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University of Toronto
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DICTIONNAIRE
DE
THÉOLOGIE CATHOLIQUE
TOME QUATRIEME
DABILLON - EMSER
Imprimatur
Parisiis, die 27 mensis Decembris 1910.
f Léo. ADOLPHUS,
Arch. Parisiens.
tfcr*- i '
DICTIONNAIRE
DE
THÉOLOGIE CATHOLIQUE
CONTENANT
L'EXPOSÉ DES DOCTRINES DE LA THÉOLOGIE CATHOLIQUE
LEURS PREUVES ET LEUR HISTOIRE
COMMENCE SOUS LA DIRECTION DE
A. VACANT
nOCTEl'H EN THÉOLOGIE, PROFESSEUR AU GRAND SÉMINAIRE DE NANCY
CONTINUÉ SOUS CELLE DE
E. MANGENOT
PROFESSEUR A L'iNSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS
AVEC LE CONCOURS D'UN GRAND NOMBRE DE COLLABORATEURS
TOME QUATRIÈME ^OoTM£q
DABILLON-EMSER * fSï *
"Ottawa
PARIS
I.KTOUZEY ET ANE, ÉDITEURS
7(>bi% Rue des Saints-Pères (VIP)
191 I
TOUS DROITS Ht SERVES
DELAe/a,
fr
24
è
LISTE DES COLLABORATEURS
DU TOME QUATRIEME
MM.
Antoine, au Mans (Sarthe).
Amure (le R. P. dom), chartreux, à la Chartreuse de
Florence (Italie).
Bareille, ancien professeur de patrologie à l'Institut
catholique de Toulouse.
Bernard, à Paris.
BlOOT, curé de Remenauville-en-Haye i Meurthe-et-
Moselle).
Brucker, rédacteur aux Études, à Paris.
CbÉBLI (Sa Béatitude Mfc"), archevêque de Beyrouth, à
Beyrouth.
CH0SSA1 le lî. P.), de la Compagnie de .lésus, profes-
seurde théologie au scolasticat d'Ore Place Angleterre).
Chollet Sa Grandeur Mo1 , ancien professeur de
morale :mx facultés canoniques de Lille, évêqne de
Verdun.
Clamer, professeur d'Ecriture sainte au grand sémi-
naire de Nancy, à Bosserville (Meurthe-et-Moselle).
Ci-ERvai.. professeur d'histoire ecclésiastique à l'Institut
catholique de Paris.
Constantin, aumônier du lycée de Nancy.
Coulon le R. P.), des Frères Prêcheurs, professeur â
YAngelicum, à Rome.
I'\i l'iilN, à Paris.
Dehove, professeur à la l'acuité libre des lettresde Lille.
Di blanchv (le H. P.), de la Société de Marie, professeur
de théologie au scolasticat île Differl (Belgique), puis
au noviciat de Moncalieri (Italie).
Edouard d'Alençon (le B. P.), des Frères Mineurs
Capucins, archiviste île l'ordre à Itome.
écrive, professeur de philosophie au lycée I lu non,
.1 Paris.
Forci r. professeur de théologie â i i Diversité de I
vain Belgiqui
Fournbret, professeur de droit canonique â l'inslitul
catholique, el vice-ofdcial de l'archidiocése de Pari
MM.
Gardeil (le R. P.), des Frères Prêcheurs, régent du
Collège théologique de Kain (Belgique).
Gastoué, à Paris.
Gaudel, vicaire à la paroisse Saint-Nicolas de Nancy.
Godet, à Rosnay (Vendée).
Heurtebize (le R. P. dom), bénédictin de Solesmes, à
Ryde (Ile de Wight).
HlIMBERT, à Paris.
Incold, à Colmar (Alsace).
Largent, professeur honoraire à l'Institut catholique
de Paris.
Le Bachelet (le R. P.), de la Compagnie de Jésus, pro-
fesseur de théologie au scolasticat d'Ore Place,
(Angleterre).
Levesque, professeur d'Écriture sainte au grand sémi-
naire de Paris.
Merlin (leB. P.), religieux augustin, à Gand (Belgique).
MICHEL, professeur de théologie aux Facultés canoniques
de Lille.
Moisant, à Paris.
Moureau, professeur de théologie aux Facultés cano-
niques de Lille.
N \i , professeur à l'Institut catholique de l'.iris.
Oblet, curé de la paroisse Saint-Georges, puis supérieur
du grand séminaire de Nancy, i Bosserville Meurthe-
et-Moselle).
Ortolan, A Rome, puis à Paris.
Paj mii ri île R. p.), religieux augustin, A Cracovie, puis
à Rome.
l'i in (le R. P.), des Augustin* de I Assomption, supé-
rieur de la maison de Kadi Keui ■■ Constantinople.
Pétridès (le li P I, des kugustins de l'Assomption,
A la maison de Kadi-Keui, ;i Constantinople
i.iiiii.iii. professeur de théologii au I icultél cano-
niques de Lille.
VIII
LISTE DES COLLABOR \T!.U;>
MM
Raymond (le n. P.), des Frère* Mineurs Capucins, pro-
fesseur de théologie au scolasiicat de Kadi Keuî, a
Constantinople.
ROLAND, vicaire à la paroisse Saint-Géraud d'Aurillac
(Cantal).
Su wii.i.i: (le It. P.), des Augustins de l'Assomption, à
la maison de Kadi-Keui,à Constantinople.
Schwalh (le R. P.), des Frères Prêcheurs, à Nice (f le
7 novembre 1908).
SERVAIS (le R. P.). carme déchaussé, au couvent de
Jambes-lès-Namur (Belgique).
ServièRE (le R. P. de la), de la Compagnie de Jésus,
professeur d'histoire ecclésiastique, au scolasticat
d'Ore Place Angleterre).
MM.
VaCAMDARD, premier aumônier du lycée Corneii
Rouen.
Vaii.uk (le R. P.), des Au-ustins de l'Assomption,
rédacteur aux Échos d'Orient,* Constantinople.
V ALTON, ancien professeur au grand séminair'
Langres, à Paris, puisa Tepeapulco (Mexique).
it, professeur d'histoire ecclésiastique à l'Institut
catholique de Lyon et au grand séminaire de Saiut-
Paul-Trois-Chàteaux (l>rùme).
Verschai rFEL, à Paris.
Vii.i.ikn. professeur de droit canonique à l'Institut catho-
lique de Paris.
DICTIONNAIRE
DE
THÉOLOGIE CATHOLIOUE
D
DABILLON ou D'ABILLON André fut quelque
temps jésuite, subit l'inlluence du visionnaire Jean La-
badie, sortit avec lui de la Compagnie de Jésus (1039) el
l'accompagna dans ses missions en Picardie, mais ne le
suivit pas dans ses erreurs et son apostasie. Fait grand-
vicaire par Mfl' deCauinarlin, évèque d'Amiens, Dabillon
accepta ensuite la cure de Magné, près Niort; il mourut
à .Magné vers 16(i'i. Il a publié : La divinité défendue
contre les alitées, in-8°, Paris, 1641. Il a aussi prétendu
rendre la pbilosopbie plus accessible et en même temps
plus solide, dans son Nouveau cours de philosophie en
français, divisé en A parties contenant la logique,
métaphysique, physique et morale, suivant Ut doctrine
tifs plus célèbres aulheurs, 4 in-8°, Paris, 1G43. Le
titre courant des volumes porte : La philosophie des
bon» esprits. Il a fait paraître à pari : La métaphysique
des bons esprits, ou Violée d'une métaphysique fami-
lière el solide, in-8°, Paris. 1642; La morale des bons
esprits, mi l'idée et abrégé d'une morale familière el
solide, in-8°, Paris, 1643. I.' « auteur célèbre « que Da-
billon déclare suivre de préférence est Ockam, le chef
de l'école nominaliste. On a encore de lui : Le co\
de la grâce, on Réflexions théologiques sur le second
concile d'Orange, el le parfait accord de ses décisions
avec celles du concile de Trente, in-4°, Paris, 1645.
Mémoires pour servir <i l'histoire des hommes
illustre* dans la Républiqut '1rs lettres, t. xx; /'
i tri, Paris, 17.^9, t. iv.
.los. Brucker.
DADIKÈS, polémiste grec du xvui< siècle. <»n i n a
fait un n unir d'origine Cretoise; il appartenait plutôt à
la famille dalmate des Dadich. En 1770, il comp<
Venise an ouvrage de controverse intitulé : (Ispi -mi
Siafopûv r>; àvaTo).iXT,< xal âvrtxfjc lxxXï|as'a< I •
cinq points discutés par l'auteur sont la primant, du
pape, la procession du Saint-Esprit, les azymes, le pur-
gatoire et la béatitude des saints. Son livre esl resté
Inédit,
A. <:. Deroetral . 'eu**, p. lf*8.
S. Pi iKini s
DAELMAN Charle«-Ghislain, théologien
a Mons en 1670. Après de brillantes humanités, il vinl
étudier la philosophie el la théologie a l'université de
Louvain, o le firent vite remarquer il \
fat proclam ivement docteur, c docteui n
DICTT, DE THÉOL. I '.moi..
et professeur ordinaire à la faculté de théologie, el pré-
sident du collège Adrien VI, dit Collège du pape. Il fut
en outre chanoine de Saint-Pierre en la même ville et
chanoine de Sainte-Gerlrude à Nivelles, 11 mourut à
Louvain le 21 décembre 1731, après avoir été plusieurs
fois recteur de l'université. La charge rectorale était
alors non une charge à vie, mais une charge simple-
ment semestrielle, le titulaire pouvant du reste être
réélu. Ce détail historique a sûrement échappe- aux au-
teurs qui, énuméranl les fonctions et les honneurs
auxquels Daelman s'éleva par son talent, concluent en
disant qu'il « devint finalement recteur de l'université ».
Si nous en croyons son épitaphe, d'ailleurs très élo-
gieuse, qui se voit encore dans la chapelle île Sainl-
Charles-Borromée en l'église primaire de Saint-Pierre.
il avait été nommé au\ sièges épiseopaux de Xamur,
de < ■nid el de Tournai, et, trois fois, il avait eu la mo-
destie de refuser. La même inscription rapporte sa
mort à l'année et au jour marqués ci-dessus; c'est donc
à tort que certains articles biographiques indiquent la
date de 1730 el que le 31 décembre a été substitué
au 21.
Daelman jouissait, en son temps et dans son milieu,
d'une considération peu commune. 11 la de\ait à la ré-
gularité exemplaire de sa vie, à son caractère aimable
ei à son entente des affaires autant qu'à l'ardeur et à
la facilité' de son activité scientifique. A celle-ci il joi-
gnait volontiers les pratiques du zèle sacerdotal, et l'on
a noté qu'il aimait a diriger les études des lils de fa-
mille se préparant à recevoir les saints ordres. On a de
lui un cours de théologie, qui a pour ba^e ri qui suit
l'ordre <\e la Somme de saint Thomas, sans se h in-
former jamais en commentaire perpétuel, mais en s'at-
tachanl plutôt i bien mettre en lumière 1rs thèses el
1rs difficultés principales. Cette œuvre se reco tande
par la lucidité <l- l'exposition, ainsi que par la solidité
de la doctrine el par une sa^r défiance à l'endroit des
erreurs jansénistes el quesnellistes, Malgré ses mérites,
elle ne fut publiée qu'après la mort de l'auteur, par les
réunis du baron De Rael Vander Voorl ri ,\r l'itn-
pi imeur anveraois lac |ues l'" rnard Jourel. Sous |, titre
,ir y/,.. t observationet theologiccein Sumn
h Thomse, elle parut simultanément en deux éditions
dont l'une comprenant 3 in fol., Anvers, 1736-1737, ri
l'autre, 9 In 8°, Anvers, 1731-1737 A côté de ce grand
IV. - i
:;
DAELMAN
DAILLl
ouvrage, il esl telle notice >j ■■ ■ en attribue à Daelman
deui autres, à Bavoir un i traité recherché De aclu
bus humanit el des Thèse* sur le tyttènie dt
en réponse à Jt Louvain, 1706. Mais le
De actibus humanit esl certainement celui qui fait
partie intégrante de la Tlieologia,où il occupe Ba place
naturelle suivant le plan connu du Docteur angélique;
et les Thèses sur le système de la g blent bien
être aussi les Theseseî les Qusutiones qui figurent dans
le même ensemble, en guise d'appendice complémen-
taire .m traité De gratia. Aux diverses parties de la
Theologia les éditeurs ont joint des Discours de circon-
stance, que Daelman a prononcés pour la plupart à
l'occasion de promotions théologiques. Iiim* ces naran
gués officielles et solennelles, l'orateur quille parfois,
bien que rarement, le domaine de la théologie pour
celui de l'histoire, et l'on sent facilement qu'il esl
moins a l'aise et moins informé que sur son terrain
habituel; il y parle du reste un latin qui vise manifes-
tement à s'élever au-dessus du latin théologique ordi-
naire, mais dont l'élégance n'est pas toujours égale à
elle-même.
Ue Ram, De laudibus quibus veteres Lovaniensium theuluji
effem possunt, Louvain, 1848; De Smet, art. Daelman, dans
la Biographie nationale publiée par l'Académie royale de
\ue, Bruxelles, 187;f. t. iv //. l'iron, Algemeene levens-
iryving det n urouwen van Delgie, Malines,
1860.
.1. FORGET.
DAGN Placide, bénédictin, né à Sœll le 7 juillet
I7i.">, mort le 2 août 1817, appartenait a l'abbaye de
Fieclit en Tyrol, y enseigna la théologie el y remplit les
fonctions de prieur. On a de lui : (iodescalcus ab errore
prsedestinatorum vindicalus, in-8°, Tnspruck, 1777:
Paraphrasis vaticinii Jacobsei de perennitale scep-
iri Juda, cum assertionibus ex universa tlieologia
dogmatica publiée propugnandis in ascelerio bene-
dictino Georgimonlano, in-80, Inspruck, 1783.
Hurter, Nomenclator, 1895, t. m, col. 593; Seriptores ord.
S. Benedicti <pii {750-1880 fuerunt in imperio Austriaco-
UungariCO, in-4 , Vienne. 1881, p. 51.
B. Illl RTl B1ZI .
DAGUERRE Jean, théologien français, né à Lar-
resorre en 1709, mort le 25 février 1785. Malgré la pau-
vreté de ses parents, il alla étudier la théologie à Bor-
deaux sous le l'ère Chourio, jésuite. Revenu dans son
pays, il fut vicaire à Anglet, puisa Rayonne. Il prêcha
avec succès des missions dans le diocèse et entreprit d'y
établir un séminaire. Il réussit dans celle œuvre diffi-
cile et le séminaire de Larresorre fut terminé en I7:'>;'>;
il en fut le directeur jusqu'à sa mort. 11 fonda en outre
à Hasparren un monastère de femmes auquel il donna
en les modifiant légèrement les règles des religieuses
de la Visitation. Il publia : Abrégé des principes de
morale cl des règles île conduite qu'un prêtre doit sut-
pour bien administrer les sacrements, in-12, Poi-
tiers. 177.'). D'autres éditions de cel ouvrage parurent
en 1819 et 1823 complétées et revues par M. l'abbé Lam-
bert, vicaire général de Poitii
Picot, tlémoirt s pour --f-i-ir à l'histoire ecclésiastique pen-
dant le wiir siècle, 3 i dit., 1856, t. V, p. 471.
13. lii i RTl i.i/i .
DAILLÉ Jean, DALLAEUS, prédicateur el théolo-
gien calviniste, naquità Châlelleraull le 6 janvier 1594.
Après avoir rail ses études à Saint-Maixent, Poitiers,
Chàtellerault, Saumur, il fui choisi par Duplessis-
Mornay pour précepteur <le ses deux petits-fils, el lii
en leur compagnie de nombreux voyages à l'étranger;
il se lia d'amitié à Venise avec Fra Paolo Sarpi el
Asselineau. Rentré en France en 1621, il se lit recevoir
ministre, fut choisi en lti-J(i par le consistoire de Paris
I • pasteur de l'église de Charenton. Il occupa ce
poste pendant quarante-quptre .ms, célèbre par -es
prédications et ses ouvr -
docteurs catholiques. Il l'ut modérateur au synode na-
tional de Loudun (1659), le dernier qui
aient tenu avec la permission du roi. En celle qualité,
il re. ut communication de l'interdiction que Louis XIV
faisait aux Réformés de tenir désormai
nationaux, et s'efforça en vain de faire rappoi
décision. Il mourul i Paris, le 1.7 avril 1670
Daillé eut, de son temps, une véritable réputation
<i orateur et de théologien ; Balzac i un grand
ur »; d'après Patin ceux de la Religion disaient
que, depuis Calvin, ils n'avaient pas eu de meilli
plume que H. Daillé. Bossuel avait fait vingt-deux
traits de ses ouvrages en vue de les réfuter.
Comme théologien, son attitude pai rapport a 1 auto-
rité des sainis Pères esl remarquable. Lies ses pre-
mières publications, il lui consacre un traité spécial,
destiné à prouver i que les Pères ne peinent •
juges des controverses aujourd'hui agitées entre ceux
de l'Église romaine et les protestants : I parce qu'il
est, sinon impossible, au moins très difficile, descavoir
nettement et précisément quel a esté leur sentiment
sur icelles ; 2° parce que leur sentiment (posé qu'il
fust certainement et clairement entendu; n'estant pas
infaillible, ni hors de danger d'erreur, il ne peut avoir
une autorité capable de satisfaire l'entendement, qui
ne peut ni ne doit croire en matière de religion que
ce qu'il sçait eslre assurément véritable. Trait*
l'emploi, préface. 11 reconnaît cependant qu'on doit
respecter et étudier les ouvrages des s,,inis p.
» argumentant de ce que nous y trouverons négative-
ment plutôt que positivement. • Cette thèse fut attaquée
non seulement par les controversisles catholiques,
mais par les anglicans l'earson, Beveridge, Cave, Wor-
ton. Cf. Rébelliau, Bossuel historien, p. ô0. Daillé y
revint dans son livre La foy fondée sur les sait)
Ecritures, où il prétend prouver que tous les do_
chrétiens sont explicitement contenus dans la Bible,
ou du moins peuvent se déduire logiquement des doc-
trines scripturaires. Pans ses dernières années, en-
traîné' par le mouvement d'études patristiques qui des
anglicans avait passé aux calvinistes français, il re-
connut « que les Pères peuvent être ouïs, non comme
juges, mais comme témoins de la tradition de 11-
de leur temps, et que les écrivains des trois premiers
siècles sont la première et principale partie de
enqueste Réplique aux deux Unes, c. II. Et il con-
sacre plusieurs ouvrages importants à prouver que les
dogmes et les pratiques romaines furent inconnus i
l'Eglise des trois premiers siècles, ou même positive-
ment réprouvés par elle. Cf. Réplique aux deux li
c. v-xxxvn, et les ouvrages indiqués ci-dessous. Ré-
belliau, Bossuel historien, p. 52.
Il n'existe pas d'édition des œuvres complètes de
Daillé. Ses principaux traités sont : Traité de l'emploi
ur le jugement des différends gui
sont aujourd'hui en la religion, Genève, I(»;t2; trad.
latine, Genève, 1636, lt>.V>. 1686; Londres, li>7.">:
logie pour les Eglises réformées où est prouvée !■■
v de leur séparation d'arec l'Église roma
Charenton, li>;>;>. 1641; trad. anglaise, 1653; trad. latine,
Amsterdam, 1652; Genève, l(>77. La foy fondée sur hs
sainetes Écritures, Charenton, 1634, 1661; Irad. latine.
Genève, 1660, 1677; De la créance des Pères sur le fait
des images. Genève, 1641; trad. latine, 1642; De\
et satisfaclionibus humanis, Amsterdam, 1649; 0
juniis et quadragesitna, Devenler, 1654, 1657; Dispu-
talio de 8 Latinorum ex unctione sacra - nfir-
matioue el extrema unctione, Genève, 1659; Disputatio
de sacramentali sire auriculari Lalinoruti
sione. Genève, 1661; Réplique de Jean Daillé
deux livresque Messieurs Adam el Cottiby Ont pu
contre lui, Genève, 1662; Advenus Latinorum de culius
DAILLE
DAM
religiosi objeclo traditionem, Genève, 1661- ; Exposition
de l'institution de la saincte cène, Genève, I664-; De
eultibus religiosis Latinorum, Genève, 1671. Vingt vo-
lumes de sermons furent imprimés en divers lieux, de
1644 à 1670.
Bayle, Dictionnaire, art. Daillé ; [A. Daillé], Les deux der-
niers sermons de M. Daillé, prononcez à Charenton te jour
de Pasques. sixième avril iùlO, et le jeudy suivant, avec un
abrégé de sa vie et le catalogue de ses Œuvres, Charenton,
1670: Haag, La France protestante, t. IV, p. 180 sq.; Rébelliau,
Bossuet historien du protestantisme, Paris, 1892; Recolin,
Daillé, dans Y Encyclopédie des sciences religieuses ; Vinet,
Histoire de la prédication réformée au xvir siècle, Paris, 1860,
p. 182 sq. ; Kirchenlexikon, t. v, col. 1341-1342; Realencyclo-
pâdie, t. IV, p. 427-428.
J. de la Servi ère.
DAINEFF, DAINEFFE Grégoire, né à Liège, doc-
teur en théologie de l'ordre des ermites de Saint-
Augustin, enseigna dans l'abbaye de Saint-Hubert. Il
vécut dans la première moitié du. XVIIe siècle. On a de
lui : Epitome hisloriarum vil se monaslicse sancli
Augustini, imprimé avec un ouvrage de Jean Gonzalez
de Cri tan a : De institutione et antiquilate familiœ
S. Augustini, Anvers, 1612. Il composa également : Tra-
ctatus de triplici mundo, divino, angelico et liumano;
la I" partie de ce traité De mundo divino a seule été
publiée, in-fol., Liège, 1631).
Valère Antlré, Bibliotheca Belgica, in-8", Louvain, 1643,
p. 299; Militer, Nomenclator, 3" édit., 1907, t. m, col. 633.
B. Heurtebize.
DALBIN Jean, théologien français, né à Toulouse
mis 1590, fut archidiacre de la cathédrale de cette ville.
Controversisle, il a publié : Discours et avertissements
salutaires au simple et très chrétien peuple de France
pour connaître les bons et fidèles évangélisateurs des
faux prophètes par une conférence des Ecritures sain-
tes et anciens docteurs faite avec les ministres de
l'évangélique réformation touchant le fait et la voca-
tion légitime, in-8", Paris, 1566; Six livres du sacre-
mentde l'autel prouvé par des taies d'Écriture sainte,
autorité des anciens docteurs cl propres témoignages
des adversaires de l'Église catholique, in-8", Paris,
1566: Opuscules spirituels, in-8", Paris, 1567; Lamar-
que de l'Église, in-8», Paris, 1568.
li. Il Kl RTEBIZE.
DALGA1RNS John Dobrée naquit dans l'île de
C.iic[|].-i\ li 21 octobre 1818. fit ses éludes à Oxford,
où il fut rei u maître es arts, et devint scbolar au col-
mouvement anglo-catho-
lique d'Oxford, il publia dans l'Univers une lettre,
datée du dimanche de la Passion 1841, sur les partis
de l'Église anglicane. Elle esl reproduite dans le Dic-
tionnaire des conversions 'I Migne, Paris, 1852, col. i S3-
148. Il collabora à la traduction anglaise de la Catcna
aurea de saint Thomas sur les Évangiles, qui parut avec
une préface de Newman, i vol.. Oxford, 1841-1845.
Bientôt apr< s, il - joignit à Newman el se retira auprès
de lui à Littlemore. Il collabora a Ba collection des
es of the English Saints, et y publia une vie de
saint Etienne llarding, Londres, 1844, qui eut plusieurs
éditions, el qui fut traduite en fiançais, Tours, 1848, et
m allemand, Mayence, 1865, el celles des saints Hélier,
Gilbert, Aelred. Il écrivit dans le BritUh Critic des ir-
ticl i8 sur Dante, les jésuites i t l'histoire de la Vendée. Le
ptembre 1845, il abjura l'anglicanisme a Aston-Hall
entre les mains du P. I lominiqui i lalien .
il précédait Newman de quelques jours. En 1845, il
étail i s'' préparer au saci rdo ■ auprès
de l'abbi lovain; il y fut ordonm prêtre en I
ignit Newman à Rome. U entra avec lui à l'Oratoire
tint Philippe de Néri, et fut un d premiers mbrefl
de i - 1 - i ii n i itorii nne d ing h i i n constituée
en i n n ligion le nom de Bi i nard
rtir du mois de mai 1849 il demeura :i la maison de
Londres, employé' au saint ministère et à la prédication,
sauf un séjour de trois ans à Birmingham (octobre
1853 à octobre 1856), jusqu'à sa mort, le 8 avril 1876. Il
en avait été le supérieur de 1863 à 1865. Il publia beau-
coup d'articles dans la Dublin Review, entre autres, The
German Mystics of the fourleenl/t century, 1858, qui
fut publié à part, et dans la Conleniporary Review,
1874, t. xxiv, p. 321 sq., un essai : Tlie Personality of
God. Les deux écrits, tout remplis d'onction, qui l'ont
rendu célèbre, sont : 1° The dévotion to the Sacred
Heart of Jésus, avec une introduction sur l'histoire du
jansénisme, in-8°, Londres, 1853; 2" TheHoly Commu-
nion, ils philosophy, theology and praclice, in-12,
Dublin, 1861, dont une traduction allemande a paru à
Mayence, en 1862, et la version française par l'abbé
Godard, forme 2 in-12, Paris, 1863, sous le titre : La
sainte communion.
Dictionnaire des conversions de Migne, Paris, 18Ô2, col. 4V2-
448, 977-979; Kirchenlexikon, t. u, col.ViO-341; The dictionary
of national biography, Londres, 1888, t. xm, p. 388-389;
J. Gillow, A bibliographical dictionary of the Englisli catho-
lics from the breacli with Rome in i53i to the présent ti me,
Londres, 1885-1902, t. u.
E. Mangenot.
DAM. — I. Définition. IL Preuves. III. Gravité.
IV. Durée. V. Inégalités de la peine du dam en enfer.
VI. La peine du dam en purgatoire. VIL Dans les
limbes. VIII. Sur la croix, Notre-Seigneur a-t-il souf-
fert la peine du dam?
I. Définition. — Le mot dam, du latin daninum,
perte, dommage, et, par suite, peine, souffrance,
signifie, dans le langage théologique, la peine essentielle
et principale due au péché.
La peine du dam se distingue de la peine du sens,
et cela, dit saint Thomas, de trois manières diffé-
rentes, selon que l'on considère Dieu qui l'inflige, ou
le pécheur qui la subit, ou, enfin, la faute dont elle est
le châtiment.
1» Si l'on considère Dieu qui l'inflige, la peine du
dam embrasse toute peine dont Dieu esl l'auteur par ip
simple retrait qu'il fait de sa présence et de ses bien-
faits, tandis que la peine du sens est l'effet d'une action
afflictive et positive de Dieu. Ainsi, par exemple, la pri-
vation de la grâce sanctifiante et des dons surnaturels
qui l'accompagnent, se ramène à la peine du dam envi-
sous ce premier rapport. Ilujus pœnse Deus causa
esl, mm quidem agendo aliquid, sed potius non agenda.
Pœna vero sensusest qvue per aliquam actionem infli-
gitur, d hujus , etiam agendo, Deus est auctor. Cf. s.
Thomas, hi IV Sent., 1. II, dist. XXXVII, q. III, a. I.
2- Par rapport au pécheur qui la suint, la peine du
dam est toute peine consistant formellement en une
privation, que celle privation soit accompagnée de souf-
france, ou non ; car il n'est pas de l'essence de la peine
i u général de causer toujours la douleur. Pour que la
notion de peine soit réalisée, il suflit d'une opposition
à la volonté que les théologiens appellent habituelle.
comme serait, par exemple, la peine provenant de la
prh iiion d'un bien donton souffrirait, si on la con-
aaissait, tandis qu'on n'en souffre point, parce que. de
fait, on ne la connaît pas. ou on ne s'en aperçoit pas.
Cf. S. Thomas, Quast. disp., De malo,q i, i. 5, 6; q. v,
a.3, ad 3om. Telle esl la peine du dam pour les enfante
morts sans baptême, ou pour les adultes, qui, au mo-
menl de la mort, n'auraient aucune faute grave, en
dehors du pé< I iginel. La privation éternelle de la
vision béatifiq isl assurément un très grand malheur
pour eux; mais Ha n'en souffrent pas positivement, car
l'absence de la justice originelle ne les prédisposait
i cette vision béatifique qui dépasse infiniment les
forces et li la nature humaine. In outre,
il Ignorent qu'ils étaient lurnaturellemenl destin
la pos- jion de Dieu, cette vérité étant l'objet de la
DAM
i i lation, et cette coni v< nanl a l'homme
uniquemenl par la foi qu'ils n ont jamaii
Cf. s. Thomas, De malo, q. v, a. I. ad 2, '■'•■
S Anselme, De conceptu virginali, c. xxvu, P. /..,
t. ci. \in. col. 161. La peine du sens, au contraire par
rapport au pécheur qui la subit, i a nue dou-
leur ou torture positive. Pour ce motif, el vu l'extrême
souffrance qu'elle cause, la peine du dam peut se rame-
ner à celle <lu sm~ chei les damnés, qui, i la faute
originelle, ont ajouté des péchés personnels. Ils savent
en ellet <|iie, siirnatiirelloiiiont destinés à la gloire
céleste, ils s'en sont eux-mêmes volontairement et
définitivement exclus par une faute grave de leur part.
Pour eux la peine du dam est plus terrible même que
la peine du feu éternel. Néanmoins le supplice épou-
vantable dont ils soutirent par la seule privation de la
vision béatiGque, esl communément appelé peine du
«lam. parce qu'il esl alors comme la conséquence natu-
relle de l'éloignement de Dieu. Cf. S. Thomas, De
malo, q. v, a. 2; Salmanticenses, Cursus tlteologicus,
tr. XIII, De vitiis et }>eccatis, disp. XVIII, dub. i, §1,
n. 1-7, 21 in-8», Paris, 1876-1883, t. vin, p. 397-400;
Lessius, De perf'ectionibusnioribusque dirinis, 1. XIII,
De justitiaet ira Dei, c. xxix, n.203, in-8", Paris, 1881,
p, 503; Suarez, De angelis, 1. VIII, c. \. n. U. Opéra
omnia, 28 in-'t», Paris, 1856-1878, t. n, p. 976; Billot,
Disquisitio de natura el ralione peccati personalis,
sive inlroduclio ad tractation de psenilenlia, part. I,
c. il, q. LXXXVIt, n. 4, in-81, Home, 1897, p. 76.
3° Enfin, si l'on considère la faute dont elle est le
châtiment, la peine du dam est celle qui correspond à
l.i faute, en tant que par elle le pécheur se détourne de
Dieu, souverain bien; par suite, la peine du dam est
inlinie, puisqu'elle est la perte irrémédiable de Dieu
qui est le bien infini. La peine du sens correspond à
la faute, en tant que par elle le pécheur se tourne
vers la créature, pour mettre en elle sa lin dernière,
et en jouir en dehors de l'ordre, ou plutôt contraire-
ment à l'ordre lixé par la loi éternelle. Cf. S. Augustin,
Contra Faustum, 1. XXII, c. xxvni, /'. /... t. xui.
col. 419; S. Thomas, Sunt. theol., II« 11 . >\. x\. a. ;.
q. XXXIV, a. 1; Salmanticenses, op. cit., tr. XIII. De
viliis el peccalis, disp. M 11. dub. iv, S 1-3, n. 90-108.
t. vin, p. 389-397; Suare/.. loc. cil., c i\, n. i. t. il,
p. 973. La peine du sens, correspondant à la conver-
sion désordonnée du pécheur vers la créature qui est
finie, est elle-même finie, quelque terrible qu'elle
paraisse. Cf. S.Thomas, Sum. Iheol., I* II', q. i.xxxvn.
a. i ; III ■ Suppl., q. xcix, a. I.
Prise dans la signification spéciale qu'on lui donne
communément, la peine du dam indique donc le dam-
num par excellence, ou le dommage le plus grand que
l'homme puisse subir, c'est-à-dire l'exclusion définitive
de la vie éternelle, la perte irrémédiable de la béati-
tude suprême, la privation de la vision béatiGque et de
la possession de Dieu, la mors secundo, dont parle
l'Apocalypse, xxi, 8. cette mort éternelle que la mort
elle-même ne peut finir, comme s'expriment saint Au-
gustin, De civitate Dei, 1. XIX. c. xxviii, /*. /.., t. xi.i,
eol. 656, et saint Grégoire le Grand, Moral.. I. IX.
• ■■ l.xvi. /'. /.., t. l.xxv. col. 91."). Par suite, chez les
adultes, damnés pour des péchés personnels, la i
du dam indique aussi le supplice le plus épouvantable
que l.i créature puisse endurer. Cesl dans celte peine
du dam que consiste essentiellement l'enfer, tontes les
autres peines n'étant, par rapport à elle, que comme
des accidents qui en découlent. Cf. Pesch, Pralectiones
dogmalicm, De novissimis, part. I, sect. îv, a.;'., n 643,
!> in-8°, Fribourg-en-Brisgau, 1902, t. ix. p. 317,
il. Preuves. — La peine du dam est nettement
indiquée par les paroles que prononcera le souverain
au jour du jugement dernier : Discedite a
malediçti, m ignem ;rtrr>t<<in. Hatth., \\\. 11. Si la
ade parie de la lentence in igi
fait connaître la peine du sens réservée aux maudits
pour toute l'éternité, la première partie, discedite a
mi-, maledicti, ne révèle pai moins clairement la ;
du dam qui leur sera inl! .ration étenu II
Dieu qui, en les maudissant, les i
loin de sa présence, et leur dit le terrible Xescio i<<*.
Lue., xni, 27; Matth.. vu. 23: XXV, 12; I Cor., vi, 9-10.
Ailleurs, la peine du dam est précisée plus encore.
Jésus-Christ annonce que les maudits seront n
dans les ténèbres extérieures, ejicientur .<•
exleriores. Matth.. vm, 12: XXII, 13; x\ com-
mentateurs font remarquer que, très souvent, la béatitude
du royaume céleste est représentée, dans l'Écriture,
sous la figure d'un grand festin donné par le roi. ou
le pèie de famille, non au milieu du jour, mais le soir,
ou à la tombée de la nuit. Luc. xiv, 16-24 : Apoc., xix, 9.
Le mot Setnvov, employé dans le texte original, ne laisse
aucun doute à cet égard. Citait, d'ailleurs, la coutume
nciens de faire leurs festins d'apparat, le soir, ou
même la nuit, comme en témoigne plusieurs fois l'Écri-
ture elle-même. Judith, vi, 29; xn. 10; Matth.. xxv, 6:
Marc. vi. 21 ; 1 Cor., xi. 20-21 : I Thess., v. 7. Comme
la salle de ces festins était ornée d'une multitude de
lampes, allumées soit pour la commodit '■ des nombreux
convives, soit pour rehausser la splendeur de la fête.
ceux qui s'asseyaient dans la salle étaient environnés
d'une très vive lumière: mais ceux qui ne pouvaient y
pénétrer, ou qui étaient violemment rejetés au dehors,
se trouvaient plongés au contraire dans de profondes
ténèbres, qui paraissaient d'autant plus ('paisses, que
plus (''datante était la lumière de l'intérieur. Or, la
cité céleste est illuminée par la lumière infinie qui est
Dieu lui-même. Ceux qui ont le bonheur d'être admis
dans ses murs n'ont pas besoin, pour \ voir, des rayons
du soleil, ou des auit . car Dieu lui-même est
leur soleil. Is., 1.x. 19-20; Apoc. xxi. II. 2.1; xxn. 5.
Mais plus vive et consolante est la lumière dont jouis-
sent les élus, lumière éternelle, lumière infinie: plus
profondes, plus complètes et plus épouvantables sont
les ténèbres extérieures dans lesquelles sont précipités
les malheureux à jamais exclus du festin éternel. I
bien là. certes, la privation totale de Dieu, la vraie peine
du dam.
Saint Jean, Apoc. xxi. 11. 23. 21: xxn, '». 5, accen-
tue ce contraste entre la lumière incréée et l'infernale
nuit. Il décrit combien le divin soleil, contemplé face
B face, fait resplendir de sa propre clarté l'immortelle
Jérusalem, où tout, pour mieux refléter celle incompa-
rable lumière, est de l'or le plus pur. du cristal le plus
transparent, el dont les murs eux-mêmes ne sont formés
que (les pierres les plus précieuses. Une pureté sans
tache est requise pour habiter cette cité resplendissant
sons la divine lumière qui la traverse de toutes parts.
Apoc. xxi. 27. Kt une voix se fait entendre : Fob/s
et venefici, et impudici, et homicides, el idotis
entes, et omnis qui amat et facit mendacium.
Dehors tous les ouvriers d'iniquité. Apoc., xxn. 15.
bien là encore l'indication de la peine du daui
l'exclusion des maudits, chassés par Dieu loin (i
et séparés de lui pour l'éternité.
Cette sévère sentence esi souverainement équitable,
car il est de toute justice que ceux qui se sont volon-
tairement détournes de Dieu par le péché mortel.
restent séparés «le lui. C.(. s. Thomas, Sum. theol.,
IID. q. lxxxvii, a. i; Contra génies, I. 111. c. cu.iv.
Quoique plongés dans de m épaisses ténèbre-, les
damnés n.- sont pas cependant privés de l'usage de
leur- facultés naturelles d'appréhension et de VOUtion,
ni des notions acquises, ou même infuse-, qui leur
Bervenl à mieux connaître leur extrême misère et a la
atirdavanl - Chômas, lu IV Sent., I. IV.
dist. !.. q. n. a. 2. q. i. Sum. theol.. H 11' q v,
DAM
10
ad 3l,m ; III* Suppl., q. i.xxxviii, a. 1; Compendium
iheolog., c. CLXXVi; Suarez, De angelis, 1. VIII, c. vi,
n. 9-10, t. il, p. 979-982.
III. Gravité. — La peine du dam est incomparable-
ment la plus terrible de toutes les peines de l'enfer.
Auprès d'elle, le tourment même du feu éternel, si atroce
soit-il, n'est presque rien. Cf. S. .1. Chrysostome, Ad
populum Antioch., bomil. xvn, super Matth., P. G.,
t. LVH, col. 263; S. Pierre Chrysologue, Serm., cxxn,
P. L., t. r.n, col. 53i sq.; Suarez, De angelis, 1. VIII,
c. iv, n. 8, Opéra, t. n, p. 971; S. Alphonse de Liguori,
Corso di nwditazioni, 2 in-8°, Turin, 1891, t. n, p. 580.
Cette peine dépasse infiniment tout ce que l'intelligence
est capable de concevoir ici-bas, et tout ce que le
angage humain sait exprimer. Elle ne peut se mesurer,
dit saint Bernard, que par l'infinité même de Dieu dont
elle est la privation, hœc enim tanla pœna, quanlun
ille, « et, par conséquent, elle est grande à proportion
que Dieu est grand. » Cf. Bourdaloue, Carême, Sermon
sur l'enfer, Œuvres complètes, 16 in-8°, Paris, 1822,
t. m, p. 68. Depuis longtemps les anciens Pères avaient
parlé de même : hsec est tanla puma quanlus ipsemel
Deus. S. Augustin, De civilate Dei, 1. XXI, c. IV, /'. L.,
I. xu, col. 711 sq. Le supplice du dam est d'autant
plus insupportable que les maudits connaissent mieux
combien est grand et captivant le bien qu'ils ont perdu.
A cette pensée, dont ils ne peuvent se détourner, et qui
les obsède, s'allume en eux un désir immense et à
jamais inassouvi de l'éternelle béatitude. Mais cette
infinie beauté de Dieu qui les attire par ses charmes,
fait, par sa pureté sans tache, ressortir davantage leur
honteuse laideur morale. Conscients de ce contraste
qui les accable, ils sont à eux-mêmes un spectacle si
repoussant, qu'ils préféreraient subir tous les tourments
de l'enfer, plutôt que de paraître en ce hideux état, en
présence du Dieu infiniment saint, et dans la société
des ('-lus, qu'ils haïssent pourtant d'une haine inextin-
guible. Cf. Pesch, Prselectiones dogmaticœ, De novissi-
mis, sect. iv, a. 3, n. 670, t. ix, p. 328. Ils se voient
donc; obligés, malgré fis tendances les plus irrésistibles
de leur être, à fuir hieu, souverain bien, qui seul pourrait
satisfaire leur soif insatiable de bonheur. Et ce Dieu,
pour lequel ils se sentent fails, cette beauté suprême
qui les attire et les repousse à la fois, cet objet de leur
amour à jamais perdu, ils sont contraints, dans des
transports d'une rage infernale, a le détester, le blas-
phémer el le maudire. C'est le tourment d'un coeur
passionné d'amour et ron_' par la haine de l'être qu'il
adore, car. dit saint Thomas, les damnés ne souffriraient
pas autant de la peine du dam. s'ils n'aimaient Dieu en
quelque façon. In IV Sent., I. IV. dist. X XI. q. i, a. I,
q. n; Compend. thcolog., c. clxxiv. Cette peine est
donc la souffrance atroce de l'amour contrarié, méprisé,
transformé en furie, el constammenl au paroxysme 'le
la rage et du désespoir. Cf. S. Augustin, In Ps. cil,
n. s. h. vitale Dei, 1. XXI, c. m, /'. /,., t. x.wvn,
col. 1322; t. xi.i, col. 710; s. Thomas, lu IV Sent,,
I. IV. dist. L. q. u, a. I. q. v, Sum. theol., Il» II*,
q. xxxiv. a. I; Bellarmin, De purgatorio, I. II. c. \ix.
t. n, p. S03.
Les damnés souffrent donc comme une espèce de
déchirement de l'ai die- même, tirée en divers Bens
à la fois, par des forces opposées et l'^alemelil |>uis-
sanfc omme un écartellemenl spirituel, torture
Lien plu- affreuse que celle qu'il tiraient, si
leur corp~ était écorché vif, ou coupé en morceaux;
autant les lacnltés de l ■ ■ sont supérieui
celles du corps, autant est plus douloureux le déchire-
ment profond pai lequel i Ile es) séparée d elle m
■ u • i inl sépan <■ de Dieu, qui devait être l'âme di
ame, et la vie de sa vie, Voir iv.ii. Origi ne, Paris, I'.hi7,
p. 06-97. Tanlo aliquid magii dolet de aliquo la
■/"""'" magi m. Vnde lœtiones que
fiunt in locis maxime sensibilibus, sunt maximum
dolorem causantes. Et quia totus sensus corporis est
ab anima, ideo si in ipsam animam aliquid Iscsivum
agat,de necessitate oporlet quod maxime af/ligalur...
Et ideo oporlet quod pâma damni, etiam minima,
excédai omnem pœnam, etiam maximam, liujus
vitas. S.Thomas, In IV Sent. , l.IV, dist. XXI, q. i, a. 1.
Cf. Pesch, Prselectiones dogmaticœ., tr. III, De novissi-
mis, part. I, sect. iv, a. 3, n. 6i3, t. ix, p. 317. De ce
déchirement intérieur de l'âme entière, naît une dou-
leur intense dont aucun supplice de la terre ne peut
donner la moindre idée. Cf. S. Thomas, In IV Sent.,
1. I, dist. XLVIII, a. 3. q. m; Cont. gentes, 1. III, c. c.xli;
Compendium tlieolog., c. clxxiv-clxxviii.
Pour infliger au pécheur le tourment le plus formi-
dable qui puisse être, Dieu n'a qu'à se retirer complè-
tement de lui. Cf. Suarez, De angelis, 1. VIII, c. iv,
n. 8, t. n, p. 975. De même qu'il dit au juste : C'est
moi qui serai ta récompense, et elle sera immense,
car rien n'est plus grand, ni meilleur que moi,
Gen., xv, 1; de même il dit au réprouvé : C'est moi
qui serai ton supplice, et je le serai en m'éloignant de
toi, car il n'y a rien de plus terrible, dans les trésors
de ma colère, que cette complète séparation de moi-
même. Alors suivant l'énergique expression de
saint Augustin, Confess., 1. XIII, c. vin, P. L.,
t. xxxii, col. 848, se creuse dans l'âme réprouvée un
abîme sans fond de ténèbres et de lamentables misères;
vide affreux qui la torture bien plus que la faim dévo-
rante, Ps. lviii, 7; vide angoissant qui éternellement
la tue, sans la faire mourir; car Dieu a fait l'âme
humaine tellement grande que, pour remplir sa capa-
cité infinie, et pour satisfaire son désir illimité de
jouissances, il ne faut rien moins que Lui. Sans Lui,
il ne reste en elle que la capacité infinie de souffrir.
De/luxit angélus, de/luxit anima hontinis, el indica-
verunt abussum universse spirilualis creatunr in
profundo tenebroso... In ipsa miseria inqiiieludinis
defluentium spirituum, et indicantinm tenebras suas
nudalas veste luminis lui, salis ostendis quant
magnam crealuram ralionalem feceris, cui nullo
modo sufficit ad bealam requiem quidquid te minus
est, ac per Itoc, nec ipsa sibi. S. Augustin, loc. cit.
("est le dénuement total, l'isolement infini. Tenebrosa
ab>/ssus ipsi sibi est universa mens creata, propter
tn/iiiitalem quant liabet, non actus seu capacitatis,
seu polenliw. V;r auteni ci, iterumque vse, si in hanc
abyssalem vacuitatem defluat cl in eo profundatur.
Billot, Traclalus de novissimis, q. ni, Ihes. IV, § 1,
in-8«, Rome, 1902, p. 77.
Le langage humain est aussi impuissant pour dire
ce qu'est l'enfer, que pour dépeindre le bonheur du
ciel. L'œil de l'homme n'a point vu, son oreille n'a
point entendu, son cœur n'a point compris ce que Dieu
a préparé de supplices à ceux qui l'offensent, comme
de félicités à ceux qui l'aiment. Is., iaiv, i; I Cor., II, 9.
L'enfer nous est aussi inconnu que le ciel.
Objection. — La peine du dam ne parait pas devoir
être aussi grande, car. tant que nous vivons sur la terre,
nous ne jouissons pas de la vision béatiflque, cl cepen-
dant nous n'en sommes pas a ee | il aille -
Réponse. — Pour l'homme vivant sur la ferre, ne
pas voir Dieu esl une simple négation d'un bien qui
ne lui est pas encore actuellement diï, el dont la pos-
n esi seulement possible; mais, pour le damne.
C'est 'me \raie privation d'un bien dont il a faim el
soir, ei dont il ne saurai! ie passer Bans souffrir in n
sèment.
Nous connaissons sur la ferre, infiniment moins que
les damni s, le nouvel ain bien qui eal Dieu, i> autn
part, nous avons, dans la vue ei la possession des créa-
ii noua entourent, bien des moyen de i
,,■ de la pensée du bien suprême, el de calmer
Il
I) \M
12
in quelque façon, notre désir inné de bonheur. Noua
trouvons donc en elles présentement un dérivatif et une
jouissance. Mais, apr< b la mort, le mode d'être et de
connaître esl profondément modiflé, //' fui
alius est el essendi et cognotcendi modut, et
cito cessante unione <"' cor ruptibile corpus, tant cito
il transuerteru saisum inconstantia concupi
lue. Billot, Traclalut de novissimis, q. in. tbes. i\.
S I. p, 78. D'abord, tous les biens il'- la terre sont com-
plètement enlevés aux damnés. En outre, ils constatent
que seule la vision « i «. - Dieu peut les rendre heureux.
Par toutes les puissance! de leur être, ils sont, pour
ainsi «lire, orientés vers la possession de ce bien que
toutes leurs facultés, et l'essence même de leur nature
réclament. Bien plus qui- le poisson n'a besoin d'eau,
ou que nos poumons n'ont actuellement besoin d'air,
1rs damnés mil un besoin pressant, impérieux, constant,
ininterrompu, de Dieu. Ils ne peuvent, un seul instant,
en détourner leur pensée. Les créatures qui les entourent,
loin de leur apporter un adoucissement, ou même une
simple distraction, ne servent qu'à augmenter leur
torture en contribuant à leur supplice. Cf. S. Chrysos-
tonie. In Joa., boinil. x.xni; /// Ueb., bomil. xi, XII,
/'. C,., t. i.ix, col. 137 sq.; t. i.xin, col. 90-95; S. Au-
gustin, EnchU'idion, c. cxu, P. L., t. xi., col. 28i; Les-
sius. De perfectionibus moribusque divinis, 1. XIII.
c. xxix, n. -205, p. ")06 sq.
IV. Durée. — L'éternité de la peine du dam a été,
sinon formellement niée, du moins mise en doute par
Origéne, si toutefois ses écrits, tels qu'ils sont parve-
nus jusqu'à nous, n'ont pas été interpolés. Cf. Petau,
Dognutta tlieologica, tr. De angelis,\. 111, c. vi, n. 4-13;
c. vu, n. 1-14, 8 in-4», Paris, 1800. t. iv, p. 101-113;
P. Prat, Origéne, p. 99-102. La lin de celle peine et
des autres tourments qui l'accompagnent, était nommée
par les Grecs àTroxiTàTTa?'.:. ou restitution univer-
selle. A ce moment, les damnés auraient, en tout, été
égaux aux élus et réciproquement. Cf. Petau, op. cil..
p. 103. Cette erreur monstrueuse, car elle tendait à
assimiler, après un certain temps, les vierges pures
aux prostituées, Lucifer à l'archange saint Gabriel, les
martyrs aux apostats, les apôtres aux démons, etc.,
cf. S.. Jérôme. //( Maltli., XXV, iti, P. L., t. XXVI, col. 197,
fut embrassée et défendue par Théodore de Mopsueste,
par les priscillianisles, et par ces anciens hérétiques
que saint Augustin appelle « les miséricordieux ».
Cf. S. Augustin, De civitate Dei, 1. XXI, c. XVIII, n. I:
De ftœresibus ad Quodvultdeum, c. xi.ui. xi.v. /'. L.,
t. xi i, col. 732-730 sq.; i. xi.ni. col. 33 sq.; s. Jérôme,
ht Joa., ni, (i. /'. /.., t. xxv, col. 1142. Afin de se
prévaloir de son autorité, les origénistes l'intercalèrent
ensuite dans les œuvres de saint Grégoire de Nysse qui,
cependant, en plusieurs endroits, enseigne la perpé-
tuité de la damnation. Petau, Dogmata tlieologica,
De angelis, 1. 111, c. vin, t. iv, p. 116. Cf. S. Gri
de Nysse, De catechelico, c. xxvi. xxxv ; De anima el
resurrectione, I'. a., t. xcvni, col. 34; Photius, Biblio-
t/iec., cod.233; Nicéphore, //. /•-'., I. XI. c. xix; 1. XVII.
c. xvn, xviii. /'. G., i. < m, col. 1I<>0; t. cm vi. col. 627
sq.; Salmanlicenses, Cursus t/teologicus, tr. XIII, De
riiiix el peccatis, disp. XVII, dub. ni, § 1, n. 55-60,
t. vin, p. 374-376; Bellarmin, De purgalorio, 1. U.c. i,
Opéra ontnia, S in-4°, Naples, 1S7-2. t. «, p, 387; Les-
sius, De perfectionibus moribusque divinis, 1. XIII,
c. x.w, n. I<)3. p, it).") sq.; Atzberger, Geschichte der
christlichen Eschatologie, in-8", Fribourg-en-Brisgau,
1898, p. 109 sq.; Tunnel. Histoire de la théol :
live, Paris, 1904, p. 187-192. Elle fut renouvelée par les
anabaptistes du xvi1 siècle, el par les déistes el rationa-
listes de nos i s.
L'Eglise a solennellement condamné relie erreur à
diverses reprises. Cf. II« concile de Constantinople,
V1 œcuménique, tenu en 558, anathema ix. Mansi,
il , i. i\. col. 995; Denzinf
voir OrIGÉNISME kl vc su i i i . II
\ Il œcuménique, tenu i n 7K7 . Mansi, t. xu, col. Il
IV concile œcuménique de Latran, en 1215; Décrétai.,
1 I. lit. i. De tumma trinitate et fide catliolica,
I n miter, Denzingt r, n. .
1250, Décrétai., I. III, lit. mu. h ejut
effectu, c. ni, Majores, Denzînger, n. 341; concile de
Trenli \ I, c. \iv. s.» UV. < an. •">;
XVII. c. wvii-xwiii. Denzinger, n. I
Cf. Iié. Diekamp, Die origenist. Si
Munster, 1897, |>. 07 sq.
Les textes de la sainte Écriture ne laissent pa
moindre doute à ce sujet. Toute- |. - fois qu'il \ est fait
mention du châtiment des damnés dans la trie fol
il \ est dit que ce châtiment n'aura pas de lin. h
dite a me, maledicti . Mallh., xw.
il. 10. Si le feu est éternel, la peine du dam doit
l'être aussi, car la malédiction ou la réprobation,
discedite a nie, maledicti, doit durer autant que le
feu lui-même, qui n'est qu'une conséquence de cette
malédiction. Tant que les damnés brûleront dan
feu, ils seront retenus loin de Dieu. Donc la malédic-
tion pi sera éternellement sur eux, et toujours ils
auront à supporter la peine du dam. C'est d'ail
dans celle-ci que consiste essentiellement l'enfer. Si
les peines secondaires sont éternelles, comment la
peine principale ne le serait-elle pas? A la peine du
dam. et en premier lieu à elle, s'appliquent donc tous
les passages de l'Écriture qui présentent comme
nels les châtiments des damnés, au même titre que sont
éternelles les récompenses des élus. Qu tnt in
terrai pulvere evigilobunt, alii in vit- ■ iatn,
alii in opprobrium .et. comme portent le texte grec et le
texte hébreu, in abominât ioneni et conteruptum xter-
num, •!; oveiSi(j|xôv •/.*■. ot!ff/*jvT,v a z~v "s. .
Dan., xu, i. La peine éternelle du dam est clairement
indiquée aussi par saint Paul ; Patna* dabunl tu
interitu œternas, a facie Domini et a gloria virtulis
ejus: SîxYjv Tisovr:'/ oXeOpov siûviov i- .
Kuptov xcti auto ?r; ô'.Hr: tt: \n/y',i ixvtoC : ils subiront
des peines éternelles loin de la face du Seigneur.
II Thess.. i, 9. Cf. Apoc. xiv, 11: xix. 3; xx. 10.
Sans doute, le mot éternel, sïcôvto; en r :-
T
en hébreu, a quelquefois dans l'Ancien Testament
un sens moins rigoureux, el il di signe, alors, une
période de longue durée, quoiqu'elle doive avoir
cependant une lin. Mais, dans ces cas. la restriction
s'impose par la considération du contexte, à tel point
que ces cas peinent être précisément en mute
des exceptions. Si, dans certaines circonstances parti-
culières, un mot esl susceptible d'un sens impropre et
limité, on aurait tort d'en conclure, en : raie,
qu'on doit toujours le prendre dans ce sens incomplet.
On ne le peut que s'il \ a des raisons le le
faire, manifestant l'intention de l'auteur à ce sujet.
Autrement il faudrait renoncer à toute i larté dans ],.
langage humain, c ir il n'j s guère de mots, qui, outre
leur -eus propre el naturel, ne puissent aussi recevoir
un sons métaphorique et figuré. Donc, pou
un mot son sens propre, il n'est pas besoin de raisons
spéciales; il en faut, au contraire, pour le détourner du
sens propre que l'usage el le consentement commua
lui ont constamment donne. Cf. Passaglia, De mternitate
pœnarum, in-8", Home. 1855, p, 10 Or, dans les textes
précités, il n'] a aucun motif de prendre le mot
rnel > dans un -en- métaphorique. I i PaSSSglia,
Op. cit., p. Il <q. Il y en a plutôt pour lui b
-eus propre, a moins de supposer que, dans la même
phrase, le même mot soit pris une foi- dans 1,
propre, el une autre fois dans le sens métaphorique.
Fous conviennent, en effet, que lorsqu'il s'agit de la
13
DAM
14
récompense des justes, le mot « éternel » doit être pris
au sens propre, ibitnt justi in vitam seternam.
Matth., xxv, 46; Marc., îx, 42 sq. Mais comment, alors,
et pour quel motif, dans cette même phrase, prendre
le mot « éternel » au sens métaphorique, quand il
s'agit du supplice des damnés, ibiint in supplicium
seternum ? Ce serait l'absurdité même, remarque
saint Augustin : Disccre in hoc uno eodemque sensu :
vita seterna sine fine erit, supplicium œternum finem
habebit, multum absurdum est. De civitate Dei,
1. XXI, c. xxiii ; Ad Orosium contra priscillianistas et
origenistas, c. vi, P. L., t. xu, col. 736; t. xi.ii,
col'. 673. Cf. S. Jérôme, In Gai., m, 22, P. L., t. xxvi,
col. 367 sq. ; S. Bonaventure, In IV Sent., 1. IV,
d i -s t . XLIV, p. n, a. 1, q. I, Opéra omnia, 6 in-fol.,
Rome, 1596, t. VI, p. ."369 sq ; Knahenbauer, In Isaiant ,
lxvi, 24, 2 in-8», Paris, 1887, t. II. D'ailleurs, dans le
Nouveau Testament, jamais le mot a'.wv.o- n'a le sens
restreint. Une se trouve, en effet, que dans les passages
où mention est faite de la lin du monde, terme dernier
de toutes choses, après lequel il n'y a plus à espérer
où à attendre de changement.
<l toujours en prenant le mot « éternel » dans le
sens rigoureux, que les saints Pères ont interprété ces
textes. Quibuscumque di.cerit Dominus : Discedite a
me, maledicti, in igneni perpetuum, isti erunt semper
damnait ; cl quibuscumque dixerit: Venile, benedicti,
...hi semper percipiunt regnum... Aiwvco Se xai à-:û.e.-J-
r/)Ta Ttapà 0sov -ù. àystOi, y.ai Sià tovto xa\ r, ox£py\ait
aûtfiiv aîoivio; y.oci à-z) iv-r^o;. S. Irénée, Cont. hser.,
1. IV. c. xxvni; 1. V, c. xxvn, P. G., t. vu, col. 1062,
1 MH) sq. Les . mires Pères parlent de même et enseignent
l'éternité de l'enfer. Cf. S. Basile, In lsaiam, n, 31,
\. 20; Tn Ps. v\\;;/, /'. G., t. xxv, col. 229, 550 sq. ;
I. xvxix, col. 368, 372; Siméon Métaphraste, P. G.,
t. XXXII, col. 1301 ; S. Grégoire de Xaxianze, Oratio XL,
m ». baptisma, n. 36, /'. G., I. xxxvi, col. 'ill, 125;
s. Jérôme, In Jonam, m, 6; In Matth., xxv, 16, P. L.,
t. xxv, col. 1142; t. xxvi, col. 197; S. Augustin, De
fi de et oper., c. xv, n. 25; De civitate Dei, 1. XXI.
c. xxiii-xxiv; I.XXII, c. i; Ad Orosium contra priscil'
lianUtas ri origenistas, c. v. /'. L., t. xi., col. 211;
t. \ii, col. 735 sq.; t. xi.ii, col. 672; S. Fulgence, De
fi.de, seu de regain verse fidei ad Pelrum diaconum,
c. xi. ni, n. 8i; De remissione peccatortim , 1. Il , c. xin,
xv, xxi, /'. /.., t. i.xv. col. 564-567, 571 sq.. 700-703;
s Léon I'- Grand, Serm., ix, De collectis, iv, /'. I..,
t. i.iv. col. Mil sq.; s. Grégoire le Grand, Moral., I. VIII,
c. vin ; I. IX. c. xxxviii: I. XXXIV. c. xvi ; Dialog.,
I. IV, c. xi.iv, P. /.., i. lxxv, col. 809, 894; t. i.xx'w,
col. 736 sq.; t. lxxvii, col. i02. Cf. Benoit Sinsart,
Défense du dogme catholique sut V éternité des peines
de l'enfer, in-8», Strasl rg, 1748; Petau, Dngmata
theologica, tr Dr angelis, I. Ml, c. vi-vm, t. iv, p. 99-
\-ï.\. Patuzzi, De futuro impiorum statu, libri 1res,
in-i , Venise, 1764; Atzberger, Gesclnrlite der christli-
rhra Eschatologie, p. 247 sq., 291.
\ Ce -ni"1- h - théologiens n'onl aussi qu'une voix.
3. Thomas, h, IV Sent., I. IV, .list. XI.IV, \I.V.
XI. VIII ; Stir», I lirai.. III' Suppl., q. I \l\. ;i .'!; q. I.XW.
Cont. gentes, l. III. c. xi, c. cxliv; I. IV, c. sevi;
Suarez, lr. V. De vitiit ri peccatis, disp. VII, sert, m,
n.-J 10, Opéra omnia, i. iv, p. 586-590 ; Salmanticen es,
gicus, ir. XIII. De vitiis ri peccatis,
disp, Wll. dub. m, s 1-4, n. 55-90, i. un. p. 387-389;
i-, De /,. i fet lionib lis, I. XIII,
c. \\ . p. 165 170; l mery, Dissertation sur la mitiga
lion dei / ■ ' omplètes, édit.
Migm . Pari . 1857, col, 1358 1412; Bautz, Die B
p. 38 sq. ; Billot, QuœslUmet de novissimis, q. ni.
n, I, in-8», Rome, 1902, p. 50-54.
La 'lui., éternelle de la peine do dam ne répugni
La droite raison, on effet, enseigne m11.
Dieu ne peut laisser sa loi sans une sanction suffisante.
La sagesse le demande, car Dieu ne saurait demeurer
indifférent au crime et à la vertu. Or, cette sanction
n'existe pas toujours sur la terre. Très souvent les
pécheurs y trouvent honneurs et richesses, tandis que
les justes n'y rencontrent qu'épreuves et afflictions.
C'est pour beaucoup un sujet d'étonnement et même
de scandale, suivant le mot du psalmiste : Zelavi super
iniquos, pacem peccalorum vidons. Ecce ipsi pec-
catores et abundanles in sseculo obtinuerunt divilias.
Ps. lxxii, 3, 12. Les impies en profitent pour blasphé-
mer la providence, s'obstiner dans leurs péchés, et nier
même l'existence de Dieu. Ps. xm, 1, 2 sq.; lui, 1 sq.
Très souvent cependant l'Ecriture annonce que cette
sanction n'est que différée. Noli semulari in mali-
gnantibus, neque zelaveris facientes iniquitalem.
Quoniam tanquam fœnuni vclociter arescent....
quoniam quimalignanlurexterminahunlur. Ps. xx.xvi,
1, 2, 9 sq. Vse vobis divitibus, quia habelis consola-
lioncm vestram. Vse vobis qui saturati eslis, quia
esurietis... lugebitis et flebitis. Luc, vi, 2i sq. Celte
sanction aura lieu quand le juge souverain viendra
rendre à chacun selon ses œuvres. Matth., xvi, 27;
Act., xvn, 31 ; Rom., n, 6. La sanction due aux pé-
cheurs impénitents est donc réservée pour la vie future.
D'ailleurs, par un certain côté, le péché grave a une
malice infinie. L'injure croit en proportion de la
personne offensée. Or, la personne offensée par le
péché mortel est Dieu, qui est infini. Cette injure,
i nfinie dans son objet, si elle n'a pas été réparée en
cette vie, grâce aux mérites infinis du Verbe incarné,
doit l'être dans l'autre monde. Si le châtiment que
l'homme est capable de subir ne peut être infini dans
son intensité, il peut néanmoins l'être dans sa duréo
illimitée. Le pécheur qui meurt en état de péché mor-
tel, mérite donc un châtiment éternel. Cf. S. Thomas, In
IV Sent., 1. II, dist. XLI1, q. i, a. 5; Lessius, De perfe-
ctionibus moribusque divinis, 1. XIII, c. xxvi, n. 187-
189; c. xxvn, p. i87-496.
C'est donc un sophisme de comparer la durée du
châtiment et celle du péché, en vue de démontrer que,
pour un péché de quelques instants, il n'est pas juste
d'infliger une peine éternelle. Un crime mérite un
Châtiment, non en proportion de sa durée, niais de la
malice qu'il renferme. Un assassin qui accomplit son
méfait en quelques instants, n'est-il pas justement mis
en prison pour toute sa vie, ou condamné à mort et,
par conséquent, privé .i jamais des biens dont il aurait
pu jouir sur terre ? Jamais la justice humaine n'a cru
devoir limiter la durée du châtiment à la durée du
temps qu'il a fallu pour commettre la faute. Mlle consi-
dère la gravité de la faute commise. Souvent d'un acte
transitoire découlent des effets perpétuels, comme la
mort de la victime, dans l'homicide. Cf. s. Augustin,
De civitate Dei, 1. XXI, c. xi. /'. /.., t. \n, col. 726;
S. Grégoire le Grand, Moral., I. XXXIV, c. xi\.
n. 36, P. L., I. i.xxvi, col. 73S; s. Thomas, Sum. theol.,
I« II», q. ixxxvii, a. 3, ad T"". Smindiim civilem
justitiam, dit ailleurs saint Thomas, qui rouira rem-
publicam peccat, societate reipublicm pri uatur omnino,
velper mortem, velper exilium,nec atlenditur quanta
fuerit mora temporis in peccando, sed quai siteontra
quod peccavit. Eadem est autem comparatio toiiu*
d'Usé pressentis ad rempublicam tei'renam, et totius
mternitalis «<' socielatem beatorum qui ultimo fia,-
aliter poliunlur . ',"" orgo contra ullimum finem
peccat, ri contra ■ haritatem per quam est societas
,,/<<..) débet puniri [privalione Ulius
finit et societatit . quamvis aliqua brevi temporis moi a
. , ii <:,-ni gentes, I, III. c. i m iv. Cf. Sum, i lirai..
lll' Mippl., q. c, b, i . /" IV Sent., l il. dist. XI.II.
.">. l. IV. dist, \ i.vt. q. i. i. ::. Salmanticen
Cursus theolog., tr. Mil. Dr viliis ri peccatis,
15
DAM
10
disp. XVII, dub. m. S 2. n. 69-76, i vin. p. 380-384;
Bourdali Sermon pour le A'/.V' dimanche "<
la Pentecôte, Ni"- l'éternité malheureu$e, I" partie,
mplètes,t. vu, p. 244-271 ; Monsabri /. -,
(ion du dogme catholique; L'autre monde, icvni1
conférence: L'enfer: l'éternité des peine», in-8°, Paris,
p. 58-70.
(in objectera que souvent cens qui pèchent mortelle-
ment n'ont pas l'intention depersévérer dans Le péché,
mais se proposent il'' se convertir avant de mourir. Il
n'est pas moins \ rai que, par ce péché mortel, il- placent
actuellement leur lin dernière dans le bien créé qu'ils
préfèrent a Dieu, et ils auraient l'intention de persévé-
rer dans ce désordre, s ils pouvaient le faire impuné-
ment, s'ils se proposentde se convertir pi us tard, c'est
uniquement à cause île la crainte serviliter servilis.
Ils ne détestent pas le péché lui-même, puisque, malgré
cette crainte de l'enfer, ils le commettent. Ce qu'ils
délestent dans le péché, c'est le châtiment qu'il entraîne,
connue les damnés, après la mort, ne le détestent que
pour ce motif. Le pécheur, avant à choisir, choisit le
péché, et il est décidé à y rester toujours, s'il peut le
faire sans inconvénient pour lui. Il a donc renoncé
pour toujours, autant qu'il dépend de lui, au bien in-
créé, afin d'adhérer pour toujours aussi à la créature.
Suivant la remarque si judicieuse de saint Grégoire le
Grand, les pécheurs voudraient toujours vivre, afin de
demeurer toujours dans leurs iniquités. Mo
1. XXXIV. c. xvi, P. L., t. i.xxvi, col. 736. Cf. Salman-
ticenses, Cursus théologiens., tr. NUI, De vitiis et pec-
catis, disp. XVII, dub. m, §3, n. 78-82, t. vin, p. 385 sq.
Il< monlrent bien la perversion de leur volonté, en
repoussant, durant leur vie, la grâce de la conversion
qui leur est si souvent offerte, et en différant jusqu'à
la mort leur propre amendement. Quand ils ont quitté
la terre, celle grâce n'est plus à leur portée. Dieu la
leur refuse; mais peuvent-ils justement s'en plaindre,
après l'avoir si souvent méprisée? Celui qui se crève-
rait volontairement les yeux, dil saint Thomas, ne se
priverait-il pas pour toujours de la vue, car il ne peut
se la rendre? lie quel droit voudrait-il faire Dieu
responsable de sa cécité? Dieu peut lui rendre la vue,
sans doute; mais y est-il obligé? El celui qui se tue.
ne s'enlève-t-il pas pour toujours la vie ? Ainsi le pécheur
détruit volontairement en lui le principe de sa vie
surnaturelle, ou de la béatitude éternelle. Donc, autant
que cela dépend de lui, il se l'enlève d'une façon irré-
parable. Dieu pourrait le lui rendre même après la
mort, mais il n'y est nullement obligé. Cf. S. Thomas,
Sum. iheol., Ia II*, q. i.xxxvn, a. 3; Suarez, Deangelis,
1. XIII, c. xi, n. 5sq., Ojiera omnia, t. Il, p. IOOV-1006:
Salmanticenses, op. rit., tr. XIII, De vitiis et peccatis,
disp. XVII, § 3. n. 82-85; § '., 85-90, l. \ ni. p. 386-389.
C'est de toute justice que celui qui a voulu éternelle-
ment pécher contre Dieu, soit éternellement séparé de
lui. comme le remarque encore le pape saint Grégoire,
Dialog., I. IV. c. xi.iv, P. L., t. i \wn. col. 402.
Cf. S. Fulgence : Permanente in eisinjustœatwsionis
malo, permanet etiam justse rétribution
daninatio. Dr fide ml Pelrum, c. xxxi, \x.\vi. /'. /...
I. i w, col. 887, 689. Iii cela, dit saint liernard. Dieu
■ si extrêmement juste; il est l'équité même, la règle
inflexible de la droiture : Deus est squilalis directio
onverlibilis algue indeclinabilis, quippe attingens
ubique... Rectus Domihus Deus nosler, qui et cum
erso pervertitur. Dr considérations, 1. V, c. xn,
n. 25, /'. /... t. clxxxii, col. 802. Cf. Monsabré, op. cit.,
p. 70-76.
si la peine du d. st éternelle, les maudits éprouvent-
ils, di ins. parfois, des adoucissements? Quelques
anciens mit supposé qu'il en avait été ainsi l.i nuit de
la résurn i Lion de Notre-Seigneur, et qu'il peut en être
de même par l'eflel des prières des vivants. Cf. Prudence,
,.., \. vs. 125 s,, . /■ i,t t. nx. coi, 827 sq.
5. Augustin, Enchiridion, c. i \. i \u. /'. /.., t. xi.
col. 283 sq.. Apocalypse de Paul. Voir t. i. col. I.
Mais le même saint Augustin réprouve très sévèrement
cette opinion erronée /' Dei, I. XXI. c. xxiv,
/'. L., t. XI. I, col. 737. Saint Thomas la COndaO
comme présomptueuse, ne reposant sur aucun fonde-
niiiit. et tout à fait Contraire a la tradition catholique.
Iheol., III' Suppl., q. i.wi. a. 5. Cf. Su i
/" /// /■',/.,.. Sum. iheol., disp. XLIII, sect. m.
n. 10. Opéra omnia, t. xiv, p. 738; Hell.irmin. De pur-
gatorio, I. II. c. xvm. Opéra omnia, 8 in-8 . Naj
1872, t. ti, p. 406 sq.; Petau, Dogmatatheologica,tr.\,
Dr angelis, I III. c nu, n. 16-18, t. iv, p. 119-431;
Billot, Quastiones <><■ o<. | m. thés. ni.
p. 69-71. Saint Thomas admet cependant, et la plupart
des théologiens admettent avec lui. que Dieu ne punit pas
les damnés suivant toute la rigueur de sa justice, mais
que, malgré la gravité de leurs supplices, sur eux aoi
jusqu'à un certain point, s'exerce la divine miséricorde.
iheol., D, q. \xi. a. 1. ad I •■ ; 7n IV Sent.,
I. IV, dist. XLVI. a. 3, ad lum; Suarez, tr. Y. De vitiis
rt peccatis, disp. VII, sect. m. n. 15; De incarnat.,
q. I. a. 2, disp. IV, sect. m, n. 32. Opéra omnia, t. iv.
p. 590; t. xvn, p. 137; Bellarmin, De purgatorin, 1. II.
e. xvm, ad 2"". Opéra omnia, t. n, p. 417; Monsabré,
<//<. cit., p. 83 sq.; S. François de Sales. Traité de
l'amour de Dieu. I. IX, c. i. Œuvres complètes. 17
in-8», Paris, 1835,' t. vu, p. 113.
v. Inégalité de la peine m dan en enfer. —
Considérée en elle-même, la peine du dam est la même
pour tous les damnés, car elle esl également pour tous
la privation totale et définitive du bien suprême.
Cf. S. Thomas, Soin, theol., I» II*, q. xxxvn. a. 4;
III' Suppl., q. un, a. 3; Salmanticenses. Cursus
théologiens, tr. XIII, De vitiis et peccatis, disp. IX.
dub. [,§ 1-5, n. 1-25, t. vin. p. 250-260. Mais considérée
dans l'affliction qu'elle apporte aux réprouvés, elle
diffère suivant le degré de culpabilité de chacun d'eux.
Plus ils furent coupables, plus ils sont torturés par
elle, car plus profondément ils sont tombés dans ce
ténébreux et terrible ahimede l'âme, dont saint Augustin
parle si éloquemment, Confess., I. XIII. c. vin, /'. L..
i. \xxiv. col. 848, et plus ils sentent douloureusement
le vide infini causé par l'éloignement de Dieu. Eo
niagis in tenebrosa sut ij>sius abgsso anitna damnata
profnndatur, quo rnajori sensu afficitur sum potentia-
litatis, sciens ad quant magnarn heatitudinem fuerat
prseordinata; quo etiam longius a terra quiets* in
ternum repulsam se videt, quo magis de selemo
vacuo et impertransibili rhao in quod decidit, sibi
conscia est. (T. Billot, Qusestiones île novissimis, q. ni,
thés. iv. s, l, p. 78.
Cela se comprend facilement si l'on sonp' que,
même en enfer, il est rendu a chacun selon Ses IBUVreS.
Rom., n. 6. Or, celte correspondance entre le châti-
ment et la faute commise doit se retrouver surtout dans
la peine du dam. qui est la peine essentielle et princi-
pale de l'enfer. S. Thomas. CotU. grntrs. I. III. c. CXI II.
Plus un damné a péché, plus il s'est détourné' de Dieu.
La peine du dam a pour Dut précisément de punir le
péché en tant que par lui le pécheur se détourne de
Dieu. Le damné sent donc, en proportion deses péchés,
le poids de la malédiction d( Ce Dieu qui s'éloigne de
lui à son tour, et qui le chasse de sa présenO
damné souffrira d'autant puis qu'il aura une plus grande
facult,' et un plus grand besoin de jouir. Les grâces
reeues ci méprisées ont augmenté on lui cette aptitude
iin, en pioportion de leur nombre. Chaque
. en effet, i tait un appel de Dieu, une invitation à
le mieux connaître et à le mieux aimer. C'était, en
même temps une lumière et un moyen pour arriver a
ce degré d. connaissance et d'amour fixé par Dieu.
17
DAM
18
Elle créait donc clans l'âme une plus grande disposition
à cette connaissance et à cet amour, et, par une suite
naturelle, un plus grand besoin de connaître Dieu et
de l'aimer. Donc, autant de grâces rejetées par le pécheur,
autant de degrés inassouvis de puissance et de besoin
d'aimer et de posséder Dieu. Chaque grâce méprisée
a creusé davantage l'abîme éternel dans lequel l'âme
s'est plongée. Les plus coupables sont donc plus aptes
à sentir la privation du bien suprême, comme, dans le
cie', les plus saints parmi les élus sont plus aptes à
jouir de la présence et de la possession de Dieu. La
-race dont les saints ont profité et qui a porté ses
fruits en eux, a augmenté leur ressemblance avec
l'exemplaire divin. C'est ce plus ou moins de perfection
dans leur conformité avec lui qui les rend plus ou moins
capables de jouir de la divine essence. De même, le mépris
des grâces et les fautes accumulées ont augmenté, chez les
damnés, leur degré de dissemblance avec l'infinie pureté
et sainteté de Dieu. C'est ce plus ou moins d'opposition
au bien suprême qui leur en fait sentir davantage la
privation, et différencie en eux la peine du dam. Dieu
est l'essence même delà bonté et de la félicité substan-
tielle, comme dit le pseudo-Denvs. De divinis nomini-
bus, c. i, S 3; c. iv. § 10, P. G., t. m, col. 590, 707. Le
malheur d'en être privé se mesure donc sur le degré
d'opposition que le damné a avec ce bien suprême,
dont les grâces reçues tendaient à le rapprocher, tandis
que ces mêmes grâces méprisées tendent à le repousser
davantage. Cf. Lessius, De perfectionibus moribusgue
divinis, I. XIII, c. x.xix, n. 20 i, p. 503-507; Suarez,
De angelis, 1. VIII, c. v, n. 9, Opéra omnia, t. n,
p. 978; Salmanticenses, Cursus théologiens, tr. XIII,
De ritiis et peccatis, disp. XVIII, dub. I, § 2, n. 7-10,
t. vm, p. 400 sq.
De même donc que les élus, dans le ciel, jouissent
davantage de la vision béatilique, suivant leurs mérites!
de même, les damnés, dans l'enfer, soutirent davantage
de sa privation, en proportion des crimes dont ils se sont
souillés. Cf. Saltnanticences, Cursus theolog., tr. II, De
visionc Dei , disp. V, dub. i, t. I, p. 251.
C'est l'avis unanime des théologiens, comme ce fut
aussi celui des saints Pires. Cf. S. Basile, In Ps. vu,
•"). /'. G., t. xxix, col. 238 sq.; S. Jérôme, ('.'mira Jovi-
nianum, I. II, n. 25, /'. /,.,t. x.xni, col. 322; S. Augus-
tin. Epist., ci xvn. n. i; De liœr., n.82, /'. t., t. XXIII,
col. 375; t. xiii, col. 15; Scot, In IV Sent., 1. IV.
dist. XVI, q. i. a. I; dist. I,. q, i, a, i ; s. Thomas,
lu IV Sem.. I. Il, dist. XXXII, q. i. a. I; Suarez, De
angelis, I. VIII. c. v, n. 9, Opéra omnia, t. n, p. 979;
Salmanticenses, Cursus théologiens, tr. XIII, De vitiis
ei peccatis, disp. XVIII, dub. i, g •>, n. 7-10; §3, n. 10-
22. I. vm. p. ii il lus
VI. La peine du dam EN PURGATOIRE. — Les âmes du
purgatoire soufTrent-elles la peine du dam? Si le mot
dam es) pris dans son sens rigoureux et absolu, entant
qu'il signifie l'exclusion définitive de la vie éternelle,
la perte irrémédiable de la béatitude suprême, il ne
s'applique pas évidemment a l'état des i s, retenues
en purgatoire. La peine du dam, en effet, esl encourue
par le pécheur, parce qu'il O'si détourné de Dieu et a
-i lin dernière dans la créature. Or, cette aversion
à l'égard de Dieu n'existe pas dans les âmes imites du
itoire. i n grand nombre d'entre elles n'ont commis
que des péchés véniels qni ne les détournent pas de
Dieu, mais s,,, ii simplement un obstacle dans leur
marche vers lui. Quant anx autres qui eurent le malheur
■ i. pécher mortellement, elles s,- sont repenties durant
leur vie terrestre, et, par con i quent, convertie! > Dieu
et retourm • • ■ i- lm. La peine du dam n- saurait di
en aucun I - on leur être infll
Mal», i par dam, on entend simplement le retard
apporté .i la vision béatiflque ci a la pos et Ion di
Dlen, l' - Imes du purgatoire j sont . ertainemenl
mises, et cette peine est pour elles extrêmement doulou-
reuse. Cf. Suarez, De angelis, 1. VIII, c. xiv, n. 14;
De purgalorio, disp. XLVI, sect. i, n. 2, Opéra omnia,
t. n, p. 1038; t. xxn, p. 903. Vu sa nature néanmoins,
elle ne se rapporte pas à la peine du sens, mais à celle
du dam. Elle peut donc, et doit être appelée pœna
damni secundum quid. C'est aussi à la peine du dam
que saint Thomas la ramène. In IV Sent., I. IV,
dist. XX, q. i, a. 2; dist. XXI, q. I, a. 1, q. in. D'après
les théologiens, la peine du dam absolu est donc la
privation perpétuelle de la béatitude suprême, et le
dam relatif est le retard apporté à la jouissance de ce
bien infini, à partir du moment où, suivant l'ordre de
la providence, on devient apte à le posséder, et où l'on
devrait en jouir. C'est au moment où l'âme se sépare de
son corps, que, dégagée des liens terrestres, et inacces-
sible aux impressions des sens, l'âme sent s'éveiller en
elle cette faim dévorante et cette soif de bonheur, qui,
par une tendance irrésistible, la porte impétueusement
vers Dieu, seul capable de la satisfaire et de la rassa-
sier. Tant que l'âme n'entre pas en possession du bien
souverain après lequel elle soupire de toutes les puis-
sances de son être, elle subit une torture à laquelle
tous les maux de la terre ne sauraient, en aucune façon,
être comparés. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV,
dist. XXI, q. i, a. 1, q. ni. La vision béatifique est un si
grand bien, dit Suarez, que la posséder un seul jour,
ou même une seule heure, cause un bonheur dépas-
sant infiniment la joie que procurerait la possession
simultanée de tous les biens de la terre, pendant une
longue existence. La vision béatifique, accordée pendant
quelques instants seulement, serait une récompense
surabondante, et hors de toute proportion, pour toutes
les bonnes œuvres que chacun pourrait accomplir, et
pour toutes les épreuves que l'on pourrait subir
ici-bas. Par suite, le retard apporté à cette jouissance
pour l'âme qui, séparée de son corps, a un besoin im-
périeux de cette béatitude infinie, cause une peine
dépassant incomparablement en amertume et en souf-
france tous les maux delà terre. Lésâmes du purgatoire
reçoivent de Dieu les lumières qui leur font comprendre
combien grand est le bien dont elles sont privées. En
même temps, s'allume en elles, pour la beauté infinie
qu'elles connaissent, un amour si intense qu'il leur
rend Péloignement de Dieu plus pénible et plus terrible
que mille morts. Cf. Suarez, De pur gatorio, disp. XLVI,
sect. m, n. 1, Opéra omnia, t. xxn, p. 917 sq. ; Bellar-
min, De purgalorio, 1. II. c. x, XIV, Opéra omnia,
t. n, p. 401, 403. Leur ardent amour pour Dieu fait
leur supplice. C'est non seulement une faim insa-
tiable et une soif inextinguible de Dieu : c'est une
Bèvre de Dieu, fièvre brûlante, d'une incalculable
intensité, car sa grandeur se mesure à celle de l'objet
dont la privation les torture. C'est une douleur d'un
autre ordre que toutes celles de la terre : douleur trans-
cendante, comme esl transcendant leur état d'âmes
séparées du corps, état dont nous n'avons actuelle-
ment ni l'expérience personnelle, ni même l'idi'e, et
qui leur donne la Faculté >\<' souffrir d'une manière
toute différente de cille dont on souffre en ce monde.
Cf. Mb* Cay, De la ne ri tirs vertus chrétiennes ronsi-
dérées dans l'étal religieux, c. xvn. De l'Eglise consi-
comme objet dû la charité, Il'partie, De l'église
touffrante, 2 in-8», Paris, 1874, t. H, p 663 568; Moi
bré, Exposition du dogme catholique, xi ur confé-
itoire, m 8 . Paris, 1889, p. 23 sq.
Pour cire passible de cette peine du dam relatif, ou
tecundum quid, il n'est pas néci di toui m
di Dieu pai li péché mortel, cm pour le dam
al. s,, lu; mais il suffit de tOUl obstacle qui se ili>
entre l'âme avide de Dieu et Dieu lm mémi . < ■ I oba-
tacle à l'élan de l'âme vers Dieu qui l'attire avec tant
■ i.- forci i est le pi i hé rénii I, ou la peine due encore
l'.l
DAM
20
aux péchés mortels déjà pardonnes qnanl à la coulpe.
I ce ipii relient loin de Dieu les âmes jusqu'à leur
entière purification, el les empoche jusque-là de jouir
de l.i béatitude éternelle. Cf. Salmanl
theologicus, tr. Mil. De vitiis et peccatis, disp. XVIII,
dub. i, § I. n. 6, i. vin. p. 399 sq. ; Suarez, De /■
torio, disp. \ I.VI, sect. i, n. 2-4, Opéra omnia, t. xxn.
p. 309 sq.
Cette peine du dam relatif que souffrent les âmes du
purgatoire, est, cependant, malgré son intensité, bien
différente de la peine du dam absolu dont sont aii
les damnés dans l'enfer. Pour ceux-ci aucun soulage-
ment ou adoucissement, ni aucune consolation; mais
le désordre, la révolte, le blasphème, le désespoir
éternel. Obstinés dans le mal, ils ne consentent en
aucune façon aux arrêts de la justice divine, et ils
maudissent ce Dieu, pour lequel ils se sentent faits.
et dont la possession pourrait seule leur procurer cette
félicité, que tontes les puissances de leur être exigent
et réclamenl sans cesse. Les âmes du purgatoire, au
contraire, aiment Dieu et adorent les décrets de sa
justice, même quand ils les font épouvantablernent
souffrir. Elles ont la charité et la grâce sanctifiante.
racine et fondement inébranlable de la gloire éternelle,
à laquelle elles parviendront certainement, un jour.
Elles le savent, et cette assurance est pour elles la
source indéfectible d'une immense joie. Au milieu de
leur supplice elles goûtent une paix inaltérable,
inconnue sur terre. Cf. S. Iionaventure, In IV Sent.,
1. IV, dist. XX, part. II, a. 1, q. il; Suarez. De purga-
torio, disp. XI. VII. sect. ni. n. 1-10, Opéra omnia,
t. xxii. p. 931-935; Bellarmin, De purgatorio, 1. II,
c. iv, v, xiv, Opéra omnia, t. il, p. 392-395, 403;
Rinet,De l'état des dotes du purgatoire, c. n. S 2, La
peine du dam, in-12, Paris, 1863, p. 13 sq. ; Mgr Gay,
"/>. rit., t. il, p. 569-.">72. Si le cboix leur était donné,
elles préféreraient rester en purgatoire, plutôt que de
revenir sur la terre, où, cependant, en beaucoup moins
de temps, elles pourraient, et avec infiniment moinsde
soullrance, satisfaire à la justice divine; mais où aussi
elles seraient encore exposées à se perdre éternelle-
ment. La joie intense que leur procure la certitude de
leur citut éternel, les ;uilo merveilleusement à suppor-
ter leur soullrance, quoiqu'elle ne la diminue en rien.
Puis, comme elles sont confirmées en grâce, leur
volonté est en tout conforme à la volonté de Dieu. Non
seulement elles acceptent avec résignation ses décrets,
mais elles j acquiescent avec amour et reconnaissance.
Or, une peine volontairement acceptée et subie avec
amour est moins pénible, en raison de son acceptation
et de l'amour qui la fait accepter. C'est un fait d'ex-
périence et une vérité reconnue par les théologiens,
que la peine n'est, à proprement parler, que ce qui
contrarie la volonté : lt;rc est ratio poème quod uolun-
tali cottlrariatur. Cf. S. Thomas, //' IV Sr/it., I. IV,
dist. XXI, q. i.a. I, q. iv; Stuii. tlieol., I» II". q. VI,
s 6; 5. Bonaventure, In IV Sent., I. IV, dist. XX.
part. II, a. 1, q. i. Moins une peine est invo-
lontaire, moins elle contient de pénalité, quantum adi-
mitur de involuntario, tantuni tollitur de pœnalitate.
Cf. Suarez, De purgatorio, disp. XI. VI, sect. in, n. 3.
t. xxii, p. 917; Binet, Dr l'étal des âmes du purgatoire,
<-. n. g 2; c. m, S 1-2, p. 19-24, 27-32. 75-122; Billot,
Disquisilio de natura cl rationc peccali personalis,
introductia ad tractatum de ptmitentia, part. I.
c. n, q.i xxwii, n. '.. m 8 . Rome, 1897, p. 77; Monsabré,
Exposition du dogme catholique, xcvn« conférence,
/. purgatoire, in-8°, Pans. 1889, p. 23 sq.; Faber,
Le purgatoire, c. m. in-12, Paris, 1898, p. 39 i"
Celte peine du daiii relatif est donc pour les .'unes du
purgatoire un mystérieux mélange de souffrances
Indicibles, d'inexprimables joies ,t d'ineflabli b conso-
lations. Par cela même, il doog est encore plus difficile
de nous en faire une idée, que delà peine du dam en
enfer. La souffrance torturante s,^ consolation
comprend mieux que celle qui tourmente en lait
subsister, ou mieux en Causant une joie a laquelle nulle
.le la terre ni' saurait êtn -ujei
on pourra consulter avec fruit le Traité du /
linte Catherine de Cènes. Examiné d'abord
l'ordre de l'archevêque de Paris, et approti
professeurs de l'université de cette ville, en 1666,
cf. (initia christiana, t. vu, p. 181, il le fut ensuite
plus solennellement encore par
.i l'occasion du procès de canonisation de la sainl
approuvé juridiquement par Innocent XI, le 14 juin
1676. Cf. Acta sanclorum, t. v seplembris, p. 127.
Saint François de Sales et le cardinal Bellarmin en
faisaient le plus grand cas. Ecrit primitivement en ita-
lien, ce traité a eu de nombreuses éditions en di\
langues. Le bénédictin Lecbner en a donné une édi-
tion allemande. Leben und Sehriften der ld. Katliarina
von (ienua, in-8°, Ratisbonne, 1859, p. "2'27 sq. In a!
assez étendu a été fait par le P. Faber, AU fur .'•
or tlte easy ways of divine Luve, in-12. Londres, 1861,
p. 1570 sq.; Tout pour Jésus, c. !.\. s. i. in-12. Paris,
1882, p. 367 sq. Le P. Marcel Bouix, de la Cornp;..
de lésus, en a publié une traduction française ; Traité
du purgatoire de sainte Catherin et, in-12.
Paris, 1883.
La durée de cette peine du dam relatif est absolu-
ment inconnue. Quelques auteurs, comme Soto,
h, IV Sent., 1. IV. dist. XIX. q. in. a. 2. et Maldonat,
De purgatorio, q. v, ont prétendu que la peine du
purgatoire ne pouvait durer plus de dix ans; mai
raisons qu'ils en donnent ne reposent sur aucun fonde-
ment sérieux. La peine du dam. même relatif, étant
plus terrible que toutes celles de la terre, ils se de-
mandent comment Dieu l'infligerait plus longtemps
pour des fautes vénielles qu'on peut si facilement
expier en ce monde par de légères mortifications, ou
simplement par l'usage des sacramentaux. Ils oublient
manifestement que. durant sa vie mortelle, l'homme
est sous le règne de la miséricorde, tandis (pie. plus
lard, il tombe sous celui de la justice. Mais pourquoi
lixer dix ans, et non vingt, trente, etc.. ou seulement
cinq et moins encore'.' Ils en appellent a la bonté de
Dieu. Sans doute. Dieu est infiniment bon; il est aussi
infiniment juste. Lésâmes du purgatoire se soumettent
avec amour à la douleur. Cf. M ' Gay, o/>. cit., t. II.
p. ôti'.t. Files savent que Dieu étant infiniment pur.
ne peuvent paraître en sa présence et jouir de
Lui sans être entièrement purifiées. Cette purification,
elles la désirent donc avec tant d'ardeur que, pour
aucune raison, elles ne voudraient que leur supplice fût
moins long ou moins rigoureux qu'il doit être pour
les amènera la pureté i laquelle elles aspirent. Files
souffrent; mais „msso plaindre, ni murmurer. Elles
sont plutôt extrêmement rccounai--antes a Dieu de
leur avoir, par boule et miséricorde, pré] lyens
de purification, pénible-, il est vrai, mais qui assurent
leur félicité. La prolongation de leur supplice ne leur
; dune pas opposée a la bonté de Dieu. Elle leur . n
est plutôt une preuve évidente.
nubien durera pour «Iles ci' dam relatif'.' Ces! le
secret de Dieu. Seul il connaît la gravite de ces fautes
légères, qui ne -ont ni une perversion complète de
l'être humain par rapport a sa fin dernière, ni une
apostasie toi. île. mais qui écartent de la voie droite et
qui, par suite, ont quelque chose de grave en soi.
parce qu'elles offensent lin M nie majesté de Dieu. A Dieu
seul il appartient de lixer el l'intensité et la dur.
la peme Cette durée, il ne nous en a p.i- révélé le
terme. L' Eglise n'a rien défini non plus ; mai-, par sa
pratique, elle tait comprendre que cette durée peut être
indéfiniment longue, puisqu'elle permet, en faveur des
21
DAM
22
âmes soumises à la peine du dam relatif, la célébration
des anniversaires expiatoires de vingt, trente, cinquante,
cent ans et plus. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV,
dist. XXI, q. i,a.3; Suarez, De pitrgatorio, disp. XLVI,
sect. îv, n. 6, Opéra omnia, t. XXII, p. 921 sq. ; Bellar-
min, De puigatorio, 1. Il, c. ix, Opéra omnia, t. Il,
p. MX) sq. Parmi les propositions condamnées par le
pape Alexandre VII, le 18 mars !666, il s'en trouve une,
la 43e, ainsi formulée : Annuum legalum pro anima
rélictum non durât plus rjuain per eleeem annos.
Cf. Denzinger, Enchiridion, n. 1014. Voir t. i, col. 746-
717.
D'ailleurs, cette notion du temps que nous avons
pendant que nous vivons sur la terre, les âmes du
purgatoire, séparées du corps, et soustraites à toute
influence du monde sensible, l'ont-elles comme nous?
Quel rapport a leur vie nouvelle avec le temps qui
s'écoule? Comment peuvent-elles le mesurer et en
apprécier le cours? Y a-t-il pour elles une différence
entre une minute et une heure, entre un jour et un
an. entre une année et un siècle? Pour elles, il n'y a
ni jour, ni nuit; ou plutôt tout est nuit. Ce ne sont pas
les ténèbres extérieures des damnés; c'est néanmoins
l'absence de lumière. Dans ces conditions si différentes
des nôtres, quel moyen ont-elles de se faire une idée
de la marche du temps? Cf. Mor Gay, op. cit., c. xvn,
p. 56ô sq. Une âme, plus tourmentée qu'une autre par
cette peine, peut croire en être affectée depuis plus
longtemps qu'une autre qui l'a précédée en purgatoire,
mais qui souffre moins, tant l'appréciation de la durée
est une chose subjective. Pour ceux qui mourront peu
avant la lin du monde, et qui, sans être damnés, auront
cependant à expier beaucoup, Dieu pourra augmenter
l'intensité de la souffrance, et leur donner ainsi la
perception d'une durée plus longue. Cf. S. Thomas,
In 1 V Sent., 1. IV, disp. XL VII, q. II, a. 3; S. Bonaven-
ture, h, IV Sent., 1. IV, dist. XLVII, a. 2, q. iv. Tout
ce qu'on peut assurer, c'est qu'au moment du juge-
ment dernier, la peine du dam relatif n'existera plus
pour personne, car, alors, le travail de purification
étant terminé pour toutes les anus, les humains ne
formeront plus que deux catégories : les damnés et les
bienheureux. Et ceci est de foi. Matin., xxv, 46.
Cf. S. Augustin, De civitate Dei,\. XXI, c. xvi, P. L.,
t. xi. i, col. 731.
Vil. La PEINE DU l'AM mx LIMBES. — 1" Pour les en-
fants morts sans baptême. — Voir t. Il, col. 364-378.
■2 La peine du dam pour les justes de l'Ancien
Testament, avant l'immolation de Xotre-Seigneur. —
usti s de l'Ancien Testament furent rete-
nues dans les limbes jusqu'à l'accomplissement de la
rédemption. Tant qu'il leur resta des fautes vénielles à
expier, elles lurent évidemment soumises à la peine du
dam relatif. Leur condition ne pouvait être meilleure
qui' celle des ;'imesqui soulTren i actuellement dans le
ttoire. Mais quand elles se trouvèrent entièrement
purifiées de leurs fautes personnelles, quel fui leur étal?
<»n doil tenir d'abord pour certain que la vision
béatifique ne leur fut pas accordée avant l'achèvement
de la rédemption par la mort du Christ, sur la croix.
"r. if- Noire-Seigneur était la rançon que deman-
dait pour 'tirs la justice divine, ■< cause de la faute
nelle. Mais, aussitôt âpre- le sacrifice du Calvaire,
I du Sauveur descendue aux limbes les lit entrer
en participation de la béatitude éternelle. Christusad
.,,it,i descendent, omnet /nstns qui origami,
peccato adilricii tenebantut ■ El sine aliqua
mor a, ad imperium Domini ac Salvatoris, omnet
ei confracti êunt ■ <■< trs s. Augustin, Serm., u, de
I. i. /'. /... t. sxxvi, col. 2060 Bq Cf.
s. I bornas, In l V Sent., I. 111, dist. X.VII; I. IV. dist. Il;
theol., III*, q. xlix, a.5; q. lu, a. 3;a. 1, adl
Tn M Sent . I. IV.diit, II. q, m . 0
lai. ,1.111, tit. xlii, De baptismo, c. m, Majores. C'était
la réalisation de la prophétie de Zacharie, ix, M : In san-
guine Testamenti tui emisisti vinctos luos de lacu in
quo non est aqua... Divers manuscrits portent eduxisli
vinctos tuos de lacu. C'est aussi le sens des Septante :
Su èv oti'jxtxTt SiaO^xr,; ao'j ÈÇanéaTEiXa; Setjj.io'j; co'j iv.
Xâxxou o-Jx s');ovto; \j8wp. Cf. Suarez, In J77am partent
Sum. theol., disp. XLII, De loco ac statu animarum
sanctarum ante C/iristi mortem, sect. i, n. 1-7;
disp. XLIII, sect. ni, n. 2-5, Opéra omnia, t. xix,
p. 697-699, 733 sq. ; Billot, De Verbo incarnato, part. II,
c. m, thés, lv, S 3, in-8°, Borne, 1904, p. 496-498.
Avant ce bienheureux moment, dès que les âmes
justes de l'ancienne Loi eurent satisfait à la peine due
aux péchés véniels, ou aux péchés mortels pardonnes,
elles ne souffrirent plus la peine du dam relatif.
La certitude de leur salut éternel leur donnait une
joie bien plus grande que celle qui apporte tant de
consolation aux âmes du purgatoire. Cf. S. Thomas,
Sum. theol., IIIa, q. lu, a. 5, ad l"m ; Suarez, loc. cit.,
disp. XLII, sect. i, n. 12, t. xix, p. 701. Néanmoins,
comme elles n'étaient pas encore admises à la béatitude
céleste, objet de tous leurs vœux, elles ne cessaient de
soupirer après elle. Ce retard, apporté à leur bonheur,
ne fut pas sans leur causer une vraie tristesse, suivant
le proverbe : Spes quse dijferlur, af/ligit animam.
Prov., xin, 12. Saint Augustin rappelle que ces âmes
saintes attendaient avec angoisse l'avènement du Christ,
dans l'endroit où elles étaient reléguées; et elles le
suppliaient en gémissant de hâter le temps Je sa venue :
Lacrymabiliobsecratione Christum orabant. Loc. cit.,
§ 4, P. L., t. xxxvi, col. 2061. C'est aussi le sentiment
de saint Grégoire le Grand : In ipsis inferni locis jus-
torum animw sine lormento tcnebanlur ; grave lamcn
tmdium illis fuit, post solutionem carnis, adhuc
speciem non videre crealoris. Moral., 1. XIII, c. xi.iv,
P. L., t. lxxv, col. 1038. Cf. S. Thomas, Sum. theol.,
IIIa, q. LU, a. 2, ad 2"ra et 4"m; Suarez, loc. cit.,
disp. XLII, sect. i, n. 12-16, Opéra omnia, t. xix,
p. 701 sq.; Salmanticences, Ctirsus theologicus, tr. XIII,
De vitiis et peccatis, disp. XVIII, S 1, n. 6, t. vin,
p. 400. Tout porte à croire cependant que la divine
providence, par des moyens à nous inconnus, tempé-
rait leur peine, et les distrayait de cette tristesse.
Cf. Suarez, De purgatorio, disp. XLVI, sect. ni,
n. 4, Opéra omnia, t. xvn, p. 917.
3° Lu peine du dam pour les adultes païens morts
sans autre péché grave que la faute originelle. —
L'hypothèse qu'un païen adulte n'ait (pie des péchés
véniels avec la tache originelle, parait une chimère à
saint Thomas et à beaucoup de théologiens. En effet,
tout homme, au moment où il arrive au plein usage
île la raison, est tenu, sou? peine de péché mortel, de
faire, selon ses forces et ses connaissances, un acte de
charité' parfaite envers Dieu, soit d'une façon distincte
et explicite, en le choisissant pour sa lin dernière,
soit d'une manière virtuelle et implicite, en se propo-
sant d'accomplir le bien moral, et de vivre suivant les
lumières de -a raison. Cf. S. Thomas. In IV Sent.,
I. II, dist. XLII. a. T., ad 7"'"; I. IV. dist. XLV, q. l,
a. 3, ail ti1"" ; Sum. theol., I ■' Il , q. I \X\I\, B , li . QuSBSt.
disp., De malo, q. m, a. 2, ad 8om ; De veritate, q.xiv,
a. Il; Salmanticenses, Cursus théologie., tr. XIII. De
vitiis et peccatis, disp. XX, dub, i, s' l-ti, n. 1-45,
i. vin, p. 490-510. Voir Charité, i. ii. col. 2853 sq.
Or, ajoute le saint docteur, si l'homme fait cel acte de
charité en ei Dieu, H est justifié. Le péché originel
i-- it.il. el Dieu lui enwi il un ni:.' . s'il le
faut, pour lui apprendre les vérités surnaturelles indus
pensables au -.dut. Mais -i l'homme ne (ail p i
de charité envers Dieu, il commet un péché mortel, en
ressent un pn • i loni la coex Istence du
véniel el du péché originel est impossible dans
I ) A M
une .nu. •. Il n \ ;i donc pas lien d'examinei a quelle
peine du dam Berail soumis celui qui. .m moment il'- la
mort, se trouverait dans un pareil état. Cf. S. Thomas,
II», q. i \\.\i\. a. 6 . Suarez, /» ///
part., disp. XLII, sect. n, n. 8, Opéra omnia, t. xix,
p. 7n.~> : Salmanticenses, Cursus théologie., tr. XIII.
disp. \\. dub. n, S 1-3, n. 'iti-7n. i. mu. p. 510-521.
VIII. Su; LA CROIX, NOTRE-SeICNEUB a-ï-11. SO
mi;i la peine di dam? Certains auteurs semblent le
dire, et s'appuient, pour cela, sur !<■ texte de- saint Paul,
Chris tus nos redemil de malediclo legis, factus pro
nobis malediclum. Gai., m, 13. Il ne suffisait pas.
affirment-ils, que Dieu lit sentir la pesanteur de sun
bras à Jésus-Christ expirant sur le Calvaire, et portant
dans son âme, connue dans son corps, la peine due
aux crimes de l'humanité entière. Le Père éternel ne
se contenta pas de prononcer un arrêt de mort contre
Jésus qui s'était (ail la victime du péché, et de le frapper
par la main des Juifs et des bourreaux. Il parut vou-
loir le réprouver lui-même, en le délaissant, et en
l'abandonnant au milieu de son affreux supplice; d'où
la plainte déchirante de Jésus, qui, jusque-là, n'avait
pas laisse'' entendre le moindre gémissement : Mon
Dieu! mon Dieu! pourquoi m'avez-vous abandonné'.'
Matth., xxvii, ili. Ce cri de suprême angoisse s'écliappa
des lèvres de Jésus, peu avant son dernier soupir,
circa horam nonam. Que se passa-t-il, alors, dans l'âme
sainte de Jésus? Éprouva-t-elle quelque chose de ces
tortures épouvantables et mystérieuses du dam, inlini
me le Dieu outragé qui se venge sans pitié sur sa
créature coupable ? « Ce délaissement et cet abandon
de Dieu, dit Bourdaloue, est en quelque façon la
peine du dam, qu'il fallait que Jésus-Christ éprouvât
pour nous tous. La réprobation des hommes aurait été
encore trop peu de chose pour punir le péché dans
toute l'étendue de sa malice : il fallait que la réproba-
tion sensible de l'Homme-Dieu remplit la mesure de
la malédiction et de la punition due au péché. Vous
avez dit, prophète, que vous n'aviez jamais vu un
juste délaissé: iXon vidi jusium derelictum, Ps. xxxvi.
25 . mais en voici un exemple mémorable que vous ni
pouvez désavouer : Jésus-Christ, abandonné de son Père
céleste, et, pour cela, n'osant presque plus le réclamer
sous le nom de l'ère, et ne l'appelant que son Dieu. Deus
meus, ut quid dereliquisti me '.'... Toutefois, dans ce
procède'' de Dieu, rien qui ne soit selon les règles de
l'équité : jamais mort ne fut plus juste, par rapport à
Dieu qui en a porté la sentence.... Ce n'est point au ju-
gement dernier que Dieu offensé et irrité se satisfera
en Dieu; ce n'est point dans l'enfer qu'il se déclare plus
authentiquement le Dieu des vengeances, Deus uliio-
ntou Dominus, Ps. xcin, 1; c'est au Calvaire. (Test là
que sa justice vindicative agit librement et sans con-
trainte, n'étant point resserrée, comme elle l'est ailleurs,
par la petitesse du sujet â qui elle se fait sentir, Deus
ultionum libère cijit. Ps. xciu, l. Tout ce que les
damnés souffrent n'est qu'une demi-vengeance pour
lui... ce n'est rien, ou presque rien, en comparaison
du sacrifice de Jésus-Christ mourant, i Bourdaloui .
/ Sermon sur la passion de Jésus-Christ, P» partie,
Œuvres compU tes, t. \ ni. p. 162 sq.
ei autres semblables des maîtres de la
chaire chrétienne signifient que Jésus-Christ, étant
Homme-Dieu, a pu jeul réparer, en toute rigueur de
justice, l'offense faite parle péché à l'infinie majesté de
Dieu, ('.'est en ce sens qu'ils sont exacts. Mais ils
si raient entachés d'une grave erreur, s'ils exprimaient
que Jésus a été soumis à la véritable peine du dam.
.Limais le désespoir des damnés n'a eflleuré son àme
sainte. Jamais sa natur<' humaine, unie bypostatique-
ini'iii au Verbe, n'a éé lui. et, par suite, n'a
été délaissée par Dieu. La peine du dam relatif ne pou-
vait même l'atteindre, car jamais, même sur la croix
et au moment où il «'écriait D t, quaredk
liquistx me, Jésus, dans .un âme humaine, ne fut i •
de la vision béatifique. Les théologien! affirment
o que lea douleurs de No ur, dorai
passion, furent les plus grandes qu'un homme pui
subir, suivant le mol de Jérémie 0 vos omnes qui
tranriliê per viam, attendue, et
sicut dolor meus, qu
nui, m ii" bain., i. 12. Mais
eel., doit B'entendre des douleurs de la vie .
Déjà le texte du prophète l'insinue d'une façon suffi-
samment claire, puisqu'il sadre-- D
encore u, via. Li tradition et l'enseignement théolo-
gique oui i . i - - isé, plus tard, davantage encon
de doctrine. Vlerquedolor m Chrislo — sive senti'
in cor pore, sire interior m marna — fuit t>
mus INTBB DOLOBBS nil-IMI- Mil. S. ThOfl
Sum. theul., III», q. xi.vi, a. G. Or, les souffl
servées, dans l'autre vie, à l'âme séparée de son corps,
soit en enfer, soit en purgatoire, dépassent toutes celles
qu'on peut endurer sur la terre. <b- même que la féli-
cite' des saints dans le ciel surpasse incomparablement
toutes les joies d'ici-bas : dolor animas séparais ya-
tientis pertinet ad statum futurs damnation»», <jux
excedil omne malum livjas vilse, sicut sanctorum
gloria excedil omne bonum prœsentis vilse. Inde,
i u m d ici mus Chris ti dolorem fuisse maximum,
compardmus ipsum dolori animée sep"' - 1 bo-
rnas, loc. cit., a. G. ad 3»». Le cri de Jésus, 1
t ! Deus meus, ut quid dereliquisti me, exprime
donc l'intensité de la plus grande douleur qui fut sur
terre, douleur que nous ne pouvons ni comprendre, ni
apprécier; mais, de cette plainte, on aurait tort de con-
clure que sur la croix il ait subi la peine du dam.
Cf. Suarez, In //7am part. Sum. theot., di-p WXVII,
iv. n. II. disp. XXVIII, sect. m, n. 5, Opéra
omnia, t. xix, p. 593, 634; Bourdaloue, loc. cil.,
Mb partie. (Kurres complètes, t. vin. p 183 -'i :
Dorner. Geschichte der prolestantischen Théo
in-8», Munich, 1867, p. 876 s.).; Monsabré, xvu con-
rérence, Le martyr, in-8 S6; Didon,
Vie de Jésus-Christ, I. V, c. xi, "2 in-8 , Paris, 1891,
t. u, p. '3i-2: Billot. De Verbo mcarnato, part. II,
c. m, thés, xlix, § 2-3, in-8", Rome, 190 >sq.;
Fouard, Vie de Nol -Christ, I. ML
c. vi, 2 in-8», Paris. 1907. t". u, p. 387-389.
Suarez. De angelis, 1. VIII. c. iv. V, xv: Commentarii in
III- part. Sum. tlieol., disp. XI.il-XLlll: De purgal
disp. \I.V1, sect. i, llt-iv; disp. M. Ml. secl m,
nia, 28 in-4«, Paris, i n, p. '.'"
t. xix. p. 697-722, 733-740; t. xxn. p. 903-908,
Bellaimin, De purgatorio, 1. II. c i\ . i^. x. xiv: /'
gratin et statu peccati.L VI, c i-vn; Concio lit-. De ermeta-
tibus géhennes, Opéra omnia, B N 878, t. n,
100-408; t. IV, p. 232-247; L vu, | - -.elman-
ticennses, Cursus théologiens, ir. Mil. D<
disp. Wll. elllti. m-lv; eli-p. W'III. <lell>. I-Ill: elisp XX.
dub. l-n, SI in-8 . Paris, 1876-1883, t. vni. i «-.VJ1:
i < - il De perfeetkmibus moribusque rfivùtfa, 1. UH De
justifia et ira Du. c xxiv-xxix, I - infero-
ruui. in-8- I
Tractaïus ,lc angelis, l. lit. c. vi-vm, Bin-4\ Paris, 189
i. iv, p. 99-123; Bourdaloue, Carême, Sermoi ndredi
da la seconde semaine', Sur l'enfer, II'
\iv dimanche après la Pentecôte, Sur .
iie\ Œuvras complétai - M I '"•
74; t. vn.p. 244-271 : Bail, I > i le |i< a/I
mas eu méditations, il traite, mu -XVII méditât!
Le m ;
trnih 1875,11 partie, c XV, I rv, p. 386-
- lion du dogme catlwU
■ /). ,1" /'ei> ts. L'autre mondi ' )"""-
c : xe.vnr cou
m i\ confe i ■ di e, L'enfer, natu
p. 1-147 ; Murie-r. Théologie hum,
\ i n i • U ni. p. 58
25
DAM
DAMASCÈNE
26
Billot, Disquisitio de natura et ratione peccati personalis
sive introductio ad tract aluni de psenitentia, part. I, c. II,
q. LXXXVII, thés, vi-vn, in-8°, Rome, 1897, p. 69-73; Quœstiones
de novissimis, q. m, thés, ii-iv, \l-vn, in-8% Rome, 1902, p. 47,
85, 99-110; Pescb, Prselectiones dogmaticse. De novissimis,
part. I, sect. ni, De purgatorio, a. 2,n. 601-607; sect. IV, De in-
ferno, a. 2, n. 624-642; a. 3, n. 642-646, 9 in-8°, Fribourg-en-
Brisgau, 1902, t. IX, p. 293-296, 306-318 ; L. Labauche, Leçons
de théologie dogmatique, Dogmatique spéciale, L'homme,
Paris, 1908, p. 387-395.
T. Ortolan.
DAMALAS Nicolas, né en 1842, à Athènes, devint
en 1860 professeur extraordinaire à la faculté théolo-
gique de cette ville, et en 1871 professeur ordinaire
d'herméneutique. Il mourut le 21 janvier 1892. Il a
édité en 8 vol. les lettres de Coraï, Athènes, 1881-1891,
et a publié les deux ouvrages théologiques suivants :
1° Iïeo'i àp/iôv, Leipzig, 1863; 2° Ilîp'i tri; oyiaEwz tïjç
àyfX'./.ri; Èxv.Vr^a; irpô; rr,v op9ooo!;v/, Londres, 1867.
Il a composé aussi un traité d'herméneutique : 'Epu^vc'a
z\: tï|v natvTiv 8ia8ô«)v, Athènes, 1876, t. i; 1891, t. n ;
1892, t. m.
'i ■'.->•,;««;, 1892, xi' année, n. 'i, p. 1 ; "Exx\i\aiaatni[ 'AX^Ssia,
1892, xr année, n. 49, p. 387; \tltxl>i l-[xjxl<>r.<ti&™iv, z^-Xto^y/.,
Athènes, 1902, t. i, p. 209.
A. Palmieri.
DAMALÉVtSS Etienne, historien et théologien
polonais du xvn° siècle, né à Warta, dans l'ancienne
principauté de Siéradz, aujourd'hui gouvernement de
Kalisz. En 1642, il entra au couvent des chanoines régu-
liers de Klodaw, et mourut le 16 juin 1673 à Trzemes-
zno, dans le grand-duché de Posen. Citons parmi ses
écrits : 1° Conclusiones e t/teologia morali fwidalse in
aclibus humanis de peccatis in génère ad disputan-
duni publiée propositse, Cracovie, 1637; 2° Quœstio
theolugica de merito bonorum jitsli operuni, s. 1., 1638;
3" Vitse Vladislaviensium episcoporum, Cracovie,
I6i2; i' Séries archiepiscoporum Gnesnensium atque
res gestes, e vetustis antiquitatum ruderibus colleclx,
Varsovie, 1649; 5° Sapienlia sive orbis desiderium
Chris ti Domini Salvatoris in expectatione parties
gloriosœ Virginis Deiparx, in Ecclesia Polonorum,
Rome, 1652; 6" VitaS. Bogumili, archiepiscopi Gnes-
nensis ex antiquissimis gravium authorum chronicis
excerpta, Rome, 1661 ; Varsovie, 1714; Kalisz, 1803.
Chodynski, Stefan Damalevicz , historyk, przelozony
kanonikon lateranenskich w Kaliszu, Posen, 1872; Encyklo-
Kowcielna, Varsovie, 187'i, t. iv. p. 9-12; Estreicher,
do xi m), i iracovie, 1897, t. xv,
p. 18-21 ; Wiszniewski, Historya Uteratury polskiej, Cracovie,
i i 39 106; 1 ■ i 113; t. vin, p. 152, 164.
A. Palmieri.
1. DAMASCÈNE. Voir Jean Damascène.
2. DAMASCENE, hiérodiacre au monastère de
["choudov i Moscou, polémiste orthodoxe contre les
Latins. On ne connaît rien sur sa vie. On sait seulement
qu'il mourut après 1706. Il a été mêlé â la controverse
sur l'épiclèse entre les moscovites orthodoxes el les lati-
nisants île Kiev. Dans son livre sur l'Église el ses sa-
crements, Vyklad otzerkvi i o tzerkovnykh rietchakh,
Kiev, 1668, Théodose Saphonovitch, higoumène du mo-
nastère Miklaïlovsk] de Kiev, soutenait que les paroles
imentelles : Hoc est corpus meum; Hic est languis
meus, suffisent pour la consécration du pain et du vin.
Le patriarche de Moscou, Joachim, chargea un moine,
iioiniM' Euthyme, de lui répondre, el celui-ci coin
liguillon que i,- patriarche envoya au métro-
polite de Kiet el aux autres évéques de la Petite Ru
La théorie latine fût rejetée corn fausse, au synode d<
Mo cou de 1690, Mais ses défenseurs ne gardèrent pa
le silence Gabriel Dometzky, archimandrite du monas-
l' re de tinl S -on ■ > Moscou, el i>lus lard du mon i
lourevsk] â n- orod réfuta VOsten dan
ouvrage intitulé Le /"'• questions, qu'il a i â
l'approbation du métropolite Job de Novgorod. Celui-ci
chargea le hiérodiacre Damascène d'examiner ce livre,
et Damascène essaya de résoudre les objections qui y
étaient contenues, dans un traité rédigé en forme de
lettre au métropolite Job, et intitulé : Les 105 ré-
ponses. Il est aussi l'auteur d'une version russe du
IIpo Txuvr,Tapiov du mont Athos, d'une lettre sur la tra-
duction de la Bible, etc.
Arkhimandrit Gavriil Dometzky i hierodiakon Damaskin,
dans Dukhovnaia Besieda, Saint-Pétersbourg, 1865, t. i, p. 20-
31, 5H-63; Mirkovitch, O vremeni presuchtchestvlenii sv. Da-
rov, Vilna, 1883, p. 83-85, 231 ; Stroev, Bibliologhitchesh ii
Slovar, Zapiski de l'Académie impériale des sciences, Saint-
Pétersbourg, 1882, t. xxix, p. 74-75; Chliapkine, K istorii pole-
miki mejdu Moskovskimi i malorusskimi utchenymi v
kontzie xvn vieka, Journal du Ministère de l'instruction
publique, 1885, t. ccxi.i, p. 215-216; Philarète, Obzor russkoi
dukhovnoi Uteratury. Saint-Pétersbourg, 1884, p. 259; Léonide,
Athonskaia gora i Solovetzky monastyr Damaskina, Saint-
Pétersbourg, 1883; Jakhontov, ferodiakon Damaskin, russkii
polemist semnadlzataqo vieka, Saint-Pétersbourg, 1884; Entzi-
klopeditcheskii Slovar, t. x, p. 62; Smentzovsky, Unit in
Likhoudi, Saint-Pétersbourg, 1899. p. 241; Russkii biogra-
phitcheskii Slovar, lett. D, Saint-Pétersbourg, 1905, p. 54.
A. Palmieri.
3. DAMASCÈNE Dimitri Sémenov Roudnev, cé-
lèbre théologien et érudit russe du xvinc siècle. Né au
mois de janvier 1737 dans le gouvernement de Toula, il
fréquenta les cours de l'Académie slavo-gréco-latine de
Moscou, et ses études achevées en 1765, il demanda au
saint-synode de suivre les cours d'une université étran-
gère et se rendit à Gœttingue. Recteur de l'Académie de
Moscou en 1778, le 5 juillet 1782, à Saint-Pétersbourg
il fut sacré évéque de Sievsk, et vicaire de l'éparchie de
Moscou. Le 22 septembre 1783, il fut transféré au siège
archiépiscopal de Novgorod, où il travailla avec zèle à
relever le niveau intellectuel de son clergé et à réorga-
niser les études dans le séminaire de son éparchie. En
179i, il donna sa démission et se relira au monastère
Pokrovsky de Moscou où il mourut le 18 décembre 1795.
Damascène Roudnev inaugura sa carrière littéraire à
Gœttingue, par la publication d'une traduction de la
Chronique de Nestor dans VEinleitung in di<- synchro-
nistische Universalhistorie de Hatterer, Gœttingue,
1771, p. 979-1000. On a de lui : 1" la version latine du
catéchisme du métropolite Platon, Orlhodoxa doctrina
seucompendium théologies christianse, in usum serenis-
simi principis ac I>. I). Pauli Petrowicz, pnneipis
heredilarii omnium Russiarum, Saint-Pétersbourg,
1771 ; 2" il traduisit en latin le traité de la procession ilu
Saint-Esprit, par Théophane Prokopovitch : Tractatus
de processione Spiritus Sancti, Gotha, 1772, \ ajouta
la vie de l'auteur, des éclaircissements, el un chapitre
intitule'' ; Historia de ortu el progressu controversim
grœcos intérêt lalinos de processione Spiritus Souri,,
p. 3-128, et l'Index chronologicus scriptorum de
processione Spiritus Sancti ab inilio controversim ad
nostra usque tempora ; '&> i\ composa un livre précieux
pour l'ancienne bibliographie Idéologique russe, la
olheka rossiiskaia ili sviedienie o osiekh knigakh
v Rassit s nalchala lipographii na sviel vychedehikh,
publié en 1881 à Saint-Pétersbourg par la Société des
amateurs de l'ancienne littérature, t. si, el réédité
en 1891 dans la Tchteniia [Lectures) de la Société
impériale d'histoire et d'antiquités russes, édit. Barsov.
On y trouve la liste des livres imprimés en liu^i,.
depuis 1518 jusqu'à 1785. Il édita aussi, en 13 vol., les
œuvres oratoires du métropolite Platon, Moscou. 17K)-
I7S-J. el composa lui même un recueil de sermons
édité à Moscou en 1788.
neister, Russische Bibllothek lur Kenntniss des gegen-
wârtigen /'/.«/./> \m Hussland, Saint-
' ourg, 1779, t. \ i, i
Hbliotheka I H, t, \\m. p, 100-
\riia
DAM \SCI.\I
DAMASE I'
,. rai I • p. 150, -"
pitateliakt
i. p. 100-1 1" Istoi lia i"<
Pi tersbi mi.' 1s:.:. p. 1 1 > i- 1 »-- . P( b tovltcb,
I o( iukhox >"<■ Balnt-Pi
p, 62-08; Bukbon
mil, àaint-Pétersbourg, isT'i. i. i, p. 189483; CennadJ,
ti ikh, Bertio, In7c, i. i,
phyriev, Istoriia russh iti, Kazan, 1884,
i ii, p. 373-374, 378-379; Philarète, Obtor russkoi dukovnoi
Uteratury, Saint-Pétersl , 85-361 . Smirnoi
\fo8kov8koi slaviano greko-latinskoi Akademii, M
iss... p, 182,237, 351- 154; Kneaiev,Slovar pisatelei sredniago,
novago periodov russkoi Uteratury, Saint-Pétersbourg, 1887,
p 118-114; Entziklopeditchesky Slovar, t. \. p. 60-01; l
jansky, Damaskin Semenov-Rudnev, episkop nijegorodskii,
egojizn itrud, Kiev, t894G'ouvrage te plue important but la vie
elles oeuvres île Damascëne Roudnev); Pravoslavnata bogos-
lovskaia entziklopediia, t. iv. col. 885-893.
A. l'Ai. Mil. Kl.
4. DAMASCÈNE LE STUDJTE, le plus populaire
des prédicateurs grecs du \\r siècle. On a peu de ren-
seignements sur sa vie. Originaire de Salonique, élève
du célèbre Thomas (en religion Théophane) Eléavoul-
cos Noteras, il fut envoyé comme exarque dans la
Petite Russie par le patriarche Métrophane (1565-1572),
puis élevé au siège épiscopal de Lita et Rendina, d'où
le patriarche Jérémie (1572-1579), son ancien élève, le
transféra à la métropole de Naupacte et Arta, où il
mourut en 1577, au témoignage d'un contemporain,
Gabriel Calonas. Voir E. Legrand, Bibliographie liellé-
nique des rr et \\/r siècle», Paris, 1906, t. iv. p. 165.
Le plus remarquable de ses ouvrages est le Trésor,
Bt6Xîov ovou.aC6u.svov Bïjo-aupds, l'un des volumes le
plus souvent imprimés. La première édition date de
1568. Cf. E. Legrand, (oc cit., p. 143. C'esl un recueil
de trente-six sermons, suivis de sept discours moraux,
empruntés, sans que celte particularité soit signalée.
au hiéromoine Joannikios Cartanos, grand protosyn-
celle de Corfou, qui les avait publiés, avec d'autres du
même genre, en appendice à son Ancien et Xuuveau
Testament, paru en 1536 et plusieurs fois réimprimé
depuis. Les serinons de Damascène ont souvent pour
sujet un fait biblique ou une légende de saint; les
Pères de l'Église y sont assez fréquemment cités, mais
l'auteur est moins préoccupé de faire de la théologie
que d'édilier son auditoire. .Malgré l'enflure oratoire,
le Style est simple, et ce caractère n'a pas peu contribué'
a augmenter la popularité de l'ouvrage. La bibliothèque
patriarcale de Jérusalem possède une version turque
du Qip*vo6z, faite, en 1731, à Césarée de Cappadoce.
On a encore de notre auteur : 1° un discours sur le
Décalogue, imprimé avec d'autres du même genre en
appendice aux Ma^Yccpïtai de saint Jean Chrysostome;
ce morceau occupe, dans l'édition de 17(ii. les p. ;î.'!(i_
344; 2° un remaniement populaire du Physiologus, dé-
dié à Michel Cantacuzène et imprimé en 1643 a la suite
de l'Hirmologe, Legrand, Bibliographie hellénique du
xviii» siècle, t. t, p. 142; •'!■ un traité de chronologie
destiné' a remplacer le manuel de Michel Chrysokokkès ;
l'opUSCule esl inédit, mais la bibliothèque du Sainl-
Sépulcre à Constantinople en possède, sous le n. :;17.
fol. 'il -0c!, le manuscrit autographe, écrit en février
1574; i discours parénétique aux moines désireux
de l'aire leur salut, conservé dans le Il ierosahjniitaim s
tancti Sabse fâ7, loi. 68-76, avec une traduction, due
également a Damascène, du discours aux novices d'Isaac
le Syrien; 5° un dialogue humoristique sur l'état social
du peuple rec entre Damascène lui-même et le supé
rieur de Sainte-Anastasie ; signalé- déjà par AJIatius
dans -a préface aux œuvres de Jean Damascène, ce cu-
rieux morceau se trouve en tête du manuscrit 7tii du
monastère d'Iviron au mont Athos;6 un court poème
élégiaque sur la dormition de la Vierge; imprimédans
le Trésoi a la suiie des sermons, il est souvent men-
tionné dan- lei cata
des empi i ultani el di - pati ;
stantinople contenue a la mite du / • ,- le
m-, 162 du métochion du Saint-Sépulcn mti-
nople; 8* b- ms. 542 du même fonds renfen
lellres de Damascène publiées par Manu
P'Exx).T)(jcaffTtxr) 'A).r,6ei«, t. m, p. 87-91, el reproduite
peu après, avec certains amenden
par A. Papapoulos-Kerameus, dans Mémoires du
Sljllli'l | \M|. |i. I .
l'ii. Heyer, Die I
cite lm xvi Juin hundert, Leipzig, 1899, p. 128-182; M < I
toc. cit., p. 85-87, 049-051 ; P Lavrov, /><///,
elle recueil intti ta i dans la htt<-
rature Jugoslave, dans l'Annuaire de la société bis!
taire de la nouvelle université lm| se, Odessa.
t. mi, section byzantine, IV, p. 305484.
L. Petit.
1. DAMASE I , pape (366-381 . né à home, était
Gis d'Antoine, qui, d après une inscription de S. Lorenzo
in liamaso, avait été écrivain, lecteur, diacre et pi
en cette église. Lui-même > servit longtemps; et l'on
croit que Saint-Laurent fui élevé sur l'emplacement de
Fa maison paternelle. On a prétendu récemment que
Itainase était né en Espagne. Benardès et Theca, De
S. Damaso I papa confessore liispanico, Rome,
kûnstlc. Antipriscilliana, Friboui .m, liKjô.
p. 100. Homme d'une grande vertu, d'une intelligence
cultivée, bien vu dans l'aristocratie et spécialement chez
les grandes dames romaines, il était très estimé de la
plupart, quoique jalousé par quelques-uns. Il était dia-
cre, lorsque Libère fut chassé par Constance
alors non content de faire serment, avec le reste du cl
de ne pas reconnaître d'autre pape que lui, il l'accoin-
pagna pendant quelque temps. Cependant il ne tarda
pas à revenir, et se rallia au diacre Félix, nommé pape
par ordre de Constance. lie nouveau, il se réunit a Li-
bère, quand celui-ci revint de Itérée. Mais cette double
altitude fut pour lui la source de bien des embarras,
non seulement lors de son élection après la mort de
Libère, survenue le 24 septembre bW>. mais encore pen-
dant tout son pontificat.
En effet, deux partis se formèrent. Les uns. cm.
intransigeants de tous ceux qui axaient été féli.
conduits par sept prêtres et trois diacres, dans la h.tM-
lique de Jules, élurent l'un d'entre eux. Irsinus, et le
tirent immédiatement ordonner par l'évéquede Tibur;
les autres, c'est-à-dire la grande majorité des fidèles et
du clergé', réunis à la basilique de Saint-Laurent in
Lucina, acclamèrent Damase. Celui-ci se lit sacrer huit
jours après, selon les règles, par l'évéque d'Ostie. Mais
des le premier jour jusqu'à sa mort, Ursin d
le poursuivre de toutes les manières, soit personnelle-
ment, soit par les siens.
11 eut don i d'abord le schisme de Rome, puis
les nombreux autre- llisme et d'hérésie qui se
posèrent alors, en Décident el en Orient, après les con-
ciles de Hiniini et de Séleucie. La réaction qui si' lit
contre ces conciles où l'arianisme remporta, p
:ance. une victoire qui hâta s;, ruine, lui donna
de fréquentes occasions d'intervenir hem
contre les derniers tenants et les derniers
cette erreur. 1. es malheurs de l'Orient, sous l'empereur
Valens, lui valurent d'être invoqué comme arbitre el
comme juge dans ,-e pays. L'avènement des pre-
miers princi - vraiment chrétiens, tels que Valentinien,
Gratien, fhéodose, le concours des plus grands doc-
teurs, tels qn'Athanase, Basile. Grégoire de Naxianze,
Ambroise, Jérôme, etc., marquent sous son pontifical
l'apogée de la papauté.
1 Si hume îles ursiniens. ■■- L'un des - il. ts i mar-
quables de ce schisme fut d'amener, d'une part, lea
empereurs chrétiens a prêter main forte aux
29
DAMASE Ier
30
ecclésiastiques, d'autre part, de pousser le pape, les évo-
ques et les conciles à solliciter le secours du bras sécu-
lier. Valentinien, qui aurait voulu d'abord garder la
neutralité entre les divers partis religieux, et se contenter
de sauvegarder l'ordre public, dut bientôt se convaincre,
en présence des troubles suscités par eux, qu'il lui
fallait prendre position, et discerner, pour le défendre,
celui qui avait le droit pour lui, de Dainase ou d'Ursi-
nus. Aussi, Viventius, préfet de Rome, après avoir
laissé pendant trois jours les ursinienset les damasiens
s'entr'égorger, reconnut la régularité de l'ordination
de Damase, et décida qu'Ursinus serait éloigné de
Rome avec les deux diacres, Amanlius et Lupus. Et
comme les sept prêtres, que ses partisans avaient encore
à leur tête, continuaient leurs assemblées schismaliques,
Damase lui-même s'adressa à l'autorité qui les arrêta
et les conduisit bors de Rome. La suite montra bien
la nécessité de ce recours et de cette intervention. Les
sept prêtres, vivant été délivrés en cours de route, par
leurs fidèles, s'installèrent dans la basilique de Libère.
.Mais, le 26 octobre 366, les damasiens vinrent les y
assiéger et leur tuèrent 137 personnes, dit Ammien
Marcellin, 160, disent les Gesta inter Liberium cl Fe-
m, sans toutefois parvenir à les en déloger. De
nouveaux troubles eurent lieu, quand, au bout d'un an,
Valentinien, sous prétexte de neutralité, permit à Ursi-
nus et aux autres exilés de rentrer à Rome. Le 16 no-
vembre 367, l'empereur dut ebarger le préfet Prétextai
de les expulser une seconde fois.
Il lit reinetlre à Damase, qui l'avait réclamée, par
l'organe du défenseur de l'Église romaine, la basilique
libérienne, qu'ils avaient conservée (fin 367); il chassa
ensuite (12 janvier 368) les prêtres qui présidaient leurs
mblées, et comme ils continuaient de se réunir dans
la banlieue, spécialement à Sainte-Agnès, et qu'ils y
étaient poursuivis par les damasiens, il finit par leur
interdire non seulement la ville, mais la banlieue elle-
même dans un rayon de vingt milles. Ursinus fut expédié
en Gaule (lin 368) cl ce n'est que plus tard (370-372)
qu'il fut permis à lui et aux siens de séjourner dans
l'Italie du Nord.
Ainsi tenus à distance, les ursiniens eberebèrent à
discréditer Damase par des libelles et par des accusa-
lions devant le magistrat. Ils lui intentèrent un premier
procès, connu seulement par une allusion, vers 370.
A Mil. m. ils troublèrent les oflices de saint Ambroise,
ce qui amena une nouvelle intervention de l'empereur.
Enfin ils chargèrent un certain Isaac, juif converti,
d'intenter au pape nu 91 cond procès devanl le préfet de
lin pour un crime nul défini, mais capital, que
certains conjecturent avoir été le crime d'adultère:
accusation bien invraisemblable contre un vieillard de
7"> ans. Il puait cependant que le préfet de Home
menai pu tir à une condamnation, quand l 'empe-
reur Gratien, informé, évoqua l'affaire, renvoya le \ ieux
pontife absous, exila Isaac en 1 spagne el interna Ursi-
nus .1 Cologne,
Damase ue se contenta pas de cette justification : il
convoqua ■< I; en 378, un concile des évéques d'Ita-
lie, pour y examiner son ail, lire. D'après le libell
prêtres l'austin el Marcellin, partisans d'Ursinus, un
concile antérieur, tenu en :;ii7 un 368, aurait refusé de
condamner Ursinus sans l'entendre. Cette foi
que* furent plu- catégoriques, el demandèrent a l'em-
I" reui 'i • técutei les sentenc 1 iastiques conti e
ei
ennemis.
racore la lettre du concile el la réponse
di Gratien. I nt, dit Duchesne, Histoire
t. 11, p, 168, que dan- une phase
antérieun de l'affaire d'1 rsinus, le souverain avait
décidé, que. i.! p«,li, , l'auteur
appartii ndr.ni au pape d in trumenter
contre les évêques qui avaient pris son parti... Cepen-
dant, il pouvait se présenter des cas où l'efficacité des
sentences ecclésiastiques et les services qu'elles étaient
appelées à rendre au point de vue du bon ordre,
auraient été compromis par une abstention trop ab-
solue de la part de l'État. Les évêques demandaient
qu'on leur prête main forte d'abord pour faire compa-
raître les prélats récalcitrants, ensuite pour empêcher
les évêques déposés de porter le trouble dans les
églises que le juge ecclésiastique aurait soustraites à
leur obéissance. On spécifiait le cas des évêques de
Pannes et de Pouzzoles, qui refusaient de se sou-
mettre aux senlences de déposition rendues contre
eux : celui de l'évêque africain Restitutus et de
l'évêque donatiste de Rome, Claudien. Constant, Epist.
roni. pont., p. 523. Le concile voulut aussi et surtout
mettre le pape à l'abri des accusations de ses ennemis.
« L'empereur, dit-il, a examiné la conduite de Damase :
il doit être interdit désormais aux calomniateurs de le
traîner devant le magistrat. S'il y a lieu à procès, et
que la cause ne soit pas de la compétence du concile,
au moins qu'elle soit portée devant l'empereur en per-
sonne. » En dehors du cas récent, il y a un autre précé-
dent : le pape Silvestre, accusé par des sacrilèges, fut
jugé par l'empereur Constantin.
Gratien, dans son rescrit au vicaire Aquilinus (lin 378),
entra sur lous les points dans les vues du concile.
Toutefois, pour ce qui était du pape, il le laissa en
principe sous la juridiction du préfet de Rome, se
contentant de prescrire de ne point admettre facile-
ment l'accusation ou le témoignage de gens de mœurs
suspectes ou connus comme calomniateurs. Collectif)
Avellana, n. 13, dans Corpus scriptorum ecclcsiasti-
corum lalinorum, t. xxxva, p. 54 sq.
Malgré tout cela, Ursinus continua de s'acharner
contre Damase par ses agents et spécialement par un
eunuque appelé Paschase. En 381, le préfet envoya à
la cour un rapport où tout semblait remis en question.
Mais le concile d'Aquilée, sur la demande de saint
Ambroise, fit une démarche très pressante près de
Gratien et depuis l'on n'entendit plus parler d'Ursinus.
qui dut mourir vers cette époque.
2° Autres schismes. — Damase avait encore d'autres
schismes à éteindre : il invoqua contre eux le bras
séculier, comme il l'avait fait contre Ursinus. A Home,
les donatistes formaient une église gouvernée par des
évéques de leur pays, et alors par Claudien. Le concile
de Rome en 378 demanda à Gratien son expulsion. —
Il y avait aussi celui des lucifériens, composé de ceux
qui avaient pris, contre les faillis de liimini, l'attitude
intransigeante de Lucifer de Cagliari et de Grégoire
d'IUiberris, el regardaient l'indulgence, en laveur des
repentants, de Libère, d'Ililaire, d'Athanase, comme une
prévarication. Ils avaient eux aussi un évéque nommé
Aurélius, et un prêtre, fameux ascète, nommé Macaire.
Ils tenaient des réunions privées, faule d'églises, dans
des maisons particulières. Damase les lit poursuivre
par le magistrat. Macaire, appréhendé el bouscule pai
le peuple, fut jugé, condamné ,i l'exil el mourut à
Ostie des suites d une blessure. L'évêque d'Ostie le lii
inhumer dans la basilique d'Àsterius. Damase s'efforça
aussi de faire condamner Ephesius qui avait succédi
coi évêque à Aurélius. Il les fit combattre avec force
par sainl Jérôme dans un dialogue, 378-380, Contra
ianos, leur reprocha de croire leur petite 1
la eule vraie Ecclesiœ talus in summa sacerdotii
lit, etc., c. ix. L'histoire de ces év< ne
ments a été racontée tout au long par les pr< 1res luci-
fériens, Faustin el Marcellin, dans leur Libellus /'>v
P /,.. 1. mu. col. 81-107.
'outre les évêques ariens d'Occident. En même
1 matiques, Damase poursuivi! les
derniers tenant d' l'arianisme, en Occident el en
:n
DAMA SK !•
.
Orient, lu Occident, ils n'avaient jamais eu l'approba-
tion du clergé depuis la tyrannie qu'ils avaient fait
iubir i l'.iinini. ils étaienl unanimement détestés et
beaucoup de conciles tenna en différents endroits
avaient affirmé la foi de Nicée : d'autre part, ils
n'avaient plus autant l'appni det empereurs. Damaae
réunil à Rome, en 360, un concile composé d'un grand
nombre d'évêques, où furent condamnés Ursace et
Valens avec ceux qui suivaient leurs sentiment- I <
concile écrivit une lettre synodale et saint Atlianase,
assemblé avec les évéques d'Egypte, écrivit au pape
pour 1<' remercier, et lui signaler aussi Auxence,
évéque <le Milan. Epist. ad Afrot, 10, P. G., t. xxvi,
col. 1229 s,|
Auxence était plus difficile à attaquer, parce que
Valentinien, trompé par une formule équivoque de foi,
le croyait orthodoxe. Cependant, dans un second concile
de 90 évêqnes, tenu à Home sur l'instigation de saint
Athanase, il déclara que le symbole de Nicée était le
seul autorisé, il annula absolument le concile de Ri-
mini, et rappela d'après une lettre des évoques de
Gaule et de Vénétie qu'Auxence avait été déjà antérieu-
rement condamné. Jaffé, n. 232, Confidimus (/uidem.
Il fit part de cette condamnation aux évéques d'Illyrie.
Toutefois Auxence resta sur son siège jusqu'à sa mort
en 37'j.
De nombreux conciles provinciaux, encouragés par
ces actes de Damase, accentuèrent le retour à la foi de
Nicée, dans toutes les régions d'Occident. En Afrique,
l'évèque de Carthage Reslitutus demeurait attaché à la
formule de Rimini. C'est à son occasion qu'Athanase
avait écrit sa lettre fameuse Ad Afros et Damase le
somma de comparaître devant un tribunal d'évèques;
Gratien même lui adressa un rescrit pour l'y contrain-
dre. On dit qu'il ne se présenta point ; mais peut-être
s'amenda-t-il.
Deux évéques danubiens, Palladius de Ratiaria et
Secundianus. menacés de déposition, obtinrent de
Gratien qu'ils seraient jugés par un concile œcumé-
nique tenu à Aquilée. Ce concile se tint en 381 sous la
présidence de saint Ambroise, mais sans l'appareil
qu'ils avaient demandé, appareil rendu impossible par
la tenue simultanée du concile de Constantinople et
que Damase lui-même jugeait désormais inutile. Le
concile les déposa et pria l'empereur de faire exécuter
la sentence.
4° Priscilliens. — Damase ne vit que les débuts du
priscillianisme en Espagne et en Gaule. Parmi les
('•ciits de leur chef, nouvellement découverts, on en
voit un qu'il adresse à Damase, parce qu'il occupe le
plus haut rang et qu'il est le premier entre tous: senior
omnium noslrum es, ailleurs: omnium senior ci pri-
mus; il en appelle du concile de Saragosse à Damase
et à son concile. Liber II ad Damasum episcopum,
PriscMiani opéra, édit. Schepss, Vienne. 1889, p. 34-
43. La Fidcs Ihunasi et les Formules damasiennes
contre les priscillianistes seraient, d'après M. Kûnstle,
d'origine espagnole. Antipriscilliana, l'ribourg-en-Iïris-
gau, 1905, p. M 58.
5° Les affaires d Orient. — L'attention «le Damase
fut attirée du coté de l'Orient par les évéques orien-
taux eux-mêmes. Ceux-ci étaient sons le règne tyran-
nique de l'empereur Valena : ils étaient troublés par
les quelques évéques ariens qui tenaient, avec la laveur
impériale, les grands sièges, par le schisme malheu-
reux qui di\isaii les catholiques d'Antioche, plus que
par leurs dissensions doctrinales. Partisans de
I'6|M>ioiJffio; eu de l'i|iooû<Tio(, nicéens purs ou quasini-
céens, tous, l'expression mise à part, se sentaient une
même toi. el avaient conscience que pour être bien
réunis entre eux et axe,- toute l'cglise, contre lea der-
niers survivants de l'arianisme pur. comme pour être
fortifiés contre les attaques de Valens, il suffirait que,
selon son devoir, le chef de I Eglise d < lecident, 1 1
de Rome, vint a leur secourt i bénignemenl
de leurs affaii •
Il ne seuil, le pas malheun uaemenl qu'à Home mi
on ait eu la sensation nette d<
impressionner par les vieilles rancunes et défi
el tromper par des personnagi - d Orient, qui n\ i
présentaient point parfaitement les sentiments. Dai
en ces questions, ne parait pas avoir eu tout le tact qu'il
montra en d'au: i ions.
On a déjà parlé à l'occasion de saint Athanase de
l'arianisme, t. i, col. 1841. et à l'occasion de saint I
des appels que I < nient, à partir de 371, adressa âl'i
de Rome, pour le solliciter d'envoyer des 1 -
mission de pacifier et de consoler les églises affl
de ce pays. M»' Duchesne, que nous suivons ici. a trait--
de nouveau ce sujet dans son Histoire ancienne de
l'Église, t. n, p. 100 418. Bas ledel près
entendu avec Athanase d'Alexandrie el Mélèce d'An-
tioche, Epist., i.xvi, P. G., t. xxxii. col 124, dépécha
d'abord à Damase le diacre Dorothée qui revint bientôt
avec le diacre Sabinus de Milan porteur d'une lettre
synodale du pape. Comme cette lettre paraissait insuf-
fisante, Basile, par de nouvelles lettres, Epist., xc-xui.
col. 472-484, dont l'une signée de trente-deux de ses col-
lègues, supplia les évéques d'Italie et de Gaule de venir
en aide d'une façon plus efficace aux maux de 11 -
orientale (372 , La réponse ne fut rapportée qu'à l'été de
373, par Évagrius, prêtre d'Antioche. Elle consistai!
dans une formule qu'on devait signer sans \ rien chan-
ger : on renvoyait les lettres d'Orient qui n'avaient pas
plu, et on disait aux Orientaux que c'était à eux de venir
les premiers, s'ils voulaient qu'on allât chez eux. C
réponse froide et autoritaire affligea Basile: depuis lors,
il n'eut qu'une médiocre idée des Occidentaux, et leur
chef, le pape Damase, lui lit l'effet d'un homme orgueil-
leux et impitoyable. Cependant, en 375, on renvoya la
formule jadis apportée par Évagrius, munie des -
tures demandées, parles prêtres Dorothée et Sanctis-
sime.qui devaient remettre en même temps une loi
lettre de Rasile. Epiât., cxx. I UU, cxxix. , ,.uii-ci:i vi.
col. 527. 540, .V>7. •
« Le résultat ne fut pas celui que Ion désirait, dit
M'.ir Duchesne. p. (08, Personne ne vint d'Occident.
Toutefois Dorothée rapporta une lettre où l'on rendait
témoignage à son zèle en déclarant qu'on s'était efforcé
de l'aider. Au point de vue doctrinal, la lettre réprou-
vait les erreurs de Marcel et d'Apollinaire, mais sans
les nommer. Le terme u>ia substantia n'était plus em-
ployé : on lui substituait celui d'una aùoia en grec, le
latin ne possédant pas l'équivalent de ce terme. » Cous-
tant. Epist. rom. pont., p. !!•."> : Ea gratia.
Mais en même temps Damase écrivait à Paulin d'An-
tioche une lettre qu'il lui faisait porter suis doute p.i I
Vitalis. .Lille, n. 235. Or, d'une part, Paulin était le rival
de Mélèce, de ce Mélèce que Rome soutenait dans l'a tt a ire
du schisme d'Antioche, tandis qu'il avait les sympathies
des Orientaux, sauf des Alexandrins, et c'était sur Pau-
lin seul qu'en Orient on faisait tomber la responsabilité
du schisme, l'autre part. Vit. dis. ami de Paulin, non
seulement avait quitté la communion de Mélèce; mais
encore Be taisait apollinariste. Les relation- de Damase
avec ces deux hommes n'étaient pas pour plaire i
saint liasile et aux siens. Damase, d'ailleurs, fut vile
averti de Bon erreur en ce qui concernait Vitalis. et.
par des courriers exprès, il prévint Paulin de ne n
voir Vitalis que moyennant une confession orthodoxe.
On sait d'ailleurs que Vitalis, ainsi mis en demeure de
se prononcer, quitta Paulin pour Apollinaire, et. consa-
cre évéque pai ce dernier, fonda une nouvelle église
dissidente à Antioche.
Mais ces erreurs de tactique commises par Dan
et les Occidentaux donnèrent a Dasile l'esp. i .uice
33
DAM A SE Ier
34
qu'ils allaient enfin ouvrir les yeux et reconnaître quels
étaient en Orient les vrais amis de l'orthodoxie et de
la paix. Dans cette espérance, il fit reporter à Rome, en
377. par Dorothée et Sanctissime une seconde lettre,
Epist., CCLXHI, col. 976-981, longue, all'ectueuse, où il
sollicitait les Occidentaux de répudier non plus les
ariens, que leurs excès rendaient odieux, mais surtout
ceux que leur amitié rendait plus pernicieux, Eusthate,
le chef des pneumatomaques, Apollinaire, qui ensei-
gnait le règne de mille ans et une fausse doctrine sur
l'humanité du Christ, enfin Marcel, dont les disciples
trouvaient trop d'accueil auprès de Paulin.
Mais cette lettre n'obtint encore qu'une demi-satis-
faction. Rome avait déjà condamné ces erreurs dans la
première lettre confiée à Dorothée : elle les condamna
de nouveau, pour complaire aux Orientaux, dans la
nouvelle lettre que Dorothée rapporta. Constant, Episl.
roni. pont., p. 498. Mais elle s'abstint encore de con-
damner nommément Eusthate, Apollinaire, Paulin, qui
étaient ses amis de vieille date, qu'elle n'avait pas en-
tendus, que les autorités d'Orient elles-mêmes n'avaient
pas jugés. Elle était tellement prévenue pour eux et
contre les amis de liasile, encouragée d'ailleurs en ce
sens par Pierre d'Alexandrie, alors réfugié à Rome, que
dans ses entretiens avec Dorothée, Damase ne se gênait
pas de traiter Mélèce et Eusèbe de Samosate d'ariens.
Cf. S. Basile, Epist., cci.xvi. col. 992 sq.
Cependant, sur de nouveaux renseignements, en
379, avant que Pierre s'en retournât de Rome à
Alexandrie, Damase tint à Rome un concile où il con-
damna nommément Apollinaire et son disciple Timo-
Ihée. C'était déjà une satisfaction accordée aux Orien-
taux sur le terrain doctrinal. Une nouvelle difficulté
surgit lorsque le grand concile de Constanlinople, en
381, remplaça Mélèce par Flavien et évinça Maxime le
Cynique de Constantinople. 11 avait été convenu qu'à
la mort de Mélèce on laisserait Paulin seul évèque; et
Maxime le Cynique, qui avait supplanté Grégoire de
Na/ianze, avec le concours du patriarche d'Alexandrie,
('•tait venu jusqu'au concile d'Aquilée capter la bonne foi
de saint Ambroise. Pour régler ces affaires, celui-ci avait
demandé à Théodose, qui l'avait accordée, la réunion
d'un nouveau concile général composé des deux épisco-
pats d'Orient et d'Occident. Ce concile eut lieu en 382 à
Rome; mais les Orientaux qui venaient de tenir celui
de Constantinople. prétendirent assez, justement qu'ils
ne pouvaient quitter leurs églises encore une fois et
envoyèrent seulement trois délégués, avec une lettre
où l'on exposait la vraie foi, mais où l'on taisait les
questions de personnes comme régulièrement tranchées.
De fait, le concile de Rome accepta l'éviction, qui
•'imposait, de Maxime le Cynique, d'autant plus faci-
lement que Damase, mieux informé qu'Ambroise,
l'avait déjà raln ;X0, et avait chargé' le concile
de Constantinople de le remplacer. Jaffé, an. 380.
L'élection île Nectaire, bien qu'il n'eut été que laïque
lors de sa promotion, fut approuvée. Sur la demande
de Théodose des lettres de communion furent envoyées
dans ce sens. Pour l'affaire d'Anlioche, on la la
dans l'état.
Après avoir étudié dans leur ensemble et leur suite
lations de Damase avec l'Orient, voyons en détail
et brièvement ses actes particuliers contre les hén
et les schismes de ce pa;
d'Orient. — Nous n'avons presquerien
de spécial a ajouter en ce qui concerne c< tte hi n
h" l'arianisme pur il ne restait plus que quelques
vieux tenants, possédant, il est vrai, les grands si<
tels qu l ml i onstantinople, Euzoiut d Antioche,
mai» i Eunome,
retirés à l'écarl n'a aienl plu . aère d Influence. Leur
plat grandi forci c'i tail l'appui de Valent : elle di
lomf i puissante qu elle fût, die
DH.T. [iK THEOL. CATHOL.
ne contrebalançait pas le crédit des grands docteurs
de ce temps, surtout des Cappadociens. Néanmoins, Da-
mase insistait toujours sur la reconnaissance du con-
cile de Nicée et l'annulation de celui de Rimini. Ce
concile, disait-il, manque de toute valeur, parce qu'il
n'a pas l'approbation de l'évêque de Rome, dont on
doit solliciter le jugement avant tout. Mansi, Concit.,
t. m, n. 43; Jaffé, n. 242. En 369, après le concile de
Rome, il rédigea une formule [lomus ou typtis) qui fut
envoyée plus tard aux évoques d'Orient. Ceux-ci le
signèrent à plusieurs reprises. Au concile d'Antioche
de 379 sous Mélèce, 157 d'entre eux apposèrent à une
formule semblable leurs souscriptions, qui furent gar-
dées dans les archives romaines. Coustant, Epist. roui,
pont., p. 500; Duchesne, p. 421, note 2.
7° Apoliinaristes, sabelliens, eunomiens, macédo-
niens, pliotiniens. — Vers 380, dans un synode romain,
Damase rédigea une Confessio fidei calholiese, où il
résumait en « vingt-quatre anathèmes » toutes ses
condamnations contre les hérésies orientales. Un pre-
mier anathèmevise ceux qui ne reconnaîtraient pas au
Saint-Esprit unité de puissance et de substance avec le
Père et le Fils : viennent ensuite des anathèmes contre
les sabelliens, les ariens, les eunomiens, les macédo-
niens, les pliotiniens, les apoliinaristes et la doctrine at-
tribuée à Marcel d'Ancyre; puis recommence une série
d'anathèrnes relatifs au Saint-Esprit pour affirmer plus
énergiquement sa divinité essentielle et sa consubstan-
tialité par rapport au Père et au Fils. Cette Confessio
fidei fut envoyée à Paulin d'Antioche. Denzinger, En-
chiridion, n. 22-45; Duchesne, Ilist. anc. de l'Église,
t. n, p. 410, note. Marcel d'Ancyre ne fut pas nommé
dans la condamnation de ses erreurs, parce qu'il
avait été jadis soutenu parle pape Jules, et parce qu'il
s'était rapproché récemment d'Athanase, par une pro-
fession de foi que ce docteur avait jugée suffisante. Par
ses opinions sur la consubstantialité qu'il semblait
pousser jusqu'au sabellianisme, il compromettait les
partisans du consubstantiel et on reprochait aux Ro-
mains et à Paulin d'Anlioche de le fréquenter. Apolli-
naire avait été aussi longtemps l'ami de Rome, d'Atha-
nase et de Paulin à cause de sa fidélité à la foi de
Nicée. Plus tard il donna des leçons à saint Jérôme.
Mais les mélétiens le tenaient en défiance à cause de
ses relations. Il donna raison à ceux-ci, et tort à ceux-
là, quand, à partir de .'>7I, par réaction contre l'aria-
nisme, il aboutit au système qui porte son nom.
Athanase, Grégoire deNazianze, Grégoire de Nysse le
combattirent, et les Orientaux, par l'intermédiaire de
saint liasile, prièrent souvent Damase de se désolidariser
d'avec lui en le condamnant. Damase le lit enfin dans
un concile de 376; il chargea saint Jérôme de rédiger
une profession de foi que devaient signer les apolii-
naristes qui voudraient revenir à l'unité : il l'envoya
aux évéques d'Orient, et en pressa l'adoption surtout
quand Yilalis, après son retour de Rome, compromit
Paulin en si1 faisant apollinariste. En 378, il déposa
ensemble Apollinaire. Vitalis et Timothée, et rappela
cette déposition dans la lettre synodale que nous avons
citée plus haut. Jaffé, n. 378.
Quant aux pneumatomaques, auxquels s'était rallié
Eusthate et que l'on appelai! aussi macédoniens, signa
l'abord par saint Athanase à l'empereur Jovien,
combattus par s;iini Basile, s. uni Grégoire <if Nazianze,
Didyme l Aveugle, saint Ambroise, ils furent condamnés
par Damase dan llesde Rome de 369, de -174 et
et en 380. On a i ivé que la formule qui est en
du décret de Gélase, De libris recipiendis, est celle
qu'il rédigea. Thiel, Epist nt., p. 53 Le con-
cile de Constanlinople de 381 confirma cette condam-
nation.
I ce qu'on a dit jusqu'ici lail uffisammenl •
naître i attitude de i lama e à l'< ises d'An-
IV. - S
35
DAMA SI. I
DAMEN
Hoche, d'Alexandrie el de Conatantinople. 11 élait
d'accoi 'l avec le successeur d'Athanase, Pierre d'Ali
drie, auquel il écrivit des lettres de consolation lors-
qu'il lui exilé sous Valens en :i7i. Il l'accueillit favo-
rablement ■< Rome el se laissa trop influencer par lui
dans ses rapporta avec -.>mt Basile '•! saint Mélèce, il
lui donna des lettres de communion lorsqu il B'en re-
tourna. Jaffé, n. 56, 58. Il s'en fallut peu que Timothée,
son successeur, ne lui créât une mauvaise aflaii
protégeant Maxime !<• Cynique contre Grégoire de Na-
aianze. Enfin, pour ce qui regarde Antioche, il donna
toujours -a faveur à Paulin et aux Biens, ce qui faillit
le tromper sur Vitalis, le paralysa quelque temps en-
vers Apollinaire, ne lui permit pas de goûler Mélèce et
de s'entendre pleinement avec Basile.
On attribue maintenant à Damase le catalogue des
saintes Écritures, si important dans l'histoire du canon,
que l'on mettait jadis sous le nom de G-élase. Mansi,
t. vin, col. 153; Thiel, p. 52-54. Ce catalogue fut com-
posé sous l'influence de saint Jérôme, au concile de 37k
C'est à lui que se réfère le concile dllippone, qui en
.'193 donne une liste semblable.
Damase est un des premiers papes qui ait affirmé
avec une grande force par ses paroles et ses actes la
primauté universelle de l'Eglise romaine. Il répète
fréquemment qu'elle a le droit déjuger de tout, dans
la chrétienté, des personnes et des choses. Il fonde
cette primauté sur saint Pierre, et c'est sur lui qu'il
fonde aussi les droits subordonnés des patriarcats
d'Antioche et d'Alexandrie que cet apôtre aurait insti-
tués. Il ne connaît d'ailleurs Constantinople que comme
un siège ordinaire. Les Kglises d'Orient, comme nous
l'avons vu par leurs appels, lui font écho, quoique
quelquefois de mauvaise grâce. Les Pères du concilu
de 381 n'osent lui soumettre leur canon sur la primauté
d'honneur de Constantinople, bien qu'il reconnaisse
indirectement la suprématie de Rome. Saint Jérôme,
sollicité par les partis qui divisaient Antioche. se ré-
fére solennellement à Damase. Epist., xv. xvi. /'. L.,
t. xxn, col. 355-359, Saint Ambroise fait de même à diffé-
rentes reprises. Ubi Petrus, ibi Ecclesia. P. L., t. xiv,
col. 1082. Théodose, dans ses lois de 380 et 381, ne pou-
vait manquer de le désigner pour le représentant officiel
de l'orthodoxie en Occident. C'est à son sujet qu'Am-
mien Marcellin et le préfet Prétextât parlent du faste
des évêques de Rome.
Il y aurait encore lieu de parler des rapports de
Damase avec saint Jérôme, dont il fit son sécrétait e
pour les alfaires d'Orient surtout, et son consulteur
pour les questions d'Écriture sainte et de liturgie; on
sait qu'il chargea ce grand homme de reviser la Vu!
Il faudrait aussi parler du soin que Damase prit des
catacombes, de l'honneur qu'il rendit aux martyrs, des
inscriptions en vers qu'il fit graver admirablement sur
leurs reliques par Furius Dionysius Philocalus pour en
assurer l'authenticité, De Rossi, Inscript, christianœ,
Rome, 1888, t. il. Mais ces aspects ne sont pas d'ordre
purement théologique. Damase mourut le II décembre
384, presque octogénaire; sa fête est le II décembre.
Les historiens n'ont pas encore fixé absolument la chronologie
des conciles et des lettres de Damase, nous avons suivi I>u-
chesne de préférence : Liber pontificalis, t. i, p, - ! _*-j i :> : His-
toire ancienne de l'Église, Paris, 1907, t. n. p. 898-416, 4i7-Wi
et passim; Grisar, Geschiehte Roms und der Pàpeteim Mittel-
alter, t. I, p. 2.Y7-283; Zeitschrifl fur kathoOeche Théologie,
t. vm, p. 190-198; Rade, Damasus, Bieehofvon Hom. Frlbourg-
en-Brisgau, IMV2; Meicnda, De sancti Ihuiuisii papa npusculis
et geetie, /'. /,., t. xm, col. m-348; Tillemont, Mémoire» pour
servir à l'hiet. eccl., t. vm, p. 386-424; c.eillior. Histoto
nérale des auteurs sacrés el ecclésiastiques, t. vi, p. 4M
JaftV, Régi Ua pontifleum romanorum, 1. 1, p. 37-40; Coustant,
Epistolm romanorum pontifleum, t. i; Mansi, Coitcil., t. m.
col. 148, 150, 482, »77, t86; Hefele, Histoire des conciles, trad.
Leclercq, Paris, 1907, t. i. p. 980; 8. Damase, Opéra, V. /...
t. XIII //. /... I. II. r. \. /'. /... I. \\|.
I ■ Damasvi i
• ■• ichichte and Charakl
valier, Répertoire. Bio- bibliographie, 2 édit., t n lin:.
A. Clerval.
■2. DAMASE II, p.p.-. 10(7-1018. Clément 11 étant
mort le il octobre 1047, les Romains envoyèrent une
ambassade à l'empereur d'Allemagne, Henri III, pour
le prier de désigner un pape. Après avoir pen
chevèque de Lyon, llalinard. qui se déroba, il choisit
le Bavarois Poppo, évéque de Rrixen. dans le Tyrol.
C'était h- 25 décembre a Saint-Poëlten. Pour lui venir
en aide, il lui lit une donation, et lui permit de garder
son évéebé. Parti pour Rome, au commencement de
I0i8, Poppo trouva le siège pontifical occupé par
Benoit IX de Tusculum, qui s'était fait nommer, le
8 novembre 1047, ^ràceà ses largesses au peuple, et le
margrave de Toscane. Roniface, refusa de le conduire.
L'empereur, près de qui il dut revenir à Ratûbonne, le
renvoya en Italie, avec une lettre menaçante pour Ro-
niface. Renoit IX dut se retirer après avoir tenu Rome
8 mois et 9 jours, et Poppo, conduit par le margrave,
bien accueilli par le peuple, fut sacré à Saint-Pii
le 17 juillet 1018 : il prit le nom de Damase II. Mal-
heureusement il mourut, à l'alestrina. au bout de
23 jours, le 9 août 1048, on ne sait de quelle maladie.
Il fut enseveli à Saint-Laurent hors les murs, et son
sarcophage se voit encore dans le portique extérieur.
Jaffé, Regesta, t. i, p. 528; Duchesne, Liber puntificalis,
t n. p. 274; ld., I.'-s premiers temps de l État pontifical, dans
la Revue d'histoire et d> littérature religieuses, 1K97, t. il,
p. 211; Giesebrecht. Geschiehte der deutschen I LU,
p. 437: Langea, Geschiehte der rCm. Kirche, \ M5; helarc,
Grégoire VII, t. î. p. 93-9(1: dans l'eitz. Monumenta Germanise,
Scriptores, voir Annales Romani, t. v. i
t. vu, p. 2-28; Lamberti Hirsch-, t. v, p. 154; Bonizo, t. il,
p. 803.
A. Clerval.
DAMBERGER Joseph Ferdinand, historien de
l'Église, naquit à Passau Bavière] le l«* mars 1795;
ordonné prêtre en 1818, il travailla quelques années
dans le ministère pastoral ; il était prédicateur de la
cour à Saint-Cajetan de Munich, quand il demanda à
être reçu dans la Compagnie de Jésus, oii il entra, en
1837, à Brieg en Suisse; il professa l'histoire au sémi-
naire de Lucerne I8iô-lsl7 : expulsé avec ses confrè-
res, en 1847, il fut obligé de se réfugier en Italie ; il
passa les dernières années de sa vie à Schâftlarn près
de Munich, comme confesseur des religieuses dites
Dames anglaises; il y mourut le 1 ■ mai 1850. Il a publié :
Synclironistisclic Gcscliichte der Kirche und W'clt ini
Millclaltcr. 15 in-8" avec complément critique pour
chaque volume [le xv vol., s'arrétant à l'année 1378,
a été édité par les soins du P. D. Rattinger, S. .1. . Ratis-
bonne, 1850-1863 : ouvrage dune immense érudition;
son plan le rend un peu pénible à lire. mais, par la
richesse des informations et par la discussion appro-
fondie des mensonges de l'histoire anticatholique, il a
mérité d'être appelé un véritable arsenal pour la dé-
fense de la vérité historique et île l'Église.
DeBackeretSommen thequedela -.t.n.
col. 1786-1787; Hurler, Nomenclator, t. m, eoL 1082; Ai,
lexikon, t. m. cl. 19624863 : AUgemeine deutsche Biographie,
Leipzig, l. iv. p 716.
Jos. Broceer.
DAMEN Armand, théologien belge, né i Toiu
en 1658 ou 1657. Il lit ses humanités chez les chanoines
réguliers de sa ville natale. Dès lors il annonçait les
plus heureuses dispositions, ni point d'éclipser tous
condisciples. En ir>7:>. il vint à Louvain, où il
devait passer le reste de sa \ie. Il y suivit les cours de
philosophie pendant deui ans. au Collège du Porc,
et les cours de théologie, pendant quatre ans environ.
m Grand Collège du Saint-Esprit. A peine ordonné
37
DAMEN
DAMIAXI DE TUHEGLI
38
prêtre, il fut vicaire, puis curé de la paroisse Saint-
Michel; mais les fonctions de son ministère ne l'empê-
chèrent pas de poursuivre ses études et de conquérir
successivement la licence et le doctorat en théologie.
C'est en 1699 qu'il ohtint ce dernier grade. A partir de
ce moment, il resta attaché au Grand Collège des théo-
logiens en qualité de vice-président; et bientôt l'arche-
vêque de Malines, Humbert, le créait archiprêtre du
district de Louvain. Vers le même temps, les consuls
de la cité reconnaissaient ses mérites en le nommant
chanoine de la collégiale de Saint-Pierre et professeur
à la faculté de théologie, où ses collègues ne tardèrent
pas à lui conférer le titre de « régent ». A la mort de
Martin Steyaert, en 1701, il lui succéda comme doyen
du chapitre de Saint-Pierre, comme directeur des
« sabbatines » et comme président du Grand Collège.
.Mais les devoirs de cette présidence constituaient un far-
deau trop lourd pour sa débile santé, et dès le 22 mai 1702
il l'échangeait contre celle du Collège de Divœus. Le
16 juillet 1713, il fut transféré à la direction du Collège
d'Arras, où il habita désormais et où il mourut, le
29 octobre 1730, dans sa 74e année. Outre ses autres
fonctions, il avait été appelé, par le suffrage unanime
des électeurs, à la charge, alors très importante et très
honorable, de conservateur des privilèges académiques.
A un caractère aimable et à une activité multiforme
el incessante Damen joignait, comme professeur et
comme écrivain, une juste aversion pour les nouveautés
théologiques et un grand zèle pour les droits du saint-
siège. On en pourra juger par la liste de ses ouvrages
ou opuscules. Nous avons de lui : 1° Doetrina el praxis
S. Caroli Borromxi de pxnilcutia csetcrisque conlro-
versiis moralibus hodiernis, 3 in- 12, Louvain, 1697.
C'est un commentaire des ordonnances et instructions
du saint archevêque de Milan, où Damen a eu soin de
reproduire toujours en entier les textes qu'il commente.
Il est spécialement dirigé contre le rigorisme des
jansénistes relatif à l'absolution des pécheurs d'habi-
tude et des récidivistes, à la confession et à la commu-
nion des enfants, à la fréquente communion, etc. La
deuxième partie est une réponse à Jean Opstraet, qui
avait attaqué les conclusions de la première. L'ouvrage
a été réimprimé à Louvain en 1703, et, une seconde
fois, en 1711. 2° Oratiode cathedra Pétri ut est régula
fidei, in-12, Louvain, 1721. L'auteur j défend, comme
intique et continuelle doctrine des théologiens de
Louvain », la thèse de l'infaillibilité personnelle du
pape. Il l'énonce ainsi : « l'ne définition qui, concer-
nant des choses de foi, de mœurs et de religion aux-
quelb - I l glise entii i si intéressée, part de la seule
chaire de Pierre el s'adresse à tous les fidèles, est
■ de foi, même indépendamment de l'intervention
d'un concile général et antérieurement à l'assentiment
de II glise universelle. Or le pontife romain définit
n cathedra quand il prescrit à toute l'Église quelque
chose à croire. » Parmi les documents cités figure une
déclaration collective et très explicite, émise par la
facult''' de Ihéolo te en 1588, el au lias de laquelle on
lit, entre autres noms, ceux de Michel Haius el de
Jansénius d'Ypres. 3° Oratio de dogmalica imita Uni-
tus, in-12, Louvain. 1721 : démonstration du carac-
tère dogmatique et strictement obligatoire de la bulle
SB question. Cette étude se trouve complétée par la
suivante i Brevii tolutio supei tribus hit quœsitis :
I. An Inobediens constitution! Unigenitus fit exconi-
municatut ' 2 An fit tchismaticus ' 8. An fit ha
cusi in V\ Louvain, 1727. l.a réponse eal affirma
sur toute In ligne, à la condition d'entendre les deui
premiers point- de cens qm manifestent leur insou-
minion, 5 />■■ de numéro episcoporum ad
validant ordinalionem episcopi requisito, in-i\ I
vain. 1723. Damen soutient que le concours de troi
évêquei i i saul dispense du pape, nécessaire non
seulement pour la légitimité, mais aussi pour la vali-
dité; d'où il infère l'absence de tout caractère épiscopal
en Corneille Steenhoven, soi-disant archevêque
d'Utrecht, qui s'était fait sacrer par Varlet, évêque de
Babylone, d'ailleurs « excommunié, suspens et irrégu-
lier ». Van Espen se fit le champion de la cause de
Steenhoven. 6° Ce fut l'occasion de la Dissertalio 11*
île numéro episcoporum ad validant ordinationem
episcopi requisito, in-i3, Louvain, 1725. L'année sui-
vante, paraissait : 7° Oratio de ponlificio lioc oraculo :
« Universitas Lovaniensis sanctae Romanse Ecclesiœ
devota et jidelis est plia, » in-12, Louvain, 1726. Cet
éloge avait été adressé à l'école de Louvain par Pie IV.
en 1561. Il est ici justifié par une brève esquisse de i'atli-
lude de l'université en différentes circonstances, mais
surtout à l'époque du concile de Bàle. Le même thème est
repris dans : 8° Prosecutio orationis habita die 11 jitnii
1727, in-i°, Louvain, 1727. Nous possédons trois études
en tête desquelles Damen n'a pas mis son nom, mais
qui sont certainement de lui; c'est d'abord : 9° fiela-
lionis operum ex aliquo benevolenlise in Deum affeclu
obligatio ac nécessitas, strenue asserla per tlicologum
Lovaniensem , in-4°, Louvain, 1729. Il y ajouta bientôt :
10° Relationis operum ex aliquo bencvolenliœ in Deum
affeclu obligatio ac nécessitas, denuo asserta per
Iheologum Lovaniensem, in-4°, Louvain, 1730. Dans
ces deux écrits, le « théologien de Louvain » plaide,
contre Vanroye, docteur de Sorbonne, pour une thèse
chère à son école. Il la justifie sans peine de l'accusa-
tion de baianisme et de quesnellisme. Il ajoute qu'au
demeurant une relation virtuelle, ex parle operis,
suffit, et que le « sentiment de bienveillance » qui la
réalise n'appartient pas nécessairement à la vertu théolo-
gale de la charité proprement dite. Surtout, ni lui ni
ses amis n'ont jamais dit ou pensé que « les infidèles
pèchent dans tous leurs actes ». Ces observations sont
encore corroborées : 11° par une Dissertalio de refe-
rendis operibus in Deum et de operibus infidelium,
auctore theologo Romano-catltolico, in-i°, Louvain,
1729. La dernière œuvre de notre auteur est : 12° Dis-
sertatio de veritate liujus propositions : « Jansénius
non fuit jansenisla, » in-4°, Louvain, 1729. L'affirma-
tion d'apparence paradoxale est soutenue et expliquée
de façon fort simple : qui dit janséniste dit hérétique;
or Jansénius n'a pas été hérétique : il n'a pas eu con-
science de ses erreurs, réprouvées par l'Église seule-
ment après sa mort; à plus forte raison, n'a-t-il pas eu
cette opiniâtreté dans l'erreur, sans laquelle il n'\ a
point d'hérésie. Il s'agit évidemment de la personne de
lansénius, et non de sa doctrine. Quant à celle-ci,
« nul vrai catholique » ne peut soit nier que Y Augus-
tinus « contienne diverses hérésies, » soit défendre une
seule des cinq fameuses propositions. Damen rappelle
fort à propos le mot de Vincent de Lérins : « Étranges
vicissitudes des choses! Les auteurs d'une opinion
sont catholiques, et ses défenseurs sont réputés héré-
tiques. Les maîtres sont absous, mais les disciples sont
condamnés. >>
Reusens el Bai bli l \nalectes pour servir à l'histoire ecclé-
siastique de (a lirtgiqtte, Louvain, 1881, t. xvn, p. 173. 386; De
Ram, De laudibus quibtts veteres Lovaniensium theologi
efferri possunt, Louvain, 18'iH, p. 14, 5«, 133.
J. FORQET.
DAMI ANI DE TUHEGLI Jean, théologien hongrois,
né a Tuhegli le 21 juin 1710, mort vers 1780. Il vint à
Home en 1726 el étudia i i i irmo sous les auspices de
lienoit XIII; il fut ordonné piètre, le •"> mars 1736. De
retour à Home, il fut bien accueilli par Clément Ml.
qui le proposa an choix d'Émeric d'Esterhazv pour un
canon i« it de Presbourg, Il occupa diverses antres places
dan la hiérarchie ecclésiastique de son pays il g pu-
blié : i Doetrina vent Chrisli Ecclesia ab omnibus
puis antiqui, >nedtt et novi ctvi hterâtibus vindi-
39
DAMI.WI Dl I I III. M. I - - DAMIEN
, Ofen, 1762; i Justa * eligiùi us <■<, adm,
m s . ibid., I70.~>, où il Iraiti des divers moyens de faire
rentrer lee dissidents dan atholique. Il a laiaaé
ci ii ouvrage manusOil intitulé Examen libri rj /«,</«.-
h, i II" -
m i, i. Nouvelle biographie générale, t. xm, p. B&7-858.
E. M.w.i.noï.
DAMIANITESon DAMIANISTES, voir Damii.n I.
1. DAMIEN, patriarche copie d'Alexandrie, 578-605,
et fondateur de lu secte des damianitea ou tétradites.
Depuis les controverses eu ire Sévère d'Antioche et Julien
d'Halicarnasse sur la corruptibilité ou non du corps
du Clirist, le parti monophysite comptait deux grandes
fractions : les sévériens ou corrupticoles. les julianistes
ou aplitartodocctes et phantasîastes, En Egypte, à la
mort du patriarche Timothée IV, S février 596, chacun
des deux partis lui donna un successeur, Tliéodose Ier
pour les sévériens, Gaïanus pour les pliantasiastes. Ni
l'un ni l'autre ne put se maintenir en charge, par suite
de l'opposition de la cour byzantine, qui exila les deux
concurrents et imposa le candidat clialcédonien. Théo-
dose lrr mourut en exil le 22 juin 5G7. La vacance du
siège patriarcal dura jusqu'en 576, où des évoques
syriens envoyés par Paul, le patriarche monophysite
d'Antioche, élurent et sacrèrent un certain Théodore.
Furieux de ce choix, auquel ils n'avaient eu aucune
part, les théodosiens lui opposèrent, automne 576,
Pierre IV, qui rompit la communion avec Paul d'An-
tioche. Ce dernier, du reste, était alors brouillé avec le
fameux Jacques Baradaï, qui était en excellents rapports
avec Pierre IV. Lorsque celui-ci mourut le 1!) juin 578.
on nomma pour son successeur un Syrien d'origine,
Damien, qui adopta sa ligne*de conduite et donna son
nom à ses partisans. On les appelait, en effet, alternati-
vement sévériens ou théodosiens ou damianiles, ou
angélites, à cause du lieu où ils se réunissaient à Alexan-
drie. Damien rejetait la doctrine chalcédonienne.
l'hérésie phantasiaste de Julien, celle des trithéistes
lancée par Jean Philopone, ainsi qu'on le voit par sa
lettre synodique et sa lettre sur la mort de Jacques
Baradaï. Michel le Syrien, Chronique, trad. Chabot,
t. n, p. 325-334, 339-342. Ln même temps, il anathé-
matisait <• l'insensé' Sabellius de Libye », Michel le
Syrien, t. n, p. 331, col. 2, dont on l'accuse pourtant de
reproduire la doctrine.
Le trithéiste Jean Philopone avait admis a la plura-
lité des essences et des natures dans la Trinité sainte,
divisant et séparant avec les personnes l'unique essence
indivisible ». Il semble qne, pour avoir voulu trop
réfuter les tenants de cette doctrine : Jean Philopone,
Probtis, Sergius l'Arménien, etc.. Michel le Syrien, t. n,
p. 36-2 sq., Damien soit tombé' dans l'hérésie contraire,
dans le sabellianisme. Timothée de Constantinople, De
receptione heereticorum, P. G., t. lxxxvi, col. 60. l'ac-
cuse d'admettre, avec la distinction des trois personnes
divines, un Dieu commun, une sorte de déilé inexis-
tante, par la participation indivise de laquelle chacune
des trois personnes est Dieu. » Dans ce système, tou-
jours d'après Timothée, le Père, le Fils et le Saint-Esprit
sont nommés tiyposlases, et chaque personne, pi
part, est Dieu; quant au Dieu commun, il est nommé
substance et nature. C'est pourquoi, on reprochait S
Damien d'être tétradite, c'est-à-dire d'admettre quatre
dieux. Saint Sopbrone, Epistola synodica adSergium,
r <;., i. ixxxvn. col. 3193, loue les réfutations que
Damien avail faites du système trithéiste, mais il le
traite de nouveau Sabellius », De raê le patriarche
monophysite Pierre d'Antioche, s,>u grand adversaire
lui reproche de dire que i les propriétés constitutives
des personnes de la Trinité sainte étaient les pen
mêmes. ■ Michel le Syrien, i. n. p. 365. De même
encore Athanase d'Antioche, peu après l'accord fa.il en
Damien, avoue qu<
celui-ci, i l'innascibilité est la personne du
filiation ta personne du I ils. la procession la personne
du Saint-Esprit, i Michel le Syrien, t. u, p :W7. col. 2.
Kn somme, d'après l'ensemble de ces témoignages con-
temporains, qui contredisent celui de TimothéV
.intinople, Damien avait remis en circulation le
Babellianisme. Cette doctrine fut vivement combattue
par les monopbysites d'Antioche, surtout par le patriar-
che Pierre, qui écrivit trois Ira ijel On et
de s'entendre à la conférence de dabita en Arabie,
en vain, par suite de la mauvaise voli
qu'y apporta Damien Michel le Syrien, t. n, p.
371. Plus tard, après la mort des deux ad
dans une Série de conférences qui se tinrent particu-
lièrement à Alexandrie en l'année 609, l'entente fut
rétablie entre les deux Eglises monophy sites d'Antioche
et d'Alexandrie, et les deux patriarches de ces Églises,
Athanase et Anastase. publièrent, -ous leur signature
commune et celle de plusieurs évéqnes, l'acte officiel
d'union. C'était une exposition de la vraie doctrine sur
le mystère de la Trinité, dans laquelle on ne blâma ni
Damien d'Alexandrie, ni Pierre d'Antioche; l'acte
d'union ne voit dans leurs disputes théologiques qu'une
t querelle de mots ». Michel le Syrien, t. n, p. 391,
col. 1. Mais nous savons par les lettres d'Atbanase que
la doctrine de Damien fut formellement rejetée dans les
conférences et que, si l'acte d'union n'en parle pas,
c'est que les Alexandrins s'y étaient opposés. Il y eut
encore des damianites, qui restèrent fidèles à la doc-
trine du maître. Voir les pièces officielles de cette réu-
nion dans Michel le Syrien, t. il, p. 381-399.
S. V.ui.iif..
2. DAMIEN (Saint Pierre), cardinal-évèqued'Ostie.
docteur de l'Eglise. — I. Vie. II. Action apostolique.
III. Œuvres. IV. Doctrine.
I. Vie. — 1° Sa jeunesse. — C'est à ses contemporains,
au disciple qui écrivit sa vie. aux documents pontificaux
de l'époque, surtout à ses Lettres et à ses Opuscules.
qu'il faut demander des renseignements précis sur les
principaux événements de son existence, sur le rôle
actif qu'il joua dans l'Église, sur sa doctrine.
Henschenius, Acta sanctorum,2' édit.. t. m februa-
rii, p. 112-433, le fait naître en 988. à cause des allu-
sions fréquentes à sa grande vieillesse qu'on trouve
dans ses écrits, à partir de l'an 1060. Mais Baronius,
avec plus de raison, place la date de sa naissance en
11*07; car Pierre Damien. Opuscul., i.vu, 5, dit expres-
- ment qu'Otto était mort à peu près cinq ans avant
qu'il ne vint lui-même au monde, et nous savons qu'Otto
mourut le 28 janvier 1002. Il naquit à Ravenne, de pa-
rents pauvres, surchargés de famille; sa mère l'aban-
donna tout d'abord, puis le reprit et mourut quand il
n'était encore qu'enfant. Devenu orphelin, il fut em-
ployé par l'un de ses frères i des travaux grossiers, no-
tamment à la garde des pourceaux. Mais telle était son
intelligence qu'un autre de ses frères, nommé Damien,
d'où son nom de Damiani ou Da»iianus. se chargea de
son instruction et l'envoya étudier i Faënxa, puis ,ï
P. unie. Opuscul., xi. n, 7. Ses progies tinrent du pro-
dige, et bientôt il l'ut à même de professer à son tour,
ce qu'il lit avec un grand succès. La fortune lui vint
avec la renommée. Mais, suis se laisser séduire par
l'une on par l'autre, et craignant de céder à la fougue
di -• - passions ou aux dangers <lu monde, il entra chez
les religieux de Fonte Avellana, au diocèse de Gubbio,
en Ombrie. ('.'et. ut vers 1035 et il avait ak
29 ans
9 Dans le cloître. — Devenu moine, il commence
par Se livrer à un ascétisme rigoureux. Aux ans!
de la règle bénédictine, il ajoute d'autres pratiques de
pénitence volontaire, qui le privèrent pour longtemps
de sommeil. Son ardeur au travail était sans égale Sou-
41
DAMIEN
42
vent, sur l'ordre de son supérieur, il dut exhorter ses
frères; il y déploya tant de zèle et y réussit si bien
qu'il fut appelé dans des monastères voisins, où il exerça
un apostolat apprécié. Bientôt (vers 1040) supérieur de
Fonte Avellana, il fonde d'autres couvents. On aurait pu
le croire exclusivement occupé à se sanctifier et à sanc-
tifier ses religieux, à restaurer età renforcer la discipline
monastique, tant il était épris de l'idéal de la vie claus-
trale, et tant les désordres et la décadence des mœurs ré-
clamaient une direction vigoureuse, mais ni l'attention
vigilante, ni les soins multiples qu'il ne cessa jamais de
consacrer à la réforme du cloître et à la promotion de
la vie religieuse n'absorbèrent l'activité de son zèle. Il
avait, en effet, un puissant amour pour l'Église, qu'il
voulait pure et féconde dans la conduite de tous ses mi-
nistres sans exception, d'un bout à l'autre de la hiérar-
chie ecclésiastique.
3° Ses rapports avec les papes. — Pendant la pre-
mière moitié du XIe siècle, l'Église avait passé par de
rudes épreuves. Durant plus de trente ans, les comtes de
Tusculum exploitèrent le siège romain comme un fief
de famille, en le faisant occuper successivement par
les deux frères, Benoit VIII (1012-1024) et Jean XIX
(1024-1033), et leur neveu, Benoit IX (1033-1048), qui,
pape à douze ans, déshonora la tiare par ses déborde-
ments. Renversé par une émeute, en 1044, Benoît IX
se voit opposer Sylvestre IV (1044-1046), rentre dans
Rome par la force des armes et vend, dit-on, le pontifi-
cat à Jean Gratien, Grégoire VI (1045-1046), sauf ensuite
à faire valoir quand même ses droits. On eut ainsi trois
papes à la fois. Grégojre VI avait, du moins, pour lui,
la droiture des intentions et le désir sincère de remé-
dier aux maux de l'Église; il sut choisir pour chapelain
un homme de valeur, le célèbre Hildebrand, le futur
Grégoire VII.
A ce moment difficile, Pierre Damien entre en jeu et
prend contact avec la papauté qu'il va servir de toutes
ses forces. Il commence par féliciter Grégoire VI de
son élévation au souverain pontificat; dans l'espoir de
le voir combattre et bannir de l'Eglise le double fléau
de l'incontinence des prêtres et de la simonie, il lui
écrit pour lui dénoncer en particulier trois églises
gouvernées par d'indignes prélats. « Par votre zèle
contre l'évéque de Pesaro, dit-il, on jugera de ce que
l'on doit espérer de bon pour les antres églises.
t., I. VII, epist. i, P. L., t. CXLIV, col. 206. Le
concile 'I' Sulri déposa, pour cause de simonie, Syl-
vestre III et Benoît IX. Quanl à Grégoire VI, également
déposé 'I après M|r Duchesne, Liber pontificalis, t. il,
p. 271, ou volontairement démissionnaire à l'exemple
de saint Grégoire de Nazianze, comme le croit Baronius,
Annal., an. I0'M>, n. 3, il partit pour l'Allemagne avec
Hildebrand. Son successeur, le pieux évêque de Bam-
berg, Suidger, prit le nom de Clément II (Kiili -lui:
Pierre Damien reçoit mandat de l'empereur Henri III
d'aller à Rome pour aider le nouveau pape de ses
conseil-, mais il s'en défend tant qu'il n'aura pas reçu
l'ordre même «lu pape. Dans la lettre qu'il écrit à ce
sujet à Clément II. il a soin de notifier le désordre qui
dans les églises de sa province, grâce au faste
dei évoques, la plupart chargés de crimes." Travaille/.,
lui dit-il, ;i relever la justice qu'on foule aux pieds avec
mépri d ei dei rigueurs de la discipline ecclésias-
tique pour que les méchants soient humilies et que les
humb reprennent ■> l'espérance Epitt., I. I,
epist. m. P. /... I CXLIV, Col.
A la mort de Clément II, le comte de Tuscul fait
proclamer Benoit x. Mais ce dernier bb retire devant
indidal de l'empereur, Damase II 1048), qui ne
régna qu un mois à peine, el fut remplacé par lirunon
nisheim, évéque de Toul et parent d'Henri III.
Léon l \ 1048 1054 L< - ennemis de l'austère réfor-
Damien le dénoncèrenl au
nouveau pontife. L'ayant appris, Pierre écrit au pape
pour le prier, avec autant de fermeté que de modestie,
de surseoir à toute décision le concernant avant d'avoir
été entendu. « Je ne cherche la faveur d'aucun mortel;
je ne crains la colère de personne; je n'invoque que
le témoignage de ma propre conscience. » Epist., 1. I,
epist. iv, ibid., col. 208-209. Une telle franchise ne dut
pas déplaire à Léon IX, car nous le voyons se faire aider
par Pierre Damien dans la réforme du clergé. C'est
alors que notre saint composa son fameux Gomor-
rhianus, Opuscul., vu, P. L., t. cxlv, col. 159-190, con-
tra quatrimodam carnalis contagionis polhttionem.
Est-ce à la suite de cet ouvrage, dont le pape lui sut
gré, que Léon IX, au concile de Rome de 1049, pro-
nonça des peines canoniques contre les clercs coupables?
Nous l'ignorons et le pontife lui témoigna même quelque
froideur, à laquelle Damien se montra très sensible.
Toujours est-il que le décret se trouve répondre aux vues
de Pierre, qui le loue dans son Opuscul., vi, Gratissi-
mus,t. cxlv, col. 150-151.
4° Son cardinalat. — A Léon IX succède Victor II,
qui meurt le 28 juillet 1057, et est suivi dans la tombe
par l'empereur Henri. L'empire était vacant, on en pro-
fite pour nommer le cardinal de Lorraine, qui fut
Ktienne IX (X) (1057-1058). Ce pape, au nom de l'obéis-
sance, impose à Pierre Damien le titre de cardinal-
évêque d'Ostie. Il meurt trop tôt pour accomplir
l'œuvre de la réforme que ne cesse de poursuivre
Pierre Damien; et sa mort permit au parti des comtes
de Tusculum de fomenter un schisme par la nomina-
tion de Jean, évêque de Velletri, sous le nom de
Benoit X (1058-1059). Mais. le nouveau cardinal proteste
aussitôt et traite Benoit X de simoniaque et d'intrus.
Il rejoint à Sienne Hildebrand, qui revenait d'une
mission, et contribue à l'élection de l'évéque de Florence,
Gérard de Bourgogne, qui prit le nom de Nicolas II
(1059-1061). Très vraisemblablement, c'est sur les conseils
d'Hildebrand et de Pierre Damien que Nicolas II porta
le célèbre décret de 10.".9, par lequel, pour assurer
désormais l'indépendance des élections pontificales, le
choix du pape était exclusivement confié au collège
des cardinaux, le dernier mot devant rester aux c.uili-
naux-évéques, l'empereur ne conservant plus que le
droit de confirmation cl le peuple celui d'approbation.
Cf. Scheffer-Boichorst, Die Neuordnung der Papst-
wahl ditrc/t Nicolaus II, Strasbourg, 1879.
Pierre Damien. plus que jamais décidé à poursuivre
sa campagne contre les vices de l'époque, écrit à Ni-
colas II, Opuscul., xvii, Decœlibatu sacerdotum, /'. L.,
t. CXLV, col. 379-388, pour qu'il réprime l'inconti-
nence des clercs qui scandalisait les fidèles et avilissait
le sacerdoce. Dans le même but, il s'adresse au cardinal
Pierre, à l'évéque de Turin et à la duchesse Adélaïde,
pour les presser d'arrêter le cours des débordements <iu
clergé et de mettre en vigueur le décrel de Léon IX
contre les clercs incontinents el leurs concubines.
Opuscul., xvni. Avec Anselme de Lucques, le futur
Alexandre II, il est envoyé à Milan pour y réglei
affaires ecclésiastique- et rend compte de sa mission à
Hildebrand. devenu archidiacre de l'Église romaine.
Ictus Mediolani, de privilégia romane Eccle
Opuscul., v. t. cxlv, col. 89 98.
.v Projets de démisi ion Déjà il -Mine ,. renoi
à l'épiscopat pour se retirer dans la solitude de
Fonte Avellana. Epist., I. I, epist. nu, Dans une
lettre, Opuscul., x\i\. De abdicalione episcopatus,
i. i \i>. col 123-442, h té igné qu'il j aurai! renoncé
aussitôt .que- la mort i|e <;■ lui qui le lui avait im]
di foro il avail pu obtenir son congé, mais que
ne I .. \ i ni pas obtenu alors a cause des troubles
de l'Église, il li dem nde à présent que l'Kglise
. -i en paix. Il insiste de nouveau dans son Apologeti
eus ob dimissum episcopatu\ U., ut, art se
13
1 1 A M I E N
ii
plaint qu'on l'ail chargé par Burcrotl de la visite il un
autre évêché. Mais le pape ne donna paa suite à sa de-
mande, comprenant qu'un homme comme Pierre Da-
mien était indispensable te, les cir-
constancee difficiles qui suivirent la mort de Nicolas II.
survenue au mois de juillet 1061, rendirent sa
nécessaire. Avec les partisans de la réforme, il contribua,
le Ier octobre, à élire Anselme de Lucques, Alexandre il
(1061-1073).
51 Sa retraite. — Celte fois, pensa-t-il. il aurait gain
île cause auprès du nouveau pontife et pourrait fuir
le monde corrompu et le faste qui entourait les princes
de l'Église pour se retirer dans le cloitre. Il est prêt a
consacrer le nouvel élu, comme son siège lui en donne
le privilège, mais il entend se retireraprès avoir il-
une charge qu'il n'avait nullement sollicitée, qu'on lui
avait imposée de force; il en a, du reste, manifesté
déjà l'intention. Le pape consent à sa retraite, sans
toutefois accepter sa démission. Tel n'était pas l'avis
d'Hildebrand qui, jugeant sa présence utile à Rome et
son appui indispensable, aurait voulu qu'il fût retenu
bon gré malgré, au nom de l'obéissance. Cf. Baronius,
Annales, an. 1061. n. 28. Pierre Damien trouva cette
intervention indiscrète. Aussi, dans sa lettre au pape et
à l'archidiacre, traite-t-il ce dernier de « verge d'Assur »
et de sanctus Salanas, c'est-à-dire d'adversaire un peu
dur, mais saint. Il compte bien ne pas rester oisif dans
sa retraite et ne se désintéresser en rien des affaires de
la réforme et des intérêts de l'Église. A l'occasion, il
reprendra rang parmi les combattants, acceptera et
remplira avec un zèle apostolique les missions qu'on
voudra lui confier, soit en Italie, soit au delà des
monts. En attendant, pour répondre au désir du pape,
il compose la vie de deux de ses disciples, véritables
ornements de l'Église, Rodolplie, évèque de Gubbio, et
Dominique, surnommé le Cuirassé. Alexandre 11 se
plaint pourtant de la rareté de sa correspondance;
le saint s'en excuse sur ses travaux et ses occupations.
Epist., 1. I, epist. XV, col. 225 sq. mais il est heureux
d'apprendre qu'on l'avait déchargé du comté d'Ostie; pour-
quoi ne le déchargerait-on pas aussi de son évêché '.' Que
le pape, du moins, travaille à réformer les abus dans le
concile qu'il allait tenir. En finissant, Pierre Damien
glisse huit vers, qui forment un précis îles devoirs pon-
tificaux dans les circonstances présentes.
G" Il poursuit son œuvre de réforme. — Pour-
suivant dans le cloitre comme à Rome ses projets de
réforme, il adresse une lettre aux cardinaux pour les
exhorter à servir tic modèle, l'épiscopat consistant
beaucoup moins, dit-il, dans la magnificence et le faste
des ornements extérieurs que dans l'exercice de toutes
les vertus. E/iist., 1. II, epist. i,col.253sq. De même il
démontre au pape, Opuscul., xxiv. que, d'après la ;
et selon l'esprit de saint Augustin, les chanoines régu-
liers ne doivent rien posséder en propre, mais vivre en
communauté avec les revenus de leur église. C'est ce
que ratifia le concile romain de 1063, par le canon î.
qni oblige les chanoines à vivre, comme des clerc- n
guliers, d'une vie commune, à manger a la même table.
à dormir sous le même toit et à s'en tenir aux biens
de leur église. Alexandre II finit par accepter -a de-
mission, car. dans l'acte de la dédicace de l'église de
Saint-Martin des Champs à Paris, eu 1067, >>n trouve la
signature de Gérard, ancien prieur de Cluny, avi
titre d'évéque d'Ostie. Cf. Mabillon, Annales, 1. I.M.
n. 10; 1. LXXIII, n. 7. ,S.
7 // lutte fui, tn- Cadatoùs. — Dans l'intervalle,
Pierre Damien avait pris une part prépondérante
dans l'affaire de l'antipape Cadaloûs. Dès la fin d'oc-
tobre 1060, c'est-à-dire quelques1 jours à peine après
l'élection d'Alexandre II. le parti toujours remuant
di's comtes de Tusculum, d'accord cette loi- avec le parti
germanique, s'était prononcé en laveur de ce Cadaloûs,
au mépris «lu décret de 1039 sm les élections pontifi-
cales. A tout prix, il fallait écarter Honorins II et con-
jurer le schisme. Résolument, c'est à l'antipape lui-
même que s'en prend Pierre Damien. Condamné comme
il l'a été pour crimes, il ne devrait pas, lui écrit-il,
pactiser avec la faction qui l'a placé sur le Biège de
Rouie; son élection est nulle, parce qu'elle a été lait
• romaine, du sénat, du clergé et du
peuple, alors que le siège était déjà légitimement pour-
vu; si non, gare au jugement de Dieu. Epist . I. 1.
epist. ,\x, /'. /.., t. exi.iv, col. 237-247. loin de tenir
compi' di i treilles remontrances, Cadaloûs pénètre
dan- Rome i t s'j maintient par la force des arn
Aussitôt, nouvelle lettre, plus virulente encore et -
le moindre ménagi ment. Epist., I. I. epist. xxi, ibid.,
col. 2V8 sq. Pierre compare le faux Honorins II au
traître Judas et aux pires tyrans qui ont persécuté
l'Église. A l'archevêque de Ravenne, qui paraissait
hésiter entre les deux papes, il déclare qu'Honorine
est un intrus, que son élection est anticanonique, qu'il
s'est fait introniser de nuit à main armée et qu'il
incapable d'interpréter le moindre verset des psaumes.
Epist., I. 111, epist. îv. ibid., col. 291-292.
D'autre part, il importait de détacher de l'antipape le
parti allemand. C'est pourquoi Pierre Damien s'adresse
directement à l'empereur et le conjure d'agir en pro-
tecteur de l'Église, à l'exemple de Constantin contre
Arius, de frapper Cadaloïis, seul moyen de rendre la
paix à l'Eglise et de s'attirer sur lui-même la protec-
tion du ciel, sans quoi il est facile de prévoir combien
funestes seront les conséquences. Epist. A. VII. epist. ut.
col. 437 sq. Si vous êtes le ministre de Dieu, pourquoi
ne défendez-vous pas l'Église de Dieu? lui dit-il.
Pour lui, il se déclare prêt à tout souffrir pour la
défense de l'Église romaine. Mais que pouvait faire le
jeune empereur? Car il n'était encore qu'un enfant.
Heureusement il avait été confié à la direction d'Annon.
archevêque de Cologne, et celui-ci n'avait pas hésité à
prendre parti en faveur d'Alexandre II. Cela ne suffi-
sait pas. il devait faire prévaloir en Allemagne sa ma-
nière de voir, et c'est ce que lui demande instamment
Pierre Damien. Epist., I. III, epist. VI, ibid., col. 294-
29ô. Parla même occasion, et en vue du concile qu'Annon
devait tenir, il lui fait parvenir sa Disputatio synodalis,
Opuscul., iv, P. L.. t. cxi.v, col. 67-87. qui n'est autre
chose qu'un dialogue imaginé entre un avocat du roi
et un défenseur de l'Église romaine. L'avocat prétend
que l'élection d'Alexandre II s'est faite sans le consen-
tement du roi, le défenseur réplique que celle d'Ilono-
rius II s'est faite à l'insu de Rome et en faveur d'un
sujet absolument indigne. Ce qu'il y a de certain
que, dans le concile réuni par ses soins au sujet du
schisme, Annon fit lire, en présence du jeune Henri,
l'opuscule de Pierre Damien, et (pie l'antipape fut con-
damne, le 28 octobre 1062. Cf. Raronius, Annales,
an. 1062, n 28-68. I D Italie, le succès lut plus lent i
venir; ce n'est qu'au concile de Mantoue. tenu en
lob!, d'après Baronius, en 1067 d'après les notes de
Theiner, Annales, an. I<x>i. n. 2-36, note-, n. l-ô.
qu'Honorius 11 fut définitivement réduit. Pierre Damien,
prié <le se rendre à ce concile en passant par Rome,
s'excuse de ne pas se rendre à Rome, mais promet île
se trouver à Mantoue. Epist., 1. 1, epist. m, col. 285 sq.
8° Sa légation en I En 1063, Pierre Damien
eut deux missions à remplir, l'une à Florence, l'autre
en France. En Gaule, il s'agissait de trancher le diffé-
rend survenu entre Dragou, évèque de Màcon, et
Hugues, abbé de Cluny, sur la question de savoir -i
l'abbaye était exempte de la juridiction épiscopale et
directement dépendante du pape. Pierre Damien le
trancha au concile de Chàlons, en faveur de l'abbé
contre l'évêque. Son voyage et sa mission ont i '
contés par un anonyme contemporain, qui nous fait
45
DAMIEN
46
connaître certains détails intéressant l'Église de
France. De gallica profectione Domni Pétri Damiani,
P. L., t. cxlv, col. 863-880. On lui avait fait espérer
que son office de légat se terminerait à la fin de juillet,
mais son séjour se prolongea au point qu'il ne rentra
à Fonte Avellana que le 28 octobre. Ce voyage, qu'il
appelle « sa mort » à cause des dangers que lui firent
courir les partisans de Cadaloûs, ne fut pas sans
profit. Il nous a valu l'éloge mérité des moines de
Cluny et la connaissance de certaines pratiques dans la
récitation ou le cliant de l'office, jugées répréhensibles
par Pierre Damien, ainsi qu'en font foi ses lettres à
l'archevêque de Besançon et à l'abbé Didier du Mont-
Cassin.
9° Sa légation à Florence. — A Florence, il s'agissait
d'apaiser les troubles suscités contre l'évêque Pierre,
que les moines et leur parti accusaient de simonie. L'ac-
cusation parut peu fondée au cardinal légat. En se pro-
nonçant en faveur de l'évêque, Pierre Damien fut accusé
lui-même de pactiser avec des simoniaques et dut se
retirer sans avoir réussi, liais, dans sa lettre apologétique
au peuple et aux moines de Florence, De sacramenlis
prr in iprobos administrai is, Opuscul. ,\\:< , /'.£., t. CXLV,
col. 523-530, il affirme qu'il réprouve la simonie et
ajoute, ce qu'il avait déjà nettement enseigné dans son
opuscule Gratissimus, que les sacrements administrés
même par des indignes sont valides. Cf. Baronius.
Annales, an. 1063, n. 7-23. Écrivant à l'ermite Tlieuzon,
qu'il regardait comme le principal instigateur des
troubles Ilorentins, il le trouve bien osé de se permettre
de juger les prêtres, les évéques, et même le pontife
romain. Cf. Baronius, ibid., n. 24-28. Theuzon se
soumit ; ([uant aux autres moines, ils s'adressèrent
au pape, et cette affaire de Florence fut réglée avec
d'autres dans le concile tenu à Borne. Cf. Baronius,
ibiil., n. 31 -CI.
10° Sa légation on Germanie. — En 1069, nouvelle
mission, mais cette fois en Germanie, pour empêcher
le jeune empereur Henri IV de divorcer avec Berthe,
qu'il avait épousée deux ans avant. Pierre Damien y
fut plus heureux qu'à Florence. Dans le concile de
Mayence, qu'il réunit pour traiter cette grave affaire,
il fit entendre raison à l'empereur.
11» Sa légation « Ravenneet sa mort. — Moins de
trois ans après, il partait pour Ravenne, s;i ville natale,
qui avait été frappée d'excommunication par Alexandre II.
Le grand coupable était l'archevêque, e( il venait
de mourir. Pierre Damien représenta au pape qu'il
D était pas juste de punir toute une église pour la faute
d'un seul, Epist., I. I, epist. XIV, P. I.., t. cxuv, col. 22i,
et reçut mandat d'aller réconcilier ses compatriotes.
G t acte de clémence fut le dernier service qu'il rendit
i li cause de l'Église; car. à son retour, saisi par un
accès de fièvre, ildul s'arrêter à Faenza et y mourut le
32 février 1072, C étail la fête de la chaire de saint Pierre,
remarque son biographe qui avait été son disciple, ut
ea videlicet die qua prsescns meruit i» pastorali
Prima tede locari, eadeni Pétri discipulum cœleslis
euria in bealam tusi iperet sedem.
On le voit, quels que fussent ses défauts, notamment
tibilité ombrageuse qui l'a fait quelquefois
coinj. Mit Jérôme, la vu de ce moine austère,
de ce réformateur infatigable, de ce champion zélé
du siège apostolique, de cel humble démissionnaire des
hautes charges ecclésiastiques, méritait bien l'estime
contemporains. En l'envoyant en France
comme légat, Alexandre il disait de lui : Noua n'en
oonna dont l'autorité soit plus grande, ■
la nôtn . dam n glise romaine H est notre œil, et le
fei appui du sii ge apostolique. D ini on bref au
bénédictin Constantin Cajetan, éditeur dea œuvres de
Pierre Damien, Paul V qualifiait noire ^;iint de <iocto-
•WH « public* iliristiansc et apostolicœ
seclis nobilem parlent. Léon XII lui a conféré le titre
du docteur de l'Eglise, par son décret du 1er octobre 1828.
II. Action apostolique. — En racontant sa vie, nous
avons signalé quelques-uns des actes de son zèle apos-
tolique. Nul plus que lui ne fut animé du désir de
réformer l'Eglise. Il en sentait l'urgente nécessité et il
en connaissait les moyens. Il y travailla dans la mesure
de ses forces et ne cessa jamais d'y convier les papes.
S'il fut « l'œil » d'Alexandre II et le « ferme appui du
siège apostolique, » il fut aussi l'émule d'Ilildebrand,
qu'il ne vit pas monter sur le siège de Pierre. Il a
droit à être compté au nombre de ceux qui, au
XIe siècle, voulurent libérer l'Église de la double plaie
qui la rongeait à l'intérieur, l'immoralité et la simonie,
et assurer son indépendance vis-à-vis du pouvoir civil
par une entente harmonieuse et réglée.
1° Dans le cloître. — Homme du cloître, il est parti-
culièrement pénétré de l'esprit de saint Augustin et de
saint Benoit; il marche de pair avec les grands moines
de son siècle, saint Bomuald, le fondateur de l'ordre des
camaldules, en 1012, saint Odilon (f 1048) et
saint Hugues (f 1109), abbés de Cluny, Didier, abbé du
Mont-Cassin, le futur Victor III (f 1087). Bien n'échappe
à son regard vigilant. Il entend que les moines pra-
tiquent la pauvreté, ne gardent pas d'argent, ne multi-
plient pas leurs sorties et ne s'occupent point des
affaires du siècle; car il y a là un danger pour la vertu,
et c'est une faute pour quiconque a fait profession de
mépriser le monde. Opuscul., xn, De conlemptu sœculi.
La prière de nuit avec ses vigiles ou nocturnes, et
celle de jour avec les matines ou laudes, prime, tierce,
sexte, none, vêpres et compiles, s'imposent à eux. A
propos du symbole dit de saint Athanase, qu'on récitait
depuis peu, croyait-il, de son temps, à l'office, il remar-
que que c'est avec raison qu'on l'a placé à l'heure de
prime, parce que, la foi étant le fondement et la source
des vertus, il convient d'en réciter le symbole à la
première heure du jour, qui donne le branle à toutes
les autres. Opuscul., De horis canonicis. A la prière,
les religieux doivent joindre la pratique du jeûne, de la
mortification, des disciplines corporelles, selon la règle
ordinaire; mais, pour peu qu'ils aient à expier des
péchés commis dans le monde, il convient qu'ilsajoutent
à l'observance commune des pénitences proportionnées.
Opuscul., XIII, De perfeelione nionachorum. Ses deux
opuscules xiv, De ordine eremilarum, et XV, De suse
congregalionis iustitutis, montrent le genre de vie
qu'il faisait pratiquer aux religieux de Fonte Avellana
et à ceux qui dépendaient de sa congrégation : quatre
jours de jeûne par semaine, depuis l'octave de Pâques
à la Pentecôte, et de saint Jean-Baptiste au 5 sep-
tembre; cinq jours, depuis l'octave de la Pentecôte
jusqu'à la fête de saint Jean-Baptiste, et depuis le
5 septembre jusqu'à Pâques; deux carêmes, celui de
Noël et de Pâques, où l'on jeûnait tous les jours, ex-
cepté le dimanche et certaines fêtes; trois semaines
sans jeûne durant toute l'année, aux octaves de Noël,
de Pâques et de la Pentecôte ; outre les heures cano-
niales, chant quotidien du psautier ou d'une partie
pour les défunts; fréquentes disciplines; les autres
exercices rappellent ceux de la Règle de saint Benoît
et îles Institutions de Cassien, Aux i rmites de sa con-
iion, il rei mandait le jeûne du samedi en
l'honneur de la sépulture de Notre-Seigneur, Opuscul.,
i.iv, et la veille <l< Noël, de l'Epiphanie, de saint Marc,
de i.i Penti tint Jean Baptiste, et «les fêtes de
apôtres. Opuscul., lv. Il était grand partisan des
fia ellation corporelles surérogatoirea; il donna con-
mee è un moine de ce qui se pratiquait, à ce sujet,
n tnona itère, Epist., 1. V, epist, vin, col. 349 sq
lettre, devenue publique, excita le mécontentement
laïques et des • texte qu'un tel a
était préjudiciable aux péniteno canoniques! H sa
i7
I • A M 1 1 ! N
justifia auprès du clergé de Florence : il n'a fait qu'at-
qui se passe chez lui; au Burplus, pratiquer
d'autres pénitences que celles qui sont prescrites,
quoi de plus licite! Sans doute, lui objecta le moine
brosus, mais a la condition d'éviter tout I
El Pierre Damieu de répliquer : • S'il est permis d
donner cinquante coups de discipline, comme vous
l'avouez, on peut s'en donner soixante ou cent, et même
mille, ce qui est bon ne pouvant être pousse trop loin. »
Epiât., I. VI, epist. xxvii, col. 415 sq. Principe discu-
table : ne quid nintis, pensèrent quelques-uns di
contemporains. Quelques-uns de ses religieux pou
rent les choses à l'excès, allant jusqu'à se liai
chaque jour pendant la récitation de tout le psautier:
manifestement, c'était une indiscrétion, un abus et
un danger. Pierre Damien dut y mettre un terme : il
ne toléra cette pratique volontaire que pendant la réci-
tation de quarante psaumes en temps ordinaire, de
soixante en aventet en carême. Epist. ,\.Yl, epist. xxxiv.
col. 433. Au Mont-Cassin, les religieux se donnaient la
discipline les uns aux autres en plein chapitre. Le
cardinal Etienne, ancien religieux de ce monastère,
trouvait cette pratique indécente. Pierre Damien
écrivit pour la justifier et pria la communauté de per-
sévérer. Opuscul., xi.iii. On ne doit pas s'étonner qu'un
homme aussi austère ait fait l'éloge de la vie claus-
trale, et qu'il ait félicité' ceux qui, pour ne pas se perdre
dans le inonde, cherchaient un refuge dans le cloître
ou y retournaient : il compare le Mont Cassin à l'arche
de Noé. Opuscul., i.n.
2° Dans /Eglise. — 1. Contre l'immoralité. — En
dehors des monastères, il y avait le clergé séculier,
mais dans quel triste état! Pierre Damien a composé-
deux traités, l'un, Opuscul., xxv, pour faire l'éloge du
sacerdoce, l'autre, Opuscul., XXVI, contre l'ignorance
des prêtres. Ce qui était pire, la dépravation dépassait
encore l'ignorance. Combien de fois Pierre Damien
n'a-t-il pas fait allusion à l'incontinence des clercs!
Combien de fois ne l'a-t-il pas tlétrie en termes viru-
lents! C'est à l'Écriture surtout, et aussi aux Pères,
qu'il emprunte ses traits enllammés pour dénoncer et
combattre ce vice. 11 fait appel aux anciens canons; il
ne cesse d'en demander de nouveaux pour couper le
mal dans sa racine. Son Gontorrhianus, Opuscul., vu,
/'. L., t. cxi.v, col. IÔ9-190, renferme des passages
d'un réalisme brutal pour peindre des désordres qui
réclament le fer rouge du chirurgien. Il voudrait que le
pape se prononçât pour l'exclusion des clercs à pro-
mouvoir et pour la déposition de ceux qui étaient
promus. On lui reprochera, sans doute, son rôle de
dénonciateur, mais il fait cette déclaration : Malo
(/nippe cum Joseph, qui accusavit fratres apud patrem
criminc pessinw, in cisternam innocens projiei, quant
Cum lleli, qui /ilitirum malavidit et tacttit,dirini ftt-
roris ultione mulctari. Gomorrh., Opuscul., vu. i").
col. 187. Il n'a pas à être blâmé pour avoir fait, dit-il,
ce que firent saint Jérôme contre les hérétiques,
saint Âmbroise contre les ariens, saint Augustin contre
les manichéens et les donatistes; car ce n'est pas l'op-
probre de ses frères qu'il poursuit, mais bien plutôt leur
salut.
2. Contre la simonie. — Un autre Beau, introduit
peu à peu par le droit de patronage et par l'interven-
ii les princes dans la provision des évéchés, sévis-
sail surtout au \r siècle. Les princes ne se faisaient
pas faute de distribuer à leurs soldats ou à leurs favoris
les charges el les dignités ecclésiastiques, au besoin ils
le-, vendaient au plus offrant. Aussi étaient-ils entourés
de flatteurs el de quémandenrs, et la simonie régnait
• n grand. Pierre Damien lutta contre ce Déau avec la
même énergie qu'il apportait contre la dépravation des
mœurs. Par une distinction asseï singulière et peu
digne de clercs sérieux, deux chapelains de Godefroi,
duc de Toscane, soutinrent un jour devant lui qu'il n v
avait point de simonie a acheter a un roi ou a un pi
un évéché, parce que ce n'était point le sacrement de
Tordre qu'on achetait ainsi, ni l'église d'où dépendait
le bénéfice, mais seulement h lient
attachés. Damien dénonce e,-Ue erreur à Alexandre II
el le prie de la condamner pour l'empêcher de si
pandre. Il en montre le mal fondé-; car un homme ne
peut être divisé en deux, dont l'un jouisse des
el I autre remplisse les fonctions spirituelles; il va
cessairement de soi qu'acheter des biens tempo
dont on ne peut jouir sans • cclé-
siastique qu'ils requièrent et Bans en remplir les fonc-
tions, c'est acheter aussi cette dignité- et le sacrement.
treil cas, l'ordination ne -aurait passer pour j
tuile, puisqu'on n'y aboutit qu'à prix d'argent. Les
décrétâtes interdisent un commerce pareil. Ce qu'il
dit des évéchés, Pierre Damien l'étend à toutes s< i
de bénéfices, grands et petits. En conséquence, qui
pape ne permette pas qu'on élève au sacerdoce ceux
qui l'ont acquis ou par argent, ou par des services
rendus aux princes. Epis!., I. I. epist. xm. J'. L.,
t. cxi.iv. col. 219-223. Pour Damien. en effet, les ser-
vices rendus aux princes, en vue de l'obtention de
bénéfices, constituent des actes de simonie. Il sait qu'il
y a des personnes qui s'attachent aux princes et les
suivent partout pour obtenir quelque dignité ecclésias-
tique; et il distingue trois espèces de simonie :
celle de la main qui consiste à donner de l'ar-
gent: celle de l'obséquiosité, qui consiste à rendre
des services; et celle de la langue, qui consiste à flatter.
Les personnes en question, dit-il, se rendent coupables
des trois : telle est la doctrine qu'il expose dans sa
lettre aux cardinaux. Epist., I. II. epist. I. P. L.,
t. cxi.iv, col. 253-259. 11 y revient dans son Opuscul.. xxn.
Contra clericos aulicos, t. cxi.v. col. 163 sq. s
cher au service d'un prince, en vue de parvenir à l'épis-
copat et à d'autres bénéfices, c'est être coupable de
simonie comme ceux qui y parviennent, argent comp-
tant; car il faut se dépenser en frais, en services, en
tlatteries. Bumiliantur, dit-il, ut post ntodunt impune
superbiant ; se pedisseguos exhibent, ut prtecedant.
C'est acheter bien chèrement l'épiscopat, observe-t-il.
que de l'acquérir ainsi par une longue servitude et de
s'astreindre au bas métier de parasite et de flatteur.
Mais que peuvent bien valoir les sacrements reçus ou
donnés par des simoniaques? La question s'est p, s
nous verrons plus loin comment la résolvait Pierre Da-
mien. Voir col. .V2-.->.').
3° Dans le monde politique. — Par le couronne-
ment de Charlemagne comme empereur, l'empereur
axait le devoir de protéger l'Eglise, à litre de patrice.
non le droit de l'asservir; les deux pouvoirs restaient
distincts. l'Église annonçant la vérité. l'Etal garantis-
sant l'ordre public, mais devaient être . traitement unis.
la subordination de l'Etat à l'Eglise, comme les
deux colonnes de la société. Sous la dynastie des Ottons.
au X' siècle, l'empire, en face de la féodalité italienne,
contribua à sauver la papauté. OttOU I reçut le privi-
lège, d'après lequel le pape ne pouvait- pas être s.icr.
sans l'approbation de l'empereur. Ce privilège, reconnu
à Henri III. appartenait aussi, prétendait-on à la cour
germanique, a son fils lb nri IV. Le décret de Nicolas 11
ne l'avait pas supprimé. Mais, en fait, l'élection
d'Alexandre 11 se tit -..n- le consentement du jeune
roi : d'où l'appui donné par le parti germanique à
l'antipape CadaloÛS, puis retiré- après l'intervention
heureuse de Pierre Damien et l'action d'Annon,
chevêque de Cologne. Dans sa Disputatio si/nodalis.
Pierre Damien : nullement a contester le droit
de l'empereur dans les élections pontificales, c'est le
droit île consentement on d'assentiment, pas autre
chose; mais il marque qu'en fait des circonstances
49
DAMIEN
50
peuvent permettre de passer outre ;'i ce privilège, et
qu'en droit il n'est pas absolument indispensable, puis-
que la plupart des papes, dans l'histoire de l'Église,
ont régné sans la moindre intervention d'empereurs,
même chrétiens, dans leur élection. Son idéal, c'est
l'existence parallèle des deux pouvoirs, du sacerdoce et
de l'empire, chacun dans sa sphère, mais étroitement
unis dans une réciprocité de services mutuels, dans
une entente harmonieuse et parfaite, l'un réglant les
affaires temporelles, l'autre les affaires spirituelles,
l'État protégeant matériellement l'Eglise, l'Église pro-
tégeant spirituellement l'État. Mais, dans cette union
nécessaire, c'est à l'Eglise, qui tient la place de Dieu,
qu'appartient la prééminence : elle est la mère des
empereurs et des rois comme celle des simples fidèles.
Dans sa lettre à l'évèque de Eermo, Epist., 1. IV,
epist. ix, P. L., t. cxliv, col. 315, où il refuse de recon-
naître aux ecclésiastiques le droit de venger eux-mêmes,
et de leurs propres mains, les injures faites à leurs
biens, à moins qu'ils ne soient seigneurs temporels,
et encore alors doivent-ils le faire par des moyens
justes et raisonnables, il écrit : lntra regnum et sa-
ccrdotium propria cujusquc dislinguunlur officia,
ut et rex armis utatitr sœculi et sacerdos accingalur
gladio spiritus, qui est verbum Dei. 11 conclut ainsi sa
Disputalio synodalis : Ut summum sacerdotium
et romanum simul confa-de> etur imperium, qualenus
et humanum genus, quod per hos duos apices
in ulraque substantia regitur, nullis, quod abs'tt,
partibus rescindatur ; sicque mundi verlices in
I h 'ipctuse caritatis unionem concurrant... et qua-
lenus ab uno medialore Dei et liominum, hxc
duo, regnum scilicel et sacerdotium, divino sunt con-
fia ta mysterio, ita sublimes islse duae personœ tanta
sibimct invicem unanimitate jungantur, ut, quodam
mutusc caritatis glulino, et rex in Romano ponli/ice
et Romanus ponlifex inveniatur in rege. P. L., t. cxi.v,
col. 86. La double dignité de roi et de prêtre est unie
en .lésus-Christ, elle doit l'être de même dans le peuple
chrétien; le sacerdoce a besoin d'être protégé par In
royauté, la royauté a besoin du sacerdoce pour être
appuyée par sa sainteté'; le roi porte le glaive pour
frapper les ennemis de l'Église, le prêtre prie pour
rendre Dieu favorable au roi et au peuple. K)iisl.,
I. VII, epist. m. /'. /,., t. cxi. iv, col. 440. Entin, dans
Sertn., i.xi\. ibid., col. 897-902, il range le sacre
des rois au nombre des sacrements : « Heureux, dit-il,
si le roi joint le glaive du roi à celui du sacerdoce,
pour «pie le glaive du roi aiguise le glaive du prêtre.
Alors le royaume prospère, le sacerdoce se dilate, l'un
et l'autre sont honorés, quand ils sont ainsi unis par le
neur, prœtaxala felici confœderatione. » Cet idéal
de l'alliance du sacerdoce et de l'empire, avec subordi-
nation harmonieuse de l'Etat a l'Église, nettement en-
trevu et fixé par Pierre Damien, fut celui du moyen
h ré tien. A peine réalisé, il fut battu en brèche
par les légistes et le césarisme, le gallicanisme parle-
mentaire et la révolution ; il n'est plus qu'un souvenir
glorieux.
