratie  nouvelle,  son  temple,  son  culte, 
et  le  partage  du  pays,  xl-xlviii.  Et  le  nom  de  la  cité 
nouvelle  est  :  Jahvé  est  là,  xi.viii,  35.  Les  deux  princi- 
paux caractères  qu'Ézéchiel  reconnaît  à  Jahvé.  c'est  la 
fidélité  à  l'alliance  conclue  par  lui  avec  Israël,  à  ses 
promesses  comme  à  ses  menaces,  et  la  sainteté,  qui 
punit  les  crimes,  pardonne  au  repentir  et  bénit  chacun 
des  fidèles  observateurs  de  sa  loi.  Le  caractère  moral  de 
Jahvé,  si  fortement  accusé  dans  les  oracles  de  ce  pro- 
phète, s'unit  parfaitement  à  la  pratique  des  rites,  dont 
Ézéchiel  a  élaboré  un  plan  nouveau  pour  l'époque  de 
la  restauration  d'Israël.  Cf.  Duhm.  op.  cit.,  p.  252- 
263. 

Un  autre  prophète  de  la  captivité,  Daniel,  est,  à  la 
cour  des  rois  de  Babylone,  l'interprète  du  Dieu  d'Israël, 
dont  il  demeure  le  serviteur  fidèle,  Dan.,  I,  en  refusant 
d'adorer  les  dieux  de  Nabuchodonosor  et  la  statue  du 
roi,  m,  12,  14,' 15.  Dans  les  songes  qu'il  explique,  dans 
les  visions  qu'il  voit,  il  a  l'occasion  d'énoncer  les  attri- 
buts divins,  et  il  donne  à  Jahvé  des  noms  variés,  qui 
répondent  bien  aux  mêmes  attributs.  Voir  col.  73.  C'esl 
le  Dieu  des  pères,  sage  et  puissant,  qui  constitue  les 
royaumes  et  les  transfère,  qui  donne  aux  sages  la  science 
et  la  sagesse  et  qui  révèle  les  secrets  cachés,  il,  20-23. 
Ce  Dieu  du  ciel  a  révélé  l'avenir  en  songe  à  Nabucho- 
donosor, 28,  29;  il  lui  a  donné  son  royaume,  la  puis- 
sance et  la  gloire,  37.  Nabuchodonosor  le  reconnaît 
pour  le  Dieu  des  dieux,  47.  Ce  Dieu  est  assez  puissant 
pour  tirer  Daniel  et  ses  compagnons  de  la  fournaise 
ardente,  III,  17.  Au  nom  de  la  justice  et  de  la  miséri- 
corde de  Jahvé,  Azarias  demande  la  protection  divine 
pour  que  les  Chaldéens  apprennent  que  Jahvé  est  le 
seul  Dieu,  glorieux  sur  toute  la  terre,  26-45.  Préservés 
des  flammes,  les  trois  jeunes  Israélites  glorifient  et 
bénissent  leur  protecteur,  51-90.  Nabuchodonosor  dé- 
clare que  Jahvé  est  le  seul  Dieu  qui  puisse  faire  un 
pareil  miracle,  95,  96.  Il  écrit  à  tous  ses  sujets  que  le 
Dieu  très-haut  lui  a  donné  des  signes  merveilleux, 
qu'il  veut  faire  connaître,  99.  ICO.  Daniel,  qui  a  l'esprit 
des  dieux  saints,  iv,  5,  6,  a  interprété  le  songe  de  l'ar- 
bre, envoyé  au  roi  pour  qu'il  apprenne  que  le  Tr<  s- 
llaut  donne  les  royaumes  à  qui  il  veut.  li.  22.  29. 
Guéri,  Nabuchodonosor  a  rendu  gloire  au  Très-Haut, 
dont  toutes  les  œuvres  sont  vraies  et  dont  les  voies  sont 


1001 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS   LA    RIRLE) 


1002 


justes,  31-31.  Daniel  le  rappelle  à  Baltassar,  son  fils, 
v,  18-21.  Ce  roi  a  honoré  des  dieux,  qui  ne  voient  ni 
n'entendent  ni  ne  sentent,  et  n'a  pas  glorifié  le  Dieu 
qui  tient  son  souflle  et  ses  voies  dans  sa  main,  mais 
s'est  élevé  contre  lui,  22,  23.  Ce  Dieu  lui  fait  dire  que 
son  règne  est  fini  et  que  son  royaume  devient  le  partage 
des  Mèdes  et  des  Perses,  24-28.  Malgré  les  ordres  de 
Darius,  lianiel  priait  son  Dieu;  il  fut  jeté  dans  la  fosse 
aux  lions,  VI,  10-16.  Darius  avait  l'espoir  que  son  Dieu, 
le  Dieu  vivant,  le  sauverait,  16,  20.  Le  Dieu  de  Daniel 
envoya  un  ange  pour  protéger  son  serviteur,  22.  Darius 
promulgua  par  décret  qu'il  fallait,  dans  tout  son  empire, 
craindre  le  Dieu  de  Daniel,  le  Dieu  vivant,  éternel  et 
tout-puissant,  25-27.  Dans  les  visions,  l'Ancien  des 
jours,  qui  siège  sur  un  trône,  juge  les  rois  delà  terre, 
VII,  9-12,  et  donne  au  Fils  de  l'homme  le  pouvoir  sur 
tous  les  peuples,  13,  14.  Daniel  prie  Dieu  pour  son 
peuple.  Dieu  est,  à  ses  yeux,  grand,  terrible,  fidèle, 
miséricordieux  pour  ceux  qui  l'aiment  et  qui  observent 
ses  commandements,  mais  juste  et  sévère  pour  les 
Israélites  coupables,  ix,  1-14.  Qu'il  fasse  miséricorde  à 
Jérusalem  et  pardonne  au  repentir,  15-19!  La  prophé- 
tie des  semaines  et  celle  des  royaumes  des  Perses  et 
des  Grecs  montrent  que  Dieu  connaît  l'avenir,  qu'il 
est  le  maître  des  peuples  et  qu'il  règle  le  sort  des  empi- 
res. A  Babylone.  Suzanne  craignait  Dieu  et  avait  été 
élevée  dans  la  loi  de  .Moïse,  xm,  2,  3.  Accusée  par  les 
vieillards,  elle  mit  sa  confiance  en  Jahvé,  35,  et  elle  de- 
manda à  ce  Dieu  éternel,  qui  connaît  toutes  choses 
avant  même  qu'elles  ne  soient  faites,  de  protéger  son 
innocence,  42,  43.  Jahvé  exauça  sa  prière  et  inspira 
Daniel,  14,  i5,  qui  savait  que  Dieu  ne  laisse  pas  périr 
l'innocent  et  le  juste,  53.  Daniel  n'adorait  pas  le  dieu 
Bel,  une  idole  faite  de  main  d'homme,  mais  le  Dieu 
visant,  qui  a  créé  le  ciel  et  la  terre  et  a  pouvoir  sur 
toute  chair,  xiv,  3.  î.  Le  roi  prétendait  que  Bel  vivait, 
puisqu'il  mangeait  et  buvait  chaque  jour.  Daniel  répon- 
dit qu'il  était  de  lerre  à  l'intérieur  et  d'airain  à  l'exté- 
rieur, G,  et  il  prouva  par  un  habile  stratagème  que  les 
l'i  rires  enlevaient  la  nourriture  qu'on  préparait  chaque 
jour  pour  l'idole  el  faisaient  croire  que  le  Dieu  l'avait 
mangée,  7-21.  11  lit  périr  aussi  un  dragon  que  les  Baby- 
loniens adoraient,  pour  montrer  qu'il  n'était  pas  un 
dieu  vivant,  mais  que  Juhvé  seul  était  le  Dieu  vivant. 
22-26.  Il  fut  protégé  par  son  Dieu  dans  la  fosse  aux 
lions;  ie  roi  loua  la  grandeur  du  Dieu  de  Daniel  el  le 
fit  honorer  par  loute  la  terre,  39-42. 

Des  psalmistes,  probablement  contemporains  de  la 
captivité',  soupirent  après  le  Dieu  vivant,  après  son 
temple  saint,  dont  ils  sonl  éloignés.  Ils  espèrent  en 
leur   Dieu.    L'abandon   el   l'oubli,   dans    lesquels  Jahvé 

semble  b-s  l . i j  —  î-  ■  t  que  leurs  | ji ■  rs. -i  1 1 1 1 •  1 1 rs  leur  re- 
prochent, ne  diminuent  pas  leur  confiance  en  leurpro- 
i. cteur  et  leur  sauveur.  Ps.  \i  i  un  .  J-I2.  Le  souve- 
nu- des  bienfaits  que  Dieu  a  accordés  à  leurs  pères 
par  amour,  ranime  leur  espérance  de   la  victoire.  Dieu 

i-t  plus  a  la  ti  te  des  armées   de  Jacob;  il  disperse 
le  peuple  parmi  les   nations,  bien  que  ce  peuple  n'ait 

lublié  son  Dieu,  qu'il  n'ait  pas  tendu   ses   mains 

un  dieu  étranger.  Dieu,  qui  connaît  I 

l'aurait-il  pas  vu  '  Qu'il  se  réveille  donc  el 
qu'il  se  lève  pour  secourir  les  siens!  Ps.  xi  ni  (XLiv), 

\  la  vue  des  ruines  di    lérusalem,  Ps.  i  x\ni  (lxxiv), 

3-9.  aux  souvenirs  >i  bienfaits  de  Dieu.  2,  10- 

de  sa   puissance  i  :  15-17,   un    psalmiste 

demande  à  heu  ,  il  .,  ,.  j,  t,    |,      Israélites  pour  tou- 

li protection,  I*--.!.;.  Cf.    Ps.   i  \\\  i 

il),  8  21  .  i.xxvim  (uxxix  .  1-13;  i  \\\  (i  \\\i  . 

Quand  la  dynastie  de  David,  -i  qui  Jahvé  avait   pr 

Il  stabilité,  a  été  rci  I  than  rappelle  •>  ce  Dieu 

ml  el  redoutable,  au  en  ateur  du  ciel  el  de  la  ti 

i  l'égard  de  la  famille  royale. 

uxviii    i  \wi\     i  i,  psalmiste  anonyme  ci  li  bre 


la  bonté  et  la  miséricorde  éternelle  du  Seigneur;  il 
appelle  le  secours  divin  pour  son  peuple  coupable, 
Ps.  c.v  (evi),  1-6,  comme  ses  pères,  7-46,  que  Dieu  a 
néanmoins  secourus.  Que  Jahvé  rassemble  les  Juifs  du 
milieu  des  nations,  pour  qu'ils  puissent  célébrer  son 
saint  nom  !  47. 

VI.  APRÈS  LE  RETOUR  DE  LA  CAPTIVITÉ.  —  Le  mono- 
théisme spirituel,  prêché  par  les  prophètes  du  vme 
et  du  vu0  siècle,  avait  été  tenu  en  échec  par  la  majorité 
de  la  nation  jusqu'à  la  destruction  de  Jérusalem  par 
les  Chaldéens.  Il  triompha  définitivement  sur  la  terre 
étrangère.  Les  véritables  Israélites  s'imprégnèrent  pro- 
fondément de  son  esprit  pendant  la  captivité,  et  quand 
l'édit  de  Cyrus  leur  permit  de  retourner  en  Palestine  et 
de  relever  les  ruines  de  Jérusalem,  en  588,  une  partie 
du  groupe  fidèle  revint,  et  la  nouvelle  communauté 
d'Israël  se  réorganisa  peu  à  peu  selon  l'espritdes  pro- 
phètes de  la  loi  divine.  Dès  lors,  Jahvé  régna  sans 
rival  parmi  son  peuple,  en  attendant  que  par  la  venue 
du  Messie,  son  règne  parmi  les  nations  commença  à  se 
réaliser. 

1°  Sous  la  domination  perse.  —  On  ne  peut  voir 
sans  doute  dans  le  décret  de  Cyrus  une  profession  de 
foi  monothéiste  en  Jahvé,  Dieu  du  ciel.  II  Par.,  XXXVI, 
23;  I  Esd.,  î,  2-4.  Il  faut  y  voir  seulement  l'expression 
des  bons  sentiments  d'un  conquérant  accommodant  et 
habile  politique,  qui  parle  avec  respect  de  tous  les 
dieux  de  ses  nouveaux  sujets  et  se  donne  comme  leur 
adorateur.  Il  cro\ait  avoir  reçu  d'eux  des  ordres  et  il 
autorise  la  continuation  ou  la  reprise  de  leur  culte. 
F.  Yigouroux,  La  Bible  et  les  découvertes  modernes, 
6e  édit.,  Paris,  1896,  t.  iv,  p.  405-419.  Les  premiers 
rapatriés  relevèrent  à  Jérusalem  l'autel  du  Dieu  d'Is- 
raël et  recommencèrent  l'offrande  des  sacrifices. 
1  Esd.,  m,  2-6.  Ils  jetèrent  les  fondements  du  temple, 
en  célébrant  à  grands  cris  la  bonté  el  la  miséricorde 
de  Jahvé,  10-13.  Les  travaux  interrompus  par  la  jalousie 
des  Samaritains,  iv,  1-5,  furent  repris  en  la  deuxième 
année  de  Darius  et  achevés  la  sixième,  IV,  24;  v.  1-15, 
avec  les  encouragements  des  deux  prophètes  Aggée  el 
Zacbarie. 

Au  nom  de  Jahvé  des  armées,  Aggée  reproche  aux 
rapatriés  de  négliger  la  reconstruction  du  temple;  les 

i vaises  récoltes  des  années  précédentes  sont  la  juste 

punition  que  Dieu  inflige  pour  cette  négligence  ;  Jahvé 
met  son  plaisir  el  sa  gloire  à  cette  résurrection,  1,1-11. 
Jahvé  esl  avec  les  rapatriés  en  vertu  de  l'alliance  con- 
clue à  la  sortie  d'Egypte,  n,  5.  Il  a  le  pouvoir  de  bou- 
leverser le  ciel,  la  terre  et  la  mer  pour  glorifier  le 
nouveau  temple,  plus  petit  que  l'ancien,  l'ont  argent  et 
tout  or  lui  appartiennent,  6-9,  21,  22.  Parce  qu'on  a 
obéi  à  ses  ordres,  Jahvé  répand  ses  bénédictions  sur 
les  champs,  16-19.  Les  huit  premiers  chapitres  de 
/î.  harie  ont  rapport  aussi  à  la  construction  du  temple, 
mais  à  un  autre  point  de  vue  que  les  exhortations  d'A. 

ivemenl  de  la  maison  de  Dieu  \  esi  présenti 
comme  devant  amener  la  manifestation  complète  de  la 
laveur  divine  envers  la  communauté  rentrée  en  grâce, 
tandis  que  les  pères  avaient  été  puni-  pour  leurs  crimes. 
L'action  de  la  providence  dune'  Be  Fera  donc  sentir 
bienfaisante  A  l'avenir,  c  imme  elle  a\  tait  exi  i 
sévère  el  punissante  dans  le  passé.  Jahvé  des  arn 
était  irrité  contre  les  péri  '  dl 

leurs  œuvres  mauvaises,  que  leurs  III     ne  doivent  pas 
suivre,  i,  2-5,  12,  14.  Les  pères   n'ont   pas   écoute   les 
prophètes  qui  leur  prêchaient  la  pratique  de  la  v<  ; 
,le  |a  bonté  el  de  la  justice,  el  ils  ont  été  puni-  par  la 
captivité,  vu,  8-14.  Mais  la  nation  s'est  convertie,  î,  6  ; 
cette  convei  sioo  i  I                        urroux  divin,  l  i 
la  communauté  nouvelle  recevra  les  bi  nédictions  divines. 
La  di  ili  ucUon  di    i  i  mpin  di   Babj  lom  .  la   délivi 
du  peuple  captif,  la  i                tîon  du  lempli 
par  Dieu,  i ntque  li  corn  mène ni  de  plus  grands 


1003 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    BIBLE! 


1004 


bienfaits,  i.  15-17;  H,  4-17.  La  réhabilitation  du  grand- 
prétre  est  aussi  un  gage  de  prospérité  future,  m,  1-10. 
Cf.  vi,  9  15.  Le  candélabre  d'or  à  sept  lampes  entre 
deux  oliviers  représente  la  vigilance  de  Jahvé  et  les 
agents  dont  il  se  sert  pour  s'éclairer  dans  la  formation 
de  ses  bons  desseins  pour  la  communauté,  IV,  10-14. 
L'ancienne  malédiction  sort  du  pays,  où  il  n'y  aura 
plus  désormais  de  voleur  ni  de  parjure,  V,  3,  4.  Les 
jours  déjeune,  institués  pour  expier  les  fautes  passées, 
doivent  être  changés  en  joyeux  jours  de  fête,  vu,  1-7. 
Jahvé  aime  Sion  d'une  passion  ardente,  et  il  en  fera 
une  ville  fidèle,  une  montagne  sainte.  Ses  habitants 
seront  son  peuple,  et  il  sera  leur  Dieu  en  vérité  et  en 
justice,  VIII,  1-8.  Eux,  qui  avaient  été  une  malédiction 
parmi  les  nations,  seront  une  bénédiction,  9-16;  mais 
ils  devront  pratiquer  la  sincérité  et  la  justice,  car  Jahvé 
hait  le  faux  serment,  16,  17.  Les  jeûnes  sont  changés 
pour  eux  en  jours  de  joie,  à  la  condition  qu'ils  aiment 
la  vérité  et  la  paix,  18,  19,  et  les  nations  viendront  à 
Jérusalem  pour  gagner  la  faveur  de  Jahvé  et  pour 
chercher  Jahvé  des  armées,  20-23.  Cf.  Duhm,  op.  cit., 
p.  314-318. 

Si,  avec  M.  Van  Hoonacker,  op.  cit.,  p.  649-662,  on 
admet  l'unité  de  composition  de  Zachsrie,  i-vm  ;  ix-xi  + 
xni,  7-9;  xii-xiii,  6  -f  xiv,  on  considérera  les  promesses 
messianiques  de  la  seconde  et  de  la  troisième  sections 
comme  la  continuation  des  bénédictions  prédites  dans 
la  première  à  la  nouvelle  communauté.  Les  ennemis 
vaincus,  ix,  1-7,  Sion  sera  sous  la  protection  de  Jahvé 
à  l'abri  de  toute  invasion,  et  son  roi  messianique  pro- 
clamera la  paix  pour  toutes  les  nations,  8-10,  car  Jahvé 
aura  combattu  pour  son  peuple,  11-16.  Après  avoir 
puni  les  mauvais  pasteurs,  Jahvé  visitera  son  troupeau, 
le  sauvera  et  le  fortifiera,  x,  xi.  Le  créateur  du  ciel, 
de  la  terre  et  de  l'homme  annonce  le  triomphe  de 
Jérusalem  sur  ses  ennemis,  sa  restauration  et  la  régéné- 
ration spirituelle  de  ses  futurs  habitants,  XII,  1-10; 
xiv,  1-5.  11  n'y  aura  plus  en  Jérusalem  ni  péché  ni 
souillure,  et  Jahvé  en  enlèvera  les  idoles,  XIII,  1,  2. 
Jahvé  sera  roi  sur  la  terre  entière,  xiv,  9.  Les  nations 
viendront  honorer  Jahvé  des  armées  à  Jérusalem,  16- 
19, et  lui  offrir  des  sacrifices,  20,  21.  Cf.  Duhm,  op.  cit., 
p.  145-149. 

Plusieurs  psaumes  semblent  avoir  été  composés  pour 
célébrer  la  reconstruction  du  temple.  Le  ps.  xcv  (xevi) 
invite  tous  les  peuples  delà  terreà chanter  leslouanges 
de  Jahvé,  à  bénir  son  nom,  à  célébrer  sa  gloire,  car  il 
est  grand,  digne  de  louange  et  redoutable  plus  que  tous 
les  dieux,  qui  ne  sont  que  néant.  Il  a  créé  les  cieux. 
Tous  les  peuples  doivent  le  reconnaître  pour  roi  et 
pour  juge,  un  juge  juste  et  fidèle  à  sa  parole.  Le  ps.  cxvn 
(cxvin)  convient  à  la  dédicace  du  second  temple.  Le 
peuple  et  les  prêtres  chantent  la  bonté  et  la  miséri- 
corde éternelle  de  Jahvé,  1-4.  Jahvé  a  sauvé  Israël, 
qui  l'avait  invoqué;  il  l'a  secouru,  après  l'avoir  rude- 
ment châtié,  5-18.  Les  portes  du  nouveau  temple  sont 
les  portes  de  la  justice,  par  lesquelles  les  justes  peuvent 
entrer,  19,  20.  Jahvé  est  Dieu;  il  faut  le  louer,  27,  28. 

Lors  de  la  destruction  de  Jérusalem  par  les  Chaldéens, 
les  Iduméens  se  réjouirent  de  la  chute  de  la  capitale 
juive.  Lament.,  iv,  21,22;  Ezech.,  xxxv, 5-15;  Ps.  cxxxvi 
(cxxxvn),  7.  C'est  pourquoi  Abdias,  que  Van  Hoonacker, 
op.  cit.,  p.  285-297,  reporte  à  l'époque  qui  suivit  le 
retour  de  la  captivité,  annonce  que  Jahvé  détruira  en- 
tièrement ce  peuple,  1-16,  tandis  qu'il  sauvera  Sion  et 
la  rendra  prospère,  lui  à  qui  appartient  l'empire,  17-21. 
Et  un  peu  plus  tard,  Malachie  déclare  que  cette 
différence  de  sort  vient  de  ce  que  Jahvé  a  aimé  Jacob 
et  haï  Ësau,i,2-4.  De  la  vengeance  infligée  aux  Iduméens, 
les  Juifs  concluront  que  Jahvé  est  grand  au  delà  du 
territoire  d'Israël,  5.  Parce  que  Jahvé  est  père  et 
maître, il  demande  aux  prêtres  prévaricateurs  comment 
ils  le  craignent,  alors  qu'ils  n'observent  pas  exactement 


les  prescriptions  du  rituel,  6-10.  Son  nom  est  grand 
parmi  les  nations, 11,  14.  Si  les  prêtres  ne  s'appliquent 
pas  de  cœur  à  leurs  obligations,  Jahvé  les  maudira  et 
les  châtiera,  II,  1-4.  En  vertu  du  pacte  conclu  avec 
l.évi,  le  prêtre  doit  être  franc,  intègre  et  droit,  5-9. 
Jahvé  est  le  père  et  le  créateur  de  tous  les  Juifs,  qui 
cependant  sont  perfides  et  profanent  lalliance,  en 
épousant,  eux,  chose  sacrée  que  Jahvé  aime,  les  filles 
d'un  dieu  étranger,  10-12.  Jahvé  n'a  pas  pouragréables 
leurs  offrandes,  parce  qu'ils  divorcent  pour  des  raisons 
injustes,  13-16.  Ils  lui  sont  à  charge,  parce  qu'ils 
disent  :  (Quiconque  fait  le  mal  est  bon  aux  yeux  de 
Jahvé,  qui  se  comptait  en  lui,  ou  bien  :  Où  est  le  Dieu 
du  droit'.' 17.  Ils  sont  donc  mauvais;  mais  le  Messie 
renouvellera  le  sacerdoce  et  la  nation,  m,  1,  2;  les 
lévites  offriront  à  Jahvé  des  sacrifices  en  justice; Jahvé 
jugera  les  adultères,  les  parjures  el  les  oppresseurs, 
3-5,  car  il  n'a  pas  changé,  tandis  que  les  Juifs  n'ont 
cessé  de  faire  le  mal,  6,  7.  Pour  revenir  à  lui,  il  ne 
faudra  plus  frauder  dans  le  versement  de  la  dirne, 
7-12.  C'est  à  tort  que  les  Juifs  se  plaignent  de  lui, 
disant  qu'ils  l'ont  servi  en  vain,  qu'ils  n'ont  tiré  aucun 
profit  de  l'observation  de  sa  loi.  Ils  estiment  heureux 
les  arrogants,  puisque  ceux  qui  font  mal  sont  dans  la 
prospérité  et  qu'ils  échappent  au  châtiment,  bien  qu'ils 
tentent  Dieu,  13-15.  Jahvé  a  entendu  ces  raproches  et 
il  y  a  fait  attention.  Aussi.au  jour  où  il  agira,  ceux  qui 
le  craignent  seront  pour  lui  comme  sa  propriété, 
comme  des  fils  pour  qui  il  sera  indulgent.  On  verra 
alors  la  différence  qu'il  fait  entre  le  juste  et  le  méchant, 
entre  celui  qui  le  sert  et  celui  qui  ne  le  sert  pas,  16-18. 
Les  méchants  seront  punis  et  les  serviteurs  de  Jahvé 
récompensés,  19-21.  Que  ceux-ci  pratiquent  donc  la  loi 
de  Moïse!  22.  Jahvé  veut  que  ses  serviteurs  accomplis- 
sent non  seulement  les  œuvres  de  la  justice,  mais  aussi 
les  préceptes  de  sa  loi  et  les  rites  eux-mêmes.  Cf. 
Duhm,  op.  cit.,  p.  318-320. 

A  cette  prédication  de  Malachie  on  rattache  aujour- 
d'hui la  double  mission  de  Néhémie,  qui  aurait  précédé 
celle  d'Esdras.  L'idée  que  Néhémie  a  de  Dieu  est  la 
même  que  celle  de  Malachie.  Il  prie  le  Dieu  du  ciel,  le 
Dieu  puissant,  grand  et  terrible,  qui  est  fidèle  et  misé- 
ricordieux envers  ceux  qui  l'aiment  et  qui  observent  ses 
commandements.  Il  confesse  ses  péchés  et  ceux  de  son 
peuple,  et  la  justice  de  leur  châtiment,  prédit  à  Moïse, 
et  il  demande  que  Jahvé  écoute  sa  prière  et  celle  des 
Israélites  qui  craignent  Dieu.  II  Esd.,  i.  5-11.  Dieu, 
qu'il  avait  prié,  h,  4,  lui  rendit  le  roi  des  Perses  favo- 
rable, 8,  et  lui  suggéra  le  dessein  de  relever  les  murs 
de  Jérusalem,  12.  Il  demandait  le  secours  du  Dieu  du 
ciel  pour  cette  œuvre,  20.  Quand  les  Samaritains  y  font 
obstacle,  Néhémie  demande  encore  à  Dieu  le  succès, 
îv,  4,5,  9,  confiant  en  la  puissance  de  ce  Dieu  terrible, 
li.  Dieu  dissipa  les  projets  des  adversaires,  15.  Les 
Juifs  avaient  raison  d'espérer  qu'il  combattrait  pour  eux. 
20.  La  crainte  de  I > i e n  ne  peut  se  concilier  avec  la 
perception  d'intérêt  pour  l'argent  prêté,  v,  9,  el  Dieu 
punira  ceux  qui  la  feront,  13.  Par  crainte  de  Dieu. 
Néhémie  n'a  pas  prélevé  les  impôts  auxquels  sa  charge 
lui  donnait  droit,  15,  et  il  espère  que  Dieu  se  souviendra 
de  ce  sacrifice  fait  pour  le  bien  du  peuple  et  l'en  bénira, 
19,  comme  des  ennuis  que  lui  ont  causés  Tobie,  Sana- 
liallat  et  les  prophètes  qui  le  détournaient  de  son  œuvre, 
vi,  14.  hieu  suggère  à  Néhémie  l'idée  de  recenser  les 
habitants  de  Jérusalem,  vu,  ô.  Il  donna  à  tous  une 
grande  joie  le  jour  de  la  dédicace  des  murs  de  Jérusa- 
lem, xn,  42.  Si  le  récit  de  II  Mach.,  i,  20-36,  est  histo- 
rique, Néhémie,  pour  retrouver  le  feu  sacré,  invoqua 
Jahvé,  le  créateur,  en  rappelant  tous  ses  attributs,  34. 
25.  Il  avait  réglé  auparavant  qu'on  observerait  les  pres- 
criptions divines,  relatives  aux  mariages  mixtes. 
Il  Esd.,  x,  30.  Quand  il  revint  à  Jérusalem,  la  32*  an- 
née d  Arlaxerxès,  il  constata  que  l'abus  de  ces  mariages 


1005 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    BIBLE; 


1006 


avait  persévéré  ainsi  que  d'autres,  auxquels  il  mit  bon 
ordre,  xm,  4-31.  Dieu  les  avait  permis,  18,  mais  Néhé- 
mie  espère  que  Dieu  se  souviendra  de  lui  et  qu'il  le 
bénira  de  ce  qu'il  a  supprimé  de  pareils  abus,  14,  22, 
29-31. 

Selon  M.  Van  Hoonacker,  op.  cit.,  p.  312-314,  le 
livre  de  Jonas  a  été  composé  au  milieu  du  Ve  siècle. 
Le  même  critique  croit  plus  au  caractère  didactique  et 
moral  du  récit  qu'à  la  réalité  des  faits  racontés,  dont 
la  mise  en  scène  est  destinée  à  inculquer  plus  forte- 
ment les  leçons  morales.  Or,  dans  la  première  partie, 
i.  ir,  Jonas  essaie  de  se  soustraire  à  la  mission  que 
Jahvé  lui  avait  confiée,  mais  il  est  ramené  à  la  côle  par 
un  double  miracle,  i,  4;  n,  1,  afin  de  montrer  qu'un 
envoyé  de  Dieu  prétendrait  en  vain  s'affranchir  de  son 
mandat,  malgré  la  volonté  divine.  Dieu  exerce  sur  son 
prophète  une  autorité  absolue  et  il  a  le  pouvoir  de  se 
faire  obéir,  l'autre  part,  Jahvé  a  aussi  autorité  sur  les 
nations  païennes,  puisqu'il  envoie  Jonas  annoncera  Ni- 
nivc  que  la  malice  de  cette  ville  est  montée  devant  lui, 
I,  2.  Les  matelots  païens,  effrayés  de  la  tempête  en- 
voyée par  Jahvé,  le  Dieu  du  ciel  qui  a  fait  la  terre  et 
la  mer,  prient  ce  Dieu,  qu'ils  ne  connaissaient  pas, 
d'épargner  des  innocents  et  de  ne  punir  que  le  coupa- 
ble, i,  7-16.  Jahvé,  qui  les  exauce,  écoule  donc  favo- 
rablement les  prières  de  tous  les  hommes,  même  des 
païens,  qui,  à  ses  œuvres,  l'ont  reconnu  pour  le  vrai 
Dieu.  Le  miracle  du  poisson  prouve  la  toute-puissance 
de  Jahvé,  qui  disposait  de  moyens  souverains  pour 
ramener  un  prophète  récalcitrant  à  l'exécution  de  sa 
mission.  La  prière  de  Jonas  fut  exaucée,  et  le  prophète 
rejeté  à  la  cote  par  le  monstre  marin.  La  providence  di- 
vine s'exerce  môme  sur  les  coupables,  pourvu  qu'ils  re- 
courent à  Dieu  ;  seuls,  les  serviteurs  des  idoles  ne  peuvent 
compter  sur  la  faveur  de  ceux  qu'ils  invoquent,  il,  9, 
10.  Dans  la  seconde  partie,  Jahvé  ordonne  de  nouveau 
à.Ionas  de  prêcher  à  Ninive  la  destruction  de  la  ville 
coupable;  mais  les  Ninivites  croient  en  Dieu  et  font 
pénitence,  et  Dieu,  voyant  leur  conversion  et  leurs 
actes  de  pénitence,  changea  de  résolution  et  ne  détrui- 
sit pas  leur  ville,  III,  1-10.  Le  prophète  en  conçut  du 
dépit  ci  se  plaignit  à  Jahvé  de  sa  clémence  et  de  sa 
longanimité.  Dieu  lui  prouva  parle  miracle  du  ricin 
que  j'-  plaintes  étaient  inspirées  par  un  amour-propre 
te,  iv,  1-11.  Dieu  garde  donc  une  indépendance 
absolue;  sa  miséricorde  peut  toujours  octroyer  le  par- 
don au  repentir.  Jonas  s'irrite  à  tort  des  procédés  bien- 
veillants de  la  providence  divine,  qui,  miséricordieuse 
autant  que  juste,  s'éti  nd  à  tous  les  hommes,  païens  el 
Juifs. 

Pour  M.  Van  Hoonacker,  op.  <it.,  p.  145-154,  l'oracle 
de  Joël  est  d'un  peu  postérieur  an  livre  de  Jonas. 
A    l'annonce  de  la  proximité  du  jour  de  Jahvé,  tout 

I  (but  jeûner  et  se  réunira  la  maison  restaun 
Jahvé,  i.  14,   15,  pour  prier  >'    Dieu  qui  punit,  19.  Ce 
jour  de  Jahvé  n'esl  pas  le  jour  de  la  ruine  des  ennemis 

d'Israël,  < m1  dans  les  anciens  prophèti  s,  mais  bien 

celui  du  jugement  de  Jahvé  -m  tous  les  peuples,  n,  II. 
Pours'j  préparer,  les  Juifs  doivent  revenir  à  Jahvé  de 
tout  leur  cœur,  car  il  est  propice  el  miséricordieux, 
plein  de  longanimité  el  très  clément;  il  se  repenl  du 
mal.  dont  il  menace,  el  il  revient  sur  les  mesures  ven- 
qu'il  a  prises,  12,  13.  Aussi,  peut-être  qu'au 
lieu  de  la  malédiction  prédite  contre  Sion,  laissera-t- 
il  mu'  bénédiction,  11.  Donc,  que  I  [ue  àSion 

me    assembléi    générale  pour  crier  à  Jahvé    An-  pitié 
de  ion  peuple;  que  ton  héritage  ne  soit  pis  l'oppi 
nations  qui   le  dominent,  et  qu'elli  -   ni    pui 

leur    Dieu  '    I.VI7.   Par  amour,  Jahvé 
n  |m  uple,  écai  t.i  de  lui   les  maus   annoi 
lui    .     bienfaits  mati  riel    el    pli  Ituel -. 

Ii(  -  pour  im .   que  Jahvé  esl  leut   Di<  u,  qu  il  n'j 


en  a  pas  d'autre  que  lui,  27.  Le  jour  de  Jahvé  sera  donc 
pour  Israël  un  jour  de  bénédiction  :  Jahvé  répandra 
son  esprit  sur  tous,  m,  1-2 ;  quiconque  invoquera  le 
nom  de  Jahvé  sera  sauvé,  5;  Juda  et  Jérusalem  seront 
restaurés,  iv,  1,  et  les  nations  qui  les  ont  opprimés, 
seront  jugées  et  punies,  2-16.  Les  Juifs  sauront  que 
Jahvé,  leur  Dieu,  habite  à  Sion,  sa  sainte  montagne. 
Jérusalem  sera  sainte  et  les  étrangers  n'y  passeront 
plus,  17;  les  biens  messianiques  y  couleront,  18,  tandis 
que  l'Egypte  et  l'Idumée  seront  châtiées.  Juda  et  Jéru- 
salem dureront  toujours,  et  Jahvé  demeurera  à  Sion, 
19-21.  Le  nouveau  peuple  de  Dieu  ne  périra  pas.  Cf. 
Duhm,  op.  cit.,  p.  312. 

Sous  Arfaxerxès  II,  en  398,  Esdras  ramène  en  Judée 
une  nouvelle  colonie  d'émigrants.  I  Esd.,  vu,  1-26.  Ce 
scribe,  instruit  dans  la  loi  de  Moïse,  reçoit  du  roi, 
par  la  disposition  de  Jahvé,  la  mission  de  réorganiser 
au  lemple  de  Jérusalem  le  culte  du  Dieu  du  ciel.  Il  en 
bénit  le  Dieu  des  pères,  qui  lui  a  fait  obtenir  cette  fa- 
veur du  roi  des  Perses,  27,  28.  Il  ordonne  un  jeûne 
pour  obtenir  la  protection  de  Jahvé  pendant  le  voyage. 
Il  avait  dit  au  roi  que  la  main  de  Dieu  protège  ceux 
qui  le  cherchent  dans  la  voie  du  bien,  et  que  sa  fu- 
reur toute-puissante  tombe  sur  ceux  qui  l'abandonnent, 
Vlll,  21-23,  31.  Les  mariages  mixtes  étaient  aux  yeux 
d'Esdras  un  grave  manquement  à  la  loi  de  Jahvé.  Cette 
iniquité  du  peuple  s'ajoutait  aux  péchés  des  ancêtres. 
Esdras  en  demande  pardon  au  Dieu  d'Israël,  qui  a  in- 
terdit de  telles  unions,  IX,  6-15.  Par  une  mesure  radi- 
cale, toutes  les  femmes  étrangères  furent  renvoyées, 
x,  1-44.  Esdras  fit  lire  le  livre  de  la  loi  et  célébrer  la 
fête  des  Tabernacles.  II  Esd.,  VIII,  1-18.  11  lit  renouve- 
ler l'alliance  avec  Jahvé.  Pour  lui  et  pour  ses  contem- 
porains, Jahvé  élait  le  seul  et  unique  Dieu,  le  créateur 
du  ciel  et  de  ses  armées,  des  astres,  de  la  terre  et  des 
mers,  le  vivificateur  universel.  Il  'a  choisi  Abraham; 
il  a  tiré  Israël  d'Egypte  et  lui  a  donné'  au  Sinaï  s;i 
loi.  Ce  Dieu  propice,  clément,  miséricordieux,  longa- 
niine.  n'a  pas  abandonné  au  désert  les  Israélites  re- 
belles; il  les  a  introduits  dans  la  terre  promise  et  a 
multiplié  leur  race.  Ils  l'ont  irrité  par  l'abandon  de  sa 
loi;  ils  ont  tué  les  prophètes  qu'il  leur  envoyait.  Il  les 
a  châtiés;  ils  sont  revenus  à  lui  dans  le  malheur,  et 
du  ciel  il  les  a  exaucés.  Il  ne  les  a  jamais  abandonnés 
malgré  leurs  apostasies  réitérées,  parce  qu'il  est  misé- 
ricordieux et  clément.  Il  a  été  juste,  depuis  Le  jour  où 
il  les  a  châtiés  par  Assur.  Tous  avaient  délaissé  ses 
préceptes.  I  i  -  voilà,  eux,  revenus  sur  la  terre  de  leurs 
que  ses  bénédictions  se  multiplient  pour  eux  el 
pour  les  rois,  BOUS  l'empire  de  qui  il  les  a  placés!  i\. 
6-37.  Les  conditions  du  nouveau  pacte  sont  l'observa- 
tion t i < I <  le  de  ions  les  préceptes  de  Jahvé,  29-33. 

Le    peuple   de    Dieu   est  donc  ainsi  devenu  la  nation 

sacerdotale  de  Jahvé,  qui  est  le  Dieu  du  ciel  autant 
que  le  Dieu  d'Israël.  Les   prescriptions  divines  seronl 

fidèlement  observées;  celles  de  la  pureté,  mêi txté- 

rieure,  parce  qui'  Dieu  est  saint,  celles  du  culte,  que 

Jahvé  Mol   voir   unies  à  la   pratique  de  la  justice   et  de 

la  morale.  Le  monothéisme  esl  garanti  par  la  fidélité 

aux  pratiq ligieuses,  im] par  le  Dieu  unique, 

,|ui   mettaient   Israël  a  l'abri  des  influences  palei 
par  i  iili-.i  l  mi- 

nutieux. Depuis  Néhémie  el  l  Bdras,  le  règne  de  la  loi 
lut  absolu  chez  les  Juifs,  i  a  pratique  du  culte  \  en- 
tretint li  religion  vivante,  sans  détruire  la  piété  indi- 
viduelle sous  l'influence  deaséchante  du  légalismi  La 
piété  individuelle  a'eal  exprimée,  ■>  cetb  dans 

un  <  ii  tain  nombre  de  Psaumi 

d  un  nationalisme  surpri  nant, traduisent  la  religion  du 
coeur  i  sur  la  fol  m< 

'     de  leun  auti  ui  -  au  Don  »  Ivant  de  l  uni*.  > 
i  ,  • 

Mm gique,  chanti  m  aussi   le  culte  publii 


1007 


DIEU    (SA   NATURE    D'APRÈS    LA    BIBLE] 


1008- 


Jahvé  au  temple  de  Jérusalem  et  recommandent  cha- 
leureusement l'observation  intégrale  de  la  loi  divine. 
Le  ps.  i. xxxiv  (Lxxxv)est  une  action  de  grâce  à  Jahvé. 
qui  ;i  ramené  les  captifs  de  Jacob,  après  avoir  pardonné 
leurs  péchés  et   fait  cesser  sa  colère  contre   eux,  2-4, 
une  demande  de  salut  complet,'  5-8,  et  une  brillante 
description  de  la  restauration  dans  la  bonté  et  la  vérité, 
la  justice  et  la  paix,  9-14.  Le  très  haut  et  le  tout-puis- 
sant est  un  refuge  contre  tous  les  dangers;  on  peut  se 
confier  en  lui.  Ps.  xc  (xci).  1-16;  cf.  Ps.  cxxv  (exxvi), 
1-6.  11  faut  louer  Jahvé,  le  créateur  et  le  modérateur 
de  l'univers,  Ps.  xci  (xcn),  2-7,  l'éternel  qui  disperse 
tous  les  méchants,  8-10,  le  Dieu  juste  qui  récompense 
les  bons,  11-16.  Jahvé  est  roi,  un  roi  plein  de  majesté 
et  de  force,  dont  le  trône  est  éternel  et  qui  est  lui- 
même  magnifique   dans  les  hauteurs,  Ps.  xcn  (xcin), 
1-i;    ses    promesses    sont   immuables  et    sa    maison 
sainte,   5.    Il  faut  célébrer  avec  allégresse   Jahvé,   le 
rocher  du  salut.  Ps.  xciv  (xcv),  1,  2.  C'est  un  grand 
Dieu    que  Jahvé,  un  grand  roi   au-dessus  de  tous  les 
dieux,  3.  Il  a  créé  la  terre  et  la  mer,  qui  lui  appar- 
tiennent, 4,  5.  Jahvé  est  le  créateur  et  le  Dieu  d'Israël, 
qui  est  son  peuple   et  son   troupeau,  6,  7,  trop  long- 
temps infidèle,  8-11;  il  ne  faut  pas  imiter  la   rébellion 
des  ancêtres.  Jahvé  est  roi;  la  justice  et  l'équité  sont 
la  base  de  son   trône;  il  est  le  Seigneur  de  toute  la 
terre,  qui  tremble  devant  lui.  Les  cieux  proclament  sa 
justice,  et  tous  les  peuples  contemplent  sa  gloire.  Les 
adorateurs  d'idoles  seront  confondus;  tous  les  dieux  se 
prosternent  devant  Jahvé;  il  est  le  très  haut  et  il  leur 
est  souverainement  supérieur.  Les  fidèles  qui  haïssent 
le  mal  sont  protégés  par  lui  qui  sème  la  lumière  pour 
le  juste  et  la  joie  pour  les  cœurs  droits.  Ps.  xevi  (xcvn), 
1-11;  cf.  Ps.  cxxxiv  (cxxxv).  Tous  les  habitants  de  la 
Palestine  doivent  servir  Jahvé  et  reconnaître  qu'il  est 
Dieu.    Il  a    fait    d'Israël    son    peuple;    les    Israélites 
doivent  le  louer,  car  il  est  lion;  sa  miséricorde  et  sa 
fidélité  sont  éternelles.  Ps.  xcix  (c),  1-5.  Le  psalmiste 
prie  Jahvé;  il  s'est  épuisé  à  crier  vers  lui.  Ps.  ci  (en), 
1-12.   Jahvé,  qui  est  assis  sur  un  trône  éternel,  aura 
pitié  de  Sion  et  lui  fera  grâce.  Toutes  les  nations  révé- 
reront son  nom,  parce  qu'il  a  rebâti  Sion.  Que  le  nou- 
veau  peuple  célèbre  Jahvé,  qui  a  regardé  de  sa  sainte 
hauteur,  des  cieux,  sur  terre  pour  écouter  les  gémis- 
sements des  captifs!  13-23.  Il  est  éternel,  lui,  le  créateur 
de    la   terre  et  des  cieux.  Ses    créatures  périront  et 
changeront,   il  reste  immuable,  et    ses  années  n'ont 
point  de  fin,  25-28.  Béni  soit  Jahvé  à  cause  de  ses  nom- 
breux bienfaits!  Ps.  en  (cm),  1-5.  Il  exerce  la  justice 
et  fait  droit  à  tous  les  opprimés,  6.  Il  est  miséricordieux 
et  compatissant,  lent  à  la  colère  et  riche  en  bonté.  Sa 
colère  n'a  qu'un  temps,   et  il  ne  punit  jamais  autant 
qu'on   mérite  de  l'être.   Sa   bonté  envers  ceux  qui  le 
craignent  est  aussi  grande  que  les  cieux  sont  élevés  au- 
dessus  de  la  terre.  Sa  compassion  est  celle  d'un  père 
pour  ses  enfants.   L'homme  n'est  qu'une  Heur,  qu'un 
souflle  desséché  ;  la  bonté  de  Dieu  est  éternelle  ainsi 
que  sa  justice.  Jahvé  a  établi  son  trône  dans  les  cieux, 
et    son   empire    s'étend   sur    toutes   choses,    6-19.  Cf. 
Ps.  cxliv  (cxi.v),  1-21.  Le  ps.  cm  (civ)  est  un  hymne 
au  créateur,  infiniment  grand,  revêtu  de  majesté  et  de 
splendeur,  1,  2.   La   nature  entière,  qu'il  a  faite,  est  à 
son  service.  Il  a  tout  créé,  les  cieux,  la  terre,  les  mers; 
il  est  l'auteur  de  tout  ce  que  la  terre  produit  pour  les 
oiseaux,  1rs  animaux  et  les  hommes.  Il  a  fait  la  lune  et 
le  soleil,  le  jour  et  la  nuit,  3-23.  Ses  œuvres  sont  nom- 
breuses et  laites  toutes  avec  sagesse,  24-30.  Gloire  donc 
à  Jahvé  dans   ses  œuvres!  31.  Le  ps.  civ  (c.v)  est  une 
invitation  à  louer  Jahvé  et  à  faire  connaître  parmi  les 
nations    les    bienfaits    qu'il   a    accordés  à  Israël  et  qui 
sont  décrits,  9-44.  Le  Dieu  d'Israël  se  souvient  éter- 
nellement de  sun  alliance,  8,  et  il  en  remplit  fidèlement 
les  conditions  si   Israël  garde  ses  préceptes  et  observe 


ses  lois,  45.  Les  rachetés  de  Jahvé  doivent  dire  :  «  Loue/ 
Jahvé,  car  il  est  bon  et  sa  miséricorde  est  éternelli 
Ps.  evi  (cvn),  1-3.  Le  psalmiste  décrit  ensuite  à  l'aide 
de  riches  comparaisons  ce  que  Jahvé  a  fait  pour  eux. 
en  répétant  plusieurs  fois  :  «  Qu'ils  louent  Jahvé  pour 
sa  bonté!  »  8,  15,  21,  31.  La  conclusion  est  celle-ci  : 
«  Que  le  sage  remarque  cette  conduite  de  Jahvé  et 
qu'il  comprenne  les  bontés  de  son  Dieu!  s  43.  Cf. 
Ps.  cxxxv  (cxxxvi),  cantique  de  louange  dont  le  refrain 
est:  «  Car  sa  miséricorde  est  éternelle.  »  Un  psalmiste 
chante  lui-même  parmi  les  nations  la  bonté  et  la  fidé- 
lité de  Jahvé.  Ps.  cvn  (cvm),  4,  5.  Dieu  est  plus  élevé 
que  les  cieux,  et  sa  gloire  brille  sur  toute  la  terre,  6, 
parce  qu'il  a  secouru  Israël  contre  ses  oppresseurs, 
12-14.  Cf.  Ps.  cxn  (cxm),  1-9.  Un  autre  psalmiste  loue 
Dieu  de  tout  son  cœur,  des  grandes  œuvres  qu'il  a 
faites  pour  Israël.  Ps.  ex  (exi),  1.  2.  Sa  justice  sub- 
siste à  jamais,  3  ;  il  est  miséricordieux  et  compatissant, 
4;  ses  œuvres  sont  vérité  et  justice;  ses  commande- 
ments sont  immuables,  portés  selon  la  droiture  et  la 
vérité,  7,  8.  Son  nom  est  saint  et  redoutable,  9.  La 
crainte  de  Jahve  est  le  commencement  de  la  sagesse, 
et  ceux  qui  observent  sa  loi  sont  véritablement  intel- 
ligents, 10.  Cf.  Ps.  exiv  et  cxv   (cxvi),    cxvi   (cxvn), 

CXLV  (CXLVl)-CL. 

Une  dernière  série  de  ces  cantiques  recommande 
l'observance  de  la  loi  divine  et  en  fait  l'élcge.  Le  ps.  exi 
(cxn)  proclame  heureux  l'homme  qui  craint  Jahvé  et 
qui  met  son  plaisir  à  observer  ses  préceptes.  Le  long 
ps.  cxvm  (cxix)  célèbre  à  maintes  reprises  la  beauté  de 
la  loi  divine  et  son  prix  inestimable.  Elle  éloigne  du 
mal  et  procure  la  sagesse.  Le  vrai  fidèle  doit  la  méditer 
sans  cesse  et  la  pratiquer  le  plus  fidèlement  qu'il 
pourra,  parce  qu'elle  vient  de  Dieu  et  qu'il  a  promis 
miséricorde  et  pardon  à  ceux  qui  la  gardent.  Dieu  est 
bon  et  bienfaisant,  68;  il  est  le  créateur  de  l'homme, 
73;  ses  jugements  sont  justes,  75;  sa  fidélité  est  durable, 
comme  la  terre  qu'il  a  créée,  90.  Tout  subsiste  d'après 
ses  lois,  et  tous  les  êtres  obéissent  à  ses  ordres,  91.  Il 
est  juste;  ses  jugements  sont  équitables.  137.  138,etsa 
justice  est  éternelle,  142.  Ses  miséricordes  sont  infi- 
nies, 156.  Les  psaumes  graduels  ou  cantiques  des 
montées  chantent  la  joie  de  venir  à  Jérusalem  en  pèle- 
rinage. Jérusalem  est  sainte,  parce  qu'elle  contient  la 
maison  de  Jahvé,  la  maison  où  les  lévites  le  servent. 
Le  secours  vient  de  Jahvé,  qui  a  fait  le  ciel  et  la  terre. 
Ps.  cxx  (cxxii,  2;  cxxm  (cxxiv),  8;  cxxxni  (cxxxn 
Jahvé  siège  dans  les  cieux.  Ps.  cxxu  (cxxin),  1.  Heu- 
reux l'homme  qui  craint  Jahvé  et  qui  marche  dans 
ses  voies!  Ps.  cxxix  (cxxvm),  1-6.  Jahvé  connaît  toutes 
les  pensées  de  l'homme  qui  ne  peut  lui  échapper:  sa 
science  est  donc  infinie  comme  son  immensité. 
Ps.  cxxxvm  (cxxxix),  1-12.  Il  a  créé  l'homme  dont  il 
sait  les  destinées  futures,  13-16. 

2°  Sous  la  domination  syrienne.  —  Quelques-uns 
de  ces  psaumes  appartiennent  probablement  à  la  pé- 
riode syrienne  et  nous  représentent  la  croyance  juive 
à  une  époque  sur  laquelle  nous  sommes  peu  rensei- 
gnés. Nous  n'avons  pas  de  documents  certains  dates  du 
ine  siècle.  Du  m  siècle,  nous  avons  les  livres  des  Ma- 
chabées  et  les  écrits  sapientiaux  de  l'Ecclésiasle,  de 
l'Ecclésiastique  et  de  la  Sagesse.  Les  livres  îles  Macha- 
bées  célèbrent  l'héroïsme  de  la  foi  des  Juifs  li<l 
Quand  Séleucus  Philopator  (187-175  envoya  lléliodore 
piller  le  trésor  du  temple  de  Jérusalem  sous  le  ponti- 
licatd'Onias  III,  le  peuple  invoqua  le  Dieu  tout-puissant, 
qui  intervint  visiblement  pour  chasser  l'usurpateur. 
11  Alach..  m,  23-30.  Celte  intervention  divine  eut  lieu 
en  considération  du  grand-prêtre, 33.  lléliodore, frappé 
par  Dieu,  fut  invité  à  proclamer  sa  puissance:  il  offrit 
un  sacrifice  et  publia  partout  les  œuvres  et  la  puissance 
du  grand  Dieu  qui  habite  au  ciel  et  qui  est  honore  à 
Jérusalem,  34-39.  Sous  le  règne  d'Antiochus  Epiphane 


1C03 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    BIRLE1 


1010 


(175-161),  des  Juifs  abandonnèrent  la  foi  de  leurs  pères 
et  adoptèrent  les  mœurs  grecques.  I  Macli.,  i,  1  "2-16.  Au 
retour  de  sa  seconde  campagne  en  Egypte,  Antiochus 
enleva  du  temple  les  vases  sacrés.  Dieu,  irrité  des 
fautes  de  son  peuple,  ne  punit  pas  cet  usurpateur 
comme  il  avait  puni  Héliodore.  Le  lieu  saint, qu'il  avait 
choisi  pour  demeure,  fut  abandonné  à  cause  des  crimes 
de  la  nation  et  de  la  colère  du  tout-puissant.  II  Mach., 
v,  16-20;  IMach.,  i,  23,  24,  38,  39.  Le  culte  de  Jahvéfut 
aboli,  I  Macli..  i.  41,  46-52,  et  des  temples  furent  élevés 
aux  idoles,  50,  57-60.  IIMach.,  VI,  1-7.11  y  eut  des  apos- 
tats, I  Macli. ,  i.  55,  62,  mais  aussi  beaucoup  de  fidèles  et 
de  martyrs,  65,  60.  Le  vieil  Éléazar  préféra  la  mort  à 
la  désobéissance  aux  lois  divines,  II  Mach.,  VI,  23,  et 
lis  supplices  des  hommes  au  châtiment  de  Dieu,  26, 
s'en  remettant  à  la  connaissance  que  Dieu  avait  de  ses 
dispositions.  30.  Les  sept  frères  avaient  les  mêmes  sen- 
timents, au  témoignage  de  l'aîné,  vu,  2,  et  ils  atten- 
daient de  Dieu,  qui  sait  la  vérité,  la  consolation  de 
leurs  maux,  6.  Le  troisième  et  le  quatrième  espéraient 
du  Dieu  du  ciel  la  résurrection  de  leurs  corps,  11,  14. 
Le  cinquième  en  appelait  à  la  puissance  de  Dieu,  qui 
vengera  son  peuple,  16,17,  et  le  sixième  avertit  le  tyran 
qu'il  ne  compte  pas  sur  l'impunité  de  la  part  de  Dieu, 
19.  Leur  mère  avait  en  Dieu  la  même  espérance;  elle 
le  reconnaît  comme  le  créateur  du  monde  et  l'auteur 
de  la  vie  des  hommes,  23,  29.  Le  plus  jeune  menace  le 
roi  du  châtiment  de  Dieu,  qui  permet  la  persécution 
des  siens  à  cause  de  leurs  péchés,  mais  qui,  après  la 
conversion  des  coupables,  punira  le  persécuteur,  31-36. 
Il  supplie  Dieu  de  montrer  qu'il  est  le  seul  Dieu,  37, 
et  se  représente,  lui  et  ses  frères,  comme  des  victimes 
qui  apaiseront  la  colère  du  tout-puissant,  38.11  soutint 
jusqu'à  la  morl  sa  confiance  en  Jahvé,  iO. 

Le  prêtre  Mathalhias  et  ses  fils  se  révoltèrent  contre 
le  tyran,  confiants  dans  le  secours  divin,  parce  qu'ils 
ne  voulaient  pis  abandonner  la  loi  et  les  justes  pré- 
ceptes de  Dieu.  I  Mach.,  il,  21.  Ils  s'encourageaient 
dans  la  Gdélité  à  la  loi  par  l'exemple  des  anciens,  49  63. 
Judas  pensait  que  la  victoire  lui  viendrait  du  ciel  plu- 
tôt que  de  son  année,  Dieu  pouvant  également  le  déli- 
vrer d'un  li.hhI  nombre  comme  d'un  petit  nombre  d'en- 
nemis, m,  18.  19.  Sis  soldats  combattront,  mais  Jahvé 
renversera  les  ennemis  d<  vant  eux,  21,  22.  Les  r. 
comptaient  donc  principalement  sur  le  secours  de 
Dieu.  53,  soumis  qu'ils  i  taienl  ■<  la  volonté  divine  jus 
qu'à  la  mort,  60.  Leur  confiance  se  fondait  sur  le  sou- 
venir de  la  protection  de  Dieu  au  passage  de  la  mer 
Rouge  ci  sur  l.i  fidélité  de  Jahvé  à  l'alliance  qu'il  avait 
contractée  avec  leurs  pères.  Grâce  à  l'intervention 
divine  eu  leur  faveur,  toutes  les  nations  sauront  que 

Jahvé  (|ui  sauve  l  sraël .  iv,  9-11.  Nicanor  comptai! 
sur  la  vieil. ne  et  ne  pensait  pas  que  le  tout-puissani 
tirerait  vengeance  de  lui.  Il  Mach.,  vin,  II.  Les  Juifs, 
qui  ne  croyaient  pas  ;>  la  justice  de  Dieu,  prenaient  la 
lu  de.  13  ;  d'autres  vendaienl  leurs  biens  et  demandaient 
■i  Jahvé  de  les  délh  1 1  i  de  l  impii  généi  al,  sic 
leur  considération,  di l'alliance  faite 

les  ancêtres  el  parce  qu'i  ux-mémes  avaienl  invo- 
qué son  nom  grand  el   saint,  li.  15.  Judas  se   de,  non 

i  omme  son  advi  rsaire  dai  s  la  fon  on  ar e, 

dans  le  loul  pui    .mi    qui,  d'un  seul  acte  di 
lonté, peut  détruire  i  univi  i  -,  18,  el  il  se  souvient  des 

ura  « i t j  il  .,  donm  -  auln  fois  à  Israël,  spécialement 
contre  Sennachérib,  19.  20.  Sous  l'étendard  du  secours 
de  Jahvé,  23,  il  fui  aidé  i  ai  l<  tout  puissant 
.une'-  bénil  Jahvé,  qui  avait  commi  ncé  -■  n  i  and  ri  m 
l  sa  miséricorde,  27.  dont  elle  demande  la  conti 
Duation,    J9   Avanl  une  autre   bataille,  Judai  invoqua 

mveur  d'Israël  i  i   lui  rappi  lanl  la  protection  qu  il 
donm  ■     a  in    ai  mes  de   hav  id  el  de  Jonall 

anda  la  vu  lui i .  poui  les  siennes.  I  Mach.,  iv, 3 

nor,  humilié  par  Dieu,  Il  Mach.,   sut, 35,  publiait 


partout  que  Jahvé  protège  les  Juifs,  35.  Antiochus 
Épiphane,  que  Jahvé,  Dieu  d'Israël,  avait  frappé  d'une 
plaie  invisible,  ix,  5,  ne  reconnut  pas  d'abord  la  puis- 
sance de  Dieu,  s'exerçant  sur  lui,  8.  Ne  pouvant  sou- 
tenir lui-même  la  puanteur  qui  s'exhalait  de  son  corps, 
il  avoua  qu'il  était  justement  puni  et  il  eut  recours  à 
la  miséricorde  divine,  12,13,  promettant  de  rendre  les- 
vases  du  temple  et  de  proclamer  la  puissance  de  Dieu, 
16,  17.  Il  reconnut  le  juste  jugement  de  Dieu,  18. 
Vainqueur,  Judas  purifia  le  temple  et  rétablit  le  culte. 
I  Mach.,  iv,  42-58;  II  Mach.,  x,  1-3.  Les  Juifs,  prosternés 
à  terre,  suppliaient  Jahvé,  demandant  que  de  pareils 
maux  ne  leur  soient  plus  infligés  à  l'avenir  et  que 
leurs  péchés  soient  réprimés  plus  doucement.  IIMach., 
x,  4. 

Sous  Antiochus  Eupator,  Judas  implora  le  secours 
de  Jahvé  au  début  de  son  expédition  contre  l'Idumée, 
16.  Quand  Timothée,  chef  de  l'armée  syrienne,  recom- 
mença la  guerre,  Judas  et  ses  soldats  suppliaient  Dieu 
de  leur  être  favorable,  25,  26.  Dès  le  début  de  la  ba- 
taille, Jahvé  leur  donna  un  gage  de  succès,  28,  puis 
intervint  visiblement  pour  leur  assurer  la  victoire  com- 
plète, 29-31.  L'armée  bénit  Jahvé  des  merveilles  opérées 
par  lui  pour  Israël,  38.  Lysias,  ne  reconnaissant  pas  la 
puissance  de  Dieu,  xi,  4,  vint  avec  de  nouvelles  troupes 
envahir  la  Judée.  Judas  et  les  siens  demandent  avec 
larmes  le  salut,  6.  Une  intervention  divine  donne  une 
nouvelle  preuve  de  la  miséricorde  de  Jahvé  et  est  un 
gage  assuré  de  victoire,  8-10.  Lysias,  jugeant  les  Hé- 
breux invincibles  grâce  à  la  protection  du  Dieu  des  mi- 
séricordes, conclut  la  paix,  13.  Dans  ses  autres  guerres, 
Judas  invoque  le  juste  juge,  xn,  5,  le  grand  prince  du 
monde,  qui  autrefois  a  renversé  Jéricho  sans  armée, 
15,  16,  le  tout-puissant,  28,  Jahvé,  son  auxiliaire  et  le 
chef  de  la  guerre,  36,  et  il  obtient  le  secours  divin,  10; 
la  présence  du  Dieu  qui  voit  tout  répand  la  terreur 
dans  l'armée  ennemie,  qui  prend  la  fuite,  22.  Des  Juifs 
portaient  sous  leurs  tuniques  des  objets  consacrés  aux 
idoles,  40;  ils  périrent  au  combat  par  un  juste  juge- 
ment de  Dieu, 41,  et  Judas  fit  offrir  à  Jérusalem  un  sa- 
crifice pour  l'expiation  de  leur  faute,  42-46.  Le  roi  des 
rois  excite  l'animosité  d'Lupator  contre  le  traître  Mé- 
nélaûs,  xin,  4.  Eupator  s'avançanl  contre  la  Judée, 
Judas  commanda  des  prières  publiques  pour  réclamer, 
fois  encore,  le  secours  de  Dieu,  10-12.11  remettait 
l'issue  de  l'expédition  su  jugement  de  Jahvé,  le  créateur 
(li nde.   13,     li.  Il    remporta  la  victoire,   grâce  à    la 

protection  divine,  17. 

Sous  li  règne  de  Démétriua  I«  (162-150).  Nicanor 
menaçait  de  renverser  le  temple  de  Jérusalem.  Les- 
prêtres  invoquèrent  celui  qui  avait  toujours  combattu 
pour  leur  Dation  ;  ils  demandaient  au  maître  de  toutes 
choses,  qui  n'a  besoin  de  rien,  de  sauvegarder  la  mai- 
son qu'il  avaii  choisie,  el  le  saint  des  saints  de  la  pro- 
téger contre  ton  le  souillure.  I  Macli . .  vil.  .17. .  V  1 1  M.n  h  . . 
siv,  34-36.  Nicanor  voulait  attaquer  Judas  un  jour  de 
sabbat.  Les  Juifs  qui  l'accompagnaient  lui  représentèrenl 
que  le  Dieu  vîvantet  puissant,  qui  est  au  ciel,  ordonnai! 
li  repos  en  ce  jour.  Il  Mach.,  xv,  1-4.  il  voulait  B'empa 
rer  de  Judas;  celui  ci  espérai!  toujours  en  Dieu  e!  ra 
vivaii  l'espérance  de  ses  soldats  dans  le  tout-puissant, 
qui  enverrait  du  ciel  li  victoire,  78.  A  la  veille  de  la 
bataille,  il  demanda  au  Seigneur  de  renouveler  la  dé- 
faite miraculeuse  de  l'armée  de  Sennachérib,  I  Mach., 
\  n.  il .  12  ;  Il  Macb..  xiv.  21  21.  Sa  prière  et  celle  di 
soldais  furent  exauo  nfortés  par  la  présence  de 

Dieu,  i la  eurent  lu  victoire  et  en  rendirent  grâces  au 
tout-puissant,  26-20,     ■    I       Juifs  de  Jérusalem,  dans 

d'Êg]  pli 
\  |  >  i  ■     le  triomphe,  nd<  lettre  pour 

leur  annoncer  que  Dieu  i  exaucé  l<  un  prit  n  .  el  ils 
souhaitent  qu  i  n  souvenir  de  son  alliance  avi  i  li 

(  ■   i li  e  el  leur  donne 


1011 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    BIBLE' 


1012 


le  véritable  esprit  religieux.  II  Mach.,  i,  1-8.  Une  troi- 
sième  Lettre  rappelle  le  secours  divin,  accordé  contre 
Antioclms  et  ses  successeurs  et  bénit  Dieu,  qui  les  a 
délivrés  de  grands  maux  et  leur  a  livré  les  impies,  11, 
17.  Elle  se  termine  par  un  acte  de  confiance  absolue 
en  Dieu,  leur  sauveur,  n,  17-19.  Avant  de  mourir, 
Simon  Machabée  souhaite  à  ses  frères  le  secours  du 
ciel.  I  Mach.,  xvi,  3. 

Le  livre  do  l'Ecclésiaste  qui,  par  un  simple  procédé 
littéraire,  fait  parler  Salomon,  est  rapporté  par  les  cri- 
tiques au  IIe  siècle  avant  Jésus-Christ.  L'auteur,  un 
désabusé  des  choses  humaines,  a  gardé  inébranlable 
la  foi  au  Dieu  personnel  de  ses  pères.  Selon  lui,  Dieu 
a  fait  et  fait  encore  toute  chose  belle  en  son  temps,  au 
temps  qu'il  a  fixé;  il  a  mis  au  cœur  de  l'homme  la  pen- 
sée de  l'éternité;  mais  sans  que  l'homme  puisse  com- 
prendre parfaitement  ce  que  Dieu  a  fait,  m,  11.  Le 
bien-être  de  la  vie  est  un  don  de  Dieu;  l'homme  peut 
en  jouir,  13;  vin,  14;  ix,  9.  Tout  ce  que  Dieu  fait,  il  le 
fait  constamment  de  même,  pour  qu'on  le  craigne,  III, 
14,  15.  Dieu  jugera  un  jour  le  juste  et  le  méchant,  17, 
et  il  remet  son  jugement  à  plus  tard  pour  éprouver  les 
hommes  et  leur  faire  comprendre  leur  valeur,  18.  Le 
jugement  de  Dieu  porlera  sur  toutes  les  actions  de 
l'homme,  XI,  9.  Dieu  est  au  ciel,  et  la  prière  que  l'homme 
lui  adresse  depuis  la  terre  n'a  pas  besoin  d'être  multi- 
pliée, v,  1,2.  On  doit  remplir  promptement  les  vœux 
qu'on  lui  a  faits,  3,  4.  Il  ne  faut  pas  parler  ou  agir  de 
façon  à  irriter  Dieu  et  à  rendre  nuls  ses  propres  actes, 
mais  craindre  Dieu,  5,  6.  Dieu  donne  à  chacun  la  durée 
de  sa  vie,  17,  et  aux  uns  les  richesses,  18,  19,  sans  leur 
permettre  d'en  jouir  constamment,  VI,  2.  Il  a  fait  le 
jour  du  bonheur  et  le  jour  du  malheur,  et  personne  ne 
pourra  changer  son  œuvre;  il  faut  donc  jouir  du  bien 
et  se  résigner  au  malheur,  13,  14.  Celui  qui  craint  Dieu 
évite  les  excès,  18.  Celui  qui  est  agréable  à  Dieu  échappe 
à  la  femme  mauvaise,  qui  enlace  le  pécheur,  26.  Dieu 
a  fait  l'homme  droit,  capable  de  faire  le  bien;  mais 
l'homme  cherche  beaucoup  de  subtilités  pour  dévier  du 
droit  chemin,  28.  Le  bonheur  est  pour  ceux  qui  craignent 
Dieu  et  qui  marchent  dans  la  crainte  en  sa  présence; 
il  n'est  pas  pour  le  méchant,  qui  n'a  pas  la  crainte  de 
Dieu,  vin,  12,  13.  Les  justes  et  les  sages  sont  dans  la 
main  de  Dieu  et  dépendent  absolument  de  lui,  IX,  1. 
C'est  Dieu  qui  fait  tout,  et  l'homme  ne  connaît  pas  ses 
desseins,  xi,  5.  Il  faut  se  souvenir  de  son  créateur  dès 
la  jeunesse  et  ne  pas  attendre,  pour  le  faire,  les  jours 
mauvais,  XII,  1,  avant  que  l'esprit  retourne  à  Dieu  qui 
l'a  donné,  7.  Le  résumé  de  tout  le  discours  est  celui-ci  : 
«  Crains  Dieu  et  observe  ses  commandements;  c'est  là 
le  tout  de  l'homme,  car  Dieu  jugera  toute  action,  bonne 
ou  mauvaise,  »  13, 14. 

L'Kcclésiastique  est  du  début  et  sa  traduction  grecque 
est  de  la  fin  du  n«  siècle.  Le  fils  de  Sirach  déclare,  dès 
le  premier  mot,  que  toute  sagesse  vient  du  Seigneur 
et  qu'elle  est  éternelle,  créée  qu'elle  a  été  avant  toutes 
choses  par  le  Seigneur,  assis  sur  son  trône,  lui-même 
le  seul  sage,  grandement  redoutable.  Il  l'a  libéralement 
communiquée  à  ceux  qui  l'aiment,  I,  1-11,  en  particulier 
à  Israël.  Cf.  xxiv,  3,  12.  Cette  sagesse  consiste  dans  la 
crainte  et  l'amour  du  Seigneur,  dont  elle  est  le  commen- 
cement et  la  racine,  la  plénitude  et  la  couronne,  13,  l 'i, 
16,  18,  20.  Ceux  qui  la  servent,  servent  le  Saint,  IV,  1 1  ; 
tous  les  biens  viennent  d'elle,  x,  19,21,23;  xv,  1-6, 
x\ m,  27;  xxv,  11  ;  xxxn,  14-16;  xxxiv,  14-17  ;  xl,  26, 
27.  Il  faut  la  pratiquer,  en  observant  les  commande- 
ments, 26,  27;  xix,  18.  Malgré  l'épreuve,  il  faut  avoir 
confiance  en  Dieu  et  en  sa  miséricorde,  il,  3-10,  car  le 
Seigneur  est  compatissant  et  miséricordieux;  il  remet 
les  péchés  et  délivre  de  l'affliction,  11.  Ceux  qui 
craignent  le  Seigneur  doivent  lui  obéir  et  ne  pas  le 
redouter;  car  il  a  autant  de  miséricorde  que  de  puis- 
sance, 15-18.  Le  Seigneur  veut  que  le  père  soit  honoré 


par  ses  enfants,  III,  2,  7.  15;  il  est  maudit  de  Dieu 
celui  qui  irrite  sa  mère,  16.  L'humble  trouve  _ 
devant  Dieu,  dont  la  puissance  est  grande,  18,  19.  Dieu, 
qui  a  fait  le  pauvre,  exauce  sa  prière,  IV,  6.  Le  Seigneur 
combattra  pour  celui  qui  combat  jusqu'à  la  mort  pour 
la  vérité,  28.  Il  punira  celui  qui  satisfera  sa  convoitise. 
Le  pécheur  ne  doit  pas  se  rassurer  sur  la  patience  de 
Dieu;  de  lui  viennent  la  pitié  et  la  colère,  et  son  cour- 
roux tombe  sur  les  pécheurs,  v,  2-7.  Dieu  n'a  pas  pour 
agréables  les  sacrifices  et  les  offrandes  du  pécheur,  vu. 
9;  xxxiv,  19;  mais  ceux  de  l'homme  juste,  xxxv,  3-11.  Le 
culte  est  en  l'honneur  du  Très-Haut,  du  tout-puissunt. 
du  grand  roi,  du  miséricordieux,  L,  14,  15,  17,  19.  Il 
faut  craindre  le  Seigneur  de  toute  son  âme  et  aimer  son 
créateur  de  toutes  ses  forces,  honorer  les  prêtres  et 
leur  donner  la  part  de  la  victime  qui  leur  revient,  vu, 
29-31.  Le  succès  d'un  homme  est  dans  la  main  du 
Seigneur,  qui  donne  aux  chefs  l'autorité  dont  ils 
jouissent,  x,  5,  comme  il  la  leur  enlève  et  il  règle  le 
sort  des  nations,  14-16.  L'orgueil  est  odieux  à  Dieu;  il 
éloigne  de  Dieu  et  il  est  puni  par  Dieu,  7,  12,  13.  Le 
sort  des  grands  dépend  de  Dieu,  dont  les  actions  sont 
étonnantes,  xi,  4-6.  Les  biens  et  les  maux,  la  vie  et  la 
mort,  la  pauvreté  et  la  richesse  viennent  du  Seigneur, 
ses  dons  sont  pour  les  justes,  14,  15.  Il  ne  faut  pas  se 
scandaliser  de  la  prospérité  du  pécheur,  car  Dieu  peut 
facilement  enrichir  le  pauvre,  et  sa  bénédiction  est  la 
récompense  de  l'homme  pieux,  19,  20.  Il  sera  facile  au 
Seigneur,  au  jour  de  la  mort,  de  rendre  à  l'homme 
selon  ses  œuvres,  24.  Il  récompense  le  bien  fait  à 
l'homme  pieux,  xn,  2.  Le  Très-Haut  hait  le  pécheur  et 
il  tirera  vengeance  des  impies,  6.  Le  Seigneur  n'a  pas 
épargné  le  pécheur,  il  hait  tout  ce  qui  est  criminel.  Il 
a  créé  l'homme  libre,  11-17.  Sa  sagesse  est  grande,  il 
est  fort  et  puissant,  et  il  voit  toutes  choses;  il  connaît 
toutes  les  œuvres  de  l'homme,  et  il  n'a  donné  à  per- 
sonne la  permission  de  pécher,  18-20.  Dans  l'histoire, 
il  a  puni  les  grands  coupables,  xvi,  6-10.  l'as  même  un 
seul  ne  restera  impuni,  car  du  Seigneur  viennent  la 
miséricorde  et  la  colère  ;  puissant  en  pardon,  il  déchaîne 
aussi  sa  colère;  autant  est  grande  sa  miséricorde,  autant 
ses  châtiments  sont  rigoureux;  il  jugera  l'homme  selon 
ses  œuvres,  11-14  ;  xxvi,  19.  Il  punit  les  fautes  contre  le 
prochain,  XXVIII,  1  ;  l'auteur  appelle  le  Seigneur  «  père  et 
souverain  maître  de  sa  vie  »,  xxxm,  1,  4.  Personne  ne 
pourra  échapper  à  son  regard  dans  aucun  lieu  que  ce 
soit,  puisque  le  ciel,  la  mer  et  la  terre  sont  ébranlés, 
quand  il  les  visite,  XVI,  15-21.  Le  fils  de  Sirach  de- 
mande à  Dieu  d'être  préservé  des  péchés. 

Dieu  a  créé  toutes  choses,  qui  subsistent  telles  qu'il 
les  a  faites,  dans  le  bel  ordre  que  nous  constatons,  xvi, 
22-28.  Toutes  les  œuvres  du  Seigneur  sont  très  bonnes. 
et  tousses  ordres  s'accomplissent  en  leur  temps,  xxxix. 
16-18,  25-35;  xlii,  15-xliii,  33.  Il  a  fait  l'homme  et  il  a 
assigné  un  terme  à  sa  vie.  Il  l'a  fait  moral  et  religieux, 
lui  a  donné  une  loi  et  lui  a  interdit  l'iniquité:  il  veille 
sur  toutes  ses  voies,  xvn.  1-13,  15-19;  xu.  :>.  i.  11  assigne 
un  chef  à  chaque  peuple,  mais  Israël  est  sa  portion 
chérie,  14.  Le  créateur  de  tout  \it  éternellement;  seul, 
il  est  juste;  l'homme  ne  comprendra  jamais  parfaite- 
ment ni  ses  perfections  ni  ses  œuvres,  xvm,  1-â.  Parce 
que  l'homme  ne  vit  pas  longtemps,  le  Seigneur  est 
patienta  son  égard;  il  est  miséricordieux  pour  tous;  il 
reprend,  il  corrige,  il  instruit,  il  ramené  au  bercail  et 
il  a  pitié  de  tous,  8-13.  Au  dernier  jour,  au  temps  de  la 
colère  et  de  la  vengeance.  Dieu  détournera  son  visage 
de  celui  qui  n'aura  pas  exactement  accompli  ses  vieux. 
21-23.  Les  yeux  du  Très-Haut  sont  mille  fois  plus 
brillants  que  le  soleil.  Dieu  sait  l'adultère  secret,  qu'il 
interdit,  comme  il  connaissait  l'univers  avant  de  l'avoir 
créé,  xxiii,  18-20,  23.  Il  faut  bénir  le  Seigneur,  le 
créateur  el  l'auteur  de  tout  bien,  xxxn.  13.  L'on  ne 
peut  se   cacher  à   ses    yeux,  et   son    regard  atteint  de 


1013 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    RIRLE) 


1014 


l'éternité  à  l'éternité,  xxxix,  19,  20.  Celui  qui  se  confie 
au  Seigneur  ne  souffrira  aucun  dommage,  23;  le 
malheur  ne  lui  surviendra  pas,  et  s'il  est  éprouvé, 
Dieu  le  délivrera,  xxxm,  1.  Dieu  est  l'auteur  de  l'iné- 
galité des  conditions,  10-13  ;  ses  œuvres  sont  diverses 
et  opposées  l'une  à  l'autre,  15.  Le  Seigneur  est  un 
juge,  qui  ne  fait  pas  acception  des  personnes;  il  écoute 
la  prière  de  l'opprimé,  de  la  veuve  et  de  l'orphelin;  il 
juge  selon  l'équité  et  rend  justice.  II  punira  les  oppres- 
seurs, individus  ou  peuples,  et  prendra  en  main  la 
cause  d'Israël  opprimé,  xxxv,  11-19.  Le  tils  de  Sirach 
prie,  pour  la  délivrance  de  son  peuple,  le  souverain 
Seigneur,  Dieu  de  l'univers,  qui  manifestera  aux  na- 
tions sa  puissance  et  sa  grandeur,  comme  il  a  mani- 
festé sa  sainteté  en  punissant  Israël  coupable,  et  leur 
apprendra  qu'il  n'y  a  pas  d'autre  Dieu  que  lui,  xxxvi, 
1-5.  Il  fait  appel  à  l'alliance,  8,  pour  que  Dieu  ait  pitié 
de  son  peuple  premier-né,  12.  Que  tous  les  habitants 
de  la  terre  reconnaissent  que  Jahvé  est  le  Dieu  des 
siècles!  17.  Il  remercie  le  Seigneur,  roi,  son  sauveur, 
qui  l'a  fait  échapper  lui-même  à  un  péril  mortel,  i.i, 
1-12. 

3°  Sous  l'influence  de  la  philosophie  grecque.  —  Le 
fils  de  Sirach  était  un  juif  de  Palestine,  tout  pénétré 
de  l'esprit  de  sa  race;  l'auteur  de  la  Sagesse  est  un 
juif  alexandrin,  qui  a  subi  l'inlluence  de  l'hellénisme. 
Comme  l'Ecclésiaste  il  parle  au  nom  de  Salomon,  mais 
sa  langue  est  le  grec  vulgaire  de  l'époque.  La  sagesse 
qu'il  recommande  consiste  dans  la  justice  et  la  droi- 
ture morale,  conforme  à  la  volonté  de  Dieu  et  à  sa  loi. 
Au  contraire,  les  pensées  perverses  séparent  de  Dieu, 
et  la  sagesse  ne  s'associe  pas  à  l'iniquité.  L'esprit  saint 
et  sage  de  Dieu  aime  les  hommes;  néanmoins,  il  punit 
l'impie,  dont  Dieu  sauve  le  cœur,  car  son  esprit  rem- 
plit l'univers  et  lui  qui  contient  tout  entend  tout  ce  qui 
se  dit.  Dieu  punira  donc  tous  les  discours  et  toutes  les 
pensées  des  impies,  1-10.  Dieu  n'a  pas  fait  la  mort,  et 
il  n'éprouve  pas  de  joie  de  la  perte  des  vivants,  13,  1  i  ; 
la  justice  est  immortelle,  15;  le  péché  et  l'impiété  font 
mourir.  13,  10.  Les  impies  oppriment  le  juste,  qui 
prétend  posséder  la  science  divine  et  se  nomme  lils 
de  Dieu,  se  vantant  d'avoir  Dieu  pour  père  et  d'être 
finalement  heureux,  m.  12  Kl.  Si  le  juste  est  fils  de 
Dieu,  Dieu  prendra  sa  défense  et  le  délivrera  des  mains 
adversaires,  18.  Mais  si,  selon  les  secrets  desseins 
de  hieu,  le  juste  est  éprouvé  ici-bas,  Dieu  le  rémunérai  a 
plus  tard,  car  il  a  créé  l'homme  pour  l'immortalité, 
2-2.  23.  Il  l<-  récompensera,  après  l'avoir  éprouvé,  ni, 
1-9.  Les  impies,  qui  se  sont  éloignés  de  hieu,  seront 
châtiés,  10.  Le  juste  est  agréable  a  Dieu,  iv,  10.  14,  qui 
brisera  les  impies.  18-20.  Les  iustesviventéternellement, 
et  leur  pi  i  après  du  Seigneur,  cf.  vi,   is  ; 

le  tout-pin  uci  d'eux  >■!  il  les  protégera  contre 

les  insensés,    v,    15-23.  Les   rois   doivent    chercher   la 
l  .i  force  leur  a  élé  donnée  par  le  Seigneur  et 
li  puissance  par  le   Très-Haut,  qui   examinera    leurs 

el  sondera  leur  pensée.  Ministres  de  la  royauté 
de  Dii  u.  il-  doivent  pratiquer  la  loi  et  faire  la  volonté 
divine;  sinon,  ils  seronl  jugés  sévèrement,  vi,  !-<>.  Le 

rain   de  tous    ne  reculera  devanl   personne 
il  est  le  créateui    d<  ■  grands  el  di  -  petits,  el  il  prend 
soin  des  uns  el  des  autres,  7. 

La  -  !-•  -  se,  'i  el  de  nature  dn  ine  . 

elle  e-i   le    souffle  'l.-  I.i  puissance  île  hieu,  mie  pure 

émanation  de  la  gl du  tout-puissant;  elle  esl  l< 

plendissemenl  de  la  lumii  re  éternelle,  le  miroir  on 
de  l'activité  de  hieu  el  l'image  de  §a  bonté, 
»tl,  25,  56,  \n-  i  hieu  n'aime-t-i)  que  celui  qui  habile 
28.  Klle-méme  habite  avec  hieu.  <i. 
qui  elle  dérive,  el  le  Si  igneui  de  toutes  choses  l'aime, 
vin,  3,  L'auteur  la  demande  au  Dieu  de  les  peu 
Dieu  de  nu  éricorde  qui  .i  fui  i  univers  par  m  parole 
'•t  qui.  pai  établi  l'hommi  poui  i  agir  le 


monde  dans  la  sainteté  et  la  droiture  et  exercer  l'empire 
sur  les  autres  créatures  dans  [la  droiture  de  son  cœur, 
ix,  1-3.  Dieu,  créateur  de  l'homme,  x,  1,  a  puni  les 
Sodomitcs  coupables,  8;  il  a  combattu  pour  les  Israé- 
lites, 20,  en  faisant  périr  les  Égyptiens,  comme  un  roi 
sévère  et  en  éprouvant  les  survivants  comme  un  père 
qui  avertit,  xi,  10;  ceux-ci  reconnurent  dans  la  défaite 
la  main  du  Seigneur,  13.  Cette  main  toute-puissanle, 
qui  a  fait  le  monde  d'une  matière  informe,  aurait  pu 
frapper  l'Egypte  d'autres  plaies,  17-19  ;  mais  Dieu  a 
tout  réglé  avec  mesure,  nombre  et  poids,  car  la  sou- 
veraine puissance  est  toujours  à  ses  ordres,  et  personne 
ne  peut  résister  à  la  force  de  son  bras.  Le  inonde  est 
devant  lui  comme  un  atome,  comme  une  goutte  de  ro- 
sée; mais,  parce  qu'il  est  puissant,  il  a  pitié  de  tous, 
et  il  ferme  les  yeux  sur  les  péchés  des  hommes  pour 
les  amener  à  la  pénitence.  Il  aime  toutes  les  créa- 
tures, qu'il  a  faites  par  amour.  Elles  ne  subsistent  que 
parce  qu'il  le  veut;  il  les  conserve,  parce  qu'il  les  a 
appelées  à  l'existence,  20-25.  Il  ne  châtie  les  coupables 
que  par  degré,  il  avertit  et  reprend  les  pécheurs,  pour 
qu'ils  renoncent  à  leur  malice  et  croient  en  lui,  xii,  2. 
L'auteur  cite  en  exemple  la  conduite  de  Dieu  à  l'égard 
des  tribus  chananéennes,  3-11.  Si  Dieu  a  été  indul- 
gent pour  elles,  ce  n'est  par  crainte  de  personne,  car 
personne  ne  peut  demander  des  comptes  à  Dieu.  Il 
n'y  a  pas  d'autre  Dieu  que  lui,  qui  prend  soin  de 
toutes  choses  afin  de  montrer  sa  justice,  règle  de  sa 
conduite,  et  c'est  parce  qu'il  est  le  Seigneur  de  tous 
qu'il  use  d'indulgence  envers  tous.  Maître  de  sa  force, 
il  juge  avec  douceur,  car  il  aura  toujours  la  puissance 
à  sa  disposition  pour  châtier  quand  il  le  voudra,  11-18. 
Cette  conduite  de  Dieu  a  appris  à  son  peuple  que  le  juste 
doit  être  humain  et  que,  s'il  pèche,  il  aura  le  temps  de 
se  repentir,  19-22.  Les  Égyptiens,  qui  regardaient 
comme  des  dieux  les  plus  vils  animaux,  ont  été  punis, 
et  voyant  dans  les  plaies  qui  les  frappaient  la  main  de 
hieu,  ils  l'ont  reconnu  pour  le  Dieu  véritable,  23-27. 

L'auteur  du  livre  part  de  là  pour  prouver  la  folie  de 
l'idolâtrie  et  la  possibilité'  pour  l'homme  de  connaître, 
par  le  spectacle  du  monde,  le  Dieu  créateur,  xm,  1-9. 
C'est  la  première  fois  que  nous  rencontrons  dans  la 
Bible  une  preuve  rationnelle  de  l'existence  de  hieu;  il 
a  fallu  que  les  Juifs  fussent  en  conlact  avec  les  Grecs 
sceptiques  pour  sentir  le  besoin  de  démontrer  hieu 
par  ses  œuvres  matérielles,  Auparavant,  le  spectacle 
de  la  nature  manifestait  seulement  aux  yeux  des  purs 
Sémites  les  attributs  divins,  la  puissance,  la  bonté,  la 
sagesse,  la  providence.  L'écrivain  Bacré  tourne  aussi 
en  ridicule  les  idoles  el  buis  adorateurs.  Il  ne  procède 
pas  de  la  même  manière  qu'Isaïe  cl  Jérémie  ou  les 
psalmistes.  Il  disserte  sur  la  manière  donl  on  fabrique 
les  idoli  -  i  i  sur  l'inutilité'  du  culte  qu'on  leur  rend. 
xm,  10-xiv,  21.  Cesl  Dieu  lui-même  qui.  par  sa  pro- 
vidence (itpovo(a),  gouverne  l'idolâtre,  qui  a  invoqué 
son  dieu,  xiv,  8-5.  Il  liait  également  l'impie  el  son  im- 
piété, 9.  L'idolâtrie  a  été  introduite  dans  le  monde  par 
la  folie  de-  hommes,  pour  honorer  leurs  morts,  en  déi- 
liant  des  hommes,  I  1-22.  Ce  ne  fui  pas  OSSeZ  d'errer  sur 

la  notion  de  hieu,  on  rendit  aux  idoles  un  culte  immoral 
ci  cruel.  22-29.  Les  idolâtres  seront  punis  de  cette  double 
prévarication,  29-31.  hieu  a  agi  autrement  a  l'égard 
des  Israélites,  lui  qui  esl  bon.  Adèle  el  patient,  qui 
rne  tout  .née  miséricorde,  w.  I.  Les  Israélites, 
ne  ne-  lorsqu'ils  pèchent,  savent  qu'ils  appartiennent  à 
Dieu  et  reconnal  -■  ni  -<  puissance,  car  connaître  Dieu 

esl    I.i    jiislice    parfaite.  e|   reconiiailie    -,i   puissano 

me  de  l'immortalité,  2,  3.  Ils  i 

i  me  l's  Idolâtres,  qui  adorent  les  obu\  i  ■ 
iflfei  h. .mi.  ni  le  m. il.  'i  ie  L'ouvrier,  qui 

fabrique  une  Idole,  méconnall  ion  •  r  iti  ur,  1 1  .  1 1 tur 

ni  lui  (ail  commet! i  ne,  12.  h.  en 

crimim  U    onl  tu  il  ci  un  qui  tiennent  pour  des  dieux. 


1015 


DIEU    (SA    NATUP.K    D'APRÈS    LA    BIBLE 


1016 


des  idoles  insensibles,  façonnées  de  main  d'homme, 
14-17,  ou  rendent  un  culte  aux  animaux,  18,  19.  Ces 
derniers  sont  les  Égyptiens,  punis  par  Dieu  par  des 
plaies  provenant  des  animaux,  xvi,  1-9,  ou  par  des 
maux  produits  par  les  forces  de  la  nature,  15-19.  Les 
Israélites  étaient  seulement  châtiés  par  les  mêmes 
instruments  pour  les  amener  à  résipiscence,  10-14,  ou 
secourus  au  moyen  des  mêmes  forces  de  la  nature  qui 
'rappaient  leurs  ennemis,  20-23.  Car  la  créature,  sou- 
mise à  son  créateur,  déploie  toute  son  énergie  pour 
tourmenter  les  méchants  et  se  relâche  pour  le  hien  des 
serviteurs  de  Pieu,  24.  Cette  doctrine  est  illustrée  par 
trois  exemples,  ceux  de  la  plaie  des  ténèbres,  xvn,  1- 
xviii,  4,  de  la  mort  des  premiers-nés  des  Egyptiens, 
xvin,  5-25,  et  de  la  poursuite  des  Hébreux  fugitifs, 
xix,  1-22.  Cf.  P.  Heinisch,  Die  griechische  Philosophie 
im  Bûche  der  Weisheit,  Munster,  1908,  p.  47-51,  122- 
126. 

Le  monothéisme  d'Israël,  sans  image  de  la  divinité, 
a  toujours  été  d'une  supériorité  marquée  sur  tous  les 
polythéismes  idolâtriques  de  l'antiquité.  Malgré  les 
progrès  successifs  que  l'idée  de  Dieu  a  faits  dans  la 
révélation  de  l'Ancien  Testament,  elle  est  demeurée  ce- 
pendant toujours  plus  ou  moins  engaînée  dans  deux 
idées  caduques,  celle  du  nationalisme  qui  faisait  du 
Dieu  unique,  universel  en  droit,  le  Dieu  spécial  d'Is- 
raël, et  celle  des  bénédictions  temporelles,  par  les- 
quelles Jahvé  s'était  attaché  un  peuple  sensuel,  recher- 
chant les  biens  de  la  terre.  La  révélation  du  Nouveau 
Testament  fut  nécessaire  pour  laisser  tomber  défini- 
tivement ces  deux  conceptions  inférieures,  et  présenter 
Dieu  comme  le  Père  de  tous  les  hommes,  comme  le 
Père  qui  est  au  ciel,  dont  la  bonté  infinie  n'a  plus 
besoin,  pour  être  reconnue  de  tous,  des  récompenses 
de  la  terre. 


On  trouvera  les  éléments  de  cette  théologie,  prise  au  sens  strict 
du  mot,  épars  dans  les  ouvrages  sur  la  religion  juive  et  la  théo- 
logie biblique  de  l'Ancien  Testament. 

1"  Vatke,  Religion  des  Alten  Testaments,  1835, 1. 1;  B.  Bauer, 
Religion  des  Alten  Testaments  in  der  geschichtlichen  Enl- 
wickelung  Huer  Principien ,  1  vol.,  1838,1839;  A.  Kuenen, 
De  godsdienst  van  Israël  tôt  den  ondergang  van  den  jood- 
schen  slaat,  2  parties,  1869,  1870;  Tiele,  Geschiedenis  van  den 
Godsdienst  in  de  oudheid  tôt  op  Alexander  den  Groote,  1893, 
t.  i,  p.  272-347;  R.  Smend,  Lehrbuch  der  alttestamentlichen 
Religionsgescliichte, 2' édit.,  Fribourg-en-Brisgau,  1899,  p.  32-45, 
96-127,  151-161,  etc.;  J.  P.  P.  Valeton,  Les  Israélites,  dans  le' 
Manuel  de  l'histoire  des  religions  de  Chantepie  de  la  Saussaye, 
trad.  franc.,  Paris,  1904,  p.  186-251  ;  A.  I.oisy,  La  religion  d'Is- 
raël, Paris,  1901;  Marti,  Die  Religion  des  Alten  Testaments 
unter  den  Religionen  des  vorderen  Orients,  Tubingue,  1906; 
Hunnius,  Natur  und  Cliarakter  Jalnuehs  nach  der  vordeute- 
romisclien  Quelten  der  Bûcher  Genesis-Konige,  Strasbourg, 
1902;  P.  Volz,  Mose,  ein  Beitrag  zur  Unlersuchnng  iiber  die 
Urspriinge  der  israelitischen  Religion,  Tubingue,  1907.  Voir 
aussi  Davidson,  God  in  O.  T.,  dans  Dictionarij  ofthe  Bible,  de 
Hastings,  t.  il,  p.  196-205. 

2°  H.  Ewald,  Die  Lehre  der  Bibel  von  Gott,  4  vol.,  1871- 
1876;  Œhler,  Théologie  des  Alten  Testaments,  3'  édit.,  Stutt- 
gart, 1891;  H.  Schultz,  Alttestamenlliche  Théologie,  5"  édit., 
2  in-8,  Gœttingue,  1896 ;  A.  Kayser,  Die  Théologie  des  Allen 
Testaments  in  ihrer  geschichtlichen  Entwickelung,  2'  édit., 
1894;  F.  Hitzig,  Vorlesungen  ùber  biblische  Théologie  und 
messianische  Weissagungen  des  Alten  Testaments,  Berlin, 
1880;  A.  Dillmann,  fiandbuch  der  alttestamentlichen  Théolo- 
gie, Leipzig,  1895;  B.  Stade,  Biblische  Théologie  des  Allen 
Testaments,  Tubingue,  1905,  t.  î  (seul  paru),  p.  72-121,  191-190, 
etpassim;B.  Baentsch,  Altorientalischer  und  israelitischer 
Monotheismus,  Tubingue,  1906.  Ces  écrits  sont  composés  plus 
ou  moins  d'après  les  principes  rationalistes  de  l'évolutionnisme 
religieux.  F.  Vigouroux,  La  Bible  et  les  découvertes  modernes, 
■i  édit.,  Paris,  1896,  t.  iv,  p.  423-496;  M.  Hetzenauer,  Theolo- 
gia  biblica,  Fribourg-en-Brisgau,  1908,  t.  î,  p.  372-488  (traite 
des  noms  divins.de  l'essence,  des  attributs,  des  personnes  et  de 
noscibilité  de  Dieu);  F.  Prat,  art  Jéliovah,  dans  le  Dic- 
tionnaire de  in  bible àe  .M.  Vigouroux,  t.  ni,  col,  1220-1241. 

Sur  les  prophètes,  voir  B.  Duhm,  Die  Théologie  der  Prophc- 


ten  als  Grundlage  fiir  die  ntwicklungsgeschi 

der  israelitischen  Religion,  Bonn,  1875;  h.  Zscbokke,  Théolo- 
gie der  Propheten  des  Allen  Testaments,  Fribourg-en-Brisgau, 
1877,  p.  4-168  (suit  l'ordre  logique  du  traite  De  Deo);  Kirkpatrik, 
The  Doctrine  oj  the  Prophète,  1892;  3'  édit.,  1001. 

Sur  les  Psaumes,  .1.  Konig,  Die  Théologie  der  Psalmen,  I  ri- 
bourg-en-Brisgau,  1857;!'.  Delitzsch,  Die  Psalmen,  b-  édit., 
Leipzig,  1894,  t.  i,  p.  48  sq.;  E.  Philippe,  Introduction  au  livre 
des  Psaumes,  Paris,  1802,  p.  48-54. 

Sur  la  doctrine  de  Dieu  chez  les  Juifs,  en  dehors  de  la  Bible, 
voir  E.  Stapfer,  Les  idées  religieuses  en  Palestine  à  l'époque 
de  Jésus-Christ,  2'  édit.,  Paris,  1878,  p.  27-37,  et  spécialement 
dans  les  Apocalypses  juives,  voir  P.  Lagrange.  Le  messianisme 
chez  les  Juifs.  1009,  p.  52-53,  et  chez  les  rabbins,  p.  146;  p"ur 
Hénocb,  voir  F.  -Martin,  Le  livre  d'Hvin,-  h.  Paris,  1006,  p.  xx- 
XXII.  Voir  aussi  ilackspill,  dans  la  Revue  biblique.  1900,  t.  IX, 
p.  569-577. 

II.  Dans  le  Nouveau  Testament.  —  /.  d'après  i'i. \- 

SBIGNEMENT  PERSONNEL  DE  JÉSUS-CBRIST.  —  1°  Dans 
les  Évangiles  synoptiques.  —  Le  Fils  de  Dieu  est  des- 
cendu du  ciel  pour  apporter  aux  hommes  une  révéla- 
tion nouvelle,  plus  parfaite  que  celle  de  l'ancienne 
alliance.  Sur  Dieu,  son  Père,  sa  révélation  a  consistée 
faire  ressortir  sa  paternité  relativement  à  l'humanité 
entière.  L'idée  de  paternité  divine  n'était  pas  étrangère 
aux  religions  sémitiques,  voir  J.  Lagrange,  Éludes  sur 
les  religions  sémitiques,  2e  édit..  Paris,  1905,  p.  110- 
118,  ni  au  monothéisme  hébraïque.  V.  Rose,  Études 
sur  les  Évangiles,  2e  édit.,  Paris,  1902,  p.  132-137; 
J.  Lagrange,  La  paternité  de  Dieu  dans  l'Ancien  Tes- 
tament, dans  la  Revue  biblique,  1908,  p.  481-491. 
Mais  jamais  ni  chez  les  Sémites  en  général  ni  même 
chez  les  Hébreux,  il  n'a  suffi  de  dire  «  le  Père  »  tout 
court  pour  désigner  Dieu.  Ce  sentiment  de  tendresse, 
qui  procède  d'une  connaissance  si  parfaite  de  la  bonté 
infinie  de  Dieu  a  été  apporté  aux  hommes  par  le  <■  Fils  de 
Dieu  »,  qui  est  venu  leur  révéler  «  son  Père  ».  Si  Jésus 
n'a  pas  créé  le  nom  de  Père  céleste,  il  lui  a  donné  une 
signification  qu'il  n'avait  pas  avant  lui  et  on  peut  dire 
qu'il  est  le  révélateur  de  la  paternité  de  Dieu. 

Toutefois,  ce  Dieu  père  n'est  pas  un  Dieu  nouveau, 
distinct  de  celui  des  patriarches  et  des  .luifs,  que  Jésus 
prêche.  C'est  le  Dieu,  créateur  du  monde,  Marc,  xm, 
19,  et  de  l'homme,  Marc,  x,  6;  le  Dieu  qu'adoraient 
Abraham,  Isaac  et  Jacob,  le  Dieu,  non  pas  des  morts, 
mais  des  vivants,  puisque  ces  patriarches  vivent, 
Matth.,  xxn,  32;  Marc,  XII,  26.  27;  Luc,  xx.  37.  38, 
et  le  Dieu  d'Israël,  l'unique  Dieu,  qu'il  faut  aimer  de 
tout  son  cœur,  Marc,  xn,  29,  30;  le  seul,  qu'on  doit 
adorer  et  servir.  Matth.,  IV,  10;  Luc,  IV,  8;  le  Dieu 
juste,  qui  rend  justice,  et  sans  tarder,  â  ceux  qui  l'im- 
plorent jour  et  nuit,  Luc,  xvin.  7;  qui  seul  est  bon, 
Matth.,  xix,  17;  Marc,  x,  18;  Luc,  xvm,  19;  qui  étend 
sa  providence  sur  la  nature,  l'herbe  des  champs, 
Matth.,  vi,  30;  Luc.  xvin,  28.  sur  les  oiseaux,  les  pas- 
sereaux, les  corbeaux.  Matth.,  vi,  20;  x,  29,  32,  33; 
Luc,  xn,  24.  Mais  ce  Dieu  de  1  ancienne  alliance,  le 
Seigneur  du  ciel  et  de  la  terre,  dont  le  ciel  est  le  trône, 
Matth.,  v,  3i,  devient,  sur  les  lèvres  de  Jésus,  le  Père, 
non  seulement  son  père  à  lui  dans  un  sens  réel  et  non 
métaphorique,  qui  le  fait  être  son  lils  suivant  la  nature 
divine,  Matth..  vu,  21;  xi.  25-27;  xn.  50;  XV,  13;  xvi, 
17.  27;  xvm,  10,  19,  35,  le  père  de  ses  disciples,  leur 
père  qui  est  aux  cieux.  Matth..  v.  1(5;  VI,  1,  8.  9.  2(5  ; 
x,  20,  leur  unique  père,  xxm,  9,  qui  fait  lever  son 
soleil  sur  les  bons  et  sur  les  mauvais  et  pleuvoir  sur 
les  justes  et  les  injustes.  Matth.,  V,  45,  qui  donne  â  cha- 
cun le  pain  quotidien,  vi.  Il,  31,  32,  qui  voit  dans  le 
secret  îles  cœurs,  Matth.,  vi,  i.  li,  18.  qui  remet  les 
péchés,  li.  15:  Marc,  xi.  25.  qui  accorde  les  biens  qu'on 
lui  demande.  Mallh.,  vu,  11;  Luc.  xi.  13,  qui  donne 
le  royaume  céleste  à  ceux  qui  font  sa  volonté.  21,  qui 
chasse  loin  de  lui  les  ouvriers  d'iniquité,  23,  et  qui 
veut  le  salut  de   tous,  xvm,  14.  Les  justes  brilleront 


1017 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    RIRLE] 


1018 


comme  le  soleil  dans  le  royaume  de  ce  Père,  xm,  43. 
Cette  paternité  divine  impose  aux  fils  du  royaume  la 
pratique  des  bonnes  œuvres,  Malth.,  v,  16,  l'amour 
fraternel  des  hommes,  même  des  ennemis,  v,  44,  et  la 
perfection  morale,  v,  48. 

M.  Harnack  a  voulu  ramener  toute  la  prédication 
•de  Jésus  à  la  paternité  de  Dieu  et  à  la  valeur  infinie 
de  l'âme  humaine,  qui  en  découle;  c'est  en  cela  que 
consiste,  selon  lui,  non  seulement  l'essence  du  chris- 
tianisme, mais  la  religion  même.  L'homme,  fils  de 
Dieu,  doit  avoir  en  son  père  des  cieux  une  confiance 
filiale,  qui  lui  donne  l'assurance  que  toutes  ses  prières 
seront  exaucées.  C'est  en  l'appelant  «  notre  père  », 
notre  père  commun,  notre  père  à  tous,  qu'il  faut  le 
prier,  et  d'après  le  contenu  de  l'oraison  dominicale, 
qui  débute  par  ce  nom  de  tendresse,  a  la  paternité  de 
Dieu. ..s'étend  sur  toute  la  vie,  comme  l'union  intérieure 
avec  la  volonlé  de  Dieu  et  le  royaume  de  Dieu,  et 
comme  la  certitude  joyeuse  de  posséder  les  trésors 
éternels  et  d'être  protégé  contre  tout  mal.  »  L'essence 
du  christianisme,  trad.  franc,  Paris,  1902,  p.  72. 
Donner  à  Dieu  le  nom  de  père,  c'est  faire  un  acte  de 
foi  à  sa  bonté  infinie;  lui  demander  le  pain  quotidien 
et  la  nourriture  ordinaire,  c'est  croire  à  sa  providence 
paternelle,  à  sa  sollicitude  pour  chacun  de  ses  enfants. 
On  a  pu  discuter  si  la  foi  au  Dieu  miséricordieux  était 
le  noyau  de  l'Évangile  et  l'élément  original  de  l'ensei- 
gnement de  Jésus.  Fn  conséquence  de  son  opinion  sur 
le  royaume  purement  eschatologique,  prêché  par  Jésus, 
M.  I.oisv  a  bien  pu  prouver  contre  M.  Harnack  que  le 
royaume  n'était  pas  exclusivement  un  bien  intérieur, 
l'union  actuelle  de  chaque  âme  avec  le  Dieu  vivant, 
avec  le  Père  céleste;  il  a  eu  tort  de  prétendre  que  «  la 
paternité  de  Dieu,  l'adhésion  intérieure  à  sa  volonté, 
la  certitude  d'être  en  possession  de  biens  éternels  et 
d'être  protégé  contre  le  mal  n'excluent  pas  la  concep- 
tion eschatologique  du  royaume  et  n'ont  même  leur 
pleine  signification  que  par  rapport  à  cette  idée  ». 
L'Évangile  et  l'Église,  2«  édit.,  Bellevue,  1903,  p.  51. 
Pour  Jésus,  le  royaume  de  Dieu  n'était  ni  purement 
intérieur,  ni  réservé  à  la  fin  des  temps,  et  en  simple 
préparation  dans  l'Évangile;  il  était  déjà  présent,  actuel 
el  extérieur,  et  Dieu,  le  pire  qui  est  au  ciel,  le  père 
commun  de  tous  les  hommes,  en  était  le  roi.  Il  en 
résulte  que  la  providence  paternelle  de  Dieu  à  l'égard 
des  hommes  et  la  confiance  filiale  de  ceux-ci  en  la 
bonté  infinie  du  père  céleste,  si  elles  ne  constituent  pas, 
à  elles  seules,  l'essence  même  du  christianisme,  appar- 
tiennent cependant  à  cette  essence  et  caractérisent 
spécifiquement  la  prédication  de  Jésus  el  le  règne  de 
Dieu  sur  terre.  Cf.  B.  Weiss,  Lehrbuch  der  Biblischen 
Théologie  des  Neuen  Testaments,  6' édit.,  Stuttgarl  et 
Berlin,   1903,  p.  (i'.i-72.  Jésus  a   apporté  au  monde  la 

certitude  que  Dieu  étail  vraiment  père  pour  les  I mes, 

el  que  les  le. mine--  pouvaient  devenir  réellement  iv.a 
fils.  Par  conséquent,  de  même  que,  dans  l'ordre  de  la 
nature,  les  mots  père  i  i  fils  signifient  l'amour  le  plus 
fort  el  le  plus  intime  .née  réciprocité  de  devoirs  el 
d'obligations,  ainsi  dans  le  royaume  de  Dieu  que  Jésus 
venait  fonder  sur  terre,  il  devait  exister  entre  Dieu  el 
l'humanité  des  relations  d'amour  paternel  el  filial  el 
les  membres   d<  ci    ro  aume  avaient  la  puissance  de 

nir  fils   de  Dieu.   V.    Rose,  op.    i  il.,  p.    138-148; 
I'.  Batiflbl,   L'enseignement  de  ■/■■sus,  -j    édit.,  Pari 
1905),  p.  83  105.  Voir  t.  m,  col    2054. 

le  quatrième  Évangile.      Dam   es  di  cours, 
que  rapporte  le  quatrième  i  tangile,  comme  dans  ceui 

Synoptiques,  Jésus   rattache   l'idée  de  paternité  à 

celle  de  la  divinité  .  Dieu  esl  le  l'ère  par  excellence, 

le  Péri   di  irist  el  le  péri  des  homme*.  Si  déjà 

vnoptique  .  i  ta  pai  i  de  tes  dis- 

dan  i  appoi  ■  Pi  re,  celle  attitude 

ien  plus  m  irqui  e  i  di  or«  d  in    le  quatrième  I 


gile.  Dieu  est  le  l'ère  de  Jésus  a  un  titre  spécial,  qui 
fait  de  Jésus  le  Fils  de  Dieu  par  nature,  de  telle  sorte 
que,  dans  sa  bouche,  «  le  père  »  et  «  mon  père  »  sont 
des  expressions  synonymes.  Voir,  par  exemple,  Xiv,  6, 
9,  10-13,  16,  24,  26.  28,  31,  et  2,  7,  20.  Or,  ce  père  de 
Jésus,  c'est  le  Dieu  des  Juifs,  vin,  54;  le  seul  vrai  Di(u, 
xvn,  3;  le  père  et  le  Dieu  de  Jésus  comme  celui  de  ses 
disciples,  xx,  17.  C'est  un  père  saint,  xvn,  11,  un  père 
juste,  25.  Il  est  invisible,  v,  38;  VI,  46.  Il  est  le  Père 
vivant,  vi,  58,  qui  a  la  vie  en  lui,  v,  26,  et  qui  la  donne, 
21.  Il  est  toujours  en  actes,  17.  Un  jour  viendra,  où 
ce  Père  ne  sera  pas  adoré  ni  sur  le  mont  Gari/.im  ni 
à  Jérusalem;  elle  est  même  venue  déjà,  l'heure  où 
les  véritables  adorateurs,  ceux  que  le  Père  recherche, 
l'adoreront  en  esprit  et  en  vérité.  Dieu,  en  effet,  est 
esprit,  et  il  faut  que  ceux  qui  l'adorent  l'adorent  en 
esprit  et  en  vérité,  IV,  21,  23,  24.  Le  particularisme 
juif  est  donc  détruit,  et  le  culte  spirituel  que  Dieu  veul 
désormais  n'est  plus  attaché  aux  sanctuaires  de  Gari- 
zim  et  de  Jérusalem.  Dieu,  qui  est  esprit,  est  toujours 
agissant  dans  l'univers,  v,  17.  Il  est  plus  grand  que 
tous,  x,  29.  Dans  ses  relations  avec  les  hommes,  il  est 
père;  de  même  qu'il  aime  son  Fils  unique,  v,  20,  il 
aime  les  hommes,  et  c'est  parce  qu'il  a  aimé  le  monde 
qu'il  a  donné  son  Fils  unique, afin  que  quiconque  croit 
en  lui  ne  périsse  pas,  mais  qu'il  ait  la  vie  éternelle,  ni, 
16.  Cet  amour  pour  les  hommes  est,  de  la  part  de  Dieu, 
plus  personnel  et  plus  passionné  que  dans  l'ancienne 
alliance,  où  Dieu  n'envoyait  que  ses  prophètes.  Aussi, 
si  les  Juifs  avaient  Dieu  pour  père,  ils  aimeraient  le 
Fils,  vin,  42,  comme  s'ils  connaissaient  le  Fils,  ils  con- 
naîtraient le  Père,  li),  27.  Ceux  qui  aiment  le  Fils  sont 
aimés  par  le  Père,  xiv,  21,  23;  xvi,  27,  qui  accordera 
tout  ce  qu'on  lui  demandera  au  nom  de  son  Fils,  xv, 
16.  Dieu  donc  est  père  des  hommes,  et  il  a  pour  eux 
une  bonté'  et  un  amour  infinis.  Cf.  A.  Loisy,  Le  qua- 
trième Évangile,  Paris,  1903,  p.  98-99;  Th.  Calmes, 
L'Évangile  selon  saint  Jean,  Paris,  I90i,  p.  3. 

il.  DANS  LES  m  TBS  DBS  APOTRES.  —  Les  premiers 
apôtres  et  disciples,  quand  ils  parlaient  de  Dieu  aux 
Juifs,  leurs  anciens  coreligionnaires,  l'appelaient  le 
Dieu  d'Abraham,  d'Isaac  et  de  Jacob,  m,  13;  xxn,  li. 
le  Dieu  du  peuple  d'Israël,  xui,  17,  le  Dieu  de  gloire 
qui  apparut  à  Abraham,  VII,  2.  Ils  reconnaissaient 
cependant  la  paternité  divine,  que  Jésus  leur  avait 
rappelée  avant  l'ascension,  i,  i,  7,  puisqu'ils  nommaient 
Dieu  e  le  Père  o,ii,33;  xxiv,  14-16.  La  communauté  de 
Jérusalem  invoque  publiquement  le  créateur  du  ciel 
et  de  la  terre,  iv,  24.  Les  apôtres  n'avaient  pas  besoin 
de  prêcher  l'unité  de  Dieu  aux  Juifs,  qui  étaient  de 
fervents  monothéistes;  mais  saint  Paul,  dans  sa  prédi- 
cation orale,  eut  en  trois  circonstances,  rapportées 
dans  les  Arles,  l'occasion  de  l'annoncer  aux  païens. 
A  Lvsires,  devant  une  explosion  inattendue  de  foi  ido- 
làtriqtie,  il  refusa  avec  Barnabe  les  honneurs  divins 
qu'après  un  miracle  la  foule  voulait  leur  rendre,  ,i  ,| 
proclama  ouveriemeni  l'unité  du  Dieu  vivant,  créateur 
du  ciel,  de  la  terra, de  la  mer  el  de  toul  ce  qu'ils  con- 
tii  nnent,  providence  bienfaisante,  qui  atteste  son  exia 
ti  ni  e  ei  ^.i  bonté  par  ses  bienfaits,  quoiqu'il  ait  laissé 

utils  suivre  leurs  voies.  Act.,  xiv,  10-17,  Voii 
P.  Rose,  Lai  Vctee  des  apôtres,  Paris,  1905,  p.  140-141. 
\  Athènes,  ville  adonnée  à  l'idolâtrie,  xvu,  l<>,  quel- 
ques-une croient  qu'il  prêche  de  nouveaux  démons,  18; 

in  i  kréopage,  à  l'occasion  d'un  autel  dédié  au 
Dieu  inconnu,  il  déclare  que  ce  Dieu,  inconnu  des 
Athéniens,  eat  le  Dieu  unique,  créateur  de  toutes  chi 

on  de  l'univers;  > atériel,  puisqu'il  n'habite 

pas  dans   les  templei  et  ne  re  semble  d'aucune  façon 

aux  imagt    iculpl  rituel,  puisqu'il  n'a  pas  besoin 

ni,  qui  i ègle  les  destiné)  i  de  tous 

de  la  teri  d  a  pi  emiei  couple  qu  h 

,  qui  agit  en  chacun  de  non-,  en  qui  uousvivi 


1019 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    BIBLE 


1020 


nous  sommes  et  nous  nous  mouvons;  méconnu,  mais 
prêl  à  pardonner  ces  temps  d'ignorance,  pourvu  qu'on 
revienne  de  celle  erreur;  juge  du  monde  selon  la  justice 
par  Jésus,  ressuscité  des  morts,  22-32.  Voir  1'.  Rose, 
op.  rit.,  p.  177-182.  A  Éphèse  enfin,  sa  prédication 
provoque  une  émeute,  fomentée  par  l'orfèvre  Démé- 
trius.  Dans  toute  l'Asie,  Paul  convainquait  beaucoup 
de  personnes  qu'il  n'y  avait  pas  de  dieux  fabriqués 
de  main  d'homme.  L'industrie  des  fabricants  d'idoles 
tombait  en  discrédit.  Le  temple  de  la  grande  Diane 
d'Éphèse  était  compté  pour  rien  et  la  majesté  de  la 
déesse  réduite  au  néant.  La  ville  est  en  révolution,  et 
la  foule,  massée  au  théâtre,  crie  pendant  deux  heures  : 
«  La  grande  Diane  des  Éphésiens,  »  xix,  23-29.  Cette 
scène  prouve  à  la  fois  et  la  vogue  populaire  de  l'idolâ- 
trie dans  le  monde  païen  auquel  saint  Paul  portail 
l'Évangile  et  le  caractère  anti-idolàtrique  de  la  prédi- 
cation de  l'apôtre  du  vrai  Dieu.  Cf.  Rackham,  The  Acts 
of  the  Aposltes,  Londres,  1901,  p.  lxx  ;  F.  Prat,  La  théo- 
logie de  saint  Paul,  Paris,  1908,  p.  86-92.  Voir  t.  m, 
col.  2054-2055. 

///.    DA.\S  LES   ÉPll'RES   DE  SAINT  PAUL.  —  Plus  tard, 

l'apôtre  rappela  aux  Thessaloniciens  quelle  avait  été 
leur  conversion  :  comment  ils  s'étaient  détournés  des 
idoles  et  comment  ils  avaient  servi  le  Dieu  véritable 
et  vivant.  I  Thés.,  I,  9.  Il  leur  avait  prêché  la  vérité, 
non  pour  les  ilatter,  mais  pour  plaire  à  Dieu,  qui 
sonde  les  cœurs,  il,  4,  afin  qu'ils  marchent  d'une  ma- 
nière digne  de  Dieu,  qui  les  a  appelés  à  son  royaume 
glorieux,  12,  et  à  la  sainteté.  II  Thés.,  n,  12.  Ils  mar- 
cheront de  façon  à  plaire  à  Dieu,  en  pratiquant  les 
commandements,  IThes.,  iv,  1,2,  en  évitant  en  particu- 
lier la  fornication,  pour  ne  pas  satisfaire  leurs  passions 
comme  les  païens  qui  ignorent  Dieu,  3-5,  car  Dieu  ne 
les  a  pas  appelés  à  l'impureté,  mais  à  la  sainteté,  et 
leur  a  donné  son  Saint-Esprit,  7,  8.  Ce  Dieu  est  père, 
1,1,  notre  père,  m,  11,  13;  II  Thés.,  1,1,  2,  qui  nous  a 
aimés,  il,  15,  le  Dieu  de  la  paix  et  le  Dieu  sanctifica- 
teur. I  Thés.,  v,  23.  Il  est  fidèle;  il  fortifiera  les  Thes- 
saloniciens et  les  détournera  du  mal.  II  Thés.,  III,  3. 
Ce  Dieu  fidèle,  1  Cor.,  i,  9,  parce  que  le  monde  ne  l'a 
pas  connu  par  la  sagesse,  a  voulu  sauver  les  croyants 
par  la  folie  de  la  prédicalion  de  la  croix,  21,  et  selon 
sa  tactique  ordinaire,  il  a  choisi  dans  l'Église  de  Co- 
rinllie  ce  qui  est  insensé  aux  yeux  du  monde,  ce  qui 
est  faible,  ce  qui  est  vil,  ce  qui  ne  compte  pour  rien, 
ce  qui  n'exisle  pas,  pour  confondre  les  sages  et  les 
puissants.  Ainsi  nulle  chair  ne  pourra  se  glorifier  de- 
vant lui,  26-31;  ni,  19-21.  Il  a  prédestiné  avant  tous  les 
siècles  la  vraie  sagesse,  qui  est  restée  cachée  dans  les 
profondeurs  de  sa  volonté.  Elle  a  pour  objet  la  béati- 
tude que  Dieu  a  préparée  à  ceux  qui  l'aiment,  et  il  l'a 
révélée  par  son  Esprit,  il,  7-11. 

A  propos  des  victimes  immolées  aux  idoles,  saint 
Paul  déclare  aux  Corinlbiens  que  l'idole  n'est  rien 
dans  le  monde;  c'est  une  chimère,  une  entité  de  raison, 
un  néant.  Les  chrétiens  savent  qu'il  n'y  a  pas  d'autre 
Dieu  que  le  Dieu  unique.  On  nomme  beaucoup  de 
dieux  et  de  maîtres  au  ciel  ou  sur  la  terre;  il  n'y  a 
qu'un  seul  Dieu,  le  Père,  auteur  de  toutes  choses,  vin, 
4-6.  Les  victimes,  qu'immolent  les  païens,  sont  offertes 
aux  démons  et  non  à  Dieu,  x,  19,  20.  Les  chrétiens 
peuvent  manger  de  toutes  les  viandes,  car  la  terre  et 
tout  ce  qu'elle  conlienl  appartiennent  au  Seigneur,  25, 
26.  Toutes  choses  viennent  du  Seigneur,  xi,  11  ;  II  Cor., 
v,  18,  qui  est  le  père  des  hommes,  I  Cor.,  I,  9;  XV,  23; 
Il  Cor.,  i,  2,  père  miséricordieux  et  consolateur,  3,  4, 
et  le  Dieu  vivant,  m,  3;  vi,  16-18.  Il  a  tiré  la  lumière 
des  ténèbres,  îv,  6,  et  il  est  le  Dieu  de  paix  et  de  cha- 
nte, mu,  11. 

Sainl  Paul  rappelle  aux  Galates  qu'ils  ignoraient 
Dieu  el  qu'ils  servaient  des  dieux,  qui  de  leur  nature  ne 
sont  pas  des  dieux.  Depuis  leur  conversion,  ils  connais- 


senl  Dieu;  bien  plus,  ils  sont  connus  de  Dieu.  Peuvent- 
ils  donc  retourner  aux  rudiments  du  monde  auxquels 
ils  étaient  asservis  autrefois,  à  leur  connaissance  élé- 
mentaire île  Dieu,  maintenant  que,  dans  la  plénitude 
des  temps,  Dieu  leur  a  envoyé  son  Fils  pour  faire  d'eux 
ses  fils  d'adoption  et  l'Esprit  de  son  Fils,  qui  dans  leurs 
cœurs  crie  :  Abba,  Père?  iv,  3-6.  Ils  sont  fils  de  Dieu 
par  la  foi  en  Jésus-Christ,  m,  26;  Dieu  les  a  adoptés, 
en  les  faisant  participer  à  la  filiation  transcendante  du 
Christ,  et  ils  ont  reçu  l'Esprit  du  Christ,  qui  a  créé 
en  eux  la  mentalité  véritable  de  fils  et  leur  fait  crier 
vers  Dieu  avec  un  sentiment  filial,  en  lui  disant  :  Père. 
Telle  est,  pour  l'apôtre,  la  signification  profonde  de  la 
paternité  divine  à  l'égard  des  hommes  délivrés  de 
l'esclavage  de  la  loi  juive.  Il  peut  donc  répéter  que 
Dieu  est  père,  I,  1,  3,  4.  Ce  père  est  le  Dieu  unique, 
m,  20,  qui  ne  fait  pas  acception  des  personnes,  n,  6,  et 
qui  ne  se  laisse  pas  tourner  en  dérision,  VI,  7. 

La  colère  de  Dieu  se  révèle  du  haut  du  ciel,  où  Dieu 
habite,  par  le  châtiment  infligé  dès  ce  monde  aux 
païens  impies,  qui  dans  leur  méchanceté  ont  com- 
primé et  retenu  la  vérité  qu'ils  possédaient  sur  Dieu, 
sur  son  existence  et  sa  nature.  En  effet,  depuis  la 
création  du  monde,  les  perfections  invisibles  de  Dieu, 
sa  puissance  éternelle  et  sa  divinité,  c'est-à-dire  les 
autres  attributs,  intellectuellement  perçues,  étaient 
vues  distinctement  dans  les  œuvres  de  la  créalion.  Les 
païens  qui,  ayant  ainsi  connu  Dieu,  ne  l'avaient  pas 
glorifié  comme  Dieu,  mais  par  une  inintelligence  cou- 
pable avaient  changé  la  gloire  du  Dieu  incorruptible 
en  des  images  d'hommes  ou  d'animaux,  avaient  tra- 
vesti sa  vérité  en  mensonge,  étaient  inexcusables,  et 
Dieu,  en  punition  de  leur  folie  volontaire,  les  a  livrés 
aux  désirs  de  leurs  cœurs,  aux  passions  déshonorantes, 
et  les  a  remplis  de  toute  sorte  de  malice  et  de  vices. 
Rom.,  i,  18-32.  Le  jugement  de  Dieu  contre  ceux  qui 
agissent  ainsi  est  conforme  à  la  vérité,  n,  2,  pour  tous, 
pour  le  juif,  3,  comme  pour  le  gentil.  Dieu  a  des  tré- 
sors de  bonté,  de  patience  et  de  longanimité,  qu'on  ne 
peut  mépriser  toujours;  sa  bénignité  n'est  que  pour 
laisser  aux  coupables  le  temps  de  faire  pénitence.  Ceux 
qui  en  abusent,  thésaurisent  la  colère  pour  le  jour  du 
juste  jugement  auquel  Dieu  rendra  à  chacun,  juif  ou 
païen,  selon  ses  œuvres,  sans  acception  des  personnes, 
4-11.  L'infidélité  des  Juifs  n'annule  pas  la  fidélité  de 
Dieu,  qui  est  véridique,  m,  3,  4.  Bien  que  notre  injus- 
tice fasse  valoir  la  justice  de  Dieu,  Dieu,  en  déchaînant 
sa  colère,  n'est  pas  injuste,  car,  autrement,  comment 
jugerait-il  le  monde'.'  5,  6.  De  ce  que  la  véracité  de  Dieu 
ressort  avec  éclat,  pour  sa  gloire,  du  mensonge  de 
l'homme,  il  n'y  a  pas  lieu  de  faire  le  mal  pour  que  le 
bien  arrive;  le  pécheur  sera  néanmoins  jugé  et  puni 
comme  il  le  mérite,  7.  8.  Tous  les  hommes,  également 
coupables,  sont  justifiés  par  Dieu  par  la  foi,  22-28,  car 
Dieu  n'est  pas  le  Dieu  des  Juifs  seulemenl.il  l'est  aussi 
et  surtout  des  païens  ;  il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu  qui  jus- 
tifie Juifs  et  païens  par  la  foi,  29.  3(1.  Un  des  effets  de 
la  justification  est  de  communiquer  l'Esprit  de  Dieu, 
qui  fait  monter  sur  nos  lèvres  le  nom  de  Père,  pour 
attester  que  nous  sommes  réellement  par  adoption  les 
fils  de  Dieu,  VIII,  14-16.  Le  Père  lui-même  concourt  en 
tout  au  bien  de  ceux  qui  l'aiment  et  qu'il  a  prédestinés 
à  être  conformes  à  l'image  de  son  Fils,  afin  que  celui-ci 
soit  le  premier-né  entre  plusieurs  frères,  28,  29.  Dieu 
n'a  pas  été  injuste  à  l'égard  d'Israël,  non  converti  au 
christianisme,  car  il  accorde  ses  grâces  quand  il  veut 
et  comme  il  le  veut;  il  fait  miséricorde  à  qui  il  veut 
el  il  endurcit  qui  il  veut,  ix,  14-18.  L'homme  n'a  pas 
le  droit  de  demander  à  Dieu  compte  de  ses  actes  et  de 
ses  desseins;  la  créature  n'a  rien  à  reprocher  au  créa- 
teur, pas  plus  que  l'œuvre  à  l'artisan,  qui  fait  a  son 
gré  des  vases  d'honneur  et  des  vases  d'ignominie.  19- 
21.    Dieu  n'a  pas   rejeté  son  peuple,  xi,  1,   qui  a   été 


1021 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRES    LA    RIRLE 


1022 


lirisé  à  cause  de  son  incrédulité,  20.  Dieu  a  donc  été 
bon  et  sévère  à  ia  fois,  sévère  pour  les  Juifs  incrédules, 
bon  envers  ceux  qui  sont  devenus  chrétiens,  22.  Plus 
lard,  les  Juifs  seront  l'objet  de  la  miséricorde  divine, 
32.  •  0  profondeur  de  la  richesse,  de  la  sagesse  et  de 
la  science  de  Dieu!  Que  ses  desseins  sont  impéné- 
trables, et  insondables  ses  voies!  Car  qui  a  connu  la 
pensée  du  Seigneur?  Ou  qui  a  été  son  conseiller?... 
C'est  de  lui  et  par  lui  et  pour  lui  que  sont  toutes 
choses,  b  33-36. 

Au  début  de  l'Epitre  aux  Éphésiens,  saint  Paul  bénit 
Dieu  de  tous  les  bienfaits  spirituels  que  du  haut  du 
ciel  il  a  dispensés  aux  hommes  par  Jésus-Christ,  r, 
•  1-1  i,  et  il  prie  le  père  glorieux  de  faire  comprendre  et 
goûter  aux  Ephésiens  ces  grands  biens,  15-23.  Dieu, 
qui  est  riche  en  miséricorde,  par  l'amour  extrême  qu'il 
a  pour  les  hommes,  les  a  tirés  du  péché  et  leur  a 
donné  la  vie  surnaturelle  en  Jésus-Christ,  u,  i- 10.  Il 
a  tout  créé  pour  manifester  aux  puissances  célestes 
par  le  moyen  de  l'Eglise  sa  sagesse  multiforme,  m,  9, 
10.  Aussi  l'apôtre  prie-t-il  à  genoux  le  Père  de  Notre- 
Sei^neur  Jésus-Christ,  de  qui  provient  toute  paternité 
au  ciel  et  sur  la  terre,  de  fortifier  les  Éphésiens  selon 
les  richesses  de  sa  gloire,  14,  15.  Parmi  les  motifs  de 
garder  l'unité,  il  cite  l'unité  de  Dieu,  père  de  tous,  qui 
est  au-dessus  de  tous,  par  tous  et  en  tous,  iv,  0,  ce 
père  à  qui  il  rend  grâces  sans  cesse  pour  eux,  v,  20. 
Enlin,  il  souhaite  à  ses  lecteurs  la  paix,  la  charilé  et 
la  foi,  venant  du  Dieu  père,  VI,  24,  comme  au  début  la 
grâce  et  la  paix,  i,  1,  2.  Ce  même  souhait  est  adressé 
aux  Colossiens,  I,  3,  avec  les  mêmes  actions  de  grâces, 
12.  L'apôlre  prêche  aux  Colossiens  le  mystère  du  Christ 
ou  de  la  rédemption  par  le  Christ,  secret  dessein  de 
Dieu,  formé  de  toute  éternité,  dont  la  révélation  a  ma- 
nifesté les  richesses  de  la  gloire  divine,  Col.,  1,26,27, 
et  il  veut  leur  faire  comprendre  parfaitement  ce  mys- 
tère de  Dieu  le  père,  qui  recèle  tous  les  trésors  de  sa 
-se  et  de  sa  science,  il,  3.  Les  chrétiens  doivent 
éviter  les  vices  qui  attirent  la  colère  de  Dieu  sur  les 
incrédules,  ni,  •">.  0.  et  rendre  grâces  à  Dieu  le  père 
par  Jésus-Christ,  17. 

bans  la  I "•  Épitre  à  Timolhée,  saint  Paul  affirme 
l'unité  de  Dieu,  du  Dieu  à  qui  il  donne  le  titre  de  sau- 
veur de  l'humanité,  puisqu'il  veul  le  salul  de  tous,  il, 
8-5.  A  ce  >'  ul  Dieu,  roi  immortel  el  invisible  des 
siècles,  il  avait  rendu  gloire  et  honneur  à  toujours,  l. 
17.   Il   est  le   seul    Dieu    vivant,    III,    15;    IV,    Kl;    VI,   17; 

aliments,  dont  toutes  les  créatures 
sont  bonne-,  r. .  )!.  i.  et  qui  a  mis  abondamment  tontes 
chose*  a  noire  usage,  vi,  17.  Di<  u,  qui  a  promis  la  vie 
éternelle,  1 1  r  ■  u  ii  n  I  |  .i-,  'lit.,  i,  2:  il  esl  l'auteur  du 
salut.  3;  u.  10;  par  bénignité  cl  amour  pour  les 
hommes,  m.  i  I  heu  viendra  un  jour  dans  la 

gloire,  u.  13. 

Dieu  ;i    loui   créé,   Heb.,  m,    1.  et   il   s'esl    i 
septième  jour,  iv,  4,  10.  C'est  par  la  loi  que  nous  sa- 
vons  'i'"     I'  s    -eeles  ont   été  formés   par  la   p. noie  de 
Dieu,  m,  3.   im   reste,  on  ne  peul   pas  aller  l  Dieu  el 
lui  plaire  sans  croire  à  son  exi  tenci  et  à  sa  providence, 
m.  ii    II  est,  'il  effet,  l'architecte  et  le  conslructi  ur  de 
la  cité    future,  I".    16,    el    il    a  eu   en   vue   pour  i 
quelque  chose   de  meilleur  que  les  bii  n     di   la  ti  rri 
promis  si  u-  r  mcii  me-  alliance,  S0;  s;i  providi  nce  i  si 
■  loi  •     ui  naturelle  aulanl  que  naturelle,  vi,  7.  Dieu  n'esl 
et  il   n'oublie  pas  pour  lui 

et  l.i  i  liai  ii'    qu'on  lin  ;i  i.  moignée,  10.   Dieu  enfin  i    I 
b'  Dii  m,  12  .  ix.  11.  x .  ::i  ;  m,  22,  le  i"  n 

si  -  •  ni. mi-  -pu  itui  i-  comme  un 

de  l.i  tei  m  .   ses   M-.    \n.   i-l  I.  Il  esl   le  juge  de 

i  b  s  fomicateun  el  les  sdul- 

mu.   t.  Il  prend    plaisir   .•   la  bienfaisant  e  el    i 

nutuelle .    ce    sont     li  -     ai  i  iflci      qu  il 

Ib.  Voir  i    m 


/r.  DANS  LES  ÉPITRES  CATHOLIQUES.  —  Pour  saint 
Jacques,  il  est  bien  de  croire  qu'il  y  a  un  seul  Dieu; 
les  démons  croient  aussi  et  tremblent  ;  mais  la  foi  sans 
les  œuvres  est  morte.  Jac,  n,  19,  20.  La  religion  pure 
et  sans  tache  devant  Dieu  le  Père  consiste  à  visiter  les 
orphelins  et  les  veuves  dans  leur  aflliclion,  à  se  pré- 
server des  souillures  du  monde,  i,  27.  Dieu  est  à  l'abri 
des  tentations  mauvaises  et  il  ne  tente  lui-même  per- 
sonne, 13.  Toute  libéralité,  tout  don  parfait  descend  du 
Père  des  lumières,  en  qui  il  n'y  a  ni  changement  d'éclat 
ni  ombre  d'obscurcissement,  17.  Dieu  a  choisi  les 
pauvres  pour  leur  donner  en  héritage  le  royaumequ'il 
a  promis  à  ceux  qui  l'aiment,  n,  5.  L'homme  patient 
dans  les  épreuves  recevra  la  couronne  de  vie,  que  Dieu 
a  promise  à  ceux  qui  l'aiment,  i,  12.  Le  Seigneur  est 
père,  m,  9;  il  est  miséricordieux  et  compatissant,  v, 
11;  les  cris  des  moissonneurs  frustrés  de  leur  salaire 
parviennent  aux  oreilles  du  Seigneur  des  armées,  v,  4. 
Celui  qui  veut  être  ami  du  monde  est  ennemi  de  Dieu. 
Dieu  est  un  ami  jaloux  ;  il  donne  une  grâce  supérieure 
aux  humbles,  mais  il  résiste  aux  orgueilleux,  iv,  4,  6. 
Il  est  seul  législateur  et  juge,  12.  Il  a  mis  (in  aux  maux 
de  Job,  parce  qu'il  est  compatissant,  v,  11. 

Pour  saint  Pierre,  Dieu  a  créé  le  ciel  et  la  terre. 
II  Pet.,  m,  5.  Il  a  tout  prévu,  I  Pet.,  i,  2;  il  est  puis- 
sant, i,  5;  v,  8,  11  ;  il  est  saint  et  il  veut  que  les  hommes 
soient  saints  comme  lui,  i,  15,  16;  il  est  père  et  il  juge 
sans  faire  acception  des  personnes,  17.  Il  punira  les 
coupables  et  récompensera  les  bons,  m,  8-12;  II  Pet. 
n,  il.  Il  est  vivant  et  permanent,  I  Pet.,  i,  3.  Mille  ans 
sont  comme  un  jour  devant  lui,  II  Pet.,  m,  8;  aussi 
est-il  patient  et  longanime;  il  diffère  de  punir  les 
pécheurs  pour  leur  laisser  le  temps  de  faire  pénitence. 
I  Pet.,  ni,  20;  II  Pet.,  m,  9.  Pour  saint  Jude,  Dieu 
punit  les  coupables,  5-7.  Il  peut  conserver  les  chrétiens 
dans  l'innocence.  A  lui  seul  la  gloire,  la  majesté,  la 
force  et  la  puissance  pour  toujours,  24,  25. 

Dans  ses  Épitres,  saint  Jean  adonné'  deux  définitions 
de  Dieu.  Dieu  est  d'abord  lumière,  en  qui  il  n'y  a  point 
de  ténèbres.  I  Joa.,  i,  5.  Non  seulement  il  est  l'être 
absolument  pur,  entièrement  lumineux,  que  ne  voile 
aucune  obscurité'  et  que  ne  limite  aucune  imperfection, 
mais  il  est  aussi  pour  les  hommes  une  source  de  lumière, 
le  principe  de  toute  pureté',  de  toute  sainteté  et  de  toute 
vie.  car  le*  ténèbres,  c'est  le  mal.  Par  suite,  quiconque 
marche  dans   les   ténèbres    ou   le  péché    n  est  pas  en 

société  avec  Dieu,  puisqu'il  se  soustrait  volontaire ni 

à  la  lumière  el  ne  cherche  pas  a  n^ir  conformément  à 

la  volonle  de  Iheii.  li.  7.  D'autre  part,  Dieu  esl  aiunur. 
iv.  S.  16,  et  son  amour  pour  nous  s'est  manifesté  sur- 
tout en  ce  qu'il  a  envoyé  dans  le  inonde  son  Fils 
unique,  afin  qu'en  lui  nous  eussions  la  vie.  y,  10, Dieu 
esi  donc  père  non  seulement  de  Jésus-Christ,  l,  '.',,  7. 
n,  22-2 i.  etc.,  mais  aussi  des  hommes, il,  1,14; II Joa., 
i,  i.  Son  amour  pour  eux  a  consisté  à  faire  d'eux 
enfants,  I  Joa.,  m.  1,  qui  ne  pèchent  pis.  parce  qu'ils 
-nui  nés  de  Dieu  et  que  le  germe  divin  demeure  en 
eux.  9,  v,  is.  19,  qui  accomplissent  la  justice  i  i  aiment 
ii' ns,  pour  que  l'amour  de  Dieu  demeure  en 
eux.  l.  10.  17;  iv.  7.  S,  12.  20,  21,  qui  observent  les 
commandements  divins  el  croient  en  Jésus-Christ,  v, 

lui  qui   fait   le  bien  I     t  de  Dieu,  III   Joa.,    I  I .  i  I  l.i 

tripl ocupi  cence   ne  vient    pas  du  Père,  mai-  du 

inonde.   I  Joa.,  Il,    10.    I.nl'm.    Ilieu  est   de-  le   coin n- 

cement.  I  Joa.,  n.  I.  Il  est  au  dessus  de  no-  cœui 
il  connaît  toutes  choses,  m,  20.  U  est  le  vrai  Dieu, que 

son   I  '  fait  eonn.  -  nous 

garder  des  idole-,  qui  -oui  d<  ailés,  v,  21 . 

\  .    dix-;'  w/i    ILTPSB,         I  lieD  n 

comme  père .  M  esl  plut  I  attributs 

de  majesté  el  de  toute  i  Voir  t.  i,  col    1478 

1477.  Cependant,  il  sera  le  Dieu  du  vainqueur  qui 
son  Hls,  xxi,  7.  Cf.  B.  Wel  hen 


1023 


DIEU    (SA   NAÎTRE    D'APRÈS    LES    PÈRES 


1024 


Théologie,  p.  550-551  ;  E.  Jacquier,  Histoire  des  livres 
,hi  Nouveau  Testament,  Paris,  1908,  t.  iv,  p.  110-411. 

Les  Théologies  du  Nouveau  Testament  contiennent  peu  de 
choses  sur  la  théodicée.  Leurs  auteurs  se  bornent,  à  propos  de 
l'enseignement  de  Jésus,  à  signaler  que  le  nom  de  n  père  o 
est  le  nom  spécial  de  Dieu  dans  le  Nouveau  Testament,  et  ils 
négligent  presque  complètement  de  relever  les  autres  traits  qui 
caractérisent  la  nature  de  Dieu  et  ses  perfections.  Il  n'y  a  donc 
pas  de  bibliographie  à  citer.  On  peut  voir,  par  exemple,  J.Tixe- 
ront,  Histoire  des  dot/mes,  Paris,  1905,  t.  i,  p.  06-67,  78,  83-84, 
107,111;  J.  Bovon,  Théologie  du  Nouveau  Testament, 2' édit, 
Lausanne  et  Paris,  1902,  t.  I,  p.  392-395,  495-497;  Brassac,  Ma- 
nuel biblique,  12-  édit.,  Paris,  1909,  t.  IV,  p.  26,  549-550,  565- 
569,  692. 

E.  Mangenot. 

IV.   DIEU.    SA      NATURE     D'APRÈS    LES    PÈRES.    — 

I.  Le    problème  :  se    pose-t-il,   et    dans  quel    sens? 

II.  Développement  général  de  la  doctrine  patristique 
sur     Dieu   (théologie    au     sens    restreint,    théodicée). 

III.  Notre  connaissance  de  la  nature  divine  :  sa  portée 
réelle  et  ses  limites.  IV.  Les  attributs  divins  considérés 
en  eux-mêmes  et  dans  leur  rapport  à  la  nature. 
V.  L'apport  philosophique  dans  la  théodicée  des  Pères. 

/.    LE   PROBLEME  :  SE   POSE-T-IL,  ET  DANS  QUEL  SENS"? 

—  1°  Le  problème  se  pose-t-il?  —  La  question  serait 
oiseuse,  si  l'agnosticisme  moderne,  pur  ou  mitigé, 
théorique  ou  pratique,  ne  faisait  au  théologien  un 
devoir  de  la  prévenir.  A  quoi  bon  parler  de  nature, 
quand  il  s'agit  de  Celui  qui,  pour  les  Pères  comme 
pour  le  bon  sens,  est  l'Inconnaissable?  Car  n'est-ce 
pas  ainsi  que  les  Pères  ont  considéré  Dieu?  Du  jour 
où  la  double  question  se  posa  nette  et  formulée  de 
savoir  que  Dieu  existe,  quod  sit,  ôti  êctiv,  et  de  dire 
ce  qu'il  est,  quid  sit,  ts'î  k'<rnv,  tous  ne  déclarèrent-ils 
pas,  d'un  commun  accord,  leur  ignorance,  leur  impuis- 
sance à  l'égard  de  la  seconde  question?  Dans  ses  Bamp. 
ton  Lectures  pour  l'année  1858,  The  Liniits  of  reli- 
gions thought,  le  Rév.  H.  Longueville  Mansel,  doyen 
de  Saint-Paul  de  Londres,  a  développé  cette  thèse  : 
Notre  connaissance  de  Dieu  est  relative,  et  non  pas 
absolue;  termes  équivoques,  mais  dont  le  sens,  dans  la 
pensée  de  l'auteur,  est  que  nous  n'atteignons  rien 
d'absolu  en  Dieu,  nous  le  connaissons  seulement  sous 
des  aspects  relatifs,  fondés  sur  les  liens  qui  existent 
•de  fait  entre  lui  et  nous,  par  exemple,  Dieu  créateur, 
Dieu  bon  pour  nous,  Dieu  sage  dans  le  gouvernement 
de  l'univers,  etc. 

Pour  confirmer  cette  doctrine,  le  Rév.  Mansel  étale 
complaisamment,  au  début  de  son  livre,  5e  édit.,  Lon- 
dres, 1870,  p.  xx  sq.,  une  longue  liste  d'autorités,  où 
figurent  en  première  ligne  quatorze  Pères  de  l'Église, 
y  compris  les  plus  grands.  Autorités  qui,  nous  dit-on, 
prouvent  la  thèse  sous  l'une  des  trois  formes  suivantes  : 
1°  la  nature  absolue  de  Dieu  nous  est  inconnue; 
2°  les  notions  que  fournit  la  conscience  humaine  ne 
représentent  pas  la  nature  absolue  de  Dieu  ;  3°  la 
sainte  Écriture  nous  révèle  Dieu  à  l'aide  de  conceptions 
relatives,  proportionnées  à  nos  facultés.  On  entend 
saint  Athanase  dire  que  Dieu  «  est  au-dessus  de  toute 
substance  et  de  toute  pensée  humaine.  »  Contra  génies, 
c.  n,  P.  G.,  t.  xxv,  col.  5.  Et  saint  Basile  :  «  Qu'il  existe, 
je  le  sais;  ce  qu'est  son  essence,  je  le  tiens  pour  chose 
inaccessible  à  notre  esprit,  inïç  Çiàvo'.ocv  xi'6su.ai.  » 
Epist.,  ccxxxtv,  n.  2,  P.  G.,  t.  xxxn,  col.  869.  Et  saint 
Jean  Damascène,  ce  fidèle  écho  de  la  patristique  grecque: 
«  Que  Dieu  existe,  la  chose  est  manifeste;  mais  ce 
qu'il  est  dans  son  essence  et  sa  nature,  c'est  chose 
absolument  incompréhensible  et  inconnue,  àxaxiÀ/,- 
jrrov  toùto  7tavT£).<b;  y.a't  afvoxrtov.  »  De  fiile  orlliod.,].], 
c.  îv,  P.  G.,  t.  xciv,  col.  797.  De  même,  chez  les  Latins, 
saint  Augustin  :  «  Dieu  est  ineffable;  il  nous  est  plus 
facile  de  dire  ce  qu'il  n'est  pas  que  ce  qu'il  est.  »  Enarr. 
m  ),s.  lxxxv,  v.  8,  /'.  L.,  t.  xxxvii,  col.  1090. 

Tel   passage  se  rencontre  dans  de  grands  ouvrages  de 


patrologie,  qui  semble  au  premier  abord  rendre  le 
môme  son.  On  n'a  pas  manqué  de  le  dire.  Le  Ri  . 
J.R.Illingworth, dans  la  note  II, Positive  and  négative 
theology,  de  son  ouvrage  Personalily  Human  ami  1>\- 
vine,  Londres,  1903,  p.  1 13,  cite  comme  résumant  l'ensei- 
gnement patristique,  cette  longue  phrase  de'fhornassin, 
Dogmata  theologica,  t.  i,  De  Deo,  I.  IV,  c.  vin,  n.  1  : 
Intexla  implicalaque  sunt  inler  se  hsec  oninia  mg- 
slicse  Patruni  théologie  capila  :  guod  nil  proprie  de 
Deo  inlelligi  aut  dici  possit;  quod  sciri  possit  quod 
sit,  non  quid  sit;  quod  sciri  possit  quid  non  sit,  non 
vero  quid  sit;  quod  affirmari  de  en  multa  possint, 
imo  oninia  per  moduni  causse,  quod  omnium  causa 
sit;  quod  eequius  sit  eadent  oninia  de  eo  negare,  quod 
causa  sit  longe  prxcellentissima,  cujus  vix  lenuissi- 
mam  umbram  asscquunlur  omnes  ab  ea  promanan- 
tes  nalurx;  quod  omnes  negationes  posilionem  ali- 
ijnaia  implicenl,  non  neganlur  enim  de  Deo  quaslibet 
perfecliones,  nisi  ex  sensu  et  couscientia  perfeclionis 
cujusdam  longe  eminenlissimœ,  cujus  lue  sintextrema 
quœdam  et  fugienlia  vestigia  ;  et  vicixsim  posiliones 
omnes  de  Deo  ad  negationes  tandem  resolvi  debeant, 
proplerea  quod  nil  proprie  sciri  aut  affirmari  de 
divinq  essenlia  polest;  quod  denique  nalura  divina 
majore  intervallo  superet  naluras  intellecluales,  quant 
istœ  corporeas. 

A  cette  énumération  je  serais  tenté  d'appliquer  les 
paroles  mêmes  de  son  auteur  :  Intexla  imjilicataque 
sunt  inler  se  liœc  omnia  ;  il  y  a  là  bien  des  choses 
mêlées,  pour  ne  pas  dire  brouillées.  Si  nous  ne  pou- 
vons rien  dire  de  Dieu  en  termes  propres,  et  s'il  faut 
toujours  finir  par  une  négation,  à  quoi  se  réduira  notre 
connaissance  ?  Heureusement,  toute  la  doctrine  des 
Pères  n'est  pas  là;  cette  courte  incise,  quod  affirmai  i 
de  eo  multa  possint,  couvre  toute  une  série  de  témoi- 
gnages, où  Dieu  n'apparaîtrait  pas  précisément  sous  la 
raison  d'un  être  inconnaissable,  ou  si  vaguement  connu 
que  nous  savons  seulement  qu'il  existe,  mais  sous  celle 
de  l'Être  parfaitement  déterminé,  dont  nous  savons  beau- 
coup d'autres  choses  que  son  existence.  «  Alors  Dieu 
est  inconnu?  s'objecte  saint  Jean  Chrysostome.  Nulle- 
ment. Je  sais  qu'il  existe,  je  sais  qu'il  est  clément,  bon, 
miséricordieux,  provident,  etc.  »  Exposit.  in  ps.  CXLIII, 
n.  2,  P.  G.,  t.  lv,  col.  459.  Et  ailleurs  :  «  Je  sais  de  lui 
beaucoup  de  choses;  mais  je  ne  sais  pas  le  comment. 
Je  sais  que  Dieu  est  partout,  qu'il  est  tout  entier  par- 
tout; comment,  je  ne  le  sais  pas.  Je  sais  qu'il  n'a  pas 
eu  de  commencement,  qu'il  est  incréé,  qu'il  est  éternel  : 
comment,  je  ne  le  sais  pas.  »  Homil.,  i.  de  incompre- 
hensibili  Dei  nalura,  n.  3,  P.  G.,  l.  xi.vin,  col.  704. 
L'incompréhensibilité.  l'invisibilité  de  Dieu  n'entraînent 
pas  chez  les  Pères  l'impossibilité  d'une  vraie  connais- 
sance, même  déterminée  :  «  Invisible  en  soi.  mais  non  pas 
inconnu,  ignolus  aulem  uequar/uam,  »  dit  saint  Irénée. 
Coût,  hœr.,  1.  I,  c.  vi,  n.  1.  l>.  G.,  t.  vu.  col.  721. 
«  Inénarrable,  mais  non  par  là  même  inconnaissable  : 
Cognoscibilis  Deus  est,cum  sit  inenarrabilis,  »  dit  saint 
Fulgence.  Contra  arianos,  n.  2.  P.  L.,  t.  i.xv,  col.  207. 

2°  Dans  quel  sens  le  problème  se  pose-t-il?  —  Il  faut 
donc  que  le  problème  ait  divers  aspects,  et  il  est  essen- 
tiel de  les  distinguer.  Et  d'abord,  il  y  a  nature  et 
nature.  Ceci  résulte  des  multiples  acceptions  du  mot; 
deux  nous  intéressent  directement. 

«  Nature  se  dit  de  ce  qui  constitue  tout  être  en  général, 
soit  incréé,  soit  créé  :  la  nature  divine,  la  nature  an- 
gèlique,  la  nature  humaine...  Nature  signifie  encore 
l'essence  d'un  être  avec  les  attributs  qui  lui  sent 
propres:  la  nalurede  l>i  u  est  d'être  bon.  >>  Dictionnaire 
de  l'Académie  française.  Sous  ces  deux  acceptions,  la 
nature  est  manifestement  enlenduedansun  sens  restreint 
ou  dans  un  sens  large.  Qu'on  prenne  ce  dernier  sen*. 
et  le  problème  qui  nous  occupe  revient  à  ceci  :  Quelle 
idée  les  Pères   se  sont-ils    faite,   quelle  notion  outils 


1025 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES} 


1026 


eue  de  Dieu,  envisagé  comme  un  être  qui  se  manifeste 
à  nous  par  tout  ce  qu'il  est,  ses  propriétés  ou  attributs, 
ses  mœurs,  s'il  est  permis  de  parler  ainsi,  sa  manière 
propre  d'agir,  en  un  mot  par  tout  ce  qui  caractérise 
ou  accompagne  sa  vie  ad  extra1?  Le  problème  est  rela- 
tivement simple,  et  les  Pères  n'hésiteront  pas  à  l'abor- 
der :  ils  proclameront  l'Être  suprême,  qui  n'est  pas 
ignoré,  qui  ne  peut  pas  être  ignoré.  Substituez  main- 
tenant l'acception  restreinte  à  l'acception  large  du  mot 
nature,  et  le  problème  devient  tout  autre  :  Qu'est,  dans 
ses  plus  intimes  profondeurs,  l'Être  divin  ?  Qu'est-ce 
qui  non  seulement  le  distingue  pour  nous  des  êtres 
■  réés,  mais  constitue  ad  intra  sa  réalité  concrète,  sa 
vie  intime,  conçue  d'une  façon  pleine  et  propre,  comme 
elle  est  en  elle-même?  Problème  transcendant,  en  face 
duquel  se  multiplieront  chez  les  Pères  des  expressions 
analogues  à  celles  que  nous  avons  déjà  entendues  et 
qui,  prises  absolument  et  hors  de  leur  cadre,  donnent 
en  e Ile t  l'impression  d'un  Dieu  inconnaissable. 

Mais,  à  supposer  que  la  synthèse  des  deux  séries  de 
témoignages  patristiques  déboute  de  leurs  prétentions 
les  agnostiques  purs,  restera  encore  la  question,  sou- 
levée parles  partisans  mitigés  du  système,  desavoir  si, 
par  ces  fortes  affirmations  d'une  nature  divine  ineffable, 
incompréhensible,  inconnaissable  même,  les  Pères  ont 
voulu  dire  qu'à  notre  connaissance  de  Dieu  rien  d'ab- 
solu ne  répondait,  mais  seulement  quelque  chose  de 
relatif.  Alors  il  faudra  étudier  de  près  les  témoignages 
invoqués,  en  les  regardant  dans  le  contexte  ou  dans 
les  circonstances  historiques  où  ils  furent  écrits;  il 
faudra  examiner,  dans  ceux  qui  l'ont  inaugurée  ou  déve- 
loppée, cette  théologie  positive  et  négative,  en  d'autres 
termes,  cette  double  voie  de  connaissance,  par  affirma- 
tion et  par  négation,  pour  voir  ce  à  quoi  l'une  et  l'autre 
tendent  directement  et  ce  qu'elles  supposent  dans  la 
pense,  des  Pères.  A  cette  condition  seulement,  nous 
comprendrons  la  portée  de  cette  petite  phrase,  perdue 
dans  la  longue  ('numération  de  Thomassin  :  quod 
mines  negationes  positionem  aliquam  implicent. 

II.  Développement  général  i>e  la  doctrine  patris- 
TIQUE  si  r  Dieu  (théologie  au  sens  restreint,  théodicée). 
Trois  fadeurs  principaux.  —  D'abord,  la  Sainte 
Ecriture,  méditée  parla  pensée  chrétienne.  La  doctrine 
sur  Dieu  se  présentait  aux  Pères  dans  de  tout  autres 
conditions  que  la  doctrine  relative  aux  grands  mystères 
de  la  foi,  Trinité,  Incarnation,  Rédemption.  L'Ancien 
Testament  leur  offrait  cet  ensemble  de  notions  très 
es  déjà,  dont  l'article  précédent,  col.  9i8  sq..  a 
montré  la  genèse  el  l'évolution.  La  révélation  évangélique 
avait  encore  perfi  i  lionne  ce  fonds,  en  épurant  certaines 
notions  ou  en  les  développant.  Quelle  source,  par  exem- 
ple, de  nouveaux  sentiments  pour  la  piété  chrétienne 
el  d'aperçus  nouveaux  sur  Dieu  dans  la  révélation  du 
l'ère  qui  est  aux  cieux,  qui  nous  a  donné  son  propre 
Fila  et,  par  sa  médiation,  ■(  fait  de  nous  ses  enfants 
adoptifs!  La  pensée  chrétienne  ne  pouvait  manquer  de 
«'exercer  sur  ces  données  primitives.  Dans  leurs  com- 

ntaires  sur  les  saints  Li\  res,  en  particulier,  les  Pères 

furent  amenés   i   exploiter  la   richesse  de  textes   plus 

Ibndament  nme    l  «od.,  ni,    14  :  \'.<\o  sn,u  qui 

tut»;  Sap.,  xiii,  .">  :  .1   magnitudim    i  ici  et 

■  ognost  ibitili  r  poterit  <  reator  horum  vida  i . 

Rom.,  1,20    lnvi  ibiliaenim  ipsiu$,acrealuramundi, 

facta   sinii,    intellecta,    conspiciuntur; 

àct.,  xvii,  27.  28     ",,,/,,,.,v  ,  .,/  ,,/,  unoquo- 

,///,■  noêti  uni .  us,  et  movernu 

us. 

i  n  n  eond  lieu,  la  $.  a  partir  du  iv  si 

le  di  i  les  dogmes  trinitaire  el  chris 

1  pu-,  mais  h   avait  d'abord  porté  sur   la  ool 

de  Dieu,  dan<  la  lutte  avec  le  judaïsme,  le  paga 
dualisme.  Si  li  point  pasae  ensuite  au  second 

plan,  la  di  m  pli  l' ne  ni.  I  n 

DU  i.   i-'    tiii  •>[..  CATUOL, 


face  d'incroyants  qu'on  voulait  amener  à  la  fo  inouvelle. 
il  ne  suffisait  pas  d'exposer  la  notion  chrétienne  deDieu 
et  de  l'opposer  à  toute  notion  contraire,  spécialement 
à  la  notion  païenne,  fausse  à  tant  d'égards  et  toujours 
incomplète;  il  fallait  légitimer  ce  qu'on  prêchait. 
Souvent  aussi,  ce  furent  les  adversaires  qui  prirent 
l'offensive;  sur  le  terrain  de  la  philosophie,  ils  criti- 
quèrent la  notion  chrétienne  de  Dieu  et  soulevèrent,  à 
cette  occasion,  de  très  graves  problèmes.  Les  erreurs 
et  les  attaques  étant  multiples,  multiples  aussi  furent 
les  aspects  de  Dieu  que  les  Pères  durent  étudier,  venger 
ou  mettre  en  relief. 

En  troisième  lieu,  la  philosophie,  ou  plutôt  l'alliance 
de  la  foi  et  de  la  philosophie.  Des  Pères,  convertis  du 
paganisme,  philosophes  d'éducation  et  de  tempérament, 
sentirentle  besoin  de  garder  de  leur  formation  première 
ce  qui  pouvait  cadrer  avec  leur  foi  nouvelle,  de  proposer 
aux  autres  ou  de  s'exprimer  à  eux-mêmes  ce  qu'ils 
croyaient  sous  la  forme  et  dans  la  langue  qui  leur 
étaient  propres.  On  a  remarqué  au  sujet  de  l'incarna- 
tion du  Verbe,  et  la  remarque  s'applique  tout  aussi 
bien  aux  grands  problèmes  de  théodicée,  que  les  philo- 
sophes chrétiens  passèrent  naturellement  du  fait  à  son 
explication,  aux  théories  sur  la  nature  du  Verbe. 
«  C'était  une  époque  de  définition  et  de  dialectique,  » 
remarque  un  auteur  qui,  d'ailleurs,  a  beaucoup  excédé 
dans  l'application  de  ce  principe  aux  faits.  «  Pour  la 
masse  des  hommes  instruits,  il  était  aussi  difficile  de 
rencontrer  un  problème  métaphysique  sans  le  discuter, 
qu'il  serait  difficile,  de  nos  jour»,  aux  chimistes  de  ren- 
contrer un  produit  naturel  sans  l'analyser.  »  E.  Hatcli, 
The  influence  of  greek  ideas  and  usages  upon  the 
Christian  Church,  Londres,  1890,  p.  263. 

De  tout  ceci  résulte,  non  pas  un  enseignement  sys- 
tématique sur  la  nature  de  Dieu,  non  pas  une  théodicée 
en  forme,  mais  les  matériaux  essentiels  de  nos  traités 
modernes  De  ■  Deo  uno.  Pour  un  certain  nombre  de 
Pères,  la  synthèse  des  éléments  épars  dans  leurs  écrits 
a  même  été  faite  sous  deux  formes  distinctes.  Parfois, 
ce  sont  des  monographies  où  l'on  traite  spécialement 
de  la  théodicée  de  tel  Père,  sa  doctrine  sur  Dieu,  Die 
Théodicée,  Die  Golleslehre  des...  D'autres  fois,  ce  sont 
des  études  générales  sur  la  théologie  d'un  Père,  mais 
comprenant  un  chapitre  distinct  sur  Dieu.  Dans  les  deux 
cas.  on  trouve  habituellement  l'inventaire  détaillé  de 
ce  que  ce  Père  a  dit  sur  Dieu,  sa  nature  et  ses  attributs, 
la  manière  de  le  connaître;  presque  toujours  Dieu  est 
considéré  sous  tous  ses  rapports  :  non  seulement  comme 
un,  mais  comme  trine;  non  seulement  en  lui-même, 
mais  dans  son  action  au  dehors,  la  création  avec  ses 
conséquences,  la  providence  avec  tous  les  problèmes 
qui  s'y  rattachent,  origine  et  nature  du  mal,  liberté  de 
l'homme,  etc.  Tel  de  ces  écrits  qui  porte  le  titre  de 
Théodicée,  par  exemple  de  saint  Justin  ou  de  Tertullien, 
traite  en  réalité  de  Dii  u  créateur  el  provident,  ou  même 
uniquement  du  problème  du  mal. 

L'étude  présente  sera  nécessairement  moins  com- 
préhensive;  car  des  sujets  qui  viennent  d'être  signalés, 
plusieurs  relèvent  d'arlicl  >u\.  comme  il  a  ■  t< 

dit  col.  758,  en  particulier  Création,  Providence  et 
Trinité.  Il  suffira  de  souligner,  à  l'occasion,  le  point 
d'attachi   entre  les  questions  traitées  el  celles  (pu  sont 
Même  i  n  n  stanl  dans  le  cadre  restreint  de 

notre  travail,  il  serait  impossible  de  reprendre  en  détail 

lei  inventaires  laits  pour  chaque  Père;  ce  serait,  do 

>ml  miner   .1    il  us   sm^    fin   cl 

fruit,  puisque  (fi  -  le  début  la  foi  chrétienni 
-.m  Dieu  l'ensemble  des  notions  qu'elle  trouvait  formel- 
lement contenues  dans  fis  s.iinis  Livres.  L'importance 
particulière  qui  s'attache  de  nos  jours  aui  Pères  du 
n»  et  du  nr  siècle,  apologistes  ou  contre 
sciiie  de  présenter  leui  doctrine  avec  plus  de  dévelop 
nt,  Pour  li  nts,  I      mble  pi  éférable 

IV.  -  88 


1027 


DIEU   (SA    NATURE    D'APRÈS    LES   PÈRES 


Ki28 


d'indiquer  l'orientation  générale  de  la  pensée  patris- 
tique,  dans  ses  courants  principaux,  et  de  n'insister 
que  plus  ou  moins,  suivant  les  circonstances,  sur  la 
doctrine  et  le  rôle  de  tel  ou  tel  Père.  La  matière  peut 
se  diviser  en  quatre  périodes,  caractérisées  surtout 
par  la  progression  des  questions  relatives  à  notre  con- 
naissance et  à  la  nature  de  Dieu. 

2°  Première  période  :  les  Pères  apostoliques.  —  Nulle 
spéculation,  ni  sur  l'existence  de  Dieu,  toujours  sup- 
posée, ni  sur  sa  nature  ou  ses  perfections.  C'est  la  no- 
tion biblique  de  Dieu,  créateur  et  père  de  toutes  choses, 
Didaché,  I,  2;  Barnab.,  xix,  2;  1  Cor.,\ix,  2;  Hermas, 
Vis.,  I,  lit,  4,  Paires  apostolici,  édit.  Funk,  Tubingue, 
1901,  p.  3,  91,  125,  423;  Seigneur  tout-puissant  et  sou- 
verain dominateur,  Did.,  x,  3;  Barn.,  xxi,  5;  I  Cor., 
vin,  2;  Poh/carpi  martyrium,  xiv,  1;  Hermas,  Sini., 
V,  vu,  4,  p.  23,  97,  109,  331,  543;  duquel  nous  tenons 
toutes   choses,  et  qui  n'a   lui-même    besoin   de    rien, 

I  Cor.,  xxxviii,  4;  lu,  1,  p.  149,  167;  Dieu  unique  et 
vivant,  par  opposition  aux  dieux  faux  et  aux  dieux  morts. 
Did.,  vi,  3;  1  Cor.,  lviii,  2;  7/  Cor.,  m,  1;  S.  Ignace, 
Ad  Magnes.,  vin,  2;  Ad  P/tilad.,  i,  2;  Hermas,  Vis., 
II,  m,  2;  Mand.,  i,  1,  p.  17,  173,  187,  237,  265,  429, 
469.  Invisible,  mais  qui  s'est  manifesté  aux  hommes 
par  son  filsJésus.  II  Cor.,  xx,  5;  S.  Ignace,  AdMagnes., 
vin,  2,  p.  211,  237.  Dieu  qui  habite  au  plus  haut  des 
cieux,  et  qui  n'en  est  pas  moinsprésent  partout,  même 
au  plus  intime  de  notre  être  :  Consideremus  quam 
propre  sit,  et  quod  cogitationum  nostrarum  et  collo- 
quiorum,  quse  habemûs,  nihil  ipsum  laleat.  1  Cor., 
xxi,  3,  p.  129.    Prescient,  omniscient.  I  Cor.,  xxi,  9; 

II  Cor.,  ix,  9;  S.  Ignace,  Ad  Eph.,  xv,  3;  Hermas, 
Mand.,  IV,  m,  4,  p.  129,  195,  225,  479.  Souveraine- 
ment sage,  saint,  véridique.  1  Cor.,  xxxm,  3;  xxxv,  3; 
Martyr.  Polyc,  xiv,  2,  p.  141,  143,  331.  Juge  suprême, 
qui  récompense  les  bons  et  punit  les  méchants,  sans 
acception  de  personnes.  Did.,  iv,  7;  Barn.,  iv,  12, 
p.  13,  49. 

Notion  de  Dieu  beaucoup  plus  élevée  et  plus  complète 
que  celle  qui  est  attribuée  aux  premiers  fidèles  par 
E.  Hatch,  op.  cit.,  p.  224.  D'après  les  deux  derniers  textes 
cités,  il  nous  les  représente  se  figurant  Dieu  comme  un 
cheik  oriental  dont  le  rôle  est  de  payer  et  de  juger  ses 
subordonnés.  Cette  étroitesse  de  vue  est  d'autant  plus 
étonnante,  que,  chez  les  Pères  apostoliques,  la  notion 
chrétienne  brille  davantage  :  non  seulement  dans  la 
croyance  à  Dieu  le  Père  qui  a  envoyé  son  propre  Fils 
sur  la  terre  pour  sauver  les  hommes,  pour  se  manifes- 
ter à  eux  et  leur  manifester  la  vérité,  II  Cor.,  xx,  5; 
S.  Ignace,  Ad  Magnes.,  vin,  2,  p.  211,  237,  mais  encore 
dans  le  relief  donné  à  la  fidélité,  à  la  bonté,  à  la  miséri- 
corde, non  moins  qu'à  la  justice,  à  la  sagesse  et  à  la  puis- 
sance divine  :  Fidelisin  omnibus  generalionibus,  justus 
in  judiciis ,  admirabilis  in  fortitudine  et  magnificien- 
tia,  sapiens  in  condendo  et  prudens  in  creatis  stabilien- 
dis,  bonus  in  Us  quse  videntur,  et  /idelis  in  eos  qui  in  te 
con/idunt,  benignus  et  misericors.  1  Cor.,  lx,  l,p.  179. 
D'un  bout  à  l'autre  du  Pasteur  d'Hermas,  la  miséri- 
corde divine  est  prêchée,  exaltée.  De  là  un  profond 
sentiment  d'amour  reconnaissant  à  l'égard  du  Père 
céleste  qui  nous  a  créés  et  qui  a  créé  toutes  choses 
pour  sa  gloire  sans  doute,  mais  pour  l'homme  aussi, 
Did.,  I,  2;x,3;  Hermas,  Mand.,  Xll,iv,  2,  p.  3,23,515; 
de  confiance  filiale  en  ce  Père  «  tout  miséricordieux 
et  bienfaisant,  »  1  Cor.,  xxiil,  1;  xxix,  1,  p.  131,  137; 
de  soumission  constante  aux  ordres  de  sa  providence  : 
«  Tout  ce  qui  t'arrive,  reçois-le  comme  un  bien, 
sachant  que  rien  n'arrive  en  dehors  de  Dieu.  »  Did., 
iii,10,  p.  11. 

Non  moins  caractéristique,  chez  les  premiers  Pères, 
est  la  tendance  à  envisager  les  œuvres  et  les  perfections 
divines  sous  un  aspect  moral  et  pratique,  comme  appe- 
lant de  notre  part  la  reconnaissance  effective,  l'imitation. 


Dans  la  description  de  ceux  qui  marchent  dans  la  voie 
de  la  mort,  ce  trail  apparaît  :  a  Ils  n'ont  pas  pitié  de 
l'indigent,  ils  ne  se  préoccupent  pas  de  l'affligé,  igno- 
rants qu'ils  sont  de  b-ur  créateur,  non  cognoscentes 
rrcaloreni  suum.  »  Did.,  v,  2;  Barn.,  xx,  2,  p.  17,  95, 
La  description  de  l'ordre  et  de  l'harmonie  merveilleuse 
qui  se  manifeste  dans  le  monde,  1  Cor.,  xx,  p.  127, 
tend  à  celte  conclusion  :  «  Prenons  garde  d'abuser  de 
ses  nombreux  bienfaits  pour  notre  propre  condamna- 
tion ;  menons  une  vie  digne  de  lui,  faisons  le  bien  et  ce 
qui  lui  est  agréable,  en  esprit  d'union.  »  Ibid.,  xxi.  1, 
p.  129.  L'omniscience  a  pareillement  ses  enseignements  : 
«  Puisqu'il  voit  tout  et  entend  tout,  craignons-le  et 
gardons-nous  des  désirs  impurs.  ■■  I  Cor.,  xxvm.  1. 
p.  135.  L'habitation  de  Dieu  en  nous  évoque  l'idée  de 
temple  spirituel,  érigé  au  Seigneur.  Barn.,  xvi,  8, 10, 
p.  89.  «  P.ien  n'échappe  au  Seigneur,  pas  même  nos 
secrets  les  plus  intimes;  rappelons-nous  donc  en 
toutes  nos  actions  qu'il  habile  en  nous.  »  S.  Ignace, 
Ad  Eph.,  xv,  3;  S.  Polvcarpe,  Ad  Phil.,  IV,  3. 
p.  225,  301. 

En  dehors  de  ces  grands  traits,  quelques  détails  seu- 
lement méritent  d'être  relevés.  L'unité  de  Dieu,  créa- 
teur et  rédempteur,  constamment  supposée,  est  de 
temps  à  autre  fortement  accentuée,  Il  Cor.,  xx.  5: 
S.  Ignace,  Ad  Magnes.,  vin,  2,  p.  211,  237;  mieux 
encore  dans  le  célèbre  passage  du  Pasteur  d'Hermas. 
où  l'immensité  divine  est  aussi  exprimée  :  Primum 
omnium  crede,  unum  esse  Deum, qui  omniacreavil  et 
consummavil ,  et  ex  nihilo  fecit  onmia,  ut  sint,  et 
omnia  capit,  soins  autem  incapabilis  est,  |itfvo;  li 
àyrâ>pi\xoi  wv.  Mand.,  I,  1.  p.  468.  La  toute-puissance  et 
la  pleine  indépendance  de  la  volonté  divine  est  affirmée  : 
Nihil  Deo  impossibile  prnterquam  mentiri.  Quando 
vult  et  quomodo  vull,  omnia  faciet.  1  Cor.,  xxvn.  2. 
5,  p.  135. 

L'écrit  anonyme  et  de  date  discutée  qui  porte  le 
titre  d'Epistula  ad  Diognetum,  reste,  pour  la  doctrine 
sur  Dieu,  dans  le  courant  des  idées  familières  aux 
Pères  apostoliques.  L'aspect  polémique  contre  les  faux 
dieux  du  paganisme  se  surajoute,  mais  là  même 
l'auteur  reste  biblique;  contre  ces  prétendus  dieux  de 
pierre,  de  métal,  de  bois,  etc.,  il  reprend  l'argumentation 
populaire  ou  de  sens  commun  que  les  prophètes  d'Israël 
et  les  auteurs  des  livres  sapientiaux  avaient  utilisée. 
Plus  caractéristique  est  l'attitude,  agressive  et  tranchée, 
qu'il  prend  à  l'égard  des  philosophes,  restés  sans  la 
véritable  notion  de  Dieu  et  coupables  de  l'avoir  traves- 
tie de  tant  de  façons  :  Quis  enim  omnino  hominum 
norat,  qui  tandem  esset  Deus,  priusquam  ipse  vene- 
rat°!  Anvana  et  nugacia  dicta  philosophorum  istorum 
approbas,  qui  /ide  pcrperam  digni  suiit  habit i  ?  vin. 
1,  2,  p.  405. 

auteurs  catholiques  :  J.  Sprinzl,  Die  Théologie  der  apostu- 
lisclien  Vàter,  Vienne,  1880,  p.  122  sq.  ;  J.  Xirschl,  Die  Théo- 
logie desheiligen  Igyiatius,  des  Apostelschitlers  und  Bischofs 
vm  Antiochien,c.  i,  Mayence,  1880,  p.  1  sq.  —  nos  catholiques  : 
J.  Donaldson,  A  critical  History  of  Christian  Literature  and 
Doctrine  from  thedeathofthe  Apostles  tothe  Nicene  Council, 
Londres,  1864  sq.,  t.  i,  The  Apostolical  Fathers,  p.  122  sq., 
189  sq.,  232,  281  sq.  :E.  von  der  Goltz,  Ignatius  von  Anliochien 
ali  Christ  und  Theologe,  part.  I,  c.  i  {Texte  und  Untenu- 
chungen,  publ.  par  O.  von  Gebhardt,  etc.,  t.  xn),  Leipzig,  i 
A.  Harnack,  Lehrbuch  der  Dogmengeschichte,  3'  édit ,  !•  ribourg- 
en-Brisgau,  1894,  1. 1,  p.  170  sq. 

3°  Seconde  période  :  les  Pères  apologistes  et  conlro- 
versistesjusquauconcile  de  Xu;  c  325  .  —  Cette  période 
diffère  notablement  de  la  précédente.  La  lutte  s'engage 
avec  l'ennemi,  et  de  plusieurs  côtés  à  la  fois  :  d'abord 
avec  les  juifs  et  les  païens,  puis  avec  les  hérétiques 
gnostiques.  Avec  les  juifs,  le  débat  sur  la  nature  de 
Dieu  fut  secondaire;  juifs  et  chrétiens  s'accordaient 
sur  la  notion  biblique.  Bientôt  cependant  deux  pro- 


1029 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES 


1030 


blêmes  apparaissent  :  Comment  concevoir  Dieu,  ou 
comme  un  pur  esprit,  ou  d'une  façon  plus  ou  moins  an- 
thropomorphique?  Comment  concilier  le  dogme  fonda- 
mental de  l'unité  divine  avec  la  pluralité  des  personnes, 
affirmée  parla  foi  chrétienne?  Avec  les  païens,  le  point 
capital  est  l'unité  de  Dieu,  dans  son  opposition  for- 
melle à  tout  polythéisme,  mais  la  spiritualité  divine, 
entendue  dans  un  sens  large  ou  dans  un  sens  rigoureux, 
par  exclusion  d'un  corps  charnel  ou  d'un  corps  quel- 
conque, intervient  nécessairement  encore  dans  la  dis- 
cussion. Avec  les  gnostiques,  la  question  principale 
est  aussi  l'unité  divine,  contredite  par  l'ingérence  de 
dieux  subalternes  ou  par  la  distinction  dualiste  d'un 
Dieu  suprême  et  d'un  démiurge.  La  grande  énigme  de 
l'origine  du  mal  est  à  l'ordre  du  jour;  à  côté  ou  par 
connexion,  d'autres  questions  se  posent,  sur  la  connais- 
sance de  Dieu,  sur  la  providence  et  sa  conciliation 
avec  le  libre  arbitre  de  la  créature.  La  théodicée  des 
Pères  apologistes  tourne  autour  de  ces  problèmes, 
mais  en  les  dépassant;  car  les  défenseurs  de  la  doctrine 
catholique  ne  se  contentent  pas  de  réfuter  les  notions 
fausses  sur  Dieu,  ils  opposent  une  notion  positive.  Ce 
faisant,  s'ils  n'oublient  pas  les  Livres  saints,  surtout 
dans  la  controverse  juive  et  gnostique,  la  plupart 
cependant  se  tiennent  sur  le  terrain  de  la  raison,  de  la 
philosophie.  C'est  là  un  caractère,  non  pas  exclusif, 
mais  dominant  de  la  théodicée  des  Pères  apologistes, 
prise  dans  son  ensemble. 

1.  Apologistes  grecs.  —  a)  Aristide.  —  Dans  l'Apo- 
logie qu'il  présenta,  vers  l'an  140,  à  l'empereur  Anto- 
nin,  apologie  publiée  par  .T.  Rendel  Marris,  dans  Texls 
and  Studies,  2«  édit.,  Cambridge,  1893,  1. 1,  n.  1  et  4,  et 
par  E.  Hennecke,  dans  Texte  und  Untersucliungen  zur 
Gescliic/ite  der  allchristliclten  Litcralur,  Leipzig,  1893, 
t.  iv,  fasc.  3,  le  philosophe  athénien  débute  par  une 
véritable  déclaration  de  principes  sur  Dieu.  La  consi- 
dération de  l'ordre  et  de  la  beauté  du  inonde  lui  a  fait 
conclure  à  l'existence  d'un  être  supérieur,  qui  meut 
les  créa  tares  et  qui,  demeurant  invisible,  habite  en 
elles.  Personne  ne  peut  comprendre  parfaitement  ce 
qu'il  est,  -v.o;  è'ttiv.  Souverain  Seigneur,  il  a  tout  créé 
pour  l'homme.  Il  est  incréé,  sans  commencement  ni 
lin,  immuable,  parfait,  tout-puissant,  tout  sage.  11  n'a 
pas  de  nom;  il  n'a  ni  ligure,  ni  membres,  ni  sexe.  Les 
cieux  ne  le  contiennent  pas,  mais  lui-même  contient  le 
ciel   et  tout  ce    qui   est    visible   ou   invisible.    Far  lui 

Subsiste  tOUt  Ce  qui  suivis!,.,  M.  |.  Aristide  passe  eu- 
suite  en  revue  et  crilique  ce  qu'ont  pensé  de  Dieu  les 
barbares,  les  Grecs,  les  Egyptiens,  n.  212.  Les  juifs 
ont  éjé  bien  mieux  inspirés  dans  leur  notion  d'un 
Dieu  unique,  créateur  de  toutes  choses,  tout-puissant 
ei  seul  digne  d'adoration,  n.  14.  Mais  la  croyance 
chrétienne  esl  supérieure,  n.  15. 

6  Saint  Tuttin  marque  mie  étape  importante;  il 
aborde  la  question  en  philosophe,  platonicien  d'édu- 
cation et  d'attrait,  mais  chrétien  'le  ci  oyance  et,  comme 
tel,  dépassanl  sciemment  el  volontairement  la  doctrine, 
ou  ce  qu'il  prenait  pour  la  doctrine,  de  Platon.  Dans 

le  milieu  du  n    siècle, 

il  oppose  au  reproche  d'athéisme,  formulé  contre  les 

leur  croxance    i  au   Dieu   lies  \r.u.  père  de 

la  justia  .  de  la  el  autres  vertus,  sans  mélange 

de  quoi  que  ce   soil  de  mauvais,  i  a.  6,  P.   Cf.,  I    n, 

95.  Dieu,  donl  la  gloire  el  la  forme  sonl  inénar- 

.  n.  9,  col   340  II  n'a  pas  besoin  d  offrandes  ma 

les,  lui  qui,  dans   •.<  boni...  lit  à  l'origine  sut 

i«"i  !  lire'  matière  inforn  hommes 

ii.  10  ,|„j 

\i.  18,  voir  l'art,  Cri  \- 
iveraln  naître 
de  i  ii   muni  ratent   el    engi  ai . 

donl  I  air  i .,,,,., 


n.  12,  col.  345.  Seul  vrai  Dieu,  ô  ovtu;  Oeô;,  immuable, 
sempiternel,  n.  13,  col.  348;  seul  incréé,  n.  14;  cf.  Dial. 
cum  Tryph.,  5,  col.  348,  487;  tout-puissant,  impassible, 
n.  18,  25,  col.  356,  366.  Le  problème  du  mal,  sans  être 
pleinement  traité,  est  cependant  abordé.  Le  mal  moral 
est  l'œuvre  des  hommes,  qui  ne  viennent  pas  au 
monde  les  uns  bons  et  les  autres  mauvais,  mais  doués 
du  libre  arbitre,  don  de  Dieu  leur  permettant  de  mé- 
riter ou  de  démériter;  les  maux  physiques  sont  dus  en 
grande  partie  aux  démons,  ennemis  des  hommes,  sur- 
tout des  bons,  n.  28,  43.  Cf.  11  Apol.,  n.  7,  col.  371, 
394,  455. 

Dans  la  IIe  Apologie,  Justin  accentue  l'affirmation  de 
l'ineflabilité  divine.  Le  Père  de  toutes  choses  n'a  pas 
de  nom,  parce  qu'il  est  sans  origine;  l'imposition  d'un 
nom  suppose,  en  effet,  un  plus  ancien  qui  le  donne, 
n.  6,  col.  454.  Aussi  l'apologiste  associe-t-il  en  Dieu 
les  deux  idées,  bsbv  tov  àyévvr|Tov  xa\  £ppr,Tov,  n.  12, 
col.  464.  Les  termes  de  Père,  Dieu,  créateur,  Seigneur 
et  maître,  ne  sont  pas  de  vrais  noms,  mais  des  appel- 
lations tirées  des  bienfaits  et  des  œuvres  de  celui  qu'on 
désigne  ainsi.  En  particulier,  le  terme  Dieu  ne  répond 
qu'à  la  conception,  implantée  dans  l'esprit  humain, 
d'une  chose  inénarrable,  7tpây|i*T0î  Sutre^y^Tou  èV?'J-o; 
■ri]  z-jiz'.  -iïri  àv8piû7rwv  ôôË3c,  col.  453.  D'ailleurs,  Dieu 
s'est  rendu  témoignage  par  son  Verbe;  car  le  Verbe 
divin  s'est  toujours  communiqué  aux  hommes  de 
quelque  façon,  n.  8;  il  est  toujours  présent  dans  le 
monde,  6  èv  jt«vt\  ù'v,  n.  10;  mais  la  pleine  communi- 
cation n'a  eu  lieu  qu'aux  temps  évangéliques,  quand  il 
s'est  incarné,  n.  13,  col.  458  sq.,466. 

Le  Dialogue  avec  le  juif  Tryphon  présente  cette 
particularité  que,  dans  le  prologue,  n.  1-8,  saint  Justin 
raconte  un  entretien  qu'il  eut  avec  un  vieillard  provi- 
dentiellement rencontré,  entretien  qui  décida  de  sa 
conversion  au  christianisme.  Invité  à  dire  ce  qu'il 
pensait  de  Dieu,  Justin  le  donna  pour  l'être  qui  reste 
toujours  ce  qu'il  est,  sans  changer  jamais,  et  qui  en 
même  temps  confère  anx  autres  l'existence,  n.3.  Il  cita 
Platon  concevant  Dieu  connue  l'être  même,  cause  su- 
prême de  tout  ce  qui  tombe  sous  la  perception  intellec- 
tuelle, n'ayant  ni  couleur,  ni  figure,  ni  grandeur,  ni 
rien  de  ce  que  l'œil  atteint;  en  un  mot,  l'être  qui  est 
au-dessus  de  toute  essence,  iïtsxeiva  itiar.î  ovafaCi  iné- 
narrable, inexplicable,  seul  beau  et  bon,  qui  se  mani- 
feste clairement  à  l'âme  bien  préparée  et  désireuse  de 
le  voir,  n.  4,  col.  ISS  sq.  Le  vieillard,  sans  entrer  dans 
de  longues  discussions,  rabattit  aisément  ces  hautes 
prétentions  :  l'âme  peut  connaître  l'existence  de  Dieu, 
6ti  ïoti  0:o:,  m. lis  elle  ne  peut  le  voir,  n.    i.  col.    188; 

la  philosophie  ne   donna  pas  elle-mê la   science   de 

Dieu  et  des  choses  divines,  il   faut   la  demander  :i  ceUS 

qui  ont  parlé  sous  l'influence  >U\  Saint-Esprit,  aux  pro- 
phètes. <t  surtout  à  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  n.  5-7. 
Le  reste  du  dialogue  porte  principalement  sur  Jésus- 
Christ,  considéré'  comme  distinct  de  Hou  le  l'ère  et 
Dieu  lui  ml  m<  I  apoli  gl  te  reconnaît  formellement  le 
même  Dieu  que  m,h  adversaire  juif,  n.  Il,  col.  197, 
mais  il  rejette  la  conception  anthropomorphique  qui, 
l'assimilant  à  un  animal  composé  de  parties,  lui  attri- 
buait  des  pieds,  des  mains,  des  doigts  et  une  .une. 
n.  Mi.  col.  7W  ration  du  Verbe,  qu'il  admet, 

est  d'un  tout  autre  ordre  :  Dieu  le  Péri  engendre  de 
lui  même  ion  V\  r  be,  :  rationm  II  riva 

èc  tauroQ  XoyixV,v,  non  par  une  sorte  de  scission  affec- 
tant   i         tance,  mais  par  h  vertu  et  sa  volonté, 
diminution   aucune   de  -.i    part;  tel    le  Heu  donnanl 
u  feu,  n.  61.  128,  col.  oi  i,  775. 
Parmi  les  autres  ouvrages  souvent  attribués  a  salai 
mais  d'authenticité  douteuse,  la  Cohortatio  ",t 
(rentes,  col     —il    sq.,  mérite  d'être  signalée   pour   la 
inéine  qui  •']  trou v<  di  •■■  loppée  el  qui  r.ut  .m->-i 
le  fond  do  i,  col.  311  sq.  I 


4031 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS   LES    PÈRES] 


1032 


et  les  philosophes  de  la  Grèce  ne  sont  arrivés  sur  Dieu 
«m'a  des  opinions  multiples  et  discordantes  ;  quelques- 
uns  cependant  ont  rendu  témoignage  à  Dieu  et  à  son 
unité.  Platon  surtout, sous  l'influence  des  Livres  saints 
dont  il  connut  quelque  chose  en  Egypte.  La  doctrine 
de  l'ineflabilité  divine  revient  à  ce  propos,  fondée  sur 
deux  raisons  :  Nemo  praiexslitit,  <jui  nomen  Deo  ini- 
poneret,  nec  se  ipsum  numinandum  duxit,  n.  21, 
col.  277.  Ainsi,  pas  de  nom  propre  au  sens  d'un  nom 
personnel  qu'on  impose  à  quelqu'un  pour  le  distinguer 
des  autres,  car  personne  n'existe  avant  Dieu  pour  pou- 
voir le  dénommer  ainsi;  pas  davantage  de  nom  propre 
au  sens  d'un  nom  qui  exprime  la  nature  d'un  être,  car 
Dieu  seul  pourrait  se  définir  ainsi,  et  il  ne  l'a  pas  fait. 
La  parole  dite  à  Moïse,  Exod.,  ni,  14  :  'Eyw  e I jx t  6  cîiv 
(traduction  des  Septante),  n'énonce  en  réalité  qu'une 
propriété  du  vrai  Dieu,  mais  une  propriété  essentielle 
et  qui  le  distingue  de  tout  autre  être  :  ut  per  partici- 
pium  EXisiEys,  Dei  existentis  et  non  existentium 
discrimen  doceret.  Ibid.,  col.  279.  L'existence  dont 
il  s'agit,  c'est  l'existence  sans  limites,  qui  comprend 
le  passé,  le  présent  et  l'avenir,  n.  25,  col.  287. 

La  conception  de  Dieu  qui  se  dégage  decet  enseigne- 
ment n'est  certes  pas  vulgaire,  et  elle  n'est  pas  pure- 
ment philosophique,  elle  est  aussi  chrétienne.  Ce  n'est 
pas  à  dire  qu'elle  ait  toute  la  netteté  désirable.  Les 
expressions  dont  l'apologiste  se  sert  plusieurs  fois, 
donneraient  facilement  l'impression  d'un  Etre  qui  se- 
rait au-dessus  et  en  dehors  du  monde,  par  exemple, 
Dial.  cum  Tryph.,  n.  56  :  to-j  iv  toiç  -JTcEpoupavîoi;  às'i 
[xévovxoç;  n.  60:  tû>  imïp  v.haii.o't  9e<ii,  col.  596,  613. 
Dans  ce  dernier  passage,  saint  Justin  suppose  même 
que,  pour  apparaître  en  un  lieu  déterminé  du  monde, 
le  Dieu  suprême  devrait  quitter  les  espaces  supracé- 
lestes  :  Nemo  tamen  non  omnino  mente  captus  au- 
ctorem  universorum  et  pctrentem  relictis  omnibus 
supercœlestibus  in  paria  lerrse  parlicula  visum  dicere 
audeat,  col.  611.  Idée  reprise  et  développée  plus  loin  : 
«  Ce  Père  ineffable,  ce  maître  de  l'univers  ne  se  rend 
nulle  part,  il  ne  se  promène  pas,  il  ne  dort  ni  ne  se 
lève,  mais  il  reste  là  où  il  habite,  quel  que  soit  cet 
endroit;  il  y  voit  tout  et  entend  tout,  non  par  les  yeux 
et  les  oreilles,  mais  d'une  façon  qui  ne  se  peut  dire,  et 
nul  de  nous  n'échappe  à  sa  connaissance.  II  ne  se 
meut  point,  il  n'est  compris  dans  aucun  lieu,  pas 
même  dans  le  monde  entier,  puisqu'il  était  avant  que 
le  monde  n'existât.  Comment  donc  pourrait-il  parler  à 
quelqu'un,  ou  lui  apparaître,  ou  se  faire  voir  dans  un 
étroit  espace  de  cette  terre?  »  N.  127,  col.  771.  Le  but 
de  l'apologiste  est  d'établir  la  distinction  réelle  du 
Père  et  du  Fils,  en  montrant  que  les  théophanies  de 
l'Ancien  Testament  doivent  être  exclusivement  attri- 
buées au  second.  L'argumentation  n'est  pas  heureuse; 
elle  crée  même  une  difficulté  réelle,  classique  dans  le 
traité  De  Deo  trino,  contre  la  consubstantialité  du 
Père  et  du  Fils.  Abstraction  faite  de  cet  inconvénient, 
il  est  juste  de  reconnaître  que,  considéré  dans  sa  na- 
ture divine,  Dieu  le  Père  n'est  pas  susceptible  de  rela- 
tions locales,  ni  par  conséquent  d'un  mode  de  présence 
dépendant  de  ces  relations;  mais  pourquoi  ne  pourrait- 
il  pas  apparaître  d'une  autre  manière,  ou  sous  une 
forme  d'emprunt,  comme  le  Verbe,  ou  à  l'aide  d'un 
symbole  qui  le  représenterait,  comme  le  Saint-Esprit? 
Supposer  que  Dieu  le  Père,  et  lui  seul,  est  tellement 
lixé  dans  les  espaces  supracélestes,  qu'il  ne  puisse  se 
faire  voir  ailleurs,  c'est  émettre  une  assertion  arbitraire 
et  qui  s'harmonise  peu  avec  l'immanence  ou  l'ubiquité 
divine,  admise,  semble-t-il,  par  Justin  quand  il  fait 
du  Dieu  incréé  et  inénarrable  le  témoin  de  nos  pen- 
sées et  de  nos  actions,  8eôv  rbv  à^lw^tov  xa\  appTjTov 
[AapTUpa  e'/ovtectûiv  te  >.oyi(T[j.(ov  xat  tcov  7TP<xEeu>v,  n.  12, 
col.  464.  Il  est  vrai  que  la  présence  dite  de  connais- 
sance et  de  puissance  n'entraine  pas  nécessairement 


la  présence  substantielle,  au  sens  propre  du  mot; 
aussi,  même  sur  ce  point,  la  pensée  de  l'apologiste 
reste  inachevée  et  ambiguë. 

c)  Tatien  nous  présente,  dans  son  Oratio  adversus 
Grxcos,  ]'.  G.,  t.  vi.  col.  803  sq..  une  doctrine  moins 
étendue  que  celle  de  saint  Justin,  son  maître,  mais 
analogue  dans  l'ensemble.  Dieu  n'a  jamais  commencé 
d'être;  c'est  sa  prérogative  exclusive,  puisqu'il  est  le 
principe  de  toutes  choses.  Il  est  esprit  (c'est-à-dire  sans 
chair,  acrapxo:,  n.  15,  et  sans  corps,  àooiu.a-:o:,  n.  25, 
col.  837,  861);  comme  tel,  invisible  et  intangible. 
Incompréhensible  aussi,  en  lui-même,  et  inénarrable; 
mais  ses  créatures  nous  le  font  connaître,  ses  œuvres 
nous  témoignent  de  sa  puissance  invisible.  Il  n'a  besoin 
de  rien  ni,  par  conséquent,  de  nos  présent*,  n  i. 
col.  814.  Une  phrase  mérite  une  attention  spéciale  : 
IlvE\;p.a  6  8eb{  ou  Biîjxov  Sià  tyj;  v'/.?,;.  icvg*j|Kxicdv  '.i 
ûXcxcôv  xoù  t(dv  èy  ol'j-?,  c/ï(u.::mv  xaTa<nceva<rnr,ç.  «  Dieu 
est  esprit,  non  pas  esprit  diffus  à  travers  la  matière, 
mais  créateur  des  esprits  matériels  et  des  formes  atta- 
chées à  la  matière.  »  L'apologiste  veut-il  dire  que  la 
présence  divine  ne  s'étend  pas  à  la  matière?  Cette 
interprétation  ne  serait  pas  tout  à  fait  gratuite,  car  peu 
auparavant  Tatien  reprochait  à  Zenon  d'avoir  affirmé 
que  Dieu  se  trouve  dans  les  cloaques,  les  vers  de  terre 
et  ceux  qui  commettent  des  actions  indignes,  n.  3, 
col.  811.  Cf.  Petau,  Dogmala  theolog.,  1.  III,  c.  vu. 
n.  3.  Mais  la  limitation  de  la  présence  divine,  que 
contient  ce  dernier  texle,  est  loin  de  s'étendre  à  la 
matière  prise  dans  toute  son  extension.  Les  termes  : 
o-j  otr/.ov  osa  -■!/,  -Z't.r^,  semblent  plutùt  viser  l'imma- 
nence panthéistique  des  stoïciens,  qui  concevaient 
Dieu  comme  l'âme  du  inonde,  en  lui  attribuant  une 
sorte  de  coextension  par  rapport  à  la  matière.  Il  reste 
qu'en  face  de  cette  notion  fausse,  Tatien  ne  pose  pas 
une  notion  positive  de  l'ubiquité  divine,  qui  soit  dis- 
tincte et  adéquate.  Il  en  va  tout  autrement  de  l'unité 
absolue  du  premier  principe,  fortement  accentuée  :  la 
matière  n'est  pas,  comme  Dieu,  incréée;  elle  a  été 
créée,  non  par  un  autre,  mais  par  Dieu  lui-même, 
unique  auteur  de  tout  ce  qui  existe  en  dehors  de  lui, 
n.  5,  col.  818.  Le  mal  ne  vient  pas  de  Dieu,  bon  par 
nature;  il  vient  de  la  créature  raisonnable,  qui  abuse 
de  sa  liberté,  n.  7,  11,  col.  819,  830.  Dans  la  partie 
polémique  de  son  discours,  Tatien  raille,  avec  son 
outrance  habituelle,  les  dieux  et  la  philosophie  du 
paganisme  :  ces  dieux  innombrables,  qui  se  brouillent, 
se  battent,  se  blessent,  se  marient,  en  un  mot  se 
montrent  sujets  aux  mêmes  passions  que  les  hommes, 
n.  8,  col,  822;  ces  philosophes  superbes,  qui  n'ont  su 
donner  de  Dieu  que  des  notions  discordantes, *n.  25, 
col.  859. 

d)  Athénagore  composa  vers  176-180  sa  fIpea6E:'a  zspi 
/piô-Tiavàiv,  Legatio  pro  christianis,  P.  G.,  t.  vi, 
col.  889  sq.  Comme  saint  Justin,  il  repousse  l'accusation 
d'athéisme,  portée  contre  les  chrétiens,  et,  comme 
Tatien,  il  réfute  le  polythéisme.  Ce  n'est  pas  être  athée, 
que  de  distinguer  Dieu  de  la  matière,  et  de  montrer 
l'infinie  distance  qui  sépare  les  deux,  l'un  improduit 
et  éternel,  iyÉwr-ov  xoù  «tètov,  l'autre  produite  et 
corruptible,  yv/r\-rf/  xai  ;ûaptr,v,  n.  i.  col.  S97.  Les 
poètes  et  les  philosophes,  s'élevant  à  la  connaissance 
de  l'Invisible  par  la  considération  de  ses  œuvres,  ont 
rendu  témoignage  à  l'existence  de  Dieu  et  à  son  unité; 
c'est  là  qu'on  aboutit  invinciblement,  quand  on  veut 
en  venir  aux  principes  des  choses,  n.  ô.  7,  col.  900, 
901.  Athénagore  fait  lui-même  appel  à  l'ordre,  à  l'har- 
monie, à  la  beauté  du  monde,  n.  4,  16,  22,  25, 
col.  898,919,  942,950,  mais  il  développe  surtout  l'ar- 
gumenl  c<  topologique  ».  n.  8,  col.  905.  S'il  y  avait  à 
l'origine  deux  ou  plusieurs  dieux,  ils  seraient  ou  tous- 
dans  un  seul  et  même  lieu,  ou  chacun  dans  un  lieu  dis- 
tinct;   deux    suppositions    qui    répugnent   également. 


1033 


DIEU    (SA    NATURE   D'APRÈS    LES    PÈRES) 


1034 


L'apologiste  énonce,  à  cette  occasion,  plusieurs  attri- 
buts divins,  la  simplicité,  l'indivisibilité,  l'universelle 
providence  :  cum  ingenitus  sit  et  perpessionis  ac 
divisionis  expers,  non  sane  constat  ex  parlibus,... 
supra  opéra  sua  versatur,  ad  eorum  providentiam 
advigilans.  Les  détails  de  l'argumentation  ne  sont  ni 
tous  clairs,  ni  tous  décisifs  (voir  la  critique  qu'en  a 
faite  H.  Ritter,  Geschichte  der  Philosophie,  Hambourg, 
1841,  t.  v.  p.  311,  et  la  discussion  de  cette  critique 
elle-même  par  P.  Logothetes,  'Il  BeoXqycoc  toO  'Aôvayô- 
pou,  p.  M  sq.);  quelques  expressions  sembleraient 
même  nous  ramènera  l'idée  d'un  Dieu  extra-cosmique  : 
«Les  mettrez-vous  chacun  dans  un  lieu  distinct?  Mais, 
puisque  le  créateur  du  monde  est  autour  et  au-dessus 
du  monde  entier,  zspi  oc-jtôv  t.%'i  -jtiô  toÛtov,  où  y  au- 
rait-il place  pour  l'autre  ou  les  autres?  »  N.  8,  col.  905. 
Un  certain  correctif  se  trouve  dans  le  contexte;  on  y 
lit,  en  des  termes  de  saveur  biblique  mais  qui  ne  tran- 
chent pas  toute  la  difficulté,  que  Dieu  remplit  et  con- 
tient tout. 

Du  reste,  Athénagore  ne  se  contente  pas  de  preuves 
rationnelles;  il  attache  plus  de  prix  à  ce  que  nous  sa- 
vons de  Dieu  par  Dieu  lui-mème,7tapà!tecrj  neplOEoC,  n.7, 
grâce  aux  hommes  inspirés  dont  il  s'est  servi  pour  nous 
instruire,  n.  9,  col.  904,  900  sq.  Revenant  alors  au  re- 
proche d'athéisme,  il  lui  oppose,  enrichie  de  quelques 
attributs,  la  notion  chrétienne  du  «  Dieu  unique,  in- 
Créé,  éternel,  invisible,  impassible,  intangible  (àxaTa- 
>r,-7v/i.  immense,  que  seuls  l'esprit  et  la  raison  peu- 
vent connaître,  qui  est  entouré  d'une  lumière  ineffable, 
d'une  beauté',  d'une  majesté,  d'une  puissance  indes- 
criptible, et  qui,  ayant  produit  et  orné  toutes  choses 
par  son  Verbe,  les  conserve  aussi  par  ce  même  "Verbe... 
qui  est  son  Fils,  ne  faisant  qu'un  avec  le  Père,  Êvbç 
Sv-roc  toC  IlaTpo;  y.olX  toO  Tco'j,  »  n.  10,  col.  908  sq. 
Quelques  traits  s'ajoutent  au  tableau  dans  la  suite  du 
plaidoyer.  Créateur  de  toutes  choses,  Dieu  n'a  pas  be- 
soin d'offrandes  matérielles,  ni  de  quoi  que  ce  soit, 
âvev8er|ç  xoei  kizpoaZtrfi,  n.  13,  col.  9IG.  Il  se  tient  lieu 
de  tout,  lui  qui  est  lumière  inaccessible,  monde  parfait, 
esprit,  puissance,  intelligence,  n.  16,  col.  919.  Immor- 
tel, il  est  également  immobile  et  immuable,  t&  Se  deïov 
%a\  àftivotTov  y.iX  àxfv/jTov  y.a\  àvaW.ofwtov,  n.  22, 
col.  957.  Chemin  faisant,  l'apologiste  relève  chez  ses 
adversaires  tant  d'erreurs  qui  ont  faussé  la  notion  de 
Dieu,  en  faisant  de  lui,  par  exemple,  l'âme  du  monde 
ou  en  divinisant  des  êtres  produits,  corruptibles,  char- 
nels, sujets  à  toute  sorte  de  pissions,  n.  19-23, 
Col.  930  sq. 