III. Œuvres. — Longtemps restées manuscrites et
épai de Pierre Damien commencèrent
ur l'ordre de Clément VIII, parle
bénédictin Constantin Cajetan, qui les publia en partie
en IWi. KKiS cl 1615 el \ ajouta un dernier volume en
1640. Une édition plus complète en parut, à Venise, en
1743. Cesl celle qu'a reproduite Migne, /'. /.., t. cxliv,
joutant le, découvertes du cardinal Mai,
Les œuvre« d l'en.- Damien \ sont logiquement dis-
tribu non chronologiquement, il \ a d'abord
l. Lettn i, en huit livres, selon qu elles sont adn
bux papes, aux cardinaux, aui archevêques, auxévéqui i,
aux archiprélres, archidiacres, prêtres el clercs, aux
abbés el -"iv moue-, aux princes el aui prino
différentes personnes. Elles offrent le plus vif intérêt
pour la vie du saint et l'histoire de son époque. Vien-
nent ensuite soixante quinze sermons, dont dix-neuf
au moins sont de Nicolas, moine de Clairvaux et secré-
taire de saint Bernard, distribués dan-: l'ordre des
mois, t. cxliv, col. 505-924; puis la Vie de saint Odilon,
ibid., col. 925-944; la Vie de saint Maur, évêque de
Césène, ibid., col. 945-952; la Vie de saint Romuald,
ibid., col. 953-1008; la Vie de saint Rodolphe et de
saint Dominique le Cuirassé, ibid., col. 1009-1024; les
Actes du martyre des saintes Flore et Lucille, ibid.,
col. 1025-1032, réputés apocryphes par Baronius et
quelques critiques, mais admis, avec quelques restric-
tions sur le c. m, par les bollandistes; les Actes de
saint Jacques, diacre, et de saint Marien, lecteur,
martyrs en Numidie, ibid., col. 1032. Dans ces di-
vers écrits, Pierre Damien fait souvent preuve de trop
de crédulité; on ne saurait suspecter, du moins, ce
qu'il raconte comme témoin oculaire. Au t. cxlv, se
trouvent soixante Opuscules, très importants pour la
plupart au point de vue historique, canonique et dog-
matique; puis, empruntés au t. vi de la Scriptorum
veterum collectio nova, du cardinal Mai, le De gallica
profectione Domni Pétri et cjus ultramontano itinere,
V Exposilio canonis missx, les Testimonia Novi Tes-
tament), qui sont extraits des œuvres de Pierre Damien,
et qui font le pendant à une autre collection sur l'An-
cien Testament, enlin quelques Lettres ou fragments
de lettres. La fin du volume contient un recueil
d'Oraisons, d'Hymnes, de Levons, de Messes, de Ré-
pons, et de deux-cent vingt-cinq poèmes, parmi les-
quels le ccxine est l'épitaphe du saint.
IV. Doctrine. — Signalons, pour mémoire, l'opusc,
vin, De parenlelx gradibus, qui intéresse plus parti-
culièrement le droit canonique, sur la question de
savoir jusqu'à quel degré de parenté sont interdits les
mariages; son recueil d'oraisons et de poèmes relatifs
à la liturgie; les extraits qu'on a fait, de ces œuvres, au
sujet de l'Ancien et du Nouveau Testament, qui se rap-
portent à l'Écriture sainte. Il avait fait faire pour ses
moines de Eonte Avellana, licel cursim a<- per hoc non
exacte, une édition corrigée de la Bible latine. Opuscul.,
xiv, /'. L., t. cxlv, col. 334. Les leçons bibliques qu'on
remarque dans ses Œuvres appartiennent à ce que le
1'. Denillc appelait la recension romaine de la Vulgate,
Die Handschriften >/-•, Bibel-Correctorien desi3Ja.hr
hunderts, dans Archiv fin- Literatur-und Kirchen-
geschichte des Mitlelalters, Eribourg-en-Brisgau, 1888,
t. iv, p. 482, mais que Samuel Berger a mieux caracté-
risé comme étant le texte italien, ou milanais, de la Vul-
gate, qui tire ses origines du midi de la France, et n'est
pas un bon texte. Histoire de la Vulgate pendant les
premiers siècles du moyen âge, Paris, 1893, p. 141-143.
I" .1" point de vue dogmatique, Opuscul., i, De
fide catholica, P. L., t. cxlv, col. 19-39, traite de ce
que l'on doit croire touchant les mystères de la trinité.
de l'incarnation, des deux natures et des deux volontés
en Jésus-Chrisl et, notamment contre les Crées, prouve
la procession du Saint-Esprit ttb utroque; ce dernier
point, en particulier, f.iil l'objet 'le l'opusc, XXXVIII,
Contra Grsecorum errores de processione Spiritus
Sancli, ibid., col. 632-642. Contre les Juifs, Pierre Da-
mien démontre que Jésus est vraiment le Fils d<
Dien, à l'aide de testes de l'Ancien Testament qu'ils ne
pouvaient récuser, Opuscul., ti, Antilogus contra Ju-
dseos, ibid., col. 41-68; il résout les difficultés qu'ils
pouvaient soulever; celle qu'ils tiraient de l'inol
v.mce des rites de la l"i ancienne par le n'esl
iini Iblej i 'i' si Notre-Seigneur les ■> abolis
les avoir observés lui-même, c'est qu'ils n'étaient
m I el qu'ils ont été dûment remplacés par
tngélique. Opuscul., ni, Dial
iimi . col. 68-61
51
DAMIKX
Pierre Damien est un témoin de la foi traditionnelle
de l'Eglise en faveur du purgatoire. L sacrifice, la
, i aumône profitent, <lit il. aux défunte : telle eat
su thèse. Il il l'appuie d'un certain nombre de faits
qui prouvent que les prières des vivants délivrent les
Ame-; lin purgatoire. Il noua fait connaître, à cette oc-
c:i^iuii . I > <j * t ii i t > 1 1 pieuse de quelques personn
illustres, d'après laquelle les ."unes îles défunts ne
souffrent point le dimanche ; aussi, le lundi, célébrait-
on la messe en l'honneur «les saints anges pour attirer
leur protection sur les défunts et sur les mourants.
Opuscul., xxxiii, De bono suffragiorum; Opuscul.,
xxxiv, lh>. variis miraculorutn narrationibus , de «p-
paritionibus el miraeulis, ibid., col. 567-590. Pour lui,
per-onnellement, il tient à ce que les survivants prient
pour lui, témoins ces deux derniers vers de son épitaphe:
Sis memor, oro, mei, cineres pius aspice Pétri :
Cuin prece, cum geinilu die : Sibi parce, Deus.
Très sensible à la promesse que lui avaient faite les
moines de Cluny, en reconnaissance de ses services, de
célébrer chaque année un service funèbre au jour
anniversaire de sa mort, il prie l'abbé Hugues d'ordon-
ner la même pratique dans tous les monastères de sa
congrégation. Epist., 1. VI, epist. Il, P. L., t. cxliy,
col. 372-373.
2° Relativement à la théologie sacramenlaive, con-
statons d'abord que Pierre Damien prend le mot sacre-
ment au sens de mystère, conformément à la significa-
tion étymologique qu'en avait donnée Isidore de Séville,
et qui fut si funeste; il est dès lors dans l'impossibilité
de fixer le nombre des sacrements. Il y en a trois
principaux, dit-il dans son opuscule Gratissimus, 9,
le baptême, le mystère salutaire du corps et du sang du
Seigneur et l'ordination des clercs. Ailleurs, Serin.,
i.xix, P. ].., t. cxiiv, col. 897 sq., il en compte douze,
entre autres, la consécration du pontife, l'onction du
roi, la dédicace d'une église, le sacrement des chanoines,
des moines, des ermites, des religieuses, et il oublie
l'eucharistie et l'ordre, tout en énumérant, cette fois,
la confirmation, l'onction des infirmes et le mariage
avec le baptême, le premier de tous. Sans avoir traité'
la question des sacrements, on voit qu'il connaît les
sept qui méritent exclusivement ce nom, au sens de
signe efficace de la grâce. Il parle en passant du ma-
riage, à propos des degrés de parenté qui s'opposent
en droit canonique à sa célébration, et de la pénitence,
quand il raconte que l'impératrice Agnès lui fit, à
Home, une confession générale des péchés qu'elle avait
commis depuis l'âge de cinq ans. Opuscul., i.vi, 5,
P. L., t. CXLV, col. 81 i. Il parle un peu plus de l'eu-
charistie, dans trois passages différents qui ne laissent
aucun doute sur sa foi à la présence réelle et à la
transsubstantiation. Comme remède de la chasteté,
c'est la communion quotidienne qu'il propose à son
neveu. Opuscul., xi.vn. 2. De caslitate, ibid., col. 712.
g l.e démon, ennemi de la pureté', en voyant vos lèvres
teintes du sang de Jésus-Christ, prendra la fuite, lui
dit-il, car ce que vous recevez sous l'espèce visible du
pain et du vin, il sait, qu'il le veuille ou ne le veuille
pas, que c'est en vérité' le corps et lesang du Seigneur. »
l»;nis Se, m., xi. v, t. cxi. iv, col. 7i3, parlant du corps
de Jésus-Christ, engendré, nourri et soigné par la
Vierge Marie, il affirme que c'est, sans nul doute pos-
sible, ce même corps que l'on reçoit à l'autel
que telle est la foi catholique et que c'est la ce qu'en-
Beigne fidèlement l'Église. Mais c'est surtout dans son
Expositio canonis misses, t. cixv, col. 879-893, qu'il
e-t d'une netteté et d'une précision remarquable et
qu'il trouve d'heureuses formules, comme celle-ci,
col. 882 : Totut in /(//n specte punis, totus sub singu-
lis partibus, totus m magno, tains m parvo, totus in
xntegro, totut in fracto.
O qui mérite une mention particulière c'est l'atti-
tude qu'il prit 'lui- l.i question de l'efficacité
sacrements, et ce n'est point sans mérite ■< l'époque de
désarroi où il vécut. <>uu valaient i ni- con-
communiés ou des ministres indigni
Pour les partisans île la réforme, et le- .unis de la
papauté, il- étaient jugés invalides ; pour- i<
di i' réformi an contraire, Us étaient réputés valid
Pierre Damien, qui était a n'en point douter un parti-
Ban déterminé de La réforme et un grand serviteur de
la papauté, s'en tient a la doctrine de saint Augustin,
bien qu'elle fut celle des ennemis de la ré-forme. Il
déclare valides les ordination- simoniaques sur ce
principe d'abord que le pouvoir d'ordre est un pouvoir
ministériel, que le ministre, qu'il soit bon ou mauvais,
transmet la grâce, car c'est Jésus-Christ, source de
toute grâce, qui consacre; mais il a tort d'ajouter que,
pour être valide, l'ordination doit être faite dans
l'L'glise catholique par un ministre qui professe la foi
orthodoxe de la Trinité. A ses yeux, les simoniaques
ne sont pas des le rétiques, par suite leurs ordinations
sont valides, leurs sacrements sont réels. Il ajoute que,
fussent-ils hérétiques, et leurs ordinations fussent-
elles nulles, on ne saurait les réitérer, vu que la !■
lation canonique interdit aussi bien la réordination
que la rebaptisation. Pour soutenir sa thèse, il s'ap-
puie encore sur le 68e canon des apôtres, qui interdit,
en effet, les rebaptisations et les réordinations; mais
il omet l'incise : itisi forte eum ab hxreticis ordi-
nation contprobaverit, qui ne porte l'interdiction que
dans le cas où ces sacrements auraient été conférés
par des catholiques, et qui, dès lors, contrairement à
son but. laisse entendre (pie la réitération du bap'e
et de l'ordre, conférés par des hérétiques, est non seu-
lement permise mais commandée. 11 tire un autre ar-
gument du fait de la déposition souvent prescrite contre
lés simoniaques : s'ils sont déposés, dit-il. c'est qu'ils
sont clercs et non laïques; donc leur ordination est
réelle et valide. Et enfin, comme la simonie était alors
une plaie générale et invétérée, il conclut que, si les
ordinations simoniaques sont nulles, le pouvoir d'ordre
a presque disparu de la terre, et que les sacrements,
administrés de bonne foi par tant de prêtres et reli-
gieusement reçus par les fidèles, n'étaient que de purs
simulacres. Telle est la doctrine du Grulissinnts.
Au sujet des réordinations, les meilleurs esprits de
l'époque ne pensaient pas tous comme Pierre Damien,
et, dans la pratique, on manquait d'uniformité.
Léon IX a travaillé, le premier, à supprimer la simo-
nie. Mais quelle conduite tenir'.' Les cas pouvaient
différer; il y avait le cas où le consécrateur était simo-
niaque, celui où l'on payait pour se faire ordonner,
celui aussi où l'on recevait gratuitement l'ordination
d'un simoniaque. Pierre Damien nous apprend.
Gratissimus, que la question des réordinations simo-
niaques, agitée dans trois conciles à Home, en loi'.'.
1050 et 1061, était restée sans solution et que Léon 1\
n'avait pas de principe arrêté- à ce sujet. Il acceptait
bien, par exemple, relativement aux clercs ordonne-
gratuitement par des simoniaques. la décision de son
prédécesseur Clément II. en 1047, d'après laquelle de
tels clercs devaient faire une pénitence de quarante
jours et être admis ensuite a l'exercice de leurs ordres;
mais ((liant aux ordinations f;ntes a prix d'argent, il les
regardait le plus souvent comme nulles et les a fait
réitérer, comme on le voit dans les Actus Mediolani,
iic privilégie i clesite, /'. /... t. < xi \. col. '.>■<.
Envoyé, en effet, à Milan comme légal par .Nicolas II.
au début île 1059, pour \ reformer le clergé' concubi-
naire et simoniaque. mais sans instructions pratiques
précises, Pierre Damien applique courageusemen
propre doctrine. Tous les coupables, l'archevêque en
tète, font amende honorable, reconnaissent leur faute
53
DAMIEN
DAMODOS
54
el s'engagent par serment à ne pas recommencer; puis
des pénitences leur sont imposées, à l'expiration
desquelles tous les clercs eruditi et casti purent
reprendre l'exercice de leur ordre- Reste à faire rati-
fier sa sentence; là était le point délicat, car il n'igno-
rait pas qu'elle ne pouvait avoir l'agrément général de
la curie, surtout celui du cardinal Humbert qui, d'un
avis tout opposé au sien, s'était déjà prononcé, dans
son Adversus shnoniacos, pour la nullité des ordina-
tions faites par des hérétiques, et les simoniaques
étaient des hérétiques à ses yeux, et aussi celui d'Hil-
debrand; aussi s'exprime-t-il en ces termes : Ulrum
ego in réconciliations illorum erraverim, nescio...
Apostolica lamen sedes haec apud se retraclanda dis-
cxtiat : et utrum puncto an lima digna sint, ex au-
ctorilatis suée censura décernât. Cf. Baronius, Annales,
an. 1059, n. 60.
De fait, au concile de Rome tenu cette même année
1059, Nicolas II se montre bien plus sévère que son
légal : il décide la déposition des simoniaci simoniace
ordinati vel ordinalores, et des simoniaci simoniace a
non simoniacis ordinali; quant à ceux qui avaient été
ordonnés gratuitement par dos évèques qu'ils savaient
simoniaques, le pape les admet, par indulgence, à
l'exercice de leurs ordres, mais il entend qu'ils soient
déposés ainsi que ceux qui les auront ordonnés.
Hardouin, Ad. concil., t. vi a, col. 1063; Baronius,
Annales, an. 1059, n. 33-3k Cette sentence était loin
de l'indulgence préconisée par Pierre Damien dans son
Gratissintus ; en conséquence il dut ajouter à son
opuscule un post-scriptum pour faire connaître la
décision nouvelle; en se soumettant humblement, il
conserve l'espoir qu'on réviserait un jour la sentence
pontificale. Du moins, il se trouvait avoir gain de
cause sur deux points, puisque les ordres reçus d'un
évéque qu'on ne sait pas être simoniaque et les ordres
reçus gratuitement d'un simoniaque connu pour tel
étaient acceptés.
Quelle idée se faisait-on donc des ordinations non
acceptées el des sacrements conférés par des ministres
ainsi rejetés? Pierre Damien nous l'apprend dans sa
lettre aux Florentins, qui forme l'opusc, xxx, De
sacramenlis per improbos administratis, P. L.,
t. i:\i.v. col. 523-530, où il rappelle sa doctrine du
Gratissimus sur la validité des sacrements confères
par des ministres indignes ainsi que les décisions
prises par Nicolas II contre les simoniaques. D'après
décisions, quiconque désormais reçoit l'ordination
d'un simoniaque ne peul en profiter et doit déposer
le droit d'administrer tout comme s'il ne tarait pas
Il pour ce motif, ajoule-l-il, maintenant non
seulement nous réprouvons les simoniaques, mais
encore nous méprisons les sacrements conférés par
eux. ' i dire? D'un côté, il reproche aux
Florentins de refuser les sacrements de ministres
ordonnés par des simoniaques, et, d'autre part, il les
méprise lui même. Dans le premier cas, il s'agit des
simoniaques ordonnés avant le décret de Nicolas; dans
le second, des simoniaques ordonnés après ce même
décret. Ce faisant, il se conforme à la décision récente
du pape Nicolas, mais il n'abandonne pas pour autant
son principe de la validité des sacrements quelle que
Mil la dignité morale de celui qui les confère. Sur ce
dernier point, cf. Saltet, /.'-.s réordinations, Paris.
1907, p. 173-204.
i ''. /... I. I m.iv-cxiv;
du saini, t. 'Ai iv, col. 118-18 Ij Bai
tanct., i. ni februarll,
d Achery, ■-. i. vu, pr»f, ; CeilUer,
il' ' Pari 1868, t. mu, i
884; Mal, Scriptorum veterum nova cottectio, t. vi; Grandi,
ilihi-
letiêi, (Jims MêDi$$ert. camald., 1707, t. IV, p. 1-1.!- . I. "lerclii,
Vita S. Pétri Damiani, 3 in-4% Rome, 1702; Miserocchi, Vita
di S. Pier Damiano, Venise, 1728; Mittarelli et Cortadoni,
Annales camaldulenses, Venise, 1756, t. n; Vogel, Peter
Darnianus (ein Vortrag), Iéna, 185G; Capecelatro, Storia
di S. Pier Damiano e del suo tempo, Florence, 1862; Felir,
Petrus Damiani, Vienne, 1868; Neukircb, Das Leben der
P. Damiani, Gœttingue, 1875; Wambera, Der ht. Petrus Da-
mitmi... sein Leben und Wirken, Breslau, 1875; Guerrier, De
Petro Damiano, Orléans, 1881 ; Kleinermann, Der kl. Petrus Da-
miani, Steyl, 1882; Rotli, Der M. P. Damiani, dans Studien und
Mitlheil. aus dem Benedictiner und dem Cistercienser-Orden,
Wurzbourg, 1886; Brunn, 1887, t. vu, vin; Fetzer, Vorunter-
suchungen zu einer Geschichte des Pontificats Alexanders II,
Strasbourg, 1887, p. 37-71; Pfiilf, Damiani Zwift mit Hilde-
brand, dans Stimmen aus Maria-Laach, Fribourg-en-
Brisgau, 1891, t. xli ; Langen, Geschichte der rômischen Kirche
von Nikolaus I bis Gregor VII, Bonn, 1892; Lauzoni, S. Pier
Damiano e Faenza, Faenza, 1898; Fioglietti, S. Petro Damia-
no, Turin, 1899; dom Biron, S. Pierre Damien, Paris, 1908.
Pour la bibliographie : Brunet, Manuel, t. n, p. 481; U. Che-
valier, Répertoire. Bio-bibliographie, 2" édit., t. il, col. 3708-
3710; Kirchenlexikon, t. ix, col. 1908; Bealencyclopiidie,
t. iv, p. 431-432.
G. Bareille.
DAMILAS ou DAMYLAS Nil, polémiste grec qu'il
ne faut pas confondre avec Nil, métropolitain de Rhodes,
comme l'a fait Oudin, Comment, de scriplor. eccles.,
t. m, p. 1137. Notre Nil appartenait à la famille Cretoise
dont un membre, Démétrius, devait en 1 176 publier à
Milan le premier livre grec, la Grammaire de Lascaris.
Moine et confesseur au monastère des Carcasina ou Car-
basia à Hierapetra, il fonda à Baeonaea un couvent de
femmes pour lequel il rédigea un lypicon (règle), resté
inédit dans le Cod. Paris. 1295, fol. 108. Son testament,
daté du 22 avril 1417, a été publié par E. Legrand,
Revue des études grecques, t. iv, p. 178-181, et par
Sp. P. Lambros, Byzanlinische Zeilsclirift, t. iv, p. 585-
587, d'après le Cod. Barocc. 59, fol. 226 v°. Enfin l'évéque
Arsène, mort auxiliairede Novgorod, a édité, avec traduc-
tion russe, un traité de Nil Damilas sur la procession du
Saint-Esprit, composé en réponse à une lettre au moine
Maxime, Grec converti au catholicisme. Nila Damili...
olvèt grekolalinjaninu monalm Maksimu, Novgorod,
1895. L'édition a été faite d'après le Cod. Mosq., biblioth.
synod. 201 ', sans tenir compte des Cod. Paris. 1286,
fol. 212, et 1295, fol. 60 v°, qui contiennent aussi cet
ouvrage. Elle a été reproduite telle quelle dans 'ExxXr,-
<jia<rrtxT| 'AX-rjOeta, Constanlinople, 1895, t. XV, p. 382 sq.
A. C. Demctrakopoulos, 'Op8d8o|oî 'EXXiç, p. 88, dans
sa notice sur Nil Damilas, l'ait à tort des différentes
parties du traité autant d'ouvrages différents.
S. PÉTRIDl s.
DAMNATION. Voir Dam, col. 6-25.
DAMODOS Vincent, philosophe et théologien grec
du XVIII' siècle. Né à Khavriata dans l'Ile de Céphalonie.
vers 1679, il fut élevé au Elanginion de Venise et prit
son doctorat en droit à Padoue. Il revint dans son pays
comme avocat, mais bientôt, dégoûté du métier, il
ouvrit dans son village natal une école qui jouit d'une
grande réputation; parmi ses disciples une tradition
range le fameux Eugène Boulgaris. Damodos est le pre-
mier Grec qui enseigna les théories de la philosophie
moderne; de plus, il se servit du grec moderne comme
langui' d'enseignement. Il mourut eu 1752. Me trois
ouvrages imprimés après sa mort, nu seul nous inté-
'I'.-itou.o; /'j'/'.y.T, /.%-' 'ApioTOTéXr,v, Venise, 1759;
li u\ autres sont des traités de rhétorique, On
signale en manuscrit une logique plus développée, une
métaphysique el une physiologie, surtout un traité de
théologie intitulé : Qtln nol \iy'x BiBamaAfa r,tot ■
x Cel ouvrage est conservé dans
1 1 bibliothèque de i qui d- \ tenue ; il com-
|,i- mi cinq volumes d aprê le titre, composéen 1730,
approuvé pai i a idi di I onstantinople, il fut
i Di ne trius Chrysanthopoulos pour être lmpri«
....
DAMODOS - DANIEL (LIVRE DE
56
tné; j'ignore pourquoi ce projel n'eul paa de Miitr.
Nous devons noter que Damodos traite avec détail les
questions controversées entre les deui Eglises, pri-
mauté <lu pape, procession du Saint-Esprit, ai
purgatoire, épiclèse
A. Ifazarak. D .<>•.> Ki.»nr.'»;'
184 i .:::.;. Sathas, p. '1G8.
\... Demetrakopoulos, 'n:..,..$..:..; 'Etta«, p. 178.
S. PÉTRIDÊS.
DANDINI Jérôme, né à Césène (Italie) en 1564,
entra dans la Compagnie de Jésus en 1569 ; enseigna la
philosophie à Paris, la théologie à Padoue et remplit
diverses charges importantes dans son ordre. En 1Ô96,
le pape Clément VIII l'envoya dans le Liban, chargé'
d'une mission auprès du patriarche et de la nation des
Maronites. Par les soins de Dandini, deux synodes
furent réunis, ou les évêques et les principaux prêtres
maronites, présidés par leur patriarche, renouvelèrent
la profession de foi catholique, corrigèrent plusieurs
ahus et prirent de sages mesures pour la discipline de
leurs .-lises. Rentré à Rome en Iô97, le P. Jérôme
Dandini mourut à Forli le '29 novemhre 163i. Une
relation de son voyage en Orient a été publiée par son
neveu Hercule Dandini, et dédiée au pape Alexandre VII:
Missione apostolicaal palriarca e Maronili (Ici Monte
Libano del P. Geronimo Dandini, da Cesena, délia
Compagnia di Gcsù, e suo pellegrinazione a Geru-
salemme, in-4'\ Cesena, 1656. Cette relation a été tra-
duite en français par Richard Simon sous ce titre, qui
résume le contenu de l'ouvrage : Voyage du Mont
Liban, traduit de l'italien du R. P. Jérôme Dandini,
nonce ence pays-là. Où il est traité tant de la créance
et des coutumes des Maronites, que de plusieurs parti-
cularitez touchant les Turcs, et de quelques lieux consi-
dérables de l'Orient, avec des remarques sur la théologie
des chrétiens du Levant et sur celle des Mahomélans,
in-12, Paris, 167Ô. 168L 1685. Il en a été fait aussi des
traductions anglaises, et une allemande, partielle.
Précédemment avait paru de Dandini : 1° De corpore
animalo lib. VU. Luculenlus in Aristotelis très de
anima libros commenlarius peripateticus , in-fol.,
Paris, 1611; 2° Ethica sacra, hoc est de virtutibus et
vitiis libri quinquaginta. Quibus ex sacrarum Littera-
rum et veterum Palrum sententia hominum forrnan-
tur mores, religionis non pauca slabiliuntur dogmata,
pluresque anliquitale con/irmanlur Ecclesise ri tus,
in-fol., Césène, 1651; Anvers, 1676. Ce dernier ouvrage
est un fruit de la vieillesse de l'auteur.
De Hacker et Sommervogel, Bibl. de la C" de Jésus, t. u,
col. 1789-1791; I. Jouvancy, Historim Societatis lesu pars quinXa,
tomus posterior, in-fol., Home, 1710, p. 428-430.
JûS. 1ÎRI i
1. DANIEL, prophète hébreu. Ou étudiera successi-
vement : 1° les questions critiques relatives au livre
de ce prophète; 2° spécialement la prophétie des
6oixante-dix semaines.
I. DANIEL (LIVRE DE). Bible hébraïque : Daniel,
e 9r des Kefoûbim t écrits » ou e hagiographes
Grecque : A ANIMA, le 1' et dernier des grands pro-
phètes (Héliton de Sanles et ( (libelle le plaeaient a\anl
Ezéchiel). Latine : Prophelia Danielis. Saint Jérôme,
Prologus (/airains, .t les bibles latines .lu type espa-
gnol et théoduliieii le séparaient des prophètes et l'in-
tercalaient entre les écrits salomoniens et les Chro-
niques. Dans presque tous les autres mss. latins, il
reprend sa place dans I <n-do prophetatwn. s. Bergi i .
// toire de la Vulgate, l'ari-, 1893, p. 390-339. —
t reste et versions. (I. Canonicité. III. Mode de com-
position. IV. Interprétation. V. Caractère littéraire.
VI. Caractère historique, vil. Auteur, vin. Enseigne-
ments doctrinaux. IX. Commentateurs.
I. Texte m versions. — a tbxtb. — Dans la Bible
hébraïque, le livn de Daniel écrit pour une
partie. [-U, i a, et vin-xii. eu hébreu, et pour une
autre partie. II. I h-\li. en araméen chald«'-»-ii bibliq
celle-ci introduite par la glose probable 'ardmif,
araméen, « Pour expliquer cette dualité dialectale, plu-
sieurs hypothèses ont été mises en avant, mais aucune
ne pent passer pour tout a fait satisfaisante; les voir
exposées et critiquées dans Preiswerk, Der S
wechsel im Bûche Daniel, Berne, 1903, p. ii-U. 117-
120. — L'hébreu de Daniel est celui des temps p
rieurs à Xéhémie. Tout en se rattachant par quelque-
traits à l'hébreu d'Ézéchiel, il se rapproche beaucoup
plusdecelui des Chroniques . iv-nr siècles .Par sa facilité
à s'incorporer de> mots étrangi i - persans et arami
adonnera ses vocables une forme aramaisante. à en
changer l'acception; par l'usa-.' courant qu'il fait de
certaines locutions et constructions extrêmement i
avant ou immédiatement après l'exil, mais communes
dans les écrits juifs de tr. ..que; par sa syntaxe
lourde et dénuée de grâce; par son style laborieux et
inélégant, il marque une étape bien caractérisée de
l'idiome Israélite évoluant vers la langue de la Michna
et du Talmud. Quant à l'araméen. c'est un dialecte
occidental palestinien qui n'était assurément point
pari.' à liabylone au v« siècle avant Jésus-Christ. 1
apparenté étroitement à l'araméen des inscriptions
palmyréniennes et nabatéennes du iii< siècle avant
Jésus-Christ, comme à celui des parties les plus anciennes
des targums d'Onkélos et de Jonathan. Lui aussi con-
tient des mots étrangers, persans et grecs. — P. Riessler.
Die Ursprache îles Huches Daniel, dans Biblische
Zeitschrift, 1905, t. m. p. 1 40-1 tô, a cru trouver dans
le livre de Daniel des indices d'un écrit fondamental
babylonien cunéiforme. Sous le même titre et dans la
même revue, 19U6, t. rv, p. 217-354, M. Streck a montré
,que si le livre de Daniel ne dérivait pas d'une source
babylonienne, son auteuravait au inoins subi l'inlluence
de la langue et de la syntaxe babyloniennes.
Bevan, A sliort commentary ou the Book of Daniel, Cam-
bridge, 1892, p. 26- i2; Belirmann. bas Bach Daniel, Gœttingue.
1894, p. i-x: Preiswerk. Der Spracltentvechsel im Bûche Da-
niel, Berne, 1903, p. M .tl-113: thèses curieuses de
(l. Jalin, DasBuch Daniel, I. .. p.iv-vu(th. n. in. vu.
yuii; Driver, Introduction to the literature of the OUI 1
ment, Edimbourg, 1897, .
Le texte original du livre de Daniel est quelque peu
llottant dans les mss., surtout pour la partie araméenne.
On en a tenté, a la lin du dernier siècle, plusieurs
éditions critiques et explicatif
1* Éditions du livre dans s,, total! S. B . Libri Danielis.
Etrm et Xeliemi.v. Leipzig, lss-J. p. 1-21 (prmfatio de Kranz
Delitzscli : explica ir Friedrich Délit
(a Mass re | 62-89; \ Kamphaosen. The />'..
Daniel in Hebretr, Leipzig. IC :ne de
P, ll.uipt, The tacred Book» of the OUI Testa eu en
noir; araméen en rougi
Ltbri Danielis, Etrm et Nehemim, Leipzig, 1906, .. part, et dans
Bibtta hebraica, ..lit. IL Kittel. Leip •■■ p. 1160-
1184, apparat critique au bas des pages.
j Éditions spéciales de la partie araméenne II. 1.. Strack,
Abrité des Biblischen Aramaisch, I
(ôdit., 1897, 1901, 1906, sous le titre de Gramtnatik...);
K. Marti, GrammaUk der Biblisch-Arami
Leipzig, 1896, p. 17 -i"'. M. Gaater b découvert dan- 1.
Dlque ni. .mi-
le texte araméen du cantique d< s tr la enfants dana la fournaise
et .le l'histoire de Bel. qui lui pari I I traduit par
lité dans II
ty of Biblieal arehm i'--ui:
(cf. p. 380 290); 1895, t- \\ u, ■ ■ -
nicles of .Icrahmeel. Londres, 1899, p. CTV.
11. VERSIONS. — I Versions immédiates). — 1.
tion de» Septante. — Le texte hébreu araméen du li\re
de Daniel, ou, selon (.. Jalin, Dus Buch Daniel nach
57
DANIEL (LIVRE DE;
58
der Sepluaginta hergestellt, Leipzig, 1904, p. v,
thèse iv, et P. Riessler, Das Buch Daniel, Vienne, 1902,
p. vu, un texte tout hébreu de ce livre, a, déjà glosé,
été traduit en grec vers l'an 100 avant Jésus-Christ.
C'est la version dite des LXX ou alexandrine. Cette ver-
sion contenait les trois péricopes deutérocanoniques :
prière d'Azarias et cantique des trois jeunes gens, tu,
24-90; histoire de Susanne, prologue du livre (Vulg.,
Vil); Bel, le dragon, conclusion (Vulg., xiv), que le tra-
ducteur aurait, selon Bludau, Die alexandrinische Uber-
setzung des Bûches Daniel, Fribourg-en-Brisgau, 1897,
p. 218, empruntées à une précédente version grecque des
morceaux ui-vi et xm-xiv, issue elle-même d'un original
sémitique réduit à ces six chapitres. Nombre de critiques,
protestants et catholiques, avaient nié l'existence d'un
texte hébreu ou araméen pour ces parties deutérocano-
niques et conclu à un original grec. Bludau, op. cit.,
p. 157 sq., 182 sq., 201 sq. Après avoir été d'un usage
courant dans les lectures des Églises jusque vers le
ine siècle, Bludau, De alexandrinse inlerpretalionis
libri Danielis indole crilica et hermeneulica, Munster,
1891, p. 12-20, la version alexandrine de Daniel y fut
peu à peu supplantée par celle de Théodotion, dont il
sera parlé plus loin. Saint Jérôme attribuait cet ostra-
cisme dont elle fut frappée à une trop grande infidélité
vis-à-vis du texte original. Prol. in Dan.; Comment.
in Dan., iv, 6, /'. L., t. xxv, col. 493, 514. Il est
beaucoup plus probable que le texte nouveau de
Théodotion fut préféré à celui des LXX parce qu'il
comportait une interprétation plus nettement messia-
nique de la prophétie des semaines dans ix, 24-27.
Bludau, I)r alexandrinse interprétât., p. 33 sq.; Die
ale.r. l'bersetzung, p. 24. La version alexandrine dis-
parut des mss. des LXX et ne fut plus retrouvée qu'au
XVIIIe siècle dans un ms. cursif du xi«, le codex
Chisiamis, de la bibliothèque du cardinal Chigi, à
Rome, par J.Rianchini. Léon Allatius (f 1669) l'avait
déjà signalée un siècle auparavant.
Kditions : Simon de Magistris, Rome, 1772, d'après une copie
de Vincent de Regibus; J. D. Michaelis, Gœttingue, -1773-1774;
egaar, Utrecht, 1775; Holmes-Parsons, dans Vêtus Test.
grxce, Oxford, 1818, t. iv; 2- édit., 1848; A. Mai (Vercellone),
dans Vet. et Nov. Test, e.r antiq. cod. Vaticano, Rome, 1838
(1858), t. IV ; H. A. Hahn, Leipzig, 1845; Tischendorf, dans Vet.
> /. \ K Interprètes, 2* édit., Leipzig, 1864, t. VI ;
en 1860, 1869, 1875, L880, 1687, t. vit ; Dracta, 1868, P. G., t. xvi,
[.; O. F. Fritzech i parties deutérocanoniques), dans
Ubri apocryphi Vet. Test., Leipzig, 1871, p. 79-91 ; Jos. I
(la meilleure), dans Sacror. Blbtior. vetustissitna fragmenta
et lai., Rome, 1877. part. III; d'après cette dernière.
il B. Swete, The Old l tament in Greek, 1887-1894, t. m.
If sq.
2. Version de Théodotion. - Vers l'an I5<) de notre
ère, Théodotion revisa sur le texte hébreu-araméen du
ii Biècle la version alexandrine elle-même du livre de
Daniel, ou, selon lilurl.ni. lin- nier. Ùbersetzung,'p.'2.\-
23; et Tùbinger tlieologisi he Quartalschrift, 1897,
p. 1-26; cf. pourtant Julius, Die griechischen Daniel-
■■■. I ribourg-en-Brisg m, 1901, p. 27, note 2, une
autre version grecque un peu moins ancienne que
celle-là. Son texte est encore le texte grec de Daniel
officiellement reçu.
Toutl ns des I. XX depuis la Polyglotte d'Alcala (1514-
, l édition I, et celle de
il le Daniel de Théi dotlon parallèlement à celui de
'Il HIC.
I raton*. — Aquila el Symmaque traduis!
rent au i li Daniel hébreu-araméen, mais appât
menl : roi moniques. Il ne noua
de leur version que quelques fragmenta, l ield,
Origenx Hexapla que t, Oxford, 1875, t. H,
Non plu- que ceux d'I idraa et de Néhé-
mie. le livre de Daniel n'eut fort (probablement pa
targum. Voir pourtant Loisy, Histoire critique du texte
el des versions de l'A. T., Paris, 1892, 1893, p. 202. —
Au IIe siècle, les Églises syriennes lurent Daniel dans la
Peschito, mais sans les trois péricopes. Kaulen Einlei-
tung in die heiligen Schriften, Eribourg-en-Briscau
1898, ^ 139. — Enfin, « plusieurs années » avant 407 !
saint Jérôme « traduisit Daniel » en latin sur l'hébreu et
l'araméen pour la partie protocanonique; sur Théodo-
tion, pour le reste. Comment, in Dan., prolo» P L
1. xxv, col. 492-493.
Pour le caractère et la valeur de ces versions immédiates dans
leur rapport avec le texte original, voir, pour la version alexan
drine, Knabenbauer, Commentarius in Danielem prophetam'
Paris, 1891, p. 45 sq. ; Bevan, A short comm. on (he Book o'f
Dan., Cambridge, 1892, p. 43 sq.; P. Riessler, Das Buch Da-
niel, textkrilische Untersuchung, Vienne, 1899 ; G. Jahn, Das
Buch Daniel, Leipzig, 1904, p. vu sq. Pour l'ensemble : G. Behr-
mann, Das Buch Daniel, Gœttingue, .1894, p. xxix-xxxvn ■
K. Marti, Das Buch Daniel, Tubingue et Leipzig, 1901, p. xvui-
xix : Preisweik, Der Sprachemvechsel im Bûche Daniel 'Berne
1903, p. 68-77,88-91, 113-115.
2° Versions dérivées. — 1. Anciennes latines. — Dès
le commencement du me siècle de notre ère, il y aurait
eu en cours deux versions latines du livre' de Daniel,
exécutées, l'une sur le grec de l'alexandrine, l'autre sur
celui de Théodotion, Bludau, Die alex. Ûberselzung,
p. 17-20; ou tout au moins usait-on, en Afrique, vers le'
milieu de ce même siècle, d'une antique version latine
au texte mêlé de leçons se référant à l'une ou à l'autre
des deux versions grecques. Julius, Die griechischen
Danielzusâtze, p. 45 sq.; Bludau, De alex. interpret.,
p. 30 sq. ; Die alex. Ùbersetzung, p. 20. Cette « afri-
caine » aurait différé beaucoup, pour Daniel, de l'« ita-
lique » proprement dite - celle-ci « milanaise » et
dérivée de Théodotion. Julius, op. cit., p. 46.
Textes dans Sabatier, Bibliorum sacrorum lalinx versiones
antiqux, Paris, 1751, t. il, p. 860-887; Ranke, Fragmenta ver-
sionis sacr. Script, latirwr ante-hieronijmianœ. Vienne, 1868,
t. il, p. 113-115 ; Paar Palimpsest, Wurzbourg et Vienne, 1871
p. 126-143, 374-401, etc.
2. Syro-hexaplaire. — L'an 617, Paul, évêque mono-
physite de Telia, traduisit en langue syriaque (écriture
estranghélo) le Daniel alexandrin des Tétraples d'Ori-
gène. La version est littérale, esclave du texte grec dont
elle traduit même les particules. A ce titre, elle est
d'une importance capitale pour la critique du texte
alexandrin. C. Bugati la découvrit dans un ms. du
vnr siècle de la bibliothèque ambrosienne, à Milan, et
la publia avec une traduction latine.
r lingati, Daniel secundum editionetn LXX interpretum
traplis desumptam, Milan, itsn; réédition en photolitho-
graphie par A, m. Ceriani, Codex syro-hexaplaris Ambrosia-
nus, Milan, 187 1, dans Monumenta sacra et profana bibliothecte
ambrosiance, part. vil.
3. Autres versions. — Arabe, Walton, Polyglotte,
Londres, 1657, t. vi (affinités avec la version alexan-
drine, X* siècle); arménienne, par S. Mesrob, V* siècle,
sur Théodotion : édit. Oscan d'Erivan, Amsterdam, 1666,
et J. Zôhrab, Venise, 1789 et 1805. t. m; coptes : la
sahidique (thébaine), nr siècle, sur Théodotion;
mentsdans \. Ciasca, Sacrorum Bibliorum fragmenta
copto-sahidica Museei Borgiani, Ro , t. il, 1889, et
dans Maspero, Afe'nii la mission archéologique
frtni aire, Paris, t. vi. 1892; la memphitique
bohairique), m* siècle, sur Théodotion, édit, J. Bardelli,
Daniel ■ /■'■ •■■■ mphitice, Piae, 1840; II. Tattam, dans
Prophètes majores in dialec, ling. segyp, memphitica
1 ford, 1852, t. i ; éthiopienne, iv-v siècle,
sur Théodotion, non publii ■ i n in-, vt
édit Moscou, 1743; alavonm te, édit. Kie> ,
t. IV.
II. CxM'Nir.m . — \. PROTOCANOMQCl (hélnvit-ara-
59
DANIEL LIVRE DE
60
méen). lu commencement du n siècle avant notre
ère, l'auteur de 1 Ecclésiastique ne connaissait fort pro-
bablement pas encore le livre «1 <- Daniel, car il ne i ite
point ce nom parmi ceui des prophètes, grands et
petits, dont il fait l'éloge, u.vm-xi.ix. Le petit-fils de
. fil de Sirach, le compta peut-être au nombre des
litres livres », Eccli., prologue, qui, au plus tét vers
l'époque de Judas Machabée (160 avant Jésus-Christ),
formèrent la troisiè collection de livrea sacrés con-
nue dans la Bible hébraïque sous le nom de Kefoûbim,
i hagiographes. Depuis son entrée dans ce recueil, le
Daniel hébreu-araméen n'a été, dans les deux traditions
juive et chrétienne, l'objet d'aucun doute relativement
à sa canonicité. Indépendamment, les vi i cques
des LXX et de Théodotion exécutées pour être lues
officiellement dans la Synagogue ou dans l'assemblée
des fidèles, attestent la vogue et le caractère sacré du
livre.
I» Dès avant notre ère : I Mach., i, 54 (Dan., IX, 27;
xi, 31; xii, 11); n, 59 (Dan., i, G; m, 17), 60(Da.n., vi,
22); les apocryphes, Hénoch, xi.vi, I bis (Dan., vu, 13);
xl, 1 ; lx. 2 (Dan., vu, 10), etc.. voir Behrmann, op. rit.,
p. xxxvii-xxxvmi; Livres sybillins, 111,397 (Dan., vu,
7, 20) ; Assomption de Moïse, vi, 1 (Dan., xi, 21).
2° Aux temps apostoliques : les Évangiles, Malth.,
xxiv, 15; Marc. XIII, li (Dan., ix, 27, ou xi, 31; XII,
11), etc.; Joa., m, 14 (Dan., vu, 13); les Actes, vu, 56
(Dan., vu, 13); les Epilres, I Cor., VI, 2 (Dan., vu, 22);
II Thés., h, 3 sq. (Dan., xi, 36) ; Heb., xi, 33 (Dan., vi,
22); l'Apocalypse, i, 13-15 (Dan., vu, 13; x, 5-9), etc.
Voir Rludau, Die alex. Ûbersetzung, p. 13-15. Josèphe,
Ant. jud., X, xi, 7 : Daniel est l'un des grands
(prophètes); Coût. Apion., x, 4; échos du livre dans
les écrits de Josèphe, voir Rludau, op. cit., p. 12; De
alex. interpret., p. 15 sq. ; les apocryphes, Test, des
douze patriarches, Ruben, 1 (Dan., x,2.3);Lévi,5 (Dan.,
xu, 1), 15 (Dan., ix, 27); IV Fsd., M, 1 (Dan., îv. 2 ;
xin, 2-4 (Dan., vu, 13); XI, 1-12, 51 (Dan., vu); Apoca-
lypse de Baruch, xxviu, 1 ; xxxu, 3 sq. (Dan., ix, 25-
27).
3° Dans la tradition ecclésiastique, les Pères apos-
toliques, Barnabe, iv. 5 (Dan., vu, 7, 8); iv. i Dan.,
vu. 24); xvi, 6 (Dan., ix, 25, 26), Funk, Paires aposto-
lici, 2« édit., Tubingue, 1901, t. I, p. 46, 86; S. Clément
Romain, Ad Cor., xlv,6 (Dan., vi. 16), 7 (Dan., ni. 24
Funk, ibid., p. 158; Hermas, Vis., I, I, 3 (Dan., ix, 20);
IV, n, 4 (Dan., vi, 22), Funk. ibid., p. 416, 162. Les
apologistes du ir siècle, S. Justin, Dial. cum Tryph.,
31 (Dan., vu); / Apol., u (Dan., vu, 13) P. G., t. vi,
col. 540, 404; S. Irénée, Cotlt. Iiser., v, 25, 4 (Dan., ix,
24-27), P. (',., t. vu, col. 1191. Pères et autres écrivains
grecs et latins du IIP au vir siècle; les listes, de carac-
tère privé ou officiel, des livres reçus dans le canon
juif ou chrétien mentionnent toutes, jusqu'à celle du
concile de Trente, le Daniel hébreu-araméen.
//. DBUTÉROCAKOKIQUBS [PériCOpes). — 1" Canonicité
che: les Juifs et les chrétiens jusqu'au i\ siècle. —
Rien que des exemplaires isolés du Daniel hébreu-
araméen aient pu contenir dans l'un ou l'autre dialecte
les péricopes d'Azarias et du cantique, de Susanne, de
Rel et du dragon, il parait bien que ces morceaux ne
tirent pas, originairement, partie intégrante du Daniel
ualestinien officiel et canonique. Julius, Die griechis-
chen Danielzusâtze, p. i-15. et bibliographie. Cepen-
dant, les Juifs hellénistes d'Alexandrie les tinrent pour
sacrés, témoin la version alexandrine qui les contint.
et 111 Mach.. vi. 6 (Dan., m, 16-50); < t tandis que Jo-
sèphe, grec de langage et de culture, mais pharisien de
cœur, Aquii.i et Symmaque excluaient ces péricopes, le
premier du canon proprement dit, Cont. Apion., I, 8,
les autres de leur version, la première antiquité chré-
tienne les accueillait au contraire, soit dans l'alexan-
drine, soit dans le texte de Théodotion. avec la même
i . . i les mettait au même rang que le reste du
livre.
1 En Occident, S. Clément Romain. Ad Cor., i.ix,
3 Dan., m, 5i . Funk, ibid., p. 17*.. >. D ■
iv, 5, -. Daniel prophela [xiv, 3, ~i'<
a Daniele prophela voce* un, 20, 52,56), /'. >/'., t. vu,
col. 984, 1192. Saint Hippolyte, dans *uri commentaire
sur Daniel, édit. Bonwetsch, Leipzig, 1897, p. 94
il. i.'. 13, tient les trois péricopes pour- Fcritu:
l sainte ... « divine ■ : n. 28, I. /, ■:■!..• Dan., U
II, 31,4, <;.: <| -;:-ï;', /:••:■• l 'an. . m. i'.' . I. 29, I,
(Dan., un, 52); i, 30. 1, xo «(ivov -.<:,. '-,
ax6ua -.<»■, -y,-rt-.;„. at en Dan., un, 38;
i,3l, 3, r, Oefa ypofT] [Dan., xui, 54, 58 !• rtullii ■
"rat., xxix ipriére d'Azarias . Adv. Herntog., xuv
(cantique); De coron, milit., n Susani lolol.,
mu; De jejim., vu, lx (Bel, le dragon . P. L., t. i,
col. 1195; t. n, col. 236, 81 ; t. i, col. 688; t. u, col. 963,
'.Xii. Saint Cyprien, Ad Quirin., m, 20. cite comme
partie intégrante du livre canonique, in Daniele, Dan.,
m, 37-42; xni. l-.'i. I . xxxi, Scriplura divina
(Dan., ni. 25 Bq. : De dôm. oratione, vin, déclarât
Scripturœ divines fidet 'Dan., m. 51 sq. ; Epist., i.vi,
5 Dan., ni. 16-18: Ad Fortun., xi. Daniel Sancto Spi-
ritu plenuê Dan., xiv, i . P. L., t. iv. col. 748-7 ;:•. MO,
52i, 353, 607.
2. En Orient. — a) Egypte. — Clément d'Alexandrie,
Strom., i, xxi (Dan., xiv. 22, 33, i" . Eclog.,i, ai
ypaipori Dan., m, 58-60), Èicdfei Aivir,/ Dan., ni. 61.
90 sq. : n, i A»»)) >:-£■. Dan., ni. 54), P. G., t. \m.
col. 852; t. ix, col. 697, 700 Orif tt.ad Africain.,
/'. '-'., t. ix. col. 48 sq., défend contre les objections de
son ami palestinien, Jules Africain, le caractère pro-
phétique (£•/ -.},; xpofirreta; ro3 AavtT)) et scripturaire
(mtXatâ AiaOr.xr,) des histoires de Susanne, de Bel. du
, dragon; In Joa., tom. xm. 59 Dan.. XIII, VI'. \x. E
8 Aavir,) priai .Dan., xm. 56), P. G., t. xiv. col. 517.
584; De orat., xiv. âv rû Aavtr,) Dan., ni. i"> . /*. (,'..
t. xi, col. 461; Exhort. ad martyr., xxmii (Bel,
dragon), ibid., col. 604-605, Ammonius d'Alexandrie
commenta les trois péricopes avec le reste du livre.
/'. (-'.. t. i.x xxv. col. 1363-1370 Susanne), 1372 sq.
(prière d'Azarias et cantique). Les versions sahidique
et memphitique les contenaient. Fragments de la pre-
mière dans Maspero. Mémoires, p. 266. 267, 269, et
Ciasca, Sacror. Biblior. fragni., p. 360. La traduction
copte de l'Apocalypse d' FI ie. ix. fait allusion aux hisl
de Susanne, des trois jeunes ^ens. G. Steindorff, Die
Apokalypse des Elias, dans Texte und l'nters., t. xvn.
fasc. 3 a, Leipzig, 1899, p. 48-49. — b) Asie. — Docteurs
et martyrs évoquent volontiers l'exemple de Susanne :
Didascalie, dans Bunsen, Analecla anieniesena, I
dres, 1874, t. n, p. 271. Martyre de saint Pionius, dans
Ruinart, Acta martyrum, Ratisbonne, 1858, p. 193.
Pseudo-Clément. De virginitate, n, xui (Susanne),
Punk, t. u, p. 23. Méthodius d'Olympe tou de T\r .
Symposium, logos xi. 2 [Dan., xili, 23 . P. G . t. xvin.
col. 212.
3. Monuments îles Catacombes romaines. — Cime-
tière de l'riseille. chapelle grecque : fresques de Su-
sanne tentée (Dan., Xiu. 19), accusée et m
(Dan., uii, 34, 63 ; des trois jeunes gens Dan., ni.
26, 93). Cimetière de C.illiste. sur un arcosolium. ju-
gement des vieillards D.m.. Mil. 52 sq.). Voir t. I,
COl. 2005.
Les seuls doutes sérieux élevés durant cette première
période sur l'inspiration et la canonicité des parties
deutérocanoniques du Daniel île la Bible grecque ou
latine furent ceux de .Iules Africain, dans Epitt. ad
Africain,, doutes isoles i t. restes sans écho dans le con-
sensus unanime de la tradition. Si Méliton de Sardes,
dans si liste des livres de l'Ancien Testament »
(lettre à Onésime), dans Eusèbe, //. E . w. 26, /'. »...
61
DANIEL (LIVRE DE:
62
t. xx, col. 397, a omis tous les tleutérocanoniques; c'est
qu'il a emprunté cette liste aux Juifs de Palestine, les-
quels lui ont fourni celle du Talmud, Baba bathra, 15 a.
Si, de l'origine à la lin du iv« siècle, la Peschito ne con-
tint pas Dan., ni, 51-90 (Polychronius, dans Mai, Scrip-
toruni veterum nova colleclio, Rome, 1825-1831, t. I c,
p. 4) et probablement non plus les autres fragments,
c'est que l'Ancien Testament ne vint d'abord aux
Églises syriennes que par l'intermédiaire de la Sy-
nagogue attachée, en Asie, au seul canon hébreu. Si
Origèue et, à sa suite, « Eusèbe, Apollinaire, d'autres
auteurs ecclésiastiques et docteurs de la Grèce » sont
allégués par saint Jérôme, In Dan., prolog., P. L.,
t. xxv, col. 493, comme fauteurs de la non-canonicité
de ces fragments, il faut observer que le grand docteur
n'a bien compris ni Eusèbe, ni Apollinaire, ni les «au-
teurs et docteurs », qui, tous, acceptèrent en réalité,
leurs écrits en font foi, les parties deutérocanoniques
des livres telles que les leur offrait la Bible grecque, et
qu'il prêta à l'auteur des Stromates, ouvrage mainte-
nant perdu, quelques-unes de ses idées toutes person-
nelles sur la question. Julius, op. cit., p. 36, 52 sq.,
73 sq.
2 Canonicité aux iv et v siècles:. — A celte époque,
tous les Pères grecs reçoivent comme canoniques les
fragments de Daniel; ils les citent couramment dans
leurs écrits; les listes qu'ils dressent des livres sacrés
les mentionnent implicitement sous la rubrique Aavtr,X.
titre de la version grecque qui les contint depuis l'ori-
gine : S. Athanase, Epist. féal., xxxix, 5, P. G., t.xxvi,
col. 1176, 1436; S. Cyrille de Jérusalem, Cal., iv, 33,
35, 36. /'. '.'., t. xxxiii, col. '«96 sq.; S. Épiphane, De
pond, et mens., xxn, xxm, P. G., t. xi.iii, col. 277; et
Ihrr., vin. (i. /'. G., t. xli, col. 413; S. Grégoire de
Nazianze, Carmen de gen. libror. inspir. Scriptural,
I, 12, P. G., t. xxxvn, col. '(72 sq. : listes qu'il fautjuger
d'après la pratique des ouvrages de ces Pères. Voir.lulius,
p. 66-93. Les auteurs syriens, Aphraate, saint Éphrem,
Cyrillonas, connaissent ces péricopes et les utilisent au
même titre que tout passage de la Peschito officiellement
canonique. VoirJulius, p. 94-98. Dans l'Église armé-
nienne qui. au v« siècle, possède dans sa liible les trois
péricopes daniéliques, le littérateur Mesrop, l'évêque de
revand l./nick, le catholicos Jean Mantaguni en
attestent aussi le caractère sacré. Voir Julius, p. 100-105.
Par ses écrivains, les décrets de ses conciles, par
quelques reliques de l'art qu'inspira sa doctrine,
Il glise latine d'Italie, de Gaule, d'Espagne et d'Afrique
accorde à ces morceaux le crédit d'Ecriture inspirée.
Voir Julius, p. 105-1 î~>.
Duranl ces deux siècles, les seules voix discordantes
fuient ci'lles de Polychronius. évéque d'Apamée et
frère de Théodore de Mopsueste, et de saint Jérôme; et
encore les doutes du premier n'eurent-ils pour objet
que Dan., m, 21-90, voir Julius, p. 84, el le second ne
Commença-t-il àse poser en adversaire des trois péri-
copes que vers l'an 390, après avoir subi, relativement
à la canonicité îles livres, l'influence des rabbins, ses
maîtres en hébreu. Unis ],. Prologus galeatus el le
Prologue au Comment, in Dan., sainl Jérôme range
implicitement ces fragments o parmi les apocryphes»,
et après les avoir a marqués d'un obèle » comme
'ni pas dans l hébr< u . affirme qu'ils ne pré-
nt nullement l'autorité d'Écriture sainte. Mais
quoi qu il puisse écrire ainsi de ces morceaux, le soli-
de Bethléhem ne peut éviter de les citer, dans ses
ouvrages contemporains du Prologu» galeatus, presque
sur le même rang que les passage d Écriture, lai
puissante autour de lui la tradition qu'il confirme' de la
sorte indirectement. Voir.lulius, p. 118, el t. u, col. 1578.
Canonù ité d partir du i / tù cle jusqu'à nos jour».
\ partir du vr siècle, Is Canonicité dei parles deu-
térocanoniques du livre de Daniel, nettement el fer
ment affirmée au cours des siècles précédents, continue
à être admise et appliquée jusqu'au concile de Trente
et jusqu'à nos jours dans l'Eglise chrétienne et catho-
lique. On n'ignore pas cependant, durant cette longue
période, les objections de saint Jérôme ; mais les au-
teurs qui les ont reproduites, le moine breton du De
mirabilibus Scriptural sacrée, P. L., t. xxxv, col. 2191,
2192; Rupert de Deutz, De div. of/iciis, iv, 16; v, 5,
P. L., t. clxx, col. 110 sq., 126; Hugues de Saint-
Victor, Erud. didasc, iv, 8, P. L.,t. ci-xxvi, col. 783;
Pierre le Mangeur, Hist. sc/iolastica, ['. L., t. cxcvm,
col. 1447, 1450, 1466; Albert le Grand, Opéra, Lyon,
1651, t. vin, p. 69 ; Nicolas de Lyre, Postulai perpétua:,
Rome, 1471, 1472; Denys le Chartreux, Enarratio in
Dan., a. 14, Montreuil, 1900, t. x, p. 165; .1. L. Vives di
Valence, édit. du De civilate Dei de saint Augustin, 152/,
xvin, 31; J. Driedoens, De ecclesiast. Scripturis, Lou-
vain, 1550, 1. I, 4; Cajetan (Thomas de Vio), Commen-
tarii, préface, Esther, x, ou n'en ont pas saisi la portée,
ou ont cherché à les expliquer dans un sens favorable,
suivant dans la pratique le courant auquel obéit le
saint docteur lui-même; ou enfin, si quelques-uns
d'entre eux, comme le moine breton, Nicolas de Lyre,
Vives de Valence et Cajetan, les adoptent d'une façon
plus ou moins catégorique, n'ont exercé autour d'eux
aucune influence marquée ou décisive. Voir Julius,
p. 149, 160-163, 166, 168, 172-174.
III. Mode de composition. — L'antiquité n'a pas
élevé le moindre doute sur l'unité de composition du
Daniel hébreu-araméen. Spinoza, le premier, distingua
dans ce livre deux mains différentes, l'une dans lesc.i-vn,
l'autre dans viii-xii. Traclalus /nsloricopolilicus,\, 19,
édit. Haag, 1882, t. i, p. 508. Newton tint le livre entier
pour « une collection d'écrils d'époques diverses » (i,
ii— i il , îv, v-vi, vii-xii). Observations upon thepropliecics
of Dan. and the Apok. of St. John, Londres, 1732, p. 10.
Selon Deausobre, Rentarques sur leNouveau Testament,
La Haye, 1712, p. 70, les c. i-vi sont des « histoires que
les Juifs postérieurs ont jointes aux prophéties >> de vn-
xn. liertholdt, Daniel, 1806, t. I, p. 49-81, rapporte le
tout à neuf sources différentes (i, u, m, 1-30; ni, 31-
iv, 34; v-vi, vu, vm, ix, x-xn). Eichhorn, Einleitung
in das A. T., 1821. t. IV, p. 515; Meinhold, Die Kom-
posit.des Bûches Daniel, 1884; Beitrâge tur Erklârung
des Bûches Daniel, 1885, i; Das Buch Daniel, 1889;
Strack, Handbuch der theolog. Wissenschaft, 1885,
t. i, p. 173, font composer d'abord ii-vi, puis vn-xn; i
s'est ensuite adjoint à la réunion de ces deux parties
en manière d'introduction. Les raisons alléguées sont
celles-ci : la dualité de langue (Spinoza, Newton); le
changement de personne dans le récit (Deausobre,
3» personne dans i-vi ; l« personne dans vii-xii); les
antinomies entre i, 21, el x. I ; i, 1, et il, 1 ; v et il, plus
des divergences d'éloculion et de style (Bertholdt).
Néanmoins la critique, indépendante ou catholique, l'ail
face à ces difficultés et maintient encore l'unité de
composition du livre; elle dit celui-ci œuvre d'un seul
jet, « hâtive » même, et d'un seul auteur : aussi bien
l'araméen de la première partie déborde-l-il sur la se-
conde (vil); le Changement de personne ne saurait
prouver absolument ; les antinomies reçoivent une so-
lution dans les commentaires; des similitudes nom-
breuses et frappantes d'éloculion et de Style balancent
les divergences. Au surplus, l'unité de la composition
éclate par elle-même. Chacune des parties principales,
i-vn et viii-xii, forme bien à part soi un tout logique :
suite historique, suite prophétique ; mais elles se com-
plètent aussi l'une l'autre, car tout le livre se développe
d'après un plan lies apparent el un : annoncer, prépa-
rer le royaume messianique, supputer l'heure de sa
venue, (..il.- annonce se fait aux païens un c nu QUI
enfants d'Abraham (vu su); pour la bien accueillir, les
premiers doivent reconnaître par des preuves sensibles
I ) A \ I
LIVRE DE
64
la toute-puissance du vrai Dieu, «lu I »ieu du royaume,
qui sauve les Biens et disposi i des
empires t, m-vi). Pais, l< royaume messianique
annoncé, le tout-puissant reconnu de tous, Dieu révèle
après quelle Buitë d'événements religieux et politiques
sa réalisera ledit royaume (n et vii-xn). Du i
chacune des visions ou prophéties pro ir la
précédente en plus grande clarté. A peine la critique
signale-t-elle comme pièces rapportées les passages, i,
20-21 (glose renchérissante ; ix, 5-19 (interpolation que '
trahissent 5 et 20); x 1 1 . 1 1-1-2 gloses successives voulant
expliquer 7 et 9).
sur l'unité de composition voir Hebbelynck, De auctorltate
historien Ithri Danielis. Louvain. 1887, p. 8-23; Knabenbauer.
Comment, in Demie,,, prophetam, Paris, 1891, p. 17-20;
A. F. G ail, Die Einheitlichkeit des Bûches Daniel, Giessen,
1895.
Cependant, l'unité d'esprit, de plan, de composition,
même de style, n'exclut pas nécessairement la pluralité
des sources, l'existence de documents antérieurs utili-
sés ou incorporés dans la trame générale de son récit
par le définitif et véritable auteur du livre. Assuré-
ment, une dissection du livre de Daniel comme celle
de Bertholdt enlève quelque signification à chacun des
morceaux, surtout à chaque vision isolée; mais un
classement des sources qui partirait des conclusions de
Rludau et de Julius, lesquelles mettent en un relief
accusé les c. m-vi et les deutérocanoniques xm-xiv.
reste possible. La question du mode de composition du
livre de Daniel est donc ouverte encore.
Aux ouvrages cités de Bludau et de Julius, joindre les essais
de Barton, The composition of the liouk of Daniel, 1898, dans
Journal ofbiblical literature, p. 62-86, qui distingue it et iv;
v-vin, m, x-xn. i; vi et ix; i et xu, 5-13; P. Riessler, Das
Buch Daniel, 1902, p. xi-xm (division : vn-xii. i-v, VI et XIII-
XIV); G. Jahn, Das Buch Daniel, Leipzig, 1904. )>. VI, tlièse v
et commentaire, unit seulement x-xn.
IV. Interprétation. — Le sens général du livre res-
sort premièrement et principalement de l'identification
des quatre empires terrestres et païens figurés soit par
les quatre parties de la statue vue en songe par Nabu-
chodonosor (c. n), soit par les quatre animaux sortis
delà mer vus en songe également par Daniel ic. vin.
Cette identification jette, en effet, une grande lumière
sur les visions, claires seulement pour une partie, des
c. vin. ix et xi, relativement à un personnage d'impor-
tance capitale, persécuteur des « saints» et précurseur
du « temps de la lin ». qui a ligure déjà dans la vision
du c. VII. Cf. vu, 21, '2.'); vin. 23-26; îx. '20-27; xi, 30,
31, 36 sq. 11 est admis par tous que le cinquième
royaume dont il est question dans M, ii. et vu. 18, 22,
ou qui est décrit au moins dans son commencement
dans ix. 24, el x 1 1 . 2-3, est le royaume messianique, le
royaume de Dieu dont parle encore l'Évangile, Le qua-
trième empire est-il alors celui de Rome, le quatrième
roi est-il le César romain : le royaume où le peuple des
saints débute ou se forme avec la prédication du Christ,
et les passages II, ii; vu, 12 et 2."> : vin. 21 : i\. 24; xu.
1-3, le considèrent dans tout son développement jusqu'à
la lin du monde ; le persécuteur du « temps de La lin l
est l'Antéchrist; tout le livre est messianique, double-
ment messianique même, car il vise le Messie à son
premier avènement el à son dernier. Ce quatrième
empire est-il au contraire l'empire grec OU l'ensemble
des royaumes issus de lui, le quatrième roi est-il
Alexandre le Grand ou sa royauté divisée entre se
néraux : le royai messianique annoncé B'identiGe
d'abord avec le groupe juif resté Bdèle à Dieu el -i sa
religion sou-- les successeurs syriens du conquérant
macédonien; le persécuteur est Antiochus Êpiphane;
le g temps de la Un ■ esl donc projeté en avant el \u
sur une perspective tri b rapprochée de l'époque grecque ;
le livre met sur le même plan apparent première)
dernier avènement du Messie, el par un simple effet
d'optique familier aux prophètes, le pi mme
relativement imminent aux Juifs contemporains d An-
tioebus I V.
I Interprétation traditionnelle. — Jusqu'au xix
de, l'identification du quatrième empire daniélique
avec l'empire romain fut la plus universellement r<
dans l Église chrétienne, roire chez les Juifs et au sein
des Églises protestante--. Qu'il suffise de citer Josèphe,
Ani. fud., X. x. i: xi. 8, •"> voir Burtoul Gerlacb
Weùsagungen de* A. / in den Schriften des Flav.
Josephus, Berlin, 1863, p. I
v,25, /'. <i.,\. vu. col. 1190; s. Hippolyle, Bardenhi
dans Des heiligen Bippolylut tar
mm Huche Daniel, Fribourg-en-Brisgau, 1877
Eusèbe deCésarée, dans Mai, Scriptor. oet. m, va colle-
élu,, Rome, 1825, 1831, t. i c, p I vrille de Jéru-
salem. Cal., XV, 6, /'. '-., t. x.xxiii. co!. K77;S. Jérôme.
/'. L., t. xxv, col. 531; Théodoret, In Dan., P. G
('.dm ment, in Dan., t. i.xxxi, col. 1472; Walafrid Stra-
bon, Glossa ordinaria, lu lieu, w siècle : pendant
700 ans le seul commentaire usuel, ou presque, des théo-
logiens du moyen âge); le* rabbins elles auteurs protes-
tants du xvi« au xviir siècle, cf. Reinke, Die messianis-
clien Weissagungen, Giessen, IS62, t. iv, p. 171 sq. ; les
théologiens commentateurs du xvir et du xvnr siècle
(voir la liste des commentateurs); les commentateurs
critiques protestants el catholiques du xix siècle énu-
mérés dans Dûsterwald, Die Weltreiche und das Gottes-
reicli, Fribourg-en-Brisgau, 1800, p. 31 sq. De nos
jours, cette interprétation reste en faveur dans rensei-
gnement catholique. Le premier royaume serait celui
des Chaldéens iNahuchodonosor); le second, celui des
Médo-Perses (Cyrus) ; le troisième, celui des Gréco-
Macédoniens (Alexandre); le quatrième, l'empire romain
qui, « fort comme le fer ■ béte aux ongles, aux dents
de fer», brise d'abord la résistance de tous les royaumes
de l'ancien monde et les soumet à son joug (n, 40;
vu, 19). mais qui se divise finalement en deux, empire
d'Orient, empire d'Occident, puis s'émiette encore
comme le g fer mêlé d'argile », il. 43. se partage entre
dix. rois comme la tèle du monstre entre dix cornes.
vu. 24. Du temps de ces rois », H. 44, se développe
un nouveau royaume, celui de Dieu, des saints, inai. j
par le Christ (la pierre, n. :!i. i'ô el continué par
l'Église, n. 41; vu. 27. Au sujet du i temps • qui doit
s'écouler depuis l'annonce déjà faite avant Daniel du re-
tour de la captivité e-t du relèvement d>' Jérusalem,
jusqu'à l'époque où doit naître et se constituer ce nou-
veau royaume, il est fait au prophète une révélation
spéciale, ix. 1-3, 20-27. Voir Dwin Les soixante-
semaines du prophète). Enfin, aux approches de la fin
du monde, surgit un • roi orgueilleux, impie. |
cuteur i, mi. 24,25; xi, 21 sq., l'Antéchrist, ligure seu-
lement dans vin. 2:5. 2.Y par Antiocbus Êpiphane. Il
opprime, dévaste l'Église un certain temps durant.
trois ans et demi. vu. 21 (vin, 24 sq. ; ix. 27 . xi. M\ sq.;
xn. 7. Sa puissance est pourtant brisée par Dieu venant
juger tous les royaumes de la terre, et un rogne éter-
nel est accord''' au Christ fils de l'homme ■ ainsi
qu'à son peuple Bdèle d'élus, vu. 13, 26-27; xu. 2-;>
Quelques Pères et écrivains ecclésiastiques onl rap-
proché les « dix rois i «le la lin du monde qu'ils pen-
saient alors devoir arriver dès la chute île l'empire
romain, imminente a leur sentiment. Voir Knabenbauer.
Comment, in Daniel, proph., p. 202, 203. Selon Bel-
larmin, De Romano pontifice, I. III. c. v, dans Con-
trov., Tari-, 1608, t. i, p. 717. le quatrième empin
continué dans le Saint-Empire romain d'Occident, et.
comme celui-ci. a pris lin en l'année 1806. Rohling, Das
Buch îles Proplieten Daniel. Mayence, 1876, p. 219,
224, nous fait vivre présentement au temps des dix rois
tout proche du temps de l'Antéchi ii
65
DANIEL (LIVRE DE(
06
2° Interprétation critique. — Pour saint Éphrem,
In Daniel, Opéra sijriaca, Rome, 1740, t. il, p. 205-206,
« quelques auteurs » anciens (Tbéodoret, In Dan., H,
13, P. G., t. LXXXI, col. 1306), Polychronius, évèque
d'Apamée, dans A. Mai, Scriptorum veter. nov. colle-
ctio, t. i c, p. 1-27, et Cosmas Indicopleustès, Chri-
stiana topographia, 1. II, dans B. de Montfaucon, Collec-
lio nova Patrum, Paris, 1707, t. ir, p. 144 sq., les quatre
« royaumes » sont les empires chaldéen (Nabuchodo-
nosor), mède (Darius), perse (Cyrus) et gréco-macédo-
nien (Alexandre), et les « dix rois» sont les successeurs
d'Alexandre, les Séleucides et les Lagides. Antioclms
Épiphane remplace l'Antéchrist. Selon Porphyre, dans
saint Jérôme, Comment, in Dan., vu, 7, P. L., t. xxv,
col. 530, ces empires auraient été ceux des Chaldéens,
des Médo-Perses, d'Alexandre, des successeurs d'Alexan-
dre (A'.âôo/ot); le roi persécuteur est aussi l'Épiphane.
Bossuet, Discours sur l'hist. univ., part. II, c. ix;
Grotius, Critici sacri, Lyon, 1660, t. V, In Dan.; IIou-
bigant, Biblia hebraica, Paris, 1753-4754, t. iv, p. 5i9;
Calmet, Commentaire littéral, 2e édit., Paris, 1726.
t. vi. p. 619, ont suivi cette opinion dans ses grandes
lignes. La plupart des critiques modernes se sont par-
.'îi Ire ce double système de saint Ephrem et de
Porphyre. Pour séparer les empires mède et perse, les
premiers s'appuient sur les passages Dan., v, 30; VI, 1,
S. i\, 1, et surtout vi, 29, où le texte fait « succéder »
Cyrus le l'erse à Darius le Mède. Les deux mômes em-
pires se distingueraient aussi, l'un venant « après »
l'autre, dans Dan., vin, 3, 20, et dans v, 31 ; vi, 28, où
la « loi des Mèdes » précède celle des Perses. Le
quatrième empire serait ainsi nécessairement l'empire
grec et parce que, dans les c. n et vu, cet empire corres-
pond exactement à celui de vin, 21, lequel est d'Alexan-
dre : empire divisé, n, il, et vin, 22; empire finis-
sant avec un roi impie . vu. 8, 24, et VIII, 9, 23, Antio-
clms IV; le dernier empire ennemi, II, vu, et VIII, 17,
aussi x-xi, où la naissance et le développement de
l'empire grec sont relatés en détail, sans qu'il soit parlé
d'un autre empire subséquent avanl le s temps de la lin »,
Les dix rois, vu, 24, représentés par les dix cornes sont :
ou bien Séleucns Nicator, Antiochus Soter, Antioclms
Théos, s. I. ueiis Callinicus, Séleucus Céraunus, Antio-
rliu^ le Grand, Séleucus Philopator, Héliodore, Ptolémée
Philométor, Démétrius Soter; ou bien Alexandre lui-
même el les -uixants, moins Ptolémée Philométor.
Auteurs, dans Dûsterwald, op. cit., p. 34. Unissant en
un seul empire les Médo-Perses d'après v, 28, et
contraints alors de voir l'empire gréco-macédonien
il Mexandre dans l'airain de la statue ou la troisième
bête de la vision, les autres criti pies identifient le
quatrième empire avec le royaume syrien dont les dix
rois. Alexandre y compris ou non. ainsi que Ptolémée
Philométor, sont les dix prédéce seurs d'Antiochua Epi-
phane. Celui-ci, dans l'uneel l'autre opinion, est figuré
par la petite corne de vu. 8, 20 sq.. et de vin, 9; c'est le
roiartificii ux de mu, 23 sq., roi de l'un des quatre royau-
me! macédonien, thrace, syrien, égyptien, issus de
l'empire d'Alexandre, vin, 8, 9, 22 : \i, 21 sq. Il persé-
cute Israël "n les saints » jusqu'à ce que la domina-
tion sur tous les royaumes du inonde soit accord/.
victimes di - mssitôl son jugemenl <•! s;i ruine. Auteurs,
dm- Dûsterwald, p. 35. Le ■ lils de l'homme » qui, dans
vu 13-14,1 i le royaume éti rait, suivant
la pluparl des critiques modernes, Israël lui-même
parallèle parfait de vu. 13-14, avec vu, is. SB, 27; si
i - pui isan i ennemies de Dieu -..ni bien
•yml lans ce c. vil, par des animaux, la forme
humaine ne peul que symboliser le royaume spiri
tuel des saint d'1 raël ,mbole à symbole ; pareillement,
s'oppose.,. ri de |.i mer, vil, 3, 17. Ce qui vient
sur l 13. un royaume i des royau-
me-; ni n. 44. ni XII, 3. qui traitent pourtant du
DICT. DE T11F.OI.. CATIIOI..
royaume spirituel, ne parlent d'un roi futur, d'un
Messie personnel. Cette interprétation du « lils de
l'homme » fut connue de saint Éphrem et acceptée par
Aben-Ezra. Quelques critiques protestants, tels que von
Lengerke, Bleek, Ewald, et d'autres plus récents,
Boehmer, Reich Gottes und Menschensolin im Bûche
Daniel, Leipzig, 1899; Grill, Untersuchungen ûber die
Enlstehung des vierten Evangeliums, Tubingue, 1902,
Baldensperger, Bousset, Volz, reviennent cependant
au roi Messie de la presque unanime tradition juive et
catholique.
La thèse de l'interprétation critique du livre de
Daniel a été acceptée par quelques écrivains catholiques
contemporains. ïurmel, Etude sur le livre de Daniel
(extrait des Annales de philosophie chrétienne), Paris,
1902; Lagrange, Revue biblique, 190'i, p. 494 sq.. après
d'autres appartenant à la première moitié du XIXe siècle.
Voir Dûsterwald, op. cit., p. 3i.
3° Autres interprétations (pour mémoire). — Le qua-
trième empire serait l'empire mahomélan, les empires
grec et romain étant réunis en un seul, le troisième.
Babbins du moyen âge. Voir Bevan, op. cit., p. 63. —
Hitzig, Heidelbergpr Jahrbûcher, 1832, n, et Bedepen-
ning, Sludien und Kritiken, 1833, p. 863 sq., identifient
ainsi les quatre empires : 1. Nabuchodonosor ; 2. les
successeurs babyloniens de ce roi; 3. les Médo-Perses;
4. les Gréco-Macédoniens. — Pour quelques protes-
tants du XVIIIe siècle, il ne s'agirait pas de quatre em-
pires, mais seulement des règnes des rois babyloniens.
Voir Dûsterwald, p. 36. — Selon Ewald et Bunsen,
Daniel n'ayant pas habité Babylone, mais Ninive, les
empires seraient : 1. assyrien; 2. babylonien; 3. médo-
perse; 4. grec. Voir Dûsterwald, p. 36. — Pour Boehmer,
Reich Gottes und Menschensolm, p. 82 sq., les quatre
empires seraient moins quatre empires distincts que-
quatre phases du règne des hommes, après lesquelles
doit arriver le règne de Dieu.
V. Caractère littéraire. — Le livre de Daniel est une
apocalypse juive. S'il n'est pas tout à fait la première
apocalypse (il y en a de petites dans Isaïe, xi ; xxtv-
xxvii ; Zach., xn-xiv; Joël. Malachie, iv), il est du moins
le premier livre apocalyptique connu de la littérature hé-
braïque. Étant le premier, il a donné le ton aux autres;
et l'on a pu dégager d'eux tous, avec plus ou moins de
bonheur, la caractéristique et comme la définition du
genre. Cf. W. Bousset, Die Offenbarung Johannis,
Gœttingue, 1896, Introduction, i, p. 1 sq. ; Apocahjplih
Ijûdisc fie), dans Realencyclopâdie fur protest. Théologie,
Leipzig, 1896, t. i, p. 612 sq. ; Die jûdische Apokah/ptik,
Berlin, 1903; Baldensperger, Die 7ncssianisch-apokah/p-
tischen Hoffnungen des Judenthums, Strasbourg, 1903;
P. Volz, Jûdische Eschatologie von Daniel bis Akiba,
Leipzig, 1903, part. [, § I, p. i- sq. A ce point de vue,
on peut considérer le livre de Daniel par rapport aux
.mires apocalypses et par rapport aux œuvres des pro-
phètes parmi lesquelles on le range aujourd'hui.
I Daniel et les apocalypses. — Ce que le livre di
Daniel renferme île proprement apocalyptique parallèle-
ment aux autres apocalypses, où tout, non plus, n'est pas
jairemenl apocalyptique, c'est : l.une cosmologie,
une vue déterministe ou providentielle de l'histoire de
l'humanité, présentée en manière de prophétie, e1 par
tant d'une certaine époque choisie par l'auteur jusqu'à
un point d'arrivée considéré comme la fin d'un monde
■ i. Cette vue porte sûr un certain nombre de p.
riodes successives, Ici, concrétisées en quatre empin
à partir du temps .le i exil : Dan., tt. mi sq. ; Apocalypse
de Baruch, xxxu xi , iv Esd., si-xii, la. figurées di
fai nus différente! pour le même cycle restreint : lletioeli
I \x\v-\i:. on pour toute l'Iiistoire du monde el de l'hu-
maniié ; Jubilés, Oracles sibyllins, I. IV, i/7 sq. . kpoca
lypse d'Abrabam, xxixj i\ de Baruch, un sq. ;
II. n- II. \. III Bl ICI, 12 17. Elle Se résout -muent en
IV.
3
67
DANIEL LIVRE DE
68
une computation numérique de la période embi
par le regard prophétique réel mi reinl : compntalion
précise d'intention dani Dan., ix. 24 vq.; vu. 25; nu,
13; xii, 7 M 12 yague, flottante el circonspecte dans
les apocalypses apocryphes, Vita Ad ai, 12; Secrets
d'Hénoch, xxxi, I : Assomption de Moïse, \, 12; Hénoch,
\, 12; Apocalypse d'Abraham, xxix ' ' Hénoch, xvui,
16 : xxi, <i ; IV Esd., vu. :il i. — C'esl : 2. une eschatologie,
sorte di' drame final Bervanl « I « - transition, avec ses di-
verses péripéties, entre le règne du monde ci le < régne
de Dieu », unissant la lin île celui-là au en lentement
île celui-ci. Elle comprend : a) une période de tour-
ments, d'épreuves, île tribulations endurés par le peu pie
île Dieu, Dan., vu. 21. 25; vm, 24-25; ix, 26-27 ; xi,30sq.,
10 sq.j cf. IV Esd., xi-xu; Jubilés, xxiu, 16 Bq.; Apoca-
lypse de Baruch, I.xvm, '2, voire par la terre entière,
l>an., xii, I; cf. IV Esd., v. 1-12; VI, 13-28; ix, l-(i;
xiii, lti sq.; Apocalypse 'le Baruch, xxv-xxix, 2; xi.vm,
30-38; i.xx; Apocalypse d'Abraham, 30; Hénoch, xcix,
4-10; c, lti; b\ un jugement exercé et rendu sur les
peuples et sur le monde le plus souvent par Dieu lui-
même, Dan., vu, 9sq.,26; cf. Hénoch, i-xxxvi ; Jubilés,
ix, 15; x. 17; xxti, 11, et passim; Teslamenl des douze
patriarches, Lévi, 1; Secnls d'Hénoch, xxix. 1; xi.iv,
ii. .">, et passim; IV Esd., xi, 46; Apocalypse de Baruch,
xix, 1 ; i.xxxin, 2 sq.; lxxxv; Apocalypse d'Abraham,
24-25; VitaAdx, 49; Sibyllins, I. III, 53-62; I. IV.
152 sq.; 1. V, 106-110; anéantissement de l'empire du
monde et de ses maîtres, ennemis de Dieu, Dan., vu.
11; il, 44; cf. IV Esd., xi. xn. passim; Apocalypse de
Baruch, xxxvi, 10; xxxix, 7 sq. ; i.xvm, 3,7; Sibyllins,
1. III, 303 sq. ; I. V, 375 sq. ; Assomption de Moïse, x. 7,
damnation des impies et des criminels, Dan., XII, 2,
cf. IV Esd., vu, 80 sq.; Hénoch, XC, 26; Apocalypse de
Baruch, l.l; lin, abolition du mal moral, du péché.
Dan., ix, 24; cf. IV Esd., xii, 25; vi, 27 sq. ; vu. 113 sq.;
Apocalypse de Baruch, i.xxin. 4 sq.; Sibyllins, 1. II,
33; 1. fil, 370 sq.; 1. V, 429 sq. ; surtout Hénoch, x. lti.
20; L, 4; c, 5, etc.; c) la manifestation du royaume de
Dieu, des saints, Dan., n, 14; vu, 27; cf. Sibyllins,
1. III, 47 sq.; Assomption de Moïse, x, 1; IV Esd., \,
16; Jubilés, 1,28; Apocalypse de Baruch, xxi, 23, 25;
Hénoch, XXV, 8, 7. etc.; manifestation où interviennent
principalement à titre de témoins, divers personnages
tels que le « prophète », Hénoch, Moïse, Klie — ici
1' « ange », Dan., vm, 11 (LXX); XII, I (Michaèl); cf.
Assomption de Moïse, x, 2; Hénoch, xc, 20; le Messie-
Itoi. nommé « Fils de l'homme o, Dan., vu, 13 ('.'); cf.
IV Esd., xiii ; Hénoch, xi.vi, de nature plutôt céleste,
préexistant, Dan., vu. 13 (?); cf. IV Esd., xiii, 2ti. 52 :
Hénoch, xlviii, 3, (i; i xn. 7, dominateur, Dan., vu. li .
cf. Apocalypse de Baruch, xxxix, 7; xl, 3; Testament,
Lévi, 8, 18; Sibyllins, I. III. i9; 1. V. ïli; Hénoch, xux,
1, 2, etc.; recevant de Dieu même sa puissance dont la
durée doit être éternelle, Dan., vu, 13, li; cf. IV Esd.,
\n, 32; xiii, 26; Hénoch, i.xn, 7, 11; xlix, 1 sq.; Apo-
calypse d'Abraham, 31; sibyllins, l. m. ;\\ n,,., 652;
I. V, MIS; Teslamenl. l.e\i. IS; Joseph. 19; I aulelir du
livre revenu ou ressuscité, Dan., xn. 13; i-f. Hénoch,
xc. 31; IV Esd., xi\. 9, '.'.i; Apocalypse de Baruch, xiii,
3 sq. ; les justes ressuscites pour la vie éternelle, les
autres pour l'opprobre éternel, Dan., xn, 2, 3; cf. Hé-
noch. XCl sq. ; xxil ; n. I; IV Esd., r?, 35; vu, 28, 32;
Apocalypse de Baruch, xxi, 24; xxx. I Bq.; xxxvi, In.
Testament, Juda, 24, 25; Zabnlon, 10; Benjamin, 10;
Sihyllins. I. IV. 180. C'esl : •'!. une forme parliculù ,;■
sous laquelle soni présentées ces deux vues générales
cosmologique et eschatologique, forme qui achève de
caractériser le genre dit apocalyptique par l'obscurité
voulue dont elle emeioppe les donnée- traditionnelles
ou prophétiques du livre, avec toutefois l'intention
e de ne foire de ces données qu'un Becret relatif
et pénétrable, a quelque époque, a l'intelligence du lec-
teur averti. Dan., xn. 1: mil 26; C». llé-nocli.
Assomption de Mois,-, i, 16 sq. ; x. Il Bq. ; IV Esd
diie obscurité est obtenue principalement par
le moyen de visions, d'extases allégoriques, de prophé-
ties pseudonymiques attribuées au\ ancien» p, ;
• de- l'histoire Israélite dont I.- nom figure dan« le
titre du livre. A ce point de vue, les apocalypses apo-
cryphes ont beaucoup emprunté a celle de Daniel.
j Daniel et letpi livre de Daniel, en
dépit de sa couleur apocalyptique -i prononcée, m- dif-
i, i,. pas essentiellement de- autres écrits prophét
de l'Ancien Testament. Il les continue par un certain
nombre de notions traditionnelles qu'il leur doit, et ne
faii que développer sur une plu- grande échelle la sym-
bolique dont ils usaient déjà à l'occasion. Ainsi
épreuves cruelles qui d< vra subir Israël de la part du
quatrième empire païen se réfèrent a Ézéchiel, xxxvm,
16, 18, et à Joël, iv. 2. 9-1 i; l'idée du jugement de
Dieu contre les nations ennemies est commune aux
prophètes, cf. Amos. i-ii; Isaïe, x; Sophonie, i-ii;
mie, xn. 11; xxv, 15 sq.; Ézéchiel, xxv-xxxn ; .loel. iv,
9 sq. ; de même que celle du royaume linal, cf. Nahum,
H, 1-3; Sophonie. m. 9 sq.; Isaïe, LU, 7; le « I ils
de l'homme » venant sur les nuées, s'il est bien ici
une personnalité distincte, non symbolique, hérite de
l'idéalité du « Boi » de Isaïe, ix, 5: xi. 1-5; Michée, v,
1 sq.; Aggée, II, 21 sq.; Zacli.. VI, 11 sq.. avec, par rap-
port à Michée, v, I, le concept de la préexistence. 1 /• ■
chiel, xxxvu, 11-11. et Isaïe. xxvi. 19. avaient entrevu
la résurrection des morts. Avant Dan., vu. i, 6; vin. 5.
les prophètes Osée. xn. 3; Isaïe, xiv. 9; Jérémie, v. 'i.
xi. ix. 19; i. 17; Zacharie, x. 3. symbolisèrent sous la
figure d'animaux féroces, lions, léopards, ou simple-
ment robustes, béliers, boucs, les puissances bru
du monde païen; après Ézéchiel, XVII, 22 sq.; XIX,
10 sq.; xx.xi. 3 sq., l'arbre vigoureux, aux branches
magnifiques, abritant les bêtes de la terre et les oiseaux
des cieux, signifie la pleine et tranquille domination
sur tous les royaumes. Dan.. IV, 7. Isaïe. vi : Jérémie, i ;
Ézéchiel, i. x. xi. xxxvu, XL; Zacharie. i, avaient eu
aussi des visions allégoriques suivies de leur explica-
tion, et ces visions tirèrent leurs composants du milieu
particulier où vivaient ces prophètes, comme Daniel
emprunta peut-être au mythe indo-persan des quatre
du monde, les quatre métaux symboliques, or,
argent, airain et fer. par lesquels il figura ses quatre
empires. Le « rocher » d'où se détache la pierre qui
brise la statue, Dan., II, li. 15. n'est pas autre que
celui d'Isaïe, wn. In; xxvi. 1; xxxn. 2, après Deut.,
xxxii, i. 15, lequel représente Jahvé lui-même; il la
« montagne i que devient cette pierre, remplissant
toute la terre. Dan., n. 35, parait bien dépendre de la
■ sainte montagne de Dieu . séjour divin a l'Horeb ou
au Sinaï, Kxod., ni, I ; IV, 27; xvm. 5. xxiv. 13; Num.,
s,33; I Beg., \i\. 8, au pôle, Êzech., i, ». ■< Sion, ls.,
II. 2; l.vi. 7; .1er., xxvi.ii; .loel, IV. 17; Abdi.is. 16;
Psaumes. La mer. d'où sortent les quatre animaux fan-
tastiques figures de- empire-. Dan., vil. 3, symbolise.
âpre- Isaïe, xvn. 12. 13, l'ensemble de- nations conju-
. outre Israël, La a corne . symbole de la puis-
sance, Dan., vu. 7; vin. 6, image bien orientale, et les
,, livres produit- au jugement, Dan., VII, In. semblent
toutefois appartenir en propre à l'auteur du livre de
Daniel.
Si l'on veut donc relever en quelque point une dif-
férence réelle entre les livres des prophètes et le pre-
mier des livres apocalyptiques, et, en conséquence,
serrer de plus pns la définition du genre nouveau,
sinon proprement inauguré, du moins arrêté par Da-
niel dans ses grandes lignes, on la trouvera en ceci
que l'auteur d'apocalypse — Daniel — a une vue plus
compréhensive de l'histoire du monde que le prophète.
Ce dernier ne voit qu'une partie de celte histoire, la
69
DANIEL (LIVRE DE
70
future, et, si loin que se porte son regard, il la dépeint
et l'idéalise toujours sur le canevas que lui fournissent
les circonstances sociales, politiques, religieuses de
son époque; ainsi Isaïe, xi, 1-5, pour la monarchie
messianique, Ézéchiel, xl-xlviii, pour la future com-
munauté liturgique, Isaïe, xlii, 1-4; xlix, 1-6; l, 4-9;
lu, 13-liii, 12, pour le serviteur souffrant de.Iahvé, ou
encore, xli, 17-20; xliii, 1-7, pour le rapatriement et
la glorification d'Israël, idéalisent le présent acceptable
ou non de la royauté davidique d'Achaz ou d'Ézéchias,
des petits groupes fidèles des bords du'fleuve Cbobar,
des maux de la captivité, du retour des captifs. Daniel,
au contraire, et ses épigones : Hénoch, IV Esdras, etc.,
veulent embrasser cette histoire tout entière, et ils ne
manquent pas d'adjoindre au tableau de l'avenir qu'ils
conçoivent, du reste, de la même façon que les pro-
phètes leurs prédécesseurs, celui du passé, montrant
que les deux font, avec leurs successions multiples de
rois, d'empires, d'événements remarquables, parties
intégrantes d'un tout ordonné par Dieu et résolvant
toujours sa complexité de la manière prédéterminée
par lui. Ce n'est plus seulement une prédiction du
futur; c'est, en plus, une pliilosopliie religieuse de
l'histoire universelle. Ainsi Daniel voit en réalité ou en
ligure, en vision ou strictement ou fictivement prophé-
tique, selon les diverses interprétations, l'histoire
d'Israël et du monde ancien depuis l'époque de Cyrus
jusqu'aux temps messianiques premiers et derniers; et
il voit briller ceux-ci à travers l'heureuse délivrance,
soit du joug romain, soit des persécutions syriennes,
continuation du joug et des persécutions babyloniennes;
mais le regard du prophète s'est d'abord porté sur
l'empire babylonien lui-même et ceux qui l'ont suivi,
empires déjà disparus ou en train de disparaître, et
par le moyen de quelques exemples bien choisis, sa
plume a marqué, pour le passé, l'oppression qu'ils ont
exercée toujours sur le peuple fidèle (jeunes gens dans
la fournaise, in; Daniel dans la fosse aux lions, vi),
comme aussi l'issue toujours favorable qu'a eue cette
oppression, grâce à la providence de Dieu qui veillait :
ainsi, dans l'angoisse ou présente ou future, l'histoire du
passé esl ou sera le gage précieux de l'infaillible déli-
vrance; ces empires n'ont, du reste, pas été autrefois
-•;ui-. reconnaître l'existence et la puissance du vrai Dieu
ition 'le- jeunes Juifs, i; songe de la statue, II;
songe de Nabuchodonosor, iv; festin de Balthasar, v),
ei cette reconnaissance forcée, amenée par une mani-
festation du pouvoir divin, assure pour l'avenir la glo-
rification universelli 'le Jahvé et de son peuple, vu,
12-14,22, ~l~ . xii, 3; enfin, l'on remonte, en réalité,
plus haut que le siècle chaldéen : les animaux fantas-
tique-, figures des empires, sont les succédanés des
monstri - originels, images des puissances, soit natu-
relles, soil humaines, toujours insurgées contre le ci
leur ei le régenl d unie. Job, xxxviii, 31-32; kxvi,
12-13; Is., li, 9-10; xxx, 7; Ëzech., xxix, 3-6; x.wn.
28, etc.; mais Dieu qui les a vaincus toujours, les
■ pour cela même réduire jusqu'à la lin. Dan., vu,
VI. Caractère historique. — Si le livre de Daniel
peut, pris dan- son ensemble, passer pour une apoca-
il h esl pas inoins vrai qu'il a, de [dus, pour une
bonne partie, l'allure d un ouvrage qui demande el
provoque même I" contrôle historique. Les c. i, iii-vi,
xin el xiv contiennent des récits qui n'ont par eux-
mêmes rien d'allégorique. Ces chapitres, le songe du
e. it et les visions des c. vn-xti sont encadri de don-
chronologiques et dynastiques ayant rapport, soil
■«> royau le breu de Juda, i. I 2, soil au dernier em-
pire chaldéen, n, I; v. 1-2, 30; si, SB; VII, l;vill, 1,
aux empire mède, i\. I . p. ne, \. I . xi. 1-2. et
"t l'explical des visions ■< pour objel
au moins partiel, c ne chacun l'admet, des événe
ments qui se réfèrent à l'histoire de quelqu'un de ces
plus récents empires.
Mais l'histoire daniélique est-elle, en substance, une
véridique histoire? La prophétie apocalyptique du livre
— s'il y eut pourtant prophétie proprement dite et non
plutôt interprétation philosophico-religieuse d'événe-
ments passés — a-t-elle son objet au sein d'une réelle
et véritable histoire? On ne peut assurément relever,
sous ce double rapport, d'erreurs formelles dans le livre
tout entier; les événements historiques annoncés au
cours des derniers chapitres et qui concernent le
développement des empires perse et gréco-macédonien
y sont même revêtus d'une exactitude surprenante;
mais il faut dire aussi que certaines assertions donnent
lieu, dans la première moitié du livre, à de très graves
difficultés : ainsi de la chronologie de Dan., i, 1-2, de
la folie de Nabuchodonosor, iv, 28 sq., de la filiation
de Balthasar au c. v, du personnage de Darius le Mède,
de son accession au trône babylonien et de son règne
antérieur à celui de Cyrus, v, 30; vi, 29; ix, 1. L'exé-
gèse traditionnelle a de tout temps soupçonné ou
éprouvé quelqu'une de ces difficultés, touten s'essayant
à les résoudre. Voir, dans l'antiquité juive et chrétienne,
.losèphe, Anl. jud., X, xi, 2, 4; Conl. Apiun., i, 20;
Origène, dans S. Jérôme, In Dan., P. L., t. xxv, col. 513
sq., 519, 523; S. Jean Chrysostome, In Dan., P. G.,
t. i.vi, col. 219; Théodoret, In Dan., P. G., t. lxxxi,
col. 1362 sq., 1378 sq.; S. Éphrem, Opéra syriaca,
Rome, 1740, t. il, p. 208, 209; au xvne siècle, les com-
mentaires de J. Maldonat, Paris, 1010, de B. Pererius,
Rome, 1587, de J. Tirin, Anvers, 1032, de Corneille de
la Pierre, Anvers, 1681. Parallèlement, en dehors du
christianisme ou de la foi romaine, quelques auteurs
contestaient l'historicité du livre. Celse (ne siècle), le
premier, dans le Discours véritable (A6-,o; kXtfir^),
traita de « fable » le récit de Daniel dans la fosse aux
lions (Dan., vi, ou xiv, 27 sq.), cf. Origène, Cont. Cels.,
vu, 53, P. G., t. xi, col. 1497; Porphyre (232-305), dans
le 1. XIIe des Discours contre Ira chrétiens (K'ara /pta-
tiavùv >.o-,o'.), tint pour invraisemblable le détail de
Dan., n, 46 — Nabuchodonosor « adorant » Daniel —et
pour fictif tout le livre. Cf. S. Jérôme, In Dan., P. L.,
t. xxv, col. 482, 504. Ces objections, ou plutôt ces allé-
gations étaient et demeurèrent sans portée. Au com-
mencement du xxiir siècle, A. Collins en particulier
lesrepril dans The schemeofliteralProphecy, Londres,
1726, p. 143. Enfin, au siècle dernier, les critiques,
étudiant de près le livre de Daniel à l'instar de tous
les livres bibliques, y relevèrent maint détail d'appa-
rence inconciliable avec l'histoire de l'époque chaldéo-
persane suffisamment connue par les monuments. Voir
auteurs et ouvrages énumérés dans rlebbelynck, De
aucloritatr historica libri Danielis, Louvain, 1887,
p. 35, note 2. Les réponses n'ont fait défaut d'aucun
Côté, catholique OU protestant. Cf. HebbelyncU, ibid. ;
Vigouroux, Les Livres saints et I" critique rationaliste,
Paris. 1890. t. iv, p. 310 sq.; Pilloud, Daniel el le ra-
tionalisme biblique, Chambéry, 1890. Depuis une quin-
zaine d'années, les critiques ont renforcé leurs objec-
tions dans leurs c mentaires el autres ouvrages, el
la tendance esl aujourd'hui à trouver l'explication des
anachronismes daniéliques dans une confusion faite
par l'auteur du livre entre les traditions anciennes el
véridiques dont il put avoir connaissance.
Meinhold, 1889; Bevan, 1899 . Behrmann, 1894;
Driver, Introduction, 1897; TheBookol Daniel, 1900;
Winckier, .1 Itot ienlalische Foi n hungi n . 1 s. ne, n, | ,
p. 210 sq.; m, 2, p. '.:;:; s,, (1899, 1901); Marti. 1901,
fondent principalement leurs argumenta sur une in-
terprétation plus stricte des textes lapidaires cliahléii-
ins, Le Dictionnaire île la Bible, Paris, 1897, i. t,
i "i 1280 sq., a répondu ■< cet irguments tels que les
groupés Driver, Introduction, 'dit. de 1891;
71
DANIEL [LIVRE DE
mais des interprètes catholiques, tels que Riessler, Dot
Buch Daniel, Vienne, 1903, et le P. Lagrange, Les
propltétiei messianiques de Daniel, dans la I
biblique, 1004, p. 194 aq., préfèrent maintenant trouver
la solution des antinomies historiques du livre de
Daniel, en dernier ressort et comme en désespoir de
cause, dans le mauvais état relatif do texte hébreu-ara-
niii-n retouché par des éditeurs ou des copistes mal
informés il»' l'histoire ancienne de l'Orient babylonien.
Ainsi, dans Dan.. I, 1-2. où les <■ années » du règne de
Joakim paraissent confondues, cf. II Reg., xxiv, 7;
Jer., xlvi, 2, Riessler propose de lire « le troisième
mois de Jéchonias ». Cf. II Reg., xxiv, 8-16. Dans
lian.. iv, 28 sq., où la maladie septennaire de Nabu-
ebodonosor ne semble pouvoir, malgré l'allusion hypo-
thétiquede Bérose, dans Josépbe, Conl. Apion., i, 20,
et la relation d'Âbydène, dans Eusèbe, Prsep. evang.,
ix. M, 6, P. '■■, t. xxi. col. 761. s'intercaler dans aucune
des périodes de la vie de ce roi bien connue par ailleurs.
Riessler, p. 42-44, 125-126, et Lagrange, loc. cit., p. 500,
liraient volontiers, au lieu de Nabucbodonosor, Nabo-
nide. Annales de Nabonide, col. 2, lig. 5-23, dans
Schrader, Eeilinschriflliche Bibliothek, t. ni, 2, p. 130-
133, où le dernier roi de Rabylone parait dépouillé
momentanément du pouvoir, enfermé << dans Tém;'i i
Il en serait de même dans Dan., v, où Baltbasar est
affirmé à plusieurs reprises « fils » et successeur de
.Nabucbodonosor, contrairement à II Reg., xxv, 27;
.1er., ni, 31; Bérose, Fragment 14 (Mûller-Didot,
Fragmenta historié, grmeorum, t. n, p. 507 sq.), où le
successeur de Nabucbodonosor est Amèl-Mardouk
(Evilmérodacb), et à la petite inscription d'Our. col. Il,
lig. 14 sq., dans Schrader, ibid., p. 97, où Belsharou-
zour (Baltbasar) est fils de Nabonide. Cf. Riessler,
p. 51 sq.; Lagrange, loc. cit., p. 500. Dans Dan., v, 30;
vi, 29; ix, I. où un empire méde, ayant pour chef
Darius le Méde, succède à l'empire cbaldéen, ce qui se
trouverait contredire le Cylindre de Cyrus, lig. 25-36,
et les Annales de Xabonide, col. 3, lig. 18-28, cf.
Schrader. op. cit., t. ni. p. 124-127, où Cyrus succède
immédiatement, Riessler, p. 53, combinant une donnée
des LXX (v. 30) avec la chronologie des contrats baby-
loniens datés du commencement du règne de Cyrus
(Schrader, Keil. BibL, t. iv, p. 261 sq.) identifie Darius
à Cambyse associé par son père au gouvernement,
tandis que le P. Lagrange opine pour Darius, lils d'IIys-
taspe, introduit dans le texte hébreu par une « série
d'altérations ». Loc. cit., p. 501-502.
VII. A.UTEUR. — L'auteur du livre de Daniel serait,
ou bien le prophète de ce nom qui aurait vécu à Iial.y-
lone depuis le début du règne de Nabucbodonosor II
(605-562), sous Évilmérodach (562-560), Nériglissor (560-
556), Laborosoarchod (556i, Nabonide (556-539), jusqu'à
la troisième année au moins de la prise de cette ville
par Cyrus en 539, Dan., x. 1 ; ou bien un Juif du parti
machabéen, écrivant vers l'année 168, sous le règne
d'Ântiochus IV Épiphane.
1° La première de ces deux opinions allègue en sa
faveur, cl comme les plus capables de convaincre, les
raisons suivantes : 1. le témoignage du livre lui-même :
a) ses affirmations touchant la mise par écril des \i-
sions par le prophète qui en fut favorisé, vu. 1, voire
de tout le livre, xn, 4; l'emploi continuel de la pre-
mière personne dans les c. vn-xii. très souvent par la
formule ■< moi, Daniel », et, pour la première partie,
i-vi, la façon minutieuse dont les événements v sont
rapportés, ainsi que les discours : souci du détail qui
trahit, dit-on, le témoin contemporain, voir Hebbe-
lyncli. De auctoritate, p. 10 sq. : Dictionnaire de la
Bible, t. i, col. 1257; — b) « la coïncidence merveilleu-
sement exacte qui existe entre les données du livre,
données historiques, archéologiques, orientales, et ce
que nous savons sûrement d'ailleurs, Dictionnaire
dv ta Bible, t. i. col. 1257-1259, et les auu
— 2. les témoignages de la tradition jui\ <
tienne : a) allusion de Zacharie en 520-518), i. 1-
1-7. aux quatre empires décrits dans Dan., n et vu;
// emprunts faits a Dan.,ix, 5-20 par Kéhémie
444-432) et les lévites ses contemporains dans les prières,
Ni h., i. ."(-11. ix. 6-37, Hebbelynck, p. 44-46; cf. pour-
tant Dictionnaire de la Bible, t. i. col. 1259; — c \
Bence du livre dans le canon juif palestinien de»
Ecritures qui- l'on dit. sur la foi du IV« livre d'Esdras, xiv,
et du Talmud, Baba bathra, lia, 156, clos par Esdras
MO), Hebbelynck, p. 55 sq.; -- <i emprunt fait à
ce livre par les oracles Sibyllin-. I. III. :>an.,
vu, 7. 8, 11, 20 , vers l'an 170; — e) allusion de Matha-
thias, dans son discours, I Mach., Il, 59. 60, aux faits
concernant Daniel et ses compagnons (Dan., in
comme à des exemples <■ anciens >•, Hebbelynck. ;
Bq- î — f> conviction deJosèphe, Ant.jud., X. xi. 7; Bell.
/"-/., I. IV. c. vi, 3; I. VI, c. n, 1. Hebbelynck, p. 50
des évangélistes, Matth., xxiv. 15; Marc. xni. 1». Heb-
belynck, p. 61 sq. ; des réfulateurs de Porphyre ; Métbo-
dius, Apollinaire, Kusèbe. cf. S. .brome. In Dan.,
/'. /.., t. xxv. col. 191 sq., 580; de Tbéodoret, lu Dan.,
vu. /'. G., t. i.xxxi. col. 1111; de la tradition chré-
tienne jusqu'à nos jours. Dictionnaire de la Bible, t. i,
col. 1260.
2° L'autre opinion, qui se rattache à Porphyre, cri-
tique d'abord ces témoignages, puis apporte ses raisons.
— 1. Critique. — a) La mise par écrit des visions ou
révélations, l'emploi de la première personne dans le
récit, le rapport circonstancié des événements sont
choses communes dans les apocal ne les em-
pêchent pas d'être pseudonymes, pseudépigraphes, apo-
cryphes. — b) La coïncidence des données du livre
avec nos connaissances archéologiques et historiques
de l'époque cbaldéo-persane est précisément sujette à
caution. Bevan, p. 15-22; Driver. Introduction, p. 498
sq. — c) Les ell'orts des apologistes à trouver dans la
littérature juive prémacbabéenne « des traces du livre
de Daniel » sont jugés « désespérés », et les résultats,
de l'aveu de ces apologistes, n'en sont point concluants.
Bevan, p. 13. Cf. Hengstenber-, Die Aulhentie des
Daniel, 1831, p. 277; Dictionnaire de la Bible, t. î.
col. 1259. — d) Le canon des écrits prophétiques
n'ayant pu être clos qu'après l'exil, il est inexplicable
que le livre de Daniel, s'il existait alors et devait être
connu des Juifs, n'ait trouvé place que parmi les h. bio-
graphes et n'ait pas été mentionné par Eccli.. xuv-i.,
parmi les écrits des prophètes. Bevan, p. 11 si].; Dri-
ver, p. 497 sq. — e) Le témoignage des oracles sibyl-
lins, 1. III. doit être descendu jusque vers l'an lin.
la référence de I Mach., n. ne prouve pas que le livre
de Daniel ait existé comme tel avant l'an 168, Matba-
thias invoquait plutôt des souvenirs traditionnels.
Bevan, p. 1 i — f) La tradition juive postmachabéenne
et la tradition chrétienne ne tirent pas plus de diffi-
cultés à croire le livre l'œuvre du prophète Daniel
qu'elles n'en firent à croire les apocalypses apocryphes
ouvris d'Hénoch, d'Adam, de Moïse. d'Abraham, etc.
2. A celte critique s'ajoutent les raisons suivantes :
— a) Il serait surprenant que Daniel, avant la conquête
de Cyrus, ait. pour décrire les institutions chaldéennes,
fait usage de mois persans tels qu'il s'en trouve dan^
les livres d'Esdras et Néhémie, d'Esther, des Cbro-
niques, el de mots grecs. Driver, loc. cit., p. 501 sq.
— b) l.'arameen et l'hébreu du livre sont d'époque
beaucoup plus récente que le vi* siècle. Driver, p
sq. — e i Les doctrines du livre sur le Messie, les
anges, la résurrection, le jugement du monde, » appa-
raissent par le i ton général l et surtout par la façon
plus claire dont elles sont traitées — ce qui accuse, par
rapport au temps de l'exil et .i l'époque immédiate-
ment antérieure, une période nécessaire de développe
73
DANIEL (LIVRE DE
74
ment — contemporaines du livre d'Hénoch (vers 100).
— d) L'époque machabéenne, le règne d'Antiochus
Épiphane, Antiochus lui-même et ses entreprises im-
pies et tyranniques étant visés dans les principaux
passages du livre, vu, 8 sq., 20 sq.; vin, 9-14, 23-25;
ix. 27; xi, 21-45; xii, 1, 7, 11-42, et décrits avec une
précision remarquable inconnue jusqu'alors chez les
prophètes; tout le livre lui-même, avec les consolations
«t les encouragements qu'il apportait aux Juifs mal-
heureux de cette époque de trouble et d'épreuves,
venant alors à son adresse avec un à propos admirable,
on s'étonne qu'il ait été écrit à Babylone, quatre
cents ans avant l'année où il pouvait seulement être lu
■et compris utilement, et qu'il ait été « caché » ce temps
durant au peuple juif, pour n'être publié qu'au n* siècle.
Dan., xii, 4. Ne vaut-il pas mieux admettre qu'un écri-
vain, contemporain des Machabées, s'est mis, « par une
fiction littéraire » propre aux auteurs d'apocalypses, « à
la place d'un personnage célèbre » dans l'antiquité
juive, de Daniel (Ezech., xiv, 14, 29; xxvm, 3), et,
groupant dans un livre d'anciens souvenirs tradition-
nels propres à inspirer confiance en la divine provi-
dence de Jahvé à l'égard des siens (Dan., i-vi), a voulu,
pour relever le courage de ses compatriotes, joindre
ces souvenirs consolants à un tableau — tracé dans le
style et la manière prophétiques — de son temps si
éprouvé? Le procédé serait identique à celui auquel
nous devons, sous le nom de Salomon, la Sagesse et
l'Ecclésiaste. Driver, op. cil., p.508sq.; Tunnel, Étude
su/- /<• livre de Daniel, Paris, 1902, p. 27 sq.
VIII. Enseignements doctrinaux. — /. dieu. — La
plupart des attributs divins sont affirmés ou enseignés
dans le livre de Daniel, et Dieu y reçoit des noms
variés et appropriés à ses attributs : D est le Dieu
éternel et immuable, iv, 3, 34; vi, 26; le « Dieu vivant»,
1' « ancien des jours », vu, 9, 13, 32, qui « subsiste à
toujours »; le Dieu provident qui soutient et gouverne
à son gré le inonde, qui a tout « dans sa main », iv,
17. 35; v. 23; vi, 27, et que l'on nomme pour cela le
Très-Haut, le Dieu suprême, le Seigneur des cieux, v,
18, "23; le Dieu sage et omniscient qui « connaît ce qui
est dans les ténèbres, profond et caché », n, 20 sq.; le
Dieu fort, omnipotent, qui « dé-livre et qui sauve ». n-
21 : ni. 17. 29, qui fait des « signes et des prodiges »,
iv. 2. 3; vi. 27; le Dieu saint et juste, iv. 37; IX. 7, 14,
bon el miséricordieux, i\, .">. 9, fidèle à sa parole, i.\,
12. Sa transcendance y est surtout marquée : Dieu est
au-dessus du monde créé et non compris en lui, puis-
qu'il est le < i)i< m du eiel g et le « Dieu des dieux »,
ti. 19, 28, 37, 4t. i.">, i7. le g prince de l'armée » nies
cieux et de la terre. Gen., n. 1 1, le a prince des
princes », vm. Il, 25, el puisque cessant de gouverner
immédiatement le monde el d'opérer directement par
lui-même le ^alut de son peuple, il se remet <le ces
deux fonctions à îles intermédiaires : anges, iv, 13 sq.,
31, m. 22. \. 13, 21; vu. I . fils «le l'homme, \n, 13-
11; vin, 15-16; \. ."., 13, 20-21; xn, 6 sq.
n. inges. - L'angélologie du livre de Daniel n'est
aucunement due ■> l'inlluence persane . car, outre qu'âne
influence de cette --.Mie sur l'Ancien Testament n'est
| rouvi '■. chacun des points de la doctrine du livre
sur i i son précurseur dans quel. pie écril
biblique plus ancien, lei. les anges onl leur personna-
lité distincte .< rii i-m. . par des nom- propres, \m. 18;
ix, 21 . x. 13, 21 . xn. I , leur i isidence habituelle
le ■ ciel . on ils for ni assemblée autour «lu Très-
Haut, iv. 13, 17. cf, .lob. i, il; x\. s. Jer., sxm, 18;
•.xxix. 8; ils '•ont hiérarchi» . il- onl de
\. 13: xn. I . f .los., v. 13 15; />. i... i. h sq.j m. i
leurs fonction i ner le moud.
la direction divine, el .. exécuter les ordre* de lu. n . n
Jl ■-':!. ou .'n servit
vm. 10 sq.; nombre d'entre eux oui angi ■. irdien
peuples païens, x, 13, 20, et d'Israël, x, 21; xn, 1,
combattant pour eux et les défendant. Cf. Jud., V, 20;
ls., xxiv, 21; Exod., xiv, 19; Num., xx, 16.
/;/. messie. — Suivant l'interprétation traditionnelle,
sa nature divine et sa préexistence sont marquées par
sa s venue sur les nuées du ciel », vu, 13; cf. Exod.,
xl, 34; ls., xiv, 1, 4, etc., et sa mission divine par son
caractère de « oint », à l'instar des rois, des prêtres et
des prophètes, ix, 26. L'objet de cette mission se définit
par la rémission des péchés, la justification, la fonda-
tion de l'Église (onction du saint des saints), ix, 24, et
la manière dont elle sera réalisée est indiquée dans la
mort du Christ ou oint, ix, 26. L'époque de la réalisa-
tion est fixée, ix, 24-27. Le Messie est le chef du royaume
de Dieu, vu, 14.
iv. eschatologie. — Interprétation traditionnelle. —
1° Antéchrist. — Sa personne : un roi, vu, 20, 24; xi,
21; son caractère : orgueilleux, impie, vu, 20, 25; xi,
28, 30, 32, 36, pourtant idolâtre, xi, 38; son œuvre :
persécution des saints, des justes, vu, 21, 25; xi, 33;
séduction des faibles, des apostats, xi, 30, 32; destruc-
tion du culte sacré, profanation du sanctuaire, xi, 31 ;
sa ruine finale, au jugement, vu, 26; xi, 45. — 2° Juge-
ment. — Présidé par Dieu lui-même, vu, 9; instruit
par des « juges » (?), vu, 10; rendu sur toutes les na-
tions, vu, 11-12. — 3" Second avènement du Christ
« sur les nuées du ciel », vu, 13-14. — 4° Résurrection
des morts, bons et méchants, xn, 2, et séparation des
uns et des autres. — 5° Vie éternelle et récompense des
fidèles et des « docteurs en justice » par la lumière
céleste, xn, 2-3; damnation et châtiment des pervers
par la honte et l'opprobre éternels, xn, 2.
IX. Commentateurs. — 1° Anciens. — 1. Dans l'an-
tiquité chrétienne (m'-viil6 siècles). — Grecs : S.llippo-
lyte (Rome vers202-20't), fragments, Hippolytus Werke,
t. i, Exegetische Schriflen, édit. Bonwetsch et Achelis.
Leipzig, 1897; cf. P. G., t. x, col. 638-700; S. Jean
Chrysostome (?), P. G., t. i.vi, col. 193 sq.; Polychro-
niusd'Apamée (ve siècle), fragments dans A. Mai, Scri-
ptor. vet. nova colleclio, Rome, 1825, t. i b, p. 137 sq.;
Théodoret de Cyr (vc si-ècle), Commentarius (yjtd-
HVT][ia) in visiones Daniel, P. G., t. i.xxxi, col. 1256-
1549; Ammonius d'Alexandrie (m? v siècle), frag-
ments dans A. Mai, op. cit., t. i b, p. 212 sq.; cf. P. G.,
t. lxxxv, col. 1364-1381 Syrien : S. Epbrem, Ex-
posiHo in Daniel, dans Opéra omnia syriaca, Rome,
1740, t. n, p. 203-2:53. — Latin : S. Jérôme, Commcn-
tariorum in Danielem liber unus, P. L., t. xxv,
col. 513-610. — 2. Au moyen âge (ix*-xv* siècles),
Walafrid Strabon (îx' siècle) emprunte au commen-
taire de saint Jérôme sa Glossa ordinaria sur Daniel ;
Albert le Grand (XIIIe siècle), Exposilio in Dan., dans
Opéra, Lyon, 1658, t. vm; Nicolas de Lyre (XIV siècle),
Poslillœ perpétuée sire prssvia commentaria in uni-
versa Biblia, Rome. 1171-1472; Thomas Vallcnsis
(xv* siècle), Exposilio aurea in Dan ophetam,
dans S. Thomas Aquinalii opéra, Paris. 1660, I. xix.
p. 5-57; Paul île Sainte-Marie de Burgos (xv siècle),
Additiones aux Posiillx de Nicolas de Lyre, dans
Biblia sacra cum Glossa ordinaria, Venise, 1603. —
Commentateurs juifs : Saadia i\" siècle), copie frag-
mentaire à la Bodléienne; V. Ilm Ali (vers 1000), arabe,
..ht el Irad, Margoliouth, Oxford; Raschi \i siècle);
\l.en-l./ra xn siècle); Abarbanel ..xv siècle).
■ï Modernes. A partir du svt siècle : -l. Maldonat,
Conim. m Je,., Bar., Ezech., Danielem, Paris. 1810;
II. l'inio. /// divinum vatem Danielem commentarii,
Cofmbre, 1582; l'.. Pererius, Commentaria m /'
lem, Rome. 1587; •'■. Sanctius, Comm. m Dan. /
phetam, Lyon, 1612; Corneille .le la Pierre, Comm.
m m /./ ophetat i- a . invers, 1684; I. Tirin, Comm,
n, tacram Script., Lyon, 1678, tin. Didacusde Celada,
Commentarius litleraliset moralisin Susannam Danie-
DANIEL LES SOIXANTE-DIX SEMAINES IM' PROPHÈTE
. , Lyon, 1656 Protestants, aux xvi1 el vni' siècles
Luther 1530), CEcolampade (1530), Mélanchlhon I
Calvin 1563 Draconites (1544 . Strigel [1566), Wigand
(1571 . Polycarpi i i 1609 . Martin Geier I 11
Hugo Grolius (1664 , Balthasar Bekker (1688).
Calmet, Commentaire littéral, 2 ■ dit.. Paris, 1726,
t. vi, p. 689-691; L. de Carrières, Traduction fran>,
de la Bibl commentaire littéral, Paria, 1701-
1710. dans Sainte Bible et les commentaires tir Jean
iv siècle, Paris, IH'iT. i. iv).
.'!■' Contemporains. — 1. Catholiques. — Dereser,
Vie Propheten Ezechiel und Daniel ùbersetzt und er-
klârt, Francfort-sur-le-Mein, 1810; 2« édit., Scholz,
1835; Allioli, Die heilige Schrift, Nuremberg, 18M4,
t. iv ; G. Palmer, Commentatio in librum Danielis pro-
phetœ, Rome, !S7i; holding, Dos Buch des Propheten
Daniel, Mayence, 1876,'Trochon, Daniel, Paris, 188-2;
.1. Fabre d'Envieu, Le livre du prophète Daniel,^ in-8°,
Pari s, 1889-1891 : Knabenbi r, Commenlarius m Da-
nielem prophetam, Paris, 1891; Fr. S. Tiefenthal, Da-
niel explicatus, Paderborn, 1895; Hiessler, Das Buch
Daniel erklârt, Vienne, 1902. — 2. Protestants. — 11a-
renberg, A ufklârung des Bûches Daniel, Quedlinbourg,
I77:i; Zeise, Ubersetzung und Erklàrung des Bûches
Daniel, Dresde, 1777; Bertholdt, Daniel ùbersetzt und
erklârt, Erlangen, 1806, 1808; Hâvernick, Commentar
ûberdas Buch Daniel, Hambourg, 1832; Rosenmûller,
Scholia in Vet. Test., part. X, Leipzig, 1832; Von Len-
gerke, Dos Buch Daniel, Kœnigsberg, 1835; llitzig.
Das lluc/i Daniel, Leipzig, 1850; M. Stuart, Commen-
tary on lin- book of Daniel, Hoston, 1850; Pusey,
Daniel the Prophet, Oxford, 1865; Desprez, Daniel or
the Apocalypse of the Old Testament, Londres, 1865;
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Propheten des Allen Bundes, Stuttgart, 1841-1868, t. m;
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Schwerin, 1868; Kranichfeld, Das Buch Daniel erklârt,
Berlin, 1868; Keil, Biblischer Commentar ûber den
Prop h. Daniel, Leipzig, 1869; Zockler, Der Prophet
Daniel, Leipzig, 1870; Fuller, Daniel, dans Holy Bible,
Londres, 1882, t. vi ; M einhold, Daniel, dans Commen-
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bridge, 1892; Behrmann, Das Buch Daniel, Gœttingue,
I8!ii ; Ferrar, The book of Daniel, l,x;>.">: Prince. .4 cri-
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1899; Driver, The Book of Daniel, Cambridge, 1900;
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p. 758-782; E, Philippe, dans le Dictionnaire de ta Bible, t. Il,
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t. il, 2, p. 466-517; .1. Fabre d'Envieu, Le livre du prophète
tel, Paris, 1888, i. I, Introdution critique; E. B, Pusey,
Daniel, the prophet, nine Lectures, Londres, 1869; S. R. Driver,
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Btein, Berlin, 189i 52; G. Wildeboer, l>ic Literatur des
• i /'., 2* édit., Gœttingue, 1905, p. 135-444; C.H. CorniU, Einlei-
i 4' édit., Fïiboui' tu et Leipzig,
p. 210-216; n. 1. - rack, Einleitung in das .t. '/'.. 6
Munich, 1906, p, 158-161; C. II. II. Wright, Daniel andhit
phecles, Londres, 1906; L. Gautier, Introduction h VA. T., Lau-
sanne, 1006, t. n. p. 260-805; Kirchenlexikon, l m, col
\die, i. rv, p. 145-467; Encyclopmdia
biblica di I dri 1899, t, I, col. 1002-1015; i D
nary ofthe Bible de Rasttogs, Edimbourg, 1898, L i, ]». 551-667.
I.. lin. m .
II. DANIEL (Les soixante dix semaines du prophète).
Celle prophétie des semaines i suit, Dan., ix, 21-
27. la pi n iv où tout «'n Implorant la divine merci pour
Jérusalem détruite el pour son peuple captif, le voyant
de Babylone a établi qu'Israël avait gravement offensé
Dieu, 5. 7-8, (1-13, 15; qu'il avait toujours mépris*
remontrances de ses prophètes, 6, 9, 10, 14, et que pour
cette raison il te trouvait présentement puni pai
clavage el la ruine de son U mple, 16-19. Elle n pond i
cette prière tripartite par la triple promesse du
don du péché inaugurant le règne de la jp
éternelle », du i scel de la vision et du pro|
1 onction du saint des s- : i i r 1 1 - », 24. Elle parait confir-
mer aussi une intuition du voyant sur ■ '.
m- de la captivité alors pris de leur lin. 2; par la fixa-
lion d'un délai de i soixante-dix semaines i pour I ac-
complissement de cette promesse, 2i. Elle divise enfin
ce délai en périodes de longueur très inégale, mari
chacune par un ou plusieurs événements capitaux. 25-
27. Selon que l'on ponctue différemment, dans le livre
hébreu, le milieu du i. 25. ces périodes sont au nombre
de deux ou de trois. I»,- deux — soixante-neuf sema
septel Boixante-di semaine >: soixante-
neuf jusqu'à l'avenenient. ou l'apparition SUI
de l'histoire, d'un Oint-prince i ensuite ■ exterminé
après les soixante-deux semaines »; une qui voit •
complir d'autres événements importants, d'un carac-
tère plus général, en rapport avec la destinée du culte
mosaïque et du peuple juif lui-même : division indiquée
par les versions de Tliéodotion et de saint Jérôme. De
trois — sept, soixante-deux, et une semaines: sept, B]
lesquelles apparaît 1' i Oint-prince >; soixante-deux,
au cours desquelles Jérusalem se trouve « rebâtie », et
t après » lesquelles un i Oint est exterminé » ; une.
enfin, la dernière, déjà définie : division marquée par
le texte hébreu inassorélique. Il convient d'obs>
pourtant que ce texte peut encore, au début du >. 27.
s'interpréter soit d'un seul sujet : « un prince qui
vient » ou « son armée • (26), sujet agissant dan- toute
la série des événements rapportés à la den une;
soit aussi de 1" « oint exterminé' » du \. 26, sujet d'une
partie d'entre eux, de ceux qui concernent V « alliance »
et le « sacrifice » mosaïques.
Xous laissons de côté l'interprétation de celle pro-
phétie que l'on appelle eschalologique, parce qm
fauteurs appliquèrent la chronologie des versets 24-27
à une période historique qui devait, ou qui doit même
encore, se terminer à la fin du monde. Quelque forme
particulière qu'elle ait revêtue, celte interprétation était
ou est inadmissible, parce que invérifiée ou arbitraire.
Ainsi l'exégèse d'Apollinaire de Laodicée. dans saint
Jérôme. Comm. in Dan., P. L., t. xxv, col.
d'Hésychius, dans saint Augustin, Epist., CXCTII, I;
cxcvin, 5, P. L., t. XXXIII, col. 899, '.M.M, comptait les
soixante-dix semaines à partir de la naissance du Christ
et plaçait la fin des temps vers l'an 490 de notre
Ainsi Ammonius d'Alexandrie, dans Mai, S< ripior. vet.
nova collectio, I. l, Catena in Danielcm, p. 212. et
/'. c... t. i.xxxv, col. i:>77; S. (renée, Cont. hatr.,l. Y.
r \x\. n. 1. /'. (... t. vu. col. 1191 ; s. Hippolyte, In Do».,
iv. 34, Bonwetsch, Hippolytus, dans Die griechischen
chrisllichen Schrifsteller, Leipzig, IS'.C. I. i. p. 278,
In Dan. et Anticiiristo, i->. Achelis, Bippolytu», ibul..
i. i. p. 27: .Iules Africain (selon Apollinaire . cf. S
réme. loc. cit.. col. 848; le pseudo-Cyprien, !><■ Pou
computus, 13, 14, dans !.. Il.irtel. Ci/priani
,,,,: Corpus seriptorum ecclesiasticorum latinoi
Vienne, 1871, t. me, p. 281-262; Victorin de Pettau,
Scholia in Apocalypsin,P. L.,l. v, col. 339; s. llil.iire.
fa Hatth., /'. /... t. ix, col. 1054; s. Ambroise, I
silio Evang. sec. Lucani, /'. /... t. xv. col.
détachèrent, contrairement aux exigences du texte, la
dernière semaine de- soixante-neuf finissant au temps
du Christ, p.ur la reporter à ceux de l'Antéchrist.
I ntin. parmi le- théologiens el critiques protestants
modernes, Kliefoth, Dos Buch Daniels, Schwerin,
et Keil, Comm. û6er don Proph. Daniel. Leipzig,
1869, étendirent jusqu'à la fin du monde cette longui
77
DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE
78
période de semaines, idéalisant celles-ci en périodes
indéterminées, ou les tenant pour des périodes jubi-
laires de cinquante années.
Nous écartons également de notre route les opinions
aussi peu justifiées d'Origène, In Matt/i., comment,
séries, 40, P. G., t. XIII, col. 1656, qui estime chaque
« semaine » équivaloir à 70 ans; de Jules Africain, cité
par Eusèbe de Césarée, Eclogae propheticx, 1. III,
c. xlvi, P. G., t. xxii, col. 1 177, lequel auteur donne à
la soixante-dixième semaine la valeur de 70 ans et la
place entre l'ascension du Christ et la mort de l'apôtre
Jean; de lîruno d'Asti, Homil., cxn, P. L., t. ci.xv,
col. 832, qui vit dans la première septaine des semaines
de jours et reporta au temps de l'Antéchrist, comme
les eschatologues, la dernière semaine; du quidam sa-
pienlissimus Jndseorum, que l'auteur anonyme du
Traclatus contra Judueum, P. L., I. ccxiii, col. 785-
786, assure avoir compté 49 ans pour chaque semaine;
de .1. K. Hofmann, Die 10 .lahre des Jerem. und des
Ban., Nôrdlingen, 1836; de C. Wieseler, Die 70 Wo-
c/ien des Proph. Dan., 1839, et de Franz Delitzsch,
Realencyclopàdie de Herzog, édit. 1878, t. m, p. 477,
qui intervertissent les séries : 62 + 4 + 7.
Les « semaines » du prophète Daniel doivent être
tenues, d'après la logique du texte et selon la plupart
des interprètes, pour des semaines d'années. Voir spé-
cialement Hebbelynck, De aucloritate historica lib.
Dan., Louvain, 1887. Appendix, Jnterpretatio vaticinii
de /v.v hebdomadis, p. 320 sq.; Knabenbauer, Comm.
ht Dan. proph., Paris, 1891, p. 231; Bevan, A short
comni. on thebooh o[ Dan., Cambridge, 1892, p. 141 sq.
Pour les mêmes raisons, les promesses du y. 24 s'iden-
tifient aux biens messianiques; cette identification
s'impose aussi comme résultant de la comparaison de
ce verset avec d'autres prophéties incontestablement
messianiques. Cf. Hebbelynck, ibid., p. 328, 340 sq.;
Knabenbauer, ibid., p. 234 sq. On ne discute que la
question <l ornent précis de l'histoire d'Israël où,
dans le sens premier et direct de la prophétie, ces biens
doivent se réaliser. Ici. deux interprétations. L'une tra-
ditionnelle et unanime, ou peu s'en faut, dans l'Eglise
catholique ; les biens messianiques seront apportés par
Jésus-Christ venu à peu près exactement et mis a
mort vers la fin des soixante-neuf premières semaines
Il L'autre, très ancienne aussi, sinon la plus an-
cienne, et critique : l'oracle daniélique situe la réali-
sation des biens a li^sue de la persécution exercée, au
mile u du n siècle avant noire ère, contre les Juifs
restés fidèles .i la religion et aux coutumes de leurs
ancêtres, par Antiochus Kpiphane (III). A condition
d'être entendue au sens spirituel et typique, cette inter-
prétation demeure messianique el D'infirme nullement
la preuve théologique de la divine mission du Chris)
que l'apologétique chrétienne et catholique a de tout
temps instituée d'après celle prophétie, preuve dont
nous voulons d'abord (I) retracer l'histoire.
I. Histoire i logiqi e de la prophétie des i xx se-
maines. — I" L'antiquité chrétienne appliqua de bonne
heure au Christ et à l'instanl de sa venue l'oracle divin
communiqué an prophète par l'ange Gabriel. Elle en lit
an usage heureux el constant dm- --es œuvres, soit de
pure édification, soil de conti nive el païenne.
A la fin du n siècle, Clément d'Alexandrie, Strom., i,
21 P G., i. Vin, col. 853, s'occupant de philosophie
religieuse el non de polémique, el voulant néanmoins
montrer l'accord de l'histoire biblique el de l'histoire
profane, assure que l'oracle de Daniel s'est accompli
ii l que i avail énoncé le prophète le Christ notre
■ un 'i in s les soixante-deux se
ml l.i i b. m en -.> personne de l'Espril di
La méim doctrine est affirmée avec une mien
lion directement apologétique pai Tertullien, Adv.
Judœoi, c. vin, /-. /... i. n. col. 612-010. Saint Hippolyle,
In Dan., iv, 32, Bonwelsch, Hippohjlus, t. i, p. 270,
compare la loi nouvelle inaugurée par le Christ à la
loi ancienne ou « première » donnée par Moïse aux
enfants d'Israël : celle-ci fut promulguée « après 434 ans »
de servitude égyptienne; « pour que le peuple put
attendre celle-là et les croyants la reconnaître aisé-
ment, il fut nécessaire qu'elle s'établit après le même
laps de temps » (soixante-deux semaines d'années)
faisant suite à la captivité de Babylone. Avant de com-
puter les semaines, Jules Africain, Chronographia, XV,
P. G., t. x, col. 80-81, harmonisant l'histoire judéo-
chrélienne et les traditions des peuples païens, observe
que a ces choses sont dites de l'apparition du Christ
qui doit se manifester clairement après soixante-dix
semaines »; ces choses sont les biens messianiques
énumérés au jl. 24 et « qui n'existèrent point avant
qu'apparut notre Sauveur ». Origène, ënumérant les
prophéties accomplies en la personne de Jésus-Christ,
n'oublie pas que « selon Daniel, soixante-dix semaines
se sont écoulées jusqu'au Christ », De principiis, iv,
n. 5, P. G., t. xi, col. 349, « venu pour bâtir » son
Eglise. In Mallli. comment, séries, 40, P. G., t. xm,
col. 1656-1658. Bien que l'auteur du De pascha com-
pulns, n. 18, loc. cit., p. 265, ne se fût proposé d'autre
but que de fixer, ou mieux de rectifier, le canon pascal
par de nouveaux calculs fondés sur la chronologie
biblique, il marqua néanmoins que, « une fois complets
les 434 ans contenus dans les soixante-deux semaines,
il fallut que le Christ naquit selon la chair. » Eusèbe
de Césarée a « établi la vérité en ce qui concerne la
venue du Christ » par l'application d'« une prophétie
réalisée lors de l'apparition de notre Sauveur Jésus-
Christ » : ce que le « livre de Daniel » a annoncé'
« après avoir très clairement fixé le nombre exact des
semaines qui devaient s'écouler jusqu'au Christ roi...
s'est manifestement réalisé lors de la naissance de
notre Sauveur ». H. E., 1. I, c. VI, P. G., t. xx, col. 89.
Cf. Eclog. proph., 1. III, c. xi.vi, P. G., t. xxn,
col. 1184; Démons tr. evang., 1. VIII, c. n, P. G., ibid.,
col. 601 sq. Dans son Discours de l'incarnation du
Verbe, P. G., t. xxv, col. 165, saint Athanase, pour
convaincre les Juifs de la venue du Messie, cite la pro-
phétie des semaines, et argue : Jérusalem ne subsiste
plus, la prophétie juive est désormais muette; or, selon
Daniel, ce dut arriver avant l'apparition du Messie;
celui-ci est donc maintenant venu. Saint Cyrille de
Jérusalem cherche à prouver aussi par la prophétie
des semaines que le Messie est venu, Cat., xn, 19,
/'. '.'., t. xxxui, col. 748 : - i83 ans se passent..., vient
le chef étranger, au temps duquel est né' le Christ. »
Au I. Il de son Historica sacra {Chronicorum libri
duo), P. L., t. xx, col. 132, Sulpice Sévère relève « les
visions » de Daniel qui nous ont « révélé l'ordre des
siècles futurs, ont embrassé le nombre des années au
cours duquel le Cbrisl devait descendre sur la terre.
Ce qui eul lieu en effet. »
Dans son .")'■ Discours contre les Juifs, n. 7, /'. G.,
i. xi .vin, col. 593. sq., sainl Jean Chrysostome a fait
usage delà prophétie des semaines surtout pour établir
que Jérusalem ne serait jamais plus rebâtie; mais
lu Mat th., homil. IV, n. 2, /'. G., I. i.vn, col. 12. il a
parlé de i celui que le prophète Daniel avail annoncé-
devoir venir au monde apn - ces semaines si fameuses,
au nombre précis... : qu* i ou compte, en efiel, les
années écoulées depuis le rétablissement de Jérusalem
jusqu'à Jésus-Christ, et l'on trouvera que leur nombre
concoi' menl avec le nombre révélé par l'an
Daniel , Répondant à l'évéque de Salone, Hésychius, qui
l'interrogeai tsur la portée des semaines du bienheureux
Daniel ». Epist., cxcviti, T. /'. / . i. xxxiii, col. 904 sq .
saint Augustin, Epis t., i m i\. 20, 21, col, 911-912. in
roque le sentiment de tant de commentateurs... qui
dé nlrent, non wnlemenl par le calcul des temps,
79
DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE
NO
maù encore par lea événement! mêmes... que la
phétie a trouvé son iccomplissemenl dans le premier
avènemenl du Seigneur >, el il conclut On ne doit
pas attendre l'accomplissement de celte prophétie d<-
Daniel comme si on ne croyait pas qu'elle lui alors
accomplir. Contemporain de l'évéque d'Hippone,
l'auteur du De proniissionibus et prœdictionibu Dei
part. II, c. x\xv, P. /.., t. u, col. 811, * n'attend plus
ct'l accomplissement : « l'erreur des .luifs est ainsi
confondue, a Selon Maxime de Turin, Serin., x.xi, /'. /...
t. i.vn, col. 573. Daniel, i prophète manifeste de la
ruine de Jérusalem, s ne fut pas moins • conseil ni di
la venue du Christ; » et pour clore cette liste des té-
moignages des Pères proprement dits, saini Isidore de
Séville revient plusieurs fois sur celle idée que, dans
l'oracle des semaine-, le Christ i nous est montré à
sa naissance et à sa mort, a De fide cathol., 1. I, c. v,
n. 6-8, /'. /.., t. i.x.xxm, col. 161-462. Cf. 1- I. c. xi.iv.
n. 4; I. II, c. x, n. I, col. 189, 516.
2° Les écrivains du moyen âge, clironographes,
commentateurs, apologistes surtout, engagés dans la
controverse juive, laquelle, de siècle en siècle, devient
de plus en plus ardente, utilisent celle même prophétie
en preuve de la mission divine du Christ. Au vir siè-
cle, l'auteur du Chronicon paschale, Olymp. i.xx. 1'. G.,
t. XCII, col. 392, introduit le texte, Dan., IX, 25 : l Sache
donc... 70 semaines, etc., » par ces mots : « Ainsi
parle Daniel prophétisant à lîabylone, lui qui fut jugé
digne de prédire touchant le Seigneur Christ. » L'au-
teur anonyme des Quststiones théologies et philosophi-
cse, interrog. xi.v-xi.vi, P. G., t. xxxvin, col. 910, met
en relief la prophétie dans les termes suivants : a Que
si les anges ignorent l'avenir, comment Gabriel an-
nonce-t-il la naissance du Christ après 483 ans....' »
Les Juifs prétendaient que le .Messie devait apparaître
au sixième âge du monde (on était alors au cinquième),
Julien de Tolède leur répond : « Veuillez compter les
semaines, et vous verre/ que la naissance, la mort du
Christ... se sont trouvées accomplies dans leur cours,
ainsi que l'avait prédit le prophète. » De comprobatione
vi* mtalis contra Judseos, P. L., t. xevi, col. 538.
liède le Vénérable, Dr temporwn ratione, e. îx, P. L..
I. xc, col. 334, écrit : le \. 21 g désigne l'incarnation
du Christ... ce qu'insinuent les 70 semaines distribuées
par septaines d'années en 490 ans. o La DUputatio
adversus Judseos du faux Anastase le Simule, P. G.,
t. lxxxix, col. 1240, objurgue les adversaires : a Prouvez-
nous donc sur l'heure quel Christ est venu (sinon le
nôtre) ...après les 70 semaines, c'est-à-dire après 490
ans à partir de Daniel... » George le Syncelle affirme
avec la tradition que « Daniel eut des visions au temps
de Darius le Mède, et connut l'époque de l'apparition
du Seigneur. » Chronologie, édit. G. Dindorf, Bonn,
1829, p. 130. Cf. aussi <;. Hamartolos, Chronique abré-
gée, il, 91, /'. G., t. ex, col. 325; Ainolon, évoque de Lyon.
Epistola rouira Judseos ad Carotum régent, P. L.,
t. exvi, col. 150. Paschase Radbert, Eœpositio in Matth.,
P. L., t. i:xx, col. 806, dit : « C'est au premier avènement
du Christ qu'il faut rapporter la prophétie de Daniel,
au moment où le nombre des semaines s'est trouvé
accompli... » Cf. aussi Adon, évéque de Vienne, Chro-
nique, P. /.., t. i:\mm, col. 50, 52, 72; le Liber de corn-
puto, /'. /... i. exxix. col. 1301; Théodose de Ifélitène,
Chronique, dans Monumenta ssscularia, Munich, 1859,
t. m. p. 39; Fulbert de Chartres, Tractatus contra
Judseos, /'. /.., i.e mi. col. 3<i5; Pierre Damien, An&
logus contra Judseos, c. i. il, P. /... t.cuv, col. i»s. 54.
Un Juif converti, li. Samuel du Maroc, De adventu
Messies, c. vin, P. /.., t. exux, col. 344, croit n accom-
pli ce dont écrivit Daniel...; ne voit aucune échappa-
toire possible a sa prophétie...; lea 62 semaines qui
font 134 ans sont émulées ; le Christ est venu Cf.
aussi failli) Zigabène, Panoplia dogmatica, i. vin,
/'. G., t. eux, col. 285. Au ni" siècle particulii rement,
la prophétie des semaines fournil de longs d< leloppe-
menls a la < o!itro\ei"-e JUÎVe : OD titili-e. comme, du
reste, le firent lea précédent! ■< partir de la Gtnssa or-
dinaria de vValafrid Strabon i\ siècle . h-s pren
Pères: Tertullien, Jules Africain, t'usèbe, puis I .• iJ>-
le Vénérable. Il suffira de mentionner le juif espagnol
baptisé -oiis les noms de Pierre Alphonse, DiaJ
• iitre juif el chrétien . dans Mai im. bibliolh. Pair
t. xxi, p. 172; Pierre Maurice. 1 i;eor.
inveteratamduritien\,c. iv,P.L., t. clxxxix, col. 563
Guillaume de Champeaui Diol gui mire christ, et
Jud. de fide catholica, P. L., t. ctxui, col. I
Pierre de Dlois. Tractatus cont. perfidiam Judssorum,
c. xiii. P. L., Lccvu, col. 842; le Tractatus contra Ju-
I dssuni, P. L., t. ccxiii, [.; Walter de Cas-
I tellione. Tractatus contra Judseos, 1. 1. n. 10. /'. L.,
t. eux, col. 'i3:{ sq.; et, parallèlement, les chrono-
graphea drène, /'. G-, t. i \xi. col. 285 sq.;
Jean Zonaras, /'. G., t. cxxxiv, col. 249 sq.; les histo-
riens: Ordéric Vital, /'. /.., t. uxxxvin. co) -
Pierre le Mangeur. P. L., t. cxcvili, col. 1459; les
glossateurs ou commentateurs : Anselme de Laon,
Glossa interlinearis ; Rupert de Deutz, P. L.,
t. civil, col. 1517: Hugues de Saint-Cher xnr siècle).
Opéra, Venise, 1703, t. V, p. 159; Albert le Grand
(xiiic siècle), Opsra, I.\on. 1654, t. vin. p. 25 sq.
prédicateurs : Drunon d'Asti. Ilomil., i xn. P. L.,
t. CXLV, col. 832; Martin de Léon ixiii' siècle
iv, in natale Domini, PL., t. cevm. col. 125; l'écri-
vain Honoré d'Autun, De imagine mundi, P. L.,
t. ci. xxii. col. 151. Au milieu du xnr siècle. Raymond
Martin rajeunit la preuve tirée des prophéties en faveur
de la divinité de la mission du Christ par l'emploi îles
traditions rabbiniques. J'ugio /idei aile. Mauros et Ju-
dseos, édit. Carpzov, Francfort, 1087. part. II. c. m.
Probatio sumpta ex Itebilontadibus Danielis, i/uotl
Messiasjam venit. 11 cite nostras glossas pour les lec-
teurs chrétiens, et. pour les Juifs, les calculs du Tal-
iiiud. Tha anitli, iv. Ces derniers ont eux-n
connu que ■ le sacrifice avait cessé une fois pour tontes
et que les 7u semaines s'étaient accomplies avant la
destruction du Temple de Jérusalem : ils ont donc
reconnu implicitement la venue du Messie. N'ont-ils
pas. du reste, fait naître leur Messie lors de la ruine
de la ville sainte'.' Talmud, Berachoth, il. La compila-
tion des semaines de It. Martin suit en partie celle du
Seder Olam ichronologiei, attribué à Rabbi
(IIe siècle après Jésus-Christ), à laquelle les rabbins du
moyen âge reconnaissaient la plus grande autorité.
Nicolas de Lyre xnr-xiv siècle dans ses Postillae.
Paul de Sainte-Marie de Burgos (xtv*-xv siècb' dai
Additiones, Matthias Doring sv» siècle dansa
est, voir Biblia sacra cunx glossa ordinaria, Venise.
1G03, exploitent ou acceptent les n guments el
trahissent la même dépendan ird de la chro-
nologiejuive el rabbiniqu - I bornas Wallensis
(xiv-x\r siècli I epositio in Dan., dans S. Thomm
Aquin. Opéra, Paris, 1660, t. xix. p, 5-57; Jérôme de
Sainte-Foi (Juif converti, xv siècli / acte * contra
Judseor. perfidiam et Talmuth, dans Maxima Bibl.
Patrum, t. xxvi. p, 528-555; Denys le Chartreux
\, siècle .1 narratio in Dan. prophetan , dans Opéra
oninia, Montreuil, 1900, t. x. p. 130 sq. Sans préoccu-
pation talmudique, les tirées : Andronic de Constanti-
nople ixiv sii! I . Dialogua cont t, xxxix.
/'. g., t. cxxxiu. col. 861-862 lean Cantacutène
\i\ siècle), Apologia • Vahumetum, P
t. u iv. col 392.
Du im siècle à nos jours, l'apologétique rompt
encore quelques lances en laveur de la messianité de
l'oracle des Bemainea el contre les Juifs lalmudistea.
Cf, Pierre Galatin (Galatinus), juif converti, /><■ au
81
DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE)
82
catholicse verilatis, 1. IV, c. xiv sq. (1518), où les rab-
bins, tout en rapportant les 70 semaines à la durée du
temple, confessent pourtant uno ore que le Messie
devait venir à la fin de cette période, annoncé sous
l'expression de «justice éternelle »; Corneille de la
Pierre, Commentaria in Scripturam sacrum, Paris,
1860, In Dan., t. xm, p. 118 : « passage célèbre où
sont consignés la venue du Messie, son origine, son
baptême, sa passion et sa mort, années par années :
passage manifestement propre à convaincre les Juifs
que le Alessie est Jésus-Christ en qui se terminent les
70 semaines, » et il réfute surtout R. Salornon (Raschi,
xr siècle); Denys Petau, Dogmata theologica, Anvers,
1700, De incarnatione, 1. XVI, c. vin, combat R. José,
R. Saadias, R. Salornon, Aben-Ezra; Rossuet, Dis-
cours sur l'hist. universelle, part. II, c. ix, dont on
connaît le texte impérieux; Louis Legrand, Traclatus
de incarnatione Verbi divini, Paris, 1751, 1754, diss. II,
c. i, a. 2, ,Sj 1, réfute encore longuement R. Salornon et
le juif Orobio (Isaac de Castro), qui rapportait l'oracle
aux grands-prêtres post-exiliens, dans Limborch, De
veritale religionis chrislianœ, Gouda, 1687. Mais c'est
l'époque aussi où théologiens et critiques commencent
à entrevoir un rapport possible de la prophétie des se-
maines, dans son sens littéral, aux temps d'Anliochus
Epiphane, et ne pensent plus pouvoir l'entendre, sinon
au sens typique, de la mort du Christ. La Sainte Bible
en latin et en françois, Paris, 1749, t. ix, p. 471, 489,
répondit à Marsham, Hardouin,Calmet qui mirent cette
idée en avant après Sixte de Sienne et Estius, voir
col. 98-!ti), et Legrand, op. cit., $ 1, ni- voulut pas moins
s'élever contre « ces quelques chrétiens... qui sup-
priment ainsi ou ébranlent grandement l'argument tiré,
contre les Juifs, de la prophétie. »
i 'Critique et conclusions. — 1. Si l'interprétation
des « événements» marqués dans l'oracle des semaines,
interprétation réalisée parles écrivains dont l'ensemble
constitue l'organe autorisé de la tradition, si les
« calculs dis temps <> auxquels se sont livrés « tant de
commentateurs » se sont trouvés, la première aussi
unanime et les autres aussi « exacts » que le disent
saint Jean Chrysostome et saint Augustin, cités plus
haut, cet oracle pourra bien être réellement messia-
nique au sens direct et littéral, et la preuve qu'on en
tire encore aujourd'hui en faveur du fait de la mission
divine du Christ pourra rire alors formulée de la ma-
nière suivante : Les biens messianiques, dont il est
parlé au \ . 24, ont été prédits pour une date fixe, et, pour
que leur survenue put être rendue facilement recon-
nais^!.le à cette date, circonstanciés d'avance relative-
ment à «le certains personnages, dont le Messie lui-
même, et de certains événements, dont la ruine de la
Cité saiulr. Or, les circonstances personnelles et réelles
annoncées comme devant signaler ef conditionner les
biens messianiques se sont réalisées, et principalement
en Jésus-Christ, telles qu'elles avaient été prédites, à
la daie même marquée par la prophétie, sauf peut-être
un écart négligeable, ladite prophétie ne comportant
nullement, en dépil de ses chiffres précis, un caractère
strictement mathématiqui : el ces biens eux-mêmes
acquis désormais. L'oracle de Daniel a dune toute
la valeur probante qu'un exact accomplissement com-
munique à une prophétie d'origine divine : Jésus de
Nazareth est bien le Messie que cel oracle annonçait.
— 2. Mais les calculs îles écrivains de la tradition!
calcula basés sur les chiffres de la prophétie, ont ils
bien toute l'exactitude que l'on dit, et, en toul
1 P uns aux autres, n'ont-ils pas abouti à la
plus grande diversité, de sorte qo il n j eu) poinl ici
de calcul .raimenl traditionnel, voir col, '.»•">. mais
i irconstani i pi i onnelles el réelles,
Instituée par les organe de la tradition, ne l'esl elle
non plus résolue, pour de très important
même essentielles identifications, en un défaut non
moins accusé d'entente et d'unanimité relatives, de
sorte qu'il n'y eut point ici d'exégèse proprement tradi-
tionnelle, voir col. 83-88; mais la définition des biens
messianiques, par le caractère llotlant de son expression
et de son objet dans tel et tel cas, n'a-t-elle pas laissé,
à coté de l'enseignement de la tradition, la porte ou-
verte à d'autres hypothèses, de sorte que, sur la ques-
tion, non assurément de leur caractère toujours essen-
tiellement messianique, mais bien du degré, du proces-
sus de leur réalisation, il n'y aurait point, même ici,
d'interprétation traditionnelle, voir col. 95 sq.; mais
enfin, repris, renoulevés, non plus, il est vrai, dans un
but immédiat de controverse, mais avec un louable
souci d'exactitude critique non moins profitable cepen-
dant à l'apologétique, ces calculs des dates fixées, cette
exégèse des faits prophétisés, celte interprétation des
biens attendus ne peuvent-ils être considérés comme
ayant, cette fois, abouti à des résultats plus satisfaisants
et, malgré la divergence de leurs conclusions d'avec
les conclusions traditionnelles, nullement en contradic-
tion avec celles-ci que ne doit recommander point, du
reste, leur instabilité? Voir plus loin les remarques
critiques. — 3. Que si la réponse à ces questions allait
à faire droit aux conjectures de Sixte de Sienne, d'Estius,
de Hardouin et de Calmet, il resterait néanmoins à la
tradition catholique et théologique véritable le mérite
essentiel d'avoir rapporté l'oracle daniélique à la per-
sonne, à l'œuvre et aux temps du Christ; et il y aurait
à reconnaître que ce rapport ne fut point tout à fait le
résultat de calculs incertains, d'une exégèse verbale
quelque peu arbitraire, d'une interprétation simplement
approximative, mais fut basé, au contraire, et pre-
mièrement, sur le principe, aussi ancien que l'Eglise,
de l'interprétation mystique des Ecritures. Les évan-
gélistes se firent-ils scrupule, dès l'abord, d'entendre
en un sens prophétique, plus exactement en un sens
typique, de telles circonstances de la vie et de la mort
du Messie, d'antiques passages des prophètes ou des
Psaumes dont le sens propre el direct allait à signi-
fier de tous autres objets? Comparer, par exemple,
Matth., n, 15, et Ose., xi, 1; il, 17, et Jer., xxxi, 14;
n, 23, et Is., xi, 1 ; Matth., x.wn, 35, et Ps. xxn, 19;
Marc, xv. 28, et Is., lui, 12, ele. Il n'est même pas cer-
tain que le Christ, Marc, xm, 14; Luc. xxi, 20, n'ait
pas cité Daniel, ix, 27, ou xi, 31, ou ut, 11, dans un sens
typique, puisque « l'abomination delà désolation », in-
terprétée par saint Luc de la « désolation o de Jérusalem
«cernée de campements » romains, sert, dans le long
discours apocalyptique du Seigneur, Matth., XXIV sq.,de
premier plan à la perspective, plus profonde que la ruine
de Jérusalem, de la lin du monde. C'est, du reste, ainsi
que le dii Ciilinel, g l'usage des prophètes de proposer
ordinairement le type et la figure du Messie dans quel-
que -sujet, ou dans quelque événemenl de l'Ancien Tes-
tament, afin que l'exécution littérale de leur prophétie,
en ce premier sens, serve de preuve el d'assurance à
c qui doit s'exécuter plus parfaitement en un autre
sens, dans la personne et dans la vie du Messie. Ainsi
le prince idéal de la lignée de David, désiré par
Isaie, xi. l-.">, après l'abaissement de l'Assyrie i verge
de la colère de Dieu pour Israël, m' se retrouvera
pleine ni que dans Jésus, roi spirituel ; ainsi la nou-
velle Jérusalem et la nouvelle Terre promise rendues
aux captifs de Babylone selon Êzéchiel, xi-xi.vm.
n'a liront leur pleine réalité que dans l'Eglise chrétienm
\in-i la prophétie des semaines s'appliquani littérale-
ment, par exemple, à l'avénemenl de Cyrus, à la mort
du grand-prêtre Onias lll. aux persécutions d'Antiochus
Epiphane, -i la paix el au relèvement machabéens,
garderai! pour la bu vivante el docile toute su !
persuasi ■ ions le couvert de la tradition qui en
aurait défini le sens typique, croyant bien en discuter le
83
DANIEL LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE
sens littéral. Cyrus, roi des Pei in par les
prophéties d'Isale, iu.iv, 2<i ; xlv, 1-5, et de Daniel,
ix. 25, pour délivrer le peuple juif de la captivité baby-
lonienne, annoncerai) la personnalité divinement supé-
rieure du Christ sauvant l'humanité de l'éternel escla-
Le prêtre < Inias III el le peuple juif lui-mi
le premier par sa morl tragique, Dan., ix, 26;
M Mach., iv, :Ci-:i.s. l'autre par ses tribulations el ses
souffrances bous l'impie roi de Syrie, Dan., i\, 26-27;
I cl II Mach., préluderaient au grand sacrifice do la croix
et aux épreuves incessantes que 1 relise chrétienne doit
subir de la part de ses ennemis, avant d'obtenir la
possession entière el parfaite du royaume descieu» ».
Cf. cardinal Meignan, Les derniers prophètes d'Israël,
Paris, 1894, p. 134-135.
II. Interprétation traditionnelle. - 1° Biens ■
sianiques du \ . 24. — Traduction du \ . 24 selon l'hébreu
massorétique : Soixante dix semaines ont été /
sur ton peuple et sur ta ville sainte pour mettre fin <<
la transgression, pour abolir le péché, pour expier
l'iniquité et pour amener la justice éternelle, pour
sceller la vision et le prophète el pour oindre le sumt
des saints. — t. Des trois propositions concernant le
péché (transgression, iniquité) et qui semblent toutes
trois traduire la même idée, la troisième seule a été
unanimement entendue de la « rémission des péchés i
opérée par le Christ mort eu croix pour nous. Quelques
Pères et écrivains ont expliqué les deux premières du
« comble de l'iniquité », réalisé par les Juifs meur-
triers du Messie, et du « scellé mis sur leurs péchés »
jusqu'au jour du jugement. Ainsi avec quelques nuances
inévitables, S. Hippolyte, ./« Dan.; Origène, In Matth. ;
Eusèbe de César ée, Dem. ev. ; S. Chrysostome, Adv.
Judxos, homil.iv; Euthyme Zigabène, Panopl. dogm.
Théodoret, In Dan., P. G., t. lxxxi, col. 1469, suit
Eusèbe pour la première proposition, mais se range
pour la seconde au sentiment de la tradition. Pour les
variantes du texte et des versions, voir Knabenbauer,
Conim, in Dan. proph., p. 235 sq. — 2. Sur dix-neuf
auteurs anciens ou du moyen âge qui ont explicitement
traité de la « justice éternelle », douze ont compris
celte expression de la personne même du Christ. Ter-
tullien, Adv. Judxos; Eusèbe, op. cit.; S. Athanase, De
incarnatione ; S. Éphrem, In Dan., dans Opéra, Rome,
17 in. t. h, p. 221 ; Théodoret, op. cit. ; Pierre Alphonse.
Dialog. ; Pierre Maurice, i4rfv. Judseor. durit.; Tra-
ctai, cont. Judseum; Albert le Grand, In Dan.; Ray-
mond Martin (avec les rabbins), Pugw fidei; Andronic
de Constantinople, Dialog.; Jérôme de Sainte-Foi,
Cont. Judseor. perfid., cités précédemment; cinq lui
font signilier les biens éternels apportés par Jésus-
Christ: .Iules Africain, Clironogr. ; Origène. S. Chry-
sostome. liasile de Séleucie, Oral., xx.xviii. /'. G.,
t. i.xxxv. col. iOl ; Nicolas de Lyre; deux \ ont wi spé-
cialement la grâce de la justification : Polychronius,
InDan., dans Mai, Scriptor. vêler, coll.. t. i, p. 137 sq.,
et Ammonius, InDan., ibid., p. 212. — il. Le « scel de
la vision et du prophète » a, pour la même période,
signilié ou bien que les prophéties de l'Ancien Testa-
ment devaient être (et ont été) accomplies dans la per-
sonne et dans l'œuvre de Jésus-Christ : Clément
d'Alexandrie, S. Hippolyte, Eusèbe, s. ephrem,
s. Jérôme (Vulgate : et impleatur visio et prophetia),
Bède, De tenip. ratione; Pierre .Maurice, Pierre de
Blois, Tract, roui, perfid. Judseor.; Raymond Martin,
Nicolas de Lyre; ou bien que ces prophéties ont cessé
par l'effet île la venue du Christ : .Iules Africain. Ori-
gène, s. Chrysostome, Basile de Séleucie, Ammonius,
Euthyme Zigabène, l'anonyme du Tract, cont. Jud.;
Andronicus, Thomas Vallensis; les autres réunissent
les deux acceptions : Tertullien, s. Athanase, Théodo-
ret, la Glose interlinéaire, Albert le Grand. ■ î. Tous
li crivaina qui ont parb; de o l'onction du saint des
saint- iy oui mi Jésus-Christ lui-même oint de l'Esprit-
Saint, sauf le pseudo-Cyprien, De pascha computus,
qui l'entendit du temple de Jérusalem rebâti
/■ • critiques. — Tous ces auteurs et les com-
mentateurs modernes qui les onl suivis dans quel-
qu'un^ de ces diverses interprétations ont manifi
ment, encore que inconsciemment, i<ri- au sena ligure
n h figuratif) des expressions qui, au sens propre,
- appliquaient au i peu;. le juil et à -a i villi
\. 24, tels qu'ils se trouvaient conditionnés h 1 époque
de la communication de l'oracle. Le péché
transgression », I' i iniquité » Boni ici directement
le fait des Israélites châtiés par Dieu et captifs. Dan.,
ix. .">. 7. 8, etc. La i justice éternelle ■ traduit ici, en
langage spirituel, mais cependant concret, le symbo-
lisme de la i fertilité du sol « et du parlait bonheur »
terrestre dont parlèrent souvent les prophète-, symbo-
lisme que beaucoup de Juifs assurément n'entendaient
point. Cf. Ose., i. 10; Amos, ix. 13; I-., iv, 2; x.x
24; Jer., xxxi. .">-l2; Ezech., x.xxi. 30-35; Ps. exuv, 12-
15, etc. Le « scel de la vision et du prophète » pourrai'
aussi bien désigner une ou des visions particul
à Daniel que celui-ci devait avoir besoin de < com-
prendre » mieux. \. 21-23, ainsi que la parole prophé-
tique adressée à Jérémie au sujet des fixante-dix ans
de la captivité et corrélative à l'oracle des soixante-dix
semaines, \. 2 : vision et parole dont le sens aurait été
destiné à demeurer, 490 ans durant, <• scellé, » c'est-
à-dire caché'. Cf. Dan., xn. t. 9; 1s.. vin. 10; .1er.,
XXXII, 10. 14; Dent., xxxn. 34. I.' « onction du saint
.1 - saints répondrait non moins directement à la
plainte formulée par Daniel dans sa prière au sujet de
o Jérusalem en opprobre - et du sanctuaire dévat
\. 10, 17 : elle marquerait la reconsécration de l'autel
des holocaustes ruine par les Chaldéens. Cf. I.xod..
xxix. 36, 37; x\x. 29; xi . lu. Des modernes onl sui\i
pour celle dernière proposition la voie ouverte par le
pseudo-Cyprien qui figurait par le temple... oint de
l'huile du Saint-Esprit », ce temple « que le Christ
Jésus a formé de ses mains... qu'il a oint, non d'huile,
mais de l'Esprit de Dieu..., et cette cité, a savoir
l'r.glise. qu'il a édifiée de pierres sanctifiées ». Cf. Kna-
benbauer, op. cit., p. 211 sq.
2 Exégèse des versets 25-27. — Traduction de l'hé-
breu massorétique, v. 25 : Sache donc et comprends!
Depuis la sortie de la parole pour i/ue Jérusalem soit
rebâtie jusqu'à un oint-prince, sept semaines ou
bien, sept semaines el soixante-deux semaines'. Et
dans soixante-deux semaines elle sera rebâtie
simplement : elle sera rebâtie . place el vallée ru
20. Et dans l'angoisse (on a la fin) de*
après soixante-deux semaines, un mut sera exlir\
I I le peuple d'un chef qui rient détruira la ville
el le sanctuaire ; mais il /mira par la vengeance di-
re durera jusqu'à la fin... .27. Et il
fera une alliance avec plusieurs pendant une semaine;
et pendant une demi-semaine il fi
fice et l'offrande; et o leur place [au lieu de : sur
l'aile (?) | l'abomination de la désolation, jusqu'i
que la ruine frappe le dévastateur. Pour les W-
riantes. voir Knabenbauer. op. cit.. p. 244 sq. I^iis-
sanl provisoirement 'le côté le- détails qui marquent
directement le point de départ, le développement, le
point d'arrivée des 70 semaines, à savoir, la « sortie de
l.i parole . le relèvement de Jérusalem, la destruction
finale, lieu- fixons -euleinelll. d'après la tradition, les
personnalités tenue- pour certaines ou hypothétiques
de r i oint-prince . i , 25, de r oint extirpé », » . M, du
,. chef i du i peuple i destructeur, dmi.. du sujet du
\. 27. — L'oint été identifié par beaucoup à
Jésu8-Chrisl l'ertullien. pseudo-Cyprien, Origène, iules
Africain, s. Cyrille de Jérusalem, Col., xn. s. Chryi
DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE!
86
tome, Polychronius, Basile de Séleucie, Théodoret réfu-
tant l'opinion d'Eusèbe, le Chronicon paschale, Bède et
La plupart des interprètes postérieurs qui, se rangeant
à la traduction de saint Jérôme, ne firent intervenir le
personnage qu'après la soixante-neuvième semaine. Mais
la coupe de phrase fixée par la ponctuation massorétique
se trahit aussi dans les opinions d'un certain nombre.
Situant l'oint-princeaprès les sept premières semaines,
Clément d'Alexandrie (plus probablement), QuintusJu-
lius Ililarianus, évoque dans l'Afrique proconsulaire, De
mundi duralione libelhts, n. 12, P. L., t. xm, col. 1103,
l'identifièrent au Davidide Zorobabel; saint Hippo-
lyte, (Rabbi Lévi ben Gerson), au grand-prêtre Josué,
fils de Josédek, I Escl., m, 2 sq.; Eusèbe de Çésarée, à
toute la série des grands-prêtres qui devaient se succé-
der encore jusqu'à la venue du Christ, mais interpré-
tant : « tant qu'il y aura un oint légitime, un grand-
prêtre consacré à Jérusalem, 7 et 62 semaines s'écoule-
ront; » Pierre l'archidiacre, Quœstiones in Danielem,
n. 64, P. L., t. xcvi, col. 1337, comme Eusèbe; Pierre
Alphonse, Pierre de Blois (Rabbi Saadia le Gaon, Com .
in Dan.; Rabbi Salornon Jarchi, Com. in Dan.), à
f"> rus. roi des Perses, conquérant de Babylone et libé-
rateur des Juifs (Aben-Ezra, Com. in Dan., à Néhé-
mie; Abarbanel, Com. in Dan., n'a pu se résoudre à
choisir entre les trois : Zorobabel, le grand-prêtre, Né-
hémie). — 2. L'oint extirpé du y. 26 a reçu une double
signification générale selon que les interprètes de la
tradition suivaient le texte de Théodotion ou celui de
l'hébreu que représentèrent la Peschito et la Vulgate
hiéronyniienne. Selon Théodotion, kiolobovJi^ijzzai
Xpfopa (cf. Italique : interibit chrisma; Tertullien :
exlerniinabitur unctio). Tertullien rapporta l'expres-
sion xpîap-a à l'onction royale. Adv. Jud., c. xiu, et
sacerdotale, c. vin, tout à la fois : Jérusalem et le
temple détruits par les Romains, 1' « ampoule » perdue
ou brisée, les Juifs n'auront plus ni rois ni prêtres.
Pareillement, Origène, In Malth., xxiv : « l'onction,
qui fut dans le temple, est ravie au peuple. » Lepseudo-
Cyprien parait entendre disperibit unctio de la ruine
du sanctuaire, iti imaginent hominis unctum. Le poète
Coramodien, Carmen apologelicum, 266-267, dans
Pitra, S)>icilegium Solesmense, Paris, 1852, t. i, p. 28,
entend :ms>i d'une onction le « chrisrne royal exter-
mine' », Pour Eusèbe, /p:™a est le grand-prêtre dé-
d< Ryrcan II. mi- ;i mort par l'ordre d'Hérode le
Grand el terminant en sa personne la succession des
grands-prêtres légitimes. Pour saint Ghrysostome, c'esl
vraisemblablement la dignité du supré sacerdoce
opposée au pouvoir politique, y.pï>a. Démonslr. de la
divinité 'le J.-C, /'. '>'., t. xi.viii, col. 836. Polychro-
mie voit dans l'expression l'annonce de la fin de l'au-
tonomie juive, spirituelle el royale. Même interpréta-
tion dans une lettre d'Isidore de Péluse au diacre Isi-
dore. Epist . a \nx. /». (.'., t. i xxviii, col. 928. I
de Séleucie reproduit l'explication de Tertullien, en
etendanl I onction aux prophètes » et aux «juges
du peuple ». Spiritualisant encore davantage la notion,
rbéodorel \ voit <■ la grâc /A?li) brillant dans les
. A toniits (eschatologue), « le bap-
'• interdit par l'Antéchrist. Jacques d'fidesse
■■ même contre l'interprétation que BUggérail à
ontemporains la Peschito: pour lui, le « chrisrne »
demeure la dignité que l'onction conférait au prêtre-
il -uit. du leste, une ver-ion syriaque faite sur le
théodolien. Dana s. i pin. ■m, Opéra, t. ti, p. 221.
Euthyme Zigabène adopte l'exégèse de sainl Chr
lome; Jean Zonaras, celle de Théodoret. Guillaume de
Champeau l unctio. Andronic de Constanti-
nopli n unil à nouveau dani wlaya le sacerdoce el la
ité.
Ainsi, jusqu'au milieu du moyen âge, oe trait di la
prophi lie esl rapporté par beaucoup di P< rw el d
vains ecclésiastiques à la chute de la dynastie, sacerdo-
tale et royale à la fois, des Hasmonéens; quelques-uns
même y voient un rappel direct à la prophétie de
Jacob touchant le « sceptre » maintenu dans Juda, Gen.,
XLIX, 10 (LXX: o'jx èxàsiititec x'p/wv i\ 'IovSa, xai JjyoÛ-
,u.îvo; ix Ttôv jj.ï)pà)v aùro'j, sto;, etc.) : Tertullien et Ori-
gène, Andronic. Les Juifs du moyen âge entendirent
en général le passage de la mort de leur dernier roi et
protecteur vis-à-vis des Romains, Hérode Agrippa II :
R. Saadia, R. Salornon, Aben-Ezra, Joseph ben Gorion
(ou l'Hébreu), Abarbanel. Les théologiens modernes se
sont ralliés à l'autre interprétation fille du texte hébreu
par la Peschito (nét'hetél M'sifto') et la Vulgate (occi-
detur Christus) : V « oint » est le Christ mort sur la
croix. Auteurs syriens : S. Éphrem, les contemporains
de Jacques d'Edesse, Ebed-Jesu, métropolite arménien
(XIIIe siècle), Liber margaritœ, De verilate christianse
religionis, dans Mai, Script, vet. nov. coll., t. x,
p. 342 sq. Tous les auteurs latins depuis saint Jérôme.
Saint Augustin pourtant, Epist., cxcix, et Pierre Da-
mien surtout, Antilogus contra Judseos, c. i, cessabit
unctio ; c. Il, occidetur Christus, utilisent les deux in-
terprétations. — 3. Le chef et son peuple qui viennent
détruire « la ville et le sanctuaire » avaient été déjà iden-
tifiés à Titus et aux Romains. par Josèphe, An t. jud.,
X, x; XI, vu; De bell. jud., IV, vi, 3; cf. Fraidl, Die
Exégèse der 10 Wochen, Graz, 1883, p. 18-22; et
s'il faut en croire saint Jérôme, In Dan., P. L.,
t. xxv, col. 552, les Juifs du v° siècle partageaient la
même opinion: le « chef «était Vespasien. Fraidl, ibid.,
p. 122. C'est aussi l'avis des Juifs du moyen Age, sauf
R. Saadia qui recule l'accomplissement de la prophétie
jusqu'à l'empereur Adrien. Cette identification du « chef»
à Vespasien ou à Titus fera fortune dans la tradition.
Mais dès les premiers temps il. se trouve quelqu'un pour
appliquer le vocable au Christ même « exterminant la
cité et le sanctuaire » par l'intermédiaire des Romains :
Tertullien, Adversus Judxos, c. xm, exterminabit cum
duce advenienle, le dux qui de tribu Juda esset pro-
cessurus. Cf. Gen., xi.ix, 10. Origène le réfute, In Malth.,
ce dux ne peut être Jésus-Christ, parce que le prophète
aurait dû écrire : cwim duce Cnnisro advenienle, comme
au v. 25, et que, du reste. après le Christ ayant accom-
pli la prophétie de Jacob, defecil dux (judaicus) et dux
de femoribus ejus; cependant, pour Origène, le « chef
n'est pas Vespasien, ou Titus, mais Hérode Agrippa IL qui
accompagna Titus au siège de Jérusalem, cf. Tacite, Hist.,
v, I ; Josèphe, Vita, 65, à moins que ce ne soit Hérode
le Grand, tive Hérode, xive Agrippa, comme pour
Eusèbe. Celui-ci, en effet, sous la formule de Théodo-
tion : xoù tT)V ittSXtv •/. où t'o aytov oiaçOcpe: auv tm fjyou-
yiv<,> 7ci> lp/o(j.£V(.>, combinée avec celle d'Aquila :
ôiaçGepsî Àad; -^yojiii/vj èp/oasvoj, plus conforme à
l'hébreu, a vu Hérode et les Hérodiens « corrompant d
(moralement) le peuple et le sacerdoce. Il est vrai que
l'évéque de Césarée admet aussi l'explication e le géné-
ral des Romains » el son armée. Le pseudo-Cyprien
interprèle à la façon de Tertullien : Sanction. .. ah ipso
Domino nosiro... temporibus Vespasiani est extermi-
nalum. Selon sainl Ephrem, le « chef» n'esl .mire que
Messie-Roi crucifié »; la \ille périra t avec » lui
qu'elle a fait périr, la Peschito, de même que Théodo-
tion (ijv) ayant pris le mot hébreu am, « peuple, i
pour la préposition loi, avec », lam nialkô d'ôfê',
iiim rege min'uu-. Sainl Isidore de Péluse, Epist.,
cclvii, P. G., t. i.xxviii, col. 996, définit ainsi cette es-
pression complexe i C'esl le Père (A tTaT^p) qui dé
truit le peuple et fi ville pai les Romains) ; autre-
ni' nt > Dieu [6 '> '.. el le chef, c'esl à dire le Christ, i
Puia H cib di - passages bibliques où le x'
appelé toil I ovu470(, Mich., v. 2; Mat th., Il, 6, soit
ifXé|UVO<. PS. CXVH, 26; Mattli., XI, 8. Curieuse est l'in-
terprétation de Basile de Séleucie Ce ion! les Juifs
NT
DANIEL LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE
H«
cpii ri) faisant mourir le i Christ à venir . détruiront
(iias6epoÛ9t) — seront cause que les Romains détrui-
ront — le sanctuaire et la cité. Euthyme : L'armée ro-
maine détraira la ville... ave< l'aide du Christ, le
• chef* «If ceui qui croienl en lui, qui i reviendra i pour
son deuxième avènement. Andronic : urbetn et tacrunx
una cum principe delebil ; le princeps est Aristobule II
roi et pontife, Josèphe, .\nt. jud., XV, m; XX, x. ren-
versé par Pompée. Incertaine dans Cyrille de Jéi
lem, Cm., xv, dans Athanase, dans Chrysostome, dans
Augustin, l'identification du a chef a à Titus n'est affir-
mée clairement qu'au moyen âge par Bède, R. Samuel
du Maroc Pierre Alphonse, les Gloses, Raymond Mar-
tin, qui pourtant indique aussi la traduction : pop"!"*
principalis venturus, Nicolas de Lyre. Les théologiens
modernes l'ont adoptée. — Le sujet agissant dans la
70e et dernière semaine, c'est, puni- Clément d'Alexan-
drie, Néron, qui « installa dans la ville' sainte, In rîj
âfia tJ/iv. 'Iepouaa).T)u,, l'abomination » — il ne dit pas
laquelle — et qui inourul g au milieu de la semaine ».
Cette incomplète et obscure interprétation a pour pen-
dant au moyen âge celle de H. Salomon (Raschi),
d'Aben-Ezra, d'Arbarbanel : Titus « conclut une alliance «
avec les .luifs g au cours de » celte dernière semaine.
Saint Éphrera (et les auteurs syriens), conformément
au texte de la Peschito, ont maintenu aux deux pre-
mières propositions du \ . 27 un sujet actif et personnel
indiqué au y. 26 : c'est le Christ, Rex-Messias, qui
« lui-même affermit l'alliance in sanguine sua, » et qui
par sa mort en croix « abolit le sacrifice et l'offrande
juifs. De même l'eschatologue liruno d'Asti, pour la pre-
mière proposition : Conftrmabit autem dux ille ntali-
gnus (l'Antéchrist) pactum, c'est-à-dire qu'il imposera
sa domination — contrairement à la tradition de son
école qui entendait le passage de raffermissement des
saints aux derniers jours(Apollinaire). Se rangeant à la
suite de Théodotion et de saint Jérôme dans leur tra-
duction, toute la tradition, pour ainsi dire, a trouve le
sujet de confirmabit (Théodotion : 8vvau.ct>trsi), non dans
le Chris tus occisus ou le dux venturus du \. 26, mais
dans hebdomacla una (Théodotion : èSSo^i; ua'a), et en-
tendu au sens passif la seconde proposition : deficiet
Itoslia... (Théodotion : àpOr^E-ai...) ; elle ne varie guère
non plus dans l'interprétation qu'elle donne de 1' « al-
liance », delà « cessation » du sacrifice, de 1' « abomi-
nation » dans le temple (Théodotion : ï-\ -'<> iepôv;
S. Jérôme : in templo). L' « alliance » que la dernière
semaine voit s'affermir « en beaucoup ». c'est la doc-
trine de l'Évangile annoncée par le Christ et ses apô-
tres : Jules Africain, d'après le Chronicon paschale,
P. G., t. xcn, col. 40i; Origène, In Matth.; Eusèbe (la
nouvelle alliance fondée sur les miracles); S. Ephrem;
S. Chrysostome, In Dan., P. G., t. i.vi, col. 2W); Poly-
chronius (réellement accomplies, les promesses de l'an-
cienne alliance affermissent la nouvelle); Basile de Sé-
leucie ;Théodoret (le Christ remplit de toute puissance,
3uvâ(ieuc Ur.-xryr,:... TcXripcitrei, ceux qui croient en lui):
Bède et les auteurs du moyen âge qui le suivent
constamment : les Gloses, Rupert de Deutz, Pierre le
Mangeur, Alain de Lille (le faux , Hugues de Saint-
Cher, Thomas Vallensis, Denys le Chartreux; autres
auteurs : Fréculph, évéque de Lisieux (rx* siècle . Chro-
nicon, P. /... t. evi, col. IKK); Albert le Grand, R. Mar-
tin, Nicolas de Lyre, 3éei de Sainte-Foi ; les commen-
tateurs et théologiens modernes. La a cessation » ou
1' « abolition o du sacrifice et de l'offrande i Théodotion :
pou Buai'a /.x\ otrovoyi; Tertullien : vu v sacrificium <■'
libatio s'est opérée par i l'offrande du sacrifice de la
croix g : Jules Africain; Eusèbe (par l'institution du
sacrifice eucharistique); s. Ëphrem; s. Chrysostome,
Si m., v, adv. Judteos ; Polychronius, Basile de Séleucie,
Théodorel, Vnastase le Sinalte (le (aux) (qui lit a-'i-J.i.
/■ le, g et ajoute vou.wq : l'observance <lc la loi mosaïque
prend fin comme le sacrifice cultuel); l sui-
vants; Fréculph, It. Martin. Nicolas de Lyn
île Sainte-loi; les modernes. Fulbert de Chartres en-
tend un peu différemment l'expression du têtus sacer-
dotiutn defecturum. Pierre Alphonse attribue pure-
ment au dénuement des Juifs après la ruine la <
lion du sacrifice : non habereni undetacrificiumfacere
i ibominatioi ■ des interprétai
plus diverses, Pour rertullien, c'est la destruction
même du temple, extecralio vaslalioni* ; pou
et saint Augustin. Ad tietych., l'armée romaine as
géante; pour Eusèbe, /' , l'efficacité du sacrifice
perdue, la statue de lïbi dans le temple par
Ponce-Pilate d'après Josèphe, Ant. jud., XVIII, ni.
I : Bell, jud., II. IX, 9 . la ruine de l'édifice sacré, la
statue d'Adrien élevée à sa place /;< Luc., fragment
dans la Catena de Nicétas, Mai, Script, vet.
coll., t. i, p. 158); pour saint Éphrem, les
romaines (images de l'aigle impériale et de l'empereur)
profanant le lieu saint; S. Chrysostome, Servi., v. adv.
Judteos; Conim.in Dan. ; Homil. i.\xv in Matth., n. 2.
P. >'.., t. i.viii. col. 689, la statue d'Adrien; de même
Basile de Séleucie; Théodoret suit Eusèbe . Sévère d'An-
tioebe, fragment dans Mai, op. cit., t. i, p. 213. opine
pour la statue d'Adrien: Bède reste vague: Fréculph
choisit la première interprétation d'Eusèbe : non fuit
sacrificium Dei,sed cultus diabuli . -Chrétien Iiruthmar
(moine de Corbie, ix siècle), lu Matth., P. L., t. < vi.
col. H.">(i. hésite entre les statues de Tibère, d'Adrien,
l'Antéchrist; Pascbase Radbert ne se prononce pas : ...
alio (juolibet modo gueat intelligi; Pjerre de Blois se
prononce pour V imago Csesaris; Albert le Grand, pour
les sacrifices anciens rejetés et devenus ainsi abomi-
nata; Nicolas de Lyre, pour la statue d'Adrien. Les
modernes ont fait leur choix parmi ces diverses accep-
tions et d'aucuns en ont proposé une autre : la profa-
nation du temple par les zélotes homicides qui avaient
fait de cet édifice une forteresse depuis la 12' année de
Néron. Sébast. Barradas (1542-1615), C. Jansen, évéque
de Gand (1510-1576), Jean Hessels (1522-1566), In
Matth., xxiv; Baronius, A m, al. eccles., Rome, ltiss.
t. i,an. 68. Une interprétation parfaite, selon Corneille
de la Pierre, In Dan., joindra cette explication à celle
d'Origène et d'Augustin.
Remarques critiques. — Il est clair que dans les
ouvrages des Pères, l'exégèse des versets 25-27 n'a pas
un caractère moins verbal que celle du f. 24, étant
fondée, non sur les rapports du contenu de i
avec leur contexte, mais d'abord sur la pure apparence
des mots qui, clans U- versions théodotienne et hiéro-
nymienne, voire dans la version syriaque, sollicitaient
a l'application messianique littérale de la prophétie, el
ensuite, chez beaucoup, sur la relation que quelques-
uns de ces mots établissaient alors aussitôt entre
l'oracle de Daniel et celui de Jacob, tien., xux. 10,
jugé également messianique au sens direct et littéral.
Par l'effet de celle double influence et ■!- la suggestion
opérée par le f. 24, les i>2 semaines se trouvant, de
plus, ajoutées aux 7 premières sous la rubrique
jusqu'à... . icoc, usque ad. des expressions comme
XpKm>0 i.vovjlvr.. Chrùtuni tinrent, ne pouvaient pins
signifier que Jésus-Christ pour le grand nombre, jL 25.
Et ce caractère verbal de 1 interprétation traditionnelle
est >i réel que le même vocable hébraïque maiiah
ayant été rendu, au v 26, ici non plus par -/piu-ro,-,
niais par gpiffpo, là encore par Chris tus, l'exégèse BC
partage immédiatement el suit docilement celte double
piste, ('.lie/ les (.ne- . : -j Or, a ET il /'.l'ii annon-
cera la lin du sacerdoce juif et aaronique pour un
demi il avant, BOil après le Christ. Chez les
Latins. OCcidetUT Chrislits aura prédit la passion du
Sauveur; et alors qu'Augustin, à l'aurore du \ siècle.
n'aura point voulu, ni dans sa réponse a Hésychius, ni
89
DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE;
90
dans la Cité de Dieu, 1. XVIII, c. xxxiv, P. L., t. xli,
col. 593, harmoniser ce trait avec une compilation des
semaines, ce n'est qu'au vmc siècle que Bède le Véné-
rable pensera, dans une explication suivie et cohérente
de la prophétie, en utiliser la force probante pour la
messianité de celle-ci. Et Origène n'avouait-il pas la
méthode en exigeant le mot Chris to dans l'expression
cum duce venturo, si on voulait la rapporter à Jésus-
Christ? Car cette dernière aussi, par le mot venturo,
âpy_ojxsvu), rapproché avec son socius duce...,ïtfov[).évu>,
du Chris tum duce tu, du Xp«r-o-j rjyo'j|/ivou du t. 25,
attira fortement la tradition. Ce « chef à venir », qui
pouvait-il être sinon le Christ que beaucoup déjà trou-
vaient dans le dux de femore de la Vulgate, Gen.,
xi.ix. 10, et des LXX, *|yoij|ievo<; èx tûv [xviptiiv, dont
Jacob avait dit : donec VBNIAT qui mittendus est?
higoumène divin que, ne le trouvant pas cette fois
signalé par son caractère d'èpx<5|J.svo; dans la Genèse,
Isidore de Péluse cherche ailleurs et trouve dans les
Psaumes et dans Michée. Dans ces conditions, c'est-
à-dire le dux signifiant le Christ et, de plus, le mou-
vement du texte allant, même à travers les versions, à
faire du personnage signalé dans ce. mot le sujet réel
du t. 27, ce sujet devait encore être principalement le
Christ. Bien peu, avant le Ve siècle, sauf les eschalo-
logues, y ont vu un persécuteur des saints et un pro-
fanateur. Donc, exégèse verbale qu'acceptent encore
les modernes. Les propositions du y. 2't ne pouvant
convenir qu'au Messie, selon Corneille de la Pierre,
loc. cit., t. xm. p. 117; Legrand, loc. cit., col. 195; Kna-
benbauer, p. 233 sq. — la division faisant bloc, « 7 et
62 » considérée comme un hébraïsme, cf. Corneille de
la Pierre, t. xill, p. 126; Legrand, col. 192-193, Christum
ducettt doit être le Messie ex illo ipso CBRISTI ducis
noniine, parce que ce nom, ou ces noms (Christtts, dux)
lui sont donnés ici sine addito, Legrand, col. 197-198;
ou encore parce que le premier et le principal, Chri-
stus, se retrouve au \. 26, accompagné du mot occide-
nt,-, et que, chez les prophètes, ls., lui; Lam., IV, 3,
le Messie prsedicitur occidendus. lbid., col. 198. Mais
sur quoi fonder ici l'antonomase? Et le rappel des
prophètes Isaïe et Jérémie at-il plus de valeur réelle
que celui des Psaumes et de Michée dans Isidore de
Péluse? Que si les passages scripturaires, .1er., xxxi,
31; Mal., i. 10, paraissent répondre à con/irmabit pa-
ctum et à deficiet kostia de la prophétie daniélique,
Legrand, col. 198-199, n'est-ce pas que, Titus ou
Vespasien étant le dux du v. 26, et ces personnages
ne pouvant, en tant que païens, rien de positif au
fœdus novum, non plus qu'au nouveau sacrifice offert
ab ortu snlis vaque ad occasuttt, on soit contraint de
nir au Christ du v. 26 [redit Gabriel ad Christum
de </»" egit * 25 et 26, Corneille de la Pierre,
t. xm. p. 128 , par l'effel d'une pure attirance verbale?
En réalité, et en bonne critique, l'exégèse des ver-
25 et 27 peut être tout autre. Il suffit pour cela
que l'on ait confiance dans la coupe du y. 25 dans le
texte hébreu et que l'auteur du livre de Daniel ait
justement consacré un chapitre ou deux de son ouvrage
à une explication authentique de la prophétie, différente,
au sens premier, de relie qui prévaut encore aujour-
d'hui. Que l'oint-prince du \. 25 doive apparaître après
les 7 premières semaines, il ne peut plus être le
Christ, et déjà disparall ou se rompt le fil important
qui. par une longue série d'années, nous conduisail dès
l'abord et comme préventivement ans temps messia-
niques. Que l'auteur ail manifesté clairement au c. x
son intention d'expliquer au lecteur, su c. xi, les
lue di c, vin et ix, celui-ci cont. oanl
notre prophétie, immédiatement il faut laisser tomber,
.m moint I litre provisoire, les rapports plus éloignés
rie ris personnages avec leurs homonymes des autres
livres bibliques, pour les chercher eux-mêmes, leun
noms, leur caractère et leurs gestes, parmi les réalités
que signale à l'attention le développement explicatif
des visions et des oracles. Supposons ladite intention
clairement manifestée, voir col. 96 sq., il est impossible
de ne point voir une équation parfaite entre « les
troupes » qui, « sur l'ordre » d'Antiochus Epiphane,
« profanent », xi, 31, « le sanctuaire..., y font cesser le
sacrifice perpétuel, et y dressent l'abomination, » et le
populus cum duce venturo qui, ix, 26, 27, dissipabit
sanctuarium et, selon l'hébreu, <• fera cesser le sacri-
fice et l'offrande, » ce qui amènera « l'abomination »
dans le temple. Au c. xi encore, il est dit qu'Antiochus
sera « hostile à l'alliance sainte », y. 28, qu'il sera
« furieux contre elle »,>. 30, qu'il « séduira » les trans-
fuges de cette alliance et s'en fera des partisans, y. 30,
32 : nouvelle équivalence du « chef » qui, ix, 27, « fait
alliance avec plusieurs, » ou, suivant une meilleure
interprétation de l'hébreu, « fait trahir l'alliance
(sainte) à plusieurs. » Un « oint est extirpé, » ix, 26,
et « l'oint » pour les temps qui suivent la captivité de
Babylone c'est, dans l'idéal, la dynastie davidique re-
vêtue d'un caractère messianique, Ps. cxxxn, 10;
lxxxix, 39-52; cxxxir, 17, etc., dans la réalité le grand-
prèlre, Ps. lxxxiv, 10; cf. Lev., iv, 3 sq.; vi, 15, héri-
tier des prérogatives honorifiques et effectives de la
royauté, Zach., iv, 14; actions de Simon I, Eccli., l, 1-
23; il est ici ou détrôné, ou mis à mort. Or, l'explica-
tion de la prophétie nous signale encore, xr, 22, « un
chef de l'alliance (sainte) » brisé par Antiochus, chef
en qui beaucoup reconnaissent avec raison le grand-
prêtre Onias III, dépossédé de sa charge, exilé, assas-
siné. II Mach., iv, 33-36. Enfin, reporté par la division
du il. 25 aux temps daniéliques ou de peu postérieurs à
l'époque présumée du prophète, à savoir à l'époque de
« Cyrus le Perse » conquérant de Babylone ou des
« deux oints », Zach., iv, 14, Josué fils de Josédec et
Zorobabel fils de Salathiel : le premier, grand-prêtre,
le second, gouverneur de Juda, les deux sous Cyrus
déjà peut-être, sous Cambyse et Darius fils d'Hystaspe
certainement, Agg., i, 1, 12, 14; II, 2, 10, 21 ; Zach., i, 1,
7 ; ni, iv, 1' « Oint- prince », ix, 25, doit osciller, ainsi
que l'ont bien compris Clément d'Alexandrie, ,1. Hila-
rianus, saint Hippolyte et d'autres, entre ces trois per-
sonnages : Cyrus, prince et roi des Perses, oint par le
Seigneur pour « rebâtir Jérusalem », ls., xlv, 1, I, ô.
13; Josué, oint « prince de l'alliance » en qualité de
grand-prêtre; Zorobabel, prince de la lignée davidique
I Par., m, 17-19, oint idéalement dans le groupe mes-
sianique constitué par cette lignée. Que si l'on ne veut
diviser l'hébreu au v. 25, ou si l'on s'étonne de ne point
trouver au c. xi de passage corrélatif à ce verset, ou si
l'on juge trop verbale encore la relation de 1' « Oint »
avec des personnages bibliques comme Cyrus, Josué,
Zorobabel pris en dehors du livre de Daniel, il reste
que l'Oint ou sera le même personnage aux versets 25
et 26, ou n'aura pas eu besoin d'explication, au juge-
ment de l'auteur, parce qu'il indiquait pour l'époque,
ou voisine, ou contemporaine de la prophétie, un
homme, roi, prince ou prêtre, bien connu du lecteur
et auquel revenait de droit divin, liturgique ou dynas-
tique, la principauté.
3° Computation dei semaines, — I. Depuis le ir sii -
cle de 1ère chrétienne jusqu'à la lin du moyen Age, les
écrivains patristiquec ou ecclésiastiques qui se sont
occupés de la question n'ont pas érigé moins de vi
deux serines plus ou inoins différents les uns des
autres sur la manière de compter les années figurées
par les Tu semaines daniéliques, pour en (aire cadrer
le déclin avec les temps du Christ. Sont exclus de ce
relevé général : Origène, qui allégorise et choisit
comme point de dépari de toute la série la création
d'Adam et comme point d'arrivée l'an 86 environ de la
ruine ,ie Jérusalem ; Julius Hilarianus, dont il
'.'I
DANIEL LES SOIXANTE-DIX SEMAINES M PROPHÈTE
'.•'2
parlé col. 98, les eschatologues, les luifs et les Bu-
teurs <|ni exposent bien différents systèmes, mais sans
-. prononcer en laveur d'aucun, tels <■. le Syncelle,
Hamartolos, Ad. m, G. Cédrène. <»n peut néanmoins
ramener ces computations diverses à deux grandes
catégories : celles qui font aboutir les semaines à la
ruine de Jérusalem, celles qui les arrêtent d'une façon
générale a la mort du christ. Chacune de ces ca
pies aura naturellement ses subdivisions. -- a) Dans la
première, il convient de signaler d'abord, à eau
son caractère original, la compilation de Terluilien
qu'on! suivie .Iules de Tolède, Pierre Damien, Pierre
Ûaurice, Jérôme de Sainte-Foi. Le prêtre de Carthage
compte les 7() semaines d'années à partir de a la pre-
mière année de Darius t le Mede. i\. 1. confondu avec
Darius Xotlms : il partage la série, non en 7, 02 et l.
mais en 7 I 2 et tri I 2, suivant un texte arbitrairement
retouché au v. 25 : itsfjuc ad Chris tum ducetn liebdo-
madai septem cl i.xu BT biiiwiAM; il place les
62 semaines et demie avant les 7 semaines et demie.
leur point de jonction coïncidant avec la naissance du
Christ (an il du règne d'Auguste); la demi-semaine
finale s'achève pour lui l'an !«' de Vespasien par la
ruine de Jérusalem; enlin il additionne la semaine.
hebdomadn I \ I, et la demi-semaine, DlifIDIA hebdo-
madis (non : /.\ DIMIDIO hebdomadis), dont parle le
v. 27, et applique ces dix ans et demi sur la partie
finale de toute la série pour aboutir également à la
ruine de Jérusalem. On peut résumer ainsi toute l'in-
terprétation : 70 semaines (62 I 2 et 7 1/2) sont accordées
au peuple juif pour se refaire et attendre des temps
plus heureux, s'il veut bien toutefois croire au Messie
qui apparaîtra à cette époque. Mais Dieu savait bien que
les Juifsne croiraient point au Messie, mais le mettraient
à mort. Il veut alors néanmoins l'annoncer, et il reprend :
A la fin des 62 .semaines 1/2 que j'ai dites, le Saint des Saints
naîtra etsera oint; durant les 7 semaines I 2 il souffrira
et mourra; en punition du crime commis, la ville et le
temple seront détruits à la fin des 7 semaines 1/2. —
Peu d'écrivains ont, avec Tertullien et ses suivants,
terminé exactement les semaines à la ruine de la ville
sainte : nous comptons seulement, parmi les Pères,
Clément d'Alexandrie et Isidore de Péluse, au moyen
âge, Pierre Alphonse et Pierre de lilois. Pour Isidore,
le point de départ esteonstitué par l'autorisation donnée
à Néhémie de relever les murailles de Jérusalem la
20e année du règne d'Arlaxerxès Ier. Les trois autres
ont fixé ce point au début du règne de Darius le Mède
(P. Alphonse, P. de Rlois) ou de Cyrus (Clément). Le
célèbre prêtre alexandrin fait coïncider probablement
la fin des ti'.i premières semaines avec le baptême du
Christ; Isidore, !'. Alphonse et P. de Blois avec le com-
mencement de la guerre juive, que celui-là date la
7e année de l'empereur Claude, ceux-ci la lr«de Ves-
pasien au moment où Titus apparut devant Jérusalem
avec l'armée romaine. Ces auteurs (sauf Clément) ne
détaillent pas autrement les semaines, même la der-
nière; mais ils entendent que le Christ a paru an cours
de ces semaines, com l'a montré leur exégèse, i 'ii
peut réunir à ce premier groupe les demi-eschatologues,
Hippolyte, Ammonius, le pseudo-Cyprien, parallèles à
Clément pour les 69 semaines: Brunon d'Asti (20* an-
née d'Artaxerxès |II'.'| à la mort de Jésus). — b) Le
second groupe ou catégorie qui renvoie la ruine de
Jérusalem à quelque quarante (Titus) ou même cent ans
Adrien) après la clôture de la période des semaines
et qui ferme à peu près exactement cette période sur le
Messie, voir col. 86-88, comprend d'abord un bloc
d'écrivains traditionnels dont le système de computa-
tion offre comme principale originalité d'avoir A sa base
des années lunaires. Les 7i> semaines ne font plus
190 ans. mais seulement 'i7.->. Tour tous, sans exception,
ouvre a la 20' année du règne d'Artaxerxès
U! main . mais pour les uns elle ne clol a la mort
du Christ |t; ou 18 année de J ibère . p
ii u. demi-semaine », à savoir '.i ans i 2 ■■<;
Africain, que suivent exactement Théodose de M<
et l'auteur anonyme du Traclalus contra Jude
opine pour la 16 année de Tibère et compute
se mettre en peine d'eipliquerle pourquoi det
2 et I. lie. L- le Vénérable et a sa suite I,
lia ban Maur. lin .1 Perl, Rupert, le Mangeur, le tau v Alain,
II. de Saint-Cber, Thomas Vallensis, onl pou
la 18« année du successeur d'Auguste. Selon I;. .j
années sont lunaires, parce que \ddbbviai i .»/,„;,• |e
baptême du Christ coïncide avec le ■ milieu de la der-
nière) semaine . an lô de Tibère. Sauf ce dernier
détail, le petit groupe bédan se désintén ment
de la division 7. 62, I. — Il n'en est plus ainsi pour
Théodoret, que suit Zonaras, Albert le Grand .-t |
le Chartreux. Celui-ci. cf. .Iules Africain. Chu,,,. pat-
choie, se contente, il est vrai, de marquer le point
d'arrivée des 69 premières semaines au baptême du
Christ, le milieu de la 70 à la mort de Jésus, et la fin
oute la série à trois ans et demi après le crucifie-
ment; mais l'évêque de Cyr et Albert intervertissent
ainsi l'ordre des nombn I I. De la 20* année
d'Artaxerxès à Hyrcan II. le dernier grand-pn
asmonéen i Théodoret). ou jusqu'à la l!t année avant la
naissance de Jésus-Christ (Albert ,62 semaio
double point au baptême dans le Jourdain (15 année
de Tibère), 7 semaines; la dernière comme D
Théodore! donne la raison de cette interversion
briel place le Christ immédiatement après .ines
Kpi<rroû.-.éô6ouâSe< hrrà, ponctuation de l'hébreu .
voilà le fait; mais si. partant du Christ, l'on remonte
l'ordre des temps, après les 7 semaines (avant, chro-
nologiquement) on trouve les 62; puis la subtilité
l'.vat 8r,Xov (!), 0T( Ta: ï\r;/.'yi-.x Ô'jo IS2o|lzSac ItpOTÉpaç
~i-2/_i I i-;7c'/.o:l. celui-ci a dit : [tsrà ri; â6&»(iâdac ?i;
iHyy.ovTa 6^o È|oXo8peu6^a,eTO( gpfoua : sinon il aurait
dû dire (js-ix -à; 7 v.x: u.=:a ri; 62. — c) l'n groupe qui
aboutit de même à 3 ans I 2 après la mort du Christ,
qui dispose et compute de façon identique la dernière
semaine, a comme chef de file Eusèbe il
Mais pour les 69 semaines i usébe compte de deux
manières assez différentes. Dans la première, où le
suivent un auteur africain du V* siècle. Libellut
genealogiis patriarcharum, /'. L., t. i.ix. col. 51 i. et
Andronicus, le savant apologiste de la Demonslratw
evangelica ayant compris sous l'expression gpiorôc
riYOÛ|ievo; toute la série des grands-prêtres juifs depuis
l'exil babylonien jusqu'à la venue du Sauveur, part de
Josué, lils de Josédec, lequel <. la première année de
Cyrus inaugura ses fonctions de souverain sacrifica-
teur par le rétablissement de l'autel des holo.au-
I Esd., in. 2. La liste des _i amis pr.ln s lui fournit les
éléments de sa chronologie avec le synchronisme de la
mort d'Alexandre le Grand, contemporain de Jaddée, et
les dates données pai I Ma. h., ivi, li, et Josèphe,
An t. jud., Mil. vu. i. \ .7. iv, 5; \\. x. Il arrive
ainsi à la mort d'Alexandre Jannée . t au règne de la
veuve de ce dernier. AI. a.uhIi'.i. changement qui eut
pour effet d'accomplir la prophétie incluse dans le
\ 25, voir col. 86, en divisant le sacerdoce et la
royauté entre Hyrcan II et Aristobule, fils de Jannée, et
en préparant ainsi par les rivalités de ces deux princes
l'intrusion, s,, us Bérode, de grands-prêtres illégitimes).
Hans sa scc.nde manière, l'evequede {.'.< salée, se basant
sur les textes deZacharie, i, 7. et 12, qui marqueraient
la 2 année de Darius lils d'Hystaspe comme la der-
nière des 70 années pendant losquel les Jérusalem devait
rester en ruines, et rapprochant ces textes de Dan., tx,
2, où le voyant de Babylone aurait eu l'intelligence de
celle date .1 de ix. 25, OÙ Gabriel indique dans la
reconstruction de la ville sainte le terminus a quv di s
93
DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE
94
70 semaines, choisit pour son point de départ la 6e an-
née de Darius, voir sa Chronique, I. I, c. xvm, 4, et
atteint, de la 66e Olympiade à la 186e, an 4, la première
année du règne d'Hérode,le upioio; àXXospûXo; (pao-Oeùç)
sous lequel la prophétie de Jacob, Gen., xlix, 10, plaçait
la naissance du Messie. Ont suivi cette deuxième com-
putation d'Eusèbe : Cyrille de Jérusalem, Prosper
d'Aquitaine, Isidore de Séville, Fréculph et Sicard de
Crémone, Chronique, P. L., t. ccxm, col. 442. —
■ l: Autres systèmes. Sulpice Séiére place le commen-
cement des 69 semaines à la reconstruction du temple,
2e année de Darius fils d'Hystaspe, confondu, lui aussi,
avec Darius Notbus ou Oclius, et la fin à la ruine de
Jérusalem par Titus sous Vespasien.il ne dit rien de la
dernière semaine. Polychronius fait courir 7 semaines
de la 1" année de Darius le Mède à la 2e de Darius fils
d'Hystaspe; 62 de la 32" d'Artaxerxès Longuemain à la
naissance de Jésus (32e d'Hérode); la dernière de l'an
15 de Tibère à 3 ans 1/2 après la mort du Christ. Basile
de Séleucie lixe le début des 69 semaines à l'an 28 de
Xerxès, la fin à l'ascension de J.-C. ,19e année deTibère;
la dernière s'achève l'an 3 de Caius Caligula. Raymond
Martin, que suit Paul de Burgos, remonte à la 4e année
de Sédécias, .1er., xxix, 10, 14; xxx, 18, voit de grands
mystères dans la division 7, 62, 1, et finit, avec les
Gloses, à la mort du Christ, 18° de Tibère. Après avoir
admis une computalion parallèle à celles de Théodoret
et d'Albert le Grand, sauf l'interversion 62, 7, Nicolas
de Lyre revint à celle de Raymond, mais seulement
quant à ses points extrêmes. Toute la série, ou plutôt la
sorm les 7d semaines commence bien la 5e année de
Sédécias, six ans avant la destruction de Jérusalem par
les Chaldéens; mais les 7 semaines dont l'ange parle
d'abord ne commencent que l'année de la destruction,
six ans donc après le point de départ de la somme
totale. Ces six années forment le début des 62 semaines
interrompues alors entre leurs 6e et 7e années par l'in-
tercalation des 7 semaines.
2. Ainsi que les anciens et les écrivains du moyen
âge, les modernes qui rapportèrent la lin des 70 se-
maines d'une façon générale au temps du Christ, en
firent coïncider le début avec un décret (ou des lettres
rovalcsj émanant d'un monarque perse (la Bible men-
tionne quatre il'' ces édils : celui de Cyrus, 1 Esd.,
i. 2 iq.j celui de Darius, Mis d'Hystaspe, I Esd., vi,
I sq. ; celui d'Artaxerxès Longuemain, 1 Esd., vu, 11 sq. ;
celui du même Artaxerxès, Il Esd., il, confirmé, m, 15)
touchant la reconstruction de la ville ou du temple de
Jérusalem, de préférence ■< un*' prophétie antérieure
au temps >iii retour ayant le même objet (la Bible
mentionne sepl de ces prophéties : Is., xi.iv. 28; xi,v,
18; Jer., xxvu, 16 sq.; xxix, 14; xxx, 18; Bar., n. 34;
iv. 23 sq.). Quelques catholiques, Calvin, Prseleetionea
m Dan., cl l'anglais Jean Lightfbot, Chronique, ont fixé
le terminus a quo des semaines, comme Clémenl
d'Alexandrie e( Eusèbe (première computalion), à la 2-
"M ■' la I .une. de Cyrus. I Esd., i, 2 sq. Les pro-
testants Scaliger, De emendatione teniporum , /.,■
hebdom. Danielit, el Jean Driesche Dru
xvi'-xvii siècle, Notx in Sulpitium, se son! prononcés
pour la 2* année de Darius Nothus, m. us sans pai
l'erreur de Sulpice Sévère. La 2« ou la 6« année de
Dai iu>, fils il'H i i d., vi, 1 sq., seconde ma-
nière d'Eu» be, a i u Bes partisans dans Corn. Jansen
(.tri -.iiiii- ■!■ (..ui.l. \,i siècle, Concorde <ii •, évangé-
Jean Driedoens (Driedo), xv*-xvi< Biècle, De
Sa-ipturië et dogmatibus, i ne computation, qui pou-
rail psssi ' i""'i i relie - au wir siècli el m1" i I
pti e par Corneille de la Pierre. fa Dan . i
■ qu'elle ail eu pour auteurs des « ehronoli
hétérodoxes . dont Louis Cappel, Chronohgia
Paria, 1655, -• fondait bui le décrel mentionné, I l sd.,
vu. Il sq., el rapports à la 7 année du règne d'Aï
taxerxès, à dater de la mort de Xerxès. Cf. Jacques
Ayrault (Ayrolus), xvnc siècle, Lib. 10 hebdomadum
resignatus , l'anglais Humphrey Prideaux (Pridœus),
Hisloria Judseorum, 1. V. Mais la 20e année d'Artaxerxès
Longuemain, II Esd., H, devait surtout retenir l'atten-
tion des modernes comme elle avait fait celle des
anciens. Entre cette date (à première vue 445 avant
Jésus-Christ) et celle de la mort du Sauveur considérée
comme la dernière année de la série des semaines
(la 490e) ou la 4e de la 70e semaine (in dimidio liebdo-
madis, la 487'), la somme des années prédites se trou-
vai! contenir un excès variable d'au moins huit années.
Afin de restreindre l'intervalle aux limites nécessitées
par la croyance, on remet en avant les années lunaires.
Cf. Pereira, In Dan. ; Augustin Torniel (Torniellus),
Annales sacri et profani, Anvers, 1620; Huet, Demon-
slratio evangelica, Paris, 1679, prop. ix, cvili, n. 9. Ou
bien, si l'on tient aux années solaires, on relève la
20e année d'Artaxerxès, soit en augmentant arbitraire-
ment la chronologie des successeurs de ce prince,
Galatinus, De arcanis catholiese verita/is, 1. IV, c. xiv,
Orthonse-Maris, 1518; soit en le faisant régner huit ans
plus tôt, Jacques Usher (Usserius), Annales V. el A'.
Test., Londres, 1650-1654, an. 474 et 45i avant Jésus-
Christ; Claude Lancelot, Clironologie sacrée, dans la
Bible de Vitré, Paris, 1662, c. xx ; Bossuet, Discours
sur l'hist. universelle, Irc partie, 8e époque. D'autres, se
fondant sur le témoignage d'historiens anciens, Thu-
cydide, De bello pelop., 1. I; Plutarque, Vitse (Thémis-
tocle); Corn. Nepos, Vilœ (Thémistocle); Diodorc de
Sicile, Biblioth. hislorica, part. II, associent Artaxerxès
au gouvernement de Xerxès son père la 5e année de
celui-ci, soit l'an 480 avant Jésus-Christ, et comptent à
partir de cette date sa 20e année, qui tombe alors l'an
460; mais comme les paroles de l'ange ab exilu ser-
monis doivent, pense-t-on, s'entendre de la reconstruc-
tion effective de Jérusalem et qu'il a fallu trois ans
pour qu'elle fut opérée, Josèphe, .4;//. jud., I. XI, c. v,
les semaines d'années ne commencent à courir que l'an
23 d'Arlaxerxès, soit l'an 457 avant Jésus-Christ, et se
terminent exactement l'an 33 de notre ère, une « demi-
seinaine » après la mort du Christ. Cf. Jacques Tirin,
Chron. sacra, c. XXXVIII ; Nicolas Abram, Pharus Vet.
Test., dans Menocbius, Commenlarii, édit. Tourne-
mine. Tournemine a légèrement corrigé ce système en
faisant associer Artaxerxès au gouvernement la 7e année
de Xerxès; les semaines commencent vingt ans après.
Mais Petau, Opus de doctrina temporum, I. X, c. xxv;
Halionariiiin teniporum] part. II, I. III, c. x; Dog-
mala, Dr incanialione, 1. XVI, c. VIII, et Pierre Pous-
sines (Possinus), Disscrlalio, dans Menochii suppl. de
Tournemine, avec ou après eux beaucoup d'autres, Noël
Alexandre, Hist. eccl., Paris, 1730, t. n, diss. II; Louis
Legrand, De incanialione, 1754, diss. II, c. I, a. 2,
§ 2, etc., ont descendu encore jusqu'à la 108 ou même
l.i 12- année de Xerxès l'accession au pouvoir de son
fils Artaxerxès; la première semaine s'ouvre l'an 454
avant Jésus-Christ, la dernière finil l'an 37 de notre
ère, le Christ étant mort l'an 33. Très peu d'auteurs
catholiques modernes oui suivi li. Martin ou Nicolas de
Lyre (seconde manière) en lixanl le terminus a quo
deï ■ mine - i quelque prophétie ■m!. I i me à la Cap-
livité. Citons seulement, d'après Corneille de la Pierre,
Valable, A uimliitimiex, el HalalinilS, op. cit., 1. IV.
C. xvi, contrairement à l'opinion formulée au c. xiv.
3. Les contemporains laissant égale ni de coté les
décrets d< Cyrus el de Darius, lils d'Hystaspe, te sont
prononcés en général pour l'un ou l'autre édil d'Ar-
taxerxès P I 'dit rendu en faveur d'EsdTOS, I I -'I .
vu, c'est-à-dire pour la 7- année d'Artaxerxès, -.ut. non
plus l'an i6" Cappel, Corneille île la Pierre, Ayrault,
Prideaux), mai-; l'an l.'i'i après rectification, la 66
mai ne fini tant l'an 29 de notre ère au baptême du
95
DANIEL LES SOIXANTE-DIX SEMAINES Dl PROPHÈTE
Christ, el la morl de Jésus tombant l'an 33 : Delattre,
De l'authenticité du livre de Daniel, dans la Ri
catholique de Louvain, IH7.">; Neteler, Die Zeit dei
',(> Jahretwoc) 1$, dans Tûbinger Quartal-
ichrift, 1875, p. 133 sq.j Palmer, Conimentatio <»
Dan., Rome, 1874 ;Rohling, Dos BucA des Proph. D
Mayence, 1876, p. 270 Bq.j Corluy, Spicilegium, Gand,
t. i. p. 198 sq.; chez les protestants conserva-
teurs, Auberlen, Der Prophet Daniel, Bile, l*7i.
p. 123, et autres. Cf. Zôckler, Der Prop. Dan., Leipzig,
1870, p. 189. Pour Pédit rendu en faveur de Néhémie
la 20e année d'Artaxerxès, associé au gouvernement de
son père l'an 480 avant Jésus-Christ, mais à partir tou-
tefois de la reconstruction effective de Jérusalem (an
158 i">7. cf. Tirin, Abram, TournemineJ : Stawars, Die
Weissagung Daniels, dans Tûbinger Quartalschrift,
1868, p. 416 sq. Tour la 20 année coïncidant avec Tan
154 avant Jésus-Christ (cf. l'etau, etc.):Dereser. Allioli,
Troclion dans leurs commentaires de Daniel; Bade.
Chris tologie des altcn T'est., Munster, 1862, t. ni, fasc.2:
Reinke, Die messian. Weissagungen, Giessen, 1862,
t. iv. fasc. l;G. K. Mayer, Die messian. Prophezien des
Daniels, Vienne. 1866; l'almieri, De veritate historica
libri Judith aliisque SS. locis, Appendix. Gulpen, 1886;
Hebbelynck, De auctoritale historica libri Danielis,
Appendix, Louvain. 1887, p. 'Ml sq. ; cliez les protes-
tants, Hengstenberg, Die Authentie des Daniel, lîcrlin,
1831.
Remarques critiques. — Tous les systèmes tradition-
nels de compilation des semaines daniéliques ci-dessus
énumérés semblent reposer en dernière analyse sur la
présomption antécédente que la prophétie se rapporte
directement au .Messie, présomption dont ils paraissent
bien être l'inférence plutôt que les prémisses. On part
sans doute de la « parole pour rebàtir.lérusaleni t,f. 25 :
mais on s'étudie à faire aboutir au Cbrist, parce qu'on
v doit aboutir sur les données verbales des versets 2i-
•27. voir col. 81,84-86, la computation que l'on est censé
avoir érigée sur la date présupposée de cette parole.
Quelle qu'ait été la date choisie, 4e ou 5e année de
Sédécias. 1- de Darius le Mède, 1™ ou 2e de Cyrus,
6e de Darius, (ils dllystaspe, 7° ou 20e d'Artaxerxès. voire
1" ou '2- de Darius Nbthus, les interprètes ont toujours
conduit leurs calculs au temps de la mort de Jésus,
encore qu'ils aient dû, pour y parvenir, user d'arbitraire
comme Tertullien, Théodoret, Albert le Grand et Nicolas
de Lyre, dans la disposition des séries de semaines, ou
comme Galatin, l'sher et liossuet, dans la chronologie
des rois de Perse; recourir à l'hypothèse certainement
erronée d'une computation juive par années lunaires,
comme tous les suivants de Iules Africain et de Bède;
admettre surtout entre 1rs séries 7 et 62, ou principa-
lement entre la 69" et la 70" semaines, des intervalles
parfois fort longs que ne suppose nullement le discours
de l'ange, ainsi particulièrement Polychronius et Kusèhe
avec son école dans ses deux manières, sans parler de
la confusion toujours latente entre les Darius. L'opi-
nion maintenant la plus accréditée chez les théologiens
catholiques depuis les travaux de l'etau, et qui semble
si bien assise, du moins au premier regard, ne parait
pas échapper plus que ses aînées au grave soupçon de
la pétition de principe : on continuera à refuser toute
considération à l'hypothèse d'un terminus a i/uo des
semaines coïncidant avec la date d'une parole prophé-
tique antérieure au temps du retour, parce qu'on voit
immédiatement l'impossibilité d'atteindre .i i n-i l'époque
contemporaine de Notre-Seigneur. Que si l'on fait
abstraction de celte époqi t si l'on veul s en tenir
d'abord aux simples et tout objectives données des
textes, la solution rejetée parait de suite gagner beau-
coup en probabilité, L'annonce des 70 semaines, \ . 21 sq.,
est, sans que le moindre doute paisse être élevé sur la
question, étroitement liée aux méditations de Daniel sur
une i parole du Seigneur à '•
tivement au nombre des années de la captivité, le
« nombre était de •• soixante-dix . \. 1
sujet que le voyant de Babylon muni-
cation d'une nouvelle parole i, parole « sortie de la
bouche divine précisément durant la prière qu'il fit à
la suite de ses méditations. \. 23. Et la pointe du dis-
cours aussi est en ceci : la parole dite à lisait
savoir que Jérusalem resterait en ruines 70 ans du-
rant ... \ . ■> : la parole dite à Daniel apprend à celui-ci
que les i soixante-dix ans ,. son! devenus . - i ,nt. -
dix semaines d d'années, non plus de ruines » a
rément, mais de relèvement, mais de pardon. Or.de
quel moment ces semaines commencent-elles à cou
« Du moment où il t est sorti •■ une i parole que Jéru-
salem serait rebâtie . v 25. El que peut être main-
tenant cette « parole » dans un tel contexte, sinon une
autre prophétie « sortie également de la bouche di-
vine et à chercher dans le passé-, la même où Daniel
avait déjà trouvé la a parole des soixante-dix années »,
dans « les livres », dans la collection des « paroles de
Jahvé i> qu'est en réalité le livre de Jérémie, livre presque
entièrement composé, on le sait, de morceaux prophé-
tiques à l'en-téte desquels on trouve plus de quarante
fois en manière de titre la formule presque invariable :
« Parole de Jahvé à Jérémie le prophète, i Le p.is-
,1er., xxx, 18; xxxi,38, remplit toutes ces conditions.
Si maintenant l'oracle des semaines est déjà un déve-
loppement greffé sur la i vision t du c. vin. comme il
parait bien aux paroles de l'angi . IX, 2i « Sois attentif
à la parole et comprends la vision, • paroles manifes-
tement concordantes à la réflexion de Daniel parlant à
la première personne, vin. "27 : i Je restais bien étonné
de la vision, de cette vision du c. vin qui « se rappor-
tait à des temps éloignés i . v . 26 : si cet oracle a. par une
conséquence obligée, pour objet propre et premier de
lixer et de détailler ces temps éloignés: si les c. x et
xi sont, à leur tour, une nouvelle satisfaction donnée
à la légitime curiosité du voyant, qui dès le premier
jour avait eu à cœur de comprendre i, x. 12, et s'était
« humilié » devant Dieu, cf. ix. ;i-20; si. au cours des
nouvelles visions mentionnées dans ces c. x et \i. Da-
niel eut précisément t l'intelligence », entière cette
fois, de la vision, x. 1. de celle du c. vin et déjà me-
surée, supputée en semaines d'années, vu qu'elle «con-
cernait la suite des temps » où il • devait arrivi
quelque chose de remarquable a à son peuple . x. Il ;
cf. ix, 24 : «< 70 semaines ont été fixées sur ton peuple
si les événements marques au c. xi ont bien donné au
prophète cette pleine i intelligence » qu'on lui avait
promise, x. 11. 21; xi. '2. comme l'expression de la
t vérité i même; si enfin, quelques détails d
nements vont s'appliquent, par la force des choses, par
L'effet de ce mouvement des paroles et des visions pro-
_r. ssanl en plus grande clarté, sur les traits histori-
ques servant au c. ix. 25-27, de points d'articulation aux
séries de semaines. 7. 62, I. une demi-semaine, voir
col. 89-90. ei si ces détails se réfèrent à des temps anté-
rieurs à ceux du Sauveur, aux temps enfermes par
l'interlocuteur de Daniel, x. 1 « • sq., entre la :>r année de
CyrUS, cl. x. I. avec xi. 2. et la mort d'Antiochus IV
Èpiphane, il est clair que les soixante-dix semaines
d'années sont elles-mêmes à enfermer, dans leur total
et leurs subdivisions, entre la parole l ;nh'.'-
Jérémie sur la tin du règne de Sédécias el la <> ruine
du prince syrien persécuteur des Juifs sortis depuis
longtemps de captivité. Ainsi apparaissent moins pro-
bables, dépourvus qu'ils Soni de références réelleeavec
ntexte de l'oracle des semaines, les deux terminus
de ces semaines, préférés par la tradition : la 20" année
d'Artaxerxès, la mort du Christ. Du reste, il est beau-
coup plus logique d'admettre que, à l'annonce des
inaines, ,ï l'exposé de leur distribution, l'esprit du
97
DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE;
98
voyant de Babylone s'attacha de préférence, pour en
bien saisir les rapports avec l'histoire de son époque, à
des notions déjà familières telles que les paroles dites à
Jérérnie le prophète, plutôt qu'à de futurs édits dont il
ne pouvait avoir à ce moment aucune connaissance
naturelle, et dont l'ange Gabriel ne lui a donné ou le
« fils de l'homme » du c. x, 16 sq., ne lui donnera
aucune connaissance prophétique. De même pour les
rapports de l'oracle avec l'histoire de l'avenir, Daniel
dut « avoir à cœur de la comprendre », cette histoire
encadrée qu'elle était maintenant par la chronologie des-
dites semaines, en se référant d'abord à la vision du
c. vin dont celle chronologie devait lui préparer l'intel-
ligence, ix, 22, 24; x, 1, etc., et dont une explication
sommaire lui avait déjà été donnée, m, 13 sq., et en des
termes que tous les interprètes, sans exception, recon-
naissent viser spécialement l'époque d'Antiochus Épi-
phane. Car, aussi bien, s'unissent, se compénètrent,
s'identifient, du c. vu au c. xn du livre, dans un ordre
à peu près constant, pour définir à chaque nouvelle fois
un seul et môme objet prophétique, à savoir les événe-
ments fâcheux qui doivent signaler à Jérusalem et dans
toute la Judée les dernières années du prince syrien,
nombre de traits qui ne peuvent raisonnablement, à si
peu de distance les uns des autres, signifier des choses
différentes. Ainsila^i/erreet la dévastation qui fondent
sur le peuple des saints et sur la cité, cf. vu, 21 ; vm,
21. 25; ix, 26; xi, 31, 33-3'i-; l'hostilité du prince étran-
ger à l'égard de l'alliance d'Israël avec Jahvé, cf. ix,27a;
xi, 28, 30, 32; la cessation ou plutôt Yaholilion du thà-
mid ou sacrifice perpétuel, cf. vin, 11, 13; ix, 276 ; xi,
31; xn, 11, et aussi Exod., xxix, 38-42; l'abomination
du prince dévastateur substituée, dans le temple, à l'of-
frande quotidienne, cf. vm, 13; ix, 27 c; xi, 31; xn, 11;
la durée de ces épreuves, évaluée à trois ans et demi
environ, cf. vu, 25; vin, 14; ix, Ttb; xn, 7, 11-12; la
chute lamentable du persécuteur, cf. vu, 26; vm, 26 ;
ix. 26e, 27 c/; xi, 15; l'arrêté ou décret divin par l'effet
duquel sont arrivées et la guerre faite aux saints et la
ruine du prince, cf. ix, 26(/, 27 rf; xi, 36; le temps de la
fin où doit cesser la persécution et commencer le règne
de la justice étemelle, cf. vm, 17-19 ; ix, 26d; xi, 27, 35-
36. 'itl : xn, V. 9, 13. Il est vrai que l'intervalle compris
entre les dernières années deSédécias et la mort d'An-
tiochus devient alors trop court et ne peut que laisser
déborder d'au moins soixante-cinq les 490 années des
semaines 589, 10" année de Sédécias — 164, mort d'An-
tiochus = 125). Mais il n'est pas bien sur que ces
i90 années doivent être prises, non plus que leurs sub-
divisions 49 sept semaines), 434 (soixante-deux se-
maines el ' me' semaine . pour autre chose que des
nombre- ronds, approximatifs, Les soixante-dix ans de
Jérérnie, xxv, 12, dépassent aussi île vingt ans la pé-
riode réelle de la captivité (586, prise de Jérusalem —
536, éditdu retour .Ml). Les nombres 7, 70 sont, dans
ibliques, plutôt symboliques; cf. seulement
I.ev.. xxvi, 27-39, passage auquel se réfèrent, du reste,
le- versets M et 13 de la prière de Daniel, comme pour
entir la conversion des 70 ans de Jérérnie en
7o années sabbatiques ou semaines d'années; puis
Mattb., xvill, 32, etc. Dans l'explication de la prophé-
tie des semaines donnée au c. xi, le « lils de l'homme »,
enfin, laisse de côté toute chronologie précise et se
contente de rattacher les événements à lu série des
principaux rois étrangers qui doivent occuper la scène
«le l'histoire, de Cyrus a Antiochus IV.
III [NTERPR1 iwuin CRITIQUE. — 1° Son histoire. —
I. I)tm\ l'antiquité. — Des avant Jésus-Christ, l'oracle
m. me lui rapporté aui temps d'Antiochus Êpi-
phane indépendan ni de l'explication qui paraît bien
en avoir été donnée aux c. x-xn du livre. Voir plus
haut. Peut-être l'auteur de la section iv du livre
d'Hénoch, lxxxv-xc, n'a-t-il partagé en 70 périodi
DICT. Hl. 1 III DI- CATII L.
temps écoulé depuis la captivité jusqu'au soulèvement
machabéen, i.xxxix, 59; xc, 14. que pour se mettre à
l'unisson d'une tradition juive qui enfermait les 70 se-
maines dans le même espace de temps. Voir F. Martin,
Le livre d'Hénoch traduit sur le texte éthiopien,
Paris, 1906, p. 218. Mais un document de première
valeur qui accuse sûrement cette tradition, c'est la
version alexandrine des versets 24-27 du c. ix, bien
qu'elle présente une grande divergence dans les indi-
cations chronologiques de ces versets par rapport au
texte hébreu. Dans celui-ci, il est constamment ques-
tion de semaines d'années, tandis que, dans la traduc-
tion grecque, l'expression de « semaine » d'abord n'est
conservée qu'aux versets 24 et 27 et ensuite doit s'en-
tendre, en ces deux passages, de semaine de jours, à
côté d'autres données chronologiques ayant gardé, 25,
26, la signification première d'années. D'après ce com-
plexus nouveau, l'exil doit durer 70 semaines encore,
soit un an et quatre mois à partir de la première
année du règne de Darius le Mède; puis s'accompliront
tous les oracles antérieurs, et celui de Jérérnie en par-
ticulier, par le rachat spirituel du péché et le relè-
vement de la ville sainte. Daniel lui-même contribuera
à ce relèvement (chxoSo^ctecç, 25). Cependant il y aura
dans l'avenir une autre reconstruction après une autre
dévastation, à savoir dans 139 ans (Ltexà 77 xaipov; -/.ou.
62 ëtïj), que l'on doit compter très probablement de
l'an 312 avant notre ère, soit de l'an 1" de l'ère des
Séleucides. Ainsi nous tombons en pleine persécution
religieuse organisée dès l'an 170 contre les Juifs par
AntiochusIV. Aussi le Daniel alexandrin voit-il successi-
vement l'onction sacerdotale légitime disparaître (àiro-
rs-ubrpiza.i. ypiiTij.a) avec Onias III, l'armée syrienne sac-
cager la ville et le sanctuaire, l'autel des holocaustes
profané, le sacrifice quotidien interrompu, puis enfin
l'alliance rétablie pour longtemps (•/.a-rirr/'ja'ai t^v 6ia-
6/,y.v sm 7:o>,).à; ïôoQ\j.ifjy.ç). V. F raidi. Die Exégèse der
70 Woclien, p. 4-21; Bludau, Die alex. Uebersetzung
des B. Daniel, p. 104-130.
Dans l'antiquité chrétienne, seuls Julius Hilarianus
(fin du iv siècle) et quelques exégétes contemporains
de ïhéodoret, In Dan., P. G., t. lxxxi, col. 1236 sq.,
ont émissur Dan., ix, 2'f-27, des conclusions semblables
à celles des critiques modernes. Hilarianus, De dura-
tione mundi, P. L., t. xm, col. 1097 sq., compte les
7 premières semaines de l'an 1er de Darius le Mède
(la 2b de la captivité) jusqu'à l'an 1 ' de Cyrus le l'erse
fia 70* de la captivité); le Christum ducemdu f. 25 est
Zorobabel, qui > ramène le peuple juif de Iîabylonie »
en Judée. Les 62 semaines finissent l'an 141 de l'ère
des Séleucides (171 avant Jésus-Christ ; l'unctio OU
•/pt'uLia du v. 26 est ou bien le sacerdoce, ou bien l'en-
semble du culte du vrai Dieu. Au milieu de la dernière
semainequi se termine l'an 148 (164 avant Jésus-Christ),
Antiochus interrompt le sacrifice et dresse sur l'autel la
statue de Jupiter Olympien (l'abomination). Selon
l'évéque africain, Darius le Vfède aurait donc régné
i9 ans, et la première année de Cyrus serait non pas
l'an 1e" de la prise de l!;ibylone, mais de son élévation
au tn des Perses : les :i(l années du règne total de
Cyrus seraient a compter dans les 62 semaines. Pour
atteindre l'an lil des Séleucides, Hilarianus augmente
de 33 années la réelle durée de l'empire perse, el de
11 à 12 celle de la période gréco-s\ rienne.
2. Le XVI siècle vit renaître le systé dans les ou-
dea théologiens Sixte de Sienne. Bibliolheca
s,,,,, in, i. vin. lier. \n, Venise, 1556, p. 1040, et de
William Hessels, van Est (Guill, Estius), Annotatù
m pradpua ae difftciliora sac. Script, loca, Anvers,
1699. p. :s7'i :i7.">. Au xvii*, le chevalier Jean Marsliam
Chronicut canon mgypliacua, etc., Londres. 1672.
- 1 , wiii. le reconstruisit sur le plan que lui avait
donni i Hilarianu»; sauf que les 69 semaines corn-
IV.
4
m
DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES l»r PROPHÈTE
|IM|
in ciic-i'ii t à la ruine de Jérusalem, "21 ans avant le poinl
initial des 7 premières semaines (an 21 de la captivité)
<|ui leur m. ni alors parallèles. Jean Hardouin, De i\\
hebdomadibut DanieliB, dans Opéra selecta, Amster-
dam, 1705, p. 880-803, 01 partir du même point la 'i Bn-
née de Jojakim, Jer., .\w. les deux séries 7 ci 62; la
première finit en .V>7 lorsque Cyrus acci de au trône des
Mèdi - conquis, la seconde en 172 lorsque Judas Ma-
chabée autre Christum ducem, }. 25, commence à faire
parler tli- lui: le Christus occisui du v. 26 est bien le
Messie, mais figuré dans Onias III mis à mort l'an 171,
;ni cours de la 63' semaine, laquelle se trouve être aussi
la 70 ; les ravages d'Antiochus Epiphane sont également
figuratifs : ils annoncent ceux de Titus. Au xvnr siècle,
(loin Augustin Calmet, Dissertation star les 10 se-
maines de Daniel, clans Commentaire littéral, 2" édit.,
Paris, 1726, t. iv, p. 614-621, rejette les systèmes de
Marsham et de Hardouin. Les 70 semaines commen-
cent l'an de la ruine de Jérusalem prise par les Chal-
déens, et le Christum ducem des 7 premières semaines
est Cyrus; Cyrus renvoie les captifs, et c'est alors que
se réalisent les biens promis au v. 24: les Juifs désor-
mais n'adoreront plus les idoles. Dieu oubliera leurs
infidélités passées, le temple est reconstruit et recon-
sacré. Les 62 semaines courent de celte époque au
meurtre d'Onias III. Le reste de l'oracle s'applique au
temps d'Antiochus IV. Et c'est Calmet qui reconnaît et
affirme que les c. vii-xii du livre de Daniel n'ont au
fond qu'un seul grand objet : faire savoir au prophète
ce qui devait arriver au peuple juif et aux nations de
l'Orient depuis le règne de Cyrus jusqu'à celui d'An-
tiochus Epiphane.
Les critiques protestants modernes et contemporains
se tiendront généralement dans le cadre tracé par
Marsham, Hardouin, Calmet, insuffisant à contenir les
180 ans des 70 semaines si l'on ne rabat les sept pre-
mières sur les 62. Seul Bœhmer, Deutsche Zeitschrift
fur christl. Wissenschaft, 1857, p. 39 sq., a voulu comp-
ter ce total et en a reculé l'année initiale jusqu'en <>5't
avant Jésus-Christ, date supposée du retour du roi
Manassé, II Par., xxxni, 13 : cette date est arbitraire-
ment choisie; les deux autres sont 605 et 171. la série
finit l'an 164. Beaucoup supposent parallèles et partant
du même point les deux séries 7 et 62, quoique ce point
de dépari ne soit point, chez tous, uniforme, et que
l'on trouve d'étranges compilations qui prennent à re-
bours les 7 premières semaines, et placent l'Oint du \.
2."» en arrière, avant le temps de la captivité. Comptent
les 62 semaines et les 7 semaines, dans le sens paral-
lèle et convergent, de la « parole » de Jérémie, xxv,
aux temps d'Antiochus : C. Wieseler,Go7f.gel. Anxeigen,
1846, p. 'i.'i (an 606-172 ou 175; l'Oint des versets 25 el
26 est Onias III); Hil/ie, (définitivement), lias Buch
Daniel, 1850 (606-172; Oint du y. 25 = Cyrus (536) : Oint
du \. 26= Onias); .Meinhold, Dos Buch Daniel. 1889,
et Behrmann, Das Buch Daniel, 1894 (comme Hitzig .
de la ruine de Jérusalem contemporaine de la i parole
(le Jérémie, xxxm; Henri Corrodi, Kritische Geschichte
îles Chiliasnius, 1781, t. m, p. 258 sq. [an. 588-170;
l'< fini du \ . 25 était bien le Messie qui n'est pas venu au
temps fixé, celui du f. 26 esl Onias); von Lengerke, Das
Buch Daniel, 1835 (588-536, Oint Cyrus': 588-220,
Oint Séleucus Philopator (!) empoisonné par Hélio-
dore l'an 175 avant Jésus-Christ; la 70* semaine avail
coi ncé en 178 , Comptent les 69 semaines el les 7
semaines dans le sens parallèle mais divergent :
<;. Eichhorn, Die hebr. Propheten, 1816-1819, t. m.
p, Î7 les 62 semaines courent de l'an 606, Jer., xw. a
l'an 165, purification du temple par Judas Machabée,
les 7 semaines partent de l'an 536, édil de Cyrus, el
remontent en arrière jusque vers l'an 588, l'oint du % . 25
étant Nabuchodono 70* Bemaine est comprise
entre les dates ith 165, avec l'Oint iln uii identiiié à
Onias III ; Ammon et le docteur Paulus comme Eich-
horn qui Paulus date ainsi les 62 semai
154, identifie l'Oint du t. 25 avec Sédécias, celui du
avec la souveraine sacrilicature entre < inias et Jonathan,
et l'ait commencer la 7<> si inaine l'an 175 avant 1
Christ. Beaucoup aussi, reportant à l'époque m;
béenne la composition du livre de Daniel, gardent Toi
continu 7 + 62 + 1, et attribuent simplement a un
calcul inexact de l'auteur mal renseigné sur le i
écoulé depuis l'exil l'écart m considérable de- la
putation daniélique d'avec la chronologie (•••elle. I.
Theologische Zeitschrift de Schleiermacher, t. m. |
an. 588-536, Oint = Cyrus; 536-175, Oint = Séleucus
Philopator: 175 sq.); Graf, art. Daniel, dans Bibel-
Lexicon de Schenkel, 1869; N'ôldeke, Histoire littéraire
de l'Ancien Testament, trad.frani .. Paris. 1873, p
330; Schûrer, Geschichte des jûd. Volkes in\ Zeitaller
i. C, 3" édit., 1898, Leipzig, t. m, p I- rnill,
Die 70 Jahrwochen Daniels, 1889; G. Wildeboer,
Literatur des Mien Testaments, 2< édit., Gœttii -
1905. p. 438 (selon ceux-ci l'Oint du JE 26 est plutôt Oni
Bevan, A short comm. on the Book of Dan., 1893
v. 25, an. 588-536, Oint = .losué fils deJosédec; *. 26,
536-171 . I fini = » Inias III, le prince qui vient = Jason,
frère et successeur d'Onias, cf. II Mach., v. 7-10:
Antiochus); Marti, Das Buch Daniel, 1901 y. 25, an
538, Oint = .losué': f. 26, 538-171, Oint = Onias III, le
prince qui vient est encore Onias III renvi r» avec »
la ville, voir col. 98; \ . 27, Antiochus); Driver, The
Book o/ Daniel, 1900 \.25. .-m." ,rus;t.26
171, Onias III ;\ . 27. persécution d'Antiochus). Bertholdt,
Daniel ûberselzl und erklârt, 1806-1806, el Ewald,
Jahrbûcher fur deulsche Théologie, t. vi. p. 19'». ont
exposé' des systèmes assez peu clairs et trop srbiti
sans arriver à résoudre la difficulté'.
2" Bases de la théorie. — Abstraction faite des ten-
dances rationalistes qui ont pu inspirer et guidei
fauteurs protestants, surtout dans les commencements,
voir Holding. Das Buch des Propheten Daniel. 1876,
p. 283 sq., l'interprétation critique des 7o semaines
peut être comparée à l'interprétation ecclésiastique
traditionnelle, à la fois pour la fermeté de son principe
fondamental et pour la variété des opinions émises sur
ses points secondaires. Comme les auteurs catholiques,
exégètes ou théologiens, rapportent unanimement
l'oracle au temps du Christ, sans avoir pu s'entendre
sur tout autre aspect de la question, ainsi les critiques
sont unanimes à le rapporter au temps d'Antiochus IV
Epiphane. sans avoir pourtant réalisé l'identité des opi-
nions sur la date précise du terminus a quo dl -
maines, sur l'arrangement des trois fractions entre
lesquelles elles se trouvent partagées, sot I identifica-
tion des personnes ou des événements qui les di ter-
minent. N'y aurait-il pas dans cet étal de Choses que
l'on peut dire général comme une invitation tacite à ne
considérer, dans la prophétie, que le poinl d'arrivée
pour lequel principalement elle fut émise, avec lil
de ne se point mettre trop en peine d'expliquer à fond
tous ses moindres détails ' Quelle prophétie, du i
prise dans son sens premier, direct el littéral, esl si
précise qu'il ne nous reste plus maintenant d'autre soin
que d'en transporter sur elle l'accomplissement histo-
rique pour admirer la parfaite coïncidence de tout. •
parties, de même que l'on transporte par la pensée un
triangle sur un autre triangle en vue d'en démontrer
la mutuelle et parfaite égalité' a I es critiques ont
fini par saisir cette nuance, el rejetant peut-être i tort
les conjectures d'Eichhorn, op. cit., de Bertholdt,
op. cit., et de Rosenmiiller, Scholia in l'el. Test., 1832,
qui trouvaient dans les nombres de la prophétii
certaim poésie . ou mieux encore un symbol
sai ie et prophétique » s'exprimanl en ichifTn
' ils ont, en tout cas. définitivement pose en principe
BIBLIOT..
101
DANIEL (LES SOIXANTE-DIX SEMAINES DU PROPHÈTE1
102
1' « erreur » commise par l'auteur du livre dans l'ap-
préciation du temps écoulé entre la chute de l'empire
chaldéen et la mort du grand-prêtre Onias III. Bevan,
op. cit., p. 148-149; Marti, op. cit., p. 72-73. Le mot
dépasse assurément la mesure; aussi, dans l'hypothèse
critique, la seule base acceptable pour la computation
des semaines serait-elle le symbolisme du schéma de
« soixante-dix » imposé en quelque sorte par les 70 ans
de Jérémie, partageable par à peu près en schémas
secondaires de 7, 62 et 1, selon la situation chronolo-
gique approximativement appréciée par le prophète
écrivain, et sans que celui-ci se fût autrement soucié
de la faire matériellement exacte, des jalons posés par
l'histoire : Cyrus, reconstruction de Jérusalem, Onias III,
Antiochus, etc., sur la route à parcourir à partir des
temps daniéliques. Driver, op. cit., c. IX, dissertation
appendiculaire. — b) Un autre fondement du système
et qui, une fois bien assis, cadrerait fort à la symboli-
sation des semaines, c'est la thèse critique de la com-
position du livre au temps d'Antiochus IV par un écri-
vain juif machabéen. Voir col. 72-73. Abstraction faite de j
la vision du c. ix, toutes les visions paraissent aboutir
à l'impie Anliochus dont l'auteur nous fait connaître la
vie en détail jusqu'en 168, spécialement au c. xi, ainsi
que les démêlés et les alliances des Séleucides et des
Lapides au début du IIe siècle avant notre ère; mais
l'abondance et la précision des détails historiques sont
restreintes à cette seule période gréco-syrienne, les
quatre empires sont à peine esquissés et l'écrivain en
déroule l'histoire comme si elle appartenait à un passé
déjà éloigné; d'autre part, le vague du détail recom-
mence justement lorsqu'il s'agit de prédire la mort
d'Antiochus et les événements qui la devaient circon-
stancier et conditionner. Or, la prophétie des semaines
coïncide dans Ion to hypothèse, pour une bonne part, à
savoir pour les semaines correspondantes aux iv et
ni" siècles avant notre ère, avec l'époque imprécise et
obscure des autres visions; elle n'indique même aucun
événement pour cette période; elle détaille pourtant
avec complaisance et clarté suffisante la dernière se-
maine, où les faits et les temps vont d'eux-mêmes à
- identifier aux faits et aux temps de la persécution de
l'Kpiphane marqués dans les autres visions; elle se
garde enfin de rien dire de précis sur la ruine du per-
sécuteur. L'auteur agirait donc en tout comme s'il
écrivait en l'année 168; et l'oracle des semaines ne
serait, lui aussi, qu'une vue rétrospective des temps
écoulés depuis la captivité, un cadre chronologique ou
approximatif, ou symbolique, donné aux événements
intéressant particulièrement la nation juive durant les
siècles compris entre la date du retour et les jours
d'épreuves amenés par l'oppression syrienne sous An-
tiochus IV. Le pseudo-Daniel aurait esquissé ce cadre
i n ^i\le prophétique, ou mieux apocalyptique, dans
l'intention de mettre en relief, par une fiction dont
tuèrent dans une si large mesure les auteurs d'apoca-
lypses juives, l'action de la providence divine sur la
heureuse ou malheureuse pour le peuple choisi
des rapports de ce dernier avec les autres nations :
hien qui a tiré de peine « les saints de son royaumes
lors de Cyrus el de la reconstruction de Jérusalem
le retour, ne saurail manquer de les sauveraussi
lors des attentats coi is contre eux, contre le temple
et le sacerdoce, contre la ville, par le plus cruel et le
pins implacable des rois païens, par l'impie et lartifi-
Épiphane. c Le eclionnement du t. 585 dans le
texte massorétique a eu aussi sa pari d'influence dan
re de l'interprétation critique. Un i oint i, gratifié
trcroll du litre de <> prince », se trouvant placi
1 la lin di - jepl premières semaines, il devenait Em-
ile d'attribuer cette double qualification a quelque
important personnagi qui i e fui tur la lisière c -
muiie des \ et iv< sii des, 19 an ' 7 environ
l'édit d'Artaxerxès (soit 454). Et encore que les 62 se-
maines fussent peut-être à considérer comme un chiffre
rond, approximatif, symbolique, attendu qu'elles ne
pouvaient plus être rétrécies, il fallait en faire remon-
ter le point de départ beaucoup plus haut qu'Artaxer-
xès, jusqu'à l'édit de Cyrus, sinon jusqu'à l'avènement
de ce prince au trône des Perses, moments indiqués
par Isaïe, xliv, xlv. Le point initial des 70 semaines
reculait encore de 49 ans en arrière et atteignait les
temps des plus ardentes prédications de Jérémie, xxv,
xxx-xxxi.
A condition qu'on dût la dépouiller de toute nuance
rationaliste et de tout caractère d'hostilité à la véracité
de l'auteur sacré, l'interprétation critique pourrait être
acceptée par le catholique le plus sincère, soit que
celui-ci considérât l'oracle des semaines comme une
véritable prophétie, soit qu'il le voulut composé au
temps d'Antiochus : annonce prophétique de l'avenir,
ou histoire sainte du passé et du présenl, mais type
historique, Dan., ix, 24-27, garderait également bien
dans son objet direct le sens messianique que lui a re-
connu ou attribué la tradition chrétienne depuis l'ori-
gine jusqu'à nos jours. Cf. cardinal Meignan, Les der-
niers prophètes d'Israël, p. 136-165.
Tous les commentaires et les monographies : 1" Catholiques :
Hardouin, De lxx hebdomadibus Danielis, dans Opéra setecta,
Amsterdam, 1705, p. 880-903; Calmet, Dissertation sur les
10 semaines de Daniel, dans Commentaire littéral, t édit.,
Paris, 1726, t. VI, p. 614-621; Sclioll, Comment, exeget. de sep-
tuaginta hebdomadibus Danielis, 1829; Bade, Christologie
des Alten Testament, t. m, fasc. 2, Munster, 1852, p. 75-13'i ;
Reinke, Die messianischen Weissagungen, Giessen, 1862. t. iv,
p. 167-440; Mayer, Die mess. Prophezien des Daniel, Vienne,
1866, p. 158 sq. ; Stawars, Die Weissagung Daniels in Bezie-
hung auf das Tau/jahr Christi, dans Tùbing. Quartalschrift,
1868, p. 416 sq.; Reusch, Patristische Berechnung der
10 Jahreswochen, ibid., 1868, p. 536 sq. ; Neteler, Die Zeit der
10 Jahreswochen Daniels, ibid., 1875, p. 133 sq. ; Fraidl, Die
Exégèse der Siebzig Wochen Daniels, Graz, 1883; Corluy,
Spicilegium dogmatico-biblicum, Gand, 188'j, t. i, p. 474-515;
Lamy, La prophétie de Daniel, dans La controverse, Lyon,
février 1886; et dans le Dictionnaire apologétique de la foi
catholique de Jaugey, Paris, s. d. (1889), col. 698-721; Palmieri,
Yaticinium Danielis, dans De vcritale historica libri Judith,
Gulpen, 1886, p. 61-112; Rebbelynek, Interprètatia vaiicinii
de septuaginta hebdomadis, dans De auctoritate historica
libri Danielis, Louvain. 1887, p. 281 sq.; cardinal Meignan, Les
rs prophètes d'Israël, Paris, 189i, p. 85-135; G. Toby
(L. Bigot), Les soixante-dix semaines du prophète Daniel.
dans la Revue des sciences ecclésiastiques, Lille, 1900, t. II,
p. 148-169, 193-216, 289-305, 495-508; Van Etten, Expositio prte-
dictionum Danielis prophétie Circa tempus quo Jésus Chri-
stiis. exspectandUS erat et mortuus est, Rome, 1901; Tunnel,
Prophétie des soixante-dix semaines, dans Étude sur le livre
de Daniel, Paris. 1902, p. 13-27; l.agrange, Les prophéties mes-
sianiques île Daniel, La prophétie des semaines, dans la Revue
I, il, li, /ne, 1904, |i 509-514; Uémaln, Les 10 semaines de la pro-
phétie de Daniel, 2* édit., Paris, 1904: Tostivint, Les 1" mis de
lie et les 10 semaines de Daniel, Interprétation nouvelle,
Bennes, 1906; .1. van lîehlior, Zur Berechnung der 10 Wochen
Daniels, dans Biblischr Zeitschrift, 1906, t. iv, p. 119-141;
.1. Hontheim, Das Todesjahr Christi und die Danielieche Wo-
i s Der Katholik, 1907.
2* Protestantes : cti. Wagenseil, Wantissa de lxh hedomadi-
bus Danielis (contre Marebam), in-v,s. t. n. d.; Hengstenberg,
Die siebensig Wochen Daniels,âsns Christologie, Berlin,
t. n. p. 401-ôHi ; Wieaeler, Die 70 Wochen und die 63 Jahrwo-
chenil, 1889; J. K. Hofmann, Die
i0 Jahre des Jeremlas und die siebensig Jahrwochen
des Daniel, dans it und Er/uUung, Nordlingen, 1841,
t. i, p. 296-311; ii' 70 Jahrwochen Daniels, ix, 24-
27, dans les n,-,i. Sttidien und Kritiken 1858 i> 785-762;
n tiesagung von Jeu ~,n John
Lms Jahrbucher fur
270; Van i • anep ' i Daniel, Utreoht,
1888; CornlU, Dis tarwoehen Daniels, dan I
und Shizien uns Ost\ en.
p. 1 sq.; ii. Wolf, Dis siebzig H ochm n ie\ Sin
I heol.
103
DA Mil.
l"i
Quartalêchrift, 1892, i '"te se-
inaine» d'année» de Dan. ix.dm \ogie et
de philosophie, 1882, p. 197-202; M. U>br,Textkritisch>
arbeiten :>< einer Erkliirut he» Daniel*, dan» Zeit*
tchri/ïfûraltteslamentliche WI$senechaft,iS06, t. xv,p.75sq
1896, t. xvi, p n wj.
l.. Bigot.
2. DANIEL i métropolite de MoscouetdetoulelaRu
(1522-1539). Les historiens de l'Église russe tracent de
lui un portrait peu Oatteur. A peine âgé il'- 30 ans, il
réussit à s.' faire dire higoumène «lu monastère Yolo-
kolamsky (de Volokolamsk, ville du gouvernement de
Moscou), fondé par Joseph Volol/.kv (y 1515). Le 27 fé-
vrier 1522, il succéda au métropolite Barlaam sur le
siège métropolitain de Moscou. [1 poursuivit d'une haine
acharnée les moines Maxime le Grec et Iiassien Cosoï,
qui soutenaient, contre les moines du monastère Yolo-
kolamsky, que la vie monastique implique le renonce-
ment ahsolu au droit de propriété des biens immeubles.
Daniel les lit condamner par un concile tenu à Moscou
en 1525, et livra Maxime aux moines de son monastère,
qui pendant six ans lui infligèrent les plus mauvais
traitements. Il donna un exemple frappant de son ser-
vilisme à l'égard du pouvoir civil. Le grand prince de
Moscou, Basile Ivanovitch, avait épousé en 1505 Solo-
monia Iourevna Sabourov. Après vingt ans de mariage,
n'ayant pas eu d'enfants, il décida de répudier sa femme
pour en épouser une autre. Le métropolite Daniel se
prêta au désir du grand prince; il força Solomonia à
prendre l'habit monastique le 28 novembre 1525, et le
21 janvier 1526, il bénit le nouveau mariage de Basile
avec Hélène Vasilevna Glinska. Mais après la mort de
Basile et d'Hélène, il fut chassé de son siège par le
prince Ivan Fédorovitch Bielsky (2 février 1539) et en-
fermé au monastère Volokolamsky, où il mourut le
22 mai 1517.
Les écrits de Daniel sont de trois sortes. Ses écrits dog-
matiques forment un recueil de 10 sermons sur l'Écriture
sainte, l'incarnation, l'obéissance à l'autorité établie par
Dieu, le divorce, la providence, etc. Le plus important
est le sermon sur l'incarnation, dirigé contre Uassicn
Cosoï, à qui on reprochait de soutenir que le corps du
Christ différait du corps humain, et avait été incorruptible
avant sa résurrection. Le sixième et le septième discours
réfutent l'hérésie des judaïsants russes. Ses œuvres mo-
rales consistent en une série de quatorze lettres adressées
à divers personnages ou à des moines sur la vie com-
mune dans les monastères, le jugement universel, la
brièveté de la vie, etc. Il a dirigé encore la publication
d'un recueil de pièces et documents relatifs à la métropole
de Moscou. Les écrits du métropolite Daniel renseignent
sur les conditions morales et les doctrines de l'Église
russe au xvie siècle. Les raskolniki russes les ont en
grande estime, parce qu'ils y trouvent des arguments
à l'appui de leurs croyances. D'après le métropolite
Macaire, Daniel posséda toute la culture théologique de
son temps, et Maxime le Grec, sa victime, l'appela le
docteur de la loi de Dieu, t. vu. p. 395-3%.
Le meilleur ouvrage sur la vie et l'œuvre littéraire du métro-
polite Daniel est celui du protoiereus Basile Ivanovitch Ijma-
kine ff 8 juin 1907), inséré dans les Tchleniia de la Société
dec amateurs de l'histoire et des antiquités russes de m
tiitropollt Daniel, ego sotchinenlia, Moscou, 1881. Les écrits de
Daniel y sont longuement analysés, p. 237-750, et édités d'une
ritique à la lin du volume. Voir aussi Eugi De (métropolite),
Slovar ii pisateliakh dukhovnago tchlna, Saint-Péiersbourg,
1827, i. i, p, 114-116; BiéUaev, Daniel, mitropolil VoekovskH,
dans les Itvleetiia de l'Académie Impériale des s. ii n
Saint-Pétersbourg (section de langue et littérature ni
t. v, p. 194-209, et dans les [etoritcheskiia Tchteniia o yazykle
islovemosti de la même Académie, isôt, p. 96-118; Gorsky
Nevostruev, Opisanie rukopiaei iloskovskoi linodalnoibibUo-
theki, Moscou, 1868, l n, p. 111, 147-164; Nlkolaevsky, Rus-
êkaiapropo vled v rvl \w olekakh, dans Journal du ministère
de l'instruction publique, 1868, t. exxxvn, p. '.'•"
1. cxx.wiu p. IJ-177: I iltur.
znatchenii Viiantii v
iia moskovskuijo mitro]
Daniila, h : t in,
p. 181-275; ld., Istorii
1874, t. vu, p. :vr.'
1874, p. 90-10i ; Pol
si. ma kriitomatiia dlia itul
a. Kiev, 1879, p. 138-151; (ilieb- /"•
mitropolil, kak propoviednik, lunzn
Viedomosti, 1k7'i. a.6, p. 132-139; Entzx jvar.
t. x, p. 88-90; Pravoslavnaia bogostovskaia Entziklo\
i. iv, col. 922-928 : Russkii blographitcheskii Slovar, !■
p. 8442.
A. 1 * \i.Mii.r-. i .
:j. DANIEL Gabriel, né à Rouen le 8 février !•
admis dans la Compagnie de Jésus le 16 septembre 1667,
professa plusieurs années la rhétorique, la philosophie
et la théologie, et mourut à Paria le ■!'■'• juin 1728. Il
est plus généralement connu par son Hisloir.
France et son Histoire de la milice française, mais il
s'est aussi montré habile et fécond polémiste dans les
controverses philosophiques et théologiques de
temps. Le premier ouvrage qu'il publia fut le Vnyage
londe de M. Descartes, spirituelle critique du sys-
tème du monde de Descartes, qui parut d'abord en
1690, à Paris, et eut plusieurs éditions successivement
augmentées. La réponse aux Lettres provinciales de
Pascal, intitulée : Entretiens de Cléandre et oVEtu
sur les Lettres au provincial, in-12, Cologne Rouen ,
1694, et plusieurs fois rééditée avec additions, eut
lement un succès considérable et mérité; mais, natu-
rellement, cette réfutation, toute solide qu'elle était
dans l'ensemble, et même bien écrite, ne pouvait em-
pêcher le chef-d'œuvre littéraire de Pascal de se faire
lire et de rester pour la masse des lecteurs superficiel^
l'expression de la vérité. La mention faite dans ces
Entretiens d'une interprétation singulière du P. Noël
Alexandre, dominicain, provoqua une vive attaque de
celui-ci contre le P. Daniel. Il en résulta, entre les
deux théologiens, un échange de lettres publiques; il \
en eut dix du côté du second et autant ou nias du
côté du premier, roulant principalement sur le paral-
lèle de la doctrine des thomistes avec celle des jésuite-,
par rapport à la morale, en particulier leprobabilis
et à la grâce. La controverse, commencée en 1696, fui
arrêtée en 1697. sans être terminée, par l'autorité- du
chancelier. En 1701. il publia : Défense de saint Au-
gustin contre un livre oui paroU de/mis peu sous le
nom de M. de Launoy, où l'on veut faire pass.
saint Père pour un novateur, in-12. Paris. 1701. L'ou-
vrage dont il s'agit était intitulé' : La véritable tradi-
tion de l'Église sur la prédestination et la g,
Liège, 1702. Dans une critique du même ouvragi
P. Hyacinthe Serry, dominicain, ayant avancé qu
que Launoy avait dit de plus violent contre saint Au-
gustin était lire des théologiens jésuites, le P. Daniel
prit encore la défense de ses confrères, d'abord dans
une lettre au P. Cloche, général des dominicains, pu-
bliée en 1705, puis dans trois lettres adressées au
P. Serry, Paris, 1705 el 1706. En outre, il consacra î la
question principale ins ces poli iniques un
Traité théologique louchant l'efficacité de la grâce,
où I'"» examine ce gui est de fog sur ce su/cl et ce qmi
n'en est /'as: ce qui est de saint Augustin et ce gui
n'en est pas, in-12, Paris, I7u.~>: nouvelle édition aug-
mentée en deux tomes in-12, Paris, 1706. Il publia
aussi trois dissertations théologiques sur la nécet
morale et l'impuissance morale par rapport ans
bonne» amures, contre la théologie de Louis Habert,
Paris, 1714 Enfin, il intervint également dans la que-
relle relative aux rites chinois, par une Histoire apo-
logéligue de la conduite des jésuites de la Chine,
adressée <> Messieurs ■ s M ssions étrangères, in-fi
in-12, Paris, 1700,
105
DANIEL - DANIEL DE SAINT-SEVER
106
La plupart des ouvrages du P. Daniel, que nous ve-
nons d'indiquer, et d'autres que nous omettons comme
moins importants ou étrangers à la théologie, ont été
réunis dans le Recueil de divers ouvrages philoso-
phiques, apologétiques et critiques, 3 in-4», Paris,
172i. On a prêté à la plume facile du P. Daniel divers
autres écrits de circonstance, notamment le fameux
Problème ecclésiastique proposé à M. l'abbé Boileau,
rtc l'archevêché : à qui l'on doit croire de messire
Louis-Antoine de Noailles, évêque de Châlons en
1695 ou de messire Louis-Antoine de Noailles, arche-
vêque de Paris en 1696. Cette pièce méchante, qui
parut en 1698, relevait la contradiction qu'il y avait
entre l'approbation donnée par Noailles, en 1695, aux
Répe.cions morales sur le Xouveau Testament du
P. Quesnel, et la condamnation par le même, en 1696,
de VExposilion de la foi catholique touchant la
grâce et la prédestination de l'abbé de Barcos, les
deux ouvrages contenant la même doctrine (janséniste).
Le Problème fut brûlé par la main du bourreau, à
Paris, sur arrêt du parlement, et proscrit, à Rome, par
le Saint-Office; Bossuet prit la peine d'en composer
une réfutation, qui fut publiée après sa mort par Ques-
nel. Le P. Daniel, désigné comme auteur par la mali-
gnité d'une partie du public, déclina sous serment la
paternité de l'écrit par une lettre adressée à l'arche-
vêque et qui fut imprimée. Mais la preuve de son inno-
cence qui désarma le soupçonneux prélat, ce fut la
découverte que lit la justice en examinant la corres-
pondance saisie des jansénistes Quesnel. dom Gerbe-
ron et dom Thierry de Viaixnes, arrêtés en 1703 : on y
voyait en effet que le Problème avait pris naissance
dans la secte. Mémoires mss. du P. Léonard de
Sainte-Catherine au 27 septembre 1703, Bibliothèque
nationale, ms. fr. 1921 1 ; Lettre de l'évêque d'AgenlHé-
bert) " M. de Pontchartrain, 15 octobre 1711 (imprimée).
Nous n'avons pas à entrer davantage dans la question
ili' l'auteur de ce pamphlet; mais nous rappellerons
que le»regrelté théologien dont le nom figure le pre-
mier au frontispice de ce Dictionnaire, l'abbé Vacant,
par des recherches originales, a rendu presque cer-
taine l'attribution, déjà proposée autrefois, à dom llila-
rion Monnier, bénédictin de la congrégation de Saint-
V;mne, qui résidait en 1698 à Besançon. Bévue des
■ ces ecclésiastiques, IS90. t. I, p. 41 1-425 ; t. n,
p. 34-50. 131-150.
i ii tète de l'édition qu'il a donnée
de l'HiStoi) ''.' du P. Daniel, 17 in-4*, Paris. 1755-
i. I, p. xvm-XXMv; Moreri, Dictionnaire, 1755, I. IV;
Mirhaud, Biographie universelle, t. x. art. par Walckenaer ; De
Backer-Sommervogel, Biblii Jésus, t. n,
001.1796-1815; Hurler, Womenclator, t. m, col. 1042-1043, 216,
1087, 1140; Reu en Dei Indi ■ . t h, p, 488, 087, 688, 728,
1211.
.(OS. RRl.'CKER.
6. DANIEL DE LA VIERGE, carme belge, né en
1015 à llam en Klandre, profèsàGand en1632. Reli-
ix exemplaire, théologien docte et prudent, travail-
leur infatigable, le Père Daniel de la Vierge occupa les
diverses charges de son m die. notamment celles de pro-
vincial et île lecteur de théologie, Il remplit avec beau-
coup d exactitude tous les devoirs de son état, et il édi-
fia le prochain par sa piété el par ses vertus, surtout
i ité en ' i - les malades. Il mourut saintement
connue il avait vécu, le 24 octobre I678. On a de lui ;
/. ai t de te bien confesser, in I -2. Bruxelles, 1640; Tnti o
duc t ion •< la confession, in- 12. Anvers, 1040; L'art de
\r, in-12, Bruxelles, 1049; l.« démonstration
île lu véritable Kglise, in-3 . Bruxelles, 1049. Ces ouvra-
nt été publiés ainsi que quelques autres encore,
en langue flamande Daniel de la Vierge fut surtout un
défenseur ardent cl éclairé des privilègi
n ordre ainsi qu'en témoigne son grand ou
posthume, Spéculum carmelilanum, 4 in-fol., Anvers,
1680.
Cosme de Villiers, Bibliotheca carmelitana, Orléans, 1752,
t. i, col. 375; Richard et Giraud, Bibliothèque sacrée, Paris,
1832, t. ix, p. 35.
P. Servais.
5. DANIEL DE SAINT- JOSEPH,néenl601 à Saint-
Malo, fit profession dans l'ordre des carmes, en 1618, à
Angers. Adepte fervent de la scolastique et théologien
d'une doctrine pénétrante et sûre, il enseigna longtemps
la théologie dans sa province de Tours et à Caen, puis
à Rome. Il entreprit de ramener la Somme théologique
de saint Thomas à une forme plus spécialement appro-
priée à l'usage de ses élèves. Il ne put toutefois publier
que le t. i de ses Disputationes in Suni/nam theologi-
cam D. Thomse, in-fol., Caen, 1649, c'est-à-dire les cin-
quante premières questions de la Somme. Nous avons
encore de lui, outre des sermons d'une belle éloquence,
Le théologien français, Sur le mystère de la sainte
Trinité, in-4°, Paris, 1653.
Cosme de Villiers, Bibliotheca carmelitana, Orléans, 1752,
t. i, col. 371; Richard et Giraud, Bibliothèque sacrée, Paris,
1832, t. ix, p. 32; Théophile Raynaud, Scapulare partheno-
carmelitanum, Paris, 1654, p. 104.
P. Servais.
6. DANIEL DE SAINT-SEVER, de son nom de
famille Campet, était prêtre et docteur en théologie,
quand il revêtit l'habit des capucins. Pendant de lon-
gues années il fut lecteur dans son ordre et à plusieurs
reprises provincial d'Aquitaine. Il se signala surtout
par son zèle pour la conversion des protestants, et on
lui dut la création de missions de capucins dans le
Béarn à cet effet. Il nous est resté comme preuve de ce
zèle les deux ouvrages suivants : La christomachie com-
battue, où sont contenus les actes de la conférence
faicle à Lectoure entre Fr. Daniel de S. Sever capu-
cin et Savoi/s -ministre de ladiclc ville, louchant la
descentede Jésus-Christ aux enfers : expliqués les prin-
cipaux mystères de l'union hypostalique du Verbe di-
vin avec la nature humaine. De la gloire du paradis,
des peines d'enfer et autres. Réfutés plusieurs blas-
phèmes, erreurs, contradictions el hérésies nouvelles du
susdict ministre et de son catéchisme, in-8», Lyon,
1611; Actes de la conférence tenue à Pau en Béarn
les 10, 13, 14 cl 15 janvier 1620 en présence de
Monsieur l'évesqué de Lascar, monsieur de la Force
gouverneur pour le Boy en Béarn, Messieurs du Con-
seil et autres du pays qui y assistèrent. Entre le
/; /'. Daniel île S. Sever, provincial des Pères capu-
cins de la province d'Aquitaine, et Paul Charles, soy-
disant pasteur en l'Église el professeur en théologie en
l'académie royale d'Urthe:. Touchant les traditions
ecclésiastiques, les vénérables images, et la saincte
communion sans mie espèce, avec les noies qui con-
tiennent une ample explication de ces trois points et
ont,, s controversés par les hérétiques de ce temps,
in-8°, Toulouse, 1620. On lui attribue aussi une Épltre
à Cosme Hardi, évéque de Carpentras el vice-légat
d'Avignon, De collatione el disputatione cuwi Nemau~
sensibus el Septimanis faclionis calvinianee, in-8»,
Avignon. [625. Le P. Daniel mourut dans un naufrage
sur la Garonne le 14 mai 1630. Il laissait dans ses
papiers an Commentaire sur Ézéchiel, que la pauvreté
et le manque d.- caractères arabes et
hébraïques ne permit pas d'imprimer.
Apollinaire de Valence, Bibliotheca fr. min. oapuccinorum
[quitanUe, Nîmes, 1894 . Nli i lai ftlêt
de V académie protestante de Montauba
Contun "" r""'~
ment du tvit siècle, dans ta Revus d'Aquitaine, (■ n,
p i o. m \i:o d Mi m on
107
DANSE
H '8
DANSE. [.Considérée en elle-même, II, I
tes circonstances. III. Dana son ensemble. IV. Régies
pratiques pour le pasteur d'âmes, en dehors du con-
fessionnal. V. Pour le confesseur, an for intei
VI. Conseils spéciaux pour les personnes adonnéi
la dévotion. VII. Coopération aux dan
l. La DANSE CONSIDÉRÉ! en elle-même, — On ne
pourrail pas affirmer Bans i rreur que la danse, con-
sidérée en elle même, soit une chose intrinsèquement
mauvaise. Elle n'est pas plus répréhensible, en soi, que
la musique, la peinture, ou la poésie. Le langage arti-
culé, soumis à des régies particulières de rythme, de
sure et de cadence, a donné naissance à la poésie;
la succession des sons suivant des lois analogues est
devenue la musique; et, par une évolution semblable,
le geste humain s'est transformé en mimique, puis en
danse. Celle-ci est un assemblage varié de pas régle-
mentés, de gestes, d'attitudes, d'allures, comme la mé-
lodie et l'harmonie sont une combinaison variée de
sons pris aux divers degrés de l'échelle musicale. Les
arrêts, ou suspensions de mouvements, sont à la
danse, ce que les silences, les soupirs et les pauses
sont à la musique. Aussi les anciens. Plutarque entre
autres, appelaient-ils la danse une musique ou poésie
muette, et la musique, une danse parlante.
Avant tout, la danse est un art, tendant à exprimer le
beau à sa manière, et avec les moyens dont il dispose.
Or, un art, quel qu'il soit, par cela qu'il tend à l'ex-
pression du beau, n'est pas mauvais intrinsèquement.
Il ne devient mauvais que si on le fait servir au mal
moral.
Ces trois arts : poésie, musique et danse, ayant entre
eux des analogies si profondes, se trouvent tout natu-
rellement réunis dans la manifestation des sentiments
de l'âme, arrivés à un certain degré d'intensité. Alors,
tout le corps entre, pour ainsi dire, en vibration, pour
se mettre à l'unisson de l'àme. Le langage ordinaire
ne suffit plus : il en faut un autre plus imagé, plus co-
loré, plus vif, plus idéal. La poésie elle-même ne ré-
pond pas au but, si elle est récitée avec les intonations
ordinaires, et l'homme, alors, ne se contente plus de
parler : il chante. Et si le sentiment intérieur atteint
un haut degré d'intensité, la musique elle-même, si
elle reste seule, est impuissante à le traduire. Des mou-
vements instinctifs du corps s'y joignent et l'accom-
pagnent. L'homme ne tient plus en place : il marche,
il saute, il va, il vient, gesticule, s'arrête, repart,
tourne et retourne. Le corps entier coopère à l'expres-
sion du sentiment qui remplit l'âme, et la met dans un
état de surexcitation particulière. H en est ainsi chez
les enfants qui, si facilement, chantent, sautent et gam-
badent. C'est pour ce motif probablement que' le mot
grec Ttou'Çeiv, faire l'enfant, signifie aussi danser,
Cf. Odyssée, VIII, n. 261 ; XXIII. 147; Hésiode, Bouclier
d'Hercule, 277; Aristophane, Thesmophories, 1 "227 . Ce
phénomène se retrouve chez les peuples jeunes. On le
constate aussi chez les peuples policés. La civilisation
a réglementé cet instinct naturel : elle ne l'a point dé-
truit. Elle l'a perfectionné en le disciplinant, et en le
conformant aux règles du bon goût. La danse est de-
venue un art très compliqué. Cette complication ne lui
a pas fait perdre son caractère. Quoique exécutées
d'après tous les préceptes de l'art chorégraphique,
certaines danses restent pudiques et innocentes.
D'autres, au contraire, dans lesquelles l'art a 1res peu
de place, peuvent devenir extrêmement dangereuses,
étant mises au service des passions. Elles sont loin de
ne viser, alors, qu'à la pure expression esthétique du
beau. Cf. Lucien, De saltatione, vu, xix; Herder, His-
toire de la poésie des Hébreux, trad, de M la baronne
de Carlowitz, in-8°, Paris. 1851, p, 145 sq,
H emble que, chez les peuples primitifs, comme chez
le- enfants, la dan-,- a été le premier de tous les arts.
Chez les Grecs, elle précéda certainement les i
tationa scéniques. Ce furent, d'abord, des danses raili-
taires, animées et bruyantes, figurant di os de
guerre el les diverses péripéties des combats. Elles
'liaient, avant tout, un exercice corporel, pour
développer la force et l'agilité des muscles, une sorte
de gymnastique en vue des luttes futures. Mais i
étaient au-si un divertissement, une faut
ce rapport, se rapprochaient plus de l'art. Telle fut la
danse pyrrhique, inventée, dit-on, par Pyrrhus, lils
d'Achille. Homère en fait souvent mention dans l'Iliade,
par exemple, XVIII. 194, 604, et l'Odyssée, VIII. -
Platon prit aussi la peine de la décrire. Xénophon rap-
porte que bs femmes elles-mêmes dansèrent parfois
la pyrrhique pour amuser la galerie. Anabase, VI.
Ouand le théâtre se fonda, en Grèce, la danse y entra
comme accessoire, pour ajouter aux charmes du spec-
tacle. Puis, elle en arriva souvent à s'emparer complè-
tement delà scène, comme si elle pouvait, à elle seule,
-enter une action dramatique ou comique.
Cf. Athénée, Diptiosopltistes, xix. in-fol.. Paris. 1606,
p. 629-631. Ce que les syllabes longues et brèves étaient
pour le poète; ce que, pour le peintre, étaient les
couleursde la palette; l'expression du visage, les gestes,
les attitudes, les allures rapides ou lentes, passionnées
ou calmes, le devinrent pour le danseur. Cf. Magnin,
Origines du théâtre modi Sor-
bonne, in-8°, Paris, 1838, p. 87.
Au temps même de leur civilisation la plus avancée,
il n'y avait, chez les Grecs, aucune fête, ni aucune cé-
rémonie religieuse, où la danse ne fût de mise. Les
hommes et les femmes y prenaient part. C'étaient des
évolutions multiples exécutées autour d'un autel et
réglées par le chant et le son des instruments de mu-
sique. Cf. Athénée. Dipnosophistes, p. 181; Pollux.
OnomasHcon, iv, li. Quelquefois, ces danses saci
cherchaient à représenter, en quelque fa, on. les aven-
tures, ou les faits et gestes du dieu qu'on pensait ho-
norer ainsi. Dans sa République, Platon voulait que
la danse fut introduite, non seulement à titre de'diver-
tissement, mais comme moyen d'adoucir les mœurs,
supposant que la grâce et l'élégance données par elle
aux mouvements du corps, communiqueraient à I es-
prit de la rectitude et de la souplesse; aux actions, de
l'urbanité. Platon. Lois, vil. Cf. lîoccardo, Nuova en-
ciclopedia ilaliana, 26 in-fol., Turin. 1888, t. vil. p. 190.
Pour les anciens, tel corps, telle âme. Suivant eux, le
corps étant bien conformé, l'âme devait l'être aussi :
perfectionner le corps dans ses mouvements, c'était
perfectionner l'âme dans ses facultés. Cf. Gronovius,
Thésaurus antiquitalum grsBcarum, 13 in-fol.. Leyde,
1697-4702, t. vu. p. 173-220; Patin. Études sur les'tra-
giques grecs, I in-42, Pans. I sr>7- 1>7:>. t. m. p. LSOsq.
Les Grecs avaient été en cela précédés par Us Egyptiens
qui possédaient de nombreux collèges de musiciennes et
de danseuses, pour le Culte de leurs dieux Cf. Maspero,
Histoire ancienne îles peuples de TOrient classique,
3 in s -. Pan-, 1895-1899, t. i, p. 126; t. n. p
W'iner, Biblisches Realtvôrlerbuch, in-4», Leipzig,
1833, p. 655. 11 en était de même chez le- Chananéens,
pour leur dieu suprême Baal, el sa compagne Astarté.
III Reg., wmi. 26-28; IV Reg., xxm. 5; Soph., î. t.
Cf. G. J. Voss, !><• theologia gentili, 2 in-fol.. Amster-
dam, 1642, t. n. p. 3 sq.; Movers, Die Pkônitier,
3 m-s . Berlin, 1841-1856, t. i. p. 385-498.
La Bible fait, plusieurs fois, allusion aux danses des
Hébreux, et, loin de les condamner indistinctement,
file les approuve, tantôt indirectement, tantôt d'une
manière formelle. Les danses étaient chez eux non seu-
lement un divertissement et l'expression d'une joie
vive, mais BOUvenl aussi une manifestation de la piété.
\pie- le passage miraculeux de la mer Rouge, Moïse
compose un cantique en l'honneur de Jéhovah, el la
109
DANSE
110
chante avec les fils d'Israël. Exod., xv, 1-19. Pendant ce
temps, la prophétesse Marie, sœur de Moïse et d'Aa-
ron, se met à la tête des femmes d'Israël qui, s'accom-
pagnant de divers instruments de musique, dansent et
répètent de leur coté le même chant. Exod., xv, 20-21.
Plus tard, à la nouvelle que son père revient vainqueur
du combat contre les Ammonites, la fille unique de
Jephté va à sa rencontre en dansant. Elle n'est pas
seule, mais une foule de jeunes filles et de femmes
la suivent en dansant avec elle. .lud., XI, 34. Les
femmes d'Israël dansent également en signe de réjouis-
sance, après que David a vaincu et tué le géant Go-
liath. 1 Reg., xvin, 6, 7; xxi, 12; xxix, 5. David lui-
même, devenu roi, ne craint pas de se dépouiller des
insignes de la royauté en présence de tout son peuple,
et de danser, en signe de joie, devant l'arche sainte
qu'il fait ramener, en grande pompe, de la maison
d'Obédédom. II Reg., vi, 5, 12, 14; 1 Par., xin, 8; xv,
29. Sa femme, Michol, fille de Saiil, ayant regardé par
la fenêtre, le vit danser et le méprisa dans son cœur.
Comme elle lui reprochait, dès sa rentrée au palais, de
s'être ainsi déshonoré jusque devant les servantes de
ses serviteurs, en dansant comme un homme du
peuple, David lui répondit : « Devant le Seigneur qui
m'a choisi à la place de votre père et de toute sa race, je
ne craindrai pas de danser et de me faire plus petit
encore. J'en serai d'autant plus glorieux, même aux
yeux des servantes dont vous parlez. » Michol, en puni-
tion de sa moquerie déplacée, fut frappée de stérilité
pour le reste de sa vie. II Reg., VI, 20-23.
Par divers passages des psaumes, il est aisé de cons-
later que la danse, en plusieurs circonstances, faisait
comme partie intégrante de la liturgie réglant les cé-
rémonies du culte, dans le temple de Jérusalem.
I'-. CXLIX, 9; cl, 4. Cf. Eccle., m, 4; .1er., xxx, 4;
Job, xxx, 11 ; Cant., vu, 1. L'Écriture ne blâme pas les
Juifs d'avoir introduit les danses dans le culte du vrai
Dieu, comme elles l'étaient, chez les païens, dans le
culte de leurs fausses divinités.
En beaucoup d'autres endroits, les saintes Ecritures
mentionnent, sans les condamner, les danses auxquelles
se livraient, à litre de divertissement, les jeunes filles
et les femmes d'Israël. Jud., xxi, 21, 23; .1er., xxxi,
i. 13. Il est vrai que, le plus souvent, elles dansaient
des hommes ou des jeunes gens.
Exod., xv, 20 sq.; Jud., xi, 31; xxi. 23; I Reg., xvm,
<>' iq. ; xxi\. .">.
Néanmoins, l'auteur de l'Ecclésiastique a une parole
contre les danses : Cum sallalrice ne assiduus
sis, net audicu illam, ne forte perecuinefficaciaillius,
ix, i Toutefois, l'écrivain inspiré ne condamne pas ici
la danse i a elle-même. Il avertit seulement du danger
qui peul s \ trouver, ne forte perças, surtout si elle est
fréquente, /"■ assiduus fis. Le contexte montre, en
outre, qu'il s'agit, 'lui- ce |us-.^,.. de ballerine, ou
danseuse de profession, comme il ressort du verset
• but \e respicias mulierem multivolam, une
femme aux mille volontés, c'est-à-dire une femme ca-
pricieuse, volage, légère, une courtisane, comme on
lit dans la version grecque, yuvaixl IraipiÇoitévfl, une
hétaïre; par crainte que tu ne tombes dans ses pii
M forte incidoê m laqueoi illius. Eccli., ix, :!. I
I mi'' il'- ces femmes que l'Écriture sainte nous repré-
ailleurs. uniquement occupées à perdre lésâmes
'""'"■' ornatu i praparata ad* apiendat ani-
I vaga. Prov., vu. 10. Il faut entendre dans
le même sent le texte suivant Pro eo quod elevatm
tutii filim Sion et ambulabanl extento coîlo,ei n
iinmi, ambulabanl pedibut tuit, ri compo
.,,n, h, incedebant. I-.. m. 16. Le prophète parle
débordemi ni di - Biles d'Israël, el les me-
de la punition due â toutes l"^ tantes que leur
ranité el leur légèreté font con ittre. Voii D
naire de la Bible, t. n, col. 1285-1289; Realencyclo-
padie fur protestantische Théologie und Kirche,3e édit.
1907, t. xix, p. 378-380.
Rien des fois, les Pères de l'Église s'élevèrent avec
véhémence contre les danses. Saint Pierre Chrysologue,
dans un discours public, va jusqu'à appeler les danseuses
une véritable peste, sallalricnni peslis. Serni., cxxvn,
clxxiv, P. L., t. lu, col. 452, 654. Il ne faudrait pas en
conclure qu'ils ont condamné la danse en elle-même.
Ils ont réprouvé les danses telles qu'elles se pratiquaient
trop souvent à leur époque, danses lascives et dange-
reuses que le paganisme expirant avait laissées, aux
ive et ve siècles, comme un ferment de corruption au
sein de la société chrétienne. Cf. Arnobe, Adversus
génies, 1. VI, P. L., t. v, col. 1118; S. Ambroise, De
Elia et jejunio, c. xn; In Ps. XI, 24, P. L., t. xiv,
col. 711 sq., 1078; S. Jérôme, Episl., lx, ad Heliodo-
rum, P. L.,\. xxir, col. 601 sq.; S. Augustin, Confess.,
1. VI, c. vin, P. L., t. xxxn, col. 726; De civitate Dei,
I. II, c. iv, v, vin ; 1. VII, c. xxi, P. L., t. xi.i,
col. 49 sq., 53 sq., 210 sq. ; Monumenta Germaniir
hislorica, Auclores antiquissimi , 13 in-4°, Berlin, 1877-
1898, t. i, p. 92, 95-97; Seek, Geschicltte des Untergan-
ges der antiken Welt, 2 in-8», Berlin, 1897-1901, t. n,
p. 339, 456. Au dire des païens eux-mêmes, ces danses
étaient d'une obscénité révoltante. Cf. Ammien Mar-
cellin, Hist., 1. XIV, c. v, vi. Cicéron, dans une de ses
plaidoiries, avait reproché à Caton d'avoir traité Mu-
rena de danseur, saltator, ce qui était, d'après lui, une
sanglante injure, car, ajoutait-il, à moins d'être fou, un
homme qui n'est pas ivre, ne danse jamais, nenw ferc
saltat sobrius, nisi forte insaniat. Cicéron, Pro Mn-
rena, xiv. Cf. Suétone, Domit., vm; Horace, Od., xxi,
II, 12; XXXII, 1, 2; Cornélius Nepos, xv, 1 ; Macrobe,
Saturnales, m, 14; Lucien, De sallalione, xxn; Tacite,
Annales, 1. XI. Voir Guillaume Vuillier, La danse, c. i,
Les danses antiques, in-4°, Paris-Milan, 1899, p. 1-33.
C'étaient' de ces danses impudiques, comme elles
avaient lieu à la suite des festins et des orgies, danses
que, deux siècles avant Notre-Seigneur, les Grecs dé-
générés avaient tenté d'introduire chez les Juifs, et qui
furent en honneur à la cour des Hérodes. C'est par une
de ces danses lascives, en effet, que Salomé, la
fille d'ilérodiade, obtint d'IIérode charmé la tète de
saint Jean-Baptiste. Les convives, échauffés par les
abondantes libations de ce festin, eussent peu goûté
une danse qui eut été simplement gracieuse. Il fallait
(pie le roi Hérode fût bien peu maître de lui, pour pro-
mettre aussi inconsidérément jusqu'à la moitié' de son
royaume. Marc., vi, 22-23. Les poses, délibérément
provocatrices de la danseuse, étaient savamment cal-
i ulées de manière à produire le plus de séduction pos-
sible sur l'esprit fasciné des spectateurs. Cf. J.-J. Tis-
sot. Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 2 in-fol.,
Tours, 1897, t. i, p. 169 sq. Dans les peintures retrou-
ves a llerculanum et à Pompéi, et transportées, depuis,
.m musée de Naples, sont représentées bien des fois
ces danses lubriques, en usage alors chez les Romains,
Cl". <;. Boissier, Promenades archéologiques, in-8°,
Paris. I880j .lousset, L'Italie illustrée, in-fol., Paris,
1906, p. '.:. sq., 60-66.
I. Eglise, dans ses conciles, s'esl plus d'une fois oc-
CUpée des danses. Le concile de l.aodicée (entre ■!!•! et
381) a porté ce canon, le .M! g Que les chrétiens qui
ni aux noces ne doivent pas sauter ni danser.
mai- assister ai au repas ou au diner, comme
il convient à des chrétiens. » Hefele, Histoire des
les, iiad. Leclercq, Paris, 1907, t. i, p. 1023. Le
concile de r/olède, tenu en 589, a voulu extirper ahso-
lumenl de I i spaj tntière la couti populair
danser el de c b ml. i .les chants déshonnétes BUS f< I' -
uni . i n attendant b' commencement d
■ i. ri m 23. Mansi. Concil., t. ix, col. 990.
Il
DANSE
11!
ii- il I i mi. rdil les danses théâ-
trales, sous peine de déposition pour 1rs clercs et
d'excommunication pour les laïques, can. 51. sfansi,
i. si, col. 968 lu 1209, un synode d'Avignon Interdit
ili- faire aucune danse théâtrale el obscèm dans les
églises aux vigile* «le- rétes des s., ints, can. 17. Ifansi,
i wii. cul. 791-792. l ii synode, tenu à Paris en 1212 ou
1213, décida que les évéques ne pouvaient pas permettre
que l'on dansai dans li - cimetières ou dans les lieux
saints, quand même la coutume eût existé auparavant,
part. [V, can. 18. Ibid., col. 813. Le synode provincial de
Kouen, célébré en 1231 , ordonne aux prêtres d'interdire
miun peine d'excommunication les danses dans les églises
et les cimetières, a l'occasion des noces ou des fêtes, i I
d'avertir qu'elles n'aient pas lieu même ailleurs, can. 14.
Mansi, I. xxm, col. 216. Dans ses statuts synodaux de
1260, l'archevêque de Bordeaux prohiba, sous peine
d'anathème, les danses qu'il ('tait d'usage d'organiser
dans quelques églises de son diocèse le jour des saints
Innocents, à cause des rixes et des troubles qu'elles pro-
duisaient, a. 2. Ibid., col. 1033. Ces règlements n'ont
pas été universels, et la plupart ne visaient que des cas
particuliers, tans interdire les danses pour elles-mêmes.
Comme les Pères de l'Église, les théologiens ne con-
damnent pas la danse en elle-même. Saint Thomas
d'Aquin parle des danses en ces termes : Ludus cho-
realis, secundum se, non est malus; sed secundum
ijuod ordinal ur diverse fine, et vestitur divertis cir-
cumstantiis, potes t esse actua virtutis, tel vitii. Quum
enim impossibile est semper agere in vita activa et
contemplativa, ideo oportet interdum gaudia cu,is
interponere, ne arum ,,s nimia sererilate frangatur, et
ut homo pronrplius raccl ail opéra rirtiitum. Etsitali
fine fiai de ludis, est aclus virtutis quse dicitur eulra-
pelia, ci potest i'ssc meritorius si gralia informetur.
lu Isaiam, c. m. Opéra omnia, 3i in-4°, Paris, 1871-
1880, t. xvin, p. 696. Cf. S. Antonin, Summa Hœologiœ
moralis, part. II, tit.vi, c. vt; Diana, tr.V, De scandalo,
resol. xii, Opéra omnia, 9 in-fol., Lyon, 1667, t. vu,
p. 835 ;Tamburini, Explicatio decalogi,\. VII. c. vin, ï, 7,
n. I. Opéra omnia, 2 in-fol.. Venise, 1707, t. i, p. 206;
Bonacina, De matrimonio, q. iv, p. ix. n. 2i, Opéra
omnia, '■'> in-fol.. Venise, 1716, t. i, p. 322; Lacroix,
Theologia moralis, 1. III, part. I. tr. IV, c. n, dub. i.
n. 887, 3 in-fol., Venise, 1740-1750, t. i, p. 197. Les
Salmanticenses, à la question : An videre, et choreas
ducere publicas intermares el fœminas, sit peccatum •?
répondent : Dicendum quod cltoraizare non est illi-
citum ex génère suo, et conséquente)- nec eas videre. Et
ratio hujus est quia actus choraizandi ex se non est
libidinis, sed Ixlil i;r . Ergononest damnandus. Cursus
theologiœ moralis, tr. XXI, De primo prxceplo deca-
logi, c. vin, p. v, s 2, n. (il; tr. XWI, De sexto et
nono decalogi prœcepto, c. m, p. i. n. 16, 17. ti in-fol..
Venise, 1728, t. v, p. 171; t. vi, p. 107. Choreœ secun-
dum se mut sitiii malte, dit saint Alphonse de Liguori.
nec aclus libidinis, sed Isetitise. Quando vero sa»cii
Patres eas inti aide reprehendunt, loquuntur
Je turpibus cl eantm abusu. Theologia moralis, 1. IV,
tr. IV, De sexto ci nono prtecepto deculogi, c. i,
dub. i, n. 129, 6 in-8", Paris. 1845, t. n, p.' 239. La
danse n'esl point illicite de sa nature, dit le cardinal
Gousset; on ne peut donc la condamner d'une manière
lue. comme si elle était essentiellement mauvaise.
Théologie morale. Traité du décalogue, VI* partie.
c. i. n. 650 2 in-s , Paris, IS77. t. i. p. 295. CI". Mare.
Inslitutiones morales alphonsianœ, part. II, sect. n.
<r. VI, e. îv. § II. n. 829, -J ln-8», Lyon, 1885, I i.
p. 560 Cl se, etiam interdiver si texus perso-
dil Ballerini, non suni illicites, si fiant honesto
modo. Ratio esl quia choreas per se indifférentes nuit,
«lia legs prohibenlur. Conipendwn\ thcologise
moraliser. Devirtutibut,c. ni, a. J. s. :;. Bect. n. n. 242,
2 in-8 . Rome, 1893, I. i. p. 212. Cl
nos diverti seins, non suni perte maie
i uni honette, imo ci merilorie. Palmieri, Oput
theologicum morale,,, Butenbauni rnedullam,U VI,
De prasceptil <*■ vi. De a ; ■ -
cepto, dnb. i. n. 60, s in-8», Paris, 1893, t. n. p. I
Les théologiens sont donc unanin
la danse, en soi. n est pas intrinsèquement mauvais* . SI
les lois de la décence \ sont gardées, il est irnposs
de la considérer comme une action libidineuse. <
en général, an signe de joie; saliatio équivaut al
exultatio. Parfois, c'esl un simple divertissement, qui
non seulement est permis, mais qui peut même devenir
méritoire dans l'ordre surnaturel. On se tromp
donc en jugeant a priori coupable de péché mortel une
personne, pour le seul fait d'\ avoir pris part.
II. L.\ DANSE CONSIDÉRÉE DANS SES Clla - —
Il en serait différemment si la danse, en raison des
circonstances qui l'entourent, devenait une occasion
prochaine de péché, soit pour les personnes qui - y
livrent, soit pour celles qui ne font qu'y assister. Il y
aurait alors obligation stricte de s'en abstenir. La solu-
tion à donner aux cas pratiques dépend donc du plus
ou inoins de danger résultant des circonstances.
Encore est-il indispensable d'examiner la probabilité
de ce danger à un double point de vue : de la part de
l'objet lui-même, et de la part du sujet.
/. ex PARTE iœi, m niui.il/. — I Cottume. — l'n
des éléments à étudier, en premier lieu, pour juger de
la moralité ou de l'immoralité d'une danse, est sans
contredit le costume, vu les tentations innombrables
auxquelles expose un costume indécent, et les péchés
de regard ou de désir qu'il peut faire commi
— I. Nous ne signalerons ici que pour mémoin
danses abominables que l'on nomme en Italie hallo
angelico, et in quibua nuditot est totalis. Les danses
de ce genre sont évidemment immorales, et nulle rai-
son ne peut permettre de s'y adonner, ou seulement
d'y assister comme simple spectateur. — 2. On doit en
dire autant de celles où le costume est tellement
inconvenant qu'il semble une provocation direct.
mal. Certaines danseuses de théâtre, par exemple, ont
un vêtement, il est vrai, mais choisi et fait d<
à exciter les passions plutôt qu'à les assoupir : étotre
rose tendre ou jaune pâle, afin de la faire ressembler
le plus possible à la couleur même de la chair, et
tellement adhérent au corps qu'il en dessine nettement
toutes les formes, ita ut oculis quasi perinde sit ac si
nudx aspiciantur. Cf. Lessius, De iuslilia et jure,
I. IV. c. iv, dnb. xiv, u. 112: Hoc, dit-il, non tam est
pulchritudinem ostendere, quant lu, mines direct
libidinem allicere, in-fol., Brescia, 1696. p. 665; Iam-
burini. Explicatif) deculogi, 1. VII, c. vin. § 8, n. 7.
Opéra omnia, 2 in-fol., Venise. 1707, t. i. p. 2i»6; Bona-
cina, Tract, de matrimonio, q. iv. p, i\. n. 25, ".
omnia, 3 in-fol. , Venise. 1716. t. i, p. 322. — 3. Dana
cette catégorie de danses extrt memenl dangei i uses, en
raison du costume adopté, il faut ranger, en général,
les ballets d'opéras, OÙ îles troupes de dsiU
évoluent en OOStume plus que sommaire : coi -
largement décolleté et laissant voir la plus grande
partie de la poitrine; bras entièrement a découvert;
jambes couvertes d'un maillot; pour unique robe, le
tutu, ou jupe de gaie légère extrêmement courte, n'arri-
vant pas même aux genoux, et qui. comme si elle était
déjà trop longui . se relève comme d'elle-même, dans le
tourbillon rapide de la danse. Cf. Guillaume Vuillier,
La dame, c. xi. La danse au théâtre, in- 4 . Paris,
1899, p. 313-339. L'exhibition d'actrices en pareil accou-
trement présente, indépendamment même de la danse.
un grave danger pour la morale. La danse assurément
augmente ee danger, mais ne le constitue pas positi-
vement. Ces nudités ne s étalent en pleine lumière que
U3
DANSE
114
pour attirer plus facilement, et maintenir davantage la
faveur d'un public blasé par les jouissances malsaines,
mais toujours avide de voluptés. Dans le but de faire
aflluer les spectateurs et d'augmenter ainsi leurs recettes,
des imprésarios peu scrupuleux mettent en pratique le
conseil donne1 au temps de la Régence par un ama-
teur de scandales : « Afin de réussir dans votre entre-
prise, allongez les ballets et raccourcissez les jupes. »
Pour être vieux de deux siècles, cet infâme conseil n'a
rien perdu de son écœurante actualité. Beaucoup de
tbéàtres modernes avaient recours à ce moyen, malgré
les timides et rares protestations de la censure officielle,
qui s'alarmait parfois pour la pudeur publique. Comme
tout périt sous le ridicule, surtout dans un certain
monde, la censure officielle, de fait, a succombé sous les
coups de ceux qu'elle visait, et qui, pour se moquer
d'elle et la désarmer, l'appelaient plaisamment l'Acadé-
mie de morale.
î. Itans la plupart des bals de société, dans les salons
.iristocratiques, comme dans les réunions mondaines
d'un rang moins élevé, le décolletage des femmes est
de mise, et souvent même de rigueur. C'est la toilette
de soirée, exigée par le caprice de la mode ou la
tyrannie des habitudes. Que cette coutume soit déplo-
rable, il n'y a pas à en douter. On doit souhaiter
qu'elle disparaisse, et, si l'on a quelque autorité dans
de tels milieux, faire tousses efforts pour que le remède
soit apporté au mal. Mais, la coutume existant, coutume
à laquelle pour certaines personnes du inonde, du monde
officiel surtout, il est si difficile de se soustraire, doit-
on condamner bs dames qui, dans cette toilette, vont
au bal ? Plusieurs auteurs n'hésitent pas à les condamner
avec sévérité. Leur sentiment leur parait, si justifié
qu'ils croient dénuée de tout fondement l'opinion con-
traire. Parmi ces moralistes rigides, il nous suffira de
citer ici Roncaglia, Universa moralis tlieologia, tr. VI,
De primo decalogi prsecepto, q. ni, De charilale,c. vi,
De scandalo, q. v, resp. 3,2 in-fol., Venise, 1753, t. r,
p. 184; Concina, Theologia christiana dogmatico-
moralis, 1. I, lu decalogum, diss. IX, De scandalo,
c. ix, § 12, n. -2-9, 10 in-4°, Home, 1755, t. n, p. 154-
157. D'après eux. ni les exigences de la mode, ni
l'existence de la coutume n'excusent; et ils déclarent
coupables de péché mortel les femmes quis'yconforment,
à cause des tentations graves dont elles sont volontaire-
ment l'occasion pour ceux qui les voient ainsi décolletées.
La coutume, disent-ils. ne s. nirait rendre licite ce qui
est Intrinsèquement mauvais.
Cependant, la plupart des auteurs sont d'avis que la
coutume est une raison suffisante pour excuser ces
femmi s de péché mortel, à moins que le décolletage
ne m, ii excessif et réellement provocateur. Cf. Navarre,
lianuale confessariorum et ptenitentium, c. xxxiii.
iperbia, a. 19, in i . Venise, 1616, p. 388; Lessius,
De juêlitia et jure, I. l\. i iv, dub. xiv. n. 106-112,
in-fol.. Brescia, 1696, p. 654; Caji tan, In II" II .
q. i i.xix, a. 2, Sylvius, In II II*, q, CLXIX, a. 2,
i in-fol.. Anvers, Hifi7, I. in, p. SUS; S dmanticenses,
ai theologi . tr. X.XI, De primo decalogi
epto, c. vin, Dr viliis charilati oppositis, p. v,
61; tr. XXVI, De s< cto et nono decalogi p
. c. m, p. i, ii. 16, i . n. 18, t. v. p. 171 ; l. vi, p. 107.
iciius de matrimonio, q. ix, p. i.\,
imta, 3 in-fol., Venise. 1716, t. i. p. 322;
Diana, tr. Y. De scandalo, r< sol. m. n. 3, "/"'"' ""inia,
8 in-fol., Lyon, HM17, t. vu, p, 333 . Sanchez, De tant to
mali menlo, I. IX. disp. MAI. n. j."p,
toi., Lyon, 1687, t. ni, p. 315; Tamburini, Expli-
cutm decalogi, l. Vil, c. un. R8, d, :. Opéra omnia,
2 in-fol., Veni e, 1 TOT t. i, p, 906; s. Alphonse,
Theologia mmuim, I. Ill.tr. NI. Déprmeepto charitatiê,
c. n, dub. v, a. j. n 55, t. i, p. 343 sq.; Marc, trutitu-
Honei morale* alph part. II. sect. i, tr. III,
De charitale, c. Il, a. 3, § 2, De scandalo, n. 513, t. i,
p. 363; Ballerini, Compendium theologise moralis,
tr. De virtutibus, c. ni, De charilate, a. 2, § 3,
p. i, sect. n, n. 239, t. i, p. 209; Berardi, De recidivis
et occasionariis, tr. II, part. II, De occasionibus parti-
cularibus quse ut plurimum sunt voluntariœ, a. 2, q. i,
sect. m, n. 180-188, 2 in-8°, Rome, 1897, t. n, p. 218-
224; Lehmkuhl, Theologia moralis, part. I, 1. II,
divis. I, c. m, a. 2, g 1, n. 643, 2 in-8°, Fribourg-en-
llrisgau, 1902, t. I, p. 384. Aux raisons invoquées par
les auteurs du sentiment opposé, ils répondent que la
coutume assurément ne rend pas licite ce qui est
intrinsèquement mauvais : par exemple, ce qui est
contre le droit naturel; mais la question est précisé-
ment da savoir si un pareil décolletage est mauvais
intrinsèquement. Partes illas, dit Lessius, loc. cit.,
n. 112, p. 611, nec natura, aut pudor humanus postu-
lat absolule tegi; et les Salmanticenses en donnent la
raison : quia non sunt partes ad lasciviam vehemen-
ter provocantes, tr.XXVI, c. m, p. i, n.16, t.vi, p. 107.
Ce décolletage n'est coupable qu'en raison du danger
qu'il peut entraîner pour la chasteté. Or, comme le fait
remarquer saint Alphonse, loc. cit., il est d'expérience
que l'habitude de voir certains objets diminue de beau-
coup la force de la concupiscence. Ainsi, ajoute le
saint docteur, une femme donnera beaucoup plus de
scandale, simplement en découvrant ses bras, là où ce
n'est pas la coutume, qu'en montrant la partie supé-
rieure de sa poitrine, si on y est habitué, quia, dit-il,
assuefaclio efficil ut viri exlali visu minus moveanlur
ad concupiscentiam , proul constat ex e.rperientia. Les
auteurs récents s'appuient sur le même motif: quum
assueta minus pltantasiam excitent, Ballerini, loc. cit.,
n. 239, t. i, p. 209; ex consuetis non fit libido, nec
passio. Berardi, loc. cit., n. 184, t. n, p. 220. Il arrive
donc, par le fait de l'habitude, que les hommes et même
les jeunes gens fréquentant ces réunions, sont peu ou
point choqués, ni excités, par ces toilettes légères et
tapageuses.
Que faut-il entendre par moderatam vel immodera-
lam pectoris dénudai ionem, la première étant jusqu'à
un certain point excusable, tandis que la seconde ne
l'est pas? Nul auteur ne s'est avisé de tracer une ligne
de démarcation bien tranchée, par la raison bien simple
que le degré de décolletage, que la coutume excuse de
faute grave, dépend précisément de la coutume elle-
même, qui varie considérablement suivant les contrées
et les milieux. Sous ce rapport, il y a plus de liberté
en Italie et dans les pays chauds qu'en Angleterre et
dans les pays froids. Avec un corsage moins décolleté,
une personne du nord peut bien plus scandaliser,
qu'une Femme du midi dont la poitrine serait plus ,i
découvert. Quamquam conimunissima sit docloram
sententia, non esse damnandam de peccalo mortali
moderatam in mulieribus pectoris ilcnudationem,
ubi talis vigrat consuetudo, plerumque tamen cujus-
uiodi sii nioderala aut immoderata denudatio, ideo
fartasse non dicuni quod varia pro variis loris con-
suetudo essepossit. Ballerini, loc. cit., n. 239, iM nota,
t. I, p. 209. Lehmkuhl s'exprime de même ; qttœnam
denudatio graviter peccaminosa dicidebeat, aconsue-
tuditie multum pendet, loc. cit., n. "'•■'. t. i. p. 334.
Kn certains endroits la coutume est si invétérée, si
foi t.- el ^i impérieuse, qu'elle excuse non seulement de
faute grave, m. us aussi de péché véniel. Il en serait
ainsi, par exemple, pour une femme ilu monde officiel
et qui ne pourrait, sans de grands inconvénients, se
i i.i Berardi, i>r recidivis et occasionariis,
v. n. 188, t. ii. p. 223. En pratique cependant,
il semble presque toujours possible .i une Femme, par
des ajustement . des dentelles, des rubans, ou orne-
ments de ce genre, de diminuer le décolletage, de
manière â le > amener aux limites de i. i.
II.-,
DANS I .
ne
éveiller les susceptibilités de son entourage, el
s'attirer l( censun el la malveillance du milieu
mondain que, vu son rang, elle esl obligée de fré-
quenter.
I.cs nombreux auteurs précédemment cités et qui,
dans une si large mesure, tiennent compte de la cou-
tume comme circonstance atténuante, Boni cependant
unanimes a déclarer coupable de péché mortel une
femme qui arriverait au bal ainsi décolletée, quand ce
n'est pas l'habitude, ou qui ferait des efforts pour intro-
duire une mode :i ussi dangereuse et aussi répréhen-
sible. Sa présent {.citerait certainement les passions
mauvaises, el l'on ne pourrait plus, pour l'excuser,
invoquer l'axiome : ex consuetis non fit libido. Ce <|ui
est extraordinaire, en effet, attire davantage l'attention,
et provoque à un plus haut degré la concupiscence :
insolita enim magie movent. Cf. Lessius, De justitia
et jure, 1. IV, c. iv, dtib. xiv, n. 112, p. 654; Tamburini,
Explicatio decalogi, I. VII, c. vm, §8, n. 7, t. i, p. 207.
5. A la question du costume se rattache celle des
bals masqués, ou travestis. Plusieurs auteurs les con-
damnent a priori et très sévèrement, à cause du
periculum peccandi, qui s'y trouve presque constam-
ment, d'après eux. Cf. Gousset, Théologie morale,
Traite du décalogue, VIe partie, c. i, n. 651, 2°, t. 1,
p. 29.">. Masqués, les danseurs et danseuses peuvent
plus facilement, sans riquer d'élre reconnus, se donner
des libertés qu'ils n'auraient pas osé prendre à visage
découvert. Sous le masque donc se glissent quelquefois
une intention plus mauvaise et un plus pressant danger.
Est-il vrai cependant que les déguisements, sous lesquels
se cachent danseurs el danseuses, sont toujours une
occasion favorable à de plus grands, ou à de plus nom-
breux désordres? Il en est souvent ainsi; ce serait une
erreur de le nier; mais cette règle est loin d'élre sans
exception. On a môme prétendu, et non sans fondement,
car l'expérience en fait foi, qu'il n'y a de danger, dans
les bals masqués, que pour ceux ou celles qui l'y
cherchent délibérément. Très souvent, en effet, non
seulement la ligure est cachée par le masque, et tout
décolletage en est nécessairement banni ; mais même
la taille la plus élégante est dissimulée sous un ample
domino. La coquetterie ne subsiste que dans la chaus-
sure, t'n bas tricoté à jours, un soulier de soie ou de
satin, sont le critérium, parfois bien trompeur, par
lequel on cherche à deviner l'âge et les charmes de la
personne ainsi travestie. Telle qui a déjà près de
cinquante ans prolite de ce subterfuge pour laisser
croire qu'elle n'en a qu'une vingtaine. Pour elle, un
bal ordinaire où elle paraîtrait ce qu'elle est réellement,
ne présenterait aucun danger. Un bal masqué, au con-
traire, peut illusionner son danseur, et l'illusionner
elle-même. Si une passion de quelques heures nait de
cette double illusion, c'est parce qu'elle a été volon-
tairement provoquée, et que, d'une part, une ruse
féminine, et, de l'autre, l'imagination, ont considéra-
blement exagéré des attraits qui, en réalité, se rédui-
saient à bien peu de chose, ou peut-être même n'exis-
taient absolument pas.
Si ce danger se rencontre, c'est surtout dans les bals
masqués publics, où l'erreur est plus facile. Mais il
5e trouve plus rarement dans les bals travestis des sa-
lons, ou des réunions de famille. C'est, alors, simple-
ment un genre d'amusement particulier, qu'on ne doit
pas, en général, considérer comme une excitation au
mal. Ces travestissements, parfois bizarres, peuvent de-
venir un danger, sans doute ; mais souvent, aussi, ils ne
sont qu'une innocente récréation. (X Berardi, De i-eci-
divU et occasionariiSj part. il. c. t, a. I, q. i. seci. n,
n. 177, obj. 8», t. n, p. 218.
2» Actes : attouchements, rapprochements, enlace-
ments. Quand le genre de danse adoptée donne lieu
•i des gestes inconvenants, à des attouchements indls-
ciels, a des rapprochements trop intimes entre ad i
des deux -■ «es, à di - postures déshonn. ente-
nte ou embrassements amjde.ius, qui •
les passions charnelles, il esl évident que ladai
ne reste plus dan- bs limites d'un simple arnusen
mais qu'elle constitue, pour les danseui dan-
seuses, comme aussi pour les spectateurs, un dai
véritable et une occasion prochaine de péclp'-. Ces
danses ne -auraient donc, en aucune façon, rat
ntodi saltandi, être permises, ou tolérées. Mais qui
sont celles qui rentrent nettement dan- celti
de danses mauvaises et illicil.
Pour répondre à cette question avec la précision
sirable, il n'esl pas nécessaire de faire ici l'exposé
taillé de toutes les danses usitées de nos jours. Les an-
ciens Grecs avaient plus de deux cents espèces de
danses. Cf. Athénée, Dipnosophistes, xiv, p.
Sous ce rapport les peuples modernes ne sont pas
moins riches. L'Ângli terre, à elle seule, en avait plus
de cinq cents, au début du XVIIIe siècle. Cf. Dani
Mas ter, 2 in-8°, Londres. 1710. Chaque nation, parfois
chaque province, a eu, el a, souvent encore. •
favorites. Ces danses nationales et locales .,nt. bien di -
fois, franchi les frontières des contrées qui les virent
naître. Transportées ailleurs, et plus ou moins modil
par les caprices delà mode et l'inlluence des milieux,
elles ont eu leur temps de vogue et d'éclat. Puis, elles
ont décliné, et ont laissé la place à d'autres plus
faveur; mais, ordinairement, sans disparaître complè-
tement, et en se fusionnant avec celles-ci, de façon à
former peu à peu une infinité de variétés. Pour les dé-
crire toutes, même d'une manière sommaire, il faudrait
plusieurs volumes. Ce serait, en outre, absolument
inutile pour le but que nous nous proposons. Au point
de vue théologique, le seul que nous dewons envisager
ici, il suffit de les ranger en trois classes parfaitement
distinctes : I. les danses honnêtes; 2. les danses fran-
chement mauvaises, par leur indécence et leur oh-e -
nité: IS. les danses douteuses et dangereuses. Ce n'esl
que par rapport à ces dernières qu'il peut y avoir des
difficultés pratiques à porter un jugement. Les pre-
mières, en effet, sont évidemment permises, et honni
soit qui mal y pense. Les secondes iK.i i
ment prohibées, sans exception possible. Mais les au-
tres? Et celles-ci sont lésion, car, entre les n
rondes de l'enfance, ou les honnêtes divertissements en
usage dans les familles qui se respectent, et les inven-
tions lubriques des milieux interlopes, il y a |
pour une série indéfinie de termes intermédiaire
rapprochant plus ou moins de ces deux extrémi
différents : la simple récréation, le jeu. le délassement,
et la corruption savamment org mi-
terne.
Parmi ces danses considérées comme douteuses, il
y en a peu où le danseur ne soit amené à stisir la dan-
seuse par la main. A moins qu'il n'y mette de la pas-
sion, ou une intention mauvaise, cet acte n'est pas. en
soi, pecca in i neux. In rlmreis autem leviter apprehen-
dere manuni fœminse, vel non r>it culpa, vel ad sum-
mum venialis, S. Alphonse. Theologia moralis, I. IV.
Ir. IV, c. n. dub. U, n. 12!>. I. Il, p. 2*0. Cf. S.lmanti-
rsus theologia: moralis, tr. XXVI, De sexto et
nono decalogi prsecepto, c. tu, p. i. n. IS, t. vi. p. 107
Mais certaines dan n vogue île nos jours.
telles que te valse, la polka, la mazurka, la rédowa, la
scottish, le galop, etc . sont bien pli ! bien au-
trement dangereuses. D'après les lois qui en régissent
l'ordonnance, elles exigent, en effet, non seulement que
le danseur tienne par la main la danseuse, el entrelace
-es doigta avec les siens: mais qu'il s'approche de plus
en plu* d'elle, jusqu'à la saisir par la taille, l'enlacer
dans ses bras, el la serrer sur sa poitrine. Quelquefois
la tête de la danseuse se penche voluptueusement sur
117
DANSE
18
l'épaule de son cavalier, comme si elle s'abandonnait
à lui. D'autres fois, surtout dans les danses à allure
rapide, la danseuse est, à diverses reprises, soulevée
par le danseur, ou bien elle saute en s'appuyant sur
lui : tout cela, aux sons d'une musique enivrante; dans
un milieu saturé d'une douce chaleur, ou de parfums
pénétrants; sous la vive lumière de lustres nombreux
qui, par leur éclat, ajoutent encore à la fascination de
cet ensemble, où tout semble réuni pour séduire les
yeux et le cœur.
Ces rapprochements, ces contacts et les dangers aux-
quels ils donnent lieu, se produisent surtout dans ce
qu'on appelle les danses tournantes. La forme type de
celles-ci est la valse, en allemand Waker, du verbe
wâlzen, tourner en cercle. Cette danse, l'une des plus
fascinantes, était française depuis quatre cents ans,
mais elle avait été un peu oubliée en France, quand
elle y fut, comme une chose nouvelle, importée d'Alle-
magne, en 1795. Cf. Castil-Blaze, L'académie de musi-
que, n. 18, 2 in-8«, Paris, 1847-1856, t. il, p. 71; Fétis,
Dictionnaire de musique, v° Valse, 8 in-i°, Paris,
1860-186."). C'est pour l'Allemagne la danse de prédilec-
tion, et les compositeurs célèbres, Strauss, Farbach,
Metra, ont écrit pour la valse des morceaux très re-
marquables. La règle fondamentale de la valse est que
chaque couple de danseurs, composé d'un cavalier et
d'une dame, fait un tour sur lui-même et, par ces évo-
lutions successives, décrit en tournoyant, en même
temps que les autres couples, parfois fort nombreux,
un cercle ou une ellipse, suivant la forme de la salle
affectée au bal. II y a plusieurs espèces de valses : les
unes sont à allure plutôt modérée, et les autres à mou-
vement rapide, selon que le mouvement du danseur
est à trois ou à deux temps.
La polka a été importée de Pologne en France, vers
1845, ainsi que la mazurka qui est la danse nationale
polonaise. Celle-ci est d'un mouvement un peu moins
vif; mai-; la polka est une danse tournante à deux
temps. Pendant les évolutions et durant tout le tour-
billon de la danse, le cavalier passe son bras droit
autour de la taille de la danseuse, dont le bras gauche
repose sur l'épaule du cavalier. En même temps, celui-ci
lui bou tient la main droite dans sa main gauche, à la
hauteur de la ceinture. La rédowa, danse bohème,
esl une sorte de \ aise, qui participe à la fois de la polka
el de la mazurka. Cf. G. Vuillier, La danse, c. VIII, La
n hi polka; les l>ah publies, in-4», Paris-Milan,
1889, p. 20l-2'.'i
Comme son nom l'indique, la scottish est d'origine
Cette danse a beaucoup d'analogie avec là
polka qu'elle a précédée en France, mais qui l'a de
l.i'.-iiiroup éclipsée. Le mouvement de la scoltish est plus
b nt. quoiqu'elle suit ;m^si et peut-être plus voluptueuse
. Dcore.
Que ces rapprochements entre personnes de différents
contacts, ces enlacements, tous ces aniplextts
la n ses tournantes soient très dangereux, puissent
donner lieu souvent à de fortes tentations, et occasion-
nent fréquemment des fautes graves, ce n'est que trop
éi ident. Les gens du monde les moins suspects de scru-
pules déplacés le reconnaissent eux-mêmes :
vez jamais vu d'un œil de colère
■if et circulaire,
EfleulUei •! irant le Femmes et lei fleurs...
Victor Hugo, Feuilles d'automne, 2,'t.
i se livre avec pin de langueur...
\ de Musset, A me, tv.
D'autn », comme M. de Saint-Laurent, Quelques mots
sur U modernes, ne crai( nenl pas de dire que
la val d i. • polka, mazurka, ^rotiish, etc.,
itation a la débauche, un pn -
Inde ou une réminiscence des plus coupables volupti
Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1865, p. 204.
Cf. Deschamps, Le mari au bal, 2 in-8°, Paris, 1816;
De Goncourt, Mystères des théâtres, in-8°, Paris, 1853;
La Société française pendant le Directoire, 2 in-8",
Paris, 1864; Mme de Bassonville, Le monde tel qu'il est
in-8°, Paris, 1853; La jeune fille chez tous les peuples,
in-8°, Paris, 1861 ; L'entrée dans le monde, in-8°, Paris,
1862.
Qu'il en soit souvent ainsi, ce n'est malheureusement
que trop vrai. Mais peut-on transformer ce verdict sé-
vère en règle générale? Au point de vue théologique,
y a-t-il là un acte essentiellement et intrinsèquement
mauvais? En d'autres termes, parce qu'une personne a
dansé une valse, une polka, ou une scottish, doit-on
et peut-on, sans plus d'examen, la juger a priori cou-
pable de péché mortel? Une affirmation d'une telle
étendue et d'un pareil absolutisme serait certainement
exagérée. Les ample.rus, dont il est ici question, ne sont
pas toujours en soi, metaphi/siceet theorice loquendo,
mortellement coupables. Ils ne constituent une faute
grave qu'en raison de la passion charnelle dont ils se-
raient la manifestation, ou qu'en proportion du danger
auquel ils exposent la vertu de ceux qui se les permet-
tent. Si l'on suppose qu'il n'y ait pas de passion char-
nelle, et cette supposition n'est pas chimérique, car il
serait absurde de croire que toutes les personnes ame-
nées, quelquefois par une rencontre fortuite, ou pour
tout autre motif, à danser ensemble, s'aiment, par ce
seul fait, d'un amour impur et passionné; si, en outre,
les circonstances amoindrissent le péril qui naît d'ordi-
naire de ces rapprochements, la faute sera d'autant di-
minuée et pourra même totalement être évitée. Ces
amplexus, faits par manière de jeu, ou par suite d'usages
reçus auxquels il est parfois très difficile de se sous-
traire, ne doiventdonc pas être considérés comme ayant
toujours pour premier mobile la passion. Dès lors, ils
n'en sauraient avoir la malice, et ils sont loin de pré-
senter l'extrême gravité que certains rigoristes préten-
dent y trouver toujours. Le jeu, le divertissement, la
récréation, disons même la légèreté, sont parfois une
circonstance atténuante; les usages reçus en sont une
également. Cette remarque contre laquelle beaucoup
seraient portés peut-être à s'insurger, en la taxant, à
première vue, de laxisme, est cependant très fondée
en fait et en droit. Depuis longtemps, d'ailleurs, elle a
été clairement formulée par les princes de la théologie.
Mulla si serin fièrent, dit l'angélique docteur, gruria
peccata essent, qute quidem JOCO îw i a, vel nulla, vel
leiia simi... Mnjiia enini sunt peccala propter solam
intentionem (pravam) quam quident intentionem ex-
cluait Indus, cujus iulenlio ad deleclalionem (recrea-
tioneni) fertur... et in talibus ludus excusât a peccato,
vel peccalum diminuit. Sum. theol., II* II", q, CLXVIIt,
a. 3, ad l"m. Le jeu a pour intention première le diver-
tissement, la récréation. Plus cette intention est vive,
plus elle est prépondérante, et plus, dans les actes qui
ne sont pas en soi intrinsèquement mauvais, elle écarte
une intention vicieuse qui s'\ glisserait peut-être el
même tics probablement, si l'esprit n'était pas si forte-
ment distrait par une autre préoccupation : celle du
divertissement lui-même.
Quelques pages auparavant, saint Thomas était entré,
à ce sujet, dans d'autres détails, s il. mi posé la ques-
tion : ii ru m ni tactibus et osculis [inter iriruni et fat-
m m n m i consistai /"•, catwnx mortale 'il répond : Oscu
limi, mn/ilr i us.rrl tOCtUS, srrmidum Suam ru liulirm .
seu specieni suam, non nominant peccata mortalia;
,<i r, m,i hsec absque libidine fleri, oel propter
coneuetudineni patries, vel propter aliquam nécessita-
trm, aut rationabilem causant. II* II', q. cuv, a. 2.
Quand les Imposent comme une , ipèce
de tyrannie, •> laquelle on ne peut se aouatraire, mm
l'aliéner l'esprit d n avec qui on est cependant
119
DANS!
120
obligi de vivre; el quand cet usagei existent par rap-
porl & des actiom qui sont dangereuses, il es)
mais qui ne sont peccaroineusee que propter pravant
intentionem; ces usages ne rentrent-ils pas alors dans
ce que saint Thomas appelle coneuetudinem patries, ou
aliguam neeeêBitatetn, ou encore rationabilem causant,
qui justifie, jusqu'à un certain point, le concours qu'on
\ [>i-.- 1 1 • . et, par là même, écarte un peu le dan
Cf. Sylvius, //, // ' /;••■, (j. ci. iv, a. I, concl. i, u, i\.
i. ni, p. 852-855,
Les SalmanticenseB ont également truite tout au long
cette question délicate, Cursus théologies moralis,
tr. XXVI, De sexto et nono decalogi prsteepto, c. m,
§ I, n. 27; s 3, n. 3448, t. vi, p. 109-113 : Si preedictt
tactus, oscilla cl amplexus fiant inter virvm et fœmi-
nam ju.cia morem patries.. . sunt honesta, n. 27, t. vi.
p. 109; tactus et oscula et amplexus intervirum etfœnii-
nam habita, dummodo non sint nimis turpes, tantum
habenl malitiam ventaient si fiant ex canitate, aul le-
vilate jocosa, et absque deleclatione veuerea, n. :56.
1>. 111; ijimil si plures hujusmodt tactus, absque neces-
sitate admissi, communiter tanguant lasciriet venerei
ml modale damnantur, neguaguam id habent ralione
delectationis naturalis (id est pure sensibilis). preseiee
secundunt se spectatas, sed quia raro in ca sis/uni, ita
ut non inférant siipradictam commolionem et delecla-
lionemveneream, velsalteni ejus periculum , aquibus,
non vero al> ipsa naturali (sensibili)delectatione, soient
etiant communiter tactus lascivi el venerei nuncupari,
indegue ad culpam imputari, n. 43, p. 112. Ils font
ensuite cette remarque très judicieuse que si, de leur
essence et dans la généralité des cas, les oscula, tactus
et antjtlexus étaient ordonnés ad veneream delectalio-
neni, comme le prétendait Cajetan, jamais ils ne seraient
faits sans péché, même quand ils ne sont employés
que comme manifestation d'une amitié honnête, ou
d'une all'eclion très légitime. Alors, ils sont très permis,
suivant saint Thomas lui-même et la tics grande majo-
rité des théologiens. La pensée de -aint Thomas, con-
tinuent les Salmanticenses, est donc que ces actes ne
sont de leur nature ni libidineux, ni péchés mortels;
mais cela dépend de la lin que se propose celui qui agib
ri qui les ordonne à cette lin. S il a l'intention de ne
se procurer par eux qu'une délectation simplement sen-
sible, et non voluptueuse et vénérienne, cette fin n'étant
pas gravement coupable, on doit en conclure qu'il n'y
a pas là de péché mortel : cum ordinel illa oscula et
amplexus ad caplandani delectationem naturalem
{mère sensibilem), et lotis finis mortalis non sil, hinc
est quod nec dicta oscula, tactus et ample. i us, ob talent
delectationem tantum facla, ci secluso periculo ulte-
rioris venereœ delectationis, sint mortalia, n. il. t. vi.
p. 112.
Peu importe, objectait Cajetan, l'intention que se
propose dans ces actes celui qui les fait. Cette inten-
tion du sujet ne peu) changer celle que ces actes ont
comme d'eux-mêmes, et que la nature leur impose :
sentper enint inclinatio naturalis rerum ipsas conse-
guitur. Or, ajoutait-il, delectatio naturalis, etiant
mère sensibilis, secundunt sensum inclus in oscutis ci
uliis tact ibtlS, ab i/isa nuliiea directe urdinalitr tiil
vénèrent ci ail coitum. Ergo ab hoc online neguit ab
•lie unie relrahi. Cf. op. ai., n. 39, i. vi. p. ni.
Comment un esprit aussi subtil et délié que Cajetan
est— il tombé dans une telle confusion, et en est-il venu
au point de faire un pareil sophisme'' Les Salmanti-
- lui répondirent avec raison : Negantus antécé-
dent, loquendo de tactibus, osculis et ampïexibus, ni
*iint sensui tactus natnialilcr ilelfclubilia : cl itlud
concedimus solum m quantum sunt venerea; quia,
solum in quantum sunt libidinosa, illa ad coitum or-
dvnant natura et hommes lascivi, ut experientia
liguet; alii rem tactus solum ci fine operantis onli-
nanlur ml < oilum n. 15, p. I li
Ci auteurs font ensuite remarquer que ci
contestai. le in théorie, spéculative et metaphysiet
loquendo. En pratique cependant, vu la corruption de
la nature humaine, et la force de la coneupi-
entraîne vers les voluptés coupable-, très souvent ces
oscula ci amplexus -oui péchés mortels; car
presque impossible, tant la [ente est glissante, que de
la délectation purement sensible provenant cj osculis
et ampïexibus, on n'en arrive bientôt au désir et a
cherche de la délectation vénérienne : sunt enim htec
salis propingua, et unadelectatm est via ad aliani
enim erit homoqui virginem, ob delectationem nat
lent osculetur, quin transeat ad cornaient, n. 18, t. vi,
p. 113. Ces mêmes savants auteurs ont également appro-
fondi cette question, et l'ont exposée' avec île très amples
développements, dans le traité Mil'. De vitiieet pt
lis, disp. X. s, î.n. 211-217. Cursus thenlogi<us.i\ in-8»,
Paris, is7i;-ls.x;;. t vu. p. 384-418.
Saint Alphonse reconnaît aussi que la circonstance
du jeu, comme aussi celle des habitudes reçues,
des circonstances très atténuantes, au point de dimi-
nuer la faute, et même parfois de la faire totalement
disparaître : Si oscula, amplexus, contpresy
manuum el similia non obsarua, fiant ex joco, levi-
late, petulantia, imo eliam sensualitate, sive affectu
ali ac naturali [dummodo non cunt deleclatione
venerea, et si pneter intentionem suboriatvr, ea re-
. ,;, tune abstinendo ah illis), venialent eu \
non excidit. Theoloq. moral.. 1. IV. tr. IV. De serto et
nono prxceplo decalogi, c. n, dub. i, n. 117. ils. t. n,
p. 233. Et pins loin, il ajoute : Licct, eltam prxvxsa
pollutione,... equitare..., etiant causa recreationis, et
honestas cltoreas ducere, 1. IV. tr. IV. n. 483. t. n.p. 267.
Dans son traité De recidivis et occasionariis. Herardi
explique comment les amp/e.ri<s des danses tournantes,
telles que la valse, la polka, la mazurka, etc.. peuvent
parfois n'être pas. en pratique, gravement coupables.
A première vue, dit-il, on a peine à comprendre com-
ment un jeune homme et une jeune fille si étroitement
enlacés et pressés l'un contre l'autre, peuvent restera
l'abri de tentations graves et n'être pas I
consentir. En fait, très souvent ils succombent par pen-
sées impures et désirs mauvais. Cependant, il n'ei
pas toujours ainsi. On le sait par l'aveu même des per-
sonnes qui. après avoir fréquenté ces danses, sont reve-
nues à de meilleurs sentiments. Converties, alors, et
souhaitant de mettre ordre à leur conscience, elles
révèlent en toute franchise ce qui s'est passé en elles.
à ces moments troublés de leur vie. D'une pari, la vo-
lonté de s'amuser, l'entraînement de la danse elle-même.
l'agitation qui en résulte, la distraction, la fatigue, sont,
bien des fois, un obstacle aux tentations et au soulève-
ment des pas-ion-, ou contribuent à le- apaiser plus
vile. Fatigatio, tripudium, saltatio, agitatio, dis-
tractio, de fatigatio, etc. maliliss el libidini aditum
prxcludunt, aul illam cito faciunt. En
outre, celui qui danse dans une réunion choisie
dans un bal de société, doit apporter Ions ses soin- .i
danser Boivant les règles de l'art II ne le pourrait, à
moins d'être 1res habile, -i -en imagination poursui-
vait, .'ice moment, de- rêves lascifs. Qui saltat atten-
dere débet ad bene saltandum. Si quis enim mahtia
prmoccupetur libidinemgue fuient, bene saltare mi-
nime potest, maxime si saltandi artent non optime
calleal. Audivi cliam virum dicentent quod impedt-
menium physicum haberetur; alquc insuper
junior efficil ut viri motus carnalcs impedire sata-
gant, ne turpiter commoti ab aliis conspiciantur.
.1 udivi quoqtie fa-niinam dicentent quod famines magis
manuum constrictionibus quant ampïexibus commo-
veittur. Ample eus enim tanqttam legem chorea' acci-
juunl ; manuum vero constricliones tanqttam signum
121
DANSE
122
amoris habent. Reapse dicil Descurel quod fœmina
non commovelur, nisi aniet. Berardi, op. cit., part. II,
c. |, a. 1, q. i, n. 177, object. 2a, 2 in-8», Rome, 1897,
t. il, p. 211 sq.
La raison lirée de la difficulté de la danse, el invoquée
par Berardi pour montrer que, bien des fois, le danger
est moins grand qu'on ne le supposerait à première vue,
paraîtra plus probante encore, si l'on réfléchit que la
danse, telle qu'elle est pratiquée à notre époque, est un
art qu'on doit apprendre si on veut le posséder, et où
tous ne peuvent exceller, pas plus que dans la musique
ou la peinture. Mme de Staël observait déjà que, de son
temps, la danse était « remarquable par son élégance
et la difficulté des pas ». Corinne, vi, 1, 2 in-8°, Paris,
1807. De nos jours, cet art est devenu si compliqué
qu'il exige, pour y réussir, des exercices fréquents. Les
danseuses de profession se fatiguent, chaque jour, pen-
dant plusieurs heures, à répéter, devant leur psyché,
les divers pas de la danse, pour se familiariser avec
eux, et parvenir à les exécuter avec aisance, élégance
et précision. Cf. MlleBernay, La danse an théâtre, in-8°,
Paris, 1890. Le musicien exerce ses doigts, en parcou-
rant sans interruption le clavier de son instrument, de
haut en bas et de bas en haut : il leur donne ainsi de
la souplesse, de l'agilité et de la régularité. Le danseur
ou la danseuse exercent leurs pieds, et mettent à ce
travail autant ou même plus d'ardeur et de persévé-
rance que le pianiste n'en apporte à l'exécution de ses
interminables gammes. La polka, la mazurka, la ré-
dowa, etc., sont toutes des danses tournantes, et des
modifications de la valse; mais elles en diffèrent, et se
distinguent aussi entre elles parla différence a dupas ».
Le ' pas de la valse » n'est pas celui de la polka, comme
le pas de la rédowa n'est point celui de la scottish, etc.
Le pas de la valse se compose de trois parties : un pas
glissé, un assemblé, et un second pasglissé.En d'autres
termes, le pied qui ;i glissé d'abord se détache de l'autre
qui glisse à son tour. Tout cela s'exécute en tournant.
Dans la terminologie chorégraphique, un glissé est un
pas de danse par lequel on passe le pied doucement devant
soi. en touchant légèrement le plancher.!' L'assemblé (
est un pas de la danse par lequel se réunissent les deux
pieds suivant la troisième position considérée comme
la plus naturelle pour finir la danse. On entend par
position* bs différentes manières de poser les pieds
l'un par rapport à l'autre. Il y en a cinq, suivant les
9 de l'art. Dans la première, les pieds sont dispo-
ii «'•(pierre, les deux talons se touchant. Dans la
seconde, les pieds gardent la même situation respective,
mais bs talons sont écartés de la longueur du pied. La
troisième, nommée aussi embolture, ramène un pied
devant l'autre, mais croisé avec lui, au droit du coup
de pied, les jambes étant serrées l'une contre l'autre.
La quatrième position détache les deux pieds, ef porte
l'un d'eux en avant, i la dislance de la longueur du
pied. La cinquième, enfin, croise les pieds, en mettant
la pointe de l'un au talon de l'autre. Ces cinq positions
sont en usage en France depuis le xvni siècle. Elles
sont fondées sur la nature elle-même, el réglées par
I expérience et le sens de l'esthétique, Mai-, il y a aussi
d< busses position^. p;irce qu'elles sont, en quelque
contre nature, el on ne doit jamais bs employer
les danses de salon. Elles servent, dans les dai
de théâtre, pour produire quelquefois certains effets parti-
culiers, coi e serait, par exemple, celle des pieds tour-
■ 1 1 1 même CÔté, ou ayant les deux pointes
l'une vers l'autre. Cf. Fertiault, Histoire anecdalique et
pittoretque de la dame, in-12. Paris, 1864; Bla
Lemaltre, /." danse, in 12, Paru, 1875: A. Czerwinski,
er det Tanzkunst, in 8 . Leipzig, 187'.». Zorn
imatik dei Tanzkuntt, in-8*, et S alla in i Leip-
zig, 1887.
Le pai de la valse actuelle n'en pat toujoun celui
de la valse classique. Il consiste aussi à faire, en tour-
nant, cinq glissés suivis d'un assemblé, dans les six
temps qui forment deux mesures musicales. De celte
façon, ce pas répond à deux temps, ou à deux pas de
la valse classique. Pour le pas de polka, on frappe
alternativement des deux pieds, trois temps sur quatre.
Au quatrième temps, le pied reste levé, et c'est lui qui
commence les frappés suivants. Le pas de mazurka
comprend deux parties. Dans la première, c'est-à-dire
pendant les trois temps de la première mesure, un pied
se pose en avant et l'autre le chasse; le même pied
saute légèrement, et la jambe opposée se lève en
arrière. Dans la deuxième partie du pas de mazurka,
les deux pieds posent successivement à terre sans sau-
ter, et marquent les trois temps de la mesure.
Les attitudes et les mouvements, inspirés par l'art
chorégraphique, ne sont exécutés parfaitement que par
les danseurs ou danseuses de la scène, dont c'est la
profession.
Il est aisé de comprendre que l'attention nécessaire
pour observer, aussi exactement que possible, toutes ces
règles minutieuses et une foule d'autres, dont il est
inutile de parler ici, soit pour le danseur et la dan-
seuse, exposés aux regards malicieux des spectateurs,
la cause d'une préoccupation qui diminue d'autant le
danger provenant des rapprochements et des enlace-
ments, que les danses exigent pour la plupart. Cf. Menes-
trier, Des ballets anciens et modernes, in-12, Paris,
1682; Rameau, Le maître à danser, in-8°, Paris, 1723;
De Cahusac, Danse ancienne et moderne, ou Traité
historique de la danse, 3 in-12, Paris, 1754; Magny,
Principes de chorégraphie, in-8", Paris, 1765; Conipaii,
Dictionnaire de la danse, in-8°, Paris, 1803; Novcrre,
Lettres sur la danse, 2 in-8", Paris, 1807 ; Baron, Lettres
sur la danse ancienne et moderne, civile el théâtrale,
2 in-8°, Bruxelles, 1825; Castil-Blaze, La danse cl les
ballets depuis Bacclius jusqu'à Mlu Taglioni, in-12,
Paris, 1832; Labat, Etudes sur l'histoire de la musique,
2 in-8°, Montauban, 1852; Lacroix, Ballets et masca-
rades depuis Henri 111,2 in-8°, Genève, 1868; Lscu-
dier, Dictionnaire de musique, in-12, Paris, 1872;
Gaston Vuillier, Lu danse, in-4°, Paris-Milan, 1899.
La danse appelée galop est une des plus dangereuses.
Elle est originaire de Hongrie, est à deux temps el à
mouvement très vif. Souvent elle serl de ligure finale
au quadrille. Dans celui-ci, un nombre pair de couples
de danseurs et de danseuses exécutent des conlre-
danses, c'est-à-dire qu'un couple arrive au point
occupé par le couple opposé, quand celui-ci le quitte.
Cf. .M""' de (lenlis, Les mères rivales, ï in-12, Paris,
1800, t. u, p. 46. C'est, en effet, l'essence de la contre-
danse que des couples de danseurs, placés vis-à-vis.
fassent, à l'opposile les uns des autres, des pas et des
s semblables. Le nombre de couples n'esl pas
nécessairement quatre dans le quadrille; mais il peut
être plus nombreux, car ce mol vient de l'italien qua-
driglia, corruption de squadriglia, escadrille, petite
escadre, petite bande. Cf. G. Vuillier, /." <la»se, c.wu,
p. 214, 219, 223, 231; c. x. p. 293, 296. Dans le galop,
qui trop souvent est le bouquet final de ces réjouis-
sances, le cavalier tient de la main droite la danseuse
parla taille, tandis que celle-ci s'appuie sur lui de la
main gauche. Les deux mains se tiennent en avant,
l'autre. Le pas de galop est g une suite de chas-
sés ». Le Chassé consiste a ramener un pied derrière
l'autre qu'on avanci aussitôt, coi equand les militaires
changent de pied pour se ttre au pas. Ce mouvement
ne doit pas prendre plus d'un temps, c'est-à-dire pas
plus d'une demi-mesure, cf. <.. Vuillier, La lanse,
c. Mil, p. 903 sq., 209 sq.
(Jn se rend compte facile m par là du dangi r que
pn ■ nie le galop, au point de vue de i., morali i
ilop esl mie suite de chassés on de sauta, Fs dami
l-j::
DANSE
124
avant en avant le i » i > - * 1 droit et le cavalier le pied gauche.
Le pied de derrière chasse constamment le pied de
devant. Le danseur et la danseuse se tenant, en outre,
par la main, et étant presque l'un sur l'autre, tandis
que i succèdent ces mouvements saccadés et rapides,
il <-M difficile d'imaginer, propter seducentiêsimat ap-
proximationet pectoris <i<l pectus et i ultut ad ulium,
quelque chose de plus inconvenant et de plus troublant,
aillant pour les danseurs et les danseii-es que pOUT les
spectateurs. Il produit pour les uns et les autres une
sorte d'enivrement passionné. De là ces vers de
P. Lebrun :
Si la valse s'emporte au galop favori.
Plus aimé du valseur qu'agréable au mi
: ■ es. Le roi de Gi èee.
Voici, d'autre' part, la remarque faite à ce propos par
IJerardi : Propter saltalionem islam nimis concita-
tant, mulieres, quamvis ubera salis vel etiam //erfecte
cooperta habeanl, magnant nihilominus (his partibus
nimium se agitantibus) maliliosorum obtutuum occa-
sianem viris prtebere possunt. Peccatum islud (quini
lameu attenta etiam difficultate hune aspectum eci-
landi, non praepropere judicari débet mortale) com-
mitti polest, non solum ab iis qui saltanl, sed etiam
ab Mis qui fœminas mitantes conspiciutit ; mullo
magis quia interdum immodestia ad prsedicta non
reslrmgitur, sed ad aliquid pejus extendilur. Au-
diii qui di.rit magis facile esse ut quis jteccel choreas
aspiciendo, quant in ipsis cltorcis saltando ; idque
fortan verum est. ht primo casu adest tota comm o-
tlitas considerandi, et libidinem fovendi; in secundo
autant ,agitatio, distraclio ettripudium minorent libi--
dini aditum relinquunt. Adverti potesl demum quod
aspeclus malitiosi, quamvis frequentiores sinl in vi-
ris, accidere possunt etiam in fœminis, ui pu ta, si
ipsœ, in juvenes turpiter commotos, oculos figèrent.
De recidivis et occasionariis, part. II, c. I, a. 1, q. i,
secl. Il, n. 173, t. Il, p. 208 sq.
La danse moderne appelée cancan est plus inconve-
nante encore. Elle est souvent exécutée avec des sauts
exagérés, accompagnés de gestes lascifs. Elle n'est
dansée que dans les hais publics, et jamais dans un
salon qui se respecte. Il peut en être également ainsi,
en certains endroits, de la danse appelée cotillon,
et dans laquelle un ou deux danseurs mènent le branle,
c'est-à-dire conduisent tous les autres qui doivent répé-
ter après eux ce qu'ont fait les premiers. Cf. Paris-
Magazine, 3 mars 18G7 ; G. Vuillier, La danse, c. x,
p. 307-809. Le cake tralk, qui a fait fureur dans tous
les salons et qui est le quadrille américain, est aussi
bien leste.
3° Le lieu. — L'endroit où se font les danses, comme
aussi le milieu ambiant, sont des éléments à considérer,
quand on veut juger sainement de la moralité d'une
danse. Pour bien des motifs, les liais de campagne,
d'auberges, de faubourgs, de barrières, paraissent plus
dangereux que ceux de salons ou de sociétés. Il faut
bien reconnaître, en effet, que la grossièreté des danses
de campagne et de celles des gens de bas étage, ouvre
la porte à toutes sortes d'abus et de désordres, tels que :
paroles trop libres, gestes inconvenants, postures ris-
quées, ou franchement déshonnêtes, eml. cassements
passionnés faits en public, sans pudeur ni réserve,
Quoique la corruption se cache aussi parfois sous les
dehors de l'éducation la plus raffinée, il \ a cependant,
en général, plus de décence et de retenue dans les sa-
lons, i nejeune Bile n'j danse, d'ordinaire, qu'en pré-
s' nce de ses parents. Ceux-ci sont plus ou moins vigi-
lante mais, enfin, ils sont là. n n'en est pas de
& la campagne, où les jeunes Biles, beaucoup plus libres
dans leurs allées et \eiiiles. éi happent souvent a la sur-
veillance de leurs père et inere. Dans les classes ole-
i< té, une jeum fille ne pourrait, sai
déshonorer, aller seule au bal. ou en revenir de ri
ou bien y aller et en revenir en de quel-
qu'un qui ne serait pas son très proche parent. Les
sort; .me sont moine rai > filles du
peuple, qui, par suite, sont plus exposées a tomber
dans une faut' .n à \ faire tomber ceu» qui,
connaissant leurs habitudes, peuvent en proliter pour
commettre plus facilement le mal.
4° Le temiis. — Ouand les danses s,, ni fréquent
régulières, comme, par exemple, dans les camp j
ou dans les petites villes, tous les dimanches et jours
■ h- fêtes, il est très rare qu'elles restent un simple
amusement. Elles deviennent, au contraire, une occa-
sion d'intimités et de rencontres pour des persome s
de différents sexes, qui trouvent ainsi le moyen de don-
ner a leur passion un aliment dont elles sont toujours
avides. On ne devrait pas porter un jugement aussi
ce sur les danses qui ne s, présentent pas avec ce
caractère de fréquence, de régularité et d'habitude,
comme celles, par exemple, qu'on organise accidentel-
lement dans un salon, à propos de circonstances spé-
ciales : réjouissances de famille, signature d'un contrat,
noce, baptême, etc. Ce n'est pas à dire que ces danses-
là soient toujours innocentes. Elles gardent les nom-
breux inconvénients inhérents a leur nature, et dont
nous avons déjà parlé; mais, du moins, elles n'on
ceux qui proviennent de l'habitude. La fréquence
mêmes occasions fait que la passion s'enflamme, tandis
que, par l'efl'et de la même cause, la pudeur, au con-
traire, s'affaiblit, et l'horreur du mal disparait de plus
en plus de la conscience relâchée.
Le carnaval est une époque où les danses sont parti-
culièrement dangereuses, et donnent lieu aux plus
graves désordres. Ces réjouissances bruyantes, lointain
écho des saturnales païennes, ne sont que pour trop
d'âmes l'occasion de chutes déplorables. Cf. Berardi,
De recidivis et occasionariis, part. U.c. I, a. 4. De bac-
chanalibus, t. n. p. 235-238.
La nuit également, le danger est plus grand que le
jour.
//. ex PARTE SUBJECTl. — Ce n'est pas assez, en pra-
tique,d'examiner quel danger présentent objectivement
les danses, en raison des circonstances qui les entourent.
Il faut aussi et surtout considérer quel est ce dan(
par rapport aux personnes à l'égard desquelles on a
une décision à prendre, ou à notifier. C'est par l'oubli
trop fréquent de celte circonstance personnelle et
essentielle, qu'on est exposé si souvent à se tromper et
à tromper les autres. C'est pour Cela aussi qu'il est si
difficile, pour ne pas dire impossible, de donner, sur
les danses, des règles générales, car chaque cas parti-
culier comporte presque une solution différente.
A moins d'être formellement obscènes, en effet, les
danses ne sont illicites qu'en raison du plus ou moins
de danger qu'elles renferment, et qui les constitue une
ion prochaine on éloignée de péché. Si. d'ordinaire,
le pèche les accompagne, de manière qu'il v ait entre
elles et lui une connexion probable et presque certaine,
le danger est prochain. Les danses d'un caractère lascif
impliquent, pour h' plus grand nombre îles individus,
un danger Imminent, auquel, à moins d'un motif grave,
on ne peut s'exposer, sans commettre une faute mor-
telle contre la vertu île prudence Dans d'autres danses
pourtant, le danger prochain n'est pas à ce point absolu
et universel. Il peut n'être que relatif, pour quelques
pris,, mies, pai' exemple, à cause de leur impressionna-
hihte.de leur tempérament . de leur fragilité' ; en un
mot. de leurs dispositions particulières qui leur font
trouver un n fréquente de chute, là OÙ une
foule d'autres n éprouvent aucune mauvaise impres-
sion.
Si une personne a p ché -lavement presque toutes
125
DANSE
126
les fois qu'elle a assisté à une danse, celle-ci, serait-
elle honnête, est évidemment pour cette personne une
occasion prochaine de péché. Il est très probable qu'elle
retombera dans la même faute, si elle s'expose encore
au même danger. On ne peut donc l'absoudre, si elle
n'y renonce, à moins que, ne pouvant, pour un motif
grave, se dispenser d'y assister, elle ne s'efforce, par la
vigilance, la prière et de sérieuses précautions, de
rendre éloigné le danger qui pour elle est prochain.
Réciproquement, ce qui objectivement parait être un
danger prochain pour le plus grand nombre, comme,
par exemple, les amplexus dont il a été question à
propos de la valse, de la polka, de la mazurka, etc.,
en présente quelquefois très peu, ou même pas du
tout, vu le tempérament des individus, ou l'éducation
reçue dans le monde spécial auquel ils appartiennent,
et par laquelle ils sont devenus, sous ce rapport, beau-
coup moins impressionnables qu'ils ne l'eussent été,
dans un autre milieu et avec une formation différente.
Comme il a été dit col. 124, les danses fréquentes
excitent parfois les passions, en leur procurant les
occasions périlleuses qui attisent la n'anime impure et
l'alimentent; mais, parfois aussi, cette fréquence produit
l'effet contraire. L'accoutumance émousse la sensibilité.
Il ne manque pas de gens blasés sur ce genre de di-
vertissement, qui, étant devenu pour eux une chose
ordinaire, n'éveille ni leurs sens, ni leur curiosité. Esc
assuelis non fit passio. Certaines personnes ne trouvent
même, dans des danses assez risquées, qu'un véritable
ennui. Elles ne s'y prêtent qu'à regret et avec dégoût,
uniquement parce que telle est l'habitude tyrannique
dans la sphère sociale, où, vu leur nom et leur rang,
elles sont obligées de vivre.
Pour apprécier le coté moral d'une danse, le théolo-
gien, ou le prédicateur, aurait donc tort de se mettre
simplement au point de vue de ses idées personnelles,
ou de celles du» milieu dans lequel il a lui-même vécu.
11 ne doit pas, dans sa pensée, opposer les personnes
nées et vivant dans un milieu mondain, aux âmes pri-
vilégiées qui, dès leurs années les plus tendres, ont été
cultivées comme des Heurs en serre. La comparaison
serait assurément défavorable aux premières, mais ex-
poserait aussi à les juger injustement. De ce qu'une
àrne ne vise pas à la perfection, et n'a pas une émi-
nente vertu, il ne s'ensuit pas que tout soit péché en
elle. Parce qu'elle s'offusquera inoins de certaines pa-
roles, de certains aspects, ou de certains rapproche-
ments, que ne le ferait une personne, dont l'innocence
s'est toujours abritée derrière les murs d'une maison re-
ligieuse, faut-il en conclure que s:i conscience est com-
plétement oblitérée, el qu'elle ne distingue plus le bien
du mal ' Cette conscience assurément est moins déli-
cate que celle d'un prêtre habitué à la gravité' et à la
dignité' de la ii laie, ou que celle d'une reli-
gieuse vouée à la pratique des conseils évangéliques;
mais, si cette conscience est moins ouverte aux attraits
de la vertu, on ne peul pas dire pourtant qu'elle soit
absolument faussée. Ellea un angle optique à elle pour
i apprécier les choses. Aussi reste-t-elle parfois
un ^ calme, là où d'autres seraient profondément trou-
blées. Il ne tant donc pas s'étonner, si les personnes du
monde se fonl de la danse nue idée toute différente de
celle que s'en for ni les .'unes qui, avides de perfec-
tion, fuient jusqu'à l'apparence du péché. La vue mené
rapide d'une de ces danses donnerait à ces âmes des
Inquiétudes de conscience; tandis que. très souvent,
le- p. nonnes «lu momie \ assistent el j piétinent part,
i là un rail d'expérienci .
donl poui i iii ni ti moigni i beaucoup de i
ayant la pratique du -aint ministère, ou même simple-
ment l' i , peu mêlés .i la société laïque, et,
de- lors, plus à même de la connaître el de l'appr
Pooi B{ des bili
les font agir, il faut, en effet, pour un instant au
moins, s'identifier avec eux, s'assimiler leurs pensées,
et deviner ce qu'ils éprouvent.
Ce n'est pas à dire que, pour savoir si une chose est
bien ou mal en soi, un théologien de profession soit
obligé de consulter les laïques et les gens d'un certain
monde. Assurément ceux-ci, sur une foule de sujets,
tels que le duel, le point d'honneur, etc., se font une
théorie à part, et qu'on ne saurait approuver; mais,
comme pour tout péché mortel, il faut, de la part du
pécheur, advertance et volonté, on est bien obligé, pour
juger du danger que, pour tel ou telle, une danse pré-
sente, de leur demander quelle impression cette danse
produit en eux. Sur ce point, en etfet, eux seuls peu-
vent répondre, car seuls ils savent ce qui se passe dans
leur conscience. Comme c'est une question de fait, ce
n'est point par des règles générales qu'on arrive à
l'élucider; mais c'est par leur aveu. Qu'on ne dise pas
qu'ils sont intéressés à tromper. Nous supposons les
pénitents de bonne foi, et, à moins de preuve contraire,
il faut les croire tels, quand ils viennent d'eux-mêmes
réclamer les sacrements. C'est, d'ailleurs, un principe
de saine théologie : Gredendum est pœnitenti lam pro
se quant contra se loquenti.
Dans ses Avverlimenti per li confessori, § 19, ouvrage
si précieux que l'Assemblée du clergé de France voulut
le faire traduire et imprimer à ses frais, en 1655, saint
Charles Borromée range les danses parmi les occasions
relatives ou personnelles, et non parmi celles qui,
é'tant absolues et naturelles, sont prochaines à l'égard
de tous. Cf. Gousset, Théologie morale, Traité du sa-
crement de pénitence, c. xi, Des devoirs du confesseur
envers ceux qui sont da7is l'occasion prochaine du pé-
ché, n. 565, t. il, p. 378. Ce dernier auteur fait, ailleurs,
cette remarque importante : « Pour que la danse soit
une occasion prochaine de péché mortel, il ne suffit
pas qu'elle occasionne de mauvaises pensées, ou autres
tentations, même toutes les fois qu'on y va; car on en
éprouve partout, dans la solitude comme dans le monde. »
Théologie morale, Traité du décaloguc, VIe partie, c. i.
n. 651. t. i, p. 296.
Sur ce même sujet du point de vue personnel aux
danseurs, on ne lira pas sans profit ce passage d'un
théologien autorisé : Qusenam sunl chorese quse, ra-
lione modi libidinosi saltandi, valde periculosœ sunl
el prorsus prohibendsc? Non facile in theoria statut
potest. Qusestio enim inlricalissima esl, et plerumque
a variis circumslanliis pendet... Vix oui ne ri.c qui-
dem definiri potest a viro theologo, qui rcs istiusmodi
iimiitisi ex aliorum relatione novit. Etenim ut expe-
i i en lia constat ',refercntes,diversi mode per iculis affecli,
de illis dicersimode judicant. Quod enim aliissunvnie
periculosum videlur, aliis lolerabile apparci . neque
saltationes etiant ejusdem generis sunl ejusdem peri-
culi pro omnibus, flaque nec ipsi viri qui mundanis
recréa lioni bus prius vacarunt, et subinde Statut» cle-
ricalem amplexati sunt, hac deresemperconveniunt.
licncratim, ut periculosissimss habentur choreœ qux
valse et polka dicuntur; sedulo proinde oidenturintet'-
dicendœ. Atlamen non désuni viri probi qui lias ipsus
saltationes dicani modo non adeo indecoro fleri )iosse,
licet communiter valde periculoses sint. Plerumque
igitur ea quœ ad choreas spectant mi 1771 i 8tr/V3 AD
PRJB8BNTBS PBRSONAS cl modorutn ci cciinislanlias.
i mie, m praxi, m primis au pbricoli » pbrsonali
pxnitcntis attendendum est, atque <oi rationes quas
habere potest choreis assistendi. Gury, Casus corn
lise, De virtulibus, i av. X\n. n. 233, 2in-8°, Paris, 1891,
t. I. p. Kttl. Il n'est pas rare. BJOUte le même auteur.
de rencontrer des femmes et di s jeunes tilles qui, dans
I, n'ont commis d autre faute que quelques pen*
sées de vanité. Il en qui ne pèchent aucun*
ment. "/'• rit-, n. 2'.\\. t. i. p. ion, Compsndium theo-
127
DANSE
128
lorjiiv moralit, tr De irtulibut, c. m. a et. u,
n. 2i:(, t. i. p. 213. Cl Berardi, De reàdivit ei
sionariis, part. II. c. i, n 2, sect. i, d. 166; sect. u,
,,. 177; mti. m, n. 188, t. », p. 203, 211-212, 223
lll. La danse considérée dans son ensemble. Ré-
sumant les observations faites jusqu'ici, et n'en formant
qu'un —* - 1 1 1 tout, nous pouvons conclure que : 1° la danse
en soi n'est pas immorale, ni toujours cause (!<• p
ni, par conséquent, illicite. 2» Per accident, elle peut
devenir dangereuse, dès lors, mauvaise el défendue.
:j" Comme il faut, dans chaque cas particulier, apprécii r
les circonstances qui la rendent illicite, il est impossible
a priori de formuler des règles générales et absolues;
d'autant plus que les circonstances, qui vicient une
action de soi indifférente, doivent, ici, être étudié -
plus encore ex parte subjecti que ex parle rei, puisque
ce qui est danger grave pour les uns, n'est, bien des fois,
que danger éloigné pour les autres, ou même ne l'est
presque pas, ou pas du tout. 4° Dans la pratique, on
constate que le per se est beaucoup plus rare que le
per accident. Les personnes qui péclient à l'occasion
de la danse, sont donc incomparablement plus nom-
breuses que celles qui ne pècbent pas à son occasion.
11 en est surtout ainsi aux époques où la foi diminue, el
où les exercices de la piété chrétienne sont plus g
ralement abandonnés. Les mœurs étant plus relâchées,
il se produit, alors, dans les danses, de tels abus, et on
y prend de si grandes libertés, qu'il est bien rare que
la vertu n'y fasse pas naufrage, au moins par des pèches
internes. Le per accident devient ainsi presque la
règle.
Il n'en reste pas moins vrai, pourtant, que ce qui
est accidentel, même un accidentel très souvent réalisé.
n'est point, pour cela, essentiel, ni universel; et que
l'on ne pourrait, a priori, porter une condamnation
générale sur toutes les danses et sur tous les danseurs.
C'est en ce sens qu'il faut entendre quelques auteurs
affirmant que les danses modernes, telles que la valse,
la polka, la mazurka, etc., sont impures perse, comme
étant de leur nature la destruction de toute chasteté.
Cf. Eschbach, Disputai iones physiologico-tiieolog
disp. V, c. m, a. 1, S 3, in-8", Rome, 1901, p. 524. Ces
auteurs prennent évidemment l'expression per se dans
le sens moral, et non dans l'acception métaphysique
et absolue qu'elle a en philosophie. Pour le philosophe,
en effet, le per se implique une nécessité essentielle,
n'admettant aucune exception; par conséquent, toujours
absolument la même, dans tous les cas, quel qu'en soit
le nombre. En morale, le per se n'a pas ce caractère
d'universalité et de nécessité immuable, sans aucune
sorte d'exception. Il est seulement l'équivalent des
expressions telles que celles-ci : conimuniter, regula-
riter, plerumque, ut plurimum, etc. C'est une géné-
ralité, une grande majorité, et même très grande, si
l'on veut; mais ce n'est plus l'universalité absolue. La
porte reste ouverte à quelques exceptions. Elles se pré-
senteront plus ou moins nombreuses; peut-être même.
de longtemps, elles ne se présenteront pas ; mais, enfin,
elles sont toujours possibles; tandis qu'elles ne le sont
pas du tout à l'égard du per te métaphysique. C'est là.
entre les deux per se, une immense différence. N'y
eût-il qu'un cas sur mille, ou môme seulement sur
cent mille, cela suffit pour que. le per te ;i\ant en mo-
rale un sens tout autre qu'en métaphysique, on ne
puisse, en vertu de ce per se, porter sur les danses
tournantes : valse, polka, etc., une condamnation uni-
verselle et absolue.
IV. Règles pratiques pour le pasteoh d'anbs en
DEHORS m CONFESSIONNAJ En raison de ses fonctions
et de la charge d'âmes qui lui incombe, un curé a bien
le droit, et même le devoir, de prendre des mesures
d'ordre général dans le but d'extirper de sa paroisse
les abus qui s'y glissent, ou déjà \ existent. Il ne doit
oublier cependant, qu il n'est pas, a proprement
parler, un législateur avant, au for externe, le pouvoir de
faire et de promulguerdes lois, obligeant en ■
en vertu de sa seule autorité. L'autre part, u m rni
d'ordre généi d, par le fait qu'elle vise la popula
dans son ensemble, est chose extrêmement délicat'
avant de s'\ résoudre, il convient d en prévoir avei
les conséquences probables, l'n sage administrateu
prend pas une mesure qu'il prévoit devoir inutilement
soulever des tempi les L innovations disciplin
sont grosses d'inconnu, surtout quand la malien
délicateet le terrain brûlant. Cf. Gousset, Théologie
raie, Traité du décalogue, VIe partie, c. i. n. 651, t. i.
p. 295.
Au sujet de ce que doit faire un curé contre la d
en usage dans sa paroisse, de vives discussions se sont
es. Comme les inconvénients sont grands de part
et d'autre, et que les sentiments opposés sont défendus
avec conviction, et non sans di >ons à l'appui,
il sera toujours difficile, pour ne pas dire impossible,
de trouver un moyen terme, et d'adopter une solution
qui satisfasse chacun. Les uns.se fondant sur l'axiome
qu'entre deux maux il faut choisir le moindre, se con-
stituent les apôtres de la tolérance. Assurément il -
mieux, disent-ils, qu'on ne dansât pas: mais le mieux
n'est pas de précepte, et, quelquefois, il est l'ennemi
du bien. A quoi serviront des invectives publii
contre la danse? A cause des dangers qui ne s'j ren-
contrent que trop, menacera-1-on de refuser l'absolution
à toute personne qui aura dansé, à moins qu'elle ne
promette sincèrement de ne pas recommencer à 1
nir? Cette promesse, si elle est faite, sera-t-elle sin-
cère? Et, si on ne veut pas la faire, on continuera à
danser; on ne se confessera plus, et l'on ne commu-
niera plus.
Ces sombres perspectives n'émeuvent guère les
nants du parti contraire. Voyant, avant- tout, la gravité
du mal actuel et le pressant danger que courent les
âmes, ils sont d'avis qu'il faut prendr Mires
énergiques; menacer publiquement de refuser l'abso-
lution à tout danseur et à toute danseus m )0
nombre des Pâques doit en être notablement diminué.
En ces matières, disent-ils, l'indu rail cou-
pable. Elle n'aboutirait qu'à multiplier les sacrili - -
Mieux vaut délaisser la sainte table que de la profaner
A quoi bon céder au torrent de la coutume? Ne vaut-
il pas mieux prendre les moyens d'endiguer ses Ilots
dévastateurs.' Et puisque le danger ne menaci
lement une paroisse, mais toutes les par.
curés devraient unir leurs efforts, adopter une m<
identique, afin de combattre le mal partout où il
exerce ses ravages, et d'y porter partout remède. Rien
n'est plus préjudiciable aux .'mus et ne les encoi
autant à persister dans leurs errements funestes, comme
la différence d'agir qu'ils remarquent entre les curés
des diverses paroisses, où les abus sont pourtant les
mêmes. L'indulgence des uns semble condamner, et.
de fait, condamne le zèle des autres, qu'il rend, du
moins, pratiquement ineffii
Les curés voisins peinent prendre de concert celle
mesure ^ ils ont l'espoir fondé qu'elle produira de
bons résultats, fera disparaître Ires, ou empê-
chera une danse plus dangereuse de s'introduire dans
le pays. Mais >i. parmi eux, quelques-uns sont d un
aulre avis el ne croient pas la chose opportune, qui
pourra les \ forcer ' Leurs confrères n'ont aucune au-
torité sur eux. L'intervention de l'évéque serait alors
nécessaire. Il est donc rare que des curés puissent, de
leur propre initiative, adopter un plan d'ensemble.
Reste l'action du curé dans les limites de sa par,
lue mesure générale el rigoureuse, outre qu'elle peut
être inefficace, risque aussi parfois d'atteindre des inno-
cents et de les exposer au danger de se perdre. Mena-
129
DANSE
130
cer de refuser l'absolution à tout danseur et à toute
danseuse, n'est pas, sauf en des cas très rares, théolo-
giquement soutenable. Pourquoi la refuserait-on à
ceux ou à celles qui, en dansant, ne pèchent pas'.'
Serait-ce parce que d'autres pèchent? Mais a-t-on le
droit de punir quelqu'un des fautes d'autrui? N'est-ce
pas une obligation grave de donner l'absolution à tout
pénitent bien disposé, qui fait l'aveu de ses fautes?
Pourrait-on, pour justifier cette décision, s'appuyer sur
le scandaie donné, ou sur la coopération apportée par les
•danseurs innocents à la faute des autres? .Mais croit-on
que l'abstention de quelques danseurs supprimerait les
bals? Refuserait-on l'absolution à ceux qui ne pèchent
p-is, prœsumplione periculi? Mais cette présomption
n'existe pas pour eux, puisque l'expérience a prouvé
qu'ils ne pèchent pas, et qu'il n'y a pour eux aucun
danger, du moins prochain.
Cette menace de refus général d'absolution serait donc
inutile, et la promulguer du haut de la ohaire serait
une grave imprudence. Sans convertir les coupables,
elle ne punirait que les innocents. Elle serait donc
plus nuisible qu'avantageuse. Le curé entrerait inutile-
ment en conllit avec la majeure partie de sa population.
Ce serait le plus souvent la ruine de son ministère, et
l'impossibilité presque absolue de continuer le peu de
bien qu'il pouvait accomplir encore. Cf. Ojetti, Synop-
sis rerum moraliam et juris pontifiai, alphabelico
ordine diqesta, v» C/iorex, 2 in-4n, Prato, 1905, t. i.
p. 288.
Mais il ne s'ensuit pas que ie pasteur d'âmes soit,
même au for externe, absolument désarmé contre un
mal de cette nature. Il lui reste d'autres moyens qu'il
doit employer. Il diminuera le mal, plus par son in-
fluence personnelle, discrète et persévérante, que par
de violentes diatribes du haut de la chaire; il le diminuera
pir des conversations particulières, et par son action
sur les meilleures familles. Il le diminuera aussi, pour-
vu qu'il n'y revienne pas trop souvent, ni avec un zèle
outré, par des sermons, non pas comminatoires, mais
persuasifs; en montrant les écuei's et prémunissant
contre les périls; en conseillant aux pères et mères de
famille d'en détourner leurs enfants. Mais qu'il ne
défende pas les divertissements honnêtes, et qu'il ne
condamn distinction toutes les danses, comme
si la loi naturelle, divine ou ecclésiastique, les pro-
hibait.
L'Église, qui aurait le droil (le faire une loi de ce
genre, si elle le jugeait avantageux pour le bien des
. nen a promulgué .incline pour interdire, en
rai, la danse aux chrétiens. Le curé n'a donc pas
le droit, en préchant contre les danses réputées mau-
vaise,, (i.. laisser entendre qu'elles sont toutes condam-
nables. Il commettrai) une erreur théorique et une grave
imprudence. On s'apercevrait vite, an détriment -
légitime influence, d mns.
Même pour les dai impagne, que l'on con-
sidère généralement comme plus dangereuses, il \ a
lieu .i distinction, hes auteurs qu'on ne pourrait taxer
de laxisme, donnent aux i iirés ces conseils Impru-
ienter prohibentur rustici in diebus f es lit cl
tum quia choraizare nonest illicitum ex génère
in,,, if, na. in,,, kis clioreis tint assueti, siabeis
''"'>" - fm ludis,
ie in,!,,, i, ,i„, ; I,,,,, denique
quia, ■ "m publiée fiant, non datv - tur-
piler saUandi. Curandum tamen est "' m eit ai
■ in ri ,,i, .in turpi a 3almanti<
• ' is, tr WVI. /;- texto et
/■'".' m. p. i, ii |> i i. ,, m:
Après ..voir dit que I- curé* doivi ni er de
détourm i h - fidèles d< dansi - dai Gurj
ajoute i erum, net i horeat de medio tollei
le, il, in,,), h , i oleum /■■ i /os ab
DICr. DI Tin .)i.. CATHOL,
usu sacramentorum retraherent. Caute igitur in
praxi procedendum est, et inter duo mala minus
eligendum. Casus conscientiœ, De virtutibus, cas. xxn,
n.23i, t. i, p. 100.
Il convient aussi de conseiller aux jeunes gens et aux
jeunes filles la fréquentation des sacrements et les
exercices de piété; de créer des œuvres de préserva-
tion et de persévérance : patronages, confréries, con-
grégations, etc., et de les y enrôler. Cf. Marc, Instilu-
liones morales alphonsianœ, part. II, sect. Il, tr. VI,
c. iv, § 2, n. 833, t. i, p. 562.
Enfin, un curé ne négligera pas de recourir à Dieu
par la prière.
V. Règles pratiques pour le confesseur, w eor
interne. — Au tribunal de la pénitence, le confesseur
est juge en dernier ressort, puisque ses décisions ne
relèvent que de Dieu et de sa conscience. Son in-
fluence est bien plus grande que celle du prédicateur.
11 peut, par ses conseils et sa direction, persuader à
plusieurs de ses pénitents de renoncer à ces divertis-
sements.
Ses décisions toutefois ne sauraient être dictées
d'après une règle uniforme et inllexihle. Elles varieront
suivant les cas et les circonstances, suivant la docilité
des personnes, et l'espérance plus ou moins fondée de
leur amendement. Cf. Berardi, De recidivis et occasio-
uariis, part. II, c. i, q. i, sect. il, n. 175-177, t. il,
p. 210.
Si la danse est une occasion prochaine de péché, il
refusera nécessairement l'absolution, à moins d'un
vrai repentir et de la promesse sérieuse d'éviter, à
l'avenir, une aussi dangereuse occasion. Toutefois, il
serait imprudent et excessif de faire promettre l'absten-
tion complète de la danse. Certaines danses ne présen-
teront peut-être pas, plus tard, les dangers auxquels il
s'agit d'obvier à ce moment. Les pénitents ne pourront
peut-être pas toujours s'abstenir de danses auxquelles
leur rang, leur position, ou l'ordre de leur père ou de
leur mari, les obligeront de prendre part. S'ils pro-
mettent sérieusement de ne participer qu'à des danses
honnêtes, on devra les absoudre. Ce n'est point par
une intransigeante sévérité qu'on pourra les gagner.
Au lieu de les blâmer avec rudesse, il faut les re-
prendre avec douceur. Cave,o confessa rie, ne severius
ru,,, psenitente agendo,nihilproficias,et ipse noccas.
Obsecra igitur semper, non vero seniper increpa op-
portune et importune, Quod tibi su<,<iehii bonunx
spiriluale pssnitentis, tu videbis. Non raro autem a,,-
gustise circumdabunt te undique. Gury, Casus con-
scentiœ, De virtutibus, cas. xxn, n. 234, t. i, p. 101.
Quand la danse n'est pas, pour le pénitent, une occa-
sion prochaine de péché mortel, mais seulement une
occasion éloignée, le confesseur doit donner l'absolu-
tion, â moins que le motif d'un scandale probable
n'impose au pénitent l'obligation de s'en abstenir, par
charité' pour le prochain. CS. Berardi, De recidivis et
occasionariis, part. II, c. i, q. I, sect. n. u. 17,^. t. n.
p. i 15 sq.
Dans les paroisses profondément chrétiennes, où la
danse n'est pas en usage, le confesseur doit prendre
les moyens les plus énergiques pour l'empêcher de -• \
introduire, il peut, dans ce cas, se montrer plus
sévère, et. par remède préventif, refuser l'absolution i
toute personne qui danserait, et qui, par son exemple,
contribuer. lit a implanter dans le paya une coutume
auSsi fuie
Que due d'un confesseur qui. pour Infliger un blâme
public aux «lui nverrail leur communion
cale a une quinzaine de jours apr< Pâques? Si les
p nitente ne sont pas bien dis| i est è\ i-
demmenl n . mais si elles ont les dispositions
requises poui recevoir l'absolution, le renvoi d
communion n< e justifie guère Le désir d'établir une
1 \ . - 5
131
DANSE
différence apparente entre les personnes qui dansent
et celles qui ne dansent pas, ne semble pas un motif
suffisant pour retarder ainsi l'accomplissement du
devoir pascal. Cf. Gousset, Théologie more
du dét alogue, VI partie, c. i, a, 650-652, t.i, p. 295 sq.i
Marc, Institutions morale* alphonsianse, part. II,
h. ii VI, c iv, § 11, n. 833, t. i, p. 563; Balle-
rini, Compendivm théologies moralie, tr. De virtuti-
bus, c. m, a. 2, § :i. sect. n, il 243-246, t. i. p. 213 sq,
VI. Conseils spéciaux pour les personnes adon-
nées a ia DÉVOTION. — I On ne saurait mieux faire
que île leur répéter, avec saint François de Sales: s Les
danses et lis bals sont des choses indifférentes de leur
nature; mais leur usage, tel qu'il est maintenant établi.
est si déterminé au mal par toutes ses circonstances,
qu'il porte (le grands dangers pour l'âme... Je vous
parle donc des hais, ô Philothée, comme les médecins
parlent des champignons. Les meilleurs, disent-ils, ne
valent rien, et je vous dis que les meilleurs bals ne
sont guère bons. S'il faut manger des champignons.
prenez gardé qu'ils soient bien apprêtés, et mangez-en
fort peu; car, pour bien apprêtés qu'ils soient, leur
malignité devient un vrai poison, dans la quantité. Si.
par quelque occasion, dont vous ne puissiez absolu-
ment pas \ous dégager, il faut aller au bal, prenez
garde que la danse y soit bien réglée en toutes ses cir-
constances: pour la bonne intention, pour la modestie,
pour la dignité et la bienséance; et dansez le moins
que vous pourrez, de peur que votre cœur ne s'y affec-
tionne. " Introduction à lu vie dévote, IIIe partie.
c. xxxiii-x.xxiy. in-16, Paris. 1852, p. 302.
Ce n'est pas assez de conseiller aux personnes pieuses
de danser peu, et peu souvent, et seulement quand une
\iaie raison leur en fait une obligation de convenance.
Comme, même alors, les danses restent toujours un
danger, sinon pour la vertu, du moins pour l'esprit de
pi'ie. il importe qu'elles prennent de grandes précau-
tions. Après ces réunions, elles doivent s'ellbrcer de
chasser au plus tôt la fâcheuse impression produite
dans l'âme, et de sortir de la langueur spirituelle, fruit
naturel de la dissipation de l'esprit et de l'affaiblisse-
ment de la volonté pour les choses divines. Voir les
considérations que saint François de Sales conseillait
de faire pour rendre à l'âme le calme intérieur et le
goût de la piété. Cf. Esprit de saint Français de Sales,
in-16, Paris. 1904, p. 338 sq. ; Œuvres complètes,
12 in-12, Paris, 1862, t. i, p. 198 sq.; t. ix, p. 555; t. x.
p. 224, 383.
•!■> On voit combien se tromperait une personne fai-
sant profession de piété, qui, s'approchant fréquem-
ment de la table sainte, croirait pouvoir organiser des
bals dits de charité, user de son influence pour qu'ils
aient toute la solennité ou tout le concours possible-;.
et lâcherait d'y amener ses parentes et ses amies. In
général, dans ces bals de charité, il n'y a de charité
presque que le nom. Le profit qui en résulte pour les
pauvres, une fois qu'on a prélevé les frais d'installa-
tion, d'éclairage, etc., est peu considérable. Quand on
veut réellement être charitable, on prend d'autres
moyens. Ces réjouissances mondaines semblent plutôt
une injure à la misère du pauvre. Ces bals restent cle>
divertissements dangereux. Leur fréquentation, le zèle
qu'on déploie pour leur organisation ou leur réussite,
ne sont pas compatibles avec la vraie piété.
3° Au\ jeunes Biles qui font partie d'une congréga-
tion érigée dans la paroisse, en l'honneur de la sainte
Vierge, on doil interdire la danse. Par le fait qu'elles
entrenl dans ces pieuses associations, elles veulent se
distinguer des autres chrétiennes, et t'ont profession
spéciale des pratiques de dévotion. La défense de
danser doit normalement être un article du règlement,
dont la violation entraînerait exclusion.
ivient-il de permettre quelquefois la danse aux
i-t. -. dans i ••! tain
p.u exemple, a l'occasion <1 une noce, ou de- la f. \
tronale, etc. '.'lin principe, cela ne parait pas opportun,
car c'est ouvrir la porte aux infractions qui tendront à
se multiplier. Ii. m- les paroi chrétiennes ou les
danses sont rares, il vaut mieux restreindre le
possible les exception-. Dans les p
tienne- ou la dan-- est déjà en usage, il ne Coi<
pas de la permettre officiellement, de temps en t-
Mais, si une trop grande Bévérité devait détourni
plupart des jeunes tilles de la congrégation, il -
mieux. Ce semble, de tolérer de rares violation- d
article du règlement. Parfois, on pourrait utilement
imposer une pénitence aux congréganistes
santés. Il sérail imprudent de les éliminer uniquement
pour ce motif. Enfin, pour corrig. r le ma
produit par cette tolérance, on demanderait aux con-
inistes les plus ferventes, ou les plus influi
l'abstention complète de toute danse. Leur exemple
compenserait la latitude laissée à quelques-uni -
duritiam mctiis.
4° L'Église a édicté des mesures par rapport aux ecclé-
siastiques, aux religieux, aux I - prohibi-
tions se trouvent en divers endroits du Corpus juria
canonki. Llles remontent à une haute antiquité, et. de-
puis lors, ont été renouvelées bien des fois. Cf. Dt
de Gralien, part. I, dist. XXIV. can. lu. Pretbyteri;
part. III, De consecral., dist. Y. can. jT rtet;
Décrétai., 1. III. til. i, De vita et honestai
can. 12, Cum décorent ; 1. III. tit. XXIH, De immuuitate
ecclesiarum ; in VI», can. 2, Decet ; Clementin., I. 111.
tit. x, De statu monachorum, can. 2. Attend*
ilt. xiv. De célébrations missarum, can. I. Gt
A propos de ce dernier texte, Tainburini. ErpU
decalogi, I. VII, c. vin, g 7, De choreis, a. ô. t. i,p
fait toutefois cette remarque : Per lias proliibit
prohibera pttto choreas absolu te, sed immod
impudicasque. Le passage de la Clémentine cité
en effet : Non verentur in ijists ecclesiis et
cœnieteriis choreas facere dissolutas. Selon cet auteur,
le mot dissolutas restreint certainement de beaucoup
la défense : illttd proltibilioneni certe perma.rime lenit.
De sorte que là aussi, selon lui, c'est d'après les en-
constances qu'il faut surtout apprécier la gravité de la
faute : quare jvxta majorem minorenique i
liam, secundttm omîtes circunistantias a prudent
pendendam, et considerato scandait), quod fort»
tur,... gravitatem levilatenique culpse dimetire.
Ces défenses ont acquis une nouvelle force par la
mention qu'en a faite le concile de Trente, sess. XXII,
c. l. De refornu; sess. xxiv, c. 12. Cf. Benoit XIV.
Instit., LXXVI. n. 6-10, Opéra ni, min, 18 in-'. . I
1839-1847, t. \. p. 321-323; Ferraris, Prompta bil
theca, v° Cleiicits. a. L n. 6-10, lu in-4 . Home.
17'A). t. n. p. 202; Ojetti, Synopsis rerum moralium
et juris ponti/icii alphabetico ordine digesta, \ Clerici,
t. i, p. 334.
Sur la plus ou moins grande liberté donnée, au -
des danses, par les Églises luthérienne et calviniste.
voir Ditchtenberger, Encyclopédie <'•'.••
et, \ Danse, 13 in-4 . Taris. 1877-1882, t. m
p 593
VII. La coopi ration ai x nvxsi s. — I Sont indigni ■
d'absolution les musiciens de profession qui donnent
leur concours aux danses nocturnes et dangereuse-.
d'où les jeunes gens et les jeunes filles reviennent en-
suite pêle-mêle, comme il n'arrive que trop souvent
dans les campagnes. Ils pèchent gravement en O
ranl ainsi d'une façon prochaine à une foule de p.
mortels. Cependant, si ces danses ne présenta ien
un danger loi oui. -i elles se faisaient en plein jour, et
non d'une façon habituelle, mais dans des circonstances
particulières, comme, par exemple, une fête patronale,
133
DANSE
DANSEURS
134
une noce, une réjouissance de famille, etc., on devrait
se montrer inoins sévère à leur égard, à moins que
ces musiciens n'y lissent entendre des airs lascifs et
connus comme tels. Ce serait alors, de leur part, en
effet, une vraie provocation au mal.
2° La même solution, et avec une distinction iden-
tique, s'applique à ceux qui, par leur argent, sou-
tiennent les bals publics, en payant les musiciens. Si
ces danses sont mauvaises, ou si, sans être directement
déshonnétes, elles sont néanmoins dangereuses pour
un bon nombre de ceux qui y prennent part, il n'est
pas permis d'y coopérer par son argent. Si les danses
sont rares et peu dangereuses, on doit néanmoins con-
seiller aux paroissiens de n'y coopérer en aucune façon;
cependant, s'ils le faisaient dans ce dernier cas, on ne
devrait pas leur refuser l'absolution, à moins que
cette coopération ne tendit à introduire les danses dans
le pays où elles ne sont pas en usage, ou à augmenter
leur fréquence dans des proportions funestes.
3° Ceux qui organisent les liais publics apportent une
coopération plus directe aux nombreux péchés qui s'y
commettent. Ils doivent donc être traités avec plus de
sévérité encore.
4° Une solution analogue s'applique à ceux qui prê-
tent, ou qui louent des immeubles, pour des danses mal-
saines oh dangereuses. C'est une coopération directe à
un mal grave, et bien souvent cette coopération devient,
en outre, un scandale public. En quelques rares cir-
constances cependant, et s'il était avéré que les choses
s'j passent honnêtement, on pourrait avec prudence les
absoudre. Attamen non seniper iis neganda esset abso-
lulio, sed speclandsB sunt circumstanlise el niodus ordi-
narius quo islœ chômas fiunt. liallerini, Gompendium
theologise moralis, \r. De virlutibus, c. ni, §3, part. II,
sect. il, n. '2ô<>, t. i, p. 22."». Cf. Ojetti, Synopsis rerum
mera is pontifie ii, v° Cooperatio, t. 1, p. 482.
Il e-i impossible de fixer des règles générales pour la
solution de ces divers cas de coopération aux danses.
La décision de chaque cas particulier dépend du con-
ir. qui esl seul .i même d'apprécier les circon-
stances qui peuvenl être si différentes : comme la proba-
bilité d.-s fautes qui se commettront, le degré de coopé-
ralion matérielle, les raisons plus ou moins pressantes
qui sont de nature à l'excuser, in casu, etc. Cf. Lehm-
kuhl, Theologia moralis, part. I, 1. II, divis. I, c. ni,
e moralis, part. III. tii. vi,
cm, l> choreiê ; Tamburini, J alogi, 1. VII, c. vni,
aise, 1707, t. i, p. 206 Bq. :
na, De m il i iv, p. i\, n. 24, Opéra omnia,
d se, 1716, t. I, i i oralis,
I. m. part. I. tr. i\, c il, dub. I, a. *s7 gq., 3 in-fol., Venise,
■ i, p. 197 : Salmanticen theologia i
li*. lr. XXI, /' ' primo pr.r llogi, C. VHI, p. v. S 2,
n iii; tr. XXVI, D( sexto et n lecalogi prœccpto, c. ni,
p. i. n 16-17, 6 in-fol . Veni ■<■. 1728, I v. p. 171 ; t. VI, p. 107;
XIV, Institut. eccles., inst.LXXVI, lh- choreis; const. A ihil
(o, du 12 i ûl 1TV2, s 'i ; const. Inler caetera, du 1" jan-
vier 1748, "; Prato, 1839-1847, t. X, p. 818-
xv, p. 234; t. xvi, p acina, Theologia chri-
Dimi, alis, , VIII, J di II, c. m.
10 m-'* . Ro 1753 i i 24 i-255; Ferrai Pi ompta bi-
bliolhe <i ■■ Chores n. 87, 17 in-'r, Hume, 1785-
- viphonse, Theologia moralis,
I. iv, ii :\ h . (lecalogi, c. I, ilub. i,
I
2* Bol ' • '. Il' s
*<•» pi
noil, in-l'J l
lu ■/•< in-8-
i hoi igt aphie, in-8 - I
Ii i Vulnayi . /* la illalion tht âti aU 1700;
'tique ■ I i ittores-
■
de musique, 2 in-8% Paris, 1847-1856; Fétis, Dictionnaire de
musique, 6 in-4% Paris, 1860-1869: vicomte de Brieux Saint-
Laurent, Quelques mots sur les danses modernes, 5' édit.,
Pai'is, 1868; Chouquet, Histoire de la musique dramatique,
in-8", Paris, 1873; Boccardo, Feste, giuochi e spettacoli, in-8%
Gènes, 1874; Czerwinski, Brevier der Tanzl.unst, in-8% Leip-
zig, 1879 ; Ludovic Celler, Les origines de l'opéra et le ballet de
la reine, in-12, Paris, 1881; Pougin, Dictionnaire historique et
pittoresque du théâtre et des arts qui s'y rattachent, v" Danse,
in-4% Paris, 1885, p. 260 sq. ; Bcehme, Gesehichte des Tanzes in
Deulschland, 2 in-8% Leipzig, 1886;Laure Fonta, Orchésogra-
phic, in 4% Paris, 1888;Zorn, Grammatik der Tanzkunst, in-8' et
2 atlas in-4% Leipzig, 1888; Blasis et Lemaitre. La danse, in-12,
Paris, 1890; M"" Bernay, La danse au théâtre, in-8 % Paris, 1890;
Institut de France, Dictionnaire de l'Académie des beaux-arts,
v Danse, 6 in-4% Paris, 1896, t. v, p. 86-90, ouvrage en cours
de publication; G. Vuillier, La danse, in-1% Paris, Milan, 1899.
3° Eula, Collectio casuum de re dogmatica, morali et litur-
gica, in-8% Montréal, 1875, p. 164-168 ; Gousset, Théologie mo-
rale. Traité du décalogue, VI" part., c. i, n. 650-652; Traité du
sacrement de pénitence, c. XI, n. 565, 2 in-8% Paris, 1877, t. i,
p. 295 sq. ; t. u, p. 378; Lichtenberger, Encyclopédie des sciences
religieuses, v" Danse, 13 in-4% Paris, 1877-1882, t. m, p. 592 sq. :
Marc, Institutiones morales alphonsianse, part. II, sect. n,tr. VI,
S -, De choreis, n. 829-834, 2 in-8% Lyon, 1885, t. I, p. 560-563;
Gury, Casut conscienlix, De virlutibus, cas. xxu-xxm, n.233-
238, 2 in-8% Paris, 1891, t. I, p. 99-102 ; S. S. Nyssen, Un mot sur
la danse, in-12, Lille, 1892; Ballerini, Compendium theologia
moralis, tr. V, De virtutibus, c. III, a. 2, S 3, sect. II, n. 242-
246, 2 in-8% Home, 1893, t. i, p. 212 sq. ; Palmieri, Opus theolo-
gicum morale in Busenbaum medultam, tr. VI. De prseceptis
decalogi, sect. vi, De sexto et nono prxcepto, dub. i,n. 60 sq.,
7 in-8", Prato, 1893, t. II, p. 697 sq. : Berardi, De recidivis et
occasionariis, part. II, c. I, a. 2, De choreis. 2 in-8% Faenza,
1H97, t. n, p. 202-227; Esclibach, Disputa/lunes physiologico-
llieologicœ, disp. V, c. III, a. 1, § 3, De choreis et saltationibus,
in-8% Home. 1901, p. 517-524; Lehmkuhl. Theclogia moralis.
part. I, 1. II, divis. I, c. III, a. 2, § 1, n. 643,2 in-8". Fribourg-en-
Brisgau, 1902, t. i,p. 384 sq. ; Ojetti, Synopsis rerum moraïium
Btjufis ponti/icii alphabetico online digesta, v Chorex; Coo-
poratio, 2 in-4% Prato, 1905, t. I, p. 288, 482.
T. Ortolan.
DANSEURS, secle fanatique parue, en 1374, le long
du Rhin, dans les Pays-Bas, particulièrement à Liège,
Pour connaître son origine, sa nature, son rôle, il
faul consulter les divers chroniqueurs de l'époque,
ceux de Limbourg, de Cologne, de Trêves, de Belgi-
que. Tous mentionnent l'apparition, en 1374, d'une
secte d'hommes et de femmes, dite des danseurs.
parce qu'une danse désordonnée et sans décence était
Ii- irait caractéristique de leurs mœurs. On la dis, ni
venue de la haute Allemagne, sans marquer autrement
son origine; on signale sa présence h Aix-la-Chapelle,
surtout à Liège el dans ses environs. D'après les An-
nales Fossenses, dans Pertz, Monumenta Germanise
hislorica, Hanovre, 1843, Scriplores,t iv, p. 35, celaient
des possédés qui se mettaient à danser partout, sur
les places publiques, dans les maisons el jusque dans
les églises, à la manière des foUS furieux, el qui dînent
la plupart leur guérison aux exorcismes pratiqués sur
eux par les prêtres de Liège. Pierre de Herenthal,
dans Baluze, Vila paparum Avenionensium, Paris,
Ki'.t:!, I. i. col. 483-486, nous donne quelques détails
caractéristiques. Inopinément, sans tenir le moindre
compte de la pudeur, à moitié vêtus, ils se donnaient
la main, entraient en danse, bondissaient parce qu'ils
se croyaient plongés dans un fleuve de sang, pronon-
çaient des noms de démons tels que celui de Friskes,
et. à la lin de leurs éb il - chorégraphiques, demandaient
à hauts ri lugubres cris qu'on leur serrât fortement le
ventre. s;,ns quoi ils allaient expirer. \n\ veux du vul-
iin tel étal ne pouvait provenir que de ce que le
baptême Ii ai avait été mal administré, uotammi ni par
des i iiculiinaii i uple, dan
Irritation, format il le projet de tomber sur le cl
de Liège et d'en faire un massacre, mus ii n'j donna
i [i
même 1 1
I : I!
DANSEI RS
13G
Beaucoup plus explicite encore esl Radulphe de Rivo,
doyen de Congres, mort en I W). au c. i\ di
Ua pontificum Leodiensium, que Chapeaville a in-
el annoté dans ses Gesla pontif. Tongretuium,
Trajectensium et Leodiensium, Liège, 1612-1616, t. m,
p. 19-22. La Becte, dit-il, vint de la haute Allemagne
:'i Aix-la-Chapelle, puia à Utrecht, puis à Liège. Chaque
jour survenaienl de nouveaux danseurs, et leur mal
devint contagieux. Car on vit unefouli sains
de corps et d'esprit, soudainement saisis par les dé-
mons, se joindre à la danse. Quelle pouvait l>i<-n rire
la cause d'un si étrange phénomène ' l ■
la plaçaient dans l'ignorance crasse des choses de la
foi et dos commandements divins, qui régnait à cette
époque, mais, dans le peuple plusieurs en rejetaient
la faute sur la corruption du clergé, qui aurait du mal
conférer le baptême. Mais, observe Radulphe, pour
prouvii- que la validité du baptême est indépendante
de la dignité ou de l'indignité de ses ministres. Dieu
tit aux prêtres séculiers de Liège la grâce, qu'il refusait
aux religieux, de délivrer ces possédés au moyen des
oxorcismes. Entre autres faits, il rapporte ceux-ci.
Dans l'église de Sainte-Croix, à Liège, le jour de la
dédicace, pendant qu'on chantait les vêpres, le thuri-
féraire se mit tout à coup à balancer l'encensoir d'une
façon désordonnée, à danser et à prononcer en chan-
tant des mots inconnus. Vainement on le prie de cesser;
parmi les spectateurs étonnés, beaucoup se deman-
daient s'il n'appartenait pas à la secle des danseurs.
Récitez le Pater, lui dit un prêtre; il refuse. Récitez
le Credo. Je crois au diable, répondit-il. Le prêtre alors
de lui imposer l'étole, de l'exorciser et de délivrer ce
malheureux qui se met aussitôt à réciter avec un
grand sentiment de piété le l'ater et le Credo.
Autre fait. Vers la fêle de la Toussaint, à llerstal,
village voisin de Liège, hommes et femmes de la secte
s'étaient réunis en grand nombre et avaient décidé d'en-
vahir Liège et d'en massacrer les prélats, les chanoines,
les curés et tout le clergé. Mais Dieu dissipe leur
dessein; car, au moment de pénétrer dans la ville,
d'honnêtes gens les conduisirent aux prêtres, qui les
guérirent, à la grande confusion du démon et pour la
plus grande gloire du clergé. Plusieurs furent menés
à la chapelle de la sainte Vierge dans le cloître de
Saint-Lambert, où le prêtre Louis Loves, inspiré pat-
Dieu, imposa l'étole sur l'un d'eux, récita le commen-
cement de l'Évangile selon saint Jean et le délivra
ainsi de la servitude du démon ; il réussit de même pour
neuf autres. Le bruit d'une telle guérison se répandit
au loin, et d'autres danseurs, conduits au même en-
droit, furent de même délivrés par la pratique des
oxorcismes et rendus à la santé. On en avait mené
d'autres ailleurs, aux églises collégiales de Sainte-Croix
et de Saint-Barthélémy, aux églises paroissiales de
Notre-Dame et de Saint-André, où tous les prêtres
sans distinction eurent pies d'eux le même succès,
Dans la pratique «les oxorcismes. note Radulphe,
c'était le plus souvent le commencement de l'Évan-
gile selon saint iian qu'on lisait, maison empruntait
- • 1 1 — -^ i aux autres évangélistes les passages relatifs à
la délivrance des possédés. Quand parfois la guérison
tardait, on montrait .m possédé l'hostie consacrée ou on
la lui appliquait sur la tête. D'autres bu-, on l'asper-
geai! d'eau bénite, on lui en faisait même boire, après
quoi on pratiquait sur lui les rites de VExi, immutlde
spirilus, de VEpheta et de l'insufflation.
Radulphe raconte encore qu'une jeune possédée,
vainemi ni exorcisée par plusieurs prêtres, l'ut conduite
.i \i\ la Chapelle et > fut guérie par le prêtre Simon,
qui la plongea dans l'eau bénite. Il y avail <\n\\ ans
qu'elle étail mui^ le joug du démon. El le démon in-
terrogé Bur l'endroit ou il se trouvait quand la jeune
fille faisait sa communion pascale, répondit qu'il se
réfugiait à la pointe des doigt- du pied jusq
les esj ramentelles fussent consommées i
manda de pouvoir se retirer dans li l ïbad;
mais peu âpre-, deux ou ti
noyées, on attribua ce fâcheux accident ■> la pr< -< nce du
démon, et l'on ferma en conséquence h-- bains, et ces
hains étaient encore interdits au moment ou écrivait
Radulphe.
Ainsi combattue, cette secte qui. dans l'espace d'un
an, avait fait tantde victimes, fut enrayée; elle disparut
peu à peu, les cas de possession de ce genre devenant
de plus en plu-- rare-. La bonne réputation du cl
liégeois s'en accrut d'autant plus. Ce récit a manifes-
tement le ton d'un apologiste du clergé. Aussi l'auteur
le terinine-t-il par ces mots : « Loin de nous, qui
espérons à la solide gloire de la vie future, de nous
laisser gonfler par les vaines lou. hommes.
N'oublions pas ce- paroles du Christ . Plu
diront ce jour-là
votre nom que nous avons cl. n- El
« n'avons-nous pas, en votre nom. fait beaucoup de
i miracles'.' Alors, je leur dirai hautement : Je ne vous
« ai jamais connus. Retirez-vous de moi. ouvriers d'ini-
a quité. i Matin., vu. 22-2
Aces renseignements fournis par Radulphe, Chapeau-
ville, dans ses annotations, p. 22-23, en ajoute d'autres :
l'un qu'il emprunte, dit-il, au Magna ieutn
Belgicum, et qui se trouve coïncider textuellement
avec ce que dit Pierre de llerenthal; trois autres, qui
sont do Jean Stabulaus, de Corneille Zanfliet et do
Meyer. Mais tous ces témoignages ne nous apprennent
rien de nouveau. Si l'on en croit au contraire Jean de
Leyde, Cltronic. Belgic, 1. XXXI. c. xxvi, dans les
Renan Belgicarum annales, t. i, p. 299, le- dans
d'Aix. d Ttrecht et de Li lient on dansant le
cri de : Gai, gai! D après la Chronique de Colngne,
p. 247, ils criaient : M saint Jean. gai. gai! M. saint
Jean! » Ne serait-ce pas là une attribution erroi
Car nous n'apercevons pas le moindre rapport entre
la danse des danseurs de lb'71. véritable cas de p<
sion diabolique ou de pathologie, et la danse de cir-
constance qui avait lieu, une fois l'an, autour du fou de
la Saint-Jean, pas plus du reste que nous n'en décou-
vrons un avec la danse de Saint-Gui.
D'autre part, le dernier tiers du xiv siècle compte
assez d'hérétiques connus, do date ancienne ou récente,
tels que les vaudois, les béghards et les béguines
turlupina et les lollards, contre lesquels Grégoire XI
dut prendre des mesure- n 1372 et en 1373,
Raronius, Annales, an. 1372, n. 33; 1373, n. 19,
qu'il soit nécessaire île ranger parmi eux les danseurs
de Liège. Rien, en effet, dan- le- documents de l'époque
ne montre en quoi pouvait bien consister leur lu i
Ils no pratiquaient pas les sacrements, ils étaient
sédés • l ■ i démon, ils se livraient a de6 danses furibondes
d'où la décence était bannie et devenaient ainsi, par
un exemple contagieux, une cause do troubles et do
scandales. On les traita en conséquence comme des
dés, et on leur appliqua les formules liturgiques
do l'exorcisme. Mais, d'hérésie, pas Ae trace. De nos
jour-, le caractère contagieux do leur danse les ferait
r plutôt parmi le- malados atteints d'hystérie :
et c'e-t bien, somme toute, d'une maladie do ce genre
que furent frappés le- danseurs - .compliquée,
du reste, de possession diabolique. Ils sont donc à
rayer de la liste des hérésies.
Outre les OU' . s de l'article, voir Hecker.Ois
Tanxwuth, eine Volkskrankl If illelalter, Berlin, 18
Votkskranklieiten des Mittclalt., Berlin, :-
rlcq, Corpus inquisit. N 1889, t. i.
I>. ^tt si|. : lit.. De secten der - i ■" «'«'
Xcilcrhmtlcn, Bruxelles nius, Anna.- • u.13.
C. Bareuus.
137
DANTYSZEK — DAON
138
DANTYSZEK Jean de Curiis (1485-1548), théo-
logien, poète, canoniste et diplomate polonais. Evêque
de Chelrn en 1530, il s'opposa avec zèle à la diffusion
du protestantisme. Il mourut à Heidelberg en 1Ô48. On
lui doit l'ouvrage suivant contre les protestants :
Christiana de fuie el sacramenlis contra hsereticorum
errores explanalio, Cracovie, 1545.
Czaplicki, De vita et carminibus Joannis de Curiis Dan-
tisci, Breslau, 1855; W'iszniewski, Historya literatury poli-
kiej, Cracovie, 1. vi, p. •237-251 ; Encyclopédie powszechna,
t. vi, p. 783-785; Estreicher, Biblioyrafia polska, Cracovie,
1897, t. xv, p. 37-42.
A. Palmieri.
DANZER Jacques, théologien allemand, né en 1743
à Lengfeld, en Souabe, mort à Burgau le i septembre
179ii. Il entra dans l'ordre bénédictin à l'abbaye d'Isny
el fut professeur de théologie à l'université de Salz-
bourg. Obligé eu 1792 de se démettre de sa chaire à
cause de son enseignement entaché de pélagianisme,
il quitta l'ordre bénédictin et fut nommé chanoine de
Burgau. On a de cet auteur : Anleitung in die biblis-
che Moral, in-8", Francfort, 1787; et 3 in-8°, Salzbourg,
1903; Einfluss der Moral auf des Mcnsclien Gluck,
Salzbourg, 1789; ldeen ùber die Reform in der Théolo-
gie und besonders in der Dogmalik bei den Katholi-
ken, l 'lm. 1793; Der Geist Jesu-Chrisli und seiner
Lehre, Fribourg, 1793.
Hurler, Nomenclator, 1895, t. ni, col. 471; R. Miltermuller
Die bénédictine r Universitut Salzbourg, dans Studieti und
Mittli m Benediktiner-und dem Cistercien
ser-Orden, 1884. t. i. p. 371.
B. Heirtebize.
OAON Roger-François naquit en 1679 à Bricque
ville-en-Bessin, dans le diocèse de Baveux. Il entra
dans li congrégation de Jésus et Marie, dite des eu-
distes, le 29 septembre 1699, el après avoir achevé son
temps de probalion et ses études théologiques, il fut
ordonné' prêtre, puis incorporé à cet institut vers la lin
de 1702. Il fut dès lors un religieux exemplaire. Un de
ses premiers emplois fut celui de supérieur du
petit séminaire de Hennés, où il fut envoyé en 1706-
Il serait plus 'juste d'appeler cette [maison Séminaire
îles pauvret clercs, car les petits séminaires de ce
temps étaient des établissements où recevaient pension
gratuite 1rs jeunes gens pauvres qui aspiraient au
rdoce, etoù ils faisaient successivement leurs cours
d'humanités el de théologie, pour n'en sortir qu'après
avoir reçu tous les saints ordres, Quant aux grands
séminaires, il- se composaient de théologiens en état
de payer leur pension, el surtoutde clercs el de prêtres
qui n'v résidaient que pendant un temps plus ou moins
long Bxé par l'évêque, pour se préparer aux ordinations
u saint ministère. \ l'arrivée de M. Daon, le petit
séminaire de Rennes n'avait que quelques années
d'existence et ne comptait qu'une poignée de Bémina-
vivantdans uni pauvreté, et logeant dans
une partie du presbytère de Saint-Étienne attenante
l'église de ce nom. Le nouveau supérieur se mit aussitôt
en qu c sut en trouver. Avec l'agré-
ment et le concours pécuniaire de M" de Lavardin, il
acheta au faubourg Saint-Ilélier un terrain avec une
maison, où il ti le séminairedès I7u7. L'année
ut'-. H v commença de nouvelles el importantes
constructions, puis H arrondit la propriété; enfin il
,|"1 1 cet i tablis - mi n I n bn di i li tes dépassa
bientôt la soixantaine, el la pii té ne a ?sa d j être tri -
Qorissanti
Un 1719, M. Daon fut envoya au sémin lire d'Avranches
pour j pi théologie; el i n 1727. il en fut
nommé supi rieur, el pril en même temps la charge di
principul du collègi de ci tte ville, el celle de curé d
Saint-Mai tin-di quii taii ni nniei au semis
Il •■ut beaucoup à souffrir de la pan d'une coterii
janséniste, à la tête de laquelle se trouvait un grand-
vicaire, nommé Gautier, qui faisait de fréquentes visites
au séminaire et cherchait par tous les moyens à inoculer
les doctrines de la secte aux ordinands. Daon ne cessa
de réfuter hautement ces novateurs, s'appliquant à
maintenir les séminaristes dans l'orthodoxie et à en-
courager les prêtres de la ville qui restaient soumis à
la bulle Unigenitus, et étaient de ce chef persécutés par
l'irascible vicaire général. Celui-ci essaya maintes fois
de le perdre dans l'esprit de Ma1 Leblanc, prélat faible
qui craignait de déplaire au parti; mais l'évêque garda
une grande estime pour Daon, qu'il écoutait volontiers.
Comme curé de Saint-Martin, le religieux fonda une
école pour les tilles de sa paroisse.
En 1730, il fut envoyé à Senlis, pour y remplir les
fonctions de supérieur et de préfet des ordinands. Il
s'y concilia immédiatement la sympathie de tous les
gens de bien, et en particulier de Ma» Trudaine, qui le
choisit pour confesseur. Il établit une conférence de
morale, où près de vingt-cinq ecclésiastiques de la
ville assistaient régulièrement. Chacun devait mettre
par écrit ses avis, afin que le secrétaire put en transcrire
le résultat sur son registre. Par son zèle et la sagesse
de son administration, le supérieur mérita l'estime et
la confiance de tout le clergé de Senlis.
Appelé à la supériorité du séminaire de Caen, en 1738.
il gouverna aussi cette maison avec tant de prudence
et de bonté que, plus de cinquante ans après sa mort,
sa mémoire était encore en vénération dans toute la
ville. Enfin, en 1744, l'évêque de Séez ayant donné la
conduite de son séminaire aux eudistes, demanda
Daon pour en être le premier supérieur. Il y conquit
très promptemenl l'estime et l'affection générales. 11 y
termina sa vie le 1(> août 1749.
Roger Daon n'avait pas le talent de la prédication. Il
y suppléa en composant de nombreux ouvrages simples
et pratiques, destinés à la sanctification du clergé et
des âmes, et qui furent à leur manière une prédication
excellente. Ils roulent presque tous sur des matières
appartenant à la théologie morale dont il avait fait sa
principale étude. Voici les titres de ceux qui ont été
imprimés : 1" Conduite des confesseurs dans le tribunas
de la pénitence, selon les instructions de soi ni Charles
Borromée et de saint François de Sales, in-12, Paris.
1738. Cet ouvrage, qui résume brièvement ce qu'un
prêtre doit savoir pour administrer avec fruit le sacre-
ment de pénitence, fut approuvé par un grand nombre
d'évêques, el dès l'année qui suivit son apparition,
M de Luynes, évéque de Bayeux, le El rééditer à
frais et ordonna par mandement à tous ses prêtres d'en
avoir un exemplaire. Il se répandit très rapidement et
eut près de cent éditions. La 33' parut à Toulouse peu
après la mort de l'auteur. Il s'en lit des traductions on
latin, en italien, en espagnol, en allemand el en anglais.
On l'imprima encore à Toulouse, en 1820. Cet ouvrage
déplut aux jansénistes, el les Nouvelles ecclésiastiques
apprécièrenl ainsi la 5- édition i II arrive souvent à
l'auteur de prendre le mauvaisparti dans les différents
points de morale attaqués par les jésuites; par exemple,
cl.ms ce [u'il dit de la contrition, de la charité
scrupuleux, du rapl de séduction, de la notoriété ili-
fuit, .i, ; ion di fauti vénielles, de l'opinion
du pénitent contraire A i elle du confesseur, de l'a
■ nt à qui pèche matériellement, des habitudi-
de la stabilité de la justice chrétienne, de la
fréquente coi inion, des dis] des
moyen ! de perfi ction, de I approbation de i
Quoique d'une morale qui paraîtrait aujourd'hui un
peu sévère, ce livre estd'une doctrine Irréprochable;
2 Conduite des 'Mues dans /• du salut, pour
■ ic supplément d la conduite des confesseurs
s tribunal de la pénitence, In-i2, ''.iris. 1753.
Ce volume, qui ne puni qu après la morl de l'auteur
139
D AON
DAPON I
40
comme le t. u de l'ouvrage précédent. L'auteur s
indique la manière de diriger les enfants, les jeunes
les ignorants, les personn , les aspirants
i lo li religieux «'i religieuses, les soldats,
les pauvres, eti i de ii es nom-
breuses éditions. Celle de 1829 fui revue par un pro-
ur de théologie qui \ ajouta des Avertissement»
aux confesseurs, el une Exhortation aux ecclésiastiques
de s'appliquer à l'élude; 3° un recueil d'opuscules ren-
ferme des Méthodes utile* a xasliques, tou-
chant la manière de bien faire le catéchisme, de prépa-
rer les enfants à la confession, de leur faire renouveler
publiquement les promesses du baptême et faire leur
première communion, et d'administrer utilement le
saint viatique et l'extréme-onction, in-12, Caen, I7:si;
4» un autre recueil d'opuscules comprend aussi des
Méthodes pour Lien faire des conférences spiritie
pour faire des prônes, pour les grands catéchismes,
pour bien faire un sermon, pour expliquer les cérémo-
nies du baptême en l'administrant, pour expliquer
celles du mariage en l'administrant; et une méthode
facile pour apprendre aux nouveaux prêtres à entendre
utilement les confessions, in- 1 2, Alençon, 1759; 5° Re-
cueil d'instructions pour ceux qui se disposent à l'état
ecclésiastique, in- 12, Alençon; c'est un catéchisme
fort instructif pour les ordinands; G0 Introduction à
l'amour de Dieu, tirée des Œuvres de saint François
de Sales, in-12, s. I. n. d.; 7° Pratique de la prépara-
tion et action de (/races avant et après la sainte messe,
in-12, Alençon. 1748; 8" Instruction familière touchant
les missions..., avec des exercices pour la confession
générale et la sainte communion, in-12, s. 1. n. d.;
9° Pratique du sacrement de l'eucharistie, à l'usage
des enfants qui font leur première communion, Caen,
17W); 10° Règlement de vie pour un prêtre; devoirs
des prêtres, etc. Beaucoup de ses ouvrages ont disparu
ou sont très difliciles à retrouver aujourd'hui. Il n'j a
à porter le nom de l'auteur que quelques-uns de ceux
qui furent imprimés après sa mort.
Outre les ouvrages qu'il composa lui-même, Daon lit
aussi réimprimer, avec des additions et des notes,
plusieurs opuscules tbéologiques et ascétiques de diffé-
rents auteurs. Il choisissait toujours ceux qui lui
paraissaient plus propres à inspirer, entretenir et for-
tifier le goût d'une piété solide. On lui doit entre autres
une édition du Contrat de l'homme avec Dieu par le
saint baptême, l'un des ouvrages les plus estimés du
Vénérable Père Eudes.
Annales &e in Congrégation de Jésus et Marie, pas
Richard et Giraud, Bibliothèque sacrée art.de Besselièvre,
ancien eudiste).
.1. Haï imiin.
DAPHNOPATÈS Théodore, patrice et protoasecre-
lis, vivait à Constantinople vers le milieu du .v siècle.
Il écrivit une histoire de son temps aujourd'hui perdue.
On a publié de lui : i8 homélies composées d'extraits
de saint Jean Chrysostome, /'. '.'.. t. i.xin. col. 567-902;
un discours sur la translation à Constantinople d'une
main de saint Jean-Baptiste, /'. '.'., t. au, col. t;il-(i2n
(traduction latine seule); des lettres, dont une au pape
Jean XI, au nom de Romain Lacapène, et une à Anas-
métropolitain d'Héraclée, au sujet de la nomina-
tion de Théophylacte comme patriarche. .1. Sakkelion,
dans AeXtIov t/,; («rroptXTjc /.a'1. idvoXoyiXTJc tvaipfaf tt,;
'EXXâSo;, t. i. p. 658 >q. ; t. u, p. 395 sq. Signalons
encore, outre (les discours restes inédits, une vie de
samt Théodore Studite, /'. G., t. mis, col. 113-232,
attribuée tantôt à notre Théodore, tantôl à un certain
Michel, s. Haidacher, Studien liber Chrysostomus-
Eklogen, Vienne. [903, a recherché les sources des
'ExXova\ de saint Jean Chrysosti . il a pu identifier
cinq cents passages tirés d'homélies authentiqm
considérées comme telles par le compilateur; en oiitiv.
dans son avant-dernière homélie. Daphnopab
catéchèses x\n el zziii it'- saint Cyrille de Jérusalem.
K. Krumbacbi atur,
■i- édit, Munich, H-'jt, p. 17". i
-, Pi rai
DAPONTÈS Constantin, qui prit en religion le
nom de Césaire, naquit en 1713 ou 1714a Scopélo
son pi ilat britannique. A]
initié- dans -., patrie aux premiers éléments des scii
sous la direction de Hiérothée le Moréote, moine <h-s
Ibi res, il alla achever Bon instruction à Constantinople,
puis à Bucarest, et enfin a la- proti ction
des princes Maurocordato. auprès desquels il remplit
diverses fonctions, jouant au factotum dans les Princi-
pautés. Dénoncé- au grand-vizir pour ses malversations,
il se relira en Crimée, d'où il crut pouvoir, en !7»7.
revenir à Constantinople. Jeté en prison, il n'obtint son
élargisse ni. au bout de vingt mois, qu'en sacrifiant
toute sa fortune. L'n mariage malheureux, contracté le
12 novembre 17'iit, acheva de le dégoûter du monde;
il se lit moine en 17.">3 dans l'Ile de Pipéri, se brouilla
avec son supérieur au bout de quelque temps, et se
retira finalement à l'Alhos, au monastère de Xéropota-
mos. en 1757. C'est là qu'il mourut le i décembre 1784,
nt un héritage littéraire considérable. Beaucoup
de ses ouvrages ne rentçent pas dans notre programme.
Parmi ceux qui touchent à la théologie, nous citerons ;
Pies offices des saints Charalampos, Matrone et Spyri-
don, in-4°, Bucarest. 1736; 2° l'office de saint Rhéj
de Scopélos, in-8°, Venise. 17H»; 3° le Miroir des
femmes, 2 in-8 . Leipzig, 1766, biographies édifiantes
des femmes de la sainte Écriture, entremêlées de di-
sions infinies ; l* 1"Eyx<5Xtciov Xoytxôv, recueil d'hymnes
en l'honneur de la sainte Vierge, in-i . Venise, 1770;
2e édit., Leipzig. 1836; 5° la Xp^oro^ôêta, in-8 . Venise,
1770, recueilde recettes morales pour bien vivre en tout
état; 6° Lettres contre l'orgueil et la vanité du siècle,
in-8°, Vienne, 1776; 7° la TpziceÇot Rveupanx^j, in-v ■
Venise. 1778; 2e édit., ibid., 178o. recueil de quinze
discours moraux suivis de documents relatifs au mo-
nastère de Xéropotamos; 8° Panégyriques de di\'-rs
saints en vers. in-8'. Venise. 1778; 9 Map- . av.ra: tûv
tv.mv lepapxûv, in-8°, Venise. 1771». traduction en j
vulgaire des principaux discours des saints Basile de
ne, Grégoire de Nazianze et .lean Chrysostome;
10° traduction des Dialogues de saint Grégoire le Grand,
in-8. Vienne. 1780; 11° T-ir-r,?:; tt; 'n.x: h
in-8". Vienne, 179Ô. curieuse explication de la messe.
Les ouvrages suivants sont plutôt historiques, mais
plus d'une question théologique s'y trouve incidem-
ment traitée; ils n'ont d'ailleurs vu le jour qu'à la fin
du dernier siècle: 12° Histoire des sultans, de .Mêle met
à Achinet. publiée par C. Sathas, Ribliotheca grmea
medii sévi, Vei 572, t. ni. p. 1-70; i:t* Catalogué
historique de 1 70i> a I78i. publié- par le même savant,
. p. 71-200; 14" Épltémérides Itaces, publiées par
E. Legrand avec une traduction el un excellent com-
mentaire historique. 3 in-£ 1883-1888; 15* Jar-
din des Grâces, publié presque simultanément par
E. Legrand. dans le t. ni de sa Bibliothèque grt
vulgaire, Paris. 1881, p 1-232, el par G. Sophocle,
in-16, Athènes.
Dapontès a laissé, en outre, plusieurs ouvra.es ma-
nuscrits, dont les principaux sont une Géographie
historique. \e Siaipov jtoiriXtxov, recueil de panégyriques
et de cantiques, les 'A. 'le, vvr.ra. soit-' d 'anthologie de
l'Ancien Testament, le 4>avâp< -pvxixâv, histoire des
femme- célèbres du paganisme comme de l'antiquité
chrétienne, le I xaiXetûv, résumé- de l'histoire
byzantine, entremêlé, comme les autres ouvrages
Dapontès, d'une foule de digressions souvent fort
curieuses, enfui des Hymnes et poésies dive -
sur tous ces ou\ . me sur la vie même de leur :
141
DARBOY
142
auteur, on lira avec fruit la notice placée par E. Legrand en
tcte du t. m des Éphémérides Daces, Paris, 1898, p. i-i.xxvxi-
L. Petit.
DARBOY Georges, archevêque de Paris, né à
Fa\ls-Billot (Haute-Marne), le 16 janvier 1813, d'une
famille modeste. Élève du petit séminaire de Langres
en 1826, et du grand séminaire de 1831 à 1836, il fut
ordonné prêtre le 17 décembre 1839 par Ms> Parisis.
qui le nomma vicaire à Saint-Dizier. Professeur au
grand séminaire de Langres, de 1840 à 1845, il tra-
duisit alors les œuvres attribuées à saint Denys
l'Aréopagite. Partisan résolu d'une authenticité que les
critiques les moins suspects rejettent, l'abbé Darboy a
déployé pour défendre sa thèse toutes les ressources
d'un esprit que la controverse n'effrayait pas. Peut-
être à cette date subissait-il trop l'influence d'opinions
ambiantes; la France catholique renonçait alors au
gallicanisme, et, par réaction contre le gallicanisme,
on abandonnait volontiers, dans l'ordre même pure-
ment historique, les thèses qu'avaient patronnées, au
SV1I« siècle, des critiques jansénistes ou gallicans.
L'abbé Darboy quitta Langres pour Paris en 1845.
Second aumônier du collège royal Henri-IV; maitre de
conférences à l'école des Carmes que Mor Affre venait
d'ouvrir, il publia tour à tour les Femmes de la Bible
(1846); les Saintes femmes; une Lettre à M. l'abbé
Combalot, en réponse à ses delta lettres à 3/ie l'ar-
chevêque île Paris (1851 1: une Nouvelle lettre à
M. l'abbé Combalot en réponse à sa nouvelle attaque
contre Nosseigneurs de Paris et d'Orléans ; Le Christ,
les apôtres et les prophètes ; Jérusalem et la Terre-
ite (1852), que M. l'abbé (luillermin a spirituelle-
ment nommé : a Voyage en Terre Sainte dans un
fauteuil; » L'Imitation de Jésus-Christ, traduction
nouvelle avec Réflexions, commentaire substantiel de
ce livre admirable. De 1847 à 1855, l'abbé Darboy inséra
aussi divers articles dans le Correspondant. (Ce re-
Cneil, après la mort de Mar Darboy, a publié plusieurs
lettres de lui.) Vicaire général de Paris, archidiacre de
Saint-Denis, protonotaire apostolique, l'abbé Darboy
publia, en 1856. la Statistique religieuse du diocèse de
Paris. Après le meurtre de Mî' Sibour (3 janvier 1857),
il fut élu vicaire capitulaire du diocèse, fut maintenu
dans l'administration par le cardinal Morlot, donna
une nouvelle édition du Traité 'le l'administrUtion
temporelle des paroisses, oeuvre de Mb» Affre; et, en
publia 1 in 8" sous ce titre : Saint Tliomos Becket,
archevêque de Cantorbéry el martyr, adaptation de
l'ouvrage d'un ancien felloui de l'université d'Oxford,
le docteur Gilles L'abbé Darboy avait fait précéder cet
ouvrage d'une introduction dont l'irréprochable ortho-
doxie déliai I la critique la plus ombrageuse. Il prêcha
aux Toileries le carême de 1859; fut nommé à l'évêché
de Nancy le 16 aoûl de la même .innée, préconisé le
ptembre, el sacré à Notre-Dame de Paris, le 30 no-
vembre, par b' cardinal Morlot. Il ne devait que passer
dans la capitale de la Lorraine; il \ acheva le retour
à la liturgie romaine, entrepris par son prédécesseur.
Parmi les mande nts de l'évéque de Nancy, nom-
moni sa lettre du 1 avril 1860, sur la Nécessité de
tde, qui accompagnail une ordonnance relative au\
conférene. istiquea el à l'exa n des jeunes
dinal Morlot, sur son lit de mort, avait
ndé M Darboy pour successeur, le I" janviei
i présenta pour l'archevêché
[ue de Nancy qui fui préconisé dans le
du 16 mars 1863, Le 8 janvier 1864, l'empe-
reur le désigna comme grand aumônier; et. par un
tobre, l'appela au Sénat. Aux honneurs
qui s'accumulaient sur sa tète, et anxora
manqua la pourpre romaine, l'archevêque de I
mdil par une Me ,] une correction sévère et d un
Infatigable labeur Sa vocation, et aptitudes
et ses attraits, faisaient de lui un administrateur, un
théologien, un apologiste. Préoccupé de la formation
de la jeunesse cléricale, l'administrateur agrandit le
petit séminaire de Notre-Dame des Champs, et releva
le petit séminaire de Saint-Nicolas du Cbardonnet. Il
dota la Sorbonne théologique de professeurs éminents,
et rétablit à Notre-Dame les conférences de l'Avent,
confiées par lui à un orateur qui devait, hélas! trom-
per bien des espérances, le P. Hyacinthe. Il consacra
son église métropolitaine (31 mai 1864.) Il encouragea
toutes les œuvres charitables, crèches, asiles, écoles
chrétiennes, etc. Certains actes de l'administration de
Msr Darboy ont provoqué de légitimes critiques.
Homme de gouvernement, l'archevêque de Paris re-
doutait tous les obstacles que son action aurait pu
rencontrer; de là son opposition, justifiée d'ailleurs
par de graves autorités, à l'inamovibilité des desser-
vants (séance du Sénat, 18 juin 1865); de là aussi, la
répugnance qu'il éprouvait pour l'exercice de la juri-
diction immédiate du pape dans les diocèses, et qui,
après la visite indûment faite par ses délégués aux
maisons des jésuites et des capucins, lui attira le bref
sévère du 26 octobre 1865. Aux reproches du Saint-
Père, Mar Darboy répondit d'une manière qu'on vou-
drait plus respectueuse et moins chagrine. La Revue
d'histoire et de littérature religieuses, mai-juin 1907,
p. 240-281, a publié les lettres, jusqu'alors inédites, de
Ma» Darboy à Pie IX et au cardinal Antonelli. Ces
erreurs de conduite s'expliquent par des erreurs théo-
logiques. Au grand séminaire de Langres, l'abbé Dar-
boy avait enseigné les doctrines romaines; l'archevêque
de Paris paraissait s'en être dépris; et certes, il ne les
professait plus, lorsqu'au Sénat, « dans un discours, il
s'éleva contre les appels au saint-siège, et conclut à
accorder quelque respect aux lois organiques. »
Emile Ollivier, L'Eglise et l'Etat au concile du Vati-
can, c. v. Au concile du Vatican, Mai- Darboy combattit
la définition de l'infaillibilité pontificale dans un dis-
cours d'une rare habileté. H avait le droit de parler à
ses collègues comme il le fit, le 20 mai 1870, à la
.">.">'• congrégation générale; il eut le tort de s'adresser
à l'empereur et de solliciter une intervention qui d'ail-
leurs ne lui fut pas toujours accordée. « Je me demande,
écrivait-il à Napoléon III le 26 janvier 1870, après
s'être plaint du défaut de liberté du concile, si l'in-
térêt général, l'intérêt de la société religieuse et civile,
n'exige pas qu'on nous vienne en aide. Le gouverne-
ment de l'empereur ne pourrait-il pas faire connaître
au gouvernement pontifical les appréhensions qui
débuts du concile causent même à des esprits sérieux
et non prévenus, et lui laisser entrevoir les consé-
quences possibles des tendances et des agissements
signalés plus haut (dans celle même lettre)... Ce n'est
pas moi, sans doute, qui conseillerais de prendre à
l'égard du concile une attitude qui ne serait pas che-
valeresque et désintéressée; cependant, je ne voudrais
pas qu'un grand gouvernement comme celui de l'em-
pereur exprimât une confiance et des espérances que
l'avenir trahira peut-être I ité dans L'Église et l'État,
c. vi. El dans une lettre du 21 mai 1870, l'archevêque
de Paris proposait à l'empereur de rappeler de Rome
l'ambassadeur, le marquis de Banneville. D'après
Me Darboy, par cet acte, « le gouvernement... donnerait
un appui moral à la minorité... et il contribuerai!
peut èli Fflcacement à ftlire retirer ou ajourner la
question malheureuse qui Inquiète et divise tout le
monde .11 glise et l'État, c. vu. On se ne prendrait
singulièrement si l'on attribuait ce très regrettable
langage et les ai t< corre pondants, a une foi anémiée,
l'ose dire, par dei préoccupations d ordre poli-
tique. M i Darboy avait pu dire un jour à l'évéque de
M. i/. \l i Dupont des Logi I en' i< »otn pi< té,
pOUr Ul.i loi. elle es| n! << |. I Mrlll. 1
1 43
DAKHOY - DARBV
lii
Mv lhijx.ni des Loge». L'avenir n'a point justifié lea
alarmes des inopportunistes de l I en
toute sincérité que l'archevêque de Paria disait au
conCil, Le remède proposi la définition) contre
iux du Biècle esl manifestement inefficace; il
même à craindre qu'il ne nuise à beaucoup d'1 b.
Le point de vue théologique n'est pas le seul à consi-
p, nous devons tenir compte aussi de l'effet Bur la
té civile... Presque tous ceux qui président en
Europe aux destinées humaines nous chassent ou nous
fuient. Dans ces poignantes angoi i ! l'Église, quel
remède offre-ton au monde accablé? A ceux qui d'une
épaule indocile secouent les charges imposes i>;n- les
antiques et respectables couti s de leurs pères, les
auteurs du schéma (de l'infaillibilité) imposent une
charge que sa nouveauté rend aussi lourde qu'odieusi
L'Église et l'État, c. vm. Quand la congrégation géné-
i du 13 juillet 1870 eut montré comme inévitable
aux évêques inopportunistes la définition tant redou-
tée, M" Darboj écrivit le 16 juillet à Pie IX, pour
demander qu'on fit au texte de la constitution deux
modifications qui laissaient une porte ouverte au galli-
canisme. Collectio Lacencis, t. vu, col. i)92. A cette con-
dition, il promettait que la plupart des évêques oppo-
sants donneraient leur adhésion au décret en session
publique. Quand il n'eut plus l'espoir d'être écouté, il
fut d'avis de ne point paraître à la séance conciliaire
du 18 juillet; et son avis, combattu par Ms' Haynald,
archevêque de Colocza, par Mm Ginoulhiac, archevêque
de Lyon, prévalut parmi les évêques de la minorité.
g La piété ei le respect filial, écrivaient-ils le 17 juil-
let à Pie 1\. ne nous permettent pas, dans une ques-
lion qui touche de si prés Votre Sainteté qu'on peut
la considérer comme lui étant personnelle, de dire
publiquement et à la l'ace de notre Père -.Nonplacet... s
La définition une fois portée, M»' Darboy se soumit,
comme d'ailleurs tous les évêques de la minorité.
« Je m'en voudrais, dit-il au pape dans une lettre du
i mars 1871 (Paris, investi depuis septembre par les
troupes allemandes, venait de se rouvrir), si je ne pre-
nais occasion de la présente lettre pour vous déclarer
que j'adhère purement et simplement au décret du
18 juillet. Peut-être que celte déclaration paraîtra su-
perflue après la note que j'ai eu l'honneur de remettre
a Votre Sainteté le l(i juillet, de concert avec plusieurs
de mes collègues; mais il suffit que la chose vous soit
agréable, comme on me l'écrit, pour que je la fasse
avec plaisir, surtout dans les circonstances fine vous
traverse/. Votre Sainteté peut se rappeler que, dans
cette note, nous exprimions l'espoir de réunir l'unani-
mité des suffrages, si l'on adoptait deux ou trois correc-
tions qui n'atteignaient pas le fond du décret, mais qui
en adoucissaient la formule. C'esl surtout la question
d'opportunité qui nous tenait au cœur, ou plutôt à
l'esprit, et la crainte, hélas! de voir les gouvernements
se désintéresser des affaires de la papauté', .le sais bien
que les hommes ne sont pas forts, ils viennent encore
de le montrer, el que Dieu n'a pas besoin d'eux; mais
pourtant il s'en sert quelquefois. Enfin, c'esl fait. •
Chez l'archevêque de Paris, l'apologiste ne donne p.is
de prise à la critique. Sa fine intelligence avail discerné
de bonne heure les problèmes qui tourmentent l'âme
contemporaine: el ses Instructions pastorales sont une
série de réponses à ces questions anxieuses. Indiquons
les Instructions quadragésimales de 1868, 1869, 1870 et
1871, qui constituent un traité complet de la vraie
religion, auparavant, dans son mandement pour le
carême de 1864, sur la divinité de Jésus-Christ, l'ar-
chevêque avait réfuté les audacieuses négations de la
l'ie ,ir Jésus, publiée en I8(3:i; il avail commenté à
grands traits I encyclique Quanta cura dans son lus
truction pour le carême de 1865, de laquelle M«' Pie
disiiit a Pie IX que rien de plus topique o avait été
écrit sur ce Btij- ce propos de l'abbé Delarc,
;, qui i liera lavait rapport. En nu
temps qu'il répand la lumière, Mi Darboj recommande
I . Ilbrl et préconise la lutte. Dès Nancy, il écrivait un
mandement sur la direction et le <j ■"' ''e '<*
ntre autres mandements d'ordre
essentiellement pratique, il en donnait un d'une haute
inspiration et. à certains endroits, d'une pénétrant
m mélancolie sur le caractère el la portée de la
vie humaine novembre 1865 , Son dernier mandement
de carême (15 février 1871 - at bève par de vigoui
ils. M Darboy écrivain, etaussi orateur, a été api
cié d'une manière, ce semble, définitive par M. Emile Olli-
,iei : a Tout ce qu'il a dit ou écrit est d'un tour parfait,
d'un souille fort, haut, plein, d'une clarté transpart :
d'une dialectique animée, d'une justesse et d'un choix
de termes exquis. La grandeur de la pensée commu-
niquai! i sa parole, malgré la faiblesse de ses moyens
physiques, une autorité triomphante : en l'écoutant on
se entait éle\é à la région supérieure de l'intelligence,
plus ferme et plus éclairé. Peu accessible aux entraîne-
ments de l'imagination, il n'en était que plus lumi-
neux : le bois sec est celui qui produit les llammes
vives. » L'Église el l'État, c. v.
Si désabusé qu'il parût des hommes et des choses,
et que nous le montre son buste, chef-d'œuvre de
Guillaume, Ma» Darboy professait a l'égard de ses
contemporains un optimisme que l'expérience n'avait
pas entame'-, o .l'offre ma tête à qui en veut, disait-il a
Napoléon III un jour de 1868, mais à notre époque, on
ne trouverait i>as un bourreau, t (Je tiens ce détail
du P. Adolphe Perraud, qui le tenait de l'archevêque
lui-même. La Commune donna un démenti à cet
optimisme. Averti a temps, il pouvait fuir: c Je resterai,
dit-il, car je dois l'exemple a mes prêtres : ma fuite se-
rait d'ailleurs le signal d'un massacre général. »
L'archevêque fut arrêté dans son palais le 4 avril I8i I .
il fut enferme à Mazas, où il demeura quarante-six
jours. D'inutiles démarches furent tentées auprès de
.M. Tbiers pour obtenir léchaiu Darboy contre
Blanqui. retenu prisonnii ailles. L'archevêque
de Paris fut transféré à la Hoquette le 22 mai. Il
condamné à mort par un simulacre de cour martiale.
et fusillé. Il tomba en pardonnant et en bénissant. Des
funérailles solennelles, décrétées par l'Assemblée na-
tionale, lui furent faites le 17 juinj et au service de
quarantaine, le P. Adolphe Perraud. de 1 Oratoire,
prononça à Notre-Dame son oraison funèbre.
Les C uttorales tle M" Darboy ont été réunies,
2 in-8 . •. Oraison funèbre prononcée à Notre-Pame
de Paris par le P. P. A. Perraud. de l'Oratoire (ls juillet lsTl :
n funèbre a la cathédrale de Nancy par le
R, P. Dfdon, ii. P. (24 juin 1*71.; Lettre de M" Foi.
luction aux oeuvres pastorales, de M Foulon; M* Foulon,
Histoire delà vie et des - le M,T Dan
GuUlermin, Vie de M* Darboy, avec lettre- rll«*Oury,
Ué S V/>- Darboy. Gi«
M Dm amiUère, Paris, istj. xi- Fèvm,
intime et travaux littéraires de .U1' Darl I*i3;
2' édition, sous le tltn : Vieetceui - 1874;
t.. do Miivceuit. M - Mlle GraBI
M Darboy. source rad. de l'anglais
UU« O. Ii t n-18, 1872; Semaine
t. xxvi, p. ~: Captivité et mort de M' Darboy en iSli (extrait
du Correspondant); L'épiscopat I
jusqu'à lu séparation, Paris, 1907
\ Largj
DARBY John Nelson, prédicant anglais dissident
18 novembre 1800-29 avril 1882), naquit à Londres de
parents irlandais, et fut élève de Trinitj Colles
Dublin. Ses études achevées, il embrassa la profession
d'avocat, qu'il abandonna ensuite pour la chricatui e.
En 1825, il devenait diacre, et en 1826 prêtre de
iblie. 11 ne resta pas longtemps fidèle à cette
il alors éprouvée par la déplorable ten-
145
DARBY
DARVARIS
146
dance de Vérastianisme, qui en faisait une simple
institution d'État, en tout soumise au gouvernement.
Plusieurs des anglicans les plus fervents avaient déjà
fait schisme pour protester contre ces tendances pure-
ment mondaines ; John Walker, en 1804, avait ainsi
fondé une secte séparée, les séparatistes ou walké-
rites, qui avaient de nombreuses communautés en
Irlande et dans l'Angleterre occidentale. Des « congré-
gations » de ce genre furent fondées, en particulier, en
Irlande, par le dentiste Norris Groves et l'avocat Bellet.
Tous deux furent les amis de Darby et eurent sur lui
grande influence. Stokes, J. N. Darby, p. 537 sq.
Le dernier coup fut porté à celui-ci par la vue de
l'acharnement avec lequel l'archevêque anglican de
Dublin, Magee, et son clergé, s'opposaient, au nom de
la raison d'Etat, au mouvement d'émancipation des ca-
tholiques alors dirigé par O'Connell. Dès 1828, il semble
avoir abandonné l'Église établie. Il est alors tout occupé
de la pensée de l'avènement prochain du Christ, liante
de visions apocalyptiques, et finit par renoncer à toute
idée d'une Église hiérarchique, pour ne voir dans le
christianisme que la doctrine consignée dans l'Ecriture
sainte et interprétée par le sens propre de chaque
baptisé. Il vécut, en 1830, plusieurs mois sur le Calary
Bog, dans une hutte de paysan, se livrant à toutes les
pratiques ascétiques. Ainsi préparé à son rôle de réno-
vateur, il alla étudier en Angleterre les communautés
séparatistes, et fut très frappé de la ferveur qui régnait
dans celle de Plymouth. La vue des Plymouth brethren
fut pour lui une révélation; c'est sur leur modèle qu'il
instituera dans le monde entier des fraternités. S'il fut
doncle principal propagateur du mouvement séparatiste
et individualiste connu sous le nom de phjmouthisme,
il est faux que ce mouvement lui doive son existence;
tout au contraire, les idées de Darby se précisèrent et
s'affirmèrent dans la société des frères de Plymouth.
Stokes, J. X. Darby, p. 5ii sq.; Teulon, The history,
p. 8 sq. En 1831, Darby commence en Irlande, avec
Bellet. l'œuvre du Seigneur ». Groves est parti pour
prêcher l'Evangile aux musulmans de Perse et de Méso-
potamie. Les prédicateurs ambulants ont un véritable
succès, et détachent de l'Église établie nombre de ses
plus fervents sectateurs. Les persécutions ne manquent
pas; et en plus d'une ville, Darby et ses compagnons sont
expulsés el maltraités à l'instigation du clergé anglican.
Les premières congrégations de frères de Plymouth
ou darby 8 tes n'ont aucune organisation, toute hiérar-
chie étant pour elles une altération coupable de l'œuvre
du Christ. Chaque dimanche les frères se réunissent
pour la cène, repas commun de pain el de vin; on
chante des cantiques; on fait des lectures de l'Écriture
suivies de longs silences pendant lesquels chacun se
livre a la méditation; puis tous ceux des frères qui
ent en eux l'Esprit peuvent librement dire ce qu'il
leur inspire. Pas de symbole commun. Les frères se
regardant comme « les saints fies derniers temps
récitent pis l'oraison dominicale, parce que la parole :
Pardonm z nous nos offenses, ne ^aurait avoir de
pour eux. Le baptême n'esl conféré aux enfants
qu'à treize ou quatorze ans, après qu'ils ont (Hé instruits
des vérités du christianisme. L'avènement du Christ
étant pioche, et tout ici-bas devant bientôt finir, les
Frères ne cultivent pas les science*- et les arts, el se
bornent à gagner le nécessaire pour leur subsistance
de chaque jour; il- refusent, autant que possible, de
prendra part a la vie politique el BOCiale de leurs con-
cilo] me ■< leui - œui re <i" charifc D
fer eur d premiei temp il j ent încontestabli
lie nobles exemple- .1 in -I. ni, , ,|, ,|, ; l ,|,.
prièn . donni - par les pi John
■ u by, p. *>i i i . I ■ nlon. The hit tory, p, i
■ nt. The Plymouth brethren, p. 48 tq.
Darbj fui un intrépidi ar, qui, jo
dernières années, prêcha ses doctrines par le monde.
Il parvint à implanter quelques communautés de frères
parmi les calvinistes du sud de la France, et surtout
dans la Suisse française et allemande, où le darbysme
devint une secte assez puissante. Il parcourut, en prê-
chant et instituant des congrégations, l'Italie du nord,
l'Allemagne, les États-Unis, le Canada, et jusqu'à la Nou-
velle-Zélande. Herzog, Les frères de Plymouth, p. 11 sq.
Des schismes devaient naturellement se produire
dans une secte où l'inspiration individuelle ne con-
naissait aucune règle. Par une inconséquence, due
sans doute à son éducation théologique anglicane,
Darby prétendait imposer aux siens ses idées sur la
trinité, l'incarnation et quelques autres dogmes. En
1845, cette prétention produisit une grave scission.
Deux des « frères » de Plymouth les plus fervents,
Newton el Harris, ayant enseigné' sur la personne du
Christ des propositions que Darby trouva hétérodoxes,
et refusant de se rétracter, leur maître les « livra à
Satan », et leur refusa l'accès de ses assemblées; il y
eut ainsi, à Plymouth même, et dans les autres villes
où le plymouthisme avait des adhérents, deux catégories
de frères, les exclusifs, exclusive brethren, groupés
autour de Darby, et les ouverts, open ou loose bre-
thren, qui suivaient Newton et Harris. Chacune de ces
sectes rivales se fractionna bientôt en subdivisions
distinctes. Look, Darby, p. 490 sq. ; Stokes, /. N. Darby,
p. 551 sq. ; Carson, The hérésies, p. 159 sq. Darby passa
ses dernières années au prieuré d'Islinglon, consulté
par ses adhérents du monde entier, et scrupuleusement
obéi. Il mourut à Bournemouth le 29 avril 1882.
Les darbystes ne publiant pas de statistiques, il est
difficile de connaître leur nombre exact. Aux Etats-Unis,
ils comptaient, en 1890, 6661 s communiants ». En
Angleterre et au Canada, ils sont beaucoup plus nom-
breux. Au moment de la mort de Darby, on comptait
750« congrégations» en Grande-Bretagne, pour les seuls
exclusifs. Des traductions française et allemande de la
Bible ont été faites, par les soins de Darby, à l'usage
des frères. Carroll, The religions forces, p. 60 sq.,
181 sq.; Stokes, J. X. Darby, p. 552.
I. SOURCES. — La publication des œuvres de Darby a com-
mencé à Londres en 1866; 34 volumes ont déjà paru : The col-
lectée, wrilings ofJ. N. Darby, 1866 sq. Un Index a paru à
Londres en -1902. Ses Lettres, de 1832 à 1882, ont été égale-
ment éditées à Londres : Letters of ./. N. Darby, Londres.
1886-1889. Gleanings from the writings ofJ.N. D., Londres,
1898; Gleanings from tlie published letters ofJ. N. D., Londres,
1896; Memoir of A . X. A'. Groves bg his ividoiv, Londres, 1869,
II. Travaux. — J. H. Blunt, Dictionary ofsects, hérésies, etc.,
Londres, 1891; H. K. Carroll, The religions forces of tlie Uni-
ted States, New- York, 1893; J. C. L. Carson. Tlie lieresies of
tlie Plymouth brethren, Londres, 1S83; E. Dennet, The Ply-
mouth brethren, Londres, 1870; Estéoule, Le plymouthisme
d'autrefois et le darbysme d'aujourd'hui, Paris, 1858;
J. Grant, The Plymouth brethren, Londres, 1875; II. Gl
Darbyism. Its rise and devel i 1866; J I. Her-
zog, art. Plymouthbruder, dons Realencyklopâdie, 2" édit.,
t. xm, p. 72 sq. ; .1. J. Herzog, Les frères de Plymouth et John
Darby. Lausanne. 1845; Loofs, art. .1. X. Darby. dans lieal-
iclop&die, '■<■• (Mil., i. i\ . p. 183 -'i ; w I mouth
brethrenism unveiled and refuted, Edimbourg, 1875: G. T.
. ./. A". Darby, dans Contemporary lleview, octobre
1885, t. xlviii, p. 537 sq. ; J S, feulon, Vhe history and teaching
of the Plymouth brethren, Londres, s. d. (18
.1. de la Sein ti
DARVARIS Démétrius, aul.ur grec de la première
moitié du dernier siècle, dont le nom, C me celui de
Berquin en France, est resté populaire dans la jeui
grecque. Né l< ■' 1767 au pelit village deKlei
i i. Macédoine d'une famille de commerçants en
m de Don varié, ma bois . il
i rendit en 1769 â Semlin, où son pi établi une
i li qu'il apprit l'allemand el le
il compléta son éducation d'abord ■> Kouma, pi
117
DAR V \i;is
DAUBERMESNIL
148
Ni usatz, enfin à Bucarest 1777 1780), et aux univer-
allemandea de Halle el de Leipzig. Ri venu à Sem-
lin ai lit d'août 1784, il \ ouvrit une école qu'il dé-
pendant Bepl ans consécutifs. Il Ml de même à
Vienne où il se rendit en 1794, à la demande de son
frère Jean, dont les libéralités lui permirent d'imprimer
les nombreux ouvrages qu'il avait composés pour ses
élèves. Il mourut le '21 février/5 mars 1 <s-j: i . à Vienne,
à l'âge de 65 ans et demi. De se- nombreux ohm
nous ne mentionnerons ici que ceux <|iii se rapportent
à noln' domaine I" afixpà ■/.■x-.ityrr,:: ïJtoi itjvto|io?
&p8oSo(;o; ôpo/ovia t>,; àv<XToXtX7)( È//'/r,<7'.a; ti.iv rpaixûv
/, 'Puuattov, in-8", Vienne, 1791 : traduction du caté-
chisme serbe approuve'' par le synode de Karlovil/ i n
1774; 2" Xupayiùylx ei; tt,v xaXox<XY«8fav, in-i\
Vienne, 1791 ; 3° 'AvçocXtic bhrflltt i\; tvjv yvûxriv tûv
àv6pai7ruv, in-8°, ibiil., I79.">: îfl 'A/r,'j>; ôpô; elç rîjv
eù8atu,ov(av, in-8°. ibid., 1796; ô XpviaoOv lyxéXittov,
in-8°, i/>io?., 1799, traduction de Cébès et d'Épictète,
suivie d'un Essai sur la providence, compost' par Dar-
varis; (>° S-jvto|jlo( Eepô loropi'a ■:■?,: iy./'/v-Tia: tt,; t.x-
Xatâ< xàt via; AiaOr,-/./,;, in-8", ifrtd., 1800, traduit du
russe; 7° 'Exxetpîfitov -/piatiavixdv, explication de la
messe, de l'oflice, des sacrements, en un mot de
tout ce qui touche au culte, in-8", ibid., 1803; 8" 'Etiitou,ïi
t?,; Upà; taropi'a; -■>,; èxxXrjatac Tr,ç rcaXacâ; /.ai via;
AiaOr,y.r,ç, in-8". î'/;i(/., '1803; 9° Mc'/i'/r, -/.Kyrîi: îjTOt
ôpOôSoEoç xpiffrtavtXY) BiSauxaXt'a rr,; avatoXixfic ÈxxXr,-
<jia;, traduction du russe, in-8", ikid., 1804; 10" IIa:ôa-
Y«oyôç v-toi j)8(xoi xavôveç roû Çr,v, in-8°, ibid., 1804;
11° IIpo7iapa<7xs'jr, Et; t/,v BeOYVCiaffMXV 8;à :■?; 6 = wp;a; ton
ovtwv, in-8 °, i 6 » c/ . , 1807; 12e Mixpbv irpoffevxyi'tâpiGv,
suivi des offices liturgiques, in-8°, i6<d., 1818. C'est
encore à la plume féconde de Darvaris qu'est due la
traduction allemande de la trop fameuse IIÉTpa «rxavSâXou
d'Élie Migniati, vigoureux pamphlet contre la primauté
papale; cette traduction parut à Vienne en 1787
L'année précédente, avait également paru, mais en tra-
duction slave, la X.pr)atOT)8sioc d'Antoine de liy/ance.
Plusieurs de ces volumes, en particulier les catéchismes,
ont été réimprimés plusieurs fois.
A. Pémétracopoulos, Iltioatiixai »a! Siop8»»ii( .'; -■•.• Neoiiinvtxîiï
<I'.'/t,/.r;V;«, Kmvotbvtîvou £ci.O'/, in-8\ Leipzig, 1871, p. 97-98; 'Eicavop-
6.û<T£iç t'jc.'/.[a'>.ti.)v Rapax«içi)OsvT«>v tv tîS NsoeXXqvurîj 'l"./.'//.v->/ :oj
K. £««•/.,' in-8% Trieste, 1872, p. 38-40. L'article de C. Sa
Nîoi'/.'/ vx', ♦tXolojfa, Athènes, 1808, p. 504, est inexact et incom-
plet.