Dans  le  problème  du  mal,  Athénagore  attribue  un 
rôle  important  à  l'action  néfaste  des  mauvais  anges 
ou  des  démons;  non  qu'ils  puissent  l'aire  échec  a  la 
puissance  divine,  mais  Dieu  tolère  le  mal,  conséquence 
du  libre  arbitre  dont  il  a  voulu  doter  les  anges  et  les 
bom  i   qu'ils  puissenl  mériter   ou    démériter, 

n.  21,  col.  '.'i'i  sq  Lui-même  est  bon,  parfaitement 
bon  et  toujours  bienfaisant,  -Oii<»:  àyaôb;  ûv,  ki&ltot 
*YaOoitofoc,  n.  20,  col.  952  Mais  il  est  aussi  témoin, 
jour  et  nuit,  de  tout  ce  que  nous  faisons,  disons  ou 
I"  tisons;  et,  plus  tard,  il  sera  pige  décernant  les  ré- 
Compenses  ou  les  châtiments,  Persuadés  qu'ils  sont 
comment  les  chrétien-  ne  s'abstien- 
draient-ils pis  de  tout  péchi  '  N.  31,  36j  col.  862,970. 
L'écrit  /''  -  ■  urrectione  lori  uot  uni .  P,  < •  .  t.  vi, 
col.  97:!  sq.,d'uncaractéri  plu-  restreint, fournit  A  l'apolo- 

i  de itre  particulièrement  en  relief  la 

l.i  puissance  el  la  volonté  divini  -. 
tous  ces  attributs  l'harmonisanl  parfaitement  en  Dieii, 
••n  particulier  la  puissance  el  la  volonté.  Prise  dam  le 
contexte,  l'affirmation  que    cette   dern  end    s 

n  indigne  de  Dieu    quod 
\n  ih     ■     ,,  cadit,  vel  idei  non  cadit  quod 

injustum  col.  991,  ne 


signifie  pas,  comme  le  suppose  Petau,  op.  cit.,  I.  V, 
c.  vi,  n.  2,  que  Dieu  veut  de  fait  tout  ce  qui  est  juste 
et  digne  de  lui,  en  d'autres  termes,  tout  ce  qu'il  peut 
faire;  elle  signifie  seulement,  comme  l'a  remarqué  à 
bon  droit  Donaldson,  op.  cit.,  t.  III,  p.  145,  que  tout 
cela  rentre  dans  l'orbite  normal  de  sa  volonté,  qu'il  le 
peut  vouloir  :  quod  Deus  facere  polest,  id  eum  velle 
posse  dicendum,  n.  11,  col.  993,  avec  la  note  72.  Enfin 
le  développement  des  idées  amène  Athénagore  à  parler 
de  la  fin  dernière  que  Dieu  s'est  proposée  en  créant 
l'homme;  c'est  pour  lui-même  que  Dieu  l'a  créé,  pour 
manifester  sa  bonté  et  sa  sagesse  qui  brille  dans  ses 
œuvres,  propter  seipsum  et  elucentem  in  omnibus 
ipsius  operibus  bonitalem  el  sapienliam.  L'homme  a 
précisément  reçu  l'intelligence  et  la  raison  pour  pou- 
voir reconnaître  dans  les  créatures  la  puissance,  la  sa- 
gesse, la  bonté,  la  justice,  l'universelle  providence  de 
Dieu,  n.  12,  15,  18,  col.  998,  1003,  1009. 

e)  Saint  Théophile,  évêque  d'Antioche  vers  168-181, 
aborde  plus  directement  que  ses  devanciers  le  problème 
de  la  connaissance  de  Dieu,  dans  ses  trois  livres  Ad 
Aulolycum,  P.  G.,  t.  vi,  col.  1023  sq.  Dans  un  esprit 
évident  de  raillerie,  le  païen  dit  au  chrétien,  1.  I,  n.  2, 
col.  1025  :  «  Montrez-moi  votre  Dieu.  »  Et  Théophile  de 
répliquer  :  «  Et  vous,  montrez-vous  d'abord  comme  il 
faut;  montrez-moi  les  yeux  de  votre  âme,  des  yeux  qui 
voient;  montrez-moi  les  oreilles  de  votre  cœur,  des 
oreilles  qui  entendent,  >>  Ce  qui,  dans  le  contexte, 
signifie  que  le  pécheur  n'est  pas  en  état  de  voir  Dieu. 
Mais  le  païen  insiste,  n.  3,  col.  1028  :  «  Vous  qui  voyez, 
dites-moi  quelle  est  sa  forme.  »  L'autre  répond  :  «  La 
forme  de  Dieu  est  ineffable,  inénarrable,  invisible  aux 
yeux  du  corps.  Sa  gloire  et  sa  grandeur  dépassent  toute 
conception;  sa  puissance,  sa  sagesse,  sa  bonté,  sa 
munificence  défient  toute  comparaison  et  toute  expres- 
sion. Si  je  l'appelle  lumière,  c'est  son  œuvre  que  je 
désigne;  si  je  l'appelle  parole,  c'est  son  commande- 
ment. »  Et  l'apologiste  continue,  ramenant  à  une  œuvre 
ou  à  un  attribut  de  Dieu  les  appellations  d'intelligence, 
d'esprit,  de  sagesse,  de  force,  de  vertu,  de  providence, 
de  règne,  de  Seigneur,  de  juge,  de  père  et  de  feu.  Ce 
dernier  terme  amène  l'idée  de  Dieu  juge  et  vengeur, 
qui  se  fâche  contre  ceux  qui  se  conduisent  mal,  tandis 
qu'il  est  plein  de  bonté,  de  bénignité  et  de  miséricorde 
à  l'égard  de  ceux  qui  l'aiment  et  le  craignent.  «  Il  est 
sans  commencement,  avav/o;,  parce  qu'il  est  incréé, 
8ti  àyivvTjtoçj  il  est  immuable,  comme  il  est  immortel, 
xaOdti  àOàvaTo,.  <>n  l'appelle  Dieu,  parce  que  tout  re- 
pose sur  lui  comme  sur  un  fondement  solide,  Sià  th 
TsOsixivai  Ta  Ttivra  Ln\  rfj  tavrov  àiçaWa,  et  aussi, 
parce  qu'il  court,  Siâ  tb  8utv,  c'est-à-dire  qu'il  va  par- 
tout pour  donner  le  mouvement  et  l'activité,  pour  nour- 
rir les  êtres  et  leur  fournir  le  nécessaire,  pour  tout 
gouverner  et  vérifier.  Il  est  Seigneur,  en  vertu  de  sa 
domination  souveraine;  Père,  tparce  qu'il  est  avant 
tout;  démiurge  et  créateur,  parce  qu'il  a  forin 
créé  toutes  choses;  le  Très-Haut,  parce  qu'il  est  au- 
tout;  tout-puissant,  Ttavtoxpdttwp,  parce  qu'il 
possède  et  contient  toutes  choses,  »  n.  'i.  col.   1030. 

I  héophile,  on  le  voit,  revient  toujours  a  quelque  at- 
tribut ou  a  quelque  opération  de   Dieu.  Il   ne  décrit 
pas  la  forme  même  de  celui  qu'il   i  déclaré  ineffable. 
par  la  considération  du  inonde  que  nous  H< 

nous  éle\  ei  Ce,    car   «    il    a   fait 

toutes  choses  du  néant,  afin  que  ses  oeuvrai  lissent 
connaît  i  >■ .  i  saisir  m  grandeur.  Invisible  en  lui-même, 
il  se  prouve  par  M  providenci  ■  !  son  action,  connue 
l'âme  par  le  mouvement  qu'elle  communique  au  c  i 

' me  le  pilote  par  la  marchi  i    qu'il  imprime 

.-m  navire,  comme  les  prin<  i  -  de  la  terre  par  leurs  or- 
donnances  ou  tout  antre  signe  de  leur  puissance  on  di 

leurs,  .     .     \  | l'Antioche  développe-t-il, 

Mie    .  on  marquée,   l'argumenl  tir.-  de 


1035 


DIEU    (SA   NATURE    D'APRÈS   LES   PÈRES] 


1036 


l'harmonie  qui  règne  dans  toute  la  nature,  n.  5-6, 
col.  1031  sq.  En  même  temps,  il  écarte  le  scandale 
que  pourraient  causer  l'incompréhensibilité  et  l'invisi- 
bilité divines.  Si  notre  œil  ne  peut  soutenir  l'éclat  trop 
vif  et  la  chaleur  trop  intense  du  soleil,  comment  pour- 
rait-il lixer  la  gloire  inénarrable  de  Dieu'.'  La  graine 
de  grenade,  cachée  dans  le  fruit,  ne  peut  pas  voir  ce 
qui  esta  l'extérieur  de  l'écorce.  Comparaison  moins 
heureuse;  prise  trop  à  la  lettre,  elle  nous  ramènerait 
à  la  conception  anthropomorphique  d'un  Dieu  extérieur 
à  la  création.  Ce  n'est  pas  la  pensée  de  l'apologiste; 
dans  le  II'  livre,  n.  3,  col.  10i9,  il  affirme  expressé- 
ment l'ubiquité -divine,  en  la  distinguant  de  l'omni- 
science  :  Dei  aitlem  allissimi  et  omnipolcnlis  el  vere 
Dei,  toû  ô'vTtos  6eo0,  est  non  sohim  ubique  esse,  scd 
eliam  omnia  inspicere.  Mais  celte  présence  ne  doit 
pas  s'entendre  d'une  circonscription  locale,  Dcus  loco 
non  circumscribilur  ;  Dieu  contient  tous  les  êtres,  à 
ce  titre  il  serait  plutôt  lui-même  le  lieu  de  tous,  tôho; 
Toiv  o).<ov.  Aussi,  quand  l'auteur  de  la  Genèse  repré- 
sente Dieu  se  promenant  dans  le  paradis  terrestre,  il 
ne  peut  être  question  du  père  de  toutes  -choses;  ce 
passage  et  autres  semblables  s'appliquent  au  Verbe  di- 
vin, envoyé  par  le  Père  et  agissant  en  son  nom,  n.  22, 
col.  1088.  Doctrine  analogue  à  celle  que  nous  avons 
déjà  rencontrée  chez  saint  Justin  et  qui  offre  à  peu 
près  les  mêmes  difficultés. 

L'évêque  d'Antioche  confirme  et  complète  son  ensei- 
gnement dans  la  partie  polémique  du  IIe  livre,  n.  4sq., 
col.  1051.  11  y  prend  à  partie  les  philosophes  anciens 
qui  ont  émis  sur  Dieu  et  le  monde  des  erreurs  diverses  : 
les  épicuriens  et  autres,  qui  ont  nié  l'existence  d'un 
Être  suprême  ou  sa  providence,  substituant  à  Dieu  la 
conscience  individuelle,  t>,v  !x«otqu  Gwet6ir)<nv;  les 
stoïciens,  qui  en  ont  fait  l'àme  du  monde,  diffuse  à 
travers  les  corps;  les  platoniciens,  qui  ont  admis  deux 
principes  incréés  et  coéternels,  Dieu  et  la  matière. 
Contre  ces  derniers  l'apologiste  insiste  surtout  sur  ies 
propriétés  opposées  de  ces  deux  principes.  Dieu,  comme 
être  incréé,  est  immuable  :  à-^vir^o^  ûv,  -/.ai  àvaXXoîwTÔç 
Èffttv.  Si  la  matière  était  incréée,  elle  devrait  donc  être 
immuable  aussi  et  égale  à  Dieu.  Du  reste,  n'est-ce  pas 
en  faisant  sortir  du  néant  tout  ce  qui  lui  plaît,  que 
Dieu  manifeste  sa  puissance  propre?  Et  Théophile 
confirme  par  l'enseignement  des  prophètes  celte  doc- 
trine et  celle  de  la  fin  de  l'homme,  pour  qui  Dieu  a 
créé  le  monde  et  qu'il  a  créé  lui-même. pour  le  con- 
naître, n.  10,  col.  1063.  La  préoccupation,  déjà  signalée, 
de  faire  la  part  aux  dispositions  inorales  du  sujet  non 
seulement  dans  l'œuvre  de  la  conversion,  mais  même 
dans  le  développement  des  vérités  qui  ont  Dieu  pour 
objet,  reparait  à  la  fin  du  livre,  n.  38,  col.  1119  :  «  Tout 
cela  sera  compris  de  celui  qui  cherche  la  divine  sagesse 
et  qui  se  rend  agréable  aux  yeux  de  Dieu  par  la  foi, 
la  justice  et  les  bonnes  œuvres.  » 

/)  Mélilon,  évèque  de  Sardes,  en  Lydie,  vers  la  fin  du 
IIe  siècléTTnérite  d'être  signalé  pour  le  titre  d'un  ou- 
vrage, qui  n'a  pas  été  conservé  :  llspi  èvatou-àToy  6eo0. 
Eusèbe,  H.  E.,  1.  IV,  c.  XXVI,  P.  G.,  t.  xx,  col.  392; 
S.  Jérôme,  De  viris,  c.  xxiv,  P.  L.,  t.  xxiu,  col.  643. 
liufin,  dans  sa  version  d'Eusèbe,  Eusebius  Werke,  édit. 
E.  Schwartz  et  T.  Mommsen,  Leipzig,  1903,  t.  n  a, 
p.  383,  a  traduit  :  De  Deo  corpore  induto,  et  Valois, 
P.  G.,  t.  xx,  col.  392  :  De  incarnalione  Dei.  Le  titre 
grec  ne  parait  pas  se  rapportera  l'incarnation  du  Verbe, 
mais  à  cette  question,  qui  nous  apparaît  pour  la  pre- 
mière fois  nettement  formulée  :  Dieu  est-il  corporel? 
Gennade  suppose  que  Méliton,  comme  Tertullien,  ad- 
mettait la  corporalilé  de  Dieu  :  Ni/iil...  in  Trinitaie 
credamus...  corporeum,  ut  Melito  et  TertulKamts.  De 
eccles.  dvgmat.,  c.  iv,  P.  L.,  t.  lviii,  col.  982.  Voir, 
plus  loin,  les  remarques  qui  seront  faites  au  sujet  de 
Tertullien.  Plus  important  et  plus  expressif  esl   le  té- 


moignage d'Origène.  Selecla  in  Gen.,  i,  26,  P.  G.,  t.  xn, 
col.  93  :  .Méliton,  dit-il,  laissa  des  écrits  flep'i  toC  èvtoj- 
HOctov  slvai  tôv  8eôv,  où  il  affirmait  que  Dieu  est  cor- 
porel. Cf.  l'elau.  1.  II,  c.  i,  n.  4,  avec  la  note  apologé- 
tique de  J.-D.  Thomas,  édit.  de  P.ar-le-duc,  1874,  t.  I, 
p.  163.  En  outre,  Origène  indique  les  fondements 
que  les  partisans  de  cette  opinion  faisaient  valoir. 
L'homme,  corporel,  a  été  fait  à  l'image  de  Dieu.  La 
sainte  Ecriture  nous  représente  constamment  Dieu 
comme  ayant  des  yeux,  des  oreilles,  une  bouche,  des 
mains,  des  pieds,  etc.  Comment  Abraham,  .Moïse  et 
autres  saints  auraient-ils  pu  le  voir,  s'il  était  sans 
forme,  <;.■>,  nenopçup.lvo;?  ^'  semble  donc  manifeste 
qu'à  l'époque  de  Méliton,  des  chrétiens  acceptaient  la 
conception  anthroproinorphique  de  Dieu  que  saint 
Justin  avait  rencontrée  chez  des  juifs  de  son  temps  et 
qu'il  avait  réprouvée. 

g)  SaintJxÉnée,  mort  au  début  du  IIIe  siècle,  n'est 
pas  apologiste,  il  est  controversiste;  mais  parce  qu'à 
la  théodicée  gnostique  il  oppose  la  doctrine  catholique, 
son  œuvre  n'est  pas  seulement  polémique,  elle  est  encore 
et  elle  est  éminemment  positive.  Certains  considèrent 
même  le  grand  évèque  de  Lyon  comme  le  chef  d'un 
des  trois  courants  théologiques  qui  se  seraient  dessinés 
à  partir  du  iiie  siècle,  le  courant  asiatique,  avec  sa 
théologie  des  faits,  par  opposition  au  courant  cartha- 
ginois-romain, avec  sa  théologie  de  la  loi,  et  au  courant 
alexandrin,  avec  sa  théologie  des  problèmes,  rattachés 
le  premier  à  Tertullien,  l'autre  à  Clément  d'Alexandrie 
et  à  Origène.  Quoi  qu'il  en  soit  de  la  valeur  objective 
de  cette  classification  et  de  son  application  particulière 
à  la  question  présente,  l'influence  de  saint  Irénée  fut 
réelle,  et  elle  est  incontestée.  La  doctrine  sur  Dieu  se 
présente  directement  sous  un  aspect  relatif,  déterminé 
par  les  erreurs  gnostiques  qu'il  combattit.  L'unité 
absolue  du  premier  principe  disparaissait  dans  l'hypo- 
thèse  d'une  matière,  mise  en  face  de  Dieu,  l'éternelle 
et  dernière  source  du  mal  dans  le  monde;  de  même, 
dans  l'hypothèse  d'un  double  Dieu,  le  créateur  ou  le  dé- 
miurge et  le  Dieu  suprême,  le  Dieu  de  pure  justice, 
auteur  de  l'Ancien  Testament,  et  le  Dieu  de  bonté,  auteur 
du  Nouveau  et  révélé  par  Jésus-Christ.  Aussi  la  grande 
thèse  qui  se  déroule  à  travers  les  quatre  dernierslivresdu 
Contra  hœreses,  a  pour  objet  l'unité  de  Dieu,  premier 
principe  dans  l'ordre  de  la  nature  et  dans  l'ordre  de 
la  grâce;  Dieu  créateur  et  rédempteur,  auteur  de  l'An- 
cien Testament  et  du  Nouveau,  à  la  fois  juste  et  bon, 
qui  a  tiré  du  néant  tout  ce  qui  existe  en  dehors  de 
lui,  sans  en  excepter  la  matière  :  Sed  unus  solus  Deus 
fabricator,...  hic  Pater,  hic  Deus,  hic  conditor,  hic 
factor,  hic  fabricator,  qui  fecit  ea  per  semelipsum, 
hoc  esl  per  verbum  et  per  sapienliam,  cselum  et 
terrant  et  maria  el  omnia  quœ  in  eis  sunt;  hic  ju- 
slus,  hic  bonus;...  hic  Deus  Abraham  et  Deus  Isaac 
et  Deus  Jacob,  Deus  vivorum,  quem  et  lex  anntmtiat, 
quem  prophelsc  prxconanl ,  quem  Chris  tus  révélât, 
quem  aposloh  tradunt,  quem  Ecclesia  crédit,  II,  xxx, 
9,  col.  822. 

Contre  la  théodicée  et  la  cosmogonie  gnostique  saint 
Irénée  se  sert  d'abord  de  la  raison  naturelle,  ratio 
menlibus  infixa,  qui  nous  porte  à  nous  élever  de  la 
considération  de  l'univers  à  son  auteur,  le  Dieu  unique 
et  souverain  maître,  II,  vi,  1,  col.  724.  Les  preuves  sont 
plutôt  énoncées  que  développées;  elles  se  tirent  de  la 
condition  même  du  monde,  de  son  caractère  d'imper- 
fection et  de  contingence,  de  l'ordre  général  qui  s'y 
manifeste  :  Ipsa  enim  condilio  os  tendit  cum,  qui  con- 
didit  eam;  et  ipsa  factura  suggerit  eunx,  qui  fecit; 
el  miuidus  manifestât  cum,  qui  se  disposuit.il.  IX,  1. 
col.  731.  Source  de  tout  autre  être  et  de  tout  bien,  il 
est  lui-même  l'Être  transcendant  et  tout-puissant  :  po- 
tentissimœ  et  omnipotentis  eniinenliœ,  II,  vi,  1,  col.  721. 
Il  n'est  pas  composé,  mais  simple,  sans  diversité  de 


1037 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS   LES    PÈRES' 


1038 


membres,  en  tout  semblable  et  égal  à  lui-même,  II, xin, 
3,  col.  744.  Sa  providence  est  universelle,  sa  science 
s"élend  à  tout,  au  passé,  au  présent,  à  l'avenir,  II,  xxvi,  3, 
col.  801,  etc.  Il  contient  toutes  choses,  sans  être  contenu 
par  quoi  que  ce  soit,  II,  XXX,  9,  col.  822;  cf.  IV,  îx,  2,  et 
fragm.  vi,  col.  1031,1231,  où  l'ubiquité  et   l'immensité 
sont  exprimées,  immensus  cum  sit   Deus,  el  mundi 
opifex,  etc.  Sans  commencement  ni  fin,  il   est  abso- 
lument immuable,  vere  et  semper  idem  et  eodem  modo 
se  habens, II, xxxiv, 2,  col. 835.  Il  n'a  besoin  derien.il  se 
suffit  pleinement.  Ibid.  En  particulier,  il  n'a  nul  besoin, 
pour  produire  quelque  chose,  d'un  secours  étranger  : 
proprium   est  enhn  hoc  Dei  supereminentiœ  non  in- 
digere  aliis  ad  conditionam  eorum  quse  fiunt,  II,  xxv, 
col.  715.  Sa  puissance   lui  suffit,  ou  sa  volonté,  ce  qui 
est  tout  un  :  sua  voluntate  et  virtute  substantiel  usus,  II, 
x,  2;  et  est  substantia  omnium  volunlas  ejus,  II,  xxx, 
9,  col.  735,  822;  à  condition  toutefois  qu'on  y  joigne  la 
sagesse  et  la  bonté,  qui  vont  de  pair  en  Dieu  :  virtus 
simul,  et  sapienlia,  et  bonilas,  IV,  xxxvin,  3,  col.  1107. 
En  un  mot,  Dieu  est  souverainement  parfait,  perfectus 
in  omnibus,  IV,  il,  2,  col.  1002;  et  cela,  parce  qu'il  est 
l'incréé,  TgXsio;  -a?  a  x-i-nr-o:.  VI,  xxxvm,  3,  col.  1108. 
Rien  de  plus  caractéristique,  peut-être,  dans  la  théo- 
dicée  de  saint  Irénée,  que  l'affirmation  et  l'application 
multiple  de  ce  dernier  principe  ;  c'est  en  quelque  sorte 
le  pivot  de  son   argumentation  rationnelle   contre  les 
gnostiques.  Schwane,  op.  cit.,  t.  i,  p.  123.  Partant  de 
l'idée  de  plénitude  qu'ils  reconnaissaient  au  Dieu  su- 
prême, il  relève  la  contradiction  manifeste  où  ces  héré- 
tiques tombaient  en  dédoublant   le  premier  principe. 
Comment  deux    premiers   principes   pourraient-ils  se 
distinguer  l'un  de  l'autre,  sans  préjudice  de  leur  sou- 
veraine perfection  ?  Pourquoi  parler  de  plénitude,  s'il 
se  trouve  en  dehors  du  Dieu  suprême  quelque  chose 
qu'il  ne  possède  pas  ou  ne  contient  pas?  Si  Dieu,  dans 
son  action,  est  dépendant  de  quoi  que  ce  soit,  matière 
ou  instrument,  c'en  est  fait  de  la  toute-puissance  divine  : 
nolvetur  omnipotent is  «ppellalio,  II.  i,  2  et 5,  col.  710  sq. 
Le  démiurge  des  gnostiques  ne  mérite  donc  pas  le  nom 
de  Dieu,  IV,  n,  ô,  col.  978.  C'est  blasphémer  contre  Dieu, 
que  de  lui  attribuer  l'ignorance  et  de  vraies  passions, 
ou  de  le  concevoir  comme  un  animal  composé,  II,  xvn, 
6  et  7,  col.  764.  C'esl  ignorer  ce  qu'il  est,  que  d'en  faire 
un  homme  situé  dans  l'espace  et  susceptible  de  rela- 
tions locales.  IV.  m.  1.  col.  980.  Aussi,  bien  qu'il  ne  recule 
pas  devant  les  métaphores  usitées,  surtout  quand  elles 
sont  bibliques   [renée,  n'en    est  pas   moins  un   adver- 
saire décidé  de  l'anthropomorphisme  :  Nec  enim  sciunt 
quid  .si/  Deus,  ibid. .  X">i  ^ic  Deus,  quemadmoduni 
homines...,  II.  xni,  3,  col.  744.  Les  conceptions  de  Dieu 
qu'il  affectionne  davantage,  tout  en  les  déclarant  impar- 
faites, se  ramènent  aux  id  :es  d'esprit  ou  d'intelligence, 
ViO;   [rendu  par  sensut  dans  la  traduction  latine),  de 
lumière,  de  vie,  II.  xin.  'i  el  !•.  col.  TU,  748. 

Le  grand  adversaire  du  gnosticisme  ne  se  borne  pas 
à  une  réfutation  d'ordre  rationnel;  comme  on  l'a  déjà 
lit,  il  invoque  longuement  la  tradition  catholique, 
appuyée  sur  1rs  saintes  Ecritures.  ><>u  procédé  général 
établir  la  concordance  des  deux  Testaments 
d'après  le  témoignage  d<  Jésus-Christ,  des  apôtres  et 
ingélisti  i    cette    nouvelle   source    de 

preuves,  la   doctrine  3ur  Dieu   ne  B'affermil  pas 

nrichil  ■  lionne.  Le  dogme  de 

li  l'nniii'-  rendait   le  saint  docteur  plu-   fort    sur  cer- 

"i  ■■    iit-il  bi  soin,  pour  n  qu'il 

lu,  d  instruments  étranf  ■  ou  éons. 

celui  qui  poss<  le  ■  n  lui-même  ce  qo  on  pourrait  appe- 

'■  .   le  Vei  I"-  el  l'Esprit,  en  qui  et 

qui  il  a  librement  créé  imites  choses?  IV,  w.  i. 

col.  i  iit-ii  besoin  de  créer  l'homme,  puisque 

"on  ,ijon  d'Adam,  mais  svant 

lion   le  P  glorlflaient  mutuel- 


lement? IV,  xiv,  1,  col.  1010.  Paroles  qui  sont  comme 
une  réponse  à  cette  objection  :  Antequam  mundum 
faceret  Deus,  quid  agebat  ?  d'abord  énoncée,  et  laissée 
sans  réponse  :  Dicimus  quia  ista  responsio  subjacet 
Deo,  II,  xxvill,  3,  col.  807.  Si  Dieu  a  créé  l'homme,  ce 
n'est  donc  pas  par  nécessité,  mais  pour  pouvoir  dé- 
verser sur  quelqu'un  sa  bonté  et  pour  manifester  au 
dehors  sa  propre  gloire,  e.rceptorium  bonitalis  et  or- 
ganum  clari/icationis  ejus,  IV,  XI,  2,  col.  1002.  Mais  la 
bonté  n'exclut  pas  la  justice,  elle  l'exige  dans  un  Dieu 
sage.  Par  le  dédoublement  qui  sépare  et  oppose  le 
Dieu  bon  et  le  Dieu  juste,  Marcion  détruit  l'idée  du 
vrai  Dieu  :  Marcion  igilnr  ipse  dividens  Deum  in  duo, 
allerum  quidem  bonum ,et  alterum  judicialem  dicens, 
ex  utrisque  inlerimit  deum ,  III,  xxv,  3,  col.  968.  Reste 
seulement  que  la  bonté  tient  le  pas  et  précède  la  jus- 
tice, prœsenle  scilicet  et  prsecedenle  bonitate.  Ibid.  Le 
libre  arbitre  est  un  don  de  l'amour,  Deo  sine  invidia 
douante  quod  bonum  est;  c'est  l'abus  de  ce  don  qui 
produit  le  mal  et  appelle  la  justice,  IV,  xxxvm,  3  et  4, 
col.  1107  sq. 

La  notion  de  Dieu  n'était  pas  seule  engagée  dans  la 
controverse  gnostique;  sur  la  question  principale  s'en 
greffait  une  autre,  intimement  liée  avec  le  problème  de 
la  connaissance  de  Dieu.  Dans  le  système  des  héré- 
tiques, le  Dieu  suprême  apparaissait  isolé  dans  de  mys- 
térieuses profondeurs,  sans  relation  avec  le  monde 
visible  dont  il  n'était  pas  le  créateur.  Pour  les  hommes, 
qui  n'avaient  pas  été  faits  à  son  image,  il  devenait  na- 
turellement inconnaissable;  et  comme  les  gnostiques 
interprétaient  les  paroles  de  Notre-Seigneur  :  «  Per- 
sonne ne  connaît  le  Père  si  ce  n'est  le  Fils,  etc.,  »  Matth., 
XI,  27,  en  ce  sens  que  Jésus-Christ  seul  nous  avait 
révélé  le  Dieu  suprême,  il  s'ensuivait  qu'auparavant 
le  vrai  Dieu  était  resté  inconnu  :  Et  inlerprelantur, 
quasi  a  nullo  cognitus  sit  verus  Deus  ante  Domini 
advenlum,  IV,  VI,  1,  col.  987.  Dès  lors  deux  questions 
se  posaient.  D'abord,  la  question  de  fait  ou  d'applica- 
tion particulière  :  le  vrai  Dieu  était-il  resté  inconnu 
des  générations  qui  ont  précédé  l'apparition  du  Verbe 
incarné?  Pour  saint  Irénée,  le  problème  était  résolu 
par  le  fait  même  qu'il  avait  établi  l'unité  absolue  de 
Uieu,  premier  principe  dans  l'ordre  de  la  nature  et  de 
la  grâce  :  i'nus  el  idem  Deus  Pater  et  Verbum  ejus 
semper  assistons  humano  generi,  variis  quidem  dis- 
positionibus,  et  multa  opérant  et  salvansab  initio  eos 
qui  salvanlur,\\  ,x\vni,2,  col.  1062.  Diverses  économies 
s'étaient  succédé  depuis  le  commencement  du  genre 
humain,  mais  toutes  reliées  entre  elles  par  l'unité 
d'auteur  et  de  tin.  A  cela  s'ajoutait,  dans  la  doctrine  de 
l'évéque  de  Lyon,  l'unité  du  médiateur,  le  Verbe  divin. 
Sous  ce  rapport,  les  théophanies  de  l'Ancien  Testa- 
ment, exclusivement  attribuées  au  Fils,  jouent  dans  sa 
théologie  un  rôle  important;  car  elles  se  rattachent  à  sa 
large  conception  de  la  révélation  divine,  une  dans  son 
développement  successif  et  son  progrès  continu  à  tra- 
vers les  économies  patriarcale  et  mosaïque  jusqu'à  la 
plénitude  îles  temps  évangéliques.  Cf.  dom  Hassuet, 
Dissert..  III.  n.  :>7,  col.  301;  Schwane,  op.  cil.,  1. 1, 
p.  185. 

Non  moins  importante,  non  moins  générale  ''lait  la 
question  de  principe  Comment  le  Dieu  suprême  est-il 
connaisaable ?  Là,  deux  séries  de  textes  semblent  se 
contredire,  à  première  vue.  D'un  côté,  ceux  qui  expri- 
ment ou  supposeni  l.i  doctrine  déjà  rapportée,  de  la 
manifestation  de  Dieu  par  ses  o  livres  kftmctui  niant- 
feetal  eum, gui  te dupotuit.  De  l'autre,  'eux  nu  Dieu 
:  connai  lable  que  par  l'entremise  du  Verbe  : 
Nequeenim  Patrem  ■  quitpotett,  nisi  Verbo 

Dei,  Id  tet,  nisi  Fillo  révélante;  ou,  d  une  façon  plus 
générale,  que  pai  voie  de  révélation  Edocuit  aulem 
Dominut,  quoniam  Deum  teire  nenio  potest,  niii  Dec 
dot  ente,  hoc  est,  sine  i  Deum,  IV,  vi. 


lo:s9 


DIEU    (SA    NATURE    D  APRÈS    LES    PÈRES; 


1040 


3  et  4,  col.  987  sq. Trois  remarques  aideront  à  résoudre 
l'antinomie  et  lixeront  la  vraie  pensée  du  controversiste. 
a.  Saint  Irénée  considère  la  création  comme  une  pre- 
mière révélation,  faite  par  le  Verbe,  de  Dieu  auteur  de 
la   nature   :    Eteiiim  per  ipsam   condilioneni  révélai 
Verbum  condilorem  Deum,  etc.,  IV,  6,  6,  col.  989.  Que. 
l'homme  ne  puisse  connaître  Dieu  sans  une  révélation 
de  ce  genre,  la  chose    est  manifeste.    Un    Dieu   non 
créateur,  ou  non  créateur  de  ce  monde,  serait  pour 
nous  exactement  dans  la  condition  du  Dieu  suprême, 
êu8b{  ayvuuroç,  des  gnostiques.  Mais  cette  révélation  de 
Dieu  par  la  nature  se  distingue,  en  fait  et  dans  la  doc- 
trine  de  saint  Irénée,    des   révélations  spéciales   qui 
appartiennent   à   l'ordre    surnaturel   et   dont  les  pro- 
phètes,   les  apôtres,  les  écrivains  sacrés  et  surtout  le 
Verbe  incarné  furent  les  organes,  b.   Dieu    peut  être 
connu  comme  premier  principe  dans  l'ordre  de  la  na- 
ture, avec  toutes  les  propriétés  que  ce  titre  entraine  et 
que  la    raison  humaine   est  capable  de  déduire;   mais 
ce  n'est  pas  là  connaître  Dieu  dans   sa    vie  intime  et 
tout  ce  qu'elle  comporte,  les  pensées  mêmes  de  Dieu,  ses 
desseins,  les  personnes  de  la  Trinité  avec  leurs  rela- 
tions mutuelles.  Sous  ce  second  rapport,  il  est  vrai  de 
dire  que  nous   ne  sommes   pas    en  état  de  connaître 
vraiment  Dieu  sans  que  Dieu  nous  parle  de  lui-même. 
c.  D'après  saint  Irénée,  Dieu  est  invisible,  incompré- 
hensible, inénarrable  secunduni  magniludinem ,  mais 
il  est  connaissable   et  connu  secunduni  dileclioneni, 
II,  xin,  4;  IV,  xx,  1  sq.,col.  744,  1032  sq.  Serait-ce  que 
nous  atteignons  Dieu  par  l'amour,  et  non  par  l'intelli- 
gence? Le  sens  est  tout  autre.  Il  ne  s'agit  pas  de  l'amour 
des  hommes  pour  Dieu,  mais  de  l'amour  de  Dieu  pour 
les  hommes,  et  d'un  amour  se  traduisant  au  dehors  par 
des  actes.  On  peut  considérer  Dieu  dans  sa  grandeur 
propre  ou  l'éminence  de  son  être,  la  connaissance  se  ■ 
cundum    magnitudinem   serait    celle   qui    répondrait 
pleinement  à  cette  grandeur,  à  cette  éminence  divine: 
elle  dépasse  la  portée  de  toute  intelligence  créée  :  Invi- 
sibilis  guident  poleral  (angelis)  esse,  propter  eminen- 
tiant,  ii,  6,  1,  col.  724;  gualis  et  guantus  est,  invisibi- 
lis  et  inconiprehensibihs  est  omnibus  gux.  ab  eo  facla 
sunt,  IV,  xx,  6,  col.  1037.  Il  en  va  différemment  de  la 
connaissance  qui  a  pour  privilège  ladilection  de  Dieu 
à  notre  égard,  c'est-à-dire  les  manifeslationsextérieures 
de  son  amour  ou,  comme  il  est  dit  ailleurs,  de  sa  pro- 
vidence :  Ignolus  auteni  neguaguam,  propter  provi- 
dentiam,  II,  vi,  1;  secunduni  auteni  dileclioneni  co- 
gnoscitur  seniper  percunt,  per  guem  constituit  oninia, 
IV,  xx,  4,  col.  1034.   Dans  l'ordre  de  la  grâce,  nous 
connaissons  de  Dieu,  de  sa  vie  intime,  de  ses  pensées, 
de  ses  desseins,  ce  qu'il  lui  a  plu  et  ce  qu'il  lui  plaît  de 
nous  en  révéler.  Dans  l'ordre  de  la  nature,  nous  pou- 
vons nous  élever  des  perfections  créées  à  celles  de  Dieu, 
cause  première  de  toutes  choses,  mais  en  ayant  soin  de 
ne  pas  affirmer  de  Dieu  ces  perfections  telles  qu'elles 
se  trouvent  dans  les  créatures.  «  Qu'on  l'appelle  intel- 
ligence   pouvant  tout  comprendre,  fort  bien,  à  condi- 
tion qu'on  n'entende  pas   une    intelligence  comme  la 
nôtre;  qu'on  l'appelle  lumière,  soit,  mais  lumière  nul- 
lement semblable  à  la  nôtre  ;  et  ainsi  du  reste,  »  II,  xm, 
4,   col.   744.   Passage  qui  contient  en  ébauche  la  doc- 
trine de  la  connaissance  de  Dieu  par  voie  d'affirmation, 
de  négation  et  d'éminence,  comme   l'a  justement  re- 
marqué Ziegler,  p.  162. 

Ii)  Clénum^jilAi^xausMjiiJ^oH  vers  l'an  .2_L5_QuJi4I>, 
marque  une  étape  importante,  comme  coryphée  d'une 
théologie, et  plus  spécialement  d'une  théodicée  déjà  étu- 
diées dans  ce  Dictionnaire,  art.  Alexandrie  (École  CHRÉ- 
TIENNE d'),  t.  i,  col.  812  sq.,  et  Clément  d'Alexandrie, 
t.  m,  col.  137  sq.  Il  reste  apologiste,  mait  il  l'est  à  sa 
façon.  Si  V Exhortation  aux  Grecs,  Aôyoc  7tpoTps7rTcy.'o; 
Trp'');  "EXXïiva;,  rentre  dans  le  cadre  des  apologies  an- 
térieures, les   deux  autres  ouvrages,  le  Pédagogue  et 


surtout  les  Stromates  sont  principalement  une  gnose 
ou  large  philosophie  du  christianisme. 

La  théodicée  de  Clément  renferme  d'abord  quelques 
points  très  clairs  et  qu'il  suffira  de  rappeler  brièvement. 
L'existence  de  Dieu  est  une  vérité  naturellement  connais- 
sable et  qui  s'impose  à  toute  intelligence  droite.  Les 
textes  sont  nombreux,  quelques-uns  très  expressifs,  par 
exemple,  Stroni.,  IV,c.  «il, P.  G.,  t.  ix,  col.  128  :  ïpqami 
putux-rç  ;  c.  xiv,  col.  197  :  7ipô>. r/htz,  ur>e  seule  et  même 
anticipation  ou  notion  instinctive  de  Dieu  chez  tous 
les  peuples.  Le  contexte,  col.  196,  donne  un  sens  assez 
général,  qui  se  réduit  à  la  faculté  native  et  indépen- 
dante de  toute  formation  scientifique,  Suivra;  /.%':  x6i- 
oor/.T<oc,  que  nous  possédons,  de  puiser  dans  les  choses 
créées  une  certaine  connaissance  de  Dieu.  L'expression 
d'=[xs3tTc:  pvcrexT]  semble  suffisamment  expliquée  par  un 
autre  passage  où  le  docteur  alexandrin  affirme  l'exis- 
tence d'une  connaissance  naturelle  de  Dieu,  pwrixr.v 
evvotocv,  au  sens  où  nous  parlons  de  justice  naturelle, 
•/.zbo  -/.ai  Trf/  SixaiO<rjV7)V  çuo-txrjv  EtprjxaiiEv.  StrOttl.,  I. 
c.  xix,  col.  809.  Quand  il  indique  ou  insinue  le  procédé 
suivi  par  l'esprit  humain  pour  s'élever  à  la  connais- 
sance de  Dieu,  toujours  quelque  intermédiaire  appa- 
raît :  la  création  envisagée  dans  son  harmonie  ou  sa 
beauté  générale,  Protrept.,  c.  I,  P.  G.,  t.  vin,  col.  57: 
Stroni.,  V,  c.  i,  xiv,  t.  ix,  col.  16,  149,  etc.;  les  êtres 
dont  la  création  se  compose,  considérés  dans  leur 
vertu  et  leuraclivité,  Strom.,1,  c.  xxyiii.  t.vm,  col. 924: 
l'âme  humaine,  prise  comme  image  ou  dans  ce  qu'il  y 
a  de  divin  en  elle,  toO  êv  r,uîv  Os:o'j,  Strom.,1,  c.  xtx. 
t.  vin,  col.  809;  cf.  Peed.,  1.  III.  c.  i.  t.  vin,  col.  555  : 
Si  guis  enini  seipsum  norit,  Deum  cognoscet .Clément 
affirme,  il  est  vrai,  que  Dieu  est  un  objet  de  foi,  et 
non  de  démonstration  ni  de  science,  Strom.,  II,  c.  v: 
T.irjirn  àXX'oux  aTioScici;  ;  IV,  c.  xxv  :  txvermSSeti'.TOc  â>v, 
ovx  In-:*)  È7r:i7Tr,|j.ovcy.ô:,  t.  vin,  col.  957.1365.  Mais,  dans 
ces  textes,  il  ne  s'agit  pas  du  simple  fait  de  l'existence 
de  Dieu,  il  s'agit,  on  le  verra  plus  loin,  de  sa  nature 
intime.  D'ailleurs,  le  mot  foi  a  lui-même,  chez  Clément, 
un  sens  variable  et  élastique.  Sur  toute  celte  question, 
voir  Schwane,  op.  cit.,  t.  i,  p.  140  sq.:  Kleutgen,  La 
philosophie  scolastigue,  trad.  Sierp,  diss.  V.  c.  ni. 
Paris,  1869,  t.  n,  p.  315  sq.  ;  Cognât,  Clément  d'Alexan- 
drie, p.  149  sq. 

L'unité  de  Dieu  occupe  encore  une  grande  place  dans 
l'apologie  de  Clément  d'Alexandrie.  Il  la  défend,  en 
particulier,  contre  les  erreurs  dualistes  de  la  gnose  hé- 
rétique. Comme  saint  Irénée,  il  montre  l'unité  de  la 
Loi  et  de  lVvangile.  Voir  t.  in,  col.  164.  Les  deux  attri- 
buts divins  que  Marcion  avait  déclarés  incompatibles, 
la  bonté  et  la  justice,  font  l'objet  d'une  étude  spéciale 
dans  le  Pédagogue,  c.  vin,  col.  326  sq.,  et  surtout  ix 
Quod  ejusdem  sit  potestatis  et  benefacere,  et  juste 
punir e,  col.  339  sq.;  de  même,  la  nature  et  la  fin 
des  peines  infligées  par  Dieu,  Strom.,  IV,  c.  xxiv. 
col.  1361  sq.;  leur  caractère  n'est  pas  purement  vindi- 
catif ou  disciplinaire,  mais  encore  et  surtout  médici- 
nal. Dieu  nous  apparaît  ainsi  comme  maître,  éducateur 
et  médecin  des  hommes  qu'il  a  créés  et  qu'il  veut 
sauver.  La  bonté  reste  toujours  au  premier  plan; 
non  pas  une  bonté  aveugle  et  s'exerçant  nécessairement, 
à  la  façon  du  feu  qui  chauffe  parce  qu'il  est  le  feu, 
mais  une  bonté  consciente  et  voulue.  Sur  cette  con- 
ception et  son  caractère  spécifiquement  chrétien,  voir 
E.  de  Faye,  Clément  d'Alexandrie,  p.  225  sq.  D'une 
façon  plus  générale,  l'apologiste  alexandrin  défend 
l'unité  divine  contre  le  polythéisme  païen  et  la  philo- 
sophie hellénique,  en  se  servant  habituellement  ded 
mêmes  preuves  que  pour  l'existence  de  Dieu.  Dans  les 
deux  cas,  il  invoque  l'idée  de  l'Être  suprême  qu'il  re- 
garde comme  naturelle  à  toute  intelligence  droite  et 
qu'on  retrouve,  de  fait,  dans  l'enseignement  des  sages. 
'<  portés  comme   d'instinct  et  même  malgré  eux  à  re- 


1041 


DIEU    (SA    NATURE   D'APRÈS    LES    PERES) 


1042 


connaître  qu'il  y  a  un  Dieu  unique,  sans  commence- 
ment ni  fin,  qui  demeure  au  ciel  au-dessus  de  nous  et 
voyant  tout.  »  Protr.,  c.  vi,  t.  vin,  col.  173.  A  ces  no- 
tions se  rattache  l'apologie  de  la  providence  divine, 
présentée  avec  conviction  et  bien  menée.  Voir  t.  m, 
col.  157. 

Ces  attributs  en  entraînent  d'autres,  intimement 
connexes  :  l'immutabilité,  ô>v  àsi  3  kvw,  Slrom.,  V, 
c.  xiv,  t.  ix,  col.  205,  avec  application  spéciale  à  l'ab- 
sence de  tout  besoin  et  de  toute  passion,  àvsvfieè;  piv 
yàp  70  0e;ov  /.ai  à-aOÉ;,  Slrom.,  II,  c.  xvill,  t.  V11I, 
col.  1020.  et  à  la  science,  non  seulement  éternelle,  mais 
simple  en  son  acte,  |xtà  jrpoTêoXrj  itpoo-SXsirEt,  Slrom., 
VI.  c.  xvii,  t.  ix,  col.  388;  la  toute-puissance  avec  le 
souverain  domaine,  Ivupûd  -/.ai  navco  /piropi  ôvzt, Strom., 
c.  xvn,  t.  vin,  col.  801;  l'absolue  indépendance  dans 
l'action,  comme  dans  l'être,  puisqu'en  Dieu  la  volonté 
même  est  puissance  effectrice,  tpùô)  z&  6o-j>.evdac  5y;u,(oup- 
yeî,  Protr.,  c.  iv,  t.  vin,  col.  164;  enfin  l'ubiquité  et 
l'immensité  nettement  formulées  :  r.:j.-i-r{  fipt  8eô;âffTiv, 
Stroni.,\l,  cm,  t.  ix,  col.  252;cf.  VII,  c.  vu, col.  452; 
r.xi-.r,  ôî  rîivicâvTOTE,  y.*'.  uroay/,  ^eptsyôjAevo;.  Ibid.,  VII, 
c.  ii, col. 408.  Il  est  cependant  difficile  de  déterminer  exac- 
tement ce  que  l'ubiquité  comporte,  dans  la  pensée  de  Clé- 
ment, à  cause  des  textes  relevés  par  Petau,  op.  cit.,  1.  III, 
c.  vu,  n.5.  Parlant  des  stoïciens,  l'apologiste  dit:  «  Ils 
affirment  que  Dieu  est  répandu  à  travers  toute  la  na- 
ture, alors  que.  selon  nous,  il  en  est  seulement  l'auteur.  » 
Strom.,  V,  c.  xiv,  t.  ix,  col.  129.  En  réalité,  Clément 
ne  semble  rejeter  ici  que  l'immanence  panthéiste,  dont 
il  a  déjà  été  question.  Mais  ailleurs  il  oppose,  sous  le 
rapport  de  la  présence  immédiate,  l'essence  et  la  puis- 
sance  divine  :  «  Par  un  prodige  ineffable,  Dieu  est  à  la 
fois  loin  et  tout  prés  de  nous...  Loin  quant  à  la  sub- 
stance, nappa  iivi  ■/.>.-'  ouata-/;  comment,  en  effet,  le 
créé  et  l'incréé  pourraient-ils  être  proches'.'  Mais  près 
de  nous  par  sa  puissance,  qui  contient  tout.  Si  clancu- 
lum  (juis  fecerit,  dit-il,  el  nonvidebo  eum  ?  »  Strom., 
II,  c.  m.  t.  vm.  col.  936.  Texte  assurément  difficile, 
surtout  si  on  le  rapproche  de  quelques  autres  où  Dieu, 
Père  ou  Fils,  semblerait  regarder  les  choses  comme 
de  loin,  par  exemple,  Protr.,  c.  vi,  t.  vm,  col.  173:  i-, 
-r,  [Sfixai  ',■/:/  -  -..M-r,  v/tw;  ovTa  xii,  et  Strom.,  VII, 
cl  il,  t.  vin,  col.  408  :  Ojfkp  IÇtoraTaî  TTOTe  ff,;  xù-orj  r.zy- 
'.>->;  6  Vît;  to0  &i->0.  Petau  pense,  loc.  cit.,  e.  ix. 
il.  12,  que  dans  le  principal  passage,  Slrom.,  II,  c.  il, 
l'apologiste  exclut  seulement  une  présence  panlhéis- 
tique  ou  matérielle,  en  lui  opposant  une  présence 
d'ordre  transcendant,  car  on  lit  quelques  lignes  plus 
loin,  col.  937,  que  Dieu  n  esl  nulle  part  comme  con- 
tenant, ni  connue  r.uileiiu,  ni  par  voie  de  circonscrip- 
tion, ni  par  voie  de  division  ;  o-jts  Rtptijrtov, otfts r.iy.i- 
■/',•}-. i',:.  c,  xatà  ov.-7'j.v/  tivx,  rt  /.x-.x  stiroTo^v,  D'autre 
critiques  ajoutent  l'explication  qui  se  lit  dans  l'édition 
Migne,  col.  935.  noie  19  :  Clément  considère  Dieu  dans 

l'ordre  de  notre  ron naissance  ;  extré ment  difficile  à 

r  ici-bas,  il  éch  •  à  nos  recherches 

ours  de  plus  en  plus,  i$avcr/u>- 

poOv  à-',  xai    t.-.-.-.u,   iv.7-7:)!-')/    toC    Sicoxovto;.    Vient 

alors  le  texte   objecté,   dont  |e  sens  esl  :  Hans  l'ordre 

Intelligible,   dont  il  s'agit,  Dieu  est    loin  de  

■'•  qui  nous  échappe,  mais  il  esl  prés  de  i a 

par  s;,  puissance,  manifeste  en  n  -  effets,  Voir  !..  De 
Traclatut  de  Deo  un,,,  Louvain,  1891,  t.  i. 
p.  396.  L'apologiste  alexandrin  ne  (erail  doue  que  re- 
prendre ici,  sous  une  forme  spéciale,  une  doctrine  qui 
lui  esi  familière.  L'explication  esl  probable  sans  lever 
tout  doute,  el  malgré  i  ambiguïté  qui  s'attache  aux  deux 
textes  contenant  le  terme  de  -  pecula,  <  ai  ou 

ie   peul  rien  conclure  d'une  façon  ferme  d'une  exi 
•Ion   métaphorique    qui.    d.ms   le    contexte,    d< 
l'omniscience   de  Dieu,  présenté  d'ailleurs,  au  m 

Il    on  l  i  déjà  vu,  comme  indépendant  de  toute 


condition    locale  :  iràvrï]   oï    Sn    rrâvTOTE,   xai    t/.^oajj.r, 
7iîpt£-/o;j.£vo;. 

Tout  ce  qui  précède  vaut  de  la  connaissance  de  Dieu 
que  la  raison  naturelle  et  la  philosophie  peuvent  donner. 
Nous  arrivons  par  cette  voie  à  un  certain  nombre  de 
notions  ou  d'attributs  qui,  dans  leur  ensemble,  con- 
viennent à  Dieu  considéré  dans  ses  relations  avec  les 
créatures.  Pouvons-nous  monter  plus  haut,  jusqu'à 
une  pleine  connaissance?  La  réponse  est  donnée  dans 
deux  chapitres  du  Ve  Stromale;  doctrine  doublement 
importante,  et  pour  l'inlluence  qu'elle  a  exercée  dans 
la  suite,  et  pour  les  vives  attaques  dont  elle  a  été 
et  est  encore  l'objet.  Une  première  question  se  rapporte 
à  la  manière  de  parvenir  ou,  plus  exactement,  de  se 
préparer  à  la  contemplation  de  Dieu  et  des  choses  di- 
vines. Clément  emprunte  une  analogie  aux  mystères 
d'Eleusis.  Avant  les  grands  mystères,  qui  consistaient 
à  contempler  et  à  comprendre  la  nature  et  les  êtres 
dont  elle  se  compose,  il  y  avait  d'abord  les  purifica- 
tions, auxquelles  répond  notre  baptême,  puis  les  petits 
mystères,  où  l'on  recevait  un  premier  enseignement,  à 
titre  de  fondement  et  de  préparation.  A  ces  petits  mys- 
tères répond  la  méthode  que  le  docteur  alexandrin 
décrit  ainsi,  c.  xi,  t.  vm,  col.  108  sq.  :  «C'est  par  l'ana- 
lyse que  nous  apprendrons  à  contempler.  Par  elle 
nous  arrivons  jusqu'à  l'intelligence  première,  en  par- 
tant des  êtres  qui  lui  sont  soumis,  dégageons  les  corps 
de  leurs  propriétés  naturelles,  puis  retranchons-en 
les  trois  dimensions,  profondeur,  largeur  et  longueur. 
Peste  un  point  ou,  pour  ainsi  dire,  une  monade  occu- 
pant une  certaine  place  :  u,ovocç,  <o;  ût.vm,  dniv  ïyovva.. 
Supprimons  cette  place  elle-même,  et  nous  aurons  dans 
l'esprit  la  monade  pure,  vosirac  (xovà;.  Si  donc,  écar- 
tant des  corps  et  des  choses  dites  incorporelles  tout 
ce  qui  leur  est  propre,  nous  nous  jetons  dans  les 
grandeurs  du  Christ,  et  qu'ensuite,  grâce  à  la  sainteté. 
nous  nous  élevions  jusqu'à  son  immensité,  nous  com- 
prendrons tant  bien  que  mal  le  Tout-Puissant,  de  ma- 
nière toutefois  à  savoir  ce  qu'il  n'est  pas,  et  non  ce 
qu'il  est,  rj'jy  ij  Icttiv,  o  cï  u,yi  £tt'.  Yvcopfoavte;-  On  ne 
peut  évidemment  pas  prendre  à  la  lettre,  quand  il 
s'agit  du  Père  de  toutes  choses,  les  expressions,  usitées 
cependant  dans  la  sainte  Ecriture,  de  figure,  de  mou- 
vement, d'état,  de  trône,  de  lieu,  de  main  droite  et  de 
main  gauche;  ce  qu'elles  signifient  on  le  verra  plus 
tard.  La  cause  première  n'est  pas  dans  le  lieu;  elle  est 
au-dessus  de  l'espace,  du  temps,  du  langage  et  de  la 
pensée.  •• 

La  transcendance  divine  est,  on  le  voit,  à  la  base  de 
la  méthode  décrite  par  Clément.  Sous  ce  rapport,  le 
passage  qui  précède  trouve  son  complément  dans  le 
c.  xn,  col.  121  :  «  Traiter  de  Dieu  est  tout  ce  qu'il  y  a 
de  plus  difficile.  On  n'atteint  jamais  aisément  les  prin- 
cipes ,1,  s  choses;  que  dire  donc  du  premier  principe, 
de  tous  le  plus  éloigné  et  d'où  les  autres  êtres  tirent 
leur  origine  et  leur  permanence  '  El  comment  exprimer 
ee  ipij  n'est  ni  genre,  ni  différence,  ni  espèce,  ni  indi- 
vidu, ni  nombre,  ni  accident,  ou  suppôt  d'accident  ' 
On  ne  saurait  non  plus  l'appeler  tout,  car  ce  mot  im- 
plique l'idée  de  grandeur  (exlensive),  et,  de  plus.  Dieu 

est  le  père  de  n'importe  quel  tout,     /.ai  KoTt   TÛV    I 
itaTTjp.  On  ne  saurait   parler  de  ses  parties,  l'Un  étant 
indivisible.  Il  est  infini,  non  pas  précisément  parce  que 

mois   le  concevons  connue   un use,  mais  parce  qu'il 

esl    en    lui-même    sans   dimensions   ni   fin,   •,.   y.xrx  -.', 
3.',:t\r -.-.-.', .  .  &XXà   v.x-.x  -<i  àSiâaratov, x< 

:/',-,  -      ,       \n   -i  n  .i-t-il  point  de   figure,  et  ne  peut-il 

êtn    noi '■■  Si,  cependant,  nous  l'appelons  l'Un,  le 

Bon,  rintelllgeno  .  l'Être  même,  ■<  ou   P<  n 

Dieu.  Créateur,  Seigneui  ni  pas  la  des  noms 

propi  '  "  aucun 

i ne  i"  ofi  '   o  -  ion  i propi  e,  m 

a   défaut   d'un  tel  nom,  nous  non  le  nobles. 


1043 


DIEU    (SA   NATURE    D'APRÈS    LES    PÉRÈS) 


1044 


appellations,  afin  que  la  pensée,  ayant  où  se  prendre, 
ne  s'égare  pas  ailleurs.  Nul  de  ces  termes,  pris  à  part, 
n'exprime  Dieu;  pris  en  bloc,  ils  indiquent  la  puis- 
sance de  l'Être  souverain.  On  dénomme  les  choses  par 
leurs  qualités  ou  parleurs  rapports  mutuels;  ce  qui  ne 
peut  se  faire  pour  Dieu.  Enlin  il  ne  saurait  être  ques- 
tion de  science  démonstrative,  car  celte  science  s'appuie 
sur  des  principes  antérieurs,  mieux  connus  et  rien 
n'est  antérieur  à  celui  qui  est  incréé.  Que  reste-t-il, 
si  ce  n'est  de  connaître  l'Inconnu  à  l'aide  de  la  grâce 
divine  et  par  l'entremise  du  Verbe,  qui  est  en  Dieu?  » 

Toute  cette  doctrine  se  réduit  à  trois  points.  On  y 
trouve  d'abord,  appliqué  à  la  connaissance  de  Dieu, 
un  procédé  d'analyse  ou  d'élimination.  C'est  ce  qu'on 
appellera  plus  tard  la  théologie  négative,  ainsi  dite 
en  ce  qu'elle  procède  par  voie  de  négation  et  conclut 
en  énonçant  ce  que  Dieu  n'est  point.  On  trouve  ensuite 
une  aflirmation  vigoureuse  de  la  transcendance  divine; 
en  troisième  lieu,  une  aflirmation  non  moins  vigou- 
reuse de  l'incomprébensibilité  et  de  l'ineffabilité  di- 
vines. Ces  trois  points  ont  donné  lieu  à  des  attaques 
nombreuses  et,  parfois,  très  graves.  Clément  a  été  ac- 
cusé d'aboutir,  comme  les  gnostiques  que  saint  Irénée 
avait  combattus,  à  un  Dieu  d'une  telle  transcendance, 
qu'il  faudrait  inscrire  sur  ses  autels  l'épitaphe  athé- 
nienne :  Ignolo  Deo!  ou,  du  moins,  de  substituer  à  la 
notion  chrétienne  d'un  Dieu  vivant  et  personnel,  celle 
d'un  Dieu  abstrait,  inerte,  impersonnel,  à  la  manière 
néo-platonicienne.  Sans  aller  aussi  loin,  Tbomassin 
juge  que  Clément  réduit  à  de  pures  négations  notre 
connaissance  de  Dieu  :  Lucidenter  ante  alias  Clemens 
Alexandrinus  solis  negationibus  affirmât  nunc  a 
nobis  cognosci  Deum  posse,  op.  cit.,  1.  IV,  c.  vu,  n.  4; 
et,  plus  loin,  c.  x,  n.  2,  il  le  cite,  avec  d'autres  Pères, 
sous  cette  rubrique  :  Niliil  proprie  dici  de  Deo  posse. 

L'accusation,  sous  toutes  ses  formes,  est  exagérée  et 
injuste.  Elle  repose  d'abord  sur  un  examen  superficiel 
et  sur  une  interprétation  inexacte  de  la  doctrine  incri- 
minée. A  s'en  tenir  au  texte  même,  on  n'a  pas  le  droit 
de  s'arrêter,  dans  le  c.  XI,  là  où  s'arrêtent  d'ordinaire 
les  citations,  telles  que  nous  les  avons  reproduites  (en 
les  reproduisant,  nous  avions  toutefois  rectifié  certaines 
traductions,  trop  libres,  qui  ont  cours  dans  des  études 
faites  sur  Clément  d'Alexandrie  ou  sur  Origène).  Après 
avoir  énoncé  que,  par  la  méthode  d'analyse  ou  d'éli- 
mination, nous  arrivons  à  savoir  ce  que  Dieu  n'est  pas, 
le  philosophe  alexandrin  poursuit  un  développement 
qui  se  termine  par  le  célèbre  texte  de  saint  Paul  sur  la 
vision  de  Dieu,  I  Cor.,  xm,  12  :  Videmus  nunc  per 
spéculum  et  in  senigmate,  lune  aalem  facie  ad  fa- 
ciem.  A  la  vision  intuitive,  qui  est  le  privilège  des  bien- 
heureux au  ciel,  il  oppose  une  conception  positive  de 
Dieu,  possible  en  cette  vie,  si  l'on  s'élève,  par  voie 
d'éminence,  i^avaoac'vtov  lit:  tî  Û7tep-/.EÎ(j.sva  aû-rùi,  jusqu'à 
l'appréhension  purement  intellectuelle  du  bien  suprême  ; 
mais  comme  cette  connaissance  ne  s'acquiert  pas  par 
l'application  immédiate  de  notre  esprit  à  la  vérité  divine 
considérée  en  elle-même,  nous  ne  faisons  guère  en  cela 
que  ce  que  Clément  appelle  t'o  y.aTaij.avTcjîcOai  toJ 
©eoû,  c'est-à-dire  deviner  ou  conjecturer.  Loc.  cit., 
col.  112.  La  doctrine  est  platonicienne  :  v.iTa  ID.i-nova, 
lisons-nous  à  la  fin  de  la  phrase;  mais  il  n'en  ressort 
pas  moins  nettement  que,  dans  la  pensée  du  docteur 
alexandrin,  il  ne  faut  pas  confondre  la  méthode  d'ana- 
lyse qui  mène  à  la  contemplation  de  Dieu  et  des  choses 
divines  avec  cette  contemplation  elle-même.  L'analyse 
précède;  elle  prépare  l'intelligence  en  épurant  nos 
conceptions  de  tout  ce  qu'elle  renferme  de  matériel  ou 
de  complexe.  Son  rôle,  en  cela,  est  vraiment  négatif; 
elle  écarte  de  Dieu  tout  ce  qui,  de  près  ou  de  loin,  dit 
quelque  chose  d'opposé  non  seulement  à  la  pure  spiri- 
tualité, mais  à  l'absolue  simplicité  :  Dieu  n'est  pas  ceci. 
Dieu  n'est  pas  cela,  liieu   d'est  pas  ainsi,  etc.  Procédé 


qui  suppose,  comme  acquise  préalablement,  une  cer- 
taine notion  de  Dieu,  positive  et  suffisante  pour  expli- 
quer et  légitimer  ces  éliminations.  Vient  ensuite  la 
contemplation,  où  l'âme  essaie  de  concevoir  Dieu  tel 
qu'il  est.  Mais  Dieu,  dans  sa  nature  intime,  échappe  à 
notre  esprit,  puisqu'ici-bas  il  n'y  a  pas  de  vision  intui- 
tive de  l'essence  divine  et  que  rien  de  ce  que  nous 
connaissons  ne  peut  nous  donner  une  idée  propre  de 
l'être  même  de  Dieu;  au  bout  de  nos  syllogismes  Dieu 
ne  se  trouvera  jamais  directement  que  sous  une  notion 
impliquant  une  relation  de  cause  à  effet,  comme  la  no- 
tion d'être  nécessaire,  de  cause  première,  de  souverain 
maître,  etc.  Laissée  à  ses  seules  forces,  l'intelligence 
humaine  ne  peut  donc  pénétrer  le  mystère  divin;  elle 
arrive  seulement  à  comprendre  vraiment  un  point,  à 
savoir  que  Dieu  reste  pour  elle  incompréhensible. 
Cf.  Strom.,  V,  c.  XI,  t.  ix,  col.  292.  La  révélation  chré- 
tienne change  cet  état  de  choses,  non  pas  complètement, 
car  notre  connaissance  de  Dieu  n'est  jamais  ici-bas 
compréhensive,  même  au  sens  vulgaire  du  mot,  Strom., 
V,  c.  i,  col.  17;  mais  elle  le  change  partiellement, 
dans  les  limites  où  le  Verbe  divin,  fait  homme,  nous  a 
parlé  de  son  Père.  C'est  la  conclusion  même  du  second 
passage  de  Clément;  conclusion  souvent  répétée,  par 
exemple,  Strom.,  I,  c.  xxvm,  t.  vin,  col.  925;  VII,  c.  i, 
t.  IX,  col.  40k  Nous  arrivons  donc  à  un  Dieu,  non  plei- 
nement inconnu,  mais  incompréhensible  ici-bas  dans  sa 
nature  intime;  inconnu  par  conséquent  d'une  connais- 
sance propre  et  intuitive,  et  pourtant  pressenti  dans  la 
contemplation,  ou  partiellement  révélé  par  Jésus-Christ. 
Voir  Hébert-Duperron,  Essai  sur  la  polémique,  etc., 
de  saint  Clément  d'Alexandrie,  p.  203  sq. 

L'interprétation  agnostique  ou  purement  idéaliste  des 
passages  de  Clément  que  nous  venons  de  discuter  ne 
repose  pas  seulement  sur  un  examen  superficiel  et  une 
interprétation  inexacte;  elle  fausse  encore  la  doctrine 
générale  de  ce  Père  sur  la  connaissance  de  Dieu.  Elle 
la  fausse  en  donnant  un  sens  absolu  à  des  négations 
qui  n'ont,  chez  lui,  qu'une  portée  relative.  Quand  il 
nous  dit  que  la  méthode  d'analyse  ne  nous  apprend  pas 
ce  qu'est  Dieu,  mais  ce  qu'il  n'est  pas,  il  entend  parler 
de  Dieu  considéré  dans  son  être  intime,  ou  delà  nature 
de  Dieu  prise  au  sens  restreint  du  mot;  transposer 
cette  affirmation,  en  l'appliquant  à  Dieu  considéré  d'une 
façon  quelconque,  ou  à  la  nature  prise  au  sens  large 
du  mot,  et  de  là  conclure  que  notre  connaissance  de 
Dieu  est  purement  négative,  c'est  mettre  l'apologiste 
alexandrin  en  contradiction  flagrante  avec  lui-même, 
car  l'ensemble  de  sa  doctrine  rend,  on  l'a  déjà  vu,  un 
son  totalement  opposé.  D'après  lui,  le  mouvement  ins- 
tinctif de  notre  intelligence  ne  nous  force  pas  seulement 
à  croire  en  Dieu;  il  nous  porte  aussi  à  l'affirmer  comme 
l'Être  suprême,  premier  et  unique  principe  de  toutes 
choses,  incréé,  éternel,  souverainement  sage  et  puissant, 
provident.  Clément  reconnaît  cette  connaissance  de 
Dieu  chez  des  philosophes  païens;  elle  rentre  dans  le 
rôle  providentiel  qu'il  attribue  à  la  philosophie,  de 
préparer  les  voies  au  christianisme.  Voir  t.  m.  col.  1691. 
Une  fois  même,  oubliant  sa  terminologie  habituelle  et 
la  distinction  fondamentale  entre  l'citt  et  le  •rccïo;  èori, 
il  va  même  jusqu'à  dire  de  l'un  d'eux,  Cléanlhe.  qu'il 
lui  semble  avoir  fort  bien  enseigné  et'  qu'est  Dieu, 
o  iroïô;  èutiv  ô  0s<S;.  Protr.,  c.  vi,  t.  vin,  col.  180.  Ce 
qui,  dans  le  contexte,  ne  signifie  sûrement  pas  que  ce 
philosophe  avait  eu  de  l'Être  divin  une  connaissance 
compréhensive;  mais  cela  prouve  du  moins  qu'aux 
yeux  de  Clément,  on  peut  connaître  et  affirmer  de  Dieu 
autre  chose  que  la  simple  existence  ou  des  formules 
négatives.  En  somme,  nous  trouvons  dans  ses  écrit> 
une  quadruple  connaissance  de  Dieu  :  la  connaissance 
vulgaire  et  comme  instinctive;  la  connaissance  déjà 
supérieure  que  donne  la  philosophie;  la  connaissance 
de  la  foi  chrétienne,  parfaite  relativement,  c'est-à-dire- 


1045 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES; 


1046 


pour  cette  vie,  Slrom.,  VI,  c.  vin,  t.  ix,  col.  292,  ou 
par  opposition  à  la  connaissance  purement  philoso- 
phique, ibid.,  c.  v,  col.  260;  enfin,  au  ciel,  la  connais- 
sance intuitive  et,  dans  le  même  sens,  compréhensive. 
Slrom.,  V,  c.  i,  t.  VIII,  col.  18.  De  ce  que  la  dernière 
seule  alteint  Dieu  tel  qu'il  est  en  lui-même,  il  ne  s'en- 
suit pas  que  les  autres  n'atteignent  rien  de  ce  qu'est 
Dieu  ou  de  ce  qui  est  en  Dieu,  sauf  le  fait  de  son  exis- 
tence. 

La  doctrine  de  Clément  sur  les  noms  que  nous 
donnons  à  Dieu  n'infirme  en  rien  ces  conclusions;  elle 
n'est,  en  substance,  qu'une  application  de  sa  doctrine 
sur  l'incompréhensibilité.  Si  nous  n'atteignons  pas 
Dieu  dans  son  être  intime,  comment  pourrions-nous 
l'exprimer  par  un  nom  propre,  c'est-à-dire  par  un  nom 
qui  l'exprime,  et  pleinement?  Ne  confondons  pas  dire 
quelque  chose  de  Dieu,  et  dire  Dieu  lui-même  :S:açi- 
;:-.  ',t  rbv  0sbv  eîitsïv,  "c,  Tanepi  0£&O,  Slrom.,  VI,  c.  xvii, 
t.  ix,  col.  381;  cf.  c.  xvm,  col.  397,  xav  [M]  Qsbv,  i'ù.% 
-i'f:  8eoû  Àéyr,.  Dans  l'impuissance  où  ils  étaient  de 
nommer  strictement  l'Etre  suprême,  les  philosophes 
se  sont  servis  de  périphrases  ou  circonlocutions,  d'ail- 
leurs vraies,  -/.xxx  -iç,;.ypoLavi  a/.rfir,,  pour  exprimer  ce 
qu'ils  ne  pouvaient  concevoir.  Strom.,  V,  c.  xiv,  t.  îx, 
col.  197,  voir  la  note  31;  I,  c.  xix,  t.  vin,  col.  808.  Le 
terme  même  de  Dieu  ne  fait  évidemment  pas  exception  : 
0eb;  î;  T.xo'-x  tf,v  h\i:i  i:'pr~y.:  v.x:  -y.lvi.  Stroni.,  I, 
c.  xxix,  t.  vin,  col.  929.  Parmi  ces  appellations,  il  y  en 
a  de  métaphoriques,  àXXy]Yopec96aî  iï  -riva  i*.  to  iTtov  tù>v 
6vo|*xtci>7  éateôrEpov,  Slrom.,  Y,  c.xi,  t.  ix,  col.  104;  mais 
toutes  ne  le  sont  pas  pour  cela.  Rien  dans  les  écrits  de 
Clément  n'autorise  à  dire  que  les  dénominations  d'être, 
d'intelligence,  de  bonté,  de  sagesse,  etc.,  ne  conviennent 
pas  à  Dieu  proprement;  nous  y  lisons,  au  contraire, 
pour  ne  prendre  qu'un  exemple,  que  Dieu  seul  est 
niiellement  sage,  eo?bv  yùrsu.  Slrom.,  II,  c.  ix, 
t.  vin,  col.  980.  Reste  seulement  que  nous  ne  pouvons 
pas  nous  faire  ici-bas  une  idée  propre  de  L'intelli- 
gence, de  la  bonté,  de  la  sagesse  et  autres  perfections, 
telles  qu'elles  sont  en  Dieu;  ce  qui  est  tout  différent. 
Sur  la  théologie  ou  interprétation  symbolique, Strom., 
Y.  c.  vin,  l.  ix,  col.  73;  VI,  c.  il,  col.  212.  Voir 
t.  ni.  col.  151,  165. 

Que  Clément  ait  accentué  fortement  la  transcendance 
divine,  rien  n'est  plus  vrai;  outre  les  textes  déjà  cités, 
beaucoup  d'autres  vont  dans  ce   sens,   en    particulier 
Peed.,  I.  I,  c.  vin,  t.  vin,  col.  33G,  où  Dieu,  considéré 
connue  un,  est    mis  au-dessus  de  l'unité  elle-même  : 
ttiva  io*j  'vb;,  xal  •J7tîp  avTT|V  M.v/iôa. 
Mais  dans  quel  esprit  el  dans  quelle  direction?  D'abord, 
par   réaction    contre   l'anthropomorphisme    considéré 
formes  diverses  :  relui  des  païens,  qui  conce- 
vaient leurs  dieux  à  la  manière  des  hommes,  avec  des 
besoins,  des  passions,  des  défauts  semblables;  celui  des 
gnostiques,  qui   arrivaient  presque  au   même  résultat; 
celui   des  juifs   et    des  chrétiens    dont    il  a  été  parlé  à 
propos  de  Méliton  "i  qui  prenaient  a  la  lettre  tout,  ou 
•i  peu  près  tout  ce  que  la  sainte  Écriture  «lit  de  Dieu, 
L  une  des  plus  grandes  préoccupations  de   l'apologiste 
alexandrin    est  d'éliminer  de  sa   conception  de    Dieu 
tout    anthropomorphisme.   Slrom.,   11.   c.  x\i,  t.  un. 
col.  1012,  tout  le  chapitre;  VII,  c.  v.  t.   ix,  col.    137.  Il 
ut  pas  davantage  d'un  Dieu  compose,  de  quelque 
'pie  ce  -"iï .  aussi  lient-il  beaucoup  à  le  mettre 
•  n  dehors  des  prédicamenta  aristoti  liciens,  genre,  diffé- 
iccidi  m     ele    C'est  dans  I"  même  esprit 
qu  il  Péli  ua  de  l'unité;  mais   il   n'éprouve 

ne  difficulté  à  l'appeler  l'Un,  comme  il  l'appelle 
Il   Don,  l'Etre. 

Sa  i  meut  dans  des  notions  d'ordre  transcen- 

dental,  comme  celles  d'intelligence,   de   bonté,  de  sa- 
de  luinii  n    spirituelle. 

plus  loin  s,  ||  méthode  d'anal 


ou  la  théologie  négative  aboutit,  comme  on  le  prétend, 
à  l'abstraction  pure;  l'objection  n'est  pas  spéciale,  elle 
vaut  pour  tous  ceux  des  Pères  de  l'Église  qui  ont  fait 
usage  de  ce  procédé. 

i)  Origène,  disciple  de  Clément  et  son  successeur 
dans  Fa  direction  de  l'école  catéebétique  d'Alexandrie, 
nous  présente  une  théodicée  semblable,  dans  ses  grandes 
lignes,  à  celle  de  son  maître,  éclaircie  toutefois  ou  dé- 
veloppée sur  plusieurs  points,  complétée  aussi  par  des 
aperçus  nouveaux,  les  uns  féconds,  les  autres  moins 
heureux  et  gros  de  conséquences.  Les  orages  qui  s'éle- 
vèrent contre  son  enseignement,  n'atteignirent  pas  di- 
rectement, il  est  vrai,  sa  doctrine  sur  Dieu;  ce  serait 
toutefois  porter  un  jugement  trop  llatteur  que  de  dire 
avec  Lumper,  t.  ix,  p.  356  :  Nihil  occurrit  in  Origene 
circa  Deum,  divinasque  perfecliones  absolutas,  quod 
jierfecte  orlhodoxum  non  sit.  Cette  doctrine  se  trouve 
surtout  dans  ses  deux  principaux  ouvrages  :  le  Ilep'i 
àpx<iv,  ou  De  principiis  (avant  231),  premier  essai  que 
nous  possédions  d'une  systématisation  doctrinale  ayant 
pour  base  le  symbole  ecclésiastique,  et  les  Tôu.oi  /.axà 
Kilio'j  ou  Libri  (octo)  contra  Celsum,  traité  apologé- 
tique, composé  sous  le  règne  de  Philippe  l'Arabe  (246- 
249),  en  réponse  à  la  longue  diatribe  contre  le  chris- 
tianisme que  le  philosophe  païen  Celse  avait  publiée, 
vers  l'an  178,  sous  le  titre  de  Ad-,-0;  à).r,6r,;.  Les  autres 
ouvrages  fournissent  un  appareil  conlirmatif  ou  com- 
plémentaire; mais  il  n'est  pas  toujours  possible  de 
fixer  d'une  manière  certaine  la  doctrine  du  grand 
alexandrin,  à  cause  des  antinomies  irréductibles  que 
crée  la  divergence  des  textes  ou  même  d'assertions 
pleinement  authentiques. 

Comme  Clément,  Origène  regarde  l'existence  de  Dieu 
comme  une  vérité  intimement  liée  avec  un  ensemble 
de  notions  communes  au  genre  humain.  En  dehors  des 
saintes  Lettres,  deux  sources  de  connaissance  sont  à  notre 
portée  :  la  contemplation  du  monde  visible  et  le  sen- 
timent naturel  de  l'âme,  ex  occasione  visibilium  crea- 
turartim  el  ex  liis  qux  humana  mens  naturalitcr  sen- 
tit. Periarc/t.,  I.  I,  c.  m,  n.  1,  P.  (i.,  t.  xi,  col.  117. 
Pour  la  première  source,  reliée  habituellement  à  la 
doctrine  de  saint  Paul,  Rom.,  i,  20,  cf.  Contra  Cels., 
1.  I,  n.  23;  1.  III,  n.  47;  1.  VI,  n.  3;  1.  VII,  n.  37,  46, 
t.  xi.  col.  701,  981,  1291,  1473,  1489.  Pour  la  seconde, 
rattachée  à  l'idée  de  loi  naturelle  gravée  dans  les  cœurs, 
ou  de  responsabilité  morale  en  face  du  souverain  juge, 
cf.  Contra  Cels.,  I.  I,  n.  4;  I.  VIII.  n.  52,  t.  xi, col. 661, 
1593;  In  A'/un.,hoiiiil.x,n.  3,  t.  xn, col. 649.  Cette  notion 
naturelle  est  faussée  par  ceux  qui  la  rapportent  à  n'im- 
porte quoi  plutôt  qu'à  Dieu,  mais  son  contenu  primitif 
proteste  contre  l'identification  de  Dieu  avec  une  matière 
corruptible.  Contra  Cels.,  I.  IL  n.  40;  I. III, n.  40,  t.  xi. 
col.  861,  972.  Aussi,  l'apologiste  s'appuie-t-il  sur  ce  ca- 
ractère de  notion  naturelle,  pour  reprocher  aux  philo- 
sophes païens,  en  particulier  aux  stoïciens,  leurs  erreurs 
sur  Dieu  ;  Neque  enim  potuerunt  illi sibi naluralem 
ji,i  luiiioiirm  animo informare,  i^lreiincorruptibilis, 
simph  npotiles,  individu*1..  Contra  Cels.,  1. 1\ , 

n.  14,  t.  xi.  col.  1046. 

L'unii>  de  Dieu  esi  inséparable  de  sa  notion.  Cesl  la. 
pour  Origène,  une  vérité  rationnelle,  Contra  Cels.,  1.1, 

n     28,  I.    XI,   col.  701,   niais    tout   d'aluni   mi"  vérité  d( 

foi.  Dans  h'  résumé  des  points  manifestemenl  transmis 
par  |a  prédicatii  lique,  que  contienl  la  pi  i 

du  Perforc/ion,  n.  4,  t.  xi.  col.  117,  l'unité  divine  pareil 
en  première  ligni  Pri  *'..  quod  unut  Deu$etl...t  Un 
seul  Dieu,  créateur  et  ordonnateur  de  toutes  choi 
(pn  a  tiré  i  univers  du  néant,  Dieu  de  tous  les  ju 
depui  l'origine  du  monde,...  Dieu  juste  et  bon,  Pèn 
de  Noln  Seigneui  l<  us-Christ,  auteur  de  la  Loi  et  des 
prophètes,  de  l'Évangile  el  de  I  lieu  de  i  ancien 

el    (lu     Nouveau  il  H. vue     larrelielll    dl 

loppé  •  nsuil  .  contn  Ici  ji  osllqui  i,  d  ipi  tintes 


1047 


DIEU   (SA   NATURE   D'APRÈS   LES    PÈRES) 


1048 


Lettres.  Origènc  insiste,  comme  Clément  et  en  se  ser- 
vant des  mêmes  principes,  sur  la  conciliation,  néces- 
saire et  effective,  de  la  bonté  et  de  la  justice  en  Dieu, 
c.  v,  De  juslo  et  bono,  col.  203  sq.  Réduit-il  ces  deux 
attributs  à  un  seul?  Beaucoup  le  pensent,  à  cause  de 
ces  mots  :  sicut  unam  eamdemque  neqitiliam  malilise 
el  injustifiée  <licimus,ita  bonitatis  ac  juslilisevirlutem 
unam  eamdemque  teneam us.  En  tout  cas,  il  n'affirme 
pas  seulement  l'inséparabilité  des  deux  notions  :  quia 
nec  bonum  sine  juslo,  nec  juslum  sine  bono  dignila- 
tem  divins  potest  indicarc  naturse;\\  donne  encore  à 
la  bonté,  on  le  verra  plus  loin,  une  prépondérance  in- 
conciliable avec  d'autres  attributs,  en  particulier  avec 
la  liberté  et  avec  la  justice  divine  considérée  dans  toute 
sa  plénitude  (question  des  peines  médicinales  et  tempo- 
relles). 

Après  l'unité  divine,  professée  formellement  par 
l'Église,  la  grande  question  pour  Origène  est  celle  qu'il 
indique  dans  la  préface  du  Periarchon,  n.  9,  col.  120  : 
«  Comment  faut-il  concevoir  Dieu  ?  avec  un  corps  et  une 
certaine  figure,  ou  d'une  autre  manière'.'  Quod  utique 
in  prsedicatione  noslra  manifeste  non  designatur.  » 
Ainsi  l'enseignement  ecclésiastique  n'avait  pas  alors 
nettement  tranché  ce  point;  et  d'autres  passages d'Ori- 
gène  confirment  bien  l'existence  de  la  controverse  : 
iielecta  in  Gen.,  i,  26,  P.  G.,  t.  xn,  col.  93;  In  Joa., 
tom.  xni,  n.  21,  P.  G.,  t.  xv,  col.  432  sq.  Voir  t.  i, 
col.  813.  La  question  est  traitée  ex  professo  au  début  du 
Ier  livre  du  Periarchon,  dans  le  Ie"  chapitre,  très  carac- 
téristique, qui  porte  sur  Dieu,  col.  121  sq.  Le  docteur 
alexandrin  répond  tout  d'abord  aux  textes  de  la  sainte 
Écriture,  dont  se  servaient  les  partisans  de  la  corpora- 
lité;  tels,  Deut.,  iv,  24:  Deus  nos  ter  ignis  consumens 
est,  ou  Joa.,  iv,  24  :  Deus  spirilus  est,  le  mot  esprit 
s'entendant  d'une  matière  éthérée  et  subtile.  Ces  appel- 
lations et  autres,  comme  :  Deus  lux  est,  IJoa.,  i,  5, 
ne  peuvent  évidemment  pas  se  prendre  à  la  lettre;  ce 
sont  des  expressions  métaphoriques.  Doctrine  reprise 
souvent  par  Origène,  De  oratione,  n.  23,  t.  XI,  col.  486; 
In  Gen.,  homil.  i,  n.  13,  t.  xn,col.  155  sq.;  In  Mallh., 
tom.  xvn,  n.  18,  P.  G.,  t.  xm.  col.  1532  sq.,  en  parti- 
culier, dans  le  traité  contre  Celse.  Car  la  principale 
originalité  du  philosophe  païen  consistait  à  se  servir 
de  l'Écriture  sainte  pour  accuser  les  chrétiens  de  se 
faire  de  la  divinité  une  notion  grossière  ou  indigne;  il 
alléguait,  par  exemple,  les  passages  où  les  écrivains 
sacrés  représentent  Dieu  comme  descendant  vers  les 
hommes,  ou  lui  attribuaient  des  sentiments  humains, 
le  repentir,  la  colère,  la  vengeance.  Contra  Cels.,\.  IV, 
n.  10,  13,  14,  71  ;  1.  VI,  n.  64,  t.  xi,  col.  1040,  1041, 
1043,  1140,  1395.  Origène  ne  cesse  de  répondre  :  Lan- 
gage figuré,  dont  Dieu  s'est  servi  pour  se  faire  com- 
prendre par  des  images  qui  nous  sont  familières:  hœc 
omnia  figurate  dicunlur,  ut  intelligibilis  nalura  ex 
usitatis  sensililibusque  nominibus  nobis  innotescal. 
Ibid.,  1.  VI,  n.  70,  col.  1404.  Sans  doute,  il  est  écrit, 
Gen.,  I,  27  :  «  Dieu  fit  l'homme  à  son  image,  »  mais 
cela  s'entend  de  l'âme,  et  non  du  corps.  Contra  Ccls., 
1.  VI,  n.  63;  1.  VIII,  n.  40,  col.  1396,  1590;  cf.  Selecta 
in  Gen.,  et  In  Gen.,  homil.  i,  loc.  cit.  La  corporalité 
ferait  de  Dieu  un  être  composé,  dépendant  des  élé- 
ments qui  le  composeraient,  divisible,  corruptible; 
autant  de  choses  qui  répugnent  aux  propriétés  essen- 
tielles de  la  divinité.  Periarch.,  loc.  cit.,  n.  6;  Contra 
Cels.,  1.  I,  n.  23,  col.  701  ;  De  oratione,  n.  23,  t.  xi, 
col.  487;  In  Joa.,  loc.  cit. 

A  la  notion  anthropoinorphique  d'un  Dieu  corporel, 
Origène  oppose  cette  autre  :  «  Dieu  n'est  donc  ni  un 
corps,  ni  dans  un  corps.  Nature  intellectuelle  d'une 
simplicité  parfaite,  il  exclut  toute  addition  et  toute  di- 
versité intrinsèque.  Monade  absolue  et,  pour  ainsi  dire, 
hénade  (ex  omni  parte  y.n</i;,el  ul  ita  dicam  iiii),  il 
est  l'Intelligence,  source  unique  et  cause  de  toute  na- 


ture intellectuelle,  de  toute  intelligence.  Rien  de  ce 
qui  s'attache  à  l'idée  de  corps  et  de  matière  ne  vaut 
pour  son  être  ou  ses  opérations  :ni  présence  locale,  ni 
grandeur  sensible,  ni  forme  corporelle,  ni  couleur.  > 
Periarch.,  loc.  cit.,  n.  5.  A  ce  texte  s'en  ajouteraient 
facilement  beaucoup  d'autres,  on  la  transcendance 
divine  est  affirmée  par  rapport  aux  êtres  intelligibles 
ou  toute  autre  nature  :  xhv  ângxeivoc  tûv  votitô>v  0edv, 
Exliorl.  ad  martyr.,  n.  47,  t.  xi,  col.  629;  ir.ïr.  ïv.il-ix 
o-jTc'a;  r.'jti'ji:v.,  /.ai  3'jvâpet.  In  Joa..,  tom.  xill.  n.  21. 
P.  G.,  t.  XIV,  col.  432. 

Dieu  incorporel  est  nécessairement  invisible  pour  les 
yeux  du  corps;  c'est  le  sens  qu'Origène  donne  à  l'invi- 
sibilité divine  :  Censemus  quiclem  Deum,  quiacorporis 
expers  est,  invisibilem  esse.  Contra  Cels.,  1.  VI.  n.  69. 
col.  1404;  cf.  ibid.,  1.  VII,  n.  33,39,  col.  1403, 1475.  pour 
la  distinction  entre  les  yeux  du  corps  et  ceux  de  l'âme. 
Dans  Periarch.,  loc.  cit.,  n.  8.  il  distingue  entre  voir 
et  connaître  :  voir  et  être  vus  se  disent  des  corps, 
connaître  et  ètre'connues  se  disent  des  natures  intellec- 
tuelles. On  ne  peut  pas  voir  Dieu;  on  peut  le  connaître. 
mais  d'une  connaissance  imparfaite  ici-bas,  car  Dieu 
est  incompréhensible  :  Dicimtis  secundum  veritaten 
quidem  Deum  incomprelicnsibilem  esse  atque  insesli- 
mabilem.  Une  comparaison  sert  au  docteur  alexandrin 
à  éclairer  tout  à  la  fois  les  deux  aspects  de  notre  con- 
naissance. Il  en  est  des  créatures  par  rapport  â  la 
substance  et  à  la  nature  de  Dieu,  comme  des  rayons  du 
soleil  par  rapport  à  la  nature  de  cet  astre  :  les  rayons 
ne  nous  suffisent  pas  pour  connaître  pleinement  le 
soleil,  mais  ils  nous  permettent  de  nous  faire  quelque 
idée  du  foyer  de  lumière  qu'il  est.  Ainsi  l'âme  humaine 
ne  peut  pas,  par  elle-même,  contempler  Dieu  tel  qu'il 
est,  ipsum  per  seipsam  Deum  sicut  est  non  potest  in- 
lueri,  mais  elle  peut,  de  la  beauté  et  de  l'éclat  des  créa- 
tures, s'élever  au  créateur,  n.  5,  6,  col.  124  ;  cf.  1.  I.  c.  ni, 
n.  1,  col.  147  :  possibile  est  aliquem  inlellectum  capi. 

Pour  arriver  à  cette  connaissance  imparfaite,  il  faut, 
suivant  la  loi  de  notre  intelligence  en  cette  vie,  partir 
des  sens  et  des  choses  sensibles,  ypr,  t-'o  i'.o-Ôtic-ewv 
ap?a7Ôa;  xxi  Ttôv  at<76r,T<îW,  Contra  Cols.,  1.  AU,  n.  37. 
col.  1474;  mais  ce  n'est  là  qu'un  échelon  pour  monter 
plus  haut  et  concevoir  la  nature  des  choses  intelli- 
gibles, wittg  otove't  èTriêiOpï  yor^x:  a'j~oï(  ~>o;  'V  **" 
Txvôriir/  tî;ç  tûv  voy]t<ôv  o^nzo):.  Ibid.,  n.  45,  col.  1490. 
Nous  arrivons  ainsi  d'abord  à  ce  que  l'apôtre,  Rom., 
i.  10,  appelle  les  invisibilia  Dei,  c'est-à-dire  les  choses 
intelligibles;  mais  les  chrétiens  ne  s'arrêtent  pas  là. 
ils  s'élèvent  jusqu'à  l'éternelle  vertu  de  Dieu,  jusqu'à 
sa  divinité.  Ibid.  Celse  avait  déjà  forcé  l'apologiste 
alexandrin  à  s'expliquer  sur  ce  point  :  «  Rien  de  ce 
que  nous  connaissons  ne  se  trouve  en  Dieu,  »  avait-il  dit, 
par  opposition  au  langage  anthropomorphique  de  la 
Bible.  Origène  n'avait  pas  admis  une  proposition  aussi 
absolue  :  «  Nous  connaissons  beaucoup  de  choses  qui 
sont  en  lui,  avait-il  riposté  ;  telles,  la  vertu,  la  béatitude, 
la  divinité.  Mais  si  l'on  entend  «  ce  que  nous  connais- 
sons »  en  ce  sens  plus  relevé,  que  tout  objet  de  notre 
connaissance  reste  au-dessous  de  Dieu,  alors  nous  pou- 
vons en  convenir,  rien  de  ce  que  nous  connaissons  ne 
se  trouve  en  Dieu.  »  Contra  Cels.,  1.  VI,  n.62,  col.  1394, 
Qu'on  rapproche  de  cette  réponse,  el  de  toute  la  doc- 
trine qui  précède,  tant  d'affirmations  superficielles,  qui 
courent  les  livres,  sur  la  théologie  négative  ou  les 
abstractions  du  successeur  de  Clément!  L'n  exemple 
sullira.  emprunté  à  ['Essai  sur  la  tltéodicée  d'Origine, 
par  .1.  Dartigue,  p.  37  :  «  Le  Dieu  de  Platon  est  celui 
de  la  dialectique,  et  le  Dieu  de  la  dialectique  n'est 
que  l'être  indéterminé,  insaisissable,  que  nous  avons 
trouvé  dans  Origène  et  chez  tous  les  philosophes 
idéalistes,  c'est-à-dire  qu'il  n'est  rien.  (Ju'est-ce,  en 
effet,  qu'un  être  auquel  nous  ne  pouvons  prêter  ni  qua- 
lités morales,  ni  attributs  métaphysiques?  t 


1049 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES} 


1050 


Origène  ne  décrit  pas  le  travail  de  l'âme  qui,  s'étant 
élevée  au-dessus  du  sensible,  cherche  à  se  représenter 
Hieu.  Pour  lui,  comme  pour  son  maître,  c'est  l'œuvre 
de  la  contemplation  jointe  à  la  pureté  de  cœur.  Contra 
Cels.,  1.  VI,  n.  69,  col.  1403.  Il  ne  parle  pas,  de  lui- 
même,  de  la  méthode  d'analyse;  c'est  son  adversaire 
qui  l'introduit  dans  le  débat,  comme  partie  intégrante 
du  procédé  trouvé  par  les  sages  pour  se  faire  quelque 
idée  de  l'Être  suprême  et  inell'able,  et  qui  consiste  dans 
la  synthèse,  l'analyse  ou  l'analogie,  lbid.,  1.  VII,  n.  42, 
col.  1482.  Le  philosophe  alexandrin  connaît  la  méthode, 
qu'il  dit  empruntée  aux  géomètres,  àvà).o-pv  fïj  rcapà 
toîs  Yeb>|iÉTpai(i  il  ne  la  rejette  pas  absolument,  quoi- 
qu'en  dise  J.  Denis,  De  la  philosophie  d'Origene,  p.  85, 
car  son  intention  n'est  pas  d'attaquer  ce  que  les  Grecs 
ont  pu  trouver  de  beau,  ibid.,  n.  49,  col.  1492;  il  avait 
même  accueilli  avec  admiration,  quelques  pages  aupa- 
ravant, n.  42,  col.  1481,  le  célèbre  passage  où  Platon, 
dans  le  Timée,  28  C,  déclara  combien  il  est  difficile 
d'arriver  jusqu'au  grand  architecte  et  père  de  cet  uni- 
vers. Et  de  fait,  c'était  une  notion  de  la  divinité  assez 
relevée  déjà,  que  la  notion  présentée  par  Celse  au  cours 
de  son  ouvrage  :  Dieu  incorporel,  éternel  et  immuable, 
souverainement  beau  et  bon,  se  suffisant  pleinement  à 
lui-même,  exempt  de  toute  passion,  juste  et  saint,  d'une 
puissance  allant  jusqu'à  tout  ce  qui  n'est  pas  indigne 
de  lui  ou  contraire  à  la  nature.  Voir  J.  F.  S.  Muth, 
Der  Kampf  des  heidnischen  Philosophen  Celsus  yegen 
das  Christenlum,  Mayence,  1899,  p.  29  sq. 

.Mais  qu'était-ce  que  cela  en  face  des  enseignements, 
autrement  sublimes  et  divins,  p.siÇova  xceï  OaciTEpoc,  qui 
venaient  de  Dieu  lui-même  par  ses  organes,  les  pro- 
phètes, les  apôtres,  et  surtout  le  Verbe  incarné,  Celui 
qui  connaît  le  Père  et  le  révèle  comme  il  lui  plaît? 
Ihid.,  n.  49,  col.  1491  ;  1.  VI,  n.  65,  col.  1398.  Et  puis, 
quelle  difficulté  pour  acquérir  cette  notion  philoso- 
phique de  Dieu,  mêlée  d'ailleurs,  dans  la  réalité,  de 
tant  de  scories,  qu'on  peut  se  demander  si  une  connais- 
sance pure  de  Dieu  ne  dépasse  pas  les  forces  de  la 
nature  humaine!  Surtout,  quelle  erreur  de  prétendre 
obtenir  par  là  une  vraie  et  pleine  connaissance!  Et 
c'est  comme  philosophe  chrétien  qu'Origène  conclut  : 
i  Nous  .'.utrcs,  nous  affirmons  l'impuissance  de  la  na- 
ture humaine  à  chercher  et  à  trouver  purement  Dieu 

le  secours  de  Celui  qu'elle  cherche;  mais  Dieu  se 
fait  connaître  à  ceux  qui  font  leur  possible  et  recon- 
naissent le  besoin  qu'ils  ont  de  lui;  il  se  fait  connaître, 
comme  il  le  trouve  bon,  dans  la  mesure  où  l'àme 
humaine,  prise  encore  dans  ses  liens  terrestres,  peut 
le  connaître.  Ibid.,  n.  12,  col.  1482. 

L'ineffabilité  divine,  conséquence  logique  île  l'in- 
compréhensibilité,esl  affirmée  el  expliquée  par  Ori_ 
Pour  lui,  comme  pour  les  l'ères  de  son  temps,  le  nom, 
dans  toute  la  force  du  terme,  n'est  pas  une  appellation 
quelconque,  mais  comme  la  définition  d'un  être  consi- 
*'*•■■  dans  sa  nature  intime,  l'expression  de  ce  qu'il  est 
proprement.  Qu'en  ce  sens,  nous  ne  puissions  pas  plus 
nu er  Dieu  que  nous  ne  pouvons  le  concevoir,  Ori- 

!•■  concède  pleinement  à  Celse  :  Si  intelligit  verba 
aut  resverbissigni/icatas  non  esse,  qum  Dei  pro/irietales 

'tentent,  verum  dicit.  Mais  le  nom  s'entend  aussi 
plus  largement,  «le  toute  appellation  qui  serl  ■  <  dé 
un  -lie  par  une  noie  qui  lui  - > . ï t  particulière:  alors  rien 

n'empêche  de   non t  Dieu,   c'est-à-dire  (d'indiquer 

quelques-uni  -  il'  ses  perfections,  pour  aider  ceux  qui 
■'■coûtent  ,i  s'en  faire,  dans  la  mesure  du  possible, 
quelque    idée,   «./   quidpiam   'le   Mis 

,  1.  VI,  n.  65,  col.  1398.  Pour  les  applications,  voir 

Exhort.  ad  martyi ..  n.  Wi.  Contra 

I     •■   n.  25;   I.  V.  n.   ',:,.  t.  xi,  col.  '.91.  (128,  707, 

1352,   Dans  le   premii  r  |  .,.  centue  le 

""m  T"    Dieu  lui-même  -  esl  attribué,  I  tod.,  ni.  I  i 

in  Deo  vero,  qui  invariabilii  Unmutatriliiqw  ici 


est,  unum  idemque  semper  est  veluli  nomen,  qui 
est,  quod  in  Exodo  dicitur,  aut  si  quid  simile  dici 
possit.  Dans  les  trois  autres,  l'apologiste  fait  sur  l'ori- 
gine de  certains  noms  ou  la  vertu  qui  leur  est  inhérente, 
des  considérations  secondaires  et  dont  l'examen  ne 
rentre  pas  dans  notre  sujet.  Voir  J.  Patrick,  The  apo- 
logy  of  Origenes  in  reply  lo  Celsus,  Edimbourg,  1892, 
p.  303  sq. 

La  plupart  des  attributs  divins  ressortenl  suffisamment 
de  ce  qui  précède.  Dieu  n'est  d'aucun  autre,  et  tout  est 
de  lui.  Contra  Cels.,  1.  VI,  n.  65,  col.  1397. 

Souverainement  indépendant,  il  se  suffit  pleinement 
à  lui-même  :  tov  \j.ô'io-j  àvsvoïoC;  xa'i  a-j-câpxou;  a-Lrài. 
irt/oa.,tom.xni,  n.  34,  P.  G.,  t.  xiv,  col.  460.  Immuable, 
impassible,  éternel  d'une  éternité  stricte  et  essentielle 
qui  bannit  toute  idée  de  commencement,  de  fin,  de 
succession,  il  jouit  dans  un  éternel  maintenant,  de 
son  ineffable  béatitude  :  Aliéna  porro  est  divina  na- 
lura  ab  omni  passionis  et  peniiulationis  aflectit,  in 
illo  semper  beatitudinis  apice  immobilis  et  incon- 
cussa  perdurans.  In  Nuni.,  homil.  XXIII,  n.  2,  t.  XII, 
col.  748.  (Dansl'homil.  vt,  in  Ezech.,  n.  6,  t.  xin,  col.  715, 
le  Nonne  quodammodo  palitur  est  manifestement  ora- 
toire et  métaphorique).  C'est  pour  exprimer  la  trans- 
cendance de  l'immuable  vie  de  Dieu  par  rapport  au 
temps,  et  même  par  rapport  à  l'éternité  conçue  comme 
durée  proprement  dite,  qu'Origène  écrit  :  Supra  omne 
tempus,  et  supra  omnia  saecula,  et  supra  omnem 
œternitatem  intelligenda  sunt  ea  qux.  de  Pâtre  et 
Filio  et  Spiritu  Sancto  dicitntur.  Periarch.,  1.  IV, 
n.  28,  col.  403. 

Dieu,  transcendant  par  rapport  à  la  durée,  l'est  aussi 
par  rapport  à  l'espace.  Le  docteur  alexandrin  réfute 
avec  vigueur  ceux  qui,  de  son  temps,  lui  attribuaient 
une  présence  locale  au  ciel,  tôv  vou,tÇovxti>v  «vitôv  eïvoci 
TOTtixù);  iv  oùpavoïç.  De  oralione,  n.  23,  t.  xi,  col.  487. 
11  défend,  contre  les  attaques  de  Celse,  la  conception 
d'un  Dieu  élevé  au-dessus  des  cieux,  -rbv  Û7tïpovp<iviov 
QsAv.  Contra  Cels.,  1.  VI,  n.  19,  col.  1317.  Mais,  s'il 
n'est  jamais  dans  le  lieu,  Dieu  n'en  est  pas  moins 
présent  partout;  et  c'est  pour  cela  qu'il  ne  peut  être 
question  pour  lui  ni  d'aller  là  où  il  ne  serait  pas  encore, 
ni  de  cesser  d'être  là  où  il  était  auparavant  :  Xonne 
ubique  est  Deus:'  Nonne  ipse  dixit  :  C.vluni  et  terrant 
repleo?  In  Gen.,  homil.  xn,  n.  2,  t.  xn,  col.  226. 
«  C'est  en  lui  que  nous  vivons,  que  nous  nous  mou- 
vonset  que  nous  existons,  »  Act.,  XVII,  28;  ou,  comme  il 
l'a  dit  lui-même,  Jer.,  XXIII,  23,  «  il  est  avec  nous  el 
près  de  nous,  ovto;  ;j.eO'  ?,|i<ôv  -/.ai  itXijalov  f,|t(âv  t'jv- 
yivovto;.  »  Contra  Cels.,  1.  IV,  n.  5;  I.  Y,  n.  12.  t.  xi. 
col.  1033,  1200.  Dieu  est  donc,  pour  Origène,  à  la  fois 
transcendant  et  immanent.  Immanent,  non  pas  ;;  la 
manière  stoïcienne,  comme  un  esprit  diffus  à  travers 
le  monde,  ni  comme  un  corps  qui  renfermerait  d'autres 
corps,  mais  comme  puissance  divine  qui  contient  tout 
ce  qui  dépend  d'elle.  Contra,  Cels.,  I.  VI,  n.  71, 
col.  1405;  cf.  Periarch.,  1.  II,  c.  I,  n.  3,  col.  184.  Or, 
puissance  divine  et  divinité  vont  de  pair  ici;  elles 
sont  jointes  à  l'endroit  déjà  cité  du  Contra  Cels.,  I.  IV, 

n.  5  :  8vvau,l<    /.*'•  Oîoty,;    0fOÛ,   et    dans    le    Periarch., 

I.  IV,  n.  29,  col.  404,1  l'immensité  et  l'ubiquité  sont 
affirmées  du  Verbe  quant  ■>  sa  divinité', 
t.  imniacience  esl  intimement  liée  avec  la  notion  de 

providence.  Si    celle-ci  s'étend    >   Bon  tour,   il   s'ensuit 

que  rien  n'échappe  à  la  connaissance  de  Dieu.  Origèm 

fort    bien    la    valeur    morale    de  cette  doctrine 

i  Quoi  de  plus  'lie pour  engager  les  hommes  ■  > 

bien  vivre,  que  la  persuasion  d'avoir  le  Dieu  supri 
pour  témoin   «le  ses  pan  '  lions,  di 

titra    Cela.,    I.    I\  .    n    53,    col.    1  116.    Il 

net  en  ntre  i  imaj  inalion,  porU  •    >  (aira  con- 

corde! le1'  du  sa  oîr  divin  avec  l'existence  contin- 
gente et  i'  I''  I  objet  connu    !>■  ,1  no- 


1051 


DIEU    (SA    NATUIiE    D'A  PII  ES    LES   PÈRES) 


1052 


vit  antequam  fiant,  ncc  quidquam  cum  exislil,  ideo 
primum  innotescit  ipsi  quod  existât,  quasi  non  ante 
cognitum.  Deoratione,  n. 5, col. 430.  Mais  c'est  surtout 
sur  la  prévision  de  nos  actes  futurs  et  libres,  qu'il  est 
amené  à  donner  des  éclaircissements  nouveaux.  Celse 
s'appuyait  sur  la  prédiction  de  certains  faits,  comme 
la  chute  de  saint  Pierre  et  la  trahison  de  Judas,  pour 
attaquer  la  doctrine  du  libre  arbitre,  capitale  dans 
l'explication  chrétienne  du  mal  inoral  :  C'est  Dieu, 
raisonnait-il,  qui  a  prédit  ces  faits;  il  était  donc  abso- 
lument nécessaire  qu'ils  arrivassent  d'une  manière 
conforme  à  la  prédiction.  Contra  Cels.,  1.  II,  n.  20, 
col.  836. 

La  réponse  est  doublement  intéressante  :  par  ce 
qu'elle  suppose,  et  en  elle-même.  Origène  ne  met  pas 
en  question  la  prescience  divine  ni  son  infaillibilité  : 
Si  Dieu  a  prédit,  il  sait  ce  qui  arrivera  et  la  chose 
arrivera.  Ce  n'était  pas  là  un  enseignement  nouveau 
pour  l'apologiste  alexandrin;  il  l'avait  déjà  donné 
ailleurs.  In  Gen.,  n,  n.  7,  P.  G.,  t.  vu,  col.  66  :  Nam 
ut  mentiri  Deus  fallique  non  polest,  ila  quœ  fieri 
seque  ac  non  fieri  possunt,  eadem  ipse  futura  nosse 
parité)',  aut  non  fulura  potest.  Il  avait  même,  ibid., 
n.  6,  col.  64,  considéré  la  science  divine  dans  une 
antériorité  logique  au  décret  créateur  :  «  Comme  rien 
n'arrive  sans  cause,  Dieu,  quand  il  résolut,  au  com- 
mencement, de  créer  le  monde,  embrassa  par  la  pen- 
sée tout  l'avenir  en  détail;  il  vit  que  si  telle  chose 
arrivait,  telle  autre  aurait  lieu,  >>  et  ainsi  de  suite. 

Mais  alors,  comment  concevoir  la  liberté  dans  la 
créature?  La  réponse  est,  en  substance  :  Le  fait  n'arri- 
vera pas  parce  qu'il  a  été  prédit,  mais  il  a  été  prédit 
parce  qu'il  arrivera.  Celui  qui  prédit  n'est  pas,  pour 
autant,  la  cause  de  l'événement;  prédit  ou  non,  il 
serait  arrivé;  c'est  l'événement  qui  donne  lieu  de  le 
prédire  à  celui  qui  le  connaît  d'avance.  Puis,  repre- 
nant la  conséquence  tirée  par  l'adversaire  du  fait  de 
la  prescience  :  Proinde  omnino  necessarium  fuit,  at, 
quse  prœdicta  f aérant,  aeciderent,  Origène  distingue 
le  terme  omnino.  Si  Celse  entend  que  la  chose  prédite 
par  Dieu  arrivera  infailliblement,  c'est  juste;  mais 
s'il  prétend  qu'elle  arrivera  nécessairement,  il  se 
trompe,  la  nécessité  qui  résulte  de  la  prédiction  n'étant 
que  conséquente  à  l'exercice  prévu  du  libre  arbitre. 
C'est  là,  chez  Origène,  une  doctrine  ferme  et  souvent 
répétée  :  De  oralione,  n.  6,  t.  xt,  col.  436;  In  Gen., 
loc.  cit.;  In  Epist.  ad  Rom.,  1.  VII,  n.  8,  t.  xiv, 
col.  1126,  etc.  Elle  ne  passera  pas  inaperçue  dans  la 
controverse  De  auxiliis. 

La  bonté,  la  puissance  et  la  liberté  divine  ont,  dans 
la  théologie  de  notre  docteur,  une  connexion  étroite. 
Que  le  premier  de  ces  attributs  soit  fortement  accen- 
tué, rien  d'étonnant  chez  un  alexandrin.  Dieu  est  bon. 
uniquement  bon,  àît).<5;  aYotôô;,  immuablement  bon, 
àiiapa>.).à-/.-<o;  àyaôô;,  essentiellement  bon,  o-jtyitocui; 
àyaèdç.  Periarch.,  1.  I,  c.  il,  n.  13,  col.  144;  Contra 
Cels.,  1.  VI,  n.  44,  col.  1365.  Bonté  substantielle,  il  est 
la  source  de  toute  bonté  participée,  l'exemplaire  et  la 
cause  première  de  tout  bien.  Periarch.,  1.  I,  c.  vi. 
n.2;  c.  vin,  n.  3;  Contra  Cels.,  1.  V,  n.  24,  col.  166, 
178,  1217,  Du  reste,  le  bien  et  l'être  s'identilient  en 
Dieu  :  6  à-;-a9ô;  t<;>  ovti  6  a-JTo;  îttiv.  In  Joa.,  tom.  n, 
n.  7,  P.  G.,  t.  xiv,  col.  136.  C'est  sa  bonté  qui  domine 
et  explique  tout  dans  l'œuvre  de  la  création  et  celle  de 
la  rédemption.  Periarch.,  1.  II,  c.  ix,  n.  6;  1.  IV,  n.35, 
col.  230,  409.  Le  mal  proprement  dit  ne  vient  pas  de 
lui,  car  c'est  du  non-être,  o-jy.  Sv;  il  vient  du  libre 
arbitre  de  la  créature,  qui  décline  et  déchoit.  In  Joa., 
loc.  cit.;  Contra  Cels.,  1.  VI,  n.  55,  col.  1384.  Doctrine 
longuement  développée  dans  un  ouvrage  faussement 
attribué  à  Origène,  Adamantii  dialogus  de  recta  in 
Deum  fide,  sect.  m.  P.  G.,  t.  xi,  col.  1794  sq. 

Tout  ceci  est  vrai  et  beau;  mais,  suivant  jusqu'au 


bout  le  courant  platonicien,  le  philosophe  alexandrin 
conçoit  la  bonté'  divine  comme  une  force  naturellement 
expansive  et  nécessairement  active  :  Dieu  crée  donc  et 
se  révèle  de  toute  éternité.  Il  avait  rencontré  cette 
objection  :  «  Si  le  monde  a  commencé  dans  le  temps. 
que  faisait  Dieu  avant  la  création'.'  Se  représenter  la 
nature  de  Dieu  inerte  et  inactive,  ou  sa  bonté  ineffi- 
cace, ou  son  souverain  domaine  sans  sujets,  ce  serait 
joindre  l'impiété  à  l'absurdité.  «L'objection  l'atteignait, 
car  il  enseignait,  d'après  la  foi  chrétienne,  que  le 
monde  actuel  avait  été  créé,  et  créé  dans  le  temps, 
quod  mundus  hic  factus  sit  et  ex  cerlo  terni 
cœperit.  Periarch.,  1.  III,  c.  v,  col.  325.  Que  répond- 
il?  Qu'avant  ce  monde  visible,  Dieu  en  avait  créé 
d'autres,  comme  il  en  créera  encore,  quand  celui-ci 
cessera.  Ibid.,  n.  3,  col.  327.  C'était  résoudre  la  diffi- 
culté aux  dépens  de  la  liberté,  de  la  pleine  indépen- 
dance de  Dieu  dans  les  opérations  ad  extra.  Du  mo- 
ment où  la  foi  nous  apprend  qu'il  y  a  en  Dieu  des 
productions  immanentes,  la  génération  du  Verbe  et  la 
procession  du  Saint-Esprit,  nous  devons  concéder  le 
principe  de  l'activité  naturelle  et  nécessaire  de  la  na- 
ture divine,  mais  parce  que  et  en  tant  qu'il  s'agit  de 
productions  immanentes,  tout  ce  qui  est  en  Dieu  par- 
ticipant à  la  nécessité  et  à  l'immutabilité  absolue  de 
l'Être  divin. 

Origène  renvoie  à  ce  qu'il  avait  dit  auparavant,  1.  I. 
c.  n,  n.  10,  col.  138  sq.  Il  part,  suivant  la  juste  remar- 
que du  P.  F.  Prat,  Origène,  p.  71,  de  l'idée  de  Dieu 
Tza-i-oy.pi.ziop,  dominateur  souverain,  et  non  pas  t.  a.  - 
ToS-jva  f/.o  ç,  tout-puissant,  équivalent  du  mot  latin 
omnipotens.  Il  n'y  a  pasde  père  sans  fils,  ni  de  maître 
sans  domaine  ou  sans  serviteurs;  de  même.  Dieu  ne 
saurait  être  dit  dominateur  souverain,  s'il  n'avait  pas 
de  sujets  sur  qui  s'exerçât  sa  domination.  Pour  qu'il 
soit  ■Ktt.vzoY.pâ-wç,,  il  faut  donc  que  les  créatures  exis- 
tent. Impossible,  d'ailleurs,  de  supposer  que  Dieu  n'ait 
pas  eu  celte  qualité  dès  le  début;  ce  serait  avouer  qu'en 
l'acquérant  plus  tard,  il  aurait  progressé  et  serait 
devenu  meilleur  :  Et  quomodo  non  videbilur  absur- 
dum,  ut  cum  non  haberet  aliquid  ex  his  Deus  quie 
cum  habere  dignum  erat,  postmodum  per  profectum 
quemdam  in  hoc  venerit  ut  haberet  ?  Telle  est  l'argu- 
mentation d'Origène.  Un  grand  problème  surgit  assu- 
rément du  fait  d'une  création  libre  et  non  éternelle, 
le  problème  de  la  conciliation  entre  la  liberté  d'une 
part,  et  de  l'autre  l'immutabilité  divine;  il  restera  pen- 
dant de  longs  siècles,  et  reste  encore  pour  la  raison 
humaine  Yœnigma  sacrum.  Mais  ce  n'est  pas  résoudre 
le  problème  d'une  façon  orthodoxe,  que  de  supprimer 
l'un  des  termes,  la  liberté  ou  pleine  indépendance  de- 
Dieu.  Tertullien  donnera  bientôt  le  principe  essentiel 
de  la  solution;  elle  consiste  à  distinguer  entre  les 
dénominations  absolues,  qui  de  leur  nature  sont  éter- 
nelles et  nécessaires,  et  les  dénominations  relative* 
qui,  se  tirant  d'un  terme  posé  dans  le  temps,  en  dehors 
de  Dieu,  ne  sont  ni  nécessaires  ni  éternelles. 

La  distinction  entre  les  notions  de  Dieu  icxvroxpâTcop 
et  jravroâ"jvau.oç,  et  de  plus,  entre  la  puissance  divine 
considérée  en  elle-même  et  dans  son  terme,  me  parais- 
sent seules  donner  la  clef  d'un  passage  difficile  du 
Pertarchon,  1.  II,  c.  ix,  n.  1.  col.  225,  très  diversement 
rendu  dans  la  traduction  latine  de  Rufin  et  le  texte 
grec  de  Justinien,  admis  par  Huct,  Origeniana,  1.  II. 
c.  il,  q.  I,  n.  2,  P.  G.,  t.  xvn,  col.  705.  D'après  ce  der- 
nier texte,  le  caractère  limité  de  la  création  primitive 
s'explique  par  le  caractère  limité  de  la  puissance  divine: 
7iETT£pa<r^iïvï;v  yip  elvai  y.  ai  tï|v  o-«va|i.iv  toû  ©soi  Xextsov. 
Si  cette  puissance  était  infinie,  elle  ne  pourrait  se 
comprendre  elle-même,  l'infini  étant  incompréhensible. 
Dieu  a  donc  créé  autant  de  créatures  qu'il  en  pouvait 
comprendre  et  gouverner.  Doctrine  d'où  sortirait  cette 
grave   conséquence   :  Dieu,  limité  dans  sa    puissance, 


1053 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES^ 


1054 


l'est  aussi  dans  son  être,  puisqu'il  se  connaît  et  se 
comprend  pleinement,  d'aprèsOrigène.-Periarc/i.,  L. IV, 
n.  35,  col.  409.  Dans  la  traduction  de  Rufin,  il  s'agit, 
non  de  la  puissance  divine  considérée  en  elle-même, 
mais  dans  son  terme,  les  créatures.  Dieu  les  a  produites 
en  nombre  fini;  autrement,  il  ne  pourrait  ni  les  conte- 
nir, ni  les  gouverner  (idée  du  nx-i-oY.pizoiç,),  ce  qui 
est  infini  ne  pouvant  être  contenu,  ni  circonscrit,  quia 
ubi  finis  non  est,  nec  comprehensio  ulla,  nec  circum- 
scriptio  esse potest;  cf.  In  Matth.,  tom.  xm,  n.  1,  P.  G., 
t.  xm,  col.  1092,  où  le  raisonnement,  trop  concis, 
parait  s'appliquer  à  l'hypothèse  d'une  multitude  infinie. 
Dieu  a  donc  créé  au  début  autant  de  créatures  qu'il 
jugea  suffire,  quantum  sufficere  posse  prospexit;  idée 
qui  revient,  1.  IV,  n.  35,  col.  410.  Dès  lors,  il  n'est 
nullement  question  d'une  limitation  intrinsèque  ou 
proprement  dite  de  la  puissance  divine. 

La  seconde  interprétation  me  parait  d'autant  plus 
vraisemblable,  que  la  toute-puissance  divine,  au  sens 
de  ï:avTo6-jvanoc,  se  trouve  affirmée  dans  le  traité  contre 
Celse.  Ce  philosopbe  attribuait  aux  chrétiens  cette 
affirmation  :  Dieu  peut  tout,  en  y  attachant  manifes- 
tement l'idée  d'une  puissance  effrénée,  laquelle,  abso- 
lument parlant,  s'étendrait  même  à  n'importe  quoi  : 
Dieu,  opposait-il,  ne  veut  rien  d'inconvenant  ni  de 
contraire  à  la  nature,  1.  III,  n.  70,  col.  1012.  L'objection 
éclaire  la  réponse,  qui  tend  à  rétablir  la  notion  chré- 
tienne de  la  toute-puissance  divine,  mal  comprise  par 
le  païen  :  «  Assurément,  nous  reconnaissons  que  Dieu 
peut  tout,  c'est-à-dire  tout  ce  qu'il  peut  sans  détriment 
de  sa  divinité,  de  sa  bonté  et  de  sa  sagesse.  »  Aussi 
l'apologiste  ne  se  contente  pas  d'admettre  que  Dieu  ne 
voudra  jamais  rien  d'injuste  ou  de  mauvais,  il  affirme 
qu'il  ne  le  peut  pas.  lbid.;c(.  1.  Y,  n.  14,  col.  1201, 
Suit-il  de  cette  réponse  qu'Origène  limite  la  toute- 
puissance  ou  que,  d'après  lui,  les  diverses  propriétés 
de  Dieu  se  limitent  mutuellement,  comme  le  veut 
Ritter,  op.  cit.,  t.  v,  p.  489,  et  beaucoup  d'autres  à  sa 
suite?  Nullement.  Nier  de  la  puissance  divine  ce  qui 
serait  une  imperfection,  ou  ce  qui  répugnerait  intrin- 
sèquement, ce  n'est  pas  limiter  sa  perfection,  mais 
l'affirmer  et  la  sauvegarder  :  Iteec  enim  potestas  ejus 
divinitali contraria  est,  et  illi  omnipotcnlise  quam  ut 
Deus  habel,  1.  III,  op.  cil.  Tenir  compte,  pour  déter- 
miner l'objet  vrai  de  la  toute-puissance,  de  ce  qu'exi- 
gent par  ailleurs  les  autres  attributs  de  Dieu, c'est  tout 
simplement  dire  que  la  puissance  divine  ne  peut  être 
qu'une  puissance  digne  de  Dieu,  aussi  essentiellement 
bon,  sage,  juste,  que  puissant  :  Dicimus  eliam  Deum 
turpia  non  posse;  alioqui  Deus  posset  non  esse  Deus. 
tfam  fi  quid  turpe  Deus  facit,  Deus  non  est,  I.  V, 
n.23,  col.  1215.  Origine  avail  parlé  d'une  façon  moins 
châtiée,  quand  il  avait  dit  ailleurs  :  Quoniam  in  quan- 
tum ad  potenliam  quidem  Dei,omnia  possibiliasunt, 
iusta,  >/w.  i\.n  çj  i.  lu  M  n  ii  h,,  comment.  Beries, 
n.  95.  t.  xm.  col.  1746.  C'est  là  une  de  ces  antil 
qu'on  rencontre  dans  les  écrits  d'Origène;  sa  théod 
malgré  des  taches,  n'en  reste  pas  moins  brillante  et 
exercer  une  profonde  influence  dans  II  . 

,  Sainj  Méthode  d'Olympie,  mort  pour  la  foi  vers  311, 
peut  non-  servir  de  contrôle  pour  le  jugement  qui 
èd(i.  Il  fut  l'un  des  principaux  adversaires  d'Ori- 
comme  on  le  voit  par  les  fragments  de  deux  de 
ses  ouvrages,  lie  resurrectione  el  De  crraiis.  /'.  G  . 
t.  xviii,  col.  265,  332.  Or,  dans  un.'  monographie  sur 
l,i  théologie  de  ce  Père,  V  Bonwetsch  a  signalé 
l'étroite  dépendance  qui  !>•  relie,  malgré  tout,  au  grand 
alexandrin.  Rien  dans  es  attaques  qui  aille  contre  la 
théodicée  il  •  h  nité  el 

la  nécessité  de  la  i  n  atii  n    i  '  là  même,  le  laiul  mar- 
ri contre  celui   qu'il   réfute  de  la  notion  de 
Dieu  qui  leur  est  commune.  Dieu  n'esl-il  pas  l'Être 
qui  n  prim  q>'  el  la  source  de  toute 


sagesse,  de  toute  gloire,  de  toute  perfection,  absolu- 
ment et  essentiellement  parfait  en  lui-même  et  par  lui- 
même,  ocvtck  6V  éocviTÔv  tÉ/.eio;,  aOïb;  y.a6'âa-jTÔvTé),Eio;? 
De  creatis,  n.  2,  col.  336.  D'où  viendrait  pour  lui  la 
nécessité  de  créer  le  monde,  même  spirituel?  Et  s'il 
ne  change  pas,  quand  il  cesse  de  produire  de  nouveaux 
êtres,  pourquoi  changerait-il,  quand  il  en  produit? 
lbid.,n.  3.  Ce  point  écarté,  nulle  dillérence  essentielle 
n'apparaît  entre  Origene  et  Méthode  sur  la  question 
qui  nous  occupe.  Mêmes  principes  contre  le  dualisme 
et  le  déterminisme  gnostique  :  ce  n'est  pas  dans  une 
matière  coéternelle  à  Dieu,  qu'il  faut  chercher  le  prin- 
cipe du  mal;  il  vient  de  la  défection  du  libre  arbitre, 
il  a  pour  auteur  la  créature  raisonnable.  De  libéra 
arbilrio,  col.  261  sq.  ;  De  resurrect.,  n.  1,  col.  265. 
Même  ensemble  d'attributs  divins.  Même  propension  à 
se  complaire  dans  les  métaphores  de  lumière,  ou  de 
beauté  incréée  et  incorporelle,  qui  n'a  pas  eu  de  com- 
mencement et  ne  peut  subir  d'éclipsé;  voir,  par  exem- 
ple, dans  le  Convivium  decem  virginum,  orat.  vi,  c.  i, 
col.  113.  Même  enseignement  sur  la  possibilité  de  nous 
élever  à  la  connaissance  de  Dieu,  à  l'aide  du  monde 
visible,  et  l'impossibilité  d'atteindre  clairement  ici-bas 
l'Être  suprême,  -b  "O/.  De  libero  arbilrio,  col.  244; 
Convivium,  orat.  vin,  c.  xi,  col.  156.  Si  donc,  comme 
le  dit  Bonwetsch,  p.  5i-,  la  notion  de  Dieu  que  nous 
trouvons  dans  ce  qui  nous  reste  des  écrits  de  saint 
Méthode,  est  «  celle  qui  régnait  dans  la  théodicée 
grecque,  »  il  faut  en  dire  autant,  à  part  les  erreurs 
signalées,  de  la  théodicée  d'Origène. 

auteurs  catholiques.  —  Dom  B.  Maréchal,  O.  S.  n.,  Concor- 
dance des  saints  Përes  de  l'Église,  grecs  et  latins,  Paris,  1739. 
t.  i  et  n;  G.  Lumper,  O.  S.  B.,  Historia  theologico-critica  de 
vila,  scriptis  atque  doctrina  sanctorum  Putrum,  aliorumque 
scriptorum  ecclesiasticorum  trium  primuritm  strculorum , 
Augsbourg,  1783  sq.;  .1.  Schwane,  Histoire  des  dogmes,  t.i.  S  13, 
14,  16,  17,  21;  J.  Rivière,  Saint  Justin  el  les  aj>ologistes  du 
n'  siècle,  Paris,  1907;  .1.  Springl,  Die  Théologie  îles  ht.  Justins 
des  Màrtijrers.  Eine  iogmengeschichtliche  Studie,  n.  :>,  dans 
Theologlsch-praktlsche  Quartalschri/l,  Linz,  1884,  t.  xxxvi, 
p.  778  sq.;  A.  Feder,  S.  J.,  Justins  des  Màrtijrers  Lettre  von 
Jésus  Christus,  Fribourg-en-Brisgau,  1906,  p.  86  sq.,  106  sq.  ; 
J.-A.  Schmit, Saint  lretf.ee  ellesgnostiqv.es,  n.  3,  ilans  la  Revue 
catholique,  Louvain,  1855,  t.  n i u.  p.  558  sq.;  J.  Cognât,  Clé- 
menl  d'Alexandrie,  sa  doctrine  el  su  polémique,  c.  n  et  in, 
Paris,  1859;  V.  Hébert-Duperron,  Essai  Sur  la  polémique  et  la 
de  saint  Clément  d'Alexandrie,  V*  part.,  c.  n, 
Parla,  1855,  p.  201  sq.:  B.  Ruet,  Origeniana,l.  Il,  c.  n,  q.  i, 
/'.  G.,  t.  xvu,  col.  7u5  sq.  ;  F.  Prat,  s.  .1.,  Origène.  Le  théologien 
et  l'exégète,  Paris,  1907. 

auteurs  non  c*  rHOLiQUES.  —  J.  Donaldson,  op.  cit.,  Londres, 
18G6,  t.  ii  et  m;  A.  Harnack,  Lchrbuch  der  Dogmengeschichte, 
t.  i,  p.  485 sq.,  529 sq., 618  sq.  ;  C.  Semlscb,  Justin  der  Màrtyrer. 
Eine  kirchen-un  teschichtliche  Mon 

lau,  1840-1842,  t.  n,  p.  247  sq.;  J.  C.  E.  otto,  DeJustini  marty- 

iptis  ri  doctrina,  léna,  1841,  p.  125  sq.  ;  C  \Vri7s 

Die  Théologie  des  Mnrtyrers  JustinuB,  dans  Juin  hacher  fur 

deutsche    Théologie,   (iotha,    18(i7,  t.  XII,    p.   75   sq.;    M     von 

hardt,  Das  Christenthum  Justin*  des  Hàrtyrers,  hïkin- 

ls78,  p.   127  sq.  ;  P.  Dans  Wimliscli,  Die  Theoditee  d«- 

n  Justin,  Leipzig,  1908;  C.  W.  Steuer, 

mit  ihren  Beriïhrun- 

genindergriechischen  Philosophie,  lénsL,iSS2    1    \  Clarisse, 

nentatio  ad  ./"■•»■  venerabili  ordine  theot 

rum  1  ilavorum  a.  t8ié  De  A  Iheti  ■ 

vita  et  scriptis....  dans  Annales  Aeademim  Lugduno-Batavœ, 

1819,  t.    iv ;    P.    Logothetes,    'H    I 
Lelp&ig,  1898;  K,  1  .  Bauer,  Die  Lehre  des    Uhenagora 
Einheit  und  D  1905  ;  O.  Q 

on  Antiochia.   t  bhandlung 
tiiiii    Jahresberii  s    tu 

istern  1896,    \     Pommrlch 
Mlus  en».  I 

1904  .  11   Zlegler,  '-  enàu 

rur     Entstehung  der     altkatholischen     h 

II-  pari.,  Berlin,  1871,  ]  I 

1891  ;  C.  Bigf    Tu  I  Uonlsts  o/ 


1055 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES 


105G 


lect.  iv-vi,  Origène  ;  S.  Thomasius,  Origenes.  Ein  Beytrag  zur 
Dogmengeschiehte  des  dritten  Jahrhunderts,  Nuremberg, 
183";  F.  B.  (iass.  De  Deiindole  cl  attributie  Origenes  guid 
doeaerit,  Breslau,  1888;  E.   R.  Uedepenning,  Origenes.  Ki»*1 

Darstellung  seines  Lebens  und  seiner  Lehre,  Bonn.  1846,  t.  i, 
]).  103  sq.  (doctrine  de  Clément  d'Alexandrie);  t.  n,  p.  277  sq. 
(doctrine  d'Origène);  P.  Vischer,  Commentatiu  de  Origenis 
theologia  et  cosmologia,  Halle,  1848  ;  .1.  Dartigue,  Essai  sur  la 
théodicée  d' Origène,  Genève,  1*73  ;  W.  Falrweather,  Origen 
and  Greek  Patristic  Theology,  c.  vi,  Edimbourg,  1901; 
N.  Bonwetsch,  Die  Théologie  des  Methodius  von  Olympus, 
dans  Abhandlungen  der  kônigl.  Gesellschaft  der  Wissen- 
schaften  :u  GiMingen.  Philologisch-historische  Klasse,  nonv. 
série,  Berlin,  1903,  t.  vu,  n.  1.  —  Les  ouvrages  qui  traitent 
directement  des  rapports  entre  la  théodicée  des  Pères  et  la 
philosophie  seront  cités  plus  loin. 

2.  xipologistcs  latin^—  La  patristique  occidentale 
est  beaucoup  mÔTnslTche  que  l'orientale  pour  toute  cette 
période.  Les  noms  marquants  sont  ceux  de  Minucius 
Félix  et  de  Tertullien.  En  supposant  l'antériorité  du 
premier,  je  me  conforme  à  l'opinion  dominante  des 
érudits  :  A.  Ehrhard,  Die  altchristliche  Litleratur 
und  ihre  Erforschung  von  1884-1000,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1900;  Bardenbewer,  Geschichte  deraltchristli- 
chen  Litteralur ,  Fribourg-en-Brisgau,  1902,  t.  I,  p.  312- 

a)  Minv£ixiS.Eâlix.  —  L'élégant  dialogue  qui  porte 
le  titre  $  Octavius,  P.  L.,  t.  m,  col.  231  sq.,  et  qu'on 
fait  assez  communément  remonter  aux  débuts  du  règne 
de  l'empereur  Commode  (180-192),  nous  intéresse 
doublement  ;  par  l'attaque  qu'il  rapporte,  et  par  la 
défense  qu'il  présente.  L'adversaire,  le  païen  Cécilius, 
commence  par  professer  une  sorte  d'agnosticisme  en 
ce  qui  concerne  la  connaissance  de  Dieu  :  absil  ab 
exploratione  divina  huniana  mediocritas,  etc.,  c.  VI, 
col.  245;  puis  il  s'en  prend,  entre  autres  choses,  au  Dieu 
des  chrétiens,  r  ce  Dieu  qu'ils  ne  peuvent  ni  montrer 
aux  autres  ni  voir  eux-mêmes;  Dieu  qui  scruterait 
minutieusement  les  mœurs,  les  actions,  les  paroles  et 
les  pensées  les  plus  intimes  de  tous,  courant  apparem- 
ment de  ci  et  de  là,  pour  être  présent  partout;  Dieu 
importun,  remuant,  imprudemment  curieux,  »  c.  x, 
col.  265.  Dieu  d'ailleurs  impuissant  ou  inique,  puisqu'il 
laisse  souffrir,  comme  on  le  voit,  la  majeure  et  la  meil- 
leure partie  de  ses  adeptes,  c.  XII,  col.  271. 

Dans  sa  défense,  Octavius  reste  constamment  sur  le 
terrain  de  son  adversaire,  celui  de  la  philosophie  et 
de  la  littérature  profane.  Il  établit  d'abord  par  l'argu- 
ment, devenu  classique,  des  causes  finales,  l'existence 
d'un  Dieu,  m  Seigneur  et  père  de  l'univers,  plus  beau 
que  les  astres  et  tout  ce  que  le  monde  contient,  » 
c.  xvii-xviii,  col.  284  sq.  L'unité  divine,  fondée  sur  des 
considérations  d'ordre  politique  ou  de  bon  sens,  l'amène 
à  compléter  sa  notion  de  l'Etre  suprême  :  «  Évidem- 
ment, Dieu,  le  père  de  toutes  choses,  ne  saurait  avoir 
ni  commencement  ni  fin,  lui  qui  donne  à  tous  les 
autres  êtres  l'existence,  et  est  de  lui-même  éternel;  lui 
qui,  avant  le  monde,  se  tenait  lieu  de  monde;  lui  dont 
la  parole  fait  naître,  la  raison  gouverne  et  la  vertu 
soutient  tout  ce  qui  est.  On  ne  peut  le  voir,  il  est  trop 
brillant;  ni  le  saisir,  il  est  trop  pur;  ni  l'apprécier, 
il  est  au-dessus  de  toutes  nos  conceptions;  infini, 
immense,  seul  à  connaître  toule  sa  grandeur.  Notre 
cœur  à  nous  est  trop  étroit  pour  le  comprendre;  aussi 
c'est  en  le  proclamant  inestimable  que  nous  l'estimons 
dignement...  Ne  lui  cherchez  pas  de  nom;  il  s'appelle 
Dieu.  Il  faut  des  noms  quand,  dans  une  multitude,  on 
veut  distinguer  chaque  individu  par  une  appellation 
qui  lui  soit  propre;  Dieu  est  seul,  le  nom  de  Dieu 
suffit.  Si  je  l'appelais  père,  on  pourrait  le  croire  charnel; 
si  roi,  on  pourrait  le  supposer  terrestre;  si  seigneur, 
on  pourrait  le  juger  mortel.  Supprimez  tout  cet  appa- 
reil de  noms,  et  vous  verrez  sa  clarté,  »  c.  xvtn, 
col.  290  sq.  Est-ce  à  dire  que  l'apologiste  réprouve 
absolument  ces  appellations  et  autres  semblables".'  Ce 


serait,  de  sa  part,  une  contradiction  manifeste,  puis- 
qu'il s'en  sert  couramment.  Sous  une  forme  oratoire, 
il  veut  donc  seulement  les  déclarer  inaptes  à  dénommer 
proprement  l'Etre  Bupréme.  S  il  excepte  le  nom  même 
de  Dieu,  ce  n'est  pas,  semble-t-il,  pour  la  signification 
l'iMnologique  du  mot,  qu'il  laisse  inexpliquée,  mais 
pour  l'usage  qui  lui  a  donné  la  valeur  pratique  d'un  nom 
propre  ou  du  moins  réservé.  C'est  dans  le  même  esprit 
que  Minucius  voit  comme  un  hommage  rendu  à  l'unité 
divine  dans  ces  exclamations  spontanées  :  «  Dieu!  Dieu 
est  grand,  Dieu  est  vrai,  si  Dieu  le  veut.  »  Doctrine 
qu'il  s'efforce  ensuite  de  confirmer  par  des  témoignages 
de  poètes  et  de  philosophes;  au  fond  de  leurs  concep- 
tions sur  Dieu,  on  retrouve  l'unité,  c.  xix,  col.  292  sq. 
La  réponse  aux  attaques  de  Cécilius  complète  la  théo- 
dicée de  Minucius  Félix.  La  première  était  tirée  de 
l'invisibilité  divine.  «  Le  Dieu  que  nous  honorons, 
pond  Octavius,  nous  ne  pouvons  ni  le  montrer  ni  le 
voir;  mais  nous  le  croyons  Dieu,  parce  que  nous  pou- 
vons le  connaître,  quoiqu'il  soit  invisible.  Dans  ses 
œuvres,  en  effet,  et  dans  le  mouvement  du  monde  nous 
découvrons  sa  vertu  toujours  présente.  »  Après  avoir 
proposé  diverses  analogies,  Octavius  conclut  :  «  Vous 
voudriez  voir  Dieu  de  vos  yeux  charnels,  alors  que  votiv 
âme  même  qui  vous  fait  vivre  et  parler,  vous  ne  sauriez 
la  voir  ni  la  toucher!  »  c.  xxxu,  col.3i0.  Le  païen  avait 
encore  objecté  que  Dieu,  fixé  au  ciel,  ne  pouvait  se 
trouver  auprès  de  tous  les  hommes  ni  connaître  chacun 
en  particulier  :  «  Erreur,  réplique  l'apologiste.  Com- 
ment Dieu  pourrait-il  être  loin  de  nous,  puisqu'il 
remplit  le  ciel,  la  terre  et  tout  ce  qu'il  peut  connaître 
en  dehors  de  ce  monde?  Non  seulement  il  est  partout 
auprès  de  nous,  mais  il  nous  est  immanent  :  ubique 
non  tantum  nobis  proximus,  sed  infusws  est.  Si  le 
soleil,  fixé  au  ciel,  pénètre  cependant  en  tous  lieux  et 
se  mêle  à  tout,  sans  que  jamais  sa  clarté  en  soit  atteinte, 
à  combien  plus  forte  raison  Dieu  qui  a  fait  et  qui  voit 
toutes  choses,  pour  qui  rien  n'est  secret,  sera-t-il  présent 
dans  les  ténèbres  et  jusque  dans  ces  autres  ténèbres  que 
sont  nos  pensées!  Non  seulement  nous  agissons  sous 
son  regard,  mais  c'est  avec  lui.  dirai-je  presque,  que 
nous  vivons.  »  Jbid.,  col.  311.  Enfin  l'objection  tir.-e 
des  souffrances  des  martyrs  reçoit  cette  réponse  :  On 
n'a  le  droit  de  s'en  prendre  ni  à  la  puissance  de  Dieu 
ni  à  sa  providence.  S'il  laisse  souffrir  les  siens,  c'est  à 
titre  d'épreuve  et  pour  les  couronner  ensuite,'  c.  XXXVI, 
col.  351.  «N'est-ce  pas  un  beau  spectacle,  et  digne  de  Dieu, 
de  voir  un  chrétien  aux  prises  avec  la  douleur,  braver 
la  mort  et  les  bourreaux,  rester  maître  de  lui  en  face 
des  rois  et  des  princes,  et  triompher  du  juge  même  qui 
vient  de  prononcer  la  sentence?  »  c.  xxxvn,  col.  352. 

b)  Tertullien  n'est  pas  seulement  apologiste,  comme 
Minucius  Félix;  il  est  encore,  comme  saint  Irénée,  con- 
troversiste  défendant  la  foi  catholique  contre  les  dé- 
viations de  l'hérésie.  Sous  les  deux  rapports,  il  présente 
des  écrits  qui  intéressent  la  théodicée.  Tel,  en  parti- 
culier, dans  l'œuvre  de  l'apologiste,  VApologelics 
adversus  gentes  pro  christianis  (fin  de  197),  P.  L., 
t.  i,  col.  257,  l'opuscule  De  testimonio  animm  (entre 
197  et  200),  ibid.,  col.  607.  et  les  deux  livres  Ad  natio- 
nes  (197);  dans  la  controverse  dogmatique,  le  Liber 
adversus  Praxeam  (après  213),  P.  L.,  t.  H,  col.  151 
et  surtout  les  deux  ouvrages  antidualistes,  Adversus 
Hermogenem  (entre  200  et  206),  ibid.,  col.  195.  et 
Adversus  Marcio>ie>n  (vers  207-208),  ibid.,  col.  239. 

Les  preuves  dont  l'apologiste  africain  se  sert  pour 
établir  l'existence  d'un  Dieu  créateur,  sage,  bon  et 
juste,  sont  assez  connues  pour  qu'il  suffise  de  les  men- 
tionner ici.  Voir  A.  d'Alès,  c.  n.  $,  l,p.  37  sq.  Deux  ap- 
paraissent au  premier  plan  :  d'abord,  la  considération 
des  œuvres  de  Dieu  si  nombreuses  et  si  grandes,  «  qui 
nous  entourent,  qui  nous  soutiennent,  qui  nous 
charment,    et  même   qui  nous  terrifient  :  e.r  operibus 


1057 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES) 


1058 


ipsius  tôt  et  talibus,  quibus  continemur,  quibus  sus- 
tinemur,  quibus  oblectamur,  etiam  quibus  exterre- 
mur;  puis,  le  témoignage  de  l'âme  humaine,  ex  ani- 
mée ipsius  testimonio,  témoignage  dont  Tertullien  voit 
une  expression  dans  ces  exclamations  qui  sortent 
comme  spontanément  de  toutes  les  lèvres  :  Dieu! 
grand  Dieu!  Dieu  bon!  plaise  à  Dieu!  etc.  Apolog., 
c.  xvn,  col.  376  sq.  Sur  cette  dernière  preuve,  voir 
aussi  De  testimonio  animée,  c.  i,  col.  616,  et  De  anima, 
c.  xli,  P.  L.,  t.  ii,  col.  720;  car  Tertullien  attache 
beaucoup  d'importance  à  ces  notions  primitives  de 
l'àme  qui  nous  font  aller  comme  d'inslinct  vers  le 
Dieu  grand,  bon  et  juste.  C'est  à  ces  deux  sources  de 
connaissance  naturelle,  la  raison  s'appliquant  à  la 
considération  du  monde  extérieur  et  la  conscience 
parlant  au  dedans,  que  l'apologiste  emprunte  la  notion 
de  Dieu  qu'il  prend  pour  point  de  départ  de  son  argu- 
mentation; par  exemple,  notion  d'un  être  suprême 
dont  la  nécessité  s'impose  même  aux  païens,  pour 
l'explication  de  leurs  divinités  subalternes,  démonstra- 
tion ad  hominem,  mais  propre  à  disposer  les  esprits  à 
la  conception  du  Dieu  unique,  Apolog.,  c.  xi,  col.  332; 
notion  de  l'être  souverainement  grand, summum  mag- 
num, éternel,  incréé,  etc.,  Adv.  Marc.,  n,  3,  col.  249, 
ou  encore,  notion  du  créateur.  Dieu  étant  la  cause  pre- 
mière de  tous  les  êtres  qui  sont  en  dehors  de  lui,  doit 
posséder  par  lui-même  non  seulement  l'existence, 
mais  toutes  les  perfections  sans  ombre  d'imperfection  : 
Imperfectum  non  potuit  esse,  quod  perfecit  omnia. 
Apolog.,  c.  xi.  col.  334  ;  cf.  Adv.  Marc,  i,  24,  col.  274: 
perfeclus  in  omnibus. 

La  transcendance  et  l'incompréhensibilité  divines 
suivent  naturellement.  Tertullien  les  énonce,  en  style 
paradoxal,  dans  un  passage  où  diverses  conceptions  de 
saint  Irénée  et  de  Minucius  Félix  semblent  combinées 
et  où  résonnent  quelques  notes  de  la  théologie  néga- 
tive :  «  Dieu  est  invisible,  bien  qu'on  le  voie  [par 
l'esprit],  invisibilis,  etsi  vidcatur;  inaccessible,  bien 
que  notre  intelligence  nous  le  rende  présent,  incompre- 
hensibilis,  etsi  pcr  gratiam  reprsesentetur ;  inconceva- 
ble, bien  que  notre  intelligence  s'en  fasse  quelque  idée, 
inœstimabilis,elsi  hutnan i s sensibus  seslimetur  ;et c'est 
pour  cela  qu'il  est  vrai  et  si  grand,  ideo  verus  et  tan  tus 
est...  Ce  qui  nous  fait  apprécier  Dieu,  c'est  précisé- 
ment l'impuissance  où  nous  sommes  de  l'apprécier 
[dignement].  Ainsi  sa  grandeur  a-t-elle  pour  elfet  d'en 
foire  pour  les  hommes  quelque  chose  de  connu  et 
d'inconnu  à  la  fois.  C'est  ce  qui  rend  inexcusables 
ceux  qui  refusent  de  le  reconnaître,  alors  qu'ils  ne 
peuvent  l'ignorer.  »  Apolog.,  c.  xvn,  col.  375. 

L'unité  de  Dieu  ressort  des  principes  énoncés.  Elle 
est  spécialement  affirmée  dans  le  Liber  advenu» 
Praxeam,  précisément  à  cause  de  l'obstacle  apparent 
que  présentait  la  trinitédes  personnes  divines,  défendue 
par  Tertullien  contre  Praxéas  et  ses  partisans.  Au  mot 
d'ordre  de  ces  hérétiques  Monarchiam  tenemus,  il 
réplique  :  Nous  aussi  nous  croyons  en  un  seul  Dieu, 
unicum  quidem  Deum  credimus;  mais  sans  préjudice 
de  la  distribution  ou  distinction  des  personnes  :  et 
nihilominui  cuslodiatur  monomise  sacrameuium 
quœ  unitatem  in  trinitatem  disponil,  c.  il,  col.  156. 
Si  l'unité  demeure  avec  la  trinité,  c  ■  si  que  dans  cette 
distribution  ou  distinction  des  personnes,  il  n'y  a  mul- 
tiplication ni  de  substance,  nid.  rau-.  m  de  puissance: 
uniiM  aulem  substantiœ,  et  unius  status,  et  uniu» 
.  quia  unm  Deu  Ibid.  i  n  .1  auln  -  termes, 
M  principal  de  la  multiplication  trinitaire  le  trouve 
en  dehors  de  ce  qui  constitue  Dieu  comme  tel,  c  • 
dire  en  dehors  de  la  substance  ou  nature  d 

il  surtout  'i  m  antignostiquei  que 

Tertullien,  comme  sainl  Irénée,  traite  la  question  ca- 
pitale de  l  unit     'ii  ine    m  ii     d  uni  façon    : 

DICT.    HE  THÉOL.   CATH0L. 


que  dans  la  controverse  polythéiste,  puisqu'il  s'agit  alors 
de  l'unité  de  Dieu  considéré  non  seulement  comme 
principe  premier  et  unique  de  toutes  choses,  mais  en- 
core comme  législateur  et  rédempteur,  comme  auteur 
de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament.  Le  rhéteur  afri- 
cain se  place  d'abord  sur  le  terrain  de  la  raison.  11 
trouve  l'unité  dans  la  notion  même  de  Dieu,  l'r.tre  sou- 
verainement grand  :  Non  aliter  Deus,  tiisi  summum 
magnum;  nec  aliter  summum  magnum,  nisi  parcm 
non  habens:  nec  aliter  parem  non  habens,  nisi  uni- 
ons fuerit.  Dieu  est  un,  ou  il  n'est  pas.  Adv.  Marc, 
i,  3,  col.  250.  Puis,  dans  de  vigoureux  chapitres,  il 
poursuit  l'antithèse,  absurde  en  principe  et  fausse  dans 
la  réalité,  que  Marcion  prétendait  établir  entre  un  Dieu 
de  justice  et  un  Dieu  de  bonté.  Le  vrai  Dieu  est  à  la 
fois  bon  et  juste,  aussi  nécessairement  juste  que  bon, 
les  deux  attributs  devant  s'allier  en  lui  :  quia  bonitas 
nisi  justifia  regalur,  ut  justa  s'il,  non  erit  bonitas, 
si  injusta  sit,  c.  xi,  col.  298.  Et  pour  défendre  Dieu 
tel  que  l'économie  mosaïque  le  représente,  Tertullien 
explique  et  justifie  telles  mesures  qui,  à  première  vue, 
pourraient  sembler  barbares  ou  capricieuses,  c.  XVIII sq. 
Knlin,  comme  saint  Irénée,  mais  plus  en  détail,  il  fait 
la  concordance  des  deux  Testaments,  spécialement  en 
ce  qui  concerne  la  vie  du  Christ,  dont  toute  la  trame 
n'est  que  la  réalisation  d'anciennes  prophéties.  Là, 
évidemment,  l'Écriture  peut  et  doit  être  invoquée. 
Tertullien  dit  même  à  ce  propos  que  le  chrétien  apprend 
à  connaître  Dieu  à  l'école  non  des  philosophes  et 
d'Épicure;  mais  des  prophètes  et  de  Jésus-Christ  : 
Deum  nos  a  prophetis  et  a  Christo,  non  a  pltilosopliis 
nec  ab  Epicuro,erudimur,  n,  16,  col.  303.  Idée  ren- 
forcée ailleurs  :  «  Qui  connaît  Dieu  sans  le  Christ?  et 
qui  connaît  le  Christ  sans  l'Esprit-Sainl '?  »  De  anima, 
c.  i,  P.L.,  t.  n,  col.  647.  Il  s'agit  alors  d'une  connais- 
sance non  quelconque,  mais  parfaite,  ou  du  moins  su- 
périeure de  Dieu.  Ces  passages  et  autres  semblables 
laissent  intacte  la  doctrine  expresse  du  docteur  afri- 
cain sur  la  double  source  où  l'homme  puise  sa  con- 
naissance de  Dieu  :  Nos  de/inimus  Deum  primo  na- 
lura  cognoscendum ,  dehinc  doclrina  recognoscendum  ; 
nalura  ex  operibus,  doclrina  ex  prœdicatiouibiis. 
Adv.  Marc,  i,  18,  col.  266.  Cf.  Apolog.,  c.  xvm. 
col.  377  :  i>ed  quo  plenius  et  impressius  tam  ipsum 
[quani]  dispositiones  ejus  et  voluntates  adiremus, 
imtrumentum  adjccit  litteralurx.  Voir  Stier,  Der 
specielleGoltesbegrill   Tcrtiillians,  p.  14. 

Le  délicat  problème  du  péché  et  du  mal  faisait  partie 
intégrante  de  la  controverse  antignostiquc,  soit  que  l'ad- 
versaire fût  Marcion  qui  dédoublait  les  dieux  comme 
les  Testaments,  soit  qu'il  fût  Hermogène  recourant  à 
l'hypothèse  d'une  malière  incréée,  pour  expliquer  la 
nce  du  mal  dans  le  monde.  Ce  n'est  pas  le  lien 
de  développer  cette  question,  bien  que  des  auteurs  ré- 
cents, comme  Schul/.e  (voir  bibliographie), n'entendent 
pas  autre  chose  dans  leurs  études  sur  la  théodicée  de 
Tertullien.  Quelques  détails  seulement  vont  droit  au 
but  du  présent  article.  Marcion  partait  du  fait  histo- 
rique de  la  chute  primitive  pour  mener  sa  campagne 
contre  le  Dieu  de  l'Ancien  Testament  :  S'il  était  le 
Dieu  bon,  prescienl  de  l'avenir  et  capable  de  prévenir 
l«'  mal, comment  aurait-il  pu  permettre  <|ut'  l'homme, 

son  image,  fùl  tenté  par  le  diable  et  induit  à    la  '< 

mce  qui  causa  sa  mort  ?  »  Adv.  Mn, ,-..  n.  5,COl 
i  ■  i  lui  lien  commence  par  revendiquer  i  nergiquemenl 
pour  Dieu  les  attributs  nommés  par  ion  adversaire 
la  bonté,  dont  témoignenl  .is^v  les  œuvres  de  Mien. 

i.'iuii.     .n  elles-mé ■-.  ./»"  bona,  la  pi  don) 

témoignenl  également  ces    œuvre  odes,  qua 

imiiii .  la  pi  lont  témoigne  chacun  des  proph 

qualanlot  habet  lestet,quantot  fecit  r  bid., 

col.2B0;cf  .1/. <.'<"/,.    ut,  col  981     Idoneum,  opti 

.'m  ./..  inil  nalionit  M. us  Dieu 

iv.  -  :ii 


1059 


DIEU    (SA    NATURE   D'APRÈS    LES    PÈRES] 


1060 


voulut  l'homme  libre,  maître  et,  par  conséquent,  res- 
ponsable de  ses  actes;  c'était  le  faire  à  son  image.  La 
permission  du  péché,  défaillance  du  libre  arbitre  de 
la  créature,  était  une  conséquence  de  cette  institution, 
en  elle-même  bonne  et  bienveillante.  Ni  la  bonté,  ni  la 
prescience,  ni  la  puissance  divine  ne  sont  en  cause; 
c'est  sur  son  fait,  et  non  celui  de  l'homme  qu'il  faut 
juger  Dieu.  Adv.  Marc,  il,  6,  col.  291  sq. 

Tertullien  avait  encore  d'autres  griefs  contre  le  dua- 
lisme matérialiste  d'Hermogène.  Avant  même  d'aborder 
la  thèse  fondamentale  de  cet  hérétique  sur  le  caractère 
intrinsèquement  mauvais  de  la  matière,  il  montre  l'in- 
compatibilité qui  existe  entre  l'hypothèse  d'une  matière 
incréée,  et  la  vraie  notion  de  Dieu;  c'est  méconnaître 
celui-ci  que  de  nier  son  indépendance  absolue  et  de 
communiquera  la  matière  un  attribut  qui  lui  est  propre, 
c.  n  sq.,  P.  L.,  t.  il,  col.  198  sq.  Un  raisonnement  pré- 
senté par  Hermogène  et  la  réponse  qu'il  reçoit  méritent 
une  attention  spéciale.  Dieu,  disait  ie  gnostique,  a  tou- 
jours été  non  seulement  Dieu,  mais  Seigneur,  Deum 
semper  Deum  etiam  Dominum  fuisse;  comment  se- 
rait-il éternellement  Seigneur,  sans  une  matière  qui 
lui  soit  coéternelle  et  sur  laquelle  il  puisse,  en  consé- 
quence, toujours  exercer  un  domaine  actuel?  Tertullien 
répond  :  Les  termes  Dieu  et  Seigneur  ne  sont  pas  assi- 
milables. Le  premier  convient  à  Dieu  pris  en  lui-même 
et  pour  lui-même,  par  conséquent  toujours  :  Dei  no- 
men  dicimus  semper  fuisse  apud  semetipsum  et  in 
semetipso;  et  cela,  parce  qu'il  désigne  la  substance 
même  de  Dieu,  ou  la  divinité:  Deus  substantim  ipsius 
nomen,  id  est  divinitatis.  (Contre  la  signification  tirée 
du  verbe  6éeiv,  voir  Ad  nationes,  n,  4,  col.  590  sq.)  Il 
en  va  tout  autrement  du  mot  Seigneur  ;  il  ne  désigne 
pas  la  substance,  il  se  rapporte  à  la  puissance  divine, 
considérée  non  pas  absolument,  telle  qu'elle  fut  tou- 
jours en  Dieu,  mais  relativement,  dans  son  exercice, 
temporel  et  contingent  :  Dominus  vero  non  substantix, 
sed  potcstatis  substantiam  semper  fuisse  cum  suo 
nomine,  quod  est  Deus,  postea  Dominus,  accedentis 
scilicet  rei  nientio,  c.  m,  col.  199.  Réponse  perfectible, 
assurément,  mais,  telle  quelle,  remarquable  et  d'une 
grande  portée,  pour  cette  distinction  fondamentale 
entre  les  dénominations  absolues  et  les  dénominations 
relatives  qu'elle  contient  en  termes  équivalents.  En 
outre,  cette  réponse  permet  d'interpréter  bénignement 
la  pensée  de  Tertullien  dans  deux  passages  où,  s'aban- 
donnant  à  une  argumentation  fougueuse  contre  Marcion, 
il  semble  ne  pas  vouloir  en  Dieu  d'une  nature  et  d'une 
bonté  inactive.  Adv.  Marc,  1,  12,  22,  col.  259,  271. 
Cf.  Petau,  1.  III,  c.  n,  n.  6. 

De  tout  cet  ensemble  résulte  une  doctrine  ferme  et 
précise  sur  beaucoup  de  points.  Il  y  a  pourtant  des 
exceptions;  trois,  en  particulier,  doivent  être  signalées. 
Les  théophanies  de  l'Ancien  Testament  sont  toutes 
rapportées  à  la  seconde  personne  de  la  Trinité  en  des 
termes  qui  rappellent  la  doctrine  de  saint  Justin  sur 
la  transcendance  absolue  de  Dieu  le  Père,  et  même 
sur  son  existence  extracosmique,  à  ne  considérer 
que  cette  incise  singulière  :  in  quo  omnis  locus,  non 
ipse  in  loco ;  qui  universitatis  ext renia  linea  est. 
Adv.  Praxeam,  c.  XVI,  col.  175.  Le  correctif  se  trouve 
dans  les  passages  où  Tertullien  affirme  non  seulement 
l'omniscience  de  Dieu,  sub  Deo  omnium  speculalore, 
Apolog.,  c.  xi.v,  col.  500,  mais  encore  son  ubiquité  : 
Deum  ergo  exislimo  ubique  notuni,  ubique  prœsenlem, 
ubique  dominanlem.  Ad  nationes,  il,  8,  col.  595.  L'ac- 
centuation de  la  toute-puissance,  identifiée  avec  la  vo- 
lonté divine  :  Dei  enim  posse,  velle  est,  Adv.  Prax., 
c.  x,  col.  100,  garde  quelque  chose  de  vague,  par  trop 
de  généralité,  comme  dans  cette  assertion  :  Deo  nihil 
impossibilc,nisi  quod  nonvult,  De  carne  Cltrisli,  c.  ni, 
t.  il,  col.  756;  ou  quelque  chose  d'équivoque,  par  la 
hardiesse  de  l'expression,  comme  dans  cette  autre  phrase, 


dite  de  Dieu  le  Père,  et  que  Petau,  1.  Y,  c.  vi,  n.  6, 
serait  tenté  de  prendre  pour  une  réponse  ad  hominem  : 
Sivoluit  semetipsum  sibi  filium  facere,  potuit.  Adv. 
Prax.,  ibid.  Par  ailleurs,  Tertullien  tient  que  tout 
est  raisonnable  en  Dieu  :«tcu/  naluralia,ita  rationalia 
esse  debere  in  Deo  omnia,  Adv.  Marc,  i,  23,  col.  272; 
et  il  affirme  expressément  qu'en  réalité  Dieu  n'a  pas 
fait  tout  ce  qu'il  aurait  pu  faire  :  Non  autem  quia 
omnia  polesi  facere,  ideo  ulique  credendum  est  illum 
fecisse,  etiam  quod  non  fecerit  ;  sed  an  fecerit,  requi- 
rendum.  Adv.  Prax.,  ibid.  Les  textes  ambigus  peuvent 
donc  signifier  simplement,  comme  on  l'a  déjà  dit  pour 
Atbénagore,  que  Dieu  peut  faire  tout  ce  qui  rentre  dans 
l'orbite  normale  de  sa  volonté. 

Beaucoup  plus  délicate  est  la  question  de  la  spiritua- 
lité divine  :  Quis  negabit  Deum  corpus  esse,  etsiDeus 
spiritus  est?  Spiritus  enim  corpus  sui  generis  in  sua 
ef/igie.  Adv.  Prax.,  c.  vu,  col.  162.  Ainsi  «  Dieu  est 
corps,  bien  qu'il  soit  esprit;  car  l'esprit,  en  sa  propre 
forme,  est  un  certain  corps.  »  Assertion  complexe  et 
déconcertante,  d'autant  plus  que  des  deux  séries  de 
textes  relatifs  au  mot  spiritus,  qu'on  trouve  dans  Ter- 
tullien, les  uns  rangent  les  esprits  dans  la  catégorie 
des  corps,  et  les  autres  décrivent  leur  nature  et  leur 
opération  en  termes  d'un  matérialisme  prononcé.  Voir 
A.  d'Alès,  p.  61  sq.  A  la  vérité,  le  docteur  africain  nous 
avertit  de  ne  pas  confondre  Dieu  et  l'homme  sous  le 
rapport  de  la  substance,  des  facultés,  des  sentiments, 
quoiqu'on  les  désigne  sous  le  même  nom  dans  la 
sainte  Écriture,  «  Ainsi,  nous  entendons  parler  de  la 
droite,  des  yeux,  des  pieds  de  Dieu,  mais  il  ne  s'en- 
suit pas  qu'on  les  compare  aux  organes  qui,  chez  nous, 
portent  le  même  nom.  Autant  le  corps  de  Dieu  diffère 
du  corps  de  l'homme,  quanta  erit  diversitas  divini 
corporis  et  humant,  malgré  la  similitude  du  langage, 
autant  les  sentiments  de  Dieu  diffèrent  des  sentiments 
de  l'homme.  »  Adv.  Marc,  n,  16,  col.  303.  Dieu  n'a 
donc  pas  un  corps  comme  le  nôtre,  ni  des  passions 
comme  les  nôtres.  Il  n'en  reste  pas  moins  que  l'ex- 
pression de  corps  divin  est  maintenue  dans  ce  pas- 
sage et  que,  plusieurs  fois,  Tertullien  suppose  mani- 
festement l'existence  en  Dieu  du  sentiment  de  la  colère 
et  de  la  vengeance.  Adv.  Marc,  i,  26;  u,  16,  col.  277. 
304,  etc.;  cf.  Petau,  1.  III,  c.  il,  n.  15.  Ne  faut-il  voir 
dans  le  terme  latin  de  corpus  qu'un  synonyme  de  sub- 
slance,  de  réalité ,  d'après  l'explication  proposée  par 
saint  Augustin,  De  hxresibus,  lxxxvi,  P.  L.,  t.  xlii. 
col.  46  sq.,  et  suivie  par  beaucoup  d'autres,  spéciale- 
ment par  J.  Pamelius,  Paradoxa  Tertulliani,  n.  15  et 
16,  et  par  dom  Le  Xourrv.  Dissert,  in  Apologeticum, 
c.  vu,  a.  3,  P.  L.,  t.  i,  col.  192,  811  sq.'?  Ou  faut-il  re- 
connaître que  Tertullien  n'a  pas  réussi  à  se  dégager 
pleinement  d'une  conception  matérialiste  de  Dieu,  dont 
l'existence  à  cette  époque  nous  est  garantie  par  divers 
indices,  en  particulier  par  les  attaques  d'Origène?Tout 
en  faisant  bénéficier  Tertullien  d'une  interprétation 
bénigne,  Petau  finit  cependant,  1.  II.  c.  1.  n.  7.  par  ac- 
corder que  son  langage  laisse  à  désirer.  Les  plus  ré- 
cents travaux  sur  l'apologiste  africain  ont  montré  tout 
ce  que  la  seconde  hypothèse  a  de  vraisemblable,  soit 
qu'on  explique  le  fait  uniquement  par  une  inlluence 
judéo-chrétienne,  comme  Stier,  op.  cit.,  p.  30  sq.,  soit 
qu'on  tienne  compte,  en  outre,  comme  A.  d'Alès, 
p.  65,  du  fonds  d'idées  que  Tertullien  tenait  de  son 
éducation  première,  stoïcienne.  La  conception  de  Dieu 
comme  summum  magnum  a  même  été  rattachée  à  ce 
courant  d'idées  par  quelques  écrivains,  par  exemple 
G.  Rausch,  p.  43,  et  G.  Schelowsky,  p.  64.  Voir  biblio- 
graphie à  la  fin  de  l'article. 

c)  Sa'uit  Hippolyle  de  Rome  n'offre  rien  de  notable 
sur  la  nature  de  Dieu,  dans  les  œuvres  qui  portent  son 
nom.  P.  G.,  t.  x,  col.  583  sq.  L'unité  divine,  maintenue 
à  la  base  de  la  Trinité,  est  fondée  sur  les  saintes  Écri- 


1061 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS   LES   PÈRES) 


1062 


tures  :  Unus  Deus  est,  quem  non  aliunde,  fratres, 
agnoscimus,  quam  ex  sanctis  Scripturis.  Contra  hse- 
resim  Noeti,  n.  9,  col.  815.  La  toute-puissance  est  très 
fortement  accentuée  :  Illud  enim  possibile,  hoc  vero 
possibile,  non  dicetur  de  Deo.  Liber  adv.  Grsecos, 
n.  2,  col.  799.  La  volonté  divine,  souverainement  effi- 
cace, immensm  virtutis,  De  theologia  et  incarnat., 
n.  1,  col.  830,  est  présentée  comme  acte  pur  :  Velle 
habet  Deus,  non  autem  non  velle;  l'alternative  de  ces 
deux  termes  :  vouloir  et  ne  pas  vouloir,  suppose  un 
être  mobile  et  qui  procède  par  voie  d'élection,  hoc 
enim  vertibilis  est  et  eligentis.  Fragm.,  n,  col.  862. 
Les  Philosophumena,  composés  après  le  pontificat  de 
saint  Callixte  (f  222),  et  communément  attribués  à  saint 
Hippolyte,  ajoutent  quelques  traits;  carie  dessein  de 
montrer  que  les  élucubrations  des  bérétiques  dérivent 
de  la  sagesse  antique,  amène  l'auteur  de  ce  livre  à  par- 
ler çà  et  là  des  conceptions  erronées  sur  Dieu  qu'il 
rencontre  ou  croit  rencontrer  chez  les  principaux  phi- 
losophes païens.  Sa  critique  n'est  pas  toujours  sans 
appel,  par  exemple  quand  il  voit  dans  le  Dieu-néant  de 
Basilide  un  fruit  de  l'abstraction  aristotélicienne,  1.  VII, 
n.  19,  21,  P.  G.,  t.  xvi,  col.  3302  sq.  A  ces  erreurs  il 
oppose,  1.  X,  n.  32,  col.  3445,  la  notion  d'un  Dieu 
unique,  créateur  et  maître  de  toutes  choses,  qui  n'a  eu 
rien  de  coéternel,  sauf  dans  sa  prescience  et  sa  volonté. 
11  engendra  son  Verbe,  d'abord  à  l'état  de  pensée  inté- 
rieure, puis  comme  une  voix  extérieure,  quand  il  vou- 
lut créer  par  son  entremise.  Comparer  Contra  hsere- 
sim  Noeli,  n.  10,  P.  G.,  t.  x,  col.  818.  La  création, 
œuvre  du  Dieu  bon,  ne  contient  rien  que  d'honnête  et 
de  bon,  bonus  enim  qui  facit;  l'homme,  abusant  de 
son  libre  arbitre,  cause  le  mal,  dont  l'existence  est 
accidentelle,  quod  ex  accidenti  perficilur,  cum  sit 
nihil,  nisi  facias.  L'accentuation  de  la  puissance  et  de 
la  volonté  divines  atteint,  dans  ce  passage,  n.  33, 
col.  3i49,  des  limites  invraisemblables;  l'auteur  dit 
de  Dieu  faisant  l'homme  :  Si  Deum  te  voluisselfacere, 
poterat  ;  habes  Logi  excmplum,  supposition  manifes- 
tement incompatible  avec  la  consubstantialité  du  Verbe 
et  d'ailleurs  absurde,  s'il  s'agit  de  la  divinité  au  sens 
propre  du  mot. 

d)  Saint  Cyprien  iy  258,1  n'a  pas  sur  Dieu  d'ensei- 
gnemenT  spéculatif,  sauf  un  passage  du  traité  Quod 
uiolanon  sinl  dii,  c.  VIII  et  ix,  P.  G.,  t.  iv,  col. 575  sq. 
L'unité  divine  y  est  fondée  sur  l'argument  populaire, 
tiré  du  bon  gouvernement  du  monde,  mundi  unus 
rector,  et  du  témoignage  spontané  de  l'âme  humaine  : 
Nam  et  vulgus  Deum  naturaliter  confitetur,  et  mens 
et  ayiima  sui  auctoris  et  principis  admonetur.  Com- 
parer Episl., I, ad  Donalum, n.  14,  col.  221  :  Postquam 
auctorem  suum,  cselum  initient,  anima  cognovit. 
Dieu  est  décrit  comme  invisible,  insaisissable,  inappré- 
ciable, et  cela  dans  des  termes  identiques  à  ceux  que 
nous  avons  rencontrés  chez  Minucius  Félix  et  chez 
Tertullien.  Dieu  est  répandu  partout  :  ubique  lotus 
diffuiuê  est,  ou,  suivant  l'édition  Martel,  t.  i,  p.  26, 
ubique  ipse  diffusas  est.  Nulle  explication  ultérieure 
de  l'ubiquité  divine;  le  saint  docteur  y  voit  plutôt  une 
vérité  d'ordre  pratique  et  moral,  la  présence  et  l'oinni- 
science  allant  de  pair  :  Ut  sciamus  Deum  ubique  esse 
prœsentem,  audire  omnes  et  videre,  et  majestalis  suœ 
plenitudine  in  abdita  quœque  ri  occulta  penelrare. 
De  orat.  domin.,  n.  4,  col.  521.  Cf.  De  lapsis,  n.  27. 
.-8:  De  morlalitate,  n.  17,  col.  594.  L'idée  de  la 
providence  suit  naturellemi  m.  rien  n'échappe  à  la  vo- 
lonté divine,  pa  plus  qu'à  sa  sc-imee  :  nisi  si  hœc 
\gnaro  Deo  >i<sia  $unt,aut  non  permittente Mo onmia 
ittaevenerunt.  h.   ,.,,  .  .,  n.  21,  col.  183.  (.(.Ad  Deme- 

l>  "inum,  ri.  5.  COl 

D'autres  attributs  divins  apparaissent,  Incidemment 
énoncés  >..,  BUpp  .  l'éternité  ri  l'immutabilité  : 

I  cum  qvtnni,,  ,,,,  ipU  quod  ,  i  $emper  i>nt  <-t  e$te 


non  desinil?  De  orat.  domin.,  n  13,  col.  527;  la  toute- 
puissance  :  Nam  Deo  quis  obsistit  quominus  quod 
velit  faciat?  ibid.,  n.  14,  col.  528;  notre  absolue 
dépendance  à  l'égard  de  Dieu  :  Dei  est,  inquam,  Dei 
est  omne  quod  possumus.  Inde  vivimus,  inde  polle- 
mus,  inde  sumpto  et  conceplo  vigore...  Sit  tantum 
timor  innocentiez  custos,  ut,  qui  in  mentes  nostras 
indulgentiiB  cselestis  allapsu  elementer  Dominus  in~ 
fluxit,  in  animi  oblectanlis  hospilio  justa  obtempera- 
tione  teneatur.  Epist.,  i,  n.  4,  col.  202.  Voir  dans  ce 
passage  l'écho  d'une  conception  panthéistique  (Rettberg), 
ou  je  ne  sais  quelle  idée  d'une  union  «  magico-phy- 
sique  »  avec  Dieu  (G.  Morgenstern),  c'est  par  trop  arbi- 
traire. Arbitraire  également,  de  prétendre  relier  à  une 
conception  matérielle  de  la  divinité  les  expressions  an- 
thropomorphiques  dont  Cyprien  se  sert  couramment, 
par  exemple,  quand  il  parle  du  baiser  du  Seigneur,  ou 
des  prières  qui  arrivent  aux  oreilles  de  Dieu,  ou  des 
chrétiens  qui  combattent  sous  ses  yeux.  Pures  manières 
de  parler,  populaires  et  imitées  de  la  sainte  Écriture. 
L'évêque  de  Carthage,  apôtre  avant  tout,  ne  pouvait 
manquer  de  mettre  en  relief  les  attributs  divins  d'ordre 
moral,  la  bonté,  la  miséricorde,  la  piété  du  Père  qui 
est  aux  cieux;  il  le  fait  à  propos  de  Matth.,  vu,  9  sq., 
en  des  termes  qui  font  de  Dieu  la  bonté,  la  miséri- 
corde, la  piété  même  :  Quanto  magis  unus  Me  et  verus 
pater  bonus,  misericors  et  pius,  immo  ipse  bonitas  et 
misericordia  et  pietas  lœtatur  psenitentia  fdiorum 
suorum.  Epist.,  x,  ad  Anlonianum,  n.  10,  P.  L.,t.  m, 
col.  789.  La  bonté,  toutefois,  n'exclut  pas  la  justice  : 
Deus,  quantum  patris  pietale,  indulgcns  semper  et 
bonus  est,  tantum  judicis  majestate  metuendus  est. 
De  lapsis,  n.  35,  t.  iv,  col.  492. 

e)  Novatien,  prêtre  romain,  composa,  vers  le  milieu 
du  iif*  siéTrTe";  avant  de  devenir  schismatique,  son  livre 
De  Trinitate,  dont  les  dix  premiers  chapitres  portent 
directement  sur  Dieu.  P.  L.,  t.  m,  col.  885  sq.  Pour  le 
genre  comme  pour  la  doctrine,  il  rappelle  Tertullien 
dont  il  s'est  servi,  mais  en  s'inspirant  aussi  d'autres 
auteurs.  Il  part  de  la  croyance  catholique  «  en  Dieu 
Père  et  Seigneur  tout-puissant,  c'est-à-dire  créateur 
parfait  de  toutes  choses,  »  c.  i,  col.  886.  Le  créateur 
nous  est  représenté  comme  contenant  tout,  veillant 
incessamment  sur  son  œuvre  et  allant  partout,  intentus 
semper  operi  suo,  et  vadens  per  omnia  ;  il  meut  tout, 
vivifie  tout,  voit  tout.  Il  est  sans  commencement  ni  lin, 
immense,  éternel,  immortel,  absolument  indépendant, 
c.  n,  col.  889;  seul  bon  dans  toute  la  force  du  terme, 
toujours  semblable  à  lui-même,  immuable  (d'après 
Exod.,  m,  14),  souverainement  grand,  infini,  et,  comme 
tel,  nécessairement  unique  :  quoniam  nec  duo  infinita 
esse  possunt,  ut  rcrum  dictât  natura,  c.  iv,  col.  893. 
Il  est  partout,  et  tout  entier  partout,  lotus  ubique  est, 
c.  vi,  col.  896. 

Invisible  à  nos  yeux,  il  se  manifeste  à  notre  esprit  par 
la  grandeur,  la  puissance  et  la  majesté  de  ses  œuvres, 
c.  III,  col.  891.  Mais  notre  connaissance  ne  va  pas  jus- 
qu'à pénétrer  Dieu  dans  son  être  intime,  ni  ses  pro- 
priétés et  ses  attributs  dans  toute  leur  étendue  et  leur 
nature  :  De  hoc  ergo,  ac  de  iis  quœ  sunt  ipsius  et  in  eo 
sunt,  nec  mens  hominis  quœ  tint,  quanta  sinl  et  qua- 
Hasim.  digne  concipere  potest.  El  de  même  Dieu  esl 
ineffable;  d'où  cette  phrase  caractéristique,  dont  il 
serait  facile  d'exagérer  le  sens  et  la  portée  :  Senlire 
enim  illum  laciti  aliqualenus  possumus;  ut  autem 
ipse  est,  sermunr  explicare  non  possumus,  Aium- 
quand  il  s'agit  d'énoncer  Dieu  tel  qu'il  est,  notre  Im- 
mee  •  si  absolue  .  Novatien  en  donne  cette  raison 
générale,  rencontré!  ■  ! éj  >  chei  Théophile  d'Antioche  ; 
tous  les  termes  qui  sont  à  notre  usage,  par  exemple 
ceui  de  lumière,  de  vertu,  <\<-  majesté,  expriment 
plutôt  une  créature,  un  effel  de  la  puissance  divine, 
que  Dieu   lui-même.  D'ailleurs,   comment  pourrions 


10G3 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES) 


1004 


nous  énoncer  Dieu  tel  qu'il  est,  puisqu'il  nous  est  im- 
possible de  le  concevoir  ainsi?  Les  noms  dont  nous 
nous  servons  expriment  les  choses  suivant  l'idée  que 
nous  nous  en  formons  ;  or,  Dieu  dépasse  tout  ce  que  nous 
pouvons  connaître  de  plus  sublime  et  de  plus  relevé  : 
qui  est  sublimitate omni  sublimior  et  altitudine  omni 
altior,  c.  II,  col,  890;  c.  VII,  col.  897. 

Mais  cette  impuissance  d'énoncer  et  de  concevoir 
Dieu  tel  qu'il  est  en  lui-même,  n'exclut  pas  une  connais- 
sance moins  parfaite:  sentire  illuni  tacili  aliquatenus 
possumiis.  Novatien  ne  développe  pas  davantage  sa 
pensée,  mais  il  est  facile  de  voir,  par  ce  qu'il  dit  en- 
suite, c.  in,  col.  891,  que  cette  connaissance  inférieure 
répond  à  la  manifestation  que  Dieu  nous  fait  de  ses 
propres  perfections  par  la  grandeur,  la  puissance  et  la 
majesté  de  ses  œuvres.  Rom.,  I,  20. 

En  ce  qui  concerne  la  spiritualité  divine,  Novatien 
est  en  progrès  sur  Tertullien.  Non  seulement  il  ne  se 
sert  jamais  du  mot  corps  en  parlant  de  Dieu,  mais  il 
le  proclame  simple,  d'une  simplicité  qui  exclut  tout 
élément  corporel  :  est  enim  simplex,  et  sine  ulla  cor- 
porea  concrelione,  c.  v,  col.  895.  Le  langage  anthro- 
pomorphique  de  la  sainte  Écriture  doit  s'entendre  mé- 
taphoriquement; les  écrivains  sacrés  se  sont  mis  à  la 
portée  du  vulgaire,  c.  VI,  col.  895  sq.  Moins  nette,  ce- 
pendant, est  la  doctrine  de  Novatien  relativement  à 
certains  sentiments,  comme  la  colère  et  l'indignation, 
parce  qu'il  n'explique  pas  en  quel  sens  ces  sentiments 
s'appliquent  à  Dieu,  proprement  ou  métaphoriquement; 
il  se  tient  plutôt  sur  le  terrain  négatif,  en  les  écartant 
de  Dieu  tels  qu'ils  sont  en  nous,  avec  les  imperfections 
qui  viennent  de  notre  nature  corruptible  :  corrumpi 
enim  per  hsec  homo  potest,  quia  corrumpi  potest; 
corrumpi  per  hsec  Deus  non  potest,  quia  nec  cor- 
rumpi potest,  c.  v,  col.  89i.  Cf.  Petau,  1.  III,  c.  il,  n.  15. 

f)  ArnQ^eet  Laclance,  le  maître  et  le  disciple,  ori- 
ginaires d'Afrique  et  rhéteurs  de  profession,  se  présen- 
tent au  début  du  IVe  siècle  comme  des  convertis  qui  se 
font  les  apologistes  de  leurs  nouvel  les  croyances  ;  Arnobe, 
en  Numidie,  où  il  écrivit  ses  controverses  Adversus 
gentes,  P.  L.,  t.  v,  col.  713  sq.;  Lactance,  à  Nicomédie 
et  à  Trêves,  où  il  publia  son  œuvre  maîtresse  des  Divinse 
institutiones,  P.  L.,  t.  VI,  col.  111  sq.,  complétée  peu 
après  parle  petit  traité  De  ira  Dei,  P.L.,  t.  vu,  col.  79  sq. 
Vigoureux  polémistes,  mais  philosophes  éclectiques  et 
littérateurs  avant  tout,  ce  ne  sont  pas  des  docteurs 
de  l'Église.  Les  erreurs  doctrinales  qu'on  a  signalées 
dans  leurs  écrits  et  qui  sont  réelles,  n'engagent  qu'eux- 
mêmes;  on  doit  cependant  présumer  que  leurs  con- 
ceptions et  leurs  difficultés  ne  furent  pas  sans  écho 
dans  les  milieux  intellectuels  où  ils  se  formèrent  et  vé- 
curent, suivant  la  remarque  appliquée  au  premier  par 
E.  F.  Schulze,  Das  Uebel  in  der  Welt  nach  der  Lehrc 
des  Arnobius,  léna,  1896,  p.  42.  Leur  théodicée,  consi- 
dérée dans  les  points  communs  et  les  points  divergents, 
peut  servir  d'épilogue  naturel  à  la  période  patristique 
que  nous  venons  d'étudier,  en  montrant  ce  qui  était 
définitivement  acquis  et  ce  qui,  resté  obscur,  insuffi- 
samment élucidé  ou  non  défini,  s'agitait  encore  de 
leur  temps. 

L'existence  de  Dieu  et  sa  providence  sont  pour  les 
deux  apologistes  une  vérité  naturelle,  qui  s'appuie  sur 
le  consentement  du  genre  humain,  la  voix  de  la  con- 
science et  le  témoignage  du  monde  extérieur.  Adv.  gent., 
1.  II,  c.  n,  col.  814;  lnstit.,  1.  I,  c.  Il;  1.  II,  c.  L  ;  1.  VI, 
c.  vin,  t.  vi,  col.  121,  255,  660.  Dieu,  qui  échappe  à 
tous  nos  sens,  tombe  sous  les  yeux  de  l'âme,  grâce  à 
ses  œuvres  si  grandes,  si  merveilleuses  :  mentis  oculis 
inluendus,  cum  opéra  cjus  prœclara  et  miranda  videa- 
mus.  lnstit.,  1.  VII,  c.  ix,  t.  VI,  col.  764.  A  noter,  chez 
Lactance,  la  preuve  spéciale  qu'il  tire,  en  faveur  de  la 
providence,  de  l'admirable  organisation  du  corps  hu- 
main, dans  le   livre  De  opi/icio  Dei,   P.   L.,  t.    vu, 


col.  9  sq.  Voir  Mar  Freppel,  Commodien,  Arnobe,  Lac- 
taire et  autres  fragments  inédits,  VI«  leçon,  Paris, 
1893.  Arnobe,  de  son  coté,  est  peut-être  l'écrivain  ecclé- 
siastique qui  ait  le  plus  fortement  accentué  le  carac- 
tère naturel  et  comme  instinctif  de  notre  connaissance 
de  Dieu.  Douter  en  cette  matière,  c'est,  à  ses  yeux,  un 
acte  de  folie  furieuse,  hoc  enim  furiosx  restât  insanix  ; 
car  l'idée  de  Dieu  s'attache  à  l'homme  dès  le  premier 
instant  de  son  existence  et  comme  dès  le  sein  de  sa 
mère.  Adv.  gent.,  1.  I,  c.  xxxi,  xxxin,  col.  756,  757. 
Expressions  qui  sont  cependant  beaucoup  plus  du  rhé- 
teur que  du  philosophe;  dans  d'autres  endroits,  Arnobe 
parle  en  des  termes  qui  supposent,  comme  intermé- 
diaire, la  considération  des  créatures  et  qui  semblent 
exclure  l'hypothèse  d'une  idée  strictement  innée.  Voir, 
en  particulier,  les  passages  où  il  évoque  en  faveur  du 
vrai  Dieu  le  témoignage  d'un  enfant,  où  il  réfute  la 
théorie  de  la  réminiscence  platonicienne,  où  il  pro- 
pose et  développe  le  cas  d'un  enfant  qui  croîtrait  en 
dehors  de  toute  éducation  intellectuelle  et  morale.  Ibid., 
1.  II,  c.  n,  xix-xxi,  col.  814  sq.,  840  sq.  Cf.  Schwane, 
op.  cit.,  t.  i,  p.  105. 

La  notion  qui  répond  à  cette  connaissance  naturelle 
de  Dieu  est  la  notion  vulgaire  d'un  premier  principe 
et  maître  suprême,  ou  d'un  témoin  et  juge  souverain 
de  nos  actions.  Adv.  gent.,  1.  I,  c.  XXXIII ;  1.  II,  c.  il, 
col.  757,  815.  L'unité  de  Dieu,  du  vrai  Dieu,  n'est  pas 
spécialement  développée  par  Arnobe,  mais  constam- 
ment supposée  inséparable  de  cette  notion.  Lactance, 
au  contraire,  démontre  longuement  cette  vérité,  en  se 
servant  généralement  des  mêmes  arguments  que  les 
apologistes  plus  anciens  et  en  empruntant  comme  eux 
force  témoignages  non  seulement  aux  prophètes,  mais 
encore  aux  poètes  et  aux  philosophes,  lnstit.,  c.  m- 
vn,  col.  122  sq.  Il  utilise  aussi  la  preuve  philoso- 
phique qui  se  tire  de  l'absolue  perfection  de  Dieu  : 
Deus  autem,  qui  est  xierna  mens,  ex  omni  utique 
parle  perfectx  consummatseque  virlutis  est  ;  d'où 
cette  conclusion  :  Deus  vero,  si  perfectus  est,  ut  esse 
débet,  non  potest  esse  nisi  unus,  ut  in  eo  sint  omnia. 
Ibid.,  c.  ni,  col.  123.  L'unité  divine  étant  si  clairement 
admise,  les  expressions,  familières  aux  deux  rhéteurs 
africains,  de  Deus  princeps,  Deus  primus  ou  Deus 
summzts,  ne  peuvent  avoir  qu'un  sens  relatif,  ad  ho- 
mineni,  par  allusion  aux  croyances  de  leurs  adver- 
saires. Les  difficultés  que  présente  ici  la  théodicée 
d'Arnobe  et  qui  viennent  de  passages  relatifs  à  la  pro- 
duction de  l'âme  humaine  et  de  certains  êtres  inférieurs 
ou  à  l'existence  du  mal  en  ce  monde,  Adv.  gent..  1.  II. 
c.  xxxvi,  xlvii,  Liv,  col.  866,  888,  895  sq..  ne  se  rapportent 
pas  directement  à  l'unité  de  Dieu,  mais  à  l'universalité 
de  son  action  créatrice  et  providentielle.  Voir,  sur  le 
sujet,  la  dissertation  de  dom  Le  Nourry,  c.  vu.  a.  1, 
5;  c.  ix,  a.  2,  P.  L.,  t.  v,  col.  458  sq.,  480  sq. 

Dieu  est  ineffable  et  incompréhensible  pour  tout 
autre  que  lui-même,  lnstit.,  1.  I,  c.  vin;  cf.  Epilome 
inslit.,  c.  m,  col.  513,  1022.  Doctrine  extrêmement 
accentuée  chez  Arnobe.  Par  rapport  à  Dieu,  le  langage 
humain  est  incapable  de  rien  dire  ni  de  rien  exprimer: 
de  quo  nihil  dici  et  exprimi  mortalium  polis  est  si- 
gni/icatione  verborum.  Pour  le  comprendre,  il  faut 
faire  trêve  de  paroles  et,  silencieusement,  chercher  à 
concevoir,  semblable  au  voyageur  qui  tâtonne  dans 
l'obscurité  :  gui  ut  inlelligaris,  tacendum  est,  atque, 
ut  per  umbram  le  possit  errons  investigare  suspicio, 
nihil  est  omni  no  mutiendum.  Adv.  gent.,  1.  I,c.x.\\i. 
col.  756.  Affirmations  singulièrement  absolues  dans 
leur  teneur  littérale,  mais  dont  un  autre  passage  per- 
met de  déterminer  la  réelle  portée  :  Tout  ce  que  nous 
disons  de  Dieu,  tout  ce  que  nous  en  concevons,  prend 
un  sens  humain  qui  le  corrompt  en  quelque  sorte  et 
ne  lui  laisse  jamais,  par  rapport  à  Dieu,  la  valeur  d'une 
signification  propre,  in  hunianum  transita  et  corrum- 


1065 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES^ 


1066 


pitur  sensum,  nec  habet  proprise  significationis  no- 
tant, lbid.,  1.  III,  c.  xix,  col.  962.  Arnobe  parle  donc, 
comme  ses  devanciers,  d'une  idée  qui  représenterait  ou 
d'un  nom  qui  exprimerait  Dieu  proprement,  tel  qu'il 
est  en  lui-même.  C'est  dans  le  même  esprit,  pour  nous 
donner  une  haute  idée  de  l'éminence  et  de  la  transcen- 
dance divines,  qu'il  ajoute  :  i'nus  est  hominis  inlelle- 
ctus  de  Dei  natura  certissimus,  si  scias  et  sentias  nihil 
de  Mo  posse  mortali  oratione  depromi. 

Du  reste,  les  deux  apologistes  ne  se  contentent  pas 
plus  que  leurs  devanciers  de  cette  simple  énonciation  : 
Dieu  existe.  S'ils  ne  définissent  pas  l'Ineffable,  ils 
tracent  quelques-uns  de  ses  traits  essentiels.  Arnobe  le 
décrit  comme  la  cause  première,  dont  nous  dépendons 
totalement  dans  notre  être,  notre  vie,  nos  opérations 
les  plus  intimes;  comme  le  fondement  de  ce  qui  existe, 
infini  lui-même,  incréé,  immortel,  éternel,  tout-puis- 
sant, omniscient,  souverainement  sage  et  juste,  source 
de  toute  bonté.  Adv.  gent.,  1.  I,  c.  xxxi;  1.  II,  c.  il, 
xxxv,  xlvi,  col.  755,  814,  863  sq.,  886.  Lactance  pro- 
clame à  diverses  reprises  les  grands  attributs  de  la 
divinité  :  incorruptibilité,  impassibilité,  éternité,  toute- 
puissance  qui  n'a  besoin  pour  agir  ni  d'instruments  ni 
de  matière  préexistante,  indépendance  absolue,  souve- 
raine béatitude,  bonté  plénière  d'où  dérivent  tous  les 
biens,  et  non  pas  les  maux.  Jnstit.,  1.  I,  c.  m;  1.  II, 
c.  ix ;  1.  VI,  c.  vi,  col.  127,300,  302,  453. 

L'indépendance  absolue,  appliquée  à  l'être  divin,  se 
confond  avec  l'aséité,  l'àYevvY|<rtoc  des  Grecs.  Arnobe  la 
rend  simplement  par  l'épithète  d'ingenilus.  Lactance 
est  plus  expressif.  Il  ne  conçoit  pas  seulement  cette 
propriété  sous  l'aspect  négatif  qu'expriment  les  termes 
àviv/vo;  ou  àitotr,Toc,  quod  origo  illi  non  sit  alhtnde, 
quia  non  est  aliunde  generalus,  carens  origine,  lnstit., 
1.  I,  c.  vu;  1.  II,  c.  ix;  1.  IV,  c.  xxix,  col.  152,302, 
540;  il  la  conçoit  encore  sous  l'aspect  positif  que 
disent  les  termes  aÙToçiiTjç,  a-JTo- ;£■//,;,  ex  seipso  est;  ce 
qui  est  légitime  en  un  certain  sens.  Seulement,  par- 
tant d'un  principe  qui  s'applique  aux  êtres  créés  et 
sous  l'inlluence  de  philosophes  païens,  comme  le 
prouvent  ses  citations,  il  arrive  à  la  conception  singu- 
lière, renouvelée  de  nos  jours,  d'un  Dieu  gui  se  crée 
lui-même  :  Verum  quia  fieri  nonpotest,  quin  id  quod 
sit,  aliqnando  esse  cceperit,  consequens  est,  ut</iiando 
nihil  ante  illum  fuit,  ipse  anle  omnia  et  ex  seipso  sit 
procreatus.  lbid.,  1.  I,  C.  VU,  Le  sens  de  causalité  effi- 
ciente que  Lactance  attribue  aux  dernières  paroles, 
ressort  nettement  de  ces  autres,  qu'il  emprunie  à 
Sénèque  :  Dcus  ijisese  fecit.  Plus  loin,  il  dira  de  Dieu, 
qu'étant  de  lui-même,  il  est  ce  qu'il  a  voulu  être  :  Ex 
se  ips<>  est,  ut  m  primo  diximus  libre,  et  iiieo  talis. 
qualem  se  esse  votait.  lnstit.,  1.  II,  c.  îx,  col.  302.  Sur 
les  essais  tentés  pour  justifier  ces  expressions,  voir 
.1.  Geret,  Spécimen  examinis  theologim  Lacinntiame, 
p.  4  sq.  Les  grands  docteurs  de  I  Église,  saint  Augustin 
en  particulier,  les  rejetteront,  pour  la  fausse  notion 
qu'elles  supposent. 

L' incorporante  divine  est  expressément  soutenue  par 
Arnobe.  Dieu  n'a  pas  de  forme  corporelle  et  n'est  pas 
circonscrit  dans  l'espace;  il  est.  dénué  de  tout  ce  qui 
l'attache  à  l'idée  de  corps  ou  de  lieu,  comme  la  quan- 
tité, la  qualité,  la  position,  le  mouvement,  la  manière 
d'être  (accidentelle      queni  nulla  delineat  fi 

ilis,  nulla  déterminât   circumscriptio,  qualitatif 

r$,  quanti  talis,  sine  situ,   molu  et   /in'»/».  Adv. 

W>it..  I.   I,  c.  XXXV,   col.  755  sq.   Il  raille   ers   dieUX    du 

inisme,  au    i  m    varié,  qui  se  multipliaient  par    oii 

de  génération  charnelle;  il   rejette  la  conception  juive 

idducéenne  qui      ans  aller  jusque-là,  attribuait 

ndanl  à  la  divinité  une   formi  Ile,   lbid., 

I    III.  c.  vin.  i\,  xii.  etc.,  col   946  q    Si  Dieu 

entend,  ^  il  parle   s'il  vo\  Dtes,  ce  n'esl 

rément  pa     i  notre  façon,   lbid.,  c.  wni,  col.  96i, 


Dans  le  même  courant  d'idées,  Arnobe  écarte  de  la 
divinité  tous  les  mouvements  de  l'âme  que  les  stoïciens 
de  son  temps  désignaient  sous  le  nom  d'affeclus,  en 
particulier  la  colère  et  l'indignation, 1.  I,  c.  xviii,xxm  : 
dii  veri...  neque  irascunlur,neque  indignanlur  ;\.  VII, 
c.  v  :  universos  animorum  affectus  ignotos  diis  esse, 
conseclaneum  est  credere,  col.  739,  743,  1224.  Mais  si 
Dieu  est  incorporel,  n'a-t-il  pas  du  moins  une  forme 
quelconque?  La  réponse  de  l'apologiste  rappelle  les 
deux  manières  de  parler  que  nous  avons  déjà  rencon- 
trées :  Si  veram  vultis  audire  sentenliam,  aut  nullam 
Dcus  habet  formam,  aut  si  informatus  est  aliqua, 
ea  quœ  sit,  profecto  nescimus,  1.  III,  c.  XVII,  col.  961. 
Ainsi,  Dieu  n'a  pas  de  forme;  ou,  s'il  en  a  une,  nous 
ignorons  pleinement  ce  qu'elle  peut  être. 

Lactance,  comme  Arnobe,  affirme  la  spiritualité 
divine,  mais  en  mêlant  à  cette  affirmation  générale 
des  vues  particulières  qui  l'obscurcissent  et  ont  fait 
dire  à  Petau,  1.  III,  c.  il,  n.  16,  que  le  disciple  est  resté, 
sur  ce  point,  beaucoup  au-dessous  du  maître.  L'auteur 
des  Institutions  écarte  bien  de  la  divinité  toute  idée  de 
propagation  par  voie  de  génération  charnelle  et,  au 
même  titre,  l'idée  de  substance  corporelle  que  ce  mode 
de  propagation  suppose,  quod  sine  substanlia  corpo- 
rali  nullum  polest  esse,\.  I,  c.  vin,  col.  154.  Il  ne  veut 
pas  d'offrandes  corporelles  pour  celui  qui  est  incorpo- 
rel :  non  clebere  incorporali  corporale  munus  offerri, 
1.  VI,  c.  xxv,  col.  278.  Dieu  est  une  intelligence  divine 
et  éternelle,  exempte  et  libre  de  corps  :  divina  et 
œterna  mens  a  corpore  soluta  et  libéra,  1.  VII,  c.  m, 
col.  741.  Lactance  se  sert  même  de  cette  notion  pour 
rendre  croyable  la  survivance  de  l'âme  humaine  après 
la  mort  :  Quod  si  est  Deus  et  incorporalis,  et  invisi- 
bilis,  et  selernus,  ergo  non  ideirco  interire  animant 
credibile  est,  quia  non  vitlelur,  poslquam  recessit  a 
corpore.  lbid.,  c.  IX,  col.  765. 

Langage  qui  bannirait  tout  doute  raisonnable,  si  le 
même  auteur  ne  revendiquait  pas  pour  Dieu,  dans 
d'autres  endroits,  des  propriétés  et  des  sentiments  qui, 
prisa  la  lettre,  s'accorderaient  difficilement  avec  l'idée 
d'une  spiritualité  et  d'une  simplicité  absolues.  Il  désap- 
prouve nettement  ceux  qui  ne  voulaient  pas  attribuer 
de  figure  à  Dieu  ni  entendre  parler  d'o/f ections  divines  : 
qui  aut  figurant  negant  liabere  ullam  Deum,  mit  nullo 
affectu  commoreri  pu  tant.  De  ira  Dei,  c.  Il,  t.  vu, 
col.  821.  Le  premier  point  n'étant  pas  développé,  omitlo 
de  figura  Dei  dicere,  ibid.,  c.  xviu,  col.  134,  on  peut 
se  demander  si  Lactance  prétendait  prendre  les  mots 
de  forme  et  de  figure  au  sens  propre  ou  d'une  façon 
plus  vague  et  plus  générale;  mais  il  n'en  est  pas  de 
même  de  l'autre  point.; 

Le  traité  De  ira  Dei  n'est  qu'une  thèse  tendant  à 
démontrer  que  la  colère  à  l'égard  des  méchants  n'existe 
pas  moins  en  Dieu  que  l'amour  à  l'égard  des  bons  :  Si 
Deus  non  irascitur  im/iiis  et  injustis,  nec  pios  ulique 
juslosque  diligil,  c.  v,  col.  90.  Le  rhéteur  africain  sou- 
tient cette  thèse  contre  deux  sortes  d'adversaires 
d'abord,  les  épicuriens  qui  rêvaient  d'un  Dieu  apa- 
thique, confiné  dans  sa  propre  quiétude,  indifférent 
pour  le  bien  comme  pour  le  mal,  inaccessible  à  l'amour 
,,,iniiM  :,  I a  col  l'égard  des  créatures;  <mi„i  enim 

quidam, nec gratificarieum  cuit/i  "'■  I""-- 

ceux  des  Btolciens  ou  dos  platoniciens  qui  distinguaient 
entre  la  bonté  ou  l'amour  bienfaisant,  admis  en  Dieu, 
,i  i.i  exilera,  exclue  par  eux  :  n'"  vero  iram  tolluni, 
,,,,  relinquunl  /'<••<,  c.   m,  col.  83.  Pour  réfuter 

.  il  suffisait  de  montrer,  i  o i  -  spo 

logiates  précédents  l'avaient  fait,  que  la  perfection  même 
de  Dieu  el  la  notion  de  la  provldem  iii  ni  en  lui 

la   bonté  et.  h-  péché  existant,  la  justice  vindicative. 
B  pins  loin .  il  InauU»    sur  le  sentiment  de 
la  coléra,  conçue   •<  définie  '"111111.'  mouvement  de 
1 ,  iprii  qi  intra  le  péché,  pour  le  refrém  r 


1007 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES) 


1068 


ira  est  moins  animi  ail  coercenda peccala  insurgenlis, 
c.  xvn,  col.  131.  En  face  du  mal,  Itieu  ne  peut  pas  ne 
point  ('prouver  ce  mouvement  d'opposition  et  de  réac- 
tion; aussi  la  colère  a-t-elle  en  lui  sa  raison  d'être  : 
non  est  cnim  fas  eum,  cum  talia  fieri  videat,  non 
nwveri  et  insurgere  ad  ultioncm  sccleralorum ,  c.  xvi, 
col.  125. 

La  thèse  ainsi  entendue  va-t-elle  seulement  contre 
les  philosophes  anciens,  ou  n'atteint-elle  pas  aussi  les 
chrétiens  qui,  comme  Arnohe,  ne  voulaient  pas  en  Dieu 
ù'afjeclions  proprement  dites'.'  L'auteur  du  traité  De 
Deo  uno,  dans  la  théologie  de  W'urzbourg,  observe, 
n.  40,  queLactance  distingue,  au  dernier  endroit,  entre 
affections  et  affections.  Il  y  en  a  de  vicieuses,  vitioruni 
aff'ectus,  comme  la  passion  déréglée  (libido),  la  crainte, 
l'avarice,  la  tristesse,  l'envie;  et  il  y  en  a  de  vertueuses, 
qui  sunt  virtutis,  comme  la  charité  à  l'égard  des  bons, 
la  compassion  à  l'égard  des  affligés,  et  de  même  la 
colère  à  l'égard  des  méchants.  Seules  les  affections  du 
second  genre  conviennent  à  Dieu;  elles  lui  conviennent 
par  analogie  et  considérées  dans  leur  effet,  quoad  effe- 
ctum  et  simililudinem,  en  ce  sens  que  Dieu  punit  le 
pécheur  pour  l'amender,  comme  un  père  justement 
irrité  punit  son  fils  désobéissant;  mais  ce  n'est  pas  à 
dire  qu'elles  lui  conviennent  proprement  et  considérées 
comme  affection  physique  ou  dans  ce  qu'elles  ont  de 
défectueux  en  nous,  quoad  affectum  scu  hujus  natu- 
ram  aut  imperfectionem  et  secundum  proprie ta tem , 
Une  distinction  semblable  parait  suffisante  à  dom 
Le  Nourry,  dans  sa  dissertation  sur  Arnobe,  c.  vu,  a.  3, 
P.  L.,  t.  v,  col.  456  sq.,  pour  éviter  toute  opposition 
réelle  entre  cet  apologiste  et  son  disciple.  Petau  se 
montre  moins  facile,  1.  III,  c.  n,  n.  14,  et  à  bon  droit. 
La  distinction  entre  les  affections  vicieuses  et  les  affec- 
tions vertueuses  est  bien  de  Lactance,  mais  l'autre  n'est 
pas  dans  son  texte;  on  y  lit  plutôt  le  contraire,  car, 
bien  que  cet  auteur  chrétien  n'attribue  pas  à  la  colère 
divine  tout  ce  qui  se  trouve  dans  la  colère  humaine, 
par  exemple  le  caractère  transitoire  ou  défectueux  de 
l'affection,  c.  xxi,  col.  139,  il  dit  néanmoins  de  Dieu  : 
eos  autem  (affectus),  qui  sunt  virtutis,  id  est,  ira  in 
malos,  caritas  in  bonos,  miseratio  in  af/lictos,  quo- 
niam  divina  potestate  sunt  digna,  proprios  et  justos 
et  veros  habet,  c.  xvi,  col.  126. 

C'est  précisément  parce  que  Lactance  n'a  pas  fait  la 
distinction  nécessaire,  que  sa  doctrine  est  restée  à  tout 
le  moins  incomplète  et  équivoque  :  soit  qu'il  ait  conçu 
personnellement  la  colère  comme  une  affection  d'ordre 
purement  spirituel;  soit  qu'il  n'ait  pas  eu  de  la  spiri- 
tualité ou  de  la  simplicité  divine  une  notion  assez 
rigoureuse.  Les  écrivains  modernes  qui  se  sont  occupés 
de  la  théodicée  de  Lactance,  confirment  généralement 
cette  dernière  hypothèse  par  une  double  observation. 
Le  terme  d'incorporeus  ne  signifie  pas  nécessairement, 
chez  cet  apologiste,  ce  que  nous  entendons  par  pur 
esprit,  par  exemple  dans  le  De  opi/icio  Dei,  c.xi,  t.  vu, 
col.  49  :  spirilus,  qui  est  incorporalis  ac  tenuis.  Le  mot 
spiritus,  appliqué  par  Lactance  aux  démons  et  à  l'âme 
humaine,  se  trouve  accompagné  d'épithètes  qui  en 
diminuent  la  force,  comme  dans  Instit.,  1.  II,  c.  xv, 
col.  333  :  spirilus  tenues;  1.  VII,  c.  xx,  col.  800  :  ani- 
ma... quia  spiritus  est  ipsa  tenuitate  incomprehensi- 
bilis;  cf.  c.  xn,  col.  771,  772. 

Une  dernière  question  se  présente,  où  la  doctrine 
des  deux  rhéteurs  mérite  d'être  rapprochée  :  celle  de 
la  présence  de  Dieu  dans  le  monde.  Au  principal  endroit 
où  il  parle  de  l'Être  suprême,  Adv.  gent.,  1.  I,  c.  xxxi, 
col.  755,  Arnobe  l'appelle  :  locus  rerum  ac  spatium, 
le  lieu  et  l'espace  universel,  expression  empruntée  à 
la  philosophie  antique  et  dont  Théophile  d'Antioche 
s'était  déjà  servi.  Mais  comme  cet  apologiste  énonce,  au 
même  endroit  et  dans  les  termes  les  plus  absolus,  la 
transcendance  de  Dieu  par  rapport  au  lieu  et  à  l'espace, 


il  est  impossible  de  prendre  l'expression  au  sens  propre 
ou  matériel;  on  ne  peut  y  voir  que  l'affirmation  de 
l'immensité  divine,  contenant  et  débordant  toutes  choses. 
Pour  lui,  d'ailleurs,  l'immensité  ne  va  pas  sans  l'ubiquité; 
car  c'est  le  propre  du  vrai  Dieu  non  seulement  d'entendre 
tout  ce  qui  se  dit  et  de  voir,  de  prévoir  même  les  pensées 
les  plus  intimes,  mais  d'être  toujours  et  tout  entier  par- 
tout, lbid.,  1.  VI,  c.  iv,  col.  1170. 

Lactance  n'affirme  pas  moins  nettement  la  préroga- 
tive en  vertu  de  laquelle  Dieu,  souverain  juge,  voit  toutes 
choses  el  en  est  le  témoin  :  maximus  et  aequissimus 
judex,  spécula tor  actestis  omnium.  Instit.,].  VI, c.  xvm, 
col.  699.  La  présence  métaphorique,  dite  de  puissance 
et  d'opération,  est  également  manifeste;  mais  il  n'en 
est  pas  de  même  de  la  présence  au  sens  propre,  la  pré- 
sence substantielle.  Traitant  du  siège  de  l'àme  humaine, 
il  conclut  que,  dominant  sur  le  corps,  elle  réside  au 
sommet  de  la  tête,  comme  Dieu  au  ciel,  tanquam  in 
cxlo  Deus.  Remarquant  ensuite  que  l'àme,  bien  qu'atta- 
chée au  corps,  a  la  puissance  de  se  représenter  et  de 
parcourir  en  un  clin  d'oeil  des  espaces  indéfinis  et  le 
ciel  entier,  il  en  tire  celte  réllexion  :  «  Comment  donc 
s'étonner  que  l'esprit  divin  puisse  parcourir  l'univers 
entier,  et,  présent  partout,  répandu  partout,  le  régir 
et  le  gouverner  ?  »  De  opificio  Dei,  c.  xvi,  t.  vu,  col.  65  sq. 
Comparaison  qui,  de  soi,  n'entraine  que  la  présence 
dite  de  science  et  de  puissance.  L'obscurité  ne  dispa- 
raît pas  pleinement  dans  les  Institutions  Lactance  y 
parle  de  Dieu,  «  dont  l'esprit  et  la  puissance,  répandus 
partout,  sont  toujours  présents,  cujus  spiritus  ac  nu- 
men  ubique  diffusum,  abesse  nunquampotest,  »  1.  II. 
c.  Il,  col.  259.  Il  montre  «  l'esprit  de  Dieu  répandu  par- 
tout et  contenant  toutes  choses,  sans  que  Dieu  lui-même 
soit  mêlé  aux  éléments  pesants  et  corruptibles;  non 
tamen  ita  ut  Deus  ipse,  qui  est  incorruptus,  gravibus 
et  corruplibilibus  elementis  misceaiur,  1.  VII,  c.  m. 
col.  743. 

Ces  textes  sont,  à  la  rigueur,  susceptibles  d'une  in- 
terprétation bénigne;  car,  de  ce  que  l'apologiste  dis- 
tingue Dieu  de  son  esprit  ou  sa  vertu,  il  ne  s'ensuit 
pas  qu'il  les  oppose  ou  les  divise  objectivement.  Dans 
le  dernier  texte,  en  particulier,  il  est  possible,  suivant 
la  juste  remarque  de  Petau,  1.  III,  c.  vu,  n.  6,  que 
Lactance  ait  voulu  seulement  rejeter  une  présence 
panthéistique,  à  la  manière  des  stoïciens  qui  confon- 
daient Dieu  et  le  monde;  conception  qu'il  avait  rejetée 
au  début  du  chapitre,  col.  741.  Quoi  qu'il  en  soit, 
sur  ce  point  comme  sur  plusieurs  autres  dont  il  a  été 
précédemment  question,  il  y  avait  lieu  à  progrès,  pour 
la  netteté,  la  fermeté  et  l'universalité  delà  doctrine. 

Auteurs  catholiques.  —  Dom  B.  Maréchal,  op.  cit.,  t.  I,  Il  ; 
G.  Lumper,  op.  cit.,  t.  VI,  vu,  xi;  J.  Schwane,  op.  cit.,  t.  i, 
S  20;  dom  X.  Le  Nourry,  O.  S.  B.,  Dissert,  in  Marei  Minuta 
Felicis  librum  qui  Oclavius  inscribitur,  c.  m-vi,  P.  L.,  t.  m, 
col.  i09sq.\Dissertatioin  Q.  Septimi  Florentis  TertulUani  Apc- 
logeticum,duosadNationesIibroset  unumadScapulam.  c.vn, 
P.L.,  t.  I,  col.  705  sq.  ;  Dissertatio  de  Cijpriani  libris  ad  De- 
metrianum,  et  de  idolorum  vanitate,  c  m.  a.  2,  P.  L.,  t.  IV, 
col.  992;  Dissertatio  prsevia  in  septem  Arnobii  disputationum 
adversus  gentes  libros,  c.  vu,  P.  L.,  t.  v.  col.  451  :  Pvsefativ 
in  Lactantium,  n.  11  sq.;  Censura  in  Lactantium  ;  Disserta- 
tio de  septem  divinarum  Institutiununt  libris,  c.  m,  a.  4, 
P.  L.,t.  v,  col.  451,  85  sq.,  882;  O.  Grillenberger,  Studien  ;nr 
Philosophie  der  patristischen  Zeit.  I.  Der  Octavius  des 
M.  Minucius  Félix,  keiue  heidnisch-philosophische  Auffassung 
des  Christentutns,  dans  Jahrbuch  fur  Philosophie  und  speku- 
lative  Théologie,  3'  année.  Paderborn,  1889,  p.  104,  146,  260, 
passim;  G.  Boissier,  La  fin  du  paganisme,  t.  I,  I.  III,  c.  n  : 
L'«  Octavius  »  de  Minucius  Félix,  3' édit.,  Paris,  1898,  p.  276. 
284;  J.  A.  Canova,  De  septimo  Tertulliano  et  S.  Epiphanio, 
dissertationes  dux,  theologico-criticse,  in  quibus  anthropo- 
morphisme neutrum  laborasse  demonstratur,  et  tnulta  ad 
anthropomorphitarum  historiam  pertinentia  ditucidantur, 
Milan,  17G3;  A.  d'Alès,  La  théologie  de  Tertullien,  c.  II,  Paris. 
1905;  J.  Turmel,  Tertullien,  II'  part.,  c.  v;  IV'  part.,  c.  i, 
Paris,  1905:  A.  d'Alès,  La  théologie  de  saint  Hippolyte,  Paris. 


1069 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES   PÈRES] 


1070 


1906,  p.  30,  102;  M.  Thurnhuber,  0.  S.  B.,  Die  vorz'âglichsten 
Glauberislehren  in  den  Schriften  des  hl.  Bischofs  und  Mâf- 
tyrers  Cyprianus  von  Cartliago.  Eine  patristische  Studie 
(Programme  de  cours),  Augsbourg,  1890;  G.  Lumper,  Disserta- 
tio  de  Novatiano,  c.  m,  a.  1,  P.  h.,   t.  m,  col.  878  sq. 

Non  catholiques.  —A.  Harnack,  op.  cit.,  t.  i,  p.  529  sq.,  584 
sq. ;  R.  Kiihn,  Der  Octavius  des  Minucius  Félix,  eine  heid- 
niscli-philosophische  Auffassung  vom  Ckristenthum,  Leipzig, 
1882,  p.  25  sq.,  56;  J.  Stier,  Die  Gottes-und  Logoslehre  Tertul- 
lians,  Gœttingue,  1899;  première  partie  en  tiré  à  part, sousle titre 
de  Der  specielle  Gottesbegriff  Tertullians,  ibid.  ;  F..  F.  Schulze, 
Elemente  einer  Theodicee  bei  Tertullian,  dans  Zeitschrift 
fur  wissenschaftliche  Théologie,  Leipzig,  1900,  t.  xliii,  p.  62; 
F.  W.  Rettberg,  Thascius  Cœcilius  Cyprianus,  Bischof  von 
Carthago,  Gœttingue,  1831,  p.  299  sq.;  G.  Morgenstern,  Cy- 
prian  Bischof  von  Carthago,  als  Pliilosoph,  c.  m,  §  1,  Théo- 
logie, Iéna,  1889,  p.  5  sq.;  J.  G.  Geret,  Spécimen  examinis 
theologise  Lactantianse  inarticulo  de Deo  absolute consideralo, 
Filio  et  Spiritu  Sancto,  q.  I,  Wittemberg.  1723,  p.  1-17  ;  D' Over- 
lach,  Die  Théologie  des  Lactantius  (programme),  Schwerin,  1858. 

4°  Troisième  période  :  les  Pères  poslnice'ens  jusqu'au 
milieu  du  ve  siècle.  —  C'est  l'époque  surnommée  Page 
d'or  de  la  patristique,  où  le  christianisme  n'ayant  plus 
ou  presque  plus  à  lutter  pour  vivre,  l'élucubration 
théologique  succède  au  labeur  apologétique,  époque  où 
paraissent  tant  d'illustres  Pères,  qui  sont  en  même 
temps  des  docteurs  attitrés  de  l'Église.  Le  débat  avec 
le  paganisme  et  le  judaïsme  ne  cesse  pas  complètement, 
mais  il  devient  secondaire.  Secondaire  aussi,  la  lutte 
avec  le  dualisme  manichéen,  qui  continue  longtemps 
encore  le  gnosticisme  et  prolonge  la  controverse  sur 
l'unité  du  premier  principe,  voir  Création,  t.  ni, 
col.  2067  sq.,  et  sur  l'origine  ou  la  nature  du  mal,  ce 
qui  est  en  dehors  de  l'étude  présente.  L'anthropomor- 
phisme garde  des  partisans,  mais  dans  des  pays  et  des 
milieux  restreints,  notamment  parmi  les  moines  égyp- 
tiens. La  principale  hérésie  de  cette  période,  l'arianisme, 
ne  porte  pas  proprement  et  directement  sur  Dieu;  la 
controverse  eunomienne  seule  fait  exception,  et  encore 
concerne-t-elle  une  question  particulière,  la  connais- 
sance et  non  la  nature  de  Dieu.  On  peut  dire  qu'à 
l'époque  où  nous  sommes  parvenus,  les  lignes  fonda- 
mentales de  la  théodicée  chrétienne  sont  fixées;  les 
Pères  marcheront  désormais,  pour  l'ensemble  de  la 
doctrine,  sur  les  traces  de  leurs  devanciers. 

Beaucoup  de  points  sont  tellement  acquis  qu'ils  four- 
niront aux  grands  adversaires  de  l'arianisme,  Athanase, 
Didyme,  Basile,  les  Grégoires,  les  Cyrilles,  Augustin, 
leur  principal  argument  :  La  sainte  Écriture  attribue 
au  Verbe,  elle  attribue  au  Saint-Esprit  la  vertu  créa- 
trice ou  sanctificatrice,  l'éternité,  l'immutabilité,  l'im- 
mensité, l'omniscience.  la  toute-puissance,  etc.;  donc 
le  Verbe,  donc  le  Saint-Esprit  est  vraiment  Dieu. 
Voir  Th.  de  Bégnon.  S.  .1..  Etudes  de  théologie  posi- 
4ire  sur  la  sainte  Trinité',  '.V'  série,  étude  XIV,  Paris, 
1878,  p.  7i.  Par  contre,  telle  propriété  divine,  unani- 
mement affirmée,  deviendra  dans  les  mains  d'Arius  et 
de  ses  partisans  l'arme  de  choix;  ainsi  l'épi thè te 
d'i-i/  rr-'j;  (ou  à-;£y/To:  .  grâce  à  l'équivoque  qui  s'at- 
tache au  mol,  suivant  ([u'on  lui  donne  le  sens  d'innas- 
eible  ou  d'incréé.  Maintenant  à  plaisir  l'équivoque,  les 
ariens  diront  :  Le  Fils  n'est  pas.  comme  le  Père,  kyiv- 
*i)TOc;donc  il  n'esl  pas  Dieu,  ou  du  moins  il  n'est  pas 
Dieu  au  même  titre  que  le  Père.  C'est  par  ce  coté  que 
l'arianisme,  comme  d'ailleurs  toute  forme  de  subordi- 
natianisme,  ramenait  indirectement  la  controverse  sur 
l'unité  divine,  en  distinguant  une  divinité  suprême  el 
ibaltei  nés  'lu  l  ils  el  'lu  Saint-Esprit.  Lei 
.  qui  rejetaient  ci  tte  distinction,  se  trouvaient  en 
hce  de  la  difficulté  inhérente  au  fond  même  du  mystère  : 
S'il  y  a  Trinité  de  | me  i  la  fois  réellement  dis- 
tinctes, immanentes  et  consubstantielies,  comment 
maintenir  dans  toute  ~.i  rigueur  l'unité  et  la  simplicité 
divines''  Mais  le  débal  ne  portail  pas  sur  la  nature  • 
propriétés  de  Dieu,|  m  propre  ci  absolu, 


Poursuivre  dans  le  détail,  sauf  raison  spéciale,  ce 
qui  se  trouve  disséminé  dans  les  écrits  des  Pères  post- 
nicéens  sur  ces  points  définitivement  acquis,  serait 
chose  inutile  et  dénuée  d'intérêt;  les  considérations 
sur  lesattributs  divins  qui  viendront  plus  loin  suffiront 
amplement.  I!  importe,  au  contraire,  d'insister  sur  les 
points  restés  moins  clairs  ou  imparfaitement  fixés  dans 
les  siècles  précédents  et  qui  vont  plus  directement 
au  but  de  cette  étude  :  Comment  les  Pères  de  la  grande 
période  ont-ils  conçu  Dieu?  Comment  et  dans  quelles 
limites  pensaient-ils  l'atteindre?  Quelle  idée  avaient-ils 
de  la  transcendance  et  de  l'immanence  divines?  Les 
Pères  seront  groupés  par  nationalités,  en  remontant, 
pour  les  Grecs,  de  l'Egypte  vers  l'Asie-Mineure. 

a)  Pères  alexandrins  :  saint  Atlianase  (f  373), 
Didyme  (f  395  ?),  saint  Cyrille  (f  444).  —  La  théo- 
dicée de  ces  trois  Pères  a  déjà  été  esquissée  dans  le 
Dictionnaire,  t.  i,  col.  2168;  t.  H,  col.  2502;  t.  iv, 
col.  753.  Naturellement  dépendante  de  celle  de  Clément 
et  d'Origène,  elle  présente  des  traits  généraux  et  com- 
muns, qui  se  manifestent  surtout  dans  une  accentuation 
forte,  mais  pondérée,  de  plusieurs  propriétés  divines  : 
simplicité  absolue,  mais  jointe  à  une  perfection  infinie; 
transcendance  souveraine,  mais  sans  préjudice  de  l'im- 
manence; incompréhensibilité  stricte,  mais  supposant 
l'existence  naturelle  d'une  connaissance  vulgaire  et 
laissant  place  à  la  possibilité  d'une  connaissance  plus 
relevée;  bonté  communicative,  mais  s'exerçant  libre- 
ment, quand  il  s'agit  d'opérations  ad  extra. 

Pour  saint  Athanase,  Dieu  n'est  pas  seulement  im- 
matériel et  incorporel,  a-J).o;  xai  àawp.aToc  De  decretis 
niesen.  syn.,  n.  10,  P.  G.,  t.  xxv,  col.  441;  il  est  une 
substance  simple,  d'une  simplicité  absolue  qui  exclut 
toute  qualité  et  toute  composition  proprement  dite  : 
ànÀr,  yzp  èttiv  ovdia,  êv  yj  o-ix  svi  ttoioty,;,  Epiai,  ad 
Afros  episc,  n.8,  t.  xxvi,  col.  1043;  cf.  De  décret,  niesen. 
syn.,  n.  22,  t.  xxv,  col.  454,  où  l'idée  d'accident  est 
expressément  rejetée,  to;  âv  Trj  oùai'a  tô  <rju.ësor|y.o;. 
Didyme  n'est  pas  moins  expressif,  par  exemple,  De 
Spiritu  Sancto,  n.  36,  P.  G.,  t.  xxxix,  col.  1064  :  sim- 
plex,  et  incompositse  spiritualisque  nalurœ;  cf.  In 
Epist.l  Joa.,  iv,  12,  où  la  conception  d'un  Dieu  visible  et 
corporel  est  rejetée.  Ibid.,  col.  1798  sq.  Par  un  raffi- 
nement qui  trouve  son  explication  dans  la  voie  d'émi- 
nence,  il  donne  même  à  Dieu  l'épithète  d'IiTupaçiôuaroc. 
De  Trinitate,  1.  II,  c.  xx,  ibid.,  col.  740.  Cyrille,  à 
son  tour,  ne  se  contente  pas  de  défendre  la  spiritualité 
divine  contre  les  attaques  provoquées  par  le  langage 
anthropoinorphique  de  la  Bible,  Contra  Julianum,  1.  V, 
/'.  >;.,  t.  i.xxvi,  col.  764  sq.,  et,  plus  complètement, 
dans  son  ouvrage,  contesté,  Advcrsus  anl/iroponwr- 
phitas,  lettre-préface  et  c.  i,  P.  G.,  ibid.,  col.  1068, 
1077;  comme  saint  Athanase,  il  écarte  encore  de  Dieu 
toute  idée  de  composition  ou  d'accident  :  xh  5k  ûnîov 
â-/o0v  X0Ù  ôeT'ivOETOv  xopu5rj...xal  OUX  txv  VOOÏTO  ti  iTU|l6c- 
gi)XÔC  ait'  aviroû.  De  Trinitate,  dial.  I  et  II,  P.  ('•.. 
t.  i.xxv,  col.  673,  720. 

La  simplicité  absolue  de  l'essence  divine  n'est  pas, 
pour  les  trois  docteurs  alexandrins,  celle  d'un  être  abs- 
trait; elle  suppose,  au  contraire,  que  Pieu  possède  de 
lui-même,  par  essence,  toutes  les  perfections  qui  lui 
conviennent,  et  c'est  pour  cela  qu'on  ne  peut  jamai 
concevoir  comme  susceptible  d'un  complément  quel- 
conque,   s.    Cyrille,   Thésaurus,  ass.    xxxi,   t.   lxzv, 

roi.    li.Y    Ile   la    tant     de     passes    on     Pieu     eSl   <i 
comme  n'ayant  besoin  de  rien,  rnaK  se  suffisant  a  lui- 
même  en  sa   plénitude,    tout  parfait,    infini     :     p.7)fttvb{ 
KÙxbv     i-:',ir,     à//'    KVlTKpXT)    /T.:   ~'rr,',r,   iavfOV,  9     Alh.1- 

Irn  genl.,  n.  -js.  t    \w.  col.  50;  nXi 

m     -.ii\;:.   Oral.,    m.    COntra     ariaii.,   n.    I,    t.    XWI. 

col.  1)24;  Kvapxo;  &n£pxti(  kkI  iitipavroc;  liomins  de  se 
et  in  u-  lubsistêns,  Didyme,  De  Trinitate,  I.  I,  c.  w. 
De  Spiritu  Sancto,  n.  38,    i-    txxtx,  col.  888    1006. 


1071 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES) 


1072 


Saint  Cyrille,  après  avoir  affirmé  l'absolue  simplicité 
de  la  nature  divine,  ajoute:  tt'/.o'jtcÎ  Se  aùtô  tô  TravtiXetov 
èi'  focjTàJ  ge/,0èv  oÙSevô?.  De  Trinilale,  dial.  i,  col.  673. 
C'est  au  Verbe  comme  parfaite  image  et  fils  unique  du 
Père,  et  par  conséquent  comme  l)ieu,  que  saint  Atha- 
nase  attribue  toute  une  série  d'épitbèles,  dont  chacune 
indique  une  perfection  possédée  simplement  et  essen- 
tiellement :  a-JTo<roip:a,  ayToXôyoç,  arjToS'jva(UÇ,  kvtoç&>(i 
a-JToa/.ïjôîia,  a'JTOGtxaio<7'jvr(,  avtoapETY),  orJT')ayi3'7|j.ôr, 
avitoÇbiYJ.  Orat.  conlra  gent.,  n.  46,  47,  t.  xxv,  col.  93. 

La  transcendance  divine  ressort  manifestement  de 
tout  ce  qui  précède;  et  d'abord,  la  transcendance  onto- 
logique, c'est-à-dire  d'une  nature  supérieure  à  tous  les 
degrés  de  l'être  créé  :  6  ûicepéxetva  7iào~o;  o'Jo-;'a;  xa'i 
àvBpioict'vv);  èmvot'a;  ùitâp/wv,  ...èTtéxEiva  7ti<rr,;  yevï)tïjç 
o-jiri'ac  -jnip/wv,  S.  Athanase,  Orat.  conlra gent.,  n.  2, 
35,  40,  t.  xxv,  col.  5,  69,  80;  -jusp  tô  h'jçx-.rj'i  v.ai 
àyy.véa'TaTov  -/.ai  ûitèp  iravToc  vovv  ûicâp^cov,  Didyme, 
De  Trinilale,  1.  III,  c.  xvi,  t.  xxxix,  col.  873;  %(>;... 
•jTrspo-jTio;;...  toï;  t/,c  çviffSMç  àppr,toiî  7iXeovexTrj[i.a<jiv 
ûicEpavîir^cDV  ri  yEvr(-â.  S.  Cyrille,  /n  ,/oa.,  I,  3,  t.  lxxii, 
col.  85;  vin,  23,  t.  lxxiii,  col.  805. 

Dieu,  transcendant  ontologiquement,  l'est  aussi  logi- 
quement; il  reste  en  dehors  de  toutes  les  catégories  de 
la  pensée  humaine;  en  particulier,  il  ne  peut  être 
question  en  lui  ni  de  quantité,  dimension  ou  grandeur, 
ni  de  qualité,  ni  de  figure  ou  de  forme.  S.  Athanase, 
Oral,  contra  gent.,  n.  22;  De  décret,  nicsen.  syn., 
n.  22,  t.  xxv,  col.  44,  453,  456;  Didyme,  De  Trinilale, 
1.  I,  c.  xvi ;  1.  Il,  c.  xx,  t.  xxxix,  col.  737,  740,  etc.; 
S.  Cyrille,  InPs.,  xi,  3,  t.  lxix,  col.  793;  InJoa.,  i,  1, 
t.  lxxiii,  col.  48. 

La  transcendance,  telle  que  l'entendent  les  Pères 
alexandrins,  n'exclut  nullement  l'immanence  ou  la 
présence  de  Dieu  dans  le  monde;  elle  l'implique,  au 
contraire.  Car,  si  Dieu  est  créateur,  il  n'en  n'est  pas 
moins  conservateur,  coopérateur,  illuminateur,  et,  à  ce 
titre,  toujours  présent  dans  ses  créatures,  lui  et  son 
Verbe.  Doctrine  fortement  affirmée  par  saint  Athanase 
dans  ses  deux  premiers  ouvrages  :  ù  to-j  LTarpô:  A6yo;, 
È7uêàc  toï;  irâuc  xa\  7ravray_o-j  rà;  eauToO  8uviu.Ei; 
Ê?aiï),a>aaç,  etc.,  Orat.  conlra  gent.,  n.  42,  t.  xxv, 
Col.  S4  ;  7râvTa  8e  Sià  TcâvTiov  TtsuX^pwxEv  otJto;  <7U'<(ov 
;m  i.xuToû  7iaip!.  Orat.  de  incarnat.  Verbi,  n.  8,  ibid., 
col.  109;  cf.  n.  41,  col.  170.  Doctrine  complétée,  dans 
les  écrits  postérieurs,  par  l'accentuation  de  l'immensité  ; 
Dieu  n'est  jamais  circonscrit  dans  l'espace  ni  fixé 
quelque  part;  présent  partout  par  sa  bonté  et  sa 
puissance,  il  reste  néanmoins,  par  sa  propre  nature, 
en  dehors  de  toutes  choses,  k'îjto  Se  xù>v  irâvidov  7iâÀiv 
s<jt\  xa-à  Tï]v  îoe'av  yvavi.  De  décret,  nicsen.  syn.,  n.  11, 
t.  xxv,  col.  441.  Ces  dernières  paroles  ne  s'opposent 
pas  à  la  présence  substantielle,  mais  seulement  à  une 
présence  locale  ou  restreinte,  qui  répugnerait  à  l'im- 
mensité divine;  c'est  le  seul  sens  qui  réponde  au  con- 
texte et  aux  divers  passages  où  la  même  idée  revient, 
par  exemple  Orat., m,  contra  arian.,n.  22;  Epist.,  ni, 
ad  Serapion.,  n.  5,  t.  xxvi,  col.  370,  631;  Fragm.  in 
Job,  c.  i,  n.  7,  t.  xxvil,  col.  1345. 

Cette  interprétation  est,  du  reste,  confirmée  par  la 
doctrine  des  deux  autres  alexandrins,  analogue  pour 
le  fond,  mais  plus  claire  dans  l'expression.  Ils  affirment 
l'ubiquité  divine  sans  aucune  restriction  et  en  l'appli- 
quant à  la  divinité  :  0sô;  èv  oùpavtô  ti  <ï>v  xa\  vuvùv 
r|[/.Cv,  airio;  tzÏ'jVi  jtâvwov  xaXûv...  TrXrjpoûo-a  [xèv  tôv 
-/.Ô7JJ.OV  xa\  c-jvÉyouo-a  xaxà  tï)v  OeoTï^a,  Didyme,  De 
Trinilale,  1.  II,  c.  iv,  vi,  t.  xxxix,  col.  484,  509; 
xevov  8c  tt);  Éa-jToC  Qeotvito:  oOSÈ  a-JTÔv  àyi-r^i  tov  iôV.v. 
S.  Cyrille,  In  Joa.,  i,  9,  t.  LXXIII,  col.  129. 

La  formule  athanasienne  k'Ew  ttoWtiov  se  retrouve 
même  chez  ce  dernier  Père,  mais  dans  un  contexte 
qui  lève  toute  équivoque  :  7t).T)poï  yàp  xà  uâvra  xa)  Stà 
7rivT<ov   ÈDx<i(J.evov,  k'Çto  te  xcàvTwv  xa'c  Èv   7tâo-t'v  èo-r.  In 


■/i>a.,  xvn,  13.  t.  i.xxiv,  col.  525.  Ainsi,  Dieu  est  à  la 
fois  hors  de  toutes  choses  et  en  toutes  choses;  hors  de 
toutes  choses,  en  vertu  de  son  immensité;  en  toutes 
choses,  en  vertu  de  son  ubiquité.  Qu'il  s'agisse,  dans 
ces  passages,  du  Verbe  ou  du  Saint-Esprit,  peu  importe  ; 
car  les  trois  docteurs  alexandrins  professent  l'unité 
rigoureuse  de  la  nature  divine  et  la  communauté  des 
opérations  ad  extra,  ce  qui  écarte  radicalement  la 
conception  pseudo-philosophique  de  Dieu  le  Père  fixé 
au  ciel,  mais  agissant  au  dehors  par  le  Verbe  et  par 
l'Esprit. 

L'incompréhensibilité  de  la  nature  divine,  corollaire 
de  sa  transcendance,  est  contenue  dans  les  paroles 
déjà  citées  de  saint  Athanase  :  ô  uirepéxeiva  imoy|C... 
àvfjp(.)7c:vr,;  ETct/ota;  viTtipytov.  Orat.  contra  gentes,n.  2. 
Nombreux  sont  les  textes  où  ce  docteur  déclare  invi- 
sible et  incompréhensible  l'essence  de  Celui  qui  est  : 
tï)v  àùparov  avToî  /.ai  àxatà).ï]7CTov  oùaiav,  -De  décret, 
nicsen.  syn.,  n.  22,  t.  xxv,  col.  453;  i/.a.-.y.'/r,--oi  toô 
ovtoç  o-Jciav.  De  synodis,  n.  35,  t.  xxvi,  col.  753. Même 
doctrine  chez  Didyme.  La  contemplation  des  créatures 
ne  fournit  rien  qui,  par  voie  de  similitude  ou  d'analo- 
gie, nous  permette  de  concevoir  et  d'exprimer,  i  la 
monade,  l'incomparable  nature  ».  De  Trinitate,  1.  II, 
c.  v,  t.  xxxix,  col.  504.  D'où  cette  conclusion  :  «  Que 
Dieu  existe,  c'est  une  vérité  connue  de  tous;  mais 
comprendre  ce  qu'il  est,  et  de  quelle  façon  il  est,  -i  5s, 
V)  7r(ii;  intipyv.,  ceci  dépasse  la  capacité  de  l'intelligence 
créée.  »  Ibid.,  1.  II,  c.  v,  col.  504.  Saint  Cyrille  n'est  pas 
moins  expressif  en  une  foule  d'endroits,  par  exemple. 
In  Joa.,  vin,  55,  t.  lxxiii.  col.  928,  où  il  montre  com- 
ment le  fait  de  savoir  que  Dieu  existe  n'emporte  pas  qu'on 
le  connaisse  dans  sa  propre  nature;  De  Trinitate, 
dial.  iv,  t.  lxxv,  col.  872,  où,  distinguant  également 
les  deux  questions,  or:  e<rn  Béôç,  et.  «  ce  xcctù  z.-li:-i 
ÈTti'v,  il  dit  de  la  seconde  qu'il  est  absurde  de  pré- 
tendre la  résoudre,  la  nature  divine  étant  au-dessus  de 
toute  intelligence  :  No3  yàp  âTOxeiva  -ï/to:  t,  0eoO 
p-jo-iç.  Dieu,  l'Être  subsistant  et  l'Intelligence  suprême, 
contemple  tout  et  se  connaît  lui-même  à  sa  manière, 
divinement;  il  en  va  bien  autrement  de  nous,  qui  ne 
voyons  Dieu  que  comme  dans  un  miroir  et  par  énigme. 
Thesaur.,  ass.  xxxi,  t.  lxxv,  col.  449. 

Dieu  incomprétiensible  en  son  être  intime,  et  Dieu 
inconnaissable,  ne  sont  nullement,  chez  nos  alexan- 
drins, deux  expressions  synonymes  ou  corrélatives. 
Didyme,  qui  traite  ex  professo  de  la  Trinité  ou  du 
Saint-Esprit,  considère  presque  toujours,  il  est  vrai, 
notre  connaissance  de  la  divinité  sous  un  aspect  néga- 
tif, du  point  de  vue  de  l'incompréhensibilité;  néan- 
moins, dans  plusieurs  des  passages  où  il  accentue  le 
plus  cette  propriété,  il  suppose  la  possibilité  d'une 
connaissance  qui  n'est  ni  adéquate  ni  par  notion  propre, 
mais  qui,  à  l'aide  de  comparaisons  et  d'analogies,  per- 
met à  l'intelligenee  humaine  d'avoir  quelque  idée  de 
ce  qui  la  dépasse  :  eî  xSv  o-jtw  ttog-ôi;  e:;  voûv  8e;-/6e:V, 
t'o  v7TÈp  voOv.  De  Trinitate,  1.  I,  c.  XV,  t.  xxxix, 
col.  308;  cf.  1.  H,  c.  v,  col.  505  :  jitxpâ  t:,-,  tovù  irxià 
o[j.oKÙ(Teto;  o'.ovsi-w;;  DeSpiritu  Sancto,  n.  38,  col.  1066, 
passage  d'où  il  résulte  qu'à  tout  le  moins  nous  pou- 
vons parler  de  Dieu  et  des  choses  divines  par  cata- 
chrèse,  xaTaxpqorixûc. 

C'est  à  bon  droit  que  Schwane, op. cit.,  t.  i,  p.  28sq.r 
trouve  dans  VOratio  contra  génies.  P.  (i.,  t.  xxv, 
col.  3  sq.,  un  exemple  remarquable  de  la  doctrine  qui 
revendique  pour  l'homme,  même  déchu,  la  faculté  de 
connaître  Dieu  comme  créateur  et  Être  absolu;  néan- 
moins, dans  cet  ouvrage  apologétique,  saint  Athanase 
songe  moins  à  prouver  l'existence  de  Dieu  en  général, 
qu'à  justifier  la  notion  chrétienne  du  vrai  Dieu,  c'est-à- 
dire  d'un  Dieu  sage  et  bon,  premier  et  unique  principe 
du  monde.  Les  considérations  qu'il  développe  tendent 
à    faire   admettre  cette  notion    aux  païens   et  à   leur 


1073 


DIEU    (SA   NATURE    D'APRÈS   LES    PÈRES 


1074 


montrer  qu'en  se  laissant  aller  à  toutes  les  extrava- 
gances de  l'idolâtrie  ou  du  polythéisme,  ils  ont  été 
coupables  et  responsables.  Ils  avaient,  pour  aller  au 
seul  vrai  Dieu,  ttoô;  tôv  ovtojç  ovtoc  0eôv,  n.  30,  col.  60, 
deux  voies  :  d'abord,  leur  âme  raisonnable,  faite  à 
l'image  de  Dieu  et  du  Verbe;  puis,  le  monde  visible, 
considéré  comme  révélation  extérieure  de  Dieu.  Voies 
toujours  possibles,  la  seconde  surtout,  qui  supplée 
pour  ainsi  dire  à  la  première,  quand  l'âme,  souillée  ou 
troublée,  n'est  plus  en  état  de  discerner  en  elle-même 
l'image  du  Verbe  divin,  n.  34,  col.  69.  Ainsi  Dieu, 
quoique  insensible,  n'a  pas  voulu  rester  pour  nous  un 
simple  inconnu,  rcavreXûc  ayvioo-rov;  par  son  Verbe,  il 
a  si  bien  disposé  la  création  qu'il  nous  est  possible  de 
l'atteindre  lui-même  à  l'aide  de  ses  œuvres,  êx  -roiv 
ÊpYcov,  n.  35,  col.  69.  A  plus  forte  raison,  Dieu  ne  sera 
pas  un  inconnu,  si  à  cette  manifestation  générale 
s'ajoute  la  révélation  spéciale  et  d'ordre  plus  relevé 
qu'il  nous  a  faite  dans  les  saintes  Écritures,  et  surtout 
dans  la  personne  du  Verbe  incarné.  Le  résultat  est 
assurément  une  vraie  connaissance,  toute  limitée  et 
obscure  qu'elle  soit  :  ôXivoctûç  7ta>;  xa;  àjjLuSptôç.  Orat., 
H,  contra  arian.,  n.  32,  t.  xxvi,  col.  216. 

Saint  Cyrille  marche  sur  les  traces  de  saint  Atbanase, 
en  ce  qui  concerne  la  connaissance  vulgaire  et  spon- 
tanée. Voir  t.  ni,  col.  2502.  11  signale,  en  particulier, 
les  deux  grandes  voies  qui  mènent  à  Dieu  :  notre  âme 
et  le  monde  extérieur,  Contra  Julian.,  1.  III,  t.  lxxvi, 
col.  65i;  cf.  pour  la  première  voie,  In  7s.,  xlii,  18, 
t.  LXX,  col.  873;  pour  la  seconde,  In  Joa.,  i,  9,  t.  LXXin, 
col.  128,  où  la  connaissance  naturelle  de  Dieu  est  uti- 
lisée, comme  donnée  positive,  abstraction  faite  de 
toute  explication  ultérieure.  Les  deux  problèmes,  de 
l'existence  et  de  l'essence  divines,  sont  également  dis- 
tingués. In  Joa.,  vin,  55,  t.  lxxiii,  col.  928.  Mais  il  ne 
BU f fit  pas,  ajoute  Cyrille  en  ce  même  endroit,  de  savoir 
que  Dieu  existe;  il  faut  encore  avoir  à  son  sujet  des 
idées  convenables  et  justes.  Les  saintes  Écritures  sont 
là  pour  nous  renseigner.  Ainsi,  nous  savons  et  nous 
croyons  que  Dieu  est  puissant,  et  non  pas  faible,  qu'il 
est  bon,  et  non  pas  mauvais,  qu'il  est  juste,  et  non 
pas  injuste,  etc.  Distinction  implicite  entre  les  déno- 
minations positives  et  négatives,  formulée  expressé- 
ment et  développée  dans  un  autre  endroit.  Da  Trini- 
tate,  dial.  i,  t.  i.xxv,  col.  709.  Xous  pouvons,  à  l'aide 
de  noms  variés  et  multiples,  expliquer  les  perfections 
de  la  nature  divine  et,  de  la  sorte,  acquérir  de  celle-ci 
une  modeste  connaissance,  xav  yoOv  =!;  [tetpfav  t/,v 
-:->'.  R-jTfjc  ?|XO(xev  Yvûaiv.  Nous  nous  servons  pour  cela 
de  ce  qu'elle  est,  ou  de  ce  qu'elle  n'est  pas;  de  ce 
qu'elle  est,  quand,  par  exemple,  nous  appelons  Dieu 
\ieet  lumière;  de  ce  qu'elle  n'est  pas,  quand  nous  le 
disons  incorruptible  et  invisible. 

Une  objection  des  eunomiens  fournit  au  docteur 
alexandrin  l'occasion  de  compléter  cette  doctrine.  Pour 
prouver  que  nous  pouvons  et  devons  avoir  de  la  na- 
ture divine  une  conn  ti  ani  i  compréhensive,  ces  héré- 
tiques raisonnaient  ainsi,  Thesavrus,  ass.  xxxi,  t.  i  xxv, 
col.  4M)  :  Dieu  se  connaît  tel  qu'il  est,  et  sait  parfaite- 
ment ce  qu'il  est  par  essence;  si  nous  ne  le  connais- 
pas  nous-mêmes  lel  qu'il  est,  notre  connaissance 
fausse.  Connue  le  terme  d'ày£vt)TO(  intervenait 
dans  le  débat,  sainl  Cyrille  >iue,  parmi   les 

divins,  il  en  est  qui  ne  signifient  pas  ce  que 
Dieu  esl  t ,;i r  ■  iseni  •  .  mai  i  ulemenl  ce  qu'il  n'est  pas, 
Comme  le  terme  il  immortel,  ou  ce  qu'il  esl  par  rappoi  i 
■  i  un  autre,  comme  le  nom  de  pi  ri    el   ni'  nie.  il. m     un 

elui    'I  i  'lvr,ïo;,   col.   4-VJ.   Il 
troi-  sortes  de  noms  divin       les  uns  purement  l 
tifs,  les  autres  purement  relatifs,  lei  autres  positifs  el 
absolus,    signifiant  ce  que   Dieu  esl   essentiellement, 
ii  spn  ■  le  contexte,  i  esl  prim  ipali  raiera 

que  correspond  une  certain*  connal    anci  de  la  nature 


divine.  Dire  de  cette  connaissance  qu'elle  est  fausse, 
parce  que  nous  n'atteignons  pas  Dieu  comme  il  se 
connaît  lui-même,  c'est  supposer  ce  postulat,  manifes- 
tement absurde,  qu'une  connaissance  inférieure  à  une 
autre  ne  peut  pas  être  une  connaissance  vraie,  quoi- 
que imparfaite,  col.  449.  Nous  retrouverons  plus  loin 
celte  question  chez  d'autres  Pères,  en  particulier  chez 
les  Cappadociens. 

Dans  ce  qui  précède,  saint  Cyrille  suppose  l'appoint 
des  saintes  Écritures.  On  peut  se  demander  s'il  croyait 
à  la  possibilité  d'une  pareille  connaissance  en  dehors 
de  la  foi.  Les  éléments  de  la  réponse  se  trouvent  sur- 
tout dans  l'ouvrage  Contre  Julien.  Le  docteur  alexan- 
drin revendique  pour  la  philosophie,  considérée  dans 
sa  partie  contemplative,  la  plus  belle  et  la  plus  noble 
de  toutes,  la  prérogative  de  nous  faire  saisir  en  quelque 
sorte,  dans  la  mesure  possible  ici-bas,  les  choses  di- 
vines, tàwsp'i  0eoû,l.  II,  t.  lxxvi,  col.  564;  expression 
qui,  manifestement,  n'exclut  pas,  mais  comprend  Dieu 
lui-même,  0eôv  xi  xoù  -rà  aûvoû,  1.  III,  col.  637.  Aussi, 
dans  le  Ier  livre,  Cyrille  emprunte  aux  sages  de  l'anti- 
quité des  témoignages  notables  en  faveur  du  vrai  Dieu 
et  de  ses  perfections  essentielles.  Mais  en  même  temps 
il  suppose  que  ces  privilégiés  n'ont  pu  s'élever  à  cet 
ensemble  de  vérités  qu'à  l'aide  d'un  secours  spécial, 
accordé  par  Dieu  à  ceux-là  seulement  qui  ont  mené  une 
vie  détachée,  pure  et  pieuse,  col.  525,  et  que,  de  plus, 
ik;  ont  subi  l'inlluence  des  écrits  de  Moïse,  connus  île 
plusieurs  d'entre  eux,  col.  556  :  doctrine  qui  revient, 
en  substance,  à  celle  de  Clément  et  d'Origène. 

Un  dernier  trait  de  famille  entre  la  théodicée  des  pre- 
miers Pères  alexandrins  et  celle  de  leurs  successeurs 
postnicéens,  se  retrouve,  mais  avec  quelques  diver- 
gences, dans  le  relief  donné  à  la  bonté  communicative. 
Pour  saint  Athanase,  Dieu  est  assurément  bon,  il  est 
excellent,  par  nature  :  àyaôb;  xai  ûiripxaXoç  r>,v  qpvatv. 
Orat.  contra  gent.,  n.  41,  t.  xxv,  col.  81.  C'est  sa 
bonté  qui  l'a  porté  à  créer,  à  former  l'homme  à  son 
image  et  à  lui  témoigner  un  spécial  amour.  Le  mal 
n'est  point  un  être  posilif  qui  vienne  de  lui;  son  origine 
se  trouve  dans  la  défaillance  de  la  liberté  créée.  Ibid., 
n.  7,  col.  16.  Mais  le  grand  champion  de  l'orthodoxie 
ne  suit  pas  Origène  dans  sa  conception  de  la  bonté 
divine  comme  force  naturellement  expansive  el  ni  I 
sairemenl  active.  F.n  tout  ce  qui  concerne  Dieu  consi- 
déré dans  son  être  intime,  la  liberté  n'a  évidemment 
pas  de  place.  Qu'il  existe  et  qu'il  soit  ce  qu'il  est,  par 
exemple  bon  et  miséricordieux,  ce  n'est  pas  en  Dieu 
affaire  de  volonté,  ovx  h.  pouXr>6w;.  Dieu  n'existe  pas 
non  plus,  et  n'est  pas  ce  qu'il  est,  par  force  et  contre 
son  gré,  àvàyxr)  /.gù  irr,  8é).wv.  Il  existe  et  il  est  ce  qu'il 
est,  par  naturel  pverct.  Orat.,  III,  contra  arian.,  n.  62, 
63,  t.  xxvi,  col.  453,  156.  Mais  pour  tout  ce  qu'il  l'ait  en 
dehors  de  lui,  Dieu  agit  en  toute  liberté;  possédant 
éternellement  la  puissance  créatrice,  il  fait  surgir  les 
choses  du  néant  quand  il  lui  plaît,  8ts T)0éX^«.  Oral.,  i, 
contra  arian.,  n.  29,  col.  72. 

Saint  Cyrille  ne  parle  pas  autrement  de  la  création; 

Dieu  a  produit  le   monde   librement   el  dans  le  temps. 

Contra  Julian.,  1.  II,  t.  i.xxvi,  col. £84,  L'accentuation 
de  la  bout.'  divine  est  plus  prononcée,  dans  le  sens  de 
la  théologie  alexandrine,  Après  avoir  cité  un  pa 
de  Porphyre,  où  ce  philosophe  néoplatonicien  affirme 
que  Dieu  esl  incompréhensible  el  qu'aucun  nom  ne  lui 
convient  proprement,  Cyrille  continue  en  ces  tenn 
i  Que  s,,  parmi  les  noms  en  usage,  on  ose  lui  en  ap- 
pliquer quelqu'un,  c'esl  plutdl  l'I  n  el  le  Bon  qu'il  laul 
l'appeler,  pLâXXov  rip  tvj  if,-.  Rpofft)Yop(av  xjù  ri|v  tiy«- 
DoO  raxtfov  lit'  rûtov.  ■  Ibid.,  1.  I.  col.  5W.  El  \oici 
l'explication  donnée  :  le  premier  nomexpri la  sim- 
plicité divine,  en  vertu  de  laquelle  Dieu  se  suflit  plei- 

nl  '  lui  i le  second  indique  que  de  lui  dé» 

roule  loul  ce  qui  est  bon    Un  >.  nature    ouvi  rainement 


1075 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES) 


1070 


simple,  parfaite  en  elle-même  et  source  de  toute  bonté 
participée,  telle  serait  la  plus  haute  notion  de  Dieu.  On 
peut  toutefois  se  demander  si  l'apologiste  parle  sim- 
plement en  son  nom,  ou  si,  plutôt,  il  ne  résumerait  pas 
l'enseignement  de  Porphyre. 

Didyme  s'accorde  naturellement  avec  les  autres 
alexandrins  pour  voir  dans  la  création  une  œuvre  de 
bonté,  àyaô'oç  yîxp  cV>v  outq;,  SïipiioupYet,  De  Trinitate, 
1-  II,  c.  vi,  t.  xxxix,  col.  516,  et  pour  dénier  au  mal 
toute  provenance  divine  et  toute  réalité  substantielle. 
Contra  manichseos,  c.  il,  xu,  col.  1088,  1100.  Admira- 
teur fervent  d'Origène,  Didyme  est-il  allé  jusqu'à  le 
suivre  dans  son  erreur  sur  l'éternité  de  la  création  V 
Voir  t.  iv,  col.  750,  753.  Cette  doctrine  semble  bien 
contenue  dans  un  traité  qui  nous  a  été  conservé  sous 
le  nom  de  saint  Grégoire  de  Nysse,  et  qu'un  critique 
récent  a  revendiqué  pour  Didyme  :  le  traité  Adversus 
Arium  et  Sabellium,  P.  G.,  t.  xlv,  col.  1281  sq.  Dieu, 
pour  l'auteur  de  cet  ouvrage,  est  toujours  actif,  àsi 
èvepfr,;,  col.  1288.  Expression  dont  on  peut  rapprocher 
cette  autre  de  Didyme  :  àEtxc'vr,To;,  nunquam  otiosus, 
De  Trinitate,  1.  II,  c.  vin,  t.  xxxix,  col.  612,  et  celte 
assertion,  que  pour  Dieu,  penser,  c'est  agir,  o-j  ai  vor,- 
ctecç  TCotr,(recç  ûaiv.  lbid.,  1.  I,  c.  VIII,  col.  277.  En 
revanche,  dans  ce  même  ouvrage  sur  la  Trinité,  Didyme 
considère  comme  connexes  ces  trois  prédicats  :  n'être 
pas  soumis  au  temps,  être  éternel,  être  incréé  :  qui  non 
est  tempore  obnoxius, œlernns  est;  qui  autem  seternus 
est,  increatus  est,  1.  I,  c.  XV,  col.  310.  Ailleurs,  il 
affirme  que  la  créature,  n'ayant  pas  existé  dès  le  début, 
a  commencé  d'être  :  rt  /.t;<ti;  xb  sîvai  ïyti,  oùx  oStra  ttjv 
àp-/V>l-  II)  c-  VI,  col.  508.  Ces  passages  rendent  dou- 
teuse, soit  l'attribution  faite  à  Didyme  du  traité  A dver- 
sus  Arium  et  iSabellium,  soit  l'interprétation  origéniste 
des  expressions  relevées;  car  l'éternelle  activité  de  Dieu 
peut  s'entendre  de  ses  opérations  immanentes,  et, 
même  par  rapport  aux  opérations  extérieures,  elle 
peut  s'entendre  d'une  façon  relative,  dans  l'hypothèse 
de  la  création,  au  sens  où  Notre-Seigneur  dit,  Joa.,  v, 
17  :  Pater  meus  usque  modo  operatur.  Voir  aussi  les 
annotations,  dans  Migne,  col.  277,  n.  38;  col.  611,  n.  67. 

b)  Pères  palestiniens  :  Eusèbe  de  Césarée  (f  vers 
339),  saint  Cyrille  de  Jérusalem  (f  386),  saint  Épi- 
phane  (-f  403).  —  Ces  Pères  ne  forment  pas,  comme  les 
alexandrins,  un  groupe  homogène,  qui  appartienne  à 
une  école  déterminée.  Si  Eusèbe,  disciple  de  Pamphile, 
dépend  fortement  d'Origène,  saint  Èpiphane  fut  un 
ardent  adversaire  du  grand  alexandrin,  et  saint  Cyrille, 
par  sa  formation  comme  par  la  tournure  de  son  esprit, 
se  rattache  à  l'école  d'Antioche. 

Eusèbe  de  Césarée  rentre  dans  la  catégorie  des  Pères 
apologistes  par  sa  Préparation  et  sa  Démonstration 
évangélique,  P.  G.,  t.  xxi,  XXII.  C'est  surtout  dans  le 
premier  ouvrage,  travail  de  vaste  compilation,  qu'il  est 
amené  à  parler  de  la  divinité.  Là  se  retrouvent  les  thè- 
mes communs  à  ses  devanciers  :  l'unité  de  Dieu,  d'un 
Dieu  bon,  qui  n'est  pas  l'auteur  du  mal,  1.  IV,  c.  xix; 
1.  VI,  c.  vi  ;  1.  XI,  ex;  1.  XIII,  c.  n,  col.  291,  425,879, 
1065;  la  providence,  avec  la  prescience  qui  ne  nuit  pas 
à  la  contingence  de  l'événement  prévu  ou  prédit,  1.  VI, 
c.  xi;  1.  VII,  c.  x;  1.  VIII,  c.  xiv,  col.  492,  531,  651;  la 
réfutation  de  l'erreur  dualiste  sur  la  matière  incréée  et 
cause  du  mal,  1.  VII,  c.  xix,  xxn,  col.  563,  570.  Pour 
justifierlescbrétiens  d'avoir  suivi  la  doctrine  des  Hébreux 
de  préférence  à  celle  des  Grecs,  Eusèbe  démontre  l'ex- 
cellence de  la  première.  Dans  ce  dessein,  il  signale  la 
concordance  entre  la  doctrine  chrétienne  ou  mosaïque 
et  celle  des  sages  de  l'antiquité,  Platon  surtout,  sur 
Dieu  considéré  sous  divers  aspects  :  comme  l'Être  même 
(Exod.,  m,  14),  incréé,  éternel,  immuable  par  nature, 
1.  XI,  c.  ix  sq.,  col.  867  sq.;  comme  ineffable  et  incom- 
préhensible^, xu,  col.  879;  comme  seul  et  unique  vrai 
Dieu,  c. xiii,  col.  879;  comme  souverainement  et  essentiel- 


lement bon,  c.  xxi.  col.  902;  comme  incorporel,  1.  XV. 
c.  xvn,  col.  1345.  Par  contraste,  il  relevé  clic/,  les  phi- 
losophes leurs  opinions  discordantes  et  erronées  sur 
la  divinité,  1.  XIV,  c.  xvi  ;  I.  XV,  c.  xv  sq.,  col.  1237, 
1342  sq.  Comme  l'auteur  de  la  Préparation  évangéli- 
que  procède  habituellement  par  voie  de  citations  et  de 
rapprochements,  sa  théodicée  présente,  au  point  de  vue 
de  la  terminologie,  une  saveur  platonicienne,  ou  plutôt 
néoplatonicienne,  assez  prononcée.  Au  reste,  rien  de 
personnel,  comme  l'observe  E.  Preuschen,  art.  Eusebius 
von  Cdsarea,  dans  Pœalencyclopudie  fur  protesta»  lis- 
che  Théologie  und  Kircfie/6'  édit.,  Leipzig,  1898,  t.  v. 
p.  617. 

Comment  Platon  est-il  parvenu  à  sa  doctrine  sur 
Dieu  et  les  choses  incorporelles'.'  Intéressante  est  la 
réponse  de  l'évèque  de  Césarée,  1.  XI,  c.  VIII,  col.  868. 
Il  a  recours,  comme  ses  devanciers,  à  la  théorie  des 
emprunts  faits  à  ! Moïse  et  aux  autres  prophètes  des  Hé- 
breux, mais  d'une  façon  qui  n'a  rien  d'absolu  ni  d'exclusif; 
car  il  propose,  en  outre,  comme  hypothèses  plausibles, 
l'exercice  naturel  de  la  raison  humaine  ou  quelque 
disposition  providentielle  :  eite  xai  -ap'  êixvto-j  xrk  tC>v 
TipaY|j.âTa>v  êjtiêaÀù)'/  S'Jtei  Eite  ôitwijoOv  Cîtô  Heov  zata- 
l-iuiOelç  t?,ç  vv<i<jcu>î.  Rom.,  i,  20.  D'une  façon  plus 
générale,  il  fait  appel,  contre  les  païens,  à  la  notion 
commune  et  comme  instinctive  de  Dieu  qui  se  trouve 
en  tout  homme;  elle  leur  aurait  suffi,  s'ils  l'avaient 
écoutée,  pour  éviter  tant  de  grossières  erreurs  sur  la 
divinité,  1.  II,  c.  VI,  col.  140. 

Les  autres  ouvrages  d'Eusèbe  ajoutent  peu  de  chose 
à  ce  qui  précède.  La  preuve  de  l'existence  de  Dieu  par 
l'ordre  et  la  beauté  du  monde,  Sap.,  xm,  5;  Rom.,  i, 
20,  apparaît,  Comment,  in  Ps.,  xvm,%  et  xcm.  8-11, 
t.  xxiii,  col.  186  sq.,  1200.  La  transcendance  divine, 
exprimée  dans  la  Préparation  évangélique  en  langage 
platonicien,  n'est  pas  moins  fortement  accentuée  dans 
la  Démonstration,  1.  IV,  c.  I,  t.  xxn,  col.  252  :  -i.'zr; 
-/.peÏTTûv  npoffir)Yopta;,  appï]-o/,  àvsv.îpasTov.  aitepiv(5r,TOv; 
en  même  temps  le  grand  principe  de  l'immanence 
divine  est  rappelé  :  In  Mo  enim  vivimus  et  movemur 
etsumus.  Act.,  xvn,  28.  Mais  parfois  la  transcendance 
est  attribuée  à  Dieu  le  Père  en  des  termes  où  le  subor- 
dinatianisme  d'Eusèbe  parait  se  reiléter;  ainsi  en  est-il 
particulièrement  dans  l'un  des  écrits  qu'il  composa 
contre  Marcel  d'Ancyre,  De  ecclesiastica  theologia, 
t.  xxiv,  col.  825  sq.  Après  avoir  énoncé  la  foi  de  l'Église 
en  un  seul  Dieu,  Père  tout-puissant,  1.  I,  c.  vin, 
col.  837,  il  s'explique,  c.  xi,  col.  844,  de  telle  façon  que 
le  Père  seul  semble,  rigoureusement  parlant,  l'unique 
vrai  Dieu  :  exelvoç  ô  |j.6vo;  àvap/o;  xai  àf£vvr]TOÇ,  6  tifi 
ÔEOTïjTa  olxeiav  xeimjiiévoî.  Dans  le  passage  le  plus  qua- 
lificatif de  la  divinité  qui  se  trouve  en  cet  ouvrage, 
Eusèbe  emploie  la  série  d'épithètes  commençant  par 
auto,  que  saint  Athanase,  on  l'a  vu,  appliquait  au  Verbe, 
précisément  pour  affirmer  sa  parfaite  consubstantialité; 
mais,  détail  notable,  c'est  au  Père  seul,  dont  il  s'agit 
dans  le  contexte,  que  l'évèque  de  Césarée  attribue  ces 
épithètes  :  Ssov,  é'v  t;  ôeïov,  appr,Tov,  àyxôôv,  â-/o\,v. 
àaJvôstov,  [xovoe'.Se;,  xb  l-ÉxEiva  Ttôv  ô'/u)v  ôjj.o).oyetv,aj-ô- 
Oeov,  oc'jtovoOv,  -x-j-.'ji  ôyov,  a'JTOOOçiav,  a^tô?<o;,  avTo^(or,v, 
aviTÔxaXov,  auroâyaOov  ovra...  xb-i  oï  tovtou  jjlovoyevt, 
Yi'ov...  y.j'i  a'jTÔv  Oeôv,  xa'i  voCv,  xai  /rivov,  xa\  ffoçt'av, 
etc.,  1.  II,  c.  xiv,  col.  928.  Ce  passage,  pris  séparément, 
n'est  pas  décisif  contre  l'orthodoxie  d'Eusèbe  ;  voir, 
pour  l'ensemble  de  la  doctrine,  dom  B.  de  Montfaucon, 
préface  des  Commentaires  sur  les  Psaumes,  c.  vi.  n.  2, 
P.  G.,  t.  xxiii,  col.  29.  Il  prouve  du  moins  ceci  :  c'est 
tlans  les  endroits  où  l'évèque  de  Césarée  parle  du  Pire, 
qu'il  faut  avant  tout  chercher  sa  pensée,  entière  et 
incontestable,  sur  la  nature  de  Dieu,  entendu  au  sens 
strict  et  absolu. 

Saint  Cyrille  de  Jérusalem,  docteur  de  l'Église  et  au- 
teur de  catéchèses  adressées  à  des  catéchumènes  qui 


1077 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES   PÈRES' 


4078 


devaient  recevoir  prochainement  le  baptême,  P.  G., 
t.  xxxn,  est,  à  ces  deux  titres,  un  témoin  beaucoup  plus 
important  que  l'énigmatique  Eusèbe.  Trois  catéchèses 
portent  directement  sur  des  articles  du  symbole  rela- 
tifs à  Dieu  :  la  vie,  sur  l'unité;  la  vme,  sur  le  souverain 
domaine  et  l'universelle  providence;  la  ix«,  sur  l'action 
créatrice.  Voir  t.  m,  col.  2545.  On  y  trouve,  sous  la 
forme  d'un  enseignement  populaire,  l'affirmation  de  la 
doctrine  catholique  sur  Dieu  et  ses  attributs,  et  la  réfu- 
tation des  erreurs  opposées,  idolâtrie,  anthropomor- 
phisme, dualisme.  En  outre,  dans  la  ive  catéchèse,  plus 
générale,  sur  les  dogmes  fondamentaux,  le  docteur  pa- 
lestinien met  en  première  ligne  la  croyance  en  un  seul 
Dieu,  non  engendré,  àyévvr^o:,  sans  principe,  à'vapyoç, 
complètement  immuable,  éternel,  à  la  foisjuste  et  bon, 
créateur  unique  des  âmes  et  des  corps,  du  ciel  et  de 
la  terre,  n.  4,  col.  457.  Immense,  il  est  en  tout  et  hors 
de  tout  ;  omniscient,  tout-puissant,  absolument  parfait, 
Èv  TtâTi  tsXsio;,  n.  5,  col.  460.  A  ces  propriétés  s'ajoutent 
la  simplicité,  |*,ovoei8ï|  ttjv  ii-Korrzxnvi,  la  sainteté  et  autres 
perfections  morales,  la  transcendance;  xaî  îrâvTwv  àya- 
Otôrspo;  /.ai  Ttàvrwv  jxetÇwv,  xat  TtâvTOJV  ao^foTôpo;.  Cal., 
VI,  n.  7,  col.  549. 

Schwane,  op.  cit.,  t.  n,  p.  36,  joint  le  témoignage  de 
saint  Cyrille  de  Jérusalem  à  celui  de  saint  Athanase, 
pour  montrer  comment  les  Pères  de  cette  période 
croyaient  au  pouvoir  inhérent  à  l'esprit  humain  de 
s'élever  à  la  connaissance  de  Dieu.  Assurément  l'Être 
suprême  ne  tombe  pas  sous  les  yeux  du  corps,  puisqu'il 
est  incorporel.  Cal.,  ix,  n.  1,  col.  637.  Dans  sa  nature 
intime,  il  est  même  incompréhensible,  à/.a-i).r)T:zô; 
ÈTT'.'/  y,  ■jnovzxiT:;  r,  Oî:'a,  Cal.,  vi,  5,  col.  545;  il  l'est 
pour  les  anges  au  ciel,  pour  toute  créature,  car  ils  ne 
le  connaissent  pas  comme  il  se  connaît  lui-même  ou 
comme  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  connaissent  le  Père, 
mais  seulement  dans  la  mesure  où  ils  le  peuvent,  n.  6, 
ibid.  Aussi  notre  langage  reste  bien  au-dessous  de  ce 
qui  conviendrait  à  Dieu.  «  Nous  n'expliquons  pas  ce 
qu'il  est,  où  yàp  vo  ri  éiTt  Qio;  ï\r;;vlu.iHx\  nous  avouons 
franchement  que  nous  n'avons  pas  de  son  être  une 
exacte  connaissance,  car  avouer  son  ignorance,  en  cette 
matière,  c'est  faire  preuve  d'une  grande  science,  »  n.  2, 
col.  540.  D'ailleurs,  que  de  choses  en  ce  monde,  notre 
âme  en  particulier,  dont  nous  n'avons  qu'une  connais- 
sance incomplète!  n.  4,  6,  col.  544,  548.  «  C'est  assez 
pour  notre  piété  de  savoir  que  nous  avons  un  seul  Dieu, 
qui  existe  de  toute  éternité,  toujours  semblable  à  lui- 
même,  »  etc.,  n.  7,  col.  548. 

Ce  dernier  passage,  où  saint  Cyrille  parcourt  la  série 
•des  attributs  .que  nous  avons  déjà  indiqués,  montre 
■assez  que  pour  lui,  comme  pour  les  autres  Pères,  Dieu 
incompréhensible  n'est  pas  Dieu  inconnaissable.  A  cette 
objection  :  «  Si  la  substance  divine  est  incompréhen- 
sible, pourquoi  discourez-vous  à  son  sujet?  »  il  répond: 

l.h  quoi!  parce  que  je  ne  puis  pas  boire  toute  l'eau 
du  Meuve,  me  sera-t-il  défendu  d'en  prendre  à  ma  soif? 
De  ce  que  mes  yeux  ne  peuvent  pas  embrasser  le  soleil 
dans  toute  son  amplitude,  m'est-il  impossible  de  le  voir 
dans  la  mesure  qui  suffit  à  mes  besoins?  »  Cat.,  VI,  n.5, 
col.  545.  Les  œuvres  de  Dieu  témoignent  en  faveur  de 
ses  perfections.  Sa  p.,  xm.  5.  Plus  l'homme  s'élève  dans 
la  contemplation  des  créatures,  plus  grand  lui  apparaît 
l'ion  et  plus  grande  est  la  conception  qu'il  en  a,  |t«(Çovo 
•/.a\-£v.  8eo0  >.a|x@2vei  yavToeTiav.  Cal.,  IX,  n.  2,  col.  640. 

Saint  Epiphane.  hérésiologue,  ne  nous  offre  pas. 
comme  saint  Cyrille  de  Jérusalem,  un  enseignemi  ut 
didactique  sur  la  divinité.  Mais,  à  propos  des  hérésies 
qu'il  étudie  dans  son  Panarium,  il  a  l'occasion  d'affir- 
mer el  de  défendre  h  grandes  thèses  des  apologistes 
sur  le  Dieu  unique,  auteur  des  deux  i  itaments,  //•'  ■ 
IXIH,  advertui  taturniliam  .  n.  ■">  sq  .  P.  G.,  t.  xu. 
col.  :}(ii  sr|. ,  Dieu  bon  et  juste,  Hier.,  \xxiii.  advernu* 
ptolemaitas,  n.  10,  col.  57.'!;  seul  premier  principi  de 


toutes  choses,  Hœr.,  lxvi,  adversus  manichseos,  n.  14, 
t.  xlii,  col.  49  sq.  Souvent,  dans  le  même  ouvrage  et  dans 
YAncoratus,  la  transcendance,  l'invisibilité,  l'incom- 
préhensibilité  divines  sont  exprimées  énergiquement  : 
6  6s  ©ta;  àopato;,  axarâXiriitToç,  àïieptvôv)To;.  Ancor., 
n.  54,  t.  xliii,  col.  113;  cf.  Hœr.,  lxix,  n.  68;  lxx,  n.  4, 
8,  t.  xlii,  col.  316,  345,  352  sq.  Les  prophètes  n'ont  pas 
vu  Dieu  pleinement,  même  des  yeux  de  l'esprit;  ils 
l'ont  vu  comme  il  leur  était  possible  et  dans  la  mesure 
où  Dieu  a  daigné  se  manifester.  Hœr.,  lxx,  n.  7,  t.  xlii, 
col.  349;  Ancor.,  n.  54,  t.  xliii,  col.  112.  Aussi,  quand 
il  traite  des  anoméens  qui  prétendaient  avoir  de  la 
nature  divine  une  connaissance  parfaite,  aussi  parfaite 
que  Dieu  lui-même,  le  saint  docteur  s'élève  avec  indi- 
gnation contre  le  fol  orgueil  de  ces  hérétiques.  Hœr., 
lxxvi,  t.  xlii,  col.  634  sq.  Il  leur  oppose  la  transcen- 
dance et  l'incompréhensibilité  de  cet  Être  incomparable, 
tov  ào-jyy.ptTOV  nai  àx»TâÀr,7iTov,  t'ov  y.arà  tô  ïISo;  \>-ïv  fJ.r, 
y.aTa).a[ji.oavri|X£vov,  dont  la  foi  seule  peut  donner  à  ses 
serviteurs  quelque  connaissance.  Il  va  même  jusqu'à 
dire  que,  d'après  les  saintes  Écritures,  notre  vraie 
connaissance  de  Dieu  se  borne  à  savoir  qu'il  existe  et 
qu'il  récompense  ceux  qui  l'aiment.  Ibid.,  col.  636.  Le 
texte  visé  est  de  saint  Paul,  Heb.,  xi,  6,  mais  l'appli- 
cation qu'en  fait  l'hérésiologue  dépasse  manifestement 
la  pensée  de  l'apôtre;  celui-ci  ne  parle  pas  de  la  possi- 
bilité ou  de  l'impossibilité  d'une  connaissance  plus  ou 
moins  grande  de  la  divinité,  mais  seulement  de  la  néces- 
sité, pour  qui  veut  être  justifié,  de  croire  en  Dieu  et  en 
sa  qualité  de  souverain  rémunérateur  :  Credere  enim 
oportet  accedentem  ad  Deum,  quia  est  et  inquirenti- 
bus  se  remunerator  sit. 

A  l'hérésie  lxx,  De  schismale  audianorum,  t.  xlii, 
col.  339  sq.,  se  rattache  un  problème  spécial.  Saint 
Epiphane  y  raconte  l'histoire  d'un  certain  Audius, 
natif  de  Mésopotamie,  et  de  ses  partisans  qu'il  donne 
pour  schismatiques,  d'ailleurs  orthodoxes  quant  à  la 
doctrine,  «  sauf  un  léger  point  où  ils  se  montrent  trop 
opiniâtres.  »  Il  s'agissait  du  texte  de  la  Genèse,  I,  27  : 
El  creavit  Deus  hominemad  imaginent  suam.  Audius 
et  ses  partisans  voulaient  absolument  que  les  paroles 
ad  imaginem  suam  se  rapportassent  à  l'homme  con- 
sidéré dans  son  corps.  La  conséquence  rigoureuse  de 
cette  interprélation  était  la  corporéité  de  Dieu.  Voir 
Antiiropomorpiiites  et  AUDIENS,  t.  i.  col.  1371,  2265. 
Le  fait  que  l'auteur  du  Panarion  et  de  VAnaceplia- 
Iseosix,  P.  G.,  t.  xlii,  col.  869,  se  contentait  de  traiter 
les  audiens  de  schismatiques  et  qu'il  critiquait  succes- 
sivement les  deux  interprétations  du  texte  mosaïque, 
celle  qui  rapporte  au  corps  les  paroles  ad  imagine») 
Dei  et  celle  qui  les  rapporte  à  l'homme,  donna  pro- 
bablement lieu  à  l'accusation  d'anthropomorphisme 
dont  parlent,  dans  leurs  Histoires  ecclésiastiques,  !'.(,.. 
t.  lxvii,  Socrate,  1.  VI,  c.  x,  col.  693,  et  Sozomène, 
1.  VIII,  c.  xiv,  col.  1552. 

L'accusation  est  aussi  peu  sérieuse  que  pour  Origc  tu  , 
inculpé  de  la  même  erreur  pour  avoir  écrit  que  de 
son  temps  l'affirmation  de  l'incorporéité  divine  n'était 
pas  manifestement  contenue  dans  l'enseignement 
ecclésiastique.  Dans  son  ouvrage  apologétique,  In 
s.  Gregorii  Nytseniset  Origenit  scriptaetdoctrirMtii 
nova  recensio,  Home,  1864,  t.  il,  c.  VIII,  p.  99  sq.. 
L.  Vincenzi  n'a  pas  eu  de  peine  à  montrer  ce  que  nous 
avons  vu  plus  haut,  col.  1047,  h  -avoir  que  la  pei 
personnelle  d'Origène  sur  la  spiritualité  divine  ne  peut 
pas  faire  le  moindre  doute.  Il  en  est  de  même  pouf 
l'évéque  cypriote.  Quoi  qu'il  en  soil  de  son  indul- 
gence, peiit-èirc  excessive,  a  l'égard  des  audiens,  quoi 
qu'il  en  toil  de  l'espèce  de  neutralité  qu'il  prob 
dans  le  PanarUm,   /•"■.  cit,,   n.  1  sq.,  el  dans  r  I 

rali's,  n.  .V».  col.  11.3,  on   face  de    ce  prohlém.        I 
dans    son     àme    ou     dans    son  corps    que  l'hommi 

l'image  de  Dieu,  saint  Epiphane  admet  lui-même  indu- 


1079 


DIEU    (SA   NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES 


1080 


bitablement  l'incorporéité  divine.  A  l'interprétation 
anthropomorphique  il  oppose  précisément,  n.  2,  que 
la  conséquence  irait  à  un  Dieu  visible  et  corporel, 
ôpatôv  tz  /.ai  erwu.aTixôv.  Il  déclare,  n.  3,  qu'en  ce  point 
les  audiens  s'écartaient  de  la  tradition  de  l'Église, 
âxTÔ;  y.xt  ajro't  fiacvo-jm  TÎj;  -/.aîà  ty)v  f.xxXï)ffia(mxf|V 
•jjrôôefftv  7iapa6ôf7ï(.);.  Pour  lui,  Dieu  n'est  contenu  en 
rien,  à  la  différence  de  l'âme  contenue  dans  le  corps; 
il  est  simple,  à|j.=ptTTo:,  n.  4:  esprit  transcendant, 
7r/Ev(j.a  imlçi  7:ve0|j.a,  n.  5;  cf.  User.,  i.xxvi,  col.  568  : 
à:;  à<7o)[j.aToç.  Attribuer  à  Dieu  des  passions  ou  quel- 
que chose  de  semblable,  c'est  une  impiété  et  un  sacri- 
lège. Ibid.,  col.  577.  Voir,  sur  ce  sujet,  la  dissertation 
de  J.  A.  Cantova. 

c)  Pères  syriaques  :  saint  Apliraate  (l'e  moitié  du 
IVe  siècle),  saint  Ephrem  (f  373).  —  De  ces  deux  an- 
tiques témoins  de  l'Église  syriaque,  le  second  seul  a 
quelque  importance.  Le  genre  ascétique  d'Aphraate 
dans  ses  Demonstraliones,  homélies  composées  de 
336  à  345,  ne  comportait  pas  de  hautes  spéculations  sur 
la  divinité.  La  croyance  en  un  seul  Dieu,  créateur  et 
maître  de  toutes  choses,  auteur  de  l'Ancien  et  du 
Nouveau  Testament,  Dem.,  I,  n.  19;  un  court  pas- 
sage contre  le  dualisme  de  Marcion,  de  Valentin  et  de 
Manès,  Dem.,  ni,  n.  9  :  rien  de  plus  dans  les  vingt- 
deux  premières  homélies.  Palrol.  syriaca,  Paris,  1894, 
t.  i,  col.  43,  115.  La  vingt-troisième,  traduite  avec  les 
autres  en  allemand,  par  G.  Bert,  Texte  und  L'nter- 
suchungen,  t.  m,  fasc.  3  et  4,  contient,  en  outre,  sous 
forme  d'épithètes  ou  de  dénominations,  diverses  pro- 
priétés divines  :  l'aséité,  exprimée  par  le  terme  îtyd 
d-nafsch,  essence  ou  substance  de  lui-même;  l'éter- 
nité, l'infinité,  la  transcendance  ontologique,  l'incom- 
préhensibilité  et  l'ineffabilité,  la  bonté,  la  sagesse,  la 
toute-puissance.  On  trouvera  dans  l'article  Aphraate, 
t.  i,  col.  1459  sq.,  le  renvoi  aux  pages  correspondantes 
du  t.  il  de  la  Patrologie  syriaque. 

Saint  Éplirem  présente  une  doctrine  beaucoup  plus 
développée,  surtout  dans  ses  discours  dogmatico-polé- 
miques.  Les  cinquante-six  sermons  Adiwsus  hxreses, 
Opéra  omnia,  Rome,  1732  sq.,  t.  il,  syriace  et  latine, 
p.  437,  visent  particulièrement  le  dualisme  gnostique 
et  manichéen;  on  y  retrouve  l'argumentation  tirée  par 
saint  Irénée,  par  ïertullien  et  autres  apologistes,  de 
l'idée  même  de  Dieu  et  de  son  absolue  perfection  :  Si 
Deus  unus  non  est,  nec  Deus  est;  nec  vero  Deus,  nec 
anus  est,  si  nec  summus,  nec  super  omnia.  Serni., 
m,  n.  2,  p.  443.  Par  opposition  aux  erreurs  relatives  au 
démiurge,  supposé  dis'.inct  du  Dieu  suprême,  et  à  la 
matière,  donnée  comme  principe  du  mal,  le  docteur 
syriaque  revient  souvent  dans  ses  autres  écrits  sur  la 
notion  du  Dieu  unique,  tout-puissant,  qui  a  tiré  toutes 
choses  du  néant,  librement  et  par  pure  bonté,  pour  notre 
avantage  et  non  pour  le  sien,  mais  qui  sait  aussi,  pour 
notre  bien  encore,  nous  châtier  ou  nous  éprouver.  Voir, 
par  exemple,  De  fide,  serm.  m,  n.  1,  dans  Opéra, 
t.  m,  syriac.  lai.,  p.  195  sq.;  Reprehensio  sui  ipsius, 
ibid.,  1. 1,  grsece  et  latine,  p.  125 sq.;  Sermones  roga- 
tionum,  i,  9;  ni,  1,  dans  Hymni  et  sermones,  édit. 
■l.-B.Lamy,  Malines,  1882sq.,  t.  m,  p.  20,  36;  De  defun- 
ctisetS.  Trinitate,  n.6,  ibid.,  p.  242;  De  reprehensione, 
n.  12,  ibid.,  t.  iv,  p.  299. 

Mais  la  source  principale  de  la  théodicée  de  saint 
Éphrem  se  trouve  dans  ses  quatre-vingt-sept  discours 
Adversus  scrutatores,  t.  ni  des  Opéra,  syriace  et 
latine,  p.  1  sq.  (J'emprunterai  la  division  en  numéros  à 
l'édition  publiée  par  D.  A.-B.  Cailla»,  Paris,  1832.  t.  ni, 
p.  178  sq.)  Le  saint  diacre  d'Édesse  donne  la  plus  haute 
idée  de  Dieu  :  nature  suréminente,  xi.vn,  2,  p.  85; 
essence  suprême,  lv,  1,  p.  103,  qui  existe  de  toute  éter- 
nité, sans  autre  principe  qu'elle-même;  xlv,  2,  p.  81  ; 
non  que  Dieu  se  soit  fait  (cf.  Reprehensio  sui  ipsius, 
n.  11,  loc.  cit.,  p.  124  :  nam  si  quis  seipsum  faceret, 


is  essetpriusquam  fieret  i,  mais  parce  qu'il  a  en  lui-même 
sa  propre  raison  d'être,  subslantia  ex  seexistens,  XXVII, 
1,  p.  48;  pur  esprit,  mens  soluta,  xi.iv,  1,  p.  79;  abso- 
lument simple  i.xxiii,  I.  p.  137;  inaccessible  à  tout 
changement,  xxxn,4,  p.  59;  souverainement  grand  sous 
tous  rapports,  en  sorte  qu'on  ne  peut  rien  imaginer  de 
plus  parfait  :  usquequaque  summus  est,  ut  eo  nikil  per- 
fectius excogitari possit,  xi.v,  4.  p.  82. 

Dieu  est  éminemment  transcendant.  Il  n'agit  ni  ne 
pense  à  notre  manière.  Sa  science  précède  le  temps  et 
n'a  pas  plus  de  commencement  que  lui-même,  xxvi,  1, 
p.  45.  S'il  remplit  le  inonde  entier  de  sa  divinité,  rien 
ne  le  renferme;  d'où  cette  merveille,  que  partout  il  est 
proche,  et  partout  il  est  éloigné  :  proximus  ades  ubique, 
abesque  undique  remotas,  iv,  4,  p.  7.  Éphrem  aime  à 
montrer  ainsi  ce  qu'il  y  a  de  mystérieux  en  Dieu,  non 
seulement  pris  en  général,  mais  considéré  en  détail  dans 
ses  diverses  perfections,  xi.v,  2,  p.  81.  Il  est  particu- 
lièrement soucieux  de  prémunir  ses  auditeurs  contre 
toute  imagination  anthropomorphique  :  «  Penser  qu'on 
peut  comparer  cette  éternelle  nature  aux  choses  qu'elle 
a  créées,  c'est  se  tromper  lourdement.  Se  l'imaginer 
composée,  à  l'image  de  notre  faible  corps,  servi  par  des 
sens,  c'est  une  horreur  que  les  oreilles  ne  peuvent  sup- 
porter. »  Si  les  prophètes  nous  représentent  parfois  Dieu 
sous  des  traits  moins  relevés,  c'est  là  une  manière  de 
parler  que  le  Saint-Esprit  a  voulue,  pour  nous  instruire 
d'une  façon  conforme  à  notre  nature  et  à  notre  condi- 
tion, xxvi,  3,  4,  p.  46. 

Dieu,  transcendant,  est  naturellement  invisible,  iv, 
3,  7,  p.  48.  Si,  dans  le  sermon  sur  la  pénitence  qui 
commence  par  ces  mots  :  Pasnilenlia  fertilis  est  fru- 
ctus,  n.  13  sq.,  Opéra,  t.  I,  grsece  et  latine,  p.  170, 
saint  Éphrem  dit  à  celui  qui  mène  une  vie  de  charité  : 
Vides  Deum,  et  noli  negare  quin  adspicias  eum;  Deus 
enim  charitas  est,  tout  le  contexte  montre  qu'il  s'agit 
d'une  vision  de  foi,  et  que  l'orateur  assimile  la  vie  de 
charité  aux  signes  extérieurs  qui  manifestèrent  Dieu 
aux  prophètes  et  autres  personnages  bibliques  :  Per 
signa  viderunt  sancti  :  per  ignis  rubum,  Moyses;  per 
turbiner»,  Job; per  nubem,  Esaias;per  lucem,Paulus; 
per  vocem,  omnis  Israël;  et  nunc  sancti  per  opera- 
tiones,  dam  scilicet  quasi  per  quœdam  média  manu 
ducuntur. 

Dieu  n'est  pas  seulement  invisible  pour  l'homme 
ici-bas;  il  est,  pour  toute  intelligence,  incompréhen- 
sible, xxvi,  2,  p.  44.  Doctrine  commune  à  tous  les  Pères, 
mais  qui  revêt  un  tour  particulier  chez  le  docteur 
syriaque  par  la  façon  populaire  et  vivante  dont  il  la 
développe.  Si  nous  ne  connaissons  pas  même  notre 
âme,  comment  pourrons-nous  prétendre  à  la  connais- 
sance de  notre  créateur?  i,  2,  p.  2;  III, 2,  p.  5;  xvn,  1, 
p.  32.  Cf.  Carmina  Nisibena,  publiés  par  G.  Bickell. 
Leipzig,  1866,  p.  79.  Comment  apprécier  celui  qui 
échappe  à  toutes  nos  mesures  et  à  tous  nos  sens?  Non 
illc  subest  mensurœ,  nec  stalurse  momento  :  non  per- 
cipitur  sensu,  nec  specieni  nwdumve  suscipit  :  non 
claudilùr  spatiis,  nec  propagatur,  uti  lu.r  et  /latus; 
ipsius  essentia  ratio  est.  xxx.  1,  p.  53.  Dans  toutes  ces 
pâles  figures  que  sont  les  natures  créées,  comment 
reconnaître  l'archétype,  la  nature  incréée  qui  n'a  rien 
de  commun  avec  les  autres.'  xxvn,  1.  p.  213.  Essayons- 
nous  de  nous  la  représenter,  c'est  comme  un  fleuve 
d'images  sans  nombre  qui  se  déroule  devant  notre  ima- 
gination; mais  en  est-il  une  qui  nous  permette  d'expri- 
mer en  nous  l'image  même  de  Dieu,  cette  image  bénie 
où  convergent  et  se  concentrent  les  archétypes  de  tout 
ce  qu'il  y  a  de  plus  beau'.'  IV,  7.  p.  7. 

Et  saint  Éphrem  de  conclure  qu'il  ne  nous  reste 
aucun  moyen  de  connaître  Celui  qui  est  :  Ad  eum. qui 
est,  cognoscendum  nullus  restât  arfitus, xxxvi, 5, p. 65. 
Ce  serait  l'agnosticisme,  s'il  ne  s'était  pas  expliqué  lui- 
même.   La   connaissance  dont  il    parle  ici,  c'est  celle 


1081 


DIEU    (SA   NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES1 


1082 


à  laquelle  prétendaient  les  «  scrutateurs  »  qu'il  com- 
battait, connaissance  parfaite  de  la  divinité  :  insani 
siquidem  divinitalis  indagatores  perfectam  ejus  noti- 
tiam  sibi  quoque  pollicentur.  Sermones  très  de  fide, 
I,  1,  p.  164.  En  dehors  de  cette  orgueilleuse  prétention, 
la  raison  garde  ses  droits.  Le  docteur  syriaque  connaît 
et  admet  la  connaissance  naturelle  ou  instinctive  de 
Dieu;  on  le  voit  par  la  manière  dont  il  cite,  en  l'accom- 
pagnant de  quelques  mots  qui  valent  un  commentaire, 
le  célèbre  verset  du  psalmiste,  XVIH,  2  :  avli,  ut  scrip- 
tum  est,  enarrant  gloriam  Dei  et  firmamentum 
ostendit  opéra  sui  creatoris,  QVIN  ISDAGATIOXE  OPVS 
sir.  Hymni  et  sermones,  édit.  Lamy,  t.  iv,  p.  148; 
cf.  Reprehensio  sui  ipsius,  n.  11,  Opéra,  t.  i,  grsece  et 
latine,  p.  123  :  Domum  vidi;  et  œconomum  adesse 
cognovi.  Mundum  intuilus  sum  ;  et  providentiam  in- 
tellexi,  etc.  Même  dans  ses  discours  Adversus  scruta- 
tores,  il  indique,  comme  moyen  de  connaître  Dieu,  le 
livre  de  la  nature,  en  le  distinguant  expressément  du 
livre  écrit  qu'est  la  Bible  :  Si  naturam  et  Scripturam 
consulerent,  ab  utraque  utrinsque  Dominum  edisce- 
rent  :  hune  rébus  sensui  obviis  natura  docel,  xxxv,  5, 
p.  63  sq.  ;  cf.  xi.viii,  2,  p.  88  :  naturam  prœterea  ha- 
benius  ducem  ac  magistram. 

Comme  d'autres  Pères  que  nous  avons  rencontrés, 
saint  Éphrem  voit  dans  la  création  une  première  mani- 
festation de  Dieu  le  Père  par  son  Fils  :  per  suum  Uni- 
genitum  se  manifestavit,  tum  quando  per  illum  sine 
labore  mirandum  hoc  œdificium  molitus  est,  xxvi,  1, 
p.  44.  Mais  c'est  surtout  dans  la  sainte  Écriture  que 
Dieu  se  révèle:  hunc.apertiset  explicalis  verbis  Scrip- 
tura  renuntiat,  xxxv,  5,  p.  64.  Nous  avons,  en  parti- 
culier, les  noms  que  Dieu  s'est  donnés  lui-même;  ils 
nous  enseignent  ce  qu'il  est,  quid  et  cujusmodi  sit; 
ils  nous  font  comprendre  qu'il  est  pure  intelligence, 
qu'il  existe  par  lui-même,  qu'il  est  principe  et  créateur 
du  monde,  bon  et  bienfaisant  par  nature,  juste  vengeur 
des  crimes;  ils  nous  apprennent  encore  qu'il  est  Père, 
ayant  la  vertu  de  produire  un  Fils  qui  lui  est  semblable. 
Ces  noms,  toutefois,  sont  de  deux  sortes  :  Nomina 
Deus  habet  absolula  et  propria,  habet  etiam  accom- 
modata  ac  minime  fixa.  Ainsi,  noms  absolus  et 
propres,  par  opposition  aux  noms  variables  et  adaptés 
ou  appropriés.  Par  ces  derniers  le  saint  docteur  en- 
tend ceux  qui  conviennent  à  Dieu  accidentellement, 
ex  incidente  causa,  nous  dirions  maintenant  :  par  dé- 
nomination extrinsèque,  fondée  sur  un  terme  contin- 
gent; le  terme  variant,  la  dénomination  varie  égale- 
ment. C'est  en  ce  sens  que  Dieu  nous  est  représenté 
dans  la  sainte  Écriture,  tantôt  comme  réprouvant  ce 
qu'il  a  fait,  tantôt  comme  oubliant  les  actions  des  créa- 
tures ou,  au  contraire,  comme  se  les  rappelant.  Il  en 
va  tout  autrement  des  noms  qui  conviennent  à  Dieu 
proprement  et  d'une  manière  stable,  comme  ceux  de 
juste,  de  bon,  de  père;  aussi  sont-ils  particulièrement 
importants  et  se  recommandent-ils  à  notre  respect  :  Vide 
ut  religiose  observes  ejus  nomina  propria  et  rata, 
xi.iv.  2.  p.  711. 

Saini  Épbrem  revient  une  autre  fois  sur  celte  doc- 
trine, en  affirmant  plus  énergiquernent  encore  la 
valeur  objective  et  absolue  de  certains  noms  divins  : 
A  Deo  discimus  quid  sit  liens;  suis  ille  nimirum  nu- 
minibus  se  manifestât .  ex  his  intelligimus  illum  esse 
sancle  justum,  vere  bonum,  nique  ingenuanatursesum 
virtute  summum ...  Kl  quia  vere  Pater  est,  dicimui 
verum  gencratte  Filium,  i.n,  n.  1,  p.  95.  Ailleurs,  il 
met  en  relief  l'importance  spéciale  du  nom  Qui  «■>./, 
manifesté  ■<  Moïse,  l.xod..  m.  li;  il  y  voit  un  nom  qui 
ule  de  l'essence  divine,  et  que  Dieu  s'attribue  en 
propre,  sans  souffrir  de  partage  :  quod  vocabulum  ab 
etsentin  fluit,  et  velut  certum  <•,  proprium  nomen 
suum;  illud  commune  fieri  nunquam  mis/" 
fueretei,  i.iii,  5,  <>i>cra,  t.  u,  syr.  et  la  t.,  p.  566.  Nous 


avons,  dans  ces  différents  passages  sur  les  noms  divins, 
considérés  comme  source  partielle  de  notre  connais- 
sance de  Dieu,  un  commencement  notable  de  synthèse 
théologique,  où  pourrait  bien  se  refléter  quelque  écho 
de  saint  Basile  et  d'autres  docteurs  qui  vont  suivre. 

d)  Pères  cappadociens  :  saint  Basile  (f  379);  saint 
Grégoire  de  Nazianze  (f  389  ou  390);  saint  Grégoire 
de  Nysse  (f  vers  395).  —  L'importance  spéciale  de  ces 
trois  docteurs  tient  au  rôle  qu'ils  ont  joué  dans  la  con- 
troverse anoméenne  sur  les  noms  divins  et  notre  con- 
naissance de  Dieu  ici-bas.  Ils  se  complètent  rnutuel- 
|  lement,  car  il  y  eut  développement  dans  l'attaque. 
L'adversaire  est  Eunomius,  évèque  de  Cyzique  (f  396), 
le  coryphée  des  anoméens.  Voir  t.  I,  col.  1322  sq. 
Vers  360,  il  publia  son  'Anoloyr^ty.ôi;,  P.  G.,  t.  xxx, 
col.  837  sq.,  pour  défendre  la  thèse  fondamentale  de 
l'arianisme  sur  la  différence  de  nature  ou  d'essence 
entre  le  Père  et  le  Fils.  Il  part  de  ces  premiers  mots 
de  son  symbole  :  Iltare-Jofisv  ec;  ëva  ©sôv,  Ttaxspa  uavro- 
•xpaTopa,  è?  ou  rà  uàvra,  n.  5,  col.  840.  Mais  à  la  pro- 
fession de  Dieu,  un  il  rattache  ensuite,  en  invoquant 
expressément  la  raison  naturelle  et  la  doctrine  des 
Pères,  y.axà  te  çuo-ixyjv  k'vvotav  xai  xarà  tt,v  tàiv  Ilatipwv 
SiSaraaXfav,  ce  déterminatif  :  \i.r-.z  Trap'  iauioO,  (j^tî 
Trap'  irépou  Y£vô(j.svo;,  qui  n'a  été  fait  ni  par  lui-même, 
ni  par  aucun  autre,  n.  7,  col.  841.  C'est,  par  péri- 
phrase, le  terme  fameux,  àYsvvr^o;,  qu'il  introduit, 
dans  l'intention  d'établir  que  cette  notion  exprime 
l'essence  même  de  Dieu.  Ce  n'est  pas  une  dénomina- 
tion purement  verbale,  comme  celles  qui  répondent 
aux  conceptions  de  l'esprit  humain,  zkt'  Èrcivotav  ;  anté- 
rieurement à  toutes  nos  conceptions  et  indépendam- 
ment d'elles,  Dieu  est  réellement  ce  qui  est,  o  i«iv.  Ce 
n'est  pas  un  nom  privatif;  l'idée  de  privation  ne  con- 
vient pas  à  Dieu  et  présuppose,  en  outre,  quelque 
chose  de  positif.  Ce  terme  ne  peut  pas  se  prendre  en 
Dieu,  qui  est  simple  et  indivisible,  pour  une  partie 
déterminée  ou  différente  de  quelque  autre.  C'est  donc 
qu'il  exprime  l'essence  même  de  Dieu,  n.  8,  col.  841  sq. 
Eunomius  oppose  ensuite  le  Fils  ysvvyjtôç  au  Père 
à-;-ivv7,To;,  en  prétendant  que  la  simplicité,  l'éternilé, 
l'immutabilité,  l'incorruptibilité  et  autres  propriétés 
de  la  nature  incréée  ne  permettent  pas  d'entendre  la 
génération  du  Fils  autrement  que  d'une  création  ou 
production  proprement  dite,  n.  9  sq.,  col.  814  sq.  Dés 
lors  la  cause  de  l'arianisme  est  gagnée.  Si  ràyevvyioîot, 
si  le  fait  d'être  innascible  constitue  l'essence  même  du 
Père,  comme  Dieu,  le  Fils,  qui  n'est  pas  innascible,  se 
distingue  nécessairement  du  Père,  qui  l'est;  il  ne  peut 
pas  être  Dieu  au  même  titre.  La  diversité  de  noms 
rend  manifeste  la  diversité  de  nature,  n.  12,  col.  848. 
Conclusion  que,  plus  loin,  n.  20,  col.  856,  Eunomius 
s'efforce  de  confirmer  à  l'aide  des  deux  voies  distinctes 
que  nous  avons  pour  juger  des  êtres,  et  qui  consistent, 
l'une  à  considérer  leurs  essences,  l'autre  à  examiner 
leurs  opérations.  Ce  n'est  pas  à  dire  que  des  mots  diflé- 
rant  quant  au  son  matériel  ne  puissent  pas  signifier  la 
même  chose,  par  exemple,  quand  on  dit  :  VKtrc  et  le 
seul  vrai  Dieu,  <»;  xa  6v  xaV  piâvoc  àXi)8ivô(  '-ho.-,  n.  17, 
col.  852.   Inversement,  des  mots  qui  ont  le  même  m  in 

peuvent  ne  pas  signifier  la  mé chose;  tels,  les  mots 

de  lumière,  de  vie  ou  de  puissance,  appliqués  au  P<  re 
(lumière  incréée,  etc.)  ou  au  Fils  (lumière  en 
n.    19,  col.  853. 

Cette  analyse  île  ce  qui.  il. m-  l'apologie d'Eunomius, 
pporte  plus  directement  i  la  nature  el  &  la  rotu 
sance  de  Dieu,  noua  bit  comprendra    quelli    ''ni    sa 
thèse  fondamentale  ei    quelli 
quences.    La   h  '.•  affirmation,  que 

l'innascibilité  ou   l'aséité,  rb  if<vvT|tov  :!vai,  constitue 
m  i-  ne  me  de  Dieu,  et  qui  .  pai  i  onséquent,  le  mot 

-.',;  est   h'  vr.ii    nom  de    hieii.   relui   qui   exprime 

adéquatem  lirait  qu'en  connais- 


lus:; 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES   PÈRES) 


1084 


sant  ce  nom,  on  connaissait  pleinement  l'essence  divine  ; 
et  telle  était  bien,  on  l'a  déjà  vu,  la  prétention  des 
anoméens.  Socrate,  H.  E.,  1.  IV,  c.  vu,  P.  G.,  t.  i.xvii, 
col.  173.  Relativement  aux  noms  que  nous  donnons  à 
Dieu,  cette  alternative  s'imposait  :  ou  ils  ne  peuvent  le 
signifier  vraiment  que  par  synonymie  avec  l'àvévvYiroç, 
ou,  fondés  sur  des  conceptions  de  raison,  ils  ne  sont 
que  de  pures  dénominations  subjectives  ou  verbales, 
sans  portée  objective.  Par  ce  dernier  coté,  Eunomius 
préludait  au  nominalisme  du  moyen  âge,  suivant  la 
remarque  de  Schwane,  op.  cit.,  t.  il,  p.  40.  Mais  rien, 
dans  l'apologie  de  cet  hérésiarque  ni  dans  la  réfutation 
de  saint  Basile  et  de  saint  Grégoire  de  Nysse,  ne  jus- 
tifie l'affirmation  du  cardinal  Franzelin,  Traclatus  de 
Deo  uno,  th.  x,  n.  1,  Rome,  1876,  p.  129,  réfutée 
d'ailleurs  par  le  P.  J.  M.  Piccirelli,  De  Deo  uno  et  trino, 
Naples,  1902,  p.  335,  à  savoir  que  l'erreur  d'Eunomius 
ait  eu  sa  racine  dernière  dans  une  confusion  de  Dieu 
avec  l'être  abstrait  et  universel.  Le  contraire  semble 
plutôt  résulter  du  fait  que  cet  hérétique  admettait  en 
Dieu  les  perfections  positives  qui  se  trouvent  dans  la 
sainte  Écriture,  comme  celles  de  lumière,  de  vie,  de 
puissance,  etc.,  mais  en  les  ramenant,  on  l'a  vu,  à  sa 
propre  conception,  par  l'adjonction  de  son  épithète 
favorite  :  lumière  incréée,  vie  incréée,  puissance 
incréée. 

Saint  Basile  répondit,  vers  l'an  36i  ou  365,  à  l'apo- 
logie d'Eunomius  par  son  triple  'AvaTpeimxoç  to-j 
'A7Io).oyt,ti-/.o-j  to-j  SvTiTîêo-jç  E-Jvoat'ou  ).i-fo;,  Adversus 
Eunomii  libri  1res,  P.  G.,  t.  xxix,  col.  497  sq.  Dix  ans 
plus  tard,  en  375,  il  écrivit  à  saint  Amphiloque,  évèque 
d'Icône,  plusieurs  lettres,  deux  en  particulier,  qui  sont 
comme  un  complément  du  précédent  ouvrage.  A  son 
tour,  Eunomius  répliqua  par  une  nouvelle  apologie, 
'A7to).oYi'a  'Jits?  àiroXo-yt'aç,  publiée  vraisemblablement 
peu  de  temps  avant  la  mort  de  saint  Basile  (1er  janvier 
379).  Elle  n'est  connue  que  par  les  fragments  cités  par 
saint  Grégoire  de  Nysse  dans  la  réfutation  qu'il  en  fit 
immédiatement,  Contra  Eunomium  libri  duodecim, 
P.  G.,  t.  xlv,  col.  243-1122;  fragments  rassemblés,  pour 
la  plupart,  par  C.  H.  G.  Reltberg,  Marcelliana,  Gœt- 
tingue,  1794,  p.  125  sq.  Ils  sont  d'ordre  apologétique  et 
ajoutent  peu  d'éléments  nouveaux  à  la  doctrine  exposée 
ci-dessus;  mais  ils  fournirent  à  l'évêque  de  Nysse 
l'occasion  de  venger  et  d'expliquer  plus  complètement, 
sur  certains  points,  les  enseignements  de  son  frère 
vénéré.  Enfin,  vers  la  même  époque,  saint  Grégoire  de 
Nazianze  prononçait  à  Constantinople,  en  381,  ses 
fameux  Discours  théologiques,  dont  le  second  traite  de 
Dieu  et  se  rapporte  directement  à  la  controverse  ano- 
méenne.  La  doctrine  qui  résulte  de  cet  ensemble  de  do- 
cuments peut  se  grouper  autour  de  quatre  points, 
successivement  touchés  par  saint  Basile,  dans    î"Avoc- 

a)  L'îkI'ioix;  conceptions  et  distinctions  de  raison  en 
Dieu.  —  Eunomius  avait  opposé  le  nom  d'innascible  aux 
dénominations  xoct' ènrvoiav,  c'est-à-dire  fondées  sur  les 
conceptions  de  l'esprit  humain.  Il  déniait  à  ces  dénomi- 
nations toute  valeur  objective;  purement  verbales,  elles 
n'ont  d'existence  réelle  que  dans  les  sons  proférés.  Saint 
Basile  se  trouvait  forcé  d'élucider  la  question  délicate  des 
conceptions  ou  notions  de  raison.  Adv.  Eunom.,  1. 1,  n.  5 
sq.,  col.  520  sq.  Il  demande  d'abord  à  l'adversaire  ce 
qu'il  entend  par  cette  opération  de  l'esprit  qu'on  appelle 
èiuvota.  Entendrait-il  l'imagination  créatrice  de  fictions 
sans  réalité,  tels  que  centaures  ou  chimères?  Même 
alors  l'affirmation  d'Eunomius  serait  excessive;  car  ces 
fictions  creuses,  ces  êtres  de  pure  raison  ne  passent 
pas  nécessairement  avec  les  sons  proférés,  le  souvenir 
en  peut  rester  dans  l'esprit.  Du  reste,  ce  n'est  là 
qu'une  acception  imparfaite  et  inférieure  de  l'ènivoia; 
dans  le  sens  habituel  et  plus  relevé  du  mot,  elle  s'en- 
tend d'une  opération  de  l'esprit  qui  s'exerce  sur  un  objet 


réel,  pour  le  considérer  d'une  façon  plus  pénétrante  et 
plus  précise,  trjv  Xurrotlpav  /.y.:  ixpiëecrépav  to-j  vokj- 
OévTo;  éitev(hiu.T)o'(y,  col.  52'*.  Il  arrive,  en  elfet,  qu'en 
face  d'un  objet  qui  nous  apparaît  d'abord  simple  dans 
sa  réalité  concrète,  notre  esprit  perçoit  ensuite  des 
aspects  multiples  ;  dans  un  corps,  par  exemple,  la  cou- 
leur, la  forme,  la  dureté,  la  grandeur,  etc.  De  là  les 
conceptions  et  les  distinctions  de  raison,  •/.»■:'  tat'voiav, 
ri.  0,  col.  522  sq.  C'est  ainsi  que,  dans  l'Evangile, 
Jésus-Christ  s'est  nommé  lui-même  porte,  voie,  pain, 
vigne,  pasteur  et  lumière  :  notions  distinctes  dans  leur 
signification,  distinctes  aussi  dans  leur  fondement  par  la 
diversité  des  opérations  qu'elles  supposent,  et  par  le 
rapport  multiple  du  Sauveur  aux  êtres  qui  ont  joui  de 
ses  bienfaits,  n.  7,  col.  524  sq. 

Ces  principes,  saint  Basile  les  applique  aux  noms 
divins;  d'abord  à  l'àvévvr.To:.  puis  aux  termes  :  incor- 
ruptible, infini,  immense,  en  montrant  les  différents 
aspects  sous  lesquels  on  conçoit  alors  la  divinité. 
«  Pourquoi  donc  nier  qu'on  puisse  légitimement  former 
de  ces  noms,  et  qu'ils  ne  répondent  à  quelque  chose 
de  réel  en  Dieu,  xoù  ô|j.o).o-riav  ivnx:  toî  xoct'  i/r,6£iav 
tu  0e;T)  rcpoaoVroç?  Ibid.,  col.  525.  Si  l'on  rejette  ces 
conceptions  et  ces  distinclions  de  raison,  il  faudra  dire 
que  toutes  les  dénominations  attribuées  à  Dieu  signi- 
fient également  sa  substance;  que  l'idée  d'immutabilité 
suggère  immédiatement  à  l'esprit  celle  d'innascibilité, 
ou  l'idée  d'indivisibilité  celle  de  puissance  créatrice. 
Quoi  de  plus  absurde  qu'une  telle  confusion?  Quoi  de 
plus  opposé  au  sens  commun  et  à  la  doctrine  révélée? 
n.  8,  col.  528. 

La  simplicité  divine  serait  lésée,  si  par  ces  noms 
multiples  on  prétendait  désigner  diverses  parties  de 
Dieu;  mais  nous  savons  qu'à  part  lui,  Dieu  est  tout 
entier  vie,  tout  entier  lumière,  tout  entier  bonté.  Il  ne 
s'agit  donc  que  d'exprimer  les  propriétés  de  la  nature 
divine,  d'ailleurs  simple  en  elle-même.  Autrement,  tout 
ce  que  nous  disons  de  Dieu  d'une  façon  distincte,  en 
l'appelant  invisible,  incorruptible,  immuable,  créateur, 
juste,  etc.,  tout  se  retournerait  contre  sa  simplicité, 
1.  Il,  n.  29,  col.  640.  Ailleurs,  saint  Basile  insiste  sur 
l'unité  du  sujet,  tôv  ocCtov  ève8ît';to,  mais  sans  préjudice 
de  la  notion  propre  qui  s'attache  à  chacun  des  noms 
divins,  Sià  t?,ç  èxâcToïc  Èv6;iopo-jjj.£vr,;  ipjfioewç,  Ejtist., 
clxxxix,  n.  5,  t.  xxxn,  col.  689.  Telle  est  aussi  la  doc- 
trine de  saint  Grégoire  de  Nysse,  abstraction  faite  de 
quelques  arguments  ad  homineni,  discutés  par  Petau, 
op.  cit.,  1.  I,  c.  vu,  n.  5  sq.  L'unité  et  l'absolue  sim- 
plicité de  la  nature  divine  ne  sont  pas  en  question; 
mais  cette  nature,  une  et  simple  en  elle-même,  nous 
ne  pouvons  l'atteindre  immédiatement,  ni  la  concevoir 
ou  l'exprimer  par  une  seule  notion.  La  multiplicité 
vient  ainsi  directement  de  notre  mode  de  connaissance, 
mais  elle  trouve  son  fondement  dans  l'éminence  et 
l'ineffàbilité  de  l'objet.  Contra  Eunom.,  1.  XII,  t.  xlv, 
col.  1069,  1077,  IlOisq. 

La  réplique  de  l'hérésiarque  força  l'évêque  de  Nysse 
à  revenir  sur  d'autres  points,  en  particulier  sur  le  con- 
cept de  l'âittvoia.  Eunomius  accordait  qu'il  peut  y  avoir 
autre  chose  que  de  simples  sons  dans  les  dénomina- 
tions de  raison,  mais  il  limitait  la  portée  de  Vi-ivoix 
aux  créations  fantaisistes  de  l'esprit,  capable  de  se 
figurer  des  colosses,  des  pigmées.  des  centaures.  Ibid., 
col.  969.  Grégoire,  prenant  acte  de  la  concession,  n'eut 
pas  de  peine  à  montrer  ce  qu'il  y  avait  d'arbitraire  et 
d'illégitime  dans  la  restriction.  L'à-è/ota  n'est-elle  pas. 
avant  tout,  cette  noble  et  féconde  faculté  de  l'esprit 
(faculté  compréhensive  ou  interprétative,  r,  -r,;  xocto- 
Xy|tctixî|ç  Btavoîa;,  r,  t>,;  èpjAV5V£uTixf,;£-jva|ie(i)c,  col.  1104), 
qui  permet  «  de  trouver  ce  qu'on  ignore,  en  prenant 
pour  point  de  départ  d'une  connaissance  ultérieure 
ce  qui  se  rattache,  par  voie  de  connexion  ou  de 
conséquence,  à   la  première    notion    qu'on    a    d'une 


1085 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES   PÈRES1 


1086 


chose?  »  col.  970.  Ainsi,  remarquant  que  Dieu,  cause 
première,  ne  peut  venir  d'un  autre,  nous  formons 
un  terme  pour  exprimer  cette  idée,  et  de  celui  qui 
n'a  pas  de  cause  au-dessus  de  lui,  nous  disons  qu'il 
existe  sans  avoir  de  commencement  ou  sans  être  pro- 
duit, àvipyto;  efrouv  àyzwr^bt:,  col.  973.  Il  en  va  de 
lutine  des  autres  noms  divins;  ils  répondent  à  des 
conceptions  multiples  et  variées,  que  nous  formons 
pour  acquérir  la  connaissance  de  celui  que  nous 
cherchons,  npôçTTjV  xaTavÔT)<rtv  to-j  Z^o\i\i.v/(i-j  6r,ps'jovTec, 
col.  957.  Si  ces  noms  sont  vides  de  sens  ou  n'ont  qu'une 
seule  et  même  signification,  pourquoi  les  saintes  Écri- 
tures font-elles  de  ces  énumérations  où  Dieu  est  appelé 
juge,  juste,  bon,  longanime,  vérace,  miséricordieux,  etc.? 
col.  1069;  cf.  1.  I,  col.  396.  L'Esprit-Saint  n'a-t-il  pas 
voulu  que,  par  cette  variété  et  cette  multiplicité,  les 
écrivains  sacrés  nous  conduisissent  à  la  connaissance 
de  l'incorruptible  nature?  De  professione  christiana, 
P.  G.,  t.  xlvi,  col.  241. 

Ces  témoignages,  dont  il  serait  facile  d'augmenter  le 
nombre,  donnent  le  droit  de  récuser  une  assertion, 
émise  par  W.  Meyer,  Die  Gotteslehre  des  Gregor  von 
Xy*sa,  p.  16,  et  d'après  laquelle  toutes  nos  dénomina- 
tions relatives  à  Dieu  ne  pourraient  être,  pour  le  docteur 
cappadocien,  que  des  réflexions  subjectives  de  l'esprit 
humain,  sans  signification  métaphysique.  Le  passage 
invoqué,  Quod  non  sint  très  dii,  P.  G.,  t.  xlv,  col.  121, 
loin  de  prouver  cette  assertion,  établit  le  contraire. 
L'évêque  de  Nysse  y  soutient,  à  la  vérité,  qu'aucun  de 
ces  noms  ne  signifie  la  nature  divine  elle-même,  mais 
il  dit  en  même  temps  que  ces  noms,  qu'ils  soient 
d'institution  humaine  ou  qu'ils  nous  soient  fournis  par 
la  sainte  Ecriture,  expriment  quelqu'une  des  choses 
qu'on  peut  concevoir  au  sujet  de  la  nature  divine,  tù>v 
-.:  TTïp:  Tr.v  Oe:a\  y'invi  voo-jjj.:v<o  ep|i.Y)veuTtxbv  eïvat  /éyoïxsv; 
qu'ils  ont  pour  but  de  nous  conduire  à  la  connaissance 
de  Dieu,  et  qu'à  chacun  d'eux  s'attache  une  significa- 
tion particulière  et  relative  à  ce  qui  concerne  la  nature 
divine,  à»â  u  tfiv  7tcp\  aûtr|v  Sîct  t«5v  XeYopévcov  yvwpi- 
ÈsoOai. 

Eli  somme,  qui  ne  reconnaîtrait  dans  cette  doctrine 
de  saint  Basile  et  de  son  frère  ce  qui  plus  tard,  dans 
le  langage  scolastique,  s'appellera  distinctio  rationis 
raliocinatai  ou  virlualis,  oon  fundamento  in  re?  El 
dans  la  prétention  d'Eunomius  à  faire  retomber  sur 
ince  divine  elle-même  la  distinction  formelle  qui 
se  trouve  dans  nos  conceptions  de  raison,  qui  ne  recon- 
naîtrait l'erreur  de  Platon,  signalée  par  saint  Thomas, 
Suni.  tlteol.,  Ia,  q.  i. xxxiv,  a.  1,  que  la  forme  du  concept 
est  la  même  que  celle  de  l'objet  connu?  Cf.  Petau, 
Op.  cil..  I.  I,  c.  vll-ix. 

b   Les  noms  divins.  —  Funomius  n'admettait,  comme 
vrai  nom  de  Dieu,  que  l'àysvvïjTo;.  Saint  Basile  répond 
par  une  doctrine    tout  opposée.    Adv.    Eunoni.,  1.   I, 
n.   10,  t.  xxix,  col.  533.  Aucun  nom  ne  peut  atteindre 
ii ce  divine  dans   son   fond   intime  ni    l'exprimer 
pleinement;  nous  pouvons  seulement,  à  l'aide  de  noms 
multiples  et  variés,  parvenir  au  degré  de  connais 
qui  nous  est  possible  ici-bas.  Parmi  ces  noms,  il  en  est 
de  positifs  et  de  négatifs.   Les  premiers  signifient  ce 
qui  est  en  Dieu  :  rà  p.':/ T(ôv  -v/to /:*.>/ t..  Qe<î»8r,).<.mxâ; 
noms   ei   semblables  :    bon,  juste,  créateur, 
mtres  signifient   ce  qui   n'est  pas  en    Dieu 
XVTl'ov.T'ov  'ii   -•.«'«  ,:m,  .    tels,    ces    nom-    et 
labiés  :    incorruptible,   immortel,   invisible     - 
par  l'alliance  de  •  -s  di  ••     ■•<  te   ■!  appellations  que  nous 
nous  formons   une    certaine    idée  de  Dii 

'  •;      ','.>''■''    éyyi'vjTai    to0    6 
il   est  évident   que  i  jfa  -uni  iinpro- 

fui ■    tels,    .i    nous    dire   ce  qu'est    la    natun 

divine.    Il  n'en  va  pas  autrement  du  termi  '.:;il 

lu  un' genn    qu     •        ",ii .         incorruptible, 

Immortel,   invisible     II    n'a  pas  rapport  -i  la  qui  itioD  . 


Qu'est  Dieu,  t:'  è<ttiv  ?  mais  bien  plutôt  à  la  question  : 
Comment  est-il,  îru;  in:i'/'?  Quand  notre  esprit  exa- 
mine si  le  Dieu  suprême  provient  de  quelque  cause,  il 
n'en  peut  concevoir  aucune,  et  il  exprime  cette  pro- 
priété de  la  vie  divine  par  le  mot  àyêwqtoç,  incréé  ou 
innascible,  n.  15,  col.  546. 

Eunomius  soutenait  bien  que  ce  terme  n'était  pas 
privatif  ou  négatif,  mais  c'était  abandonner  la  notion 
même  d'innascibilité,  pour  lui  substituer  une  notion 
positive  et  antérieure,  laquelle  ne  pouvait  être  que  la 
notion  d'être,  impliquée  dans  Vaséité.  Le  débat  ne 
faisait  que  se  déplacer,  et  saint  Basile  se  refusait  à 
voir  dans  cette  notion  l'expression  propre  et  adéquate 
de  la  nature  divine.  Il  y  reconnaissait  seulement  une 
dénomination  que  Dieu  s'était  attribuée  en  propre, 
Exod.,  m,  14,  et  qui  convenait,  en  effet,  à  son  essentielle 
éternité  :  oïxst'av  ia*jT&>  xa\  Ttpéuouaav  tïj  ÉauToO  àï&iô- 
tïjt!...  7rpo<7ï)yop['av,  1.  II,  n.  48,  col.  609.  Encore  moins 
le  nom  0eô;  pouvait-il  exprimer  l'essence  divine,  au 
jugement  de  Basile;  car  il  n'y  voyait  qu'un  nom  d'opé- 
ration, suivant  cette  double  étymologie  présumée  : 
7iapàTÔ  reÔeixévai  Ta  Ttavta,  r,  Geà?6ai  Ta  iravTa,  parce 
qu'il  a  tout  constitué,  ou  parce  qu'il  voit  tout.  Epist., 
vin, ad  Cœsarienses,  n.  11,  t.  xxxn,  col.  266. 

La  nécessité  de  répondre  à  l'objection  contre  la  con- 
substantialité  du  Père  et  du  Fils,  qu'Eunomius  tirait 
de  la  diversité  de  leurs  noms,  ày£wr,To;  et  yevvijTdî, 
amène  le  champion  de  l'orthodoxie  à  compléter  sa 
doctrine.  Il  montre  d'abord  que  souvent  les  êtres  tirent 
leurs  noms  de  leurs  propriétés  individuelles,  et  non  de 
leur  essence,  1.  II,  n.  4,  col.  578.  Puis  il  énonce  une 
distinction  nouvelle,  celle  des  noms  absolus  et  des 
noms  relatifs  :  ~x  [j.sv  àiroXeXu[iivu>;  xoct  xaO'  èauTa 
jtpoçepdjAEva,...  Ta  3:  7ipô;  é'îcpa  ),Eyô|ieva,  n.9,  col.  588. 
Ainsi,  les  noms  :  homme,  cheval,  bœuf,  signifient  les 
choses  mêmes  auxquelles  on  les  applique;  les  noms  : 
fils,  esclave,  ami,  ne  signifient  qu'une  relation  déter- 
minée par  le  mot  qui  suit.  En  cet  endroit,  saint  Basile 
ne  fait  usage  de  cette  distinction  que  pour  résoudre 
l'objection  d'Eunomius.  'AYévvv)ro;  et  yswrito;  sont  des 
noms  relatifs;  ils  ne  signifient  pas  la  substance  divine 
considérée  en  elle-même,  mais  seulement  le  rapport 
d'origine  qui  existe  entre  les  deux  premières  personnes 
de  la  Trinité,  le  Père  et  le  Fils.  La  diversité  de  ces 
noms  n'entraîne  donc  nullement  la  diversité  de  sub- 
stance, si,  par  hypothèse,  une  seule  et  même  substance 
se  trouve  dans  le  Père  qui  communique  et  dans  le 
Fils  qui  reçoit. 

(elle  distinction  entre  noms  absolus  et  noms  rela- 
tifs, capitale  dans  la  controverse  Irinilaire,  avait  une 
portée  plus  générale.  Appliquée  à  Dieu,  abstraction 
laite  des  trois  personnes,  c'était  la  distinction  enlr< 
dénominations  absolues,  qui  conviennent  à  la  nature 
divine  considérée  en  elle-même,  par  suite  essentielle- 
ment, et  les  dénominations  relatives,  qui  lui  con- 
viennent   seulement    par    rapport   à  un  len li>tinct 

d'elle-même,  par  suite  accidentellement.  I.e  terme 
à-/£v/r,:o:,  pris  il.i ns  le  sens  d'incréé,  était  un  terme 
absolu,     mais   négatif,   et  Convenant  au   Fils  aussi   bien 

qu'an  Père,  dans  l'hypothèse,  catholique,  d'une  géné- 
ration qu)  ne  se  fut  pas  par  voie  de  création  ou  de 
production,    mais    de   communication  dune   seul 

inbstance  Cf  Grégoin  de  Nazianze,  Orat.,  xxix, 
n.   10,  t.  kxxvi,  col.  88;  Grégoire  de  x  ntra 

Eunom.,  1.  II.  col.  512. 

La  doctrine  de  sain)   Basile  suri  divins  se 

retrouve,  sous  une  forme  moins  didactique,  dans  le 
second  discoun  théologique  de  saint  Grégoire  de  Na* 
zianze.  Orat.,  ixvih,  t  kxxvi,  col.  SB  sq.  L'orateur  de 
la  ville  impériale  utilise,  s;ms  la  formuler,  la  double 
distinction  enln  In  appellations  positives  el  négatives, 
I  relatives.  \  propos  des  termi  -  incorporel, 
ible,  immuable,  incorruptible,  el  autres  sembla 


1087 


DIEU    (SA   NATURE   D'APRÈS   LES   PÈRES; 


1088 


blés,  qui  se  disent  do  Dieu  ou  de  ce  qui  le  concerne,  7iep\ 
0eoO  rj  jrepï  0sôv,  il  remarque  que,  pour  exprimer  la  na- 
ture de  Dieu,  ce  n'est  pas  assez  de  dire  ce  qu'il  n'est 
point.  A  qui  demande  :  Combien  font  deux  fois  cinq,  ce 
n'est  pas  répondre  que  de  dire  :  Ni  deux,  ni  trois,  ni 
quatre,  ni  cinq,  ni  vingt,  ni  trente,  etc.,  n.  9,  col.  37.  11 
est  d'autres  noms,  positifs  ceux-là,  comme  :  esprit,  feu, 
lumière,  cliarité,  sagesse,  justice,  etc.,  n.  13,  col.  41. 
D'autres  encore,  que  saint  Grégoire  appelle  ailleurs 
noms  de  puissance,  tïjç  llov<s:.a.c,  comme  roi  de  gloire, 
seigneur  des  armées,  etc.  ;  ou  noms  de  providence, 
t?,;  o£xovo[j.îa;,  comme  Dieu  du  salut,  des  vengeances, 
d'Abraham,  etc.  Oral.,  xxx,  n.  19,  col.  128. 

Parmi  les  noms  positifs,  deux  attirent  particulière- 
ment l'attention  de  l'évêque  de  Nazianze  :  ô  \i.vi  "Uv 
-/.où  6  0sôç  u.âXXôv  TCdj;  tt)ç  ojuia;  ovôjj.aTa.  Oral.,  XXX, 
n.  18,  col.  125.  Ainsi,  Être  et  Dieu  sont,  non  pas  préci- 
sément des  noms  propres  de  l'essence  divine,  mais  des 
noms  plus  aptes  à  la  désigner;  le  premier  surtout,  à  un 
double  titre.  Dieu  s'est  appelé  lui-même  Celui  qui  est, 
Exod.,  m,  14;  par  ailleurs,  nous  jugeons  facilement 
cette  appellation  plus  propre  que  les  autres,  •/.•jptovrépav. 
Le  mot  Qeôç  venant,  à  s'en  tenir  à  l'avis  des  gens  en- 
tendus, de  Ôéetv,  courir,  ou  d'ai'ôeiv,  brûler,  convient  à 
la  divinité  à  cause  de  sa  perpétuelle  activité  et  de  sa 
vertu  purificatrice  des  vices;  il  rentre  dans  la  catégorie 
des  noms  relatifs,  tùv  Tipô;  Tt  Xeyo|jiva>v,  comme  celui 
de  Seigneur;  il  n'exprime  pas  ce  que  nous  cherchons, 
la  nature  qui  existe  par  elle-même,  rt  tô  îlvaiy.aô'éauxô, 
et  d'une  manière  absolument  indépendante.  Mais  l'être 
est  vraiment  propre  à  Dieu,  l'être  dans  sa  plénitude, 
tô  8è  ov,  ïStov  o'vTtùç  0eoî,  y.ai  ô'Xov,  sans  délimitation 
ni  restriction  d'aucune  sorte.  Ibid.,  col.  128;  cf.  Orat., 
XXXVIII,  n.  7,  col.  317  :  ocôv  ti  TréXayoî  o-jo-iaç  aTtetpov 
y.ai  aép'.tfTOv. 

Saint  Grégoire  de  Nysse  marche  plus  strictement  sur 
les  traces  de  saint  Basile.  Il  reprend  et  défend  sa  doc- 
trine sur  les  noms  absolus  et  relatifs,  positifs  et  néga- 
tifs. Contra  Eunorti.,  1.  I,  col.  426  sq.;  1.  XII,  col. 953. 
Il  ajoute,  au  second  endroit,  une  considération  qui  a  sa 
valeur.  Entre  les  noms  négatifs  et  les  noms  positifs,  se 
rapportant  à  un  même  objet,  il  y  a  corrélation;  on  peut 
toujours  ramener  le  nom  négatif  à  un  nom  positif. 
Ainsi,  nier  que  Dieu  soit  capable  de  méchanceté,  c'est 
le  dire  bon;  le  proclamer  immortel,  c'est  dire  qu'il  est 
toujours  vivant:  Ta-JTÔ  yâp  èotiv...  àââvaxov  ôuoXoyrio-at, 
•/.ai  àei  Çwvxa  eItkïv.  Mais  aucun  nom  n'est  capable 
d'exprimer  pleinement  la  nature  divine  :  oùSèv  ovo[i.ot 
TC£pi).Y-|7my.ôv  Tr,;  6etaç  âije'jpyiTat  O'Jaeto;.  Ibid.,  col.  957; 
cf.  Quod  non  sint  très  dii,  t.  xlv,  col.  121. 

Dans  ce  dernier  passage,  l'évêque  de  Nysse  constate 
que  le  mot  0sô;  est  appliqué  par  certains  à  la  divinité 
comme  un  nom  propre,  tûoicep  ti  xûpiov  fi'iop.%;  opinion 
qui  explique  la  façon  réservée  dont  il  parle  plus  loin, 
col.  133,  quand  il  met  de  côté  la  question  de  savoir  si 
ce  nom  se  rapporte  à  la  nature  ou  à  l'activité  divine  : 
iitz  Tzph;  ç-Jtiv,  eïxs  Ttpôç  èvspysiav  flXiitElv  ti;  XÉyr,.  Pour 
lui,  s'attachant  à  l'une  des  étymologies  signalées  par 
son  frère  :  8e5o-Ûa'.,  voir  ou  inspecter,  il  prend  le  mot 
pour  un  nom  d'opération,  relatif  à  la  science  et  à  la  pro- 
vidence divine.  Ibid.,  col.  121  sq.;  Contra  Eunom., 
1.  XII,  col.  1108.  Ailleurs,  cependant,  il  en  parle  comme 
d'un  nom  qui  désigne  la  nature,  ovojia  o-Jo-t'a;  o-Y)u.av- 
t'./.ov,  mais  dans  un  sens  plus  général,  celui  de  nom 
essentiel,  qui  s'attache  à  la  nature  considérée  en  elle- 
même  ou  dans  ses  attributs  et  qui,  par  suite,  convient 
indivisiblement  aux  trois  personnes  de  la  Trinité,  kicA 
jj.tà;  ouata;  sv  ô'vop.a  tô  0eô;  ëtti.  par  opposition  aux 
noms  propres  ou  notionnels,  qui  conviennent  exclusi- 
vement à  chaque  personne  en  particulier.  De  commu- 
nibus  notionibus,  t.  xi.v.  col.  176.  Voir  F.  Diekamp, 
Die  Gotteslehre  des  hl.  Gregor  ron  Nyssa,  p.  198  sq., 
sur     cette    opposition      purement     apparente,     dont 


W.  Meyer,  075.  cit.,  p.  22  sq.,  a  prétendu  profiter  pour 
confirmer  sa  thèse  superficielle  sur  a  les  deux  àrnes  que 
Grégoire  portait  en  sa  poitrine,  a  une  âme  de  chrétien 
croyant  au  Dieu  vivant  de  l'Evangile  et  une  ârne  de 
philosophe  néoplatonicien  rêvant  un  Dieu  abstrait. 

S'il  n'admet  pas  de  nom  propre  au  st>ns  rigoureux  et 
absolu  du  mot,  l'évêque  de  Nysse  reconnaît  cependant, 
avec  son  homonyme  de  Nazianze  et  avec  saint  Basile, 
un  nom  spécialement  caractéristique  de  la  vraie  divi- 
nité, iv  i,v6>pt<T(j.a  t?,;  <x).r,8ivf|<;  Seôttjtoç;  celui  que  Dieu 
s'est  donné  lui-même,  Exod.,  m.  1  i  :  'Eyû  z\y.:  h  d>v.  Ce 
nom  dit,  pour  Grégoire,  existence  essentielle  et  tout  ce 
qui  s'en  suit,  comme  éternité,  infinité,  immutabilité. 
Contra  Eunom.,  1.  VIII,  col.  768  sq.  C'est  là  ce  que  le 
saint  docteur  appelle  être  véritablement  ou  par  na- 
ture, ce  qui  est  le  propre  delà  divinité  :  ïStov  Oetfrr/ro; 
yv<«pt<xu.a,  tô  à'/rfiGi:  sîvat,  ibid.,  1.  X,  col.  840 ;  û( 
à>,r,0â>;  TÔ  ov,  ô'  T>,  aÛTOÛ  çvjst  to  ilix:  i/i:.  De  vita 
Moi/sis,  t.  xliv,  col.  333. 

A  la  controverse  sur  les  noms  divins,  qui  vienld'être 
rappelée,  se  rattache  un  problème  qui  mérite  au  moins 
d'être  signalé.  Dans  son  explication  de  l'èn(vota,  saint 
Basile  avait  attribué  à  l'homme  la  faculté  de  connaître 
les  êtres  créés  dans  leur  nature  ou  leurs  propriétés,  et 
de  leur  donner  des  noms.  A  rencontre  de  cette  doc- 
trine, Eunomius  formula  une  thèse  reprise  de  nos 
jours  par  l'école  traditionaliste  :  L'homme  est  incapable 
de  donner  aux  êtres  de  vrais  noms;  c'est  Dieu  lui- 
même  qui,  en  créant  chaque  être,  lui  a  donné  son 
nom.  Saint  Grégoire  de  Nysse  rapporte  les  arguments 
scripturaires,  vraiment  pauvres,  dont  Eunomius  pré- 
tendait s'autoriser,  et  la  réfutation  de  l'adversaire 
l'amène  à  présenter  de  brillants  développements  sur 
l'origine  humaine  du  langage.  Contra  Eunom.,  I.  XII, 
col.  976  sq.,  1044  sq.  Voir  F.  Diekamp,  op.  cit.,  c.  m. 
§2,  5,6.  Ce  n'est  pas  le  lieu  de  poursuivre  cette  ques- 
tion, mais  l'opinion  d'Eunomius  sur  l'origine  divine 
des  noms  substantifs,  ou  même  vraiment  objectifs, 
nous  force  à  conclure  qu'il  ne  pouvait  attribuer  qu'à 
une  révélation  positive  la  connaissance  du  mot 
àyÉwYîTo;,  pleinement  expressif,  selon  lui,  de  la  nature 
divine. 

c)  Vincompréhensibililé  divine .  —  En  prétendant  pos- 
séder le  nom  propre  de  Dieu,  Eunomius  s'attribuait 
une  connaissance  parfaite  de  la  divinité.  Saint  Basile 
entreprend  vivement  L'hérésiarque  sur  ce  terrain. 
Adv.  Eunom.,  1.  I,  n.  12,  t.  xxix,  col.  539  sq.  D'où 
lui  vient  une  pareille  connaissance?  De  la  notion 
commune  de  Dieu,  £x  t?(;  xotvîj;  àvvot'aç?  Mais  cette 
notion  nous  dit  que  Dieu  existe,  et  non  pas  ce  qu'il 
est  :  tô  e'vat  tôv  0sôv,  o*j  to  -i  eivat.  D'une  révélation 
positive  de  l'Esprit?  Qu'on  la  fasse  connaître,  qu'on 
dise  où  elle  s'est  faite.  Bien  de  semblable  chez  les 
grands  privilégiés  de  l'Esprit,  David,  Isaïe,  saint  Paul; 
tous  ont  parlé  de  l'essence  divine  comme  d'un  objet 
qui  surpassait  infiniment  leurs  lumières.  Beste  la  sainte 
Ecriture,  qui  ne  nous  renseigne  pas  davantage.  Aux 
anciens  patriarches,  Abraham,  Isaac  et  Jacob,  Dieu  n'a 
même  pas  révélé  son  nom.  Exod..  VI,  3.  Saint  Basile 
omet  ici  de  discuter  le  sens  de  la  révélation  faite 
Moïse,  Exod.,  m,  14;  ce  témoignage  n'avait  pas  et 
invoqué  par  Eunomius  dans  son  apologie.  Mais  nous 
avons  vu  que  l'évêque  de  Césarée  n'y  trouvait  pas  la 
pleine  manifestation  de  l'essence  intime  de  Dieu. 

V.n  réalité,  Dieu  est  incompréhensible  pour  tout  être 
créé.  Ce  qui,  dans  les  auteurs  sacrés,  semble  dépeindre 
la  nature  divine,  doit  manifestement  s'entendre  dans 
un  sens  allégorique  ou  Iropologique;  autrement,  il 
faudrait  souscrire  aux  rêveries  judaïques  ou  revenir 
l'erreur  païenne  d'un  Dieu  matériel,  n.  14,  col.  543. 
L'intelligence  nous  a  été  donnée,  il  est  vrai,  pour 
connaître  Dieu,  mais  dans  la  mesure  où  l'infinie  majesté 
peut  être  connue  par  le  tout  petit  être  que  nous  sommes. 


1089 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES1 


1090 


Ce  que  nous  pouvons  faire,  c'est  de  partir  des  créa- 
tures pour  connaître  la  puissance,  la  sagesse,  la  bonté 
du  créateur.  Mais  le  monde  ne  dit  pas  plus  la  nature 
intime  de  son  auteur,  qu'une  maison  ne  dit  la  nature 
intime  de  celui  qui  l'a  fait  construire  :  où  yàp  êx  tyjs 
o'xsaç  ty,v  oviT-av  toC  oixo5ôu.ou  -/.araAaocïv  Suvarov,  1.  II. 
n.  32,  col.  648;  cf.  Epist.,  clxxxix,  Euslathio,  n.  8, 
t.  xxxil,  col.  695.  Quelle  folie,  du  reste,  de  prétendre 
à  la  parfaite  connaissance  de  Dieu,  quand  nous  con- 
naissons si  peu  ce  qui  nous  enloure,  et  quand  nous 
nous  connaissons  si  peu  nous-mêmes!  1.  I,  n.  12, 
col.  540;  I.  II,  n.  6,  col.  668.  En  somme,  transcendance 
objective  de  la  nature  divine,  imperfection  et  limi- 
tation de  notre  intelligence,  absence  de  révélation  de 
la  part  de  Dieu  :  tels  sont,  pour  saint  Basile,  les  grands 
fondements  de  l'ineffabilité  et  de  l'incompréhensibilité 
divines. 

Saint  Grégoire  de  Nazianze  a  consacré  au  même 
sujet  la  plus  grande  partie  du  second  discours  théolo- 
gique. Orat.,  xxviii,  t.  xxxvi,  col.  25  sq.  Dieu  n'est  pas 
seulement  difficile  à  comprendre  et  impossible  à  expri- 
mer, comme  l'a  dit  Platon  ;  s'il  est  impossible  à  expri- 
mer, il  est  encore  plus  impossible  à  comprendre,  quand 
il  s'agit  non  du  simple  fait  de  son  existence,  mais  de 
sa  nature  intime  :  )=•-<.)  ô;  <rjyi'6?t  gtrctv,  iM'rj  ttç  âornv, 
n.  5,  col.  31.  Et  l'orateur  de  multiplier  les  questions 
pour  mettre  l'esprit  en  face  du  mystère.  Eerons-nous 
de  Dieu  un  èlre  corporel'.' Que  d'absurdités  s'ensuivent! 
Et  s'il  est  incorporel,  où  est-il?  Nulle  part,  ou  partout? 
El  avant  la  création  du  monde,  où  était-il?  Confessons 
plutôt  qu'il  est  hors  de  notre  portée,  et  que  nous  ne 
pouvons  concevoir  pleinement  ce  qu'il  est,  ô),ov  otov 
totfv,  n.  11,  col.  40. 

A  cette  raison,  tirée  de  la  transcendance  divine, 
saint  Grégoire  en  ajoute  d'autres,  dont  la  principale 
est  d'ordre  psychologique.  Notre  connaissance  ici-bas 
est  nécessairement  dépendante  de  notre  condition; 
notre  esprit,  uni  au  corps,  ne  peut  connaître  les  choses 
intelligibles  qu'à  l'aide  des  choses  sensibles.  Jamais  il 
ne  pourra  se  faire  une  idée  propre  ou  parfaite  de  l'Etre 
souverainement  simple  et  qu'aucune  image  ne  peut 
représenter,  n.  12-13,  col.  41  sq.  Voir,  dans  Orat., 
XXXVIII,  n.  7,  col.  :!17,  une  allusion  aux  vains  efforts 
de  notre  esprit  qui,  par  association  d'idées,  cherche  à 
[jurer  la  divinité.  Un  jour  nous  connaîtrons  Dieu 
comme  il  nous  connaît,  mais  en  cette  vie  mortelle  nous 
De  l'entrevoyons  qu'à  travers  de  faibles  rayons.  Si  la 
sainte  Ecriture  semble  dire  de  quelques  saints  per- 
sonnages, de  l'Ancien  ou  du  Nouveau  Testament, 
qu'ils  ont  connu  Dieu,  cela  doit  s'entendre  d'une  con- 
naissance non  parfaite  en  elle-même,  mais  supérieure 
à  celle  des  autres  hommes,  finit.,  xxvm,  n.  17,  col.  18  sq. 
Ils  n'onl  pas  vu  Dieu   face  à  face,  mais  par  deri 

I.,  xxxiii,  23,  c'est-à-dire  dans    les  créatures  qui 

manifestent  ses   perfections,  n.  3,   col.  30.  Quoi 

d'étonnant,  puisque,  dans  l'ordre  même  de  la  nature, 

noire  connaissance  est  si  bornée!  n.  22  sq.,  col.  56  sq. 

Saint  Grégoire  de  Nysse  ne  fait,  en  général,  que  re- 
prendre  un  développer  la  doctrine  de  saint  Basile  sur 
l'incompréhensibilité  divine.  En  dehors  de  l'argument 
d'autorité,  fourni  par  di  -  ti  i  d  -nuls  Livres, 
comme  Ps.  i.xxxviii,  7;  (  xi.iv.  .'!;  cxi.vi,  5;  Eccle.,  v,  I  ; 
Rom.,  m.  '■'<■'<.  I  Cor.,  u,  9,  Contra  Eunom.,  I.  III. 
col.  (KM  sq.;  I.  XII, col.  941,  952;  /«  Eccle., homil. vu, 
t.  m. iv,  col.  372.  il  fait  appel,  comi  ux  compa- 

triote-, m   carai  l  re  borné  et  à  la  condition  de  notre 
Connaissance.  Conlra  Eunom.,  I.  XII.  col.  932 sq.  On 
uve  chez  lui  la  preuve  subsidiaire,  tirée  des  mys- 
I    en  dehors  de    nous  et    en    nous.  Ibnl.t 
I    \.   col.   828;  I.    XII.   col.   !  l     'm   n  ti 

le  considération,  que  l'artiste  m    nou    donne 

lui-   son  œuvi  ance    de    sa    nature 

intime.   Ibid  .  I.    1,  col.  381  oppose  surtout 

DICT.    DI  TBtOL.    CATIIOL. 


aux  anoméens  la  transcendance,  ontologique  et  logique, 
de  l'essence  suréminente,  ttjç  ■J7iepsy_ovTr,ç  o-Jui'aç,  1.  III, 
col.  597;  rij  VTrepî/ovirr,  Tiivra  vovv  cpÛTct,  1.  VII,  col.  756, 
et  fonde  en  dernier  lieu  l'incompréhensibilité  sur  l'in- 
finité, qui  est  la  mesure  de  l'essence  divine,  tt,ç  8s 
p.ÉTpov  ï)  àTteipia,  1.  XII,  col.  933;  t'o  6k  àôpiTTOv  itcpi- 
Xr,ï.0r,vac  crj  SJvatat,  1.  III,  col.  601.  Aussi  s'indigne-t-il 
contre  ces  dialecticiens  arrogants  qui  prétendaient  en 
quelque  sorte  forcer  l'essence  divine  à  coups  de  syllo- 
gismes, o!.  T7)  o-JiTia  toû  0soû  Sià  Tiîiv  (ju).).oyc(jn.(;)v 
âij.oaTôOovTs;,  1.  VI,  col.  729,  et  qui  croyaient  étreindre 
dans  la  chétive  mesure  d'une  seule  notion  l'ineffable 
nature,  1.  XII,  col.  952. 

Mais,  platonicien  d'éducation  et  de  goût,  admirateur 
d'Origène,  l'évèque  de  Nysse  n'aurait-il  pas  trop  pressé 
la  transcendance  divine?  On  peut  vouloir  dire  par  là 
que  Dieu,  conçu  comme  Être  suprême,  comme  nature 
suréminente,  reste  dans  la  catégorie  de  l'absolu  et  de 
l'abstrait,  par  opposition  au  Dieu  vivant  de  la  foi. 
Meyer,  op.  cit.,  p.  9  sq.  En  ce  sens,  l'objection  n'est 
pas  spéciale;  elle  retombe  sur  presque  tous  les  Pères 
et  sera  discutée  plus  loin.  Du  reste,  pour  lui  donner 
ici  quelque  apparence,  il  faut  démembrer  l'œuvre  du 
saint  docteur  en  deux  séries  de  concepts  qu'on  déclare 
objectivement  inconciliables,  bien  que  l'auteur  les  ait 
unies  dans  sa  foi  naïve;  il  faut  mettre  dans  sa  poitrine 
les  deux  âmes  dont  il  a  été  déjà  question.  Il  faut  ou- 
blier, en  outre,  que  dans  leur  conception  de  Dieu 
comme  l'Etre  suprême,  les  trois  grands  Cappadociens 
étaient  comme  à  l'antipode  d'un  Dieu  abstrait,  ou 
simple  comme  un  point  mathématique.  A  l'encontre 
d'Eunomius,  qui  réduisait  la  divinité  à  la  seule  notion 
d'innascibilité,  ils  attribuaient  à  l'Etre  suprême  cette 
suréminence,  cette  plénitude  de  perfection,  qui  est  le 
fondement  même  de  la  multiplicité  de  nos  conceptions 
de  raison  et  des  noms  divins.  Saint  Grégoire  de  Nysse, 
en  particulier,  a  plus  qu'aucun  autre  accentué  l'infi- 
nité divine  prise  au  sens  positif,  c'est-à-dire  sous  le 
concept  d'absolue  perfection.  Conlra  Exmom.,  1.  IX, 
col.  808;  De  beatitudinibus,  orat.  i,  t.  xi.iv,  col.  1197, 
L'être  infini  est,  pour  lui,  aussi  essentiellement  vivant, 
qu'il  est  essentiellement  sage,  puissant,  etc.  :  kÙtoÇiotj, 
Contra  Eunom.,  1.  VIII,  col.  797;  a-JToaoçioc,  aùtoô'j- 
vjat:.  In  Hexaem.,  t.  xi.iv,  col.  72. 

L'objection  peut  cependant  trouver  là  un  nouveau 
point  d'appui.  Établir  la  transcendance  sur  l'infinité, 
c'était  proclamer  l'incompréhensibilité  absolue  de  Dieu 
en  toute  hypothèse,  au  ciel  comme  ici-bas.  C'est  vrai, 
si  l'on  entend  le  terme  de  compréhension  dans  le  sens 
rigoureux  où  le  prennent  beaucoup  de  Pères,  les  Cap- 
padociens entre  autres,  pour  une  connaissance  de 
i  essence  divine  adéquate  sous  tous  rapports,  ('gale  par 
conséquent  à  celle  que  possèdent  les  trois  personnes 
de  la  Trinité.  Mais  celte  affirmation  de  l'incompréhen- 
sibilité absolue  de  Dieu  n'est  pas  plus  fausse  qu'elle 
n'est  propre  à  saint  Grégoire  de  Nysse.  Voir  Pelau, 
Op.  cit.,  I.  VII,  c.  III  et  \  ;  I  i.in/elin.  D«  Dec  un". 
th.  xix.  La  seule  question  qui  puisse  se  poser  avec 
quelque  apparence  de  fondement,  est  celle  ci  Ce  l'ère 
a-t-il  porté  la  transcendance  ei  l'incompréhensibilité 
jusqu'à  dénier  a  la  créature  même  béatifiée  toute  con- 
naissance immédialede  l'essence  divine'  M. us  cette 
question  ne  relevé  pas  du  présent  article;  il  suffit  de 
il  ne  ici  que  les  textes  allégui  a  n  i  tablissenl  pas  ce  qu'on 
leur  prête.  Les  un-  ne  ~  ■  ■  1 1 1  exclusifs  que  d'une  connais- 

stricte ni  compréhensive  de  la  divinité.  Dans 

i.s  antres,  il  s'agit  non  de  vision  béatiflqne,  mai-  de 
vision  mystique  et  d  it  pas,  en  i  (Tel . 

Ii. île.   Rien  de  plus,  en   particulier, 

dans  l'interprétation  allégorique  «le  la  vie  de  Mol 

XI. IV,   col.  'i'.lT  iq.,  m  dans  s,.s    ho- 
mélies sur  b   Cantique   il.-  eanliqie  •  '      I 

curieuses  études  'le  théologie  mystique,  où  les  n  mlnii 

iv.  -  SB 


1091 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES) 


1092 


cenccs  néoplatoniciennes  ne  manquent  assurément 
pas,  mais  utilisées  dans  un  sens  et  un  esprit  chrétien, 
et  où  Ilenys  l'Aréopagite  puisera  bientôt  une  bonne 
partie  des  spéculations  développées  dans  son  fameux 
écrit  IIep\  jj.u<jTtv'.T;ç  OeoXoyisç.  Voir  Diekamp,  op.  cit., 
c.  i,§  9  et  10. 

d)  Notre  connaissance  de  llieu  ici-bas.  —  Pour  les 
Pères  cappadociens,  incompréhensible  n'est  pas  syno- 
nyme d'inconnaissable.  Ce  point  ressort  assez  de  tout 
ee  qui  précède;  il  mérite  pourtant  quelques  dévelop- 
pements, à  cause  des  objections  qui  le  firent  éclaircir. 
En  375,  saint  Ampbiloque,  évêque  d'Icône,  interrogea 
saint  Basile  au  sujet  de  questions  captieuses  que  les 
anoméens  posaient  aux  orthodoxes  ;  quelle  est,  deman- 
daient-ils, l'essence  de  celui  que  vous  adorez?  Si  les 
catholiques  se  retranchaient  dans  l'incomprébensibilité 
divine,  les  sophistes  concluaient  :  Vous  adorez  donc  ce 
que  vous  ignorez.  Et,  si  l'on  essayait  de  récuser  la  con- 
séquence, ils  insistaient  :  C'est  ignorer  Dieu,  que 
d'ignorer  ce  qu'il  est. 

Le  mot  connaître,  répond  d'abord  l'évèque  de  Césarée, 
est  susceptible  de  sens  multiples.  Si  nous  ne  connais- 
sons pas  l'essence  de  Dieu,  nous  connaissons  sa  ma- 
jesté, sa  puissance,  sa  bonté,  sa  justice,  sa  providence; 
tout  cela  rentre  dans  la  notion  courante  de  Dieu,  rîjç 
Ticçi  ©eoO  âvvota;.  Objecter  que  Dieu  est  simple  et  que, 
par  conséquent,  tout  ce  qu'on  dit  ou  tout  ce  qu'on  sait 
de  lui  atteint  son  essence,  c'est  un  pur  sophisme.  Autre 
chose  est  l'essence  considérée  en  elle-même,  autre 
chose  est  l'essence  considérée  sous  les  multiples  aspects 
que  ses  opérations  nous  permettent  de  connaître.  Epist., 
ccxxxiv,  n.  1,  t.  xxxu,  col.  868  sq.  Prétendre  connaître 
à  fond  l'essence  divine,  c'est  montrer  qu'on  l'ignore. 
Du  reste,  la  foi  nous  prescrit,  non  pas  de  savoir  ce  que 
Dieu  est,  mais  de  croire  qu'il  existe  et  qu'il  récompense 
ceux  qui  le  cherchent.  Heb.,  xi,  6.  Nous  adorons  celui 
dont  nous  connaissons  et  croyons  l'existence.  Ibid., 
n.  2,  3,  col.  869. 

Une  nouvelle  question,  posée  par  l'évèque  d'Icône, 
amène  une  dernière  réponse  :  De  la  connaissance  (de 
raison)  ou  de  la  foi,  laquelle  précède?  Basile  réplique  : 
En  considérant  l'ensemble  de  nos  connaissances,  la 
foi  vient  en  premier  lieu  ;  la  manière  dont  les  enfants 
apprennent  les  lettres  de  l'alphabet  en  est  une  preuve. 
Mais  dans  la  foi  qui  a  Dieu  pour  objet,  il  faut  d'abord 
savoir  que  Dieu  existe;  cette  connaissance  préalable, 
nous  la  tirons  des  créatures.  Elles  nous  apprennent  sa 
sagesse,  sa  puissance,  sa  bonté  et  ses  autres  perfections, 
invisibles  en  elles-mêmes.  La  foi  vient  après  cette 
connaissance,  et  l'adoration  suit  la  foi.  Epist.,  ccxxxv, 
n.  1,  col.  872.  Ainsi  se  trouvait  résolue  l'objection  ano- 
méenne  :   Vos  adoratis  cjuod  nescitis. 

Que  notre  connaissance  de  Dieu  ici-bas  soit  impar- 
faite, c'est  l'enseignement  de  saint  Paul,  I  Cor.,  xm,  9  : 
Nnnc  quidem  ex  parte  cognoscimus.  Ibid.,  n.  3.  S'en- 
suit-il que  cette  connaissance  soit  fausse,  ou  qu'elle  soit 
nulle?  La  connaissance  d'un  être,  d'un  homme,  de 
Timothée,  par  exemple,  pour  être  vraie,  n'est  pas  néces- 
sairement parfaite;  nous  pouvons  le  connaître  sous  un 
rapport,  et  l'ignorer  sous  un  autre  :  xoct;'  aXXo  (jiv  oïSoc, 
xoct'  aXXo  8è  àyvoeô.  Ibid.,  n.  2.  De  ce  que  notre  œil 
n'embrasse  pas  toute  l'étendue  du  ciel,  dirons-nous  que 
le  ciel  est  invisible?  Ne  disons-nous  pas,  au  contraire, 
qu'il  est  visible,  pour  ce  que  nous  en  voyons?  Ainsi  en 
va-t-il  de  Dieu  :  Outw  c<|xa\  7cepl  0eo;j.  Epist.,  ccxxxin, 
n.  2,  col.  868. 

On  aura  remarqué  qu'en  toute  cette  controverse, 
saint  Basile  considère  le  monde  sensible  comme  la 
source  de  notre  connaissance  naturelle  de  Dieu,  atteint 
►tans  son  existence  et  ses  attributs  essentiels.  Mais  cette 
ascension  vers  l'Être  suprême  par  le  monde  extérieur 
n'exclut  pas  la  connaissance  que  nous  pouvons  acqué- 
rir de  lui  par  le   petit  monde  intérieur  qui  est  notre 


âme,  rr,v  Stà  toO  vo3  v<$ï)civ,  /"  Itaiam,  v,  11,  t.  xxx. 
col.  376.  Voir  surtout  l'homélie  sur  le  lexle  :  Attende 
libi  ipsi,  n.  7,  t.  xxxi,  col.  -213  sq.  :  «  Par  l'àrne  incor- 
porelle qui  est  en  toi,  comprends  que  Dieu  est  incor- 
porel, qu'il  n'est  circonscrit  par  aucun  lieu,  etc.  « 

Saint  Grégoire  de  Nazianze,  s'adressant  à  la  masse, 
insiste  presque  uniquement  sur  la  voie  du  dehors  : 
«  Qu'il  y  ait  un  Dieu,  cause  suprême,  créateur  et  con- 
servateur de  toutes  choses,  les  yeux  mêmes  et  la  loi 
naturelle  nous  l'enseignent.  »  La  loi  naturelle  désigne 
ici,  d'après  le  contexte,  la  propension  instinctive  qui 
nous  porte  à  nous  élever  des  créatures  sensibles  à  leur 
auteur  par  le  raisonnement,  ouXXofisôiiEvo;.  Orat., 
xxviii,  n. 6,  t.  XXXVI,  col.  32;  cf.  n.  16,  col.  48,  pour  le 
développement  de  la  preuve,  tirée  de  l'ordre  du  monde 
ou  des  causes  finales.  En  partant  ainsi  des  créatures, 
qui,  dans  la  terminologie  du  saint  docteur,  sont  comme 
les  entours  de  Dieu,  iv.  tûv  irep'i  ocjtôv,  nous  arrivons, 
non  pas  à  la  compréhension  de  l'essence  divine,  mais 
à  une  connaissance  beaucoup  plus  modeste,  qu'il  com- 
pare à  un  tout  petit  ruisseau,  {Jpa-/eîa  t;;  i-noppor,,  ou 
au  pale  reflet  d'une  grande  lumière,  xai  otov  |iey<xXou 
itoTci:  (icxpàv  àita-JYatraa.  Ibid.,  n.  17,  col.  48.  A  l'aide 
du  créateur  nous  nous  formons  comme  une  esquisse  de 
ce  qui  est  en  Dieu,  èx  to>v  -£pï  ocvrôv  <T/.iaYpa?oûvT6;  -x 
•/.et-.'  ocOtgv;  de  là  une  certaine  image,  obscure  assuré- 
ment, imparfaite  et  analogique,  àjuiSpâv  ::vi  /.a:  i<r6Evîj, 
xai  aXXrjv  ait'  aXXo'J  çavTao-cav  o-jXXsyofj.Ev.  Orat.,  xxx. 
n.  17,  col.  125;  cf.  xxxvin,  n.  7,  col.  317,  avec  la  note  11  : 
o-Jx  èx  Twv  xoct'  ocOtôv,  «XX1  Èx  tôjv  Tîsp'i  avrôv.  Ce  n'en 
est  pas  moins  un  moyen  terme  entre  les  membres  du 
dilemme  qu'Eunornius  ou  l'un  de  ses  partisans  propo- 
sait, en  invoquant  la  simplicité  divine  et  que  l'évèque 
de  Nazianze  nous  a  rapporté  :  Ou  incompréhensibilité 
totale,  ou  totale  compréhension,  xïv  -:;  otVjTai  T'7>  à-"/r,; 
sii/ai  Ç'jdîioç,  r,  a).T|~Tov  c'vi'.,  r,  te/ Eco;  Xï)7îîév.  Orat., 
XXXVIII,  ibid. 

A  ne  considérer  que  la  manière  dont  nous  parvenons 
à  la  connaissance  de  Dieu,  l'évèque  de  Nysse  forme 
contraste  avec  celui  de  Nazianze.  Dans  ses  écrits  mys- 
tiques, commentaires  sur  la  vie  de  Moïse  ou  le  Cantique 
des  cantiques,  homélies  sur  les  béatitudes  évangéliques, 
traité  sur  la  virginité,  le  frère  de  saint  Basile  s'attache 
avec  une  prédilection  marquée,  à  la  voie  du  dedans, 
celle  qui  part  de  l'âme  humaine,  considérée  comme 
image  de  la  divinité.  Il  ne  prend  pas  l'homme  dans  sa 
seule  nature  physique  ou  philosophique,  mais  tel  qu'il 
est  sorti  des  mains  du  créateur,  Gen.,  I,  26  sq.,  avec 
tous  les  dons  qui  l'ornaient  alors,  par  conséquent 
avec  ce  qu'on  appelle  sa  nature  historique  ou  théolo- 
gique. La  vertu  du  christianisme  est  de  ramener 
l'homme  à  cet  état  primitif,  de  restaurer  en  lui,  dans 
sa  plénitude,  l'image  de  Dieu.  De  professione  chri- 
stiana,  t.  xlvi,  col.  244.  Ceci  fait,  l'âme  voit  dans  sa 
propre  beauté  l'image  de  la  nature  divine  :  èv  tcô  !£:<.> 
xâXXec  Tr|C  Oeia;  çj<Tcco;  xoc6opi  tt,v  stxôva.  De  bealitu- 
dinibus,  orat.  vi,  ibid.,  col.  1269.  Tels  sont  les  termes 
dont  se  sert  Grégoire  dans  le  passage  le  plus  caracté- 
ristique de  tous,  alors  qu'il  explique  la  béatitude  delà 
pureté  du  cœur,  Mattli.,  v,  8  :  Beati  mundo  corde, 
quoniam  ipsi  Deum  videbunt. 

Voici  le  fond  de  la  pensée  :  L'àme-image  se  voit  elle- 
même  et,  se  voyant,  elle  voit,  c'est-à-dire  connaît  son 
exemplaire,  la  divinité.  Ce  n'est  pas  une  vision  immé- 
diate de  Dieu  ;  F.  Diekamp  le  démontre  victorieuse- 
ment, op.  cit.,  p.  77  sq.,  contre  divers  auteurs,  entre 
autres  W.  Meyer,  op.  cit.,  p.  32  sq.  Quoi  qu'il  en  soit 
de  l'influence  néoplatonicienne,  indéniable  en  plu- 
sieurs points,  l'ensemble  du  passage  enlève  tout  doute. 
Quand  le  docteur  cappadocien  explique  sous  quel 
aspect  l'àme-image  se  voit,  il  n'indique  pas  autre  chose 
que  des  vertus  :  pureté,  absence  de  vice  et  de  passion, 
éloignement  complet  du  mal.  La  divinité  est  tout  cela: 


1093 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PERES 


1094 


xaôaptSr»)-  yàç,  à-cà8êta...  r,  6ed?Y|"  iitlt.  L'âme  voyant 
ces  vertus  resplendir  en  elle,  voit  Dieu  sous  les  mêmes 
aspects;  car  la  sainteté,  la  pureté,  la  simplicité  sont 
comme  des  rayons  lumineux  de  la  nature  divine,  à 
l'aide  desquels  l'âme  voit  Dieu  :  rcavra  Ta  -rotaÛTa  Ta 
çauoîiS'T)  TÎjç  6e;aç  ç-jteco;  àTix'jyàTiJ.aTa,  81'  <I>v  ô  0îbç 
ôpàrott.  76ic/.,  col.  1272.  Cf.  In  Cant.  cant.,  homil.  m, 
t.  xliv,  col.  82i;  homil.  xv,  col.  1093  sq.;  De  anima 
etresurreclione,  t.  xlvi,  col.  89  sq. 

Mais  comment  l'âme  se  sait-elle  image  de  la  divinité? 
Saint  Grégoire  de  Nysse  ne  s'explique  pas  plus  sur  ce 
point  que  saint  Athanase  et  les  autres  Pères  qui  ont 
eu  la  même  conception.  Tous  s'appuyant  sur  le  texte 
fondamental  de  la  Genèse,  i,  26-27,  il  semble  clair 
qu'ils  supposent  une  vue  ou  connaissance  de  foi.  Le 
procédé  revient  donc  finalement  à  ceci  :  L'âme,  ramenée 
par  le  christianisme  à  sa  beauté  primitive  et  se  sachant 
image  de  Dieu,  se  contemple  et  dans  ses  propres  per- 
fections, connaît  les  perfections  de  son  exemplaire,  la 
nature  divine.  La  connaissance  de  Dieu  acquise  de  la 
sorte  est  d'ordre  supérieur.  Elle  va  directement,  au 
moins  chez  l'évéque  de  Nysse,  aux  attributs  divins 
d'ordre  moral,  alors  que  dans  la  voie  du  dehors,  les 
perfections  physiques,  comme  la  puissance,  la  sagesse, 
la  science,  sont  au  premier  plan. 

Cette  connaissance  est,  en  outre,  propre  aux  chré- 
tiens; Grégoire  l'oppose  expressément  à  la  notion  que 
les  philosophes  païens  ont  pu  obtenir  par  la  voie  com- 
mune. De  bealitudinibus,  loc.  cit.,  col.  1269.  Aussi, 
quand  ce  Père  indique  ex  prof'esso  la  méthode  à  suivre 
avec  un  athée,  il  s'en  tient  uniquement  à  la  preuve  tirée 
de  l'ordre  ou  de  la  sagesse  qui  brille  dans  le  monde 
visible.  Oralio  catechetica,  prœf.,  t.  xi.v,  col.  12.  Cette 
méthode  a  déjà  été  résumée  plus  haut,  col.  883.  On 
remarquera  soigneusement  les  deux  étapes  :  d'abord, 
preuve  de  l'existence  de  Dieu  pour  celui  qui  n'y  croi- 
rait pas  encore;  puis,  exclusion  du  polythéisme  par 
l'idée  de  perfection  qui  s'attache  à  la  vraie  notion  de 
Dieu.  Si  \V.  Meyer  s'était  aperçu  que.  dans  cette  seconde 
étape,  il  n'est  pas  question  de  prouver  l'existence  de 
Dieu,  présupposée  au  contraire,  il  n'aurait  pas  soupe  à 
établir,  op.  cit.,  p.  17,  note  i,  un  rapprochement  falla- 
cieux entre  le  procédé  grégorien  et  la  preuve  ansel- 
mienne  ou  cartésienne  de  l'existence  de  Dieu  par  l'idée 
d'infini.  Le  rapprochement  est  d'autant  plus  étonnant 
que,  dans  la  même  Oratio  catechetica,  c.  xn,  col.  44, 
le  docteur  cappadocien  ne  reconnaît  comme  valable, 
quand  il  s'agit  d'établir  l'existence  de  Dieu,  que  la 
preuve  tirée  de  ses  opérations  :  Keci  fàp  toO  ;>/'.>;  e'/ai 
<-)-.', i.  oùx  «v  «-  ÉTÉpav  àtn6£eiÇtv  s'xoi,  [~>V']  'j'-%  fflî 
T<iv  ivtpfeiàiv  [lap-rupi'aç.  Et  si  Thomassin  avait  pris 
l'esprit  de  ces  passages  et  autres  du  même  genre,  si 
nombreux  dans  les  écrits  du  saint  docteur,  il  n'aurait 
pas,  pour  soutenir  sa  théorie  d'une  idée  de  liieu  stric- 
tement innée,  si  mal  interprété  les  deux  ou  trois  textes 
qu'il  invoque.  De  Deo,  I.  I,  c.  IV,  n.  2;  c.  VIII,  n.  1. 
Voir  Franzelin,  De  Deo  uno,  Home,  1883,  p.  113;  Die- 
kamp,  op.  cit.,  c.  i,  ^  i-,  5,  en  particulier  p.  60. 

Quand  il  s'agit,  non  plus  de  la  manière  dont  nous 
nous  élevons  .i  Dieu,  mais  de  la  qualité  même  de  la 
connaissance  que  nous  acquérons  ici-bas,  l'évéque  de 
N\sse  se  retrouve  en  pleine  communauté  de  vues  avec 
son  homonyme  de  Nazianze.  Toutefois,  ici  encore,  Gré- 
goire le  philosophe  dépasse  en  aperi  us  Gr<  go  ire  le  théo- 
logien. Nous  n'obtenons  de  Dieu  qu'une  connaissance 
obscure  et  très  petite,  i\i  .j/.:/:',»,  mais 

suffisante.  ' ,'mi ira  Eunom.,\.  XII,  col,  953.  Notre  intel- 
eiïorce  en  vain  >l  atteind  i  rai  sonni  - 

menU  la  souveraine  natun  ;  elle  n'arrive  pas  a  la  vision 
re  de  l'Invisible,  mais    Dieu  n'est    pa     n   n    ('lus  si 
inaccessible,  qu'elle  ne  i  faire  quel* 

que  ébauche      -, .-.   xaOànaÇ  à-sa , 

ytetu;,  û;  'i  i'. 


ac'av.  lbid.,  col.  956.  Le  raisonnement  nous  fait  d'abord 
comprendre  quelque  chose  de  l'objet  de  nos  recherches  : 
TÔ  [iïv  Tt  toû  Çt)TOV)  pivot)  Stà  tt,;  tù>v  ).oyio-(/.àiv  l-acpf,; 
ÈaTo/âTïto.  L'impuissance  même  où  nous  sommes  de 
le  connaître  à  fond,  ajoute  son  enseignement,  en  nous 
faisant  conclure  que  Dieu  dépasse  toute  science  :  to  Se, 
a^TÔ  Toi  |j.ï]  2'jvaaOac  SiïSetv  xpômov  ttvà  xaTev6ï)<jev,  ofôv 
Tiva  "pwa-iv  ÈvapyJ)  to  viùp  rcâffav  yvfi)(j(v  to  Ç^to-jjjevov 
e'.vou  -cof-|i«u.év/].  lbid.  Nous  comprenons  ce  qui  ne 
convient  pas  à  la  nature  divine,  mais  nous  ne  savons 
pas  tout  ce  qu'il  conviendrait  de  lui  attribuer.  Nous 
n'arrivons  pas  à  pénétrer  ce  qu'elle  est,  mais,  par  la 
connaissance  de  ce  qui  est  en  elle  et  de  ce  qui  n'y  est 
pas,  nous  en  saisissons  ce  qui  peut  être  atteint.  Ainsi, 
double  moyen  de  connaissance,  la  négation  et  l'affirma- 
tion :  e <  Se  vrfi  àpvrjCcwç  Tàiv  jj.t)  npcKjo'nwt  xai  èx  tt,; 
6(j.o).o*fi'a;  Tàiv  vjgzoûh;  uspi  aÙTo-j  voo'juivwv.  lbid., 
col.  957. 

Mais  sur  quel  fondement  le  docteur  cappadocien 
s'appuie-t-il  en  dernier  lieu,  pour  déterminer  ce  qu'il 
faut  affirmer  de  Dieu?  La  révélation  mise  à  part,  ce 
fondement  n'est  rien  autre  que  le  rapport  proportionnel 
de  perfection  qui  existe  entre  la  cause  et  l'effet.  Tout 
ce  qui  existe  en  ce  monde  dépend  de  la  nature  suprême 
et  trouve  en  elle  le  principe  de  son  existence;  par 
ailleurs,  la  création  met  sous  nos  yeux  des  merveilles 
de  beauté  et  de  grandeur.  De  là  viennent  nos  diverses 
conceptions  sur  Dieu.  Nous  suivons  en  cela  le  conseil 
delà  Sagesse,  kxoXouOoCvte;  xi] <t\jp.ëriv).fl  tt,?  Soçta;.  Ne 
nous  dit-elle  pas,  Sap.,  XIII, '5,  qu'il  faut  partir  de  la 
grandeur  et  de  la  beauté  des  choses  créées,  pour  con- 
templer, par  voie  de  proportion,  l'auteur  de  toutes 
choses?  lbid.,  col.  1105. 

Par  voie  de  proportion,  àva).oyo>;;  c'est  là,  pour  la 
doctrine  de  saint  Grégoire  de  Nysse,  un  dernier  com- 
plément. Notre  connaissance  de  Dieu  étant  toujours 
au-dessous  de  la  réalité,  ce  que  nous  affirmons  de  lui 
doit  évidemment  s'entendre  dans  un  sens  éminent. 
Cette  conclusion,  virtuellement  contenue  dans  les  pas- 
sages qui  viennent  d'être  résumés,  est  formellement 
énoncée  ailleurs.  «  Quand  il  s'agit  de  la  nature  souve- 
raine, tout  ce  qu'on  ditse  trouve  relevé  par  la  grandeur 
de  l'objet  qu'on  considère,  -râv  t'o  jrep\  «iMjv  Xsy<[UVOv 
auvs-caipeTXt.  Oratio  catech.,  c.  I,  col.  13.  A  Eunomins 
qui,  dans  une  objection,  comparait  la  génération  du 
Verbe  à  celle  des  hommes,  Grégoire  répliqua  :  i  Ne  dis- 
serte pas  des  choses  d'en  haut  d'après  celles  d'en  bas, 
jj.r,  h.  Tory  v.y-M  yjv'.oïâyEt  Ta  fivto.  »  Cotilra  Eunoni., 
1.  IV,  col.  625.  Ainsi  apparaissent  tous  les  éléments  de 
la  triple  voie  que  nous  retrouverons  bientôt  dans  Denys  : 
voie  d'affirmation,  voie  de   négation,  voie  d'éminence. 

Les  résultats  donnés  par  cette  méthode  n'ont  pas 
besoin  d'être  développés  en  détail.  La  doctrine  des 
trois  Cappadociens  sur  les  perfections  divines  est  si 
courante  et  si  claire,  dans  son  ensemble,  qu'il  suffit  de 
renvoyer  aux  études  signalées  dans  la  bibliographie,  ou 
même  aui  Indices  analytici  de  Migne,  au  mot  Deus  : 
pour  saint  Dasilc,  P.  G.,  t.  xxx.  col.  1206;  t.  xwn. 
col.  1416,  I  i.'û,  pour  saint  Grégoire  de  Nazianze,  t.  xxxvi, 
col.  1288;  pour  saint  Grégoire  de  Nysse,  t.  xlvi,  col.  1255. 
Voir  aussi  Schwane,  op.  cit.,  t.  il,  r.  i,  g  i.  p,  60  sq, 

e)  Pères  antiochient  :  saint  Jean  Chrysostome  ("f  M)7), 
Théodoret  (f  ■  iractéristiques  qu'on 

prête  habituelle ai  aux  théologiens  d'Antioche,  com- 
parés a  ceux  d'Alexandrie,  voir  Aktiochi  {École  théolo- 
gique d  .  i.  n,  col.  1 136  sq.,  ont  surtout  leur  application 
el  dans  les  questions  christologiques, 
sotériologiques  el  anthropologiques    On   en   reti 

ndanl  quelque  chose  en  théodici  e,  dans  la  tendance 
beaucoup  plus  pratique  que  spéculative  des  docteurs 
antiochiens.  il  suffit,  pour  i  n  n  ndre  c pte,  de  par- 
courir la  longue  table  des  matières,  placée  i  la  Qn  di  i 

|  '    h   ni  i    lu       DStOfllI  .    oi  mot  h, 


1095 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS   LES   PÈRES) 


1090 


t.  xliv,  col.  213-22.").  On  voit  immédiatement  quelle  place 
prépondérante  occupent  les  attributs  divins  qui  nous 
concernent  plus  directement  :  la  puissance  qui  a  tout 
produit  et  qui  continue  son  œuvre  par  l'action  conser- 
vatrice et  coopératrice;  la  science  qui  nous  atteint  tou- 
jours et  partout;  la  providence  qui  régit  tout,  qui  veut 
le  châtiment  et  qui  permet  le  mal  ;  la  bonté  qui  par- 
donne et  qui  sauve,  etc. 

Les  homélies  prononcées  à  Anlioche,  en  386,  et  qui 
ont  pour  titre  :  Ilepl  àxotTa).7)irroy,  De  incomprehensibili, 
P.  G.,  t.  xlviii,  col.  701  sq.,  ne  font  pas  exception.  Par 
leur  genre,  elles  se  rattachent  beaucoup  plus  aux  dis- 
cours théologiques  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  qu'aux 
traités  polémiques,  et  en  partie  philosophiques,  de  saint 
Basile  et  de  saint  Grégoire  de  Nysse.  Mais  la  doctrine  est 
identique.  Le  grand  orateur  s'élève  avec  véhémence 
contre  les  spéculations  arrogantes  de  ceux  «  qui  se 
vantent  d'avoir  de  Dieu  une  science  complète  et  par- 
faite, et  qui  par  là  même  tombent  dans  un  abîme 
d'ignorance.  »  Homil.  i,  n.  4,  col.  704.  C'est  outrager 
Dieu  que  de  scruter  sa  nature  avec  trop  de  curiosité. 
Homil.  n,  n.  3,  col.  712.  «  Que  Dieu  soit  innascible, 
àyévvYjro;,  la  chose  est  manifeste;  mais  que  ce  soit  là 
le  nom  propre  de  son  essence,  aucun  prophète  ne  l'a 
dit;  aucun  apôtre,  aucun  évangéliste  ne  l'a  insinué. 
Rien  d'étonnant  :  comment  auraient-ils  pu  nommer  ce 
qu'ils  ignoraient?  »  Homil.  v,  n.  4,  col.  742. 

Dieu  est  incompréhensible  dans  sa  nature.  Cette  vé- 
rité, Jean  Chrysostome  ne  se  contente  pas  de  l'énoncer 
en  général;  il  la  détaille,  en  l'appliquant  aux  divers 
attributs.  «  Je  sais  que  Dieu  est  partout,  qu'il  est  tout 
entier  partout;  mais  j'ignore  comment.  Je  sais  qu'il  n'a 
point  commencé  d'exister,  qu'il  n'a  pas  été  engendré, 
qu'il  est  éternel;  mais  j'ignore  comment.  Mon  esprit 
ne  peut  pas  concevoir  une  substance  qui  n'a  reçu  l'être 
ni  d'elle-même,  ni  d'un  autre.  »  Homil.  1,  n.  3,  col.  704; 
cf.  Théodoret,  Grœcarum  affectionum  curatio,  serm.  n, 
P.  G.,  t.  lxxxiii,  col.  858.  Un  peu  plus  loin,  à  propos 
du  texte  de  saint  Paul,  I  Cor.,  xm,  12  :  Nunc  cognosco 
ex  parte,  l'orateur  n'insiste  pas  seulement  sur  la  ques- 
tion du  comment,  mais  encore  sur  celle  du  combien. 
«L'apôtre  ne  veut  pas  dire  qu'il  connaît  une  partie  de 
l'essence  divine  et  en  ignore  une  autre,  car  Dieu  est 
simple;  mais  il  sait  que  Dieu  existe,  et  ignore  ce  qu'il 
est  en  son  essence.  Il  sait  qu'il  est  sage,  mais  il  ignore 
combien  il  l'est.  Il  n'ignore  pas  qu'il  est  grand,  mais 
il  ne  sait  pas  combien  il  l'est  :  x'o  ôà  tcôctov,...  to-jto 
oOx  oïôsv,  »  n.  5,  col.  706  sq.  Ailleurs,  c'est  la  spiritua- 
lité divine,  considérée  en  elle-même  et  dans  ses  consé- 
quences, qui  nous  est  présentée  comme  une  énigme 
pour  l'humaine  conception.  In  Episl.ad  Colos.,  homil. 
v,  n.  3,  t.  lxii,  col.  335. 

Les  nombreux  passages  où  saint  Jean  Chrysostome 
traite  le  sujet,  n'ont  pas  tous  la  même  portée.  Souvent 
il  s'agit  de  l'invisibilité  ou  de  l'incompréhensibilité  de 
Dieu  par  rapport  aux  hommes  vivant  sur  la  terre.  Ainsi 
en  est-il,  quand  il  rappelle  les  trois  exemples,  d'un  en- 
fant, d'un  miroir  et  d'une  énigme,  I  Cor.,  xm,  11-12, 
dont  saint  Paul  s'est  servi  pour  caractériser  la  connais- 
sance imparfaite,  indirecte  et  obscure,  qui  est  notre 
partage  ici-bas.  De  incompreh.,  homil.  i,  n.  3,  t.  xlviii, 
col.  704.  Ainsi  en  est-il,  quand  il  parle  des  visions  des 
prophètes,  comme  Is.,  VI,  1;  Dan.,  vu,  9;  III  Reg.,  xxn, 
19;  Amos,  ix,  1;  et  conclut  qu'ils  n'ont  pas  vu  l'essence 
divine;  car  Dieu  est  simple,  sans  parties  ni  figure,  et 
ils  ont  tous  vu  des  figures,  et  des  figures  différentes. 
Homil.  iv,  3,  col.  730;  cf.  Théodoret,  In  Osée,  xn,  10, 
t.  lxxxi,  col.  1620.  Ainsi  en  est-il  encore,  quand  il  fait 
appel  à  la  preuve  subsidiaire,  tirée  des  mystères  qui 
nous  entourent  ou  qui  sont  en  nous,  celui  de  notre  âme 
en  particulier.  Homil.  Il,  n.  7;  v,  n.  4,  t.  xlviii,  col.  717, 
741. 
D'autres  fois,  l'orateur  d'Antioche  affirme   l'incom- 


préhensibilité  divine  par  rapport  à  tout  être  créé,  les 
anges  comme  les  hommes  :  -/.ai  :j.\-  à/w-ripo)  Swâpeffi* 
àx«Td&ï)i«ov.  Homil.  ni,  n.  1,  col.  720.  Il  invoque 
quelques  textes  de  la  sainte  Écriture,  comme  Is.,  vi,  2; 
Joa.,  i,  18;  Eph.,  m.  10;  I  Tim.,  vi,  10.  Homil.  m,  n.  3; 
iv,  n.  2  sq.,  col.  722,  730  sq.  Mais  il  fait  aussi  appel  à 
la  transcendance  de  la  nature  divine,  comparée  à  toute 
intelligence  inférieure  :  tbv  ûirEpëafvovTa  ïvtjttjç  ô'.avoii; 
xaT(x/i)i|/iv,  tov  âve|t^vtafftov  à- -f-ï/o'.;.  Homil.  (II,  n.  1, 
col.  720.  Cf.  Théodoret,  In  Canlicum  cant.,  ni.  4. 
t.  lxxxi,  col.  116,  où,  parlant  de  l'époux,  considéré  dans 
sa  nature  incréée,  et  des  anges,  pures  créatures,  il  dit: 
tô  [i-rfiï  tOjtoi;  ocutôv  ei/ai  xaTa/.v)irrdv,  •/.ti'jtoï;  o\tn:  tov 
axTiTtov.  Doctrine  facile  à  expliquer,  dans  son  ensemble, 
si  l'on  tient  compte  des  circonstances.  Les  homélies 
De  incomprehensibili  ont  été  prononcées  contre  les 
anoméens;  l'orateur  a  généralement  en  vue  la  connais- 
sance que  ces  hérétiques  s'attribuaient  follement,  en 
disant  :  Je  connais  Dieu  comme  Dieu  se  connaît  lui- 
même.  Homil.  n,  n.  3,  t.  xlviii,  col.  712.  Résumant  sa 
pensée,  il  la  précise  ainsi  :  Il  n'est  aucune  intelligence 
créée  qui  ait  de  Dieu  une  compréhension  parfaite,  ttjv 
àv.piori  xa-caXïnpiv  ;  ou  encore  :  qui  connaisse  Dieu  en 
toute  perfection,  y.---x  àxpsëetac  àitia^ç.  Homil.  iv.  n.  2, 
3,  col.  729,  731.  La  connaissance  réservée  au  Fils, 
Matth.,  xi,  27,  il  l'entend  d'une  vision  et  d'une  com- 
préhension semblable  à  celle  que  le  Père  a  du  Fils  : 
xr,v  àxscëï)  Xcysi  Oscopiav  ts  zj'i  xaTa/.Tjipiv,  xii  zoaaûzrft 
otr/iv  ô  n<xTï)p  ïyti  TtEpi  tov  natôo;.  In  Joa.,  homil.  XV, 
n.  2,  t.  lix,  col.  99.  Voir  Petau,  op.  cit.,  1.  VII,  c.  m, 
n.  5,  12,  pour  la  force  du  mot  •/.a-i)r,.V.;  ;  c.  v,  n.  2  sq., 
pour  les  textes  objectés. 

Cette  solution  générale  souffre  difficulté  pour  quel- 
ques passages,  où  les  docteurs  antiochiens,  parlant  des 
saints  anges  ou  des  bienheureux,  distinguent  entre  la 
vision  de  l'essence  divine  elle-même  et  une  vision  dif- 
férente, peu  définie,  appelée  par  Théodoret  une  vision 
de  gloire,  et  qui  consisterait  dans  une  manifestation  de 
Dieu  proportionnée  à  la  nature  et  à  la  faiblesse  du  sujet. 
Telle  paraît  bien  être  la  pensée  de  saint  Jean  Chrysos- 
tome, quand  il  interprète  contre  les  anoméens  la  vision 
d'isaïe,  vi,  1-2.  Dieu  apparaît  assis  sur  un  trône  élevé, 
tandis  que  les  séraphins  voilent  sa  face  de  leurs  ailes. 
Ils  ne  pouvaient  supporter  l'éclat  jaillisant  du  trône 
divin.  Encore  «  ne  voyaient-ils  pas  la  pleine  lumière 
ni  l'essence  pure,  o-J8'  ocOttiv  àxpaiçvf,  tt,v  o-Jin'av,  mais 
jouissaient-ils  seulement  d'une  vision  de  condescen- 
dance. Condescendance  il  y  a,  quand  Dieu,  s'accom- 
modant  à  la  faiblesse  de  ceux  qui  doivent  le  voir,  se 
manifeste  non  pas  tel  qu'il  est,  jj.r,  u>:  ëtviv,  mais  dans 
une  mesure  proportionnée  à  leur  nature.  »  De  incom- 
preh., homil.  m,  n.  3,  t.  xlviii,  col.  722.  Cf.  In  Joa., 
homil.  xv,  n.  1-2,  t.  lix,  col.  98,  où  cette  doctrine  est 
appliquée,  d'une  façon  générale,  aux  saints  anges  et 
aux  bienheureux.  Théodoret  renchérit  encore  sur  son 
maître.  Se  trouvant  en  face  de  ces  paroles  du  Sauveur, 
relatives  aux  anges  gardiens  :  Semper  vident  faciem 
Palris  veslri,  Matth.,  xvm,  10,  il  les  fait  ainsi  commen- 
ter par  l'interlocuteur  orthodoxe,  Dialog.,  i,  t.  lxxxiii, 
col.  51  :  «  Ils  ne  voient  pas  l'essence  divine,  infinie,  in- 
compréhensible.... mais  une  certaine  gloire  ou  splen- 
deur proportionnée  à  leur  nature,  ix).à  S&Sav  ?tvà  tr; 
aOrùv  ç'jdei  dU|x|j.£TpoujjL£vr,v.  »  Passages  difficiles,  qui 
supposent  une  interprétation  particulière  de  plusieurs 
textes  de  la  sainte  Écriture,  mais  dont  la  critique  appar- 
tient proprement  à  la  question  de  la  vision  intuitive, 
considérée  dans  son  existence  et  dans  sa  nature. 

Le  rejet  d'une  connaissance  compréhensive  n'entraîne 
pas,  pour  l'homme  vivant  ici-bas,  celui  d'une  connais- 
sance moindre  et  portant  toutefois  sur  autre  chose  que 
le  simple  fait  de  l'existence  divine.  Chrysostome  con- 
naissait l'objection  anoméenne  :  «  Alors  vous  ignorez 
Dieu?»  Nullement,  répond-il.  «  Je  sais  qu'il  existe; je 


1097 


DIEU    (SA   NATURE    D'APRÈS    LES   PÈRES) 


1098 


sais  qu'il  est  clément,  bon,  miséricordieux,  que  sa 
providence  s'étend  à  tout;  je  sais  beaucoup  d'autres 
choses  contenues  dans  les  Écritures;  mais  je  ne  sais  pas 
ce  qu'est  son  essence,  tôti  tt,v  o-Wav.  »  Exposit.  in  ps. 
CXLlii,Tk.  2,  t.  lv,  col.  159;  cf.  In  Joa.,loc.  cit.,  col.  99. 
Que  dans  ce  simple  aveu  d'ignorance  il  y  ait  une  plus 
liante  idée  de  la  divinité  que  dans  la  prétendue  con- 
naissance des  adversaires,  le  saint  docteur  l'insinue  par 
une  comparaison  pleine  de  finesse.  Deux  hommes  dis- 
cutent sur  la  grandeur  du  ciel  :  L'un  dit  que  le  regard 
de  l'homme  ne  peut  en  embrasser  l'étendue;  l'autre 
prétend  le  mesurer  de  la  main.  «  Quel  est  celui  qui 
comprend  mieux  la  grandeur  du  ciel,  celui  qui  se  vante 
d'en  connaître  la  mesure,  ou  celui  qui  avoue  son  igno- 
rance? »  De  incompreh.,  homil.  v,  n.  5,  t.  xi.viii, 
col.  742  sq.;  cf.  Exposit.  in  ps.  cxi.ui,  loc.  cit.,  où  l'at- 
tention est  attirée  sur  l'infinie  grandeur  de  Dieu,  r'o 
aitsipov  Èxeïvo  iJ.éyeOoç. 

Pour  les  docteurs  d'Antioche,  la  source  de  la  con- 
naissance que  nous  pouvons  avoir  de  Dieu  ici-bas,  se 
trouve,  en  dehors  de  la  révélation,  dans  les  créatures, 
comparées  par  saint  Jean  Chrysostome  à  un  maître  qui 
nous  enseigne  :  v.-im;...  SiBâcrxaXoç  rïjç  (isoy/tout'a:. 
De  diabolo,  homil.  il,  n.  3,  t.  xlix,  261  ;  In  Epist.  ad 
Rom.,  homil.  m,  n.  2,  t.  i.x,  col.  412;  De  incompreh., 
homil.  ii,  n.  4,  t.  xi.viii,  col.  713.  Dans  ce  dernier 
passage,  l'orateur,  pour  donner  une  haute  idée  de  la 
puissance  divine,  ajoute  à  la  considération  de  la  gran- 
deur des  choses  créées  celle  de  la  facilité  avec  laquelle 
Dieu  les  a  tirées  du  néant.  Comme  apologiste,  Théo- 
doret  reprend  dans  sa  Thérapeutique,  ou  Grœcarinn 
afjeclionum  curalio,l.  lxxxiii,  col.  783  sq.,  les  attaques 
■de  ses  devanciers  contre  les  erreurs  païennes  sur  Dieu 
et  la  défense  de  l'unité  divine,  avec  témoignages  con- 
iirmatifs  des  poètes  et  des  philosophes  anciens.  S'il 
relève  la  prérogative  de  la  révélation  prophétique  dont 
la  nation  juive  a  bénéficié,  il  ne  manque  pas  de  rap- 
peler que  les  autres  peuples  avaient  reçu,  dans  l'in- 
clination de  l.i  nature  el  le  spectacle  de  l'univers,  tout 
ce  qui  leur  était  nécessaire  pour  connaître  et  servir 
dignement  le  créateur.  Serin,  i,  col.  82i.  Les  dix  dis- 
cours IÏEp\  npovofac,  ibid.,  col.  555  sa;.,  contiennent  de 
riches  développements  sur  l'ordre  et  la  beauté  du  monde, 
d'où  ressortent  directement  les  attributs  divins  qui  ont 
une  connexion  intime  avec  l'idée  de  providence. 

L'abouliss;ini  n  ■  -l  donc  pas  le  simple  fait  de  l'exis- 
tence divine.  «  Si  la  grandeur  et  la  beauté  des  créatures 
Doua  font,  par  voie  de  proportion,  connaître  le  créa- 
teur, plus  nous  contemplerons  la  beauté  et  la  grandeur 
des  choses  créées,  plus  aussi  nous  avancerons  dans  la 
connaissance  du  créateur,  »  observe  saint  Jean  Chrysos- 
tome, Jn  Genesim,  i,  n.  I,  t.  i.iv.  col.  581 .  ht  le  disciple 

d'ajouter,  qu'en  vert ême  du  rapport  de  proportion 

supposé  par  l'auteur  de  la  Sagesse,  nous  ne  devons  pas 
ne  tire   le  créateur  mit  le  pied  des  créatures,  mais  le 
déclarer  infiniment  supérieur  en  grandeur  et  en  beauté, 
aram    a/]  uratin,    serm.    m,   t.   LXXXIH, 

col.  868.  Ailleurs,  il  applique,  dans  les  termes  ne 
de  saint  Basile,  la  doctrine  des  noms  divins;  ils  nous 
ut  à  louer  la   nature  divine  par  ce  qui  esl  en  elle. 
ir.'t  -m,  r.'.', '-.-,/-'.  i.  i  i  par  ce  qui  n'y  esl  pas,  xa\  i-o 
-,-,',, -hm.  Ibid.,  si  fii» .  il,  col.  -SOI). 
La  simplicité  el  la  spiritualité  de   Dieu,  cou  idi  i 

leurs  conséquences,  comme 
l'absence  de  figure   el  de  ferme  proprement  dite,  de 
ns,  de  présence  locale,    onl    souvent  et  vigoureu- 
iit  .il  ii  n  n-  Me  ologiens  d'Antioche.  A  pro- 

pos du  texte  :  ra, ■innius  hominem  ad  imaginent  i»o- 

t Iront,  Gen.,  i,  26,  Chrysosti ■   déclare   absolument 

insi  us'    celui  qui   ose   attribuer  îles    mi  di 

trait*  a  l'être  incorporel.  /..  ' nu,  homil.  VIII,  n.  .'t, 

t.  i .ni.  col.  71  ,  cf.  homil.  Xlll,  n.  2,  col.  I" 

xal    3  '  rui.    ni, 


col.  589  :  oOx  ectti  t'o  ©sîov  àvGpwTrôjAopiov.  De  même 
Théodoret,  Quœstiones  in  Genesim,  xx,  lu,  t.  lxxx, 
col.  104,  156. 

Aussi  quel  soin  pour  signaler  le  caractère  métapho- 
rique des  expressions  bibliques  qui  pourraient  voiler 
la  simplicité  ou  la  spiritualité  divine  aux  yeux  d'un 
lecteur  ou  d'un  auditeur  peu  instruit!  «  Quand  vous 
entendez  parler  de  beauté,  laissez  de  coté  toute  ima- 
gination corporelle,  pour  ne  songer  qu'à  une  gloire 
immortelle  et  à  une  magnificence  ineffable.  »  Chrysos- 
tome, Exposit.  in  ps.  xli,  n.  3,  t.  lv,  col.  160.  S'agit-il 
de  jalousie,  de  colère,  de  regret,  de  haine  ?  «  Ne  vous 
arrêtez  pas  à  la  bassesse  de  ces  mots  humains;  allez  au 
sens  qui  convient  à  la  divinité.  La  jalousie  en  Dieu, 
c'est  son  amour;  sa  colère,  ce  n'est  pas  un  mouvement 
de  passion,  mais  l'exercice  du  juste  châtiment.  »  Homil. 
de  capto  Eulropio,  n.  7,  t.  XLr,  col.  402.  lsaïe  repré- 
sente-t-ilDieu  assis  sur  un  trône?  «  Dieu  n'est  pas  assis, 
remarque  l'orateur,  c'est  une  position  propre  aux  êtres 
corporels...  Dieu  n'est  pas  contenu  dans  un  trône,  la 
divinité  ne  peut  être  circonscrite.  »  De  incompreh., 
homil.  m,  n.  3,  t.  xlviii,  col.  722.  C'est  à  propos  de  ces 
sortes  d'expressions  que  le  saint  docteur  émet  cette 
réflexion  :  Dans  la  sainte  Écriture  Dieu  prend,  par 
amour  pour  nous  et  dans  notre  intérêt,  beaucoup  d'at- 
tributions qui,  prises  en  soi,  ne  sont  pas  dignes  de  la 
majesté  divine.  »  In  Joa.,  homil.  lxiv,  n.  2,  t.  ux, 
col.  356. 

Cette  insistance  à  prévenir  et  à  éclairer  les  fidèles 
s'explique  par  la  survivance,  à  cette  époque,  de  l'erreur 
anthropomorphique  dans  la  secte  des  audiens,  comme 
Théodoret  lui-même  nous  l'apprend.  Ecclesiastica  his- 
toria,  1.  IV,  c.  ix,  t.  i.xxxn,  col.  1142;  Ilwreticarum 
fabidarum  compendinm,  1.  IV,  c  x,  t.  i.xxxm. 
col.  428. 

Avec  Théodoret,  nous  sommes  parvenus,  pourl'Église 
grecque,  au  milieu  du  vc  siècle,  époque  où  se  termine 
l'âge  d'or  de  la  patristique.  Au  groupe  des  l'ères  antio- 
chiens  pourrait  se  rattacher  un  apologiste,  qui  semble 
avoir  écrit  dans  la  première  moitié  du  même  siècle, 
Macarius  Magnés,  donné  pour  évèque  de  Magnésie, 
dans  l'Asie-Mineure.  Mais  l"Airoxpmxb?  \  Movoysvrçç 
de  cet  auteur,  publié  dans  ce  qu'il  en  reste  parC.  lîlon- 
del,  Paris,  1876,  ne  donne  pas  lieu  à  une  étude  spé- 
ciale. Les  deux  passages  où  il  est  directement  ques- 
tion de  Dieu,  ).  IV,  c.  xx,  xxvi,  ne  présentent  que  la 
réponse  à  une  objection  relative  à  la  monarchie  divine  : 
Comment  Dieu  peut-il  s'appeler  monarque,  s'il  n'existe 
pas  d'êtres  semblables  auxquels  il  puisse  commander  ? 
Il  faut  donc  qu'il  y  ait  d'autres  dieux  que  lui.  La  réponse 
est  facile.  Dieu  esl  monarque,  ctdans  un  sens  éminent, 
puisqu'il  commande  à  des  sujets  qui  tous  lui  doivent 
l'existence.  Incréé,  éternel,  dominateur  suprême,  seul 
il  a  droit  par  nature  au  nom  de  Dieu,  7rapà  Ssov...  to0 
/a.-h.  ç-Ji'.v,  c.  xxvi,  p.  213.  Si  parfois  d'autres  reçoi- 
vent la  même  appellation,  I  Cor.,  vin,  5,  ce  n'est  pas 
pour  leur  nature?  ni  dans  toute  la  force  du  terme. 

f)  Pères  latins,  en  dehon  de  l'Afrique  :  saint 
Hilaire  de  Poitiert  (f  366  ou  367),  soinl  Ambroiee 
i  ;  :  ;  '.  »  T  .  taini  Jérôme  ;  190).  —  Pour  la  période  qui 
s'étend  du  concile  de  Nicée  jusqu'au  milieu  du 
le  l'Occident  est  loin  d'otirir  autant  de  noms 
que  i  I  trient  Ceui  qui  méritent  d'être  signalés  peinent 
■  réduire  .i  deux  groupes,  distincts  surtont  par  le 
Bjfenn  le-  non-africains  et  les  africains. 

Les  trois  docteurs  qui  font  partie  du  premier  groupe 
ont  une  doctrine  commune  dans  l'ensemble  ei  beau- 
coup moins  spéculative  que  relie  .les  alexandrins  ou 
celle  ii.s  cappadociena  qui  turent  i  la  fois  théoloi  h  ni 
et  philosophes,  comme  saint  Basile  el  saint  Grégoire 
de  Nysse.  Du  reste,  point  d'ouvrages  qui-.'  rapportent 

■  nient  .i  la  théodicée,  m  m    teulemi  ni.  en  .1.  ! 
de  phi  lées,  quelq  plus  i  irae- 


1099 


DIEU    (SA     NATURE    D'APRÈS    LES   PÈRES) 


1100 


téristiques  sur  la  cognoscibilité  de  Dieu,  sa  notion  et 
sa  transcendance. 

La  connaissance  de  Dieu  est  naturelle  aux  hommes. 
Quia  enim   mundum  contuens,    s'écrie  saint  llilaire, 
Deum  esse  non  sential?  In  ps.  lu,  n.  2;  i.xv,  n.  10, 
P.  L.,  t.  ix,  col.  326,428;  cf.  De  Trinitale,  xn,  53,  t.  x, 
col  467.  Si  l'homme  a   reçu  la  raison,  qui  lui  permet 
de  connaître  les  créatures,  c'est  pour  qu'il  s'élève  des 
choses     visibles    à    l'invisible    majesté    de    Dieu.    In 
ps.    cxxxyii,    n.    13,    t.  ix,  col.   790.  Saint  Ambroise 
évoque  l'ensemble  de  la  création  :  hic  mundus  diviuœ 
majestatis  insigne  est.  Hexaem.,  1.  I,  c.  v,  n.  17  ;  De 
fuga  sœculi,  n.  10,  t.  xiv,  col.  131,  574.  Il  insiste,  en 
outre,  sur  le  témoignage  que  les  êtres  pris  en  particu- 
lier   rendent  à   la   sagesse  et  à   la  providence  divine. 
Hexaem.,  1.    VI,  c.  IV  sq.,  col.  247   sq.  Pensée  qui  se 
retrouve  chez  saint  Jérôme.  Epist.,  lx,  ad  Ileliodo- 
rum,  n.  12,  t.  xxn,  col.  596.  Aussi,  d'après  le  docteur 
dalmate,  ce  n'est  pas  d'abord  par  la  loi  écrite,  mais  par 
la  loi  naturelle  que  Dieu  enseigna  le  néant  des  idoles 
et  sa  propre  divinité;  et  la  loi  naturelle  désigne  ici, 
d'après  tout  le  contexte,  l'inclination  native  de  l'esprit 
humain  à  s'élever  du  monde  sensible  à  son  auteur.  In 
Isaiam,  xl,  21,  t.  xxiv,  col.  408.  La  même  idée  revient 
dans  les  passages  où  l'âme  nous  est  dépeinte  comme 
possédant  en  germe  la  connaissance  de  Dieu.  In  Gai., 
1,15;  In  Tit.,  i,  10,  t.  xxvi,  col.  326,  570;  Commenta- 
riolus    in  ps.  xvm,    7  :  Nulius  quippe  est,  qui   non 
habeat  semina  inlelleclus  Dei.  Anecdota  Maredsolana, 
publiés  par  dom  G.  Morin,  Maredsous,  1895  sq.,  t.  ma, 
p.    29.  Même   dans    les   erreurs    des    païens    Jérôme 
retrouve  quelque  chose  de  l'inclination  naturelle;  car 
le  païen    se  croit   inférieur  à  l'objet  de  son  culte,  et, 
quand  il  veut  prendre  à  témoin  ou   faire  une  invoca- 
tion,  il    dit  :  Dieu  voit,   Dieu  entend!  Trac  talus    in 
ps.  ai',  10,  ibid.,  t.  m   b,  p.  137.  En   nous    attestant 
l'existence  de  Dieu,  les  créatures  nous  le  font  connaî- 
tre par  voie  de  conséquence  :  a  condilionibus  condi- 
tor  consequenler  agnoscitur.  Sap.,  xm,  5.  De  l'œuvre 
nous  concluons   aux   perfections  de   l'ouvrier.  «  L'art 
qui  brille  dans  les  œuvres  de  raison  ne  révèle-t-il  pas 
l'intelligence  invisible  dont  il  est  l'effet?  »  In  Isaiam 
tractatus   duo,     ibid.,  t.   m  c,  p.   111.   C'est   par    le 
même  principe  et  en  s'appuyant  sur  le  même  texte  de 
la   Sagesse,  que  saint  Hilaire  s'élève  de    la  grandeur 
et  de    la    beauté   des  créatures    à    la  grandeur  et  à  la 
beauté  suprême  du  créateur  :  Magnorum  creator  in 
maximis  est,  et  pulcherrimorum  condilor  in  pulcher- 
rimis  est.  De  Trinilate,  i,  7,  t.  x,  col.  30. 

La  théologie  des  païens  n'en  est  pas  moins  remplie 
d'obscurités  et  d'erreurs,  ajoute  l'évêque  de  Poitiers. 
Quelle  lumière,  en  revanche,  dans  nos  livres  sacrés! 
La  foi  seule  a  ce  qu'il  faut  pour  calmer  l'esprit.  In 
ps.  lxi,  2,  t.  ix,  col.  395  sq.  Le  passage  où  le  saint 
docteur  raconte  sa  conversion,  De  Trinilate,  i,  3  sq., 
t.  x,  col.  27,  est  comme  le  commentaire  pratique  de 
cette  vérité.  L'examen  des  opinions  multiples  etdiverses 
des  anciens  philosophes  sur  Dieu  l'avait  amené  à  ces 
conclusions  :  La  divinité  ne  va  pas  sans  la  providence, 
elle  ne  comporte  pas  de  sexe,  elle  ne  peut  être  qu'éter- 
nelle, une,  simple,  se  suffisant  à  elle-même,  toute- 
puissante,  n.  4.  Le  texte  de  l'Exode,  m,  14,  où  Dieu  se 
donne  pour  nom  :  Ego  sum  qui  sum,  ou  :  Qui  est, 
jeta  le  penseur  gaulois  dans  l'admiration  par  la  pro- 
fondeur du  sens  contenu  dans  cette  appellation  et  son 
aptitude  à  exprimer  ce  que  nous  pouvons  concevoir  de 
plus  propre  à  Dieu,  l'être  :  non  enim  aliud  proprium 
magis  Deo,  quam  esse,  inlelligilur,  n.  5.  llilaire 
entend  ici,  comme  on  le  voit  plus  loin,  xn,  24,  col.  447, 
l'être  pur  et  simple,  sans  aucun  mélange  de  non-être  : 
quia  id  quod  est,  non  potcst  intelligi  dicique  non  esse; 
esse  enim  et  non  esse  contraria  sunt. 
Etant    l'Etre    par  nature,  Dieu    est   essentiellement 


éternel,  sans  commencement  ni  fin  :  quia  idipsum 
quod  est,neque  detinentù  est  aliquando,  neque  cœpli, 
i,5.  Il  est  par  lui-rnêrne,  en  lui-rnêrne,  pour  lui-même, 
se  suffisant  pleinement  à  lui-même,  immuable  en  ce 
qu'il  est,  c'est-à-dire  dans  la  plénitude  de  l'être,  il,  6; 
xi,  47,  col.  55,  431;  plus  complètement,  hips.  il,  n.  13, 
t.  ix,  col.  269  :  Ipsb  i:<i ,  qui  quod  est,  non  aliunde 
est;  in  sese  est,  secum  est,  a  se  [ou  ad  se]  est,  suus 
sibi  est,  et  ipse  sibi  omnia  est,  carens  omni  demuta- 
tione  novitatis.  Immuable  dans  sa  pure  raison  d'Etre, 
Dieu  est,  au  même  titre,  un  et  simple  en  tout  ce  qu'il 
est  :  tolum  in  eo  quod  estunum  est;  ut  quod  spiritus 
est,  et  lux  et  virlus  et  vita  sit...  Non  humano  modo 
ex  composilis  Deus  est,  ut  in  eo  aliud  sit  quod  ab  eo 
habelur,  et  aliud  sit  ipse  qui  habeat  ;  sed  totuni  quod 
est,  vita  est,  nalura  scilicet  perfecla  et  absoluta  et 
infinila,  et  non  ex  disparibus  constituta,  sed  vivens 
ipsa  per  tolum.  De  Trinilate,  vu,  27;  vin,  43,  t.  x, 
col.  223,  269.  La  notion  d'Être  devient  ainsi,  pour  le 
docteur  gaulois,  une  notion  première  à  laquelle  se 
rattachent,  immédiatement  ou  par  voie  de  conséquence, 
toutes  les  propriétés  essentielles  de  la  divinité.  Voir, 
pour  le  détail  et  le  groupement  des  textes,  A.  Beck, 
Die  Trinilàtslehre  des  hl.  Hilarius,  c.  II. 

Saint  Ambroise  et  saint  Jérôme  ne  présentent  pas 
une  synthèse  aussi  pleine,  mais  ils  attachent  la  même 
importance  au  nom  révélé  à  Moïse  sur  le  mont  Horeb. 
En  répondant  :  Ego  sum  qui  sum,  dit  le  premier  de 
ces  docteurs,  Dieu  n'énonça  pas  une  simpleappellation, 
il  exprima  une  réalité,  car  rien  n'est  aussi  propre  à 
Dieu  que  d'être  toujours  :  rem  expressit,  non  appella- 
tionem,  dicens  :  Ego  sum  qui  sum,  quia  niliil  tam 
proprium  Deo  quam  semper  esse,  In  ps.  XLIJI,  n.  19, 
t.  xiv,  col.  1100;  hoc  est  verum  nomen  Dei,  esse  sem- 
per. Epist.,  vin,  n.  8,  t.  xvi,  col.  914.  C'est  en  ce  sens 
que,  d'après  une  étymologie  risquée,  oocti  à::',  le  doc- 
teur milanais  affirme  que  le  nom  d'o-jtrt'a,  essence, 
convient  à  Dieu  dans  toute  la  force  du  terme.  De  fuie, 
1.  III,  c.  xv,  n.  127,  t.  xvi,  col.  614.  Cette  essentielle 
éternité  s'applique  à  tout  ce  qu'est  Dieu;  d'où  l'immu- 
tabilité absolue  de  l'Être  divin, mais  immutabilité  dans 
la  plénitude  même  de  la  perfection  :  Soins  enim  sine 
processu  Deus,  quia  in  omni  perfeclione  semper  xler- 
nus  est.  Ibid.,  1.  IV,  c.  i.  n.  10,  col.  619;  cf.  1.  I.  c.  n, 
n.  14,  col.  532  :  cum  in  nalura  Dei  plenitudo  bonita- 
lis  sit;  De  officiis,  1.  III,  c.  il,  n.  11,  t.  xvi.  col.  48  : 
Deus  justus  per  omnia,  sapiens  super  omnia,  jerfe- 
clus  in  omnibus.  Par  là,  Dieu  se  distingue  essentielle- 
ment de  toute  créature,  dont  la  bonté,  comme  toute 
perfection,  n'est  jamais  que  partielle  :  Deus  univers*- 
taie  bonus,  homo  ex  parle.  In  Luc,  1.  VIII,  n.  65, 
t.  xv,  col.  1785. 

Dans  ses  Commentarioli,  saint  Jérôme  considère  le 
nom  de  Dieu  que  les  Juifs  déclaraient  ineffable,  comme 
un  nom  propre  :  quod  proprie  Dei  vocabulum  sonal  ; 
quoi!  proprie  in  Deo  ponitur.  In  ps.  vin,  2;  CIX,  1, 
Anecd.  Mareds.,  t.  m  a,  p.  21,  80.  Mais  comment 
Dieu  a-t-il  pu,  Exod.,  m.  li,  s'attribuer  en  propre 
l'être?  N'est-ce  pas  là  un  nom  commun  de  substance'.' 
La  réponse  n'est  pas  difficile.  Tous  les  autres  êtres  ne 
sont  que  grâce  à  Dieu  et  dans  les  limites  où  ils  ont 
reçu  de  lui  l'existence;  ils  ne  sont  pas  par  nature. 
Mais  Dieu,  essentiellement  éternel,  a  lui-même  le 
principe  de  son  être,  et  ipse  sui  origo  est,  suwque 
causa  substantise  ;  seul  il  est  par  nature,  comme  seul 
il  est  bon  par  nature.  AdEph.,  m,  1  î.  t.xxvi,col.488sq. 
Aussi  peut-on  dire  de  la  nature  divine  que  seule  elle 
est  vraiment  :  una  est  Dei  et  sola  natura  qux  ver» 
est.  Les  créatures,  au  contraire,  semblent  plutôt  être 
qu'elles  ne  sont;  car  il  fut  un  temps  où  elles  n'exis- 
taient point,  et  elles  peuvent  cesser  d'exister.  Epist.,  xv. 
ad  Damasum,  n.  4,  t.  xxn,  col.  357.  Assertion  qui, 
dans  la  pensée  du  saint  docteur,  ne  tend  pas  à  nier  la. 


1101 


DIEU    (SA  NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES) 


1102 


réalité  objective  des  créatures,  quand  de  fait  elles 
existent,  mais  seulement  à  lui  refuser  la  prérogative 
divine  d'être  par  nature  ou  essentiellement.  C'est  dans 
le  même  sens  qu'il  dit  ailleurs  :  Dieu  seul  est  immor- 
tel, car  il  n'existe  pas,  comme  les  autres,  par  grâce, 
mais  par  nature.  Dialog.  adversus  pelagianos,  1.  II, 
n.  7,  t.  xxn,  col.  542.  Et  comme  il  est  par  nature,  par 
nature  aussi  Dieu  est  immuablement  ce  qu'il  est  et 
tout  ce  qu'il  peut  être  :  Dei  solius  naturam  esse  i>n- 
mutabilem,  de  quo  scribilur,  Ps.  cr,  '28  :  Tu  vero  ipse  es. 
Ad  Gal.,i,  8,  t.  xxvi,  col.  320. 

Mais,  si  dans  la  notion  d'être  nous  possédons  enfin 
un  nom  propre,  et  même  le  vrai  nom  de  Dieu,  celui-ci 
restera-t-il  encore  ineffable,  incompréhensible, impéné- 
trable en  sa  nature?  L'Occident  vu-t-il  faire  échec  à 
l'Orient,  et  marcher  sur  les  brisées  d'Eunomius?  La 
supposition  est  inadmissible,  non  moins  que  fausse. 
Autre  chose  est  le  nom  propre,  entendu  généralement 
d'une  dénomination  qui  convient  réellement  à  Dieu 
par  nature  et  qui  le  dislingue  des  créatures;  autre 
chose  est  le  nom  propre,  entendu  dans  le  sens  plus 
rigoureux  de  terme  qui  exprimerait  en  soi  et  qui 
manifesterait  à  l'esprit  de  l'auditeur,  par  une  notion 
directe  et  adéquate,  la  nature  intime  de  Dieu,  tel 
qu'il  est  en  lui-même.  Les  Pères  latins  affirment  avec 
autant  d'énergie  que  les  Pères  grecs,  non  seulement 
l'invisibilité  matérielle,  mais  l'ineffabilité  et  l'incom- 
préhensibililé  de  l'essence  divine. 

L'invisibilité  matérielle  est  un  pur  corollaire  de  la 
spiritualité  divine,  souvent  inculquée  par  nos  trois 
docteurs,  par  opposition  à  l'erreur  anthropomorphique. 
A  propos  de  ces  paroles  de  David  :  Deprecalus  sum 
faciem  luatn  in  loto  corde  meo,  Ps.  cxvni,  58,  saint 
Ililaire  fait  cette  remarque  :  Scil  invisibilem  esse  car- 
nalibus  oculis  gloriam  Dei.  In  ps.  c.xyiu.  lit.  vin, 
n.  7,  t.  ix,  col.  555.  Plus  loin,  il  juge  ainsi  l'exégèse 
qui  prétendait  tirer  du  livre  de  la  Genèse,  i,26,  l'idée 
d'un  Dieu  corporel  :  Sed  hsec  iu/iilelitatis  delira- 
menta  sunt.  In  ps.  i  xxix,  n.  4,  col.  720.  Saint 
Ambroise  n'est  pas  moins  expressif  :  AZternus  corpo- 
ralibus  non  videtur  aspectibus.  In  ps.  rxvni,  serm. 
xviii,  n.  il,  t.  xv,  col.  14(57.  Le  inonde,  parce  que  cor- 
porel, ne  peut  pas  s'appeler  proprement  l'ombre  de 
Dieu  :  rii/n  incorporel  Dei  corporea  adumbratio  esse 
non  possit.  Hexaem.,  1.  I,  c.  v,  n.  18,  t.  xiv,  col.  131. 
Saint  Jérôme,  comme  saint  .Ican  Chrysoslome,  ne  se 
lasse  pas  de  tenir  son  lecteur  en  éveil  contre  les 
expressions  anlhropomorpliiques  qu'il  rencontre  sur 
son  chemin;  voir,  par  exemple,  In  Isaiam,  xi.vi,  I  sq., 
t.  xxiv,  col.  451;  In  Ezech.,  vm,  3,  t.  xxv,  col.  78; 
I"  ps.  m  ni,  8  sq.,  Anecd.  Mareds.,  t.  m  b,  p.  129; 
cf.  t.  m  c,  p.  83;  In  ps.  x,  5,  ibid.,  t.  m  c,  p.  6. 
Dieu,  pur  esprit,  n'est  pas  seulement  invisible  aux 
feux  du  corps;  il  est  incompréhensible.  Dans  le 
passa;:>-  même  où  il  admire  et  scrute  la  profondeur  des 
paroles  :  Ego  snm  qui  sum,  saint  Ililaire  conclut  a 
une  grandeur  de  Dieu  telle  qu'on  ne  peut  la  concevoir 
par  la  raison,  mais  seulement  y  croire  :  quantUS  <■/ 
intelligi  mm  polest,  et  potest  credi.De  Trinilate,î,  x. 
t-  x.  col.  .'il.  Quand  il  s'agit  d'exprimer  Dieu  tel  qu'il 
i  en  tout  ce  qu'il  est,  notre  langage  est  radica- 
lement impuissant  :  Deum  ni  est.  quantusque  est, 
non eloquetur .  La  science  parfaite,  ici,  consiste  à  savoir 
que  Dieu  est  inénarrable,  bien  qu'on  ne  puisse  l'igno- 
)ierfccla  scientia  est,  su-  limon  scire,  ut  licet 
mm  ignorabilem,  lameu  inenarrabilem  n  "is.  Ibid., 
n.  7,  col.  57.  Quelque  beauté  que  noua  loi  prêtions, 
Dotre  conception  reste  au-dessous  de  la  réalité, 
que.  cependant,  Dieu  échappe  pleini  m.  ni  a  noire  con- 
:  algue  un  pulcherrimui  f)em  est  confi- 
tendus,  «(  neque  in  Ira  sententiam  sit  intelligendi , 
neque  extra  mlcWgcntiam  sentiendi.  Ibid.,  i.  7. 
col. 