L. Petit.
DAUBENTON ou DAUBENTONNE Jeanne, dite
aussi Piéroime d'Aubenton, hérétique brûlée à Paris,
le 5 juillet 1372. Née à Paris, à une date inconnue, dans
le courant du xive siècle, Jeanne Daubenton se laissa
séduire par la morale fort relâchée des turlupina. Voir
ce mot. Elle s'unit à l'un d'eux, se mit à prêcher et
devint l'un des principaux et des plus actifs propagan-
distes de la secte. Les femmes, disait-elle. ont reçu de
Dieu, aussi bien que les hommes, le don delà prédi-
cation. Pour marcher sur les traces des apôtres, on
doit aller pieds nus, à peine vêtu et vivre dans la pau-
vreté. Une fois arrivé à un certain degré de perfection,
tout est permis, on devient impeccable, et l'on peut se
livrer, sans crainte du péché, à tous ses caprici S,
assouvir ses passions el satisfaire son corps. Des
maximes aussi dépravées trouvèrent facilement un écho
dans les bas fonds de la capitale et des environs. Les
membres de la secte furent nombreux. Chacun se
trouvant vite en étal île perfection. iN agissaient en
conséquence et ne reculaient devant aucune turpitude,
même en publie. Le débordement de leurs mœurs les
rendait passibles des lois civiles. M. h-- ils avaient la
prétention de mener une vie conforme à l'Évangile.
L'autorité ecclésiastique dut intervenir. Grégoire \1
excommunia les turlupins el invita les princes, notam-
ment Charles V. i >.i de Frani e, ■ réprimer
hérétiques. Voir la lettre du pape au roi. d
nius. Annales, an. 137:?. n. 19-90. Est-ce a la suite de
celte invitation qui lut arrêtée? Baroniua
l'affirme, ibid., n. 21. et eit.- Gaguin. Jeanne, en effet,
fut jugée, convaincue d'hérésie, condamnée et livrée
au bras séculier. Gaguin raconte, Annale» Fi
regum, Paris, 1521, p. ci.xiii, qu'on la brûla en place
(le Grève avec le (;;, | ili-ci,
en effet, était mort en prison avant la sentence. Il avait
été' avec Jeanne l'un des principaux prédicateurs d.- la
secte; son corps fut conservé dans la (baux pendant
quinze jours et finalement brûlé avec uand
celle-ci dut monter sur le bûcher, le ."» juillet 1372.
Gaguin, Annales Franco) xm;
Baronius. Annales, an. 1373. p. 19-21 Etenchut
hseresium,' îl, art Tur lu} ■ . .'ussarium,
y Turlupins ; Migne, Dici. des ht -elle biographie
générale, Paris, 1855, t. xm, p. 1"
L. LaI.HI.LE.
DAUBERMESNIL François-Antoine, homme po-
litique français, ne'' à Salles (Tarn d 1748, mort à
Perpignan en 1802. Envoyé par le département du Tarn
à la Convention, 1792, mais républicain modère, il
démissionna en mai 1793; déjà pendant le procès du
roi, prétextant une maladie, il n'avait pas pris part au
vote, l'n décret spécial du 21 thermidor an III 11 août
1795) le rappela à la Convention; il fut alors membre
du comité d'instruction publique. Il figura aux Cinq-
Cents, mais il en sortit en l'an V pour y rentrer en l'an
VI, toujours comme représentant du Tarn. Il protesta
contre le 18 brumaire, aussi fut-il exclu du corps
législatif par Bonaparte el même un moment exilé dans
la Charente-Inférieure. Sa mort suivit de prés. Dauber-
mesnil est surtout connu pour ses idées et ses tenta-
tives religieuses. Afin de se débarras: la super-
stition » et pour lutter contre le >' péril prêtre . la
Convention et plus encore le Directoire tentèrent de
fonder une religion civile, dans le cadre décadaire.
L'un des législateurs les plu- télés autour de cette idée
fut Daubermesnil. comme le prouvent ses longs discours,
sentimentaux et optimistes, aux Cinq-Cents. Mais trou-
vant lente et incomplète l'action des pouvoirs publics,
il essaya de lancer.de son initiative prive, les institu-
tions religieuses et morales qu'il rêvait. Dans les pre-
miers mois de l'an IV 1797 , il faisait paraître un
livre descendu du ciel (e cœlo descendit), disait l'épi-
graphe, sans nom d'auteur et avec ce titre : Extrait
d'un manuscrit intitulé: i Le culle des Adorateu
contenant des fragments de leurs différents !,
sur l'institution du culte, les >h*'-rcances religieuses.
r instruction, les préceptes ci l'adoration, in-8 . I
Ce livre, qui s'inspirait de Voltaire dans ses jugements
sur les religions positives et île Rousseau pour la
construction de la religion nouvelle, prétendait rame-
ner sur la terre la seule religion vraie, la religion na-
turelle, celle des patriarches qui gouvernaient leurs
familles selon les lois de la conscient i . sans -
-ans mystères, les dogmes que «levaient croin
Adorateurs riaient ainsi uniquement l'existenci ch-
ilien et l'immortalité de l'âme; 1> - , qu'ils
devaient observer énuméraient les devoirs naturels
envers Dieu, envers le prochain, envers -oi-niéme et
envers la cite. La partie originale du livre concerne
inisation du cuit'. 11 y a un culte public et un
culte privé. Le culte public - dans Y as de on
temple; l'année rituelle commence, comme l'année
républicaine, i l'équinoxe d'automne, et chaque saison
est l'occasion d une grande fête commune à ton-
Adorateurs. Il n'y a pas de prêtres à proprement parler:
leur rôle est joue par des chefs de famille élus chaque
année et qui revêtent un costume minutieusement
décrit et ridicule. Tous les neuf jours, huit jours con-
149
DAUBERMESNIL — DAUPHIN (DELFINI
150
sécutifs étant consacrés au travail, l'Adorateur se rend
au temple avec sa famille. Les rites principaux sont
l'entretien d'un feu sacré perpétuel dans Vasile, rite
renouvelé de la religion des Guèbres, des danses
saintes, des offrandes de froment ou de fruits, etc. Les
funérailles sont entourées de cérémonies très longues
et très compliquées. Deux jours par année sont con-
sacrés à la célébration des mariages. Quant au culte
domestique dont le prêtre est le chef de famille, il est
de beaucoup le plus important. Le culte des Adorateurs
eut même un commencement d'exécution. D'après
Grégoire, Daubermesnil aurait fondé deux asiles,
l'un à Gaillac, dans son pays natal, l'autre à Paris,
rue du Bac, et ici l'association aurait réuni sept ou
huit pères de famille. Bientôt les Adorateurs se confon-
dirent avec les tliéophilanthropes dont Daubermesnil
devint l'un des chefs.
Grégoire, Histoire des sectes religieuses, 2 in-8", Paris, 1810
et 1814; 2' édit., 182S; Mathieu, La théophilanthropie et le
culte décadaire, 1796-180Î, in-8% Paris, 1903.
C. Constantin.
DAUDE Adrien, né le 9 novembre 1704 à FriUlar,
entra dans la Compagnie de Jésus à .Mavence, le 28 sep-
tembre 1722; depuis 1742, il professa les controverses
et l'histoire à l'université de Wur/.bourg, et mourut
dans cette ville le 12 juin 1755. Il a publié, sur les ori-
gines et les attributions des divers degrés de la hiérar-
chie ecclésiastique, un ouvrage érudit'en deux parties, à
la fois historique et théologique, dont voici le long titre :
Vajestas hiérarchise ecclesiaslicse a summi ponlificis
regali sacerdotio, cardinalium eminentissima purpura,
palriarcharum, archiepiscoporuni, episcoporuni sacra-
tiore principatu, prsesulum minorum sublimi digni-
tale, ecclesiarum calhedralium illuslrissimo splendore,
collcgialarum insigni décore, parochialium pielale et
zelo, totiusque venerabilis cleri pulcherrimo online ac
disciplina commendala, ex dogmalihus theologicis,
sacris canonum stalulis, lti*toria ecclesiaslica et civili
proposita. Pars 1. — Majestas hiérarchise ecclesiasticm
a cleri regularis inttiluto, comobitarum allissima
i ontemplatione, ordinum monasticorum et militarium
piissima actione, asceteriorum vilam mixtam profl-
tentium ordinalissima charilate, neenon religionum
a tanctimonia et admirabili varietate exornala,
ourla et propagata, per lucubrationeni kistorico-theo-
logicam commonsl ,-ata. Pars II, paru d'abord sous
forme de dissertations académiques, in-i >, Wurzbourg,
1745 el I7HJ; réimprimé en 2 in-4°, Bamberg, 1780. Le
P, Daude a encore publié une histoire universelle « prag-
matiq , c'est-à-dire, connue il l'explique lui-même,
spécialement composée en vue de l'utilité des théolo-
giens : Historia dis et pragmatica romani im-
l» ru, regnoi um, pro\ in* iarum, una cum insignioribus
monumentis hiérarchise ecclesiaslicse, e.r probatis
ptoribus congesta, observationibus criticis aucta,
algue ad theologise positivée, jurisprudentiœ acphilo-
logiœ peculiarem usum re/Iexionibus dogntnticis et
chronologicii illustrala, 2 parties en 3 tomes in-i".
Wurzbourg, 1748-1751. Cette histoire va depuis le com-
mencement du monde jusqu'à l'avènemenl de Charle-
ne.
i>' i Jornmervogel \ue de la ' de I
i il* < Hurler, !\ . t. in. col. 1488-1434;
Duhr,
/»'(;/' " i i\, p. 789-770.
DAUNOU Jean-Claude-François, Dé à Boulo
sur-Mer le 18 aoûl t T« ; 1 8e« talents préi térenl
oratorien ille natale, à l'attirer
dam leur congi ù il fui r n 1777. ;i 16 ans,
Bientôt il devint, il ■ ur di philosophie
dans cetti mi me m Boulogne, puis, en 1785,
-n il eut à t la théologie, qui le
passionnait alors, a-t-il témoigné plus tard. C'est là
qu'il fut ordonné prêtre en 1787 et que le trouva encore
la Révolution à laquelle il adhéra avec enthousiasme.
On sait le rôle qu'il joua. Un moment vicaire métropo-
litain de Paris, il cessa bientôt toutes fonctions sacer-
dotales. Le reste de sa vie, laborieuse et honorable, mais
tout à fait laïque, si l'on peut parler ainsi, ne nous appar-
tient plus. A l'Oratoire, divers travaux littéraires l'avaient
déjà fait remarquer et laissé pressentir ce qu'il serait un
jour. Il mourut, le 20 juin 1840, garde général des Ar-
chives nationales et pair de France. De toutes ses
œuvres, nous n'avons à nommer ici que VEssai histo-
rique sur la puissance temporelle des papes, que Na-
poléon le chargea d'écrire lorsqu'il voulut abolir le
gouvernement pontifical, et qui a eu quatre éditions,
in-8°, Paris, 1810 (2 éditions); in-8°, Paris, 1811 et 1818.
Taillandier, Documents biographiques sur Daunou, Paris,
1841, mais qu'il faut rectifier, pour la période oratorienne de sa
vie, par mon Oratoire et la Révolution, Paris, 1883. Voir aussi
.Michaud, Biographie universelle, t. x, p. 166-174; Feller, Bio-
graphie universelle, Paris, 1818, t. m, p. 156157.
A. Ingold.
DAUPHIN (DELFINI) Jean-Antoine, né à Pompo-
nesco en Lombardie, fit ses premières études à Cré-
mone et les compléta à l'université de Bologne. Il s'é-
tait appliqué en particulier à l'étude du grec, de la mé-
decine et des mathématiques; mais répondant à l'appel
de Dieu, il entra chez les conventuels de Casalmaggiore.
Religieux, son ardeur pour l'étude ne se ralentit pas :
minuit était l'heure de son lever et, après la prière, il se
mettait au travail; l'on dit que ses confrères l'avaient à
cause de cela surnommé fra Mezzanolle. Dans son or-
dre il fut lecteur, régent des études à Padoue ; Bologne
réclama son ancien élève et lui confia une chaire de
métaphysique ainsi que la charge de régent du collège
espagnol établi près de celte université; on le trouve
encore inquisiteur en Romagne et provincial de ses frè-
res de la province de Bologne. Le P. Dauphin s'illustra
en particulier dans les commissions préparatoires des
sessions du concile de Trente, de 154(5 à 1549. Le géné-
ral des conventuels étant mort en juillet 1559, Pie IV
nomma le P, Dauphin vicaire général, mais ce fut pour
peu de temps, car suivant l'expression d'un de ses bio-
graphes, il rendait son àme savante au créateur le 5 sep-
tembre 1561, à Bologne, où il se trouvait en attendant
de retourner prendre part aux travaux du concile de
Trente. Nous avons de lui : De polestate ecclesiaslica,
in-8°, Venise, 1549; De cultu Dei et invocatione san-
ia, Bologne, 1549. Os deux ouvrages réunis avec
un troisième, De notis Ecclesise, formèrent YOput
iiiiiini atque hac tempestalemagnopere desideratum,
universum fere negotium de Ecclesia inter patres or-
Ihodoxos et protestantes controversum perspicua série
complet tens, in très Ubros optimo jure digestum,
m s. Venise, 1552; De cousis et significalionibus igné-
arum flammarum, puioris et sonitus qum nunc ef/i-
riiuiiiir Crémones, in-i°, Bologne. 1551 ; De salutari
omnium rerwwi ac prœsertim hominum progressu
lihri V , adirrsiis li.rreliros, hoc est, de rcrum evenlii,
de prssdestinatione, de originali peccato, de libero
a, lutrin et de justificatione, in-fol., Camerino, 1553.
On trouve souvent à la suite de cel ouvrage celui De
matritnonio et cœlibalu libri II contra korum tem-
et hsereticos homines, publié' la même
année ai ■ lieu; Didactica methodus, teu de
melhodo in teienliis servanda, in-8°, Bologne, 1554 .
De adventu Jesu Chritti I ttri, in-12.
ne. 1555; Dialectica, in s, Bologne, 1555; i<<
libué globii et ntotibus contra philosophorum el
,i h- n l,,i m pro i ri ilnlr i hrisliana, in-8<\
ne, 1559; De tractandit in coi
qualitei el in >/'"'"' l'arm Patres ea &i ■me-
inai libell 1561 I opuscule a i h
151
DAI'IMl IN DELFIN1
DAVID
152
dite à la lin des Apparatus dans la collection dea con-
ciles de Labbe. I <■ I'. Dauphin laissait de nombreux
manuscrits, en particulier i Expotitio textus A
toteliê inlibrum Physicorum feula Patavii on, 1543,
demeurée inédite; il n'en l'ut pas de même des Com-
menlarii m Evangelium Joannis et Epislolam Pauli
ad Bebrœos a Fr. Conelantio tard. Sarnana expoliti
el notis illustrali, in-8°, Rome, 1587. On lui attribue
encore De divina providentiel libri très, in-8», Rome,
1588. Il avail publié de son vivant un opuscule De nobi-
litatead Fridericum Gonzagam, in-8», Bologne, s. <!.,
réimprimé avec un autre trait.'- De noria provincia
Marchise nomenclatura brevU ne dilucida narratio,
in-i", Pérouse, 1590.
Wadding, Scriptores ord. minorum, Rome, 1650; I-rancliini.
Bibliosofia s memorie di scriltori conventuali, Modem .
p. 291; Sbaralea, Sùpplementum et cascigatio ad scriptores
ord. minorum, Rome, 1806; Hurter, Nomenclator, S" édit., Ins-
pruck, 1906, t. ii. col. 1 5i 14-1 âO-ô : Concilium Tridentinum. Dia-
riorum, actorum, epistolarutn, tractatuum m,vn collectio,
i-'ril 'g-en-Brisgau, 1901, t. i. passim.
P. Edouard d'Alençon.
DAURES Louis, dominicain, naquit à Milhau
(Aveyron) en 1655 de parents calvinistes. Il fut élevé
dans la religion réformée et envoyé plus tard à Mont-
pellier pour s'y préparer à devenir ministre un jour.
Au contraire, il se convertit au catholicisme et de plus
se lit recevoir au couvent des dominicains de cette
ville. Nous ignorons la date exacte de celte conversion.
En 1688, déjà prêtre, le maître général de l'ordre l'ins-
titue sous-prieur du noviciat général de Paris, au fau--
bourg Saint-Germain, îe 6 janvier 1688. Reg. Lit t. Rat.
Mag.Gen. Fr. Ant. Cloche, 1686-1692, c. vin. L'année
suivante, élu prieur du couvent de Rodez, il demanda
el obtint du général de l'ordre la faculté de décliner
cet oflice, afin de pouvoir s'adonner plus librement à la
controverse avec les hérétiques. Reg. Epist. priv. ejus-
dem M. Gen. Novit. Gen. fans., 1686-1692. c. il, 1689.
Il passa presque toute sa vie à Paris, dans les fonctions
de sous-prieurdu noviciat général, où il mourut le9 mai
1728, Igé de 73 ans. Il fut un des premiers à s'occuper
à Paris de l'œuvre des Repenties. Le premier établisse-
ment, datant de 1694, se trouvait rue de l'Ourcine.
Transféré ensuite au faubourg Saint-Germain, dans la
rue Saint-Dominique, il fut de nouveau, le 14 août 17 U',
transféré prés de la Barrière des Invalides et prit le nom
de Sainte-Valérie. Cet établissement était placé sous le
haut patronage du cardinal de Xoailles. En 1689. le
P. Daures publia : U Église protestante détruite par elle-
même ou les calvinistes ramenés parleur* seuls prin-
cipes à la véritable foi, in 12, Paris. L'ouvrage était
dédié à Bossuet dont V Histoire des variations axait paru
l'année précédente. Bossuet, à son tour, écrivit à l'auteur
pour l'engager à publier une autre édition, mais plus
développée. Le temps manqua au P. Maures pour répon-
dre à ce désir. D'après C.-L. Richard, l'abbé Bellel
aurait préparé cette édition, en l'augmentant due
tice sur la vie de l'auteur, avec le portrait en frontispice.
Nous ne savons si cette édition parut jamais.
Soi ri i - uss. - P. Mathieu Texte, accueil de pièces, etc.
[Extrait du livre mortuaire... du noviciat général.. .],p. 37:> ;
t, Mag. Gêner. F. Ant. Cloch : . Sùpplementum
historiés reformationis Prov I 'osants [ad monumenta
ntus Tolosani, i t .i Percln], Tab Geo., 1. V, c. lxxxj v.
Imprimés. - Quétif-Ecbard, Scriptores ordinis prstdt
film, t. u. p, 807; C.-L. Kichard. Dictionnaire universel des
sciences ecclésiastiques; Jalllot, Rechercha critiques, histo-
riques, sur lu ville de Pans, t. v. vingtième quartier, |
Histoire de la ville et de tant le dioi
Paris, t. m, p.
R, CO! LON.
DAVIANOS Xavier Emile, né' à Cbi». d'une famille
noble, étudia dan- sa patrie elle/ les jésuites, puis à
Padoue. Renseigna ensuite la théologie en Crète. Après
la prise de cette ile par les Turcs. Davianos revint en
Italie et \ exerça le ministère, en particulier ■< Loi
où il fut aumônier de religieuses. Nommé • • [u de
Santorin, il mourut en se rendant à -'>ii posu
OU 1688, a l'âge de 63 ans. Outre plusieurs ouvi
restés inédits, il composa pour ses religieuses un livre
intitulé: Sacra sponsa m thalamo tuo, dont il n'eut le
temps de publier que la première partie. Tout ce que
nous savons de Davianos est dû a N. C. Papadopoli,
Bisloria gymnasii Patavini,t. u. p. 31* On sait que
cet auteur invente souvent les faits qu'il raconte. Nous
ne connaissons pas un seul exemplaire de l'ouvrage
qu'il attribue a Davianos.
S. Pi ran
1. DAVID Claude, bénédictin, né à Dijon en U
rnort le 6 novembre 1705 dans l'abbaye du Mas-Grenier.
Il avait fait profession de la vie monastique dans la
congrégation de Saint-Maur à l'abbaye de la Trinit
Vendôme. Il publia une Dissertation sur saint Denis
l'Aréopagile où Von fait voir que ce saint est l'auteur
des ouvrages qui portent sou nom, in-8°, Pari-. 1 7< r2.
Pour dom Cl. David, saint Déni- de Paris n'est pas dillé-
rent de saint Denis, évêque d'Athènes.
Dom P. Le Cerf. Bibliothèque historique des auteurs de la
congrégation de Saint-Maur. in-12, Paris. 175 dom
Tassai,] Histoire littéraire de la congr. de Saint-Maur, in-4%
Paris, 1770, p. 201; [dom François,] Bibliothèque générale des
uns de l'ordre de Saint-Benoit, in-8', Bouillon, 1777, t. i,
p. 206; Cl), de Lama, Bibliothèque des écrivains de la congré-
gation de Saint-Maur, in-12, Municli et Paris. 1882. p. 158.
Ii.IIr.rmi I
2. DAVID-GEORGE Joris, lils de George), né à
Delft, en 1501 ou 1502, de son vrai nom Jean de Com.in,
égea de bonne heure à la secte des anal. api •
puis essaya de concilier les différends qui partageaient les
hérétiques de la région, et finit par former une commu-
nion à part dont il se fit le chef, se déclarant un nouveau
Messie, un 3e David, dont Jésus-Christ n'avait fait que
préparer les voies. Il permettait à ses parti-ans de vivre
dans le faste et la volupté, sans se préoccuper de doc-
trine. Poursuivi en Hollande, il se réfugia prés
du landgrave de liesse, puis à Râle où il prit, en
la défense de Serret. Dans l'intervalle, en 1542, il avait
publié son fameux Wonderboek, ou Lirre merveilleux,
réédité en 1551, que d'autres écrits non moins bizarres,
traités mystiques et lettres circulain s à ses adhi :
suivirent. Sa doctrine est un mélange de celle di s sad-
ducéens, des adamites et des manichéens et se résume
en cet aphorisme : Le corps seul peut être souillé,
l'âme jamais. Après sa mort arrivée le 2."> août 1556, sa
doctrine fut condamnée comme hérétique par l'univer-
sité de Pâle, au mois d'avril 1559, et le 13 mai suivant,
les Bàlois le déterrèrent et le brûlèrent avec ses livres
et son portrait au pied d'une pot Ses disciples
persistèrent longtemps encore en Hollande et dans le
llolstein; ils furent condamnés parles synodes de Roi-
lande en 1608 i t en
Moslieim, Histoire ecclésiastique; Catrou, Histoire du fana-
tisme dans la religion protestante, t. u: Mirhaud, Biographie
universelle, t. x Kirctumlexikon, î. vi
Realencyclopadie, t. ix.
A. Ingolu.
:t. DAVID (Natchinsky) Daniel, écrivain russe, né en
1790 dans le gouvernement de Poltava, élève de I
demie ecclésiastique de Kiev. Archimandrite et h
mène du monastère de Sloutlk en I7."><>. il fut recteur
de l'Académie de Kiev (1758-1761 et mourut le 5 mal
1793. Il traduisit en latin et publia avec des commen-
taires les ouvrages suivants de Théophane Prokopov itch.
célèbre théologien russe : I Lucul ilusirissi-
mi ac reverendissimi Thcophanis Prokopovich... nutte
pritnum in unum corpus collectes et in publicam lu-
rem éditât, Breslau, 17'.:!. 2 Mutcellanea sacra variis
153
DAVID D'AUGSBOURG
154
temporibus antea édita nunc primum uno fasce coni-
prehensa conjvnct inique evulgala, ibid., 1745.
Eugène (métropolite), Slovar istoritcheskyi o pisateliakh
dukhovnago tchina, Saint-Pétersbourg, 1827, t. i, p. 104-106;
Serebrennikov, Kiévskaia Akademia oploviny xvm vieka
do preobrazovaniia eia v 1810 godu, Kiev, 1897; Iablonovysky,
Akademia kijoivsko-mohilanska : zarys historyczny, Craco-
vie, 1899-1900, p. 236; Russkii biographitcheskyi Slovar, lett. D,
Saint-Pétersbourg, 1905, p. 7.
A. Palmieri.
4. DAVID Pierre, sur lequel les bibliographes fran-
ciscains sont pauvres de renseignements, était cordelier
de la province parisienne. Les titres seuls de ses ou-
vrages fournissent quelques renseignements sur lui :
Summula traclatus de prœdestinaiione ad nientem do-
ctoris subtilis, cjusque fidelissimi inlerprelis magistri
Angeli a Monte Pitoso ord. FF. minorum conventua-
lium. Hujus sumntulse verilatem docebal V. P.Petrus
David, lector jubilatus et in convenlu FF. minorum
Sagiensium primarius theologiœ professât', anno Do-
mini 1646, in-8°, s. 1. n. d. Cet opuscule de vin-40 pages
est dédié au duc de Luine par la Schola théologies Sa-
giensis. On attribue aussi à David une Summula philoso-
phiez ad nientem Scoti, Paris, 1 6 ï-9 ; Octava de Christi
erga /tontines charitale in eucharislia; Octava de
assumptione B. Mariée Virginis figurata in quibus-
dam mulieribus Veleris Teslamenti, in-S°, Paris, 1653,
1661; Le chemin de vérité qui conduit une âme dési-
reuse de faire son salut à la perfection de la sainteté,
in-8°, Paris, 1656; 2 in-12, 1661; Sermones adventus
île adoplione filiorum Dei, in-8°, Paris, 1663.
Sbaralea, Supplementum et castigatio ad scriptores ord.
minorum, Rome, 1808; Migne, Dictionnaire de bibliographie
catholique, t. n, col. 407, 803.
P. Edouard d'Alençon.
5. DAVID D'AUGSBOURG. - I. Vie. II. Œuvres.
III. Doctrine.
I. Vie. — Né à Augsbourg dans les dernières années
du XIIe siècle ou les premières du XIIIe, David, jeune
encore, obéit à l'attrait qui le poussait vers les ordres
mendiants. Dès 1221, les frères mineurs sont à Ratis-
bonne; dès 1226, ils y ont un couvent; et c'est là que
David demande à prendre rang dans la milice nouvelle.
Telles étaient son ardeur, son application, sa piété, sa
vertu, et tels furent ses progrès dans la vie religieuse
qu'il mérita bientôt de remplir la charge de maître des
novices. Il l'exerça d'abord à Ratisbonne; et lorsque,
en 1243, l'évâque d'Augsbourg, Sibot, offrit aux francis-
cains un établissement, David rentra dans sa ville na-
tale, toujours chargé de la formation des novices. Il
s'appliqua à ces fonctions avec succès; ses dirigés en
retirèrent des avantages si précieux qu'ils le prièrent de
consigner par écrit les admirables leçons de son en-
seignement oral. De là son Epistoia ad riovitios Ratis-
• de eoriim in formatione, qui est, pour ainsi dire,
la préface a sa double Formula novitiorum de exte-
rioris hominis reformalione, en 10 chapitres, et De
\oris hominis reformalione, en 62 chapitres; de
la aussi son De seplem processibus religiosi, en
42 chapitres, qui résume son enseignement en matière
de formation religieuse. Mais la direction des novices
fut loin d'absorber loui son temps et toute son activité.
1 prit pari .i l'évangélisation des milieux popu-
laires avec l'un de ses disciples de la première heure,
Berthold de Ratisbonne, son ami et son émule, devenu
bientôt par son action oratoire un entraîneur de foules.
Dieu qu'il ne lui cédai pas en éloquence, il se m on
humble compagnon et ur. Il fut avec lui
l'un des premier: en Ulemagne qui rompirent avec
l'usage traditionnel de la prédication en langue latine;
il lui pn f( ra i idiome national, quelque Informe qu'il
fui encore. El laissant résolument de côté les divisions,
itinction li complication! aussi pédantes que
subtiles de la forme scolastique, il parla au peuple la
langue du peuple, cherchant à frapper l'imagination, à
toucher le cœur, à convaincre la raison, en exposant
simplement l'Évangile et en dénonçant avec une vigueur
tout apostolique les maux qui rongeaient la société. On
ne peut regretter qu'une chose, c'est qu'il ne soit rien
resté de cette prédication populaire, dont Trithème
affirme avoir vu quelques sermons. De scriptoribus
ecclesiasticis. David ne se contenta pas de prêcher : à
l'apostolat par la parole, il joignit l'apostolat par la
plume et composa plusieurs traités d'édification et de
spiritualité. Il mourut à Augsbourg, le 15 novembre 1271.
Wadding raconte, Scriptores ordinis minorum, 2e édit.,
Rome, 1732, t. iv, p. 359, qu'il vécut saintement, que sa
mort fut révélée à son ami Berthold, lequel, étant en
chaire, l'annonça à ses auditeurs et se mit à réciter la
strophe des confesseurs: Qui, pius, prudens, humilis,
pudicus, etc.
II. Œuvniis. — Outre les traités, dont il a été ques-
tion, et rédigés en latin en faveur de ses religieux,
David d'Augsbourg a composé un traité intitulé : De
inquisitione hœreticorum, publié par Preger dans les
Abhandlungen der Mùnchener A kad emie, 1879, t. xiv,
p. 181 sq. Quelques-uns de ces traités ont été attribués
à d'autres auteurs et insérés à tort dans les œuvres de
saint Bernard ou de saint Bonaventiire. C'est ainsi que
la Formula novitiorum de exterioris hominis reforma-
tione porte, dans divers manuscrits, le nom de docteur
séraphique et se trouve dans sa forme originale parmi
les opuscules de saint Bernard avec ce titre : Opuscu-
lum ad hsec verba : Ad quid venisli ? C'est précisément
à cause de ces derniers mots que Vossius l'a attribué à
saint Bernard. Il est à noter que ce traité, si on le prend
tel qu'il se trouve dans le manuscrit de Munich 15312,
diffère totalement par la forme de celui de l'édition
d'Augsbourg, B. Fr. David de Augusta pia et devola
opuscula, Augsbourg, 1596; d'autre part, il est identique
à celui qui, dans les œuvres de saint Bonaventure,
porte le titre de De inslilutione novitiorum, Lyon, 1668,
t. vu, p. 613 sq. Il appartient à David, mais à vrai dire
ce n'est pas à titre d'oeuvre exclusivement personnelle
et originale. David aurait utilisé une œuvre d'origine
franciscaine, dont il aurait écrit la préface et dans
laquelle il aurait inséré des citations patristiques. Par
suite, si réellement David a composé personnellement
une Formula, ce pourrait bien être celle qui commence
au fol. 93 du manuscrit de Munich déjà cité. C'est un
problème qui reste à résoudre. Quant aux deux autres
traités, le De inlerioris hominis reformalione et le De
septem processibus religiosi, bien qu'ils se trouvent
parmi les œuvres de saint Bonaventure sous ce titre :
De profectu religiosorum, ils sont à n'en point douter
delà mainde David, car ils offrent avec d'autres traités
allemands, qui sont aulhentiquement de David, de nom-
breux passages et des chapitres entiers étroitement
apparentés et trahissant une origine identique. Albert
le Grand a cité souvent mot à mot le De septem pro-
cessibus religiosi, dans son traité De adhmrendo Deo
si ce traité est de lui. Les franciscains de Quarrach
ont édité le De exterioris et intei ioris hominis cm
sitione secundum triplicem stalum 'mcipientium,pro-
el perfectorum libri 1res, en 1899. D'autres
œuvres de David existent encore en manuscrit el n'ont
paS été publiées, p.l V e\en i pie. l'expl ic:i I mil (le l;i ivl
cains du manuscrit de Munich 15312, fol. 268 Sq
Il est possible qu'un jour ou l'autre on vienne à décou-
vrir quelques-un
Actuellement, parmi les traités en langue allemande
publié i i l'feiiler, Deutsche Mysl
Leipzig, 1845, on compta les suivants l D
geln dei 1 ugend; i Spiegel
vier Fittiche geittliclier Betrachtung der
in der Erkenntniii der H
L55
D.\ \ Mi D'AÏ GSB01 RG
[56
/irit: i; Von de) unergrùndlichen Fûlle Golte$ ; 7 Be
trachttingen t>>,<i Gebete;8° Chritli Leb,
bild; 9* !>"■ Ei le» Venschengeschlecht. Seuls,
les deux premiers Boni à retenir comme authentiqu
tous les autres sonl apocryphes, comme I 'a démontré
Preger, Geschichle der deultche Mysliker, Leipzig,
1874, i. i. p. 269 sq. D'un avis unanime, H"- tieben
Vorregelnder Tugend el Spiegel der Tugend aontre-
gardés comme les « deux perles i de la littérature
allemande à ses débuts. Pfeiffer en compare le style â
nue ll.-mi calme qui brilla d'un doux éclat, dont la
chaleur pénétrante anima la piété, excita l'ardeur,
échauffa et enflamma le cœur. On a raison de vanter
les services que David rendit à la langue allemande
alors en formation ; mais ce qui intéresse le plus ici,
c'est sa doctrine, dont de bons juges estiment qu'elle
contient la « moelle de la perfection évangélique », et
lui mérite une place à côté de sainl Augustin, de saint
Bernard, de saint Bonaventure el de Gerson.
111. Doctrine. — Devant l'impossibilité d'apprécier.
faute de documents, la méthode el la valeur de l'orateur
populaire que fut David, il faul se contenter d'étudier
en lui l'auteur mystique, puisque c'est le titre qu'on lui
donne, non sans raison. Sa lettre aux novices de Halis-
bonne nous apprend qu'il considère dans la religion
deux choses : ['exercitium virtuliset l'affeclus internai
devotionis; il les compare à Lia la féconde et à la belle
Hache!. Nous dirions la vie pratique, représentée par
Marthe, et la vie contemplative, personnifiée par Marie.
II est très certain que David apprécie hautement la vie
contemplative, mais il appuie surlout sur la vie pra-
tique.
Les deux traités de la Formula noviliorum visent la
réforme de l'homme, soit dans son extérieur, soit dans
son intérieur. Ad quid venislietpropter quidf demande-
t-il dans le premier. Et il répond : pour Dieu et à cause
de Dieu. Le devoir essentiel du novice est donc
l'obéissance absolue à celui qui lui parle au nom de
Dieu. Pour cela, il doit pratiquer une humilité totale
qui se traduise dans le geste, le ton, la parole, l'attitude
et tout l'extérieur, et un respect absolu des supérieurs
jusqu'à s'interdire d'en dire ou d'en penser du mal et
à ne pas tolérer qu'on en parle mal. David passe en-
suite en revue tousles détails de la vie, soit à l'intérieur
dans la communauté, soil au dehors du couvent, rien
n'y manque. Au lever de nuit, un novice ne doit pen-
ser qu'à Dieu; au dorloir, au chœur, au chapitre, i
table, à l'autel, quand il sert la messe, un novice doit
avoir une bonne tenue, il doit pratiquer la coulpe, se
confesser trois fois la semaine, c. xj, vaquer avec dili-
gence au travail, aux occupations communes, aimer par
dessus tout sa cellule, retenir sa langue, lire l'Écriture,
méditer Jésus -Christ, « ce pur miroir, cet exemplaire
parlait de haute sainteté, » C. XXXII. .Ire a . ee ses frères
toujours gracieux et avenant, éviter dans ses convii sa-
lions les paroles inutiles, s'entretenir de Dieu, (.tuant
aux soins a donner aux âmes, il ne doit y songer qu'après
avoir passé une première année à faire pénitence de
ses péchés passés, une seconde année a perfectionner
sa conversion, une troisième a persévérer dans le pro-
grès réalisé, une quatrième a mépriser tout honneur ou
toute louange qui viendrai! des hommes, a ne recher-
cher exclusivement que la gloire de Dieu et le salut
des âmes. Au dehors du couvent, il doit donner partout
ci toujours le bon exemple, être Gdèle aux heures
canoniques, éviter les femmes, m' leur parler el n'agir
avec elles que comme en présence de son supérieur ou
de leur propre mari.
Voilà pour la réfor extérieure; voici pour la re-
forme intérieure. Il y a d'abord quatre précautions à
prendre : Ne pas se dédire de la volonté qui a conduit
au cloître el ne passe refroidir de la première ferveur;
persévérer toujours dans ces bonnes dispositions; ne
pas juger témérairement les autn
:- rpar les épreuves ou les tentations. Quai
de tentations : a ca> /"-, a
Trois sorte-, de religieui : les bon-, le- meil
très bons. Trois états : celui de- connu. lui
des progressante, celui des parfaits. Trois pui
remplir de Dieu : la raison, la mémoire, la volonté.
Trois orgueil- a éviter : ue pas se plaii :ii se
préférer aux autres; ie- pas désirer plaire à autrui: ne
pas cherchera être au-dessus des autres. Quati
à combattre, parce qu'ils inclinent au mal l'igl
la concupiscence, la malice, l'infirmité. La lin d
trait.'- de la réforme intérieure rou
spirituelles, le goûtde la douceur intérieui
contre l'orgueil et les antres défiante.
Le troisième trait.-. lie septeni ;<
énumère et caractéric le la vie active;
le septième et dernier progrès est le propre de la vie
contemplative. Telle est bien la division signalée par
Ut lettre aux novices de ltatisbonne. Mai- on voit
V exercitium virtulisa un développement plus cou -
rableque l'affeclus interna devotionis, sans doute parce
que celui-ci n'est que [aboutissement et le couronne-
ment de celui-là; la féconde Lia occupe beaucoup plus
David que la belle Etachel. Est-ce à dire que ce qui
constitue plus particulièrement la vie mystique soit né-
gligé? Loin de là. Les c. ix-.xv du De inlerioris hotninis
reformatione el les c. xxxv-xi.i du h> teptem proi
silws en parlent avec assez de détails. Du reste, tout
l'enseignement d.- David sur cette double réforme exté-
rieure et intérieure converge vers ce but. L'idéal, en
eilet, c'est l'union de l'âme avec Dieu aussi étroite que
possible et le repos suave dans la douce joie qui en ré-
sulte. Hase est, dit-il. hominis in hoc vita i
perfecltn ita uniricum Dm. ut tota anima mm omni-
bus polentiis suis el viribus in Deum collecta anus fiai
spirilus cum Deo.ut nihil meminerit nisiDeum,nihil
senlAal tel intelligat nisi Deum... Imago euim !)■
his tribus polentiis ejus e.
ratione, memoria ci uoluntate, et quamdiu Ulm
su, il ex l"l<> Deoimpressx, non est anima deiformit.
Forma enim anima: Deus est. cui débet imprùni sicul
sigillu sigillatum, c. xxxvi. Tout en traitant ainsi de
la vie mystique et en plaçant l'essence dans l'union de
l'âme a\ee Dieu par toutes ses puissances et ses foi
notamment par la raison, la mémoire et la volonté,
David n'oublie pas certains phénomènes, qui sont par-
fois sujets à caution, tels que le jubilas, Vebrietas, le
spiritus, la liquefactio, etc., et qui reviennent sans
cesse dans le langage d.-- mystiques pour exprime! de
mystérieuses réalités; il porte sur eux un jugement très
sain qui montre toute sa peu-
David est donc un mystique, si Ion veut, puisqu'il
met si haut l'idéal de la perfection chrétienne, mais
c'est un mystique préoccupé avant tout de- réalités pra-
tiques de la vie et en garde contre les illusions et les
dangers d'un mysticisme inconsistant et nébuleux. Il
axait l'expérience de la vie religieuse. A des religieux
humbles comme il le- voulait, il pouvait san- peine
h mander une douceur inaltérable de caraclere et le
support patient des accusations inju-i .lom-
nieuses; car l'humilité ainsi pratiquée attire la -
divine et mené droit à la charité, à la rem.- des vertus.
Mais il connaissait mssi son époque et en partageait
l'opinion alors générale, qui voyait dans les hérétiques
d.s ennemi- de 1 Eglise et de la société, contre lesquels
il ne suffisait pas de se mettre en garde, mais qu'il
(allait réduire à l'impuissance. De là, son changement
île ton dan- son De inquisitione hœreticorum. 11 J
parle comme ses contemporains, à cet âge de foi; mais
il .st permis de regretter que. par oubli de ses propres
principes, il se soil montré si dur envers ces renards
,t ces loups . qu'il faul traiter sans pitié et dont on
157
DAVID D'AUGSBOURG — DAVID DE DINAN
158
doit débarrasser la société à tout prix, à moins qu'ils
ne viennent à résipiscence.
B. Fr. David de Augusta, 0. M., pia et devota opuscula,
Augsbourg. 1596; Dibliotheca luaxima Patrum, Cologne, 1618,
t. xni, col. 413-479; P. L., t. clxxxiv, col. 1189-1198; Wadding,
Scriptores ordinis minorum, 2' édit., Rome, 1732, t. iv ; Tri-
thème, Scriptores ecclesiastici, cité dans la Bibliotlieca meuvima
Patrum; Pfeiffer, Deutsche Mystiker, Leipzig, 1845, t. i; Deut-
sche Mystiker, dans Zeitschrift fur deutschen Alterthum, 1853,
t. ix ; Preger, Geschichte der deutsche Mystiker, Leipzig, 1874,
t. i, p. 268 sq. ; Tractatus Fr. David de inquisitione hsereti-
coruni, dans les Abhandlungen der Munchener Akademie,
1879, t. xiv, p. 181 sq. ; Denifle, dans Historisch-politische Blàt-
ter, t. lxxv, p. 672 sq. ; Kirchenlexikon, t. m, col. 1413-1417 ;
Realencyklopiidie, t. iv, p. 503-504; U. Chevalier, Répertoire.
Bio-bibliographie , 2' édit., t. I, col. 1555-1556.
G. Bareille.
G. DAVID DE DINAN (ou DE DINANT). - 1. Vie.
II. Erreurs.
I. Vie. — Ainsi nommé, selon l'usage, du lieu de son
origine; mais est-ce Dinan en Bretagne ou Binant, sur
la Meuse, en Belgique'.' "On ne le sait pas, et on ignore
la date exacte de sa naissance et de sa mort. Ce qu'il y
a de certain, c'est que son nom parait à côté de celui
d'Amaury deBène, une première fois dans le jugement
du concile de la province de Sens, tenu à Paris, en
1210, et une seconde fois dans le règlement, donné en
1215 par le légat du pape, Robert deCourçon, à l'univer-
sité de Paris. Denifle, Chartularium unîversit. Paris.,
Paris, 1889, t. i, p. 70, 79. Relativement à Amaury, le
concile parisien ordonne que ses restes seront exhu-
més pour être jetés hors de la terre bénite, et que, dans
toutes les églises de la province (ecclésiastique de Sens),
sera promulguée la sentence d'excommunication portée
contre cet hérétique; relativement à David, il ordonne
que ses Quatemuli soient remis, avant la fêle de Noël,
à l'évéque de Paris, qui les brûlera, et que quiconque,
après la dite fête, aurait retenu quelque exemplaire,
sera tenu pour hérétique. De son côté, le légat ponti-
Bcal interdit à l'université de Taris de lire les ouvrages
de David de Dinan, d'Amaury de Chartres et de Mau-
rice d'Espagne.
II. Erreurs. — 1° Condamnation de ses ouvrages. —
L'interdiction prononcée par Hubert de Courcon contre
les ouvrages de David autorise à dire qu'on les regardai!
atout le moins comme un danger pour l'enseignement.
Contenaient-ils aussi quelque hérésie? Elle n'en parle
pas. Mais, à son défaut, la sentence du concile de Paris
est assez explicite et permet de répondre affirmative-
ment. Sans doute elle ne qualifie pas David d'héré-
tique en termes expies, comme elle le fait pour Amaurv
de Chartres; mais, du moment qu'elle déclare que qui-
conque détiendrail ses Quatemuli Bera réputé héré-
tique, c'est que la doctrine qui s'j trouve esl regardée
comme contraire a la foi el entachée d'hérésie. Pour
en juger en connaissance de cause, nous n'avons plus
ces Quatemuli, ni le De tomis, aulr vrage de David ;
llsonl disparu dans les flammes du bûcher. Et dès lors,
>i non- ne pouvons pas douter de l'hétérodoxie de
David, il esl malaisi de savoir en quoi consistait eiac
tement son héi
Salurede rg. — A coup sûr, son nom n'a
ti fortuitement rapproché de celui d'Amaurj dans
la mi nce de condamnation et d'interdiction :
mais encore est-il qu'un tel rapprochement ne con-
stitue point par là même une présomption en raveur
d'une relation étroite, encore moins d'une identité,
entn rine el celle d'Amaury ; sans quoi, nous
■urions d i ml dans le résumi de
erreurs donl furent con aincuslei disciples d'Amaury,
Denifle, Charl. unir Pa\ il , t. i. p. 70. el dans |.
•lu proci - de t !10 fail par Guillaume le Breton Di
Philippt [ugusli, à ini flei uni Gallù
. t. xvn, p. 82-83, el p n .t Helsterl
Illustr. mirac. el historia memorabilis, 1. V, c. xxii.
Cf. Chronicon Laudit nensi s canonici, dans Rerum
Callic. scriptores, t. xvm, p. 715. Voir t. i, col. 937-
938. Il faut donc chercher ailleurs; et sans les témoi-
gnages concordants d'Albert le Grand et de saint Thomas
d'Aquin, qui ont connu et combattu l'enseignement de
David, nous en serions réduits aux conjectures. Mais,
grâce à cette double source que rien ne peut faire
suspecter, nous savons un peu à quoi nous on tenir :
David de Dinan a professé un panthéisme matérialiste.
3° Son ouvrage, De lomis, id esl de divisionibus. —
Cet ouvrage, dont parle Albert le Grand, Sum. Iheol.,
part. I, tr. IV, q. xx, m. n, rappelle par son titre le
Qepi ijacw; [j.epiT(j.o-j de Jean Scot Érigène. Partant de
ce principe que, dans l'ensemble des choses, chaque
genre contient la matière des espèces qui lui sont
subordonnées, il concluait que le genre suprême, le
plus universel des genres, c'est-à-dire l'être, contient la
matière de tout ce qui est, celle des corps, celle des
âmes et celle des substances séparées; triple matière,
distincte pour nous, mais qui se réduit à l'unité au sein
de l'être, qui constitue l'être et. est l'être même, c'est-
à-dire Dieu. Dieu, c'est donc la matière de tous les
êtres. Pour partir de ce principe et arriver à cette
conclusion, David usait de raisonnements subtils et
pleins d'équivoques, dont voici un échantillon tel qu'il
est reproduit textuellement par Albert le Grand, lac. cil.
« L'intelligence conçoit à la fois Dieu et la matière. Or,
l'intelligence ne comprend une chose qu'à la condition
de s'assimiler à elle. Il faut donc qu'elle s'assimile à
Dieu, à la matière. Mais s'agit-il ici d'une identification
complète ou d'une simple assimilation? Il ne saurait
s'agir d'une pure assimilation, carune telle assimilation
n'a lieu qu'au moyen d'une forme abstraite de l'objet
intelligible, et ni la matière, ni Dieu, n'ont de forme.
Si donc l'intelligence les conçoit, c'est parce qu'elle
leur est identique. Donc l'intelligence, la matière et
Dieu sont une même chose. » On pourrait encore citer
d'autres arguments semblables, reproduits textuelle-
ment par Albert le Grand; mais celui-ci suffit pour
donner une idée du procédé dialecticien de David. Sa
conclusion, toujours la même, c'est qu'il n'y a qu'une
substance unique, qui est à la fois matière, intelli-
gence ei Dieu.
Tel esl le systè de David de Dinan. Saint Thomas,
qui le caractérise d'un mot assez dur, en le traitant
d'insensé, va nous aider à le préciser. Ayant, on effet,
à traiter la question de savoir si Dieu entre dans la
com| osition des autres êtres, Suni. theol., [», q. m,
a. 8, il observe qu'il y a trois erreurs sur ce point. Les
uns, dit-il, ontavancé, comme on le voit dans saint Au-
gustin, Dr civ. Dei. 1. VII, c. vi, P. L.,l. xi.i, col. 109,
que Dieu est Vâme du monde (Zenon, par exemple, el
Varron directement visé par l'évéque d'Hippone et, au
XIIe siècle. Pierre Abélard, qui disait que l'Kspril-Sainl
esl l'âme du monde, Denzinger, Enchirùlion, n. 312
les autres, comme Imaurj de Chartres el ses disciples,
ont affirmé que Dieu est le principe formel de tout"
chose; d'autres enfin, parmi lesquels David de Dinan,
ont follement prétendu qu^ Dieu ne diffère pas de la
malu t <■ première : triple opinion, manifestement lau
car Dieu ne peut entrer dans la composition d aucun.
créature, ni comme principe formel, ni comme prin-
cipe matériel. El C'esl ce que prouve le docteur BHgé-
lique. ailleurs, ii s'était exprimé ainsi : « L'erreur de
quelque-- anciens philosophes lot d'admettre me
-.e commune a Dieu et .. toutes le-- choses. Ils sup-
posaient, en effet, que tontes le. choses sont un seul
être ei ne diffèrent, comme ['« dit Parménide, que par
de simples apparences, au jugement >i ens Celte
opinion d< sm leni philosophes •> été suivie \<>r quel-
su nombre desquel on peul i II
de i • 1 1 ■ m i n effet, i elui-cl partageait les ci
159
DAVID DE DINAN
DEBONNAIRE
160
m trois catégories, les corps, les âmes, lei substai
séparées. Il appelait Yle (ûXyj) le premier indivisible qui
est le fondement des corps, el Noym fvoû;) ou esprit
|e premier indivisible qui esi le fondement des âmes;
quant au premier indivisible parmi les suhsi
éternelles, il l'appelait Dieu ; el il disait que ces trois
onl une seule et même chose, et, par suite,
que toutes choses sont par essence un. t In IV Sent.,
I. II. dist. XVII, q. i, a. I : Cont. yen!., I. I. c. xvn.
\ Panthéisme matérialiste : ses fâcheuses an
quences. — Ainsi donc David de l)in;ui a professé le
panthéisme connue certains philosophes grecs et cornue'
Amaurj de Chartres, mais avec cette différence carac-
téristique qu'au lieu ih foire de Dieu, comme eux, soit
l'âme du monde, soit le principe formel des êtres, il en
a fait le principe matériel. Or, de quelque manière
qu'on professe le panthéisme, les conséquences ne
peuvent être que désastreuses au point de vue de la foi
et des mœurs. Il n'est donc pas étonnant dés lors que
David de Dinan ait été condamné par l'Église, au même
titre qu'Amaury de Chartres, Les conséquences désas-
treuses tirées pratiquement de l'enseignement d'Amaury
par ses disciples, nous les connaissons : elles n'allaient
à rien moins qu'à ruiner de fond en comble la foi. la
religion chrétienne, son culte, sa morale. Ils préten-
daient, en effet, que l'histoire du monde se partage en
trois périodes successives, gouvernées chacune par
l'une des trois personnes de la Trinité, à l'exclusion des
deux autres. La première, le l'ère, s'était incarnée
dans la personne d'Abraham, et régna par la loi écrite
et le rituel mosaïque jusqu'au moment où le Fils, s'in-
carnant dans la personne de Jésus, substitua l'Evan-
gile, l'Église et les sacrements à la loi, à la synagogue et
aux rites juifs. Mais, à son tour, le règne du Christ
touchait à sa lin et devait faire place définitivement à
l'économie nouvelle, celle du Saint-Esprit. Car désor-
mais, pensaient-ils, c'est le Saint-Esprit qui s'incarne,
non plus dans une personne isolée, mais en chacun de
nous, et par là môme nous libère vis-à-vis de l'Évangile,
de l'Église, de son symbole, de ses commandements,
de ses sacrements et de ses rites liturgiques. C'était, on
le voit, sous couleur religieuse, secouer tout joug, pro-
clamer l'indépendance et l'autonomie individuelle et. à
vrai dire, supprimer non seulement le catholicisme,
mais encore toute religion.
D'aussi funestes conséquences découlaient logique-
ment du système panthéistique de David de Dinan avec
une note matérialiste plus accentuée encore. Que David
les ait tirées lui-même dans ses écrits ou dans ses
paroles, c'est ce qu'aucun renseignement contemporain
n'autorise à penser. Mais elles étaient faciles à tirer, et
il suffisait que ses principes les continssent pour que
sa doctrine fût réprouvée el condamnée. On s'explique
par là que ses Quaternuli, notamment, aient été inter-
dits : ils renfermaient en particulier l'hérésie du pan-
théisme matérialiste.
5° Source de ses erreurs. — t'ù donc David avait-il
pu puiser un tel enseignement ' La question, inl
santé au point de vue de l'origine et de la filiation de
son panthéisme, est assez difficile à résoudre d'une
manière précise, i I elle a exercé la sagacité inves
trice desérudits. La simple juxtaposition de son nom à
côté de celui d'Amaurj et d'Aristote pourrait la
croire à un rapport d'effel a cause; il n'en est rien, car.
ainsi que nous venons de le voir, la pensée de David
n'est à identifier ni avec celle des philosophes pan-
théistes de l'antiquité grecque ou latine, ni avec celle
d'Amaurj de Chartres. On soupçonne bien ses attaches
intellectuelles soit, par Amaurj . avec Jean Scot Êrigène,
soit avec quelques œuvres d'Aristote connues alors par
des traductions arabes, notamment avec celle d'un cer-
tain Alexandre, ainsi que l'a cru Jourdain, Mémoires
de l'Académie des inscript, et belles-lettres, Paris, 1870,
t. x.wi. p. 167-496, soit, comme le pense Hauréau,
ibid., 1879, t. xxix. p. 319-330, et // a philo-
sophie tcolaslique, Paris, 1880, II- partie, t. r, |
avec h- De unitate >■[ l< /'
l'archidiacre de Ségovie, Dominique Gundisalvi, qui
serait fauteur du livre faussement attribué à Alexandre,
-oit enfin avec le 1 d'Avicebron, commi
croit de W'ulf, Histoire de lu philosophie médiévale,
Paris, 1900, p. 225. Mais quoi qu'il en soit de la réalité
de ces attaches, et quelles que soient les inlluences
qu'il a subies et les sources ou il a puis,., il n'en n
pas moins qu'il ne g'esl pas laiss r, qu'il a
voulu penser par lui-même et philosopher pour son
propre compte. El il se trouve que -a philosophé
un rationalisme intempérant et un assaut livré a la foi
catholique. Par là, beaucoup plus encore que par son
panthéisme matérialiste, il a droit 'nui
les ancêtres des libres-penseur- suivants.
Alhert le Grand, Sum.^theol., part. 1. ir. IV. cj. xx, i
mas, In IV Sent.. LU, dist. XVU.q. i. :',,t..
1.1, c. xvn ; Sa,,,, theol., I*,q. m. a.*: Cuillaume Le Breton. De
gestis Pliilippi A ugusli, dans/;-'/ u,,, Gallic. scriptoresÂt xvn.
hronicon Laudunensis canonici, ibid., t. xvni,
p. 715: Martin de Pologne, Chronicon, Anvers, 1574: Césalre
erbach, lllustr. mirac. el historia memorabitis, 1. V.
c. xxn ; Trivelh, Clironicon, dans le Spicilegium <ie d'Achery,
Paris, 1723, t. m; Prateolus, Elenchus hxres., Cologne, 15*1.
Du Boulay, Hist. univers. parisiensis, Paris, 1666, t. in.
p. 678; Thomasius, Origines historix philosophiez et eccle-
iese, Halle, 1699; Duplessis d Argentré, Collectio judic. de
novis erroribus, Paris, 1728. t. I, p. 132 sq. ; Brucker, Hist.
critic. philosophiss, Leipzig, 1700, t. in, p. 692 rdein,
D- genuina Amalrici a Boni ac Daoidis de Dinant'.
china, Giessen, 1842; Amalrich von Bena .und Davi •
Dinant, dans Theologische Studien, 1*17 ; Mipne.Dicf.de*
■s, t. i. p. 643-6U; Marin, Diction, phit. théoL sculast.,
185 i, t. I, p. 758-700: Franck, Dictionnaire ■/■
sophiques, Paris. 18S5; Xouvellc biographie universelle,
Paris. 1855; Hefele. Histoire des Conciles, irad. frane., Paris,
t. vin, p. 99 sq.; Kirclienlextlcon, t. m. c L IM7-
Jourdain, ili les sources phit es hérésies
d'.\maury d<" Chartres et de David de Dinan, dans k-
moires de l'Institut impérial de France. Académie des in-
scriptions et belles-lettres, Paris, 1870, t. XXII, p. 467-498; Hau-
réau, Sur la vraie source des erreurs atl
79, t. xxix. p. 319-330; Histoire de la ,
scolastigue, Paris. 1880, II' partie, t. i. p. 73-82; Jundt. // -
du panthéisme populaire au moyen âge, P - Hann,
Amalrich von Bena und David von Dinant, eiu /.'
:ur Geschichte der nligiôscn Bewegungen in Frankrcich ru
Beginn des 1.1 Jahrh.. Yillach, 1882; Denifle, Chartularium
unie. Parisiensis. Paris. 18s'.'. t. i, p. 7<>-71. 79; Realencyclo-
t. m, p. ÔÛ5-506: De W'ulf, Histoire de la philot
médiévale, Louvain, Paris, I ■ l hevalier, Réper-
toire. Hiu-bibtiog lit., t. I, col. 11564157.
G. IUreille.
DEBONNAIRE, DE BONN AIRE Louis, prêtre tho
logien, né à Ramerupt-sur-Aube, mort i Paris le SB juin
I7.V2. Il appartint pendant quelques années à la Coi
gation de l'Oratoire. Janséniste ardent, il se déclara
ridant contrelesconvuUionnaires.il publia de nom-
breux écrits dont beaucoup sont anonymes L Imita-
tion de Jésus-Christ, traduction nouvelle a
flexions et îles prières, i n- 1 _ et in- 1 s . | louen,
I719, ouvrage qui eut plusieurs éditions; Paralli
lu morale des jésuites et de cellt
Troyes, I728; Examens critique, physique et théo
que des convulsions et des caractères di
croit ion- dons les acciden nvulsionm
l! parties in-'i . I733; Les - \a nés évangéliques qui
contiennent des réflexions morales pour chaque jour,
■1 in-S ". Paris, I7:i.">; Trailé historique et critiqu
lu fin du monde, de la venue d'Élie el du retou
Juifs, 3 in-12, Amsterdam, I7:i7-I7:is. ouvrage attribué
aussi .i l'abbé Mignot; Les leçons de la
défauts des hommes. ;! in-12, La Haye. 1 737- 1 T ,
tn; oi ou la défense prétendue du sentiment
161
DEBONNAIRE
DECALOGUE
162
Pères repoussée, in-12, Rotterdam, 1740; Essaidu nou-
veau conte de ma mère l'Oie, ou les enluminures du
jeu de la Constitution, in-8°, 1743; La religion chré-
tienne méditée dans le véritable esprit de ses maximes,
6 in-12, Paris, 1745 et 1784, en collaboration avec le
P. Jard, doctrinaire; La règle des devoirs que la na-
ture inspire à tous les hommes, 4 in-12, Paris, 1758;
L'esprit des lois quinlessencié, 2 in-12. On lui attribue
les notes qui furent ajoutées à l'ouvrage de l'abbé Fleury :
Discours sur la liberté de l'Église gallicane, ainsi que
celles qui accompagnent l'édition de 1735 du livre d'Ar-
nauld : Remarques sur les principales erreurs du livre
intitulé : De l'ancienne nouveauté de l'Ecriture sainte.
Louis Débonnaire passp en outre pour être l'auteur des
écrits suivants : Chanson sur Vair des Pendus à ren-
contre des Gensinislres ; Lellre à Nicole sur son prin-
cipe de la plus grande autorité visible, 1726; Obser-
vations apologétiques de l'auteur des Examens (1733);
Lettres sceptiques; Réponse de l'auteur des Trois
Examens, 1734; L'esprit en convulsions ; Lettre de
l'auteur des Trois Examens aux évêques de Sene: cl
de Montpellier; Réponse raisonnée aux réflexions
judicieuses de Delan : Jugement sommaire delà lettre
de l'évêque de Sene:: Trois réponses détaillées de
l'auteur des Trois Examens ù la lettre de M. de Sene:.
Quérard, La France littéraire, in-8. Paris, 1828, t. n,
p. 102; Nouvelles ecclésiastiques, 1733, p. 180; 1734, p. 9,
177; 1735, p. 80, 118; 1730, p. 12, 130, 134, 100; 1737, p. 19, 179;
173K, p. 13, 55; 1739, p. 102; Liaibier, Dictionnaire (1rs ano-
nymes, 4 in-8", 1872-1879; Michaud, Biogropliie universelle,
i. x, p. 239-240; IngolJ, Supplément à l'Essai de bibliographie
oratorienne ; Grosley, Troyens illustres.
B. Heurtebize.
DEBORS-DESDOIRES Olivier (1650-1701), orato-
rien français, publia un opuscule intitulé : De la meil-
leure manière de prêcher, in-12, Paris, 1700, et le
V volume de La science du salut renfermée dans ces
les : Il u a peu d'élus, <>a traite dogmatique sur
le nombre des élus, in-12. Rouen, 1701 ; le t. n est resté
manuscrit.
Batterel. V \ques, t. ni, p. 383-384.
A. Ingold.
DEBRECINUS Jean, théologien hongrois du xvil0 siè-
cle, a publié 1° Exercitationes m holaslicœ de scientia
[)ei, in-12. 1 raneker, 1658; 2" Joannis Tliaddsei con-
ciliatorium publicum, in-12, Utrecht, 1658.
Hoefer, Nouvelle biographie générale, t. xiu, col. 292.
E. Makcenot.
DECALOGUE. Le nom singulier, 6 ou r, 6ex£XoYO{,
usité dans la langue ecclésiastique pour désigner les
dix commandements moraux, révélés par Dieu à Moïse,
rencontre pas dans la Bible. Il a cependant son
fondement dans le Pentateuque, qui appelle ces dix
préceptes :•"" r- :ï. les dix paroles » de Jéhovah,
Exod., xxxiv, 28; Dent., iv, 13; x, i, dans les Septante,
ol 'Àvi /'>■',: ou :i SÉxa '.fir-y. I. Révélation divine.
II. Classification et nature des préceptes. III. Obliga-
tion morale. IV. Pie ris l'instruction mo-
ral.' des catéchumène : di fidéli V. Différences
entre h- décalogue mosaïque ou chrétien et les l
moraux non chrétiens.
I. Révélation divine. — I" Cin de cette
iinn,. Dieu lui-même a promu' pré-
ceptes du liant du Sm.ii. mi présence de toul Israël
w. 1-17. Il le lit ;, h. mi,, voix, du milieu du feu
et de la nu ' wi ajontei .1 autn ! p. noies en ce jour
■olennel, comme Moisi li rappelai) plus tard aux
Deut., v, 'J'i heu les écrivit ensuite sur
deux tabli di pierre, qu'il n mil ■> Moïse, durant i n
séjour de 1" jours <\ ,\. ',0 nuit- lur la mon'
Exod., xxiv, 12; xxxi, 1* Ces tables sont dites en ce
dernier pa les tables du témoi| • pari '
qn'ei i. tit la volonté1 formelle de Dieu Mofsi
DICT. DE THÉOL. CVTHOL.
les rapportait dans sa main, écrites des deux côtés;
quand il vit les Israélites qui adoraient le veau d'or, il
les brisa au pied de la montagne. Exod., xx.xn, 15, 16,
19. Lorsque Dieu, sur la prière de Moïse, consentit à
renouveler l'alliance violée, il ordonna à Moïse de
prendre deux tables, semblables aux premières, pour y
écrire les dix paroles de l'alliance. Moïse les écrivit et
les rapporta en descendant de la montagne. Exod.,
xxxiv, 1, 27-29. Elles étaient destinées à être placées
dans l'arche. Exod., XXV, 16, 21. Cf. III Reg., vm, 9.
Plus tard, Moïse rappelait tous ces faits aux Israélites.
Deut., iv, 13; v,22; ix,8-17; x,l-5. Cesdixprescriptions
morales expriment les volontés divines sous forme de
discours direct de Dieu à Israël. Toutes, sauf la dixième,
sont renouvelées à l'état isolé en divers endroits de la
législation mosaïque. Elles ne constituent pas cependant
un choix de préceptes divins, elles forment plutôt un
tout organique, comprenant des ordonnances positives
ou des prohibitions, dont quelques-unes sont accompa-
gnées de leurs motifs ou de leur sanction. On ignore de
quelle manière les dix paroles étaient disposées sur les
deux tables. Philon admettait cinq préceptes sur chaque
table, et beaucoup de critiques modernes adoptent cette
disposition, qui correspond, selon eux, à pielas et à
probitas. R. Hanina ben Gamaliel acceptait la disposi-
tion des préceptes sur les deux tables dans le même
sens que Philon. Mais d'autres rabbins prétendaient
qu'ils étaient en entier sur chaque table. R. Simon ben
Yohaï disait même qu'ils se trouvaient deux fois sur
chaque pierre, et R. Simaï pensait qu'ils étaient inscrits
quatre fois, formant un total de 40 textes. Talmud de
Jérusalem, traité Scheqalim,xi, l,trad. Schwab, Paris.
1882, t. v, p. 302. Saint Augustin a distingué trois pré-
ceptes relatifs à Dieu et sept relatifs aux hommes.
2° Théories des critiques modernes. — 1. Sur la
forme primitive du décalogue. — Comme le texte du
décalogue nous est parvenu au moins en deux recen-
sions, qui sont d'accord pour l'ensemble et qui se
trouvent, l'une dans l'écrit élohiste E, Exod., xx, 1-17,
l'autre dans le deutéronomiste D, Deut., v, 6-18, on
s'est demandé laquelle des deux était la plus originale
et quelle pouvait bien avoir été la forme primitive du
décalogue. Les principales divergences des deux recen-
sions portent sur l'observance du sabbat et l'interdic-
tion des mauvais désirs. Le motif d'observer le sabbat
est fort différent : dans le Deutéronome, c'est un motif
d'humanité, pour que le serviteur et la servante se
reposent ce jour-là comme leur maître, au souvenir de
li délivrance de la servitude d'Egypte, tandis que, dans
l'élohiste, le motif allégué est la création du monde en
six jours, suivie du repos divin. La disposition de la
prohibition de la convoitise diffère ainsi : dans E, la
Femme fait partie de la maison; dans D. elle en est
distinct''. <»n a remarqué, en outre, que le décalogue
élohiste avait des expressions caractéristiques du Deu-
téronome, et on en a conclu ou bien qu'il avait éti
retouché par un écrivain deutéronomiste, qui revisait
E, ou par un reviseur de JE, qui lui aurait donné sa
place actuelle en tète du livre de l'alliance. Par suite,
on le tient généralement coi plus pur et plus
ancien que le décalogue il i n l'i onoinisle.
Mais est il le décalogue piimilif'.' Suivant une hypo
émise par Ewald, le décalogue. à l'étal originel,
ne contenait que des préceptes divins, sans les motifs
de les observer. Cette forme aurait été conservé)
li i l '.n. 7- et 8r command' ments. Il faudrait donc ra-
mener le 2° a i « Tu ne dois faire aucun.
image sculptée. . m en toi du jour du sabbat
que tu dois sanctifier, i le 5 Honore ton père et la
mère, etc. Wellhausen, DU Composition des II-
teurii s. Berlin, i-^'1 p ■ ;-J7 :i;î:>. a cru retrouver dans
le document jéhoi Iste i une pn mi
logue. l xod. kxxjv, li 26. Selon lui. le récit précédent
tv e
163
DÉCALOGÏ l.
1G4
1-10. est parallèle à celui du c. xix. el monte I
mien- alliance conclue entre Dii u et Israël. C'est un
rédacteur postérieur, celui de JE, qui :i retouché le
récit primitif, pour lui faire exprimer une réitération
de I alliance el une restitution des tables de ta loi, bri-
par Moïse. Le décalogne primitif est maintenant
enfermé dans une édition augmentée. Réduit a don/.'
ou à dix préceptes, il esl surtoUI cultuel et ordonne la
célébration des fêtes. Kuenen a refusé de reconnaître
ce décalogue, arbitrairement extrait d'un moi
législatif retouché el mêlé d'ordonnances du décalogue
êlohiste. D'autres critiques ont adopté les vues de
Wellhausen, en les modifiant un peu. Le décalogue
jéhoviste sérail plus ancien que l'élobiste; il sérail
un compendium du culte et de la morale, pratiqués
par Israël déjà établi an pays de Chanson Smend
et Stade); il correspond à la réaction qui s'est pro-
duite au temps d'Élie contre la religion éhanadéenne
(Baentscli). Cependant M. Wildeboer, Die Literalur
des A. T., ■!• édit., Gœttingue, 1905. p. 87-88, croit que
ce décalogue rituel a été fait sur le modèle du déca-
logue moral. Puisque le décalogue moral est rapporte
à K-\ Slaerk et Meisner ont recherché quel pouv:iit
être !>' décalogue de E'. Le premier l'a retrouvé dans
h'xod.. xxii, -27, 28; xxiii, 14-16, 10-12, et le second
dans L'xod., xxili, 14-19. Ce sont là des fantaisies de
critiques à la recherche d'opinions nouvelles.
2. Sur l'origine du dëealogue moral. — II. I.. Strack.
Einleitung in das A. T., G" édit., Munich. 11106, p. 64,
tient ce décalogue pour le plus ancien et n'admet pas
qu'il ait été remanié d'après le texte du Deutéronome.
Son antiquité ressort de l'âge du contexte dont il fait
partie. G. Wildeboer, op. cil., p. 17, est du même
avis; il admet toutefois des retouches postérieures du
texte primitif. Il explique les différences des deux re-
censions de l'Exode et du Deutéronome par deux
transcriptions diverses de la tradition orale, les tables
primitives ('tant perdues. Ces critiques admettent donc
l'origine mosaïque du décalogue, ainsi que Franz l)e-
litzscli . Dillmann, Lemme, Konig, Kittel et Driver. I u
1800, Nôldeke la tenait encore comme très prenable.
D'autres critiques, Kuenen, Wellhausen, Stade, Cornill,
Smend, II. Schulz, Ilolzinger. Daentsch, etc., pensent
que le décalogue moral reflète les idées et l'esprit des
prophètes du VIIe siècle. Les plus anciennes paroles
qui, selon la tradition, résumaient l'alliance de Dieu
avec les Israélites, concernaient exclusivement les
observances cultuelles et les fêtes. Dans le décalogue
moral, le culte est consciemment restreint à la seule
observation du sabbat, qui n'a pu être établie qu'après
l'installation définitive d'Israël au pays de Chanaan.
La défense absolue d'adorer les idoles n'a pu être por-
tée qu'an cours du vn« siècle, puisque .léhovah était
honoré dans le royaume du nord sous l'image d'un
veau. Ce sont les prophètes du vir siècle qui, les pre-
miers, ont prêché la religion monte, en la rattachant
à la volonté' divine. Dans des cercles dévoués à .lého-
vah. on a donc réduit le culte moral à dix prescrip-
tions de Dieu, conformément a l'ancienne morale de
la tribu qu'on rattachait à Moïse el qui peut-être avait
déjà été exprimée dans des formules brèves, dévélop-
1 s dans un sens nouveau. Hoizinger considère la
rédaction du décalogue moral comme une tentative de
réformer la religion populaire pour la rendre conci-
liabte avec la théologie des prophètes. Exotiws, Tu-
bingne, 1900, p. 7s.
Il sufQra de remarquer que-ces- théories des eriliquos
reposent sur une reconstruction (i priori de l'ancienne
religion d'Israël. C'est une pure supposition que le
sabbat o a pu être établi • I observé que par une popu-
lation sédentaire et que la prohibition d'adorer le-
idoles date du vir siècle, comme m le culte des peaux
d'or à Bétliel n'avait pis toujours été regardé comme
idolâtre et sebismatique. Quant aux divergenci
détails entre tes deux recensions mosaïques du i
logue, elles proviennent de deux causas, ou d
de transcription de- copistes, ou de- modifications
introduites par .Moi-: lui-même dans son dJscoiu
Deutéronome. Cf. I d.- liummela lus et Le-
s, 1 '.i ris. |s!i7. p. liMl-KC Deuteronomium,t
1801, p. MO. Rien ne s'oppose donc au maintisi
l'origine mosaïque du décalof • >a révélation
divine au Sinai par le mini Hotae.
Lemme, Die religlontgeschichtliche Beâeutung des D
loge, i
p. 92 -'| : M., EscoduB, Levitieus, ATui 1903,
p. i .ii-i. v, 178 179 .cA'-n
Religionageaehichle, l rib urg-en-Brisgau, ■■
II. Hoizinger, Einleitung in den Hexattueli, Friboi
m et Leipzig, 1883, p. 217-219; li< don.
I! ■■ uch, Halle,
1893; Driver, Einleitung in die Literalur des alleu 1
Merlin. 18» .. /.ur
Erklàrung und Geschichte des DfUaloys, dans Seue kir-
chliche Xeitschrift, t. XII, p. 863-889; B Stade, Bibhsche
Théologie des A. T., I •■:■. L I, p. 86, S7, M, 197-
199, 248-2ÔO; L. Gautier, Introduction à l'Ancien Testament.
Lausanne. 1906, t. l, p. 144-148; E. Mangenot. L'autkent
mosaïque du Pentateuque, i Realeneyelo-
nddie, 3' édit., 189k, i. in. p. 559-564. où on trouvera, |
une bibliographie allemande plus complète.
Sur le papyrus Nash du II« Mécle de notre ire. qui reproduit
un texte hébreu du décalogue, antérieur au texte massoiétique
et différentde ce texte aussi bien que de celui d. - I.W. ■■
Ilevue biblique, avril 1904, | -
Absehrift der zehn Gebotr, der Papy-us Nash, Fribourg-en-
Brlsgau, 1905.
E. Makgknot.
II. Cl.\ssil ICVTION ET NATl PTBB DD
dégalooi e. — /■ ci issiFicATtos. — 1 Rétention
trois principales classifications.
CLASSIFICATION
, i \--
1 1 \--
DU TM.Ml'n
DK l'HII ON
AUGI -
1. Domaine spécial
1 Adi ration du -
eut
du seul
do .léhovah sur le
vrai Dieu
vrai Dieu.
peuple Israélite.
xx. 3.
Exod., \x, 2.
2. Commandement
2. bUerdii
du
2. Défense i
d'adorer Jéhovah
culte des idoles,
dre en vain le
le seul vrai Dieu
M.
Hoir
el de s'ahstenir de
tout culte des idi -
les, 3-6.
3. 1 téfense de pren-
!;se de p
en-
Observation du
dre le nom d -
dre le nom du
- ■
sabbat.
gneur en vain, 7.
gneur en vain
"
4. Observation du
-e nation
du
4. Respect dû aux
sabbat. 8-11.
sabbat.
parents.
5. Respect dû aux
ect du
aux
5. Illti ido
ts, 12.
• nts.
meurtre.
0. Interdiction du
6. Interdiction
de
6. Interdiction de
meurtre. 13.
l'adui-
meurtre.
du
l'adultère.
7. Interdiction de
7. Interdiction
du
7. lnterdicti.n du
l'adultère. 1 |
meui ti
1 ado
de
vol.
S. Interdiction du
8. Interdiction
du
8. Ini-
vol. 15.
vol.
faux
9. Interdiction «lu
9. lui. rdi
du
■
faux témoignage.
faux
une du
10
1 f"i hain.
10. Interdiction de
1" Intend
de
le dé-
■h -irii les biens
■ i la |. mme
du prochain, 17.
bain.
du
procbaln.
2° Examen critique. — I. Au ftoint de vue biblique,
a On ne peut considérer Exod., xx. 2, Ego
Ihomiiiis Ihus tnus qui edu.ri te de terra iEgypt
dama servi lulis, comme un précepte distinct. I
une simple affirmation préliminaire de l'autorité du
l.ileur, l'autorité' toute spéciale de Jéhovah sur son
ili.j
DECALOGUE
160
peuple qu'il a lui-même délivré de l'Egypte. — b) On
ne peut distinguer deux préceptes dans Exod., xx, 3-6.
L'interdiction du culte des idoles n'est que l'aspect né-
gatif du précepte d'adorer le seul vrai Dieu. Ce ne
peut donc être un commandement spécial. — c) Le dé-
doublement du précepte interdisant la convoitise n'est
expressément indiqué ni par Exod., xx, 17, ni par
Deut., v, 21. Saint Augustin appuyait l'affirmation d'un
double précepte dans Exod., xx, 17, sur la version des
Septante où uxorem proximi lui est mentionné en
premier lieu et d'une manière distincte. Quxstiones in
Heptateitclium, 1. II, c. i.xxi, P. L., t. xxxiv, col. 621.
.Mais rien n'autorise à considérer la leçon des Septante
comme vraie. Le texte du Deutéronome, il est vrai, met
en relief non concupisces u.œretn proximi tui, mais
sans l'indiquer expressément comme précepte distinct.
.Mais si l'on compare ces deux textes avec les deux pré-
ceptes distincts condamnant l'adultère et le vol, Exod.,
xx. 14, 15, on est en droit de conclure que l'interdiction
du désir, comme celle de l'acte lui-même, procède d'un
double précepte; car il y a identification morale entre
le désir et l'acte.
2. La tradition juive ne parait fournir aucun témoi-
gnage décisif. Tandis que le targum du pseudo-Jona-
than sur le Pentaleuque et le Talmud de Jérusalem,
traité des Berahhoth, i, n. 8, trad. Schwab, Paris, 1871,
t. I, p. 18-19, donnent la première classification en ré-
duisant le IO précepte à la seule convoitise de la maison
du prochain, sans aucune mention île la femme du
prochain, Philon, Quis sit rerum divinarum hseres,
.•dit. Mangey. p. 49G-497; De decalogo, p. 188-18'.!,
soutenu par Josèphe, Anl. jud., 1. III, c. iv, Genève,
1684, p. 78 sq., défend la deuxième classification et la
Massore soutient la troisième classification.
:î. La tradition chrétienne comprend deux périodes :
avant et après saint Augustin. — a) Dame la période
antérieure à saint Augustin, l'enseignement du déca-
logue n'occupant pas de place spéciale dans l'instruc-
tion des caléeli n menés ou des fidèles, l'on ne rencontre
que de rares allusions à une classification complète des
dix préceptes; et les quelques essais que l'on rencontre
s'inspirent surtoutde Philon .' Théophile d'Antiochc men-
tionne cinq di's commandements concernant les devoirs
envers le prochain; le précepte interdisant la convoitise
i -i unique comme chez Philon. Ad A utûlyaum, 1. 1 1,
n. X). /'. G., t. VI, col. Il(»8. Tertullien s'exprime de
meiiie. Advenue Maraioneni, 1. II. c. svji; Adversus
Jildmot, c. n. /'. L., t. n. col. 305, 599. dénient d'Alexan-
drie pavait suivre entièrement l'hilon. Strotn., VI,
C. xvi. /'. '.'.. I. IX, COl. 861 sq.,ce(|ni lui est d'ailleurs
habituel sur beaucoup de points. Origène se borne à
indiquer el à commenter brièvement le premier com-
mandement, mm etttnl tibi alii dit preoter me, el b
second, non faciei libi idoluni neque ullani similitu-
dinem, en donnant pour unique raison de cette distinc-
tion que l'on ne peut autrement maintenir la vérité du
décalogue ou l'existence des dix commandements :
Umconmia limiU nonnulli putant este unum manda-
tum. Quod si ita puletur, non camplebitur dmewii nu-
■ ■minimum i'.i idn jamoril decalogi veritax'.'
In Eand., homil. vin, n. 2. /'. (.'., t. xn, col. 351.
Saint Grégoire de Nazianze, dans son poème théologi-
qu< sut le décalogue mentionne les dis préceptes salon
l'i mil'. -île Philon. P. G., t. «xxvii, col. 176eq. Seint Cyrille
d'Alexandrie mot cette computalion sur bs lèvres de
Julien l'ApoBtal Gant. fuUtm., 1. V. P. G., t. ixwi.
col. 733. La même énumération se rencontre uhea r.-m-
teui' de la Sf/t pasmi
tes œuvres de aaint Athanaee, iP '. . I imvm, odl 297,
dam Isa commentaires sur b- Êplttaa de saint Paul
de i A ml .i ■ la suite des (euvi-es de aainl Am-
bfoise, In Eph., vi, 2, /' /. . t. wu. col. :w\. ,t ,,.,,
Uellement du i n- ohei Gaaaien, GoUat., I. VIII,
c. xxni, P. L.,t. xlix, col. 764. Saint Jérôme com-
mentant Osée, x, 10, P. L., t. xxv, col. 908, distingue,
en passant, le précepte de l'Exode, xx, 2, du suivant,
3-6. Le même saint docteur, expliquant Eph., vi, 2,
Honora patrem tuum et matrem taam, quod est inan-
datum in jtromissione, indique incidemment que ce
commandement est le cinquième du décalogue, les
deux premiers étant : non ertmt tibi dii alii prmter rue
et non faciès tibi idoluni, Comment, in Episl. ad
Eph., 1. III, c. vi, P. L., t. xxvi, col. 537; ce qui cor-
respond à la classification de Philon. Voir aussi
pseudo-Chrysostome, In Matth., homil. xxxm, P. G.,
t. lvi, col. 877.
Ainsi, en résumé, les témoignages favorables à l'opi-
nion de Philon dans les quatre premiers siècles ne sont
guère que des allusions passagères, desquelles on ne
peut déduire un consentement patristique suffisant
pour rendre notre adhésion obligatoire.
b) Saint Augustin donne toutes ses préférences à la
troisième classification assignant aux devoirs envers
Dieu les trois premiers commandements et aux devoirs
envers le prochain les sept autres. Saint Augustin
s'appuie principalement sur l'autorité de l'Écriture et
sur la haute convenance de la distinction de trois
commandements pour exprimer nos obligations envers
les trois personnes divines. Serm., ix, c. v; cci., n. 3,
P. L., t. xxxviii, col. 79 sq., 1165 sq.; Quivsliones in
Heptateuchum, 1. Il, c. i.xxi, P. L., t. xxxiv, col. 620 sq.
Observons toutefois qu'Augustin varie habituellement
la formule de ces dix commandements, bien qu'il
suive toujours le même ordre dans leur énumération.
Paul Rentschka, Die Dekalogkatechese des heiligan
Augustinus, Kemptun, 1905, p. 127 sq.
c) La classification soutenue par saint Augustin fut
presque unanimement admise après lui. Nous citerons
particulièrement : le pseudo-Jérôme, Urrriarnim in
Psalmos, Ps. xxxu, 2, P. L., t. xxvi, col. 915; S. Isi-
dore de Séville, Quœsliones in Vêtus Teslamenlum,
In Exodum, c. xxix, P.. L., t. i.xxxm, col. 301 sq.;
l'auteur du De paakixoruni Hbro ewegesis, /'. L.,
t. xcin, col. 431 sq.; Alcuin, De decem verbis legis seu
brevis eapooilio daooktgi, P. L., t. c, col. 567 sq.;
Hugues de Saint-Victor, Inslituliones in decaioguru
legis doniiniese, c. m. P. /.., t. ci.x.wi, col. li sq..
Pierre Lombard, Sent., I. III. dist. XXXVII, 7'. L.,
t. xcii, col. 831 sq.; Alexandre de llalès, Sttmma theo-
logiœ, part. 111, q. x.xix, m. I, a. 2 sq., Cologne, IW'J.
t. m, p. 203 sq.; S. Thomas, SttMl. l/wol., I' Il . >\. C,
a. i sq.; O/iusi ., 1)1. Dr Irgr unions et de deCOIII )■■ I
rrplis, dans Opéra omnio, Paris, 1884, t. xxvil. p. 144-
170; S. Iion.ivenlure. In IV Sent., I. III. dist. W.WII.
a. 2, Ouaraccbi, 1887, t. ni. p. 821 sq.; Duns fioot,
In IV Sent., |. III. disl. X.WVII. Venise, HiKil, | m.
p. 338 sq., et tous les commentateurs de Pierre Lombard
et de saint Thomas.
I. ordre du Talmud fut adopte au moyen âge par
li Svnrelle. Ghronogvttphia, édit. hindorf,
Bonn, 1829, t. i. p. 246 sq.. et par Gedrenus, llist.
eompendium, I. I, P fi., t. cxxi, col. Mi sq. Celui de
Philon se retrouve chez Bulpice Sévère, {/«•£,, P. L.,
t. xx. col. 105, et che/ Zonaras, Annal., I. 66, P. G '..
\.xi\. col. 93. Le décalogue an^lo-s.ixon du rai
Alfred .que- stp modifie l'ordre daa commaudernente
a | ki ri 1 1 du te li. vol; 7. adulteii 'J. bien- du pi,,
eb. un. 10, pas de dieux d'or et d .irpMit .1 . ScfailtâT,
Dhetawmt ontttjuitatum leutonicarum, in-fol., t lm,
L738, t i. appendice, ■p. 76-J7. Une peéaie -rythmée du
moyen Age, «em le décalogue, smi cet otdre B hon-
neur a rendre ,iu\ parente; i amour du prochain;
." ut-lie. g, adultère; 7. vol; 8. faux toi go
ir de le fe e du prochain. 10. désir dea bien*
du prochain, fbid., p, 77
Dan ti ohitmei du \m su cl< , la dû iaion
167
DÉCALOGUE
108
augastinienne des dix précepte, ru ^néraleœenl
adoptée. Elle se trouve dans leSn. «de
S Edmond de Cantorbéry, e. u, obus Bibliotheca
... Doctrinal de sapiencfi, Troyes, 1745 p. •■» M
f-ïî Biècle, elle est euivie dans l'^BC des simples
L», de Gerson, dans le Liber 3 ew Chrutx, si sou-
vent reproduit et dans le Monnaie curatorum .et dans
teComposI e/ Kalendrierde» bergiers; la défense du
vol est au 6' rang et précède la prohibition de la lu*
Cette dernière disposition se trouveaussi dansund
r0"e provençal, édité par K. Bartsch, Sentier der
ZalischerLUteratur,mf, Stal^n,^,^.
L'accord n'était pas universel au xvr siècle, et les
réformateurs on. adopté des usages différents. Luther
ci les lutInTiens, aussi bien que les catholiques, ont
suivi la division augustinienne; Calvin, les réformés,
les sociniens et 1rs anglicans, connue les grecs-unis
modernes, celle de Philon. Les catéchismes catholiques
du xv siècle et des siècles suivants reproduisent les
commandements de Dieu en bouts-rimés à peu près
semblables a ceux qui sont encore en usage parm
no™ Dans le pénitenciel de Milan, dressé par saint
Charles Borromée et publié dans les Acta Ecoles,*
Mediolanensis, pari. IV, le 6« commandement du déca-
logue est relatif au vol, et le 7e a 1 impureté. Ce péni-
tenciel est reproduit par M* Schmitz, Dv Bussbuchei
und die Bussdisciplin der Kirche, Mayence, 188.3, t. i,
p. 809-832. Cf. F. de llummelauer, E.rodus et Levtlt-
cus, Paris, 1897, p. 197-198. .
d) L'Église catholique, bien quelle na.t rien défini
en cette matière, suit de fait la classification augusti-
nienne, comme l'indiquent tous les catéchismes
approuvés dans l'Église et spécialement e catéchisme
du concile de Trente, approuvé par 1 Lgl.se pour
l'enseignement public des fidèles.
Conclusion.- La classification augustinienne, impli-
citement contenue dans les textes bibliques, non con-
tredite par l'ensemble de la tradition juive, a peu près
unanimement acceptée dans l'Église catholique depuis
l'époque de saint Augustin et tacitement approuvée
nar l'autorité de l'Église dans l'enseignement universel
des fidèles et des pasteurs, doit être pratiquement
admise par tous les catholiques.
U SATURE DES PRÉCEPTES DV DÉCALOGUE. - 1° Ces
préceptes sont en eux-mêmes naturels, à l'exception
du troisième précepte à la fois naturel et positif : pré-
cepte naturel dans son fondement en tant qu il prescrit
de consacrer au service divin un temps dont la durée
et la fréquence restent indéterminées, S. Thomas,
S«m. theol, II" II-, q- cxui, a. '.. ad 1 : pré
divin positif, mais cérémonial et limité à l ancienne loi.
pour la détermination particulière du temps et du
mode à observer dans le service divin.
Au II" siècle, saint Irénée parle des préceptes natu-
rels de la loi déjà observés avant la loi par ton- les
justes et qui n'ont pas été abrogés par Jésus-Christ,
simplement agrandis et pleinement réalisés: pré-
ceptes vraiment communs à l'une et l'autre M
Cont. I,œ>:, l. IV, c. un, P. C I. vu col 10»
1018 Selon Tertullien, les préceptes mosaïques, avant
d'être écrits sur des tables de pierre, él ni naturelle-
ment connus. Adverm» Judmos, c. il, P. L., t. n,
cl 600. Saint Augustin affirme que la loi.avant dêtre
inscrite sur les tables du Sinaî, était gravée dan
cœurs des hommes, bien que de rail on ne Ij eût
pointlue. Enarratioin P». m//, n. I. P.L., t. xucyi,
col. (>7:( Bq. Même enseignement au moins implicite
chea saint àjnbroise, In P«. i u, n 33, ''• '• • »■ xxl-
col. 1180, chei saint Léon le Grand, Sertn., xvm.ii. 1.
/, / , ,,v col. 180, et saint Grégoire le Grand, In
Etech., I. II, le.mil. iv, n. 9. P. /... t. lxxvi, col
affirmant l'identité des préceptes lel'ancienne
loi avec ceux de la nouvelle loi. identité qui ne |
avoir d'autre base que leur appartenance ■■ la loi natu-
relle.
Au mi' siècle, Hugues de Saint-Victor sinspin
cette même doctrine, quand il conclut que les
préceptes de la seconde table -ont une simple explica-
tion de ces deux principes fondamentaux de la loi
naturelle : il faut faire le bien et éviter le mal. De $a-
,, mti», I. H. part. XII. C. v, P. /.., t. CLX1
col :&2. Cependant au siècle suivant,
de llabs est arrêté- par celte apparente diflio,
comment concilier le caractère naturel
moraux de la loi mosaïque avec le fait de Leu
tion'' Sur quoi il décide que fis princi «nx,
donnant naissance aux préceptes du décalogue, appar-
tiennent à la loi naturelle, tandis que leur» conclu-
sions particulières constituent les préceptes mosaïques.
Summa theologiee, part. III, q- sms. m. i. Coloj
1622, t. m, p. 191 sq. .
En réponse à cette même difficulté, saint Thomas
établit que tous les préceptes moraux de l'ancienne loi
appartiennent à la loi naturelle, mais de différentes
manières. Plusieurs sont en eux-mêmes immédiate-
ment saisis par toute raison humaine et appartiennent
absolument a la loi naturelle : tels sont les préceptes
d'honorer son père et sa mère, de ne point tuer, de ne
point voler. D'autres, exigeant une étude plus minu-
tieuse, sont connus seulement par les hommes ins-
truits dans les sciences morales; ils appartienne!)!
loi naturelle de telle sorte qu'il faut, pour les connaître.
eue instruit par les savants; telles sont beaucoup de
conclusions éloignées de la loi naturelle. Il est enfin
des préceptes pour la connaissance desquels la raison
humaine a besoin d'être aidée par l'enseignement
divin, comme non faciès t,bi sculpHbilenequeomneni
nmilitvdinem; non nomen Uei tut m va-
num Sun,. IheoL, I" H*, q. c. a. 1 : mais ils restent en
eux-mêmes préceptes naturels. Suivant saint Honaveii-
ture c'est de la loi naturelle que jaillit l'obi igatioi
commandements du décalogue; la loi mosaïque a
plement mis en lumière cette obligation obscurci
le péché./» IF Sent., 1. III, dist. XXXVII. a. 1. q. m,
Quaracchi, 1887, t. ni, P 819 sq. Ver- la même époque,
Duns Scot émet l'idée que les commandements de la
ade table n'appartiennent point à la loi naturelle a
cause des dispenses divines dont ils sont parfois 1 objet;
leur obligation, au lieu d'être strictement imposée par
la loi naturelle, a seulement une très grande confor-
mité avec ses invariables et i - principes. In
IVSent.,l.HI,dist.XXXVII,Venise,1680,t.Hi,p.339sq.
Les théologiens postérieurs au x' adoptent
presque unanimement la doctrine et le langagedesamt
rhomas et de saint Bonaventure. Nous citerons prin-
cipalement Denys le chartreux, h, IV Sent., I. III,
dist. XXXVII, q. u, Venisi . 1584, t. m, p. 908 sq.;Ca-
jetan In l" Um, q- Ci :l- S; Dominique Soto, De fw-
titia'et jure, l. II, q. m, »■ 1. Venise. 1589, p. lOOt
•Wpicnella. Eftc/liridiori Stve monnaie i rum
etpamitentium, c. u, n.2, Rome. 1590, p. B2; Estius
13), /„ IV Sent., I. III, dist. XXXVII, p. in, \-
1T1S. t.iv.p. 216 sq.; Suarei I ■ 1 «"■ l ~ Delegibu»,
1 II c. xv. n 16 sq.; Sylvius , 16*9 . In ' II', q ■-•
a i knvers, 1714, t. n, p. 586 sq.; Gonet, h, I' II",
„. vi disp. XII, i I. envers, 1744, t. m, p. 517; les
théoloi iens de Salamanque, Cursus theotogix moralu,
ir XXI.c. i.n H ■ Gotti, In I" "'• tr.V.q. m, dub. v.
. I750,t. il, p. 242.
., | ptes, en eux-mêmes naturels, ont él
fait révélés i l'humanité pécheresse qui autrement
n'en eût point poss dé une connaissance assi i com-
plète et assez certaine pour en faire lai sa ne
morale : Explicalio enim plenaria mandatorum de-
■ opportunafuil tecundum statu, n peccati ;»oj>-
169
DECALOGUE
170
ter obscurationem luminis rationis et propter obli-
quationem volunlalis. S. Bonaventure, In IV Sent.,
1. IV, dist. XXXVII, a. 1, q. m, Quaracchi, 1887, t. m,
p. 819 sq.
3° Cette divine manifestation des préceptes naturels
du décalogue, en confirmant simplement leur obliga-
tion ex lege naturali, n'y ajoute, croyons-nous, aucune
nouvelle obligation ex divina lege positiva. La suppo-
sition d'une telle obligation n'a aucun fondement ni
dans les Pères ni dans les théologiens du moyen âge.
Elle est même nettement écartée par saint Thomas et
saint Bonaventure. Saint Thomas, parlant des préceptes
naturels pour la connaissance desquels la raison hu-
maine est aidée par l'enseignement divin, suppose que
cet enseignement, tout en les manifestant el en les
confirmant, ne modifie point leur nature. Sum. tlievl.,
Ia II*, q. C, a. 1. Saint Bonaventure dit très explicite-
ment que la révélation divine ne fait que mettre en
pleine lumière l'obligation imposée par la loi naturelle.
Loc. cit. Tel est aussi le plus souvent le langage formel
des théologiens précédemment cités. Ceux qui s'ex-
priment différemment comme les Salmanlicenses,
Cursus theologix moralis, tr. XXI, c. I, n. 13, doivent
s'entendre uniquement d'une divine confirmation du
précepte naturel prononcée au Sinaï et de nouveau
répétée par Jésus-Christ. Matth., xix, 17 sq.; .Marc, x,
19 sq.; Luc, xviii. 20 sq.;Joa., xiv, 15.
4» En affirmant que les préceptes même naturels du
décalogue ont été agrandis et perfectionnés par la loi
nouvelle, plusieurs Pères des premiers siècles ont sim-
plement signifié que Jésus-Christ par son enseigne-
ment a réprouvé les étroites interprétations juives qui
défiguraient les préceptes du décalogue et que, par sa
■ ou par une plus abondante diffusion de la cha-
rité, il a aidé à la pleine observance de ces comman-
dements. C'est l'enseignement de saint [renée réfutant
l'erreur gnostique qui attribuait l'ancienne loi à un
ange mauvais. Cont. hxr., I. IV, c. n, n. (>; c. Xil,n.3sq.,
/'. <:., i. vu, col. 978, 1005 sq. Tertullien montre aussi
que Jésus a ajouté à la loi enjnterdisant, non seulement
l'accomplissement effectif du mal, mais encore l'affec-
tion ou le simple désir, selon Matth., V, 27 sq. De pœ-
nitentia, c. m, P. L., t. i, col. 1232. Suivant saint Gré
goire il.- Nazianze, tandis que l'ancienne loi défendait
seulement l'accomplissement 'lu péché, la loi chrétienne
interdil même la cause du péché, La loi réprouvait
seulement l'adultère, Jésus-Chrisl condamne tout désir
cl huit regard accompagné de désir ou \ excitant. La
loi défendait le meurtre; aux chrétiens il est interdit
il.- rendre les coups el il est commandé' de tendre [a
i qui les frappe. La loi condamnait le parjure;
on n- i tout jurement, quel qu'il soit. Orat.,
xlv, in sanctum pose /ta, c. xvii, /'. '>'., t. xxx\i,
col. 647.
s.iint Ambroise parail • tre le premier qui ait net te -
inciit indiqué l identité des préceptes naturels du déca ■
sous l'ancienne et sous la nouvelle loi. Selon lui,
la parole 'le Dieu a exprimé le même enseignement
dans la loi et dan- l'i angile Ce qui n'avail pa
nne alliance l'a été' sous la nouvelle,
car Jésus-Chrisl : verl l'oreille humaine à ta
de la vérilé. Emoi ro LXI, n. 33 sq..
/' I. , t. xiv. col. H80.
Saint Augustin, -m. . 1 1 1 1 peut-être celte pensée de
-uni Ambroise, montre que li interprétai
données an décalogue par lei Juifs ne lui avaient ja-
ippai tenu l.'- ■"> préi epte condamne non seule-
ment !•' meurtre, n la colère.
Matth., •, . 21, 22. I. 6 commandement réprouve
l'adultèn toul dés r mauvais. Matth., \, 27, 28. Le
i de amour du prochain n'exclu! |
uni mi- de la i ommune charité odt * ù
attendre d<
iniquités de nos ennemis et non de leur personne.
Contra Faustum manichœum, 1. XIX, c. XIX sq., P. L.,
t. xlii, col. 359 sq. Augustin montre encore que la
grâce, plus abondamment communiquée sous la nou-
velle alliance, facilite l'observance du double précepte
de la charité dans lequel se résument tous les com-
mandements. Par l'action de cette grâce le décalogue
est comme gravé dans l'âme sanctifiée. De spiritu et
littera, c. Xiv sq., P. L., t. xliv, col. 215 sq. ; Contra
duas epistolas pelagianorum, 1. III, c. IV, col. 594. Le
concept d'Augustin reste définitivement après lui chez
les Pères et chez les théologiens subséquents.
5° Les préceptes naturels du décalogue supposent ou
contiennent toutes les obligations imposées par la loi
naturelle. C'est l'enseignament de saint Thomas,
Sum. theol., la II*, q. c, a. 3, 11, et de tous les théo-
logiens. — 1. Ces préceptes présupposent nécessaire-
ment : a) comme principes logiquement antérieurs aux
devoirs tracés par le décalogue : l'obligation de la loi
naturelle et les premiers principes moraux sur les-
quels elle repose, ainsi que les obligations fondamen-
tales de charité envers Dieu et envers le prochain;
b) comme couronnement surnaturel de ces obligations,
par le fait de l'élévation de l'homme à l'état surnatu-
rel, les devoirs imposés par la foi, l'espérance et la
charité surnaturelle envers Dieu, devoirs comprenant
en réalité l'ensemble de toutes nos obligations surna-
turelles. — 2. Les préceptes du décalogue contiennent
au moins implicitement toutes les conclusions déduites
de la loi naturelle d'une manière plus ou moins immé-
diate, même celles dont la connnaissance est parfois
restée assez imparfaite chez les théologiens. S.Thomas,
Sum. theol., Ia IIe, q. c, a. 3, 11. En ce double sens.
le décalogue est vraiment le résumé de toutes nos obli-
gations morales. Calechismus concilii Tridenlini,
part. III, c. i, n. 1.
6° Le décalogue, tant sous l'ancienne que sous la
nouvelle loi, se résume justement dans le double pré-
cepte de la charité envers Dieu et envers le prochain.
In his duobus mandatis universa lex pendei ri pro-
phétie. Matth., xxn, 40. Ces deux commandements
sont des principes évidents à la raison et à la foi, des-
quels se déduisent comme autant de conclusions toutes
les obligations du décalogue. S. Thomas, Sum. theol.,
l» II", q. c, a. 3, ad lu">.
III. Obligation morale. — 1° L'obligation imposée
par les préceptes naturels du décalogue est, comme
celle de tous les coi andements de la loi naturelle,
toujours nécessaire, toujours soustraite à toute vraie
dispense. Ce que l'on dénomme parfois dispense ou
exception n'est qu'une juste interprétation d'un cas
auquel la loi, à cause de circonstances spéciales, ne
s'applique réellement point. S. Thomas, Sum. theol.,
i il", q ' . a 8. Voir Loi naturelle.
2° Celle obligation, en elle-même toute naturelle,
rentre dans l'ensemble des devoir-, chrétiens, parce
que .lésus-Cbrisi la positivement confirmée par son
autorité, Matth.. six, 17 sq.; Marc., X, I9sq. ;Luc, xvm,
20 sq., ou parce que la loi surnaturelle, loin de suppri-
nr i b- prescriptions ou interdictions naturelles, les
suppose et les confirme en les orientanl vers la lin sur-
uaturelle, B [uillon, Theologia moralis fundamen-
3" édit., Bruges, 1903, p. 258. D'ailleurs, dans
l'ordre actuel de la providem
tiellemenl naturels entraînent indirectement de graves
.lions gurnaturi ll< \n reste le concile de
Trenl anathème contre le- antinomîstes du
v. i , ndanl que li - dii pri cepti - du d
ne concernent aucunement li - i hrétiens. Ses-. VI,
can. 19.
:; L'obligation impo — par les préceptes naturels du
décali ■ nature, i nvsi ■ Dieu, ce- prë«
ceptes ie peuvent être enfreints sani que soit aussi
171
DÉCALOGUE
179
violée la vertu de charité, violation de soi toujours
grave, puisque sans la charité notre Bn surnaturelle
ne peut être obtenue. \'is-à-\ïs de notre prochain*,
toutes les prescriptions du décalogue bb résument dans
ut. s. Thomas-, Sun*, theol., Ia II', q. c, aj. 9,
qui par elle-même oblige toujours gravement dès qu'il
s'agit d'un liien notable élu prochain H" II'. q. i.xvi,
a. t>. Cependant la transgression pool être accidentel-
lement vénielle par défout de matière notable ou par
manque de délibération ou d'àdvertauce suffisante.
Azpicuelte, EinchirUÉion rive matinale confesmriomtm
ei pirititentium, C. XI. O. i, Hume, 1590, p. 82 sq.;
Salmantieenses, Cursus VheologifB moratis, tr. XXI.
c. i, n. 15.
I L'obligation est accomplie parla simple réalisation
de ce qui est exigé. 11 n'est point nécessaire d'agir par
motif de charité, sauf quand la charité est vraiment
commandée ou indispensable pour réaliser le com-
mandement. S. Thomas-, Sum. theol., [«'H», q1. c, a; 10:
s. Bonaventure, Tn IV Sent., I. 111. dise. XXX vil.
a. I. q. il, Quaracchi, 1887, t. m, p. 816 sq.
IV. PLACE dans L'INSTRUCTION HORACE DBS CATÉCHU-
MÈNES ET DES PPDÊLBS. — On a indiqué aux articles
Catéchèse et Catéchisme la forme que revêtit au cours
des siècles l'instruction des- catéchumènes et des fidèles.
Il nous reste à y assigner la place occupée parle déca-
logue.
1 Jusqu'à saint Augustin vers la lin du ive siècle, les
documents que nous avons sur les catéchèses nous
autorisent à affirmer que l'instruction morale des caté-
chumènes était habituellement donnée sous la forme de
l'enseignement des deu.v rotes : voie de la vie, marquée
par le double précepte de l'amour de Dieu et du pro-
chain, se résumant dans le commandement général :
OftVnia t]ii;ri>nwjw' non vis libi fieri , nec tu alleri
facias, et voie de la mort où s'engagent ceux qui se
rendent coupables des péchés indiqués comme étant
dignes de ce châtiment. C'est le seul enseignement
indiqué pa* la Didaché qui nous offre le modèle des
catéchèses des premiers siècles. Doclrina duodecim apo-
stoloruvi, Funk, Patres apnstolici, 2e édit., Tubingue,
1901, t. i, p. 2 sq. Quelques autres documents qui
reflètent l'enseignement donné aux païens de cette
époque pour les engager à se faire chrétiens, comme
la 1" Apologie de saint Justin et le Pédagogue de Clé-
ment d'Alexandrie, mentionnent particulièrement les
préceptes nouveaux donnés par Jésus-Christ et groupés
dans le sermon sur la montagne, ou le double com-
mandement de la charité envers Iiieu et envers le
prochain. Apol., i, n. li sq., P. G., t. vi, col. 3'tS sq1. :
Clément d'Alexandrie?, Pu-dugogus. 1. 111. /'. <•..
i. vin, col. 6(50 sq. Quant aux préceptes du décalogue
considérés isolément ou dans leur ensemble, on les
cite assez rarement; et quand on les cite, c'est plutôt
avec une intention apologétique 00 dans le bal de faire
ressortir la supériorité de la loi chrétienne. Ainsi saint
Irénée justifie ces préceptes contre les erreurs gnos-
tiques attribuant l'ancienne loi à un ange mauvais.
Cont. hier., I. IV, c. n, n. 6: c. xn. n. 3 sq.; c. xm,
n. 1 sq.; c. xv, n. I sq.; c. xvi, n. :i sq. /'. G., t. vu.
col. 97s. lOefr-fOiO; Ini-Miiiï. FOTMO». Trrtullien in-
dique incidemment que Jésus-Christ a ajouté à la loi
en défendant non seule ni l'exécution du mal, mais
encore l'affection ou le simple désir; De peBnitevtia,
c. m, P. \.., t. i, col. 1232. Saint Grégoire de rfaziance
montre que les préceptes dn décalogue ont été perfec-
tionnas pat JéSUS-ChriBt dans la réprobation portée
pe les étroites interprétations des Juifs. Otut.,
XI. v. in siuirtiini j,aseha, C. xvn. /'. ('• . , I. x\\\i.
col. 017. Saint Aiui . contente d'affirmer qu'une
meilleure connaissance des devoirs do décalogue nous
' dotfnée par .lésus-Chrisl. h'.nurral 10 m Ps. l.xi,
n. 33 sq., /'. /... t. xiv. col. Ilsu.
Celte attitude vis-à-vis du décalogue était motivée par
la nécessité de distinguer nettement la loi shrélieoaa
de la loi juive, SOrtDUl en '.rpr. -ta-
lions habituelles des Juif- et de l'abrogation du
Babbattque désormais remplacé parle précepte domi-
nical.
2° Vers la fin du i\ siècle, saint Augustin donna
premier au décalogue une place prépondérante dans
l'enseignement moral des catéchèses. H fut amen
cette conclusion par la nécessité de prémunis
chumènes contre les erreur- manii tiribuant
le décalogue au mauvais principe, tandis que la nou-
velle loi était seule considérée comme provenant de
tabulé A l'cncontre di ilion-. Augus-
tin montre dans ses catéchèses la véritable origine du
décalOgue et son importance capitale dans la vie chré-
tienne. Le décalogue provient intégralement du Ilieu
véritable; Il est une protection contre les erreurs
manichéennes, car les trois premiers préceptes, expri-
mant nos devoirs envers Itieu le Père; envers Jésua-
Chrlsl et envers IB Saint-Kspril. réprouvent formelle-
ment les fausses doctrines sur les trois personnes di-
vines. Le décalogue est une règle sure, car il a toujours
condamné ce que condamne la loi nouvelle, affections
mauvaises et désirs coupables. Il se résume justement
et pour tous les temps dans le double précepte de la
charité envers Dieu et envers le prochain, c :
l'observance de cette double charité, les devoirs en
Dieu et envers le prochain sont intégralement remplis,
selon le témoignage de saint Paul : plénitude* autem
legis est caritas. Rom., xm. lo. Contra ! I
manichxum, 1. XV. c. iv sq. ; I. XIX. c. xvm sq.. P. /. ,
t. xlii, col. 1506 sq.. 359 sq. Lame animée de cette
charité est comme une lyre exécutant en l'honneur du
divin Maître l'hymne suave des «lix commandement-.
Deus cantieum MOwn cantabo libi. in psallerio
éttecem chordarum psallam libi. Ps. <:xuii. 9. Sent., ix,
c. v sq., P. L., t. xxxvin. col. 79 sq. Le décalogu
encore cet adversaire qui contredit ce que nous faisons
et avec lequel nous avons à nous entendre si noue
voulons pas être livrés au juge pour l'éternel châti-
ment. Matth., v. 2ô. col. 76 sq. Les sermons catéché-
tiques où Augustin développe cet en-eunement sur le
décalogue sont principalement les sermons vin. ix.
xxxm et i ix. P. I... t. xxxviii. col. 67 sq.. 7.") sq..
207 sq., 636 sq. Quelques années plus tard. Augustin
dirige encore l'enseignement de la catéchèse contre
les erreurs pélagiennes sur le décalogue. A leur en-
contre, il insiste sur ce que la connaissance des pré-
ceptes divins, loin de suffire au salut, est seulement
une préparation à la grâce et que leur accomplissement
ne peut être réalisé que par cette grâce. Serm.. oui vin.
, , \i ix. c . i . < <i i. col. 1 158 sq. Cf. r\ Rontschka,
Dekalogkatechese de* heil. Augusttnus, Kempten. Il.xi5.
3° lui v au ixr siècle, l'enseignement d'Augustin sur le
décalogue est reproduit par les l'eies et les théologien».
notamment par Isidore de Séville. <Ju;rst unies in Vêtus
Testament uni, In E.rodum, c. xxix, /'. /... t. i.xxmii.
col. 301 sq*., et par l'auteur du lie psahnoruni
avrage rangé parmi le* œuvres de saint i
/■. /.., t. \, m. col. 181 sq, Mais non aa peooadaas au-
cun document catéchétique de cette époque, donnant
quelque attestation d'instruction spéciale sur le déca-
logue. OU sait d'ailleurs que la catéchèse était alors
bien réduite', en dehors des pays de mission où l'on tra-
vaillait a la conversion des païens, et que l'écho di
catéchèses de mission n'esl point parvenu jusqu'à Basai.
, \ partir du ix' siècle, les dix commandements
prennent place en divers endroits dans le programme
du catéchisme destiné à l'instruction des enfants su i
celle des lideles. In décalogue anglo-saxon sert de pré-
Alfred, qui monta sur le tronc
"1. I. Schiller. Thésaurus antiquitatutn teutoni-
173
DECALOGUE
174
caritm, in-fol., Ulm, 1728, t. i, appendice : Monumenla
catecltetica, p. 76-77. P. -G. Ecoard, IncerH monachi
Weissenbargensis calechesis Iheotisca, Hanovre, 1713,
p. 201-202, a publié une version saxonne très ancienne
du décalogue, dans laquelle les commandements ne
sont pas numérotés. Voir t. il, col. 1898. L'influence de
saint Augustin sur l'interprétation catéchétique du dé-
calogue se fait sentir jusqu'au milieu du xn« siècle.
5° An .\ine siècle, l'enseignement du décalogue est
partout introduit dans l'enseignement catéchétique, et
garde désormais sans conteste celle importante posi-
tion. Voir t. ii, col. 1899 sq.
C'est au xve siècle qu'on prit l'habitude d'exprimer
les préceptes du décalogue en formules faciles à rete-
nir et bientôt en bouts-rimés. Dans VA B C des simples
gens, Germon avait réduit les dix commandements de la
loi à ces phrases courtes et bien frappées :
Tu n'adoreras non les ydoles ni plusieurs dieux.
Tu ne prenras point le nom de Dieu en vain.
Tu garderas les dimanches et fêtes commandées.
Tu honoreras ton père et ta mère.
Tu ne seras point meurtrier.
Tu ne seras point luxurieux.
Tu ne seras point larron.
Tu ne porteras point faux témoignage.
Tu ne désireras point la femme d'autruy.
Tu ne convoiteras point les biens d'autmy.
USi 966 de la Bibliothèque Mazarine, fol. 130 recto.
M. Ile/.ard, Histoire du catéchisme, Paris, 1900,
l>. (59451, a publié des tercets sur chaque commande-
mentde Dieu, qu'il a extraits de l'Instruction des cure:,
éditée à Bordeaux en L60L Des bouts-rimés, semblables
à ceux que nous récitons encore, se trouvent dans le
Liber Jesu Christi pro simplicibns, si souvent repro-
duit (voir t. il, col. 1905), notamment dans le Compost
et Kalendrder des bergiers (voir ibid., col. 1904). Voici
une de ces formules, dont le texte présente presque
toujours quelques variantes :
Ung seul Dieu lu adoreras,
et aymeras parfaitement.
Dieu en vain ne jureras,
nautie chose pareillement.
i • dimanches tu
en servant Dieu dévotement.
Père et mère honorai
affln que vives longuement.
Il ni' il" point no (ci
de fait ne vnlunlaircmcnt.
Lavoir daultruy in ni ml
ne retiendras à escient.
Luxurieux point ne seras,
de fait ne de consentement.
Kanlv lëmoignagi
ne mentii as aucunement.
i ■■■ ii i ■■ |i chaii M- irei as,
QM mcnl.
Hien daultruy n
le garder injustement.
\l,tiiii<ib< mu intruclorium cwaiowum, Lyon, 13 fé-
vrier |605, fol. i wxin (reproduisant le texte du Liber
1 h v i" i \sches Lehrbuch, (iies-
,wi AVendltmde vont
y.rfuiii de» Ktitrrhu, au bit tum Bndo dbê'fflttBlaUwê,
1880; .i Geflcken, Der Bildercatcchismus de»
i~. Jahrhundtrts and ,,■ ,, Htuip&Uiake m Me-
sitbtâ auf, Luther, U pzig, I85S t i (exclusivement
n mandement
v. Du i Sri m i - enthi m qd i ko >
I ODI s MOU, M X M. .S ! mu nr.NS. - Parmi
■ les moraux d« religions non ahnétienm al di
philosophiques qui ignorent la décalogue,
nous considéreront principalement celui du boud-
dhisme regardé comme la religion la ntoina défeo-
tueuee dani • pn u iplioni monde*, 1 1 le oode mo-
ral du stoïcisme, le moins répréhensible parmi les
systèmes moraux du philosophisme antique. Nous nous
bornerons à établir le contraste entre ces codes mo-
raux et le décalogue au double point de vue de l'auto-
rité morale et de l'influence sur le bien matériel des
individus et des sociétés.
1° Autorité morale. — 1. Ledécalogue, avec les prin-
cipes moraux qu'il suppose et les conclusions qu'il
contient virtuellement, présente un code moral bien
défini et bien complet, renfermant tous les devoirs de
l'homme dans l'ordre naturel et contenant en germe
toutes les obligations surnaturelles, dès lors que la ré-
vélation surnaturelle est manifestée. Il se présente avec
le rayonnement d'une autorité divine clairement dé-
montrée qui lui assure sur les consciences individuelles
et sur la conscience publique une efficacité souveraine,
aidée d'ailleurs par la double sanction éternelle atta-
chée par le divin législateur à l'observance ou à la vio-
lation de cette loi.
2. Le système moral bouddhique, ne contenant aucune
affirmation doctrinale sur Dieu et faisant abstraction
de toute idée dogmatique ou métaphysique, ne possède
aucune base doctrinale sur laquelle il puisse asseoir
son autorité morale. Tout se résume finalement dans
l'amour de soi avec l'exclusive préoccupation d'aboutir
au nirvana théoriquement représenté par les docu-
ments les plus authentiques comme la complète ces-
sation de toute douleur. Il ne peut non plus y avoir
aucune sanction efficace, le nirvana avec son' carac-
tère purement négatif et son implicite négation de
toute survivance de l'âme ne pouvant répondre à l'idée
d'une sanction morale. D'ailleurs, des dix commande-
ments de la Dhamma ou loi Bouddhique, cinq concer-
nent exclusivement les moines, l'interdiction des re-
pas aux heures non réglementaires, là participai ion
aux plaisirs mondains, la parure et les parfums, les lits
moelleux et la réception de l'argent, et les cinq autres,
ne tuer aucun être virant, ne pas voler, ne pas com-
inellre d'adultère, ne pas mentir, ne pas boire de
boissons enivrantes, sont plutôt recommandés qu'im-
posés aux laïques. En réalité, toute la vertu du laïque se
mesure exclusivement à sa libéralité envers les moines,
comme tout son espoir est de se rendre apte à être
moine dans une métempsycose prochaine pour abou-
tir ainsi finalement au nirvana. Qldenberg, BuddJia,
sein Hébert) saine l.clire, seine Hemeinde, 3» éditt,
Berlin, 189V, pi 333 sq., ISSsq.j fihantepi'e de la Saus-
saye, Wanuel d'histoire des religions, irad. Hubert et
Lévy, Paris, 1904', p. 387 sq., 395 sq.; de Broglie, Pro-
blèmes et conclusions de l'histoire îles religions,
2« oilit.. Paris. ISSti, p. 17.) sq. : Ailœn, THe DJianima
nf Gotania ilie Bitddfiœ, Boston, 1990; p. 313 sq.
3. Le code moral du stoïcisme, malgré son appa-
i.nee asn iii|in. es| dépourvu d'autorités C'est uns? con-
struction artificielle de la raison, manquent d'autorité
législative. e1 de sanction par l'exclusion de Dieu, con-
séquence nécessaire du panthéisme stoïcien. D'aillèucs,
le code -Ionien n'a pu s,, défendre de nombreuses el
graves erreurs parmi lesquelles le suicide, el il n a
jamais exerce uin i' elle influence morale sur les in-
dividus ou sur les sociétés, en dehors d'un cercle philo-
sophique ires restreint, Chollet, La morale si"t<-ii'»ne,
1898J p. 7:! sq,, 91 sq. . Gaston Boissier, / a reli-
gion omainu i hugusle aua Anionins, Paria, I89B,
t. II. p. 3<î sq.
2? Influence mr le bien matériel de* individus el
des eooiétét. — Il Poun le décalogue, cette salutaire
influence est démontrée par l'obsi r ition constant
fails individuels JX. Ces! la conclu-ion de 1
Play, déduite d'une rigoureuse investigation, que les
populations qui respi ctenl le mieui les commandements
du décalogue wnl précisément celles qui jouissent au
plus haut degré <lu bien être, de le stabilité el de
175
DÉCALOGUE — DECHAMPS
l'harmonie. L'organiiation du travail selon la cou-
tume des ateliers et la loi du décaiogue, '■', édit., Tours,
1871, p. l'i. /." réforme sociale en France déduite de
l'observation comparée dei peuples européens, & édit.,
Paris, 1874, t. ui, p. 291. C'est, d'ailleurs, une vérité
souvent démontrée parles apologistes chrétiens que
le décaiogue aide au bien matériel des individus et des
sociétés c aintenant inviolablemenl les véritables
droits de l'homme et en favorisant l'éclosion des vertus
morales qui. au témoign inl Thomas, De régi-
mine principum, 1. I, c. xv. sont l'élément principal
du bonheur matériel individuel el social. Cardinal l'ie,
Lettre synodale portant promulgation <in tirerai du
concile provincial tenu à Poitiers en jan rie,- 1868,
Œuvres, Paris, 1876, t. vi, p. 351 sq.; M»1 Dupanloup,
Lettre pastorale du 20 octobre 1878.
"2. Les codes inoraux du bouddhisme et du stoïci-im-
n'ont point exercé cette salutaire influence, soit parce
qu'ils n'ont pu aider à l'éclosion des vertus morales
sans lesquelles il ne peut y avoir de vrai bonheur indi-
viduel ou social, soit parce qu'ils n'ont eu à peu près
aucune prise sur la grande masse de la population là
où ils ont ('■té en vogue. Il est. d'ailleurs, bien avéré
que les principes mêmes du bouddhisme, en détournant
de tout travail les moines et même les laïques, de-
vaient, dans la mesure où on les appliquait effeclive-
mont, nuire à la civilisation matérielle. De liroglie,
op. cit., p. 200; Hardy, Der Buddhismus nach âlteren
Pdîi-Werken, .Munster, 1890, p. 139 sq. ; Aiken, op. cit.,
p. 317 sq.
S. Théophile d'Antioclie, Ad Aulolycum, 1. II. n. 35, P. G.,
t. vi, col. 1108; S. Irénée, Conl. hxr., 1. IV, c. il, n. 6; exil,
n. 3sq.; c. xin et xvi, P. G., t. vu, col. 978. 1005 -<i
TertuHien, Adversus Marcionem, 1. II, c. xvn; Adversus Ju-
dœu*,c. n, P. L., t. n, col. 305, 599 sq.; Clément d'Alexandrie,
Strom., VI, c. xvi, P. G., t. ix, col. 361 sq.; oiigène, In
Exodum, homil. vm, n. 2, P. G., t. xn, col. 351; pseudo-
Athanase, Synopsis Scriptural sacr.r, P. G., t. xxvm,col.297;
S. Grégoire de N'azianze dans son poème théologique sur le dé-
caiogue, P. G., t. xxxvii, col, 476 sq. ; S. Ambroise, In Ps. i.\i,
n. 33, P. /.., t. xvi, col. 1180; Ambrosiaster, Comment, in Epi-
stulas S. Pauli, In Eph., VI, 2, P. L., t. xvn, col. 399; S. Au-
gustin, Quiestiones in Heptateuchum, 1. II, c. i.xxi, P. L.,
t. xxxiv, col. 620 sq.; Serm., vm, ix, xxxilt, cix, CCXLVIII,
IX-CCLI, P. L., t. xxxviii. col. 67 sq., 75 sq., 207 sq.,
636 sq., 1158sq. ; Enarratio in Ps. lvii, n. 1; In P«.cx/,n.33sq.,
P. L., t. xxxvi, col. 673 sq., 118); Contra Faustum manir
ehssum, I. XV, c. i\ sq.; 1. MX. c xvm sq., P. /... t. xi.n,
col. 306 sq., 359 sq.; De spiritu et littera, c. xiv sq., P. I...
t. xi. iv, col. 215 sq.; Contra duos epistolas pelagûmorum,
1. III, c. iv, col. 954; S. Jérôme. Commenlaria in Epist. ml
Eph., I. III, c. vi, /'. L., t. xxvi, col. 537; s. Léon le Grand,
Serm., xvn, n. 1 ; xx, c. i ; i.xni, c. v; xen, c. I, P. L., t. uv,
col. 180,188 sq., 356, 453; S. Grégoire le Grand, Humilité in
Ezechielem, I. n, 1 til. i\, n. 9, P. I.., t. i.xxvi. col
S. Isidore de Séville, Qu.rstiones in Vêtus Testamentum, In
Exodum, c. xxix, P. L., t. i.xxxin, col. 301 sq.; pseudu-i
De psalmorum libro exegesis, P. /.., i. vin. col. 431 sq.;
Alcuin, De decem verbis tegis seu brevis expositio decatogi,
P L., t C, col. 567 sq.; s. Pierre Datnien, Opusc, \n\. De
decem âZgypti plagia otque decalogo, P. /... i. cxlv,
col. 685 sq. ; Hugues de Saint-Victor, Institutiones in decalogum
P. /.., t. clxxvi, col. 9
I a, part. XII, c. v, col. 352; Pierre Lombard. Sent.. 1. III.
. \xvn, /'. /... t. x. 1 1. col. 881 sq.; Alexandre de Haies,
Summa iheologUe, part. m. q. x\i\. Cologne, 1629, i. m.
p. 197 sq. ; s. Thomas, s,tm. theol., [■ II-, q. c ; s. Bonaventure,
hi IV s, „!..]. rn,dist.XXXVIl Quaracchi, 1887, t m,p.M2sq ;
Dons Scot, In IVSent., 1. in, dist. \xx\n. Vi t. m,
p. 33i'. Bq.; Richard de Ûiddletown, In IV se,, t., i. m.
dist. XXXVI Breacla, 1591, I m, p. 441 sq. ; Dauys le char-
treux, h, iv Sent., 1. m, dis) wxvii, q. n, n.
t- m. ; an, In l- lP,i\. i ; Dominiqn -
justitia et jure, 1. in, q. m, Venise 1589, p. 100 eq \ pli
Enehirtdion sive manuale confessariorum et pstntientium,
exi, n. 2 sq., Rome, 1590, i B2 sq : Battus, in IV Sent.,
I. m. d- xxxvn. p. m. v. i, 6,1748,1 rv, p. 216 sq. ; Sua-
itz, Os legibus, I. il, cxv, n 16 sq.; Sylvlus, In /•• //•, q. c,
I ■ //•, tr. VI, diaf xn.
a. 1. Anvers, 17'iV t. m, p. .',17 ; Bain] a>
alis, ir XXI, c i o. 14; GoW, I,, /■• //•, Ir. V,
q. in, dub. v, Vei Muller. //
[. ; Bouquillon, Théolo-
gie moratts /»<•
Paul Rentscbka, Du h ■ )n-se des heiligen A •• .
nus, Kempun, 19 2- édit., Leipzig,
t. ni, c..l. 1428-1480.
!.. Dl BLAKCHY.
1. DECHAMPS i AGARD DE CHAMPS
Etienne, né s Bourges, le '■> septembre 1913,
dans la Compagnie de Jésus •■ Paris en 1830; professa
la rhétorique à C.ien, la philosophie et la thé,
à Paris; il remplit les principales charges de son i
en France; confesseur du grand Condé dans les déni
dernières années de sa vie,*ïl aida le héros à mourir
en chrétien (1686 : lui-même mourut à La Flèche, le
•'il juillet 1701. Le P. Dechamps fut un des premi- i
des plus vigoureux adversaires du jansénisme. Son
coup d'essai, déjà très remarqué, fut Defensio censuras
sacrât facultatif Parisiensis latte xxvu jut -ma,
seu disputatio theologica de libero arbitrio, '/«a
evincitur merito ab sacra facullale I ■ lam-
nalam esse propositionem owi Libertas et nécessitas
eideni conveniunl respeclu ejusdem, et sola viole
répugnât libertati hominis nalurali. Auctore Antonio
Kicardo theologo, in-8°. Paris. 164Ô. La censure dont
il s'agit dans cet ouvrage venait d'être tirée de l'oubli
parle P. Petau et critiquée par un janséniste anonv me.
Le P. Dechamps la défendit en combattant surtout la
"théorie de Jansénius sur le libre arbitre, de laquelle
dérivent ses erreurs. Cet ouvrage avait déjà eu trois
éditions à Paris et avait été reproduit en Belgique,
quand Libert Frornond. un des deux éditeurs de
VAugustinus, essaya de le réfuter, sous l,- pseudonyme
de Vincentius Lenis. Les deux réponses que lui fit le
P. Dechamps se retrouvent, avec d'autres additions,
dans la 3e édition de sa Disputatio theologica de le
arbitrio, Cologne. 1650. l'a même temps, pour com-
battre plus efficacement la propagande de la secte, le
P. Dechamps donnait en français un abrégé' de ce traité-
sous le litre : Le secret du jansénisme rt et
refuté par un docteur catholique, in-12, Paris; 2* édit..
1651; 3e édit., avec des reflexions sur la response des
jansénistes, 1 G.">: i . Enfin les cinq propositions extraites
de VAugustinus, dénoncées au saint-siège par les évê-
ques français, ayant été condamnées, après deux ans
d'examen, par le pape Innocent X, le 31 mai 1653. le
P. Dechamps publia presque aussitôt le grand ou\ i
qu'il préparait depuis longtemps pour justifier la
tence pré-vue : De hseresi janseniana, ab apostolica
merito proscripta, libri très. Opus anie m
m sub Antonii Ricai inchoatum, in-fol.,
Paris, h;:.;, avec dédicace à Innocent X. L'auteur pré-
sente avec raison celte publication comme la suite de
son traité théologique sur le libre arbitre. Ce qu'il
avait fait en 1645 pour la doctrine de Jansénius sur la
liberté, résumée dans la ■'• -bs ."> propositions, il le
fusait maintenant, suivant la même méthode, pour le*
cinq erreurs condamnées, montrant que Jansénius
avait puisées élu/ les hérétiques et les réfutant par
l'autorité de toute la tradition catholique, en particu-
lier par l'enseignement de saint Augustin, dont la
nouvelle hérésie cherchait à se couvrir. Apres la mort
de l'auteur, le 1'. Etienne Souciel en donna une nou-
velle édition, corrigée el augmentée d'après le manus-
ntographe du P, Dechamps, in-fol.. Paris. 1788.
Les Provinciale* devaient aussi mettre en mouvement la
plume de ce savant controversiste. Pascal et son anno-
tateur Wendrock-Nicole représentent constamment le
probabilisme, qu'ils accusent, d'ailleurs injustement, de
tant de méfaits, comme une doctrine propre aux jésuites,
à peu près exclusivement; c'est à cette fausseté que
177
DECHAMPS
178
s'attaque le P. Dechamps dans : Quxstio facti. Utrum
theologoeum Socïetalis Jesn proprise sint istœ senten-
tise duae : Prima, ex duabus opinionibus probabilibus
possumus sequi minus tulam, secunda, ex duabus
opinionibus probabilibus licitum est amplecti minus
probabilem, in-4», Paris, 1659. Il répond à la question
en nommant plus de 90 auteurs graves, évêques, docteurs
de Paris, thomistes, religieux de divers ordres, qui ont
professé le probabilisme, et plusieurs l'ayant fait avant
qu'il existât des jésuites; il montre encore que ceux-ci
ont contribué le plus à fixer les conditions du proba-
bilisme légitime, et que quelques-uns d'entre eux ont
même combattu le système. Dans la 4e édition de sa tra-
duction latine annotée des Provinciales, in-8°, Cologne,
1665, p. 547-573, Nicole a inséré une réplique, intitulée :
Appendix prima ad dissertationem de probabilitate
adversus libellum Stephani Des-Champs, jesuilse, in
Claronwntano Parisiensi collegio primarïi theologise
professoris. Le P. Dechamps fut ramené à la polémique
contre le jansénisme par le fameux P. Quesnel. Celui-
ci avait publié, sous le pseudonyme Germain, Tradi-
tion de l'Eglise romaine sur la prédestination des
saints et sur la grâce efficace, 2 in-12, Cologne, 1687,
en s'efforçant de trouver au jansénisme un appui dans
la tradition catholique. Le P. Dechamps y opposa :
Tradition de l'Eglise catholique et de la fausse Eglise
des hérétiques du dernier siècle sur la doctrine de
Jansénius, touchant le libre arbitre et la grâce, in-8°,
Paris, 1688 : c'est le Secret du jansénisme, revu et
augmenté. Alors Germain-Quesnel ajoula un 3e volume
à sa Tradition pour réfuter la Tradition du P. De-
champs, qu'il prétend « convaincre d'ignorance, de
fausseté/, et de calomnies », Cologne, 1690. Quesnel
avait déjà traité de calomnie le Secret du jansénisme
dans son Apologie historique de deu.c censures de
Louvain et de Douai sur la matière de la grâce, publiée
sous le pseudonyme de Géry, in-12, Cologne, 1688; le
I'. Dechamps lui répondit par quelques pages intitulées :
Défense du secret du jansénisme contre Vcscrit de
il. Géry, in-12. Paris, 1690; réédité arec la Tradition
de l'Eglise catholique, in-8", Lyon, 1711. En 1664, le
I'. Dechamps avait eu à soutenir une correspondance
sur les questions de la grâce et de la liberté avec le
prince de Conti, frère du grand Condé. Ce prince,
destiné d'abord à l'étal ecclésiastique, avait suivi les
cours de théologie du collège des jésuites, dit collège
de 'Jcrrnont, à Paris; il avait même soutenu en Sor-
bonne des thèses sur la grâce, que le P. Dechamps
l'avait aidé à préparer. Il parai! que plus laid il eul
des difficultés contre la doctrine molinîste qu'on lui
a\ait t qu'il avait défendue; il les proposa
donc à son ancien répétiteur, dans neuf lettres aux-
quelles ce dernier répondit. Vingt-sept ans après, le
prince étant mort, celte correspondance tombée aux
mains des jansénistes, fut publiée par le P. Quesnel
le litre : Lettres du prince de Conti ou t'ai
du libre a> l"i * e a\ ec la </< âce de Jésus Christ enseigné
par son Alt. Sérénissime un /'. De Champs, jésuite,
ci-devant premier professeur en théologie, recteur
ollège de l'^nt, trois fois provincial ci mainte-
nant supérieur de la maison professe, arec plusieurs
util, , re, in 12. Col
1669. Le I'. Souciet, éditeur da De heresi fanseniana,
assure que ces lettn - ne se sonl pas retrouvées dan
les papiei par li P, Dechamps el tient pour
mblable que les objections du prince ont i i. foi i
retouchées par l'éditeur janséni
1 1702, p. IG8 ; i'.i. Souciet, De
i; /■ Stephani
1728, Col i i \ De B
. |
[don Oertx
5 in-12, Amsterdam, 1701, t. i, p. 295, 339, 415, 442; t. Il,
p. 272, 323; t. m, p. 131, 345, 504, etc. ; Moréri, 1759, t. m, p. 456.
Jos. BfîL'CKER.
2. DECHAMPS Victor-Auguste-Isidore, arche-
vêque de Malines et cardinal. — I. Vie. II. Œuvres.
III. Doctrine.
I. Vie. — Né le 6 décembre 1810 à Melle, près de
Gand, d'Adrien-Joseph Dechamps et d'Alexandrine de
Nuit, élève d'abord du collège que dirigeait son père,
puis fixé avec lui au château de Scailmont dans le
Hainaut, il étudia le droit à Bruxelles, et, de concert
avec son frère Adolphe, le futur ministre d'Élat, débuta
en 1830 dans le journalisme catholique. En octobre
1832, Victor Dechamps entra au grand séminaire de
Tournai, suivit à Malines des cours supérieurs de théo-
logie, et, le 4 novembre 1834, fut ordonné prêtre par le
cardinal Sterckx. Le 21 août 1835, il était admis au
noviciat des rédemptoristes, à Saint-Trond. Il y fit sa
profession religieuse le 13 juin 1836; fut chargé du
cours d'Ecriture sainte et de la préfecture des étudiants
au scolasticat de Wittem dans le Limbourg hollandais
(1836-1840); fut tour à tour recteur de la maison de
Liège (1842), de celle de Tournai (1849), et enfin, pro-
vincial des neuf couvents de sa congrégation qui for-
maient la province de Belgique (1851). En même temps,
tout entier à sa vocation d'apôtre, il prêchait en Bel-
gique et ailleurs des sermons qui lui valurent une juste
célébrité. En octobre 1850, il prononça à Sainte-Gudule
de Bruxelles l'oraison funèbre de la première reine
des Belges, Louise d'Orléans, dont les enfants étaient
confiés à sa direction. Parmi les convertis de sa parole,
nommons le général de Lamoricière. Apôtre, le P. De-
champs était aussi un apologiste, et \\ publia divers
ouvrages que nous nous bornons à nommer, et que
nous apprécierons plus loin : Le libre examen de la
venir tir In foi, Entretiens sur la démonstration catho-
lique de la vérité chrétienne (1857); Lu divinité de Jé-
sus-Christ, ou Le Christ et les antechrists dans 1rs
Ecritures, l'histoire et la conscience (1858); La ques-
tion religieuse résolue par les faits, ou de lu certitude
en matière de religion (1860); Lettres théologiques
sur la démonstration de la foi (1861).
Le P. Dechamps avait pu décliner, en 1852, l'offre de
l'évéché de Liège; el, en 1865, celle du rectoral de
l'université catholique de Louvain. Au mois de septem-
bre de celle année, il fui désigné par Pie IX pour le
siège de Xaïuur, d'où il fut transféré, en décembre
1867, à l'archevêché de Malines. A Namuret à Malines,
Mb1 Dechamps déploxa un zèle infatigable pour la dé-
droits de l'Église menacés par le libéralisme
sectaire, et pour le progrès de toutes les œuvres catho-
liques.
Au concile du Vatican (1869-1870), l'archevêque de
Malines eut une situation prépondérante. A la congr<
gation générale du 14 décembre 1869, il avail été élu,
le treizième, membre de la députation de fide chai
de recevoir les schemata proposés au concile; quelques
jours plus tard, il fui nommé par Pie IX membre de
la congrégation qui devait étudier les postulat a el
éclairer le pape â leur sujet. I.e 8 janvier 1870, il parla
sur la constitution Dei Filius que l'on préparait; son
ii g, non plus que li con
publié. Dans la séance du II janvier, M« Dechai
lui désigné par le cardinal Bilio, avec M»1 Pie el l'évi
de Paderborn, Ms1 Martin, pour élaborer un non
ichema; mai- l'archevêque de Malines el l'évéque de
Poitiers l'en remirent pour ce travail aux ■-oins de
l'évéque de Paderborn On en a fait la remarque, la
tution Dei Filius, promulguée le 34 avril 1870, a
m l'idée maltresse de l'apologétique de M D<
ad i.iii de l Église, toujours subsistant,
est un perpétuel i i puissant motif de crédibilité.
L'Archevêque de Malines prit aussi une pari impor-
179
IIA.MI'S
lXd
tante i la rédaction de la constitution Raetot ete\
Persuadé <|iir la doctrine gallicane, formulée après le
i- de Trente dans la déclaration de 1682, ne pour-
rait échapper à l'examen et à la censure du oomrile
du Vatican, il était intervenu dans les controvei
Boulevées par l'annonce et par lea premii
de l'assemblée œcuménique. Il avait publié un opuscule :
L'infaillibilité cl le concile général, ét\
religieuse à l'usage des gens du mondé, juin 1869, qui
lui valut une lettre laudative de Pie IX el qui fut tra-
duite en allemand par ll.-inrich. Le 8 juillet 1869) il
avait écrit à un laïque pour démontrer l'opportunité
de la définition dogmatique de l'infaillibilité pontificale.
Il répondit aus Observations: de M" Dupantoup, à l'ou-
de M1 Maret, Du concUe œcuménique et de la
paix religieuse, et aux quatre lettres du P, Gratry,
lis* l'évêque d'Orléans el M"> l'archevêque de Matines,
Paris. 1870. La discussion du schéma de l'infaillibilité
se poursuivit, dans trente-sept congrégations, du 13 mai
au 16 juillet 1870. Dans celle du 17 mai,M0' Dechamps,
au nom de la députation de fide, dont il était membre,
répondit aux difficultés alléguées par les orateurs de
l'opposition.
De retour de Rome, l'archevêque de Malines, tou-
jours attentif aux périls et aux souffrances de l'Eglise,
signa le premier une lettre adressée par l'épiscopat
belge aux évéques allemands victimes des persécutions
du Kulturkampf (octobre 1872); dans une lettre d'octo-
bre 1873, il porta jusqu'à l'empereur Guillaume d'élo-
quentes réclamations. Devenu, en mare I876j cardinal
du titre de Sainl-Bernard-aux-Thermes, il entra, en
février 1878, au conclave qui suivit la mort de Bie IX.
et ce fut lui qui, comme vérificateur du scrutin, an-
nonça à ses collègues l'élection de Léon XIII. Les
dernières années du cardinal furent en grande partie
occupées par des controverses et par des explications
sur la question du libéralisme, Trois lettres à un pu-
blicisie, qui lui méritèrent les éloges du souverain
pontife; et par des luttes sans trêve contre la législation
scolaire de 1879, laquelle, méconnaissant la foi du peu-
ple belge et l'esprit même de la constitution, tendait à
déchristianiser l'enfance. D'autres soucis lui vinrent
des accusations injustes et des révélations indiscrètes
du monomane évéque de Tournai, Mfl' Duinont, que
Léon XIII fut contraint de déposer (1880). Parmi des
travaux ininterrompus, ses forces déclinaient, et le
28 septembre 1883, le cardinal expira saintement à
Malines. dans la soixante-treizième année de son âge.
II. Œuvres. — Le P. Dechamps a beaucoup écrit;
ses Œuvres complètes ont été publiées en 17 volumes
à Malines. Les t. i, iv, vu, .\vi, contiennent les œuvres
apologétiques : Entretiens sur la démonstration catho-
lique <le lu vérité cli ré tienne, traduits en allemand par
lleini'ieli. /.w divinité de Jésus-GArist ; La que
religieuse résolue par les faits: l.etiees philosophiques
et théologiques; Pie IX et les erreurs de son temps.
Aux t. v et vin appartiennent des œuvres et des opus-
cules de piété ou de îèle : La nouvelle Eve; Saint Vin-
cent de l'aul et la plus grande de ses iruen's : Aver-
tissement au. i fumilles chrétiennes, eto Les Œuvres
oratoires et pastorales remplissent les t. x-xiv. Le
cardinal était persuadé que ses Instructions pastorales
feraient encore du bien après as tnorl ; aussi, aux der-
niers jours- de sa \ ir. en dressa-| il une liste détaillée
d'après les matières. Les opuscules, contenus dans les
t. vi, ix. iv, aoncernent la doctrine de l'infaillibilité
pontificale, visent le libéralisme et la Irano-maçonnerie.
I.e t. XVII conlieiil des lettres diverses. Tue partie des
Œuvres oratoires' du 1'. Dechamps avait paru dan- les
Orateurs mtavis île (ligne, Paris. 1856, t. i.xxxvi.
col. 867-754. La brochure: L'infkùllibilité et le concile
général, est reproduite par M' Ceeeolli, Storiu étl
concilia t <• Vatmano^ Home. 1878*, part. I. t. ri,
p. 7Î3-8Ï7. et la lettre ., un la. que. //„</., p
III. Doctoikb. — Le p. Dechamps. penseui
orateur, n'était pas un erudit. et -ou le
P. Saintrin. en convient -an- peine. Il allègue, .. 1 ap-
pui de sa thèse, saint Augustin, saint François de
Sales. BoSSUet, Pascal. lé-iulon; il cite souvent deux
théologiens. liens qu'il avait étudié au -.'-minai:. Lie-
bermann qu'il expliqua plus tard a ses -cola-tiques; il
invoque la haute autorité de saint Thomas; mai-
auteur- qu'il parait posséder le mieux. c'.--t saint Al-
phonse de Lignori .-t Joseph de Kaistre. <
doute le P. Dechamps .pie visait Charles de Rém
d'ailleurs très récusable, quand il é Je pour-
rais citer un auteur de l'esprit le (dus élevé et le plus
conciliant qui ne s'est pas aperçu^ dans un ouvrage
récent et distingué, qu'en prenant M. de Maislre pour
un des grands philosophes de son parti, il semblait cher-
cher la discorde éternelle et recommencer la guerre de
principes. » Du traditionalisme, dans la Revue des
,lei' : annules, lô mai 1857.
Muni de ces ressources, dont il lit constamment un
habile usage; et d'une pensée méditative affinée par
rience, le P. Dechamps a-t-il été en apo
tique un novateur ? Certes, il ne songeait pas à 1
b II suffit de lire les Entretiens, a-t-il écrit, pour
persuadé que. Dieu aidant, je ne serai jamais de ceux
qui prétendent à l'inouï en théologie. /
lettre tHéologique, p. 87. En un certain sens, il a ce-
pendant été novateur, car il a rassemble, précisé, coor-
donné des éléments que lui fournissait la tradition la
plus vénérable, et dont les manuels classiques n'étaient
pas dépourvus. En quoi consiste donc l'apologétique du
P. Dechamps? Ellese résume dans l'épigraphe des En-
tretiens : t 11 n'y a que deux faits à vérifier, l'un en
vous, l'autre hors de vous: ils se recherchent pour s'em-
brasser, et de tous les deux, le témoin c'est vous-même.»
Le fait intérieur, c'est le besoin de lame qui appel),
pouvoir se la donner elle-même, une réponse au pro-
blème de son origine et de sa destinée; le fait exté-
rieur, c'est la réponse que. par l'organe de l'Eglise,
Dieu donne à cette question. Ajoutons, et ce point est
capital dans la thèse de l'apologiste, que l'Eglise est
elle-même un motif de crédibilité qui o se dislingue de
tous les autres en ce sens qu'il est présent, vivant et
parlant, par conséquent en ce qu'Use manifeste et
plique lui-même.» Cinquième lettre théalogique, p* 158.
o Telle est. a écrit le prince Albert de Broglii
pondant du 25 avril 18Ô7. la vive et ingénieuse dé-
monstration du P. Dechamps. < i.-veloppe
ment favori ; il y trouve le moyen de faire disparaître
tous les livres; toutes les recherches, toutes les dis-
putes, de tout réduira au contact direct de l'âme et de
la vérité. » de la vérité transmise aux hommes par
l'autorité divine enseignante, ajoute le P. Dechamps.
qui cite ce passage. Deuwiènve lettre théalogique, p. 12.
Des critiques d'ordre divers ont été adressées à oe
système. Bu fait que l'une humaine appelle, postule,
si l'on veut, une réponse à la question de son origine
el de sa destinée, peut -on rigoureusement conclure
que Dieu la lui a donnée, et la lui a donnée sous la
lorme d'une révélation positive et d'une Église infail-
lible'.' Le prétendre serait pave, a-t-on dit car on
ferait ainsi d'un don purement gratuit une exigence de
notre nature. Sans le vouloir, ne renouvellerait-on pas
une des thèses île Daiu- ' Le P. Dechamps - en est
expliqué- de manière a écarter tout soupçon d'hétéro-
doxie, 11 .i reconnu hautement qu'une convenance, pro-
von.tiu .le l'ordre établi par Dieu même, ne constituera
jamais une exigence : que. d'ailleurs, la première par-
lie de -a thèse (l'existence du fait intérieur), purement
préparatoire, fùt-elle même contestée, n'infirme point
1.. seconde l'existence du fait extérieur). Le plus .
comme le plus modéré de ses critiques théologien-
181
DECHAMPS — DÉCISION
182
s'est déclaré satisfait. « Nous sommes d'accord, a dit
le R. P. Matignon, sur deux points, à savoir : 1° que
la correspondance, qui existe entre les aspirations na-
turelles ou surnaturelles de l'âme humaine et les
réponses divines que la religion leur apporte, ne con-
stitue pas par elle-même une preuve absolue et invin-
cible, mais bien une preuve de sentiment et une indi-
cation providentielle de la vérité; 2» que la véritable
démonstration chrétienne, la seule rigoureuse et absolue,
est la démonstration objective, c'est-à-dire celle que
fournit le grand fait extérieur que Dieu a mis sous
nos yeux: Jésus-Christ, avec son caractère, sa doctrine,
ses miracles, l'Église avec les conditions surnaturelles
de son existence, de son établissement, de sa du-
rée, etc. » Etudes religieuses, avril 1864, p. 127.
Sur un autre point encore, relevant moins stricte-
ment de la théologie que de l'expérience, une critique,
disons au moins une difficulté, a été posée au P. De-
ehamps. « Dans notre humble opinion, disait le
prince Albert de Broglie, loc. cit., la preuve de la foi
chrétienne que le nouvel apologiste nous développe
avec une chaleur entraînante et contagieuse, est moins
une démonstration proprement dite que la vive des-
cription d'un fait. C'est la peinture historique de la
manière dont, le plus souvent, sous l'influence de lii
grâce, une àme se convertit à la foi : ce n'est pas préci-
sément l'arme dont elle peut se servir pour fortifier
en elle-même contre les désirs, les tentations, les
objections, cette foi encore chancelante. C'est l'histoire
de la conversion des âmes : ce n'est point proprement
la preuve de la vérité. C'est ainsi qu'on prend pied à
terre : ce n'est pas tout à fait ainsi qu'on peut y creu-
ser un port et y ('lever des digues. »
M. de Broglie n'a pas été le seul à exprimer de telles
réserves. M. l'abbé Mallet, qui croit reconnaître et qui
salue dans la méthode apologétique du P. Deehamps
comme un premier essai de l'apologétique de Y imma-
nence, a cependant écrit que « cette méthode ne sau-
rait prétendre ;i être complète en soi et explicitement
suffisante; elle ne vaut jamais, ajoute-t-il, que par un
recours implicite aux préambules rationnels et aux
fondements historiques de la foi catholique. » L'œuvre
du cardinal Deehamps, dans les Annales de nhiloso-
,,/,,,■ chrétienne, mars 1907, p. 575. Ces préambules
rationnels, ces fondements historiques, le concile du
\ atican les a aussi indiqués, cas outre qu'il revendique
I"""' la raison le droil de se prouver l'existence el les
attributs de Dieu, il rappelle ces faits divins, prophé-
ties el miracles, qui sont des signes Ire-, certains de la
révélation. Const Dei Films, r. n. De flde. Le I'. De-
champs n'a pas i_ n. m ■ la VsAbUV probante de cas mani-
restations divines; mais son attrait, l'expérience des
particulièrement l'expérience d'âmes revenues
du protestantisme à la vraie foi, lui suggéraient l'em-
ploi prédominant, j'ai presque dil exclusif, de l'argu-
meni fourni parle grand fait de l'Église. Cependant.
quelle que soil son excellence intrinsèque, r. i
ment n'a pas sur toutes les âmes une égale efficacité.
"ns esprits qu'inquiétenl de difficultés erUaqueB,
tiques, historiques, - engagent, pem le. résoudre,
dans une voie de laborieuses recherches; L'Église, qui
romande la route nu }'esl complu le p. Deehamps,
"' «^courage p ■ n.- , „ espère même I,.
SUCCés, pourvu qu'ils soient conduits avec un.
méthode el une ,,,,, , , m. parfaite.
II. P. Henri Sainlrin, I
I l;M VanWeddli
il D i
M, 1 0 «VI
• lu H u II-
letlesAM
"'■ '"'■ ' ' • ■'lor, l. ni
Annales de philosophie chrétienne, octobre 1905, février,
mars 1906, mars 1907 : L'œuvre du cardinal Deehamps (art de
M. l'abbé F. Mallet).
A. IL ARGENT.
DÉCHAUSSES. Dieu dit à Moïse : « Ote tes san-
dales de tes pieds, » Exod., m, 5, et à Josué : « Ote la
chaussure de tes pieds. » Jos., v, 16. De même, Isaïe
reçut l'ordre de Jéhovah de marcherdéchaussé. Is.,xx,
2. Prenant ces textes pour un ordre général, quelques
chrétiens bornés s'étaient mis à marcher toujours nu-
pieds. Saint Augustin, sans nous dire d'où étaient ces
chrétiens et sans ajouter d'autres détails, les traite
d'hérétiques, non point parce qu'en agissant ainsi
ils se mortifiaient, mais parce qu'ils entendaient de
travers ces passages de l'Écriture, ffser;, i.xviii, P. L.,
t. xlii, col. 42. C'est entendre le mot hérésie dans un
sens beaucoup trop large; il aurait suffi, semble-t-il.
de ranger ces déchaussés parmi les simples d'esprit ou
les originaux.
G. Bareille.
DECISION. Comme dans le langage ordinaire, ce
mot peut être employé en droit" canonique dans
l'acception générique d'un acte par lequel une auto-
rité quelconque (administrative, judiciaire, doctrinale)
prend parti dans une afTaire, après examen. C'est en
ce sens qu'on parle des décisions des Congrégations
romaines, d'un conseil épiscopal, etc. On pourrait qua-
lifier de la même façon l'acte d'un confesseur refusant
l'absolution. Quiconque a juridiction peut être amené
a prendre ainsi des décisions au sens large.
Mais l'expression présente à l'esprit du canoniste un
sens plus précis et désigne dans la masse des actes de
l'autorité ecclésiastique une catégorie très spéciale qui
n'a son équivalent dans aucune législation civile. Le
t\pe en est la décision de la Rote, imitée ensuite par la
Chambre apostolique et par la Signature de justice.
Kn étudiant la première, nous aurons fixé le lecteur sur
toutes les autres espèces. — I. Ce qu'est une décision
de la Pote. II. Utilité pratique de la décision. III. Ori-
gine de cette procédure. IV. Recueils des décisions de
la Rote.
I. Ci: Qt'Ksr une DECISION de la Rote. — On peut là
définir ; « Un acte extrajudiciaire formulant et moti-
vant, avant sentence, l'avis du tribunal sur le point en
litige. »>
C'est un acte extrajudiciaire ; aussi le document où il
est exprimé n est-il pas rédigé par un notaire, mais par
le juge rapporteur, par le ponent, auditeur de Rote à
qui l'instruction de l'affaire avait été confiée, et qui.
I ayanl rapportée devant le turniim (voir ROTE), a
recueilli les votes de ses collègues après discussion. Eh
quittant l'audience, chacun des quatre auditeurs com-
posant le turnum laisse par écrit son votum motivé, â
l'auditeur ponent. Ce dernier est le mieux rensi
puisqm 1 il a été désigné des le commencement
par commission papale poursuivre l'affaire; 2» il a fait
ou fait faire toutes les enquêtes nécessaires; 3° il a en-
tendu contradictoire m les parties >•! r. digé avec elles
le que-.tionn.iire [dubium) auquel doit répondre la sen-
tence. C'est lui qui rédige la décision en se Bervanl des
notes i «r ses collègues el des souvenirs qui lui
sont restés de l'audience La décision porte en tête |fe
nom 'in ponent qui en ,.si i, rédacteur, puis le tttre ë
la Cause, et la ,|ale. par exemple :
P. P. I). i R8IW0
Romans < iensua
Verni i-, S.) februarii, 1696
\|ires un court préamhula (que les ooliecteura >!••
obm 'i.. la Pote lont pri aéder .l'un sommata
l Indique l'objet du Litige en reproduieaoi le i/o*
bium que suit !.. rép apis nfflu
m.ilion ou négation. Viennent ensuite les motlfil de lit
is:i
DÉCISION
181
décision. Le ponent présente, dans un ordre métho-
dique, tous les argumenta de /•"/ el de droit qui ont
été invoqués par Bes - lussi bien dans les ootù
opposés à l.i conclusion adoptée par la majorité que
dans ceux qui lu ton ^près chaque argu-
ment en laveur de la thèse qui a triomphé, le ponent
expose les exceptions invoquées par les adversair<
les raisons pour lesquelles la majorité ne s'y est pas
arrêtée. Il n'omet, autant que possible, aucun détail,
en sorte que la physionomie complète des débats est
reflétée par la partie du document qui \ient après
l'énoncé de la solution adoptée. Le compte-rendu
débats est suivi de formules assez variées, par exemple :
Domini ex ralionibus in supra scripta decisione fue-
runl in cola, ou encore : El ila utraque parte infor-
mante omnibusque Dominis de ordine Sanctissimi
suffragantibus decisum fuit... Et ita N. tantum infor-
mante resolutum fuit.
Ce compte rendu de la discussion suit dans la rédac-
tion de la décision la réponse de la Rote pour l'expli-
quer, au lieu de la précéder pour la préparer comme
le font les considérants des sentences de nos tribu-
naux civils. C'est une première différence. Il faut rc- i
marquer aussi que le style des décisions de la Bote est |
plus varié; le ponenl n'est pas embarrassé dans l'ex-
pression de sa pensée par le cadre obligatoire des
attendu que, 'considérant que, vu, etc. Il peut faire
des citations, donner des références aux auteurs et n'a
d'autre souci que de résumer complètement les débats, |
de veiller à être clair et précis.
Les décisions rendues ainsi par la Rote sont innom-
brables, car il est d'usage, à ce tribunal, de faire pré-
céder toute sentence, même celles que nous appelle-
rions jugements préparatoires, jugements avant faire
droit, de documents de ce genre. Beaucoup sont donc
sans aucun intérêt, mais beaucoup aussi sont d'une très
grande importance, soit à cause de la gravité de l'affaire
traitée, soit à cause de la compétence du panent qui l'a
résumée et expliquée. Certaines décisions ont, à ca
de leurs rédacteurs, une autorité incontestée. Les déci-
sions coram Merlino ou coram Bicchio, c'est-à-dire ré-
digées par .Merlin ou Bicchio après des discussions
auxquelles ils avaient assisté comme ponenl s, sont de ce
nombre.
Les Congrégations romaines ne donnant jamais les
considérants de sentences, il se trouve que, maintenant
encore, les décisions de la Bote constituent la source prin-
cipale de renseignements sur la jurisprudence de la
cour romaine. Et cependant il faut remarquer que la
solution placée en tête de la décision n'est pas plus un
juge ni que la décision n'est un acte judiciaire. I
ce qui donne à la décision de la Bote son caractère tout
spécial et la distingue le plus profond, nient de tout
autre document émananl .les tribunaux civils ou ecclé-
siastiques, anciens ou modernes.
Il faut, pour terminer le procès, que la Bote inter-
vienne à nouveau, mettant le ponent en demeure de
transformer en sentence judiciaire la solution adop
II. lui m: l'kAi ii.n i: ni: i \ DÉCISION. Si la sen-
tence conforme n'intervient pas immédiatement après
la rédaction de la décision, c'est que la i < Jure de la
Bote prescrit de communiquer d'abord aux parties le
document qui exprime si parfaitement l'opinion du tri-
bunal sur leur affaire. Les intéressés, mis ainsi en pré-
de l'avis motivé de leurs juges, peinent éviter la
sentence qui les menace, en terminant leur différend à
l'amiable, ou demander que l'affaire soil remise en dis
cussion, tel point de fait ou tel argument de droil ne
paraissant pas avoir été mis suffisamment en
lumière. Cette procédure spéciale permel donc au plai-
deur imprudent d'éviter l'humiliation dune condam-
11 el aux ju menl de porter trop riftfJ
remenl un jugement qui pourrai! être ensuite attaque.
S'il n y a pas conciliation entre les intéressés, la
p.ntie victorieuse demande qne la Rote émette le d<
prescrivant au ponent de transformer la décision en
sentence; la partie menacée peut té deman-
der! un novm audien te que les
n'ont pas été suffisamment documentés. Les juges
informés par le ponent des désirs des ; ndent
un décret de nouvelle audience ou au contraire de trans-
formation de la décision en sentent
III. Origine de cette procédi re. — Le souci de
concilier les plaideurs et de ne formuler une sentence
souvent irréparable qu'api otouré de toute-
-m êtes et après avoir entendu li lions des
parties explique la permanence de cette procédure
longue et compliquée. Mais ce qui en explique l'ori-
gine, c'est l'histoire même de la formation de la Rote.
Les auditeurs du Sacré Palais ou de la Bote n'étaient
au commencement que les rapporteurs des causes qui
devaient être jugées en consistoire sous la présidence
du pape ; ils n'avaient donc à formuler que des décisions
motivées des consultations, n'ayant pas le caractère de
sentences judiciaires, ces dernières étaient réservées
aux cardinaux el en dernière analyse au pape. N'étant
pas juges, ils pouvaient fort bien communiquer aux
intéressés, pour recevoir leurs observations et pour ame-
ner une conciliation ou pour prévenir des malentendus,
le document extrajudiciaire qu'ils avaient préparé dans
le but d'éclairer la religion des juges. Les longueurs
qui en résultaient n'étaient rien à côté des avan
qu'y trouvait la bonne administration de la justice.
- Maisunjour les auditeur- de la Bote devinrent juges.
Ce fut devant ses collègues et non plus devant le con-
sistoire que le ponenl lit son rapport; le nouveau tri-
l'imal garda la pratique qui lui avait paru équitable au
temps où il n'était qu'une chambre de consultation, et
il s'astreignit à communiquer sa décision comme par
le passé, axant de remonter sur le siège pour jouer le
rôle de juge par le prononcé de la sentence.
Le procédé avait paru si équitable que le tribunal de
la Chambre apostolique (tribunal de droil commun et
celui de la Signature de justice (cour de cassation et
tribunal des conflits axaient adopté sur ce point la pra-
tique de la Rote.
A ucune de ces trois sources de d< \ iste plus.
La Rote ne se survit à elle-même que comme une
chambre de consultation annexée à la S. C. des !
pour les procès de béatification et de canonisation et
ne s'occupe plus du contentieux qui a été petit à petit
absorbé par les Congrégations romaines. Or ces d< r-
nières, qui ont plein pouvoir pour juger, non seulement
selon la rigueur du droit, mais aussi selon l'équité,
revêtues qu'elles sont de la puissance même du prince,
ne motivent pas leurs sentences.
IV. lin M II s DES DÉCISIONS DE LA ROTE. — Dès le
xiv siècle, les décisions les plus importantes ont été
recueillies dans des collections manuscrites: il n';
guère de grande bibliothèque qui ne possède un codex
-: La collection manuscrite qui s'arri
l'année 1376 était célèbre entre toutes, et le- an
nistes la citent sous le titre de antiçum deciti
e éditions imprimées citons parmi les autres, par
ordre dédale : Decisiones Rota e de llol
in-fol.. Borne, \~\-l; Rebuffi D t antitjux
et antiquiores, Lyon, 1555; cette collection suit l'ordre
des Décrétâtes. Sons ce nom de Decisiones R< ta ou de
tionea Socri Palatii, on a les collections d'Achille
et César de Grossis, 1601, Mohedanus, 1603, Bellen
pella Tholosana, Beninlandi, de 1613 i
liiis. Beltraminus, 1630, Othoboous, liCT.
Le grand effort pour réunir en un tout les décisions
de la Bote a été fait par Farinacci qui, après avoir
donné à Cologne en 1649 deux volumes intitulés: Sa
sionuni selectarum parles 11, n'a pas moins
185
DECISION
DECLARATION DE 1682
186
de 25 in-fol. de décisions de la Rote dans ses œuvres
complètes, Venise, 1716. Les t. xxvi-xxix ont été ajou-
tés en 1734 à Venise et le nombre total s'élève à qua-
rante, t. xxx-xl, Rome, 1751-1763. Enfin on trouve par-
fois deux volumes de supplément qui conduisent jus-
qu'en 1792. Au cours de cette publication avaient paru :
Sacrée Rotœ romanee decisiones, Venise, 1707, en
appendice au Theatrum veritatis et juris de De Luca,
4 in-fo!.; Sacrw Tintée romanee decisiones, 5 tomes en
6 in-fol., Rome, 1728; 2 vol. d'index, le tout par Moli-
nes, doyen de la Rote; Decisiones Rotœ ronianx recen-
tiores in compendium redactee, 6 in-fol., Venise, 1754;
Decisiones Unix romanm coram cardinali Rezzotnco
nuperrime ex originalibus deproniptœ, 2 in-fol.,
Rome, 1760; Patrizi, Decisiones Sacrée Rotx, Rome,
1832. est un abrégé.
P. FOURXERET.
DÉCLARATION ou LES QUATRE ARTICLES
DE 1G82, déclaration solennelle par laquelle une
assemblée d'évèques et de prêtres, affirmant représenter
le clergé de France, et réunie sur l'ordre de Louis XIV,
en lutte avec le saint siège, prétendit définir les doc-
trines de l'Église gallicane toucbanl la primauté de
juridiction et d'enseignement du souverain pontife. —
I. Les origines. La régale. II. L'intervention de l'épis-
copat gallican. La lettre de 1680 et la petite assemblée
de 1681. III L'assemblée de 1682. IV. Les quatre articles.
Y. Les papes et les quatre articles jusqu'en 1693. VI. Les
quatre articles de 1715 à 1870.
I. Les origines. La régale. — La crise de 1682
que le point extrême du conflit élevé entre la
monarchie française et la papauté depuis Cbarles VII
et même depuis Philippe le Rel, touchant les rapports
et les limites des deux puissances, et nullement résolu
par le concordai de 1516. Le conilit s'est aggravé,
d'un côté, avec l'affirmation plus hardie des doctrines
ultramontaines et l'eflforl tenté par la papauté durant la
Ligue, pour restaurer la puissance romaine, cf. de
l'Épinois, La ligue et les papes, in-8°, Paris, 1886,
d'un autre, avec la constitution de la monarchie abso-
lue qui veul dominer l'Eglise comme tout le reste, et
avec la théorie du droit divin qui fait du roi l'élu de
Dieu aussi bien que le pape. Les rois sont poussés ou
nus dans leurs prétentions par le parlement ou
parle clergé, Les légistes du parlement leur fournissent,
érigés en maximes d'État, le- principes les plus intran
sigeants du réalisme; ce sont les maximes gallicanes,
le- libertés de l'Eglise gallicane, Pierre l'ilhou lésa
codifiées en 1594 L'épiscopat gallican soutient, lui
-iii ■ — i , ces libertés, mais avec moins d'intransigeance :
il les inlerprète.i s.i façon; jaloux de son indépendance
menacée par i les prétentions de Roue outenant
Vépiscopalisme, c'est-à-dire la doctrine de l'institution
divine des évêques el même la supériorité de i i
réunie en concile sur le pape, foui en reconnaissant la
primauté romaine, il s'appuie sur le roi qui le nomme
d'ailleurs, pour lutter contre les doctrines ultramon-
taines, Tant que le pape et le roi y mirent quelque
bonne volonté, le- choses n'allèrent point aux extrêmes.
Mais li seconde moitié du xvir siècle mit aux pi
Louis XIV ei Innocent XI, un roi el un pape peu dis-
ns. Louis XIV ne pouvait B'expliquer
I qu'il existât d .mires droils que le- sien-, ou du moin-,
des d ; re le- Biens , il avait i la vive pi i
de 1 1 sainteté et presque de l'infaillibilité de sa
puis, il était le gallicanisme rivant,
tant, militant, triomphant ». Hanolaux, Recueil des
instructions données aua ambassadeurs. Rome, t. i.
préfaci tueur contre-] Is, ni du côté det événe-
ments : il n'a pas encore connu la défaite, ni du côt
bon il n'a pas i ncore connu, pour ainsi dire.
d'opposition, li ailli Colbi rt entre
antres, le poussent aui meaui is de
Rome. Innocent XI, élevé au pontificat en 1676, était un
pape austère qui avait, à Rome même, déclaré la guerre
aux abus les plus invétérés, comme le népotisme, très
attaché aux principes, qui déclarait que « lorsqu'il
s'agit de conscience, il faut satisfaire à Dieu et à son
devoir, et après, laisser à Dieu le soin de calculer ce
qui pouvait arriver ». A Rome d'ailleurs, où l'on avait
beaucoup à se plaindre de Louis XIV, il y avait un parti
antifrançais très aclif, qui ne fut pas sans influence
sur l'esprit du pape. L'occasion de la crise fut une
question de moindre importance, mais mal posée, la
question de la régale, qui allait devenir « une grande
question de politique générale ». Rousset. On appelait
régale le droit que prétendait le roi de percevoir les
revenus des évêchés vacants et de nommer aux bénéfices
qui en dépendaient. Ce droit, affirmaient les légistes,
appartenait au souverain en vertu de sa couronne et de
son domaine éminent sur les biens-fonds du royaume :
il était donc indépendant des règlements ecclésiastiques,
antérieur à tous les canons et universel. Ce droit, affir-
mait le clergé, est un droit spirituel; le roi ne peut
l'exercer que par une pure concession de l'Église et
dans les limites fixées par l'Église. En fait, le IR concile
de Lyon (1274) avait autorisé le droit de régale dans les
évêchés où il existait alors, mais il avait interdit de
l'étendre; et un certain nombre de diocèses de France,
notamment des quatre provinces du Midi, Languedoc,
Guyenne, Provence et Dauphiné, avaient échappé' à ce
droit. Or, en 1608, à propos de l'évêché de Belley, le
parlement de Paris proclama tout évêché soumis à la
régale par le fait qu'il rentre dans le domaine du roi.
Le clergé protesta. L'affaire dura plus de soixante ans;
enfin, le 16 février 1673, Louis XIV tranchait la question
en sa faveur. Un édit déclarait que le droit de régale
appartenait au roi dans tous les évêchés du royaume,
à l'exception « de ceux qui en étaient exempts à litre
onéreux ». Cetédit avait un effet rétroactif : les évêques
des diocèses jusque-là exempts étaient tenus de faire
enregistrer leur serment de fidélité à la Cour des
comptes de Paris et d'obtenir d'elle des lettres de main-
levée pour leurs revenus, dans les six mois. Passé ce
délai, la régale serait considérée comme ouverte dans
les églises des prélats qui n'auraient pas accompli celle
formalité. En 1675, un nouvel édit complétait le précé-
dent. Pratiquement, cette extension de la régale était de
peu d'importance : jusqu'en 1641, les revenus des
évêchés vacants étaient attribués à la Sainte-Chapelle;
depuis, ils étaient restitués aux nouveaux titulaires
sauf un tiers employé à secourir les protestants con-
vertis; puis, Louis XIV pourvoyait très vile aus vacan
enfin, l'on a calculé que pour les diocèses des quatre
provinces du Midi ainsi atteintes, le roi nommait i dix
postes .m plus par an. Cf. M. Dubruel, Innocent XI
cl l'extension de la régale d'après la correspondance
■ in cardinal Cibo avec Léopold l", dans la Revue îles
questions historiques, 1" janvier 1907. Rome se lui en
1673 et en 1675. L'épiscopat gallican fil de même : les
évêques atteints se soumirent, ou après avoir adri
au roi des remontrances respectueuses, ainsi Sevin de
Cahors, ou après avoir inséré' des protestations dans
leurs archives, ou pour la plupart sans moi dire. Seuls,
Pavillon, évéque d Uet, el Caulet, évéque de Pamiera,
qu'il entraîna, refusèrent de se soumettre; ils allèrent
jusqu'à défendre à leurs chapiti cevoir les réga-
liens ei à excommunier cens ci. Leurs ordonnances
furent par le vicaire général du cardinal de
Bonzi, archevêque de Narbonne et métropolitain d'Alet,
et par Joseph de Montpezat, archevêque de Toulouse
et métropolitain de Pamiers Les deux sentences él ni
Irrégulières, cai les partie: n'avaient pa et entendues;
i,s deui évêques en appelèrent su p ipe Le pape accepta
her d'ailleurs, Pavillon el < iaulet étaient
deux jansénisti I idain apparaîtra
187
DÉCLA I ; A I 10ÎH DE 1682
encore bientôt comme un conllit entre iansénieli b, bv
Iriguanl à Rome avec l'appai de la faction hostile à ta
i i ,,ii. ,- , i jéeuiti intriguant i Parie par I intermédiauw
du p. La Chaise el poursuivant la destruction de deuj
foyers de l'héréaiejanséniate. Le M décembn 1077, mon-
tait Pavillon : toule la lutte se concentra autour de
Caulet et devint l'affaire de Pamiera. La queelion de la
pégale occupa le premier plan de 1673 à 1(681. Il j eut
une première phase assez calme. Innocent XI. « <|i'i
apprit à la l'ois l'existence du droit de régale, I cxlen-
sion décrétée par Louis XIV et la prohibition portée
par le 13* canon du II'' concile de L\on. » semble ne
pas vouloir pousser les choses à l'extrême el Lonis XIV.
d'abord surpris d'une résistance d'ailleurs lardive à un
droit qu'il juge incontestable, parait vouloir gagner du
temps et attendre un pape plus facile. Le 12 mars 1778,
DO premier bref exprime au roi une protestation paci-
fique. Louis XIV répond en manifestant sa surprise au
nonce, puis dans une lettre datée de juillet au pape lui-
même. En janvier 1679, nouveau bref, daté du 21 sep-
tembre 1078 : le pape y démontre les inconvénients de
l'ingérence des officiers royaux dans les affaires spiri-
tuelles. Le roi ne répond point. Des lors le pape accen-
tue les démonstrations : il avait adressé le 4 janvier
I(i77 un bref à Caulet pour l'assurer de sa protection, le
is un bref de blâme à l'archevêque de Toulouse; le
2 aoùl, il envoyait un second bref à Caulet et surtout
le 29 décembre il adressait à Louis XIV un troisième
bref : cette fois, il menaçait. Il avait même préparé,
avec l'aide d'une congrégation spécialement composée
dans ce but, une constitution apostolique qui eût con-
damné solennellement la régale : il n'osa pas encore.
Toutefois Louis XIV prit peur; il réunit plusieurs
conseils : on lui parla d'un concile national; on lui dit
qu'il pourrait feindre d'ignorer le bref; c'est alors qu'il
s'arrêta à ce troisième parti : gagner du temps pour
attendre la disparition d'un pape déjà âgé et usé.
Par une lettre du 1e' juillet 1680, il lit donc annoncer
au pape l'envoi d'un ambassadeur extraordinaire, le
cardinal d'Estrées, dont le frère, le duc, était ambassa-
deur à Rome depuis 1072, qui avait déjà rempli à Rome
plusieurs missions et que le pape, dans un bref du
28 février 1680 adressé au cardinal lui-même, avait
manifesté le désir de voir chargé de cette mission con-
ciliatrice. D'Estrées avait pour instruction de ne rien
céder et de faire traîner les affaires en longueur; il
n'arriva d'ailleurs que longtemps après son voyage
annoncé.
Dans l'intervalle, Louis XIV avait complété son plan
d'action.
sur la régale, voir Anâraul, Traité lie Vofigine.de la régale,
in-4", Paris, 1708; Fleury. Institution au droit ecclésiastique,
2 in-12. Paris. 1687: Philippe, Due ■Hsgattenrseht wi Uronk-
rei'-li, in-s , Halle. 1873; Viollet, l'rrris de l'histoire du droit
fronçais, 'i in-8 , Paris, 1884.
II. L'INTERVENTION Dl i i l'Isoil'AT i.\l.tlc\N. L\
LETTRE DE 1680 KT 1..V PETITE Assonu.ï : 1681. —
Tandis gne la lettre du I" juillet remplissait d'espé-
rance Innocent XI qui en écrivait à Caulet des le 7.
Louis X 1 Y imaginait une manœuvre que .Napoléon de-
vait reprendre contre Pie VII : faire approuver par
l'épiscopat gallican ses mesures et son attitude, pour
rendre le pape plus Facile. Peut-être voulait-il aussi
ni i par là sur son orthodoxie ses suiels plus ou
moins avertis des menaces du pape, lue assemblée or-
dinaire du clergé de France se tenait alors justement
à Saint-Germain (25 mai-5 juillet); le ld juillet, alors
que les députés attendaient d'être reçus par le roi en
audience de Congé, leur président Harlay de Champ-
vallon, archevêque de Paris depuis I07'J. gallican
convaincu, serviteur dévoué du roi et presque ennemi
iiiM-1 du pape, surprit d'eux une lettre de pi
tation au roi contre le bref du 29 décembre, qui fui
imprimée, après qualqu le détail, hous
ce titre :
archevêques, évèquet <-t autn
du clergé de Front ■
Laye, sur le d au su/et de la
régale. Les évéejni n loir juger du fond de
l'affaire, protestent contr. !• - meaanec que contient le
bref, contre .< celle procédure extraordinaire qui.
loin de soutenir l'honneur de la religion et la gloire
du saint-siège, serait capable de les diminuer >,oontn
les manœuvres de a quelques esprits brouillons qui
font tous leurs efforts pour exciter la mésintelligi
entre le sacerdoce et la royauté- dans un temps ou il- l
lent jamais plus de sujet d'être unis par la protection
que vous donnez à la foi, disaient-ils au roi, à la ai
pline ecclésiastique et à l'extirpation des hérésies el
nouveautés . Enfin, ils affirment être -i étroitement
attachés ■ à un roi I gui surpasse par son tèle e
son autorité tous ceux qui ont été devant lui • que
rien n est capable de les en séparer i. Cette letti
parait pas avoir ému Innocent XL Mais il ne tarda pas
à comprendre qu'il n'avait rien à attendre de la mis-
sion du cardinal; puis, les mesures de rigueur conti-
nuaient à Damiers, où éclatait le schisme de l'ai,
car le diocèse eut pour un moment deux chefs. Le
7 août 10<su, ('tait mort Caulet. Les chanoines légitimes
choisirent pour vicaire capitulaire l'archidiacre d Au-
barëde, mais dès le 22, il était arrêt.'- e; lar-
geau, puis à Caen. Un second, le P. Rech. eut le même
sort; le troisième, le P. Cerles, sut se cacher. Cepen-
dant le métropolitain nommait à deux reprises un vi-
caire capitulaire parmi lis légalistes, soit franchement,
soit après une feinte destinée à donner une apparence
canonique à la seconde nomination. Cerles protestait
et en appelait au pape. Là-dessus, sur l'ordre du chan-
celier LeTellier, le parlement de Toulouse condamnait
Cerles à avoir la tête tranchée. 10 avril 1681. et il était
exécuté en elligie à Toulouse et à l'amiers. Au même
moment, li janvier 1681, le parlement ordonnait
un prétexte financier, en réalité contre le pape, la fer-
meture du monastère de Charonne. Le roi. avec le
concours de l'archevêque de Paris, \ avait nommé et
installé en 1077 une abbesse, au mépris de tout droit
et de toute règle. Les religieuses en avaient appelé- au
pape, qui avait annulé- la nomination faite, blâmé 1 ar-
chevêque et ordonné- aux religieuses de procéder aux
élections voulues par leurs règles. 7 août 1679. Inno-
cent XI répondit à toutes ces mesures par une double
série de démarches : il continua à ; il priait
le roi de négocier à Paris par l'intermédiaire de
lévéque de Grenoble, Camus; mais en même temps.il
montra qu'il ne céderait rien sur les principes : le
18 décembre 1080, il condamnait comme renfermant
une doctrine sohismatique, approchant de 1 le i
et injurieuse nu saint-siège un livre de l'abbé tierlwis
docteur de Sorbonne. agent de Colbert Ge livre inti-
tulé : M COUSM majorttins. soutenait les théories galli-
canes les plus avancées et les plus opposées aux droits
du gaint-Siège. Puis en janvier W81, un brel excommu-
niait b- \icaire capitulaire nommé a Paiinei- par l'ar-
chevêque de Toulouse, indirectement frappe. Louis XdV
relus. i de négocier par l'intermédiaire de Camus qu'il
Savait hostile a la régale, sous prétexte qu< ee serait
faire injure au cardinal.
Cependant. BOn dessein apparent d opposer au pape
le clergé de l ronce sembla -e dessiner alors. Il eut ici
deux auxiliaires, llarlav de Champvallon, prêt à lout.
peut-on croire, et l'archevêque de Reims, Le Tellier.
qui nourrit, avec son père le chancelier, el même
Bossuet, le désir d'un accommodement avec Home, dont
le s,, in serait remis .m cierge, llarlav et lui provo-
quèrent d'abord la Petite assembler de i68i. Ce fut la
réunion des prélats alors pi est nts a Pans, n ,, (.M eut H
189
DÉCLARATION DE 1682
190
« qui ne résidaient pas ». Le président fut Ilarlay. L'as-
semblée tint une première séance le 19 mars : on y
détermina les questions à traiter et six commissaires
qui furent chargés de préparer les décisions; deux
autres séances eurent lieu les 1er et 2 mai. Mais l'assem-
blée ne décida rien, bien que les prélats se plaignissent
de quelques façons d'agir du pape à leur égard et des
violations que le pape avait failes^du concordat dans ses
procédures touchant les affaires de Charonne et de Pa-
roliers. Elle se contenta de demander au roi sous l'im-
pulsion de Le ïellier un concile national ou une assem-
blée du clergé qui déciderait. Voici comment Fleury
résume les actes de la Petite assemblée :
« M. de Paris nomma six commissaires pour exami-
ner les affaires avec lui, savoir, les archevêques de
Reims, d'Embrun... Le 1er mai, M»r l'archevêque de
Reims, chef de la commission, lut son rapport à
l'assemblée : 1" sur la régale, où il conclut que les
évêques de France ont eu raison de se soumettre aux
déclarations de 1673 et 1675, pour le bien de la paix.—
2° Sur les livres de Gerbais et de David. Sur le premier,
on lut un avis des commissaires qui l'approuve et
ordonne néanmoins que quelques expressions seraient
corrigi ies. Sur le second, dont on s'était plaint à L'as-
semblée, comme contraire aux droits des évêques, on
lut une explication de l'auteur. — 8° Sur l'affaire de
Charonne. Sans entrer au fond, l'archevêque de Reims
blâme la conduite de la cour de Home et la forme de
procéder sans entendre M. de Paris. — 4° Sur l'affaire
de Pamiers. Il conclut de même, S 'attachant à la
forme et soutenant que l'ordre de la juridiction ecclé-
siastique, les libelles gallicanes sont violées par ces
brefs; que les évêques ne tiennent point leur juridic-
tion immédiate du pape, et que le concordat n'est point
une grâce. Conclusion générale : demander au roi un
concile général national ou assemblée générale du
clergé et cependant publier le procès-verbal de celle-ci.
— Fn conséquence, le 2 de mai, l'assemblée résolut de
demander au roi un concile national ou une assemblée
générale du clergé', composée de deux députés du pre-
mier ordre et de deux du second de chaque province,
qui n'auraient en celte assemblée que voix consulta-
tive, et le reste, suivant l'avis des commissaire-.
III. L'assemblé] m 1682. — Telle (ut l'origine .de
imblée dite de 1682. Le roi écarta l'idée d'un con-
cile national : il voulait une manifestation unanime de
son episcopat, et si certain qu'il fut après laol d'expé-
riences de la docilité des évêques, il pouvait craindre
que sur la question des rapports avec Rome, dans un
concile ou tous eussent Bguré de droit, il ne se trouvât
quelques opposants. Puis un concile aboutil à des dé-
cisions dogmatiques, sans valeur sans doute si elles
n'ont pa- l'approbation du saint-siège, mais telles que
i une désapprobation eûf mis l'Église t\<- France dans
la nécessité m idiale ou de se déjuger ou de se pré-
cipiter dans le schismi Loyson). Il se décide donc
pour une i a-» blée générale extraordinaire repté-
ml le concile. Cette assemblée devait différer des
mblées quinquennales ou ordinaires dam li -
quelles le- représentants élus du clergé traitaient des
intérêts de l'ordre, en ee qu elle était convoquée en
dehors des Intervalles fixés, qu'elle était appelé.- &
upsr de qussl a exclusivement spirituelles, que,
eu conséquence, comme celé eût été dans un concile,
les députés du set on d unir.- n'avaient que voh eoneul-
tativf si qui . «il lin . l'on J vil les rc Diète nlanl | des eon-
quétas reventes et pays d'obédience. Cette assemblée,
nullement canonique, ne pouvait donc porter aucune
décision ayant une valeur dootrinak etoanonique. Elle
tentera la chose cependant.
I Cxmvotatùm Elle fui convoquée pour le I "<
tobre 1881, le 16 juin, par une oirsuktire envoyée a tous
b métropdIHnin du royaume, sauTeui métropolitains
de Besançon et de Cambrai,. auxquels le roi adressa le
16 juillet une circulaire spéciale. Il y disait que, « dans
une occasion où il s'agissait de matières purement
spirituelles, à la décision desquelles tous les évêques
de son royaume avaient un égal intérêt, il estimait
nécessaire d'y faire venir les députés des provinces,
tant de l'ancien clergé de France qui se trouvent ordi-
nairement aux assemblées tenues pour affaires tem-
porelles, que des provinces nouvellement conquises. »
2" Elections et procuration. — Cette assemblée fut-
elle vraiment représentative du clergé gallican?
Louis XIV, qui surveillait toujours de près les élections
aux assemblées ordinaires du clergé', intervint cette fois
avec activité dans la composition des assemblées pro-
vinciales et plus activement encore dans le choix des
députés. S'il voulait une démonstration éclatante en sa
faveur, il ne voulait pas cependant, bien qu'il eût
prononcé le mot de schisme, d'hommes à l'initiative
peu mesurée, qui, au lieu d'aider aux négociations,
eussent tout compromis. L'assemblée comprit 36 mem-
bres du haut clergé, 9 archevêques et 27 évêques dont
26 seulement siégèrent, l'êvêque de Viviers avant été
retenu dans son diocèse par ses infirmités. Aux 36
membres du bas-clergé élus il faut ajouter les deux
agents généraux du clergé, Desmare ts et Bazin de De-
sons. Tous les élus du haut-clergé dont deux portent
le nom de Colbert, qui s'appellent Le ïellier, Phélip-
paux de la Yrillière, Chavigny, etc., sont profondément
pénétrés des doctrines du gallicanisme épiscopal et
jaloux vis-à-vis de Rome de leurs privilèges. Il y a
cependant parmi eux un groupe plus avance nettement
hostile à Rome; le type est Ilarlay; du groupe plus
modéré le type est Dossuet; entre les deux louvoient
des hommes comme le très intelligent archevêque de
Reims, Le Tellier. Tous aussi ont le culte du roi, l'élu
de Dieu, le vainqueur de l'Furope; tous lui doivent
quelque chose et d'abord leur élévation à l'épiscopat.
Seul, offre des garanties d'indépendance et n'est pas
imbu des doctrines gallicanes, étant d'une autre origine
que les concordataires, l'archevêque de Cambrai,
Théodore de Baies. Quant aux représentants du bas-
clergé, leurs doctrines sont les mêmes que celles du
haut-clergé' : parmi eux ligure même Gerbais; peut-être
même leur zèle est-il plus grand, avant davantage à
obtenir. Nulle part d'ailleurs ces élections ne provo-
quèrent de difficultés. Ces difficultés vinrent plutôt du
projet de procuration uniforme envoyé par les agents
généraux du clergé et qu'avait dressé', dans la Petite
assemblée, une commission présidée par l'archevêque
Ilarlay. C'était le programme plus ou moins prédis de
ce qui allait être fait, programme déjà connu par le
procès-verbal de la Petite assemblée qui avait été en-
royé à tous les prélats du royaume. Il ne fallait pas
que l'on pût objecter, dans l'assemblée ou au dehors,
te défaut de pouvoirs chez, les députés. Les assemblées
provinciales donnaient à leurs repu sentants le pouvoir
a de se transporter en la dite aille de Paris... et là, M
libérer en la manière contenue dans la résolution des
dites assemblées de mars et mai Itisi df*. moyens de
panifier les différends qui soni, touchant la régate, entre
notre Saint-Père le pape d'une pari et le roi notre sire
de l'autre, consentir tous les actes qu'ils estimeront
nécessaires... pour les terminer, et iceux signer aux
clauses al aux conditions que L'assemblée avisera bon
. tri . comme .iii-M leur donnent charge et commande
ment axprèa d'employer toutes las voies convenables
pour réparei les contraventions qui ont été eommisi t
par la cour de Rome aux décrets du concordai de causa
ri itr frirnlis qppeUationibus, dans les affaires de Cha-
ronne, de I'. i -s i t de I 'ouloiue ri .m raient
Bucvenjuas ou pourraient survenir la juridic-
tion dss ordinaires du royaume et les degrés <i icelle i n
la forme n |léi pai l< concordat ;'fair< qu'en cas d'appel
l'.'l
hl'.i I. M; ATION I)K !
.1 Rome le pape dépote des commissaire! en France
pour le juger; procurer par ton 1rs Bortes de voiet dm -
el raisonnables, la conservation des maximes et liber-
tés de l'Église gallicane, el généralement prendre à la
pluralité des vois, toutes les résolutions, et pa
pour les causes ci-dessus expliquées, tous les actes qui
ut requis, encore qu'il \ eût chose qui demandât
un mandement plus spécial que celui contenu en ces
présentes... i .
Il y eut (les protestations sur le rôle purement con-
sultatif Dxé pour les premières lignes de cette procu-
ration au clergé de second ordre; il y eu eut, et aussi
des modifications, portant sur les questions elles-mêmes.
Llles vinrent surtout de Besancon et d'Aix. A Aix, le
cardinal Grimaldi hésita même à convoquer l'assemblée
de sa province.
3° Constitution. — L'assemblée se réunit le 30 oc-
tobre aux Augustins. Elle choisit : pour présidents,
l'archevêque de Paris désigné par sa situation, son âge
et la laveur royale (Louis XIV avait écarté de l'assem-
blée les archevêques plus Agés que llarlay et qui
eussent pu lui disputer la présidence), et l'archevêque
de lieims désigné par llarlay; pour promoteurs, Ché-
ron et Coquelin, et pour secrétaires. Mancroix et
Courcier, tous quatre de second ordre. Le dimanche
'.) novembre, à la messe du Saint-Esprit, Iiossuet pro-
nonça son fameux discours sur l'unité de l'Église. Sur
le rôle de Bossuet dans l'assemblée de 1682, voir t. Il,
col. 1063.
4° Les actes de l'assemblée. — Il fut d'abord question
de la régale. « L'assemblée ne fut pas toute servile. »
Lavisse. Colbert et d'autres gallicans avancés avaient
conseillé au roi de signifier simplement ses volont es I
l'assemblée dont le rôle eût été de prendre simplement
acte. Les choses ne se passèrent pas ainsi. L'assemblée
délibéra et elle ne reconnut pas simplement le droit
que prétendait le roi. Une commission dite de la régale
fut nommée. Le 11 décembre, son rapporteur, Le
Tellier, proposait et l'assemblée acceptait cette tran-
saction : elle consentait à l'extension de la régale telle
que l'avait proclamée l'éditde 1073, mais le roi s'enga-
geait à soumettre ses nominations en régale « aux
bénéfices ayant charge d'âmes » à l'approbation de
l'autorité ecclésiastique. Le rapporteur ne se pronon-
çait pas sur le fond de la question : implicitement
même, il affirmait le droit de l'Église; mais il partait
de ce principe que « les maximes des parlements étant
invincibles dans l'esprit de nos magistrats », il im-
portait « de chercher sur ce fondement les tempé-
raments nécessaires pour ne point porter aux extrémi-
tés une matière si contentieuse ». Cf. Bossuet,Z,eMrec/K,
édit. Lâchai. Le 19 décembre, llarlay et Le Tellier
proposèrent au roi ce plan d'accommodement; le roi
nomma une commission qui examina la question, du
20 décembre 1681 au 11 janvier 1682; la commission
fut partagée, mais le roi donna son approbation à un
arrangement probablement concerté â l'avance entre lui
et 1rs présidents de l'assemblée et cet édit royal, donné
â Saint-Germain en Laye et enregistré au parlement
le 24 janvier 1682, lit de l'arrangement une loi d'Étal :
Avons par ceprésenl édit perpétuel et irrévocable, dit, statué
i mu : ...«.me nul ne puisse être pourvu dans tOUll
aédraiea el collégiales de nuire royaume, par Nous et
iccesseurs, des doyennes el autres pant charge
qui pourront vaquer en régale, ni des archldiaconex,
théologalles, pénltenceriee et autres bénéfices, dont les lit"
"ni droit particulièrement, et en leur nom, d'exercer quelque juri-
n ci fonction splrituelli 11 n'al'l
i scritea par les saints canons el par
ims ordonnance- Voulons que ceux qui - os par nous
decesbénéfli entent aux aéraux établi
Il ont en , ou au\ pn Mb,
i. a .il .le pourvus, pour en obtenir l'approbation el mis-
sion canonique, avant que de pouvoir taire aucune fonction ..
Le 3 février 1682, l'assemblée donnai) and
i. te de consentement I de la
régale ainsi définie. Pais, le même jour, ell
vit au pap lit », di-.iit l'acte de con-
que notre lies Saint-Père le pape voulant bien entrer
dans le véritable intérêt de m . et se lais
loucher aux motifs qui nous ont inspiré celte conduite,
donnera sa bénédiction apostolique à cet ou\rar
paix et (le charité, i En d'autre temps, un autre pape
eut pu accepter cette transaction, mais, en l'état de la
question, Innocent XI ne pouvait) songer. La qui
avait été posée sur le terrain des principes : on oppo-
sait l'indépendance du roi à l'indépendance de l'Éj
d'autre part, le pape s'était trop nettement prononcé.
Il mit à répondre un retard qui blessa l'assemblée, fut
pour quelque chose dans la déclaration du lit mai
irrita le roi qui apportait dans ses relations avec 1
i une majesté continuellement en éveil et contirx
ment froissée. ■ Ilanotaux. Enfin, il répondit parle
bref Patem» carilali, daté du II avril \CjS-i. maisi
et lu seulement â l'assemblée au commencement de mai.
Après avoir reproché aux évoques de n'avoir agi que
sous l'empire de la crainte el d'avoir cédé sur une
question « qui non seulement renverse la discipline de
l'Église, mais expose l'intégrité de la foi, comme le
prouvent les expressions mêmes des décrets royaux
attribuant au prince le droit de conférer les bénéfices...
comme étant un apanage qui date, pour le roi. de
l'époque où la couronne a été placée sur sa tête », il
continue en ces termes : « Xous n'avons pu lire sans
un frémissement d'horreur celte partie de votre lettre
où. déclarant renoncer à votre droit, vous l'avez cédé
au monarque : comme si vous étiez, non les simples
gardiens, mais les arbitres suprêmes d - qui
vous furent confiées... C'est pourquoi nous improuvons,
cassons et annulons tout ce qui s est fait dans cette
assemblée relativement à la régale, ai)t*< que tout ce
qui a suivi cette disposition cl tout ce qui pourrait
être ait en t aïs. Nous déclarons tous ces actes
nuls et de nul effet, quoique étant déjà par eux-m
d'une nullité manifeste...
Dans l'intervalle, l'assemblée avait jugé contre le
pape les affaires de Charonne, de Pamiers el de Tou-
louse et surtout rédigé les quatre articles qui seul du
19 mars, antérieurs ainsi au bref du 11 avril sur lequel
ils ont influé, quoiqu'ils n'y soient pas mentionnés.
5° La fin de l'assemblée. — Le bref Paternes caritati
irrita profondément l'assemblée, et comme il était
connu, elle voulut se disculper devant l'opinion. Elle
signa le 6 mai un acte bien regrettable qui porte en tète
le mot de Protestatio Gérin . Cet acte commence ainsi :
Ecclesia gallicana suis se régit legibus. propriai
consuetudine) inviolate custodit, quibus Gallican* pon-
ti/ices majore* nostri >iulla definilione, nulla aucto-
rilate derogalum esse voluerunl. L'assemblée voulait
l'envoyer à tous les évéques et ecclésiastiques de France
avec une lettre que Iiossuet rédigea et où .• il était
impossible qu'il ne laissât pas percer une vertu
Sensibilité, eu repoussant les accusation- si _ :
qu'un pape avait portées au tribunal du public contre
1 Église dune grande nation. ■ Cette lettre ne fut pas
envoyi i l ouis \1V ne lai-sa pas à l'assemblée le temps
d'en prendre connaissance le il mai, il suspendait
si - séances, à la grande surprise des évéques. Mais
Louis XIV ne voulait pas amener 1 sures
extrêmes, Le 29 juin, il ajournait au \" novembre
cette assemblée devenue dangereuse : en attendant, les
évéques devaient se rendre dans leurs dioC< -• - 1
I juillet, ils tinrent leur dernière séance et prirent
une délibération où il était dit que l'assemblée
B'abstienl de prendre une résolution sur le bref que
Sa Sainteté lui a écrit en réponse à sa lettre du 3 fé-
vrier dernier que pour obéir au roi et pour l'amour de
193
DECLARATION Dp] 1682
194
la paix, puisque rien ne lui serait plus facile que de
justifier sa conduite par des moyens invincibles. »
Louis XIV poussa plus loin encore la prudence : s'il
protesta contre le bref du II avril, ce fut secrètement,
le 1er août, auprès du parlement; puis il lit entendre
« qu'il ne jugeait pas encore à propos qu'on rendit
public et qu'on imprimât le procès-verbal de rassemblée
de 1682. » Bossuet. Il ne fut même pas déposé aux
archives du clergé. La paix n'était point faite cependant,
triais à la régale succédait au premier plan la question
des <■ quatre articles ». Bossuet avait rédigé et l'assem-
blée s'apprêtait à voter un décret condamnant un cer-
tain nombre de propositions morales probabilistes. La
lettre royale du 29 juin empêcha la discussion et le
vote. Le travail sera repris par l'assemblée ordinaire
de 1700.
IV. Les quatre articles. — 1° Les précédents. — En
1663, durant le conllit que provoqua l'affaire du 20 août
1662 ou de la garde corse, Louis XIV, qui voulait déjà
prendre sur Borne « l'ascendant de la crainte », Hano-
t.uix. avait usé entre autres d'une déclaration doctri-
nale sur les pouvoirs du pape. Mais il l'avait demandée
à la faculté' de théologie de Paris, qui le 8 mai présen-
tait à Louis XIV. conduite par Hardouin de Pérélixe,
archevêque de Paris, proviseur de Sorbonne, les six
propositions suivantes ou propositions de Sorbonne,
qui développent avec plus ou moins d'embarras les
deux maximes fondamentales du gallicanisme : « Le roi
de France n'a pas de supérieur sur terre; le pape est
inférieur à l'Église même en concile. » et qui seront le
point de départ des quatre articles :
1. N'en esse doctrinam fa- 1. Ce n'est point la doctrine
cultatis quod Bummus pontifex de [a faculté (de théolo:.
m in temporalia régis Paris; que le pape ait aucune
ebristianissimi auctoritatem ha- autorité sur le temporel du roi
beat; imo facultatem semper très chrétien ; au contraire, elle
ii- qui indi- atoujours résisté, même & ceux
m lantummodo esse illam qui n'ont voulu lui attribuer
auctoritatem vnluerunt. qu'une puissance indirecte.
l Bse doctrinam facultatis 2. C'est la doctrine de la
ejusdem. i|U"d rex christianis- faculté que le i i tri lu'étien
ne reconnait et n'a d'autre su-
rit nec babet in temporalibus périeur au temporel que Dieu
orem, pi "• seul, que c'est si n ancienne
eamque suain esse antiquam doctrine de laquelle elle ne se
.ma nunquam re- départira
cessura est.
tiinam facultatis esse 3. C'est la doctrine de la fa-
bedien- culte que les sujets du roi très
tiam imi ita chrétien lui doivent tellement
, ui ah ii- nullo prse- la Qdélil I sance qu'ils
textu dispen- l lispensés
aous quelque préteste que ce
soit.
i, Doctrinam facultatis esse l. La faculté n'approuve point
et elle n'a jamais approuvé au-
cune proposition
mi auctoritati, aut l'autorité du roi très chrétien,
illicanoc aux véritables libertés de
llbertatibuo et receptis in regno l'Église gallicane et
verbi reçus dans le royaume, pai
i sunimus pontifex exemple, que le pape i
pos ad- déposer les évoques centre la
disposition dl
5, 1 1 ulta i- non t pas la di
ii'X ^it de la faculté (pie le pape soit
niriirn. au-dessus du concile général.
Oit in-
faillible, lorsqu'il n'intervlenl
ofaiiibilis. aucun consentement de l'Église.
enregistré) pai li p
de Pai i- el pai tous les autres, et une di laratîon
royale du 5 aoùl 1663 fil défense d'enseigner dan li
i nue une doctrine contraii
iment l'assemblée de 168*2
fut-i Ile • n l? Si liante que
DICT. [if THI or . CATHOL.
fût l'autorité de la faculté de théologie, elle ne l'était
pas assez pour que ses décisions s'imposassent aux
consciences ; les six propositions d'ailleurs avec leur
forme négative ou leurs formules restrictives n'étaient
ni assez nettes ni assez précises. C'est ce qu'indiqua le
promoteur Cocquelin, quand il introduisit la question
le 26 novembre devant l'assemblée : « Lorsque ces
articles parurent, disait-il, plusieurs personnes habiles
crurent que l'on pouvait en exprimer quelques-uns
d'une manière plus précise et plus positive. Ajoutez à
ces articles ce que vous jugerez à propos; et, pour lais-
ser à la postérité un monument précis et constant de
la doctrine de l'Église gallicane dans une matière qui
ne peut être trop nettement expliquée, changez ce qui
n'est qu'une simple déclaration d'un jugement doctri-
nal de la faculté de théologie, en une décision de l'Église
gallicane, qui tienne lieu de chose jugée au moins pour
toute la France. »
Que la question de la puissance du pape vis-à-vis du
roi et vis-à-vis de l'épiscopat fût reprise, c'était dans la
logique de l'état de guerre où l'on se trouvait et aussi
dans la logique des choses : elle faisait le fond de toutes
les querelles élevées. Qu'elle fût définitivement tran-
chée, beaucoup le désiraient : les uns, comme l'arche-
vêque de Beims, qui avait eu l'initiative de l'assemblée,
afin d'empêcher désormais ces odieux conllits; les au-
tres, comme Colbert et l'archevêque Ilarlay ou le P. La
Chaise, plus ou moins personnellement hostiles au
pape, pour fortifier l'autorité du roi et en finir avec
Borne. Ce fut sous ces inlluences que le promoteur
introduisit la question à l'assemblée qui nommait Je
même jour une commission pour les six articles de
Sorbonne.
Cette commission comprit 12 membres, dont Ilarlay,
président, l'évêque de Tournai, de Choiseul-Praslin,
rapporteur, Le Tellier et Bossuet. Bossuet voulut d'abord
limiter la tâche de la commission au maintien du
statu quo : dans l'état présent des choses, il jugeait
inopportun de décider dans une matière aussi délicate.
Il gagna même à ses idées Choiseul-Praslin, puis Le
Tellier; mais Colbert et Ilarlay veillaient. Louis XIV
voulut que l'on décidât. Bossuet essaya de gagner du
temps; il proposa « d'examiner toule la tradition »;
mais Louis XIV demanda une décision rapide, apparem-
ment irrité du silence que gardait le pape sur ses con-
cessions relatives à la régale et sur la lettre desévêques
du 3 février. Le rapporteur Choiseul-Praslin dut donc
dresser des propositions : il s'en tira o mal et scolasti-
quement D. Kmery. 11 affirmai) entre autres que le
saint-siège et le pape peuvent tomber dans l'hérésie.
Il fut vigoureusement combattu par Bossuet qui soute-
nait, lui. i'indéfectibilité du siège de Pierre. Bossuel
l'emporta; l'évêque de Tournai renonça à la rédaction
des articles; la commission en chargea laix-.net. Ce fut
néanmoins Choiseul-Praslin qui en resta le rapporteur
devant rassemblée et les soutint le 17 mars. Cf. Des-
mons, Gilbert de Choiseul, < toi, tour-
nai, 1907. Les quatre articles sont-ils tels que Bossuel
les avait rédigés? Les historiens discutent. Cf. Gérin,
Recherches sur l'Assemblée de 1682, 2« édit., p. 343,
et Loyson, L'Assemblée de 1682, je B51, note. En tous
ils entraînèrent bien des discussions au sein de la
commission, i Assemblées chez l'archevêque de Paris,
dit Fleury, où propositions examinées. Disputes. <Mi
voulait j faire mention des appellations ncile
i vêque de (féaux résista : ont été nommément condam-
nées par des bulles de Pie il et Jules II : en
Bome à les condamie i ne reculent jamais. Ne donner
i blâmer no pi p ition \ iiies,
p, 210 sq. La déi laration fui souscrite li 19 mars pai
mblée, :ii an I
et évêques, 36 i iques du set ond i >>
Dl r."iu\ du clciv I irchl 'que ,b I un
IV. - 7
195
DÉCLARATION DE II
]: 6
brai, après avoir r.ut remarquer qu'il avait été nourri
., dans des maiimea opposées A celles de l'Église de
France . Bigna les quatre articles « d'autant plusvolon-
ii.ts qu'on ne prétendait pas en faire nm- décision de
foi, mais seule al en adopter l'opinion Bossuel eûl
voulu ne publier les quatre articles qu'accompagnés
d'une sorte d'apologie qu'il avait déjà préparée et où il
avait prétendu réunir les meilleures preuves des doc-
trines gallicanes ; mais Harlay s'y opposa, probablement
pour ne pas provoquer des controverses. Cf. Baussel,
Histoire île Bossuet, I. VI. L'assemblée se contenta
d'adresser avec les quatre articles à tous les évèques
i. I tance une lettre également datée du 1!» mars et
que rédigea Choiseul-Praslin. Il y dit l'inspiration à
laquelle les députés ont obéi : le maintien de l'unité
catholique et de la paix, le désir i de rappeler à l'esprit
des fidèles le souvenir des règles anciennes, à l'abri
desquelles toute l'Église gallicane... fût tellement en
sûreté que jamais personne... ne pût passer les bornes
que nos pères ont posées et qu'ainsi la vérité, mise
dans son jour, nous mit elle-même à couvert de tout
danger de division », le désir aussi de faire comprendre
aux dissidents combien sont injustes leurs attaques
contre l'Église romaine; il y explique les principes
sur lesquels reposent les quatre articles; il conclut
enfin par cette demande qui est le but de la lettre :
Nous conjurons votre charité et votre piété, comme
les Pères'du Ier concile de Constantinople conjuraient
autrefois les évèques du concile romain, en leur en-
voyant les actes de ce concile, de confirmer par vos
suffrages tout ce que nous avons déterminé pour assurer
à jamais la paix de l'Église de France, et de donner
vos soins afin que la doctrine que nous avons jugée,
d'un commun consentement, devoir être publiée, soit
reçue dans vos églises et dans vos universités et les
écoles qui sont de votre juridiction, ou établies dans vos
diocèses, et qu'il ne s'y enseigne jamais rien de con-
traire. Il arrivera, par cette conduite, que, de même que
le concile de Constantinople est devenu universel et
œcuménique par l'acquiescement des Pères du concile
de Rome, notre assemblée deviendra aussi par votre
unanimité un concile national de tout le royaume, et
que les articles de doctrine que nous vous envoyons
seront des canons de toute l'Eglise gallicane, respec-
tables aux fidèles et dignes de l'immortalité.
3° Le texte. — Il fut rédigé en latin, comme, du reste,
la leltre du 19 mars aux évèques et la lettre sur le bref
du II avril :
Cleri gallicani de ccclesia-
stica potestate declaralio die 19
martii 1682.
Ecclesise gallican»; décréta
et libertates a majoribus no-
stris tant*, studio propugnatas,
eorumqne fundamenta, sacrls
cauonibus et Patrum traditione
nixa, multl diraere molluntur,
nec desunt qui earum obtenu]
prlmatuiD îs. Pétri ejusque suc-
cessorum Romanorum ponti-
ficum a CbristO instihituin,
iisque débitant ai omnibus
cbrlstlanis obedlentiam
,i|« - '"In ;e, ni qua Miles l'i.e.li-
catur et imitas servatur Kccle-
Bite, revêt endam omnibus gen-
tlbUS inajcstateiii iminiiniere
aon vereantur. Heereticiquoque
nitiil prsstermlttunl q un
atem, qua pu Ri i
continetnr, Invidlosam et gra-
glblU 'I | OpUliS esleli-
teni, Iisque fraudlbus sim]
animas ati Kcrlesi.-e matris
Christique adeo communione
Déclaration du clcrj;. de
1' i-ani-e -m la pu--. ... • , ri.-
siastique (kl 19 mars 1682.
Plusieurs s'elTbrcent de ren-
verser les décrets de I i
gallicane, ses libei t. -
soutenues avec tant de tète nos
ancêtres, et leurs fondements,
appuyés sur les saints canons
et la tradition dos Pères. Il en
— i qui sous le prétexte
s libertés ne craignent
pas de porter atteinte à la pri-
i nt Pierre et des
pontifes romains, Si 9 -
seurs, Institués par
i tu ist. ,i [ ■ t.. i--..iu-e qui leur
est due par tous les elip ti. ns
et a la majesté, bI vénérable
aux yeux de toutes les nations
du aii
soigne la fol et -
l'unité de l'Êglii ■ l ■
que*, d'autre part, n'orai
rien pour présenter cette puia-
qul renferme le paix de
se comme Inaupi ortal le
■ ni Qua ut IDC ininodu
propulsemus, Nos, are]
copl i t episcopi, Pai ivn- manda-
gallicanam repraesentanti
cum i ■
nobiscum depulatis, dlligentl
tractatu babito, ba
et declaranda esse diximu- :
i. Beato Petro ejusqui
bus i:liristi vicaiiis ip-
sique fctcleew rerum •; :ïri< ja-
lium et ad a-ternam
pertinenlium, non autem ci-
vilium ac temporaliiiiii.
traditam poteslatem, dicente
Domino : Iiegnum meun
est de hoc m un do : et ite-
rum : fiedilite ergo qum sunt
Cxsaris Cœsari, et qux su><t
Dei Deo: ac deinde stare apo-
stolicum illud : Omni» mu, un
putestatibus eublimioribu»
subdita sit : non est enim po-
testas nisi a Deo : qux autem
sunt, a Deo ordinatse sunt.
Itaque qui polestati résistif
Dei ordination i résistif. Reges
ergo et principes in temporali-
busnulli ecclesiastic.e pr.testati
Dei ordinatione subjici. neque
auctoritate clavium El
directe vel indirecte deponi,
aut illorum subditos eximi a
fîde atque obedientia. ac pra>
stilo fidelitalissacramento solvi
posse, eamque sententiam pu-
bticaatranquillitatinecessariaaa,
nec minus Kcclesi;e quam im-
perio utilem, ut verbo Dei, Pa-
trum traditioni et sanctorum
exemplis consonam omi i
tinendam.
11. Sic autem ini
liesse sedl ad Pétri successori-
Inis i.lu'isti vicaiiis rerum spl-
ntiialium pleiiiini poteslatem,
ut siinui valeaut atque immota
consistant sanctas oecumenicas
Bynodl Consl
apostolicacomprobata, Ipsoque
Romanorum pontiticum ac t.>-
tius Eccleslse usu conflrmata,
atque ab 1 licana
perpétua religioni
décrets de auctoi
llorum generalrom qu
sione quai ta et quints contlnen-
tui. nec probarl s gallicans
: i,i. qui eorum di
1 1 1 nt quasi dul.i.e Mut .
te minus approbata, robur
Infringant, au! ad aolum
matls tempus ooncilil dicta
detorqui
i | ai r.-
iit s que
-que»,
: ar ordre du
roi, .-iii-i: les autres
■
une m. ne délibération, d'éta-
blir et de déclarer :
I Que ai et ses
.li-SUS-
Cbrist, et que toute I Kglise
mèmi le puissance
de Dieu que sur les rhonog spir
rituelles et qui concernent le
salut, et non pointeur les choses
temporelles et ci\
i .hn-t nous apprenant lui-même
que son royaume
de ce monde; et en un autre
it, qu'il faut rendre à
César ce qui est « César et <
Dieu ce qui est ii Df
qu'ainsi ce précepte de 1
saint Paul ne ) eut être en rien
altéré ou ébranlé: Que toute
personne soit soumise aux
onces supérieures, car
il //';/ «i point de puissance
qui ne vienne de Dieu, et
c'eetluiqui ordonne celles qui
soiit sur ta terre: celui donc
qui e'i puissances
>i rordre de Dieu N
déclarons en conséquence que
les rois et les souverains ne
- omise aucune puissance
eccli -iastique par l'ordre de
Dieu dan- empe-
relles; qu'ils ne peuvent être
- directement ou indi-
rectement par l'autorité .1. s
chefs de l'Kglise: que lei
jets ne peuvent être di>:
de la soumission et de l'obéis-
■ lu'iis leur doivent ou re-
levés du serment de fidélité, et
que cette doctrine, nécessaire
pour la tranquillité publique <t
ni n moins utile à l'Kglise qu'à
l'État, doit être inviolablement
suivie, comme conforme à la
parole de Dieu, à la tradition
des Pères et aux exemples des
II Que la plénitudi
I ii ssance que le
- successeur!
I res de
.1. -n- -i
spiritui
méniq . dans
V
I le .-aint-s
lique, confirmés par la pra-
tique de toute 11 -
-
-enicnt par toute
gallicane, demeurent dans
toute leur force ■
que l'Église de Fram e
preuve | as l'opinion di
qui donnent atleil
u qui les .
en disant que li
1 ,H .qu'ils ni
197
III. Hinc apostolicre pote-
statis usum moderandum per
canones Spiritus Dei conditos
et totins mundi reverenlia
consecratos : valere etiam ré-
gulas, mores et instituta a
regno et Ecclesia gallicana re-
cepta, Patrumque terminos
manere inconcussos; atque id
pertinere ad amplitudinem
apostolicc sedis, ut statuta et
consuetudines tant.-c sedis et
Ecclesiarum consensione for-
propriam slabilitatem
obtineant.
IV. In fidei quoque qusestio-
nibus prœcipuas summi pon-
tifias esse partes, ejusque dé-
créta ad omnes et singulas Ec-
elesias pertinere, nec tamen
irreformabile esse jndicium,
nisi Ecclesia; consensus acccs-
serit.
accepta a Patribus aj
omnes Ecclesias gallicanas
atque episcopos in Spiritu
auctore présidentes,
revimus, ut idip-
sum dicamus omnes, sitnusque
in eodem et in eadem sen-
DÉCLARATION DE 1682
198
point approuvés ou qu'ils ne
regardent que le temps de
schisme.
III. Qu'ainsi l'usage de la
puissance apostolique doit être
réglé suivant les canons faits
par l'Esprit de Dieu et consa-
crés par le respect général,
que les règles, les mœurs et
les constitutions reeues dans le
royaume doivent être mainte-
nues et les bornes posées par
nos pères demeurer inébran-
lables; qu il est même de la
grandeur du saint-siège apos-
tolique que les lois et coutumes,
établies du consentement de ce
siège respectable et des Egli-
ses, subsistent invariablement.
IV. Que, quoique le pape ait
la principale part dans les
questions de foi et que ses
décrets regardent toutes les
Eglises, chaque Église en par-
ticulier, son jugement n'esl
pourtant pas irréformable, à
moins que le consentement de
l'Église n'inlervienne.
Ce sont là les maximes que
nous avons reçues de nos
pères, nous avons arrêté de
les envoyer à toutes les Églises
de France et aux évèques qui
! président par l'autorité du
Saint-Esprit, afin que nous
disions tous la même chose,
que nous soyons tous dans
les mêmes sentiments et que
nous suivions tous la même
doctrine.
Ifi Valcr doctrinale. - Dans l'état présent de la
doclrine et depuis le concile du Vatican, il est impos-
sible <lc soutenir la déclaration de 1682, sans hérésie
non en raison du l« article auquel on ne saurait oppo-
nne décision de foi, cf. Léon XIII, encyclique 7m-
morlàle Dei, niais en raison des trois autres. Mais
quelle fut en 1682 la valeur doctrinale des quatre arti-
,;l"v ' L'assemblée de 1682 n'étani pas canonique ne
ail rendre de décisions canoniques, à supposer
même, ce qui ne lui pas. que tous les évéques fran-
enssent manifesté une approbation formelle. Elle
ayail bj bien compris cette faiblesse qu'elle essaya
d Obtenir cette approbation pour étayer son œuvre, Les
quatre articles étaienl d'ailleurs en opposition avec la
doctrine commune de l'Église avec les convictions de
beaucoup de sujels de Louis XIV, ultramontains, ou
habitués a respecler la liberté en matières controver-
el même avec l'attitude ou les décisions anté-
rieures du clergé gallican. Ainsi il faut remarquer
i" article : il est la consécration d'un article
fondamental .lu gallicanisme parlementaire, doi s
iraieni bs conséqueno a les plus gra
1 "" I""1 Nre excommunié pour le fait de sa
il peul convoquer .les conciles nationaux et
inciaux et, avec leur concours, il peut porter des
oisel règlements i sur l'ordre el la discipline ecclesias
«que»; les bulles du pape ne s'exécutent pat en l rance
''' P«mission de l'i .rite temporelle, le roi est
V',"1 '"V"! .''■""■ * soutenir cette tra-
'."■'" "- légistes .,„,■ Bossuel apporte les textes de
',"?,"■ ■' ' .rticle du I
'"" de ' ' ''"" >e Tiers-Étal voulu! mettre en tête
''" »n cahici général aux felals-Généraux de 1614 el
■"""""•' PI c tant d'énergi, La roi
uppliê de faire arrêtei en I iwemblée d.
pour loi fondamentale du royaume..., que, comme il est
reconnu souverain en son État, ne tenant sa couronne
que de Dieu seul, il n'y a puissance en terre, quelle
qu elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun
droit sur son royaume, pour en priver les personnes
sacrées de nos rois, ni dispenser ou absoudre leurs
sujets de la fidélité ou obéissance qu'ils lui doivent
pour quelque cause ou prétexte que ce soit. Que tous
les sujets, de quelque qualité et condition qu'ils soient
tiendront cette loi pour sainte et véritable... laquelle
sera jurée et signée dorénavant par tous les bénéficiers
et officiers du royaume. Tous précepteurs, régents
docteurs, prédicateurs seront tenus de l'enseigner et
publier, s - Sur le 2> article .il repose sur une Irreur ■
les décrets des sessions IVe et V* du concile de Constance
qui proclament au moins indirectement la supériorité
des conciles œcuméniques sur les papes, n'ont été ni
approuvés par les papes, ni confirmés par la pratique
de toute l'Eglise, et il était en opposition avec la croyance
commune. Voir t. m, col. 1292. - Sur le 3' article • sa
rédaction est fort vague; il affirme d'abord que les
papes doivent diriger l'Église d'après les canons : ils
ne 1 ont jamais nié, mais il l'affirme comme une con-
séquence de l'article 2«, c'est-à-dire, d'après une théo-
rie attribuée à Gerson, comme une conséquence de ce
fait que les canons émanent d'une puissance supérieure
celle des évèques réunis en concile. Cet article prétend
aussi lier le pape « par les libertés de l'Église galli-
cane », théorie dangereuse, puisque sous ces mots pou-
vaient bien être entendus, malgré les dénégations des
eveques, les 83 articles de Pierre Pithou, et qu'à tout
le moins elle amenait l'Église gallicane à ne reconnaî-
tre entre elle et le pape d'autre juge qu'elle-même.
Enfin, on a pu voir aussi dans cet article une volonté
d opposer aux canons des anciens conciles la disci-
pline actuelle de l'Eglise, distinction derrière laquelle
se sont abrités tous les schismaliques, par exemple les
constitutionnels. - Sur le 4* article, qui est peu clair -
car qu'est-ce que cette « part principale » qu'a le pape
dans les questions de foi? sous quelle forme devra se
donner « le consentement de l'Église »? — et qui nie
l'infaillibilité du pape. « Cet article, contraire à l'ensei-
gnement de saint Bernard et de saint Thomas d'Aquin
était de plus opposé aux définitions données par les
conciles œcuméniques de Lyon (1246) et de Florence
(1 kJ9), et, ce qui est plus piquant, aux déclarations faites
en 162o et 1653 par deux assemblées générales du clergé
de France hn-mème. » Chénon, dans V Histoire géné-
rale de Lavisse et Rambaud, t. vi, p. 257. Et Pierre de
Marca, archevêque de Paris, écrivait en 1660 :« L'infail-
libilité du pape est enseignée en Espagne, en Italie et
dans fous les pays du monde chrétien, si bien que le
sentiment contraire, professé par les docteurs de
Fans, doit être classé parmi les opinions simplement
tol< rées. » Cité dans le t. xxvi des Œuvres de Bossuel
• dit. Vives, p, 21, note.
& La déclaration de 1682, loi d'État. - Le 20 mars
1682, par un édil enregistré au parlement le 23
l"1"- XIV faisait de la déclaration du cierge une loi
d'I.tat, sur la demande même de l'assemblée. Il j était
1, Défendons à tous nos si ,,, dang
notre royaume, séculiers et réguliers de quel., ongré-
qu'Ue soient, d'enseigner dans letu
collèges el sémin
doctrine contenue en Icelle.
0 donnons que ceux qui seront dorénavant choisis pour
nerh l,""i' Mdi chaque université
lécla-
le pouvoir
oumettronl .. enseigner la doctrine qui v
que les tyndlca des fa, u
sentei
199
DÉCLARATION DE 1G82
a 0
des i par les greffier* des
as tout les colli universités,
on il \ surs [U'ils -"i<nt réguliers ou
ni d'eux sers chargé tous les ans d'enseigner la
mtenue en ration; et dans les collègi
aura qu'un seul professeur, il sera obligé de renseigner,
lune des trois ann. lives.
i. Enjoignons aux syndics des facultés de théologie di
senter tous les ans, avant l'ouverture des leçons, aux are!
et évêques des villes où elles sont établies, et d'envoyer à
nos procureurs généraux les noms des pr<ifesseurs qui seront
chargés d'enseigner ladite doctrine et susdits professeurs de
représenter auxdits prélats et auxdits procureurs généraux les
écrits qu'ils dicteront à leurs écoliers, lorsqu'ils leur ordonne-
ront de le faire.
5. Voulons qu'aucun bachelier, soit séculier ou régulier, ne
puisse être dorénavant licencié tant en théologie qu'en droit ca-
non, ni être reçu docteur qu'après avoir soutenu ladite doctrine
dans une de ses thèses, dont il fera apparoir à ceux qui ont
droit de conférer ces degrés dans les universités.
Exhortons, et néanmoins enjoignons à tous les archevêques
et évêques de notre royaume... d'employer leur autorité pour
faire enseigner dans l'étendue de leurs diocèses la doctrine con-
tenue dans ladite déclaration faite par lesdits députés du cli
7. Ordonnons aux doyens et syndics des facultés de théologie
de tenir la main à l'exécution des présentes..., etc.
Cet édit ratifiait toute une série de demandes du
clergé relatives à la déclaration, sauf celle-ci : « Que
le serment que les bacheliers de théologie font à Paris
au commencement de tous leurs actes, dans lequel on
a introduit, depuis quarante ou cinquante ans, l'allé-
gation de ne rien dire qui soit contraire aux décrets et
constitutions des papes sans restriction, sera réformé
et que pour cet effet, on ajoutera à la fin de ce ser-
ment : Décrets et constitutions des papes acceptés par
l'Église, d Celte clause aurait eu, à tout le moins, le
danger d'inlirmer les condamnations des jansénistes,
de provoquer une opposition violente de la part de la
faculté de lliéologie el de montrer ainsi que l'unité doc-
trinale de l'Église gallicane n'était point complète.