Sans  traiter  ce  point  aussi  fréquemment  que  l'évêque 
de  Poitiers,  saint  Ambroise  n'en  parle  pas  moins,  en 
passant,  dans  des  termes  aussi  fermes.  Dans  la  pré- 
tention à  pénétrer  pleinement  la  nature  divine,  il  ne 
voit  que  l'infatuation  d'une  dialectique  perverse  et  fal- 
lacieuse :  (/uomodo  non  infatuatur  versutse  disputa- 
tionis  aslutia?  Hexaem.,  1.  I,  c.  i,  n.  9,  t.  XIV,  col.  127. 
L'idée  qu'il  se  fait  de  Dieu  est  tout  autre  :  visu  incom- 
prehensibilis,  falu  inihterpretabilis,  sensu  inxstima- 
bilis,  fide  sequendus,  religione  venerandns.  Ce  qui  ne 
veut  pas  dire  qu'il  faut  s'en  tenir  au  silence  ou  à  la 
négation,  car  le  saint  docteur  achève  ainsi  la  phrase  : 
ut  quidquid  religiosius  sentiri  potest,  quidquid  prse- 
stantius  ad  décorent,  quidquid  sublimius  ad'potesta- 
tem,  hoc  Deo  intelligas  convenire.  De  fide,  1. 1,  c.  xvi, 
n.  106,  t.  xvi,  col.  553. 

C'est  dans  le  même  esprit  que  saint  Jérôme  recom- 
mande la  modestie  dans  les  spéculations  et  les  discours 
sur  Dieu;  entre  nos  conceptions  et  sa  nature  il  n'y  a 
pas  moins  de  distance  qu'entre  la  terre  et  le  ciel. 
In  Eccle.,  v,  1,  t.  xxm,  col.  1052.  «  Voulez-vous  savoir 
la  nature  de  Dieu?  Voulez-vous  savoir  ce  qu'est  Dieu? 
Sachez  que  vous  l'ignorez  :  hoc  scito  quod  nescias.  » 
Paroles  que  le  Père  explique  comme  nous  avons  vu 
saint  Jean  Chrysostome  expliquer  la  comparaison  dont 
il  se  servait  contre  les  anoméens.  «  En  sachant  que 
vous  l'ignorez,  ne  vous  trouvez-vous  pas  plus  instruits 
que  les  autres?  Le  païen  voit  une  pierre,  et  la  prend 
pour  Dieu  ;  les  philosophes  voient  le  ciel,  et  le  prennent 
pour  Dieu;  d'autres  voient  le  soleil,  et  le  prennent 
pour  Dieu.  Comprenez  donc  combien  vous  l'emportez, 
vous  qui  dites  :  Une  pierre  ne  peut  pas  être  Dieu,  le 
soleil  ne  peut  pas  être  Dieu,  etc.  >>  In  ps.  xri,  6,  Anecd. 
Mareds.,  t.  m  c,  p.  74. 

Le  point  de  contact  qui  vient  d'èlre  signalé  entre 
saint  Jérôme  et  le  grand  orateur  d'Antioche,  n'est  pas, 
en  cette  question,  un  fait  isolé.  Plusieurs  fois  le  doc- 
leur  dalmate  parle  de  la  vision  d'isaïe,  vi,  1,  et  son 
interprétation  rappelle  de  très  près  celle  de  saint  Jean 
Chrysoslome.  Voir  In  Isaiam,  i,  10;  VI,  1,  t.  xxiv. 
col.  33,  92  sq.;  et  surtout,  le  petit  commentaire  sur 
la  \ision  de  ce  prophète,  que  je  résume  d'après  les 
Anecdola  Maredsolana,  t.  me,  p.  107  sq.  Les  séraphins 
couvraient  de  leurs  ailes  la  face  de  Dieu,  ou  plutôt  la 
leur,  pour  faire  comprendre  au  prophète  que  nul 
mortel  ne  peut  voir  Dieu  tel  qu'il  est,  juxta  id  quod 
est  lirus.  La  parole  dite  par  saint  Jean,  i,  18  :  Deum 
nemo  vidit  unquam,  ne  s'applique  pas  seulement  aux 
hommes,  mais  à  toute  créature  raisonnable.  Elle  nous 
apprend  que  tout  ce  qui  est  en  dehors  de  Dieu  ne  peut 
pas  le  voir  tel  qu'il  est,  mais  seulement  dans  la  mesure 
où  il  daigne  se  manifester  :  non  /uxta  id  quod  est  Deus, 
sed  juxta  id  quod  se  areaturis  suis  dignanter  osicu- 
dit.  Saint  Paul,  à  son  tour,  nous  enseigne  qu'il  faut 
savoir,  non  pas  ce  qu'est  Dieu  et  comment  il  est, 
qui»  et  qualis  sit.  mais  seulement  qu'il  existe,  quod 
sit.  Nous  savons  que  Dieu  existe,  nous  savons  encore 
ce  qn'il  n  est  pas;  mais  ce  qu'il  est  cl  comment  il  l'est, 
nous  ne  le  pouvons  pas  savoir.  Par  un  effet  di 
bonté'  et  île  sa  cl. 'menée  il  s'est  incliné  vers  nous,  pour 
nous  permettre  de  Bavoir  de  lui  quelque  chose,  el  de 
onnaitre  dans  ses  bienfaits  :  ut  aliqua  île  eo 
esstimare  valeamus,  esse  ettm  senlianius  benaflei 

Hais  quand    il   s'agit  iln  commenl    de   son   élre,    ./>.■ 

autenx  sit,  la  distance  eal  trop  grande  entre  Dieu  el  la 
créature  pour  que  celle-ci  puisse  prétendre  à  le 
connaître. 

De  &  il  résulte  manlfesl -ut  que,  d  i| 

saint  l'i'i'iiie,  mil  homme  mortel  ne  peut  voir  Dieu  tel 

qu'il  est,  el  mé qu'aucune  créature  ne  peul   le  voir 

autrement  que  dan-  la  mesure  ou  lui-même  daigni 
manifester,  Commenl  Dieu  m  manifeste-l  il  aux  bien 
heureux  habitants  du  ciel?  C'est  me  .mire  question,  m 


1103 


DIEU    (SA    NATURE   D'APRÈS   LES   PÈRES] 


1104 


suffit  de  remarquer  ici  que,  sous  ce  rapport,  le  s;iint 
docteur  met  une  différence  essentielle  entre  les  hommes 
vivant  ici-bas  et  les  saints  anges  :  Homo  igilur  Hei 
faciem  videre  non  potesl;  angeli  autcm  etiam  mini- 
nwrum  in  Ecclesia,  semper  vident  faciem  Dei.  In 
haiam,  I,  10,  t.  xxiv,  col.  33.  Cf.  S.  Augustin,  Ejiist., 
cxi.vm,  n.  7  sq.,  P.  L.,  t.  xxxiii,  col.  625. 

La  théodicée  de  saint  Jérôme,  comme  celle  du  doc- 
teur gaulois  et  du  docteur  milanais,  ne  donne  pas 
lieu,  pour  le  reste,  à  des  développements  spéciaux. 
Dans  une  étude  sur  saint  Arnbroise,  J.  E.  Pruner  carac- 
térise la  théologie  de  ce  Père  par  le  relief  donne'1  à 
l'amour  :  amour  de  Dieu  qui  explique  et  inspire  toutes 
ses  œuvres,  création,  rédemption, économie  entière  du 
salut;  amour  de  l'homme  pour  Dieu,  comme  affection 
due  en  retour.  Si  juste  que  soit  cette  affirmation,  on  ne 
saurait  la  prendre  dans  un  sens  exclusif,  car  la  bout'' 
de  Dieu  brille  aussi  dans  les  écrits  des  deux  autres 
Pères,  en  particulier  dans  ceux  de  saint  Jérôme.  C'est 
lui  qui,  dans  ses  petits  commentaires  sur  le  livre  des 
Psaumes,  lance  au  vol,  à  propos  de  ce  texte  :  Et  in 
operibus  manuum  luarum  exultabo,  celte  considéra- 
tion simple,  mais  d'une  si  grande  fécondité  pour  un 
cœur  chrétien  :  Video  paulatim  per  singulos  dieu  in 
singula  tempora  mihi  naturam  operari  et  in  meos 
cibos  crescere.  Video  quomodo  Deus  in  omnibus  mihi 
laboral,  ut  milii  nildl  desit;  et  propterea  exulto  in 
te,  Domine-  In  ps.  xci,  5,  Anecdota  Maredsolana, 
t.  m  b,  p.  122. 

g)  Pires  africains  :  Marins  Victorin  (f  vers  363)  ; 
saint  Augustin  (f  430).  —  Comparés  aux  Pères  latins 
qui  précèdent,  les  Africains  présentent  une  physiono- 
mie très  distincte.  Ils  font  à  la  spéculation  une  part 
beaucoup  plus  large;  en  outre,  leur  éducation  philoso- 
phique, néoplatonicienne,  réagit  fortement  sur  leur 
théodicée.  Pour  l'influence  exercée  comme  pour  l'au- 
torité, nulle  comparaison  n'est  possible  entre  le  grand 
docteur  qui  s'appelle  Augustin  et  Marins  Victorin,  ce 
rhéteur  converti  au  soir  de  sa  vie  et  qui  se  fit  aussitôt 
le  champion  delà  foi  chrétienne  contre  le  manichéisme 
et  l'arianisme.  Victorin  n'en  est  pas  moins  un  anneau 
entre  les  apologistes  africains  de  la  période  anténi- 
céenne  et  le  brillant  génie  qui,  chez  les  Latins,  cou- 
ronne l'âge  d'or  de  la  patristique.  Il  touche  plusieurs 
problèmes  que  nous  retrouverons  chez  l'évêque 
d'Hippone,  comme  chez  Denys  en  Orient. 

La  doctrine  de  Victorin  sur  Dieu  contient  d'abord 
des  éléments  traditionnels,  sur  lesquels  il  serait  inu- 
tile d'insister;  telle,  par  exemple,  dans  le  livre  Ad 
Justinum  manicliœurn,  P.  L.,  t.  vin,  col.  999-1010,  la 
réfutation  des  deux  principes  de  Manès  par  la  contra- 
diction que  renferme  l'hypothèse  de  deux  êtres  néces- 
saires, tout-puissants,  infinis,  indépendants  l'un  de 
l'autre  et  même  ennemis.  L'opuscule  De  generatione 
divini  Verbi,  ibid.,  col.  1019-1036,  et  les  quatre  livres 
Adversus  Arium,  col.  1039-1138,  méritent  davantage 
d'être  signalés,  non  certes  pour  l'obscurité  de  l'auteur, 
qui  lui  a  valu  cette  critique  de  saint  Jérôme,  De  viris 
illustribits,  c.  ci,  P.  L.,  t.  xxm,  col.  701  :  Scripsil 
adversus  Arium  libros  more  dialectico  valde  obscuros 
qui  nisi  ab  eruditis  non  inlelliguntur,  mais  pour 
cette  particularité  qu'on  y  entend  un  néoplatonicien 
se  servant  de  sa  philosophie  pour  expliquer  et  défendre 
les  dogmes  chrétiens.  Certaines  expressions,  en  appa- 
rence contradictoires,  que  nous  avons  rencontrées  chez 
quelques  Pères  platoniciens,  se  retrouvent  ici  ramas- 
sées et  portées  en  quelque  sorte  à  l'état  aigu.  En  ce 
qui  concerne  Dieu  et  la  notion  d'être,  le  oui  et  le  non 
se  succèdent,  Dieu  étant  dit  8v  et  pj|  ov.  De  générât., 
n.  4,  col.  1022.  Par  rapport  aux  choses  créées,  Dieu 
.sera  tout,  unum  omnia,  ou,  au  contraire,  rien,  md- 
lum  de  omnibus.  Adv.  Arium,  iv,  23,  col.  1129.  Les 
noms  d'existence,  de  substance,  d'intelligence,  de  vie. 


lui  sont  couramment  appliqués;  puis  vient  un  alpha 
privatif,  qui  semble  tout  retirer  :  àvj7capxTo;,  et  àvo-i- 
aïoî,  et  avo-j;,  et  aïtov.  Ibid.  En  revanche,  Victorin 
otlre  un  grand  avantage.  Toutes  ces  expressions,  il  ne 
les  emploie  pas  seulement  en  passant,  comme  d'autres 
Pères;  il  les  discute  et,  ce  faisant,  en  détermine  la 
signification. 

On  ne  saurait  comprendre  la  défense  sans  tenir 
compte  de  l'attaque.  L'arien  Candide,  qui  avait  com- 
posé un  petit  écrit  De  generatione  divina,  P.  L-,  t.  VIII, 
col.  1013-1020,  rejetait  la  génération  du  Verbe,  comme 
incompatible  avec  l'immutabilité  divine.  11  insistait 
naturellement,  comme  les  théologiens  de  sa  secte,  sur 
l'absolue  simplicité  de  Dieu  :  aliud  et  aliud  non  reci- 
pilur  circa  Deum,  n.  2,  col.  1014.  Mais,  détail  carac- 
téristique, il  prétendait  ruiner  par  la  base  le  terme 
nicéen  de  consubslantiel,  en  niant  que  Dieu  fût  sub- 
stance. L'argumentation  était  assez  simple.  Toute  sub- 
stance, disait-il,  est  l'œuvre  de  Dieu  et,  par  conséquent, 
lui  est  postérieure;  du  reste,  la  substance  est  un  sup- 
pôt, subjectum  quoddam,  et  ce  qui  est  suppôt  n'est  pas 
simple.  Dieu  n'étant  pas  substance,  rien  ne  peut  lui 
être  consubstantiel,  n.  8,  col.  1018.  A  cette  attaque  se 
rattachaient  des  développements  abstraits  et  subtils 
sur  les  notions  d'être,  d'entité,  d'existence,  et  autres 
semblables. 

Victorin  fut  donc  amené  à  considérer  Dieu  sous  les 
mêmes  aspects.  Il  le  fait  souvent  au  cours  de  ses  deux 
écrits,  mais  surtout  dans  le  IVe  livre  contre  Arius,où 
il  donne  en  raccourci  «  un  traité  de  Dieu  et  des  choses 
divines,  »  n.  4,  col.  1115  sq.  Dieu  est  un  esprit, 
c'est-à-dire  une  substance  existante,  vivante,  intelli- 
gente. Dans  cet  esprit  d'une  absolue  simplicité,  être, 
vivre  et  connaître  s'identifient  substantiellement.  Mais 
Dieu  est  et  vit  autrement  que  nous.  Il  est  par  lui-même, 
pour  lui-même,  en  lui-même,  sans  le  secours  d'aucun 
autre  principe  :  a  se,  sibi,  per  se,  in  se  solo,  simplex, 
purum,  sine  existendi  principio,  n.  5,  col.  1116.  Plus 
loin,  n.  27,  col.  1132,  Victorin  exagère  même  la  notion 
de  l'aséité  divine,  en  se  servant,  comme  Lactance.  voir 
col.  1065,  de  termes  qui  suggèrent  l'idée  de  causalité 
efticiente;  car,  après  avoir  parlé  de  Dieu  qui  se  con- 
naît lui-même,  il  ajoute  :  Quod  cum  fit,  se  esse  efficit. 
Cf.  I,  3,  col.  10 il  :  Causa  principalis  et  sibi  et  aliiê 
causa  est.  Il  faut  toutefois  tenir  compte  du  but  que 
l'auteur  poursuit  dans  son  écrit.  11  ne  considère  pas 
Dieu  dans  la  seule  unité  de  sa  nature,  mais  aussi  dans 
la  trinité  des  personnes,  qu'il  rattache,  plus  ou  moins 
heureusement,  à  ces  trois  actes  :  esse,  vivere,  intelli- 
gere.  De  ce  point  de  vue.  Dieu  pris  dans  sa  réalité 
concrète  ne  se  conçoit  définitivement  constitué  que 
dépendamment  de  l'opération  par  laquelle  il  se  con- 
naît (il  faudrait  ajouter  :  et  s'aime).  Mais  l'expression  : 
se  esse  efficit,  semble  aller  plus  loin. 

Dieu,  et  Dieu  seul,  étant  par  lui-même,  il  lui  appar- 
tient de  communiquer  l'être  aux  autres  :  principium 
existentium,  substantiarum  pater,  qui  ab  c  </uod 
ipse  est,  esse  cseleris  prœstat,  n.  12,  col.  1122.  Cette 
considération  amène  l'apologiste  à  distinguer  dans 
l'être,  pris  non  comme  substantif,  ov,  mais  comme 
verbe  signifiant  l'acte  de  l'existence,  tô  tîvat,  une 
double  acception  :  d'abord,  celle  d'être  universel  et 
suprême  :  unum,  ut  universale  sit,  et  principaliter 
principale  ;  puis,  celle  d'être  qui  convient  à  tout  ce 
qu'il  y  a  de  genres,  d'espèces  et  choses  semblables  : 
alioque  esse  est  exteris,  quod  est  omnium  post  vel 
generum  vel  specierum ,  atque  hujusmodi  cœtcrorum, 
n.  19,  col.  1127. 

A  cette  doctrine  se  rattache  la  double  série  d'expres- 
sions, en  apparence  contradictoires,  que  nous  avons 
rapportées.  La  dénomination  d'être  convient-elle  à 
Dieu?  Oui  et  non,  répond  en  substance  Victorin.  sui- 
vant qu'on  considère  l'être  dans  l'une  ou  l'autre  des 


1105 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES   PÈRES) 


1106 


deux  acceptions  distinguées.  Dans  la  première,  Dieu 
peut  et  doit  s'appeler  être,  c'est-à-dire  l'être  même, 
ipsum  esse,  ipsum  vivere,  n.  19,  col.  1127;  l'être  prin- 
cipal, principale  -zh  ov,  i,  33,  col.  1066;  l'être  suprême, 
supremum  ov,  De  gcneratione,  n.  4,  col.  1022;  celui 
qui  est  vraiment,  dans  toute  la  force  du  terme,  vere 
ôv.  Ibid.,  n.  2,  col.  1021.  Dans  la  seconde  acception, 
la  dénomination  d'être  ne  convient  posa  Dieu,  puisque 
son  être  n'est  pas  déterminé,  génériquement  ou  spéci- 
fiquement, comme  l'être  de  toute  créature  (l'être  précii- 
camental)  :  non  aut  aliquid  esse,  aut  aliquid  vivere, 
nec  ôv.  Adv.  Arium,  iv,  19,  col.  1127.  Dieu,  en  ce  sens, 
est  supérieur  à  l'être,  comme  puissance  capable  de  le 
produire,  supra  id  quodest,  potentia  ipsius  toO  ôvto;J 
il  est,  au  même  titre,  antérieur  à  l'être,  irpoov.  De 
generalione,  n.  2,  3,  col.  1021.  Mais  quand  on  lui 
refuse  ainsi  la  dénomination  d'être,  ce  n'est  pas,  on  le 
voit,  pour  le  priver  de  tout  ce  qu'il  est,  mais  pour 
signifier  qu'il  diffère,  comme  être  suprême,  de  tous  les 
aulres  :  et  ju.rla  qaod  supremum  est,  u.ï)  ô'v  Deus 
dicitur,  non  pcr  priralionem  miiversi  ejus  quod  sil, 
sed  ut  aliud  ô'v  ipsum,  quod  est  (xt,  ov.  Ibid.,  n.  4, 
col.  1022;  cf.  n.  13,  col.  1027. 

Dieu,  par  rapport  aux  créatures,  est-il  toutou  n'est- 
il  rien?  La  réponse  diffère  encore  suivant  le  point  de 
vue  où  l'on  se  place.  Dieu,  comme  premier  principe, 
est  tout  virtuellement  et  d'une  certaine  façon  :  virtute 
scilicet    et   modo    quodam,    unde    diclum    a    Paulo, 

I  Cor.,  xv,  28  :  Ut  sil  Dcus  omnia  in  omnibus,  Adv. 
Arium,  il,  3,  col.  1091  ,  omnium  existent iarum  causa 
est,  et  idco  omnia.  Ibid.,  iv,  18,  col.  1126.  En  ce  sens, 
et  en  ce  sens  seulement,  tout  est  dans  l'Un  et  l'Un  est 
tout  :  in  uno  omnia,  vel  unum  omnia;  omnium 
enim  principium,  unde  non  omnia  sed  li.i.O  MODO 
omnia.  Ibid.,  n.  22,  col.  1129.  Mais  si  nous  comparons 
d'une  façon  absolue  son  être  et  celui  des  créatures, 
Dieu  n'est  ni  un  ni  tout  :  nec  unum  nec  omnia.  Ibid. 

II  est  au-dessus  de  tout,  et  par  conséquent  rien  de 
tout  ce  qui  existe  en  dehors  de  lui  :  super  omnia,  et 
ideirco  nullum  de  omnibus,  n.  24,  col.  1130;  De  gcne- 
ratione, n.  13,  col.  1027.  (Expressions  qui  se  retrouvent 
presque  littéralement  dans  Plolin,  Ennead.,  III,  vin.  s  ; 
VI,  vu.  '.)■>,  édit.  Creuzer  et  Moser,  Paris,  18,">5,  p.  IS7. 
189.)  On  ne  peut  même  pas  dire  propn  meut  qu'il  est 
seul  de  son  espèce,  puisqu'il  est  en  dehors  du  genre 
et  de  II  est  VI».  Adv.  Arium,  I,  'i9,  col.  1078. 
Si  Victorin  suit  là  encore  Plotin,  en  donnant  la  préé- 
minence à  la  notion  de  l'Un  sur  celle  de  Yl'.tre,  c'est 
sans  doute  parce  qu'elle  lui  semble  mieux  Béparer  Dieu 
de  tout  le  reste  el  ramener  tout  en  lui  à  la  simplicité. 
M. lis  il  faut  avouer  que  la  description  faite  de  I  I  n 
en  cet  endroit  tend  à  la  limite  de  l'abstraction  et 
justifie  le  jugement  porté  par  saint  Jérôme  sur  l'obscu- 
rité du  vieux  rhéteur. 

Dieu  est-il  substance?  Oui,  répond  Viciorin  à  plu- 
sieurs reprises  el  avec  insistance.  Adv.  Arium,  1,29  sq.  ; 
H,  1  sq.,  etc.  Il  n'envisage  pas  la  sub  tance  dans  le 
même  sens  que  son  adversaire,  Candide  l'arien,  c'est-à- 
dire   comme   suppôt    des    accidents,     mais    seulement 

iine  «  le  sujet  qui  est  quelque  chose,  ou  qui  n'est 
pas  dans  un  autre  :  subjeclum,  quod  est  aliquid,  quod 
ut  m  alio  non  es.s-c,   »  i,  30,  col.   1062.  Évidemment 

Dieu,  -ou-  le  ra|  porl  de  la  substance,  a  esl  pas  i n 

transcendant  qu'en  toul  le  reste,  liittpoûouo; ;  el  c'esl  là, 
remarque  Victorin,  ce  qui  a  donné  lieu  à  quelques-uns 
de  l'appeler  à/ovTio;,      non  pas  qui:   soi!  réellement 

substance,  puisqu'il  existe    :   »"n  quod  .■,,/ 
subataniiii.  non    il  »,  n,  I.  col    1089.  La  négation  n'a 
don'  ib  "lu.  mail  un  -•  n-  purement 

lifel  qui  tend  >  mettre  en  relui  la  transcendance 
ou  l'éminence  de  la  substance  divine,  comparée  aui 
auires.  Clic  explication,  l'apologiste  africain  l'étend 
aux  termes  négatifs  de  m> i 


avo-j;,  aÇrov,  en  les  commentant  ainsi  :  sine  existentia, 
sine  subslanlia,  sine  intelligentia,  sine  vila  dicitur, 
non  quidem  per  rtziçr^i'i,  idest,  non  per  priralionem , 
sed  per  supraiationem;  omnia  enim  quœ  voces  nomi- 
nant,  post  ipsum  sunt,  iv,  23,  col.  1129;  cf.  26, 
col.  1132. 

Dieu  pris  absolument  et  abstraction  faite  de  toute 
relation  au  dehors,  ne  peut  être  qu'incompréhensible 
et  inconnaissable.  Tout  ce  qu'il  est  se  trouve  alors 
comme  renfermé  en  lui  et  sans  distinction  :  quia  isla 
inlus  sunt  et  in  se  conversa  sunt,  omnia  ayvjooTa, 
àSiây.pira,  incognila  et  indisercta  sunt,  iv,  20,  col.  1 128. 
Dansson  immensité,  son  infinité  même,  Dieu  est  indéter- 
miné,non  pas  en  lui  ni  pour  lui,  mais  pour  les  aulres  : 
omnimodis  perfectus,  interminalus,  immensus,  sed 
cseteris,  sibi  terminants  et  mensus,  îv,  24,  col.  1130; 
infinitum,  interminatum,  sedaliis  omnibus, non  sibi. 
Ibid.,  19,  col.  1127.  11  faut  qu'il  y  ait  de  sa  part  mani- 
festation au  dehors,  pour  qu'il  se  reflète  et  devienne 
connaissable  en  quelque  image  :  cum  aulem  foris  esse 
cœpcrit,  tune  forma  apparens  imago  Dei  est,  Deum 
per  semet  oslendens.  Ibid.,  20,  col.  1128.  Victorin 
indique  les  deux  grandes  formes  de  cette  manifestation 
extérieure  de  Dieu;  d'abord,  la  création  du  monde,  ideo 
mundum  et  opéra  sua  divi7ia  constiluit,  ut  eum  per 
isla  omnia  cerneremus ;  puis,  l'incarnation  du  Verbe, 
post  Salvatoris  adventum,  cum  in  Salualore  ipsum 
Deum  vidimus,  ni,  6,  col.  1102  sq.  Aussi  le  monde  et 
la  révélation  sont-ils  les  principes  de  la  connaissance 
que  nous  pouvons  avoir  ici-bas  de  la  divinité.  Les  termes 
propres  nous  manquent,  il  est  vrai,  quand  il  s'agil  de 
parler  des  choses  divines;  nous  pouvons  cependant 
nous  servir,  par  adaptation,  de  ce  qui  est  ici-bas,  il,  3, 
col.  1091.  (Le  texte,  tel  qu'il  se  trouve  dans  l'édition 
Migne:.\av  CONGRUE  demum...  a/ilamus,  ne  me  semble 
guère  répondre  à  la  suite  des  idées.) 

Toute  cette  doctrine,  envisagée  sous  son  aspect  philo- 
sophique, présente  des  rapports  de  parenté  si  manifestes 
avec  celle  des  néoplatoniciens,  en  particulier  de  Plotin, 
que  ibms  une  étude  sur  Marins  Viciorin,  dom  Geiger  a 
pu  dire,  p.  6:  «  Ces  écrits  ne  renferment  au  fond  que  le 
système  néoplatonicien  sous  forme  de  théologie  chré- 
tienne, in  chrisllich-theologisehem  Gewande.  »  Mais  en 
même  tempe  il  n'est  pas  difficile,  quand  on  fait  attention 
à  la  fréquence  des  ci  ta  lions  scripturaires,  de  se  convaincre 
que  la  foi  de  l'apologiste  exerce  une  grande  inlluence 
sur  l'interprétation  et  l'application  de  ses  conceptions 
philosophiques.  C'est  ce  qui  a  fait  dire  .t  Thomassin, à 
propos  de  la  notion  d'élre  premier  et  d'intelligence 
suprême,  op.  cit.,  1.  111,  c.  n,  n.  11  :  Ex  Latinis  unum 
proférant  Marium  Victorinum  Afrum,...  iia  in  specie 
platonico  patrocinantem  syslemati,  ut  a  christianm 
théologies  cas  tris  secessisse  videri  possit,et  mo.r  tamen 
se  et  qveeeumque  dixerat  christianee  cathotieseque 
•  n  reddentem  et  aptantem.  Du  reste,  Victorin  n'a 
rien  d'un  docteur  de  l'Eglise,  el  sa  philosophie,  en  ce 
qu'elle  a  de  systématique,  n'intéresse  pas  la  sub- 
ites dogmes  chrétiens  qu'il  prétendait  défendre. 

s.ms  .noir  d'ouvrage  spécial  sur  la  question,  saint 
Augustin  présente,  au  cours  de  s<^  écrits, des  éléments 
.  dont  la  synthèse  forme  une  théodicée  plus 
complète  que  celle  de  tous  les  Pères  qui  l'ont  pn 

Pour  juger  de  la  richesse  du   fond-,  il  Suffi)   de  jeter  un 

coup  d'œil  sur  VIndL  xs  de  l'édition  bénédic- 

tine, mi  le  m"1   Deus  occupe  une  place  considérable, 

/'     /..,  t.    xi. vi,  col.  217-233.    En  ce  qui  concern.    les 

principal)  -,  I  >  pen  ■  i   de  IV  vêque 

il  llippone  -i  d'  i-i  été  exposée  à  l'article  \i  '■<  stim  SnmiK 

t.   i.  col.  2325,  -j:;ii    II  Importe  grandement  de  tenir 

pte  du  fait  signalé  au  premier  endroit,  a  savoir  l'in- 
ii n ' m  e  du  néoplaton  n 

i  d.  ei  d'une  façon  particulièt 
Ibid.,  col.  2328.  si  c  ite  .t,,.  ii  ne  ,,  n  .  mble, 


1107 


DIEU    (SA    NATURE   D'APRÈS   LES   PÈRES) 


1108 


qu'une  large  et  forte  synthèse  de  données  scripturaires  ou 
traditionnelles,  elle  a  en  même  temps  des  parties  ori- 
ginalfs,  cl  là  se  rellclcnt  les  conceptions  personnelles 
de  l'écrivain,  non  pour  transformer  le  dogme  chrétien 
en  philosophie,  mais  pour  le  traduire  ou  l'expliquer. 
Quatre  points  rentrent  plus  directement  dans  la  série 
des  idées  qui,  jusqu'ici,  ont  attiré  notre  attention. 

a.  Preuves  de  l'existence  de  Dieu.  —  Que  Dieu  existe, 
c'est  une  vérité  si  claire  pour  saint  Augustin  qu'il  traite 
l'athéisme  de  folie,  heureusement  rare  :  insania  isla 
paucorumest.  Serm.,  lxx,  c.  ii,  t.  xxxvm, col.  4'tl.Les 
preuves  qu'il  propose  ex  professo  ou  insinue  en  passant, 
forment  un  sujet  d'étude  assez  important  pour  avoir 
donné  lieu,  soit  à  un  chapitre  distinct  dans  la  plupart 
des  travaux  faits  sur  la  théodicée  ou  la  philosophie  du 
saint  docteur,  soit  à  un  développement  privilégié  dans 
l'histoire  des  preuves  de  l'existence  de  Dieu  chez  les 
Pères,  ou  même  chez  les  scolasliques.  C.  vanEndert,!^')' 
Gottesbeweis  in  der  patristisehe?i  Zeil  mil  besonderer 
Beriicksichtigung  Auguslins,  Fribourg,  1869;  G.  Grun- 
wald,  dans  l'introduction  de  Geschichte  der  Gottesbe- 
weise  ini  Mitlelalter  bis  zum  Ausgang  der  Ilochscho- 
laslik,  Munster,  1907  (collection  BeilrUge  zur  Ges- 
chichle  der  Philosophie  des  Millelallers,  t.  vi,fasc.3). 
Dans  la  question  présente,  ces  preuves  nous  inté- 
ressent moins  en  elles-mêmes  que  dans  la  mesure  où 
elles  aboutissent  à  des  aspects  variés  de  la  divinité.  De 
ce  point  de  vue,  plusieurs  des  preuves  courantes  qui  se 
retrouvent  chez  Augustin,  sont  d'un  intérêt  secondaire; 
par  exemple,  celle  qu'on  tire  du  consentement  du  genre 
humain.  In  Joa.,  tr.  CVI,  n.  4,  t.  xxv,  col.  1910.  Telle 
encore  la  preuve  téléologique,  par  l'ordre  et  la  beauté 
du  monde,  quelles  que  soient  d'ailleurs  la  délicatesse 
et  la  maîtrise  avec  lesquelles  le  saint  docteur  la  propose 
en  divers  endroits,  comme  Serm.,  cxLi,n.  2,  t.  xxxvm, 
col.  776;  In  ps.  xu,  n.  7,  t.  xxxvi,  col.  468.  La  preuve 
que  fournit  le  monde  considéré  comme  variable,  par 
exemple,  Confess.,  1.  XI,  c.  îv,  t.  xxxn,  col.  811  :  Ecce 
sunt  cœluni  et  lerra;  clamant  quod  facta  sint  :  mu- 
lanlur  enïm  atque  variantur,  est  déjà  plus  impor- 
tante; car,  sous  la  forme  concrète  où  saint  Augustin  la 
présente  en  cet  endroit,  comme  en  beaucoup  d'autres, 
c'est-à-dire  en  considérant  l'être  muable  non  pas  seu- 
lement en  général,  mais  en  particulier  dans  ses  diverses 
réalisations  concrètes,  elle  aboutit  à  Dieu  comme  être 
nécessaire  et  absolu,  comme  perfection  souveraine  et 
essentielle,  par  opposition  à  tout  être  contingent,  à 
toute  perfection  inférieure  et  participée  :  Tu  ergo,  Do- 
mine, fecisli  ea,  qui  pidcher  es,  pulchra  sunt  enim  ; 
qui  bonus  es,  bona  sunt  enim  ;  qui  es,  sunt  enim.  Nec 
ita  pulchra  sunt,  nec  ila  bona  sunt,  nec  lia  sunt,  sicul 
tu  condilor  eorum ,  cui  comparala,  nec  pidchra  sunt, 
nec  bona  sunt,  nec  sunt;  cf.  £>e  Trinitale,  1.  VIII,  c.  M, 
n.  5,  t.  xlii,  col.  950  :  Quapropter  nulla  essent  mula- 
bilia  bo7ia,  nisi  esset  incommulabile  bonum,...  ipsum 
bonum  cujus  participatione  bona  sunt,...  ac  per  hoc 
eliam  summum  bonum.  Argument  destiné  à  une  grande 
fortune;  repris  plus  tard  par  saint  Anselme  et  par 
Kichard  de  Saint-Victor,  il  deviendra,  chez  saint  Thomas 
d'Aquin,  l'argument  des  degrés.  Sunt.  theol.,  Ia,  q.  Il, 
a.  3,  quarla  via.  Cf.  Kleutgen,  Inslitutiones  theologicse, 
t.  i,  De  ipso  Deo,  n.  169,  avec  la  note;  Hontheim,  hi- 
slitutiones  theodiceœ,  Fribourg-en-Brisgau,1893,  n.  235. 
Non  moins  importante  et  plus  originale  est  la  preuve, 
d'ordre  ontologico-psychologique,  développée  longue- 
ment dans  le  De  libero  arbilrio,  1.  II,  c.  ni-xv,  t.  xxxn, 
col.  12i3  sq.  Elle  se  tire  des  idées  ou  des  principes 
éternels  et  immuables  qui  s'imposent  à  ce  qu'il  y  a  en 
nous  de  plus  élevé,  la  raison,  et  qui,  par  là  même, 
témoignent  de  Dieu.  «  La  raison  voit  quelque  chose 
d'éternel  et  d'immuable,  elle  voit  en  même  temps  sa 
propre  infériorité  ;  force  lui  est  de  reconnaître  son  Dieu. 
Per  scipsam  cernit  œlernum  aliquid  et  incommuta- 


bile,  sinnd  et  seipsam  inferiorem,  et  illum  oportet 
Deum  suum  esse  fateatur.  »  lbid.,c.  v,  n.  14,  col.  1248. 
Preuve  doublement  délicate.  D'abord,  pour  la  difficulté 
de  déterminer  sûrement  ce  qu'elle  suppose,  dans  la 
pensée  de  son  auteur  :  ou  une  idée  strictement  innée, 
ou  une  vue  immédiate  de  Dieu  sous  le  rapport  qui 
correspond  à  nos  concepts,  ou  une  simple  inférence. 
La  question  mériterait  d'attirer  noire  attention,  si  elle 
n'avait  pas  déjà  été  traitée  dans  ce  Dictionnaire,  t.  I, 
col.  2334,  2336  (théorie  de  l'illumination  divine  des  in- 
telligences), 2345.  Cf.  Schwane,  op.  cit.,  t.  Il,  p.  90; 
Kleutgen,  La  philosophie  scolaslique,  trad.  Sierp,  Paris, 
1869,  t.  ii,  p.  409  sq.  En  outre,  beaucoup  se  sont  de- 
mandé si  l'argument,  tel  qu'il  est  proposé  par  saint 
Augustin,  ne  présentait  pas  une  lacune,  si  ce  Père  ne 
concluait  pas  trop  facilement  du  contenu  de  l'idée  à 
l'existence  réelle  de  l'objet  conçu.  Schwane,  ibid.,p.8ô, 
90.  Développée  suffisamment,  la  preuve  aboutit  au 
terme  que  le  saint  docleur  avait  en  vue  :  Dieu  source 
immuable  de  la  vérité  et  vérité  même. 

Un  dernier  argument,  qui  rentre  en  partie  dans  le 
précédent,  mérite  d'être  signalé;  c'est  l'argument  psy- 
chologico-moral,  tiré  de  la  conscience  que  nous  avons 
d'une  obligation,  d'une  loi  morale  qui  s'impose  à  notre 
raison  avec  une  autorité  supérieure  et  qui  témoigne, 
à  ce  titre,  de  Dieu,  comme  premier  principe  de  tout 
bien,  de  toute  moralité;  car  la  loi  éternelle,  c'est  la 
raison  divine,  c'est  Dieu  vérité  suprême  :  Lex  vero 
alterna  est  ratio  divina  vel  volunlas  Dei  ordinem  na- 
tiwalem  conservari  jubens,  perlurbari  velans...  Et 
lex  tua  veritas,et  veritastu.  Contra  Fauslum,  1.  XXII, 
c.  xxvn,  t.  xlii,  col.  418;  Confess. ,\.  IV,  c.  ix,  t.  xxxn, 
col.  699. 

b.  Notion  de  Dieu.  —  L'ensemble  des  preuvesque 
nous  venons  de  rappeler  conduisait  Augustin  à  une 
notion  très  relevée  de  la  divinité.  Il  y  trouvait  d'abord 
les  éléments  de  celte  grande  trilogie  dont  la  philoso- 
phie platonicienne  lui  avait  donné  le  principe  et  qui 
reste  à  la  base  de  sa  propre  synthèse  :  Dieu  source  de 
tout  être,  comme  premier  principe  des  choses;  source 
de  toute  vérité,  comme  lumière  intellectuelle  des  créa- 
tures raisonnables;  source  de  toute  moralité,  comme 
bien  suprême  et  fin  dernière  des  mêmes  créatures  : 
ut  in  Mo  inveniatur  et  causa  subsistendi,  etratio  intcl- 
ligendi,  et  ordo  vivendi;...  ubi  esset  causa  constitutx 
universitatis,  et  lux  percipiend.v  verilatis,  et  fons 
bibendse  felicilatis.  De  civitate  Dei,  1.  VIII,  c.  iv,  x, 
n.  2,  t.  xli,  col.  228,  235.  A  ces  trois  conceptions  se 
ramène  toute  une  série  de  formules  équivalentes  ou 
réductibles,  dont  quelques-unes  sont  signalées  par 
divers  auteurs,  comme  II.  Ritter,  Histoire  de  la  phi- 
losophie chrétienne,  trad.  J.  Trullard,  t.  II,  p.  241,  et 
AV.  Timme,  Augustins  geistige  Entwickelung,  p.  193. 
L'aspect  qu'elles  expriment  demeure  relatif,  puisque 
Dieu  est  toujours  considéré  dans  quelque  rapport  aux 
créatures. 

En  suivant  l'orientation  de  sa  pensée,  Augustin  pou- 
vait s'élever  plus  haut  et  atteindre  Dieu  sous  un  aspect 
absolu.  Dans  la  conception  de  la  divinité  qu'il  nous 
présente,  quatre  traits  apparaissent  particulièrement 
en  relief  :  la  spiritualité,  l'immortalité,  la  simplicité 
absolue  et,  finalement,  la  raison  d'être.  Ces  notions, 
les  trois  premières  surtout,  étaient  de  celles  que  le 
saint  docteur  avait  apprises  à  l'école  des  néoplatoni- 
ciens et  dont  il  leur  fut  toujours  reconnaissant.  Voir 
t.  i,  col.  2328.  Il  les  félicite  de  s'être  ele\és  au-dessus 
des  choses  corporelles,  au-dessus  des  êtres  muahles, 
âmes  et  purs  esprits,  pour  arriver  à  celui  qui,  étant 
d'une  façon  immuable,  est  vraiment,  qui  vere  est,  quia 
incommutabiliter  est,  et  en  qui  tout,  être,  vie,  con- 
naissance, bonheur  et  toute  autre  perfection,  s'identifie 
dans  une  inellable  unité  :  quia  non  aliud  illi  est  esse, 
aliud   virere...,    sed  quod  est  illi  vivere,  inlelligere, 


1109 


DIEU    (SA   NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES; 


1110 


beatum  esse,  hocestilli  esse.  lie  civitale  Dei,  1.  VIII, 
c.  vi,  t.  xli,  col.  231;  cf.  De  Trinitate,  1.  VI,  c.  iv, 
t.  xlii,  col.  927  :  Deo  autem  hoc  est  esse  quod  est  for- 
tem  esse,  aut  juslum  esse,  aut  sapientem  esse,  et  si 
quid  de  Ma  simplici  mulliplicitate,  vel  multiplia 
simplicitate  dixeris,  quo  substanlia  ejus  significetur. 

On  voit  par  ces  textes  comment  les  notions  d'im- 
mutabilité, de  simplicité  et  d'être  se  rejoignent  dans  la 
pensée  du  grand  docteur.  Dieu  n'est  absolument  im- 
muable et  simple,  toutes  ses  perfections  ne  s'identifient 
entre  elles  et  avec  l'être  divin,  que  précisément  parce 
que  Dieu  est,  par  essence,  l'être  même.  Augustin  ne 
définit  pas  autrement  Dieu  considéré  tout  à  la  fois  dans 
l'unité  de  la  nature  et  dans  la  trinité  des  personnes  : 
Quod  nihil  aliud  esse  dicam,  nisi  idipsum  esse.  De 
moribus  Ecclesise  cathol.,  1.  I,  c.  xiv,  n.  24,  t.  xxxn, 
col.  1321.  Non  pas  l'être  abstrait  et  indéterminé,  mais 
l'être  de  tous  le  plus  concret  et  le  plus  actuel,  puisque 
tout  ce  qui  possède  l'être  à  un  degré  quelconque,  le 
tient  de  lui  :  Deus  autem  nec  modum  habere  dicendus 
est,  ne  finis  ejus  dici  puletur.  Nec  ideo  lamen  immo- 
deratusest,  a  quo  modus  omnibus  tribuitur  rébus,  ut 
aliquo  modo  esse  possint...  Si  autem  dicamus  eum 
summum  modtim,  forte  aliquid  dicimus;si  lamenin 
eoquod  dicimus  summum  modum ,intelligamus sum- 
mum bonum.  De  natura  boni,c.  xxn,  t.  xlii,  col.  558. 

Cette  conception  de  la  divinité,  Augustin  la  trouvait 
au  terme  de  l'argument  de  contingence,  tel  que  nous 
l'avons  rappelé.  En  toute  ligne  de  perfection  Dieu  lui 
apparaissait  comme  acte  pur  et  infini,  finalement 
comme  l'Être  absolu,  au-dessus  duquel,  en  dehors 
duquel  et  sans  lequel  rien  n'existe,  supra  quem  nihil, 
extra  quem  nihil,  sine  quo  nihil  est,  Soliloq.,  1.  I, 
c.  i,  n.  4,  t.  xxxn,  col.  871,  mais  qui  est  lui-même 
toute  la  raison  de  sa  propre  existence.  Cette  dernière 
notion  n'emportait  pas,  pour  Augustin,  comme  pour 
Lactance  et  Victorin,  l'idée  de  causalité  efficiente  ;  il 
voit  dans  cette  conception  une  grave  erreur  :  Qui  pulal 
ejus  esse  potentix  Deu/n,  ut  seipsum  ipse  genuerit, 
eo  plus  errât,  quod  non  sulum  Deus  ilanon  est,  sed 
nec  spirilualis  nec  corporalis  creatura ;  nulla  enim 
omnino  ves  est,  quœ  seipsam  gignat  ut  sit.  De  Tri- 
nitate, 1.  I.  c.  i,  n.  I,  I.  xi. n,  col.  820.  Mais  l'évèque 
d'Hippone  trouvait  dans  l'aséité  divine  tout  ce  qu'y 
trouvaient  saint  Hilaire  et  les  autres  docteurs  :  l'exis- 
tence, l'éternité,  l'immutabilité  essentielle  :  Tlla  œter- 
naincommutabilisque  natura,  quod  Deus  est,  habens 
in  se  ut  sit,  sien t  Moysi  diclum  est,  Egosum  qitisum, 
Exod.,  in,  1  i  ;  longe  scilicet  aliter  quam  isla  qux  fada 
sunt  :  quoniam  illud  vere  ac  primilus  est,  quod 
eodem  modo  semper  est.  nec  solum  non  commutatur, 
sed  commutari  omnino  non  potcsl.  De  liencsi  ad  lia., 
I.  V,  c.  xvi,  i.  xxxiv,  col.  333.  En  d'autres  termes, 
Dieu  est  l'Être  puremenl  el  pleinement,  non  moins 
qu'essentiellement  :  Quidquid  Un  est,  nonnisi  est. 
In  ps.  i  i.  -  rm.  n.  n.  I1'.  t.  xx.wu.  col.  1311. 

Les  propriétés  fondamentales  de  l'être  divin,  à  la 
fois  simple,  immuable  et  infini,  se  projettent  naturelle- 
ment sur  tous  les  attributs.  Si  Dieu  est  bon.  s'il  est 
Kraml,  --il  agit,  gardons-nous  de  concevoir  sa  bonté  à 
l'instar  d'une  qualité,  sa  grandeur  comme  attachée  A  la 
quantité,  son  action  comme  entraînant  île  sa  part  un 
changement  quelconque  :  sine  qualilate  bonum,  sine 
quantitate  magnum,  sine  ulla  s«i  miitatione  muta- 
bilia    facientrm.    L'éternité,   c'csi  la  durée  continue, 

avenir,  dune  immuable 
vie   :    sine  temporc  sempiternum.  L'ubiquité,  c'est  la 

lire  de   t., ni    llieu   dan-   le   monde  en  I  ier,   mai 

site,  ni  extension  ni  circon  i  ription  :  sine  situ  prsesi 
denu  continentem,   sine  loco 

ubique    tolum    De  Trinitate,  I.    V,   c.  i.  n.  2,  i.  xlii, 
col.    912    Présence   d'ailleurs    Féconde,    puisqu 
êtres  créés  ne    lui  doivent  pas  Mulemenl  le  pouvoir  de 


se  développer  et  de  tendre  à  leur  perfection,  mais 
leur  conservation  même  :  creans,  et  nutriens,  et  per- 
ficiens,  Confess.,  1.  I,  c.  îv,  t.  xxxn,  col.  662;  ut,  si 
conditis  ab  eo  rébus  operatio  ejus  subtrahatur,  inler- 
cidant.  De  Genesi  ad  litt.,  1.  V,  c.  xx,  n.  40,  t.  xxxiv, 
col.  335.  Présence  spécialement  féconde  dans  les  créa- 
tures raisonnables,  puisque  Dieu  est  et  agit  en  elles 
comme  souverain  bien  de  leur  intelligence  et  de  leur 
volonté  :  Hoc  ergo  bonum  non  longe  posilum  est  ab 
unoquoque  nostrum;  in  Mo  enim  vivimus,  cl  move- 
mur,  etsumus.  Act.,  xvii,  27,  28.  De  Trinitate,  1.  VIII, 
c.  ni,  n.  5,  t.  xlii,  col.  950.  Doctrine  importante,  chez 
l'évèque  d'Hippone,  car  elle  touche  de  très  près  à  l'une 
des  principales  caractéristiques  de  ce  grand  génie  et 
de  ce  grand  saint,  dont  la  passion  fut  de  chercher 
Dieu,  vérité  et  bien  suprême,  voir,  t.  i,  col.  245i,  et  de 
le  chercher,  non  pas  exclusivement,  mais  surtout  par 
la  voie  du  dedans,  en  son  âme  :  habentes  in  inlimo 
Deum.De  musica,  1,  VI,  c.  XIV, n.  48,  t.  xxxn,  col. 1188. 

c.  Invisibilité  et  incomprehensibililé  divines.  — 
Même  en  dehors  des  données  que  la  révélation  lui 
fournissait,  rien  qu'à  suivre  l'orientation  de  la  pensée 
philosophique  qui  le  menait  à  Dieu,  acte  pur,  d'une 
simplicité  absolue  où  tous  les  degrés  de  l'être  se  fon- 
dent dans  une  unité  supérieure,  Augustin  ne  pouvait 
qu'affirmer  aussi  fortement  que  les  autres  Pères,  fus- 
sent-ils alexandrins  ou  cappadociens,  l'invisibilité  et 
l'incompréhensibilité  de  Dieu.  Pour  lui  comme  pour 
tous,  l'invisibilité  n'était  qu'un  corollaire  de  la  spiri- 
tualité et  de  la  transcendance  divine  :  Invisibilis  est 
natura  Deus.  Epist.,  cxi.vn,  c.  VIII,  t.  XXXIII,  col.  605. 
Dieu  étant  naturellement  invisible,  on  ne  peut  le  voir 
qu'autant  qu'il  se  manifeste  lui-même;  il  nous  a  promis 
de  se  faire  voir  tel  qu'il  est,  I  Joa.,  ni,  2,  mais  comme 
récompense  et  au  ciel  seulement.  Ici-bas  il  n'apparaît 
que  sous  des  formes  d'emprunl  ou  symboliques  qu'il 
choisit  à  son  gré  :  Apparet  ea  specic  quam  \wluntas 
elegerit,  etiam  latente  natura.  lbid.,  c.  vu,  col.  60i. 
Comme  on  l'a  dit,  t.  i,  col.  2335,  le  saint  docteur,  qui 
avait  paru  d'abord  accorder  à  Moïse  et  à  saint  Paul  le 
privilège  d'une  vision  transitoires  dans  la  suite  rejeté 
cette  exception. 

L'incompréhensibilité  divine  est  l'un  des  thèmes 
favoris  de  l'évèque  d'Hippone.  Il  dit  et  redit  cette  pro- 
priété sous  toutes  les  formes,  comme  on  peut  s'en  rendre 
compte  en  jetant  un  coup  d'o-il  sur  les  textes  recueillis 
par  la  plupart  des  auteurs  qui  se  sont  occupés  de  s» 
théodicée,  en  particulier  L.  Grandgeorge,  Saint  Augus- 
tin cl  le  néoplatonisme,  Paris,  1896,  p.  59  sq.  l'.enucoup 
de  ces  textes  se  comprennent  facilement.  De  Deo  loqui- 
mur,  quid  mirum  si  non  comprehendis'.  Si  compre- 
hendis,  non  est  Deus.  Serm.,  cxvn,  n.  5,  t.  xxxvm, 
col.  663.  Comme  le  mot  comprehendis  s'entend  ici  d'une 
connaissance  parfaite,  la  cognoscibilité  divine  se  trouve- 
rait, dans  l'hypothèse,  épuisée  par  une  connaissance 
lime,  suivant  le  principe  du  saint  docteur  :  Quidquid 
scienlia  compreheuditur.  scientis  compreliensione  fini- 
tur.  De  civitale  Dei,  I.  XII.  c.  XVIII,  t.  XLI,  col. 368.  In 
autre  texte  rend  ce  sens  très  simple  :  Quand  il  s'agit  de 
Dieu,  noire  langage  reste  au  dessous  de  notre  concep- 
tion, et  notre  conception  elle  même  icoup  plus 
encore  au-dessous  de  la  réalité  :  Verius  i  fitatur 
■/nain  dicitur,  ri  venus  est  quam  cogitatw.  De 
tôle,  I.  VII.  c.  iv,  n.  7.  t.  xi. n.  col. 939. Non  moins 
■impie  est  le  aen«  de  ces  autres  paroles!  Omnia  dici 

•  .;.    /'  o,  et  nihil  digne  dicitur  de  Deo,  In 
h      Mil,   n.    5,    t.    XXXV,  col.     1496;   car   nous    pouvons 

affirmer  de  Dieu  toutes  les  perfections  donl  nous  avons 

.une  dfl  CM  a  11  in  na  lion  s  n'e\  prime 

dignement  ce  qu'est  l'en 

h  ai  emblent  aller  plus  loin,  eaux  la 

surtout  qui  rendent  le  son  de  ce  qu'on  appelle  la  théo- 
logie négative,  ainsi  i  il  il  dit  de  Dit  n    Qui  teitur  me- 


1111 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES; 


1112 


lius  nesciendo;  ...  cujua  milla  scienlia  est  in  anima, 
niai  scire  quomodo  eum  nesciat.  De  ordine,  c.  xvi,  n. 
44;  c.  xvin,  n.  47,  I.  xxxn,  col.  1015,  1017.  De  mémo  : 
Dcus  ineffabilis  est;  facilius  dicimus  quid  non  sit, 
quam  quid  sit...  Hoc  solum  potui  dicere,  quid  non 
sit,  In  ps.  tA.ï.vr,  n.  12,  t.  xxxvn,  col.  1090,  ou  encore: 
Cui  honorificum  potins  silentium,  quant  ulla  vox 
humana  competeret.  Contra  Adimanlum,  c.  xi,  t.  xlii, 
col.  142.  Entendrons-nous  ces  expressions  dans  un  sens 
exclusif  de  toute  connaissance  positive  de  Dieu,  en  dehors 
du  simple  fait  de  son  existence?  Ce  serait  contredire  la 
doctrine  expresse  de  saint  Augustin  en  ce  qui  précède 
et  en  ce  qui  va  suivre.  Ce  serait  souvent  contredire  le 
contexte  même,  où  la  distinction  apparaît  entre  une 
simple  connaissance  et  la  connaissance  compréhensive  : 
Allingere  ali quantum  mente  Deum,  magna  bealitudo 
est  ;  comprehendere  autem ,  omnino  impossibile.  Serai., 
cxvn,  c.  v,  n.  7,  t.  xxxviii,  col.  665. 

La  véritable  interprétation  se  tire  du  sens  que  les 
Pérès  attribuaient  à  la  question  :  Quid  sit  Deus,  quand 
ils  l'opposaient  à  cette  autre  :  An  sit,  ou  :  Quid  non  sit. 
Nous  avons  vu  trop  souvent  déjà  pour  qu'il  soit  néces- 
saire d'insister,  que  le  Quid  sit  s'entendait  de  l'essence 
ou  de  la  nature  divine  considérée  dans  son  fond  intime 
ou  dans  sa  pleine  compréhension.  En  plusieurs  endroits, 
saint  Augustin  parle  manifestement  d'une  connaissance 
semblable  à  celle  dont  nous  jouirons  plus  tard  au  ciel  : 
Nondum  potes  pervenire  ad  quid  sit,perveni  ad  quid 
non  sit.  In  Joa.,  tr.  XXIII,  n.  9,  t.  xxxv,  col.  1588.  Sa 
doctrine,  comme  celle  des  autres  Pères,  revient  à  cette 
simple  affirmation  :  Quand  il  s'agit  de  Dieu,  en  fait  de 
connaissance  parfaite,  en  fait  de  science  proprement 
dite,  nous  n'en  avons  qu'une  :  celle  qui  consiste  à  sa- 
voir ce  qu'il  n'est  pas,  ou  qu'il  est  incompréhensible. 
En  ce  sens,  le  plus  haut  point  de  notre  connaissance  de 
Dieu  ici-bas  est  la  négation,  mais  la  négation  présup- 
posant l'affirmation  et  contenant  elle-même  virtuelle- 
ment une  certaine  affirmation.  Quelle  que  soit,  en  effet, 
la  conception  où  nous  soyons  parvenus,  nous  devons 
dire  :  Dieu  n'est  pas  cela,  parce  qu'il  est  infiniment 
mieux  que  cela;  ou,  dans  les  termes  mêmes  de  saint 
Augustin  :  Nec  ita  pulchra  sunt,  nec  ita  bona  sunt,  nec 
ita  sunt,  sicut  tu  conditor  eorum,  cui  eomparala,  nec 
pulchra  sunt,  nec  bona  sunt,  nec  sunt.  Confess.,  1.  XI, 
c.  iv,  t.  xxxn,  col.  811.  La  voie  négative  rejoint  ici  la  voie 
d'éminence. 

C'est  la  remarque  faite  justement  par  un  écrivain  pro- 
testant, G.  Lœsche,  dans  une  étude  qui  porte  directe- 
ment sur  le  néoplatonisme  de  saint  Augustin,  De  Au- 
guslino  plotinizanle  in  doctrina  de  Deo  disserenda, 
léna,  1880,  p.  35  :  At  ut  jieri  solet,  quotiescumque  via 
negationis  de  divino  numine  tractatur,  simul  jam 
cerla  quœdam  poni  et  nesciu  quo  paclo  viam  nega- 
tionis ad  viam  eminenlise  ducere,  etiam  Augustinum 
videmus  Deo  simplici,  ineffabili,  immutabili,  sum- 
mas  noliones  attribuere.  Quanquani  enim  quulitates 
et  altributanon  staluenda  sint,  Ionien  non  deneganda 
esse;  Deum  habere  fundamenlum  vel  lanquam  robora 
omnium  altribulorum  in  se  et  rêvera  lenere,  quse  il- 
lis  res/ondeant. 

Il  ne  faut  pas  entendre  autrement  le  silence  dont 
parle  l'évêque  d'Ilippone,  silence  non  pas  absolu,  mais 
relatif,  et  qui  se  place,  non  pas  au  début,  mais  au  terme 
de  notre  connaissance.  Quand  nous  avons  fait  tous  nos 
cll'orls  pour  concevoir  Dieu  et  pour  exprimer  ce  que 
nous  en  concevons,  force  nous  est  de  reconnaître  que 
nous  sommes  myopes  en  face  de  l'Invisible  et  que  nous 
balbutions  en  face  de  l'Ineffable.  Le  silence  est  l'aveu 
éloquent  de  notre  impuissance,  et  c'est  un  hommage 
rendu  à  la  divinité  :  Qui  autem...  de  Deo,  quantum  ho- 
mini  conceditur,  digne  cogitare  cœperit,  inveniet 
silentium  incj]abili  cordis  voce  laudandum.  Serm., 
cccxli,  c.  vu,  t.  xxxix,  col.  1  i98. 


Et  ce  n'est  pas  peu  de  chose,  ajoute  saint  Augustin 
après  saint  Jean  Chrysoslome  et  saint  Jérôme,  de  com- 
prendre ce  que  Dieu  n'est  pas  :  Velhoc  comprehen- 
Jite  quid  non  sit  ;  multum  profecerilis,  si  non  aliud 
quam  est,  de  Deo  senseritis.  In  Joa.,  tr.  XXIII,  n.  9, 
t.  xxxv,  col.  1588.  Allusion  à  toutes  les  fausses  idées  sur 
Dieu,  dans  le  genre  de  celles  qui  sont  ensuite  énumé- 
rées  :  Non  est  Dcus  corpus,  non  cœlum,  non  luna,  non 
sol,  etc.  ;  fausses  idées  que  le  chrétien  sait  rejeter,  mais 
en  vertu  delà  notion  positive  que  la  foi  et  la  raison  lui 
ont  d'abord  donnée.  Qu'on  lise,  par  exemple,  De  Tri- 
nitale,  1.  V,  c.  i,  n.  2,  t.  xlii,  col.  912,  et  l'on  verra 
clairement  que  l'aptitude  à  juger  ce  que  Dieu  n'est  )>as, 
suppose,  chez  le  saint  docteur,  une  notion  déjà  très  re- 
levée de  la  divinité  :  Quisquis  Deum  ita  cogitai,  etsi 
nondum  potest  omni  modo  invenire  quid  sit,  pie  ta- 
men  cavet,  quantum  potest,  aliquid  de  eo  senlire 
quod  non  sit. 

Ce  n'était  pas  seulement  l'hérésie  anornéenne  qui  fai- 
sait ainsi  parler  saint  Augustin,  mais  tout  autant,  sinon 
plus  encore,  l'erreur  vulgaire  et  plus  vivante  des  païens 
et  des  anthropomorphites,  du  dehors  ou  du  dedans,  qui 
tous,  sous  une  forme  ou  sous  une  autre,  se  façonnaient 
un  Dieu  à  mesure  humaine.  C'était  sa  propre  erreur 
d'autrefois,  alors  qu'il  se  figurait  Dieu  avec  un  corps, 
non  comme  le  nôtre,  mais  plus  subtil,  qnoique  maté- 
riel encore,  corporeum  tamen  aliquid.  Confess. ,1.  VII, 
c.  i,  t.  xxxn,  col.  733.  Et,  jusqu'au  moment  où  il  enten- 
dit la  prédication  de  saint  Ambroise,  n'avait-il  pas  été 
persuadé  que  les  catholiques  prenaient  à  la  lettre  les 
expressions  anthropomorphiques  des  saints  Livres? 
lbid.,  1.  V,  c.  xiv,  n,  24;1.  VI,  c.  m,  n.  4,  col.  718,  721. 
d.  Dieu  connaissable;  les  noms  divins.  —  Les  fortes 
affirmations  de  l'évêque  d'Ilippone  sur  l'incompréhen- 
sibilité  ne  doivent  pas  faire  oublier  ce  qu'il  trouvait  au 
terme  des  preuves  qui  établissaient  à  ses  yeux  l'exis- 
tence de  Dieu,  ni  ce  qu'il  lisait  dans  les  Écritures  de 
celui  qu'il  invoque  dans  ses  Confessions,  1.  I,  c.  iv. 
t.  xxx  ii,  col.  662,  en  multipliant  les  superlatifs:  Summe, 
optime,  polentissime,  omnipotentissime,  misericor- 
dissime  et  justissime,  secretissime  et  prœsenlissime, 
pulcherrimc  et  forlissime.  La  doctrine  du  saint  doc- 
teur sur  les  noms  divins  confirme  à  la  fois  et  complète 
cette  observation.  Sans  doute  il  n'eut  pas  à  traiter  la 
question  des  noms  divins  aussi  directement,  ni  au 
mêmepoint  de  vue  que  les  Pères  cappadociens.  Ceux-ci. 
en  face  de  la  thèse  anornéenne,  devaient  mettre  en 
relief  la  valeur  objective  et  le  bien-fondé  des  noms 
multiples  dont  nous  nous  servons  en  parlant  de  Dieu. 
Visant  particulièrement  les  manichéens  ou  les  anthro- 
pomorphites de  nuances  diverses,  le  docteur  africain 
est  surtout  préoccupé  de  sauvegarder  la  spiritualité  et 
la  simplicité  divines.  Aussi,  le  plus  souvent,  ramène-t-il 
à  l'unité  les  perfections  qui,  dans  notre  conception  et 
notre  langage,  apparaissent  multiples.  Il  n'en  a  pas 
moins  perfectionné  sur  deux  points  l'œuvre  de  ses  de- 
vanciers. 

Quand  Eunomius  objectait  qu'en  vertu  de  la  simplicité 
divine,  tout  nom  s'appliquant  à  Dieu  devait  signifier 
sa  substance,  saint  liasile  et  saint  Grégoire  de  Xysse 
répondaient  habituellement  que,  la  nature  divine  étant 
incompréhensible  et  ineffable,  les  noms  dont  nous  fai- 
sons usage  ne  signifient  pas  précisément  la  substance 
même,  mais  plutôt  ce  qui,  dans  notre  manière  de  con- 
cevoir, s'attache  à  elle,  -x  rcepi  i-j-ôv.  Cette  réponse 
laissait  place  à  une  explication  ultérieure;  car.  enfin, 
si  Dieu  est  absolument  simple,  tout  nom  désignant 
quelqu'une  de  ses  propriétés  doit  se  dire  de  lui  sub- 
stantiellement :  Omnia  ergo  ibi  substantialiter  simpli- 
cia,  comme  l'accordait  Marius  Victorin  à  l'arien  Can- 
dide. Adversité  Arium,  1.  III,  n.  I,  P.  L.,  t.  vin, 
col.  1098.  Saint  Augustin  reprend  ce  thème.  Les  notions 
nue  nous  avons  de  Dieu  se  rapportent  ou  à  la  divinité 


1113 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES   PÈRES; 


1114 


prise  en  elle-même,  ou  aux  trois  personnes  considérées 
clans  leurs  rapports  d'origine  et  d'opposition  mutuelle. 
De  là,  en  Dieu,  deux  catégories,  et  deux  catégories  seu- 
lement :  la  substance  et  la  relation.  Tout  ce  qui  n'est 
pas  d'ordre  relatif,  convient  à  Dieu  et  se  dit  de  lui  sub- 
stantiellement, De  Trinilate,  l.V,  c.vm,  t.  xlii,  col.  917; 
1.  XV,  c.  v,  n.  8,  col.  1062  :  Quidquid  enim  secundum 
qualitates  ill'tc  dici  videlur,  secundum  subslanliam 
vel  essentiam  est  intelligendum.  Mais  il  ne  suit  pas 
de  là,  que  les  noms  dont  nous  nous  servons  expriment 
la  substance  telle  qu'elle  est  en  Dieu,  ni  même  que 
chacun  d'eux  exprime  tout  ce  que  nous  connaissons  ou 
pouvons  connaître  de  la  divinité.  Il  en  est  de  la  perfec- 
tion divine  comme  de  la  lumière  du  soleil,  dont  les 
rayons  se  reflètent  ici  sous  une  couleur,  là  sous  une 
autre  :  Hœc  animarum  sunt,  quas  illa  lux  perfundit 
quodam  modo,  et  pro  suis  qualitatibus  afficit;  quo- 
modo  cum  orilur  corporibus  luxista  visibilis.  Serm., 
CCCXLI,  c.  vi,  n.  8,  t.  xxxix,  col.  1498. 

L'opposition  mise  en  Dieu  par  le  saint  docteur  entre 
l'absolu  et  le  relatif,  entre  la  nature  et  les  personnes, 
n'exclut  pas,  par  rapport  à  Dieu  considéré  dans  l'unité 
de  nature,  la  distinction,  plusieurs  fois  déjà  rencontrée, 
entre  les  dénominations  absolues,  comme  celle  d'être, 
et  les  dénominations  relatives,  comme  celle  de  créa- 
teur et  de  Seigneur.  Saint  Augustin  connaît  la  distinc- 
tion; il  s'en  sert  pour  expliquer  comment  Dieu,  à  la 
création  du  monde,  peut  recevoir  un  titre  qu'il  n'avait 
pas  auparavant,  sans  qu'il  y  ait  changement  de  sa  part, 
mais  par  le  seul  fait  que  la  créature  commence  à  exis- 
ter :  Quod  ergo  lemporaliter  dici  incipit  Deus  quod 
antea  non  dicebalur,  manifestum  est  relative  dici; 
non  lamen  secundum  accidens  Dei  quod  ei  aliquid 
acciderit,  sed  plane  secundum  accidens  ejus  ad  quod 
dici  aliquid  Deus  incipit  relative.  De  Trinilate,  1.  V, 
c.  xvi,  t.  xi.ii,  col.  924. 

Mais  quelle  est  la  portée  des  noms  que  nous  donnons 
à  Dieu?  L'évéque  d'Hippone  a  surtout  considéré  cette 
question  dans  ses  rapports  avec  le  langage  des  saintes 
Ecritures;  et  c'est  le  second  point  où  sa  doctrine  gagne 
en  précision  sur  celle  de  ses  devanciers.  Auparavant, 
les  Pères  se  contentaient  à  peu  près  d'énumérer,  à 
l'occasion,  un  certain  nombre  de  noms  ou  d'appella- 
tions, sans  dire  s'ils  les  entendaient  dans  un  sens 
propre  ou  métaphorique.  On  pouvait  seulement,  en 
recourant  à  d'autres  passages,  se  rendre  compte  de  la 
façon  dont  tel  ou  tel  nom  devait,  dans  la  pensée  d'un 
Père,  convenir  à  Dieu.  Nous  avons  pu  le  constater  chez 
plusieurs  pour  quelques  noms,  pour  celui  d'être  en 
particulier.  Augustin  se  préoccupe  davantage  de  ce 
qu'un  pourrait  appeler  la  critique  du  langage  biblique 
et  du  nôtre  en  cette  matière.  Il  me  paraît  d'autant  plus 
important  i  toute  sa  pensée,  qu'il  est  facile,  en 

n'en  donnant  qu'un  aspect,  de  présenter  sa  doctrine 
sous  un  jour  peu  favorable.  C'est  ce  qu'a  fait  Thoinassin, 
op.  cit.,  1.  IV,  c.  ix  et  xi,  quand  sous  la  rubrique  : 
A'iAU  de  Ileo  proprie  dici  possc,  et  sous  cette  autre 
Indigna  de  Deo  dici  in  Scripturis  ut  et  quœ  digna 
videuntiir,  «que  removeantur,  il  a  groupé  plusieurs 
3  qui  tous,  rnème  pris  brutalement,  sont  loin  de 
rendre  un  son  ;i n  -si  absolu. 

L'évéque  d'Hippone  affirme,  il  est  vrai,  que,  p.ir  rap- 
port à   Dieu,  nous  manquons  de  noms  convenab 

rit  congruum  nonxen,  no>i  invenit.  lu  Joa-, 
tr.  XIII,  n.  5,  t.  xxxv,  col.  1495.  On  rappelle  juste,  par 
exemple,  faute  de  trouver  un  meilleur  terme  dans  le 
vocabulaire  humain  Dico  justuni  Deum,quia  In  ver- 
bi$  hutnanii  nihil  nieliut  invenio  m.i.cvii, 

n  9,  t.  xxxix,  col.  1498.  si,  dans  l'Écriture,  le  Saint- 

il  a    voulu    se   servir  de   noms  qui,  ;  leur 

sens  littéral,  sont  manife  t<  ment  indignes  de  la  divine 

ié',  c'est  pour  nous  avertir  d  lérer 

comme  réellement  dignes  de  Dieu  ceux  qui,  en  eux- 


mêmes,  nous  paraîtraient  l'être.  Contra  Adimantum, 
c.  XI,  t.  xi.ii,  col.  142.  Ainsi,  deux  catégories  de  noms 
sont  distinguées.  11  y  a,  d'abord,  ceux  qui,  à  première 
vue,  sont  manifestement  indignes  de  Dieu  ;  tels  les  noms 
tirés  des  opérations  ou  affections  corporelles,  comme  se 
reposer,  marcher,  dormir,  s'éveiller;  telles  encore  les 
descriptions  anthropomorphiques,  qui  représentent 
Dieu  pourvu  de  membres  ou  sous  une  forme  sensible. 
Tout  cela  doit  évidemment  se  prendre  dans  un  sens 
métaphorique,  spiritualiter  intelligendum.  Epist., 
cxi.viiii,c.  iv,  n.  13,  t.  xxxiii,  col.  628;  cf.  De  vera  reli- 
gione,  1.  I,  c.  L,  n.  99,  t.  xxxiv,  col.  166.  Viennent  en- 
suite beaucoup  de  noms  empruntés  aux  créatures  spi- 
rituelles, dont  l'Esprit-Saint  s'est  servi  non  pour  signi- 
fier ce  qui  en  réalité  ne  répondait  pas  à  l'expression, 
mais  par  nécessité  de  s'adapter  au  langage  courant  :  et 
de  spirituali  creatura  multa  translulit,  quibus  signi- 
ficarel  illud  quod  non  ila  esset,  sed  ita  dici  opus  esset. 
De  Trinitate,  1.  I,  c.  i,  n.  2,  t.  xlii,  col.  820.  Dans  cet 
endroit,  deux  exemples  seulement  sont  donnés  :  Ego 
sum  Deus  zelans,  Exod.,  xx,  5,  et  :  Pxnitet  me  homi- 
nem  fecisse,  Gen.,  VI,  7;  cf.  Contra  adversarium  legis 
et  proplielarum,  1.  I,  c.  xx,  n.  40,  t.  xlii,  col.  627,  où 
les  exemples,  plus  nombreux,  sont  du  même  genre. 
Mais  nous  avons  vu  déjà  que  saint  Augustin  n'admettait 
pas  sans  réserve  l'épithèle  de  juste,  et  ailleurs  il  dis- 
cute la  propriété  d'autres  termes,  celui  de  prescience, 
et  même  de  science.  De  diversis  quœstionibus  ad  Sim- 
plicianum,  1.  II,  q.  n,  n.  2,  t.  XL,  col.  138  sq. 

Est-ce  à  dire  que  nous  ne  pouvons  rien  affirmer  de 
Dieu  que  d'inconvenant  et  d'impropre?  Si  telle  était 
la  pensée  du  grand  docteur,  il  serait  difficile,  on  s'en 
rendra  bientôt  compte,  de  l'accorder  avec  lui-même. 
Mais  telle  n'est  pas  sa  pensée.  Et  d'abord,  quand  il  re- 
marque que  le  Saint-Esprit  fait  donnera  Dieu  dans 
l'Écriture  toute  sorte  de  noms,  même  ceux  qui,  pris 
dans  leur  sens  littéral,  sont  manifestement  indignes  de 
la  divine  majesté,  il  ne  veut  nullement  infirmer  notre 
connaissance  de  Dieu  ici  bas;  il  affirme,  au  contraire, 
que  le  Saint-Esprit  a  suivi  cette  méthode  pour  faire  en 
quelque  sorte  notre  éducation  et  nous  élever  graduel- 
lement à  la  conception  des  choses  divines  :  Sancta 
Scriptura  parvulis  congruens,  nullius  generis  rerum 
verba  vitavit,  ex  quibus  quasi  gradalim  ad  divina 
atque  sublimia  notter  intellectus  relut  nutritua  assur- 
geret.  De  Trinitate,  loc.  cit.;  cf.  De  cliverais  qumstio- 
nibus,  loc.  cit.,  n.  3,  col.  140  :  nonnullam  ail  intelli- 
gendailla  sublimia  prêchent  viam. 

En  second  lieu,  l'évéque  d'Hippone  ne  dit  nulle  part 
que  les  noms  transportés  des  créatures  spirituel! 
Dieu  doivent  tout  et  toujours  s'entendre  d'une  façon 
métaphorique.   Il  suppose,  au   contraire,  que  les  écri- 
vains sacrés  emploient  parfois,  bien  que  rarement, 
noms   qui  conviennent  à  Dieu  proprement  :  Que 
proprie  de  Deo  dicuntur,  quœque  in  nulla  creatura 
inveniuntur,  raro  ponit  Scriptura  divina  ;  sirut  illud 
quod  dictum  est   ad  Moysen  :  Ego  sum  qui  sum.  De 
Trinilate,  loc.  cil., col.  821.  Le  principal  texte  invoqué 
par  Thomassin,   loin  de  contredire  ceci,  le   confirme 
plutôt.  Aprèa  avoir  affirmé  que,  pour  Dieu,  la  grandeur 
s'identifie  avec  l'être,  quia  ipte  sua  est  magniludo,  le 
saint  docteur  poursuit  :  Hœc  et  de  bonitate,  et  d»  ester' 
ni  la  te,  et  de  otnnipotentia  l>ri  dictum  sit,  omnibutque 
omnino  prœdicamenhs  qum  de  Deo  postant  pronun- 
ti<ir>,  ijui.,1  ad  se  iptum  dicitur.  no»  translate  a 
timilitudinem,  ted  proprie  :  si  lamen  de  illo  pro] 
aliquid  dici  ore  hominii  ;>"'<  tel .  De  T>  initate,  l.V,< 
t.  xi.ii,  col.  918.  Thomanin  ne  voit  dans  ce  texte  que 
la  linale  :  ti  tamen  de  illo  proprie  aliquid,  entendue 
d'une  négation  absolue.  Mais  le  mouvement  général 
de  la  phrase  mon  tri  lairement  qu'il  \  a 

i ni  II  ont  réserve,   l  ■  iplication  de  cetli   n 

complétera    la  doctrine  d'Augustin;  elle  donnera   en 


1115 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES   PÈRES; 


1116 


même  temps  le  principe  nécessaire  et  suffisant  pour 
résoudre  l'antinomie  qui  semble  s'atlacher  à  ses  deux 
séries  de  textes,  en  apparence  contradictoires. 

Quand  le  saint  docteur,  parlant  même  de  noms  qui 
expriment  une  perfection  purement  spirituelle,  comme 
la  justice  et  la  bonté,  dit  qu'ils  ne  sont  pas  dignes  de 
Dieu  ou  qu'ils  ne  lui  conviennent  pas  proprement, 
cette  assertion  n'équivaut  nullement  à  une  pure  néga- 
tion. Si  l'on  examine  attentivement  le  développement 
intégral  de  sa  pensée,  on  voit  que  la  négation  porte, 
non  pas  sur  la  perfection  prise  en  elle-même,  mais 
seulement  sur  celle  perfection  telle  qu'elle  est  réalisée 
dans  les  èlres  créés  ou  telle  que  nous  la  concevons. 
Pourquoi  l'épilbèle  de  jitste  appelle-t-elle  une  réserve, 
quand  il  s'agit  de  Dieu  ?  Parce  qu'en  Dieu  la  justice 
dépasse  de  beaucoup  celle  dont  nous  avons  l'idée, 
celle  des  hommes  :  Jusluni  quidem  Deum  dicis,  sed 
intellige  aliquid  ultra  justitiam  quant  soles  et  de 
homine  cogilare.  Serm.,  cccxli,  c.  vu,  t.  xxxix, 
col.  1498.  Pourquoi,  dans  l'écrit  Ad  Simplicianum, 
discute-t-il  les  termes  de  prescience  et  de  science  ? 
Pour  ce  qui  s'attache  à  ces  deux  mots  de  sens  spécifi- 
quement humain.  Ce  qui  ne  l'empêche  pas  de  nous 
indiquer  ensuite  comment  de  notre  idée  de  science 
nous  pouvons  nous  élever,  par  voie  d'épuration  ou  de 
négation  et  par  voie  d'éminence,  jusqu'à  une  certaine 
notion  de  la  science  divine  :  Cum  enim  dentpsero  de 
liumana  scientia  mulabililalem  et  transi  tus  quosdam 
a  cogitatione  in  cogitalionem,...  et  reliquero  solam 
vivacitatem  cerise  alque  inconcussse  verilalis  una 
atque  selerna  conlemplalione  cuncta  lustrantis ;  imo 
non  reliquero,  non  enim  liabet  hoc  humana  scientia, 
sedpro  viribus  cogitavero  ;  insinualur  mihi  utcumque 
scientia  Dei.  De  diversis  quœslionibus,  loc.  cit.,  n.  3, 
t.  xl,  col.  140. 

Et  ceci  nous  mène  à  une  distinction  connue  déjà  et 
suffisante  pour  résoudre  l'antinomie  apparente  des  deux 
séries  de  textes  augustiniens  sur  la  convenance  et  l'in- 
convenance, sur  la  propriété  et  l'impropriété  des  noms 
divins.  On  peut  entendre  le  nom  propre  d'une  façon 
plus  ou  moins  rigoureuse.  Nom  propre  et  seul  vraiment 
digne  de  Dieu,  celui  qui  exprimerait  la  perfection  divine 
telle  qu'elle  est  en  elle-même;  c'est  l'acception  rigou- 
reuse, qui  s'oppose  au  concept  et  au  nom  de  simple 
analogie.  Mais  nom  propre  aussi,  et  convenable  de 
notre  part,  celui  qui  exprime  une  perfection  convenant 
réellement  à  Dieu  dans  ce  qu'elle  dit  immédiatement; 
c'est  l'acception  moins  rigoureuse,  qui  s'oppose  au 
nom  purement  métaphorique.  Nous  n'avons  pas,  par 
rapport  à  Dieu,  de  noms  propres  dans  le  sens  rigoureux 
du  mot,  mais  nous  en  avons  dans  l'autre.  Et  dans  la 
même  proportion  nous  pauvons  parler  de  Dieu  d'une 
manière  qui  ne  soit  pas  indigne  de  sa  divine  majesté  : 
Deus  mullipliciter  dicilur  magnus,  bonus,  sapiens, 
beatus,  verus,  et  quidquid  aliud  non  indigne  dici  vi- 
detur.  De  Trinilale,  1.  VI,  c.  vu,  n.  8,  t.  xlii,  col.  829. 

Quels  noms,  épurés  par  la  voie  de  négation  et  relevés 
par  la  voie  d'éminence,  garderont  assez  de  leur  signi- 
fication native  pour  qu'on  puisse  dire  qu'ils  conviennent 
à  Dieu  proprement?  Saint  Augustin  n'en  a  pas  dressé 
la  liste.  Les  principes  qu'il  a  posés  permettent  seule- 
ment de  tirer  quelques  conclusions  ou  de  faire  quel- 
ques applications.  Sont  manifestement  de  ce  nombre, 
sous  la  réserve  indiquée  plus  haut,  les  noms  qui  dé- 
signent des  perfections  d'ordre  transcendant,  comme 
la  sagesse,  la  vérité,  la  bonté  :  Bonum  bona  facicns, 
siculi  est  proprie,  sic  et  bonum  est  proprie. 
In  ps.  ixx.xiv,  n.  4,  t.  xxxvn,  col.  1741.  Sont  exclus, 
au  contraire,  non  seulement  les  noms  tirés  des  choses 
corporelles  ou  d'affections  spirituelles  qui,  dans  leur 
idée  même,  renferment  quelque  imperfection,  mais 
encore  les  noms  qui  ont  un  rapport  intime  avec  les  ca- 
tégories aristotéliciennes.  Ainsi  le  terme  de  substance 


n'est  pas  admis  en  Dieu  dans  son  sens  propre  par  le 
docteur  africain,  parce  qu'il  l'entend  comme  suppôtdes 
accidents,  sub-stautia,  tandis  que  le  mot  d'essence, 
l'ouata  des  Grecs,  est  admis  :  Deus  si  subsistit  ut 
substanlia proprie  dici  possit,  inesl  in  eo  aliquid  tan- 
guant in  subjecto,  et  non  est  simplex...  ;  unde  manu 
festum  est  Deum  abusive  subsianiiam  vocari,  ut  no- 
niine  usitatiore  intelligatur  essenlia,  quod  vere  ac 
proprie  dicilur,  ila  ut  forlasse  solum  Deum  dici  opor- 
teat  essenliam.  De  Trinilale,  1.  VII,  c.  v,  t.  xi.ii, 
col.  942. 

Au  même  titre  que  le  nom  d'essence,  mais  avec  prio- 
rité logique  dans  noire  conception,  le  nom  d'être  con- 
vient proprement  à  Dieu  :  Sola  est  incommutabilis 
substanlia  vel  essenlia,  qui  Deus  est,  cui  profecto 
ipsum  esse,  unde  essentia  nominata  est,  maxime  ac 
verissime  competit.  De  Trinilale,  1.  V,  c.  il,  t.  xlii. 
col.  912;  cf.  1.  I,  c.  I,  n.  2,  col.  821,  où  VEgosum  qui 
sum  est  donné  comme  exemple  de  nom  scripturaire 
qui  convient  à  Dieu  proprement  et  exclusivement, 
quse  proprie  de  Dco  dicuntur,  quseque  in  nulla  crea- 
tura  inveniunlur.  Cela  ne  veut  pas  dire  que  le  scepti- 
cisme d'Augustin  «  avait  dissous  le  monde  phénomé- 
nal >>,  suivant  l'expression  d'  A.  Harnack,  Précis  de 
l'histoire  des  dogmes,  trad.  E.  Choisy,  Paris,  1893; 
cf.  Lehrbuch  der  Dogmengeschichte,  3"  édit.,  t.  m, 
p.  102  sq.  Quand,  à  la  suite  de  beaucoup  d'autres  Pères,  le 
docteur  africain  dit  que  Dieu  seul  est  vraiment,  cette 
affirmation  prend,  dans  le  contexte  et  dans  l'ensemble 
de  sa  doctrine,  ce  sens  précis  :  les  créatures,  spirituelles 
ou  corporelles,  ne  sont  pas,  comme  Dieu,  par  nature 
ou  par  essence;  elles  n'existentque  d'une  façon  contin- 
gente et  avec  dépendance  continuelle  de  l'inlluence 
divine  qui  les  a  produites  et  les  conserve.  Le  sens  est 
relatif  et  comparatif  :  Cum  ergo  si>tt  et  illa  quse  fecit, 
venitur  tamen  ad  illius  comparalioncm  ;  et  lanquam 
solus  sit,  dixit  :  Ego  sum  qui  sum,  el  :  Dices  /iliis 
Israël,  Qui  est  misit  me  ad  vos...  lia  enim  ille  est,  ut 
in  ejus  contparalione  ea  quse  facla  sunt,  non  sint. 
Illo  non  comparalo,  sunt,  quoniam  ab  Mo  sunt;  illi 
autem  comparata,non  sunt,  quia  verum  esse,  incom- 
mutabile  esse  est,  quod  ille  solus  est.  In  ps.  cx.xxiv, 
n.  4,  t.  xxxvii,  col.  1741. 

En  ce  point,  comme  dans  l'ensemble  de  sa  théodicée, 
l'évêque  d'Hippone  n'est  en  dehors  ni  de  la  sainte 
Écriture,  ni  de  la  pensée  que  vécurent  les  Pères  latins 
ses  devanciers.  Il  est  vrai,  toutefois,  qu'en  ses  écrits 
deux  courants  se  rejoignent,  sans  se  confondre  :  l'un 
doctrinal  et  traditionnel,  l'autre  philosophique.  Sous 
ce  second  aspect,  comme  par  la  tournure  de  son  esprit, 
spéculatif  à  la  fois  et  mystique,  saint  Augustin  se  rap- 
proche des  docleurs  orienlaux,  des  alexandrins  surtout 
et  des  cappadociens.  Il  sut  s'approprier  et  transmettre 
à  l'Occident  beaucoup  d'idées  fécondes  que  ces  fortes 
intelligences  avaient  semées.  Sa  théodicée  clôt  digne- 
ment et  brillamment,  chez  les  Latins,  la  grande  période 
patristique. 

Auteurs  catholiques.  -  Cypai-issiota,  E.rpositio  materia- 
ria  eorum  qux  de  Deo  a  theologis  dicuntur  (recueil  de  textes 
palristiques),  P.  G.,  t.  clh,  col.  937  sq.  ;  J.  Schwane,  op.  cit.. 
t.  n,  part.  I,  c.  I,  S  2-7;  J.  Tixeront,  Histoire  des  dogme»,  t.  U, 
De  saint  Athunase  à  saint  Augustin,  2'  édit.,  Paris,  1909,  p.  24, 
49,68,  362;  E.  Fialon,  Saint  Athanase,  Paris,  1877,  c.  x,  n.  4, 
p.  270  sq.;  L.  Atzberger,  Die  Logoslehre  des  hl.  Athanasius, 
Munich.  1880,  part.  I,  c.  Il,  p.  34  sq.  ;  F.  Laucheit,  Die  Lettre 
des  hl.  Athanasius  des  Grossett,  Leipzig,  1895,  part.  I,  c.  l  ; 
F.  Cavallera,  Saint  Athanase,  Paris,  190S,  pas-iin,  surtout 
p.  234  sq.;  J.  L.  Mingaielli,  De  Didymo  COtnmentarius,  1.  II, 
c.  n;  Epistola  ad  Archintum  prsesuletn,  c.  I,  P.  G.,  t.  .wxix, 
col.  179,  1000;  G.  C.  F.  Lncke,  Quxstiones  ac  vindicise  Didy- 
mianm,  n.  i,  ibid.,  col.  1738;  B.  de  Montfaucon.  Prselitninaria 
in  Eusebii  Commentaria  in  Psahnos,  c.  VI,  n.  2.  P.  G.. 
t.  xxiu,  col.  29  sq.;  G.  Delacroix.  Saint  Cyrille  de  Jérusalem, 
Sa  vie  et  ses  œuvres,  Paris,  1865,  part.  Il,  analyses  des  calèche- 


1117 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES   PÈRES; 


■M  18 


ses  iv,  vi,  vu,  vin  ;  J.  Mader,  Der  hl.  Cyrillus,  Bischof  von 
Jérusalem  in  seinem  Leben  und  seinen  Schriften  nach  clen 
Quellen  dargestellt,  Einsiedeln,  1891,  g  19,  p.  71  sq.  ;  J.  A.  Can- 
tova,  De  Septimo  Tertulliano  et  S.  Epiphanio,  dissertationes 
duœ,  theologico-criticx,  in  quibus  antliropomorphismo  neu- 
trum  laborasse  demonstratur,  Milan,  1763;  E.  Fialon,  Étude 
historique  et  littéraire  sur  saint  Basile,  Paris,  1865,  c.  vm, 
§  2;  Th.  de  Régnon,  S.  .T.,  Études  de  théologie  positive  sur  la 
sainte  Trinité-,  3'  série,  Paris,  1898,  Étude  xvi,  c.  m,  Euno. 
mius  et  saint  Basile  ;  dom  Clémencet,  O.  S.  B.,  S.  Gregorii, 
Theologi  opéra,  Prœ/utio  generalis,  part.  III,  De  Deo,  P.  G., 
t.  xxxv,  col.  93  sq.  ;  F.  Diekamp,  Die  Gotteslehre  des  hl.  Gre- 
gor  von  Nyssa.  Ein  Beilrag  zur  Dogmengeschichte  der  patris- 
tischen  Zeit,  part.  I,  Munster,  1896. 

A.  Beck,  Die  Trinitàtslehre  des  hl.  Hilarius  von  Poitiers, 
Mayence,  1903,  c.  il,  clans  la  collection  Forschungen  zur 
christlichen  Litcratur-und  Dogmengeschichte,  t.  in,fasc.2et3; 
J.  E.  Pruner,  Die  Théologie  des  hl.  Ambrosius,  dans  Jahres- 
Bericht  iiber  das  bischôfiiche  Lyceum  zu  Eichslalt  fur  dos 
Studienjahr  186i-i862,  Eichstsedt,  1862;  J.  Turmel,  Sain* 
Jérôme,  Paris.  1906,  part.  III,  c.  i,  p.  156  sq.;  A.  Martin,  Sancti 
Aurelii  Augustini  Hipponensis  episcopi  philosophia,  nouv. 
éd.t.,   par  J.    Fabre,  Paris,  1863,  part.   II    et  III;  T.  Gangauf, 

0.  S.  B.,  Des  hl.  Augustinus  spéculative  Lchre  von  Gott  dem 
Dreieinigcn,  Augsbourg,  18C6,  part.  I;  .1.  Martin,  Saint  Augus- 
tin, Paris,  1901,  1.  II. 

Auteurs  non  catholiques.  —  A.  Harnack,  Lehrbuch  der 
Dogmengeschiclite,  3'    édit.,  Fribourg-en-Briçgau,  1894,  t.   il, 

1.  1,  c.  xiv,  p.  115  sq.;  H.  Voigt,  Die  Lehre  des  Atlianasius 
von  Alesandrien,  Brème,  1861,  part.  I,  c.  I,  p.  17  sq.  ;  A.  Robert- 
son,  Select  Writings  and  I.eltera  of  Alhanasius,  Prvlegome- 
na,  c.  iv,  S  3,  p.  lxxii,  dans  A  Select  l.ibrary  of  Niccne  and 
Post-nicene  Fathers  of  the  Christian  Church,  2'  série,  t.  IV, 
Oxford,  1892;  K.  Iloss,  Studien  ïtbcr  die  Schriften  und  die 
Théologie  dis  Alhanasius  auf  Grund  einer  Echtheilsunter- 
suchung  von  Athanasius  Contra gentes und  De  incarnatione, 
Fribourg-en-Hrisgau,  1899,  part.  I,  §  12;  H.  E.  F.  Guerike,  De 
schula,  quœ  Alexandrin  Portât,  catechetica  commentatio 
histurica  et  theologica,  Halle,  1824-1825,  part.  II,  p.  333  (théodi- 
cée  de  Didyme);  J.  J.  van  Vollcnboven,  Spécimen  theologicutn 
de  Cyrilli  Hierosolymitani  catechesibus,  Amsterdam,  1837, 
part.  II,  c.  ii,  p.  104  sq.  ;  .1.  T.  Plitt,  De  Cyrilli  Hierosolymi- 
tani orationibus  qux  autant  catecheticis,  Heidelberg,  1855, 
part.  II,  S  8,  p.  51  sq.;  A.  Ilaase,  S.  Ephnemi  Syri  theologia 
quantum  ex  libris  poeticis  cognosci  potesl  explicatw,  Malle, 
1869;  C.  Ullmann,  Grcgorius  von  Nazianz,  lier  Theolog.  Ein 
Beitrag  zur  Kirchen-und  Dogmengeschichle  des  vierten  Jahr- 
hundertê,  2-  édit.,  Gotha,  1867,  pari.  II.  c.  i,  S  1.  p.  219  sq.  ; 
s.  p.  Heyns,  Disputatio  hislorico-theologica  de  Gregorio  Nys- 
seno,  Leyde,  1835,  part.  III,  sect.  i,  c.  i;  W.  Meyer.  Die  Got- 
teslehre des  Gregor  von  S'gssa.  Eine  philosophische  Stvdie 
nus  der  y.eit  der  Patristik,  Halle,  1894;  T.  Foerstcr,  Chrysos- 
tomus  m  seinem  Verhàltniss  zur  antiochenischen  Schule. 
I.,,:  /..  Iti  ag  zur  Dogmengeschichte,  l  ."1110,1869,  c.  m,  p.87sq.; 
A.  Dorner,  Augustinus.  Sein  theologisches  System  und 
religionsphilosophisehe  inschauung  dargestellt,  Berlin,  1873, 
p,  18  sq.;  w.  Timme,  Augustins  geistige  Enlwicklung  < 
trsten  Jahren  nach  seiner  Bekehrw  6  191,  Herlin, 
1908,  c.  XI,  p.  171  sq.  (dans  la  collection  :  Neue  Studien  zur 
Geschichtr  der  Tlu  ologie  und  der  Kirche,  publ.  par  N.  Hon- 
wctscb  et  R.  Secberg). 

:,  Quatru  me  période  :  In  basse  palrislique,  'lu  mi- 
lieu du  v*  siècle  jusqu'au  vin*.  —  Dans  l'ensemble, 
cette  période  est  loin  de  présenter  le  même  inlérél 
que  li"--  précédentes.  Sauf  de  très  rares  exception 
ne  sont  plus  des  maîtres  qu'on  entend,  mais  des  dis- 
ciples qui  répètent,  a  l'occasion,  l'enseignement  reçu, 

ittaques  cessant,  ou  à  peu  près,  sur  le  terrain  de 
la  théodicée,  la  littérature  polémique  n'esl  presque 
pin-  représentée.  Quelqu  crits  contre  le  i 

iii-ine  ou   l>-  manichéisme  s'échelonnent  au  cours  de 

[uatre  siècles,  comme  les  huit  livres  De  guberna 
tione  Dei,  de  Salvien,  /'.  /..,  I.  i  ni,  col.  25  sq.;  le 
petit  traité  Contra  paganos,  de  uni  Maxime  de  Tu- 
rin, /'./...  i  i,vii,  col.  7KI -T'.H  :  la  Disputatio  <ir  opificio 
mundi,  de  7.  ><  lin  ie,  év<  qui  de  Mitylèni  /  '.  . 
L  lxxxv, col.  101 1  sq  .  le  Diali  gui  •  nuira  m 

tint  Jean  Damascènc,  /'.  G  .  i.  xciv,  col.  1506  iq, 
n.   t . .lit  guère  que  répéter 
su  développer  les  argument    'b     Péri    antipolyth 


et  antidualistes.  Si,  d'une  façon  plus  générale,  nous 
considérons  la  proposilion  et  l'explication  de  la  théodi- 
cée, l'Orient  et  l'Occident  marchent  désormais  trop  à 
l'écart,  pour  qu'il  soit  possible  d'assigner  aux  Pères 
qui  les  représenlent  des  caractéristiques  communes. 

1.  La  basse  palrislique  en  Orient.  —  Trois  noms  ré- 
sument cette  période  :  l'un,  au  début,  vers  la  fin  du 
Ve  siècle  ou  le  début  du  VIe,  le  pseudo-Denys  l'Aréopa- 
gi te  ;  l'autre,  au  milieu,  saint  Maxime  le  Confesseur 
(f662);  l'autre,  à  la  fin,  saint  Jean  Damascéne  (f  vers 
750).  Dans  la  question  présente,  les  deux  premiers  ne 
font  qu'un  moralement;  car,  dans  ses  Scltolia  sur  les 
œuvres  de  l'Aréopagite,  saint  Maxime  n'est  que  disciple 
et  commentateur.  Il  n'en  va  pas  de  môme  du  docteur  de 
Damas;  il  se  distingue  nettement  des  deux  autres  et 
doit  être  traité  à  part. 

a)  Le  pseudo-Denys  VAréopagile.  —  L'énigmatique 
personnage  dont  les  écrits  nous  sont  parvenus  sous  le 
nom  de  Denys  l'Aréopagite,  présente  une  double  par- 
ticularité dont  il  faut  tenir  compte.  Pour  la  première 
fois  nous  nous  trouvons  en  face  d'une  synthèse  qui 
porte  directement  sur  la  connaissance  et  la  nature  de 
Dieu,  dans  les  traités  De  divinis  nominibus  et  De 
mystica  Uwologia,  1'.  G.,  t.  ni,  col.  985,  997.  L'autre 
particularité  tient  au  caractère  philosophique  des  écrits 
dionysiens.  L'auteurest  néoplatonicien, et  spécialement 
dépendant  de  Proclus  (411-485).  Sur  ce  point,  mis  en 
lumière  par  les  récents  travaux  de  J.  Stiglmayr,  S.  .1.. 
et  de  H.  Koch,  voir  Denys  l'Aréopagite,  col.  432  sq. 

A  la  seconde  particularité  se  rattachent  diverses 
accusations  portées  contre  la  théodicée  de  Denys; 
accusations  graves,  surtout  sous  la  forme  où  elles  sont 
présentées  par  un  certain  nombre  d'écrivains  protes- 
tants qui  voient  en  lui  moins  un  théologien  chrétien 
qu'un  philosophe  païen.  La  plus  commune  est  celle  de 
scepticisme  ou  d'agnosticisme  mystique.  On  s'en  rendra 
comple  par  les  phrases  suivantes  :  «  Tout  effort  pour 
connaitie  Dieu  lui  semble  sans  valeur...  Toute  pensée 
humaine  n'est  en  vérité  qu'une  erreur,  si  on  la  compare 
avec  la  substance  de  l'aperception  divine  (De  div.  nom., 
vu,  1|...  Dans  la  création  du  monde,  Dieu  ne  s'est  pas 
révélé,  mais  voilé,  puisqu'il  a  jeté  toutes  ses  créatures 
autour  de  lui,  comme  un  voile  qui  nous  le  cache 
(Epist.,  IX,  2)...  Ainsi  voilà  le  faux  Denys  qui  contredit 
ouvertement  toute  doctrine  prétendant  nous  conduire 
a  la  connaissance  île  Dieu,  soit  par  l'investigation  im- 
médiate de  sa  nature,  soii  par  la  contemplation  de  ses 
œuvres  el  de  son   efficace  dans  le  monde.  La  nature 

sceptique  de    la   pensée   de  Denys  est  hors   de  doute.    •> 

II.  I  î  i  t  ter.  Histoire  de  In  philosophie  chrétienne,  trad, 
.1.  Trullard,  t.  Il,  p.  175.  Sans  aller  aussi  loin,  Scbuane 
voit  dans  l'Aréopagite  un  traditionaliste  :  «  Il  soutient 
l'impossibilité  pour  notre  raison  non  seulement  de 
comprendre,  mais  même  de  connaître  Dieu.  Comme 
les  traditionalistes,  il  rail  dériver  de  la  révélation  toutes 
nos  connaissances  sur  Dieu.  •  Histoire  des  do\i 
trad.  A.  Degert,  t.  n,  p.  19,  noie  i.  L'assertion  est 
fondée  sur  le  début  du  traité  des  Noms  divine,  i,  1, 
où  il  esl  affirmé  qu'il  ne  faul  rien  dire,  ni  même  rien 
penser  de  Dieu,  que  ce  qui  nous  en  a  été  manifesté 
«i  i  n  haut  par  les  saints  ora<  l< 
Une  autre  accusation,  non  moins  grave,  concerne  la 

relation  de  Dieu  au  mie.  Comme  les  néoplatoni 

alexandrins,  Plotin  el  Proi  lus  en  particulier,  Denys 
aurait  eu  sur  la  production  des  êtres  une  conception 
panthéiste  ou  émanatiste  :  dans  un  sens  gnostique,  dit 
Baumgarlen-Crusius,  Dr  Dionysio  A reopagita,  léna, 
1823;  dans  un  ,n-  purement  spirituel,  dil  J,  8.V.  En- 
gelhardt,  Die  ungeblichen  Schriften  dei  Areopagilen 
Dionysius,  Salzbach,  1823,  t.  n.  p.  336;  dans  l. 
d'un  panthéisme  dynamique,  dil  o.  Siebert,  Die  Meta* 
plnjsik  unil    Kl  lut,  p     99     I  ■  1 1 

moins  n'a  i  il  pas  eu  la  notion  chrétienne  d  un. 


1119 


DIEU    (SA    NATURE   D'APRÈS    LES   PÈRES) 


1120 


lion  libre,  dit  .1.  Niemeyer,  Dionysii  Areopagitas  do- 
ctrinal philosoptiicse  et  theologicœ,  p.  31  sq.  Parmi  les 
catholiques,  11.  Weertz,  Die  Golleslehre  des  Pseudo- 
Dionysius,  p.  28,  a  récemment  concédé  ce  dernier 
point,  niais  en  rejetant  l'accusation  de  panthéisme.  Ces 
circonstances  indiquent  suffisamment  sur  quels  points 
il  sera  nécessaire  d'insister  dans  notre  résumé  de  la 
théodicée  dionysienne. 

a.  Comment  nous  connaissons  Dieu.  —  Que  Denys 
ait  affirmé  la  transcendance,  l'ineffabilité,  l'incompré- 
liensibililé  divines,  et  cela  dans  des  termes  qui  ne  le 
cèdent  en  rien  aux  plus  fortes  expressions  que  nous 
ayons  rencontrées,  mais  qui  les  dépassent  plutôt,  c'est 
chose  incontestable.  Constamment  il  revient  sur  cette 
doctrine,  sous  une  forme  ou  sous  une  autre,  soit  en 
l'énonçant  expressément,  soit  en  avertissant  le  lecteur 
de  ne  pas  voir  dans  les  noms  les  plus  relevés  qu'on 
donne  à  Dieu,  l'expression  de  sa  nature  intime.  Quelle 
que  soit  l'excellence  du  titre  de  Bon,  si  hautement  re- 
levée d'abord,  ce  n'est  pas,  lit-on  ensuite,  que  ce  titre 
soit  strictement  un  nom  propre,  oûx  oîxeîov  xvpîcoç 
0£(T),  c'est  seulement  le  plus  vénérable  de  tous;  en 
réalité,  il  n'est  rien  parmi  les  choses  créées  qui  puisse 
dévoiler  l'essence  suréminente,  et  Dieu  ne  se  nomme 
ni  ne  s'explique;  sa  majesté  est  absolument  inaccessible. 
De  divinis  nominibus,  iv,  1;  xm,  3,  col.  693.  989. 

Y  aura-t-il  place  encore  pour  quelque  connaissance 
de  Dieu  ici-bas,  surtout  pour  une  connaissance  natu- 
relle? Il  n'est  pas  juste  de  demander  la  réponse  aux 
seuls  passages  où  Denys  parle  de  l'incompréhensibilité 
divine  ou  de  l'ignorance  mystique;  il  faut  d'abord  tenir 
compte  de  sa  doctrine,  quand  il  expose  ex  professo 
comment  nous  pouvons  nous  élever  à  Dieu.  De  div. 
nom.,  vu,  3,  col.  869  sq.  Le  passage  débute  ainsi  :  «  Il 
faut  rechercher  maintenant  comment  nous  connaissons 
Dieu,  que  ni  l'entendement  ni  les  sens  n'atteignent  et 
qui  n'est  rien  de  ce  qui  existe.  »  Aussitôt  Denys  met  en 
présence  les  deux  idées  qui,  chez  lui,  comme  chez  tant 
d'autres  Pères,  font  contraste  et  posent  le  problème  de 
l'inconnu  et  du  connu  divin  :  d'un  côté,  la  transcen- 
dance de  cette  nature  qui  dépasse  toute  raison  et  toute 
intelligence;  de  l'autre, la  voie  naturelle  que  nous  oll're 
la  magnifique  ordonnance  de  l'univers,  où  reluisent 
certaines  images  et  ressemblances  des  idées  divines, 
pour  nous  élever,  dans  la  mesure  de  nos  forces, jusqu'à 
l'être  souverain,  en  niant  tout  de  lui,  en  le  plaçant  au- 
dessus  de  tout,  en  le  considérant  comme  la  cause  de 
tout,  iv  xyj  itivxtov  àcpaipéiTEt  xa\  ÛTtEpo/r,,  xoù  Èv  tyj  7tâv- 
tuv  aî-ia.  C'est  le  fondement  même  de  ce  qu'on  appelle 
la  triple  voie  de  connaissance  :  voie  de  négation,  voie 
d'éminence  ou  de  transcendance,  voie  de  causalité  ou 
d'affirmation. 

Après  quelques  lignes  d'explication,  Denys  ajoute  : 
Ka'i  Itt'.v  au6tç  r)  ÔeiotJit/;  toO  0eo-j  yvàia;;,  r,  S:'  ayvto- 
aîa?  yivcoa/.ojj.Év^,  xarà  tïjv  û/tèp  vovv  Ivtotriv.  «  Et  il  y  a 
encore  la  connaissance  de  toutes  la  plus  divine,  celle 
qu'on  a  de  Dieu  par  voie  d'ignorance,  grâce  à  une 
union  qui  surpasse  tout  entendement.  »  C'est  la  con- 
naissance d'ordre  surnaturel  et  mystique  dont  il  sera 
question  plus  loin.  Mais  dès  maintenant,  cette  conclu- 
sion s'impose  :  Denys  connaît  et  admet  une  connais- 
sance naturelle  de  Dieu,  qui  part  de  la  contemplation 
du  monde  et  qui  se  développe  par  le  triple  procédé  de 
causalité  ou  d'affirmation,  dénégation  et  d'éminence. 
11  parle  ensuite  d'une  connaissance  d'ordre  surnaturel 
et  mystique,  qu'il  proclame  supérieure,  mais  sans  in- 
firmer aucunement  la  valeur  du  premier  mode  de 
connaissance.  Et  pour  qu'on  ne  s'y  trompe  pas,  il 
revient,  avant  de  passer  à  un  autre  sujet,  sur  sa  pre- 
mière affirmation  :  Kaitot  xai  èx  ■kxvtmv,  Stop  fe'fï)v, 
ajtriv  yvuatÉûv...  «  Toutefois  on  peut,  comme  je  l'ai  dit, 
connaître  par  l'univers  la  sagesse  divine;  car  c'est 
elle  qui,  selon   l'Écriture,  a  créé    toutes  choses,  qui 


a  établi  et  qui  maintient  l'ordre  universel,  etc.  » 
Denys  fait  ici  allusion  à  plusieurs  passages  des  livres 
sapientiaux,  comme  Prov.,  vin,  ,'iO;  Sap.,  VIII,  1;  ix, 
1,  2,  9.  Il  fait,  en  outre,  allusion  au  texte  classique, 
Sap.,  xm,  5  (d'après  la  version  des  Septante;,  quand, 
à  propos  de  la  voie  d'affirmation,  il  dit  que  nous 
pouvons  tout  appliquer  proportionnellement  à  Dieu, 
auteur  de  toutes  choses  :  xaT»  ir,v  jrivTatv  àvaXoyiav 
tSv  Écrnv  xiT'.iv:.  Ailleurs,  iv,  4,  col.  700,  il  invoque 
expressément  Rom.,  i,  20,  et  il  s'y  réfère  également, 
J-^/iist.,  ix,  2,  col.  1108,  c'est-à-dire  à  l'endroit  même 
où  Ritter  a  prétendu  trouver  l'idée  d'une  création  du 
monde  où  Dieu  ne  se  serait  pas  révélé,  mais  voilé  :  Ka'i 
a-jTv-,  SE  toû  patvouivou  TravTÔ;  r,  y.o<Tu.oupyiaT<ôvaop(iTii>v 
to-j  0eoû  jrpo6éëXï)Ta'.,  xa9âlt£p  pijffi  \\%:.i<jz  -.i  -/.ai  ô 
à/.r,6r,ç  Xôyoç.  Quin  et  ipsius  quoque  mundi  aspecta- 
bilis  fabrica  invisibilibus  Dei  obducla  est,  sicul  l'aulus 
et  vera  ratio  testalur.  Le  seul  fait  que  Denys  invoque 
un  passage  où  saint  Paul  affirme  la  manifestation  du 
Dieu  invisible  par  le  monde  visible,  aurait  dû  préve- 
nir toute  inéprise.  Le  mot  grec  npoêéo\r,-(xt  a,  du  reste, 
pour  régime  t&v  àopàxtov  roû  8eoû;  le  sens  est  donc 
que  le  monde  a  été  mis  ou  jeté  devant  Dieu  considéré 
comme  invisible  en  lui-même.  Et  pourquoi  ?  Pour  le 
cacher?  Mais  à  quoi  bon,  et  comment  cacher  ce  qui  est 
invisible?  C'est,  au  contraire,  en  vue  d'une  certaine 
transparence  :  Jnvisibilia  enim  ipsius,  a  creatura 
mundi,  per  ea  quœ  facta  sunt,  intelîecta,  conspiciun- 
tur. 

Denys  ne  nous  a-t-il  pas  montré  déjà  le  monde  comme 
reflétant,  sous  forme  d'images  et  de  ressemblances,  les 
idées  divines  ?  Et  ne  nous  parle-t-il  pas  de  Dieu  comme 
de  celui  qui  est  présent  à  tout,  et  que  tout  révèle  : 
■/.ai  tÔv  itâcri  Tcipovta  xoù  Èx  rtivTMV  EvipiaxéliEvov ?  vu, 
1,  col.  865.  La  comparaison  du  voile  est  d'ailleurs  juste, 
mais  à  condition  qu'on  sache  l'interpréter.  Il  ne  s'agit 
pas  ici  d'un  voile  formant  écran  et  destiné  à  cacher, 
mais  du  simple  voile,  qui  laisse  transpirer  quelque 
chose  d'un  objet,  tout  en  nous  le  présentant  comme 
enveloppé  d'un  certain  mystère,  suivant  la  pensée  de 
saint  Maxime  :  Quin  et  ipsa  mundi  creatura  symbolo- 
rum  vicem  obtinens,  invisibilibus  Dei  obducta  est. 
P.  G.,  t.  iv,  col.  567.  Ajoutons  enfin  que  la  phrase 
isolée  sur  laquelle  s'est  appuyé  Schwane,  pour  voir  en 
Denys  un  traditionaliste,  ne  saurait  prévaloir  contre 
l'enseignement  si  explicite  de  ce  Père  sur  la  cognosci- 
bilité  rationnelle  de  Dieu.  La  phrase  a  d'ailleurs  dans 
le  contexte  une  explication  suffisante;  Dieu  n'y  est  pas 
considéré  sous  un  aspect  quelconque,  mais  bien  dans 
sa  «  sur-essentielle  et  mystérieuse  divinité,  icepi  rïjç 
ùuEpovj(7iou  xai  ypy?:a;  Ôeotv.to;.  »  Saint  Maxime,  dans 
sa  note  sur  ces  mots,  t.  iv,  col.  185,  n'a  pas  compris 
Denys  autrement. 

b.  Théologie  philosophique  elmystique,  démonstra- 
tive et  symbolique.  —  Cette  distinction  est  essentielle 
dans  la  doctrine  dionysienne;  il  importe  de  la  préciser. 
El  d'abord,  la  théologie  mystique  et  la  théologie  symbo- 
lique s'identifient-elles,  et  à  quoi  s'opposent-elles?  Quel- 
ques textes  seulement  permettent  dedonner  une  réponse 
ferme.  La  méthodesymbolique  est  manifestement  décrite 
en  fonction  de  la  théologie  mystique  dans  le  De  cselesti 
hierarchia,  il,  n.  3  sq.,  col.  141  sq.  (noter  le  début 
du  n.  5  :  Tavxa  tov;  y/jarixol;  ÛEo'/oyov;).  Dans  Epist., 
ix,  n.  1,  col.  1105,  la  chose  est  formulée  en  termes 
précis.  Denys  fait  observer  que  les  théologiens,  c'est- 
à-dire  les  écrivains  sacrés,  ont  une  double  doctrine  : 
ttjv  |xÈv  à7toppï)Tov  xai  p.yartxi)v,  tt,v  ôi  Êuçavr,  y.ii 
yv(o?i(jLGùTs'pav  xat  Tr,v  aàv  <j'jaëo).ix7iv  xat  teXeotixtiv, 
Trjv  Se  çiàocjoçov  xxi  àiEo6EtXTixr,v.  Ainsi,  d'un  côté, 
doctrine  secrète  et  mystique,  symbolique  et  relative 
aux  mystères;  de  l'autre,  doctrine  manifeste  et  plus 
facile  à  connaître,  philosophique  et  démonstrative.  La 
théologie  mystique  est  en  même  temps  symbolique,  et 


1121 


DIEU    (SA   NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES) 


1122 


elle  s'oppose  à  la  théologie  philosophique  ou  démons- 
trative. Et  c'est  hien  dans  ce  sens  que  saint  Maxime  a 
entendu  la  distinction,  t.  iv,  col.  5G4.  Cf.  Jean  Cyparis- 
siotes,  op.  cit.,  préface,  P.  G.,  t.  clii,  col.  744;  Petau, 
op.  cit.,  1.  I,  c.  v,  n.  4. 

Que  sont  plus  exactement  ces  deux  théologies,  et  que 
comprennent-elles?  Leur  définition  se  déduit  facile- 
ment des  noms  que  Denys  leur  donne  et  de  l'opposition 
qu'il  met,  en  théorie  et  en  pratique,  entre  leurs  pro- 
cédés. Elle  a,  du  reste,  été  formulée  par  saint  Maxime, 
loc.  cit.  La  théologie  démonstrative  est  celle  qui  con- 
siste dans  la  considération  des  créatures  ou  de  certaines 
œuvres  de  la  providence1,  et  dans  l'exposition  spécula- 
tive de  ce  qui  est  dit  de  Dieu  dans  les  saintes  Écritures  : 
~r;i  5:i  Tr,;  y.aTavoT|i7eto;  xcov  •/.TfTjxàtwv,  xai  rtvtôv  Oeicov 
o!xovo(xi(ôv,  -/.où  rr|ç  6ea)p7)Tiy.ïj;  e^y^tem;  tûv  irep\ 
0eoO  ).îyo[/iviov  èv  -rav;  Fpacpaî;  auvi(TTafiévY)v.  Elle 
comprend  donc  toute  connaissance  de  Dieu  qui  s'appuie 
directement  sur  notre  raisonnement,  sur  les  opérations 
de  notre  intelligence  spéculative. 

La  théologie  mystique  est  celle  qui  procède  par  sym. 
boles  :  -rt-/  S;à  a\jy.66\u>\  TsXou[iivT]v  ;  comme  sont, 
ajoute  saint  Maxime,  les  mystères  du  culte  mosaïque 
et  du  nôtre.  Il  y  a  là  toute  une  conception  des  sym- 
boles où  des  éléments  complexes  interviennent.  Denys 
suppose  une  tradition  sacerdotale  qui,  à  l'instar  des 
divins  oracles,  cache  ce  qui  est  intelligible  sous  ce  qui  est 
matériel,  ce  qui  surpasse  tous  les  êtres  sous  le  voile  de 
ces  êtres  mêmes;  il  suppose  en  même  temps  l'aptitude 
spéciale  dont  jouit  la  représentation  symbolique  ou 
allégorique  pour  nous  faire  atteindre  ici-bas,  jusqu'à 
un  certain  point,  les  réalités  spirituelles  dans  leur 
simplicité  et  leur  unité.  De  divin,  nom.,  i,  4,  col.  592; 
De  cselesti  hieearchia,  i,  3,  col.  121.  Allusion  est  faite 
souvent  à  une  influence  particulière  d'illumination 
divine,  comme  privilège  des  âmes  pieuses  et  pures, 
De  <Hv.  nom.,  i,  2;  n,  9,  col.  588,  673;  souvent  aussi 
à  la  manière  dont  l'esprit  procède  dans  la  théologie 
symbolique,  non  par  l'exercice  de  l'intelligence 
spéculative  ou  par  actes  discursifs,  mais  d'une  façon 
plus  simple  et  plus  relevée,  dont  le  terme  est  une 
union  <iui  dépasse  l'activité  intellectuelle,  £mèp  voepàv 
évépys'.av  IvwOévteç.  Ibid.,  il,  7,  col.  66!).  Par  là 
Den\s  ne  prétend  |>a^  exclure  toute  connaissance;  on 
peut  s'en  rendre  compte  par  un  autre  passage,  vu,  2, 
col.  868  sq.,  où  parlant  de  Dieu,  il  dit  également  qu'il 
n'a  pas  d'opérations  intellectuelles,  oùx  £/.''»''  voepàç 
ei'aç;  non  qu'il  ignore  quoi  que  ce  soit,  mais  parce 
qu'il  atteint  tout  par  une  connaissance  d'ordre  supé- 
rieur, rij  JlivtCOV  ïlr^.fiirr,  yjtoatl. 

Dans  cette  méthode,  il  faut  distinguer  la  voie  et  le 
terme.  La  voie,  c'est  précisément  l'étude  des  symboles, 
relatifs  à  Dieu  et  aux  choses  divines,  qui  sont  conte- 
nus dans  les  sainles  lettres  ou  transmis  par  la  tradi- 
tion. Symboles  qui  sont  empruntés  non  seulement  aux 
créatures    spirituelles,   mais  iux    matérielles, 

même  les  plus  infimes,  De  csel.  hierarch.,  Il,  2, 
col.    137.    Denys  parle    d'une    77.  ymbolique 

qu'il  aurait  composi  laquelle  il  aurait  exposé 

If-  noms  divins  empruntés  aux  choses  sensibles,  rt  les 
diverses  représentât!  n  ou  expressions  symboliques 
•le  la  divinité  ou  se  rapportant  a  la  divinité  :  ligures, 
membres  et  instruments;  lieux  et  ornements;  affec- 
tions de  toute  sorte,  comme  tri 

sommeil  el  réveil,  i  U  De  Iheolog.  myst.,  m,  col.  1033. 
On  peut  juger  de  la  méthode  par  les  échantillons  qui 

trouvent  dans  I v  rages  qui'  nous  possédons,  par 

nemple,  De  cselesti  hierarch.,  n.  .">,    /'<■  di 

IX,  5;    Epi$l.,    ix,   presque    en   entier,    col.    144,  913, 

1104  sq. 

Le  terme  où  t<  tel  imme  il  ■  déjà 

dit,   l'union   avec    I  ineffable    lumii  t  ■ 
ustv,  au-dessus  el  en  dehors  d(    l'activiU  Intellec- 

DICT.   DE  TBÉOL.    CATIIOL. 


tuelle.  Cf.  De  div.  nomin.,  iv,  11,  surtout  De  myst. 
theol.,  I,  1  sq.,  col.  708,  997  sq.  Nous  nous  retrouvons 
en  face  de  ce  que  Denys  appelait  plus  haut  «  la  con- 
naissance de  toutes  la  plus  divine,  celle  qu'on  a  de 
Dieu  par  voie  d'ignorance,...  quand  l'âme,  quittant 
toutes  choses  et  s'oublianl  elle-même,  reçoit  les  rayons 
célestes  et,  dans  l'insondable  abîme  de  la  sagesse,  est 
inondée  de  lumière,  Y.oi-ù.xij.n6}].vjo;.  »  De  div.  nomin., 
vu,  3,  col.  872.  Ce  dernier  mot  peut  nous  faire  soup- 
çonner qu'en  théologie  mystique,  le  terme  d'ignorance 
est  susceptible  d'un  sens  métaphorique.  C'est  ce  que 
Denys  explique,  Epis/.,  i,  col.  1065;  parlant  précisé- 
ment de  cette  ignorance,  il  avertit  son  correspondant 
d'y  attacher  l'idée,  non  de  privation,  mais  d'étninence  : 
TOtOra  C/TTEpo/tzàK,  à).),à  \j.'r\  y.arà  <jT£py(<7iv  âxXaêcâv.  Aoir 
les  notes  de  Corder,  ibid.,  et  de  saint  Maxime,  t.  iv, 
col.  527. 

L'Aréopagite  est  d'ailleurs  assez  sobre  d'explications 
sur  l'état,  manifestement  extatique,  qu'il  place  au 
terme  de  la  voie  mystique.  On  saisit  seulement  au 
passage,  en  dehors  des  notions  déjà  rapportées,  quel- 
ques ternies  expressifs;  .par  exemple,  contemplation 
de  Dieu  dans  la  mesure  du  possible,  upbç  tr|v  è<ptxt7|v 
jcj-o-J  Oswptav,  De  div.  nomin.,  i,  2,  col.  616;  con- 
naissance expérimentale  des  choses  divines,  iraOùv  xà 
8eîa,  n,9,  col.  648;  union  de  l'âme  à  l'Inconnaissable 
par  la  plus  noble  partie  d'elle-même,  xarà  rb  xpEΗov 
évo-j[j.svo;.  De  myst.  theol.,  i,  3,  col.  1001.  Faut-il  son- 
ger à"  une  perception  de  Dieu  immédiate,  intuitive'.'  On 
l'a  dit,  parfois  avec  exagération  manifeste,  comme 
.1.  Niemeyer,  op.  cit.,  p.  15,  note  3  :  Excedit  ctiani 
haie  divinarum  rerum  contemplatio  cam  ipsam  bea- 
lorum  ;  parfois  d'une  façon  plus  modérée,  comme 
II.  Koch  qui  rapproche,  sur  ce  point,  la  doctrine  de 
Denys  et  celle  de  saint  Grégoire  de  Nysse,  Das  mys- 
lisehe  Schauen  beim  hl.  Gregor  von  Nyssa,  dans 
Theologische  Quartalschrifl,  Tubingue,  1898,  t.  i.xxx, 
col.  397  sq.  L'assertion  parait  douteuse,  pour  l'un 
comme  pour  l'autre;  mais  l'étude  approfondie  de  ce 
problème  délicat  ne  rentre  pas  dans  le  cadre  du  pré- 
sent article. 

Il  faut  cependant  ajouter  quelques  mots  sur  la  rela- 
tion qui  existe,  d'après  Dems,  entre  les  deux  théolo- 
gies et  la  triple  voie  d'affirmation,  de  négation  et  d'émi- 
nenec.  L'usage  est  de  procéder  par  affirmation  dans  la 
théologie  démonstrative,  el  par  négation  dans  la  mys- 
tique.  De  dit',  nomin.,  i,  5,  col.  628;  Demyst.theolog., 
n,  col.  1025.  Mais  il  n'y  a  là  rien  d'absolu.  Le  triple 
procédé  peut  s'appliquer  aux  deux  théologies.  C'est 
même  en  parlant  de  la  connaissance  naturelle  qui  va 
du  monde  visible  à  Dieu,  que  l'auteur  des  Noms  divins 
a  donné  celte  formule,  déjà  rappelée  :  bv  rij  jwtvrtDv 
ifatpécret,  xal  ■JTrspoy/,,  xa'i  »v  xr)  reavTtov  aitiï.  Du 
reste,  quand  il  s'agit  de  la  divinité,  les  trois  voies  se 
compénètrent,  pr.îce  surtout  à  la  voie  d'éminence  qui 
participe  des  deux  autres  et  qui  les  relie.  Ainsi  Dieu 
est  la  cause  de  tout  ce  qui  est.  Ttccvrtdv  |ièv  rtnv  ffvTtov 
•xi'Tiov  (causalité  ou  Bi&rmation),  mais  il  n'est  rien  de 
ce  qui  est,  xlr',  8)  ovôiv  (négation),  tant  son  être  l'em- 
porte sur  tout  autre,  <■<:  itavruv  Ù7tepovo(b><  iEr,pT]|i4vov 
feiiiinencn.  i.  5,  col.  593.  C'est  d'après  les  mêmes 
principes,  ajoute  Denys,  que  les  théologiens  déclarenl 
Dieu  s;ms  nom,  iv«ovu|*OV,  et  pourtant  lui  appliquent 
tous  les  noms,  xal  âx  t.xt.'<>;  v/oyaTo.-.  L'affirmation  lui 
convient  pour  son  universelle  causalité,  et  la  négation 
pour  son  éminence  :  v>(.>;  oîv,  rf]  iràvTwv  «it(o,  xal 
■j-tp  navra  rôm...,  i.  6,  7.  col.  686";  cf.  n.  8.  col 

Par  ii ncilienl  tant  de  locutions  en  appan 

contradictoires,  dan  lies  que  noua  avons 

/    llariua  \  ictorin,  col.   I  104.  Rittt  i   al 

les  ai  i1"     qui  "t'1  epti- 

cisme  "ii  d'agnosticisme  auraient  du  con  Idérei  que, 

dam  le  pi l<   de  cel  auteur,  la  aé(  ation  1 1  t  afl 

IV. 


1123 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES) 


1124 


lion  n'ont  pas,  en  principe  (il  y  a,  on  le  verra  bientôt, 
des  exceptions;  de  valeur  absolue,  mais  seulement  une 
valeur  relative.  La  négation  et  l'affirmation  peuvent 
porter  sur  les  mêmes  choses,  sans  contradiction  réelle, 
parce  qu'elles  les  atteignent  sous  des  points  de  vue  dif- 
férents :  l'affirmation  au  sens  causal;  la  négation,  soit 
au  sens  formel,  soit  au  sens  implicite  d'érninence. 
Parlant  de  la  cause  première,  Denys  écrit,  De  myst. 
theolog.,  c.  i,  n.  2,  col.  1000  :  «  Il  faut  lui  attribuer  et 
affirmer  d'elle  tout  ce  qui  s'affirme  des  autres  êtres, 
puisqu'elle  en  est  la  cause,  ou,  plus  proprement  en- 
core, le  ni'ér,  puisqu'elle  est  infiniment  supérieure; 
et  il  ne  faut  pas  juger  que  la  négation  contredise  ici 
l'affirmation,  -/.ai  (j-y-,  oÏectOcu  Ta;  ànosâczii  àvTtxei(iéva( 
sïvae  rai;  y.aTaçâcrecriv,  mais  seulement  que  la  cause 
suprême  est  au-dessus  de  tout,  au-dessus  de  toute 
affirmation  comme  de  toute  négation.  »  Cf.  ibid.,  c.  V 
col.  1048:  oùôi  è<mv  crir?,;  y.a6ô).ou  Gs<n;,  o-jte  àçaipscr'.; . 

Denys,  on  le  voit,  donne  la  préférence  à  la  négation 
sur  l'affirmation;  il  dit  même  ailleurs  que,  par  rapport 
aux  choses  divines,  les  négations  sont  vraies  et  les 
affirmations  mal  séantes  ou  du  moins  disproportion- 
nées, àvapiuxr-roi.  De  csel.  hierarch.,  il,  3,  col.  141. 
Grand  sujet  de  scandale  pour  ses  adversaires  !  Pour- 
tant il  leur  auraitété  facile  de  s'éclairer  et  de  se  rassu- 
rer en  interrogeant  Denys  lui-même.  Il  leur  aurait 
répondu  :  «  C'est  l'usage  en  théologie  de  parler  de 
Dieu  par  opposition,  àvTiTtSTtovôo-rto;.  en  se  servant  de 
termes  privatifs.  Ainsi  les  Écritures  appellent  invisible 
son  éblouissante  lumière,  ineffable  et  sans  nom  celui 
qui  est  digne  de  toute  louange  et  de  tout  nom,  insai- 
sissable et  échappant  à  toute  recherche  celui  qui  est 
présent  à  tout  et  que  tout  révèle.  »  De  div.  nomin., 
vu,  1,  col.  865.  La  négation  est  donc  plus  apparente  que 
réelle;  elle  équivaut  à  une  affirmation  d'érninence. 
Proclamer  Dieu  àvovatov,  a^toov,  avouv,  sans  substance, 
sans  vie,  sans  intelligence,  c'est  lui  attribuer  une  sura- 
bondance d'être,  de  vie,  de  sagesse,  o-Jo-ca;  •J7rep8o>.rn 
'jTTîpéyo'jira  Çtovi,  ÛTtspsy/juo-a  coçi'a.  Ibid.,  IV,  3,  col.697. 

Ainsi  entendu,  le  procédé  négatif  se  compare  au  tra- 
vail du  ciseau,  grâce  auquel  le  statuaire  tire  de  la  ma- 
tière brute  une  noble  image;  en  faisant  tomber  les 
parties  extérieures  qui  cachaient  le  dedans,  il  dégage 
la  beauté  latente.  De  myst.  theolog.,  il,  col.  1025.  Par 
cette  comparaison  l'Aréopagite  suppose  manifestement 
qu'en  face  des  symboles  relatifs  à  Dieu,  l'esprit  écarte 
les  formes  extérieures,  mais  conçoit  en  même  temps 
une  notion  de  la  divinité  qui  va  toujours  s'épurant  et 
s'anoblissant,  à  mesure  qu'on  s'élève  des  symboles  infé- 
rieurs aux  plus  élevés,  en  les  dépassant  tous.  Car  la 
marche  à  suivre  est  différente,  suivant  qu'on  étudie 
Dieu  par  la  voie  affirmative  ou  par  la  négative.  Dans  le 
premier  cas,  la  marche  est  descendante,  allant  des 
plus  sublimes  affirmations  aux  plus  humbles;  dans  le 
second,  elle  est  ascendante,  allant  des  négations  les 
plus  modérées  aux  plus  fortes,  ibid.;  pour  l'application, 
c.  m  (affirmations),  c.  IV  et  V  (négations).  C'est  quand 
il  est  au  sommet  de  l'échelle,  que  l'esprit  devant  aban- 
donner tout  symbole  et  l'activité  intellectuelle  qu'il 
exerçait  jusqu'alors,  arrive  à  l'ignorance  mystique  dont 
il  a  été  question. 

Théorie  que  chacun  est  libre  de  discuter,  sous  la 
réserve  toutefois  de  ne  pas  refuser  à  Dieu  le  pouvoir 
d'éclairer  et  de  s'unir  l'àme  en  dehors  des  voies  nor- 
males cle  la  connaissance  humaine.  On  peut  trouver 
que  le  symbolisme  et  l'allégorisme  y  tiennent  une  place 
non  seulement  arbitraire,  mais  excessive  en  beaucoup 
de  cas;  par  exemple,  quand  Denys  les  étend  à  des 
locutions  qui  n'ont  rien  de  mystérieux,  mais  qui  sont 
purement  métaphoriques,  comme  tant  d'expressions 
anthropomorphiques  des  saints  Livres  sur  le  sommeil 
ou  le  réveil  de  Dieu,  sur  ses  opérations  ou  ses  affec- 
tions. Considérée  dans  sa  substance,  la  méthode  est  de 


provenance  alexandrine,  mais  antérieure  àProcluset 
même  à  Plotin  <-[■  270);  Clément  d'Alexandrie  en  parle 
déjà,  sans  la  présenter  comme  une  nouveauté-.  Strotn., 
IV,  c.  iv  :  lies  divinas  per  involucra  tradere  tum  apud 
ethnicos  tum  sacros  script  or  et  usu  esse  receplum  ; 
c.  ix  :  Ilationes  afferuntur  cur  veritaleni  involucrit 
symbolicis  obtegere  visum  fueril;  c.  x  :  Apostolorum 
senlenlia  de  mytleriu  fidei  occultandis.  I'.  G.,  t.  îx, 
col.  38,  88,  94.  Voir  aussi  ce  qui  a  été  dit  de  la  voie 
négative  et  de  la  théologie  mystique,  à  propos  du  même 
Clément,  col.  1043  sq.,  ou  de  saint  Grégoire  de  Nvsse, 
col.  1093.' 

c.  Le  traité  Qepi  9e;<ov  ôvo|i.âfwv.  —  Nous  nous  re- 
trouvons ici,  pour  le  fond  des  choses,  dans  la  voie  com- 
mune, celle  des  affirmations.  Denys  ne  s'occupe  pas 
de  tous  les  noms  divins,  mais  seulement  de  ceux  qu'il 
appelle  votjtix,  intellectuels,  par  opposition  aux  3.'.-,'vr-.i, 
sensibles,  qu'il  fait  rentrer  dans  la  théologie  symbolique, 
ou  encore  à  ceux  dont  la  seule  révélation  peut  nous 
instruire;  car,  dans  la  Théologie  mystique,  c.  ni, 
col.  1032  sq.,  il  dit  avoir  parlé  en  son  livre  des  Insti- 
tutions théologiques,  des  principales  affirmations  qui 
conviennent  à  la  divinité.  Il  y  aurait  exposé  «comment 
le  Dieu  bon  a  une  nature  unique  et  une  triple  person- 
nalité ;  ce  qu'est  en  lui  la  paternité  et  la  filiation,  ce  que 
signifie  la  dénomination  de  divin  Esprit,  etc.  » 

Le  traité  Des  noms  divins  complète  la  doctrine  dio- 
nysienne  sur  la  connaissance  que  nous  avons  de  Dieu 
ici-bas;  car  c'est  «  pour  nous  le  faire  connaître  et  pour 
le  louer,  que  les  écrivains  sacrés  ont  formé  les  noms 
divins  d'après  les  diverses  communications  ou  émana- 
tions, TcpooôVj;,  de  la  bonté  divine,  »  I,  4,  col.  589.  II 
s'agit  des  communicalions  ou  émanations  ad  extra,  et 
par  le  fait  même  de  noms  qui  se  rattachent  à  la  nature 
divine  et  qui  sont  communs  aux  trois  personnes  de  la 
Trinité,  par  opposition  aux  noms  relatifs  qui  convien- 
nent à  chacune  d'elles  en  particulier.  Ibid.,  il,  1,  3,  5, 
col.  (337  sq.  En  outre,  ces  noms  essentiels  et  communs, 
Denys  ne  les  considère  pas,  si  je  puis  ainsi  parler,  par 
le  dedans,  c'est-à-dire  par  rapport  à  la  nature  divine 
considérée  en  elle-même,  mais  directement  par  le 
dehors,  c'est-à-dire  par  rapport  à  cette  même  nature 
considérée  dans  son  action  extérieure,  créatrice  et  pro- 
videntielle. Ibid.,  v,  2,  col.  816. 

C'est  sous  cet  aspect  restreint  que  Denys  propose  et 
explique  successivement  un  certain  nombre  de  noms 
qu'il  trouve  dans  la  sainte  Écriture,  cf.  I,  6,  col.  596; 
d'abord,  la  bonté  à  laquelle  il  ramène  les  idées  de 
lumière,  de  beauté  et  d'amour,  c.  iv;  puis,  l'être,  la  vie, 
la  sagesse,  la  puissance,  la  justice,  le  salut,  la  rédemp- 
tion, c.  v-vm.  Là  s'intercalent  quelques  dénominations 
symboliques  :  grandeur  et  petitesse,  identité  et  diver- 
sité, similitude  et  dissemblance,  repos  et  mouvement, 
égalité,  c.  ix.  Ensuite  les  noms  ou  titres  recommencent  : 
Dominateur  suprême  et  Ancien  des  jours  ;  paix;  Saint 
des  saints,  Roi  des  rois,  Seigneur  des  seigneurs;  Dieu 
des  dieux,  c.  x-xn.  Le  livre  se  termine  par  un  chapitre 
sur  la  perfection  et  l'unité  divine.  Chemin  faisant, 
Denys  sème  des  considérations  très  relevées,  dont  beau- 
coup sont  plutôt  philosophiques  que  théologiques. 

Dieu  apparaît  donc  directement,  dans  le  traité  des 
Noms  divins,  comme  la  source  et  la  cause  cle  toute 
bonté,  de  toute  lumière,  de  toute  beauté,  de  tout  être, 
de  toute  vie,  de  toute  sagesse,  de  toute  unité,  en  un 
mot  de  toute  perfection.  Tout  vient  de  lui  par  partici- 
pation, 7;ivTx  aOro-j  ;;;7iy;:.et  d'abord  par  participation 
de  l'existence  qui,  dans  les  créatures,  est  comme  le 
fondement  de  toutes  les  autres  participations,  xx\  wpi 

7<iiv    i'/.MOV    OtVToO     ll.l  70  yûri    70    ù-ixi    Tzçoôiokt^a.i,     V,    5, 

col.  820.  Cependant  dans  le  plan  des  communications 
extérieures,  Denys  met  expressément  au  premier  rang 
la  bonté  divine,  comme  embrassant  la  totalité  de  ces 
communications,  suivant  qu'elles  s'étendent  à  ce  qui  est 


1125 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS   LES    PÈRES] 


1126 


et  à  ce  qui  n'est  pas,  xaV  eîç  tx  ovx  ovret.  Cf.  S.  Thomas, 
Suni.  theal.,  Ia,  q.  v,  a.  2,  ad  lu">.  Les  autres  noms 
ne  les  expriment  qu'en  partie,  sous  le  rapport  particu- 
lier, qui  correspond  à  chacun,  d'existence,  de  vie,  d'in- 
telligence, v,  1,  col.  816.  La  bonté,  mue  par  l'amour, 
sort  en  quelque  sorte  d'elle-même,  mais  pour  revenir 
au  même  point,  en  ramenant  tout  à  elle  ;  c'est  comme 
une  perpétuelle  circulation  d'amour,  «Soitep  tiç  itfitoç 
y.jy.'/o:,  IV,  14,  col.  712  sq.  Métaphore  qui  rattache  à  la 
souveraine  bonté  la  raison  de  premier  principe  et  de 
fin  dernière  des  choses. 

Denys  ne  se  maintient  pas  toujours  sur  le  terrain 
exclusif  du  rapport  causal  ;  il  le  dépasse  souvent,  en- 
traîné par  la  logique  et  la  connexion  des  idées.  Ainsi 
Dieu  n'est  pas  seulement  cause  de  toute  unité;  il  est 
l'Un,  mais  d'une  unité  sur-essentielle,  absolument 
transcendante  :  <I>;  p.ovâoa  uiv  y.a;.  évdcfia,  ICx  ty,v  àiùo- 
ty-x  xal  évÔTr,Ta  rr,ç  ûitïpçuoû;  à|xspiaç,  I,  4,  col.  589; 
cf.  il,  11;  xn,  2,  3,  col.  649,  980.  Dieu  n'est  pas  seu- 
lement cause  de  toute  perfection  participée;  il  est 
encore  et  de  lui-même,  parfait,  a-JtOTeXéç,  parfait  sous 
tous  rapports  et  dans  loute  l'extension  du  terme,  y.a'i 
o'/ov  8t'  ÔXou  teXeiôtotov,  parfait  d'une  perfection  trans- 
cendante, ûwepTeXé;,  xiii,  1,  col.  977.  Dieu  n'est  pas 
seulement  cause  de  toule  vie  et  de  toute  sagesse;  il  est 
encore  la  vraie  et  éternelle  vie,  la  sagesse  même,  ct-j-ro- 
to;:z,  vu,  1,  col.  865.  Dieu  n'est  pas  seulement  cause 
de  tout  être  ;  mais  l'être  constitue  la  dénomination 
théologique  de  celui  qui  est  substantiellement,  tv-,v  roC 
ovtco;  ovto;  8eoXoyixT)v  oûffiwvyjtfav,  de  celui  qui  est 
purement  et  sans  limites,  àitAûç  xal  àuspioptc7Tu>;,  v,  1, 
4,  col.  816  sq.  Enfin,  Dieu  n'est  pas  seulement  cause 
de  toute  bonté;  il  est  encore,  et  il  est  surtout  bon,  la 
bonté  même,  r,  avroaya8ÔT7]c,  à  tel  point  que  cette  pro- 
priété nous  apparait  dans  la  sainte  Écriture,  Matth.,  xix, 
17,  comme  la  caractéristique  même  de  la  divinité,  il,  1, 
col.  636.  Et  c'est  parce  qu'il  est  la  bonté  par  essence, 
'.i;  O'joxcâ&tc  àyaôbv,  qu'il  lui  appartient  de  répandre  la 
bonté  sur  tous  les  êtres,  IV,  1,  col.  693.  Suit-il  de  là  que 
Dieu  crée  nécessairement  9  C'est  ce  que  nous  allons 
examiner  à  propos  du  rapport  de  Dieu  au  monde. 

Notons  seulement,  avant  de  passer  à  ce  sujet,  l'usage 
que  Denys  fait  constamment  de  la  méthode  d'éminence, 
en  se  servant,  pour  qualifier  Dieu  ou  ses  propriétés,  de 
trois  catégories  de  dénominations  ou  d'épithétes,  par- 
fois combinées,  et  commençant  les  unes  par  ûwép, 
comme -juipo-jctioi, sur-essentiel,  •j-£p->.ï1?r,;,  sur-plein  ; 
les  autres  par  a-jro,  connue  oc-JToaya6rf;,  essentiellement 
'/"",  i,  avTovn;paya6tfTr,;,  Y  essentielle  sur-bunlé;  les 
antres  par  &pyr\,  comme  àpy_T)ytxtoTEpo;,  sur-principal. 
Sur  ces  termes,  si  compliqués  parfois  qu'ils  en  devien- 
nent littéralement  intraduisibles,  voir  les  ive,  v  et 
vu  observations  générales  de  Corder,  P.  G.,  t.  m, 
col.  80  sq. 

il.  Rapport  de  Dieu  an  monde.  —  Ce  point  ne  rentre 
dans  I'-  présent  article  que  dans  la  mesure  où  la  doc- 
trine des  émanations  de  la  bonté  divine  et  celle  de  la 
participation  des  créatures  ■<  cette  même  bonté  ont  fait 

incriminer  la  tle  odicée   dionysienne,  con •   ne  sau- 

rdanl  pas  l'essentielle  distinction  de  Dieu  et  des 
créatures,  ou  du  moins  l'indépendance  et  la  liberté 
divine  dans  la  production  du  monde. 

Sur  le  premier  chef  d'accusation,  la  réponse  i  I 
facile.  Quoi  qu'il  en  soit  de  la  pensi  e  personnelle  de 
l'Iotin  et  de  l'roclus,  les  expressions  d'émanation  et 
de  participation  n  onl  pas  par  elli  s-mêmes  un  sens 
panthéiste;  on  les  retrouve  longtemps  après  chez  des 
théologiens   radicalemen  a  cette  erreur,  par 

exemple,  chez  le  docteur  angélique,  Sum.  theol.,   I 
q.  xi. \.    i    l      secundum  emanalionem    totiut   tntit 
univenalt     •  <  |  incipio.  Il   faut  donc  recher- 

cher le  ien     que  L)enj  -  attribuai!  -ions. 

l!a '   -oui  prompt* 


ment,  car  l'Aréopagite  distingue  fort  bien  la  communi- 
cation de  la  nature  simple  et  indivisible,  qui  a  lieu 
dans  la  Trinité,  et  la  participation  analogue,  qui  seule 
convient  aux  êtres  créés,  et  qu'il  compare  à  la  ressem- 
blance produite  par  l'empreinte  d'un  sceau.  De  div. 
nomin.,  n,  5,  col.  644.  Voir  Crkation,  t.  ni,  col.  2075. 
En  beaucoup  de  cas,  les  adversaires  de  Denys  oublient 
la  distinction  élémentaire,  mais  capitale  dans  l'inter- 
prétation de  cet  auteur,  entre  l'être  pris  au  sens  formel 
et  l'être  pris  au  sens  causal.  Ainsi  en  est-il,  par  exem- 
ple, De  cseh'sti  hierarch.,  iv,  1,  col.  177,  où  la  parti- 
cipation est  fortement  accentuée,  et  où  l'être  divjn 
semble  identifié  avec  celui  des  créatures  :  tô  yàp  se/at 
TiàvrcDv  ètt'iv  t)  -jTtkp  tô  sîvat  6eôtT)ç.  Il  suffit  de  lire  les 
deux  phrases  qui  précèdent  pour  se  convaincre  que 
Denys  parle  de  la  divinité  suressentielle  comme  ayant 
produit  toutes  choses  et  les  faisant  subsister,  f,  -j-spo-j- 
(Tto;  ôîap/ca  Ta;  tmv  ovtwv  o-Itix;  ■j~rl<ï-rl<7XG'x.  Enfin 
l'immanence,  en  tout  être,  de  Dieu  présent  ou  agissant 
ne  prouve  pas  plus  chez  Denys  la  conception  d'un  pan- 
théisme dynamique,  qu'elle  ne  prouve  semblable  con- 
ception chez  saint  Paul,  quand  il  dit  :  In  ipso  enim 
vivimus,  et  movemur,  et  sumus,  Act.,  xvn,  28;  ou  : 
Deus,  qui  operatur  omnia  in  omnibus,  I  Cor.,  xn,  6; 
ou  encore  :  Ut  sit  Deus  omnia  in  omnibus.  I  Cor.,  xv, 
28.  Sur  l'action  divine,  d'après  Denys  et  saint  Maxime, 
voir  Petau,  oj>.  cit.,  1.  Y,  c.  xi,  n.  2  sq. 

Reste  l'autre  question,  relative  à  la  liberté  ou  à  la 
nécessité  des  communications  divines  ad  extra.  Le 
problème  se  pose  surtout  à  propos  de  la  comparaison 
établie  par  l'auteur  des  Noms  divins,  iv,  1,  col.  693, 
entre  le  soleil  qui  éclaire  les  corps  non  par  raisonne- 
ment ni  par  choix,  mais  parce  qu'il  est,  et  la  bonté 
divine  qui  rayonne  proportionnellement  sur  tous  les 
êtres  :  Kai  yàp  <i><r~ïp  6  y.a6'  r,ij.àc  fjXco;,  o\j  Xoyi£6|isvoç 
r,  Tipoaipo-jaîvo;,  à)./.'  a-JT(">  t-o  s'vae  çco-iÇei  rrivTa... 
ovTtii  à:n  y.ai  ràyaÔbv...  tcïti  toï;  o\hjv/  âvaXdycac  iotr^i 
Ta;  t?,;  ôXtjç  àya86TT)TO«  àxTÎva;.  Est-ce  à  dire  que  le 
Bon  répand  la  bonté,  et  par  conséquent  crée,  comme 
le  soleil  luit,  nécessairement?  L'Aréopagite  a-t-il  suivi 
sur  ce  point  Platon  et  Origène?  Nous  avons  vu  plus 
haut  que  la  réponse  affirmative  a  été  donnée,  même  par 
des  écrivains  catholiques;  et  il  serait  difficile  de  nier 
que  la  présente  comparaison,  jointe  à  la  doctrine  géné- 
rale de  Denys  sur  la  bonté  divine,  ne  donne  à  cette 
opinion  un  fondement  sérieux. 

Ce  n'est  pourtant  pas  l'interprétation  des  principaux 
commentateurs  de  l'Aréopagite  :  saint  Maxime,  Pachy- 
mère,  Corder,  t.  ni,  col.  735,  748;  saint  Thomas. 
<>i>tisr.,  VII,  InlibrumB.  Dionysii  de  divinis  nomi- 
nibus,  c.  i,  lect.  i,  Parme,  1864,  t.  xv,  p.  29li;  Cortasse, 
Traité  îles  noms  divins,  p.  66,  note  2.  Denys  ne  repre- 
nant pas  dans  le  second  membre  ces  mots  dits  du  soleil 
dans  le  premier  :  o-j  Xoyc(é|ievoc  rt  Jtpoaipo'JfWvo;,  la 
comparaison  ne  semble  point  intervenir  pour  montrer 
si  Dieu  se  communique  librement  ou  nécessairement, 
mais  seulement  pour  expliquer  l'idée  qui  précède 
c'est  à  Dieu,  bonté  substantielle,  qu'il  appartient  de 
n  pandre  la  bonté  sur  les  êtres;  comme  il  appartient 
au  soleil  d'illuminer,  et  cela  par  sa  nature,  non  pas 
d'une  façon  accidentelle.  Un  peu  plus  loin,  n.  10, 
col.  708,  Denys  nous  montre  l'amour  inclinant  la  bonté 
à  se  communiquer  :  ixivi)a<  B)  otvtôv  s!:  tô  npaxTt- 
xtvtffOou.  La  création  ne  semble  donc  pas  dépi  ndi 
la  bonté  prise  simplement  en  elle-même,  mais  mue  en 

quelque  sorte  par  i  ai r.  Or,  rien  dans  la  texb   d< 

permet  d'affirmer  qu'il  un  amour  propn  - 

Mil    lit     l> 

doctrine  de  Denys  \ 
nent  qu'en    porte   Bardenhewer,  Les    Pèrei   de 
\$e,  trad.  Godet,  Parla,  1899,  i.  u,  p,  189 

\eiti   .m   christianisme,   il    oppose  au   néoplatonisme 

un   système  théologique  qui 


1127 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES' 


1128 


s'efforce  de  conserver  les  nombreux  éléments  de  vérité 

contenus  dans  les  théories  de  Plotin  [et  de  Proclus].  Il 
parle  la  langue  de  l'école  où  se  forma  sa  jeunesse.  »  On 
peut  ajouter  avec  II.  Koch,  l'seudo-Dionysiits Areopa- 
flita,  p.  255,  que  l'auteur  des  écrits  dionysiens  a  utilisé 
la  philosophie  néoplatonicienne  dans  une  mesure  où 
nul  écrivain  chrétien  ne  l'avait  fait  avant  lui  et  ne 
l'a  fait  après.  On  peut  appliquer  spécialement  à  sa 
Ihéodicée  ce  qui  a  été  dit  de  son  orthodoxie  en  géné- 
ral et  des  difficultés  que  présente  sa  terminologie,  dans 
l'article  qui  lui  a  été  consacré,  col.  433  sq.  Du  reste, 
l'étude  du  pseudo-Denys  ne  peut  pas  être  considérée 
comme  complète  et  définitive.  Si  ses  dépendances  ont 
été  bien  examinées  du  point  de  vue  littéraire  et  phi- 
losophique, il  n'en  est  pas  de  même  du  point  de  vue 
doctrinal  et  théologique.  En  face  des  ressemblances, 
nombreuses  et  incontestables,  que  ses  écrits  ont  avec 
ceux  des  néoplatoniciens  non  chrétiens,  il  serait  bon 
de  mettre  les  dissemblances,  nombreuses  aussi  et  non 
moins  incontestables. 

b)  Saint  Jean  Damascène  (f  vers  750).  —  Si  le  der- 
nier des  Pères  grecs  se  recommande  spécialement  à 
notre  attention,  ce  n'est  ni  par  l'éclat  du  génie  ni  par 
l'originalité  des  vues,  mais  par  un  double  caractère 
qui  le  relie  à  la  fois  au  passé  et  à  l'avenir.  Par  rap- 
port à  l'Age  scolastique  qui  suivra,  il  est  précurseur 
parla  combinaison,  dans  sa  tbéodicée,  d'éléments  néo- 
platoniciens et  aristotéliciens,  et  généralement  par 
l'usage  qu'il  fit  de  la  philosophie,  de  la  logique  en 
particulier,  comme  instrument  de  la  théologie.  Par 
rapport  aux  siècles  qui  précèdent,  il  est  écho,  mais 
écho  intelligent,  qui  ne  répète  pas  tout  ce  qu'il  a  en- 
tendu, mais  procède  avec  discernement. 

La  théodicée  de  saint  Jean  Damascène  est  tout  entière 
dans  le  Ier  livre  de  son  E.cposilio  fidei  ortliodoxœ, 
P.  G.,  t.  xciv,  col.  790-860.  Les  quatorze  chapitres  se 
rapportent  tous,  sauf  les  vie,  vir-  et  vme,  à  Dieu  consi- 
déré dans  l'unité  de  sa  nature.  L'exposition,  quoique 
didactique,  est  loin  d'être  parfaitement  méthodique; 
les  répétitions  et  les  digressions  sont  nombreuses. 
L'ineffabilité  et  l'incompréhensibilité  divines  sont 
comme  posées  en  principe  :  appïixov  xb  0sîov  -/.ai  à/.a- 
râXïiTCTov,  c.  i,  col.  789.  Il  s'agit  alors  de  Dieu  consi- 
déré dans  sa  nature,  telle  qu'elle  est  en  elle-même,  xi 
Sa  Iffti  ©soc  o'jCTÎa,  ou  dans  le  comment  de  ses  per- 
fections, de  son  ubiquité  par  exemple,  r,  7io>;  è(mv  èv 
ucdjiv,  ou  dans  le  comment  des  opérations  qui  relèvent 
de  sa  vie  intime,  comme  la  génération  du  Verbe,  r, 
xcài;  èauxbv  xsviocra;  6  SJ.ovoyEvr,ç  Yiôç,  c.  II,  col.  793. 
Dieu  incompréhensible  est,  au  même  titre,  ineffable  : 
xb  ©EÏov  àxaTâ).Y)lcrov  ov,  Txâvxa>;  y.où  avd>vu(i.ov  Eorat, 
c.  xii,  col.  845. 

Nous  ne  sommes  pourtant  pas  réduits  à  une  igno- 
rance absolue.  Tout  mortel  sait  naturellement,  çuaixûg, 
que  Dieu  existe,  et  le  monde  rend  témoignage  à  son 
auteur,  c.  i,  col.  789.  Plus  loin,  l'existence  de  Dieu  est 
démontrée  ex  professo  :  à-nôoeibi  6t<.  iort  0e<Sç,  c.  m, 
col.  794  sq.  Trois  preuves  sont  proposées.  La  première 
repose  sur  la  mutabilité  des  êtres  et  la  contingence 
qui  en  résulte  :  xpeuxà  tosvuv  o'vxa,  nâvxwç  y.a\  xx«rxâ. 
Il  faut  monter  à  un  premier  principe,  incréé, 
immuable  :  et  Se  axxiaxa...,  Tcâvxw;  xai  axp£7rxa.  La 
seconde  preuve  est  fondée  sur  la  conservation  et  le 
gouvernement  du  monde;  elle  conduit  à  Dieu  provi- 
dence :  /.ai  ie\  ixpovooû|j.£vo;.  Vient  ensuite  la  preuve 
téléologique,  tirée  de  l'ordre  universel;  elle  aboutit  à 
Dieu  suprême  artisan  :  6  xs-/v:xï);  xoûxmv,  xai  y.oyov 
e/Oeî;  7r5(7i. 

La  première  preuve  est  d'une  importance  particu- 
lière; car  à  la  notion  d'être  nécessaire  et  immuable  se 
rattachent,  dans  la  pensée  de  son  auteur,  plusieurs 
autres  propriétés  fondamentales,  comme  la  simplicité 
et  l'infinité,  qu'il  ne  se  préoccupe    amais  d'établir  sé- 


parément. La  spiritualité  est  une  conséquence;  c'est 
chose  manifeste,  SfjXov,  étant  données  les  proprié- 
tés d'infinité,  d'invisibilité,  de  simplicité,  d'immu- 
tabilité, d'immensité,  qui  conviennent  à  la  nature 
incréée,  c.  iv,  col.  797.  A  la  démonstration  de  l'exis- 
tence divine,  le  saint  docteur  joint  celle  de  l'unité  : 
àît68etÇ(;  Sxi  si;  ê<rri  Sebc  xal où  noV/.ol,  c.  v,  col.  800 sq. 
Il  l'appuie  sur  l'absolue  perfection  de  Dieu,  /.ara 
TTxvxa  xÉ'/E'.ov,  sur  son  immensité  et  sur  le  bon  gouver- 
nement de  l'univers.  Preuves  traditionnelles,  qui  se 
retrouvent  dans  le  Dialogue  contre  les  manichéens, 
t.  xciv,  col.  1505  sq. 

.Mais,  quand  il  s'agit  de  Dieu,  la  raison  humaine 
n'est  pas  l'unique  source  de  connaissance;  il  faut  y 
joindre  la  révélation  que  Dieu  a  faite  de  lui-rnêrne, 
dans  la  mesure  qui  nous  convenait,  -/.axa  xb  sfixTÔv 
ï|f«v,  d'abord  par  la  loi  et  les  prophètes,  puis  par  son 
Fils  unique,  notre  Dieu  et  Sauveur,  c.  I,  col.  789.  C'est 
appuyé  sur  ces  deux  sources  que  le  docteur  de  Damas 
détermine  ce  que  nous  connaissons  et  professons  tou- 
chant la  divinité,  c.  Il,  col.  792.  L'énumération  faite 
en  cet  endroit  comprend  d'abord  tous  les  attributs, 
négatifs  ou  positifs,  absolus  ou  relatifs,  qui  appartien- 
nent à  l'enseignement  traditionnel;  puis,  la  trinité  des 
personnes  consubstantielles  et  l'incarnation  du  Verbe 
avec  ses  conséquences  christologiques  et  sotériolo- 
giques.  Celte  énumération  est  reprise,  quoique  sous 
un  aspect  différent,  à  la  fin  du  livre,  c.  xiv,  col.  860. 

Un  chapitre  spécial,  le  xme,  est  consacré  aux  rap- 
ports de  Dieu  à  l'espace.  Pour  les  corps,  saint  Jean 
Damascène  adopte  la  notion  aristotélicienne  du  lieu  : 
TtE'paç  TOÛ  Tî-p'.É/ovxo:,  y.aO'  S  TTEpii/Exa:  TÔ  r.-.y.v/',\>i-i'i,. 
col.  849.  Il  ajoute,  pour  les  substances  incorporelles  et 
intellectuelles,  la  notion  du  lieu  spirituel,  entendu 
d'un  espace  déterminé  où  s'exerce  leur  action  et  se 
limite  leur  présence.  Pour  Dieu,  pur  esprit,  il  ne  peut 
être  question  du  lieu  corporel.  Il  n'est  pas  davantage 
restreint  à  un  lieu  spirituel.  Il  est  au-dessus  de  tout 
lieu,  intimement  présent  à  tous  les  êtres,  sans  mélange 
aucun,  à[uyû>ç,  et  contenant  tout  sans  être  contenu 
lui-même,  v.a';  ~àvxa  7TîpiÉ'/ov,  /.ai  \irtr,i<v.i  ■/.■x-x/vlz: 
7r£p[E-/_op.Evov,  col.  852,  853.  En  d'autres  termes,  il  est 
immanent  par  sa  présence,  et  transcendant  par  sa  na- 
ture. Lui-même  est  en  quelque  sorte  son  propre  lieu, 
et  quand  l'on  dit  qu'il  est  dans  le  lieu,  cela  doit  s'en- 
tendre, dans  un  sens  relatif,  de  l'endroit  où  son  action 
s'exerce  et  se  manifeste,  lbid.,  col.  852. 

La  seule  question  de  quelque  importance  qui  se 
pose  maintenant,  est  celle-ci  :  Jusqu'où  va  notre  con- 
naissance de  Dieu  ici-bas?  Sur  ce  point,  saint  Jean 
Damascène  reproduit  substantiellement  la  doctrine  de 
saint  Grégoire  de  Nazianze,  son  auteur  favori,  en  y 
joignant  quelques  considérations  de  provenance  dio- 
nysienne.  Ce  qui  se  rapporte  à  Dieu  n'est,  pour  notre 
langage,  ni  complètement  exprimable,  ni  complète- 
ment inexprimable;  pour  notre  connaissance,  ni 
complètement  accessible,  ni  complètement  inacces- 
sible, c.  n,  col.  792.  Notre  savoir  va  plus  loin  que 
notre  parler;  pour  beaucoup  de  choses  relatives  à  la 
divinité,  dont  nous  avons  une  connaissance  à  tout  le 
moins  obscure,  l'expression  propre  et  convenable  nous 
manque  et  le  langage  humain  s'impose.  Par  là  s'expli- 
quent toutes  ces  locutions  anthropomorphiques  qui 
apparaissent  dans  la  sainte  Écriture,  c.  xi,  col.  841  sq.  : 
7t£pi  xùjv  (Tiopiaxiy.iii;  È~i  0soO  /.syouÉv<ov. 

La  distinction  des  noms  affirmatifs  et  négatifs  est 
donnée,  c.  XII,  col.  8i5  sq.  Le  saint  docteur  rattache 
les  premiers  au  principe  de  causalité,  ô>;  alxiov  t<ôv 
Txivxtov  y.ax/'.yopsixa:.  Aussi  rapporte-t-il  au  début  du 
chapitre,  en  se  référant  expressément  à  Denys,  toute 
une  série  de  noms  empruntés  à  la  sainte  Ecriture  et 
convenant  à  Dieu  au  sens  causal;  comme  de  dire  qu'il 
est  le  principe  et  la  source  de  toutes  choses,  l'être  des 


1129 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES   PÈRES) 


1130 


êtres,  tûv  ovtwv  ol<r:'a,  la  vie  des  vivants,  la  raison 
des  créatures  raisonnables,  etc.  Les  appellations  néga- 
tives sont  rattachées  au  principe  de  la  transcendance 
divine  :  BriXoûvra  to  Û7t£po-j<rtov.  Klles  n'ont  donc  pas, 
pour  saint  Jean  Damascène,  un  sens  privatif,  mais  un 
sens  d'éminence,  comme  il  l'ajoute  expressément  :  o-jy 

OTl    TIVÔ;   ïjTTO-JV    STTl'v,    ï}     tVIO^   ÈGTî'pïjTat. . .     à)./.'    OTI    TTÏV- 

twv  ûitspoxtxtôç  twv  ô'vtiov  èÇ^pï)Tat.  Ce  qui  le  prouve 
encore  mieux  peut-être,  c'est  qu'en  ce  même  passage, 
il  énumère  comme  heureuse  combinaison  des  noms 
positifs  et  négatifs,  les  expressions  suivantes,  où  la 
négation  n'apparaît  que  sous  forme  d'éminence  :  -r\ 
&icepo£etoc  o-J<r:a,  l'essence  sur-essentielle;  y|  vurpôeo; 
Bedrrçç,  la  divinité  sur-divine;  -j-îpâpy.to;  àpy^,  le 
principe  sur-principe. 

De  même,  quand  notre  docteur  affirme,  c.  v,  col.  800, 
qu'en  parlant  de  Dieu,  on  se  sert  plus  proprement 
de  formules  négatives,  otxetrfTCpov  oï  u.3XXov  èv.  tîjî 
étnâvicov  à;a^/ï'7S(i):  tîo'.sîgOqu  rôv  Xôvov,  il  ajoute  aussi- 
tôt cette  explication,  qui  transforme  la  voie  négative 
en  voie  d'éminence  :  Car  Dieu  n'est  rien  de  ce  qui 
existe,  non  point  que  réellement  il  ne  soit  pas,  mais 
parce  qu'il  est  au-dessus  de  tout,  même  de  l'être  (pré- 
dicamental  :  ovy  (î>ç  \ù\  <3v,  à).),'  a>;  ■Jrcïp  Ttàvra  Ta 
ovTa,  v.x:  ûïlèp  a-jtô  xb  Etvotl  tïîv. 

Enfin,  il  ne  faut  pas  se  figurer  qu'aux  noms  divins 
répondent  autant  de  différences  substantielles,  ce  qui  est 
incompatible  avec  la  simplicité  de  Dieu.  Ces  noms  ne 
signifient  pas  la  nature  prise  directement  en  elle- 
même,  mais  ils  lui  conviennent  de  trois  manières  dif- 
férentes, c.  IX,  col.  836sq.  Les  uns  signifient  ce  qu'elle 
n'est  pas  ;  tels  les  noms  d'innascible,  d'incréé,  d'in- 
corruptible, etc.  D'autres  désignent  un  rapport  de 
Dieu  aux  êtres,  ayinvi  -zvi'x  Trpo;  ti  tûv  àvtiStacrreXXo- 
iiivov  ;  tels  les  titres  de  Seigneur,  de  roi  et  semblables. 
Ceux  de  la  dernière  catégorie  expriment  soit  une  no- 
tion qui  s'attache  à  la  nature  divine,  soit  l'exercice  de 
son  activité  :  r,  -.:  x&\  nctpeico|tévo>v  -ft  çveret,  r,  êvép- 
yeiav.  Ainsi,  la  notion  de  bonté,  de  justice,  de  sain- 
teté, de  sagesse,  s'attache  à  la  nature,  sans  la  déclarer 
elle-même  :  r.x^i-;  i-.x  -rl  p-jirei,  oûxaûrriv  Si  ttjv  oûefav 
Bt|Xoî-  Idée  déjà  énoncée  auparavant,   c.  iv.  col.  800  : 

oj  Tr,v  •^•JT'.'/,   x')ix'-.x  7tep\  'r,'/   pvfflV  6'/)Xoî. 

Deux  noms  sont  mis  particulièrement  en  relief  :  6 
m-i  et  Qt6ç.  Sainl  Jean  Damascène  donne  ce  dernier 
pour  un  nom  d'opération,  d'après  trois  étymologies 
qu'il  rapporte,  sans  les  discuter:  Bsecv,  courir;  «Il 
brûler;  0:-/.i6at,  voir.  Mais  il  proclame  le  nom  d'Être, 
révélé  à  Moïse,  Kxod.,  ni,  14,  comme  le  plus  propre 
de  tous  ceux  qu'on  applique  à  Dieu,  xupttirepov  nâvtcov 
i-:  8goû  Xeyopiivuv  àvdixatuv.  Et  cela  dans  le  même 
sens  et  pour  le  même  motif  que  saint  Grégoire  de  .\'a- 
zianze,  voir  col.  1089  :  Dieu  comprend  l'être  en  sa  to- 
talité, comme  un  océan  immense  et  infini,  olôv  ti 
~i/x-;ri;  ',C-7:.x:  ïirtipov  v.x:  ï6piarov.  Le  texte  grec, 
dans  l'édition  de  dom  Lequien,  reproduite  par  Migne, 
porte  ensuite  ces  mots,  col.  836  :  'il-  ô;  o  tx-;:o:  A:o- 
VV9(6*;  çr(«Tlv,    ô    ay/Oo;.     <).,    fkç   ï'irvi    irÀ    QtOV  gilCStv, 

,1  -.'<>  etvai,  y.a\  tôt;  to  iyaO^v.  Phrase  qui  tend  à 
redonner  au  nom  de  Bon  la  prééminence  sur  r.  lin 
A'f'Are.  C'est  là  une  annexe  qui  ne  se  trouve  pas  dans 
tous  les  manuscrits  et  qui  semble  bien  surajoutée 
9  coup;  car,  dans  tout  ce  passage,  le  docteur  de 
Damas  suit  manifestemenl  sainl  Grégoire  de  Nazianze. 

i.  .  -i  pas  à  dire  qu  il  B'écarfe  de  Denjs,  quand  il 
■'agit d'exalter  la  boni'',  il  en  fait  l'apanage  essentiel 
delà  nature  divine  xvaObv  9Ûv6pou>a 

»va(a,  c.  \iii.  col.  853.  Avec  l'Aréopagite,  il  voit  dam 
la  création  comme  u  li  la  bonté  divine,  tendant 

faire  participer    au  dehors      !>™p6oXj}   iv«6d 
ivS6x  -.',i:x 

■     .  iù-.t-u:.    I.    H.    C.     M,    col.    S'il.     Ml 

ée  sur  la  liberté  de  l'acte  créateur  De  lai 


prise  au  doute;  d'abord,  à  cause  de  sa  doctrine  géné- 
rale sur  l'indépendance  et  la  liberté  divines,  t'o  oi-Jto- 
xparà;  y.a\  avisço  Jo-iov,  1.  I,  c.  XIV,  col.  860;  puis,  à 
cause  de  cette  affirmation  distincte,  que  la  création 
relève  en  Dieu  de  la  volonté,  r(  6k  •/.■zim;  im  0soù  ÔsXr,- 
oEtoç  k'pvov  ojo-3,  c.  vin,  col.  813,  et  qu'elle  est  due  au 
bon  plaisir  divin,  vjoôv.t^  =  ysv£T6at  Tivà  ix  £-Jsp-yE07,o-ô- 
p.eva,  loc.  cit.  Voir  encore  d'autres  considérations 
dans  l'article  Création,  t.  m,  col.  2142. 

Ainsi  trouvons-nous,  au  soir  de  la  patristique  grecque, 
une  synthèse  de  théodicée  qui  forme  le  meilleur  épi- 
logue à  tout  ce  qui  précède.  Il  est  à  remarquer  que, 
dans  l'exposé  qu'il  donne  de  notre  connaissance  de 
Dieu,  saint  Jean  Damascène  se  rattache  surtout  à  la 
tradition  antérieure  au  pseudo-Denys,  et  qu'il  se  main- 
tient sur  le  terrain  de  la  théologie,  non  pas  symbolique 
et  mystique,  mais  philosophique  et  démonstrative; 
car  le  c.  xi,  où  le  mot  oupigoXixûç  apparaît,  ne  traite 
en  réalité  que  d'expressions  métaphoriques,  comme 
les  yeux  de  Dieu,  ses  oreilles,  sa  bouche,  ses  mains,  etc. 
Il  y  a  là  un  point  de  contact  de  plus  entre  le  dernier 
des  Pères  grecs  et  les  docteurs  scolastiques  du  moyen 
âge. 

2.  La  basse  patristique  en  Occident.  —  Cette  pé- 
riode ne  comporte  pas  de  longs  développements.  On 
n'y  trouve  ni  un  Denys  qui  l'inaugure,  ni  un  Damas- 
cène qui  la  couronne,  à  moins  qu'on  ne  veuille  rap- 
procher de  ce  dernier  docteur  saint  Isidore  de  Sé- 
ville  qui,  dans  la  Patrologie  de  Gardenhewer  et  de 
plusieurs  autres,  termine  l'Age  patristique  dans 
l'Église  latine.  Les  autres  Pères  ne  donnent  pas  lieu 
à  une  étude  spéciale;  il  suffira  de  demander  aux 
principaux  d'entre  eux  les  grandes  lignes  de  leur  doc- 
trine sur  Dieu. 

a)  Saint  Léon  le  Grand  (f  461);  Boice  (f  vers  526); 
saint  Fxdgence  (f  533);  Cassiodore  (f  vers  570-578); 
saint  Grégoire  le  Grand  (f  604).  —  Tous  ces  Pères 
n'ont  parlé  de  Dieu  que  d'une  façon  incidente;  et, 
quand  ils  le  font,  ils  se  contentent,  à  peu  d'exceptions 
près,  de  répéter  la  doctrine  de  leurs  devanciers,  sur- 
tout celle  de  saint  Augustin. 

L'affirmation  de  la  transcendance  et  de  l'incompré- 
hensibilité  divines  reste  un  thème  commun.  Saint  Ful- 
gence  comprend  l'une  et  l'autre  dans  cette  courte 
phrase  :  Consiilerata  crealoris  crealunvque  distinctio 
incomprehensibilem  monstrat  algue  inexplicabilem 
intellectui  creaturx  magnitudinem  creatoris.  Episl., 
xiv,  n.  26,  /'.  L.,  t.  i.xv,  col.  416.  Saint  Léon  disant  : 
Nemo  de  Deo  potest  explicare  quod  est,  Serm., 
i.xxv,  c.  m,  P.  L.,  t.  liv,  col.  402,  il  ne  faut  évidem- 
ment pas  chercher  une  vraie  définition  de  la  divinité- 
dans  ces  autres  paroles  :  Dons  omnipotens  et  clenxens. 
cujuB  natura  bonilas,  etc.,  Serm.,  xxn,  c.  i,  col.  194, 
Cassiodore  répétant,  après  tant  d'autres,  qu'on  peut 
dire  ce  que  Dieu  n'est  pas.  mais  qu'on  ne  peut 
comprendre  ce  qu'il  est,  In  //s.  CXLI,  10;  *  SLV,  6, 
/'.  /..,  t.  i.xx.  col.  1008,  1031.  ce  n'est  assurément  pas, 
comme  il  nous  en  avertit  lui-même,  une  définition 
substantielle  qu'il  propose,  quand  il  écrit  :  Potest 
tamen,  su-ut  quibusdam  visant  ett,  definiri  taliter 
Detu  :  Deu*  e$i  tubstanlia  incorporea,  $implex  et 
incommutabilis,  In  p$.  il,  7.  col.  39,  ou  quand  il  dit  : 
Cujut  rera  definitio  est,  finem  in  eanclit  laudibus 
,/..),  habere.  In  p$.  •  miv,  3,  col.  1  < * 

Boéce  M'-  veul  pas  affirmer  autre  chose  que  la  trans- 
■  ■ .  1 1 ,  i .  t  n  <  e  de  l'être  divin,  quand  il  met  Dieu  en  dehors 

des  prédic m  ta  el  dit.  i  ce  propos,  qu'en  lui  la  sul>- 

stance  n'est  vraiment  pas  substance,  mais  dépasse  cette 
notion  :  tubttantia  in  illo  mm  <^i  vert  tubitemtia, 
tantiam,  l><  i ,  inttate,  c.  iv.  /'.  /.,, 
t.  Lxrv,  col.  1262,  Pure  traduction,  en  latin  philoso- 
phique, de   l'.r  I  Ml  ■ 

Boéce  explique,  ibid-.,  c.  m.  oom- 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES) 


1131 

ment  la  notion  prédicamentale  du  nombre  n'a  pas  son 
application  en  Dion,  bien  qu'il  eût  dit  auparavant  que 
la  substance  divine  est  une,  mais  d'une  unité  qui  s  op- 
pose à  toute  multiplication  et  qui  s'identifie  avec 
l'absolue  simplicité  :  Hoc  vere  unum,  in  <i»o  nullus 
numerus,  nullum  in  eo  aliudprœter  quam  id  quod 
est,  c.  il,  col.  1250. 

La  cognoscibilité  de  Dieu  n'est  pas  un  thème  moins 
commun,  pour  les  Pères  de  cette  période,  que  la  trans- 
cendance et  l'incompréhensibililé.  La  voie  du  dehors 
est  toujours  au  premier  plan  :  Unicuique  fidelium  ad 
colendum  Deum  ipsa  rerum  nalura  doctrina  est, 
dum  cœlum  et  terra,  mare  et  omnia  quse  in  eissunt, 
bonitatem  et  omnijiotentiam  sui  protestait tur  aucto- 
ris,  dit  saint  Léon.  Serm.,  xlix,  c.  i,  col.  285.  Con- 
naissance si  naturelle,  si  obvie,  que  nul  ne  peut  ignorer 
Dieu  impunément,  ajoute  saint  Fulgence.  Contra 
arianos,  resp.  2,  t.  lxv,co1.  207.  Boèce  argue  de  l'ordre 
merveilleux  et  constant  du  monde  en  faveur  d'un 
Dieu  unique,  souverain  régulateur  et  conservateur  : 
Mundus  hic  ex  tam  diversis  contrari'aque  parlions 
in  unam  formant  minime  convenisset,nisi  umis  esset 
qui  tam  diversa  conjungeret,  etc.  De  consolatione 
philosophise,  1.  III,  prosa  xn,  t.  LXIII,  col.  778. 

Plus  caractéristique  est  la  preuve  que  le  même  au- 
teur tire,  ibid.,  prosa  x,  col.  764  sq.,  de  l'existence 
d'êtres  imparfaits.  L'imparfait  n'est  qu'une  participa- 
tion diminuée  du  parfait  :  Omne  enini  quod  imperfe- 
ctum  esse  dicitur,  id  imminutione  perfecli  imperfe- 
ctum  esse  perlitbetur.  11  faut  donc  arriver  finalement 
à  un  Dieu  souverainement  grand,  bien  parfait  et  su- 
prême :  Quare  ne  in  in/initum  ratio  prodeal,  confi- 
tendum  est  summum  Deum,  summi  perfectique  boni 
esseplenissimum.  Prise  dans  tout  son  contexte,  la 
preuve  n'est  nullement  a  priori,  comme  le  reconnaît 
F.  Nitzsch,  dans  son  ouvrage,  si  peu  sympathique  à 
Boèce,  Das  System  des  Boelhius,  p.  56;  elle  ne  part 
pas  de  l'idée  innée  que  nous  aurions  d'un  être  parfait, 
mais  des  êtres  réellement  existants  dont  nous  consta- 
tons l'imperfection  ou  la  finilude.  Elle  repose  sur  le 
même  principe  que  l'argument  des  degrés,  signalé  à 
propos  de  saint  Augustin,  voir  col.  1 107,  et  se  retrouvera 
chez  les  scolastiques,  en  particulier  chez  saint  Tho- 
mas, Contra  gentes,  1.  II,  c.  xv,  S  Quod  alicui  conve- 
nu ex  sua  natura  et  non  ex  aliqua  causa,  minora- 
tum  in  eo  et  deficiens  esse  non  potest.  Ajoutons  qu'il 
ne  faut  pas  confondre  cette  preuve  avec  une  autre  qui 
se  développe  à  travers  tout  le  livre  De  consolatione 
philosophise,  et  qui  se  rattache,  elle  aussi,  à  la  notion 
de  Dieu  souverain  bien,  mais  considéré  comme  cause 
finale,  dont  la  bonté  attire,  et  non  plus  comme  cause 
exemplaire  et  efficiente,  dont  les  créatures,  en  ce 
qu'elles  ont  de  bon,  ne  sont  qu'une  participation  ana- 
logue. C'est  la  preuve  qui  résulte  de  la  tendance  innée 
des  créatures  vers  Dieu. 

Saint  Grégoire  marche  sur  les  traces  de  saint  Augus- 
tin. A  la  voie  du  dehors,  qu'il  signale  souvent,  voir 
Ylndex  inlibros  Moralium  et  Homilias,P.  L.,t.  lxxvi, 
col.  1379,  il  joint  la  voie  du  dedans,  avant  son  point 
de  départ  soit  dans  la  conscience  d'une  loi  morale  qui 
s'impose,  Moral.,  1.  XXVII,  c.  xxv,  ibid.,  col.  427, soit 
dans  la  connaissance  que  l'âme  a  d'elle-même  :  ut 
primum  semelipsam,  si  valet,  considerel,  et  tune 
illam  naturam,  quse  super  ipsam  est,  in  quantum 
potuerit,  invesliget.  In  Ezech.,  homil.  v,  n.  8,  ibid., 
col.  989;  cf.  Moral.,  1.  V,  c.  xxxiv,  n.  02,  t.  lxxv. 
col.  713.  Assez  originale  est  la  manière  dont  le  grand 
pape  explique,  dans  son  interprétation  allégorique  de 
Job,  iv,  12  sq.,  comment  nous  connaissons  Dieu  ici- 
bas,  même  dans  la  contemplation.  La  façon  dont  Dieu 
se  révèle  est  comparée  à  un  murmure  discret  :  Susur- 
rât, buia  etsi  plene  non  intimât,  quiddam  tamen  de   ' 


1132 


sehumanm  menti  manifestai, c.  xxix,  1. i. xxv, col.  707; 
ou  encore,  à  un  souflle  léger:  Quia  in  liac  adlmrvila 
posilis  conlemplatoribus  suis,nequaquam  se divinitas 
sicut  est  insinuât,  sed  lip)>ientibus  mentis  nottrm 
oculis  claritatem  suant  lenuiler  demonslrat,  c.xxwi. 
n.  66,  ibid.,  col.  715.  Nous  n'arrivons  donc  jamais  à 
savoir  ce  qu'est  Dieu,  mais  seulement  ce  qu'il  n'est 
pas,  c.  xxxiv,  n.  62,  col.  713.  En  parlant  de  lui,  nous 
ne  faisons  que  balbutier  :  eum  aliqualenus  balbu- 
liendo  resonamus,  c.  XXXVI,  loc.  cit. 

La  question  des  noms  divins  reste  stationnaire  chez 
les  Pères  latins  de  cette  dernière  période.  Saint  Ful- 
gence suppose  clairement  que  certains  noms  con- 
viennent à  Dieu  proprement  et  dans  un  sens  absolu, 
quand  il  écrit  incidemment  des  personnes  divines  : 
In  his  dumtaxat  nominibns  quibus  ad  se  non  translate, 
sed  proprie  dicitur...  Dicimus  enim  sive  Patrem,sive 
Filium,sive  Spirilum  Sanclum ,esse  Deum  vivum, ma- 
gnum, sapientem,  f orient,  bonum.  Episl.,  xiv,  q.  il, 
n.  16  bis,  t.  lxv,  col.  406.  A  plus  forte  raison  cela  doit-il 
s'entendre  de  l'être,  le  même  Père  disant  de  Dieu  :  Qui 
sine  inilio  est,  quia  summe  est.  De  fuie  ad  Petrum, 
c.  m,  n.  25,  col.  683.  Cassiodore  est  formel  sur  ce 
point  :  Esse  enim  ipsi  proprie  convenit,  qui  ut  sit, 
nullius  adjutorio  conlinelur...  Essentia  individuse 
Trinilatis,  quse,  ab  eo  quod  est,  esse  veraciler  et  pro- 
prie dicitur.  In  ps.  lxxvi,  14;  LXXXIX,  2.  t.  lxx, 
col.  551,  645.  Saint  Grégoire  ne  veut  pas  dire  autre 
chose,  quand  il  appelle  Dieu  :  Qui  principaliler  est, 
et  qu'il  ajoute  :  Jntueatur  eum  incujus  essenlise  com- 
paratione  esse  nostrum  non  esse  est,  et  dicat  :  Ipse 
enim  solus  est.  Moral.,  1.  XVI,  c.  xxxvn,  n.  45, 
t.  lxxv,  col.  1144. 

Un  passage  d'un  auteur  secondaire  mérite  d'être 
relevé  pour  la  classification  qu'il  énonce.  Il  est  de  .lu- 
nilius,  Africain  de  naissance,  qui  vécut  longtemps  à  la 
cour  byzantine.  Dans  ses  Instituta  regulario  divins 
legis  (titre  vrai  de  l'ouvrage),  P.  L.,  t.  lxviii,  il  pose 
cette  question,  1.  I,  c.  xn,  col.  21  :  Quoi  significationi- 
bus  Scriptura  de  Deo  loquilur?  et  répond  :  Quatuor. 
Aut  enim  essentiam  ejus  signi/icat,  quam  latine  et 
substanliam  nuncupamus,  ut  est  :  Ego  sum  qui  sum, 
Exod.,  III,  14,  aut  personas...,  aut  operationem...,  aul 
collalionem  ejus  ad  creaturas...  Ainsi,  les  nomsdivins 
ne  signifient  pas  seulement  les  personnes  de  la  sainte 
Trinité,  ou  l'action  de  Dieu,  ou  ses  rapports  aux  créa- 
tures; il  en  est,  comme  le  nom  révélé  à  Moïse,  qui 
signifient  son  essence.  Mais  Junilius  n'entend  pas 
l'essence  dans  le  sens  rigoureux  du  mot;  on  le  voit 
par  la  question  suivante.  Après  avoir  énoncé,  comme 
signifiant  l'essence  divine,  huit  noms  usités  dans  l'An- 
cien Testament,  en  particulier  le  nom  d'être,  il  fait 
demander  au  disciple  :  Quid  de  Deo  Itsec  verba  signi/i- 
cant  ?  et  répondre  au  maître  :  Non  quid  est,  sed  quia 
est;  quid  enim  sit  Deus,  compreliendi  non  potest. 
Preuve  manifeste  que  sous  le  7111a  est,  opposé  au  quid 
est,  les  Pères  comprenaient  bien  autre  chose  que  le 
simple  fait  de  l'existence  divine. 

11  serait  inutile  d'insister  sur  les  attributs  de  Dieu 
contenus  depuis  longtemps  dans  la  doctrine  courante 
de  l'Eglise.  Il  suffit  de  dire  que  plusieurs,  notamment 
l'éternité  et  l'immensité,  sont  affirmés  ou  décrits  avec 
beaucoup  de  relief  par  Boèce,  saint  Fulgence,  Cassio- 
dore et  saint  Grégoire.  VoirPetau,  op.  cit.,l.  III,  cm, 
iv.  \in,  ix,  passim. 

b)  La  fin  de  la  patristique  latine  :  saint  Isidore  de 
Sëville  (f  636).  —  Encyclopédiste  comme  on  pouvait 
l'être  de  son  temps,  le  docteur  espagnol  traite  de  Dieu 
en  deux  endroits:  Etym.,  1.  ATI,  ci,  P.  L.,  t.i.xxxu. 
col.  259-264;  Sent.,  1.  1.  c.  l-vi,  t  i.xxxni,  col. 537-547. 
Dans  ce  dernier  livre,  il  établit  successivement,  en 
autant  de  chapitres,  les  six  points  suivants  :  souveraine 
grandeur  et  immutabilité  de  Dieu;  son  immensité  et  sa 


1133 


DIEU    (SA   NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES' 


1134 


toute-puissance;  son  incompréhensibilité;  sa  cognosci- 
bilité  par  le  moyen  des  créatures,  quod  ex  creaturse 
pulchritudine  agnoscalur  creator ;  usage  et  raisons  de 
rapporter  à  la  divinité  certaines  passions  humaines  ou 
allections  corporelles;  transcendance  de  Dieu  par  rap- 
port au  temps.  Tous  ces  points  sont  développés  briè- 
vement et  nettement,  mais  sans  rien  qui  ne  nous  soit 
déjà  connu.  On  peut  relever  cette  affirmation  du  carac- 
tère naturel  de  la  connaissance  de  Dieu  :  Dixerunt 
antiqui,  quod  nihil  lam  hebes  sit,  quod  non  sensum 
habeat  in  Deum,  c.  IV,  n.  4,  col.  54i;  ce  fondement  de 
la  cognoscibilité  de  Dieu  dans  les  créatures  :  Vesligia 
Dei  sunt,  quibus  mine  Deus  per  spéculum  agnoscitur, 
c.  v,  n.  10,  col.  547;  cette  énumération,  inspirée  parla 
doctrine  d'Augustin  et  de  Grégoire,  des  étapes  que 
l'Ame  suit  dans  son  ascension  vers  le  créateur  :  Ab  in- 
sensibilibus  surgens  ad  sensibilia;  a  setisibilibus  sur- 
gens  ad  rationabilia  ;  a  rationabilibus  surgens  ad 
creatorem,  c.  iv,  n.  3,  col.  544. 

Dans  le  livre  des   Etymologies,  saint  Isidore  traite, 
sous  forme  de  vocabulaire  où  chaque  mot  est  accom- 
pagné d'une  courte  explication,  de  trois  sortes  de  noms 
divins.  D'abord,  n.  1-17,  des  dix  noms  de  Dieu  chez  les 
Hébreux,  d'après  saint  Jérùme.  A    remarquer,  n.  5,  la 
singulière  élymologie,  donnée   auparavant  par  Cassio- 
dore,  In  ps.  x.xi,   1,  t.    lxx,   col.  153,  du  mot  Dieu  : 
Deus  grsece   Wsô;   dicitur,  quasi  Sïo:,  id  est,  timor  ; . 
unde  traclum  est  nomen  Deus,  quod  euni  colentibus 
sit  timori.  Voir  déjà   dans    saint  Ainbroise,  De  fuie, 
I-  I,  c.   i,   n.  7,  P.  L.,   t.  xvi,  col.  531.  A  remarquer 
encore,  n.  10,  l'interprétation,  empruntée  à  saint  .Jé- 
rôme, Epist.,  xv.  n.  i,  du  nom  n>nN  :  Eie,  id  est,  qui 
est.  Deus  enim  solus,  quia  xternus  est,  hoc  est,  quia 
exordium   non    habel,   essentias    nomen   vere    tenet. 
Vient  ensuite,  n.  18-33,  une  série  de  dénominations 
substantielles,  qui  se  rapportent  aux  attributs  divins; 
toutes  son!  négatives,  à  l'exception  de  quelques-unes, 
comme  :  sapiens,  summe  bonus,  perfeclus,  n.  27,  28, 
•  >1.  Encore  saint  Isidore,  à  la  suite  de  saint  Grégoire, 
Moral.,  1.  XXIX,  c.  i,  t.  i.xxvi,  col.  477,  goùte-t-il  peu 
le  dernier  terme  :  Deus  autem,  qui  non  est  faillis, 
quomodo  est   perfeclus?  Sed  hoc  vocabuliun  de   usa 
nostro  sumpsit    Humana    inopia.    Pure  question  de 
mots,  remarque  Petau.  op.  cit.,  1.  VI.  c.  vu.  n.  :S.  Aux 
noms  substantiels  s'ajoutent  enlin.  n.  34-40,  les  appel- 
lations ou  expressions,  tirées  des  membres  humains 
et  des  choses  corporelles;  elles  sont  évidemment  mé- 
taphoriques :  Nam  et  situs,  et  habitua,  et  locus,  et 
temjius  m  Deum  non  proprie,  sed  per  simili tudinem 
translate  dicuntur,  n.  39.  En  somme,  simple  résumé, 
dans  l'ensemble,  de  la  théodicée  traditionnelle.  Comme 
saint  Jean  Damascène  pour  l'Orient,  mais  d'une  façon 
plus  humble,  saint  Isidore  clôt  ainsi    pour   l'Occident 
notre  longue  enquête  patristique. 

Auteurs  catholiques.  —  Cyparissiota,  opfeit.;  J.   Schwane, 
il  .  '.  il,  part.  I,  c.  i,  §  8;  li.  Corder,  s.  J.    01 
aies  pro  faciliori  intelligentia  S.  Dionysii;  tsagoge  ad 
myiticam  iheologiam  s.  l>  t.  m. 

itté  des  noms  tU- 
"  des  perfection  ■  c  des  noies  en: 

lophiques,  théologiques  et   dogmatiques,  Lyon,    i    Ifl 
F.HIpler,  /■  ;  librorum  qui  sub  Dionysii  A, 

i   :t    thiih    ■  ! 

Regù  Bru nsbergensi,  années  1871,    1874 

Ml',; 

Is'rj,  introductien,  p.  \<  m  sq.;  il   K     i>,  Pseudo-D 
Itus  Areopagita  ,,,  si  il  mgen  rum  Neuptatont 

urul  Mystei  ienwi    en 

r    ii,i,l      1)0 

<  treo- 

'  m, ,i,i,,.    '  ,  ,,  a,,/  Thomas  von  Aquin,  cm, 

z  atristischt  tionogra\ 


c.  m,  Gotha,  1879,  p.  63  sq.  ;  V.  Ermoni,  Saint  Jean  Damascène, 
c.  m,  Paris,  1904;  L.  C.  Bourquard,  De  A.  M.  Severino  Boethio 
christiano  viro,  philosopho  ac  tlteologo,  c.  vi,  Angers,  1877, 
p.  118  sq.;  A.  Hildebrand,  Boëthius  und  seine  Stellung  zur 
Christentum,  c.  n,  S  12,  Ratisbonno,  1885,  p.  73  sq.  ;  P.  Godet, 
art.  Boèce,  t.  n,  col.  918  sq. 

Auteurs  non  catholiques.  —  J.  Niemeyer,  Dionysii  Areo- 
pagitx  doctrinse  philosophiez  et  theologicx  exponuntur  et 
inter  secomparantur.  Dissertatio  liistorico-dogmatica,  Halle, 
1869;  I.  Kanakis,  Dionysius  der  Areopagita  nach  seinem 
Charakter  als  Philosoph  dargestellt, Leipzig,  1881;  O.  Siebert, 
Die  Metaphysik  und  Ethik  des  Pseudo-Dionysius  Areopagita, 
Iéna,  1894,  p.  19-56;  F.  Nilzsch,  Das  System  des  Boëthius  und 
die  ihm  zugeschriebenen  theologischpn  Schriften,  c.  vin, 
Berlin,  1860,  p.  45  sq. 

III.  Synthèse  et  conclisions.  Notre  connaissance 

DE    LA.  NATURE   DE   DlEU,    D'APRÈS    LES    PÈRES.    —    A  s'en 

tenir  à  l'exposé  qui  précède,  quelle  est  la  portée 
réelle  et  quelles  sont  les  limites  de  notre  connais- 
sance de  Dieu  ici-bas?  Nous  avons  entendu  les  Pères 
répéter  souvent  qu'il  est  plus  facile  de  dire  ce  que  Dieu 
n'est  pas,  que  ce  qu'il  est.  On  peut  en  dire  autant 
d'eux-mêmes  dans  la  question  présente;  il  est  plus 
facile  de  déterminer  ce  que,  d'après  eux,  notre  con- 
naissance de  Dieu  n'est  pas,  que  ce  qu'elle  est.  Aussi 
commencerons-nous  par  le  côté  négatif  du  problème. 
1°  Limites  de  notre  connaissance  de  Dieu.  —  La 
doctrine  patristique  se  résume  en  trois  assertions, 
contenues  dans  cette  courte  phrase  de  Novatien,  De 
Trinilate,  c.  n,  7'.  L.,  t.  m,  col.  889:  De  hoc  ergo,  ac 
de  iis  quœ  sunt  ipsius  et  in  co  sunt,  nec  mens  homi- 
nis  qupe  sinl,  quanta  sint  et  qualia  sint,  digne  conci- 
pere  polest. 

1.  Dieu  inconnu  dans  sa  nature  prise  au  sens  strict , 
ti';  ètmv,  quis  sit.  —  C'est  l'affirmation  que  nous 
avons  rencontrée  constamment  sous  la  plume  des 
Pères,  quand  ils  opposaient  l'une  à  l'autre  ces  doux 
questions  :  Dieu  est-il,  et  :  Qu' est-il?  Nombreuses  et 
variées  ont  été  les  formes,  mais  toutes  revenaient  à 
cette  pensée  commune  :  Ici-bas,  notre  esprit  n'atteint 
pas  Dieu  tel  qu'il  est  en  lui-même.  En  d'autres  termes, 
il  n'atteint  pas,  d'une  connaissance  propre  et  pleine, 
la  nature  divine  prise  au  sens  strict,  dans  ses  plus 
intimes  profondeurs,  dans  ce  qui  constitue  ,/,/  mira  la 
réalité  concrète  de  l'Être  suprême,  sa  vie  immanente, 
Cette  affirmation  repose  sur  deux  principes  :  celui  de 
la  transcendance,  question  de  droit,  et  celui  de  linvi- 
sibilite  divine,  question  de  fait.  Dieu,  considère  en 
lui-même,  est  au-dessus  de  tout  ce  que  nous  pouvons 
connaître  directement  ou  concevoir  par  notion  propre. 
La  doctrine  patristique  trouvait  là  un  appui  manifeste 
dans  le  livre  de  l'Ecclésiastique,  xi.iv,  30  sq.  ;  Ipse 
enim  Omnipolens  super  omnia  opéra  sua...  E.valtate 
illum  quantum  poteslis  ;  major  est  enim  omni 
laude...,  non  enim  comprehendetis...  Et  quis  magni- 
ficabil  eu  m  sicul  est  ab  initio?  Dieu  peut,  à  la  vérité, 
se  manifester  lui-même  tel  qu'il  est;  mais  une  mani- 
festation de  ce  genre  n'est  pas  de  ce  momie,  elle  eat 
seulement  promise  pour  plus  tard  aux  entants  adop- 
lifs.  Kxod..  xxxill, 20j  I  Joa.,  m,  -J.  Notre  connaissance 
actuelle  de  Dieu  n'est   pas  seulement  indirecte, 

uni  ;  elle  est  encore  énigmatique,  in  tmigmate, 

et  partielle,  uunr  c    :  )u,tr.    I   Cor.,    Mil,    12. 

•l.  Dieu  inconnu  dans  toute  l'étendue  de  son  être, 
de  sa  perfection,  r6vo<  lostv,  quanlus  sit.  —  Autre 
manière  d'exprimer  la   même  pensée.   Nous   l'avons 
ut  ne,  en  particulier,  chez  sainl  Jean  Chrysostotne, 
col,  1095,  qui  l'applique  non  seulement  livin, 

■  tontes  les  perfections  il'1  Dien,  et  plm  spécia- 
le m' i' I  I  ace  et  i  ■  i  i  olonté,  con  dans 
leur  rapport  su  gouvernement  du  monde,  i  l'ordre 
di  ntiel,  Elle  ic  rattai  ha  plus  directement  i  l'in- 
Qnité  i  de  Dieu,  que  nous  ne  s. m. 
d  m-  Dotn    corn  eption  créé  .    iutn  ment,  Dii  a  -■  rail 


113.") 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LUS    J'ÈI'.ES. 


1136 


lini,  suivant  la  remarque  de  saint  Augustin,  col.  1110. 
Par  là  s'expliquent  des  textes  comme  celui  où  saint 
Basile  fait  consister  la  connaissance  de  l'essence 
divine  en  ce  que  nous  voyons  l'impossibilité  de  la 
comprendre.  Epist.,  ccxxxiv,  n.  2,  /'.  G.,  t.  Lxxxn, 
col.  869.  Détachée  de  ses  antécédents  et  entendue 
d'une  façon  absolue,  l'assertion  rend  aisément  un  son 
faux,  ou  du  moins  équivoque,  mais  elle  est  claire  dans 
le  contexte.  A  prendre  la  connaissance  de  l'essence 
divine  dans  le  sens  où  la  prenait  Eunomius,  combattu 
ici  par  l'évêque  de  Césarée,  c'est-à-dire  pour  une  con- 
naissance parfaite,  il  est  vrai  de  dire  que  nous  ne  sa- 
vons réellement  de  cette  essence  qu'une  seule  chose, 
son  incompréhensibilité.  Sur  ce  terrain,  la  connais- 
sance vraie,  par  opposition  à  la  prétendue  science  de 
Dieu  que  les  anoméens  s'attribuaient,  consiste  préci- 
sément à  reconnaître  qu'on  ne  peut  comprendre 
l'essence  divine. 

3.  Dieu  inconnu  dans  le  comment  de  ses  perfec- 
tions, Ttô>;  sctiv,  quomodo  sit.  —  Conclusion  formulée 
encore  par  saint  Jean  Chrysostome,  col.  1095,  mais 
commune  à  d'autres  Pères,  par  exemple,  saint  Ephrem, 
col.  1080,  et  saint  Grégoire  de  Nazianze,  col.  1091. 
Elle  n'est  qu'un  corollaire  de  la  précédente.  Dieu  est 
infini  en  tout  ce  qu'il  est.  Il  est  donc  aussi  impossible 
d'avoir  de  chacune  de  ses  perfections  une  idée  propre 
et  compréhensive,  qu'il  est  impossible  d'avoir  de  son 
essence  ou  de  son  être  en  général  une  semblable  idée. 
Quand  les  Pères  considèrent  cet  aspect  de  l'incom- 
préhensibililé  divine,  ils  ont  souvent  en  vue  les  mys- 
tères de  la  vie  intime  de  Dieu,  comme  la  génération 
du  Verbe  et  la  procession  du  Saint-Esprit.  Et  c'est  gé- 
néralement à  ce  propos  qu'on  rencontre  des  phrases 
semblables  à  celle-ci,  qui  est  de  saint  Hilaire  :  Et 
non  potest  Deus  nisi  per  Deum  intelligi,  De  Trini- 
late,  1.  V,  c.  xx,  P.  L.,  t.  x,  col.  142,  ou  à  cette  autre, 
qui  est  de  saint  Ambroise  :  Non  Deus  alienis  asser- 
tionibus,  sed  suis  seslimandus  est  vocibus.  Circons- 
tance qui  corrobore  la  doctrine  générale  des  Pères  sur 
notre  impuissance  à  connaître  Dieu  tel  qu'il  est;  car  il 
est  évident  par  ces  exemples  et  par  ces  applications, 
qu'ils  ne  songent  pas  à  une  notion  de  Dieu  relative  ou 
abstraite,  comme  plus  tard  les  théologiens  scolastiques 
dans  la  question  de  l'essence  métaphysique,  mais 
qu'ils  ont  en  vue  l'essence  physique  dans  sa  pure,  con- 
crète et  vivante  réalité. 

2°  Portée  réelle  de  notre  connaissance.  —  Les  con- 
clusions deviennent  plus  importantes,  à  cause  des 
contradictions  signalées  au  début  de  cet  article, 
col.  1023.  Aussi  est-il  nécessaire  de  procéder  par  de- 
grés, en  partant  des  points  communs  pour  s'élever  à 
ceux  qui  ont  été  ou  sont  encore  illégitimement  con- 
testés. 

1.  Dieu  connu  dans  le  fait  de  son  existence,  oti 
ëcttiv,  quia  est.  —  Assertion  unanime,  quelle  que  soit 
la  diversité  des  preuves  dont  les  Pères  se  sont  servis. 
Elle  a  plus  d'importance  que  ne  lui  en  attribuent  les 
semi-agnostiques,  combattus  au  cours  de  ce  travail; 
car  elle  contient  déjà  en  germe  les  conclusions  qui 
vont  suivre.  Dieu,  en  effet,  ne  se  présente  jamais  chez 
les  Pères  sous  la  notion  abstraite  d'existence,  mais 
comme  un  être  concret  dont  ils  ont  quelque  idée. 
C'est,  du  reste,  le  cas  pour  tout  le  monde,  selon  la 
juste  observation  de  Suarez,  Disputaliones  metaphy- 
siese,  disp.  XXIV,  sect.  il,  n.  41  :  Nos  non  possumus 
demonstrare  Deum  esse,  nisi  demonstrando  aliquo 
modo,  quid  sit;  cf.  sect.  m,  n.  2:  Prius  aliquo  modo 
definitur  quseslio  an  est,  quam  quid  est,  quamquam 
in  Deo  non  possunt  omnino  sejungi  lise  qusesiiones. 
Dans  cette  proposition  :  Dieu  existe,  l'existence  est 
affirmée  du  sujet,  qui  est  Dieu;  il  faut  nécessairement 
qu'à  ce  sujet  s'attache  quelque  idée:  Dieu,  c'est-à-dire 
ceci  ou  cela. 


Quelle  idée  les  Pères  avaient-ils  à  l'esprit,  quand  ils 
disaient:  Dieu  existe,  la  première  manière  de  s'en 
rendre  compte,  en  dehors  d'une  déclaration  explicite, 
consiste  à  examiner,  dans  leurs  termes  ou  aboutissants, 
les  preuves  utilisées.  Ainsi,  au  terme  de  celles  qui  se 
tirent  de  la  beauté,  de  la  grandeur,  de  la  puissance, 
île  l'ordre  qui  brillent  dans  le  monde,  nous  avons 
trouvé  chez  les  Pères  ce  qui  se  trouve  aussi  dans 
saints  Livres,  l'idée  de  Dieu,  suprême  artisan,  doué 
d'une  sagesse,  d'une  beauté,  d'une  grandeur,  d'une 
puissance  transcendantes  :  artifex,...  duminator  eorum 
speciosior,...  forlior  est  Mis,...  crealor  Itorum,  Sap., 
xin,  3sq.;  sempiterna  quoque  ejus  virtus  et  divinilasf 
Rom.,  I,  20.  Au  terme  de  l'argument  que  fournit  la 
conscience  d'une  obligation  supérieure,  nous  liant 
sous  le  rapport  du  bien  et  du  mal,  Rom.,  il,  li  sq., 
nous  avons  trouvé  l'idée  de  Dieu  auteur  et  vengeur  de 
l'ordre  moral.  Au  terme  de  la  preuve  résultant  des 
bienfaits  divins,  généraux  ou  particuliers,  qui  atteignent 
les  peuples  ou  les  individus,  Act.,  xiv,  16;  toi,  28, 
nous  avons  trouvé  la  notion  de  Dieu,  cause  première 
.de  tout  ce  que  nous  sommes  et  de  tout  ce  que  nous 
faisons,  conservateur  et  provbseur  universel,  provi- 
dence en  un  mot.  Et  c'est  pour  cela  que  la  notion  de 
Dieu  providence,  et  spécialement  présent  en  nous 
comme  témoin  et  comme  coopérateur,  accompagne  si 
naturellement,  chez  les  Pères,  celle  de  son  existence. 
Au  terme  de  l'argument  qui  part  de  la  contingence  des 
créatures,  nous  avons  trouvé  celui  qui  est  dans  toute 
la  force  du  terme,  Sap.,  xm,  1  :  Et  de  Itis  quse  viden- 
tur  bona,  non  poluerunt  intelligere  eum  qui  est,  t'ov 
ovTa.  Avec  ceux  des  Pères  qui,  comme  saint  Augustin, 
col.  1107,  ont  appliqué  celte  notion  de  contingence  aux 
divers  degrés  d'être,  vie,  sagesse,  bonté  morale,  nous 
sommes  arrivés  à  celui  qui  est  la  vie  même,  la  sagesse 
même,  le  souverain  bien. 

La  synthèse  de  toutes  les  preuves  patristiques  de 
l'existence  de  Dieu,  telle  qu'elle  a  été  faite,  par 
exemple,  dans  l'ouvrage  déjà  cité  de  C.  van  Endert, 
Der  Goltesbeweis  in  der  pat  ri  s  lise  lien  Zeit,  donne 
donc  une  première  notion  de  Dieu,  qui  va  beaucoup 
au  delà  du  simple  fait  de  son  existence  et  qui,  en  réa- 
lité, contient  déjà  en  germe  tout  ce  que  la  raison 
humaine,  laissée  à  ses  forces,  peut  connaître  de  la 
divinité. 

2.  Dieu  connu  dans  ses  attributs  relatifs.  —  Asser- 
tion très  simple  et  inséparable,  logiquement  et  histo- 
riquement parlant,  de  la  précédente.  Dans  la  notion 
de  Dieu  qu'entraîne  nécessairement  l'affirmation  de 
son  existence,  quelque  simple  et  rudimentaire  qu'on 
la  suppose,  pourvu  qu'elle  porte  vraiment  sur  Dieu,  il 
faut  reconnaître,  comme  un  minimum  indispensable, 
la  connaissance  de  quelque  rapport  existant  entre 
Dieu,  que  nous  affirmons,  et  les  créatures,  d'où  nous 
partons  pour  faire  cette  affirmation.  Rapport  d'une 
dépendance  essentielle,  sous  tel  aspect  qui  correspond 
à  tel  genre  de  preuves.  D'où  les  litres  de  créateur,  de 
premier  principe,  de  maître  suprême,  de  souverain. 
juge,  de  tout-puissant  et  autres  qui  nous  ont  apparu 
d'abord  chez  les  Pères  de  l'âge  apostolique,  col.  1027, 
et  qui  sont  aussi  plus  manifestement  en  relief  dans  la 
sainte  Ecriture  :  artifex,  dominator,  creator,  domi- 
nus,  Sap.,  xm,  1,  3,  5,  9;  Sempilerna  quoque  ejus 
virtus,  et  divinitas,  Rom.,  I,  20;  cum  judicabit  Deus 
occulta  hominum,  Rom.,  il,  16;  ad  Deum  vivum,  qui 
fecit  cselum  et  terrain,  ...benefaciens  de  cxlo,  Act., 
xiv,  li,  16;  hic  cseli  et  terrse  cum  sit  Dominus,  Act., 
XVII,  24.  Et  ce  sont  également  les  titres  qui  apparaissent 
dans  les  symboles  primitifs  :  Credo  m  Deum  Patrem 
omnipotente»!  creatorem  cseli  et  terrse.  Den/.inger- 
Bannwart,  Encliiridion  symbolorum,  Fribourg-en- 
Brisgau,  1908,  n.  2,  6  sq. 