Le parlement à qui ledit du 20 mars accordait un
droit de contrôle sur l'enseignement des facultés de
théologie, collèges et maisons dépendant de l'univer-
sité, et dont la déclaration consacrait certains principes,
enregistra ledit royal sans opposition, le 23 mars. 11 \
eut bien une protestation du procureur général llarlay;
mais ce fut pour faire remarquer que l'indépendance
de la couronne n'avait pas besoin d'être confirmée par
une décision de la puissance spirituelle et pour re-
gretter que le clergé n'eût pas infligé, dans le lw article
de sa déclaration, une censure directe à » ce qui s'y
trouve opposé ».
6" L'opposition. — La faculté de théologie de Paris,
qui ét;iit une puissance dogmatique rivale du concile
national, n'accepta pas facilement les quatre articles et
ledit du 20 mars. 11 \ avait à cela des raisons d'ordre
différent : elle prétendait bien n'être pas tenue d'assu-
jettir son enseignement aux décisions d'une assemblée
du clergé, et surtout ne pas relever du parlement :
puis un certain nombre de ses docteurs avaient des
tendances tiltrainontaines et la doctrine énoncée tou-
chant l'infaillibilité pontificale la choquait spécialement.
Cf. Cauchie, Le go - en Sorbonne, dans la
II, vue il histoire rri-lrsiaslique, l.ouvain. t. ni et l\
( 1002-1'. ki'u. Ce lut seulement le 16 juin que fut obtenue
de haute lutte, pour ainsi dire, par la cour alliée au
parlement, l'enregistrement par la (acuité de théologie
des quatre articles el de ledit compté ntaire. La cour
prit même des mesures de rigueur Contre les plus
récalcitrants, L'université de Douai, au centre de pays
i icemment annexés, disait au roi a la grande aversion
de tous ses fidèles sujets, qui sont dans ces pays réunis
a sa couronne, di la déclaration du clergé de i ranci .
qui regarde la puissance ecclésiastique i . L'historien de
Rossuet signale que. dès llitvt. l on vil ('■clore une foule
d écrivains qui crurent l'illustrer en se livrant ans plus
violentes déclarations (outre I lUicane. > Et il
signale, d'après la préfai e mis*
de la déclaration l di m écrits émanés de l'univi •
de Louvain, intitulés l'un ; Ad illusti
dissimoi Gallia ep tsquititio Iheologico-juri-
dica supet Déclarations cleri gallicani facta l'aritii»
19 marlii 1682; l'autre : Doclrina quai atv,
auctoritate et ïnfallibilitate Romanorum pontifi
tradiderunt Lovanienseï sacres theologise ma<j
ac professera tam oeteres quam recentiores, etc..
I)i< larationi cleri gallicani de ecclesiastico
nuper édites opposita; 2 la censure portée par l'ar-
chevêque de Grau ou Strigonie, primat de lion.
<leor;_< !S Szelepsemi, < D son nom et 'au nom de tous
ses collègues dans l'épiscopat, i avec les abbés, les pré-
posés, les chapitres, cl avec un grand nombre de pro-
fesseurs de théologie, hommes éminents dans la con-
naissance des sainls canons, i II dit que les quatre
articles sont « des propositions choquantes pour les
oreilles chrétiennes et à tous égards détestables », que
« condamnent et réfutent assez la tradition constante
des saints Pères, les décrets des conciles œcuméniques
et les témoignages formels de la parole de Dieu
après les avoir condamnés et proscrits, il défend à tous
les fidèles « de les lire, tenir et encore bien plus d
enseigner », en attendant le jugement définitif du saint-
siège; 3° un traité in-fol. du savant cardinal d'Aguirre
intitulé : Defensio cathedra sancti Pétri advenus De-
claralionem nomine illustrissimi cleri gallicani édi-
tant Parisiis, etc. Ces attaques furent telles que Ros-
suet, se sentant atteint, crut bon de défendre son œuvre
et entreprit une Défense de la déclaration. Il la ter-
mina en 1685. Les circonstances ne lui permirent pas
de la publier : Louis XIV ne voulait pas aigrir sa que-
relle avec Rome. Cependant du dehors les attaques
contre les quatre articles continuaient : entre au
de 4693 à 1695, Roccaberti, archevêque de Valence, pu-
bliait contre la déclaration 3 in-fol. sous ce titre : De
Romani pontifias auctoritate, que soulignèrent encore
les louanges adressées à l'auteur par Innocent XII.
Rossuet, dans un Mémoire au roi, demanda la sup|
sion en France des ouvrages de Roccaberti, ce que le
parlement accorda dans un arrêt du 20 décembre 1695.
Puis il reprit sa Défense de la iléclaration. pour la
remanier, afin de la mettre au point on face des nou-
veaux critiques et aussi \ introduire les changements
qu'exigeaient les circonstances, principalement celle-ci :
qu'une trêve venait d'être sign< e > ntre Louis XIV et le
saint-siège et que Louis XIV avait promis de ne plus
rappeler les qtiatre articles. Rossuot. entre autres cl
modifia le titre et à la place de Defensio déclarât,
cleri gallicani, il mit : Gallia orthodoxa site ti'nd
Scholss l'ai isiensis toliusque cleri gallicani. Ma]
tout, le livre ne parut qu'après sa mort. Une première
édition, faite à l'insu de Bossuet, évêque de l'i
héritier des manuscrits de son oncle, contient la pre-
mière rédaction de l'ouvrage, celle au 'titre : Défi
declai juam de potestate ecctesiasti
clerus gallicanus l'J martii 168S ah lit. el Rei /. 0.
Bossuet, 2 in-1. Luxembourg, 1730; Bâle, 1730. lue
traduction française des -i\ premiers livres environ
parut en 1735 sous la signature de Buffard. Un
conde édition, entreprise par l'abbé Lerov mit les ma-
nuscrits de la seconde rédaction, parut seulement
après la mort de Bossuet. évèque de Trou -
litre : Defensio declarationis conventus cleri gain
an. t68i clcsiastica potestate, 2 in-1 .Amsterdam
Paris . 1745. Une traduction française, faite pari
en 3 in-'r. parut la même année a Amsterdam Paris :
elle fui réimprimée en 1 77 1 et alors dédiée .i Monta
archevêque de Lyon, sous ce litre : Défense de la Dé-
claration... traduite eu français mec des notes hislo-
201
DÉCLARATION DE 1682
202
riques, critiques, théologiques et une Dissertation
réfutant les quatre tomes in-4» du 'cardinal Orsi, 2 in-4°,
Paris. 1771. D'autres éditions ont paru depuis. Orsi
avait publié, en 1740 et 1741, deux ouvrages intitulés :
De Romani pontificis auctoritate... et De Romani
ponti.fi.cis infallibilitate.
V. Les papes et les quatre articles jusqu'en 1693.
— 1° Innocent XI. — Ouant à Innocent XI, il se tut
d'abord, il attendait son heure. Il « a compris qu'il
fallait en finir et il a engagé un combat dont il doit
sortir vainqueur. » Hanotaux. 11 ne fulmina pas contre
les quatre articles, mais il eut recours à une arme que
lui fournissait le concordat; il refusa d'accorder la con-
firmation canonique à ceux des ecclésiastiques nommés
par le roi à des évêchés et qui avaient pris part à l'assem-
de 1682. Il le dit dès octobre 1682, à propos de la
nomination par Louis XIV des abbés de Camps et de
M.mpeou aux évêchés de Pamiers et de Castres.
Louis XIV déclara alors, sur les conseils du cardinal
d'Estrées, qu'il ne demanderait plus aucune confirma-
tion canonique jusqu'à ce que ces deux personnages
fussent agréés, et il continua à désigner aux évêchés
vacants soit des membres de l'assemblée soit d'autres.
Il espérait que la crainte de voir un grand nombre
lises sans pasteurs légitimes triompherait du pape,
mais Innocent XI ne se laissa pas intimider, et en 1687,
le Mémoire du roi pour servir d'instruction au sieur
de Lavardin portail : « Il y a déjà trente-trois diocèses
qui languissent sans évéques. » On essaya 'de pourvoir
à l'administration des diocèses par toutes sortes d'expé-
dients; les nouveaux élus étaient par exemple nommés
vicaires capitulaires par les chapitres des diocèses
nts par la morl du titulaire, ou bien, en cas de
translation, vicaires généraux de leurs prédécesseurs
dans les diocèses que ceux-ci abandonnaient.
Néanmoins, la situation était insupportable. Louis XIV
essaya encore de négocier, mais la menace à la bouche.
I a cour de Rome, disaient ses Instructions à Lavar-
din. désigné, en 1687, pour remplacer à Rome le duc
d'Estrées mort cette même année, contrevient au concor-
dat par ses refus qui sont notoirement injustes. Le
pape, par sa contravention au concordat, est déchu de
ce qui U; concordat lui accorde. » En conséquence,
de permettre à ses parlements
de prendre dans les conciles catholiques, apostoliques et
romains le remède au mal, et ce remède sera celui-ci :
Les parlements, après avoir déclaré qu'il y a abus dans
ci - refus du pa| comme étant contraires au concor-
il.it •■( aux lois du royaume », s'appnyant sur « les an-
ciens conciles de France el d'Espagne où l'on voit que
le roi nommait, le peuple et le clergé élisaient, le mé-
tropolitain confirmai! et ensuite l évoque était sacré par
trois évêqui - au moins de la même province donl était
l'évéché vacant ». le concordat n'ayant fait que » trans-
iii pape le droil de confirmation » du métropoli-
tain el translation devenant caduque par le
refus du pape, » supplieront » le roi de demander la
confirmation au métropolitain, sans tirer à consé-
quence pour ["avenir, quand il plaira à noire Saint-
le papi d'exi culer le concordat. » Mais la menace
m Innocent M. Lavardin était l'homme le
moins fait pour réunir ici el tout se compliquait de
l'a/faire de* franchi et Ce lui un échec complet. M
fallut bien que Louis XIV allai plus loin. Non leule-
il il annonçait qu'il pourrait bien prendre la me
ordinaire en pareille oo m rence i i ccupation
d'Avignon, mais, le 31 décembre I6S7. I unait
l'ordre di pr parer une expédition contre Roi
■' ii ' 1688 l'avoi ii ém i il F/alon annoni ail i app< i
an futur concile, parci que non génie nt le! déci
■Ions di p. M" '"H leur personne même, qnand ih
manquent à leur devoir dans li ou ernemenl de
t Égli correction 1 1 1 la n formation
! du concile général en ce qui regarde tant la foi que la
discipline. »
Mais en juin 1688 mourait l'électeur de Cologne.
Louis XIV voulait lui faire donner comme successeur
le coadjuteur, le cardinal de Furstemberg. Cela dépen-
dait du pape : de là, la mission secrète de Chamlay,
mais Innocent XI refusa de recevoir cet envoyé, juil-
let 1682. Alors ce fut la guerre ouverte; en septembre,
le 6, un manifeste du roi contre le pape, sous la forme
d'une lettre adressée au cardinal d'Estrées, était envoyé
à Rome et bientôt publié partout; le 13, l'ordre était
donné d'occuper Avignon et le Comtat Venaissin; enfin,
le 24, le roi donnait ordre au procureur général d'in-
terjeter appel au futur concile de toutes les procédures
faites ou à faire par le pape contre lui, et l'acte d'appel
fut dressé le 27. On demandait à Louis XIV d'aller
plus loin, d'assembler les notables, de convoquer un
concile national. Il s'arrêta aussitôt qu'il s'aperçut qu'on
le poussait dans la voie du schisme. Mais déjà il
était puni : ce n'était point à son candidat que le pape
avait donné l'archevêché de Cologne et c'était à ce mo-
ment, 1688, un échec gros de conséquences. En même
temps, le pape faisait répandre un mémoire justificatif
écrit en italien et traduit en français sous ce titre :
Réflexions pour servir de réponse sur la lettre en
forme de manifeste que M. le cardinal d'Estrées
distribue.
2° Alexandre VIII. — Cependant Innocent XI mou-
rait le 11 août 1689. Son successeur Alexandre VIII,
6 octobre 1689, donna quelques marques de bienveil-
lance au représentant de Louis XIV au conclave, le
duc de Chaulnes. Aussitôt Louis XIV entra dans la voie
des concessions; il restitua Avignon et céda sur la
question des franchises. En retour, Alexandre VIII se
montra prêt à accorder les bulles toujours refusées
par Innocent XI aux anciens membres de l'assemblée
de 1682, s'ils consentaient à une rétractation ou plus
exactement à cette déclaration qu'ils n'avaient préton-
du émettre touchant la puissance pontificale qu'une
opinion personnelle. La négociation, pénible pour l'or-
gueil de Louis XIV, n'avait pas abouti, lorsque mou-
rut Alexandre VIII, 1er février 1691. Mais deux jours
avant de mourir il accomplissait deux grands actes :
1 ■ il publiait la constitution Tnter multipliées qu'il
ivait écrite dès le 'i avril 1690, première année de son
pontificat, el dans laquelle, après avoir rappel les cen-
sures portées par la lettre du I I avril 1682 sur les actes
de l'assemblée du clergé français, il ajoute : « Voulant
en outre par les présentes qu'on regarde pour bien
et suffisamment exprimés et insérés ici de mot à mot
et très exactement spécifiés selon toute leur teneur les
de l'assemblée de 1682... nous déclarons de noire
propre mouvement et de science certaine, après mûre
di libération el en vertu de la plénitude de l'autorité
apostolique, que toutes les dispositions en général et
individuellement qui ont été- faites dans la susdite
assemblée du clergé' de France de 1682, tanl touchant
l'extension du droit de régale que touchant la décla-
ration sur la puissance ecclésiastique el les quatre pro-
positions y contenues, avec tous les mand tréts...
édits, décrets, faits el publiés par des personnes quel-
conques, soit ecclésiastiques, soil laïques,, non décla-
rons que tontes ces choses ont été, de plein droit,
nulles, invalides, illusoires, pleinement el entièrement
destituées de force el d effet dès le principe, qu'elles le
sont émoi ml •> perpétuité el que personne
n'est tenu de les observer l'observer quelqu'une
fussent elles même munies du sceau du ser-
ment... El néanmoins pour plus grande précaution...
,-i en vertu de la plénitude de pouvoir connue dessus,
n .1 prou, <>i el m n ulmis. , |
i pointions pleine ni de toute foret el effel
• i dispositions tte constitution ne
203
DÉCLARATION DE 1682
_ I
condamnait pas directement, il faul le remarquer, le
fond même, la doctrine des quatre articles. Elle annu-
lait seulement les actes d'un pouvoir judiciaire et civil
incompétent dans les questions spirituelles et surtout
d'une assemblée ecclésiastique inhabile à décider
h '. tant pas canonique et ayant sacrifié j les droits des
Eglises de France, du souverain pontife et de l'Église
universelle, » Les gallicans ue s'en émurent pas
moins : ils se sentaient atteints; i on ne se rassura |
qu'en inventant l'expédient de dire que cette pièce
marquait trop la faiblesse d'esprit d'un mourant et
présentait trop de défauts pour être approuvée par le
sacré collège, •• Gaillardin; 2" une lettre au roi de
France où il le suppliait de veiller à ce que celte con-
stitution Inlcr multipliées fût acceptée et mise à exé-
cution dans tout le royaume et de mettre ainsi (in à
cette querelle funeste.
:; Innocent XII. Pacification, 1093. — L'n pro-
avait été fait sous le régne d'Alexandre VIII. Tandis
qu'Innocent XI refusait purement et simplement des
bulles aux membres de l'assemblée, Alexandre VIII
avait admis — les autres évoques nommés n'étaient pas en
question — la possibilité de donner des bulles à ces per-
sonnages compromis, à la condition que le roi retirât
ton édit du '20 mars et qu'eux-mêmes signassent une
rétractation sur la formule de laquelle on commença
de discuter. Innocent XII reprit les négociations où
elles en étaient. Elles durèrent deux ans. Par orgueil,
le roi eût bien voulu ne pas céder, puis, il lui en coû-
tait de laisser traiter en coupables des hommes qui
avaient cru servir ses intérêts. On discuta longtemps
les termes de la rétractation. Mais l'horizon politique,
malgré de réels succès militaires, s'assombrissait ; la
religion souffrait de la situation dans plus de quarante
diocèses et c'était une singulière contradiction que le
roi, qui préparait la révocation de l'édil de Nantes, fût
en révolte ouverte contre le chef de l'Église. Le 14 sep-
tembre 1693 donc, il écrivait au pape : « Je suis bien
aise de faire savoir à Votre Sainteté, que j'ai donné les
ordres nécessaires pour que les choses contenues dans
mon édit du 22 mars 1682, touchant la déclaration faite
par le clergé de France, à qui les conjonctures passées
m'avaient obligé, ne soient pas observées. » Ce n'était
point là une rétractation de principes, mais la suspen-
sion de l'exécution d'un édit. Quant aux évèques nom-
més depuis 1682, leur rétractation portait pour chacun :
< Nous professons et nous déclarons que nous sommes
exlrêmemenl fâchés, et au delà de tout ce qu'on peut
dire, de ce qui s'est fait dans l'assemblée susdite (de
1682), qui a souverainement déplu à Votre Sainteté et
à ses prédécesseurs. Ainsi tout ce qui a pu être or-
donné dans cette assemblée contre la puissance ecclé-
siastique et l'autorité pontificale, nous le tenons et
nous déclarons qu'on doit le tenir pour non ordonné.
De plus nous tenons pour non délibéré, tout ce qu'on
a pu avoir pensé' y avoir été délibéré au préjudice des
églises; notre intention n'a pas été de décider quelque
chose contre les droits de nos ('-lises. » Louis XIV tint
parole en ce qui concerna l'enseignement de la décla-
ration; maigri'' cela et si plus lard il sollicita du pape,
comme d'une autorité dernière infaillible, la bulle Uni-
genitus, il n'en demeura pas moins pénétré des doc-
trines gallicanes comme le prouve son grand édit de
1695 sur la juridiction ecclésiastique. En tout <'as, les
parlements continuèrent à faire étal de la déclaration
de 1682.
VI. Les quatre articles de 1 7 1 ."> \ 1870. — La dé-
claration de 1683 disparut comme le gallicanisme à
i ; it de doctrine — non à l'état de tendance — avec
ie< décrets du concile do Vatican.
Le régalisrae et l'épiscopalisme, qui en étaient le fond,
reçurent un coup violent de la Révolution avec la
constitution civile qui en esl le triomphe et qui mon-
tra a queli deux doctrines peuvent condu
avec les actes de l'autorité de Pi* vil
évéquea et remaniant l'Eglise de France au moment du
concordat. De 1 T I ."> è 1789 dont le
gallicanisme s'était pour ainsi dire foriiiié- de jau
nisme, furent les défenseurs ardents de la déclaration
i 1682. En 1706, sous le ministère Choiseul, Louis \v
ordonna que les quatre articles de 16€
nouveau enseignés dans les séminaires et ils le furent
en effet jusqu'à la Révolution. Mais cesarticles s étaient
également répandus au dehors et le synode de Pisl
en 1786 osa les soutenir et les insérer dan- son Ai
delà foi. Le 28 août 17'.il. l'i • VI condamnait li
le décret et l'usage fait de la déclaration de 1682, dans
la bulle Auclorem fidei : L'on ne doit ] sous
silence, y disait-il. cette insigne et frauduleuse témé-
rité du synode, qui non seulement a osé prodiguer les
plus grands éloges à la déclaration de l'assemblée
gallicane de 1682, depuis longtemps improuvée par le
siège apostolique, mais qui s'estpermis, pour lui donner
plus d'autorité, de la renfermer insidieusement dans
un décret intitulé' De la foi, d'adopter ouvertement les
articles qu'elle contient et de mettre le sceau, par la
profession publique et solennelle de ces articles, à tout
ce que renferment les différentes parties de ce décret...
c'est pourquoi nous réprouvons et condamnons l'adop-
tion récente et accompagnée de tant de vices qui en a
été faite dans le synode, comme téméraire, scandaleuse...
et... comme grandement injurieuse à ce siège apos-.
tolique. »
On a vu à l'article Concordat, t. ni, col. 760 sq.,
comment Bonaparte essaya de faire revivre dans les
articles organiques, avec toutes les libertés gallicanes,
l'enseignement des quatre articles et comment, dans
ses luttes avec le pape, il essaya de l'amener à accepter
les quatre articles et pour ainsi dire à leur prêter
serment. Avec la Restauration les choses tombèrent
dans l'oubli, mais en 182i, sous le ministère Villèle,
un décret royal ordonna de reprendre dans les sémi-
naires l'enseignement des quatre articles. Cette ordon-
nance provoqua les colères de bon nombre d'évé.i
Voir Clermont-Tonnerre, t. m. col. 236. Mais dans
cette période, le plus redoutable adversaire de la d<
ration de 1682 fut Lamennais, en particulier dans son
livre, De la religion considérée dans ses rap\
l'ordre politique et civil, in-S°, Paris. 1826. On deman-
dait dès lors aux professeurs nouveaux, que les évèques
nommaient dans leurs séminaires, de signer l'eng
ment d'enseigner les quatre articles. La tactique géné-
rale fut de ne pas répondre à cette mise en demeure
et le gouvernement n'insistait pas. On cessa sous le
second empire de faire cette demande. Les luttes entre
ultramontains et gallicans recommencèrent avec inten-
sité autour du Manuel de droit ecclésiastique français
de Dupin aine, en 18(4, et plus tard à propos du concile
du Vatican.
Recueil des actes, litres et mémoires concernant Usa,
du clergé de France, dans les Mémoires du
tection des procès-verbau i
des du Clergé de Fronce depuis 1500 jusqu
9 In-fbL, P J-1T80 Charubini, Magnum bullarium
romanum, 19 tom. en 12 vol., Luxembourg, 1727-1742; Men-
tion, Documents relatifs aux rapports du clergé arec la ;..i-
pauté de 1682 a 1716, in-8", Paris, 1893; liertliier, /»ino<
P. P M epistout al principes, etc., Rom
ping, Correspondance administrative, 1. iv ; Clément, Le;
instructions et n r Colbert, 7 vol. en 10 tom. in-i',1
Hanotaux, Rome, dans le Recueil des i
données aux ambassadeurs de F 1888, 1. 1; 1
Pithou, Les libertés de FÉglise gallicane, é
Pierre Dupuy, Traité des droits et libertés de l' Église nalli
S in-f.'l.. Paris, 1639, 1651, 1731 . tin; CoqucUe, Trait
tes ,le l'Église gallicane, 2 in-fol., Bordeaux, I7iu; Duras
Maillane, / •• l'Église gallicane, 5 in-V, Lyon, 1771;
i du Pin, /' potestate ■ nporalisii
205
DÉCLARATION DE 1682
DECRET A LES
206
claratio cleri gallicani, in-4*, Mayence, 1788; Isambert, Recueil
des anciennes lois françaises de 420 à 1780, 29 in-8% Paris, 1822-
1827; les Lettres et mémoires du temps, notamment les Lettres
île Bossuet dans ses Œuvres, édit. Lâchât, 31 in-8g, Paris, 1875,
t.*xxvi-xxx ; le P. Rapin, Mémoires, édit. Aubineau, 3 in-8%
Paris, 1865; Ledieu, Mémoires, édit. Guettée, 4 in-8", Paris,
1856; Legendre, Mémoires, édit. Roux, in-8% Paris, 1863; Joseph
de Maistre, Du pape, in-8% Paris, 1819 ; De l'Église gallicane,
in-8*, Paris, 1821; Grégoire, Essai historique sur les libertés
de l'Église gallicane, in-8% Paris, 1818; Bausset, Histoire de
Bossuet, 4 in-8", Versailles, 1814-1819; Desmarais, Histoire des
démêlés de la cour de France avec la cour de Rome, in-4%
Paris, 1706; Tabaraud, Histoire critique de l'assemblée géné-
rale du clergé de France en 1G82, in-8% Paris, 1826; Gérin,
Recherches historiques sur l'assemblée du clergé de 1682,
in-8% Paris, 1869; 2< édit., 1877; Le pape Alexandre VIII et
Louis XIV, in-8% Paris, 1870; Loyson, L'Assemblée générale
du clergé de France de JG82, in-8% Paris, 1870 ; Michaud,
Lt.ui* XIV et Innocent XI, 4 in-8% Paris, 1882-1883; Guarnacci,
Vite et res gest.v Romanorum pontificum et cardinalium a
Clémente X usque ad Clementem XI, 2 in-fol., Rome, 1751 ;
Buonamici, De vita et rébus gestis Innocenta XI, Rome, 1770;
Ranke. Die rômiseben Pdpste in den letzten vier Jahrhunder-
ten, 3 in-8% Berlin, 1836, t. m: Clément, Histoire de Colbert,
2 in-8% Paris, 1874; Rousset, Histoire de Louvois, 4 in-8%
Paris. 1803; Voltaire, Le siècle de Louis XIV, in-12, Berlin,
1752; Gaillardin, Histoire du règne de Louis XIV, 5 in-8% Paris,
1871-1*70: le t. VI cle Y Histoire générale, publiée sous la direc-
tion de MM. Lavisse et Rambaud ; le t. vil de l'Histoire de
France, publiée sous la direction de M. Lavisse, et en général
les Histoires de Louis XIV.
C. Constantin.
1. DÉCRET. En matière ecclésiastique, le mot
décret a conservé un sens très général qu'il a perdu
depuis plus d'un siècle dans le langage des juristes.
Ces derniers l'emploient exclusivement pour dési-
gner certains actes du pouvoir exécutif, par opposition
aux actes législatifs el aux sentences judiciaires. Or,
en droit canonique, le décret esl, au contraire, soit
un acte législatif, soit un acte judiciaire. Les molu
proprio, rescrits, induits, etc., constitueraient plutôt
la catégorie des actes administratifs auxquels on réserve
en droit français le nom de décret. L'assimilation n'est
d'ailleurs pas possible d'une manière absolument exacte,
la séparation des pouvoirs n'existant pas dans les curies
ecclésiastiques,
La loi ecclésiastique, quel que soit le législateur,
concile général, pape, évoque, se présente toujours
comme un décret. Les lois promulguées par le concile
de Trente sonl des déci ets, celles que le pape promulgue
soit par lui-même au point de vue doctrinal, soit par
Congrégations romaines, Saint-Office, S. C. du
Concile, des l vêques el Réguliers, [des Rites, etc., au
poini de vue disciplinaire, sont des décreU Une ordon-
nance d'un évéque ou d'un prélal régulier, si elle a
force de loi, constitue un décret Le règle nls ou
statuts ries chapitres généraux des ordres religieux sont
aussi des décrel quand il '>ut force de loi, de même
pour les statut- des chapitres si culiers.
Au point de vui judiciaire, on appelle décret tout
ment qui n'esl pas le jugement définitif : précepte
du juge destiné à pourvoir au provisoire, à organiser
l'instant e, à déclan r closi l'i tiqueté el a en permettre
la communication aux parties intére sséi - publication de
l'enquête , Dans l'ancien droit français, certains juge
menti préliminaires rendus contre nu ur le
faire comparaître, pour vendre ses biens, etc., portaient
ainsi le nom d< décrets, L droit ecclésiastique a con-
servé l'usage d ol décret la on les jurisconsultes
modernes e lei • ni di termes jugement avant faire
droii. jugement interlocutoire, pn paratoire, i
jugements sur requête ordonnanci - de r< f< ré, etc
I' I "I |.M Rj |.
2. DÉCRETS. Le mol ■< été employé au moyen
dam i' sens di collection de textei canoniques, 't il
■'appliqui p u antonomase au
' de Gralien (voir Gratien), qui constitue la
première partie du Corpus juris canonici. Parmi les
compilations canoniques qui furent faites au nombre de
quarante environ, depuis le ixe siècle jusqu'au temps
de Gratien, deux très importantes portent le nom de
Décret. Elles sont l'œuvre de Burcliard de Worms et
d'Yves de Chartres.
1° Les vingt livres de Burchard, évéque de Worms.
Celle vaste compilation, composée entre 1012 et 1023
{Decretum magnum Decrelorum volumen), s'appela
au moyen âge le Brocard, par corruption du nom de
son auteur. L'ouvrage dépend de Béginon. On y trouve
des règles de droit sous une forme énergique, concise,
facile à retenir (brocards). C'est d'ailleurs une com-
pilation générale de science ecclésiastique destinée à
l'instruction pratique des clercs du diocèse de Worms.
plutôt qu'une collection proprement canonique. Voici
les matières des vingt livres du décret de Burcliard :
j. I, le pape, le patriarche, le métropolitain, l'évêque,
je synode, le juge; 1. il, le clergé; 1. III, les églises et
Ijs dîmes; 1. IV-XIV, les sacrements; 1. XV, les devoirs
des laïques; 1. XVI-XVIII, les délits et les peines;
I. XIX. correclor ou médiats, est un pénitentiel; le
1. XX, De conlemplalione, esl un traité de philosophie
et de théologie. Burchard a utilisé sans discernement
les apocryphes d'Isidore Mercator, ainsi que les faux
capilulaires de Benoit Lévite. Ce défaut de critique est
d'autant plus dangereux pour le lecteur moderne qu'il
n'existe pas d'édition critique du décret de Burchard
de Worms. On doit reconnaître que cet auteur, maigre
ses imperfections, a ouvert la voie à Gratien sur un
point très important, en traviillanl à résoudre les anti-
nomies des textes canoniques, concordantia discordan-
lium canonum. Ce fut, avant le Décret de Gratien, le
manuel canonique le plus répandu.
2° Le décret d'Yves de Chartres (f 1117) semble
avoir été un travail préparatoire à la Panormie. C'est
une compilation assez, peu ordonnée des documents
disciplinaires recueillis jusque-là par différents auteurs.
L'ouvrage dépend surtout de Burchard de Worms. Ce
qui en fait l'intérêt est l'introduction d'un certain
nombre de lois tirées des compilations de Juslinien,
dans un document antérieur aux grands travaux de
l'école de Bologne sur le droit romain. Voir YVES Dl
Ciiartrks.
i in trouve le décret de Burchard de Worms dansune édition de
Paris, 15'i9, reproduite P. /,., t. CXL, col, 637-1020 sq. Une autre
édition a été donnée à Cologne en 1548. Le 1. XIX% qui contient
un traité pour l'administration de la pénitence, a été réimprimé
par Was-crschleben, Bûssordnungen der abendl&ndischen
, 1851, p. 024. Il existe un manuscrit contemporain de
Burchard à la bibliothèque de l'université 'le Fribourg-en-Bris-
gau. Cf. Ph. Schneider, Die Lehre von den Kirchenrechtsquel-
len, g 29. Itatisbonnc, 1892.
Le décret d'Yves de Chartres se trouve dans les Opéra
otnnia, édlti i Parla en 164"! par le génovefain Fronto. Malgré
sen titre, cet in-folio ne contient pas la Panormie. Mi.une a repro-
duit le décret et la Panormie, P. L., t. clxi, col. 'i7-io-j2.
Cf. ibid., col. xi.ix-i.xvvni, 41-47. Voir aussi A.Theiner, l'eber
I ermeintliches Décret. Ma enci 1832; P. 1 ournier, Les
collections canoniques attribuées " Yves de Chartres, dans
Bibliothèque de l'école des chartes, 1890 si 1897.
1'. foi i:m i.i i .
1. DÉCRÉTALES. - I. Définition ci divers sens du
mot. II. Recueils ou collection^. III. Ces collections,
sources théologiques.
I. Dm imiiiin 1 1 m m hoi On nomme
déen ; elale constitutum, decretalis episl
ou constitutions de- papes, ayant nue
portée générale soit pour l'Église entière, Boil au
pour une de ks parties notables, une ou plu-
sieurs province tlqut Dans le langage com-
mun des canoniales, on donne le nom de constitution
ou décret aux ordonnances laib - molu proprio, et
l'on réserve relui de d aux ordonnai)
d'ordre général laites en réponse à des demandes ou
2OT
DÉCRET \l I -
208
consultations, le nom de retcril di constitu-
tions ayanl pour objel des personnes privées ou des
cuise- d'ordre particulier. Les termes butte ou bref
indiquent seulement la forme extérieure dans laquelle
sont envoyés l< décrétâtes, rescrits, etc. \'oir
nuls.
A l'origine, le terme décrétale avait un sens plus
étendu : il ne désignait pas seulement les ordonn ai
il ss papes, mais encore celles des évéques. Il avait aussi
des synonymes, comme conslitutum, auctoritas. Maas-
sen. Geschichle </<■/■ Quellen und der Lileratur des
kanonischen Rechts, p. 228.
Le premier document, semble-t-il, où le mot décrétale
paraisse avec le sens que nous lui donnons, pour dé-
signer les ordonnances des papes, est la lettn
pape Sirice à l'évêque Himerius de Tarragone, où il
dit : ad servandos canones et tenenda dscrbtalia
constituta magis ac magis incilamus. Maassen,
op. cit., p. 230,
Enfin le mot a reçu dans la suite un nouveau sens :
il désigne parfois le recueil lui-même des décrétâtes.
II. Recueils ou collections. — 1° Antérieurs à Gra-
tien. — Provenant du chef suprême de l'Église, les
décrétâtes des papes avaient une très grande importance,
et les mêmes cas se représentant plus ou moins iden-
tiques partout et donnant lieu aux mêmes difficultés,
les réponses pontificales étaient souvent communiquées
d'église à église. Bientôt on jugea utile d'en faire des
collections ou recueils aussi complets que possible.
De ces collections, les unes générales, les autres par-
ticulières, quelques-unes sont à peine connues, d'autres
ont été célèbres. Voir l'historique dans Maassen,
op. cit. Nous citerons seulement celle de Denys le Petit,
avec ses formes ou ses modifications postérieures, la
collection de Ouesnel, VHispana, celle des Fausses
Décrétâtes; on en trouvera une liste, pour celles qui ont
paru avant le milieu du iv siècle par exemple, dans
Maassen, op. cit. A partir de cette date, les collections
qui étaient plutôt disposées dans l'ordre chronologique,
prennent un ordre systématique, par matières, et visent
à devenir de plus en plus complètes. On cite parmi
elles la Collectio Anselmo dedicata, celle de Réginon
de Prûm, le Decrelum de Burchard de Worins et
celui d'Yves de Chartres, voir DÉCRETS, col. 206, la
Collectio Anselmi, celles du cardinal Deusdedit, de
Bonizon, celle de Saragosse, le Polycarpus, etc. Toutes
furent dépassées et remplacées par celle de Gralien :
Concordia discordantium canonum, plus tard commu-
nément nommée le Décret. Voir Gratikn.
2° Postérieurs à Gratien. — 1. Antérieurs à Gré-
goire IX. — Le Decretum de Gratien exerça dans le
domaine des études canoniques une influence féconde,
et ce renouveau eut pour conséquence naturelle des
discussions de cas plus juridiques, plus cohérentes.
des appels au pape plus nombreux. En même temps,
ei pour d'autres causes encore, le pouvoir des papes
était appelé à s'exercer davantage; quand ces papes
étaient des hommes et des canoniales comme Alexan-
dre III et Innocent III, leurs décrétales, s'élevant au-
dessus du eas terre à terre qu'on leur avait présenté,
avaient une portée plus haute el pour ainsi dire univer-
selle, elles el. lient plus dénia ndéos ; aussi le le.islre
d'Alexandre 111, par exemple, ne contient pas moins
de 8939 numéros el celui d'Innocent III plus de 5000.
D'autre part, les deux conciles de I.alran de 1179 el de
1215 prirent des décisions 1res importantes et d'une
Fréquente utilité pratique. 11 faudrait s'étonner si ces
textes n'eussent pas été recueillis et ajoutés au Décret.
La première collection que l'on adjoignit ainsi au
Decretum fui VAppend Lateranensis. Divi-
en ."iii parties (portes] et ,">:î7 chapitres, el mi
point grâce è plusieurs recensions successives, elle
contient avec les statuts de Latran (1179), d'autres
pi, ces, par exemple des décrétait
canons de conciles. te|~ rj u. celui de Tours de 1
Elle fut imitée par d'autres collections moins connues :
la Collectio Bambergensit, la Collectio Lipsiensis, la
Collectio Casselana, distribuées toute- en division à
deux degrés : jiartes, libri ou titutt et ta/nla.
I ne nouvelle collection, plus méthodique, fut faite
par un des canonisles les plu- célèbres de l'époque,
Bernard de l'a - ou simple-
ment Papiemis). Nommée d'abord, Breviarium extra
gantium, ou par son auteur, I IravaganHum
et ailleurs Décrétâtes etextrm Vagantia
crela] extra [Decretum]), elle est d | lus com-
munément aujourd'hui sous le nom de Compilatic I
Le dessein du compilateur était, comme celui de
devanciers.de compléter Gratien. Mais ce qui le distingue
d'eux tous et lui donne une importance hors de pair,
c'est l'ordre dans lequel il distribua sa matière : il la
répartit en une division à troi livres, tit
chapitres. Les livres étaient au nombre de cinq dont
la Glose exprima l'ordre et l'objet dans l'hexamètre
bien connu :
Judex, judicium, clerus, connubia isponsalia). crimen ;
le I« traitant de la personne et des devoirs du juge, le
IIe du jugement et de la procédure, le IIP de l'étal
clercs et des moines, le IV- du mariage. I
crimes et délils. Dans ces cinq livres on avait réuni,
sous 152 titres. 932 chapitres. Malgré cette masse de
documents, la compilation restait dans des limites con-
venables : l'auteur, afin d'alléger son œuvre, avait fait
des coupures dans les documents très nombreux, pa-
tristiques, conciliaires, etc.. dont il s'était servi : il n'en
insérait que la partie qu'il jugeait nécessaire, en omet-
tant tout le reste; les omi-- ni indiquées par le
renvoi : et infra. La collection parut après 1191,
lorsque Bernard avait déjà échangé' la prévôté «le 1'
contre l'évêché de Faenza.
Nous nous sommes un peu étendu sur cette compi-
lation, à cause de l'influence prépondérante qu'elle
exerça sur les suivantes et en particulier sur celle de
re IX. Quoiqu'elle ne fut qu'une œuvre privée
et sans caractère officiel . elle servit de texte pour les
leçons et fut commentée par les maîtres qui l'entou-
rèrent de gloses. Aussi, de ce jour, les canonisles.
jusque-la nommés décrétistes, reeurent parfois le nom
de décrétattstesXa citation des textes, quand on y ren-
voyait, se faisait en indiquant le chapitre, suivi du mot
Extra ou simplement X et de l'énoncé du titre.
L'exemple de Bernard fut imité. Ses successeurs
continuèrent son œuvre en colligeant les textes qui lui
avaient échappé en même temps que les décrétales
nouvelles et l'on eut. dans l'ordre chronologique, les
Compilationes III . // . IV* et V*, pour ne mentionner
que celles-là. Deux d'entre elles eurent un caractère
officiel, la Compilatio III*, envoyée par 1 un, •cent 111 lui-
même a l'université de Bologne, afin qu'elle servit tatn
in judiciis quam in scholis, bulle Devotionis vestrm
(28 décembre 1210 . et la Compilatio F», envoyée aussi
par llonorius 111 à l'illustre canoniste Tancrède, alors
archidiacre de Bologne, avec Tordre quatenus e
letnniter publicatis, absque ullo scrupulo dubitatio-
nis ut arts, et al> aliis recipi farias, ta»> in judiciis
(/iicoji in scholis. Bulle A i sariini, de 1236 ou
1227. routes ces collections étaient faites sur le modèle
le de Bernard de Pavie.
L'un des motifs qui axaient pousse Innocent 111 i
donner sa compilation et à l'envoyer à l'université de
Bologne, cet. ut d'exclure une compilation faite par
Bernard de Compostelle qui contenait de- décrétales
rejetées par la curie romaine. Mais toutes les difficultés
n'étaient pas exclues de ce fait. Grégoire IX a marqué
lui-même en termes concis les défauts de toutes ces
209
DECUETALES
210
collections qui se succédaient sans se remplacer abso-
lument : l'incommodité d'avoir recours à plusieurs
ouvrages à la fois trop semblables (par l'accumulation
des mêmes textes) et trop divers (par l'insertion de
textes parfois contradictoires); d'où résultait l'incerti-
tude sur la valeur juridique des sentences portées
d'après ces décrétales.
2. Les Décrétales île Grégoire IX. — A peine monté
sur le trône pontifical où son grand âge ne permettait
pas au pape octogénaire l'espoir de longues années,
Grégoire IX voulut porter remède à ces défauts et
mettre dans cette confusion un peu d'unité. En 1230,
il chargea son chapelain et pénitencier, le dominicain
Raymond de' Pennafort, déjà renommé comme doctor
decretorum , de faire une nouvelle collection destinée à
remplacer toutes les autres. Non seulement on obtien-
drait l'unité matérielle en remplaçant les Quinque
compilaliones par une seule, mais on lui donnerait
l'unité intérieure d'une procédure logique et cohérente,
soit en supprimant les textes anciens, soit même en
les modifiant, et le tout serait mis au point par l'inser-
tion des nouvelles décrétales parues.
Raymond se mit à l'œuvre aussitôt. Afin de ne pas
troubler des habitudes reçues, il conserva, des compi-
lations existantes, tout ce qui pouvait être maintenu,
le cadre, la division en cinq livres subdivisés en titres
et en chapitres. Plus encore, il admit dans la sienne
tous les titres de la Compilatio 1», 10 de la 7/-', 17 de
la lll*, 1 de la IV"; il n'en ajouta que cinq nouveaux.
Le total donnait 185 titres divisés en 1971 chapitres, des-
quels 17(iti \enaient des compilations précédentes; 196
étaient l'apport du pape régnant, et fiô d'entre eux,com-
posés sur la demande de Raymond, avaient pour but
de trancher les questions controversées. Comme ses pré-
décesseurs, et en particulier Rernard de Pavie, l'auteur
avait visé à la brièveté et omis tout ce qui ne lui pa-
raissait pas nécessaire à la solution (entre autres l'ex-
posé du cas qui avait été soumis au pape, les species
facti); les passages omis sont connus sous le nom de
parles dccisœ et ils sont indiqués, comme dans Rer-
nard. par le renvoi : et infra.
Raymond de Pennaforl n'avail pas visé à faire une
œuvre originale. En prenant les textes connus, il ne
remonta pas aux soui et se contenta de les insérer
cornue' les donnaient les Quinque compilaliones. Ces
- provenaient de la sainte Ecriture, des canons
onciles, depuis celui de Sardique
jusqu'au l\ de Latran 1215), des décrétales pontifi-
depuis lioniface I" jusqu'à Grégoire IX, des
Pi i' - de l l glise, d< • ordines roniani, de- pénitentiels,
ois civiles; quelques Fausses Décrétales alors re
Dtrèrenl aussi A l'intérieur de chaque titre il
disposait ordinairement les chapitres dans l'ordre
chronologique, ce qui existait déjà, au moins en par-
dans quelques-unes des compilations précédentes,
par exemple celle de Bernard. Mais, c tes de-
vanciers aussi, il ne se priva pas de mettre en mor-
des constitutions pontificales afin de i partir ces
- dans les divers titres ou chapitres où elles pou-
raienl ''ire utiles ; c'est ainsi que l'on voit la constitu-
tion Pastoralit officii d Innocent III divisée en treize
morceaux. Mieux encore, non content des déi
qu il obtenait du pape afin de trancher cer-
taines difficultés, il employait d'autr rens que
trouverionf aujourd'hui moins acceptables,
im en . lustinien, par exemple, avaient
admis, comme les modifications de i, (tes ou des
interpolai'
Le nouveau compilateur mena s, m oeuvre avec une
de activité. Dans le bn i espai e de quatre ans, la
nouvelle collection était achi • La bulle Reœ pacifi-
« ui ins< !■ i dan touti les éditiom en lécri
ptembre 1231 • nvoyi e de Spoli te aux
universités de Paris et de Pologne, donnait à l'œuvre
de Raymond de Pennafort le caractère d'une collection
officielle : elle seule serait enseignée dans les écoles et
employée dans les cours ecclésiastiques, et il était in-
terdit d'en faire une nouvelle sans l'autorisation du
saint-siège : Volantes igitur, ut hac tanlum compila-
tione universi utanlur in judiciis et in scholis, di-
slrictius proliibemus, ne quis prxsumat aliam facere,
absque auctorilale sedis aposlolicm speciali.
Le pape fut obéi. La nouvelle collection, que l'on
nommait, à défaut d'un titre officiel donné par le pon-
tife, tantôt Penlateuchus, tantôt et plus communément
Exlravagantium liber, servit de texte à l'enseignement
des écoles et fut l'objet de gloses et commentaires dé-
signés sous le nom de Summse, Distinctiones, Notabi-
lia, Casus, Margarilae. Ces gloses furent nombreuses
et plusieurs très renommées, parmi lesquelles on peut
mentionner YApparalus d'Innocent IV, la Sunima
d'Henri de Suse plus connu sous le nom de son titre
cardinalice Hostiensis, la Glossa ordinaria complétée
et achevée par Johannes Andreae, les Leclurse de
Panormitanus.
On a dit plus haut que la collection avait une valeur
de collection officielle. Les textes qu'elle contenait,
quelle qu'en fut l'origine ou l'authenticité historique,
avaient, de par la volonté du pape, force de loi. Le
législateur donnait ainsi une authenticité à tout ce que
contenaient les cinq livres. Môme, on pouvait désor-
mais invoquer comme lois non seulement le texte de
chaque chapitre, mais celui des titres dont l'énoncé
donnait un sens complet, ceux-ci par exemple : Ut
lite non contestata non procedatur ad testium re-
ceptionem vel ad senlentiam definitivam, 1. II,
lit. vi; Ne sede vacante aliquid innovetur, 1. III, tit. ix;
De magistris, et ne aliquid exigalur pro licenlia do-
cendi,\. V, tit. v; De simonia, et ne aliquid pro spiritua-
libus exigatur vel promitiatur, 1. V, tit. m. Par là,
cette collection se distinguait nettement de celle de
Gratien, par exemple, où les textes n'avaient originai-
rement d'autre valeur juridique que celle de la source
authentique.
Par contre, rien n'était, changé, naturellement, à la
valeur historique des documents cités : la volonté du
pape ne pouvait faire que les pièces apocryphes, s'il
s'en rencontrait, ne demeurassent pas apocryphes his-
toriquement.
Quant à la manière de citer, on appliqua aux Décré-
tales de Grégoire l\ le mode usité' pour les compilations
antérieures et que réclamait le titre même d' Extrava-
gantes qu'on lui donna longtemps : on renvoyait aux
textes en citant le numéro d'ordre et les premiers mots
du chapitre, ou l'un ou l'autre seulement, suivi des
initiales Extra ou bien K, du numéro du livre et du
titre ou de son numéro d'ordre dans le livre; ainsi.
par exemple, le c. Omnis utriusque sexus du IV'' con-
cile de Latran sur la confession annuelle et la commu-
nion pascale ('tait indiqué : c. 12. Omnis utriusque
sexus, ou c. 12, ou c. Omnis utriusqiii x. /'e
psenitentiis et remissionibus, ou bien \. Y. xxxvm.
Une œuvre destinée ainsi à l'usage quotidien eut. dès
l'invention de l'imprimerie, des éditions nombri e
on en a compté' plus de quarante depuis liT ; date 'le
la première, jusqu'à l'an 1500. i n 1580, le texte souvent
corrompu, fui - une révision officielle, par les
ordres de Grégoire \ 1 1 1 . le pou nie en confia la i h
aux ' romani, Franciscus Pegna >i sixtu-
Fabri, qui venaient de remplir le méi ffice pour le
Décret de Gratien deux .ms après, en 1582, l'édition
titn D /< Grtgo-
, n IX nus integrilai elques
années au] Le ( lonb I ontiui publiait
■ \n ■■ ■ i nne éd n dans laquelle || avait n lnt<
|i m place li - partes cfo >s.v. a partit de 1681, la plupai i
211
DÉCRÉTALES LES FAI SSES
212
des éditione bftloises du Corpus juria donnèrent
parles decitm, mais en les renvoyant à la Bn de chaque
chapitre; toutefois ce ne fut que dans l'édition de
,1. II. Bôh i'17'iTi que l'on vil se faire jour la pensée
il.- remonter aui sources afin il'1 restituer leur texte au-
thentique; l'édition de Richter (1839) apporta de nou-
velles améliorations; l'édition de Friedberg 1 1881 1 semble
seule donner enfin satisfaction aus exigences de la cri-
tique.
'A. Les collections postérieures à Grégoire IX- —
Après la bulle Rex pacifiais, le rôle de la papauté con-
tinua de grandir et son inlluence de s'étendre; les nom-
breuses décrétâtes, données en réponse aux questions
posées de toute part, furent recueillies encore [il us fidèle-
ment. On peut lire dans Schulte la liste de ces collec-
tions; plusieurs d'entre elles eurent un caractère offi-
ciel, comme celle d'Innocent IV dont les textes étaient
destinés à être insérés dans la compilation de Grégoire IX :
elle fut envoyée, elle aussi, aux universités de Paris et
de Bologne avec l'ordre de s'en servir à l'exclusion de
toute autre; ainsi encore celle de Grégoire X, envoyée
avec les mêmes prescriptions aux universités de Paris.
Bologne et Padoue ; celle de Nicolas III, adressée à
l'université de Paris.
Les mêmes difficultés, qui avaient rendu nécessaire
la compilation de Raymond de Pennafort après les col-
lections officielles d'Innocent III et d'Honorius III, ins-
pirèrent à Boniface VIII de publier un nouveau recueil
qui dispensât des précédents. Il en confia la préparation
à trois canonisles, un Italien, Richard de Sienne, et deux
Français, Guillaume de Mandagout et Rérenger Frédoul ;
l'œuvre nouvelle reçut le nom de Sexte. Voir ce mot.
A son tour, Clément V estima utile de continuer
l'œuvre de son prédécesseur. Il fit réunir ses décré-
tâtes et les décisions du concile de Vienne. La collec-
tion ne parut toutefois qu'après sa mort, par les soins
de Jean XXII son successeur. Voir Clément V, t. m,
col. 08.
Pour les Extravagantes communes et celles de
Jean XXII, voir EXTRAVAGANTES.
.Nous terminerons par quelques indications sur deux
collections sans valeur officielle et néanmoins intéres-
santes, qui portent toutes deux le même titre : Liber
septimus Decretalium . La première fut une œuvre pri-
vée : c'est le Liber septimus du canoniste lyonnais
Pierre Matthieu, qui y réunit les décrétâtes des papes,
à partir de Sixte IV. auquel s'arrêtaient les Extrava-
gantes communes, jusqu'à Sixte-Quint. Elle parut à
Lyon en 1590. Divisée comme les précédentes en livres,
titres et chapitres, elle est annexée à la suite îles autre-
dans presque toutes les éditions du Corpus juris depuis
1590. Voir t. il, col. 1345-1346. La deuxième collection,
entreprise sur l'ordre de Grégoire XIII et confiée par
Sixte V au cardinal Pinelli, était destinée a devenir
officielle. Clément VIII. qui y avait travaillé étant car-
dinal, voulait en faire un recueil semblable à ceux de
Grégoire IN. Boniface VIII, etc. Mais diverses considé-
rations empêchèrent de lui donner la promulgation
nécessaire, celle-ci en particulier, que la nouvelle col-
lection serait sans doute l'objet de gloses et de com-
mentaires comme les précédentes; or, connue elle
contenait les décrets du concile de Trente, la publica-
tion de ces gloses serait en contradiction avec la bulle
Benedictus Deus, qui interdit aux particuliers m décréta
concilii commentarios ri interpretationes suas ■
Aussi le volume imprimé en 1598 ne reçut ancune publi-
cité, et il était à peu près inconnu, lorsque Fram
Sentis l'édita de nouveau en 1870 sous ce titre : '.'/<■-
mentis papa \lll Décrétâtes quss vulgo nuncupantur
liber septimus Decretalium.
III. Ces collections, soi mis raËOLOGiQi es. Bien
qu'elles soient île leur nature collections canoniques, li s
décrétâtes intéressent les théologiens, soit parce qu'elles
contiennent plusieurs textes dogmatiques des coni
en particulier dans le titre /' a Trinitate et
fide catholica, qai ouïe ]., jérii des testes, ~"it pu
suite de l'union qui existe naturellement entre les appli-
cations de la loi canonique et les principes dof
tiques qui l'inspirent
La bibliographie des I' breuse; on
ra i' i seulement les ouvragi plus utiles :
a. Tbelner, Disquisitiones critica", Rome, 1K*j: Phillips, A'ir-
chenreclit, t. iv ; Maassen, Geêchichle n und der
Literatur des kanonischen Bechle, ' .rat/, ihto. t. i ; i
Bemardi Papiensis^Faventini ep ■ Décret
Ratisbonne, 1860; Aem. P"i
D du Corpus juris, tu: I
antiquai neenon coUectx
Ir. Schulte, Die Geschichte der Q i Literatur des
canonischen Bechta, Stuttgart, 1S75. t. i et n; Fr. Laurin,
Introductio m Corpus juris canonici, Fn!
\ . Tardif, Histoire des n
P. Schneider, Die Lettre von den Kirchenrechisifnellen.
■1- édit., Ratisbonne, 1-
A. Vulliek.
2. DÉCRÉTALES (LES FAUSSES). - 1 Nom.
II. Division. III. Date de la collection. IV. But V. Patrie.
VI. Inlluence sur la discipline ecclésiastique.
I. Nom. — On donne le nom de Fausses Décrétâtes
à une collection canonique, divisée en trois partie-,
contenant des décrétâtes des papes et des canons des
conciles, qui parut vers le milieu du IX' siècle.
On la qualifieaussi de pseudo-Isidorienne, parce que
le compilateur s'attribue le nom d'Isidore. Sa pn :
en effet, commence par ces mots : Isidorus Mercator
serras Chrisli, et le titre qui la précède est ordin
ment : Incipii prmfatio SANCTt istDORt libri I,
Le nom d'Isidore a été pris en souvenir de saint Isi-
dore de Séville, la nouvelle collection se présentant
comme une édition améliorée et augmentée d'une col-
lection plus ancienne de décrétâtes et de conciles, dite
fftsj ana, mise naturellement sous le patronage du plus
célèbre des évéques d'Espagne dans le- socles pas
saint Isidore de Séville. Quant au nom de Mercator —
on trouve parfois Peccalor, ou même Mercatus —
viendrait, dit M, Paul Fournier, après Hinschius,
l'utilisation faite par Isidore de deux pa-s.,_, - de Ma-
rins Mercator. » Etude sur les Fausses Décrétâtes, dans
la Reçue d'histoire ecclésiastique, 1ÏHX5. p. 34, note.
II. Division. — La collection se divise, comme nous
l'avons dit, en trois parties.
La lre contient : I" la préface du pseudo-Isidore.
linée à recommander son livre; ■! deux lettres apo-
cryphes, l'une de l'évéque Aurelius de Carthage au pape
Damase pour lui demander le recueil des déci-
des papes qui l'ont précède, l'autre, la prétendue
réponse de Damase; 3° VOrdo de celebrando concilia,
édition d'une pièce authentique, le canon 4 du IV» con-
cile de Tolède augmentée de prières; 1° une table de-
canons des apôtres, des décrétâtes des papes jusqu'à
Melchiade et l'indication des conciles : Breviarium
iium apostolorum etprimoruma sanctà Clémente
usquead sanclum Silveslrum alque diversorum .
Iioriim... ; 5* une lettre (fabriquée aussi de saint Jé-
rôme au pape Damase, pour demander le récit des faits
et -estes de- premiers papes; ti les canons d -
au nombre de cinquante ; 7 soixante lettres ou d
taies apocryphes des pape-, de saint Clément à saint
Melchiade, toutes fabriquées par le pseudo-Isidoi
l'exception des deux lettres de Clément ad Jact
fratrem Oonitni Ma première vient dune source
qne et fut traduite en latin par Rufin. le compila-
teur n i pu s'empêcher d'j joindre un complément;
la deuxième se trouve également dans les collections
antérieures, le pseudo-Isidore l'a complétée aussi
fantaisie.
La 11' partie contient les textes d'un certain lue
213
DÉCRÉTALES (LES FAUSSES;
214
de conciles précédés de quelques nouvelles pièces apo-
cryphes, qui sont : 1° une brève dissertation de primi-
tive* Ecclesia et stjnodo Nicxna, composée par le
pseudo-Isidore ; 2° Vexemplar constiluli domni Con-
slantini imperatoris, contenant en particulier la fa-
meuse donation de Constantin, antérieurede plus d'un
demi-siècle à l'éditeur de la compilation; 3° quelques
lignes seulement, empruntées àYHispana, sous le titre:
Quo iempore action sit Nicaenum concilium ; 4° une
prmj'atio Nicxni concilii, qui se lit déjà, à l'exception
de quelques passages que le prétendu Isidore prit dans
Ru lin, dans une collection antérieure dite collection de
Qaesnel, du nom de son premier éditeur; 5° une autre
et courte préface en cinq distiques, tirée, celle-ci, de la
collection Dionysio-Hadriana ; viennent enfin tous les
conciles de la Collectif) Hispana, auxquels on a ajouté,
à la suite du IVe concile de Tolède, les autres du Ve au
XIIIe. L'ensemble est authentiquée quelques exceptions
près. Ces exceptions sont : a; VEpistola formata
Atlici episcopi Conslantinopolitani , empruntée proba-
blement à Y Hispana, insérée après les conciles grecs ;
b) YEpistola Aurelii Mizoniique, insérée après les
titres des canons du I" concile de Carthage, tirée de
la collection de Quesnel; c) l'interpolation du mot
chorepiscopos dans les premières lignes et les derniers
mots du canon 7 du IIe concile de Séville, interpola-
tion qui parait bien être du pseudo-Isidore.
La III' partie reprend les décrétales des papes :
Item incipiunt capitula Decrelalium vencrabilimn
apostolicorum sanctse Romanse sedis Ecclesix, à
l'image de ce qui formait la seconde partie de la col-
lection Hispana, et comprend les décrélales des papes,
de saint Silvestreà saint Grégoire le Grand, avec quel-
ques décrets de Grégoire II. De cette longue série de
textes, un tiers environ est apocryphe; mais il n'entiv
pas dans le plan de ce dictionnaire d'en exposer le
long et minutieux détail : on le trouvera dans l'édition
qu'a faite de toute la collection P. Hinschius. Tout ce
qu'il convient de dire, c'est que les treize premières
décrétales, jusqu'au pape Damase, sont apocryphes ;
apocryphes aussi eu entier celles d'Anastase I", sixte III,
I '. Félix IV, Boniface II, Jean II, Agapit, Silvère,
Pelage Ier, Jean III, Benoit [«■, Pelage II; apocryphes en
parlie celles de Damase, Léon le Grand, Symmaque,
V'igili ' Grégoire le Grand. Noua ne pouvons pas
r non plus dan- le détail des classes et des sous-
classes de manuscrits que Hinschius a reconnues et
entre lesquelles il répartit les diverses éditions non im-
primées qui nous sont parvenues.
III. Date de i.\ collection. — La question que nous
devrions logiquement examiner serait celle-ci : quel
esi l'auteur di ompilalion? Avouons tout de
suite qu'on l'ignore, que les identifications proposées
eut trop sui de pures hypothèses et que leurs
auteurs ne les émettent qu'avec la plus extrême réserve.
Aussi s'est-on attaché surtout à fixer la date de l'œu vrc
et le butque le compilateur a poursuivi.
Le recueil n'est pas daté. On peut néanmoins serrer
/ près I époque précise où il parut. « Il est cer-
tain, dit M. P. I oui nier. op. 'il . p. 302, que Loup,
abbé de Ferrièn - cite une décision des Fausses Décré-
lales, attribuée au pseudo-Melchiade, dans une lettre
ou dam un projet de lettre adressé en B58aupape
Nicolas I ■'. Il est non moins certain que plusieurs
textes de- i m e Décrétales sont cités dans la lettre
synodale écrite en 867 au nom du roi Charles le Chauve
par li concile de Quierzy. i II j a plus. Une citation
Indubitable des Fau D i I ve dan
statuts donnés par Hincmar de Reims A ton dioci
promulgés i t novembre 852. Les efforts que
lains auteurs ont fait- pour délai ni i di - statuts la cita-
tion emprunté' m pseudo-Isidon n'ont pas été couron-
nés il ■ la date du I" novi mbre 862 reste una
nimement acceptée. La collection était donc certaine-
ment compilée avant cette date. L'était-elle depuis
longtemps? Il est plus malaisé de fixer la date précise ;
mais on peut affirmer qu'elle est postérieure aux capi-
tulaires de Benoit Lévite. De l'avis commun des histo-
riens, les Fausses Décrétales dépendent de ces pseudo-
capitulaires; or les capitulaires ont paru certainement
après la mort d'Otgar de Mayence, survenue le 21 avril
8i7 : Benoit Lévite parle d'Otgar comme étant déjà
mort :
Autcario demum, quem tune Moguntia summum
Pontificem tenv.it, pracipiente pio.
Le 21 avril 847 et le 1er novembre 852 sont donc les
deux dates extrêmes entre lesquelles doit se placer la
compilation des Fausses Décrétales. Un autre argu-
ment, développé par quelques auteurs, est d'une valeur
trop discutée pour que nous croyions utile de le repro-
duire dans un exposé sommaire.
IV. But. — On a discuté beaucoup autrefois sur le but
que se proposait le compilateur ou l'artisan de tant
de pièces apocryphes ou falsifiées. A l'époque des luttes
ardentes du protestantisme, du gallicanisme ou dujo-
séphisme contre Rome, on affirmait volontiers, parmi
les hétérodoxes de toute couleur, que le pseudo-Isidore
avait eu pour but de favoriser la suprématie du pape et
d'exagérer ses pouvoirs. C'était l'opinion des David
Blondel, Gibert, de Marca, Doujat, van Espen, Febronius,
Eichhorn, Theiner. Elle a perdu aujourd'hui toute
créance chez les savants, à quelque foi religieuse qu'ils
appartiennent. D'autres attribuent au faussaire des
vues particulières plus restreintes, par exemple le réta-
blissement d'Ebbon sur le siège de Beims, la création
d'un siège primatial à Beims ou à Mayence, le souci
d'assurer la sécurité de certains prélats menacés d'une
déposition imminente (Aldric du Mans ou même Otgar
de Mayence). D'autres enfin pensent que ce n'est pas
dans des vues aussi mesquines et de simple intérêt parti-
culier que le faussaire a pu rassembler une telle quan-
tité de matériaux : la petite cause qu'il eût prétendu
défendre par là en eût été écrasée.
Le but que poursuit l'auteur doit ressortir des textes
mêmes qu'il a amoncelés et fabriqués. On ne le décou-
vrira que difficilement dans les textes authentiques ou
autres qu'il a en commun avec les collections anté-
rieures; on le trouvera plutôt dans les pièces qu'il a
lui-même fabriquées ou retouchées. C'est donc par
l'étude des apocryphes que nous pourrons discerner le
but poursuivi. Et encore, parmi les pièces fabriquées,
n'attachons pas une importance excessive à celles qui
ont pour dessein de combler les lacunes du Liberpon~
li/icalis, souvent exploité par lui, en forgeantdes déci-
sions qui correspondent au récit de ces annales ponti-
ficales.
Il est une idée sur laquelle le pseudo-Isidore insiste
à cent reprises. C'est elle qu'il a en vue quand il fait
remarquer que c'est chose grave que d'accuser un
supérieur; qu'il faut de nombreuses conditions pour
qu'un accusateur mérite d'être entendu ; que les '
ne doivent accuser ni les clercs ni, à plus forte raison,
les évèques; que dans un procès contre les clercs le
seul tribunal compétent esl le tribunal ecclésiastique;
que le juge des évèques ce ne sont pas les laïc
ils princes, mais le métropolitain ou b' prim.it :>
d'au moins douze - | que ce juge mémi
pourra jamai - déposer >m évéque
an pape seul compétent s cette fin, et que tout évéque
lé ou condamné peut toujours en appeler au pape.
.elle qu'il pense qu.lllll il I .1 |i|M I le ., \ er i |l|el soit!
minutieux on doit suivre, dam l'acte même du pi
de la justice, ne iur ai aucun absent, ai p i -
miiir ei de vexations inutiles, lui restituer
iblemenl ce qui lui aurait été enlevé; quand il
4Jir.
DÉCRÉTALES [LES FAI 5S1 -
210
affirme que, même condamné, l'accusé* pourra, sa pé-
nitence accomplie, rentrer dans i exercice de son mi-
niatère ecclésiastique ou du moins bénéficier «lime
translation. C'esl elle encore qui l'inspire quand il
exige des témoins invoqués pour confirmer une accu-
sation contre un évéque les mômes garanties qu'on
demandée un accusateur; qu'onne tienne compte que
des aveux faits librement et sur les faits personnels à
celui qui avoue, tout écrit extorqué par violence ou
par fraude devant être considéré comme nul ; que l'ac-
cusé ait les pi us grandes facilités pour recueillir ses
moyens de défense et les faire valoir.
L'indépendance réclamée pour les causes judiciaires
de l'Kylise, des clercs et des évéques, le pseudo-Isidore
la réclame aussi pour soustraire aux convoitises des
laïcs, ou même de certains clercs, les biens ecclésias-
tiques, garantie de liberté pour le pouvoir spirituel; il
sanctionne même ses réclamations par la menace ou la
réalisation de peines graves, comme l'excommunication,
contre ceux qui auraient empiété sur les droits de
l'Église. Et si, alin d'assurer cette indépendance des
personnes et des biens ecclésiastiques, le pseudo-Isi-
dore se tourne si franchement vers Home à laquelle il
reconnaii, mieux qu'on n'avait fait jusque-là, le pouvoir
suprême, c'est qu'une église particulière, comme toute
parlie divisée, ne peut trouver un appui efficace que
dans son centre.
II ne suffit même pas à l'Église d'échapper à l'asser-
vissement extérieur. 11 faut éviter aussi le péril de la
désorganisation intérieure; et le plus sûr moyen d'y
parvenir, c'est de fortifier de plus en plus les cadres de
sa constitution. Au degré inférieur, la subordination du
curé, cbef de sa paroisse, a l'évêque, chef du diocèse,
comme les soixante-douze disciples furent soumis aux
apôtres. Au dessus des curés, et sans aucun intermé-
diaire, l'évêque élu par le clergé et le peuple, avec la
présence effective ou tout au inoins le consentement du
métropolitain et des comprovinciaux. Le compilateur
insiste sur cette thèse, qu'il ne doit y avoir qu'un
évéque par civitas ou district, et que cet évêque sera
consacré par trois évéques de la province. Par là, se-
ront exclus les eborévéques destinés à déebarger de
leurs soucis les évéques oisifs : ordonnés en général
par un seul évoque et sans titre épiscopal, ces eboré-
véques sont considérés comme de simples prêtres. Au
contraire, l'évêque d'un diocèse qui a gardé l'ampleur
des civilates antiques, c'est la colonne qui soutient le
diocèse et qu'il est dangereux d'ébranler. La constitu-
tion du diocèse est donc monarebique : celle de la
province est oligarchique; le métropolitain n'en est pas
le souverain absolu, il n'est que le président d'une
oligarebie formée parles dix ou douze suilragants réu-
nis en concile provincial.
On voit très bien que la place laissée au primat ou
au patriarebe national dans cette organisation est très
restreinte : primat ou patriarebe n'ont qu'une vaine
apparence de vie et de pouvoir.
Une le but poursuivi par le pseudo-Isidore soit bien
celui que l'on vient d'indiquer, c'est-à-dire donner
une assise plus forte au pouvoir de l'évêque, garantir
son sie^e. la liberté de Bon ministère, son avenir, ses
biens, en un mot assurer l'indépendance île I i
diocésaine contre les violences de laïcs puissants et la
faiblesse des comprovinciaux apeurés ou jaloux, tout le
prouve, depuis la préface où le compilateur dit qu'il
publie sa collection alin que les évéques ses coll.
ne soient plus tourmentés par les méchants, jusqu'au
nombre même des canons i70i qu'il a fabriqués alin de
garantir les évéques contre les accusations injustes.
v. Patrie. — C'esl de toute cette histoire le point sur
lequel les discussions ont été le plus vives el l'accord
le plus malais,', n n'est guère de pays chrétien pour
lequel on n'ait revendiqui le douteux honneur d'avoir
donné naissance à la compilait) I ce furent
ontemporains, trompés par le nom el
d'Isidore, crurent que la collection venait d Esp
Cette opinion, abandonnée depuis quatre siècles au
moins, n';( pins traîné dans les temps modernes qu'un
seul partisan : l'abbé P. S. Ulan< liastique,
leçon b»:',. 1867, t. n, p. 196. La collection vient m peu
d'Espagne qn on n'a pu découvrir dans ce pays aucun ma-
nuscrit des Fausses Décrétâtes du ix* au xu
l'on a même pu dire qu'avant la découverte de l'impri-
merie I Mir. ie du pseudo-Isidore y était restée inconnue.
D'autres, plus nombreux, ont prétendu que l'œuvre fut
fabrique* ni les mêmes qui, ne voulant
remarquer dans la collection que les passages favorables
au pape, s'en allaient répétant : It fecit cui prodi
Les autres arguments qu'ils invoquaient n'ont pas la
valeur qu'ils leur attribuaient : de la dépendance du
pseudo-Isidore avec les capitula Angilramni on ne
peut rien conclure, car on ignore la patrie des capitula,
et la dépendance, facile à constater, avec le Liber \
ti/icalis, ne prouve pas davantage, ce dernier ouvrage
se trouvant non seulement a Home, mais dans les prin-
cipales églises et abbayes de France.
Nul aujourd'hui ne cherche plus la patrie du pseudo-
Isidore en Espagne ni à Rome, ni même en dehors de
l'empire carolingien. D'une part, en efiet. le compila-
teur s'est servi, avee YHispana, de deux collections
ayant des attaches particulières avec la France: la
Dionysio-Badriana, envoyée par le pape Adrien à
Cbarlema-ne, et la Quesnelliana, d'origine gallo-
romaine. Il est évident, d'autre part, que si le pseudo-
Isidore a poursuivi un but, et le but que l'on vient de
marquer, il a du le faire en vue d'un pa\s déterminé,
où la situation de l'Église était précisément celle à la-
quelle les pièces fabriquées pouvaient porter remède:
en vue d'un pays où les évéques étaient en butte aux
persécutions des bues puissants, où ni leur personne,
ni l'exercice de leur ministère, ni lindépendance de
leurs biens n'étaient assurés, où l'on avait des exemples
tout récents d'évêques accusés et déposés sans avoir
pu se défendre. Enfin, les meilleurs et les plus anciens
manuscrits de la collection, même le Vaticanus (vtO,
l'un des plus intéressants, sont d'origine franque.
C'est donc l'empire franc qui est la patrie du pseudo-
Isidore. Mais si l'unanimité s'est faite sur cette conclu-
sion, elle ne l'est pas sur la province de l'empire franc
où se trouvait l'atelier du faussaire. Les uns cherchent
cet atelier dans la province de Mayence. d'autres dans
celle de Reims, d'autres dans celle de Tours.
]■■ Province de Mayence. — Elle eut «les partisan-
nombreux dont le crédit est mjourd'hui très diminué.
Voici les arguments que l'on fait valoir en sa faveur :
1. la parenté des Fausses Décrétâtes avec les capitu-
lants de Itenoit Lévite qui se donne comme diacre de
Mayence; 2. le grand parti que le compilateur a tiré de
la correspondance de saint Boniface, évéque de Mayence ;
:i. la conformité de vues entre les évéques de Mayence
qui désiraient vivement ressaisir les pouvoirs variée <i
nombreux de saint Boniface, en particulier garder un
nombreux cortège de suffraganls, el le pseudo-Isidore
qui requiert pour le tropolilain une ville. in-
cienne el une don/. une au moins de suiïragants : or.
depuis la mort de s, m fondateur, la metropol
Mayence Be voyait morcelée de plus en plus. C'était,
Sincmar l'atteste, une opinion reçue dans la seconde
moitié du iv siècle, que la compilation venait de
Mayence. Telle est la thèse de Blasco, de Marea,
Baluxe, Knusl, Wasserschleben, Gocke, Pitra, Deniin-
On a répondu que ces arguments nom pas toute la
valeur que ces historiens leur attribuent: car, I. nous
ne gavons rien de la patrie ni de la personne de Benotl
Lévite, el l'inscription à Otgar et a Mayence parait bien
217
DÉCRÈTALES (LES FAUSSES;
218
être une supercherie ; 2. Otgar en faveur de qui, suivant
les protagonistes de la thèse, la compilation aurait été
faite, était mort avant l'apparition des Fausses Décré-
tâtes; 3. on ne voit pas qu'il fût spécialement question, à
Mayence, de luttes contre les chorévéques; 4. Rhaban
Maur, successeur d'Otgar sur le siège de Mayence, ne cite
jamais les Fausses Décrélales même après que Hincmar
s'en fut servi ; 5. les larges extraits de la correspondance
de saint Boniface ne sont pas dans les manuscrits du
type primitif de la compilation.
2° Province de Reims. — La province de Reims a,
de son coté, de nombreux partisans. Quelques-uns ont
poussé leurs déductions assez profondément pour
croire qu'ils pouvaient indiquer jusqu'à l'auteur pro-
bable de la collection; les uns, le clerc Vulfade, adver-
saire d'Hincmar, les autres, Ebbon, l'ancien archevêque
et compétiteur du nouveau titulaire. C'est l'opinion de
maîtres comme Weizsâcker, Roth, Dove, von Noorden,
llinschius, Friedberg, Lurz, A. Tardif, Ph, Schneider,
F. Lot, E. Lesne. Voici leurs principaux arguments :
1. il y eut à Reims une question des chorévéques,
et Hincmar (845-882) se montra peu favorable à leur
institution; 2. il s'occupa tout particulièrement de
rentrer en possession des biens enlevés à son église
pendant la vacance qui suivit la déposition d'Ebbon;
3. c'est là que s'était produit, durant la première moi-
tié du IXe siècle, l'un des plus violents parmi les con-
flits auxquels prétendait remédier la nouvelle compila-
tion : le procès d'Ebbon, archevêque de Reims, déposé,
puis replacé sur son siège, puis déposé de nouveau,
toujours sous la pression de mouvements politiques,
-.m- qu'on lui laissât parfois la liberté de se défendre,
et que l'on avait réduit quelque temps à la commu-
nion laïque: i. c'est à Reims que l'on rencontre les
premières citations dûment constr tées des Fausses
Récrétales.
On a répondu à ces divers arguments: 1. l'eu im-
porte qu'il \ eût à lieims une question des chorévéques
et que Hincmar leur fût opposé : ce n'est certainement
pas Hincmar qui avait besoin des Fausses Décrétâtes
dans sa défense contre Ebbon et ce n'est ni par lui ni
par ses ordres que l'œuvre fut compilée; 2. ce n'est
pas seulement à Reims, c'est partout dans l'empire,
qu'à la suite des guerres de Louis le Pieux contre ses
enfants, les églises furent pillées ou dépouillées;
3. il y eut, en effet, ■< lieims. des luttes particulière-
ment vives •' 1 occasion d'Ebbon, surtout en 835 et 840.
M. us. à partir île l'élection d'Hincmar, une accalmie
complète, pendant la période 847-ST>l ;
est-il vraisemblable que Vulfade et ses .unis aient con-
sacré leurs loisir- .i -■ munir de documents pour une
ion, surtout au mo-
ment où leur ancien évéque, Ebbon, atteignait la vieil-
■t se rapppochail .i grands pas de la tombe —
Ebbon mourut en 851 - el eux-mêmes, les clercs or-
donna- i h i bbon, n'avaient plus d'autre ressource
que la clémence d'Hincmar? i. Enfin, si l'on voit, à
l'occasion du procès soulevé entre Hincmar et ces
clercs, m< ttre au jour divers* - pièces apocryphes appa-
rentées aux l ausses Décrétâtes, soi) dans la Narratio
clericorum Remensium, soit dans VApologeticum
Ebbcnit, ce fait n'a pas toute la signification que
d aucuns lui atti Ibuent, itationt sont indubi-
tablement postérieures à celles faites par Hincmar, ei
l'on ne comprendrait absolument pas que. Un, soup-
çonneux el pénétrant, toujours très informé de ce qui
Hincmar ait ignoré que
Is compilation qu'il citait eût été fabriquée dans son
dÏ0( ■ eux, contre lin. p.ir ses
Inférieui • i I
I i n présence des difficultés
que ittributions préi ■ denti -, quelques
critiques ont cherché la patrie du pseudo Isidore dans
la province de Tours. — 1. La situation de cette province,
vers le milieu du IXe siècle, fut, en effet, des
plus douloureuses. A la suite de la révolte de la Bre-
tagne sous Noménoé, on vit des évêques poursuivis et
condamnés par des tribunaux laïcs, sans avoir pu se
défendre, chassés de leurs sièges, leurs églises pillées
et dépouillées de tous biens; on vit la province de
Tours démembrée contre tout droit, le titre de métro-
pole accordé à une bourgade obscure et sans histoire,
les quatre évêques poursuivis par le roi breton, livrés
au tribunal séculier, pieds et poings liés, menacés de
mort s'ils n'avouaient les crimes qu'on leur imputait,
chassés, errants, misérables, sans aucun espoir de re-
monter sur leurs sièges, car la discipline, contre la-
quelle le pseudo-Isidore protestait, prétendait leur inter-
dire le bénéfice de toute translation; c'est dans la
Bretagne révoltée que l'on voit le plus fréquemment
les évêques consacrés par un seul évêque; au lieu de la
paroisse normale desservie par un curé soumis à
l'évêque sans intermédiaire, on y voit, à la tète des
paroisses, des moines soumis, non à l'évêque chef du
diocèse, mais à l'abbé du monastère d'où ils sortent.
Bref, la situation des églises bretonnes est bien celle
que le pseudo-Isidore condamne et veut réformer. —
2. L'Église du Mans était particulièrement exposée aux
incursions des Bretons : Noménoé occupa même la
ville du Mans en 850; l'évêque, Aldric, avait donc lieu
de craindre le sort qui avait été infligé quelques an-
nées auparavant à ses collègues de la Bretagne propre-
ment dite, d'autant plus qu'il avait été chassé déjà une
fois de son siège. — 3. Il y a une parenté indéniable entre
les Fausses Décrétales et plusieurs textes originaires
du pays inanceau : a) par exemple avec la bulle apo-
cryphe par laquelle le pape Grégoire IV est censé faire
observer, le 8 janvier 885, que, si Aldric est accusé, il
pourra toujours en appeler au saint-siège; or il parait
bien évident que nul, en dehors de la province de
Tours, ne s'inquiétait à ce point d'Aldric; b) les mêmes
idées avec les mêmes phrases caractéristiques, qui
les expriment dans les Fausses Décrétâtes, reparaissent
souvent dans un prétendu Memoriale d'Aldric, inséré
dans les G esta Aldrici, et qui n'a aucun intérêt en dehors
du diocèse du Mans; c) non seulement on rencontre les
mêmes idées et les mêmes phrases, mais aussi le
même souci d'attribuer ses dires à des papes des pre-
miers siècles. Telle est l'hypothèse entrevue par
llinschius, développée par Langen (qui pensa pouvoir
affirmer que le père de la compilation était Loup,
abbé de Ferrières, opinion restée sans écho), enfin
par Sinison qui fixa le lieu d'origine au Mans. Simson
fut suivi par Mu1 Duchesne, MM. P. Viollet, ,1. Havet,
P. Fournier. Ph. Schneider (art. l'scudo-Isidiir, dans
Kirchenlexikon, 2" édit.), Dôllinger. Aujourd'hui on
attribuerai) la rédaction au diacre Léotald.
.Nous devons reconnaître que si le débat parait bien
circonscrit entre la province de lieims et celle de
Tours, que si chacune a des partisans sérieux et bien
informés, que si l'opinion qui tient pour la province
de Fours ; ourd'hui plus favorisée, il est pour-
tant impossible de faire en laveur de lune une dé-
monstration qui exclue toute probabilité pour l'autre.
VI. INFLUENCE 8UF i \ DISCIPLINE ECCLÉSIASTIQUE. —
Une question plus importante pour nous est celli
Quelle influence les Fausses Dé ont-elles
exercée sur la discipline ecclésiastique, soit dans le
monde frani oil i Rom
l Demi le monde franc. — Elles y ont exercé une
influenci considi i ible. <>n a m la collection citée par
Hincm ir di - le mois de novembre 85 ' I i textes
doriens sont invoqués i ncon a par le même
Hincmar de !!■ De divortio Lothorii et
Teutbe gm, l< Hbertalum defetu
i, \i. nu, m • 1 i .ii.it li -j' Chauvi -m la saisis dis
219
DÉCRÉTALES LES FAI SSES
230
de l'Église de Laon, VOputculum 55 capitvm lontra
Hincmarum Laudunentem ; b) par Hincmar de Lai n
dans s;, lutte contre son oncle de Reims, depuis 17-.'/. i-
ttola /■ ad Hincmai um Tlemensetn, en 869, jusqu'au
concile de Fismes, en 881; c) par les concili
Quierzj 857), Fismes (881), Cologne (887), Mayence
(888), Metz (889) on l'on s'occupe des chorévéques,
Tribur (895), Trosley (909); d) par les collections de
Régi non de Prùra et l'.urchard de Worms. Elles ont
ainsi pénétré dans la pratique quotidienne des Eglises
franques. e) En Italie, un des textes [apocryphes est
cité par Jean Diacre dans sa vie du pape Grégoire le
Grand ; d'autres sont invoqués par Auxilius, dans son
De ordinationibus a Formoso papa factis; par le
pseudo-Luitprand qui emprunte au pseudo-Isidore
presque tout ce qui, dans son De ponlificum Roma-
in,rum vitis, concerne les papes antérieurs à Darnase;
par Atlon de Verceil, Rathier de Vérone.
2° A Rome et sur l'ensemble du monde catholique.
— Sur ce point on a entendu les affirmations les plus
vives et les plus contradictoires. Les uns prétendent
que l'inlluence pseudo-isidorienne fut considérable,
d'autres qu'elle fut nulle; les de Marca, Fleury, Cous-
lant, Van Espen, lui imputant beaucoup dans les
maux de l'Église, dans l'affaiblissement du pouvoir du
métropolitain et du concile provincial, en un mot l'es-
timant une plaie irréparable pour la discipline ecclé-
siastique; les Febronius, les Dollinger, etc., l'accusant
d'avoir bouleversé la constitution de l'Église et créé la
monarchie papale. Voici la réalité : les papes ont gardé
pendant deux siècles, vis-à-vis des Fausses Décrétales,
une prudente réserve.
Nicolas Ier a certainement connu, non seulement
l'existence des Fausses Décrétales, mais un certain
nombre de textes tirés de cette compilation. En ell'et,
on lui a cité les textes de décrétales contenues dans
le pseudo-Isidore et attribuées à des papes martyrs,
textes qui n'étaient pas dans le Codex eanonum, et
dont, pour ce motif, on contestait la valeur; il a répondu,
en visant au moins à deux reprises des décrétales de
papes martyrs, que les décrétales ont toutes la même
force, qu'elles soient ou non dans le Codex eanonum.
Ces textes ont-ils exercé une inlluence sur lui? Une
influence littérale, se manifestant par le choix des ex-
pressions ou métaphores employées dans sa correspon-
dance? Oui. Voir des exemples dans l'étude citée déjà
de M. Fournier, Revue d'histoire ecclésiastique, 1907,
p. 21-25. Une influence sur les idées, ce qui serait de
plus grande importance? Plusieurs l'affirment; mais
ils ne font pas la preuve, par exemple, qu'une
modification importante se serait produite, à la suite
du procès de .S65 entre Rothade et Hincmar, dans la
pensée de Nicolas sur son rôle de pape. S'agit-il de
son pouvoir législatif suprême, sans partage avec
l'épiscopat, et de la supériorité du pape sur les con-
ciles? Nicolas en pensait avant 864 ce qu'en pensaient
depuis longtemps les papes comme Gélase, Pelage I .
ce que reconnaissait, par exemple, Cassiodore, ce
qu'il en pensa lui-même après. B'agit-il du pouvoir de
juge suprême qui permet au souverain pontife de por-
ter une sentence sur tous les fidèles et de n'être jugé
lui-même par personne? La théorie, affirmée dès le
temps d'Innocent I el de Gélase, était communément
acceptée avant Nicolas. S'agit-il du pouvoir reconnu
au pipe seul de déposer les évêques? Que le pape fût
compétent, Hincmar le reconnaît. Qu'il le rai même
quand la cause est portée devant l'autorité métropoli-
taine ou primatiale'.' En 858, dans l'allaire d 'Hermann.
ovèque de Xcvers. le métropolitain de Sens reCOOrt au
pape comme au juge naturel de la cause, el Nicolas le
prend ainsi, dés l'origine de son pontificat, avant
d'avoir connu les Fausses Décrétales; de même fait-il
pour les évêques bretons, vers 862; pour les évêques
grecs déposés parce qu'ils avaient refusé de suivi
parti de Pholius: pour l'allaire de Robert, du M
pour le commencement de celle de Rothad
XiïA, avant qu'on lui ail parlé des I
il décide que les douze membres du concile provincial
ne pourront prononc r en d< mi. r i. gsorl s;,i,s rinl< in-
vention du pape. Soit parce qu'il lui appartient de
confirmer les décisions des cencib-s. Mil parce que
les causes majeures relèvent de lui, Nicolas revendique
le dernier mot sur les procès de déposition des
évêques; il se réserve même le droit de trancl
cause définitivement sans l'intervention de l'épiscopat
régional, et cela dès 863. Après Nii. on ne cou
sur ces divers points, à l'occasion du procès de Rothade,
aucune dillérence de procédé. Nous devons toutefois
reconnaître que dans une circonstance, dans la lettre
qu'il écrit auxévéques francs pour leur notifier le réta-
blisse ment de Rothade, Nicolas insiste tout particulière-
ment sur la notion des negotia majora qui est un ar-
gument familier à la collection isidorienne. que. de
plus, il se fonde principalement sur les Décrétales
considérées comme une masse dont il n'exclut pai
apocryphes Isidoriens, et que ces textes ont amené le
pape à accentuer davantage l'argumentation qu'il tirait
des décrets de ses prédécesseurs. P. Fournier. op.
p. 39. La restilutio spolialorum est un des grands
principes invoqués par le pseudo-Isidore: mais l'aetia
ou Vexceptio spolii est bien antérieure. On a reconnu
que, avant le IXe siècle, le principe de Yexceptvo tpolii
a pris, dans le droit canonique, la valeur d'une :
juridique fondée sur la coutume, et l'application de ce
principe à la cause de Rothade ne présente rien de
bien neuf. Toi:t ce que l'on y peut trouver de pseudo-
isidorien, c'est : 1° qu'un des fondements de VexcepHo
spolii serait la préoccupation de permettre à l'accusé
de combattre son accusateur à armes égales; 2° il
trouve lion que l'accusé, une fois rétabli dans ses fonc-
tions, ait quelque répit avant de soutenir le pn
3° Nicolas ne manque pas. avec Isidore, de faire ob-
server à l'empereur grec Michel que la restitution
d'Ignace sur le siège de Constantinople est fondée sur
les lois impériales, liref, « le principe de Vexceptio
spolii, plus solidement fondé, a été plus fréquemment
appliqué selon des règles plus précises: ce parait bien
être un effet de l'inllueTtce des textes isidoriens. »
P. Fournier, op. cit., p. il. Nicolas n'a pas subi
d'autre inlluence des I ausses Décrétales ni dans la
discipline concernant les clercs lapsi, ni pour la trans-
lation des évêques. ni même dans la citation des textes
communs à la collection isidorienne et aux autres col-
lections; il les donne toujours, quand Isidore les cite
à faux, d'après leur véritable auteur.
Sous les papes suivants, on trouve, d'Adrien II, une
citation du pseudo-Antéros, en 871, dans la lettre
adressée aux évêques du concile de Douzy, à propos de
la translation de l'évéque Actard à Tours: peut-être
deux phrases sur la primalie de l'Église romaine, n'ap-
portant d'ailleurs rien de nouveau, dans un concile
romain tenu vers l'époque du pape ban VIII; deux
citations sans importance et même douteuses du
pseudo-Isidore dans I tienne V. qui m parait pas au
surplus avoir grande confiance dan - s Décré-
tales, Dans tout le v siècle, on rencontre deux ou
peut-être trois citations de la mémo collection; tandis
que, en dehors de la chancellerie pontificale, les apo-
cryphes isidoriens - iccumulent dans les collections
italiennes où iront h-s chercher les réformateurs du
\r siècle,
Telle fui la situation, a Home, jusqu'au jour où un
pape, venu d'un pays dans lequel les Fausses Décrétales
étaient reçues sans hésitation, les cita comme les
citaient partout les canonistes. De les voir entrer dans
les lettres pontificales ne pouvait étonner beaucoup les
221
DÉCRÉTALES (LES FAUSSES]
DEFAUTS
222
juristes. D'ailleurs, l'extrême modération avec laquelle
les textes isidoriens furent cités par la chancellerie
pontificale, même après la mort de Léon IX, laisse
deviner la résistance de la vieille école romaine qui ne
les pratiquait pas. Pour la réforme menée si rudement
par Grégoire VII, les textes des Fausses Décrétales
furent plus fréquemment employés; ils étaient, dit
M. Fournier, « un véhicule commode pour plusieurs
des idées maîtresses sur lesquelles est fondée l'œuvre
entreprise à cette époque par la papauté, » ibid., p. 56,
et ils furent cités de la meilleure foi du monde.
.Mais déjà l'ère de la contradiction allait s'ouvrir
pour la céléhre collection, et les gens d'Eglise n'y
furent pas étrangers ni simples spectateurs. Ce furent
des catholiques incontestés, Pierre Comestor, au
xne siècle, chancelier de l'université de Paris, atta-
quant l'authenticité de VEpistola Clementis ad Jaco-
bmii fratrem Domini; Godefroid de Viterhe, doutant
de la lèpre de Constantin; Etienne de Tournai et
d'autres encore, qui discutèrent les premiers les
Fausses Décrétales. Ils précédèrent dans cette voie les
hétérodoxes Marsile de Padoue, Wiclef (plus nuisible
qu'utile à cause de ses exagérations). Ce fut un autre
catholique, et des plus grands, Nicolas de Cusa, qui,
peu après 1430, donna l'impulsion définitive à la cri-
tique : il rejetait deux lettres d'Anaclet, attaquait la
donation de Constantin, élevait des doutes sur les
Epvitolse démentis, dont Torquemada rejetait nette-
ment la première. Quand, un siècle après, commença
l'assaut donné par les protestants, ceux-ci ne furent
jamais seuls à la besogne. Après le calviniste du Mou-
lin vinrent les catholiques Georges Cassandre et Antoine
le Comte que les centuriateurs de Magdebourg se bor-
nèrent à copier. Pendant quelque temps, il est vrai,
des catholiques : le jésuite Torrès, le franciscain
Malvasia, le cardinal d'Aguirre lui-même, se firent les
champions chevaleresques du pseudo-Isidore contre
les centuriateurs luthériens et le calviniste David
lilondel, mais d'autres catholiques, l'Espagnol Anto-
nius àugustinus, archevêque de Tarragone, liaronius.
Bellarmin, du Perron, Labbe, Sirmpnd, de Marca,
Baluze, Papebrock, Noris, Noël Alexandre, luttaient
contre les apocryphes, avec les Van Kspen, les fr< res
Ballerini, Blasco el Zaccaria. Si, au xix« siècle encore,
le faussaire trouva des défenseurs dans Ihimont et l'abbé
Darras, l'unanimité des savants, sans aucune distinc-
tion de patrie ou de religion, proteste contre le mal-
heureux succès de cette déplorable fourberie.
on ne peut avoir la prétenth n de «tonner une bibliographe
On Indiquera s. ulerneni les ouvrages les plus considérables
I i DITIOI - La meilleure est celle de P. Hinachlua, Décré-
tâtes pseua\ capitula Angilramni, in-4 . Leip-
zig, 181 ée d'une importante et copieuse préface de 288
page^. 9 les questions concernant la tradi-
tion manuscrite, les sources, l'époque de la composition, la pa-
trie, le Lui ii ir nom •!«' l'auteur. L'édition donnée par M
/'. /,., t. i \\x. est ci le de Merlin, 1523.
il. Dissertations ou commentaires. - David Klondel,
vapulanti . Genè1 b, 1620 .
ritatis l) Blondelto missus,
<. I. ni.
tirs »ur l'histoii itique , Van
collectionc Igidori /'»/;/« Merca
dan 'H* ni jus novutn i •> ■ . i ■
i, t. m ; Fel tu fia leste, c. ni, s '•'; c. vu,
.i, Antifebronio, dis. ni, r. w .
l'i.i es Décrétai) I .■ R
und ftechtêge» Mchte, GSttlngue,
I ■ ■ /•• ; ud<hi*i.
. Breslau, \kïï ■. 21 à m '
Ballerini (Jéi el liquiê eoUectionUnu et ootttcli
i ■ oniê, \ i aise, 1757,
t. m : i' i. . i i ■ i Bla h' i "■■ liant nation. / Id
tor. commenta}-., Naples, 1760; Knusl, De fontibus et consilio
pseudo-isidorianx collectionis, Gœttingue, 1832; Wasserschle
ben, Beitràge zur Geschichte der fatsch. Décréta len, Breslau,
1844; Id., Pseudoisidor, dans Realencyclopddie de Herzog;
Id., Ueber das Vaterland der falscli. Décret., dans Sybels liist.
Zeitschrift, 1890; Hefele, Ueber den gegenwàrtigen Stand der-
pseudo-isidorischen Frage. dans TiXbing. Tlieol. Quartalsch.,
184"; Gfrôrer, Ueber Alter, Ursprung, Zweck der Décrétai,
des falsch. Isidor, Fribourg-en-Brisgau, 1848; Giicke, De excep-
tione spolii, Berlin, 185H; Denzinger, Préface à l'édition des
Fausses Décrétales dans P. L., t. cxxx; Pitra, Analecta novis-
sima Spicilegii Solesmensis, 1885, 1. 1, p. 91-103; — 3- àBeims:
Weizsâcker, Die pseudo-isidorische Frage, dans Sybels histor.
Zeitschrift, t. ni; Id., Hbicmar und Pseudoisidor, dans Niedn.
Zeitschrift 'fur hist. Theol., 1858; Both, Pseudoisidor, dans
Zeitsch. fur Recht-Geschichte, t. v (1866); K. von Xoordcn, Ebo,
Hincmar und Pseudoisidor. dans Sybels liist. Zeitsch., t. VII
(1862): P. Hinscbius, op. cit., prxf., p. cevm ; Lurz, Ueber
die Heimat Pseudoisidors, 1898; Ad. Tardif, Histoire des
sources du droit canonique, 1887; Ph. Schneider, Die Lehre
von den Kirchenrechtsquellen, 1892; F. Lot, Études sur le
régne de Hugues Capet, 1903; Id., La question des Fausses
Décrétales, dans la Revue historique, 1907, n. 4, t. xciv:
Friedberg, Lehrbuch des kanonischen. Redits; E. Lesne, La
hiérarchie épiscopale... en Gaule et Germanie, 1905 : Id., Hinc-
mar et l'empereur Lothaire, dans la Revue des questions histo-
riques, 1905, t. lxxviii; Seckel, Pseudoisidor, dans Realency-
clopddie de Hauck ; — 4° dans la province de Tours : Simson, Die
Entstchung der pseudo-isidorischen Falschungen in Le
Mans, 1886; Id., Pseudoisidor und die Geschichte der Bischôfe
Le Mans, dans Zeitsch. fur kanonisches Recht, 1886; M" Du-
chesne, Bulletin critique, 1886, p. 445; J. Havet, Charles de
Saint-Calais, dans Bibliothèque de l'École des chartes, 1887,
t. xlviii ; P. Viollet, Bibliothèque de l'École des chartes, t. xi.ix
(1888); Id., Hist. du droit civil français ; Pb. Schneider, qui
inclinait d'abord vers l'origine rémoise, opine pour l'opinion de
Simson dans Pseudo-isidor, h'irchenlexikon, 2* édit. ; Dollinger,
Zeitsch. fur Kirchen-Geschichte, t. xn; P. Fournier, La question
des Fausses Décrétâtes, dans Nouvelle revue historique de
droit français et étranger, 1887, 1888; Id., Congres scientifique
international des catholiques, 1888, t. Il; Id., Une forme
particulière des Fausses Décrétales. dans Bibliothèque de
l'Ecole des chai-tes, t. xlix: Id., Étude sur les Fausses Décré-
tâtes (dont nous nous sommes souvent inspiré) dans la Revue
d'histoire ecclésiastique de Louvain, 1906-1907, et tiré à part,
in-8\ 1907. Cf. II. Chevalier, Répertoire. Bio-Bibliographie.
1- édit., Paris, 1905, 1. 1, col. 2281-2282.
A. VlLI.IIN.
DÉFAUTS. — I. Définition. II. Division.
I. DÉFINITION. — Le mot défaut, du latin deficere,
faillir, manquer, ou de fallere, tromper, manquer,
signifie le manque, ou la privation d'une perfection,
ou qualité nécessaire, dont l'absence rend une chose
imparfaite, irrégulière, incorrecte ou incomplète.
Dans le langage ordinaire, défaut est souvent syno-
nyme d'imperfection, ou de vice. Ces trois mots néan-
moins expriment des concepls fort différents. Les im-
perfections ne se remarquent, en général, que dans les
objets excellents par ailleurs; tandis qu'elles dispa-
raissent sons hs défauts plus saillants, qui se ren-
contrent, parfois, si nombreux, dans les êtres communs
el ordinaires. L'imparfait, en effet, est ce qui laisse
quelque peu à désirer, pour pouvoir être considéré
connue un modèle. Il n'est encore ni fini, ni terminé,
ni achève'', quoiqu'il s'élève déjà bien au-dessus du
niveau moven. Mais le défectueux reste bien inférieur
à ce qui est simplement imparfait. Non seulement il
a'esl pas ace pli en s, m genre, mais il défaille, il
tombe au-dessous de ce qu'il devrait être. Au physique,
par exemple, c'est la privation d'un membre, ou d'un
ni di mi-, une irrégularité, une difformité corpo-
relle, mie lésion organique. Au moral, c'est une lacune
dans le jugement, ou dat 1ère, ou encore une
faiblesse d'esprit.
Mn .i dit, en e,' gens, que les gen d< bien n'avaient
que de imperfections, tandis que tous les .mires ont
di i défaut! Manillon < établi la même distinction
i e- imperfi ctions des geni de bien
pins indulgents, i ar s. uK ils
223
DÉFAUTS
von- i cachent vos vices, adoucissent vos dé-
buts, excusent VOS l'.Ull.
Les défauts rendent souvent insupportable celai qui
les a. Ils lui attirent l'aversion et parfois même le
mépris. Les imperfections ne produisent jamais nn ré-
sultat pareil. Tout au plus empêchent-elles, ou dimi-
nuent-elles l'admiration que susciteraient ses autres
qualités. Sans imperfections, les personnes ou les objets
sont admirables; sans défauts, ils ne sont que ce qu'ils
doivent être. L'imperfection est donc comme un dimi-
nutif du défaut.
Le vice, au contraire, en est plutôt un augmentatif.
•i plus qu'une privation, petite ou grande, comme
le sont l'imperfection et le défaut : c'est une déprava-
tion, un principe mauvais, capable de tout corrompre.
et qui atteint l'être jusque dans ses profondeurs. Si
l'on réussit, sans Irop de peine parfois, à suppléer à
ce qui manque, ou à combler une lacune, il est bien
autrement difficile de détruire un vice enraciné dans
l'intime de l'être. Celui qui a des défauts est trop sou-
vent insupportable j mais celui qui a des vices peut
devenir dangereux. Les défauts sont plutôt dans l'esprit;
les vices, dans le cœur et dans la volonté».
Un exemple fera mieux saisir ces dillérences. Le
laisser-aller dans le maintien est une imperfection;
l'inégalité d'humeur, la puérilité, la timidité se
rangent parmi les défauts; la paresse, le mensonge, la
luxure, la cruauté sont des vices.
Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. II. dist. VII, q. i; 1. IV, dist. II,
q. i, a. 1: Sum. theol., [•, q. xn, a. 4, ad 2 : q. xux.a.l; II' II*.
q. xxxiii, a. 4, ad 3 ; Qutest. disp., I>" malo, q. XVI, a. 5; De
veritate, q. ix, a. 3; Poujol, Dictionnaire des facultés intel-
lectuelles et affectives de l'âme, in-4% Paris, 1863, Introduc-
tion, p. 119 sq.; I.afaye, Dictionnaire des S;// ! édit.,
2 in-4% Paris. 1x72, l i. q. 680 sq., 763 sq.
II. Division. — Saint Thomas. Sum. theol., III»,
q. xiv-xv: Compendium theologise, c. ccxxxiv, indique
comment les défauts sont susceptibles d'être classifiés.
11 les divise en deux grandes catégories, chacune d'elles
comprenant une subdivision semblable.
/. DÉFAUTS CORPORELS. — 1° Affectant la nature
humaine dans sa généralité, soit parce que cette
nature, comme toute nature créée, est essentiellement
limitée en elle-même; soit parce qu'ils sont une suite
aflliclive du péché» originel. Parmi eux. il faut signaler
principalement la passibilité, c'est-à-dire l'assujettisse-
ment à la faim, à la soif, à la fatigue, aux maladies, à
la mort. Ces défauts corporels, communs à tous, revêtent
maintenant la forme de pénalités; néanmoins, si, dans
l'état d'innocence, l'homme en était exempt, ce n'était
pas en vertu d'un privilège inhérent à sa nature, mais
à cause d'un don, ou secours préternaturel, provenant
de la libéralité île Dieu. Cf. s. Jean Damascène, Defide
orthodoxa,\. 111. c. xx. /'. ff.,t. xciv. cul. 1082; S. Thomas.
Sum. theol., III', q. \n . a. i : Billot, De Verbo incarnâto,
part. I, c. m, § 3, Hes. \xiii. m-s . Rome, 1904, p. 254 sq.
2° Affectant certains individus plutôt que d'au-
tres. — Ces défauts corporels tiennent alors à des
causes particulières ou sont la conséquence d'accidents
fortuits. Par exemple : la cécité, la surdité, le mutisme,
diverse» maladies, les vices de conformation et d'orga-
nisation, eie. Cf. s. Thomas, loc. cit.
ii. hi.i m /» vorai a. — On retrouve ici la même dis-
tinction que précédemment. — h Défauts moraui
communs à tous 1rs hommes, soil a cause de l'imper-
fection essentielle de la nature humaine, soit à cause
du péché originel. II- se ramènent à trois class
une pour l'intelligence : l'ignorance ; deux pour la vo-
lonté : l'inclination ■< al. et la difficulté pour le bien.
ci', s. il a», toc cil.
in fnuis moraux affectant certains individus
plutôt que d'autres. - Ces défauts moraui sont très
nombreux. On n'en B pas ' ncore fail un classement lo-
gique. Noua indiquerons seulement ceux .pi; -• ri n-
contrent le plu- souvent,
1. Le manque de jugement ou de in,,, v,»,,*. _ i
une véritable infirmité spirituelle, source d'une infinité
de misères pour celui qui en est atteint, comme pour
ceux qui l'entourent, ou qui sont obligés d'avoir de
fréquents rapporta avec lui. Ce mal .
incurable. La vertu peut s'acquérir, avec des efloi
de la persévérance : le bon sens, ou le jugement, jamais.
Cf. S Chemin de la perfection, c. xiv.
2, La vanité et la suffisance. — Ceux qui ont ces
défauts se rendent vile insupportables et ridicules.
Aliu de s'élever au-dessus des autres, ils mettent de
l'affectation en tout : paroles, actes, manier
pédantisme, loin de leur attirer des éloges, provoque
b- mépris, et leur attire b-- traits mordants de la satire.
Ils font parade de connaissances ou d'avantages qu'ils
n'ont pas, et, si, par cet étalage emprunté', ils s'illu-
sionnent eux-mêmes, ils ne trompent pas ceux qu'ils
prétendent ainsi éblouir. Dans son langage imagé, saint
François de Sales les appelle des « boutiques de va-
nité >. Entretiens spirituels, c. xvn. Œuvres
pléles, 12 in-12, Paris. I<SG2, t. ni, p. 310sq.
'i. La fierté. — Ce défaut a beaucoup de relation
avec le précédent; mais il a. cependant, quelque chose
de moins méprisable, car il ne va pas sans une cer-
taine grandeur et une certaine dignité.
4. La violence et le penchant » la vengeance. —
Malgré les analogies qu'ils présentent entre eux,
défauts peuvent exister, l'un sans l'autre. Toute per-
sonne violente n'est pas pour cela rancunière, ou vin-
dicative. La violence passe, parfois, comme une tem-
pête qui accumule ruines sur ruines, mais qui ne dure
pas. La rancune, ou l'esprit de vengeance, poursuit
plus froidement son but. Aussi, dan- bien des cas.
est-elle plus redoutable que la violence elle-m
Celle-ci, malgré ses écarts accidentels, n'est pas incom-
patible avec un certain fond de bonté.
5. La dureté du cœur. — C'est une des formes les
plus ordinaires de l'égoïsme. Elle rend insensible aux
souffrances d'autrui, el porte même à y applaudir,
comme si l'on jouissait davant n propre bon-
heur, en voyant des malheureux. Elle peut aller jusqu'à
pousser à faire le mal, pour le seul plaisir de faire
souffrir. C'est alors une sorte d'instinct mauvais, et
quasi-bestial.
6. Le Irop d'empressement. — C'est une agitation
fébrile dénotant un man pie d'équilibre entre les di-
verses facultés. L'activité n'est plus réglée par la rai-
son, et si elle déploie de l'en -i de l'en- i
oiseuse. Elle se dépense en une foule d'occupations
sans but sérieux et non méritoires, qui aboutissent, en
somme, à une perte de temps. Souvent, en effet, on perd
plu» de temps à faire des choses inutiles qu'à ne rien
faire du t. .ut. Cf. l'aber. Progrès de l'âme dans /il
spirituelle, c. XII, in-12, Paris. 1856, p. 289-292.
7. La légèreté. — Elle est un grand obstacle a la
réflexion, aux études sérieuses, a la suite dans les idées
ou dans les actes, à la persévérance dans les résolutions
Elle produit l'inégalité d'humeur. Parfois, elle
dégénère en étourderie et en puérilité, qui continuent,
dans l'adolescence 1 1 jusque dans l'âge unir, les futi-
lités de l'enfance. Dans les conversations, elle se mani-
feste par le récit d'un.' masse de dei.nl» des plus insi-
pides, racontés en un babil interminable. Cotte inai
de langage répond bien au vide de cet esprit dans lequel
les l" n»' es les plus disparate» se succèdent avec une
étonnante rapidité et disparaissent de même. Ce llux
de paroles n'apporte à ceux qui sont obligé» de le
subir, que lassitude et ennui. Les occupations d une
personne légère de caractère présentent la même em-
preinte générale de futilité. Quelquefois aussi, cette
extrême mobilité de pensées i »l la suite morbide d'un
225
DÉFAUTS
226
état pathologique spécial. La cure, alors, est plutôt du
ressort de la médecine que de l'ascétique ou de la
morale. Cf. Axenfeld etHuchard, Traité des névroses,
1. III, c. v, § 2, in-8", Paris, 1883, p. 958 sq.; Ribot,
Les maladies de la volonté, in-8°, Paris, 1896, p. 112.
8. La singularité. — C'est la source intarissable de
bizarreries et de caprices de tout genre. Elle est sus-
ceptible de se montrer de mille manières et à tout
propos : dans les tendances, dans les paroles, dans les
actes, dans l'ensemble de la conduite, et jusque dans
la dévotion. Elle est. alors, l'effet de l'amour-propre,
ou delà sottise, ou bien une tentation de l'esprit malin.
9. L'inclination ù la mélancolie, au chagrin, à la
tristesse. — Voilà encore un de ces défauts qui font le
malheur, et de la personne qui les a, et de celles qui
vivent auprès d'elle. Il est, en outre, pour la vraie
piété, un obstacle déjà signalé par saint Paul. II Cor.,
ix. 7. De plus, il mène rapidement à l'abattement et au
découragement. Par suile, il rend difficile, pournepas
dire impossible, l'acquisition de la vertu. Cf. Faber,
Progrès de l'âme dans la rie spirituelle, c. il, vu,
xii. p. 16-19, 108-110, 283-287; Ribet, L'ascétique chré-
tienne, c. u, S 5, in-8°, Paris, 1905, p. 8.
10. La pusillanimité et l'inquiétude. — Par 'ce dé-
faut, on se trouble, à chaque instant, pour de petites
choses qui n'en valent pas la peine. Il en résulte une
ition presque continuelle, qui, dans la vie ordi-
naire, se traduit par l'irrésolution, et, dans la vie sur-
naturelle, par les scrupules, cause inépuisable de
tourments pour les âmes qui en sont atteintes, et
pour leurs supérieurs, directeurs ou confesseurs. Cf.
S. François de Sales, Entretiens spirituels, c. xvu,
res complètes, t. m. p. 514 sq.; Scaramelli,
Guide ascétique, traite II», a.H,c. i-ui, 4 in-8°, Paris,
1885, t. u, p. 358-383.
11. La dissimulation, ou le penchant au déguise-
ment et <i la duplicité. — C'est l'esprit de mensonge,
ennemi de toute candeur et de toute franchise. Dans
la plus tendre jeunesse il se manifeste dès les pre-
mières lueurs de la raison, el -il n'est combattu de
bonne heure, n se perpétueàtraverstousiesâges.l]
endre l'hypocrisie.
12. La prodigalité. — Elle consiste à dépenser, à
pleine- mains, et sans motifs justifiés, l'argent que l'on
de, on a laisser détériorer, par négligence ou par
caprice, les objet- que i on a à son usage. Ce défaut pro-
vient de la vanité, tout autant que de la paresse. Par
la prodigalité en cherche à paraître riche ou généreux,
ou bien l'on veut s'éviter le soin, considéré comme
ennuyeux, de veiller à ses dépenses, et d'en tenir un
compte exact, [1 en résulte, d'abord, du désordre; puis
du mécontentement el du malaise; entin. trop souvent,
une ruine complète. Cf. Palmieri, Opus theologicum
n Busenbaum medullam, lr. IV, c. m
dub. vu. 7 in-8», Prato, 1889 1893, t. I, p. 571.
18. La sensualité, — Il \ en a troi celle
de l'esprit, celle du cœur, el ci Ile du corps. — a La
première incline I âme à penser surtoulaux choses qui
lui plaisent. La mémoire ne revient que sur les n
airs agréables, el i imagination crée Bans cesse des chi-
mères, auxquelles elle s'arrête avec délices. Si on lit
un auteur, c est surtout pour ses mérites seconde
comme le style, par exemple, ou le genre du sujet traité,
dam lequel l'utile tient beaucou] ins de place que
able. b) La sensualité du cœui est la souri e
iflecliona tendres, tend.'. - surtout sur les qu
igi . Fraîcheur do teint, éh |
douceur de la v.,i\ . etc. <:r. s. t ran
'les, En tn Is, c. xvii, Œuvret
m. p. 516 sq . Scaramelli, Guidé
tique, traité II ii-iv, I il, p, 206-311. i I ..
alité corporelb pousse auxdésordrei de la chair.
i trahit dan la po i , d mi la di mari h
DICT. DI Tin 'il.. CATHOL.
recherche du bien-être et de la nourriture, dans l'abus
du sommeil et du repos trop prolongé, dans les ré-
pugnances exagérées pour tout ce qui gêne : fatigue,
intempéries des saisons, froid, chaleur, travail, etc.
C'est un état de mollesse qui affaiblit le caractère, et
produit un obstacle souvent insurmontable à toute vie
chrétienne, ou simplement sérieuse. Cf. Ribet, L'ascé-
tique chrétienne, c. XIII, p. 115-133.
14. L'indulgence, ou le trop de tendresse pour soi. —
Ce défaut a bien des accointances avec le précédent,
quoiqu'il ne revête pas le même caractère de gravité. Il
n'est, le plus souvent, qu'une grande faiblesse de la vo-
lonté, s'arrètant devant le moindre obstacle, mais ne
portant pas néanmoins, directement, aux désordres
moraux, comme le fait la sensualité. C'est cependant
un vrai danger, car, en empêchant l'âme de marcher
sur le chemin de la vertu, il la laisse presque entière-
ment désarmée contre les assauts de l'ennemi, toujours
prêta tenter de l'entraîner aux abîmes. Cf. S. François
de Sales, Entretiens spirituels, c. Xiv, xvu, Œuvres
complètes, t. m, p. 455-472, 517 sq.; Faber, Progrès
de l'âme dans la vie spirituelle, c. vu, p. 111 sq.
15. L'indolence. — Ce défaut conduit promptement
à la paresse et à la lâcheté. Il paralyse jusqu'à l'action
même de la grâce. Dans le monde spirituel, on peut la
comparer à ce qu'est la force d'inertie, dans le monde
des corps. Sur un caractère indolent le zèle le plus
ardent n'a presque aucune prise. L'indolent, en effet,
vit dans une sorte d'apathie morale, qui est comme son
atmosphère naturelle. Son esprit est noyé dans le
vague, et il s'y complaît. Il ne connaît donc même pas
son mal. four le connaître, il aurait dû s'étudier, et
cela demande un effort, dont il est incapable. Si on
veut l'aider dans ce travail, il s'y refuse; et si on essaie
de lui révéler le mal qui le mine, il ne comprend rien
à ce qu'on lui en dit. Cette apathie morale est l'opposé
de toute énergie, par conséquent de toute vertu, et.
a fortiori, de toute vie surnaturelle. Par le désœuvre-
ment habituel qu'elle produit, elle est, comme l'oisiveté
et la paresse, la mère de tous les vices. Pour ne pas
mourir d'ennui, il faut à l'être inoccupé des divertis-
sements frivoles, des plaisirs toujours renouvelés, des
émotions factices ou coupables. L'indolence l'énervé
donc de plus en plus, et consume, en peu de temps, le
peu de vigueur qui lui restait. Cf. Faber, Progrès de
iIidis la vie spù'ituelle, c. iii-xiv, p. 115 sq.,
277-301.
Il existe une foule d'autres défauts moraux, dont il est
souvent fait mention dans les ouvrages de morale el
■ l a i étisme. La liste en serait longue. Mais il faut re-
marquer que beaucoup sont presque synonymes, ou
n'indiquent que il,- variétés d'une même espèce. Il est,
en outre, facile de les ramener tous à l'un de ceux dont
nous avons traité, en particulier, dans cet article.
s. t îales, Entretiens spirituels aux filles de tu
Visitation, c. xiv-xvii, Œuvres complètes, 12 in-12, r
1862, t. m, p. 455 517 ; Scaramelli, Guide ascétique, tralti 11
il-iv;a 11, c un, 4 in-8', Paris, 1882, t. Il, p. 285-411,
i ins ta vie spirituelle, c. u,
vu, xiv, In 12, Paris, 1868, p. 16-84, 108-120, 277-801 . Pi
lu, Honnaii e des facultés fnl I
ta-4», Paria, physiolo-
et philosophique, I. m. c m. 83; I. V, c. i-vi, in
Paris, i 701 : Qiraud, De l'esprit et
dans l'état religieux, 1. u, c. xi-mi.
In-12, Gi 7, p. 177-195; m. ,ii,i i.. ./■,,//,. / gie de l'esprit,
<- \n rt, Psychi ■
ln-8*, S de '" volonté, ln-8*,
Psychotoglaanthropologica, t. II, disp. tu.
i . I III . ,i, | I ■ , ! Il l\ I
xix, il. M i
part. III
In , i
i Ortolan,
l\ -8
227
DÉFENSE DE Soi
DÉFENSE DE SOI. Le droil que nous avons sur
notre rie, sur notre corps, >m- tous les biens qui nous
rppartiennenl légitimemenl implique comme i
quence nécessaire le < 1 1 * > ï t de nous défendre contre toute
attaque injuste menaçant cette vie, ce corps et ces
l.iens. Posséder légitimement un bien, c'est avoir le
droit de le garder, et sans la faculté de !<■ défendre
re un injuste agresseur, ce droil ne serait qu'une
chimère. Nul d'ailleurs ne conteste ce principe ni en
théorie ni en pratique et toutes les législations l'ont
admis. Cf. Décret. Gregor. IX, 1. V, tit. mi. De homU
Code pénal frani ais, a. 328.
Si le principe est évident, l'application en est déli-
cate, car il n'est pas permis, même pour raison de
légitime défense, de devenir injuste agresseur. D'où :
I. Nature du droit de légitime défense. II. Règles a
suivre dans l'usage de ce droit. III. Application des
principes aux cas les plus importants.
I. Nature du droit de légitime défense. — Comme
le note justement de Lugo, le droit de légitime défense
n'a point pour objet de réparer le dommage déjà causé
ni de punir la faute commise, mais d'empècber que le
tort ne soit fait. Conséquemment, en cas de légitime
défense, on peut agir dés que l'adversaire attaque;
mais il n'est point permis d'ajouter à la défense ce qui
constituerait le châtiment ou la réparation. Et d'autre
part, dès que l'attaque a réellement cessé d'exister, le
droit de se défendre cesse i/iso facto.
II. Règles à suivre pans l'usage de ce droit. —
1" Règles générales. — 11 n'est pas permis, même pour
se défendre, d'accomplir un acte intrinsèquement mau-
vais. 11 n'est pas permis de se défendre dans une
société organisée, comme on pourrait le faire en dehors
de toute organisation sociale et de s'arroger des droits
sagement réservés aux tribunaux.
2° Règles particulières. — 1. Il n'est permis de se
défendre que lorsque l'agression est injuste. Si la per-
sonne dont l'acte nous fait tort est dans son droit, la
résignation s'impose et la violence serait injuste. C'est
le cas du criminel justement condamné à l'égard de
ses bourreaux et de ses gardiens. .Mais dès que l'agres-
sion est injuste, ne fut-ce que matériellement, le droit
de se défendre existe. Ce droit, en effet, ne dépend
pas de la culpabilité de l'agresseur, mais uniquement
du caractère objectif de son acte. Il est donc permis
de se défendre contre les attaques d'un liomme ivre et
d'un fou. — 2. Les moyens employés pour empêcher
l'agression ne doivent pas dépasser les limites néces-
saires à la défense. Donc l'emploi de moyens violents
est interdit quand les autres suffisent. S'il suffit, pour
échapper au meurtre dont on est menace, de fuir ou
de se cacher, on n'a pas le droit de tuer. Toutefois, si
l'agression devient plus violente, la défense peut devenir
plus énergique et se développer parallèlement a l'attaque.
L'emploi de moyens inutiles à la défense et dont le
but unique serait de nuire a l'adversaire, reste illicite.
— ;{. Il faut tenir compte de la valeur du bien menacé
et ne point le défendre en infligeant à son adversaire
un dommage sans proportion avec le tort qu'il veul
causer. La vie d'un homme, régulièrement parlant,
vaut plus qu'une pièce d'or, .le n'ai donc pas le droit de
tuerie voleur pour sauver les \ i m _: t francs qu'il me
prend.
III. APPLICATIONS PRINCIPALES. — 1° La vie ('Si injns-
tement menacée. - Si je ne puis échapper autrement,
j'ai le droit île tuer l'ennemi qui m'attaque. Celle con-
clusion n'est pas contestée malgré certains texte- em-
barrassants de saint Augustin, De libéra arbitrio, 1. 1,
c. v, n. Il, /'. /.., i. xxxii. col. 1227 . Quomodo possunt
an'bilrari carere Ulos libidine, qui pro Us rébus
vita, libertate, pudicitia) ditjladiantur i/uas passant
amiltere inviti; aui si ia<a possunt, <iaul opus est
pro hit usque ail hominis necem progredif el Epist.,
xi.wi. ad Publicolam, a. ■•. P. l. ., t. xxxin. col. 188:
De occidendit honiinibut <<<- ni. eis ■/••■■ lalur,
mm milii plia ri consilù sit miles uni
publica funclione tenealur.. . de saint tmbroise, I)e
officia, I. III. c. iv, n. 27, /'. /.., t. v.i.col. ir>ii
videtur quod vir christia '/uae-
rere sibi vitam aliéna nanti' debeal;de saint Bc rnard,
De prseceplc el dispensât., c. vi, n. 13, /'. /.., t. ci x.xxn,
col. bO'J, qui considère comme coupables d'homicide
et ceux qui tuent pour \oler et ceux qui tuent pour
sauver leur vie. Quelques théologiens rigoristes ont
seuls combattu l'opinion commune. La cliarilé. disaient-
ils, nous oblige a préférer le salut éternel du prochain
à noire rie. Or, c'est le contraire que l'on fait évidem-
ment en tuant un injuste agresseur. Carrière, lie ju-
stitia el jure, n. 780. cite comme ayant adopté- ce senti-
ment Henri de Saint-Ignace, Piette, Gibert de Vérone
et de Pompignan, archevêque de Vienne. Mai- il est
facile de répondre à l'argument qu'ils avancent, en rap-
pelant que la charité ne nous oblige pas à ce sacrifice
héroïque, s'il n'est pas absolument nécessaire. Or,
dans l'hypothèse, il ne l'est pas : que l'injuste agressent
cesse d'attaquer, on n'aura plus le droit de se défendre
et il sera libre de songer au salut de son âme.
11 semble à saint Thomas. Sun:, llieol., II» 11*,
q. lxiv, a. 7. que. même en cas de légitime défense, on
ne peut qu'indirectement vouloir la mort de l'injuste
agresseur à cause du précepte : non occides. On aurait
simplement le droit de se défendre au risque de tuer
l'adversaire. On n'anrail pas le droit de vouloir direc-
tement lui inlliger un coup mortel. Ce sentiment e-t
communément abandonné. Car si j'ai réellement le
droit de tuer qui veut me perdre, j'ai le droit de vouloir
directement sa mort. Le précepte : non accules ne va
pas sans les exceptions nécessaires.
2° Si la ne n'est pas en danger, mais seulement
l'intégrité matérielle ou morale du corps. — 1. L'ad-
versaire ne cherche qu'à blesser ou à mutiler. On
peut rendre coup pour coup, mais est-il permis de se
débarrasser de l'adversaire en le tuant? S'il n'est pas
possible de s'en débarrasser autrement, oui. Je ne suis
pas tenu de me condamner à la perle d'un membre
ou à de graves blessures pour épargner la vie de qui
m'attaque contre tout droit. Il ne peut s'en prendre
qu'à lui s'il lui arrive malheur. — 2. L'honneur d'une
femme est un bien de premier ordre qui peut juste-
ment se comparer à la vie et se détendre par les mêmes
moyens. Aussi, d'après le sentiment commun dea
théologiens, une femme, vierge ou non, mariée ou non,
à qui l'on vomirait faire violence, a-t-elle le droit,
s'il le faut, de tuer l'impudique agr< sa ur. S. Antonin,
Summa, part. II. tit. v, c. vi ; Lessius, De juslitia, 1. II,
c. ix. n. 70.- S. Liguori, Theol. moralis, 1. 111. n.
L'opinion contraire soutenue par Steyaert, .luenin.
Billuart et quelques autres que cite, en les approuvant.
Carrière, op. cit., n. S<k>. s'appuyait sur l'autorité
de sainl Augustin, loc. cit., el sur l'argument suivant :
lacté de \ iolence commis contre une femme peut être
envisagé soit comme lui étant un bien naturel, soil
comme la blessant dan- sa vertu. Or l'intégrité dont
on la dépouille n'a point la valeur de la vie. La vertu
n'est point atteinte si la femme fait son devoir en ré-
-islant de toutes se- force- et en refusant tout consen-
tement interne a lacté accompli. Aucune raison par
conséquent de tuer. Mais si la verlu n'e-l pas q<
sairemenl atteinte, elle est du moins en un grand dangi r
dont il faut tenir compte. D'autre part, l'honneur de
la femme est certainement \\\\ bien de premier ordre.
S'il n'est pas absolument équivalent à la vie. il vient
immédiatement après. La charité- n'oblige pas, i n pa-
reil cas. a sacrifier son intérêt à celui d autrui.
3° Les hiens de la fortune. — Les détendre contre II ■
voleurs est un droil que personnelle conteste. Ce droil
229
DÉFENSE DE SOI
DEFORIS
230
va-t-il jusqu'à permettre de tuer le voleur? L'opinion
communissima le concède, mais à une double condi-
tion : 1. que les biens enlevés soient d'une valeur con-
sidérable; 2. qu'il n'y ait pas d'autre moyen de les
défendre ou de les recouvrer. La cbarité, en effet, ne
nous oblige pas de préférer à des biens de cette sorte
la vie d'un voleur; le bien public ne demande pas non
plus qu'on laisse faire. Mais il est évident que l'emploi
de ce moyen extrême n'est licite que s'il s'agit d'objets
ou de biens de grande valeur. Quelle est cette valeur?
On ne peut la déterminer par des chiffres. Il faut tenir
compte de la valeur relative et de la valeur absolue de
l'objet. En tout cas, il n'est pas permis régulièrement
de tuer un homme dès qu'une seule pièce d'or est en
danger. C'est le sens de la 31e des propositions con-
damnées le 2 mars 1679, par Innocent XI. A fortiori,
n'est-il pas permis de sauvegarder par un meurtre
l'héritage qu'on espère, ni de tuer celui qui refuse de
nous délivrer un legs auquel nous avons droit. Dans
ce double cas, le moyen violent dépasse la mesure ou
n'est pas nécessaire; donc il faut le rejeter. C'est le
sens des'propositions 32e et 33e condamnées par le même
pape. Denzinger. Enchiridion, n. 1048-1050.
Dans un synode tenu à Constantinople en 1153 sous
le patriarche Constantin Chliarenus, on a discuté
quelle pénitence ecclésiastique on devait imposer à
ceux qui.tuaient un voleur à qui ils auraient pu échapper
par la fuite. Quelques-uns voulaient qu'ils fussent
punis comme homicides, car le voleur tué aurait pu
se convertir, s'il avait vécu, et que, par suite, on ne
leur appliquât plus les anciens canons. Ceux-ci décla-
raient qu'il n'y avait pas de crime si on n'avait pas pu
fuir. Si le voleur avait eu recours à la violence et si en
se défendant on l'avait tué, il n'y avait pas lieu à inlli-
iiicune pénitence ecclésiastique; il faudrait plutôt
récompenser l'homicide qui a ainsi procuré le bien
public. Le concile, réformant l'ancienne discipline, dé-
cida que, dans ce cas, on devait, au point de vue
ecclésiastique, punir comme homicides ceux qui s'étaient
défendus de la sorte et que, s'ils avaient pu fuir, la
pénitence soit augmentée. De droit naturel, l'ancienne
distinction ne devait pas être rejetée. Tout ceci concer-
nait les laïques. Quant aux clercs homicides, qu'ils eus-
11 i j t tué des ennemis, ou des voleurs, ou d'autres'per-
sonnes. il n'y > pas île distinction à faire; ils seront
toujours déposés, Mansi, Concil., t. xxi, col. 833, 836.
Le voleur qui s'enfuil en emportant l'objet dérobé
peul être irait.' comme h- •"leur au moment du vol.
Mais avant <i en venir an fait, il est juste qu'on l'aver-
de vive \oix «m autrement, qu'il connaisse le
er qu il court, Autrement, on risquerait d'employer
inutilement un moyen \ iolent,
Si 1' voleur recourt à la violence pour s'emparer
d'un objet de peu de valeur, il est permis de repousser
la force par la forée. Si la querelle s'envenime el que
leur vieiuie a blesser ou ,i menacer de mort, la
victime a le droit de se détendre comme il a été in-
diqué plus haut. C'esl le summum jus dont il vaudrait
peut-être mieux ne pas u
Fagnan, le P. Ballerini, Carrière el quelques autres
théolo cartanl dans cette question de l'opinion
commune, oui soutenu qu'il n'es! |amais permis de tuer
u ) ie qui ne fait que voler, i. assemblée du clergi
de i rance avait, en 1700, condamné la proposition sui
A"",- tolum vitam, sedetiarn 6..,../ temporvUia
quorum jactura euel damnum graviuimum, liciluni
rsi defensione oceunva •' e contraire an
pte divin el aux obligations qu'impose la chariti ,
l'ouï défendn cette opinion, on alléguai! I. Ii
\x\. 2, qui déclare pei mis de tner celui
qui vole la mut ei non celui qui voie le jour, parce
que du premier on ne sait d vienl pour voler on tuer;
s il ne vienl qui interdit de le toi r.
— 2. II est déraisonnable de sacrifier la vie d'un homme
pour un bien périssable, dont la perte n'est pas irrépa-
rable. Ces arguments n'ôtent point leur valeur aux rai-
sons de la première opinion; ils prouvent seulement
qu'il ne faut en user qu'avec une extrême réserve.
4° L'honneur et la réputation. — Il est permis de
s'opposer, par un emploi modéré de la force, aux
voies de fait injurieuses et aux paroles outrageantes.
Mais si, pour empêcher l'injure, il faut recourir à l'ho-
micide, en a-t-on le droit'.' Diana, Lessius, Hurtado
l'ont admis pour le cas où l'insulte serait sanglante et
atteindrait un personnage élevé en dignité. Mais cette
opinion, remarque saint Liguori, ne doit passer en
pratique qu'avec une extrême réserve. Elle se soutien-
drait plus facilement si, d'une part, la personne outragée
est de celles qui ne peuvent laisser passer l'insulte sans
se déshonorer et si, d'autre part, l'insulteur, passant
des paroles aux actes, en vient à menacer son ennemi
de mutilation ou de mort. En ce cas, l'insulté se dé-
fendrait plutôt contre la violence que contre l'injure.
Mais, si l'on excepte ce cas, le recours au meurtre
comme moyen d'écarter l'injure est illicite, soit parce
qu'il n'y a pas de proportion entre le mal de l'injure
et celui de l'homicide, soit parce qu'on arrive au but
aussi sûrement et aussi facilement par d'autres
moyens sans danger.
Un sentiment trop vif de l'honneur a fait dévier sur
ce point, au xvie et au xvne siècle, quelques théolo-
giens dont les propositions scandalisaient le domini-
cain Mayol, Summa doclrinse moralis circa X decalogi
prsecepta, Yu"' pracept., q. i, a. 6, § 4 : Prse horrore...
decidil calamus, tremunt viscera..., dum considero
opinionum por tenta execratione digna quibus novelli
probabilitatum patroni istud strictissimum de non oc-
cidendo prœceptum laxare in hac parte moliuntur.
Selon les uns, dit-il, on peut tuer le calomniateur, non
seulement quand il attaque, mais dès qu'il menace;
selon les autres, il est licite de tuer un insulteur, même
quand il a cessé d'insulter; d'autres permettent en prin-
cipe de tuer tout insulteur ou tout calomniateur qui
fait un tort grave. Les critiques de Pascal, V7/p Provin-
ciale, ont été provoquées par des propositions de ce
genre, ou trop larges, ou formulées d'une façon trop
générale. Voir par exemple Lessius, De justifia, 1. II,
c. ix, dub. xu, n. 77 et 79.
Les principes indiqués plus haut s'appliquent clans
toutes les classes de la société. On ne fait aucune ex-
ception même pour les personnes constituées en di-
gnité qui n'ont pas le droit de tuer pour échapper à la
calomnie et aux injures, ni le droit de calomnier pour
échapper à une accusation vraie ou fausse. Alexandre VII
el Innocent XI ont condamné' les propositions qui le
soutenaient. Trop. 17, 18, et prop. 30, W el 44. Den-
zinger, n. 988, 989, et 1047, 1060, 1061. A fortiori,
est-il interdit de recourir à l'homicide par avortement
pour échapper au déshonneur ou même à la mort.
Prop. 34. Denzinger, n. 1051.
V. Oui n.
DEFORIS Jean-Pierre, bénédictin de la congréga-
tion de Saint-Maur. né à Montbrizonen 1732, guillotiné
à Paris le 25 juin IT'.ii. Avant lait profession a Saint-
Allire de Clermont, le 36 août I7ô:t, il fut un des pre-
mier-, collaborateurs chargés de l'édition de- conciles
iule-, dont un volume seule nie ni lut publié; mais
il renonea bientôt a ce genre d'études pour se livrer à la
défense de la religion attaquée par les incrédules. Lu
moment de h Révolution, il fu oi tble
à ta Constitution civile dn i lergé el mé d'avoir con-
iiii.ue ,i -.1 rédaction. Il repoussa vivemenl o
sation dans une Lettre " V auteur de i" Ga elle de Parie,
in-8" de 28 p. \ la suite de cette publication, il fui
.ii i. té et i ni' i i la i orce puii -ni Luxemboui
■ la Concier) ri< fraduildi int le tribunal révolution-
231
DEFORIS - DÉISME
naire, il fut condamné à mort. Il De cessa d'offrir lei
ilations de la religion à ses compagnons de c;»pt i -
vite et de supplice, el pour les assister jusqu'au bout,
demanda comme une laveur d'être exécuté le dernier.
Dom Deforis travailla à une édition îles œuvres de
Bossue! dont les note^ el manuscrits avaient été dépo-
iu monastère des Blancs-Manteaux par les héritiers
de l'illustre évoque. Ce travail avait été commencé par
'l'abbé l.e(|iieiix et par dom do Coniac. L'édition devait
avoir 30 volumes. Dom Deforis l'annonça par un Prospec-
tus de In nouvelle édition des œuvres de Jdessire J B<
nig»e Bossuet, évêque de Meaux, in-4», Paris, 1769.
Quinze volumes furent publiés par les soins de dom
Deforis qui s'était surtout occupé des œuvres inédites
de l'évéque de Meaux ; mais les notes et préfaces dont
il accompagna le texte soulevèrent de \i\es protesta-
tions de la part de l'Assemblée du clergé qui pria le
garde des sceaux d'ordonner que les œuvres de Bossuet
fussent publiées sans commentaires. Le libraire Lamy
continua l'édition qui demeura inachevée : Œuvres de
Messire Jacques- Bénigne Bossuet, nouvelle édition
enrichie d'ouvrages de l'auteur non encore imprimés,
18 in-4", Paris, 1772-1788. Dom Deforis donna une édi-
tion séparée des Sermons cl oraisons funèbres de
M. Bossuet, 6 in-4°, ou 17 in-12. Paris, 1772-1790. Il est
en outre auteur des ouvrages suivants : Réfutation d'un
nouvel ouvrage de J.-J. Rousseau intitulé: Emile ou
de l'éducation, in-S", Paris, 17(>2:La divinité de la reli-
gion chrétienne vengée des sopliismesdeJ.-J. Rousseau,
2 in-12. Paris, 4763; Préservatif pour les fidèles contre
les sophismes et les impiétés des incrédules où l'on
développe les principales preuves de la religion et oit
l'on détruit les objections formées contre elle, avec
une réponse à la lettre de J.-J. Rousseau à M. de Beau-
mont, archevêque de Paris. 2 in-12, 1764; Réclama-
des religieux bénédictins des Blancs-Matiteaux
contre la requête des religieux de Sainl-Germain-des
Prés, in-41, Paris, 1765; L'importance et l'étendue des
obligations de la vie monastique, son utilité dans
l'Église et dans l'Étal pour servir de préservatif aux
montes el de réponse aux ennemis de l'ordre monas-
tique, 2 in-12, Paris, 1768 : ces deux derniers ouvrages
se retrouvent dans Mémoires pour les ordres relig
contre les principes de la Commission établie en 1168,
in-12, Paris, 1785; Exposition de la doctrine de l'Eglise
sur les vertus chrétiennes contre les articles que
M. l'évéque du Mous a fait signer aux Pères de l'Ora-
toire et Examen de la lettre apologétique du P. du Ver-
dier, assistant du Pcre général de l'Oratoire au sujet
de ce qui s'est passé entre les supérieurs majeurs de
cette congrégation et M. l'évéque du Mans dans l'af-
faire du professew du Mans, in-12, en France, 1775.
pamphlet très violent contre l'Oratoire et Ms* de Gri-
mai di, évêque du Mans; l'Ion de réforme motivé, pré-
senté aux Etats-Généraux par les fidèles citoyens de
la bonne ville de Paris, 3 in-81. Paris, 1787. 1788, 1789.
DomTassin, Histoire littéraire de la congrégation de Saint-
. in-4*, Paris, 177ii. p, 768 766 Quérard, I.a France litlc-
in-8 , Paris, t. n, p. 421 ; Picot, Mémoires pour servir
<i l'histoire ecclésiastiqui pendant le xrtn' ai II .Pa-
ri 1865, t. \. p. 189; d< Lama, Bibliothèque des écrivai
la congrégation de Saint-Maur, ln-12, Paris et Munich, 1882,
p 212 Ri r 8 1 18; 1905, p. 86, M'.»: Le-
vesque, Bossuet et l)ef<>- de sermon, dana H
Bossuet, 1900, p tMd , p. SJ plantent V,
20 juin 1!X)7, p. 67-":; , Berlière, Nouveau supplément ii C histoire
littéraire des bénédictins de Saint-Maur, I. i. p. 1Ô0-152.
II. Mil RTEB1ZE.
DÉGRADATION. Voir DÉPOSITION.
DEGRÉS. Voir GRAD] 8.
DEHARBE Joseph, né à Strasbourg en Alsace, le
I" avril 1800, entra dans la Compagnie de Jésus à Brig
(Valait . le 20 septembre 1817; professa la rhétorique
el prêcha avec BUCCèS en Suisse et en Allein-.
mii.- du lainl ministère lui lit comprend)
nécessité, d'un nouveau catéchisme populaire. 11 en
forma le plan suivant le- h. soins nouveaux qu'il
statait, tout en se tenant h- plus près possible des meil-
leurs modèles antérieurs, spécialement du li. 1'. Cani-
siu<. dont le catéchisme avait obtenu une si vaste dif-
fusion et fait tant de bien. Noir t. n. col. 1524-1596. Il
arriva à l'exécution, tandis qu'il résidait à Lucen
Suisse, et puhlia. en 1847, ;< Batisbonne, son premier
Katholischer Katechismûs, m quatre éditioi
rant par le développement, pour les enfante des écoles
de tout degré, pour les jeunes gens et les adulte-
1853, les évoques de Bavière, désireux de réaliser dans
leurs diocèses l'unification des catéchismes, mesure à
laquelle s'élait déjà montrée favorable l'assembh
nérale de l'épiscopat allemand à Wurzbourg, en '
demandèrent le concours du I'. Deharbe. Celui-ci avait
déjà réimprimé une douzaine de fois son travail suc-
cessivement perfectionné; il en publia, la même
année 1853, une nouvelle édition, que tous les prélats
bavarois adoptèrent. Voir t. il, col. 1956. Le P. Deharbe
a de même approprié- son œuvre, avec de légères modi-
fications, à l'usage de plusieurs autres diocèses, et elle
est devenue le catéchisme diocésain de la plus grande
partie de l'Allemagne. Il en a été fait également
traductions en anglais, en croate, en danois, en ■
gnol, en français, en hongrois, en italien, en polonais
en portugais, en suédois, en tchèque et même en
mahratte. Outre les textes destinés à être appris par
les enfants, le P. Deharbe a composé des explications
populaires de son catéchisme, à l'usage des catéchistes
et des familles: elles ont paru sous différents t
en deux, trois et cinq in-8". Divers auteurs ont i j
ment commenté à leur manière son excellent manuel.
Le P. Deharbe a encore publié un volume sur la na-
ture de la charité parfaite ; Die voit kom mette I
Gottes in ihrem Gegensai:c tur unvollkonimemen uni
in ihrer Anwendung auf die vollkommene und unvoll-
kommene Reue. dargcstellt nacli der Lehre des heil.
Thomas von Aquin, und fur kalechetische Vurtrâge
gemeinfasslich erklârt. Nebst einigen Erlàuterun-
ijen -.mu Einverstàndnisse in der Katechismussache,
in-8°. Ratisbonne. 1856. Il termina sa vie bien remplie,
le 8 novembre 1871, a Maria-Laach.
Sur les Innombrables éditions du catéchisme de Heharbe,
voir De Backer-Sommervogel, Bibliothèque delà C" de Jésus.
t. n. col. 1815-1884; i. ix. col. is2-isi. Pour l'appréciation,
F. X. Thalhofer, Entwickelung des katholischeu Katechismûs
in Deutschland von Canisius bis Deharbe, Fribourg-en- 1
gau, t899; Knecht, dans le Kirchenlexjkon, l. vu, co:
Hurter, Xotnenclator. t. m, col. 1222-!.
lus. HFU'CKER.
DÉISME. — l. Notion. M. Essais de classification.
III. Apparition du mot. IV. Le déisme en Angleterre.
\ . I.'1 'I' i~ en France. VI. Le déisme en Allem i|
VII. Doctrine catholique opposer au déisme.
I. Notion. — Ce mot est loin d'avoir une significa-
tion unique et facilement définissable. Son acception
usuelle ne répond nullement au sens étymologique.
Si nous ne consultons que l'étymologie, déisme et
théisme sont deux tenues parfaitement synonyn
ils expriment l'un et l'autre simplement la croyance
en Dieu, le contraire de l'athéisme; ils ne diffèrent que
par leur dérivation immédiate, qui rattache le premier
au latin Deus. et le second, au grec e>;o;. De fait, dans
beaucoup de livres du xuu siècle et du commei
ment du xix\ on les rencontre employés indiflerem-
ment. Voltaire se vante d'être théiste et ne se défend
point d'être déie que, dans -.i pensée, ces deux
qualificatifs se valent : ils indiquent également une
religion sans dogmes révélés el san< culte autre qus
233
DEISME
234
« faire le bien », c'est-à-dire le fond commun de toutes
les religions, l'assentiment purement rationaliste à
« l'existence d'un être suprême, puissant et juste. »
Aussi de même que, pour lui, « le déisme est la reli-
gion d'Adam, de Sem et de Noé, » parce « qu'en tout
genre on commence par le simple, ensuite vient le
composé », de même il dit du théiste (Dictionnaire
philosophique, à ce mot), que « sa religion est la plus
ancienne et la plus étendue, car l'adoration simple
d'un Dieu a précédé tous les systèmes du monde. »
Mais, dès longtemps, l'usage, quem pênes arbitrium
est, et jus et norma loquendi, a introduit entre ces
deux mots une distinction capitale : il a sanctionné et
développé le côté affirmatif de l'un et le côté exclusif
de l'autre; dans le théisme, il a accentué l'idée qu'im-
plique la racine, et il a amené le déisme à signifier
surtout la négation de quelque chose qui la dépasse;
ici, l'attention se porte moins sur ce que le vocable
énonce que sur ce qu'il ne dit pas et suppose absent.
Aujourd'hui, le théisme est une théorie qui comporte
l'existence d'un Dieu personnel, créateur et providence;
il s'oppose non seulement à l'athéisme, négation de
Dieu, et au panthéisme, négation de la personnalité
divine, mais aussi au déisme. Celui-ci désigne tout
svstème qui, un Dieu personnel supposé, rejette l'un
ou l'autre de ses attributs positifs et tout au moins son
action révélatrice. C'est bien assurément cet aspect
négatif que Bossuet avait en vue et dont il signalait,
avec son coup d'reil génial et sa logique impitoyable.
Variations, V, les conséquences extrêmes, quand il
• lait le déisme « un athéisme déguisé. »
II. Essais de CLASSIFICATION. — Selon qu'il pousse
l'exclusion plus ou moins loin, le déisme se présente
à nous avec des différences très notables. Au cominen-
cement du xvnr siècle, le théologien anglais Clarke,
.1 démonstration >>f the being and attributes of God,
Londres, 1704-170(3, traduit par Ricotier, Amsterdam,
17-21. t. h, c. Il, distinguait quatre classes de déistes.
Li - un-, disait-il. reconnaissent un Dieu sans provi-
dence aucune, complètement étranger et indifférent aux
actions des hommes et aux phénomènes du monde,
moteur intelligent, qui, après avoir tiré l'univers du
chaos, «a tout laissé à l'aventure, sans vue ni direction
particulière, au hasard de ce qui pourrait arriver. »
D'autres s'élèvent jusqu'à l'idée d'une providence, mais
(I une provider ' erne simplement les phéno-
iea de l'univers matériel. Au demeurant, ils ren-
Dl toutes les bases de la morale et, a fortiori, de
la croyance à une \ie future; < ils ne voient nulle dif-
fi rence entre le bien et le mal; » c'est là chose dont
Dieu, d'après eux, ne se mel p \î en peine, de sorte que
tablies par les hommes, source unique et
arbitraire de nos concepts d'honnêteté, d'obligation, de
faute, de mérite el de démérite, ^ont aussi par conse-
nte rit la seule norme n gulatrice de nos actes. Il est
des déistes d'une troisième nuance, qui, tout en admet-
tant certains attributs moraux de Dieu et en particulier
M providence et ses volontés intimées à toutes les
fusent de croire à l'immorta-
lité de l'âme, ainsi qu'aux peines et récompenses d'une
■ le. Enfin, à la quatrième classe appartiennent ceux
qui ont à ton- égards des idées saines el justes de
attributs », qui donc acceptent toutes
rites de la religion naturelle, y compris le do
rie future, el ne rejettent que leprincipe de l'au-
etde la révélation. Ceux-ci sont, au jugement de
Clai ki I ibli - di istes el les ■ tils qui
ddi i iti ni qu "n entre en discussion avec eux pout
iim n di la i érité de la relij ion chrétîenm
Malheureusement, ajoute-t-il, tout porte à croire que
parmi les déistei modernes, il n \ en •> que peu ou
point de cette • p ■ e > ar la moindre attei n aux
quences de ces principes conduirait infaillible-
ment des gens comme ceux que je viens de dépeindre à
embrasser le christianisme. »
La classification de Clarke n'a guère été admise telle
quelle. Kant, fort arbitrairement du reste, simplifie la
question en opposant sans plus le déisme au théisme
de la manière suivante : le théiste est, selon lui, le
partisan de la religion naturelle; il conçoit Dieu, par
analogie avec l'homme et d'après les données de l'expé-
rience, comme un être libre et intelligent, auteur et
providence du monde. Le déiste s'en tient à la théologie
rationnelle transcendantale, < pensant Dieu d'après des
concepts purs et vides d'intuition, comme être premier
et cause du monde, » il ne va pas au delà d'une force
infinie, inhérente à la matière et cause aveugle de tous
les phénomènes de la nature. Le déisme, dans ce sens,
ne serait plus qu'une forme du matérialisme et se con-
fondrait avec la doctrine de certains physiciens de l'an-
tiquité, par exemple celle de Straton de Lampsaque.
Rien ne justifie pareille restriction. Aussi bien, à nous
en rapporter à l'usage le plus général, à considérer les
penseurs qu'on s'accorde communément à ranger sous
l'étiquette de déistes, il semble à la fois plus logique et
plus commode d'y distinguer trois catégories ou trois
degrés, suivant qu'admettant Dieu comme créateur ou
au moins ordonnateur du monde, ils nient d'ailleurs
soit seulement la révélation et l'Église, soit en outre la
vie future, soit même la providence. En étudiant les
origines et la marche du déisme, surtout du déisme
anglais, il est facile d'y relever ces différentes formes.
On les y rencontre se développant dans l'ordre que
nous venons d'indiquer, c'est-à-dire se rapprochant de
plus en plus de la négation totale, de l'athéisme.
III. Apparition du mot. — Historiquement, le déisme
s'offre d'abord à nous avec une acception purement
théologique. Ce mot, inconnu de l'antiquité et du moyen
âge, a servi primitivement à désigner les sociniens ou
nouveaux ariens, qui niaient la divinité de Jésus-Christ.
Dans la suite, on l'a étendu à tous ceux qui se déclarent
partisans de la religion naturelle, mais hostiles à tout
surnaturel et à tout mystère. Des adversaires du chris-
tianisme nous apparaissent pour la première fois sous
le nom de déistes vers le milieu du \vie siècle, en Italie et
en France. C'est du moins ce qui résulte du témoignage
d'un théologien calviniste, assez estimé parmi les siens,
Virel. dans un livre publié en 1063 et portant le titre
A* Instruction cAre*tienne. Cetauteurcaractériseainsi les
nouveaux sectaires : « Ils reconnaissent Dieu, mais n'ad-
mettent pas Jésus-Christ. L'enseignement des apôtres
e1 des évangélistes est pour eux pure fable et rêverie. »
IV. Lk déisme en Angleterre. — Mais si le nom est
né sur le continent, c'est en Angleterre que nous voyons,
dans la seconde moitié du même siècle, la doctrine
prendre consistance el commencer à se répandre. Plu-
sieurs circonstances locales lui furent favorables : elle
bénéficia d'un fort courant d'opposition à II glise établie,
qui régnait parmi les sectes dissidentes, et surtout de
la réaction très compréhensible provoquée par la préten-
tion de l'épiscopat anglican d'imposer l'adhésion absolue
aux trente-neuf articles, contrairement au principe
fondamental du protestantisme, qui permet à chacun
la libre Interprétation de la Bible. A ces causes il faut
ajouter l'action parallèle de ta philosophie in
par Bacon de Vérulam i \ 1626), et conduisant de l'em-
pirisme au sensualisme d'abord, an scepticisme el I
i athéisme ensuite.
On trouvera à l'article Christianisai rationne] . t. ti,
col, 3415-3417, une substantielle esquisse du déi
anglai numération des principaux noms el des
principaux ouvrages par lesquels n est représenté.
De la comparaison attentive de ces éléments une con-
clusion a te i.i force ds
i ■ ni' il- .i que, là déjà, le dél
iégénèn i apidement
235
DÉISME
236
et tombe de négation «mi négation, l'our Herbert de
Cherburj (1581-1643), la religion naturelle, en tant
que noyau doctrinal commun a tons lea systèmes reli-
gieux el condition suffisante <lu salut, comprenait cinq
propositions de certitude rationnelle : 1 il \ a un Dieu;
2 il a droit a noire culte; 9» La piété et la vertu sont
les parties essentielles de ce culte; 4" chacun doit se
repentir de Bes fautes, et à celui qui se repent Dieu
pardonne; 5" il j a, soit dans cette vie, soit dans une
\ ir à venir, îles récompenses pour les bons et des peines
réservées aux méchants. Mais bientôt nous voyons les
successeurs de Cherbury el les héritiers de ses prin-
cipes, notamment Collins (1676-1729), Chubb (1679- 17 47
BoHngbroke (1672-1751), nier ou révoquer en doute et
la providence divine et la vie future. « Dieu, écrit
Chubb, est un être qui n'a pas à s'occuper du bien ou
du mal qui se fait parmi les hommes. La providence
ne s'inquiète pas de savoir si quelques individus
vivent dans une situation heureuse, d'autres dans la
misère; cela ne la regarde pas. » Il se moque du raison-
nement qui de l'inégalité imméritée des conditions hu-
maines conclut à une compensation à venir et à la
nécessité d'une existence ultra-terrestre. Il compare le
sort des (ils d'Adam à celui des chevaux, dont les desti-
nées et les emplois sont si divers, sans que les moins
favorisés puissent attendre un dédommagement quel-
conque. Bien que ces passages, d'une brutale franchise,
semblent contredits par d'autres, il est clair du inoins
que l'auteur n'avait sur rien une conviction ferme et
arrêtée; aussi déclarait-il insuffisantes les raisons qui
militent en faveur de la survivance de l'âme au corps.
Avec Bolingbroke, sceptique, léger, railleur, se défen-
dant du reste d'être athée, le respect de la religion,
même naturelle, a disparu : comme .Machiavel, Boling-
broke ne voit en toute religion qu'un instrumentum
regni, un expédient politique pour gouverner la multi-
tude naïve et ignorante. Après cela.il ne manquait plus
au déisme que de renier ou de battre en brèche l'idée
même qui en est le premier fondement, l'idée d'un
être suprême. C'est ce qu'il allait réaliser sans tarder,
par la plume de Henri Dodwell le jeune, dans Le
christianisme dépourvu de preuves, 1743, et surtout
par celle de Henri Hume (171 1- 1776», qui, sur les ruines
du principe de causalité, fonde définitivement le scep-
ticisme religieux, en même temps que le scepticisme
philosophique. « Quelle est la fin de l'homme? Est-il
né pour le bonheur ou pour la vertu? pour cette vie
ou pour une vie future? pour lui-même ou pour son au-
teur? Questions tout à fait insolubles, » dit Hume. Et
il ajoute que « c'est une succession d'impressions qui
seule constitue l'esprit », et «pie notre persuasion de
l'existencede Dieu repose uniquement sur « un instinct «
ou « préjugé naturel ». Ainsi, d'étape en étape, le déisme
d'Herbert de Cherburj finissait par sombrer dans la
négation des principes les plus clairs et les plus essen-
tiels, de ces principes qui, comme celui de la relation
delà cause el de l'effet, sonl le fond même de l'intelli-
gence humaine.
Malgré le nombre, la qualité et l'ardeur de ses cham-
pions, le déisme, en Angleh rre, n avait point réussi à
pénétrer fortement l'esprit public. Les attaques contre
le christianisme et les mystères qu'il impose à la foi,
contre l'inspiration de ses livres sacrés, conta
miracles et ses prophéties, qu'un déclarait impossibles,
recevables seulement c des ail gories, radicale-
ment dénués de valeur probante, n'avaient pas encore
atteint profondément les masses croyantes, raine l'a
constaté en termes dignes d'être remarqués. •• En vain,
dit-il. Histoire de la littérature anglaise, 1863, t. m,
p. 60-61, au commencement do siècle, les libres-
penseurs s'élèvent; quarante ;in> plus tard, ils sonl
noyés dans l'oubli. Le déisme el l'athéisme ne sont ici
qu'une éruption passagère. Les professeurs <i irréligion
rencontrent des adversaires plus fort! qu'eux. Les (
de la philosophie expérimentale, les plus doctes i l
plus accrédités parmi les érudits du siècle, les écri-
vains les plus spirituels, lis plus aine plut
habiles, toute l'autorité de la science et d
ploie à les abattre. Les réfutation- surabondent. El
apolo,. de convaincre un
esprit libéral, infaillibles pour convaincre un esprit
moral. » Ceux qui prétendaient abolir la religion du
Christ ont présumé de l'efficacité de leurs moyens.
i Quand ils seraient dix fois (dus nombreux, ils n'en
viendraient pas à bout; car ils n'ont pas de doctrine
qu'ils puissent mettre à sa place. ■ La résistance fut donc
énergique, et l'avantage demeura aux défenseurs de la
bonne cause, avec cette restriction, que plu-i
d'entre eux. par une tactique mal entendue, firent au
rationalisme des concessions déplorables, qui, à la
longue, devaient devenir funestes.
Y. Lf. DÉISME EN France. — Mais si les théories déistes
n'eurent de l'autre coté de la Manche qu'une vogue '
poraire et relativement restreinte, il n'en futpasde ne
en deçà. Herbert et Shaftesbury avaient puisé beaucoup
de leurs erreurs en France ou chez des écrivains fran-
çais ; elles revinrent à leur pays d'origine, notablement
grossies et développées. Ceux qui contribuèrent prin-
cipalement à les accréditer furent Yoltaire, Jean-Jacques
Rousseau et le groupe des ^philosophes » encyclopédistes.
Yoltaire (1694-1778) était entré, vers 1715, en relations
d'amitié avec Bolingbroke, exilé alors sur le continent;
il avait ensuite passé trois ans auprès de lui dans la
Grande-Bretagne. C'est ainsi qu'il noua connaissance
avec les déistes anglais et se mit à leur école. De retour
dans sa patrie, non seulement il s'appliqua à y accli-
mater leurs idées, mais il fit traduire et répandre un
grand nombre des écrits de Blount. Toland, Collins,
Woolston. Chubb. Bolingbroke. Hume. Plusieurs de
ces traductions parurent en Hollande; on imprima les
autres en France, souvent avec la connivence des
autorités civiles, en mettant faussement sur le titre les
noms de Londres ou d'Amsterdam, l'ne partie fut
insérée, sous forme d'articles, dans l'Encyclopédie
méthodique. Les voies avaient été ouvertes à la propa-
gande antireligieuse par les désordres et la licenee
effrénée qui marquèrent la régence du duc d'Orléans,
pendant la minorité de Louis XV (1714-1723). I
alors que les productions des déistes commencèrent à
circuler sournoisement à Paris et dans les provinces.
Le cardinal de Fleury atteste le fait et le déplore,
lorsqu'il dit : « A cette époque, une multitude de livres
impies passèrent la mer, et la France en fut inondée;
ou plutôt, tous ceux qui avaient parmi nous la préten-
tion d'être des esprits forts en furent empoisonnés. »
Mais le principal semeur des idées nouvelles fut Yol-
taire lui-même. Tout l'avait préparé à ce rôle, tout
concourait à l'y rendre redoutable : sa formation intel-
lectuelle, résultai combiné de ses rapport- personnels
avec l'Angleterre et de son admiration pour Locke,
qu'il proclamait le penseur le plus illustre, le plus pro-
fond des métaphysiciens; son grand talent d'écrivain;
son érudition, aussi étendus et variée que superficielle ;
sa facilité' à s'assimiler les conception- iter à
son profil les travaux d'autrui; son esprit railleur el
caustique, habitue et expert à tout tourner en ridicule,
la rage qu'il nourrissait contre le christianisme et qui
lui inspirait ces sinistres paroles : Je voudrais que voua
sassiei l'infâme...; mon aversion pour cet infâme
ne fait que croître el embellir...; coure/ tons su- i
l'infâme habilement. - Lettres de 17(10 et I7t'>l.
édit. Houssiaux-Didot, t. \. p. 560; t. \n. p. 128,
l'absence complète de scrupule- dans le choix des
moyens; la foule d'adulateurs et de coopérateurs que
lui avait attirés s.i renommée, cultivée par lui-n.
avec une rare intelligence; enfin, l'agi avancé jusqu'où
237
DEISME
238
il parvint et jusqu'où il prolongea une activité étonnante
il mourut en 1778, clans sa 84e année. Il avait produit
plus de soixante-aix volumes. Dans tout cela du reste
le bagage philosophique ou théologique est d'une pau-
vreté insigne. Il se réduit à un sensualisme déiste,
accompagné de tendances matérialistes. Tandis que»
d'une part, l'auteur reconnaît un Dieu, que parfois il
dit juste et puissant, il enseigne, d'autre part, que l'exis-
tence du mal est inconciliable avec la bonté et la sagesse
divines. Quelquefois il exalte l'âme humaine dont il
vante la dignité et la noblesse; mais, en même temps,
il incline à croire qu'elle est une « abstraction réalisée »,
et il n'est point convaincu de sa spiritualité, car « ce
je ne sais quoi qu'on appelle matière peut aussi bien
penser que ce je ne sais quoi qu'on appelle esprit. »
Rien d'étonnant, après cela, qu'il lui arrive de se contre-
dire aussi sur la liberté, jusqu'à la nier: « Je veux né-
cessairement ce que je veux; autrement je voudrais sans
raison, sans cause, ce qui est impossible. » Dans sa
guerre sans trêve contre le christianisme, si, pour les
idées, il est ordinairement tributaire de Locke et des
Anglais, il ne fait souvent sur le terrain de l'érudition,
que reproduire en bon français les arguments de Bayle,
sauf à les assaisonner de ses plaisanteries et de ses
sarcasmes habituels. Le Dictionnaire historique et cri-
tique du célèbre sceptique lui est un arsenal, une mine,
où il puisera à pleines mains jusqu'à son dernier jour.
Plus sérieux de ton que Voltaire, mais tout aussi rem.
pli de contradictions, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
mérite de figurera coté de lui comme apôtre du déisme.
Lui aussi doit beaucoup à Locke. Laissons de côté, si
l'on veut, ses théories politiques et sociales, développées
dans son Discours sur l'origine et les fondements de
l'inégalité parmi les hommes, 1753, et dans son Contrat
social, 1762. Elles ont fait presque autant de mal à
l'Église qu'à l'État, parce qu'elles sont toutes impré-
gnées de ce principe, qu' « une société de vrais chré-
tiens ne serait plus une société d'hommes ». Quanta
l'ensemble de ses idées religieuses, il l'expose princi-
palement dans la Profession de foi du vicaire savoyard,
qui sert de préface à son Emile, roman d'éducation. 11
ramène la religion naturelle, la seule admissible, àtrois
vérité! I' l'existence d'un être suprême, dont la volonté
« meut le monde et anime la nature ». mais dont il est
impossible de savoir s'il est créateur ; 2° l'existence
d'une matière régie par des lois fixes et constantes;
■ '> l'existence dans l'homme d'une âme immatérielle et
libre. .Mais cette âme est-elle immortelle? On ne peut
ni l'affirmer ni le nier avec certitude; toutefois l'affir-
mative est plus probable. Que s'il faut admettre une
autre vie. il y a encore lieu de douter de l'éternité des
peines, et ici c'est vers la négative que tout doit nous
faire pencher.
A la suite de Voltaire el de Rousseau nous devons
mentionner h' groupi lis écrivains soi-disant « philo-
sophes » par excellence, qu'on a qualifiés de <• minis-
tres du roi Voltaire . el qui en réalité lui formaient
comme une cour et lui furent des auxiliaires précieux.
Mais désormais le maître eu impiété sera distancé' par
disciples, dont plusieurs défendront ouvertement
l'athéisme ou le matérialisme. La fameuse Encyclo-
pédie '"I Dictionnaire raisonné des sciences et des
arts, I7.">l 1777. tut comme l'incarnation et l'un des
résultais de leurs efforts combinés. On sait
:i^w que !'• bul de cel énorme recueil étail de répandre
dan louti de la société l'incrédulité et le
m- pi i l'endroil du christianisme, de set fidèles el de
institution San parier de Voltaire el des fonda-
teurs immédiats de l'entreprise, qui lonl Diderot(1713-
1781 el d'Alemberl 1717-1783), on peu! citer comme
collaborateur! Mauper 1759), l'abbé Raynal
(1713 1796 Gri 1723 1807 . La Mettrii 1709 1751 i,
d'Argent 1704-1771 foussalnt (1715-1772), Helvétius
(1715-1771), d'Holbach (1723-1789), Robinet (1735-1820),
Naigeon (1738-1810), Condorcet (1743-1794). Nommons
encore Montesquieu (1689-1755), Saint-Lambert (1716-
1803) et Volney (1755-1820), qui contribuèrent à sou-
tenir et à vulgariser les idées de Y Encyclopédie, le
premier par ses Lettres persanes, le second par son
Catéchisme universel, et le dernier par ses Ruines de
Palmyre; mais ajoutons que Montesquieu désavoua
plus tard ses sarcasmes contre le christianisme.
Parmi tous ces noms, trois méritent d'être spéciale-
ment remarqués : Diderot, d'Holbach et La Mettrie.
Diderot fut le véritable centre, l'âme, non seulement
de Y Encyclopédie, mais encore d'un ouvrage athée sur
le Système de la nature, 1770, et de plusieurs écrits
conçus dans un esprit identique. H représente ainsi,
dans la seconde période du XVIIIe siècle, le passage du
déisme à la négation de la divinité. Mais il est éclipsé
sur ce point par l'auteur même du Système de la na-
ture, le baron d'Holbach. Celui-ci professe sans am-
bages le pur athéisme, proposé plutôt timidement et
avec réserve par Diderot, Naigeon et plusieurs autres.
Il est aussi, est-il besoin de le dire? matérialiste; pour
lui, si la divinité n'est qu'un produit de l'ignorance, la
matière, unique réalité, est éternelle et nécessaire; elle
se meut par sa propre énergie; matière et force ou
mouvement, telle est la cause intégrale, telle l'explica-
tion suffisante de tous les phénomènes. Avant d'Hol-
bach, La Mettrie avait défendu le matérialisme le plus
cynique dans son Histoire naturelle de l'âme, 1745, dans
son Homme-plante, 1748, et surtout dans son Homme-
machine, 1748. Ce dernier livre, dont le titre seul
nous révèle la thèse fondamentale, se présente comme
une application du mécanisme cartésien.
On voit maintenant, sans que nous y insistions, où
en était arrivée, par la force logique des choses et des
idées, la libre-pensée déiste, au déclin du xvme siècle.
Le spiritualisme rationaliste qui a relleuri et jeté un
certain éclat en France sous la restauration, la monar-
chie de juillet et le second empire, n'était au fond qu'une
résurrection du déisme; car il en a repris le principe
fondamental, à savoir l'adoption de la raison comme
guide exclusif de l'homme et comme mesure de toute
vérité. On n'ignore pas que sa cause a été soutenue par
des esprits très distingués et que de leurs études sont
sortis plusieurs ouvrages remarquables. Mais ni les
nobles intentions ni le talent de ses défenseurs n'ont
pu le soustraire à celte déchéance fatale qui guette tout
système s'arrèlant obstinément à mi-chemin de la vérité.
Résumons en quelques lignes cette récente expérience-.
Les tendances sensualistes et matérialistes delà fin
du xviii" siècle se prolongèrent dans les premières
années du xi.\e. C'est Royer-Collard (1763-1815) et sur-
tout Maine de liiran (1766-1821) qui, partis tous deux
des principes de la philosophie écossaise, donnèrent le
signal de la réaction spiritualiste. Cousin vint ensuite
1792-1867), qui prit vite la tête du mouvement, mais
ne sut, enchaîné qu'il était à sa méthode éclectique,
ni suivre une direction constante, ni se garder des
inlluences du panthéisme allemand. Vers le début de
sa carrière enseignante, il affirmait l'unité absolue de
substance, l'identité du fini et de l'infini, le développe-
ment nécessaire «le Dieu dans le momie el par le
monde. A partir de 1833, sa pensée semble parcourir
:|ie. où nous le voyons atténuer el i
ter partiellement se- affirmations panthéistes. Au sur-
plus, son spiritualisme demeurera toujours un spiri-
tualisi issentii llemenl rationaliste, un spiritualisme
qui commence par repousser a priori le surnaturel, qui
de plus oie, sans aucun examen, i res divins
du christiania comme religion positive, qui affirme
enfin l'indépendance absolue de la philosophie i l'i gard
de l'Évangile, de la raison bumaii
i divine
>2 19
DÉISME
240
Nombreux ont été les discip main, el pi n -
si urs surent donner au spiritualisme une altitude plus
Hère, une forme plus épurée. Pour ue point parler ici
<!,- Jouffroj 1796-1842), ame inquiète, ballottée entre
la foi chrétienne de Bon enfance el les lueurs du ratio-
nalisme, aboutissant finalement au métempsycosisme,
il en esl d'autres, dont l'activité fut moins indéci
plus féconde. Tel Jules Simon (1814-1896), dont les
livres sur Le devoir et La religion naturelle contiennent
bien des pages qu'un chrétien peut lire avec fruit el
édification. A remarquer cette définition, relativement
complète, qu'il donne de la religion naturelle : < Un
Dieu tout-puissant et immuable, qui a créé le monde
el qui le gouverne par des lois générales; une vie à
venir qui remplira toutes les promesses de celle-ci el
en réparera toutes les injustices : voilà le dogme; un
cœnr rempli de l'amour de Dieu et île l'amour de
l'humanité, une volonté ferme d'accomplir le devoir et
de servir les vues de la providence en faisant le bien,
voilà la prière, voilà le précepte. » L'idée de Dieu
d'il. Caro (1826-1887) est une autre production de la
même école. L'auteur y affirme sa croyance non seule-
ment à un esprit souverain, mais aussi à la liberté et
à l'immortalité de l'âme; il y salue en Dieu « l'acte pur,
l'acte éternel de la pensée, première cause et réalité
suprême », un être non immanent au monde, un « père
aimant ». Edmond Saissel (1814-1863) appartient aussi
à la lignée intellectuelle de Cousin. 11 a formulé de sa
propre doctrine un résumé qui, abstraction faite des
opinions secondaires, retlète bien la pbysionomie
générale du spiritualisme éclectique : « En matière de
eboses surnaturelles, j'admets l'existence de Dieu et de
la providence; en matière de miracles, j'admets le mi-
racle éternel et perpétuel de la création; en matière de
révélation, j'admets que Dieu se révèle par les lois de
la nature et qu'il fait briller son intelligence, sa puis-
sance, sa justice et sa bonté, ,1e n'admets ni plus ni
moins. »
Les écrivains que j'ai nommés ne sont pas restés iso-
lés; ils ont eu des collaborateurs et des émules. Mais
aujourd'hui leurs héritiers ou continuateurs doctri-
naux se font de plus en plus rares. D'ailleurs, dans
leurs rangs mêmes des défections ont eu lieu. Ainsi
M. Paul Janet, qui avait longtemps partagé leurs vues,
s'est récemment rallié à une sorte de panthéisme par-
ticulier, qu'avec d'autres il appelle le « panenthéisme
Depuis nombre d'années déjà, le spiritualisme officiel,
universitaire, a visiblement cédé le pas, soit au criti-
cisme néo-kantien de Taine, Renan et Vacherot, soit
au positivisme de Comte et de Littréetau matérialisme,
qui en est la prolongation naturelle. C'est une nouvelle
application de la loi de décadence fatale.
Faut-il s'étonner de cette dégénérescence universelle
il u déisme, sous quelque forme et avec quelque art
qu'il nous ait été présenté? Nullement. Les hésitations
et compromissions de ses tenants, la faiblesse el l'indé-
cision de leurs arguments expliquent ce fait. Puis,
pour qui voudra y regarder de près, n'est-il pas clair
ipie la plupart des difficultés qu ils opposent au spiri-
tualisme chrétien se retournent contre eux, contre ceux
d'entre eux surtout qui admettent une vraie providence
Les objections de principe alléguées par eux sont prin-
cipalement les suivantes : le christianisme blesse la
raison en lui imposant des mystères; il nous présente
d'une façon enfantine et antiscientifique les rapports
de Dieu el du monde, en faisant intervenir la provi-
dence dans la nature, pour déranger, par des miracles,
l'ordre qu'elle j a établi; il partage le Dde en pri-
vilégiés et en déshérités, puisque beaucoup d'hommes
n'arrivent ai ae peuvent arrivera la connaissance de
la révélation chrétienne, et il prête ainsi à Dieu.
comme à un roi capricieux, des partialités indignes de
sa justice; enfin, comble de l'absurde, il Buppose que
immuabli lléchir par la prière jusqu'à
changer ses résolutions éternelle! M qui
raisonnent de s combattent eux-mémi i
fournissent i|e~ armes à leurs adversaires pantli
et matérialistes. Les notions qu'ils attaquent font partie
intégrante de toute théorie spiritnaliste. L'idée du
re, d'abord, est inséparable de la croyance en un
Dieu véritable ; la création du moud.- par un Dieu qui
se -iiflil est un mystère; la coexistence de l'éternel
qui ne dure pas et du successif qui dure est un I
tère; la coexistence de la liberté humaine et de la
prescience divine est un m
sont contenus dans le mystère unique, total, n
saire qui enveloppe les rapports du Uni et de l'infini.
L'histoire de la philosophie moderne et contemporaine
nous atteste que le mystère de la création (M la grande
tentation qui pousse aux erreurs panthéistes les esprits
trop faibles pour lui résister. L'idée du miracle s'im-
pose aussi au philosophe Bpiritualiste ; car la possibilité
du miracle résulte logiquement de la liberté divine et
de la providence. L'idée du privilège n oins
philosophique; car le privilège, comme on l'appelle,
c'est-à-dire l'inégalité el la hiérarchie sont la loi visi-
ble du monde, la condition de son harmonie et de sa
beauté. Enfin, le spiritnaliste. qui croit en Dieu et aux
rapports de la créature raisonnable avec lui. peut-il
exclure a priori l'idée de la prière'.' La prière est la
manifestation naturelle et nécessaire du besoin et du
sentiment religieux, fait universel qu'on peut ess.
d'expliquer, mais qu'on n'a pas le droit de nier ou de
condamner.
Du reste, quand un rationaliste reproche au Dieu
des chrétiens d'avoir des volontés changeantes et ar-
bitraires, de n'être qu'un homme idéalisé, parce qu'il
fait des miracles, parce qu'il répand librement et
inég dément ses grâces, parce qu'il daigne exaucer nos
prières, il rquable que ce langage ne dillere
en rien de celui des panthéistes attaquant la notion du
Dieu personnel, libre et créateur. C'est S;iisset lui-
même qui l'atteste, lorsqu'il met dans la bouche d- s
liens à l'adresse des spiritualistes séparés ces
paroles : « Quoi ! vous en êtes encore au Dieu personnel,
à ce Dieu concentré dans ^,, perfection solitaire, qui
sort un jour, on ne sait pourquoi, de son éternité
bienheureuse pour créer l'univers!... Convenez-en de
bonne foi : votre Dieu personnel est un être déter-
miné, particulier, plus puissant et plus intelligent que
les hommes, mais de la même espèce, en un mot, un
homme idéalisé
VI. Le DÉISME ) n ALLEMAGNE. — I lu déisme
d'outre-Manche, qui. transportées en France, y firent
tant de mal, n'épargnèrent pas l'Allemagne. Nous \
voyons poindre leur influence n - 1740, au
moment où Frédéric II, « le roi philosophe . montait
sur le trône. Jusque-là les productions de la libre
pensée anglaise n'avaient guère attiré l'attention que
des historiens et des polémistes. Hais en cette année,
Ckristianity as olrf as the en G tpei, a
republication <>f the Religion of Sature, de Tindal, fut
traduit par .le. m- Laurent Schmidl. l'un des men
les plus connus de l'école philosophique de Wolf. Ce
Schmidt, admirateur fanatique du maître, était le
même qui, six ins auparavant, avait lancé la fameuse
llil'lr <le Werlheim, dans laquelle à tous les
ligures ou dogmatiques du texte il substituait des
expressions wolfiennes. Le rationalisme de Wolf était
tout indiqué pour devenir l'auxiliaire et l'introducteur
du déisme en Allemagne, puisque, cominelui,il p
en principe que la religion naturelle est immuable
et qu'une révélation non seulement ne pourrait la
contredire, mais devrait s'y accommoder. .1. \V. Hecker
publiait à Berlin, en I7.VJ. Dtr Religion der Vemunft,
quinte: germanisée des écrits similaires de la
241
DEISME
242
Grande-Bretagne. En 1751, Samuel Reimarus (1694-
1765) mettait au jour, comme un avant-coureur des
audaces inouïes qui lui ont valu une triste célébrité
posthume, ses Ab/iandlungen von den vornehmsten
Wahrheiten der naturlichen Religion. Il y établissait
que la vraie religion doit être cherchée et étudiée dans
le cœur humain et dans la nature autant que dans le
catéchisme. En 1759, Semler (1725-1791) écrivait que
« la plus grande partie de la Bible n'est qu'une répéti-
tion de la religion naturelle ». On peut se rendre
compte de la vogue considérable du déisme à cette
époque par la multitude de livres ou de brochures qui
paraissent pour l'appuyer et le réfuter, et dont on
trouvera l'énumération dans Lechler, Geschichte des
englischen Deismus, Stuttgart, 1841, p. 150-151; par
l'importance que leur accordent les recueils savants,
et aussi par les leçons faites dans les universités
contre la diffusion de l'incrédulité. Thorschmid, Ver-
snrh einer Freydenker-Bibliolhek, 1765, Vorrede,
rapporte que, pendant la guerre de sept ans, les offi-
ciers supérieurs lisaient avec avidité les ouvrages de
Collins et de Tindal. Il en avait lui-même été témoin.
Laukhard, dans son autobiographie, raconte avec en-
thousiasme le plaisir qu'il eut à dévorer Le chris-
tianisme aussi ancien que le monde, de Tindal, et
comment il y puisa la conviction absolue, « que les
mystères ne peuvent pas être l'objet de la foi; que ni
I' -us ni les apôtres n'ont rien enseigné de pareil, mais
seulement la religion naturelle, embellie ça et là par
quelques images et métaphores orientales; que ce sont
ces images qui ont été transformées plus tard en mys-
tères. »
L'exemple et les encouragements à peine déguisés
de Frédéric II ne contribuèrent pas peu à renforcer le
courant rationaliste. Ajoutez à cela le sensualisme de
Locke, qui agit en Allemagne comme il avait agi en
Angleterre. Les chefs du rationalisme d'outre-Rhin,
Baumgarten (1706-1757), Semler (1725-1791), J.-Auguste
Ernesti 1707-1781), .1. -David Michaelis (1717-1791), ne
parlent de Locke qu'avec vénération. Baumgarten en
particulier s'appliqua à populariser ses écrits et ceux
des autres déistes anglais, el il mitau service de ce des-
sein la puissante influence qu'il exerçait sur toutes les
contrées de langue allemande par ses Nachrichtenvon
HaUischen Bibliolhek, Balle, 1748-1751, et ses
Nachrichten von merkwùrdigen Bûcher n, Halle,
1752-1757.
Il n'est pas jusqu'aux réfutations anglaises du déisme,
qui, traduites en allemand, n'aient, comme le remar-
quail déjà Ernesti, aidé à la pénétration des idées
qu'elles prétendaient combattre, parce qu'elles fai-
saient trop «le concessions à l'erreur. Ceci est d'autant
ns étonnant que plusieurs des traducteurs, tels
Zollikofer, Rôsselt, Spalding, Jérusalem, glissaient eux-
mêmes sur la pente des idées nouvelles. Tous ces dé-
tails expliquent ni cette réflexion de Tholuck,
te Schriften, 1839, t. i, p. i'\ : i 11 vaudrait
la peine de recueillir les idées des déistes anglais en
critique, en i u _• se, sur le dogme, la morale et l'his-
toire ecclésiastique; on se convaincrait ainsi bien vite
qu'il \ a très peu d'opinions rationalistes qui appar-
tiennent excluaivemi ni à notre époque.
i ■ mouvement que je viens d'esquisser avait, en
Allemagne admirablement préparé les voies à l'im-
brutale appuyée sur la négation radicale. Lei
(1729-1781) devait étn dai , à peu pn i nu
Voltaire en i rance, l'initiateur el I ndard de
l'une el de l'autre. Il ouvrit bientôt les hostilités, pai
la publication de Fragment» de Wolfenbûttel, 1771-
177*. On s:nt que les Fragment* d'un Inconnu, don)
l'auieiir. fort bien connu de l'éditeur était Samuel
Reimarus, poussaient I audace el la folie jusqu'à De
voir dans Jésus, le fondateur do christianisme, qu'un
vil imposteur. Et cette énormilé était présentée comme
le fruit spontané et naturel de la libre pensée, puisque
Reimarus avait donné à son manuscrit le titre d'Apo-
logie pour les adorateurs de Dieu selon la raison. Le
torrent des négations à outrance était désormais dé-
chaîné, et rien, en dehors de la foi chrétienne, ne pou-
vait plus l'arrêter. Vainement, quelques années plus
tard, le génie de Kant, dans Die Religion innerhalb der
Grenzen der blossen Vernunft, 1793, semble vouloir
remonter un peu le courant et revenir à la conception
déiste. Le kantisme tout entier servit bientôt de base
ou de prétexte aux théories panthéistiques de Fichte,
de Schelling, de Hegel ; le déisme germanique était
absorbé par le panthéisme.
Aujourd'hui, c'en est fait du déisme comme école
doctrinale distincte. Il est vrai que la franc-maçonne-
rie moderne pourrait partiellement être considérée
comme une représentante attardée du principe déiste :
elle affirme, du moins dans certains pays, l'existence
d'un Dieu qui ne se soucie pas de troubler pour
l'homme les jouissances de la vie et à qui il est par-
faitement indifférent qu'on l'honore ou qu'on ne l'ho-
nore point. Mais, à l'exception peut-être de quelques
cénacles fermés ou de rares et singulières indivi-
dualités, on voit parce qui précède que, partout où il
a sévi, le rationalisme déiste a accompli son évolution
d'une manière assez uniforme : son point d'aboutisse-
ment plus ou moins rapide, mais inévitable, a été ou
le panthéisme ou l'athéisme, et souvent celui-ci par
celui-là.
VII. Doctrine catholique opposée au déisme. —
Après cet exposé, il serait superflu de mettre en relief
chacun des points qui, dans les différentes formes du
déisme, vont directement à rencontre du dogme ca-
tholique. Ils seront repris et envisagés séparément dans
d'autres articles de ce Dictionnaire. Voir notamment
les mots Inspiration, Miracle, Mystère, Prophétie,
Révélation, Surnaturel. Notons seulement ici que
plusieurs des erreurs principales du système ont été
solennellement condamnées, et les vérités opposées,
solennellement affirmées par le concile du Vatican,
soit dans les quatre chapitres de la constitution Dci
Filins, soit dans les canons qui y sont annexés.
Ainsi, les canons 2e el 3* De revelatione définissent,
avec la possibilité et l'utilité de l'ordre surnaturel en
i il, la possibilité el l'utilité de la révélation.
('..ni. -2. Si quis dixerit fieri non posse, aul non expe-
dire, ut per revelalionem. divxnam homo de Deo
cultuque ci exhibendo edoceatur, anathema sit.
Can. :i. Si quis dixerit hominem ad cognitionem el
perfectionem quse naturalem superet divinitus evehi
non posse, sedex seipsoad ornais tandem œri et boni
possessionem jugi profectu / \e ri in gère posse ac debere,
anathema sit. Le 4e définit le caractère inspiré' des
Livres saints : Si quis sacrx Scripturee libros integros
cv/m omnibus suis partibus, proui illos sancla Triden-
tina synodus recensait, pro sacns et canonicis non
msceperit, aul cos divinitus in wgaverit,
anathema sit .
De même, les quati e pi inons dogmatiques
De jide définissent la dépendance essentielle de la rai-
son humaine à l'égard de Dieu et par conséquent le
caract i itoin de la foi; la notion propre de
ntimenl de foi, en tant qu'il se distingue de l'assen-
timent rationnel; la nécessité el la valeur des critères
extérieurs de la révélation; la possibilité des mira
• i leur valeur comn du fail de la révélation.
Can, l. Sx quis dixerit rationenx humanam ita inde
pendentem esse, ut ftdes ei a Deo imperrn < non )>os$it,
anathema rit ' Si quis dixerit fidemdivinam a na-
iniiiii de Deo et rébus moralibus icientia non distin*
</•',. a id (Idem divinam non requtri m
pler n,,, toi ilatem i>< ■< revelantis
243
M ISMK
DELBECOUE
244
, ; edalui , anathema lit. — 3. Si i/ms dixei ii révéla
,,,■111 divinam externis suints credibilem fieri m,,,
poste, ideoque tola interna uniuscujutque experientia
aut inspirations privala honiinet ad fidem nioveri
debere, anathema lit. -- i. Si quis dixerit mit
nu lia fieri poste, proindeque onmes de us narrationes,
etiam in sacra Scriptura contentas, inter fabulai
mythos ablegandas esse, aut miracula certo cogn
nunquam posse, nec Us divinam religionis christianœ
originem rite probari, anathema sit.
Enfin, des deux premiers canons De fi de et ratinne,
l'un définit l'existence des mystères proprement dits, et
l'autre, l'obligation pour la science humaine de ne
point heurter les données de la révélation. Can. 1 Si
quis dixerit in revelatione divina nulla vera et pro-
prie dicta nnjsteria contincri, sed univerta fidei dog-
viala ]>osse per rationem rite excultam e naturalibus
principiis intelligi et demonstrari, anathema sit. —
2. Si guis dixerit disciplinai humanas ea cum liber-
taie tractandas esse, ut earum asserliones, elsi doc-
trines revelalœ adversenlm , tanquam verse retineri,
neque ab Ecclesiaproscribi possint, anathema sit.
Outre divers ouvrages cités dans le cours de cet article, et les
écrits mêmes des déistes, on pourra consulter :
Sur le déisme et les déistes en général, A. Saintes, Histoire
dit rationalisme, Paris, 1841; L. Xoack, Die Freidenker, oder
die Repràsentanten der religiôsen Aufkl&rung in England,
Frankreich und Deutschland, Berne, 1853-1855; Trinius, Frei-
denker-Lexikon. Leipzig, 175'.) ; II. v. Busche, Die freie reli-
giOse Aufklarung, ihre Geschichte, ihre Hàupter, Darmstadt,
1846; Ch. de Rémusat, Philosophie religieuse : de la théologie
naturelle en France et en Angleterre, Paris, 18(7* ; Franck,
Dictionnaire des sciences philosophiques, Paris, 1875, v* Déis-
me ; Vigoureux, Les Livres saints et la critique rationaliste,
Paris, 1886, t. il ; Gonzal ez, Histoire de la philosophie, Uad. de
Pascal, Paris, 1891, t. ni et iv ; Bergier. Le déisme réfuté par
lui-même, Paris, 1770, et Dictionnaire de théologie, 2' édit.,
Lille, 1830.
Sur le déisme anglais, Leland, A view of the principal deis-
tical writers tliat hâve appeared in England, Dublin, 1754,
trad. allemande de Schmidt et Meyenbeig, Hanovre, 1755;
Lecliler, Geschichte des englischen Deismus, Stuttgart, 1841;
Taine. Histoire de la littérature anglaise. Paris, 181)3; Leslie
Stephen, History of english thought in the eighteenth century,
Londres, 1876; Ch. de Rémusat, L'Angleterre au xrnr siècle :
études et portraits, Paris, 1856; Sayous, Lus déistes anglais et
le christianisme, rationaliste, Paris, 1882; Ed. Engel, Ge-
schichte der englischen Litteratur <t. iv, de Geschichte der
WeltHtteratur), Leipzig, 1884; L. Carrau, La philosophie reli-
gieuse en Angleterre depuis Locke jusqu'à nos jours, Paris,
1888; Tabaraud, Histoire du philosophisme anglais, 2 in-8",
Paris, 1806.
Sur les déistes français. La Harpe, Cours de littérature,
De la philosophie du xviif siècle, Paris, 1835, t. xvi-xvn,
xvin ; Villcmain, Cours de littérature française', Tableau du
wur siècle. Bruxelles, 1840; Amédée de Margerie, Théodicée.
3' édit., Paris, 1874, 1. 1.
Sur les déistes allemands. Vigouroux, La Bible et les
vertes modernes, 6* édit., Paris, 18%, t. i : Esquisse du
nalisme biblique en Allemagne.
.1. FORGET.
DELAMETDE BUSSY Adrien-Augustin, né dans
le Beauvaisis vers Hi-21 d'une illustre Camille alliée i
Celle de Retz. Après son doctorat en Sorbonne. 1650,
il s'attacha au cardinal de Retz, son parent, et le suivit
pendant quelques années dans sa rie errante. Revenu
ensuite à Paris, à la Sorbonne, il y mena une vie édi-
fiante, consacrée aux études et à diverses bonnes œu-
vres, notamment l'assistance des condamnés au dernier
supplice. Il mourut en 1691. Ses Résolutions de cas de
conscience ont été imprimées avec celles de Froma
en I7-J'i; puis avec celles de sou .nui Sainte-Beuve, à la
suite du Dictionnaire de Pontas, 5 in-fol., 1 7:ï-2.
i i phie universelle, Parts, 1*'^, t. m, p. 176.
\ Incold.
DELAN François Hyacinthe, théologien janséniste,
né à Paris en 1<»72. mort à Rouen en I7.V..11 lit son
séminaire à Saint-Jiagloire et se lit recevoir do< U m i a
Sorbonne. Ma* Colbert, archevêque de Rouen, I ■
de lui et le lit son théologal. Dans son
ment II se montra toujours l'ennemi des jésuites, l'ar-
tisan des jansénistes, il Bigna le fameux '.'a>
. , ei pour ce fait, fut ezilé à Périgueux, d'où il
revint après avoir rétracté sa signature. Il fut appelant
de la bulle Unigenitus, a lara contre les i
\ ulsionnaiies. En 1717, il fut nommé coadjuteur du
principal du collège du Plessis. Il obtint une chain
théologie en Sorbonne dont il fut privé en 17-29. Parmi
les écrits de ce polémiste nous mentioi
punse au Plan général (>•; l'œuvre îles convulêù
iii— • . \l'Xi. l'auteur du Plan général «-tait Louis-Adrien
Lepaige; Dissertation théologique œlressée à un
laïque contre les convulsit 17.53: //
la Dissertation, I7iii. en réponse a des remarques de
L.-A. Lepaige; Défense de la consultation signée
trente docteurs de la faculté de Parts contrt
cuisions, in-i°; Lettres théologiques contre certains
écrivains censurés par M. de Senez; Réflexions judi-
cieuses sur les Nouvelles ecclésiastiques de
1~'!~ , in-'t"; Défense de la différence des vertus th*
rjales d'espérance et de charité, in-i . 17ii; Lel
pour la défense de l'autorité et de la doctrine de l'Ê ,
contre quelques nouveaux théologiens, in-i ; L'usure
condamnée par le droit naturel, i n - 1 -2 . Paris. 17."p:t
Nouvelles ecclésiastiques du 11 décembre 175.") ; Quérard. La
France littéraire, t. Il, p. 4:36.
B. lll.l RTEBIZE.
DÉLATION. La délation est la manifestation desactes,
des sentiments, des pensées d'autrui, faite dans le but
d'attirer sur la personne dénoncée la colère ou l'hostilité
de la personne à qui l'on dénonce. La médisance, la
calomnie, la violation des secrets que l'on devrait res-
pecter, sont les armes ordinaires du délateur. La déla-
tion est donc une médisance, une calomnie, une viola-
tion du secret, que complique, au point de vue moral,
la malice spéciale de la haine qui l'inspire et du but
que l'on cherche. C'est donc une faute doublement
contraire à la charité et à la justice. Sa gravité, dépen-
dant de l'acte qui la constitue ou du but poursuivi, se
jugera d'après les règles générales qui permettent d ap-
précier la malice de la médisance, de la calomnie, de
la révélation des secrets, et d'après les principes qui
déterminent la gravité des manquements à la charité.
Si le délateur arrive à son but et fait au prochain le tort
qu'il désire, il est tenu à la réparation comme tous ceux
qui ont porté préjudice aux intérêts d'autrui.
La délation diffère de la dénonciation. Voir ce mot.
V. Oblet.
DELBECOUE ou D ELBECQUE Norbert, domi-
nicain, né à Braine-le-Comte [Brabant méridional) en
1651. Il prit l'habit de l'ordre dans le couvent de celte
ville: il étudia les lettres à Lierre, puis la théolc.
Louvain. Licencié, il part à Rome continuer ses études,
lie retour en Belgique en 1693, il est fait maître des
étudiants au ttudium de Douai. Maître en théol
il est envoyé par le général de son ordre .i l'abb ■
chanoines-réguliers de Saint-Augustin de lier/
raid, dans le Limbourg. En 1700, appelé à Rome en
qualité de socius du général, il fait partie du ce;
des théologiens de la Casanate. 11 revint en Belgique
en 1707, avec les fonctions de regens pritnarius à la
faculté de théologie de Louvain 1708 . Il exerça cette
charge jusqu'en 1712. Élu prieur du couvent de Namur,
il y mourut le li novembre 1711. fou- les écrits de
Delbecque se rapportent aux disputes du temps On a
de lui : I De adverlantia ad peccandum ni
in v. Liège. ItilKi; c'était la réponse .i la faim
//,■ peccato philosophico, soutenue au mois de juin
au collège «les jésuites de Dijon ei condamnée par
Alexandre VIII, le jeudi 'li août lG'.Hi. en deux proj
2io
DELBECQUE — DÉLECTATION MOROSE
246
tions; 2" Dissolutio schematis Wyckiani biparliti de
preedestinatione, in-12, Anvers. 1708; 3° Thèses de locis
theologicis illustrâtes, etc. [8 mars 1710], in-8\ Lou-
\;iin, 1710: 4° De inconcussa SS. Augustini et Thomas,
doctrina atque irrefragabili aucloritate in maleria
prsesertim de gratta, etc., in-8°, Louvain, 1711;
5 Thèses theologicœ de impedimentismatrimonii, in-12,
Louvain, 1710; 6° Vindiciœ grattée dirinee adversus
novo-anliquos 'ejus impugnatores ad mentent gemin*
Ecclesiœ solis SS. Aurelii Augustini et Thomas Aqui-
natis, in-8°, Bruxelles, 1711; 7° Thèses polemicœ de
juslificatione et merito, etc.. 111-8", Louvain. 171-2;
s Appendix ad thèses polemicas de jttsti/icatione et
merito, etc.. in-8°, Louvain. 1712. Delbecque s'occupa
aussi d'éditions ou de rééditions d'ouvrages théologi-
ques. Citons : l» Eocimii D. Francisci Silvii a lirania
comitis fidelissinti S. Thomas Aquinatis interpretis
opéra, 6 in-fol., Anvers, 1698; les deux premiers tomes
contiennent : Silvii opuscula de primo ntotore, de statu
hominis posl peccatum, oraliones theologicee contro-
versise fidei, resoluliones variée. Item comntentaria
in Genesim et Exodum jam antea édita, txtm ejus-
dem comntentaria in Leviticumel Numéros nuncpri-
mum édita; les quatre derniers tomes "contiennent les
Comntentaria in universam S. Thomee Summum;
2» H. A. P. F. Nalalis Alexandre S. T. M. Theologia
moralis in compendium mlacla, Rome; 3° Uistoria
jregationum de auxiliis divinee gratiec sub summis
ponlificibiis Clémente Ylll et Paido V, attrtore
D. A. P. Jacobo Hiacinlho Serrxj S. T. M. Editio
altéra attelior, in-fol., Anvers, 1709. Enfin le P. Del-
becque avait entrepris sur les niss. une réédition de
saint Thomas: Summa S. Thomas de Aquino ad anti-
ilices mss. recognita. L'impression de cet ou-
vrage fui presque aussitôt abandonnée que commencée.
Ecfaard, Scriptores ordinis prsedicatorum, t. 11, p. 788; Rei-
■ lifit. Acla capitulorum generalium ordinis jirxd.. 1903,
i. vin, 1*. 332; de Jonghe, Belgium domi 1719, p. 307-
li. COILON.
DÉLECTATION MOROSE. - I , Nature. 1 1 . Malice.
III. Cas particuliers,
I. \ li délectation morose, disent commu-
oémenl les théologiens, consiste à se complaire volon-
tairement dans un objet mauvais auquel on pense, sans
intention d'ailleurs de traduire cette pensée en acte.
Dans I 1 - fidèles, la délectation morose ré-
pond aux péchés par pin
I La délectation morose est essentiellement un acte
de la volonté' libre, acte de complaisance et non point
de désir, comme l'explique Sanchez, Opus morale,
I. I. c. 11. n. I : on peut vouloir, dit-il. ou bien se
m 1 uni' chose qui plaît, el alors il y a volonté
1 bien se complaire dans cette chose, sans
la procurer, et c'est là ce qu'on appelle dé-
lectation morose. Ce nom ne signifie pas qu'il (aille un
certain temps tmora) pour que cette délectation existe;
coin mk- poui les autres péchés, un instant suffit; mais
il Indique que la volonté 5 consent pleinement et li-
brement, La délectation morose, dit plus explicitement
saint l 'b a^. Sum. theol., II» II", q. i.xxiv. a. (i.
«d 3 , eal ainsi appeli e parce que la raison délibérante
l'advei tance du sujel el la connaissance
de la malice de 1 objet . au lieu de 1
lemi nt, c me il le faudrait, l'objet mauvais dont la
• li
. attache librement, Il suit de la que la d 1
Mon i- tout a fait distincte de la délectation pure-
ible, si l'on appelle ainsi celle dont l'appétil
Inféri nsitif est le siège, Il et! vrai que le plus
Lation si nsible ai compagne la déli
lion m de \nir que, même d
ces circonstanc lactation u
confondent aucunement. Tantôt, en effet, la délectation
sensible, suscitée dans l'appétit inférieur par les sens
ou par l'imagination, se répercute, vu l'identité du
sujet sentant et pensant, dans la partie rationnelle de
l'homme et le sollicite au mal; or, jusque-là et tant
que la volonté n'a pas librement consenti, il n'y a point
de délectation morose. Tantôt, au contraire, l'homme,
en excitant lui-même ses passions, provoque volontai-
rement la délectation sensible, S. Thomas, ibhl., a. 6;
ici encore, il n'y a pas de confusion possible, puisque
la délectation sensible est alors un effet directement
voulu de la délectation morose. Tout ceci s'applique
à toutes les passions de l'homme comme à tous les
genres de délectation sensible, quoique les théologiens
se soient généralement bornés à envisager, à la suite
de saint Thomas, le cas particulier où la délectation
morose est jointe à la délectation propre à la concupis-
cence charnelle, parce que ce cas est de beaucoup le plus
fréquent. Suarez, De peccatis, disp. Y, sect. mi, a. 1.
2° En soi, le surnom de morose pourrait désigner
aussi bien la délectation volontaire dont l'objet est bon
que celle dont l'objet est mauvais, mais, en fait et par
définition, c'est uniquement à celte dernière que
ce surnom s'applique. Or, cet objet peut être présent
à l'homme et agir sur lui de deux différentes façons :
I. extérieurement, c'est-à-dire lorsqu'il impressionne
les sens extérieurs et détermine ainsi la délectation
sensible correspondante; dans ce cas, si la volonté est
consentante, il y a péché extérieur, par regards, par
action, etc., mais non par délectation morose; 2. inté-
rieurement, c'est-à-dire lorsque la délectation sensible
est provoquée non plus de l'intérieur, par l'objet lui-
même, mais par son image ou son idée, comme il a été
dit ci-dessus. C'est seulement dans ce cas qu'il y a dé-
lectation morose, le consentement de la volonté à la
délectation sensible ainsi produite étant toujours suppo-
sé'. La délectation morose est donc un péché purement
intérieur.
3° Ou a déjà vu ci-dessus comment la délectation
morose diffère du désir. On se l'explique mieux encore
si l'on observe que le désir meut la volonté vers un
objel convoité, tandis qu'au contraire la délectation
morose lixe la volonté sur l'objet intérieurement pré-
sent qui cause la délectation à laquelle elle consent.
Le désir est donc essentiellement relatif au présent.
tandis que la délectation morose se rapporte au présent
ou même, sous un certain sens, au passé. Il est logi-
que, en effet, de rattacher à la délectation morose, car
elle en contient tous les éléments, ce que les théolo-
giens appellent la joie, c'est-à-dire l'acte de se réjouir
volontairement du souvenir d'un péché autrefois com-
mis. Néanmoins, de la délectation morose on passe fa-
cilement au désire) à l'acte extérieur qui est le terme
du dé'sir, car, selon la remarque de saint Thomas, De
v. q. xv, a. 2, celui qui consent à la déleclation
sensible, en vient facilement à vouloir l'acte lui-même
alin de jouir plus parfaite ni de cette délectation.
Voir Désir.
II. Mai, ici:. — 1° Le consentement à la délectation
de la pensée, née d'un objet mauvais intérieurement
ni. est-il vraiment un péché, ou, du moins. g'i] \
a péché, n'est-il pas simplement véniel? Quelques-uns,
répond saint Th lum, theol., I* II', q. i.xxiv,
a. 8, ont soutenu que ce consentement est seulement
une faute vénielle; d'autres, dont l'opinion eSl plus
commune el plus vraisemblable, ont dit qu'il est une
faute mortelle (étant supposé, naturellement, que l'objet
de la délectation soit gravement mauvais). Puis, le
saint docteur montre comment la question propi
peut se r prendre de deux façom différentes au
premier iens, il u\ a point de délectation morose et
d lentement est licite ou, s n y a faute, elle 1
que vénielle ; au second sens, il \ s délectation mot
'247
DÉLECTATION MOROSE
et, en matière grave, la faute est toujours mortelle, de
sorte que chacune des deux opinions contient une part de
vérité. Ho son coté. Suarez, De peccatls, dûp. V.
s<et. vu. n. (i, déclare que la première opinion en
tant qu'elle s'appliquerait à la délectation moroai
pour elle aucune probabilité et a contre elle l'unani-
mité des théologiens, attendu qu'elle iiutorise les pas-
siona el conduit 1rs âmes à leur perte.
_ L'explication donnée par saint Thomas, De veri-
tate, q. XV, a. I, peut se résumer comme il suit.
1. Toute délectation est la conséquence d'un acte; ainsi,
de même que l'acte de la fornication produit une dé-
lectation sensible, la pensée de la fornication engendre
une certaine délectation intérieure. Or, celle-ci peut
être de deux espèces, car on peut se délecter ou de
la pensée que l'on a, en tant qu'elle est un exercice intel-
lectuel, ou de la fornication à laquelle on pense. Cette
distinction est manifeste, lorsqu'il ne s'agit pas de péchés
charnels, mais s'il est question de ceux-ci, elle i si
moins apparente, vu que, par suite du dén glement de
notre nature, dès que l'on pense à ces choses, elles
mettent la concupiscence en mouvement. Il n'en est
pas moins vrai que la délectation intellectuelle qui suit
la pensée, en tant que pensée, n'est pas du tout du
même genre que la délectation sensible causée par
l'acte extérieur, objet de cette pensée. C'est pourquoi
se délecter intellectuellement, au sens qui vient d'être
dit, n'est pas en soi une faute mortelle : ainsi, on ne
pèche aucunement quand on étudie des matières dange-
reuses en vue d'un but utile, tel que celui de la prédi-
cation, de la confession, etc., et, lors même qu'on l'au-
rait recherchée, uniquement par curiosité, la délectation
intellectuelle ne serait qu'un péché véniel. — 2. Il en
est autrement de celui qui, pensant à un acte grave-
ment mauvais, par exemple, à la fornication, se dé-
lecte de la fornication elle-même, car alors la délecta-
tion à laquelle il consent est de même nature que
celle qui résulterait de l'acte même delà fornication et,
par suite, elle tombe sous la même défense. Du reste,
lorsqu'on se délecte, bien qu'en pensée seulement, d'un
acte mauvais, cela vient de l'inclination que l'on a pour
cet acte; consentir à cette délectation, c'est donc
consentir à cette inclination, autrement dit. c'est ap-
prouver l'acte auquel cette inclination porte; consé-
quemment, si l'acte est gravement mauvais, le consen-
tement en question sera également un péché mortel.
Ces divers arguments de saint Thomas se retrouvent
chez tous les maîtres de la théologie. Voir Hallerini,
Opus morale, tr. IV, n. 9M sq. — 3. Il a été dit plus
haut que la délectation intellectuelle n'est pas en soi
une faute mortelle; mais il n'en est plus ainsi, lorsque
le sujet est exposé nu danger prochain de consentir à
la délectation sensible qui nait spontanément de la
pensée de certains actes mauvais. Dans ce cas, se dé-
lecter intellectuellement, même pour un motif légi-
time, de la pensée d'actes gravement mauvais, serait
une faute grave, puisque ce serait s'exposer gravement
au danger de pécher mortellement,
\i° Mais alors, comment distinguer le cas où le sujet
• délecte, non pas seulement de sa pensée, mais bien de
l'acte mauvais auquel il pense'.' (In a vu ci-dessus que.
d'après saint Thomas, celte distinction est difficile à faire
lorsque l'objet est du domaine de la concupiscence
charnelle; aussi, tout en posant a ce sujet certaines
règles pratiques, les théologiens ont soin de déclarer
qu'aucune n'est infaillible. Ces règles se résu nt à
considérer, conformément i l'enseignement de saint
I lu unis. Su»), theol., [« II", q. I.XXIV. a. (i, l'intention
ei i inclination du sujet. Cf. Suarez, Depeccatw, disp. V,
vu. a. 8. — I. L'intention : ainsi, lorsqu'on entre-
tient la pensée d un acte mauvais, si c'est pour un bon
motif, surtout pour un motif professionnel, il est bien
probable que [e plaisir que l'on \ prend est dû a la pensée
seule; au contraire, si le motif est inaij\;iis ou s.
inexistant, on sera fondé a croire que le plaie
provient de l'objet mau. ndant cetti
sujette à erreur. Il n'est pas toujours permis des'occu-
méme pour un bon motif, des choses en question.
puisqu'il faut en outre, sous peine de faute grave, que
l'on ne courre pas le danger de consentir au plaisir
mauvais dont la tentation se fait si facilement sentir
dès que l'on s'occupe de ces choses. D'autre part, celui
qui s'occupe de ces choses pour un motif répréhensible,
tel que la vanité, le désoeuvrement, la curiosité, commet
doute une faute, mais elle n'est, en soi. que
vénielle. — 2. L'inclination : par exemple, chez les
habitués delà luxure, la délectation coii prou-
vée en présence d'une pensée déshonnête doit, jusqu'à
preuve du contraire, être présumée de mauvais aloi.
i II arrive que l'objet mauvais se présente sous des
dehors dont la perfection artistique, l'ingéniosité, la
singularité, etc., arrêtent la pensée. s;m- qu'elle se
porte, du moins volontairement, sur l'objet lui-mi
11 s'agira par exemple de peintures ou de statues
remarquables au point de vue artistique, mais qui
oirensent la pudeur; de romans, pièces de théâtre et
autres écrits contenant des pages licencieuses, mais
d'une belle forme littéraire; de faits divers relatant des
crimes perpétrés d'une façon curieuse; de fautes qui
présentent certains détails amusants, etc. ; est-il permis
de prendre plaisir à ces accessoires, nonobstant la
malice de l'objet principal ? Cela est permis sans aucun
doute, mais à la condition expresse que l'on n'ait pas
l'intention de provoquer par ce moyen la délectation
illicite qui viendrait de l'objet lui-même et qu'il n'\
ait point de danger prochain que l'on consente à cette
délectation au cas où elle se produirait sans qu'on lait
voulu. La portée de ces restrictions est générale;
toutefois, elles visent particulièrement, par les raisons
déjà dites, la délectation sensible propre à la concupis-
cence charnelle et, à ce point de vue, elles sont de la
plus grande importance. Pour les bien interpréter, il
faut se référer aux règles ci-dessus exposées, car elles
sont entièrement applicables ici. Deux points cependant
sont à noter : 1. A cette question : comment reconnaître
quand le sujet se délecte non de la beauté, etc.. de la
forme, mais du fond déshonnête qu'elle recouvre'? beau-
coup de théologiens, cf. Salmanticenses, tr. XX. c. un,
n. 40, répondent qu'il en est ainsi quand, à égalité de
perfection de la forme, le sujet prend plus de plai-ir
aux choses qui excitent la concupiscence qu'à celles
qui sont parfaitement honnêtes. Mais Ballerini. Opus
morale, tr. IV. c. i. n. 101. pense avec raison que cette
règle souffre des exceptions. De ce que, par exemple,
le sujet lit avec plus de plaisir, parmi les produci
littéraires, celles qui sont risquées, on peut sans doute
inférer qu'il éprouve un penchant pour les choses qui
délectent l'appétit inférieur, penchant naturel à l'homme
déchu, mais cela ne suffit poinl à établir que chez le
sujet ce penchant e-l délibéré et par suite coupable.
La seule conclusion légitime est que le sujet ressent,
au cours de sa lecture, deux délectations différentes
qui sont sans rapport l'une avec l'autre: l'une, de na-
ture esthétique, due a la beauté de la forme et dont il
jouit de son plein gré et fort licitement, l'autre, due
au fond déshonnête et à laquelle il reste libre de ne
pas consentir, nonobstant le penchant indélibéré qu'il
a pour elle. —2. Au sujet du danger de consentir a la
délectation née de l'objet mauvais dont on goûte la
forme, il est à remarquer que pour apprécier saine-
ment la gravité de ce danger, il faut tenir grand compte
de la susceptibilité du sujet. Il suflil souvent de très
peu de chose pour créer un danger grave a des jeunes
.en-, a îles sujets adonnés à la luxure ou dont le pen-
chant à ce vice .st secondé par un tempérament très
impressionnable ; au contraire, il est des personnes qui
249
DÉLECTATION MOROSE — DELEGATION
250
en raison de leur âge, ou d'une vertu longtemps
exercée, ou d'un tempérament peu excitable, sont
réfractaires là où quantité d'autres succombent.
Cf. Salmanticenses, tr. XXVI, c. vu, n. 40. Néanmoins
il reste vrai que, pour la généralité des sujets, le péril
varie beaucoup selon la nature de l'objet. Cf. Salman-
ticenses, Cursus théologiens, tr. XIV, disp. X, n. 274.
5° D'après ce qui précède, se délecter volontairement,
bien que d'une façon purement intérieure, d'un acte
mauvais, est un péché de même nature que si l'on
commettait l'acte lui-même. — 1. Il ne suffit donc pas,
quand on a péché mortellement par délectation morose,
de s'accuser en confession d'avoir consenti à une mau-
vaise pensée, mais il faut encore déclarer la nature
spécifique de cette pensée ainsi que toutes les circon-
stances que l'on serait obligé de confesser si l'acte
extérieur avait été réellement commis. Si donc, pour
reprendre l'exemple choisi par saint Thomas, il y a eu
délectation morose en matière de fornication, c'est ce
genre de péché, bien que commis en pensée seulement,
que l'on devra accuser. On devra de même déclarer toutes
lescirconstances numériques ou spécifiques de ce péché;
donc, si la personne qui s'est délectée intérieurement
de la fornication était liée par le vœu de chasteté, elle
aurait à s'accuser de la violation de son vœu; pareille-
ment, si la pensée de fornication à laquelle elle a
consenti avait visé expressément une personne mariée,
la circonstance d'adultère ne devrait pas être omise en
confession. S. Alphonse, Theol. mor., 1. V, n. 15 et 28.
Mais il est clair que l'obligation de confesser les cir-
constances inhérentes à l'objet de la pensée n'existe
que pour celles auxquelles le sujet a expresse' ni
pensé' et voulu consentir, puisque c'est sur celles-là
seulement que la délectation morose a porté. De Lugo,
De peenitentia, disp. XVI, n. 363 sq. — 2. Toutefois, en
cette matière, il y a loin de la théorie à la pratique.
Le grand nombre des fidèles confond les diverses sortes
de péchés intérieurs, et, à plus forte raison, les diffé-
rentes espèces de mauvaises pensées, de sorte qu'en
fait, l'obligation de confesser les circonstances spéci-
fiques n'existe pis et que les interrogations du confes-
seur seraient sans utilité, on même, en matière déli-
ne seraient pas Bans danger. Berardi, Praxis con-
fessarii, t. n. n. 52 sq. On ne peut guère apprendre à
pénitents qu'à distinguer les mauvaises pensées
des mauvais désirs et obtenir d'eux qu'ils accusent s'ils
y ont consenti et combien de fois. Génicot, Theol. mor.
institut., tr. IV n. 175.
6 La malice de la délectation morose provient donc
de ce qu'il n'esl pas plus permis de prendre plai-
sir au mal en \ pensant qu'en le faisant. Ce principe
esl absolument vrai des objets ou actes qui sont intrin-
aèquemen . c'est-à-dire opposés au droit natu-
rel, mais il ne s'étend pas aux ehoses ou actions qui
ne sont mauvaises que parce qu'une loi positive les
défend. La r.iison de cette différence est que la lui
positive ne réglemente que l'acte extérieur; d'où il suit
qui' l.i délectation intérieure, permise quand elle porte
sur une action non opposée à la loi naturelle, reste
permise quand même cette action serait défendue par
uni' loi positive, à moins cependant qu'on ne se délecte
'i.. action présiaément parce qu'elle est défendue.
. idei "nt logique, car
Il délectation porterait don ,ur un objet intrinsèque-
ment mauvais, sur la violation de la loi. Cette doctrine
immune parmi I iens. s. Alphonse, Theol.
vwr., I. V. n. 27. Le précepte de l'abstinence offre une
application t I i [que de cette observation. Il est inter-
dit d'il tains jour d'alimenta gras, mais il n'esl
nulle nt défi ndu di n di lecter ces jours-là en pen
suit au pi ii ii que l'on .Mirait .i user de ces aliments,
s il- étaient permis. Il n'j aurait péché que si on ae
délectait à l.i pensée d'user de ces aliment |
ment en un jour prohibé parce que ce serait du fruit
défendu. Laymann, 1. VIII, t. i, n. 114 sq.
III. Cas particuliers. — 1° Est-il permis de se ré-
jouir du bien qui est résulté d'un acte mauvais? Oui,
disent les théologiens, pouvu qu'on ne se réjouisse
pas aussi de la cause mauvaise d'où ce bien est sorti.
Sous cette réserve, en effet, la délectation a unique-
ment le bien pour objet. C'est ainsi que nous nous
réjouissons de la mort de Jésus-Christ, tout en détes-
tant le déicide.
2° N'est-il jamais permis de se réjouir d'un péché
d'où un effet bon est sorti? Non, cela n'est jamais per-
mis, quand même ce serait uniquement à cause du bon
effet qui est résulté de ce péché, car se réjouir du
péché, c'est l'approuver. Il n'est donc pas permis de se
réjouir de ce qu'Adam a péché, si grand que soit le
bien qui s'en est suivi; mais cela n'empêche pas que
l'Église puisse dire de ce même péché : 0 heureuse
faute qui a mérité d'avoir un si grand rédempteur!
attendu que l'Église se réjouit ici non de ce que la
faute a eu lieu, mais de ce que cette faute ayant eu
lieu (ce qu'elle déplore) il en est résulté un si heu-
reux effet. Cf. Lessius, De justilia et jure, 1. IV, c. ni,
n. 194.
3° Peut-on licitement se réjouir d'un acte mauvais
qui cependant n'a pas été un péché par suite de la non-
advertance, de l'ignorance, etc., du sujet, quand un bon
effet est résulté de cet acte? De l'avis de tous les mora-
listes, on ne peut jamais se réjouir de cet acte en lui-
même, car, bien qu'il n'y ait pas eu péché, l'acte pris
en lui-même n'en reste pas moins objectivement
mauvais. Mais, disent entre autres Suarez, De peccatis,
disp. V, sect. vu, n. 14, et Lessius, loc. cit., il est par-
fois permis de se réjouir de cet acte en tant qu'il a eu
lieu et même de le désirer en tant que cause d'un effet
qui n'a rien de condamnable en soi. Saint Alphonse,
Theol. mor., 1. V, n. 20, est d'un avis opposé. Toutefois,
plusieurs des auteurs cités par lui ne parlent que du
cas où l'on se réjouirait de l'acte considéré en lui-
même; quant à la proposition 15e condamnée par
Innocent XI, Den/.inger, n. 1039, elle n'a pas la por-
tée que lui attribue saint Alphonse. Nous avons dit
qu'il est parfois, donc non pas toujours, permis de se
réjouir à cause de ses bonnes conséquences d'un acte
mauvais qui n'a pas eu lieu, sans qu'il y ait péché.
Cela cesse d'être permis lorsqu'il s'agit d'un mal subi
par le prochain et qui, selon l'ordre de la charité,
l'emporte sur le bien qui en est résulté. C'est précisé-
ment en ce sens que doit s'expliquer la condamnation
de la proposition 15e mentionnée ci-dessus. Cette pro-
position disait : « Il est permis à un fils qui, étant en
état d'ivresse, a tué son père, de se réjouir de ce par-
ricide à cause du gros héritage qu'il a recueilli. »
Cette proposition a été justement proscrite, parce que,
eu égard à l'ordre de la charité, il n'était pas permis
au fils de préférer l'héritage à la vie de son père.
Ballerini, Opvu morale, tr. IV. n. 129.
S. Thomas. Sum. theol., I" II*, q. xxxi, i.xxiv ; II" II', q. -
a. 'i ; '). i i.xxx, :i. ~: De veritate, q. xv. a. i; Sanchez, lu ie-
calog., 1. I, c. n; Suares, De peccatis, disp. V, sect. vu. Lay-
mann, Theol. tnoralis, 1. VIII; Lessius, De justifia et jure,
I. [V, C.m; LugO, l>> r 'tisp XVI; Salin
■-■ theol. iogm. et moralle, tr. XX, c. mu; s \i|ii
Theol Uiê, l. v, n 12-30; Ballerini, Opus morale,
tr. IV, c. i. dub. m.
II. Moi II
DÉLÉGATION. — I. Notion et différentes espi
Il l'i i Dcipea , énéraux.
i Notion m différehtm espaces, i Notion. —
L, .i.]. ation legare, envoyer, de, de est l'action de
lei Or déléguer, en g< néral, veut dire coi tttre
quelqu'un avec pouvoir d'agir au nom d'un autre. \n
itrict, la délégation '"-t un .nie de juridiction
pai lequel est confiée ■< quelqu'un une part d'auti
DELEGATION
■'",•'
qui doit être exercée, non poinl à titre propre el i" r-
Bonnel, mais au nom du déléguant, eten vertu même
de la commission dont elle émane.
La juridiction déléguée est opposée à la juridiction
ordinaire qui, elle, ne découle point d'une commission
transitoire, m commitsionit, mais, au contraire,
appartient à quelqu'un en propre, à litre ordinaire el
permanent, et en vertu de la charge, ci muneris, à
laquelle elle est de droit attachée.
Le délégué diffère du légat et aussi du simple exé-
cuteur. En effet, le légat (voir ce mot) acquiert son
pouvoir à titre ordinaire, et en vertu de son office,
quoiqu'il doive toujours l'exercer au nom de celui qui
l'envoie, c'est-à-dire, dans l'espèce, au nom du souve-
rain pontife. Le simple exécuteur (voir ce mot) est ce
lui qui pourvoit, auprès des parties intéressées, à l'ap-
plication d'une grâce déjà faite, ou d'une sentence déjà
prononcée, sans avoir à exercer une juridiction propre-
ment dite sur le fond de la cause qui lui est confiée,
c'est-à-dire à décréter si, par elle-même, l'affaire en
question est, oui ou non, conforme au droit. Cepen-
dant, il peut arriver que l'exécuteur, avant de procurer
l'exécution de la grâce déjà accordée, ou de la sen-
tence fondamentale déjà rendue, soit chargé de con-
naître et même de juger s'il y a lieu de procéder ou de
surseoir à cette exécution; dans ce cas, l'exécuteur
est appelé mixte, executor mixtus : telle est le plus
souvent, on le sait, la condition des ordinaires qui
sont chargés par le Saint-Siège de procéder à l'exé-
cution des rescrits et lettres apostoliques, par exemple,
pour les dispenses matrimoniales, avec la clause :
cognita cerilale precum. Voir Empêchements de .ma-
riage.
Quant au délégué lui-même, il est investi d'une ju-
ridiction véritable sur la cause tout entière qui lui est
commissionnée; toutefois, il ne peut se prévaloir de
son autorité à titre ordinaire et personnel, mais seule-
ment en vertu et dans les limites du mandat qu'il a reçu.
Le délégué, lorsque le droit n'y met pas ohstacle,
peut à son tour commettre quelqu'un pour le rem-
placer, en tout ou en partie, dans le mandat qui lui a
été confié. C'est ce qu'on appelle la sous-délégation
qui n'est pas autre chose qu'une délégation médiate.
Voir les Décrétalistes dans leurs commentaires du 1. I,
tit. xxix, De officia et potestate judicis delegati, spécialement;
De Angelis, n. 3 sq.; Santi, n. 2 sq.; Sebastianelli, De personis.
part. 1, c. Il, n. 99 sq.
2° Espèces. — On distingue plusieurs espèces de
délégation. — 1. La délégation peut être faite par le
droit, delegalio a jure, ou par l'homme, delegalio ab
liomine, selon qu'elle émane directement des disposi-
tions du droit commun, ou immédiatement de la volonté
d'un homme qui jouit de la juridiction ordinaire et est
autorisé par le droit à en confier l'exercice à une autre
personne. C'est ainsi qu'il existe plusieurs exemples
de délégations accordées par le droit aux évèques qui
procèdent alors comme délégués du siège apostolique.
tanguant sedis aposlolica; delegati : tel est le pouvoir
délégué aux évéques par le concile de Trente, sess. xxi.
c. 4 et 5, De reform., touchant le démembrement de-
paroisses ou leur union avec d'autres bénéfices, et
sess. v, c. I; sess. vi, c. 2, De reform., décret con-
tinué parla constitution Humains pontificea du S mai
1881, à l'égard de religieux qui jouissent du privilège
de l'exemption. Notons en passant que l'effet juridique
de cette délégation accordée par le droit aux évéques
tanquam sedis apostolice delegati, est qu'on ne peut,
dans tous ces cas, interjeter appel de la sentence de
l'évêque au tribunal du métropolitain, mais seulement
au souverain pontife lui-même. A noter aussi que sou-
vent, par exemple dans 1rs décrets du concile de Trente.
xxi. c. i ; sess. xxn. c. lu. sess. w, c. i. l><-
reform., le pouvoir délégué aux i -ii que
s'adjoindre, pour l'appuyer, au pouvoir ordinaire
tant déjà sur le même objet; la clause porte alors etiam,
qui plus est, tanguant sedis apotlolù
dans ce cas, l'évêque peut aussi bien procéder « n
vertu de son pouvoir ordinaire qu'au nom de la délé-
gation qui lui a été octroyée. Cependant, en entrant
en action, l'évêque doit signifier de quel pouvoir il
entend user, et, s'il ne fait qu'exercer son pouvoir
ordinaire, l'instance en appel s'adressera au métropo-
litain; si, au contraire, il agit en vertu de -
tion, le recours pourra exister seulement auprès du
souverain pontife. Cf. Santi, loc. cit., I
nelli, loc. cit., n. 100.