3.  Dieu  connu  dans  ses  attributs  absolus  et  négatifs* 


1137 


DIEU    (SA   NATURE    D'APRÈS   LES    PÈRES) 


1138 


—  En  suivant  l'exposé  de  la  doctrine  patristique  sur 
Dieu,  le  lecteur  a  pu  remarquer  que  les  Pères  se  servent 
de  la  négation  de  deux  façons,  faciles  à  confondre, 
mais  pourtant  distinctes.  La  première  se  rapporte  à  la 
théologie  négative,  c'est-à-dire  au  procédé  logique  qui 
consiste  à  s'élever  dans  la  connaissance  de  Dieu  en 
nkint  de  lui  ce  que  les  créatures  sont  ou  ce  qu'elles 
possèdent.  Nous  avons  vu  le  développement  de  cette 
méthode  en  partant  de  Clément  d'Alexandrie,  col.  1043, 
pour  aboutir  à  saint  Jean  Damascène,  col.  1129,  avec 
saint  Grégoire  de  Nysse,  col.  109i,  saint  Augustin, 
col.  1111,  et  le  pseudo-Denys,  col.  1122,  comme  princi- 
paux intermédiaires.  Nous  n'avons  pourtant  pas  trouvé 
ce  procédé  chez  tous  les  Pères,  ni  même  chez  le  plus 
grand  nombre. 

Il  en  va  diversement  de  l'usage,  commun  à  tous, 
d'appliquer  à  Dieu  des  noms  ou  des  épithétes  au  sens 
négatif,  soit  explicitement,  comme  incréé,  immortel, 
incorruptible,  immuable,  infini,  soit  implicitement, 
comme  un,  simple,  éternel.  Ces  noms  ne  désignent 
pas  Dieu  par  rapport  aux  créatures,  bien  que  souvent 
ils  emportent,  par  contraste,  une  comparaison  entre 
Dieu  et  les  créatures,  surtout  quand  ils  sont  accompa- 
gnés d'une  particule  exclusive,  comme  dans  cette 
locution  biblique,  si  fréquemment  reprise  ou  imitée 
par  les  Pères  :  Qui  soins  liabet  hnmortalilatem. 
I  Tim.,  vi,  16.  Directement,  ces  noms  se  disent  de  Dieu 
pris  en  lui-même,  et  par  là  ils  sont  absolus,  mais  en 
exprimant  ce  qu'il  n'est  pas,  et  par  là  ils  sont  négatifs. 

Quelle  est  la  portée  de  ces  noms  pour  notre  connais- 
sance de  la  divinité?  Dans  l'interprétation  agnostique 
ou  semi-agnostique,  elle  est  nulle,  ou  du  moins  sans 
valeur  absolue,  puisqu'en  eux-mêmes  ces  noms  ne 
disent  rien  de  positif  et  que,  par  ailleurs,  on  nie  toute 
valeur  absolue  à  la  notion  positive  qu'ils  peuvent  sup- 
poser. Que  celle  interprétation  soil  manifestement  con- 
traire à  la  véritable  pensée  des  Pères,  toute  l'étude  qui 
précède  le  démontre.  De  l'attribution  faite  à  Dieu 
d'appellations  négatives,  comme  de  l'emploi  de  la 
méthode  négative,  les  Pères  ne  concluent  jamais  que 
nous  ne  savons  rien  de  la  divinité;  nous  la  connaissons 
mieux,  disent-ils  au  contraire,  et  nous  en  parlons  d'une 
façon  plu-  digne  que  ceux  qui  prétendent  savoir  et 
exprimer  parfaitement  ce  qu'elle  est.  Qu'on  se  rappelle, 
par  exemple,  les  déclarations  de  saintJean  Chrvsostome, 
col.  1097,  de  saint  .brome,  col.  1102,  de  saint  Augustin, 
col.  II 12.  La  raison,  insinuée  dans  les  textes  cités, 
esi  facile  à  concevoir.  Tout*  s  c,  -  dénominations  néga- 
tives écartent  en  réalité  îles  imperfections,  contin- 
gence, commencement  d'existence,  composition,  cor- 
ruptibiliié,  mutabilité,  linitude  ou  limitation  de  toute 
sorte.  Nous  ne  pouvons  affirmer  de  Dieu  le  contraire 
qu'en  vertu  d  une  notion  positive  ei  antérieure,  qui 
contienne  déjà,  au  moins  en  germe,  les  perfections  qui 
s'opposent  .i  toutes  ces  i  m  perfections  de  détail.  En 
d'autres  ternies,  la  négation  présuppose  ici,  et  présup 
pose  essentiellement  l'affirmation  .  elle  l'implique 
Déme  comme  son  fondement.  .Nous  ne  pouvons  aflir- 
in>  r    de  i  lieu  qu'il  i  que  bous   la   condition 

de  savoir  préalablement  qu'il  possède  en  lui-même  la 
n  di  -on  existence,  et  de  s;,  nécessaire  existence. 
l  i  ainsi  du  n  île.  Si  les  p,  res  affirment  que  non  seu- 
lement nous  n'avons  pas,  i  n  fui.  une  notion  compn 
hensi\e  de  la  nature  divine,  mais  que  cette  nature 
est.  en  droit,  incompréhensible,  c'est  en  vertu  d'un 
fondement  d'ordre  absolu,  qui  n'i  -t  autre  que  l'immi- 
nence ou  l'infiniti  positivi   de   i  i  tre  divin. 

Nou  ii,  col.   1 1 1 1 .  comment  le  princip 

vérifie  dan      .un'    Vugustin  d'apn     G  M 

application  est  faite  à  Origcm  par  C  Bigg,  The  chrii- 
tian  Platonitlt  o/    \U  candria, Oxford,  I  8  iq. 

i'    i  onnai     in<  e  de  la  divinité  aboutit  di    I 
1  i  incompn  h<  nsible,  mais  elle  a  sa  racine  dans 


quelque  chose  de  positif,  but  it  is  rooted  m  the  posi- 
tive. Avant  de  pouvoir  connaître  ce  que  Dieu  n'est  pas, 
nous  devons  connaître  ce  qu'il  est.  »  C'est  pour  cela, 
et  c'est  dans  ce  sens,  que  saint  Grégoire  de  Nysse  nous 
a  enseigné,  col.  1089,  qu'il  est  toujours  possible  de 
ramener  un  nom  négatif  à  un  positif,  parce  qu'il  y  a 
corrélation  entre  les  noms  négatifs  et  les  positifs  se 
rapportant  à  un  même  objet.  Cette  considération 
explique  encore,  comment  l'usage,  dans  la  sainte 
Ecriture,  des  appellations  et  des  épithétes  négatives, 
devient  pour  nous  un  principe  fécond  de  connaissance; 
car  c'est  affirmer  implicitement  en  Dieu  les  perfections 
qui  s'opposent  aux  imperfections  niées  de  lui  explicite- 
ment. 

Cela  ne  veut  pas  dire  qu'en  toute  connaissance  de 
Dieu,  même  celle  que  saint  Basile,  col.  1090,  appelait 
la  notion  commune,  nous  trouverons  expressément  ces 
perfections,  mais  elles  sont  contenues  virtuellement 
dans  l'idée  de  Dieu  que  nous  donnent  les  preuves  de 
son  existence,  sans  parler  de  la  connaissance  acquise 
par  la  révélation.  C'est  un  procédé  fréquent  chez  les 
Pères,  que  de  s'appuyer  précisément  sur  une  notion 
première  et  positive  de  Dieu,  pour  revendiquer  contre 
les  païens  des  attributs  d'ordre  négatif.  Voici  un  exem- 
ple, emprunté  à  Tertullien,  .4i/r.  Marcion.,  I,  3,  P.  L., 
t.  Il,  col.  249  :  Deum  autem  ut  scias  unum  esse  debere, 
qwere  quid  sit  Deus,  et  non  aliter  invenies.  Quan- 
tum liumana  condilio  de  Dco  de/inire  potest,  id  defi- 
nio  quod  et  omnium  conscientia  agnoscel  :  Deum, 
summum  esse  magnum  in  seternitate  constilutum, 
innalum,  etc.  Voir  Dieu  (son  existence),  col.  883. 

4.  Dieu  connu  dans  ses  attributs  absolus  et  positifs. 
—  Cette  conclusion  est  de  toutes  la  plus  importante, 
puisqu'elle  est  diamétralement  opposée  à  la  thèse  semi- 
agnostique  d'une  connaissance  qui  atteindrait  Dieu 
sous  un  aspect  purement  relatif.  Voir  col.  1023.  Nous 
pouvons  d'abord  la  considérer  comme  un  corollaire 
des  précédentes  assertions.  Dieu  nous  est  connu  dans 
le  fait  de  son  existence,  de  son  existence  non  contin- 
gente, mais  nécessaire,  essentielle.  Comment  soutenir, 
sans  une  contradilion  manifeste,  que  nous  le  connais- 
sons sous  un  aspect  purement  relatif?  L'existence  peut, 
à  la  vérité,  se  dire  de  Dieu  dans  un  sens  relatif  de 
causalité;  ainsi  en  est-il,  par  exemple,  quand  Denys  et 
saint  Jean  Damascène  l'appellent  l'être  de  notre  être, 
col.  I 125,  1 128.  Mais  les  Pères,  sans  en  excepter  les  deux 
qui  viennent  d'être  nommés,  dépassent  ce  sens  relatif, 
guidés  qu'ils  sont  par  Sap.,  xm,  1  :  eum,  qui  est,  et 
surtout  par  Exod.,  m,  l'i  :  Ego  sum  qui  sum.  Trop 
nombreux  ont  été.  pour  qu'il  soit  nécessaire  île  les 
rappeler,  les  témoignages  où  les  Pères  uni  affirmé  sans 
ambages  que  l'être  convient  à  Dieu,  ou  vraiment,  ou 
proprement,  ou  même  exclusivement:  et  cela  précisé- 
ment parce  qu'étant  la  cause  nécessaire  des  êtres,  il  est 
lui-même,  mais  essentiellement,  purement,  totalement. 
'fout  se  résume  dans  cette  formule,  ■'noue,  e  par  saint 
ire  il'-  \.i/i.in/".  Orat.,  VI,  n.  12,  /'.  '.'..  I.  XXXV, 
col.  737  :  A  celui-là  revient  la  plénitude  de  l'être,  de 
qui  toutes  choses  tiennent  l'être,  6).ov  bv  «VTÛ  ..tb  tivat, 
itap'ou  ko  '■■:•  ou   dans   cette  autre,  qui  est 

d'Origène,  lu  librum  Reguni,  homil.  t,  n,  II.  P    G 
I.  XII,    roi.    1008:    Tu   tolut  es,   cm  ijinid   es,   a    ttullo 

datum 

Dieu  nous  esl  connu  dans  ses  attributs  relatifi  t  '  dans 

>  «  «  —  d  opi  i  atlon  qui  ttti  ibuta 

■lion,  la  conservation,  le  concours  (  t  tous  les  actes 

qui  -e  rattachent  au  gouvernement  du  monde  et  AU 

providence.    Or  ces  attribut!  et  o  pris   non 

plus  (fins  leur  rapport  au  terme  on  i  m  rcici  t  itérieur, 

dam    leur   fond ml    intrinsi  que,    sortent    du 

relatif  et  rentrent    dam  l'absolu.  Aussi  les  Péri 
comprennent-il  il  dan     di 

qu'ils    donnent    connue      lignifiant     la     Itll     ' 


1139 


DIEU    (SA    NATURE   D'APRÈS   LES    PÈRES 


1140 


divine;  par  exemple,  saint  Athanase,  De  synodis,n.'âb, 
P.  G.,  t.  xxvi,  col.  753  :  gxo*JovT£{  tô,  Ilarrip  /.ai  x'o 
<-> : '- ;  zii  tô  navTOxpaTWp,  où/  jrsp<5v  tt,  à).'/.'  avr»)V  tï|V 
toû  ovro;  oùsiav  oijjjt.atvo^.évïjv  vooCasv.  De  même,  quand 
les  Pères  répondent  à  l'objection  tirée  d'une  création 
contingente  et  temporelle  contre  l'immutabilité  et 
l'éternité  divines,  ils  distinguent  entre  le  terme  de  l'acti- 
vité créatrice,  qui  est  en  dehors  de  Dieu,  et  la  puissance 
elle-même,  qui  est  en  Dieu  ou  plutôt  Dieu  lui-même  : 
Tertullien,  col.  1059;  Augustin,  col.  1113;  Cyrille 
d'Alexandrie,  Thésaurus,  ass.  xxxi,  P.  G.,  t.  lxxv, 
col.  447.  Clément  d'Alexandrie  observe  que  Dieu  était 
Dieu  et  qu'il  était  bon,  avant  d'être  créateur  :  r.y.-t  yàp 
xTÎ(TTr,v  ysvéolîat,  0eôç  ïjv,  àyaOô;  r,v  P&d.,  1.  I,  c.  IX, 
P.  G.,  t.  vin,  col.  356.  C'est  donc  qu'il  conçoit  Dieu 
comme  bon  en  soi,  avant  de  le  concevoir  comme  bon, 
pour  nous,  par  la  création.  De  fait,  pour  ce  Père  comme 
pour  les  alexandrins  en  général,  Dieu  est  en  lui-même 
le  Bon.  Que  signifie  la  doctrine  de  la  participation,  si 
fortement  mise  en  relief  par  les  plus  illustres  Pères, 
si  ce  n'est  que  Dieu,  bon  par  essence,  la  bonté  même, 
communique  à  tous  les  êtres  qu'il  produit  quelque 
chose  de  sa  bonté  :  ipsum  bonum,  cujus  participalio?ie 
bona  sunt,  sunant  la  formule  de  saint  Augustin, 
col.  1107?  Il  s'agit  manifestement  de  la  bonté  ontolo- 
gique, immanente,  absolue. 

Dieu  nous  est  connu  dans  ses  attributs  négatifs,  et 
ce  sont  desattribuls  absolus;  car  Dieu  n'est  pas  incréé, 
immortel,  immuable,  infini,  par  simple  rapport  aux 
créatures,  mais  en  lui-même  et  par  sa  nature.  Aussi 
avons-nous  vu  les  Pères  indiquer  ces  attributs  comme 
se  rapportant  directement  à  l'essence  divine,  pour 
signifier  ce  qu'elle  n'est  pas.  Mais  nous  avons  vu  éga- 
lement que  plusieurs  d'entre  eux  se  sont  parfaitement 
rendu  compte  que  les  attributs  négatifs  supposent  un 
fondement  positif.  Dieu  n'est  incréé  que  parce  qu'il 
existe  essentiellement;' Dieu  n'est  éternel  que  parce 
qu'il  vit  essentiellement;  et  ainsi  du  reste. 

La  cognoscibilité  de  Dieu  dans  ses  attributs  absolus 
et  positifs  est  donc  véritablement  un  corollaire  des 
précédentes  assertions.  C'est,  en  outre,  l'un  des  prin- 
cipaux résultats  directs  de  notre  enquête.  Les  Pères  ne 
se  contenlent  pas  de  reconnaître  les  titres  d'ordre  rela- 
tif qui  résultent  du  fait  que  le  monde  dépend  essen- 
tiellement de  Dieu  dans  son  existence  et  sa  conserva- 
tion. Ces  titres  d'ordre  relatif  sont,  à  la  vérité,  ceux 
qui,  logiquement,  nous  apparaissent  en  premier  lieu, 
et  ils  nous  apparaissent  aussi  en  premier  lieu  histori- 
quement parlant,  qu'il  s'agisse  de  la  révélation,  Gen.,  i, 
1,  ou  de  la  théodicée  patristique  dans  l'âge  apostolique, 
col.  1027  sq.,  ou  de  la  prédication  ecclésiastique  dans 
les  symboles,  suivant  ce  qui  a  déjà  été  dit.  Mais  il  est 
impossible  de  réduire  à  de  si  minces  proportions  la 
théodicée  patristique,  même  en  y  joignant,  comme 
complément,  l'emploi  des  épithètes  et  formules  néga- 
tives. 

Il  ne  suffit  pas,  il  est  vrai,  pour  s'élever  plus  haut, 
du  seul  principe  de  causalité,  car  Dieu  est  cause  de 
tout  degré  d'être  produit,  que  ce  degré  d'être  se  trouve 
en  lui  formellement  ou  non.  Il  ne  suffit  pas  non  plus 
que  tel  nom  soit  appliqué  à  Dieu  dans  les  saintes  Écri- 
tures, car,  suivant  la  remarque  de  saint  Augustin, 
col. 1114,  elles  appliquent  à  Dieu  des  noms  manifeste- 
ment métaphoriques.  Mais  certains  noms  ne  s'en  pré- 
sentent pas  moins,  dans  des  conditions  privilégiées, 
comme  ceux  d'être,  Kxod.,  ni,  H,  de  bon,  Matth.,  xix, 
17,  de  sage,  Rom.,  XVI,  27,  quand  il  s'agit  de  Dieu  en 
général;  ou  comme  ceux  de  Père  et  de  Fils,  quand  il 
s'agit  du  mystère  de  la  sainte  Trinité.  Appuyés  sur 
cette  circonstance  et  sur  la  considération  du  genre  de 
perfection  signifiée,  les  Pères  ont  reconnu  des  noms 
convenant  à  Dieu  proprement,  dans  le  sens  où  propre- 
ment s'oppose  à  métaphoriquement.  Voir  en  parlicu- 


lier,  Clément,  col.  1045;  Cyrille  d'Alexandrie,  col.  1073: 
Lphrern,  col.  1081  ;  les  trois  Cappadociens,  col.  1087  sq.; 
Pilaire,  Ambroise  et  Jérôme,  col.  1099  sq.;  Augustin, 
col.  1 115sq.  ;  Pseudo-Denys,  col.  1 124;  Junilius,  col.  1132; 
Isidore,  col.  1133;  Jean' Damascène,  col.  1129. 

Deux  controverses  montrent  clairement  que  la  ques- 
tion était  réellement  posée  dans  l'esprit  des  Pères.  La 
première  est  celle  que  saint  Grégoire  de  Nyssea  signa- 
lée, col.  1089,  au  sujet  de  la  signification  du  mol  Dieu  ; 
les  uns  le  rapportaient  à  l'activité  divine,  les  autres  à 
la  nature  prise  en  elle-même.  Quoi  qu'il  en  soit  de  la 
valeur  objective  des  étymologies  que  nous  avons  ren- 
contrées, ou  plutôt  malgré  leur  insuffisance,  voir 
C.  Pesch,  De  Dco  uno,  n.  100,  le  débat  prouve  que  les 
Pères  avaient  la  notion  de  noms  atteignant  plus  inti- 
mement la  nature  divine  que  les  noms  relatifs  ou  d'opé- 
ration. Plus  concluante  encore  est  la  controverse  portant 
sur  le  point  précis  de  savoir  si  tels  ou  tels  noms 
doivent  s'entendre  de  Dieu  proprement  ou  métaphori- 
quement, par  exemple,  les  noms  d'esprit,  col.  1047, 
de  substance,  col.  1105, 1116,  et  même  d'essence,  o-It:*. 
comme  on  le  voit  par  le  commentaire  de  saint  Maxime 
sur  le  traité  des  Noms  divins,  c.  v,  n.  1,  P.  G.,  t.  iv, 
col.  308.  Car  il  reste  que  les  Pères,  sauf  de  rares 
exceptions,  ont  considéré  comme  convenant  à  Dieu 
vraiment  ou  proprement  un  certain  nombre  de  noms, 
en  particulier  ceux  d'être,  de  bonté,  de  vie,  de  vérité, 
de  sagesse,  de  justice.  Quelques-uns  vont  même,  on  l'a 
vu,  jusqu'à  donner,  soit  l'être,  soit  la  bonté,  comme 
note  caractéristique  de  la  divinité. 

Leur  doctrine  reste  incomplète  sur  un  point,  déjà 
signalé  à  propos  de  saint  Augustin,  col.  1113;  ils 
n'énoncent  pas  de  principe  net  qui  permette  de  poser 
une  ligne  de  démarcation  rigoureuse  entre  les  noms 
ou  les  perfections  convenant  à  Dieu  au  sens  propre, 
et  ceux  ou  celles  qui  ne  peuvent  lui  être  attribués 
qu'au  sens  figuré.  La  solution  est  en  germe  dans  cette 
idée  qui,  sous  une  forme  ou  sous  une  autre,  revient 
fréquemment  :  Il  faut  affirmer  de  Dieu  ce  qui  est  bon, 
ce  qui  est  parfait.  Les  théologiens  scolastiques  diront 
le  dernier  mot  en  énonçant  et  en  éclaircissant  la  no- 
tion de  perfection  simple  et  de  perfection  mixte.  Voir 
S.  Thomas,  Sum.  theol.,  Ia,  q.  xiii,  a.  3,  ad  lum; 
Scheeben,  Dogmatique,  t.  n,  n.  51  sq. 

5.  Dieu  connu  dans  sa  nature  /irise  au  sens  large; 
les  textes  objectés.  —  Si  Dieu  nous  est  connu  dans  ses 
attributs  absolus  et  positifs,  il  suit  que,  dans  la  mesure 
même  de  cette  connaissance,  il  nous  est  également 
connu  dans  sa  nature  prise  au  sens  large  ;  car  la  na- 
ture ainsi  prise  s'entend,  comme  nous  l'avons  vu 
col.  1024,  de  «  l'essence  d'un  être  avec  les  attributs  qui 
lui  sont  propres.  »  Nous  n'avons  pas,  de  ce  chef,  une 
notion  de  Dieu  intime  ou  adéquate  (cognitio  per  se 
propria),  mais  seulement  une  notion  partielle  et  ana- 
logique, suffisante  pour  savoir  quelque  chose  de  ce 
qu'est  Dieu  et  pour  le  mettre  à  part  de  tout  autre  être 
(cognitio  per  accidens  propria).  C'est  à  celte  distinc- 
tion entre  l'essence  prise  au  sens  rigoureux  ou  prise 
au  sens  large,  et  aux  deux  autres  distinctions  connexes, 
entre  la  notion  strictement  propre  et  la  notion  analo- 
gique, entre  le  nom  qui  contient  proprement,  c'est-à- 
dire  formellement,  et  le  nom  propre  au  sens  absolu 
du  mot,  c'est-à-dire  celui  qui  exprime  l'essence  et 
toute  l'essence,  comme  elle  est  en  elle-même,  qu'il 
faut  demander  l'interprétation  de  la  vingtaine  de  té- 
moignages patristiques  invoqués  par  le  Rév.  Mansel, 
suivant  ce  qui  a  été  dit  au  début  de  cet  article,  col.  1023. 
Tous  ces  textes,  sauf  un  ou  deux,  ont  paru  dans  notre 
('tude,  mais  placés  dans  leur  cadre,  historique  ou  litté- 
raire, et  interprétés  d'après  le  contexte  immédiat  ou 
la  doctrine  générale  des  auteurs.  On  peut  les  ramener 
à  trois  groupes. 

Les    Pères    disent,    sous  des  formes  multiples,  que 


1141 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES) 


1142 


Dieu  dépasse  notre  conception  :  Minucius  Félix, 
col.  1055;  Arnobe,  col.  1064;  saint  Atlianase,  col.  1072; 
saint  Basile,  col.  1088;  saint  Jean  Chrysoslome, 
col.  1095.  —  Rien  de  plus  vrai,  si  l'on  entend  ces  Pères 
dans  le  sens  où  ils  parlent,  c'est-à-dire  en  excluant  une 
connaissance  de  Dieu  soit  totalement  compréhensive, 
soit  même  intuitive  ou  par  notion  propre.  Cette  ré- 
ponse vaut  également  pour  les  passages  où  les  Pères, 
par  exemple  saint  Jean  Chrysostome.  col.  1095,  et  saint 
Athanase,  Orat.,  il,  contra  arianos,  n.  32,  36,  P.  G., 
t.  x.wi,  col.  216,  224,  recommandent  de  ne  pas  scruter 
le  comment  des  perfections  ou  des  opérations  divines. 
Elle  vaut  d'autant  mieux  pour  ce  dernier  docteur, 
qu'en  ces  endroits  il  traite  des  personnes  divines,  et 
particulièrement  de  la  génération  du  Verbe. 

Les  Pères  distinguent  les  deux  questions  de  l'exis- 
tence et  de  l'essence,  en  concluant  que  nous  ne  savons 
pas  ce  qu'est  Dieu,  mais  seulement  qu'il  est  et  ce  qu'il 
n'est  pas  :  saint  Basile,  col.  1090;  saint  Grégoire  de 
Xjsse,  col.  1091;  saint  Augustin,  col.  1110;  saint  Jean 
Damascène,  col.  1127.  —  Rien  de  plus  vrai  encore,  si 
l'on  reste  dans  la  pensée  des  Pères.  Nous  avons  dû 
faire  remarquer  souvent  qu'en  opposant  les  deux 
questions,  ils  prenaient  slrictement  le  mot  d'essence, 
ou  les  termes  t:'c  jttiv,  quis  sil.  Aussi  tout  ce  qui  n'est 
pas  conception  ou  expression  de  la  nature  divine  telle 
qu  elle  est  en  elle-même,  rentre,  pour  eux,  dans  l'autre 
membre,  Sri  sVtsv,  quia  est.  Et  ceci  explique  que  dans 
les  passages  mêmes  où  ils  réduisent  notre  connaissance 
au  quia  est,  les  Pères  font  souvent  des  énumérations 
d'attributs  et  de  noms  qui  dépassent  de  beaucoup  le 
simple  fait  de  l'existence;  par  exemple,  saint  Jean 
Chrysostome,  col.  1095,  et  Juuilius,  col.  1132. 

Les  Pères  déclarent  qu'il  nous  est  impossible  d'ex- 
primer la  nature  divine  comme  elle  est  en  réalité; 
nous  ne  pouvons  le  faire  que  dans  la  mesure  impar- 
faite où  il  nous  est  donné  de  la  concevoir.  Aussi  pro- 
clament-ils notre  incapacité  à  nommer  Dieu  propre- 
ment,ournvine  convena&iement.-Clémentd' Alexandrie, 
col.  1042;  (»iii;ène,  col.  1019;  saint  Atlianase,  toc.  cit.  : 
les  deux  Cyrille, col,  1073, 1077;  saint  Jérôme,  col.  1102; 
saint  Augustin,  col.  1113.  —  La  réponse  générale  se 
lire  aisément  des  distinctions  rappelées  à  la  page  pré- 
cédente. En  se  reportant  aux  endroits  cités,  où  la 
doctrine  de  ces  Pères  a  été  exposée,  le  lecteur  trouvera 
l'application  de  ces  distinctions  générales  aux  cas 
particuliers. 

On  peut,  du  reste,  reconnaître  que,  sur  le  point 
précis  de  la  propriété,  par  rapport  à  Dieu,  des  noms 
aérai,  ou  de  tels  ou  tels  noms  en  particulier, 
lous  les  Pères  n'ont  pas  parléavec  la  netteté  désirable, 
Ln  témoignage  d'Arnobe.cité  par  le  Rév.  Mansel,  peut 
r  d'exemple  Quis  enim  Deum  dixerit  fortem, 
eonttantem,  frugi,  sapienteni"?  quis  probum?  quia 
êobrium?  Adv.  génies,  1.  MI,  c.  i.\.  /'.  /,.,  t.  v, col. 962. 
Le  rhéteur  africain  mêle  ici  des  prédicats  de  nature 
\v>-  diverse.  Il  n'aurait  pas  dû  oublier  si  facilement  la 
parole  de  saint  Paul,  Rom.,  xvi,  27  :  Soli  sapienti  /<• 
Eus<  e  rendail  beaucoup  mieux  la  concep- 

tion courante,  quand  après  avoir  rattaché  à  l'idée 
même  de  Dieu  les  notions  qui  vont  suivre,  il  ajoutait, 
De  eccleiiasl.  iheologia,  I.  1.  c.  \x.  n.  30,  /'.  G.,t.  xxiv, 
col.  K'.t3  sq.  ,  Qui  donc  pourrail  nier  qu'il  j  ail  en 
Dieu  mee,  vie,  lumière,  vériti 

rai«on.  el  tout  ce  qu'il  \    a  de  bi  au  el  de  bon.  xal  r.y.-, 

j.i'i-1   i.-i:  ivafto  ■ 

Parlant  de  nos  notions  sur  la  divinité  a  qui,  toutes 
défed  indirectes   qu'elles  soient,  n'en    ion! 

noins  positives   et    représentent    réellement 
perfections  positivi     ■!  immanentes  qui  carael   ri  enl 
■  d"  Dieu,  s.i  nature  el  sa  manière  d'étn 
ben    n'a    pa  i  crainl  de  i    ncli  .  n.    15  ; 

tte  doctrine  est  au  moins  voisine  de  la  foi,  Car  elle 


est  nécessairement  impliquée  dans  les  termes  non 
équivoques  par  lesquels  l'Écriture  sainte  et  l'Église 
attribuent  à  Dieu  plusieurs  prédicats  positifs.  C'est  en 
tout  cas  la  doctrine  la  plus  commune  des  Pères(conlre 
les  gnostiques)  et  des  théologiens,  quoique  plusieurs 
expressions  des  Pères  semblent  y  contredire  et  que 
les  nominalistes  la  repoussent  formellement.  »  Il  me 
paraît  d'autant  plus  nécessaire  de  souscrire  à  cette 
appréciation,  que,  pour  être  conséquent  avec  lui-même, 
un  semi-agnostique  doit  refuser  toute  valeur  propre  et 
absolue  aux  notions  les  plus  fondamentales  dans  le 
mystère  de  la  sainte  Trinité.  Et  c'est  là  non  seulement 
enlever  tout  sens  objectif  à  la  révélation  du  mystère, 
mais  contredire  ouvertement  la  doctrine  des  Pères  qui 
ont  combattu  l'arianisme;  car  tout  le  débat  portait  au 
fond  sur  ces  questions  :  Le  Père  est-il  Père,  et  le  Fils 
est-il  Fils,  proprement  ou  métaphoriquement?  La 
génération  du  Verbe  doit-elle  s'entendre  proprement 
ou  métaphoriquement? 

Petau,  op.  cit.,  1.  I,  c.  v,  VI ;  1.  VII,  c.  i,  irr,  iv;  Thomassin, 
op.  cit.,  1.  IV,  c.  vi-xi  (sous  les  réserves  précédemment  énon- 
cées); Kleutgen,  Die  Théologie  der  Vorzeit,  2»  édit,  Munster, 
1867,  t.  i,  p.  211  sq.  ;  La  philosophie  scolastique  exposée  et 
défendue,  trad.  Sierp,  Paris,  1868,  t.  i,  n.  189-196,  p.  372  sq. 
On  trouvera  une  synthèse  plus  méthodique  dons  les  traités 
récents  De  Deo  uno,  ceux  du  moins  qui  ne  sont  pas  purement 
scolastiques;  en  particulier,  J.  Scheeben,  La  dogmatique,  trad. 
P.  Bélet,  Paris,  1880,  t.  n,  §  62  sq.  ;  Franzelin,  Tractatus  de 
Deo  uno  secundum  naturam,  Rome,  1876  (3'  édit.,  1883), 
th.  x-xm  ;  F.  A.  Stentrup,  S.  J.,  Prxlectiones  dogmaticx  de 
Deo  uno,  Inspruck,  1879;  J.  B.  Heinrich,  Dogmalische  Théo- 
logie, Mayence,  1883,  c.  IV,  §  156-158,  t.  III  ;  C.  Pesch,  S.  .T., 
Prselectiones  dogmaliar,  t.  ir,  De  Deo  uno  secundum  natu- 
ram,  3°  édit.,  Fribourg-en-Brisgau,  1906,  prop.  xiv-xvi. 

IV.  Les  attriruts  divins  considérés  en  eux- 
mêmes  ET  DANS  LEUR  RAPPORT  A  LA  NATl'RE.  —  On 
pourrait  construire  toute  une  théodicée,  et  particuliè- 
rement toute  une  doctrine  des  attributs  divins,  en 
groupant  et  en  systématisant  ce  qui  se  trouve  chez  les 
Pères  à  l'état  de  matériaux  épars.  C'est  ce  qu'ont  fait 
divers  auteurs  dans  les  monographies  que  nous  avons 
citées,  et,  sur  un  plan  moins  restreint,  Petau  et  Tho- 
massin. Mais  ce  travail  dépasse  les  limites  du  présent 
article;  en  outre,  il  n'est  possible  qu'à  la  condition  de 
faire  rentrer  dans  des  cadres  techniques  une  doctrine 
qui,  chez  les  Pères,  se  présente  d'une  façon  beaucoup 
plus  large  et  plus  simple.  Nous  nous  contenterons 
d'énoncer  les  conclusions  générales  qui  ressortent  de 
notre  élude,  en  y  joignant  quelques  mois  sur  un  pro- 
blème important  auquel  donne  lieu  la  doctrine  patris- 
lique  sur  les  attributs  divins  :  Le  Dieu  des  Pères  est-il 
un  Dieu  abstrait  el  impersonnel? 

I"  Classification  des  attributs  divins  chez  les  Pères. 
—  Nous  n'avons  rencontre''  rien  de  complet  ni  de  didac- 
tique, mais  seulement  trois   divisions   générales,   qui 
sont  p.-iss!  es  dans  la  théodicée  traditionnelle.  Les  Pères 
les  ont  appliquées,  soit  aux  attributs  eux-mêmes,  soit 
aux  noms  qui  servent  à  les  exprimer.  La  premier* 
la  distinction  entre  attributs  absolus  el  attributs 
tifs,    insinuée    par    Tertullien,  col.    1059,  appliquée 
ensuite  el  préi      i    par  beaucoup  d'autres,  comme  les 
Cappadociens,  col.   1088  sq..  sainl   Êphrem,  col.  1081, 
saint   Augustin,  col.  1113.  sainl  Cyrille   d'Alexandrie, 
col.   1073,  Juuilius,  col.    1132.  saint    Jean    Damas, 
col.    1128.  Dans  la  question  qui  non  cette  dis- 

tinction s'applique  directement  à   lieu    considéré  dans 

l'unité  de  sa  nature  el  ton  action  extérieure,  mais 
nous  avons  constaté'  incidemment  qu'elle  s'applique 
aussi  aux  mystères  de  la  s. uni.'  rrinilé  el  de  l'incarna- 
tion, par  exemple,  quand  s. uni  Grégoire  di  Nyese, 
,-,,i    1069     alnl    kuf  ualin,  col.   1 1 13,  el  autr< 

opposent  les  attributs  c tnun  aux  pro- 

n    d'ordre  relatif. 
!..  -.-coude  division  est  celle  des  attributs  négatif» 


4143 


DIEU    (SA   NATURE    D'APRÈS   LES    PÈRES 


1144 


cl  di  s  attributs  positifs,  mise  surtout  en  relief  dans  la 
controverse  anoméenne  sur  les  noms  divins,  col.  1087  sq., 
et  devenue  ensuite  d'un  usage  courant.  Voir  saint 
Cyrille  d'Alexandrie,  col.  10715,  Junilius,  col.  1132,  saint 
Isidore,  col.l  [33,  saint  Jean  Damascène,  col.  1128.  Dans 
la  pratique,  les  Pères  énumèrent  souvent  pêle-mêle  et 
sans  ordre  lixe  les  attributs  négatifs  et  les  attributs 
positifs;  ce  dont  il  est  facile  de  se  rendre  compte  en 
comparant,  par  exemple,  les  ('numérations  faites  par 
saint  Cyrille  de  Jérusalem,  col.  1077,  par  saint  Isidore, 
col.  11313,  et  par  saint  Jean  Damascène,  col.  1129.  D'ail- 
leurs, ces  énurnérations  sont  la  plupart  du  temps 
abrégées,  surtout  en  ce  qui  concerne  les  attributs 
positifs,  représentés  par  quelques  noms  avec  adjonc- 
tion d'une  formule  générale  implicite,  comme  dans 
l'exemple  emprunté  plus  baut,  col.  1141,  à  Eusèbe  de 
Césarée  :  y.ai  tcSv  o  ti  v.a'/.ôv  -/.ai  àya66v,  ou  encore, 
suivant  une  formule  de  saint  Grégoire  de  Nysse,  Oralio 
catechelica,  c.  xx,  P.  G.,  t.XLV,  col.  56  :  y.ai  tc&v  6  ti 
itpô;  xb  xpeïxxov  Y|  otâvoia  çépst. 

La  troisième  division  répond  à  ce  que  les  Pères  ont 
appelé,  d'un  côté,  noms  de  nature  ou  d'essence,  de 
l'autre,  noms  de  puissance,  de  providence  ou,  plus 
communément,  d'opération  :  saint  Grégoire  de  Nazianze 
et  saint  Grégoire  de  Nysse,  col.  1089;  Junilius,  col.l  132; 
saint  Jean  Damascène,  col.  1129.  Cette  distinction  équi- 
vaut à  la  nomenclature  plus  moderne  d'attributs  passifs 
ou  statiques,  quiescentia,  et  d'attributs  actifs  ou  dyna- 
miques, operaliva.  Pour  les  Pères,  elle  n'est  qu'une 
subdivision  des  attributs  positifs.  Prise  dans  son 
application  aux  attributs  ou  noms  d'opération,  elle 
présente  une  grande  analogie  avec  le  second  membre 
delà  première  division,  comprenant  les  attributs  rela- 
tifs; mais,  comme  on  l'a  déjà  vu,  l'opération  divine 
dit  plus  que  la  simple  dénomination  de  créateur,  de 
seigneur  et  autres  du  même  genre. 

2"  Distinction  de  la  nature  et  des  attributs.  —  La 
doctrine  patristique  est  restée  sur  ce  point  ce  qu'elle 
nous  est  apparue  chez  les  docteurs  cappadociens.  Les 
attributs  sont  considérés,  non  comme  l'essence  elle- 
même,  mais  comme  des  notions  ou  propriétés  qui 
s'attachent  à  elle,  qui  l'accompagnent,  et  en  résultent  : 
xà  7isp\  0eôv  ou  BsoO;  xà  7isp\  aùxôv,  xà  xai'  aùxôv; 
xà  ÉTÔu.eva  auxoCi  ;  xà  7Têp\  xr,v  oùffiav,  ou  xr,v  o-jtiv,  et 
autres  expressions  analogues  ou  équivalentes.  Cbez 
les  Latins,  Novatien  a  rendu  la  même  idée  dans  le 
texte  cité  col.  1062,  en  parlant  de  ce  qui  est  de  Dieu  et 
en  Dieu  :  de  Us  quse  sunt  ipsius  et  in  eo  sunt.  Cette 
doctrine  suppose  qu'il  y  a,  soit  entre  l'essence  et  les 
attributs,  soit  entre  les  différents  attributs,  une  distinc- 
tion de  raison,  -/.xx'  âitt'voiav,  mais  avec  un  fondement 
objectif  tel  que  les  noms  répondant  à  ces  diverses  no- 
tions ne  soient  ni  synonymes,  ni  pures  dénominations 
verbales.  Ce  fondement  est,  pour  les  Pères,  l'éminence 
de  l'Être  divin  qui,  dans  son  infinie  actualité  ou, 
comme  dit  saint  Augustin,  col.  1109,  dans  sa  «  simple 
multiplicité  ou  sa  multiple  simplicité,  »  équivaut  à 
des  réalités  distinctes  chez  les  créatures.  Auxanoméens 
objectant  que  la  nature  divine,  parfaite  en  elle-même, 
n'estpas  susceptible  d'accidents,  oùSèv  -rr]  8eta  o-uu.ééëï)xev 
oiial-x,  xs).eta  yàp  èÇ  êa-jxr,;,  saint  Cyrille  d'Alexandrie 
répondait  :  C'est  très  juste,  mais  nous  n'en  constatons 
pas  moins  la  nécessité  de  concevoir  ces  notions  à  la 
manière  d'accidents,  quoiqu'ils  ne  soient  point  tels  en 
réalité.  Thésaurus, ;\ss.  xxxi,  P.  G.,  t.  lxxv,  col.  445  sq. 

Les  Pères  ne  vont  pas  plus  loin  dans  leurs  spécula- 
tions sur  la  nature  de  cette  distinction.  Encore  moins 
faut-il  leur  demander  la  solution  du  problème,  agité 
plus  tard  dans  l'École,  relativement  à  l'essence  méta- 
physique de  Dieu,  c'est-à-dire  à  une  notion  première 
qui  toutà  la  fois  caractérise  pour  nous  la  nature  divine 
et  soit  comme  le  point  de  départ  logique  de  toutes  les 
autres  notions.    Si   les  Pères  avaient  eu  dans  l'esprit 


cette  conception,  il  leur  aurait  été'  facile  de  s'en  servir 
contre  lesanoméens;  car  ils  auraient  pu  leur  répondre  : 
L'àyevv»)o-ta  ou  l'aséilé,  même  entendue  dans  un  sens 
positif,  n'exprime  pas  l'essence  physique  de  Dieu,  elle 
exprime  tout  au  plus  l'essence  métaphysique,  comme 
notion  fondamentale  qui  distingue  Dieu  de  tout  être 
créé  et  d'où  germent  en  quelque  sorte  ses  autres  per- 
fections. S'ils  ne  l'ont  pas  fait,  c'est  qu'en  réalité  le 
problème  n'existait  pas  pour  eux. 

Ils  n'en  ont  pas  inoins  fourni  un  précieux  appoint  à 
ceux  qui,  dans  la  suite,  ont  cherché  dans  la  raison  d'être 
non  participé  ou  dans  l'aséité  positive  l'essence  méta- 
physique de  Dieu.  Nombreux  ont  été-,  au  cours  de  cet 
article,  les  témoignages  où  les  Pères  ont  affirmé  que 
Dieu  est  par  essence  l'Être  même.  Voir,  en  outre, 
Petau,  op.  cit.,  1.  I,  c.  vi;  ïhomassin,  o/>.  cit.,  1.  III, 
c.  m.  Nombreux  également  sont  les  textes  où  les 
Pères  rattachent  à  la  notion  d'àyéwT)xo?,  ingenitus, 
les  attributs  divins  les  plus  fondamentaux.  Tel,  par 
exemple,  Novatien,  disciple  en  cela  de  Tertullien  : 
Quippe  cum  originem  non  habcat,  cunsequenter 
nec  exitum  senliat...  Ob  hanc  ergo  causam  semper 
immensus,...  semper  wlernus,...  ideo  immortalis...  Et 
qui  est,  semper  ipse  est;  et  qualis  est,  semper  talis 
est...  Ideo  et  unus  pronunlialus  est,dum  parem  non 
habet ;  Deus  enim,  quidquid  esse  potest  Deus  est,  sum- 
mum sitnecesse est.  De  Trinitate,  eu,  iv,  P.  L.,\.  m, 
col.  889,  893.  Ainsi  l'immortalité,  l'éternité,  l'immen- 
sité, l'immutabilité,  l'infinité,  l'unité  se  groupent-elles 
tous  la  notion  première  d'Être  incréé.  On  a  vu,  col.  1100, 
comment  saint  Hilaire  trouve  également  dans  la  notion 
d'Être  une  donnée  fondamentale  à  laquelle  se  rattachent, 
immédiatement  ou  par  voie  de  conséquence,  toutes  les 
propriétés  essentielles  de  la  divinité.  De  même,  pour 
saint  Augustin,  col.  1109,  c'est  la  notion  d'Etre,  absolu,  pur 
et  simple,  qui  couronne  et  comprend  toutes  les  autres. 
Sans  être  aussi  nombreux  ni  aussi  compréhensifs,  les 
témoignages  ne  font  pas  défaut  chez  les  Pères  grecs. 
Saint  Irénée,  col.  1037,  conçoit  d'abord  Dieu  comme 
l'Être  incréé,  puis  comme  éternel,  immuable,  se  suffi- 
sant pleinement  à  lui-même,  absolument  indépendant, 
tout-parfait.  Souvent  à  la  notion  d'Être  propre  à  Dieu, 
c'est-à-dire  à  la  notion  d'Être  qui  existe  essentiellement 
et  de  lui-même,  diverses  perfections  sont  ramenées, 
en  particulier  l'infinité  prise  dans  un  sens  positif  et 
dans  toute  son  extension  :  saint  Grégoire  de  Nazianze, 
col.  1089;  saint  Jean  Damascène,  col.  1129. 

En  reliant  de  la  sorte  les  attributs  divins  au  nom  ré- 
vélé à  Moïse  sur  le  mont  Horeb,  les  Pères  imitent  et 
même  invoquent  expressément  la  sainte  Écriture,  où 
Dieu,  revendiquant  ses  attributs  essentiels,  se  plait  à 
interposer  ce  nom  sacré  :  Ego  Dominus  (Jahvé),  pri- 
mus  et  novissimus  ego  sum,  Is.,  xi.i,  4;  Ego  enim  Do- 
minus (Jahvé),  et  non  mutor.  Mal.,  m,  6.  Mais  il  n'y 
a  dans  tous  ces  témoignages  que  des  matériaux,  et  non 
pas  une  thèse.  Il  est  impossible  de  trop  presser  les 
passages  où  les  Pères  disent  du  nom  ineffable  qu'il 
signifie  l'essence  divine;  car,  ailleurs,  ils  s'expriment 
de  la  même  façon  en  parlant  d'autres  noms.  Si  l'on 
voulait  prendre  les  termes  à  la  lettre,  il  faudrait  con- 
clure que  dans  la  phrase  déjà  citée,  col.  1130  :  Deus 
omnipotens  et  clouais,  cujus  natura  bonilas,  saint 
Léon  a  favorisé  ceux  qui  font  de  la  bonté  l'essence  de 
Dieu;  que  dans  cette  autre  phrase  également  citée, 
col.  1130:  Cujus  vera  definitio  est,  finem  m  sanctis 
laudibus  non  habere,  Cassiodore  a  énoncé  l'opinion  de 
ceux  qui  se  déclarent  pour  l'infinité;  ou  qu'en  écrivant, 
Adversus  scrutatores,  serin,  xxx,  n.  1,  Opéra,  syr.  et 
lut.,  t.  ni.  p.  53:  Ipsius  etsentia  ratio  est,  saint  Ephrem 
a  été  le  précurseur  de  ceux  qui  mettent  l'essence  mé- 
taphysique dans  l'intellectualité.  Autant  d'assertions 
auxquelles  ces  Pères  n'ont  pas  dû  songer. 

3»  Le  Dieu  des  Pères  est-il  un  Dieu  abstrait  ou  im- 


1145 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES! 


1146 


personnel"?  —  Nous  avons  eu  l'occasion  de  signaler 
l'attaque  en  exposant  la  doctrine  de  plusieurs  Pères, 
en  particulier  celle  de  saint  Justin,  col.  1031,  de  Clé- 
ment d'Alexandrie,  col.  1043,  d'Origène,  col.  1048,  de 
saint  Grégoire  de  Nysse,  col.  1090,  du  pseudo-Denys, 
col.  1126.  Elle  se  présente  sous  deux  formes  princi- 
pales. En  ce  qui  concerne  les  apologistes,  l'accusation 
d'aboutir  à  un  Dieu  impersonnel  se  rattache  à  quelques 
expressions,  de  saveur  platonicienne  ou  stoïcienne, 
sur  la  présence  et  l'immanence  divines,  ou  encore  à 
la  conception  d'un  Dieu  extra-cosmique,  signalée 
col.  1031  sq. 

Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'arrêter  aux  quelques  expres- 
sions, les  unes  insignifiantes,  les  autres  simplement 
équivoques,  dont  se  sont  servis  trois  ou  quatre  apolo- 
gistes en  traitant  de  l'immanence  ou  de  la  présence 
divine.  Tatien,  Oralio  adversus  graecos,  n.  5,  P.  G., 
t.  vi.  col.  813,  appelle  Dieu  toû  7iavTÔ;  f,  vTrooraTt;; 
mais  ce  qui  suit  montre  assez  qu'il  prend  le  mot  iith- 
v-oïc'.;  dans  le  sens  causal  de  fondement,  hypostasis 
sive  suslcnlatio,  comme  porte  la  traduction  latine. 
Dans  la  démonstration  rationnelle  de  l'unité  divine  par 
Athénagore,  Legatio,  n.  8,  P.  G.,  t.  VI,  col.  905,  on  re- 
lève surtout  ces  expressions  :  r.yy-x  yàp  j-j  tojtov 
weit).^pu)tai,  ou  v.x-éy_îTx:,  omnia  enim  ab  isto  implen- 
tur,  ou  tenentur;  mais  ces  expressions  ont  leur  fon- 
dement dans  la  Bible,  Sap.,  i,  7,  et,  par  ailleurs, 
l'apologiste  affirme  formellement,  comme  croyance  des 
chrétiens,  l'essentielle  distinction  de  Dieu  et  de  la  ma- 
tière, n.  4,  col.  897,  en  reprochant  aux  païens  de 
n'avoir  pas  su  discerner  la  plupart  du  temps  ce  qu'est 
la  seconde  et  ce  qu'est  le  premier  :  u  uiv  OXij,  '■■  Sî  ®£Ô:, 
n.  15,  col.  920.  Aussi  Clarisse  a-t-il  conclu  dans  son 
étude,  De  Athenagorae  vila  et  scriplis,  p.  87  :  Nulla 
igitur  auctoritate  nonnulli  eum  pantheismi  insimula- 
runt,  etsi  non  negaml um  est  eum  interdum  invprur 
dentius  ita  scribere,  </iiasi  aliquid  maleriale  xn  Deo 
oblineat.  Théophile  d'Anlioche  appelle  Dieu  le  lieu  de 
toutes  choses,  totto;  tûv  ô'/wv,  Ad  Autolycuni,  1.  II, 
n.  3,  P.  G.,  t.  vr,  col.  1059;  expression  reprise  par 
Aruol.i'  -un-  cette  forme  :  locus  rerum  ac  spatiiun, 
comme  on  l'a  vu  col.  1067.  Elle  est  l'uusse,  si  avec  Stau- 
denmaier,  art.  Dieu,  dans  le  Dictionnaire  encyclopé- 
digue  de  la  théologie  catholique,  par  Wetzeret  Welte, 
trad.  Goschler,  Paris,  1858  sq.,  I.  vi,  p.  313,  on  la 
prend  matériellement,  comme  si  les  deux  apologistes 
faisaient  de  Dieu  l'espace  universel,  à  la  manière  des 
stoïciens  et  autres  philosophes  païens;  mais,  d'après 
le  contexte,  ils  n'ont  en  vue  que  l'immanence  et  l'im- 
mensité divines,  qui  embrassent  toutes  choses.  Cf.  Dé- 
tail,  op.   cit.,  1.  III,  c.    IX,  n.   9  sq.;   (loin  Le   Nourry, 

rt.  m  Arnobium,  /'.  /..,  t.  v,  col.  455.  La  m 
explication  vaut  de  Vinfusus  est  de  Minucius  Félix, 
col.  1056.  III"  a  sa  raison  d'être  dans  ce  fait  que 
d'autres  apologistes,  par  exemple,  Lactance,  col.  1068, 
reprennent  des  expressions  semblables,  mais  accom- 
nées  d'une  glose  qui  en  précise  la  signification. 

(m  ne  doit  pas  attacher  plus  d'importance  ;'i  la  diffi- 
culté qui  se  rattache  à  la  conception  d'un  Dieu  extra- 
cosmique, attribuée,  on  l'a  vu.  a  quelques  anciens 
Péri  comme  saint  .lustin.  Athénagore,  Théophile 
d'An tioche,  col.  1031,  1033,  1035.  A  supposer  que  tous 
ou  «1  ii  moins  quelques-uns,  n'eussent  pas 
dépa  ■  onception,  ce  qui   me  parait    probable, 

m. us  non  |'.i  certain,  quelle  Mirait  la  conséquence 
logique'.'  La  négation  de  la  présence  immédiate  et 
substantielle  de  Dieu  le  l'ère  dans  le  monde.  [1  n'en 
ilterail  rien  contre  la  lislinction  substantielle  de 
Dieu  et  du  momie,  clairement  profi  ssée  par  les  apolo- 
.  ni  contre  la  parfaite  intégrité  et  In  pleine  indé- 
pendance dont  hn  n  joint  en  lui-même;  ce  qui  suffit 
pour  i  notion  d  'lit'     dam  ré- 

ception plui  large  où  cette  notion  peut  l'affirmer  de  la 


nature  divine,    quand  on   fait   abstraction  de  la  sainte 
Trinité. 

Mais  il  ne  faut  pas  oublier  qu'un  chrétien,  philo- 
sophe ou  théologien,  ne  cherche  jamais  la  personnalité, 
entendue  strictement,  ailleurs  que  dans  le  Père,  le  Fils 
et  le  Saint-Esprit.  A  propos  de  la  lutte  contre  le  gnos- 
ticisme,  Schwane  émet  ces  considérations,  op.  cit.,  t.  n, 
p.  126  :  «  Si  saint  Irénée  n'avait  pu  opposer  à  cette 
hérésie  que  le  monothéisme  juif,  il  se  serait  trouvé,  à 
certains  égards,  dans  une  position  désavantageuse,  car 
il  ne  lui  eut  pas  été  possible  de  prouver  l'existence 
d'une  vie  divine  hors  de  ce  monde  et  d'échapper  com- 
plètement au  danger  de  considérer  ce  monde  visible 
comme  un  élément  de  la  vie  divine,  c'est-à-dire  de 
tomber  dans  le  panthéisme,  ou  du  moins  de  penser 
que  Dieu,  avant  la  création,  était  une  monade  inerte; 
ce  qui  rendrait  la  création  aussi  inexplicable  que  la 
révélation.  Or,  le  dogme  chrétien  de  la  Trinité  tran- 
chait le  nonid  de  la  façon  la  plus  heureuse.  Il  dépei- 
gnait la  vie  divine  avant  la  création,  au  sein  de  la  Tri- 
nité de  personnes  consubstantielles,  d'une  manière 
beaucoup  plus  parfaite,  aux  yeux  mêmes  de  la  raison 
spéculative,  que  la  théorie  gnostique  qui  fait  émaner 
de  Dieu  des  éons  innombrables,  et  il  résout  beaucoup 
mieux  l'énigme  de  la  création  du  monde,  comme  révé- 
lation de  Dieu  dans  le  temps.  »  Ces  considérations 
valent,  quant  à  la  substance,  pour  les  Pères  apologistes  ; 
car  ils  envisagent  toujours  Dieu  le  Père,  d'une  façon 
concrète,  tel  qu'il  nous  est  présenté  dans  la  sainte  Écri- 
ture et  les  symboles  primitifs  :  Credo  in  Deuni  Pal  rem 
omnipotentem. 

Est-il  nécessaire  d'ajouter  qu'il  serait  illusoire,  sinon 
ridicule,  d'apprécier  ce  que  les  anciens  Pères  pen- 
saient sur  ce  sujet  d'après  la  notion  kantiste  ou  hégé- 
lienne de  la  personnalité,  ou  môme  d'après  la  notion 
aristotélicienne  que  les  scolastiques  ont  empruntée  à 
Boèce,  De  persona  et  duabus  naturis,  c.  ni,  P.  L., 
t.  i.xiv, col.  1343  -.Persona  estnaturse rationalis  ind 
dita  substantiel?  Les  Pères  se  sont  contentés  de  la  no- 
tion vulgaire  et  d'ordre  psychologique,  qui  associe 
l'idée  du  moi  à  celle  d'un  être  complet,  vivant,  raison- 
nable, libre.  Connexe  est  l'affirmation  de  la  pleine 
suffisance  que  Dieu  trouve  en  lui-même  et  de  l'indé- 
pendance absolue  qui  en  résulte.  Fortement  mise  en 
relief  par  saint  [renée,  comme  le  remarque  à  bon  droit 
A.  Dufourcq,  Saint  Irénée,  Paris,  1905,  p.  216,  cette 
considération  est  déjà  bien  esquissée  dans  Justin, 
Athénagoreet  Théophile,  col.  1029,  1033,  1035.  On  doit 
donc  souscrire  sans  hésiter  aux  conclusions  des  écri- 
vains qui  ont  étudié  de  plus  près  les  apologistes,  sans 
se  laisser  guider  par  des  préjugés  philosophiques,  et 
maintenir  que  leurs  écrits  nous  présentent  vraiment 
un  Dieu  concret  et  personnel. 

I  He  attaque  plus  générale  et  plus  importante  se  rat- 
tache à  la  doctrine  des  Pères  sur  l'absolue  simplicité 
de  Dieu,  rapprochée  surtout  de  leurs  vues  sur  la  trans- 
cendance divine  el  sur  la  théologie  négative.  En  vertu 
de  cette  dernière  méthode,  il  faut  tout  nier  de  Dieu. 
Suivant  une  formule  platonicienne  que  nous  avons 
d'abord  rencontrée  dans  saint. lustin  et  qui  s'est  trans- 
mise d'âge  en  â(  il  est  au-dessus  de  toute  rs-enee. 
ÈTÛy.Eiv*  n&Ti)i  oO^'.a:.  Clément  renchérit  encore  en  le 
mettant  au-dessus  de  l'unité  el  même  delà  monade, 
col.  1045.  Non  seulement  l'on  est  mis  au-dessus  de 
toute  essence;  on  nie  qu'il  soit  essence  on  substance, 
on  le  proclame   ivoiivto(.  A  plus  forte  raison  di 

er  de  lui  toute  affection,   toute  qualité.  On  arrive 
.iiin  ehe  Indéterminé,  indéfini,  i-  iv,  en 

d'autres  termes,    ■  un  être    abstrait,    métaphysique; 

quille  ,i  revenir,    par  la    foi.  an   Dieu  vivant  dl    I  I 

Bile- 

II  faut  que  cette  attaque  ait  fait  à  une  ■  poque 

ion,  pour  que.    dans  ion  ai  t 


1147 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LES    PÈRES; 


1148 


op.  cit.,  p.  311,  Staudenmaier  ail  cru  devoir  ('•crire  ce 
qui  suit:»'  Si  les  attributs  divins  sont  des  déterminations 
de  l'Être  divin,  n'est  évidemment  pas  chrétienne  l'opi- 
nion suivant  laquelle  l'Être  divin  est  sans  qualités. 
Ceux  qui,  parmi  les  catholiques,  ont  soutenu  cette 
opinion,  ont  prétendu  en  même  temps  que  Dieu  n'a 
pas  de  substance.  »  Renvoi,  en  note,  à  Clément 
d'Alexandrie,  à  saint  Basile,  à  saint  Athanase  et  à  saint 
Augustin.  Mais  ces  Pères  sont  loin  de  se  trouver  seuls 
en  cause,  si  grand  est  le  nombre  de  ceux  qui  ont  dit  de 
Dieu  qu'il  est  sans  qualités.  Là  pourrait  s'appliquer 
la  remarque  de  Thomassin,  op.  cit.,  1.  III,  c.  u,  n.  9  : 
Chrysostomus  quoque  et  ente  et  menle  superiorem 
esse  Deum  affirmai,  tamelsi  a  platonicis  placitis 
abhorrere  se  contestelur. 

Heureusement,  Slaudeninaier  a  corrigé  ce  qu'il  y 
avait  d'excessif  dans  ses  premières  paroles,  en  ajou- 
tant :  «  Mais  l'opinion  de  ces  théologiens,  vue  de  près, 
veut  dire  que  Dieu  n'est  pas  une  substance  comme  les 
substances  terrestres  [et  même  comme  les  substances 
créées],  qui  sont  accompagnées  d'accidents  ou  qui  sont 
le  résultat  d'une  composition.  »  Ceci  est  plus  juste  ;  il  ne 
faut  pas  se  payer  de  mots,  mais  il  faut  savoir  deman- 
der aux  Pères  ce  qu'ils  entendent  par  les  expressions 
dont  ils  se  servent.  Quand  ils  écartent  de  Dieu  toute 
qualité,  ils  ne  comprennent  pas  sous  ce  mot  les  attri- 
buts divins  pris  en  eux-mêmes,  tels  qu'ils  se  trouvent 
dans  la  nature  incréée  et  éminemment  simple,  mais 
seulement  toute  modalité  accidentelle  qui,  en  Dieu 
comme  dans  les  créatures,  s'ajouterait  à  la  substance 
pour  la  déterminer  ou  la  perfectionner.  Ils  parlent, 
en  un  mot,  de  qualités  prédicamcnlales,  et  les  excluent 
au  même  titre  qu'ils  excluent,  quand  il  s'agit  de  Dieu, 
toutes  les  catégories  péripatéticiennes  :  genre,  espèce, 
quantité,  qualité,  lieu,  etc.  Les  exemples  abondent  dans 
l'exposé  patristique  qui  a  précédé. 

L'épithète  àvo-juio;  et  les  autres  analogues  créeraient 
une  réelle  difficulté,  si  elles  équivalaient  à  une  néga- 
tion absolue  d'être  subsistant;  mais  nous  avons  vu 
souvent  que  les  Pères  entendent  ces  termes  de  forme 
privative  dans  un  sens  purement  relatif;  ce  qui  explique 
qu'on  puisse  les  trouver  chez  un  seul  et  même  auteur 
en  deux  séries  de  textes,  dont  l'une  est  affirmative  et 
l'autre  négative.  Comparé  aux  essences  ou  substances 
créées  que  nous  connaissons  directement,  Dieu  ne 
peut  entrer  en  ligne  de  compte;  comme  cause  univer- 
selle, il  reste  dans  un  ordre  à  part.  Par  rapport  à  la 
substance,  il  ne  participe  pas,  comme  dit  Origène, 
mais  il  fait  participer  les  autres  :  à).),'  o-JS'o-j<7''a;  \>.i-.iyv. 
ô  0sd;'  (j.sxf/STat  vàp  u.5).).ov  ïj  \>.z-.'z-/v..  Contra  Celsum, 
1.  VI,  n.  64,  P.  G.,  t.  xi,  col.  1396.  Dans  un  sens  par- 
ticulier, qui  est  celui  de  plusieurs  Pères,  non  de  tous, 
Dieu  n'est  pas  proprement  substance,  parce  qu'il  n'est 
pas  suppôt  d'accidents.  Il  est  sur-essentiel,  supra- 
substantiel,  mais  il  n'en  est,  de  l'avis  de  tous,  que  plus 
parfaitement  être,  subsistant  en  lui-même  et  par  lui- 
même.  Et  c'est  précisément  dans  ce  dernier  sens  que 
plusieurs  ne  craignent  pas  de  l'appeler  substance;  par 
exemple,  Victorin,  col.  1105,  et  saint  Épiphane,  User., 
lxix,  n.  70,  P.  G.,  t.  xlii,  col.  317,  où  il  identifie  d'abord 
les  termes  de  substance  et  d'essence,  /.ai  -J-oTTa-j;;  /.a\ 
rrjryix  Tautdv  èiri  ~û>  ).ôy<o,  puis  applique  à  Dieu  le 
nom  d'oùaîa,  d'après  Exod.,  ni,  li. 

La  théologie  négative,  sainement  interprétée  et  comme 
les  Pères  l'ont  comprise,  ne  tend  nullement  à  reléguer 
Dieu  dans  le  domaine  de  l'abstraction  pure.  La  mé- 
thode d'analyse  ou  d'élimination  conduit  à  ce  résul- 
tat, quand  elle  s'exerce  sur  un  être  concret,  en  le  dé- 
pouillant des  propriétés  qui  en  font  précisément  un 
être  concret,  par  exemple,  quand  elle  dépouille  un 
individu  déterminé,  Pierre  ou  Paul,  de  toutes  ses  qua- 
lités, même  individuantes,  pour  ne  laisser  subsister 
dans  l'esprit  que  la  raison  abstraite  d'homme,  de  sub- 


stance,d'être  indéterminé.  Ce  n'est  pas  le  cas.  L'analyse, 
dans  le  procédé  des  Pères,  ne  s'exerce  pas  sur  Dieu, 
considère  comme  être  concret,  pour  le  dépouiller  de 
propriétés  qu'il  aurait  et  qui  contribueraient  à  son 
individuation  ;  elle  s'exerce  sur  une  perfection  ci 
dont  Dieu  est  la  cause  première,  ou  tout  au  plus  sur 
une  notion  de  Dieu  plus  ou  moins  anthropomorphique 
que  nous  aurions  d'abord.  Xous  écartons  les  imper- 
fections, les  limitations,  comme  ne  pouvant  pas  être 
en  Dieu.  Ce  qui  reste,  quand  la  voie  d'éminence  a  rem- 
placé et  complété  la  voie  purement  négative,  ce  n'est 
pas  une  raison  d'être  abstrait;  c'est,  au  contraire,  la 
raison  d'être  absolu,  au™  tô  ov,  subsistant  en  lui- 
même  et  par  lui-même. 

Rien  n'est  plus  opposé  à  l'être  abstrait,  indéfini, 
indéterminé  des  logiciens,  que  la  plénitude  d'être 
attribuée  à  Dieu  par  les  Pères,  orientaux  ou  occiden- 
taux, platoniciens  ou  antiplatoniciens,  soit  quand  ils 
interprètent  le  nom  révélé  à  Moïse  sur  le  mont  Horeb, 
et  les  exemples  se  sont  accumulés  au  cours  de  cette 
élude,  soit  quand  ils  appliquent  intégralement  le  triple 
procédé  d'affirmation,  de  négation  et  d'éminence.  La 
méthode  négative  fait  tomber  la  détermination  spéci- 
fique ou  générique  de  l'être;  elle  sépare  Dieu  de  tout 
ce  qui  est  créé,  participé.  Mais  la  méthode  affirmative 
maintient  en  lui,  cause  suprême  et  universelle,  tout 
ce  qu'il  y  a  de  vraie  et  pure  perfection  dans  les  êtres. 
et  tout  d'abord  la  vie  dans  ses  manifestations  les  plus 
hautes  et  les  plus  nobles.  La  voie  d'éminence  ne  sup- 
prime pas  cette  perfection;  elle  la  surélève  seulement, 
pour  en  faire  une  perfection  subsistante,  kûtoÇiot;,  irjro- 
<ro?fa,  aJToaYaOôr/);,  etc.,  et  pour  la  porter  au  degré 
qui  convient  à  Dieu,  c'est-à-dire  à  l'infini,  mais  à  l'in- 
fini positif,  àv  t.-x'ï:  tlXeioç,  comme  dit  saint  Cyrille  de 
Jérusalem. 

L'àripiTTov  et  l'aTCEipov  n'ont  nullement  ici  la  signifi- 
cation d'indéterminé,  d'indéfini,  mais  bien  leur  signi- 
fication franche  d'illimité,  d'infini  dans  la  ligne  de 
perfection  dont  il  s'agit  dans  les  différents  cas,  et 
finalement  dans  la  ligne  de  l'être  non  déterminé  spé- 
cifiquement ou  génériquement,  mais  transcendant  par 
rapport  à  toute  détermination  de  cette  nature.  Quelques 
Pères  parlent,  il  est  vrai,  d'indétermination  de  l'Etre 
divin;  mais  il  s'agit  alors  de  l'Être  divin  considéré  non 
pas  en  lui-même,  mais  par  rapport  à  notre  connais- 
sance. Ils  veulent  dire  qu'indépendamment  de  toute 
manifestation  positive,  l'Etre  divin,  que  nous  n'at- 
teignons pas  directement,  reste  pour  nous  indéterminé. 
Voiries  textes  très  significatifs  de  Victorin.  col.  I  I0(i. 
et  des  réllexions  analogues,  à  propos  de  Philon,  dans 
M.  Louis,  Doctrines  religieuses  des  philosophes  grecs, 
Paris,  1909,  c.  vi,  p.  256  sq. 

Pour  la  systématisation  de  la  doctrine  patristique  sur  les 
attributs  divins,  on  peut  consulter  les  mêmes  ouvrages  que  dans 
la  question  précédente,  en  particulier  Petau,  op.  cit.,  1.  II  sq., 
et  Thomassin,  op.  cit.,  I.  Il  sq.  Plusieurs  des  monographies 
indiquées,  col.  1054, 1068.  1 116,  1133.  contiennent  aussi  la  mime 
systématisation  pour  les  Pères  dont  elles  traitent.  Les  auteurs  de 
ces  monographies,  surtout  les  auteurs  catholiques,  se  préoc- 
cupent souvent  de  l'accusation,  portée  contre  les  Pères  platoni- 
ciens, d'aboutir  à  un  Dieu  philosophique,  impersonnel  ou 
abstrait.  Voir,  entre  autres,  pour  saint  Justin,  J.  Sprinzl,  op.  cit., 
p.  779;  A.  Fedcr,  op.  cit.,  p.  110;  pour  Clément  d'Alexandrie, 
J.  Cognât,  op.  cit.,  p.  169;  pour  Origène.  J.  Denis,  De  la  philo- 
sophie d'Origène,  Paris,  1884,  p.  87  sq;  pour  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  F.  Diekamp,  op.  cit.,  c.  iv,  S  2,  où  il  soutient  que 
Grégoire  n'entend  point  la  transcendance  divine  dans  le 
néoplatonicien. 

V.  L'APPORT    PHILOSOPHIQUE    DANS    LA   THKODICKI 

Père».  —  Deux  questions  se  rattachent  à   ce  dernier 
point  :  l'une  de  fait,  sur  l'usage  que  les  Pères  ont  fait 
de  la  philosophie  dans  leur  théodicée;  l'autre  de  droit, 
sur  la  légitimité  de  cet  usage. 
1°  Question  de  fait.   —   Qu'il  y  ait  dans  la  doctrine 


1149 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS   LES    PÈRES) 


1150 


des  Pères  sur  Dieu  des  éléments  philosophiques,  rien 
de  plus  évident.  Au  début  de  notre  enquête,  col.  1025, 
nous  avons  assigné  au  développement  général  de  la  théo- 
dicée  patrislique  trois  facteurs  principaux  :  la  sainte 
Écriture,  la  controverse  et  la  philosophie,  c'est  à-dire 
l'alliance  de  la  foi  et  de  la  philosophie.  L'importance 
du  troisième  facteur  résulte  suffisamment  de  l'exposé 
qui  a  suivi.  Aussi  les  historiens  de  la  philosophie 
chrétienne,  soit  en  général,  soit  dans  les  temps  palris- 
tiques,  ont-ils  coutume  d'examiner,  de  ce  point  de  vue, 
la  doctrine  des  principaux  Pères  sur  Dieu. 

Qu'il  y  ait,  dans  la  théodicée  des  Pères,  apport  phi- 
losophique au  sens  plus  déterminé  d'une  inlluence 
exercée  sur  eux  par  les  philosophes  du  dehors,  les 
platoniciens  surtout  et  les  néoplatoniciens,  le  fait 
n'est  pas  moins  certain.  Des  recherches  d'ordre  positif 
ou  technique  ont  clairement  mis  en  relief  les  dépen- 
dances littéraires  et  philosophiques  des  Pères  de 
l'Église.  Tels,  notamment  pour  saint  Méthode  et  saint 
Basile,  les  travaux  de  A.  Jahn;  pour  le  pseudo-Denys 
PAréopagite,  les  travaux  du  même  auteur,  et  surtout 
les  études  déjà  signalées,  col.  1118,  de  J.  Stiglmayr  et 
de'  H.  Koch  ;  pour  saint  Augustin,  les  études  également 
signalées,  col.  1110,  1111,  de  L.  Grandgeorge  et  de 
G.  Loesche.  Du  reste,  la  thèse  des  dépendances  philo- 
sophiques de  certains  Pères  est  loin  d'être  nouvelle. 
Avant  l'apparition  du  livre  tapageur  et  outré  de  Nicolas 
Souverain,  Le  platonisme  dévoilé  ou  essai  touchant 
le  Verbe  platonicien,  Cologne,  1700,  Petau,  dans  son 
Opus  de  llteologicis  dogmalibus,  et  Thomassin,  dans 
ses  Dogmala  theologica,  dont  les  premiers  volumes 
parurent  en  1614  et  en  1680,  avaient  rapproché,  sur 
un  certain  nombre  de  points,  la  théodicée  des  Pères  et 
celle  des  philosophes  platoniciens  ou  néoplatoniciens. 
Thomassin  avait  même  souvent  mis  la  chose  tout  à  fait 
en  relief  dans  des  chapitres  distincts. 

La  question  d'application  relève  d'études  spéciales. 
Malheureusement,  les  inexactitudes  et  les  exagérations 
de  toute  sorte  ne  sont  pas  rares  dans  les  travaux  faits 
par  des  protestants  de  nuance  rationaliste,  sans  une 
véritable  impartialité,  parfois  sans  une  connaissance 
suflisanle  de  la  littérature  générale  soit  patrislique, 
soit  même  biblique.  On  donnera,  par  exemple,  comme 
spécifiquement  platoniciens  tels  aperçus  sur  Dieu  que 
les  Pères  trouvaient  dans  les  livres  sapientiaux  de 
I  Ancien  Testament,  admis  et  cités  par  eux.  On  verra 
dans  une  concordance  de  termes  purement  matérielle 
des  dépendances  manifestes,  sans  songer  que  la  foi 
chrétienne  de  l'auteur  donne  souvent  à  tout  l'ensemble 
une  orientation  nouvelle.  D'ailleurs,  en  théodicée 
comme  dans  leur  philosophie  en  général,  les  Pères 
sont  éclectiques;  s'ils  empruntent,  ils  savent  aussi  reje- 
ter, et  en  le  disant.  Les  louanges  qu'ils  donnent  à 
Platon  et  aux  autres  anciens  n'emportent  pas  une 
approbation  intégrale  de  leur  doctrine  ni  même  de 
tout  le  détail  des  |  ilés,  suivant  la  juste  re- 

marque de  I  homassin,  op.  cit.,  1.  III.  c.  i,  n.  L2, 

—    Elle    se   rattache    au  pro- 
blème général  du  philosophisme  des   Pries:    problème 

soulevé  .ni  début  du  wnr  siècle  par  Nicolas  Souve- 
rain, op.  cil.  Dana  sa  première  phase,  la  controverse 
porta  presque  exclusivement  sur  la  doctrine  trinitaire, 
ei  plus  &p<  il  -ni  celle  du  Verbe,  Ni  Souvi  rain 

dans  jon  attaque,  ni  Ualtus  dans  sa  Défense  de*  laintt 
/',,-,■,  accu  ei    de  platoni  me,    Paris,    1711.    ne    s'oc- 
cupent de  la  notion  de  Dieu  considéré  dans  l'unité  de 
sa  nature.  Plu     lai  'I       u lemi  ni .  le  débal 
s'étend  il   à  ce  point  comme  ■>  beaucoup  d'autres,  Par 

ôté,  la  question   du  philosophi 

eée  des   Pèn  i  I,  comme  partie  du   tout,  sa 

problème  général,  et   par  conséquent   à  l'article  qui, 

dans    ci     Dictionnai  au    PlatokISMI 

m- dire  que  le  problème  par- 


tiel ne  peut  passe  traiter  pleinement  en  dehors  du  pro- 
blème général,  ni  surtout  en  dehors  de  la  doctrine  des 
Pères  sur  la  Trinité  et  sur  le  rapport  au  monde  soit 
de  Dieu  comme  tel,  soit  du  Verbe  en  particulier.  Pour 
ne  prendre  qu'un  exemple,  le  jugement  à  porter  déli- 
uitivement  sur  la  conception  d'un  Dieu  extra-cosmique, 
attribuée  aux  premiers  apologistes,  dépend  en  grande 
partie  de  cette  autre  controverse  :  Ont-ils  vu  dans  le 
Verbe  un  intermédiaire  physique  entre  Dieu  le  Père 
et  le  monde'.' 

Disons  seulement  quelques  mots  d'une  question  qui 
s'impose  :  Les  emprunts  réels,  faits  par  les  docteurs 
de  l'Église  aux  anciens  philosophes,  ont-ils  eu  pour 
effet  de  pervertir  la  notion  chrétienne  de  Dieu?  Il  est 
facile  à  un  théologien  protestant  de  répondre  oui, 
mais  en  prenant  pour  base  de  son  appréciation  l'idée 
confessionnelle  ou  même  purement  subjective  qu'il  lui 
plaît  d'admettre.  Un  théologien  catholique  demande 
qu'on  distingue  entre  la  notion  dogmatique  et  l'expli- 
cation ou  exposition  philosophique,  comme  on  a  cou- 
tume de  le  faire  à  propos  de  la  doctrine  des  Pères 
anténicéens  sur  la  sainte  Trinité.  Schwane,  op.  cit., 
t.  n,  p.  90.  Il  s'en  faut  de  beaucoup  que  toutes  les  spé- 
culations palrisliques,  rapportées  au  cours  de  cet 
article,  soient  entrées  dans  ce  qu'on  peut  légitimement 
donner  pour  la  notion  dogmatique  de  Dieu. 

A  la  prendre  dans  sa  dernière  détermination,  telle 
qu'elle  a  été  formulée  par  le  concile  du  Vatican,  dans 
la  constitution  De  fuie  calholica,  c.  i,  cette  notion  se 
borne  à  une  description  de  Dieu  qui  comprend  ses 
attributs  fondamentaux  et  sa  distinction  réelle  et  essen- 
tielle d'avec  le  monde  :  Sancta  calholica  apostolica 
romana  Ecclesia  crédit  et  conjitelur  unum  esse  Deuni 
verum  et  viviun,  crealorem  ac  Dominum  cseli  et 
terrse,  omnipotentem,  setemum,  immensum,  incotn- 
preliensibilem,  intellectu  ac  voluntate  omnique  per- 
fectione  infinituni,  qui  cum  sit  una  singularis,  sim- 
plex  omnino  et  incommutabilis  substanlia  spiritua- 
lis,  priedicandus est  re  el.e*scntia  a  mundo distinctus, 
in  seet  ex  se  beatissimus,  et  supej'  oninia  aux  prœter 
ipsum  suni  et  concipi  possunt,  ine/fabiliter  excdsus. 
Le  concile  affirme  ensuite,  c.  il,  et  d'après  la  doctrine 
de  saint  Paul,  Rom.,  i,  20,  le  pouvoir  dont  l'homme 
jouit  de  parvenir  par  la  lumière  naturelle  de  sa  raison 
et  à  l'aide  des  choses  créées,  e  rébus  creatis,  à  une 
connaissance  certaine  de  Dieu,  principe  et  fin  de  toutes 
choses.  Rien  de  formel,  dans  les  documents  eccb 
tiques,  sur  le  triple  procédé  d'affirmation,  de  négation 
et  d'éminence,  ni  sur  la  voie  mystique  des  alexan- 
drins et  de  leurs  disciples. 

Si  de  la  notion  dogmatique  de  Dieu  nous  passons  a 
la  notion  proprement  philosophique,  beaucoup  plus 
étendue,  il  faut  dire  que  la  seconde  n'est  pas,  sauf 
quelques  écarts  réels  d'ordre  individuel,  une  corrup- 
tion de  la  notion  clin  tienne.  Elle  en  est  une  traduction 
ou  une  explication  répondant  à  des  formes  van 
de  li  conception  humaine,  et  légitimes  dans  la  ne 
où  diverses  écoles  philosophiques  ont  garde  un  fonds 
commun  de  principes  rationnels  ou  mieux  saisi  tels  et 
tspects  de  rériti  i  noire  raison.  Dans 
son  ouvrage  sur  La  fin  du  paganisme,  t.  i,  I.  III,  eu, 
..  Boissier  a  remarqué,  à  propos  de  VOclaviu*  de 
Minucius  Félix,  que,  parmi  lei  tes  du  christia- 

nisme, il  j  avail  deux  écoles  :  les  uns  insistaient  de 
préférence  sur  les  côtés  nouveaux  de  Is  doctrine;  les 
autres  voulaient  à  toute  force  la  rattacher  au 
ceu\-ci  «  recueillaient  .née  soin  toul  ce  qui,  ch< 
philosophi  iiitii.ni  aux  dog s  de  l'Église,  pen- 

sant que  c  étail  un  coup  de  maître  de  réfuter  les  pad  ns 
par  eux-n  Sur  le  terrain   philosophique,  il  \ 

avait,  en  réaltti  .  plus  que  ci  la.   l  ormi  -   >  une  • 
les  Pi  ni  nullement  le  besoin  d'abandon- 

ner  li  Dieu  1 1  |i   monde,  quand  slli 


1151 


DIEU    (SA   NATURE   D'APRÈS   LES   SCOLASTIQUES; 


1152 


(Iraient  avec  leur  foi,  encore  moins  quand  elles  la 
servaient  plutôt.  Pourquoi  n'auraient-ils  pas  profit''  de 
tous  ces  nobles  aperçus  sur  la  divinité  qu'ils  avaient 
trouvés  chez  les  platoniciens,  qu'ils  y  vissent  des  em- 
prunts faits  primitivement  à  la  révélation  ou  le  fruit 
de  la  raison  humaine?  Du  reste,  beaucoup  d'entre  eux 
recevaient  Platon  déjà  interprété.  Tels  les  alexandrins, 
qui  le  voyaient  beaucoup  par  les  yeux  de  Philon;  ce 
qui  était  un  avantage,  Philon  ayant  eu  à  son  service  la 
révélation  mosaïque,  et  en  même  temps,  il  faut  en 
convenir,  un  danger,  étant  donnés  d'une  part,  l'hellé- 
nisme de  ce  philosophe,  et,  de  l'autre,  l'estime  extraor- 
dinaire qu'ont  eue  de  lui  plusieurs  Pères. 

Mais  n'arrivc-t-on  pas,  par  cette  voie,  au  dualisme 
que  W.  Meyer,col.  1088,  1090,  a  prétendu  trouver  dans 
la  théodicée  de  saint  Grégoire  de  Nysse?  E.  de  Faye, 
Clément  d'Alexandrie,  p.  229  sq.,  distingue  comme 
deux  faces  dans  la  conception  de  Dieu  qu'il  attribue  à 
ce  Père,  l'une  métaphysique  et  marquée  à  l'effigie  de 
Platon,  l'autre  religieuse  et  chrétienne  :  «  Désormais, 
conclut-il,  le  Dieu  de  la  théologie  chrétienne  gardera 
ce  double  caractère.  D'une  part,  il  semblera  se  perdre 
dans  l'abstraction  impersonnelle;  d'autre  part,  il 
demeurera  une  personne  vivante.  »  Ne  sont-ce  pas  là 
deux  conceptions  qui  se  heurtent? 

Qu'elles  paraissent  telles  à  ceux  qui  établissent  une 
sorte  d'opposition  et  de  divorce  entre  la  philosophie  et 
le  dogme,  entre  la  raison  et  la  foi,  et  qui  ne  trouvent 
de  solution  que  dans  les  principes  séparatistes  de  Kant, 
de  Hegel,  de  Ritschl  ou  de  Schleiermacher,  c'est  chose 
facile  à  concevoir.  Que  les  deux  conceptions  se  heur- 
tent, si  la  notion  philosophique  n'aboutit  réellement 
chez  les  Pères  qu'à  un  Dieu  inerte,  abstrait,  imperson- 
nel, ce  serait  difficile  de  le  nier.  Mais  nous  avons 
montré  précédemment  qu'il  n'en  est  rien.  En  fait,  les 
deux  conceptions  ne  se  heurtent  pas,  parce  qu'elles  se 
meuvent  dans  un  plan  différent  et  que,  de  plus,  l'une 
complète  l'autre.  Par  la  conception  que  les  protestants 
rationalistes  ou  semi-rationalistes  invoquent  exclusive- 
ment, du  Dieu  vivant  de  l'Évangile,  tel  qu'ils  l'enten- 
dent, du  Dieu  immanent  ou  sensible  au  cœur,  etc., 
qu'atteint-on  en  fin  de  compte?  Dieu  considéré  dans  ses 
relations  aux  créatures,  et  par  conséquent  dans  ses 
attributs  relatifs;  à  moins  qu'on  ne  rêve,  hypothèse 
non  chimérique,  d'un  Dieu  tellement  immanent  à 
l'homme,  qu'il  ne  s'en  distingue  plus  nettement  ou 
plus  du  tout.  Abstraction  faite  du  panthéisme,  et  quelle 
que  soit  du  reste  la  valeur  et  l'efficacité  morale  de  la 
notion  relative  de  Dieu  qui  vient  d'être  énoncée,  si 
l'on  s'en  tient  là,  on  ne  dépasse  pas  en  pratique  ce 
que  le  semi-agnosticisme  affirme  en  théorie. 

Et  pourtant  la  sainte  Écriture  elle-même  nous  invite 
à  nous  élever  des  créatures  à  Celui  qui  est,  qui  est  de 
toute  éternité,  toujours  le  même,  sans  jamais  changer. 
Elle  nous  invite  à  considérer  que  le  monde  est  devant 
lui  comme  un  rien,  et  que  lui-même,  avant  que  le 
monde  ne  fût,  il  était,  heureux  et  parfait  dans  sa 
pleine  indépendance.  Or,  bien  que  la  foi  suffise  pour 
dépasser  en  Dieu  le  relatif  et  atteindre  l'absolu,  il  n'en 
est  pas  moins  vrai,  et  c'est  là  ce  qui  explique  les  Pères, 
que  sur  ce  terrain  la  raison  est  pour  la  foi  un  auxiliaire 
précieux  et  normal.  Si  la  notion  chrétienne  de  Dieu 
nous  fait  surtout  comprendre  et  goûter  ces  paroles  de 
saint  Augustin,  col.  1110  :  habentes  in  intimo  Deurti, 
la  notion  philosophique  nous  aide  puissamment  à 
réaliser  ces  autres  paroles  du  grand  docteur,  De  vera 
religione,  c.  xxxix,  n.  72,  P.  L.,  t.  xxxiv,  col.  154  : 
Transcende  et  te  ipsum. 

Auteurs  catholiques.  —1°  Ouvrages  généraux.  —  J.  N. 
Huber,  Die  Philosopliie  der  Kirchenvàter,  Munich,  1859  ; 
A.  Stôckl,  Geschichte  der  christlichen  Philosopliie  zur  Zeit 
der  Kirchenvàter,  Mayence,  1891  ;  .1.  Schwane,  Histoire  des 
dogmes,  1. 1  et  u,  passim.aux  endroits  cités  col.  1054,1068, 1116. 


2' Monographit  ment  indiquées,  où  il  est  que 

incidemment  de  la  philosopha  Période  anténicéenne, 

col.  1054,  1068  :  3.  Sprinzl  et  A.  Feder,  pour  saint  Justin; 
i.  Cognât  (-1  v.  lii'biit-DupeiTon,  pour  Clément  d'Alexandrie; 
O.  GriUnberger,  pi        i  ix.  —  Période  postnicéenne, 

col.  1110 sq.:  K.  Etalon,  pour  saint  Athunase  et  pour  saint  Basile; 

F.  Diekaniji,  pour  saint  Grégoire  de  Nysse:  E.Portalié  et  J.  Mar- 
tin, pour  saint  Augustin.  —  Basse  patristique,  col.  1133-1134: 
H.  Kocb  et  H.  Weerlz,  pour  Denys  le  pseudo-Aréopagite;  L. 
C.  Bourquaid  el  A.  Hihlebrand,  pour  Boèce. 

3°  Études  spéciales.  —  .1.  M.  Pfàttisch,  O.  S.  B.,  Platos 
Einflussaufdie  Théologie  Justine,  dans  Der  Katkolik,  Mayence, 
1909,4'  série,  t.  xxxix.p.  401-419;  .1.  Denis,  De  la  pliilosophie 
d'Origène,  Paris,  1884.  c.  III,  p.  69  sq.  ;  Paganinus  Gaudentiue, 
De  dogmatum  Origenis  cum  philosophia  Platonis  compara- 
tione,  Florence,  1G39,  c.  v,  vi,  xxn,  xxiv. 

Auteurs  protestants.  —  1  Ouvrages  généraux.  —  H.  Hit- 
ter,  Gescliichte  der  christlichen  Philosophie,  t.  v  et  vi  de  sa 
Geschichte  der  Philosophie,  Hambourg,  1841;  traiJ.  frane.  par 
J.  Trullard,  Paris,  1843-1844;  H.  Ritter,  Die  chnstliche  Philo- 
sophie nach  ihrem  Begriff,  iliren  àusseren  Verhàllnissen 
unà  in  ihrer  Geschichte  bis  auf  die  neuesten  Zeiten,  Gœt- 
tingue,  1858,  t.  i,  1.  II;  E.  Hatch,  The  influence  of  Greek  Ideas 
and  Usages  upon  the  Christian  Church,  Londres,  1890,  lect. 
vii-ix;  H.  M.  Gwatkin,  The  knowledge  of  God  and  its  histo- 
rical  development,  Edimbourg,  1906,  t.  II,  lect.  xv  ;  A.  Har- 
nack,  Lehrbuch  der  Dogmengeschichte,  aux  endroits  cités 
col.  1054,  1069,  1117;  J.  Kôstlin,  art.  Gott,  dans  Bealencyclo- 
pàdie  fur  prolestantische  Théologie  und  Kirche,  3'  édit.,  t.  VI, 
p.786sq. 

2"  Monographies  déjà  signalées.  —  Période  anténicéenne, 
col.  1054,  1068  :  C.  Semisch,  J.  C.  E.  Otto,  C.  Weizsàcker, 
M.  von  Engclhardt,  pour  saint  Justin;  C.  W.  Steuer,  pour 
Tatien;  P.  Logothetes,  pour  Athénagore;  A.  Pomrnrich  et 
O.  Gross,  pour  Théophile  d'Antioche;  J.  Kunze,  pour  saint  Iré- 
née  ;  H.  E.  F.  Guerike,  pour  les  catéchètes  alexandrins;  C.  Bigg, 
pour  les  «  platonistes  chrétiens  »  d'Alexandrie;  K.  K.  Re  iej„n- 
ning  et  P.  Fischer,  pour  Origène  :  R.  Kùhn.  pour  Minucius  Félix  ; 
J.  Stier,  pour  Tertullien.  —  Période  postnicéenne,  col.  117"  : 
\Y.  Meyer,  pour  saint  Grégoire  de  Nysse;  A.  Dorner,  pour 
saint  Augustin.  —  Basse  patristique,  col.  1134  :  J.  Niemeyer, 
J.  Kanakis,  O.  Siebert,  pour  le  pseudo-Denys;  F.  Nitzseb,  p.jnr 
Boèce. 

3-  Études  spéciales.  —  E.  de  Faye,  De  l'influence  du  Timéede 
Platon  sur  la  tlicodicée  de  Justin  Martyr,  p.  169-187.  dans 
Études  de  critique  et  d'histoire,  2'  série,  Paris,  1896  (Biblio- 
thèque de  l'École  des  Hautes  Éludes.  Sciences  religieuses 
t.  vu);  L.  Richter,  Philosophisches  in  der  Gottes-und  Logos- 
lehre  des  Apologeten  Athenagoras  aus  Athen,  Meissen,  1905; 
A.  F.  Daehne,  De  Tv^ira  démentis  Alexandrini  et  de  vestigiis 
neoplatonicx  philosophix  in  ea  obviis  commentatio  historica 
theologica,  Leipzig,  1831,  sect.  m.  p.  77  sq. ;  C.  Merk,  Clemens 
Alexandrinus  in  seiner  Abhàngigkeit  von  der  griechischen 
Philosophie,  Leipzig,  1879;  E.  de  Faye.  Clément  d'Alexandrie. 
Etude  sur  les  rappor'ts  du  christianisme  et  de  la  philosopliie 
grecque  au  ir  siècle,  Paris,  1898  ;  H.  J.  Bestmann,  Orignes  und 
Plotinos,  dans  Zeitschrift  fur  kirchliche  Wissenschafl  und 
kirchliches  Leben ,  Leipzig,  1883,  t.  IV,  p.  169-187;  A.  Jalm, 
S.  Methodii  opéra  et  S.  Methodius  Platonizans.  Halle.  1865; 

G.  Rauch,  Der  Einfluss  der  stoischen  Philosophie  auf  die 
Lehrbildung  Terlullians,  Halle.  1890;  G.  Schelowsky.  Der  Apo- 
loget  Tertullianus  in  seinem  Verliâltnis  zu  der  griechisch- 
rômischen  Philosophie,  Leipzig,  1901;  G.  Morgenstern,  Cyprian, 
Bischof  von  Carthago,  als  Philosoph,  Iéna,  1889;  A.  Jahn, 
Basilius  Magnus  plotinizans,  comme  supplément  à  l'édition  de 
Plotin  par  Creuzer,  et  à  celle  de  saint  Basile  parGarnier,  Berne, 
1838;  G.  Loesche,  De  Augustino  plotinizanle  in  doctrin 
Deo  disseretnla.  Iéna,  1880;  L.  Grandgeorge,  Saint  Augustin 
et  le  néo-platonisme,  Paris,  1896  (Bibliothèque  de  l'École  des 
Hautes  Études,  Sciences  religieuses,  t.vm);  A.  Jahn, Diony- 
siaca.  Sprachliche  und  Sachliche  Platonische  Blùthenlese  uns 
Dionysius,  dem  sog.  Areopagiten,  zur  Anbahnung  der  phU 
lologischen  Behandlung  dièses  Autors.  Altona  et  Leipzig, 
1889. 

X.  LE  IîaCHELET. 

V.  DIEU.  SA   NATURE  SELON    LES  SCOLASTIQUES. 

—  I.  Méthode  des  études  scolastiques  sur  la  nature  de 
Dieu.  il.  Doctrine  des  attributs  ou  noms  divins  au 
xiie  siècle.  III.  Apport  péripatéticien  et  néoplatonicien 
dans  la  théodicée  au  xine  siècle.  IV.  Inlluence  de  la 
philosophie  religieuse  des  Arabes. 
On  a  exposé  aux  articles  Attributs  et  Aséité  ce  qui 


1153 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES    SCOLASTIQUES) 


1154 


dans  le  sujet  que  nous  avons  à  traiter  est  essentiel  au 
point  de  vue  doctrinal.  Les  éludes  développées  consa- 
crées aux  principaux  scolastiques  et  divers  articles  plus 
spéculatifs  ont  indiqué  déjà  ce  qu'offre  de  spécial  le 
détail  de  la  théodicée  de  ces  auteurs  et  des  diverses 
écoles,  et,  conformément  au  plan  de  ce  dictionnaire,  ce 
travail  se  poursuivra.  Il  ne  nous  reste  donc  qu'à  pré- 
senter ici,  ce  qui  ne  peut  pas  trouver  place  ailleurs,  un 
aperçu  historique  de  la  formation  de  la  doctrine  sur 
Dieu  dans  la  scolastique.  Dans  ce  but,  nons  ferons  l'in- 
ventaire des  données,  procédés  et  conclusions  de  la 
théodicée  auxue  siècle.  Puis  nous  chercherons  à  expli- 
quer comment  se  fit  au  xme  siècle  l'introduction  de  la 
doctrine  de  l'acte  et  de  la  puissance  qui  est  la  note 
caractéristique  de  la  théodicée  scolastique.  De  la  sorte 
nous  espérons  d'une  part  donner  une  réponse  aux 
attaques  courantes  contre  la  scolastique,  d'autre  part 
dégager  les  idées  maîtresses  de  la  théodicée  de  l'École, 
et,  par  le  moyen  de  l'histoire,  montrer  quel  est  le  sens 
des  controverses  qu'on  y  agite  et  quelle  en  est  la  mé- 
thode. Commençons  par  quelques  notions  générales 
sur  ce  dernier  sujet  qui  est  des  plus  complexes. 

I.  Méthode  des  études  scolastiques  sur  la  nature 
de  Dieu.  —  Relativement  à  la  nature  de  Dieu,  on  peut 
caractériser  le  mouvement  théologique  des  XIe  et 
XIIe  siècles,  période  des  origines  prochaines  de  la  sco- 
lastique, par  trois  noms  :  saint  Bernard,  saint  Anselme 
et  Pierre  Lombard.  Cf.  Grabmann,  Die  Geschichle  der 
scholaslisclien  Melhode,  Fribourg-en-Brisgau,  1909, 1. 1; 
Robert,  Les  Ecoles  et  l'enseignement  de  la  tliéologie 
pendant  la  première  moitié  du  x IIe  siècle,  Paris,  1909. 

1°  Saint  Bernard.  —  Saint  Bernard,  que  pour  cette 
raison  l'on  appelle  souvent  le  dernier  des  Pères,  repré- 
sente spécialement  l'élément  traditionnel.  Ce  qu'il  nous 
a  laissé  sur  la  nature  divine  est  la  synthèse,  filtrée  à 
travers  une  âme  aussi  religieuse  qu'élevée,  de  ce 
qu'extrayaient  à  son  époque  de  l'Écriture,  des  Pères  et 
des  textes  canoniques,  les  glossateurs  de  la  Bible,  les 
faiseurs  de  «  chaînes  »,  les  compilateurs  de  décrétâtes 
et  aussi  les  «  sententiaires  ».  Ces  derniers,  en  se  livrant 
au  travail  de  recueillir  les  g  pensées  »  des  Pères, 
essayaient  de  les  ordonner  d'une  façon  méthodique,  en 
vue  de  l'enseignement  religieux.  Ils  ne  tardèrent  pas  à 
remarquer  que,  d'accord  quant  au  fond  des  vérités  en- 
seignées sur  Dieu  par  l'Église,  les  Pères  ne  l'étaient 
pas  toujours  sur  les  preuves  et  les  explications  qu'ils 
en  donnaient.  Mais,  dans  ce  désaccord  même,  un  pro- 
cédé leur  restait  commun  :  l'emploi  d'arguments  ra- 
tionnels sur  la  nature  divine. 

l 'Saint  Anselme.  —  Saint  Anselme  dégagea  ce  point 
commun  et  par  là  fonda  la  scolastique,  comme  vient  de 
le  rappeler  Pie  X.  Encyclique  Communium  rerum. 
C'est  avre  une  pleine  conscience  de  la  nouveauté  qu'il 
Introduisait,  que  saint  Anselme  écrivit  ses  deux  traités 
sur  Dieu,  le  Monologium,  el  le  Pro$logion.  P.  /.., 
t.  ii. \ ni,  col.  143,  223.  Il  suffit  pour  s'en  convaincre 
dru  lire  les  premières  lignes,  et  spécialement  la  courte 
préface  du  Monologium,  que  l'auteur  supplie  les  co- 
pistes  de  ne  jamais  omettre  en  reproduisant  le  corps 
de  l'ouvrage.  Cette  préface  a  durant  des  siècles  fourni 
;'i  tous  les  commentateurs  du  Maître  des  Sentences  le 
thème  qu'ils  développent,  au  prologue  du  I«  livre,  sur 
l'objet  et  sur  la  méthode  de  la  théologie;  la  pensée  de 
saint  Anselme  fait  lefonddei  où  saint  Thomas 

traite   proprio  marie  du   même  sujet,  Contra  gentet, 
I.  I,  c.  i-ix;   Sum.   theol.,  I»,  q.   i;    au   xvn 
cardinal  'I  plus  'le  deus  cenl  I  | 

in-folio  ■<  •'  page 

de  saint    Anselme,    Fheologia  tancli  Antelmi,  Homo, 
.  t.  i,  p.   35-246;  et,   de  nos  joui  -  en.  ore, 

directement  on   indirectement,  di ne    pa  >age  de 

l  archevêque  d  i  .  que  •  inspin  ni  les  me, 

théolo  iei i  but  d    leui    ti  nr  Dieu,  comme 

DICT.    Iii:   Tlli'il..   CATIIOL. 


on  peut  le  voir  par  exemple  dans  les  Prolegomena  du 
Tractatus  de  Deo  uno  de  I-'ranzelin. 

Depuis  que  Victor  Cousin,  suivi  par  Hauréau  et  aussi, 
dans  une  trop  large  mesure  bien  que  dans  un  esprit 
différent,  par  M.  de  Wulf,  a  réduit  ce  qu'on  appelle  le 
problème  scolastique  à  la  discussion  d'une  prétention 
de  Porphyre  sur  les  universaux,  on  a  beaucoup  écrit 
sur  la  scolastique,  mais  sans  prendre  connaissance  ou 
sans  tenir  compte  de  la  série  continue  des  travaux  dont 
nous  venons  de  faire  mention.  On  y  eût  trouvé  précisé- 
ment la  discussion  du  programme  d'études  tracé  par 
saint  Anselme  en  tète  du  Monologium.  —  l.  L'objet  prin- 
cipal delà  scolastique  est  la  nature  divine,  de  meditanda 
divinilalis  essentia  et  quibusdam  aliis  huic  médita- 
tions cohœrentibus.  Sur  ce  point  il  n'existe  chez  les 
scolastiques  aucune  divergence.  Après  saint  Thomas, 
qui  enseigne,  comme  Duns  Scot,  que  l'objet  principal  de 
la  théologie  est  l'essence  divine  considérée  absolument, 
on  a  opiné  avec  Gilles  de  Rome,  Durand  de  Sainl- 
Pourçain,  que  cet  objet  est  l'essence  divine  considérée 
relativement,  glorificalor,  etc.,  ou  uniquement  dans  le 
Christ;  mais,  de  toute  façon,  l'objet  principal  de  la 
scolastique  a  toujours  été  la  nature  divine.  Cf.  Vasquez. 
In  Pm,  disp.  X,  De  subjecto  theologiœ.  S'en  faire  une 
autre  idée,  c'est  aller  contre  les  textes  et  les  faits,  c'est 
s'en  interdire  à  jamais  l'intelligence.  Il  est  d'ailleurs 
aisé  de  saisir  pourquoi  il  ne  pouvait  pas  en  être  autre- 
ment. La  scolastique  est  l'étude  de  la  foi;  mais  l'objet 
principal  de  la  foi  n'est  autre  que  Dieu  lui-même,  sui- 
vant une  phrase  de  saint  Augustin  devenue  classique  : 
Fides  in  Ecclesia  brevissime  tradilur,  in  qua  com- 
mendantur  alterna  quse  inlelligi  a  carnalibus  nondum 
possunl  ;  et  temporalia,  prœterila  et  futura,  quai  pro 
salule  hominum  gessit  elgestura  est  xternitas  divinx 
providentise.  Credamus  ergo  in  Patrem  et  Filiuni  et 
Spiritum  Sanclum  :  hsce  selerna  sunt  el  incommata- 
bilia,  id  est,  unus  Deus,  unius  subslcintige  Trinilas 
alterna,  Deus  ex  quo  omnia,  per  quem  omnia,  in 
quo  omnia.  De  agone  chrisliano,  c.  XIII,  P.  L.,  t.  XL, 
col.  299.  —  2.  Saint  Anselme  indique  ensuite  la  méthode 
à  suivre  :  l'emploi  de  la  preuve  rationnelle,  sans  appel 
direct  à  l'autorité  de  la  parole  divine,  qualenus  aucto- 
rilate  Scriptural  penitus  iiiliil  in  ea  persuaderetur. 
Cf.  De  fide  Trinilalis,  c.  IV,  ibid.,  col.  272.  Subsidiai- 
rement,  les  objections  soulevées  par  la  raison  seront 
résolues  par  le  même  procédé.  —  3.  Cependant  tout  en 
faisant  o'uvre  de  philosophe,  saint  Anselme  n'oublie 
pas  que  le  philosophe,  même  lorsqu'il  conclut  d'après 
les  seules  lumières  de  sa  raison,  a  soin,  s'il  est  prudent, 
de  contrôler  ses  principes  et  ses  conclusions  à  l'aide 
de  la  philosophia  perennis,  et,  s'il  est  catholique,  à 
l'aide  de  l'enseignement  de  l'Église  :  nihil  potui  inve- 
nirente  ineadixisse,  quod  non  catholicorum  Patrum, 
et  maximebeati  Augustini  scriptis  cohœreat. D'ailleurs, 
Anselme  n'ignore  pas  et  ne  néglige  pas  la  distinction 
entre  les  inysleres  proprement  dits,  que  la  raison  par 
elle-même  ne  saurait  découvrir,  el  les  vérités  sur  Dieu 
que  nous  pouvons  connaître  par  la  raison.  De  fide  Tri- 
7iilatis,c.  il,/'.  L.,  t.  ci. vin,  col.  263.  Et  si  ce  lut  sur- 
tout au  nom  des  données  de  la  révélation  que  saint 
Bernard  combattit  Abélard  et  Gilbert  de  laPorrée,  c'est 

en  vertu  des  méun  !g  données  qn' Anselme  traita  d'heiv- 
lique  la  dialectique  île  Roscelin.  Ibid.,  col.  265. 

30 Pierre  Lombard.  —  L'innovation  de --.ont  Anselme 
rencontra  des  1  aces,  Mais  elle  eut  de  sages  parti- 

sans, spécialement  dans  l'école  de  Saint-Victor.  Moins 
[que  qu'on  ne  l'a  prétendu,  l'école  de  Sainl  Victor 

l'appliqua  &  perfectionner  h  prograi tin.  .1  grands 

trait--  par  saint  Anselme.  Cf.  Mignon,  Lei  origineê  de 
lu  tcolastique  ri  Huguei  >ir  Saint 

t.  I,  c.lll.  Sous  l,i  d  nul  de  in  11  11  ont  An  sel 1 

de  la  curiosité  philosophique  qui  se  faisait  alors  sentir, 
l'attention  cialemenl 

IV.  -87 


Il 


DO 


DIEU    (SA   NATURE    SELON    LES   SCOLASTIQUES 


1156 


sur  la  partie  rationnelle  des  écrits  des  Pères.  L'abou- 
tissement de  cet  immense  travail  fut  le  Livre  des  Sen- 
tences de  Pierre  Lombard,  P.  L,,  t.  cxci  ;  édition  cri- 
tique, dans  le  I1'1  volume  des  Opéra  de  saint  Jionaven- 
rure,  Quaracchi,  1882.  Le  recueil  de  Pierre  Lombard  lit 
vite   oublier  les  travaux  du  même  genre  qui   l'avaient 
précédé;  il  devint  bientôt  le  texte  classique  des  cours 
et  traités  de  théologie;  il  fut  les  Sentences,  tout  court. 
Le  succès  du  Maître  des  Sentences  fut  dû  en  grande 
partie  à  sa  méthode;  en  tout  cas,  cette  méthode  est  la 
méthode  scolastiquedans  son  premier  épanouissement. 
Le  Monologium  et  le  Proslogion  sont  surtout   œuvre 
de  philosophe;  le  livre  des  Sentences  est  plutôt  rouvre 
d'un  théologien.  —  1.  Saint  Anselme  se  livre  à  la  spécu- 
lation sur  la  nature  divine,  et  constate  que  ses  principes 
et  conclusions  sont  conformes  à  l'enseignement  tradi- 
tionnel;  Pierre    Lombard  procède   d'abord    par    voie 
d'autorité  scripturaire  et patristique;  et,  chez  lui,  l'ar- 
gumentation philosophique  est  ordinairement  fournie 
directement  par  les  textes  mêmes  qu'il  recueille.  On 
saisira   la  différence,   qui  est  plus  qu'une  nuance,  en 
comparant  par  exemple  la  Somme  philosojihique   de 
saint  Thomas  contre   les  gentils  et  sa  Somme  théolo- 
gique. Dans  le  Contra  gentes,  saint  Thomas  n'amène 
qu'à  la  fin  de  ses  chapitres  les  textes  scripturaires  ou 
patristiques  que,  dans  la  Somme  tltéologique,  il  place 
avant   la  spéculation  philosophique,   en  tète    du  res- 
pondeo  dicendum    au  sed  contra,  qui  résume  et  rap- 
pelle d'un  mot  l'argument  théologiquement  décisif. 

La  reconnaissance  de  l'importance  de  la  tradition 
chrétienne,  même  en  pure  spéculation  philosophique 
sur  Dieu,  qui  caractérise  l'œuvre  de  Pierre  Lombard, 
orienta  le  travail  des  théologiens  dans  une  direction 
négligée  par  saint  Anselme.  —  2.  Celui-ci  avait  abordé 
la  solution  des  difficultés  que  peut  élever  la  raison 
contre  les  conclusions  traditionnelles  sur  Dieu;  et  en 
ce  point  les  scolastiques  le  suivirent.  Mais  il  n'avait 
pas  donné  la  solution  des  problèmes  que  soulèvent 
les  divergences  des  Pères;  ce  fut  un  travail  qu'allec- 
tionna  le  XIIe  siècle;  et  quoi  qu'en  aient  dit  le  P.  Denille 
et  M.  Picavet,  Abélard  et  Alexandre  de  Halis  créateurs: 
de  la  méthode  scolastique,  dans  la  Bibliothèque 
de  l'École  des  Hautes  Eludes,  Sciences  religieuses, 
t.  vu,  et  après  eux  M.  de  Wulf,  Histoire  de  la  philo- 
sophie médiévale,  Louvain,  1900,  p.  201,  l'œuvre 
d'Abélard,  et  en  particulier  le  Sic  et  non,  ne  furent 
qu'un  épisode  dans  ce  travail  de  classification  et  de 
conciliation  des  textes,  dont  les  canonistes  avaient  les 
premiers  donné  l'exemple.  Il  y  eut,  en  effet,  des  «  sen- 
tentiaires  »  avant  le  Sic  et  non,  de  même  qu'il  y  eut 
des  «  sommistes  »  avant  Vlntroductio  ad  theologiam. 
Cf.  Baltus,  Dieu  d'après  Hugues  de  Saint-Victor,  dans  la 
Revue  bénédictine,  1898,  p.  109.  D'ailleurs,  la  question 
de  dates  qui  cependant  a  bien  ici  quelque  poids  mise 
à  part,  comment  qualifier  «  d'initiateur  de  la  méthode 
scolastique  »  celui  que  le  premier  siècle  de  la  scolastique 
admira,  mais  condamna;  celui  que  la  scolastique  posté- 
rieure ignora  si  bien,  que  de  nos  jours  encore  on  discute 
sur  la  vraie  portée  de  ses  écrits?  Le  P.  Denifle  a  mis 
à  la  mode  ce  qu'il  appelle  une  école  d'Abélard,  voir 
t.  I,  col.  49;  il  semble  bien  que  ce  soit  à  tort;  car  le  Sic 
et  non  n'était  qu'un  recueil  de  textes  en  apparence  dis- 
cordants, mais  sans  critique,  sans  que  l'auteur  donnât 
son  opinion  personnelle,  comme  font  toujours  les 
scolastiques;  et  d'un  autre  côté,  dans  Vlntroductio  ad 
theologiam ,  où  Abélard  est  personnel,  il  l'est,  comme 
ne  le  sont  jamais  les  scolastiques,  je  veux  dire  sans 
égard  pour  la  subordination  de  la  pensée  humaine  à 
la  révélation,  de  la  spéculation  au  donné  traditionnel. 
Cf.  Daniels,  Quellenbcilrâge  und  Untersuchunge»  iw 
Geschichtc  der  Gottesbeweise  im  xni  Jahrhundert, 
Munster,  1909,  p.  116.  au  t.  vm  des  Beitrâge.  Si  l'on 
tient  absolument  à  compter  parmi  les  initiateurs  de  la 


scolastique    un  écrivain  dont  l'orthodoxie  ne  fut  pas 
toujours  intacte,  qu'on  nomme  Gilbert  de  la  Pori ■< '■•  .  , 
qu'il  est  certain  que  ses  commentaires  sur  Boèce  furent 
souvent  cités,  largement  utilisés,  et  que  son  trait.   De 
sexpnncipiis  fui  longtemps  classique.  Albert  le  Grand  le 
commenta;  saintThomas  lui  lit  de  larges  emprunts;  on 
l'éditaitencore  avec  les  œuvres  d'Aristote  au  XVIe  siècle. 
On  ne  peut  pas  en  dire  autant  d'Abélard.  Tout  ce  qu'on 
peut  reconnaître  d'influence  au  Sic  et  non,  c'est  d'avoir 
fait  sentir  à  tous  la  nécessité  du  travail  d'interprétation 
des  textes  patristiques,  auxquels  se   livraient  les  sen- 
tentiaires,  et  d'avoir  ainsi  préparé  le  bon  accueil  que 
l'on  ne  tarda  guère  à  faire  à  l'œuvre  de  Pierre  Lombard. 
Sans  doute  les  Sentences,  au  point  de  vue  de  l'inter- 
prétation objective  des  Pères  et  de  leur  philosophie, 
nous  paraissent  aujourd'hui  bien  imparfaites;  car  les 
recherches  entreprises  sur  ce  sujet  par  les  théologiens 
depuis  la  fin  du  xvi<=  siècle  nous  ont  rendu  difficiles  et 
exigeants.  Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que,  sans  la  per- 
sistance de  l'influence  de  Pierre  Lombard,  ni  Melchior 
Cano  n'eut  pu  railler,  comme  il  a  fait,  ceux  qui   en 
théologie   trancheraient   tout  par   un    syllogisme  tiré 
d'Aristote  sans   recourir  aux  sources  chrétiennes:   ni 
l'école  des  jésuites  espagnols,  Vasquez  et  Suarez,  n'eût 
pu  donner  une  si  large   place  à  la   discussion  de  la 
pensée  historique  des  Pères,  et  faire  naitre  ainsi  les 
travaux  de  Petau  et  de  ses  émules.  Il  ne  faut  pas  oublier 
non  plus  que  la  préoccupation  de  concilier  les  Pères 
entre  eux,  imposée  à  tous  les  scolastiques  du  mo\en 
âge  par  le  texte  même  de  l'auteur  qu'ils  commentaient, 
donna  à   leurs  spéculations   une  base  plus  large,  les 
préserva  du  dogmatisme  philosophique  intransigeant 
où  incline  l'usage  constant  de  la  méthode  dialectique, 
et  mit  en  éveil,  tint  en  haleine  leur  curiosité  métaphy- 
sique. Sans  doute,  quelques-uns  abusèrent  de  la  liberté 
grande  d'opiner  qui  naissait  de  la  situation  ;  mais  la 
providence  semble  s'être  servie  de   celte  liberté  mi 
pour  prévenir  la  formation  dans  l'Église  d'une  tradition 
philosophique  unilatérale,  dont  l'étroitesse  eut  pu  un 
jour  devenir  un   embarras.   Ces  résultats  sont   assez 
importants  pour  consoler  de  l'ennui  que  l'on  éprouve 
à  voir  les  anciens  scolastiques,  même  les  plus  grands, 
se  méprendre,  dans  la  solution  des  difficultés  patristi- 
ques qu'ils  se  posent,  sur  le  sens  des  textes  et  sur  les 
divergences  ou  nuances  des  diverses  philosophies.  faute 
d'avoir  comme  nous  une  édition  complète  et  critique 
d'Aristote,  de  Plotin  ou  de  Proclus,  faute  surtout  d'avoir 
sous  la  main  l'équivalent  des  patrologies  deMigne.  Heu- 
reusement, les  intuitions  du  génie  d'une  part,  celles  du 
sens  catholique  de  l'autre,  suppléèrent  le  plus  souven 
à  ce  que  laissait  à  désirer  l'érudition;  et,  quoi  qu'en 
puisse  dire  M.  Picavet,  il  en  résulta   qu'avec  des  for- 
mules néoplatoniciennes  les  scolastiques  exprimèrent 
des  vérités  chrétiennes. 

Une  dernière  conséquence  de  la  méthode  strictement 
théologique  de  Pierre  Lombard  fut  la  distribution  des 
matières  de  son  Ie1  livre.  —  3.  Saint  Anselme  dans  son 
Monologium  avait  distingué  la  connaissance  naturelle 
que  nous  avons  de  Dieu  par  la  raison, et  celle  que  nous 
avons  par  la  foi;  et,  conformément  à  la  logique  des 
choses,  il  avait  commencé  son  ouvrage  par  la  première, 
et  l'avait  achevé  par  la  seconde;  c'est  l'ordre  que  suivit 
plus  tard  saint  Thomas  dans  la  Somme  théologique,  et 
c'est  l'ordre  communément  suivi  dans  l'École  depuis 
le  milieu  du  xvic  siècle,  c'est-à-dire  depuis  le  moment 
où  la  Somme  de  saint  Thomas  a  prévalu  sur  l'œuvre 
de  Pierre  Lombard,  comme  texte  de  cours.  Pierre 
Lombard,  se  plaçant  plus  rigoureusement  que  saint 
Anselme  au  point  de  vue  théologique,  débute  au  con- 
traire par  le  dogme  fondamental  de  la  Trinité  :  Hoc 
itaque  vera  ac  pia  fide  tenendum  est  quod  Trinitas 
sil  unus  et  solus  verus  Deus,  lit  ait  Augustinus.  L.  I, 
dist.  II.  c.  I.  Et  ce  n'est  qu'à  propos  de  l'étude  ration- 


1157 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES   SCOLASTIQUES; 


1158 


nelle  de  la  Trinité  qu'il  introduit,  à  mesure  qu'il  en 
a  besoin,  l'enseignement  patristique  sur  ce  que  nous 
connaissons  de  Dieu  par  la  seule  raison.  Il  résulte  de 
ce  plan  un  enchevêtrement  des  questions  proprement 
théologiques  et  des  problèmes  purementphilosophiques, 
qui  rend  très  difficile,  sinon  impossible,  l'intelligence 
des  commentateurs  des  Sentences,  à  ceux  qui  n'ont  pas 
fait  de  très  fortes  études  théologiques.  En  second  lieu, 
chez  Pierre  Lombard  et  chez  ses  commentateurs,  les 
problèmes  philosophiques  sur  la  nature  divine  ont 
eux-mêmes  leur  distribution  commandée,  soit  par  le 
dogme  défini  ou  révélé,  soit  par  la  doctrine  commune 
de  l'Église,  soit  par  les  données  patristiques  alors 
connues,  et  par  le  sens  où  ces  données  étaient  enten- 
dues. On  saisira  la  portée  de  cette  remarque,  si  l'on 
compare  par  exemple  l'ouvrage  théologique  De  Deo 
uno  de  Franzelin  avec  la  théodicée  scolastique  du 
P.  Hontheim.  Ces  deux  catégories  de  traités  ont  au 
fond  le  même  objet,  la  nature  divine  en  tant  que  con- 
naissable  par  la  raison;  ils  diffèrent  cependant,  non 
seulement  par  l'ordre  des  matières,  ce  qui  est  de  pre- 
mière importance  lorsqu'on  suit,  comme  ils  font,  une 
méthode  déductive,  mais  encore  par  le  choix  des  ques- 
tions traitées,  par  l'importance  accordée  aux  diverses 
conclusions,  et  souvent  par  la  nature  même  des  argu- 
ments employés.  On  sait  que  VHistoire  de  la  scolasti- 
que d'Hauréau  fut  d'abord  un  mémoire  composé  pour 
un  concours  proposé  par  une  de  nos  académies.  Or, 
l'Académie  avait  demandé  un  travail  où  l'on  fit  abstrac- 
tion de  la  théologie  des  scolastiques.  Cette  condition, 
contraire  à  la  nature  des  choses,  est,  plus  peut-être 
que  l'inlluence  de  Victor  Cousin  et  du  nominalisme 
subjectiviste  de  M.  Hauréau,  la  vraie  raison  de  l'insuf- 
fisance notoire  du  mémoire  couronné  et  de  VHistoire 
qui  en  est  sortie. 

II.  Doctrine  des  attributs  ou  noms  divins  aux  xfet 
xii'  siècles.  —  Nous  disons  attributs  ou  noms  divins, 
pour  bien  marquer  que  nous  ne  prenons  pas  ici  le 
mot  attributs  dans  le  sens  précis  qu'il  a  reçu  dans  la 
scolastique  postérieure.  <•  Attribut  »  signifie  donc  ici 
tous  les  termes,  substantifs  ou  adjectifs,  que  nous 
employons,  avec  l'Écriture  ou  la  tradition,  pour  di li- 
gner les  perfections  divines.  Bien  que  saint  Thomas 
parle  souvent  autrement,  c'est  le  sens  qu'il  a  en  vue, 
lorsqu'il  traite  des  noms  divins.  S  uni.  tlieol.,  I\  q.  XIII. 
Dans  cette  acception,  la  doctrine  des  attributs  com- 
prend en  réalité  tout  ce  que  nous  pouvons  connaître 
ici-bas  de  la  nature  divine,  soit  par  la  raison,  soit  par 
la  révélation. 

1"  Déduction  des  attributs.  —  Les  procédés  par 
lesquels  nous  arrivons  à  connaître  les  perfections 
divines  par  la  raison  naturelle,  se  réduisent  à  trois, 
comme  le  remarquait  déjà,  au  début  du  xiv«  siècle,  le 
dominicain  Hervé  de  Nédellec.  Ou  bien  nous  partons 
de  l'infinité'  divine,  du  fait  que  Dieu  est  la  plénitude 
de  l'être,  supposé  connu  soit  par  la  révélation,  Ego 
um,  soit  par  l'idée  uaturelle  de  Dieu,  ensquo 
m"  "  nequit,  soit  par  démonstration,  et  nous 

déduisons  la  pluralité  des  attributs;  ",i  bien  nous  pro- 
cédons par  voie  de  causalité,  el  cela  dedeui  manii 
modo  tic  :  quia  Deut  est  agent  primum  et 

ideo  est  agent   pet   intelleclum  el  volunta- 
tem,  •  I  Ibi  dm  cilù  •  t   IntelL 

per  intel- 
lectum,  ibi  est  tapientia  et  tdentia;ei  quia  voluntas 
■  m  non  extra  te, ideo  ibi  est  h, .min-. 
et  sic  de  a  ■  nditur  ex  causali- 

inir  tic  :  Quidquid  perfectionit    eti    limpliciter   in 
tffectu,  "i  m  cauta;ted  m  creaturis  in- 

util,  plura  que 
puta  este  ' 
ergo  oportet  talia  pi  Deo,  qui  est  coûta  oi 

IV  Sent.,  I.  1,  diM    il 


q.  I,  Paris,  1647,  p.  24.  Or,  l'emploi  du  premier  pro- 
cédé fait  le  fond  du  Proslogiwu  et  du  Monologium  de 
saint  Anselme,  avec  cette  différence  que,  dans  le  pre- 
mier de  ces  ouvrages,  l'auteur  part  de  l'idée  de  l'infini 
qu'il  suppose  naturelle  et  spontanée,  tandis  que  dans 
le  second  il  commence  par  prouver  que  Dieu  est  la 
plénitude  de  l'être,  en  prenant  pour  base  l'idée  du  sou- 
verain bien.  Voir  col.  877,915.  D'un  autre  côté,  dans  la 
première  partie  du  Monologium,  non  seulement  saint 
Anselme  se  sert  du  double  procédé  par  voie  de  causa- 
lité, mais  il  en  fait  la  théorie,  c.  xv,  P.  L.,  t.  clviii, 
col.  162;  et,  sur  ce  sujet,  on  ne  l'a  pas  dépassé.  Tout 
au  plus  faut-il  reconnaître  qu'Hugues  de  Saint-Victor 
ajouta  à  la  doctrine  d'Anselme  une  précision  impor- 
tante, en  insistant  sur  cette  remarque,  quod  ralionem 
creatnra  recte  considerala  adjuvat  ad  cognoscevthon 
Deum.  De  sacramentis,  1.  I,part.  III,  c.  xiv;  Eruditio 
didascalica,  1.  VII,  c.  xv,  P.  L.,  t.  clxxvi,  col.  221, 
823.  Pierre  Lombard,  sans  considérations  spéculatives, 
se  contente  de  reproduire  d'après  les  Pères  la  même 
doctrine,  Sent.,  1.  I,  dist.  III,  c.  i;  cf.  dist.  XLIII, 
contre  Abélard. 

Si  l'on  fait  abstraction  des  controverses  postérieures 
sur  la  démonstrabilité  par  la  raison  de  tel  ou  tel  attribut, 
par  exemple  l'unicité,  la  toute-puissance,  l'infinité,  sur  la 
valeur  probante  de  tel  ou  tel  argument  emprunté  plus 
tard  au  péripatétisme  ou  au  néoplatonisme,  on  peut 
dire  que  la  déduction  des  attributs,  telle  que  l'ensemble 
des  théologiens  la  pratique  encore  aujourd'hui,  n'a 
fait,  pour  le  fond  des  choses,  aucun  progrès  depuis  le 
xne  siècle;  tout  au  plus  l'agencement  pédagogique  de 
nos  traités  est-il  meilleur,  bien  qu'à  ce  point  de  vue  le 
Iei  livre  de  VArs  fidei  d'Alain  de  Lille  soit  déjà  très  re- 
marquable. 

La  déduction  des  attributs  tient  une  large  place  dans 
les  textes  du  xii"  siècle  qui  nous  sont  parvenus.  En 
faire  honneur  à  Plalon,à  Aristoteou  au  néoplatonisme, 
c'estoublier  quele  xir  siècle  ne  connaissait  directement 
de  Platon  que  le  Timée,  qu'il  ne  put  lire  qu'assez  tard  la 
Logique  complète  d'Aristote,  et  que  l'influence,  d'abord 
latente,  puis  plus  sensible,  du  néoplatonisme  ne  pou- 
vait avoir,  au  point  de  vue  qui  nous  occupe,  que  d'assez 
fâcheux  résultats.  C'est  à  l'enseignement  de  la  tradi- 
tion chrétienne  —  les  textes  auxquels  nous  allons 
renvoyer  le  disent  clairement  —  que  le  XII*  siècle  em- 
prunta la  doctrine  de  la  déduction  des  attributs,  huis 
l'impossibilité  de  passer  ici  en  revue  tous  les  attributs 
divins,  nous  nous  bornerons  à  ceux  dont  la  connais- 
sance nette  est  impliquée  par  les  diverses  décisions  que 
prit  l'autorité  ecclésiastique  contre  les  erreurs  qui  se 
produisirent  durant  cette  période;  en  d'autres  termes, 
nous  nous  bornerons  à  ceux  qui  furenl  l'objet  des  ques- 
tions et  des  solutions  agitées  dans  l'École,  avant  l'in- 
troduction du  péripatétisme  irabe  dans  le  monde  latin. 

1.  Substantialité  de  Dieu.  —  Sur  la  substantialité 
de  Dieu,  voir  Yves  de  Chartres,  Decretum,  pari.  I, 
c.  ii.  /'.  L.,  t.  cxi. i,  col.  en.  s.  Anselme,  Monologium, 
c.  xxvi  sq.,  P.  I  .  i  clviii,  col.  179;  Gilberl  delà 
Porrée.  De  prsedicatione  trium  personarum,  /'  /  . 
t.  i.xiv.  col.  1304;  De  Trinitate,  ibi:/.,  col.  1282,  1270. 
lue  question  connexe  esl  celle  qui  concerne  l'emploi 
du  mol  essence  en  parlant  de  Dieu.  La  doctrine  de 
saint  Augustin  esl  rapportée  par  Pierre  Lombard,  1.1, 
dist  VIII,  c.  i.  sirui  oh  m  i/unii  est  tapere  dicta  •■*! 
tapientia,  ita  ah  eo  quod  est  este  dicta  est  essentia. 
Kt,  par  être  on  entend  la  plénitude  >\e  l'être,  comme  il 
apparat)  par  le  contexte  :  Et  qui*  magit  bst  quam 
ille  qui  m  Exodi  tertio  dixil  famulo  tuo  Moysi  .  ' 

Hum  qui  tum. 

j  '  nitéde  Dieu,  Evidemment  on  enseignait  l'unité 
iii\  in"  i  n  mémi  dogmi  trinitain    Mais 

quand  il  d'expliquer  la  terminologie  patris- 

lique  en  cette  matière,  on  était  embarrassé   On  mal- 


1159 


DIEU    (SA   NATURE    SELON    LES    SCOLA  STIQUES 


1160 


tiplie  les  distinctions,  cf.  S.  Bernard,  De  considera- 
tione,  1.  V,  c.  vin,  /'.  L.,  t.  cixxxii,  col.  799;  Hugues 
de  Saint-Victor,  Erudilio  didascalica,  1.  VII,  c.  xix, 
P.  L.,  t.  clxxvi,  col.  826;  Alain  de  Lille,  Régulée  tlieo- 
logicsc,reg.  il,  P.  L.,  t.  ccx,  col.  624;  Dislinctiones  tlieo- 
logicœ,  v»  Unum,  ibid.,  col.  987.  Mais  la  terminologie 
reste  confuse,  parce  que  l'on  n'a  pas  une  connaissance 
précise  des  sens  spéciaux  donnés  à  ce  mot  par  les  Pères 
platonisants.  Cf.  Scheeben,  La  dogmatique,  §  83,  t.  Il, 
p.  193.  La  confusion  ne  lit  que  croître,  lorsque  l'on 
reçut  comme  œuvre  de  Boèce,  P.  L.,  t.  i.xiii,  col.  1075, 
le  De  unilate,  que  Dominique  Gundisalvi  avait  com- 
pilé d'après  le  néoplatonicien  Avicebron.  Cf.  Correns, 
Die  dem  Boethius  fàlschlich  zugeschriebene  Abhand- 
lung  des  Dominions  Gundisalvi  de  unilate,  dans  le 
t.  i  des  Beitràge  de  Bammker,  Munster,  1891;  voir  au 
t.  ni  et  vde  la  même  collection  les  études  de  Witmann 
sur  Avicebron.  On  peut  même  dire  que  cette  confusion 
fut  en  partie  la  cause  des  obscurités  dont  s'enveloppa 
alors  la  question  des  universaux.  Cependant,  sous  les 
embarras  du  langage,  on  retrouve  sur  l'unité  divine, 
non  pas  seulement  le  dogme  de  l'Église  —  ce  qui  n'est 
pas  ici  en  question  —  mais  toutes  les  données  tradition- 
nelles. Sur  l'unicité  de  Dieu,  voir  S.  Anselme,  Monolo- 
gium,c.  m,  iv,  ibid.,  col.  147;  Hugues  de  Saint-Victor, 
Desacramentis,  1. 1,  part.  III,  c.  xn,  col.  220;  Eruditio 
didascalica,  1.  VII,  c.  xix,  col.  826;  Pierre  Lombard, 
Sent.,  1.  I,  dist.  II,  et  à  propos  de  l'unité  du  premier 
principe  des  choses,  1.  II,  dist.  I. 

On  sait  que  l'unité  de  singularité  de  Dieu  se  trouve 
énoncée  dans  le  concile  du  Vatican,  Denzinger,  n.  1631. 
Pour  défendre  le  texte  proposé  et  accepté,  un  des  rap- 
porteurs cita  Pierre  de  Cluny,  Collectio  lacensis,  t.  vu, 
col.  106;  il  eût  pu  facilement  citer  aussi  saint  Anselme. 
Le  texte  de  Pierre  Lombard,  1.  I,  dist.  II,  c.  xxm-xxvi, 
où  l'accord  de  l'unité  de  singularité  de  Dieu  avec  la 
trinitédes  personnes  est  étudié,  donna  aux  scolastiques 
des  âges  postérieurs  l'occasion  de  discuter  les  problèmes 
suivants  :  an  delur  natura  subsistens  seu  absoluta 
subslantia  communis  tribus  personis  ;  an  delur  perso- 
nalilas  realiter  absoluta  et  communis.  Ces  problèmes 
trouveront  mieux  leur  place  au  mot  Trinité.  Il  suffit  ici 
d'indiquer  que  le  xnc  siècle  les  rattachait  à  notre  sujet 
par  une  question  de  logique,  comme  on  le  voit  dans 
Pierre  de  Poitiers,  Sententiarum  libri  V,  1.  I,  c.xxxm  : 
An  hsec  propositio  sit  singularis,  Deus  est  ?  Sous  cette 
forme  la  controverse  a  duré  longtemps,  les  thomistes 
soutenant  que  le  nom  de  Dieu,  si  l'on  fait  abstraction  des 
personnes,  est  un  nom  commun.  Cf.  Lossada,  Institu- 
tiones  dialecticx,  disp.  VI,  c.  v,  Barcelone,  1882,  p.  127. 
Nous  n'avons  pas  ici  l'espace  pour  discuter  la  valeur 
spéculative  de  cette  opinion;  il  suffit  de  retenir  que  le 
concile  du  Vatican  a  indiqué  la  singularité  divine  parmi 
les  moyens  termes  à  employer  rationnellement  pour 
éviter  ou  réfuter  le  panthéisme.  Denzinger,  n.  1631. 
1650.  Les  mêmes  passages  du  Lombard  ont  donné  lieu 
à  une  autre  question.  Il  pense,  1.  I,  dist.  XXIV,  que  les 
termes  numéraux,  unus,  duo,  tria,  ne  se  disent  pas 
de  Dieu  au  sens  propre,  mais  seulement  dans  un  sens 
négatif.  Mais  l'opinion  commune  de  l'École  s'est  pro- 
noncée contre  lui,  grâce  à  l'argumentation  de  saint 
Thomas,  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  XXIV,  q.  i,  a.  3; 
Sum.  theol.,  Ia,  q.  xxx,  a.  3;  De  potentia,  q.  ix,  a.  7; 
voir  les  scholies  de  l'édition  de  Quaracchi  de  saint  Bona- 
venture,  t.  i,  p.  422,  426.  L'accord  de  l'Ecole  nous  est 
manifesté  par  la  liste  d'articles  qui,  au  moins  à  partir 
du  xve  siècle,  se  trouve  dans  tous  les  manuscrits  ou 
éditions  de  Pierre  Lombard,  et  qui  est  intitulée  :  arti- 
culi  in  quibus  Magister  non  lenelur  communiter  ab 
(minibus.  La  formule  est  respectueuse,  mais  en  réalité 
l'université  de  Paris  défendait  d'enseigner  ces  articles, 
dont  trois  seulement  concernent  la  nature  divine.  Le 
1er  est  ainsi  libellé  :  Quod  nomina  numeralia  dicta  de 


Deo  dicuntm-  solum  relative,  dist.  XXIV,  c.  Kl  si  dili- 
genter;  vel  fixe  nomina  numeralia  trinus  el  trinitas 
non  dicunl  positionem  sed  privationem  tantum.  l'.L., 
t.  cxcii,  col.  962.  l'ne  autre  proposition  connexe 
celle-ci  concerne  le  semblable  et  Végal  dont  le  sens. 
'-irait  également  privatif.  Cf.  S.  Bonaventure,  In  IV 
Sent.,  1.  I,  dist.  XXXI,  a.  1,  q.  i.  Le  3e  article  concerne 
la  toute-puissance,  et  nous  le  retrouverons  plus  loin. 

3.  Simplicité  divine.  —  Sur  l'uni  té  de  simplicité  ou. 
comme  on  parle  ordinairement,  sur  la  simplicité  divine, 
les  textes  principaux  se  trouvent  dans  S.  Anselme, 
Monologium,  c.  xvi  sq.,  col.  161;  Proslogion,  c.  XXII, 
col.  238;  S.  Bernard,  De  consideratione,  1.  V,  c.  vu, 
col.  797;  Sermones  in  Canlica,  serm.  i,xxx,  P.  L., 
t.CLXXXin,  col.  1169;  Richard  de  Saint- Victor,  De  Trini- 
tale, \.l,c.xmsq..  P.  L.,l.  exevi,  col.  897  sq.  ;  enfin  et 
surtout  dans  Pierre  Lombard,  1. 1,  dist.  VIII,  c.  m, où  la 
doctrine  est  prouvée  d'abord  par  l'autorité  des  saints 
Augustin  et  Hilaire,  puis  par  voie  d'exclusion  :  il  n'y  a 
en  Dieu  composition  ni  de  sujet  et  d'accident,  ni  de- 
matière  et  déforme,  ni  départies  intégrales,  ni  de  per- 
fections et  de  l'être  qui  les  possède;  d'où  il  suit  que 
les  catégories  de  la  dialectique  ne  conviennent  pas  à 
Dieu.  Cf.  Alain  de  Lille,  Ars  fidei,  1. 1,  vin;  Theologicm 
regulse,  reg.  vin,  P.  L.,  t.  ccx.  col.  600.  627,  et  la  8«  règle 
de  Boèce  exposée  par  Gilbert  de  la  Porrée,  In  librum 
quomodo  substanlise  bonse  sint.  P.  L.,  t.  lxiv,  col.  1321. 

4.  Immutabilité.  —  L'immutabilité  divine  est  en- 
seignée par  saint  Anselme  comme  corollaire  de  l'éter- 
nité, de  l'omniprésence  et  de  la  simplicité.  Monolo- 
gium, c.  xxv,  col.  178;  voir  Cur  Deus  homo,  1.  II. 
c.  xvii,  ibid.,  col.  419.  Hugues  de  Saint-Victor,  comme- 
saint  Bernard,  In  Cantica,  serm.  lxxx,  n.  5,  P.  /.., 
t.  clxxxiii,  col.  1 169,  déduit  cet  attribut  de  la  simplicité  ; 
et,  conformémentà  son  principe  de  procéder  par  induc- 
tion en  partant  des  choses  finies,  il  se  sert  de  l'immu- 
tabilité comme  de  moyen  terme,  pour  exclure  toute 
mutation  temporelle  et  spatiale  en  Dieu,  c'est-à-dire 
pour  prouver  l'éternité  et  l'immensité  divine.  De  sacra- 
mentis,  1.  I,  part.  III,  c.  xm;  Eruditio  didascalica, 
1.  VII,  c.  xix,  ibid.,  col.  220,  827.  Cet  ordre  est  celui 
que  suit  saint  Thomas  dans  la  Somme  théologique,  où 
l'immensité  et  l'éternité  sont  déduites  de  l'immutabilité, 
cf.  Jean  de  Saint-Thomas,  In  /am,  disp.  III,  a.  2,  n.  1  ; 
mais  Hugues  ne  prend  point  pour  base  première, 
comme  saint  Thomas,  l'immobilité  du  premier  moteur. 
Procédant  surtout  par  voie  d'autorité,  Pierre  Lombard 
traite  de  l'immutabilité  avant  de  parler  de  la  simplicité, 
1.  I.  dist.  VIII,  c.  n. 

5.  Spirittialité  de  Dieu.  —  La  spiritualité  se  dit  de 
Dieu  en  plusieurs  sens,  tous  vrais,  mais  inégalement 
compréhensifs.  Esprit  est  pris  quelquefois  pour  le  sim- 
ple équivalent  d'incorporel,  incorporel  s'entendant  au 
sens  purement  négatif.  Cf.  S.  Thomas,  De  potentia, 
q.  ix,  a.  7,  ad  2um.  En  ce  sens,  les  formules,  Dieu  est 
esprit.  Dieu  n'est  pas  un  corps,  excluent  l'anthropomor- 
phisme et  le  grossier  monisme  matérialiste,  mais  ne 
nous  renseignent  pas  sur  la  nature  intrinsèque  de 
Dieu  d'une  façon  positive,  parce  que,  dit  saint  Thomas. 
loc.  cit.,  le  procédé  d'éminence  ou  de  causalité  n'in- 
tervient pas.  Je  n'ai  pas  souvenir  d'avoir  rencontré 
cette  acception  au  cours  du  XIIe  siècle.  Si  l'on  oppose 
esprit  à  matière,  spirituel  à  corporel,  non  plus  seule- 
ment avec  l'appréhension  que  la  division  est  logique- 
ment adéquate,  mais  avec  la  vue  intellectuelle  du  con- 
tenu positif  des  deux  membres  de  la  division,  les- 
formules,  Dieu  est  esprit,  Dieu  n'est  pas  un  corps, 
prennent  un  sens  positif  qui  implique  l'essentielle 
supériorité  de  l'esprit  sur  la  matière.  C'est  dans  ce 
sens  que  prend  le  terme  esprit,  saint  Anselme.  Monolo- 
gium, c.  XXVII,  col.  1S0:  Quoniam  non  noscilurdignior 
essentia  quam  spiritus  aut  corpus,  et  ex  his  dignior 
est  spiritus  quam  corpus  :  utique  eadem  [essentia  seu 


1161 


DIEU    (SA    NATURE    SELOxN    LES    SCOLASTIQUES; 


1162 


substantia  divina]  asserenda  est  esse  spirilus,  et  non 
corpus.  Le  contenu  positif  de  la  notion  de  spiritualité 
et  la  supériorité   de  l'esprit   sur    la   matière  peuvent 
s'expliciter  de  plusieurs  manières.   D'abord,  au  point 
de  vue  physique,  à  l'aide  des  notions  d'indivisibilité, 
d'extension  ou  de  diffusion  virtuelles,  d'indépendance 
des   relations  locales  ou  temporelles.   On   trouve  des 
traces  de  cette  façon  de  concevoir  la  spiritualité,  dans 
saint  Anselme,  loc.  cit.;  cf.  ibid.,   c.    xxm,   col.    176; 
dans    saint    Bernard,  De  consideratione,  1.  V,   c.  vi, 
P.  L..  t.  clxxxii,  col.  796;  dans  Hugues  de  Saint-Victor, 
Eruditio  didascalica,  1.  VII,  c.  xix,  ibid.,  col.  828,  et 
dans  Alain  de  Lille,  parlant  après  le  Trismégiste  de  la 
sphère  intelligible  dont  le  centre  est  partout  et  la  cir- 
conférence nulle  part.   Theologicee  regulse,  vu,  P.  L., 
t.  ccx,  col.  627.  Cf.  Baumgartner,  Die  Philosophie  des 
Alanus   de  Insulis,    Munster,  1896,    p.    118,   128,    au 
t.  m  des  Beitràge  de  B;cumker.  Cette    conception  n'a 
rien  de  surprenant  chez  des  penseurs  aussi  nourris  de 
saint  Augustin.  On  peut  aussi  s'expliciter  la  notion  de 
spiritualité,   au    point  de  vue  psychologique,  par    les 
opérations   de  la  vie  intelligente  et  volontaire,  par  la 
conscience  psychologique  :  propriétés  et  fonctions  qui 
ne  conviennent  pas  à  la  matière  et  ne  dépendent  pas 
d'elle.  En  ce  sens  «  esprit  »  signifie  être  intelligent  et 
conscient  de  soi;  «  pur  esprit  »  signifie  être  intelligent 
et  conscient,  absolument  dégagé   des  imperfections  de 
la  matière.  Nous  dirons  plus  loin  comment  un  argu- 
ment, emprunté    par  saint    Thomas    à    Avicenne,  de 
l'aveu    de   Capréolus,    amena    dès    le   xiv     siècle    les 
scolastiques  à  se  demander  si  l'indivisibilité  physique 
est  la  raison  formelle  de  l'intellectivité.  Sans  traiter 
cette  question  abstruse,  dont  la  Hiérarchie  céleste  du 
pseudo-Denys  suggérait  pourtant  l'idée,  le  xne  siècle 
se  contenta  de  prendre  pour  matériellement  équiva- 
lentes les  deux  conceptions,  et  prouva  l'intellectualité 
divine  soit  par  l'argument  général  de  l'ordre  du  monde, 
soit  par  la  considération  du  miroir  intérieur.  Cf.  Hugues 
de  Saint-Victor,  De  sacramentis,  1. 1,  part.  III,  c.  VI  sq., 
col.  219;  Eruditio  didascalica,  l.VII,  c.  XVI sq.,  col. 823 ; 
De  cxlesli  hierarchia,  1.  III,  P.  L.,  t.  CLXXV,  col.  977. 
Voir  aussi  Pierre  Lombard,  1.  [,  dist.  XXXV,  XLV. 

6.  Omniprésence.  —  Pour  achever  l'énumération 
des  problèmes  sur  les  attributs  qu'étudia  spécialement 
le  xne  siècle,  il  faut  dire  un  mot  de  l'omniprésence  el 
de  la  toute-puissance.  Ilonorius  d'Autun,  à  la  question 
JJbi  habitat  Deus?  répond  dans  son  Elucidarium,  '■'>. 
i'.  /..,  t.  ci.xxii,  col.  1111  :  Quamvis  ubique  potentia- 
liter,  lamen  in  intellecluali  cxlo  substanlialiter,  et  le 
ciel  intellectuel  est  le  troisième,  où  la  sainte  Trinité 
est  vue  face  à  face  ;  on  dit  qu'il  est  partout  parce  que 
dans  le  même  moment  où  il  dispose  tout  en  Orient,  il 
dispose  tout  en  Occident,  ce  que  ne  peut  pas  faire  par 
exemple  un  ange.  D'après  une  lettre  de  Gauthier  de 
Morlagne  à  Thierry  de  Chartres,  ce  dernier  répétait 
souvent  que  I  lieu  n'est  point  substantiellement  partout, 
mais  seulement  par  sa  puissance.  Cf.  d'Achery,  Spici- 
legium,  Paris,  172.'!.  t.  m,  p.  Ô22.  Depuis  Bayle,  la 
tradition  de  ranger  certains  scolastiques  parmi  les  pan- 
théistes est  de  mise;  \i.  Hauréau,  Histoirede  la  phi- 
losophie tcolattique,  Paris,  1*72.  t.  i.  p.  .'(12,  puis 
M.  Clerval,  Let  école»  de  Chartres  au  moyen  dge  du 
le,  Paris,  1895,  ont  fait  de  Thierry  un 
pantb  parce  qu'il  dit  que  Dieu  est  la  fornfe  de 

des  chose  ioil  parce  qu'il  aurait  <"-cri t  :  oi 
i/imii  est,  i h  Deo  est,  quia  unum  est.  Hauréau,  Notù  et 
el  extraits,  Paris,  1890,  t.  i.  p.  83.  Hais  M.  Bœumker 
a  remarqué  que  la  lecture  de  M.  Hauréau  es)  fautive; 
il  but  lire  simplement,  omne  quod  est,  ideo  rsi ,  quia 
unum  est,  phrase  qui  n'étonnera  aucun  lecteur  de 
ou  d'Alain  de  Lille.  Archiv  fur  Geschichte  det 
Philosophie,  Berlin,  t.  \.  p.  138.  Quant  A  la  formule, 
'lu  mitas  singulit    rébus   forma  r 


composée  d'un  mot  de  Boèce  qui  appelle  Dieu  forma, 
et  d'un  mot  de  Denys  qui  dit  que  Dieu  est  l'esse  om- 
nium. Sans  avoir  recours  aux  considérations  par  les- 
quelles M.  Breumker  pense  laver  du  soupçon  de  pan- 
théisme le  pseudo  mystique  Eckart  —  voir  la  discussion 
approfondie  du  sujet  à  propos  de  Wicliff  dans  Thomas 
Waldensis,  Doctrinale  antiquilalum  fidei  catholiese, 
Venise,  1757,  t.  i,  1.  I,  a.  1  —  cette  formule  s'explique 
fort    bien    par    la   phraséologie  du  xne   siècle.   Après 
Boèce,  Gilbert  de  la  Porrée  et  Alain  de  Lille  appellent 
Dieu  forma,  dans  le  sens  de  cause,  cf.  Baumgartner, 
Alanus  de  Insulis,  p.    126;    et  Thierry   de  Chartres 
n'entend  pas  le  mot  autrement,  puisqu'il  ajoute,  après 
avoir  parlé  de  la  production  de  la    lumière  et  de  la 
chaleur  par  les  corps  chauds   et  lumineux  :   ila  sin- 
gulse  res  esse  suum  ex  divi7iitate  sortiuntur ;  d'où  il 
conclut  à  bon   droit  que   tout  ce  qui  existe  n'est  que 
parce  que   Dieu,  l'unité  supérieure,  en  qui  se  trouve 
toute  perfection,  existe.  Bien  de  plus  augustinien  et  de 
plus  orthodoxe.  Cf.    S.  Augustin,  De  moribus  mani- 
chseorum,  c.   VI,  n.  8,  P.  L.,  t.  xxxn,  col.  1348;  De 
vera  religione,  c.  xxxn,  xxxiv,  n.  63,  P.  L.,  t.  xxxiv, 
col.  150.  M.  Hauréau  pense  que  la  présence  substan- 
tielle de  Dieu  partout,  communément  enseignée  par 
l'École,  est  la  doctrine  même  de  Proclus  et  de  Spinoza  ; 
mais,    s'il    en    est  ainsi,   comment  reprocher  le  pan- 
théisme à  Thierry  de  Chartres,  qui,  dans  le  passage 
même  que   l'on  allègue,   rejette  la  doctrine  de  l'ubi- 
quité essentielle?  Thierry,  en  effet,  garde  le  mot,  Deus 
lotus  el   essentialiter  ubique  esse    vere   perhibetur; 
mais  l'explication  qu'il  en  donne  nie  la  doctrine  com- 
munément admise,  puisqu'il  explique  l'ubiquité  divine 
par  la  seule  opération  de  Dieu,  et  réduit  la  présence 
par  essence  à  ce  qu'on  appelle  en  scolastique  la  pré- 
sence par  puissance,  comme  le  lui  reproche  justement 
Gauthier   de  Mortagne.    En   réalité,    loin    d'être  pan- 
théistes, c'est  pour  mettre  en  relief  la  transcendance 
de    Dieu,    qu'Honorius   d'Autun  et  Thierry    ont    mis 
en  question  ou   nié  ce   que  l'on    appelle    souvent  au- 
jourd'hui,   non  sans  équivoque,  l'immanence   divine. 
Mais  l'enseignement  traditionnel   sur   l'omniprésence 
divine,  exprimé  par  Hildebertdu  Mans  dans  une  prière 
rythmée  du  i;enre  de  celles  que  l'on  attribue  commu- 
nément à  saint  Thomas,  Carmina,  LUI,  P.  /..,  t.  CLXXI, 
col.  1441,  fut  appuyé   de  ses  raisons  dogmatiques  par 
Gauthier  de  Mortagne,  loc.  cit.,  mis  en  lumière  et  bien 
distingué  du  panthéisme  par  Hugues  de  Saint-Victor, 
Eruditio  didascalica,  1.  VII,  c.  xix,col.  828;  De  sacra- 
mentis, 1.  I,  part.  III,  c.  xvn,  col.  223;  Allegorim  m 
Novum  Teslamentum,  1.  V,  P.  L.,  t.  clxxv,  col.  S57; 
et  soutenu  par  Pierre   Lombard,  1.   I,   dist.  XXXVII. 
Cf.  Anselme,  De  fide  Trinilatis,  c.  iv,  /'.  L..  t.  CLVIII, 
col.  273;  Richard  de  Saint-Victor,  De  Trinitate,  1.  H. 
c.  XXIII,  P.  L.,  t.  CXCVI,  col.  913;  pour  la   critique  des 
textes  allégués  parle  Lombard,  voir  S.  Bonaventure, 
édit.  Quaracchi,  t.  i,  p.  632,  648.  La  doctrine  du  Maître 
des  Sentences  passa  dans  la  scolastique,  cf.  S.  Thomas. 
Sum.  theol.,  K  q.  vm,  a.  :ï,  et  s.  Bonaventure,  In  IV 

Sent.,  1.  I.  disl.  XXX\  II.  p.  I,a.:i,  q.  II.  H  le  SrluilniU  de 

Quaracchi.  Ce  ne  fut  que  plus  tard  qu'on  discuta  entre 
thomistes  et  scotistes  de  la  valeur  de  l'inférence  est 
in/iu.ni  immediato  omnipotentiet  ad  ejus  immenst- 
tatem  el  indistantiam  u  rebut,  puis  de  la  question 
connexe  de  la  présence  divine  dans  les  espaces  Imagi- 

7.  Toute-puissance,  —  Le  dogme  de  la  liberté  de 
Dieu  dans  les  ouvres  ,ui  eatra  est  des  plus  importants, 
non  seulement  pour  la  théologie  de  l'ordre  surnaturel 
oii  nou^  sommes  1 1  qui  dépend,  soit  pour  l'incarnation 
ii  i,,  rédemption,  soit  pour  Is  prédestination,  du  mi  - 
rdieui  bon  vouloir  de  Dieu,  mais  aussi  i r  la 

théologie  naturelle,  rien  ne  mettant  plu-  eu  relief  la 
transcendance  absolue  de  Dieu,  que  la  pleine  Indépen- 


1163 


DIEU    (SA   NATURE  SELON    LES   SCOLASTIQUES 


1164 


(lance  de  l'acte    créateur  et  de  la  divine   providence. 
Aussi  ces   difficiles  problèmes  furent-ils   grandement 
agités  au  xn    siècle,  qui  écrivit  beaucoup  sur  la   pre- 
science et  la  prédestiaation.  Cf.   Mignon,  Les  origines 
de  la  scolaslique,  t.  i,  c.  VI,  p.  231.  Ce  fut  à  leur  occa- 
sion qu'Abélard,  en  dehors  de  toute  tradition,  comme 
il  l'avoue  lui-même,  P.  L.,  t.  CLXXVIII,  col.  1098,  inventa 
la  fameuse  formule  de  son  optimisme  :  cum  id  lantum 
Deus  facere  possit  quod  euni  facere  convertit,  nec  euni 
quidquam  facere  convertit,  quod  facere  praternnt- 
tat,    profecto  id   soluni  euni   facere   posse  arbitror, 
quod   quandoque    facit.  Jnlroductio  ad     tlteologiam, 
1.  III,  c.  v,  ibid.,  col.  1093;  Theolog.  chrisliana,  1.  V, 
col.  1324.  L'histoire   des  doctrines   nous   a   appris  que 
cette  formule  était  grosse  d'erreurs  multiples,  qui  ont 
été  développées  d'abord  par  maître  Kckart,  Denzinger, 
n.  428;  puis  par  Wicliff,  Trialogus,  1.  I,  c.xi,  cf.  Wal- 
densis,  op.  cit.,  I.  I,  c.  x;  par  Leibniz,  Essais  de  théo- 
dicée,  part.  I,   n.  8,   et  passim,    édil.   Gerhardt,   t.   vu 
p.  107;  Dererum  originatione  radicali,  t.  VIII,  p.  304, 
cf.  Legrand,  De  incarnat.,  diss.  V,  dans  le  Tlieologiœ 
cursus  complétas  de  Migne,  t.  ix,  col.  528;  enfin,  par 
Hermès  et  Gùnther,  cf.  Kleutgen.  Théologie  der  Yor- 
zeit,  Munster,  1867,   t.  i,   n.   290,  327,  208,  228,  278; 
Philosophie  scolaslique,  n.  129,  510.  Le  concile  du  Va- 
tican a  défini  contre  toutes  ces  erreurs  la  liberté  ab- 
solue de  la  création.  Denzinger,  n.  1632.  Le  xne  siècle 
ne  démêlait   sûrement  pas,    comme  nous  pouvons  le 
faire  par  suite  des  développements  donnés  plus  tard  à 
la  pensée  d'Abélard,  toutes  les  conséquences  de  l'opti- 
misme. Mais  il  eut  pleine  conscience  de  la  fausseté  de 
la  nouvelle  doctrine.  On  trouvera  à  l'article  OPTIMISME 
les  arguments  théologiques  ou  rationnels  par  lesquels 
les  écoles  catholiques  établissent  aujourd'hui   la  thèse 
contraire.  La  substance  de  ces  arguments  Ihéologiques 
se  trouve  déjà  dans  Guillaume  de  Saint-Thierry,  Dis- 
pulatio    adversus    Abœlardum,     c.    VI     sq.,    P.    L., 
t.  clxxx,  col.  266,  et  dans  saint  Bernard,  Epist.,  exc, 
c.  v  sq.,  P.  L.,  t.  clxxxii,  col.  1062;  cf.  col.  1049.  L'au- 
teur inconnu  de  la   Disput.   adv.  Abœlardum,  P.  L., 
t.  clxxx,  col.  318,  argumente  plus  philosophiquement, 
ainsi  que  Robert  Pulleyn,  Sent.,  1.   I,   c.  xvi,  P.    L., 
t.  clxxxvi,  col.   709;   cf.    col.   1020.   Mais  Hugues    de 
Saint-Victor  approfondit  davantage  ce  problème  philo- 
sophique.   De    sacramenlis,  1.    I,   part.    II,    c.    xxn, 
P.  L.,  t.   clxxvi,  col.   214;   cf.    Summa  sent.,  ibid., 
col.  68;  Erudit.  didasc,  1.  VII,  c.  n,   ibid.,  col.  839. 
On  remarquera  qu'aucun  de  ces  auteurs  ne  rapproche 
l'erreur  d'Abélard  sur  la  toute-puissance,  de    son  hé- 
résie sur  le  Saint-Esprit,  âme  du  monde,  non  plus  que 
de  sa  théorie  de  l'amour.  Ces  rapprochements,  que  la 
suite  de  l'histoire  de  l'optimisme  a  suggérés  à  quelques 
écrivains  récents,  ne  paraissent  pas  avoir  été  dans  la 
pensée  du  xn°  siècle.  Voir  d'ailleurs  t.  I,  col.  46.  Pierre 
Lombard  ici  encore  synthétisa  le  résultat  de  la  contro- 
verse, 1.  I,  dist.  XLII-XLIV.  Mais  il  accepta  une  expo- 
sition nominaliste  delà  formule,  Deus  polesl  quidquid 
poluit,  que  l'École   rejeta    unanimement,    comme   on 
peut  le  voir  dans  saint  Bonaventure,  In  1  V  Sent.  ,1.1, 
dist.  XLIV,  a.  2,  q.  I.  Sur  le  texte  de    ce  passage   du 
Lombard,  comme  aussi  sur  la    distinction    XXX,   la 
scolastique  postérieure  greffa  bon  nombre  de  questions, 
entre  autres  celles-ci  :  an  omnipolentia  sil  attribution 
ratione  dislinctum  a  voluntate   et  essenlia  Dei;  an 
ab  omnipolentia  sit  implicantia  et  non    implicantia 
creuturarum  ;an  omnipotenlia  referatur  ordine  trans- 
cendentali  ail  creaturas  possibiles.  Bien  que  sur  ces 
sujets  on  puisse  trouver  dans  un  sens  ou  dans  l'autre 
des  bouts  de  phrases  dans  les  auteurs  du   xne  siècle, 
surtout  si  l'on  procède  par  voie  de  déductions  et  de  con- 
séquences, il  faut  reconnaître  que  bien  des  précisions, 
qui  nous  sont  aujourd'hui  familières,  ne  l'étaient  à  per- 
sonne à  l'époque  de  Pierre  Lombard.  Et  il  en  est  de  même 


dans  un  grand  nombre  d'autres  cas.  11  ne  faut  pas 
demander  au  premier  siècle  de  la  scolastique  de  solu- 
tions explicites  â  tous  les  problèmes  que  sept  siècles 
de  rigoureuse  analyse  ont  soulevés. 

2°  Portée  ontologique  des  attributs.  —  1.  De  tout 
temps,  comme  le  remarque  saint  Thomas,  Sum.  theol., 
Ia,  q.  xm,  a.  2,  la  pensée  des  fidèles,  en  donnant  à  Dieu 
certains  noms,  et  en  refusant  de  lui  en  appliquer  cer- 
tains autres,  a  été  de  porter  des  jugements  de  valeur 
objective,  non  seulement  sur  l'existence,  mais  encore 
sur  la  nature  intrinsèque  de  la  divinité.  On  ne  peut 
pas  expliquer  autrement  pourquoi  l'Ecriture  et  la  tra- 
dition nient  de  Dieu,  par  exemple,  la  corporéité.  et 
affirment  de  lui,  par  exemple,  la  sagesse.  Bien  plus, 
de  tout  temps,  l'Église  a  eu  la  conscience  réfléchie, 
non  seulement  de  la  valeur  ontologique  des  attributs, 
mais  encore  des  conditions  de  notre  connaissance  de 
Dieu  :  Deus  est  invisibilis ;  lnvisibilia  ipsius  per  ea 
quse  facla  sunt  intellecta  conspiciuntur,  et  des  limites 
de  cette  connaissance  :  Deus  est  inconiprehensibilis, 
ineffabilis.  Franzelin  a  fort  bien  mis  en  relief  la  per- 
pétuité de  la  tradition  sur  tous  ces  points,  dans  les  deux 
premières  sections  de  son  Tractalus  de  Deo  uno ;  et, 
en  particulier,  il  a  fort  bien  montré,  th.  vi,  que, 
d'après  la  tradition  chrétienne,  nous  ne  saisissons  la 
perfection  divine  que  par  le  moyen  de  la  connaissance 
que  nous  avons  des  perfections  créées,  et  donc  seule- 
ment, par  des  concepts  non  immédiats  mais  dérivés,  en 
terme  d'École,  par  analogie  logique. 

Sur  tous  ces  points,  la  tradition  était  bien  vivante 
durant  la  période  que  nous  étudions.  Aucun  doute  ne 
saurait  s'élever  à  propos  de  Pierre  Lombard,  tant  il  est 
catégorique,  1.  I,  dist.  III,  et  tant  il  insiste  sur  notre 
connaissance  de  Dieu  par  «  similitude  et  par  vestig 
Quant  à  saint  Anselme,  bien  qu'il  admette  et  l'argu- 
ment qui  porte  son  nom.  et  la  théorie  augustinienne 
de  l'illumination,  il  se  souvient  toujours  que  la  lun 
divine  est  inaccessible,  et  que  nous  en  concevons  la 
beauté  seulement  par  de  pâles  rellets  épars  sur  les 
créatures.  Habes  enim  lace,  Domine  Deus,  in  (<■,  tuo 
ine/fabili  modo,  qui  ea  dedisti  rébus  a  te  crealis  suo 
sensibili  modo.  Proslogior, .  c.  XIV,  XVII,  col.  236.  Il 
connaît  d'ailleurs  la  doctrine  des  idées  représentatives, 
conservée,  durant  le  haut  moyen  âge,  par  les  commen- 
taires alors  connus  du  De  interprelatione  d'Aristote 
et  surtout  par  l'usage  qu'en  avait  fait  saint  Augustin 
dans  l'explication  du  mystère  de  la  génération  du 
Verbe.  Monologium,  c.  xxxill,  col.  188.  On  trouve  la 
même  doctrine  chez  Hugues  de  Saint-Victor,  De  sacra- 
mentis,  1. 1,  part.  III,  P.  L.,  t.  clxxvii,  col.  217  ;  Erud. 
didasc,  1.  VII,  c.  i,  ibid.,  col.  813. 

2.  La  partie  critique  donne  la  même  impression  que 
la  partie  didactique  de  ces  écrits.  On  connaît  les  écrits 
du  pseudo-Denys,  où  le  symbolisme  de  notre  connais- 
sance de  Dieu  est  mis  si  fortement  en  relief,  et  la  su- 
périorité de  la  voie  de  négation  si  vivement  affirmée. 
depidsioncs  [negationes]  verse,  intentiones  [affirma- 
liones]  incompactœ.  Cœlestis  liierarchia,  c.  Il,  J'.  L., 
t.  cxxn,  col.  1041.  Telle  est,  commente  Hugiii 
Saint-Victor,  la  transcendance  de  l'invisible  et  incom- 
préhensible essence,  qu'on  l'exprime  mieux  en  disant  ce 
que  Dieu  n'est  pas,  qu'en  disant  ce  qu'il  est,  Expositio 
in  Hier,  cselesl.  S.  Dionysii,  1.  III,  P.  L.,  t.  clxx\  . 
col. 974.  Mais,  remarque  le  même  auteur,  il  n'en  reste 
pas  moins  que  certains  noms  divins  sont  des  ternies 
figurés,  et  que  d'autres,  bien  qu'ils  restent  absolument 
inexhaustifs,  sont  pris  au  sens  propre.  Car,  si  quelqu'un 
disait  que  Dieu  est  un  corps,  tout  le  monde  y  verrait 
une  erreur,  tandis  que  tout  le  monde  tient  pour  vrai 
qu'il  est  un  esprit.  Nunc  ergo  usque  manenl  figura:, 
et  ex  ipsis  qtuedam  longe  sunt,  et  apparent  quod  sunt 
similitudo  lantum  ;quœdam  vei  opropriœ  sunt.  etacci- 
piuntur  quasi  pro  veritale,  cum  sunt  lantum  signa 


1165 


DIEU    (SA    NATURE   SELON    LES    SCOLASTIQUES) 


1166 


veritatis  et  non  veritas  —  d'après  le  contexte,  la  vision 
intuitive  seule  nous  donnera  la  vérité  telle  qu'elle  est 
en  soi.  Ibid.,  col.  977  sq.  Cf.  Thomas,  Sum.  theol.,  Ia, 
q.  xu,  a.  2. 

Cette  question  de  la  vérité,  ici  incidemment  intro- 
duite, fut  nettement  posée  par  Pierre  Lombard,  1.  I, 
dist.  VIII,  c.  i,  De  veritale  et  proprietate  divines  essen- 
tise.  Et  ce  passage  servit  plus  tard  de  moyen  terme  aux 
scolastiques  qui  essayèrent  de  concilier  le  péripaté- 
tisme,  soit  avec  l'argument  de  saint  Anselme,  soit  avec 
la  théorie  de  l'illumination,  comme  on  peut  le  voir,  par 
exemple,  dans  saint  Bonaventure  :  Utrum  divinum 
esse  sit  adeo  verum,  quod  non  jwssit  cogilari  non  esse. 
In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  VIII,  p.  i,  a.  1,  q.  il.  Cette 
notion  transcendentale  —  au  sens  scolastique  —  de  la 
vérité  ne  parait  pas  cependant  avoir  beaucoup  préoc- 
cupé le  xiic  siècle.  Il  en  fut  autrement  des  trois  autres 
trancendantaux,  ens,  unum  et  bonum.  D'après  Aristote, 
ens,  unum,  verum  et  bonum  convertuntur.  liais  cer- 
tains textes  de  Boèce  et  de  Denys  l'Aréopagile  ne  pa- 
raissaient pas  s'accorder  avec  ce  principe.  Il  nous  faut 
faire  ici  connaître  ce  qu'en  écrivirent  Gilbert  de  la 
Porrée  et  Alain  de  Lille,  soit  parce  que  ce  fut  à  cette 
occasion  qu'ils  traitèrent  du  sujet  qui  nous  occupe, 
soil  à  cause  de  l'influence  de  leurs  écrits  sur  la  scolas- 
tique plus  récente.  Ce  sont  d'ailleurs  les  plus  graves 
problèmes  qui  s'agitent  sous  ces  abstractions. 

à)  Gilbert  de  la  Porrée.  —  Un  opuscule  de  Boèce, 
Quomodo substantise  bonxsint,  P.  L.,  t.  lxiv,  col.  1314, 
plus  souvent  désigné  par  les  scolastiques  sous  le  titre 
De  hebdomadibus,  donne  à  Gilbert  l'occasion  de  se 
poser  la  question  du  bien  et  de  l'être.  Il  prend  pour 
point  de  départ  la  formule  célèbre  diversum  est  esse, 
et  id  quod  est.  Il  est  généralement  admis  que,  par 
celte  formule,  les  néoplatoniciens  païens  enseignaient 
la  distinction  réelle  de  l'essence  et  de  l'existence,  dis- 
tinction qui  leur  servait  à  concevoir  Dieu  comme  l'être 
indéterminé.  Il  est  grandement  controversé  de  savoir 
si  l'éclectique  lioece,  qui  reproduit  cette  formule,  l'en- 
tend au  même  sens  que  les  néoplatoniciens  à  qui  il 
l'emprunte;  ou  il  faut  liien  noter,  qu'on  peut  admettre 
la  thèse  de  la  distinction  réelle  avec  Plotin,  et  ne  pas 
le  suivre  dans  les  conséquences  qu'il  en  déduit.  Nous 
pensons  qu'on  peut  soutenir  avec  quelque  probabilité 
que  Boèce  pense  sur  cette  distinction  réelle  comme  les 
néoplatoniciens,  cf.  ibid.,  col.  1250;  et  qu'on  peut  par 
conséquent  \  traduire  esse  par  Sein, existence;  idquod 

est,  par  Wesen,  essence,  comme  fait  M.  Bae ker,  Die 

Impossibilia  des  Sigei  von  Bradant,  Munster,  1898, 
p.  124,  t.  h  des  Beitrâge.  Bien  qu'une  grande  partie  du 
moyen  figeait  interprété  autremenl  le  laineux  Liber  de 
causis,  on  peu!  tenir  pour  certain  que  l'auteur  enten- 
dait ici  les  choses  comme  Plotin  et  Proclus.  Mais  il  est 
également  sûr  que,  malgré  son  réalisme  outré  sur 
d'autres  points,  Gilbert  ai  tte distinction  réelle, 

et  donné  un  tout  autre  mus  a  la  formule  de  lioéce. 

Il  avait,  en  effet,  quelque  peine  à  accorder  cette  for- 
in  ii  le  au  sens  où  l'entendaient, comme  il  nous  l'apprend, 
tous  les  théologiens  de  son  temps,  avec  Ba  propre  pli i— 
losopliie.  D'après  lui,  c'est  un  premier  principe  de 
philosophie  que  l'humanité  n'es)  pas  l'homme,  qu'elle 
que  la  forme  par  laquelle  Socrate  ou  Platon  est 
homme  :  formule  où  il  faut  remarquer  que  le  mol 
for n'esl  pas  pris  au  sens  péripatéticien  de  la  sco- 
lastique postéi  i<  née.  eu-  Gilbert  n'a  pas  lu  la  Physique 
ou  l'Animastique  d' Aristote.  Donc  pour  lui,  philosophi- 
quement, la  formule  :  divenum  i  id  quod 
-  un  eti  esse,  ntia 
nue  est  "  le,  tl  id  quod  est,  id  est  iub$i$tent 
ni  quo  est  et  corpus,  hu- 
manita  el  homo,  col.  1318.  il  eal  évident  que  s  il  eûl 
appliqué  ci  eti  1  existi  n  i  di 
Dnies,    il    eûl                   comme   beaucoup   d'autres 


depuis,  la  distinction  réelle  de  l'une  et  de  l'autre.  Mais, 
remarque-t-il  dans  le  même  passage,  les  théologiens 
conçoivent  les  choses  tout  autrement.  Quand  on  dit  en 
théologie  qu'un  corps  est,  qu'un  homme  est,  ou  qu'un 
homme  est  bon,  l'être  se  dit  par  une  dénomination  ex- 
trinsèque, fondée  sur  l'être  et  l'action  du  premier  prin- 
cipe; de  même  pour  la  bonté,  col.  1330.  Car.  d'une 
manière  générale,  les  théologiens  ne  disent  pas  que, 
par  la  corporéité,  un  corps  existe,  ou  par  l'humanité 
un  homme;  ils  disent  seulement  que,  par  la  corporéité, 
par  l'humanité,  un  corps,  un  homme  sont  dans  la  caté- 
gorie des  réalités  objectives,  sunt  aliquid ;  quant  à  leur 
existence,  elle  n'est  que  par  l'être  el  l'opération  du 
premier  principe  et  c'est  en  ce  sens  que  Boèce  appelle 
celui-ci  la  forme,  et  Denys,  l'être  de  tout.  F.rgo  cum 
dicitur,  diversum  est  es_se,  et  id  quod  est,  secundum 
theologicos  quidem  intelligilur,  esse,  id  quod  est  prin- 
cipium;  id  quod  est  vero,  illud  quod  est  ex  principio. 
C'est  à  l'aide  de  cette  conception  qualifiée  de  théolo- 
gique, c'est-à-dire  de  traditionnelle,  que  Gilbert  fait  le 
départ  de  l'infini  et  du  fini,  de  l'être  par  essence  et  de 
l'être  par  participation,  de  la  bonté  première  et  des 
bontés  dérivées,  au  sens  augustinien  des  termes.  Exis- 
tence et  bonté  se  disent  donc  des  créatures  par  déno- 
mination extrinsèque,  avec  connotation  de  la  causalité 
divine. 

Une  autre  maxime  de  Boèce  le  met  en  présence  du 
problème  de  l'unité  :  omne  simplex  esse  suum,  et  id 
quod  est,  unum  Itabet.   II  se  souvient  ici  qu'il  ne  faut 
pas  distinguer  clans  les  attributs  divins  le  quod  est  et 
le  quo  est,  l'abstrait  et  le  concret;  aussi  renonce-t-il  à 
justifier  l'adage  par  des  exemples  naturels  ou  mathé- 
matiques :  Hoc  in  solis  theologicis  exemplari  potest  ; 
nim   omnia  naturalia,  non  modo  creata,  sed  etiam 
concreta  sunt.   Cette  composition  de  tout  ce  qui  n'esl 
pas  Dieu  consiste  en  deux  choses  :  d'abord,  dans  tout 
ce  qui  est  fini,  l'abstrait  et  le  concret  différent  réelle- 
ment; c'est,  dit-il,  le  sens  philosophique  de  cette  autre 
maxime  de  Boèce  :  omni  composito,  aliud   est  esse, 
aliud  ipsum  est,  col.  1321;  ensuite,  tout  être  fini  est 
composé   au  sens    théologique.  En    effet,  tout   ce  qui 
n'existe  point  par   soi,  c'est-à-dire  en    vertu   de  son 
essence,  mais  par  une  cause,  n'est  point  dans  l'ordre 
îles  réalités  précisément  par  son  exislence;ct  ainsi  tout 
être  contingent  est  composé, concrelum  atquecomp 
tum,quoniam  aliud  est  quod  est,  aliud  quo  est,  col.  1321. 
Dieu,  au  contraire,  est  absolument  simple,  et  c'est  de 
lui  seul  qu'on  peut  dire  que  son  existence  et  sa  réalité 
objective  sont  absolument  identiques,  esse  suum,  et  id 
quod  est,  unum  liabet.  Car,  vu  la  nécessité'  absolue  de 
son  être,  il   est   précisément  ce    qu'il    est    par  le    fail 
même  de  son  existence,  ipse  vero  codem  quo  est,  ali- 
quid est  ;  el  est  vere  in  co  quod  est,  el  vere  id   quod 
est,  col.  1320. 

Mais  nous  ne  pouvons  pas  exprimer,  comme  elli 

en  soi,  cette  simplicité  :  quoniam  non  habemus  illi 

cognatos  quibus  de  ipso  loquamur  semtones,  a  >mtu- 

ralibus  ad  ipsum   verba  transuuiimus,  dicentes  :  lu 

I   qua  ipse  est.  et  Juleulia  qua   pntens 

est,  et  sapientia  qua  sapiens  est,  el  hujusmodi;  non 

i  cogilamus  ab  essenlia,  qua  illuni  esse  prstdù 

a/m  aul  sapienliam   cjus,  quibus  quasi 

esse  aliquid  dicimuseum,  de  quo  oninino  neescimus, 

nec   sine  possumus  quid    sit,   in    illa   ratit 

.mi.    El   lanla  in  illo  est.  sub  bar  hoTWIX  nomi- 

num  diversitate,  non  dico  rerum  unio,  sed  rei  lin- 
gularis,  et  simplicis,  et  individus!  unitas,  ut  de  eo 
•  r  :  non  modo   Deut   est,  '   potsns, 

ruru  elian\  Dt  :'~u- 

\ia,  D<  tu  est  ipsa  sapientia  el  huflismodi.  Rien  d 
plus  classique,    mais  Gill  i    eo 

quodvereesl    implex,  dicai     est,  et  iteni  dicat 
aliquid,  nullut  intelligi  • 


1167 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES    SCOLASTIQUES) 


1108 


tione  prsedicaverit  de  ipso  aliguid  proprieiale  aliqua 
diversum  ab  eo,  quod  prsedicaverat  in  prima.  Sans 
doute,  la  phrase  a  un  sens  orthodoxe;  c;ir  on  lit  dans 
saint  liernard  :  Si  bonum,  si  magnum,  si  beatum,  si 
sapientem,  vel  quidquid  laie  de  Dca  dixeris;  in  hoc 
verbo  instauratur,  quod  est,  bsi'.  Nempe  hoc  est  ci 
esse,  quod  hsec  omnia  esse.  Si  et  centum  lalia  addas, 
non  reccssisli  ab  esse.  Si  ea  dixeris,  nihïl  addidisli  ; 
sinon  dixeris,  niliil  minuisti,  De  consideratione,\.  V, 
c.YI,n.13,  P. L.,  t.  ci.xxxn,col.  795sq.;  de  même  saint 
Anselme  écrit  :  Quemadmodum  ilaqne  unum  est 
quidquid  essentialiler  de  summa  substanlia  dicitur, 
ila  ipsa  uno  modo,  un  a  considcralione  est,  quidquid 
est  essentialiler,  Monolocjium,  c.  xvii,  P.  L.,  t.  CLVII, 
col.  166;  et  ailleurs  :  imo  lu  es  ipsa  imitas,  nullo 
inteUeclu  divisibilis.  Proslogion,  c.  xvm,  ibid., 
col.  237.  Cf.  Hurtado  de  Mendoza,  Universa  pkiloso-, 
pliia,  Lyon,  1624,  Metaph.,  disp.  VI,  sect.  iv,  n.  125; 
Oviedo,  Cursus  philosophicus,  Lyon,  1640,  Metaphys., 
cont.  IV,  p.  vin,  n.  16;  d'Aguirre,  Theologia  S.An- 
selmi,  t.  i,  disp.  XXXI,  sect.  IV.  Mais,  si  l'on  peut  à 
bon  droit  voir  dans  les  textes  de  ces  docteurs  la  néga- 
tion des  précisions  objectives,  on  n'y  trouve  pas, 
comme  chez  Gilbert,  l'insinuation  de  la  négation  de 
tout  fondement  prochain  à  la  distinction  que  nous 
faisons  des  attributs  ;  à  lire,  en  effet,  Gilbert,  on  sent 
qu'il  n'a  pas  élucidé  la  fumeuse  question  de  eodem  et 
diverso,  qui  est  au  fond  du  problème  des  universaux. 
Que  répondrait-il,  en  ellèt,  si  on  lui  objectait  qu'à  ce 
compte  tous  les  noms  divins  sont  synonymes?  Nous 
l'ignorons. 

Mais  il  est  certain  que,  devant  l'infini,  la  plénitude 
de  l'être,  est,  Gilbert  ne  recourait  pas  à  l'agnosti- 
cisme. Nec  ait,  remarque-t-il  sur  un  mot  de  Boèce  à 
propos  de  la  Trinité,  non  intelligi  potuil,  sed  vix  in- 
telligi  poluit.  Quibus  verbis  ostendit  neque  diclio- 
nem  liane  a  noslrse  locutionis  usu  omnino  abhorrere, 
neque  rem  omnino  ab  liumanm  inlelligentiee  sensu 
remotam  ;  sed  ex  aliqua  rationis  proporlione  tran- 
sumptum  sermonem,  rem  ipsam,  sicut  est,  minime 
posse  explicare.  De  Trinilate,  P.  L.,  t.  lxiv,  col.  1293; 
cf.  col.  1283,  1306.  Nous  ne  disons  pas  autre  chose 
aujourd'hui  :  tirée  des  créatures,  notre  connaissance 
de  la  nature  de  Dieu  garde  toujours  quelque  chose  de 
métaphorique,  cf.  Yasquez,  In  Pm,  disp.  LVII,  n.  6, 
puisqu'elle  n'est  pas  immédiate;  elle  est  donc  très 
imparfaite,  inadéquate,  mais  vraie. 

Gilbert,  dans  son  commentaire  des  Semaines  de 
Boèce,  ne  parvient  donc  à  concilier  sa  philosophie 
avec  le  dogme  de  la  simplicité  divine,  qu'en  renonçant 
à  appliquer  à  Dieu  son  réalisme,  outré,  ou,  pour  parler 
sans  équivoques,  son  principe  de  la  composition  réelle 
du  quod  est  et  du  quo  est.  L'accord  entre  la  vérité 
philosophique  et  la  vérité  dogmatique  s'obtient  uni- 
quement par  le  recours  à  des  dénominations  extrin- 
sèques pour  expliquer  l'être  et  la  bonté  des  créatures. 
C'est,  d'après  lui,  le  sens  de  la  formule  patristique  de 
l'être  et  de  la  bonté  participés  des  choses,  col.  1330. 
Cf.  S.  Thomas,  De  verilate,  q.  xxi,  a.  4;  voir  t.  n. 
col.  835.  Dans  ses  principes  réalistes,  Gilbert  dit 
expressément  ne  voir  pas  d'autre  moyen  d'éviter  le 
panthéisme  que  cette  concession  au  nominalisme, 
col.  1326. 

b)  Alain  de  Lille.  —  Alain  essaya  une  voie  meilleure 
de  conciliation  entre  la  philosophie  et  l'enseignement 
traditionnel .  Alain,  qui  ignora  le  néoplatonisme  comme 
tout  son  siècle  et  le  suivant,  est  déjà  mieux  renseigné 
que  Gilbert  sur  le  véritable  sens  des  formules  des 
écrivains  platonisants,  grâce  au  De  unitale  de  Gundi- 
salvi  qu'il  attribue  à  Boèce,  grâce  aussi  au  fameux 
Liber  de  causis.  Il  prend  pour  point  de  départ  com- 
mun de  sa  théologie,  de  sa  philosophie  et  de  son  inter- 
prétation de  Boèce  ou  de  Denys,  l'unité  de  la  monade. 


Théologies  regulœ,  reg.  i,  /'.  L.,  t.  ccx,  col.  623. 
Dieu  est  la  seule  véritable  monade,  id  est,  si, lus  Deus 
vere  exislil,  id  est,  simpliciter  et  immutabilité/-  ens: 
caetera  aulem  non  sunl,  quia  nunquam  in  eodem 
statu  persistunt.  Beg.  Il,  col.  624.  D'où  suit  le  prin- 
cipe de  la  parfaite  simplicité  divine  :  Deus  est  eux 
quodlibet  quod  est,  est  esse  omne  quod  est.  Cf.  S.  Au- 
gustin. De  Trinilate,  1.  VII,  c.  i;  1.  XV,  c.  v,  P.  L., 
t.  xlii,  col.  933, 1062.  D'où  suil,  car  Alain  est  très  déduc- 
tif,  omne  simple.c  esse  suum,  et  id  quod  est,  unum 
habet.Reg.  xi,  col.  628.  Dans  le  fini  —l'existence  et  la 
bonté  mises  à  part,  comme  on  l'a  vu,  par  le  moyen 
de  dénominations  extrinsèques  —  le  réalisme  outré  de 
Gilbert  imagine  partout  des  compositions,  et  par  suite 
des  distinctions  réelles  :  aliud  quod  est,  aliud  quo 
est,  l'humanité  et  un  homme  sont  deux  entités.  Alain 
retient  la  formule  consacrée,  mais  l'entend  dans  le 
sens  du  réalisme  modéré  de  Jean  de  Salisbury  qui 
triomphera  au  x 1 1 Ie  siècle.  D'après  lui,  l'être  et  ses 
propriétés  sont  toujours  dans  les  êtres  contingents 
distincts  de  quelque  manière,  et  c'est  la  raison  pour 
laquelle  nous  séparons  dans  nos  propositions  le  sujet 
de  l'attribut;  car,  à  défaut  de  composition  réelle,  il  v 
a  toujours  quelque  contingence  dans  l'être  créé.  Il 
en  résulte  donc,  puisque  toute  composition  doit  être 
écartée  de  Dieu,  et  puisque  tonte  proposition  sur  Dieu 
est  absolument  nécessaire,  de  puro  esse  vel  de  ne- 
cessario,  que  nous  ne  pouvons  former  sur  Dieu 
aucune  proposition  ayant  le  même  degré  d'exactitude 
que  celles  que  nous  énonçons  des  créatures,  reg.  xn, 
col.  629,  non  pas  même  une  proposition  existentielle. 
omne  simplex  proprie  est,  et  improprie  dicitur  esse. 
Reg.  xx,  col.  630.  C'est,  pense-t-il,  ce  qu'a  voulu  dire 
Denys  :  affirntaliones  de  Deo  incompactœ,  negationes 
vero  verse.  Tune  af/irmatio  composila  sive  compacta 
dicitur,  cum  compositionem  signifient  quant  signift- 
care  videiur.  Ut  cum  dico  :  Petrus  est  jus/us,  hxc 
affirmatio  significare  videiur  composilio  justitix  ad 
Petrum  et  signi/icat  quidem.  Incompacta  vero  dici- 
tur af/irmatio,  cum  non  significat  compositionem 
quant  significare  videiur  ;  ut  cum  dicitur:  Deus  justus; 
non  enim  ibi  significalurconiposiliojuslitisead  Deum  ; 
non  enim  componitur  vel  inltœret,  et  2iotius  signifi- 
calur  esse  justitia  quant  justus.  Beg.  xtx,  col.  630. 
Cf.  Ars  fidei,  1.  I,  xvi,  xx,  ibid.,  col.  601  sq.  Ces  pas- 
sages sont  très  remarquables.  L'explication,  moitié 
grammaticale,  moitié  psychologique,  qu'ils  renferment. 
est  comme  une  première  ébauche  de  la  distinction 
entre  la  chose  signifiée  et  notre  mode  de  la  signifier, 
dont  nous  nous  servons  tous  depuis  le  xme  siècle.  Cf. 
Corderius,  Prolegomena  in  Dionysium,  P.  G.,  t.  m. 
col.  83;  S.  Bonaventure,  In  IV  Sent.,  I.  I,  dist.  XXII. 
a.  1,  q.  m;  S.  Thomas,  ibid.,  q.  i,  a.  2;  De  poteutia. 
q.  vu,  a.  5,  ad  2""',:  Sum.  theol.,  Ia,  q.  xin,  a.  12;  pour 
ce  dernier,  voir  le  reste  des  références  dans  Pierre  de 
Bergame,  Tabula,  v°  Incompaclse,  ou  dans  d'AIès, 
Dict.  apologét.,  t.  i,  col.  61. 

Mais  Alain  n'applique  point  ces  vues  aux  deux  pré- 
dicats d'existence  et  de  bonté;  pour  lui,  comme  pour 
Gilbert,  l'être  et  la  bonté,  dont  il  connaît  la  converti- 
bilité, se  disent  des  créatures  seulement  par  dénomi- 
nation extrinsèque,  reg.  lxviii,  col.  654,  tandis  que 
l'unité  en  est  un  prédicat  intrinsèque,  bien  qu'avec 
dépendance  causale  de  la  première  monade.  Beg.  II, 
col.62i.  Le péripatétisme  de  la  scolastique  postérieure 
nous  a  tellement  habitués  à  la  formule,  ens,  unum, 
verunt  et  bonum  convertuntur,  que  nous  avons  de  la 
peine  à  comprendre  l'hésitation  des  penseurs  du 
xne  siècle.  Si  Alain  eût  dit  de  l'existence  et  de  la  bonté 
ce  qu'il  pense  de  l'unité  de  singularité,  il  eut  donné 
sur  ces  questions  la  solution  du  réalisme  modéré  de 
saint  Thomas  et  de  Suarez;  il  s'en  tint  sur  ce  point, 
comme  Gilbert, par  respect  pour  des  textes  dont  il  n'en- 


1169 


DIEU    (SA   NATURE    SELON    LES   SCOLASTIQUES] 


1170 


tendait  pas  le  sens  historique,  à  une  solution  nomi- 
naliste. 

Il  en  fut  de  même  sur  la  distinction  des  attributs, 
où  Alain  reproduit  littéralement  Gilbert;  tous  deux 
disent  :  quand  nous  affirmons  la  puissance  du  Père,  et 
du  Fils,  et  du  Saint-Esprit,  il  n'y  a  aucune  distinction 
à  faire  entre  puissance  et  puissance;  il  en  est  de  même 
entreles  divers  attributs.  Gilbert,  loc. cit.,  col.  1320;  Alain, 
reg.  xi,  col.  628.  La  raison  en  est,  dit  Alain,  que  tout 
ce  qui  est  en  Dieu  est  Dieu  ;  donc  la  diversité  des  noms 
divins  n'a  pas  d'autre  fondement  que  la  variété  de  ceux 
qui  parlent  de  Dieu  et  des  œuvres  divines  :  non  refer- 
tur  ad  pluralitalem  signi/icatorutu.  sed  significantium 
eleffectuum  ;  uniusenim  et  ejusdem  causse  e/fectus  sunt 
diversi  diversis nominibus  significati,  cum  dicilurDeus 
estfortis,  pius,  prudens.  Reg.ix,  col.  628.  Nous  retrou- 
verons ces  formules,  communes  au  xne  siècle,  et  en- 
core fréquentes  au  début  du  xme  siècle,  chez  les  nomi- 
nalistes  du  XIVe  siècle,  même  après  que  saint  Thomas 
aura  montré  que  les  notions  diverses  que  nous  nous 
formons  de  Dieu  ont  leur  fondement  prochain  dans  la 
réalité  divine.  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  II,  q.  i,  a.  3; 
De  potentia,  q.  vu,  a.  6;  De  veritate,  q.  n.  a.  1.  Mais 
conclure  que  le  XIIe  siècle  et  en  particulier  Alain  tom- 
baient dans  le  relativisme  ou  dans  l'agnosticisme,  serait 
précipité.  Car  après  avoir  divisé  les  noms  divins, 
d'abord  suivant  les  catégories  d'Aristote,  reg.  VIII, 
col.  628,  puis  suivant  l'usage  des  grammairiens  de  son 
temps,  reg.  xxi,  col.  631,  Alain  dit  expressément  que 
les  termes  des  trois  premiers  prédicamenls  signifient 
la  divine  essence  :  de  ipso  prsedicant  divinam  usiam, 
ut  cum  dicitur  :  Deus  est  Deus,  substantia,  spiritus, 
pius,  misericors,  fortis,  niagnus,  intntensus  ;  et  il 
remarque  que  les  noms  qui  se  disent  de  Dieu  par  voie 
de  causalité  signifient  la  divine  substance  :  va  aillent 
nomina  guse  de  Dca  dicunlur  per  causant,  dicuntur 
per  substantiani.  Celte  dernière  formule  d'origine  pa- 
tristique,  cf.  Jean  de  Chypre,  Exposilio  maleriaria, 
decas  x,  c.  i  ;  decas  iv,  c.  ix,  P.  G.,  t.  ci.u.  col.  959, 
79!),  bien  que  mal  comprise  plus  tard  par  Cajetan  qui 
lui  fait  signifier  une  subtilité  purement  systématique, 
est  restée  classique  pour  exprimer  que  les  attributs 
divins  ont  une  portée  métaphysique,  que  par  eux  nous 
concevons  la  nature  intrinsèque  de  Dieu.  Cf.  S.  Bona- 
venture,  1»  IV  Sent.,\.  I.  dist.  XXII.  a.  l,q.  iv  ;  S.  Tho- 
mas, Sum.  theol.,1*,  q.  un,  a.  2.  Voir  Vasquez,  //*  / , 

disp.  LVII,  n.  27.  Ici  encore  les  positions  Ihéologiques 
d'Alain  sont  bien  meilleures  que  les  explications  phi- 
losophiques qu'il  essaie  d'en  donner;  et  ces  positions 
n'expriment  pas  autre  chose  que  l'enseignement  tradi- 
tionnel sur  notre  mode  de  connaître  la  nature  divine. 

3.  Même  persistance  de  cet  enseignement  dans  les 
écrits  polémiquas  de  la  même  période.  Bornons-nous 
au  cas  d'Abélard.  Scot  Érigène  avait,  en  se  couvrant 
des  formules  du  pseudo-Denys, enseigné  l  agnosticisme 
croyant  le  plus  radical  :  notre  connaissance  de  Dieu  se 
réduisait  pour  lui  à  savoir  qu'il  est  i/tiid.  Cf.  Stock), 
Lehrbuch  <'<  r  Gt  chichte  dei  Philosophie,  Mayence, 
IH7.">.  p.  369  382;   »  i  dit,  art.  Scolus 

Erigena;  P.  /...  t.cxxn,  col.  S39.  Sans  aller  aussi  loin, 
Ahébird  prit  pour  base  de  sa  doctrine  ■- u r  Dieu  le  sym- 
bolisme que  Scol  avait  étayé  sur  le  pscudo-D< 
//,/,-.../.  mi  theolog.,  I.  Il,  sec  t.  s,  /'.  /...  i.  cxxvm, 
col.  1064.  Ci  -1  de  ce  fondemi  ut,  el  non  pas  d'un  pré- 
tendu ■  onci  ptualisme,  comme  l'a  voulu  Victor  Cousin, 
qu'il  déduisit  n  erreurs  ^ur  la  Trinité,  ibid,, 
un,  col.  1068,  sur  l.i  liberté  el  la  toute-puissan  i 
divines,  l.  III.  sert,  v,  col.  1096  Denzinger,  n.  310,  323, 
316  q.  Comme  plusieurs  de  nos  contemporains,  A  lu  lard 
M  flatta  di  ntre  Charybde  el  Scylla,  ibid., 
.  -dire  de  résoudre  '  liftlcultés, 

en  greffant  li  rat Il  m(  ur  un  symbolisme  agnos- 
tique. D  api  i      lui,  I  e  de  foi,  n'<  tant  que 


symbolique,  ne  nous  renseigne  pas  sur  la  nature  intrin- 
sèque de  Dieu.  Donc  les  termes  Père,  Fils  et  Esprit, 
n'expriment  rien  d'intérieur  à  Dieu;  ce  ne  sont  que 
des  dénominations  fondées  sur  ses  effets,  et  des 
termes  impropres.  Cf.  Guillaume  de  Saint-Thierry, 
Disp.  adv.  Abel.,  c.  il,  P.  L.,  t.  ci.xxx,  col.  233  sq.  Il 
faut  donc  les  interpréter  philosophiquement,  comme 
des  termes  qui  signifient  autre  chose  que  ce  qu'ils  ont 
l'air  de  dire.  Id..  De  erroribus  Guillelmi  de  Conchis, 
ibid.,  col.  338.  D'où  une  prétendue  explication  ration- 
nelle de  la  Trinité,  qui  permet  à  Abélard  de  retrouver 
ce  dogme  mystérieux  chez  les  philosophes.  Ibid., 
col.  333.  Les  polémistes  lui  répondirent  sans  hésiter 
que  sa  conception  de  la  foi  était  incorrecte  :  la  foi  est 
essentiellement  un  acte  intellectuel,  par  lequel  nous 
portons,  grâce  au  témoignage  divin,  des  jugements 
objectivement  valables  sur  la  nature  divine  elle-même. 
Cf.  S.  Bernard,  Contra  quœdant  capitula  errorum 
Abœlardi,  c.  iv;  De  consideralione,  1.  V,  c.  m,  P.L., 
t.  clxxxii,  col.  1001,  790;  Guillaume  de  Saint-Thierry, 
ibid.,  col.  2i9,  253.  D'un  autre  côté,  ils  s'élevèrent 
contre  la  prétention  de  donner  une  explication  soi- 
disant  exhaustive  des  mystères  divins,  parce  que  Dieu 
reste  invisible,  incompréhensible  et  par  suite  ineffable, 
aussi  bien  pour  la  foi  que  pour  la  simple  raison  natu- 
relle. Cf.  S.  Bernard,  Epist.,  exc,  c.  vu,  n.  18,  ibid., 
col.  1067;  Gauthier  de  Mortagne,  Epist.  ad  P.  Abse- 
lardum,  dans  le  Spicilegium  d'Achery,  t.  ni,  p.  524. 
Voir  Dictionnaire  d'histoire  et  de  géographie  ecclé- 
siastiques, Paris  11)0!),  t.  I,  col.  85. 

i.  Mieux  encore  que  les  textes  allégués,  la  vigueur 
avec  laquelle  l'autorité  ecclésiastique  poursuivit  et  con- 
damna les  diverses  erreurs  sur  la  nature  de  Dieu  qui 
se  produisirent  à  cette  époque,  montre  la  vitalité  de  la 
tradition  dont  nous  parlons.  Le  panthéisme  d'Amaury 
de  Bène  et  le  monisme  matérialiste  de  David  de 
Dinant,  voir  t.  i,  col.  938,  et  plus  haut  col.  159,  furent 
sévèrement  réprimés;  on  proscrivit  le  dualisme  mani- 
chéen des  albigeois,  Denzinger,  n.  355,  et  on  en  imposa 
le  rejet  aux  vaudois,  ibtd.,  n.  367;  on  condamna  à  di- 
verses reprises  l'agnosticisme  de  Scot  Krigène,  cf.  Kir- 
cltenlexikon,  2e  ('-dit.,  v°  Scotus  Erigena;  le  symbo- 
lisme d'Abélard  ne  fut  pas  épargné,  Denzinger,  n.310sq.; 
et  la  dialectique  nominaliste  de  Roscelin  et  de  l'abbé 
Joachim  appliquée  à  la  Trinité  fut  traitée  d'hérétique 
aussi  bien  que  certaines  conclusions  sur  la  nature 
divine  du  réalisme  outré  de  Gilbert  de  la  Porrée. 
Denzinger,  n.  329,  358.  Or,  toutes  ces  décisions  impli- 
quent chez  la  hiérarchie  une  vue  nette  de  la  portée 
ontologique  des  attributs  et  des  conditions  ou  limites 
de  notre  connaissance  de  la  nature  divine  ;  bien  plus, 
elles  supposent  la  connaissance  réfléchie,  de  la  substan- 
tialité,  de  l'unicité,  de  la  simplicité,  de  l'immutabilité, 
de  la  spiritualité  de  Dieu;  elles  supposent  en  outre  .m 
moins  un  essai  de  solution  des  difficultés  que  présente 
au  premier  abord  l'accord  des  divers  attributs,  soit 
entre  eux,  suit  avec  la  simplicité  de  l'essi  nce divine. Si 
donc  l  i  il  n, mie  se  prononça  catégoriquement 

contre  les  erreurs  que  nous  avons  mentionnées,  c'est 
que  sur  tous  ces  points  elle  connaissait  la  tradition 
chrétienne  el  lui  restait  Qdèle. 

Rapport  des  attributs  et  de  l'essence*  '  es  Péri  9 
nous  ont  laissé  diverses  classifications  des  attributs  ou 
noms  divins,  biles  étaient  connues  du  XII1  Bièi 
cf.  Pierre  Lombard.  Sent.,  I.I.disi.  XXII  ;  elles  furent 
même  un  des  principaux  véhicules  par  lesqui 
transmit  la  doctrine  patristique  sur  la  nature  de  Dieu. 
Hais  ce  ne  fut  pas  de  ce  côté  que  se  dirigea  surtout 
la   pi  ■  us  durant    cette   période  ;   le 

problème  trinitaire  sollicita   davantage  leur  attention! 
on  en  fut  les  divei  ■     erreur   iui  la  rrinité  que 
firent  naître  les  difficultés  du  problème  des  universaux, 
u.  i  Imparfaitement  1 1   olu  au  ui<  lièi  le  <  i.  de  w  ulf, 


1171 


DIEU    (SA   NATURE   SELON    LES   SCOLASTIQUES 


1172 


Le  problème  des  universaux  dans  son  évolution  histo- 
rique du  i.v  au  xine  siècle,  Berlin,  1890;  Huon;iiuti, 
lioscelin,  dans  llivisla  storico-crilica  délie  scienze 
teologiche,  mars    1908;  Dehove,  Qui  prsecipui  fuerint 

labente  Ml  s;eculo  anle  inlroduclam  Arabum  pkilo- 
sophiam  tempérait  realismi  antecessores,  Lille,  1908. 
L'histoire  de  ces  controverses  est  hors  de  notre  sujet, 
voir  Trinité;  il  nous  suffit  d'en  noter  deux  résultats  qui 
servirent  de  base  à  la  scolastique  postérieure,  dans  ses 
recherches  prolongées  sur  les  rapports  des  attributs 
entre  eux  et  avec  l'essence  divine. 

1.  On  lit  dans  le  IV'  concile  de  Latran  que  les  trois 
personnes  divines  sont  une  seule  et  même  chose  ou 
réalité  objective,  une  seule  essence,  substanceou  nature, 
absolument  simple,  una  qusedam  sunima  res,  una 
essentiel,  substantiel  seu  natura,  simplex  omnino. 
Pierre  Lombard,  à  l'exemple  des  sententiaires,  ses 
prédécesseurs  ou  ses  contemporains,  avait  emprunté  à 
la  tradition,  spécialement  à  saint  Augustin,  l'usage 
d'appliquer  à  Dieu  ces  termes  d'essence,  de  substance, 
ou  nature,  Sent.,  1.  I,  dist.  II  et  V;  et  pour  exprimer  le 
dogme  trinitaire  il  s'était  servi  de  cette  formule  :  le  Père, 
le  Fils  et  le  Sai  nt-Esprit  sont  u  ne  même  essence,  substance 
ou  nature,  c'est-à-dire,  nonobstant  la  distinction  des 
personnes  divines,  une  seule  réalité  objective,  une  seule 
chose  ;  d'où  il  suit  qu'il  ne  faut  pas  dire  qu'en  Dieu  l'es- 
sence a  engendré  l'essence,  mais  seulement  que  le  Père 
a  engendré  le  Fils  :  cum  enim  una  et  summa  qusedam 
res  sit  divina  essenlia,  si  divina  essenlia  essen- 
tiani  gênait,  eadem  res  se  ipsani  genuit,  quod  omnino 
esse  non  polest.  Cf.  Richard  de  Saint-Victor,  De  Tri- 
nitate,  1.  VI,  c.  xxn,  P.  L.,  t.  CXCVI,  col.  980.  L'abbé 
Joacbim  ayant  prétendu  que  Pierre  Lombard  enseignait 
par  là  une  quaternité  à  la  place  de  la  Trinité,  le  concile 
de  Latran  le  condamna  et  lit  la  profession  de  foi  sui- 
vante :  Credimas  et  con/itemur  cum  T'elro  Lombardo 
quod  una  qusedam  summa  res  est,  quse  veraciler  est 
Pater  et  Ftlius  et  Spiritas  Sanctus;  très  simut  per- 
sonse  et  sigillatim  quselibel  earumdem  ;  et  ideo  in  Deo 
solummodo  Trinitas  est,  non  quaternitas,  quia  quse- 
libet  illarum  trium  personarum  est  illa  res,  videlicet 
subslantia,  essentia  seu  natura  divina...  ut  distinctiones 
sint  in  personis  et  imitas  in  natura.  Denzinger,  n.  358. 

Cette  profession  de  foi  commande  la  terminologie 
scolastique  dans  le  sujet  qui  nous  occupe,  et  elle  a 
servi  de  point  de  départ  aux  travaux  qui  ont  abouti  à 
la  formule  du  concile  du  Vatican.   Denzinger,  n.   1031. 

a)  Il  est  avéré  que  soit  dans  le  langage  courant,  soit 
dans  la  phraséologie  patristique,  soit  dans  les  diverses 
philosophies,  les  mots  essence,  nature,  substance,  ne 
sont  pas  absolument  équivalents;  et  il  est  également 
avéré  qu'en  parlant  de  Dieu  les  Pères  n'ont  pas  tous 
employé  ces  termes  de  la  même  façon,  soit  parce  qu'ils 
se  conformaient  à  l'usage  de  leur  temps  et  de  leur  pays, 
soit  parce  qu'ils  tenaient  compte  de  la  dialectique  du 
système  philosophique  qui  avait  leurs  préférences,  soit 
enfin  parce  qu'ils'voulaient  éviter  d'employer  certaines 
formules  dont  les  hérétiques  abusaient.  Ces  faits  étaient 
assez  connus  dès  le  XIIe  siècle,  et  l'Ecole  ne  les  a  jamais 
perdus  de  vue.  Cependant  l'autorité  du  concile  de 
Latran  a  fait  que  les  théologiens  scolastiques  emploient 
indifféremment  les  trois  termes,  essence,  nature,  sub- 
stance, pour  signilier  la  réalité  objective, incompréhen- 
sible et  inelfable,  qui  est  commune  aux  trois  personnes 
divines,  sans  être  cependant  ni  multipliée  ni  multi- 
pliable.  Cf.  S.  Bonaventure,  InIVSent.,  1. 1,  dist.  XXIII, 
a.  1,  q.  m.  Sur  ce  point  de  terminologie,  l'accord  des 
théologiens  n'est  pas  douteux.  Il  se  manifeste  assez  par 
exemple  par  le  titre  que  Suarez  a  donné  à  son  grand 
traité  sur  Dieu,  De  divina  subslantia  cjusque  altribulis, 
et  par  les  innombrables  traités  De  divina  essentia 
dont  nous  aurons  l'occasion  de  citer  quelques  échan- 
tillons.  Essence,  substance,  les  deux  expressions  sont 


employées  dans  le  môme  sens  par  le  concile  du  Vati- 
can. Denzinger,  n.  1031,  1051.  D'autres,  par  exemple 
Gonet,  De  Deo,  disp.  II,  a.  1,  traitent  du  même  objet 
en  le  désignant  De  natura  et  quiddilale  Dei.  La  seule 
controverse  sur  ce  sujet  dont  j'ai  noté  des  traces,  se 
trouve  mentionnée  dans  ce  passage  de  Gonel;  un  carme. 
Pierre  Corneio,  suivi  par  quelques  thomistes,  avait, 
dans  la  période  de  lloraison  des  distinctions  virtuelles, 
essayé  de  distinguer  en  Dieu  entre  l'essence  et  la  nature, 
l'essence  étant  d'après  lui  constituée  par  l'aséité,  et  la 
nature  par  l'intellection  ;  mais  Corneio  fut  solidement 
réfuté,  dans  les  principes  thomistes,  par  Godoy,  De 
Deo,  disp.  IV,  sect.  H,  dont  Gonet  résume  l'argumen- 
tation, loc.  cit.  L'accord  des  théologiens  a  eu  sa  réper- 
cussion dans  nos  langues  modernes  et  même  dans  la 
terminologie  philosophique  communément  admise.  Les 
Allemands,  il  est  vrai,  emploient  de  préférence  le  mot 
essence;  mais  les  Italiens  et  les  Français  disent  plus 
volontiers  nature. 

b)  Une  fois  en  possession  du  dogme  défini  au  con- 
'  cile  de  Latran,  les  scolastiques  se  posèrent  bientôt  la 
question  qu'il  suggérait  :  en  quoi  consiste  précisément 
la  réalité  simple,  commune  aux  trois  personnes  di- 
vines'.' Quand  on  se  pose  ce  problème  en  théologie,  il 
ne  s'agit  point  de  pénétrer  l'être  divin,  objectivement 
et  indépendamment  de  notre  manière  de  le  concevoir, 
nalura  Dei  physice  speclata;  car,  en  ce  sens,  la  nature 
de  Dieu  est  toute  la  réalité,  qui  est  Dieu,  Iota  realitas, 
quse  Deus  est,  comme  s'exprime  iluniessa,  Disputa- 
tiones  scholaslicse  de  essenlia  et  altributis  Dei,  Bar- 
celone, 1087,  disp.  V,  n.  3,  et  comprend  par  définition 
toutes  les  perfections  divines,  aussi  bien  celles  qui  sont 
relatives  ad  intra,  que  celles  qui  sont  absolues.  Or  les 
premières  sont  inaccessibles  à  la  raison  laissée  à  elle- 
même,  et  par  suite  de  l'invisibilité  divine  nous  ne 
connaissons  les  secondes  que  d'une  façon  médiate. 
D'où  il  suit  que  nous  n'avons  aucun  moyen  direct  de 
traiter  de  la  nature  physique  de  Dieu  au  sens  défini, 
et  si,  depuis  Duns  Scot,  on  en  parle  en  théologie,  à 
propos  de  la  vision  intuitive,  ce  n'est  qu'à  l'aide  d'un 
détour,  en  se  plaçant  au  point  de  vue  de  l'esprit  qui 
voit  Dieu  face  à  face. 

Il  suit,  au  contraire,  de  la  connaissance  de  la  Tri- 
nité par  la  révélation,  que  nous  avons  quelque  notion 
de  ce  qu'on  appelle  en  théologie  natura  Dei  theologice 
speclata,  qui  n'est  autre  chose  que  la  summa  res,  una 
essentia,  subslantia  seu  nalura  dont  parle  le  concile 
de  Latran,  et  qui.  supposée  la  distinction  de  l'absolu  et 
du  relatif  en  Dieu,  se  définit  :  id  quod  est  in  Deo  se- 
cundum  rem  absolution,  ut  distinguitur  ab  eo  quod 
est  secundum  rem  relativum.  Si,  en  eflet,  nous  n'avions 
aucune  idée  de  cette  perfection  qui  constitue  la  divi- 
nité en  tant  que  commune  au  Père,  au  Fils  et  au  Saint- 
Esprit,  la  Trinité  ne  serait  en  aucune  façon  accessible 
à  notre  pensée.  Logiquement,  la  foi  à  la  Trinité  pré- 
suppose quelque  connaissance  de  la  réalité,  commune 
aux  trois  personnes  divines.  Cf.  Duns  Scot,  In  1  F  Sent.. 
1.  I,  prologi,  q.  i,  n.  15  sq.;  Jérôme  de  Monlefortino, 
Siuli  summa  theologica,  Rome.  1900,  t.  I,  q.  XII,  a.  13. 
Qu'est-ce  que  cette  réalité? 

On  chercherait  en  vain  une  réponse  précise  à  cette 
question  dans  le  concile  de  Latran;  nous  verrons  plus 
loin  comment,  sinspirant  des  vues  de  Suarez,  le  con- 
cile du  Vatican  y  a  répondu;  sans  doute  on  trouverait 
sans  peine  les  éléments  de  la  solution  dans  les  écri- 
vains du  XIIe  siècle,  comme  aussi  chez  les  auteurs  qui 
écrivirent  durant  les  trois  premiers  quarts  du 
XIIIe  siècle;  mais  ce  fut  Duns  Scot  qui  le  premier  se 
posa  «letlement  la  question  que  suggérait  le  concile  de 
Latran.  Bel  exemple  de  la  façon  dont  le  dogme  pro- 
gresse dans  l'Église  :  les  controverses  trinitaires  du 
XIIe  siècle  préparèrent,  grâce  aux  travaux  de  la  scolas- 
tique, la  formule  de  Latran,  una  res,  etc.;  celle-ci  posa 


1173 


DIEU    (SA   NATURE    SELON    LES    SCOLASTIQUES) 


1174 


une  nouvelle  question  à  la  foi  cherchant  l'intelligence, 
et  servit  de  base  certaine  aux  spéculations  philoso- 
phiques des  siècles  suivants.  Peu  à  peu  le  problème 
s'éclaircit,  et  le  dernier  concile  consigna  clans  son 
texte  les  résultats  de  l'enquête,  après  que  par  les  tra- 
vaux des  Petau,  des  Thomassin  il  fut  bien  constaté  que 
la  doctrine  de  l'École  était,  quant  à  la  chose  signifiée, 
de  tout  point  conforme  à  l'enseignement  des  Pères. 

Les  recherches  sur  la  nature  théologique  de  Dieu  ne 
tardèrent  pas  à  faire  naître  dans  le  courant  du 
XIVe  siècle  une  question  analogue  sur  la  nature  méta- 
physique de  Dieu.  Voir  le  sens  du  problème,  t.  i, 
col.  2228.  A  cette  question  le  XIIe  siècle,  non  plus  que 
le  xiii'-,  ne  donna  pas  de  réponse  formelle;  et  c'est  ce 
qui  explique  pourquoi  toutes  les  opinions  qui  se  sont 
produites  à  partir  du  xve  sont  parvenues  à  se  trouver 
des  parrains  dans  les  siècles  précédents.  Mais,  ici  en- 
core, le  xii"  siècle  posa  un  principe  qui  servit  de  base 
aux  études  ultérieures,  et  ce  fut  à  propos  de  Gilbert 
de  la  Porrée. 

2.  Ce  n'est  pas  le  lieu  d'entrer  ici  dans  le  détail  des 
discussions  sur  l'ensemble  des  erreurs  de  Gilbert.  Un 
point  seul  touche  à  notre  sujet,  et  ce  qui  nous  intéresse, 
c'est  surtout  la  doctrine  qu'on  y  opposa.  Denzinger, 
n.  329.  Saint  Bernard  reproche  à  Gilbert.  Sermones  in 
Cantica,  serm.i.xxx.  n.6  sq.,P.  L.,t. Clxxxiii,  col.  1109. 
d'avoir,  en  glosant  sur  Uoèce,  Vtrum  Pater  et  Filius 
et  Spiritus  Sanctus  de  divinitale  substantialiter  prse- 
ntur,  P.  L.,  t.  lxiv,  col.  1307,  écrit  :  Simili  ter 
diximus  veritatem,  quse  eorumdem  essentiel  est,  nec 
alia  quam  divinitas,  de  ilhs  et  divisim  et  collectim 
prœdicari.  Kam  ri  divisim  Pater  est  verilas,  id  est 
venu  est;  item  Filius  vèritas,  id  est  verus  est;  item 
Spiritus  Sanctus  verilas  est,  id  est  verus  est;  et  col- 
lectim, Pater  et  Filius  el  Spiritus  Sanctus  non  sunt 
1res  veritates,  sed  sunt  una  sinç/ulariter  et  simplex 
verilas,  id  est  «nus  verus.  Gilbert  de  la  Porrée  admet- 
tait donc  une  distinction  réelle  entre  la  divinité  et  les 
relations  constitutives  des  trois  personnes  divines,  et 
par  suile  une  quatemité  comme  le  remarque  saint 
Bernard,  De  considérations,  I.  V.  c,  vu.  /'.  L., 
I.  CLXXXII,  col.  7!i7.  Cf.  Frassen,  Scolus  academicus, 
1.  I,  disp.  II,  a.  2,  q.  i  sq.,  Rome,  1900,  1. 1.  p.  187,  198. 
Le  même  auteur  nous  apprend  que  la  racin>'  de  la 
conclusion  i  i  ronée  de  Gilbert  se  trouvait  dans  le  com- 
mentaire du  De  Trinitate  de  lïoèce,  c.  ni.  ibid., 
col.  1251,  on  on  lit  :  Cum  dicilur  tint*  Pater,  Deus 
Filius,  Unis  Spiritus  Sanctus,  repetitio  de  eodem 
mugis  quam  enumeratio  diversi  videtur;  et  où  Gilbert 
glose  :  sed  m  liis  tam  ejus  rjuod  est,  quam  ejus  que 
est,  repelitiii  facta  est,  col.  1278,  quod  est  étant  pris 
pour  tubsistens,  c'est-à-dire  pour  les  personne 
quo est  pour  subsistentia,  c'est-à-dire  pour  la  divinité', 
col.  1279.  Non--  avons  dit  que  Gilbert  avait  évité 
d'appliquer  aux  attributs  divins  sa  doctrine  de  la  dis- 
tinction réelle  du  quod  est  cl  du  quo  est,  de  l'abstrait 
et  du  concret.  Là  où  Abélard  disait  :  il  est  impossible 
que  la  même  chose  soit  la  justice  et  la  miséricorde,  et 
recourait  au  symbolisme  pour  concilier  l'antinomie, 
Gilbert  admettait  l'objectivité  et  i  identité  des  deux 
attributs;  bien  plus,  il  admettait  l'identité  des  attri- 
buts avec  la  divinité,  cum  enim  dicitur,  est  honio 
jus  tus,  non  dicitur  esse  juslus  toto  7e./  ipse  est, 
e  justifia     <la  dicitur  esse  justu id  est,  ■■ 

est    "I    qUOd  eSt    /'m, m,    ri    illlml    ,il 

vero  dicitur,  Deut  est  juslus,  toto  eo  quo   ipst 
dicitu  \,im  De  nsum  est  q 

est  pistil.,  eodem  quo  est  justus, 

col.  1285.  Mai  al  sur  du  principe  d< 

lisme  outré,   il  i  quo  rut, 

ni  es/  $ubsisten  droit, 

puisque  fi  distinction   réelle  de  cer- 

t.iine,  de  l'appliquer  ■>  la  diviniU  dont  il  admettait  i< 


parfaite  simplicité,  naluram,  et  aux  relations  consti- 
tutives des  personnes,  personam  ;  d'où,  la  quaternité 
que  lui  reprochait  justement  saint  Bernard,  et  la  dis- 
tinction réelle  entre  la  personne  et  la  nature  en  Dieu, 
que  proscrivit  Eugène  III;  d'où  aussi,  par  voie  de  con- 
séquence, que  Dieu  au  concret,  persona  Italiens  deita- 
tem,  n'est  pas  la  divinité,  Deus  non  est  divinitas  quse 
Deus  est,  sed  qua  est,  et,  par  suite,  Pater  est  verus, 
non  verilas. 

C'est  par  cette  dernière  conséquence  que  saint  Ber- 
nard combattit  les  principes  de  Gilbert;  et,  par  suite, 
ce  furent  ces  dernières  formules  que  le  concile  de 
Beims  (11 18)  rejeta.  L'argumentation  de  saint  Bernard 
est  restée  classique.  Ces  hérétiques,  dit-il,  prétendent 
que  Dieu  est  par  la  divinité,  mais  que  Dieu  n'est  pas 
la  divinité.  Mais  cette  divinité,  ou  est  Dieu,  ou  est 
quelque  chose  qui  n'est  pas  Dieu,  ou  n'est  rien.  Gilbert 
ne  concède  pas  qu'elle  n'est  rien,  ni  qu'elle  est  Dieu. 
Beste  donc  qu'elle  est  quelque  chose  qui  n'est  pas  Dieu. 
Mais  ce  quelque  chose  ou  est  plus  petit  que  Dieu  ou  plus 
grand,  ou  égal.  Il  ne  peut  pas  être  plus  petit,  puisque 
d'après  vous  c'est  par  cela  que  Dieu  est  Dieu.  11  ne 
saurait  être  plus  grand,  car  Dieu  est  au-dessus  de  tout; 
ni  égal,  car  alors  il  y  aurait  deux  dieux.  Le  même  rai- 
sonnement vaut  pour  tous  les  attributs.  Donc  soutenir 
qu'il  y  a  en  Dieu  quelque  chose  par  quoi  il  est  Dieu 
et  qui  n'est  pas  Dieu,  détruit  la  simplicité  divine,  telle 
que  l'ont  enseignée  les  Pères  lorsqu'ils  ont  préféré 
l'emploi  des  noms  abstraits  à  celui  des  noms  concrets  : 
rectius  congruenliusque  dicitur  :  Deus  est  magnitudo 
quam  :  Deus  est  magnus.  In  Cantica,  ibid.,  n.  6, 
col.  1169  sq.  Cf.  S.  Auguslin.  De  Trinitate,  1.  V,  c.  x, 
n.  11,  P.  L.,  t.  xi.ii,  col.  918.  Le  concile  de  Beims  sanc- 
tionna la  conclusion  de  saint  Bernard;  et  cette  décision 
domina  par  la  suite  toutes  les  discussions  sur  les  rap- 
ports des  attributs  et  de  l'essence  métaphysique  de  Dieu. 

[II,  Apport  péripatêticien  et  néoplatonicien  dans 
la  théodicée  au  xiiie  siècle,  —  Quand  on  passe  de  la 
littérature  philosophique  que  nous  abaissée  l'école  spi- 
ritualiste  française  à  notre  littérature  philosophique 
actuelle,  il  semble  qu'on  passe  d'un  monde  à  un  autre, 
tant  la  terminologie,  les  problèmes  discutés  et  les 
procédés  d'argumentation  ont  varié.  On  éprouve  une 
impression  analogue  lorsqu'on  passe  subitement  des 
écrivains  du  \ir  siècle  aux  scolastiques  du  xiir.  Ces 
variations  s'expliquent,  la  première,  par  l'invasion  du 
Kantisme  el  du  positivisme  anglais  ;  la  seconde,  par 
i  introduction  dans  le  momie  latin  de  la  philosophie 
d'Aristote  et  de  certains  éléments  néoplatoniciens  par  le 
moyen  des  penseurs  arabes  et  juifs.  Voir  AniSTOTi  lishi  . 
Avi  rroïsm]  .  1.  1,  col.  1278,  2628.  Sur  ce  dernier  fail  le 
désaccord  n'est  pas  possible  ;  mais  on  est  loin  de  s'en- 
tendre quand  il  s'agit  d'en  mesurer  l'importanci 
d'en  apprécier  la  portée  pour  le  développement  de  la 
théodicée  chrétienne, 

/.    IPPHÊCtATIOltS    l<i    DIYBRS  HÉTÉRODOXES.   —   On 

vu,  col.  761,  que  d'après  beaucoup  de  protestants  an- 
l'École  étail  athée,  parée  que  péripatéticienne, 
On  n  1                       tujourd'hui  ce  griel  cru- 
dité; mais  nombreux  sont  les  écrits  où,  soit  pour  l'en 
blâmer,  soii  pour  l'en  féliciter,  la  scolastique  est  re- 
in    -  ntée  comme  avant  modifié  l'id ihrétii  une  et  tra- 
ditionnelle de  l>ieu.  Voici  les  principales  raisons  que 
l'on  met  en  avant  pour  justifier  celle  conclusion,  et  les 
pic    l'on   en   déduit.  —   I    <hi  procède 
d'une  main              raie  el  l'on  dit  :  Les  documenta 
pontificaux  recommandent  aux  catholiques  l'étude  de 
le  retour  à  saint  Thomas;  or  la  sco- 
lastique  du   xiit1   siècle  doil  beaucoup  i  axistote  el  au 
itonisme  du  paeudo-Denys  el  des  Arabes,  el  il  est 
par  ailleurs  certain  que  les  doctrines  péripatéticii 

platonicienne!  sur  Dieu  ne  sont  pas  chrétiennes  ; 
donc  '  iibniique  non  seule ni  admet  le  util 


1175 


DIEU    (SA   NATURE    SELON    LES    SCOL A STKj LES 


117G 


d'une  variation  de  ses  doctrines  sur  Dieu  au  xni'-siècle, 
mais  elle  prétend  aujourd'hui  imposer  cette  innovation 
médiévale,  el  pour  l'imposer  ne  varietur, elle  a  recours 
à  c  une  méthode  de  compression  »,  dont  les  premiers 
fondements  sont  la  négation  de  tout  progrès  en  théologie 
depuis  le  XIII"  siècle  el  le  rejet  de  tout  le  passé  de 
l'Église  platonisante.  Cf.  Weber,  Histoire  de  la  phi- 
losophie européenne,  0e  ('dit.  française,  Strasbourg, 
p.  229;  Picavet,  Esijuisse  d'une  histoire  générale  el 
comparée  des  philosophies  médiévales,  Paris,  1905;  le 
premier  de  ces  ouvrages  insiste  surtout  sur  les  em- 
prunts faits  au  péripatétisme,  le  second  sur  l'intluence 
■du  néoplatonisme.  Voir  Revue  d'histoire  el  de  littéra- 
ture religieuses,  Paris,  1899,  l.  IV,  p.  376.  —  2°  On  entre 
ensuite  dans  le  détail  des  doctrines.  D'abord,  à  propos 
des  théories  de  la  connaissance,  on  met  en  relief  le 
fait  que  saint  Thomas  s'est  inspiré  plus  que  ses  con- 
temporains de  la  théorie  empiriste  de  la  connaissance 
intellectuelle  d'Aristote,  développée  par  les  philosophes 
arabes  dont  plusieurs  étaient  des  médecins  adonnés 
aux  recherches  expérimentales;  puis  on  oppose  cette 
doctrine  à  d'autres  théories  sur  l'origine  de  nos  idées 
et  spécialement  de  la  connaissance  religieuse,  conci- 
liaires, semble-t-il,  avec  certaines  vues  modernes;  et 
l'on  conclut  au  parti  pris  de  médiévalisme  aveugle  et 
de  péripatétisme  outrancier  dans  l'Eglise  catholique. 
Cf.  Eucken,  Thomas  von  Aquino,  ein  Kampf  zweier 
Welteri,  Berlin, 1901.  —  3°On  prend  ensuite  le  problème 
par  le  coté  métaphysique;  et  l'on  dit  qu'en  introduisant 
dans  la  théodicée  chrétienne  les  notions  d'acte  et  de 
puissance,  comme  les  philosophes  musulmans  l'avaient 
fait  dans  la  théodicée  du  Coran,  les  scolastiques  ont 
mis  en  péril  ou  dans  l'ombre  le  dogme  de  la  Trinité  ou 
•de  la  vie  intime  de  Dieu,  qu'ils  ont  remplacé  le  Dieu 
vivant  de  la  Bible  par  une  abstraction,  et  ont  aban- 
donné la  notion  traditionnelle  des  rapports  de  Dieu  et 
du  monde;  comme  l'acte  pur  d'Aristote  répugne  à  la 
création  et  à  la  providence,  les  scolastiques  n'ont  réussi 
à  sauver  en  apparence  ces  dogmes  qu'en  sacrifiant  la 
divine  immanence  à  une  chimérique  transcendance. 
Cf.  Delitzsch,  Die  Gotleslehre  des  Thomas  von  Aquino, 
Leipzig,  1870.  —  4°  On  dit  encore,  au  même  point  de 
vue  métaphysique,  mais  en  sens  contraire  :  L'hypo- 
thèse de  la  distinction  réelle  de  l'essence  et  de  l'exis- 
tence daDs  le  fini  est  fondamentale  dans  la  doctrine 
de  Plotin,  cf.  Schindele,  Aseitcit  Goltes,  Essenlia 
und  Existenlia  im  Neuplalonismus,  dans  le  Philoso- 
phisc/ies  Jahrbuch,  1909,  dans  celles  d'Avicenne,  de  Spi- 
noza et  des  philosophies  qui  dépendent  de  leurs  spécu- 
lations. Cf.  Drews,  Plotin  und  der  Untergang  der 
antiken  11  ellanschauung ,  Iéna,  1907;  Freundenthal, 
Spinoza  und  die  Scholaslik,  Berlin,  1887,  p.  95;  Spi- 
noza, sein  Leben  und  seine  Lehre,  Stuttgart,  1904,  p.  118. 
Il  est  vrai  qu'une  grande  partie  de  l'École,  nommément 
Suarez,  a  toujours  nié  et  nie  cette  distinction  réelle,  et 
que  Spinoza  a  dirigé  ses  Cogilata  metaplnjsica  contre 
la  métaphysique  de  Suarez,  parce  qu'il  voyait  avec  raison 
qu'il  ne  pouvait  établir  les  principes  de  son  panthéisme 
agnostique  qu'autant  qu'il  aurait  détruit  la  doctrine  du 
théologien  espagnol  sur  les  rapports  de  l'essence  et  de 
l'existence,  et  sur  les  êtres  et  distinctions  de  raison. 
Cf.  Couchoud,  Benoit  de  Spinoza,  Paris,  1902;  Rivaud, 
Les  notions  d'essence  el  d'existence  dans  la  j^hiloso- 
p/iie  de  Spinoza,  Paris,  1906.  Mais  le  reste  de  l'Ecole 
a  admis  cette  distinction  réelle  et  s'en  est  servi  pour 
modifier  le  sens  de  la  théorie  péripatéticienne  de  l'acte 
et  de  la  puissance.  Donc,  la  tendance  de  l'École  a  tou- 
jours été  favorable  à  l'immanence  divine  au  sens  mo- 
derne du  mot,  et,  malgré  son  intellectualisme  et  sa 
philosophie  statique,  à  la  notion  de  l'Être  divin  comme 
l'être  indéterminé,  en  devenir,  et  par  suite  indéter- 
minable. —  5°  C'est  au  milieu  de  ces  appréciations 
contradictoires  ou  divergentes  qu'ont   pris  position  les 


modernistes.  Schell  déduisit  du  prétendu  plotinisme 
de  l'École  et  des  Pères  le  heus  causa  sui.  Voir,  sur 
les  origines  de  cette  idée  que  l'on  trouve  déjà  chez 
Raymond  de  Sébonde,  Janet,  La  métaphysique  en 
Europe,  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes,  15  avril  1877. 
p.  827.  D'autres  cherchèrent  une  solution  dans  l'agnos- 
ticisme  croyant.  De  même,  disaient-ils,  que  lee  Pères 
ont  pensé  Dieu  à  l'aide  des  catégories  alexandrines,  de 
même  les  scolastiques  ont  fait  à  l'aide  des  catégories 
d'Aristote.  Ces  variations  prouvent  que  les  énoncés  sur 
Dieu,  même  lorsqu'ils  se  trouvent  dans  les  conciles 
qui  ont  nécessairement  adopté  le  l  idées 

de  leur  temps,  sont  sans  portée  métaphysique  et  n'ont 
qu'une  valeur  de  symboles.  Cf.  Tyrrell,  Through  Sajlla 
and  Charybdis,  Londres,  1907,  p.  338. 

Ces  appréciations  montrent  bien  quels  sont  les  points 
à  élucider  dans  le  sujet  qui  nous  occupe;  les  conclu- 
sions que  l'on  en  déduit  disent  aussi  quelle  est  l'im- 
portance de  la  question.  Evidemment,  le  jeu  d'opposer 
ces  dires  les  uns  aux  autres  ne  résoudrait  pas  le  pro- 
blème; il  faut  aborder  l'étude  des  faits.  Avant  d'y  venir, 
il  nous  parait  utile  de  présenter  quelques  observations 
générales. 

//.     OBSEliYATIOyS     GÉXÉRALES     SDR    LES     APPRÉCIA- 

tions  et  conclusions  PRÉCÉDENTES.  —  1°  Les  adver- 
saires de  la  scolastique  savent  qu'en  matière  de  dogmes 
le  concile  du  Vatican  admet  un  développement,  mais  seu- 
lement eodem  sensu  eademque  sententia.  Denzinger, 
n.  1647.  Ils  pensent  donc  nous  mettre  en  contradiction 
avec  nous-mêmes  en  plaçant  en  relief  les  différences  que 
l'on  remarque  entre  la  théodicée  du  XIIe  siècle  et  celle 
du  xme,  les  emprunts  faits  par  le  XIIIe  siècle  à  la  phi- 
losophie d'Aristote  et  à  celle  des  Arabes,  puis  en 
rapprochant  ces  faits  des  documents  pontificaux  qui 
recommandent  aux  catholiques  l'étude  spéciale  de  saint 
Thomas. 

Laissons  de  côté  pour  le  moment  la  question  de 
fait,  et  notons  que,  pour  arriver  à  leurs  déductions  les 
historiens  de  la  philosophie  dont  nous  parlons  donnent 
aux  documents  pontificaux  auxquels  ils  se  réfèrent  un 
sens  qu'ils  n'ont  pas.  —  1.  Ces  documents,  en  effet,  ne 
nous  présentent  pas  la  scolastique  du  xine  siècle  et  la 
doctrine  de  saint  Thomas  comme  une  interprétation 
nouvelle  et  absolument  inédite  du  fond  des  croyances 
chrétiennes  sur  Dieu  à  l'aide  d'une  philosophie  plus 
relevée;  ils  se  contentent  d'y  remarquer  une  meilleure 
exposition  des  données  traditionnelles;  et  ce  pror 
qui  ne  touche  en  rien  à  la  substance  des  doctrine» 
révélées,  s'il  est  dû  à  l'introduction  du  péripatétisme, 
n'a  point  consisté  dans  la  reproduction  servile  des 
idées  du  Stagyrite.  Dans  le  document  le  plus  précis 
qu'il  ait  produit  sur  ce  sujet,  Léon  XIII  parle  d'Aris- 
tote comme  du  «  païen  à  qui  beaucoup  d'erreurs  ont 
échappé  »  et  dont  saint  Thomas  «  a  rendu  chrétienne 
la  doctrine.  »  Lettre  Gravisshne  nos,  dans  les  Acta 
Leonis  XIII,  Rome,  1893.  t.  xn,  p.  372.  Et  Pie  X. 
écrivant  à  l'Académie  romaine  de  saint  Thomas,  le 
23  janvier  1904,  pour  confirmer  les  directions  de  son 
prédécesseur,  expose  que  Léon  XIII  a  remis  en  hon- 
neur la  doctrine  de  saint  Thomas,  parce  qu'il  «  avait 
forgé  des  armes  merveilleusement  adaptées  à  la  dé- 
fense de  la  vérité  et  à  la  réfutation  des  erreurs,  même 
de  notre  temps  :  car  ces  principes  de  sagesse  que  les 
Pères  et  les  docteurs  de  l'Église,  destinés  au  bien  de 
tous  les  temps,  nous  avaient  transmis,  personne  mieux 
que  saint  Thomas,  qui  les  avait  puisés  dans  leurs 
ouvrages,  ne  les  a  disposés  selon  l'ordre  qui  leur  con- 
vient; personne  ne  les  a  mis  en  plus  belle  hunier 
Traduction  de  la  Revue  thomiste,  juillet  1909.  p.  483. 
La  récente  encyclique  du  même  pape  sur  saint  Anselme 
se  place  au  même  point  de  vue  de  la  continuité  du 
développement  des  doctrines  traditionnelles.  Le  lecteur 
qui  a  étudié  ce  que  nous  avons  rapporté  du  XIIe  siècle 


1177 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES    SCOLA  STIQUEs; 


1178 


n'aura  point  de  peine  à  se  rallier  à  ce  qu'affirme  Pie  X, 
surtout  s'il  se  souvient  que,  sauf  trois  phrases,  l'Ecole 
a  toujours  suivi  le  Ier  livre  des   Sentences  de  Pierre 
Lombard.  Qu'on  ait  ajouté  de  nouveaux  moyens  termes, 
qu'on  ait   discuté   de   nouvelles  questions,    qu'on    ait 
poussé  plus  loin  l'analyse  conceptuelle  et  cherché  une 
plus  grande    rigueur   logique,    une  meilleure  ordon- 
nance  des  conclusions   et  de   leurs   preuves,  cela   ne 
signifie  pas    qu'on   ait   abandonné  la  pensée  du  siècle 
précédent    ou  qu'on  l'ait  contredite.   —  2.  On  fausse 
également  les  documents  pontificaux  en  leur  prêtant  la 
pensée  que  tout  progrès  a  cessé  depuis  saint   Thomas. 
Dans  sa  lettre   Gravissime  nos  adressée  aux  jésuites, 
Léon  XIII   leur  recommande,  tout  en    étudiant  saint 
Thomas  comme  leur  fondateur  le  leur  a  prescrit,  de 
ne  pas  négliger   l'étude  de  leurs  grands   théologiens, 
notamment  de  Suarez  désigné  par  une  périphrase  non 
équivoque;   et   la   raison   que  le  pape  donne  du  soin 
qu'il  faut  apporter  à  cette  étude  est  précisément  tirée 
des   contributions  que  les  théologiens  de  l'ordre   ont 
produites  dans  le   sens  du   développement  et  du  pro- 
grès de  la  théologie.  Loc.  cit.,  p.  374.  —  3.  Autres  exa- 
gérations sur  la  portée  de  l'approbation  spéciale  don- 
née par  l'Église  à  la  doctrine  de  saint  Thomas.  Les 
objections    qu'on   nous    oppose    supposent    que    nous 
sommes  obligés  de  la  tenir  dans  toutes  ses  particulari- 
tés pour  infaillible  et  vraie;  mais  les  documents  ponti- 
ficaux, même  ceux  qui  précisent  le  plus,  recommandent 
simplement  la  théologie  scolastique  de  saint  Thomas, 
tanquam  solidiorem,  securiorem  et  magis  approba- 
tatu,  ibid.,  p.  371,  et  la  philosophie  d'Aristote,   tan- 
quam theologiiv  magis  ulilem,  p.  373.  Ces  formules 
sont  empruntées  à  la   lettre   adressée   à  l'Institut  des 
jésuites;  et  elles  ne  sont  que  le  résumé  de  ce  qu'ensei- 
gnent communément  les  théologiens  lorsqu'ils  traitent 
de  la  portée  de  l'approbation  donnée  par  l'Eglise  à  cer- 
tains écrivains.  On  trouvera  cet  enseignement  dans  le 
mémoire  écrit  par  Pierre  d'Ailly  à  propos  des  prétentions 
de  Jean  de  Monteson  :  cette  pièce  dont  le  P.  Denifle  n'a 
rapporté  que  quelques  lignes  dans  le  Chartularium,se 
trouve  en  entier  à  la  lin  de  beaucoup  d'éditions  anciennes 
des  Sentences.  Ceux  qui  se  défieraient  de  Pierre  d'Ailly 
trouveront  les    mêmes    explications  dans  un  thomiste 
très  sûr,  Jean   de   Saint-Thomas,  Traclalus  de  appro- 
bation et  auctoritate  doclrinse  angelicse  D.  Thomas, 
reproduit  au    t.    i   de  son  Cursus   theologicua,    Paris, 
1883,  p.  288-387;  ou  encore  dans  Schâzler,    Inlrodu- 
Ctio  m  sacram   theologiam  dogmaticam,  Hatisbonnc, 
1882,  qui  suit  cl  résume  Jean  de  Saint  Thomas.  D'où  il 
Suit,  puisque  tel  est  le  contenu  des  documents  officiels 
Bl    leur  interprétation   classique,  qu'on  n'avance  rien 
qui    puisse    nous   inquiéter,  quand   on   exhume   pour 
s'en    faire  un  argument  certains  passages  dithyram- 
biques de  quelques  scolastiques  en   l'honneur  d'Aris- 
tote, en  particulier  celui-ci  :  Aristoteles,  prodigium 
grandeque  miraculum  in  Iota  nalura,  cui  pêne  vide- 
tur  infusum    quidqnid  naturaliter  est  capax  Imma- 
num  genus.  /'.  L.,  t.  x\x.  col.  103.  Ce  texte  attribué  i 
saint  Jérôme  est  apocryphe;  et  l'autorité  ecclésiastique 
n'a  jamais  fait  sienne  la  pensée  qu'il  exprime.  La  théo- 
logie catholique  n'a  donc  pas  à  défendre  les  hyperboles 
de  quelques  n  n  s  de  nos  théologiens,  anciens  on   mo- 
dernes; et  il  ne  paraît  pas  équitable  de  noter  ces  exa- 
ltions et  je  conclure     ab  <"»<  ditet  otnnes. 

n  i t  de  irue  historique  dm  adversaires  man- 
quent il  acribie  dans  leur  critique,  et  ils  oublient  un 
principe  élémentaii  savoir  que  la  même 

vérité  peul     énoncer  de  bien  des  façons  et  en  fonction 
de  plu  sieui     -  \  st<  mes. 

Leur  pr  icéd     i  on  :  te  ■<   noter 
on  rencontn     verbali     entre  rits   traditionnels 

et  ceuj  '!■      loTcien  .  de     n<  oplatonii  ii  puis, 

à  conclure  l'identité  un  la  dépeodanci  fa- 


nons un  exemple  dans  la  doctrine  de  la  participation 
qui  joue  un  assez  grand  rôle  dans  la  théodicée,  comme 
nous  le  verrons.  Volontiers  ils  expliquent  l'idée  de  déi- 
fication par  la  grâce,  fréquente  chez  les  Pères  grecs, 
par  celle  d'apothéose,  commune  chez  les  païens.  Si  on 
lit  dans  II3-  Pétri,  i,  i,  consortes  divinse  naturse,  on 
se  souvient  que  le  mot  se  trouve  chez  le  stoïcien  Sé- 
nèque  et  aussi  dans  la  phraséologie  par  laquelle  les 
néoplatoniciens  énonçaient  leur  doctrine  de  la  partici- 
pation; et  l'on  conclut,  avec  M.  Harnack,  que  la  doc- 
trine delà  justification  par  un  don  surnaturel,  intérieur, 
créé,  différent  de  nos  actes  et  de  notre  âme,  est  un 
emprunt  soit  au  stoïcisme  soit  au  platonisme.  Pour  un 
esprit  médiocrementdélié  et  assez  souple  pour  suivre  la 
complexité  d'une  pensée  étrangère  à  la  sienne,  le  so- 
phisme est  assez  apparent.  L'idée  de  Dieu  que  se  for- 
maient les  Pères  était-elle  identique  à  celle  que  s'en 
formaient  les  païens  lorsqu'ils  parlaient  d'apothéose? 
L'induction  qu'on  nous  présente  le  suppose  nécessaire- 
ment; mais  comment  prouver  la  correction  historique  de 
l'hypothèse?  De  même,  dans  le  cas  de  Sénèque.  Suppo- 
sons que  la  II1'  Epitre  de  saint  Pierre  soit  tombée  sous 
les  yeux  de  Sénèque  ou  plus  tard  de  quelque  néoplato- 
nicien. Voilà,  auraient  pu  dire  nos  philosophes,  en  y  li- 
sant ces  mots  consortes  divinœ  naturse,  un  écrivain 
qui  pense  comme  nous,  qui  admet  la  participation  de 
la  nature  divine  au  sens  précis  où  nous  l'entendons, 
c'est-à-dire  comme  conséquence  de  la  doctrine  de 
l'âme  du  monde  ou  de  l'émanation.  Qui  oserait  soute- 
nir qu'en  parlant  ainsi  ces  philosophes  se  fussent 
montrés  bien  au  courant  des  choses  chrétiennes?  Com- 
ment se  fait-il  que  M.  Harnack  ne  voie  pas  que  pour  un 
chrétien  dont  les  deux  premiers  dogmes  sont  l'unité 
de  Dieu  et  la  création  ex  niliilo,  la  formule  consortes 
divins  natures  n'a  pas,  n'a  jamais  eu,  ne  peut  pas 
logiquement  avoir  le  même  sens  où  l'entendaient  stoï- 
ciens et  néoplatoniciens?  Je  ne  dis  pas  les  nuances, 
mais  dans  l'espèce  l'opposition  des  doctrines  est  telle 
que  la  méprise  était  impossible  pour  un  ancien,  et 
que  l'espoir  de  la  faire  commettre  par  un  lecteur  mo- 
derne ne  s'explique  guère. 

Tout  le  monde  admet  qu'on  peut  exprimer  les  rela- 
tions des  nombres  de  diverses  façons,  el  de  fait  il  y  a 
en  mathématique  divers  systèmes.  Il  en  est  de  même, 
mutatis  mu  tandis,  des  vérités  suprasensibles.  Bien 
avant  que  la  diffusion  de  l'idée  d'évolution  n'eût  donné 
au  problème  du  développement  du  dogme  et  de  la 
théologie  l'acuité  avec  laquelle  il  se  présente  de  nos 
jours,  les  théologiens  avaient  à  s'occuper  de  cette 
question  pour  répondre  aux  cartésiens  et  aux  protes- 
tants demandant  comment  le  concile  de  Vienne  avait 
pu  définir  que  l'âme  est  la  forme  du  corps,  et  celui  de 
Trente  que  a  grâce  esl  la  cause  formelle  de  la  justifi- 
cation. La  réponse  classique  est  la  suivante.  Lorsque 
les  formules  dogmatiques  contiennent  des  tenues  phi- 
losophiques, on  ne  doit  point,  à  moins  de  preuve  cer- 
taine d'une  intention  contraire  du  concile,  les  prendre 
dans  le  sens  technique  d'une  école  déterminée,  par 
exemple  thomiste,   scoliste,  nominalisle,  hanné/jenne, 

moliniste,  cartésienne,   néothomiste,  etc.  Il   fam 
entendre  simplement  dans  le  sens  où  ces  écoles 

viennent,  ou  convenaient,  à  l'époque  de  la  rédaction  du 
document  étudié,  sens  qui  esl  historiquement  détermi- 
nable.  De  cette  t  !i  de  la  manii  re 

même  dont  les  documents  conciliaires  sont  discuti 
il  suit  que  li  i  termes  philo  i  pi  i 

ut  un  antre  sens  que  le    i  ni  vulgaire  qui 
la  portée  de  tous,  vulgarii  ;  qu'ils  ont  on 

technique,  connue  ,l 

lions  a  l'époque  d<  la  rédaction  du   texte,  et  qui  était 

le  -,  i, .  : ,  ii, /n  in  s  dei  termes  employés;  que  l'env 

Ploi   de  ■ .  -    lei  ne      d  enti p  lairemeut 

pti le     la    pOI  inalique    que    leur  lloIlU'   . 


1179 


DIEU    (SA   NATURE   SELON    LES    SCOLASTIQUES' 


1180 


ou  leur  donnait,  telle  ou  telle  école  de  philosophie.  Sans 
doute,  il  n'est  pas  toujours  facile  de  parvenir  à  déter- 
miner d'une  façon  absolue  avec  une  pleine  certitude 
la  compréhension  de  ce  sens  technique  et  non  spéci- 
fiquement systématique;  de  là,  beaucoup  de  contro- 
verses, et,  chez  le  théologien  prudent,  beaucoup  de 
retenue;  mais  ce  travail  est  possible,  si  l'on  ajoute  à  la 
lumière  de  l'histoire  celle  que  donne  l'emploi  de  la 
méthode  scolastique  pour  l'analyse  des  idées;  on  a 
d'ailleurs  un  puissant  moyen  de  contrôle  dans  l'opi- 
nion de  l'Eglise  antérieurement  à  la  rédaction  de  la  pièce 
étudiée,  et  dans  l'opinion  subséquente  des  théologiens. 
considérés  non  pas  commejuges  de  la  foi.  mais  comme 
témoins  de  la  pensée  de  l'Église.  En  elîet,  la  grande 
loi  de  continuité  dans  le  sens  traditionnel  domine  ce 
qu'on  appelle  aujourd'hui  le  développement  ou  la  vie 
de  la  théologie  et  du  dogme.  Et  l'on  conçoit  assez  com- 
ment une  même  vérité'  peut  s'énoncer  d'abord  en  termes 
vulgaires,  puis  se  formuler  en  termes  philosophiques, 
enfin  se  '.ransposer  en  termes  de  diverses  philosophies, 
à  la  condition  de  prendre  ces  termes  non  au  sens  di- 
vergent et  opposé  que  leur  donnent  les  différents  phi- 
losophes suivant  les  principes  qui  caractérisent  leurs 
synthèses,  mais  dans  l'acception  où  ces  philosophes  les 
prendraient  nécessairement  s'ils  avaient  à  les  discuter 
entre  eux.  D'où  la  théologie  classique  a  déduit  ses  ré- 
ponses aux  cartésiens  et  aux  protestants  sur  rame, 
forme  du  corps,  et  sur  la  grâce  inhérente,  cause  for- 
melle de  la  justification;  à  savoir,  les  conciles  de 
Vienne  et  de  Trente  n'ont  fait  qu'énoncer  en  style  pé- 
r.ipatéticien  des  vérités  professées  par  l'Église  antérieure 
dans  une  autre  terminologie.  Seul  un  esprit  prévenu 
ou  peu  habitué  à  la  spéculation  peut  mettre  en  ques- 
tion la  légitimité  de  cette  solution;  et  il  est  aisé  de 
voir  que,  toute  proportion  gardée,  on  a  le  droit  de 
l'appliquer  aux  spéculations  du  moyen  âge.  Les  auteurs 
dont  il  s'agit  étaient  des  théologiens,  des  hommes  de 
tradition;  leur  livre  de  texte  était  le  recueil  des  pen- 
sées des  Pères  de  Pierre  Lombard  :  ce  sont  là  des  faits 
dont  il  y  a  lieu  de  tenir  compte  pour  apprécier  le  sens 
qu'ils  attachaient  aux  formules  péripatéticiennes  ou 
néoplatoniciennes  dont  ils  se  servaient. 

3"  Ces  deux  simples  remarques  nous  permettent,  sans 
aller  pour  le  moment  plus  au  fond  des  problèmes  his- 
toriques soulevés,  d'indiquer  les  déficits  de  l'argumen- 
tation de  nos  adversaires. 

1.  Ils  s'appliquent  à  nous  montrer  qu'avant  le 
xme  siècle, et  au  xme  siècle  chez  les  auteurs  qui  repré- 
sentent le  courant  augustinien,  eurent  cours  diverses 
théories  de  la  connaissance  religieuse  que  l'on  peut 
rattacher  au  platonisme;  et  ils  opposent  ces  théories 
à  l'épistémologie  péripatéticienne  de  saint  Thomas, 
recommandée  aujourd'hui  par  l'Église.  Laissons  de  côté 
cette  observation  que  la  vraie  position  de  l'Église  surce 
sujet  n'est  pas  indiquée  par  les  adversaires,  voir  col.  839, 
et  qu'ils  se  gardent  d'avouer  pourquoi  l'autorité  ecclé- 
siastique encourage  le  retour  au  système  scolastique  de 
la  connaissance.  Voir  col.  853,  930.  Mais  notons  qu'on 
atténue  singulièrement  les  dillérences  d'une  part, 
pendant  que  d'autre  part  on  dissimule  les  ressem- 
blances. Pour  persuader  au  lecteur  que  les  théories 
platoniciennes  ou  platonisantes  seraient  conciliables 
avec  des  vues  plus  modernes,  on  oublie  de  dire  que 
les  Pères  et  les  quelques  scolastiques  dont  il  s'agit 
n'ont  admis  ces  théories  que  dans  le  sens  objectiviste; 
d'où  il  suit  qu'au  sens  où  ces  écrivains  les  entendaient 
et  les  acceptaient,  ces  théories  étaient  totalement  in- 
conciliables avec  le  subjectivisme  qu'on  veut  faire 
prévaloir.  Par  ailleurs,  les  Pères  platonisants  et  les 
scolastiques  qui  les  ont  suivis,  n'ont  jamais  mis  en 
question  la  valeur  de  notre  connaissance  de  Dieu  par 
la  causalité;  la  doctrine  des  idées  représentatives  dont 
saint  Augustin  s'est   servi  pour  expliquer    la   Trinité 


leur  est  familière;  elle  se  retrouve  d'ailleurs  chez  saint 
Anselme  aussi  bien  que  chez  saint  Iionaventure.  L'épis- 
témologie péripatéticienne  de  saint  Thomas  ne  fut 
donc  pas  une  révolution;  et  l'usage  qu'il  en  fit  pour 
expliquer  notre  connaissance  religieuse,  ne  fut  une 
nouveauté  que  dans  un  sens  très  relatif.  On  avait  durant 
des  siècles  donné  les  preuves  classiques  de  l'existence 
de  Dieu  sans  faire  cette  réllexion  que  l'étude  d'Aris- 
tote  suggéra  à  saint  Honaventure  :  ces  preuves  suppo- 
sent l'impossibilité  de  la  régression  à  l'infini:  suppo- 
nitur  status,  sicut  in  tola  philosophia  supponxtn, 
status  >7i  causis.  In  IV  Sent.,  I.  I.  dist.  III,  dub.  i, 
circa  lilteram.  On  concédera  que  cette  réflexion  ne 
changea  rien  aux  preuves  que  l'on  donnait  précédem- 
ment. Ainsi  en  est-il  de  la  remarque  que  fit  saint 
Thomas,  en  lisant  les  philosophes  arabes,  à  savoir  que 
l'épistémologie  d'Aristote  pouvait  servir  à  rendre 
compte  du  mode  par  lequel  nous  connaissons  Dieu  per 
ea  quse  facla  sunl. 

•1.  Nous  n'avons  pas  l'intention  de  nier  qu'il  y  ait  une 
façon  de  concevoir  Dieu  comme  acte  pur,  qui  renferme 
beaucoup  d'erreurs  et  soit  la  négation  de  la  notion 
chrétienne  de  Dieu;  ce  n'est  pas  le  lieu  d'examiner 
dans  quelles  limites  cette  conception  fut  celle  d'Aris- 
tote; mais  il  est  certain  que,  proposée  par  divers  héré- 
tiques, cette  façon  d'entendre  l'acte  pur  fut  rejetée  par 
les  Pères;  on  peut  même  dire  que  la  sévérité  de  beau- 
coup de  Pères  à  l'endroit  d'Aristote  vient  de  l'introduc- 
tion par  Plotin  dans  le  platonisme  de  la  théorie  de 
l'acte  et  de  la  puissance,  et  des  conséquences  agnos- 
tiques ou  intuitionnistes  que  l'on  en  déduisait.  Mais 
ce  que  l'on  devrait  démontrer  pour  conclure  à  la  cor- 
ruption de  l'idée  chrétienne  de  Dieu  par  les  scolasti- 
ques, c'est  qu'ils  ont  entendu  dans  ce  sens  païen  la 
doctrine  de  l'acte  pur.  La  thèse  que  l'on  soutient  contre 
nous  n'est  aucunement  prouvée  tant  qu'on  n'a  pas 
mené  la  démonstration  jusque-là;  et  les  identités  ver- 
bales ne  sauraient  suppléer  à  ce  déficit. 

3.  De  même,  pour  les  conséquences  de  la  théorie 
néoplatonicienne  de  la  distinction  réelle   de  l'essence 
et  de  l'existence  dans  les  êtres  finis  ou  contingents. 
Plusieurs    scolastiques  l'ont    admise.    Il'abord,  ils  ne 
sont  pas  toute  l'École  et  par  conséquent  leur  fait  n'en- 
gage pas  à  fond  le  magistère.  Ensuite,  ont-ils  entendu 
cette  distinction  au  sens  qu'elle  a  dans  la  doctrine  de 
l'émanation'?  Ont-ils  admis  les  conséquences  agnosti- 
ques ou   panthéistes    que    Plotin  et  Avicenne  en  ont 
déduites  bien  avant  Spinoza,  Hegel  et  nos  philosophes 
de  l'inconscient?  Tranchons  la  question  par  l'histoire. 
Le  premier  scolastique  dont  un  historien,  dans  l'état 
actuel  de  nos  connaissances,  puisse  dire  sans  contro- 
verse qu'il   ait    admis  cette  distinction   est   Gilles  de 
Rome,  quelques  années  après  la  mort  de  saint  Thomas. 
Or,  Gilles  prend  pour   point  de  départ  de  son  hypo- 
thèse d'une   part  le  fait  et  la  possibilité  de  la  Trinité, 
In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  V,  Venise.  1 192,  d'autre  part  la 
possibilité  et  la   démonstrabilité    de  la    création,    De 
ente  et  essentia,  Cordoue,  1701,  comme  fait  encore  de 
nos  jours  le  P.  del  Prado.  Cf.  Congrès  îles  catholiques 
à  Fribourg,  1897.  La  situation  est  donc  historiquement 
la  suivante.  De  la  distinction  réelle  de  l'essence  et  de 
l'existence   les     néoplatoniciens    concluaient    à   l'être 
abstrait  et  contre  la  personnalité  divine,  et  ils  aboutis- 
saient   à    l'émanatisme  et    à    l'agnosticisme    croyant. 
Gilles  de  Rome,  au   contraire,  part   de  la  Trinité  des 
personnes  et  de  la  création  proprement  dite  pour  abou- 
tir à    cette  distinction   réelle.  Dans    ces   conditions,  a 
qui  fera-t-on  croire  à  l'identité  parfaite  des  deux  doc- 
trines, l'une  aboutissant  à  l'être  vide,  l'autre  partant  de 
la  plénitude  de    l'être.  Il   se  peut,  et   tous  ceux   qui 
rejettent  cette  distinction  réelle  le  pensent,  que  Gilles 
se   trompe;  ses  premiers    adversaires,  l'un   collègue, 
l'autre    témoin    de  l'enseignement  de    saint   Thomas. 


-J 181 


DIEU    (SA   NATURE   SELON    LES    SCOL ASTIQUES) 


1182 


Henri  de  Gantl  et  Goclefroy  de  Fontaines,  lui  firent 
remarquer  que  son  hypothèse,  outre  qu'elle  n'était  ni 
traditionnelle  ni  prouvée,  mais  simplement  imaginée 
et  assumée,  favorisait  plutôt  qu'elle  ne  renversait  les 
erreurs,  qu'elle  avait  pour  but  de  combattre;  et  on  sait 
que  de  nos  jours  les  adversaires  de  la  même  distinction 
tiennent  tout  uniment  en  latin  le  même  langage  aux 
théologiens  qui  en  sont  partisans.  Cf.  PiccirelH,  Dis- 
<jinsitiometaphysica,theologica,critica  de  clislinctione 
actualam  inter  essentiam  existentiainque,  Xaples, 
1906.  .Mais  autre  chose  est  de  penser  que  Gilles  et  ses 
adhérents  se  trompent  et  d'argumenter  pour  le  leur 
montrer,  parce  que  l'on  est  convaincu  que  si  la  dé- 
monstration est  décisive,  l'adversaire  abandonnera  ses 
positions;  autre  chose  de  n'envisager  pour  les  appré- 
cier que  la  matérialité  de  leurs  formules,  et  d'insinuer 
qu'ils  sont  tombés  de  fait  dans  l'erreur.  Leur  langage 
néoplatonicien  doit  être  jugé  comme  saint  Thomas 
juge  quelque  part  celui  des  Arabes  ex  cousis  dicendi, 
c'est-à-dire  d'après  leur  contexte  et  en  tenant  compte 
de  l'hypothèse  et  du  point  de  vue  où  ils  se  placent. 
Nous  avons  le  regret  de  constater  que  c'est  ce  que  né- 
gligent absolument  de  faire  ceux  qui  abusent  du  succès 
qu'a  trouvé  dans  l'École  Gilles  de  Rome,  pour  la  repré- 
senter comme  la  préparatrice  des  plus  grossières 
erreurs  modernes. 

4.  Si,  à  la  suite  des  écrivains  hétérodoxes,  les  moder- 
nistes n'eussent  point  exagéré  les  variations  apportées 
à  la  science  de  Dieu  par  le  cours  des  âges,  s'ils  n'eus- 
sent point  perdu  de  vue  ce  fait  que  les  théologiens  de 
l'École  furent  avant  tout  des  hommes  de  tradition,  et 
ce  principe  que  les  mêmes  vérités  abstraites  peuvent 
se  formuler  en  fonction  de  diverses  philosophies,  ils 
n'eussent  point  abouti  à  l'agnosticisme  ;  car  ils  eussent 
compris  comment  sous  la  variété  des  formules  s'est 
produite  la  continuité  de  la  croyance  à  un  même  objet. 
Leur  échec  n'est  pas  une  raison  de  négliger  l'étude 
du  problème  du  développement  du  dogme  et  de  la 
théologie,  que  la  diffusion  de  l'idée  d'évolution  a  rendu 
si  aigu.  Mais  c'est  un  motif  de  plus  pour  les  catholi- 
ques de  poursuivre  ces  études  avec  soin  et  méthode, 
en  se  servant  pour  aller  au  fond  des  questions  dans 
leurs  travaux  historiques,  de  l'admirable  instrument  de 
précision  qu'est  la  scolastique.  C'est  la  conclusion  de 
Pie  \.  dans  l'encyclique  Pascendi,  §  Hoc  ita  posilo  : 
major  profecto  quam  antehac  positivée théologies  ratio 
est  hulienda.  Léon  XIII  avait  déjà  donné  une  direction 
semblable  au  clergé  de  France,  8  septembre  1809.  C'esl 
la  pensée  dont  est  né  ce  dictionnaire. 

m.  EXPOSITION  DES  FAITS.  —  Le  fait  que  le  texte  clas- 
sique pour  l'enseignement  de  la  science  de  Dieu  au 
un*  siècle  était  le  Ie  livre  des  Sentences  de  Pierre  Lom- 
bard nous  dispense  de  répéter  désormais  la  série  d 
thèses  dont  nous  avons  parlé  à  propos  des  siècles  pré- 
nts.  En  ce  qui  concerne  le  XIII'  siècle,  nous 
n'avons  donc  en  vue  qu'une  chose,  chercher  à  faire 
comprendre  commenl  s'est  faite  l'introduction  du  péri- 
patétisme  dans  la  théodicée  chrétienne;  du  même 
coup,  le  lei  quoi  consiste  l'innovation  qui 

roduisit.  Avant  d'entrer  dans  les  détails,  disons  un 
mot  des  circonstances  qui  favorisi  rent cette  prétendue 
révolution. 

l   Pourquoiet  comment  les  théologiens  furent  a 
nés  <i  Cemploi  du  péripatétisme  en  théodicée?—  Les 
ouvres  d'Aristote  parvinrent  au  monde  |;,tjn  d'abord, 

I,  accomp  longs  commentain 

philosopli                  puis  par  voie  de  traduction  il  i 
sur  le  texte  grec.  L'éclat  de  la  civilisation  arabe  De  lut 
sans  doute  pas  pour  i  ien  dans  l'attention  qu'elles  e\ri- 
térent  ;  mais  |;,  haute  i  itime  dans  laquelle  le  xir    I 
tenait  la  partie  d n  jrrite  qu'il  connais- 

sait..! savoir  la  logique,  contribua  probablement  beau- 
coup à  pousseï    •  l'étude  de 


métaphysique.  Mais  ces  circonstances  à  elles  seules  ne 
suffisent  pas  à  expliquer  le  rapide  succès  qu'elles  obtin- 
rent. Deux  causes  y  aidèrent,  à  savoir  l'état  des  con- 
naissances philosophiques,  et  le  secours  qu'on  y  trouva 
pour  résoudre  les  difficultés  rationnelles  ou  historiques 
dont  on  avait  à  s'occuper. 

1.  Difficultés  à  résoudre.  —  Le  lecteur  se  souvient 
de  l'embarras  où  avaient  jeté  le  xne  siècle  certaines 
formules  néoplatoniciennes  de  Boèce  et  de  Denys,  sur 
l'être,  sur  l'unité  et  sur  la  bonté.  Ces  trois  questions 
de  première  importance  dans  l'étude  de  la  nature 
divine,  préoccupèrent  plus  vivement  encore  le  xme  siè- 
cle qu'elles  n'avaient  fait  le  précédent.  Car,  à  l'extérieur, 
les  Arabes  soulevaient  de  grosses  difficultés  à  propos 
des  notions  d'être  et  d'unité,  et  ils  concluaient  à  l'étna- 
natisme,  puis  quelquefois  avec  Avicenne  et  Maimonide 
à  l'agnosticisme,  enfin  et  toujours  contre  la  Trinité  soit 
qu'ils  admissent  soit  qu'ils  niassent  toute  distinction 
entre  les  attributs  divins.  Au  dedans,  quelques  panthé- 
istes avaient  abusé  des  solutions  données  par  l'âge 
précédent  à  propos  de  l'être  et  surtout  de  l'unité,  et 
en  avaient  fait  sentirl'insuffisance;  enfin  le  manichéisme 
renaissant  mettait  en  question  les  explications  jusque- 
là  données  sur  la  notion  de  bonté.  Ces  problèmes  diffi- 
ciles s'imposaient  donc  aux  théologiens  du  xiiic  siècle. 
On  sait  que,  dans  ces  conjonctures,  le  premier  mouve- 
ment de  l'Église  ne  fut  pas  favorable  à  Aristole,  à  qui 
les  livres  et  les  hommes  qui  le  représentaient  faisaient 
tort  par  leurs  erreurs,  qui  n'étaient  autres  que  celles 
dont  nous  venons  de  parler.  Mais  quand  on  commença 
à  distinguer  Aristotedeses  commentateurs;  quand  sur- 
tout on  eût  eu  le  temps  de  s'apercevoir  que  les  livres 
d'Aristote  ne  contenaient  pas  expressément  les  hérésies 
mentionnées,  qu'au  contraire  ils  avaient  fourni  aux 
musulmans  et  aux  juifs  le  moyen  de  prouver  l'exis- 
tence de  Dieu  par  la  causalité'  et  de  s'élever  à  la  con- 
naissance des  principaux  attributs  de  Dieu;  quand  enfin 
on  eût  remarqué  qu'au  milieu  des  discussions  des  phi- 
losophes arabes  entre  eux  on  pouvait,  précisément  à 
l'aide  des  principes  d'Aristote,  les  réfuter  les  uns  par 
les  autres,  et  par  exemple  renverser  l'agnosticisme 
d'Avicenne  par  la  théorie  de  la  distinction  de  raison 
d'Averroès,  sauf  à  réfuter  ensuite  l'unité  de  l'intellect 
défendue  par  Averroès,  à  l'aide  de  la  doctrine  péripa- 
téticienne de  l'âme  forme  du  corps  enseignée  par  Avi- 
cenne, les  appréciations  se  modifièrent.  D'adversaire 
Aristote  devint  un  utile  allié  au  point  de  vue  rationnel. 

Il  parut  bientôt  qu'il  pouvait  rendre  un  autre  genre 
de  service  au  point  de  vue  de  l'intelligence  des  textes 
traditionnels.  On  n'a  pas  ici  en  vue  seulement  l'utilité 
évidente  des  définitions  précises  qu'Aristote  donnait 
d'un  grand  nombre  de  termes  qui  se  trouvent  dans 
les  écrits  des  Pères  et  aussi  dans  les  documents  ecclé- 
siastiques; ni  même  le  profit  qu'on  pouvait  tirer  de 
l'emploi  de  sa  méthode  rigoureuse.  Personne  ne  peut 
mettre  en  doute  que  celte  utilité  et  ce  profit  n'aient  été 
considérables;  il  suffit  pour  s'en  rendre  compte  de 
comparer  an  point  de  vue  de  la  précision  de  l'exposi- 
tion, et  au  point  de  vue  du  nombre  des  contresens  ou 
des  méprises  dans  l'exégèse  des  textes  anciens,  une 
page  du  xiii*  siècle  avec  une  page  du  m*.  Ce  qu'on  ■ 
en  vue  plus  spécialement,  c'esl  qu'il  parut  au  xm  siè- 
cle qu'Aristote  pouvait  servira  interpréter  dans  1< 
des  doctrines  communes  dans  l'Église  bien  des  formules 
de  Boèce  et  surtout  de  Denys,  el  spécialement  c<  Il 
ces  formules  sur  l'être,  sur  l'unité,  sur  la  bonté  « 1 1 1 ï 
avaient  tant  occupé  la  Un  du  xir  siècle.  Pour 
parlons  de  Denys,  qui  pour  le  moyet  tail  l'Aréo> 

uenl  une  autorité  de  prenait  roi  drei 
h  h  outenall  que  la  boni.',  al  non  pas  l'êti ■  .  i  si  li 
nom  substantiel  de  Dieu  Car,  disait-il,  l'êtrene*  dit 
pa  de  Dieu  au  sens  absolu,  mais  seulement  relative* 
ment,  .-m  sens  causal,  en  tant  que  Dieu  '  Si  le  prit 


1183 


DIEU    (SA   NATURE   SELON    LES    SCOLASTIQUES) 


1184 


de  l'être.  De  divinis  nominihus,  c.  m,  v.  Or  il  parais- 
sait que  faire  une  telle  concession,  c'était  ouvrir  la 
porte  à  toutes  les  erreurs  des  Arabes  sur  la  nature 
divine  et  avouer  que  l'émanatisme  et  l'agnosticisme 
sont  la  vérité.  On  tenait  pour  sûr  par  tradition  que  Denys 
n'avait  rien  pu  dire  qui  favorisât  de  telles  erreurs, 
mais  comment  l'interpréter?  Aristote,  qu'on  lisait  tou- 
jours un  peu  à  travers  les  Arabes,  parut  en  fournir  le 
moyen.  On  sait  que  le  péripatétisrne  des  Arabes  ('lait 
fortement  imprégné  de  néoplatonisme;  bien  plus,  on 
retrouve  dans  leur  théodicéo  plusieurs  des  formules 
chères  à  Denys  et  qui  viennent  de  Plotin  ou  de  Pro- 
clus.  Ce  fut  donc  par  l'Aristote  des  Arabes  qu'on  com- 
mença je  ne  dis  pas  à  comprendre  dans  son  sens  his- 
torique, mais  à  deviner  en  gros  Denys.  De  là  à  essayer 
une  fusion  entre  le  platonisme  et  le  péripatétisrne,  il 
n'y  avait  qu'un  pas.  L'état  des  connaissances  en  histoire 
de  la  philosophie  donna  l'audace  d'essayer  de  le  faire. 
2.  Péripatétisrne  et  platonisme  dans  la  pensée  du 
XIIIe  siècle.  —  Pour  nous  qui  sommes  habitués,  grâce 
aux  travaux  qui  se  sont  produits  peu  à  peu  du  xme  siècle 
à  nos  jours, à  distinguer  avec  soin  Aristote  et  Platon, 
Aristote  et  ses  commentateurs;  pour  nous  qui  avons  lu 
les  Ennéades,  l'idée  de  joindre  le  péripatétisrne  et  le 
platonisme  serait  peu  naturelle.  Mais  il  faut  se  souve- 
nir de  l'état  des  bibliothèques  et  de  la  critique  au 
xiip  siècle,  pour  comprendre  cet  âge;  cet  état  explique 
comment  il  a  pu  concevoir,  comme  il  a  fait,  soit  le  plato 
nisme  soit  le  péripatétisrne. 

On  sait  que  le  livre  De  causis  est  un  extrait  de 
VInslitutio  theologica  de  Proclus,  éditée  par  Didot, 
Paris,  1855,  avec  les  Ennéades ,  parce  qu'elle  est  un 
résumé  du  système  de  Plotin.  Or  Albert  le  Grand 
croyait  fermement  que  le  livre  De  causis  est  un  extrait 
d'Aristote,  et  il  l'interprétait,  au  prix  de  quels  elforts, 
dans  ce  sens;  car  il  ignorait  l'œuvre  et  même  l'existence 
de  Plotin.  De  causis,  1.  II,  tr.  I,  c.  I.  Saint  Thomas  est 
déjà  mieux  renseigné,  parce  qu'il  connaît  Ylnstihitio 
theologica  ;  il  sait  que  celle-ci  est  l'œuvre  d'un  certain 
Proclus,  disciple  de  Platon;  il  ne  lui  échappe  pas  que 
le  livre  De  causis  n'est  qu'un  abrégé  de  Proclus.  Ce- 
pendant il  conclut  :  Proclus  était  platonicien,  mais  l'au- 
teur du  De  causis  était  péripatéticien.  Cf.  Denys  le  Char- 
treux,/» TV  Sent.,  1. 1,  dist.  VIII,  q.  v,  Opéra,  Tournai, 
1902,  t.  xix,  p.  390.  D'où  il  apparaît  que  pour  saint 
Thomas  le  péripatétisrne  n'était  pas  précisément  la 
doctrine  que  nous  désignons  sous  ce  nom.  On  s'explique 
ces  malentendus  si  l'on  se  souvient  du  contenu  des 
œuvres  d'Aristote  au  xme  siècle.  Il  s'y  trouvait  plusieurs 
apocryphes,  fortement  teintés  de  christianisme,  de  stoï- 
cisme et  surtout  de  néoplatonisme;  on  y  voyait  entre 
autres  la  1  heologia  secundum  sEgy/itios,  encore  éditée 
au  xvne  à  la  fin  de  l'édition  d'Aristote  de  Duval, 
sous  le  titre  :  Arislolelis  libri  XIV  de  secretiore  parle 
divinse  sapientiœ  secundum  jEgyptios,  qui  illius 
metaphysica  vere  continent,  cum  plalonicis  magna  ex 
parte  convenientia,  Paris,  1639,  t.  iv,  p.  601.  Trouvant 
dans  ces  apocryphes  la  terminologie  et  plusieurs  des 
idées  du  livre  De  causis,  saint  Thomas  inférait  que 
l'auteur  de  ce  livre  était  péripatéticien.  Il  l'interprétait 
conformément  à  cette  conclusion;  et  on  peut  dire  que 
pour  le  xme  siècle  le  De  causis  servit  à  montrer  aux 
Arabes  qu'Aristote,  c'est-à-dire  la  raison  naturelle, 
avait  admis  la  création. 

Même  imbroglio  pour  la  physique  d'Aristote.  Saint 
Thomas  juge  que  le  pseudo-Denys  qui,  dit-il,  en  théo- 
logie suit  Platon,  a  généralement  les  opinions  d'Aris- 
tote en  physique.  In  IV  Sent.,  1.  II,  dist.  XIV,  q.  1,  a.  2. 
Ici  encore,  saint  Thomas  conçoit  la  physique  d'Aris- 
tote autrement  que  nos  histoires  de  la  philosophie. 
Le  platonisme  n'est  pas  autre  chose  que  la  doctrine 
des  Pères  que  nous  appelons  platonisants;  c'est  surtout 
la  doctrine  de  saint  Augustin.  Sans  doute,  on  distingue 


ordinairement  Platon  du  platonisme  ou  des  platoni- 
ciens quand  on  traite  des  idées  subsistantes,  parce 
qu'on  est  renseigné  par  le  texte  d'Aristote;  mais  on 
oublie  souvent  celle  chicane.  Et,  sien  physique  l'auto- 
rité de  Denys  incline  saint  Thomas  vers  ce  qu'il  prend 
pour  le  péripatétisrne,  la  même  autorité,  jointe  à 
l'exemple  de  saint  Augustin,  lui  fait  nettement  donner 
la  préférence  à  la  théologie  de  Platon.  11  s'agit  bien 
entendu  du  platonisme  chrétien,  qui.  avec  saint  Augus- 
tin, non  seulement  transporte  dans  les  idées  divines 
les  idées  subsistantes  du  Phédon,  mais  encore  maintient 
la  création  libre  et  temporelle  ex  nihilo,  et  aboutit 
ainsi  à  une  théorie  chrétienne  de  la  participation.  Cf. 
S.  Thomas.  De  di finis  nominibus,  prolog.  ;  Opusc,  XV. 
De  angplis,  c.  xi.  Voir  Denys  le  Chartreux.  In  1  V  Sent., 
1.  I,  dist.  III,  q.  iv,  xn,  ibid.,  p.  234,  276;  Mandonnet, 
Siger  de  lirahant,  p.  i.vn. 

Quant  au  néoplatonisme,  il  était  inconnu;  ou  pour 
parler  plus  exactement,  on  ignorait  Plotin.  et  ce  qui 
pour  nous  est  le  néoplatonisme  ou  le  plotinisme  était 
rangé  en  bloc  parmi  les  erreurs  des  Arabes.  Pour  nous, 
qui  pouvons  rapprocher  Denys,  de  Proclus  et  de  Plotin, 
la  tentation  d'en  faire  un  panthéiste  et  un  agnostique 
est  si  forte  que  beaucoup  d'auteurs  cèdent  à  la  sug- 
gestion; c'est  ainsi  que  M.  Rousselot  rapproche  un 
passage  de  Denys  des  textes  où  Abélard  met  en  ques- 
tion la  liberté  de  la  création.  Pour  l'histoire  du  pro- 
blème de  l'amour  aumoyen  âge.  Munster,  1908,  p.  63. 
Cf.  Koch,  Pseudo-Dionysius  Areopagila  in  seinen 
Beziehungen  zum  Neoplatonismus  und  Mysterienue- 
sen,  Mayence,  1900.  Au  xiip  siècle,  la  perspective 
était  toute  différente.  Denys  l'Aéropagite  avait  été 
mis  à  profit  par  saint  Augustin;  et  les  œuvres  de 
l'Aréopagite  s'interprétaient  par  celles  de  l'évèque 
d'Hippone,  ou  réciproquement.  On  ne  soupçonnait  donc 
pas  la  possibilité  de  retrouver  dans  les  Noms  divins 
ou  dans  la  Céleste  hiérarchie  ce  que  l'on  considérait 
comme  les  erreurs  spéciales  des  philosophes  mahomé- 
tans  ou  juifs. 

L'imbroglio  dont  nous  venons  de  donner  quelque 
idée  ne  doit  jamais  être  perdu  de  vue,  quand  on  étudie 
le  xme  siècle  avec  la  seule  intention  d'en  saisir  la 
pensée  et  de  chercher  le  sens  que  les  problèmes  que  les 
théologiens  y  agitèrent  avaient  pour  eux.  Pour  les 
comprendre,  il  faut  se  mettre  dans  leur  situalion  et 
faire  siennes  leurs  préoccupations.  C'est  ce  que  négligent 
de  faire  ceux  qui  présentent  l'introduction  du  péripa- 
tétisrne dans  la  théodicée  comme  une  révolution,  une 
rupture  avec  le  passé.  Il  y  eut  une  innovation  dont  les 
contemporains  se  rendirent  compte,  puisqu'il  y  eut  des 
oppositions;  mais  ceux-là  mêmes  qui  l'accomplirent 
pensaient  faire  œuvre  de  tradition  en  y  consacrant  les 
efforts  de  leur  esprit,  bien  plus  ils  croyaient  aussi 
faire  œuvre  d'histoire. 

Ainsi  s'expliquent,  pour  nous  borner  à  trois  exemples 
qui  tiennent  au  sujet,  comment  saint  Thomas  qui 
croyait  retrouver  la  physique  d'Aristote  dans  Denys, 
y  introduisit  l'hyléinorphisme  qu'il  tenait  des  Arabes, 
mais  en  le  corrigeant  par  ce  que  saint  Augustin  dit  de 
la  matière  dans  ses  Confessions  :  ou  encore,  comment 
après  s'être  expliqué  la  connaissance  religieuse  chez 
Denys  par  l'épistémologie  d'Aristote,  saint  Thomas 
consacra  deux  questions  De  veritate,  q.  x,  xi.  à  inter- 
préter saint  Augustin  dans  le  même  sens  :  enfin  com- 
ment le  même  docteur  angélique  n'hésita  pas  a  écrire 
un  jour  que  conclure  au  premier  moteur  immobile 
avec  Arislote,  c'est  conclure  au  premier  être  qui  se 
meut  lui-même  d'après  Platon.  Siliil  enim  diflert 
devenire  ad  aliquod  primum,  quod  movel  se  secun- 
dum Platonem,  et  devenire  ad  aliquod  primum,  quod 
sit  prorsus  immobile  secundum  Aristotelem.  Contra 
gentes,  1.  I,  c.  xm.  La  raison  en  est  que  dans  l'argu- 
ment du  premier  moteur,  tel  que  saint  Thomas  pense^ 


1185 


DIEU    (SA   NATURE    SELON    LES   SCOLASTIQUES) 


1186 


qu'Aristote  l'a  compris,  on  passe,  dans  la  régression 
des  causes  mouvantes  et  mues,  par  les  sphères,  et  que 
celles-ci  chez  Aristote  comme  chez  Platon  sont  mues 
par  des  substances  séparées,  c'est-à-dire  par  les  anges. 
Opusc,  XV,  De  angelis  seu  subslantiis  separatis,  c.  ni; 
Opusc,  X,  Besponsio  de  arliculis  xlii,  a.  1  sq.  11  n'est 
donc  pas  surprenant  que  le  premier  moteur  d'Aristote 
soit  intelligent  et  voulant  comme  le  premier  bien  du 
Phédon.  Le  premier  moteur  d'Aristote  est  ainsi  acte 
pur,  c'est-à-dire  perfection  sans  potentialité.  In  IV 
Sent.,  1.  I,  dist.  VIII,  q.  m,  a.  1.  Et  de  la  sorte,  dit-il, 
Aristote,  Platon,  saint  Augustin  enseignent  la  même 
doctrine.  Ibiil.,  ad  2UU>.  Cf.  Denys  le  Chartreux,  In  IV 
Sent.,  I.  I,  dist.  II,  q.  il,  p.  174.  D'ailleurs,  d'après 
saint  Thomas,  Platon  a  admis  la  providence  divine;  et 
bien  qu'il  n'ait  qu'une  confiance  limitée  aux  philosophes 
et  ne  confonde  pas  le  dogme  et  la  philosophie, 
cf.  Opusc,  X,  Besponsio  de  artic.  XLII,  prolog.  ;  Man- 
donnet,  Siger  de  Brabant  et  l'averroïsme  lalin  au 
XIII*  siècle,  Fribourg,  1899,  p.  clxxxiii,  il  se  sert  de 
leur  autorité  contre  les  Arabes  qui  nient  ce  dogme. 
Enfin,  en  ce  qui  concerne  les  rapports  de  Dieu  et  du 
monde,  il  semble  qu'au  xme  siècle  seul  Henri  de  Gand 
ait  entrevu  que  la  doctrine  d'Aristote  mettait  en  péril 
la  dépendance  causale  du  inonde  à  l'égard  de  Dieu.  Au 
xv  siècle,  Denys  le  Chartreux  rapporte  ce  jugement 
d'Henri  de  Gand  et  s'indigne  d'un  tel  soupçon  sur 
l'autorité  d'Averroés,  qui,  dit-il,  de  tous  les  commenta- 
teurs grecs  et  arabes,  est  celui  qui  a  le  mieux  compris 
Aristote.  De  divinis  nominibus,  c.  I,  a.  7,  Opéra, 
t.  mv,  p.  25.  Ailleurs,  le  chartreux  en  appelle  contre 
Henri  à  l'autorité  de  l'École.  Et  inhis  Scotus  raliona- 
biliter  coniradicil  Henrico,  imo  solemnissimi  docto- 
res,  Boelius,  Hugo,  Alexander,  Thomas,  Albertus  et 
cseleri  fréquenter  prœallegati  fréquenter  dicunt  et 
probant  contrarium  atque  déclarant  quod  Aristotelis 
intenlio  fuit,  unirersa  qux  sunt  citra  Deum ,  ab  ipso 
principiative  /luxisse.  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  VIII, 
q.  iv,  p.  385. 

On  peut  discuter  sur  la  valeur  historique  des  conci- 
liations, des  identilications  et  des  appréciations  de 
saint  Thomas  :  l'École  ne  les  a  pas  toutes  adoptées  ni 
retenues,  et  nous  avons  dit  plus  haut,  col.  932,  qu'elle 
a  rejeté  l'argument  du  premier  moteur  tel  que  saint 
Thomas  l'a  compris  d'après  les  Arabes.  On  peut  trou- 
ver aussi  que  de  tels  procédés  rendent  très  difficile 
l'exégèse  de  saint  Thomas,  ce  dont  nous  ne  disconvien- 
drons pas,  avant  depuis  longtemps  remarqué  que  la 
plupart  des  grandes  controverses  classiques  sur  le  i  " 
de  saint  Thomas  viennent  de  ce  qu'une  partie  des  théo- 
logiens  s'applique  à  l'entendre  historiquement  en  le 
replaçant  dans  son  milieu,  tandis  que  l'autre  partie 
néglige  de  prendre  cette  précaution.  Mais  quoi  qu'il  en 
soitde  la  vraie  pensée  d'Aristote  et  d.'  la  difficulté  que 
nous  pouvons  trouver  a  saisir  la  vraie  pensée  (h1  saint 
Thomas,  on  conviendra  que  rien  n'est  plus  chrétien  et, 
quant  a  la  substance  d.-  la  doctrine,  que  rien  n'esl  plus 
traditionnel  que  le  Dieu  péripatéticien  qu'il  non 
lente. 

2"  Elémenti  péripalélicieru  introduits  en  théodi 
—  Nous  n'avons  ici  aucune  prétention  a  être  complet 
et  nous  éviterons  de  parti   pris  tout  ce  qui  pourrai! 

mbler  ■'  un  catalogue  ou  ■<  nue  revue  des  i 
ries  d'Aristote.  A  qui  aurait  besoin  d'un  tel  rép<  i 
le  premier  manuel  venu  donnera  satisfaction,  pourvu 
qu'il  connaisse  la  métaphysique  d  Irlstote.  Ce  quen  ai 
roulons  indiqu  imenl  an  \nr  siècle  on  em- 

ploya Aristob  poui  i'  loudre  les  difficultés  en  face 
H'  iquelles  on  e  trouvait.  Nous  prenons  pour  point  de 
dépari  la  doctrine  que  heu.-,  représentant  ici  le  plato- 

nisnie    il. ne      l.i     p u  XIII        i'  cl.',  avait   en* 

sur  h'  nom  propre  .le  in, n    \ , , n.  qui  ition   '  rat) 
ront  toutes  i      autn      qu  M  suffira  de  noter  au  po 

DICT.   DB  Tin  OL.   CATHOL. 


Le  XIIIe  siècle  savait  que  l'enseignement  commun  des 
Pères  est  que  le  nom  de  Dieu  révélé  à  Moïse,  qui  est, 
non  seulement  exprime  la  substance  divine,  mais  que 
c'est  le  nom  qui  convient  le  mieux  à  Dieu,  parce  qu'il 
signifie  l'être  absolu,  la  plénitude  de  l'être,  et  indique 
l'aséité  comme  la  caractéristique  de  la  nature  divine. 
Cf.  col.  957.  Mais  Denys  s'inspirant  de  Proclus,  Insti- 
lutio  theologica,  prop.  vm,  xm,  édit.  Didot,  p.  LUI,  lv, 
soutenait  que  la  bonté,  et  non  pas  l'être,  est  le  nom 
propre  de  Dieu.  Car  l'être  ne  se  dit  pas  de  Dieu  au  sens 
absolu,  mais  seulement  relativement,  au  sens  causal, 
en  tant  que  Dieu  est  le  principe  de  l'être.  De  divinis 
nominibus,  c.  IV,  V,  p.  103,  213,  362,  375  du  t.  xvi  de 
Denys  le  Chartreux,  Opéra,  Tournai,  1902,  où  l'on 
trouvera  avec  la  traduction  de  Marsile  Ficin  les  deux 
principales  traductions  de  Denys  en  usage  au  moyen 
âge,  Cette  vue  de  Denys,  dont  l'explication  historique 
n'a  commencé  à  être  bien  connue  qu'au  xvie  siècle, 
cf.  Jean  Pic  de  la  Mirandole,  De  ente  et  imo,  1.1, 
c.  iv  ;  1.  II,  réponse  aux  secondes  objections;  Apologia 
par  Jean  François,  neveu  du  précédent,  Venise,  1519, 
cette  vue  de  Denys  paraissait  confirmée  par  la  4e  propo- 
sition du  livre  De  causis,  tenu  pour  péripatéticien  '.prima 
rerum  creatarum  est  esse.  D'où  l'on  inférait  :  ergo 
secundum  peripateticos  esse  non  prmdicatur  de  Dco, 
qui  est  ens  increatum.  L'accord  de  l'Académie  et  du 
Portique  était  imposant.  Par  ailleurs,  refusera  Dieu 
le  nom  d'être,  c'était  se  séparer  de  la  tradition  chré- 
tienne et  scripturaire;  enfin  concéder  que  le  nom  de 
Dieu  ne  se  dit  qu'au  sens  causal,  c'était  avec  les  Arabes 
concéder  que  nous  ne  concevons  Dieu  que  par  opposi- 
tion au  monde,  que  nous  l'ignorons  en  lui-même,  et 
mettre  en  question  la  libre  création  et  la  distinction  de 
Dieu  et  du  monde.  Aucune  de  ces  conséquences  ne 
pouvait  échapper  à  un  scolastique  qui  avait  lu  les 
Arabes  ou  seulement  le  Guide  des  égarés  de  Maimonide; 
ceux  qui  les  ont  lus  en  conviendront;  d'ailleurs,  elles 
se  trouvent  fréquemment  indiquées  dans  les  difficultés 
que  se  posent  les  écrivains  de  cette  époque  et  du  siècle 
suivant,  et  ils  n'ont  pas  eu  ici  à  inventer  les  arguments 
qu'ils  s'opposent,  comme  on  est  trop  porté  à  l'imaginer. 
Il  fallait  donc  une  réponse. 

D'abord,  les  théologiens  notèrent  que  Denys,  comme 
toute  la  tradition,  concédait  que  le  nom  qui  est  con- 
vient à  Dieu  et  appelait  Dieu  l'être.  Restait  à  expliquer 
en  quel  sens  orthodoxe  il  avait  bien  pu  dire  que  l'être 
n'est  pas  le  nom  propre  de  Dieu,  et  surtout  que  l'être 
ne  se  dit  de  Dieu  qu'au  sens  relatif.  Notons  que  sur  ce 
point  ni  l'autorité  de  Denys,  ni  celle  du  livre  De  causis 
ne  remportèrent  contre  l'enseignement  traditionnel. 
Comme  Alexandre  de  Haies,  Summa,  Venise,  1576, 
part.  I,  q.  xi.ix,  m.  iv,  a.  2;  saint  Bonaventure,  In  I  V 

Sent.,  I.  I,  dist.  XXII,  a.  1,  q.  ni;  dist.  Il,  duh.  IV.  i  d  il. 
Quaracchi,  t.  i,  p.  60;  dist.  XXII,  a.  1,  q,  ni  ;  Itinera- 
rium,  c.  v,  t.  v,  p.  308;  Albert  le  Grand,  In  IV  Sent., 
1.  I.  dist.  II.  a.  Il;  dist.  XXII,  a.  1;  saint  Thomas  en- 
seigne expressi  menl  m11''  'e  nom  7"'  cs'>  1U'  signifie 
la  plénitude  de  l'être,  /'■■  spiritualihus  creaturis,  q.  i. 
a.  I.  est  le  nom  propre  de  Dieu,  et  qu'il  exprime  li 
substance   divine,  absolument,  sans  relation  ave 

ires,  bien  que  de  lait  nous  ne  connaissions  pas 
heu  indépendamment  des  créatures.  Sum.  theol  .  I  . 
q.  xm,  a.  Il;  In  n  Sent.,  I.  I,  dist.  VIII.  q.  i 
Contra  gentes,  l.  I.  c.  xxn,  sxviii,  xxxvn  sq.  Mais  quant 
:,  |a  m. me  re  d'expliqui  r  dans  quelles  conditions  el  p  ir 
quels  procédés  p  ychologiques  nous  connaissons  Dieu 
absolument,  deux  .  brmèi enl  au  un*  se 

qu  .m  .i  dénommée  le  couranl  augustinien  ou  l 'an- 
gustinisme  après  l'avoir   appelée  l'école  rransiscaine, 

qu  .m     qualifie   du    nom    de   pi  i  |pat(  une.    (  In 

saii  que  tout  l'effort  de  ttanl  dans  sa  i  ritique  d<  la 
théod  1 1(    i  ontn    la  i  onnali  uni  e  de  i  infini 

Huent  ontologique  ne  vaut  rien .  Ii 

iv.  -88 


1187 


DIEU   (SA   NATURE   SELON    LES    SCOLASTIQU] 


1188 


ments  s'y  ramènent  pour  le  passage  à  l'infini,  à  la  plé- 
nitude de  l'être.  La  même  question  s'agita,  bien  que 
sous  un  aspect  durèrent,  au  xnr'  siècle.  Tous  les  théo- 
logiens de  cette  époque  se  posent  en  ell'et  cette  difficulté, 
In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  II  :  Deus  est  infinilus ;  creatura 
finila;  ergo  Deus  non  polest  naturaliler  cognosci. 
La  diversité  des  réponses  est  la  caractéristique  des 
deux  écoles  dont  nous  venons  de  parler;  de  là  suit 
une  interprétation  fort  différente  aussi  du  pseudo- 
Denys  et  du  livre  De  causis. 

1.  L'auguslinisme,  l'infini  et  Denys.  —  M.  Picavet. 
dans  son  Esquisse  d'une  histoire  des  philosophies  mé- 
diévales, Paris,  1905,  a  beaucoup  insisté  sur  l'inlluence 
du  néoplatonisme  dans  la  scolastique.  M.  Heitz  vient 
d'écrire  une  thèse,  Essai  historique  sur  les  rapports 
entre  la  philosophie  et  la  foi  de  Bérenger  de  Tours  à 
saint  Thomas  d'Aquin,  Paris,  1909,  pour  dégager  saint 
Thomas  de  toute  compromission  néoplatonicienne. 
Mais,  pour  sauver  saint  Thomas,  M.  Heitz  jette  par-des- 
sus bord  une  bonne  partie  de  la  philosophie  médiévale. 
Voici  son  raisonnement.  La  théologie  des  XIe  et 
XIIe  siècles  a  dépendu  de  saint  Augustin  et  par  lui  du 
néoplatonisme,  en  particulier  de  la  théorie  de  l'illumi- 
nation extatique  ou  directe  formulée  par  Plotin;  au 
xme  siècle,  l'école  augustinienne  et  spécialement  saint 
Bonaventure  continua  cette  tradition;  saint  Thomas, 
au  contraire,  fut  un  parfait  disciple  d'Aristote  et  parla, 
en  niant  que  la  science  et  la  foi  puissent  avoir  le  même 
objet,  résolut  le  problème  des  rapports  de  la  philosophie 
et  de  la  foi. 

La  réalité  des  faits  nous  parait  beaucoup  plus  com- 
plexe que  ne  la  voit  M.  Heitz,  cf.  Hourcade,  dans  le 
Bulletin  de  littérature  ecclésiastique,  Toulouse, 
juillet  1909,  p.  301-310;  et  le  système  de  défense  adopté 
peut  offrir  quelques  inconvénients,  cf.  Labertbonnière, 
dans  les  Annales  de  philosophie  chrétienne,  septem- 
bre 1909,  p.  599-620.  Il  nous  paraît  que  M.  Heitz  répète 
une  confusion  regrettable  en  ne  marquant  pas  assez  la 
différence  qui  existe  entre  la  théorie  de  l'illumination 
de  saint  Augustin  et  la  connaissance  extatique  du  mo- 
nisme panthéistique  de  Plotin.  D'après  Plotin,  l'aspi- 
ration au  bien  engendre  la  pensée,  et  comme  l'Un  est 
le  bien,  il  en  résulte  qu'il  ne  connaît  ni  lui-même  ni  le 
reste.  Ennéades,  Ve,  1.  VI,  6;  voir  t.  n,  col.  830. 
D'après  saint  Augustin,  au  contraire,  l'illumination  est 
une  participation  créée  de  l'intelleclion  divine,  et  elle 
n'aboutit  pas  à  la  contemplation  directe  du  premier 
être.  Cf.  1. 1,  col.  2335  sq.  ;  de  San,  De  Dco  uno,  Louvain, 
1894,  p.  37.  De  plus,  il  ne  parait  pas  exact  que  la  théo- 
logie des  xie  et  xne  siècles  ait  autant  dépendu  de  la 
théorie  de  l'illumination  que  le  prétend  M.  Heitz.  Les 
rapports  entre  cette  hypothèse  et  l'argument  de  saint 
Anselme  sont  discutables;  et,  quand  on  les  démontre- 
rait réels,  la  conclusion  de  l'auteur  ne  suivrait  pas; car 
le  P.  Daniels  vient  d'établir  que  l'argument  de  saint 
Anselme  eut  peu  de  répercussion  sur  le  xne  siècle  et 
que  ce  n'est  qu'au  xme  siècle  qu'on  en  constate  l'in- 
lluence. Daniels,  Quellenbeilràge  zur  Geschichle  der 
Gotlesbeweise  im  xm  Jahrhundert,  Munster,  1909, 
dans  le  t.  vin  des  Beitràge  de  Bœumker.  Par  ailleurs, 
on  trouve,  il  est  vrai,  chez  les  mystiques  du  XIIe  siècle 
des  passages  qui  rappellent  l'illumination  de  saint  Au- 
gustin et  qu'on  peut  en  rapprocher. Par  exemple, saint 
JSernard  écrit  :  Nemo  quœrere  valet,  nisi  qui  prius 
invenerit,  De  diligendo  Deo,  c.  vu,  22, P.  L.,  Lclxxxii, 
col.  987;  voir  plus  haut  col.  802;  il  affirme  à  plusieurs 
reprises  que  l'on  ne  connaît  bien  Dieu  que  si  on  l'aime 
parfaitement,  Sermones  in  Canlica,  serm.  vin,  9, 
P.  L.,  t.  clxxxiii,  col.  814;  il  avoue  même,  et  nous 
nous  sommes  inspiré  de  lui,  col.  819  sq.,  que  la  ré- 
Ilexion  sur  nos  actes  d'amour  nous  instruit  de  l'incom- 
préhensible perfection  divine  :  si  l'acte  d'amour  est  si 
doux,    que   penser    de  son  objet?  De  consideralione, 


1.  V,  c.  xm,  P.  L.,  t.  ci.xxxn,  col.800.  Ces  textes  peu- 
vent, si  l'on  y  tient,  >e  rapporter  à  l'illumination  sub- 
jective, bien  que  cette  interprétation  ne  soit  pas  néces- 
saire. Mais  saint  Bernard  admet  que  les  païens  ont 
connu  Dieu  par  ses  ouvres,  et  sans  l'airner,  In  Can- 
lica, serm.  vin,  5,  col.  812;  d'autre  part, rien  n'indique 
qu'il  ait  admis  pour  les  états  mystiques  un  amour  avec 
connaissance  seulement  subséquente,  voir  plus  haut, 
col.  789,  818;  et  il  est  certain  qu'antérieurement  à  la 
connaissance  par  goût,  mais  non  intuitive,  de  ce  qu'il 
appelle  la  profondeur  et  la  largeur  de  Dieu,  il  enseigne 
une  connaissance  objectivement  valable  de  la  nature 
divine  à  l'aide  des  données  sensibles.  De  consideralione, 
1.  V,  c.  il,  col.  789.  Donc,  quand  même  on  concéderait 
que  la  mystique  de  saint  Bernard  suppose  la  doctrine 
(le  l'illumination,  il  resterait  acquis  qu'il  admettait  une 
autre  manière  de  connaître  Dieu.  En  outre,  il  est  équi- 
voque de  mettre  en  principe  que  le  XIIe  siècle  n'a  rien 
de  commun  avec  Aristote;  car  il  en  étudiait  la  logique, 
la  partie  la  plus  solide  de  son  œuvre;  et  par  elle,  il 
connaissait  à  l'aide  des  commentateurs  de  cette  logique 
ce  qu'il  y  a  d'éternellement  vrai  dans  sa  doctrine  mé- 
taphysique des  substances,  des  causes  et  des  relations; 
nous  avons  déjà  dit  qu'il  en  connaissait  aussi  la  doc- 
trine des  idées  représentatives  et  admettait  que  notre 
connaissance  religieuse  nous  vient  du  spectacle  du 
monde.  Enfin  M.  Heitz  insiste  sur  ce  fait  que  le 
XIIe  siècle  prétendit  démontrer  et  pénétrer  les  mys- 
tères :  ce  dont  s'abstint  saint  Thomas.  On  sait  qu'il 
serait  aisé  de  trouver  dans  saint  Thomas  parlant  des 
mystères  autant  et  p\us  d'oportet  et  denecesseest  qu'on 
en  pourrait  recueillir  dans  tout  le  XIIe  siècle  réuni: 
mais  laissons  cette  querelle  et  ne  discutons  pas  sur  la 
fragilité  du  lien  qu'on  établit  entre  l'illumination  sub- 
jective et  la  recherche  de  l'intelligence  dans  la  foi.  Nous 
avons  vu  que  très  ferme  sur  la  valeur  ontologique  des 
attributs,  le  xiie  siècle  fut  très  réservé  sur  l'explication 
de  cette  valeur.  On  peut  même  dire  que,  sur  ce  point, 
il  ne  lit  que  répéter  l'enseignement  traditionnel  qui 
affirmait  la  portée  métaphysique  de  notre  connaissance 
religieuse,  et  qu'il  ne  réussit  pas  à  se  donner  de  cet 
enseignement  une  justification  philosophique  pleine- 
ment satisfaisante;  et  cela,  faute  d'avoir  compris  que  la 
doctrine  des  relations  est  le  nœud  du  problème  des 
universaux.  Il  resterait  donc  à  établir  en  quel  sens  pré- 
tendaient pénétrer  les  mystères  ces  théologiens  qui  ne 
dépassaient  pas  la  théorie  des  connotations. 

11  en  va  de  même  du  courant  augustinien  au  xme  siè- 
cle. Alexandre  de  Halès  ne  dépassa  guère  cette  même 
doctrine  des  connotations  dans  l'explication  des  attri- 
buts, ce  qui  plus  tard  permit  à  Occam  et  à  Grégoire  de 
Bimini  de  se  réclamer  de  lui;  et  certes  ni  Occam  ni 
Grégoire  ne  prétendaient  expliquer  les  mystères.  Quant 
à  saint  Bonaventure,  il  fut  beaucoup  plus  péripatéti- 
cien  qu'Alexandre  ;  M.  Hourcade  a  dit  de  lui  avec  raison 
qu'il  fut  «  autant  péripatéticien  qu'auguslinien.  i  foc.  cit.. 
p.  309;  et  sur  le  point  spécial  de  notre  connaissance  de 
Dieu  par  les  créatures,  il  ne  parle  pas  autrement  que 
saint  Thomas.  Voir  les  textes  allégués,  col.  877.  Il  nous 
parait  donc  plus  conforme  à  l'histoire  d'opposer  moins 
violemment  l'augustinisme  du  xni°  siècle  au  péripaté- 
tisme  de  la  même  période.  Ce  que  le  xme  siècle  s'ef- 
força de  réaliser,  et  on  a  vu  comment  il  était  amené 
à  l'essayer,  ce  fut  la  conciliation  du  péripatélisme.  tel 
qu'il  se  présentait  à  lui,  avec  les  éléments  platoniciens 
qui  se  trouvaient  chez  les  Pères  alors  connus.  Tous 
collaborèrent  à  ce  grand  œuvre,  mais  avec  un  inégal 
succès.  Les  auteurs  chez  qui  le  péripatétisme  est  plutôt 
juxtaposé  avec  le  platonisme  que  fondu  avec  lui,  sont 
dénommés  augustiniens;  pour  la  raison  contraire,  saint 
Thomas  fut  de  son  vivant  considéré  plutôt  comme  un 
disciple  d'Aristote  que  de  saint  Augustin.  Cf.  Ehrle, 
Der  Augustinismus    und   der  Aristotelismus   in  der 


1189 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES    SGOLASTIQUES) 


1190 


Scholastik  gegen  Ende  des  xm  Jahrliunderls,  dans 
Archiv  fur  Litteratur  und  Kirchengeschichte  des  Mit- 
telalters,  t.  v,  p.  603;  John  Peckltam  ùber  den  Kampf 
des  Augustinismus  und  Aristotelismus,  dans  Zeit- 
schrift  fur  katholische  Théologie,  Inspruck,  1889, 
t.  xm,  p.  172;  voir  surtout,  parce  qu'il  a  précisé  l'objet 
des  questions  débattues  au  xnr  siècle  entre  les  deux 
écoles,  Grabmann,  Diephilosophischeund  tlieologische 
Erkenntnislehre  des  Kardinals  Matthàus  von  Aquas- 
parta,  Vienne,  1906. 

On  dit  souvent  que  le  principal  grief  soulevé  de  son 
vivant  contre  saint  Thomas  par  l'augustinisme  fut  son 
acceptation  de  la  théorie  de  la  connaissance  d'Aristole. 
En  ces  termes  sommaires,  le  fait  n'est  pas  exact.  Le 
XIIIe  siècle  dans  son  ensemble  accepta  aussi  bien  que 
saint  Thomas  l'épistémologie  qu'on  trouve  au  IIIe  livre 
De  anima  d'Aristote;  tous  alors  admettaient  la  possi- 
bilité pour  notre  intelligence  d'abstraire  des  données 
de  l'expérience  sensible  les  idées  universelles  d'être, 
d'unité,  etc.,  objectivement  valables  et  de  valeur  uni- 
verselle; l'accord  existait  de  même  sur  l'explication 
péripatéticienne  de  la  connaissance  des  êtres  immaté- 
riels, par  abstraction.  Cf.  Suarez,  De  anima,  1.  IV, 
c.  iv  sq.;  Boedder,  Psychologia  ralionalis,  Fribourg- 
en-Brisgau,  1895,  n.  131  sq.,  202.  Voir  col.  775.  Que 
notre  connaissance  des  substances  immatérielles  et 
par  suite  de  Dieu  dépende  de  notre  connaissance  sen- 
sible, intellect  us  nos  ter  e.r  ceenturis  in  Dei  cognilionem 
manudicilur,  Sum.  theol.,  Ia,  q.  xxxix,  a.  8,  cela 
cadrait  trop  bien  avec  l'enseignement  biblique  et  tradi- 
tionnel pour  faire  difficulté.  Saint  Paul  avait  écrit  : 
à'ipaTa...  rot<  icotr,p.a<?i...  xaOopâTai;  comment  se  délier 
de  l'épistémologie  d'Aristote,  puisqu'on  lisait  au 
De  mundo,  c.  vi,  que  tout  le  monde  tenait  alors  pour 
authentique,  à  propos  de  la  nature  divine  :  àipatoî 
t.v<xa  toΫ  i?Yoi«  k-jtoi;  op-iTai,  édit.  Duval,  t.  i,  p.  863^ 
D'autre  part,  Denys  enseignait  que  la  connaissance 
des  anges  est  pour  nous  un  moyen  de  connaître  Dieu. 
Or,  il  expliquait  la  connaissance  que  nous  avons  des 
intelligences  séparées  précisément  comme  Aristote. 

Mais  quand  il  s'agissait  d'expliquer  notre  connais- 
sance de  l'infini,  ou  bien  la  connaissance  que  nous 
avons  des  mystères,  et  surtout  la  connaissance  de  Dieu 
dans  les  étals  mystiques,  le  courant  auguslinien  se 
séparait  de  saint  Thomas.  On  lui  reprochait  de  rejeter 
l'illumination  de  saint  Augustin,  lu  IV  Sent.,  1.  I 
dist.  III,  q.  i.  a.  1.  ad  3"-;  et  aussi  l'idée  de  l'infini  de 
s  lint  Anselme,  voir  col. 889;  de  fausser  la  pensée  de  saint 
Augustin,  en  l'interprétant  dans  le  sens  d'Aristote,  De 
veritatc,  q.  x,  xi;  el  d'une  façon  générale  de  prétendre 
que  toute  notre  connaissance  du  divin  dépend  des  don- 
néea  de  l'expérience  sensible.  Car,  disait-on,  dedivinis, 
yrmtertim  <!<■  lupernaturalibti»  his  quse  sola  fide  le- 
nentur,  habemut  cognilionem,  non  ex  creaturis  naiu- 
e  ratione,  sed  ea  divinis  ScripturU  el  revelalione 
tupernaturali.  Cf.  Denys  le  Chartreux,  In  IV  Sent 
1.  I,  dist.  III.  q.  mi;  dist.  XXXI,  q.  ii.  t.  xx,  p.SSS.  En 
un  mot,  on  attaquai!  chez  saint  Thomas  la  formule 
qui  revient  si  souvent  sous  sa  plume  :  tantum  see.-ten- 
dere  potest  noitra  ■  ognitio,  quantum  nianuduci  potest 
emibilia.  Sum.  the„t.,  I  ..,.  xn,  a.  12  sq.  F.,.  ,„'.ri- 
l"1,  !|-""  ''  augustiniens  n'allait  pas  jusqu'à  celte 
formule  exclus! 

■"".ni  par  h-  moyen  des  créatures  nous  pouvons 
•aisir  l'infini  au  olu,  l'augustinisme  a  propre- 

ment parler  ne  l'expliquait  pas.  mais  il  avs.il  trois 
mari"  t«r<  r  de  difficulté.  Ou  bien  il  recourait 

•  [  i  théorie  de  l'illumination,  entendue  i  n  <•■■  ■■  us ,,,,,. 
notre  intelligenci  n'es!  autre  chose  qu'une  participa 
"""  lumineuse  de  la  divine  clarté;  ou  bien  il  recourait 
a  l  "h,,  naturelle  de  l'infini  mi»  i  "  ,•..,, ,i  par  saint 
A"  '  l""-  •'"  '•'  !i  r"  cèdent;  ou  bien  il  combinait  le. 
'bo,    explications,  comme    fait    sain!    Bonaventure 


In  71  Sent.,  1.  I,  dist.  VIII,  p.  i,  a.  1,  q.  n.  Les  textes 
récemment  publiés  par  le  P.  Daniels  montrent  que  ces 
deux  dernières  solutions  étaient  les  plus  fréquentes. 
Soit  pour  essayer  de  se  rendre  compte  de  l'illumination, 
soit  pour  expliquer  certains  faits  mystiques,  l'augusti- 
nisme soutenait  que  nous  pouvons  avoir  une  connais- 
sance directe  de  la  substance  immatérielle  de  notre 
âme.  On  prouvait  cette  thèse,  qui  avec  diverses  modi- 
fications a  été  reprise  au  xvme  siècle,  voir  col.  897  sq., 
par  saint  Augustin.  De  Trinilate,  1.  X,  c.  vin;  1.  Xiv! 
c.  v,  P.  L.,  t.  xlii,  col.  975,  1041.  Et  l'on  pens'ait  ainsi 
pouvoir  dire  que  nous  voyons  Dieu,  non  pas  intuitive- 
ment certes,  mais  en  notre  âme  :  doctrine  que  saint  Tho- 
mas rejetait  en  ce  qui  nous  concerne  et  ne  concédait  que 
pour  Adam  avant  la  chute  et  en  un  certain  sens  pour 
l'ange.  De  verilate,  q.  xm,  a.  2.  La  même  hypothèse 
servait  à  l'explication  des  faits  mystiques.  On  empruntait 
à  Denys  qui  parle  d'Hierothea  patiensla  division  de  la 
contemplation  en  active  et  passive.  Dans  la  contempla- 
tion active,  l'augustinisme  acceptait  la  doctrine  d'Aris- 
tote; on  y  pense  à  Dieu  par  des  espèces  intelligibles,  qui 
naissent  de  celles  qui  se  forment  dans  l'imagination 
par  l'expérience  des  créatures  qui  ont  quelque  rapport 
avec  Dieu.  Lorsque  l'âme  connaît  ainsi  Dieu,  elle  ne 
conçoit  de  lui  rien  de  matériel;  car  bien  que  dans  ce 
mode  de  connaissance  il  y  ait  toujours  quelque  chose 
de  matériel  et  une  association  de  fantômes  corporels, 
l'âme  éloigne  et  écarte  de  Dieu  tout  le  corporel  et  le 
matériel  :  c'est  en  quoi,  disait-on,  consiste  la  voie  de 
négation  de  saint  Denys.  Sur  ce  point  saint  Thomas  ne 
dill'érait  pas  de  l'augustinisme.  Mais  le  désaccord  nais- 
sait à  propos  delà  contemplation  qu'on  appelle  passive. 
L'augustinisme  s'autorisait  d'un  texte  de  Denys,  De 
mystica  theologia,  c.  i,  p.  477,  où  il  est  dit  que  l'exta- 
tique, sans  avoir  la  vision  intuitive,  connaît  Dieu 
sans  voiles,  incircumvelate  ;  on  apportait  aussi  un 
texte  de  Boèce  :  in  divinis  inlellectualiter  versari  opor- 
lebit,  neqne  deducï  ad  imagination,  s.  sed  potius  ip- 
sam  inspicere  formam.  De  Trinilate,  c.  il,  P.  L., 
t.  i.xiv,  col.  1250.  On  concluait  de  ces  textes  que,  dans 
la  contemplation  passive,  Dieu  avec  le  concours  de  nos 
facultés  intellectuelles  produit  des  espèces  qui  le  re- 
présentent, sans  être  tirées  des  sens,  sans  l'entremise 
de  l'imagination,  bien  plus  sans  même  que  l'imagina- 
tion entre  en  exercice.  L'augustinisme,  pour  rendre 
compte  de  la  possibilité  d'une  telle  psychologie,  recou- 
rait a  l'hypothèse  de  l'introspection  directe  de  I 
de  ses  actes,  de  ses  dons  et  lumières  naturelles  ou 
infuses;  on  pensait  par  là  expliquer  comment  l'esprit 
pouvait  avoir  de  Dieu  des  espèces  purement  intellec- 
tuelles et  s'en  servir  sans  regarder  les  fantômes  ou 
espèces  dérivées  de  l'imagination.  Ici  on  se  séparait 
de  la  formule  péripatéticienne  de  saint  Thom 
tantum  se  exlendere  potest  noslra  cognilio,  quantum 
manuduci  potest  per  sensibilia.  Celui-ci,  malgré  quel- 
ques hésitations  de  langage,  cf.  Kousselol.  I.  intellec- 
tualisme de  saint  Thomas,  Paris,  1908,  p.  207,  n'ad- 
mettait pas  en  dehors  du  cas  de  prophétie  l'infusion 
d'espèces  purement  intellectuelles,  mais  soutenait  que 
dans  la  connaissance  de  foi  et  dans  la  connaissance 
mystique  l'imagination  joue  toujours  ion  roleel  entre 
toujours  en  exercice.  Cf.  Sum,  theol.,  I\  q.  vu.  a.  13. 
Voir  lloudon,  Le  règne  de  Dieu,  1.  IV,  r.  m,  Avignon, 
1845,  p.  153.  Le  fond  .le  l'argumentation  de  s. uni 
Thomas  s'appuie  sur  ce  que  pour  penser  à  Dieu  nous 
employons  Qécessairemenl  l'idée  d'être;  or  nous  avons 
celle-ci  pari  expérience  sensible  avec  l'aide  de  i  activité 
.L-  notre  Imagination  al  de  noire  intelligence;  il  fui 
!> quer  que  •.,,,!  expll  |  plus  conforme 

..  la  doctrine  de  ['unité  du  compose'  humain,  Sum.  theol  . 
[■,  q.  lxxxiv,  a.  5  sq.  Suant  si  ion  école  suivent  Mini 
I  bon  p      metaphui  .  disp.    \  \  \.    sect.    xn. 

col.  822. 


1191 


DIEU    (SA   NATURE    SELON    LES    SCOLASTIQUES 


1192 


Ces  inodes  do  la  connaissance  de  l'infini  supposés, 
l'école  augustinienne  interprétait  généralement  comme 
il  suit  les  textes  embarrassants  de  Denys  sur  l'être  et 
sur  la  bonté.  C'est  en  se  plaçant  au  point  de  vue  chré- 
tien  de  la  communication  de  la  vie  divine  ad  intra  que 
Denys  pense  que  la  bonté  est  le  premier  nom  de  Dieu  ; 
et  à  ce  point  de  vue  la  bonté,  sui  di/Jusiva,  est  la 
raison  de  la  pluralité  des  personnes  et  précède  l'action 
causale  de  Dieu  au  debors.  «  Mais  si,  comme  le  fait 
l'Ancien  Testament,  qui  au  livre  de  l'Exode  ignore  la 
Trinité,  l'on  envisage  seulement  ce  que  la  raison  natu- 
relle peut  connaître  de  Dieu,  on  doit  dire  que  l'être 
précède  la  causalité  et  par  conséquent  la  bonté;  et  ainsi 
l'être  est  le  nom  propre  de  Dieu.  »  Cf.  Denys  le  Char- 
treux,  In  1 V  Sent.,  1.  I,  dist.  VIII,  q.  n,  obj.  5,  p.  367. 
Nous  convenons  qu'une  telle  exégèse  manque  d'ob- 
jectivité, mais  on  devra  reconnaître  que,  de  même  que 
l'épistémologie  de  ces  auteurs  manifeste  l'intention 
d'éviter  l'agnosticisme,  ainsi  l'échappatoire  qu'ils  inven- 
tent pour  expliquer  Denys,  révèle  chez  eux  la  préoccu- 
tion  dominante  de  rester  fidèles  aux  notions  tradi- 
tionnelles d'un  Dieu  vivant  et  personnel. 

Les  mêmes  préoccupations  commandent  l'interpréta- 
tion que  les  augustiniens  donnaient  de  la  proposition 
du  De  cansis,  prima  rerum  crealarum  est  esse,  qui 
paraissait  favoriser  l'opinion  que  l'être  ne  se  dit  pas  de 
Dieu.  Reprenant  la  pensée  du  xir  siècle  sur  la  dépen- 
dance causale  de  l'être,  on  disait  :  la  première  des  choses 
créées  est  l'être  par  participation,  c'est-à-dire  être  causé 
convient  à  tout  être  qui  n'est  pas  Dieu;  en  ce  sens  on 
peut  concéder  que  l'être  ne  se  dit  pas  de  Dieu.  Cette 
glose  donnée,  on  se  séparait  des  nominalistes  du 
XIIe  siècle  qui  avaient  expliqué  l'être  et  la  bonté  des 
créatures  par  une  dénomination  extrinsèque,  car  on 
voyait  que  d'après  saint  Augustin  les  créatures  ont  une 
bonté  intrinsèque,  inhserens,  formalis,  puisqu'elles 
sont  toutes  in  specie,  modo  et  ordine;  on  savait  aussi 
qu'Aristote  avait  réfuté  les  formes  séparées  des  platoni- 
ciens et  montré  qu'ercs,  unum  et  bonicin  sont  des  pré- 
dicats intrinsèques.  D'autre  part,  on  se  souvenait  que 
saint  Augustin  avait  montré  la  convertibilité  de  l'être  et 
du  bien,  et  concilié  par  ce  moyen  avec  le  qui  est  de 
l'Écriture  le  «  bien  »  des  plaloniciens;  on  voyait  aussi 
qu'Aristote  avait  établi  la  convertibilité  de  ens,  unum, 
verum  et  bonum.  D'où  l'on  concluait  que  l'être  trans- 
cendantal  se  dit  de  Dieu,  au  rebours  de  l'être  par  parti- 
cipation. Transcendentia  vero,  ut  ens  et  converlihilia 
secum,  propter  elongalionem  svam  a  determinatio- 
nibus  et  materialïbus  proprietalibus  ac  limitationibus , 
dicunt  actualitatem  et  perfectionem;  sicque  conve- 
niunt  Deo  imperfeclione  seclusa  quse  in  creaturis  eis 
annexa  est.  On  voit  que  le  péripatétisme  sert  ici  à 
rejoindre  saint  Augustin,  à  côté  et  au-dessus  de 
Denys. 

Denys,  à  la  suite  dePlotin,  cf.  Picavet,  op.  cit., p.  T15, 
avait  insisté  beaucoup  sur  la  présence  substantielle  de 
Dieu  dans  tous  les  êtres;  cet  enseignement,  bien  que 
moins  net  chez  quelques  Pères  très  anciens,  était  d'ail- 
leurs commun  de  son  temps.  Mais  il  avait  formulé  cette 
docirine  d'une  façon  qui  prêtait  à  l'équivoque  :  Deus  est 
esse  existentibus ,  esse  omnium  est  superesse  deitatis. 
Les  théologiens  qui  suivaient  le  courant  augustinien  se 
souvinrent  ici  encore  de  l'interprétation  donnée  par  le 
XIIe  siècle;  puisque  Denys  disait  que  l'être  ne  se  dit  de 
Dieu  qu'au  sens  causal  et  admettait  l'exemplarité  divine, 
ils  conclurent  qu'il  fallait  l'interpréter  dans  le  sens  de 
la  causalité  et  de  l'exemplarité.  Deus  dicitur  forma, 
ut  essentia  quse  habel  esse  in  omnimoda  actualitate 
et  completione,  dit  saint  Bonavenlure,/w  71*  Sent. ,1.11, 
dist.  XII,  a.  1,  q.  il,  t.  il,  p.  294.  Et  ailleurs  :  Dieu  est 
dit  forme  comme  cause  exemplaire;  et  quand  on  dit 
qu'il  est  en  soi  une  forme,  cela  signifie  qu'il  est  sans 
aucune  potentialité,  c'est-à-dire  acte  pur.   lbid.,  1.  I, 


dist.  XIX,  p.  n,  a.  1,  q.  m,  ad  2um.  Si  Denys  dit  qu'il 
est  l'être  de  tous  les  êtres,  cela  doit  s'entendre  de  mi  me 
au  sens  causal,  puisque  telle  est  la  terminologie  de 
Denys.  Cf.  Walric,  cité  par  Denys  le  Chartreux,  ibid., 
p.  36ô.  Ici  l'exégèse,  qui  est  la  même  que  celle  du 
XIIe siècle,  n'est  nullement  arbitraire.  Et  tout  danger  de 
panthéisme  est  écarté. 

Il  ressort  de  cette  esquisse,  que,  tout  en  restant 
fidèle  aux  principes  et  aux  conclusions  fondamentales 
de  la  théodicée  traditionnelle,  l'augustinisme  ne  par- 
vint pas  à  monlrer  l'homogénéité  et  la  continuité  de 
notre  connaissance  naturelle  et  initiale  de  Dieu  par 
les  créatures,  et  de  la  connaissance  plus  parfaite  que 
nous  pouvons  avoir  de  l'infini,  soit  par  la  raison,  soit 
par  la  révélation,  soit  par  la  vie  intérieure:  aussi  bien 
au  point  de  vue  de  la  liaison  métaphysique  qu'à  celui  de 
l'analyse  psychologique,  un  hiatus  restait  sans  expli- 
cation entre  ces  divers  degrés  ou  modes  de  notre 
connaissance  religieuse.  Bien  que  cette  école,  aftran- 
chie  comme  on  l'a  vu  du  nominalisme  du  xii'  siècle, 
poussa  très  loin  l'analyse  de  l'idée  platonicienne  de 
participation,  comme  nous  le  dirons  à  propos  des  rap- 
ports de  Dieu  et  du  monde  chez  Averroès,  elle  avait 
conscience  de  son  impuissance  à  relier  cette  doctrine 
avec  une  doctrine  générale  métaphysique  ou  psycholo- 
gique, qui  put  servir  de  base  à  une  explication  logique 
de  notre  connaissance  de  l'infini.  C'est,  croyons-nous, 
plus  au  sentiment  de  cette  impuissance  qu'à  l'embarras 
ou  à  l'autorité  des  textes,  qu'il  faut  attribuer  le  recours 
aux  diverses  hypothèses  sur  noire  connaissance  de 
l'infini  dont  nous  avons  parlé.  L'échec  de  cette  école 
explique  aussi  pourquoi  les  interprétations  des  formules 
platoniciennes  de  Boèce,  Denys,  etc.,  restent  chez  elle 
à  l'état  inorganique.  Le  génie  de  saint  Thomas  tenta  de 
satisfaire  à  ces  déficits. 

2.  Le  péripatétisme  de  saint  Thomas  et  Denys.  — 
Les  deux  principaux  représentants  du  péripatétisme, 
en  tant  qu'on  l'oppose  à  l'augustinisme  au  cours  du 
XIIIe  siècle,  sont  Albert  le  Grand  et  saint  Thomas.  Nous 
ne  dirons  rien  ici  en  particulier  d'Albert  le  Grand, 
parce  que  l'on  convient  aujourd'hui  que  chez  lui  le  pé- 
ripatétisme est  étrangement  mêlé  à  d'autres  courants 
philosophiques,  et  que  son  éclectisme  n'est  point  par- 
venu à  opérer  la  fusion  harmonieuse  des  divers  élé- 
ments de  sa  pensée.  Il  en  est  autrement  pour  saint 
Thomas.  En  face  du  péripatétisme  son  attitude  est  des 
plus  nettes  :  il  cherche  une  voie  de  conciliation,  mais 
telle  que,  tout  en  donnant  à  sa  théologie  une  physio- 
nomie péripatéticienne  très  accusée,  il  ne  perde  pas  de 
vue  la  loi  du  développement  de  la  pensée  chrétienne  : 
quod  ubique,  quod  semper. 

Cette  préoccupation  se  trahit  d'abord  dans  l'interpré- 
tation de  la  formule,  faite  d'un  mot  de  Boèce  et  d'un 
mot  de  Denys  :  Deus  est  esse  formate  omnium.  Il  l'en- 
tend au  sens  causal,  comme  le  xne  siècle;  et  sur  ce 
point  il  est  d'accord  pour  rejeter  le  panthéisme  avec 
l'école  augustinienne.  Contra  gentes,  1.  I,  c.  xxvi; 
In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  VIII,  q.  i,  a.  2.  Le  livre  De  cou- 
sis lui  fournit  d'ailleurs,  pense-t-il.  le  moyen  d'accor- 
der iciAristote  avec  Denys  etavec  la  doctrine  orthodoxe 
et  traditionnelle  de  la  transcendance  et  de  l'omnipré- 
sence substantielle  de  Dieu,  puisqu'on  y  lit,  prop.  i  : 
Causa  prima  régit  omnes  res.  pnvtcrquam  comniis- 
cealur  cum  eis. 

Quant  aux  difficultés  qui  naissaient  de  la  manière 
dont  Denys  parlait  de  la  bonté  et  de  l'être  divins,  saint 
Thomas  les  résout  d'une  part  à  l'aide  de  l'étiologie,  de 
l'autre  à  l'aide  de  l'épistémologie  d'Aristote.  Celte  solu- 
tion demande  à  être  exposée  dans  toute  sa  complexité; 
car  c'est  par  son  moyen  que  saint  Thomas  crut  avoir 
trouvé  un  principe  de  conciliation  entre  le  platonisme 
et  le  péripatétisme  :  il  s'agissait  de  ramener  la  doctrine 
platonicienne  de  la  participation  à  celle  de  l'acte  et  de 


193 


DIEU    (SA   NATURE    SELON    LES    SCOL ASTIQUES' 


1194 


la    puissance;   puis    cette    réduction   faite   de  rendre 
compte  de  notre  connaissance  de  l'absolu. 

a)  Le  platonisme  combiné  avec  l'étiologie  d'Aris- 
tote.  —  La  traduction  de  Denys  portait  :  boni  Dei  no- 
minatio,  totas  causes  omnium  processiones  manife- 
stans,et  ad  existentia  et  ad  non'existentia  extenditur ; 
ens  vero  ad  existentia  tanlum.  Voir  t.  il,  col.  831.  Saint 
Thomas  remarque  avec  raison  que  l'interprétation  don- 
née par  saint  Bonaventure,  d'après  laquelle  Denys  parle- 
rait des  communications  divines  ad  intra,  n'est  pas  con- 
forme au  contexte  ;  il  essaie  donc  une  autre  voie.  Denys, 
observe-t-il  avec  un  vieux  commentateur,  a  traité  des 
noms  divins  non  pas  au  sens  absolu,  mais  seulement 
au  point  de  vue  de  la  manifestation  des  perfections 
divines  par  les  créatures,  et  par  conséquent  au  point 
de  vue  de  la  causalité.  Sum.  tlieol.,  Ia,  q.  v,  a.  2,  ad  1"">. 
Mais  le  commentateur  allégué,  ne  comprenant  pas  ce 
que  les  «  non-existants  »  pouvaient  signifier  dans  la 
phrase,  avait  esquivé  le  problème  à  l'aide  d'une  éty- 
mologie  de  fantaisie  et  d'un  texte  scripturaire  :  bonum 
vient  de  boave,  boo,  boas,  quia  omnia  bonum  ad  se 
vocant,  et  sic  boant  naturalitcr  appetendo  bonum; 
d'autre  part,  il  est  écrit  de  Dieu,  Rom.,  IV,  17,  vocat  ea 
quœ.  sunt,  lanquam  ea  quœ  non  sunl;  Denys  a  donc 
eu  raison  de  dire  que  Dieu  est  le  bien  parce  que  sa 
causalité  s'étend  aux  non-existants  comme  aux  existants. 
Saint  Thomas  rejette  cette  solution.  In  IV  Sent.,  1.  I, 
dist.  VIII,  q.  i,  a.  3,  ad  2"">. 

La  théorie  de  la  cause  matérielle  d'Aristote  et  un  mot 
de  Platon  le  mettent  sur  la  voie  d'une  nouvelle  exégèse. 
11  connaît  le  Timéc  et  il  sait  que  Platon  y  appelle  la 
matière  non  ens;  sans  s'arrêter  à  l'interprétation  idéa- 
liste de  ce  passage,  il  le  prend  au  sens  objecliviste  ;  et 
comme  il  sait  par  Aristote  qu'il  y  avait  une  différence 
entre  la  théorie  de  la  matière  des  deux  philosophes,  il 
fait  consister  l'erreur  des  platoniciens  en  ce  qu'ils  ne 
distinguaient  pas  la  matière  et  la  TrÉpr,^;;  ou  privation. 
.Mais,  comme  il  est  convaincu  que  Denys,  malgré  sa 
phraséologie  néoplatonicienne,  suivait  Aristote  en  phy- 
sique, il  conclut  que  les  non-existants  signifient  dans  le 
texte  de  l'Aréopagite  la  matière  en  tant  qu'opposée  à  la 
forme.  Sum.  tlieol..  I»,  q.  V, a.  2,  ad  1'""  ;  Contra  gcutvs, 
I.  III,  c.  xx.  n.  4;  lu  librum  de  causis,  lect.  IV.  Cette 
façon  platonicienne  de  parler  ne  lui  parait  pas  étrange. 
Saint  Augustin  n'a-l-il  pas  dit  d'une  part  :  priusquani 
islam  informent  materiam  informares,  non  erat  ali- 
guid;  non  tamen  omnino  nihil,  Confessioxcs,  I.  MI, 
c.  m,  P.  L.,  t.  xxxn,  col.  827;  d'autre  part  :  si  ilici 
posset,  nihil  aliquid,  est  et  non  est,  hoc  eam  dicerem. 

Ibid.,  c.  vi,  col.  828.  C'est  la  pensée  mé d'Aristote; 

Car  d'après  celui-ci,  maleria  prima  aliquo  modo  est, 
quia e$t ens  i»  potentia;  d'où  la  possibilité  de  la  création 
de  la  matière.  Contra  génies,  1.  II,  c.  xvi,  n.  Il  ;  Sum. 

theol.,  I',  q.  mai.  a.  1,  ad  I sq.  Il  dit  cependant  par 

ailleurs  que  la  substance  complète,  le  composé  seul, 
.  ..  proprement  parler,  et  qu'il  est  parla  forme  : 
maleria  dicitur  quod  habet  esse  ex  eo  quoil  sibi  adve- 
uii,  quia  de  te  eue  inconiplelum,  imo  nullum  esse 
habet,  utdicitCommentatorinll  De  anima}  unde  sim- 
plicilerloquendoformadat  este  materim.Opu$c,  X  X  XI, 
De  i"  nu  if, ns  naturm,  Venise,  1385,  t.  xvii,  p.  3(i7.  On 
peu!  donc  dire  dans  te  système  péripatéticien,  .née 
\  ei  roi      le  grand  advi  la  distinction  i 

de  l'essence  •  t  de  l'existence,  que  la   matière  i 
non  i  tre,  au  sens  où  l'être  se  dit  de  la  substance  com- 
plète qui  est  le  terme  de  la  t,  dans  le 
rnémi'  système,  il  faut  dire  qu'elle  es)  nn  être,  sa  sens 
où  l'on  dit  que  l'élre  esl  l'actualité  des  chosi  s,  bot    de 

leurs  c.\ n sr~.  Sum.  theol.,  i  ■.  q.  \ .  a.  I.  Cette  I n  de 

concevoir  les  choses      rde  très  bien  avec  li    sens 

donné  à  Boèce  par  le  xir  siècle,  puisque  la  matii 
quoettei  non  pas  quod  est     materia  non  poteti 
ii, ,  quod  est,  t  um  non 


quod  est,  est  id  quod  subsistit  in  esse.  De  spirilualibus 
crealuris,  a.  1,  ad  8um.  C'est  donc  conformément  à 
Aristote,  à  saint  Augustin,  à  Boèce,  à  Averroès,  pense 
saint  Thomas,  que  Denys  a  parlé  de  la  matière  comme 
d'un  non-ètre,  lorsqu'il  a  dit  que  le  bien  est  la  cause  de 
l'être  et  du  non-ètre,  du  quod  est  et  du  quo  est;  et  que 
l'être  n'est  que  la  cause  de  l'être,  du  quod  est.  Donc, 
conclut  saint  Thomas,  étant  donné  que  Denys  dans  ces 
passages  se  place  exclusivement  au  point  de  vue  de  la 
manifestation  de  la  perfection  divine  par  ses  œuvres, 
il  a  raison  de  dire  qu'en  ce  sens  l'être  se  dit  de  Dieu 
au  sens  relatif,  que  le  bien  est  dans  le  même  sens  le 
premier  nom  de  Dieu,  et  d'en  donner  comme  raison 
que  le  bien  s'étend  a  l'être  et  au  non-ètre,  tandis  que 
l'être  n'a  d'influence  que  sur  l'être.  Sum.  theol.,  Ia,  q.  v, 
a.  2,  ad  l"ln  sq.  Voir  dans  le  sens  de  cette  exposition 
historique  de  la  pensée  de  saint  Thomas,  Lossada,  Cur- 
sus philosophions,  Physica,  tr.  I,  disp.  II,  c.  IV,  n.  30  sq., 
Barcelone,  1883,  t.  iv,  p.  1(59;  voir,  dans  le  sens  de 
l'interprétation  systématique  du  même  docteur  à  l'aide 
de  quantité  de  distinctions  et  d'entités, Petrusa  Bergomo, 
Tabula  aurea,  duh.  114,  461,  562,567,  etc. 

En  effet  —  nous  continuons  sans  discussion  notre 
rôle  de  rapporteur —  l'être,  en  tant  que  cause,  implique 
la  cause  exemplaire.  De  veritale,  q.  xxi,  a.  2,  ad  2'"". 
Mais  il  n'y  a  en  Dieu  au  sens  strict  d'autres  idées  que 
celles  des  formes  ou  du  composé.  Ibid.,  q.  ni,  a.  5; 
Sum.  theol.,  Ia,  q.  xii,  a.  1,  ad  2um;  q.  xv,  a.  3,  ad3um. 
Donc,  au  sens  où  parle  Denys,  il  est  vrai  de  dire,  ens 
se  extendit  ad  existentia  lantum.  D'un  autre  coté, 
puisque  la  matière  en  tant  qu'opposée  à  la  forme  n'est 
pas  pour  Denys  comme  pour  les  platoniciens  une 
pure  privation,  il  faut  conclure  que  la  matière  est  un 
bien  par  participation;  et  donc,  Denys  a  raison  d'écrire 
dans  sa  terminologie  :  bonum  se  extendit  ad  existen- 
tia et  non  existentia. 

On  sait  que   pour   M.  Bergson  «   le   non-ètre   plato- 
nicien, la    matière    aristotélicienne   »  sont    identiques. 
Cf.   Evolution   créatrice,  Paris,    1907,    p.    3V2.     C'est 
d'après  lui  «  un  zéro  métaphysique  qui,  accolé  à  l'Idée 
[c'est-à-dire  à  la  forme]  comme  le  zéro  mathématique 
à  l'unité,  la  multiplie  dans  l'espace  et  dans  le  temps.  » 
Nous  n'avons  pas  à   discuter  ici  la  pensée  historique 
de   Plolin   ou  d'Aristote;   nous    n'entreprendrons    pas 
davantage  de  légitimer  l'exégèse    de   saint  Thomas;  ce 
qui  seul  nous  intéresse,  c'est  sa  conception  de  l'aristo- 
télisme  et  l'usage  qu'il  en  a  fait  pour  l'interprétation 
des  néoplatoniciens;   et   il  sera  facile  de  voir  que  la 
pensée  de  saint  Thomas  est  sans  affinité  aucune  avec 
le  plotinisme  de  M.  Bergson.  Celui-ci  identifie  le  non- 
ètre   platonicien  et  la   matière   péripatéticienne.  Saint 
Thomas  oppose  au  contraire  les  deux  systèmes;   pour 
lui,  les  platoniciens  errent  parce  qu'ils  ont  fait  consis- 
ter la  matière  en  une  pure  privation;  Aristote  au  con- 
traire,  tout  en   retenant   la   privation  comme    un    îles 
principes  du  composé,  ne  fait  pas  consister  la  matière 
dans  une  pure  privation;  elle  esl  d'après   le  Stagyrite 
un   être  en   puissance.  Elle  est  un  être,  puisqu'elle  a 
une  cause  efficiente,  unicuique  competit  habere  eau- 
sam  agentem  secundum  quod  habet  esse,  Sum.  thi 
I«,  q.  xi. iv,  a.  I,  ad  3"m  ;  et  il  faut  ici  se  souvenir  que, 
d'après  saint  Thomas,  Aristote   a  admis  la  Création  l 
nihilo,  bien   plu-  la  création  de   la  matière  en   tant 
qu'opposée  à  la  forme,  oportet  quodetiam  illud  quod 
te  habet  ex  parte  potentia,  sii  creatum.   Ibid.,  a.  2, 
.ni  ::        Elle  esl  un  cire  en  puissance,  puisque,  bien 
qu'elle  ■-oit  un  êtn   sa  lens  où  ce  mot  s'emploie  pour 
désigner  l'actualité  des  choses,  elle  ne  l'est  pas  an  sen^ 
on  l'être  se  dll  soil  des  formel  oil  'le  la  sub- 

stance complète,  mais  est  ordonnée  è  le  devenit  , 
mn  (t.-  la  foi  m'  .  '  •   'i11'   i  ""  i"11'  exprlmi  i 
iiis.mi  quelle  est  un  être  réel,  auquel  i  si  joinl  cet  être 
n  qu'est  la  privation.  De  veritale,  q.  xxt,  a.  2, 


H  or 


DIEU   (SA   NATURE   SELON   LES   SCOLASTIQUES 


119G 


ad  7,1,n.  Or,  si  elle  est  un  être  en  puissance,  elle  esten 
soi  un  bien;  et  Algazel  s'est  trompé  en  mettant  cette 
conclusion  en  doute,  lbid.,  ad  3llni  ;  Sum.  llieol.,  [*, 
q.  v,  a.  3,  ad  3UI".  Elle  est  un  bien.  D'abord,  en  vertu 
du  principe  de  la  convertibilité  de  l'être  et  du  bien,  in 
tanturn  est  aliquid  bonum  in  quantum  est  ens  :  esse 
enim  est  aclualilas  omnis  rei,  Sum.  theol.,  Ia,  q.  v, 
a.  1;  ensuite,  parce  qu'elle  est  un  être  en  puissance, 
omne  subjectum  in  quantum  est  in  polentia  respectu 
cujusque  perfeclionis,  eliam  maleria  prima,  ex  hoc 
ipso  quod  est  in  polentia,  liabet  boni  rationem.  De 
plus,  elle  est  en  soi  un  bien,  c'est-à-dire  par  dénomi- 
nation intrinsèque.  En  effet,  bien  que  la  matière  soit 
comme  tout  le  reste  un  être  par  participation,  c'est  par 
sa  nature  même  qu'elle  est  un  être  en  puissance;  c'est 
donc  par  dénomination  intrinsèque  qu'elle  est  un 
bien  :  maleria  prima  potentiam  liabet  per  se  ipsam  ; 
et  cum  polentia  perlineat  ad  rationem  boni,  sequilur 
quod  bonum  conveniat  ei  per  seipsam.  De  nialo,  q.i, 
a.  2.  La  même  conclusion  suit  du  fait  que  la  matière 
«  est  »,  au  sens  où  l'être  signifie  l'actualité  des  eboses; 
unumquodque  secundum  suam  essentiam  liabet  esse; 
in  quantum  aulem  liabet  esse,  liabet  aliquod  bo- 
num; or  rien  n'est  plus  intrinsèque  que  l'essence, 
la  matière  est  donc  intrinsèquement  un  bien.  Contra 
gentes,  1.  III,  c.  vu,  n.  2.  Et  ces  principes  paraissent 
tellement  certains  à  saint  Thomas  qu'il  en  fait  la  base 
de  sa  réfutation  du  manichéisme  :  quod  nialum  non 
est  aliqua  natura.  Telle  est  la  notion  de  la  matière  que 
saint  Thomas  pense  trouver  chez  Aristote  et  qu'il  fait 
sienne  après  avoir  constaté  qu'elle  est  non  seulement 
conciliable  avec  le  dogme  chrétien,  mais  encore  incom- 
patible avec  les  erreurs  fondamentales  de  son  temps.  Or, 
saint  Thomas  se  flatte  de  retrouver  cette  notion  chez 
Denys.  Celui-ci  appelle,  il  est  vrai,  la  matière  un  non- 
être;  mais  non  pas  au  sens  d'une  pure  privation;  pour 
lui,  elle  n'est  un  non-être  qu'en  raison  de  la  privation 
qui  lui  est  adjointe.  Sum.'  llieol.,  Ia,  q.  v,  a.  3,  ad  3uro. 
Ne  dit-il  pas,  en  effet,  expressément  :  ipsum  non  ens 
desiderat  bonum1?  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  VIII,  q.  i, 
a.  3,  ad  2um.  D'où  il  faut  nécessairement  conclure  que 
d'après  Denys  la  matière,  en  tant  qu'opposée  à  la  forme, 
est  un  bien,  participé  il  est  vrai,  mais  intrinsèque,  en 
vertu  du  principe  :  nihil  appétit  nisi  simile  sibi. 
Sum.  theol.,  Ia,  q.  v,  a.  2,  ad  lum.  De  la  sorte,  puisque 
le  non-être  de  Denys  n'est  autre  que  l'être  en  puis- 
sance d'Aristote  et  est  comme  lui  un  bien  par  dénomi- 
nation intrinsèque,  l'Aréopagite  a  eu  raison  d'écrire 
que  la  bonté  divine  prise  au  sens  causal  s'étend  au 
non-être  comme  à  l'être.  Cf.  Suarez,  Disp.  metaph., 
disp.  X,  sect.  m,  n.  24. 

Enfin,  du  même  point  de  vue  de  la  manifestation 
causale  de  la  perfection  divine  où  il  s'est  placé,  Denys 
dit  avec  raison  que  le  bien  précède  l'être.  Saint  Tho- 
mas joint  ici  à  la  considération  de  la  cause  matérielle 
d'Aristote  celle  de  la  téléologie  péripatéticienne;  et, 
comme  l'a  fort  bien  dit  "Weertz,  Die  Golteslehre  des 
Pseudo-Dionysius  Areopagita  und  ihre  Einwirkung 
auf  Thomas  von  Aqttin,  Cologne,  1908,  p.  15,  nous 
sommes  ici  en  face  d'une  des  pensées  les  plus  ingé- 
nieuses du  docteur  angélique. 

On  sait  la  grande  place  que  tient  dans  l'œuvre  de 
Denys  la  doctrine  platonicienne  de  la  circulation  :  issus 
de  Dieu,  tous  les  êtres  retournent  à  lui,  tous,  y  compris 
le  non-être,  désirent  Dieu.  Cf.  Rousselot,  Pour  l'histoire 
du  problème  de  l'amour  au  moyen  âge,  Munster,  1908 
p.  33.  Alexandre  de  Halès  avait  remarqué  que,  dans  les 
contextes  de  Denys,  l'idée  du  bien  dont  toute  l'appéli- 
tion  est  liée  à  celle  de  but,  de  fin  ;  et  il  avait  noté  d'un 
mot  :  rursus  bonum  dicil  conditionem  finis,  quia,  ut 
ail  Boelius,  omnia  bonum  exoptant.  Summa,  Venise, 
1576,  part.  I,  q.  xlix,  m.  17,  a.  2.  Saint  Thomas  s'em- 
para de  cette  remarque  et  la  mit  en  valeur.   D'après 


Aristote.  le  bien  est  le  désirable  :  ratio  boni  in  hoc 
consista  quod  aliquid  sit  oppelibile,  Sum.  theol., I*, 
q.  v,  a.  1,  et  il  est  aussi  le  but  ou  la  fin.  lbid.,  a.  4. 
Cf.  Suarez,  Disp.  metaph.,  disp.  XXIII,  sect.  v,  n.  2. 
Or  on  peut  déduire  de  Denys  que  c'est  le  propre  du 
bien  de  se  répandre  :  bonum  est  diffusivum  sui;  mais, 
puisque  la  création  est  libre,  cette  formule  ne  peut 
pas  s'entendre  au  sens  de  la  causalité  efficiente;  elle 
n'estdonc  vraie  que  de  la  causalité  finale.  De  verilate, 
q.  -xxi,  a.  1,  ad  4um;  Sum.  theol.,  I\  q.  v,  a.  4,  ad  2""1  ; 
In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  XXXIV,  q.  il,  ad  4um.  En  ce 
sens,  le  bien  est  cause  :  bonum  est  perfectivum  et  ton- 
servativum.  De  verilate,  q.  xxi,  a.  1;  Sum.  theol.,  la, 
q.  xvi,  a.  1.  On  peut  donc  concilier  Aristote  et  Dcii>^ 
qui  se  complètent.  En  effet,  le  bien  est  le  but  auquel  on 
tend;  or  chaque  chose  tend  à  sa  perfection;  mais  la 
perfection  est  ce  que  la  cause  efficiente  a  en  vue;  donc 
tendre  à  sa  perfection,  c'est  aller  au  but  de  la  cause 
première;  d'où  Dieu  est  le  but  de  chaque  chose,  et  par 
conséquent  le  désirable  d'Aristote  :  omnia,  appetendo 
proprias  perfecliones,  appelunl  ipsum  Deum,inqvan- 
tum  perfecliones  omnium  rerum  sunt  quœdam  sinitr 
liludines  divini  esse.  C'est  ce  qu'on  signifie  quand  on 
dit  que  Dieu  est  le  bien,  au  sens  relatif.  Sut»,  theol., 
I",  q.  vi,  a.  1,  ad  2um.  La  raison  en  est  fournie  par 
Denys,  à  savoir  la  causalité  divine.  Parce  que  Dieu 
opère  par  manière  de  cause  finale,  les  choses  tendent 
à  lui.  Cf.  Suarez,  Disp.  melaphys.,  disp.  XXIII, 
sect.  iv,  n.  4,  8.  D'où  il  faut  conclure  que,  toujours  au 
sens  relatif,  Dieu  est  le  souverain  bien.  Car,  puisque  la 
causalité  de  la  fin  ou  de  la  diffusion  divine  qui  ne  se 
produit  pas  mediante  aliqua  virtute  superaddila, 
s'étend  atout,  Contra  gentes,  1.  I,  c.  lxxv,  5;  lie  veri- 
late, q.  xxi,  a.  1,  ad  4um,  en  ce  sens  il  est  le  bien  de 
tout  :  sic  enim  bonum  Deo  allribuilur  in  quantum 
omnes  perfecliones  desiderata;  efpuunt  ab  eo  sicut  a 
causa.  Sum.  theol.,  Ia,  q.  vi,  a.  2.  Voir  col.  914.  Den\s 
a  donc  eu  raison  de  penser  que  Dieu,  considéré  comme 
le  bien,  précède  l'être,  puisque  la  cause  finale  est  la 
première  des  causes.  Sum.  theol.,  Ia,  q.  v,  a.  2,  ad  lum. 
Il  suffit  d'un  instant  de  réflexion  pour  voir  que  toute 
cette  exégèse  de  saint  Thomas  implique  dans  sa  pensée 
une  conception  du  monde  dont  la  base  est  composée 
des  deux  principes  suivants  :  les  choses  et  leurs  parties 
constitutives  sont  ce  qu'elles  sont  par  elles-mêmes  et 
non  per  tertium  quid;les  êtres  naturels  tendent  à  leur 
fin  par  un  principe  qui  leur  est  intrinsèque  et  non  pas 
seulement  en  vertu  d'une  impression  accidentelle  reçue 
du  dehors,  ce  qui  nous  permet  de  connaître  la  nature 
des  êtres  par  leurs  opérations. 

Le  lecteur  qui  nous  a  suivi  prévoit  les  répercussions 
de  cette  exégèse  et  de  cette  conception  du  monde  sur 
la  théodicée  de  saint  Thomas.  On  a  vu  que.  malgré  des 
tâtonnements,  le  xne  siècle  avait,  avec  Alain  de  Lille, 
résolu  correctement,  je  veux  dire  dans  le  sens  du  réa- 
lisme modéré,  le  problème  de  l'unité  :  l'unité  des 
choses,  bien  que  dérivée  de  la  première  monade,  leur 
est  intrinsèque.  En  soi,  les  choses  sont  unes;  ce  qu'on 
appelle  leur  composition  réelle,  ou  vient  de  leur  contin- 
gence, ou  se  confond  avec  elle  ;  et  par  conséquent  l'unité 
de  simplicité  n'est  en  Dieu  autre  chose  que  l'aséité  ou 
en  découle  immédiatement.  Au  contraire,  le  XII*  siècle 
avait  en  ce  qui  touche  le  problème  de  l'être  et  de  la  bonté 
des  créatures  penché  vers  une  solution  nominaliste. 
Dieu  est  l'être  par  essence;  tout  le  reste  n'a  l'être  et  la 
bonté  que  par  participation,  en  ce  sens  que  l'être  et  la 
bonté  ne  se  disent  des  choses  que  par  dénomination 
extrinsèque  avec  connotation  de  la  causalité  divine.  De 
cette  conception,  que  Gilbert  qualifiait  de  théologique. 
suivaient  spontanément  l'explication  des  attributs  divins 
par  la  connotation  des  œuvres  divines,  et  la  réduction 
à  la  seule  contingence  de  la  distinction  du  fini  et  de 
l'infini.  Deus  amat  ut  cltaritas,  dit  saint  Bernard,  notnt 


1197 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES    SCOLASTIQUES] 


1198 


ut  veritas,  sedct  ut  sequitas,  dominalur  ut  majeslas, 
régit  ut  principium,  tuetur  ut  salus,  operalur  ut 
virlus,  révélât  ut  lux,  assislit  ut  pietas.  Quse  omnia 
faciunt  et  angeli,  facimus  et  nos  :  sed  longe  inferiori 
modo,  non  utique  bono  quod  sumus,  sed  quod  parlï- 
cipamus.  De  consideraticne,  1.  V,  c.  v,  P.  L.,  t.  CLXXXH, 
col.  795. 

Saint  Thomas  se  garda  bien  de  mettre  en  question  ce 
qu'avait  de  profondément  vrai  cette  conception  tradi- 
tionnelle de  l'unité,  de  l'être  et  de  la  bonté  par  parti- 
cipation, et  corrélativement  de  l'un,  de  l'être  et  du  bien 
par  essence.  Quant  à  l'unité,  il  adopta  simplement  la 
doctrine  de  ses  devanciers,  qui  lui  parut  se  concilier 
avec  un  passage  fameux  d'Averrocs;  mais  il  eut  soin 
de  noter  que  l'unité  qui  est  un  concept  négatif,  ne  dé- 
pend pas  de  la  réalisation  des  essences,  et  ne  se  dis- 
tingue pas  de  l'essence,  de  la  même  façon  que  l'exis- 
tence et  la  bonté,  qui  sont  choses  positives.  Sum.  Ihcol., 
Ia,  q.  vi.  a.  3.  Essenlia  rei  est  una  per  seipsam,  non 
propler  esse  suuni.  De  verilate,  q.  xxi,  a.  5,  ad  7um  sq. 
Cf.  Suare/.,  Disp.  metapliys.,  disp.  IV,  sect.  m,  n.  4sq. 
Mais  nous  aurons  à  revenir  sur  ce  sujet.  En  ce  qui  con- 
cerne l'être  et  la  bonté,  il  se  sépara  au  contraire  en  partie 
de  la  théorie  du  xne  siècle.  Il  en  retint  cet  élément  qu'il 
déclare  communément  admis  de  son  temps  :  on  ne  peut 
pas  concevoir  philosophiquement  d'une  façon  adéquate 
l'être  et  la  bonté  du  fini,  si  l'on  ne  fait  intervenir  la  no- 
tion d  une  relation  de  dépendance  causale  du  fini  par 
rapport  à  l'infini,  Hum.  theol.,  I»,  q.  xi.iv,  a.  1,  ad  lum, 
relation  qui  pour  l'être  est  celle  de  l'effet  à  sa  cause 
efficiente,  et  pour  la  bonté  celle  de  l'effet  à  sa  cause 
finale  d'après  Boèce  et  Denys,  à  sa  cause  exemplaire 
d'après  saint  Augustin.  Cf.  De  verilate,  q.  XXI,  passim, 
et  surtout,  a.  1,  ad  lum;  a.  4,  et  ad  4um;  Sum.  theol., 
Ia,  q.  vi,  a.  3.  Il  est  vrai  que  l'être  peut  être  conçu  d'une 
façon  absolue,  et  cela  vient,  d'après  saint  Thomas,  de 
ce  que  psychologiquement  l'idée  d'être  est  la  première 
de  nos  idées.  Sum.  theol.,  D,  q.  v,  a.  2,  contra;  De 
verilate,  q.  i,  a.  1;  q.  xxi,  a.  2,  ad  5um ;  a.  4,  ad  V11". 
C'est,  pense  saint  Thomas,  ce  qu'énonce  la  fameuse  pro- 
position du  livre  De  causis  :  prima  rerum  crealarum 
est  esse,  formule  qui  met  en  relief  la  priorité  de  raison 
de  l'être  sur  le  bien,  de  l'absolu  sur  le  relatif.  Mais  on 
ne  conçoit  bien  l'être  fini  comme  distinct  de  l'infini  que 
si  l'on  pense  à  la  contingence  de  l'un  et  à  la  pleine  suf- 
fisance de  l'autre,  lbid.,  ad  7'""  sq.  A  plus  forte  raison, 
en  est-il  ainsi  de  la  discrimination  du  bien  fini.  Gilbert 
de  la  Porrée  a  parfaitement  raison  de  dire  qu'au  point 
de  vue  du  théologien,  qui  est  celui  du  fidèle,  Contra 
génies,  1.  II,  c.  iv,  les  créatures  ne  sont  bonnes  que  par 
participation.  Car  si  l'on  fait  abstraction  du  rapport  de 
leur  essence  à  Dieu  leur  fin,  elles  ne  valent  rien,  de 
même  que  si  l'on  fail  abstraction  de  leur  dépendance 
de  la  cause  première,  elles  n'existent  pas.  Si.  en  effet, 
leur  unité  esl  indépendante  de  li  ur  existence  actuelle 
el  par  conséquent  de  toute  participation  par  voie  de 
causalité  efficiente  ou  finale,  il  n'en  esl  pas  ainsi  de  leur 
t  de  leur  bout''.  Mais  (iilbert  et  ceux  qui  l'ont  suivi 
se  sont  trompés  lorsqu'ils  onl  inféré  de  cette  concep- 
tion théologique  que  I  être  el  la  bonté  ni  se  disent  du 
fini  que  par  dénomination  extrinsèque  avec  connotation 

n  l'a  vu,  tel  n'est  pas  li 
de  Denj  i,  pai  lanl  du  non  être;  tel  n'i  il  pai  non  plus 
le  sem  di  Boèci  dans  le  De  hebdomadibus,  sur  la 
bonté'  :  s'il  dit  que  |e~  créatun  ne  tonl  bon  m  -  que 
par  pai  lil  ipO  ion,  son  intention  n'e^l  p.is  ,|,.  nj,  ,-  |eur 
bonté  intrinsèque,  inharcns,  mais  de  mettre  en  relief 

que  le  rapporl  à  Die me  cause  finale  est  in 

rable  de  li  née.  D'ailleurs,  Aristote  a  réfulé  le 

réalisme  des  platoniciens  el  établi  qui  \um, 

m  et  t,,, mu, <  sonl  des  attributs   intrinsèques  des 

ehosi  date,  q,  xxi,  a.  i. 

Sur  ces  basi  -  'l  un  n  ilisme  modéré,  qui  n'esl  autre 


que  celui  de  son  temps,  saint  Thomas  concilie  saint  Au- 
gustin, Boèce  et  le  péripatéticien  qui  a  fait  le  De  causis. 
Ibid.,  a.  5.  Ces  trois  auteurs  dans  leur  doctrine  de  la 
participation,  conviennent  que  Dieu  seul  est  le  bien  par 
essence,  quoiqu'ils  s'appuient  sur  des  fondements  en 
apparence  divergents.  Mais  ce  passage  est  de  ceux  qui 
ne  peuvent  pas  se  résumer;  il  faut  les  étudier  en  leur 
entier.  Notons  seulement  ce  point  :  si,  dit  saint  Tho- 
mas, on  fait  l'hypothèse  que  le  fini  est  lion  indépen- 
damment de  son  existence  actuelle,  ou  que  l'existence 
actuelle  est  du  concept  d'une  créature,  cette  créature 
resterait  encore  bonne  et  existante  seulement  par  par- 
ticipation, parce  que  d'une  part  elle  ne  serait  pas  sa 
bonté,  mais  l'aurait,  parce  que  d'autre  part  elle  n'au- 
rait son  existence  que  par  dépendance  :  nonnisi  prss- 
supposilo  ordine  ad  creatorem.  Cf.  In  I  V  Sent.,  1.  III, 
dist.  XI,  q.  i,  a.   1,  ad  7"'". 

C'est  sur  le  terrain  de  ce  réalisme  très  modéré  qui 
fut  plus  tard  celui  de  Suarez,  que  saint  Thomas  fait 
définitivement  la  conciliation  du  platonisme  et  du 
péripatétisme.  Il  faut  citer.  De  facili  accipere  pos- 
sumus  in  quo  convenianl  et  in  quo  différant  posi- 
tiones  Aristolclis  et  Plalonis  circa  immateriales  sub- 
stanlias.  Primo  quidem  conveniunt  in  modo  e.ris- 
tendi  islarum.  Posuit  enim  Plato  inferiores  omnes 
substa)ilias  immateriales  esse  unum  et  bonum  per 
partiel palionem  primi,  quod  est  secundum  se  unum 
et  bonum.  Omne  autem  participons  aliquid,  accipit 
id  quod  participai  ab  eo  a  quo  participât  ;  et  quantum 
ad  hoc  id  a  quo  participai  est  causa  ipsius,  sicut  aer 
habet  lumen  participation  a  sole,  qui  est  causa  illu- 
minationis  ipsius.  Cf.  De  poleniia,  q.  m,  a.  3,  ad  6unl; 
In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  I,  q.  I,  a.  1,  ad  (>""•;  De  verilate, 
q.  xxi,  a.  4,  ad  2um.  Sic  igilur  secundum  Plalonem 
summus  Deus  causa  est  omnibus  immalerialibvs  sub- 
slanliis,quod  unaquœque  earum  el  unum  sit  et  bonum 
sit.  Et  hoc  etiam  Aristoteles  posuit,  quia,  ut  dicit,  ne- 
cesse  est  ut  id  quod  est  maximum  ens  et  maxime  ve- 
runi,  sit  causa  essendi  et  verilalis  omnibus  aliis.  Voir 
col.  91(5.  Secundo  autem  conveniunt  quantum  adeon- 
dilioncm  natures  ipsarum, quia  uterque posuit  omnes 
hujusmodi  substantias  penilus  esse  a  maleria  innuu- 
nes,non  autem  cas  esse  immunes  a  compositions  po~ 
tcntiœelaclus:  nam  omne  participons  ens  oportel  esse 
compositum  poleniia  et  aclu.  Id  enim  quod  recipilur 
ut  participation,  opnrtet  esse  actum  ipsius  subslaiil  ai- 
participant  is  ;  et  sic  cum  omnes  subslantiœpruler  su- 
premam,  qum  est  per  se  unum  cl  per  se  bonum,  sinl 
participantes  secundum  Plalonem ,  ncccssc  esl  quod 
omnes  siut  eomposiisc  ex  potentia  et  actu.  Cf.  Sum, 
theol.,  I»,  q.  m,  a.  7;  De  potentia,  q.  ni,  a.  5.  Quod 
etiam  necesse  esl  dicere  secundum  sententiam  Aris- 
tolclis. Ponil  enim  quod  ratio  veri  et  boni  attrihui- 
tur  aclui;  unde  illud  quod  esl  primum  verum  et 
primunx  bonum,  oportel  esse  actum  purum.  Quœ- 
cumque  vero  ab  Ion-  deficiunt,  oportet  aliq\ 
permistionem  poientiœ  habere.  Opusc,  XV,  lu*  sub- 
stantiis  separatit,  c.  m.  Ce  rapprochement  n'est  inlel- 
ligible  et  conciliable  avec  ce  qui  précède  qu'autant  que 
l'on  admet  que  la  différence  essentielle  du  fini  et  de 
l'infini  est  la  contingence  de  l'un,  l'aséitd  de  l'autre, 
en  d'antres  t-  rmes  que  non  seulement  i  i       mais 

la  possibilité  même  du  Uni,  supposent  i  infini;  d'où  il 
suit  que  tout  être  Uni  est  com]  tod  esl  et  de 

quo    e$t,   COD parle    Boèce,    par    le   fait   même  qu'il 

dépend  d'une  cause,  l  s  auod  tst  el  le  quo  est  peinent 
ne  différer  que  suivant  notre  manière  de  concevoir, 
comme  il  arrive  dans  l'anj  i  quidditas  erii 

quod  i-si  fuum  ess$,  et  quo  est.  Et  quia  omne  quod 
habet  aliquid  non  a  te,  est  possibile  respectu  itlius 
hujusmodi  quiddilatis  ;  cum  [angeli  habeantesse  ab 
aHOftruni  possibilet  respectu  illi\  respectu 

i  jio,  habent,  in  quo  nulla  eadem  potentia    et  >'>' 


4199 


DIEU    (SA    NATURE   SELON    LES   SCOLASTIQUES; 


1200 


in  lait  quidditate  invenitur  potentia  et  actus,  du  <jko 
est  et  quod  est.  Opusc,  LIV,  De  quo  est  et  quod  est. 
Tel  est,  historiquement,  le  procodé  par  où,  dans  la 
doctrine  de  saint  Thomas,  on  fusionne  la  doctrine  pa- 
tristique  de  l'être  par  essence  et  de  l'être  par  partici- 
pation avec  la  théorie  péripatéticienne  de  l'acte  et  de 
la  puissance.  D'après  l'École  que  depuis  le  XVe  siècle 
on  est  convenu  d'appeler  thomiste,  ce  qui  a  fait  perdre 
à  saint  Thomas  le  heau  titre  de  doclor  communis  qu'il 
portait  au  XIVe  siècle,  la  soudure  se  fait  à  l'aide  de  l'in- 
troduction d'une  distinction  réelle  entre  l'essence  et 
l'existence  du  fini,  ce  qui  établit  entre  le  quod  est  et  le 
quo  est  la  même  relation  qu'entre  la  forme  et  la  ma- 
tière, conçue  d'ailleurs  comme  en  soi  non-existante. 
Mais,  d'après  saint  Thomas,  le  point  de  soudure  n'est 
autre  que  ce  que  l'on  a  appelé  depuis  la  puissance  ob- 
jective du  lini.  Suni.  theol.,  Ia,  q.  xlvi,  a.  1,  ad  lllm; 
De  potentia,  q.  v,  a.  3.  De  ce  mode  de  conciliation,  dont 
saint  Thomas  paraitavoir  dû  l'idée  à  Averroès,  il  résulte 
immédiatement,  comme  l'a  fort  bien  mis  en  lumière 
Suarez,  Disp.  metaphys.,  disp.  XXVIII,  sect.  i,que  les 
premières  divisions  de  l'être  :  infinitum  et  finitum ,  ens 
a  se  et  ab  alio,  ens  necessarium  et  ens  contingens,  ens 
per  essenliam  et  ens  per  parlicipalionem ,  ensincrea- 
tum  et  ens  creatum,  purum  aclum  et  ens  potenliale, 
sont  équivalentes.  Cette  équivalence  établie,  il  est  évi- 
dent que,  malgré  ses  formules  péripatéticiennes,  la 
scolastique  postérieure  à  saint  Thomas  ne  diffère  pas 
pour  le  fond  des  choses  de  la  théodicée  des  siècles  pré- 
cédents et  s'y  ramène  facilement.  Ce  point  acquis,  il 
ne  reste  plus  qu'à  exposer  comment  saint  Thomas  par- 
vint à  expliquer  la  connaissance  de  l'infini,  tout  en 
restant  fidèle  à  la  théorie  péripatéticienne  de  la 
connaissance. 

b)  L'épistémologie  d'Aristote  combinée  avec  le  pla- 
tonisme pour  rendre  compte  de  la  notion  d'infini.  — 
Vu  le  rôle  accordé  à  l'étiologie  d'Aristote  par  saint  i 
Thomas,  on  pourrait  croire  que  d'après  lui  nous  ne  j 
concevons  pas  Dieu  au  sens  absolu,  mais  seulement  au  i 
sens  relatif.  Rien  n'est  plus  éloigné  de  la  pensée  de 
saint  Thomas.  Il  dit  en  effet  expressément  :hoc  nomen  \ 
bonum  est  principale  nomem  Bei,  in  quantum  est 
causa,  c'est  ainsi,  nous  l'avons  vu,  que  l'entend  Denys, 
mais  il  ajoute,  non  tamen  simpliciter ;  nam  esse  abso- 
lute  prœintelligitur  causse.  Sum.  theol.,  Ia,  q.  xm, 
a.  11,  ad  2um;  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  XXII,  q.  i,  a.  2, 
ad  2UI".  Voir  Denys  le  Chartreux,  In  IV  Sent.,  1.  I, 
dist.  VIII,  q.  il,  vers  la  fin.  Cf.  Lossada,  Cursus  philo- 
sophicus,  Physica,  tr.  II,  disp.  III,  Barcelone,  1883, 
t.  v,  p.  224.  Quand,  en  effet,  nous  disons  que  Dieu  est 
le  souverain  bien,  cela  peut  avoir  un  sens  relatif;  il  est, 
en  effet,  ce  qui  satisferait  tout  notre  désir  du  bonheur, 
ou  comme  parle  M.  Tyrrell,  «  nos  besoins  spirituels, 
moraux  et  mystiques  »,  Through  Scylla  and  Cltaryb- 
dis,  Londres,  1907,  p.  274,  in  quantum,  dit  saint 
Thomas,  omnes  perfectiones  desideratas  prof  lu  tint  ab 
eo.  Sum.  theol,  Ia,  q.  VI,  a.  2.  Mais  le  sens  relatif 
suppose  et  implique  l'absolu,  parce  que  pour  être 
cause  il  faut  d'abord  être.  De  plus,  Dieu  ne  saurait 
être  de  fait  la  cause  finale  de  toute  chose,  sans  en  être 
la  cause  finale  de  droit.  Ibid.;  In  IV  Sent.,  1.  I, 
dist.  XVIII,  q.  i,  a.  5;  Sum.  theol.,  Ia,  q.  xliv,  a.  4. 
Or,  être  de  droit  la  cause  finale  de  tout  et  en  même 
temps  être  la  cause  efficiente  en  fait  et  en  droit  de 
tout  entraîne  en  Dieu  la  pleine  suffisance  de  l'être,  et 
explique  comment,  malgré  la  transcendance  divine, 
nous  arrivons  par  le  moyen  des  créatures  à  la  con- 
naissance de  la  divine  perfection.  Sum.  theol.,  Ia, 
q.  iv,  a.  3.  Voir  col.  915,  939-941.  Mais  cette  perfection 
est-elle  l'infini  positif,  la  plénitude  de  l'être,  et  com- 
ment par  la  voie  de  causalité  concevons-nous  l'infini 
dans  les  principes  de  l'épistémologie  péripatéticienne'.' 

Ce  fut  Denys  qui  fournit  à  saint  Thomas  la  solution. 


Voici  comment.  D'abord,  saint  Thomas  ramène  à 
l'unité  les  preuves  traditionnelles  de  l'existence  de  Dieu 
rapportées  par  l'ierre  Lombard,  et  les  trois  voies 
d'affirmation  ou  de  causalité,  de  négation  et  d'éminence 
dont  parle  Denys  au  c.  vu,  De  divinis  nominibus.  Les 
quatre  preuves  de  Pierre  Lombard,  1.  I,  dist.  III,  sont 
identiques,  dit  saint  Thomas,  aux  trois  voies  de  Denys. 
In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  III.  divisio  primas  partis 
textus ;  Sum.  theol.,  Ia,  q.  XII,  a.  12;  De  anima,  a.  16. 
Et  ratio  hujus  est  quia  esse  creatune  est  ab  altero, 
unde  secundum  lioc  ducimur  ad  causant,  a  qua  est. 
En  d'autres  termes,  les  preuves  de  l'existence  de  Dieu 
se  ramènent  toutes  à  l'argument  de  causalité.  Voir 
col.  943.  Ce  principe  supposé,  l'accord  de  Denys  avec 
la  tradition  résumée  par  Pierre  Lombard  et  avec 
Arislote  est  facile  à  découvrir.  En  effet,  la  voie  d'affir- 
mation telle  que  l'entend  Denys  est  identique  à  la  pre- 
mière preuve  par  la  causalité  du  Lombard.  Mais  les 
choses  nous  manifestent  qu'elles  ont  une  cause  surtout 
par  leur  imperfection  et  par  leur  mutabilité,  c'est-à- 
dire  par  leur  contingence  et  par  leur  limitation,  car 
la  mutabilité  est  une  conséquence  de  la  limitation  ou 
de  l'imperfection,  vu  que  l'être  absolument  parfait 
ne  saurait  rien  acquérir  ni  désirer.  Voir  col.  944  sq. 
Or,  nier  de  Dieu  la  contingence,  cest-a-dire  l'insuffi- 
sance à  l'existence  ou  à  l'action,  et  par  suite  l'imper- 
fection, c'est  la  voie  dénégation  de  Denys;  et  la  seconde 
preuve  du  Lombard  implique  ce  procédé.  Enfin,  nier 
de  l'être  divin  toute  limitation,  c'est  la  voie  d'éminence 
de  Denys;  et  les  deux  derniers  arguments  du  Lombard 
ne  sont  que  l'application  du  procédé.  On  voit  que 
l'étiologie  d'Aristote  sert  à  ramener  Denys  à  la  doctrine 
commune  de  la  connaissance  de  Dieu  exclusivement  a 
posteriori. 

En  second  lieu,  saint  Thomas  a  recours  à  Aristote 
pour  résoudre  certaines  formules  patristiques  qui 
l'embarrassent.  Ecrites  pour  nier  la  connaissance  com- 
préhensive  ou  directe  de  Dieu  que  certains  hérétiques 
s'étaient  attribuée,  ces  formules  paraissaient  favoriser 
l'agnosticisme  et  mettre  en  question  la  porlée  ontolo- 
gique de  notre  connaissance  de  la  nature  intrinsèque 
de  Dieu.  Saint  Jean  Damascène  avait  écrit  que  la 
substance  de  Dieu  nous  est  inconnue.  De  potentia, 
q.  vu,  a.  2,  ad  lum;  De  veritate,  q.  Il,  a.  2,  ad  9"m. 
Denys  avait  dit  que  la  parfaite  connaissance  de  Dieu 
est  de  savoir  qu'on  l'ignore.  De  potentia,  q.  vu,  a.  5, 
ad  14um.  C'est,  interprète  saint  Thomas  se  souvenant 
d'une  thèse  de  la  logique  d'Aristote  enseignant  que  la 
vérité  formelle  n'est  que  dans  le  jugement,  c'est  que 
nous  n'atteignons  pas  l'être  divin,  sans  le  secours 
d'une  proposition,  et  par  conséquent  d'une  façon  mé- 
diate. Sum.  theol.,  îa,  q.  m,  a.  4,  ad  2ura;  Contra 
génies,  1.  I,  c.  xn  :  voir  sur  ces  deux  passages  les 
commentaires  de  Cajetan  et  de  Eerrariensis,  contre 
Duns  Scot.  D'où  il  suit  que  saint  Jean  Damascène  a 
fort  bien  dit  que  nous  n'atteignons  pas  la  substance 
divine  en  elle-même.  Entré  dans  cette  voie,  saint  Tho- 
mas trouve  dans  la  nature  même  de  l'acte  psycholo- 
gique par  lequel  nous  nous  formons  l'idée  de  Dieu,  la 
raison  de  l'imperfection  de  cette  connaissance.  Nous 
devons  distinguer  dans  notre  connaissance  de  Dieu  la 
chose  signifiée  et  notre  mode  de  la  signifier.  Nous  ne 
devons  pas  transporter  en  Dieu  le  modus  significandi, 
d'abord,  parce  que  la  similitude  de  Dieu  que  nous 
fournissent  les  choses  finies  est  déficiente,  voir  col.  900; 
Tolet,  In  ;<"»,  q.  xm,  a.  1,  Rome,  1869.  t.  i,  p.  181  : 
ensuite  et  surtout  parce  que  concevant  Dieu  à  l'aide 
d'un  jugement,  nous  ne  pouvons  pas  atteindre  ce  qu'il 
y  a  d'incommunicable  dans  sa  nature.  Xos  jugements, 
en  effet,  entraînent  la  catégorie  du  temps  :  intelleclut 
cm)iponendo  et  dividendo  cointelligit  tempus,  ut  dici- 
lur  in  111"  De  anima.  Et  la  raison  en  est  que  notre 
substance  est  dans  la  durée,  en  ce  sens  qu'elle  n'a  pas 


1201 


DIEU    (SA    NATURE   SELON    LES    SCOLASTIQUES) 


1202 


en  elle-même  sa  raison  d'êlre  adéquate,  qu'elle  est 
contingente,  c'est-à-dire  ab  alio.  De  veritate,  q.  I, 
a.  5;  Perihermeneias,  1.  I,  c.  xiv;  In  IV  Sent.,  1.  I, 
dist.  XXXVIII,  q.  i,  a.  5.  Cf.  Vasquez,  In  7an\ 
disp.  LXIV,  Paris,  1905,  t.  i,  p.  527-530,  notes.  C'est  au 
contraire  l'incommunicable  propriété  de  la  nature 
divine  de  se  suffire  pleinement  et  dans  tous  les  sens 
à  elle-même,  ipsum  esse  per  se  subsistens.  De  cette 
transcendance  résulte  pour  la  créature  l'impossibilité 
d'atteindre  naturellement  la  nature  divine  telle  qu'elle 
est  en  soi,  Sum.  iheol.,  Ia,  q.  xm,  a.  4;  et,  si  celle-ci 
se  manifeste,  l'impossibilité  de  la  pénétrer  comme  elle 
se  connaît  elle-même.  Cf.  G.  de  Rbodes,  Disputationes 
llieol.  scholasticœ,  t.  i,  disp.  II,  sect.  i;  Franzelin,  De 
Deo  uno,  th.  xvm.  Mais  prendre  conscience  de  cette 
impossibilité  radicale,  c'est  s'élever  à  la  notion  la  plus 
parfaite  que  nous  puissions  avoir  de  Dieu.  Cf.  d'AIès, 
liiction.  apologétique,  t.  I,  col.  57.  Denys  a  donc  bien 
dit,  en  s'inspirant  d'un  mot  de  Platon,  que  connaître 
Dieu,  c'est  savoir  qu'on  l'ignore.  De  causis,  lect.  VI. 
Cependant  le  péril  d'agnosticisme  est  écarté.  Car, 
puisque  le  principe  de  causalité  est  à  la  base  de  toutes 
les  démarches  de  notre  esprit  pour  connaître  Dieu,  le 
procédé  déduclif  en  vertu  du  principe  de  raison  suffi- 
sante aboutira  nécessairement  à  des  affirmations  caté- 
goriques sur  la  nature  intrinsèque  de  la  divinité.  Voir 
col.  784,  918. 

Reste  enfin  la  question  de  l'infini.  Bien  que  la  théo- 
dicée  de  saint  Thomas  ne  soit  pas,  comn.e  celle  de 
saint  Anselme  par  exemple,  une  théodicée  de  l'infini, 
parce  que  chez  lui  la  déduction  des  attributs  se  fait 
surtout  par  voie  de  causalité,  il  connaît  la  tradition  sur 
ce  point  et  veut  lui  rester  fidèle.  Il  sait  si  bien  que  la 
théodicée  des  anciens  a  pour  point  de  départ  ou  pour 
centre  l'idée  de  la  plénitude  de  l'être,  qu'il  concède  aux 
agnostiques,  Avicenne  et  Maimonide,  que,  s'ils  gardaient 
sauve  l'idée  de  l'être  absolument  parfait,  leur  théodicée 
serait  identique  à  celle  des  chrétiens.  In  IV Sent,, \.  I, 
dist.  II,  q.  i,  a.  3;  dist.  VIII,  q.  i.  a.  I,  contra;  Sum. 
tlieol.,  Ia,  q.  xm,  a.  1 1 .  Dieu,  et  Dieu  seul,  est  et  peut 
être  absolument  infini  :  quia  ejus  essrntiu  non  litni- 
tatur  adaliquam  <icterminatam  per/eclioneni,  sed  in 
te  includit  omnern  moduni  perfectionis,  ad  quem 
ratio  entitatis  se  extendere  potcst.  De  veritate,  q.  xxix, 
a.  3;  De  potentia,  q.  vil,  a.  .">.  11  s'agit  ici,  il  est  bon  de 
le  remarquer,  de  l'infinité  positive  de  Dieu,  au  sens  de 
la  plénitude  de  l'être,  et  non  pas  de  ce  qu'on  appelait 
alors  l'attribut  négatif  spécial  de  l'infinité,  dont  il  est 
directement  question  dans  la  Sum.  theol.,  Ia,  q.  vu. 
C'est  llenvs  qui  fournit  à  saint  Thomas  le  moyen  de 
rattacher  cette  notion  à  son  épistémologie  péripatéti- 
cienne. Cf.  Sum.  theol.,  Ia  II",  q.  n,  a.  5.  ad  5BIB; 
I»,  q.  xm,  a.  1 1  ;  q.  iv,  a.  2,  ad  3"m  ;  De  veritate,  <\.  x, 
a.  I.  ad  ■".  De  potentia,  q.  vu.  a.  2,  ail  9am.  Cf.  Zim- 
mermann,  Ohne  Grenzen  "»./  Enden,  Fribourg,  1908. 

Dans  les  objets  de  ootre  expérience,  c'est  de  l'insuffi- 
sance a  l'existence  ou  contingence  que  provient  la 
différence  entre  l'essence  et  l'existence  actuelle,  ri 
aussi  l.i  série  des  prédicats  qui  sont  communs  i  ci 
jets  el  iw'  les  distinguent  pas,  tris  que  produisibles,  an- 
nihilables;  il  en  résulte  par  suite  qu'aucun  être  de  cette 

turail  être  infini,  ou  épuiser  la  di 
d'être  la  conséquence  est  néci  ni.  puisqu'aucun 
d'eu*  n'épuise  même  la  notion  restreinte  d  être  créable, 
Toussont  donc  finis,  limités,  el  par  suite  di  Rnissablei 
Bien  plus,  impossible  de  les  caractériser  par  la  notion 
d'étri  par  'ire  on  entend  l'existence  actuelle, 

cette  ■  dam  leur  notion    -i 

par  'ire  h  h  '  ni.  mi  leur  réalité,  ce  terme  ni  les  •  i  i  sti  n- 
gue  pas,  car  il  •  si  de  i""-  le  plus  abstrait  el  le  m 

oanl    i  n  i  fTel .  dans  les  êtres  conl  1 1  srto 

même  de  ee  qui  vient  il  ''lie  dit,  plus  li  -  termi  -  sont 
bas  dans  l'échelle  de  Porphyre,  en»,  $ub$tantia  >  ivetu, 


rationale,  plus  ils  sont  riches  en  compréhension  :  la 
rationalité  ajoute  à  la  vie,  et  celle-ci  comprend  les  de- 
grés supérieurs  et  l'être.  L'être,  au  contraire,  qui  trône 
au  sommet  de  l'échelle  est  ce  qu'il  y  a  de  plus  indéter- 
miné. Mais  quand  il  s'agit  de  l'être  qui  est  par  soi,  ipsum 
esse  per  se  subsistens,  tout  se  passe  autrement.  La  rai- 
son en  est  qu'être  au  sens  de  l'existence  actuelle  est  de 
la  notion  même  de  la  nature  divine;  et  si  la  limitation 
provient  dans  l'être  participé  précisément  de  sa  con- 
tingence, par  la  raison  inverse  celui  qui  est  par  lui- 
même  épuise  la  notion  d'être,  et  il  est  de  sa  définition 
qu'on  ne  puisse  rien  lui  ajouter.  Sum.  tlieol.,  Ia,  q.  m, 
a.  4.  Déjà  saint  Bernard  avait  indiqué'  ce  procédé, 
Sermones  in  Cantica,  serm.  lxxxi,  P.  L.,  t.  cxxxxm, 
col.  1172.  On  le  retrouve  chez  Suarez,  De  divina  sub- 
j  stantia,  1.  I,  c.  m,  et  chez  Franzelin,  De  Deo  uno, 
th.  xx,  3e  édit.,  p.  259. 

IV.    lNKLtENCE    DE    LA    PHILOSOPHIE     RELIGIEUSE    DES 

Arabes.  —  Si  l'on  s'en  tenait  à  ce  qui  précède,  il  sem- 
blerait qne  la  scolastique  du  xme  siècle  n'est  guère 
redevable  aux  Arabes,  que  ceux-ci  ne  lui  ont  rendu 
d'autre  service  que  de  lui  passer  Aristote,  et  qu'ayant 
feuilleté  celui-ci  les  scolastiques  n'eurent  pour  dépasser 
leurs  devanciers  qu'à  en  utiliser  quelques  principes, 
qui  leur  permirent  de  revenir  à  la  grande  tradition 
patristique  mieux  comprise.  Cette  impression  serait 
contraire  aux  faits,  dont  il  faut  maintenant  donner 
connaissance.  Sans  cette  étude  on  ne  comprendra 
jamais  deux  faits  :  celui  du  rapide  et  durable  succès 
d'Aristote,  si  tôt  après  sa  condamnation;  celui  du 
grand  nombre  de  problèmes  nouveaux,  dont  quelques- 
uns  sont  aujourd'hui  encore  des  actualités,  dont 
s'occupa  le  XIII8  siècle,  et  sur  lesquels  disputèrent  les 
siècles  suivants.  Ajoutons  qu'à  notre  avis  l'intelligence 
exacte  d'une  bonne  partie  des  docteurs  du  xme  siècle, 
spécialement  de  saint  Thomas,  dépend  de  la  connais- 
sance de  la  littérature  arabe  qui  fut  l'une  des  sources 
où  ils  puisèrent. 

Le  Coran  est  nettement  monothéiste;  ce  qu'il  dit  de 
[lieu,  le  dogme  de  la  Trinité  mis  à  part,  se  rapproche 
beaucoup  de  ce  qu'on  lit  dans  l'Écriture  et  de  ce 
qu'enseigne  la  tradition  chrétienne;  ajoutons  que  la 
foi  musulmane  est  très  dogmatique.  Bien  que  rien  ne 
soit  moins  philosophique  et  moins  mystique  que  la 
religion  de  l'islam,  cf.  Carra  de  Vaux,  La  religion  de 
l'islam,  Paris,  1909,  le  mysticisme  et  une  certaine 
philosophie  apparurent  cependant  de  lionne  heure  dans 
le  monde  musulman. 

'  1" Le sou/isme.  —  L'origine  du  mysticisme  musulman 
ou  soufisme  est  des  plus  discutées.  Ce  qui  le  caractérise, 
c'est  le  rôle  qu'il  accorde  à  l'extase.  Apres  avoir  p 
par  diverses  phases  préparatoires,  le  soufl  parvient  à 
l'illumination  directe,  à  l'union  avec  Ificu,  dont  en 
rel  étal  il  prétend  contempler  intérieurement  la  vraie 
nature.  A  la  lumière  de  la  connaissance  véritable 
ainsi  acquise,  le  souli  continue  à  penser  que  l'islam 
est  la  meilleure  religion,  mais  il  ne  reconnaît  au  Coran 
et    aux    traditions   musulmanes  qu'une  valeur  toute 

relative;  les  formules  du  livre  n'instruisent  DBS  sur  la 
vérité  divine,  elles  ne  servent  qu'à  guider  l'espril  vers 
la  réalité.  Cette  réalité  es)  qne  Dieu  seul  existe;  tous 
ii  être  réellement  distincts,  sont  une 
émanation  de  lui  el  retournent  é  loi;  cette  émanation 
esl  éternelle  el  nécessaire,  Dieu,  en  tant  que  distingué 
iiti'it  l'être  abstrait,  tantôt  la  plénitude 
de  l'être,  mais  toujours  avec  une  tendance  panthéiste. 

traita  on  reconnaît  le  plotinisme.  Cf.  Sal a, 

art.  Soufisme,  dans  I  Cai  rs  de 

V;ni\.  G  c.  vil  sq.,  Paris,  190  ' 

N,.,  loni  pa •  examiner  Ici  la   question  di  - 

rapporta  de  la  cabale  't  do  soufisme;  nous  ne  dl 

le  problème  des  rapporta  de  la 
cabali  is     p*  i  ipati  lico  plotinienne 


1203 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES   SCOLASTIQUES] 


1204 


d'Avicebron.  Voir  CABALE  ;  cf.  Myer,  (Juabbalah,  The 
philosoplaj  of  Tbn  Gebirol,  the  (Juabbalah  and  Ihe 
Zohar,  Philadelphie,  1888;  Witlmann,  Die  Slellung 
Avencebrol's  int  Entwichlungsgang  cler  arabischen 
Philosophie,  Munster,  190."»,  t.  V  des  Beitrùge  de 
Banimkcr.  11  nous  suffit  de  noter  que  la  philosophie 
religieuse  juive  suivit  au  moyen  âge  les  vie  issiludes  de 
celle  des  Arabes.  Nous  pouvons  donc,  pour  ne  pas  être 
trop  long,  parler  des  Juifs  en  même  temps  que  des 
Arabes.  Les  scolastiques  les  ont  d'ailleurs  utilisés  et 
réfutés  de  la  même  façon.  On  sait  que  le  De  ente  et 
essentia  de  saint  Thomas  est  rédigé  contre  Avicebron, 
cf.  Wittmann,  Die  Slellung  des  hl,  Thomas  von 
Aquin  zu  Avencebml,  Munster,  1900,  au  t.  m  des 
Beilràge;  et  nous  verrons  plus  loin  qu'il  réfuta  Mai- 
monide  en  même  temps  qu'Avicenne. 

2°  Spéculation  arabe.  —  Dans  le  Guide  des  égarés, 
part.  I,  c.  lxxi,  trad.  Munk,  t.  i,  p.  340,  Maimonide 
raconte  ainsi  comment  se  fit  l'introduction  de  la  spécu- 
lation philosophique  dans  le  monde  musulman. 
«  Lorsque  l'Église  chrétienne  eut  reçu  dans  son  sein  les 
Grecs  et  les  Syriens,  parmi  lesquels  les  opinions  des 
philosophes  étaient  répandues,  les  savants  grecs  et 
syriens  virent  qu'il  y  avait  dans  la  religion  des  assertions 
avec  lesquelles  les  opinions  philosophiques  étaient  en 
manifeste  contradiction.  Ces  savants  commencèrent 
alors  à  établir  des  propositions,  profitables  pour  leurs 
croyances,  et  à  renverser  les  opinions  des  philosophes  qui 
ruinaient  les  bases  de  leur  religion.  Lorsque  les  secta- 
teurs de  l'islamisme  eurent  paru  et  qu'on  leur  transmit 
les  écrits  des  philosophes,  on  leur  transmit  aussi  ces 
réfutations,  qui  avaient  été  écrites  contre  les  livres  des 
philosophes.  Et  ils  s'en  emparèrent  dans  l'opinion  d'avoir 
fait  une  importante  trouvaille.  »  Maimonide  ajoute  que 
les  docteurs  musulmans  pour  mieux  réfuter  les  erreurs 
des  philosophes  s'écartèrent  beaucoup  plus  des  doctrines 
des  philosophes  que  n'avaient  fait  auparavant  les 
chrétiens  grecs  et  syriens,  nesloriens  ou  jacobites,  et 
qu'en  particulier  ils  adoptèrent  la  doctrine  des  atomes 
et  du  vide  au  lieu  de  l'hylémorphisme  d'Aristote. 

Dans  l'histoire  de  la  spéculation  chez  les  Arabes  on 
distingue  ordinairement  les  Motékallim  et  les  philo- 
sophes. Les  Motékalliin  au  sens  général  du  terme  sont 
les  scolastiques  du  Coran;  les  traductions  latines  dont 
se  servaient  nos  scolastiques  rendaient  ce  mot  par 
loquenles,  ou  comme  dit  quelquefois  saint  Thomas, 
conformément  à  la  traduction  d'Averroès  dont  il  se 
servait,  loquenles  in  lege  Maurorum.  Il  en  était  d'héré- 
tiques au  point  de  vue  des  croyances  et  des  traditions 
musulmanes  :  les  Motazélites,  cf.  Carra  de  Vaux,  Avicenne, 
c.  H,  Paris,  1900,  et  d'autres  plus  attachés  à  l'orthodoxie 
coranique,  auxquels  on  réserve  quelquefois  le  nom  de 
Motékallim,  par  opposition  aux  Motazélites,  ou  dissi- 
dents. Mais  tous  s'accordaient  à  se  défier  d'Aristote  et 
•du  néoplatonisme.  Aussi  quand  on  oppose  le  mot  Moté- 
kallim à  celui  de  philosophes,  il  désigne  tous  ceux  qui 
ne  suivent  pas  le  péripatétisme;  et  alors  le  terme  philo- 
sophe signifie  les  continuateurs  de  la  tradition  grecque 
reçue  des  chrétiens  de  Syrie,  en  d'autres  termes  les 
partisans  du  péripatétisme  néoplatonicien.  Ibid.,  c.  IV. 
Nous  suivrons  cette  terminologie,  classique  parmi  les 
arabisants. 

Les  philosophes  ne  se  distinguaient  pas  des  Motékal- 
lim seulement  par  l'admission  de  la  physique  d'Aris- 
tote, mais  aussi  et  surlout  par  leur  position  à  l'égard 
de  la  révélation  du  Coran,  et,  en  ce  qui  concerne  les 
Juifs,  de  la  Bible.  D'après  eux,  «  la  philosophie  grecque 
était  vraie  au  même  degré  que  la  révélation;  il  existait 
a  priori  un  accord  entre  la  philosophie  et  le  dogme. 
Mais  en  réalité  la  philosophie  grecque  contenait  une 
masse  d'idées  passablement  complexes  et  divergentes, 
et  il  n'est  pas  toujours  aisé  de  voir  du  premier  coup 
•comment  ces  théories  pouvaient  s'adapter  à  la  théolo- 


gie de  l'islam.  »  Carra  de  Vaux,  Avicenne,  p.  80.  Le 
principe  général  de  solution  admis  par  les  philosophes 
était  que  le  Coran  a  un  sens  exotérique  à  l'usage  du 
vulgaire,  et  un  sens  ésotérique.  Sur  ce  principe,  les 
philosophes  étaient  d'accord  avec  les  soufis,  auxquels 
l'extase  apprenait  ce  qu'il  fallait  considérer  comme  vrai 
au  sens  littéral  dans  le  Coran,  et  ce  qui  devait  s'cnlen- 
dre  au  sens  figuré.  Et,  du  fait  que  les  Motékallim  admet- 
taient généralement  que  certains  termes  anlhropomor- 
phiques  du  Coran  sont  figurés  et  ne  doivent  pas  être 
pris  à  la  lettre,  les  philosophes  concluaient  au  droit 
général  de  l'interprétation  ésotérique.  Cf.  Averroès, 
Accord  de  la  religion  et  de  la  philosophie,  trad,  Gau- 
thier, Alger,  1905,  p.  26  sq.  Quant  au  moyen  de  légiti- 
mer cette  interprétation,  il  élait  double.  Les  uns,  et 
Avicenne  est  de  ce  nombre,  recouraient  aux  doctrines 
de  l'extase  et  du  soufisme;  pour  eux,  non  seulement  le 
Coran,  mais  la  philosophie  même  d'Aristote  avaient  un 
sens  exotérique  ou  en  apparence  littéral,  et  un  sens 
ésotérique  réservé  aux  initiés  et  compris  seulement 
par  le  moyen  de  la  vision  de  l'essence  divine  et  de 
l'union  avec  elle.  Les  autres  philosophes,  et  Averroès 
est  leur  principal  représentant,  reconnaissaient  aux 
conclusions  de  la  raison  une  valeur  absolue.  En  cas  de 
conllit  entre  la  philosophie  et  la  lettre  du  Coran,  ils 
soutenaient  qu'on  avait  toujours  le  droit  de  «  recourir 
à  l'interprétation,  c'est-à-dire  de  faire  passer  la  signifi- 
cation de  la  lettre  du  sens  propre  au  sens  figuré,  i  Op. 
cit.,  p.  26.  Par  exemple,  si  la  philosophie  démontrait 
l'éternité  et  la  non-création  du  monde,  il  fallait  «  inter- 
préter »  les  formules  de  Mahomet,  qui  ont  l'air  de  dire 
le  contraire.  Toutefois,  il  y  avait  d'après  Averroès  une 
limite  à  ce  droit  :  «  car  l'interprétation  ne  va  pas  jus- 
qu'à la  négation  de  l'existence.  »  Ibid.,  p.  39.  Ainsi 
celui  qui  nierait  l'existence  des  biens  et  des  maux  de 
la  vie  future,  et  interpréterait  ce  qu'en  dit  le  Coran  en 
ce  sens  que  «  ce  dogme  n'a  d'autre  but  que  de  préser- 
ver les  hommes  les  uns  des  autres  dans  leurs  corps  et 
dans  leurs  biens,  qu'il  n'est  qu'un  arlifice,  et  qu'il  n'y 
a  d'autre  fin  pour  l'homme  que  sa  seule  existence  sen- 
sible, »  ibid.,  p.  37,  celui-là  serait  un  infidèle,  parce 
que  son  interprétation  pragmatiste  irait  jusqu'à  la  né- 
gation de  l'existence  des  biens  et  des  maux  futurs.  Bien 
qu'Averroès  admit  lui  aussi,  non  pas  pour  le  derviche 
tourneur,  mais  pour  le  sage  philosophe,  une  certaine 
connaissance  immédiate  de  Dieu  en  cette  vie,  il  ne  fai- 
sait en  somme  voir  au  sage  directement  que  ce  que  le 
raisonnement  démontrait  de  Dieu  et  du  monde;  en 
sorte  que  pour  lui  la  philosophie  n'avait  pas,  comme 
pour  Avicenne,  un  sens  ésotérique.  Il  se  contentait 
«  d'interpréter  »  dans  le  Coran,  sans  aller  jusqu'à  la 
négation  de  l'existence,  tout  ce  qui  n'était  pas  con- 
forme à  ses  conclusions  philosophiques,  et  par  consé- 
quent reconnaissait  à  la  philosophie  une  valeur  absolue, 
et  au  Coran  une  valeur  seulement  relative  si  on  le  pre- 
nait au  sens  littéral  ou  exotérique.  Avicenne  allait 
beaucoup  plus  loin.  Pour  lui,  la  philosophie  n'avail 
elle  aussi  qu'une  valeur  relative;  seule  l'extase  donnait 
la  vérité.  En  réalité  tout  son  ellort  fut  de  construire  une 
philosophie  à  double  entrée,  de  telle  sorte  qu'elle  coïn- 
cidât avec  les  doctrines  soulistes.  Entre  ces  deux  modes 
de  conciliation  de  la  parole  révélée  avec  la  philosophie 
flottaient  divers  auteurs.  Le  plus  connu  des  scolastiques 
fut  le  juif  Maimonide.  pour  qui  tout  ce  que  la  Bible 
nous  dit  de  Dieu  se  réduit  à  un  vaste  système  de  sym- 
boles, utiles  au  vulgaire  pour  s'approcher  de  la  vérité, 
'mais  inutiles  au  philosophe.  En  théodicée,  sauf  sur  le 
point  de  la  création,  l'effort  de  Maimonide  l'ut  au  fond 
de  justifier  Avicenne  contre  Averroès:  pour  celui  qui 
est  initié,  qui  sait  ce  qu'a  vu  Moïse  quand  il  a  vu  la  face 
de  Dieu,  ou  qui  a  lui-même  été  élevé  à  la  vision,  tout 
ce  que  la  philosophie  démontre  de  Dieu  n  a  qu'un  sens 
symbolique,  relatif  ou  même  purement  négatif.  Si  l'on 


1205 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES    SCOLASTIQUES) 


1206 


voulait  faire  quelque  comparaison  avec  des  noms  con- 
nus pour  préciser  ce  qui  vient  d'être  rapporté,  on  pour- 
rait rapprocher  Averroès  d'Hermès  et  de  Giinther, 
Avicenne  et  Maimonide  de  certains  pseudo-mystiques 
comme  maître  Eckart  ou  de  certains  protestants  libé- 
raux comme  Ritschl.  C'est  de  cette  position  singulière 
de  la  philosophie  musulmane  par  rapport  à  l'ortho- 
doxie et  à  la  valeur  de  la  raison  que  naquit  l'aver- 
roïsme  latin  au  XIIIe  siècle  et  la  théorie  des  deux  vérités  : 
verum  (pliilosophicum)  vero  (theologico)  conlradicere 
potest.  Ce  premier  coup  d'oeil  sur  la  spéculation  arabe 
montre  assez  quelle  masse  de  problèmes  jeta  dans  le 
monde  latin  d'un  seul  coup  l'introduction  de  la  philo- 
sophie orientale.  Entrons  dans  le  détail. 

3°  Théodicée  des  Motékallim.  —  Maimonide  nous  a 
laissé,  et  les  scolastiques  du  xnic  siècle  connaissaient 
par  lui,  les  douze  propositions  fondamentales  des  Moté- 
kallim. Op.  cit.,  t.  I,  c.  LXX1II.  Il  nous  rapporte  aussi  com- 
ment en  théodicée  ils  s'appliquaient  à  défendre  contre 
les  philosophes,  d'abord,  la  création  et  la  nouveauté  ou 
non-éternité  du  monde;  ensuite  et  subséquemment, 
l'existence  de  Dieu;  puis,  l'unité  divine,  entendue  plutôt 
au  sens  de  la  simplicité  que  de  l'unicité,  enfin  l'incorpo- 
rante ou  spiritualité  de  Dieu.  Ibid.jC.  lxxiv  sq.  D'accord 
sur  ces  points,  sauf  quelques  rares  exceptions  en  ce 
qui  concerne  la  démonstrabilité  de  l'existence  et  de 
l'unité  de  Dieu,  les  Motékallim  étaient  divisés  au  sujet 
des  noms  ou  attributs  divins.  Dés  le  milieu  du  VIIIe  siècle 
une  secte  dissidente,  les  Motazélites,  nia  les  attributs, 
sous  le  faux  prétexte  que  la  pluralité  des  attributs  est 
incompatible  avec  l'unité  absolue  de  la  nature  divine. 
C'était,  on  le  voit,  se  faire  de  la  simplicité  de  Dieu  une 
notion  telle  que  la  Trinité  des  chrétiens  devenait  un 
trithéisme;  mais  c'était  aussi  transformer  en  expressions 
figurées,  en  métaphores  et  en  symboles,  tous  les  noms 
qu'avec  l'Écriture  et  les  chrétiens  le  Coran  donne  à 
Dieu.  Opposés  aux  Motazélites,  les  Motékallim  concé- 
daient qu'il  ne  faut  pas  prendre  à  la  lettre  les  anthro- 
pomorphismes  de  l'Ecriture;  mais  ils  soutenaient  qu'il 
faut  admettre  en  Dieu  dis  attributs  éternels  et  essentiels, 
à  savoir  la  vie,  la  science,  la  puissance  et  la  volonté, 
nous  dirions  la  personnalité.  Ces  attributs  étaient  éter- 
nels, parce  qu'indépendants  de  la  création;  ils  étaient 
essentiels,  parce  que  non  distincts  de  l'essence  divine. 
Certains  Motazélites  se  rapprochèrent  de  celte  manière 
orthodoxe  de  penser,  à  l'aide  des  formules  suivantes  : 
Dieu  est  vivant  par  son  essence;  il  sait  par  son  essence. 
Au  x"  siècle,  se  forma  la  secte  des  Acharites,  directement 
opposée  à  celle  des  Motazélites  ;  ils  professaient  sans 
détour  les  attributs  divins,  mais  ils  les  prétendaient 
distincts  de  l'essence.  C'est  de  cette  secte  que  parle 
saint  Thomas,  lorsqu'il  rapporte  que  quelques-uns  ont 
prétendu  que  les  noms  divins  ne  signifient  pas  la  sub- 
stance divine,  sed  intentiones  qtuudam  additas  essen- 
tielles, De  potentia,  q.  vu,  a.  6,  ou  encore,  a  liqua 
dispositio  addita  e  us.  De  veritate,  q.  h,  a.  2. 

Bien  que  très  'lui-   i  u  âge  d'interpréter  le 

Coran,  les  Acharites,  à  l'inverse  des  Hanbalites,  prenaient 
au  sens  figuré  les  formules  comme  celle-ci  :  Dieu 
ndit.  (.i.  Averroès, Accord  de  in  religion  el  de  la 
philosophie,  trad  Gauthier,  Alger,  l'.)0.*>,  p.  48,  27; 
Maimonide.  ir.el.  Muni,.  I  i.  p,  ISO,  207  sq.;  Iiiinr.in 
li.  Macdonald,  Development  of  nxuslin  theology,  Lon- 
dres, 1903;  Kaufmann,  Geschichle  der  Atlributenlehre 
,,,  der  jùdischen  Religionsphilosophie,  Gotha,  1877. 

4"  Théodicée  det  phi — plies.  Les  philosophes 
étaient  d'accord  i  ■  lei  Motékallim  sur  la  démonstra- 
bilité de  l'existence  et  dei  attributs  di   Dieu;  mais  ils 

soumet  ta  ie  ni  à  une  critique  très  fini  >nls  qu'y 

employaient  les  Motékallim  ainsi  que  li  -  preuves  qu'ils 
apportaient  de  la  création  et  de  la  non-éternité  du 
inonde.  <T.  Muller,  Philosophie  und  Théologie  des 
Averroès,  1875,  p.  23.  Sur  ce  dernier  point  ils  adoptait  ut 


les  vues  d'Aristote  et  attaquaient  la  création  ex  nihilo 
et  post  nihilum,  comme  on  l'a  dit  t.  m,  col.  2083.  Quant 
aux  preuves  de  l'existence  et  des  attributs  de  Dieu,  ils 
les  empruntaient  surtout  à  Aristote  et  les  ramenaient 
par  suite  à  la  causalité,  non  sans  y  mêler  quelquefois 
des  vues  néoplatoniciennes;  car  pour  eux,  comme  pour 
nos  scolastiques  à  qui  ils  la  passèrent,  la  Theologia 
Aristolelis,  qui  n'est  qu'un  extrait  des  livres  IV  à  VI  des 
Ennéades,  était  un  ouvrage  authentique.  Cf.  Dieterici, 
Die  sogenannte  Théologie  des  Arisloteles,  Leipzig,  1882. 
De  la  sorte,  les  scolastiques  trouvèrent  dans  les  philo- 
sophes arabes  avec  des  arguments  péripatéticiens  très 
élaborés  surtout  en  ce  qui  concerne  les  attributs  négatifs 
et  métaphysiques  de  Dieu,  la  critique  des  procédés 
moins  solides  des  partisans  de  l'atomisme.  Il  ne  parait 
pas"  douteux  que  la  partie  critique  aussi  bien  que  la 
partie  constructive  de  la  philosophie  arabe  ait  gran- 
dement incliné  le  xme  siècle  vers  Aristote.  En  tout  cas, 
nous  avons  déjà  dit,  col.  931,  qu'en  ce  qui  touche  les 
preuves  de  l'existence  de  Dieu  les  scolastiques  durent 
beaucoup  aux  Arabes,  spécialement  au  point  de  vue 
dialeclique.  On  retrouve,  en  effet,  leurs  argumentations, 
même  les  plus  subtiles,  chez  Alfarabi,  Aviccbron,  Avi- 
cenne, Ibn  Tofaïl,  Averroès  et  Maimonide.  Il  en  est  de 
même  en  ce  qui  concerne  la  démonstration  des  attri- 
buts. On  peut,  il  est  vrai,  sur  ce  dernier  point  considérer 
comme  insignifiant  l'apport  de  nouveaux  moyens  termes 
dû  aux  Arabes,  puisque  les  moyens  termes  nouveaux 
qui  leur  ont  été  empruntés  au  XIIIe  siècle,  ou  n'ont  pas 
survécu  à  la  critique  de  la  scolastique  postérieure,  ou 
sont  restés  en  controverse.  Mais  il  en  va  autrement 
quant  à  la  précision  des  formules,  à  la  rigueur  et  à 
la  profondeur  d'analyse  des  démonstrations.  Ici,  le 
xnr  siècle  parait  très  original,  si  on  le  compare  au 
XIIe;  comparé  à  la  philosophie  arabe,  il  ne  produit  pas 
la  même  impression  de  nouveauté'. 

On  a  vu  que  l'antiquité  chrétienne  avait  distingué  les 
noms  figurés  de  Dieu  et  ceux  qui  se  disent  au  sens 
propre  :  ceux-ci  avaient  été  divisés  en  attributs  re- 
latifs et  absolus,  et  ces  derniers  en  attributs  positifs 
et  négatifs.  Ces  distinctions  et  cette  classification  ne 
s'étaient  point  oubliées,  nous  en  avons  retrouvé  la  tra- 
dition au  XIIe  siècle.  Mais  il  faut  avouer  qu'elles  sont 
loin  d'avoir  chez  Pierre  Lombard  et  chez  ses  contem- 
porains la  netteté'  et  le  relief  qu'elles  ont  chez  les  sco- 
lastiques du  xili' siècle.  De  plus,  nous  avons  vu  que  si 
au  XIIe  siècle  l'accord  existait  sur  la  valeur  ontologique 
des  noms  divins,  la  justification  de  cette  doctrine  au 
point  de  vue  philosophique  laissait  beaucoup  a  désirer. 
De  même  au  XIIe  siècle  la  parfaite  simplicité  divine 
avait  été  définie  contre  Gilbert  de  la  Porrée,  mais  la 
question  des  rapports  du  fini  et  de  I  infini,  de  l'être 
potentiel  à  l'être  absolu  avait  été  mal  résolue;  et  si 
saint  Bernard  avait  posé  les  principes  exacts  en  ce 
qui  touche  en  Dieu  aux  rapports  des  attributs  et  de  l'es- 
sence, ce  problème  n'avait  pas  étédéveloppé.  I  '  -  \iahes 
ont  rendu  ici  à  l'Église  un  service  auquel  un  ne  s'atten- 
dait pas.  Ayant  reçu  leur  péripslétisme  néoplatonicien 
de  mains  chrétiennes,  ils  transmirent  à  l'Occident  chré- 
tien, sinon  de  nouveaux  témoins  delà  tradition  palris- 
tique,  du  moins  le  moyen  de  mieux  comprendre  les 
témoins  de  celte  tradition  qui  étaient  alors  connus.  I  t  - 
philosophes  dans  leur  polémique  centre  les  Motékallim 

au    sujet    des  attributs,  de    leur  distinction   OU   de    leur 

identité  avec  l'essi  nce  divine,  avaient  bi  aucoup  étudié 
1rs  classifications  anciennes  que  noua  avont  t  apport*  et . 
ils  en  avaient  r.-ut  grand  usage  pour  résoudre  le  pi" 

Lie de   la   simplicité  divine   mieux  que  m-    faisaient 

leurs  adversaires;  dans  ce  but  ils  avaient  employé  la 

psychologie  et  .hi«h  i.,  métaphysique  d'Aristote.  I' 

Bl  poinls  le  \  il"  lit  cil  .  le  \iii'  n'eut 
qu'.i  profiter  des  analyses  t. nies  dans  le  monde  musul 
man.  de  Bagdad  ■<  Cordoue,  durant  troi  II  fut 


1207 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES    SCOLASTIQUES 


1208 


d'aulant  plus  enclin  à  le  faire  que  la  plupart  des  philo- 
sophes arabes,  suivant  la  Theologia  Arislotelis,  préten- 
daient  aboutir  à  celle  formule  :  Dieu  est  l'être  dont 
l'essence  et  l'existence  sont  identiques.  Sans  doute  un 
certain  nombre  de  philosophes  arabes,  comme  Avice- 
bron,  Alfarabi  et  Avempace,  entendaient  cette  formule 
au  sens  néoplatonicien  de  l'être  abstrait,  ne  distinguant 
pas,  comme  le  fit  Avicenne,  l'être  logique,  indéterminé 
parce  que  pris  sub  eondilione  negalionis  determina- 
tionum,  etl'existence  pure,  indéterminée  parce  qu'envi- 
sagée sub  condilione  non  af/irmalionis  delerminatio- 
num.  Cf.  S.  Thomas,  Contra  génies,  1.  I,  c.  xxvi;  voir 
col.  787.  Mais  plusieurs  d'entre  eux  expliquaient  la 
même  formule  de  la  plénitude  de  l'être,  par  exemple 
Avicenne  et  Maimonide.  Cf.  Avicenne  cité  par  El-Farani 
dans  le  commentaire  d'Alfa rabi,  trad.  Horten,  Munster, 
1906,  p.  376;  Maimonide,  Guide  des  égares,  1. 1,  c.  LXJII. 
Il  est  vrai  que  ceux-ci  donnaient  souvent  à  la  formule 
un  sens  panthéiste  ou  agnostique;  mais,  en  l'épurant  de 
ces  erreurs,  elle  avait  l'avantage  de  relier  ce  qu'on  consi- 
dérait comme  une  doctrine  péripatéticienne,  au  qui  est 
scripturaire  et  à  la  tradition  patristique.  Cf.  S.  Thomas, 
In  IV  Sent.,  I.  I,  dist.  II,  q.  I,  a.  2;  Sum.  theol,  Ia, 
q.  m,  a.  4,  ad  lum;  q.  xm,  a.  11.  Enfin,  nous  verrons 
que  c'est  à  Averroès  que  saint  Thomas  dut,  dans  la  ques- 
tion de  la  synonymie  des  noms  divins,  de  retrouver  la 
réponse  donnée  autrefois  à  Eunomiuspar  les  Pères  cap- 
padociens.  De  polenlia,  q.  vu,  a.  6. 

5°  Elimination  des  erreurs  des  Arabes  par  voie  de 
tradition  et  d'autorité.  —  S'ils  utilisèrent  la  philoso- 
phie arabe,  les  scolastiques  ne  furent  pas  de  simples 
copistes  ou  des  plagiaires.  Un  choix  était  à  faire.  Que 
ce  choix  fût  des  plus  difficiles  à  opérer,  et  que  le 
xme  siècle  ait  eu  le  sentiment  de  cette  difficulté,  les 
faits  le  disent  assez  :  c'est  ainsi  que  s'expliquent  les 
condamnations  d'Aristote  au  début  du  siècle,  le  rappel 
à  l'esprit  et  aux  formules  de  la  tradition  par  Gré- 
goire IX  en  1228,  Denzinger,  n.  379,  les  querelles  entre 
augustiniens  et  péripatéticiens,  enfin  la  condamnation 
de  10  propositions  en  1241  par  Guillaume  de  Paris,  et 
de  219  propositions  en  1277  par  son  successeur  Etienne 
Tempier.  Cf.  Denille,  Chartularium  universitatis 
Parisiensis,  Paris,  1889,  t.  i,  p.  170,  487,  544.  Dans  ce 
travail  d'absorption  de  la  philosophie  hétérodoxe,  ce 
qui  sauva  le  xme  siècle,  ce  fut  d'abord  et  surtout  son 
respect  des  conclusions  traditionnelles.  A  la  lumière 
des  doctrines  de  l'Église,  peu  à  peu  un  travail  se  fit 
qui  consista  à  distinguer  ce  qui  dans  les  Arabes  n'était 
pas  conciliable  avec  le  dogme,  et  les  doctrines  que 
l'on  ne  pouvait  pas  accepter  sans  mettre  en  danger  la 
foi  chrétienne.  Cette  élimination  faite  dans  leur  esprit, 
et  les  controverses  qu'ils  eurent  entre  eux  les  aidèrent 
à  la  préciser,  les  docteurs  chrétiens  virent  ce  qu'ils 
pouvaient  accepter  des  analyses  souvent  subtiles, 
quelquefois  profondes  des  grands  penseurs  arabes;  ils 
reconnurent  que  ces  nouvelles  données  pouvaient  quel- 
quefois servir  à  résoudre  certaines  difficultés  ration- 
nelles; que  d'autres,  dont  les  germes  se  trouvaient 
dans  la  tradition  chrétienne,  ne  demandaient  qu'à  être 
développées  pour  qu'il  en  résultât  une  meilleure  intel- 
ligence du  dogme.  Nous  allons  essayer  de  faire  com- 
prendre comment  ce  travail  s'opéra.  Mais  pour  préciser 
disons  d'abord  quelles  furent  les  thèses  de  la  théodicée 
arabe  que  le  xme  siècle  rejeta,  comme  contraires  à 
l'enseignement  tradilionnel  de  l'Église. 