2. La délégation peut être expresse ou tactt<- et
présumée. Elle est expresse, si elle est formellement
comprise dans les dispositions du droit ou dans le man-
dat spécial du déléguant. Telle est, à litre d'exemple, la
délégation du pouvoir de dispenser dont jouissent h-s
évèques, touchant certains empêchements de ma
(voir Empêchements de mariage), en vertu du concile
de Trente, sess. xxiv, c. 1, De reform. matrim., et du
décret de Léon Mil, du 20 février 1888; expresse aussi
est la délégation accordée aux évèques à propos des
empêchements de mariage par les divers induits
apostoliques valables pour un an, trois ans. cinq ans.
La délégation est tacite ou présumée, lorsqu'elle est
basée sur une interprétation légitime du silence du
déléguant en véritable consentement, ou sur une
présomption juridique de ce consentement, étant don-
nées certaines conditions el circonstances bien définies.
Telle est la délégation du pouvoir de dispenser accordée
aux évèques pour les empêchements prohibants du
mariage que le Saint-Siège ne s'est point réservés, pour
les empêchements douteux en fait, dubio facti. et
pour les empêchements occultes, lorsque se trouvent
a la fois réunies certaines circonstances qui. connues
du souverain pontife, feraient que celui-ci accorderait
certainement aux évéques la faculté de dispenser. Voir
Empêchements de mariage.
Cf. De Justis, De dispensatiotabus matrimonialibus. 1. II,
c n, n. 92; Reillënstuel, Append. ad I. IV. de disp. matrim.
n. 43 sq., 59 sq.; Pyrrhus Corradus. Praxis dispentationvtn
apostolicarum, 1. VIII, c. i.\, n. 40; Benoit XIV. De synodo
diœcesana, 1. IX, n. 2.
'S. La délégation peut être octroyée à quelqu'un soit
en raison de la dignité dont il est revêtu ou de la
charge qu'il occupe, ratione dignitatis tel officii,
par exemple à l'évêque de Troyes.
soit d'une manière personnelle, avec la désignation
expresse de son nom, sans que par ailleurs il soit tenu
compte de la dignité ou de la charge qu'il peut occu-
per, ratione personm. Dans ce second cas. le déléguant
est wnsé s être laissé guider dans son choix par les
qualités personnelles du délègue, electa industria ;>< •»•-
i. La délégation peut être faite soit pour toutes les
causes, ad universitatem causarutn, au moins dans un
certain genre, par exemple, pour les causes bénéfi-
ciâtes, soit seulement pour une ou plusieurs ca
particulières bien déterminées, ad i/fium negotium.
.">. Enfin la délégation peut être ai une seule
ou à plusieurs personnes, et, dans ce dernier cas
commission peul être faite de deux manières, ou bien
solidaire, in solidum, en sorte qu'il siiiiise
qu'un seul dos délègue- opère pour que tous les autres
se trouvent par le fait même engagi -. ou bien simple-
ment et en société', simpliciter, collegialiter, en sorte
qu'il soi I nécessaire que lous les délégués procèdent
cns< mble par une action commune, pour que l'exercice
du pouvoir délégué soit juridiquement valable. Cf. tit.
cit.. De officia judicis delegati, c. 91.
253
DELEGATION
254
II. Principes généraux. — 1° Concession dit pouvoir
délégué. — 1. Qui peut déléguer? — Peuvent déléguer
tous ceux qui possèdent la juridiction ordinaire, à moins
qu'il ne s'agisse de causes exceptées par le droit. Tel
est le principe' consacré par Boniface VIII, 1. I, tit. xvi,
De officio ordinarii, c. 6, in 6°, où il est dit que l'évêque,
jouissant de la juridiction ordinaire dans tout son
diocèse, peut y exercer partout son pouvoir judiciaire,
et. d'une manière générale, tout ce qui regarde son
propre office, aussi bien par un autre que par lui-
même : Quum cpiscopus in tota sua diœcesi juridictio-
nem ordinariam noscatur habere, dubium non exi-
sta, /juin in quolibet loco ipsius diœcesis non exempta
per se vel per alium possit pro tribunali sedere...
necnon et cetera, quse ad ipsius spectant officium,
libère exercere. Le même pape confirme ce décret dans
les règles du droit, in 6°, lxviii, Potest guis per alium
giwd potest facere per seipsum, et ibid., lxxii : Qui
facit per alium, est perinde ac si faciat per seipsum.
Cependant le droit vient parfois faire exception à ce
principe, et exiger, en certains cas, que l'ordinaire
s'acquitte par lui-même de son oflice. Un exemple nous
en est fourni par le concile de Trente, sess. xxiv, c. 6,
De reform., lequel, tout en accordant aux évêques le
pouvoir d'absoudre, soit par eux-mêmes, soit par leur
vicaire spécialement délégué à cet effet, de tous les cas
occultes, même réservés au souverain pontife, excepte
le cas d'hérésie, où il leur impose de ne donner l'abso-
lution que par eux-mêmes, ei non par un délégué. En
outre, l'ordinaire ne saurait déléguer son pouvoir tout
entier, sans le consentement du supérieur, inconsulto
icipe ; car il semblerait alors résilier sa propre
charge, et en constituer une nouvelle, chose qu'il ne
pourrait faire sans l'autorité du supérieur. L. penult.
Digeste, tit. De officio prsesidis.
i. Qui i>eut sous-déléguer? — Peuvent sous-déléguer,
d'abord, les délégués du prince, ou magistrat suprême,
delegati a principe, soit, dans le for ecclésiastique, les
délégués du souverain pontife. Ainsi le rappelle Gré-
goire IX, dans un décret qui explique en même temps
la raison du principe, tit. De officio jud. del., c. 43 :
Quoniam apostolica sedes intendit providere negoliis,
,i i /'im •>nx, ijuihus eadem conimittuntur, si judex
ferlins, licet ex officio noslro, oel de assenait partium
pro communi a nobis datus eisdem, alii delegareril
. quum delegato a principe id concedatur a
delegatio ralel/il i)isius. Cependant exception
doit être faite lorsque le délégué a été personnellement
choisi pour lui-même, electa industria personm : de
ceci il faut chercher la preuve, d'abord dans la teneur
même du rescril de délégation, lorsque par exemple,
on i ne per Icipsiuu, jn-rsona-
titr, el quelquefois aussi dans la na-
l de la cause qui .i été confiée, savoir, lorsque
celle-ci est d'une gravité ou d'une difficulté telle qu'elle
iirail être convenablement expédiée sinon par le
délégué lui-même, d'où résulte un.' présomption de
droil iptio juris, que la délégation revêt un
caractère tout personnel C'esl en ce sens que le pape
Alexandre III répondail ;> l'evéque de Londres, tit- cil.,
c. 3 Si pi" debilitate t"" vel pro quolibet <>li<<
necessitate tractandis cousis, quoi i'*"
mmittuntur, intéresse m,,, poteris,
liberumlibi sitpersonis diteretit ei idoneis vices luas
niltere, </" /./..,,„. quod,si res i">>i< est,teconsu-
l,r> debeanl, nisi {<>>>■ causa, <',< graves -mi. quod
, i enlia tua mm possinl commode terniinari
On doil i h dire aulanl lorsque le pouvoir délégué con-
eerm la in pli i -'111(1011 d'une grâce déjà accordée,
on d'une cause d'ailleurs jugée car, dans l'hypoth
le déléguant 1 I cens» -■ oh eu égard surtout aoi apti*
ludi i li du di lé§ ie . lit. rit., c. 13. ^ 2.
>.fois. s, le délégué était exécuteur mixte, il pour-
rait sous-déléguer la mission de reconnaître au préala-
ble l'exaclitude du fait visé dans l'espèce, ut de veritatc
rerum expositarum cognoscat, mais devrait toujours
procéder personnellement à l'exécution même du
rescrit apostolique. Cf. Santi, loc. cit., n. 9.
Peuvent encore sous-déléguer ceux qui sont délégués,
même par un ordinaire de rang inférieur, pour tout
un ensemble de causes, ad universilatem causarum,
parce que, dans ce cas, le pouvoir délégué est inter-
prété, d'après l'opinion commune des juristes, comme
une sorte de pouvoir ordinaire, potestas quasi ordina-
ria. Cf. Glossa in 1. II, tit. xxxui, De appellationibus,
c. 62.
Enfin peuvent sous-déléguer tous les délégués qui
en ont reçu l'expresse autorisation; car alors cette fa-
culté de sous-déléguer doit être appréciée comme un
nouvel élément compris dans la commission du délé-
guant. Cf. Glossa, loc. cit.
3. Qui peut être délégué? — Peuvent être délégués
tous ceux qui sont aptes à exercer la juridiction ecclé-
siastique, et qui possèdent à cet effet toutes les qualités
requises par le droit. Cf. 1. II, tit. 1, De judiciis, c. 2;
tit. cit., De officio judicis delegati, c. 41. Cependant,
celui qui n'est point soumis à l'autorité de l'ordinaire,
tout en pouvant être délégué par lui, ne saurait être
contraint d'accepter sa délégation; car, selon l'axiome
du droit, il n'y a point lieu d'obéir à celui qui exerce
la juridiction hors de son territoire, extra terrilorium
jus dicenti non pareatur impune, Sext., 1. I, tit. 11,
De conslitulionibus, c. 2. Mais il faudrait en juger
autrement s'il s'agissait de quelqu'un qui fut sujet de
l'ordinaire déléguant, sauf à voir sans aucun effet, chez
celui-ci, le pouvoir de déléguer; dans ce cas, le délé-
guant pourrait exercer les contraintes que le droit met
à sa disposition, tit. cit., De officio judicis delegati,
c. 28.
Il faut observer que le délégué du souverain pontife
doit être revêtu d'une dignité ecclésiastique, ou bien
en possession d'une charge ou d'un canonicat dans
une église cathédrale; telle est la portée du Sexli,
I. I, c. 11, tit. ni, De rescriptis, qui veut pouvoir éta-
blir ainsi une présomption de science et de capacité
chez le délégué du siège apostolique. Ces conditions
s'appliquent-elles également au sous-délégué? L'opinion
contraire a prévalu. Cf. Santi, loc. cit., n. 14. Quoi
qu'il en soit, pour obtenir chez, les délégués du sie^o
apostolique, les garanties convenables de science et de
capacité, le concile de Trente, sess. xxv, c. 10, De
reform., a renouvelé et précisé' le décret déjà cité' de
Boniface VIII, De rescriptis, c. 2. eu statuant que,
dans les synodes provinciaux ou diocésains, quatre
personnes au moins, par diocèse, possédant les quali-
quises par lioniface VIII et d'ailleurs Unîtes les
aptitudes nécessaires, soient désignées, avec leurs
noms transmis aussitôt au souverain pontife, pour être
chargées de connaître et de définir les causes que
pourraient leur confier le siège apostolique, les nonci s
nu les légats apostoliques, en sorie que toutes déléga-
tions de ce genre, faites a d 'aiilresjuges, seraient tenues
pour subreplices. Ces personnes portent le nom de
juges synodaux. A son tour, Benoll XIV est venu con-
firmer, en les développant, res décrets d.' Boniface VI 1 1
et du concile de Trente, dans la constitution Quamvis
paterne, du 28 août 1711. Hais la pratique actuelle du
..uni e e 1 qIi ■ '■ beaui oup de ion intérêt i cette in
tution; car les causes déférées au souverain pontife
sont régulièrement eipédiéi par les I lions
romai n que les di légationi pi opi 1 m< n
extra urbem sont devenues peu fréquentes;
quant ■> l'exécution des lettres et 1. loliqucs,
elle est confiée directement ans ordinaires des dio-
■ I 1 ta< i' oe ut aut el is
ationnées.
255
DÉLÉGATION
2° Exercice du pouvoir délégué. — L'exercice du
pouvoir délégué esl Botunia à diverses conditions, en
rai»ou un nie de SOU origine, qui est une simple com-
mission, émanant de l'autorité du déléguant, et tou-
jours bous sa dépendance. Ces conditions, les voici:
I Le délégué ne doit en aucune manière s'immiscer
dans la cause qui lui a été confiée, avant d'avoir eu
communication officielle de son mandat de délégation,
encore qu'il puisse savoir, de science privée, que la
délégation est déjà pour lui un l'ait acquis, s. Péni-
tencerie, 15 janvier 1894. Ainsi, en particulier, serait
invalide la dispense matrimoniale exécutée par l'or-
dinaire, au nom du souverain pontife, alors qu'il
aurait eu connaissance de sa délégation, par exemple,
avec le secours du télégraphe, sans que lui fussent
encore parvenues les lettres authentiques de sa com-
mission. Voir Empêchements de mariage. Cependant
cette transmission télégraphique pourrait suffire si
elle émanait officiellement du saint-siège. Voir la dé-
cision du Saint-Office, 14 août 189-2. D'où il suit que la
translation du pouvoir délégué court non à partir du
temps île la concession elle-même, ex lempore datée,
mais seulement à dater de l'époque de la présentation
du rescrit de délégation, e.r lempore prxsentatœ. La
raison est que, la délégation conférant au délégué
l'exercice d'un pouvoir public, seul un mandat officiel
et public peut faire foi en la matière, I. II, t. xxvin.
De appellat., c. 12; 1. I, tit. m, c. 1. Extvav. aman.
2. Le délégué, avant de procéder à l'exécution de son
mandat, doit montrer à l'ordinaire du lieu le rescrit
de la délégation, et, s'il s'agit d'une cause judiciaire,
il doit également le présenter aux parties contentieuses.
Car la délégation est un fait qui ne saurait être pré-
sumé, mais qui doit être prouvé, tit. cit.. De officio
judicis deleoati, c. 31.
3. Le délégué doit observer la teneur et les limites
de son mandat, soit quant à l'extension des pouvoirs,
soit quant au mode de procédure, en sorte que tout ce
qui est fait par le délégué en dehors de sa commission
est nul de plein droit; en outre, s'il faut que l'accom-
plissement de certaines conditions précède l'exécution
finale du rescrit de délégation, rescrit de grâce, re&vrip-
tum gratiœ, ou rescrit de justice, rescriptum jusliliiv,
par exemple à propos des dispenses matrimoniales (voir
Empêchements de mariage), ou des absolutions dans le
sacrement de pénitence (voir JURIDICTION), le délégué
est obligé d'y pourvoir avec diligence, c. XXXII, tit. cit.,
De of/icio judicis delegati. La raison de cette loi est
que tout le pouvoir du délégué dépend de la commis-
sion qui en est la mesure et la raison d'être. Cepen-
dant, il ne faudrait pas entendre ce principe avec une
interprétation trop rigoureuse; car, quoique non com-
prises expressément dans le mandat de délégation,
doivent être présumées en foire partie les choses acces-
soires, intimement connexes, avec la cause principale,
lorsque celle-ci ne saurait être convenablement expé-
diée sans la mise en œuvre de celles-là ; ainsi dans une
cause judiciaire, le délégué es! censé muni, par le fait
de sa délégation principale, du pouvoir d'user de ([ini-
que contrainte envers les parties rebelles, comme aussi
d'admettre les preuves du demandeur, et les excep-
tions raisonnables du défendeur, tit. cit.. De of/icio
judicis delegati, c. 13. Voir Jugement.
En dehors des principes généraux que non- venons
'renoncer, il importe de préciser quel est l'exercice
du pouvoir délégué, dans le cas spécial ou la délégation
est faite, non plus a une seule personne, mai- a plu-
sieurs à la lois. Ce ras a ele preMi par le pape ( '.èlest m III.
tit. cit., De officia judicis delegati, c. 21 : llla quippe
fuit antiqua sedis apostolices proi isio, ut hujusmodi
causturum recognïtionet duobut (juani uni, tribut
■iiiaiii duobut libentiut delegaret, cum [sicut canonet
attestanlur integrum sit judiciutn, quod plurimorum
tentenliit confirmatur. Cf. c. u, xvi, xxu, xxiu, du
m. nie litre. Or, nous le savons, cette délégation peut
i. sentir de deux manières : ou bien les déli [
reçoivent leur mandat de façon solidaire. in m. lia
ou bien ils sont constitués simplement et en soi
collegialiter. I. tés sont constii ,
lorsque tous, ou deux seulement, ou même I un d'entre
eux. peuvent Be charger de l'exécution du mandat de
délégation, ut ovines aut duo aut unut eorum, •
iluticut apostoi quant ur. Or lioniface VIII
explique. Se\t., c. VIII du titre cité, la procédure que
ces délégués doivent adopter : iptorum quilibet in-
junctum polett libère adimplere mandatuv I
uno eorum negotiutn inchoante commissum, alii
nequibunt te ulteriut intromillere de eodem, niti
infirmitate tel alia justa causa illum i
pediri, aut si nollel, vel malitiose in eo procedere
suret. Ainsi donc, lorsque tous les délégués, ou
plusieurs, entament la cause confiée, il n'appartient
plus à l'un d'entre eux de pouvoir seul la poursui
la définir. Si. au contraire, l'un des délégués a com-
mencé à s'immiscer dans l'affaire, à l'exclusion des
autres, c'est à lui seul qu'il incombe de la continuer et
de la terminer, excepté pourtant si un empêchement lé-
gitime vientparalyserson action, ou encore s'il Be refuse
malicieusement à poursuivre la procédure. Ouant a la
délégation simple de plusieurs personnes en so>
collegialiter, elle peut se faire à son tour de deux
manières. Il arrive d'abord que la délégation,
qu'il soit fait mention d'aucune clause par ailleurs.
est accordée seulement avec l'obligation pour tous
les délégués associés de ne pouvoir procéder les uns
à l'exclusion des autres ; en ce cas, lorsque l'un des
délégués est retenu par quelque empêchement, les
autres se trouvent dans l'impossibilité de poursuivre
validement l'exécution de leur mandat, car, ainsi que
l'observe le c. 16 du titre cité, De officio judicis dele-
gati, « si une cause est confiée à deux personnes (ou à
un plus grand nombre), la sentence d'une seule d'entre
elles ne saurait être valide, cum causa duobus coni-
mittilur, sentenlia unius non tenet. i Le second cas
se vérifie lorsqu'au principe expliqué plus haut vient
s'adjoindre cette cause spéciale que, si tous les délé-
gués ne peuvent être pr sents, deux ou trois jugent la
cause et l'exécutent, quod, si omnes intéresse nequeant,
duo vel très causam cognoscant et exequantur. Cette
clause est établie pour que la délégation ne devienne
pas inutile par le seul fait qu'un ou deux des déh.
sont empêchés de se pn s. oter ou bien encon
refusent délibéré nient. Toutefois, cet empêchement et
ce refus doivent être prouvés ou par un envoyé-, ou par
des lettres, ou de quelque autre manière qui soit c
nique. Cf. C. '21 du titre cité.
;; Cessation du pouvoir délégué. — Le pouvoir dé-
légué peut cesser d'exister pour diverses causes,
savoir : 1. La mort du délégué'; à moins qu'il n'ait été
expressément stipulé- dans le mandat, que le pouvoir
doit passer aux héritiers, ou moins que la
délégation n'ait été faite principalement en raison de
la dignité ou de la charge elle-même qui est transmise
tout entière aux successeurs, c. li du titre cité. —
2. La mort du déléguant, si la cause est restée encore
intacte, re adhuc intégra, c. 30 du titre cite. La
raison est que le délégué- n'exerce pas -on pouvoir en
son propre nom. jure proprio, mais seulement au nom
du déléguant, ex mandata alto us, dont la mortel
nécessairement son principe a la délégation ; cepen-
dant, lorsque le délégué a déjà commence d'expédier la
cause qui lui avait été confiée, il l'a rendue sienn
il se voit ainsi continuel son autorité, au nom du
droit et pour le bien public, nonobstant la mort du
déléguant. — .'!. Li révocation, -oit expresse, soit i .> -
du mandat de délégation, pourui toujours que la
257
DELEGATION — DÉLIT
258
cause n'ait pas encore été juridiquement entamée, re
adhuc intégra, 1. I, :tit. m, De rescriptis, c. 24. —
4. L'accomplissement du mandat, en sorte que la cause
soit complètement finie. Or, en matière judiciaire, le
mandat est censé se prolonger jusqu'à l'exécution de la
sentence, c. 9 du titre cité : ex quo judex dclegatus
per se vel per alium, sententiam exequi mandavit
vel mandari preecepit, ejus aucloritas et jurisdictio
cessât; quia semel est officio suo functus. — 5. L'expi-
ration du temps fixé dans le mandat de délégation, à
moins que les parties intéressées ne consentent à pro-
roger les pouvoirs du délégué, chose qui pourtant doit
■être faite avant le terme de l'époque préfixée, in tem-
pore utili, c. 4 du titre cité; 1. II, tit. xxvm, De
appellat., c. 12. — 6. La renonciation légitime du man-
dat, de la part du délégué; ou encore une sous-déléga-
tion de la commission tout entière qu'on pourrait in-
terpréter comme une abdication de l'office délégué
lui-même, c. vi du litre cité, in 6°. — 7. Enfin, la récu-
sation légitime de la personne du délégué, pour des
motifs canoniques de suspicion (voir Jugement) ; el tant
que cette cause de suspicion n'est pas encore jugée,
les pouvoirs du délégué restent suspendus, aussi bien
que son droit de sous-déléguer, c. v du titre cité, in 6°.
Cf. Lega, De judiciis ecclesiaslicis, part. I, S 3.
Leurenius, Forum ecclesiasticum, 1. I, tit. xxix, Venise,
1720: Reiffenstuel, Jus canonicum universum, 1. I. tit. xxix.
Anvers, 1755; Schmalzgrueber, Jus ecclesiasticum universum,
1. I, tit. xxix, Ingolstadt, 172G; Pirbing, Jus canonicum, 1. I,
tit. xxix ; Dilingen, 1722; Fagnan, Commentaria in I lib.
Decretalium, tit. xxix, Besançon, 1710; De Justis, De dispen-
imonialibus, passim, Lucques, 172C ; Pyrrhus
îs dispensationum apostolicarum, passim,
Venise, 1735; De Angelis, Pr;clectiones juris ccmonici, I. I,
tit. xxix. Home, 1847; Santi, J'rxlecliones juris canonici. 1. I,
tit. xxix, Ratisbonne, 1898; Lega, De judiciis ecclesiasticis,
t. i, part. I, S 3, Rome, H 6; Sebastianelli, De personis eccle-
siasticis, part. I, c. h, Rome, 1896.
E. Yai.ton.
DELFAU François, bénédictin de la congrégation
de Saint-Maur, né- en 1037 à Montel en Auvergne, mort
le I.! octobre 1670. Il lit profession à l'abbaye de Saint-
Allyre de Clermont le 2 mai 1G56. Ses supérieurs le
chargèrent de préparer une nouvelle édition des œuvres
de saint Augustin. Il se mit avec ardeur au travail et
put bientôt l'annoncer en publiant le Prospectus des
taint Augustin, Paris, 1671. Deux ans plus
tard parut : L'abbé commendataire où l'injustice des
nendet est condamnée parla lui de Dieu, pai
décrets des papesel par lances pragmatiques
ncordats des i <it de France, par le sieur Desb
franc, dot ion- e,, l'un ri i autre droit, in-12. Cologne,
1673. "n n<J tarda p m- que 'loin Delfau 'lait
l'auteur de cet ouvrage imprimé en réalité à Compiè-
i i uni' lettre di exila a l'abbaye de Saini-
Uahéen Basse Bretagne Dom Blampin fut alors chargé
de continuer les travaux de l'édition des œuvres de
saint Augustin. Dom Delfau péril dans un naufrage en
niant a Bresl pour prêcher le panégyrique de sainte
Thérèse, n < ni encore publié Réponse au livre inti-
tulé. L'abbé i ommendataire et réfutation de celle ré-
e par une lettre de M . Schoulen <• l'auteut contre
les commendataires et le mauvais usage qu'ils fai-
I rii' leurs bénéfices, in-12, Cologne (Compièj
1673 l-a deuxième partie de L'abbé commet
Il ' -Mis le nom du -- i * - 1 * i - d< I roid :>
,i Gerberon. < In doit encore i dom Delfau /
'/<■ Imitât Christi Johanni Gerseni abbati
ne ex pile mss.
Paris, 1673, n;; ;. 1712. ' ne
lu cardinal de Furstemberg, parue en 1674 ■ ■!
quelquefoi i attribuéi i dom Delfau, i il en i éalité de dom
Gourdin.
i f. Biblioth
DICT. DE TIIÉOL. CATIIOL.
auteurs de la congrégation de Saint-Maur, in-12, La Haye, 1726,
p. 80-87; [dom Tassin,] Hist. littéraire de la congrégation de
Saint-Maur, in-4°, Paris, 1770, p. 78; Ziegelbauer, Historia rei
literarix ord. S. Benedicti, t. m, p. 395; t. iv, p. 109, 2i5.
616, 711; [dom François,] Bibliothèque générale des écrivains
de l'ordre de S. Benoit, t. i, p. 241 ; Cb. de Lama, Bibliothèque
des écrivains de la congrégation de Saint-Maur, in-12, Munich
et Paris, 1882, p. 48; Kirchenlexikon, t. ni, col. 1488-1489;
A. Ingold, Histoire de l'édition bénédictine de saint Augustin,
Paris, 1903, p. 29-34.
B. Hei rterize.
DELF1NO César-Pierre-IWichel, né à Parme, acquit
quelque renom dans les belles-lettres et l'astronomie
et fut docteur en médecine. S'étant rendu en Hongrie,
il fut le médecin du roi Ferdinand. En Angleterre, où
il passa ensuite, on l'accusa calomnieusement d'béré-
sie. Il revint en Italie, et Pie V lui fit bon accueil. 11
mourut en 1566. On a de lui : 1° De summo romani
pontifias primatu et de ipsius temporali dilione de-
monstratio, in-4°, Venise, 15i-7; 2° De proportione paptv
ad concilium et de utroque ejusdem principatu cer-
tissima el novissima decisio, in-4°, Parme, 1550: elle
a été reproduite par Rocaberti, Bihlintheca pontificia,
t. vu, p. 8-26; 3° Mariados I. II f, cbant en l'honneur
de la sainte Vierge, 1537, etc.
Affo, Memorie degli scrittori e letterati Parmigiani, t. iv,
p. 95-107; Hurter, Nomenclator, 3" édit., Inspruck, 1907, t. ni,
col. 49.
E. Mangenot.
DÉLIT. — I. Notion. II. Division.
I. Notion. — Le délit est la violation extérieure el
coupable d'une loi humaine, ecclésiastique ou civile.
Cf. D'Annibale, Summula theologiic' 'moralis, part. I,
tr. VI, tit. i, a. 1, n. 296-299, 3 in-8», Rome, 1889-1892,
t. I, p. 278-29i; Tilloy, Traité théorique et pratique de
droit canonique, 1. II, tit. iv, ci, S L - in-8°, Paris,
1895, t. m, p. 269 sq. ; Ojetti, Synopsis rerum inora-
lium et juris ponlificii, alphabetico online digesta,
v» Deliclum, 2 in-i°, Pralo, 1905, t. i, p. 532.
Dans le langage ordinaire, délit et crime sont consi-
dérés comme synonymes. Il en est quelquefois égale-
ment ainsi, dans le droit civil, où, par exemple, I ex-
pression <> corps du délii b signifie l'action même du
crime, par opposition aux circonstances qui l'accom-
pagnent. Mais, dans le droit canonique, plus souvent
encore, ces deux termes sont pris l'un pour l'autre,
quoique le mot crime soit réservé, de préférence, dans
bien des cas, pour désigner les infractions les plus
es : celles, par exemple, qui sont directement conti <
Dieu, contre le bien général de la société, ou contre la
i honneur du prochain. Voir Crime, t. m, col. 2325.
Le délil esl don, comme un diminutif de crime. Ci
concept correspond assez, logiquement au sens étymo-
logique du mot, qui vient de delinquere, délaisser,
abandonner, manquer : ce qui indique une déviation,
un écart du droit chemin, un éloignemenl de l'exai -
titude, plutôt qu'une vraie révolte contre le législateur,
ou une atteinte formelle portée à l'ordre social. C'esl
pour ce motif que plusieurs tuteurs onl simple ni
défini le délil : la violation d'une loi pénale. Cf. Vin-
nius Arnold us. Institution* iJuslinianicutn notis,\. IV .
tit. iv. in-12, Amsterdam, 1669; 2 in-12, Paris, 1800;
D'Annibale, Summula théologies moralis, loc.
n. 296, t< i. p. 278; Ojetti, Synopsis rerum moralium
et juris ponlificii, t. i. p, 532, Néanmoins, le mot délil
comprend aussi la violation des lois humaines obligeanl
en con i
Il esl extrêmement difficile, pour ne pas dire imp
sible, de tracer, entri répréhensibles appelés
crimes ou i lia le démarcation qui les pai
n deui i lassi - bien tranchées, le même fail pou-
vant être crime ou délit, suivant les circonstance Préci
Ù finit le délil el ou COI née le ( ri , e-l un de
oui en \ .i i n e
I \ . - !l
259
DELIT
de résoudre. La législation moderne, pas plus que
l'ancienne, ne renferme une définition adéquate d<
deux termes. Le droil français, par exemple, en éta-
blissant trois catégories d'infractions aux lois : crimes,
délits, contraventions, tes distingue, non par la gravité
des f.iits eux-mêmes, mais par la différence des peines
encourues. L'infraction punie par les peines de simple
police est une contravention; celle qui expose aux
peines correctionnelles est un délit; celle, enlin, qui
entraîne une peine afllictive ou infamante est un crime.
Code pénal français, a. 1.
Plusieurs auteurs ayanl cru apercevoir dans cette
classification une véritable définition des infractions
légales, l'ont très vivement attaquée. N'est-il pas illo-
gique, disent-ils, de classer les violations de la loi, non
d'après leur gravité intrinsèque, ou celle qui découle
des circonstances dont elles sont entourées, mais d'après
la peine encourue, et suivant les tribunaux appelés à
en connaître'.' D'autres voient là un véritable mépris de
la dignité humaine, et une tendance au despotisme, car
il suflirait à un tyran de décréter une peine afllictive
ou infamante contre un fait quelconque, pour que celui-
ci devînt légalement un crime. Cf. Rossi, Traité de
droit pénal, 3 in-8°, Paris, 1825, t. I, p. 240 sq.;
Boitard, Code d'instruction criminelle, in-8", Paris,
1837; Mel Isidore, llnuovo codice pénale italiano, 1. I,
tit. I, a. 1, in-i°, Rome, 1890, p. 24-28.
Ces reproches seraient justifiés, si le législateur avait
réellement voulu par ce moyen donner une définition
juridique des diverses catégories d'infractions pos-
sibles. Mais telle ne semble pas avoir été son intention.
Au contraire, il parait plutôt s'être préoccupé d'éluder
la difficulté. En effet, il évite avec soin d'attacher,
a priori, à un fait quelconque la qualification de
crime, et de déclarer ensuite passible d'une peine
afllictive ou infamante celui qui le commettrait. Son
procédé est tout autre. Passant en revue les divers
faits susceptibles d'être punis, il fixe pour chacun
d'eux une peine proportionnée à leur gravité. Puis,
dans le but de simplifier le langage juridique, et afin
de fournir une règle pratique aux magistrats, il divise
ces peines en trois grandes catégories, d'après leur
degré. En outre, comme un rapport constant doit
exister entre le châtiment et la faute, il affirme que
ces trois catégories de peines correspondent à trois
catégories de faits répréhensibles, et à chacune d'elles
il impose un nom spécial. Les infractions punies, à
cause de leur perversité plus grande, par les peines
les plus sévères, sont, par lui, appelées crimes; les
autres qui tiennent le milieu dans l'échelle des moyens
il.' répression, sont les délits; enfin, les plus légères
son! les contraventions. Mais il n'y a là que trois caté-
gories purement nominales, >ans aucune prétention à
une définition strictement philosophique. Ainsi le fait
délictueux n'est pas défini par la pénalité. Celle-ci
ne sert pas de base a une définition théorique et scien-
tifique; elle est seulement le fondement d'une i
pratique, claire, invariable et sûre, servant aux magis-
trats a déterminer, avec plus de facilité, la compétence
des tribunaux. Cf. Chauveau et llélie, Théorie du code
pénal, 6 in-8», Paris, 1853, t. i. p. .'il: Ortolan, Élé-
ments de droit pénal, leçons professées i la faculté de
droit de Paris, 2 in-8», Paris, 1854-1856, t. i, p. 282;
Bertauld, Coins de code pénal, in-S", Paris, 1878,
p. I l(> S(|.
Les explications, présentées i ce sujel par les défen-
seurs du code, n'uni pas empêché beaucoup d'autres
juristes de trouver fort défectueuse la rédaction de ce
premier article, qui, pour être compris, n'exige rien
moins que la connaissance complète de tous les autres
articles dont le code pénal est compose. Or, c'esl là
assurément an grave défaut. Une loi, comme une défi-
nition, doit se suffire à elle-même.
Ces discussions montrent combien il serait difficile
«''• donner du délil une définition abstraite, phi]
phique et juridique. Inconnue dans l'ancien droit
romain et dans le droil civil moderne, elle •
moins encore dans le droit canonique, ou
délil et crime sont pris indifféremment l'un pour
l'autre, autant par le texte officiel du Corpus jurit
', que par les canonisles les plus autori
ceux-ci, cependant, on constate, en plus d'un endroit,
la tendance à se servir du mot crime, plutôt qui
celui de délit pour désigner les foutes les plus graves.
Cf. Leurenius, Forum ecclesiaslicum, in i/uo jus ca-
nonicum explanalur, 1. Y, tit. i, in-fol.. Venise,
t. i, p. 1 sq.; Reiffenstuel, Jus canonicum univers
1. Y, lit. i, G in-fol. , Venise, 1730-1735, t. v. p. 1 sq..
Gonzalez, Commentaria perpétua in
quvnque librorum Decrelalium Cregorii IX, I. Y.
tit. xxiii, c. i-ii ; tit. xxvi, c. i. 5 in-fol. . Venise, 1735,
t. v. p. 275 sq., 285; Schmalzgrueber, lus ecclesiasli-
cum universuni, 1. Y, part. I, tit. i. n. 1-15, 6 in-i .
Rome, 1843-18i5. t. v a, p. 1 ><\. : Zallinger, l<
tutiones juris ecclesiaslici ordine Decrelalium, I. Y.
tit. i, §1-15, 5 in-8», Rome, 1823. t. v, p. 1-16;
Angelis, Prxlectiones juris canonici ad melliodum
Decretalium, 1. Y, tit. i, 4 in-8», Rome. 1887-1891,
t. iv, p. 9sq.; VA'ernz, Jus Decrelalium, 1. Y, De jure
criminali, part. II, sect. I, § 4-5; part. III. sect. i,c. I-
VII; sect. il, c. i-iii. 5 in-8°, Rome. 1898-1907. t. v.
p. 167-177, 393-650.
IL Division. — Comme les crimes, les délits se
divisent en plusieurs classes, en raison : 1° de leur
objet; 2° des personnes qui les commettent; 3" du for
ou tribunal dont ils relèvent ; 1° de leur notoriété.
Voir Crime, t. m, col. 2326.
Outre ces divisions, l'ancien droit admettait le quasi-
délit. Celui-ci se distingue du délit proprement dit. en
ce qu'il exclut l'intention de nuire, et n'est que le résul-
tat d'une imprudence, ou d'une négligence, mais, néan-
moins, non totalement excusable. Cette distinction es|
restée dans la plupart des droits modernes. Cf. Code
civil français, a. 1382 sq. ; Ojetti. Synopsis rerum n,
lium et juris pontifiai, v Delictum,\. i. p. 5!
Kagnan, Commentaria i» quinque libros Decrelalium.
5 in-fol., Venise, 1697, t. v, p. 6, 13, 91, 1S2, lt'»'.>. ls5.
611, 621, 649; Vinnius Arnoldus, Institution es Justiniani
notis, 1. IV, tit. i, iv, in-12, Amsterdam, 1669; - u-l- I
1800; Gonzalez, Commentaria perpétua in singulos t
quinque librorum Decretalium Gregorii IX, 1. I. tit. XI. c. IV,
n. 8; til xxix, c. xxvn. n. 10 ; tit. xxxi, c. n, n. *: 1. II. tit. i.
c. X, n. 10-18; tit. xxiv, c xn, n 1 ; 1. 111, tit. I, c. viu-ix. xiv ;
1. IV, tit. xvti ; 1. V. tit. x. n. 1 ; tit. XXIII, C l-n : lit- XXVI, C i.
5 ill-fol., Venise, 1737, t. I, p
t. m. p. 20 sq., 31; t. IV, p. 166; t. v. p. !
Schmalzgrueber, Jus ecclesiaslicum universum. 1. v, tit. i, x.
XXIII, xxiv. xx.xvn, 6 in-i . Rome, 1843-1*4.\ t. v a, p
. SJ'.l ; t. v h, p. 1 sq., 227 sq. ; lie.caiia. Trait
délits et il s traduit par MoreUet, in-12. Paris.
par llélie, in-12, l'aris, 1871; Muyart de Vougtas, I
minettes de France dans leur ordre naturel, ii -
1780, i M Bq. ; Bentham, Traité de législation civil»
- . Paris, 1820, t. n, p. 240; Zallinger, Instituti
iasUci OTdi Hum. 1. V, tit.
Ri me 182 :. t. v, p. 14
Parts, 1825, t. i. p. '-"is sq. ; t. Il, p. 9i ; Sauter, Traité théorique
et pratique de droit criminel. 2 in-8' . Paris, 1836, 1. 1, p. 418
l ; t. n. p. 2. Ile; Boitard, Code d'instruction criminelle,
In-8 . Pai s, 1887, p. 22sq.; Ortolan, Éléments de droit j
a la faculté de droil d< Pai
l, p. 242 sq., 27 Démangeât,
mtmtaire de droit , - Pi 1864-1865, t U,
p. 482 -<i . : Blanche, Éludes pratiques sur le a
iu-s . paria, 1861-1872, t. i,p.2sq.; LeSeUyer, Traité delà
criminalité, 2 in-8', Paris, 1867-1871; Munchen. Dos coi
G richtsverfahrem und Strafrecht, 2 in-8
i u. p. 1"1 s, p. 21 .nildt, Cours de
p. 118sc|., I« mi„ 53'»; Chauveau et Helie, Th
le peu, il. 0 in s . Pai
261
DELIT
DEL RIO
262
De Angelis, Praelectiones juris canonici ad melhodum Decre-
talium, I. V, tit. i, xxm sq., 4 in-8 , Rome, 1887-1892, t. iv,p. 9 sq.,
297 sq. ; D'Annibale, Summula théologie moralis, part. I,tr. VI,
tit. I, a. 1, n. 296-299, 3 in-8", Rome, 1889-1892, t. i, p. 278-284;
Mel Isidore, /( nuovo codice pénale italiano, 1. I, tit. I, a. 1,
in-4% Rome, 1899, p. 24-28; Tilloy, Traité théorique et pratique
de droit canonique, 1. II, l. IV, c. i, $ 1-5, t. n, p. 269-281 ;
Santi, Praelectiones juris canonici j uxta ordinem Decrctalium
Gregorii IX, l. V, tit. v, 5 in-8», Ratisbonne, 1898, t. v,p. 5 sq. ;
Vidal, Droit criminel, in-8", Paris, 1901, p. 86 sq. ; Ojetti,
Synopsis rerum moralium et juris pontifteii, alphabetico
ordinedigesta, v Delictinn,2 in-V, Prato, 1905, t. I, p. 532 sq.;
Dalloz, Dictionnaire pratique de droit, v" Crimes et délits,
D,;lit, in-fol., Paris, 1905, p. 395 sq., 419 sq.;Garraud, Précis
de droit criminel, in-8", Paris, 1907, p. 60 sq., 128, 146, 358;
W'ernz, Jus Decretalium, 1. V, De jure criminali, part. II,
sect. i, g 4-5; part. III, sect. 1, c. i-vii; sect. n, c. i-m, 5 in-4",
Rome, 1898-1907, t.v, p. 167-177, 393-650.
T. Ortolan.
DELMARE Paul-Marcel, né à Gênes en 1734 de
parents israélites. s'occupa du commerce de son père
jusqu'à 17 ans. L'abbé Franzoni l'instruisit dans le ca-
tholicisme et le baptisa en 1753 sous les prénoms de
Paul-Marcel. Le nouveau converti commença alors ses
études au collège de Gênes; il les continua à Rome, où
il reçut la prêtrise en 1758. Il s'attacha à une commu-
nauté de prêtres génois et se livra avec eux à Rome à
la prédication et au ministère. En 1783, il fut appelé
comme professeur de théologie à Sienne. Il y prit part
à une controverse relative à la communication des
Arméniens unis et non-unis pour les baptêmes, les
mariages et les funérailles. En 1783, parut à Venise
une dissertation italienne, qu'on attribuait au jésuite
dalmate Martinovich, et dans laquelle l'auteur préten-
dait que cette communication m sacris et l'assistance
à la messe des non-unis étaient tolérées par le saint-
Le marquis de Serpos, banquier arménien, qui
habitai) Venise, présenta cet écrit à la Propagande. La
faculté de théologie de Sienne censura celte disserta-
tion, le 15 décembre 1784, et elle décida que les Armé-
niens unis pouvaient bien, pour la célébration de
bui- fêtes, se conformer au calendrier des schisma-
tiques. mais non assister a leurs cérémonies religieuses.
On attribua la rédaction de cette censure à Delmare.
Dominique Stratico, dominicain et évéque de Cresina
en Dalmatie, publia à sienne un Examen théologique
a censure. Delmare répliqua par une brochure
italienne, intitulée: Principe* théologiques pour sér-
ie préservatil contre les erreurs de l'Examen,
5i< une, 1786. Delmare passait p ' être favorable
au parti janséniste, répandu en Italie. Il avait collaboré
édition fait.- a Gène: en I77d île ['Educazione ed
.r catechisnio universalê, 3 vol.,
de Gourlin, ouvrage qui fui mis i l'Index par décret du
30 janvier 1783. Delmare défendil ce catéchisme en six
lettri n 1780, il <b'\int professeur
d'Écriture sainte > Pise, et publia : Praelectiones de
theologicis Senis habitai. •''•! ouvrage lui mis à
l'Index, le 9 décembr 1793, el condamné par le Saint-
Office, le 5 mars 1795. Delmare n'assista ynode
de Pistoie, 'i n'écrivit pas en sa faveur, comme l'a
prétendu Grégoin Le ■"> uovembre 1817, il adre
|ue de l'ise une déclaration, par laquelle il se
soumettait au> décret de l'Inde* el du Saint-Office
.uni qu'aux constitutions el déi Isîons dogmatiqui
oquanl toul ci qu'il aurait «lit et écril d
traire. Celte déclaration fui i n Rome, el le car
ilin.ii lui. n lia l'auteur. Delmare rompil toute
relation avec les jansénistes, el notamment avec l'abbé
Clément. Il mourul le 17 février 1824, dan 1 00 innée.
na i .1 mi de la
n. du 12 juin 1822,
i . Manu
DEL RIO Martin-Antoine, théologien, jurisconsulte,
philologue et historien, naquit à Anvers le 17 mai 1551.
Enfant précoce et studieux, il étudia au collège de Lierre,
alors florissant, les langues classiques qu'il posséda
parfaitement, ainsi que l'hébreu et le chaldéen. Il parlait
aussi, disent les biographes, avec une égale facilité le
flamand, l'allemand, l'espagnol, l'italien et le français.
A Paris, au collègedes trois langues ou collège de France,
il eut pour maître d'éloquence Denys Lambin, et au
collège de Clermont pour professeur de philosophie
Maldonat, déjà célèbre. Élève de l'université de Douai
que Philippe II venait de fonder, puis de l'université
de Louvain où il gagna l'affection de Juste Lipse, il se
passionna pour les travaux d'érudition. Juste Lipse
cite avec admiration ce fait que le jeune étudiant avait
étudié et annoté' plus de onze cents auteurs. Bachelier
en droit civil dès 1570, il publia aussitôt des notes sur
Solin, sur Claudien et sur Sénèque le Tragique, qui
attirèrent sur lui l'attention des humanistes. Docteur en
droit de l'université de Salamanque, en 1574, il fut
nommé presque aussitôt, parle roi d'Espagne, membre
du conseil de Brabant, où sa science profonde du droit
lui mérita d'être promu, à peine âgé de 28 ans, aux
fonctions de vice-chancelier et de procureur général.
A la mort de don Juan d'Autriche, dégoûté de plus en
plus du monde, il envoya au roi sa démission de toutes
ses charges et entra dans la Compagnie de Jésus, le
il mai 1580, à Valladolid. Après avoir étudié' la philoso-
phie, la théologie et l'Écriture sainte à Louvain et à
Mayence, il fut nommé professeur de théologie à l'uni-
versité de Douai, puis chargé du cours de philosophie
morale au collège de Liège. C'est de là qu'il entretint
une active correspondance avec Juste-Lipse, alors à
Leyde, et qu'il parvint à convertir son illustre ami au
catholicisme. Les lettres de Del Rio à Juste Lipse ont
été insérées par Burmann dans son Sylloge epis/ola-
rum a viris illustrions scriptarum, Leyde, 1727, t. i,
p. 501-552. Nommé professeur d'Écriture sainte à Gratz
en Styrie, où une université venait de s'ouvrir, il prend
la route de Mayence et trouve le temps d'éditer dans
cette ville les E.nigmata de saint Aldhelme. A Gratz, il
commence par se faire recevoir docteur en théologie et
ouvre aussitôt son cours d'exégèse qui lui attire, avec
nu glorieux renom, la faveur croissante des archiducs
d'Autriche. Après avoir édité son commenlaire sur le
Cantique des cantiques, il est appelé' à Salamanque
comme professeur d'exégèse, puis envoyé de nouveau
en Belgique, où il arriva gravement malade. Il mourut
à Louvain le li) octobre 1808. Ses divers commentaires
des Livres sacrés eurent de son temps une grande célé-
brité. Citons : I" lu Ganticum canticorum Salomonis
commentarius litleraliset catena mystica, Ingolstadt,
1804; Paris, 1608; Lyon, 1611 ; 2" Commentarius Utte-
ralis iu Threnos Jeremim, Lyon, L808;3°i:>Aar«s sacra
Sapientisv teu commentarii seu glossœ littérales in
Genesim, Lyon, 1608; i Adagalia sacra V. et N, T.,
Lyon. Bilo. La théologie mariale lui est redevable d'un
important ouvrage de polémique et de piété : Opusma-
rianum, Lyon, 1607. Mais ce fut son traité sur la magie
el les sorts qui valut à Del Rio la part la plus grande,
non point la meilleure toutefois, de sa célébrité : Dis-
quisitionum magicarum I. VI, Mayence, 1593, 1600,
1603, 1606, 1624; Louvain, 1599, 1601; Lyon, 1608, 1612;
ne, 1633, 1667, 1676; Venise, 1746, etc., ou vi
où l'érudition l'emporte sur la critique, mais qui <ie\ inf
alors le manuel de ion s les jurisconsultes, Del Rio prend
s,, in d'avertir ses lecl
qu'il rapporte sur la fol d'autrui ne méritent pas une
mee, mais qui dl la marqua dune
coupable légèreté de les rejeter tons. Au reste, le
procl ' la critiqui protestante i la naïve
crédulité du P. Del Rio, s'appliquent plua justement
t. mis de ci te, qui ont
263
DEL RIO - DÉMÉTRIUS DE CYZIQU E
soulève'* si violemment les passions populaires dan
questions de Borcellerie. Il convient d'ajouter à tous
ces travaux les éditions < l * • .s œuvres poétiques de saint
Orient el de saint Alcllieline : S. Orient* '■/"
Tlliberitani Commonitorium, Anvers, 1600; Sala-
manque, 1604; Wittemberg, I7'.i(>; dom Marténe a donné
de ces œuvres une édition plus complète et plus correcte ;
S. Aldkelmi /u-isei occidentalium Saxorum epûcopi
poetica nonnulla, Mayence, 1601.
La vie de Martin-Antoine Del Rio a été écrite par le P. Roe-
weyde (et non par le P. Suys, sur lequel hésite Sommervogel,
i. v, col. 1904) sous le pseudonyme de Herman Langeveld,
Anvers, 1609. Dans la Collection de Mémoires relatif* à l'his-
toire de Belgique, se trouve une excellente notice due à M. De -
vigne, éditeur des mémoires de Martin-Antoine Del Hio sur
les troubles des Pays-Bas durant l'administration de don
Juan d'Autriche (1570-1578), 3 in-8% Bruxelles, 1869-1871. on
peut voir encore Bayle, Réponse aux questions d'un provin-
cial, t. m, i>. 235-2%; (de Keillenbeigi, De Justi Li]>sii cita et
scriptis, Bruxelles, 1823. Pour les écrits, Sommervogel, Biblio-
thèque de la C" de Jésus, t. v, col. 18'.li-19l)5; Hurtcr, Xomen-
clator, t. I, p. 191-194; Kirchenlexikon, t. III.
1'. Bernard.
DÉMÉTRACOPOULOS Andronic, l'un des meil-
leurs théologiens de la Grèce moderne. Né à Cala vr y ta,
dans le Péloponnèse, en 1825, Démétracopoulos alla
achever ses études en Allemagne, où, depuis 1857, il se
lixa définitivement comme curé de l'église grecque de
Leipzig. Nommé, en 1869, docteur honoraire de l'uni-
versité de Leipzig, il mourut d'une bronchite, le '21 oc-
tobre 1872, au retour d'un voyage d'exploration en
Orient. Paléographe distingué, il attacha son nom à un
bon nombre d'éditions d'anecclota. On a de lui :
1° NixoXctoo è7ti(7y.o7tov; MsO'ôvv*; Xôfoi o-jo y.a-i :î;
alpÉo-cto; T(ov XeyJVTbiv tï)v o-cor-fjptov -JTtEp r,u.u)V f)-j<7:av
[j.ï| xr, Tp'.T-j7roTTiT!i) Ûïôt^Ti TipoTOc/Or, va :, à).Àk nït 7taTp\
p.ôvw, in-8°, Leipzig, 1865; 2° 'ÊxxX-nnaaTtXT) piëXio-
Sqxir] Èu.7tepii/_o,j'7a IXXïjvrov f)EoX6-i,a>v 0"jvYpip.|j.aTa, in-8°,
Leipzig, 1866, t. i ; ce I. i, le seul qui ait paru, contient
des traités inédits de Zacharie de Mitylène. Nicétas Sté-
Ihatos, Jean de Phourna, Lustrale de Nicée, Nicolas
de Méthone, Nicéphore Blemmide, Georges Acropolite ;
3" 'IoTOpc'a to-j <7j£i<xu.aTo; tt\î XaTtvtxr,; sxxXr|o-!a; aTib
x^ç ôpOîâoÇo'j ÉÀXvivticTjç, Leipzig, 1867; 4° Eîtyeviov toï
\'>'j-j't,-(ipt(ù; 7cpo£"(xaT£ta uEpi MouatxîjCi Trieste, 1868 (ex-
trait de la Néa 'Ilp-épa); 5° Na8xvar|X XOya tov 'A'jr,-
vxt'o'j Èy/Eipt'ôiov 7t£p\ to-j 7rp(i)Tc:'o'j to-j Ili^a, Leipzig,
1869; l'éditeur n'a pas connu l'excellente réfutation
en trois langues qu'a donnée de ce pamphlet le conven-
tuel Egidius a'Cesaro dans ses Apologiœ in Catalatinon
A Ht lianaclis Xhichse Atheniensis, Venise, 1678 ; 6° Ao/.c-
u,iov ïtepl tov (3:ou xoù to>v avyy p au.u.c<7 wv Mï|Tpo?âvou{
tvj KpiToJto'jXo'j 7ra7p'.àp/ou 'A).£;avôp£:aç, in-8°
Leipzig, 1870; 7" llpoirOrjxac xx't ScopOwaet; si; ri\v NeoeX-
> r,viy.rlv 'l'iXoXo-p'av RtovffTavtfvovi — iOa, in-8", Leipzig,
1871 ; 84 " 'EiravopBcdffetc o-focXuÂTcov icapaTTipriOe^vTûv Èv
t NsoeXXvjvtxTj $iXoXoff« roû K. i.iOï, in-S", Trieste,
1872; 9° 'OpOoSoÇoç cEXXà{ iytot -iy. rôv Ypatf/âv-
t ov xarà A.atfv<ov -/.ai Ttîp'i 0"UYypa;j.|xâTa)V ocvtûv, in 8
Leipzig, 1872. Lien que dirigés contre les Latins , t
animés de la passion habituelle aux Grecs en ces ma-
liiTes, ces (liiers ouvrages sont des plus utiles à con-
sulter, car l'information de l'auteur est généralement
sûre. L. Petit.
l.DÉMÉTRIU8Chomatlanua, archevêque d'Achrida
el canoniste grec du un* Biècle, De sa vie même, on ne
sait que forl peu de chose. Chartophylax de l'archevêque
il \iiirida. il devint titulaire de ce siège en 1216 ou
1217. Il l'occupai! encore en 1234 ou 1235 : cette date
nous est fournie par la consultation qu'il eut à donne]
dans un long procès d'héritage engagé devant le métro
politain de Thessalonique. Pitra, Analecta ta
tsica, t. vu, col. ISS. Parmi les principaux actes de
sou administration, il faut citer. I cause de U
tionnelle importance, s;, lettre i saint Sabas, l'arche-
vêquede Serbie, sur la juridiction respective des deoi
Églises d'Achrida etd'Ipek, en mai IMO; lecouron
menl «lu despote Théodore Du
de 1223, el la correspondu ne.- avec le patriarche de
Nicée Germain II au sujet de l'ordination de l'évéque
rvia, acte tenu pour anticanonique par le patriar-
che de Nicée cel échange de lettres aigres-douce»
eut lieu vers 1233, loi- de la mission en Kpire de
I exarque patriarcal Christophore d'Ancyre. Au reste,
si les lettres du prélat d'Achrida ne -ont pas to
es, elles présentent toutes un intérêt capital tant
pour l'histoire de l'époque que pour la connaissance
du droit canonique byzantin, dont Chomatianus est
l'un des meilleurs représentants. Elles ont été édil
pour la première fois par le cardinal l'itra, d'après le
manuscrit 62 de la bibliothèque de Munich, dans le
t. vu de ses Analecta sacra et classica Sjncilegto So-
lesmensi parala, in-8", Paris, 1891 .
M. Drinov, Sur certains travaux de Démétrius Chom
nus comme documents historiques (en russe). Viz. Vrel
nik, t. I, p. 319-340; t. n, p. 1-23; A. M.,mplierraU>s, ibid.,
t. n', p. 42G-438; J. Palinov, Christian skoé Chténié, 1891, f asc .
3-4; 1892, fasc. 5-6; D. Ruzie, Die Bedcutung des Demetrios
Cltornatianos fur dte Grunduurjsqeschichte der serbiscKen
Autokephalkirche, in-8", Iéna, 18 I
L. Petit.
2. DÉMÉTRIUS DE CYZIQUE, apologiste grec
du Xe siècle. De sa vie nous ne savons que deux choses,
qu'il fut métropolitain de Cyzique, et qu'a la demande
de Constantin Porphyrogénète (912-959), fils de Léon
le Sage (886-911), il composa un petit traité sur les
erreurs des Jacobites et des Chalzitzariens ou Armé-
niens, dont l'origine a fort tourmenté les éditeurs. ■
Publié une première fois en latin par Possevin dans
son Apparalus, p. 100, et reproduit par la B,
théque des Pères de Lyon, t. xu, p. 813. il fut édité
en grec et en latin par CombeRs dans son Auctanum
novum, t. il, p. 261, comme une œuvre anonyn,
ne fut qu'après coup, par l'inspection d'un manuscrit
palatin, que l'érudit dominicain découvrit le véritable
auteur et signala sa méprise dans une note à son i di-
tion. Cela n'empêcha pas Galland, sur la foi de je ne
sais quelle autorité, d'attribuer l'opuscule à Philippe
le Solitaire, qui écrivait sous Alexis Comnène I08i-
1118); et, chose surprenante, c'est sous le nom de Phi-
lippe le Solitaire que l'opuscule se trouve dans lligni .
P. G., t. cxxvu, col. 879-902. 11 est vrai que :
conde partie du traite*, la Narratio
est reproduite une seconde fois par Migne, sous le
nom d'Isaac l'Arménien, au t. rwxn. col. 1237-1257;
niais il se pourrait que cette partie de l'ouvrage ne fût
pas de Démétrius, question qu'une nouvelle enquête i
travers les manuscrits permettrait seule de trancher.
S] cette partie esl du métropolitain de Cyzique, com-
ment expliquer qu'il ail arrêté sa liste des catholicos
d'Arménie i Isaac 111 Isoraporétsi 677-703), a moins
qu'il ne -e soit contenté de copier sans plus son pré-
décesseur dans la matière. Quoi qu'il en soit de la
Narratio de rébus Arménie . il esl certain que le traité
contre les Jacobites esl bien de Démétrius, au témoi-
,1 un grand nombre de manuscrits, par exemple.
VAlhous 927, 3666, 3758, 1501; le Vaticanus Palal
356, le Scorialensis 11. 1. 15; le ConstantinopoliU
SanctiSepulcri 391, le Mosquensis 319 el 323. Dans
la plupart d'entre eux, l'ouvrage s'ouvre par une
épllre dédicatoire encore inédite à l'empereur Con-
stantin.
Quelques critiques, comme l.equien et récemment
encore l'auteur du Répertoire des sources historique*
,/„ m bibliographie, 2 édit., Paris, 1904,
t. i. col. 1166, identifient le controversiste dont il \ient
265
DÉMÉTRIUS DE CYZIQUE — DÉMISSION
266
d'être question avec Démétrius le Syncelle, qui fut
également métropolitain de Cyzique : c'est une méprise
évidente. Le premier a vécu, on l'a vu, sous Cons-
tantin VII Porphyrogénète, tandis que le second
n'occupa le siège de Cyzique qu'un siècle plus tard,
sous Romain III Argyre (l02S-103i) et Michel IV le
Paphlagonien (1034-1041). On a de ce second Démétrius
une intéressante contemplation, y.ii.ï-rr sur les empê-
chements au mariage, Leunclavius, Jus grœco-roma-
t. i, p. 397-406; P. G., t. cxix, col. 1097-1116;
Rhalli-Potli, Synlagma, t. v, p. 35i-366; et une ré-
ponse canonique sur les degrés d'affinité entre trois
familles. Leunclavius, loc. cit., p. 406-408; P. G., loc.
cit., col. 1116-1120; Rhalli-Potli, loc. cit., p. 366-368.
C'est sans doute de lui que proviennent encore trois
courtes dissertations contenues dans le Mediolanensis
682. fol. 367-375. Le curopalate Jean Skylitzès, au début
de son histoire, indique parmi ses sources une chro-
nique aujourd'hui perdue d'un Démétrius de Cyzique,
qu'il faut identifier avec le second et non avec le pre-
mier des deux métropolitains de ce nom. K. Krumba-
cher, Gesclùclite der byzanlinischenLitteratur, 2eédit.,
p. 399, avoue ne rien savoir de ce Démétrius. On sait
pourtant qu'au mois de janvier 1028, Démétrius, déjà
métropolitain, faisait partie du synode de Constanti-
nople, P. G., t. i:\ix, col. 837; qu'en l'an 1037, il in-
trigua avec quelques-uns de ses collègues pour ren-
verser le patriarche Alexis et mettre à sa place l'eu-
nuque Jean, frère de l'empereur Michel. P. G., t. cxxn,
col. 249. Ces dates, absolument certaines, ont bien leur
importance. Rappelons encore un autre détail : dès
son avènement à l'empire, Romain Argyre, qui avait
notre Démétrius en grande estime, lui conféra, ainsi
qu'à deux autres de ses collègues, le titre de syncelle.
Cela eut lieu peu avant le 25 mai 1029, car Sainte-
Sophie fut témoin ce jour-là, à l'occasion de la Pente-
côte, d'une petite querelle de préséance, les métropoli-
tains du synode refusant de céder aux nouveaux
dignitaires la place d'honneur. P. G., t. cxxir,
col. 217. 220
G
L. Petit.
3. DÉMÉTRIUS DE LAMPE, hérétique du
xn« siècle, originaire de la petite ville de Lampe, dans
la Phrygie du sud-ouest, près de la ville actuelle de
Sondourlou ; il avait rempli en f urope, spécialement en
Allemagne, plusieurs ambassades importantes, quand,
itour de l'une il elles, il se mil à reprocher publi-
quemenl aux Occidentaux leur doctrine sur le Fils de
qu'ils tenaient tout à la fois, disait-il, pour égal
el inférieur au Père. Ce fut un grand scandale chez les
urs de Byzance de voir un homme étranger au
■ mettre une opinion théologique. Le débat
• ■ par Démétrius n'e n fui pas moins passionnant :
clercs, moines, laïques, empereur, portefaix, tout le
monde B'en mêla II agissait surtout de savoir quel
il convenait d'attribuer à la parole évangélique :
P re ett plu* grand que moi, C'était pi
h vieille discussion des iriens. Apres de vains efforts
pour ra ner Démétrius dans le droit chemin, l'em-
pereur Manuel Comnène, qui avait dès le début pris
l.i direction du débat, s< il la question an synode qui
lina 'M plusieurs séances, mars el avril lliiii.
ivnl, i emperi ur sanctionna par un «'dit solennel
""I île . mais tout ne fui point Uni
promulgation. Durant quatre an encore, la dis-
ion continu;, d'agiter les esprits Chose curieuse.
tandis que nous possédons des renseignements
| mi- sur les partisans principaux de Démétrius,
nous n'avona mr lui aucune donnée précise, hormis
lelques indications fournies par l'historien I in
l M. n 2, /' '. , t. cixxm, col 616-034 Di
par l'hérétique poui défendn
me, il n'es! rien n té, pi taie le titre, Nou
nous permettons, pour finir, de renvoyer le lecteur à
l'étude que nous avons donnée ailleurs sur cette
curieuse, mais futile controverse. Voir nos Documents
inédits sur le concile de 1166 et ses derniers adver-
saires, dans les Vizantiskii Vremennik de Saint-
Pétersbourg, 1904, t. xi, p. 465-493.
L. Petit.
DEMISIANOS Jean, né à Zante ou peut-être à
Cépbalonie, fit ses études au collège Saint-Athanase à
Rome de 1588 à 1595 et y professa le grec pendant trois
ans. Après avoir pris à Padoue le grade de docteur, il
dirigea une école à Zante et y prêcha avec succès le
catholicisme, ce qui lui attira une violente persécution.
Il revint à Rome où il fut un des familiers du cardinal
Octave Bandini et bibliothécaire du cardinal François
Sforza. Les ducs de Mantoue l'envoyèrent à Paris où il
mourut en 1610. Nous n'avons de lui que deux lettres
et quelques poésies.
E. Legrand, Bibliographie hellénique au xvn' siècle, t. ni,
p. 180-184.
S. Pétri DÈS.
DÉMISSION (dimissio, resignatio, renuntiatio!
ejuratio). C'est l'acte par lequel on fait abandon d'un
bénéfice, dignité, fonction, administration, etc., entre
les mains du supérieur légitime qui l'accepte. — I. Ex-
plication de la délinition. II. Qui peut démissionner?
III. Quelles causes justifient la démission? IV. La dé-
mission peut-elle être conditionnelle? V. Peut-on
reprendre sa démission?
I. Explication de La définition. — 1° Abandon.—
L'abandon doit être volontaire. Extorqué par la force
ou même simplement par la crainte, il pourrait donner
lieu à une exception quod metus causa que le juge
devrait admettre.
2° D'un bénéfice. — Les anciens auteurs ne parlaient
en cette matière que des bénéfices, mais l'état actuel
de l'Église oblige à envisager d'autres cas de démission
et à régler des espèces beaucoup plus importantes au
bien public que les résignations des bénéfices simples
de l'ancien régime.
3° Entre les mains du supériew légitime qui l'ac-
cepte. — Le supérieur légitime dont il est ici question
est le pape, quand il s'agit de la dignité épiscopale. Les
prétentions en sens contraire de Napoléon Ier n'ont
pas été admises parle Saint-Siège. Voir d'IIaussonv ille.
L'Église romaine et le premier empire, Paris, 1868,
t. vi. Un arrêt du parlement du 28 mars 1765 et aupa-
ravant un arrél du conseil du roi du 26 avril 1657
avaient reconnu le droit exclusif du pape. On en fit
état contre les prétentions de Charles \ en 1828.
Cf. Prompsault, Dictionnaire de droit et de jurispru-
dence en matière ecclésiastique, édit. Migne, 1849,
t. n, col. 52, 53. Pour les autres bénéfices, le principe
est que : Qui potesl conferre beneficium, etiam ejus
renuntialionem acceptait' valeat. La règle n'est cepen-
dant pas sans quelques exceptions. Si plusieurs per-
sonnes ou corps concourent à la collation d'un bénéfice,
l'acceptation de la démission doit émaner de ces diffé-
rentes sources de collation. Tel est le cas dune élec-
tion suivie de la confirmation parle supérieur, tel est
encore relui de la ] n par un patron suivie
de l'institution par l'autorité ecclésiastique. Mais il
faut noter qu'un laïque, quelle que soi! sa dignité, ne
peut être considéré comme le supérieur ecclésiastique
d'un clerc et que, par suite, malgré le droit de patro
nagetlont il pourrai) être honoré, il n'a pas qualité
pour intervenir dan- i si i eptation de la démission du
titulaire d'un L. ml ipplique nu nie SU1
et aux empereurs ayant droit de i sauf s'ils
ont reçu nui ce point spécial un privilège apostolique
Dans l'étal actuel de i i ^li-e de i rance, on \<>ii que
les fond i< ou bi m ;
étant librement par l'évéque, c'esl lui seul
20 7
DEMISSION
2(i8
qui ;i qualité pour recevoir el accepti r les démissions.
Recevoir les démissions n'eBl pas plue <l<- la compé-
tence du vicaire général que faire les nominations. I
sont au m 'înl re des actes de juridiction que
lue est supposé B'étri réservés en donnant des
lettres de grand-vicaire. Il faudrait qu'il j fût fait une
mention expresse de ces j ouvoirs pour que le vicaire
général les eût. Il faul appliquer au chapitre cathedra
sede vacante le principe général qu'il ne peut ace»
les démissions <|ue pour les fonctions qu'il peut confé-
rer. Il peut conférer seul alors les bénéfices qui, en
temps ordinaire, sont à la fois de sa collation et de celle
de l'évéque; si donc le titulaire d'un de ces béni
oll're sa démission, le chapitre pourra l'accepter. Mais
pour ceux que l'évéque confère seul, le chapitre, ne
pouvant pas les conférer sede vacante, ne pourra non
plus recevoir la démission des titulaires.
Chaque fois que l'abandon volontaire se produit,
accepté par le supérieur légitime, il y a démission. Mais
cette renonciation peut se réaliser sans avoir été for-
mulée en termes exprés, à plus forte raison sans avoir
été rédigée par écrit. Il y a de nombreux cas de démis-
sion tacite. Le cas le plus fréquent, et pour ainsi dire
le seul pratique à notre époque, est l'acceptation d'un
bénéfice incompatible avec celui dont on est titulaire.
Un curé renonce à sa cure par le fait qu'il en accepte
une autre, les fonctions de vicaire général ou un évô-
ché. Le fait d'avoir seulement pris l'habit religieux,
sans avoir réservé son bénéfice, constitue aussi un cas
de renonciation tacite.
L'acceptation de la démission par le supérieur est
nécessaire pour que le bénéficier soit délié de ses obli-
gations. Il peut être contraint par les censures à ne
pas [déserter le poste qui lui avait été confié, ou à y
revenir. Sans doute, c'est un principe que chacun peut
renoncer à son droit, mais à condition de ne pas nuire
à autrui en négligeant un devoir corrélatif de ce droit.
A cause du lien tout spécial qui rattache l'évéque à
son Église, lien assimilé à un mariage spirituel, une
pareille désertion serait particulièrement grave. L'évé-
que ne peut donc jamais abandonner son siège sans la
permission expresse du souverain pontife, et cela même
pour entrer en religion, malgré les facilités spéciales
que la loi reconnaît aux autres bénéliciers dans ce cas
exceptionnel.
Le c. Licet, 18, De regularibus, III, xxxi, reconnaît
en effet aux bénéliciers le droit d'entrer en religion con-
tre la volonté de l'évéque. La conséquence logique
serait qu'il ne soit pas nécessaire de lui demander à
proprement parler une acceptation de démission qu'il
ne peut refuser sans se mettre en opposition avec les
canons. Mais encore faut-il se souvenir de l'obéissance
promise à l'évéque au jour de l'ordination, de la né-
cessité où l'évéque va se trouver tle pourvoir au
remplacement. On demandera donc à l'évéque *oit de
réserver le bénéfice pendant le temps du noviciat, ce
qui est le droit commun, c. îv. De regularibus, 111.
xiv, in 6°, soit d'accepter la démission. Le départ du
bénéficier peur un ordre religieux, effectué sans que
l'évéque ait été mis à même de manifester sa volonté,
pourrait exposer le bénéficier à se voir rappelé, s'il
était prouvé que son dépari porte un préjudice gi
l'église. De plus, la seule prise d'habit, effectuée »lans
ces conditions, équivaut à une démission tacite et si le
novice ne persévérait pas dans sa vocation, il trouve-
rait, en rentrant dans le monde, son bénéfice occupé
par un autre.
Voilà pour les bénéfices proprement dits. Mais que
faut il penser des autres fondions ecclésiastiques
es par l'évéque à un prêtre : cures amovibles,
aumôneries, vicariats, etc I es textes du droit, rédigés
dans le Btyle d'une autre époque, ne parlent que des
bénéfices, mais les mêmes raisons demandent que les
démissions soient r< gies, en matière de simples <>(!
par les mêmes régies Aussi la S. C. du Concile à-t-
elle, en ces derniers temps, répondu dans le sens de la
législation bénéficiaire & des questions
ordinaires de Toulouse el de Parme. L'archevêque de
Toulouse demandait I l" parochii amovibUibut li-
ceat eo quod non habeanl bénéficia w is (le
bénéfice «'tant perpétuel par définition), sine ordinarii
licenlia, parochiis suis renuntiaref 2 An episcopo
liceal, ex obedientim précepte, adhibilit etiant, si
opiis sit , censuris, cos cogère ><t in munere persistant t
La S. C. du Concile a répondu le 9 mai lî
]•>">, négative , affirmative. L'évéque de
Parme a provoqué une réponse plus générale en expo-
sant des espèces plu-; variées : I" Vtrutn liceat sacer-
>us, qui bénéficia veri >•■ lient, et
speciaiim vicariit curalis, economis et capello
derelinquere officia ab episcopo Mis commissa, non
obtenta prius ejus licentia:' 2» An ex prsecepto obe-
dienlix, adhibitis etiam, si opus fuerit, censuris,
episcopus jus liabeal eos cogendi ut persistant in suo
offuio, saltem usquedum </ - ère valeat i>er
idoneum successorem ? La S. C. du Concile a répondu
le 11 janvier 1886 : Ad lam, prout exponitur, néga-
tive; ad 2U™, affirmative, quoties ex nfficii ditnis-
sione grave delrimentum curas animantm sit ob-
venlurum. Est tanien episcopi sollicite providere de
idoneo successore, pressertim cum, ratùmabili de
causa, (liniissio expostulatur.
II. Qui peut démissionner? — La règle est que tout
bénéficier peut démissionner et qu'on peut démission-
ner de tout bénéfice. On peut même renoncer à la pa-
pauté, et il y en a un illustre exemple. Il y a cependant
quelques restrictions à ce droit, fondées sur l'ordre
public.
La principale provient de la bulle de Pie V, ijuanta
Ecclesiœ, n. .">8. du 3 avril 1568, où le ^ 3 interdit à tout
clerc constitué dans les ordres majeurs de résigner son
bénéfice ou son office, s'il n'a par ailleurs de quoi sub-
venir;! sa subsistance. Le concile de Trente avait d»;jà
obéi à une préoccupation analogue, sess. XXI,
De reform., en déclarant nulle la résignation du bé-
néfice qui avait servi de titre au moment de l'ordina-
tion. Pour qu'une semblable démission puisse avoir
son effet, il faut que : 1° le démissionnaire ait déclaré
qu'il s'agit de son titre d'ordination ; 2» qu'il soit établi
qu'il a par ailleurs de quoi se suffire.
Ne parlons que pour mémoire du cas. autrefois cé-
lèbre, mais peu pratique de nos jours et dans notre pays,
prévu par la règle 19° de la Chancellerie, appelée vul-
gairement la règle de oiginti. Elle s'exprime ainsi :
Si quis in infirmitate constitutifs resignaverit... ali-
quod beneficium... sive simpliciter... et poslea infra
viginti dies... de ipso infimiitate discesserit..., colla-
tio... sit nulla et beneficium ...pcr obituni censcatur
vacare.
[II, Quelles causes iustifieni i\ démission? —
Puis, pi,' h- supérieur doM intervenir pour accepter ou re-
fuser la démission, sur quoi devra-t-il appuyer sa décî-
sion?Il n'a pas le droit d'accepter la démission, si elle
n'esl p:>s justifiée par une cause juste et prévue par le
droit. La rubriquedu c. 10, De renunciatione, aux D
taies de Grégoire 1\. formule le* cas légitimant la de-
mission desévêquesen »l»'u\ vers latins
lis, ignarus, maie conseilla, inegularis,
Quem mata pteba "«lit. dans scandale : iredere possit.
Le lien qui rattache les bénéficiers inférieur- a leurs
postes étant bien moins étroit que le mariage spirituel
par l'évéque avec son Eglise, les si\ ra
qui justifient la démission épiscopale, seront suffis
et même surabondantes parfois pour que l'évéque:
puisse accepter la démission d'un bénéficier.
269
DEMISSION
270
1» L'incapacité physique, provenant de la vieillesse ou
de la maladie, n'est jamais une raison suffisante pour
priver quelqu'un de son bénéfice, même en assurant
par ailleurs sa subsistance, mais elle peut être une rai-
son d'accepter la démission librement offerte. Bien que
le moyen canonique, qui consiste à laisser à un impotent
son bénéfice et ses revenus en l'obligeant seulement à
payer la portion congrue à un vicaire, pourvoie suffisam-
ment au bien général, on conçoit que le bénéficier,
devenu incapable de remplir toutes ses fonctions, pré-
fère démissionner. Son infirmité justifiera l'acceptation
de l'évêque, ou du pape, s'il s'agit d'un évêque infirme.
2° L'ignorance. — Cette cause ne peut plus guère se
réaliser chez les évêques. Il n'y a pas pour eux d'obli-
gation de posséder la science éminente, la science
compétente suffit, et s'ils ne l'avaient pas, ou bien ils
n'auraient pas été promus, ou bien il y aurait lieu non
pas à accepter leur démission, mais à les déposer. Fa-
gnan, Comment, in c. ix de renuntiatione, n. 59.
Mais ce qui ne se réalise plus chez les évoques pour-
rait se rencontrer chez un curé, surtout là où la loi du
concours n'est pas appliquée, et l'évêque pourrait y
trouver une cause suffisante d'accepter une démission.
Maie conscius. — Par là il faut entendre une faute
tellement grave que, mêmeaprésen avoir fait pénitence,
le bénéficier se trouverait dans l'impossibilité morale
de remplir sa charge avec fruit.
i L'irrégularité. — Elle a pour effet de rendre
inhabile à recevoir un bénéfice, mais elle ne prive pas
ipso jure du bénéfice qu'on possédait au moment où
on en a été frappé. Cependant il est naturel qu'on ac-
cepte la démission offerte par un irrégulier.
5° La haine du peuple pour son pasteur, qu'elle
soit d'ailleurs justifiée ou non, l'empêche de remplir
Utilement ses fonctions, met parfois sa vie en péril ou
lui rend impossible la résidence nécessaire. Elle peut
donc être une cause suffisante d'accepter la démission.
6° Le scandale. — Si le scandale est grave et que
seul le départ du bénéficier puisse le faire cesser, ce
dernier pourra être tenu en conscience à démissionner,
même - il est évéque. A plus forte raison, pourra-t-on
pter la démission d'un bénéficier inférieur pour
une raison analo)
IV. La démission pei t-elle être conditionnelle? —
Que faut-il penser des renonciations conditionnelles si
fréquentes mtrefois? La seule allusion à ces pratiques
.'■veille le souvenir de pactes simoniaques que l'Église a
dû réprouver. Une réglementation sévère domine la
matii re el nous allons l'indiquer brièvement.
Il ) a simonie, de dmit naturel, quand il 5 a pacte
!■••'• r céder unechose spirituelle ou une chose annexée
.i une chose spirituelle, contre un avantage d'ordre
conditions un bénéfice, chose
qui, malgré son aspect temporel, es) intimement unie
à une fonction ecclésiastique, chose essentiellement
tuelle el dont l es matériels ne sont que
re, constitue le crime de simonie. Mus
parfois, ob prœsumplionem periculi, l'Église interdit
U cession d'une chose spirituelle même contre une
• spirituelle, ou d'une chose temporelle contre
une autre chose temporelle. Ce sont les cas de simonie
par le droit, constituant des
plions ■ t qui par luite son) de stricte interprétation.
Dr les démissions conditionnelles ont néce liti delà
le la loi i [ue des réglementations qui
iccupationi de ce genre. Elles
n en faveur d'autrui, soi) que
■ lui bénéficiera de la démission k démette di
l'un bém lice en faveur de celui qui lui
li permutation . soil que le d
d'autrui ne re. ,,,■..■ aucun autre
1 pacte de quelque
'■ au iuji i , di mi
conditionnelle n'est pas absolument impossible, mais
très strictement réglementée, comme nous le verrons
tout à l'heure. Mais toutes les prescriptions de la loi
canonique fussent-elles observées, qu'il faudrait encore
prendre garde à ne pas tomber dans la simonie au sens
strict. Donc, jamais une démission ne doit avoir pour
condition une somme d'argent à verser au démission-
naire, même sous prétexte de le faire rentrer dans les
frais qu'a pu entraîner pour lui autrefois son entrée en
fonction. Il ne sera même pas permis au démissionnaire
sous condition, de convenir que les frais entraînés par
la démission elle-même doivent être à la charge de celui
qui doit en bénéficier. Illicite aussi serait la condition
que celui qui reçoit le bénéfice résigné devra le rendre
plus tard au démissionnaire ou à une personne de son
choix ou réserver à quelqu'un les fruits en tout ou en
partie. Ce serait la simonie confidentielle.
En plus de cela, tout pacte entre particuliers sur la
matière des bénéfices étant interdit par le droit positif
ecclésiastique, c. 8, Décrétâtes, De pactis, I, xxxv, les
démissions conditionnelles ne peuvent avoir lieu que
dans les formes suivantes :
1° Pour les permutations. — Elles sont légitimes, si
elles sont faites par l'autorité de l'évêque, et pour une
juste cause dont il est juge. La démission en vue de la
permutation devra se présenter sous la forme suivante :
Le bénéficier remettra sa démission entre les mains de
l'évêque en exprimant la condition qu'il ne se démet
qu'en vue d'acquérir tel autre bénéfice. L'évêque jugera
s'il doit l'accepter dans ces conditions. S'il ne l'accepte
pas, la démission ne produit aucun elfet, puisqu'elle
était liée à la réalisation de la condition. S'il l'accepte,
la collation, que l'évêque ferait à tout autre que le titu-
laire du bénéfice attendu en échange, serait nulle. L'autre
permutant procède de la même façon. Les deux bénéfices
étant ainsi remis entre les mains de l'évêque, c'est
lui, et non les intéressés, qui exécute la permutation
par le moyen d'une nouvelle collation de chacun des
bénéfices. La juste cause sera tirée de l'utilité de
l'église ou même de la simple convenance des permu-
tants, pourvu qu'elle ne soit pas en opposition avec le
bien public. Les deux collations doivent se faire en
même temps, et l'évêque, soit pour l'acceptation des
démissions, soit pour la nouvelle collation, doit respec-
ter les droits des tiers (électeurs, patrons), comme il a
été expliqué plus haut, col. 266.
Il est clair que la loi ecclésiastique autorisant les
permutations, ceux qui veulent user de ce droit ont la
faculté de se faire à l'avance les ouvertures nécessaires.
Il leur est interdit seulement par les carions de faire la
permutation de leur autorité privée, et par la loi natu-
relle de faire des conventions pécuniaire.-. Ils expriment
à l'évêque leur désir mutuel, donnent leurs démissions
conditionnelles, et s'en remettent ensuite au jugement
du supérieur, qui est placé dans l'alternative de refuser
;i\ démissions en toute liberté ou de faire la per-
mutation.
2° Pour les résignalions i.\ FAVORBM TERTII. —C'est
l'intervention du pape qui esl m i - tire, parce que de
telles résignations sont interdites par le droit général
de l'Église, dont seul le souverain pontife peut dispen-
ser. Cf. Reifienstuel, Comment. <t<> renuntiatione,
n. 105 sq. L'opinion commune est même que. (".nies par
la seul.' autorité de l'ordinaire, elles revêtiraient un
caractère simoniaque. Tout au plus peut-on. en rési-
gnant son béi cure, par exemple, recommander
î l'évêque un candidat à la succi lerniet pourra
être nommé, si l'évêque le veut, mai ci n'est pas un
cai de démission conditionnelle, le collaleur ;i toute
libi it' .
tndition d< l'une
•n tur le bénéfice. — L'évêque peut de von auto-
rité privée et pour des ralsoni graves, grew rie Htu
271
DÉMISSION
liKMOCRATIE
272
d'un bénéfice, et cela de son consentement, d'une pen-
sion au profit de son prédécesseur. La raison grave sera,
par exemple, l'infirmité du prédécesseur, le bien de la
paix troublée jusque-là par des procès, etc. Mais de
l'avis commun des canonistes, son pouvoir ne va pas
jusqu'à grever le bénéfice lui-même, et l'obligation,
personnelle à celui qui l'a consentie, meurt avec lui. Si
la cause subsiste à la mort du grevé, l'évèque pourra
demander au successeur de se lier à nouveau par une
obligation toujours personnelle. Mais le titre: JJl bé-
néficia ecclesiastica sine diminutione conferantur,
I. 111,. xn, ne peut subir d'exception que par la volonté
du pape.
Ce pouvoir si réduit, l'évèque pourra en user en fa-
veur d'un démissionnaire, cela va sans dire, mais le
principe qu'on ne doit faire aucun pacte sur le béné-
fice domine la matière, c. 8, ,Décrélales, De pactis, I,
xxxv. Le démissionnaire pourra donc seulement, en
donnant sa démission pure el simple, prier l'évèque
d'user de son droit en sa faveur. Il pourra même lui
désigner tel ou tel qu'il sait disposé à accepter le béné-
fice en se chargeant personnellement de la pension;
mais à cela se bornera le rôle du démissionnaire.
V. Peut-on reprendre sa démission?— Qui jurisuo
renuntiavit, non polestposleaad illud redire. Ce prin-
cipe s'applique, dans l'espèce qui nous occupe, avec une
rigueur particulière, au moins quand le supérieur a
accepté la démission. En effet, ce dernier n'a donné son
consentement que pour des motifs graves qui peuvent
tous se ramener au bien général de l'Église ou au pro-
pre salut du démissionnaire qui a cru de son devoir
de ne pas garder une responsabilité trop lourde. Un
démissionnaire, qui reprendrait sa démission acceptée,
commettrait un acte déraisonnable et pourrait être con-
traint par toutes les voies de droit à laisser la place à
son successeur. Mais si la démission n'avait pas encore
eu son plein effet par l'acceptation du supérieur, le
démissionnaire pourrait revenir sur sa décision. En
tous cas, on peut être promu à nouveau à un poste dont
on s'était d'abord démis. Mais les auteurs notent que si
la démission avait été acceptée, on prend rang par
ancienneté du jour de la nouvelle promotion.
Les commentateurs des Décrétâtes : Fagnan, Reiffenstuel, etc.,
traitent cette matière au titre De renuntiatione, qui est le ix'
du 1. 1". Au Sexte, c'est au même livre le titre vir, dont le l" cha-
pitre, rédigé par Boniface VIII, traite de la démission du souve-
rain pontife. Voir aussi la bulle de saint Pie V,du 1" avril 1568,
Quanta Ecclesiœ dans le Bullarium de Lyon, t. n, p. 252;
Ferraris, Prompta bibliotheca , etc. En celte matière, la disci-
pline n'a pas changé et les anciens auteurs se trouvent au
point. Nous avons signalé dans l'article la jurisprudence de la S.
G. du Concile qui assimile en cette matière les offices et fonctions
aux bénéfices proprement dits.
P. FOLRNERET.
DÉMOCRATIE. — I. Le double sens du terme :
le régime politique, le mouvement social. IL La com-
pétence des théologiens au sujet de la démocratie.
III. Saint Thomas d'Aquin : la théorie morale de la
démocratie au xme siècle. IV. Savonarole : le problème
pratique de la démocratie à Florence, au xv siècle.
V. La légitimité de la démocratie, d'après l'enseigne-
ment commun des théologiens. VI. Le mouvement
démocratique aux temps modernes. VIL De Pie VII
à Grégoire XVI : condamnation réitérée des menées
révolutionnaires. VIII. Pie IX : la souveraineté du
nombre et de la force matérielle, condamnée par le
Syllabus. IX. Léon XIII : la démocratie politique re-
connue parmi les formes de gouvernement que l'Église
peut accepter. X. L'éducation morale de la démocra-
tie; problèmes connexes. XL L'encyclique De condi-
tione opificum et la démocratie comme mouvement
social. XII. L'encyclique Graves de communi et la
démocratie chrétienne. XIII. Pie X : l'encyclique Pas-
cendi et la démocratie dans l'Église.
I. Le double sens ru terme : i.i. régime politique;
LE [MOI VKMi.vi SOCIAL. — 1° Le régime politique. —
Dans l'usage courant, le terme démocratie éveille
d'abord l'idée d'un peuple qui se gouverne lui-même.
C'est le sens voulu par l'étymologie. C'est le sens con-
sacré par l'opposition classique de la démocratie, gou-
vernement de la multitude, à l'aristocratie, gouverne-
ment de l'élite en petit nombre, et à la monarchie,
gouvernement d'un seul. Platon, République, \. Le. vin,
Le politique; Aristote, Politique, 1. II, c. iv. v; Pol
Histoire générale, 1. VI, c. m; Cicéron. La République,
I. I, c. xxix, xi.v; 1. II, c. xxix, xxxix; S. Thomas,
Sum. tlieol., Ia II*, q. cv, a. 1; Machiavel. Discours sur
les Décades de Tite Live, 1. 1, c. n ; Montesquieu, Esprit
des lois,\. I, c. il ; Rousseau, Contrat social, 1. III. c. ni.
x; Fonsegrive, La crise sociale, Paris, 1901, p. 438,
440; Gayraud, Les démocrates chrétiens, Paris, 1899.
p. 4; Ch. Antoine, S. J., Cours d'économie sociale,
Paris, 1899, p. 248; sir Henry Sumner Maine, Essais
sur le gouvernement populaire, Paris, 1887, p. 90.
Mais que signifie exactement le mot peuple dans
cette définition nominale de la démocratie'/ Dans un
sens large et fondamental, c'est une multitude, com-
posée de familles et d'autres groupes, unifiée par de
communs intérêts et de communes lois. S. Augustin,
d'après Cicéron, De civitate Dei, 1. II, c. xxi; 1. XIX.
c. xxi, P. L., t. xli, col. 66, 648. Mais, tandis que cer-
taines sociétés se maintiennent dans une sensible éga-
lité des conditions et des fortunes, soit par suite des
ressources modiques du lieu, soit par suite de travaux
faciles, art pastoral et culture rudimentaire, d'autres
sociétés, mieux pourvues de ressources locales ou plus
laborieuses, se distinguent en classes : les ouvriers et
les patrons, les pauvres et les riches, les gens à l'aise
et les opulents, les petits et grands propriétaires. L -
lité et l'uniformité des conditions se maintiennent
facilement dans les sociétés simples, vivant de récoltes
spontanées, de culture extensive, de petite fabrication
ménagère; mais elles font place à de croissantes iné-
galités dans tout milieu qui exige un travail intense.
E. Demolins, Comment les sociétés compliquées sont
issues des sociétés simples, dans La science sociale,
1886, t. i, p. 486, 520; Id., Les commencements de la
culture, ibid., 1886, t. n, p. 413, 432. C'est par l'elTet
de ces causes, que, chez les Grecs, le terme Sr.ixo;, et,
chez les Latins, populus, reçurent une acception parti-
culière nouvelle. Les patriciens, grands propriétaires
fonciers ou commerçants enrichis, se distinguèrent de
la masse ouvrière et pauvre, spécialement nommée le
peuple. C'est en ce sens que le protocole disait : Sena-
tus populusque romanus. C'est en ce sens que l'Iliade
oppose le 8r,ixoç aux rois et aux chefs. Tliad., IL 188,
198; Odys., VIII, 157. Les politiques disaient, à peu
près comme à Rome, f, (Jou/.r, xerî i S^fioç; comme enfin
ce sont les travailleurs manuels qui forment la grande
majorité des sociétés, et que les classes riche-
aristocraties, les gouvernants, échappent de par leur
condition à la nécessité du travail manuel, peuple se
dit plus spécialement encore au sens restreint de la-
classe ouvrière.
Esl-ce du peuple-ouvrier, de la multitude sans for-
tune, ou bien du peuple en totalité que l'on entend
parler en disant que le peuple gouverne dans la démo-
cratie ?
Chez les anciens, ce n'était absolument ni de l'un nr
de l'autre; car les démocraties classiques de la Grèce
excluaient de tout droit politique diverses catégories de
travailleurs manuels : les esclaves ruraux et domes-
tiques; les périoèques de la Crète, les métèques de
l'Attique, les poénestes de Thessalie, les hilotes de
Sparte. C'étaient des paysans attachés à la glèbe, des
serfs ou des demi-serfs de la terre. Aristote. Poli-
tique, 1. II, c. vi. g 2. 3. ("est que l'État grec, la cité,
273
DÉMOCRATIE
274
se composait d'une ville, soit militarisée comme à
Sparte, soit plus généralement enrichie par le com-
merce de terre et de mer. Les bourgeois possédaient
en outre des propriétés dans la banlieue, cultivées en
régie par les types de serfs énumérés plus haut. Par
la richesse, l'habileté dans les affaires, la culture de
l'esprit, la pratique des sports et de l'équitation, le
prestige des assemblées délibérantes, la bourgeoisie en
corps dominait les paysans de la banlieue, comme les
artisans de la ville. Gabriel d'Azambuja, La Grèce
ancienne, Paris, 1906; Le Play, La réforme sociale,
c. i.xn. S 13. De cette situation de fait, Aristote extraira
sa théorie du citoyen, qui sera vraiment l'idéal grec :
un bourgeois assez honnête et assez lettré pour faire
tour à tour acte de gouvernant et de gouverné, de juge
et de justiciable; assez riche, pour ne dépendre de
personne et posséder tous les loisirs que réclament
les assemblées de l'àropâ et de la po-j/.r,. « Dans une
cité bien constituée, les citoyens ne doivent point avoir
à s'occuper des premières nécessités de la vie : c'est
un point que tout le monde accorde; le mode seul
d'exécution offre des difficultés. » Aristote, Politique,
1. III. c. m. § 1. 3. De par cette exclusion, si rigoureuse
en principe, une démocratie grecque se ramenait dans
la réalité à une bourgeoisie privilégiée. Etant données
la facilité de vivre sur les rivages de l'Archipel et sous
le ciel méditerranéen, la frugalité d'une race contente
avec quelques sardines, quelques olives, quelques
ligues, sans grands besoins de chauffage ni de vête-
ments, beaucoup de citoyens peu fortunés vivaient à
l'aise. Alors, au lieu de l'oligarchie des riches ou de
l'aristocratie des anciennes familles, une quasi-démo-
cratie se constituait, par l'accession au pouvoir de la
masse plus humide. Mais, en regard des cent mille es-
claves ou métèques de l'Attique, les six mille citoyens
de la démocratie athénienne restaient, dans le fait, une
iimple oligarchie.
C'est dans un sens tout différent que, de nos jours,
on entend la démocratie. Tandis que la pratique du
commerce, la richesse, la civilisation urbaine inspi-
raient naturellement aux Grecs le mépris du travail
manuel, de l'artisan el du paysan, l'Évangile et
l'Eglise en ont prêché el inculqué le respect, au nom
de la fraternité humaine en Dieu el de la loi morale
du travail. I races du Nord et du Centre de l'Eu-
rope étaient d'ailleurs mieux prèles que les races mé-
diterranéenm ndre cet enseignement : l'amol
lissante douceur de vivre énerve souvent ces dernières.
par i i i soleil el les dons spontanés du
sol; mais, au contraire, les climats froids et tempérés,
les terrains pauvres, la productivité plus incertaine de
l Europe centrale ou septentrionale enseignent rigou-
reusement la ni ci ssité el le prix du travail, Suréli
par le christianisme, ces influences du lieu et du mé-
tier ont déshabitué l'Européen moderne de regarder
l'ouvrier comme moins homme, d'abord, et ensuite
ins ciloven que le bourgeois ou le noble. C'est du
peuple en totalité, que l'on parle depuis longtemps en
France, quand on dit le peuple, au point de vue poli-
tique. Au\ Etats-Généraux de 1483-1484, Philippe Pot,
représentant de la noblesse de Bourgogne, disait :
i u état ou m -'M ■ i nement quelconque est la chose
publique, . publique est la chose du peuple;
quand je dû le peuple, j'entends parler de la coUec-
■ ii de la totalité de* citoyen», el dam cette tota-
lité, sont compris lei prina du m. eux-mêmes
comme chefi de la nobli I ueil des andot
loi» i ! si, cité pai le i; P Maumos, / 1
et la i ne, p. 901 .
Tel in- iiniii. entendu, lorsque, di
nos jour-, on définit la démocratie par l'accession du
peupli ii ainsi le pensent lea ph
qui ib Uni D M Goblol I
laire 'philosophique, Paris, 1901, démocratie veut dire :
« État social où le pouvoir politique est exercé par le
corps social tout entier, sans distinction de caste ni de
classe. » Les politiques en tombent d'accord. M. Charles
Benoist disait à la Chambre des députés, le 6 mars 1908 :
« La démocratie, c'est le gouvernement du peuple par
le peuple et non pas le gouvernement d'une partie du
peuple par une autre. » Cf. Fonsegrive,La crise sociale,
p. 438, 440.
Tel est le sens actuel du mot démocratie; mais
l'idée qu'il éveille chez nous correspond -elle aussi
bien à quelque chose de réel? Des théologiens et des
philosophes, comme le cardinal Zigliara, Sitmma phi-
losophica, t. ni, De auctoritate sociali, S 7; des poli-
tiques, comme M. de Lamarzelle, relèvent une « fla-
grante contradiction » entre les nécessités réelles du
gouvernement et la notion de peuple gouvernant : le
commandement et l'obéissance, l'action subie et l'action
exercée ne peuvent se trouver dans le même sujet. Il
faut qu'à la masse dirigée, une organisation des diri-
geants se superpose, sous peine d'anarchie. De Lamar-
zelle, Démocratie politique, démocratie sociale, dé-
mocratie chrétienne, Paris, s. d., p. 2, 3. Visiblement
impressionné par des vues du même ordre, M. G. Cle-
menceau regarde le peuple comme une « masse flot-
tante », qui ne se mène pas, mais qu'on mène : « En
réalité, ce qu'on entend par démocratie dans le lan-
gage courant, c'est l'accroissement fatal, profitable,
mais incohérent des minorités gouvernantes. » Le
Grand Pan, p. 316, 317.
Il y a une part de vérité dans ces considérations,
mais aussi une part d'erreur. Elles sont trop générales,
trop absolues, pour s'appliquer exactement à tous les
modes possibles de gouvernement direct ou indirect
par le peuple; aussi, nous ne signalons ici de telles
appréciations que pour rappeler le danger particulier
des généralités oratoires ou dialectiques, dans une
matière aussi complexe et aussi variable que la vie
sociale. L'observation des types concrets de gouverne-
ment qualifiés démocratie nous dira seule dans quelle
mesure la multitude arrive ou non à se gouverner elle-
ni' nie. La connaissance réelle et scientifique de la
démocratie est à ce prix.
1" cas : le gouvernement direct par le peuple en
assemblée générale. — Ce type se réalise tout prés de
nous, depuis bien des siècles, dans un certain nombre
de cantons suisses. « D'après la constitution d'Appen-
zel (Rhodes intérieures), qui se retrouve, à peu de
chose près, dans les cantons de Rhodes extérieures.
de (llaris, d'Uri, des deux l'nlerualden, le pouvoir
souverain — sous réserve des droits de l'assemblée
fi di raie — est exercé par les citoyens du canton réunis
en assemblée générale : Landsgemeinde. Un Grand
Conseil, élu par la Landsgemeinde, est chargé de
préparer les lois. Le pouvoir exécutif est confié à un
Coneeil d'État, nommé par l'assemblée; le Landam-
man, qui fait partie de ce Conseil, est le chef (lu pou-
"ii exécutif. La puissance souveraine repose donc
essentiellement dans le peuple. Il se donne sa consti-
tution, vole ses lois, nomme ses autorités, ses fonc-
tionnaire Il approuve ou censuri
comptes de l'administration financière. Roberl Pinot,
La démocratie actuelle en Suisse, dans La teience
s, nulle, Paris, 1891, t. u, p, 184, 186. Voici donc le
gouvernement du peuple par lui-même I dans le
di lois que lin pi éparenl des manda-
particuliers; S dans le contrôle financier de
i . .'! •■ dans leur nominale n I dl IOU1 '-
raineté s'accomplissent collectivement, à la majorité
d ix, a intervalles périodiques Dana le train quo-
tidien de la vie. chacun retourna i ses affain
devient simple citoyen, pour obéir ans magisti
loi \. u • oe trouvons là
275
DEMOCRATIE
276
aucune trace de « la llagrante contradiction d alléguée
tout à l'heure : les citoyens ne sont pas gouvernants et
gouvernés dans le même instant, sous le même rap-
port, pour le même objet. Von llertling, Démocratie,
dans Slaatslexicon, 2e édit. , Fribourg-cn-Brisgau, l'.IOI ,
col. 1335-1338.
Mais aussi bien, ce gouvernement direct par le
peuple ne saurait être qu'intermittent; chacun se doit
à son gagne-pain, à sa famille, à ses intérêts dans la
vie quotidienne. Nécessairement, l'exécution quoti-
dienne des lois, l'administration des personnes et des
deniers publics, la préparation des textes législatifs, la
police, réclament des fonctionnaires, des spécialistes,
des magistrats. La masse du peuple doit s'en remettre
de ces soins et de ces charges à une minorité diri-
geante. Mais il la nomme et il la contrôle en assemblée
générale : il retient donc son éminente souveraineté,
bien qu'il transfère diverses juridictions qu'il ne sau-
rait exercer. Ainsi, le gouvernement du peuple par le
peuple existe; et il mélange aussi bien l'exercice di-
rect du pouvoir par la multitude et son investiture à
des autorités.
Mais il y faut des conditions particulières : 1° un
étroit territoire et une population peu nombreuse,
afin que la totalité des citoyens puisse aisément se
transporter à l'assemblée générale, et y entendre les
rapports, les propositions, et y compter ses votes. Ro-
bert Pinot, loc. cit., p. 187. 2° Il faut aussi régale pos-
sibilité pour les citoyens de se prononcer en connais-
sance de cause sur les candidats, les projets de loi et
les comptes. Cette possibilité n'existe que dans un état
social peu compliqué, pour des affaires simples. Voilà
pourquoi la démocratie directe est de temps immé-
morial le régime de cantons forestiers, pastoraux,
dont les vallées renferment peu d'industrie, pas de
grand commerce, avec une population de paysans sen-
siblement égaux entre eux. Les intérêts cantonaux ne
sont en réalité que des intérêts intercommunaux.
Dans ces milieux, « la démocratie surgit de la nature
de l'homme et des choses. » Le Play, La réforme
sociale en France, Tours, 1887, t. m. p. 308. 3" La
démocratie directe exige enfin chez ses participants un
sérieux amour du bien commun, s'inspirant de la jus-
tice, de la fraternité et du goût de la paix. « Elle fait
naître toujours la prospérité, si le peuple, soumis à
la loi de Dieu, s'accorde à conférer le pouvoir aux
autorités naturelles, » c'est-à-dire aux plus capables et
aux plus dignes. Le Play, loc. cit. Et aussi bien les
montagnards suisses sont-ils profondément honnêtes
et sauvegardés dans leur honnêteté par une religion
convaincue et grave. Robert Pinot, loc. cil.
Ainsi, le gouvernement direct du peuple par le
peuple se réalise dans les petits États de vie simple, de
médiocres affaires et de haute moralité. Il s'adjoint
aussi bien une minorité de délégués ou de manda-
taires.
2e cas. — L'adjonction de cette minorité devient plus
nécessaire encore, et sa fonction plus considérable, dès
que la population devient plus dense, avec une vie plus
compliquée, dans un pays devenu plus riche, par la
culture, l'industrie et le commerce. Des intérêts plus
nombreux et plus délicats sont à ménager, à promou-
voir, à défendre; et leur discussion technique ou pru-
dentielle dépasse les loisirs comme les capacités de la
masse. Elle ne les connaît plus par elle-même que
très en gros. C'est par l'effet de ces causes, que, dans
les cantons de Berne, Fribourg, Râle, Genève, Zurich,
des représentants assemblés se substituent à l'assem-
blée générale. A Berne, le pouvoir législatif en entier
appartient à un Grand Conseil, pour qualreans aussi,
et que préside un magistrat annuel. Mais cette part
faite à la nécessité de spécialistes gouvernants, le
peuple garde le contrôle des lois par voie de référen-
dum : c'est le vote suprême sur leur rejet ou leur
adoption. Grâce à la clause, introduite dans toutes les
constitutions cantonales ou fédérali s. le peuple suisse
conserve le droit d'annuler purement et simplement
les lois de ses représentants qui ne lui plaisent pas.
Robert Pinot, loc. cit., p. 191 sq. Ces modifications
nouvelles du régime démocratique nous permettent de
distinguer un 2e cas : le gouvernement direct fait
place à un gouvernement représentatif, dont le peuple
retient le contrôle effectif par la clause de référendum.
(Ne pas confondre celui-ci avec le plébiscite : le plé-
biscite porte sur un homme, et non sur une loi; le
plébiscite peut servir à se donner un César, mais le
référendum demeure essentiellement un moyen de
contrôle populaire.)
3e cas. — Puisque ce sont l'intensité du travail, l'ac-
croissement de la richesse, la complexité' des in! •
qui déterminent les institutions représentatives, nous
verrons les minorités gouvernantes de députés, de fonc-
tionnaires, de citoyens inlluents s'accroître considéra-
blement dans les grands pays riches. Tout ce que le
peuple y peut retenir, dans les affaires générales de la
province ou de la nation, c'est le contrôle légal par voie
de référendum, ou bien encore l'inlluence positive,
comme celle que les Trade-Vniuns exercent en Angle-
terre sur la législation et dans le parlement, par la
puissance combinée du nombre, de la compétence, et
de l'action disciplinée. Ainsi, les grands États démo-
cratiques ou qui vont se démocratisant, réalisent un
3e cas de gouvernement par le peuple : indirect et re-
présentatif, pour l'ordinaire, avec moyens légaux et
reconnus d'action populaire. Le mouvement trade-
unioniste aux États-Unis, Circulaire du Musée social,
n. 10, série B, 29 juin 1897; Le Cour-Grandrnaison.
Le passé et l'avenir des Trade-Unions.
4* cas. — Enfin, dans tout état social et politique,
compliqué ou simple, monarchique, aristocratique ou
républicain, le gouvernement du peuple par le peuple
se réalise aisément, utilement, pour les affaires inté-
rieures des communes rurales. C'est un cas analogue à
celui des cantons suisses forestiers et pastoraux. Partout,
excepté en France, les paroisses et les communes for-
ment des démocraties indépendantes. Le Play. La ré-
forme sociale en France, t. m, p. 309, 310. La commune
russe, ou le mit'. Tikhomirov, La Russie politique et
sociale, p. 113, 116; Stepniak, La Russie sous les tsars,
p. 6; A. Leroy-Beaulieu. L'empire des Tsars et les
Russes, 2e édit., Paris, 1883, t. i, p. 476 sq. La commune
rurale suisse (Jura Rernois). R. Pinot. Monographie
du Jura bernois, dans La science sociale, 1887. t. m,
p. 619 sq. — Allemagne (Lunebourg). E. Demolins, Le
Rauer du Lunebourg, ibid., 1887, t. III, p. 585, 593. —
Angleterre, Le Play, Constitution de l'Angleterre, t. n.
c. ni ; La réforme sociale en France, t. Il, c. i.v. î.vi;
cf. lti; c. Routmy. Le développement et la constitution
de la société politique en Angleterre; Edward Jenks,
Esquisse du gouvernement local en Angleterre, Paris,
1902. — Norvège. Paul Bureau, Le paysan des fjords
de Norvège, dans La science sociale, 2» période,
2P fascicule, p. 208. 211.
Ces espèces variées de communes rurales présentent
les caractères génériques suivants : 1° souveraineté de
l'assemblée générale des habitants qui paient les
taxes; 2» nomination et contrôle dos agents communaux
par l'assemblée; 3° extension des pouvoirs de l'assem-
blée ou de ses mandataires aux intérêts locaux et soli-
daires des familles domiciliées : chemins communaux,
police des champs et endroits publics, dépenses du
culte et de l'instruction primaire, assistance des indi-
gents de la commune. Aucun de ces besoins ne dépasse
la compétence qu'un paysan peut acquérir par la pra-
tique journalière de son travail, de sa vie domestique
et de ses relations avec ses voisins. Immédiatement
277
DÉMOCRATIE
278
intéressé à ce que les frais de ces divers services ne le
surchargent pas, voyant de ses yeux ce qu'on lui donne
pour son argent, il sera un émérite contrôleur de ses
mandataires et de son budget, et le plus économique :
il les surveille gratuitement pour des motifs de bien
propre. E. Guerrin, Les faux remèdes au mal social,
dans La science sociale, 1887, t. m, p. 362. On re-
trouve ainsi la démocratie directe, assistée de manda-
taires élus, responsables et contrôlés, dans l'adminis-
tration des communes rurales comme dans le
gouvernement des petits Etats où la vie est simple.
On constate en même temps le développement de la
démocratie représentative, avec des mandataires élus,
qui gouvernent eux-mêmes, plus ou moins contrôlés,
à mesure que les Etats se compliquent par l'accroisse-
ment de la population, de la richesse et des groupe-
ments ou classes distinctes. En ce dernier cas, l'influence
quotidienne des minorités au pouvoir, de l'administra-
tion, des partis, peut arriver à supprimer dans la pra-
tique le contrôle du peuple, si les moyens légaux lui
sont refusés à cet égard et si sa formation dans la
famille, dans la commune, dans les associations pro-
fessionnelles, ne l'exerce pas au contrôle de soi-même
et de ses affaires. C'estdire que l'expression démocratie
représentative exigerait encore bien des observations
spéciales pour arriver à sa dernière précision.
L'on voit par là qu'il faut prendre l'expression «gou-
vernement du peuple par le peuple » comme la for-
mule très générale, très inadéquate, d'un ensemble de
faits, diversifiés largement par espèces et variétés. Cette
formule ne suffit que pour tracer une démarcation
sommaire entre aristocratie, monarchie et démocratie.
Mais une notion précise, complète, scientifique de ce
dernier régime ne peut s'acquérir que par l'analyse
des types de sociétés et de gouvernements où, dans le
concret, une commune, un canton souverain, un grand
Etat se gouverne. Au prix seulement de ces observa-
lions particularisées, on évitera ce que Le Play nom-
mait « l'abus des mots » et « une phraséologie abru-
lissante . Malheureusement beaucoup de lettrés, de
journalistes, de politiciens en donnèrent ou en donnent
l'exemple, avec tant d'expressions d'un sens très res-
pectable, mais 'employées ^ms discernement et sans
précision! Démocratie est du nombre, avec liberté,
-.esprit moderne, science moderne, civi-
lisation, l.n réforme sociale en France, t. m, p. 306.
Cf. L'organisatiou du travail, g 56-60.
2° Le second sens du terme démocratie dérive du
premier. Qu'un peuple vive en république ou en mo-
aarchie, du moment qu'il admet le suffrage universel,
le peuple v participe au pouvoir. Dans un royaume ou
«fuis mi empire, un élément de démocratie politique
s'introduit alors au milieu de la constitution. Son
avéne ni noie en quel, pic sorte la minorité dei
teurs censitaires, capacitaires ou privilégiés dans une
masse bien plus considérable d'ouvriers ou de pay-
sans en 1848, le suffrage universel ajouta pn
huit millions d'électeurs ouvriers et paysans aux deux
cenl mille censitaires de Louis-Philippe. Cel a
ment politique, d'une part, et, de l'autre, les souffrant i
iquées dans la classe ouvrière par le- transforma-
tions de l'industrie, popularisèrent l'idée de gowx
■ ou profit du peuple, nier terme employé
dans le sens particulier de la classe ou i
m pouvoir par ton droit de suffragi . cette
mullitud pi ■ ! .
lus el •• la preste. L ancienne législatiot
difla Paul Bureau, Le contrai de travail, Paris, 1902,
ji. 209, Jll.cii. Benoist, L'organisation du ira
1905, p. !», lu \ l'avén< ment politique de la di
ratie, un mouvement d'opinion s'ensuit, qui ré-
clame, étudie et provoque d
loi nouvelle sur les lyndl
assurances obligatoires contre les risques professionnels
et accidents du travail, inspection des ateliers, lois sur
l'hygiène des locaux et des habitations. A raison de
l'inspirateur et du bénéficiaire de ce mouvement, qui
est le peuple, classe ouvrière, tout ce mouvement social
se qualifie démocratique. Dans ce nouveau sens, démo-
cratie représente une fin spéciale de l'initiative privée
et de l'action gouvernementale. Au lieu de désigner
un régime politique, ainsi que le veulent son étymologie
et son sens propre, il s'étend par analogie à un mou-
vement social en faveur de la classe ouvrière. Ce
n'est plus S/jiAoy.paT'a, ce serait plutôt £r,(jLo;pi);a. Tel
est le sens où nous disons : des mesures démocratiques,
des lois démocratiques; nous voulons dire : amies du
peuple-ouvrier. Ce sens nouveau est devenu classique
chez tous ceux qui s'intéressent au bien particulier
des travailleurs manuels, soit de la campagne soit des
villes. Fonsegrive, La crise sociale, p. 438, 440;
Ch. Antoine, Cours d'économie sociale, p. 248. Nous
verrons tout à l'heure comment Léon XIII s'achemina
vers ce sens nouveau dans l'encyclique Berum nova-
rum et le consacra définitivement à un usage chrétien
dans l'encyclique Graves de communi.
II. La compétenxe des théologiens au sujet de la
démocratie. — Les analyses de termes et de faits qui
précèdent nous montrent la démocratie, régime poli-
tique, et la démocratie, mouvement social, comme deux
faits naturels, qui relèvent de causes familiales, pro-
fessionnelles, économiques, communales, gouverne-
mentales, et qui se subordonnent essentiellement aux
fins de la vie présente. C'est pourquoi la démocratie est
étrangère de soi à l'objet propre du théologien, qui
est le surnaturel et la fin dernière.
Un seul ordre de faits sociaux relève directement par
soi de la théologie : les faits constitutifs de l'Église; et
aussi bien, appartiennent-ils au dépôt de la révélation.
C'est la Jérusalem nouvelle, dont le plan, même sur
terre, est descendu de Dieu, tracé dans ses grandes
lignes par Jésus-Christ et par ses apôtres.
En revanche, nous constatons l'absence de tout en-
seignement révélé sur la démocratie dans l'Ecriture et
dans la tradition. Et c'est pourquoi il n'en est pas
question au cours du développement dogmatique réalisé
par les l'eres.
Mais, à partir des scolastiques, la démocratie devient,
au contraire, un objet d'étude qui retiendra l'attention
îles maîtres. Au xixe siècle, des papes. Pie IX et
Léon XIII. lui donneront une place croissante dans les
enseignements pontificaux. Voilà un double fait doc-
trinal, un double fait catholique, en face duquel on se
demande ;i quel titre les papes et les docteurs croient
devoir s'occuper de la démocratie.
Un régime politique, un mouvement social, ne se
propage ou ne s'exerce pas, sans engager du droit ou
île l.i violence, de la justice ou de l'injustice; sans -.,
trouver non plus en sympathie ou en conflit avec les
droits sociaux de l'Église. Ainsi, par des répercussi
morales ou religieuses, la démocratie intéresse l'Église
■ i tes théologiens. Telle est du moins la conclusion
■ ie i ili que nous suggère l'observation Bommaire di -
Faits, tassi, devons-nous aller plus loin. Pour chacun
des pontil docteurs qui se sont occupés de la
démocratie, nous aurons ■< spécifier dans quelle situa-
tion sociale, de -a personne, de sa fonction, de SOH
milieu civil ou religieux, il dut ou non intervenir à
pi opos de démocratie.
On ni trou era pas, néanmoins, dans cet article, des
■ • ii eignements techniqui el spéciaux sur les Instilu-
tions et mouvements démocratiques, sinon dans lu
mesure où leur intelligence esl ne\ expliquer
1rs doctrines catholiques, Nous ne di nous
i ni dans l1' domaine réseï i é de I poli-
lique et sociale; mais cependant n Ii ons sufflsam
279
DÉMOCKATIE
280
ment y pénétrer, l'n principe de méthode, un devoir
professionnel de théologien nous commande cette
extension de compétence, afin de juger intelligemment
et en équité, au point de vue chrétien, la démocratie.
La probité de l'étude et la prudence du conseil l'exigent
également d'un spécialiste de la inorale; en s'occupant.
à de telles lins, de faits apparemment profanes et tem-
porels, le théologien ne sort pas plus de sa compétence
dans les choses divines et de sa mission d'enseignement
religieux, que saint Thomas n'en sort en étudiant à fond
la théorie métaphysique de la nature et de la personne
pour son traité de l'incarnation. Notre-Seigneur Jésus-
Christ se continue moralement et socialement dans
l'Église enseignante, étudiante et enseignée; et -si,
pour satisfaire à leurs diverses fonctions, les pouvoirs
enseignants, les puhlicistes enseignés abordent le pro-
blème moral de la démocratie et de ses rapports avec
la vie catholique, ils demeurent aussi bien en commu-
nion avec Jésus-Christ dans la pensée de son Église.
S'ils quittent en apparence Jésus-Christ, pour s'occuper
de démocratie communale ou de lois ouvrières, c'est afin
de propager l'esprit de son Évangile dans ce que ces
institutions doivent renfermer de juste et de fraternel.
On aurait tort, ici, de reprocher au théologien quelque
inutile complication de son caractère : il ne fait que
son devoir dans les limites de sa compétence; car
celle-ci doit annexer des renseignements de fait, histo-
riques et sociaux, aux principes de foi révélée et de
morale naturelle dont l'Église est dépositaire.
Un lieu théologique de la plus haute valeur, un en-
seignement pontifical réitéré et approfondi, nous cer-
tifie la pensée de l'Église, à propos de cette compétence.
Dans sa Lettre au ministre général des frères mineurs,
Léon XIII écrivait, le 25 novembre 1898 : « Plus que
jamais c'est sur le peuple que repose en grande partie
le salut des États. Aussi, étudier de prés la multitude,
qui si souvent est en proie, non seulement à la pau-
vreté et aux durs labeurs, mais encore à toutes sortes
de pièges et de dangers ; l'aider avec amour d'enseigne-
ments, de conseils et de consolations, tel est le devoir
des prêtres séculiers et des réguliers. Nous même, si
nous avons adressé aux évêques nos encycliques sur
la franc-maçonnerie, sur la condition des ouvriers,
sur les principaux devoirs des citoyens chrétiens, et
autres du même genre, c'est surtout dans l'intérêt du
peuple, afin qu'elles lui apprissent à délimiter ses
droits et ses devoirs, à .se diriger lui-même, à tra-
vailler comme il convient à son propre salut. » On
remarquera, dans ces dernières lignes, que Léon XIII
ne voit aucune contradiction, pas même d'impossibilité
pratique, dans l'idée d'un peuple qui se dirige lui-
même, exactement conscient de ses droits et de
ses devoirs. Et c'est la classe ouvrière qu'il vise
directement.
III. Saint Thomas d'Aquin : la théorie morale de
la démocratie au xme siècle. — /. les documents. —
1° Le Commentaire sur la Politique d' Aristote. —
De nombreuses leçons concernent la démocratie dans
les huit livres de commentaires édités sous le nom de
saint Thomas. Mais ce n'est pas là qu'on peut absolu-
ment reconnaître sa pensée personnelle. D'abord, il ne
poursuivit lui-même la rédaction de cet ouvrage que
jusqu'à la fin de la leçon vie du 1. III. Le reste est
l'œuvre de Pierre d'Auvergne, un disciple fidèle, en
qui, assurément, se retrouvent l'esprit et la méthode
du maître, mais dont le texte, néanmoins, ne saurait
engager l'opinion personnelle de saint Thomas. De
Rulieis, Dissertationes rriticœ in S. Thomam,
diss. XXII, c. m, § 2. De plus, c'est seulement à partir
de la leçon vr5 au 1. III, que saint Thomas commente
la division classique des trois formes de gouvernement.
La plus grande partie de ses commentaires personnels
sur le régime démocratique nous manque ainsi ; car
Aristote en parle surtout dans les chapitres ou livres
suivants.
Du moins, possédons-nous la leçon vr. et dans le I. IIe
de précieuses observations sur la démocratie, à propos
des constitutions de la Crète, de Carthage et de Lacédé-
inone. Lect. xiii-xvi. Mais, on ne saurait oublier que
l'originalité de saint Thomas, commentateur d'Aristote,
consiste précisément à s'eflacer en entier, pour établir
une exégèse littérale du Philosophe, aussi objective que
possible, sans trace de vues à soi, d'approbations ni
d'improbations. Toute sa visée est de réagir contre
l'exégèse sollicitante qu'il a blâmée chez Averroès et
qu'il combat chez les disciples de Siger de lirabant.
Mandonnet, Aristote et le mouvement intellectuel du
moyen âge, Fribourg, 1899, p. 40. A raison de cette
méthode particulière, deux conditions s'imposent dans
l'usage des Commentaires sur la Politique, si l'on veut
y retrouver les idées personnelles de saint Thomas :
1° il faut que les doctrines formulées dans le Commen-
taire se retrouvent explicitement dans quelque ouvrage
où saint Thomas parle en son nom personnel ; ou bien :
2° que les doctrines du Commentaire se reconnaissent
incluses dans les siennes propres, par voie de causalité
ou de conséquence.
2° C'est dans la Somme théologique, que l'enseigne-
ment de saint Thomas sur la démocratie se formule
surtout, sous forme d'une théorie générale des élé-
ments démocratiques dans une constitution parfaite.
Ia II», q. cv, a. 1. Divers autres passages de la Somme
doivent èlre aussi consultés : Ia II», q. xcv, a. i; q. xc.
a. 3; IIa II', q. i xi, a. 2.
3°. On ne doit pas oublier l'important opuscule De
regimine principum. C'est un cours de morale à
l'usage des rois, dédié à celui de Chypre, Hugues II ou
III de Lusignan. Malheureusement, de ses quatre livres
saint Thomas ne rédigea lui-même que le Ier et le IIe
jusqu'à la moitié du c. iv, opporlunum est igitur. De
Rubeis, Dissertationes, diss. XXII, c. I. S 3. Le reste
est de Tbolomée de Lucques, un disciple, dont le
travail constitue un document ancien et curieux de la
sociologie dans l'école thomiste. Quant aux chapitres
écrits par saint Thomas lui-même, la méthode compa-
rative qu'il affectionne lui fournit l'occasion d'intéres-
sants parallèles où figure la démocratie. Pas plus que
dans la Somme, d'ailleurs, il ne s'arrête à l'étudier
pour elle-même et à fond.
//. SIMPLE DÉTAIL DA.YS UNE ŒUVRE ENCYCLOPÉ-
DIQUE. — Elle vient au contraire comme un simple
détail, dans une vaste encyclopédie théologique, où de
nombreuses questions morales sont abordées. A propos
des divers états de la vie chrétienne, l'obligation du
travail manuel est démontrée, II' II', q. eixxxvn, a. 3;
à propos de vol et de rapine, les fondements du droit
de propriété sont établis, IIa II'. q. i.xvi. a. 1, et le
droit particulier à la propriété individuelle est justifié
parallèlement au régime de la communauté, a. 2. Dans
le traité de la foi, à propos de l'infidelitas ou incroyance
des non-baptisés. les problèmes des relations civiles
avec les Juifs ou les infidèles, des mesures coërcitives
ou défensives contre eux. des droits de souveraineté ou
de patronat qu'ils peuvent avoir sur les chrétiens, de la
tolérance de leurs rites en pays catholique, du non-
baptême de leurs enfants malgré eux. sont discutes et
résolus. Il» II*, q. x. a. 8-12. Dans le traité de la
charité, les problèmes de la guerre étrangère et
de la révolte civile sont également examines. Il* II*,
q. xl. xlii. Une morale sociale lies achevée, sensiblement
au point de l'époque et du milieu, pourrait s'extraire de
la Somme, ainsi que du Commentai re sur les IV livres
des Sentences, où, à propos du mariage, il est longue-
ment traité de la famille et de l'éducation. Telle est le
vaste ensemble doctrinal, où, en son lieu, le problème
de la démocratie nous apparaît amené. De sobres déve-
281
DÉMOCRATIE
282
loppements, très généraux, mais substantiels, attestent
pour lui, comme pour les autres, la double préoccupa-
tion d'être complet et d'être rapide dans un travail
avant tout synthétique. 11 fallait, en effet, que la pensée
des théologiens eût déjà fait comme le tour du monde
moral et de la société humaine, pour s'arrêter à tous
ces éléments divers de la vie collective. Les Pères,
spécialisés rplutôt dans les questions particulières qui
se soulevaient tour à tour sur la trinité, l'incarnation,
la rédemption ou la grâce, ne pensaient pas encore à
ces grandes projections des principes moraux sur les
détails de la vie sociale; ou du moins, s'ils y pensaient
pratiquement, comme évêques ou comme homélistes,
prêchant sur la propriété, l'esclavage ou le mariage, ils
ne vivaient pas encore dans le milieu spéculatif des
universités et des Sommes.
///. COMPARAISON DE LA DÉMOCRATIE AVEC LES
AUTRES RÉGIMES. — C'est en savant que saint Thomas
aborde cette délicate comparaison, avec une impartia-
lité tranquille, aussi libre de toute passion, que s'il
s'agissait de la matière ou des figures du syllogisme. La
supériorité du régime monarchique et de son principe
à l'état pur, lui apparaît dans l'unité de direction qu'il
impose à la société : elle lui est naturelle, tandis que
dans les régimes polyarchiques, elle s'opère laborieuse-
ment, et plus laborieusement dans la démocratie que
dans l'aristocratie. A ce point de vue de l'unité, saint
Thomas regarde donc la démocratie comme le plus
imparfait des régimes. De reg. princip., 1. I, c. n. Il est
pour le moins un par essence. Cf. la, q. cm, a. 3;
II» II", q. i., a. 1, ad 2"IM; Conl. gent., 1. I, c. xi.ii.
Mais au point de vue des abus possibles dans chaque
forme de gouvernement, « la royauté n'est la meilleure
de toutes que si elle n'est point corrompue; or, en
vertu de la grande puissance qui est accordée au roi,
aisément la royauté dégénère en tyrannie, à moins que
le potentat ne soit doué d'une parfaite vertu... Mais la
parfaite vertu se trouve en bien peu d'hommes. » Com-
ment, in libros Elhicorum, 1. X, lect. vin ; Sum. theol.,
la II", q. CV, a. 1, ad 2"m. Et c'est pourquoi saint Tho-
mas préfère une monarchie où des pouvoirs appropriés
tempèrent celui du roi. De reg. princip., I. I, c. VI.
C'est que la tyrannie d'un seul est le pire des mauvais
régimes : » Sou-- un régime injuste, plus il y a d'unité
dans le pouvoir, plus le pouvoir est malfaisant. La
tyrannie est donc plus dangereuse qu'une aristocratie
corrompue, ou oligarchie, et celle-ci, plus danger
que la démocratie. De tous les mauvais régimi
démagogie est le plus supportable, et la tyrannie, le
plus nuisible, i Ibid., I. I, c. m. Dana une démagogie,
an moins, si la multitude pauvre opprime les riches par
la force du nombre, du moins vise-t-elle au bien d'un
plus grand nombre, tandis que dans une oligarchie,
le bien d'une minorité, el dans une tyrannie, le
bien d'un Beul qui prime tout. Ibid. Cf. c. vin.
Malgré leur infériorité à promouvoir l'union, nne
aristocratie ou une démocratie intéressent davantage
1rs citoyem au biet mun : ■• Il arrive souvent que
1rs hommes vivant sous la domination d'un ■-< •■ travail-
lent peu pour le bien commun, persuadés d'avance qui
tout ce qu'ils feraient dans l'intérêt général ne leur
il point rapporté el tournerait i l'honneur de i • lui
qui a le monopole di ci I inti n i Mais, quand on voit
le bien commun ne pas dépendre d'un seul, chacun
plique à le promouvoir, non pis comn
le bien d'un autre, mais com le sien propre. \u si
a pu con - i [mentalement qu'une ville
i ils dont l'autoi ité
qu'annuelle, i -' parfois plus poissante qu un roi en
De plus, de faibli
charf par di rois sont suppôt
beaucoup plu d in patii ai i que di chargi plu li
imposées par la co unauti d on l'avait
déjà remarqué au temps de la République romaine. »
De reg. princip., 1. I, c. ni. Cf. Crahay, La politique
de saint Thomas d'Aquin, Louvain, 1896; R. P. Mon-
tagne, 0. P., La pensée de saint Thomas sur les
diverses formes de gouvernement, dans la Revue tho-
miste, janvier et juillet 1901 ; janvier et juillet 1902.
Ce n'est donc pas un partisan Ae tel ou tel régime, que
nous rencontrons chez saint Thomas, mais un critique
impartial des avantages et des inconvénients inhérents
au principe ou à l'abus de chacun. Cette liberté d'esprit
explique bien la préférence finale du moraliste pour un
régime tempéré, où les trois formes de gouvernement
interviendraient chacune dans une certaine mesure :
est eliam aliquod regimen ex istis commixlum, quod
est optimum. Sum. theol., Ia II", q. xcv.a. 4.
IV. LES ÉLÉMENTS DÉMOCRATIQUES HIC LA CONSTITU-
TION parfaite. — Sum. theol., Ia H», q. CV, a. 1.
« Relativement à la bonne ordonnance des pouvoirs
dans une cité ou une nation, deux choses sont à consi-
dérer : 1° Que tous aient quelque part dans le gouver-
nement. Par là se conserve la paix du peuple : tout le
monde aime et soutient l'ordre ainsi établi, comme le
dit Aristote, Politique, 1. II, c. VI, § 15. — 2° Il faut consi-
dérer de quelle espèce est le régime existant, la hiérar-
chie des pouvoirs. Il s'en rencontre de plusieurs sortes;
mais comme le dit Aristote, Politique, 1. III, c. v, § 2,
4, les principales sont : 1° la royauté, gouvernement
d'un seul, conformément à la vertu ; 2" l'aristocratie,
gouvernement des meilleurs, confié à un petit nombre
pour l'exercer d'après lu vertu. Par suite, la meilleure
constitution dans une cité ou dans un royaume existe,
là où un seul est promu selon la vertu, pour qu'il
préside à tous, en même temps que, sous lui, d'autres
gouvernent selon la vertu. Et aussi bien, ce gouver-
nement appartient à tous, parce que tous peuvent être
élus aux charges d'après le suffrage de tous. Telle
estla meilleure constitution : bien composée de royauté,
en tant qu'un seul préside; d'aristocratie, en tant
que beaucoup gouvernent selon la vertu; enfin de
démocratie, en tant que les gouvernants peuvent être
choisis parmi le populaire et qu'au peuple appartient
l'élection des gouvernants. »
Ce plan de constitution fait une large part aux élé-
ments démocratiques : 1° par le principe du suffrage
universel; 2° par le principe des charges électives, y
compris la suprême. Saint Thomas dissocie donc là le
principe monarchique du principe dynastique : le prin-
cipe monarchique est sauf pour lui, du moment que
représenté par un individu qui gouverne vraiment en
chef, bien qu'assisté de conseils et contrôlé. Ce n'est
plus le monarque absolu, seul détenteur de tous les
pouvoirs; ni le monarque constitutionnel ou le prési-
dent électif, simples chefs de l'exécutif, avec un parle-
ment souverain. On laisserait la pensée de saint Tho-
mas, en voulant la réduire à l'échelle et au type de nos
régimes modernes; il faut la voir dans sa réalité ori-
ginale, en dehors de nos classements actuels. S'il regarde
un monarque comme l'un des éléments nécessaires di
ii parfaite constitution, c'est un monarque électif,
entouré de conseillers el d'agents élus, el sorti comme
eux tous du suffrage univei sel L'i lite gouvernante et le
chef suprême sont d'oi igim i I de facture démocratique.
v. ils RAPPORTS hi CETTE TBÉORU AVBl il: Vlini
ISTBl POLITIQUE, lui n.l II \ m \l\ \n BAIN!
TBOMA8. -- l" l.e milieu intellectuel de sainl Thomas
le mettait en contact intime, prolon un Aristote
étudié critiquement. Mandonnet, \ristoteel le mouve-
ment intellectuel du moyen âge, p 63,05 aussi, ipn
son long et méritoire effort d'abnégation personnelle
.i oi i analyse et dans i i la Politique, uni
inche en véritable philosophe, dans une
' lui qu'il opère
la Métaphysique du Stagyrite, lia trouvé cl
283
DÉMOCRATIE
284
dernier une conception de la société politique essen-
tiellement modelée sur la cité grecque, celle-ci érigée
en idéal humain, avec la naiion, société pour barbares,
comme son repoussoir, de nature étrangère et de qua-
lité inférieure. Politique, 1. I, c. i, iv (alias vin. Pour
saint Thomas, au contraire, la cité ne constitue qu'une
variété des sociétés politiques, sur le môme rang que la
nation. Sum. Iheol., Ia H*, q. cv, a. 1. L'expression
même de civilas se dépouille de tout sens urbain,
pour désigner en général « la communauté parfaite » ou
société politique. Ibid., q. xc, a. 2, 3, ad 3um. Cf. Poli-
lie, 1. I, lect. i. On se rend compte aisément du genre
d'observations qui provoquaient cet élargissement du
terme civitas et cette rétrogradation de la cité sur le
même rang que la nation. Au lieu de vivre comme
Aristote dans le monde grec, saint Thomas vit dans une
Europe où des nations se constituent. Et puis, dans le
passé, le spectacle de la nation juive l'impressionne
aussi : c'est elle qui lui donne sujet de formuler sa
théorie sur le meilleur gouvernement soit des cités soit
des nations. Sum. Iheol., W IIe, q. cv, a. 1.
L'indépendance de saint Thomas à user d'Aristote
s'affirme encore dans la manière dont il entend la
maxime de ce dernier : « que tous aient une part dans
le gouvernement. » Aristote l'entend de la totalité des
bourgeois à l'aise, non-ouvriers, ni artisans, ni paysans .
Polilic, 1. III, c. m, § 2, 3; 1. IV (ou VII), c. vin, § 2-
Saint Thomas ne pose aucune de ces exclusions : le
populus et les populares représentent pour lui la mul-
titude entière. Sum. iheol., IIa IIœ, q. cv, a. 2. Il insiste
sur le droit de tous comme électeurs et comme éli-
gibles : certaines institutions de Moïse, Deut., 1, 13, 15;
Exod., xviii, 21, lui semblent bien réaliser son type :
principes assumebanlur ex toto populo et etiam popu-
lus eos eligebal. Sum. Iheol., II» II*, q. cv, a. 1. A noter
cependant les privations de droits civiques pour cause
d'âge ou de sexe . Les femmes et les enfants, dit saint
Thomas, sont a demi. citoyens par le droit d'habitat,
mais ne le sont point absolument, puisqu'ils manquent
du droit de suffrage. Ibid., a. 3, ad lum, 2l,m.
En 3e lieu, Aristote considère la cité comme l'œuvre
humaine par excellence; c'est pour lui la meilleure et
la plus divine des fins à laquelle un individu puisse et
doive se subordonner. En conséquence, l'individu lui
appartient comme la partie au tout qui le fait être et
qui lui parachève son bien. Polilic, 1. I, c. i, § 11-13.
« C'est une grave erreur — déclare le Stagyrite — de
croire que chaque citoyen est maître de lui-même : ils
appartiennent tous à la cité, puisqu'ils en sont les élé-
ments, et que les soins donnés aux parties doivent
concorder avec les soins donnés au tout. » L. V (ou VIII),
c. i, § 2. Aussi est-il « de toute évidence » pour Aris-
tote que « la loi doit régler l'éducation et que celle-ci
doit être publique », c'est-à-dire nécessairement une
et uniforme pour tous, comme à Lacédémone. Or,
saint Thomas pense au contraire que l'éducation appar-
tient à la famille, tout aussi bien que l'entretien phy-
sique. Les enfants doivent achever de se faire hommes
dans le milieu familial, sicut in quodam spirituali utero.
C'est de droit naturel. « Il serait contre la justice que,
avant l'âge de raison [où il devient son maître et dispose
de soi], l'enfant fût enlevé aux soins de ses patents ou
bien que l'on ordonnançât à son sujet des mesures con-
traires à ce qu'ils veulent. » Sum. Iheol., 11*11», q. \,
a. 12. Néanmoins, des mesures légales peuvent devenir
justes et nécessaires en matière d'éducation, si le bien
public les requiert : l'enfant est un futur citoyen, que
sa famille prépare à sa vie civique, non moins qu'à sa
vie privée; en ce cas, le législateur agit sur l'éducation
familiale et scolaire, œuvres privées en soi, par le
moyen de ses droits sur leurs agents propres, pour le
bien général de la justice et de la paix. Sum. Iheol.,
I" H'', q. XCVI, a. 3.
Saint Thomas reçoit donc seulement à correction le
principe aristotélicien de la subordination du citoyen à
la cité sous tout rapport, comme la partie au tout. Il le
reçoit, d'une pari, II" II*, q. i.viu, a 5; q. i.xi, a. 1;
q. i.xiv, a. 2, et c'est ce qui lui fait dire que l'homme
tout entier se doit au bien de sa cité ou de son pays
comme à sa lin. II» II», q, i.xv, a. 1. Mais, d'autre part,
son pays ou sa cité lui doit son bien personnel : c'est
la justice distributive déjà si bien décrite par Aristote.
Il» IL, q. i.xi, a. 1-4; Ethic, 1. V. lect. îv sq. Or, te
bien personnel de l'homme inclut deux sortes de
droits dont l'objet constitue, pour saint Thomas, une
fin supérieure aux droits mêmes de l'État : 1" les
droits naturels de la personne humaine, contre les-
quels aucune autorité, paternelle, patronale, royale, ne
peut prescrire, sinon à titre de pénalité, en cas de
fautes extérieures, et selon les limites propres du pou-
voir qui s'exerce. II» II», q, civ, a. 5. Cf. q. i.xiv, a. 2,
3, 5; q. lxv, a. 1, 2. — 2» La cité n'a pas prise non plus
sur les droits religieux et surnaturels du citoyen,
parce que « si le bien de la chose publique est le pre-
mier des biens humains, le bien divin est supérieur à
tout bien humain. » ila II1, q. cxxiv, a. 5. De là, une
conclusion thomiste qui eût fait sursauter le philosophe :
Homo non ordinatur ad communitatem politicam
secundum se lotuni et secundum omnia sua. I* II*,
q. xxi, a. 4, ad 3"m.
Ce respect de la personne et de ses droits naturels
est inconnu des Grecs, de même que la notion de la
personne, confondue implicitemeut avec celle du sin-
gulier et de l'individu. Mais les controverses trini-
taires et christologiques amenèrent les Pères d'abord
et puis les scolastiques à dégager aussi nettement que
possible la notion métaphysique de la personne. Tixe-
ront, Des concepts de nature et de personne dans les
Pères et les écrivains ecclésiastiques des V et VF siècles,
dans la Bévue d'histoire et île littérature religieuses,
1903, p. 582, 592; E. Hugon, 0. P., Les notions de
nature, substance, personne, dans la Bévue thomiste,
1908. p. 753, 769. Bénéficiaire de cette lente élaboration.
saint Thomas reconnaît la personne comme la réalité
la plus parfaite dans toute la nature, puisqu'elle pos-
sède et la nature raisonnable, qui est supérieure a
toute autre, et le mode suprême de l'existence, qui est
d'exister par soi. Sum. Iheol., Ia, q. xxix, a. 3; Quœstio-
nes disputatœ, De polenlia, q. ix, a. 3. Elle possède
la propriété d'agir par soi. conséquemment à son
mode d'existence, De potentiel, q. IX, a. 1, ad 3"n\
conséquemment aussi elle vit pour soi, se gouverne ou
est gouvernée pour soi, c'est-à-dire pour le bien de la
nature qu'elle possède, comme pour sa vraie fin. Cont.
génies, 1. III, c. cxu. De là, le rigoureux devoir qu'a
l'État de procurer à chacun des particuliers, selon sa
nature et son mérite, les avantages du bien commun,
d'après les formes propres à chaque type de gouver-
nement. Dans une démocratie, ce sera la liberté. Sum.
Iheol., II" II», q. lxi. a. 1.
Ce sont là, il est vrai, des considérations éparsesdans
l'œuvre de saint Thomas, et dont il ne fait guère qu'un
usage métaphysique. Il n'a pas beaucoup développé leurs
conséquences morales et civiques; mais néanmoins
notion de la personne demeure comme sous-jacentedans
les réserves qu'il pose aux doctrines d'Aristote sur la to-
tale appartenance du citoyrii a la cité, dans sa notion si
ferme des devoirs de celle-ci envers les personnes
privées. Aristote est un communautaire absolu; saint
Thomas introduit dans l'aristotélisme un élément de
particularisme, qu'il doit intellectuellement à sa notion
métaphysique de la personne humaine et de ses droits
naturels, et à sa notion de la lin dernière surnaturelle.
Pour Aristote. c'est la cité qui est la fin de l'individu ;
pour saint Thomas, c'est le bien île la personne hu-
maine, naturel et surnaturel, qui est la fin de la cité.
285
DEMOCRATIE
28G
Ici le milieu chrétien, où se développe la pensée scolas-
tique, réagit sur les doctrines que celle-ci emprunte au
milieu hellénique; sans nier qu'à certains égards, le
citoyen ne doive se subordonner au bien de la cité
comme au bien de son tout et à une véritable fin,
saint Thomas aperçoit de plus hautes fins auxquelles
la cité même doit se subordonner pour le bien de
l'homme et du chrétien.
2° Dans le milieu politique du xme siècle, ce ne sont
pas des modèles adéquats qu'on peut retrouver, comme
donnant corps aux vues de saint Thomas sur les élé-
ments démocratiques de la constitution parfaite. Cepen-
dant, à côté des dynasties royales et des familles aristo-
cratiques installées clans toute l'Europe, une démocratie
véritable se réalise dans le mouvement communal, pré-
cisément au xme siècle. Les premiers citoyens des
villes sont des artisans et des marchands, à qui la
communauté des intérêts, du voisinage et des dangers
lit conclure des alliances. « Partout au Xe et XIe siècle,
on les trouve unis dans les Ghildes, et partout ces
Ghildes bourgeoises sont confondues avec la commune ;
l'autorité de la Ghilde est celle de la cité : à Londres, la
Ghilda mercatoria, à Cologne, la Richerzeclieit, à l'a-
ris, les mercatores aquœ, en Flandre, les Geschlechten.
Ce sont les génies, les lignages, les patriciens de
naissance. Investis du monopole du pouvoir, ils de-
viennent arrogants et s'érigent en aristocratie fermée.
Mais ils ne sont plus seuls. Ils ne constituent plus
toute la cité politique; des parvenus se sont établis à
cùté d'eux, se sont enrichis et ont formé de nouvelles
G/tildes qui égalent les anciennes en richesse et en con-
sidération qui revendiquent leur part d'autorité et
d'honneurs, En Angleterre, en Allemagne, en Flandre,
les rivalités éclatent. En général, la lutte finit par une
transaction : les nouvelles Ghildes obtiennent leur
place au conseil de la cité. Le patriciat bourgeois, qu'on
peut en quelque sorte considérer comme la fusion de
la propriété» et du capital dégagés des liens féodaux, est
constitué sous sa forme définitive. Mais cette classe
dirigeante abuse de sa puissance, se complaît dans l'oi-
siveté, fait des règlements pour exclure de la vie corpo-
rative ceux qui a ont les mains sales et les ongles noirs
ou qui crient leurs marchandises dans la rue ». A mo-
que la richesse publique s'accroit, l'antagonisme
lasses et des intérêts s'accuse davantage. Partout,
an mu siècle. ■ni, le travail, entre
en 8< dresse contre les Ghildes patriciennes.
Prenez Paris ou Londres, Gand ou Bruges, Bruxelles
mi Cologne, Francfort ou Augsbourg, les travailleurs
i méprisés par la bourgeoisie ont pour bou-
clier le droit corporatif et, imitant l'organisation qu'ils
avaient sons I ment des unions pour la pro-
tection du travail. Ces plébéiens ni' demandaient pas le
partage des biens, ils ne déclaraient pas la pierre au
capital dont il- se servaient eux-mêmes. Ils combattaient
pour i'égo lique, poui la /■" <"<.■
affaire» publiques, el il» voulaient intervenir dam le
ernement, c'éta garantir leur gagne-pain
ri leui indépenda n, h //es haulei
Ce qui domine dans cette lutte séculaire et
dans l'accession graduelle d< -eu- .m droit
corporatif, c'est, au milieu de la violence des pa
et malgré le choc furieux des partis, la modération des
ntioni populairei Prins, Lu démocratie cl le
i ■ ■ , Bi uxelles, 1888, p, H, 57, De ce
mouvement résultait nue large part de la démocratie
rnemenl des communes libre- ou souverain
élection det conseil bourgmestres, s\n-
parfois même, i me |< m bourg-
mestres, l'un patricien et l'autre plébéien, représen-
taient la I n entre le peuple el les nobles de 1 1
cité'. Prin Cette inle action de la
i nemenl des \iiie^ attire
manifestement l'attention de saint Thomas dans le passage
du De regimine principum , où il invoque l'expérience
des municipes, régis par des magistrats annuels, 1. I,
c. ni. C'est là que se réalisait l'application de tous aux
intérêts communs et ce support allègre des charges
publiques, même lourdes, par où, selon saint Thomas,
le gouvernement populaire l'emporte sur le gouverne-
ment royal. Il n'est donc pas téméraire de conclure à
une réelle inlluence du mouvement communal et de sa
poussée démocratique au xme siècle, sur le vœu de
saint Thomas que tout le monde participe au pouvoir.
Cf. Perrens, Histoire des tendances démocratiques
dans les populations urbaines au xiv* siècle, Paris,
1873.
3° Des observations, des expériences plus intimes
s'aperçoivent encore à l'origine de ces idées. Dans les
couvents dominicains où vivait saint Thomas, l'institu-
tion monarchique du prieur conventuel, du provincial,
du maître général de tout l'ordre; l'institution aristo-
cratique des conseils de couvent ou de province, des
chapitres provinciaux ou généraux se tempéraient
d'éléments démocratiques: élection des prieurs con-
ventuels par les religieux prêtres et profès; adjonction
de ces derniers assemblés en chapitres conventuels,
pour sanctionner certains votes importants des conseils ;
élection de députés des couvents aux chapitres provin-
ciaux, par les religieux de chaque maison. Lacordaire,
Vie de saint Dominique, c. vin; R. P. Mortier, O. P.,
Histoire des mailres généraux de l'ordre de saint Dn-
minique, t. i,p. 77,82. Les frères prêcheurs appliquaient
là une tendance générale de la vie religieuse en Occi-
dent, à l'organisation particulière de leur régime. Des
principes analogues se retrouvent aussi bien dans cette
sorte de domaine complet et de cité autonome qu'est
l'abbaye bénédictine. Dom Cabrol, Bénédictins, dans
le Dictionnaire d'archéologie chrétienne, t. n, col. 666.
« Le régime qui est supposé par la règle [de saint Be-
noit] ne répond pleinement à aucun des qualificatifs
que nous donnons à un gouvernement absolu, ou
représentatif, monarchique ou démocratique. Par le
pouvoir très étendu donné à l'abbé, il est fortement
monarchique; par le droit donné à tous d'élire leur
chef, d'avoir une voix au conseil, d'être éligible à toutes
les fonctions, ce régime apparaît démocratique. Les
res et les decani ont cependant une autorité spé-
ciale et représentent, si l'on veut, un élément de gou-
vernement oligarchique. La règle, à laquelle tous
doivent obéissance, in omnibus omnes magistram
sequuntur régulant, peut être considérée comme la
charte d'un régime constitutionnel. » D. Cabrol, lue.
cit., col. 669. Monastiques donc ou canoniales. I. -
habitudes et les maximes de la discipline religieuse
favorisaient positivement l'idée de ce gouvernement
tempéré, ou saint Thomas l'ait sa place à la démocratie
par le suffrage et l'éligibilité également universels Sa
théorie de la constitution parfaite cadre aussi bien avec
souvenirs du Mont-Cassin où il fut élevé el ses
habitudes dominicaine-, qu'avec ses observations sur
le mouve ni communal. Au lieu de ces g réminis-
cences I el de ces i pièce- rapportées ». que Paul .lanel
croit retrouver seules dans les doctrines politiqui
saint Thomas, nous retrouvons ici des expériences el
di observations â l'appui de vues originales et person-
nelles. Cf. Paul Janei. Histoire de la science politique
dans tes rapports avec la morale, Paris, 1872, t. i,
p. 135.
\l. i \LBVR PRATIQUE II Uoiim I lu l,\ OOCTRIXE
thomiste. La politique d'Aristote unissait des vues
el des doctrines de philosophie morale i des observa-
tiom me sociale et politique
on y trouve des i graphies de la constitution
tiate, carlhag ie ou ci côté de théories sur
i tus du citoyen, La Somme de sainl Thomas el le
287
DEMOCRATIE
288
De regimine principum abandonnent les points de
vue descriptifs, monographiques et concrets, de la
science positive, pour s'en tenir aux considérations
morales. Dans cet ordre de pensées, trois sciences par-
ticulières, purement philosophiques, intègrent la ino-
rale humaine : monasliea, la science de la morale
individuelle; œconomica, la morale domestique; poli-
tica, la morale civique. Elltic, 1. I, lect. i, S Sic ergo
moralis p/iilosophia... jusque multitudo civilis quœ
vocatur polilica. Mais les vertus et les devoirs qu'im-
posent ces trois morales — n'en faisant qu'une au
fond — sont ramenés dans la Somme de théologie au
cadre général des lois, des vertus, des états de la vie
chrétienne; et c'est ainsi que l'esquisse d'une consti-
tution parfaite appartient au traité des lois et prend
occasion de vues rétrospectives sur la loi de Moïse et
la constitution du peuple héhreu.
C'est pourquoi les vues de saint Thomas sur les élé-
ments démocratiques de la constitution parfaite
planent surtout dans la région de l'idéal et du désirable :
il ne se demande pas à quel royaume ou à quelle cité
de son temps son esquisse de constitution pourrait
bien convenir. Abstraction faite, au contraire, des con-
tingences particulières, des exigences pratiques ici ou
là, il considère la démocratie dans l'hypothèse de son
fonctionnement normal, avec les devoirs qu'elle impose
à la multitude. C'est ne sortir du réel que pour y ren-
trer de très haut, en rappelant à tous qu'une démo-
cratie fonctionne bien dans la mesure où le suffrage
universel et ses élus opèrent selon la vertu. Secundum
virtutem : l'expression revient jusqu'à cinq fois dans
l'art. 1er de la q. cv.
Et, en effet, Aristote observait que dans un régime
où le citoyen fait acte de prince, lorsqu'il vote, délibère,
légifère, juge un procès ou administre une charge, et
acte de sujet, lorsqu'il reçoit une loi ou une sentence,
les vertus personnelles et les vertus domestiques ne
suffisent pas. Il faut les vertus politiques : de la pru-
dence, de la justice, non plus seulement pour son bien
propre et pour celui de sa maison, mais encore dans
la poursuite et le maintien du bien public. Politique,
1. III, c. i. Saint Thomas commente cette morale ci-
vique avec sa précision et son exactitude habituelles,
lect. i, et Ethic, 1. VI, lect. vu. De là s'inspirent ses
articles sur la prudence politique. Sum. theol., IL' II ',
q. L, a. 1, 2. Dans le citoyen qui fait acte de gouver-
nement, il faut donc la prudence d'un législateur et
d'un roi, et de la prudence encore, dans le citoyen qui
obéit, avec, de part et d'autre, une justice appropriée.
Sum. theol., IIa II*, q. L, a. 1, ad lum; In IV Sent.,
dist. XXXIII, q. ni, a. 1, q. iv.
Cette ferme doctrine sur les vertus civiques nous
donne la raison de l'insistance que met saint Thomas
à inculquer les dictées de la vertu aux électeurs et aux
élus du peuple. Aucun gouvernement n'a besoin d'une
moralité plus générale et mieux équilibrée de justice
et de sagesse, que celui où chaque citoyen fait tour à
tour acte de prince et de sujet. Telle est l'utilité des
considérations métaphysiques où il semble d'abord que
saint Thomas se perde à d'incommensurables distances
de la réalité : de la hauteur où il s'élève, il voit à fond
que la démocratie ne gouverne pas bien sans une mora-
lité tout à la fois très diffuse dans la masse des élec-
teurs et très profonde dans le corps élu des gouvernants.
Elle réclame une aristocratie morale et un peuple assez
sage, assez bon pour la mettre au pouvoir.
IV. Savonarole : le problème pratique de la démo-
cratie À Florence au xve siècle. — Réformateur moral
et conseiller politique des Florentins, Savonarole inter-
vint comme arbitre dans les débats de leur Seigneurie
sur l'organisation du gouvernement qui succédait aux
Médicis expulsés. L'assemblée constituante hésitait
entre une oligarchie comme à Venise, et le retour aux
anciennes formes démocratiques de Florence elle-même.
Vespucci et Soderini, citoyens influents, jurisconsultes
autorisés, représentaient les deux tendances. C'est ainsi
qu'en temps de révolution, le problème de la démocra-
tie se posait, non plus en théorie comme à l'époque de
saint Thomas, mais en fait. Savonarole fut prié de
s adjoindre aux délibérations de la Seigneurie, et d'après
Guichardin, Storia fiorenlina, c. XII; Storia d'Jta-
Ua, 1. II, le Fraie assura le succès aux partisans de
la démocratie. Villari, Histoire de Savonarole, trad.
G. Gruyer, Paris, 187i, t. i, p. 357.
Il développa ensuite ses doctrines dans une série de
tracts : Trattati circa il reggimento e governo délia
Citlà di Firenze. A la requête de la Seigneurie, ces
opuscules furent composés en toscan, pour une plus
large diffusion. La langue du peuple et des politiques
s'imposait à ces écrits de circonstance et de but pra-
tique, au lieu de la langue des clercs et des écoles. Mais
le théologien et le thomiste se retrouvent dans le vul-
garisateur. A une situation concrète, actuelle, les Trat-
tali appliquent des principes de philosophie sociale
que la Somme de théologie expose dans. l'abstrait ou ne
considère appliqués que dans un lointain passé.
Savonarole estime d'abord avec saint Thomas que la
monarchie est en soi le meilleur des gouvernements :
plus il y a de gens qui commandent parmi une société,
plus il y a sujet à disputes et à partis. Et donc, si la
démocratie est bonne, l'aristocratie est meilleure, la
monarchie excellente : un seul chef réunit et pacifie
tout le monde, soit par crainte, soit par amour. Dans le
fait, néanmoins, il y a des peuples qui vivent mieux
sous le régime aristocratique et d'autres qui sont mieux
faits pour le régime démocratique. Ils ne pourraient
garder un roi sans des inconvénients majeurs et into-
lérables. Trattato 1, c. II. Tel est, d'après Savona-
role, c. m, le cas de Florence, pour deux raisons : le
caractère de la population et des coutumes invétérées.
Ici, le réformateur ne s'en tient plus aux considéra-
tions morales, aux principes et aux thèses de droit natu-
rel qui sont le propre du philosophe et du théologien;
il s'engage dans l'examen d'une situation concrète,
appréciable par les historiens et par les politique?.
Aristote avait opposé l'esprit républicain des Grecs à
l'indolence servile des Asiatiques, Polit., 1. IV (ou Vil I,
c. vi, 1 ; 1. III, c. ix, 3 ; Savonarole oppose de même l'esprit
républicain des Italiens, et notamment des Florentins,
à la docile sujétion des popoli aquilonari. Robustes et
sanguins, ces derniers lui apparaissent dépourvus d'in-
géniosité, braves soldats et humbles sujets, monarchistes
par simplicité d'âme; l'Italien, au contraire, lui appi-
rait ingénieux, sanguin, audacieux, incapable de sup-
porter un roi, si celui-ci ne le mate par la tyrannie-
« Continuellement, les Italiens appliquent leur génia-
lité à machiner des embûches contre leur prince, et
leur audace les met à exécution, comme cela s'est tou-
jours vu en Italie. Nous le savons, en effet, par l'expé-
rience du passé comme par celle du présent : l'Italie
ne put jamais durer sous le gouvernement d'un seul.
Nous la voyons, petite province, partagée entre quasi
autant de princes que de cités, et de princes qui n'ont
jamais la paix. Et le Florentin est le plus génial des
Italiens, le plus salace dans ses entreprises, avec une
vigueur et une audace qu'on n'attendrait pas d'un
commerçant et dont ses guerres étrangères et civiles
ont donné la mesure. » Trattato 1, c. m.
A lire ces jugements sommaires sur la psychologie
politique et le tempérament social des Florentins, on
reconnaît un certain sens des faits et des réalités, assu-
rément remarquable chez un spéculatif s appliquant à
l'action. Savonarole se rend compte que des principes
abstraits sur les mérites respectifs de la monarchie, de
l'aristocratie ou du régime populaire ne suffisent pas
à résoudre le cas de conscience universel posé à Florence
289
DÉMOCRATIE
290
même par la révolution contre les Médicis. Nous ne
trouvons plus ici le théologien pur ; il y a de plus le
citoyen et le politique, avec une science et un art dis-
tincts, soit de la morale naturelle, soit de la morale
chrétienne.
Néanmoins, un principe supérieur, d'essence morale
encore, et bien chrétien toujours, guide Savonarole
dans ces applications extra-théologiques : un principe
de prudence civique. 11 aperçoit très bien que si, théo-
riquement, toutes les trois formes de gouvernement
sont en soi lionnes et possibles, et donc en soi choi-
sissables; dans la pratique, une forme ici utile serait
ailleurs nuisible. Le critère de son adoption ou de son
rejet, c'est de répondre ou non aux capacités et à la
formation des citoyens. En face d'elle, la liberté hu-
maine ne jouit pas d'un pouvoir illimité et arbitraire;
elle se trouve liée par un devoir de choix approprié à
la nature du peuple : Li homini savii e prudenli li
quali hanno ad instituire qualchc governo primo con-
siderano la nalura del popolo, c. II. Savonarole est dé-
mocrate à Florence, comme à Venise, dans un ouvrage
dédié au patricien Antoine Pizamani, un autre domini-
cain, Benoit de Soncino. sera partisan de l'aristocratie.
Telles sont, en effet, les sentences que ce dernier extrait
avec admiration de la Politique d'Aristote, à l'usage de
■-l'ii patricien : Optima civilas nunquam opificeni fa-
ciel eivem. !■'■<■ libro III Polit., lect. iv. Optabilius est
ci ri taies ab oplimalibus gubernari, lect. xiv. llenc-
dicli Soncinatis propositiones ex omnibus Aristotelis
libris... excepta-. Le même principe d'approprier le
ment ;i ce que Savonarole appelait la nalura
'tel popolo engage ainsi de contingentes applications,
toujours guidables par la inorale, mais relevant en propre
de la science el de l'arl en matière sociale et politique.
prudence honnête commande ici le choix d'un
rie et la celui d'un autre.
Y. La légitimité de la démocratie, d'après l'ensei-
gnement commun DES riIÉOLOGIENS. — D'une manière
-■ ri Taie, jusque dans le cours du xixr siècle, les théo-
logiens ne s'occupent guère de la démocratie : déjà le
docteur angélique lui sure la place 'au milieu des
nombreuses questions sociales et politiques dont il
s'occupe en moraliste spéculatif, dans la Somme théo-
que. Il traite de la démocratii comme il traite du
ni manuel, Sum. theol., II' II1, q. clxxxvm, a. '.', .
droits de la famille en matière d'éducation, Il M
x, a. 12, s Alia vero ratio est; de la guerre et de ses
justes conditions, Il II' <\- \\ . de la sédition, ibid.,
q \in, de la peine <!'• mort, q. XI IV, a. '2. 3; de la pro-
priété, q. ixiv, a. I, -2, du commerce, q. lxxvii; de
l'usure, q. i.xxviii, etc. Toujours, c'est à l'occasion d'une
rertu on d un vice, d un devoir nu d'an péché, que ces
divers faits sociaux apparaissent, donnant matii
des qui stions particulières, à de simples détails dans
l'encyclopédie théologique de la Somme. Le problé
de l.i démocratie el «h- sa juste pari dans une sage
constitution ne repri ur .mit Thomas que l'un
d'' e. .1. lui . el non h- plus important. Au moyen
dm- la pluparl de- nations européennes, c'est 1er,
monarchique el l'aristocratie qui préd inenl
■ h lui 'i qui laissent au Becond rang les institutions
démocratiques des commun bien que saint
i el appréciât i e di rnièn . comme on
■ e il ii i ni |'.i cuper aussi dii ectemenl
que '!• l'u 'm el 'in i hange, par i temple, une j i
lion d'alors, on que de la politique .i suivre i i
les Ju II» II", q. X, a. 9, 19 /'
•-i/,., h. m la
irlir du x\\ lii cle, les monarques de l'Europe
i' ndetil de plu i l'absolulismi irapi
i i.d di le, in,- nu plutôt de i leur profit. \
m , . la 'i communi - l'éclip ,■ nu
inêi, i, quand i Franc* mettent la
un t 1,1 TU KOI . CATBOL.
main sur elle par des fonctionnaires de leur choix et par
des lois restrictives. Dans ces conditions, c'est au pou-
voir royal et au pouvoir absolu que penseront surtout
les théologiens, lorsqu'ils auront à s'occuper du pou-
voir politique. La raison expérimentale et historique
du fait prédominant s'ajoutera aux vues métaphysiques
sur l'unité sociale, pour leur montrer le pouvoir du roi
comme le pouvoir typique.
Ils reviendront cependant à la notion des droits poli-
tiques du peuple, en étudiant les origines du pouvoir.
Il vient de Dieu, leur enseignait saint Paul : aucune
autorité n'existe qu'instituée par Dieu. Rom., xm, 1, 7.
Mais saint Thomas observait déjà que l'institution directe
du souverain ou du chef national par Dieu, comme ce
fut le cas pour Moïse, Josué, les Juges, fut le résultat
d'une providence spéciale envers le peuple israélite.
C'est en vertu de cette exception que Dieu ne lui laissa
pas l'élection de son roi, mais se la réserva. Sum. theol. ,
1' II», q. cv, a. 1, ad l"m. Ainsi, quand saint Thomas
reconnaît une divine investiture à l'origine de tout pou-
voir, IIa II1, q. civ, a. 1, ce n'est pas sans avoir admis
le droit universel des peuples à se choisir les détenteurs
de cette investiture et à la leur transférer. Il l'insinue
encore en regardant la souveraineté des princes régnants
comme établie, non pas de droit divin, mais ex jure
gentiwm, quod est jus humanum. IIa llK, q. x, a. 12.
le droit des gens consiste précisément, selon lui, en
des institutions si bien conformes à l'avantage évident
de la vie humaine, que facilement, les hommes tombent
d'accord à leur égard : De facili in hujus modi homi-
nes consenserunl. I" IIœ, q. xcv, a. 4, ad 3"m. Cf. II-' II' ,
q. i.vn, a. 3. Il inclut donc une sorte de pacte social,
consenti par les peuples. C'est pourquoi saint Thomas
use volontiers de l'expression ri'ces gerens mrdliludinis
pour désigner le prince. I» II1', q. xc, a. 3; q. xcvn,
a. 3; II* II», q. i.vn, a. 2. Le prince jouit là d'une trans-
lation de pouvoir qui l'a substitué à la multitude pour
faire des lois et gouverner.
On retrouve dans ces vues l'inspiration du droit ro-
main. Le Digeste, I. I, tit. il, De origine juris, S '.•.
considère le pouvoir du Sénat connue substitué aux
assemblées populaires trop difficiles à réunir. De
même, selon la l.e.r regia, Digest., 1. I, tit. IV, et les
Institutionet de Justinien, 1. I, tit. Il, le Sénat et le
peuple transfèrent leur pouvoir à l'empereur pour le
gouvernement entier. Cf. Digest., I. 1, lit. u, § II. Au
travers de cette explication juridico-historique, une doc-
trine métaphysique lend à se dégager, dans l'esprit des
théologiens, par une transposition des termes du con-
crel i l'abstrait.
Ce dégagement s'opère chez lesscolasliques,à mesure
qui' de- problèmes I héologiques les obligent à préciser
lesorigines du pouvoir civil. D'Occam a Pierre d'Ailly
el 'lu concile de Constance au conciliabule de Dise se
propage une assimilation nouvelle entre le pape el les
princes temporels, relativement aux origines de leurs
pouvoirs respectifs. De même que les rois ou les ilun-
nul investis de leur pouvoir par l'élection popu-
I de même les souverains pontifes, a ce que disciil
les novateurs. Voir PlERRI D'AlLLY, I. 1. col. (ii(i. (ii7,
Almain, t. i. col. S'.Hi; Quilliet, De civilis polestatis ori-
gine theoria catholica, Lille, 1893, p, 189, 190. Moyennant
issimilation, l< i el les galli
visaient à établir la rapériorité de l'Eglise universelle
el notamment du concile -m le pape, comme Bur un
simple ministre de leur autorité De m< me, disait ni ils.
que i leur a donné naturelli ment pou' oii à la
communauté civile i ' se choisir des princi
ne , sin naturellement. )| ,,,,., Lit la communauti en
tière de l'I glise du droit •! élii e et de d pon
tifes, Joanni - Major, Ditput. de aulh
iiunij dan <>; lonii,
t. u. col. 1 135
iv. - m
'291
DEMOCRATIE
292
L'école thomiste s'attaque vigoureusement à démolir
ce parallèle, s.iinl Antonio établit dans sa Somme théo-
logique, part. I, tit. xvin, que le souverain pontife gou-
verne l'Église par institution immédiate de Dieu et non
ex translatione populi sicut imper ator. 11 use là des
expressions mêmes du droit romain pour caractériser
l'origine du pouvoir civil et le différencier d'avec celui
des pontifes. Jean de Turrecremata signale, à litre
d'exceptions, des choix comme ceux de Moïse et de
David par Dieu, lorsqu'il s'agit de rois ou de chefs poli-
tiques. C'est le consentement de la multitude, soit
exprès, soit tacite, qui établit ces derniers, qui accroil
même ou diminue leurs pouvoirs, à l'inverse du pape,
établi par Dieu seul dans un ensemble de droits que
nul homme ne peut restreindre. Summa de Ecclesia,
I, XLIV, XC, XCI1.
Telle est aussi la doctrine de Cajetan, De auclorilalc
papse el concilii, tr. Il, c. x, ad 2am conlirmationem;
In lli,m II- ',<[. i. a. 10, ^ 3, Ad brevem hovum inlellig.
11 précise d'ailleurs que l'élection d'un régime politique
par une multitude ne constitue pas une démocratie à
proprement parler, bien qu'au premier abord elle
semble tirer le régime monarchique de la souveraineté
populaire. Mais si l'on considère attentivement les
choses, l'élection d'un gouvernement n'est point un
acte particulier de tel ou tel régime : c'est un acte
générateur de- toute espèce de gouvernement, et donc
un acte antérieur à toute forme politique existante. Au
choix du peuple, il appartient, de par le droit naturel,
que le régime à établir soit populaire, aristocratique ou
royal. In i/al" IIX, q. L, a. 1, § Ad hoc dicitur. Celte
doctrine expose très nettement l'égale légitimité des trois
formes de gouvernement selon le droit naturel.
Elle dissipe également l'équivoque du terme peuple,
qui signifie tantôt la multitude, et tantôt le régime po-
pulaire. Et cette distinction posée, Cajetan poursuit :
le régime monarchique dépend de l'élection du peuple-
multitude, qui lui donna ses votes et qui l'investit;
et c'est à cause de ce transfert qu'il est dit vices gerens
populi. Mais il ne dépend pas du peuple comme régime
populaire et n'en prend pas la place à la manière
d'un successeur.
Dans cet ensemble de doctrines, la question de la
démocratie se pose donc incidemment, comme le
simple corollaire de la question des origines du pou-
voir civil; et celle-ci même ne se pose que par compa-
raison dans le problème théologique des origines du
pontificat. Par là s'explique la sobriété des quelques
textes intéressants qu'on peut glaner chez les auteurs.
Autant ils sont copieux à préciser les causes divines et
humaines dont ressort l'établissement du pouvoir civil,
autant ils glissent rapidement sur l'établissement par-
ticulier de la démocratie. Le peu qu'ils en avancent,
néanmoins, suffit à nous montrer qu'ils la rattachent,
en droit naturel, au pouvoir de tout peuple sur le choix
de ses institutions.
D'ailleurs, qu'il se soumette à un monarque, à des
chefs aristocratiques ou à des magistrats populaires,
un peuple, observe Cajetan, n'est pas dans la situation
de l'Église en face du pape. « La papauté diffère de tous
les autres pouvoirs humains en ce que tons ceux-ci
tirent de la multitude leur origine et leur puissance :
toute violence ou fraude cessante, et de droil naturel,
la multitude est libre de se donner un chef avec telle
puissance qu'elle le juge bon. » In //■"" II", q. L, a. 10.
Aussi, tandis que l'Église n'a pas à circonscrire et à
tempérer l'autorité du pape, c'est le droit des peuples
d'opérer ces tempéraments à l'égard de leurs chef-, et
parla même d'influencer la juridiction réelle qu'il leur
transfère dans l'ordre civil. Nous reconnaissons là une
vue très nette des éléments démocratiques et pondéra-
teurs à introduire dans les royaumes ou les cités aristo-
cratiques. Mais aussi bien que saint Thomas, Cajetan se
renferme dans l'exposé général des principes du
droil. 11 reste un moraliste spéculatif ou plutôt même
un métaphysicien, dans ses rapides aperçus de la
démocratie.
Au xvi1 siècle encore, les controverses de Bellarmin
contre les protestants le ramenèrent à 1 antithèse des
origines divines du pontilicat et des origines populaires
de la souveraineté politique. 11 établit très nettement
que celle-ci, abstraction faite de ses formes particu-
lières, vient premièrement de Dieu, car elle est la
conséquence nécessaire de la nature humaine et de sa
vie sociale; et donc le pouvoir vient naturellement de
celui qui a fait la nature et les tendances de sa vie :
c'est un droit naturel, divinement établi. Mais ce pou-
voir réside dans la nation, et non dans aucun homme
en particulier; car, en dehors des droits positifs qui
peuvent survenir, il n'y a aucune raison de nature,
pour qu'un homme soit le chef des autres, ses égaux
par nature. Comme d'ailleurs la nation ne peut pas
exercer la souveraineté directement, par elle-même,
elle est dans l'obligation de la conférer à un individu
ou à plusieurs. Ainsi, les diverses formes de gouver-
nement sont de droit positif et non de droit naturel ;
car il dépend de la nation d'instituer un monarque,
des consuls ou d'autres magistrats. Ces pouvoirs mul-
tiformes viennent encore de Dieu; mais moyennant les
délibérations, les choix de personnes, les transferts de
l'autorité, opérée par les hommes. Bellarmin, De lai-
ds, c. VI.
Dans le même ordre d'idées, Suarez, De legibus,
1. III. c. iv, S 1, observe qu'à s'en tenir au droit naturel,
les sociétés politiques ne sont pas obligées de consti-
tuer un régime plutôt qu'un autre. Bien que, de soi,
la monarchie soit le meilleur et que sa plus grande
extension atteste pratiquement son excellence — dit
encore Suarez — les autres régimes peuvent être bons
et utiles. L'expérience démontre d'ailleurs combien
varient les opportunités : là où règne la monarchie,
rarement elle va sans mélange, car, vu la fragilité,
l'ignorance, la malice des hommes, il y a d'ordinaire
avantage à tempérer l'autocratie royale par les inter-
ventions de la collectivité, en plus ou moins grand
nombre, selon les coutumes et les besoins. Ainsi, tous
les particuliers possèdent chacun leur quole part de va-
leur dans la communauté politique; mais le droit na-
turel n'oblige pas celle-ci à exercer le pouvoir immé-
diatement ou à le retenir : trop de difficultés et de
pertes de temps surviendraient, si le suffrage de tous
était sans cesse requis.
Lorsqu'on se représenle l'Espagne absolutiste où
vivait Suarez et l'état général de l'Europe au xviie siè-
cle, de telles vues attestent une grande liberté d'espril
à l'égard d'institutions puissantes el révérées. Intellec-
tuellement, celte liberté procède encore de la ferme
notion du droil naturel et de sa distinction d'avec les
droits positifs, coutumiers, historiques, lesquels varient
légitimement selon les besoins et les ententes des
nations.
Cette liberté scandalisa Jacques 1 r. roi d'Angleterre
et théologien, qui s'efforçait de consolider l'autocratie
des Stuarts, très contestée des Anglo-Saxons, en s'ap-
propriant la doctrine gallicane du droit divin des rois.
Dans l'ouvrage qu'il composa sur l'ordre de Paul V
pour répliquer au roi Jacques. Suarez établit encore
les origines populaires de tout régime politique, sans
exception pour la monarchie. Défi n-iii fidei, I. III.
c. iv. Suarez avance même que si la monarchie et
l'aristocratie ont besoin d'une institution positive pour
s'établir, la démocratie peut s'en passer : elle existe,
par le l'ait même que la nation ne transfère le pouvoir
à personne, mais le retient pour soi collectivement,
tel que, de droit naturel, elle le possède, en tant que
société complète. Defensio fidei, 1. 111, c. IV, § 8. Il \
293
DEMOCRATIE
294
aurait ainsi, dans tout peuple, une sorte de démocratie
naturelle, préexistant à tout autre régime.
Cette manière de voir n'accuse pas seulement une
vigoureuse offensive contre la dialectique du roi d'An-
gleterre; elle achève d'accentuer l'entière liberté d'es-
prit des théologiens en présence des trois formes pos-
sibles de la souveraineté politique. Suarez ou Bellarmin
continuent bien là saint Thomas et ses commentateurs.
Et c'est un fait significatif: le fait que, du xiiic au
xvir siècle, toute l'École enseigne l'égal droit naturel
des peuples à se constituer en monarchies, aristocraties
ou démocraties. C'est un enseignement commun des
théologiens. Il est reçu dans l'Église sans la moindre
protestation de la hiérarchie; et, de la sorte, il anticipe
la neutralité de l'Église dans la question moderne des
régimes politiques à choisir ou à modifier. V. Maumus,
L'Église et la France moderne, p. 209.
VI. Le mouvement démocratique aux temps moder-
m s. — Pour bien saisir l'opportunité et la valeur des
enseignements pontificaux, soit de Pie IX, soit de
Léon XIII, sur la démocratie, on doit reconnaître la
situation qui les provoqua. Elle comporte un ensemble
de faits économiques et de faits politiques dont les
répercussions morales et religieuses déterminèrent
d'abord l'attention de publicistes catholiques et puis
l'intervention motivée des papes. Il est ainsi nécessaire
de connaître d'abord quelles sortes de faits politiques
et de faits économiques donnèrent sujet à cet enseigne-
ment des pontifes et aux initiatives des publicistes, qui
en apparaissent comme les précurseurs.
I)ans le cours du xvni" siècle, l'application de la force
hydraulique à l'industrie; dans le cours du xix'' sur-
tout, l'application de la vapeur, voilà le fait de techni-
que el de métier, qui opéra une révolution sans précé-
dent jusque-là dans la fabrication. Avec des forces
motrices considérables, de très puissantes machines
s'établirent. On vit finir l'universel emploi des outils à
la main et des machines-outils à petit moteur. Sans
doute, celles-ci et ceux-là ne disparurent pas entière-
ment, el leur us;i;ie partiel continue encore : il y a
toujours des moulins à vent, des rabots ou des scies à
m. lin. des noriahs qu'un mulet fait tourner. Mais ces
antiques outillages cédèrent la primauté à la machine-
vapeur, bien autrement puissante et productive. Ce
changement peut bien s'appeler une révolution, à
cause de bb rapidité; en moins d'un siècle, il boule-
versait un outillage plusieurs fois millénaire, dont les
fn quesde h . ptiens attestent le monopole
i imorial. La machine à vapeur devint par cette
révolution l'agent caractéristique de la fabrication
moderne. Ch. Benoist, La crise de l'État moderne,
ionisation du irai ail, Paris, 1906, t. i, p. 30. Pour
i • nouveau industrii I, Le Plaj disait
la houille . parce que 1 1 puis ance des
machines s'alimente aux r< ervei de forces conden
dans les di pots énormes de ce combustible. Le Play,
/.»i i otutitulion an ntielle de l'humanité, Toui 1881,
p 66, 7 '• 7H. 77.
I cette révolution de l'outillage correspondit une
ii tnsformation sociale du personnel fabricant, soit du
oit ilu côté patronal.
Du côté ouvrier, un phénomène de concentrait
produit, d'abord .< l'atelier, jadis un petit local ou le
n ■ • i ' i ■ et i p i non Ira aillai* al ensemble,
m. uni' ii. mi agrandi el devenu l'usine. La tnachini à
ii ■ ntralne uni d< pi n ■ 'i ai g< ni etdi forces mo-
lienl i" rdni i i Ui n ai tionnail di
noml i ies fabrii inti 1 1 uni ta te pi odui
i ii p< i onnel ■< proportion • i di i"i ni
autour de 1 1 mai hini II m multiplie dan - une
mesure que ne souffraient jadis ni les petits capitaux
ai li i" lit m ti ami ut di malin ai ti an
II \ i plus, De cette concentration des atelii i . résulte
une concentration des foyers, du voisinage, des inté-
rêts ouvriers. « Concentrés dans l'usine pour le travail,
les ouvriers ont été conduits à se concentrer autour de
l'usine après le travail. Et, de la sorte, ce ne sont pas
seulement les conditions et les circonstances du travail
que l'on a vues brusquement modifiées du tout au
tout, mais les conditions et les circonstances de la vie
de l'ouvrier, dans l'usine et hors de l'usine; de sa vie
tout entière, je veux dire de sa vie matérielle et de sa
vie intellectuelle et morale. Ce n'est pas seulement le
travail qui d'individuel est devenu collectif; c'est en
quelque manière la vie même de l'ouvrier, à qui un
intérêt collectif évident et permanent a créé, comme
le besoin appelle la fonction el comme la fonction crée
l'organe, une espèce de conscience ou d'âme collective .
Par cette conscience ou cette âme, chacun de ces ou-
vriers, réunis pour une même fin, dans une même
profession, en un même lieu, a senti bien plus vive-
ment tout ce qui le touchait personnellement et tout
ce qui touchait son groupe. Le groupe a senti bien plus
vivement tout ce qui, louchant chacun de ses mem-
bres, le touchait lui-même et, avec lui et en lui, toute
la corporation. » Ch. Benoist, loc. cit., p. 4, 5. Cf.
p. 30,43. « Les ouvriers sont devenus la classe ouvrière,
économiquement, socialement et psychologiquement
très différente. » Benoist, p. 5.
Ce fait de classement social n'était pas moins nouveau
et considérable que la révolution technique opérée
par la houille et le machinisme. Jamais au moyen âge,
la classe des compagnons et des apprentis ne s'était
opposée à celle des maîtres artisans, avec autant de
différences et de séparations que celle des ouvriers
d'usine et des patrons. De maître à compagnon, la
différence existait bien comme de celui qui achète le
travail d'un homme et qui le commande, à celui qui le
vend et qui obéit; mais cette opposition des intérêts,
des conditions, des points de vue, s'atténuait par la
communauté du travail avec les mêmes outils et dans
le même atelier, par l'espérance de passer maître un
jour. Dans le régime du machinisme, au contraire,
l'opposition s'accentue par le fait que le patron cesse
d'être ouvrier. La direction d'une usine exige un en-
semble éminent de qualités prudentielles et de con-
naissances spéciales pour le choix des matières ouvra-
bles, la surveillance et le renouvellement de l'outillage,
la recherche des débouchés, l'organisation de la vente,
l'acquisition du crédil nécessaire pour les fonds de
roulement. C'est pourquoi la machinisme sélectionne
d'entre lei vriers ou bien leur superpose une aris-
tocratie naturelle du travail formant une aulre classe
distincte, et qui possède elle-même sa mentalité el
ses intérêts. Voir CORPORATIONS, t. III, col. ISIi'.l.
In troisièl llément complique la situation : sou-
vent, de tels capitaux sont nécessaires à une entre-
prise que son fondateur ou son patron technique fait
appel à de nombreux capitalistes. Une société anonyme
par actions devient ainsi propriétaire de l'entreprise
et concentre de la Borte, aux mains de es administra-
teurs, les fonctions et la puissance du patronal. C'est
le type commun des grandes entrepri u - de transports,
chemina de fer ou paquebot . des mines de houille,
di hauts fourneaux el aciérie tionnaire,
bailleur de fond . et l'administrateur apparais enl i
l'ouï in i plu éloigm l ncoi i di a le el di i - inté-
|ui le patron individuel, propriétaire de son
u ne l Demolins, Let population* mini
,i, h, m, lie, dan / 1889, t. vu,
p, ui'e Sou enl lointain . uniquement pn enta par
leur argent el plutôt banquiei qu'entrepreneurs,
anonyme »ia-à-vh d'uni ma ae ouvrière qui, elle
III- I II ■ I pOUT 'l|\ quille foi1© lll"ll\ll|e Mil
ti di muscli ajouté ■> un tas de charbon; mais rap
procle n- entre eux dana la recherche du
295
DÉMOCRATIE
290
bénéfice, les patrons sont devenus le patronal; du
moins ils apparaissent tels aux veux méfiants des
ouvriers qui leur prêtent volontiers, comme ils l'ont
eux-mêmes, une espèce d'àme ou de conscience de
classe, opposée sinon hostile à la leur, v Iîenoist,
loc. cit., p. 5.
A se regarder ainsi de classe à classe, à comparer
leur condition précaire de salariés et l'étroitesse de
leur existence avec la vie solide et large des capitalistes
et des patrons, les ouvriers sentirent s'aviver en eux,
douloureusement, le désir si humain du hien-êlre et
d'un sort meilleur. Comme un ferment actif, ce désir
s'est propagé de plus en plus dans la classe ouvrière,
non sans mêler, comme c'est inévitable, de légitimes
revendications et d'excessives prétentions, de très justes
griefs et de regrettables envies. L'ivraie pousse toujours
au milieu des blés; mais le blé lui-même ne cesse pas
d'être du blé, malgré ce voisinage.
L'état nouveau de la production avivait naturellement
ces désirs mélangés. Toutes sortes de produits alimen-
taires, textiles et autres se vulgarisèrent de plus en
plus, de par la concurrence des fabricants. Les trans-
ports en activèrent la circulation. De grands et de
petits magasins les mirent de tous côtés à la portée
des ouvriers. D'une manière générale, chez ces der-
niers comme chez les bourgeois, le machinisme indus-
triel surexcita l'indéfinie capacité de la convoitise
humaine à se faire du luxe d'hier le nécessaire d'au-
jourd'hui, et du luxe d'aujourd'hui le nécessaire de
demain. Cet accroissement des exigences populaires se
compliqua en outre d'émulation : l'aisance extérieure
et le luxe reconnu de la classe bourgeoise ne s'accrois-
saient-ils pas de leur côté, sollicitant les ouvriers à
désirer leur part des améliorations produites aussi bien
avec leur propre travail?
Enfin la hausse des salaires permit souvent de réali-
ser des conditions de vie meilleures; mais là encore,
la même loi foncière de l'infini désir humain suscita
de nouveaux désirs à satisfaire par delà les désirs sa-
tisfaits. Ainsi que l'observe M. Ch. Benoist, on aura
beau prouver à l'ouvrier, chiffres en main, qu'il est
mieux logé, mieux nourri, mieux vêtu que ses pères,
ce sera peut-être la vérité statistique, matériellement
exacte; ce ne sera pas toute la vérité, la vérité morale,
qui tient compte de l'impondérable et de l'incalculable.
L'ouvrier actuel est plus riche et plus pauvre que ceux
des temps où de moindres gains excitaient de moindres
désirs, et où de moindres désirs tenaient pour superflu
le nécessaire d'aujourd'hui. Finalement, la révolution
de l'outillage par la machine à vapeur a posé d'une
manière plus aiguë que jamais le problème de l'amélio-
ration de la vie matérielle, dans l'âme des ouvriers.
C'est le grave problème social du bien-être populaire :
i/n problème d'économie sociale et de politique, enga-
geant de sa nature un problème d'ordre et de justice.
La justice dislribulive exige, en effet, que chaque caté-
gorie de citoyens puisse, dans sa condition, honnête-
ment et décemment vivre.
Mais la solution de ce nouveau problème — nouveau
dans son acuité universelle et dans les exigences qu'il
fallait satisfaire — entraînait également un problème
nouveau dans l'ordre politique.
« Les classes sociales résolvent mal les questions les
unes pour les autres : c'est ce q*ui fait que toute classe
dont la condition devient une question aiguë pour l'or-
dre public est introduite au pouvoir, sauf dans les cas
particuliers où par là on n'aboutirait à rien, ou à rien
que de radicalement désastreux, comme au cas de la ré-
volte des esclaves à Rome ou du parti anarchiste actuel.
Les longues doléances de la plèbe romaine l'ont finale-
ment introduit au pouvoir. La Grande Charte d'Angle-
terre y a introduit la noblesse malmenée par les rois et
le peuple opprimé par la féodalité. Les charges commu-
nales y ont introduit les habitants des villes compri-
més par les seigneurs. Les États-Généraux de 17WI y
ont introduit, en doublant sa représentation, le Tï< r-
État « qui aurait dû être tout et qui n'était rien
Henri de Tourville, cité par Ch. Van H.ieken. Le suf-
frage universel au parlement belge, dans La science
sociale, 1902, t. xxxiii, p. 205, 206. Or « il y a dans la
société, dit encore Henri de Tourville, loc. cit., une
classe qui, au temps actuel, n'a pas bénéficié autant que
les autres des avantages procurés peu à peu par les
gouvernements ou avec le concours des gouverne-
ments » : la classe ouvrière. Comme dans cette classe,
qui est la majorité, et même en dehors d'elle, « tout le
monde a le sentiment instinctif que si les classes bour-
geoises conservent le pouvoir, elles ne résoudront pas
la question de classe ouvrière dont elles n'ont pas
l'impression vive et vraie, les esprits sont de plus en
plus portés, sans bien savoir pourquoi, à penser qu'il
n'y a de solution efficace qu'à laisser venir au pouvoir
la classe qui a le plus de doléances à faire valoir. Et
ceci est la loi de toute l'histoire dans l'attribution du
pouvoir aux uns et aux autres. Le pouvoir n'est pas
communément donné à celui qui, absolument parlant,
y a le plus de droit ou est le plus capable, mais à celui
qui fut le plus décisivement utile dans la quesli"n a
résoudre pour le moment. »
« Quand certaines classes ont détenu le pouvoir et
qu'un certain bien public en est résulté, si une classe
sans pouvoir n'a pas assez bénéficié du fait accompli,
elle se plaint; et, si une satisfaction suffisante n'est
donnée à ses plaintes au bout d'un certain temps (c'est
le cas ordinaire des conquérants anciens du pouvoir,
devenus conservateurs), elle réclame, non plus des
améliorations qu'elle a vainement demandées, mais des
garanties qui l'assurent de les obtenir : ces garanties
consistent dans une participation plus ou moins large
au pouvoir. Telle est l'histoire de tous les avènements
de groupes sociaux au pouvoir. » Van Haeken, loc. cit.,
p. 210. Parfois, un groupe d'opposants parmi ceux qui
se disputent le pouvoir favorise l'accession de nou-
veaux co-partageants. En 1848, l'établissement du suf-
frage universel en France et l'accès de la classe ou-
vrière aux droits politiques furent l'œuvre de l'opposi-
tion bourgeoise, devant le refus opiniâtre d'adjoindre
des électeurs capacitaires au groupe des censitaires à
200 francs. Mais l'opposition n'aurait jamais pensé à
cette transformation de l'électorat restreint, si déjà la
classe ouvrière n'eût fait entendre ses doléances so-
ciales et politiques. Le suffrage universel apparaissait
aux ouvriers comme une arme puissante pour s'assurer
des mandataires de leurs intérêts.
Défait, il substitua la multitude aux privilégiés pour
la désignation des parlementaires qui font les lois et
les ministres : de 240 000 inscrits environ, le corps
électoral français fut porté à près de 80000000. c'est-à-
dire se multiplia de 1 à 33.
Cette multiplication des électeurs changea profondé-
ment l'état d'esprit des gouvernements et des législa-
teurs et, par une suite naturelle, la qualité des lois.
o Soit au repos et dans sa statique, soit en action et
dans sa dynamique, l'État moderne aurait désormais,
soit comme base, soit comme moteur, le nombre. L'in-
troduction du nombre dans la mécanique de l'État
concorde donc et peut se comparer absolument avec
l'introduction de la vapeur dans la mécanique des
métiers. De même que l'une avait prodigieusement
accru, et sous tous les rapports, transformé le travail
industriel, ainsi l'autre allait notablement accroître
et transformer radicalement le travail d'État. Car,
dans l'État, d'une part, tout doit se faire désormais par
la loi, et, d'autre part, la loi ne peut se faire que par
le nombre. La conséquence nécessaire est que, faite
plus ou moins directement par le nombre, mais dans
297
DEMOCRATIE
298
tous les cas inspirée par lui, la loi sera plus ou moins
franchement faite par le nombre, et l'État lui-même,
tourné au profit du nombre. » Benoist, toc. cit., p. 8.
« Voilà pourquoi, dans notre siècle, on ne saurait le
nier, l'avènement politique de la démocratie a fait éclore
chez les gouvernants, et en général chez ceux qui for-
ment la classe dirigeante, avec le besoin et le désir de
capter les suffrages populaires, la préoccupation de
plaire à la multitude et d'améliorer son sort; et l'on
remarque partout un courant d'idées, de sentiments et
d'entreprises diverses, ayant pour objet l'accroissement
du bien-être des travailleurs. » Gayraud, Les démo-
crates chrétiens, p. 13.
A une législation faite par des bourgeois et pour des
bourgeois succéda une législation faite par des bour-
geois encore, le plus souvent, mais avec le souci volon-
taire ou forcé, intéressé ou non, des intérêts populaires,
des revendications de la classe ouvrière. « Tandis qu'au-
paravant, on avait légiféré pour la propriété et presque
uniquement pour elle, on allait légiférer uniquement
pour le travail, ou, du moins, jamais à présent le tra-
vail ne serait oublié, et, toujours, dans toute législation,
on se placerait de préférence au point de vue du travail.
Le Code civil de 180i. pour des raisons qui se devinent
et sur lesquelles il n'y a pas lieu d'appuyer : ignorance
forcée ou volontaire de la grande industrie à peine
naissante; haine et terreur de la corporation, dégéné-
rant en haine de la simple association ; nécessité de
reconsolider la terre de France que la vente des biens
nationaux avait brutalement mobilisée — pour toutes ces
raisons, et parce que ses rédacteurs étaient des hommes
du xviii» siècle plutôt que du XIX0, des bourgeois et
des gens du parlement, des légistes nourris de Polhier
et des physiocrates imbus de Quesnay, le Code civil
n'était guère que le Code de la propriété. Mais voici
qu'allait désormais se constituer et que déjà s'ébau-
chait un (Unie du travail, dont les décrets de février
et de mars 1848 sont comme les premiers articles. »
Benoist, loc. cit., p. 8, 9.
L'opposition est saisissante entre la législation de la
tituante, du Consulat, du Premier Empire sur le
contrat de travail ou les coalitions, et les lois de la
République en 1849, de l'Empire, '2."> mai 1864, <lr la
République, "il mars l8Kî. sur les coalitions, les grèves,
lei syndicats ouvriers. Paul Bureau, Le contrat de
<il, Paris, 1902, p. 199, 211, Siins doute, parmi
Mises directes de ces lois ouvrières, il faut comp-
ter au premier rang l'influence de groupements ou-
vriers, plus capables et mieux formés ! concurremment
à celle d'hommes d'Étal el de Bociologues; mais les
désira et li i (Torts bien ouvrièri
pour l'amélioration de son sort agissaient aussi bien sur
les élus di -"ii suffrage comme un fort stimulant.
Ainsi tendait i r une situation «ans égale jus-
qn Ici dans l'histoire connue. Xi l'Orient ancien, avec
randi empire patriarcaux, despotiques et conqué-
rants, ni l.i Grèce avec ses républiques boi
el aristocratique i base d'i ou de colonat
quasi servile, m Rome, avec son syndicat de grands
propriétain ■ .! Sénat de la ville, ses procon-
devenus les maîtres absolus des provinces, son
empereur enfin, maître d'un monde, ni même les
lions du ii. | odales et monarchiques, ne connu-
rent ectti acceuion universelle de* mullitudet auj
■ i,i >• et celle recherche universelle de»
de in vie populaire, imposée aux gouverne-
menu par l'influence de la multitude.
I mOU VI rie ni rMiniiiuii.il du ne, localisait
dam li communes i urali - urément, dan
un |" n plus «le vigueur
el d • < lai - mal di i ordre politique et social
le na ii ■ m II. lient .m ,■, r féodal, au privi-
dynastique, et peu a peu, en Franc* la monarchie,
devenant absolue, établit les communes du royaume
dans cette étroite dépendance envers les intendants et
leurs subdélégués, dont Malesherbes, au nom de la
Cour des Aides, disait à Louis XVI en 1775 : « On a
pour ainsi dire interdit, la nation entière, et on lui a
donné des tuteurs. >> Mémoires pour servir à l'his-
toire du droit public de la France on matière d'im-
pôts, Bruxelles, 1779, p. 654; de Tocqueville, De la
démocratie en Amérique, 15e édit., Paris, 1858, t. i,
309, note K.
Mais, à rencontre de l'ancienne démocratie com-
munale, contenue par les seigneurs et par les rois, et
finalement annihilée par ces derniers, la démocratie
actuelle est une puissance envahissante et domina-
trice. L'Allemagne, l'Autriche-Ilongrie, l'Angleterre
font une part croissante au suffrage universel et aux
lois ou institutions ouvrières; et cependant ces pays
représentent la fidélité au culte dynastique, la tradition
d'une aristocratie influente de pairs, de magnats, de
seigneurs, en possession héréditaire des grandes for-
tunes et du pouvoir. Au lieu de représenter seulement,
comme jadis, les votes el les idées de la bourgeoisie
haute ou moyenne, la Chambre des Communes, le
Reichstag, représentent de plus en plus la multitude
ouvrière organisée par Trade-Unions ou syndicats
dont les revendications agissent puissamment sur la
législation. Ainsi, comme force politique et comme
mouvement améliorateur des conditions où vit le
peuple, la démocratie caractérise historiquement notre
époque, d'une manière générale. On la reconnaît
« comme un fait social, issu des faits antérieurs qui
forment la trame de l'histoire. » Gayraud, Les démo-
crates chrétiens, Paris, 1899, p. 10, li. A ce point de
vue, nos temps sont bien des tem}>s nouveaux. Ce mou-
vement est irrésistible, d'abord, parce qu'il procède de
la révolution d'outillage qui a concentré la classe ou-
vrière en la rendant consciente de sa force et de ses
souffrances, comme jamais; ensuite, parce que rien ne
sera jamais plus attrayant, plus ricin1 d'espoirs et de
promesses, pour des ouvriers aspirant à une vie plus
heureuse et mieux garantie, que de se dire : « Nous
sommes les maîtres de nous l'assurer, finalement, par
notre bulletin de vote. » Ils se rendent compte, certes,
que, souvent, leurs élus, des politiciens, trahissent ou
escamotent largement leur mandat; mais, décompte
fail de ces abus de confiance, il y a encore moyen d'ob-
tenir quelque chose par eux, et il n'y a pas d'autre
moyen. C'est ainsi que des calculs et des sentiments se
mélangent aux influences de l'atelier et de la concen-
tration ouvrière pour donner au mouvement du peuple
vers une vie plus heureuse et à son accession au pou-
voir, une souveraine puissance devant laquelle, même
en liussie. l'autocratie traditionnelle et l'oppressive bu-
reaucratie chancellent ou reculent.
L'observation de ces faits suaire une altitude mo-
rale, ipie définit ainsi M. Gayraud : « Nous regardons
la démocratie comme un fait imposé par l'histoire,
contre lequel il est puéril el vain de s'emporter en
paroles, et dont le devoir social nous oblige à tirer le
meilleur parti possible pour le bien du pays et le pro-
grès de la civilisation chrétienne ( ." cit., p. II.
Observer le mouvement démocratique, l'esprit calme et
ouvert, dans une pensée de bien commun et de frater-
nité chrétienne, tel est le devoir en même temps
[ue ei religieux que ce mouvement nouveau du
monde nous apporte.
Hais ce devoir se complique d'exigences pruden-
tielles el il. ,|_.||. .- 1 1. " I I I 11.1 |ev limitant plus ■. 1
que tout d'abord, dans le c "s du six1 siécli lea pu
mières manifestations de la poussée démocratique
furetii ii Itiieu .1. tordonnées. U< ils de Tocque
\ î 1 1 r- , en |s:i.">, i doutables diffi-
culté . • I i Jamais les < hefi d«
299
DEMOCHATIK
300
l'État n'ont pensé à rien préparer d'avance pour la dé-
mocratie; elle s'est faite malgré eux ou à leur insu.
Les classes les plus puissantes, les plus intelligentes
et les plus inorales de la nation n'ont point cherché à
s'emparer d'elle alin de la diriger. La démocratie a
donc été abandonnée à ses instincts sauvages; elle a
grandi comme ces enfants privés des soins paternels
qui s'élèvent d'eux-mêmes dans les rues de nos villes
et qui ne connaissent de la société que ses vices et ses
misères. On semblait encore ignorer son existence
quand elle s'est emparée à l'improviste du pouvoir.
Chacun alors s'est soumis avec servilité à ses moin-
dres désirs; on l'a adorée comme l'image de la force...
II en est résulté que la révolution démocratique s'est
opérée dans le matériel de la société, sans qu'il se fît,
dans les lois, les idées, les habitudes, les mœurs, le
changement qui eut été nécessaire pour rendre cette
révolution utile. Ainsi nous avons la démocratie, moins
ce qui doit atténuer ses vices et faire ressortir ses
avantages naturels; et voyant déjà les maux qu'elle
entraîne, nous ignorons encore les biens qu'elle peut
donner. » De la démocratie en Amérique, Introduction,
p. 9, 10. Cf. sir Th. May, Histoire de la démocratie
en Europe, Paris, 1879.
Mais, si elle a manqué d'éducateurs à sa naissance,
la démocratie, devenue grande et vigoureuse, ne les
réclame-t-elle pas plus que jamais, surtout depuis
qu'elle a fait l'expérience de ses erreurs et de ses
fautes? C'est ce que pensent d'équitables et chrétiens
esprits, qui s'attachent à démêler quels véritables biens
honnêtes les revendications politiques et sociales de
la démocratie poursuivent. Sans donc absoudre ni les
violences des révolutions ni les projets spoliateurs du
collectivisme, des moralistes catholiques estiment que
la démocratie poursuit une (in légitime et un réel pro-
grès de la personnalité humaine, en admettant chaque
citoyen à une part du gouvernement. Se gouverner
soi-même est le propre de l'homme raisonnable : cette
maîtrise de l'homme sur ses actes commence par le
gouvernement de sa vie et de ses biens dans l'ordre privé ;
mais elle demeure incomplète si l'on vit dans l'ordre
public à la manière d'un sujet et non d'un citoyen,
sous la tutelle du pouvoir, comme un simple mineur.
Gayraud, Les démocrates chrétiens,]). 17; Fonsegrive,
La crise sociale, p. 443. Non moins légitime est l'ac-
croissement de la sollicitude publique à l'égard de la
classe ouvrière; et les facilités d'association ou autres
que de récentes lois lui ont procurées contribuent jus-
tement à une réelle amélioration de son mode d'exis-
tence. Gayraud, loc, cit., p. 20, 21.
En présence de ces avantages, réalisés ou poursui-
vis, la foi chrétienne au gouvernement divin des
affaires humaines inspire l'idée d'une disposition pro-
videntielle. Alexis de Tocqueville exprimait cette vue
dans une page saisissante où, résumant les caractères
du mouvement démocratique, universel, durable, échap-
pant chaque jour à la puissance humaine, utilisant à
ses fins les événements et les hommes, il déclarait
l'étudier « sous l'impression d'une sorte de terreur
religieuse ». De la démocratie en Amérique, t. i, p. 7,
8. Mais puisque le bien et le mal s'enchevêtrent dans
ce mouvement, 'ne devons-nous pas, en toute sérénité,
considérer les justes revendications de la démocratie
comme directement autorisées et voulues par la pro-
vidence, et ses erreurs, ses fautes, ses déviations,
comme des maux que la bonté providentielle permet
encore, non sans le dessein d'en tirer du bien? En
appliquant tout simplement ici la notion catholique
de la providence, telle que la résume saint Thomas,
Sum. theol., I\ q. xxn, a. 2, l'âme s'élève, la pensée
se rassérène, l'étude devient impartialement chrétienne
et sympathique à tout bien, dans le spectacle si trou-
blé et si troublant du mouvement démocratique.
C'est la meilleure préparation morale pour recueillir
à son sujet les enseignements des souverains pontifes.
VII. De Pie VII à Grégoire XVI : condamnation
RÉITÉRÉE DES MENÉES RÉVOLUTIONNAIRES. — l)iv. i l
causes bien connues entraînèrent d'abord le mouve-
ment démocratique dans certaines déviations révolu-
tionnaires : une législation, sévèrement prohibitive des
grèves, coalitions, associations, ententes quelconques
entre ouvriers, poussait elle-même ces derniers à des
réunions secrètes ou à des violences contre les per-
sonnes et les biens des patrons. Les exemples de ces
désordres furent nombreux en France et en Angleterre,
à mesure du développement industriel. Ilowell, Le
passé et V avenir des Trade-Vnions. « Les bourgeois,
l'aristocratie et les princes s'entendaient à l'établisse-
ment de lois et de coutumes en faveur du capital et
contre le travail : le premier affirmant ses droits sans
tenir compte de ses devoirs et de ses responsabilités,
tandis que le second, obligé de subir tous les devoirs
et toutes les responsabilités, voyait méconnaître ses
droits légitimes, sans aucun moyen de les faire respec-
ter. » Ilowell, p. 49. Cf. p. 40. Privés ainsi du bienveil-
lant patronage qui les eût initiés à la revendication
pacifique de leurs intérêts, les ouvriers devinrent
aisément victimes de meneurs, soit fanatiques, soit
exploiteurs, naturellement appelés par leur inexpé-
rience à se conduire dans une situation toute neuve,
et par leur exaspération. Le mouvement ouvrier, dé-
pouillé de son autonomie, fut entraîné le plus souvent
dans un courant tout révolutionnaire de conspirations
secrètes, de violences matérielles pour renverser les
bourgeois et les princes.
De rares esprits clairvoyants eurent seuls l'intuition
de la cause juste qui se compromettait dans' cet en-
traînement. Ils virent aussi quelles ressources merveil-
leuses de doctrine morale et de fraternité l'Église
possédait pour servir la cause des humbles. En 1825,
le comte de Saint-Simon, dont une école fameuse a
gardé le nom. s'adressait au pape dans son Nouveau
christianisme. Il lui démontrait que, pour garder ou
reconquérir la puissance morale de l'Église sur les
peuples, il fallait diriger la grande réforme sociale qui
se préparait dans le monde. « Vos devanciers ont suffi-
samment perfectionné la théorie du christianisme, ils
l'ont suffisamment propagée, c'est de l'application de
la doctrine qu'il faut vous occuper. Le véritable chris-
tianisme doit rendre les hommes heureux, non seule-
ment dans le ciel, mais sur la terre. Votre tâche consiste
à organiser l'espèce humaine d'après le principe fon-
damental de la morale divine. Il ne faut pas vous
borner à prêcher aux fidèles que les pauvres sont les
enfants chéris de Dieu, il faut que vous usiez, franche-
ment et énergiquement, de tous les pouvoirs et de
tous les moyens de l'Église militante, pour améliorer
promptement l'état physique et moral de la classe la
plus nombreuse. » Le nouveau christianisme, Paris,
1832, p. 138-149; Id., Le catéchisme des industriels,
Paris, 1824.
A l'énoncé de ce dernier but, on reconnaît une in-
tuition profondément juste du problème démocratique
dans son aspect social. Saint-Simon n'aperçoit pas
moins bien les ressources morales de l'Église pour la
pleine solution de ce problème où la justice et la cha-
rité doivent primer l'économie politique. Malheureuse-
ment, disciple de l'Kncyclopédie. le réformateur n'était
en religion qu'un déiste, incrédule aux dogmes de
l'Évangile, bien que très admirateur de sa morale. Il
n'était guère en situation de faire agréer ses conseils
par le suprême gardien de l'orthodoxie intégrale.
De plus, le saint-siège concentrait alors son atten-
tion sur les carbonari et autres sociétés secrètes qui
se livraient à des menées anticatholiques et révolution-
naires, parmi les ouvriers comme dans la bourgeoisie.
301
DEMOCRATIE
302
Dans sa bulle Ecclesiam a Jcsu Chris to, 13 septembre
1821, Pie Vil condamne ces sociétés pour leurs doc-
trines d'indifférence en matière de religion et pour
leurs tentatives de renverser les rois et autres gouver-
nants, comme des tyrans. Le 13 mars 1826, Léon XII
renouvelle ces condamnations dans les Lettres apos-
toliques Quo graviora, parce que, dès le début de son
pontilicat, dit-il, l'état, le nombre, la force des sociétés
secrètes ont retenu son examen. Absorbée par ces
groupes révolutionnaires, l'attention du saint-siège
demeure ainsi éloignée de considérer les aspirations
du peuple vers une vie plus beureuse. Le problème
posé par Saint-Simon ne surgit pas encore dans la
conscience des pontifes : l'urgence de couper court à
des menées redoutables les préoccupe avant tout.
Dans cet ordre de préoccupations, Léon XII exborte
directement les princes de l'Europe catholique à une
défense simultanée de la religion et de l'autorité royale.
%Summoetiam studio, vestrum flagitamus praesidium.
Le pape insiste sur le changement ou même la des-
truction du régime monarchique, poursuivis par les
sociétés secrètes : o Ce n'est pas la haine seule de la
religion qui les inspire, mais l'espoir que les peuples
soumis à votre empire, en voyant renverser les bornes
posées dans les choses saintes par Jésus-Christ et par
son Église, seront finalement amenés par cet exemple «
changer ou à détruire l« ferme d« gouvernement. »
Qu'ils poursuivissent l'établissement de la république
ou des institutions libérales, les meneurs visés dans
ce document compromettaient ainsi, au regard du
saint-siège, des formes de pouvoir non condamnables
en soi, mais qui le devenaient dans la circonstance, à
cause des moyens adoptés pour les réaliser.
De Léon XII à (Irégoire XVI, Lamennais, son école
et surtout les rédacteurs du journal L'avenir travail-
lèrent à propager dans les milieux catholiques le souci
des intérêts et des libertés populaires. Lamennais, dans
un article du 30 juin 1831, annonçait que, « à moins
d'un changement total dans le régime industriel, un
soulèvement général des pauvres contre les riches de-
viendrai! inévitable; •> et le Saint-Siège* était exhorté à
lire devant les rois le porte-parole des revendica-
tions ouvrières. Mais le programme de Lamennais
ni en maximes absolues la liberté de conscience
ii celle de la presse; il allai) même jusqu'à regarder
la révolution politique el sociale comme le prélimi-
naire indispensable et providentiel d'un nouvel âge
chrétien. L'encyclique de Grégoire XVI, Mirari vos,
15 aoûl 1832, condamna les erreurs tnennaisiennes sur
la liberté, Elle rappela le principe de saint Paul : obéis-
sance ■' ■ ■ i x pouvoirs établis. Elle montra l'application
exemplaire de ce principe dansla fidélité des chrétiens
antiques â des empereurs qui les persécutaient. Elle
la <iiii certains libéraux ou libérateurs des
servitude pour le peuple : tervitutem sul>
Ubertatu tpecie populis illaturi, F.e pape enfin se
tournait vers les princes, les adjuranl comme pères
il tu de leur assurer la pai\ et la
prospérité en protégeant l'Église. Il continuai! donc de
en faveur des peuples, au lieu de
adret ei aux peuples sans les rois, el même contre
ainsi que Lamennais I aurait voulu, dan on
oppo Ition jfstématique, violente, injuste, aux royauté!
■ h obji i de on amour.
VIII Pli IS LA 80UVERAIMET1 DO NOMBRE ET DE LA
i MATÉRIELLE, I ONDAUNÉE PAR II .Si/; \i:i
tni i numei I el virium nalu-
a Syllabut du 8 décembre 1864, prop
pi ope m tive déji'censurée en propres
termes dan l'allocution Vaxima guident, du '.' juin
mpielalu < m j reconnaît a m do<
Irine matériali li de i luloritc, la ramenant toute! la
foi ce brutale de t di m ijorité Le mati ria
Usine qui sévissait dans le milieu du xixe siècle passait
aussi bien de la spéculation cosmologique à la morale
et à la politique. Dieu et sa loi supprimés, que restait-il
pour fonder le pouvoir, sinon la multitude omnipotente
ou ceux qui parlaient en son nom, avec la force qui
s'impose? C'est ce que Pie IX a condamné.
Il ne censurait pas l'attribution démocratique du
pouvoir à la multitude, mais la souveraineté du nombre
et de la force à l'exclusion du droit; c'est ce qui res-
sort du texte de l'allocution auquel le Syllabus réfère
expressément la proposition 60e. Pie IX signale, en
effet, l'étroite connexion de celle-ci avec une philoso-
phie toute matérialiste, et ses paroles s'appliquent
tout droit aux disciples de Feuerbach, Bi'ichner et Mo-
leschott : « Ils font dérision de l'autorité et du droit
avec tant de témérité, qu'ils ont l'impudence de dire
que l'autorité n'est rien, si ce n'est celle du nombre
et de la force matérielle ; que le droit consiste dans le
fait, que les devoirs des hommes sont un vain mot et
que tous les faits humains ont force de droit. Ajoutant
ensuite les mensonges aux mensonges, les délires aux
délires, foulant aux pieds toute autorité légitime, tout
droit légitime, toute obligation, tout devoir, ils n'hé-
sitent pas à substituer en place du droit véritable et
légitime, ce droit faux et menteur de la force, et à
subordonner l'ordre moral à l'ordre matériel. Ils ne
reconnaissent d'autre force que celle qui réside dans
la matière. » Allocution Ma.rima quidem, § Ad vero
et S Jawi porro commenta.
Mais si la forme démocratique du pouvoir n'est pas
atteinte par ces censures, elles frappent du moins, par
voie de conséquence, un certain abus de pouvoir qui
est la tentation de la démocratie. Le nombre a son
orgueil, ses courtisans qui l'exploitent, politiciens qui
lui persuadent sa toute-puissance. Cette persuasion
gagne les multitudes et leur devient un excitant à la
tyrannie, dans la mesure où les citoyens manquent
individuellement d'un sens ferme et profond de la jus-
tice et du droit. La foule se regarde alors comme sou-
veraine maltresse de décréter le juste et l'injuste, ou
plutôt de faire juste ce qui lui plaît. C'est la démago-
gie. Contre elle, l'ie IX rappelle la souveraineté de la
justice et du droit naturel sur toute loi positive et
toute volonté' de la multitude. V. Maumus L'Église et
la France moderne, Paris, 1897, p. 286. Bien loin de
présenter là quelque doctrine inacceptable à la démo-
cratie, le pontife lui enseigne une vérité libératrice,
qui est de tradition dans l'Eglise et d'opportunité au
xix" siècle. Goyau, Autour du catholicisme, 2« série,
p. 313. 314.
La tradition de l'Église, c'est que tout pouvoir esl
établi comme serviteur de Dieu POUR LE BIEN, Nom.,
XIII, 1.7; et, par suite, que provenant de la multitude
ou provenant d'un seul, la loi esl essentiellement une
ordonnance de la raison i\ vue m bien [commun.
Sum. theol., I ■' Il ' . q, XC, a. I . L2. Le bien commun, c'est
la justice pour chacun et la justice entre tous, avec la
paix qui en résulte. [" 11", q. \<\i. a. 3. Ce n'est pas
Beulement des apôtres, c'est encore des prophètes que
il glise hérita cette robuste conviction que le pouvoir
e^t le serviteur de tous dans la justice, el que de cette
mission découlent tous ses droits. Dépourvue de cette
subordination au bien commun, toute loi, qu'elle
émane d'un prince l'un peuple assemblé, n'est plus
qu'un péché des législateurs, une violence tyrannique,
privée de toute force morale el obligatoire.
Principe élémentaire, que lei monarques oublièrent
au temps il,- leur toute-puissance, el que la démocratie,
.Lu i pri mien ivre i du pout oir, oubliait de m<
Dan -ou rappel, comme dans bien d'autres proposi-
ii Syllabus, tant injurié, Pie l\ poursuivait
donc l'opportune application il une vérité lilx rat rire.
ipplique .iu^ i ti i in nreustmi ni
nos
DÉMOCRATIE
304
qu'on nomme U' droit des majorités, soit dans les assem-
blées populaires de la démocratie directe, soit dans les
assemblées élues de la démocratie représentative. Dans
une collectivité délibérante où les avis se partagent, il
faut bien en venir à compter les voix; c'est un moyen
pratique, et le seul, de terminer les débats par une
solution incontestée de tous. Mais, pratiquement aussi,
les décisions de la majorité ne demeurent acceptables,
que si elle poursuit elle-même le bien commun, et non
pas l'abaissement et le dommage de la minorité. On
en revient ainsi à la nécessité de principes moraux do-
minant la foule et l'assemblée entière : ils disposent la
majorité à écouter le plus possible les justes doléances
de la minorité. Depuis que l'expérience de la démo-
cratie parlementaire a largement instruitles publicistes,
l'opinion de ceux-ci est faite. Herbert Spencer écrivait,
Contemporary Rewiew, 1884 : « Le droit de la majorité
est sans valeur au delà de certaines limites. C'est
comme si, dans le comité de surveillance d'une
bibliothèque, la majorité décidait d'employer les fonds
à l'achat de cibles et de munitions. » Le professeur
Seeley, de Cambridge, Introduction lopolitical science,
Londres, 1902, p. 156, 157, écrit : « Le principe majori-
taire se justifie par la difficulté d'en trouver un autre;
mais il compromet l'idéal de la volonté collective du
peuple ou du gouvernement libre. » C'est une simple
« invention pratique ». Bryce, La République améri-
caine, Paris, 1901, t. m, p. 499, écrit : « La tyrannie
de la majorité n'est pas dans la forme de l'acte qui peut
être parfaitement légale, mais dans l'esprit ou l'humeur
qu'il révèle, et dans le sentiment d'injustice et d'op-
pression qu'il évoque dans la minorité. » Balfour re-
doute les abus tyranniques de la majorité contre les
droits et libertés privées : « C'est une tyrannie non
moins néfaste que celle des despotes. » Discours pro-
noncé à Limerliouse, en Irlande, dans le Times, 12 juin
1903. Enfin, l'rins, De l'esprit du gouvernement dé-
mocratique, Bruxelles, 1902, p. 120, 121, écrit : « La
minorité doit, au nom de l'ordre légal, s'incliner de-
vant la majorité; mais celle-ci doit, au nom de la jus-
tice, s'incliner devant l'intérêt de tous. » Savants
ou hommes d'Etat, les politiques contemporains
s'accordent donc à professer que la souveraineté du
nombre et de la majorité relève de la suprématie qui
appartient toujours au bien commun et au droit. Leur
unanime conviction à cet égard donne un splendide
commentaire à l'enseignement de Pie IX.
Mais celui-ci eut le mérite de rappeler ces vérités
morales dans un temps où le souci de la popularité et
l'envie du succès rapide orientait les politiques vers
l'adulation du nombre et de la force. Pie IX avait goûté
les enthousiasmes populaires aux premiers jours de
son règne; mais il connut bientôt la révolution à Borne
et l'exil à Gaëte. Il discerna les poussées mauvaises du
nombre et de la force, et il sacrifia courageusement la
popularité de ses débuts à une douloureuse, mais né-
cessaire protestation. C'est la gloire de ce pontife, de
n'avoir pas ilatté la démocratie et d'avoir appliqué
l'antique morale chrétienne à contrebalancer la sou-
veraineté du nombre. L'autorité et la loi ne peuvent
pas être simplement « l'expression de la volonté géné-
rale », comme le porte la Déclaration des droits de
l'homme; il faut, de plus, que la volonté générale se
subordonne au droit et au bien commun.
L'enseignement de Pie IX demeure encore très
opportun, car, de nos jours, on va, redisant de tout
vote majoritaire : « C'est la loi! Il n'y a plus qu'à
s'incliner! » Et si la loi est injuste? Un coup de majo-
rité peut-il être la règle infaillible de la justice? Non!
la loi n'est pas << l'expression de la volonté générale »,
mais de l'ordre raisonnable à établir en vue du bien,
soit par la volonté du prince dans une monarchie pure,
soit par la volonté du peuple ou de ses représentants,
dans une démocratie. V. Maumus, L'Église et la
France moderne, p. 225, 22G.
IX. Léon Xlll : u démocratie politiqw
mi: PARMI LES FORMES Dl GOI FERMEMENT QBE l'ÉgLISI
PEl T ACCEPTER. — 1» La question de principe. — Dans
l'encyclique Diuturnum, du 29 juin 1881, sur l'ori-
gine du pouvoir civil, la démocratie est formellement
l'objet de celte reconnaissance; mais Léon XIII prend
soin d'en purifier le concept de tout alliage avec la
thèse de Bousseau sur la souveraineté première, abso-
lue et inaliénable du peuple. D'après Bousseau. en
effet, chaque citoyen fait abandon de toute sa personne
et de tous ses droits à toute la multitude, qui, désor-
mais souveraine, lui assurp toute protection : tel est
l'objet du contrat social : la souveraineté de l'homme
isolé sur soi-même se transforme en la souveraineté de
tous ensemble sur chacun des associés. Désormais,
c'est la volonté de tous, ou, à son début, la volonté- du
plus grand nombre qui est la loi suprême; les divers
types de gouvernement, royauté, aristocratie, magistrats
populaires, ne sont que les commis et les délégués de
la souveraineté universelle. Aussi « quand on propose
une loi dans l'assemblée du peuple, ce qu'on demande
aux citoyens, ce n'est pas précisément s'ils approuvent
la proposition ou s'ils la rejettent, mais si elle est
conforme ou non à la volonté générale, qui est la leur :
chacun, donnant son suffrage, dit son avis là-dessus, et
du calcul des voix se tire la déclaration de la volonté
générale. » Bousseau, Le contrat social, 1. IV. c. II.
Cetle doctrine ressemble fort au matérialisme poli-
tique déjà condamné dans la proposition 60e du Syllabt(s
et celle-ci n'en parait elle-même que la transposition
dans un style rajeuni. Mais la démocratie, grandissant
privée de ses véritables éducateurs, trop souvent
exploitée par des sophistes et des politiciens, continuait
de se griser, en quelque sorte, par les doctrines et par
l'esprit du Contrat social. C'est à quoi pare Léon XIII :
« Bon nombre de contemporains, suivant les traces de
ceux qui, au siècle dernier, s'intitulèrent les philo-
sophes, prétendent que tout pouvoir vient du peuple:
que, par suite, ses dépositaires dans la cité ne le dé-
tiennent pas comme leur appartenant, mais ainsi qu'un
mandat populaire, et sous cette clause, que la volonté
du peuple peut toujours révoquer son mandat. Mais,
c'est ce que nient les catholiques : ils rattachent à Dieu
le droit de commander, comme à son naturel et néces-
saire principe. Toutefois, il importe ici même d'obser-
ver que les gouvernants peuvent en certains cas être
choisis par la volonté et le jugement de la multitude,
sans nulle opposition de l'enseignement catholique. Par
ce moyen de l'élection, la personne du prince est dési-
gnée, mais les droits du pouvoir ne sont pas conférés :
ce n'est pas l'autorité qui est déléguée, mais on décide
par qui elle sera exercée. Les diverses formes de gou-
vernement ne sont pas ici non plus en cause : rien
n'empêche l'Église d'approuver le gouvernement d'un
seul ou de plusieurs, pourvu qu'il soit juste et qu'il
recherche le bien commun. C'est pourquoi, réserve
faite de la justice, les peuples ne reçoivent aucune in-
terdiction de se choisir le genre de constitution qui
s'adapte le mieux à leur génie propre, aux traditions
de leur passé ou à leurs mœurs. «
Cet enseignement de Léon XIII continue bien l'en-
seignement des scolastiques sur les diverses formes de
gouvernement ; toutefois, sous la plume de ce pontife
si appliqué à reconnaître les signes des temps, la doc-
trine traditionnelle passe de l'état purement spéculatif
et du milieu scolaire, à une application des plus pra-
tiques dans la situation du monde moderne. Et c'est
pourquoi aussi elle s'enrichit d'une antithèse vigou-
reuse entre la participation légitime du peuple au pou-
voir et sa souveraineté, telle que Bousseau la supposait.
On retrouve le mémo enseignement dans l'encyclique
305
DEMOCRATIE
306
Immorlale Dei, du 1er novembre 1885, sur la constitu-
tion chrétienne des États, § Sed perniciosa illa et
§ Ejusmodi ne regenda civitate.
C'est donc une bienveillante neutralité de l'Eglise,
que Léon XIII affirme entre les diverses formes du
pouvoir civil : neutralité, parce que l'Église a reçu de
.lésus-Clirist, par révélation, les principes de son propre
gouvernement, mais non ceux des gouvernements
civils: neutralité bienveillante, parce que l'Église recon-
naît là des manifestations naturelles de la vie sociale,
et donc des lois providentielles, dans l'établissement
pouvoirs politiques.
2° A l'exposé des principes, s'ajoutent, chez Léon XIII,
certaines visées d'application, puisque, aussi bien,
c'est le mouvement démocratique moderne qui lui
suggère en fait son enseignement explicite sur l'acces-
sion du peuple au pouvoir ou à son partage.
Dans l'encyclique Immorlale Dei, une brève re-
marque établit que, « dans certaines époques et sous
certaines lois, la participation plus ou moins grande du
peuple au pouvoir n'est pas seulement chose utile :
elle devient un devoir. » S Hxc quidem sunt quœ de
constiluendis. Un peu plus tard, le 10 janvier 1890,
l'encyclique Sapientiae christiamc définit les princi-
paux devoirs civiques des chrétiens. Adressée à l'uni-
vers catholique, sans distinction de républiques ou de
monarchies, elle atteste par son objet même que, par-
tout, la valeur individuelle et morale de l'homme,
l'action privée et publique du citoyen devient par elle-
même un facteur de la prospérité et du bien commun.
Tandis que Grégoire XVI s'adressait encore aux princes
comme aux « pasteurs et tuteurs des peuples » (ency-
clique M/rari vos), Léon XIII s'adresse aux citoyens
qui, dans les monarchies comme dans les républiques,
représentent presque partout maintenant l'accession du
peuple au pouvoir dans une mesure ou dans une autre.
lie tels enseignements sont venus à leur heure, dans
le temps où le suffrage universel s'établit ou se con-
quiert par degrés, et oi'i l'Eglise elle-même réclame
l'action publique de ses fidèles pour la défense de ses
droits qui sont les leurs. Des devoirs civiques plus
grands, plus compliqués el plus généraux s'imposent,
■ n l II. -t. dans toute société, que ne gouvernent plus île
rares privilégiés, nobles de naissance, capacités légales
ou censitaires.
in Mil eui enfin i résoudre, dans le concret, le
nre national île la démocratie politique
eu l i il le dit lui-même dans sa Lettre à
M Mathieu, archevêque de Toulouse (28 mais 1897),
il voulut approprier les maximes traditionnelles des
• lu saint-siège, à l'étal de la France,
'n matière d'ol au* pouvoirs établis. L'ency-
clique -ni i ■ lu 16 févi ier 1892, ensei-
gnait l.i reconnaissance du régime établi, la République,
c ie un devoir envers le bien commun, s (>r, celte
ociale, S l'n, conséquent. L'encyclique aux
cardinaux français, du 3 mai suivant, résumait cette
i me — on s'en souvient, sj controversée dans la
i lil Irice Lor que, dans une société,
H existe un pouvoir constitué el mis à l'œuvre, l'intérêt
commun te trouve lié à ce pouvoir, et l'on doit, pour
on, i accepter tel qu'il est. C'esl pour <■■
qui noua avona dit aux catholiques
(rançai \ca pie \a R< publiqui . > est ■> di
m ou» . respecti
,. /,
lin I par le hit <h ion • lablisseraenl el de n misi
une démocratie bénéficiai! de la doctrine
traditions Ile sur l'acceptation despouvo itui
pe rappelait que d'autn i
temps .i • lien) de mi mi profité di i elti doctrine
H' , en Fi pi i mpii
lendemain d'une effroyable et sanglante anarchie;
ainsi furent acceptés les autres pouvoirs, soit monar-
chiques, soit républicains, qui se succédèrent de nos
jours. » On sait, d'ailleurs, avec quelle délicatesse
Léon XIII reconnut la pleine liberté des préférences
théoriques ou personnelles en matière politique; avec
quelle fermeté il indiqua les changements à obtenir
dans la législation de la République en matière de
questions religieuses ou de questions mixtes; l'une et
l'autre réserve dégagent d'autant mieux la reconnais-
sance du fait démocratique, là où il s'incarne dans un
régime établi, et la validité des droits issus de cet
établissement.
X. Léon XIII : l'éducation morale de la démocra-
tie; problèmes connexes. — L'encyclique Longinqua
Oceani, du 6 janvier 1895. aux évoques d'Amérique,
rappelle fortement le besoin spécial qu'une démocra-
tie a de citoyens honnêtes, et, par suite, la nécessité
qu'elle éprouve d'une éducation morale pénétrée de
religion. « S'il s'agit de l'ordre civil, c'est un fait ac-
quis et reconnu, que, spécialement dans un État popu-
laire comme le vôtre, il est d'une grande importance
que les citoyens soient probes et de bonnes mœurs.
Dans une nation libre, si la justice n'est pas universel-
lement en honneur, si le peuple n'est pas souvent el
soigneusement rappelé à l'observation des préceptes de
l'Évangile, la liberté elle-même peut lui être funeste.
Aussi, que tous les membres du clergé qui travaillent
à l'instruction du peuple traitent avec netteté les
devoirs des citoyens, de façon à persuader les esprits
et à les pénétrer de cette vérité, qu'il faut, dans toutes
les fonctions de la vie civile, loyauté, désintéressement,
intégrité. En effet, ce qui n'est pas permis dans la vie
privée ne l'est pas non plus dans la vie publique. 9
g De reruni génère civili.
Dans ces conseils, les allusions sont claires aux
pratiques immorales des politiciens el des partis en
Amérique. Lllesne le sont pas moins dans le Discours
du 8 octobre 1898 aux pèlerins ouvriers français ; mais
relie fois elles visent les périls moraux de la démocra-
tie sous leur forme spécialement française : « Puisque
vous venez de faire allusion à la démocratie, voici ce
qu'à ce sujet nous devons vous inculquer... Si la dé-
mocratie veut être chrétienne, elle donnera à voire
patrie un avenir de paix, de prospérité et de bonheur.
Si. au contraire, elle s'abandonne à la révolution et au
socialisme; si, trompée par de folles illusions, elle se
livre à des revendications destructives des lois fonda-
mentales sur lesquelles repose tout ordre civil, l'effet
immédiat sera, pour la classe ouvrière elle-même, la
servitude, la misère, la ruine. »
(les enseignements pontificaux laissent apercevoir, en
France comme en Amérique, une véritable crise mo-
rale de la démocratie dans l'ordre politique : doctrines
subversives et personnel corrompu. C'est une
constatée par des observateurs de tout pays et de tout
bord. Kii dehors des milieux catholiques elle inspire
de nos jours une copieuse littérature - Barni, /." mo-
rale dans la démocratie, Paris, 1885; .Iules Payot,
alion 'ic lu démocratie, Paris, 1897; Léon Bour-
/ éducation de la démoa itie, Discours, IS'.iT;
Solidai ité, 1898. Voir aussi .les ou\ ragei di jâ cités de
i,i République américaine, el de Prins, Ds
rnemenl démocratique.
Di catholiques français poursuivent l'éducation
morale de la démocratie coi nécessaire à son i i
nisation politique el sociale, lis ont le vif sentiment
propn BU catholicisme pour celle
mu i. de vo- : l'irréligion propagée dans 1rs m
l' m apparaît un crime contre le peuple el la destruc-
tion mémi luverner I on-
segrive, Catholicisme et démocratie, l << a^c sociale,
I '■ pril 'ii mot ratique,
307
DÉMOCRATIE
.W
Paris, 1900; Qui fera la démocratie, I';iris, l'KXj; La
lutte pour la démocratie, Paris, 1908; Georges Renard,
Sept conférences sur la démocratie, Paris, 1907; Louis
Brouard, Petit catéchisme du démocrate, Paris, l!iu.x.
D'antres catholiques, il est vrai, combattent vivement
1rs méthodes, les tendances, les doctrines du Sillon.
Emmanuel Barbier, Les idées du Sillon. A quoi répond
Jean Desgranges, Les vraies idées du Sillon. Cf. Albert
Schatz, L'individualisme économique et social, Paris,
1908. Le chapitre, intitulé : Libéralisme et christia-
nisme, analyse les idées directrices de la démocra-
tie chrétienne avec beaucoup d'impartialité.
Ces idées même se propagent dans les milieux qui
ne sont point spécifiquement démocratiques : « En
fait, l'Association catholique de la jeunesse française
poursuit l'oeuvre sociale de M. de Mun et de M. de la
Tour du Pin « en la démocratisant », comme l'a dit
M. Georges Piot, son jeune et très compétent historien.
« Aristocratique dans ses origines, l'A. C. J. F. est dé-
mocratique dans ses tendances. » T. Cheminât, dans le
Bulletin de littérature ecclésiastique, 1908, p. 72. Voilà
un signe que le problème de l'éducation morale de la
démocratie s'impose de nos jours universellement. Il
aura eu sans doute ses pionniers, plus ardents que
mesurés, auxquels M. Schatz reconnaît de l'instabilité
et de la confusion dans les doctrines économiques,
mais qui auront forcé l'attention et ouvert une voie où
il est du devoir des esprits sages de s'avancer avec
leur sagesse, courageusement, pour aider le peuple à
connaître les devoirs que lui imposent ses droits et ses
vieux.
Une situation est donc faite, où l'organisation du
régime démocratique et le problème moral de l'éduca-
tion civique sont étroitement connexes. Le suffrage
universel existe en France; ailleurs, il se prépare ou se
conquiert; il se réalise ou se poursuit généralement en
des conditions qui n'assurent aux électeurs, pris en
masse, aucune garantie de sagesse et d'équité dans
leurs choix, et qui les placent à la merci de politiciens,
de comités, de clans exploiteurs, vivant de la chose
publique comme d'un métier lucratif. Il y a là une
question d'organisation légale et conslitutionelle, rele-
vant en soi, non pas de la théologie et de la morale,
mais delà science sociale et politique. Néanmoins celle-
ci constate l'imprescriptible nécessité du facteur moral
et religieux dans la vie civique; elle découvre aussi l'in-
suflisance des pures exhortations morales et religieuses,
si une situation mal établie et corruptrice en combat les
effets ou les énergies. C'est pourquoi il importe de con-
sidérer ici quelles sont les conditions normales des
vertus civiques dans une démocratie, an point de vue
des institutions. Ces notions de science pure devien-
nent d'un intérêt moral et religieux très manifeste,
une fois dûment constaté que telles et telles institu-
tions imposent aux citoyens des devoirs hors de toute
proportion avec leur dose exigible de sagesse et de
justice, et que d'autres proportionnent bien ces de-
voirs à leurs capacités ou même développent ces
dernières. Si la justice distribulive, comme l'appellent
les théologiens, consiste précisément à répartir les
charges et avantages de la vie politique à proportion
des capacités, le problème de l'organisation civique
n'intéresse pas moins la morale que la science. Et c'est
pour cette raison que, rapidement, nous indiquons ici
ses principales données et la littérature à consulter
pour le résoudre.
1° C'est un fait constaté que dans les affaires des
communes rurales, l'assemblée universelle des citoyens
domiciliés constitue le meilleur juge du bien commun,
le plus intéressé au bon emploi des fonds, le plus in-
corruptible de sa nature. Voilà pourquoi la commune
rurale n'est pas seulement le terrain naturel de la dé-
mocratie sous sa forme la plus directe, mais encore son
école primaire et son école d'application la meilleure.
L'éducation civique, donnée par le pédagogue el par le
manuel, demeure verbale et ne forme pas le jugement,
tandis que le sens pratique se développe, et, avec lui.
'équité, h' dévouement au bien commun, là, où, dès leur
enfance, les citoyens ont vu leurs pin- et leurs grands
frères activement gérer pour leur part les intérêts de
la commune. Voir les ouvrages cités, col. 270.
2° Ce que la commune rurale est pour le paysan, le
syndical professionnel le devient pour l'ouvrier indus-
triel, dans la mesure où ce syndicat se dégage des ba-
vardages révolutionnaires, des menées politicienn
s'occupe sérieusement des intérêts du métier. C'est là
que l'ouvrier se forme à la sagesse pratique el à l'arnour
pratique du bien commun, à la prudence et à la justice,
vertus maîtresses du citoyen dans la démocratie. C'est
là qu'il s'habitue à une action intelligente et informée,
disciplinée et personnelle, en vue de son bien et de
ses droits; là enfin que s'élèvent, par la gestion des
charges corporatives et par l'ensemble d'études et de
démarches qu'elles réclament, de véritables aristocrates
naturels, élite inorale et sociale, qui représente au plus
haut degré les aspirations et les capacités de la classe
ouvrière. Les ouvrages déjà cités de Howell, Le passé
et l'avenir des Trade-Unions, et de Paul Bureau, Le
contrat de travail, le rôle des syndicats professionnels,
exposent des faits probants sur cette valeur éducative
du syndicat professionnel. On consultera aussi utile-
ment Paul de Rousiers, Le Trade-Unionisme anglais,
Une nouvelle enquête sur le Trade-Unionisme, dans
La science sociale, 1896, t. xxi, p. 181 sq.; Le congrès
des Trade-Unions à Belfast, 1893, t. xvi, p. 239, 241.
Voir Corporations, t. m, col. 1877, 1878.
Les syndicats professionnels présentent ainsi le
mode de groupement le plus favorable au développe-
ment de la prudence et de la justice dont les ouvriers
ont besoin pour exercer leurs droits civiques dans la
démocratie. Ce n'est pas que le syndicat n'ait ses dan-
gers, ses tentations de violence ou de tyrannie; mais
la pratique des intérêts professionnels, leurs exigences
de transaction et d'entente avec les patrons, la forma-
tion individuelle de la conscience morale et religieuse,
constituent autant de forces supérieures dont les plus
anciennes des Trade-Unions ont expérimenté les bien-
faits. C'est par l'ensemble de ces ressources organiques
que le mouvement syndical vraiment professionnel
appelle de soi la sympathie de l'Église et le concours
de son action inorale, par le moyen des ouvriers
croyants. De même et par la réciproque, l'Église ap-
pelle l'action éducative du syndicat; elle la désire à
titre de condition sociale qui moralise le mieux la classe
ouvrière, dans l'exercice de la démocratie. Voir Corpo-
rations, t. m. col. 1871.
3° Les vertus civiques de la démocratie réclament
aussi le gouvernement local el autonome des com-
munes urbaines, des circonscriptions de pays ou de
province, parce que ce sont là des groupes naturels et
particuliers, dans l'ensemble d'une grande nation, et
que les intéressés directs sont mieux portés que qui
que ce soit à la gestion honnête, appliquée et bien in-
formée, de leurs propres affaires. Ici encore, nous nous
retrouvons dans le domaine spécial de la sociologie ou
de la science politique; mais l'existence du gouverne-
ment local intéresse la inorale par les services qu'il
rend au bien commun, et par sa haute valeur éducative.
Tandis que les parlements nationaux légifèrent de loin,
de trop loin et uniformément, maladroitement, pour
des populations trop nombreuses, trop disparates, trop
dissemblables dans leurs besoins, Prins, De l'esprit
du gouvernement démocratique, p. 239, "210, » il est
dans la nature des choses, que le gouvernement parle-
mentaire, pliant sous un fardeau trop lourd, et incapa-
ble de tout faire à lui seul, ait à ses cotés des rouages
309
DEMOCRATIE
310
auxiliaires pour le soulager et obtenir une meilleure
répartition des tâches. Le mode de distribution le plus
rationnel est celui qui accorde à des catégories de per-
sonnes le soin de s'administrer elles-mêmes pour des
catégories d'intérêts gui leur sont propres en raison
de l'homogénéité de leur vie, de leurs occupations, de
leurs tendances ou de leurs qualités spéciales. » Prins,
loc. cit., p. 240. — Alors, tandis que l'État ou le par-
lement décongestionne ses pouvoirs, on voit s'épanouir
dans nos grandes nations à intérêts compliqués et de
vie intense, « une floraison touffue d'associations va-
riées, constituées en vue de l'utilité publique : univer-
sités, instituts scientifiques, cbaritables, religieux,
artistiques; sociétés pour la fourniture du gaz, de l'élec-
tricité, de la chaleur, de l'eau; sociétés de transports,
d'épargne, de crédit, d'assurances; mutualités, ligues
contre l'alcoolisme ou pour la protection des animaux,
ou pour la moralité publique ou pour la poursuite de
certains délits; chambres libres de commerce, d'indus-
trie, de travail, d'agriculture ; sociétés coopératives, etc.»
Prins, loc. cit., p." 256. Gladstone disait en 1892 : « Plus
les années s'accumulent sur moi, plus j'attache de prix
aux institutions locales. C'est par elles que nous ac-
quérons l'intelligence, le jugement, et que nous nous
rendons aptes à la liberté. Sans elles, nous n'aurions pu
conserver nos institutions centrales, » cité par Prins,
p. 260, et par Ferrand, Les peuples libres, p. 97.
Les avantages éprouvés du gouvernement local con-
sistent à initier les citoyens qui en sont chargés à
l'étude expérimentale et au soin concret des intérêts
locaux : services publics, comme la justice, la police,
les écoles, la bienfaisance, l'hygiène; services tech-
niques accessoires, comme roules, ponts, bâtiments,
égouts, voirie; on procède par commissions d'étude et
d'inspection, visites personnelles d'enquête, préparation
de rapports et de projets, toujours dans la sphère des
besoins communs et immédiats à un groupe dont on
est membre sur place. Aussi, à l'éloquence grandi-
loquente et théâtrale des politiciens, se substituent le
travail utile et de sobres discours. Les sujets à traiter
sont familiers et donnent fréquemment l'occasion de
pratiquer la bienveillance, le dévouement, la pitié. C'est
pourquoi des écrivains autorisés comme Prins. Grey,
Von Mohl. Bryce, considèrent unanimement le gou-
vernemenl local comme développant l'amour intelligent
du bien public chez ses agents, C'est donc une institu-
tion de haute valeur morale. Elle favorise d'ailleurs
beaucoup moins le mauvais esprit de clocher et la fatuité
i ands hoi - de petits irons que le régime de la
tutelle administrative eî de la centralisation absolue.
à subalternes irresponsables et
initiative, el à favoritisme, que brillent le plus les
beaux parleurs humanitaires, vaniteux de la faveur
officielle dont ils jouissent. Au contraire, c'est d'abord
sur le modeste champ des affaires municipales, canto-
nales, provinciales. .1 di issociations de bien public,
que ie façonnent, s'éprouvent, se distinguent peu à peu
bs futurs hoi s d'Etat. Si la commune rurale el le
syndical ouvrier peuvent se considérer comme l< j écoles
primaires naturelles de la capacité et de la vertu civi-
ques dans la démocratie, les institutions diversi
gouvernement local en réalisent pour ainsi diri
supérieure*. Avec leurs fonctions électives el
h titutions te' consacrent pas de privi-
• II faveur des riches, pur.- qu'elles n'offrent pas
complications d'affaires, qui, dans le gou i ne
ment central, 'vi^.ni d< ipécialistes absorbés par la
fonction. I ernement local ne prend que il.
heures intermittentes pour des mandait temporaires,
l 'ri n . >'■• cit., p. 273, 27i; Levasseur, Quettion
'■■- - i /- / i "./ ■ i // oi$u me
blique, Paris, 1907 l> tilli m . on e mi nce, sus
Mil iiu à doter certaine charges du gouvernement
local d'une indemnité journalière, équivalente au salaire
moyen d'un bon ouvrier, de manière à ce que ceux-ci
ne se trouvent point, en fait, évincés de ces charges.
Goodnow, Comparative administrative Law, t. I,
p. 232.
A coté de ses agents, le gouvernement local assagit
et moralise aussi les masses, dont il protège et sert les
intérêts par des mesures pratiques, avantageuses pour
tous. Au lieu de griser la classe populaire avec des
mots capiteux, de l'associer à des haines de clan,
comme le font les politiciens — les représentants des
libertés locales donnent satisfaction à de justes désirs,
intéressent l'opinion à des questions positives et pra-
tiques d'intérêt et de droit, portées à la connaissance
de tous par des débals publics, des articles et informa-
tions de presse. Celle-ci prend là un ton sérieux et
rassis. A ce point de vue, Guizot et Gneist attachent le
plus grand prix aux organes et aux fonctions du gou-
vernement local. Guizot, Histoire des origines du gou-
vernement représentatif , Bruxelles, 1851, 1. 1, p. 180 sq.;
Gneist, Die Prcussische Kreisordnung, Berlin, 1870,
p. 23 sq. Par ces dispositions qu'il réalise dans les
masses, comme par les services qu'il réclame, le gou-
vernement local élimine le politicien et sa « politique
alimentaire », pour installer à leur place des notabilités
communales, cantonales, provinciales, qui ne se clas-
sent pas en partis, mais qui se groupent selon les cas
et les affaires. Macy, Dur governmenl, Boston, 1902,
p. 231; Shaw, Municipal governmenl in Greal Britan-
nia, dans Polilical science Quarlerly, t. x, p. 200 sq. ;
Fox, Counly Counc.il as il worlis, dans Yale Review,
1895, 1896, p. 87; Prins, loc. cit., p. 262, 263; Maurice
Vauthier,/^ gouvernement local de l'Angleterre, Paris,
1895; BlackeOdgers, Local government, Londres, 1901.
4° L'éducation morale du peuple ne s'achèvera pas,
dans l'ordre politique, sans une réforme et une orga-
nisation du suffrage universel. Ici encore, nous énon-
çons une proposition de science sociale el non de théo-
logie; mais cette proposition nous fournit des données
nécessaires pour l'efficacité de renseignement moral
et chrétien du devoir civique à notre époque. Et c'est
pourquoi, l'on ne saurait trop encourager les théolo-
giens à étudier un problème que non seulement les
savants purs ou les hommes politiques approfondissent,
mais sur lequel les travaux des catholiques sociaux en
France, et de la revue L'association catholique ont ac-
cumulé de précieuses études depuis trente ans.
Une nation n'est pas la poussière d'individus que
Bousseau imaginait formant l'État, à l'exclusion de tout
groupe intermédiaire, en transportant peut-être une
vue superficielle et faussée des Landsgetneinden, dans
une théorie pire encore de la société politique en
général. Cette théorie fut appliquée par la Révolution,
en haine des corps privilégiés de l'ancien régime, et
au grand dommage de l'éducation civique des Français.
Une grande nation surtout est un ensemble complexe
île groupes naturels. Les uns se fondent sur le travail,
le domicile, le voisinage commun d'un certain nombre
de familles, et ce sont les communes rurales, déposi-
taires des intérêts agricoles dans toute la nation. D'an-
très groupes si> fondent sur la communauté de travail
en des endroits pourtant divers et même distinct
onl les ouvriers des mines, des transporte, de l'in-
dustrie, avec leurs syndicats ouvriers, et les patrons,
syndiqués aussi ; le commerce, les professions libérales,
orpa universitaires constituent également d'-
il' 'ii tincl pat n iiui' i, ' i dont le bon Font lionnemenl
itile i toute ii nation. La propi l< té aui > bien con-
stitue pour sa part une cla d'intérêt
oaux, lorsque le sol d'un pa] et • méthodes agri-
cole . i ientiflqu di mandent 1 1 produi enl
le type du grand propriétaire C'esl a Pintérieui di toui
n. h [du rivent
:ni
DÉMOCRATIE
312
quotidiennement; c'est des fonctions complémentaires,
exercées par chacun de ces groupes, harmonisées entre
elles avec justice pour tous et entre tous, que résulte la
paix, que ressort le hien commun. Aussi, la nation appe-
lée à se gouverner par ses représentants, selon le système
démocratique, ne sera représentée que par les repré-
sentants de ces groupes et intérêts divers. Et où, et par
qui seront-ils mieux choisis, avec une meilleure con-
naissance des personnes et des choses, que par les
membres de la profession? Nos circonscriptions d'ar-
rondissement confondent des électeurs de toute caté-
gorie dans le choix de personnes inconnues d'eux,
et sur des énoncés de programmes où 99 citoyens sur
100 sont incompétents, car il ne s'agit de rien moins
que d'un programme total de gouvernement pour toute
la nation ! Aussi peut-on appliquer au suffrage uni-
versel, tel que nous l'avons et qu'il existe en d'autres
pays, ce qu'on a dit des élections présidentielles aux
États-Unis : « Les organisateurs ne consultent pas
l'opinion publique; ils la créent. Ils la manipulent,
la pétrissent, la séduisent, la corrompent, la dominent,
la suggestionnent de mille manières. La désignation
en est faite, non parce que la foule est là, mais quoi-
qu'elle soit là, non par sa décision, mais parce que
des comités d'une dévorante activité ont décidé pour
elle. » Ostrogorski, La démocratie et l'organisation
des partis politiques, Paris, 1903; Macy, Dur govem-
ment, Boston, 1902, p. 244. Aussi, une démocratie par-
lementaire, qui repose sur le suffrage universel brut
et amorphe, n'est qu'une démocratie de façade, menée
etfectivement par des minorités politiciennes. Ch. Be-
noist, La crise de l'État moderne, Paris, 1897, p. 26,
27; Sophismes politiques de ce temps, Paris, 1895;
Em. Lahovary, Histoire d'une fiction, le gouvernement
des partis, Bucarest, 1897; sir Henry Summer Maine,
Essais sur le gouvernement populaire, trad. franc.,
p. 145, 157; Georges Goyau, Autour du catholicisme
social, 2e série, 1901, p. 46, 54. Bégime d'incompétence
chez l'électeur et de corruption chez les faiseurs d'élec-
tion, tel est le bilan moral, désormais acquis, à la charge
du suffrage inorganique. Et comme, d'autre part, tout
le monde s'entend à reconnaître l'impossibilité pratique
de revenir au suffrage restreint — par exemple, Benoist,
De l'organisation du suffrage universel, p. 28, 30; de
Lamarzelle, Démocratie politique, p. 7, 8, n. 1 — la
conclusion est qu'il faut organiser le suffrage universel.
Le problème de l'éducation civique et morale néces-
saire à la démocratie engage donc ce dernier problème,
que M. Charles Benoist a magistralement traité dans
son ouvrage sur L'organisation du suffrage universel.
Il y examine : 1° les expédients et palliatifs compatibles
avec la forme actuelle : éducation des électeurs, vote
obligatoire; 2° les changements de forme accidentels :
scrutin de liste ou d'arrondissement; vote secret ou
public; limitations des dépenses électorales; 3° les
changements minimes en substance : l'âge, le domicile,
le minimum de capacité; 4° les combinaisons : suffrage
à plusieurs degrés et vote plural; 5° la représentation
proportionnelle des opinions ; 6° la représentation
réelle du pays. Belativement à celle-ci, M. Benoist étu-
die : 1° les fondements théoriques et philosophiques de
la représentation professionnelle; 2° ses fondements
historiques; 3° ses éléments dans les législations exis-
tantes : survivances ou formes anciennes; formes mixtes
ou renouvelées; formes nouvelles ou progressives. L'ou-
vrage se termine par un essai d'application à la France.
11 est à lire et à méditer par tous les moralistes, qui,
sans sortir de leur compétence, voudront sortir néan-
moins des généralités et des lieux communs, sur la
réforme du suffrage universel et de ses mœurs. De
même que, au traité de la justice et des contrats, le
théologien doit connaître un bon nombre de lois civiles
et de théories juridiques, de même, au traité des Dc-
rnirs civiques, encore à faire, le théologien devra con-
naître les institutions qui assureraient le mieux sa
compétence et sa probité au suffrage populaire, et, par
suite, les ('tndes techniques de science sociale et de
science politique nous sont, de par nos devoirs, aussi
indispensables que celle de l'anthropologie ou de toute
autre science auxiliaire. Nous y gagnerons une préci-
sion et une sérénité d'esprit strictement nécessaires
à la valeur de nos jugements moraux sur le régime
politique nommé démocratie.
XL L'encyclique De conditions opificum et la
DÉMOCRATIE COMME MOUVEMENT SOCIAL. — On peut ap-
peler ce document la charte pontificale de la démo-
cratie, en prenant ce terme dans le sens dérivé de
mouvement social pour l'amélioration de la vie chez
les ouvriers. Dans l'exorde, Léon XIII résume vigoureu-
sement les causes du redoutable conflit que le xiv siècle
vit naître dans la société : 1° progrès nouveaux de
l'industrie et méthodes nouvelles des arts mécaniques;
•2" altération des rapports entre patrons et ouvriers;
3° concentration des richesses entre les mains du petit
nombre et indigence de la multitude; 4° opinion plus
grande que les ouvriers ont conçue d'eux-mêmes et
leur union plus compacte; 5° corruption morale. Cette
énumération place fort exactement la révolution
technique et industrielle opérée par le machinisme au
premier rang des facteurs qui ont produit l'antagonisme
actuel des classes; viennent ensuite les faits déconcen-
tration ouvrière, de concentration patronale et de
démoralisation dont les économistes et les politiques
ont, comme Léon XIII, reconnu l'enchaînement. Mais
le pontifie annonce de suite le haut point de vue de
justice qui domine son intervention : « préciser avec
justesse les droits et les devoirs qui doivent à la fois
commander la richesse et le prolétariat, le capital ri le
travail. Le problème n'est pas sans danger, parce que
trop souvent des hommes turbulents et astucieux
cherchent à en dénaturer le sens et en profitent pour
exciter les multitudes et fomenter des troubles.
Quoi qu'il en soit, nous sommes persuadé, et tout le
monde en convient, qu'il faut, par des mesures promptes
et efficaces, venir en aide aux hommes des classes infé-
rieures, attendu qu'ils sont pour la plupart dans une
situation d'infortune et de misère imméritées. » Ces
dernières paroles sont absolument neuves : si. d'un
côté, Léon XIII ne reste pas moins sévère aux violences
et aux excitations révolutionnaires que Grégoire XVI
ou Léon XII, d'autre part, il bénéficie de soixante
années où le conflit social, se prolongeant, fut observé,
étudié, apprécié par de nombreux esprits, notamment
par ces économistes ou ces hommes d'action catholiques,
si justement appelés les précurseurs du mouvement
social catholique ou ses premiers initiateurs. Victor de
Clercq, Les doctrines sociales catholiques en France,
depuis la Révohdion jusqu'il nos fours, Paris. 1905,
2 brochures. Voir Corporations, t. m, col. 1870, 1871.
Depuis les écrivains contre-révolutionnaires, comme Jo-
seph de Maistre et Bonald, en passant par Chateaubriand.
Ballanche, Lamennais, Lacordaire, Montalembert, le
comte de Coux, Yilleneuve-Bargemont, Louis Veuillot,
Ozanam, jusqu'à Gratry, Charles Périn, Bené de la Tour
du Pin, le comte de Mun, Ketteler, Vogelsang, Decurtins,
etc., l'application des principes évangéliques à l'amélio-
ration physique, sociale et morale de la vie ouvrière de-
vint de plus en plus un sujet d'études et un principe
d'action. Par l'organe d'une élite de croyants et de pen-
seurs, l'Église enseignée sollicitait implicitement l'auto-
rité pontificale à se prononcer sur cette cause majeure.
Des gens même du dehors, comme Bûchez et son école,
d'anciens saint-simoniens, comme le banquier israélite
[saac Pereire, sollicitaient expressément une action nou-
velle de la papauté. « Jamais œuvre plus digne d'elle.
plus conforme à l'enseignement de son divin maître ne
313
DEMOCRATIE
314
s'est offerte à la sollicitude de l'Église. N'est-elle pas,
par son principe même, la mère de tous les petits, la
protectrice des opprimés? Après avoir détruit l'escla-
vage antique et le servage féodal, l'Église doit encore
améliorer le sort de l'ouvrier moderne. » Isaac Pereire,
La question religieuse, Paris, 1878, cité par Leroy-
Beaulieu, La papauté, le socialisme et la démocratie,
p. 8, 9. Aussi, quand Léon XIII eut répondu à ces as-
pirations par l'encyclique De condilione opificum, un
observateur, étranger à la foi, mais clairvoyant, recon-
nut là un contact délibéré avec le monde nouveau du
travail et de l'industrie, un contact nouveau lui-même,
bien que conforme aux traditions constantes de l'Église.
Spuller, L'évolution politique et sociale de l'Eglise,
Paris, 1893, p. 10't, 119, 159, 162, 164, 170. Conformé-
ment à la justice et à la cbarité cbréliennes, le pontife
blâmait l'individualisme de la Révolution, qui « avait
détruit, sans rien leur substituer, les corporations an-
ciennes », et, de la sorte, « livré à la merci de maîtres
inhumain- et à la cupidité d'une concurrence effrénée,
les ouvriers isolés et sans défense. »
En regard de cette « misère imméritée », Léon XIII
considère la puissance des spéculateurs qui accaparent
les affaires, la concentration des entreprises et des mar-
chés aux mains d'un petit nombre de riches et d'opu-
lents, « qui imposent un joug presque servile à l'infinie
multitude des prolétaires. »
L'état de la question ainsi posé, l'encyclique se divise
en quatre parties : 1° l'action des socialistes; 2° l'action
de l'Église, § Confidente)' ad argumenlum aggredi-
mus;'à" l'action de l'État, § Jam vero quota pars rem e-
ilu . l« l'action des patrons et des ouvriers, § Postrcmo
domini ipsique opifices.
I" L'action des socialistes vise toute à organiser la
propriété collective du sol et des moyens de travail.
Elle a n'aurait d'autre effet que de rendre la situation
des ouvriers plus précaire, en leur retirant la libre dis-
position de leur salaire et en leur enlevant par le fait
même tout espoir d'améliorer leur situation. » Donc,
solution nuisible. De plus, injuste : l'individu serait
lésé dans son droit naturel de posséder par lui-même
les moyens qu'il prévoit nécessaires à sa vie, et les
fruits du travail qu'il entreprend à ses lins, t Et qu'on
n'en appelle pas à la providence de l'État, car l'État est
postérieur à l'homme, et avant qu'il put se former,
l'homme déjà avait reçu de la nature le droit de vivre
el de protéger son existence, i A ce propos, réfutation
occasionnelle de la nalionalisation du sol. De ce que
Dieu donna la l are humain, il ne s'ensuit pas
qu'il la livra à celui-ci comme à l'unique propre
collectif, mais simplement qu'il laissa la délimitation
des divers lypes de propriété à l'industrie humaine et
aux institutions des peuples Déplus, le travail de défri-
chement, de culture el d amélioration incorpore à la
terre uni fécondité el une plus-value telle ni Inhé-
rentes à elle qu'on ne -aurait en jouir sans poc
la terre elle-même. Injuste encore pour la famille, la
doctrine socialiste, rar elle ôte à son chef le moyen
d'éli ver Bes lil- et de leur constituer un patrimoine.
Léon Mil. a ce propos, revendique fortement l'autono-
mie de la famille dans il lat, el la supériorité d<
droits dans la iphère de sa On propre et immédiate,
pour le choix el l usage de toul ce que veulent sa con-
n indépi ndance. g Quod igitur démon-
êtravimut Injuste enfin pour la -
iliste ami ni rail m le us. et insupportable
itude poui tout us . priverait le travail
et le talent du -ti lanl i dri de la propi ii
]■ i • galité tant n rée, 1 1
dan li di nûment dan no • t la nu-' re
D'où Léon \lil conclut que le premier fondement A
i ■/>/! 1 euleni
euple, <■',■%! l'inviolabilité de
Toute la critique du socialisme par l'encyclique tend à
l'établissement de ce principe, qui est la contradictoire
du principe socialiste, malgré les atténuations de pru-
dence et de politique apportées à ce dernier par les
maîtres du socialisme. Voir Communisme, t. m, col. 592,
593.
2° L'action de l'Eglise, continue Léon XIII, enseigne
d'abord le respect des inégalités de condition qui sont
le résultat naturel des différences de talent, d'habileté,
de force, et qui tournent au bien de tous, en diversi-
fiant les fonctions à mesure des aptitudes. C'est la répro-
bation par l'Église des abus de la tendance égalitairc.
En dehors même des catholiques, cette réprobation se
rencontre également vigoureuse. Prins fait consister
« l'utopie égalitaire » dans la « tendance à l'égalité des
conditions. » De l'esprit du gouvernement démocra-
tique, p. 7. Bougie observe qu'on ne saurait consi-
dérer l'égalité naturelle des hommes sans tenir compte
de la valeur individuelle des personnes, si différentes
de qualités et de mérites. Les idées égalitaires, Paris,
1901, p. 22, 27. Bryce décrit le respect des notoriétés
et des valeurs individuelles qui s'allie toujours chez les
Américains au sentiment très vif de l'égalité naturelle,
civile et politique. La République américaine, t. iv,
p. 522, 539. C'est donc un fait de nature et un principe
de juste différenciation, que Léon XIII maintient dans
l'ordre social, contre les excès de l'égalitarisme.
Il prémunit aussi le peuple contre l'espérance falla-
cieuse de posséder un paradis terrestre sans douleur
ni travail et contre le principe antisocial de la lutte
des classes. ,-* Illud ilaque slatuatur primo loco ; $ Est
illud in caussa, de qua dicimus. Cf. Léon Poinsard,
La guerre des classes peut-elle être évitée?
L'Église, au contraire de ce faux principe, rapproche
les classes en leur prêchant à chacune la justice dans
son élat : à l'ouvrier, de fournir intégralement et fidè-
lement tout le travail auquel il s'est engagé par contrat
libre et juste; de ne point léser son patron dans ses
biens et dans sa personne; de ne point soutenir ses
revendications avec violence et par l'émeute; de fuir
les discoureurs artificieux qui le corrompent avec des
espérances exagérées et des promesses irréalisables.
Aux patrons, de respecter la dignité de l'homme et du
chrétien dans l'ouvrier, d'honorer le travail comme un
noble moyen de sustenter sa vie; de payer le salaire
intégralement et fidèlement, et un juste salaire; de res-
pecter et de favoriser l'épargne du pauvre.
L'Église veut mémo rapprocher les classes jusqu'à une
certaine amitié. § Sed Ecclesia tamen. La base chré-
tienne de cet intime rapprochement consiste dan- le
sens vrai de la vie, qui montre le danger de la richesse
pour la vie éternelle, et l'essentielle nécessite de bien
se préparer à celle-ci par le bon usage, soit de la pau-
soit de la richesse. Avec ce sens chrétien de la
\ie, les riches distinguent aisément entre leur droit de
-ion, qui est personnel, et leur droit d'usage,
qui se limite personnellement au nécessaire el au con-
venable. Ils doivent leur superflu aux pauvres, à litre
de charité' fraternelle. Léon Mil cite à ce propos saint
Thomas, Sum. tlieol., II" II". q. xxxu, a. 1; q. i.wi,
a. -. Le s. ii- chrétien de la vie montre également à tous
qu ils Sont Comptai. le- <|e leur- talents emeis |e bien
public, s. Grégoire le Grand, Homil., i\. in /
n. 7. /'. /. ., t. i. \x m. coi. 1108 \u\ pauvres finalement,
il en tune d'un étal OÙ a is-t Ihrisl > i
pour lequel il gai di di ' ndres prédilection
i Êglisi en lin tourne l'amitié des classes en uni
fraternité, I fuoi tamen si i hrietianit, pai li
de la création el de l'adoption divine, delà Bn der-
n e i . ,de 1 1 rédemption roua i gali ment ère. -, adopti
Il le même DieU, les riches el II s
pauvres sont une même famille de fn rea, dont Ii
Christ • i i> pn mil i
31!
DÉMOCRATIE
:nc>
El tiéon XIII termine celle .seconde partie de l'ency-
clique par l'exposé des mœurs et des institutions his-
toriquement issues de ces croyances et de ces doclrines.
:S" Action de l'État. — S Jam rem quota par» renie-
dix, Léon Mil déclare parler dans l'hypothèse de l'État
chrétien, constitué selon les préceptes de la raison na-
turelle et de l'Évangile.
L'État agira d'abord par l'économie générale des lois
el des institutions, sans excepter les ouvriers de son
action : c'est son office de servir l'intérêt commun par
des mesures générales. 11 agira ensuite directement
pour le bien propre des ouvriers, qui sont des citoyens
aussi bien que les riebes, et qui ont droit à la protec-
tion de leur travail comme les riches à celle de leur
propriété. C'est l'exigence de la justice distributive.
Les ouvriers y possèdent un titre spécial comme fac-
teurs de la richesse nationale : les gouvernants ont le
devoir d'intervenir dans les questions ouvrières, dès
que la paix publique est menacée par les grèves, que
la religion des ouvriers est violentée, que les ateliers
mélangent les sexes; que les conditions du travail sont
iniques; « dans tous ces cas, il faut absolument appli-
quer dans de certaines limites la force et l'autorité des
lois; les limites seront déterminées par la fin même
qui appelle le secours des lois ; c'est-à-dire que celles-ci
ne doivent pas s'avancer ni rien entreprendre au delà
de ce qui est nécessaire pour réprimer les abus et écar-
ter les dangers. » C'est donc au nom de l'égalité civi-
que et de la justice distributive, que Léon XIII
approuve l'intervention des gouvernements dans la
question ouvrière; toutefois, dans la protection des
droits privés, l'État doit se préoccuper d'une manière
spéciale des faibles et des indigents. « La classe riche se
fait comme un rempart de ses richesses et a moins be-
soin de la tutelle publique [minus egel lutela publicà],
La classe indigente, au contraire, sans richesses pour
la mettre à couvert des injustices, compte surtout sur
la protection de l'État. Que l'État se fasse donc, à un
titre tout particulier, la providence des travailleurs,
qui appartiennent à la classe pauvre en général. Quo-
circa mercenarios , cum in mullitudine egena nume-
rantur, débet cura providentiaque singulari com-
plecti respublica. »
Les expressions « tutelle publique » et « providence
des travailleurs » semblent ici forcer le sens des
expressions latines. Tulela publica veut dire protec-
tion de l'État et non tutelle; cura providentiaque, c'est
le soin et la prévoyance. Leroy-Beaulieu, La papauté,
le socialisme et la démocratie, p. 121. La traduction
officielle demande ici à être contrôlée par le texte. Il
n'en demeure pas moins certain que Léon XIII regarde
les gouvernements comme tenus en justice à une pro-
tection spéciale des droits de l'ouvrier, et à une pré-
voyance non moins spéciale des mesures à prendre en
leur faveur, partout où ils se trouvent menacés ou
lésés.
Suit une énuméralion des cas sujets à cette interven-
tion : l°au bénélice des intérêts généraux : proléger la
propriété contre les attaques violentes, empêcher les
grèves d'entraver les affaires et la jiai.r; 2° au bénéfice
des ouvriers directement : sauvegarder les intérêts de
leur vie éternelle, car, en cela, ils sont les égaux des
riches et des princes, et par suite leur assurer le repos
dominical; veiller à la durée dit travail et aux inter-
valles de repos, selon la nature des industries, les sai-
sons, l'âge, le sexe des ouvriers; n'admettre pas de
trop jeunes enfants dans les ateliers; interdire aux
femmes tout engagement contraire à leurs devoirs ma-
ternels; veiller à la justice du salaire.
Le salaire n'est juste que s'il procure à l'ouvrier les
moyens d'existence qu'il attend de son travail. « Que le
patron et l'ouvrier fassent donc tant et de telles conven-
tions qu'il leur plaira, qu'ils tombent d'accord notam-
ment sur le chiffre du salaire; au-dessus de leur libre
volonté, il est une loi de justice naturelle plus i I
et plus ancienne, à savoir que le salaire ne doit pas
être insuffisant à foire subsister l'ouvrier sobre et hon-
nête. Que si, contraint par la nécessité ou poussé par
la crainte d'un mal plus grand, il accepte des condi-
tions dures que d'ailleurs il ne lui était pas loisible de
refuser, parce qu'elles lui sont imposées par le patron
OU par celui qui fait l'offre du travail, c'est là subir une
violence contre laquelle la justice proleste, i Cepen-
dant, « de peur que dans ces cas et d'autres analogues,
comme dans ce qui concerne la journée de travail et
les soins de la santé des ouvriers dans les mines, les
pouvoirs publics n'interviennent importunément, vu
surtout la variété des circonstances, des temps et des
lieux, il sera préférable qu'en principe la solution en
soit réservée aux corporations ou syndicats dont nous
parlerons plus loin, ou que l'on recoure à quelque
autre moyen de sauvegarder les intérêts des ouvriers,
même, si la cause le réclamait, avec le secours et
l'appui de l'État. »
Après le salaire, l'épargne, que l'État doit favoriser
par des lois favorables elles-mêmes à la propriété,
dans les masses populaires, par des impôts modérés.
On y gagnerait une plus juste répartition de la richesse,
le rapprochement des classes, l'exploitation meilleure
du sol et l'arrêt de l'émigration pauvre.
On remarquera la doctrine très nette de Léon XIII
sur l'égalité. 1° Dans le S sur l'action de l'Église, il
rappelle les origines naturelles, la légitimité morale,
les bienfaits sociaux des inégalités de condition dues
aux différences personnelles d'intelligence, de talent,
d'habileté, de santé, de force. 2° Égalité universelle des
chrétiens, comme enfants de Dieu, cohéritiers de Jésus-
Christ; par suite, fraternité des classes. 3° A propos de
l'action demandée à l'État, Léon XIII rappelle l'égalité
des pauvres et des riches comme citoyens, devant les
lois, et le droit de tous à la protection que réclament
leurs besoins : « Parmi les graves et nombreux devoirs
des gouvernants, celui qui domine tous les autres con-
siste à prendre un égal soin de toutes les classes de
citoyens en observant les lois de la justice distributive. i
L'égalité n'est plus ici dans l'uniformité des mesures
de protection, mais dans leur adaptation entière et adé-
quate aux besoins de chaque classe, de chaque âge,
de chaque sexe. Voir Fonsegrive, La crise sociale,
p. 45G, 471.
4° L'action des patrons et des ouvriers. — 1. Les
associations privées : mutualités, caisses pour les
veuves, les orphelins, les accidents, les chômages.
Institutions de patronage.
a) Leur caractère : associations d'initiative privée,
fondées sur le droit naturel qu'ont tous les citoyens
de s'entraider pour certaines fins particulières, plus
vastes que celles de la famille, moins vastes que celles
de l'État. § Firiuwi suarum explorata exiguitas. —
b) Leurs droits en face de l'État : de droit naturel et
par elles-mêmes elles existent, sans que l'État puisse
leur dénier l'existence. — c) Il a simplement le droit
d'interdire ou de dissoudre les sociétés qui pour-
suivent des fins malhonnêtes, injustes ou contraires à
la sécurité publique. « -Mais encore faut-il qu'en tout
cela les pouvoirs publics n'agissent qu'avec une très
grande circonspection, pour éviter d'empiéter sur les
droits des citoyens et de statuer, sous couleur d'utilité
publique, quelque chose qui serait désavoué par la
raison. » — Suit une digression sur les confréries,
congrégations et ordres religieux, dont la situation et
les droits civils sont analogues à ceux des syndicats ou
corporations.
2. Les sodalttta artificum, syndicats ou corporations.
Ce sont les oeuvres par excellence.
o) Opportunité présente des syndicats et coïpora-
:317
DEMOCRATIE
318
tions. — En regard des sociétés révolutionnaires, an-
lichrétiennes, menées par des chefs occultes, il faut
des associations d'ouvriers chrétiens, autonomes. Pro-
portionnellement, zèle louahle des catholiques qui se
vouent à l'élude et à la solution pratique des questions
ouvrières; qui tiennent des congrès sociaux; qui
fondent ou subventionnent des associations.
b) L'organisation corporative. — « Si, comme il est
certain, les citoyens sont lihres de s'associer, ils
doivent l'être également de se donner les statuts et
règlements qui leur paraissent les plus appropriés
au but qu'ils poursuivent. » Léon XIII ne croit pas
» qu'on puisse donner des règles certaines et précises
pour en déterminer le détail »; cela dépend des indus-
tries, des alfaires, des pays et d'une foule de circon-
stances. « Que l'État protège ces sociétés fondées selon
le droit ; que toutefois il ne s'immisce point dans leur
gouvernement intérieur et ne touche point aux ressorts
inliines qui leur donnent la vie; car le mouvement
vital procède essentiellement d'un principe intérieur
el s'éteint très facilement sous l'action d'une cause
externe. »
c) Enfin, que les corporations soient avant tout mo-
rales et chrétiennes : ainsi le veut la hiérarchie des
tins dans la vie humaine. Voir Corporations, t. III,
col. 1871 sq.
En résumé, ce sont les principes du droit naturel et
de la justice que Léon XIII applique à résoudre le
problème ouvrier; et ces principes lui commandent
un souci tout particulier de la protection des travail-
leurs, soit par eux-mêmes, au moyen de l'association
professionnelle, soit par l'État, comme gardien et
comme restaurateur de leurs droits. Sans prononcer
une seule fois le mot démocratie, l'encyclique De con-
ditione opificum est un programme complet de démo-
cratie, dans le sens où ce terme dit l'amélioration
morale et physique de la vie populaire, par l'action
convergente du peuple, des patrons, des Étals et de la
religion. V. Maumus, L'Église et la démocratie, Paris,
1808.
Dans le même ordre de préoccupations, Léon XIII se
pron a en faveur d'une législation internationale
itn travail. Lettre à M. Gaspard Decurtins, % août 1893.
Dès 1892, M. Leroy-Beaulieu prévoyait les sympathies
du Baint-siège envers celle nouvelle législation, mais
il y redoutai! les inconvénients et les dangers de com-
plications étrangères, si cette législation devait - im-
pos< i "M- forme de n glemi nts internationaux. /«
papauté, !<• socialisme et la démocratie, p. !"•"> I7(i.
Ne pourrait-elle pa s'établir plus Bpontanémenl par
I initie in < il i .. inhe. liions ouvrières el du mouve-
menl syndical, deux fore'- internationales, s'il en est?
observi M. Decurtins, le droit commercial esl
devenu •> mainl égard un droil international. Les
ne lie règll , • Dl l'aies font loi dans le inonde entier
en matii i e di i hi i - di foi . paquebot . lettri di
change, sociétés anonyme pour I exploitation indus-
trielle ou minièn . il semble juste el pot ible d'étendre
le béni Bce de mesures analogues •• la classe ouvrit ne.
Decurtins, Rapport au Congrès international povu la
action ouvrière à /.»ii,/,, Zurich, 1897; Max Tur-
mann /.< développement du catholicisme social de-
l'encyclique Rerum iiovarum, Pari . 1900 p. 208-
i' faits et document cil< par M. Turmann mon
lr«nl bien qui la législation Internationale du travail
il m 1 00, iiiml
ta né ment, la légitime influence de la classe ou rien
< i ">i la i sdera
pai tout s .ii i mu., i civilisi di
n que dans chaque nation partit ulii n le < ode au
travail se rédi i ai lion du peupli l i an i
bien i i in di Ii moi ratie, pn i oui
On Mil, le .!-• ni i il t . i i il
lui-même, à rendre le peuple capable de « délimiter
ses droits et ses devoirs, de se diriger lui-même, de
travailler comme il convient à son propre salut >> ? Lettre
au ministre général des frères mineurs, 25 no-
vembre 1898.
Cette législation internationale du travail commence
même à s'élaborer, comme l'observe M. Léon Poinsard,
Le droit international au XX' siècle, ses progrès, ses
tendances, Paris, 1907. 1° D'une part, les diplomates,
aidés de conseillers techniques, s'y occupent, dans une
nouvelle extension de leurs pouvoirs spéciaux : ainsi
treize États, Allemagne, Autriche-Hongrie, Belgique,
Danemark, Espagne, Erance, Grande-Bretagne, Italie,
Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Suède, Suisse, ont
signé le 26 septembre 1906 un acte interdisant aux
femmes le travail de nuit sauf exceptions très limitées ;
il devra être mis en vigueur par des lois spéciales dans
un délai minimum de dix années. Poinsard, loc. cil.,
p. 56. 2° Des associations internationales privées ac-
tivent le mouvement de l'opinion elle zèle des gouver-
nements : Société de législation comparée, à Paris;
Institut de droit international, Comité maritime
international, Association, ■maritime internationale, à
Paris; Fédération internationale des typographes, au
secrétariat central à Berne; Association internationale
pour la protection de la propriété industrielle, à Berlin ;
Union internationale pour la protection légale des
travailleurs, fondée à Paris en 1900, avec office inter-
national à Bàle. Poinsard, loc, cit., p. 114, 115.
XII. L'encyclique Graves de communi et la démo-
cratie chrétienne. — Le 18 janvier 1901 , ce document
s'adresse aux évêques du monde entier, pour préciser le
terme de démocratie chrétienne, lequel « blesse beau-
coup d'honnêtes gens, qui lui trouvent un sens équivoque
et dangereux ». En Allemagne, il rappelle de trop près
<• démocratie sociale », qui est l'étiquette reçue du socia-
lisme matérialiste et irréligieux. En France, en Belgique,
en Italie, on lui reproche de confondre le dévouement
aux intérêts ouvriers avec rattachement à la forme ré-
publicaine, et alors il devient un sujet de discordes po-
litiques entre catholiques poursuivant le même bien so-
cial. On lui reproche aussi de restreindre en apparence
l'action sociale du christianisme aux intérêts populaires,
en négligeant les autres classes. Cf. § Sic igitur Ecole-
siœ auspiciis, Georges Goyau, Autour du catholicisme
social, 2« série. Taris. 1901, p. 20, 16. Pour dissiper
ces malentendus. Léon Mil déclare qu' « il serait con-
damnable de détourner à un sens politique le terme de
démocratie chrétienne. Sans doute, la démocratie,
d'apn s i étymologiedu terme et l'usage des philosophes,
indique le régime populaire; mais dans les circon-
stances actuelles) il faut ne l'employer qu'en lui ôtant
tout sens politique el e lui attachant aucune autre
signification que celle d'une bienfaisante action chré-
tienne parmi le peuple, o En toul régime de gouverne-
ment, les catholiques doivent poursuivre l'amélioration
morale el phvsii|iie de la vie ouvre re. car celle lin
démocratique ne dépend en soi d'aucune fur le
constitution. Léon Mil sanctionne là une doctrine
qu'il avaii fui d'abord élaborer par le proies eur To-
ii ii il o, de l'ise. Ri vis la internationale di scien: <: sociali,
juillet 1897, traduit en foancal tout le titre /"
notion chrétienne de la démocratie. Cf. du même, Ia
mouvement catholique populaire et le prolétariat.
Sous les es| t un pie di Unilion di i
|j qui '■ ■• ■ de communi approuve dans toute
h 1 1 1 . . 1 1 • m. 1 1 1 soi ial, jui idique, 1 1 onomique,
orienté vei Ii bien du peuple, m i dans
le lie n i oui mu n de Ii té entii re La di moi ratie
chrétii me apparaît la coi uni organi ition d
hou populain , subi eptible di font tionnei iou • Ii
les n ri i et di i inéi ■< I*
iiiiiu nai mi. , i ali al .i l applii ation i ITei livi di doi
'MO
DKMOCI'.ATIK
320
trines sociales évangéliques. » Goyau, toc. cit., p. 26.
A propos de celle démocratie, Léon XI11 rappelle le
côté principalement moral et religieux des questions
sociales. S; De of/iciis virtulum et religionis. Si des
bouleversements de ['outillage el de l'atelier fuient
l'origine de ces questions, leur bonne solution réclame
des principes de justice et de religion chez les ouvriers :
la hausse des salaires n'apportera que tentations à
l'ouvrier dépravé; elle requiert la tempérance, la pré-
voyance, la patience, pour une sage organisation de
ses moyens et de son mode d'existence. Les catholiques
doivent ainsi joindre un souci prépondérant de la mo-
ralité populaire et de la religion, à une compréhension
bien avertie des intérêts économiques et matériels. La
science de la charité fraternelle et de la justice sociale
réclame cette subordination de la fin temporelle à une
lin plus haute et non moins nécessaire.
Certains actes de Pie X commentent sous forme
d'instructions pratiques les enseignements démocra-
tiques de l'encyclique Graves de communi el de l'en-
cyclique sur ta condition des ouvriers. Ce sont le
Molu proprio sur l'action populaire chrétienne, du
18 décembre 1903, la Lettre au cardinal Svampa sur
les démocrates chrétiens autonomes d'Italie, 1er mars
1905; l'encyclique 11 fermo proposito sur l'action ca-
tholique, 11 juin 1905; l'encyclique Pieni l'animo aux
évêques d'Italie sur l'action catholique, 28 juillet 190(5.
XIII. Pie X : l'encyclique Pascekdi et la démocra-
tie dans l'Église. — Au paragraphe du « théologien
moderniste », l'encyclique du 8 septembre 1907 repousse
l'introduction du principe démocratique dans le gou-
vernement de l'Eglise. Elle en résume la théorie dans
les termes suivants : « Nous sommes à une époque où
le sentiment de la liberté est en plein épanouissement :
dans l'ordre civil, la conscience publique a créé le régime
populaire. Or, il n'y a pas deux consciences dans
l'homme, non plus que deux vies. Si l'autorité ecclé-
siastique ne veut pas, au plus intime des consciences,
provoquer et fomenter un conflit, à elle de se plier aux
formes démocratiques, s Le magistère doctrinal doit
lui-même se soumettre à celte évolution : « Comme ce
magistère a sa première origine clans les consciences
individuelles, et qu'il remplit un service public pour
leur plus grande utilité, il est de toute évidence qu'il
doit s'y subordonner, par là même se plier aux formes
populaires. » Consôquemment, le « réformateur »
moderniste inscrira dans son programme de réformes :
« Que le gouvernement ecclésiastique soit réformé dans
toutes ses branches, surtout la disciplinaire et la dog-
matique. Que son esprit, que ses procédés extérieurs
soient mis en harmonie avec la conscience, qui tourne
à la démocratie; qu'une part soit donc faite dans le
gouvernement au clergé inférieur et même aux laïques;
que l'autorité soit décentralisée. »
Le tort de ce programme et de la théorie qui lui sert
de base est de méconnaître les immuables principes de
la constitution donnée à l'Eglise par Jésus-Christ.
L'autorité ecclésiastique diffère précisément de l'auto-
rité civile en ce que ses droits lui sont conférés
par Jésus-Christ, c'est-à-dire par Dieu même directe-
ment, et non par le suffrage de la multitude. C'est
Jésus-Chrisl encore ou ses envoyés, les apôtres, les
papes, qui délimitent, définissent, organisent les
pouvoirs concédés à l'Église. Il n'y appartient donc à
aucun inférieur, à aucun groupe de laïcs ou de clercs,
d'y modifier les maximes ou les procédés de l'autorité
supérieure. L'Église catholique tout entière obéit au
pape comme à un véritable monarque de droit divin
dans l'ordre religieux; monarque unique au monde,
seul en son genre, dépositaire d'une tradition de foi
et de morale qu'il ne peut altérer et qu'il commente,
développe et applique dans le sens toujours maintenu
de sa révélation par Jésus-Christ. Matter, L'Église
catholique, sa constitution, son administration, Paris,
1906.
Mais, comme la sphère d'action de l'Eglise se distingue
essentiellement de celle où agit le pouvoir civil, et que
celui-ci, co te l'Église, est autonome, souverain dans
les limites de sa compétence, une même conscience
humaine peut et doit pratiquer la démocratie dans
l'ordre temporel et politique, ne pas l'introduire dans
l'ordre religieux et se conformer dans l'Église à la
constitution toute différente posée par Jésus-Christ et
développée par ses mandataires ou représentant
dualisme de la conscience est voulu par la nature des
choses : il se fonde en dernier lieu sur la distinction
de la nature et du surnaturel, de la raison et de la foi :
la vie de celle-ci trouve sa règle dans la révélation, le
témoignage, l'autorité; la vie de la raison et delà nature
se développe au contraire, par voie de découverte, de
preuve scientifique, de libre initiative. Il n'y a pas
deux consciences dans l'homme, mais il y a des procé-
dés vitaux et des devoirs sociaux qui se diversifient,
selon qu'il s'agit de la vie sociale naturelle ou de la
vie sociale surnaturelle. Voir col. 291.
Néanmoins, si la constitution essentielle de l'Église
doit rester intangible à toute altération démocratique ou
autre, le mouvement actuel de la démocratie agit
directement sur les individus et sur les peuples qui sont
les éléments humains de l'Église. L'éducation, l'am-
biance universelle des idées et des choses répandent
une mentalité et des façons d'agir qui ne sont plus,
tant s'en faut, celles des temps féodaux ou de l'ancien
régime.
1° Dans l'une comme dans l'autre de ces époques pas-
sées, les évêques partageaient communément un mode
d'existence aristocratique, seigneurial, princier même.
Cela tenait et aux grandes propriétés, aux fiefs, dont
le revenu constituait le temporel des évêchés, et aux
privilèges dont jouissaient les prélats dans l'ordre poli-
tique. Taine, L'ancien régime, ÎG' édit., Paris, 1891.
p. 16-21 ; cardinal Mathieu, L'ancien régime dans la
province de Lorraine et Barrois, Paris, 1878. p. 110.
125-127; Sicard, L'ancien clergé de France, t. I, Les
évoques avant la Révolution, Paris, 1893.
Des survivances de cet état ancien apparaissent encore
en Autriche-Hongrie. Dans les pays démocratiques.
États-Unis par exemple, tout privilège de grande pro-
priété et de situation politique est inconnu dans l'épis-
copat; l'évêque vit simplement comme les autres ci-
toyens, sans distinctions officielles, mais jouissant d'un
respect proportionné à la double estime de sa mission
religieuse et de sa valeur morale personnelle. Félix
Klein, Aupaijsde la vie intense, Paris, 1904, p. 96 sq..
155 sq., 218 sq., 33i sq.
2° Cette simple vie dans le droit commun modifie
aussi bien le recrutement des dignitaires ecclésiastiques.
Aux temps de la féodalité et de l'ancien régime, les
bénéfices ecclésiastiques constituaient des situations
enviées à proportion de leur richesse et île leurs pri-
vilèges politiques. Ils se distribuaient en majeure par-
tie à des ecclésiastiques gentilshommes, dont la famille
trouvait là un bon établissement de ses cadets. Elle
se l'assurait même d'oncle en neveu, tel bénéfice
devenant comme l'apanage de telle maison. C'est un
fait reconnu, que la disparition de ces privilèges déter-
mina un recrutement de l'épiscopat moins exclusif,
plus largement populaire.
3° Les relations des évêques avec leurs prêtres s'en
ressentirent : l'évêque, grand seigneur de naissance et
de situation, tendait, par la force des choses, à maintenir
les distances entre lui et son « bas clergé » roturier,
malgré les édifiants et les humbles prélats qui don-
nèrent maintes fois de beaux exemples contraires.
Mais de nos jours les évêques d'Amérique, sortis du
peuple et vivant au milieu de lui, sans distinctions
321
DÉMOCRATIE — DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THEOLOGIE JUIVE
322
aristocratiques, sont plus naturellement, plus simple-
ment en communication avec leurs prêtres; d'autant
plus, que la grande République d'Outre-Mer ne connaît
guère les formes bureaucratiques et protocolaires, les-
quelles, ailleurs, se dressent encore, ainsi qu'une sur-
vivance d'ancien régime, entre les chefs et les subor-
donnés.
4° Le contact avec les laïcs se modifie encore pro-
fondément pour le clergé tout entier, partout où le
mouvement social démocratique a provoqué, obtenu,
accepté le concours du prêtre aux associations popu-
laires. Tandis que le clergé allemand, dans la première
moitié du XIXe siècle, vivait ou végétait sous la tutelle
nureaucralique, étranger aux questions nouvelles de
j u -tice que soulevaient les temps nouveaux de l'indus-
trie, depuis Ketteler, le clergé d'Outre- Rhin s'est fait
le conseiller, l'initiateur, l'auxiliaire du paysan et de
l'ouvrier à la pratique opporlune bienfaisante, univer-
selle de l'association économique ou professionnelle
sous les formes les plus diverses. Georges Goyau, Kel-
teler, Paris, 1907. Aristocrate de naissance, Ketteler
avait compris les exigences nouvelles des temps. « Mon
àme tout entière, écrivait-il, est attachée aux formes
nouvelles, que les vieilles vérités chrétiennes créeront
dans l'avenir pour les rapports humains. » Kannen-
gieser, Ketteler et l'organisation sociale en Allemagne,
Paris, 1893. Voir ALLEMAGNE, Les (runes sociales et cha-
ritables des catholiques allemands, t. i, col. 817 sq. ,r
Goyau, L'Allemagne religieuse : le catholicisme, 2 vol.,
Paris, 1905.
5° A mesure, enfin, que la pratique normale de la
démocratie s'organise dans un peuple, par le moyen
de l'autonomie communale, syndicale et professionnelle,
locale et provinciale, les œuvres religieuses y recrutent
des hommes mieux préparés à entourer le clergé d'un
concours actif, intelligent, pratique et ordonné. Sous
ce rapport, les traditions bureaucratiques, centralisa-
trices à l'excès de l'État français, ont malheureusement
desservi l'Église de France depuis longtemps; car, sous
ce régime d'État, les citoyens ne connaissent guère
d'autre alternative que celle de la passivité résignée
ou de la critique frondeuse. L'antithèse s'établit, vio-
lente, entre l'autorit ujets, car ceux-ci la rendent
ment responsable de tout ce qui les mécontente
par sa faute ou non. Dans les milieux où, au contraire,
ivenl eux-mi mes a unir, se discipliner il
agir pour des lins communes, le concours des laïcs aux
"'"(' ligieusi s sers de meilleure qualité.
Alor-. s.ui^ altérer le moins du monde les intangibles
I"'1'1' i|hi<?rarchie catholique, la formation dé-
mocratique de l'homme el du citoyen ne s'achèvera
ma apportei son contingent <le forces morales aux
oilectives du chrétien el du catholique. Si. de
Dos jours, la providence permet l'accession croissante
nultitudes au pouvoir, avec l'universelle préoccu-
pation de lois el d'institutions qui imélioreni la vie po-
pulain . ce n -t pas sans prédestiner ces deux lin- de
la démocratie, déjà honni >i, à promouvoir des
lm- morali s et n ligii uses plu- hautes encore. Connu.'
nts» nous somn roire, comme théolo-
nous !• l'oncltions des principes certains de notre
la providence. Si du chaos social et politique
desinvasions barbares, îles aristocraties, desbourgeoi-
-""' ..orces d'à que le
Chrisl i utilisé , p0ar son Église et surélevée!
i,!:| - rand bit n, nous ne devons pas moins
[vement, parmi
ispiralion roupements de la démo-
cratie. Cl n Délai u-. L'encyclique Paecendi n u,
. Lille, 10
i. SarwALM,
DEMON, i nom, qui di ligne dans le lau
ique un ange déchu I II II inscription fran
DICT. ni. î m .u . CATHOI
çaise des termes grecs Baifitov et Satpciiviov. Aatu.wv, dont
l'étymologie est incertaine, est, en grec, un terme très
complexe, étant données la multiplicité et la variété
des acceptions dans lesquelles il a été employé et dont
les nuances sont parfois difficiles à saisir. Ainsi Ho-
mère a désigné par ce mot la divinité en lant qu'elle
exerce une influence bienfaisante ou funeste. Tandis
que, pour lui, 6eô; est la personnalité divine elle-même,
6a!jj.tov représente une puissance secrète, indéfinissa-
ble, à laquelle tous les dieux participent et par laquelle
ils font sentir à l'homme leur supériorité. Quand l'in-
fluence exercée est favorable, le Sai'u.b>v remplit en
quelque sorte le rôle de la providence; mais le plus
souvent, cette action est funeste et Homère appelle
3aijj.dvi<j; un homme frappé par une puissance surna-
turelle. En beaucoup de passages, 8ai".tov est simple-
ment synonyme de 6îo'ç. Par conséquent, pour lui, les
Saiu.rfvgç sont les puissances divines s'occupant des
destinées des mortels. Mais, pour Hésiode, ce sont des
êtres intermédiaires entre les dieux et les hommes,
chargés de fonctions qu'Homère attribuait aux dieux.
Tels étaient les héros de l'âge d'or, devenus les gardiens
souterrains des mortels, ou des personnifications soit
des vertus et qualités morales, soit des forces cosmi-
ques, mêlées très intimement à la vie des hommes.
\ni\s.bY, a désigné aussi la destinée, t-j/v-. Le démon a
encore joué le rôle de protecteur personnel ou d'esprit
malfaisant, attaché à un homme qu'il accompagne
pendant la vie, dont il dirige les pensées, les désirs et
les inclinations. On connaît assez le démon de Socrate.
Lélut, Du démon de Socrate, in-8°, Paris, 1856. Plu-
tarque a reconnu aussi dans les démons des êtres in-
termédiaires entre les dieux et les hommes et partici-
pant à la fois à la nature divine et â la nature humaine.
Ils sont les serviteurs des dieux, accomplissent des
actions que la sublimité de ceux-ci leur interdisait de
faire et répandent sur les hommes les bénédictions et
les châtiments des dieux. Il y a de bons démons et de
mauvais démons. Ces derniers, véritablement malfai-
sants, produisent ce qu'on a attribué aux dieux de mé-
chant et d'indigne. De defectu oraculorum,e. XII ; De
Isnl. et Osir., c. xxvi. Cf. Daremberg et Saglio, Diction-
naire des antiquités grecques et romaines, v Daemon,
Paris, 1892, t. u, p. 9-19; Chantepie de la Saussaye,
Manuel d'histoire des religions, trad. franc., Paris,
1904, p. 509, 514, 536, 656. Les deux mots grecs
8al|icov et 6atu.(,V/!0'/ n'ont désigné des anges déchus que
dans la version des Septante, dans le Nouveau Testa-
ment et dans la langue ecclésiastique. Kn passant dans
le grec hellénistique des Juifs el des chrétiens, ils ont
donc pi is une acception nouvelle, étrangère à leur si-
gnification primitive, quoique présentant avec elle une
certaine analogie. C'esl dans l'acception juive et chré-
tienne d anges déchus qu'il sera parlé ici des démons.
Nous étudierons successivement les démons: Pdans
la P.ible et la théologie juive; 2" d'après les Pères;
3 .1 après les scolastiques el les théologiens posté-
rieurs; 4n d'après les décisions officielles de l'Église.
. I. DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE
juive. — I. Dans l'Ancien Testament. II. Pans le
monde juif postérieur. III. Dans le Nouveau Testament.
I. Pan- i Amiin Testament. Comme on a pré-
tendu que la doctrine juive sur les démons avail subi.
après la fin de la captivité de Babylone, l'influence
perse, il importa de distinguer ce que les Ni. élites
p. osa ii ni d< esprits mauvais jusqu'à l'exil el ■* partir
di i exil.
1" Avant l'exil, Dans les plus anciens livres bi-
bliques, m n'eal pas explicitement question des anges
déchus Cependant, il j est lall mention de puissances
mal fa i pril maui ail I lan le récil de la
chute de nos premier parents, intervient un serpent.
i\ - Il
:523
DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
324
Ce n'est certes pas un simple animal, mais bien un
esprit méchant et malveillant, qui, sous la forme ou
l'apparence d'un serpent, tente Eve, lui suggère l'idée
de désobéir au précepte de Dieu et l'amène, elle et
Adam, à manger du fruit défendu. La manière d'agir
de cet animal cauteleux trahit un être supérieur, spi-
rituel et invisible, qui pousse au mal, et la sentence
divine contre le tentateur atteint cet être fourbe et
dissimulateur plus que l'animal, dont il avait pris la
forme. Gen., m, 13-15. Dans tout ce récit, le serpent
est un prète-nom et un porte-parole de celui qui sera
appelé plus tard le diable. P. Lagrange, L'innocence
cl le péché, dans la Revue biblique, 1897, t. vi, p. 350,
365-366. Cf. F. de Hummelauer, Comment, in Gene-
sini, Paris, 1895, p. 150-151, 158-159; G. Hoberg, Die
Genesis, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1908, p. 44-51.
Cette intervention du serpent pour expliquer la dé-
chéance de l'humanité est exclusivement propre à la
Genèse; elle n'a son pendant dans aucun mythe ancien
relatif à la destinée de l'humanité primitive. Il n'y en
a aucune trace dans le mythe babylonien d'Adapa, dans
lequel quelques mythographes ont prétendu découvrir
l'origine du récit jéhoviste de la création. Le serpent
ne remplit qu'un rôle secondaire dans le mythe d'Étana,
et s'il se venge, c'est contre l'aigle qui avait conçu le
projet de manger ses petits; il ne fait rien relativement
à l'homme. P. Dhorme, Clioix de textes religieux
assyro-babyloniens, Paris, 1907, p. 148-181. Si le ser-
pent intervient, dans les mythes de différents peuples,
pour représenter une puissance mauvaise, on ne le
trouve jamais mêlé à la perte de la félicité première
de l'humanité. Les exemples, cités par F. Lenormant,
Les origines de l'histoire, 2e édit., Paris, 1880, t. i,
p. 98-106; Histoire ancienne de l'Orient, 9e édit., Paris,
1881, t. i, p. 39-41, n'ont point d'analogie avec le récit
biblique de la chute, et si le serpent des Iraniens,
Agrà Mainjou, incarne en quelque sorte le mal, s'il a
quelque rapport avec le serpent de l'Éden, c'est très
probablement parce qu'il en est dérivé par imitation.
Les documents persans ne sont pas aussi anciens que
le croyait Lenormant, et la dépendance entre la Bible
et l'Avesta est l'inverse de ce que Ton prétendait autre-
fois. P. Lagrange, loc. cit., p. 350, 373, 377. Le serpent
tentateur reste donc exclusivement propre à la tradi-
tion israélite.
Moïse, qui avait parlé du serpent de façon à faire
reconnaître plus tard en lui l'esprit tentateur ou le
diable, ne le mentionne plus dans le reste du Penta-
teuque. On a pensé que ce silence était intentionnel,
que Moïse, pour maintenir plus aisément dans l'esprit
de son peuple l'idée monothéiste, s'est tu sur l'existence
d'êtres spirituels déchus, de peur que les Israélites,
entraînés par les conceptions des peuples voisins sur
des dieux malfaisants, ne se soient représenté, à coté
du Dieu tout-puissant et bon, des êtres spirituels et
invisibles, voulant le mal et capables de contrecarrer
les volontés divines et de travailler dans le monde à
rencontre des desseins de Dieu. Chez les Babyloniens
en particulier, les démons étaient toujours prêts à mal
faire et ne pensaient qu'au mal. Aussi, une partie de la
religion consistait-elle à se les rendre favorables ou à
écarter leurs attaques par des incantations et des pra-
tiques magiques. Lenormant-Babelon, Histoire an-
cienne de l'Orient, 9« édit., Paris, 1887, t.'v, p. 194-214;
Maspero, Histoire ancienne des peuples de l'Orient
classique, Paris, 1895, t. i, p. 630-636; Chantepie de
la Saussaye, op. cit., p. 133, 134; P. Lagrange, Eludes
sur les religions sémitiques, 2e édit., Paris, 1905,
p. 223. C'est pourquoi le législateur hébreu interdit si
sévèrement toutes les formes de la magie. Exod., xxn.
18; Lev., xx, 6; Deut., xviii, 9-11.
Les plus anciens livres de la Bible hébraïque, pour
la même raison sans doute, parlent rarement des
esprits mauvais ou démons. On doit \oir cependant
l'un d'eux dans l'espril mauvais qui tourmentait Saûl,
quand l'esprit du Seigneur l'eut quitté-. | Sam.. XVI,
1 i, 15. .Mais cet esprit ne parait pas indépendant de
Dieu; il est présenté comme envoyé par Dieu lui-même
pour agiter le roi coupable; on l'appelle mémo ■ l'esprit
mauvais de Jéhovah ». I Sam., xvi, 16, 23; xvin. lu;
xix. 9. C'est Dieu encore, qui, entouré de toute l'armée
des cieux, permet à un esprit de mensonge de tromper
les faux prophètes d'Achab, et met lui-même sur leurs
lèvres cet esprit de mensonge qui les fait parler.
I(III) Beg., xxn, 19-23; II Par.! Win, 18-22. Ces esprits
n'agissent donc que par la volonté- divine. Ce ne sont
pas des êtres malfaisants par leur nature et leur volonté
propre; ils sont des agents, subordonnés à Dieu et
n'exécutant le mal que parce qu'il le leurcomrnande ou
leur en laisse la liberté.
On peut rapprocher de celte conception le rôle attri-
bué à Satan dans le livre de Job. Cet écrit, qui est
probablement antérieur à la captivité, rellète les idées
anciennes des Israélites sur le démon. Satan, nommé
pour la première fois dans la Bible, est un être sur-
humain, comme les anges au milieu desquels il paraît,
agent du mal, mais dans une absolue subordination à
Jéhovah. Bien qu'il soit envieux du juste Job et veuille
éprouver sa vertu par le malheur, il ne peut agir
qu'avec l'autorisation divine. Il a besoin d'une permis-
sion, sinon même d'une délégation du Seigneur. Son
action est strictement limitée à la volonté de Dieu, qui
permet d'abord d'attaquer son serviteur exclusivement
dans ses biens, et pas en sa personne, Job. 1,6-12, puis
dans sa personne, en sauvegardant toutefois sa vie. il,
1-7. Si Satan n'apparaît pas ici comme un esprit mau-
vais par essence, il se montre malfaisant et tentateur.
Ce rôle de tentateur envers l'homme vertueux, en vue
de le détourner de Dieu, le rattache manifestement au
serpent de la Genèse. D'ailleurs, son nom. Satan,
employé ici avec l'article, haSsâtân, dérive du verbe
sâlan, « dresser des embûches, persécuter, être adver-
saire. » Ce n'est peut-être pas encore un nom propre,
mais plutôt un nom de qualité, désignant un être mal-
veillant, rusé, tendant des pièges et adversaire des
hommes justes. Ce ne serait que plus tard qu'il serait
devenu le nom propre du démon. Il a été traduit en
grec par S;'aôo)oç, signifiant étymologiquement « celui
qui se met en travers », mais ayant ordinairement le
sens d'ennemi, d'adversaire, et spécialement d'accusa-
teur et de calomniateur. Si le Satan de Job ne désigne
pas expressément le prince des démons, il ne convient
pas non plus à un adversaire indéterminé : c'est un
ange mauvais, ennemi de l'homme, dépendant de Dieu,
et n'étant pas par conséquent une puissance du mal,
essentiellement opposée à Dieu et représentant dans le
monde le principe mauvais. La doctrine monothéiste
d'Israël écartait toute idée dualiste et considérait les
esprits mauvais comme inférieurs à Dieu et soumis à
sa volonté, même dans l'exercice de leur malice et
l'accomplissement de leurs desseins malveillants. Bien
comprise, l'idée de ces esprits ne faisait courir aucun
danger au monothéisme israélite et ne portait pas les
Hébreux à déifier Satan et a en faire, en face de Dieu,
principe du bien, le principe du mal.
Ces faits montrent la fausseté du sentiment de quel-
ques critiques, qui ont prétendu à tort que les Hébreux
n'avaient eu la notion distincte du démon qu'après la
captivité, à la suite de leurs rapports avec les Perses,
à qui ils auraient emprunté l'idée du prince des démons
et le nom de Satan, La connaissance d'esprits mauvais
est, chez eux, bien antérieure à la captivité. Nous
allons voir si elle s'est développée à partir de la capti-
vité sous l'influence des doctrines étrangères, et notam-
ment des Perses et des Grecs.
2° A partir de la captivité. — I. Dans les livres ca-
325
DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
326
noniqaes. — Le livre de Tobie nomme le démon
Asmodée, qui avait tué les sept premiers maris de Sara,
fille de Raguel, m, 8; vi, li; vil, 11; vm, 12. Le jeune
Tobie, en épousant Sara, échappa au même sort, grâce
aux moyens de préservation que lui avait suggérés
l'ange Raphaël, son guide, vi, 5, 8, 16-10; vm, 2; xn,
3, H. Raphaël saisit le démon et le relégua dans le
désert de l'Egypte supérieure, vm, 3. Plusieurs cri-
tiques ont prétendu qu'Asmodée avait été emprunté
par les Juifs au mazdéisme, que son nom et son rôle
venaient de la Perse. Asmodée, Esmadai, 'Aa|i.oSa?oç,
ne serait que la transcription de Aêshma-daêva, le dé-
monde la concupiscence, une sorte de Cupidon, nommé
plusieurs fois dans l'Avesta comme le plus dangereux de
tous les démons. F. Lenormant, Les origines de l'his-
loire, 2* édit., Paris, 1880, p. 325-327. En réalité,
l'Avesta ne connaît que Aêshma et n'a pas une seule
fois la forme complète Aéshnia daèva. Le Bundehesh
a bien le nom pehlvi Aêshmshêdâ, qui suppose une
forme avestique Aèshma-daêva. Mais l'histoire de
Tobie est antérieure de plusieurs siècles à tous les
livres pehlvis, et les spécialistes conviennent que
l'iranien daèva n'aurait pu devenir dai en hébreu.
Ii'.iilleurs, VAcshma avestique n'est pas le démon de
la concupiscence; il est partout le démon de la colère
et de la violence. Son attribut principal est une lance
sanglante. Lnlin, aucun déva iranien n'eût aimé une
femme. Le démon Asmodée du livre de Tobie n'est
donc pas un emprunt iranien. C'est un esprit mauvais
et malfaisant, dont les maléfices ont été déjoués pur
un procédé magique, indiqué à Tobie par l'ange Ra-
phaël. Pour la plupart des commentateurs, la reléga-
tion de ce démon dans le désert de l'Egypte supérieure
i lie seulement que l'ange l'éloigna et le mit dans
l'impossibilité de nuire à Tobie. Voir Dictionnaire de
la Bible de M. Vigouroux, t. i, col. 1 103-1 lui. Nous
verrons plus loin que pour les Juifs les démons habi-
taient spécialement dans les déserts. La mention
d'Asmodée dans l'histoire de Tobie ne reflète peut-être
qu'une tradition populaire, dont il n'y a pas d'autre
trace dans la Bible, mais qui a été singulièrement déve-
loppée par 1rs .luifs talmudistes et 'cabalistes, tandis
qui' la tradition chrétienne n'en a tenu à peu près au-
cun compte.
tan est nommé quatre fois (hins les livres posté
- à la captivité'. Tandis que le récit de II Sam., XXVI,
I. attribue à la colère divine contre Israël le projet que
David conçut de dénombrer son peuple, le récit paral-
lèle de | Par., sxi, I. le rappoi sèment à Satan,
qui apparaît comme l'instigateur de cette faute du roi
itnme la cuise de la peste, infligée par Dieu â
punition. L'épreuve que Dieu avait permise
(lins sa colère fut donc considérée plus tard comme
• i' provoquée par Satan, l'ennemi de Dieu et de
son peuple Israël. F. de Hummelauer, Comnientarius
Paris, 1905, t. r, p. 307-906. Uni-
uni' vision, b prophète Zacharie, m. I, 2. vil le grand-
uéou Jésus debout devant l'ange de Jéhovah.
i droite | r s'opposer .i lui ; mais
'h ou Bon ange dit à Satan : a Que Jéhovah te
réprime, Satan: oui. qu'il le réprime, lui quia Dxé
hoii sur Jérusalem. Selon la meilleure inter-
ition de cett< vision, Satan accompagne le graml-
int !■■ tribunal de i ange 'lu Si u ni ur; il
l'accuse, non pas d'une faute i" rsonnelle, mais des
incieiu prophètes ■<■ aient i eprochi
i i a II le i '.n b ni - prévarication pi 1 1|
m luda lis châtiments dh ins
l' n tu ulii r ii c ipti it< i Bab] lone Satan, l'ad
i M- de luda, renouvelait an inlnin.il divin -
ni par là B'oppOSM i i la
uration do suprême u i ni'" i Un mplil dont li
ur devant b- joj.iv Loin d'é©
accusation, Dieu réprima l'accusateur. Satan cherche
donc en vain à provoquer le ressentiment de Jéhovah
contre le grand-prêtre. Dieu a pardonnéà .luda et sauvé
Jérusalem de l'incendie, et Satan est débouté de sa
plainte. J. Knabenbauer, Comnientarius in prophetas
minores, Paris, 1886, t. H, p. 248-249. Marti a prétendu
que Satan (selon lui, il serait une création de Zacharie)
serait la personnification idéale de la voix accusatrice
de la conscience qui s'élève contre le retour des faveurs
divines. Dodekapropheton, Tubingue, 1904, p. 408. No-
wak lui a emprunté cette idée, Die kleinen Propheten,
2e édit., Gœttingue, 1903, p. 352-353. Zacharie n'a pas
créé le personnage de Satan, car il lui aurait donné un
nom signifiant directement accusateur. Il a trouvé ce
nom, déjà employé avant lui; il l'a adopté et il l'a pré-
senté avec l'article hassdtdn, pour faire jouer dans la
scène actuelle, au personnage ainsi nommé, le rôle d'ac-
cusateur de Jésus. Il le voit à coté de l'ange de Jéhovah,
vraisemblablement l'ange protecteur de Juda, non
comme une simple personnification de la conscience
accusatrice, mais bien plutôt comme un ange mauvais,
subordonné à Dieu, se bornant à accuser, et rejeté par
le juge, à qui il a recours. A. Van Hoonacker, Les
douze petits prophètes, Paris, 1908, p. 605-607. Dans
l'Ecclésiastique, xxi, 30, on lit : « Lorsque l'impie
maudit le diable, x'ov o-sTaviv (le texte original de ce
verset n'a pas été retrouvé), il se maudit lui-même, »
Il s'agit du diable plutôt que d'un adversaire ordinaire,
et le sens semble être que l'impie, en maudissant celui
qui l'a tenté et l'a poussé dans son impiété, se maudit
lui-même, puisque c'est par sa propre volonlé qu'il
s'est laissé séduire et tromper et qu'il est tombé dans
l'impiété. J. Knabenbauer, Ecclesiasticus, Paris, 1902,
p. 243-244. Enfin, Sap., n, 24, le diable est celui qui,
par envie, a introduit la mort dans le monde. Satan
est ainsi nettement identifié avec le serpent, qui a sé-
duit nos premiers parents et attiré sur eux le châti-
ment de la mort corporelle. Gen., m, 19. Cf. Smend,
Lehrbuch der alltestatncntlichen Religionsgeschichte,
2* édit., Fribourg-en-Brisgau, 1899, p. 402-403, 454;
B. Stade, Biblische Théologie des Allen Testaments,
Tubingue, 1905, t. i. p. 327-328.
2. Dans la version des Septante. — Les premiers
traducteurs grecs qui ont toujours rendu le nom pro-
pre Satan par 8Ïa6o).o;, ont, sous l'influence aies
idées grecques, vu des anges mauvais en des passages
où le texte original n'en parlait pas, et ont traduit par
le mot 3a:|iti>v différents noms hébreux dont le sens
iioins clairement déterminé. Leur traduction est
l'indice des idées courantes de leur temps dans le mi-
lieu juif où ils vivaient. Mais ces idées, pour avoir été
adoptées par des Juifs hellénistes, ne sont pas entrées
par le fait même dans le domaine de la révélation
divine, quoiqu'elles aient la prétention d'expliquer les
livres Inspirés.
Ces traducteurs avaient rendu brnè ha-èlohim, Gen.,
vi, 2, utof toû Beoû. Mais quelques manuscrits présen
taient la variante : kyysXoi toû Bcov,el cette leçon parait
avoir été, BU moins a une Certaine époque, la plus
répandue. Cf. Holmes, Velus Testamentum cum vai iù
nibtit, Oxford, 1798, i. i. Il en résultait que des
Séduits par la beauté des filles des homme-
seraient unis i elles et auraient procréa des géants.
Comme le ut nommés lils de Dieu, Job, i, 6;
n. l . Pi, wwii. i . i \wi\, 7. Dan., m, 9. beaucoup de
critiques en ont conclu que la induction « les angi -
de Dieu ''ni littérale, et que les béni ha-êlohtm
étaient réellement, dans I des anges déchus,
Hais l'incorporéiti des anges n'autorisant pas la pos-
sibilité d'un pareil commerce, ils ont penaé que le
récit biblique avait con i rvi la trace d*un mythe païen,
lan les milieui populaires du judafi I'. Le-
nt. Les originel de VhUtoire, i i p 291-890.
327
DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
328
L'abbé Robert, pour les mêmes raisons, a supposé que
le récit primitif, qui no parlait que de l'alliance des
Séthites avec les fi 1 les des Caïnites, avait été altéré,
sous l'influence du mythe populaire, par l'insertion
des fils de Dieu s'imissant aux filles des hommes. Les
/ils de Dieu et les filles des limantes, dans la Revue
biblique, 1895, t. îv, p. 341-348, 5-28-535. Ces conclu-
sions ne s'imposent pas. Quoique l'expression « (ils
d'Elohim » dans le livre de Job et dans les Psaumes
cités désigne certainement les anges, il ne s'ensuit
pas qu'elle ait ce sens dans le récit de la Genèse. Le
contexte, en effet, ne convient qu'à des hommes et
nullement aux anges, dont le livre biblique n'avait pas
encore parlé. Il n'est question que de l'accroissement
de l'humanité sur terre. Cette humanité, accrue par
l'union des fils de Dieu avec les filles des hommes,
n'est que chair, n'a que des sentiments charnels. Aussi,
en punition, Dieu qui ne veut pas laisser mépriser sur
terre le souffle de vie dont il a animé les humains, le
retirera de ces générations charnelles et abrégera leur
vie, qui sera réduite à 120 ans. Le châtiment n'atteint
donc que des hommes, seuls visés dans tout le récit.
Les anges n'y apparaissent que dans l'hypothèse que
l'expression « fils d'Elohim » ne peut absolument dési-
gner qu'eux. Or, tous les traducteurs juifs de la Genèse
ont écarté les anges. Aquila a traduit : oî vloi tgW 6ewv;
Symmaque, ulot twv ôuvacrTe'jôvToov; et ïbéodotion :
■Ao: to-j ôeo-j. Dom de Montfaucon, Hexapla, P. G.,
t. XV, col. 188-190; Field, Origenis Hexaplorum qitœ
supersutit, Oxford, 1875, t. i, p. 22. Le targum d'On-
kelos rend l'expression hébraïque par les « fils des
puissants » ou des grands. De plus, suivant le texte
hébreu, les géants, qui sont des hommes de renom,
ne sont pas tous issus de l'union des fils de Dieu
avec les filles des hommes; ils existèrent à la même
époque, ils existèrent encore après, et quelques-uns
naquirent peut-être des unions précédemment racon-
tées. En tout cela, il n'est question que d'humains,
et on peut penser très légitimement que les fils de
Dieu étaient des descendants de Seth qui épousèrent
les filles des Caïnites. M. Hoberg, Die Genesis, 2e édit.,
Fribourg-en-Brisgau, 1908, p. 75, interprète cette ex-
pression dans le sens de « hommes pieux ». Quoi qu'il
en soit, le récit original ne mentionne pas les anges ni
leur commerce charnel avec des femmes. Voir F. de
Huminelauer, Commentarius in Genesim, Paris, 1895,
p. 211-219; Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux,
t. ii, col. 2255-2257. Les Juifs, dans leur contact avec
les Grecs, ont connu les unions des dieux païens avec
des femmes, et parce que les lecteurs grecs de la Ge-
nèse savaient que les benê ha-ëlohim désignaient
ailleurs les anges de Dieu, ils ont donné ce sens à
cette expression du récit génésiaque et ont introduit
parmi leurs coreligionnaires l'idée du mariage des anges
avec des femmes el de l'origine des géants, idée qui
devrait recevoir, nous le verrons, de nouveaux déve-
loppements. Mais elle était étrangère à la pensée des
anciens Hébreux.
Toutefois, les premiers traducteurs grecs ont vu des
démons en beaucoup d'autres passages de l'Ecriture,
dans lesquels il est parlé de tout autres êtres. Ainsi ils
ont fait des démons : 1. des ie'îrîm, qui désignent ou
bien des boucs, c'est-à-dire de ces animaux honorés
comme dieux en réalité ou en images, Lev., xvn, 7;
II Par., xi, 15; ou bien des satyres, semblables à des
boucs sauvages, vivant au désert, Is., xm, 51; xxxiv,
li; 2. des sedim, ou « puissants », des idoles, pareilles
aux be'àlim, seigneurs ou dieux, Deut., xxxn, 17; Ps. evi
(cv), 37, dans lesquels beaucoup de critiques modernes
reconnaissent les sedis ou génies babyloniens; 3. des
èlilîm, des choses vaines, c'est-à-dire encore des idoles,
Ps. xevi (xcv), 37; 4. des syyim, animaux sauvages,
Is., xxxiv, 14; 5. d'yâSûd, ce qui dévaste, Ps. xc (xcr),
6. Le texte grec de Baruch, iv. 7. 35, parle des démons
dans un contexte, où il est question des idoles ou
d'animaux sauvages habitant au milieu des ruines.
Nous ignorons quels étaient les mots hébreux ainsi
traduits. Cf. .1. Knabenbauer, Commentarius in Da-
nieiem prophelam , Lamenlationes et Baruch, Paris,
1891, p. 491, 197. Les traducteurs grecs ont vu encore
des anges mauvais, Ps. i.xxvn ilxxviii), 49, dans un
passage où le texte original parle seulement d'anges de
malheur, qui sont probablement des bons anges char-
gés par Dieu de châtier les coupables.
II. Dans le monde juif postérielh. — 1» Dans les
livres apocryphes. — La démonologie, qui était déjà
en voie de se développer lorsque la Bible hébraïque fut
traduite en grec, prit des accroissements très considé-
rables dans la littérature apocryphe du judaïsme. Comme
elle a été connue et partiellement acceptée par les Pères
de l'Eglise, et comme, d'autre part, on prétend qu'elle
a influé même sur certains écrivains du Nouveau Testa-
ment, il importe de l'exposer sommairement. Le livre
éthiopien d'Hénoch, qui comprend des éléments de di-
verse nature, échelonnés du second tiers du IIe siècle jus-
qu'à l'an 64 avant Jésus-Christ, reproduit aussi des tradi-
tions différentes sur les démons ou les anges déchus. Bien
que les anges, esprits immortels, n'aient pas eu besoin
de s'unir aux femmes sur la terre, pour se perpétuer,
xv, 4-7. F. Martin, Le livre d'Hénoch, Paris, 1906, p. 40-
41, cependant deux cents veilleurs, sous les ordres de
Semyaza, selon une tradition, vi, 3, p. 11, ou d'Azazel,
suivant une autre, x, 4; xni, 1, 2, p. 22. 31, ont été sé-
duits par la beauté des femmes. Descendus sur le som-
met de l'Hermon, avec leurs chefs de dizaines, dont
18 sont nommés, vi, 7, p. 12 (autre liste de 21, lxix. 2.
p. 149-150), ils prirent des femmes et en eurent des
géants, qui opprimèrent les hommes et se dévorèrent
entre eux, vi-vn,'p. 10-15. Ils révélèrent à leurs femmes
les secrets éternels, découvrirent aux hommes les arts
et leur apprirent toute impiété, vu, 1 ; vm; îx, 6-8; xvi,
3, p. 14, 15-17, 21, 45. Les âmes de ceux qui avaient été
opprimés par les géants les accusèrent, ix, 3, 10, etc.,
p. 18, 21, et malgré l'intervention d'Hénoch, xni; xiv.
p. 31-33, 34-35, Dieu condamna les anges déchus,
d'aboi d à des châtiments temporels, la perte de leurs
enfants, x, 9-12, 15; xiv, 6, p. 24-25. 26, 35, et à une
étroite captivité loin du ciel, x, 5, 12; xiv. 5: xxi, 10
p. 23, 25-26, 35, 37, puis, à partir du jugement dernier,
au supplice éternel, dans l'abîme de feu, x, 6, 13, p. 23,
2ô. Cependant une autre tradition suppose que, du lieu
où ils sont réunis, ces esprits peuvent prendre toute
espèce de formes et tromper les hommes jusqu'au
jugement dernier, xix, 1, p. 33. Ailleurs, i.xvn. 4-13,
p. 143-146, ils sont condamnés au supplice des eaux
brûlantes, qui communiquent leur chaleur aux sources
thermales. Dans le Livre des songes, les anges déchus
sont comparés à des étoiles descendues des cieux, qui
se changent en taureaux et ont des relations coupables
avec les génisses, c'est-à-dire les filles des hommes,
lxxxvi, p. 200-201. Un archange fidèle les saisit, les lie
et les jette dans un abîme sous la terre, i.xxxviii, 202-
203. Au jugement dernier, ils seront précipités dans un
abîme de feu, xc, 21, 24, p. 230-231. Cette tradition
connaît d'autres anges coupables : les 70 anges ou pas-
teurs à qui Dieu avait confié le soin de veiller sur
Israël à partir de l'invasion assyrienne, et qui, ayant été
infidèles à leur mission, seront condamnés, au juge-
ment dernier, à parlager le supplice éternel des étoiles
tombées, xc, 23, 25. p. 231. Quant aux géants, les es-
prits sortis de leurchair, à leur mort, sont demeurés sur
terre; ce sont des esprits mauvais, qui attaqueront les
hommes jusqu'au jugement, xv, 8-12; XVI, 1, p. 41-ii.
Les hommes les adorent sous l'image d'idoles, comme
ils adorent les démons, xcix. p. 261. à l'instigation des
anges déchus, xix, 1, p. 53; cf. p. 46, note. Les tradi-
329
DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THEOLOGIE JUIVE
330
tions du Livre des paraboles, xl, 7, p. 87, et d'une apo-
calypse de ;Noé, i.xv, 6, p. 139, parlent des satans. Ce
sont des esprits méchants, qui ont entraîné les hommes
au mal, liv, 6, p. 110, et les accusent devant Dieu. Ils
•sont chargés de châtier les coupables et sont appelés les
anges du châtiment, lui, 3, p. 108; préparent les ins-
truments de Satan, fouets et chaînes de fer pour les rois
■et les puissants de la terre, lvi, I ; lxii, 11 ; lxiii, 1 ;
lxvi. 1, p. 112, 133, 134, 141. Ces satans diffèrent des
?.nges déchus et des géants, car ils ne sont pas voués
aux tourments de l'enfer et peuvent se présenter au
ciel devant le Seigneur. Ils existaient avant la chute des
anges qu'ils ont provoquée. Leur chef est Satan; les
veilleurs ont préféré son service à celui de Dieu. Il
représente donc un pouvoir hostile au Seigneur, bien
qu'il dépende de lui, puisque ses subordonnés exé-
cutent les sentences divines. F. Martin, op. cit., p. xxvm-
XXXI. Cf. Robert, dans la Revue biblique, 1895, t. iv,
p. 366-373, 539-545. Voir aussi, t. i, col. 1480-1481.
Le livre slave des Secrets d'Hénoclt, qui est de la fin
du i«r siècle ou du commencement du if siècle de notre
ère, parle aussi de deux sortes d'anges coupables. Au
second ciel, c. vu, il y a des ténèbres plus sombres que
celles de la terre, et dans ces ténèbres des prisonniers
qui sont gardés pour le dernier jugement. Ce sont les
anges qui n'ont pas obéi aux préceptes de Dieu, qui
ont pris conseil de leur volonté propre et qui, ayant
péché avec leur prince Satanail, ont été relégués du
5e ciel, où ils devaient être, dans les ténèbres du
2e ciel. Ils sont plongés dans la douleur et ne cessent
de pleurer. Ils demandent à Hénoch d'intercéder pour
«ux auprès du Dieu ; mais Hénoch s'en défend. Leurs
frères, demeurés fidèles, restent, depuis la faute des
coupables, tristes et désolés, ils ont cessé de louer Dieu.
Trois de ces anges, relégués au second ciel, descen-
dirent sur l'Ilermon, s'unirent à des femmes et don-
nèrent naissance aux géants, lin punition de cette
faute, ils furent condamnés à habiter sous terre jusqu'à
la lin du inonde. Hénoch les a vus dans leur prison et
a vainement intercédé auprès de Dieu en leur faveur,
c. xvni. Le chef des anges désobéissants avait voulu
uietlre son trône au-dessus des nues et égaler Dieu en
puissance, c. xxix. Devenu Satan et l'esprit mauvais
igions inférieures après qu'il eut quitté les cieux,
il voulut déranger l'ordre établi par Dieu, parce qu'il
voyait qne t'.ui sur la terre ('tait soumis à l'homme.
qu'il eut changé de nature, il conservait l'intelli-
gence du bien et du mal. Satan trompa Eve, et Dieu le
maudit a cuise de son ignorance, c. xxxn. Voir t. i,
col. 148-2-1
Le Livre des jubilés, composé vers le milieu du
«le de notre ère, m. 17 sq., raconte la tentation
d i ■■■■ par I' Berpent,el il la place au 17 jour du 2« mois
de la 8" année ;q>res la création. A la 11" semaine de la
6' année du lu jubilé, les anges gardiens descendirent
sur terre pour apprendre aux hommes le droit et la
Justice, iv. I.".. Au 25< jubilé, du temps de Noé, quand
les hommes se furent multipliés et qu'ils eurent des
filb- - de Dieu virent qu'elles étaient belles,
M choisirent des femmes parmi elle- et engendrèrent
i hommes devinrent mauvais et Dieu ré-
solut de les détruire, ■< l'exception de Noé, Irrité contre
"igcs qu'il avait envoyés sur terre, il décida de
leur enlever toute leur puissance, et il les m enchaîner
let profondeurs de la terre. Quant aux géants, il
le» fit tuer. Leun pères, enchaînés, lurent témoin
arar ■ ra'au jour du
jugement, ■ MO Plus loin, ce livre rapporte que,
emainc do H jubilé, après le déluge, lei d.
mon- impui i ommi ne. r. m ., tromper le- QU de Noi
ren Ire in i Ici fain péi Ir Les Qls d.
vinrent trouver leur père el lui parlèrent des démon
qui ., aient tromp. Nl)i.
pria le Seigneur, lui demandant que les mauvais esprits
ne puissent dominer ses petits-enfants ni les faire périr
sur terre. Il rappela à Dieu que les gardiens, pères de
ces esprits, avaient vécu de son temps, et il demanda
que ces esprits, qui étaient encore en vie, fussent enfer-
més par Dieu et retenus au lieu de la damnation, pour
qu'ils ne puissent plus faire périr ses descendants. Ils
sont créés pour la perte des hommes. Que Dieu ne les
laisse pas dominer sur les esprits des vivants et ne leur
donne aucun pouvoir sur les enfants des justes pour
toujours. Dieu ordonna de les lier tous. Mastema, leur
chef, demanda qu'une partie fût laissée libre pour ac-
complir ses propresvolontés, car la malice des hommes
est grande. Dieu permit que la dixième partie de ces
esprits ne fût pas enfermée au lieu de la damnation.
Ses ordres furent exécutés, et les neuf dixièmes des
démons furent emprisonnés, x, 1-11. Kaut/.sch, Die
Apoknjphen und Pseudepigraphen îles Alton Testa-
ments, Tubingue, 1900, t. H, p. 45, 47, 48-49, 57-58.
Plus tard, Abraham, dans ses dernières recommanda-
tions à Jacob, dit à son petit-lils de ne pas agir comme
les païens, qui offrent des sacrifices aux morts et ado-
rent les démons, xxn, 16, 17. Ibid., p. 78.
Dans la préface des Oracles sybillins, citée par saint
Théophile d'Antioche, Ad AutoL, n, 36, P. G., t. VI,
col. 1109 sq., la Sybille juive reproche aux païens d'of-
frir des sacrifices aux démons qui habitent sous terre.
Cf. Kaut/.sch. t. il, p. 184.
Dans le Martyre d'isaïe, il est raconté que Sammael
entra clans Manassé et que ce roi servit Satan, ses
anges et puissances. Le prince de l'injustice, qui règne
sur le monde, y est aussi appelé Reliai. Kaut/.sch, t. n,
p. 124-126. Dans le Testament des douze patriarches,
Béliar est le nom du diable ou de Satan. Ruben, 2, i ;
Levi, 18; Dan, I, 5; Kautzsch, t. n. p. 460, 462, 471,
483, 485. Cet esprit habite dans l'air. Benjamin, 3,
p. 503. Satan lui-même y est nommé, Cad, 4, p. 493,
avec ses anges. Aser, 6, p. 496. Les anges ont été séduits
par les femmes. Ruben, 5; Nephtali, 3, p. 462, 487. Ces
écrits sont du i" et du IIe siècle de notre ère. .
La Vie d'Adam et d'Eve raconte une seconde tenta-
tion que Satan fit subir à Eve après sa pénitence,
Kantzsch, t. il, p. 513, et fait raconter par Eve elle-
même sa première tentation parle serpent, qui était le
diable. Jbid., p. 520 sq. Le récit est tout légendaire.
2° Dans la doctrine du judaïsme postérieur. — Au
Ier siècle de notre ère, nous avons encore les témoi-
gnages de .losèphe et de Philon. .losèphe, tant qu'il
suit les Livres saints de sa nation, est fidèle à la doc
trine commune de son temps. Il rapporte exactemen.
le rôle du serpent tentateur dans l'épreuve de nos pre-
ira parents. Ant. jud., I, i, 4, Opéra, Amsterdam,
1721). t. i. p. 7. Mais il adopte aussi les idées des Juifs
hellénistes. Il attribue l'origine des géants au commerce
charnel des anges de Dieu avec les tilles des hommes.
Ant. jud.. I. III, I, p. 12. Il parle des démons qui pro-
voquaient en Saïil des suffocations et îles étranglements,
dont les médecins ne pouvaient le guérir, et il ajoute que
le calme était rendu au malade par le son de la harpe
de David. Ant. jud., VI, vtii, 2; u, 2, p. 332-333, 338.
On a remarqué qu'il n'a pas nommé une seule fois
Satan i l>e plus, sous l'influence sans doute des ni
grecques, il appelle démons les is des hommes
mauvais, el il dit que ces âmes tuent les vivants qui
entrent sans précaution dans les eaus de Machéronte.
\ II. vi, :<, t. n. p. 117. Philon, plus profon-
démenl imbn d.- phili 1 1 cque, ■ mélan) é dan
sa théorie des puii ance Intermédiaires entre Dieu el
i tun I ' doctrine juive -m- le anges et les Idi i
,i. i,,., Mir les démons Pour lui. les angi el li
démons sont di puri i, qui volent dans l'air el
rident dan '■ corps. Aussi alli l-il le récit
biblique de i oi if le • n iju'il reprod
331
DÉMON DANS LA MLLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
332
la leçon : -J. - ;-.:/v. xov 8eoû. De gigantibus, dans Opéra,
Paris, 1040, p. 284-285. Sa doctrine n'a plus rien de spéci-
Qquemenl juif; il ne garde que le nom d'anges. Schùreri
Geschichte <>e< judischen Volkcs 'un Zeitalter Jesu
Christi, 3> édit. , Leipzig, 1898, t. m, p. 553. Il déclare
aussi que les païens ont par erreur pris les anges pour
des dieux. De prof agis, 48, p. 481.
Plus tard, la démonologie prit, dans le monde juif,
une très grande extension. Il importe peu à notre sujet
d'en poursuivre l'étude, soit dans les targurns, soit dans
les ïalmuds, soit dans les commentaires de la Bible.
Disons seulement que, selon le targum du pseudo-
.lonathan sur Num., xi, 26, c'est Samael qui tenta Eve.
Pour quelques idées populaires, voir le Ta 1 mu ri de Ba-
bylone, traité Berakhoth, i, 1-4; vu, 6; ix. 9, trad.
Schwab, Paris, 1871, p. 227, 239, 240, 433, 495, 496,497;
Talmud de Jérusalem, traité Troumoth, I, 4, trad.
Schwab, Paris, 1879, t. m, p. 4; traité Sanhédrin, x,
2, Paris, 1889, p. 51 ; Weber, Jùdische Théologie auf
Grund des Talmud und verxrandler Schriften,^ édit.,
Leipzig, 1897, § 54. Plus tard encore, sous l'influence
de la superstition populaire et grâce aux spéculations
de la cabale, le nombre des anges et des démons ayant un
nom déterminé, et la variété des moyens inventés pour
écarter leur action néfaste formèrent toute une théolo-
gie nouvelle, sans relation avec la révélation de l'An-
cien Testament. Voir M. Schwab, Vocabulaire de l'an-
gélologie d'après les manuscrits hébreux de la Bi-
bliothèque nationale, in-4°, Paris. 1897 ;Id., Lenis. i380
du fonds hébreu à la Bibliothèque nationale, Sup-
plément au vocabulaire de l'angélologie, in-4°, Paris,
1899; S. Karppe, Étude sur les origines et la nature
du Zohar, Paris, 1901, p. 56, 445, 447-448.
_ III. Dans le Nouveau Testament. — 1° Dans les
Evangiles. — La doctrine de Notre-Seigneur et des
évangélistes sur les démons ressorlira/l'abord de l'étude
des relations du Sauveur avec Satan et les esprits mau-
vais, puis de la doctrine même de Jésus sur le diable
et le monde infernal. — 1. Relations de Jésus avec
les démons. — Tout au début de sa vie publique, Jésus,
retiré au désert, fut tenté par Satan. Marc, i, 13. L'Es-
prit l'y avait conduit à cette fin. Matth., iv, 1. Satan y
remplit son rôle de tentateur. Il éprouve Jésus et l'in-
terroge sur sa nature et sa mission messianique, afin
de le détourner, s'il le pouvait, de cette mission qu'il
pressent contraire à ses mauvais desseins sur le monde.
Le récit de la triple tentation, Matth., iv, 3, 11; Luc,
iv, 3-13, montre l'habileté du tentateur, qui a recours
à l'attrait delà concupiscence pour détourner Jésus de
sa mission et l'induire en erreur. Satan y apparaît
capable d'agir, non seulement sur l'intelligence des
hommes en suggérant des pensées, mais encore sur
leurs corps, puisqu'il transporte Jésus à Jérusalem, sur
le sommet du temple, puis sur une haute montagne.
Dans une des trois tentations, il se donne comme le
maître du monde, et veut se faire adorer. D'autre part,
Jésus résiste à ses suggestions et prouve par son
exemple que Satan n'a pas d'empire absolu sur les
hommes et qu'il influe seulement sur ceux qui cèdent
volontairement à ses suggestions. Vaincu dans sa pre-
mière tentative, il ne se retire que pour un temps,
Luc, iv, 13, avec l'intention de revenir à l'assaut et de
reprendre la lutte. Les rencontres ne manqueront pas,
et elles auront lieu par l'intermédiaire des démonia-
ques. On traitera à l'article Démoniaques de la réalité
et de la nature des possessions diaboliques; nous ne
dirons ici que ce qu'elles nous apprennent sur Satan
et les démons. Durant son premier séjour à Caphar-
naïnn, Jésus fut abordé à la synagogue par un possédé
de l'esprit immonde, qui l'interrogea sur sa nature et
sa mission, qu'il devinait hostile et dirigée contre lui
pour sa perte. Jésus le chasse du possédé et la première
manifestation de ce pouvoir divin sur les esprits im-
mondes fit grand bruit dans toute la Galilée. Marc, i,
23-28; Luc, iv, 33-37. D'autres possédés acclamaient
Jésus comme Fils de Dieu ou Messie. Jésus leur impo-
sait silence et les chassait. Marc, I, 34, 39; Matth., VIII,
16; Luc, iv, 41. Ces faits se reproduisaient fréquemment
et en divers lieux. Marc, III, 11, 12; v, 1-20; vu, 24-30;
Matth., vin, 28-34; ix, 32-33; xv, 21-28; Luc, VI, 18;
ix, 37-43. Des scribes, venus de Jérusalem, en prirent
occasion pour calomnier Jésus et le dire possédé lui-
même; ils prétendaient qu'il chassait les démons au
nom de Beelzébub, leur prince. Ce nom, emprunté à
la mythologie des Philistins, qui honoraient Baal comme
dieu des mouches, désignait dans le langage populaire
des contemporains de Jésus, le chef des habitations infer-
nales. Voir Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux,
t. i, col. 1547. Jésus réfuta cette calomnie par ce rai-
sonnement sans réplique que Satan ne peut agir contre
lui-même, ni détruire son propre empire. Marc, ni,
22-26; Matth., ix, 34; xn, 22-27; Luc, xi, 14-19. Décla-
rer que Jésus est possédé de l'esprit immonde, c'est un
blasphème contre le Saint-Esprit et un péché irrémis-
sible. Marc, m, 29, 30. Voir t. n. col. 910-916. C'est par
l'esprit de Dieu, c'est par son doigt, c'est-à-dire par sa
puissance, que Jésus chasse les démons, et l'exercice
de ce pouvoir est une marque que le royaume de Dieu
est venu sur terre. Matth., xn, 28; Luc, xi. 20. 11 y
avait donc opposition entre le royaume de Dieu et le
royaume du diable, et Jésus était veuu pour détruire
ce dernier. Aussi, en choisissant ses apôtres, leur con-
féra-t-il le pouvoir de chasser les démons. Marc, ni,
15; Matth., x, 1, 8. Il renouvela ce pouvoir, en les en-
voyant en mission, durant laquelle ils chassèrent beau-
coup de démons. Marc, VI, 7, 13. Les soixante-douze
disciples, chargés plus tard d'une mission spéciale pour
préparer celle de leur Maître, relatèrent avec joie à
leur retour que les démons leur étaient soumis par
la vertu du nom de Jésus, et Jésus leur déclara qu'il
avait vu Satan tomber du ciel comme l'éclair. Luc, x.
17,18. Il ajouta que le pouvoir sur les démons n'était
pas pour ceux qui le possédaient une marque de salut ;
il leur était donné pour le bien des autres, et ils n'en
seront pas récompensés. Luc, x, 20. Cf. Matth., vu. 22.
Toutefois, les apôtres ne pouvaient pas chasser toute
sorte de démons et Jésus leur expliqua que quelques-
uns de ces esprits ne pouvaient être expulsés que par
le recours à la prière et au jeûne. Marc, ix, 13, 28 ;
Matth., xvn, 14-20; Luc, ix, 40. Jésus reconnaissait
donc diverses classes de démons, dont quelques-uns
avaient un pouvoir plus malfaisant que les autres. Les
Juifs, comme les Galiléens, ont traité Jésus de possédé
du démon. Joa., vm, 48, 52. Au moment de la passion,
la puissance des ténèbres, que Jésus avait comprimée
durant sa vie publique, eut un instant pouvoir contre
lui, et les Juifs, ses suppôts, purent se saisir de Jésus
et le faire mourir. Luc, xxn,53. Judas, qui l'avait trahi,
avait agi sous l'influence de Satan. Luc. xui, 3. Cf. Joa.,
vi, 71, 72; xin, 2. 27. Mais Jésus, vainqueur de la mort
par la résurrection, donna de nouveau à ses apôtr
droit de chasser les démons en son nom. Marc. xvi. 17.
2. Enseignement de Jésus sur les démons. — Jésus
ne s'est pas contenté de lutter contre Satan, qui le ten-
tait, et contre les démons, dont Satan est le prince et
qui faisaient sentir aux hommes leur puissance malfai-
sante, il a encore caractérisé, dans ses paraboles et ses
discours, la nature de cette puissance mauvaise.
Dans les Synoptiques, en décrivant sous forme para-
bolique l'avenir du royaume messianique, il a indiqué
en quelques traits l'opposition que lui fera Satan dans
les âmes et dans le monde. Si la parole de Dieu est
une semence, jetée sur divers terrains, Satan ou le
méchant vient promptement, pareil aux oiseaux du
ciel, enlever le grain tombé sur le chemin et la bonne
parole semée dans les cœurs pour qu'elle n'y germe
333
DÉMON DANS LA BILLE ET LA THEOLOGIE JUIVE
334
pas et n'y porte pas de fruit, Marc, iv, 15; Mat th., xm,
19, de peur que les auditeurs, s'ils étaient attentifs à
la parole jetée dans les cœurs, ne soient sauvés. Luc.,
vin, 12. Satan est encore l'homme ennemi qui, après
que le père de famille a semé dans son champ la
bonne semence, vient la nuit répandre l'ivraie avec le
hon grain. Cette ivraie est le symbole des méchants,
semence du diable, qui, dans le royaume de Dieu, se
trouveront avec les bons et y seront conservés jusqu'au
temps de la moisson, la fin des temps, pour être alors
séparés et jetés au feu. Matth., xm, 24-30, 36-42.
Lorsque se fera cette séparation, exposée ailleurs
comme celle des brebis et des boucs du troupeau,
Matth., xxv, 32, 33, les boucs, ou les méchants, placés
à gauche, seront maudits et envoyés au feu éternel,
qui est préparé pour le diable et pour ses anges.
Matth., xxv, il. Les hommes mauvais partageront
donc le soit réservé aux démons. En suivant les inspi-
rations de Satan, ils appartiennent à son royaume,
et en se rangeant à sa suite, ils méritent le même
châtiment que lui. Satan avait demande'" de cribler les
disciples de Jésus comme le moissonneur crible le fro-
ment. Mais, tout en lui laissant le droit de les attaquer,
Jésus a prié pour que la foi de Pierre ne défaille point
et pour qu'il confirme ses frères. Luc, xxn, 31-32.
Cependant il faut craindre cet adversaire, qui est
capable de perdre le corps et l'âme en enfer. Matth.,
x. 28. Quand l'esprit immonde est sorti d'un homme,
il erre dans les lieux arides et y cherche le repos sans
le trouver. Aussi cherche4-il à rentrer dans la maison
qu'il a quittée, et la trouvant purifiée etornée. il prend
avec lui sept autres esprits plus méchants que lui; ils
pénètrent ensemble dans cet homme délivre'-, et ren-
dent son état pire que le premier. Matth., XII, 43-45.
Marie-Madeleine avait été délivrée de sept démons.
Luc, vin, 2; Marc, XVI, il. Parfois même les démons,
qui habitaient dans un seul homme, s'appelaient
", tant ils étaient nombreux. Marc, v, 9; Luc,
vin, 30, 36. Us demandèrent d'entrer dans un troupeau
de porcs, pour ne pas quitter la région. Marc, v. 10-16.
Dana sis discours que rapporte le quatrième Évan-
gile, Jésus est plus précis encore sur l'origine el la
nature du diable. Il appelle les Juifs, qui refusaient de
croii irole, les lils du diable, ses partisans,
décidés à réaliser les désirs de leur père. Celui-ci a été
I licide 'les le commencement (allusion à la chute
de nos premiers parents et à l'introduction de la mort
en punition de leur faute). Il n'esl pas demeuré dans
li vérité, qu'il avail posi -i la vérité n'est-elle
en lui, et n'est-il lui-même qu'un menteur. Joa.,
vin. il. Par la venue de Jésus sur terre, le jugement
du monde est commencé, el le prince de ce monde
■ . xn, 31. Le Sauveur est entn i d
veille de i.i passion, le prince du
muiid' .i dressé ses batteries contre lui; m. us il n'a
p.is pouvoir sur lui. Joa., xiv, 30, el il esl déjà jugé.
xvi. II.
on. — Notre-Seigm ur ■> donc reconnu Pexis-
des d é m o i prou ven I
qu'il lei tenail ; i els, des esprits déchus,
impurs, puissants, i nnemia des hommes el tes propres
ni partie d'un royaume,
le i bel ei les méchants sont les mem-
Leur puii ubordonnée qu'elle
divine el incapable de Forcer la volonté
humaine qui lui résiste. Elle esl appliquée au mal.
nt iriii.it. m . esi le prlni e de ce
tnond que le monde • si mauvais el (ait
l" ■ hé Mais I un | i détruire
• • ondamm I I enfer.
quelque droil a lollii ifc r
'- au mal, i omma il a h •
lui ne ne audronl pa i onti
les méchants, qui feront leurs œuvres, partageront
après le jugement dernier leur sort et seront con-
damnés avec eux au feu éternel, qui leur est préparé.
Notre-Seigneur a véritablement affirmé l'existence de
ces esprits mauvais, et il est impossible de prétendre,
avec quelques théologiens protestants, ou qu'il a par-
tagé sur les démons les idées erronées de son temps,
ou qu'il s'est accommodé, dans son enseignement, aux
idées régnantes pour exprimer seulement, sous cette
forme populaire la lutte du bien et du mal dans le
monde. Voir A. Polz, Das Verhidlnis Clirisli zu den
Dàmonen, Inspruck, 1907.
2° Bans les Actes des apôtres. — La doctrine de
Jésus sur les démons est réalisée dans les événements
de l'histoire de l'Église. En application du pouvoir que
leur avail donné leur Maître, les apôtres à Jérusalem
chassent les esprits immondes. Act., v, 16. Philippe
faisait de même à S a ma rie. Act., vu i, 7. Saint Paul
guérit à Philippes une jeune fille qui avait un esprit
de python, Act., xvi, 16-19, et à Éphèse, il chassa des
esprits mauvais. Act., xix, 12. Un de ces esprits frappa
les sept fils de Scevé, exorcistes juifs, dont il ne recon-
naissait pas le pouvoir, alors qu'il reconnaissait celui
de Jésus et de Paul. Act., xix, 13-16. Saint Paul déclare
à Agrippa que Jésus ressuscité, lui ayant apparu, le
chargea de retirer les gentils de la puissance de Satan
et de les ramener à Pieu. Act., XXVI, 18. Satan avait
tenté Ananie et l'avait fait mentir au Saint-Esprit. Act.,
v, 3. Barjésu était un fils du diable et l'ennemi de la
justice. Act., XIII, 10. Les Athéniens, entendant saint
Paul leur prêcher une doctrine religieuse qui leur
était inconnue, disent qu'il leur annonce de nouveaux
démons, c'est-à-dire de nouveaux dieux. C'est l'idée
grecque que les dieux païens étaient des démons ou
des esprits; elle est exprimée par des Grecs, et saint
Luc ne la prend pas à son compte, en la rapportant.
3° Dans les EpUres de saint Paul. — Sur Satan et
les démons, l'apôtre a exprimé les idées juives et chré-
tiennes. — 1. Il s'est fait l'écho de la Genèse, en rap-
pelant que le serpent avail séduit Eve. II Cor., XI, 3;
I Tim., ii, 14. Cette première faute nous avait mis sous
la puissance des ténèbres, et Dieu le Père, par la
rédemption de son Fils, nous en a rachetés et nous a
fait passer dans le royaume de son Fils bien-aimé.
Col., I, 13, li. Jésus a détruit le décret qui était porté
contre nous, en l'attachant à sa croix, et il a enlevé
aux principautés el aux puissances le droit qu'elles
avaient sur nous. Col.. II, 14, 15. Par sa mort, il a
détruit celui qui avait l'empire de la mort, le diable.
et il a délivré ceux qui, par crainte de la mort, étaient
pour toule leur vie asservis à son esclavage, lleb., il,
li. 15. Les Ephésiens, avant leur conversion, vivaient
dans le péché, marchaient selon le train du monde,
selon les inspirations du prince des puissances de
l'air, de cet esprit qui agissait encore a cette époque
sur les hommes rebelles a la nouvelle foi. t. pli., n, 1,
2. Le diable était donc le prince de ce monde. Il vou-
lait maintenir son empire, détruit par la mort de
Jésus, et il tendaii des pièges même aux chrétiens, qui
doivent revêtir l'armure de Dieu pour résister va
embûches du diable, lis ont, en effet, à lutter, non
seulement contre la chair et le sang, mai
contre les prini puissances, contre les
verneurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits
de malice. Eph., vi, 11, 12. il ne faut donc pas, dans
cette lu lie, donner (le prise au diable. I pb.. i\ . 27. Lea
époui ne doivent garder la continence entre eui que
pour un temps, de peur d'être tentés d'incontinence
tan i I "i ■.. vu. ■">■ s. uni Paul a pardonné à un
Corinthien qui l'avait offensi à cause des autres chré-
ie M-, pour qui noua ne devenions pas les dupei da
Satan, i ai m^ i lui, non
. n. 10, 11.11 les tromperait, en li p ml ■<
335
DÉMON DANS LA BIBLE KT LA TU KOLOU 1 K JU1VK
336
ne pas pardonner, car l'absence de charité fraternelle
est son œuvre. Il tient captifs dans ses pièges et soumis ,
à toutes ses volontés, ceux qui résistent à la vérité el
qu'il faul tirer de l'erreur, en les reprenant avec
modestie. II Tim., n, 2.">, 26. Il faut que l'évéque ne
soit pas néophyte, et qu'il soit un homme à qui on
rend bon témoignage, de peur qu'autrement il ne tombe
dans les pièges du diable. I Tim., ni, 6, 7. Ceux qui
veulent être riches sont tentés par le diable et tombent
dans ses pièges. I Tim., vi, 9. Quelques veuves sont
retournées en arrière et revenues à Satan. I Tim., v,
15. Satan, qui est esprit de ténèbres, se transforme en
ange de lumière pour mieux tromper. II Cor., xi, li.
Saint Paul souhaite que le Dieu de la paix broie rapi-
dement Satan sous les pieds des Romains. Rom., xvi,
20. Jésus triomphera finalement de toute principauté,
pouvoir et vertu, et mettra tous ses ennemis sous ses
pieds. I Cor., xv, 24-, 25. Les chrétiens seront les juges
des anges mauvais. I Cor., vi, 3. En attendant, Satan
fait obstacle à l'œuvre de l'apostolat, et il a empêché
l'apôtre d'aller à Thessalonique. I Thés., il, 18. L'ai-
guillon que l'apôtre ressent dans sa chair est un ange
de Satan. II Cor., xn, 7. Mais les puissances et les
vertus adverses ne pourront rien contre lui et ne le
sépareront pas de la charité de Jésus-Christ. Rom.,
xin, 38, 39. Au cours des siècles, plusieurs abandonne-
ront la foi, croiront aux esprits trompeurs et adhére-
ront aux doctrines des démons. I Tim., VI, 1. L'avène-
ment de l'Antéchrist, à la fin des temps, sera l'œuvre
de Satan. II Thés., il, 9. L'apôtre livrait à Satan les
chrétiens coupables, laissait leurs corps soumis à sa
puissance, pour sauver leurs âmes. I Cor., v, 5;ITim.,
I, 20. Ainsi le serpent tentateur, Satan, était le chef du
monde pervers, le prince des puissances ténébreuses
et des esprits qui habitent dans l'air. Il tenait les
hommes captifs dans le péché, et il luttait contre les
chrétiens, en les tentant et en leur tendant des pièges.
Vaincu par Jésus, il n'a d'empire que sur ceux qui se
livrent à lui, et finalement, sa puissance sera broyée
sous les pieds de son vainqueur.
2. Saint Paul a reconnu dans le culte des païens un
culte rendu aux démons. Leurs sacrifices sont offerts
aux démons et non pas à Dieu. Les chrétiens ne doivent
pas manger des victimes immolées aux idoles, pour ne
pas s'associer aux démons. Ils ne peuvent pas boire à
la coupe du Seigneur et à celle des démons. I Cor., x,
19-21. Les chrétiens ne doivent même pas avoir de rela-
tions, sinon celles qui sont absolument nécessaires, avec
les païens. La justice ne s'allie pas à l'iniquité; la
lumière n'accompagne pas les ténèbres; le Christ ne
s'associe pas à Bélial. II Cor., vi, 15. Saint Paul prend
comme un nom propre l'expression de Bélial qui, dans
l'Ancien Testament, caractérise les méchants. En l'oppo-
sant au Christ, il désigne le mauvais par excellence,
Satan, qu'il tient, non certes pour le principe du mal
opposé au principe du bien, mais comme le chef des
méchants, le prince des païens, l'adversaire irréconci-
liable du Christ qui l'a vaincu. On peut en conclure
qu'il le regardait comme le dieu qu'adoraient les
païens. Cf. Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux,
t. i, col. 1551-1562. Voir Simar, Die Théologie des hei-
ligen Paulus, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1883,
p. 67-71; Everling, Die paulinische Angelologie und
Dàmonologie, Gœttingue, 1888.
4» Dans les Épitres des autres apôtres. — Saint
Jacques nous apprend que les démons croient en un
seul Dieu, mais leur foi, parce qu'elle est jointe en
eux aux actes mauvais, ne leur profite pas; ils croient,
mais ils s'irritent contre le Dieu unique, auquel ils
croient, n, 19. Il conseille de résister au diable, en
avertissant que cette résistance le fera fuir, iv, 7. Saint
Pierre, dans sa I" Épitre, v, 8, 9, recommande la
sobriété et la vigilance, vertus nécessaires pour résister
au diable, adversaire des chrétiens, qui circule comme
un lion rugissant, cherchant qui dévorer; la principale
force de résistance est de demeurer ferme dans la foi.
Dans sa !!• Épitre, II, 4, il parle des anges pécheurs, à
qui Dieu n'a pas pardonné, et qu'il a précipités dans
l'abîme, chargés des chaînes de l'enfer pour être tour-
mentés et réservés pour le jugement. La même mention
des anges prévaricateurs se retrouve dans l'Épitre de
.Inde, 6, qui présente d'ailleurs une si grande ressem-
blance avec la IIe de Pierre. Ces anges n'ont pas con-
servé leur dignité première, mais ont abandonné leur
demeure. Dieu les a réservés pour le jugement du
grand jour dans des chaînes éternelles et d'épaisses
ténèbres. Or, saint Jude, 14, 15, cite presque textuelle-
ment Hénoch, i, 9. Voir F. Martin, op. cit., p. 4. Aussi
beaucoup de critiques pensent-ils que le verset 6 est
emprunté au même livre, x, 4-6, aussi bien que le pas-
sage correspondant de II Pet., n, 4. F. Martin, op. cit.,
p. cxvn, 22-23. Si l'on admet cette dépendance, il en
résulte que les apôtres, Pierre et Jude, parleraient,
comme le Livre d'Hénoch, des anges prévaricateurs et
souillés avec les femmes et ayant subi une double
condamnation : une première, l'enchaînement préalable
dans une prison ténébreuse, et une seconde, la peine
du feu dans l'enfer après le dernier jugement. Cette
conclusion ne ressort pas seulement, dit-on, de la
ressemblance et de l'emprunt au Livre d'Héuoeh, mais
encore du contexte des deux Épitres. Saint Jude, en
effet, prétend-on, attribue aux anges le péché de luxure
puisqu'il rapproche leur faute de celle des habitants de
Sodome et de Gomorrhe, 7, et menace des mêmes châti-
ments ceux qui souillent leur chair, 8. De même, saint
Pierre rattache au péché des anges le déluge produit
pour punir les impies, et le péché des Sodomites.
II Pet., n, 5. Dans sa conclusion. 10, il renferme aussi
les hommes adonnés â l'impureté. F. Lenormant, Les
origines de l'histoire, t. I, p. 297. Mais cette interpré-
tation ne s'impose pas. au moins pour la nature de la
faute des anges et du châtiment. Les passages cités de>
deux Épitres se ressemblent, il est vrai. Les deux apô-
tres ont le même but : ils veulent préserver les fidèles
contre les faux docteurs et les impies de l'époque, et
ils citent des exemples historiques à l'appui de la leçon
qu'ils tirent. Saint Jude, 5-7, rapporte trois faits : les
espions envoyés par Moïse au pays de Chanaan, les
anges prévaricateurs et les crimes commis dans la Pen-
tapole. Il ne suit donc pas l'ordre chronologique. Saint
Pierre a aussi trois exemples, qui se suivent chronolo-
giquement : la faute des anges, la punition des crimes
du monde primitif par le déluge et les actes des So-
domites. Quelque soit l'ordre, les exemples sont choisis
en vue du châtiment et sans rapport direct avec la
nature des fautes. Par conséquent, on ne peut rien
conclure du rapprochement des péchés qui ont pro-
voqué le déluge et la ruine des villes de la Pentapole.
Cette faute n'a pas, dans le texte, de rapport néces-
saire avec les péchés de luxure. D'autre part, dans leurs
conclusions morales, les deux apôtres ne menacent pas
de châtiments analogues les luxurieux seuls; ils visent
d'autres coupables : ceux qui méprisent l'autorité et
blasphèment la majesté. De la variété des coupables
visés on peut inférer celle des fautes historiques citées
en exemple. Par suite encore, le péché des anges n'est
pas nécessairement la luxure. Reste la dépendance avec
le Livre d'Hénoch, qui rapporte, lui, le châtiment de-
anges qui se sont souillés avec les femmes. Mais il suffit
de rappeler que les citations ne sont pas textuelles, et
que, s'il y a emprunt, il n'existe que pour certains traits,
concernant le châtiment plutôt que la faute elle-même.
D'ailleurs, pour saint Jude, le péché des anges qui
n'ont pas conservé leur dignité première et ont aban-
donné leur demeure, correspond au mépris de la domi-
nation du Seigneur, second péché nommé au verset 8.
337
DÉMON DANS LA BIRLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
338
Ce péché est donc plutôt la révolte contre Dieu. Quant
au châtiment, il n'est pas double dans les deux Epitres
comme il est dans le Livre d'Hénoch; les deux apôtres
ont décrit, en des traits empruntés à ce livre ou à la
tradition qu'il reproduit, l'unique peine des anges cou-
pables : leur enchaînement dans l'abîme infernal jus-
qu'au jugement. Ils parlent donc seulement d'anges
déchus et rebelles, sans allusion à une faute charnelle,
et enchaînés dans les ténèbres de l'enfer. De la sorte,
même en admettant la dépendance littéraire de ces deux
Epitres relativement au livre d'Hénoch, on est en droit
de nier l'identité de doctrine sur la nature de la faute
et du châtiment des anges coupables. Voir Robert, dans
la Revue biblique, 1895, t. iv, p. 52i-527, 546-550. —
saint Jude, 9, cite un passage qu'on croit être de l'As-
somption de Moïse, bien qu'il n'ait pas été retrouvé dans
les fragments conservés de cet écrit du Ier siècle de notre
ère. L'archange Michel, en discutant avec Satan sur la
sépulture de Moïse, n'osa pas proférer contre son adver-
saire un jugement de malédiction ; il se borna à dire :
« Que Dieu te commande! » L'emprunt n'est pas certain,
et on ignore l'origine de ce renseignement. Lueken,
Michael, Gœttingue, 1898, p. 44.
L'apôtre saint Jean déclare que l'homme pécheur est
fils du diable, « car le diable pèche depuis le commen-
cement. Mais le Fils de Dieu s'est manifesté précisé-
ment pour détruire les œuvres du diable. » Quiconque
est né de Dion ne pèche pas et ne peut pas pécher. Les
enfants de Dieu se distinguent donc des enfants du
diable. I Joa., m, 8-10. Gain, <|ui égorgea son frère
Abel. était Mis du malin, ni, 12. Il y a donc deux caté-
gories d'hommes, les pécheurs et les justes. Si ceux-ci
sont fils de Dieu, ceux-là sont fils du diable, parce
qu'ils en opèrent les œuvres. Le diable a été le premier
pécheur, et tous ceux qui pèchent appartiennent à sa
race. Précédemment, l'apôtre avait dit auxjeunes gens
qu'ils avaient vaincu le Mauvais, n, 13, 14, c'est-à-dire
le diable ou Satan, contre qui ils avaient dû soutenir
des luttes pour professer la foi chrétienne.
5 Dans l'Apocalypse. — Kn décrivant l'état des sept
Eglises d'Asie et les destinées futures de toute l'Église
chrétienne, saint .lean nous a fourni plusieurs dé-
tails sur la lutte entreprise par Satan contre cette
Eglise. — 1. A Sinyrne, des Juifs qui forment une sy-
nagogue de Satan, persécutent les chrétiens, el le diable,
qui est leur inspirateur, fera jeter plusieurs fidèle^ en
prison; mais ce ne sera qu'une épreuve passagère,
qu'il faudra supporter avec courage, n, 9, 10. l'ergame
est le trôni de Satan, parce que cette ville est le
t qu'on j portail les chrétiens à manger
des viandes immolées aux idoles, n. 1,'t, 11. Des chré-
tiens de Th y a tire avaient connu i les profondeurs de
Satan , n, 24; c'étaient ci-u\ qui avaient parts
doctrine idolâtrique, professée par la soi disant pro-
phétesse lézabel, 20-22. Philadelphie possède; elle
aussi, un ue de Satan, composée de Juifs
menteurs el ennemi de la communauté chrétienne de
cette trille, ni. 9. Les ennemis el les persécuteurs di s
chrétiens appartiennent .< Satan, parce qu'ils son! mé-
chants. 2 A la cinquié Irompette, le puits de
l'abîme fut ouvert. Ce puits esl I empire de Satan, d'où
m la fumée el de: sauterelles. Celles-ci étaient
chargées de tourmenter les hommes qui n'avaient pas
di Dieu i Iles avaient pour chef l'an.
l'abîme, nommé en hébreu Abaddon el en grec Ipol-
lyon, tx, 1-11. Ces deux noms signifient perdition».
Abaddon est probablement un des noms di Satan el il
n rôle 'i exu i minati ur dans la i • m di cette
vision, Après .pic la sixième trompetti sul retenti,
il i ordre d< di liei quali
sur II upl poui lui r le tiers des hom
ix. 13 15 < • -..ut quatre gi nia malfaisanti , lié
qu'ils m puissent accomplir li de destruction
qu'à l'heure voulue de Dieu. — 3. Le grand dragpn,
l'antique serpent, qui est nommé diable et Satan et qui
a séduit le monde, se leva contre la femme qui était
prête à enfanter et qui représentait l'Eglise. Il vient la
combattre avec le tiers des étoiles du ciel. Mais Michel
et ses anges combattent dans le ciel le dragon et son
armée, qui sont jetés sur terre et n'ont plus de place au
ciel, xii, 1-9. Cette scène est décrite d'après les idées
du temps sur le dragon. Il y a une simple allusion à la
chute de l'antique serpent entraînant peut-être le tiers
des anges. Mais le combat entre les bons et les mauvais
anges concerne l'Église. Il a lieu dans leciel, parce quela
vision est céleste; mais la vision vise l'avenir terrestre de
l'Égliseetles luttes des bons anges avec les mauvais sur
terre à son sujet. Le sens en est donné par la voix céleste,
10; l'accusateur de nos frères, celui qui les accusait
jour et nuit devant Dieu, a été rejeté du ciel. C'est le
diable qui est descendu sur la terre et la mer et qui
est animé d'une grande colère, parce qu'il a peu de
temps à poursuivre les chrétiens avant le jugement, 12.
Suit la description de la lutte du dragon ou serpent
contre la femme ou l'Église, 13-17. Ce dragon donna
sa puissance, son trône et une grande autorité à la
bête qui montait de la mer, c'est-à-dire à l'Anté-
christ, xin, 2, et les hommes adoraient le dra-
gon et la bête, 4. Des esprits impurs sortent de la
bouche du dragon, de la bête et du faux prophète, et
ces démons opèrent des prodiges et rassemblent les
rois de la terre pour le combat du grand jour du Sei-
gneur, xvi, 13, 14. Après la victoire de l'Agneau, un
ange descend du ciel avec la clef de l'abîme et une
grande chaîne à la main. Il saisit le dragon, l'antique
serpent, qui n'est autre que le diable et Satan, et le lie
pour mille ans. Il le jelte dans l'abîme qu'il ferme et
scelle sur lui, afin qu'il ne séduise plus les nations.
Après mille ans, il sera délié pour quelque temps, xx,
1-3. Sorti de sa prison, il ira séduire les nations qui
sont aux quatre coins de la terre et les rassembler a
pour la guerre contre les saints. Le feu du ciel dévo-
rera son armée, et le diable séducteur sera jeté dans
le gouffre de feu et de soufre avec la bête et le faux
prophète el ils y seront tourmentés jour el nuit pendant
tous les siècles, 7-10.
Destraits de ces descriptions prophétiques il reste à
dégager la doctrinede saint Jean sur Satan et sesanges,
et aussi à en déterminer l'origine. Il est clair que le
dragon, l'ennemi de l'Église, esl Satan, l'antique serpent,
le chef des anges déchus qu'il lance dans la lutte conlre
les chrétiens. Les Juifs, ennemis ,1,. l'Église, et les
mauvais chrétiens lui appartiennent, suivent ses inspi-
rations et accomplissent ses œuvres. Les idol
l'adorent dans leurs idoles. I)anss;i lutte contre l'Église
il est combattu par l'archange Michel et les bons -m
Us contiennent sa fureur et finalement il sera vaincu
par eux. Enchaîné dans l'abîme, il reparaîtra sur terre
à la lin des temps, recommencera ses séductions,
renouvellera la lutte conlre les saints, mais sera enfin
enfermé définitivement dans l'enfer pour y être lour-
ni. éternellement, hivers critiques modernes ont
prétendu que l'origine de-- symboles de l'Apocalypsi
était babylonienne, et qu'en particulier le dragon,
adversaire de l'Église, était Tiamat, le chaos priinonli.il
innifli . en lutte contre Mardouk, le dieu créateur.
Mais le monstre de l'épopée cosmologique s'est trans
en puissance néfaste de l'ordre moral, qui joue le
rôle de l'adversaire de Dieu dans le drame escnatolo-
giqui La lutte entre le bien et le mal .i donc passé de
i ordre physique a l'ordre i "al et de Pi on «lu
monde cosmique! la Qn des temps. C est, aui deui extri
mités des temps et dans deuj ordres différents, le m
du mal en lutte contre Dieu, Cf Qunkel, Schôp-
», e/ CAaoi tu i , eil und Endteit, Gœttingue,
^ . / !/■. coIypM
339
DEMON D'APRÈS LES PÈRES
340
devant la tradition et devant In critique, Paris, 1905,
p. 57-63. Celle opinion fait partie d'un système d'expli-
cation des symboles de l'Apocalypse, dont la réfutation
ne serait pas à sa place ici. Disons seulement qu'entre
l'Apocalypse et le mythe cosmologique babylonien, « il
n'j a guère de commun que l'idée du combat. Ce ne
sont pas des dieux que saint Jean nous montre en guerre
les uns contre les autres, mais des anges et de pures
créatures, et il n'entre dans aucun des détails que décrit
longuement le poète chaldéen. » F. Vigouroux, La Bible
et les découvertes modernes, 6e édit., Paris, 1896, t. i,
p. 227. L'origine babylonienne du dragon n'est pas
démontrée et les symboles de l'Apocalypse, notamment
ceux duc. xn, sont plutôt d'origine juive. Les Septante
avaient traduit par dragon plusieurs passages de
l'Ancien Testament, où il est question du serpent.
Exod., vu, 12; Deut., xxxn, 33; II Esd., il, 13; Ps. xci
(xc), 15; Jer., lx, 3i; Dan., xiv, 22, 27. Bousset, Die
Oflenbarung Johannis, 2e édit., Gœttingue, 1896, p. 408-
413; Swete, The Apocalypse of St. John, Londres,
1906, p. 147-155. La démonologie de l'Apocalypse ne
diffère pas, pour le fond, de celle de l'Ancien Testament;
elle est appliquée seulement aux destinées futures de
l'Eglise, telles que les prévoit et les prédit le voyant de
Patmos. Cf. Swete, op. cil., p. clxv-clxvi.
E. Haag, Théologie biblique, Paris, 1870, p. 346-347, 356, 415-
417, 460-462, 502-506 ; Ed. Stapfer, Les idées religieuses en Pales-
tine ii l'époque de Jésus-Christ. 2' édit., Paris, 1878, p. 67-80;
Smith, Dictionary of the Bible, 2" édit., Londres, 1893, art. Dé-
mon, Devil, t. I, p. 750-751, 779; art. Satan, t.JUI, p. 1143-1149;
Schenkel, Bibellexikon, art. Satan und Dàmonen, t. v, p. 185-
191; Lindsay, Cyclopsedia of biblical literature, art. Démon,
Satan, t. I, p. 659-661; t. m, p. 773-777; Kirchenlexikon, art.
Teufel, 2' édit., t. xi, col. 1439-1445; Hauck, Healencyclopàdie
fiir protestantische Tlieologie und Kirche, art. Dàmonen,
Teufel. t. iv, p. 408-410; t. xix, p. 564-574; Hastings, Dictio-
nary of the Bible, art. Devil, Satan, t. Il, p. 590-594; t. IV,
p. 407-412; Cheyne, Encyclopxdia biblica, art. Démon, Satan,
t. I, col. 1069-1074; t. iv, col. 4296-4300; J. Schwane, Histoire
des dogmes, trad. Degcrt, Paris, 1903, t. i, p. xvni-xxi;
H. Dulitn, Die bôsen Geister im A. T.. Tubingue, 1904; Has-
tings, Dictionary of the Christ and the Gospels, Edimbourg,
1906, t. i, p. 438-443; Oesterley, The Demonology in the Old
Testament, dans Expositor, avril et juin 1907, p. 316-332, 527-
544; août 1907, p. 132-151; M. Hagen, Lexicon biblicum, art.
Daemones. Draco, Paris, 1907, t. n, p. 3-10, 114-115; M. Hetze-
nauer, Theologia biblica, Fribourg-en-Brisçau, 1908, t. i,
p. 560-574.
E. Mangenot.
m. démon D'APRÈS LES PÈRES. — Les réflexions
que M. Bareille a faites au début de son article : Angé-
lologie d'après les Pères, t. i, col. 1192-1193, peuvent
être répétées ici. Les Pères n'ont parlé des démons
qu'en passant et n'ont publié aucun traité ex professo
à leur sujet. Ils ont, d'ailleurs, présenté souvent des
opinions divergentes, et parfois erronées, parce que
l'Ecriture et la tradition ne leur fournissaient pas d'en-
seignement fixe sur la plupart des points qui consti-
tuent la démonologie. Beaucoup ont subi l'influence
des écrits apocryphes, en particulier du livre d'Ilé-
noch. Aussi plusieurs sentiments, qui semblaient avoir
d'abord prévalu sur les démons, ont-ils disparu à une
étude plus attentive de la nature des anges déchus selon
l'Ëcriture. — I. Dans les trois premiers siècles. II. Du
ive au vie siècle. III. Du vie au xie siècle.
I. Dans les trois premiers siècles. — 1° Les Pères
apostoliques. — Ils ne disent à peu près rien sur la
nature des démons. Ils parlent du diable, de Satan et
doses anges, mais seulement dans un but pratique pour
tenir les chrétiens en garde contre leur pernicieuse
inlluence. L'Epitre dite de Barnabe, parlant des deux
voies, met les anges de Dieu à la tête de celle du bien
et les anges de Satan à la tète de celle du mal. Si Dieu
est le Seigneur des siècles, Satan est le prince du temps
présent, qui est un temps d'iniquité, xvm. Funk,
Patres aposlolici, 2- édit., Tubingue, 1901, t. i. p. 90.
Ses lecteurs, qu'on croit être des Juifs convertis, étaient,
avant leur conversion, un temple où régnait 1 idolâ-
trie, et la maison des démons, parce qu'ils faisaient ce
qui était contraire à Dieu, xvi, 7, p. 88. Saint Ignace
met les Tralliens en garde contre les embûches du
diable. AdTrall., vin, 1, p. 248. Selon lui, le chrétien
qui honore l'évéque est honoré par Dieu; celui qui
secrètement agit contre l'évéque sert le diable. Ad
Smyrn., ix, 1. p. 282. Dans les rapports avec le pro-
chain, il faut imiter la bénignité de Xotre-Seigneur,
pour qu'a aucune herbe du diable ne se trouve » en
nous. AdEph., x, 3, p. 222. Quand les fidèles sont réu-
nis nombreux pour louer Dieu, les puissances de Satan
sont sans force, et l'accord des chrétiens dans la foi
fait disparaître le mal que Satan apporte. Ibid., XIII,
1, p. 224. Ignace ne redoute par les durs tourments
du diable, c'esl-à-dire les persécutions des méchants,
pourvu qu'il soit uni à Jésus-Christ. Ad Rom., v, 3,
p. 258. Satan apparaît donc comme l'adversaire de
Dieu et des chrétiens, et celui qui porle au mal et fait
le mal. Parlant des docètes, l'évéque d'Antioche semble
dire qu'après leur mort, quand ils seront sortis de
leurs corps et devenus comme des démons, ils n'au-
ront pas part à la résurrection glorieuse du Christ.
Ad Smyrn., Il, p. 276. Il tient donc les démons comme
incorporels. Cf. ibid., m, 2. L'auteur de la 11* ad Cor.,
xvm, 2, p. 208, craint le jugement des impies, parce
qu'il est pécheur, qu'il n'a pas encore fui toutes les
tentations et qu'il est çncore au milieu des organes du
diable. Le diable est donc pour lui l'esprit tentateur,
qui pousse au mal. Hermas, dans le Pasteur, Mand.,
VII, i, 2, 3, p. 490, recommande de ne pas craindre
le diable; celui qui craint le Seigneur dominera le
diable, qui n'a aucun pouvoir sur lui. Mais il faut
craindre les œuvres du diable, qui sont mauvaises.
Celui qui craint le Seigneur craint les œuvres du
diable; il ne les accomplit pas, mais s'en abstient.
Ailleurs, rîermas dit que ceux qui marchent dans les
commandements du diable doivent se convertir, parce
que ces commandements sont difficiles, amers, durs
et impurs. Il répète que les chrétiens n'ont pas à
craindre le diable, qui n'a sur eux aucun pouvoir. Le
diable veut faire peur, mais la peur qu'il inspire est
vaine. Si on ne le craint pas, il s'éloigne. Mand., XII.
iv, 6, 7, p. 51 1, 516. Le diable est dur pour ceux qui
lui obéissent et il les opprime. Mais il ne peut domi-
ner les serviteurs de Dieu. 11 peut les attaquer, mais
pas les vaincre. Si on lui résiste, il fuit vaincu et con-
fus. Ils sont vains ceux qui le craignent comme s'il
était puissant. Le diable tente les serviteurs de Dieu.
Ceux qui ont une foi pleine lui résistent fortement, et
il s'éloigne d'eux, n'ayant plus de piace par où entrer.
Il va alors vers ceux qui sont vains, il trouve un en-
"droit par où entrer, et il fait en eux ce qu'il veut, et
ils deviennent ses esclaves. C'est pourquoi l'ange de la
pénitence recommande de nouveau de ne pas crain-
dre le diable. Dieu apardonné aux coupables repentants,
et les menaces du diable ne sont pas à redouter; il est
sans force comme les nerfs d'un homme mort. Mand.,
XII, v, 1-i; vi, 1, 2, p. 516, 518. Tous ceux qui ont
lutté avec le diable et l'ont vaincu seront couronn* '■>:
ce sont ceux qui ont souffert pour la loi. Sim., VIII,
ni, 6, p. 562. Ces considérations morales nous présen-
tent le diable comme l'adversaire et le tentateur des
chrétiens, mais un adversaire qu'ils peuvent vaincre et
qui n'a de pouvoir que sur ceux qui font ses œuvres.
2° Les Pères apologistes. — Tandis que les Pères
apostoliques ne font guère que signaler l'existence du
diable et son rôle de tentateur à l'égard des hommes,
et demeurent ainsi dans la ligne des Evangiles, les
Pères apologistes traitent explicitement de la nature
des anyes déchus et de leur chute; mais ils subissent
341
DEMON D'APRÈS LES PÈRES
342
visiblement l'influence du livre d'Hénoch et du livre des
Jubilés ainsi que des idées grecques sur les démons.
Ils sont loin, du reste, d'être d'accord sur tous les
points, et ils suivent des voies différentes.
Saint Justin, s'adressant aux païens dans ses Apo
logies, ne s'exprime pas sur les démons de la même
manière que dans son Dialogue avec Tnjphon, parce
que ses sources sont diverses. Il dit que les démons
manifestent leur existence par des impuretés, commises
sur des femmes et des enfants, par des terreurs répan-
dues parmi les hommes. Ceux-ci, épouvantés, ignorant
que c'étaient des démons, les appelèrent dieux et don-
nèrent à chacun d'eux un nom particulier. Apol., I, 5,
P. G., t. vi, col. 336. Quand Justin expose la doctrine
des chrétiens sur les démons, il se réfère à l'Ecriture
et il déclare que le prince des mauvais démons est le
serpent, Satan ou le diable. Jésus-Christ a affirmé qu'il
serait précipité dans le feu avec son armée et livré à
des tourments éternels. Si leur châtiment est retardé,
c'est à cause du genre humain. Ibid., 28, col. 372. Avant
Jésus-Christ, les démons ont introduit sur terre les
dieux, les fils de Jupiter, Bacchus, Proserpine, l'adora-
tion du serpent, les lustrations, par imitation de l'Écri-
ture sainte. Après l'ascension, ils ont envoyé des trom-
peurs, Simon. Ménandre, Marcion, etc., et toutes les
erreurs qui circulaient alors. Ibid., 23-27, 56-58, 62,
col. 368, 372. 413, 416, 421, 425. Dans VApol, il, 5,
col. 452-453, Justin raconte la chute des anges. Dieu
avait confié aux anges la charge de veiller sur les
hommes et sur toutes les créatures; mais ils ont trans-
ie l'ordre que Dieu avait établi. Ils ont eu commerce
charnel avec des femmes et en ont eu des fils, nommés
démons. Ils mirent ensuite le genre humain sous leur
joug par la magie, des terreurs et les sacrifices qu'ils
ut offrir, et ils répandirent dans l'humanité
les violences, les guerres, les adultères et tous les vices.
Les poètes et les fabulistes ignorant que les anges et les
démons, mâles et femelles, engendrés par eux, avaient
répandu ces maux dans les villes el parmi les nations,
ont attribué ces œuvres mauvaises aux dieux et à leurs
lils. Ils appelaient dieux les anges déchus et ceux qui
étaient nés deux. Ces traits répondent évidemment,
-ères dillérences,auxélucubrations des Livres
lubilés et d'Hénoch et n'ont rien de commun
avec l'enseignement de la Bible. Du reste, les démons
■■ni les bom 9 bons et vertueux, et en particu-
lier les chrétiens qu'ils détestent. Ils provoquent contre
■ci la persécution; ils ont fait porter les lois persécu-
trices et ils poussent les magistrats ■< poursuivre les chré-
Mais eux et ceux qui les honorent seront enfermés
ibironl les peines qu'ils onl méritées '•! des supplices
dans le feu éternel. Les prophètes l'ont prédit el Jésus
13, col. 144, 457, 160, (65,
Dans le Dialogue avec Tryphon, la doctrine sur les
■ el sur le diable est exclusivement tiréi
l'Ecriture. Le diable a recouru à des ait. rations pour
tromper les hommes; il a agi .hum par le moyen des
'" igii : par les faux prophètes du temps
d'1 lie, 69, col. 636, Tryphon reproche à Justin de dire
que ■ q| -, p ,,,.. ,],. Dieu,
mal i i criture, Justin prouve l'exla-
pai ls.. xx\. i 5; /.,, h , m.
I . Job, 1,6; le serpent de la Genèse, les magi id I jjypte,
!••- l.\ X l dii i di nations
Poui prouver que Jésus Chri
lustin dit que la seule adjura-
tion de ion nom luffll poui vaincre les démons, 85,
876. H déclare q al .. amené 1 1
100, col. 709. Jésus-Chrl
' e dominé par le mauva nous
ii qn ■' notre moi t,
il ne prenne p me. Il ■> pouvoil
comme le montre i histoire de la i d i ndoi
105, col. 721. Le texte : Sicut unus de principibus ca-
dilis, Ps. lxxxi, 7, que Justin entend de la mort des
hommes, lui sert de point de départ pour prouver la
chute de Satan. Ce prince, qui a fait une grande chute,
c'est celui qui est appelé le serpent; et il a fait une
grande chute en trompant Eve, 124, col. 765. M. Tur-
mel, Histoire de l'angélologie, dans la Revue d'/iis-
toire et de littérature religieuses, 1898, t. ni, p. 290,
interprète ce passage dans ce sens : « En induisant
l'homme dans le péché, Satan pécha lui-même, et en
causant la perte du genre humain, lui-même se per-
dit. » Il attribue ainsi à saint Justin l'explication de la
chute de Satan par la jalousie, explication qui fut
« classique », ajoute-t-il, p. 291, pendant un certain
temps. Celte interprétation est particulièrement forcée.
Saint Justin parle seulement de l'introduction de la
mort dans l'humanité, introduction qui est due à la
tromperie d'Eve par le serpent, et s'il fait consister la
chute de Satan dans cette tromperie (ce qui n'appa-
raît pas clairement), il n'en dit pas le motif et il n'in-
sinue même pas la jalousie du serpent. Quoi qu'il en
soit, M. Tunnel n'a pas remarqué la référence scrip-
turaire au Ps. lxxxi, 7, pour prouver la chute de Satan.
Cf. Histoire de la théologie positive, Paris, 1904,
p. 115. Les chrétiens sont persécutés par les démons
et l'armée du diable, par le ministère des Juifs, 131,
col. 780. Si les hommes et les anges doivent être punis,
c'est parce que Dieu a prévu qu'ils seraient mauvais, et
non pas parce qu'il les a fait tels. S'ils faisaient pénitence,
ils obtiendraient miséricorde, 141, col. 797. Ce texte
signifie que les démons et les damnés ne feront pas pé-
nitence et par suite seront punis; il ne veut pas dire que
Dieu a offert aux démons le moyen de faire pénitence.
Saint Irénée, Cont. User., 1. V, c. xxvi, n. 2, P. G.,
t. vu, col. 1194, rapporte un passage d'un ouvrage in-
connu de saint Justin. Celui-ci y déclare qu'avant
l'avènement de Jésus-Christ, Satan n'a pas osé blas-
phémer Dieu, parce qu'il ne connaissait pas encore sa
condamnation. Eusèbe a reproduit ce fragment d'après
saint Irénée, H. E., I.IV,c. xvm, P. G., t. xx, col. 376.
Ce témoignage, nous le verrons, a été souvent cité au
moyen âge par les écrivains grecs. Voir col. 377-379.
Selon Tatien, Oral, adrersus Grœcos, n. 7, ibid.,
col. 820, 821,1e Verbe de Dieu a créé les anges avant
les hommes; il a créé les uns et les autres libres. Deve-
nus mauvais, les démons sont punis de leur malice; ils
ne sont donc pas nécessairement mauvais. Les hommes
onl suivi un des mauvais anges, le plus rusé et qui es!
plus ancien qu'eux, el malgré la loi de Dieu, ils l'ont
pris pour Dieu. L'homme, fait à l'image de Dieu, est de-
venu mortel, l'esprit supérieur à lui (c'est-à-dire l'image
de Iheu, cf. n. 12, col. 829), qui est en lui, s'éloignant
de lui. Le démon, qui était avant l'homme, a manifesté
son existence par la faute qu'il a fait commettre. Tatien
semble dire que le démon, qui était protogène relati-
ut à l'homme, a montré sa malice en faisant pécher
l'homme : ce qui signifierai! que le démon avait péché
déjà a\ant la tentation de l'humanité, sans que rien
n'indique la nature de son péché. Ceux qui onl imité
la folie du démon sont devenus l'armée des démons el
ont été livrés à la folie par leur propre volonté. Les
démons onl été l'occasion de ls chute des hommes.
Comment? Par l'invention de l'astrologie. Les démons
oui montré aux hommes quelle était la position des
asti es, el de cette connai ince les hommes ont conclu
,. l'existence du destin, n, 8, 9, col. 822, B24. Jupiter
eel le chel des démons, au heu d'adorei les démon
trompent, les chrétiens adorent Dieu qui m
trompi ■ luanl I la uaturi
démon ni des êtres composes de matière ,i
■ •m poi tés vers la matlèi e la plus
pure, les autres vers la plus vile, A laquelle ils ont
conforme leur vil I Gl id I ni ceux qui se sont
343
DEMON D'APRÈS LES PERES
344
ventes du bon ordre. Insensés et animés de vaine
gloire, rompant tout frein, ils se sont efforcés d'être
des voleurs de la divinité, ).r\axaï Oeôt-^to; (ils se sont
l'ait passer pour dieux). Le Seigneur a permis qu'ils
trompent les hommes jusqu'à la lin du monde et jus-
qu'au jugement dernier. Quiconque, bien qu'il ait été
attaqué par les démons, a gardé la connaissance par-
faite de Dieu, recevra au jugement un meilleur témoi-
gnage, parce qu'il a lutté, n. 12, col. 832. Les erreurs
des païens sont des stratagèmes des démons, col. 833.
Les démons ont subjugué les Grecs et les ont dominés,
comme un voleur se met à la tête de ses pareils. Par-
venus à une plus grande malice, ils ont trompé les
âmes. Ils ne meurent pas, puisqu'ils sont sans chair;
mais, tout en vivant, ils connaissent la mort. Ils meu-
rent, lorsqu'ils apprennent à leurs sectateurs à pécher.
Parce qu'ils ne meurent pas réellement comme les
hommes, ils auront à subir un plus fort supplice : ils
n'auront pas la vie éternelle, mais ils subiront la mort
dans leur immortalité. Ils pèchent plus que les hom-
mes, parce qu'ils vivent plus longtemps, n. 14, col. 836,
837. D'autre part, les démons, qui commandent aux
hommes, ne sont pas les âmes des hommes. L'homme,
après sa mort, n'a pas plus de puissance que de son
vivant. C'est par malice qu'ils poursuivent les hommes,
les pervertissent et les portent au mal par de fausses
manœuvres très variées. Ils sont vus parfois par les
psychiques, et ils se montrent souvent sous des appa-
rences humaines, soit afin d'être tenus pour quelque
chose, soit pour que leurs amis, mal inspirés par eux,
puissent nuire aux autres, soit pour amener ceux qui
leur ressemblent à les honorer. S'ils le pouvaient, ils
pervertiraient le ciel avec les autres créatures. Ne le
pouvant pas, ils attaquent la matière qui leur est sem-
blable et inférieure. Pour les vaincre, il faut donc répu-
dier la matière. Ils s'attribuent les causes de nos mala-
dies; parfois, ils frappent notre corps par malice. Mais
atteints par la vertu de Dieu, ils s'en vont épouvantés,
et le malade est guéri, n. 16, col. 840, 841. Ils pro-
mettent en vain de rendre la santé par des moyens
magiques; ils joignent de bons remèdes aux mauvais,
ils trompent et ne guérissent personne, n. 17, 18,
col. 841, 844. Ils Ilattent les passions par leurs œuvres
et leurs prédictions, n. 19, col. 849. Ils ont été exclus
du ciel, n. 20, col. 852. Tatien, en se convertissant, a
compris qu'il était délivré de beaucoup de princes et
de tyrans, n. 29, col. 868.
Athénagore, Legatio pro clirislianis, n. 23, 24, ibid.,
col. 941, 9i4, 945, 948, compare la doctrine des païens
sur les démons à celle des chrétiens. Les païens
admettent l'existence de dieux bons et de dieux mauvais,
et ils appellent démons ceux qui agissent parle moyen
des idoles. Thaïes le premier a distingué Dieu, les
démons, les héros : les démons sont de nature spirituelle,
oùuia; voeï •\i-jyiv.kz; les héros sont des âmes séparées
des corps. Platon a refusé de se prononcer sur les
démons. Les chrétiens reconnaissent en dehors du Père,
du Fils et du Saint-Esprit, d'autres Suvàixei;, tte^'i ttjv
ûXï)v àyoùira; xa\ St' otJttjç. Une de ces puissances est
àvu'Oeov, adverse de Dieu, non pas, comme l'a dit Em-
pédocle, comme la nuit l'est au jour, mais parce qu'au
bien de Dieu, qui coexiste en elle, s'est ajoutée une pro-
priété, comme la couleur s'ajoute au corps, qui la rend
contraire à Dieu. Cet esprit, ennemi de Dieu, a été fait
par Dieu comme les autres anges, et il avait été chargé
de veiller à la matière et aux choses matérielles. Dieu, en
effet, avait créé les anges pour gouverner toutes choses.
Il y en a de bons et de mauvais. Tandis que les uns
ont persévéré librement dans la charge que Dieu leur
avait confiée, d'autres ont abusé et de leur nature et de
leur charge. Ces données sont conformes à celles du
Livre des jubilés. En particulier, le prince de la nature
et des choses de la nature, et ceux qui étaient établis
sur le premier firmament (Athénagore expose ce qu'ont
dit les prophètes; évidemment lli'nochj sont déchus.
Le prince a été négligent et coupable dans l'adminis-
tration de sa charge; les autres ont été attirés par li -
femmes et dominés par l'amour charnel. D'eux sont
nés les géants, dont les poètes ont parlé. Ces an
tombés du ciel, vivent dans l'air et sur terre et ne
peuvent pas s'élever au ciel. Les âmes des géants, qui
errent autour du monde, sont des démons, et ils
excitent des troubles. Les géants sont démons par la
nature et la constitution qu'ils ont tirée de leur origine;
les anges tombés sont démons en raison des passions
qu'ils ont ressenties. Le principe de la matière agit, on
le voit par ses actes, à rencontre du bien de Dieu.
Euripide et Aristote l'ont dit. Parce que les démons
produisent des troubles, quelques hommes irréfléchis
ont nié l'ordre du monde, n. 25, col. 948-949. Les
démons favorisent l'idolâtrie; ils s'attachent au sang
des victimes et le lèchent. Les dieux, dont les noms
sont donnés aux idoles, furent des hommes. Les démons
ont pris leurs noms pour les donner aux idoles. Leurs
actes montrent leur malice. Ils agissent par le moyen
des statues ; ils ne sont pas ceux à qui on dresse des
statues, n. 26, col. 949, 951. Cf. n. 28. 29, col. 953-957.
où Athénagore prouve que les dieux étaient des hommes.
Les démons emploient des artifices pour faire croire
qu'ils opèrent des guérisons, n. 27, col. 952.
Pour saint Théophile d'Antioche, les dieux sont aussi
des hommes morts; on le voit par ce qu'on raconte de
leurs générations. AdAutolyc.,l. I, n. 9; 1. II, n. 2,i6id.,
col. 1037, 1049. Au sujet de la chute de l'homme et du
rôle du serpent tentateur, il se borne à citer le récit
biblique, 1. II, n. 21, col. 1084-1085. Il dit un peu plus
loin que Dieu avait prévu que la multitude des dieux,
qui n'existent pas, serait introduite dans le inonde par
le serpent. Celui-ci a répandu l'erreur polythéiste, en
disant à Eve : « Vous serez comme des dieux. » Eve
fut trompée par le serpent. Le démon est donc la cause
du mal; il est Satan, puisqu'il parlait par le serpent.
Il est aussi nommé le dragon, parce qu'il s'est éloigné
de Dieu par la fuite. Il avait été ange dès le commence-
ment. Il y aurait beaucoup à dire sur lui; Théophile
l'a fait ailleurs, n. 25, col. 1096, 1097. Lorsqu'il parle
du déluge, 1. III, n. 18, 19, col. 1 145, il ne dit rien de sa
cause morale et de la corruption qui l'a amené.
Sans vouloir trancher ici la date de YOctavius, ni la
patrie de son auteur, Minucius Félix, nous joindrons
son témoignage sur les démons à celui des apologistes
du ne siècle. Traitant des augures, qui sont menteurs,
il parle des esprits trompeurs, vagabonds, dégradés de
leur vigueur céleste par les fautes et les passions ter-
restres. Ayant perdu la simplicité de leur nature et
chargés de vices, ils cherchent, pour se consoler de
leurs malheurs, à perdre les autres, et séparés eux-
mêmes de Dieu, à en éloigner les autres par de faux
actes de religion. Les poètes les appellent démons, les
philosophes en parlent, Socrate en avait un spécial,
les mages font par eux leurs prestiges. Oclavius, 26.
P. L., t. m, col. 321-323. Ces esprits impurs se cachent
sous les statues et les images des dieux païens. Ils
agissent par leur intermédiaire, trompent leurs secta-
teurs, mais fuient les chrétiens. lbi>L, 27, col. 323-327.
Minucius Félix dépend évidemment de la tradition du
livre d'ilénoch pour ce qui concerne l'origine et la
nature des démons.
3° Les hérétiques du w siècle. — Les gnostiques ont
fait entrer des anges bons et mauvais, ou, au moins,
un principe du mal, dans les séries de leurs Éons.
Leurs doctrines s'écartent tellement de l'Écriture et du
sentiment commun des chrétiens qu'il est inutile de
les exposer : elles ne nous apprendraient rien sur les
diluons. Plusieurs faisaient de Satan le principe du
mal. Iléracléon disait que le diable n'était pas libre, et
345
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
346
au rapport d'Origène, In Joa., tom. xx, n. 22, P. Gt.r
t. xiv, col. 637, 640, qu'il était plus malheureux que
blâmable, puisqu'il était porté au mal et menteur de sa
nature. Dans un passage de son commentaire sur
l'Évangile de saint Jean, cité par Origène, In Joa.,
tom. xni, n. 59, ibid., col. 516, Héracléon reconnaissait
dans le serviteur du centenier les anges du créateur du
monde, par conséquent des esprits mauvais, Satan et
ses anges, et il se demandait à leur sujet si quelques-
uns seront sauvés, il s'agit de ceux qui sont descendus
vers les femmes. Ainsi Héracléon admettait la faute
charnelle de quelques anges et il posait la question de
la possibilité de leur salut. Cf. P. G., t. vil, col. 1316;
Brooke, The fragments of Héracléon, dans Textes ami
Studies, Cambridge, 1891, t. i, n. 4, p. 93.
4° Saint 1 renée. — L'évêque de Lyon parle souvent
de l'apostasie des anges transgresseurs. Vont, hser.,
1. I. c. x. n. 3, P. G., t. vu, col. 556. Il distingue le
serpent maudit et les anges apostats, pour qui a été
préparé le feu éternel, quoique ce feu ait été surtout
préparé pour le séducteur, qui a été cause de la chute
de l'homme, 1. III, c. xxm, n. 3, col. 963. Adam a été
séduit sous prétexle d'immortalité, n. 5, col. 963. Le
serpent a persuadé l'homme, l'a rendu transgresseur,
inûium et materiam sux aposlasix habens homir
ncm, n. 8, col. 965. Ces mots obscurs veulent-ils dire
que Satan a péché, en faisant pécher l'homme?
D'autres passages en préciseront le sens. Le serpent
est l'ange apostat et ennemi, qui sème l'ivraie dans le
champ du père de famille; il a jalousé la créature de
Dieu et il a cherché à la faire l'ennemie de Dieu. C'est
pourquoi Dieu l'a séparé de lui eta reporté sur le serpent
l'inimitié de l'homme, I. IV, c. xl, n. 1, 2, col. 1113-
1 1 1 î Les anges du diable sont réservés au feu éternel,
et tous ceux qui sont séparés de Dieu appartiennent à
ce prince de la transgression. Le diable est une créature
de I »ieu comme les autres anges, lia élé pour lui-même
et pour les autres cause de séparation d'avec Dieu. Aussi
l'Écriture appelle-t-elle (ils du diable et anges mauvais
ceux qui persévèrent dans l'apostasie, c. xi.i, n. 1, 2,
col. 1115. Le serpent s'est montré l'ennemi de Dieu.
Son nom de Satan est un mol hébreu qui veut dire
apostat. Après qu'il eut persuadé à l'homme de trans-
gresser le précepte de son créateur, il a eu l'homme
sa puissance, I. V, c. x\i. n. -2. 3, col. 1181, 1182.
Le diable, qui esl un ange apostat, a séduit l'homme, l'a
détourné d'obéir au précepte de Dieu et l'a poussé à
■ l'adorer lui-même comme Dieu. C'est un des anges
préposés sur l'air, comme dit saint Paul. Kph., Il, 2.
Invident homini, apostata a c&vina factus est lege;
• i est a Deo. Son apostasie a pa
l'homme. Il a envié la vie du Verbe qui venait sauver
l'homme. C'est pourquoi le Verbe a donné' à l'homme
le pouvoir de fouler aux pieds les serpents, a cause de
l'apostasie a laquelle le serpent l'a porté', I. V, c. \xiv,
n '■'<. i. col. IIW. Le feu éternel esl préparé pour tous
les apostats. A l'origine, le diable a téduil l'homme par
le serpent, </uasi lalens Deum. Après avoir cité la
parole de sainl Justin, suivanl laquelle s.itan ne con-
naissait pas sa condamnation avant l'avènement de
Jésus, -uni Irénée développe cette pensée. Par les
discours de Jésus el des apôtres. s.;i!,m a appris mani-
ement que le feu éternel lui était préparé, parce
qu'il s'était éloigné «le Dieu, comme il l'était pour ions
qui ne feraient pas pénitent e el et tient
dans i api 1 1 i Par suite, il impute a Dieu lui-même,
lonté propre, la hôte de son apostasie,
I. V, c. w.i. d. ï, col 1194, 1196 Ci il donc bien par
envie que, selon saint [renée, Satan a f:ui pécher
l'homme, toutefois l'objet de sa jalousie d i pas été le
pouvoir que Dieu avail donné ■> Adam sur la terre,
mais l'amour que li Vertu manifestait à l'humant!
voulanl la a donc pn cédé la tenta-
tion de l'homme; elle est la cause de sa propre apos-
tasie, mais aussi celle de l'apostasie d'Adam, puisque la
séduction de l'homme a suivi l'apostasie de Satan.
Devenu Satan, le diable s'est servi du serpent pour
tromper l'humanité.
Quant aux anges apostats, dont Satan est le prince,
ce sont des anges déchus qui sont tombés sur terre
pour le jugement. Hénoch leur a été envoyé comme
ministre et comme prophète, 1. IV, c. xvi, n. 2,
col. 1016. Saint Irénée semble attribuer leur apostasie
à leurs relations coupables avec des femmes. Il dit
seulement, il est vrai, que Dieu, au temps de Noé,
amena le déluge sur la terre pour détruire la race
mauvaise d'hommes qui vivaient alors et qui ne fai-
saient aucun fruit pour lui, cuni angeli transgres-
sons commixti fuissent eis, 1. IV, c. xxxvi, n. 4
col. 1093. En réalité, l'évêque de Lyon affirme seule-
ment la présence des anges transgresseurs parmi les
hommes mauvais du temps de Noé; il ne dit rien de
précis sur la nature de leur transgression. S'il fait allusion
à leur péché charnel, on peut soutenir avec dom Massuel,
diss. III, n. 103, P. G., t. vu, col. 357-358, que cette
faute n'a 'pas été la cause de leur chute, mais qu'elle
est postérieure à leur apostasie, quoique la pensée
reste obscure. Quoi qu'il en soit, saint Irénée, en par-
lant des anges transgresseurs, est le premier écrivain
ecclésiastique qui vise le récit biblique et parle du
déluge, bien qu'il y mêle des renseignements puisés
au livre d'IIénoch. Les précédents, s'appuyant exclusive-
ment sur cet apocryphe, ne parlaient ni du récit de la
Genèse ni du déluge. Voir Massuet, diss. III, n. 106,
108, P. G., t. vu, col. 363, 364-368. Dans son ouvrage
K!ç ËTuSetltv xov ànoTToXizoO Y.-i)p\iyy.à-:oz, récemment
retrouvé dans une version arménienne, saint Irénée
appelle les démons les ennemis du Fils : ce sont des
anges, des archanges, des puissances et des trônes, qui
ont abandonné la vérité. Karapet Ter-Mëhërttschian et
Erwand Ter-Minassiantz, Desheiligen Irena'ûs Schrift
:iou Erweise der apostolischen Vcrkundigung, 85, dans
Texte und Untersuchicngen de Harnack, Leipzig, 1907,
l. xxxi, fasc. 1er, p. ii-'tô, 63. Ce texte semble bien
attribuer l'apostasie des anges à une autre cause qu'à
leurs relations avec des femmes. En tout cas, il compte
parmi les anges déchus des esprits ayant appartenu
aux diverses classes d'anges fidèles à Dieu. Cf.Cont. Iixr.,
I. II. c. xxx, col. 818. Voir t. t, col. 1206.
& Clément d'Alexandrie. — Il distingue, lui aussi,
le serpent séducteur des anges déchus. Le serpent a
déformé l'esprit de l'homme par le désir de la gloire.
Psed., I. III, c. n, P. G., t. vin, col. 562. Il a appris à
l'homme la volupté. Coh. ad Grsecos, c. xi, col. 228. Le
diable, des qu'il a eu péché, n'a pu se convertir, parce
qu'il a persévéré à pécher. Adumbrationea in Ei>isi. I
Joa., P. G., t. ix, col 738. Traitant de la volupté,
Clément dit que les anges ont abandonné la beauté de
Dieu pour la beauté qui se flétrit, et qu'ils sont des-
cendus du ciel sur terre. Leur faute précède celle des
Sichiniites. /'.e,/., I. III, r. il, /'. <:., t. vm, col. 576. Il
cite Jud., 5,6, ifcid.,C. Vin, col.616. Au sujet de la conti-
nenee. il dit encore que quelques anges incontinents
ont été vaincus par la passion el sonl descendus «lu
ciel sur terre. Slrinii., III, C. vu. roi. 1161, Les anges,
qui avaient un soi t supérieur, ont déchu par la volupté
el ont dévoilé BUS femmes les secrets qu'ils devaient
garder, et tout ce qu'ils connaissaient, tandis que les
autres anges cachaient ci i ouplutdl les <
ni pour l'avènement du Seigneur, De Ut, -ont venues
• de la providence et la révélation des
chose-, sublimes. Strom., \. c i, /'. c... t. ix. col. 34.
Ils ont abandonné le ciel et i. - étoiles et sont devenus
il- habitent dani l'ail ténébreux, proche de
la terre H- ont perdu leur honneur, ont convoit
Chos' ■ ' ne peuvent -e COnVI i lu t in,,,1
.•347
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
348
nés in Episi. Judée, /'. '.'., t. îx, col. 732. Clément
est en cela tributaire tin livre d'Ilénoch. Les anges
sont tombés à cause de la faiblesse de leur volonté.
Simm., VII, c. vu, col. 465. Les philosophesontappelé
le diable le prince des démons. Strom., V, c. xiv,
col. 136. Si les démons sont des dieux, chaque ville a
les siens. Coh. ad Grsecos, c. n, /'. G., t. vin, col. 121.
Saint Paul a dit qu'il fallait s'abstenir des viandes
immolées, parce qu'elles sont offertes aux démons.
Psed., 1. II, c. I, col. 392. On a cru que les Ames des
morts étaient des démons. Strom., VI, c. ni, P. G.,
t. ix, col. 249. Le feu éternel est préparé au diable et
à ses anges. Coh. ad Grœcos, c. ix, P. G., t. vin,
col. 193. Quand nous sommes délivrés du péché, nous
sommes séparés de la conversation du diable. Ilml.
Barnabe, qu'il cite, a bien dit que les pécheurs font les
œuvres du diable, mais il n'a pas dit que les esprits
habitent dans l'âme du pécheur. Strom., II, c. xx,
col. 1060. Les pestes, les grêles, les tempêtes et choses
semblables ne viennent pas seulement de troubles ma-
tériels; ils sont produits habituellement par les mau-
vais anges. Strom., VI, c. ni, P. G., t. ix, col. 248.
Voir t. i, col. 1196; t. in, col. 156, 187. Si les Eclogse
prophéties; sont de Clément, il y dit que les démons
avaient cru que Salomon était le Messie. Quand ils l'ont
vu pécher, ils ont su clairement qu'il ne l'était pas.
Les démons savaient tous que le Messie devait ressus-
citer des morts. Hénoch dit aussi que les anges trans-
gresseurs ont appris aux hommes l'astronomie, la divi-
nation et les autres arts, 53, P. G., t. ix, col. 724.
6° L'Église d'Afrique. — De Carthage, nous avons
les écrits de Tertullien et de saint Cyprien.
Selon Tertullien, l'existence de substances spiri-
tuelles ou démons a été admise par les philosophes.
Socrate avait eu dès l'enfance un démon familier,
Platon n'a pas nié l'existence des démons. Les poètes
en parlent et le peuple, par ses imprécations, maudit
Satan. Mais il y a deux catégories d'anges corrompus :
l'une, plus corrompue, dont l'Écriture nomme le prince
et dont l'activité est entièrement employée à la perte
des hommes, et l'autre, qui est moins corrompue et qui
est née d'eux. Les magiciens ont recoursauxdémonsqui
rendent des oracles et sont adorés dans les dieux du
paganisme. Apaloget., 22, 23, P. L., t. i, col. 404-416.
Les génies sont aussi des démons. Ibid., 32, col. 447-
448. Cf. De anima, 39, P. L., t. n, col. 718. Du reste,
l'existence des démons est sentie par l'âme en raison
des maux qu'ils produisent. On maudit Satan; on l'ap-
pelle ange de malice, ouvrier d'erreur, celui qui a jeté
le trouble dans le monde. A l'origine, en effet, l'homme
a été trompé par lui et condamné à mourir en punition
de la désobéissance que Satan lui a fait faire. De te-
slimonio animai, 3, P. L., t. I, col. 612-613. Le diable
n'est pas toutefois le créateur du monde, comme le
prétendait Marcion; c'est un archange menteur.
Adv. Marcion., 1. V, c. xvm, P. L., t. n, col. 518-519.
D'autre part, Dieu n'est pas le créateur du diable.
Dieu a fait un ange; il n'a pas fait le diable. Celui-ci
s'est fait lui-même, en s'éloignant de Dieu. Par malice,
il a menti et a trompé l'homme; il a diffamé Dieu.
Satan est un archange, le plus élevé des anges et le plus
sage de tous, c'est le prince de Tyr, Ezech., XXVIII, 12,
tombé du ciel; il est l'auteur du péché; mais il est
puni par le moyen des hommes qu'il a vaincus. Il a lésé
l'homme, et ex illo deliquit, ex quo deliclum semitia-
vil. Sa faute semblerait avoir existé du jour où il a fait
pécher l'homme. Ibid., I. II, c. x, col. 296-297. Tout
a été changé par le diable. De corona, 6, ibid., col. 84.
Si Dieu est optimus, le diable est pessimus; tout le
mal vient de lui. Le mal a son origine dans l'impa-
tience du diable : il supporta impatiemment que Dieu
ait lait l'homme à son image; il en conçut de la
douleur, de l'envie, et il a trompé l'homme. Tertullien
ne veut pas rechercher s'il a élé mauvais avant d'être
impatient, ou s'il a été mauvais et impatient simulta-
nément ou séparément. Ce qui est certain, c'est qu'il
a péché le premier et qu'il a profité de son expérience
pour faire pécher l'homme. De patientia, •">. l'.L., t. i,
col. 1256-1257. Aussi Tertullien appelle-t-il le diable
semulus, le jaloux. De psenilenlia, .">. ibid., col. 1235;
De anima, 20, P. L., t. n, col. 683. Il le dit : Noster
i>b divortium semulus et ob Dei graliam iniidus. Il
fait persécuter les chrétiens par les païens ; mais il est
soumis aux chrétiens. Apologet., 27, P. L., t. i, col. 135.
La persécution vient du diable, mais par la permission
de Dieu, pour éprouver les chrétiens. De fuga, 2, P. L.,
t. n, col. 104-106. Il a envié Notre-Seigneur et l'a tenté.
De patientia, 16, P. L., t. i, col. 1285-1287. Les héré-
sies viennent du diable. De prsescript . , 40, P. L., t. n.
col. 54-55. Satan se change parfois en ange de lumière,
Adv. Marcion., 1. V, c. XII, ibid., col. 502; mais,
alors même, il ne perd pas sa nature corrompue. De
resurrectione, 55, ibid., col. 677.
C'est au livre d'Hénoch, qu'il tient pour canonique,
que Tertullien emprunte le récit de la chute des anges.
Ils se sont précipités du ciel sur les filles des hommes.
Pour leur donner la beauté qu'elles n'avaient pas, ils
leur révélèrent les secrels de la nature, l'art de la pa-
rure, les autres arts et l'astrologie. Nous les jugerons;
nous renonçons à eux, au baptême. Ils ont abandonné
le ciel pour contracter un mariage charnel. De cultu
fœminarum, 1. I, 2-4, P. L., t. I, col. 1305-1308. Ils
ont été condamnés par Dieu pour cette faute. Ibid.,
1. II, 10, col. 1328. Ces desertores Dei, amalores fx-
minarum, furent proditores hujus curiosilatis (l'as-
trologie). D'eux vient aussi l'idolâtrie. C'est pourquoi
ils ont été condamnés. Le ciel est interdit aux mathé-
maticiens comme à leurs anges : la même peine d'exil
est appliquée aux maîtres et aux disciples. De idololatria,
9, ibid., col. 671. Les femmes doivent être voilées
pmpter angelos, a dit saint Paul, I Cor., xi, 8, 10. parce
que angeli propter filias hominum desciverunt a Dec.
Ici, Tertullien se réfère au texte de la Genèse, vi,2, et
de l'expression : « filles des hommes ■>. il conclut que
les anges aimèrent des filles vierges, encore chez leurs
parents, et des veuves, mais pas des femmes mariées.
De oratione, 22, ibid., col. 1186-1187; De virginibus
velandis, 7, P. L., t. n, col. 899. Voir t. i, col. 1195-
1196.
Satan et ses anges ont rempli le siècle : il y a des
idoles partout. Vénus et Bacchus sont deux démons.
Les démons sont dans les idoles, dans les théâtres, au
cirque, qui sont les pompes du diable. De spectacuUs.
7, 8, 10, 12, 26, P. L., t. i, col. 639, 640, 643, 645, 657.
Dans le paganisme et le mithriacisme. ils ont imité le
christianisme. De prsescript., 40, P. L., t. n, col. ôi.
De corona, 15, ibid., col. 102; Ad uxorem, 1. I, 6. 7.
P. L., t. i, col. 1284. Les songes viennent souvent des
démons. De anima, 47, P. L., t. il, col. 731-732.
Presque en chaque homme il y a un démon; aussi
faut-il recourir aux exorcismes pour échapper à son
inlluence. Les démons sont auteurs des prestiges des
magiciens. Ibid., 57, col. 748-750. Cf. A. d'Alès, Lu
théologie de Tertullien, Paris. 1905, p. 151, 156-161;
,1. Tunnel, Tertullien, Paris, 1905, p. 123, 182-185,
188-189, 238-240.
Saint Cyprien a, sur la chute de Satan et des anges,
les mêmes idées que Tertullien. Il faut toujours être
prêt à repousser les tromperies du diable et à lutler
contre lui. Le diable est trompeur par envie. L'exem-
ple de nos premiers parents le montre, lnter initia
slalini mundus et periit primus et perdidit. llle an-
gelica majestale subnixus, illc cselo acceptas erat et
chants, poslquam hominem ad imaginem Deifaclum
conspexit, in zelum nialivolo lirore prorupit, non
prius alterum dejiciens instinctu :e1o quam ipse :elo
349
DÉMON D'APRES LES PÈRES
350
ante dejectus, captivus antequam copient;, perditus
antequam perdens... ipse tjuoque id quod prius eral
amisit, Et en preuve, saint Cyprien cite Sap., n, 24.
De zelo et livore, 3, 4, P. L., t. îv, col. 6i0; édit. Ilnr-
tel. Vienne, 1868, t. i, p. 299. Dès le commencement
du monde, il a trompé l'homme, en mentant et en le
flattant ; il a tenté Notre-Seigneur, et il se cache encore,
le vieux serpent, pour tromper les chrétiens. De ca-
tholicx Ecclesiae unitate, 1, édit. Hartel. t. i, p. 209-
210. Ab inilio mundi fallax, semper et menda.r,
mentilur ut fallat, etc. Suit la description de ses ruses.
Epist., xuir, 6, Vienne, 1871, t. n. p. 596. Tous les jours,
il faut combattre avec lui. De mortalilate, i, 1. 1, p. 299.
Ailleurs encore, saint Cyprien parle des tentations
diaboliques, qui n'ont lieu qu'avec la permission de
Dieu et auxquelles les chrétiens peuvent résister victo-
rieusement. Si le diable a péché par jalousie à l'égard
de l'homme, les mauvais anges ont péché par luxure.
Ces anges pécheurs et apostats ont, en effet, enseigné
aux femmes à se farder et à se friser, quando, ad ler-
re.na contagia devoluti, a csclesti vigore reccsserunl.
De habilu virginis, li. P. L., t. iv, col. 453-454. Ces
détails viennent du livre d'Hénoch.
7° A Rome, saint Hippolgte. — Caius avait inter-
prété Apoc. xx, 2, 3, en ce sens que Satan est déjà
lié. puisque le Christ est allé à la maison du fort, l'a
enchaîné et lui a enlevé ses instruments de ruine.
Malth., xn, 29. Il est lié pour mille ans, après lesquels
il 9era délié pour tromper les peuples. Saint Ilippolyte
résolut cette objection de l'hérétique. I! montra par
des textes de l'Évangile que Satan n'est pas encore lié,
puisqu'il trompe les chrétiens et persécute les hommes.
Jésus a recommandé de prier pour être délivré du
malin. Il faut combattre avec les puissances mauvaises.
Eph., vi, 12. Il sème l'ivraie dans le champ du père de
famille. Matin., xm. 19. A la fin des temps seulement, le
diable sera lié et jeté dans l'abîme selon Isaïe, XXVI, 10.
Les mille ans de l'Apocalypse ne sont pas à prendre
comme un nombre exact; ils désignent le règne éternel
du Christ, pendant lequel le diable sera lit'- et puni dans
l<s flammes de l'enfer avec tous ses adeptes. Capita
advenue Caium, frag. v ou vu. publics par Gwynn,
dans Hermatliena, 1888, t. vi, p. 415-416; cf. p. 402-
401 Zahn, Geschichte de» Neutestamenllichen Kcmoru,
Erlangen et Leipzig, 1892, t H, |>. 978-980; llarnack,
dans Texte und Unters., 1890, t. vi. fasc. 3, p. li">
188; tchelis, Hippolyttu, Leipzig, 1897, t. i. p. 246-247;
cf. fragment vieux-slave, il, ni., p. 238; d'Alès, La
théologie de taint Ilippolyte, Paris, 1908, p. 199. Pour
saint Ilippolyte, l'enfer, ou le lac de feu inextinguible,
ride encore, préparé seulement pour que les dé-
mons et les méchants s soient torturés dant
flammes pendant l'éternité. A. d'Alès. p. 200-201.
Origène. \ Alexandrie, Origène inaugure, .,u
■njel des démons, une voie nouvelle qui, pour une
part, aura du succès. M rejette décidément li
du livre d'Hénoch, prouve l'existence des esprits mau-
vais par rie nombreux textes de II enlui e, mais il ima-
iplications personnelli • sur \> chute de ces
la possibiliti il" leur conversion finale. Il
traite ea pmfrsio des anges mauvais, qui sonl punis.
parce qu'ils 0nl mal agi, au début de Dr prin-
-. I. I. c. v, n. i-:K /• G., i. \i. col. 157-165.
Il étudie d'abord les diffén nts noms qu'ils ont dans
iture, et il ne ae prononci pai lui la question de
• Ince du monde est le n ■ nu an antre
que le diable, et si . . qui 0nt
tructlon, sont li . qui
nous dew,n- luiier. Dieu '-t le créateur de tous; il ne
fait mauvais . il a 1 1 iprits qui pou-
vaient devenir mauvaisel qui le -oui devenus par abus
de l< or liberti . ,,,1,,. de leur
condition premii re, et I n leur ma-
lice est dans leur propre volonté. Après avoir prouvé
leur existence par l'Écriture, Origène ajoutera les
raisonnements qui lui paraîtront les meilleurs. Il cite
de nombreux passages de l'Ecriture": le prince de Tyr,
ange chargé des Tyriens, mais déchu, Ezech., XXVIII,
11-19; Lucifer, Is., xiv, 12; le malin, I ,Toa., v, 19; le
dragon pris à l'hameçon. Job, xl, 20. Ces esprits ne
sont pas mauvais par nature; ils n'ont pas été créés
tels; ils sont venus du mieux au pire et se sont tour-
nés vers le mal. Origène ne leur attribue aucun péché
spécial ; il se borne à exposer son hypothèse de la dé-
chéance inévitable et graduelle des substances spiri-
tuelles, en dehors de la seule indéfeclibilité de Dieu.
Sur la théorie de la chute graduelle de toutes les na-
tures créées, cf. Prat, Origrnr, Paris, 1907, p. 82-86.
Voir t. i, col. 1203. Un peu plus loin, il expose qu'ils
seront rétablis dans leur premier état. 1. I, c. vi, n. 2,
3, col. 168-169. Le diable lui-même n'a pas été inca-
pable de faire le bien; les prophètes précédemment
cités le montrent. Il était bon, quand, dans le paradis,
il était parmi les chérubins; il s'est porté tout entier
vers le mal, 1. I, c. vm,n. 2, col. 178. Il ne peut main-
tenant revenir au bien; mais il y a des degrés dans les
principautés mauvaises, et d'autres se convertiront, n. 4,
col. 179-180. Origène revient plus loin sur la possibilité
de la restauration finale des démons dans leur premier
état, et après avoir laissé au lecteur le soin de conclure,
il semble bien, en finissant, affirmer la possibilité de
cette restauration, 1. II, c. I, n. 21, col. 302. Cf. Prat,
op. cit., p. 106-107. Puis, il démontre de nouveau par
l'Ecriture l'existence des mauvais anges, chassés du
ciel, 1. III, c. il, n. 1, col. 303-305. Il accumule les
textes : dans l'Ancien Testament, le serpent de la Ge-
nèse, le malin, chassé du ciel, Azazel, figuré par le
bouc émissaire, Lev., xvi, 8, l'esprit mauvais de Saiil,
l'esprit de mensonge qui inspire les prophètes d'Achab.
Satan qui pousse David à dénombrer son peuple,
I Par., xxi, 11; Eccle., x, 4, la vision de Zacharie, III,
1, 2, le prince de Tyr, Lucifer, Satan du livre de .lob;
dans le Nouveau Testament, la tentation de Jésus, Satan
qui pousse Judas à trahir son maître, et la nécessite
de la lutte avec les principautés mauvaises, proclamée
par saint Paul. S'il est dit que. à la fin des temps.
Satan sera détruit par Jésus-Christ, cela ne signifie pis
qu'il cessera d'exister, mais qu'il ne sera plus ennemi.
Par là, Origène semble penser que même Satan pourra
être replacé dans son premier état, car il n'y a rien
d'incurable ni rien d'impossible. I. III, c. vi. n. 5.
col. 338.
Origène a traité encore ex professo des mauvais anges
dans sa réfutation de Celse. Il a remarqué, d'abord,
que démon est un nom commun, appliqué le plus sou-
vent aux mauvais anges, qui n'ont pas de corps gros-
sier. Cont. Celsvm, 1. V. n. 5, P. G., t. », col. 1188.
Celse avait prétendu que le Christ n'a pas été le pre-
mier ayvs)o;, envoyé par Dieu sur la terre. Il avait
entendu parler de 60 ou 70 anges, qui, devenus mauvais,
ont été enchaînés et subissent sous terre les peîni
leurs fautes, et il savait que les sources chaudes sonl
leurs larmes, I. \\ n. 52, roi. 1261. Origène fait obser-
ver que ces renseignements proviennent du livre
d'Hénoch, que Celse n'a pas lu et qui n'est pas tenu
pour divin dans les Églises. De re livre. (i|se u,. con-
naît que ce détail. Par bienveillance, Origène lui BUg-
iil in pai i) e .le i.i Genèse, \i. 2. qu'il n'a pas lu
ii qui à première vue pourrait l'interprétei dans li
même sens Mais sur ce point. Origène se réfère à un
écrivain (PhïlOn . qui i vu daUS les filles des lioniiiH -
une métaphore employi e \ i d< l( m r les .unes dési-
la vie humaine, Quelle qui' soit l'interpréla-
imn qu'on donm a l'expn - de Dieu . > • réi m
biblique ne lui rien au sujet Le récit di 60
tombi o- i i" lu comme Écriture), chei les chré-
3M
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
352
tiens. Puis, Origène se moque agréablement des larmes
de ces anges. Les larmes sont salées et les eaux chaudes
sont douces, l'audra-t-il admettre que ces anges versent
des larmes douces? N. 54, 55, col. 1268, 1269.
Quelques esprits sont liés pour des siècles à certains
édifices ou à certains lieux soit par l'effet de la magie,
soit à cause de leurs vices. L. VII, n. 5, col. 1428. Les
démons commettent des fautes. Ils ont dévié de la voie
qui conduit au bien, et se sont éloignés de Dieu. La
magie cherche à empêcher leurs mauvaises actions.
L. VII, n. 68, 69, col. 1517. Les anges devenus vicieux
sont les anges du diable. Entre eux et les démons, il
n'v a point de différence : ils sont tous mauvais. Celse
prétendait à tort qu'ils sont les anges de Dieu. Qu'on
prouve, si on le peut, qu'ils diffèrent des démons! Dieu
n'est pas leur prince; selon les Écritures, leur prince
est Beelzébub. Il ne faut pas se fier aux démons; il faut
mourir plutôt que de leur offrir des sacrifices. Us ne
sont pas bienveillants pour les chrétiens; les anges
veillent pour qu'ils ne leur nuisent pas. L. VIII, n. 25-
27, col. 1553 sq. Les maux de la terre sont produits
par eux, n. 31, col. 1564. L'âme d'un enfant païen est,
dès la naissance, sous l'empire d'un démon. 11 y a
beaucoup de démons sur terre. Us ont pouvoir sur les
méchants, mais pas sur les chrétiens, armés de l'ar-
mure de Dieu, n. 34, col. 1568-1569. Ils sont vaincus
par les martyrs, n. 44, col. 1581.
Satan avait été nommé par Celse. L. VI, n. 42,
col. 1360. Origène expose par suite ce qu'il pense de
lui. C'est le mauvais, qui a été chassé du ciel, le ser-
pent tentateur, Azazel, figuré par le bouc émissaire,
Bélial, le prince de Tyr et le roi de Babylone. Son nom
signifie adversaire; il est l'adversaire du Fils de Dieu,
n. 43, 44, col. 1364-1368.
Dans ses autres écrits, Origène parle encore, mais en
passant, de Satan et des anges déchus. Le dragon a été
créé avant l'homme. In Joa., tom. i, n. 17, P. G., t. xiv,
col. 52. Il n'a pas été créé mauvais, lbid., tom. xn, n. 7,
col. 136. Il a résisté à Dieu. Dan., x, 13. Il a abandonné
son état, où il était sans tache et dans lequel il aurait
persévéré, s'il l'eût voulu. In Episl. ad Philem., ibid.,
col. 1306. S'il est dit le prince de ce monde, ce n'est
pas qu'il ait créé le monde ; c'est que dans le monde il
y a beaucoup de pécheurs. Aussi est-il le prince, le
diable de la malice et de toute iniquité. Sa faute a été
un péché d'orgueil; il s'est élevé dans les cieux et a
voulu être semblable au Très-Haut. Origène, qui ne lui
avait pas appliqué expressément les paroles du prince
de Tyr, dans le De principiis, les met ici formellement
dans sa bouche. In Num., homil. xn, n. 4, P. G., t. xn,
col. 664, 665. Pécheur depuis le commencement du
monde, il ne subit ni feu ni tourment en ce monde.
Selecta in Exod., ibid., col. 292. A la fin de notre vie,
le prince du siècle est comme un puhlicain, qui
recherche ce qui lui revient en nous. In Luc,
homil. xxm, P. G., t. xm, col. 1862. Les démons sont
delà même nature que les anges; la seule différence
entre eux est celle qui existe entre un œil sain et un
œil perdu. In Joa., tom. xn, n. 20, P. G., t. xiv, col. 625.
Ils sont princes pour la ruine, sont exécrables, et on
les invoque pour le mal, parce qu'ils sont mauvais, par
prévarication toutefois et non par nature. ]n Eœod.,
homil. vin, n. 2, P. G., t. xn, col. 352. Ils ont encore
leur libre arbitre, et il est nécessaire qu'ils l'aient, afin
que les chrétiens puissent être éprouvés par leurs atta-
ques. In Num., homil. xm, n. 5-7, ibid., col. 673-675.
Ils tendaient dos pièges à tous. In Mattli., tom. XV, n. 5,
P. G., t. xm, col. 1269. Origène pense cependant que
quelques anges déchus, frappés de la puissance et de
la divinité de Jésus, ont recouru à lui et l'ont prié en
leur faveur. In Joa., tom. xm, n. 58, P. G., t. xiv, col.512.
Mais les démons se faisaient généralement passer pour
les faux dieux du paganisme. In Exod., homil. vi, n.5.
/'. ('•., t. xn, col. 335. Ils restent auprès des idoles, car
ils ne sont pas encore jugés. Leur unique punition
consiste à voir les idolâtres se convertir au christia-
nisme, et les chrétiens qu'ils tentent pratiquer la vertu.
/// Num., homil. xxvin. n. 8, ibid., col. 789. 790. Le
lieu qu'ils occupent est l'air épais qui entoure la terre.
Quelques-uns croient qu'ils ont besoin d'aliments. Ori-
gène pense qu'ils se repaissent de l'odeur des sacrifices.
Ex/iorlatio ad martyr., n. 45, /'. (',., t. xi. col. 621,
624. Cf. Cont. Celsum, 1. III, n. 28, 36; 1. IV, n. M;
1. VII, n. 5, 6. 35, 56, 64; I. VIII, n. 60. 61, ibid., col. 956,
965, 1070, 1428, 1429, 1489, 1501, 1512,1608, 1609. Voir
Iluet, Origeniana, I. II, c. Il, q. v, n. 30, P. G., t. xvn,
col. 892-893. Les démons ne sont pas punis en ce
inonde; les supplices leur sont réservés pour l'avenir.
In Exod., homil. ix, n. 6, P. G., t. xn, col. 359-360.
Us périront et leur empire sera détruit, quand nos corps
ressusciteront à la vie. lnt ibrum Jesu Nare,
homil. vin, n. 4, col. 866-867; In Mat th., tom. xm. n.9,
P. G., t. xm, col. 1116-1120. Il n'est pas permis d'ad-
jurer les démons; c'est une coutume judaïque. In Matlh.
comment, séries, n. 110, ibid., col. 1269.
9° Jules l'Africain. — Ce contemporain d'Origène,
dans un fragment de sa Clironograpliia, qui nous a été
conservé par Georges le Syncelle, a donné une inter-
prétation, qu'Origène n'avait pas su trouver, des fils de
Dieu de Gen., VI, 2. Son texte contenait la leçon :
ayye).oi to0 ÔsoO; mais il lisait dans quelques manus-
crits : -jio't to0 6eov. Par ces fils de Dieu, il entendait
les fils de Seth, ainsi nommés, parce que leur race n'a
donné jusqu'à Jésus-Christ que des justes. Les filles
des hommes étaient de la race de Caïn, si éloignée de
Dieu et si dépravée. Il ajoutait toutefois que les « anges
de Dieu », si on gardait cette leçon, ne pouvaient être
que les mauvais anges, qui apprirent aux femmes le
mouvement des astres, les nombres, les choses élevées
et les arts, et qui furent les pères des géants, ensevelis
par le déluge. P. G., t. x, col. 65. Sa première inter-
prétation devait peu à peu faire disparaître la seconde.
10° Celle-ci pourtant avait pénétré jusqu'en Syrie, et
Bardesane écrivait dans Le livre des lois du pays :
« Nous comprenons que si les anges n'avaient pas eu
aussi le libre arbitre, ils n'auraient pas eu commerce
avec les filles des hommes, n'auraient pas péché et ne
seraient pas tombés de leur place. » F. Nau, Bardesane
l'astrologue, Paris, 1899, p. 31. — Les apocryphes clé-
mentins, dont les sources sont syriennes et dont la
rédaction n'est que du me siècle, voir t. m, col. 213,
connaissent la faute charnelle des anges qu'ils ratta-
chent très explicitement au déluge. Dans les Récogni-
tions, iv, 26, 27, P. G., t. i, col. 1325-1326, on attribue
à ces anges déchus l'origine de l'idolâtrie, la connais-
sance des arts, la magie et la perversité humaine, qui
a été punie par le déluge. Dans les Homélies, vm. 12-
19, P. G., t. n, col. 232-237, on nous apprend que les
esprits, qui vivent dans l'air, ne peuvent plus remonter
au ciel. Ils enseignèrent aux hommes les arls et l'orne-
mentation. Les géants, qu'ils engendrèrent, sont des
anges inférieurs, qui mangent du sang. Ils furent les-
premiers à manger de la chair, et leurs crimes furent
la cause morale du déluge. — Dans les Actes de saint
Thomas, œuvre gnostique du i IIe siècle, l'union des
anges avec les femmes est aussi rapportée. Tischendorf,
A cl a apostolorum apocrypha, Leipzig. 1851, p. 218;
M. Bonnet, Acta Philippi et Acta Thomse,30, Leipzig.
1903, p. 149. — Zosime de Panopolis racontait aussi la.
chute des anges et la révélation des secrets aux femmes
d'après les Écritures anciennes et divines, c'est-à-dire
d'après le livre d'Hénoch et le récit de la Genèse. Frag-
ment cité par Georges le Syncelle, Gltronograpliia^
édit. Dindorf, 1829, t. i. p. 24.
If1 Le plus ancien commentateur latin de l'Apoca-
lypse, dont l'ouvrage nous soit parvenu et qui est de la
353
DEMON D'APRES LES PÈRES
354
fin du me siècle, saint Victorin de Pettau, nous fournit
quelques traits nouveaux sur le diable et les démons.
Malheureusement, le texte original de son commentaire
ne nous est pas encore entièrement connu, et il faudra
attendre l'édition de M. Haussleiter dans le Corpus de
Vienne pour être parfaitement renseigné. On en connaît
deux recensions, dont la plus courte est une revision
faite par saint Jérôme à l'aide de Ticonius, et dont la
plus longue est un remaniement de la précédente (on
la trouve P.L., t. v). Bardenhewer, Patrologie, 20édit.,
Fribourg-en-Brisgau, 1901, p. 198-199; Id., Geschichte
der altkirchlichen Litteratur, ibid., 1903, t. n, p. 595-
597. Cependant, pour Victorin, le dragon de l'Apocalypse
est celui qui ab initio fuit homicida el omne gémis
humanum non tant debilo mortis, reruni eliam variis
gladiis obitibusque oppressif . Le tiers des étoiles, qu'il
entraînera dans sa chute, indique le nombre des hom-
mes qu'il séduira à la fin. des temps. Dans sa revision
saint Jérôme a ajouté : Sed quod vertus intelligi debeal
angclorum sibi subdilorum cuni adhuc princeps esset,
cum descenderet constilulione sua, terliam partent
sediu-'tsse. Bibliotheca Palrum, Lyon, 1677, t. m.
p. 420; dom Férotin, Apringius de Béja, Paris, l'.HJO,
p. 49. Cf. ht Apocalypsin B. Joannis, xn, 3. 4, P. L.,
t. V, col. 33(5. Victorin était millénariste. Voir L. Atz-
er, Geschichte der christtichen Eschatologie, l-'ri-
boarg-en-Brisgau, 1896, p. 566-573. Par conséquent, il
entendait les mille ans, durant lesquels Satan doit être
enchaîné, du régne de Jésus-Christ sur terre. Mais,
selon le remaniement de saint Jérôme, les mille ans,
durant lesquels Satan est lié, comprennent tout le temps
qui s'écoule depuis l'avènement du Christ jusqu'à la fin
des siècles; mille ans sont la partie pour le tout. En
quoi consiste cet enchaînement de Satan? Diabolus,
exclusus a credenlium cordibus, cœpit impios possi-
dere, tu quorum quotidie csecis cordibus tauquaitt in
abyssi profundo inclusus est. l\irco qu'il est scellé, il
ne peut séduire ceux qui appartiennent à Jésus-Christ.
Quand b' nombre des saints des vierges) sera complété,
les hommes, séduits par b- diable, entreront en même
temps que lui dans l'étang de feu. In Apocalypsin B.
laannis, XX, 1-3. /'. /... t. \. (îol 341-343. Pour saint
Victorin, après b- règne de mille ans. le diable sera
l> ■ l'époque de la persécution de l'Antéchrist;
mais à l'avènement de N'otre-Seigneur, il sera préci-
pité avec -••- ans, sa dans l'enfer. Voir Haussleiter, !>'•,-
ti'.ische Schlussabschnitt du echten Apokalypse-
imentar des Bischofs Viclorinus von Pettau, dans
blatt, l89o, u. 17. p. 195 198.
II. lu iv ai vi' SIÈCLE. — Au iv siècle, nous con-
rona deux directions différentes, prises par les
écrivains ecclésiastiques au sujet du diable et des dé-
mons : les uns, surtout en Occident, garderont les opi-
nions de leurs pn -; les autres, d'abord en
Orient, puis en Occident, expliqueront d'une manière
nouvelle la chute de tous les mauvais esprits.
I Maintien des sentiments io-<;<t:<ie)its. — I. /■.',/
"'. Dans un fragment de son livre De resurre-
ne, qui nous ■■ été conservé par saint I piphane,
//•<< . i XIV, n 19, 21, /' '- . t. xi.i. col. 110-2. lin; i !
i"t Photius, Bi<ol ! ;i. /'. a., t. cm. col. I [09,
1112. saint Méthode, évéque de ["yr, cite Athi a
admet que le diable a péché pai envie contre l'hoi e.
1 aux di mons, ils sont déchus par suite de leur
i harnelle • i de leur mai ia
lia avaient bons et libres,
le leur liberté Dam nu autre fragment,
il dit que le <ii un imposteur 1 1 a tendu des
' ragm., 7. 8, P G., \ wni. col
Dan m, or.it. vin, c. X, il reconnaît le
diable d m m de I Ai Ibid., col. 152,
163.
Dana ses Art' i , helai ■ mi liane te,
DICT. DE THÉOL. c\ MOL.
que l'on rapporte à la première moitié du IVe siècle,
Hégémonius traite de l'origine du diable et des démons :
c'était un des points de doctrine, discutés entre Arché-
laiis et Manès. Celui-ci expliquait ainsi l'origine de la
mort pour les hommes. Une belle vierge se montra
aux princes, qui sont dans le firmament. Épris de sa
beauté et enllammés d'amour, ils coururent après elle,
afin de l'atteindre; mais elle disparut subitement. Alors
le chef de ces princes produisit des nuées, en assez
grand nombre pour couvrir le monde entier; le prince
de la moisson répandit la famine et lit périr les hommes
par des tremblements de terre. Oeeson, IJegentonius,
9, Leipzig, 1906, p. 13-15. D'autre part, Manès préten-
dait que le prince des ténèbres était le créateur, 12,
p. 19-20. A ces erreurs, Archélaus opposa la doctrine
chrétienne. Le diable a été homicide dès le commen-
cement; c'est le semeur d'ivraie dans le champ du
père de famille. Satan, l'auteur de tous les maux; il
mange de la chair et du sang. 15, p. 2i-25. Or, il n'est
pas inengendré. Quel mal faisait-il avant la création'.'
18, p. 29. Que convoitait-il? Qu'enviait-il? 20, p. 31. 11
n'a pas créé l'homme; il est tombé du ciel, 23, p. 35.
Il a été créé libre, et il agit librement sur les hommes.
Quelques anges ont désobéi aux ordres de Dieu et ont
résisté à la volonté divine. L'un d'eux est tombé du
ciel sur la terre comme la foudre. D'autres, attirés par
un bonheur misérable, se sont unis aux filles des
hommes,' ils ont été affligés par le dragon et ont
mérité de subir la peine du feu éternel. Le diable a
cherché à les tromper, parce qu'ils étaient libres. Il
n'est pas de la substance de Dieu, puisqu'il a préva-
riqué. Il est tombé, parce qu'il n'a pas observé les
commandements de Dieu, et il est resté l'adversaire
des préceptes divins, 36, p. 50-52. Il a trompé Adam et
Eve, en les faisant désobéir, il est le père de tous les
méchants, 37, p. 53. Les juges de la discussion esti-
mèrent que la question de l'origine du diable avait été
suffisamment débattue.
Un des dogmes que soutenait Marinus dans le D'ta-
logue d' Adamantins, qui est de la lin du IT siècle,
élait que le diable n'a pas été créé par Dieu. Adaman-
tins déclara que b1 diable était bon d'abord, et non
pas mauvais, mais que dès le commencement du
monde, il envia l'homme et qu'il n'a pas cessé de l'en-
vier. Van de Bande Bakhuysen, Der Dialog des Ada-
mantius, sect. i, c. xxvn, Leipzig, 1901, y. 52. Il a élé
créé par Dieu; autrement, il > aurait deux principes,
sect. il, c. i, vin. p. 116, 126. Mais il a été mauvais
des l'origine du monde, et il a persuade l.ve de pécher.
Dans l'Écriture, il est appelé Satan et le malin, c. n,
p. llfi. Il est jugé h condamné par Dieu, parce que,
île bon qu'il était, il est devenu mauvais, en abusant
de sa liberté, c. xi, p. 130.
roui en rejetant le mariage d. s .m.rs. Dr hominis
opificio, c. xvn, /'. (',., t. miv. col. 189, saint Grégoire
de Nysse pense encore que Satan esl tombé par envie.
Les anges sont des êtres incorporels, opposés au bien.
qui agissent an détriment de l'homme. Us sont Bortis
d'eux un-, de leur dignité primitive h se sont
engagés dans la voie contraire au bien. L'apôtre b s
appelle les puissances souterraines et infernales; m. us
l'air, où ils vivent, est dit parfois souterrain el in-
fernal. Quand li al abolis, les anges mau-
ronl rétablis dans leur premier état /'<■ anin m
■ . /' '•'., t. xi VI, roi. 72. Ailleurs, s, uni
Grégoire de Nysse 'i>i encore que In Cbrisi a fait du
bien a celui qui a c.msr notre perte, et il BJOUte qui' h
mal disparaîtra un jour el que toute créature rendra
.i Dieu, Orat. catechei , c. xxvi, /'. G., t. \i\.
68. Le diable, lui aui ii, esl un - - ii-iv
i u- na-
ture, il esl • xempl de la n el de man-
i .m jour
IV. - 12
:;:
y<>
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
350
ri nuit pour faire du mal. Ils tendent aux hommes des
pièges de toute sorte, parce qu'ils sont jaloux des
hommes qui sont unis à Dieu et qui parviendront au
bonheur dont ils sont privés. De pauperibus amandis,
P. G., t. xi.vi, col. 456. Le diable est le malin, dont
nous demandons, dans l'oraison dominicale, d'être dé-
livrés. Il est Beel/.ébub, Mammon, le prince du inonde,
l'homicide dès le commencement, le père du men-
songe, etc. De oratione dominica, orat. v, P. G.,
t. xliv, col. 1192. La cause de sa chute a été l'envie à
l'égard de l'homme, confirmé par la bénédiction divine.
Les dons surnaturels, faits par Dieu à Adam, ont été,
pour l'adversaire, la source et l'excitation de l'envie;
il a machiné des embûches pour empêcher la force
divine d'agir dans l'humanité. Déchu à cause de la
beauté de l'homme, il a trompé l'homme par l'attrait
de la nourriture. Orat. calechet., c. VI, xxvi, P. G.,
t. xi.v, col. 25, 68. Cf. De mortuis, P. G., t. xi.vi.
col. 522.
Le péché d'envie est encore affirmé dans une homé-
lie, faussement attribuée à saint Basile. Homilia dicta
in Lacizis, n. 8, 9, P. G., t. xxxi, col. 1452, 1456.
L'envie est un vice propre au diable. Satan n'a pas
d'abord été diable; d'ange qu'il était, il est devenu
démon. Infecté d'envie, il s'est éloigné de Dieu. Sa
défection provint de ce qu'il vit l'homme, qui lui était
inférieur, élevé au-dessus des autres créatures. Créé
avant l'homme, il assista à la création; il vit que
l'homme était supérieur au soleil, puisqu'il a été seul
fait par les mains divines; il le vit dans les délices du
paradis, assisté par les anges, à qui il était égalé, par-
lant avec Dieu, et il l'envia. Tant que l'homme fut seul,
le diable n'eut pas d'occasion de le prendre; après la
création d'Eve, il s'attaqua à la femme, qui était plus
faible. Ennemi de l'homme, il fut aussi ennemi de
Dieu, ;j.t<jav6pa)7io;, êitetSï| xal Oso^tâ'/o;. Il a haï Dieu
d'abord, qui avait ainsi favorisé l'homme; il se révolta
contre lui, le méprisa, s'éloigna de lui. Il vit ensuite
l'homme fait à l'image de Dieu, et ne pouvant attaquer
Dieu, il s'en prit à son image.
2. En Occident. — Lactance mêle différentes tradi-
tions, et il distingue nettement le diable des démons.
Avant la création du monde, Dieu fit d'abord un esprit,
qui resta bon, le Logos, puis un autre, in quo indoles
divinee stirpis non permansit. C'est par l'envie qu'il
devint mauvais, abusant de la liberté qui lui avait été
donnée. Mais ce n'est pas l'homme qu'il envia, lnvidit
enini Me anlecessori, qui Deo Patri perseverando ,
cum probatus, lum etiam chorus est. Les Grecs
l'appellent 8iâêo).ov; les chrétiens criminatorem, quod
crimina, in quœ ipse illicil, ad Deum déférât. Div.
instit., 1. II, c. ix, P. L., t. vi, col. 294-296. C'est par
envie qu'il a trompé l'homme. Criminalor Me, invi-
dens operibus Dei, omnes faUacias et calliditates
suas ad decipiendum honiinem intendit ut ei adime-
ret immortalilatem , c. xm, col. 323. Quant à la chute
des démons, Lactance la raconte, en combinant la
tradition du livre des Jubilés avec celle du livre
d'Hénoch et en y ajoutant des traits de son imagina-
tion. Cum ergo numcrus hominum cœpisset incres-
cere, providens Deus ne fraudibus suis diabolos, eux
ab initio terrée dederat potestatem, vel corrumperet
Itomines vel disperderet, quod exordio feceral, misit
■angelos ad tulclam culiumque generis humant : qui-
bus, quia liberum arbitrium erat dation, prœcepit,
anle omnia, ne, terrez contagione maculati, subslan-
tise cœlestis amitlerent dignitatem. Il leur défendit
de faire ce qu'il prévoyait qu'ils feraient. Itaque illos
cum hominibus commorantes dominalor Me terrée
fallacissimus consuctudine ipsa paulatim ad vitia
pellexit et mulicrum congressibus inquinavil. l'um
in cselum ob peccala quibus se immerserant non re-
cepti, cccidcrunt in terram. Siceos diabolus ex ange-
lis Dei suos fecit satellites ac 'ministres. Leurs fils,
o'étanl ni anges ni hommes, n'ont pas été refus dans
les enfers. Lactance distingue donc deux genres de
démons : les uns qui viennent du ciel, les autres de
la terre. Ces derniers sont les esprits immondes,
auteurs de tous les maux, et dont le diable est le
prince. Les grammairiens croient que ce sont les dieux
du paganisme. Ils savent beaucoup de choses futures,
celles que Dieu leur permet de savoir, mais ils ne les
connaissent pas toutes; aussi leurs réponses, dans les
oracles qu'ils rendent, sont-elles ambiguës. On les
évoque par la magie. Per omnem terram vagantur
et solalium perdilionis suœ perdendis hominibus ope-
rantur. Tout le mal, qui se fait dans le monde, vient
d'eux. Aillteerent enim singulis hominibus, et omnes
ostialim donws occupant, al sibi geniorum nomen
assuniunl. On les vénère. Sunl spiritus tenues et in-
compreliensibiles. Us s'insinuent dans les corps et
font du tort, c. xv, col. 330-333. L'astrologie, les arus-
pices, les arts, en particulier celui de faire des statues,
sont de leur invention. Ils rendent des oracles et se
font offrir des sacrifices humains, c. xvn, col. 336-341.
Per terram volutantur. Ils y causent la mort, des
tromperies et y répandent l'erreur, c. xvui, col. 343.
Ils exercent leur fureur contre les chrétiens, 1. V,
c. xxn, col. 623. Ceux qui sont solides dans la foi n'ont
rien à craindre d'eux; ils ne peuvent leur nuire, 1. II.
c. xvi, col. 334-336. Dieu est patient à leur égard
jusqu'au jugement dernier, après lequel il leur ré-
serve les ténèbres, l'enfer et ses supplices éternels,
c. xviii, col. 341-342. Aussi craignent-ils le jugement
dernier, après lequel ils seront tourmentés, 1. VIL
c. xxi, col. 800-801. Au commencement du règne de
mille ans, le prince des démons sera lié par Dieu; ce
règne fini, il sera délié et il sortira de prison pour
faire la guerre contre les saints. Mais vaincu par Dieu,
il sera condamné au feu éternel avec ses ministres,
c. xxvi. col. 813-814. On le voit, Lactance a sur plu-
sieurs points un sentiment particulier, qu'aucun autre
écrivain ecclésiastique n'adoptera. Notons qu'il rap-
porte le déluge aux crimes des hommes, mais pas
au péché des anges, 1. II, c. xi, xiv, col. 313, 326.
C'est un indice qu'il ne se réfère pas au récit de la
Genèse.
L'auteur du De singuiaritate clericorum , que Har-
nack et dom Morin croient être Macrobius, qui écri-
vait vers 363-375, cite l'exemple des anges pour dé-
tourner de l'incontinence : Novimus et angelos cum
feminis cecidisse. P. L., t. iv, col. 857.
Aux opinions anciennes qui sont en voie de dispa-
raître, saint Ainbroise joint le sentiment nouveau que
nous verrons prédominer. Il se rallie, en effet, à la
théorie d'Origène, expliquant la chute de Satan par
l'orgueil, mais il maintient la tentation d'Adam et
d'Eve par motif de jalousie et le commerce charnel
des anges avec les femmes. Le serpent au paradis ter-
restre était la figure du diable, ainsi que le prince de
Tyr. Ezech., xxvui. 13. La plupart prétendent que le
diable n'était pas au paradis; il y était réellement,
quoi qu'il soit écrit dans le livre de Job que Satan est
au ciel avec les anges. Philon disait, mais à tort, que
le serpent était la ligure de la volupté. De paradiso,
c. u. n. 9, 11, P. L., t. xiv, col. 278, 279. Le serpent
fut le véritable ennemi du genre [humain, qu'il perdit
par envie. Sap., u, 24. Le diable ne put supporter le
bonheur dont l'homme jouissait au paradis; il envia le
sort de l'homme, qui avait été formé du limon. Lui,
qui avait été d'une nature supérieure et qui était
tombé sur terre, il jalousait l'homme qui dépassait les
choses éternelles; il voyait avec peine que l'homme
avait obtenu ce que lui-même avait perdu, c. xu, n.54,
col. 301. Satan avait donc péché avant de tenter
l'homme. L'archange n'a pas su s'abstenir du péché.
357
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
358
Satan et ses anges n'ont pas su garder leur place.