On  a  édité  vers  la  fin  du  xvie  siècle  sous  le  nom  de 
Gilles  de  Rome  un  Calalogus  errorum  philosoplto- 
rum  ;  cet  ouvrage  a  été  en  partie  réédité  par  Uauréau 
dans  ses  Notices  et  extraits  et  par  le  P.  Mandonnet 
dans  Siger  de  Brabant  et  l'averroïsme  latin  au 
xut*  siècle,  Fribourg,  1899,  p.  5.  Il  semble  que  ce  ca- 
talogue ait  inspiré  Eymeric,  le  rédacteur  du  Directo- 
rium  iuijuisitorimi.  Rome,  1585,  p.  253.  où  l'on  trouve 


les  erreurs  d'abord  de  plusieurs  philosophes,  puis 
d'Aristote,  d'Averroès,  d'Avicenne,  d'Algazel,  d'Alkindî 
et  de  Rabbi  Moyses,  c'est-à-dire  de  Maimonide.  Lais- 
sons de  côté  les  erreurs  concernant  la  création  ex 
nihilo  et  posl  nihilum,  la  science,  la  liberté  et  la  pro- 
vidence divines,  ainsi  que  le  panthéisme.  Voici  les 
propositions  notées  touchant  la  portée  ontologique  des 
attributs.  Erreurs  d'AIkindi,  prop.  5  :  Atlribula  divina 
Ueo  compelunl  abusive;  asserens  inconvenienter 
dici  Deum  creatorem,  primum  principium,  donii- 
num  dominorum  ;  sic  quod  perfecliones  in  divinis 
ni/til  dicunt  positive,  sed  tanlum  per  remotionem. 
Erreurs  d'Avicenne,  prop.  13  :  Sanctitas,  bonilas  et 
alise  Del  perfecliones  non  dicunt  in  Deo  alii/uid  posi- 
tive, sed  lantum  per  remotionem  :  quod  est  contra 
/idem,  quse  habel  quod  laies  perfecliones  verius  et 
perfeclius  sunt  in  Deo  quant  in  creaturis.  Erreurs  de 
Maimonide,  prop.  1  :  Negavit  in  divinis  esse  Trinila- 
tem,  et  quameumque  multiludinem  re  vel  ratione 
prop.  2  :  Asseruit  altrlbula  in  divinis  ut  sapienliam, 
bonilatem  et  similia  non  esse  in  Deo  vere  et  realiler, 
sed  lantum  sequivoce  et  vocaliler,  allegans  pro  se 
illud  Prophétie  :  Gui  me  similem  fecisti'?  Dicit 
namque  quod,  quum  dicitur  Deus  sapiens,  bonus  et 
similia,  intellïgitur  per  causalitatem  :  quia  scilicet 
Deus  dicitur  bonus,  quia  causal  bonitatem  ;  elpolens, 
quia  causât  potentiam  ;  et  sic  de  aliis.  Rien  entendu, 
le  manuel  des  inquisiteurs  n'oublie  pas  de  mentionner 
que  ces  philosophes  nient  la  Trinité;  c'est  la  première 
erreur  reprochée  à  Averroès.  La  liste  des  propositions 
condamnées  en  1277  complète  ces  données.  On  y  lit, 
prop.  36  :  Quod  Deum  in  Itac  mortali  vila  possumus 
cognoscere  per  essenliam.  C'est  une  opinion  de  The- 
mistius,  d'Alexandre,  d'Avempace,  d'Avicenne  et 
d'Averroès,  De  anima,  1.  III,  coin.  36,  Venise,  1550, 
t.  v,  fol.  177-180.  Cf.  Jean  Raconthorp,  Princeps  aver- 
roistarum,  In  IV  Sent.,  1.  I,  prologus,  q.  i;  1-  IV, 
dist.  L,  q.  i,  a.  2,  Venise,  1527;  Jean  de  Jandun,  De 
anima,  1.  III,  q.  xxxvi,  Venise,  1561,  col.  428  sq.  La 
proposition  211  se  rapporte  au  même  objet.  Denille  la 
cite  en  cette  teneur  :  Quod  intellectus  noster  per  sua 
naluralia  polest  pertingere  ad  cognitionem  primas 
causse.  Hoc  maie  sonat,  et  est  error,  si  intelligatur 
de  cognitione  immediala.  Les  anciennes  éditions  des 
Sentences  écrivent  :  ad  cognoscendam  essenliam  pri- 
mas causa-...  de  cognitione  mediata.  Mais  lîaconthorp 
écrit  :  ad  cognoscendam  essenliam  primœ  causse,  et 
rapproche  celte  condamnation  de  Denzinger,  n.  402  sq. 
Raymond  Lulle  cite  comme  Raconthorp,  cf.  Otto 
Keicher,  Raymundas  Lullus,  Munster.  1909,  Declara- 
tio  Raymundi  per  modum  dialogi  édita,  p.  216.  Il 
faut  donc  abandonnera  lecture  du  P.  Denille,  qui  lais- 
serait croire  contre  toute  vérité  historique  qu'au 
xme  siècle  le  dogme  de  la  connaissance  naturelle  de 
Dieu  sonnait  mal.  A  rencontre  de  ces  propositions 
d'un  intellectualisme  ambitieux,  on  en  trouve  deux 
qui  sont  nettement  agnostiques  :  215.  Quod  de  Deo 
non  poiest  cognosci  nisi  quia  est,  sive  ipsum  esse.  216. 
Quod  Deum  esse  ens  per  se  positive,  non  est  intelli- 
gibile,  sed  privative  est  ens  per  se.  Cette  dernière 
proposition  est  de  Siger  de  Rrabant.  qui  la  déduit 
non  pas  d'Averroès,  mais  d'un  des  fondements  du 
système  d'Avicenne.  Cf.  Siger,  Impossibilia,  I,  édit. 
Raeumker.  Munster,  1898,  p.  7,  5.  L'avant-dernière 
est  d'Avicebron,  Fons  vilse,  v,  24,  édit.  Baeumker, 
Munster.  1895.  p.  301.  Elle  résume  d'ailleurs  la  doc- 
trine agnostique  des  philosophes  arabes,  à  l'excep- 
tion d'Averroès.  Notons  en  achevant  cette  .'numération 
qu'elle  montre  à  elle  seule  combien  est  peu  conforme 
aux  faits  l'opinion,  généralement  accréditée  depuis  que 
Renan  l'a  mise  à  la  mode,  Averroès  et  l'averroïsme, 
Paris,  1866,  d'après  laquelle  les  propositions  condam- 
nées en  1277  étaient  toutes  spécifiquement  des  thèses 


1209 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES  SCOL ASTIQUES; 


4210 


d'Averroès.  Ce  qu'on  appelle  l'averroïsme  latin  au 
xme  siècle  était  un  système  fort  éclectique;  et  même, 
quant  au  point  fondamental  de  la  doctrine  d'Averroès, 
à  savoir  l'unité  de  l'intellect,  saint  Thomas  nous 
apprend  que  les  averroïstes  latins  de  son  temps  ne  l'en- 
tendaient pas  au  sens  même  d'Averroès  :  ce  qui  permet 
au  saint  docteur  de  leur  montrer  qu'au  fond  ils  n'ont 
pour  eux  aucune  autorité.  Opusc,  XVI,  De  anitate 
intellectus,  Venise,  1595,  p.  181.  Cf.  Menendez  Palayo, 
Historia  de  los  heterodoocos  espaûolcs,  Madrid,  1880, 
t.  I,  p.  375  sq. 

Telles  sont  les  principales  conclusions  de  la  théodi- 
cée  traditionnelle,  que  contredisait  la  théodicée  des 
philosophes  arahes.  Ceux-ci  s'accordaient  à  proclamer 
l'absurdité  de  la  Trinité;  tous,  sauf  Maimonide,  reje- 
taient la  création  ex  nihilo  et  post  nihilum;  tous  niaient 
le  dogme  de  l'invisibilité  divine  ;  tous,  sauf  Averroès, 
professaient  l'agnosticisme;  et  cela,  chose  étrange,  tout 
en  prouvant  par  la  causalité  l'existence  et  les  attributs 
de  Dieu,  tout  en  professant  même  fréquemment  que 
Dieu  est  la  plénitude  de  l'être.  D'ailleurs  ces  thèses, 
qui  nous  paraissent  à  bon  droit  disparates  et  contra- 
dictoires, se  présentaient  liées  en  systèmes  subtils,  mais 
dont  la  logique  ne  manquait  pas  de  cohérence.  Une 
analyse  des  principaux  de  ces  systèmes,  connus  des 
scolastiques,  va  nous  servir  de  moyen  pour  préciser 
les  emprunts  du  moyen  âge  à  la  pensée  orientale. 

6°  Avicenne.  —  Puisque  la  philosophie  d'Avicenne 
a  un  double  sens,  ésotérique  et  exotérique,  et  que  le 
sens  ésotérique  en  est  donné  par  l'intuition  mystique, 
il  est  plus  court  pour  comprendre  cette  philosophie  de 
dire  d'abord  ce  que  vojait  l'extatique  d'Avicenne; 
cela  nous  donnera  la  clef  des  formules  péripatéticiennes 
et  néoplatoniciennes  qu'il  emploie  et  aussi  de  plus 
d'une  question  ou  objection  saugrenues  que  l'on  trouve 
chez  les  scolastiques  duxme  siècle  et  chez  leurs  succes- 
seurs. Pour  exposer  la  partie  souliste  de  l'avicennisine, 
nous  pouvons  nous  servir  d'Ibn-Tofaïl,  Havy  bon  Yaq- 
dhdn,  Le  veillant  /ils  du  Vigilant,  trad.  Gauthier, 
Alger,  1900. 

1.  Mxjslique.  —  Ce  roman  est  l'histoire  d'un  homme 
élevé  dans  une  île  solitaire  par  une  bête  sauvage;  le 
héros,  ancêtre  de  tous  nos  Robinsons,  trouve  par  lui- 
même  peu  à  peu  les  premiers  principes,  puis  la  philo- 
sophie et  la  théodicée  d'Avicenne,  considéré  par  l'auteur 
comme  un  exact  interprète  d'Aristole.  Mais  une  fois  en 
possession  de  la  doctrine  de  l'existence  et  des  attributs 
de  Dieu,  p.  li-7(>,  le  héros  comprend  que  la  perfection 
consiste  à  ressembler  à  Dieu.  Sachant  donc  que  les 
corps  célestes  ont  éternellement  l'intuition  actuelle  de 
l'être  nécessaire,  il  cherche  à  les  imiter;  pour  cela  il 
fixe  sa  pensée  sur  l'être  nécessaire  et  se  livre  à  un  vio- 
lent mouvement  de  rotation  (derviches  tourneurs i;  on 
accélérant  ce  mouvement  il  avait  l'intuition  de  cet  être, 
p.  HT.  Havy  fait  un  pas  de  plus.  Il  réfléchit  que  dans 
ses  spéculations  théoriques  il  a  distingué  les  attributs 
divins  en  négatifs  et  positifs;  les  premiers  ayant  pour 
caractère  qu'ils  excluent  de  Dieu  la  corporéité  el  ses 
suites,  les  seconds  de  n'introduire  dans  l'essence  divine 
.Himne  multiplicité.  H  cherche  donc  à  éliminer  de  sa 
connaissance  de  Dieu  la  corporéité  plus  qu'il  n'a  fait 
jusqu'à  cette  ii.iire.  Pour  cela  il  renonce  ani  mouve- 
ments circulaires,  s'assied  dans  sa  caverne  paupières 
-.  concentrant  ses  pensées  mit  i  Être  nécessaire 
s;,ns  Im  associi  i  M'  n  'I  autre,  p  '.ni.  n  arrive  bientôt  à 
I  intuition  d>-  lin.  véritable  et  nécessaire,  mais  liée 
avec  la  conscb  propre,  c'esl  ■<  dire 

de  sa  personnalité.  De  nouveau]   efforts  réussirent  a 
(aire  disparaître  di  ée   le  monde  sensible,  les 

substance     é parées  de  la  matière  et  ^->  propi 
tout  cela      -    moiiii    et   il   as  n  ita  que  l'I  nique,  le 
Véritable,   l'Être   permanent,  i  \  la  réflexion,  il  i"  n   . 
qu'il  n'avail  p  e  qui  le  distinguai  de  l'e 


du  Véritable;  que  ce  qu'il  avait  auparavant  considéré 
comme  son  essence,  distincte  de  l'essence  du  Véritable, 
n'était  rien  véritablement,  et  que  rien  n'existait  sinon 
l'essence  du  Véritable;  qu'il  en  était  d'elle  comme  de 
la  lumière  du  soleil  qui  tombe  sur  les  corps  opaques  et 
qu'on  voit  apparaître  en  eux  :  bien  qu'on  l'attribue  au 
corps,  dans  lequel  elle  apparaît,  ce  n'est  autre  chose  en 
réalité  que  la  lumière  du  soleil.  »  p.  92.  Il  se  confirma 
dans  cette  pensée  par  la  considération  de  la  simplicité 
divine;  car  en  Dieu  la  connaissance  qu'il  a  de  son 
essence  est  son  essence  même;  d'où  il  résultait  pour 
lui  nécessairement  que  posséder  la  connaissance  de 
l'Essence  est  posséder  l'Essence.  Et  en  vertu  de  ce 
raisonnement  il  s'identifiait  avec  Dieu  et  avec  toutes 
les  essences  qui  connaissent  Dieu  intuitivement, 
puisqu'elles  sont  toutes  identiquement  Dieu,  p.  94. 
Mais  Dieu  l'éclaira  et  il  comprit  qu'il  s'était  mé- 
pris. «  Les  explications  deviennent  ici  très  malai- 
sées. »  Car  si  on  parle  comme  il  vient  de  le  faire  des 
essences  au  pluriel,  cela  donne  à  penser  qu'il  y  a  entre 
elles  une  pluralité  —  ce  qui  est  faux,  puisque  la  plura- 
lité, le  beaucoup  et  le  peu,  l'unité  et  la  pluralité,  la 
réunion  et  la  séparation  sont  des  attributs  des  corps 
et  si  on  en  parle  sous  la  forme  du  singulier,  cela  donne 
à  penser  qu'elles  ne  sont  qu'un,  ce  qui  leur  répugne 
également.  L'auteur  s'objecte  à  lui-même  le  principe  de 
contradiction  :  «  c'est  un  décret  de  la  raison  qu'une 
chose  est  une  ou  multiple.  »  Il  la  résout  en  disant  que 
la  difficulté  ne  vient  que  «  de  la  faculté  logique  qui 
passe  en  revue  les  choses  individuelles  pour  en  dégager 
l'idée  générale  ;  »  mais  le  soufi  suit  un  procédé  supé- 
rieur, et  on  ne  peut  pas  lui  reprocher  de  se  contredire 
lorsqu'il  parle  de  ce  dont  il  a  eu  la  vision,  puisque,  sur 
le  monde  divin,  «  on  ne  peut  proférer  aucun  des 
termes  auxquels  nos  oreilles  sont  accoutumées  sans  y 
supposer  quelque  chose  de  contraire  à  la  réalité,  »  p.  95. 
Dans  la  suite  on  aura  donc  recours  à  l'allégorie.  «  Il 
vit  que  la  sphère  suprême,  au  delà  de  laquelle  il  n'j  a 
point  de  corps,  possède  une  essence  exempte  de  ma- 
tière, qui  n'est  pas  l'essence  de  l'Un,  du  Véritable,  qui 
n'est  pas  non  plus  la  sphère  elle-même,  ni  quelque 
chose  de  différent  de  l'un  et  de  l'autre,  mais  qui  est 
comme  l'image  du  soleil  reflétée  dans  un  miroir  poli  : 
cette  image  n'est  pas  le  soleil,  ni  le  miroir,  ni  quelque 
chose  de  différent  de  l'un  et  de  l'autre.  »  L'essence  de 
l,i  -ronde  sphère  est  «  comme  l'image  du  soleil  relh'tée 
dans  un  miroir  qui  reçoit  par  réllexion  l'image,  reflétée 
par  un  premier  miroir  tourné  vers  le  soleil,  8  p.  96. 
El  ainsi  de  suite  pour  toutes  les  sphères,  ou  intelli- 
gences séparées,  jusqu'au  monde  de  la  génération  el  de 
la  corruption,  constitué  par  tout  ce  que  contient  la 
sphère  de  la  lune.  Ce  monde  possède  une  essence 
exempte  de  matière,  qui  n'est  aucune  des  essences 
déjà  perçues  ni  quelque  chose  d'autre;  cette  essence 
connaît  lin.  el  parait  multiple  bien  qu'il  n'\  ail  en 
elle  aucune  multiplicité  ;  elle  est  «  comme  l'image  du 
soleil  qui  se  reflète  dans  une  eau  tremblante,  en  repro- 
duisant l'image  renvoyée  par  le  miroir  qui  reçoit  le 
dernier  la  réllexion  d'après  l'ordre  déjà  indique 
Puis  il  vil  qu'il  possédail  lui-même  une  essence  séparée. 

S'il  se    pouvait  que    l'essence  d inde  sublunaire 

1    lui  divisée  en  parties,   on  pourrait   dire   que  cette 

n  es)  nie'  partie .  et  n'était  qu  ■  no 

.1  1  té  produite  après  un  temps  oii  elle  n'était  point,  on 

pourrait  dire  qu'elli  1  lie  du  monde 

sublunaire;  enfin,  si  elle  n  était  devenue  propre  a  son 

d<  -  ic  moment  ou  .lie  a  été  produite,  on  pourrait 

dire  qu'elle   n  .1    pas    été    produite        '  ependanl  les 

rées  qui   sont  unies   .iux  sphères,  el  les 

Uptlbles,  connue  c'esl   le 

,iii\  raisonnables,  ne  dépendent  ps    des 

unie    dans    l'exemple  de.    lumières  el   des 

1 .     1  lie .  n'onl  de  lien  1 1  de  dépendance 


1211 


DIEU    (SA   NATURE   SELON   LES   SCOLASTIQUES 


1212 


que  par  rapport  à  lT.ssence  de  l'Un,  du  Véritable,  de 
l'Être  nécessaire,  qui  est  la  première  d'entre  elles,  leur 
principe  et  leur  cause,  qui  les  fait  exister,  leur  donne 
la  durée,  leur  communique  la  permanence  et  la  perpé- 
tuité, »  p-  100.  Elles  n'ont  pas  besoin  des  corps,  mais 
les  corps  ont  besoin  d'elles  :  «  si  elles  n'existaient 
point,  les  corps  n'existeraient  point,  car  elles  en  sont  les 
principes.  »  De  même  si  par  impossible  l'un  disparais- 
sait, tout  cesserait  d'être.  «  Et  bien  que  le  monde  sen- 
sible vienne  à  la  suite  du  monde  divin,  semblable  à 
son  ombre,  tandis  que  le  monde  divin  peut  se  passer 
de  lui  et  lui  est  étranger,  néanmoins  on  ne  peut  en 
supposer  la  non-existence  :  car  il  est  une  suite  du 
monde  divin  et  sa  corruption  implique  le  cbangement 
mais  ne  comporte  pas  la  non-existence  totale,  »  p.  101. 
C'est  sur  cette  négation  de  l'impossibilité  de  l'annihi- 
lation que  s'arrête  la  partie  du  roman  qui  nous  inté- 
resse ici. 

2.  Philosophie.  —  Ibn  Tofaïl  nous  avertit  lui-même 
que  si  l'on  s'en  tient  au  sens  exotérique  de  la  philoso- 
phie d'Avicenne,  on  ne  peut  pas  parvenir  à  l'intuition 
de  l'Un;  mais  qu'il  en  est  autrement,  si  l'on  en  prend 
le  sens  ésotérique,  celui  de  la  Philosophie  orientale, 
p.  10.  Cf.  les  Traites  mystiques  d'Avicenne  édités  par 
Mehren,  Leyde,  1889.  De  fait,  à  qui  connaît  la  philo- 
sophie d'Avicenne  les  intuitions  du  Veillant  sont  assez 
claires.  Pour  les  comprendre,  il  suffit  de  penser  aux 
conclusions  suivantes  du  philosophe.  —  «)  Xous  con- 
naissons Dieu  par  la  causalité,  et  par  cette  voie  nous 
concluons  qu'il  est  l'être  premier  et  nécessaire  :  mais 
quand  on  dit  qu'il  est  premier,  on  n'entend  pas  autre 
chose  qu'une  relation  de  son  être  à  l'existence  d'autre 
chose;  et  quand  on  le  dit  puissant,  on  signifie  que 
l'être,  qui  objectivement  est  l'être  nécessaire,  est  en 
relation  avec  ce  qui  peut  recevoir  de  lui  l'existence  (le 
possible).  Nous  ne  pouvons  donc-  rien  affirmer  de  la 
nature  intrinsèque  de  Dieu,  en  dehors  de  la  parfaite 
simplicité  ou  unité.  Cf.  ,1.  Bacco,  In  IV  Sent.,  1.  I, 
dist.  II,  q.  I,  a.  1,  et  le  VIIIe  livre  de  la  métaphysique 
d'Avicenne.  —  b)  D'ailleurs,  tout  vient  de  l'Un,  non 
par  création  libre  et  temporelle,  mais  par  production 
nécessaire;  en  sorte  que  tout  ce  qui  est  existant  est 
nécessaire,  et  tout  ce  qui  n'est  pas  existant  est  impos- 
sible. Cf.  S.  Thomas.  De  potenlia,  q.  m,  a.  17,  ad  4"1". 
—  c)  Tout  ce  qui  est  produit,  bien  que  l'Un  causant 
nécessairement  ne  puisse  produire  immédiatement  que 
l'un,  est  nécessairement  multiple  ou  réellement  com- 
posé. Ici  Avicenne  combine  la  doctrine  d'Avicebron 
suivant  laquelle  tout  produit  est  composé  de  matière  et 
de  forme,  d'essence  et  d'existence,  avec  celle  d'Alfarabi 
qui,  admettant  les  deux  compositions  réellesd'Avicebron , 
explique  que  la  matière  est  produite  par  la  connais- 
sance que  le  premier  effet  prend  de  lui-même  ou  de 
sa  potentialité.  Cf.  Avicenne,  Metaph.,  1.  IX,  c.  IV j 
Averroès,  Destructio  destructionum  philosophise  Alga- 
zelis,  disp.  III,  Venise,  1550,  t.  ix,  fol.  29.  L'essence  et 
l'existence  du  produit  sont,  dit  Avicenne,  deux  réalités 
objectives  réellement  distinctes.  Car  le  nécessaire  se 
définissant  :  ce  qui  n'a  pas  de  cause,  et  le  produit  se 
définissant  :  ce  qui  a  une  cause,  le  produit  n'est  pas 
nécessaire;  et  donc  par  définition  l'existence  lui  sur- 
vient, intentio,  dispositio  addita,  accidens  :  expressions 
qui  n'empêchent  pas  l'existence  d'être  une  réalité  substan- 
tielle, aclus  substantialis,  quand  il  s'agit  de  substances 
produites.  Esse  accidit  omni  enti,  prœtcrquam  in  ne- 
cesse  esse.  Avicenne,  Metaphysica,  1.  V.  Cf.  Helias 
llebrseus  Cretensis,  Aculissimœ  quœstiones,  édité  à  la 
suite  de  Jandun,  De  anima,  Venise,  1560,  Qusestio  de 
esse,  essentia  et  unà,  col.  637.  Nous  dirons  bientôt 
comment,  d'après  Alfarabi  et  Avicenne,  du  premier 
composé  d'essence  et  d'existence  résulte  la  matière. 
Notons  seulement  ici  que  la  première  essence  produite, 
qui  est  une  intelligence  séparée,  n'est   pas  une.  Car, 


dans  le  système,  l'unité  est  comme  l'existence  une  réalité 
objective  qui  survient  à  l'essence  du  produit,  substan- 
tiellement ou  accidentellement,  en  tant  que  cette  essence 
est  unie  par  manière  de  cause  formelle  à  la  matière 
corruptible  et  étendue.  Or  tel  n'est  pas  le  cas  pour  la 
première  intelligence  séparée,  qui  meut  la  première 
sphère.   En  soi,  elle  n'est  donc  ni  une  ni  multiple.  — 

d)  C'est  de  ces  hypothèses,  à  l'aide  desquelles  Avicenne 
pense  donner  une  preuve  absolument  générale  de  l'hylé- 
morphisrne,  cf.  Munk,  Guide,  t.  il,  p.  20.  et  concilier 
son  plotinisme  avec  la  doctrine  péripatéticienne  de 
l'acte  et  de  la  puissance,  qu'il  déduit  l'impossibilité  de 
la  trinité  des  personnes  en  Dieu.  Tous  les  Arabes  qui 
niaient  les  attributs  avaient  contre  la  Trinité  un  argu- 
ment commun,  à  savoir  qu'elle  est  impensable  et  néces- 
sairement irréelle,  vu  l'absolue  simplicité  de  Dieu. 
Outre  cet  argument  valable  a  fortiori  dans  l'agnosti- 
cisme d'Avicenne,  celui-ci  en  donnait  un  autre  que  nous 
rapporte  saint  Thomas,  qui  se  garde  bien  de  concéder 
la  doctrine  de  l'unité  d'Avicenne,  mais  admet  que  tout 
être  est  un  ou  multiple.  De  potenlia,  q.  n,a.  1,  adllum. 
Quando  res  aliqua  aliquid  habet  lantum  ab  altero,  ei 
secundum  se  considérâtes  attribuitur  oppositum  ejus; 
sicut  aer  qui  non  habet  lumen  7iisi  ab  alio  secundum 
se  considcralus  est  lenebrosus.  Et  per  hune  moduni, 
omnes  crealurm  quse  habent  ab  alio  esse,  veritatem 
et  necessilatem,  sunl  non  entes,  falsse  et  impossibiles. 
Sed  nihil  taie  potesl  esse  in  divinis.  Ergo  non  potest 
ibi  esse  aliquis,  qui  tant  uni  habet  esse   ab   alio.  — 

e)  Avicenne  explique  dans  sa  Métaphysique,  I.  IX. 
c.  iv  sq.,  comment  de  la  première  essence  produite 
sort  la  matière  et  toutes  les  aulres  essences.  Saint 
Thomas  le  résume  fidèlement.  Primuni  ens  in  quan- 
tum intelligit  seipsum  producit  unum  tantuni  causa- 
tum,  quod  est  intelligentia  prima.  Dieu  n'est  conscient 
qu'autant  qu'il  produit  en  dehors  de  lui  :  de  Plotin  à 
Hegel,  Avicenne  est  un  trait  d'union  comme  le  Zohar. 
Intelligentiam  primam  necesse  erat  a  prima  de/icere: 
utpote  potentialilas  incepit  admisceri  actui,  in  quan- 
tum esse  recipiens  ab  alio  non  est  suum  esse,  sed 
quodam  modo  potenlia  ad  illud.  Ce  quodam  modo  res- 
trictif est  non  d'Avicenne,  mais  de  saint  Thomas,  cf.  q.  vu. 
a.  2,  ad  9am.Et  sic  in  quantum  intelligit  primum  ens, 
procedil  ab  ea  alla  intelligentia,  ea  inferior;  in  quan- 
tum vero  intelligit  potenliam  suam,  procedil  ab  ea 
corpus  cœli,  quod  movet ;  in  quantum  vero  intelligit 
action  suum,  procedit  ab  ea  anima  cseli  prinii.  Et  sic 
consequenter  mulliplicantur  per  multa  média  res  di- 
verse. De  potentia,  q.  m,  a.  16.  Pour  compléter  cet 
exposé,  ajoutons  que  d'après  Avicenne,  contrairement 
à  Aristote,  dans  le  inonde  de  la  corruption  et  de  la 
génération  aussi  bien  que  dans  le  monde  céleste.  les 
formes  étaient  produites  par  la  dernière  intelligence 
séparée,  qui  préside  à  la  sphère  de  la  lune,  en  sorte  que 
ces  formes  n'étaient  pas  tirées  de  la  matière,  eductse 
e  potentia  materne,  celle-ci  étant  une  pure  potentialité. 
De  potenlia,  q.  m,  a.  8;  q.  v,  a.  1,  ad  5um. 

Avec  ces  données  le  sens  ésotérique  du  système  appa- 
raît nettement,  et  nous  pouvons  comprendre  comment 
il  prétendait  conduire  à  la  connaissance  par  essence  de 
l'Un,  véritable  et  nécessaire,  et  aussi  à  l'union,  à  la 
fusion,  à  l'absorption  dans  l'Un.  Saint  Thomas  l'explique. 
In  IV  Sent.,  1.  IV,  dist.  XLIX,  q.  h,  a.  1.  Etant  donné 
que  la  première  intelligence  voit  Dieu  intuitivement 
en  se  contemplant  elle-même  et  en  prenant  connais- 
sance de  son  essence,  que  par  cette  vision  elle  produit 
la  seconde  intelligence,  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  nous, 
il  suit  que  la  lumière  de  notre  intelligence  n'est  que 
la  participation  de  la  connaissance  intuitive  qu'a  de 
Dieu  la  dernière  intelligence  séparée,  cause  de  notre 
intelligence  comme  de  toutes  les  formes  qui  sont  dans 
la  matière,  sansen  avoir  été  tirées:  c'est  ce  qu'indique 
l'allégorie  des    miroirs  rélléchissants  d'après  laquelle 


4213 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES    SGOL ASTIQUES1 


1214 


notreàme  n'est  qu'une  similitude  intentionnelle  de  Dieu 
transmise  de  degrés  en  degrés  jusqu'à  nous.  Par  là  s'ex- 
plique comment  grâce  à  l'entraînement  mystique  cette 
similitude  peut  nous  devenir  connue,  et  nous  révéler 
ainsi  l'essence  divine  comme  la  voit  la  première  intel- 
ligence, c'est-à-dire  comme  elle  est  en  elle-même.  La 
doctrine  del'existence  et  de  l'unité  explique  aussi  l'union 
et  l'absorption  en  Dieu.  Telle  était  du  moins  la  préten- 
tion d'Avicenne  et  la  base  de  sa  méthode  de  concilia- 
tion d'Aristote,  du  Coran  et  du  soulisme.  Saint  Thomas 
a  constamment  réfuté  cette  doctrine  de  l'intuition  sou- 
fiste.  Sum.  theol.,la,  q.  xn,  a.  2;/n  IV Sent.,  loc.  cit.; 
De  verilale,  q.  vin,  a.  1  ;  Contra  génies,  1.  III,  c.  xlix. 
D'où  if  suit  que  l'interprétation  de  ces  passages  de  saint 
Thomas  proposée  par  le  dominicain  François  Victoria 
contre  Caje'an,  et  adoptée  par  Vasque/.,  In  Jam, 
disp.  XXXIX,  est  conforme  à  leur  sens  historique. 

7°  Algazel.  —  On  trouvera  l'exposé  de  la  théodicée 
d'Algazel  dans  Carra  de  Vaux,  Gazait,  c.  iv,  Paris,  1902, 
et  dans  Miguel  Asin  Palacios,  Esludios  filosofico-tlieolo- 
gicos,  I,  Algazel,  Dogmatica,  moral,  ascelxca,  Saragosse, 
1901.  Disons  seulement  avec  Duncan  B.  Macdonald. 
Development  of  muslim  theology,  jurisprudence  and 
constilutional  theory,  Londres,  1903,  p.  237,  que  la 
position  religieuse  d'Algazel  est  «  essentiellement  la 
môme  que  celle  de  Mansel,  »  que  sa  théorie  de  la  reli- 
gion révélée  et  de  sa  valeur  «  est  à  peu  près  celle  de 
Rilschl,  »  et  qu'on  retrouve  les  mêmes  doctrines  chez 
Maimonide  dont  nous  aurons  à  parler  plus  loin.  Ce 
qui  nous  intéresse  tout  spécialement  ici,  ce  sont  les 
problèmes  philosophiques  qu'il  a  soulevés,  et  par  con- 
séquent posés  devant  les  scolastiques,  dans  sonTéhâfut, 
ou  comme  on  disait  au  moyen  âge,  dans  sa  Destruction 
des  philosophes,  expression  que  l'on  pourrait  traduire 
parcelle  de  banqueroute  de  la  philosophie.  Motékallim 
de  la  secte  des  Acharites,  Algazel  se  propose  de  montrer 
en  employant  la  méthode  des  philosophes,  que  la  phi- 
losophie ne  démontre  ni  les  conclusions  où  elle  s'écarte 
de  l'orthodoxie  musulmane  et  de  la  doctrine  des 
Acharites,  ni  celles  où  elle  y  est  conforme. 

a)  Les  philosophes  ne  prouvent  pas  l'éternité  du 
monde;  car  pour  résoudre  leurs  arguments  il  suflil 
d'une  pari  de  leur  faire  remarquer  qu'avant  le  temps 
i.'i  I  il  n'y  avait  qu'un  temps  imaginaire,  cf.  C.  de  Vaux, 
op.  cit.,  p.  G7;  S.  Thomas, Sum.  theol.,la,  q.  xi.vi.a.  I, 
ad  <>"">;  et  d'autre  part  qu'en  admettant  l'éternité  du 
monde,  ils  sont  acculés  au  nombre  in  (in  i  qui  est 
impossible.  Carra  de  Vaux,  ibid.,  p.  69;  Maimonide, 
t. unie,  part.  I.  c.  lxxiii,  II.  t.  i,  p.  414;  S.  Thomas, 
-'/"/.,  a.  2,  ad  7"m;q.  vu,  a.  i.  D'ailleurs,  pense  Algazel, 
connue  plus  tard  saint  Thomas,  le  prétendu  problème 
du  multiple  sortant  de  l'Un  se  résout  très  bien  par 
l'admission  d'un  premier  agent  intelligent  et  libre. 
Carra  de  Vaux,  ibid.,  p.  65;  De  polenlia,  q.  ni,  a.  10. 

b)  Les  philosophes  ne  sont  pas  plus  heureux  dans 
leurs  preuves  de  l'existence  de  Dieu.  Ils  ont  recours  au 
principe  de  causalité'  efficiente;  mais,  pense  Algazel,  bien 
avant  Hume,  la  causalité  se  réduit  à  une  pure  succes- 
sion, ra,r  Dieu  seul  agit  dans  le  monde. Carra  de  \;mx. 
p.  79;  De  potentia,  q.  m,  a.  7.  Donc,  puisque  les  philo- 
sophes ad ttenl  la  régression  à  l'infini  d'une  série  de 

dans  un  monde  éternel,  ils  n'ont  aucun  moyen 
de  conclure  à  l'Être  nécessaire,  distinct  du  monde.  Ibut., 
p.  68.  On  a  vu  la  solution  scolastique  de  ce  problème, 
col.  948,  indépendante  de  la  question  de  la  création  et 
de  l'éternité  du  monde,  4  la  condition  qu'on  ne  con 
pas  au  nominalisme  son  hypoll 

c  Les  philosophes    •   retranchent  dans  la  né© 
d'une  détermination  enln  las,  et  pensent  ainsi 

prouver  Dieu  par  la  contingence.  Pour  Algazel,  comme 
pour  les  Motékallim  au  rapport  de  Maimonide  el  d  Aver 
le  possibli  n  <  on  fond  a\>  r  le  pensé;  il  ne  suppose 
aucune  réalité  en  dehors  de  1 1  spril  qui  le  pense,  el  poui 


juger  qu'une  chose  est  possible,  admissible,  il  n'y  a  pas 
lieu  de  tenir  compte  de  la  nature  des  choses.  Carra  de 
Vaux,  p.  03;  Maimonide,  Guide,  part.  I,  c.  LXXIII,  10,  t:  I, 
p.  401;  De  potentia,  q.  i,  a.  4.  En  partant  de  cette 
définition  on  peut  démontrer  Dieu,  d'après  Algazel. 
Cf.Maimonide,î'6(d.,c.  lxxiv,  5  sq..  t.  i,  p. 426. Mais  les 
philosophes,  qui  entendent  autrement  le  mot  possible, 
ne  peuvent  pas  aboutir.  En  effet,  les  uns  définissent  le 
possible  l'être  en  puissance,  et  assignent  la  matière 
comme  fondement  de  la  possibilité  :  mais  ceux-là  sup- 
posent ce  qu'ils  n'ont  pas  démontré,  l'éternité  et  l'aséité 
de  la  matière.  D'autres,  c'est  d'Avicenne  qu'il  s'agit,  ne 
peuvent  pas  assigner  la  matière  comme  fondement  de 
la  possibilité,  puisque  d'après  eux  la  matière  n'est  qu'une 
pure  puissance  qui  n'existe  que  par  la  forme  et  d'où  les 
formes  ne  sont  pas  éduites  mais  simplement  introduites. 
Ils  définissent  donc  le  possible  :  ce  qui  a  une  cause,  id 
quod  habet  causam.  Mais,  réplique  Algazel  avant  Taine, 
cf.  col.  944,  de  la  sorte  le  possible  se  confond  avec  le 
produit  ou  le  réel;  comme  d'autre  part  Avicenne  admet 
la  nécessité  absolue  de  la  production  des  choses,  pour 
lui,  le  possible  se  confond  avec  le  nécessaire,  d'où  il 
suit  que  ce  qui  n'existe  pas  est  impossible,  et  que  tout  ce 
qui  existe  est  nécessaire.  Dans  ces  conditions,  comment 
Avicenne  prouvera-t-il  la  mineure  de  sa  prétendue 
preuve  par  la  contingence  :  nutndus  est  universalité)' 
possibilis  ?  De  fait,  comme  le  remarque  Averroès,  Avi- 
cenne ne  pouvait  pas  prétendre  à  la  fois  que  l'argument 
de  contingence  tel  que  le  donnaient  les  Motékallim  ne 
concluait  pas,  et  que  le  sien  était  valable.  Car  par  le 
fait  qu'il  cessait  de  considérer  la  dépendance  causale 
comme  une  propriété  du  possible,  et  introduisait  cette 
dépendance  dans  la  définition  même  de  l'être  en  puis- 
sance, il  acceptait  la  doctrine  nominaliste  des  Motékal- 
lim concernant  les  possibles,  et  s'enlevait  tout  moyen 
d'assigner  une  raison  de  la  contingence  et  par  suite  de 
la  nécessité  d'une  cause.  Cf.  Averroès,  op.  cit.,  disp. 
IV,  fol.  32;  de  Iîoer,  Die  Widersprùche  der  Philosophie 
nach  Al-gazdli  und  ihr  Ausgleich  durch  Ibn  Iïosd, 
Strasbourg,  1894,  p.  42. 

d)  Algazel  suit  Avicenne  jusqu'au  bout  de  son  argu- 
mentation en  faveur  de  l'existence  de  Dieu.  Avicenne 
complétait  son  argument  de  contingence  par  un  argu- 
ment spécial  que  voici  en  substance.  Définissons  l'être 
nécessaire  celui  qui  n'a  pas  de  cause,  celui  par  consé- 
quent dont  l'existence  n'a  pas  de  cause,  mais  dont 
l'essence  est  d'exister:  c'est  le  nécessaire  en  lui-même, 
necessarium  per  se,  per  se  subsistais,  le  nécessaire 
absolu.  Tout  ce  qui  n'est  pas  ainsi  nécessaire  est  pos- 
sible, c'est-à-dire  a  une  cause,  id  quod  habel  causam  ; 
l'existence  du  possible  a  donc  une  cause,  vu  qu'elle 
n'est  pas  donnée  avec  l'essence.  Le  possible  existant 
ou  est  une  de  ces  choses  qui  nait  et  péril,  )>ossibile 
esse  et  non  esse,  un  possible  absolu  —  et  l'argument 
de  contingence  nous  a  montré  que  ce  possible  exige  un 
être  nécessaire  comme  cause;  ou  bien  le  possible  exis- 
tant est  une  de  ces  choses  qui  ne  naissent  et  ne 
périssent  pas,  et  qui  par  conséquent  sont  nécessaires, 
non  en  elles-mêmes,  mais  par  leur  cause,  necessarium 
pet  aiii'ti;  de  ce  nombre  sont  les  sphères  célestes. 
Bien  quelles  soient  nécessaires,  puisqu'il  répugne 
qu'elles  ne  soient  pas  ou  qu'elles  soient  autrement, 
elles  restent  cependant  possibles;  car,  connue  elles 
Boni  composées  réellement  d'acte  el  de  pul  >anci  .  i  ■■'-i- 
à-dip  ici   'i  d'existence,  de  matière  el  déforme, 

il  en  résulte  que  leur  nature  consid  Ile  même 

possible    ml    c.vv    e!  d'oii    la     possibilité 

de  leur  annihilation.  Cutii  eue  lit  prmier  esientiam 

CUJUêlibet    tel   erenl.r.    [p$a     milnen   ,e,    .nalw    per  Se 
il    est   a<l    ■  tlitatem    rern 

ii  non  habet  niei  ab  alin.  De  potentia, q.  v, a.3. 
<       définitions  supposées  on   conclut  que  parmi 

I    il    j    ■'!!     |  nt  un   qui    I 


1215 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES   SCOLASTIQUES) 


1216 


cause  des  autres  et  qui  par  conséquent  est  le  premier, 
non  Italiens  primum;  on  ajoute  qu'il  ne  peut  y  en 
avoir  qu'un  seul,  et  que  son  essence  est  d'exister,  d'où 
suit  sa  parfaite  simplicité.  Il  y  a  un  premier,  cause 
des  autres  :  car  s'il  y  a  plusieurs  corps  chauds,  il  faut 
qu'il  y  ait  du  feu  quelque  part.  De  potentia,  q.  [If, a. 5. 
Il  n'y  a  qu'un  premier  :  car  s'il  y  en  avait  deux,  il  y 
aurait  entre  eux  nécessairement  ressemblance  et  diffé- 
rence et  par  conséquent  composition  ;  mais  point  de 
composé  sans  cause.  Donc  l'un  serait  la  cause  de  l'autre. 
Averroès,  Deslruclio,  disp.  V,  fol.  33.  Il  est  simple  et 
son  essence  est  l'existence,  car,  suivant  la  remarque 
d'Alexandre  d'Aphrodise,  toutes  les  fois  qu'on  a  un 
composé,  l'hydromel,  et  que  l'un  de  ses  éléments  se 
trouve  isolé,  l'eau,  l'autre  élément,  le  miel,  doit  aussi 
se  trouver  isolément.  Cf.  Maimonide,  op.  cil-,  t.  Il, 
p.  38;  Contra  gentes,  1.  I,  c.  xm,  Secunda  via.  Or 
tous  les  êtres  nécessaires  per  causant,  sont  composés 
d'essence  et  d'existence;  leurs  essences  sont  disparates 
et  par  conséquent  isolées;  l'existence  doit  donc  l'être, 
d'où  il  suit  que  l'être  nécessaire  en  lui-même  est  une 
existence  sans  essence. 

Devantces  définitions  arbitraires  et  les  conséquences 
vertigineuses  qu'on  en  déduisait,  Algazel  usa  jusqu'à 
satiété  de  toutes  les  ressources  de  la  dialectique.  De 
cent  façons,  il  pose  et  repose  le  problème  des  possibles 
à  un  adversaire  qu'il  sait  n'avoir  pas  de  réponse  à  cette 
question  embarrassante.  Comment  vos  nécessaires 
per  aliud  sont-ils  à  la  fois  nécessaires  et  possibles'? 
comment  se  distinguent-ils  des  possibilia  esse  et  non 
esse,  puisqu'ils  sont  eux-mêmes  possibilia  esse  et  non 
esse,  c'est-à-dire  annihilables?  Et  comment  les  possibles 
se  distinguent-ils  des  impossibles,  negatum  absolu- 
tuni  ?  De  quel  droit  m'interdisez-vous  de  faire  sur  les 
impossibles  le  même  raisonnement  que  vous  faites  sur 
les  nécessaires  per  aliud  :  clrimœra  est  ipsa,  aut  ex 
se  aut  ex  causa?  Celte  disjonction  que  vous  employez 
pour  tous  les  possibles,  absolus  et  nécessaires  par 
autre  chose,  je  puis  fort  bien  l'appliquer  au  nécessaire 
absolu  :  il  est  nécessaire  absolu,  ou  par  lui-même,  ou 
par  une  cause.  Ce  discours,  prétendent  les  philosophes, 
n'a  pas  de  sens,  puisque  par  définition  l'être  nécessaire 
n'a  pas  de  cause;  mais  il  en  va  de  même  de  l'emploi 
qu'en  fait  Avicenne  à  propos  des  possibles,  étant  donné 
la  manière  dont  il  les  conçoit.  Avicenne  ne  conclut 
donc  pas  légitimement  qu'il  y  a  un  premier,  cause  des 
autres  nécessaires.  Il  ne  conclut  pas  mieux  que  ce  pre- 
mier soit  unique  et  simple.  Car  puisqu'il  admet  la  dis- 
tinction réelle  de  l'essence  et  de  l'existence,  il  pose 
nécessairement  une  pluralité  dans  le  Premier,  et  par 
suite  toutes  ses  attaques  contre  la  pluralité  réelle  des 
attributs  défendue  par  les  Acharites  sont  vaines. 
Cf.  Averroès,  op.  cit.,  disp.  III,  fol.  25;  disp.  VI, 
fol.  36  sq. 

Bien  que  très  incomplète, cette  analyse  delà  Destruc- 
tion d' Algazel  suffit  à  montrer  d'où  vinrent  à  l'esprit 
desscolastiques  du  xiii«  siècle  beaucoup  des  problèmes 
nouveaux  qu'ils  agitèrent.  Plusieurs  des  questions 
soulevées  par  Algazel  ont  eu  dans  les  scolastiques  une 
longue  répercussion.  Un  a  vu,  col.  931,  946,  que  saint 
Thomas  a  fait  divers  emprunts  à  Avicenne,  mais  en 
modifiant  les  positions  de  celui-ci.  La  critique  d'Avi- 
cenne  par  Algazel,  que  saint  Thomas  connaissait,  sinon 
directement  par  le  texte  même  d'Algazel,  au  moins  par 
celui  d'Averroès,  indique  à  quelles  préoccupations 
furent  dues  ces  modifications.  Avant  d'en  préciser 
davantage  les  origines  prochaines,  insérons  ici  un 
erratum.  A  la  col.  946,  ligne  41,  un  membre  de 
phrase  a  été  par  mégarde  omis,  qui  rend  le  texte  ou 
inexact  ou  inintelligible;  entre  le  mot  «  absolu  »  et 
«  saint  Thomas  »,  il  faut  insérer  ce  membre  de  phrase  : 
le  nécessaire  par  autre  chose  est  à  la  fois  nécessaire  et 
possibile  in  esse  et  non  esse. 


8°  Averroès.  —  Saint  Thomas  fut  un  adversaire  dé- 
claré d'Averroès,  spécialement  en  ce  qui  concerne 
l'unité  de  l'âme  humaine,  l'éternité  du  monde,  la  visi- 
bilité de  Dieu  et  la  sainte  Trinité.  En  traitant  du  pre- 
mier sujet,  il  a  même  qualifié  Averroès  de  corrupteur 
de  la  philosophie  péripatéticienne.  On  cite  souvent 
cette  phrase  pour  en  conclure  que  le  péripatétisme  de 
saint  Thomas  n'a  rien  de  commun  avec  celui  d'Aver- 
roès ;  mais  on  ne  remarque  pas  que  dans  le  même 
ouvrage,  pour  réfuter  les  averroïstes  latins  qui  défen- 
daient la  répugnance  de  la  multiplication  des  intellects, 
saint  Thomas  emprunte  à  Averroès  son  interprétation 
d'Aristote;  on  oublie  aassi  de  noter  que  saint  Thomas 
explique  lui-même  en  quel  sens  d'après  luiAverro 
corrompu  le  péripatétisme  :  c'est  parce  qu'il  a  rapport'- 
de  travers  l'opinion  de  Thémistius  et  de  Théophrasle, 
que  saint  Thomas  considère  comme  de  bons  péri- 
patéticiens.  Cf.  Opusc,  XVI,  De  unitale  intellectut, 
Venise,  1595,  t.  xvn,  p.  181,  185,  187.  Sans  aller  jus- 
qu'à parler  avecMiquel  Asin  y  Palacios  d'un  averroïsme 
théologique  de  saint  Thomas,  El  Averroismo  teologico 
de  Santo  Tomâs  de  Aquino,  dans  Homenage  a 
D.  Franc.  Cordera,  Saragosse,  1904,  p.  303  sq.,  nous 
essaierons  de  mettre  le  lecteur  à  même  de  se  former 
une  opinion.  Cf.  Genito,  La  Summa  contra  gentes  \i 
el  Pugio  fidei,  Vergara,  1905,  réfutation  de  M.  Asin. 

1.  Critique  d'Algazel  el  à" Avicenne.  —  Averroès 
écrivit  sa  Deslruclio  destructionuni  pliilosophise  pour 
réfuter  Algazel  et  défendre  la  philosophie.  Opéra, 
Venise,  1550,  t.  ix.  D'après  lui,  Avicenne  et  Algazel 
tiennent  en  commun  trois  principes  faux,  a)  Ils  admet- 
tent tous  deux  que  les  possibles  n'ont  de  réalité  que 
dans  l'esprit;  la  vérité  est  que  la  détermination  des  pos- 
sibles est  en  Dieu  et  aussi,  la  matière  supposée,  dans  la 
matière  d'où  les  formes  sont  éduites.  Averroès  hésite  à 
prononcer  si  cette  détermination  est  en  Dieu  substan- 
tielle ou  accidentelle;  mais  il  est  catégorique  sur  le 
recours  à  Dieu  comme. fondement  dernier  des  possibles. 
Inutile  de  noter  que  sur  ce  point,  où  il  était  d'accord 
avec  saint  Augustin,  les  scolastiques  suivirent  Averroès. 
Disp.  III,  fol.  25.  —  b)  Ni  l'un  ni  l'autre  n'ont  distingué 
comme  il  convient  le  possible,  à  l'état  de  possibilité,  et 
le  possible  réalisé,  qui  vérifie  nos  jugements,  possibtle 
verum,  qu'il  définit,  possibile  positum,  distinctum 
contra  non  habens  causant.  Disp.  IV,  fol.  32.  Cf.  S.  Tho- 
mas, Quodlibeta,  IX,  q.  n,  a.  3.  L'un  et  l'autre  ont  vu 
justement  que  l'homme  est  homme,  soit  qu'il  existe 
soit  qu'il  n'existe  pas;  mais  comme  ils  tenaient  que 
les  possibles  n'ont  de  réalité  que  dans  l'esprit,  ils  n'ont 
pas  su  distinguer  le  possible  en  tant  qu'essence  déter- 
minée et  le  possible  en  tant  que  réalité  constatée. 
in  actu,  verum;  ils  ont  par  suite  refusé  de  donner  le 
nom  d'être,  ens,  au  possible  pur,  ne  concevant  pas 
qu'il  est  un  être  en  puissance,  logique  ou  objective;  et 
cette  première  erreur  les  a  amenés  à  une  seconde  : 
ils  ont  également  refusé  de  donner  le  nom  d'être  au 
possible  hors  de  ses  causes,  in  actu,  parce  qu'ils  ont 
imaginé  rem  cum  est  in  actu  diversam  a  se  ipsa 
quando  fuit  in  potentia.  Averroès,  Metaphys.,  I.  VIII. 
coin.  16,  fol.  106.  Cf.  Albert  le  Grand.  Postprsedica- 
menla,  c.  IX,  cité  par  Capréolus,  In  IV  Sent.,  1.  1. 
dist.  VIII,  q.  i,  a.  1,  et  par  Cajetan,  De  ente  et  esseittia, 
édit.  Vives  d'Albert,  t.  i,  p.  289;  S.  Thomas.  In 
IV  Sent.,  1.  I.  dist.  XXXIII,  q.  I,  a.  1.  ad  D"";  De 
ente  el  essentia,  ci;  De  potentia,  q.  v,  a.  9,  ad  16unl; 
q.  vil,  a.  2,  ad  9um.  —  c)  Ils  ont  été  d'autant  plus  facile- 
ment amenés  à  refuser  le  nom  d'être,  ens,  esse,  à  la 
réalité  produite  ou  hors  de  ses  causes  en  tant  que 
vérificative  du  jugement  existentiel  par  opposition  a  la 
même  réalité  comme  vérificative  du  jugement  de  pos- 
sibilité, qu'ils  partaient  d'un  faux  principe  :  Onme 
habens  intellectionent  additam  déterminât  aliquid 
extra  animant   in  actu,  toute  notion  distincte  e 


1217 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES    SCOLASTIQUES) 


1218 


dans  le  réel  une  réalité  distincte.  El  est  error,  pro- 
nonce Averroès.  Disp.  III,  fol.  25;  MeCaphys.,  1.  IV, 
com.  3;  I.  X,  corn.  8,  fol.  32,  121  ;  résumé  parsaint  Tho. 
mas,  Metapli.,  1.  IV,  lect.  n;  1.  X,  lect.  m.  Cf.  Benoit  Pe- 
reyra,  De  communibus  rerum  omnium  ]>rincipiis,  1.  VI, 
c.  xv,  Paris,  1579,  p.  381.  De  là  est  venue  la  multipli- 
cation des  enlités  distinctes  :  matière  et  forme  dans  les 
intelligences  qui  meuvent  les  sphères,  essence  et  exis- 
tence dans  tout  ce  qui  a  une  cause.  Ce  réalisme  outré 
est  dû  aussi,  pense  Averroès,  à  un  contre-sens  commis 
par  Avicenne  par  suite  de  l'équivoque  du  mot  arabe 
maoudjoud,  trouvé,  par  lequel  les  traducteurs  ont 
exprimé  le  tô  ôv  d'Aristote.  Cf.  Maimonide.  op.  cit., 
t.  i,  p.  231.  C'est  aussi,  dit  avec  plus  de  profondeur 
Averroès,  qu'Avicenne  et  Algazel  n'ont  pas  rélléchi 
sur  la  nature  des  relations,  qui  ne  sont  pas  toutes  des 
réalités  distinctes,  mais  qui  s'identifient  avec  leur  fon- 
dement, materia  est  potentia  quia  est  ad  aliquid,  sed 
lace  potenlia  est  ipsa  snbstanliantaterise.  De  substan- 
tia  orbis.  Parlant  d'Avicebron.  qui  admet  comme  Avi- 
cenne l'universalité  de  l'hylémorphisme  et  par  suite 
met  de  la  matière  dans  les  intelligences  qui  meuvent 
les  sphères,  saint  Thomas  se  souvient  d'Averroès  : 
supponit  Avicebron  quod  quœcumque  distinguuntur 
secundum  intellectum,  sinl  eliam  in  rébus  distincla. 
Sum.  theol..  I",  q.  I.,  a.  2;  Opusc.,  XV,  De  substantiis 
separatis,  c.  v.  Fréquemment  ailleurs  il  se  rallie  à 
la  doctrine  des  relations  d'Averroès,  qui  est  d'Aris- 
tote. Cf.  De  potenlia,  q.  vu,  a.  9;  In  IV  Sent.,  1.  I, 
dist.  XXVI.  q.  n,  a.  1;  a.  2,  ad  4um;  Metaph.,  1.  V, 
text.  20,  lect.  xyii;  Averroès,  Mctaphys.,  XII,  com.  19, 
l.  vin,  fol.  144. 

Qu'on  admette  la  fausseté  de  ces  trois  principes,  dit 
ça  et  là  Averroès,  l'argumentation  d'Algazel  contre 
Avicenne  s'écroule  en  entier.  C'est  ce  qu'il  s'applique  à 
montrer  d'un  bout  à  l'autre  de  sa  Destruction.  Ces 
sortes  de  discussions  dialectiques  se  refusant  à  l'ana- 
lyse, nous  ne  pouvons  pas  le  suivre  dans  le  détail 
touffu  de  sa  démonstration.  Mais,  si  le  lecteur  qui 
nous  a  suivi  jusqu'ici  reprend  les  diverses  parties  de 
notre  exposé  d'Algazel,  il  trouvera  facilement  par  lui- 
nu  nie  les  principales  distinctions  qu'introduit  Aver- 
roès. D'ailleurs  les  solutions  de  saint  Thomas,  dans  la 
plupart  des  passages  auxquels  nous  avons  renvoyé  el 
renverrons,  sont  celles  du  commentateur,  du  moins  au 
sens  où  le  saint  docteur  l'entend. 

2.  Théodicce  d'Averroès.  —  Averroès  ne  se  contente 
pas  de  critiquer  Algazel  et  Avicenne.  Pour  défendre 
la  philosophie,  il  s'applique  à  montrer  qu'elle  peut 
construire;  il  construit  donc  et  souvent  en  se  servant 
des  matériaux  d'Avicenne. 

a)  Existence  île  Dieu.  —  Avicenne  a  eu  tortd'intro- 
dnire  dans  sa  preuve  do  premier  moteur  certaines  \ues 
inexactes  sur  !>•  mouvement.  Corrigeons  ces  vues.  L'ar- 
gument est  valable,  "n  a  vu.  col.  931,  que  saint  Tho- 
mas a  tenu  compte  de  la  critique  d'Averroi  el  modifié 
la  doctrine  du  mouvement  d'Avicenne. Cf.  Contragen- 
ta,  I.  I,  c.  xiii  ;  Metaphys.,  1.  XII.  lect.  ix.  L'argument 
par  la  causalité  ne  vaut  rien  s'il  n'y  a  pas  de  vraie 
alité  ici-ba  dire  bî  Dieu  ou  la  dernier'   m 

teiligence  font  tout  sans  que  les  causes  secondes  agis- 
sent.   Mais  Averroi      toutient  qu'il  \  a  des  eau 
rondes  agissantes  contre  l'occasionalisme  de  beaucoup 
d'Arabes.  Saint  Thomas  oaturellemenl  partage  cet  avis. 
i  les  xiv*  el  xv  siè<  li    i  ni 

pensé  qu  \\iii  ■•  n'étend  pas  le  principe  de  causalité 
efficiente,  mais  seulement  celui  de  causalité  finale,  à 
la  première  intelligence  ou  même  .<  toute!  les  intelli- 
ternelles.  Cf.  Jean  Baconthorp,  h<  1\  Sent., 
1.  Il,  q.  i,  a.  2,  g  propot  di  la  création  ea  nihilo; 
Jandnn,  De  tubstaniia  or  bit,  q,  xiv.  fui.  09 
auteur    ne  parai    enl  remarqué  qu'il  y  ,-i 

beaucoup  d'argumentation    txd   hotnineni  dan 

DICT.    Dl  Tlll  01  .   CATHOL. 


roès;  ils  ont  donné  un   sens  catégorique  à    bien   des 
formules    qu'il   emploie  à  l'effet  de  montrer  que   ses 
adversaires  ne  démontrent  pas  leur  thèse.  Bien  que  la 
pensée  d'Averroès  comme  celle  de  tous  les  émanatistes 
reste  souvent  obscure,  il  est  certain  que  dans  sa  Des- 
truction il  met  en  principe  général  que  la  cause  pre- 
mière a  pour  caractéristique  d'avoir  son  existence  in 
se  ou  ex  se,  tandis  que  la  cause  seconde,  esse  ejus  est 
relative  ad  causant  prima.ni.   Disp.  III,  fol.  28.  Et  il 
applique  ce  principe  aux  êtres  simples,   qui  pour  lui 
sont   des  formes  per  se  subsistentes,  cf.  Sum.  theol., 
Ia,    q.  vu,   a.  2;   car   en   elles,    et  entre   elles,    il   y  a 
priorité  et  postériorité,  c'est-à-dire  dépendance  causale, 
disp.  V,  fol.  33;  ce  qu'il  énonce  ailleurs  :  intelleclus 
comprehendit  in  se  causatum  et  causani.  Disp.  III, 
fol.  25.   En  tout  cas,  il  est  certain  que  saint  Thomas  a 
entendu  en  ce  sens  Averroès,  ce  qui  lui   a   permis  de 
croire  qu'il  admettait  la  création  ou  tout  au  moins  qu'on 
pouvait  la  déduire  de  ses   arguments.  Même  procédé 
pour  l'argument  de  contingence.  La  définition  du  pos- 
sible par  Avicenne,  id  quod  liabet  causant,  met  en  péril 
cet  argument.   Définissons  le  possible,  l'être  en   puis- 
sance, et  le  réel,  l'être  en  acte;  et  l'argument  vaudra. 
Disp.  IV,  fol.  32;  cf.  Sum.  theol.,  I*  q.  il,  a.  3,  tertia 
via;  q.  xlvi,  a.  1,  adlum;  Contra  génies,  1.  II,  c.  xv,  5. 
Les  formules  sont  chez  saint  Thomas  comme  chez  Aver- 
roès les  mêmes  que  celles  d'Avicenne,  mais  le  sens  est 
différent,  puisque  ni   l'un   ni   l'autre    n'admettent   les 
hypothèses  de  celui-ci.  Cf.  Ba'iimker,  D  ilelo,  Munster, 
1908,  p.  338.  L'argument  des  degrés  est  dû  à  l'ingénio- 
sité d'Avicenne,  disp.  V,  fol.  33,  pense  Averroès  et  avec 
lui  saint  Thomas.  De  potenlia,  q.  m,  a.  5.  Averroès  sou- 
tient la  valeur  de  cet  argument  contre  Algazel,  mais 
en  lui  faisant  subir  une   mise  au   point  considérable. 
Son  principe  est  que  tout  ce  qui  est  composé  a  une 
cause,    compositunt    est    causatum.    Ibid.    Ce    qu'il 
montre  de  plusieurs  façons  adoptées  par  saint  Thomas. 
Sum.   theol.,    Ia,   q.    ni,    a.    7;    Contra  génies,    1.   I, 
C.  XVIII ;  De  potentia,  q.  vu,   a.  1.    Or  la   composition 
des  êtres  est  manifeste.  Donc,  puisque  la  régression  à 
l'infini  répugne,  il  y  a  un  être  non  causé,    c'est-à-dire 
nécessaire.    Les    êtres    sont     composés.    Averroès     le 
montre  à  l'aide  des  exemples  que  l'on  a  déjà  vus  chez 
saint  Thomas,  col.  945. 

b)  Unité  et  simplicité  de  Dieu.  —  Les  attributs  n 
tifs  d'unité  et  de  simplicité  tenaient  une  grande  place 
dans  la  spéculation  arabe.  Algazel  avait  soutenu  que 
les  philosophes  ne  démontraient  ni  l'un  ni  l'autre. 
Averroès  répond  que  l'argument  des  degrés  tel  qu'il 
l'a  retouché  prouve  l'unité.  Car  si  l'on  fait  l'hypothèse 
de  deux  êtres  nécessaires,  comme  la  nécessité  esl  une 
propriété  intrinsèque  de  leur  nature  par  hypothèse,  il 
y  aura  entre  eux  ressemblance  et  différence;  et  donc 
composition;  et  donc  ou  l'un  sera  la  cause  de  l'autre. 
ou  ils  seront  causés  tous  deux.  L'unité  se  prouve  aussi 
par  la  simplicité'  de  l'être  nécessaire.  Sermo  eut  an  rit 
necessarium  in  esse  exnatura  •■m  exeo  qu<  d 

est  unum  numéro,  aul  ex  natura  communi  ;ut  il  tant  us 
att  Sucrâtes  sit  homo  ex  eo  quoi!  esl  Sociales,  ai-, 
natttra  conivtuni  ci  cl  Platoni.   Ni  ntilcm  68Set  hontn 
ex  eo   quod  est    Sacrales,  non  re\  crtrclnr  humanitat 
alicri;  si  l  ex  parte  nature  communié,  innc 

esset  eomporitut  ex  duabus  naturit,  univet  sait  et  parti- 
culari  titum  nu  h  ni  esl  causatum;  et  nen 

Hum  m  esse  non  habet  causant;  ergo  esl  unum.  Ibid. 
ni  arguments  son!  les  deux  premiers  qu'apporte 
s, uni  Thomas  en  faveur  de  l'unité  de  Dieu,  Sum.  theol., 

I»,  q,  xi.  a.  '.'>,  !■■  troisièn s|  plutôt  d'Aristou 

Comme  on  a  prouvé  directemi  nt  l'existenct   •  t  l'uni- 
cité de  i  •  11 
sition,   qui    implique    pui 

.  i  ainsi    exige   une  cause,  la    aimplicité 
te  de  l'être  néc<  I  direi  lenienl  proui 


IV. 


1219 


DIEU     SA    NATURE   SELON    LES   SCOLASTIQUES 


1220 


même  temps  que  son  existence  et  son  unicité,  hn 
vertu  du  principe  de  raison  suffisante,  l'absolue  perfec- 
tion de  l'être  nécessaire  est  également  prouvée  par  le 
même  procédé.  On  doit  avouer  que  cette  méthode  est 
ante; saint  Thomas  l'a  admise,  Sum.  theol.,1*,  q.  m, 
a.  7;  De  potenlia,  q.  vu,  a.  \  ;  a.  5;  Contra  gentes,  1. 1, 
c.  xvin.  Et  c'est  ce  qui  explique  pourquoi  dans  ses 
différents  ouvrages,  il  ne  suit  pas  toujours  le  même 
ordre  dans  la  déduction  des  attributs. 

Le  premier  est  simple;  tout  le  reste  est  composé. 
Ce  sont  deux  axiomes  de  la  philosophie  arabe.  Pour 
défendre  le  premier,  Avicenne  avait  conçu  Dieu  comme 
une  pure  existence,  sans  essence;  pour  expliquer  le 
second,  il  avait  mis  partout  des  compositions  réelles  de 
matière  et  de  forme  ou  d'essence  et  d'existence.  Averroès 
ne  pouvait  suivre  Avicenne  dans  aucun  de  ces  points. 
Rejetant  la  distinction  réelle  de  l'essence  et  de  l'exis- 
tence dans  les  êtres  finis,  il  ne  pouvait  pas  y  recourir  pour 
résoudre  le  problème  de  la  simplicité  divine,  et  la  fa- 
meuse question  des  attributs  séparés.  D'un  autre  coté, 
en  physique,  Averroès  tenait  que  le  ciel  n'a  pas  de 
matière,  est  simple;  et,  en  métaphysique,  il  suivait  Aris- 
tote  qui  admet  des  intelligences  simples  :  determinave- 
runt  antiqui  quod  sunt  simplicia.  Sur  ce  dernier  point 
saint  Thomas,  on  le  sait,  est  de  l'avis  d'Averroès  :  les 
anges  sont  des  êtres  simples.  De  ente  et  essentiel,  c.  v; 
Contra  génies,  1.  II,  c.  lu.  Ce  qui  donna  à  Averroès 
l'occasion  d'approfondir  ces  problèmes,  fut  l'attaque 
d'Algazel  contre  Avicenne. 

Partisan  de  la  distinction  réelle  de  l'essence  et  de 
l'existence  dans  les  êtres  finis,  partisan  aussi  de  la 
doctrine  des  attributs  réellement  séparés  en  Dieu, 
Algazel  argumentait  ainsi  :  a)  ce  n'est  pas  résoudre  la 
question  des  attributs  et  de  l'essence  que  de  l'esquiver 
comme  Avicenne,  en  disant  que  Dieu  est  tellement 
simple  qu'il  n'a  pas  d'essence,  b)  Mais,  si  l'on  admet, 
comme  il  le  faut,  une  essence  en  Dieu,  son  essence 
fera  composition  réelle  avec  son  individualité,  en  vertu 
du  même  raisonnement  par  lequel  on  parle  de  la  com- 
position de  Socrate.  D'où  de  deux  choses  l'une  :  ou  la 
doctrine  des  attributs  séparés  de  l'essence  est  valable, 
ou  les  philosophes  ne  prouvent  pas  la  simplicité  divine. 
c)  De  plus  si  Dieu  a  une  essence,  son  existence  lui 
sera  jointe;  or,  d'après  les  philosophes,  tout  ce  qui  est 
composé,  même  s'il  est  éternel,  est  causé;  l'être  néces- 
saire a  donc  une  cause,  ce  qui  est  contraire  à  la  défini- 
tion qu'ils  en  donnent.  Ils  répondront  qu'il  n'a  pas  de 
cause,  et  que  son  existence  est  par  elle-même  liée  à  son 
essence;  donc  nous  avons  le  droit  d'en  dire  autant  des 
attributs  séparés;  réellement  distincts,  ils  n'ont  pas  de 
cause.  Disp.  V,  fol.  34;  disp.  VI,  fol.  37.  Cette  argumen- 
tation posait  d'une  façon  aiguë  le  problème  difficile  de 
la  simplicité  divine.  Averroès  s'y  engagea,  et  en  même 
temps  il  eut  soin  d'expliquer  comment  la  doctrine  de 
la  parfaite  simplicité  du  premier  se  conciliait  avec 
l'existence  des  intelligences  simples  d'Aristote. 

D'abord  il  abandonne  Avicenne  sur  la  question  de  la 
négation  de  l'essence  en  Dieu.  Cet  homme  a  admis  la 
distinction  réelle  de  l'un  et  de  l'existence,  parce  qu'il 
n'a  jamais  pu  comprendre  la  distinction  secundum  in- 
tentionem  :  non  est  différentiel  apud  islam  hominem 
inter  significationes  qux  significant  eamdem  natu- 
ram  modis  diversis  absque  eo  quod  significent  inten- 
tiones  additas  Mi,  et  inter  significationes  qux  signi- 
ficant in  eadem  essentia  àispositiones  additas  illi, 
scilicet  diversas  ab  ea  in  actu.  Metap/i.,  1.  IV,  fol.  32. 
Transportant  cette  manière  de  penser  à  Dieu,  il  n'a 
donc  pu  résoudre  le  problème  de  la  simplicité  qu'en 
niant  l'essence.  D'une  certaine  façon,  puisque  en  Dieu 
tout  est  un,  nier  l'essence  peut  n'être  qu'une  question 
de  mots;  mais  il  faut  dire  que  Dieu  a  une  essence  ou 
quiddité.  Cf.  S.  Thomas,  De  ente  et  essentia,  c.  vi; 
In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.   II,  q.  i,  a.  3;  dist.  VIII,  q.  r, 


a.  1;  dist.  XIX.  q.  il,  a.  1,  ad  l""\Kl  il  défend  la  thèse 
suivante  :  quod  prima  causa  est  quidditas simplicité?, 
et   omnia   alia  liabent    quidditatem    ea    mediante. 

Disp.  VI,  dub.  vi.  Cf.  à  la  (in  du  volume  les  not<^  <J. 
Zimara,  fol.  i'i. 

L'admission  d'une  quiddité  en  Dieu  se  concilie  avec 
sa  simplicité,  si  l'on  peut  prouver  que  son  essence  est 
son  individualité,  ou  en  termes  plus  généraui  que 
Dieu  est  son  essence.  Or  il  en  est  ainsi.  Car  partout  où 
il  y  a  une  composition  quelconque,  il  y  a  entre  les  com- 
posants, relation  d'acte  et  de  puissance  :  in  omni 
composito  oporlel  esse  polenliam  et  aclum.  Cf.  Contra 
gentes,  1.  I,  c.  xvm;  Sum.  theol.,  Ia,  q.  ni,  a.  7.  Mais 
l'être  nécessaire  est  acte  pur  et  n'a  aucune  potentialité, 
puisque  son  existence  sans  dépendance  causale  est 
toutes  les  perfections;  aucune  composition  ne  se  trouve 
donc  en  lui;  donc  son  essence  est  son  individualité. 
Contra  gentes,  1.  I,  c.  xxi;  Sum.  tlteol.,  [',  q.  m, a.  3. 
Cette  propriété  est  particulière  à  Dieu.  Nulla  forma 
liberata  est  a  potenlia,  nisi  prima  forma.  Car  toutes 
les  autres  réalités  tiennent  de  lui  leur  existence  et 
aussi  leur  essence.  Mais  l'essence  des  contingents  ne 
va  jamais  sans  potentialité;  celle-ci  leur  vient  de  la 
matière,  s'ils  sont  matériels;  s'ils  ne  le  sont  pas,  leur 
essence  inclut  toujours  une  négation  ou  privation  de 
perfection  ultérieure,  même  quand  ils  sont  parfaits 
dans  leur  espèce;  elle  est  donc  accompagnée  d'une 
puissance  logique  :  nam  intelligentia  Saturni  in 
quantum  ens,  ei  non  répugnai  major  perfeclio;  nam 
si  excitas  convenirel  talpx  in  quantum  animal, 
nullum  animal  videret.  Cf.  Aristote,  Metaphys.,  1.  V. 
text.  27;  Duns  Scot,  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  VIII,  q.  Il, 
2.  Se  basant  d'une  part  sur  cette  potentialité  logique, 
de  l'autre  sur  une  distinction  qu'il  fait  entre  la  quid- 
dité et  l'essence  probablement  à  cause  d'une  mauvaise 
leçon  d'Aristote,  Averroès  conclut  même  qu'en  Dieu  seul 
la  quiddité  et  l'essence  sont  identiques.  Cette  conclu- 
sion est  contraire  à  Aristote,  V.elaphys.,  1.  VII,  com.  51 . 
in  abstractis  quidditas  et  essentia  est  idem,  ou  comme 
lisait  saint  Thomas,  quod  quid  erat  esse  et  unum- 
quodque  in  quibusdam  idem  est,  ut  in  primis 
substantiïs.  Loc.  cit.,  lect.  xi.  Cf.  Suarez,  Disp.  me- 
taph.,  disp.  XXXIV,  sect.  ni,  n.  18.  Elle  était  égale- 
ment contraire  à  Avicenne  qui  soutient  avec  Aristote  : 
quidditas  simplicis  est  ipsummet  simplex.  Saint  Tho- 
mas trouva  la  doctrine  péripatéticienne  plus  conforme 
aux  phrases  classiques  de  Boèce  sur  les  êtres  simples, 
et  il  la  suivit. 

A  l'objection  d'Algazel  que  l'essence  et  l'individua- 
lité, l'essence  et  l'existence  feront  donc  d'après  les 
philosophes  composition  en  Dieu,  Averroès  répond 
constamment  que  c'est  le  travers  commun  d'Avicenne 
et  d'Algazel  d'imaginer  une  réalité  distincte  pour  chaque 
notion,  d'où  il  suit  que  l'un  pour  défendre  la  simpli- 
cité divine  nie  en  Dieu  l'essence,  et  que  l'autre  nie 
la  simplicité  en  distinguant  réellement  les  attributs. 
Metaphys.,  1.  IV,  fol.  32.  Ils  oublient  que  notre  esprit 
a  la  propriété  de  diviser  ce  qui  est  un.  intellectus  na- 
tus  est  dividere  adunata  in  esse  in  ea  ex  quibus  com- 
ponuntur,  quamvis  non  dividuntur  in  actu,  ibid., 
1.  XII,  com.  39,  fol.  151,  et  que  de  là  résulte  notre 
connaissance  par  voie  de  jugement.  N'ous  posons  un 
sujet  et  un  prédicat,  mais  à  ce  mode  de  notre  activité 
mentale,  dispositio,  ne  correspond  pas  nécessairement 
une  composition  dans  la  réalité  :  nullus  modus  erit 
quo  prxdicatum  dislinguatur  a  subjecto  et  dispositio 
extra  intelleclum,  scilicet  in  essentia  rei.  Que  nous 
concevions  l'essence  divine  comme  distincte  de  son 
individualité  ou  de  son  existence,  cela  ne  prouve  donc 
aucunement  une  composition  en  elle.  Nous  avons  ren- 
contré cette  solution  psychologique,  analogue  à  celle 
qui  dénoue  le  problème  dos  universaux  dans  le  sens 
du  réalisme  modéré,  dans  Alain  de  Lille;  et  nous  avons 


1221 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES    SCOL ASTIQUES; 


1222 


noté  que  saint  Bonavenlure  l'accepta,  In  IV  Sent., 
1. 1,  dist.  VIII,  p.  I,  a.  1,  q.  il,  et  quesaintThoinas  en  fit 
autant.  In  IV  Sent.,  I.  I,  dist.  XIX,  q.  n,  a.  1,  ad  l"m; 
a.  2,  ad  3"m  ;  Sum.  llieol.,  I\  q.  ni,  a.  4,  ad  2ura.  Il  est 
à  remarquer  que  ces  deux  docteurs  font  usage  de  cette 
solution  comme  Averroès,  non  seulement  pour  expli- 
quer la  simplicité  divine,  mais  aussi  pour  répondre  à 
l'agnosticisme.  Enfin  nous  avons  déjà  vu  les  raisons 
profondes  que  saint  Thomas  a  données,  en  s'inspirant 
de  saint  Augustin,  de  notre  mode  de  connaître  par  voie 
de  jugement,  compositio.  Cf.  S.  Bonaventure,  In  IV 
Sent.,  1.  I,  dist.  XXVII,  p.  i,  a.  1,  q.  ni.  On  peut  sur 
cet  exemple  se  rendre  compte  du  genre  de  service  que 
les  grands  scolastiques  reçurent  des  Arabes,  et  de  leur 
manière  de  les  utiliser;  ce  que  nous  allons  dire  préci- 
sera cette  insinuation. 

La  conclusion  d'Averroèsque  Dieu  est  son  essence  se 
trouvait  dans  Pierre  Lombard,  1.  I,  dist.  VIII,  appuyée 
d'autorités  patristiques;  on  l'exprimait  couramment 
sous  cette  forme  :  en  Dieu  il  n'y  a  pas  de  distinction 
entre  l'abstrait  et  le  concret;  Dieu  est  vivant,  et  vie; 
ce  qui  n'est  pas  dans  les  créatures.  Le  lecteur  qui  a  lu 
les  passages  allégués  de  saint  Thomas  ne  peut  pas 
avoir  de  doute  sur  ce  qu'il  doit  ici  à  Averroès. 
.Mais  il  faut  remarquer  qu'il  est  un  point  sur  lequel 
saint  Thomas  préfère  suivre  Aristote.  Pour  expliquer 
la  composition  objectivement  réelle  des  êtres  simples, 
Averroès  recourt  à  deux  considérations  :  leur  exis- 
tence est  participée,  leur  essence  renferme  une  poten- 
tialité logique.  Saint  Thomas  n'a  jamais  nié  cette 
potentialité  logique  dans  les  êtres  finis  :  il  y  a  recours 
pour  établir  que  la  grâce  du  Christ  est  finie  per  essen- 
tiam,  Deveritate,  q.  xxix,  a.  3,  que  les  anges  bien  que 
simples  sont  finis.  De  spiritualibus  crealuris,  q.  i,  a.  1  ; 
Sum.  theol.,  Ia,  q.  vu,  a.  2;  q.  L,  a.  2,  ad  i>"".  Mais  il 
s'abstient  d'user  de  ce  moyen  terme  dans  la  question 
présente  et  soutient  avec  Aristote  et  Avicenne  que 
dans  les  êtres  simples  l'individualité  est  la  nature. 
Cette  formule  est  souvent  répétée  par  saint  Thomas, 
De  potentia,  q.  ix,  a.  1  ;  q.  vu.  a.  i;  De.  spiritualibus 
crealuris,  <\.  i,  a.  8,  ad  ilim;  elle  lui  sert  à  réfuter  di- 
verses erreurs  des  Arabes  et  spécialement  l'erreur 
d'Averroès  sur  l'unité  de  l'intellect.  ]l/id.,i\.  9  sq.;  De 
ente  et  essentia,  c.  v.  C'est  là  une  des  phrases  de 
saint  Thomas  qui  a  fait  verser  le  plus  d'encre;  et,  les 
vues  systématiques  postérieures  aidant,  la  difficulté  de 
la  concilier,  je  ne  dis  pas  avec  le  dogme,  cf.  Sum. 
theol.,  III'.  q-  iv,  a.  2,  ad  20m,  mais  avee  le  Quodlibe- 
iinn,  II,  q.  n,  a.  2,  où  il  est  dit  que  l'individualité  île 
l'ange  est  un  accident,  a  donné  naissance  à  di\ 
entités  ou  entia  quibus.  Cf.  Cajetan,  //'  /  " .  q.  m,  a.  3; 
Suarez,  hisp.  metaphys., disp.  XXXIV,  Bect.  m.  n.  16; 
Pierre  de  Bergame,  Tabula  am-ca,  \  «  Dubium .  1 13,  1 1  i. 
Mais  cette  question  déborde  notre  Bujet;  il  nous  suffît 
ici  de  retenir  que  de  la  double  potentialité  du  Uni 
limpl  rroès,    saint    Thomas    ne    retient 

qu'une  seule,  celle  qui  vient  de  la  composition  o  ré< 
de  l'essence  et  de   l'existi 

A  cause  du  nom  71*1  est  el  de  certaines  Formules  de 
iint    Hilaire,  c'était  une  tradition  dans 
l'École  d'enseigner  que  Dieu,   el    lieu  seul,  est  son 
existence.  Or  l'attaque  ■!  mtre  Avicenm 

amené  \--  1  occupi  1   di  o  tte  question  et  à  la 

ip  dm-  i-    11  que  les  chrétiens.  Saint 

Thomas   prouve  que   Dieu  est  son   existence  di 
laçons.  ".  Parce  qu'il  est  du  concept  d'être  1 

ter,  tandis  que  cela  n'esl    du   concept  d'aucun 
astre  objet.  /'■  entia,  c.  ..  Cf.  Algazel,  dans 

la  'h -p.  \ .  Pluralitai quinta,  roi,  33,  ■!  \  /<   Par 

1  .n  .  amen  ppd  dan 

theol.,  I»,  q.  m.  a.  i.  Enfin  c.  par  l'eflel  le  plus  uni* 
I  et  qui  1   I  exclusivement  pi  opre  de  la  causalité 
divine,  I  ■  |  ■,/,,;. 


q.  vu,  a.  2.  Les  trois  procédés  sont  d'Averroès,  comme 
le  lecteur  peut  s'en  convaincre  en  les  comparant  avec 
ce  que  nous  avons  rapporté  de  celui-ci.  Dans  le  Contra 
génies,  1.  I,  c.  xxn,  la  même  conclusion  est  prouvée 
directement  contre  Âlgazel.  Celui-ci,  s'emparant  d'une 
idée  d'Avicenne  rejetée  avec  énergie  par  Averroès  et  par 
saint  Thomas,  à  savoir  qu'un  possible  in  esse  et  non 
esse  peut  devenir  nécessaire  peraliucl,  raisonnait  ainsi  : 
les  philosophes  admettent  qu'avec  une  existence  contin- 
gente et  un  possible  réalisé  on  peut  obtenir  un  être  né- 
cessaire per  aliud;  de  même  avec  une  existence  néces- 
saire, on  peut  concevoir  une  essence  nécessaire;  ou 
avec  une  essence  nécessaire,  une  existence  également 
nécessaire;  ou  d'une  façon  plus  générale  une  essence  et 
des  attributs  également  nécessaires,  bien  que  réelle- 
ment distincts.  Les  philosophes  répondent,  dit  Algazel, 
que  dans  ce  cas  il  faudrait  une  cause  extérieure;  mais 
on  peut  l'éviter  en  concevant  l'essence  et  l'existence 
nécessaires  comme  se  conditionnant  mutuellement  ab 
œterno.  L'unité  (unicité  et  simplicité)  de  Dieu  est 
d'ailleurs  sauve,  car  Dieu  reste  un  par  l'unité,  comme 
il  est  sage  par  la  sagesse.  Averroès  comme  beaucoup 
de  musulmans  voyait  dans  cette  doctrine  ou  bien  la 
Trinité  des  chrétiens  ou  du  moins  quelque  chose  qui 
pouvait  favoriser  le  dogme  chrétien,  qu'il  confondait 
avec  la  doctrine  des  hypostases  alexandrines.  Aussi, 
dans  sa  Métaphysique,  après  avoir  établi  l'objectivité 
des  attributs  divins  et  conclu  que  Dieu  est  un,  vivant 
et  sage,  ajoute-t-il  :  El  hoc  putaverunt  antiqui  Trini- 
latem  esse  in  Deo  in  subslaulia.  El  voluerunt  evadere 
per  hoc,  et  nesciverunt  evadere  :  quia  cum  substantiel 
fuerit  numerala,  congrégation  erit  union  per  unam 
inlentionem  addilam  congregato.  Et  dixit  Alexan- 
der.  Et  hoc  simililer  conligil  loquenlibus  in  lege 
Maurorum,  ponenlibus  inlenliones  additas  essentia'. 
Quapropter  conligit  eis  ut  ail  unit  s  per  unam  inten- 
lionem  addilam  essentise,  mater i œ  el  dispositionibus. 
Kl  utrique  dispositioni  d ubitatur  ac.cidere  composilio  : 
et  omne  composition  cal  novum,  nisi  dicani  aliqua 
componi  per  se.  El  si  aliqua  essent  qupe  componeren- 
tur  per  se,  lune  exirent  de  potentia  in  aetum  per  se, 
ri  moverentur  sine  motore  per  se.  Metaphys.,  1.  XII, 
coin.  39,  fol.  loi.  Ce  texte  célèbre  précise  le  sens  de  la 
controverse  chez  les  musulmans  cl  les  Juifs.  Voici 
maintenant  la  réponse  d'Averroès,  Destruclio,  disp.  VI, 
fol.  36  sq. 

Si  l'essence  considérée  par   Algazel  n'est  pas  de  sa 
nature   nécessaire,  l'existence  nécessaire  que  vous  lui 
joindrez  n'en  fera  jamais  une  essence  nécessaire,  esse 
quod  est  per  se  necesse  esse.  Quoi  qu'en  pense    \   1 
cenne,  on  ne  peut   pas   changer  la  nature  des  c! 
par  des   additions  d'entités;  par  exemple,  si  la  chaleur 

u'esl  pas  nécessaire,  on    n'j  fera  rien  en  imaginant 

qu'on  lui  ajoute  une  existence  nécessaire.  Mais  Algazel 

réussir  à  concevoir  un   être  nécessaire  lui  de 

parties,  en   imaginant  entre  ces  parties    un  rapport  de 

iniiie  par  exemple  on  dit   chez  les  péri- 

patéticil  us    qu'il    en    existe  un    entre   la    matière   et    la 

forme  :  ulraqui  •  1  conditio  m  esse  sui 

Mais,  ou  bien  de  l'existence  a  nce 

'  comme  par  exemple  nos  opération  "rient 
de  notre  existence  .  el,  dans  ce  cas.  l'essence  n'est 
qu'un  accident,  elle  n  est  pas  <  ce  n'est  donc 

pas  l'essence  du  Premier  qui  n'a  pas  de  cause;  el  cela 

revient    a  'lire  cornue     A    irenne     que     DieU     " 

quiddité.  Ou  bien  on  prétend  que  de  1  es     nce  n 

sort  l'existence.   Mais,  dans  ce  cas,  il  faut  une 
pour  produire   la  n  union  de  l'essèm  e  A  l'i 
Omne  710,1/  lu  litionem  1»  esse  tuo,  eo> 

pulalio   quidei  iditionl   •  alterius  ; 

7111/01  0/17110/ 

dition  U  (tonal mu  enitn    non    evadil 

quin  existai  in  se  absque  oopulati 


1223 


DIEU   (SA   NATURE   SELON    LES   SCOLASTIQUES) 


1224 


et  indiget  causa  agente  copulationis  ejus.  Une  hypo- 
thèse  reste  possible  à  Algazel.  Les  parties  considérées 
ne  conditionnent  plus  mutuellement  leur  existence, 
puisque  la  priorité  mutuelle  des  causes  répugne  ;  mais 
les  parties  sont  données  et  ne  conditionnent  que  leur 
union  :  qitselibet  Marient  non  est  condilio  sui  socii 
ht  esse.  Algazel  est  un  imaginatif,  répond  Averroès. 
l'artisan  de  la  distinction  réelle  de  l'essence  et  de  l'exis- 
tence, il  ne  conçoit  la  nécessité  de  la  cause  que  pour 
produire  l'existence,  entité  distincte  de  l'essence  du 
possible  hors  de  ses  causes,  possibile  ventm.  Mais  la 
cause  est  nécessaire  pour  le  passage  de  la  puissance  à 
l'acte;  c'est  là  le  premier  principe  :  de  la  puissance, 
sans  moteur  en  acte,  rien  ne  peut  sortir.  Or  la  compo- 
sition, même  à  supposer  les  parties  données  et  exi- 
geant mutuellement  leur  réunion,  est  un  passage  de  la 
puissance  à  l'acte;  c'est  la  réalisation  d'un  possible.  Il 
y  faut  donc  une  cause.  Compositio  non  est  sicut  esse. 
Nam  convpositio  est  sicut  moveri,  scilicet  atlributum 
possibile,  additum  substanliœ  rerum  recipientium 
compositionem.  Esse  vero  est  denominalio  quse  est 
ipsa  subslanlia.  Et  qui  aliter  dicit  errât.  Saint  Tho- 
mas fut  de  cet  avis,  et  on  peut  voir  le  bon  parti  qu'il  a 
tiré  de  ce  passage.  Contra  génies,  l.  II,  c.  XXII. 

Il  résultait  immédiatement  chez  Averroès  de  l'emploi 
de  l'argument  des  degrés  que  Dieu  n'est  pas  dans  un 
genre,  mais  transcendant  à  tous  les  genres.  Bien  qu'on 
puisse  ranger  Dieu  dans  un  genre  logique,  Depotentia, 
q.  vu,  a.  4,  ad  7um;  a.  7,  ad  luu>,  on  ne  saurait  le  faire 
entrer  dans  une  classification  des  êtres  réels  par  genres 
et  par  espèces.  Cette  classification  suppose  en  effet  une 
certaine  communauté  d'essence  avec  quelque  différence 
ou  possibilité  de  différence  ;  en  d'autres  termes,  il  n'y  a 
genres  et  espèces  qu'autant  qu'il  y  a  composition  et 
par  conséquent  acte  et  puissance.  Or,  quand  il  s'agit 
des  êtres  immatériels,  la  communauté  est  déjà  moins 
déterminée  que  dans  les  êtres  qui  ont  pour  fond  com- 
mun la  matière;  aussi  la  classification  en  genres  et  en 
espèces  des  intelligences  pures,  que  saint  Thomas  consi- 
dère avec  Averroès  comme  chacune  spécifiquement  dis- 
tincte, ne  doit  pas  être  trop  pressée,  Sum.  tlteol.,  Ia, 
q.  l,  a.  2,  ad  lum;  car  elle  ne  varie  que  du  plus  au 
moins  dans  la  potentialité  de  leur  nature  incorruptible. 
Quodlibela,  IX,  q.  IV,  a.  1,  ad  3"m.  Mais  quand  il  s'agit 
de  Dieu,  cette  classification  ne  s'applique  en  aucune 
façon,  puisque  par  le  procédé  même  qu'on  a  suivi  pour 
démontrer  l'existence  de  Dieu,  on  a  éliminé  de  lui  toute 
composition  et  possibilité  de  composition.  Disp.  V, 
fol.  33.  Le  seul  rapport  qui  puisse  être  donné  entre 
Dieu  et  le  reste  des  êtres  est  un  rapport  de  différencia- 
tion, causal,  secundum  prius  et  poslerius.  Disp.  III, 
fol.  25.  Saint  Thomas  admit  cette  doctrine  conforme 
d'ailleurs  à  Aristote  et  aux  formules  patristiques. 
Sum.  theol.,  Ia,  q.  m,  a.  5. 

La  multiplicité  des  emprunts  faits  par  saint  Thomas 
à  Averroès  en  ce  qui  touche  à  la  démonstration  des 
attributs  négatifs  de  Dieu  explique  pourquoi  il  répète 
souvent  que  les  philosophes  ont  fort  bien  connu  ceux- 
ci,  et  conclut  que  notre  connaissance  de  Dieu  est  d'abord 
négative.  Sum.  theol.,  Ia,  q.  xn,  a.  12.  Les  erreurs 
des  Arabes  et  des  Juifs  sur  les  attributs  positifs  et  spé- 
cialement l'agnosticisme  qu'ils  professaient  presque 
tous,  étaient  d'ailleurs  bien  faits  pour  le  confirmer  dans 
cette  manière  d'apprécier  les  forces  de  la  raison.  Là 
encore,  nous  allons  le  voir,  Averroès  lui  fut  d'un  grand 
secours. 

9°  Maimonide.  —  Le  juif  Maimonide  rendit  aux 
scolastiques  en  théodicée  trois  services.  C'està  lui  que 
saint  Thomas  emprunta  la  position  qu'il  prit  relative- 
ment à  la  question  de  l'éternité  de  la  création.  Les 
raisons  des  philosophes  en  faveur  de  l'éternité  de  la 
création  ne  sont  pas  démonstratives;  mais  d'un  autre 
coté  la    raison    naturelle  ne  démontre  pas  l'absurdité 


d'une  création  éternelle.  Cependant  la  raison  démon- 
tre le  fait  de  la  création  ex  nihilo.  l'our  des  raisons 
dont  il  serait  trop  long  de  donner  ici  le  détail,  saint 
Thomas  se  persuada  que  siAvicenne  niait  la  création, 
du  moins  il  réfutait  bien  le  concept  erroné  de  création 
des  Motékallim,  qui  imaginaient  le  néant  comme  une 
privation  ou  puissance,  De  polentia,  q.  m,  a.  1, 
ad7"l,];  il  crut  aussi  qu'Aristote  et  Averroès  admettaient 
la  création  ex  nihilo  et  n'erraient  sur  ce  sujet  qu'au 
point  de  vue  de  son  éternité,  Averroès  joignantà  cette 
erreur  celle  de  son  absolue  nécessité.  Il  interpréta 
donc  le  passage  suivant  d'Averroès  :  Omnis  forma  con- 
tinelur  actu  in  primo  molore  et  polentia  in  prima 
maleria,  Metaphys.,  1.  XII,  corn.  18,  en  rattachant  la 
première  partie  de  la  phrase  à  la  doctrine  des  idées  de 
saint  Augustin,  et  la  seconde  à  l'hylémorphisme. 
Cf.  S.  Bonaventure, Ilinerarium,  c.  v,  n.  3.  Mais  si  on 
parlait  de  la  possibilité  adéquate  des  choses  y  compris 
la  matière,  saint  Thomas  répondait  comme  Jean  le 
chrétien  cité  par  Averroès,  loc.  cit.  :  Omnis  possibilitas 
est  in  agente,  d'où  suivait  la  possibilité  de  la  création 
et  des  miracles.  Cf.  Niphus,  op.  cit.,  fol.  5isq.,61,  70. 
Cette  façon  d'entendre  Aristote  et  Averroès  permit  à 
saint  Thomas  de  prouver  le  fait  de  la  création  ex  nihilo 
en  retournant  l'argument  des  degrés,  De  polentia, 
q.  m,  a.  5;  et  ainsi  le  même  moyen  terme  prouvait 
d'un  côté  l'existence,  l'unité,  la  simplicité  et  l'infinité 
positive  de  Dieu,  de  l'autre  la  création.  Or  il  n'est  pas 
douteux  que  dans  tout  ce  travail  de  synthèse  saint 
Thomas  ne  se  soit  inspiré  de  Maimonide.  Celui-ci  a 
été  la  source  commune  où  ont  puisé  Raymond  Martin, 
l'auteur  du  Pugio  fidei,  part.  I,  c.  v,  Leipzig,  1687. 
p.  207  sq.,  et  saint  Thomas.  Car,  bien  que  disciple 
d'Avicenne,  Maimonide  avait  profité  de  la  critique 
d'Averroès  pour  retoucher  le  système  de  son  maître  en 
plusieurs  points.  En  particulier,  il  nous  apprend  lui- 
même,  Guide  des  égarés,  Paris,  1856,  t.  I,  p.  413,  428, 
que  la  preuve  de  la  création  puisée  dans  la  nature  de 
l'être,  entis  in  quantum  ens,  qu'il  donne,  part.  II, 
c.  xix,  t.  il,  p.  147,  dépend  de  certaines  vues  des 
Motékallim  et  d'Averroès,  1. 1,  p.  431,  opposées  à  celles 
d'Avicenne.  Or  ces  vues  sont  précisément  celles  qui 
sont  à  la  base  de  l'argument  des  degrés,  tel  que  saint 
Thomas  le  trouvait  chez  Averroès  et  chez  Aristote.  En 
d'autres  termes,  pour  prouver  la  création.  Maimonide 
abandonne  les  principes  d'Avicenne  et  donne  à  l'argu- 
ment des  degrés  le  sens  que  lui  donne  Averroès.  Saint 
Thomas  n'eut  donc  pas  à  découvrir  la  preuve  qu'il  tire 
de  cet  argument  en  faveur  de  la  création  ;  Maimonide 
lui  avait  tracé  la  voie.  Cf.  Guttinann,  Moses  ben  Mai- 
mon,  sein  Leben,  seine  Werke  und  sein  Ein/luss, 
Leipzig,  1908,  t.  i  ;  Worms,  Die  Lehre  von  der  Anfang- 
losigkeit  der  Welt  bel  den  mitlelalterlichen  arabis- 
chen Philosophen,  Munster,  1900,  au  t.  m  des  Beitrùge; 
Grùnfeld,  Die  Lehre  vom  gôltlichen  Willen  bei  den 
jùdischen  Religiotts  philosophen  des  Mittelalters  von 
Saadja  bis  MaimÛ7ti,  Munster,  1909,  au  t.  vu  des  Bei- 
trùge de  Baeumker. 

Le  second  service  que  Maimonide  rendit  aux  scolas- 
tiques du  xme  siècle  fut  de  préciser  la  distinction 
classique  des  attributs  figurés  et  des  attributs  négatifs, 
relatifs  et  absolus,  et  cela  à  propos  des  noms  donnés  à 
Dieu  par  l'Écriture.  Le  but  de  Maimonide  était  de  don- 
ner une  solution  générale  de  toutes  les  difficultés  que 
peut  présenter  à  ce  sujet  la  Bible.  Instruit  des  subti- 
lités du  Talmud  et  peut-être  du  Zohar,  il  en  profita  pour 
examiner  et  classer  au  point  de  vue  de  la  logique  péri- 
patéticienne les  noms  divins,  c'est-à-dire  tout  ce  que  la 
Bible  énonce  de  Dieu,  et  il  les  répartit  entre  les  quatre 
classes  indiquées.  D'ailleurs,  le  procédé  même  par 
lequel  Maimonide  cherchait  à  établir  la  solution  géné- 
rale qu'il  proposait,  à  savoir  l'agnosticisme  crojant, 
le   forçait  de   faire    une    critique    rigoureuse  de   ces 


1225 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES    SCOLASTIQUES; 


1226 


•diverses  classes  d'attributs.  Pour  ce  travail  il  s'aida  de 
ce  que  les  soufistes  et  surtout  les  philosophes  arabes 
avaient  écrit  sur  ce  sujet.  En  le  lisant,  les  scolastiques 
se  trouvèrent  donc  en  présence  d'un  travail  très  éla- 
boré sur  la  distinction  et  la  classification  des  attributs 
divins;  et  on  ne  peut  pas  mettre  en  doute  l'iniluence 
de  Maimonide  quand  on  constate  avec  quelle  précision 
nouvelle  le  xni°  siècle  disserte  sur  les  noms  divins. 
C'est  surtout  chez  saint  Thomas  que  cette  influence  se 
fait  sentir.  Cf.  Kaufmann,  Die  Attributcnlehre  in  der 
jïidischen  Religionsphilosophie,  Gotha,  1877.  D'ailleurs, 
Franzelin.  De  Deo  uno,  th.  x,  et  Pohle,  Lehrbuch  der 
Dogmalil;,  1.  I,  c.  II,  Paderborn,  1902,  t.  i,  p.  29-36, 
montrent  bien  l'accord  parfait  de  saint  Thomas  et  de 
la  tradition  patristique. 

Le  troisième  service  que  rendit  Maimonide  aux  sco- 
lastiques fut  de  les  mettre  en  présence  du  problème  de 
l'agnosticisme,  et  par  là  il  leur  donna  l'occasion  d'éta- 
blir plus  solidement  que  n'avait  fait  le  XIIe  siècle  la 
théorie  philosophique  de  la  valeur  ontologique  des 
divers  attributs  de  Dieu.  L'agnosticisme  était  le  mal 
endémique  du  péripalétisme  néoplatonicien  de  la  phi- 
losophie arabe.  Chez  Avicenne,  il  dérivait  surtout  de  ce 
que  nous  ne  connaissons  Dieu  qu'en  fonction  de  la 
créature;  chez  Avicebron,  il  se  fondait  surtout  sur  ce 
que  Dieu  n'a  pas  d'essence,  mais  est  l'existence  pure. 
Algazel  avait  attaqué  ces  vues  dans  sa  Destruction,  mais 
pour  soutenir  lui-même  l'agnosticisme  par  une  autre  voie 
dans  sa  métaphysique  :  Si  est  cujus  simile  non  est  in  le 
Uludnullo  modo  poteris  intelligere.  Et  hsec  est  ejus  es- 
sentiel, cum  ipse  est  eus  absqueeo  quod  respondealad 
qnid  est,  Metap/tt/s.,  c.  III,  cité  par  Richard  de  .Middle- 
ton,  In IV  Sent.,  1. 1,  dist.  III,  q.  m,  a.  2,  Venise,  1507, 
fol.  15.  Averroès  prit  une  position  nettement  opposée 
à  l'agnosticisme.  Voici  le  texte  du  passage  principal  de 
sa  métaphysique  sur  ce  sujet  :  Et  cum  intellectus  est 
unus,  et  cum  actio  ejus  est  vit  a,  illud  igitur  i/uoil 
intelligens  est,  (/nia  inlelligit  se  non  quia  intelligit 
aliud,  illud  est  vivum,  quod  habet  vilam  in  fine  no- 
bilitalis ;  et  ideo  vita  et  scientia  proprie  dicuntur  de 
eo.  Est  igitur  unus,  Deus,  sapiens.  Suit  le  passage 
contre  la  Trinité  et  contre  les  attributs  réellement 
distincts  rapporté  plus  haut,  et  on  poursuit  :  El  sic 
est  intelligendum  quum  dicimus  ipsum  esse  unum  et 
habentem  vilam,  scilicet  idem  i»  subjecto  et  duo 
secunihtm  hinilum ;  non  quia  significant  idem  omni- 
bus modis,  sicut  'significant  nomina  synonyma.  Un 
peu  plus  bas.  la  distinction  des  attributs  entre  eux  et 
avec  l'essence  est  énoncée  :  unum  in  esse,  duo  in  con- 
sideratione;  ou  encore,  unum  in  preedicatione,  et  duo 
in  intentione;  ou  bien  in  polenlia  duo,  quando  in- 
tellectus (/inscrit  unum  ab  altero.  Intellectus  enim 
naïus  est  dividere  adunata  in  esse,  etc.  Melaphys., 
1.  XII,  com.  39,  fol.  151.  Snin t  Thomas  renvoie  fré- 
quemment à  ce  passage,  et  aussi  au  coin.  19  du  même 
livre,  fol.  !îi.  où  on  lit:  sunt  radem  secundum  pro- 
portionalitatem,  non  tecundum  deflnitionetn.Ct.  .lan- 
dun,  In  XII  libro»  metaphysicee,  Venise,  1560,  sur  ce 
passage,  fol.  (i."><);  s.  Thomas,  /"  IV  Seul.,  1.  I.  pro- 
logus,  q.  i,  a.  2,  ad  2,,m;  De  potentia,  q,  vu,  a.  7;  De 
veritaïc,  q,  n,a.  II.  On  le  voit,  averroès  avait  retrouvé 
la  solution  donnée  au  problème  de  la  valeur  des  attri- 
buts absolus  et  de  leur  relation  à  l'<  i  >nnée  par 
les  Pères  cappadociens  contre  l<  -  anoméens, 

Malgré  les  démonstrations  d'Averroès,  Maimonide 
soutint  l'agnosticisme  et  le  présenta  comme  l'aboutis- 
sant du  péripalétisme.  Nous  avons  il  le  détail 
de  son  argumentation  1 1  de  la  réfutation  qu'en  donna 
saint  Thomas,  dans  d'Ali  -.  Dictionnaire  apologétique 
dr  in  foi,  t.  i,  col.  28-56;  ■  i  nous  nous  sommes 
plu^  haut,  col.  784,  I  i*.  du  fond  de  la  réponse  de 
saint  m<  n'j  reviendront  pai  Voici  seule- 
ment quelques  Indications  historiques  sur  le  procédé 


de  Maimonide  et  la  marche  de  la  discussion  de  saint 
Thomas.  Les  attributs  négatifs  d'éternité  et  d'immen- 
sité ne  nous  renseignent  pas  sur  la  nature  intrinsèque 
de  Dieu,  puisqu'ils  ne  font  qu'exclure  de  lui  les  rela- 
tions spatiales  et  temporelles;  mais  tous  les  noms  que 
nous  donnons  à  Dieu  se  réduisent  en  dernière  analyse 
à  des  négations  du  même  genre.  Ces  noms  en  effet  se 
divisent  en  termes  anthropomorphiques  ou  figurés, 
en  termes  relatifs,  et  en  termes  essentiels  ou  en  appa- 
rence absolus.  Or  les  termes  figurés,  Dieu  descendit, 
marcha,  etc.,  se  réduisent  à  des  symboles  d'action;  il 
en  est  de  même  des  noms  relatifs  évidemment;  et  aussi 
des  noms  essentiels  :  vivant,  puissant,  sachant  et  vou- 
lant; car  puisque  nous  ne  connaissons  Dieu  qu'en 
fonction  du  monde,  dire  qu'il  vit,  cela  signifie  que  son 
œuvre  est  semblable  à  celle  d'un  vivant.  Tous  les 
noms  de  Dieu  sont  donc  des  dénominations  extrinsè- 
ques, tirées  de  ses  œuvres  ;  ils  n'ont  qu'un  sens  causal  ; 
Dieu  est  sage,  cela  signifie  que  la  sagesse  est  son 
œuvre.  Et  il  est  impossible  de  remonter  de  notre  sa- 
gesse à  l'attribut  intrinsèque  de  sagesse  en  Dieu;  car 
il  faudrait  qu'il  y  eût  une  relation  réelleentre  la  nature 
divine  et  son  œuvre,  au  moins  une  relation  de  simili- 
tude sur  laquelle  se  fonderait  une  connaissance  analo- 
gique ;  mais  cela  est  impossible,  car  Isaïe  a  dit  :  Cm» 
similem  me  fecistis.  Quoi  qu'en  dise  Averroès,  tous 
les  noms  divins  sont  donc  de  pures  homonymies, 
œquivoce;  et  notre  connaissance  de  Dieu  est  purement 
négative.  Dire  que  Dieu  est  sage,  c'est  exprimer  que 
ses  œuvres  ne  ressemblent  pas  à  l'effet  d'un  agent 
ignorant;  mais  cela  ne  nous  renseigne  pas  plus  sur  sa 
vraie  nature,  que  de  dire  au  sens  purement  négatif 
qu'il  n'a  pas  de  corps  ou  qu'il  est  hors  des  relations 
spatiales  et  temporelles.  Il  en  va  de  même  de  l'existence 
que  nous  lui  attribuons;  que  Dieu  existe,  cela  signifie 
simplement  pour  le  philosophe  que  les  preuves  de 
son  existence  sont  telles  qu'il  nous  est  impossible  de 
penser  qu'il  n'existe  pas.  Reprenant  ici  les  vues  d'Avi- 
cebron  et  d'Avicenne,  Maimonide  va  plus  loin  encore. 
L'existence  même  que  nous  affirmons  de  Dieu,  c'est 
l'être  considéré  en  lui-même  comme  faisant  abstrac- 
tion de  tout  ce  qui  peut  servir  ;i  le  déterminer,  comme 
la  quiddité,  la  qualité;  c'est  l'existence  pure;  car  Dieu 
n'a  pas  d'essence. 

On  peut  lire  dans  la  Somme  tliéologique,  I",  q.  xm, 
et  dans  le  De  potentia,  q.  vu,  la  solide  réfutation  de 
toute  cette  série  de  sophismes.  Saint  Thomas  y  emploie 
à  la  fois  la  pensée  chrétienne  et  les  données  patris- 
tiques,  et  son  argumentation  dépend  aussi  d'Aristote 
par  l'intermédiaire  d'Averroès,  au  jugement  duquel  il 
en  appelle  à  plusieurs  reprises.  Les  fondements  sur 
lesquels  s'appuie  Maimonide  sont  branlants.  S'il  con- 
roit  l'existence  pure  comme  il  fait,  c'est  qu'il  imagine 
quod  ci  quod  dico  esse  aliquid  addatur  quod  sit  eo 
formalius,  ipsum  déterminant.  De  potentia,  q.  vu. 
a.  2,  ad  9um.  De  même,  il  a  tort  d'assimiler  toutes  les 
relations  aux  relations  spatiales  et  temporelles,  a.  10; 
car  il  faut  considérer  les  relations  causales,  qui  peuvent 
ne  pas  être  mutuelles.  Sum.  IheoL,  1\  q.  iv,  a.  I  et  2, 
ad  3um;  a.  3.  Ces  deux  bases  établies,  l'infinie  perfection 
de  Dieu  se  démontre  et  nous  avons  dans  le  principi 
raison  suffisante  un  moyen  de  remonter  a  posteriori 
aux  attributs  intrinsèques  de  Dieu;  et  la  connaissance 
analogique  reste  valable,  q.  xtn.  B.  5.  Nous  connaissons 
donc,  bien  que  très  imparfaitement,  l'absolu,  i  U,  ad 
,.:  In  M  Sent.,  I.  I,  dist.  Wll,  q.  i,  a.  2.  Mais 
cette  solution  nous  amené  s  l'étude  d'un  problème 
généi  il  dont  l'exposé  donnera  tout  le  sens  de  l'inno- 
.ition  opérée  en  théodicée  par  l'admission  du  pérlpa- 
tétisn 

10»  L'être  tranteendant  et  »i  '  tut  monde  : 

l'infinité  divine  démontrée,  étudiée  et    ex\ 

\  trine  péripatéticienne  de  l'acte  et  delà 


1227 


DIEU    (SA    NATURE   SELON    LES   SGOLASTIQUES 


1228 


puissance.  —  Lien  que  nous  soyons  capables  de  conce- 
voir l'infini  : i li  sens  absolu,  indépendamment  de  tout 
rapport  avec  le  inonde,  nous  nous  servons  cependant 
toujours  pour  le  concevoir  des  idées  acquises  par  notre 
expérience  des  choses  sensibles.  Il  résulte  de  cette 
condition  de  notre  connaissance  de  Dieu  que  nos  vues 
sur  le  inonde  ne  sont  pas  sans  retentissement  sur 
notre  conception  même  de  Dieu.  Ce  qui  est  vrai  en 
général,  l'est  bien  davantage  quand  il  s'agit  de  tbéodi- 
cée  savante,  d'une  connaissance  réllécliie  et  systéma- 
tisée. De  plus,  si  l'exposition  d'une  théologie  fondée 
surtout  sur  les  données  de  la  révélation  comme  celle 
de  Pierre  Lombard,  ou  procédant  principalement  par 
voie  de  déduction  en  prenant  l'idée  d'inlini  pour  point 
de  départ,  est  à  peu  près  indépendante  des  vues  spécu- 
latives de  ces  auteurs  sur  le  monde,  ou  ne  suppose  que 
la  philosophie  du  sens  commun,  il  ne  saurait  en  être 
ainsi  pour  une  théodicée  systématisée,  tout  entière 
construite  a  posteriori,  comme  l'est  spécialement  celle 
de  saint  Thomas.  Pour  saisir  ce  qu'a  de  caractéristique 
une  telle  théodicée,  il  faut  connaître  très  à  fond  la 
conception  du  monde  qui  lui  sert  de  base  et  à  qui  elle 
emprunte  le  principe  de  systématisation  méthodique 
par  quoi  elle  relie  ses  thèses  entre  elles.  Et  comme  la 
théodicée  scolastique  ne  voulut  pas  être  et  ne  fut  pas 
une  excroissance  spéculative,  indépendante  de  la  tradi- 
tion, il  faut,  si  l'on  veut  tenir  compte  de  tous  les  élé- 
ments complexes  dont  elle  est  composée,  dégager 
comment  la  conception  péripatéticienne  du  monde  qui 
fut  la  sienne  et  sur  laquelle  elle  s'appuya  se  rattachait 
à  celle  de  la  spéculation  patristique.  C'est  pourquoi,  au 
risque  de  paraître  à  quelques  lecteurs  nous  occuper 
moins  de  Dieu  que  de  la  qualité  du  péripatétisme  ou  du 
platonisme  des  grands  scolastiques  duxme  siècle,  nous 
avons  plus  haut  consacré  plusieurs  pages  à  dire  com- 
ment saint  Thomas  combina  —  sans  doute  en  les  modi- 
fiant l'un  et  l'autre —  le  péripatétisme  et  le  platonisme, 
et  fut  amené  à  juger  leur  théodicée  équivalente.  Nous 
avons  fait  cette  exposition,  sans  tenir  compte  de  l'in- 
fluence de  la  philosophie  arabe,  non  seulement  pour 
des  raisons  de  commodité  dans  notre  composition, mais 
aussi  pour  bien  marquer  la  continuité  des  préoccupa- 
tions que  certains  textes  patristiques  donnaient  aux 
scolastiques,  et  surtout  parce  qu'il  semble  bien  que  le 
génie  de  saint  Thomas  ait  été  capable  de  trouver  à  lui 
seul  la  synthèse  de  la  théodicée  de  Platon  et  d'Aristote 
qu'il  nous  a  laissée,  par  le  seul  rapprochement  du 
réalisme  modéré  d'Aristote  et  du  platonisme  de  saint 
Augustin.  Doèce  et  Denys  posaient  le  problème  :  le 
lecteur  a  vu  comment  saint  Thomas  le  résolut  par 
l'éliologie  et  l'épistémologie  d'Aristote.  C'est  par  là, 
avons-nous  dit,  que  saint  Thomas  conclut  que  la  doc- 
trine de  la  participation  de  Platon,  c'est-à-dire  de  saint 
Augustin,  est  équivalente  à  la  doctrine  de  l'acte  etde  la 
puissance  d'Aristote;  ce  qui  lui  permit  de  penser  que  le 
premier  moteur  immobile  d'Aristote  est  l'équivalent  du 
Dieu  mobile  de  Platon.  Sans  doute,  plus  d'un  lecteur 
aura  trouvé  le  saut  un  peu  brusque,  et  la  liaison  arti- 
ficielle. C'est  de  cette  impression  et  de  l'appréciation 
très  inexacte  qui  en  résulte  que  naissent  au  fond  les 
critiques  des  hétérodoxes  contre  la  scolastique.  Ils  re- 
marquent avec  raison  que  le  principe  métaphysique 
général  de  systématisation  de  la  théodicée  chez  saint 
Thomas  est  la  doctrine  de  l'acte  et  de  la  puissance  :  ou. 
bien  ils  en  concluent  à  une  rupture  avec  la  tradition, 
non  seulement  quant  à  la  dialectique  de  la  science  de 
Dieu,  mais  aussi,  puisque  notre  idée  de  Dieu  est  liée 
avec  notre  idée  philosophique  du  monde,  quant  au 
contenu  même  de  l'idée  de  la  nature  divine;  ou  bien, 
notant  qu'on  peut  avec  la  doctrine  de  l'acte  et  de  la 
puissance  entendue  d'une  certaine  façon  aboutir  à 
diverses  erreurs,  ils  les  attribuent  sinon  formellement, 
au  moins  quant  à  leurs  germes,  à  l'École;  ou  enfin  — 


et  ce  reproche  est  le  plus  vulgarisé,  parce  qu'il  parle 
davantage  à  l'imagination  et  demande  pour  êlre  saisi 
moins  d'acuité  intellectuelle  —  ils  supposent  que  la 
théodicée  de  l'École  repose  tout  entière  sur  l'hypothèse 
hylémorphique.  La  suite  de  notre  étude  sur  Àverroès 
nous  amène  à  résoudre  et  les  difficultés  des  uns  et  les 
hésitations  des  autres.  Car  bien  que  saint  Thomas  eût 
pu  concevoir  à  lui  seul  l'usage  qu'on  pouvait  faire  de  la 
doctrine  de  l'acte  et  de  la  puissance  pour  penser  l'infini 
et  systématiser  la  théodicée.  il  semble  historiquement 
qu'il  n'eut  pas  à  faire  cet  effort,  mais  n'eut  qu'à  remar- 
quer chez  Averroès  le  principe  et  son  application.  \.n 
tout  cas,  s'il  eut  de  lui-même  l'intuition  du  principe  de 
sa  synthèse,  qui  est  la  notion  d'acte  et  de  puissance 
métaphysiques,  il  reconnut  cette  notion  chez  le  penseur 
arabe  qu'il  cite  quelquefois  et  utilise  très  souvent  litté- 
ralement sans  le  nommer. 

Nous  avons  donné  aux  difficultés  des  hétérodoxes  une 
première  réponse  par  les  principes;  ce  que  nous  allons 
exposer  constituera  une  réponse  par  les  faits,  qui  con- 
firmera la  première.  Nous  dirons  :  1. Comment  Averroès 
conçut  le  rapport  du  monde  à  Dieu  et  par  suite  l'infini  ; 
2.  Comment  cette  théodicée  et  cette  conception  du 
monde  coïncidaient  avec  la  doctrine  patristique  de  la 
participation;  3.  Comment  l'école  franciscaine  indépen- 
damment d'Averroès  avait  retrouvé  le  sens  philoso- 
phique de  cette  doctrine  traditionnelle  qui  avait  em- 
barrassé le  xne  siècle;  4.  Comment  l'école  dominicaine 
s'accorda  avec  l'école  franciscaine  quant  à  l'intelligence 
de  la  participation,  et  mit  à  profit  Averroès  pour  l'ex- 
posé logique  et  l'emploi  systématique  de  cette  doctrine; 
5.  Enfin  nous  dirons  un  mot  de  la  systématisation  de 
saint  Thomas  et  l'on  verra  qu'elle  n'eut  rien  d'exclusif 
et  ne  fut  pas  un  esclavage,  puisque  le  saint  docteur  se 
servit  contre  Averroès  lui-même  de  ce  qu'il  lui  em- 
pruntait. Du  même  coup  nous  aurons  montré  comment 
se  fit  en  fait  l'introduction  de  l'acte  et  de  la  puissance 
en  théodicée  et  quelle  en  est  la  portée. 

1.  Doctrine  de  la  participation  citez  Averroès.  — 
L'histoire  n'a  pas  à  reconstruire  la  théorie  d'Averroès 
sur  les  rapports  de  Dieu  et  du  monde,  ni  le  lien  qu'il 
établit  entre  cette  théorie  qu'il  qualifie  de  péripatéti- 
cienne et  sa  théodicée.  Les  attaques  d'Algazel  contre 
les  philosophes  et  le  soin  qu'il  prend  de  s'écarter 
d'Avicenne  l'amènent  à  s'en  expliquer  nettement  à 
maintes  reprises  dans  sa  Destruction.  On  n'a  que 
l'embarras  du  choix.  Algazel  reprochant  entre  autres 
choses  à  Avicenne  d'avoir  été  amené  à  l'agnosticisme 
par  sa  conception  de  l'argument  des  degrés,  d'où  il 
suivait  que  Dieu  n'a  pas  d'essence,  Averroès  répond 
par  un  peu  d'histoire.  Les  anciens  philosophes  arabes, 
dit-il,  sont  partis  de  l'hypothèse  que  l'existence  est  une 
réalité  ajoutée  à  l'essence  et  faisant  composition  phy- 
sique avec  elle;  Avicenne,  trompé  par  le  mot  arabe 
maondjoud  par  lequel  les  traducteurs  d'Aristote  ont 
rendu  tô  ov,  Maimonide,  t.  i,  p.  231,  note  de  Munk,  a 
même  fait  de  cette  réalité  une  sorte  d'accident  ;  et  ils  ont 
raisonné  ainsi  :  tout  composé  d'essence  et  d'existence, 
c'est-à-dire  d'acte  et  de  puissance  distincts,  est  causé; 
mais  le  premier  n'a  point  de  cause;  donc  il  n'a  point 
d'essence.  Tel  est,  en  effet,  le  procédé  d'Avicenne» 
d'Avicebron,  et  plus  tard  de  Maimonide,  qui  aboutit 
chez  eux  à  la  formule  :  scimus  de  Deo  solunt  quia  est. 
Mais  les  philosophes  arabes  plus  récents,  disciples 
d'Aristote,  ont  compris  que  -h  ô'v,  maoudjoud,  ens, 
signifie  la  réalité,  la  substance  ou  l'essence  hors  de  ses 
causes,  et  ils  ont  par  suite  donné  à  l'argument  la 
forme  suivante  :  tout  être  est  composé  ou  simple  et 
tout  composé  a  une  cause;  donc,  puisque  la  régression 
à  l'infini  répugne,  il  y  a  un  premier  être,  cu/us  esse 
sit  sua  quidditas.  C'est  l'argument  des  degrés  tel  que 
le  défend  Averroès,  et  il  en  dit  historiquement  :  sed 
moderni  sapientunt  saracenorum   speculali  sunt  in 


1229 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES    SCOLASTIQUES1 


1230 


natura  entis  in  quantum  ens;  et  duxit  eos  investiga- 
lio  ad  ens  simplex  modo  supra  dicto.  On  reconnaît  la 
formule  de  saint  Thomas  :  ullerius  aliqui  erexerunt 
se  ad  considerandum  ens  in  quantum  ens  et  conside- 
raverunt  causant  rerum  non  solum  secundum  quod 
sunt  hsec,  vel  talia,  sed  secundum  quod  sunt  entia, 
Sum.  tlieol.,  Ia,  q.  xuv,  a.  2;  ailleurs,  il  s'appuie  sur 
saint  Augustin  pour  prêter  de  pareilles  vues  à  Platon 
et  à  Aristote.  De  potentia,  q.  ni,  a.  5.  Averroés  ajoute 
que  son  péripatétisme  va  plus  loin  :  Sed  via  demon- 
strativa  apudnos  in  hoc  proposilo  est  quod  entia  qusc 
sunt  possibilia  in  eorum  subjectis  egrediuntur  de  po- 
tentia ad  aclum;  quare  illud  quod  extrahit  ea  in 
actum  est  agens  in  actu  necessario ;  oportet  ergo 
necessario  quod  id  quod  ilat  eis  esse  continuum  sit 
necessarium  in  seipso.  Destructio,  disp.  VIII,  dub.  I. 
Cf.  A.  Niplius,  In  librum  destructio  destruclionum 
Averrois  commenlarii,  Lyon,  1542,  fol.  241,  244. 

Pour   saisir  la  portée  entière  de  ce  dernier  passage 
et  y   voir  ce  qui  s'y  trouve,   c'est-à-dire  autre   chose 
qu'un  appel  à  l'argument  du  premier  moteur  physique 
dont  Averroés  fait  emploi  très  fréquemment  ailleurs, 
il    faut   se  souvenir  que,    d'après  lui,    l'argument  des 
degrés  qu'attaque  Algazel  est  absolument  indépendanl 
de  toute  distinction  réelle.  Pour  prendre  ses  exemples, 
quand  on  y  met  en  fait  que  tout  ce  qui   se  trouve  dans 
Socrate,   sans    être   explicitement  mentionné   dans    la 
définition  de  l'homme;  ou  que  dans  une  qualité  don- 
née, par  exemple  la  chaleur,  tout  ce  qui  est  susceptible 
de  plus  et  de  moins  a  une  cause,  il  est  évident  qu'il  ne 
s'agit  pas  d'une  distinction  réelle  entre  les  degrés  de 
chaleur  et  l'essence  de  la  chaleur,  entre  tous  les  prédi- 
cats  particuliers  de  Socrate  et  l'essence  abstraite  de 
l'homme.    Le   point    de    départ   de   l'argument  est   la 
constatation  d'une  composition  métaphysique  et  d'une 
distinction  de  raison  secundum  intentionem,  dit  Aver- 
roés, nous  dirions   en  style  moins   vieux  :   cum  fun- 
damento  in  rc.  Cette  composition  qu'Averroès  nomme 
accidentelle,  cf.  S.  Thomas,  Quodlibeta,  II,  q.  il,  a.  1; 
VII,  q.  III,  a.  2;  XII,  q.  x,  a.  I,  se  trouve  réalisée  entre 
l'essence   et    l'existence  des   choses    produites,  même 
dans   les  substances  simples  comme   sont  les    intelli- 
gences séparées.  Omnis  inlelligentia  est  composita  ex 
materia  prteter  primant;  omnes  alise  sunt  ex  parli- 
cipanle  et  participait),  id  est  ex  essenlia  et  esse,  et  in 
eis  est  comparatio  potentiœ  passivœ  ad  actum  forma- 
ient, recipienlis  ad  réception ,  materiiv  ad  formant  et 
e  contra.  Cf.  Xiphus.  <■]>.  cit.,  fol.  243,  245;  S.  Thomas, 
Centra   gentes,   1.  11,  c.  liv;  Sum.  tlteol.,  I\  q.   iv, 
a.  1.  ad  3om.  Mais  il  ne  faut  pas  entendre  ces  formules 
au  sens  purement  statique  :  compotitio  est  sicut  mo- 
veri,  scilicet  attributum  possibile  additum  substantiœ 
rerum   recipientiutn    compositionem  ;   esse  vero   est 
denontinatio  quœ  est  ipsamet   substantia,   Disp.   VI, 
fol.  37.    On  connait  la   définition  péripatéticienne  du 
mouvement  :  aclus  enlis  pottibilis,  in  quantum  possi- 
bile.  s.  Thomas,  ht  Phyaic,  I.  III,  lect.  n,  à  la  fin. 
L'idée    de    rapprocher   le    mouvement,    la    course,  de 
l'existence  date  d'Aristote.  S.  Thomas,   In  Metaphys., 
I.  IX,  lect.  ni;  ht  IV  Suit.,  I.  I,  dist.  XIX,  q.  n.  a,  2. 
La  comparaison  indique,  comme  celle  de  la  matière  et 
de  la  forme,  une    potentialité    continue,   mais  elle    \ 
ajoute  la  connotation  de  l'influx  de  la  cause  du  mou- 
vement. Quodlibeta,  IX,  q.  iv,  a.  1.  Ce  qui  revient  a 
dire  que  d'après  Averroés  l'existence  du  fini  n'esl  pis 
Intelligible  sans   l  influx  causal  'le  la  cause  première. 
De  potentia,  n-  m,  a.  ■  >.  ad  I     .  L'existence  des  êtres 
produit-,  c'esl  1  •  Ire  'ii  puissance,  ce  que  tainl  Tho- 
mas appelle  avec  lui  po$$ibilit,    /"   IV  Sent.,  I.   I, 
dist.  VIII,  q.  v,  a.  2;  De  potentia,  q.  v,  a.  3,  deven  int 
.ii'-  en  acli      "is  l'influence  continue  de  la  première 
.  El  cette  doctrine  détermine  le  sens  de  l'appel 
;ni  premii  i  mot<  ur  que  non-  avons  rappoi 


conception  exacte  de  l'être  produit  sans  la  notion  d'un 
moteur  métaphysique  :  intelleclus  in  eo  comprehendit 
compositionem  in  causalo  et  causa. 

Partant  de  cette  conception  du  monde,  et  il  est  à 
remarquer  qu'Averroès  prend  pour  base  une  composi- 
tion qui  se  trouve  nécessairement  dans  tout  être  con- 
tingent, le  penseur  arabe  s'élève  à  Dieu.  De  la  sorte, 
le  Premier  est  plus  simple  que  tout  le  reste;  car  quand 
on  pense  à  lui,  on  ne  pense  en  aucune  façon  à  la 
cause  :  non  intelligitur  de  eo  causa  et  causalum 
ontnino.  Le  sens,  en  effet,  de  l'expression  être  néces- 
saire est  de  nier  qu'il  ait  une  cause  :  necessat  iunt  in 
esse  non  est  quid  additum  ipsi  esse  extra  animant; 
sed  est  quid  enti  necessario  in  esse  et  non  addition 
subslantise  ejus;  et  quasi  rcducitur  ad  ablationem 
causse,  scilicet  quod  esse  ejus  sit  causalum  ab  alio  :  et 
quasi  id  quod  tribuit  alii  auferatur  ab  eo.  Disp.  III, 
fol.  25.  Cette  conception  de  Dieu  est  sûrement  très 
belle.  Car,  après  que  l'on  a  remarqué  que  la  distinction 
de  l'essence  et  de  l'existence  en  Dieu  est  une  pure 
distinction  de  raison,  on  y  invite  l'esprit  à  une  première 
négation  non  ab  alio,  unde  non  habct  quiddilatem 
et  esse,  sed  ejus  quidditas  est  esse,  et  le  dernier 
membre  en  suggère  une  seconde  :  et  le  passage  con- 
tinu de  la  puissance  à  l'acte  sous  l'action  divine  qui 
est  toute  l'existence  du  contingent  ne  se  trouve  aucu- 
nement en  lui.  Ce  qui  exclut  de  lui  toute  potentialité. 
Il  est  donc  l'acte  pur  et  par  conséquent  toutes  les  per- 
fections sont  en  lui,  In  XIV  Metaphys.,  1.  V,  corn.  21, 
Venise,  1552,  t.  vin,  fol.  02;  cf.  De  potentia,  q.  vu, 
a.  5,  à  la  fin;  bien  plus  quelques-unes  se  disent  du  lui 
au  sens  propre  :  et  ideo  vila  et  scient  ta  proprie 
dicunlur  de  eo,  et  sans  qu'il  y  ait  en  lui  composition. 
Ibid.,  1.  XII,  corn.  39,  fol.  139;  cf.  S.  Thomas,  ibid., 
a.  6.  Enfin,  quoique  les  averroïstes  postérieurs  aient 
mis  ce  point  en  doute,  Dieu  est  l'infini,  la  plénitude 
de  l'être  :  c'est  du  moins  ainsi  que  saint  Thomas  en- 
tend Averroés;  car,  après  avoir  rapporté  sa  réfutation 
d'Algazel,  il  conclut  :  Hanc  autem  subliment  tenta- 
ient Moyses  a  Domino  edoctus  est.  Contra  génies. 
1.  I,  c.  xxn. 

Si  de  cette  hauteur  on  redescend  vers  la  créature, 
même  la  plus  sublime  est  composée,  et  est  moins 
simple  qui'  Dieu  essentiellement.  Detemiinaverunt 
antiqui  de  hac  specie  entiuni  et  dixerunt  quod  sunt 
simpiieia.  Sed  dicunt  de  eis  quod  causa  in  eis  est 
magis  simplex  causato,  et  ideo  tenent  quod  primum 
est  simpticius  eis  ;  primum  enim  non  intelligitur  de 
eo  causa  et  causalum  omnino;  ut  vero  quint  est  post 
primum.  intelligit  de  eu  intelleclus  compositionem, 
Disp.  III,  fol.  "i.").  Ailleurs,  il  exprime  la  même  idée  : 
unde  habeui  quiddilatem  et  esse,  id  est  recipiunt. 
Cf.  Contra  gentes,  I.  Il,  e.  LU,  avec  les  notes  de  (iode- 
froy  de  Fontaines  qui  se  trouvent  là  dans  les  éditions 
Mignc  et  Vives  et  dont  ce  que  nous  venons  de  citer 
d'Averroés  rendra  claire  la  terminologie  et  le  si 
Quodlib.,  VII,  q.  ni.  a.  2.  On  comprendra  mieux  main- 
tenant le  sens  profond  du  mot  déjà  cité  :  compotitio 
est   sicut   moveri,    La  composition   de   l  :    de 

l'existence,  c'esl    le    p  du    possible   'i   l'être   -"lis 

l'action  divine;  ce  pa  mtinu  de  la  puissance  4 

l'acte  résulte  de  la  potentialité  foncière  de  notre  nature 
contingente,  impuissante  a  se  donner  et  n  s,,  conserver 
l'existence;  la    réalité  de  notre  substance,  c'eal   cette 

potentialité',  mais  en  acte,   notre    existi  ne      c'esl   I 

tte  potentialité,  acte  qui  n'est  intelligible  qu'en 

tenant    Compte    de    fiction    divine    du    premier  moteur 

métaphysique. 

2.  Rapprochement  de  cette  doctritt  doctrine 

chrétienne  <'e  '"  participation.  —  Ou  trouverail  laci 
lement  des  vues  sur  li  •  rapports  de  Dieu  et  du  monde 
analogues  à  celles  de  cette  partie  du  iystèm<  ■!  averroés 
dans   les  mystiques   chrétiens  anciens    et    moden 


1231 


DIEU    (SA    NATURE   SELON    LES   SCOLASTIQUES 


1232 


C'est  ainsi  par  exemple  que  réunissant  dans  leur  pi  D 
l'acte  créateur  par  lequel  Dieu  donne  l'être,  l'action 
conservatrice  par  laquelle  il  le  maintient,  l'omnipré- 
sence de  Dieu  qu'impliquent  la  création  et  la  conser- 
vation, ils  arrivent  à  se  considérer  comme  perdus  en 
Dieu  ou  plutôt  comme  des  participations  finies  de  la 
plénitude  de  l'Être  divin,  sortant  de  lui  comme  des 
rayons  s'échappent  du  foyer  lumineux,  n'étant  que  par 
lui  qui  seul  subsiste  en  soi,  et  n'ayant  d'autre  raison 
d'être  que  de  refléter  tels  quels  les  divines  splendeurs. 
i'A'.  S.  Ignace,  Exercilia  spiritualia,  contemplatif)  ad 
amorem,  4. 

Mais,  ce  qui   est  plus  important  ici,  cette    manière 
d'énoncer    la    transcendance   de   l'être  divin  par  voie 
d'opposition  avec  la  vanité,  la  fragilité,  la  mutabilité, 
la  dépendance  radicale  et  foncière  des  essences  finies 
hors  de  leurs  causes  est  insinuée  par  l'Ecriture;  et  de 
très  bonne  heure  les  Pères  ont  suivi  cette  voie.  Dieu 
est,  qui  est,  les  créatures  ne  sont  rien  ou  comme  rien 
devant  lui.  Ps.    xxxvni,  8;   Sap.,  xi,  23;  Is.,  XL,    17; 
Rom.,  vi,  "17.  Voir  Dieu  d'après  les  Pères,  spéciale- 
ment saint  Hilaire, saint  Ambroise,  saint  Jérôme,  auteurs 
familiers  au  moyen  âge.  Il  ne  parait  pas  douteux  que 
la  faveur  que   la  théodicée  de  Platon  a  trouvée  chez 
beaucoup  de  Pères,  ne  vienne  en  partie  du  fait  qu'elle 
mettait  en  relief  la  dépendance  des  créatures  par  rap- 
port à  l'être  divin  dans  le  sens  même  de  l'Écriture  ou 
dans  un  sens  qu'on    pouvait  y  ramener.  Voir  Plato- 
nisme des  Pères.  La  théorie  platonicienne  de  la  parti- 
cipation avait  en   outre  l'avantage    de   tracer  une  dé- 
marcation nette  entre  le  créé  et  l'incréé   :  démarcation 
dont  la  controverse  arienne  fit  sentir  le  besoin  et  l'im- 
portance. Par  exemple,  Dieu  est  appelé  lumière  dans 
l'Écriture  et  en  lui  ne  sont  point  de  ténèbres.  I  Joa., 
I,  5.    Mais    il    est  dit  du  Verbe  et  du  Christ  qu'il  est 
lumière  et  qu'il  illumine  les   ténèbres.  Joa.,  i,  9;  m, 
19;  vin,  12.  Donc  il  est  Dieu  et  consubstantiel  au  Père, 
lumen  de    lumine.  La    conséquence    est    rigoureuse. 
Voir  Trinité.  Or  la  doctrine  de  la  participation  rendait 
très  facile  de  montrer  cette  conséquence,  puisque  le  par- 
ticipant, l'essence  hors  de  ses  causes   y  reste  toujours 
potentielle,  insuffisante  à  être  et  à  rester  ce  qu'elle  est. 
Ainsi  s'explique  le  fréquent  usage  que  font  les  Pères  de 
cette   théorie    platonicienne    contre    les    ariens   et  les 
pneumatomaques.  Les  néoplatoniciens,  tout  en  tombant 
dans   de  graves  erreurs  sur  Dieu,  avaient  été  amenés 
par  leur  doctrine  même  de    l'émanation  à  développer 
la  dépendance  causale  du  multiple  par  rapport  à  l'Un. 
On  a  vu,  loc.  cit.,  comment  Marius  Viclorin,  saint  Au- 
gustin,   le   pseudo-Denys  employèrent  la   terminologie 
néoplatonicienne  tout  en  lui  donnant  un  sens  chrétien. 
La  participation  chez  les  ^néoplatoniciens   aboutissait 
à  l'agnosticisme,  ou    à  l'intuitionisme,  quelquefois  au 
phénoménisme  et  aussi  au  panthéisme,  à  un  panthéisme 
dynamique.  La  tradition  chrétienne  se  préserva  de  ces 
erreurs   grâce  surtout  au    dogme   fondamental    de  la 
création.  Voir  t.  I,  col.   2329  ;   cf.    Den/.inger,  n.  428. 
453  sq.  Mais    les  Pères  qui   furent  influencés   par   le 
néoplatonisme  s'approprièrent  ce  qu'il  y  avait  de  pro- 
fondément philosophique  dans  la  théorie  de   l'insuffi- 
sance continue  des  essences  finies  hors  de  leurs  causes 
à  l'existence  dont  l'émanatisme  avait  abusé.  L'image  du 
soleil  et  des  rayons,  dulleuve  et  de  sa  source,  fréquente 
chez  les  mystiques  chrétiens  et  qui  se  retrouve  chez 
Plotin,  est  familière  à  saint  Augustin  et  sa  théorie  de 
l'illumination   et   du  concours  s'y    rattachent,  comme 
on  l'a  dit,  t.  I,  col.  2328.  Par  exemple,  Dieu  ne  produit 
pas  l'œuvre  de  notre  justification  intérieure,  ut,  si  ab- 
cessarit,  maneat  in  abcedente,  quod  fecerit  ;  sed  potius 
sicutaer  prxsente  lumine  non  faclus  est  lucidus,  sed 
fit;  quia   si   faclus  esset,  non  autem   fieret,    etiam 
absente  lumine  lucidus  maneret.  De  Genesi  ad  lilte- 
ram,   1.    VIII,    c.    XII,    P.    L.,    t.    xxxm,    col.    383. 


Cf.  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  [»,  q.  civ,  a.  I  ;  De  polen- 

lia,  q.  ni,  a.  3,  ad  Gum  ;  De  veritate,  q,  xxi.  a.  4,  ad  -1  . 
l'artisan  de  ce  qu'on  appelle  l'argument  des  degrés, 
le  mot  est  de  l 'évoque  dïlippone  avant  d'être  d'A 
roès,  saint  Augustin  conçoit  l'immobilité  divine  dans  le 
sens  même  où  Averroès  entend  les  négations  incluses 
dans  l'idée  d'acte  pur.  De  Trinilale,  I.  Y,  c.  iv;  1.  VIII, 
c.  m,  P.  L.,  t.  XIII,  col.  913,  949.  Il  écrit  dans  ses  Con- 
fessions, 1.  VII,  c.  xi,  P.  L.,  t.  xxxii,  col.  742  :  Et  in- 
spexi  cœtera  infra  tu,  et  vidi  nec  omnino  esse,  nec 
omnino  non  esse  :  esse  quidem  quoniam  abs  le  su  ni  ; 
non  esse  autem,  quoniam  id  quod  es  non  sunt.  ld 
enim  vere  est,  quod  incommutabiliter  manel. 

On  trouve  une  autre  expression  célèbre  des  mêmes 
pensées  dans  un  livre  qui  a  beaucoup  inllué  sur  le 
moyen  âge  :  les  Morales  de  sain  t  Grégoire.  Dieu  seul  existe 
à  proprement  parler,  Ipse  solus  est,  car  tout  le  reste 
n'existe  qu'avec  dépendance  :  cuncla  quippe  ex  ni/iilo 
facta  sunt  eorumque  essenlia  rursum  ad  nihilum 
lenderet,  nisi  eam  auctor  omnium  regiminis  manu 
teneret.  Moral.,  1.  XVI,  c.  xxxvm,  P.  L.,  t.  i.xxv. 
col.  1145.  Cf.  S.  Thomas,  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  I, 
q.  iv,  a.  1,  ad  6UU>;  dist.  Y,  q.  il,  a.  2  ;  1.  III,  dist.  XI. 
q.  I,  a.  1,  ad  2UU' ;  Corderius,  Commenloria  in  librum 
Job,  édil.  Crampon,  Paris,  18G6,  p.  492.  La  liturgie  a 
d'ailleurs  adopté  cette  manière  d'exprimer  à  la  fois  la 
transcendance  absolue  et  l'omniprésence  divine  '.Rerum, 
Deus,  tenax  vigor,  Immotus  in  le  permanens,  lisons- 
nous  à  l'hymne  de  none.  On  peut  considérer  le  De 
hebdornadibus  de  Boèce  comme  un  essai  de  transcrip- 
tion en  style  philosophique  de  ces  conceptions.  Au 
jugement  d'Albert  le  Grand,  car  la  doctrine  de  la  par- 
ticipation était  alors  l'objet  des  études  de  tous,  les 
Noms  divins  de  Denys  sont  dus  aux  mêmes  préoccupa- 
tions. Albert,  Summa,  part.  II,  tr.  I,  q.  ni,  m.  m. 
a.  2,  édit.  Vives,  t.  xxxii,  p.  36. 

Le  péripatétisme  néoplatonicien  des  philosophes 
arabes  en  utilisant  la  doctrine  de  la  participation 
tomba  dans  de  graves  erreurs.  Averroès  lui-même  n'en 
fut  pas  complètement  exempt.  Cependant,  sur  le  point 
précis  qui  nous  occupe,  nous  devons  reconnaître  que 
sa  doctrine  coïncide  avec  celle  des  Pères  que  nous 
venons  de  citer  :  c'est  la  même  conception  de.  l'être 
contingent  et  par  corrélation  la  même  conception  de 
la  nature  de  l'infini.  La  seule  dillérence  est  qu'élevé 
dans  un  milieu  où  la  philosophie  n'avait  pas  d'autre 
langue  que  celle  d'Aristole  et  profitant  de  trois  siècles 
de  travaux  et  aussi  d'échecs  tentés  ou  subis  par  les 
hommes  de  sa  race  pour  adapter  le  péripatétisme  à  la 
conception  de  la  vérité  religieuse,  Averroès  parle,  rai- 
sonne et  précise  en  disciple  du  Stagyrite;  tandis  que 
les  Pères  ou  emploient  la  langue  de  Platon  et  des  néo- 
platoniciens ou  se  servent  de  la  phraséologie  oratoire, 
teintée  de  réminiscences  bibliques,  de  leur  temps.  Le 
lecteur  que  ce  rapprochement  étonnerait  n'a  qu'à  se 
souvenir  que  notre  appréciation  futcellede  saint  Tho- 
mas et  que  Suarez,  dont  les  conclusions  sont  celles 
d'Averroès,  Disp.  melaplujs.,  disp.  XXXI.  sect.  vi. 
n.  23;  sect.  XIII,  n.  9;  sect.  xiv.  n.  2.  se  réclame  aussi 
bien  d'Averroès  que  d'Aristote  pour  les  établir.  Disp. 
cit.,  sect.  vi,  n.l.  Cf.  Th.  Raynaud,  Theologia  nalura- 
lis,  dist.  I.  q.  I,  Opéra,  Lyon.   1(>G").  t.  v.  p.  21. 

3.  Doctrine  de  la  participation  dans  l'école  francis- 
caine. —  Les  formules  néoplatoniciennes  de  Denys  et 
surtout  celles  de  Boèce  et  du  pseudo-Boèce  avaient,  on 
s'en  souvient,  embarrassé  le  xn«  siècle.  A  prendre  les 
choses  de  très  haut,  on  peut  dire  que  Gilbert  de  la 
Porrée  et  Alain  de  Lille,  en  concluant  que  l'être  et  la 
bonté  des  créatures  ne  sont  que  des  dénominations 
extrinsèques  avec  connotation  de  leur  dépendance  cau- 
sale, n'avaient  pas  en  vue  autre  cho-e  que  de  traduire 
à  leur  tour,  en  style  de  la  logique  de  leur  temps,  la 
doctrine  de  la  participation  qu'ils  trouvaient  chez  les 


1233 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES    SCOL ASTIQUES) 


1234 


Pères  et  ne  savaient  comment  faire  entrer  dans  les 
cadres  de  Porphyre.  Quand  on  se  souvient  que  saint 
Anselme  avait  donné  l'argument  des  degrés,  Monolo- 
gium,c.  i-iv,  P.  L.,  t.  clviii,  col.  145,  en  s'appuyant 
sur  une  analyse  correcte  des  diverses  distinctions  de 
raison  ;  que  Richard  de  Saint-Victor  l'avait  suivi,  De 
Trinitale,  1.  II,  c.  xvi  sq.,  /'.  L.,  t.  exevi,  col.  910,  et 
qu'il  avait  énoncé  le  grand  principe  du  moteur  méta- 
physique :  omnïs  composilio  compositorc  eget  et  sine 
beneficio  composiloris  esse  non  valet,  ibid.,  1.  V,  c.  IV, 
col.  951;  qu'Alain  de  Lille  avait  adopté  le  même  prin- 
cipe comme  une  des  premières  données  de  la  raison, 
De  arliculis,  1.  I,  3,  12,  P.  L.,  t.  ccx,  col.  599  sq.,  et 
résolu  correctement  dans  le  sens  du  réalisme  modéré 
le  problème  de  l'unité,  on  est  absolument  surpris  que 
Gilbert  et  Alain  aient  donné  une  solution  nominalisle 
au  problème  de  l'existence,  du  quod  est  et  du  quo  est 
de  Boèce,  et  n'aient  pas  vu  que  d'après  les  Pères 
l'existence  et  la  bonté  sont  des  propriétés  intrinsèques 
des  choses.  De  veritate,  q.  xxi,  a.  4,  ad  3um. 

Alexandre  de  Halès  et  saint  Bonaventure,  indépen- 
damment d'Averroès,  semble-t-il,  parvinrent  à  conce- 
voir mieux  la  doclrine  de  la  participation.  Ils  se  deman- 
dèrent :  Quelle  est  la  cause  de  la  composition  des 
choses,  et  en  particulier  quelle  est  la  plus  générale  des 
compositions:  celle  du  quod  est  et  du  quo  est,  de  l'es- 
sence et  de  l'existence,  qui  se  trouve  même  dans  les 
animes'.'  Leur  réponse  est  identique  :  On  ne  peut  conce- 
voir-adéquatement  l'existence  des  choses  sans  penser 
à  leur  dépendance  de  la  cause  qui  crée  et  conserve. 
Sur  ce  point  ils  restent  fidèles  à  la  tradition  du  siècle 
précèdent,  qui  avait  ici  retenu  la  doctrine  patristique 
de  la  participation.  Cf.  S.  Thomas,  In  IV  Sent.,  1.  1, 
prologus,  q.  i,  a.  2,  ad  2""1.  Quant  à  la  dénomination 
intrinsèque  d'existence,  qu'ils  rangent  au  pluriel  parmi 
les  principes  constitutifs  du  créé,  ils  1'identilient  avec 
l'essence  du  contingent.  Pour  faire  entrer  la  composi- 
tion du  quod  est  et  du  quo  est  dans  les  cadres  des  défi- 
nitions ordinaires  du  compost',  il  faut  les  élargir,  dit 
Alexandre.  Propter  hoc  addendum  est  ut  compositunt 
etiam  dicalur  non  tanlum  mio  prœdictorum  tttodo- 
rii, a,  $ed  cujus  esse  est  dependens  ab  alio.  Summa, 
part.  11.  q.  XII,  m.  il,  a.  3,  Venise,  1579,  t.  II,  fol.  19. 
Mais  cette  existence  intrinsèque  au  créé,  in  h  ('•rente  et 
formelle,  n'est  pas  distincte  de  l'essence  :  non  alia  res 
quœ  participai  sicut  essentia,  alia  quse  participatur, 
sed  quia  una  eademque  res  est  realitas  modo  partici- 
pato  et  per  vim  allerius  sicut  per  vint  agentis;  lisec 
enim  realitas  de  se  mm  est  nisi  sub  modo  possibili: 
quod  autrui  sit  vel  posait  rocari  actus,  hoc  habetper 
vint  agentis.  Vetaphys.,  I.  VII,  text.  22.  Texte  souvent 
cité  on  l'on  remarquera  que,  bien  qu'il  voie  que  la  so- 
lution est  à  chercher  du  côté  de  la  nature  des  possibles 
et  de  la  potentialité  continue  des  essences  hors  de 
leurscauses,  Alexandre  ne  se  rend  pas  nettement  compte 
de  la  raison  pour  laquelle  l'existence  est  conçue  comme 
l'acte  du  possible  réalisé. 
Même  conception  de  la  participation,  bien  que  déjà 

plus   approfondie,  chez  saint  linnavenlure.    Bien    qu'il 

explique  ordinairement    le  quod   est  et  le  quo  est  de 

■  'le  li  matière  et  de  la  l'orme,  qu'il  admet,  spiri- 
tuelles il  e-t  vr.H.  nui tan-,  l'ange,  il  applique  cepen- 
dant cette  Formule  ■<  i  essenci  et  ■<  l'existence,  a  l'être 
actuel  distingué  de  l'être  essi  atiel  qui  est  composé  de 
matii  re  el  't*  forme,  In  /  V  s, -ni-.  I.  II.  dist.  III, 
part.  I,  a.  I.  q.  i.  Cette  composition  implique  une  rela- 
tion de  d<  c  ndance  causale  in  quantum  est  cotnpo- 
silus  in  quantum  habet  "./  ipsum  \  principiuni  j  dt 
dentiam.  Cetli  relation  de  dépendanci  n'est  pis  la 
substance  même  du  créé,  mais  autre  chose,  aliud, 
l'exi  lei           t  le  fait   que   l<   i  réi    reçoit  <  ontinui  Ile 

1  sa  réalité  di    Dieu.  Ibid.,  i.  I.  dist.  VIII,  part.  il. 
a.    I,  q.  ii.  Cf.  s.  Thoin  eritale,  q.  ut,  a.  l , 


a.  1,  ad  9um.  La  composition  de  l'essence  et  de  l'exis- 
tence s'explique  parce  fait  que  la  substance  produite 
est  un  possible  en  acte  dont  la  réalisation  dépend  de 
l'action  divine,  la  conservation  n'étant  que  la  création 
continuée  :  l'être  créé  est  donc  dit  per  posterius  au 
sens  causal  par  rapport  à  l'être  divin.  Ibid.,  dist.  VII, 
a.  1,  q.  iv.  Seeberg  remarquant  ces  pensées  chez  Duns 
Scot  lui  fait  l'honneur  de  les  avoir  introduites  dans  la 
scolastique  .  c'est  un  anachronisme. 

De  cette  conception  de  la  potentialité  constante  de 
l'être  contingent  Alexandre  et  Bonaventure  s'élèvent  à 
la  conception  de  la  nature  divine.  Il  faut  distinguer 
dans  leur  théodicée  deux  sortes  de  conclusions,  celles 
qu'ils  infèrent  de  la  conception  du  monde  que  nous 
venons  d'exposer,  et  celles  qu'ils  empruntent  directe- 
ment à  l'enseignement  traditionnel.  Parlons  des  pre- 
mières. Assez  rapproché  d'Alain  de  Lille  qui  avait 
conçu  Dieu  comme  la  première  monade,  Alexandre 
donne  de  cette  monade  la  notion  suivante  obtenue  par 
voie  d'opposition  à  la  notion  de  l'être  créé  qu'il  avait 
adoptée.  Cause  de  toute  composition  et  en  particulier 
de  celle  de  l'essence  et  de  l'existence,  Dieu  est  essen- 
tiellement un,  c'est-à-dire  simple;  cette  unité  le  dis- 
tingue de  tout  ce  qui  n'est  pas  lui;  par  elle,  il  est  le 
type  et  la  cause  de  toute  perfection  finie;  et  comme 
cause  absolue,  il  est  nécessairement  pour  les  soutenir 
dans  l'être  aussi  substantiellement  présent  dans  tous 
les  objets  que  la  nature  commune  aux  êtres  particuliers 
se  trouve  dans  leur  substance  concrète.  Summa, 
part.  I,  q.  xiv,  m.  vi,  a.  4.  Cf.  Scheeben,  La  dogma- 
tique, t.  u,  n.  309;  S.  Thomas,  Sum.  theol.,  1%  q.  xi, 
a.  4.  Saint  Bonaventure  part  du  même  point  de  vue  et 
suit  un  procédé  analogue  pour  former  par  voie  d'oppo- 
sition la  notion  de  l'être  absolu.  C'est  en  ce  sens  qu'il 
entend  le  mot  de  saint  Ililaire  cité  par  Pierre  Lom- 
bard, 1.  I,  dist.  VIII,  c.  i,  esse  non  est  accidens  Deo. 
Accidens  dicit  quid  natum  in  alio  esse,  ab  aliû  exire 
et  ab  Mo  recedere.  Accidens  enim  dicitur  quod  inest 
subjecto  et  ab  Mo  trahit  ortum  ri  propterea  potest 
adosse  et  abesse.  In  his  tribus  proprietalibus  commu- 
nicat  esse  crealum,  licel  non  eodem  motlo  omnino. 
Nam  esse  nostrum  pendcl  ab  alio  sustinente,  oritur 
ab  alio  efficiente,  creatura  etiani  nata  est  sinon  esse 
perdere;  ideo  esse  ejus  est  quasi  accidens  ;  non  tamen 
vere  accidens  quia,  cuni  a  Dca  pendeat,  non  pendet 
sien!  a  subjecto,  E  contrario  es!  m  Deo;  cl  itleo  Ilila- 
rius  dicit  quod  esse  non  est  accidens  Dca;  ci  hoc  pro- 
pter contrarias  proprietates ;  quia  accidens  natum  est 
alii  inesse,  pr opter  hoc  dicit  :  subsistens  veritas ;  quia 
natum  est  ab  alio  exire,  propice  /me  dicit  :  manens 
causa;  quia  natum  estcliam  ab  alm  recedere,  contra 
hoc  dicit  :  naturalis  gencris  proprietas  qu,v  non  di- 
mittit  esse.  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  VIII,  part.  I, 
dub.  vin.  edit.  Quaracchi,  t.  i,  p.  164.  Il  y  a  bien  là 
quelque  gaucherie  dans  l'usage  des  concepts  péripaté 
ticiens;  l'idée  reste  nette  :  l'existence  dans  les  créa- 
tures n'est  qu'un  accident  logique,  qui  ne  fait  avec 
l'essence  qu'une  composition  métaphysique  avec  con- 
notation de  l'influx  causal  de  Dieu;  en  Mien,  au  con- 
traire, où  aucune  dépendance  causale  n'intervient, 
l'existence   est    l'essi  ne,    s.ms    composition    ni 

possibilité  de  mutation.  Cf.  Denya  le  Chartreux,  /"  IV 
sent.,  l.  I,  dist.  Mil.  q.  m,  Opéra,  Tournai,  1902, 
t.  xix.  p.  'lit-.!,  les  notes  de  l'édition  citée  de  saint  Bona 
venture.  t.  i,  p.  169;  t.  IX,  p.  18;  s.  Thomas,  Quodli- 
heiu,  il.  q,  n.  a.  2  sq.  Chex  saint  Bonaventure,  la  sta- 
bilité de  l'être  divin  el  la  perpétuelle  potentialité  de 
Uni,  même  hors  di  iplique  la  con- 

ilion    des    créatures     par    Dieu.     Ibid,,    l      il. 
dist.  XXWII.a.  I,q.  n  sq.  Cf.  S.  Thoma  ><rol.. 

i    1. 1  i  lie  indigent  e  di 

(tailleur        (lie/     lui     C Chei       \  lev.illdl'e        .      l'ellille 

e pie  .le  l'attribul  d'omnipn  itlve,  Ibid,,  l.  l. 


1235 


DIEU    (SA    NATURE   SELON    LES    SCOLASTIQUES) 


1236 


dist.  XXXVII,  part.  1,  a.  1 ,  q.  i;  et  l'on  peut  en  passant 
noter  en  cet  endroit  un  progrès  notable  sur  le  xiie  siècle, 
bien  qu'il  en  conserve  les  formules  soi-disant  tradi- 
tionnelles, ibid.,  a.  3,  q.  n;  cf.  S.  Thomas,  Sym.  theol., 

Ia,  q.  vin,  a.  3;  car  expliquer  avec  les  Pères  l'omni- 
présence par  l'action  qui  maintient  la  créature  dans 
l'être  est  autrement  profond  que  de  se  contenter  de 
représentations  spatiales.  D'ailleurs,  d'après  saint  Bo- 
naventure,  Dieu  est  partout  indépendamment  de  toute 
création  et  par  conséquent  de  toute  relations  spatiales 
ou  causales,  comme  il  est  éternel  indépendamment  du 
temps.  Ibid.,  a.  2,  q.  il.  Tels  sont  les  points  de  la  théo- 
dicée  que  l'école  franciscaine  rattacha  directement  à  sa 
conception  de  la  participation. 

A  côté  de  ces  conclusions,  elle  enseigna  des  vues 
très  relevées  sur  Dieu,  sur  son  infinité,  son  éminence, 
la  pureté  de  son  essence,  qu'elle  emprunta  à  la  tradi- 
tion. On  peut  en  lire  le  résumé  éloquent  dans  Vltine- 
rarium  mentis  ad  Deum.  Mais  elle  ne  trouva  pas  le 
moyen  de  rattacher  cette  partie  de  l'enseignement  tra- 
ditionnel par  un  lien  métaphysique  et  logique  à  la 
doctrine  de  la  participation  ou  à  celle  de  l'acte  et  de 
la  puissance.  Ni  Alexandre  de  Ilalès,  ni  saint  Bonaven- 
ture  ne  pensèrent  pouvoir  rendre  compte  de  notre  idée 
d'infini,  sans  recourir  soit  à  l'argument  de  saint  Anselme, 
soit  aux  diverses  hypothèses  épistémologiques  admises 
par  l'augustinisme  du  XIIIe  siècle.  La  raison  en  fut, 
semble-t-il,  que  n'ayant  pas  assez  approfondi  l'étiologie 
et  l'épistémologie  d'Aristote,  ils  ne  virent  pas  que  la 
notion  d'acte  et  de  puissance  péripatéticienne  pouvait 
s'appliquer  à  la  composition  métaphysique  de  l'essence 
et  de  l'existence  qu'ils  savaient  pourtant  être  la  carac- 
téristique du  créé.  Aussi,  bien  qu'ils  appellent  Dieu 
l'acte  pur,  leur  théodicée  reste-t-elle  sans  lien  systé- 
matique bien  défini.  L'école  dominicaine  allait  y  pour- 
voir. 

4.  Doctrine  de  la  participation  dans  l'école  domini- 
caine du  xiw  siècle.  —  Albert  le  Grand,  comme 
Alexandre  de  Halès  et  saint  Bonaventure,  prend  pour 
point  de  départ  deux  textes  de  saint  Augustin.  Est 
bonum  solum  simplex,etob  hoc  incommutabile,  quod 
est  Deus.  Ab  /toc  bono  creala  sunt  omnia,  scd  non 
simplicia,  et  ob  hoc  mulabilia.  De  civitate  Dei,  1.  XI, 
c.  x,  P.  L.,  t.  xl,  col.  325.  Bona  mutabilia  propterea 
bona  sunt,  quoniam  a  sunimo  bono  facta  sunt;  pro- 
pterea mulabilia,  quia  non  de  ipso  sed  de  nihilo  facla 
sunt.  Contra  adversarium  Legiset  prophetarum,  1.  I, 
c.  vi,  P.  L.,  t.  xui,  col.  607.  Et  il  les  interprète  comme 
eux.  La  plus  simple  des  créatures,  on  prend  le  cas 
limite  de  l'ange,  est  toujours  composée  parce  qu'elle  a 
toujours,  quant  à  son  existence  actuelle,  une  relation 
de  dépendance  à  Dieu  sa  cause  efficiente  :  et  hsec  de- 
pendenlia  essentialiter  non  est  ipsum,  quamvis  inse- 
parabilis  sit  ab  isto ;  et  ideo  non  omnino  simplex 
est.  Sumnia,  part.  II,  tr.  I,  q.  m,  m.  m,  a.  2, 
édit.  Vives,  t.  xxxn,  p.  35.  Car  ce  qui  est  absolument 
simple  a  une  existence  parfaitement  indépendante,  et 
ainsi  à  cause  de  l'aséité  le  quod  est  et  le  quo  est  ne 
diffèrent  pas  en  lui.  Pour  la  raison  contraire,  ils  diffè- 
rent en  tout  ce  qui  est  produit  :  ex  dependentia  enini 
ad  causant  quse  est  fons  esse  et  facit  debere  esse,  sibi 
est  esse.  Et  hsec  est  sapienlia  Plalonis  quam  co»/ir- 
mal  Dionysius  in  libro  De  divinis  nominibus  ;  quia 
omne  quod  habet  esse  participative  non  habel  esse 
quod  participât  ex  seipso,  sed  ex  essenlia  quam  par- 
ticipât, hoc  est  ex  causa  quse  simpliciler  et  secundum 
seipsam  est  illa  essenlia.  Ibid.,  p.  36.  Car  ce  qui  est 
contingent  reste,  même  produit,  contingent;  et  ce  fait 
entraîne  dans  les  créatures  une  composition,  puis- 
qu'elles ne  sont  point  de  soi,  mais  reçoivent  l'existence 
d'une  façon  continue.  Quia  mulatio  prima  crealio  est, 
quse  est  eductio  enlis  de  nihilo  in  esse,  et  a  nihilo 
incipil,  et  omnia  creala  de  se  in  nihilum  tendunt,  et 


in  nihilum  décidèrent  nisi  manus  oninipolentis  ea 
teneret,  ut  dicit  Gregorius,  Ibid.,  \>.  84.  Cf.  s.  Tho- 
mas, De  veritate,  q.  xxi,  a.  4,  ad  7U">;  lu  1 1  ,SV/<r.  I.  I, 
dist.  1,  q.  iv.  a.  1,  ad  (i'"".  Mais  dans  ces  conditions 
parler  encore  de  composition  réelle,  indépendante  de 
l'activité  de  notre  esprit,  n'est-ce  pas  se  payer  de  mots, 
et  ne  retombe-t-on  pas  dans  les  dénominations  extrin- 
sèques de  Gilbert  de  la  l'orrée  et  d'Alain  de  Lille? 
Albert  se  pose  la  question,  In  IV  Sent.,  I.  I,  dist.  VIII', 
a.  24,  édit.  Vives,  t.  xxv,  p.  252.  Efficient  <ausa  non 
est  aliquid  rei,  sed  lola  est  extra  rem;  ergo  nec  sim- 
plicitatem  in  re  facit,  nec  compositioneni;  ergo  ens 
crealum,  ab  hoc  quod  est  crealum,  non  est  composi- 
tuni.  La  question  est  précise;  Albert  ne  se  dérobe  pas. 
Il  se  souvient  qu'Averroès  a  recours  à  l'exemple  de  la 
matière  et  de  la  forme  pour  expliquer  celle  composi- 
tion; il  fait  comme  lui,  en  prenant  soin  de  se  servir 
d'expressions  patrisiiques  pour  expliquer  sa  pensée. 
Sola  relalio  ad  causam  efjicienlem  non  facit  in  tim- 
plicibus  compositioneni,  sed  hoc  quod  relinquilur  m 
eis  ex  tali  exilu  in  esse.  Quod  per  simile  videri  potest. 
Quod  enim  per  generalionem  exil  in  esse  est  ex  ma- 
teria  quse  est  potentiaet  sub  privatione;  et  licet  per 
generalionem  non  sit  polentia  in  materia,  quse  fuit 
adillar)i  formant  quse  per  generalionem  accepta  est, 
tamen  remanct  polentia  ad  forman  aliant  ex  hoc  ipso 
quod  sic  exivit  in  esse.  Simililer  eliam  ex  hoc  ipso 
quod  res  exil  in  esse  post  ni/til,  remanel  polentia  len- 
dendi  in  nihil  nisi  contineatur  ab  alio.  Non  seulement 
l'existence  du  créé  n'est  pas  une  pure  dénominalion 
extrinsèque,  mais  la  composition  du  créé  a  un  fonde- 
ment intrinsèque,  qui  n'est  aulre  que  la  potentialité  ou 
la  contingence  du  créé.  Sous  sa  forme  actuelle  la  ma- 
tière reste  une  puissance,  puisque  du  fait  qu'elle  était 
en  puissance  à  cette  forme  avant  d'être  par  elle  un 
élément  de  ce  composé,  il  résulte  qu'elle  reste  en  puis- 
sance à  d'autres  formes.  Ainsi  du  contingent;  comme 
il  n'est  que  par  l'action  divine,  existant,  il  reste  con- 
tingent, annihilable  parce  qu'il  n'est  point  de  soi  né- 
cessaire, mais  vient  du  néant. 

Saint  Thomas  se  trouva  donc  en  présence  d'un 
accord  des  théologiens  de  son  temps,  il  le  constate  et 
nous  l'apprend  lui-même,  De  veritate,  q.  xxi,  a.  4,  pour 
expliquer  dans  le  sens  du  réalisme,  et  d'un  réalisme 
très  modéré,  la  doctrine  patristique  de  la  participation. 
On  ne  conçoit  pas  adéquatement  l'existence  du  fini 
sans  aclion  et  par  suite  sans  dépendance  causales; 
mais  cette  existence  est  un  prédicat  intrinsèque  du 
créé  ainsi  que  la  bonté;  cependant  ni  l'existence  ni  la 
bonté  ne  sont  réellement  distinctes  de  l'essence  hors 
de  ses  causes;  il  y  a  toutefois  composilion  dans  le  fini, 
puisque  l'existence  lui  est  donnée  de  telle  sorte  qu'il 
peut  la  perdre  comme  il  a  pu  ne  pas  la  recevoir. 
Voilà  à  grands  traits  ce  dont  tout  le  monde  convenait 
de  son  temps  d'après  saint  Thomas. 

Cette  doctrine  commune  lui  parut  conforme  à  la 
pensée  des  Pères.  Elle  expliquait  comme  eux  la  dis- 
tinction radicale  et  essentielle  du  créé  et  de  l'incréé. 
D'après  les  Pères,  dit  saint  Thomas,  ce  n'est  pas  préci- 
sément le  fait  de  recevoir  l'existence  qui  distingue  la 
nature  créée  de  la  nature  divine;  car  le  Père  commu- 
nique au  Fils  l'existence  en  même  temps  qu'il  lui 
communique  sa  nature,  et  cependant  le  Fils  est  Dieu. 
Car  le  Fils,  à  l'inverse  de  la  créature  qui  est  tirée  du 
néant,  est  engendré  de  la  substance  du  Père,  >ion  de 
nihilo,  sed  de  suo;  le  Père  lui  communique  sa  nature 
même,  immuable,  éternelle,  de  soi  pleinement  suffi- 
sante à  l'existence,  excluant  toute  hypothèse  de  des- 
truction, lumen  de  lumine;  la  créature,  au  conlraire, 
n'est  qu'un  être  par  participation,  une  lumière  qui  a 
toujours  besoin  de  l'action  de  sa  source  pour  continuer 
à  subsister.  In  IV  Sent.,  1.  111,  dist.  XI.  q.  i.  a.  1;  De 
veritate,  q.  xxi,  a.  4,  ad  2um.  La  même  doctrine,  en 


1237 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES    SGOLASTIQUES; 


1238 


assignant  comme  caractéristique  de  l'être  créé,  sa 
potentialité,  son  insuffisance  à  l'existence,  qui  sont  à 
la  base  de  la  preuve  de  l'existence  de  Dieu  par  la  cau- 
salité et  par  la  contingence,  Suni.  theol.,  Ia,  q.  ix,  a.  2, 
voir  col.  943  sq.,  rendait  bien  compte  de  la  conserva- 
tion, ibid.,  q.  civ,  a.  1  ;  voir  Conservation,  et  du  con- 
cours immédiat,  De  potenlia,  q.  ni,  a.  7;  voir  t.  ni, 
col.  785;  par  là  se  conciliaient  heureusement  la  trans- 
cendance et  l'omniprésence  divines,  Sum.  theol.,  l". 
q.  vin,  a.  3;  et  cela  sans  danger  de  manichéisme, 
puisqu'on  identifiait  la  bonté  et  l'existence  des  choses 
à  leur  essence  hors  de  leurs  causes,  De  veritale,  q.  xxi, 
a.  1  ;  a.  2,  ad  3um;  De  malo,  q.  I,  a.  2;  Contra  génies, 
1.  III,  c.  vu  ;  sans  danger  de  phénoménisme,  De  poten- 
lia, q.  vu,  a.  9,  ad  6"m,  puisque  l'action  causale,  et 
non  pas  la  science,  y  tient  la  première  place,  et  que  la 
cause  efficiente  produit  l'être  concret  et  non  pas  seu- 
lement l'être  idéal;  de  panthéisme,  à  la  manière  d'Avi- 
cenne,  ibid.,  q.  m,  a.  8;  Contra  gentes.  1.  I,  c.  xxvi, 
ou  des  latins,  Sum.  theol. ,  Ia,  q.  ni,  a.  8,  puisque  la 
cause  efficiente  est  toujours  distincte  de  son  effet,  De 
veritale,  q.  xxi,  a.  4;  enfin  sans  danger  d'intuitio- 
nisme,  puisque  l'action  causale  de  Dieu  ne  tombe  pas 
sous  la  conscience  psychologique.  Ibid.,  q.  x,  a.  il, 
ad  8um;  voir  col.  911.  Dans  ces  conditions  est-il  éton- 
nant que  saint  Thomas  ait  accepté  la  doctrine  de  la 
participation  qu'il  appelle  commune? 

En  fait,  il  l'accepta  et  on  en  retrouve  chez  lui  les  élé- 
ments. —  o)  L'existence  de  la  créature  n'est  pas  intel- 
ligible sans  une  influence  causale  de  Dieu  et  par  suite 
sans  un  rapport  de  dépendance.  Nous  pouvons  avoir 
l'idée  d'être  sans  avoir  l'idée  de  cause,  et  c'est  ce  qui 
explique  pourquoi  l'idée  d'être  peut  s'appliquera  Dieu, 
Sum.  theol. ,  I»,  q.  xliv,  a.  I,  ad  1"">;  mais  les  créa- 
tures ne  sont  dites  exister  qu'autant  qu'elles  sont  pro- 
duites par  Dieu  et  lui  ressemblent.  In  IV  Sent.,  1.  I, 
prologus,  q.  i,  a.  2,  ad  2um  ;  1.  III,  dist.  XI,  q.  i,  a.  1  ; 
De  potentio,  q.  m,  a.  5,  ad  l,lm.  —  b)  Chez  lui  comme 
chez  Alexandre,  Donaventure  et  Albert,  la  dépendance 
causale  des  créatures  est  dite,  aliud,  autre  chose  que 
la  réalité  de  leur  essence  :  ipse  respectus  quo  essentia 
rei  referturad  Deum  utadprincipium,e8taliudquam 
essentia.  De  veritale,  q.  XXI,  a.  .">.  Cette  relation,  que 
plus  tard  Henri  de  Gand  confondit  avec  l'existence 
même  du  créé,  est  un  accident  logique  et  prédicamen- 
tal,  De  potenlia,  q.  vu,  a.  9;  mais  cela  n'oblige  pas  à 
dire  qu'il  est  distinct  de  son  fondement,  ad  7"m;  q.  ni, 
a.  :i;  ijnodlibeta,  VII,  q.  IV,  a.  3,  ad  4'"".  —  c)  La 
notion  de  la  potentialité  du  fini  hors  de  ses  causes  est 
énoncée  chez  lui  dans  les  mêmes  termes,  avec  les 
mêmes  allusions  patristiques  que  chez  sc-s  prédéces- 
seurs ou  contemporains,  //(  Boeth.,de  'l 'ri >n taie,  q.  v. 

a.  2,  a.  7"m,  et  il  s'en  sert  cou m  pour  distinguer 

Dieu  de  la  créature.  De  veritale,  q.  XXI,  a.  t.  ad  7um.  — 
'/  Enfin  l'influx  causal  de  Dieu  joue  chez  saint  Tho- 
mas !>•  même  rôle  explicatif  de  l'existence  et  de  la 
potentialité  du  fini  que  chez  Bes  prédécesseurs,  Quodli- 
beta,  VII.  q.  m.  a.  -2;  hi  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  VIII,  q.  v, 
a,  2;  q.  m,  a.  2;  et  il  se  sert  de  ce  principe  que 
l'essence  do  fini,  même  considérée  hors  de  ses  causes, 
ne  renferme  point  adéquatement  en  i  Ui  -même  la  rai- 
son formelle  par  laquelle  elle  fait  partie  de  l'ordre  des 

réalités,  Sum.  theol.,  l\  q.  ni,  a.  7,  ail   I Suerez, 

Disp.  ntelaphyi  ,  disp.  \  \  \  I .  sect.  xiv,  pour  concédi  r 
que  ij  un  f.ni  l'hypothèse  d  une  créature  don)  il  sérail 
vrai  dédire  connue  de  Dieu  :  est  esse  tuuni,  elle  resterai! 
cependant  une  créature,  De  veritale,  q.  \\i,  a.  .">, 
cf.  Godefro]  de  I  ontaîm  -.  notes  su  Contra  gentes,  I.  Il, 
c.  i.iv.  édit.  Vives,  t.  xu.  n,  109;  el  cette  doctrine  lui 
sert  connue  chez  Albert  à  résoudre  certaines  arguties 
qui  avaient  i  m  lilbei  i  de  la  Porrée,  /'"•- 

.ni  '.')  ■  Son  oportet  qurni juoiptae  t,  $ed 

'i  allerum  sii  jee  eitentiani,  > 


dire,  il  n'y  a  pas  lieu  de  chercher  par  quoi  l'essence 
existe  formellement,  mais  seulement  au  sens  causal 
comment  l'être  par  essence  la  pose  et  la  tient  dans 
l'ordre  des  réalités. 

On  trouve  donc  chez  saint  Thomas,  sans  emploi 
d'aucune  formule  péripatéticienne,  exprimée  et  utilisée, 
la  doctrine  patristique  de  la  participation,  telle  qu'elle 
était  communément  comprise  de  son  temps;  on  y 
trouve  aussi  la  conception  de  la  nature  divine  corres- 
pondante à  cette  notion  du  créé,  et  l'ébauche  de  syn- 
thèse systématique  donnée  par  ses  prédécesseurs.  Par 
là,  la  théodicée  de  saint  Thomas  est  fortement  reliée  à 
la  tradition.  Voir  cependant  Gardeil,  Le  donné  révélé 
el  la  théologie,  Paris,  1910,  p.  280,  312,  à  qui  son  point 
de  vue  statique  voile  les  différences  d'Avicenne  et 
d'Aristote,  ce  qui  ne  lui  permet  pas  de  retrouver  la 
plénitude  de  la  pensée  traditionnelle  dans  l'œuvre  de 
saint  Thomas,  où  Arislote  serait  opposé  à  Platon,  à 
saint  Augustin  et  au  Lombard. 

5.  La  théodicée  de  l'acte  et  de  la  puissance  chez 
saint  Thomas.  —  Or  ce  n'est  pas  autre  chose  que  ce 
fond  traditionnel  que  saint  Thomas  a  prétendu  expri- 
mer en  formules  péripatéticiennes.  Voici,  en  effet, 
comment  les  choses  se  sont  passées,  autant  que  nous  en 
pouvons  juger  par  ce  que  le  saint  docteur  nous  a  laissé. 
En  possession  des  écrits  d'Averroès,  saint  Thomas 
reconnut  que  la  conception  du  monde  à  laquelle  était 
liée  la  théodicée  du  penseur  arabe  était  identique  à  la 
conception  des  Pères.  Ce  que  le  philosophe  musulman 
exprimait  en  fonction  de  la  théorie  de  l'acte  et  de  la 
puissance  n'était  pas  autre  chose  que  la  doctrine  de  la 
participation;  c'était  la  même  notion  du  créé  et,  toute 
attache  de  panthéisme  écartée,  la  même  notion  corréla- 
tive de  l'incréé. 

Qu'il  y  eut  avantage  à  adopter  les  formules  péripaté- 
ticiennes, cela  était  évident.  D'abord,  en  ce  qui  con- 
cerne les  trois  dogmes  fondamentaux  du  christianisme, 
la  trinité,  l'incarnation  et  la  création,  l'usage  en  était 
utile.  Pour  la  trinité,  au  point  de  vue  polémique,  il 
était  précieux  d'avoir  pour  soi  un  philosophe  dont  la 
doctrine  permît  de  réfuter  à  la  fois  Avicenne  et  Mai- 
monide.  Ces  auteurs  soulevaient  contre  la  trinité  trois 
difficultés;  l'une  tirée  de  l'unité.  De  potentia,  q.  II, 
a.  1.  ad  ll"m,  et  nous  avons  déjà  vu  que  saint  Tho 
se  servit  d'Averroès  et  d'Aristote  pour  la  résoudre; 
l'autre  tirée  de  leur  agnosticisme  :  si  les  attributs  ne 
sont  pas  réellement  en  Dieu,  comment  y  concevoir  des 
personnes?  OrAverroès  établissait  l'existence  objei 
des  attributs  en  Dieu  et  leur  accord  avec  la  simplicité 
divine,  en  partant  de  sa  conception  du  l'un  exprim 
fonction  de  l'acte  et  de  la  puissance;  et  c'est  de  ces  con- 
clusions, pensait  avec  raison  saint  Thomas,  que  dépend 
toute  l'intelligence  de  la  théodicée  rationnelle  et  de  la 
théologie  trinitaire  :  esc  hoc  pendet  totua  intellectiu 
eorum  guse  in  primo  libro dicuntur.  In  IV  Sent.,  1.  I, 
dist.  11.  q.  i.  a.  3.  La  troisième  difficulté  venait  de  leur 
théorie    de   l'être  contingent,    qui    les   amenait  a    celte 

conséquence  que  dans  la  trinité'  le  t  ils  esl  nécessai- 
rement une  créature,  puisqu'il  reçoit  l'existence.  Ibid., 
dist.  V.  q.  II.  a.  2.    ad  i ;   <  nuira  gentes,   I.  IV,  c.  m. 

11.  Or  la  doctrine  d'Averroès  d'après  laquelle  le  créé 

se  distingue  du  créé  non  pas  précisé ni  par  la  r 

tion  de  l'existence,  mais  par  sa  potentialité  persistante, 
h,  l\  Sent.,  I.  III.  dist.M.q.  i.  a.  I,  permettait  ici  de 
luier  en  parlant   le  langage  et  en  employant  l<  - 
principes  péripatéticiens  qui  étaient  cvu\  des   philo- 
sophes, de  la  mené   façon  que  les  Pères  avaient  réfuté 
Ai  in  .  Il  est  vrai  qu'Averroès  lui-même  niait  la  trinité 
m. n-  noua  \ .  n  mis  comment  saint  Thon  i  son 
lentla  de  manière  i  te  réfutai 
Niant  la  trinité,  les  Arabes  niaient  éviden ni  l'in- 
carnation. M. us  in  encore  la  doeti péripatéticienne 

il  \  i  rroi  s  .  lut  utile  suit  pour  leur  fain  saisir  I 


1239 


DIEU     SA    NATURE    SELON    LES    SCOL ASTIQUES' 


1240 


du  dogme,  soit  aussi  pour  résoudre  des  problèmes  diffi- 
ciles alors  en  discussion  parmi  les  théologiens.  Kn  pre- 
nant pour  base  la  doctrine  <le  la  matière,  pure  puissance, 
d'Averroès,  Opusc,  XXXI,  De  principiis  naturae,  on 
arrivait  à  se  rendre  compte  ainsi  du  mystère.  On  peut 
j  distinguer  l'existence  de  la  chair  non  encore  animée, 
sous  l'action  du  Verbe;  puis  le  composa  animé,  ne 
vivant  pas,  et  puisque  vivere  viventibus  est  esse,  Sum. 
theol.,  Ia,  q.  uv,  a.  2,  ad  1»><>;  q.  xvm,  a.  2;  Opusc, 
XXIX,  De  principio  individuationis,  Venise,  1595, 
p.  365,  n'existant  pas  formellement  de  l'existence  du 
Verbe,  Sum.  theol.,  III»,  q.  VI,  a.  4,  ad3I1,n;  q.  il,  a.  5, 
ad3um;  et  ainsi,  à  l'aide  d'une  facile  bypotlièse,  ibid., 
q.  iv,  a.  2,  ad  2s"11,  éviter  l'hérésie  quod  Verbum  homi- 
nemassumpsit.  Quodlib.,  IX,  q.  u,  a.  1.  Cf.  Hervé  de 
Nédellec,  In  IV  Sent.,  1.  III,  dist.  VI,  q.  i,  a.  3,  Paris, 
1647,  p.  294;  Quodlibeta,  VII,  q.  vm,  fol.  139;  Pierre 
de  Palude,  Tertium  scriplum  in  J77um  Sent.,  dist.  VI, 
q.  ni,  où  le  De  unione  Verbi  de  saint  Thomas  se  trouve 
cilé,  Paris,  1517. 

.Mêmes  avantages  du  coté  du  dogme  de  la  création. 
Si  Dieu  produit  ens  in  quantum  ens,  il  est  la  cause  de 
tout,  par  conséquent  de  la  matière.  Ce  qui  réfutait  d'un 
mot  l'émanatisme  d'Avicenne  et  les  nombreuses  erreurs 
des  Arabes  sur  ce  sujet.  Opusc.,  XV,  De  subslantiïs 
separatis. 

Et  pour  se  procurer  tous  ces  avantages,  il  suffisait  de 
prendre  pour  base  l'argument  des  degrés,  déjà  donné 
par  les  Pères,  par  saint  Anselme  et  par  Richard  de 
Saint- Victor  ;  mais  réduit  à  une  forme  rigoureuse, 
ramené  à  la  précision  par  Averroès  à  l'aide  de  la  con- 
ception du  composé  métaphysique  d'acte  et  de  puissance. 
L'accord  du  système  d'Averroès  avec  les  principaux 
dogmes  était  une  garantie;  les  résultats  de  sa  méthode 
en  théodicée  étaient  une  invite  à  l'y  suivre.  En  effet,  le 
XIIe  siècle  avait  échoué  à  rendre  compte  rationnelle- 
ment de  la  valeur  ontologique  des  attributs;  et  Averroès 
y  aboutissait.  D'autre  part,  ni  Alexandre  de  Halès,  ni 
Bonaventure,  ni  Albert  le  Grand  n'avaient  réussi  à 
relier  rationnellement  notre  connaissance  de  l'intini 
auxarguments  par  lesquels  on  démontre  l'existence  de 
Dieu  :  car,  nous  l'avons  dit,  ils  recouraient  tous  à  l'idée 
anselmienne  d'infini  ou  à  la  théorie  de  l'illumination; 
et  cela  pour  saint  Thomas  manquait  de  logique.  Or 
Averroès  résolvait  très  heureusement  ces  difficiles  pro- 
blèmes; et  cela  par  une  analyse  exacte  de  la  potentia- 
lité du  fini,  par  l'extension  au  composé  métaphysique 
de  la  théorie  générale  de  l'acte  et  de  la  puissance.  Cette 
analyse  de  la  potentialité  du  créé  était  connue  des 
Latins  ;  déjà  l'école  franciscaine  et  Albert  avaient  essayé 
d'appliquer  à  la  composition  réelle  du  fini  les  notions 
de  puissance  et  d'acte,  et  ils  avaient  en  conséquence 
nommé  Dieu  l'acte  pur,  signifiant  par  là  l'être  parfait, 
l'être  non  participé,  l'infini.  Mais  cette  équivalence 
restait  enveloppée  d'ombres  et  la  logique  du  procédé 
par  lequel  on  remontait  à  Dieu  restait  peu  nette. 
Averroès,  dans  les  principes  d'Aristole  tel  qu'il  était 
alors  connu,  y  avait  réussi.  Saint  Thomas  suivit  leur 
exemple,  et  adopta  toutes  les  formules  péripatéticiennes 
par  lesquelles  Averroès  exprimait  la  potentialité  du  fini. 

De  là,  une  autre  série  de  textes  très  longue  où  cette 
idée  est  exprimée,  parla  comparaison  de  la  matière  et 
de  la  forme  à  l'essence  et  à  l'existence,  par  l'idée  de  la 
course,  comme  chez  Averroès.  Dans  ces  textes  le  point 
de  suture  verbal  entre  la  tradition  patristique  et  la 
philosophie  païenne  est  formé  par  le  quo  est  de  Roèce 
et  l'hyleachim  de  la  9e  proposition  du  De  causis,  cf. 
Bœumker,  Die  Impossibilia  des  Siger  von  Brabant, 
Munster,  1890,  p.  124,  quelquefois  par  les  mots  partir 
cipans  et  partiel  patum  qu'on  lit  soit  dans  les  Pères  soit 
dans  la  traduction  d'Averroès.  Mais  pour  le' lecteur  at- 
tentif ces  rapprochements  verbaux  ne  sont  que  l'indi- 
cation de  la  conviction  qu'a  l'écrivain  de  l'accord  foncier 


de  la  philosophie  el  des  Pères  sur  les  rapports  de  Dieu 
et  du  monde  et  par  suite  sur  l'idée  de  Dieu.  Il  ne  s 
point  là  d'une  induction  faite  après  coup.  Saint  Thomas 
nous  dit  clairement  sa  pensée  sur  ce  sujet.  Opusc,  XV 
Dp  substaxtiis  s/'paratis,  c.  III  ;  De  veritate,  q.  XXI, 
a.  5.  D'ailleurs,  qu'on  relise  ce  qu'il  appelle  un  facile 
procédé  pour  concevoir  l'éternité  divine.  In  VIII  Phyt., 
I.  IV,  lect.  xviii  ;  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  XIX,  q.  il, 
a.  2;  a.  1,  ad  l»m.  Il  y  déduit  l'éternité  propre,  la  stabi- 
lité, de  l'être  divin  de  la  potentialité  de  l'être  fini, 
numerus  mobilis,  c'est-à-dire  du  passage  continu  du 
fini  de  la  puissance  à  l'acte  d'être;  et  ainsi  Dieo  esl 
pour  lui  numerus,  seu  polius  unilas  rei,  seniper  eodem 
modo  se  habentis  :  ce  qui  est  l'équivalent  des  formules 
de  saint  Augustin  sur  l'immobilité  de  l'essence  divine, 
et  de  celle  par  laquelle  Averroès  désigne  la  pureté  de 
l'acte  divin  :  quasi  id  quod  tribuit  alii  auferatur  abeo. 
La  même  conviction  se  fait  jour  là  où  saint  Thomas 
affirme  que  le  premier  moteur  immobile  d'Aristote  est 
l'équivalent  du  premier  moteur  mobile  de  Platon  et  de 
saint  Augustin.  Contra  gentes,  1.  I,c.  xin:  lu  IV  Sent., 
1.  I,  dist.  VIII,  q.  m,  a.  2;  a.  1,  ad  2um  ;  De  poteutia, 
q.  x,  a.  1.  II  est  vrai  qu'ici  saint  Thomas  fait  intervenir 
pour  son  œuvre  de  conciliation  l'argument  du  premier 
moteur  physique,  qu'il  tenait  pour  démonstratif  parce 
que  dans  la  régression  des  causes  on  passait  par  les 
moteurs  intelligents  des  sphères;  mais  il  est  à  noter 
que  dans  les  mêmes  passages  il  nous  avertit  que  la  con- 
ciliation d'Aristote  et  du  platonisme  n'est  possible  que 
si  l'on  prend  pour  point  de  départ  dans  le  fini  l'actua- 
tion  de  la  faculté  par  son  opération,  c'est-à-dire  une 
composition  métaphysique,  et  non  pas,  comme  fil  bien- 
tôt Gilles  de  Rome  à  la  suite  de  Proclus.  Quodlibeta, 
I,  q.  vu,  Louvain,  1646,  p.  15;  De  ente  et  essentia, 
Cordoue,  1701,  q.  ix,  p.66sq.  ;  q.  x,  p.  81  ;  q.  XII,  p.  103; 
In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  VIII,  q.  il,  Venise,  1492.  une 
extension  à  tout  des  rapports  physiques  ou  statiques  de 
la  puissance  et  de  l'acte  de  l'hylémorphisme.  C'était 
reconnaître  implicitement  que  pour  être  absolument 
démonstratif  l'argument  devait  inclure  la  considération 
du  premier  moteur  métaphysique  tel  qu'il  est  impliqué 
dans  l'argument  des  degrés  d'Averroès.  On  se  souvient 
que  l'École  n'a  pas  suivi  saint  Thomas  dans  l'emploi 
du  moteur  physique,  col.  933,  et  nous  avons  rapporté, 
d'après  les  théologiens  qui  ne  sont  ni  bannéziens  ni 
néothomistes,  comment  on  l'a  transformé  en  argument 
métaphysique,  col.  941.  Cf.  Gardeil,  op.  cit.,  p.  282. 
Ce  que  nous  venons  d'exposer  explique  comment,  pour 
se  trouver  aujourd'hui  débarrassé  du  poids  mort  de 
considérations  physiques  avec  lesquelles  il  n'était  lié 
que  grâce  à  des  contingences  historiques,  l'édifice  de 
la  théodicée  de  saint  Thomas  n'a  rien  perdu  soit  en  élé- 
gance, soit  en  solidité.  C'est  qu'il  était  construit  sur  le 
roc  de  la  conception  traditionnelle  des  rapports  de  cau- 
salité efficiente  et  finale  de  Dieu  et  du  monde,  formulée 
au  Ve  siècle  en  termes  platoniciens  sous  le  nom  de  par- 
ticipation, au  xme  siècle  en  termes  péripaléticiens  sous 
les  noms  de  puissance  et  d'acte  au  sens  dynamique  des 
termes. 

Nous  avons  déjà  dit  comment,  s'appuyant  sur  l'argu- 
ment des  degrés,  saint  Thomas  démontre  avec  Averroès 
l'unité  et  la  simplicité  divines.  Contra  gentes,  1.  1, 
c.  xxii,  xlii.  De  cette  dernière,  rien  de  plus  facile  que 
de  passer  à  la  plénitude  de  l'être.  Nous  avons  déjà  in- 
diqué le  procédé  de  saint  Thomas  emprunté  à  Denys, 
et  il  est  inutile  d'y  revenir.  Cf.  De  veritate,  q.  xx.  a.  2. 
ad  3"ro;  q.  xxn,  a.  11.  ad  4""',  contra;  Suarez,  Disp.tne- 
laphys.,  disp.  XXIX,  sect.  m.  n.  Il;  disp.  XXXI, 
sect.  xin,  n.  21  sq.;  De  Deo,  1.  I,  c.  XI. 

Parvenu  à  ce  terme,  saint  Thomas  eût  pu  procéder 
par  déduction,  comme  avaient  quelquefois  fait  les  Pères 
et  comme  saint  Anselme  en  avait  repris  la  tradition. 
11  a  préféré  suivre  un  procédé  inductif,  et  démontrer 


1241 


DIEU    (SA    NATURE    SELON    LES    SCOLASTIQUESv 


1242 


directement  chacun  des  attributs.  De  la  sorte  l'ordon- 
nance logique  de  sa  théodicée  soit  dans  le  Conlra  génies, 
soit  dans  la  Somme  théologique,  dépend  en  grande 
partie  de  la  doctrine  de  l'acte  et  de  la  puissance.  La 
raison  en  est  que  de  la  première  et  fondamentale  com- 
position du  fini,  de  sa  potentialité  radicale,  découlent 
toutes  les  autres  compositions,  soit  métaphysiques 
comme  celle  du  genre  et  de  l'espèce,  soit  physiques 
comme  celle  des  accidents,  et  aussi  toutes  les  imper- 
fections delà  créature,  par  exemple  qu'aucune  n'est  im- 
muable, In  IV  Seul.,  1.  I,  dist.  VIII,  q.  ni,  a.  1  sq., 
qu'aucune  n'est  sa  durée,  ibicl.,  dist.  XIX,  q.  i,  a.  2,  et 
qu'aucune  n'est  son  opération.  Sum.  theol.,  Ia,  q.  liv, 
a.  1.  Nous  avons  dit  que  l'ordonnance  des  articles  et 
des  preuves  chez  saint  Thomas  est  commandée  par  la 
doctrine  de  l'acte  et  de  la  puissance,  mais  seulement 
en  grande  partie  :  car  il  faut  remarquer  que  d'autres 
préoccupations  y  interviennent.  L'inlluence  de  l'ordre 
du  Lombard  s'y  fait  sentir;  de  plus,  bien  des  articles 
sont  intercalés  qui  n'ont  pas  d'autre  but  que  d'expli- 
quer certains  textes  ou  de  discuter  certains  problèmes 
qui  intéressaient  alors  les  esprits;  enfin  loin  d'être 
une  philosophie  unilatérale,  la  pensée  de  saint  Thomas 
est  assez  large  pour  qu'il  trouve  moyen  d'y  conserver  les 
preuves  alors  classiques  des  conclusions  traditionnelles. 
De  tout  ce  mélange  résulte  un  tout  fort  complexe,  mais 
très  riche,  dont  toutes  les  parties  sont  d'ailleurs  reliées 
par  la  doctrine  de  l'acte  et  de  la  puissance,  complétée 
par  la  doctrine  des  perfections  simples  de  saint  An- 
selme. 

Rien  que  le  sujet  de  notre  travail  nous  ail  amené  à 
mettre  en  relief  ce  que  le  grand  docteur  dut  à  Averroès, 
ses  emprunts  aux  Arabes  sont  loin  de  s'être  bornés  à 
celui-ci.  Avicebron,  Mairnonide,  Avicenne  lui  ont  donné 
plus  d'un  développement.  Par  exemple,  c'est  à  Avicenne 
qu'il  doit  ce  qu'il  dit  du  tout  et  de  la  partie,  Sum. 
theol.,  Ia,  q.  m,  a.  7;  de  la  convertibilité  de  l'intellec- 
tifet  de  l'immatériel,  (|.  xiv,  a.  1  ;  cf.  Tolet,  In  lam,ibid., 
principe  dont  il  se  sert  contre  Avicebron,  De  anima, 
q.  ii,  a.  6,  et  aussi  pour  prouver  la  science  en  Dieu, 
///  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  VIII,  q.  v,  a.  2;  de  la  vérité  en 
Dieu  et  dans  les  choses,  ibid.,  disl.  XIX,  q,  v, a,  1  sq.; 
de  la  précontenance  de  toutes  choses  en  Dieu,  d'où  il 
sait  qu'il  n'est  pas  dans  un  genre,  De  potenlia,  q.  vu, 
a.  i;  car  de  même  que  la  blancheur  qui  serait  séparée 
serait  la  cause  de  toute  blancheur  et  contiendrait  la  per- 
fection de  tout  le  genre  blancheur,  puisque  primum  in 
unoquoque  génère  est  causa  omnium  in  eo  génère,  et 
par  suite  serait  illimitée  en  son  genre,  ainsi  Dieu  cause 
universelle  et  des  essences  et  de  leur  actualité  est  illi- 
mité absolument,  et  par  suite  hors  de  tout  genre.  Cf. 
Niphus,  op.  cit.,  loi.  227  sq.  Ces  exemples,  qui  n'ont 
pas  été  choisis  au  hasard,  suffisent  à  mettre  en  relief 
le  procédé  de  composition  de  saint  Thomas,  la  com- 
plexité' de  sa  pensée  et  aussi  la  difficulté  d'une  étude 
historique  de  son  texte.  Cf.  Raynaud,  op.  cit.,  dist.  II, 
q.  ii,  a.  -2,  p.  59;  Suarez,  Disp,  metaph.,  disp.  XXIX, 
sect.  ni,  n.  21. 

D'ailleurs,  l'indépendance  de  saint  Thomas  à  l'é 
d'Averroès  esl  entière.  Il  rappelle  aux  averroïstes  latins 
de  son  temp>  qn  il  a  beaucoup  écril  déjà  contre  ce  phi- 
losophe, et   il  continua   jusqu'à   la   lin   à  le  réfuter. 

Nous  ni ■  (n m  VOUS  pas  le  suivre  Sur  Ions  les  terrains  où 

il  l'a  combattu.  Signalons  qu'il  l'a  réfute  à  propos  de 
la  trinité,  spécialement  dans  le  !)>■  potenHa.  Le  plan 
de  cette  série  de  questions  qui  débute  par  l'étude  de 

la  toute-puissant t  de  la  nature  des  possibles,  : 

par  le  pouvoir  en  Dieu  d'engendrer,  puis  par  la  créa- 
lion,  les  miracli  i,  la  Implicite  divine,  pour  revenir  I 
la  trinité,  esl  dea  plut  déconcertants  -i  l'on  ignore  lea 
positions  d'Avei  roés  el  des  pli  l  ont  y 

converge  à  la  réfutation  de  l'erreur  d'A  verrai  sur  la 
trinité,  q.  vin,  Jusque-là,  saint  Thomas  s'appuie  sur 


Averroès  pour  combattre  diverses  erreurs  des  Arabes 
sur  les  sujets  indiqués,  spécialement  sur  la  valeur  onto- 
logique des  attributs  en  Dieu.  Puis  profitant  de  ce 
qu'Averroès  admetlait  cette  valeur  et  réduisait  la  con- 
tingence des  intelligences  incorruptibles  au  besoin 
d'un  influx  causal  de  la  première  pour  éviter  la  chute 
dans  le  néant,  ce  qui  entraînait  dans  le  système  com- 
mun du  philosophe  et  du  théologien  une  relation  réelle 
de  dépendance  résultant  de  cet  influx,  q.  vu,  a.  9,  il 
montrait  qu'il  n'y  avait  pas  de  répugnance  dans  la 
philosophie  d'Averroès  à  croire  que  le  Fils,  par  le  fait 
même  qu'il  est  consubstanliel,  reçoit  une  nature  incor- 
ruptible sans  dépendance  causale  proprement  dite;  si 
dans  les  créatures  la  relation  de  dépendance  admise 
par  Averroès  est  accidentelle  et  prédicamentale,  dans 
le  Fils  elle  est  essentielle  et  identique  à  l'être  :  Filins 
Dei  est  ipsa  relatio  secundum  quam  habet  esse  a 
Pâtre, el  ipsa  relatio  est  ipsum  esse.  In  IV  Sent.,  1 .  III, 
dist.  XI,  q.  I,  a.  1,  ad  3"m.  Ce  qui  explique  pourquoi 
dans  la  philosophie  même  d'Averroès  on  ne  doit  point 
concevoir  dans  la  Irinilé  de  multiplicité  d'existence,  et 
par  suite  résout  son  célèbre  argument,  omne  composi- 
tum  est  novum,  dont  on  nie  l'hypothèse  en  vertu  même 
de  la  doctrine  de  la  non  distinction  réelle  de  l'essence 
et  de  l'existence  finies.  De  potentia,  q.  n,  a.  6;  q.  vin, 
a.  2,  ad  Tlum;  q.  ix,  a.  5,  ad  19um.  Solution  que  le 
P.  Gardeil  a  tort,  op.  cit.,  p.  313,  de  confondre  avec 
celle  de  Gilles  de  Rome,  In  IV  Sent.,  1.  I,  dist.  II, 
q.  il,  a.  2.  Cf.  Thomas  de  Strasbourg,  In  IV  Sent.,  1.  I, 
dist.  II,  q.  n,  a.  4,  Venise,  1564,  fol.  32. 

Même  procédé  pour  l'attribut  de  l'invisibilité  divine. 
Saint  Thomas  se  sert  des  vues  d'Averroès  pour  réfuter 
l'intuition  intérieure  de  Dieu  admise  par  le  soufisme  el 
par  Avicenne,  Sum.  theol.,  Ia,  q.  xn,a.2;  et  cette  con- 
clusion vaut  aussi  bien  pour  les  anges  ou  intelligences 
que  pour  nous.  De  veritale,  q.  vm,  a.  3.  Bien  plu-, 
comme  on  ne  détruit  que  ce  que  l'on  remplace,  saint 
Thomas  emprunte  à  Averroès  qui  lui  parait  s'accorder 
ici  avec  le  Lombard,  ibid.,  a.  1,  une  explication  de  la 
façon  dont  Dieu,  bien  que  naturellement  invisible,  peut 
être  cependant  intuitivement  connu.  Sum.  theol.,  Ia, 
q.  xii,  a.  2,  ad  3'"";  în  IV  Sent.,1.  IV,  disl.  XLIX, 
q.  il,  a.  1.  On  sait  qu'Averroès  admettait  l'unité  de  l'in- 
tellect ;  d'après  lui,  notre  connaissance  intellectuelle 
est  produite  par  l'union  de  l'âme  avec  cet  intellect  en 
acte,  unique  pour  tous  les  hommes;  cela  est,  dit-il, 
nécessaire  parce  qu'autrement  on  ne  peut  pas  rendre 
compte  de  notre  connaissance  des  universaux.  L'intel- 
leei  séparé  voit  Dieu  naturellement;  et  ici-bas  le  phi- 
losophe peut  par  une  union  intime  avec  l'inti 
universel  arriver  lui  aussi  à  voir  l'essence  divine. 
L'intellect  séparé  voit,  en  effet,  Dieu  par  manière  <\<- 
forme  intelligible;  et  il  est  probable  que  dans  la 
•  '■  d'Averroès,  comme  le  dit  Cajetan,  ///  I  •  ■ .  q.  mi, 
a.  2,  il  faut  chez  Averroès  entendre  celte  union  de 
l'intelligible  el  du  sujet  connaissant  au  sens  d'une 
causalité  formelle,  voir  col.  900;  on  conçoit,  bien  qu'on 
ne  voie  guère  comment  le  panthéisme  esl  évité  et  la 
personnalité  du  voyant  maintenue,  qui   par  une  telle 

union  on  arrive  à  voir  Dieu  tel  qu'il  esl  en  soi.  I  il  D 
entendu,  saint  Thomas  n'admet  pas  que  cette  intuition 
de  Dieu  puisse  se  faire  par  h  s  seules  forces  naturelles, 

a.  4;  il  rejeiii  égale ni  l'h\  pothèae  de  l'inti  llecl  séparé 

uniqc  'in  système  d'Averroi  s  il  n  ti<  ni  que  la 

connaissance    intuitive   de  Dieu   nous  i  Bible  sur- 

natuielleiiii  ni    par    l'application    de    lis-nnr  divine  à 

intelligence  par   manière  de  forme  intelligible, 

mais  au  sens  causal.  Que  tel  soit  ;  uni  Tho- 

lo. i-,  les  textes  l'énoncent;  et,  si  Cajetan  l'entend  au- 
trement, il  non  i  lui  un  mi  qu  il  mi  i  en  avant 
nie   interprétation  du  texti   inouïe  jusqu'à  lui.  le 

l'erreur  d'à  tir  la  i  laibilité  natui  i  ib 

de    DleO  pour  le  sage   ri   pour  l'intellei 


12-43 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    PHILOSOPHIE   MODERNE         1244 


àson  adversaire  encore  que  saint  Thomas  emprunte  le 
moyen  terme  (|ni  lui  sert  à  le  convaincre  d'erreur.  La 

créature  est  potentielle,  et  son  mode  de  connaître 
n'est  pas  et  ne  peut  pas  être  indépendant  de  cette  con- 
dition de  son  être;  nulle  créature  ne  peut  donc  voir 
Dieu  par  ses  seules  forces  naturelles.  Ibid.,  a.  4.  Cf. 
Suarez,  Metaphys.,  disp.  XXX,  sect.  xi,  n.  Il  sq.  ; 
Th.  Raynaud,  op.  cit., *dist.  III,  q.  il,  a.  1,  p.  92. 

Pour  éviter  les  redites  dans  ce  dictionnaire,  nous 
terminons  ici  l'élude  de  la  théodicée  de  l'École.  Saint 
Thomas  en  a  définitivement  arrêté  les  hases.  Tout  ce 
qui  a  été  discuté  depuis  a  dépendu  et  dépend  de  son 
œuvre.  Le  lecteur  qui  voudrait  rapidement  se  rendre 
compte  de  cette  dépendance  pourrait  avoir  recours  à 
un  petit  livre  deMartinez  deRipalda,  Brevis  exposilio 
litterœ  Magistri  Senlenliarum,  Venise,  1772.  C'est 
une  sorte  de  manuel  de  baccalauréat.  Dans  les  concours 
pour  les  bénéfices  en  Espagne  l'usage  était  d'assigner 
comme  sujet  de  dissertation  une  phrase  de  Pierre 
Lombard.  Souvent  les  candidats  ne  voyaient  pas  quelle 
pouvait  être  la  question  exacte  qu'il  fallait  exposer  et 
discuter.  Ripalda  composa  à  leur  usage  le  manuel 
dont  nous  parlons.  On  y  trouve  à  propos  de  chacune 
des  distinctions  de  Pierre  Lombard  toutes  les  discus- 
sions scolastiques  qui  s'y  sont  rattachées  dans  la  suite 
des  âges,  avec  noms  de  leurs  auteurs  et  références 
précises.  En  parcourant  ces  pages  arides,  on  a  l'impres- 
sion de  la  continuité  dans  le  sens  traditionnel  et  aussi 
la  vue  nette  qu'à  partir  du  XIIIe  siècle  tous  les  problèmes 
étaient  posés.  Ne  s'en  étonnerait  que  celui  qui  n'aurait 
pas  saisi  que  la  synthèse  de  saint  Thomas  n'est  autre 
chose  que  la  fusion  harmonieuse  du  donné  chrétien 
traditionnel,  de  la  Heur  de  la  pensée  antique,  et  de  tout 
ce  qui  est  acceptable  pour  un  chrétien  soucieux  de 
tradition  dans  la  spéculation  juive  et  arabe. 

M.  Chossat. 

VI.  DIEU,  SA  NATURZ    D'APRÈS     LA    PHILOSOPHIE 

MODERNE.  —  Nous  partagerons  cette  étude  sur  l'idée 
de  Dieu  dans  la  philosophie  moderne  en  deux  sections  : 
I.  Avant  Kant.  IL  Depuis  Kant.  Cette  division  ne  si- 
gnifie pas,  du  reste,  qu'il  y  ait  distinction  radicale  et 
solution  de  continuité  entre  ces  deux  périodes  de  la 
théodicée.  Mais,  de  même  que  la  première  phase  se 
caractérise  par  un  rationalisme  plus  accentué  et  ins- 
titue, à  côté  de  la  théologie  chrétienne,  une  théodicée 
laïque;  ainsi  l'âge  suivant,  que  nous  faisons  dater  de 
Kant,  bien  qu'il  s'annonce  déjà  dans  l'œuvre  de  ses 
prédécesseurs,  est  marqué  par  le  développement  de  la 
critique,  et  inaugure,  à  la  place  de  la  théodicée  natu- 
relle, œuvre  de  la  raison  spéculative,  une  doctrine 
pratique,  conclusion  de  postulats  moraux.  Pendant  la 
période  qui  date  de  la  Renaissance,  la  raison  s'éman- 
cipe de  la  tutelle  de  la  foi.  Pendant  la  seconde  phase, 
c'est  le  sentiment  qui  devient  le  principe  de  la  vie  reli- 
gieuse et  de  la  connaissance  de  Dieu,  tandis  que  la  rai- 
son pure  est  déclarée  incapable  de  dépasser  le  monde 
des  apparences  et  des  phénomènes.  Étudier  le  Dieu  de 
la  philosophie  moderne  avant  Kant  et  depuis  Kant, 
c'est,  en  somme,  étudier  successivement  le  Dieu  de  la 
raison  et  le  Dieu  du  sentiment,  bien  que  les  deux  cou- 
rants :  sentimentalisme  et  rationalisme,  soient  toujours 
en  contlit  plus  ou  moins  apparent.  Les  idées  des  prin- 
cipaux philosophes  de  cette  période  sur  la  nature 
de  Dieu  sont  assez  connues  pour  qu'on  ne  les  ait  pas 
longuement  exposées  ici.  On  a  insisté  davantage  sur 
d'autres,  moins  célèbres,  que  les  lecteurs  connaissent 
peut-être  moins. 

I.  Avant  Kant.  —  1°  La  Renaissance.  —  Jean  Bodin 
(1530-1596)  a  composé  un  dialogue  entre  sept  interlo- 
cuteurs, Colloquium  hcptaplomcres,  qui,  de  l'avis  de 
M.  Hôffding,  Histoire  de  la  philosophie  moderne, 
trad.  franc.,  Paris,  1906,  t.  i,  p.  65,  constitue  «  le  do- 
cument le  plus  remarquable  »  de  l'époque,  relativement 


à  l'idée  naturelle  et  philosophique  de  Dieu.  A  la  table 
d'un  riche  catholique  de  Venise,  se  trouvent  n'unis  un 
luthérien,  un  calviniste,  un  juif,  un  mahométan,  plus 
deux  autres  personnages  qui,  chacun  à  sa  manière, 
exposent  une  religion  universelle  qui  n'est  autre  que  le 
théisme. 

Grotius  (1583-1645),  en  face  du  droit  naturel,  distinct 
des  législations  positives  d'origine  divine,  ecclésias- 
tique, ou  civile,  cherche  à  délinir,  à  l'aide  des  do^m-  - 
généralement  admis  par  les  contemporains  et  d'un  ca- 
ractère traditionnel,  la  vraie  religion  ou  la  religion 
naturelle.  L'n  Uieu  unique,  invisible,  créateur  et  conser- 
vateur de  toutes  choses  :  voilà  des  croyances  qu'on 
ne  peut  nier,  sans  porter  atteinte  à  l'ordre  social  et 
sans  encourir  les  châtiments  que  méritent  les  ennemi- 
de  la  société.  Hôffding,  op.  cit.,  p.  63. 

A  côté  de  Grotius,  il  faut  citer  Frank  Coornhert. 
l'Académie  platonicienne  de  Florence.  Hôffding,  ibid., 
p.  64-65. 

Herbert  de  Cherbury  (1583-1648)  ramène  à  cinq  vé- 
rités toute  croyance  en  Dieu  :  il  existe  un  Être  suprême; 
cet  Etre  mérite  adoration;  l'adoration  consiste  dans  la 
vertu  et  la  piété;  le  sacrilège  et  le  crime  doivent  être 
expiés  par  le  repentir;  le  châtiment  ou  la  récompense 
attendent  les  hommes  après  leur  mort.  Hôffding, 
ibid.,  p.  72-73.  Voir  t.  n,  col.  2359. 

La  doctrine  de  Nicolas  de  Cusa  (1401-1464)  est,  du 
moins  par  tendance  et  dans  ses  conséquences,  agnos- 
tique et  panthéiste,  avant  la  lettre.  La  docta  ignoran- 
lia,  dernier  mot  de  la  philosophie,  proclame  un  Dieu 
inconnaissable,  h'ignorantia  sacra,  efiort  suprême  de 
la  spéculation  religieuse,  ne  parvient  à  le  déterminer 
dans  une  certaine  mesure  que  pour  en  faire  le  principe 
immanent  du  monde.  Si  la  théologie  négative  de  Ni- 
colas de  Cusa  représente  une  forme  d'agnosticisme,  sa 
théologie  positive    aboutit  à  une  sorte  de  panthéisme. 

On  nous  met  d'abord  en  présence  d'un  Dieu,  non 
pas  simplement  inconnu,  mais  nécessairement  incon- 
naissable. Par  définition,  la  pensée  humaine  implique 
une  multiplicité  de  termes  qui  se  limitent;  par  défini- 
tion, Dieu  est  l'Etre  sans  bornes,  l'unité  absolue.  Il 
échappe  donc  aux  prises  de  la  connaissance.  Il  est  vrai 
que  notre  esprit  s'efforce  par  des  réductions  successives 
de  ramener  le  multiple  à  l'un.  Toute  connaissance  est 
une  synthèse.  Mais  la  plus  vaste  et  la  plus  cohérente 
des  synthèses  suppose  la  diversité  des  éléments  qu'elle 
combine.  Comment  atteindre  l'unité  absolue,  ou,  du 
moins,  s'en  rapprocher?  A  l'aide  d'une  intuition  mys- 
tique, où  tous  les  rayons  de  l'être  convergent  en  un 
seul  centre  et  s'y  fondent,  mais  qui  est  moins  une  vi- 
sion qu'un  éblouissement,  moins  l'apogée  que  la  limite 
de  la  connaissance.  Plus  exactement  encore,  nous  pres- 
sentons l'Infini,  mais  nous  ne  pouvons  le  concevoir. 
Pour  connaître  Dieu,  nous  devrions  voir  la  fusion  des 
contraires,  alors  que  nous  savons  seulement  que  les 
contraires  se  relient  par  une  série  d'intermédiaires.  La 
pensée  humaine  est  à  la  réalité  divine,  qui  est  l'unité 
parfaite  des  contraires,  ce  que  le  polygone  est  au  cercle. 
Elle  s'oriente  et  s'élève  vers  Dieu,  comme  vers  un 
idéal,  une  limite,  mais  elle  ne  l'atteindra  jamais  comme 
un  objet. 

Que  penser,  dès  lors,  des  attributs  divins  :  bonté, 
puissance,  sagesse,  justice,  etc.'.'  Aucune  appellation 
ne  convient  à  Dieu,  bien  que  certaines  négations  soient 
plus  dignes  de  lui  que  certaines  autres.  Ainsi,  en  niant 
qu'il  soit  matière,  on  se  rapproche  davantage  de  la 
vérité  qu'en  niant  qu'il  soit  esprit.  Il  faut  surtout  évi- 
ter l'erreur  des  péripatéticiens  qui,  dans  la  nature,  ne 
considérant  que  la  distinction  des  termes  :  possibilité 
et  réalité1,  matière  et  forme,  cause  et  effet,  sans  re- 
marquer le  lien  qui  les  unit,  ne  comprennent  pas  que 
la  réalité-  divine  réconcilie  tous  les  contraires.  La  lu- 
mière  et  les  ténèbres  s'unissent  en  Dieu,   comme   le 


1245         DIEU    (SA    NATURE   D'APRÈS   LA   PHILOSOPHIE    MODERNE)         1246 


maximum  et  le  minimum  sont  reliés  par  la  même 
échelle. 

Le  cardinal  fie  Cusa  ne  précise  pas  le  point  de  vue 
d'où  se  fait  l'accord.  Il  parle  indifféremment  de  coin- 
cidentia,  complicatio,  connexio.  Ces  trois  termes  ré- 
pondent pourtant  à  des  concepts  distincts.  La  juxtapo- 
sition, la  coïncidence,  le  croisement,  d'une  part;  de 
l'autre,  l'enveloppement  de  ce  qui  est  implicite;  enfin, 
l'idée  de  relation,  de  connexion,  d'union  :  autant  de 
notions  que  Nicolas  de  Cusa  emploie  à  tort  comme 
synonymes.  On  comprend  de  moins  en  moins  quel 
étrange  composé  forme,  d'après  lui,  l'être  divin.  Son 
Dieu  est  vraiment  inconnaissable. 

On  ne  voit  pas  mieux  comment,  d'après  lui,  Dieu 
produit  l'univers.  Peut-être  sa  pensée  a-t-elle  varié 
sur  ce  sujet.  En  tout  cas,  on  relevé  dans  ses  ouvrages 
plusieurs  assertions  difficilement  conciliaires  :  Dieu, 
unité  absolue,  ne  peut  expliquer  la  réalité  multiple; 
l'Infini  n'engendre  pas,  n'est  pas  engendré  et  ne  peut 
progresser;  l'Infini  agit  avec  une  puissance  souveraine; 
la  nature  déroule  et  développe  ce  qui  était  ramassé 
dans  l'unité  divine.  Retenons  cette  dernière  formule, 
et  supposons  qu'elle  s'accorde  avec  les  précédentes  : 
bien  des  obscurités  demeurent.  Comment  s'opère  ce 
passage  de  l'implicite  à  l'explicite,  de  l'harmonie  au 
désordre,  de  l'un  au  multiple?  Une  seule  conclusion 
se  dégage  :  c'est  que  le  monde  n'a  pas  été  créé  ex 
nihilo,  mais  qu'il  appartient  ou  a,  du  moins,  appartenu, 
à  la  substance  divine. 

Nous  ne  sortons  de  l'agnosticisme  que  pour  tomber 
dans  le  panthéisme. 

Giordano  Bruno  (1550-1600)  hésite,  sans  prendre 
nettement  conscience  de  ses  oscillations,  entre  le  Dieu 
dont  rêvera  Jacob  Boehrne  et  le  Dieu  de  Nicolas  de  Cusa, 
entre  l'Être  divisé  contre  lui-même,  et  l'Unilé  absolue 
qui,  tout  à  la  fois,  sollicite  et  défie  les  efforts  de  la 
pensée  humaine.  La  divinité  donne-t-elle  naissance,  ou 
met-elle  un  terme,  à  l'opposition  des  contraires?  Bruno 
ne  parvient  pas  à  faire  un  choix.  Par  contre,  il  affirme 
plus  nettement  que  ses  prédécesseurs  l'identité  fon- 
cière de  Dieu  et  du  monde.  Son  panthéisme  se  pré- 
sente  sous  plusieurs  aspects.  On  ne  comprend  guère 
que  Tocco  ail  tant  hésité  à  le  reconnaître.  A  quatre  re- 
prises,  en  particulier,  ce  panthéisme  est  affirmé.  D'abord, 
cette  âme  universelle,  qui  embrasse  loul  el  agît  dans  le 
grand  médium  éthéré,  représente-t-elle  autre  chose 
que  le  Dieu  du  panthéisme?  Secondement,  Bruno  at- 
tribue l'infinité  à  l'univers,  parce  que  l'univers  doit 
correspondre  à  l'Etre  divin  dont  il  n'est  que  la  forme 
développée.  Ensuite,  il  préfère  à  la  notion  de  Dieu 
—  cause  transcendante  el  inconnaissable  du  monde,  la 
notion  de  Dieu  —  principe  immanent  de  tous  les 
et  de  l'homme  en  particulier.  Celte  immanence  divine 
réconcilie  même,  d'après  Bruno,  le  mécanisme  el  la 
téléologie.  Quatrièmement,  il  professe,  avant  Spinoza,  la 

théorie  de  la  substance  unique  et  éternelle.  C ment 

toutes  les  divei  ;  ndenl  en  cette  unité  el  cette 

plénitude  infinii  s,  nous  n  le  concevoir.  Bruno 

l'avoue,  et.  par  là,  il  revient  au  Dieu  inconnaissable 
fh.ti.iin_,  op.  cit.,  p.  135-151.  Voir  t.  »,  col.  1149. 

Boehme  ■  1575-1621  refuse  i  Dieu  la  transcendance  et 
la  simplicité.  Dieu  ne  se  distingui  pas  de  son  œuvre, 
laquelle,  par  conséquent,  ne  saurait  être  l'effet  dune 

action  créatrice.  L'existence  .t onde 

partie   intégrante   de  l'existence  divine.   Deux  motifs 
1 1  b  panthéisme  :  une  tendance  de- 
nte à  l'union  mystique,  Boehme  ne  voyant  paa  de 

milieu  entre  un  Dieu  isolé  du  monde  .  i  m.  Dieu  con- 
fondu avec  toute  réalité;  un  préjugé  philosophique  qui 
lui  représente  l'identification  des  termes  comme  la 
seule  manière  d<    let  ei  pliqui  r    Di  ui  n  i  lui 

font  Introduire  dans  la  divinité  mé tes  distinctions 

rations  qu'il  voudrai!  supprimer  entre  l'eu 


et  l'univers.  On  ne  voit  pas  comment  Boehme  ne  con- 
tredit pas  ses  propres  principes,  lorsqu'il  déclare  sté- 
rile l'unité  absolue,  et  cherche  l'origine  de  la  vie  uni- 
verselle dans  une  diversité,  dans  une  pluralité,  dans 
une  lutte  qui  mettrait  aux  prises  Dieu  avec  lui-même. 
Dieu  est  le  Oui  et  le  Non.  Son  essence  se  répartit  en 
élément  positif  et  en  élément  négatif  :  division  néces- 
saire et  naturelle,  division  féconde  et  meurtrière.  Car, 
d'après  Boehme,  là  se  trouve  la  source  du  mal  et  de  la 
souffrance,  comme  le  principe  de  l'univers.  En  des 
termes,  auxquels  peut-être  il  n'attribuait  qu'une  valeur 
métaphorique,  il  déclare  que  Dieu  est  nécessaire- 
ment amour  et  colère,  et  qu'il  fonde  ainsi  l'enfer  et  la 
béatitude.  Voilà  pourquoi  le  bien  et  le  mal  se  livrent 
de  si  rudes  batailles.  Des  deux  côtés  combattent  des 
forces  divines.  Dieu  lutte  contre  Dieu.  Gardons-nous, 
du  reste,  de  rendre  la  divinité  responsable  de  l'éternel 
conflit,  et  rappelons-nous  qu'elle  n'a  ni  prévu  ni  voulu 
de  maux  inséparables  de  sa  nature  même.  Ainsi  Boehme 
met  en  Dieu  la  multiplicité  et  l'opposition,  tout  à  la 
fois  pour  expliquer  qu'il  veut,  qu'il  agit,  qu'il  produit, 
et  pour  rendre  raison  du  problème  du  mal.  Hôffding, 
op.  cit.,  p.  77-81.  Cf.  Boutroux,  Études  d'histoire  de 
la  pliilosopliie,  Jacob  Bôlmie,  Paris,  1901.  Voir  t.  n, 
col.  925;  t.  iv,  col.  736. 

2°  Descartes,  disciples  et  adversaires.  —  Descartes 
(1596-1650).  La  théodicée  cartésienne  présente  une  triple 
notion  de  Dieu.  Elle  le  définit  du  point  de  vue  logique, 
du  point  de  vue  métaphysique  et  du  point  de  vue  mo- 
ral. Le  premier,  du  reste,  précède  et  domine  les  deux 
autres. 

C'est  bien  de  l'idée,  et  non  de  l'expérience  sensible, 
que  part  la  philosophie  religieuse  de  Descarfes.  lui  vfin, 
dit-il,  nous  remontons  d'antécédents  en  antécédents. 
Cette  voie  ne  nous  conduit  pas  à  Dieu.  De  ce  que  notre 
esprit  se  lasse  à  poursuivre  indéfiniment  la  cause  ini- 
tiale du  monde,  et  de  ce  qu'il  s'arrête  dans  les  régres- 
sions, il  ne  saurait  conclure  qu'il  a  touché  le  but.  Sa 
faiblesse  ne  limite  pas  la  nature.  Cependant  il  poss.  .b 
la  notion  d'un  Être  infini  et  parfait  (loin  de  s'exclure, 
les  deux  attributs  s'impliquent  mutuellement).  Cette 
notion  porte  sa  preuve  el  sa  justification  en  elle-même. 
L'Infini  que  nous  concevons,  ne  nous  apparaît  tel  que 
parce  qu'il  existe  :  comment  le  néant  serait-il  infini? 
Ainsi  l'analyse  de  l'idée  même  de  Dieu  \  découvre 
l'existence,  comme  un  élément  essentiel.  La  déduction 
confirme  l'analyse.  A  celle  idée,  en  effet,  qui  occupe 
notre  esprit,  il  faut  une  cause  proportionnée,  laquelle 
ne  peut  être  que  l'Infini  lui-même.  Il  semble  jusqu'ici 
que  ce  soit  la  logique  qui  porte  la  théodicée. 

Mais  il  faut  bien  plutôt  dire  que  la  théodicée  fonde 
la  logique,  et  que  l'existence  de  Dieu  garantit  la  vérité 
de  nos  idées  claires.  Pourquoi?  Descartes  a  répondu  : 
Dieu,  cause  suprême  de  mis  actes  d'intelligence,  ne 
saurait  nous  tromper  ei  ge jouer  de  nous.  M.  Hôffding 
voit  dans  celte  formule  une  expression  populaire  qui 
ne  rend  pas  la  pensée  profonde  île  Descartes.  Philoso- 
phiquement, il  convient  d'entendre  par  Dieu  l'en- 
chaînement Continu  de  la  réalité  infinie.  Plusieurs 
motifs  justifiaient  cette  interprétation.  D'abord,  dans  la 
17  méditation,  Descartes  a  écril  que,  par  la  nature 
considérée  en  général,  il  voulait  signifier  Dieu  ou 
l'ordre  que  Dieu  a  établi  dans  le  momie,  la  même 
expre  sion  employée  pour  désigner, soit  l'ordre  imper- 
sonnel, soit  l'auteur  impersonnel  de  l'ordre,  p 
donner  raison  à  M.  Hôffding. Son  Interprétation  aurait 
■  ne. ne   l'avant'  ppri r   le  cercle   vicieux   qui 

compromet  si  visiblement  la  théodicée  de  l> 

Ique,    b"-    fondant    loin-    a    tour    l'une    |UT    l'autre. 

Du  moment  que  l  idée  de  Dieu  représente  l'ensemble, 
l'ordre  universi  elle  vaut  par  elle- 

même.  D'embli  ■  ns  affirmer  la  réalité  de 

asemble,  non  moins  è\  [dente  qui  pro- 


1247        DIEU    (SA    NATURE   D'APRÈS   LA    PHILOSOPHIE   MODERNE 


im- 


position :  quelque  chose  existe.  On  comprend,  d'autre 
part,  que  l'ensemble  serve  de  point  de  repère  et  de 
garantie  à  nus  idées.  Ne  les  jugeons-nous  pas  exactes  ou 
erronées,  suivant  qu'elles  cadrent  ou  non  avec  la  suite 
et  l'ensemble  des  autres  données?  C'est  en  les  confron- 
tant tour  à  tour  avec  l'encliaînetnent  universel,  que 
nous  distinguons  la  veille  du  rêve.  La  théorie  carté- 
sienne des  possibles  et  des  vérités  éternelles  ne  cause 
plus  le  même  scandale  intellectuel  si  la  volonté  divine 
dont  ils  dépendent,  d'après  Descartes,  se  confond  avec 
la  nature  des  choses.  Seulement,  dans  ce  système 
d'interprétation,  nos  connaissances  ne  reposent  plus 
sur  un  fondement  théologique,  mais  sur  une  base  na- 
turaliste. Or,  Descartes  a  certainement  professé  la  dis- 
tinction de  Dieu  et  de  la  nature. 

Si  la  logique  de  Descartes  invoque  l'infinité  de 
Dieu,  sa  métaphysique  en  proclame  la  personnalité.  Il 
n'y  adhère  pas  toujours  par  des  preuves  solides,  mais 
il  y  tient  par  l'intention.  Ce  trait  essentiel  caractérise 
tout  d'abord  sa  définition  ontologique  de  Dieu.  Comme 
les  scolastiques,  il  applique  à  la  divinité  les  notions  de 
substance  et  de  cause.  Mais,  négligeant  les  analyses  et 
les  précisions  de  l'École,  il  introduit  des  équivoques 
et  des  erreurs  dans  sa  doctrine  du  Dieu  substantiel  et 
agissant,  et  il  prépare  des  arguments  aux  adversaires 
de  la  théodicée  personnaliste,  en  même  temps  qu'aux 
partisans  de  l'occasionnalisme. 

Il  parle  de  la  substance  divine  en  deux  sens  égale- 
ment inexacts,  ne  connaissant  que  deux  définitions, 
mparfaites  l'une  et  l'autre,  de  la  substance.  Les  sco- 
lastiques appelaient  ainsi  tout  être  qui  n'en  détermine 
pas  un  autre  par  manière  de  qualité,  d'attribut,  de 
mode,  tout  être  proprement  dit.  Ainsi,  bien  qu'à  des 
titres  inégaux,  Dieu  et  ses  créatures  sont  des  substances. 
Descartes  omet  ou  ignore  cette  définition,  et  sans  dis- 
tinguer entre  effet  et  accident,  entre  dépendance  cau- 
sale et  dépendance  formelle,  il  réserve  l'usage  strict 
du  mot  :  substance,  au  seul  Être  absolument  indépen- 
dant. Spinoza  en  conclura  :  donc  nous  ne  sommes  que 
les  modes  ou  les  manifestations  de  la  substance  divine. 
Cependant  Descartes  reconnaît  une  seconde  définition, 
défectueuse  celle-là  par  un  vice  contraire.  La  première 
était  trop  élevée,  elle  ne  convenait  qu'à  Dieu.  La  se- 
conde est  trop  basse,  elle  ne  convient  qu'aux  créatures. 
Entendue  en  ce  deuxième  sens,  la  substance  désigne 
un  sujet  susceptible  de  modifications  et  servant  de 
support  à  des  qualités.  Toutes  les  qualités  étant  en 
Dieu,  observe  Descartes,  on  peut,  dans  une  certaine 
mesure,  lui  appliquer  la  seconde  délinition  de  la  sub- 
stance. Malgré  les  procédés  les  plus  circonspects,  cette 
application  ne  saurait  devenir  plausible,  à  moins 
qu'on  n'admette  en  Dieu  potentialité,  limites,  compo- 
sition, et  qu'on  ne  désavoue  la  formule  traditionnelle  : 
Dieu  est  éminemment  toute  perfection,  mais  il  n'a  pas 
des  perfections. 

La  notion  métaphysique  de  Dieu  contient  un  second 
élément  équivoque.  La  théorie  cartésienne  de  la  cau- 
salité est  peut-être  plus  discutable  encore  que  la  théo- 
rie cartésienne  de  la  substance  :  elle  compromet  la 
perfection  divine,  la  distinction  de  Dieu  et  du  monde, 
l'activité  des  créatures.  Comme  tout  être,  Dieu  a  une 
cause,  qui  est  lui-même.  En  vain,  l'on  atténuera  cette 
affirmation,  en  disant  qu'en  lui  la  cause  n'implique 
pas  un  effet,  et  qu'échappant  à  la  loi  du  temps,  il 
échappe  à  ce  mouvement  successif  qui  marque  infé- 
riorité du  terme  par  rapport  au  principe  de  l'action. 
Si  une  véritable  causalité  s'exerce  au  sein  de  la  divi- 
nité, si  Dieu  n'est  pas  seulement  sa  propre  raison 
d'être,  il  faut  en  venir  à  la  notion  de  dépendance  et 
de  composition.  D'où  imperfection  de  l'Être  divin.  En 
second  lieu,  Descartes  qui  bannit,  comme  contradic- 
toire ou  puérile,  l'idée  de  cause  efficiente,  pour  ne 
garder  en  métaphysique  que  la  cause  formelle,  établit 


ainsi  entre  Dieu  et  le  monde  un  rapport  de  dérivation 
où  les  deux  termes  perdent  leur  individualité.  Le  pan- 
théisme pourra  d'autant  mieux  se  réclamer  de  Des- 
cartes, que  celui-ci  ne  reconnaît  aucune  efficacité  aux 
causes  secondes.  L'occasionnalisme  dont  il  pose  les 
principes,  aboutit,  en  effet,  logiquement,  soit  au  pan- 
théisme, soit  à  l'idéalisme.  Il  faudra  opter  un  jour 
entre  Spinoza  et  Berkeley.  D'autre  part,  la  théorie  de 
la  causalité  dans  la  théodicée  de  Descartes  résulte  de 
sa  psychologie  et  de  sa  cosmologie.  Quoiqu'il  parle 
d'un  tout  naturel,  il  conçoit  cependant  l'union  de 
l'âme  et  du  corps  comme  une  juxtaposition  d'un  pur 
esprit  et  d'un  fragment  d'étendue.  Si  deux  termes 
aussi  étrangers  l'un  à  l'autre  se  correspondent  et 
semblent  agir  l'un  sur  l'autre,  toute  cette  apparence 
est  due  à  quelque  influence  supérieure  qui  les  meut 
directement  et  harmonieusement.  11  est  encore  vraisem- 
blable, sinon  nécessaire,  que  le  mouvement  de  la  ma- 
tière s'explique  par  une  action  immédiate  et  exclusive 
de  Dieu,  du  moment  qu'on  relègue  parmi  les  qualités 
occultes  et  chimériques  ce  principe  interne  de  transla- 
tion que  les  scolastiques  appelaient  rrisvs  ou  impelits. 
On  trouve  ainsi  plusieurs  germes  d'occasionnalisme 
dans  la  philosophie  de  Descartes.  Il  veut  sauvegarder  la 
liberté  humaine,  comme  le  fera  plus  tard  Malebranche. 
Mais  il  pose  les  prémisses,  et  plus  exactement  la  théo- 
rie même  qui  se  précisera  soit  en  causes  occasion- 
nelles,  soit  en  harmonie  préétablie.  C'est  le  troisième 
grief  que  nous  adressons  à  sa  doctrine  de  la  causalité 
divine. 

Les  autres  éléments  qui  composent  sa  notion  méta- 
physique de  Dieu,  se  retrouvent  dans  la  philosophie 
scolastique.  Dieu  est  éternel,  il  connaît  toutes  choses. 
Descartes  admet  la  science  moyenne. 

Dieu  fonde  la  morale,  comme  l'ontologie  et  la 
logique.  Tel  est  le  troisième  point  de  vue  de  la  théodi- 
cée cartésienne.  Au  lieu  de  s'imaginer  une  destinée 
capricieuse,  qui  déconcerte  les  efforts  et  les  espérances 
de  l'homme,  il  faut  s'habituer  à  l'idée  d'une  volonté 
éternelle,  immuable,  providentielle  et  toute-puissante. 
Cette  conviction  rafraîchit  l'âme,  la  purifie  et  l'ouvre  à 
l'amour  intellectuel  de  Dieu.  Ici  encore,  par  certaines 
expressions,  Descartes  annonce  Spinoza.  Hôffding, 
op.  cit.,  t.  i,  p.  228-251;  Joseph  Prost,  Essai  sar  l'ato- 
misme  et  l'occasionnalisme,  dans  la  philosophie  car- 
tésienne, Paris,  1907,  p.  24-34.  Voir  plus  haut,  col.  ."il 
549. 

Cordemoy  (1620-1684)  apporte  une  double  modifica- 
tion à  la  notion  cartésienne  de  Dieu  :  il  en  combat  la 
tendance  panthéiste,  il  en  accuse  le  caractère  occasion- 
naliste. 

Sans  invoquer,  peut-être  même  sans  se  rappeler,  la 
définition  scolastique  de  la  substance,  il  reproduit 
néanmoins  la  doctrine  de  l'École;  et,  appuyé  sur  ce 
principe  :  que  substance  implique  existence  propre- 
ment dite  et,  par  suite,  individualité,  il  déclare  que, 
du  fait  même  de  leur  réalité,  les  corps  et  les  esprr 
distinguent  de  Dieu.  Il  précise  :  Dieu  n'est  pas  uni  à  la 
matière,  comme  nos  âmes  sont  unies  à  nos  corp- 
la  matière  dépend  de  lui,  lui  ne  dépend  pas  de  la  ma- 
tière; et,  sachant,  voulant  les  modifications  qu'elle 
subit,  il  n'en  éprouve  pas  le  contre-coup  comme  l'âme 
ressent  les  altérations  du  corps.  Quant  aux  êtres  pen- 
sants, la  liberté  qui  est  leur  attribut  renforce  leur  indi- 
vidualité. 

Cordemoy  collabore  au  développement  de  l'occasion- 
nalisme, en  insistant  sur  l'inertie  de  la  matière.  Seul, 
un  esprit  peut  l'ébranler.  En  effet,  tout  corps  pouvant 
s'arrêter,  nul  corps  ne  peut  se  mouvoir  lui-même.  In 
être  ne  saurait  se  donner  ou  communiquer  à  d'autres 
une  disposition  qu'il  ne  peut  retenir.  Dira-t-on  que.  du 
moins,  la  matière  est  cause  seconde  du  mouvement,  et 
qu'ayant  reçu  le  branle,  elle  peut  conserver  et  trans- 


1249 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    PHILOSOPHIE    MODERNE] 


1250 


mettre  la  modification  qu'elle  a  d'abord  subie  d'une 
cause  spirituelle.  Deux  objections  entravent  cet  essai 
d'explication.  Premièrement,  commencer  une  action  et 
la  continuer  requièrent  une  même  cause.  Si  l'initiative 
du  mouvement  revient  à  un  esprit,  le  même  esprit  est 
seul  capable  de  le  conserver.  De  plus,  se  comprend-on 
soi-même,  lorsqu'on  parle  de  mouvements  transmis? 
Le  mouvement  est  un  état.  Or,  l'état  d'un  corps  ne  se 
détache  pas  de  ce  corps,  pour  passer  dans  un  autre. 
L'expérience  que  l'on  invoque  à  rencontre  ne  prouve 
rien.  Nous  voyons  bien  qu'un  mobile  R  se  déplace  au 
contact  d'un  premier  mobile  A.  Mais  nous  ne  voyons 
et  nous  ne  concevons  aucune  qualité  ou  disposition 
sortant  de  l'un  pour  pénétrer  dans  l'autre.  Inefficace 
aussi  et  inopérant,  le  prétendu  témoignage  de  la  con- 
science d'après  lequel  la  volonté  serait  la  cause  du 
mouvement  de  nos  muscles.  Dans  les  deux  cas,  nous 
prenons  une  succession  constante  pour  une  relation 
causale.  La  cause  du  mouvement  ne  se  trouve  ni  dans 
la  matière,  ni  dans  l'âme,  ni  dans  quelque  esprit  in- 
termédiaire. De  tels  esprits  n'existant  pas  par  eux- 
mêmes,  ne  sauraient  être  des  causes.  Pourrait-on,  du 
reste,  concilier  une  telle  initiative  de  leur  part  avec 
l'ordre  constant  de  l'univers?  S'ils  produisaient  du 
mouvement,  ils  modifieraient  la  quantité  du  mouve- 
ment donné  et  troubleraient  ainsi  le  cours  providentiel 
de  la  nature.  Le  premier  moteur  est  donc  le  moteur 
unique.  N'ous  le  trouvons  dans  tous  les  mouvements. 
Il  s'est  tellement  «  enchâssé  »  dans  la  nature,  que  nous 
ne  pouvons  la  connaître  sans  le  connaître.  Ainsi,  dans 
la  théodicée  de  Cordemoy,  Dieu  nous  apparaît  surtout 
comme  le  principe  du  mouvement.  L'auteur  soumet, 
du  reste,  nos  idées  comme  nos  mouvements,  à  l'activité 
exclusive  de  Dieu.  Joseph  Prost,  Essai  sur  l'alomisme 
et  l'occasionnalisme  dans  la  philosophie  cartésienne, 
p.  64-97. 

De  laForge(f  L666?)  précisela  thèse  occasionnaliste, 
en  faisant  à  la  philosophie  commune  certaines  conces- 
sions de  langage,  en  discutant  les  objections  fine  sou- 
lèvent contre  la  nouvelle  doctrine  le  fait  de  la  liberté 
et  l'existence  du  mal  dans  le  monde,  en  interprétant  la 
théorie  cartésienne  sur  la  volonté  divine,  en  démêlant 
deux  sens  jusque-là  confondus  de  l'occasionnalisme.  Il 
t'attache  donc  presque  exclusivement  a  l'étude  de  Dieu 
considéré  comme  cause. 

D'abord,  il  convient  que  le  bon  sens  attribue  aux 
créés  une  certaine  causalité.  On  peut  admettre 
cette  façon  de  parler,  pourvu  qu'il  soit  bien  entendu 
que  leur  action  ne  consiste  pas  à  produire  dans  les 
corps  certaines  qualités  impresses,  niais  ,-i  déterminer 
ou  à  inviter  la  cause  première  et  unique  à  appliquer 
ertU  motrice  dans  tels  et  tels  cas. 

Secondement,  de  la  Forge  discute  la  forme  aiguë 
sous  laquelle  se  présente  désormais  le  problème  du 
mal.  Sa  réponse  se  réduit  à  une  négation.  Il  nie  que 
l'homme  puisse  apprécier  el  juger  la  providence.  Sans 
doute,  roi  i  its,  tous  ceux  qui  exercent  une  au 

torité  ici-bas.  tous  ceux  qui  ont  reçu  an  a,  tous 

les  hommes,  par  conséquent,  sont  responsables  des 
maux  qu'ils  n'onl  pas  empêchés,  pouvant  le  taire. 
Aucun''  puissance  ne  liant  la  volonté  de  Dieu,  aucun  tri- 
bunal ne  peul  la  jugei  Dieu  n'est  pas  tenu  d'empêcher 
le  mal,  parce  qu'il  ne  dépend  d'aucune  volonté  supé- 
rieure. Il  est  sa  propre  loi  Cette  loi  est  ce  qu'il  dé- 
II  suffit  que  Dieu  ne  commande  pas  le  mal  et 
qu  il  nous  donne  les  moyens  de  l'éviter.  <»n  n<'  voit  pas 
comment  cetti  restriction  s'accorde  avec  le  principe 
po  I  pi  ndant,  il  faut  enti  ndn  de  quelle  manière 
de  la  m  la  libi  i  ti  humaine  la  respon 

lité  du  péché.  Dans   la  production  dei  effets  bui 
qneli  ne  contribue  aucune  volonté  libre.  Dieu  ne  con- 
sulte  que  lui  mi  m-  Mai  .  quand  il  n'agit  H'    a 

propre  volonté  il  enferme  dans  ion  décret  !>■ 

MCI     Dl    niî'.i  .   CATHOL. 


consentement  de  la  nôtre,  consentement  qu'il  ne  pré- 
détermine pas  d'emblée,  mais  qu'il  prévoit  d'un  regard 
éternel,  et,  le  prévoyant,  qu'il  confirme.  Comme 
Descartes  et  Cordemoy  déjà,  comme  Malebranche  plus 
tard,  de  la  Forge  distingue  agir  et  consentir,  liberté  et 
causalité. 

Troisièmement,  il  reprend  et  commente  la  thèse  car- 
tésienne sur  la  volonté  divine.  Si  l'on  se  heurte,  comme 
à  un  paradoxe,  à  cette  affirmation  :  que  les  vérités  éter- 
nelles et  l'essence  des  choses  d'où  dépend  leur  possi- 
bilité, émanent  d'un  décret  de  Dieu,  c'est,  remarque  le 
disciple  de  Descartes,  qu'on  oublie  la  simultanéité  par- 
faite et  l'identité  absolue  de  l'intelligence  et  de  la  vo- 
lonté divines.  Soit  ;  mais  alors  pourquoi  attribuer  aux 
notions  de  bien  et  de  mal,  à  la  possibilité  ou  à  la  né- 
cessité, une  origine  volontaire  plutôt  qu'une  origine 
intellectuelle?  Si  l'on  nous  refuse  le  droit  de  dire  que 
Dieu  veut  le  bien  et  condamne  le  mal,  parce  qu'il  les 
voit,  tels  on  ne  saurait  prétendre  sans  contradiction 
qu'il  est  légitime  d'affirmer  :  Dieu  voit  celte  chose 
comme  bonne  et  cette  autre  comme  mauvaise,  parce 
qu'il  les  veut  ainsi.  Cette  simplicité  divine  que  l'on 
invoque,  et  au  nom  de  laquelle  on  nous  défend  de  dis- 
tinguer en  Dieu  l'intelligence,  n'interdit-elle  pas  ('ga- 
iement de  distinguer  en  lui,  et  de  mettre  au  premier 
plan,  la  volonté?  Oui,  il  faut  chercher  le  dernier  fonde- 
ment de  toute  vérité  et  de  toute  réalité  au  delà  de  l'in- 
telligence divine.  Mais  pourquoi  appeler  volonté,  et 
surtout  volonté  libre,  ce  principe  suprême?  Autant  que 
les  mots  peuvent  ici  nous  aider,  il  semble  qu'il  faille 
plutôt  parler  d'essence  et  de  nature  divines.  Cependant 
de  la  Forge  garde  le  mérite  d'avoir  tenté  une  explica- 
tion de  la  théorie  cartésienne  sur  la  volonté  en  Dieu. 

Enfin,  il  signale  el  discute  deux  sens  possibles  de  la 
causalité  divine.  Ou  bien,  l'on  veut  dire,  en  réduisant 
les  êtres  créés  à  de  simples  occasions,  que  Dieu  a  fixé 
d'avance,  en  vue  de  les  faire  concorder,  la  suite  des 
modifications  que  chacun  subirait  par  une  loi  inté- 
rieure; c'est  l'harmonie  préétablie;  les  horloges  sont 
accordées  si  exactement,  qu'elles  donnent  toutes,  au 
même  instant,  la  même  indication;  Leibniz  a  raison. 
Ou  bien,  faction  divine  maintient  l'ordre  du  monde  par 
une  assistance  et  une  intervention  continuelles  ;  c'est 
la  théorie  des  causes  occasionnelles;  le  doigt  divin  ne 
cesse  de  mouvoir  simultanément  les  aiguilles  de  tous 
les  cadrans,  sans  se  reposer  sur  le  jeu,  monté  une  fois 
pour  toutes,  de  ressorts  internes;  Malebranche  des 
lors  est  dans  le  vrai.  Par  le  seul  fait  qu'il  précise  celle 
distinction,  delà  l'orge  contribue  au  développement  de 
la  théorie,  et  organise  le  dilemme  qui  sollicitera  le 
choix  de  Leibniz  et  de  Malebranche.  Mais  son  h 
d'originalité  s'accroît,  de  ce  qu'il  essaie  de  résoudre 
lui-même  l'alternative  qu'il  a  formulée.  Les  deux  ré- 
pon  ses  :  harmonie  préétablie,  eau 
ont,  l'une  et  l'autre,  une  part  de  vérité  et  une  pari 
d'erreur.  Du  point  de  vue  du  créateur,  le  premier  sys- 
tème -"'impose.  Les  décrets  divins,  en  effet,  sont  éter- 
nels el   immuables.    Du    point    de  vue   des  créatures,   la 

vient  vraie.  L'action  divine,  antérieure 
et  supérieure  au  temps,  si  on  la  considère  en  son 
principe  et  en  elle-même,  se  manifeste  successivement, 
au  fur  ei  a  mesure  du  développement  dis  phénon 
si  on  la  considère  dans  son  terme.  Elle  précède  el 
accompagne  la  causalité  occasionnelle  des  créatures 
Elle  est  éternelle  el  actuelle.  J,  Prost,  oc  rit.,  p,  118- 
127. 
i.euiinx    1624  1669  est  le  psychologui  et  h-  mystique 

de  l'occasionnai  is Plus  attentif  aux  phénomi  nés  de  la 

conscience  qu'aux  mouvements  de   la  matlèn 
lui-même  qu'il  découvre,  avec  la  faiblesse  «le  l'esprit 
humain  et  l'impuissant  s  de  la  volonté,  la  di  pendance 
absolue  di  i ni  de  la  cause  pn  i 

et   unique,    cite  me bservalioD    psychologique 

IV.   -    in 


1251 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS   LA    PHILOSOPHIE    MODEP.XL 


1252 


qui  révélera  plus  lard  à  un  Maine  de  liiran,  avec  le 
sens  de  l'effort,  la  notion  vive  de  la  causalité,  atteste  à 
Geulinx  la  passivité  de  toute  créature.  Psychologique 
par  sa  méthode  et  son  origine,  la  théodicée  de  Geulinx 
est  mystique  par  ses  tendances  et  ses  conclusions. 
M\slicité  équivoque,  comme  la  résignation  stoïcienne, 
comme  l'humilité  janséniste,  comme  l'inertie  quiétiste: 
trois  sentiments  qui  s'amalgament  dans  la  théodicée 
pratique  de  Geulinx. 

Malebranche  (1638-1715)  réagit  contre  le  volonta- 
risme de  la  théodicée  cartésienne  et,  contrairement 
encore  à  Descartes,  il  rapproche,  jusqu'à  les  confondre, 
philosophie  et  théologie,  spéculation  métaphysique  et 
contemplation  mystique.  On  voit  comment  il  est  et 
comment  il  n'est  pas  rationaliste.  Rien  de  moins 
laïque  et  rien  de  plus  intellectualiste  que  sa  philoso- 
phie en  général,  que  sa  notion  de  Dieu  en  particulier. 

Dieu  se  présente  d'abord  à  l'esprit  de  Malebranche 
comme  la  Raison  universelle.  Connaître  et  transmettre 
aux  autres  sa  pensée,  avoir  et  exprimer  des  idées 
claires,  c'est  percevoir  des  vérités  générales  à  la  lu- 
mière d'une  raison  commune.  Raison  supérieure  à 
l'homme,  pour  quisa  propre  substance  demeure  obscure 
et  qui  a  le  sentiment,  mais  non  l'idée,  de  son  âme. 
Raison  identique  à  l'Être,  puisque  penser  c'est,  du 
même  coup,  affirmer  l'un  et  l'autre.  Raison  infinie, 
puisque  notre  intelligence,  à  sa  lumière,  voit  tout 
objet  s'étendre  sans  limites,  l'idée  étant,  par  définition, 
générale.  Ces  attributs,  et  d'autres  encore,  surtout  la 
simplicité  parfaite  et  l'absolue  perfection,  pourraient 
s'accorder  avec  ladéfinition  cartésienne  de  Dieu.  Entre- 
liens métaphysiques,  I,  8;  II,  4  et  10;  vin,  8;  Médita- 
tions chrétiennes,  iv,  11.  Cf.  .loly,  Malebranche,  Paris, 
1901,  p.  57-63. 

L'opposition  apparaît  entre  la  théodicée  de  Descartes 
et  celle  de  Malebranche,  quand  il  s'agit  de  repré- 
senter en  concepts  humains  les  rapports  de  l'intelli- 
gence et  du  vouloir  au  sein  de  la  divinité,  ou  encore 
la  relation  des  vérités  éternelles  avec  Dieu.  Ces  vérités, 
d'après  Malebranche,  sont  l'objet  nécessaire  de  la 
connaissance  divine  et  la  règle  de  sa  providence.  Il  a 
même  dit  :  objet  indépendant.  Le  mot  scandalise 
Fénelon,  qui  reproche  à  Malebranche  de  subordonner 
la  volonté  de  Dieu  à  un  ordre  suprême  et  éternel.  Non, 
Malebranche  n'oublie  pas  qu'il  n'a  reconnu  dans  l'uni- 
vers que  la  causalité  divine.  S'il  soustrait  l'ordre  des 
possibles  et  des  vérités  au  pouvoir  de  la  liberté,  fût-ce 
la  liberté  suprême,  il  l'identifie  avec  la  sagesse  même 
de  Dieu,  qui  ne  dépend  ainsi  d'aucun  objet  extérieur. 
Plus  exactement  il  écrira, dans  les  Entretiens  d'unphi- 
losophe  chrétien  et  d'un  philosophe  chinois,  que  cet 
ordre  est  identique  et  coéternel  à  l'essence  divine,  Dieu 
étant  l'exemplaire  de  toutes  choses.  Ici  Malebranche 
n'est  plus  ontologiste.  Il  reproduit  sommairement  les 
explications  traditionnelles. 

Son  intellectualisme  ne  l'entraîne  pas  jusqu'à  oublier 
que  Dieu  soit,  au  sens  rigoureux  du  mot,  incompré- 
hensible. La  théorie  de  la  vision  en  Dieu  dérive  néces- 
sairement du  principe  général  de  l'occasionnalisme,  et 
elle  doit  s'interpréter,  d'après  l'esprit  du  système, 
comme  une  affirmation  de  la  dépendance  humaine 
plutôtque  comme  une  prétention  à  un  savoir  supérieur. 
Nous  voyons  tout  en  Dieu,  parce  que,  si  d'autres  objets 
déterminaient  immédiatement  notre  connaissance,  ces 
objets  exerceraient  une  causalité  véritable  qui  n'ap- 
partient qu'à  Dieu.  Telle  est  la  pensée  de  Malebranche. 
Il  ne  prétend  pas  que  nous  voyons  Dieu  tel  qu'il  est. 
Nous  le  connaissons  en  tant  qu'il  représente  les  idées 
utiles  à  notre  vie. 

Cependant  Dortous  de  Mairan  force  Malebranche  à 
sortir  de  sa  réserve.  Il  le  presse  par  un  argument  irré- 
sistible. Il  l'accuse  de  combattre  illogiquement  Spi- 
noza, ayant  lui-même  posé  le  principe  du  panthéisme. 


N'a-t-il  pas  dit  que  nous  voyons  tout  en  Dieu,  et 
n'est-il  pas  vrai  que  nous  voyons  l'étendue  'Défi  lors. 
voilà  l'étendue  transformée  en  attribut  de  Dieu.  Spinoza 
D'à  pas  dit  autre  chose.  Malebranche  riposte  en  exé- 
crant à  nouveau  la  doctrine  panthéiste,  et  en  distin- 
guant trois  choses  que  confond  l'auteur  de  l'Éthique: 
l'immensité  divine,  l'étendue  intelligible,  l'étendue  sen- 
sible. Il  faut  mettre  hors  du  débat  le  premier  terme, 
puisque,  sans  contestation  possible,  il  est  identique  à 
la  substance  de  Dieu  partout  et  tout  entière  présente, 
et  puisque,  d'autre  part,  Malebranche  n'a  pas  entendu 
affirmer  que  nous  comprenions  l'immensité  de  liieu. 
Tout  le  débat  se  ramène  à  la  distinction  des  deux  der- 
niers termes.  Malebranche  accuse  cette  distinction,  et 
par  tendance  occasionnaliste  autant  que  par  nécessité 
polémique,  il  se  jette  du  côté  de  l'idéalisme  plutôt  que 
de  se  compromettre  dans  la  société  des  panthéistes.  Il 
sépare,  en  effet,  l'étendue  intelligible,  seul  objet  de 
l'intelligence,  de  l'étendue  sensible,  terme  correspon- 
dant à  la  sensation,  par  une  telle  rupture  qu'il  déclare 
la  seconde-  indifférente  et  même  incertaine  pour  le 
philosophe.  Oui,  rapportée  à  Dieu,  l'étendue  matérielle 
ferait  de  lui  le  principe  immanent  de  la  nature,  au  lieu 
de  l'Être  transcendant  qu'adore  la  philosophie  tradi- 
tionnelle. Mais  Malebranche  songe  si  peu  à  cette  éten- 
due matérielle,  quand  il  parle  de  l'étendue  conçue  par 
l'esprit,  qu'il  ignore  même,  comme  philosophe,  si  la 
matière  existe.  Seule,  la  foi  l'en  assure.  Quant  à  l'éten- 
due intelligible,  on  peut,  sans  danger  de  panthéisme, 
l'attribuer  à  Dieu.  Malebranche  la  définit  «la  substance 
de  Dieu  entant  que  représentative  des  corps  etparlicipa- 
ble  par  eux.  »  Entretiens  métaphysiques,  vin;  Médi- 
tations chrétiennes,  IX,  10. 

L'intellectualisme  de  Malebranche  se  manifeste  en- 
core dans  l'argument  par  lequel  il  prouve  la  création. 
Il  suppose  démontrée  ou  connue  intuitivement  l'exis- 
tence d'une  Volonté  et  d'une  Intelligence  souveraines, 
et  il  raisonne  ainsi  :  Dieu  ne  peut  organiser  et  mou- 
voir la  matière  sans  la  connaître;  or,  il  ne  peut  la 
connaître  sans  lui  donner  l'être  et  savoir  par  consé- 
quent ce  qui  la  constitue.  Ainsi  ce  n'est  pas  la  créa- 
tion qui  prouve  l'existence  d'un  Être  infini.  C'est  de 
la  notion  de  cause  souveraine  que  nous  déduisons  celle 
de  créateur. 

Malebranche  affirme  plus  énergiquement  que  claire- 
ment la  thèse  occasionnaliste.  Il  ne  voit  pas  d'explica- 
tion du  mouvement  des  corps  et  des  esprits  en  dehors 
d'une  action  directe  et  exclusive  de  Dieu.  L'àme  et 
toutes  les  créatures  ne  sont  unies  immédiatement  qu'à 
l'Être  infini,  et  de  lui  seul  elles  dépendent;  à  tel  point 
que  le  philosophe  n'est  pas  sûr  d'avoir  un  corps.  Rien 
de  plus  explicite.  Mais  nous  n'osons  pas  ajouter  :  rien 
de  plus  logique.  Les  assertions  que  nous  venons  de 
rappeler  se  concilient  mal  avec  certaines  autres,  par 
exemple,  avec  cette  proposition  :  «  Dieu  agit  par  les 
créatures,  parce  qu'il  a  voulu  leur  communiquer  sa 
puissance.  »  Entretiens  métaphysiques,  vin,  11-14; 
x,  9;  Traité  de  la  nature  et  de  la  grâce,  p.  350. 

Malebranche  explique  plus  heureusement  comment 
Dieu,  en  rapportant  tout  à  sa  gloire,  n'agit  pas  par 
égoïsme.  Pour  l'Être  infiniment  parfait,  chercher  un 
autre  bien  que  lui-même,  ce  serait  une  déchéance,  si 
ce  n'était  une  impossibilité.  Entreliens  métaphysiques, 
ix,  Z;  Réponse  à  la  5e  lettre  de  M.  Arnauld,  p.  297. 

En  quoi  donc  consiste  la  gloire  divine'.'  Uans  le 
bonheur  des  créatures.  Soit.  Mais  dans  ce  bonheur 
cherché  par  les  voies  les  plus  simples  et  procuré  par 
des  lois  générales.  La  beauté  de  l'ensemble  (et  par 
beauté  Malebranche  entend  quelque  chose  d'analogue 
à  ce  que  les  mathématiciens  appellent  l'élégance  d'une 
démonstration  ou  d'une  solution)  doit  l'emporter  sur 
les  intérêts  individuels. 

Nous   avons   examiné  jusqu'ici,   dans  la   notion   de 


1253 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRES   LA    PHILOSOPHIE    MODERNE 


1254 


Dieu  que  propose  Malebranclie,  le  caractère  intellec- 
tualiste. Il  convient  de  signaler  maintenant  un  autre 
caractère,  que,  faute  <Tun  meilleur  terme,  nous  appel- 
lerons mystique.  Dans  la  théodicée  de  Descartes,  le 
Dieu  de  la  raison  semble  juxtaposé,  sinon  étranger,  au 
Dieu  de  la  révélation.  Dans  latbéodicée  de  Malebranclie, 
les  deux  notions  se  relient  si  intimement,  que  la  tran- 
sition est  insensible  et  la  distinction  supprimée.  Le 
Verbe  unit  la  philosophie  a^'ec  la  théologie,  comme  il 
rapproche  Dieu  et  le  monde.  Sans  nier  l'enseignement 
chrétien  :  que  l'œuvre  de  Jésus-Christ  fut  de  racheter 
le  monde,  il  pense  que  la  rédemption  n'épuise  pas  le 
sens  et  les  trésors  de  l'incarnation.  Celle-ci  répond 
encore  à  d'autres  fins,  que  pressent  le  philosophe.  Au 
inonde  si  peu  consistant,  en  effet,  comment  donner  de 
la  solidité?  Comment  élever  jusqu'à  Dieu  des  êtres  si 
distants  de  lui?  Comment  aider  le  néant  à  lui  rendre 
gloire?  Dieu  s'incarne;  il  s'incarne,  c'est-à-dire  qu'il 
unit  à  sa  personne  divine,  non  pas  un  ange,  mais  un 
homme.  Dès  lors,  esprit  et  matière,  les  deux  éléments 
de  la  création  sont  transfigurés.  Le  monde  n'eût-il 
pas  eu  besoin  d'être  purifié,  il  convenait  encore  à  la 
majesté  du  créateur  qu'il  fût  divinisé.  Malebranclie 
réclame  le  droit  de  parler,  comme  philosophe, du  Dieu 
incarné. 

Toutes  les  questions  théologiques  se  relient.  Une  fois 
la  soudure  faite,  ou  plutôt,  une  fois  la  continuité  natu- 
relle rétablie,  entre  la  métaphysique  et  le  dogme,  le 
philosophe  voit  foute  la  doctrine  révélée  passer  devant 
ses  yeux.  Il  ne  pourra  plus  se  récuser  et  invoquer  son 
incompétence.  Malebranclie,  quelque  embarras  qu'il 
éprouve  parfois,  accepte  cette  conséquence  de  son  prin- 
cipe sur  les  rapports  de  la  raison  et  de  la  foi.  Ainsi 
convient-il  qu'il  lui  faut  définir,  non  seulement  le  mi- 
racle mais  la  grâce.  Il  le  fait,  conformément  à  sa 
théorie  sur  les  lois  générales  de  la  providence.  Il  affirme 
que  l'ordre  de  la  nalure  et  l'ordre  de  la  grâce  sont 
soumis  à  la  même  divine  méthode.  Si  les  miracles  font 
brèche  aux  lois  naturelles  que  nous  connaissons,  ils 
s'opèrent  néanmoins  en  vertu  de  lois  générales,  que 
nous  ignorons.  Joly,  op. cit., p.  163,  179,  195. 

Pascal  1623  I(i62)  prend  à  l'égard  du  Dieu  de  la  phi- 
losophie une  altitude  qui  ne  correspond  ni  à  celle  de 
Descartes,  ni  à  celle  de  Malebranclie.  Il  ne  juxtapose 
pas  la  notion  naturelle  de  Dieu  et  la  notion  révélée, 
comme  le  premier.  Il  ne  les  confond  pas  non  plus, 
comme  le  second.  Il  sacrifie  la  première  au  profit  de  la 
seconde.  Sans  doute,  on  peut,  «  selon  les  lumières  na- 
turelles,  i  et  en  vertu  des  règles  d'un  sage  pari, estimer 
prudent  de  croire  en  Dieu.  Mais  de  là  à  être  persuadé 
que  Dieu  existe,  il  J  a  une  distance  que  Pascal  lui- 
méme  se  plaît  à  signaler.  Pentéet,  édit.  Havet,  Paris, 
1880,  a.  10,  n.  I.  i  Nous  connaissons  l'existence  de 
l'infini,  mais  «  parce  qu'il  a  étendue  comme  nous.  » 
l'n  tel  iiilini,  qui  semble  identiques  l'espace,  et  qui, 
coin  me  l'espace,  est  un  être  tout  idéal,  dont  le  fondement 
seul  e-i  réel,  mais  matériel  ;  un  infini  si  improprement 
nommé,  et  qu'il  faudrait  plutôt  appeler  indéfini,  ne 
représente  pas  la  divinité,  g  Nous  ne  connaissons  ni 
l'existence  ni  la  nature  de  Dieu,  parce  qu'il  n'a  ni  éten- 
due ni  bornes,  i  i  Nous  sommes  donc  incapables  de 
connaître  ni  ce  qu'il  est,  ni  s'il  est.  i  limi.  v.n  dépit 

du  ps.   XVIII,  du  C.   KXXVIII  du    livre  de   Job,  du    c.   l  de 

l'Épltre  aux   Romains,  l'K  Pascal   écrit  :  «  C'est  une 

admirable  que  jamais  auteur  canonique  ne 
servi  de  la  nature  pour  prouver  Dieu,  i  a.  10,  n.  3. 

A  quoi  sert-il,  da  reste,  de  connaître  Dieu  par  rai- 
sonnement ire  di  persuasion  t  le  double  défaut 
d'être  «inutile  au  salut  »,  a,  8,  n.  I.ef  d'être  précain 

•  Ceux  a  qui  Dieu  a  donné  la  religion  par  sent ni 

du  cœur  -ont  l.ieu  heureui  et  bien  légitimement  pet 
n, ni.  •    i.'      preuve!    métaphysique!  -ont  si 
nnemenl   des  hommes,  et   si  impli- 


quées, qu'elles  frappent  peu;  et  quand  cela  servirait  à 
quelques-uns,  ce  ne  serait  que  pendant  l'instant  qu'ils 
voient  celte  démonstration,  mais  une  heure  après  ils 
craignent  de  s'être  trompés,  »  a.  10,  n.  2.  «  Tous  ceux 
qui  cherchent  Dieu  hors  de  Jésus-Christ,  et  qui  s'arrê- 
tent dans  la  nature,  ou  ils  ne  trouvent  aucune  lumière 
qui  les  satisfasse,  ou  ils  arrivent  à  se  former  un  moyen 
de  connaître  Dieu  et  de  le  servir  sans  médiateur  :  et 
par  là  ils  tombent,  ou  dans  l'athéisme,  ou  dans  le 
déisme,  qui  sont  deux  choses  que  la  religion  chrétienne 
abhorre  presque  également,  »  a.  22,  n.  1.  Cf.  le  mot 
Dieu,  dans  le  Vocabulaire  publié  par  la  Société  fran- 
çaise de  philosophie,  Bulletin,  août  190'i,  et  en  parti- 
culier, la  lettre  de  M.  Maurice  Blondel  sur  la  formule  : 
«  Dieu  d'Abraham,  Dieu  d'Isaac,  Dieu  de  Jacob,  non 
des  philosophes  et  des  savants.  »  Voir  également  Sully- 
Prudhomme,  La  vraie  religion  selon  Pascal,  Paris, 
1905,  part.  I,  1.  I,  c.  iv;  part.  III,  c.  n  ;  part.  IV, 
c.  n.  Voir  col.  803-806. 

Spinoza  (16321677).  On  peut  énumérer  les  divers 
éléments  qui  entrent  dans  la  notion  spinoziste  de  Dieu, 
mais  on  ne  saurait  les  grouper  tous  dans  une  définition 
synthétique.  Cette  impossibilité  vient  de  plusieurs 
causes.  D'abord,  multiplicité  des  inlluences  subies. 
Spinoza  s'inspire,  à  des  degrés  divers,  du  néopla- 
tonisme, de  la  scolastique,  du  judaïsme,  du  panthéisme 
de  la  Renaissance,  des  idées  cartésiennes.  Secondement, 
diversité  des  points  de  vue  et  des  points  de  départ. 
Spinoza  s'attaque  au  problème  philosophique,  comme 
on  procède  au  percement  d'un  tunnel  ou  à  la  construc- 
tion d'une  voie  souterraine,  c'est-à-dire  par  tronçons. 
La  méthode  spinoziste  consiste  à  amorcer  en  plusieurs 
endroits  le  travail  de  perforation.  Par  malheur,  ces 
différents  initia  philosophandi,  prolongés  idéalement, 
ne  se  rencontrent  pas  toujours,  soit  que  les  directions 
divergent,  soit  que  les  plans  se  superposent.  Ainsi  la 
notion  métaphysique,  la  notion  psychologique  et  la  no- 
tion scientifique  de  la  divinité  ne  s'accordent  pas.  Le 
Dieu- substance,  le  Dieu-pensée  et  le  Dieu-nature  repn  - 
sentent  trois  concepts  opposés,  plutôt  que  trois  aspeols 
conciliables,de  l'Être  infini.  Troisièmement,  le  vocabu- 
laire de  Spinoza  estéquivoqne.  Empruntant  au  dogme  ju- 
déo-chrétien les  termes  de  foi,  révélation,  prophétie, et  à 
la  théodicée  personnaliste  les  termes  de  volonté,  pen- 
sée, amour,  création,  il  donne  aux  uns  el  aux  autres 
une  signification  nouvelle.  11  transpose  le  langai 
la  religion  surnaturelle  en  un  ton  naturaliste,  et  le 
langage  du  peraonnalisme  en  un  mode  impersonnel. 
Quatrième  source  d'obscurité  :  Spinoza  admet  parfois 
une  dualité  d'enseignement  :  ésotérisme  pour  les  initiés, 
exotérisme  pour  la  foule  a  qui  l'obéissance  tient  lieu  de 
raison.  Enfin,  ce  qui  accroît  la  difficulté,  c'est  que 
Spinoza,  loin  de  laisser  entendre  que  sa  doctrine  est 
discontinue  et  flottante,  s'efforce  de  lui  donner  les 
apparences  d'un  enchaînement  rectiligne 

Le  premier  trait  qui  caractérise  la  définition  spino- 
ziste  (le  Dien,  c'est  donc  qu'elle  est  ambiguë  et  dispa- 
i aie  L'effort  du  commentateur  et  de  l'historien  con- 
siste  tout  d'abord  a  établir  ce  fait  et  a  en  préciser  les 
causée.  H  remarquera  ensuite  qui'  cette  vague  pi 
de  Dieu  pénètre  toute  la  philosophie  de  Spinoza  De 
même  que  d'autres  ramèneront  tonte  métaphysiq 
une  philosophie  de  ou   à    une    psychologie, 

Spinoza    l'identifie   A    la   théodicée  même.   Pour  lui.   la 

philosophie  entière  Be  réduit  à  la  définition  de  Dieui 
Dieu  n'est  pas  la  troisième  partie  d'un  cour-  de  méta- 
physique ou  l'on  étudie  d'abord  l'I tel  la  mai 

mi  aucun  souci  de 

iq it  les  loi    'i'  [  -  i     chologii    Dieu 

est  tout  le  prograni 

Dieu  n'est  m  identique,  ni  transcendant,  mai-  im- 
manent a  l'univers;  c'e  •  i  •  1 1  »  -  *  ■  qu'il  s'en   distin 
comme  la  lubstana  nme  le  prini  ipi 


]  255 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA   PHILOSOPHIE    MODERNE 


1250 


de  li  conséquence,  comme  la  loi  suprême  des  lois  dé- 
rivées, comme  l'être  du  phénomène,  comme  le  tout  de 
la  partie,  comme  la  réalité  permanente  de  ses  formes 
transitoires.  Ces  divers  couples  de  termes  ne  forment 
pas  des  rapports  identiques.  Mais  l'historien  ne  peut 
se  dispenser  de  les  énumérer,  sous  peine  de  simplifier 
outre  mesure  et  de  dénaturer  cette  doctrine  spinoziste 
où  se  rencontrent  l'idéalisme  et  le  réalisme,  le  monisme 
scientifique  et  le  panthéisme  substantialiste  :  autan I  de 
sens  dilférents,  que  présente,  dans  l'œuvre  de  Spinoza, 
la  doctrine  de  l'immanence. 

Dieu  se  relie  graduellement  à  l'univers.  Le  monde 
ne  se  compose  pas  de  deux  termes  :  le  créateur  et  les 
êtres  créés,  mais  de  séries  complexes  où  l'on  ne  par- 
vient pas  à  saisir  la  transition  du  divin  au  fini.  De 
multiples  intermédiaires  composent,  entre  le  principe 
de  la  nature  et  ses  manifestations  les  plus  superficielles, 
des  enchaînements  réels  et  métaphysiques,  non  moins 
que  logiques.  Par  une  suite  de  dégradations,  Dieu  se 
communique  jusqu'aux  êtres  particuliers.  D'une  part, 
il  est  d'ahord  pensée,  puis  intelligence  absolument  in- 
finie, intelligence  actuellement  infinie,  idées  singu- 
lières, idées  en  essence,  idées  existant  dans  la  durée 
temporelle  :  ainsi  se  déroule  la  série  spirituelle.  D'au- 
tre part,  il  s'identifie  à  l'étendue,  il  s'appelle  faciès  tolius 
universi,i\  forme  les  modes  individuels  de  l'étendue. il 
constitue  l'essence  des  corps,  il  leur  donne  l'existence  : 
ainsi  se  déploie  la  série  matérielle.  La  principale  diffé- 
rence entre  la  genèse  spinoziste  du  inonde,  et  les 
théories  néoplatoniciennes  ou  gnostiques,  d'après  les- 
quelles la  divinité  se  déverse  aussi  de  degrés  en  degrés, 
c'est  que,  d'après  Spinoza,  la  matière  et  l'esprit  se 
développent  parallèlement;  la  source  de  l'être  ne  forme 
pas  une  cascade  unique,  où  les  diverses  catégories 
représenteraient  autant  de  vasques  superposées  en 
ligne  droite;  l'intelligence  ne  sert  pas  de  degré  inter- 
médiaire entre  Dieu  et  la  matière;  celle-ci  n'est  pas  une 
déchéance  de  la  pensée;  la  pensée  et  l'étendue  jaillis- 
sent de  la  divinité  au  même  niveau;  elles  sont  aussi 
immédiatement  l'une  que  l'autre  des  attributs  divins. 
A  elles  deux,  du  reste,  elles  n'épuisent  pas  la  richesse  de 
la  substance  unique.  Nous  pouvons  seulement  affirmer 
qu'elles  la  manifestent  sous  les  deux  aspects  accessibles 
au  regard  humain. 

En  lui-même,  Dieu  est  inconnaissable.  Spinoza  n'em- 
ploie pas  le  mot,  mais  il  professe  la  chose.  Son  Dieu 
impersonnel  et  inconscient  défie  toute  conception  dé- 
terminée. Peut-on  se  faire  une  idée  de  cet  Être  suprême 
auquel  les  attributs  de  l'âme  humaine  ne  s'appliquent 
que  dans  un  sens  équivoque?  Nous  ignorons  s'il  con- 
vient de  le  représenter  tout  d'abord  par  les  notions 
d'être,  d'indépendance,  d'infinité,  de  tendance,  de  force 
ou  de  pensée. 

Au  point  de  vue  pratique,  l'éternité  et  la  nécessité 
sont  les  deux  attributs  de  Dieu  les  plus  intéressants. 
L'homme  qui  par  la  réflexion  revient  au  principe  éter- 
nel dont  il  émane,  entre  dans  l'immortalité;  de  même 
que  celui  qui  comprend  et  accepte  l'ordre  nécessaire 
du  monde,  s'identifie  à  Dieu  par  un  amour  intellectuel. 
Ainsi  la  connaissance  de  l'éternelle  Nécessité  procure 
le  salut  et  le  repos. 

Dans  un  article  de  M.  V.  Brochard,  publié  par  la 
Revue  de  métaphysique  et  de  morale,  mars  1908, 
p.  129-163,  on  trouvera  les  textes  et  les  arguments  qui 
pourraient  amener  à  conclure,  en  dépit  de  l'opinion 
traditionnelle,  que  Spinoza  admit  un  Dieu  personnel. 
Cf.  P.-L.  Couchoud,  Spinoza,  Paris,  1903,  p.  69,  116, 
257-264,  301-303. 

Bayle  (  1647-1706)  a  dispersé  dans  ses  ouvrages  les 
éléments  d'une  théodicée,  théodicée  critique,  du  reste, 
et  non  dogmatique.  Qu'on  se  représente  une  suite 
d'articles  de  saint  Thomas,  dont  serait  retranchée  la 
partie  positive,  et  qui  se  réduiraient  ainsi  au  videtur 


quod  non  ;  mieux  encore  que  l'on  songe  à  la  partie 
négative  de  la  théodicée  kantiste  :  telle  est,  â  peu  pi 
la  philosophie  religieuse  cl'-  Bayle.  Elle  consiste  en  des 
objections  :  objections  contre  la  vérité,  objections 
contre  l'erreur.  Car  l'erreur  elle-même,  quand  elle 
prend  des  allures  doctrinales  et  surtout  théolo- 
giques, provoque  son  anirnosité.  Ainsi  le  voyons-nous 
combattre  le  panthéisme  de  Spinoza,  de  même  qu'il 
attaque  les  notions  de  perfection  divine,  de  premier 
moteur,  de  finalité,  de  création,  de  providence. 

En  prenant  si  vivement  à  partie  le  monisme,  Bayle 
avait-il  l'arriére-pensée  de  désarmer  d'avance  les  re- 
présentants de  l'orthodoxie,  et  de  sanctifier  par  un  tel 
usage  la  dialectique  qu'il  retournerait  bientôt  contre 
eux?  M.  Delvolve  le  pense.  Mais  il  remarque  aussi  que 
Bayle  se  préoccupait  surtout  de  punir  Spinoza  d'avoir 
employé  le  vocabulaire  théologique.  Du  reste,  en  dehors 
des  considérations  de  polémique,  Bayle  repoussait  le 
monisme.  Cette  théorie  de  la  substance  universelle  ne 
lui  paraît  ni  démontrée,  ni  même  plausible.  L'appa- 
rente géométrie  de  l'Éthique  ne  lui  en  impose  pas.  Des 
la  5°  proposition  il  arrête  net  la  suite  des  théorèmes. 
Tout  le  système  repose  sur  cette  affirmation,  que  Spi- 
noza formule  avec  la  plus  grande  assurance  :  In  re- 
rum  natura  non possunt  dari  plures  substantix  ejus- 
dern  naturse  seu  attribut).  Or,  observe  Bayle,  voilà 
«  un  petit  sophisme,  qu'il  n'y  a  pas  d'écolier  qui  s'y 
laisserait  prendre.  »  Ne  suffit-il  pas.  en  effet,  pour  en 
montrer  l'inanité,  de  rappeler  la  distinction  élémentaire 
entre  idem  numéro  et  idem  specie?  Plusieurs  sub- 
stances identiques  ne  sauraient  exister  :  d'accord;  mais 
il  est  superflu  d'énoncer  cette  tautologie.  Voulez-vous 
dire  davantage?  Prétendez- vous  affirmer  que  la  notion 
de  plusieurs  substances,  non  pas  identiques,  mais  sem- 
blables, est  contradictoire?  A  vous  de  le  prouver.  Mais 
ne  cherchez  pas  la  preuve  dans  l'Éthique.  Elle  ne  s'y 
trouve  point.  Théorie  non  démontrée,  le  monisme  est, 
de  plus,  une  théorie  indémontrable.  Il  est  faux  que 
l'étendue  manifeste  une  substance  unique  (n'est-elle 
pas  composée  de  parties  distinctes?)  —  faux  que  la  ma- 
tière représente  l'être  immuable  de  Dieu  n'est-elle  pas 
le  théâtre  de  tous  les  changements,  corruptions,  géné- 
rations?) —  faux  que  la  pensée  et  la  volonté  expriment 
une  même  substance  (autrement  il  faudrait  dire,  con- 
sidérant la  multiplicité  et  la  diversité  soit  des  idées  soit 
des  volitions,  qu'en  même  temps  Dieu  connaît  et  ignore, 
veut  et  ne  veut  pas).  Bayle  approuve  l'objection  plus 
habituellement  formulée  contre  le  spinozisme,  et  qui 
consiste  à  signaler  l'opposition  entre  substance  pensante 
et  substance  étendue.  Mais  il  lui  plaît  d'embarrasser 
l'adversaire  par  des  arguments  auxquels  il  ne  s'atten- 
dait pas.  Ce  n'est  plus  de  la  comparaison  entre  l'éten- 
due et  la  pensée,  mais  de  l'analyse  directe  des  deux 
termes  considérés  en  eux-mêmes,  qu'il  déduit  la  plu- 
ralité des  substances  dans  l'univers.  Si  tous  les  êtres 
ne  représentaient  que  les  modes  multiples  d'une  même 
réalité  substantielle,  on  pourrait  encore  parler  de  la 
divinité.  L'unité,  en  effet,  n'est-elle  pas  un  de  ses 
attributs?  Mais  cette  identité  foncière  de  tous  les  êtres 
est  illusoire.  Qu'avec  tout  vestige  de  l'unité  divine, 
disparaisse  donc  de  la  philosophie  le  nom  même  de 
Dieu.  Ce  n'est  point  au  monothéisme  que  Bayle  veut 
conduire  Spinoza.  Sans  doute,  il  le  chasse  de  ses  po- 
sitions panthéistes,  mais  pour  le  pousser  dans  le  na- 
turalisme athée. 

Il  s'en  prend  au  Dieu  parfait  de  la  théologie  ortho- 
doxe, non  moins  qu'au  Dieu-Tout  du  panthéisme.  Il 
demande  de  quel  autre  attribut  divin,  ou  de  quelle 
réalité'  créée  on  pourrait  légitimement  conclure  à  la 
souveraine  perfection  de  Dieu.  Invoquera-t-on  son  in- 
dépendance ou  sa  nécessite'-''  Mais  les  philosophes 
païens  admettaient  la  nécessité  d'une  matière  éternelle 
et  incréée;  pourtant,  ils  étaient  si  éloignés  de  lui  atlri- 


1257 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    PHILOSOPHIE    MODERNE' 


1258 


buer  la  perfection  qu'ils  la  considéraient   comme  un 
élément  chaotique  par  lui-même. 

Peut-on,  du  moins,  concevoir  et  admettre  Dieu,  à 
titre  de  premier  moteur?  Contre  cette  thèse  de  la 
théodicée  classique,  Bayle  élève  deux  objections.  D'à  bord, 
la  thèse  n'est  admissible  que  si, avec  les  occasionnalistes, 
on  supprime  toute  activité  créée.  En  effet,  du  moment 
qu'on  attribue  aux  mobiles  un  principe  interne  de 
déplacement,  etaux  objets  créés  une  causalité  véritable, 
il  est  inutile  d'invoquer  le  secours  d'En-Haut  et  d'ins- 
tituer une  sorte  de  doublure  divine,  qui  vienne  sup- 
pléer ou  aider  dans  leur  rôle  les  personnages  naturels. 
En  second  lieu,  l'existence  d'un  premier  moteur  n'im- 
plique pas  l'existence  de  Dieu,  ce  premier  moteur 
pouvant  être,  suivant  l'interprétation  de  Zabarella, 
périssable  comme  le  principe  vital  des  végétaux  ou 
comme  l'âme  des  bêles. 

Au  nom  des  idées  péripatéticiennes  de  forme,  de 
facultés  actives,  de  cause  interne,  Bayle  déclare  inutile 
la  notion  d'un  Dieu  qui  dirigerait  tous  les  êtres  vers 
des  fins  de  lui  connues.  Nous  retrouvons  le  prétendu 
dilemme  où  il  voulait  emprisonner  et  étouffer  la  théo- 
rie du  premier  moteur  :  ou  un  monde  inerte,  ou  un 
monde  animé  de  forces  immanentes  qui  se  suffisent  à 
elles-mêmes.  Bayle  s'insurge  contre  l'idée  d'une  activité 
réelle  mais  dépendante,  telle  que  la  conçoivent  les 
philosophes  qui,  sans  être  occasionnalistes,  admettent 
une  cause  première. 

La  raison  humaine  ne  saurait  établir  le  principe  de 
la  doctrine  créationiste  :  à  savoir  que  rien  d'imparfait, 
comme  est  l'univers,  ne  peut  exister  par  soi-même. 
Libre  à  vous  de  prétendre  que  l'esprit  humain  est  assez 
fort  pour  s'élever  à  ce  principe,  et  que  seule  une  im- 
piété volontaire  peut  l'en  détourner;  mais  «vous  serez 
obligé  de  le  prouver.  »  Laissée  à  ses  propres  ressources, 
la  raison  voit  plutôt  des  objections  contre  la  doctrine 
traditionnelle.  Elle  se  trouve  arrêtée  par  une  antinomie, 
ne  pouvant  concevoir  la  création  ni  comme  éternelle, 
ni  comme  temporelle.  Et  nous  découvrons  ici  une 
nouvelle  preuve  de  l'intention  qui  animait  Bayle  dans 
sa  critique  du  panthéisme.  Il  conclut,  en  effet,  son 
examen  du  créationisme,  par  ces  lignes  :  «  Le  pa- 
de  l'L'n,  de  llnfini,  de  l'Eternel,  au  multiple,  au  fini, 
au  successif,  n'est  pas  miens  expliqué  dans  le  système 
chrétien  que  dans  le  spinoziste  :  ni  l'un  ni  l'autre  n'a 
pu  faire  avancer  d'un  pas  la  métaphysique  du  vieux 
Parménide.  »  Deholve,  Bayle,  Paris,  1906.  p.  279. 

Bayle  attaque,  contre  de  multiples  défenseurs,  et,  en 
particulier,  contre  lurieu,  Jaquelot,  Leibniz,  la  doc- 
trine  chrétienne  de  la  providence.  Dans  sa  discussion 
du  problème  du  mal,  il  n'admet  ni  leur  méthode  qui 
ne  pari  pas  de  l'expérience,  ni  leurs  conclusions  qui 
affirment  la  coexistence  d'un  Dieu  infiniment  sage,  bon 
el  puissant,  avec  le  mal  physique  et  moral.  Il  proteste 
vivacité  contre  l'inconséquence  dis  apologistes, 
qui  invoquent  la  raison  pour  établir  l'existence  de  Dieu, 
et  qui  la  récusent,  comme  incompétente  en  de  telles 
matières,  dés  qu'elle  formule  d'invincibles  objections. 
Il  pose  |e  dilemme  que  reprendra  Stuarl  Mill.  Ou  bien 
nous  argumentons  en  concepts  humains,  et  nous  con- 
naissons la  valeur  des  attributs  que  non-  décernons  à 
Dieu  :  alors,  il  Paul  avouer  que  l'existence  du  mal  esl 
inconciliable  avec  la  toute  puissance  d  un  Etre  infini 
ment  bon.  Ou  bien,  sous  prétexte  que  l'Être  suprême 

n'a  pai  d pu     i  nous  rendre  et  que  ses  plans  ne 

inblenl  pas  aui  nôtres,  nous  lui  altribui   i 
les  mots  île  bonté,  di  de  puissance,  des  quali- 
tés donl  m •     n     tucune  idée    alors,  il  esl  pins 

loyal  de  dire  que  Dieu   e  i  pour  nous,  non  pas  seule 

meiii  un  .  ti ..n. .  i ,  mais  un  inconnu  ;  i  mt  à 

ni  idéal  humain,  nous  ne  de 

ni  île  l'ordre  lin  r  un  ai  g  umenl  i  n  hv<  ui   de 

l'intelligence  divme,  m  du  d    ordre  lin  r  une  objection 


contre  la  bonté  ou  la  puissance  de  Dieu.  Si  le  principe 
de  l'univers  échappe  à  nos  critiques,  parce  qu'elles 
procèdent  d'esprits  bornés,  il  ne  donne  pas  plus  de 
prise  à  nos  louanges,  car  nos  louanges  aussi  s'inspirent 
de  considérations  humaines. 

A  l'adresse  des  théologiens,  Bayle  exprime  le  dilemme 
sous  une  forme  un  peu  différente.  Vous  admettez,  leur 
dit-il,  comme  règle  suprême  de  vos  jugements,  ou  bien 
la  raison,  ou  bien  la  révélation.  Dans  le  premier  cas, 
vous  êtes  tenus  de  discuter  le  problème  du  mal  suivant 
les  lois  et  les  idées  de  la  moralité  humaine,  et  vous  ne 
pouvez,  sans  contradiction,  vous  retrancher  derrière 
des  principes  d'action  supérieurs  et  incompréhen- 
sibles. Dans  le  second  cas,  vous  supposez  les  juge- 
ments de  la  raison  humaine  réformables,  et  dès  lors 
vous  vous  interdisez  de  faire  fond  sur  eux  pour  con- 
clure avec  certitude  à  l'existence  d'une  cause  néces- 
saire et  d'une  intelligence  ordonnatrice. 

La  doctrine  positive  de  Bayle  se  ramène  à  une  sorte 
d'animisme  naturaliste  et  de  providence  immauente. 
Il  accepte  et  confirme  la  théorie  de  Fontenelle,  d'après 
laquelle  les  passions  mauvaises  produiraient  le  bien 
général,  comme  de  la  tourbe  jaillit  la  flamme.  Deholve, 
op.  cit.,  p.  103. 

Leibniz  (1646-1716)  a  surtout  étudié,  dans  sa  théodi- 
cée, la  valeur  a  priori  de  l'idée  de  Dieu,  la  transcen- 
dance de  l'Etre  infini,  sa  personnalité,  sa  causalité,  son 
acte  créateur,  sa  providence.  Telles  sont  les  six  ques- 
tions au  sujet  desquelles  nous  allons  rappeler  la  doc- 
trine de  Leibniz. 

D'abord,  la  notion  de  Dieu  est  possible.  Voilà  ce  qui 
assure  l'efficacité  de  l'argument  de  saint  Anselme  et  de 
Descartes.  Si  l'Etre  parfait  et  nécessaire  ne  représente 
pas  un  objet  contradictoire  et  fictif,  il  existe  réelle- 
ment, car  l'existence  fait  partie  de  ses  attributs.  Com- 
ment Leibniz  prouve-t-il  la  possibilité  d'une  telle  notion  ? 
Il  déclare,  en  premier  lieu,  que  c'est  aux  adver- 
saires d'en  prouver  l'impossibilité,  les  idées  que  nous 
appréhendons  jouissant  du  droit  de  premier  occupant, 
et  devant  être  admises  comme  possibles,  jusqu'à  preuve 
du  contraire.  Ensuite,  qu'adviendrait-il,  si  l'on  déclarait 
illusoire  ou  incertaine  la  notion  d'Etre  nécessaire  et 
parfait  ?  Aucune  réalité  ne  pourrait  exister,  les  êtres 
contingents  et  finis  supposant  l'action  d'une  cause  qui 
se  suffit  à  elle-même.  Donc,  si  nous  concevons  un 
instant  Dieu  comme  impossible,  au  même  instant  tout 
s'évanouit.  Il  faut  déclarer  que  la  notion  de  Dieu  est 
cohérente  et  logique.  On  reprendra  plus  tard  la  dis- 
cussion de  l'argument  de  saint  Anselme  complété'  par 
Leibniz,  et  l'on  poursuivra  l'attaque  en  distinguant  la 
possibilité  positive  et  la  possibilité  négative.  Mais,  en 
la  critiquant,  on  reconnaîtra  la  modification  originale 
apportée  par  Leibniz  au  célèbre  argument.  Voir  t.  I, 
col.  1354-1355. 

Dieu  est  distinct  de  l'univers  :  telle  esl  la  seconde 
thèse  que  nous  signalons  dans  la  Ihéodicée  leibni/icnne. 
Voulant  simplement  caractériser  l'attitude  de  Leibniz 
à  l'égard  du  panthéisme,  il  nous  suffira  de  rappeler 
qu'il  discute  principalement  la  théorie  de  l'Esprit  uni- 
versel, tandis  que  Bayle,  par  exemple,  combat  surtout 
la  théorie  de  la  substance  unique 

Ce  Dieu,  distinct  du  monde,  ne  nous  n  étran- 

ger. Leibniz   n'est  pas   de  ces   philosophes  qui,  sous 
prétexte  que   la  divinité    nous    est   Infiniment    supé- 
rieure,   lui    refusent    tout    attribut     précis   dont 
puissions  trouver  l  analogue  dans  la  nature  lune 

i  perfecl  ions  de  Dieu  sont  relies  de  nos  Imes, 
mais  il  les  possède  sans  bornes;  il  est  un  océan,  donl 

nOUS     n'aVOnS     reÇU     que    lb  s     -ouïtes.     ||    \     a     en     non- 
quelque    puissance,    quelque    connais-, une,    quelque 
bonté  .  mais  elles  j0nt  tout  entier,  i  i  n  Dli  u,  L'ordn 
li    proportions,  l'harmonie  nous  enchantent,  la  pein- 
ture ei  la  musique  en  sont  des  échantilli  d     Dieu  eal 


1259 


DIEU    (SA    NATURE   D'APRÈS    LA    PHILOSOPHIE    MODERNE 


1200 


tout  ordre,  il  garde  toujours  la  justesse  des  propor- 
tions, il  fait  l'harmonie  universelle  :  toute  la  beauté 
est  un  épanchement  de  ses  rayons.  <>  Œuvres,  édit. 
Janet,  t.  il,  p.  3,  i.  La  divinité,  d'après  Leibniz,  n'est 
pas  seulement  distincte  du  inonde;  elle  est  personnelle 
et  consciente. 

Pour  expliquer  la  causalité  divine,  il  propose  un 
système  intermédiaire  entre  les  doctrines  tradition- 
nelles sur  le  concours  divin  et  l'occasionnalisme. 
D'accord  avec  les  premières,  il  reconnaît  dans  les 
créatures  une  activité  propre.  D'accord  avec  la  seconde 
théorie,  il  reconnaît  en  Dieu  seul  le  principe  de  leur 
concordance.  Les  causes  secondes  n'agissent  pas  les 
unes  sur  les  autres.  Mais,  dès  l'origine,  le  créateur  a 
disposé  toutes  choses,  de  façon  qu'agissant  chacune 
suivant  leur  spontanéité  propre,  elles  parussent  exer- 
cer et  subir  de  mutuelles  influences.  Tel  est  le  système 
de  l'harmonie  préétablie. 

Le  créateur,  dont  nous  venons  de  prononcer  le  nom, 
qu'est-il  pour  Leibniz?  Si  l'on  pouvait  distinguer  deux 
temps  dans  l'action  créatrice,  telle  que  la  décrit  la 
théodicée  leibnizienne,  on  estimerait  que  le  premier 
prophétise  la  philosophie  de  Hegel  et  que  ie  second 
rappelle  Spinoza.  Tout  d'abord,  en  effet,  c'est  la  lutte 
des  divers  modes  possibles,  qui  sollicitent  à  l'envi  les 
préférences  divines,  et  le  triomphe  final  de  celui  qui 
représente  le  plus  grand  bien.  Or,  ce  conflit  d'êtres 
idéaux  qui  explique  l'origine  de  l'univers,  ébauche  le 
réalisme  dialectique  de  Hegel.  D'autre  part,  la  produc- 
tion des  monades  dont  le  choix  s'est  imposé  à  la  vo- 
lonté divine,  équivaut,  d'après  Leibniz,  à  un  rayonne- 
ment, à  une  émanation,  à  une  fulguration.  L'activité 
divine  s'épanche  sans  interruption  dans  les  monades. 
Doctrine  équivoque,  que  M.  Hoffding  a  pu  rapprocher 
du  spinozisme. 

L'effort  principal  de  la  théodicée  leibnizienne  s'ap- 
plique au  problème  du  mal.  Il  importe  de  caractériser 
ici  la  méthode  et  les  conclusions.  La  méthode  est  hési- 
tante. A  prioriste  par  tendance  naturelle,  Leibniz  se 
laisse  entraîner  parBayle  sur  le  terrain  de  l'expérience  ; 
et  tour  à  tour,  il  affirme  que  l'existence  du  mal  doit 
se  concilier  avec  la  providence,  et  que,  de  fait,  nous 
constatons  la  raison  d'être  du  mal  dans  le  monde. 
Les  conclusions  reproduisent  les  variations  de  la  mé- 
thode. On  peut  dire,  il  est  vrai,  que  la  multiplicité  des 
points  de  vue  concourt  à  l'élaboration  d'une  théorie 
plus  compréhensive.  Les  principaux  articles  de  l'opti- 
misme leibnizien  sont  les  suivants:  le  monde  actuel  est 
bien,  car  il  est  le  meilleur  possible.  Voltaire  traduira  : 
le  moins  mauvais.  Nous  ne  connaissons  que  de  mi- 
nimes fragments  du  plan  divin  :  quoi  d'étonnant,  dès 
lors,  à  ce  que  nous  y  trouvions  des  imperfections? 
L'imperfection,  du  reste,  est  inhérente  à  tout  être  fini. 
Nous  continuerions  à  croire  à  la  probité  d'un  homme 
que  sembleraient  dénoncer  de  multiples  témoignages, 
si  nous  avions  eu  l'occasion  auparavant  de  reconnaître 
en  lui  une  haute  valeur  morale.  Que  dire  de  Dieu, 
l'Être  infiniment  parfait?  Contre  sa  bonté,  sa  justice  et 
sa  prudence,  nulle  accumulation  de  preuves  ne  saurait 
prévaloir.  Quelle  que  soit  l'évidence  contraire,  affir- 
mons que  son  œuvre  représente  le  meilleur  des 
mondes. 

3°  Philosophes  anglais  du  xnie  et  du  xvm*  siècle. 
—  Bacon  (1560-1626)  accorde  peu  d'importance  et  peu 
d'étendue  à  la  théologie  naturelle,  utile  seulement  pour 
démontrer  la  nécessité  d'un  Etre  suprême.  L'étude  des 
causes  secondes  retient  d'abord  l'esprit;  puis  elle  le  re- 
lance et  le  dirige  vers  la  cause  première. 

Hobbes  (1588-1679)  estime  que  la  raison  naturelle  ne 
peut  ni  démontrer  l'existence,  ni  établir  la  nature,  de 
Dieu.  Comment  prouver  rationnellement  que  le  monde 
a  eu  un  commencement  et  qu'il  a  dû  être  créé  ?  Quant 
aux  attributs  qui  nous  servent  à  déterminer  la  nature 


divine,  les  uns  sont  positifs  et  ne  conviennent  aucu- 
nement à  Dieu  :  ainsi  la  colère  et  la  volonté,  la  souf- 
france et  l'intelligence,  qui  supposent  également  un 
être  borné;  les  autres  sont  négatifs  :  par  exemple, l'im- 
mortalité, et  seraient  peut-être  plus  dignes  du  sujet 
auquel  on  les  applique.  Mais,  en  somme,  positifs  ou 
négatifs,  les  attributs  divins  ne  sont  que  des  titres  ho- 
norifiques, dont  la  seule  utilité  est  de  nous  inspirer  le 
respect,  l'obéissance,  la  vénération  :  toutes  dispositions 
qu'il  est  avantageux  à  la  société  de  cultiver  dans  les 
individus.  Voir  col.  776-777. 

Locke  (1632-1704)  conçoit  la  divinité  surtout  comme 
le  principe  de  l'obligation  et  le  fondement  dernier  des 
lois.  Etant  donné  le  ton  ironique  dont  il  parle,  sans  la 
nier  toutefois,  de  la  substance,  ce  «je  ne  sais  quoi  », 
comparable  à  l'éléphant  sur  lequel  les  Indous  s'imagi- 
naient  que  reposait  la  terre,  on  se  demande  ce  que 
deviendra  la  substance  divine  dans  la  théodicée,  et  s'il 
ne  va  pas  inaugurer  la  théorie  renouviériste  du  Dieu 
relatif.  Non;  il  admet  que  l'Être  de  Dieu  est  substan- 
tiel, et  que  la  notion  de  substance,  si  indéterminée 
qu'elle  soit,  s'impose  à  titre  de  conception  spontanée, 
comme  les  idées  mathématiques  et  morales.  Voir 
col.  777-780. 

Newton  (1642-1727)  se  représente  Dieu  comme  l'au- 
teur de  l'harmonie  universelle,  et  comme  un  Être  d'une 
étendue  immense.  Telles  sont  les  deux  idées  caractéris- 
tiques de  sa  théodicée.  De  la  première,  nous  ne  dirons 
rien  de  plus  sinon  que,  mal  interprétée,  elle  donna 
naissance  à  ce  finalisme  exagéré  du  XVIIIe  siècle  qui 
devait  provoquer  une  réaction  mécaniste.  Au  sujet  de 
la  seconde  idée,  nous  rappellerons  que  l'étendue,  pour 
Newton,  n'est  pas  un  attribut  exclusif  de  la  matière,  à 
moins  qu'elle  ne  se  joigne  à  la  solidité,  et  que  l'étendue 
corporelle  ou  l'espace  absolu  est,  tout  à  la  fois,  le  siège 
de  la  divinité  et  le  «  sensorium  immense  et  uniforme  i 
par  où  il  perçoit  les  choses  et  leurs  états. 

Toland  (1670-1722)  semble  avoir  le  premier  employé 
le  terme  panthéisme,  pour  désigner  cette  doctrine, 
qu'il  admettait  du  reste,  et  d'après  laquelle  il  existe 
bien  dans  le  monde  une  force  divine,  force  créatrice 
et  ordonnatrice,  mais  non  pas  un  Être  substantielle- 
ment distinct  et  personnel. 

Berkeley  (1684-1753)  peut-il  maintenir  le  concept  d'un 
Dieu  créateur  dans  un  monde  qui  n'est  qu'un  ensemble 
de  sensations  et  d'idées?  Nous  joignons  les  deux  mots, 
pour  comprendre  l'ensemble  de  la  doctrine  de  Berkeley, 
qui  d'abord  sensualiste,  se  transforma  en  idéaliste  pro- 
prement dit.  Donc  nous  demandons  ce  que  devient  le 
concept  de  création  dans  un  tel  univers,  et  s'il  ne  faut 
pas  cesser  d'appeler  Dieu  créateur  de  la  matière.  Berkeley 
proteste  contre  un  tel  doute.  De  même  qu'il  prétend 
assurer  la  réalité  du  monde  sensible,  en  le  rattachant  à 
l'esprit;  il  pense  accroître  la  dignité  du  créateur  et  res- 
serrer notre  unionavec  lui, en  ledéclarant  l'auteurimmé- 
diat  de  nos  sensations  et  de  l'ordre  suivant  lequel  elles 
se  succèdent  ou  réapparaissent.  Ainsi  explique-t-il  l'at- 
tribut relatif  de  créateur. 

En  lui-même,  absolument  parlant,  qu'est-ce  que 
Dieu?  Une  volonté  ou  une  pensée  active.  Berkeley  ne 
distingue  pas  les  deux  termes;  et  pour  les  appliquer  à 
Dieu,  il  considère  simplement  notre  esprit  qui,  en  tant 
que  distinct  des  idées  subies,  est  volition  et  activité.  La 
volonté  humaine  élevée  à  l'infini  :  telle  est  l'essence 
divine.  La  théodicée  de  Berkeley  part  de  l'idéalisme, 
pour  aboutir  au  volontarisme.  Ce  système  est  né  des 
préoccupations  théologiques  de  l'auteur.  Cetévêque. dis- 
ciple de  Locke,  a  pensé  faciliter  la  démonstration  de 
l'existence  de  Dieu  en  simplifiant  le  point  de  départ, et 
en  parlant  des  «  idées  »  qui  ne  peuvent  avoir  que  Dieu 
pour  cause. 

Hume  (1711-1776)  ne  nie  pas  explicitement  l'existence 
de  Dieu,  mais  il  combat  l'anthropomorphisme  et  ce  qui 


1261 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    PHILOSOPHIE    MODERNE' 


1262 


lui  ressemble  avec  une  telle  insistance,  qu'il  semble 
défendre  la  cause  de  l'agnosticisme. 

i°  Les  déistes  français  du  XVIIIe  siècle.  —  Voltaire 
(1694-1778)  professe  un  déisme  plus  polémique  que  doc- 
trinal. Il  veut  combattre  la  religion  révélée  par  la  reli- 
gion naturelle.  Mais  il  réduit  cette  dernière  au  culte, 
ou  plus  exactement  à  la  simple  reconnaissance,  d'un 
Être  suprême,  auquel  il  conlie  le  soin  d'intimider  les 
malfaileurs,  qu'il  regarde  comme  l'ordonnateur  du 
monde,  mais  dont  il  déclare  la  nature  entièrement 
inaccessible  à  l'intelligence  humaine.  Il  s'indigne  qu'on 
parle  de  la  gloire  de  Dieu,  ou  qu'on  s'imagine  con- 
naître sa  bonté  ou  sa  justice.  Autant  d'illusions  anthro- 
morphiques.  Le  Dieu  de  Voltaire  n'est  point  non  plus 
le  créateur  ou  la  providence  du  monde.  Ce  dernier 
attribut,  en  particulier,  est  contredit  par  l'existence  du 
mal.  Le  problème  du  mal,  qui  provoque  les  blasphèmes 
de  Voltaire,  perd  pourtant  beaucoup  d'importance  dans 
sa  philosophie,  puisqu'il  se  restreint  au  mal  physique, 
le  mal  moral,  c'est-à-dire  le  péché,  l'offense  de  Dieu, 
étant  un  concept  illusoire.  Nous  avons  longuement 
étudié  le  déisme  de  Voltaire  dans  La  psychologie  de 
l'incroyant,  1.  I,  c.  n,  Paris,  1908. 

Jean-Jacques  Rousseau  (1712-1778)  introduit  en  théo- 
dicée  la  méthode  sentimentale.  Ce  n'est  pas  parce  qu'il 
a  d'abord  constaté  l'ordre  du  monde,  qu'il  admet  une 
intelligence  suprême.  Il  croit  à  la  bonté  de  l'univers, 
parce  qu'il  se  persuade  que  Dieu  existe,  et  il  éprouve 
cette  persuasion  parce  qu'il  sent  en  lui-même  le  besoin 
de  la  divinité.  Vivez  toujours  de  façon  à  désirer  que  Dieu 
existe,  dit-il  aux  douleurs,  et  vous  admettrez  sans  peine 
cette  divine  existence.  Le  sentimentalisme  est  le  trait 
le  plus  important  de  la  théodicée  de  Rousseau  :  senti- 
mentalisme méthodique,  du  reste,  et  non  doctrinal.  Nous 
voulons  signaler  par  là  que,  s'il  déclare  le  sentiment 
principe  de  connaissance  religieuse,  il  ne  l'érigé  pas 
en  objet  d'adoration.  Son  subjectivisme  ne  va  pas 
jusque-là.  Par  une  série  de  transitions,  en  particulier 
par  l'intermédiaire  de  Schleiermacher.  le  sentimen- 
talisme sera  poussé  jusqu'à  cette  extrémité.  Feuerbach 
dira  que  Dieu  n'est  pas  autre  chose  que  l'apothéose  de 
l'homme,  et  que  nos  propres  sentiments  en  font  la 
seule  réalité.  Rousseau  croit  en  un  Dieu  distinct  de 
l'homme  et  de  l'univers.  Mais  son  sentimentalisme  pré- 
pare la  voie  au  symbolisme.  Ne  déclare-t-il  pas,  en 
effet,  que  le  sentiment  est  autonome  à  l'égard  de  la 
connaisance,  et  qu'il  ne  peut  trouver  de  représentations 
qui  le  satisfassent  ? 

Savons-nous  quelque  chose  de  la  nature  divine? 
Rousseau  considère  la  cause  première  du  mouvement 
comme  une  volonté  personnelle.  Il  nie,  d'ailleurs,  les 
attributs  de  créateur  et  de  tout-puissant.  Voir  col.  236- 
237. 

5°  Le  sentimentalisme  en  Allemagne.  —  Jacobi 
1 1740-181 5  )  prof.--.'  une  théodicée,  sinon  contradictoire, 
du  moins  peu  cohérente.  La  méthode  en  est  sentimen- 
tale et  subjective,  la  doctrine,  a  peu  près  conforme  à 
renseignement  traditionnel,  c'est-à-dire  d'ordre  univer- 
sel et  objectif. 

Leasing  (1729-1781)  serait  nettement  panthéiste,  s'il 
Dallait  interpréter  littéralement  la  conversation  Haineuse 
qu'il  tint  à  Jacobi.  A  la  grande  Burprise  de  ce  dernier, 
i  n  effet,  il  lui  déclara  qu'il  appréciait  fort  le  Promé- 
thée  de  Goethe,  que  lui-mé ne  pouvait  plus  s  accom- 
moder des  concepts  orthodoxes  de  la  divinité,  et  que, 
s'il  devait  choisir  un  chef  de  lile.  il  n'en  prendrait  pas 

d'autre  que  Spinoza    C ment  faut-il  entendre  cetti 

profession  de  foi  philosophique  '  Il  semble  bien  que 

•  délai  hé  de  la  théodicée  traditionnelle. 

D'une  part,  Il  ne  coni  oit  plus  qu'un  Mien  transcendant 

■  it  pas  étranger  an ndi    Distinct  de  l  unlvi 

ré  de  l'univi  i     tml  pour  lui  expressions  synon] 
1. 1  Ire  infini,  d'aiili  n  be  i  il  pas  toute  réaliti  ' 


D'autre  part,  il  estime,  à  bon  droit,  que  Dieu  n'est  pas 
une  sorte  d'homme  agrandi  :  d'où  il  conclut  qu'il  ne 
peut  pas  être  pensé  par  analogie  avec  la  personnalité 
humaine,  au  bonheur  immuable  d'un  Dieu  personnel, 
jouissant  de  sa  propre  perfection,  il  attachait  une  idée 
telle  «  d'ennui  infini,  qu'il  en  était  douloureusement 
effrayé.  »  Iloffding,  op.  cit.,  t.  n,  p.  25. 

Lessing  n'est  pourtant  pas  un  simple  disciple  de  Spi- 
noza. D'abord,  suivant  la  remarque  de  Mendelssohn,  il 
est  possible  que,  dans  le  célèbre  dialogue,  il  ait  voulu 
donner  une  leçon  de  gymnastique  intellectuelle  à  son 
ami  trop  amolli  par  le  sentimentalisme.  Surtout,  l'idée 
de  mouvement  et  d'évolution,  chère  à  Lessing,  ne  cor- 
respond guère  à  la  rigidité  géométrique  du  monisme 
spinoziste.  M.  Iloffding  conclut  que  Lessing,  comme 
Goethe  et  Herder,  adhérait  à  la  doctrine  de  l'Un  et  Tout. 

Moses  Mendelssohn  (1729-1786)  représente  cette  caté- 
gorie de  philosophes  qui  furent  amenés,  par  leurs  re- 
cherches sur  le  sentiment  esthétique,  à  considérer  le 
sentiment  en  général  comme  une  manifestation  auto- 
nome, sinon  primordiale,  de  la  vie  psychique,  et  à 
maintenir  son  originalité  contre  Spinoza,  Leibniz, 
Wolf,  qui  le  ramenaient  à  des  idées  confuses.  Cette 
protestation  devait  avoir  son  principal  contre-coup  en 
théodicée.  Pour  Mendelssohn,  Dieu  représente  le  prin- 
cipe de  finalité  et  d'harmonie.  Il  est  aussi  l'Être  infini, 
dont  la  seule  notion  implique  et  prouve  l'existence. 

II.  Depuis  Kant.  —  1°  Le  criticisme.  —  Kant  (1724- 
180i).  On  résume  parfois  ainsi  la  théodicée  kantiste  : 
la  Critique  de  la  raison  pratique  rétablit  sur  une  base 
morale  les  notions  religieuses,  dont  la  Critique  de  la 
raison  pure  anéantit  les  fondements  physiques,  lo- 
giques et  métaphysiques.  Kant  nous  proposerait  donc 
d'admettre,  à  litre  de  croyances  nécessaires,  les  mêmes 
vérités  qu'on  professait  naguère, à  titre  de  connaissances 
assurées.  Cette  interprétation  trop  simple  dénature  la 
pensée  de  Kant.  Nous  verrons  successivement  comment 
il  apprécie  la  notion  de  Dieu  du  point  de  vue  de  la 
raison  spéculative,  comment  il  l'explique  cl  la  justifie 
par  la  raison  pratique,  enfin  comment  il  essaie  de  réunir 
les  conclusions  apparemment  opposées  de  ce-  deux 
analyses  parallèles. 

Pour  la  raison  spéculative,  Dieu  n'est  pas  un  être  ou 
un  objet,  mais  d'abord  un  idéal,  en  ce  sens  qu'il  repré- 
sente l'unité  suprême  et  stimule  ainsi  la  tendance 
synthétique  de  l'esprit,  puis  une  idée.  A  cette  idée  un 
objet  répond-il  ou  peut-il  répondre?  Nous  l'ignorons. 
Voilà  pourquoi  nous  concevons  Dieu,  suivant  la  ter- 
minologie kantienne,  mais  nous  ne  le  pensons  pas 
Nous  le  concevons,  parce  que  cette  idée  de  la  raison 
pure,  comme  toute  autre  forme  de  l'intelligence,  ne 
dépend  pas  de  l'expérience  et  existe  en  l'absence  mi 
de  tout  objet  expérimental.  Nous  ne  pensons  pas  Dieu, 
parce  qu'il  Q'esl  pas  présente  à  l'esprit  dans  une  in- 
tuition spatiale  et  temporelle,  et  qu'il   reste  des    loi-    i 

l'état  de  notion  indéterminée. 
Pour  la  raison  pratique,   l'existence  el  la  nature  de 

Dieu  sont  des  postulats  nécessaires.  Telle  est  la  suite 
des  connexions,  non  pas  logiques,  mais  morales,  qui 
entraînent  cette  conclusion   :  Notre  conscience  nous 

atteste  l'obligation  OÙ   nous  s. .mines  de  faire  le   bien  et 

d'éviter  le  mal.  De  là  ne  déduisons  pas  immédiatement 
que  Dieu  existe,  i  titre  de  pi  incij  ition  ;  ce 

sérail  méconnaître  l'esprit  du  moralisme  ka  a 
n'es!  pas  Dieu,  mais  notre  raison  autonome,  qui  nous 
impose  l'impératif  catégorique.  Donc,  du  (ail  de  l'obli- 
gation i  l'existence  de  Dieu  el  A  la  détermination  de 

ses    attributs    ne   cherchons    pas    une    liaison     directe. 

L'enchalnemenl  est  plus  complexe,  et  le  voi<  i  Disi 
postulé-,  non  pour  établir  le  lien  entre  la  volonté  i 
devoir,  mais  po  ntre 

oir  1 1  le  bonheur,  x  -  tan)  pu  la  i  tuse  du  monde, 
nous  ne  pouvons  procurer  non    m 


12G3 


DIEU     SA   NATURE   D'APRÈS    LA    PHILOSOPHIE    MODERNE  1264 


lion  du  souverain  bien  relatif;  et,  ne  pouvant  faire 
taire  en  nous  ce  désir  d'une  harmonie  définitive  entre 
la  vertu  el  le  bonheur,  qui  n'est  pas  un  caprice 
d'égoïsme,  mais  le  vœu  même  de  la  justice,  nous  exi- 
is  qu'un  Être  existe,  capable  de  faire  triompher 
la  cause  de  la  moralité'.  Mais  à  quelles  conditions  Dieu 
peut-il  donner  à  la  conscience  humaine  celte  satisfac- 
tion? Énumérer  ces  conditions,  c'est  analyser  les 
attributs  mêmes  de  la  divinité.  Il  est  évident  que, 
pour  assurer  la  victoire  du  bien,  la  cause  suprême  du 
monde  doit  être  intelligence  et  volonté.  Non  pas,  une 
intelligence  finie,  ni  une  volonté  limitée.  S'il  n'était 
pas  omniscient,  Dieu  ne  connaîtrait  pas  la  conduite 
et  les  intentions  secrètes  de  tous  les  hommes.  S'il 
n'était  pas  tout-puissant,  il  ne  saurait  donner  à  leurs 
actes  les  conséquences  appropriées.  Il  est  encore  pré- 
sent partout,  éternel.  Ne  semble-t-il  pas  que,  par  cette 
porte  ouverte  de  la  raison  pratique,  toute  la  théodicée 
traditionnelle  va  rentrer  dans  la  philosophie  '? 

Kant  lui-même  doute  du  résultat;  ou  plutôt,  dans 
le  conflit  entre  l'agnosticisme  spéculatif  et  la  religion 
pratique,  c'est  au  premier  terme  qu'il  donne  la  supé- 
riorité. Il  répète  que  les  postulats  de  la  morale  :  le  déisme 
et  le  spiritualisme,  ne  nous  renseignent  pas  sur  la 
nature  propre  de  leurs  objets.  Ces  objets  existent. 
Nous  admettons  nécessairement  que  l'idée  de  Dieu, 
fournie  par  la  raison  spéculative,  répond  à  quelque 
chose  de  réel.  La  connaissance  théorique  est  donc 
étendue  par  les  données  de  la  conscience  morale, 
dans  ce  sens  que  nous  postulons  qu'elle  ait  un  objet. 
Mais  elle  ne  saurait  employer  ces  données  pratiques  à 
l'étude  spéculative  de  l'âme  ou  de  Dieu.  Nous  ignorons  la 
nature  de  Dieu.  Kant  met  au  défi  ceux  qui  contestent 
cette  assertion,  d'assigner  dans  nos  idées  relatives  à 
Dieu,  un  seul  élément  positif,  après  qu'on  en  a  éliminé 
la  part  d'anthropomorphisme.  Seule,  la  psychologie 
pourrait  nous  aider  à  concevoir  les  attributs  divins. 
Or,  la  psychologie  est  irrémédiablement  humaine.  Nous 
n'appréhendons,  par  nos  analyses,  qu'une  intelligence 
discursive  et  une  volonté  dépendante.  Purifiées  de  leurs 
tares  psychologiques,  les  notions  que  nous  avons  de 
Dieu  se  réduisent  à  des  mots,  à  moins  qu'on  y  voie 
des  expressions  symboliques  de  postulats  moraux. 
Anthropomorphisme,  psiltacisme,  symbolisme  :  contre 
l'un  ou  l'autre  de  ces  écueils  vient  échouer  la  raison 
théorique  qui  s'aventure  à  spéculersur  la  nature  de  Dieu. 
M.  Hoffding,  op.  cit.,  t.  il,  p.  102,  s'étonne  que  la  théo- 
dicée kantienne,  réduite  à  la  manifestation  de  besoins 
et  de  sentiments  subjectifs,  n'aboutisse  pas  à  son 
terme  logique  :  l'individualisme,  et  se  donne  comme  ab- 
solue et  universelle.  Voir  col.  781-782. 

2°  Le  développement  du  sentimentalisme.  — 
Schleiermacher  (1768-183i)  précise  le  sentimentalisme 
religieux,  il  l'étend,  le  conclut,  le  systématise. 

Il  le  précise,  en  indiquant  quel  est,  d'après  lui,  le 
sentiment  dont  le  coefficient  religieux  est  le  plus 
élevé.  Contrairement  à  la  théorie  que  soutiendra  Feuer- 
bach,  Schleiermacher  trouve  l'origine  delà  croyance  en 
Dieu  dans  le  sentiment  primitif  et  indéterminé  de  la 
dépendance.  Il  étend  la  méthode  sentimentale,  en  dé- 
clarant que  toutes  les  assertions  religieuses  doivent 
dériver  individuellement  d'une  expérience  intime,  et 
non  se  relier  entre  elles  par  une  déduction  logique.  Il 
pousse  le  sentimentalisme  vers  son  terme  naturel  :  le 
symbolisme,  en  montrant  que  la  théodicée  sentimen- 
tale n'exprime  que  des  besoins  du  cœur  et  des  diposi- 
tions  subjectives.  Il  systématise  la  religion  nouvelle,  et 
il  en  indique  la  formule  génératrice,  quand  il  prétend 
pouvoir  légitimement  employer  les  expressions  de  la 
théodicée  traditionnelle,  en  substituant  à  leur  signifi- 
cation rationnelle  et  objective  une  valeur  toute  sub- 
jective et  sentimentale.  Ce  mode  d'herméneutique 
rappelle  l'évhémérisme  et  annonce  le  modernisme. 


Feuerbach  (1804-1872)  poursuit  l'œuvre  de  Schleier- 
macher. Sa  théodicée,  qu'il  expose  dans  La  religion 
el  surtout  dans  L'essence  du  christianisme,  peut  se 
répartir  en  deux  groupes  de  thèses  :  les  thèses  néga- 
tives et  les  thèses  positives. 

Feuerbach  combat  le  théisme  par  quatre  arguments- 
principaux,  ou,  du  moins,  qui  semblent  tels  :  1  S  il 
est  ridicule  d'attribuer  à  une  Eau  primitive  l'ori- 
de  toutes  les  eaux,  ou  à  une  Montagne  suprémi  la 
production  de  toutes  les  montagnes;  il  ne  l'est  pas 
moins  d'expliquer  tous  les  êtres  par  un  Être  premier. 

—  2°  Création  et  conservation  sont  inséparables.  Dans 
la  doctrine  créationiste,  il  faudrait  donc  dire,  avec 
Luther,  que  ce  n'est  pas  le  pain  qui  nous  nourrit,  mais 
la  vertu  de  Dieu.  Or,  il  est  évident  que  nous  devons 
notre  conservation  aux  propriétés  des  êtres  naturels. 

—  3°  Feuerbach  invoque  les  formes  enfantines  que 
revêtit  parfois,  surtout  au  xvne  et  au  xvme  siècle, 
l'argument  des  causes  finales,  pour  en  conclure  à  l'ina- 
nité de  la  conception  théiste.  —  4°  Aux  théistes  il  re- 
proche encore  d'adorer  un  Être  bon,  au  lieu  de  s'en 
tenir  au  culle  de  la  bonté  elle-même.  Il  raisonne 
comme  si  nous  admettions  en  Dieu  une  substance 
distincte  des  accidents,  et  comme  si  l'attribut  divin 
de  la  bonté  ne  nous  renseignait  en  rien  sur  la  nature 
divine.  De  là,  pensait-il,  le  danger  du  fanatisme.  Si 
nous  ignorons  que  l'amour  et  la  bonté  constituent  ta 
divinité  même,  nous  sommes  exposés  à  pratiquer  une 
religion  barbare.  Feuerbach  n'est  pas  plus  agnostique 
que  théiste,  et  il  considère  l'agnosticisme  comme  un 
athéisme  honteux.  Pourquoi  parler  d'un  Etre  dont 
nous  n'avons  aucune  idée?  Pourquoi  attribuer  au  sujet 
la  consistance  et  la  réalité,  quand  on  estime  que  ses 
propriétés  sont  de  purs  antliropomorphismes,  de  simples 
reflets  de  notre  imagination,  de  notre  pensée  et  de 
notre  cœur?  Ni  théiste,  ni  agnostique,  Feuerbach  refuse 
encore  de  se  laisser  appeler  athée,  rejetant  cette  épi- 
thète  aux  philosophes  qui  méconnaissent  la  sublimité 
de  la  justice,  de  la  sagesse,  de  la  bonté  et  des  autres- 
perfections  réalisées  ou  rêvées  par  l'homme.  Telles  sont 
les  thèses  négatives  de  Feuerbach. 

Les  thèses  positives  de  sa  théodicée  peuvent  se 
ramener  à  deux,  que  nous  appellerons  :  le  senti- 
mentalisme doctrinal  et  l'humanisme.  J.  ,).  Rousseau 
professait  nettement  le  sentimentalisme  méthodique, 
c'est-à-dire  qu'il  regardait  le  sentiment  comme  le 
moyen  de  connaître  Dieu,  mais  non  comme  le  terme 
de  notre  connaissance,  comme  l'objet  de  notre  culte, 
comme  Dieu  lui-même.  Telle  était  aussi  la  position  de 
Jacobi.  Schleiermacher  prépare  l'apothéose  du  senti- 
ment. Feuerbach  la  proclame,  c'est-à-dire  qu'avec  plus 
d'insistance  encore  que  son  prédécesseur,  il  déclare 
que  Dieu  est  le  nom  propre  de  nos  aspirations,  et 
qu'ainsi,  loin  d'être  notre  créateur,  il  est  notre  œuvre, 
non  pas  ens  ralionis,  mais  ens  a/fectus.  Il  passe  du 
sentimentalisme  méthodique  au  sentimentalisme  doc- 
trinal par  le  raisonnement  suivant  :  Nous  ne  saurions 
comprendre  la  divinité  par  le  sentiment,  si  le  senti- 
ment n'était  pas  de  nature  divine.  «  Dieu  ne  peut  être 
connu  que  par  Dieu.  L'être  divin  conçu  par  le  sentiment 
n'est,  en  réalité,  que  le  sentiment  enchanté  et  ravi  de 
sa  propre  nature,  ivre  de  joie  et  de  bonheur  en  lui- 
même.  »  L'essence  du  christianisme,  tra.d.  Roy.  p.  32. 

L'humanisme  de  Feuerbach  se  subdivise  lui-même 
en  plusieurs  affirmations  :  1"  La  théologie  se  ramène 
à  la  psychologie.  Sans  doute,  l'homme  primitif  adore 
la  nature,  mais  c'est  qu'il  lui  attribue  ses  propres  dis- 
positions. Le  naturisme  s'explique  par  l'animisme,  et 
se  rapporte  ainsi  à  l'humanisme.  —  2°  C'est  le  cœur, 
plus  que  la  raison,  non  toutefois  à  l'exclusion  de  cette 
faculté,  qui  donne  naissance  aux  idées  de  la  théodicée. 
L'humanisme  de  Feuerbach  se  précise  donc  en  senti- 
mentalisme. —  3°  Il  est  possible  de  le  déterminer  da- 


1265        DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    PHILOSOPHIE    MODERNE' 


126G 


vantage  encore.  Des  sentiments  qui  nous  suggèrent  la 
notion  de  Dieu,  ce  n'est  pas  celui  de  notre  dépendance, 
ainsi  que  le  pensait  Schleiermacher,  qui  est  le  plus 
important.  C'est  notre  grandeur,  plus  que  notre  peti- 
tesse, qui  nous  inspire  l'adoration.  La  théodicée  ré- 
pond à  un  mouvement  d'expansion  et  non  d'humilité. 
—  4°  Il  reste  à  expliquer  alors  pourquoi  l'âme  reli- 
gieuse s'abîme  dans  son  néant;  car  on  ne  peut  nier 
que  le  sentiment  de  l'humilité  fasse  partie  essentielle 
de  la  religion.  Deux  causes  concourent  à  cette  illusion. 
D'abord,  l'individu  s'identifie  à  tort  avec  l'espèce,  et 
considérant  les  limites  de  sa  personnalité,  il  conclut  à 
l'irrémédiable  infirmité  de  la  nature  humaine.  Plus 
importante  encore  est  la  seconde  cause  d'illusion.  Les 
rêves  de  justice,  de  beauté,  de  dévouement,  de  ten- 
dresse qui  devraient  l'exalter,  sinon  l'enorgueillir, s'il 
prenait  garde  qu'ils  témoignent  de  la  noblesse  de  ses 
facultés,  lui  deviennent  un  sujet  de  confusion  et  un 
objet  d'adoration,  du  moment  qu'il  les  incarne  en  un 
être  transcendant  et  qu'il  s'en  dépouille  inconsciem- 
ment à  son  profit.  Il  ne  remarque  pas  qu'il  admire  son 
œuvre  et  que  le  Dieu  qu'il  adore  n'est  pas  autre  que 
lui-même.  Dieu  est  le  miroir  de  l'âme.  Dites-moi  quel 
est  votre  Dieu,  et  je  vous  dirai  qui  vous  êtes.  —  5°  Un 
procédé  grammatical  permet  de  transposer  la  théodicée 
illusoire  en  la  vérité  psychologique.  Il  suffit  d'inter- 
vertir dans  les  assertions  théologiques  la  place  du 
sujet  et  de  l'attribut.  Le  théologien,  l'homme  religieux 
disent  :  Dieu  est  bon,  aimant,  miséricordieux.  Le  phi- 
losophe traduit  :  La  bonté,  l'amour,  la  miséricorde  sont 
divines,  c'est-à-dire  sublimes.  Le  théiste  proclame  : 
Dieu  est  la  fin  de  l'homme.  Le  philosophe  interprète  : 
Le  but,  l'idéal  que  l'homme  poursuit,  est  son  Dieu.  — 
6"  La  substitution  de  la  philosophie  à  la  religion  con- 
siste dans  le  passage  de  l'inconscient  au  conscient. 
Tant  que  l'homme  ne  s'aperçoit  pas  qu'il  projette  de- 
vant lui  son  rêve  intérieur,  il  prend  son  image  pour 
un  Être  distinct  de  lui  et  supérieur  à  lui  :  il  est  reli- 
gieux. Quand  il  comprend  qu'énumérer  les  attributs 
de  Dieu,  c'est  faire  l'inventaire  de  ses  propres  trésors, 
il  est  philosophe. 

3°  Monisme  cl  idéalisme.  —  Fichle  (1762-1814), 
accusé  d'athéisme,  alors  qu'il  était  professeur  à  Iéna, 
renonçait  finalement  à  sa  chaire  (1799),  mais  protestait 
contre  l'accusation  dont  il  était  l'objet.  Bans  son  article 
sur  Fichte,  de  la  Grande  encyclopédie,  M.  Xavier  Léon 
prétend  que  tout  le  système  du  philosophe  est  pénétré 
île  l'idée  de  Dieu.  Peut-être  serait-il  plus  exact  de  dire 
que  Fichte  a  gardé  h-  mot  Dieu.  Car  la  définition 
qu'il  en  donne  trouble  et  contredit  les  notions  usuelles. 
Suivant  l'euphémisme  de  M.  Hôffding,  np.  cit.,  t.  n, 
p.  I  i">.  il  esl  caractéristique  de  sa  personnalité  que 
la  volonté'  précède  la  pensée,  »  II  veut  agir,  il  veut  dire 
quelque  chose;  mais  ses  intentions  philosophiques jse 
traduisent  imparfaitement  sous  forme  d'idées.  Naïve- 
ment il  érige  cette  disposition  personnelle  en  loi  mi- 
prême  île  l'esprit  et  de  l'univers.  Les  forts,  ceui  qui 
sont  agissants  et  non  passifs,  ne  reçoivent  pas  la  vérité, 
ils  la  ciéi  ni,  [„'i  liberté  précède  la  raison. 

On  pourrait    dire  que  le  principe  du  monde  est  1 1 

liberté.  Telle  esl  la  pn re  notion  de   Dieu  dans  la 

philosophie  de  I  ichte.  Mais  la  liberté  ne  se  réalise 
qu'à  i  intelligence,  c'est-à-dire  en  devenant  in- 

telligible. Dieu  esl  donc  la  Raison  suprême.  Comme, 
d'autre  part,  la  réalisation  de  la  liberté  ne  se  produit 
instantanément,  ■-mur  elle  se  poursuit  indéfini- 
ment, le  progrès  devient  la  loi  de  la  morale  •  t  la  i 
gorie  de  la  religion.  Sam  expliquer  en  quoi  consiste 
ni  aiïrant  lu  emenl  de  I  humanité  qu'il  propose  corn  me 
objet  a  m.-  ■  ii  déterminer  -  il     a(  It  de  la 

libération  du  vice,  «l>-  l'émancipation  ■>  l'égard  de 
l'erreur,   ou  de  l'allégement    des  souffrances,    Fichti 

proclatiu'  que    l'individu    doit    se   préoccuper,  non    de 


combattre  ses  propres  défauts,  mais  de  pourvoir  à 
l'éducation  delà  société.  L'Universel  devient  la  majesté 
suprême  à  laquelle  tout  homme  doit  subordonner  et, 
s'il  le  faut,  sacrifier  tous  ses  intérêts.  Dieu,  pourrait- 
on  dire  ici,  c'est  l'Universel. 

Si  de  ces  incertitudes  et  de  ces  obscurités  nous  con- 
cluons à  l'athéisme  de  Fichte,  celui-ci  proteste,  et,  pre- 
nant l'offensive,  accuse  d'idolâtrie  ceux  qui  pré- 
tendent avoirune  idée  de  Dieu,  Hôffding,  ibid.,p.  149. 
Idolâtres  surtout  ceux  qui  adorent  un  Dieu  souverain 
dispensateur  de  la  justice.  «  Que  cet  être  tout-puissant 
soit  un  os,  une  plume  d'oiseau,  ou  qu'il  soit  le  créa- 
teur tout-puissant,  partout  présent,  omniscient,  du  ciel 
et  de  la  terre,  si  de  lui  on  attend  le  bonheur,  c'est  un 
faux  dieu.  »  Xavier  Léon,  La  morale  de  Fichti',  dans 
la  Revue  de  métaphysique  et  de  morale,  janvier  1902, 
p.  55.  Cf.  Weber,  Histoire  de  la  philosophie  euro- 
péenne, p.  188-495;  X.  Léon,  Fichte,  Paris,  1902. 

Schelling  (1775-1854).  Pour  Schelling,  la  philosophie 
n'est  pas  un  tout  dont  la  théodicée  ne  serait  qu'une 
partie.  La  philosophie  est,  en  effet,  la  science  même 
de  l'absolu.  Le  fait  que  la  pensée  de  Schelling  a  varié 
est  incontestable.  Il  est  également  admis  par  tous  les 
auteurs  qui  ont  étudié  sa  doctrine,  que  sa  notion  de 
Dieu  a  évolué  dans  la  direction  du  monothéisme.  Mais 
le  nombre  et  le  caractère  des  étapes  parcourues  ne 
sont  pas  fixés  d'un  commun  accord.  Les  uns  distinguent, 
d'après  Schelling  lui-même,  deux  phases  dans  son 
ouvre;  les  autres  pensent  qu'elle  se  répartit  en  trois 
ou  quatre  moments  principaux. 

Weber  dans  son  Histoire  de  la  philosophie  euro- 
péenne, Hôffding  dans  son  Histoire  de  la  philosophie 
moderne,  M.  Delbosdans  sa  thèse  De  posteriori  Schel- 
lingii  philosophia  quatenus  hegelianse  doctrines  ad- 
versalur,  distinguent  avec  Schelling  lui-même,  et  en 
employant  les  deux  expressions  dont  il  s'est  servi  le 
premier,  la  philosophie  négative  qui  correspond  à  une 
théodicée  rationaliste  et  panthéiste,  et  la  philosophie 
positive  qui  s'inspire  et  se  rapproche  du  monothéisme. 

Voici,  d'après  Weber,  les  idées  qui  se  dégagent 
de  la  première  théodicée  de  Schelling.  Le  principe  de 
l'Univers  n'est  pas  le  moi,  comme  l'a  dit  Fichle.  Vai- 
nement ce  philosophe  a-t-il  invoqué  un  moi  imperson- 
nel, supérieur  au  moi  conscient  et  empirique.  Deux 
motifs  pressent  Schelling  de  combattre  cette  notion  de 
la  divinité'.  D'abord,  ce  moi  inconscient  qui  produirait 
le  non-moi,  c'est-à-dire  le  monde,  ne  peut  s'appeler 
moi;  car  s'il  n'est  pas  conscient,  il  n'est  pas  un  sujet. 
Ensuite,  s'il  est  vrai  que  nous  ne  concevons  pas  le 
inonde  sans  le  moi,  l'objet  sans  la  pensée,  la  réciproque 

est  vraie  aussi.  On  peut  donc  tout  aussi  bien  dire  que 
le  monde  conditionne  et  produit  la  pensée.  La  vérité 
est  que  les  deux  termes  dérivent  également  et  parallè- 
lement d'un  principe  supérieur,  on  le  sujet  et  I 
ne  sont  pas  encore  opposés,  et  qui,  ne  comportant  au- 
cune relation  ou  dépendance,  peut  s'appeler  l'absolu. 
A  ce  premier  stade  de  son  évolution  spéculative, Schel- 
ling définit  ainsi  la  divinité'.  M.  Weber  observe  que 
l'absolu  de  Schelling,  «  principe  neutre,  i  ml  i  11.  l 
«■i   identité  des  contraires         rappelle    la    substance 

unique  *\c  Spinoza.  Cependant  I, Ithode  de  Schelling 

va  l'amener  ■>  déterminer  la  nature  de  cet  absolu.  S'il 

1  contre  li Ithode  conslructive  de  Fichte,  et  n 

d'attribuer  l'origine  du  monde  à  l'action  créatrice  de 
i ,  pensi  •  on  du  moi.  il  ne  s'en  tient  pas  non  plu-  i 
l'empirisme,  s'il  nie  que  h'  moi  produise  le  non-moi, 
il  conteste  aussi  énergiquemenl  qui' la  perception  sen- 
sible soit  identique  i  la  pensée  L'idée  et  l'objet,  la 
eet  le  mondi  .  ont  i"""  roui  ce  commune  l'absolu. 
L'expi  m  nce  i<  1 1  de  point  'fi'  départ  a  la  philosophie. 

Mais  la  méthodi  ntiell mt  spéculativi   et  'fi 

ductive.    Parce  que    \''   monde  h  fii  i"  i ni  une 

mêrai  on  pi  ni  dire  que  la  nature  est  la  i 


1207 


DIEU    fSA    NATURE    D'APRÈS    LA    PHILOSOPHIE    MODERNE 


[268 


existante,  et  l'esprit  la  raison  pensante.  Quant  à 
l'absolu,  il  est  la  liaison  impersonnelle,  la  liaison 
même. 

L'opposition  est  la  loi  de  la  matière  et  de  l'esprit. 
Partout  l'analyse  découvre  des  phénomènes  de  polari- 
sation, une  oscillation  entre  deux  extrêmes,  la  lutte  de 
deux  principes  tout  à  la  fois  contraires  et  corrélatifs. 
Cette  loi  inéluctable  limite  notre  connaissance  de  la 
divinité.  Incapables  de  parvenir  à  une  parfaite  intuition 
qui  nous  identifierait  avec  l'absolu,  nous  ne  concevons 
Dieu  que  comme  l'objet  de  notre  pensée.  Ainsi  «  le  moi 
demeure  d'un  côté,  et  Dieu  de  l'autre.  »  Histoire  de  la 
philosophie  européenne,  Paris,  1905,  p.  496-502.  Au 
sein  de  la  divinité,  nulle  opposition,  nulle  distinction. 
Ainsi  Dieu  est  l'absolu,  la  raison,  l'Être  inliniment 
simple.  Par  ces  attributs,  la  Ibéodicée  de  Schelling  se 
rapprocberait  de  la  théodicée  classique.  Mais  on  ne 
voit  pas  comment  le  Dieu  de  Schelling  se  distingue  du 
monde;  et  l'on  voit,  au  contraire,  comment  l'auteur  lui 
refuse  tout  caractère  de  personnalité. 

Weber  attribue  surtout  à  l'influence  de  Boebme  le 
changement  qui  va  marquer  la  seconde  phase,  la  phi- 
losophie positive.  Il  estime  que  le  monisme  reste  le 
fond  de  la  doctrine.  D'ailleurs,  on  nous  propose  une 
tout  autre  notion  de  la  divinité.  Avant  d'être  intelligence 
et  volonté  consciente,  avant  d'être  Dieu  en  un  mot,  le 
premier  principe  obéit  à  une  aveugle  volonté  d'être. 
Comme  toute  chose,  Dieu  évolue.  Seulement  le  déve- 
loppement divin  est  éternel,  et  les  moments  qu'il  tra- 
verse et  qui  constituent  les  hypostases  ou  personnes 
de  la  Trinité,  coïncident  et  s'identifient.  La  distinction 
des  trois  personnes  n'est  réelle  que  pour  la  conscience 
humaine.  Ce  n'est  plus  l'intuition,  mais  l'inspiration, 
qui  nous  révèle  la  divinité.  Art,  religion,  révélation 
se  confondent  et  dominent  également  le  savoir  philo- 
sophique. «  La  philosophie  conçoit  Dieu;  l'art,  c'est 
Dieu.  »  Weber,  op.  cit.,  p.  502. 

Hôffding  complète  en  deux  points  l'analyse  de  la 
philosophie  négative  et  de  la  théodicée  qui  lui  corres- 
pond. Il  insiste  sur  le  caractère  naturaliste  que  pré- 
sente alors  la  pensée  de  Schelling.  Celui-ci,  après  avoir 
déclaré  que  la  matière  serait  inintelligible,  si  elle  ne 
contenait  des  forces  spirituelles,  si  elle  ne  renfermait 
le  germe  de  la  pensée,  écarte  aussitôt  l'interprétation 
monothéiste  et  finaliste  de  l'univers.  «  Expliquer  la 
finalité  de  la  nature  par  l'intervention  d'un  entende- 
ment divin,  ce  n'est  pas  philosopher,  mais  faire  de 
pieuses  méditations.  »  Hôffding,  op.  cit.,  t.  n,  p.  165. 
Comme  l'esprit,  mais  à  un  moindre  degré,  la  matière 
est  représentation  et  dualité.  Il  faut  expliquer  la  na- 
ture en  termes  de  pensée,  si  l'on  veut  admettre  que  la 
nature  produise  la  pensée.  Xe  recourons  pas  à  un  prin- 
cipe transcendant  pour  rendre  compte  de  l'évolution 
universelle.  Il  suffit  que  nous  ne  soyons  pas  mécanis- 
tes.  N'invoquons  pas  un  ordonnateur  suprême.  Il  suf- 
fit de  reconnaître  dans  les  phénomènes  naturels  une 
finalité  immanente  et  de  concevoir  la  matière  comme 
de  «  l'esprit  qui  sommeille  ».  lbid.,  p.  166.  Cependant 
Schelling  ne  veut  pas  donner  de  l'univers  une  interpré- 
tation scientifique,  mais  un  commentaire  symbolique. 
Quand  il  parle  de  l'esprit  qui  sommeille  dans  la  ma- 
tière et  qui  progressivement  s'éveille  à  la  conscience, 
il  ne  prétend  pas  indiquer  les  phases  réelles  d'une  évo- 
lution génétique,  mais  les  degrés  logiques  d'une  hié- 
rarchie idéale.  Il  dédaigne  même,  comme  une  spécu- 
lation toute  superficielle,  l'étude  des  phénomènes 
objectifs  et  de  leur  enchaînement  observable.  La  con- 
struction spéculative  qui,  dans  l'hypothèse  de  l'identité 
foncière  de  toutes  choses,  représente  le  type  universel 
de  la  réalité,  nous  aide  seule  à  pénétrer  dans  l'essence 
de  la  matière  et  de  l'esprit,  lbid.,  p.  167-169.  Hôffding 
met  en  évidence  ces  deux  traits  de  la  philosophie  pre- 
mière de  Schelling  :  le  naturalisme  et  le  symbolisme. 


Le  second,  du  reste,  ébauche  et  annonce  la  philosophie 
de  la  religion. 

Hôffding  précise  l'origine  de  la  philosophie  positive, 
qu'il   appelle,   d'un    terme   technique   et  admis   dans 

l'histoire  de  la  philosophie,  mais  regrettable  car  il  est 
équivoque,  le  théisme  philosophique.  Dans  une  lettre 
du  début  de  l'année  1806,  Schelling  avoue  qu'il  s'est 
inoins  occupé  de  la  vie  que  de  la  nature,  et  que  désor- 
mais il  fera  meilleure  place  à  l'étude  de  la  religion.  Un 
de  ses  disciples,  F.schenrnayer,  l'avait  pressé'  d'expliquer 
l'origine  de  cette  matière  et  de  cette  pensée  dont  l'op- 
position et  la  polarisation  étaient  peut-être  la  loi,  mais 
non  la  cause.  Il  demandait  comment  de  l'absolu  déri- 
vait la  multiplicité  des  êtres,  et  à  cette  question  il 
donnait  lui-même  la  réponse  :  par  la  création,  t'n  phi- 
losophe, en  effet,  ne  peut  se  contenter  d'une  métaphore, 
et  se  borner  à  dire  que  l'absolu  se  réfléchit  dans  le 
monde  de  la  matière  et  de  l'esprit.  Schelling  ne  semble 
pas  voir  l'objet  exact  de  l'interrogation  ;  et  au  lieu  d'ex- 
pliquer comment  le  monde  existe,  il  cherche  à  faire 
comprendre  comment  le  inonde  est  soumis  à  la  diver- 
sité et  à  la  loi  d'opposition.  Tout  le  problème  se  ramène 
pour  lui  à  ces  termes  :  d'où  vient,  non  pas  le  monde, 
mais  la  discorde  qui  existe  dans  le  monde.  C'est  un 
autre  problème,  mais  ce  nouveau  problème,  il  faut 
l'avouer,  est  franchement  établi  par  Schelling,  qui  en 
montre  toute  la  portée,  et  l'appelle  de  son  vrai  nom  :  le 
problème  du  mal.  Peut-être  même  aurait-on  le  droit  de 
lui  reprocher  d'avoir  dépassé  et  les  données  et  les  incer- 
titudes réelles  de  la  question.  Ici  apparaît  l'inlluence 
de  Boehme,de  Boehme  auquel  Saint-Martin  en  France 
et  Franz  Baader  en  Allemagne  donnaient  un  regain  de 
célébrité.  A  son  tour,  Schelling  admet  dans  la  divinité 
l'opposition  primordiale  d'un  fonds  obscur  et  irration- 
nel et  d'un  vouloir  éclairé.  Cette  opposition  explique 
et  la  personnalité  divine  et  la  production  du  monde  et 
l'existence  du  mal.  Si  elle  ne  rencontrait  pas  d'obsta- 
cles en  elle-même,  comme  elle  ne  se  heurte  à  aucune 
barrière  extérieure,  la  nature  divine  ne  saurait  com- 
porter l'existence  personnelle.  Personnalité,  en  effet. 
suppose  lutte  plus  ou  moins  douloureuse.  L'évolution 
du  monde  représente  l'exode  de  la  divinité  qui,  par 
l'opposition  universelle,  tend  vers  une  harmonie  finale. 
Pour  que  le  mal  n'existât  pas,  il  faudrait  supprimer  le 
monde,  il  faudrait  que  Dieu  lui-même  ne  fût  pas.  El 
cependant,  rappelle  justement  Hôffding,  l'évolution  du 
monde  est  éternelle  et  instantanée  en  Dieu.  Là  le  conllit 
ne  précède  pas  la  paix.  La  vie  divine  consiste  en  un 
mouvement  circulaire  et  inétendu.  lbid.,  p.  170,  173. 

Dans  sa  thèse  latine,  M.  Victor  Delbos  explique 
cette  appellation  de  philosophie  positive  par  laquelle 
Schellinar  lui-même  désignait  sa  seconde  théorie  de 
l'Absolu.  Positive  en  quoi?  En  ce  que  c  est  une  doc- 
trine de  l'existence  et  de  la  réalité;  tandis  que  la  doc- 
trine de  la  Raison  impersonnelle  n'atteignait,  dans 
une  certaine  mesure,  que  les  essences  des  choses  et  les 
conditions  de  leur  existence,  mais  non  leur  existence 
elle-même.  La  philosophie  religieuse  de  Schelling  est 
encore  positive  en  ce  qu'elle  subordonne  le  détermi- 
nisme de  l'idée  aux  contingences  de  l'action,  et  pro- 
clame, au  nom  de  l'expérience,  la  puissance  de  la 
liberté  à  l'égard  de  la  raison.  Au  lieu  d'assujettir  le 
développement  réel  de  l'humanité  à  un  ordre  préala- 
blement supposé  de  concepts,  la  seconde  philosophie  de 
Schelling  l'étudié  dans  l'histoire.  Elle  comprend  dans 
leur  vérité  relative  et  progressive  les  diverses  formes, 
mythologiques  et  théologiques,  de  la  pensée  religieuse. 
Elle  s'oriente  vers  une  théodicée  positive  et  monothéiste. 
M.  Delbos  rappelle  l'inlluence  de  Schelling  sur  deux 
groupes  de  philosophies  :  les  philosophies  religieuses 
de  la  liberté  comme  celle  de  Secrétan,et  les  philosophies 
pessimistes  de  la  volonté  aveugle,  comme  celles  de 
Schopenhauer  et  de  Hartmann. 


1269 


DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    PHILOSOPHIE    MODERNE] 


1270 


Hartmann  distinguait  trois  phases  clans  la  pensée  de 
Schelling  :  l'idéalisme  transcendental,  la  philosophie  de 
la  nature  et  la  philosophie  positive.  L'idéalisme  trans- 
cendental considère  le  sujet-objet,  l'absolu,  du  point  de 
vue  du  sujet.  La  philosophie  de  la  nature  l'envisage  du 
point  de  vue  de  l'objet  et  s'affranchit  déjà  du  rationa- 
lisme pur.  La  philosophie  positive  proclame  la  supré- 
matie définitive,  ou  du  moins  l'inlluence  primordiale, 
de  l'élément  obscur,  volontaire  et  irrationnel.  Au  nom 
de  la  philosophie  posilive,  Hartmann  se  réclame  de 
Schelling.  La  'philosophie  de  V inconscient,  t.  n,  p.  207, 
208. 

Sur  les  quatre  doctrines  de  la  pensée  de  Schelling, 
voir  Ruyssen,  Grande  encyclopédie,  art.  Schelling. 

Hegel  (1770-1851).  Il  est  étrange  que  certains  dis- 
ciples de  Hegel  aient  cru  pouvoir  interpréter  sa  théo- 
dicée  comme  une  théodicée  personnaliste.  Les  expres- 
sions les  plus  orthodoxes  qu'il  emploie  doivent  être 
transposées  dans  la  tonalité  générale  du  système  et 
interprétées  d'après  les  principes  communs  de  l'hégé- 
lianisme. 

Or,  deux  principes  dominent  toute  la  philosophie  de 
Hegel  :  1°  la  réalité  est  identique,  et  non  simplement 
semblable  ou  correspondante,  à  l'idée  qu'on  s'en  forme; 
2°  les  doctrines  les  plus  opposées  sont  également  vraies 
et  se  concilient  clans  une  identité  qui  consiste,  non  pas 
en  une  essence  immuable,  mais  en  un  développement 
continu.  Du  reste,  les  deux  principes,  celui  de  l'idéa- 
lisme et  celui  de  l'évolulionnisme  logique,  s'entraînent 
mutuellement.  On  ne  peut  admettre  que  l'être  et  l'idée 
se  confondent,  sans  accorder  aussi  que  toute  idée  est 
vraie,  et  que  la  suite  des  systèmes  représente  le  mou- 
vement même  de  la  réalité.  Ainsi  l'idéalisme,  contrai- 
rement aux  déductions  de  l'école  d'Élée,  introduit  l'évo- 
lutionnisme  dans  la  philosophie.  D'autre  part,  sous 
peine  d'aboutir  à  une  méthode  tout  empirique  et  à  une 
mosaïque  doctrinale,  le  philosophe  ne  peut  accueillir 
les  doctrines  les  plus  disparates  que  s'il  les  considère 
comme  dis  phases  diverses  et  nécessaires  d'un  même 
devenir.  Ainsi  l'éclectisme  hégélien,  dilférent  en  cela 
de  l'éclectisme  timide  et  arbitraire  de  Cousin,  suppose 
l'identité  de  l'êlre  et  de  la  pensée,  c'est-à-dire  l'idéa- 
lisme. 

Telle  est  la  double  clé  de  la  théodicée  hégélienne.  La 
réalité  divine  est  identique  à  la  notion  que  l'humanité 
s'en  est  faite;  et,  si  l'on  objecte  que  celle  notion  a 
varié  singulièrement  depuis  les  confuse-  rêveries  de 
l'Orient,  jusqu'aux  imaginations  anlhropomorphiques 
de  la  Grèce,  jusqu'au  dogme  chrétien  du  Dieu  fait 
homme,  sansparlerdu  fétichisme  des  peuples  sauvages; 
si  l'on  demande  comment  Dieu  peul  correspondre  et 
s'identifier  i  des  notions  qui  se  contredisent  entre  elles; 
Hegel  riposie  que  précisément  la  réalité  de  Dieu  se  dé 
veloppe  par  ces  vicissitudes  de  la  pensée  reli 
que  la  plus  exacte  de  théodicées  esl  celle  qui  n'en 
exclut  aucune. 

Les  mk.is  de  création,  d'absolu,  d'infini,  de  révélation, 
de  rédemption,  et  autres  qui  appartiennent  soit  à  la 
théodicée,   soit   à    la  théol  retrouvent  dans  la 

Philosophie  de  in  religion.  Mais  il  faut  savoir  les  Ira 
duire.  Par  exemple,  la  vérité  du  dogme  de  la  création 
consiste  en  ce  que  l'infini  n'existe  pas  indépendam- 
ment du  fini,  1 1  que  le  fini,  précisi  ment  parce  qu'il  a 
une  limite,  s,,  rattache  à  'nui  l'ensemble,  te  rapporte 
à  l'infini  et  fait  corps  avec  lui.  [ij,  u   a  créé  le  monde 

cette  proj  ositii  n  lignifie  que  le  tout  et  !■  un 

pliquent  mutuelle! i.  Ni  l'ensemble  de  l'univers  oe 

m  "ii  san  -  l<  -  ifi  lui-,  ni  les  détails  bon  de  1  i  u 
semble,  on  voit,  par  cet  abus  de  la  transposition  et  cet 
emploi   arbitraire  de-   Formules    traditionnelles,   que 

H'  gel  est  un  il'     .lie  •  ii  ■  i  iin  i lernisme. 

l'n  des  ne  illi  m  ouvragi  -  el  le  plui  court  sur  l'en- 
semble de  l.i  philosophie  de  Hegel  esl  le  livre,  di  jâ  "i 


cien,  de  M.  A.  Ott,  Hegel  et  la  philosophie  allemande, 
Paris,  1814. 

4°  Réalisme  el  volontarisme.  —  Herbart  (1776-1841). 
Deux  traits  principaux  caractérisent  la  théodicée  de 
Herbart.  Elle  est  une  réaction  :  1.  contre  l'idéalisme: 
2.  contre  le  panthéisme. 

1.  Réaction  contre  l'idéalisme.  —  Méthode  et  doc- 
trine, la  théodicée  de  Herbart  est  réaliste,  comme  le 
reste  de  sa  philosophie. 

11  emploie  la  méthode  expérimentale,  et  définit  la 
métaphysique  :  l'art  d'interpréter  correctement  l'expé- 
rience, établissant  ainsi  ou  confirmant  le  principe  d'une 
philosophie  qui  se  divisera  en  plusieurs  doctrines  con- 
traires, mais  qui  peut  s'appeler,  d'un  nom  commun,  la 
philosophie  positive.  Il  est  vrai  que,  si  l'on  excepte  sa 
théodicée,  la  méthode  de  Herbart  se  rapproche  parfois 
de  l'analyse  conceptuelle  et  de  la  spéculation  a  priori. 
Bien  interpréter  l'expérience,  c'est,  pour  lui,  purifier  de 
toute  contradiction  logique  les  notions  fournies  par 
les  intuitions.  Le  progrès  de  la  pensée  philosophique 
ne  consisterait  donc  pas  à  dépasser  les  concepts  pour 
tendre  à  l'intuition,  ainsi  que  le  comprend  une  école 
française  récente,  mais  à  élever  les  données  intuitives 
à  la  valeur  des  idées.  Ainsi  l'élaboration  logique  reprend 
quelque  supériorité  sur  l'observation  du  réel. 

Dans  la  théodicée  de  Herbart  les  rôles  sont  renversés. 
Sans  doute,  il  reconnaît  bien  ici  encore  la  place  de  la 
déduction,  et  il  signale  que  l'esprit  peut  descendre  de 
la  connaissance  de  Dieu  à  la  connaissance  du  monde. 
Mais  il  donne  la  part  principale  à  la  voie  inductive  et 
ascendante.  Schriften  zur  Metaphysik,  Leipzig,  1851, 
t.  il,  p.  527,  613.  Contre  les  théoriciens  qui  ne  voient 
dans  le  monde  que  matière  à  spéculations  mathémati- 
ques ou  naturalistes,  il  soutient  la  valeur  et  la  légiti- 
mité d'un  esthélisme  religieux.  Ibid.,  p.  617.  Dans 
une  phrase  qui  rappelle  l'admiration  de  Kant  pour  «  le 
ciel  étoile  »  et  «  la  loi  morale  »,  Herbart  proclame  que 
les  étoiles  du  firmament  et  la  structure  du  corps  ne 
sont  pas  des  fictions  de  rêveurs.  Le  premier  terme  con- 
fond notre  ignorance,  et  le  second  force  le  physiologiste 
à  parler,  malgré  lui,  un  langage  finaliste.  Ibid.,  p.  tilS. 
Herbart  revendique  la  place  de  la  théologie,  et  la  lise. 
dans  la  hiérarchie  des  connaissances,  entre  la  raison 
métaphysique  et  la  raison  pratique.  Ibid.,  p.  &15. 
Celle-ci  est  l'arbitre  et  la  règle  de  toute  spéculation 
religieuse.  Les  systèmes  les  plus  ingénieux  sont  disqua- 
lifiés du  seul  fait  qu'ils  ne  satisfont  pas  les  besoins  reli- 
gieux de  l'homme.  L'analogie  nous  conduit  de  la  con- 
naissance de  notre  nature  à  la  connaissance  de  Dieu, 
ou  plutôt  elle  nous  achemine  vers  ce  terme  transcen- 
dant. Elle  nous  en  montre  la  direction,  mais  elle  ne  le 
ne  i  pas  i  notre  portée.  Des  philosophes  s'évertuent  à 
Huns  démontrer  la  faiblesse  de  notre  intelligence.  \ 
quoi  bon  '.'  Tout  le  monde  en  est  persuadé.  Mais  nul 
n'arrêtera  l'élan  de  l'âme  vers  Dieu.  Ibid.,  p.  618.  Nous 
ne  comprenons  pas,  nous  ne  voyons  pas,  soil;  niais 
nous  devons  croire.  C'est  d'un  philosophe  de  rendre 
hommage  à  la  valeur  de  la  croyance  religieuse.  Ibid., 
p.  619. 

La  théodicée  doit  correspondre  aux  aspirations  natu- 
relles de  l'âme.  "  Tous  les  hommes  ont  besoin  de  Dieu,  » 
De  plus  en  plus  la  religion  apparait  comme  «  une  ni 
sile  du  cœur  humain.  I  Devons-nous  considérer  Dieu 
comme  hors  du  temps  ou  dans  le  temps?  Peut-être 
irde  trop  exclusivement  les  réalités  de 
notre  naturi  el  et  exigences  immédiates,  Herbart 
répond  i  qu'il  "'■  tout  \<<^  tenir  comme  un  dogme 
tain,  que  Dieu  est  un  être  intemporel.  ■  Ibid.,  p.  630. 
Dieu  est  on.  On  n  >  pas  plus  de  raison  de  douter  de 

l'unité  de  la  nature  divine,  que  de  l'unité  de  l  en 

chaque  hou <  lependanl  le   rice  du    polythi  I 

t,    moin  •  dans  la  multiplicité  de    êtn  •  divins, 
que  dans  l'opposition  qui  sux  prises.  Ibid  , 


1271 


DIEU     SA    NATURE    D'APRÈS    LA    PHILOSOPHIE    MODERNE 


1272 


p.  619.  Dieu  est  un  être  personnel.  «  Le  vrai  concept 
du  Moi,  comme  centre  et  principe  de  toute  représenta- 
tion ordonnée,  ne  convient  parfaitement  qu'à  Dieu.  » 
Ibid.,  p.  620.  «  L'homme  doit  pouvoir  prier  Dieu,  ou, 
au  moins,  il  doit  trouver  la  paix  dans  la  pensée  de 
Dieu.  »  Ce  postulat  inéluctable  de  notre  vie  morale 
nous  permet  d'apprécier  les  d  ivers  systèmes  religieux. 
Ibid.,  p.  619.  Dieu  a  créé  le  monde  par  pure  bonté; 
il  ne  dépend  pas  plus  de  l'univers,  que  l'horloger  ne 
dépend  de  la  montre  qu'il  a  fabriquée.  Ibid.,  p.  614. 
En  Dieu  est  comprise  toute  perfection,  «  comme  en  un 
triangle  est  inclus  un  autre.  »  Ibid.  Dieu  est  bon  : 
«  c'est  de  nous  qu'il  a  souci,  et  non  de  lui.  »  Il  est  la 
sagesse.  Par  un  anlhromorpbisme  nécessaire,  que  nous 
impose  notre  expérience  interne,  nous  lui  attribuons 
conscience  et  volonté.  Ibid.,  p.  617.  Si  le  mal  existe 
dans  le  monde,  c'est  qu'il  était  inévitable.  «  Non  pas 
qu'il  serve  de  moyen  pour  atteindre  une  bonne  fin  !  La 
fin  ne  justifie  pas  les  moyens.  »  Ibid.,  p.  620.  L'expé- 
rience intime  témoigne  que  nous  avons  besoin  d'un 
ami  divin.  «  Cbacun,  il  est  vrai,  conçoit  l'amitié  à  sa 
manière.  La  religion,  c'est  l'homme.  La  religion  veut 
voir,  poétiser,  penser,  rêver,  sentir;  chacun  imagine 
Dieu  à  sa  guise.  »  «  Les  époques  qui  se  suivent  mar- 
quent leur  empreinte  sur  les  images  de  l'Éternel.  » 
C'est  pourquoi,  quand  on  interroge  les  écoles  philo- 
sophiques, on  ne  reçoit  pas  une  réponse  uniforme. 
Que  l'homme  consulte  plutôt  les  réels  besoins  de  son 
cœur.  Dieu  est  «  l'éternel  et  sublime  ami.  »  Ibid.,  p.  612. 
Il  est  le  Père.  Ibid.,  p.  614. 

2.  Réaction  contre  le  panthéisme.  —  Cette  réaction 
est  extrême.  Non  seulement  les  êtres  créés  se  distin- 
guent réellement  de  Dieu,  leur  premier  principe,  ce 
qui  est  la  doctrine  fondamentale  du  théisme;  mais  ils 
constituent  des  réalités  absolues,  ce  qui  est  l'erreur 
même  du  polythéisme.  Ainsi  la  théodicée  monothéiste 
de  Herbart  parait  contredire  son  ontologie,  suivant  la 
juste  remarque  de  Weber.  Histoire  de  la  philosophie 
européenne,  Paris,  1905,  p.  551. 

Schopenhauer  (1788-1860).  Il  y  a  à  étudier  successive- 
ment sa  méthode,  sa  doctrine,  la  place  de  sa  doctrine  dans 
l'histoire  de  la  philosophie.  A  ces  trois  points  de  vue, 
c'est  toujours  la  théodicée  qui  est  en  jeu,  puisque  l'au- 
teur se  préoccupe  avant  tout  de  déterminer  le  principe, 
l'origine,  le  but  de  l'univers. 

1.  Sa  méthode.  —  Schopenhauer  s'attache  et  s'arrête 
«  aux  faits  de  l'expérience  externe  et  interne,  tels  qu'ils 
sont  accessibles  à  chacun.  »  Il  s'efforce  d'en  montrer 
le  sens  et  la  liaison,  sans  prétendre  «  expliquer  jusque 
dans  ses  derniers  fondements  l'existence  du  monde.  » 
Le  monde  comme  volonté  et  comme  représentation , 
trad.  Bourdeau,  Paris,  1890,  t.  m,  p.  452.  Comme  déjà 
Herbart,  comme  plus  tard  Hartmann.  Schopenhauer 
représente  le  mouvement  positif  et  expérimental  en 
métaphysique. 

Il  s'appuie  sur  l'expérience  :  c'est  le  premier  carac- 
tère de  sa  méthode.  En  second  lieu,  il  procède  par 
analogie.  Depuis  longtemps,  observe-t-il,  on  avait  pro- 
clamé l'homme  un  microcosme,  une  synthèse  et  une 
image  de  la  nature.  Schopenhauer  veut  montrer  dans 
le  monde  un  «  macanthrope  ».  C'est  le  monde  qui  re- 
présente en  image  agrandie  l'humanité.  C'est  l'homme 
qui  sert  de  point  de  départ  et  de  point  de  repère  à  la 
spéculation  philosophique.  Nous  jugeons  ainsi  que  la 
volonté  qui  se  révèle  à  l'observation  psychologique 
comme  le  fond  de  notre  nature,  constitue  aussi  l'es- 
sence connaissable  de  l'univers.  «  Il  est  évidemment 
plus  juste  d'apprendre  à  connaître  le  monde  par 
l'homme,  que  l'homme  par  le  monde;  car  ce  qui  est 
donné  immédiatement,  c'est-à-dire  la  conscience  propre, 
sert  à  expliquer  ce  qui  est  donné  médiatement,  c'est- 
à-dire  les  objets  de  la  perception  externe,  et  l'inverse 
n'est  pas  possible.  »  Ibid.,  p.  454. 


Théoriquement,  Schopenhauer  renonce  à  spéculer 
sur  l'essence  intime  des  choses,  estimant  que  le  prin- 
cipe de  raison  que  suppose  la  pensée  humaine,  a  cessé, 
depuis  la  Critique  de  Kant,  d'être  une  mlerna  veritas, 
pour  se  réduire  à  n'être  qu'une  forme  nécessaire  de  la 
connaissance  des  phénomènes.  Donc,  en  troisième 
lieu,  sa  méthode  est  relative  et  limitée  au  inonde  phé- 
noménal, Ibid.,  p.  452.  453. 

2.  .S'a  doctrine.  —  Quelle  est  l'origine  du  monde, 
quelle  en  est  la  nature,  quel  en  est  le  but?  trois  ques- 
tions que  Schopenhauer  résout  par  une  doctrine  qui 
peut  s'appeler  soit  volontarisme,  soit  pessimisme,  soit 
panthéisme. 

Le  monde  nait  d'un  acte  de  la  volonté.  Celte  volonté 
est  la  nôtre,  parce  que  nous  sommes  tous  constitués, 
ainsi  que  les  autres  êtres  de  l'univers,  par  un  même 
élément  substantiel  :  la  tendance  ou  la  volonté.  Cette 
volonté  est  libre,  parce  que,  antérieure  au  inonde  des 
phénomènes  qu'elle  produit,  elle  n'est  pas  encore  assu- 
jettie au  principe  de  raison,  ni,  par  conséquent,  au 
déterminisme.  Ibid.,  p.  458.  Pour  le  même  motif,  celte 
volonté  est  aveugle.  La  doctrine  de  l'êv  va-.  7tâv,  c'est- 
à-dire  la  doctrine  panthéiste  ou  moniste,  existait  avant 
Schopenhauer.  Celui-ci  se  vante,  du  moins,  d'avoir 
caractérisé  l'être  unique  du  monde  par  un  terme  posi- 
tif :  la  volonté,  et  d'avoir  précisé  la  genèse  du  multiple 
au  sein  de  l'identité.  Les  êtres  de  l'univers  se  rappor- 
tent à  leur  commune  substance,  comme  les  actes  vo- 
lontaires à  la  volonté  dont  ils  émanent.  Ibid.,  p.  454. 

Plus  on  étudie  la  nature  des  êtres  et  des  objets  de 
ce  monde,  plus  on  comprend  qu'il  faut  renoncer  à  leur 
assigner  une  origine  vraiment  divine.  «  La  misère  qui 
remplit  ce  monde,  proteste  trop  hautement  contre 
l'hypothèse  d'une  œuvre  parfaite,  due  à  un  être  abso- 
lument sage,  absolument  bon,  et.  avec  cela,  tout-puis- 
sant. »  Plus  facilement  nous  comprendrons  et  suppor- 
terons les  maux  de  l'existence,  si  le  inonde  est  notre 
ouvrage;  car  alors  nous  expions  notre  faute  ou  notre 
erreur.  «  Si  Dieu  a  fait  ce  monde,  je  n'aimerais  pas 
être  ce  Dieu  :  la  misère  du  monde  me  déchirerait  le 
cœur.  »  Attribuez  l'origine  de  l'univers  à  un  Être  per- 
sonnel, conscient  et  tout-puissant  :  «  la  misère  du 
monde  devient  une  accusation  a  mère  contre  le  créateur, 
et  donne  matière  à  des  sarcasmes.  »  Supposez,  au  con- 
traire, que  ce  monde  est  l'œuvre  de  notre  volonté  im- 
prudente et  coupable  :  cette  pensée  nous  enseigne  la 
patience  et  l'humilité. 

L'existence  est  mauvaise.  Pourquoi  le  nier  ou  le  dis- 
simuler'.' «  La  conviction  que  le  monde  et.  par  suite, 
l'homme  sont  tels  qu'ils  ne  devraient  pas  exister,  est 
de  nature  à  nous  remplir  d'indulgence  les  uns  pour 
les  autres  :  qu'attendre,  en  effet,  d'une  telle  espèce 
d'êtres?  »  Pensées,  maximes  et  fragments,  trad.  Bour- 
deau, Paris,  1880,  p.  43-50. 

Ce  monde,  étant  une  œuvre  mauvaise  par  nature,  ne 
saurait  être  orienté  par  lui-même  vers  un  but  raison- 
nable. En  ce  sens,  il  faudrait  répondre  à  la  troisième 
des  questions  posées,  en  niant  tout  simplement  le  pos- 
tulat qu'elle  implique.  Le  monde  n'est  dirigé  vers  aucun 
but.  Mais  les  individus  doués  de  conscience  et  de  ré- 
flexion peuvent  travailler  à  corriger,  ou  peut-être  à 
supprimer,  l'ouvrage  de  la  folie.  De  ce  point  de  vue.  le 
monde  a  une  fin.  On  pourrait  même  distinguer,  dans 
le  système  moral  de  Schopenhauer,  deux  buts,  ou  deux 
plans  de  finalité  :  l'un  plus  précis  et  plus  immédiat. 
l'autre  plus  confus  et  plus  vague.  Au  fond  du  tableau, 
en  effet,  l'auteur  esquisse  une  sorte  de  conversion  com- 
mune de  toutes  les  volontés.  Mais  c'est  l'individu  sur- 
tout qui  l'intéresse,  et  c'est  l'individu  qui  est  propre- 
ment susceptible  de  rédemption.  Schopenhauer  invile 
chaque  homme,  non  pas  au  suicide  matériel,  mai*  à 
une  mortification  de  tous  ses  désirs.  11  ne  s'agit  pas 
de  se  donner  la  mort.    «    Quiconque  se  tue,   veut  la 


1273        DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA   PHILOSOPHIE    MODERNE)         1274 


vie  :  il  ne  se  plaint  que  des  conditions  sous  lesquelles 
elle  s'offre  à  lui.  »  La  volonté  de  vivre  persiste.  Or 
c'est  elle  qu'il  faut  anéantir  ou,  du  moins,  endormir. 
Pour  cela,  Schopenhauer  dirait  volontiers  à  sa  ma- 
nière :  Non  pas  mourir,  mais  souffrir.  La  douleur  est 
l'instrument  efficace  de  la  conversion.  Lorsque,  d'an- 
goisse en  angoisse,  l'homme  se  sent  poussé  au  déses- 
poir, alors  il  peut  comprendre  le  sens  de  la  vie,  et,  dé- 
taché malgré  lui  des  apparentes  joies  de  son  existence 
éphémère,  renoncer  à  toute  ambition,  à  tout  désir,  à 
toute  agitation.  Celui  qui  se  tue  ressemble  au  malade 
qui  se  dérobe  à  l'instrument  du  chirurgien.  Mettre  fin 
à  ses  jours,  c'est  mettre  un  terme  prématuré  aux  leçons 
de  la  souffrance.  Ibid.,  p.  59-61. 

3.  La  place  de  sa  doctrine  dans  l'histoire  de  la  phi- 
losophie. —  Quatre  termes  de  comparaison  accusent  le 
caractère  de  cette  doctrine.  Schopenhauer  réagit  contre 
l'intellectualisme,  et  surtout  contre  l'optimisme;  il  se 
défend  de  professer  le  panthéisme  et  le  spinozisme. 

Il  n'est  pas  intellectualiste;  bien  qu'il  emprunte  à 
Platon  une  théorie  des  idées  qui,  du  reste,  apparaît 
plutôt  dans  ses  ouvrages  comme  une  juxtaposition, 
que  comme  une  greffe.  Il  prétend  bien  contredire 
«  Descaries,  Spinoza,  Leibniz,  Hegel  et  tous  les  ratio- 
nalistes, »  pour  qui  la  «  chose  essentielle,  c'est  la  pen- 
sée, l'intellect.  »  Weber,  Histoire  de  la  philosophie 
européenne,  p.  555. 

Schopenhauer  proteste  surtout  contre  l'optimisme. 
On  lui  dit  «  d'ouvrir  les  yeux  et  de  promener  ses  re- 
gards sur  la  beauté  du  monde  que  le  soleil  éclaire,  etc.  » 
Il  répond  en  demandant  si  le  monde  n'est  qu'une  »  lan- 
terne magique  »,  et  comment  la  prétendue  beauté  du 
spectacle  allège  le  rôle  douloureux  des  acteurs.  Spec- 
tacle splendide  à  voir,  en  vérité!  Mais  «  y  jouer  son 
rôle,  c'est  autre  chose.  »  «  L'homme  des  causes  finales  » 
lui  vante  «  la  sage  ordonnance  qui  défend  aux  planèles 
de  se  heurter  du  front  dans  leurs  courses,  etc.  »  Mais 
ce  sont  là  de  simples  conditions,  et  nullement  des  per- 
fections, de  l'existence.  Si  les  choses  avaient  été  plus 
maladroitement  «  charpentées  ».  tout  «  l'échafaudage 
fondamental  »  croulait.  Pensées,  etc.,  p.  51,  52;  Le 
monde,  t.  m,  p.  395.  Avec  quelle  insistance  Schopen- 
hauer donne  raison  à  Hume  et  au  «  grand  Voltaire  » 
contre  Rousseau,  et  surtout  contre  Leibniz!  Il  ne  recon- 
naît à  la  théodicée  d'autre  mérite  que  celui  d'avoir 
fourni  l'occasion  de  «  l'immortel  Candide  ».  Leibniz 
ne  [dévoyait  pas  une  telle  justification  «  de  cette  excuse 
boiteuse  si  souvent  invoquée  par  lui  en  faveur  des 
maux  dr  re  monde,  à  savoir  que  le  mal  engendre  par- 
fois le  bien.  •  Le  momie,  t.  m,  p.  39i.  Le  monde  est 
i  ,-iii^si  mauvais  qu'il  lui  est  possible  de  l'être.  »  Ibid., 
p.  396.  Comment  donc  interpréter  l'optimisme?  Comme 
une  flatterie  hypocrite  et  sottement  présomptueuse  à 
l'égard  de  l'auteur  du  monde,  disait  Hume.  Comme 
l'éloge  immérité  que  s'adresse  à  lui-même  «  le  vouloir- 
.  en  se  mirant  avec  complaisance  dans  son 
œuvre,  i  traduit  Schopenhauer.  Ibid. 

Dam  l'Ancien  Testament  Schopenhauer  ne  découvre 
qu'uni  -•  ni'-  i  vérité  métaphysique  »;  encore  est-elle 
voilée  sous  une  C'esl  l'histoire  du  péché  ori- 

ginel, laquelle  nou  qui   l'existence  est  mau- 

vaise par  le  fait  de  notre  volonté.  Pensée»,  etc.,  p.  il. 
Bien  qu'il  trouve  dans  l<   I  oran      la  plus  triste  et  la 
plus  misérable  figure  'lu  théisme,     il  déclare  que,  par 
son  optimisme,  la  religion  «le*.  Juifs  esl  la      derc 
parmi  les  doctrii  I  uses  des  peuples  civilisi 

Ibid.,  p.  12,   13,  lii         i  ri    Dieu  comme  ce   Jéhovah, 
ipn.  animi  causa,  pour    son  bon  plaisir  et   de 

i  ur,  produit  re  monde  de  misère  1 1  de  lamenta 
,  et  qui  encore  s'en  félicite  el  s'applaudit 

. .  :  voilà  qui  est  ti  op  forl  '     Ibid .,  | 

Schopenhauer  confond  dans  une  même   est! le 

brahmanisme,  le  bouddhisme,  el  ce  qu'il  considèn 


comme  le  seul  enseignement,  et  comme  l'enseignement 
authentique,  du  christianisme.  Ces  trois  doctrines 
prêchent  l'abnégation  et  l'anéantissement.  Le  protes- 
tantisme s'est  de  plus  en  plus  éloigné  de  la  tradition. 
«  Dégénéré  en  un  plat  rationalisme,  espèce  de  pélagia- 
nisme  moderne,  »  il  vient  se  résumer  «  dans  la  doc- 
trine d'un  bon  père  créant  le  monde  afin  qu'on  s'y 
amuse  bien  (en  quoi  il  aurait  joliment  échoué);  et  ce 
bon  père,  sous  certaines  conditions,  s'engage  à  pro- 
curer aussi  plus  tard  à  ses  fidèles  serviteurs  un  monde 
beaucoup  plus  beau,  dont  le  seul  inconvénient  est 
d'avoir  une  aussi  funeste  entrée.  »  Doctrine  bonne 
«  pour  des  pasteurs  protestants  confortables,  mariés  et 
éclairés,  conclut  Schopenhauer;  mais  ce  n'est  pas  là 
du  christianisme.  »  Ibid.,  p.  6i.  Lui  pense  bien  en 
donner  le  vrai  commentaire. 

Cette  façon  de  louer  et  de  comprendre  le  christia- 
nisme semble  préparer  une  manière  tout  opposée  de 
l'interpréter.  On  s'explique  sans  peine  qu'un  Nietzche 
soit  le  disciple  de  Schopenhauer.  L'admiration  de  ce- 
lui-ci et  la  haine  de  celui-là  offrent  à  peu  près  le  même 
caractère  de  violence  systématique;  de  même  que  la 
doctrine  pessimiste  de  l'annihilation  volontaire  et  la 
religion  du  surhomme  sont  d'une  couleur  également 
funèbre. 

Lotze  (1817-1881).  Si  par  Dieu  l'on  entend  un  être  : 
1.  distinct  et  indépendant  du  monde;  2.  infiniment 
parfait  et  immuable  on  doit  conclure  que  Lotze  n'ad- 
mettait pas  l'existence  de  Dieu.  Premièrement,  en  effet, 
son  Dieu  n'est  pas  distinct  du  monde.  Il  considère  êtres 
et  choses  comme  «  des  moments  ou  manifestations  (ac- 
tions) de  la  substance  primitive.  »  Hoffding,  op.  cit.,  t.  n, 
p.  548.  Il  parle  explicitement  de  sa  «  conception  mo- 
niste  ».  Trois  livres  de  métaphysique,  §  245.  Cf.  Hoffding, 
ibid.  On  peut  donc  s'étonner  qu'il  récuse  toute  affinité 
avec  Spinoza.  Secondement,  sa  notion  d'un  Dieu  per- 
sonnel, fût-elle  conciliable  avec  sa  doctrine  de  la 
substance  unique,  est  incompatible  avec  la  perfection 
infinie. Personnalité  signifie  essentiellement,  d'après  lui, 
effort  et  conflit.  Toute  vie  personnelle  suppose  une  résis- 
tance à  vaincre,  et  implique  la  faculté  de  souffrir  non 
moins  que  celle  d'agir.  L'être  absolu,  d'autre  part,  ne 
trouvant  aucune  face  extérieure  qui  puisse  se  dresser 
contre  lui,  doit  rencontrer  quelque  résistance  en  sa 
propre  nature.  Dieu  est  aux  prises  avec  les  fantômes 
de  son  imagination  créatrice.  Hoffding,  op.  cit.,  t.  H, 
p.  543.  Cf.  Weber.  op.  cit.,  p.  601604' 

Dans  la  théodicée  de  Hartmann  1 1842-1890),  nous  dis- 
tinguerons quatre  choses  :  1.  la  méthode;  2.  la  notion 
de  la  divinité;  3.  ses  relations  avec  le  inonde  créé; 
4.  l'avenir  et  la  place  du  système. 

1.  La  méthode.  —Hartmann  étudie  la  notion  île  Dieu 
par  la  «  méthode inductive  a  posteriori  ».  La  conception 
moniste  à  laquelle  il  parvient,  se  présente  «  non  plus 
comme  un  principe  spéculatif,  auquel  peu  d'esprits 
peuvent  s'élever,  mais  comme  la  conséquence  rigou- 
reuse des  expériences  les  plusconcluanles.  g  Philosophie 
de  l'Inconscient,  trad.  Nolcn.  Paris,  1877,  t.  Il,  p 

2.  La  notion  de  la  divinité.  —  Mieux  vaut  ne  pas  ap- 
peler Dieu   le  principe  de  l'univers.  Bien  que  Spinoza, 
en  identifiant   Dieu   avec  la  substance  de    l'univers,    ut 
donné    à    ce    concept    droit  de    cité'    en    philoso] 
Hartmann  préfère  écarter  un  mot  dont  tclu- 

ni'    peut   que    prolon  qui- 

voques  et  des  malentendus  en  métaphysique.  Il  dira  : 
l'Inconscient.  Ibid.,  p.  246 
lieux  raisons  pressaient  le  théisme  classique  de  pro- 
ie .1  un  Dieu  ■  D'abord,  il  ne 
voyait  pas  de  moyen  terme  entre  la  production  de  l'uni- 
vers par  un  Être  conscient  el  le  I                  !'i-if  des  fl  I 

brutales  de  la  nature,  i  n  second  lieu,  estimant  .1  bon 

droit  que  le  principe  du  mondi  1 Ii  rotes 

lions,  il  aurait  cru  blasphé r  en  lui  refusant  la 


1 275 


DIEU    (SA   NATURE    D'APRÈS    LA    PHILOSOPHIE    MODERNE;        1276 


conscience.  Mais  nous  savons  maintenant  que  le  ili- 
li'inmc  :  anthropomorphisme  ou  mécanisme,  n'est  pas 
inéluctable,  et  qu'on  peut  sans  livrer  l'univers  au  jeu  de 
forces  aveugles,  nier  qu'il  soit  gouverné  par  une  lina- 
lité  analogue  à  celle  de  l'art  humain.  Il  existe  une 
finalité  véritable,  mais  immanente  et  inconsciente,  dans 
le  progrès  de  l'univers.  Hartmann,  contrairement  à 
Schopenhauer,  admet  une  loi  du  progrès.  D'autre  part, 
la  conscience  ne  représente  pas  une  perfection  absolue. 
Pour  nous  hommes,  qui  poursuivons  des  fins  indivi- 
duelles et  devons  séparer  notre  personne  des  autres 
êtres,  la  conscience  est  une  perfection  et  une  nécessité. 
Mais  lTn-Tout,  en  dehors  duquel  rien  n'existe,  ne 
connaît  pas  ces  limites  et  le  besoin  de  celte  opposition. 
N'appliquons  pas,  sous  l'empire  de  l'habitude,  à  l'ac- 
tivité que  déploie  le  principe  de  l'univers  dans  la  pour- 
suite .de  fins  universelles,  la  règle  qui  dirige  l'activité 
réfléchie  des  consciences  particulières.  Du  reste,  dans 
les  sujets  individuels  eux-mêmes,  l'instinct  ne  remplace- 
t-il  pas  souvent  avec  avantage  la  finalité  consciente? 
Philosophie  de  V Inconscient ,  t.  n,  p.  218,  227.  Dira-t- 
on que,  pour  produire  la  conscience  en  des  sujets  in- 
dividuels, l'Un-Tout  doit  lui-même  posséder  cet  attri- 
but? Hartmann  récuse  cette  loi  de  la  causalité.  La 
conscience  apparaît  dans  le  monde,  lorsque  le  prin- 
cipe a  réuni  les  conditions  nécessaires  à  l'activité 
consciente.  Or,  ces  conditions  se  ramènent  à  la  dua- 
lité des  attributs  et  à  la  possibilité  d'un  conflit  entre 
les  fonctions  qui  résultent  de  ces  attributs.  Mais  la 
conscience  elle-même  n'est  pas  un  antécédent  néces- 
saire de  la  conscience.  Donc,  il  est  inutile  de  la  suppo- 
ser en  Dieu. 

Hartmann  va  plus  loin.  Dieu  ne  peut  être  conscient: 
a)  parce  qu'il  n'a  pas  d'organisme,  et  que  la  conscience 
ne  peut  surgir  «  sans  cerveau,  sans  ganglions,  sans 
protoplasma,  ou  autre  substratum  matériel,  »  ibid., 
p.  219;  b)  parce  qu'il  est  l'absolu,  et  exclut  toute  dis- 
tinction de  sujet  et  d'objet,  ibid.,  p.  221;  c)  parce  qu'il 
est  immanent  :  un  Dieu  conscient  serait  par  là  même 
séparé  du  monde,  ibid.,  p.  223;  d)  parce  que  le  mouve- 
ment philosophique  emporte  la  spéculation  religieuse 
de  ce  côté.  Ibid.,  p.  231,  232. 

L'inconscience  divine  implique  un  second  attribut. 
Dieu  est  impersonnel.  Hartmann  distingue  trois  signi- 
fications du  mot  :  personne,  et  constatait  qu'aucune  ne 
convient  au  principe  premier,  il  écarte  de  la  notion  de 
Dieu  la  personnalité.  La  personnalité  juridique  corres- 
pond au  libre  exercice  des  droits  civils.  La  personnalité 
morale  s'entend  de  la  faculté  de  juger  ses  propres  actions 
et  comporte  la  responsabilité.  Ces  deux  notions  suppo- 
sent relation  entre  individus  distincts  et  ne  sauraient, 
par  suite,  convenir  à  l'Un-Tout.  Au  sens  logique  et  gram- 
matical du  mot,  on  pourrait  dire  également  :  au  sens 
psychologique,  personnalité  signifie  attribution  d'actes 
multiples  à  un  même  sujet,  et  ne  peut  dès  lors  se 
trouver  que  dans  un  être  qui  possède  la  conscience, 
la  mémoire  et  la  réllexion.  Un  Dieu  inconscient  est 
nécessairement  un  Dieu  impersonnel.  Ibid.,  p.  232- 
23i.  Pas  plus  que  la  conscience,  la  personnalité  ne 
désigne  une  perfection  absolue.  Si  Dieu  est  inconscient, 
s'il  est  impersonnel,  c'est  qu'il  exclut  ou  dépasse  toute 
limite.  Ibid.,  p.  235. 

Comment  expliquer  la  croyance  à  un  Dieu  personnel? 
Par  une  faiblesse  du  cœur  humain,  qui  considère 
Dieu  comme  un  homme,  afin  de  chercher  auprès  de 
lui  sympathie  et  consolation.  Hartmann  pense  décou- 
vrir la  manifestation  de  ce  besoin  dans  l'histoire  du 
christianisme.  Quand  Dieu  est  représenté  d'après  g  les 
conceptions  naïvement  anthropomorpbiques  du  vieux 
judaïsme,  »  l'homme  ne  s'adresse  pas  à  un  intercesseur. 
«  Plus  le  théisme  chrétien  »  se  développe  «  au  contact 
de  la  philosophie  grecque  »  et  purifie  son  concept  de 
Dieu,  plus  apparaît  nécessaire  à  la  sensibilité  religieuse, 


le  rôle  «  d'une  personnalité  humaine,  intermédiaire 
entre  Dieu  et  les  hommes.  Veut-on  éliminer  le  culte 
•  le  la  Vierge  et  des  saints?  On  insistera  d'autant  plus 

sur  la  personnalité  humaine  du  Christ.  »  La  foi  au 
Christ  va-t-elle  s'affaiblissant,  et,  avec  elle,  la  confiance 
dans  un  intercesseur  compatissant?  Passe-t-on  du  chris- 
tianisme au  théisme?  Alors,  c'est  la  notion  même  de 
la  divinité  que,  par  un  anthropomorphisme  inconscient, 
l'on  rapprochera  de  la  condition  humaine.  Ibid.,  p.  235. 

.Mais  ce  besoin  d'un  Dieu-Homme  va  lui-même  dis- 
paraître. Pratiquement,  le  postulat  de  la  personnalité 
divine  est  lié  à  celle  croyance  :  que  la  prière  est  effi- 
cace. Mais  on  tend  de  plus  en  plus  à  considérer  la 
prière  comme  une  auto-suggestion  d'une  puissance 
variable  suivant  les  individus,  c'est-à-dire  à  ne  lui 
attribuer  qu'une  utilité  toute  subjective.  Par  la  prière, 
l'homme  change  peut-être  ses  propres  dispositions,  mais 
non  celles  de  la  divinité.  «  La  prière  n'est  qu'un  mono- 
logue. »  Puisque  Dieu  ne  répond  pas,  à  quoi  bon  le 
considérer,  en  dépit  des  raisons  philosophiques,  comme 
un  être  personnel?  Ibid.,  p.  236. 

Nous  avons  déjà  nommé  un  troisième  attribut  par 
lequel  Hartmann  désigne  le  principe  du  monde.  Cet 
Etre  inconscient  et  impersonnel  est  l'Un-Tout.  La  théo- 
dicée  de  Hartmann  pourrait  donc  s'appeler  panthéisme. 
Cependant  à  ce  mot,  susceptible  de  faire  naître  des 
malentendus,  il  préfère  celui  de  monisme.  Mais,  en 
réalité,  sa  doctrine  rejoint  celle  de  Spinoza.  «  L'Un- 
Inconscient  est  la  substance  ou  le  sujet  de  toutes  les 
consciences  individuelles.  »  Les  individus,  comme  tels, 
ne  sont  que  des  phénomènes  résultant  de  certaines 
combinaisons  et  de  certains  groupements.  Ibid.,  p.  220, 
221.  Hartmann  raisonne  comme  Spinoza,  et  déclare 
contradictoire  la  notion  de  substance  dérivée  ou  dépen- 
dante. Leibniz  et  Herbart  ont  voulu  concilier  la  mul- 
tiplicité des  substances  et  la  notion  d'être  absolu.  En 
dépit  de  leurs  efforts,  ils  sont  poussés  vers  une  théorie 
moniste.  Ibid.,  p.  201,  202.  Nous  avons  conscience. 
dira-t-on,de  notre  individualité.  Radicalement  distincts 
les  uns  des  autres,  comment  pourrions-nous  être  iden- 
tiques à  un  même  èlre  substantiel?  Oui,  les  consciences 
sont  séparées  et  même  opposées,  répond  Hartmann. 
Mais  la  sphère  de  l'être  dépasse  celle  de  la  conscience. 
Dès  lors,  on  peut  affirmer  que  nous  ne  connaissons  pas 
par  une  observation  interne  et  immédiate  notre  iden- 
tité foncière,  mais  on  ne  peut  aller  plus  loin  et  pic- 
tendre  que  cette  identité,  étant  inconsciente,  est  irréelle. 
Ibid.,  p.  195,  196. 

On  objectera  encore,  par  une  remarque  que  Hartmann 
appelle  «  une  raillerie  commode  contre  la  théorie  mo- 
nistique,  »  que  l'Un-Tout  se  manifesle  en  des  attributs 
contradictoires  et  qu'il  entre  en  lutte  avec  lui-même. 
D'après  le  panthéisme,  deux  loups  affamés  qui  com- 
battent entre  eux,  représentent  le  même  être  qui  cherche 
à  se  dévorer  lui-même.  Quelle  différence  voyez-vous, 
reprend  Hartmann,  entre  la  lutte  de  deux  passions  dans 
l'âme  d'un  homme,  et  ce  combat  de  deux  loups  affamés? 
Sans  doute,  le  premier  conflit  se  dérobe  à  l'observation 
directe  d'un  tiers,  tandis  que  le  second  peut  être  perçu 
par  d'autres  individus  étrangers  à  la  lutte.  Mais  le 
même  problème  métaphysique  se  pose  dans  les  deux 
cas  :  Pourquoi,  au  lieu  de  s'exercer  paisiblement,  les 
fonctions  multiples  d'un  même  être  entrent-elles  ainsi 
en  conflit?  Dans  les  deux  cas,  même  réponse  :  La 
conscience  suppose  précisément  distinction  et  collision, 
non  pas  entre  substances  ou  volontés,  mais  entre  les 
divers  actes  d'une  même  volonté.  Ibid.,  p.  196-198. 

A  l'appui  de  son  monisme,  Hartmann  invoque  l'his- 
toire de  la  philosophie  et  de  la  religion.  «  Partout  où 
nos  regards  se  portent,  les  philosophies  originales  et  les 
systèmes  religieux  de  premier  ordre  obéissent  à  une 
secrète  tendance  vers  le  monisme.  »  Il  faut  pourtant 
convenir  que  d'autres  doctrines  maintiennent   la  dis- 


1277        DIEU    (SA    NATURE    D'APRÈS    LA    PHILOSOPHIE    MODERNE)         1278 


tinction  substantielle  des  êlres  et  la  transcendance  de 
Dieu.  Hartmann  ne  s'embarrasse  pas  de  l'objection.  «Ce 
sont  les  étoiles  de  seconde  et  de  troisième  grandeur 
qui  se  complaisent  dans  le  dualisme,  ou  même  dans 
une  division  plus  grande  des  principes.  »  Ibid.,  p.  201. 
.Hartmann  cite,  en  particulier,  le  témoignage  de  lùint. 
Déclarer,  comme  il  l'a  fait,  que  la  cbose  en  soi  et  le 
principe  intelligible  qui  se  manifeste  dans  le  moi  em- 
pirique, pourraient  bien  être  un  seul  et  même  prin- 
cipe, puisqu'ils  ne  décèlent  à  l'analyse  pbilosophique 
aucune  différence,  n'est-ce  pas  s'engager  dans  la  voie 
du  monisme?  Ibid.,  p.  206. 

Reste  à  expliquer  l'apparente  multiplicité  des  êtres. 
Qu'on  le  transpose  de  la  spbère  de  la  substance  dans  celle 
du  phénomène,  le  problème  de  l'individuation  ne  solli- 
cite pas  moins  l'attention  du  philosophe.  Hartmann  cri- 
tique la  réponse  de  Schopenhauer,  comme  superficielle. 
.Mais  la  sienne  on  pourrait  l'accuser  d'être  arbitraire. 
Schopenhauer  considère  l'espace  et  le  temps  comme 
le  principium  individuationis.  Mieux  vaudrait  dire  : 
médium  individuationis,  et  chercher  plus  profondé- 
ment le  principe  constitutif  de  l'individuation.  Finale- 
ment, Hartmann  en  appelle  à  la  volonté  de  l'inconscient. 
N'est-ce  pas,  cette  fois,  aller  trop  loin  et  passer,  d'un 
bond,  par-dessus  la  difficulté?  Nous  attendions  une 
explication  par  cause  intrinsèque  et  essentielle;  et  l'on 
nous  répond  par  la  causalité  efficiente.  Il  est  vrai  que 
la  confusion  est  inhérente  au  panthéisme.  La  cause 
créatrice  des  êtres  en  est  aussi  la  substance.  Si  les  indi- 
vidus sont  des  effets  de  la  volonté  divine,  ils  en  sont 
aussi  les  modes  et  les  phénomènes.  Ibid.,  p.  313-318. 
L'inconscient,  l'impersonnel,  le  Dieu  immanent,  est 
pourtant  un  individu,  d'après  Hartmann,  et  même  l'in- 
dividu par  excellence,  l'individu  complet  etabsolu.  l'in- 
dividu xat'  il'j/j,-'-  Ibid.,  p.  192.  Il  est  la  substance 
même  de  la  matière  comme  de  l'esprit,  mais  il  est 
simple.  Ibid.,  p.  200.  Il  n'a  pas  de  personnalité;  mais 
sa  volonté  est  toute-puissante.  Ibid.,  p.  297.  II  est 
inconscient;  mais  nous  devons  lui  reconnaître  une 
•  clairvoyance  absolue  »,  une  «  logique  infaillible  », 
une  "  activité  qui  agit  sans  cesse  en  tout  lieu  ».  Ibid., 
p.  341.  Incapables  de  nous  former  une  idée  po>i t i \  >■ 
de  la  connaissance  divine,  nous  recourons  à  un  tenue 
négatif,  et  nous  parlons  d'inconscience.  Mais  ce  mot 
n'est  pas  synonyme  d'activité  aveugle.  Il  signifie,  au 
contraire,  une  «  intuition  clairvoyante  ».  Mais  le  regard 
divin  ne  revient  pas  sur  lui-même,  et  ne  se  réfléchit 
que  dans  les  êtres  individuels.  La  pensée  divine  est  in- 
faillible. «  Elle  est  infiniment  supérieure  à  la  marche 
défectueuse,  toujours  bornée  à  un  point  dans  ses  mou- 
vements, malgré  les  échasses  dont  elle  fait  usage,  qui 
est  propre  à  la  réflexion  discursive.  »  Inconscience  ue 
signifie  donc  pas  une  zone  inférieure  à  la  conscience, 
mais  un  état  qui  la  dépasse.  Quand  il  s'agit  de  la  divi- 
nité, intelligence  inconsciente  veut  dire:  «  intelligence 
supra-consciente  -  Ibid.,  p.  216,  217.  On  peut  encore 
dire  que  l'Un-Toul  possède  une  conscience  transcen- 
dante ».  Ibi<i..  p.  228.  Plus  loin,  p.  229,  Hartmann 
parle  d'une  ■  intuition  supra-consciente  »,  d'  «  idi  e 
absolue    .  p   230 

3.  L'Iru  oi  Comment  l'Incon- 

scient produit-il  le  monde  '  Vers  quel  terme  l'achemine- 
t-il  ?  L'Inconscient  produit  le  ne  unie  par  un  acte  aveugle. 
Il  l'achemine  vei    le  repos. 

Si  l'étude  expér inlale  del  univers  prouve  l'intelli- 
gence absolue  de  Dieu  d.nis  l'adaptation  d.  -  moyens  é  la 
lin,  dm-  li  constitution  des  organisme!,  dans  la  propa- 
gation -I'  elle  témoigm  aussi  que  celte  In- 
telligence, manifeste  dam  le  d.  reloppemenl  du  monde, 
production.  I.  intelligence  n  •  il  pas 
intervenue  dam  la  résolution  il'  créi  i  La  volonté  qui 
i  pronom  é  le  /  ir  d  un  monde  si  m. or.  al 

douloureux,  i  il  une  volonté  aveugle.  Du  reste,  la  (acuité 


de  produire,  en  général,  appartient  à  la  seule  volonté. 
Ainsi  «  aucun  rayon  de  l'intelligence  raisonnable  » 
n'éclaira  la  création  du  monde.  C'est  pourquoi  Dieu 
n'est  pas  responsable  de  cette  œuvre  mauvaise. 

Plutôt  que  de  création,  c'est  d'une  production  conti- 
nuée ou  répétée,  qu'il  faut  parler.  «  Le  monde  n'est 
que  la  série  continue  des  combinaisons  spéciales  qu'ef- 
fectue par  ses  actes  la  volonté  de  l'Inconscient.  Le 
monde  n'existe  qu'autant  qu'il  est  constamment  créé.» 
Ibid.,  p.  212.  La  sagesse  de  l'Inconscient  intervient  pour 
tirer  du  malheur  de  l'existence  le  meilleur  parti  pos- 
sible; mais  elle  ne  peut  prévenir  la  production  initiale 
du  inonde. 

Elle  travaille  cependant,  par  une  méthode  indirecte, 
à  l'anéantir-  D'elle-même,  elle  ne  peut  ni  produire,  ni 
supprimer  les  actes  de  la  volonté  aveugle.  Cependant 
elle  prépare  la  conversion  de  la  volonté  aveugle.  Par 
l'intermédiaire  de  la  conscience  qu'elle  suscite,  non 
seulement  dans  l'homme,  mais  dans  la  plante  et  peut- 
être  même  dans  les  atomes  de  la  matière,  elle  propage 
le  sentiment  de  la  soullrance,  et  ménage  ainsi  l'avène- 
ment d'une  volonté  opposée  au  vouloir-être.  Quand 
l'Inconscient  cessera  de  vouloir  produire,  le  monde 
cessera  aussitôt  d'exister.  Il  ne  s'agit  donc  pas,  si  l'on 
veut  collaborer  au  suicide  cosmique  qui  sera  un  jour 
le  terme  bienheureux  de  l'évolution,  de  pratiquer,  mo- 
ralement ou  littéralement,  le  suicide  individuel.  Vivons, 
au  contraire,  pour  être  les  apôtres  des  intentions  de 
l'Inconscient,  et  contribuons,  chacun  pour  notre  part,  à 
répandre  cette  conviction  :  que  l'existence  est  mauvaise. 
La  volonté  sincère  du  repos  et  du  néant  ne  pourra 
surgir  que  d'une  entente  commune.  De  quelle  manière 
arrivera-t-on  à  cette  unanimité?  Endormi  dans  le  néant 
de  la  volonté  pure,  le  désir  d'être  ne  se  réveillera-t-il  pas 
quelque  jour'.'  Hartmann  avoue  que  ces  deux  questions 
suscitent  quelques  difficultés.  Ibid.,  p.  246, 567. 

Au  début,  un  acte  aveugle  de  la  volonté  :  tel  esl  le 
principe  de  sa  cosmogonie.  Au  terme,  le  désir  efficace 
d'un  repos  inconscient,  et  l'annihilation  du  monde  :  tel 
est  le  dernier  mot  de  son  eschatologie. 

i.  L'avenir  et  la  place  du  système.  —  Hartmann  se 
donne  comme  un  disciple  indépendant  de  Schopenhauer, 
el  comme  le  meilleur  défenseur  des  parties  viable-  du 
théisme  classique, 

Une  même  arreur  entraine  Schopenhauer  à  pro- 
clamer que  ce  monde  est  le  pire  de  tous  les  mondes 
possibles  et  que  Dieu  en  est  l'auteur  responsable.  Une 
chose  est  vrai  .  si  que  e  l'existence  de  ce  monde  est 
pire  que  sa  non-existence.  »  Ibid.,  p.  351.  Mais  dam 
l'évolution  de  ce  inonde,  une  fois  donné,  l'Inconscient 
déploie  une  sagesse  parfaite  et  infaillible.  Aussi  faudrait- 
il  plutôt  déclarer  qu'il  est  le  meilleur  des  mondes  pos- 
sibles. ••  Nous  pouvons  nous  abandonner  avec  une  lé- 
gitime confiance  à  la  pensée  que  le  monde  est  disposé 
et  gouverné  avec  toute  la  sagesse  et  la  convenance  pos- 
sibles;  que   si,    parmi    tous    les    possibles   qu'einl II 

l'omniscience  de  la  pensée  inconsciente,  la  possibilité 
d'un  monde  meilleur  s'était  rencontrée,  certainement 
ce  monde  meilleur  aurai)  été  réalisé  i  la  place  du  monde 
actuel,  i  llnii..  p.  341,  342.  Mais  celte  doctrine  n'im- 
plique pas,  comme  le  pensait  Leibniz,  que  l'univers 
esl  bon.  Il  i  si  le  meilleur  possible,  mais  il  esl  Lrèi 
mauvais.  Bref,  l'optimisme  etle pessimisme  de  Hartmann 

s'exprimeraient  bien  par  cette  me  formule     que  ce 

monde,  voué'  au  mal  par  essence  i  I  -t  le 

moins  mauvais  possible.  Ibid  .  p   343  349. 
Hartmann  se  tourne  vers  les  théisl    ,el  il  commence 

p. ir  le-  paroles  conciliantes,  i  Entre  un  théis Intelli 

,.•  ni  et  la  philosophie  de  l'inconscient  on  ne  laurail 
trouver  une  différence  sérieuse  de  principes  Ibid., 
p.  237,  l.n  réalité,  a  de  paix  al  de 

I  l'abdication  qu'il  leur  propose,  i  La  phi- 
losophie de  l'Inconscient  e  du  théisme.  • 


1279 


DIEU    (SA    NATURE   D'APRÈS    LA    PHILOSOPHIE    MODERNE 


1280 


Ibid.  Pressé  de  plus  en  plus  par  le  naturalisme  athée, 
le  théisme  ne  peut  que  se  rallier  à  la  philosophie  mo- 
nisle  de  l'Inconscient,  llml.,  p.  242,  243. 

Ce  terme  d'Inconscient  est-il  définitif?  Peut-être  la 
philosophiede  l'avenir  leremplacera-t-ellc  par  un  autre, 
de  signification  positive.  Quand  tout  le  inonde  conviendra 
que  l'Absolu  est  inconscient,  on  estimera  peut-être 
plus  instructif  de  lui  substituer  une  autre  appellation 
«  que  suggérera  le  progrès  historique  de  la  philoso- 
phie. •>  Ibid.,  p.  246,  21-7. 

Wundt,  né  en  1832.  D'après  M.  Hôffding,  la  philoso- 
phie de  Wundt  «  peut  être  donnée  comme  le  type  de 
la  pensée  de  notre  époque.  »  On  voudrait  donc  pouvoir 
définir  nettement  sa  notion  de  la  divinité.  Or,  d'après 
Hôffding,  le  Dieu  de  Wundt  se  conçoit  comme  «  une 
volonté  globale  infinie  »,  ce  qui  rappelle,  sans  les  pré- 
ciser, les  doctrines  volontaristes.  Wundt  avait  pourtant 
rêvé  et  promis  autre  chose.  Non  seulement  il  mettait 
de  côté,  sous  le  nom  d'idées  cosmologiques,  les  théories 
matérialistes  de  l'univers;  mais  il  prétendait  même 
écarter,  comme  insuffisantes,  les  analogies  que  nous 
fournit  l'étude  de  l'âme,  pour  définir  le  premier  prin- 
cipe en  fonction  de  pures  idées  ontologiques.  On  voit 
qu'il  s'en  tient  à  une  donnée  psychologique  :  la  volonté, 
et  qu'il  n'en  tire  pas  les  ressources  que  l'argumenta- 
tion par  analogie  pourrait  y  découvrir.  Hôffding, 
op.  cit.,  t.  il,  p.  26-29. 

Il  serait  difficile  d'insérer  logiquement  dans  une 
théodicée  aussi  indéterminée  la  doctrine  de  la  provi- 
dence. Voici  comment  Wundt  s'eflorce  de  l'y  intro- 
duire. Estimant  que  l'idéal  prend  un  caractère  reli- 
gieux, dans  la  mesure  où  il  dépasse  l'effort  humain,  il 
distingue  par  cette  transcendance  la  religion  et  la  mo- 
rale; et,  tout  naturellement,  il  conclut  qu'une  religion 
est  d'autant  plus  religieuse  qu'elle  s'élève  au-dessus  de 
la  religion  dite  naturelle.  Aussi  le  vrai  Dieu  est-il  celui 
«  qui  fait  des  miracles  ».  Ibid.,  p.  35. 

5°  Fidéisme  et  pragmatisme.  —  William  Hamilton 
(1788-1856)  propose  une  notion  de  Dieu  qui  est,  tout  à 
la  fois,  bien  que  les  termes  semblent  s'exclure,  com- 
préhensive,  psychologique    et  agnostique. 

Elle  est  compréhensive,  c'est-à-dire  qu'elle  englobe 
et  les  attributs  métaphysiques  et  les  attributs  moraux 
Il  ne  suffit  pas,  pour  définir  la  divinité,  de  parler  de 
cause  première,  ni  même  de  toute-pui^ance.  «  L'athée, 
qui  considère  la  matière  et  le  déterminisme  comme  le 
principe  original  de  tout  ce  qui  existe,  ne  convertit 
pas  sa  force  aveugle  en  un  Dieu,  par  le  seul  fait  d'affir- 
mer qu'elle  est  toute-puissante.  »  Lectures  on  Meta- 
phtjsics  and  Logic,  édit.  H.  L.  Mansel  et  John  Veitch, 
Edimbourg  et  Londres,  1877,  t.  I,  p.  26,  27.  A  l'idée  de 
cause  première  et  souverainement  puissante  il  faut 
ajouter  les  «  deux  grands  attributs  d'intelligence  et  de 
vertu,  en  observant  que  vertu  implique  liberté.  »  Du 
reste,  l'intelligence  et  la  vertu  ne  définissent  pas  par 
elles  seules  la  divinité.  «  Un  créateur  intelligent, 
bon  et  puissant,  ne  serait  pas  Dieu,  s'il  dépendait 
d'un  principe  plus  élevé.  » 

La  notion  de  Dieu,  dans  la  philosophie  de  Hamilton 
est  psychologique,  c'est-à-dire  qu'elle  suppose  la  con- 
naissance de  l'âme  et  l'adhésion  au  spiritualisme.  La 
nature  cache  Dieu,  l'homme  le  révèle.  Cette  idée  de 
Hamilton  a  fait  fortune  avec  Newman-  «  Les  phéno- 
mènes matériels  pris  en  eux  -mêmes,  loin  de  garantir 
l'existence  de  Dieu,  fourniraient  plutôt  un  argument 
pour  la  nier.  »  Ibid.,  p.  25,  26.  D'autre  part,  si  l'on 
admet  dans  l'homme  une  intelligence  qui  domine  le 
déterminisme  de  la  matière,  un  sujet  spirituel  d'actes 
immatériels,  on  est  conduit  par  l'analogie  à  reconnaître 
dans  l'univers  une  intelligence  suprême.  Ibid.,  p.  30, 
31.  Si  l'on  convient  qu'il  existe  un  monde  moral  et  une 
règle  du  bien  et  du  mal,  on  doit  proclamer  l'existence 
d'un  législateur  souverain.  Ibid.,  p.  32.  Pour  confirmer 


la  supériorité  religieuse  de  la  psychologie  sur  la  cosmo- 
logie, Hamilton  invoque  surtout  l'autorité  de  trois  philo- 
sophes :  Platon.  Kant  et  Jacobi.  Ibid.,  p.  35. 

En  troisième  lieu,  nous  appelons  agnostique  la 
théodicée  de  Hamilton.  Mais  il  faut  préciser  ce  terme 
général.  L'idée  du  philosophe  chrétien  est  moins  de* 
nous  dérober  la  connaissance  de  Dieu  que  de  le  sous- 
traire à  toute  discussion.  Son  agnosticisme  n'est  pas 
une  étape  vers  l'athéisme,  mais  un  préambule  à  la  foi. 
Dieu  est  incompréhensible,  inconcevable,  parce  que, 
étant  le  Premier  Principe,  il  est  rincondilionn>',  et 
qu'une  telle  notion  défie  l'intelligence.  On  retrouve 
ici  la  méthode  apologétique  de  Raymond  Sebond, 
Montaigne,  Essais,  I.  Il,  c.  il,  et  de  Pascal,  l'ei^ 
édit.  Havet,  1880,  a.  8,  n.  1;  a.  10,  n.  1;  a.  2i, 
n.  97.  Mansel  et  Newman  reprendront  celte  argumen- 
tation contre  le  rationalisme  incrédule.  De  Montaigne 
à  Newman,  elle  se  modifie.  Si  elle  se  présente  dans 
les  Essais  avec  une  allure  et  une  audace  qui  ne  rap- 
pellent pas,  de  prime  abord,  les  graves  paroles  de  saint 
Paul  ou  de  saint  Augustin  sur  les  mystères  insondables 
de  la  divinité,  au  moins  est-elle  empreinte,  chez  Hamil- 
ton, d'un  sérieux  qui  prouve  à  la  fois  et  le  philosophe 
et  l'homme  religieux. 

Car  Hamilton  entend  bien  conclure  à  la  croyance  en 
Dieu,  puisque  aussi  bien,  nous  venons  de  le  dire,  il 
parle  d'une  détermination  psychologique  de  Dieu,  ou 
rentrent  les  attributs  métaphysiques  et  les  attributs  mo- 
raux. Mais  précisément,  il  entend  que  cette  détermi- 
nation, œuvre  delà  croyance,  et  d'une  croyance  justifiée, 
ne  soit  pas  l'œuvre  d'une  pseudo-intuition  de  Dieu 
dans  les  idées  d'infini  et  d'absolu.  Contre  Cousin,  il 
établit  que  nous  n'avons  aucune  intuition  de  l'infini  et 
de  l'absolu.  C'est  ce  qu'avait  déjà  établi  Kant.  M  :  i  i  -~ 
Kant  ne  semble  pas  s'être  douté  que  nous  n'avons  pas 
même  l'idée  de  l'infini  et  de  l'absolu;  c'est  pourquoi 
ses  disciples,  Hegel,  Schelling  et  Fichte,  ont  immédia- 
tement après  lui  rétabli  des  philosophies  de  l'infini  et 
de  l'absolu.  Il  importe  donc  de  parfaire  sur  ce  point 
l'œuvre  de  Kant,  et  de  montrer  que  l'infini  et  l'absolu 
n'ont  en  nous  aucun  contenu  objectif,  qu'ils  sont  im- 
pensables, ou  plutôt  ne  sont  pensables  que  négative- 
ment. C'est  ce  qu'entend  faire  la  critique  de  Hamilton, 
en  établissant  que  l'infini  et  l'absolu  ne  sont  que  des 
«  faisceaux  de  négations  »,  et  ne  peuvent  être  autre 
chose,  puisque  penser  c'est  conditionner,  et  qu'il  y  a 
contradiction  dans  les  termes  à  conditionner  l'incondi- 
tionné. Or  l'infini  et  l'absolu  sont  deux  inconditionnés; 
l'infini  étant  Pinconditionnellement  illimité,  et  l'absolu 
l'inconditionnellement  limité. 

Le  dernier  mot  de  notre  connaissance  positive  de 
Dieu  comme  infini  et  absolu  est  donc  l'erudita  igno- 
rantia.  Hamilton  s'approprie  le  mot  de  saint  Augustin  : 
Cognoscendo  ignoratur,  ignorando  cognoscilur. 

Mais,  si  l'inconditionné  est  impensable,  son  affirma- 
tion est  inévitable.  Parce  que,  de  par  le  principe  du 
tiers  exclu,  il  faut  opter  entre  son  existence  et  sa  non- 
existence.  Or,  il  nous  faut  opter  pour  son  existence,  du 
fait  que  précisément  nous  ne  pouvons  penser  que  le 
conditionné,  et  que  le  conditionné  ne  se  suffit  pas.  Les 
limites  mêmes  de  notre  intelligence  nous  sont  une 
raison  de  penser  qu'elle  n'atteint  pas  toute  existence, 
et  que  «  le  domaine  de  notre  connaissance  n'est  pas 
coextensif  à  l'horizon  de  notre  foi.  Révélation  admirable 
qui,  par  la  conscience  exacte  de  notre  impuissance  à 
concevoir  autre  chose  que  le  fini  et  le  relatif,  nous 
invite  à  croire  à  l'existence  d'un  inconditionné  par  delà 
la  sphère  des  existences  incompréhensibles,  u  Hamil- 
ton, Discussions,  etc.,  Londres,  1866,  p.  15.  Cf.  Veitch, 
Ham illon,  Londres.  1882;  Mansel.  The  Philosophy  of 
the  Conditionned,  Londres,  1860. 

i"  argument  :  l'esprit  humain  ne  peut  concilier 
lidée  d'absolu  et  d'infini,  c'est-à-dire  d'un  être  di 


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