Expositio Ev. sec. Lucam, 1. IV, n. 67, P. L., t. xv,
col. 1632-1633. Invidus cl humani generis adversarius
de statu superiori dejectus est. In ps. xxxvu enarrat.,
n. 21, P. L., t. xiv, col, 1019. Il avait péché par
orgueil, selon Is., xiv, 14. In ps. .v.v.vr enarrat., n. 11.
col. 958. I'er superbiam nalurœ suœ amisit gra-
tiam..., consortiis excidil angelorum. In ps. cxvui,
serin, vu. n. 8, P. L., t. XV, col. 1283. Son péché est
plus grand que celui de l'homme, lbid., serm. vin,
n. 28, col. 1306. Il est l'auteur de l'idolâtrie. De para-
diso, c. xiii, n. 61, P. L., t. XIV, col. 306. Les anges
des cieux, d'après l'Écriture, de sua virtute et gratia
ti sunt, par la même faute que le roi David. Apo-
logia pruphelse David, c. i, n. 4, col. 855. Il est écrit
que les anges ont aimé les filles des hommes, eo quod
terrenis rapti detineantur illecebris princeps mundi
istius <<•■ ministri ejus, in <juibus nequitia spiritalis
veneris quibusdam carnis hujus irrctila et liumanis
est infecta criminibus. In ps. < XVIII, serm. VIII, n. 58,
/'. /.., t. xv, col. 1319. Cf. serm. iv, n. 8, col. 1243, où
le passage de la Genèse, vi, 3, est expliqué des vierges
dans un sens spirituel, qui exclut le mariage des
anges : Qui ergo, cum angeli viderentur, capli sunt
décore femineo, hi caro sunt. Qui autem corpora
feminarum capiuntur libidine, caro sunt. Ils sont
tombés du ciel dans le siècle propler iulemperantiam.
De virginibus, 1. I, c. vin, n. 53, P. L.,t. xvi, col. 203.
Ils ont engendré les géants. Cependant, saint Ambroise
ajoute que l'Écriture appelle souvent les anges fils de
Dieu, parce que les âmes ex nul lu homine generan-
tur, et il observe que viros fidèles filios suos dicere
non est aspernalus Deus. De Noe et arca, c. IV, n. 89,
/'. /.., t. xiv, col. 366. Les anges tombés habitent dans
l'air, entre le ciel et la terre, pas au vrai ciel, bien
qu'il soit écrit que Satan a été au conseil des anges.
Pour ces esprits de malice, il n'y a pas de rémission;
le feu éternel leur est réservé, lu /..s. cxviii, serm.viii,
J, /'. L., t. xv, col. 1318-1319. Si les hommes mau-
vais sont punis tout de suite après leur mort, la puni-
lion du diable est renvoyée a plus lard. Differtur
um, ut sit semper m punis reus, seni-
mprobiUUii tux innexus catenis, conscienlia
m perpetuum suslineal ipta judiciuni. lbid., serm. xx.
n. 22. 23. col. 1491. Si Satan esl tombé connu.' ta
foudre, c'est qu'il a perdu ce qu'il avait. Le s;enre de
sa condamnation n'est pas la mort, sed posna diuturna.
Il n 10, il. /'. /.., t. mv, col. 588.
I.a légion des démons, qui demander* nt d'entn r dans
des poi i '!■ subir avant le temps les tour-
ments qui leur sonl dus / Ev. sec. Lu
l. VI, n 16, P. / i xv, col, 1680.
Ru fin semble fane allusion aux légendes des Jubilés
il d'Hénoch, quand il extrait de secrelioribus (des livres
inis : que Dieu
ouvei m m. ni du monde.
Dent., xxxii, 8, el que quelqui - uns, aussi bien que
le prince di c< monde, ne remplirent p.i - la mission
qu ils avaient reçue di Dieu el n'apprirenl pas aux
hommes ■■ obi de Dieu, mais i imiter
leur
IV / L., t. xxi, col. 353. Il ajoute, n. H».
1 que la crois du Christ a soumis ceui qui ont
m. >l n-. de leurs pouvoirs, i i qne Jésus, en descendant
le pi m. <■ de la mort A l'hamei on,
i... \\\n. 3; P i hxiii, l i. Job, m . 20, et i
i ■ nfei -. Ru On plaçait donc ce
ml li derniei jugement.
Dana son Hit [t« ■ n US), t. I, n
I' l . ' 96-97, Suij qu'à
1 époqui di ' qui babil. lient .ni ciel,
fur. ot séduit par la beaul di
al poui e||. i . coupabli
dirent du ciel, les épousèrent et en eurent des géants
dont la malice fut cause du déluge.
Le poète gallo-romain, Cyprien, qui vivait vers 400,
chante en vers latins la tentation de nos premiers pa-
rents par le serpent, qui est le dragon, ainsi que le
mariage des anges et la naissance des géants, qui pro-
voquèrent le déluge universel. Genesis, c. m, 72 sq.,
106 sq.; c. VI, 234-249, P. L., t. xix,col.348, 319, 353.
Voir t. m, col. 2471-2472.
Le poète Commodien, qu'on place généralement au
IIIe siècle, voir t. ni, col. 414-415, mais que le P. H. Bre-
wer, Kommodian von Gaza, Paderborn, 1906, croit
être un laïque d'Arles, de la seconde moitié du ve siè-
cle, admet aussi la chute charnelle des mauvais anges,
que Dieu avait envoyés visiter la terre et qui furent
séduits par la beauté des femmes. Ainsi souillés, ils
ne purent retourner au ciel, et Dieu punit leur rébel-
lion. Ils engendrèrent les géants, qui enseignèrent
aux hommes les arts, notamment celui de teindre la
laine, et l'idolâtrie. Parce qu'ils étaient de race mau-
vaise, Dieu refusa de les recevoir après leur mort. Ils
sont donc vagabonds et ils font périr beaucoup d'hommes.
Les païens les adorent et les prient comme leurs dieux.
Jnstitutiones adversus gentium deos,\. I, c. m, P. L.,
t. v, col. 203-204; Dombart, Conimodiaui carmina.
Vienne, 1887, t. xv, p. 7. Commodien mêle, lui aussi,
la tradition du livre des Jubilés avec celle d'Hénoch,
et ses idées se rapprochent de celles de Lactance.
2° Introduction <i une nouvelle doctrine sur la chute
des anges. — Les docteurs tendent à ne plus distinguer
Satan des autres démons et à expliquer leur chute
commune par l'orgueil. Ils rejettent le livre d'Hénoch
et ses rêveries sur le mariage des anges. Celte doctrine,
empruntée à Origène, est acceptée d'abord en Orient et
se répand progressivement en Occident, où elle finit
par devenir universelle, quoiqu'on y repousse moins
catégoriquement la légende du mariage des anges.
1. Eu Orient. — Eusèbe de Césarée, au début du
iv« siècle, s'occupe longuement des démons dans sa
Préparation évangélique. En exposant la doctrine des
Grecs sur les dieux, les démons, bons et mauvais, et
les génies, d'après Porphyre etPlutarque, il affirme en
passant quelques points de renseignement chrétien.
Dans les saintes Lettres, il n'y a pas de bons démons,
I. IV. c. v, P. G. a. xxi, col. 248. Les sacrifices païens
sont offerts aux démons, c. XIV, xv, col. 265. 268. Ces
esprits habitent dans les lieux voisins de la terre
nourrissent de la fumée el de l'odeur des sacrifices,
c. XXII, col. 300-304. Les prophéties et les oracles des
démons ont cessé après l'avènement de Jésus-Christ,
I. V, c. i, col. 309-313. Les puissances de l'air habitent
dans l'air ténébreux, auprès des tombeaux, des statues,
et se plaisent dans les matières impures, le sang, la
.une, dont ils aiment l'odeur. Les sacrifices leur sont
agréables et ils favorisent l'idolâtrie. Ces ntp'.ysw 5x1-
|j.ove; sont auteurs des maléfices, c. Il, col. 313. 316.
Les oracles païens étaient rendus pu eux, c iv,
col. 3I7;;-j'i \ propos des titans, Eusèbe se demande
si ce que l'Écriture dit des géants el de leurs pères s'y
rapporte. Il cite tien,, vi. 2, avec la leçon : iyfti.ot to0
SioO, col. 324. Il ajoute qne ce qu.' les païens ont dit
des géants, dont ils oui lait des dieux, esl fabuleux,
e. v. col, 321 sq Les Grecs croyaient que les démons
étaient adonnés •* la volupté, c. vu, col. 332 sq.
i Hébreux ont connu les esprits déchus, qui se
-- ■ . i • i libre ni détourni de leur vote. Ils leur ont
donné difiérents noms. Le premier tombé, qui .. en
traîné les autres dan
teur volontaire de la lun il i e- le dragon,
apent, la i" ti '-ruelle, lion, reptile, Eusèbe déter-
mine tt et ■ chute d'après l'Écriture el il la
Il ap-
pliqui •.". xi> . sur Lui Ifi i I
:ir>9
DEMON D'APRES LES PERES
300
sa chute, il était uni aux vertus les plus divines; il s'en
est séparé par son arrogance et sa rébellion contre
Dieu. Il a sous lui une nation innombrable et infinie
d'esprits, coupables des mêmes crimes, exclue par son
impiété de la société des anges pieux et précipitée dans
le Tartare, que les saints Livres nomment abîme et
ténèbres. Une petite partie est demeurée autour de la
terre, de la lune, et dans l'air inférieur, pour éprouver
les athlètes chrétiens. Ils ont fabriqué la multitude des
dieux. Ils sont appelés dans l'Kcriture esprits mauvais,
démons, principautés, pouvoirs, princes du monde,
esprits de malice. Au Ps. xc, 13, on leur donne les
noms symboliques d'aspic, de basilic, de serpent et de
dragon. Par haine de Dieu, ils affectent d'être dieux et
se font rendre les honneurs divins, 1. VII, c. XVI,
col. 553, 556.
Eusèbe ajoute quelques traits à cette doctrine dans
sa Démonstration évangélique. Les démons se font
offrir des sacrifices partout. Ils trompent, en rendant
des oracles, parce qu'ils sont ignorants; ils disent des
obscénités, 1. V, proœm.,P. G., t. xxn, col. 337. Ils ont
en horreur le nom de Jésus, 1. III, n. 4, col. 233-236.
Les puissances, ennemies de Dieu, sont les esprits les
plus dépravés, qui sont sous les ordres du grand démon,
leur prince. Les premiers, ils ont chancelé dans le
culte divin, et comme ils enviaient le salut des hommes,
ils leur ont tendu des pièges. Ils sont les auteurs du
mal. Isaïe, x, 13, 14; xiv, 12, 15, a parlé du grand
démon. Les mauvais démons sont partout, disposés et
armés sous sa conduite. Ils portent les hommes aux
voluptés, 1. IV, n. 9, col. 272-273. Cf. In Isaiani, xiv,
9, P. G., t. xxiv, col. 192.
Saint Athanase unitaussi les démons au diable. Celui-
ci est l'inventeur du mal; c'est le grand démon, le ser-
pent, le dragon, le lion qui cherche à dévorer. Il a trompé
les hommes et séduit Eve; il a mis ainsi les hommes
sous son pouvoir; mais le Christ a détruit sa puissance.
Epist. ad episc. JEgypli et Libyse, n. 1, 2, P. G.,
t. xxv, col. 540-541. Cet ennemi du genre humain est
tombé du ciel; il erre dans l'air, où il commande aux
autres démons, qui subissent son empire; il séduit les
hommes et s'efforce de s'opposer à ceux qui tendent en
haut. Notre-Seigneur est venu le renverser, purger l'air
de sa présence et nous ouvrir le chemin du ciel. Oral,
de incarnatione Verbi, n. 25, ibid., col. 140. Depuis
lors, il n'y a plus d'oracles ni de magie, n. 46, col. 177.
Comment le diable a-t-il péché? Saint Athanase est peu
précis à ce sujet; il dit seulement que le diable était
en désaccord avec Dieu, et qu'il a été expulsé du ciel,
pour n'avoir pas conservé l'accord avec son créateur.
De synodis, n. 48, P. G., t. xxvi, col. 780. Toutefois, il
aurait admis la chute par orgueil, si le traité De vir-
ginilale était certainement de lui. Selon l'auteur de
cet écrit, Satan a été jeté hors du ciel, non pas pour
fornication, adultère ou vol; c'est l'orgueil qui l'a pré-
cipité dans le fond de l'abîme, Is., xiv, 14, et le feu
éternel est son partage, n. 5, P. G., t. xxvm, col. 257.
Dans la Vita S. Antonii, n. 24, P. G., t. xxvi. col. 877s
880, saint Athanase déclare que Job, xli, 9-11, 18-21, a
décrit Satan que Notre-Seigneur a pris par l'hameçon
comme le dragon marin.
Pour saint Cyrille de Jérusalem, le démon est le
premier auteur du péché et le père de tous les maux.
I Joa., m, 8. 11 est le premier pécheur, et il a péché
librement et pas par nécessité. Créé bon, il est devenu
mauvais et a mérité son nom : c'est un archange devenu
diable, Satan l'adversaire. Ezech., xxvm, 12-17 ; Luc, x.
18. En tombant, il a entraîné beaucoup d'autres avec
lui. Cal., n, n. 3, 4, /'. G., t. xxxm, col. 385, 388. Dieu
le lient sous sa puissance, mais il le supporte avec
patience et le fait contenir par les anges. Il lui a per-
mis de vivre pour deux raisons : 1° pour lui inlliger
une plus grande honte; 2" pour couronner les hommes.
soumis à ses tentations. Cal., vin, n. 4. col. 628-029.
Sachant que Dieu devait naître d'une vierge, le démon,
par calomnie, a inventé les fables des idoles et des
dieux, engendrant avec des femmes. Cal., xv, n. Il,
col. 884. Il est appelé esprit, mais c'est un esprit im-
monde. La manière dont il agit sur les possédés mon-
tre qu'il n'a pas un corps épais. Cal., xvi, n. 13, 15,
col. 936, 937-9iO. Le prince des mauvais démons est
un tyran. Il habite à l'Occident, dans les ténèbres sen-
sibles, où il règne. C'est pourquoi les baptisés se tour-
nent vers l'Occident pour renoncer à Satan. C'est le
serpent rusé, qui a inspiré la défection à nos premiers
parents. Cal., xix, n. 3, i, col. 1068, 1069. Il est le
mauvais, dont nous demandons d'être délivrés, en réci-
tant l'oraison dominicale. Cal., xxm, n. 18, col. 1124.
Saint Basile, dans ses ouvrages authentiques, est
nettement partisan de la chute de Satan par orgueil.
Le diable est une substance simple, tombée du ciel; il
a perdu la véritable vie, en changeant de volonté ; il
est devenu diable par sa manière d'agir; sa sainteté
première a disparu, et sa puissance a été portée au
mal. Epist., 1. I, epist. vin, n. 10, P. G., t. XXXII,
col. 264. Le premier-né des démons est l'auteur de
tout mal. In Uexaemeron, homil. VI, n. 1, P. G.,
t. xxix, col. 117. Si le mal ne vient pas de Dieu, d'où
vient le diable? De même que l'homme, le diable est
mauvais par sa propre volonté. Il était libre et pouvait
persévérer dans le bien ou s'en éloigner. Satan était
ange comme Gabriel. Celui-ci a assisté Dieu constam-
ment; celui-là est entièrement sorti de son ordre. Il
n'est pas l'adversaire du bien par nature, mais par
volonté. Pourquoi nous fait-il la guerre? Il a eu la ma-
ladie de l'envie; il nous a envié l'honneur qui nous
était fait. Il n'a pu sans regret voir notre vie au para-
dis, et il a trompé Adam. Comme il se voyait exclu de
l'assemblée des anges, il ne put soutenir que l'homme,
formé de terre, soit élevé à la dignité des anges. Il nous
a donné son inimitié contre Dieu. Il se nomme Satan,
parce qu'il est l'adversaire du bien. Sa nature est in-
corporelle. Eph., vi, 12. Il habite l'air. Eph., n. 2. Il
est dit le prince de ce monde, parce que sa principauté
est sur le globe, déchu qu'il est de sa principauté pre-
mière. Quod Deus non est auctor matorum, 8-10,
P. G., t. xxxi, col. 3iô-352. L'orgueil, ô ~jtpo;, est le
premier des vices de l'homme; c'est le crime du diable.
Adversus Eunomium, 1. I, n. 13, P. G., t. xxix.
col.5il. C'est l'orgueil quil'a fait tomber du ciel. Quand
Adam a été créé, il l'a tenté par envie. Peut-être avant
la création de l'homme, restait-il au diable lui-même
quelque place à la pénitence. Bien que l'orgueil ait
été pour lui une maladie très invétérée, elle aurait
pu être guérie par la pénitence, et ce remède eut
fait réintégrer le diable dans son état primitif. Mais
après la création d'Adam, après l'envie portée à l'homme,
après la tentation, il n'y a plus eu pour le démon de
place à la pénitence. In Isaiani, xiv, 19, P. G., t. xx\.
col. 609. Cependant, ailleurs, saint Basile semble join-
dre l'envie à l'orgueil. C'est par esprit de fausse gloire
que le diable a trompé l'homme. En voulant nuire à
l'homme, il se montra transfuge et fut destiné à la
mort éternelle. 11 fut ainsi victime de sa propre astuce
et pris dans ses pièges. Orgueilleux à l'occasion de
l'homme", il a été humilié par l'homme. Homil., xx,
De humititate, n. I, 2, 5, P. G., t. xxxi, col. 525, 528,
533. Dans deux ouvrages douteux, saint Basile, s'il les
a composés, aurait été résolument partisan de la chute
du diable par envie. Ce défaut suit le diable. C est lui
qui l'a poussé à faire la guerre aux hommes: il a été
puni par lui en luttant avec Dieu lui-même. Mécontent
de Dieu à cause de sa munificence envers l'homme et
ne pouvant se venger sur Dieu, il se vengea sur l'homme.
Il est donc tombé par envie. Homil., xi, De invidia,
n. 1. 3, 4, ibid., col. 372-376,377.
:tôi
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
362
Saint Grégoire de Nazianze déclare que les anges ne
se marient pas. Poem. moral., sert, n, 1, P. G., t. xxxvu,
col. 525. Il attribue à l'orgueil la chute de Lucifer et de
tous les anges. Lucifer a péché le premier; il s'est élevé
et enorgueilli. Il voulait obtenir la gloire même de Dieu;
mais il a perdu sa beauté, est devenu ténèbres et est
descendu sur terre. Il hait les hommes prudents et il
cherche à les détourner du ciel, par colère causée par
son propre malheur. Par envie, il a chassé l'homme du
paradis. Il a péché par orgueil, non pas seul; il est
tombé avec beaucoup d'autres, à qui il avait appris le
mal. Il était envieux du chœur d'anges pieux, qui for-
maient la cour du roi du ciel, et il désirait comman-
der à beaucoup. Nombreux, en effet, sont les démons,
qui portent au mal. L'armée est mauvaise comme son
chef. Il y eut une grande guerre entre les anges : les
uns eurent la vie éternelle; Satan indompté porta plus
tard la femme à désobéir. Le Christ l'a réprimé, et le
feu allumé de l'enfer sera sa récompense. 11 souffre au-
paravant dans ses ministres, tandis qu'eux sont tor-
turés; tel est le supplice du premier méchant. Poem.
dogntal., sect. i, 56 sq., col. 444-445. L'envie a obscurci
Lucifer, qui est tombé par orgueil. Il s'indignait, 6eïo;
wv, de n'être pas Dieu. Il a chassé Adam et Eve du
paradis, (haï., XXXVI, n. 5, P. G., t. XXXVI, col. 269.
Par l'envie du cruel dragon, l'homme a été chassé du
paradis. Poem. moral., sect. n, 1, P. G., t. xxxvu,
col. 531. Les démons ont envié et détesté l'homme,
qu'ils poussent au mal. Oral., xxxix, 7, P. G., t. XXXVI,
col. 341.
Pour réfuter Manès, saint Kpiphane dit seulement
qu'à l'origine le diable n'était pas mauvais, et que plus
tard il a pensé au mal, qu'il a réellement accompli.
Dieu l'a permis, parce qu'il avait créé le diable libre.
Béer., i.xvi, n. 16, P. G., t. xlii, col. 52.
Théodore) réfutait la même erreur. Marcion, Cerdon
et Hanès prétendaient que les démons n'avaient pas
été créés. S il eu était ainsi, ils auraient donc été les
égaux de Dieu en honneur. Dans ce eus, ils n'auraient
pu être créés; mais ils n'auraient pu davantage être
punis. Or, ils seront justement punis par le feu éternel,
parce qu'ils ont été les auteurs du vice. Satan a été
mauvais par volonté, lui et ses anges. Ils sont tous in-
corporels. Ne se souvenant pas de la bienveillance que
Dieu leur avait témoignée, mais cédant au faste et à l'ar-
nt il. ■chu- de leur sort précédent. La cause
pour !<■ diable est l'orgueil, el Théodore) cite en preuve
de nombreux textes des deux Testaments, entre antres
ceux d'Isaïi ■ i .1 I zéchiel. Heeret. fabul. conipendium,
I. V. n. 8, P. G., t. i. xxxiii. col. 173, 170, 177. La doc-
trine chrétienne sur les démons est contenue dans les
saintes Lettres, qui parlent des démons, de leur prince,
itan, l'apostat, el du diable, le calomniateur. Ils
n'ont pas mauvais par Dieu; ils le sont de-
venu- par le vice de leur volonté. Pas satisfait
dons qu'ils avaient reçus, ;i-|>ir.-ini i un sorl plus i I
il- ont contraeti la tache de l'orgueil el on) été exclus
de leur dignité. Il- ont tourné leur rage contre
l'hoi -i qui il- ont déclaré la guerre. Dieu nous pro-
auts i .n l< s angi gai dii us G
•■• . lll ibid., col.893,896.A la^octrim
tienne, il opposi celle de Platon, col. 896-897, el il
tuteur du mal. i
i acifer, qui est tombé du
orgueil. />< / aiam, xiv,
19, /''..i i xxxi pro.
■m le démon mauvais, qui exerçait en lui sa ma-
I ' i M était iniiii.i
diri
In l m ibid . col. 1096 1097 II est tombé,
qu'il n i i'-i- oulu -e i ontenter di ni lui
lu p$. m \ v/, /'. e,'., i. i.xxx,
1529 I erpenl tentateui était le démon, qui,
usant de son pouvoir sur les êtres irraisonnables, a
pris cet animal comme organe. Aussi a-t-il reçu la
malédiction divine. Dieu l'avait créé, prévoyant qu'il
ferait le mal ; il l'a laissé abuser de sa liberté, pour
éprouver les autres. In Gen., q. xxxi, xxxiv, xxxvi,
ibid., col. 128, 129,132. Quelques hommes stupides ont
prétendu que les fils de Dieu, Gen., VI, 2, 4, étaient les
anges, qui pourtant sont immortels. Le père du men-
songe n'aurait pas osé le dire. Ces fils de Dieu étaient
des hommes méchants, qui ont été punis; le texte
l'exige. Du reste, les hommes sont nommés fils de Dieu
ailleurs dans l'Écriture. In Gen., q. xlvii, col. 148-149.
Avant sa chute, le diable avait la puissance de l'air.
Déchu à cause de sa malice, il est devenu le maître de
l'impiété et de l'improbité. Il n'a pas pouvoir sur tous
les hommes, mais seulement sur ceux qui n'écoutent
pas les divins enseignements. Interpret. Epist. ad
Epli., ii, 2, P. G., t. lxxxii, col. 520. Pour Théodoret,
les démons sont inguérissables. In Mich., vi, 7, P. G.,
t. lxxxi, col. 1772.
Saint Chrysostome tient pour absurde le sentiment
de ceux qui, dans les fils de Dieu de la Genèse, voient
des anges et non des hommes. Ils ne peuvent indiquer
aucun endroit de l'Écriture, où les anges soient appe-
lés fils de Dieu. Ils prétendent que'les anges sont des-
cendus du ciel pour s'unir à des femmes et ont ainsi
déchu de leur dignité. C'est une fable. Voici, d'après
l'Écriture, la cause de leur ruine. Avant que l'homme
ne fût créé, le diable était tombé, aussi bien que ceux
qui, avec lui, ambitionnèrent une plus haute dignité.
Sap., n, 24. S'il n'était pas tombé auparavant, comment,
demeurant dans sa dignité première, aurait-il pu envier
l'homme corporel? Parce qu'il avait passé de la gloire
suprême à l'ignominie extrême, quoique incorporel,
il vit l'homme honoré par le créateur, et jaloux de lui,
le trompa. Il n'a pas pu supporter le bonheur d'autrui.
C'est ainsi que lui et sa cohorte sont tombés. Une
nature incorporelle n'a pu avoir de concupiscence. Les
hommes sont dits fils de Dieu dans l'Écriture; dans la
Genèse, ce sont les fils de Seth. In Gen., homil. xxn,
2, 3, P. G., t. lui, col. 187-189. Le diable n'a été rejeté
et n'est devenu diable que par son orgueil. Ce vice
l'a jeté loin de celui qui faisait sa confiance antérieure,
l'a précipité dans la géhenne et en a fait l'auteur de
tous les maux. In Joa., homil. XVI, n. 4, P. G., t. i.ix,
col. 106. Le diable a été bon : sa paresse et son déses-
poir l'ont fait tomber, et sa malice est telle qu'il ne
pourr.i jamais se relever. De pœnil., homil. i, n. ?,
/'. G., t. xi. ix, col. 279. Au paradis, le serpent a i lé
l'instrumenl du diable. In Gen., homil. xvi, n. 1, 2,
/'. G., t. i.iii, col. 126-127. Le feu éternel n'a pas été
Fait pour nous, mais pour le diable et ses anges; pour
nous, le royaume a été préparé. Mais le diable travaille
à nous faire aller avec lui dans la géhenne. Ad Tbeo-
dorum lapsimt, I, n. 9, /'. G., t. XLVII, col. 287. Dieu
a laissé le démon dans le monde, parce que ses .ill.i-
ont pour nous des causes de mérites et l'objet de
couronnes. Ad Stagiriutn a dœmonc ve.ratnm, 1. I,
n. 'i, à. rttd., col. 132-436. Il esl resté pour noua tenter
Homil. '''-■ diabolo tenlatore, P. G., t. xi.ix, col. 257-
' /■ i, . t. m, col. 509, Nombreux sont ses
anges qui volent dansli - aire l rposii in / ». v; /. n."5,
P. G., t. i.v, col. 162, Ce -oui l.s principautés et les
puisaan ites, c'est-à-dire qui sont sous le ciel. Le
ciel leur est inaccessible, et ils exercent leur lyrannie
sur le monde seulement. De incomprehetuibili D«i
s homil. i\. n. 2, /'. g., t. xlvii, col. 730. H
■ pendant. Uomil. quod
non gubernantf}iundutn,P. G , t. eux, col. 241-
258. I -. que Jésus chassait, étaient horrl
ut 1 1 .mi i m i eule pi 'i oyanl que
l'époque de leur châtiment était proche el craignant
urmenls qui leui sonl réservés, ils demandaient
363
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
:S64
au Sauveur de ne pas être jetés dans l'abîme. Us habi-
tent les sépulcres, parce que beaucoup pensent que
les âmes îles morts sont des démons. In Malllt.,
hoiuil. xxviii. n. 2, P. G., t. i.vn, col. 352. Ils aiment
l'odeur des sacrifices comme s'ils mouraient de faim, et
ils se complaisent dans les mystères obscènes. De
S. Babyla, n. 13, P. G., t. î., col. 553-654. Saint Chry-
sostome donne aux fidèles de nombreux conseils pour
la lutte contre Satan l'adversaire
Pour saint Cyrille d'Alexandrie, le dragon apostat
était parmi les anges, ainsi que les autres puissances
mauvaises. Il était avec les chérubins. E/.ech., XXVIII, 14.
Satan est tombé avec les autres anges; de son propre
mouvement, il a offensé Dieu. Par arrogance et par
faste, il a oublié sa propre dignité et a troublé une
création admirable. Glaphyr. in Gen., I. I, n. 3, P. G.,
t. lxix, col. 21, 24. Dieu a chassé le diable de la cour
céleste, parce qu'il demandait un honneur, supérieur à
celui de sa condition, Is., xiv, 14, et il l'a condamné.
Le diable s'était imaginé pouvoir s'élever à la nature
du créateur et siéger sur le même trône que Dieu,
Mais il est tombé comme la foudre. In Joa., 1. V, c. IV,
P. G., t. i.xxm, col. 809. Son envie a fait entrer la
mort dans le monde, 1. I, n. 24, col. 145. Il était un
ange excellent, le premier de tous. Ezech., xxviii. Il est
le prince des démons. Sa tyrannie n'a pas commencé au
temps de Notre-Seigneur, et les esprits mauvais avaient
été condamnés auparavant à s'ensevelir dans l'abîme.
Ils étaient torturés déjà cependant, et ils attendaient à
son futur avènement les supplices qui leur étaient dus.
Si l'un de leurs princes est lié, un autre a trompé Adam
et n'a pas cessé de tenter les hommes. S'il en est ainsi.
le premier n'aurait pas fait de mal parmi les hommes.
Quoi qu'il en soit, Satan est le père des méchants, ses
fils, et l'auteur du mal, Glaphyr. in Gen., 1. VI, P. G.,
t. lxix, col. 893. Julien l'Apostat avait parlé du ma-
riage des anges avec les filles des hommes. Mais les
saints anges n'ont pas de corps et ne recherchent pas
les voluptés. Julien lisait donc au c. vi de la Genèse la
leçon : oc ayyEXoi toO 6so0. Mais l'Écriture véritable,
que Cyrille a entre les mains, a : oi uîo\ toO ÔeoC. Les
autres traducteurs grecs ont connu cette leçon, et
les fils de Dieu sont la postérité d'Énos. Cont. Julian.,
1. IX, P. G., t. i.xxvi, col. 953, 956-957. Puisque les
anges sont incorporels, comment auraient-ils pu avoir
des rapports avec les femmes? Les filles des hommes
étaient de la race de Caïn. Quatre traducteurs grecs
après les LXX ont connu la leçon : « fils de Dieu. » Il
est absurde de penser que les anges puissent accom-
plir un acte contraire à leur nature. Quelques exem-
plaires ont bien la leçon : ayyzkoi, mais à la marge; la
vraie leçon est : « fils de Dieu. » Adi'ersus anlliropomor-
philas, c. xvn, ibid., col. 1105, 1108. La même expli-
cation est répétée. Glaphyr. in Gen., 1. II, n. 2, P. G.,
t. lxix, col. 51-56. Les voluptés sont naturelles aux
hommes, qui sont de chair. Les démons sont impurs,
parce qu'ils portent à toutes sortes de turpitudes. Les
géants étaient des hommes. Pour expliquer qu'ils peu-
vent être fils d'anges, on a prétendu que les démons
étaient entrés dans le corps d'hommes méchants et par
eux avaient engendré. L'explication est absurde, et la
vraie leçon scripturaire est « fils de Dieu », qui désigne
des fils de Seth et d'Hénoch, les hommes pieiiN, unis
aux filles de Caïn, race perverse.
Basile de Séleucie déclare qu'avant sa chute le diable
avait la puissance de l'air, Eph., n, 2. qu'il a perdu
par son orgueil. C'est par orgueil qu'il a machiné la
perte de l'homme. Orat., xxm, n. 1, P. G., t. i.xxxv.
col. 269, 272. 11 a été envieux à la vue du pouvoir
qu'Adam avail reçu sur toute créature terrestre. Il recou-
rut au mensonge pour le tromper, el fut ainsi homi-
cide dès le commencement. Oral., ni, n. 3. col. 53.
56. Dans le récit de la Genèse, VI, î, liasile lit : -Ao': roO
Beoû. Quelques-uns y reconnaissent les anges; c'est leur
attribuer une action contre nature, puisqu'ils n'ont
point de corps. Les Orecs racontent bien les fables des
noces des démons; les saintes Lettres m- parlent pas
d'anges mariés; elles parlent des lils de Seth. Oral.,
vi. n. 2, col. 85, 88, 89.
Saint Isidore de Péluse enseigne que, même après la
venue de Notre-Seigneur sur terre, la peine du fui
attend encore le démon. Epis t., 1. II, epist. XC, P. G.,
t. i.xxvin, col. 533.
La doctrine est donc, dans l'ensemble, identique chez
tous les Pères grecs du ive et du v« siècle. On la retrouve
aussi dans des écrits, dont les auteurs sont inconnus et
qu'on a attribués à des écrivains de cette époque. Si
l'auteur du De passione el cruce Domini, 27, 28, dans
les Spuria de saint Athanase, P. G., t. XXVIII, col. 232,
233, ignore la cause de la chute du diable, il en constate
le fait dans Is., xiv, 12, et Jer., L, 23, et s'en étonne.
Il sait que, par son envie, la mort est entrée dans le
monde et qu'il a trompé Eve; il dit aussi que l'empire
du diable a été détruit par la croix de Jésus.
L'auteur des Quœstiones ad Antiochum ducem, q. vu,
parmi les Spuria du même docteur, ibid., col. 60i,
après avoir déclaré que les démons ne diffèrent pas
des anges par nature, se demande quand et pourquoi
le diable est tombé. Q. x. Quelques-uns disent qu'il est
tombé pour n'avoir pas voulu adorer Adam. C'est une
sottise. Il est tombé avant la création d'Adam et par
orgueil. Mais s'il est tombé du ciel, comment s'est-il
trouvé au conseil des anges? Q. xn, 'col. 605. L'Ecri-
ture ne dit pas que ce conseil s'est tenu au ciel. Il a
eu lieu sur la terre, car, partout où les anges se trouvent,
ils assistent Dieu. Dieu a parlé au diable par un saint
ange, comme un roi parle à un condamné par un inter-
médiaire.
Les Dialogues, attribués à saint Césaire de Nazianze.
sont certainement inauthentiques. Leur auteur, quel
qu'il soit, a sur les démons les mêmes sentiments que
les écrivains précédemment cités. Il se demande d'abord
comment les anges, s'ils sont incorporels, ont pu avoir
commerce charnel avec des femmes et engendrer les
géants. Bien qu'il admette encore que les anges ont un
corps subtil, il tient pour une absurdité et une folie
que les démons aient pu avoir des relations charnelles.
Ils ont abandonné leur état, non leur nature. C'est donc
un blasphème de prétendre qu'ils ont corrompu di s
femmes. L'Écriture n'en parle pas. Ce sont les fils de
Dieu qui ont cohabité avec les filles des hommes. Nulle
part, les anges ne sont dits fils de Dieu, tandis que
l'Écriture donne ce nom à des hommes. Il s'agit des fils
de Seth et d'Énos, qui ont épousé des Biles de Caïn.
Dial., î, q. xlviii. /'. G., t. xx.xvui. col. 917. 920. Si le
diable est tombé du ciel, comment a-t-il pu prendre
part au conseil des anges ? Q. xlix. col. 920, 921. Il n'y
a pas assisté au ciel, d'où il a été chassé pour sa fureur.
Mais Dieu est partout, et tous, même les démons, se
trouvent en sa présence. Plus loin, cet écrivain dit que
le diable est notre adversaire, non par nature, mais
par volonté. Il a d'abord été le premier des anges; il a
été précipité en bas, parce qu'il a été l'ennemi de Dieu,
avant que l'homme n'ait été créé. Plus tard, il a séduit
l'homme, en lui suggérant l'envie contre Dieu. Dial.,
ni. q. cxxiii, col. 1016.
2" En Occident. — La doctrine sur les démons,
commune en Orient, pénètre peu à peu en Occident et
linit par y devenir prédominante, bien que le mariage
des anges avec des femmes ne soit pas d'abord si caté-
goriquement rejeté.
Pour saint Hilaire. le diable est le prince des or-
gueilleux. Is.. x. 13, li. 11 n'est pas seul, et il a pour
ministres les esprits marnais. In ps. CXYltt, litt. xvi,
n. 8. P. L., t. ix, col. 608-609. Il est l'auteur de tous
les maux; il tenddes pièges aux hommes et suggère tous
365
DÉMON D'APRES LES PÈRES
366
les crimes. In ps. < xi.,n. 16, col. 832.11 parcourt en un
instant toute l'amplitude de ce monde. In ps. CXVUI,
litt. I, u. 8, col. 507. Sa puissance est brisée; il n'est pas
encore brûlé tout entier; le feu éternel lui est préparé
ainsi qu'à ses anges. In ps. CXLIII, n. 11, col. 849. Il doit
être jugé à la résurrection. In ps. rxvui, litt. xi. n. 5,
col. 574. Les démons sont des montagnes, abaissées par
Jésus-Clirisl, qui leur a préparé le feu éternel. Us sont
torturés par les paroles des croyants. Ils sont invisibles
et incomprébensibles pour nous. Puniuntur, cum vales
silenl, eu») muta sunl lempla. In ps. i.xiv, n. 9, 10,
col. 418, 419. Ce sont des oiseaux du ciel; ils ont de
quoi vivre sans récolter, vivendi tribuitur de seterni
• ilii polestate substanlia. Comment, in Malth.,
v, n. 9; vin, n. 9, col. 947, 957. Tombés du ciel, ils
fuient devant Dieu; mais la mort et la peine du ju-
gement suivront leur fuite. In ps. LXVtr, n. 2, col. 443-
144. L'évêque de Poitiers n'ignore pas ce qu'on raconte,
de quo etiam nescio cujus liber estât, que des anges
sont descendus du ciel sur le mont Hermon, attirés
par la concupiscence des femmes. Sed hœc prselermil-
tamus. Quse enim libro legis non conlinenlur, ea nec
nosse debemus. In ps. < xxxn, n. 6, col. 748-749.
Saint Hilaire dédaigne donc cette légende, et il ne voit
pas le mariage des anges dans la Genèse.
S.iint riiilastre range résolument cette légende au
nombre des hérésies, et il la réfute par des arguments
'tiques, assez singuliers. Nemrod, le premier géant,
nommé dans l'Écriture, était né après le déluge et pas
d'un esprit, c'est-à-dire d'un ange, puisqu'il était fils
de Chus et petit-fils de Chain. Les géants étaient des
hommes puissants, forts, pillards, des monstres, comme
plus tard Goliath. Les anges, chassés du ciel, ne sont pas
semblables à la nature humaine; on ne peut en douter.
Avant le déluge, ils suggéraient le mal aux hommes,
comme plus tard à Judas, comme ils le font encore
maintenant. Croire qu'ils se sont transformés en hommes
cl sont devenus charnels, c'est violenter l'histoire. C'est
un mensonge des poètes de dire que les dieux et les
hangés en hommes, ont entre eux des relations.
Comtii' cela ne s'esl pas fut, il n'y a pas d'hésitation
oir que c'est impossible. D'ailleurs, le nom de géant
pris en bonne part dans l'Écriture. Ps. xviu, 6.
de hmresibus, 108. P. ].., t. xn. col. 1224-1226.
Uni autre hérésie était celle des manichéens, qui pré-
tendaienl que le corps a clé- fait par le diable, et qui
honoraient les démons, 61, col. 1176. C'était enfin une
prétendre que le diable pourrait se repentir.
Loin de là, parce qu'il avail suggéré le mal à Adam, le
diable méritait un jugi menl plus sévère; parce qu'il
plus réfractaireâ la pénitence, il attend de J<
Christ nue plu- grande servitude el il est réservé avec
menl et au feu éter-
nel. Malth., xxv. 41. Ha,/.. U4, col. 1238-1239.
liacre donatiste Ticonius interprète du diable les
déni passages bibliques, [s., xiv; Ezech., xxvm. Il
attribue donc la chute du diable a l'ambition. Le prince
de l'\r voulait être semblable ■< Dieu; il a été i Epuisé
■lu ciel. Le roi de Babylone représente le diabli
peuples, qui jonl le corps du diable, w
flnllt let in inferi Li anges n'ont point de
1 I > con-
l' s pieds di i chré-
. reg. vu, /'. /. i wiii
mont m diable. Celui-ci
'"I- il — ' 'f ■ nu .h. ,1,1,- par -., propre
1 i n. :,. />. /.., i. xxv,
■ Dte le diable'
qui est, comme lui, éthiopien el fila de la droite <
quodfitiut dr.,1, .., , ki. ,
rr,dao Inecdota Va
1 ni/-, p 21. Il n i pa
fait diable, Dieu n'a pas créé une nature mauvaise. Il
est le prince tombé, dont parle le psaume i/xxxi, 7. Il
est tombé, et il n'est pas mort, l'ne nature angélique
peut recevoir la ruine, mais pas la mort. Il est tombé,
Lucifer. Is., xiv, 12. Il est tombé, quia semper in cœ-
lestibus versabalur. C'est le prince deTyr, Ezech., xxvm,
Il sq., qui primo eral in cœlo, nanc factus est prin-
ceps Tyri, hoc est Iribulationis istius sœculi. Il n'est
pas tombé seul, puisqu'il est un des princes tombés.
L'Apocalypse dit que le dragon, en tombant, a entraîné
avec lui le tiers des étoiles, xn, 4. Tractatus de
ps. i.xxxr, ibid., p. 77-78. Nous avons vu plus haut,
col. 353, que saint Jérôme avait donné cette interpré-
tation dans son remaniement du commentaire de l'Apo-
calypse de saint Yictorin de Pettau. Diabolus unde
cecidit? quia furtum fecil? quia homicidium fecit?
quia adulterium fecil? Et lisec qu'idem mala sunt;
sed diabolus non proplcr hoc cecidit, sed propler lin-
guamsuam cecidit. Quid enim dixit? In cœlum ascen-
dant, super sidera cœli ponam Ihronummeum, et cro
similis Altissimo. Is., xiv, 13. Tractatus de ps. cxix.
ibid., p. 284. Lucifer, en effet, est tombé par orgueil.
Ces paroles, il les a dites, ou bien avant sa chute, ou
bien après. Avant, il voulait monter plus haut au ciel
où le Seigneur habite, et il est tombé du ciel. Après, par
arrogance, il se promettait encore de grandes choses,
non ut inler astra, sed supra aslra Dei s'il. In Isaiam,
1. VI, c. xn, 12-14, P. L., t. xxiv, col. 219. Superborum
est diabolus princeps. 1 ïim., ni, 6. Le prophète dé-
crit son orgueil. Is., x, 13 sq. Tractatus de ps. xrin,
dans Anecdola Maredsolana, 1903, t. me, p. 81-82. Le
diable orgueilleux est représenté par Ezéchiel sous le
type des princes el des rois superbes, qui, enflés d'or-
gueil, sont tombés sous son jugement et dans ses pièges.
lu Ezech., 1. IX, c. XXVIII, P. L., t. xxv, col. 267-268.
Judicium diaboli million est aliitd niai superbia prop-
ler quam de cœlestibus cecidit. Luc, XX, 18. In Isaiam,
1. II, c. III, 4, P. L., t. xxiv, col. 63. Cf. Epist., xxil,
n. 27, /'. L., t. xxn, col. 413. Au sens mystique, le
diable est le serpent de la Genèse; il règne sur la
terre, mais talus terra hœret. L'iniquité le presse sur
la terre; il ne pourra donc faire pénitence; son ini-
quité desrendra : de civlo enim illipœnaveniet sempi-
tema. Tractatus deps. ix, dans Anecdota Maredsolana .
t. ni b, p. 24. Son vêtement est souillé de sang et il ne
sera pas purifié. Ubi sunt ergo qui dont diabolo psani-
tenliam et dicunt illum possr mundarif In Isaiam,
1. VI, c. xiv. 20, P. L., t. xxiv, col. 224. In tempore re-
surrectinnis non erit. Si aillera mai ent, quoi respon-
debunt qui diabolo dantpssnitenliam ri Hli quantum
m se est archangelicum fastidium pollicentur? Ibid.,
1. VII, c. xviii, 12. col. 215. 11 a été' menteur dès le com-
mencement et père du mensonge. Joa.; VIII, i '• Quod
mulli non intelligentes, palrem diaboli volunt esse
draconem, qui regnel in mari (Lé viathan). Ibid., I. VI,
c. m, 24, col. 228. Cf. Tractatus in kfarc, i. 13-31.
dans I Maredsolana, I III 6, p. 334-335. Il est
le prince di i air, où il habite, car il n'habite pas 'fin-
ie ciel. Lui Bl ses atellites, per mundum oagantur,
ta insinuant. In Epist. ad Eph., I. I, c. n. I.
/'. /,., t. XXVI. col. 460. Il est difficile de dire M que
sont les principautés, les puis le rertus de
damnation. Il faut les prendre dans un mauvais sens.
Ce sont les nus, el le pi ince de ce monde, el
Lucifer, sur qui marcheront les saints. En attendant le
nent, infreni n omir Mberlate abutentet passim
vagantur et per prmeipitia corruunl im. Ibid,,
n. 7. col. 109. Les puissances dl les
espi its de malice qui son) il. m ml les di -
mons, qui touii fi dans l'air,
C'est l'opinion de tons les docteurs que l'air, qu
entre le ciel et la U rre el qui esl vide, esl n tnpli de
puissant i [u'un dir.i peut-i tre qu< •
3G7
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
368
le diable qui a distribué à chacun de ses satellites son
oflice propre, el non pas Dieu. Ils sont libres, en effet,
.1 ils nul chacun sa province de vices, comme dans
une ville les fonctions diverses sont réparties ; c'est ainsi
qu'ils gouvernent ce monde. Ibid., I. III. c. vi, col. 546-
517. Beaucoup de personnes du peuple prétendent qu'il
\ a des démons de midi. Ps. xc, 6. Ceterum ego dico
simplicité?, quoniani dœmon eo tempore polestalem
Itabet in nos, guando peccamus. Sive mane peccaveri-
mus, dœmon ingreditur in nobis; sive vespere, sive
nocte, quacumque pece.averimus hora, dœmon ingre-
ditur in nobis. Si aulem non peccaverimus meridie,
non ingreditur in nobis. Videlis ergo qaod frivolum
est qaod vulgo dicilar. Tractalus de ps. XC, dans Anec-
dota Maredsolana, t. m b, p. 116.
Bien que saint Jérôme ait dit que Lucifer orgueilleux
avait entraîné avec lui le tiers des étoiles, bien qu'il ait
déclaré que les démons n'ont point de sang, In Isaiam,
1. XVII, c. lxiii, n. 3, P. L., t. xxiv, col. 612, cepen-
dant il ne s'est pas prononcé avec netteté au sujet du
mariage des anges avec les filles des hommes. S'il ne
le rejetait pas, ce n'était pas qu'il s'appuyât sur le té-
moignage du livre d'Hénoch, qu'il rangeait résolument
parmi les apocryphes. De viris, 4, P. L., t. xxni,
col. 615; In Episl. ad Tilum, i, 12, P. L., t. xxvi,
col. 573. Il n'attache pas d'autorité à cet apocryphe au
sujet du mariage des anges avec les filles des hommes.
Il reproche, en outre, à Origène, sans le nommer,
d'avoir confirmé par ce passage son hérésie des âmes
descendant du ciel dans les corps; Origène imitait en
cela les manichéens. Saint Jérôme se borne à signaler
ce mauvais argument en commentant le verset 3 du
psaume cxxxn. Tractalus de ps. cxxxn, dans Anecdola
Maredsolana, t. m b, p. 249-250; P. L., t. xxvi,
col. 1293. Il donne un peu plus d'attention à ce ma-
riage dans le commentaire d'Isaïe, liv, 10. Il se de-
mande quelles sont ces montagnes troublées durant le
déluge : sont-ce les saints ou les démons? Quelqu'un
pourrait les entendre des démons et des puissances
adverses, qui viderunt /ilias hominum, quod essent
bonœ, et amoris jaculo vulncrali, swnpserunt sibi
uxores ex omnibus quas elegerunt et perdiderunt for-
litudinem prislinam et nequaquam in hoc diluvio
sunt futuri. Hoc ille dixerit, cujus explanationem
lectoris arbitrio derelinquo. In Isaiam, 1. XV, c. liv,
10, P. L., t. xxiv, col. 521. Le saint docteur vise exclu-
sivement le c. vi de la Genèse. Il ne rejette donc pas
absolument l'interprétation appliquant aux anges cette
union avec les filles des hommes; il la laisse à la libre
appréciation de ses lecteurs. En commentant briève-
ment Gen., vi, 2-4, il indique deux interprétations,
puisqu'il voit dans les fils de Dieu, les saints ou les
anges, et dans les géants, les anges encore et les fils
des saints. Liber liebraicarum quœslionum in Gene-
sim, c. vi, n. 2. 4, P. L., t. xxm, col. 947-949. Selon
sa coutume, le saint docteur signale, sans se pronon-
cer, les deux explications en cours. Toutefois, s'il
n'exclut pas l'interprétation des relations charnelles
des anges avec les filles des hommes, il entend le ver-
set 3 d'un répit de 120 ans laissé aux hommes cou-
pables pour faire pénitence avant le déluge. Il semble
ainsi préférer l'application du texte aux saints et aux
fils des saints, c'est-à-dire à la race sainte de Seth, per-
vertie par des mariages avec la race coupable de Caïn.
Saint Jérôme, à la suite d'Origène, avait admis la
restauration finale de toutes choses, même des démons,
verbi gralia, ut angélus refuga id esse incipiat quod
crealus est. Comment, in Epist. ad Eph., 1. II, c. iv,
16, P. L., t. xxvi, col. 503. Rufin le lui reprocha.
Apologia, 1. 1, n. 41, P. L., t. xxi, col. 579. Saint Jé-
rôme répliqua qu'il n'avait pas parlé on son propre
nom et qu'il s'était borné à résumer l'interprétation
d'Origène, sans la faire sienne. Apologia advcrsns
libros Ru fini, 1. I, n. 26, P. L., t. xxm, col. 418-419.
Il enseigne, au contraire, très expressément que le feu
éternel est dû an diable et à ses anges pour leurs
crimes. Ibid., I. Il, n. 7. col. 428-430.
L'Arnbrosiaster (Hilarius Ililai -ianusi attribue aussi
à l'orgueil la chute du diable. Il définit l'orgueil : alla
sapere, et il ajoute : JJiabolus cum alla sapuit, apo-
slalavit. In Epist. ad Phil., xn, 16. P. L., t. xvii,
col. 160. Avant la loi, le diable ne savait pas que Dieu
devait le juger; il croyait son péché mort: la loi donnée,
son péché a revécu. Ibid., vu, 8, col. 109. Les princes
mauvais sont dans le firmament, et cependant ils
agissent sur terre. In Epist. ad Phil., m, 20, 21,
col. 417. Selon lui, quelques démons pouvaient se sau-
ver, car, suivant saint Paul, la sagesse multiforme de
Dieu a été manifestée par l'Église aux principautés et
aux puissances célestes, ut agnoscenles per Ecclesiam,
quee multifame ad vilam attracta est, in Christo
unius Dei ntanere mysterium, desinant ab errore.
La prédication ecclésiastique leur sera utile et elles
abandonneront assensum tyrannidis diaboli, qua se
adversus Dei unius fidem impia prœsuniplione arma-
vit. In Epist. ad Eph., m, 10, col. 382-383.
Saint Augustin a exposé sur le diable et les démons
une doctrine très ample et très complète. Tout en unis-
sant les anges déchus au diable, leur chef, tant pour
la chute que pour la punition, il en parle souvent sé-
parément, et il sera bon de le suivre dans ses dévelop-
pements, propres à chaque catégorie.
Les manichéens prétendaient que le diable n'était
pas une créature de Dieu. De Genesi ad litteram, 1. II,
c. xin, xiv, n.17, 18, P. L., t. xxxiv. col. 436. Ne com-
prenant pas qu'une bonne nature pût déchoir par
orgueil, ils le disaient l'œuvre du mauvais principe,
1. XI, c. xin, n. 17, col. 436. Avant d'être diable, il était
ange et bon. De baptismo contra donatistas, n. 13,
P. L., t. xliii, col. 162. Il est donc tombé. .Mais est-ce
ab initio mundi, ou bien a-t-il été quelque temps avec
les anges, pariter justus et beatus? Quelques-uns
disent qu'il est tombé par envie à l'égard de l'homme,
qui avait été fait à l'image de Dieu. Mais l'envie a suivi
et n'a pas précédé l'orgueil : causa invidendi, super-
bia. Pourquoi est-il tombé? Quia amavit propriant
potestalem. Quand? L'Écriture ne le dit pas. En tout
cas, c'est avant qu'il ait envié l'homme. Peut-être est-ce
ab initio temporis, de sorte qu'il n'y eut pas de temps
où il fut bon et heureux. Si ab initio homicida fuit,
Joa., vm, 44, ce fut à la création de l'homme; mais
a verilate non stelil, et hoc ab initio ex quo crealus
fuit. Était-il heureux avant d'avoir péché? S'il a eu la
prescience qu'il pécherait, il n'a pas été heureux. En
tout cas, il n'a pas été heureux comme les anges de-
meurés fidèles, non œqttaliler beatus, non ita plane
beatus. Ils étaient certains que leur bonheur durerait;
lui, il était incertain de la durée du sien. Quelques-
uns ont pensé qu'il n'était pas in sublimi, in superese-
lesti natura, mais parmi les anges inférieurs, qui pou-
vaient illicitum delectare. De Genesi ad litteram,
c. xiv-xvn, n. 17-22, P. i... t. xxxiv. col. S30-'i3S. Un
peu plus loin, l'évêque d'Ilippone revient sur le même
sujet. Selon lui, le diable, ab initio suae conditionis,
propria roluntate depravatus, non malus et Deo l>
crealus, faclus conlinuo se a lace reritatis avertit,
superbia tumidus et proprise potestalis delcctalione
corruplus. 11 n'a donc pas goûté la béatitude de la vie
angélique. Continuo impius, conseqventer et mente
csecus, non ex co quod acceperat cecidil, sed ex eo-
quod acciperel, si subdi voluisset Deo, parce qu'il n'a
pas voulu se soumettre. De nouveau, il lui applique les
textes d'Isaïe, xiv, 12-14 (au s.ns mystique] et d'Ézé-
cbiel, xxvm, 12-13, c. xxm. n. 30-32. col. 141-442,
attribuant sa chute à l'orgueil. Lui-même résume enfin,
c. XXVI. n. 33, col. 443, toute sa pensée en ces deux
369
DÉMON D'APRES LES PÈRES
370
alternatives sur la chute du diable : aut ab initia, im-
pia superbia cecidit..., aul alios esse angelos inferio-
ris ministerii in hoc mundo, inter quos secundum
eoram quamdam nonprsesciam beatitudinem vixerat,
et a quorum socielale cunt sibi subditis angelis suis
tanquam archangelus cecidit per superbam impiela-
tcm. Si on ne peut admettre cette dernière partie de
l'alternative, il y a lieu de se demander comment tous
les saints anges, si le diable a été parmi eux aliquando
beatus, n'avaient pas encore la béatitude parfaite, qu'ils
savaient ne pas devoir perdre, ou par quel moyen le
diable, avant son péché, fuit discretus cum sociis,
puisqu'il aurait été incertain de sa chute, tandis que
les autres étaient certains de leur persévérance. Quoi
qu'il en soit de ces points non résolus, il n'y a pas de
doute que les anges pécheurs, emprisonnés dans l'air.
in judicio puniendos servari. II Pet., n, 4. Le diable
a tenté l'homme qu'il enviait, par l'organe du serpent,
c. xxvn-xxx, n. 34-39, col. 443-445. Le serpent n'estpas
interrogé, et il est puni le premier, quia nec coti/iteri
peccatum potest, nec habet omnino unde se excuset.
La punition qu'il reçoit alors, non ea pœna, qvœ ul-
limo judicio reservatur, Matth., xxv, 41, sed pœna
quse a nobis cavendus est. De Genesi contra mani-
chœos, 1. II, c. xvii, n. 26, P. L., t. xxxiv, col. 209.
Le diable n'est donc pas puni pour adultère, ivrogne-
rie, fornication ou rapine, mais pour son orgueil seu-
lement, auquel se joint pourtant son envie. Enarrat.
m ps. i.yiii, n. 5, P. L., t. xxxvi, col. 709. Duobus
malis, superbia et invidentia, diabolus est. De sancta
i irginitate, c. xxxi, n. 31. /'. L., t. xl, col. 413. In se
exallato corde recessit a Deo. Cont. adversarium legis
et prophetarum, c. xv, n. 23, P. L., t. xi.ii, col. 615.
Il n'est donc pas une mauvaise substance. Deserens
dilectioneni, et ad suam nimis conversus, si videri
i ii/iit œi/ualis, superbix tumore dejectus est. Cont.
Secundinum manicliwuni, c. xvn, ibid., col. 592. Il
est devenu mauvais propria voluutate. Intuniuil per
tuperbiam et a suninia essenlia defecit et lapsus est.
])•■ vera religione, c. xm. n. 26, P. L., t. xxxiv,
col. 133. Il n'était pas l'égal de Dieu; il a voulu se faire
I de Dieu, (s., \iv. li, I5, et ainsi il est tombé;
[m is il .i versé ci • orgueil à l'homme. In Joa., tr. XVII.
Mi. /'. /... t. xxxv. col. I"
questions de l'origine, de la nature et du péché
du diable que l'évêque d'flippone avaient traitées, en
De >'•' if-si ml lilteram, il les a re-
prisi il.">. dans les 1. XI et XII de sa Cité de
. mais au sujel (h1 tous les .m;... s déclins. An [.IX,
il avail li la doctrine d'Apulée, de
Platon el de Porphyre sur les démons, en concluant
que s, f. q| de l>"iis el de mauvais
démons, l'Écriture n'eu connaissait que de mauvais.
/' /.-, t- mi, ■ entiment, ces mau-
j, avant leur chute, avaient la sagesse ; mais
dans quelle m I au* aux bonsan
une n.' peul le dire. Ils se sont détourni
l'illumination qui leur donnait la vie bienheureuse. Ils
ont consené l , rat onnelle, bien qu'elle soit en eux
ite Dei, I. XI, c m. col
ml leur faute, la même félicité que les
let ' — ^ . . 1 1 > ■ \m_u tin pensait qu'ils
• u quelque félicité -.m- .noir toutefoi
■ qu'elle durerai! pour eux. Il Be pourrai)
dent eu le même bonheur ju
bons
ai' n' -u qu'il étaient conflr dans < • • boni
ni nu dial nditionii, m veritaie
ttetit. Iiir,, nunqnam beatut
lis, i te tubdilum ■
■■<■ Imlalui, n,
/un faliu$ el fallait Mr.. l'est jamais soumis ■< Dieu
qu'il fut , • ,,, ,/
Néanmoins, on ne peut dire avec les manichéens que,
ab inilio, sa nature a été mauvaise : a veritaie non
stelit, c. xm, col. 328-330. Ab inilio diabolus peccat.
I Joa., m, 8. Le prince de Babylone a été sa figure.
Is., xiv, 12. Il est le prince de Tyr tombé. Ezech.,
xxvm, 13, 14. In veritaie fuit, non permansit. Il a été
péché, non ab initio quo crealus est, sed ab initio
peccali, quod ab ipsius superbia cœperil esse pecca-
tum. Au commencement, il était figmentum Domini.
C. xv, col. 330, 331. La déchéance progressive des dé-
mons est une erreur d'Origène, c. xxm, col. 336. Les
démons ont donc péché, in ima hujus mundi detrusi,
qui est velut carcer, usque ad fuluram in die judicii
ultimam damnationem. II Pet., n, 4, c. xxxm, col.346.
Dieu a donc prévu qu'il y aurait deux catégories
d'anges, dont l'une, éprise de sa propre beauté, a été
précipitée en bas du ciel aérien, où sont les ténèbres-
Dieu a créé les deux sociétés d'anges. Les mauvais
le sont devenus, sua poteslale potins deleclali, velut
bonum sibi ipsi essent... habentes elalionis fastum,
vanitatis astutiam. L. XII, c. i, n. 1,2, col. 349. La cause
de leur misère fut quod ab illo qui summe est aversi,
ad seipsos conversi sunt qui non summe sunt. Hoc
vitium, superbia, Eccli., x, 15, se illi prœferendo. C. vi,
col. 353. Dieu prévoyant quosdam per elationem qua
ipsi sibi ad bealam vitani sufficere vellent, tanli boni
deserlores, leur a laissé la liberté, dont ils ont abusé.
L. XXII, c. i, n. 2, col. 751. Les démons n'ont donc pas
été fait mauvais par Dieu ; ils le sont devenus peccando,
II Pet., n, 4; aussi la peine du jugement dernier leur
est-elle due pour leur malice. De natura boni contra
maincliœos, c. xxxm, P. L., t. xlii, col. 561-562. Les
anges et les hommes sont l'œuvre de Dieu sine culpa;
culpa nala est per liberum arbitrium. Cont. Julian.
pelagianum, 1. VI, c. xvi, n. 64, P. L., t. xliv, col. 819.
Tous les anges ont été créés par Dieu ; les rebelles sont
rebelles par abus du libre arbitre. Ils ont fui la bonté
qui les rendait heureux; ils n'ont pas pu fuir son juge-
ment, qui les a rendus très malheureux. De correplione
cl gralia, c. x, n. 27; c. XI, n. 32, ibid., col. 932, 935.
Sans nier absolument la possibilité pour les anges
d'avoir des relations charnelles avec les femmes,
saint Augustin a cependant refusé d'expliquer la chute
des anges par la concupiscence. A propos de Vénus,
il avait posé, en passant et sans la résoudre, la question
de savoir si les esprits pouvaient roire corporaliter.
Decivitate Dei, I. III. c v, /'. /... t. xi r, col. 81-82.
Il en donna la solution, au sujet des (ils de Dieu,
unis aux filles des hommes, lien.. VI, 2-4. Selon lui,
ces Bis de Dieu sont des hommes. Mais comme, dans
iture, les an^es sont appelés fils de Dieu, beaucoup
pensent qu'il est question d'eux dans ce récit de la
Genèse. Les anges, étant des esprits, non possunt
mire cnrpnralttcr. Toutefois, les anges onl apparu
dans des corps, el le bruit public parle de sylvaina ci
de faunes amoureux et d ncubes. (Test pour-
quoi, non hinc aliquid audeo defînire, utrum aln/n,
spiritut, elemenlo uni" corporati (on sent cet élé-
ment, quand on agite un flabellum), jmssiut eiiam
pâli libidinem, utquomodo possunt, sentientibut
feniinii misceantur. Quoi qu'il en soit, ce ne sont
pas les saints anges qui sont i lu s avec le diable,
leur prince. D'autre part, les hommes son! appi lés
dam l'Écritun Li géants ne son) pas n
-.m. nt des Bis de- anges; M \ ■> eu des géants
avant etaprés le déluge. Le contexte montre qui
Bis de Dieu étaient des le tient les liis de
Selh. allies aux BUeS de (..un. Sainl AUgUStin ne lient
nipte des fables des apocryphes. Le livre d'Hénoch
i canon des Êcritun i,et il n'i i oire,
quand il pai h- de la nal : lis.
Ihi.i., I \\ . v mi. xxm. col. 167-470 Cl I W III.
( xxxviil, col.
371
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
En 419, l'évéqne d'Ilippone est revenu sur ce sujet,
dans ses Quœsliones in Heplaleuchum, 1. I, q. lit,
P. L., t. xxxiv, col. 5i9. Il se demande comment les
anges ont-ils pu concumbere cum filiabus hominum
et engendrer des géants. Il fait observer que beaucoup
de manuscrits latins et grecs n'ont pas angeli Dei,
mais filii Dei. Quelques-uns résolvent la question en
disant que les bommes justes sont appelés anges de
Dieu. Cf. Mal., III, 1. Mais, si c'étaient des hommes, ont-
ils pu engendrer des géants, et si c'étaient des anges, se
miscere cum feminis? Des géants ont pu naître des
hommes; il y en a encore aujourd'hui. D'où, il est plus
croyable que des hommes justes ont été appelés ou
anges ou fils de Dieu et que,"cédant à la concupiscence,
ils ont péché avec des femmes, que d'admettre que
des anges, qui n'ont pas de chair, aient pu commettre
cette faute, quamvis de quibusdam dsemonibus, qui
sinl improbimulieribus, amultis tam multa dicanlur,
ut non facile sit de liac re de/inienda senlentia.
Malgré ses hésitations au sujet de la possibilité de
l'union des démons avec des femmes, saint Augustin
déclare expressément que cette union n'a pas été la
cause de la chute des anges mauvais. Ils sont tombés
par orgueil. Il déclare aussi que ex nno angelo lapso
et damnalo cseleri propagali non sunt. Enchiridion ,
c. xxviii, P. L., t. xl, col. 246.
Saint Augustin pensait que les démons avaient un
corps. Bien qu'ils ne soient pas nés ex femina, verum
habenl corpus. Serai., xn, c. ix, n. 9, P.L., t. xxxvm,
col. 104. Ils sont aeria animalia, quorum corporum
aeriorum naturel vigent et propterea morte non
dissolventur... Si aulem transgressores illi, ante
quani transgrederenlur, cœleslia corpora gerebant,
neque hoc mirum est, si conversa sunt ex pœna in
aeriam qvalitatem. Ils auraient été changés de feu en
air. De Genesi ad litleram, 1. III, c. x, n. 14,15, P. L.,
t. xxxiv, col. 284, 285. Cf. De divinatione dœmonio-
rum, c. n, P. L., t. xl, col. 584-585. Ils ont un corps
par lequel ils souffrent, puisqu'ils avouent qu'ils sont
tourmentés. De civilale Dei, 1. XXI, c. m, n. 1, P. L.,
t. xli, col. 710.
A la question si le feu de l'enfer pourra par son
contact brûler les malins esprits, qui sont incorporels,
il faisait deux réponses. Si, avec les hommes doctes,
on dit que les démons ont des corps, formés ex isto aère
crasso atque humido, cujus impulsas vento fiante
sentitur, cet élément peut subir le feu ; comme dans
les bains, l'air chauffé brûle avant de brûler. Si on dit
que les démons n'ont pas de corps (ce que l'auteur ne
veut pas rechercher ni discuter), les démons souflriront
néanmoins du feu de l'enfer. L'âme de l'homme, qui
est incorporelle, souffre bien par le corps. Donc, bien
qu'incorporels, les démons-esprits, corporeis ignibus
cruciandi, non ut ignés ipsi, quibus adhserebunt,
eorum junctura inspirenlur et animalia fiant, quo
constent spiritu et corporc, sed, ut dixi, miris et
ineffabilibus modis adhserendo, accipienles ex ignibus
pœnam, non dantes ignibus vitam. Qu'ils soient
corporels ou incorporels, les démons seront brûlés
par le feu de la géhenne. L. XXI, c. x, n. 1, 2, col. 724-
725.
Ces corps aériens habitent l'air, et pas les astres;
aussi les démons sont-ils dits volatilia cœli. Serai.,
ccxxn, P. L., t. xxxvm, col. 1091. Tombé des hau-
teurs des anges, le diable est descendu dans l'air,
qui lui sert de prison; il a été condamné à y vivre.
L'enfer, où il est enfermé, II Pet., Il, 4, est cette partie
inférieure du monde. Enarrat. in ps. OÏLV//J, 9, P. L.,
t. xxxvil, col. 1943. Quelques-uns pensaient que les
anges déchus avec l'archange, leur chef, étaient in
superiori parle aeris, la plus proche du ciel; aussi
distinguaient-ils les anges en célestes et supercélestes,
Mais, après leur péché, les anges sont descendus dans
la partie inférieure de l'air. De Genesi ad litleram,
I. III, c. x, n. 14, P. L., t. xxxiv, col. 284; Enchiridion,
c. xxviii, P. L., t. XL, col. 246. L'air dans lequel il-
vivent leur sert de prison jusqu'au supplice éternel qui
leur est réservé. Epist., Cil, q. m, n. 20. P. /..,
t. xxxiii, col. 378; De civitate Dei, I. VIII, c. xv, n. 1.
2; c. xxn, /'. L., t. xli, col. 239-240, 2M5. Le diable
habite à l'aquilon. Fs., XIV, 13, 11. Enarrat. in
ps. i.x.x.xm, 12, P. L., t. xxxvn, col. 1127. Si le dr
est dans la grande mer, c'est qu'il est tombé de sublimi
babitatione ceelorum. Il lui a fallu occuper une plat
/toc mari magno et spatioso. C'est son royaume, qui esl
sa prison. Il n'a de pouvoir d'y faire du mal, jn'si j <•< -
missus. Il est dans cette rner, il ne peut en sortir. Ce
siège parait grand, parce qu'on ne connaît pas les
sièges angéliques, dont il est tombé. Quse libi videlur
ejus glorialio, damnalio est. Il se trouve, en effet, in
infimis. Enarrat. inps. dit, n. 7, 9, 10, P. L., t. xxxvn.
col. 1382, 1385.
Bien que, en punition de leur orgueil, les démons
soient dépravés et in inferioribus ordinati, ils peuvent
néanmoins entendre la voix de Dieu, qui leur parle
comme aux bons anges. Cependant, cela ne veut pas
dire qu'entendant la voix de Dieu, ils auraient pu avoir
la foi chrétienne. Satan a pu paraître en présence de
Dieu, qui voit tout et à qui personne ne peut échapper.
11 a été aussi au milieu des anges, s'il s'agit des bons,
sicut reus in medio apparitorum judicis; s'il s'agit des
mauvais, comme un chef au milieu de sa troupe. Hais
il ne voyait pas Dieu, qui lui a parlé par l'intermédiaire
d'un bon ange. Les manichéens prétendaient à tort
qu'il avait vu Dieu. Il voyait le corps de Jésus, lorsqu'il
le tentait, mais il n'a pas connu sa divinité. Serai., xn.
c. iv-ix, n. 4, P. L., t. xxxvm, col. 102-104. Cf. De
civitate Dei, 1. IX, c. xxi, P. L., t. xli, col. 273.
Saint Augustin, De divinatione dsemoniorum, c. v.
n. 9, P. L., t. XL, col. 586, pour expliquer comment
les démons connaissent l'avenir, avait dit qu'ils con-
naissent très facilement les pensées secrètes di s
hommes. Dans ses Rétractations, 1. II, c. xxx, P. L.,
t. xxxn, col. 643, il déclara qu'il avait affirmé trop
audacieusement une chose très cachée, que les démons
ne lisaient pas nos pensées, mais que quelques signes
sensibles qui nous échappent étaient saisis par eux.
Voir t. i, col. 2356. Le prince de la puissance de l'air,
et ses anges, devenus ténèbres par l'abus de leur liberté,
n'ont plus la liberté de bien faire, mais en punition de
leur crime, ils ne peuvent que faire le mal. Epist.,
ccxvu, c. m, n.9, 10, P. L., t. xxxm, col. 981-982. Le
diable sera lié pendant mille ans pour lui enlever le
pouvoir de séduire les nations. Il sera enchaîné dans
l'abîme, c'est-à-dire dans la multitude des impies qui
seront dans l'Église. Il était déjà en eux ; il y demeurera,
mais exciudendus a credentibus : ce qui signifie que.
pendant ces mille ans, il ne pourra pas faire de nou-
velles séductions. Il sera délié pour un peu de temps
(trois ans et demi) avant le jugement. De civitate Dei,
1. XX, c. vu, vin, P.L., t. xli. col. 667-670. Les démon-,
créés immortels, seront précipités dans la seconde
mort après le jugement. L. XIII, c. XXTV, n. 0. col. 102.
Saint Augustin a rejeté très explicitement la possibi-
lité, pour les démons, de faire pénitence et d'être réta-
blis dans leur premier état. A Paul Orose, qui l'avait
interrogé si le démon pouvait mériter le pardon, comme
Origène l'avait prétendu, Commonilorium de errore
origenistarum et priscillianistarum, P. L., t. xi.ii,
col. 668, l'évèque d'IIippone répond : Sapere nihil
audeas. La dernière sentence qui les frappera les con-
damnera au feu éternel. Si. dans l'Écriture, œternuni
a parfois le sens de diuturnum, ce n'est pas le cas ici.
Le feu éternel n'aura pas de fin. comme la vie éter-
nelle. Dire que le diable ne sera pas rétabli, ce n'est
pas diminuer le pouvoir de Jésus-Christ : (.'ion diaboli
373
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
374
pœnas dolemus, de regno Chrisli non dubilamus. Ad
Orosium contra priscillianislas et origenistas, c. v,
n. 5; c. vi, n. 7, ibid., col. 672, 673. Si l'homme, qui
a été porté à la superhe par le diable, a été réconcilié
et a eu un rédempteur, angeli qui, niilln suadente,
spontanea prsevaricalione sic lapsi sunl, per tnedia-
loreni non réconcilia» tur. In Gai. exposilio, 24, P. L.,
t. xxxv, col. 2122. Les anges pécheurs ne nous sont
pas supérieurs, parce que ni/iil cis talc unde sanaren-
tur impensum est. Etant plus élevés que nous, ils
devaient moins pécher; ils sont d'autant plus coupa-
bles, qu'ils ont été plus ingrats et déserteurs. Il n'y n
donc pas pour eux de rémission. In Joa., tr. CX, n. 7,
ibid., col. 1924-1925. N'étant plus libres de bien faire,
ils sont endurcis dans le mal. Unde nemo sanse fidei
crédit aut dicit lios apostalas angelos ad prislinam
pielalem correcta aliquando volunlale converti.
Epist., ccxvn, c. m, n. 10, P. L., t. xxxm, col. 982.
Discutant enfin avec le pélagien Julien, qui soutenait
la cause du diable, saint Augustin raisonne ainsi :
Tu attribues au diable ou la nécessité ou la possibilité
de pécher. Si c'est la nécessité, tu ne peux l'excuser
de crime; si c'est la possibilité, il ne peut donc avoir
la bonne volonté, ni faire pénitence et ainsi obtenir la
miséricorde de Dieu. C'est l'erreur qu'on prête à Ori-
. Restât igitur ul ante supplicium ignis œlcrni,
etiam nécessitas ista pcccandi magna sit diabolo
mafjni pâma peccali, neque inde exeuselur a crimine.
Il est parvenu à cette nécessité de pécher, parce que
d'abord il a librement péché. Operis imperfecli con-
tra Julianum, I. Y. n. 47. /'. /,., I. xi.v, col. 1483-1484.
Et encore : Si tu dis que le diable, volontairement
éloigné du bien, reviendra, s'il le veut et quand il vou-
dra, au bien qu'il a abandonné, tu renouvelles l'erreur
d'Origène. Ibid., 1. VI, n. 10, col. 1518.
Cassien a apporté d'Orient en Occident les mêmes
doctrines sur la chute des démons, et il a rejeté' défi-
nitivement la légende du mariage de ces esprits avec
lis femmes. Toutes les puissances spirituelles et les
vertus célestes ont été créées par Dieu. Collai., vm,
c. vu, P. L., t. xlix, col. 730-733. De leur nombre,
quelques-unes sont tombées, i zéchiel el Isaïe parlent
d'un prince déchu. Il n'a pas été seul, puisque l'Écri-
ture dii que le tiers des étoiles a été entraîné par le
on. Apoc, mi. 'i. Saint Jude >'sl plus clair encore, et
le psaume i\\\i. 6, mentionne un des princes tombés;
il y en a donc eu d'autres, heur diversité provient ou
bien des degrés antérieurs, dans lesquels ils avaient
ou bien des degrés de leurs péchés, connue
6 se diversifient par les degrés de leurs
mérites, c. vm, col. 733-735. Un des moines dit qu'il
ail que le diable était tombé par jalousie à l'égard
d'Adam el d'Eve. Cassien répond que tel n'a pas été
le molif de sa chute La G( nèse montre que le serpent
était mauvais avant la tentation ; de angelica ditcesserat
sanctitate. La cause de sa chute est antérieuri
jalousie envers les hommes. Se meminerat corruitse.
Priorem ■ tm,quo tuperbienda corruerat, que
etiai - monterai nuncupari, tecunda ruina
ividiam ubiecuta at. C. iv. x, col. 736 738. le
ni i i ■ i h une malédiction éternelle, c. u, col. 739.
i démons sont nombreux dans l'air ; tanta spirituum
. m que m, n quieli
1 xii. col, 740 741, II- attaquent
rcenl leur domination chacun
dam -"n domaine. C. xm. xiv. roi. 7il
boinio' i déni angei un bon et un mauvais, i
de ce mauvais ange pour chacun esl pp
p u l'exemple de -lob ri celui de Judas, donl il esl iin
;,u psaume i vm, 0 Et diaboVut itel a <i<-.rtiis
n. eol. 750-751. <m demanda au conférencier, au
htm Hlteram convenire. Il ré-
pondit : Kullo modo credendum est spiritales naluras
coire cum fcminis posse. Si cela avait été possible
autrefois, pourquoi cela ne le serait-il plus aujourd'hui?
On ne peut dire non plus qu'ils engendrent cum sc-
mine viri. Le texte biblique appelle anges de Dieu des
descendants de Seth, qui ont épousé des filles de Caïn
et en ont eu des géants. Du reste, divers exemplaires
ont la leçon : « lils de Dieu. » C. xx, xxi, col. 754-760.
Il n'est pas question non plus, Joa., vm. 44, du
père du diable. Spirilus spiritum non gcnerat. Le
diable, qui a été créé bon, n'a pas d'autre père que
Dieu. Ouand par orgueil il dit dans son cœur : lu
cselum consceiulam, Is., xiv, 13, faclus est mendax el
in verilale non stelil. Il est devenu le père du men-
songe, quand il dit : Eritis sicut dii. Gen., III, 5,
c. xxv, col. 767-770. De la description que Cassien fait
de l'action des démons sur les hommes, relevons seule-
ment ces deux traits : ils ne connaissent nos pensées
que par des signes extérieurs, et chacun d'eux inspire
une espèce de passions exclusivement. Collât., vu,
c. xv, xvn, col. 687-690, 691-692.
Les autres écrivains ecclésiastiques du V siècle ne
font que répéter l'enseignement commun. Saint Pros-
per d'Aquitaine emprunte à saint Augustin ce qu'il
dit de la chute du diable par orgueil. Liber sentenlia-
rum ex operibus .S'. Augustini dclibatarum, n. 59,
P. L., t. li, col. 436. Cf. Epigr., 62, col. 516-517. Saint
Pierre Chrysologue attribue celte chute tantôt à l'envie,
Serrn., iv, ci.xxii, P. L., t. lu, col. 194-195, 649, tantôt
à l'orgueil. Serm.,xxvi, col. 272-273. Dieu, qui dazmo-
nes esl perpeluo cremalurus incendio,\euv inflige, en
attendant, des peines temporelles. Scrm., i.n, col. 355.
Saint Léon le Grand emploie les mêmes formules que
sainl Augustin pour dire que le diable est tombé par
orgueil. Serm., ix, c. i; xi.vm, c. il, P. L., t. i.iv,
col. 160-161, 299. Les priscillianistes prétendaient que
le diable n'a jamais été bon, ni l'œuvre de Dieu, mais
qu'il était sorti du chaos et des ténèbres; ils en fai-
saient le principe de tout mal. Le pape leur oppose la
foi catholique. Il serait demeuré bon, s'il était resté ce
qu'il avait été fait, mais il a mal usé de son excellence
naturelle et il s'est éloigné du souverain bien, à qui il
devait adhérer. Epist., xv, c. vi, col. 683. De nouveau.
reparaissent les formules augustiniennes. L'auteur de
Y Epis/nia ad Demelriadem, vm. /'. L., t. i.v. col. 168.
dit : Superbia a diabolo sumpsil cxordium, qui,
quoniam sua, quam a crealore acceperat, potenlia cl
dignilate sibi placuit seque auctorùt sut glorim com
parai il, cum Us angclis quos in consensum impietatis
su,x Irai c ni u cœlesti humililate dejeclus est. Gen-
nade, De ecclesiasticis dogmatibus, c. ix. P. L.,
t. i.vm, col. 983, rejette la restauration finale des dé-
mons et professe l'éternité de leur supplice dans le
feu de l'enfer. Les anges sont corporels, bon qu il-
n'aient pas de chair, et les démons ont la substance
■ le la nature angélique. C. xn, col. 984. Leur nature
était bonne, el pis mauvaise. Le diable, qui était bon,
a pèche, e. i \. col. 995. Les anges mauvais sont tombés
par orgueil, c. i.xi. col. '.l'.ni. Ils étaient libres; unde
Satan cum sequentibus tegionibus cecidit. C. i.xn,
col. 996
Lee poètes chrétiens de l'époque mettent en vers la
même doctrine. Sainl àvil déclare 'i'"' l'ange était cou-
pable, avant de tenter l'homme. Il décrit en ces termes
son péché :
Se l
Quod fuerlt, i al
\uctoremque nefans : Dlvli
N'iincn, ri i tornatn i icm
l vlribut impar.
. I, n. /•. /..ii u, roi. 331. H explique le
déluge par la luxure des hommei i IV, col 345-347,
375
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
37G
Pour Prudence, llamartigenia, 126-128, ibid,.
col. 1021, Dieu n'est pas le père des crimes; ce père
est damnandus Averno. Dieu n'est pas l'auteur du
mal; c'est l'ange qui l'a inventé. Iiel astre, esprit, saint
et le plus beau des anges,
nimis dum viribus auctus
Inflatur, dum grande tumens sese altius effort.
11 a cru qu'il s'était créé lui-même et qu'il était sans
principe.
Persuasit propriis genitum se viribus, ex se
Materiam sumpsisse sibi, qua primitus esse
Inciperet, nascique suum sine principe cœptum.
Il a voulu faire une secte, et il a entraîné d'autres
avec lui. Ibid., 157-177, col. 1023-1025. Plus tard, il a
été pris de jalousie pour l'homme, 178 sq.
Conclusion. — Parvenu au terme de cette longue
enquête sur la démonologie pendant les cinq premiers
siècles, il est nécessaire de dégager les principales
pensées des Pères de cette époque sur le diable et les
démons. Si l'attribution de la chute de Satan à la ja-
lousie envers l'homme fut prédominante pendant les
trois premiers siècles, elle ne fut pas cependant uni-
verselle; quelques écrivains ne donnaient pas le motif
qui avait porté Satan à pécher ou en indiquaient d'au-
tres que celui-là. Le passage biblique sur lequel on étayait
ce sentiment était la parole de la Sagesse, n, 24, suivant
laquelle la mort est entrée dans le monde par l'envie
du diable. La plupart des écrivains ecclésiastiques, qui
expliquaient la chute de Satan par la jalousie, rappor-
taient à la concupiscence charnelle la faute des mauvais
anges. Mais ils étaient presque tous exclusivement tri-
butaires des légendes du livre des Jubilés ou du livre
d'Hénoch ; très peu se réfèrent explicitement au récit
du c. vi de la Genèse, et ils le font, parce qu'ils suivent
la leçon « anges de Dieu ». Quelques-uns de ceux qui
lisaient « fils de Dieu » ne rejetaient pas absolument le
mariage des anges avec des femmes, parce qu'ils attri-
buaient aux anges un certain corps et parce qu'ils
admettaient les fables païennes des faunes, des sylvains,
des esprits incubes et succubes. Tous étaient imbus des
préjugés de leur temps. Mais en cela, ils ne formaient
pas une tradition ecclésiastique, et ils ne donnaient
pas une interprétation traditionnelle du récit de la
Genèse. Aussi, quand le livre d'Hénoch cessa de passer
pour une prophétie, quand les Pères admirent nette-
ment l'incorporéité des anges, quand on attribua la
chute de tous les anges à l'orgueil, c'en fut fait de la
croyance à l'union des anges avec des femmes. Des
textes* de l'Écriture, notamment les oracles d'Isaïe et
d'Ézéchiel sur le prince de Tyr et le roi de Dabylone,
entendus de Satan à la lettre ou selon l'esprit, et le
passage de l'Apocalypse, XII, 4, sur le tiers des étoiles,
entraîné par le dragon, déjà interprété ainsi par saint
Jérôme, amenèrent les écrivains ecclésiastiques à re-
porter la chute de tous les anges avant la création de
l'homme et à attribuer leur révolte contre Dieu à l'or-
gueil. En faut-il conclure avec M. Tunnel que <. dans
le cours du ive et du Ve siècle, la doctrine des démons
subit une transformation importante ». « Jusque-là,
continue-t-il, on les croyait issus du commerce des
anges avec les femmes; on reculait par là même leur
origine vers l'époque du déluge. A partir du iv siècle.
l'Église grecque, puis plus tard l'Église latine, ces-
sèrent de voir dans les démons des êtres à moitié on-
géliques et à moitié humains; et elles en firent des
compagnons de Satan, tombés comme lui avant la créa-
tion du genre humain. Cette transformation avait été
provoquée par la disparition de l'ancienne doctrine
qui expliquait la chute des anges parla luxure. » His-
toire de l'angéloîogie, dans la Revue d'histoire et de
littérature religieuses, 1898, t. ni, p. 302. Pour faire
essortir celte transformation, M. Tunnel attribuer à
tous les anciens écrivains ecclésiastiques l'opinion de
Lactance et de Commodien, qui font des géants, issus
de l'union des anges, des démons. Mais ce sentiment a
été isolé. La plupart pensaient surtout aux anges mariés
et faisaient périr ou enchaîner leur progéniture géante.
Il y a eu donc modification seulement, et pour les rai-
sons indiquées plus haut, du motif de la faute. Si elle
est importante au sujet des démons, elle l'est moins
pour le diable lui-même, qui, tout en ayant péché par
orgueil, est demeuré jaloux de l'homme. Les deux doc-
trines sur sa chute se sont superposées plutôt que rem-
placées. La nature des anges prévaricateurs est donc
restée la même; le motif de leur faute a seul changé-.
Pour tous, les anges sont des esprits déchus de leur
première constitution, des esprits, qui n'étaient pas
nécessairement mauvais, que Dieu avait créés libres et
qui avaient mal usé de leur liberté. Devenus prévari-
cateurs, ils ont été expulsés du ciel; ils habitent dans
l'air, et sont destinés à être enfermés pour toujours
dans l'enfer après le jugement dernier. Eusèbe de Cé-
sarée et quelques autres mettent déjà cependant dans
l'enfer la plupart des anges déchus. L'opinion com-
mune leur réserve seulement pour plus tard le supplice
du feu. Le sentiment de leur réintégration finale, pro-
posé par Origène, n'a été admis que par quelques
Pères; la plupart l'ont repoussé catégoriquement. Les
anges, confirmés dans le mal, sont laissés par Dieu
dans le monde pour tenter les hommes. Leur pouvoir
est dépendant de la permission divine et restreint. Plus
tard, ils seront punis dans le feu éternel et de leur pré-
varication première et des nombreux péchés qu'ils ont
commis depuis. La doctrine ecclésiastique sur le diable
et les démons est fixée dans les grandes lignes; elle ne
subira plus dans la suite que des retouches ou des
compléments de détail.
Petau, De angelis, 1. III, c. i-viu, dans Dogmata theologica,
Paris, 1866, t. iv, p. 57-121 , et dans Cursus complétas theotogiat
de.Migne, t. vu, col. 807-912 ; J. Sclnvane, Histoire des dogmes,
trad. Degert, Paris, 1903, t. i, p. xxxvi-xui; Robert, Les fils de
Dieu et les filles des hommes, dans la Revue biblique, 1895,
t. iv, p. 348-366, 370-373, 535-539 (article tendancieux, écrit eD
vue de prouver une thèse fausse); J. Tunnel, Histoire de l'an-
géloîogie des temps apostoliques à la fin du v siècle, dans la
Revue d'histoire et de littérature religieuses, 1898, t. m,
p. 289-308 (à compléter et à corriger); Id., Histoire de la théo-
logie positive depuis l'origine jusqu'au concile de Trente,
Paris, 1904, p. 115-118; F. Martin, Le livre d'Hénoch traduit
sur le texte éthiopien. Paris, 1906, p. cxxii-cxxxvi.
III. Du vie au xic siècle. — Durant cette longue pé-
riode de six siècles, la doctrine sur le diable et les dé-
mons n'a fait presque aucun progrès dans l'Église. On
se bornait à conserver et à répéter, bien maigrement
encore, ce que les docteurs précédents avaient dit à ce
sujet. Xous entendrons un écho affaibli de toutes les
opinions anciennes. Nous nous bornerons à quelques
indications, uniquement pour ne pas rompre la suite
de la tradition.
1» En Orient, — Au VIe siècle, Procope de Gaza, in-
terprétant Gen., i. 2. rapporte que, selon quelques-uns,
les ténèbres, créées le premier jour, représentaient
le diable, et l'abîme, les mauvais démons. Il ajoute
toutefois que, par sa création, le diable était bon et que
c'est de lui-même qu'il est devenu calomniateur et
mauvais. Comment, in Gen., I, 2, P. G., t. i.xxxvn,
col. 45. Il parlait par l'organe du serpent, et sa parole
à Eve : « Vous serez, comme des dieux. » signifiait que
les hommes pécheurs ressembleraient aux anges, qui
étaient tombés avec lui. Dieu ne l'interrogea pas, parce
qu'il était incorrigible et inguérissable et qu'il ne méri-
tait pas le pardon. Ibid., m. 1 sq., col. 180. 184. 201.
Dans son commentaire sur Isaïe, Procope n'entend
d'aucune manière du diable le C. xiv. Sur Gen., VI, 2sq.k
377
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
378
il observe que quelques exemplaires ont la leçon :
« anges de Dieu. » Quelques-uns pensent que Moïse
désignait par là les puissances déchues ou les anges
apostats. Mais ces anges ne peuvent avoir des relations
avec les femmes; cela répugne à leur nature, quoiqu'ils
abondent en malice. D'autres disent qu'ils avaient ces
relations en même temps que des hommes. Si cela est
vrai, cela ne se serait produit qu'à cette époque : ce qui
serait bien extraordinaire. Le contexte prouve qu'il
s'agit d'hommes sous ce nom d'anges de Dieu, lbid.,
col. 265, 268. On dit que les anges transgresseurs
apprirent aux femmes, avec qui ils se souillèrent avant
le déluge, certains secrets, et qu'ils les écrivirent sur
des pierres. C'est pourquoi Dieu fit graver le décalogue
sur des pierres. Comment, in Exod., col. 885-886.
Saint Sophrone. patriarche de Jérusalem, dit seu-
lement que Lucifer, chassé par Jésus-Christ d'auprès
de la demeure des hommes, habite dans l'abime.
Laudes in SS. Cyrum et Joannem, n. 15, P. G.,
t. i. xxxvn, col. 3397. Saint Jean Clirnaque attribue à
l'orgueil la perte de tous les démons. Scala jiaradisi,
grad. xxv et schol. 40, P. G., t. i.xxxviu, col. 1001,
1012. Saint Maxime le Confesseur déclare que les liens
éti-rnels et les ténèbres sont réservés aux anges tombés,
après le jugement seulement. Qusest. ad Thalassium,
q. xi, P. G., t. xc, col. 292-293. 11 rapporte la chute du
diable à l'envie : le diable a envié l'homme, parce qu'il
participait à la gloire de Dieu, et il a envié Dieu, parce
que Dieu sauvait l'homme. Capita, cent. îv, n. 48, ibid.,
col. 1325. Anastase le Sinaïte est, sur ce point, mais à
sa façon, du même sentiment. Isaïe et Ézéchiel nous
apprennent que l'un des premiers anges, qui sont des
êtres incorporels, faisant le fanfaron envers Dieu,
tomba avec toute sa troupe. 11 se croyait le maître de la
nature. Quand il vit Adam créé et constitué chef du
monde visible, brûlant de jalousie, il trompa l'homme
par Eve. Iles le principe, il s'arma donc contre l'homme.
Via dii.i, iv, /'. G., t. i.xxxix, col. 90. Ailleurs, Anastase
résout la question de savoir comment le diable put se
tenir devant Dieu avec les anges. Ce n'est pas au ciel
qn'il était devant hieu, il n'en était pas digne; Dieu
étant partout, on est devant lui partout où il est avec
ses anges ou ses ministres. Si Satan a reçu de Dieu
la mission de frapper Job, Dieu ne lui a pas parlé; les
que hieu lui concède de faire contre les hommes
sont tenus pour des paroles. Qusest. ad Thalas^
q. xxxi, col. 568-569. On avait demandé à Anastase si
les paroles de Jérémie, xxvn. il. sur le roi de Babylone
étaient dites allégoriquemenl du diable. Il se borne à
répondre que le diable est l'ennemi de hieu ; mais que,
pour nous châtier péchés, hieu lui permet
ir contre nous. Q. xxxn, col. 569, 572. Knlin, il
affirme que le diable ne force pei onne a mal foire,
qu'il suggère aeule ni le mal à accomplir, et il en
conclut qu'il n est pas l'auteur (!•• toutes les faut.
hommes. Q. xcvm, col. 752. Un moine delà laure de
Saint-Sabas, nommé Antoine, altril à l'orgueil la
chute du diable et cite 18., xiv, Il Uomil., \i \, /'. G.,
t. i \xxi\. col. 1572.
Sainl André di I • sari e a interprété àpoc, \n, 3sq
rie la première chute de Lucifer. Le tiers des 'toiles,
Iné pai la queue du dragon, désigne ou bien les
par i envie el l'orgueil à la suite de
n. ou bien les ho es broyés par la queue du
monstre. Le i ombal a ■ c Hichei peut
modi ' dnl Justin a dil que le diable
i - mi ni au premier av< nemenl du Christ
qu'il ndamné à l abîme el à la géhenne du
in A) '',•.;, ,.i :;ji. 335
il ition de ainl Jual ! jus
109
au Olympio loi 1 d Uexandrie dil que Dieu
parlai) au di ible par 1 Intermédiaire de
et qu'il dut accorder à Satan l'autorisation d'attaquer
Job. In beatum Job, P. G., t. xcn, col. 24, 28. Pour
saint Jean Damascène, De /ide ortltodoxa, 1. il, c. iv,
P. G., t. xciv, col. 873-877, qui transcrit saint Grégoire
de Nysse, Oral, catech., 6, le prince des vertus angé-
liques, à qui Dieu avait donné la charge de veiller sur
la terre, n'était pas mauvais par nature; il a été créé
bon et capable de bien, sans avoir reçu du créateur
la moindre trace de malice. Il ne supporta pas la beauté
et l'honneur qu'il avait reçu; il a changé librement sa
nature, il s'est révolté contre son Dieu, et le premier, il
est devenu mauvais. Créé lumière, il s'est librement
changé en ténèbres. En même temps que lui, une
troupe innombrable d'anges s'est tournée vers le mal.
Toutefois, ils ne peuvent rien faire sans la permission
de Dieu. Ils prédisent l'avenir, qu'ils ont quelquefois
prévu dans ses causes éloignées ou par simple conjec-
ture; aussi mentent-ils souvent. Ils ne peuvent faire
violence à l'homme. Le feu inextinguible et des sup-
plices éternels leur sont préparés. La pénitence ne
leur est pas plus possible qu'elle ne l'est à l'homme
après sa mort. Dieu a créé le diable, bien qu'il ait
prévu qu'il deviendrait mauvais. Dialogus contra ma-
nicliœos, n. 46, col. 1548. La défection du diable a été
libre. De diaconibus, col. 1600. Dans ses Sacra paral-
lela, litt. A, tit. vi, P. G., t. xcv, col. 1096-1097, il
prouve que les anges pécheurs seront punis, en citant
Job, XXVI, 13; II Pet., n, 4; Jud., 6, et des passages de
Didyme, de Nil et d'Évagre. Plus loin, litt. A, tit. xxv,
col. 1406-1409, il démontre la chute du diable par I Reg.,
xvi, 23; I Par., xxi, 1 ; Job, xl, 11, 12; xli, 21, 24, 1 1,
19, 30; Zach., III, 1, 2; Is., xiv, 12-20; Dan., vin, 25;
Sap., n, 24; Matth., IV, 1-10; Luc, x, 18, 19; Jac, iv,
7; I Pet., v, 8, et par une citation de saint Basile (sur
l'envie) et une autre de saint Grégoire de Nazianze (sur
l'arrogance du diable). Saint André de Jérusalem si-
gnale l'orgueil de Lucifer. Oral., xx, P. G., t. xcvn,
col. 1256. Saint Grégoire d'Agrigente déclare qu'on ne
peut admettre que les démons lisent les pensées des
hommes; ils les découvrent seulement à l'aide de quel-
ques indices ou signes extérieurs. In Ecclesiaslen,
1. IX. § 18, P. G., t. xcvm, col. 1124-1125.
Au ix« siècle, Photius répond à plusieurs questions
sur le diable et ses anges. Quel est le père du diable?
Quelques uns disent que c'est celui qui s'est élevé à la
plus grande malice et a commis les plus grandes
fautes. D'autres répondent que c'est le serpent et qu'il
est tombé avant la création de l'homme. .Mais le diable
n'a pas de père; il a des (ils qui sont les pécheurs. Le
diable lui-même (el pas son frère) est homicide dés le
commencement ; il ne s'est pas maintenu dans la vérité,
parce qu'il a menti contre son créateur. Qumsl. ad Arn-
philochium, q, xi.vn, /'. G., t. ci, col. 352-356. Satan
est le diable apostat. Q. ccxli, coi. 1040-1041, Les
principautés [el les puissances résident dans l'air.
Q. i.wn, col. 712-713. Ceux qui pensent que les Bis de
hieu. Gen,, vi, étaient des .m^es. s,, trompent grossii r<
ment: c'étaient les fils de Seth. Q. cclv, col. 1065-1068.
Au \" siècle, saint Aréthas de Césarée reproduit par-
tiellemenl les explications de saint André, avec quel-
ques particularités cependant. Pour lui, la queue du
on est l'air; ses sepl tètes sont des puissances spi-
rituelles. Comment, ni Apoc.,c, xxxm, /'. G., t. evi,
col. OUI . 664, 865 1 sainl Justin eal citéi
encore, r. 1 v. col. 749. Georges Hamarlolos reconnall
le diable dans le serpenl tentateui . I. VII,
14, /'. '.., t ex. col. 1272. Le patriarche d Uexandrie
Eutychius 1 ntend des Qla de s. il les (lia de hieu de la
Genèse, toul en ajoutant A son interprétation dei di -
taila légendaires, tli se trompent ceux qui j voient des
h passions
oluptueuses. S ent 1 omml celte faute, Ms ne
laisseraient pai une • nie fille vierge. Annal
379
h KM ON D'APRÈS LES PÈRES
380
l. cxi, col. 911-913. Œcuménius cite à son tour la pa-
role de saint Justin. 11 applique au diable Is., XIV, 14,
et il ajoute qu'une fois tombé, il a cherché à faire aux
hommes le plus de mal possible. Comment, in Episl.
I Pelri, c. vu, P. G., t. cxix, col. 573.
Au xie siècle, Georges Cedrenus empruntée la Petite
t'.encse, c'est-à-dire au livre des JuLilés, des détails
sur la cbute des Kgrégores ou des veilleurs, mais il
voit en eux des fils de Seth, nommés fils de Dieu à
cause de la beauté de Setb. Ils vécurent proche du
paradis jusqu'à l'an mille, menant la vie des anges.
L'auteur premier de tous les maux, ne supportant pas
leur genre de vie, les poussa à se souiller .vec les filles
de Caïn. Ile ces unions naquirent les géants. Dieu en
fit dévorer beaucoup par des globes de feu ou par la
foudre; les autres périrent dans le déluge sans s'être
repentis. Les Egrégores avaient pris leurs femmes sur
le mont Herrnon; ils leur apprirent les venins et les
incantations. Azaël, leur chef, apprit aux géants à fa-
briquer des glaives et des instruments de guerre.
Chaque prince (deux cents étaient descendus sur la
montagne) enseigna des secrets particuliers. Ces der-
niers traits qui se rattachent mal aux précédents, sont
empruntés au livre d'Hénoch. Hisloriarum compen-
dium,P.G.,t. CXXI, col, 40-44. Michel Psellus a écrit un
traité De deemonum operatione, P. G., t. cxxu, col. 820-
87(5. Sur la nature des démons, il dit qu'ils ont des corps, et
qu'ils remplissent l'air, la terre, les eaux et le monde en-
tier. C. x, col. 841. On les distingue en six genres. C. xi,
col. 844-845. Ils ne sont ni mâles ni femelles, quoiqu'ils
prennent parfois les formes extérieures des deux
sexes ; ils parlent les langues des divers pays, où ils
sont; on peut les frapper et ils souffrent des coups
qu'on leur administre. C. xvn, col. 860. Psellus a com-
posé un autre traité : Quœnam sint Greecorum opi-
niones de dœmonibus? Col. 876-881. Théophylacte ex-
plique que les puissances de l'air habitent dans l'air
sans y commander ni le gouverner. Celui qui était
leur chef avant la chute est demeuré à leur tête après
leur transgression. Expofitio in Epist. ad Eph., c. n,
2, P. G., t. cxxiv, col. 1052. Il cite, lui aussi, la parole
de saint Justin. Exposil. in Epist. I S. Pétri, c. v, 8,
P. G., t. cxxv, col. 1249.
Au xiic siècle, Théophane Krrameus se demande d'où
le démon sait que Jésus peut le tourmenter. Marc,
v, 7. Il ne le sait pas de lui-même, puisque depuis sa
chute il était devenu ténèbres; il le sait par dispensa-
tion divine. Les démons demandaient de ne pas aller
dans l'abîme, où ils savaient que d'autres y avaient
déjà été jetés par Jésus. Craignant un pareil sort, ils
préféraient être envoyés dans le corps des pourceaux.
HomiL, ix, P. G., t. cxxxn, col. 276. Zonaras rapporte
que le dragon, qui agissait par le serpent, a fait tomber
les hommes par jalousie. Annales, 1. I, n. 2, P. G.,
t. cxxxiv, col. 56. Les fils de Dieu, Gen., vi, 2, sont
pour lui exclusivement des fils de Seth; il ne parle
même plus de l'interprétation qui y voyait des anges,
n. 4, col. 60. A la même époque, Michel le Syrien, pa-
triarche des jacobites (1166-1199), rapportait cependant
encore les deux explications de ce passage. Voir t. i,
col. 1255-1256.
2° En Occident. — Dans son Thésaurus, Eugippius
emprunte à saint Augustin sa doctrine sur la chute et
la nature du diable : tombé par orgueil, il est l'auteur
du mal. C. xxxvi-xxxvnr, P. L., t. lxii, col. 631-637. Il
sera damné à la fin du monde. C. clxxxviii, col. 643.
Saint Fulgence est aussi tributaire de saint Augustin.
Hien n'a été créé par le diable. De incarnatione Filii
Dei, n. 51, P. L., t. i.xv, col. 600. L'orgueil est le pre-
mier des péchés. Eccli., x, 15. Ad Monimunt, 1. I,
c. xvn, col. 165. Le diable n'est pas mauvais par sa
condition première, mais par sa faute; il a commis le
premier péché, qui fut un péché d'orgueil. Epist., m,
c. xv, col. 334. Détourné deson créateur et condamné à
la damnation éternelle, il a été jaloux de l'homme. De
fide, n. 31, col. 687. Une partie des anges désobéirent
au créateur et déchurent de leur rang. Ils seront
punis au jugement, II Pet., Il, 4, et tourmentés par le
l'eu éternel. Ils n'ont ^ardé rien de bon de leur condi-
tion première, et ils vivent dans l'air en attendant le
jugement. De Trinitate, c. VIII, col. 50i. Ils ont un
corps aérien, tandis que les bons anges ont un corps
élhéré ou de feu, c. IX, col. 505. Pour saint Césaire
d'Arles, le diable est un archange. D'après les Statuta
Ecclesise anliqua, 8, /'. L., t. lvi, col. 880, qui sont de
lui, le diable n'était pas mauvais par nature comme le
prétendaient les manichéens; mais il a péché par
orgueil. Serm., CCXCVI, n. 4, dans l'Appendice de saint
Augustin, P. L., t. XXXIX, col. 2311. Voir t. n, col. 2172-
2173; P. Lejay, Le rôle llu'ologique de Césaire d'Arles,
dans la Bévue d'histoire et de littérature religieuses,
1905, p. 161-162.
Dans son commentaire de l'Apocalypse, écrit sous le
règne de Tbeudis (531-548), Apringius de Béja parle
peu de Satan. C'est l'ennemi du genre humain, qui
tentait les habitants de la terre et que Jésus-Christ a
lié pour toujours dans l'abîme parla vertu de sa croix,
pour qu'il ne put séduire encore les nations. Après
mille ans, il sera délié peu de temps, une heure, et
par la volonté de celui qui lui commande. Ce sera après
la résurrection, pour le jugement. Alors, l'auteur des
ténèbres sera lié pour aller aussitôt à sa perte éternelle
dans le feu éternel, où il sera reçu avec tous ceux qu'il
a entraînés dans la faute de son orgueil. Ainsi le sé-
ducteur périra avec ceux qu'il a séduits. Dom Férotin.
Apringius de Béja. Son commentaire de l'Apocalypse,
Paris, 1900, p. 63-66. Un autre commentateur du même
livre, Primasius, évèque d'Adruinète (-j- 586), reconnaît
dans le tiers des étoiles, entraîné par le dragon, omne
corpus malorum, sive in angelis quos de cselo secum
pari ruina delraxit, sive in liominibus quos seduxit.
Le combat avec Michel a lieu, non dans le ciel, mais
dans l'Église. Le dragon représente à la fois le diable
et ses anges, qui ei natura et rolunlate similes sunl,
et les hommes mauvais. Les démons ont été jetés sur
terre, avant d'y avoir séduit les hommes. Comment, in
Apoc, 1. III, P. L., t. lxvhi, col. 873-875. Cassiodore
ne doute pas, lui, que le combat du dragon et de
Michel n'ait eu lieu au commencement du monde,
quand le dragon, prœcipitalus in lerramcorruit,ita ut
locum beatitudinis ulterius non haberet. Complexioncs
in Apoc, xii, P. L., t. lxx, col. lill. Le diable a été
créé bon; mais, après qu'il eut volontairement péché.
Dieu en a fait l'objet des moqueries des anges, quando
propter exsecrabilem percersitatem nativa dignitate
privatus est. Exposit. in psalterium, ps. cm. 26, ibid.,
col. 736. Satan ou le dragon est le plus méchant des
démons. Sa tête a été brisée, quando superbia ipsius
de cxlo dejecta est et nativam clarilatem retinerenon
mentit, qui se voluntaria obscurilate maculavit. Ibid.,
ps. lxxiii, 13, col. 531. Lui et ses ministres seront con-
damnés au jugement dernier. Ibid., ps. cvn. 7, col
Les hérétiques ne peuvent pas dire que le diable et ses
suivants seront rappelés un jour en grâce, puisque
leur nom est effacé in œlernum et in sœculum sasculi.
Ibid., ps. ix, 5, col. 81.
Saint Grégoire le Grand a souvent parlé des anges
déchus et de leur chef, surtout dans ses Morales sur
Job, où il interprète du diable les descriptions de
Béhémoth et de Léviathan. Le premier ange apostat,
créé avant toutes choses, s'était promptement enivré
d'orgueil, lu 1 Haï. expositio, 1. III, C. V, n. 9; 1. IV,
c. 1, n. 9, P. L., t. i.xxix, col. 205. 222. Crée bon, il
avait péché volontairement. Moral., i. XXXII. q. 17, IS,
P. L., t. lxxvi. col. 646. Il était la première et la plus
nobledes créatures, Ezech.. x.\.\i. 8,9, tenantle premier
381
DÉMON D'APRÈS LES PÈRES
382
rang dans les neuf ordres angéliques, un chérubin,
Ezecli., xxviu, 14, surpassant tous les autres par sa
science, principiwm viarum Domini. N. 47, 48, col. 664-
666. Cf. Homil. in EvangeL, xxxiv, n. 7, ibid.,
col. 1250. S'il a perdu sa félicité, il a gardé la gran-
deur de sa nature. Il avait été créé, ut conditorem
Simm caste timere debuisset, mais il a perdu la
crainte de Dieu. Ne craignant plus personne par suite
de sa perversité, jus perversse libertatis appctiit ut et
praeesset cxteris et nulli subesset. Is., xiv, 14. Il res-
semblait à Dieu, cujus eo ipso similitudinem perdidit
quo esse ei superbe similis in celsitudine concupivit.
Qui enim charilatem ejus imitari debuit, subditus
ambiit ejus similitudinem, et hoc quod imitari pote-
rat, amisit elalus. Sed dum privatam celsitudinem
superbe appetiit; jure perdidit participatam . Reliclo
enim eo cui debuit inhssrere principio, suum sibi
appctiit quodam modo esse principium. Relicto eo
qui rere illi suf/icere poterat, se sibi sufficere posse
judicavit. L. XXXIV, n. 39-42, col. 740-741. La faute du
diable a donc consisté à vouloir se rendre indépendant
de Dieu. Mais l'indépendance absolue est un bien
propre de Dieu. Le diable a donc voulu se rendre ainsi
semblableà Dieu. Ce fut là sa première folie. L. XXVIII,
n. 11. col. 152; c(. 1. XXXIV, n. 47, col. 744. Chassé
du ciel, il est dans l'air comme dans une prison, ne ad
^tia evolare prxvaleal ; pactise sub pondère coarcla-
tur ; il lui est interdit de tenter les bons autant qu'il le
voudrait. L. VIII, n. .'59, t. i.xxv, col. 824. C'est ainsi qu'il
est lié; à la lin des temps, il sera délié afin de pouvoir
séduire plus librement les hommes. L. XXXII, n. 22,
XVI, col. 6iH: cl. 1. IV, n. 16, t. i.xxv, col. 645-646.
A la lin du monde, il luttera avec saint Michel, extremis
licio perimendus. Homil. in EvangeL, XXXIV,
n. !». /'. L., t. i xxvi, col. 1251. Malgré son exclusion
de la compagnie des anges, Satan a pu aller avec eux,
parce que, tout en ayant perdu sa béatitude, il n'a pas
perdu sa nature angélique, nature subtile, quoique
chargée de crimes. II s'est trouvé en présence de Dieu,
parce que Dieu voil tout et que rien ne lui échappe. Si
Dieu lui parle, il ne l'appelle pas à résipiscence; il lui
reproche ses actes, et le démon répond à Dieu, parce
qu'il ne peut rien lui cacher. Il ne peut agir sans la
permission de Dieu; sa volonté est mauvaise, sa puis-
sance est juste. L. II, n. 4, 6, 8, t. i.xxv, col. 557-5(>i.
Bien que le diable et l'homme aient péché par orgueil,
I. XXIX, n. 8, t. i. xxvi, col. 'i87. l'homme a été racheté,
et pa parc que ce dernier n'avait pa
faiblesses de la chair et pouvait persévérer. Aussi,
librement déchu, il ne fera pas pénitence. L. IV, n. 2,
ol. 642. Tous les marnais esprits ont été
créés ab$q\ infirmitate. L. Vlll. n. 50, col. 795.
Ils sont ton j I .•■- du ciel éthéré dans le ciel atmo
rique el but terre, où ils sont errants et vagabonds.
L. II. n. '•", col. 590. C'esl parce qu'ils avaient péché
par orgueil que Dieu let a précipités hors du
In l , I. Il, c. i. n. Il, P. L., t. I wix.
col. 81, 82. Ils uni ainsi perdu l'étal de vie éternelle.
I. III. c. il, n. I . col. 160. 1U sont nombreux les
tombés avec le roi d'Egypte, c'est-à-dire avec le prince
vi ulenl pa faii e pénitence de
leui n. s. col. bv7. il- seronl punis de toute
lel.mi l'éternité. Tout ce qui serl a faire
•
ntum. L. IV. c. iv. n In
j'.l
Ion Martin , d Braga Lucifei le premier
tombé par orgueil il ■< cru qu'il ti nail
île lui- m. , n de la le
:i tOUl I' I iv, 18, 14. // '
H perdit
'i ulum de
'■/'/. n, g i< di 8ai •
gosse, déclare, après saint Augustin, que le mal n'est
pas une substance et que le diable en est l'auteur.
Sent., 1. 1, c. xv, P. L., t. lxxx, col. 748. Pour saint Isi-
dore de Séville le diable était le premier des anges, un
archange. Sa chute a été irréparable. Elle a eu lieu
avant la création de l'homme, nam, mox ut faclus
est, in superbiam erupit. Fuit quidem in veritate con-
dilus, sed non slando confeslim a veritate lapsus est.
Il a péché par orgueil, se Deo œqualem e.vistimans.
Il ne demanda pas son pardon, parce qu'il ne voulait
pas faire pénitence. Les anges tombés n'ont pas été ra-
chetés, parce qu'ils n'avaient pas, eux, comme l'homme,
la fragilité de la chair. Sent., 1. I, c. x, n. 5-11, P. L.,
I. lxxxiii, col. 554-555. Ils étaient mente rationabiles,
superbia tumidi, et superbiam lapsi, nunc in aère
commoranlur. Différent., I. II, c. XIV, n. 22, col. 76.
Au VIIIe siècle, le Vénérable Bède reconnaît le diable
dans le serpent tentateur. Hexaemeron, 1. I, P. L.,
I. mi, col. 53; In Pentateucli. comment., Gen., m,
col. 210-211. Dans les fils de Dieu, Gen., vi, 2, il voit
les lils de Seth. Si quelques manuscrits ont la leçon :
« anges de Dieu », il faut l'entendre des hommes.
Ilexae ncron, 1. II, col. 82-83. Les anges déchus sont
enfermés et liés dans l'air ténébreux, qui est l'enfer;
mais ils sont réservés pour de plus grands tourments
au jour du jugement. In II Epist. S. Pétri, c. n, P. L.,
t. xcin, col. 75. Ces esprits superbes sont dans l'air
ténébreux. In Epist. Judse, col. 125. Le dragon de
l'Apocalypse, qui est le diable, entraine avec sa queue
une partie des anges et des hommes.. Chassé du ciel,
arclius in terrenis includitur. Explanalio Apoc,
I. II, col. 166,167. La géhenne est faite pour le diable
et ses anges. Quelques-uns y sont déjà tourmentés;
mais tous subissent toujours et partout la peine du feu :
Qui ubicumque vel in aère volitant vel in terris aut
sub terris vagantur sire delinenlur sitarum secum
ferunt semper tormenla flammarum, instar fcbrici-
tanlis qui elsi in leclis eburneis el si in locis ponalur
apricis, fervorem (amen vel frigus insiti sibi languoris
evilare non possunl. Expositio super Epist. calliolicas,
Jac, ni, 6, col. 27. Saint Julien de Tolède décrit la ter-
reur du diable, quand il sera enlevé pour être damne.
Prognosticon, 1. III, c. VI, P. L., t. xcvi, col. 500. Il sera
précipité en enfer. Apoc, xx, 12, 14, c. XXXVIII, col. 515.
Saint Paulin d'Aquilée cite des textes scripturaires pour
montrer que le diable a péché par orgueil, Liber
exliortationis ail Henricum Forojulienseni, c. xix,
/'. L., t. XCIX, col. 210-212, et qu'il a été chassé du
ciel. C. i.xiv, col. 275.
Au iv siècle, Alcuin se demande pourquoi le péché
des anges est omis dans la Genèsi . tandis que celui de
l'homme est raconte''. La raison qu'il donne dans
sa réponse esl qui Dieu n'avait pas décrété de
guérir le péché des anges, mais seulement celui de
l'homme. Pourquoi le péché de l'ange est-il inguéris-
sable? Parce que l'ange n'a pas été tenté, mais
la propre cause de son crime. Interrogations» ri res-
ponsiones n, Gen., int. 3, i. /'. /.., i. c, cul. 517. Le
diable s'est servi du serpent comme d'un instrui I
Int. 60, col. 522. Les lils de Dieu wnl des lils de Seth,
ayant épousé di Caïn lui. '.ni. coi. 526. Quant
à la cause de la nu inges, ce fut la
suivante : Nolueruntad Ulum custodire fortiludineni
, '/ni est summum bonuni, sal arrrsi sont ni*
illo ri ad nvérsi iunt,sua )>,<.)iim détectait
. lui gueil ' -I il I'' |'i i mu i île tOUS les
ini. '.13. col. 636. Smaragda revient .i l'envie
pour expliquer la chute du diable : Diabolus intei
initia statim mundi teti Uvore percussut, periit pri-
didit altos, Postquam vero honii
u,l ,,. Un fOClU <i :ch hin.rm
/ni, ri hominetn mUerum tuademdo decepit,
■ n bealiludinem quam Itabebal, mite)
383 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 384
rimus antisit. Sap., n, 24; Via regia, c. xxii, de zelo
et livore, P. L., t. CH, col. 961. Saint Agobard do
Lyon fait du diable l'inventeur de tout mal. 11 a été
homicide dès le commencement; il a fait le premier
mal par le serpent, en trompant nos premiers parents.
Sermo de fidei verilate, 15, P. L., t. civ, col. 280.
Halitgar, évoque de Cambrai, est plus précis. L'orgueil,
dit-il, a été inventé par le diable. Ce superbe a amené
les anges à mépriser les préceptes de Dieu et en a
fait des démons. De psenitenlia, 1. II, c. il, P. L.,
t. cv, col. 659-660. Pour .lonas, évêque d'Orléans, il a
fait aussi des anges des démons, et il a rendu les
hommes égaux aux anges mauvais. De institulione
laicali, 1. III, c. iv, P. L., t. evi, col. 239. Fréculph,
évêque de Lisieux, sait encore que les fils de Dieu,
Gen., vi, sont des anges de Dieu. Beaucoup pensent
que les anges ont commis une pareille faute ; mais
on ne peut aucunement croire que les saints anges
soient tombés à cette époque. Saint Pierre parle des
anges qui sont tombés avec leur prince auparavant.
L'Ecriture appelle anges des hommes. Ces anges étaient
donc des fils de Seth. Chrome. , 1. I, t. i, c. XIV, ibid.,
col. 927. Raban Maur est peu original; il copie les
anciens. Le serpent tentateur était le diable (d'après
saint Augustin). Comment, in Gen., 1. I, c. XV, P. L.,
t. cvn, col. 486-487. Les fils de Dieu de Gen., vi, sont
les fils de Seth (d'après saint Jérôme et saint Augustin).
Ibid., 1. II, c. v, col. 511-512. Lucifer, représenté par
le prince de Tyr, était un chérubin. Comment, in
Ezech., 1. XI, c. xxviii, P. L., t. ex, col. 790. Avant
sa chute, il avait un corps céleste, qui devint éthéré
après la chute. II habite non dans l'air pur, mais
dans l'air ténébreux, où il est enfermé comme dans
une prison jusqu'au jugement dernier. De universo,
1. XV, c. vi, P. L., t. exi, col. 427. Il a commis une
double faute d'orgueil et d'envie : d'orgueil, par la-
quelle il est tombé; d'envie, par laquelle il a cherché
à faire tomber les autres. Comment, in l. I Reg.,
c. xin, ibid., col. 42. Walafrid Strabon cite aussi les
prédécesseurs : saint Augustin au sujet du serpent
tentateur, et saint Jérôme à propos des fils de Dieu,
qui sont des fils de Seth (les géants n'ont pas été en-
gendrés par les anges). Glossa ordinaria, Liber Ge-
nesis, m, vi, P. L., t. cxm, col. 91, 104. Les anges
apostats ont été précipités au fond de l'abîme, d'après
le Vénérable Bède. Epist. II Pet., t. exiv, col. 691.
Ils souffrent les tourments du feu de l'enfer, partout
où ils se trouvent d'après le même auteur. Epist.
B. Jacobi, ni, 6, col. 676. Le grand dragon de potentia
et superbia loquitur. Apoc. Joa., col. 732. Angelomme,
moine de Luxeuil, voit aussi le diable dans le serpent
tentateur et déclare qu'on a faussement reconnu les
anges dans les fils de Dieu, qui sont les fils de Seth.
Comment, in Gen., m, VI, P. L., t. cxv, col. 135, 155.
Haymon d'Halberstadt voit en Nabuchodonosor
l'image du diable, qui a péché par orgueil, et qui est
tombé, non seulement en enfer, sedad ultimas partes
inferi, quia quanlo altior gratins, tanto profxutdior
casus. Comment, in Isaiam, 1. II, P. L., t. cxvi,
col. 792. Le diable est conservé dans l'air cruciandus.
Expositio in Epist. ad Eph., il, P. L., t. cxvn,
col. 707. Il est lié dans les cœurs des infidèles, où il
règne; il sera délié à la fin pour séduire davantage.
Expositio in Apoc., 1. VIII, col. 1182-1183. Les démons
ont été créés sans péché, pour servir Dieu; ils se sont
dépravés volontairement, n'ayant pas voulu demeurer
ce qu'ils étaient. Ils se sont élevés par orgueil contre
le créateur, ont été précipités du haut du ciel et con-
damnés. Leur perdition est irréparable; ils ont perdu
le pouvoir de revenir en arrière. La géhenne a été
faite, dès le commencement du inonde, pour eux, et
non pour les hommes. De varietate librorum, 1. 111,
c. xli, xi.ii, p. L., t. cxviii, col. 950, 951.
Pour liérengaud, moine de Ferrières, le dragon e-t
h1 diable, dont l'envie a introduit la mort dans le
inonde. Dans sa première tête, il reconnaît les ré-
prouvés qui, avant le déluge, ont été appelés fils de
l'homme et qui ont été un piège pour les fils de Dieu.
Le diable, qui est le même que le serpent, mit primo
per superbiam de cxlo, et cet ennemi de Dieu et des
hommes fut précipité sur terre avec ses anges. In Apo-
cahjpsin expositio, vis. IV, P. L., t. xvn, col. 876,
878. Les esprits immondes sont dans les airs, où
more venlorum indesinenler discurrunt. Vis. v.
col. 916.
Au xr siècle, saint Pierre Darnien dit que le diable
est si mauvais qu'il ne peut devenir pire. Opusc., iv.
Disceptatio synodalis, P. L., t. cxi.v, col. 84-85.
F. Mam.enot.
III. DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES
THÉOLOGIENS POSTÉRIEURS. — I. Au XIIe siècle.
II. Au xiiie et au xive siècle. III. Depuis le xv siècle.
I. Au XIIe Siixle. — Le XIIe siècle sert d'intermé-
diaire entre l'époque patristique et la scolastique.
Quelques écrivains de cette époque continuent la mé-
thode de simple exposition ; mais bientôt les traités
spéciaux commencent, dans lesquels on emploie la
méthode scolastique. Voir t. I, col. 1222-1223. Recueil-
lons d'abord les enseignements des auteurs non sco-
lastiques.
Pour saint Bruno, fondateur des chartreux, les dé-
mons ont une certaine puissance dans l'air. Expositio
in Epist. ad Eph., n, P. L., t. cliii, col. 325. Guibert
de Xogent enseigne aussi que le diable et ses anges
viennent avant le jugement dans le inonde qui leur est
pervius, pour tenter les hommes, car ils habitent dans
l'enfer, d'où ils ne pourront plus sortir après le juge-
ment. Le monde sera alors entièrement purifié d'eux. De
pignoribus sanclorum, 1. IV, c. ni. P. L., t. clvi.
col. 672-673. Vves de Chartres, à propos de la divina-
tion, expose de combien de manières les démons con-
naissent l'avenir. Comme ils ont un corps aérien, ils
précèdent facilement l'intelligence des hommes, qui ont
un corps terrestre. Leur célérité à voler dans l'air
facilite aussi leur connaissance; ils vont incompara-
blement plus vite que les oiseaux et ils font des choses
merveilleuses. Pour ces deux raisons, ils connaissent
les événements actuels avant l'homme et peuvent les
lui prédire. D'autre part, ils ont acquis pendant leur
longue vie une expérience qui les aide à saisir plus
promptement les faits. Panormia, 1. VIII, c. LXVIII,
P. L., t. clxi, col. 1322. Saint Brunon d'Asti, évêque
de Segni, explique de la chute de Satan le combat avec
saint Michel de l'Apocalypse, xn. Les démons n'ont
pas de place au ciel, où est le siège de Dieu. Le dragon
avec ses anges a été projeté de supernis in terrant, et
cette terre représente les pécheurs dans le co-ur des-
quels il règne, n'ayant aucune puissance sur les saints.
Expositio in Apoc, 1. IV, P. L., t. clxv. col. 670.
Béhémoth, tombé par orgueil, est lié pour qu'on puisse
résister à ses ruses et à son astuce. Sent-, 1. III, c.vni.
col. 964-965.
llildebert du Mans peut servir de transition entre les
prédicateurs et les théologiens proprement dits. Dans
ses sermons, il parle de la création et de la chute des
an^es. Lucifer a été créé dans le ciel einpyrée ou igné;
inter prima Dei opéra conditus est. Stultus fuit, quia
non providit sibi ht poslerum... Conditus est in emi-
nentia et sublitttitate verse scientise. Il a péché par
orgueil et de cette sorte : altitudine lantum inltiniuit.
ut Altissimo sequari posse prxsumpseril. Hildebert
cite Is., xiv, 13, 14; xxii, 15; Luc. \. 8. Aliis angelis
splendidior conditus (Lucifer), sho vilio cadens facttis
est hesperus. 11 a été précipité de l'empyrée dans les
ténèbres de l'air. Ser»i.,ix, De tempore, P. L.. t. a.xxi,
col. :(87. PrsBCeUens aliis, ralde speciosus et sapiens,
385 DÉMON D'APRÈS LES SCOL ASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 386
Ezecli.. XXVHI, 12, 13, subtilior nalura; le premier des
neuf chœurs, omnibus agminibus prœlalus, ex eorum
comparatione clarior, Me versus in superbiam. ex
nimia clariiate. 1s., xiv, 14. Les autres anges déchus
se sont mis d'accord avec lui, et dum Deo similes
volebant fieri, sont devenus inférieurs aux hommes et
aux anges demeurés fidèles. Une partie de chacun des
neuf ordres tomba. Les hommes ont été créés pour les
remplacer. Serm., xlix, col. 582. Lucifer est dans l'air
comme dans une prison, et il y restera jusqu'à la lin
des temps, quando miltelurinignem œtemum. Serm.,
l, col. 581-585.
Dans son Tractalus théologie us, c. xix, xx, ibid.,
col. 1110-1112, l'évêque du Mans aborde des questions
qu'il n'avait pas traitées en chaire. Il se demande s'il y
tut mora entre la création et la chute de Satan, et il
répond négativement : sine intervallo, slatim ab ini-
lio. Néanmoins, le diable n'a pas toujours été mauvais.
D'après saint Augustin, il est tombé par orgueil. 11 était
le plus excellent de tous les anges. Job, XL, 14; Ezech.,
XXVIH, 12. C'est le sentiment de saint Grégoire le Grand
et de saint Isidore. Jn creatorem super biit. Is.. xiv,
13. 11 a voulu lui devenir semblable, non per imita-
lionem, sed per mqualitatem. Il a été jeté dans l'air
ténébreux ad nostram probationem. Il n'est donc ni
au ciel, ni sur la terre, mais dans l'air, qui est pour
lui i/iiasi carcer usque ad tempus judicii. Alors, il ira
en enfer. Matth., xxv, 42. Cependant, dubilatio est si
tous les anges déchus sont dans l'air ou si quelques-
sont déjà dans l'enfer : </uod tic auctoritate non
multum certum habemus. Selon les uns, Lucifer, qui
a plus péché, a été précipité en enfer slalini après son
avec i|iie|(|ucs autres. Origène pensait que ceux
qui sont vaincus par les hommes qu'ils tentent, slatim
demergunlur : ce qui est assez vraisemblable. Les dé-
; obstinés et ne peuvent faire que le mal.
Outils prévu leur chute ' Si oui, ou bien ils n'ont pas
\oulu l'éviter, et ils étaient mauvais avant leur chute,
ou bien ils ont voulu l'éviter et n'ont pas pu le faire, et
ainsi ils étaient miseri antequam codèrent. C'est pour-
quoi saint Augustin dit qu'ils n'ont pas prévu leur
chute. Lu il le plus excellent de ordine supe-
tm. Il y avait des anges tombés de tous les ordres,
; . 1 1 1 ; .
Honoré d'Autun résume dans sud catéchisme la doc-
tim sur i' - démons. Lucifer, te voyant le premier de
sprelis omnibus, voluit Deo sequalis, imo major,
Il voulait avoir un meilleur sort que Celui
qu'il i el commander aui autres tyrannique-
II fut chassé du palais el enfermé en prison. Il
■ni, il devint le plus noir et fut exé-
crable d hoi reur. Il ni pas prévu sa chute. Non plénum
■''lit; m,,, ut creatus est, cecidit,
>ûter le bonheur du ciel, qui ne lui suf-
- "lit péché en 'tant d'.e
lollcntia, ri erant cogitantes
luisset, 1/ eferrenPur m
prima. Ils ont été précipités, les uns dans
, in quo tamen,
■H enfer, ,,,.,;, plusieurs vivent dans l'air
me i,-s mauvais el êti e
in dernier jugement au feu éternel.
tenir leur pardon, pan e qu'il» avait m
ayant
" par er-e. d i natun propn e, en
i té qu'un
ption
par la mort du Verbe, ayant pi i la d i
ni Irrachi i ibles L)ii u m
ne pouvai libre
HT qu'ils p |;,, ri
odant
DICT. Dl T II I ». r . ( ATIIOI..
propter ornamentum sui operis, comme un peintre qui
met du noir sur un tableau. Eluculariinn, 1. I, n. 7,
8, P. L., t. clxxii, col. 1114-1115. Honoré s'occupe du
nombre des anges tombés, dans son Liber duodecini
quseslionibus, c. iv, v, col. 1180-1181. C'est donc, à ses
yeux, une question discutée, qui n'a pas eu entrée dans
son catéchisme. Quelques-uns pensent que la moitié
des anges a péri et qu'il y aura autant d'hommes
pour les remplacer. D'autres, à cause d'Apoc, xn, 4,
n'admettent la chute que du tiers des anges. D'autres,
reconnaissant dix ordres, disent que le 10e est tombé
tout entier; ils se fondent sur la parabole des dix
dragmes; aussi dit-on couramment : Decimus chorus
angelorum cecidil. Quant à lui, s'appuyant sur l'auto-
rité de l'Écriture, il ne reconnaît que neuf ordres
angéliques et il prouve que quelques-uns de chaque
ordre sont tombés. Pour cela, il cite divers passages
de l'Écriture qui semblent faire rentrer des démons
dans chacun des neuf ordres. 11 dit encore, c. xi.
col. 1183, que les anges ont un corps éthéré, et le
diable un corps aérien, ce qui permet aux démons de
se transformer en des formes diverses, de bêtes, etc.
Rupert, abbé de Deutz, exposa plusieurs fois, et très
longuement, son sentiment sur le diable et les démons,
Dans son traité De Victoria Vcrbi, 1. I, c. vi-xxvi,
/'. L., I. ci.xix, col. 1221-1240, il explique "d'abord les
différents noms de l'adversaire du Verbe dans l'Écri-
ture; puis, il remonte au commencement du duel de
Satan contre le Verbe. La cause de la rébellion fut
l'orgueil et ce vice portait sur la beauté, la science et
la grandeur de la propre nature du révolté. Ezech.,
xxviii, xxix, xxxi. C'est par orgueil qu'il devint aussi
le père du mensonge. Il introduisit la sédition parmi
les anges, troubla leur paix et fit de plusieurs des re-
belles de la lumière. Il méprisa les autres anges,
ambitionnant pour lui la majesté et l'égalité de Dieu.
Ezech., xxix; Is., xiv. 11 voulait être adoré' et honoré
par l'assemblée des an^cs tanquam Deus ci Dominas
ipsorum. Il chercha à les persuader ut se pro Deo
haberent. Ils ne cédèrent pas à celte tentation. Sed
adulait sunt ci tantummodo..., gloriam suam quee-
rebanl, non Dei, aimant mieux servir une créature
que le créateur. Satan ayant été créé le premier, les
autres anges n'avaient pas conscience de sa condition
i m \in-iin ne pouvait dire : .l'ai vu Dieu te
créant. Seul, le Verbe pouvait le convaincre de men-
Satan se donna aux anges pour ce qu'il n'était
pas réellement. Ils furent rebelles à la lumière par
orgueil ou envie. Jaloux du créateur, ils élevèrent
Satan, haïrent el repoussèrent le Verbe. Satan fut con-
damné par le Verbe, battu par le- saints anges el jet.'
hors du ciel. Cependant, non slatim ni conditus est
cccidii, et Rupert réfute ceux qui le prétendaient. Leur
sentiment favoriserait le soupçon que Satan a été créé
mauvais tel qu'il est maintenant. Le dies conditionis
n'est pas un jour de Ji heures, puisque le soleil
n'existait pas encore. Apres sa faute, la patience de
Dieu l'a attendu, lui laissant le temps de se repentir.
A'ou / ici. ni iniquilate, pour que les bons
anges soient instruits ,ie la justice du jugement qui le
erait. Dieu, qui avait prévu sa chute, l'a i
néanmoins le plus grand, le plus sage et le plus i
de ton i s. Il est tombé du ciel, non <\u sien.
le celui du Seigneur, Il n'avait pas été créé dans
. il \ avait été placé api i lion. Il fut jeté
abîme, c'est A dire dan - le chaos el dans les
tém bre», qui existaient si uls alors. Le Qrmament
n'était acoi e Satan ei i donc tombé, non dans
l'enfi i . m. ii~ dans l'air, qui est le ciel inférieur.
Rupei i a reprit le suji t dan De i ■ initale et
tt xvii, /'. /... t. CLXVII,
hors iln ciel,
où ils ont été tran ition . ils
iv. - i:j
387 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 388
habitent donc par grAce, et non par nalure. Ils sont
corporels. Au premier jour, la lumière a été séparée
des ténèbres, les bons anges des mauvais. Le diable
est tombe par envie ou orgueil. Is., XIV. Il était plenu»
sapientia, perfeclus décore, nihilo indigent sapienliœ
Dei. Ezech., xxvni; Is., xiv. Dieu avait prévu sa chute.
11 l'a jeté dans l'air pour être précipité plus tard en
enfer, II Pet., n, 4 (où l'enfer désigne l'air). Les anges,
délournés de Dieu, ne peuvent revenir à leur premier
état, c. xxiv, col. 221. Le serpent tentateur était l'organe
du diable, 1. III. c. il, col. 289. Les fils de Dieu sont
les descendants de Seth, 1. IV, c. xn, col. 337-338.
Rupert ne parle pas des anges, quoiqu'il sût bien que
les anges sont appelés fils de Dieu. Comment, in Job,
P. L., t. CLXVIII, col. 967. Les démons, qui sont dans
l'air en attendant le jugement, seront tourmentés par
le feu qui leur a été préparé dés la création. Ils seront
tourmentés conformément à leur nature, puisqu'ils ont
des corps aériens. Lie S. Spirilu, 1. IX, c. xxi, P. L.,
t. ci.xvii, col. 1824-1825.
Nouvel exposé dans le traité De glorificaiione Trini-
lalis et processione S. Spiritus, 1. III, c. vm-xvii,
P. L., t. clxix, col. 59-69. Les anges ont péché non
par faiblesse ou ignorance, mais par orgueil. Ezech.,
xxviii, xxix. Le bel ange est devenu le prince des té-
nèbres. A cause de son orgueil, il est justement jugé
par le Saint-Esprit, qui s'éloigne de lui. Non stalim
cecidit. Ayant prévu sa chute, le Saint-Esprit ne l'a
pas jugé tout de suite ni condamné ; il l'a éprouvé. Une
fois la lumière séparée des ténèbres, les démons ne
peuvent pas retourner à leur état primitif. Quelques-
uns pensent que beaucoup d'anges de tous les ordres
sont tombés; cela n'est pas prouvé par l'Ecriture. Ils
n'étaient pas encore établis dans leurs ordres avant la
chute des démons, qui, autrement, n'auraient pas pu
pécher. Satan est lié pour longtemps, plus tard il sera
jeté dans l'abime.
Les esprits mauvais enviaient la gloire du créateur.
Diabolus superbivit et sibimet ipse placuit tanquam
sibi sufficiens. Comment, in Matlh., 1. XIII, P. L.,
t. clxviii, col. 1627. Nabuchodonosor est le type du
diable orgueilleux. In Danielem prophetam, c. il,
P. L., t. clxvii, col. 1500-1501. Satan a été jugé par
trois fois : quand il fut chassé du ciel à cause de son
orgueil, à la malédiction du serpent, et au jugement de
l'homme de péché. In Hab., 1. II, P. L., t. clxviii,
col. 603. Satan paraissait parmi les anges et devant
Dieu, parce que Dieu voit tout. Dieu l'interroge, parce
qu'il lui demande raison de ses actes, et Satan répond,
parce qu'il ne peut rien cacher à Dieu. Comment, in
Job, ibid., col. 967. Rupert n'entend pas des anges le
tiers des étoiles entraîné par la queue du dragon. In
Apoc, 1. VII, ibid., col. 1047.
Quelques années plus tard, saint Anselme compose
un traité spécial De casu diaboli sous forme de dia-
logue, 7'. L., t. clviii, col. 325-360. Voir t. i, col. 1338.
Les anges ont tout reçu de Dieu, qui pourtant n'a pas
donné au diable la persévérance, quia ille non accepit.
Le diable, en effet, noluit tenere quod habebat, voluit
deserere. Quomodo peecavil et voluit similis esse Dei :>
Il n'a pas voulu reconnaître une volonté supérieure à
la sienne; il a voulu même que sa volonté propre soit
supérieure à celle de Dieu. L'ange déserteur n'a pas
pu revenir à la justice. Voir t. i, col. 1224. Il n'a pas pu
prévoir qu'il tomberait. Il savait qu'il ne devait pas
vouloir ce qu'il voulait et qu'il serait puni; il n'a pas
pu l'ignorer. Le mal est donc venu dans l'ange qui
était bon, parce que celui-ci a volontairement aban-
donné la justice. Dans son Cur Deus liomo, 1.1, c. xvm,
col. 389, saint Anselme a admis que le nombre des anges
devait être complété par les hommes. II en tire cette
conclusion relativement au nombre des anges tombes :
Non sequitur tolangelos cecidissequot perseverarunt,
parce que le nombre des anges n'était pas parfait avant
la chute des mauvais.
Abélard s'est peu occupé des démons. Il leur attribua
la possession de la charité. Dialogué inlerphil
judseum et christianum, P. L., t. CLXXViti, col. 1659.
Dans son .Sic et non, 47, col. 1415-1417, il a reproduit
des témoignages de saint Isidore, de saint Augustin et
d'Eugippius en faveur de la chute des anges avant la
création de l'homme, et d'autres de saint Cyprien et de
saint Jérôme, affirmant quelle a eu lieu au moment de
celte création. Dans le 16e de ses articles, qui ont été
condamnés en 1141, il niait l'intervention directe du
démon et bornait son action à l'emploi des forces natu-
relles, des éléments et des plantes. Voir t. i,col. 45. 47.
Hervée de Bourgdieu explique que Lucifer a voulu
être le maître des anges : il semble le faire précipiter
directement dans l'enfer. Comment, in Isaiam, 1. II,
P. L., t. CLXXXI, col. 164-166. Cependant, il appelle
Satan le prince de l'air. Comment, in Episl. ad Epli.,
n, col. 1221.
Saint Bernard attribue la chute de Lucifer à l'orgueil.
Serm., i, de lempore, n. 3, P. L., t. clxxxiii, col. 36;
In rogationibus, serm. i, n. 1, col. 296; In Canlica,
serm. xvn, n. 5; lxi.x, n. 3, 4, col. 857, 1113-1114. L'or-
gueil du diable appartient au premier degré de ce vice
qui est la curiosité. Le diable n'avait pas prévu sa chute.
Tractalus de gradibus superbiœ, part. II, c. x, n. 31-
36, P. L., t. clxxxii, col. 959-962. Il a été précipité dans
l'air. In Canlica, serm. liv, n. 4, P. L., t. clxxxiii,
col. 1040. Il ne subira la peine du feu de l'enfer qu'après
le dernier jugement. Voir t. il, col. 770.
Robert Pullus déclare que l'ange, créé libre, poluit
malum. Il se demande : Quale? et il répond : De
excellenli natura inlumuit, au point de vouloir s'éga-
ler à Dieu. Non perduravit in verilate. Dès qu'il fut,
il vit Dieu, quoiqu'il ne l'ait pas connu complètement.
Malgré cette connaissance de Dieu, il a pu cependant
ne pas prévoir sa chute. Auparavant, il était opus Dei
bonum, optimum; après, il est devenu subslanlia non
boita, nec Dei creatura (en tant que mauvais). Les
démons, licet incorporel, peracto judicio, subiront
dans l'enfer des peines corporelles. Ils soutirent déjà
des affections de l'air, où ils habitent, mais ils sont
réservés pour de plus grandes souffrances. Sent., 1. II,
c. iv-vi, P. L., t. clxxxvi, col. 721-725. Ils sont tombés
des neuf ordres; ils servent leur prince dans leur
ordre. Robert Pullus essaie d'expliquer comment il peut
en être ainsi et comment le service répond à la nature
première de ces anges déchus. Quanta leur prince, il
était summus ou inter summos, plus exactement un
chérubin, Ezech., xxviii, 12, nisi forte ordine seraph,
interprelatione cherub. Quoi qu'il en soit, magnus fuit
et plus de se quam esset sentit. Les démons étaient
d'accord avec lui et leur chute est irréparable. Quelques-
uns pensent que le prince des démons n'était pas si
élevé. Toutefois, il n'a pas goûté le bonheur de la vie
parfaite : nolendo accipere, amisit ; continua cecidit.
Sent., 1. VI, c. xi.v-xi.vm, col. 887-891.
Roland Bandinelli. plus tard le pape Alexandre III,
affirme que les démons ont été créés bons, et bien qu'il
ait subi l'influence d'Abélard, il s'écarte du maître au
sujet de leur béatitude et il n ion lie qu'ils n'eurent jamais
la charité qu'Abélard leur avait attribuée. Gielt, Die
Sentenzen Bolands, Fribourg-en-Brisgau, 1891, p. 89-
93. Ils n'avaient pas prévu leur chute, qui a été volon-
taire. Ils savaient qu'ils faisaient mal, aussi sont-ils
endurcis dans le mal, p. 95. Selon lui, ils ne sont pas
de tous les ordres, puisque la division hiérarchique
des anges a suivi la chute du diable et l'entrée des bons
anges dans la béatitude, p. 101.
Hugues de Saint-Victor enseigne que les anges ont
été créés bons et libres. Leur séparation en bons et en
mauvais s'est faite par la conversio des justes et Vaiersio
389 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 390
des injustes. Ceux-ci n'ont pas eu de grâce coopérante.
Un plus grand nombre d'anges sont demeurés fidèles,
qu'il n'y en a eu de déchus. De sacramentis, 1. I,
part. V, c. xix, xx, xxm, xxiv, xxxi, P. L., t. clxxvi,
col. 254-257, 261. Le diable est lié: il ne petit faire tout
ce qu'il veut; à la fin des temps, il sera délié pour un
moment, pour la dernière persécution, 1. II, part. XVII,
c. m, iv, col. 597-598.
Son disciple, auteur de la Summa sententiarum
(voir t. i, col. 52-54), tr. II, c. m, iv, ibid., col. 83-85,
ci'.e textuellement le Traclalus theologicus d'IIildebert
du .Mans sur la chute du diable et sur sa prééminence
avant la chute. Voir col. 385.
tnfin, Pierre Lombard connaît les sentiments diffé-
rents de ses devanciers; il les résume parfois et il
prend souvent parti. Selon lui, les démons ont été
créés nec beati nec miseri. Non erant prœscii even-
tus sui, et ils n'avaient pas connaissance de ce qui
devait suivre. Ils n'ont pas été bienheureux, à moins
qu'on appelle béatitude leur état d'innocence. Donc,
in creatione, boni et non mali, nec beati. Sent., I. II,
dist.IV. n. I.:1». 6. P. L., t. cxcn, col. 660, 661. Quelques-
uns ont pensé qu'il ne fallait pas leur imputer de s'être
détournés de Dieu, parce que la grâce ne leur avait pas
été donnée. Gralia non data ex merilis suis... Culpa
eorum fuit, quia, cum stare possent, noluerunt quous-
que gratia apponcrelur... Poterantnon cadere,sedsua
sponlanea voluntale declinaverunl, disl. V, n. 5, 6,
col. 661-662. De majoribus et de minoribus quidam
cccideiitnt. Le plus excellent de tous corruil. Job, xl;
Ezech., xxvni ; S. Grégoire le Grand. Il tomba par
orgueil, de empyrco in catiginosum aerem, Apoc, xn,
el beaucoup d'anges avec lui pour nous éprouver. Le
prince de l'air n'est ni au ciel ni sur terre, mais dans
l'air. Parmi les démons, il y a des chefs et des sujets;
leur science est plus grande ou moindre. Quidam
prœsunt uni prov incise, uni homini, aliqui uni vitio.
Quotidie i" infernum descendunt aliqui ; verisimile
est, qui animas Mue cruciandas deducunt. A liqui setn-
per sunt. alternis forte vicibus, jîo» proculest a vero.
Quelques-uns pensent que Lucifer a été relégué en
enfer, dès qu'il a eu tenté Jésus-Christ; d'autres, ex
cecidit. Pierre Lombard ne se prononce pas. Sive
m infernum demevsux, .sire non, il n'a pas mainte-
nant le pouvoir qu'il aura au temps de l'Antéchrist. Il
délié alors et il aura un plus grand pouvoir de
i -. Quant aux (binons, semel victi a sanclis, non
accédant ampli s, et Lombard cite en preuve
qi . Homil., xv, ivi libr. Josue, c. xn, dist. VI.
n 1-8, col, 862-664 Obstinés dans le m. il. les démons
ne peuvent pis vouloir le bien. Ils ont cependant le
libre arbitre, mais ils ne peuvent ad utrumque flccli. Ils
n uni pas perdu leur intelligence el il> l'exercent sou-
vent de diverses manières. Ils ne peuvent pas se e
de la matière ad nutum, ni créer (par exemple, les ser-
renouillea que produisaient les mages).
Il> peuvent beaucoup pai leurs fora naturelles et leur
subtilité, il permittantur ab angelit potentioribti
>■•'. dist. VII. n. I. 2, '.. 7. S. II. col. 664-667.
Sainl Augustin i ippelé les démons aerea animalia,
\ III. n. 7
dil un eut mot de la chute du
diabli / / irituum,
il,i homini quod ettei m /><<
li, C. XXI, P. I. . t.CXCVIU,
1071. Plus loin, c. xxxi, col. 1061, il expo-e i,
du di luge li m. n [ils de Dii n ou des
fils du pleui Seth, In. Il connut la
i lieu . mais il l'interpn le i di oi i
ite toutefois cette i emarque
,./ i/,
ganta, et il emprunte -i leur sujet •> -uni Méthode di -
proviennent du livre di
Voir t. I, col. 1 222-1 22G ; A. Mignon, Les origines de la sco-
lastique et Hugues de Saint-Victor, Paris, s. d. (1895), t. i,
p. 343-319, 361-3G4; J. Tunnel, Histoire de l'angélologie, dans
la Revue d'histoire et de littérature religieuses, 1899, t. IV,
p. 289-309, 537-550, passim; Id., Histoire de la théologie posi-
tive. Paris, 1904, p. 291-292. Voir aussi, parmi tes Indices de la
P. L., de Migne, l'index, xxxv, De dsemonibus, t. n, col. 43-50.
II. Au xme et .vr xivc siècle. — Les vues des théo-
logiens sur le diable et les démons vont se systémati-
sant de plus en plus pour arriver à une systématisa-
tion complète dans les œuvres de saint Thomas et de
Duns Scot. Les docteurs justifient par des arguments
de raison les données qu'ils empruntent à l'Écriture
et à la tradition et qu'ils groupent et ordonnent logi-
quement. Ils y joignent beaucoup de spéculations
philosophiques.
1° Pierre de Poitiers. — 11 pense que les anges ont
été créés dans le ciel einpyrée. Une des preuves, c'est
que Lucifer, cum esset in cselo, a voulu atteindre la
sublimité de la divinité. Sent., 1. II, c. n, P. L.,
t. ccxi, col. 942. Quelques-uns prétendent que les
anges déchus ont été créés mauvais et ils justifient
leur sentiment par des autorités (Joa., vin, 44; Job,
xl, 14; Ps. cm, 26, et un texte de saint Augustin) et
par des raisons. Ce sont trois raisonnements portant
sur ces dilemmes : ils ont été créés justes ou injustes,
parfaits ou imparfaits, bienheureux ou non. Mais
Pierre de Poitiers conclut que si Dieu avait créé
l'ange mauvais, il serait l'auteur du mal, ce qui est
impossible. Lucifer non fuit ab initio malus, sed s ta-
lim post. Puis, il réfute les arguments opposés. Au
cours de sa réfutation, il affirme qu'avant leur faute
les anges déchus non habebant naturam glorificalam,
c. ni, col. 943-944. Ils ont péché, parce que la grâce
opérante ne leur a pas été donnée, et ils sont respon-
sables, parce qu'ils n'ont pas attendu qu'elle leur fût
donnée. Diabolo non est ablalum aliqiiod bonum na-
turalc. Loin d'obtenir mitigation de sa peine, magis
ac magis punietur, parce que semper crcscil pœna
a culpa. D'autre part, il sera puni davantage après le
jugement; tune Dcus puniet perse, non per ministros.
Quelques-uns pensent que, depuis la passion, Lucifer
a été jeté en enfer. Mais il est maintenant in acre ca-
liginoso ; après le jugement, il ira dans l'enfer. Non-
dum patitur diabolus tenebras exteriores, quia non-
iium omnino obliviscitur Deum, c. iv, col. 945-951.
Les ordres angéliques étaient-ils constitués avant la
chute? On lit : De singulis ordinibus cecidcrunl .
Quelques-uns font de Lucifer un séraphin. Non ila
distincti ab initio suse créai ionis. Que penser du
10' ordre tombé'.' Il n'y a pas eu dix ordres, mais neuf.
lui angeli ceciderunl quod ex eis possei decimus ordo
constitui. S'ils avaient persévéré, il n'y aurait cepen-
dant pas eu un 10" ordre. 11 y aura au ciel plus
d'hommes élus que d'anges tombés. Lucifer était le
plus excellent des anges, c. v, col. 953-954. Les anges
mauvais sont députés par Dieu, dit-on, pour
le mal et on cite l'exemple des prophètes d'Achab. Dieu
leur permet d'agir pour punir ou châtier les hommes,
mais il ne veut pas le mal, et Pierre de Poitiers résout
les objections contraires, c. vi, col. 957-056.
2° Guillaume d'Auvergne. — L'évèque de Paris, qui
condamna le sentiment de ceux qui prétendaient que
mon a été créé marnais, voir d'Argentré, Collectio
judiciorunif Paris, 17-2^, t. i, p. 186, s'est occupé Ion-
■ nt. m. lis obscurément el sans ordre, des anges
. i j démons dans ion trait* Di Non seule-
ment il ne distingue p;is li i qu'il
traite, il mêle encore aux questions théologiques beau-
coup de légendes populaires, Pour lui, le péché du
pre i n I orgueil, il ■ 1 1 . .■ . i \ ii Opéra om-
iiiu, m fol., Venise, 1591 . p B48. i ,o quoi s consi^
péché ' l'i nette voluit ■
391 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIE1
ipsum Dei Filtuni imitari voluisse. Unde fuit ausus
non subesse creatori? Ipsum prseesse tanta libidine
ci placuit ut subesse von curaverit, adhœrens ipsi
prœesse amore. Comment en esi-il arrivé là? Inflam-
malus falsa pulchriludine et illusoria delectatione
fuisse denominationis, c. i.vni, p. 849, 850. Aussi a-t-il
été profondément perverti par l'orgueil. Apres cela, il
a envié le Fils de Dieu, ayani vu que son règne devait
se répandre parmi les hommes. Toutefois, il n'a pas
été jaloux de sa gloire ni de sa divinité. Ambitieux
adversus creatorem, il n'est pas loin de la probabilité
qu'il a voulu être honoré comme Dieu, c. lix, p. 852-
854. Quant à la multitude des anges déchus, noninten-
debal aliquid in crealoris injuriam altentare, cum
sciret se contra eum penitus non jiosse. Bien que le
premier ange ait eu la présomption d'être ohéi par
beaucoup et de commander, il ne suggéra pas aux
autres anges et il ne leur persuada pas non plus de
l'adorer comme le Très-Haut. Son ambition ne fut que
l'occasion de leur péché. Leur sédition s'est faite sans
contrat. Chacun a péché par sa volonté, l'appliquant au
faux bien, c. lx, p. 851, 830. Us ont admiré la sagesse
prééminente naturelle du premier ange et se sont
enorgueillis, c. i.xi, p. 857. Dieu ne leur permet pas de
faire tout le mal qu'ils voudraient, et leurs pouvoirs
sont limités. Surit in aère usque in dieni judicii,
c. lxii, p. 859, 871. Ils sont dans la région inférieure
et ténébreuse de l'air, a qua in cselitm ut expulsi
transcendere non valent. Leur exil est perpétuel.
Guillaume explique longuement la présence de Satan
au conseil des anges et l'envoi d'un esprit de mensonge
par Dieu aux prophètes d'Achab, ainsi que les appari-
tions des démons, qui n'empêchent pas qu'ils habitent
dans la partie inférieure de l'air, c. xcin, xciv, p. 892,
893. Ils y sont légion et ils y tentent les hommes par
permission divine, c. xcv, p. 893. Dieu leur maintient
leurs pouvoirs, qui, cependant, sont incomparable-
ment diminués, détériorés, liés et soumis aux bons
anges, c. cxvn, cxvm, p. 910-911. Dieu permet à ces bêtes
d'attaquer les hommes pour dévorer les impies (œuvre
de justice) et pour nous inspirer une crainte salutaire
(œuvre de piété), c. clxiii, p. 955. Dans la 11* llla,
c. i-iv, p. 957-961, Guillaume montre comment chacune
des facultés naturelles des démons est diminuée et dé-
tériorée. Il explique par l'obscurcissement de l'intelli-
gence, l'infatuation du chef des démons. Maximis
bonis prseditus fuit et in donis crealoris prœstantis-
sinius. Par suite, son péché d'orgueil fut plus grand
que celui des autres anges, qui n'ont fait que partici-
per à sa faute en y consentant : Tanla quippe mali-
gnitate sitecensi sunl adversus creatorem et homines,
ut libertatem arbilrii qnodammodo amiscrint. Ds se
réjouissent de tout le mal qu'ils font, p. 961,962.11s
n'ont pas toutefois de pouvoir sur les bons. Ils sont
nombreux et se trouvent partout. Us ne tombent pas
tous les jours du ciel, ni de nouveaux ne sont pas
créés tous les jours, comme d'aucuns le disent. Ils ne
sont pas divisés en douze ordres, comme un écrivain
l'a prétendu; ils ne forment pas non plus des ordres
contraires à ceux des bons anges : il n'y a pas d'anli-
séraphins, etc., c. VI-X, p. 965-976. Comme ils sont or-
gueilleux, ils sont toujours en querelle entre eux ; ce-
pendant, leur malignité les empêche de se révolter
contre leur prince, quoiqu'ils lui soient soumis comme
à un tyran. Les démons supérieurs punissent les infé-
rieurs, c. xiv-xvi, p. 981-985. Ils souffrent des peines
corporelles, c. xvn, p. 987. A propos de démons in-
cubes et succubes, Guillaume signale la leçon « anges
de Dieu d de (It'ii., vi. Bien qu'il admette l'existence des
incubes et des succubes (voir c. n, p. 958-959. l'expli-
cation du fait, produit non par convoitise, dont les dé-
mons ne sont pas capables, mais plutôt par malice
pour souiller leurs victimes), il déclare impossible la
génération des géants par le commerce des anges avec
des femmes, c. xxv, p. 1006.
.'S" Alexandre de Hoirs. ~ Le célèbre franciscain
est plus sobre et plus didactique. Il parle des (binons
en passant, lorsqu'il traite des anges. A propos de la
prévoyance des anges, il déclare que les mauvais n'ont
pas prévu leur chute; tout au plus auraient-ils pu le
faire, ea sallem raiione quod judicia Dei abyssus
mulla et investigabiles vise ejus. Il explique la raison
qu'en a donnée saint Augustin, à savoir qu'ils n'avaient
pas scientiam deiformem. Dieu aurait pu la leur r
1er, mais cela n'était pas expédient. Summa tlieologix,
part. 11, q. xxv, m n, ni, Venise, 1575, p. 16. Ils peu-
vent connaître l'avenir conjecturaliter semper et sub-
obscure, nique aul ex diulurna experientia aul ex
acumine intelligentice aul ex revelatione supi
spirituum, q. xxvi, m. iv. Ils ne sont pas devenus
mauvais au moment même de leur création; les deux
instants sont distincts. D'où on suppose qu'il y a eu
niorula quœdam intermedia, in qua moverent nr
motu naturali tantum, tuni secundum afjectum, tum
secundum inlellectum, nec tamen mererentur nec
demererentur. Les instants ont pu être contigus. Néan-
moins, on dit : Non statim fùerunt mali, ce qu'il
faut expliquer : repente ou statim post. 11 suffit d'un
temps imperceptible, q. xxix, m. i, a. 7, p. 54. Dœ-
mones naturali dilectione, etsi mm aclualiter, liabi-
lualiter tamen Deum diligunt, se vero eliam actuali-
té)-, q. xxx, m. ni, p. 58. Eliam malos Deus miltit,
nec ideo perdit, sicut illi profecto perderunl. Quand
leur action est nuisible, il dirige leur mauvaise volonté
vers le bien, en permettant l'épreuve des bons,q. xxxvi,
m. n, p. 65. Prœsunl ruait sibi invieem anle diem
judicii; mais après ce jour, il n'y aura plus entre eux
de préséance, q. xxxvn, m. ni. p. 66.
4° Saint Bonavenlurc. — Le docteur séraphique
développe davantage la doctrine sur les démons dans
son Commentaire des Sentences, Opéra. Lyon. 1668,
t. iv, p. 29-115. Il déclare impossible que Dieu ait créé
l'ange mauvais. Celui-ci n'a donc pas péché statim a
primo inslanli, et saint Conaventure admet aussi qu'il
y ait eu quœdam parvula monda. In IV Seul., 1. II,
dist. III, part. II, a. 1, q. i, n. Pas plus que les autres
anges, il n'avait été créé in statu beatiludinis, ni en
l'état de grâce sanctiliante, dist. IV, a. 1, q. I, n. Il n'a
pas pu avoir une prescience certaine de sa chute, a. 2.
q. n. Le péché des anges a commencé par là présomp-
tion, a été complété par l'ambition et confirmé dans
l'envie et l'aversion de haine. Le premier péché a donc
été un péché d'orgueil. Lucifer, rendu présomptueux
à cause de sa beauté, appeliit quod supra se fuit et
ad quod pervenire mut polerat. L'ambition l'a rendu
envieux, lui quoi consista au juste son désir? Il a
désiré égaler Dieu quodam modo sequiparantise et
quodam modo imita tionis. Quelle était la ressem-
blance avec Dieu qu'il désirait? Celle-ci : eum sua
auctorilate (de Dieu) aliis prœesse, et ce; , ,itis
et datore, donc propria auctorilate, nullique subesse,
dist. V. a. 1. q. i. ii. Les anges inférieurs ont aussi
péché par orgueil, non tantum consentiendo au péché
de Lucifer, sed sibi quoque e.rcellenliam appetendo,
ad quam non passe sine ïpsius Luciferi sublimitate
pervenire putaverunl. Les relations de leur péché
avec celui de Lucifer furent, (uni quoad gravilatem
!t (le premier fui plus grave), tant quoad occasio-
m'tit (il servit d'exemple aux autres), tum quoad tht-
(il a précédé le leur . a. 2. q. l, il. Quant à
leur condition antérieure. Lucifer, quantum ad capa-
citatem vatunv, futurus crat de primo beutarum
mentium ordine : qui, sistetisset, merito gratta in-
ter printos annumerattts fuisset, dist. VI. a. 1, q. i.
Les autres anges déchus étaient de tous les ordres.
comme l'a dit Hugues de Saint- Victor (en réalité, son
393 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 394
disciple, auteur do la Summa sententiarum, copiant
Hildebert du .Mans), q. n. Quant au lieu qu'occupent
les démons, locus, antediem judicii, non est infernns
subterraneus, sed aer caliginosus, licet probabile sil
nonnullos eorum ad torquendas animas en descen-
dre, a. 2. q. I. Licet nonnulli satis probabilité)' sen-
serint malus angelos ubique et ante exlremi judicii
diem infernali cruciatu torqueri, aliis tamen proba-
bilior censetur sententia dicentium po'nam ignis
usque ad novissimum diem illis differri, q. il. Juter
mil,'* est onlo seenndum prxcellenliam nalura-
,i , sed tamen perversus adjunctione cu!parum,a.3,
q. i. lut, r ,;>s est prselatio. Ils essaient d'imiter les
bons anges, mais ils le font faussement et imparfaite-
ment, et ils attaquent les hommes, q. H. Leur volonté
ne peut être rectifiée de polentia. Dieu pourrait, abso-
lument parlant, leur rendre la bonne volonté; mais ils
ni' peuvent se repentir, et le temps de la conversion
et du mérite est passé pour eux, dist. VII, part. I, a. 1,
q. i. Ils ne veulent que le mal. q. n, m. Cette obstina-
tion dans le mal leur enlève le libre arbitre, quoad
usum; elle ne diminue pas Uberlalis dominium quant
-sence, mais bien quant au sujet, a. 2, q. H, m. Le
jugement de leur intelligence est un peu obscurci depuis
leur faute; leur jugement pratique est entièrement
perverti, part. II, a. 1. q. i. Ils n'ont rien oublié, sinon
la nécessité de faire leur salut et les bienfaits de Dieu,
q. il. Ils n'ont pas une connaissance certaine de l'ave-
nir; ils peuvent parfois le prédire, en raison de l'acuité
de leur esprit, de leur expérience et de leur ruse, q. ni.
Ils sont incorporels, dist. VIII, pari. I. a. I, q. i. Voir
un substantiel résumé de toute la doctrine de saint
Bonaventure sur les (binons dans son Breviloquium,
part. II. e. vu, Lyon, 1568, t. vi, p. Ui-17.
[Ibert le Grand. — Si de l'école franciscaine
i s passons à l'école dominicaine, nous constatons
ptalion d'opinions différentes sur divers points.
Le lî. Albert le Granda traité' du diable el des démons
dans -on Commentaire des Sentences, I. II. dist. III-
IX. Opéra, Puis. 1894, t. xxvn, p. 82-208, et dans sa
Somme théologique, tr. V, q. xx-xxv; tr. VI, q. xwi-
xxvn ; tr. \. q. xi.ii, ibni.. 1895, t. xxxii, p. 251-289,
03. Tous les anges ont été créés en état de grâce.
//- M' Sent.,l. II, dist. III, a. 1-2, t. xxvn, p. ,s-2-s:>'. Dieu
n'a pas pu créer un ange mauvais, a. 13, p. 85-88. L'ange
a-t-il été mauvais simul ac crealusf Muni fuit. a. li
Les l " 'Us- anges seuls, confirmés en union avec Dieu,
onl été bienheureux, dist. IV. a. -i. p. 106. L'ange déchu
pan pu prévoir -a chute, pour la raison donnée
pu saint Anselme, a. 3, p. 107-108. L'ange a pu tomber,
V. a. I. p. I lu 1 1 1. Quel fut le premier péché de
Jeil : appelilUt dignitalis iml,
p. 1 1 II 13. C'esl le sentiment d< sainl Augustin,
ainl Vnsel t de -nui Gn --n e li Grand, I
»•. Sum. tin;, t.,
tr. V. q. \xi. m. n. t. xxxn, p. 260. Quid appeliitpec-
.uni Augustin et sainl Anselme; Albert
répond que le démon .i di lire <</ '"/ qu nitsel,
si ttetissel, donc la simpl lion ou béatitude. Sa
faut- .| .i voulu avoir « se qu,
lite il .i voulu ttatim rapere
b allerius gratia ctandum.
Il " - ibler a Dieu ni par équi-
té, '/»<'/ /,,,„ ,,),r, i,,t l,i, ilti,,, p0SS6
'' / ni, ut. Relativement
.i Dieu, n iniii ■'■•,,, vi ' prmtulU voluntali
heureux de lui >,,. n
ndum 'iin,i r, ,!,,,! ,
fualis, I. 11. disl V, a. :!. p. I H. Vola
potetlaU
■ m. [lu;, t., tr. V, q. \\l. m. I. p
a. i. p. 115. Il fut dès lors obstiné dans le mal; il a eu
la liberté, a été in via, mais maintenant immobilité)'
voit malitm, a. 6, p. 120. Dicendum absqicë scrupulo
qusestionis, iste Lucifer fuit de superioribus vel sim-
pliciter superior, dist. VI, a. l,p. 127. Princeps, excel-
lentior omnibus, tr. Y, q. xx, m. i, p. 251. Quant aux
anges inférieurs, en quoi consiste leur faute? Omnes
voluerunt aliquid altius quam creati sunt, et ils ont
voulu l'obtenir par l'exaltation de Lucifer, comme des
chanoines qui ('disent à l'épiscopat un indigne, parce
qu'ils en attendent des faveurs. En résumé, appetie-
runt altitudinem et consenserunt illo (à Lucifer), a. 2,
p. 128.
Quel fut le rôle de Lucifer dans leur chute'? Il
n'agit pas sur eux par acte de persuasion, sed unus-
quisque propria voluntate consensit ei. Videntes enim
decorem ejus in naturalibus, dignum scqualilate Dei
rcpulaverunl et quod propria poleslate regeret et se
el alios, nulli subjeclus. Sa persuasion ne fut qu'occa-
sionnelle, tr. V, q. xx, m. n, p. 255. Telle fut la queue
du dragon qui les entraîna. Ils consentirent à son désir
en même temps que ce désir était produit, simul tem-
pore, sed u<m causa vel natura, dist. VI, a. 3, p. 129.
In solis naturalibus conditi sunt; ils perdirent donc
leur innocence; non ceciderunl a gratia quam accep-
inri erant si stetissent, tr. V, q. xxn, p. 265. Cf. tr. IV,
q. xviii, a. 1; 1. II, dist. VI, a. i. p. 131. Le combai de
Michel ne peut se rapporter à la chute des anges, puis-
qu'il a eu lieu dans l'Église, selon la Glosse, tr. V,
q. xxiii, i>. 266. Quand sont-ils tombés? Incertum est
el non determinatum. Ce qui est certain, c'est qu'ils
ont été créés bons el que, volontairement dépravés, ils
sont tombés du ciel, q. xxiv, p. 268. Ils avaient, été
créés pour habiter le ciel empyrée; par leur faute ils
onl mérité d'habiter l'enfer, mais, en raison de leur
office, ils sont dans l'air ténébreux près de nous pour
nous tenter. I. II. dist. VI, a. 6, p. 132-133. Ils sont dans
l'air usque in diem judicii, tr. V, q. XXV, m. m,
p. 285, Habenl ignem corporeum secum et in se suc-
censi sunt illo igné, 1. Il, dist. VI, a. 7, p. 136. l'n
démon, vaincu par un saint, peut-il en tenter un autre
pour le même péché? Ego confiteor me nescire
quid île ista qusestione sii nerum, sed judicio Dei
sit relinquendum, a. 'K p. 138. Quant à leur état ac-
tuel, les dé us onl h' même libre arbitre qu'avant
la chute, quoique leur liberté soit, selon saint Anselme,
moins grande que celle des anges. Ils ont une science
naturelle el acqui le el ils peinent de quelque manière
connaître l'avenir, dist. VII. a. 1-5, p. [43-149. Lucifer
se complait toujours dans sa faute, mais il a horreur
de la peine qu'il subit. Tout ce qu'il délibère el tout ce
qu'il fait est mal; il n'a aucune vertu. La cause de son
obstination est double : son endurcissement dans le
mal et la punition de sa finie par Mien. Il n'a pas de
puissance sensible naturelle, mais bien furor irrationa-
bilis, démens concupiscentia, phantasia proterva, La
syndérèse lui reste mi affliclionem et tristiliam con-
scientise, tr. V. q. xxv, m. i, n, p. 271 384. Les anciens
axaient des a\is différents sur les corps des anges; il
n'\ a pas il'' doute qu'ils ne soient des substances spi-
rituelles et pas des col'p- unis à une àmc. dist. V 1 1 .
a. I, p. 168. Cependant. A 1 1 km I ajoute an SUJCl de leur
pouvoir d'engendrer, eritatem quid
lin-mu; il lui paraît toutefois plu- probable d'ad ttre
l'existence di d iueui.es ,i succubes. .,. 5.
p. 175. Les ordri [ues n'étaient pas constitués
a l'origine; don.- le chus n'appartenaient à
aucun ordre. Sum. tkeol., Ir. \. q. xi n, m. i. p. 600,
Le n bn mnu de Dieu seul.
m. m, p. 503, ainsi que le i i >re des élus qui doivent
■ i • i — ' de hoc, nullus potesi
\ . a. s, p. 208. Comme / I a
i. il \ i di
T95 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 396
secundum ordinem tentationis. Suni. theol., tr. VI.
q. xxvi, m. i. p. 289.
6° Saint Thomas d'Aquin. — Il adopte et développe
le plus souvent les sentiments de son maître Albert le
Grand. Sa doctrine sur les démons se trouve surtout
dans le Commentaire sur les Sentences, 1. II, disl. III-
VII, et dans la Somme théologique, Ia, q. lxiii-lxiv. Il
signale trois opinions sur la question de savoir si un
ange peut être mauvais a principia sux creationis.
La première prétend qu'il a été créé mauvais; elle est
hérétique et impossible, car Dieu ne peut créer que
des êtres bons. Suivant la seconde, il a été mauvais ab
inilio, non pas de la part de Dieu, sed actu propriai
voluntalis; cette opinion est vaine, parce qu'elle est
sans fondement ; elle est erronée, voisine de la première
opinion et condamnée par les maîtres; elle est fausse
enfin, parce qu'il est impossible qu'un être libre soit
mauvais tout de suite après sa création, car sa volonté
doit désirer le vrai bien avant le bien apparent. Il faut
donc admettre la troisième opinion, qui nie qu'un ange
puisse être mauvais dès sa création. In IV Sent., 1. II,
dist. III, q. 11, a. 1; Sum. theol., Ia, q. lxiii, a. 5.
L'opinion la plus probable et la plus conforme aux pa-
roles des saints est que le diable a péché aussitôt après
le premier instant de sa création. Et il faut nécessaire-
ment le dire, si on admet qu'il a fait alors un acte libre
et a été créé en état de grâce. En effet, s'il avait fait un
acte méritoire, il aurait acquis la béatitude, s'il n'y
avait mis aussitôt obstacle par son péché. Voir t. i,
col. 1238. Mais si l'ange n'a pas été créé en état de
grâce ou s'il n'a pu faire au premier instant de son
existence un acte libre, rien n'empêche d'admettre
quelque intervalle entre la création et la chute, a. 6.
Les anges déchus n'eurent pas la prévision certaine de
leur faute, qui dépendait de leur libre arbitre; ils ne
l'ont pas même conjecturée. Ils pouvaient prévoir seu-
lement qu'ils pouvaient tomber. Seule, une révélation
divine aurait pu le leur apprendre; elle n'était pas
congrue. In IV Sent., 1. II, dist. IV, a. 2. Il est certain
pour tous les catholiques que des anges ont péché et
sont devenus des démons. Il est difficile de voir com-
ment ils ont péché, parce qu'on ne comprend pas
comment ils ont pu se tromper dans le choix qui a
décidé de leur sort. Ibid., dist. V, q. i, a. 1. Dans la
Somme, Ia, q. lxiii, a. 1, saint Thomas a déclaré que
l'ange, comme toute créature raisonnable, peut pécher
en raison de sa nature. Quant au péché du diable, saint
Thomas dit ce qu'il n'est pas, avant d'en déterminer
l'objet précis. Il a été un péché d'orgueil, puisque le
diable a refusé de se soumettre à son supérieur, lors-
qu'il devait le faire. L'envie toutefois a pu suivre l'or-
gueil, soit contre l'homme, par douleur de son bien,
soit contre Dieu lui-même, parce que Dieu tire sa gloire
de son excellence propre contre la volonté du diable,
a. 2. Mais l'orgueil du diable, tout en consistant à lui
faire désirer d'être comme Dieu, ne l'a pas poussé à
vouloir égaler Dieu. Le diable savait naturellement que
cette égalité était impossible, et il n'a pas pu désirer
l'impossible. Cette égalité eût-elle même été possible,
l'ange ne l'aurait pas désirée, car aucune nature ne
peut désirer s'élever à une nature supérieure. Quant à
la ressemblance avec Dieu, il aurait pu désirer la rece-
voir de Dieu. En désirant la recevoir propria virtute
et non virtute Dei, il aurait péché. Mais il a péché, en
réalité, en désirant avoir une propriété de Dieu, non
pas toutefois celle de n'avoir aucun supérieur, qu'il est
impossible de réaliser dans une créature, mais celle de
parvenir de lui-même à sa béatitude naturelle, ne vou-
lant pas de la béatitude surnaturelle, qui lui aurait été
donnée par la grâce de Dieu, ou voulant obtenir cette
dernière béatitude, non de la grâce divine, mais de sa
propre vertu, a. 3. Cf. dist. V, q. I, a. 2, 3. Voir t. i,
col. 1238. L'opinion commune, qui tient Lucifer poul-
ie premier des anges, est probable, à cause des auto-
rités qui la professent, et des raisons qui l'appuient,
en particulier parce que, pour céder à l'orgueil, il faut
être supérieur aux autres, dist. VI. q. i. a. I. Or. les
anges étant libres, leur chef n'était pas naturellement
porté au mal, et on explique sa chute avec plus de pro-
babilité, par le motif tiré de sa propre excellence : ce
qui prouve que Lucifer était le premier des anges, a. 7.
Les autres anges n'ont pu être naturellement mauvais.
Étant des substances intellectuelles, nullo modo pos-
sunt liabcre inclinalionem naluralem in'aliquod qwni-
cumque malum, a. 4. Cf. Cont. gent., 1. III, c. cvi. Ils
le sont donc devenus. Saint Thomas en démontre la
possibilité. Cont. gent., 1. III, c. cviil-CX. Ailleurs, il
en recherche la cause. C'est Lucifer, cause, non quidem
agens, sed quadam quasi exhortatione inducens. Ils se
sont soumis à lui, parce qu'ils ont cédé à ses sugges-
tions. Toutefois, ils ont péché en même temps que lui.
parce qu'ils ont consenti (acte pour eux instantané) à
sa faute à l'instant où il la faisait, et tout en péchant
par orgueil, ils ont accepté Lucifer pour leur chef, afin
d'obtenir, comme lui, la béatitude suprême par leur
vertu naturelle. Siun. theol-, Ia, q. LXIII, a. 8; In
IV Sent., 1. II, dist. VI, q. i, a. 2. Le nombre des anges
tombés a été moindre que celui des anges demeurés
fidèles. Le péché est contraire à l'inclination naturelle.
Or ce qui est contraire à la nature se produit in pau-
cioribns, car la nature obtient son elfet ou toujours ou
dans le plus grand nombre des cas. Sum. theol., Ia,
q. lxiii, a. 9. C'est ainsi qu'un raisonnement sert à
trancher une question diversement résolue par les
Pères.
En raison de leur faute, les démons doivent habiter
l'enfer, lieu horrible et ténébreux. Mais, parce que Dieu
veut se servir d'eux pour éprouver les hommes, ils sont
dans l'air ténébreux, et il y en aura jusqu'au jour du
jugement, tant que durera l'épreuve. Cependant quel-
ques-uns sont déjà dans l'enfer, pour y tourmenter les
âmes des damnés; après le jugement, tous y demeure-
ront. On ne peut pas dire que, pour eux, la peine sen-
sible soit différée jusqu'au jugement. Cela parait être
contraire aux paroles des saints et au fait que lésâmes
des damnés souffrent déjà en enfer. Quant à la manière
dont ils souffrent de ce tourment, saint Thomas a eu
deux opinions successives. Dans le commentaire sur
les Sentences, 1. II, dist. VI, q. i, a. 3. il pensait que le
feu de l'enfer agissait sur eux à distance. Dans la
Somme, Ia, q. lxiv, a. 4, tout en continuant à nier le
contact immédiat du feu, il proposa une autre explica-
tion. Ainsi quelques-uns pensent qu'ils portent partout
avec eux le feu de l'enfer; mais, comme ils sont incor-
porels, ils ne peuvent porter un feu corporel. Il vaut
mieux dire qu'ils brûlent de ce feu, bien qu'ils n'y soient
pas liés, ou mieux, bien qu'ils n'y soient pas attachés,
leur peins n'en est pas diminuée, parce qu'ils savent
qu'elle leur est due. Il y a trois opinions sur la question
de savoir si les démons, vaincus par les hommes qu'ils
tentent, continuent à tenter d'autres hommes ou des-
cendent immédiatement en enfer. Quid tamen horion
vertus sit, incertum est, quia nec ratione nec aucto-
rilate multum cou/irmari potest, dist. VI. q. i. a. 5.
Il doit y avoir entre eux un certain ordre; c'est conforme
à leur nature, à la sagesse divine, qui les emploie à
éprouver les hommes, et à leur malice, qui les fait se
grouper pour attaquer avec ensemble et suite, a. 4.
Quant à leur situation après la chute, leur connaissance
naturelle ne leur a été ni enlevée ni diminuée; leur
connaissance spéculative et surnaturelle des secrets de
Dieu a été diminuée, et la connaissance pratique sur-
naturelle, qui leur aurait fait aimer Dieu, leur a été
totalement enlevée. Leur volonté est obstinée dans le
mal. Cependant, quelques-uns de leurs actes peuvent
être bons ex génère suo ; leurs actes délibérés sont tous
397 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 398
mauvais. Ils souffrent d'envie, en ce qu'ils voudraient
voir les élus se damner; ils sont privés de la béatitude,
qu'ils désirent naturellement et beaucoup ne font pas
tout le mal qu'ils voudraient faire. In IV Sent., 1. II,
dist. VII, q. I, a. 2; q. il, a. 1; Sum. theol., Ia, q. LXIV,
a. 1-3. Même, quand ils ont pris un corps humain, ils
ne peuvent engendrer. Un démon, successivement suc-
cube et incube, ne peut engendrer non plus. S'il le
pouvait, persemen viri, il n'engendreraitqu'un homme,
ainsi qu'il est dit des géants. Gen., vi. i. In IV Sent.,
I. II, dist. VIII, q. il.
7 Duns Scot. — Le docteur subtil, ayant sur plu-
sieurs questions philosophiques un sentiment différent
de celui de saint Thomas, a aussi sur les démons des
opinions divergentes. Il les expose principalement dans
son Commentaire sur les Sentences, 1. II, dist. I V-VII,
Opéra, Paris. 1893, t. xit, p. 29i-372,et dans ses Repor-
tata, 1. II, dist. IV, VI, VII, 1904, t. xxn, p. 601-625. Il
réfute longuement les opinions de saint Thomas. 11
admet pour les mauvais anges la possibilité d'avoir été
misérables miseria pœnse et culpœ dès le premier in-
stant de leur création (ce que n'admettait pas saint
Thomas), parce que toute volonté peut mal agir dès le
premier instant. Voir t. i, col. 1236. En fait, il y a eu,
non seulement un intervalle entre leur création et leur
chute, mais plusieurs, qu'ils aient été créés ou non
dins la grâce, ce qui est problématique. Ils ont commis
plusieurs péchés d'espèces différentes, avant d'être
obstines dans le mal. Quant à l'objet du péché de Lu-
cifer, Scot estime, à rencontre de saint Thomas, que
Lucifer a pu désirer égaler Dieu, non pas sans doute
d'un vouloir efficace, qui ne pouvait pas se réaliser,
mais d'un simple désir de concupiscence, et tanto desi-
quanto concupiscerel, si essel sibi /lossibile. En
d'autres termes, il n'a pas cherché à devenir l'égal de
Dieu, ce qui est impossible; il l'a cependant parfaite-
ment voulu. Sa volonté est demeurée, en fait, une vel-
léité. On dit généralement que ce premier péché' fut
un péché d'orgueil. Mais l'ange a désiré son avantage,
la béatitude, d'une façon immodérée et désordonnée, en
ant l'amour (!<■ soi jusqu'à la haine de Dieu. Sa
faute n'a donc pas été une faute d'orgueil à proprement
parler, il n'a pas désiré sa propre excellence pour elle-
méme, ted propter delectationem quant imporlabat.
[uent, sa faute se rapporte plutôt à la luxure.
Voir t. i. col. 1239. Il a faitplusîeui successifs
dont il aurai) pu se repentir. Il a débuté' par un amour
immi i il a consommé sa malice par la
haine de Dieu, parce que Dieu résistai! à Bes désirs.
seulement de ce dernier
vienl pas di Dieu, - 1 1 1 < .n permissive.
Dieu ne peul p ia, donner au
■ a,i resurgendum. lu f.iit donc, Satan
est dey< nu impénitent el il demeure nécessairement
le péché. Cependant, contrairement à l'opinion de
i de Henri de Gand, il peut vouloir
quelque i,i. n , t lain di - actes bons, quoique par ma-
complisse probablement aucun. Il \ a
i qu'il puisse se disposer à la grâce. Il peul an ritei
ta : il n'y a pas de répugnance intrin-
ii mérite. Sa volonté ne veut pa uécessaire-
I le mal . i Ile ne p' m pas s être toujours pou
luoiqu'il ne pui lire un acte • o
m point de ue moral . Il ne peut ci
peine, mén ai i idi nti lit m
■ ir un nouveau demi i lu Voii
t. i. col. i
in lu puis t ut. — A partii de o tli
ilisiin ■ rtiennent à 1 école domini*
oii iiiomi t. ou bien i fi anciscaine ou
/. au wii ,■ vj_
I < un
système intermédiaire, en empruntant quelques traits
à ses prédécesseurs, en y joignant des vues person-
nelles. Après lui, les docteurs adoptèrent son sentiment
ou reprirent quelqu'un de ceux qu'ii avait réfutés.
1° Suarez. — Il a consacré deux livres entiers, VII
et VIII, de son traité De angelis aux mauvais anges,
étudiant successivement leur chute et leur faute, puis
leur punition el la guerre qu'ils font à Dieu et aux
hommes. Opéra omnia, Paris, 1856. t. n, p. 791-1099.
Il est de foi catholique qu'il existe des démons ou anges
mauvais, et il n'y a pas eu d'anges terrestres qui au-
raient engendré les géants. Cf. I. I, c. vi, n. 31. C'est
une hérésie des manichéens et des priscillianistes de
prétendre que les anges étaient mauvais de leur nature.
Les anges sont devenus mauvais par leur volonté pro-
pre; d'ailleurs, aucune créature raisonnable ne peut
être créée impeccable. Voir t. I, col. 1237. Les anges
n'ont péché ni par ignorance ni par inconsidération;
ils ont pu pécher par orgueil et. contrairement à ce que
pense Duns Scot, ils ont réellement péché par orgueil.
Mais Suarez admet avec Scot que le point de départ de
ce péché a été l'amour désordonné de soi, amour à la
fois d'amitié et de concupiscence, et amour de sa propre
excellence (dernier point que Scot déclarait impossible).
En quoi Lucifer a-t-il recherché' et désiré' désordonné-
ment sa propre excellence'.' Suarez discute les diverses
hypothèses proposées avant lui, et d'abord, celle du
désir désordonné de la béatitude naturelle, avec les
différentes manières de l'expliquer. Aucune ne peut
rendre compte du péché d'orgueil, qui fut celui de Lu-
cifer; elles lui attribuent d'autres fautes, la pusillani-
mité ou la paresse en face de la béatitude surnaturelle,
OU la simple complaisance dans la béatitude naturelle.
Le désir désordonné de la béatitude surnaturelle n'ex-
plique pas non plus la chute de Lucifer, qu'il ait voulu
obtenir cette béatitude par ses seules forces naturelles
et sans la grâce de Dieu, ou sans l'avoir méritée ou
encore sans avoir pensé à la mériter. Ce désordre n'a
-n, iv été' possible dans l'intelligence d'un ange; l'eût-
il été, il n'aurait pas constitué un péché d'orgueil, ni
même un péché grave. I. explication de Duns Scot n'est
pas plus acceptable, aux yeux de Suarez. que celle de
saint Thomas. Il en discute les arguments. La velléité
de s'égaler à Dieu, si elle a existé, ne parait pas con-
stituer une faute grave, parce qu'elle porle sur une
impossible, à laquelle Lucifer se serait complu
en passant. On ne rendrait sa faute grave qu'en suppo-
sant qu'il - i -i déli clé dans l'objet de cette velléité : ce
qui sérail possible dans un ange déjà dépravé, mais ce
qui ne peul guère constituer le premier péché' d'une
intelligi ace non encore corrompue. En fait, le péché
de Satan n'a pas été mie -impie velléité, mais bien un
acte de volonté, tendant à l'exécution. Il n'a donc pu
se porter sur le désir d'égaler Dieu, dont la réalisation
était impossible. Suarez adhère ensuite, comme à la plus
probable, à l'opinion de quelques théologiens récents,
su i va ni laquelle Lucifer a péché en désirant désordon-
némenl l'union hypostatique du Verbe de Dieu avi
nature angélique. Cette opinion est admissible seule-
ment dans l'hypothèse que Dieu a révélé aux anges le
mystère de l'incarnation, hypothèsi à laquelle se rallia
le ihéolo) " n espaj ool, tout en ■ apportant divi i
modifications. Lucifer a désiré l'union hypostatique du
Verbe ■>\>,c lui, parce qu'il j voyait une prééminence à
acquérir. Il a donc commis li | rgueil au sujet
de la divinité, «pie les Pèrei lui reprochaient,
commettre aucune erreur d'appréciation, puisque la
révélation divine lui avait appris la possibilité de
l'union hypostatique. II a inlon i omme
ii n. .il. à i n. Mm ■ puis me lui étant due.
enfin comme lui étant reluséi injustement poui ■
cordée ■> la nature humaine, fouie autre excellet
telle que celle de l'indépendance relati ni ■> Dieu
399 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEl RS
WO
ou cpllf de l'ambition <1<' commander aux autres, n'a
pu être l'objet de l'orgueil de Lucifer, puisqu'il savait
que, comme créature, il était infiniment au-dessous de
Dieu, et puisqu'il avait déjà le droit de commander aux
autres anges, auxquels il était supérieur par les dons
de la nature et de la grâce. Suarez examine ensuite
quels péchés, autres que l'orgueil, Lucifer a pu com-
mettre, tandis qu'il était encore in via, et il lui attribue
divers péchés d'orgueil, la présomption, l'ambition, la
vaine gloire, puis l'envie contre le Christ, devant s'unir
hypostatiquement à l'humanité, pas toutefois l'impa-
tience, mais plus probablement la colère et la haine
contre le Christ et contre le genre humain, et d'autres
péchés encore. Quant à la condition première de Lu-
cifer avant sa chute, il n'appartenait pas aux ordres
inférieurs de la hiérarchie angélique; il était de l'ordre
des séraphins, qui est le plus élevé; il n'était pas ce-
pendant le plus parfait de cet ordre, et Michel, par
exemple, pouvait être son égal.
Il est de foi que beaucoup d'anges ont péché, et il y
en eut de tous les ordres. Leur nombre fut grand,
inférieur cependant au nombre des anges demeurés
fidèles. Ils ont été induils au péché par Lucifer, non
pas seulement par l'exemple, mais par la persuasion,
exprimée en paroles. Voir t. i, col. 1240. Us n'ont pas
péché par concupiscence, dont ils sont incapables,
cf. 1. I, c. v, mais par orgueil. Leur orgueil n'a eu
pour objet ni la béatitude naturelle ni la béatitude
surnaturelle; il n'a pas été non plus l'assentiment au
péché de Lucifer, qu'il soit le désir de l'indépendance
ou celui de la domination, mais l'assentiment à son
désir de l'union hypostatique. Comme lui, ils jugèrent
que cet honneur aurait dû être réservé à l'un d'eux, à
leur chef. Lucifer leur en avait donné la persuasion.
Mais s'il a péché avant eux (selon notre .manière de
concevoir le temps), ils sont tombés tous ensemble.
Le péché des anges supérieurs a été plus grave que
celui des anges inférieurs, parce qu'ils étaient plus
instruits et plus forts. Il a été commis dans le ciel, où
ils avaient été créés, et aucun n'a pu le faire au pre-
mier instant de sa création (nonobstant tous les argu-
ments contraires, que Suarez discute longuement), ni
aussitôt après sa création (in secundo instanti), sans
qu'il y ait eu quelque intervalle, au moins très court.
Si les anges ont été créés au commencement du pre-
mier jour de la création, il est plus probable aussi
qu'ils ont péché le même jour, et que l'intervalle entre
leur création et leur chute n'a compris qu'une partie
de ce jour.
Tous les anges pécheurs sont damnés et aucun d'eux
n'a fait pénitence. Ils avaient eu cependant un très court
répit pour se repentir; mais quoiqu'ils aient pu le
faire, qu'ils en aient eu la liberté, qu'ils aient même
reçu un secours suffisant, ils ont manqué du secours
spécial, qui leur était moralement nécessaire pour ne
pas s'endurcir, et ils se sont endurcis moralement, par
leur faute. Dieu n'était pas tenu de leur accorder un
répit plus long ou un secours plus grand. "Voir t. i,
col. 1210. Ils ont été damnés aussitôt après leur obsti-
nation volontaire, et leur damnation n'a pas été réser-
vée au jour du jugement. Suarez ne trouve même pas
le sentiment contraire exprimé' par les Pères ni par
aucun auteur catholique. Dien que les démons soient
punis par l'aveuglement de l'esprit, ils ont cependant
gardé leur intelligence naturelle, mais ils sont privés
de toute connaissance surnaturelle. Leur obstination
dans le péché rend impossible toute réintégration dans
leur premier état; ils sont dans l'incapacité de se re-
pentir et ils ne peuvent accomplir aucun acte bon ou
honnéle; telle est la véritable cause de leur obstina-
tion. Ils sont tourmentés par un feu corporel et sen-
sible, qui agit sur eux physiquement el matériellement
leur causant une douleur réelle, et non per alligatio-
>ient solum. Malgré la tristesse que ces souffrances
ipportent, ils peuvent goûter quelque petite joie
sensible. L'enfer souterrain est le lieu de leurs tour-
ments. Tous sont destinés à y souffrir. Quelques-uns
n'en sortent jamais. Quelques autres vivent dans l'air
pour tenter les hommes jusqu'à la fin du monde. Ils \
souffrent néanmoins la peine du feu. non pas parce
qu'ils portent avec eux une partie de ce feu, dans
laquelle ils seraient enfermés et à laquelle ils seraient
unis, mais parce que le feu de l'enfer, rendu par Dieu
capable de brûler un esprit, a reçu aussi la puissance
d'agir à distance par un contact virtuel. Les anges, qui
sont dans l'air, peuvent descendre à tour de rôle dans
l'enfer. Il est probable que Lucifer lui-même est main-
tenant enchaîné, réservé qu'il est pour les combats des
derniers temps. Tous les anges déchus sont sous la
domination du chef, qu'ils ont suivi et qu'ils ont libre-
ment choisi. Il n'est donc pas un l\ran qui les domine
et qui leur impose ses volontés, mais il ne peut non
plus être privé de sa principauté par une rébellion des
anges inférieurs. Il est probable aussi qu'il y a, parmi
les démons, d'autres chefs intermédiaires, chargés
d'oflîces différents et gradués. Ces charges ne provien-
nent ni de la nature ni de l'élection; plus probable-
ment elles sont une peine infligée par Dieu aux dé-
mons les plus coupables. Les ministères ne diffèrent
pas suivant l'objet des tentations, mais plutôt d'après
les personnes à tenter, et chaque homme a probable-
ment, dès le moment de son animation, un démon
spécialement chargé de le tenter. Chaque démon peut
interrompre momentanément ses tentations, surtout
lorsqu'il est vaincu. Mais il est peu probable que Luci-
fer ou un autre chef interdise à un subordonné négli-
gent de continuer à tenter. Dieu plutôt peut obliger le
démon à s'éloigner pour un temps. Les chefs, préposés
peut-être à une cité, à une province, à un pays, inter-
viennent directement, lorsque leur intervention est
nécessaire; mais ils excitent toujours leurs inférieurs
à la lutte, en les instruisant et en les appliquant à
tenter tel ou tel individu. Finalement, servata propor-
tione, on peut dire de l'action des chefs des démons et
de celle des bons anges sur les démons la même chose
que de celle des bons anges les uns sur les autres.
Voir t. i, col. 1244-1245. La seule différence consiste
en ce que les bons anges, s'ils envoient les démons, les
envoient seulement pour inlliger une peine juste et
méritée, tandis que les chefs des démons envoient leurs
subordonnés pour induire au péché.
.1. Schwane, Histoire des dogmes, trad. Degert, Paris, 1903,
t. iv, p. 331-338; J. Turmel, Histoire de l'angélologie. dans la
Revue d'histoire et de littérature religieuses, 1899, t. îv,
p. 289-309, 537-550.
E. Mangknot.
2° Enseignement commun des docteurs. — Après
Suarez, il n'y eut plus guère d'opinion nouvelle au
sujet des démons, sinon sur quelques points de détail.
Les théologiens postérieurs se bornèrent à choisir
parmi les opinions précédentes celles qui leur parais-
saient les plus probables.
I. Chute de Satan et des démons. — Tous l'attri-
buent à l'orgueil. Quant à l'objet du péché d'orgueil,
les avis continuèrent à être partages. Les thomistes
restèrent attachés au sentiment de saint Thomas.
Quelques scotistes cependant se rangèrent à celui de
Suarez et expliquèrent la chute par le désir de l'union
hypostatique. Ainsi Frassen. Voir 1. 1, col. 1239. Estius.
In IV Soit.. 1. 11. dist. VI, s 6, Paris. 1662, t. II, p. iô.
adopte le sentiment de DunsScot. Voir Salmanlicenses,
Cursus théologiens, tr. VII, De angelis, disp. X.
dub. i-vin. n. 1-279, 21 in-8», Paris. 1877-1883, t. rv,
p. 555-684; Petau, Dogmata iheologica, tr. De angelis,
l. III, c. n. n. 8, t. iv, p. 65-74 : Palmieri, De Dea
créante et ri, Tante, part. 11. c. n, a. 2. thés, i ix. in-8 ,
401
DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS
402
Rome, 1878, p. 444-446; Mazzella, De Deo créante,
disp. II, a. 8, § 1, n. 429-433, in-8», Rome, 1880, p. 295-
298. ^
2. Le chef des révoltes. — On le tient généralement
pour le plus élevé de tous les esprits angéliques, ou au
moins pour l'un parmi les plus élevés. Salmanticenses,
Cursus théologiens, tr. VII, De angelis, disp. XII,
(lui), m, a. 7, n. 1-3, t. iv, p. 758 sq. ; Petau, Dogmata
theologica, tr. De angelis, 1. III, c. m, n. 1-8, t. iv,
p. 74-79; Palmieri, De Deo créante et élevante, pari. \\\
c. il. a. 2, thés, i.x, n. 5, p. 453 sq.
3. Le nombre des révoltés. — Il fut très considérable,
sans qu'on puisse le tixer au juste.
Ces ^ révoltés appartiennent très probablement, sui-
vant l'opinion commune, aux divers degrés de la hié-
rarchie angélique. Qu'il y ait eu des défections dans
tous les ordres et dans tous les degrés, on le conclut
de divers passages de l'Écriture. Rom., vnr, 38, saint
Paul désigne parmi les démons : des anges, des prin-
cipautés, des vertus; ailleurs, des archanges et des
puissances. Epi,., vi. 12. CI. I Cor., xv, 24. Ézéehieldit
de même qu'il y eut des chérubins tombés, xxvm,
li. 16. Salmanticenses, Cursus théologiens, tr. Vil'
Dr angelis, disp. XII, dub. m, q. i,xm, a. 9, n. 1 Sq.]
t. iv, p. 761; Petau, Dogmata theologica, tr. De an-
gehs, 1. III, c. in, n. 7, t. iv, p. 78.
'/. Durée de l'épreuve. - Il est impossible de
savoir combien de temps a duré l'épreuve à laquelle
fuient soumis les anges. Les esprits purs, ançes ou
(binons, étant indépendants du lieu et de l'espace ne
vivent pas dans le temps, comme l'homme. Leur exis-
tence oe saurait donc se mesurer, comme on mesure
la nôtre, en comptant les heures, les jours ou les
années. Les théologiens distinguent, dans la vie des
*s, plusieurs instants ou périodes indéterminées en
mais différentes des autres périodes par
les actes, ou séries d'actes qui les caractérisent Le
premier instant est celui de la création des anges et de
leur sanctification première par l'infusion de la grâce
sanctifiante et des dons surnaturels qui l'accompagnent.
Puis, vient l'instant ou période d'épreuve. Ensuite la
correspondance des bons à la grâce par leur acquies-
cement a la volonté de Dieu, el l'infidélité «les mauvais
par leur révolte contre le Maître suprême. Enfin, le
quatrième instant est celui de la récompense des bons
par le bienfait de la béatitude céleste et la punition
n l'éternelle damnation.
f:i' : ces périodes fut, ■ >,, „,i. ce qu'elle devait
Par rapporl an résultat produit. .Mais il non
impossible d'avoir nu.' notion exacte de sa duré
'' ' ['""', à l'une des mesures qui nous servent
Poui Salmanticenses, Cursus théo-
logiens, tr. Ml. Dr angt , disp. \ll.dnb. r-m, ,,. I 86,
i. iv. p. 720-738; Petau, Dogmata theologica, tr. De
';""';'■ ' '".<:■ i«. "• H-I8, t. iv, p. 79-82; Palmieri,
ue Ueo créante el élevante, pari II c n a 2
')■ P- "«-*«; Mazzella, De D te, dira'. IL
n. 'ri:,, p. 291 sq.
itë du péché commis par les dé,, m,, s dans
D, l'a , de tout I,
nd Cela n sort à la fois de i
n que l'Écriture donne a» dén
'l""' 'es démons rurenl el seronl éten
: ''" "a nature même des démons. Parmi
iges l'emportaient par
Le péchi det rebelles
ne une plus grande malii tavecplus
■ ur volonté libi
tau mal.
1 " •" "" ' iule
atténuante, comm<
lw ■''■'"- I Wam etd'l ve. n a péché di
son propre mouvement et non sous l'impulsion d'un
autre, et c'est pourquoi il est demeuré dans sa faute;
tandis que l'homme qui n'a pas péché de lui-même,
mais à l'instigation du démon tentateur, a obtenu de
Dieu les moyens de se repentir et de réparer sa faute
avec la grâce du Christ médiateur. Néanmoins, les
anges qui ont péché, entraînés par Lucifer, ne sont
pas excusables comme l'homme, qui a été tenté par un
être supérieur à sa nature. Aussi les anges coupables
ont-ils tous été punis, aussitôt après leur péché, et ils
ne peuvent faire pénitence. Salmeron cependant,
In II Episl. Pétri, disp. III, dub. ni, a pensé que les
démons pouvaient faire pénitence et que Dieu avait été
disposé à leur accorder le pardon. Il interprétait dans
ce sens II Pet.,n,4,et il concluait qu'avant de les expul-
ser du ciel, Dieu avait accordé aux anges rebelles un assez
long répit. Cf. Suarez, De angelis,]. VIII, c. i, n.6-8sq.,
t. n, p. 960. Il ne les aurait condamnés définitivement
qu'après leur refus de venir à résipiscence, et le mé-
pris avec lequel ils auraient rejeté les moyens de con
version et de salut qu'il leur offrait. Mais cette opinion
singulière est opposée au sentiment presque unanime
des saints Pères et des théologiens, qui interprètent
différemment ces paroles de saint Pierre, et pensent
que le répit, s'il a été donné, a été de très courte durée.
D'autres vont même plus loin, et enseignent que Dieu
n'a pas pu vouloir pardonner aux démons, car, vu leur
nature uniquement spirituelle, exemple de cette mobi-
lité de volonté que l'àme humaine tient de son union
au corps, quand ils se sont déterminés librement à un
acte, leur volonté y adhère avec tant de force qu'elle
ne peut plus s'en détacher. Après avoir péché, ils no
peuvent donc plus se repentir, et, par suite, Dieu ne
peut leur pardonner. Salmanticenses, Cursus tkëolo-
gicus, tr. VII, De angelis, disp. XIII, dub. i, S 2-9,
n.6-33, t. iv, p. 766-778; Petau, Dogmata theologica,
tr. De angelis, 1. III, c. m, n. 18, t. iv, p. 82 sq.
Tous les théologiens cependant n'admettent pas chez
les démons cette impossibilité radicale de se repentir,
après que leur volonté a adhéré' au mal. Quoique in-
comparablemenl plus intelligents que les hommes, les
démons el les anges ne sont pas néanmoins omni-
scients. Ils pourraient donc, ce semble, en considérant
de nouveaux motifs qu'ils n'auraient pas envisagés
d'abord, tourner leur volonté d'un objet vers un autre.
Cf. Suarez, De angelis, 1. III, c. x, n. 5 sq., Opéra
onmia, t. n. p. 404 sq. Ce ne serait donc pas à cause
de l'impossibilité intrinsèque el essentielle de se re-
pentir, dans laquelle ils se trouvaient, que Dieu n'a
point pardonné aux démons après leur chute; mais ce
serait parce que, vu l'énormité de leur faute, beaucoup
plus grave et beaucoup moins excusable que celle de
l'homme pécheur, Dieu avail décrété de ne leur accor-
der ni le temps, ni la grâce de la pénitence, suivant
l'enseignement des saints Pères ci lés plus haut. Sal-
manticenses, Cursus theologicus, tr. VII. De angelis,
disp. Mil. dub. îx-xn. t. iv. p. 778-787; Mazzella, De
Deo créante, disp. Il, a. s, § 2, n. 142-444, p. 303-306.
6. Suture <lrs démons u),r. s lu chute. — Si. par leur
révolte, les dénions perdirent à jamais la béatitude
Me ri, avec elle, hais les dons surnaturels qu Ils
ayaienl reçus au moment d.' leur création, ils ne |
dirent pas cependant les qualités essentielles a leur
nature.
" l.a spiritualité des anges avail été nettem
Il (as. voir I. I. COl. 1230, ri par le
N le du Latran, >in,i.. ,-,,]. [288. On ne i tu rail
donc l. nner de voir, au xvr Siècle, le cardinal
Cajetan, apn avoirdéfendu la doctrine du do
g<Wqu , théolo-
fi"i'"'. prô| n corpon it< di - démons, dans
commentaires sur l< Êpltn de uînl I' ml.
don/' ird, comme il eu i
4(13 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTERIEURS 404
Voir Cajetan, t. ri, col. 1321, 1325. Crediderim ego dœ
mones esse spiitnus iereos, et id consonare verse phi-
losophiœ rationi, ut quemadmodum invenitur vege-
tativum sine sensilivo, et sensitivum sine tecundum
locum motivo, et intellectinum sine secundum locum
motivo; ita inveniatur seau/dam locum molivum
sine sensilivo, quod est ponere BUJUS mohi AEREOS &P(-
imis, constantes ex intellectivo et secundum locum
motivo. Et est sermo de motu progressivo, absqne
sensilivo. Verum appellatione aeris, non intelligo ele-
mentum aeris, sed SUBTILE CORPUS, nostris sensibus
ignotum; corpus simplex et incorruptibile; natum
moveri localiter ab anima ad omnes différentiels po-
sili07iis, absejue pugnanlia aliqva ex nalura corporis
...ut nullus labor inveniatur in motu illo. Comment,
in Epist. ad Eph., c. II.
Cette opinion singulière de Cajetan ne trouva aucun
adepte, et il est, dans l'ordre des temps, le dernier des
théologiens de quelque valeur, ayant attribué aux dé-
mons un corps matériel, fùt-il d'une nature inconnue.
Aujourd'hui la spiritualité absolue des démons, aussi
bien que celle des anges fidèles, est considérée comme
certaine et il y aurait témérité à prétendre que les
démons ont un corps éthéré, aérien, igné : en un mot,
matériel, quelque subtil qu'on le suppose. Voir t. i,
col. 1268-1269.
b) Intelligence des démons. —Elle fut obscurcie, en
quelque façon, par la soustraction des lumières surna-
turelles, provenant de la grâce; mais non par la priva-
tion des lumières naturelles de leur entendement, car
celles-ci leur sont restées entières.
c) Volonté des dénions. — S. Thomas, Sum. theol.,
Ia, q. LXIV, a. 2. Elle est tellement obstinée, endurcie
et confirmée dans le mal, qu'ils ne peuvent réellement
accomplir aucun bien.
Les démons, dans tous leurs actes, ne cherchent et
ne veulent que le mal. Si, parfois, un de leurs actes
parait bon en soi, il est toujours vicié par quelque
circonstance mauvaise. Quand les démons disent la
vérité, par exemple, c'est pour mieux tromper ensuite.
Quand ils confessaient la divinité du Christ sur la terre,
ce n'était pas pour lui rendre gloire, et lui attirer des
adorateurs, mais pour mieux le combattre. Les démons,
en elfet, selon la doctrine de saint Thomas, ne
peuvent faire des actes qu'en les conformant à la lin
qu'ils se sont proposée dans leur révolte première, car
ils y ont adhéré de toutes les forces de leur être, au
point que, depuis lors, ils n'en peuvent vouloir une
autre. Or, cette fin est perverse en soi : c'est la guerre
à Dieu, et, par suite, à tout ce qui est bien. Donc, tous
leurs actes, d'une façon ou d'une autre, sont dirigés
vers le mal.
Pour infirmer cet argument. Vasque/., Commentarii
et disputationes in l"m partent Summse theologicse
sancti T/iomse, disp. CCLXXXIX, dit que, si cette raison
était fondée, on aurait le droit d'en conclure que, sur
la terre, tout homme en état de péché mortel ne peut
rien faire de bon moralement, et pèche dans tous ses
actes. Mais, comme le remarquent les Salmanticenses,
Cursus theologicus, tr. VII, De angelis, disp. XIII,
duh. il, § 2, n. 60 sq., t. IV, p. 788 sq., cette conclu-
sion, vraie des damnés en enfer, est fausse pour les
hommes qui, vivant encore sur terre, n'adhèrent pas
au mal d'une manière inllexible, comme les démons,
carils peuvent encore s'en détourner. lien est différem-
ment après la mort. Comme le répète très souvent
saint Thomas, le péché, une fois commis, est, pour 1rs
purs esprits, ce que la mort est pour l'homme. Après la
chute, le péché fait, en quelque sorte, partie de ia
nature des démons, et n'en est plus séparable. Hoc
ipso quod dmmon adhmreat indeclinabiliter ullimo
fini perverso, illa adhœsio QUODAMMOD0 PBRTITUR fA
n i// n\ 1/ akgeli. El ideo oporlet, ut sicut in quovis
actu angelico débet quodammodo splendere propria
nalura angelica; ita etiam Hrix adhxsio-
uis, atque adeo quivis actu», vel erit ipsa adh ■
sive volitiit perverti finis, vel aliqua parlicipatio
illius. Luc cit., n. 61, t. iv, p. 789.
7. Châtiment. — En punition de leur révolte, les
démons ont été condamnés, pour l'éternité, à la double
peine du dam et du feu.
a) La peine du dam. — C'est incomparablement la
plus terrible de toutes les peines de l'enfer, et, auprès
d'elle, le tourment même du feu éternel, si atroce
soit-il, n'est presque rien. Voir Dam, col. 9-11. Mais si
cette peine du dam est si épouvantable, comment les
démons peuvent-ils garder assez de liberté d'esprit,
pour tenter les hommes sur la terre, les tromper, et
travailler avec tant de persévérance et d'habileté à leur
perdition? Les sentiments que les démons manifestent
parfois durant les exorcisines paraissent davantage
encore opposés à la douleur de leur damnation. Ils
ricanent, ils rient, et se moquent des assistants. Satan
prend plaisir à être adoré. C'est à lui qu'étaient dressés
les temples consacrés autrefois aux faux dieux. Mainte-
nant encore, là où la lumière de l'Evangile n'a pas
dissipé les épaisses ténèbres du paganisme, il règne,
et il tient à garder son empire. Au sein même des
nations chrétiennes, que d'ellorts ne fait-il pas pour
reconquérir le terrain perdu? Ces préoccupations et ces
goûts ne paraissent guère compatibles avec la torture
épouvantable que subissent les damnés, et que doit
endurer surtout le prince des légions infernales, le
plus coupable et le plus châtié de tous les maudits. La
peine du dam, plus terrible que le feu même de l'enfer,
ne fait donc pas tant soulfrir les démons.
Si une douleur intense suspend les opérations de nos
facultés, même intellectives, parce que notre intelligence
et notre volonté ont besoin du concours des oix
corporels même pour les opérations qui leur sont
propres, il n'en est pas ainsi des purs esprits, ni des
âmes séparées de leur corps. Leur mode de souffrir
est très différent du notre dans l'état présent, et la
peine du dam n'enlève aux démons ni leur activité
naturelle, ni une certaine joie à faire le mal.
b) La peine du feu. — Sur la nature de ce feu, et
sur la manière dont il peut torturer de purs esprits,
voir Enfer. On enseigna communément que les démons,
qui sont répandus dans l'air, y éprouvent la peine du
feu. Cajetan et Melchior Cano, In l:'m part. Sum. theol.,
q. xciv, a. 4, pensèrent cependant que ce supplice leur
était réservé pour l'époque qui suivra le jugement
dernier. Toutefois Cano pensait que les démons les
plus coupables restaient continuellement en enfer, et
que les moins coupables demeuraient dans l'air pour
tenter les hommes sans être alors soumis à la peine du
feu. Le cordelier Feuardent rappela que saint [renée
et les premiers Pères disaient que le diable ignorait
sa condamnation avant la venue de Jésus-Christ. Bel-
larmin, De béatifie, et canonisai, sanctorum, c. vi,
Controvcrs.. IV" controv., 1. 1. Milan. 1721. t. n. p. 635,
déclara que saint Justin, saint [renée, saint tpiphane
et Œcuménins, qui l'ont prétendu, se sont trompés.
Mais Maldonat et Petau reconnurent que la plupart des
anciens avaient ajourné le supplice de l'enfer pour les
démons après le jugement, Petau tenait cependant l'o-
pinion opposée pour vraie, parce qu'elle a prévalu dans
l'Église, l'.slius, In 1 \r Sent., 1. II, dist. VI. § 12. t. n,
p. .">:!, rejette aussi le sentiment des anciens. 11 n'admet
pas que Satan suit lie' des maintenant et ne puisse venir
sur terre; et il semble dire qu'il est ordinairement dans
l'air, quoiqu'il descende parfois en enfer et \ passe
quelque temps entre deux missions. Quant à la manière
dont les démons subissent sur terre la peine du feu,
on se rallia on bien au sentiment de saint Tho-
mas, Billuart, De angelis, diss. VI, a. 3. § 2, L\on,
405 DÉMON D'APRÈS LES SCOLASTIQUES ET LES THÉOLOG. POSTÉRIEURS 406
1839, t. ii, p. 217, 219, ou bien à celui de Suarez.
8. Hiérarchie des démons. — Les théologiens main-
tinrent le sentiment de Suarez sur le principat de Satan
et sur les chefs intermédiaires entre lui et les démons
inférieurs. Voir Mazzella, De Deo créante, disp. II, a. 9,
§ 2. p. 465. p. 323 sq.
9. Action des dénions sur les hommes. — Les démons,
sortant de l'enfer et venant sur la terre pour faire la
guerre aux hommes et les entraîner à leur perte-
peuvent leur nuire de plusieurs façons : a) en les pous-
sant au péché par la tentation; b) en les affligeant de
divers maux; c) en leur procurant certains avantages
matériels pour mieux les séduire; d) en usurpant auprès
d'eux la place de Dieu et en s'imposant à leur adoration.
a) L'office principal des démons sur la terre est de
tenter les hommes. Voir Tentation.
b) Les démons peuvent aussi nuire aux hommes,
en les affligeant de divers maux. — Souvent ce n'est
là, de leur part, qu'une forme spéciale de tentation.
S'ils font souffrir les hommes, c'est pour les faire
tomber en des péchés d'impatience, de murmure
contre Dieu, de colère, de blasphème, de découragement,
et même de désespoir. Dieu le permet, pour faire
éclater davantage la vertu de ses élus, comme il le
permit pour Job, car l'Écriture attribue à l'esprit mau-
vais tous les maux que ce saint homme eut à souffrir.
Cf. Job, I, 6, 8, 10; II, 5, 7 sq. Quelquefois aussi, Dieu
se sert de cette milice des démons pour châtier les
pécheurs. Dans les maux dont ils aflligent leurs vic-
times, ils ne sont alors que les instruments de sa
justice. C'est pour un motif de ce genre, semble-t-il,
que Ir démon Asmodée put mettre à mort, les uns
après les autres, les sept maris de Sara, fille de Haguel.
Tob., m. H.
L'Évangile affirme qu'une foule de maladies, dont il
fait mention fréquemment, étaient l'œuvre du démon.
Matlh., xii, 22: xvil, 11 sq. Voir DÉMONIAQUES. Aussi
ins beaucoup de ses bénédictions, par exemple
celles de l'eau, du sel. des saintes huiles, commence
par des exorcismes, el demande ensuite que, par ces
objets dont elle a chassé le démon, les fidèles soient
de ses funestes atteintes. Cf. Suarez, De
lis, I. VIII, c. xx. t. il, p. 1081-1088; Mazzella.
hr h,;, créante, disp. II. a. 9, g 2. a. 166-469; * 3,
6, p. 324-326, 333-337; 1'. Verdun, Le diable
,i,i,,-. in vie des saints, 2 in 12. Paris, 1895.
i. iction aéfaste du démon sur les hommes revêt
divei L'une des principales est l'obsession.
lie le démon occupe, en quelque façon, le corps
de l'homme, el se »erl il. rganes i ontre la volonté
même de cet homme. Il lui rail accomplir, parfois,
certa qui dépassent les forces de la nature
humaine. Il > ■< dans l'obsession plusieurs il
Voir 0 Cel 'lion du démon sur l'homme
- app< Ile possession, si l'espril mauvais s'empare com-
plétemenl d< sa personn . 'i exerce sur lui un ici
empii ute action humaine cesse, pour ainsi
dire <:i Mazzella, />-- Deo créante, disp. II. a. 9, s 2,
37, 340. Voir Ci
ienl ce pouvoir d'obséder ain
b m< - ' i il- • ii rendre maîtres, cela ressorl de
Doml ,l,. l'Écriture, en particulier d<
dit que Noti n indail aux
rlir du corps des hommes dans lesquels
ni introduits. Matth., su, 22 »q. . Marc., v, 9:
'•I . wii. 27; \. 17 iq. CI \,i . XVi, 10
Voir lu m
h,,, murs ,<>r-
Par b m- intelligence el leur i le dé i
effet, hommes, ii- i onnaissi n
la natun i gui bien mieux
qui
donc capables de produire des résultats surprenants,
et même, quand cela sert à leurs desseins perfides, de
procurer des avantages matériels à ceux qui ont recours
à eux. Il peut donc y avoir un vérilable commerce de
l'homme avec les démons.
Cette communication avec les démons ('tait, dans
l'Ancien Testament, punie des peines les plus sévères,
comme, par exemple, la peine de mort, par la lapida-
tion, même pour les femmes qui s'en rendaient cou-
pables. Lev., xx, 27; Deut., xvm, 11; 1 Reg., xxviii,
7, 9-10, 13. Elle constitue une faute très grave. Cf. Décret
de Cratien, part. II, caus. XXVI, q. v; S. Thomas,
Sum. theol., IIa II», q. xcn-xcvi. Ce commerce de
l'homme avec les démons est de diverses espèces. Voir
Magie, Superstition.
De nos jours, l'intervention du démon dans les choses
humaines est encore réelle, quoique, dans les nations
chrétiennes, elle soit beaucoup moins fréquente qu'au
sein du paganisme ancien et moderne. On ne doit
cependant l'admettre, dans les cas particuliers, qu'avec
preuves sérieuses à l'appui. Lorsque des faits extraordi-
naires sont constatés, on doit examiner avec soin si les
forces de la nature ne suffisent pas à les expliquer.
Souvent, en effet, des faits surprenants ne sont pas
solidement établis, et leur fausseté devient, plus tard,
manifeste. D'autres fois, ces faits ne sont que l'œuvre
d'habiles prestidigitateurs, ou le résultat des agents
naturels.
On aurait tort, néanmoins, de rejeter, comme des
fables puériles, tout ce qui est raconté au sujet de
pactes conclus entre l'homme et le démon. La théologie
démontre la possibilité de ce commerce de l'homme
avec le démon. Mais, comme en ces matières si com-
plexes, et si différentes de l'ordre ordinaire des choses,
les causes d'erreur sont nombreuses, l'examen des cas
particuliers demande u ne grande prudence et une extrême
circonspection. Seule, l'autorité ecclésiastique est com-
pétente, pour porter, en dernière analyse, un jugement
à leur sujet.
Jamblique, De mysteriis àSgyptiorum, Chaldseorum, Assy-
"•'. in-fol., Oxford, 1678; in 8% Berlin, 18Ô7; Hebenstreit,
nblichidoctrina, in-4", Leipzig, l764;Wier, Deprœsfifftis
ln-4*,Bale, 1583; Bodin, Traité de ta démonomemie,
in-i-, Paris, 1589; Boguet, Discours dessorciers, in-12, Rouen,
1006; Salmanticenses, Cursus theologicus, tr. vu, /).• ange-
p. X-XIV, 21 in-8', Paris, 1877-1883, I. iv, p. 554-796;
i. ancre, Tableau de l'inconstance des démons, in-V.
Paris, 1613; Psellus, Diatogusde dsemot ta-8",
Paris, 1615, et /'. G . t. i xxu. ci Bin feld De con-
nibus maleflcorum et sagarum, in-12, Cologne, 1623; Pla-
lina, />•• angelis et dssmonibus, In almet,
Traité sur les apparitions des esprits et sur les
2 ln-12, Paris, 1751; de Sainte-Croix, Recherches historiques
et critiques sur 1rs mystères du paganisme, S in-8°, Paris,
1 ^ 1 T ; . . ,',/,, ', in 8-, Mali- 1842 :
ystique divine, naturelle ri diabolique, 'i in-'r. I
1x62; CoUIn dePlancy, Dictionnaire infernal, in -8', Paris, Is'ii .
Thibaudet, Des esprits et tir U nie vi-
sible d'après lu tradUio Lecanu, Histoire
île Satan, su chute, son culte, ses manifestatU ■ livres,
Paris, 1861 . tfceui t el pi atiques d< n-8". Paris,
Bizouard, Des rapports de Vhon le démon,
6 in-8 1864; \ de Saint-Albin, / ■ cuit
in-12. Paris, 1867; u. d'Anselme, >'» avocat du diable, in-8*.
70; De Mirville, Des esprit»
. Perla, is Palmierl, De Deo
1878, pai i. n
lix-lx, lxiii-lxiv, ]i 144-466 471-490; M Deo
'
I
reli-
gieux
, Dio,
94, i i\. i i 94 Mai
llqultés d"
407 DÉMON D'APRÈS LES DÉCISIONS OFFICIELLES DE L'ÉGLISE 40»
catholique, \ Démon, ln-4« Paris, 1890, p. 774-782; P. Verdun,
l.o diable dans les missions, 2 in-12, Parie, 1893 : Le diable dans
la vie dessainls, 2 in-12, Paris, 1895; Itibet, La mystique divine
distinguée des contrefaçons diaboliques, S in-8', Paris, 1895;
i esco m-. La science et 1rs fxits surnaturels contemporains,
in-8", Paris. 1897 ; Godard, L'occultisme contemporain, in-12,
Paris, 1! : Pesch, Prœlectiones dogmatiese, tr. DeDeo créante,
sect. v, Dr angelis, a. 2, n. 397-403, 408-416; tr. De novisti-
mis. part. I, sect. iv, a. 2, n. 634; a. 3, n. 662-665,668-671,
9 in-8«, Fribourg-en-Brisgau, 1902, t. m. p. 213-216, 219-228;
t. ix. p. 312 sq., 324-326, 327-329 ;Tixeront, Histoire des dogmes,
Lu théologie antênicéen'ne, c. i, S 2-3;c. n,§ 1, S 5; c. v, S 3;
■•• Xiv, g 1, in-12, Paris, 1906, p. 38 si]., 65 sq., 108 sq.,243sq.,
147 sq. ; Kirchenlexikon, v° Teufel, 2- édit., t. xi, col. 1445-4449.
T. Ortolan.
IV. DÉMON D'APRÈS LÉS DÉCISIONS OFFICIELLES
DE L'ÉGLISE. — L'Église n'est guère intervenue, par
l'organe de son magistère suprême, dans la détermina-
tion de la doctrine révélée sur les démons. Elle a laisse
à ses docteurs le soin de l'exposer comme la liberté
d'étudier les questions que la révélation divine ne nous
a pas fait connaître. Il s'est élevé peu d'erreurs sur le
diable et les anges, et l'Église a eu rarement l'occasion de
condamner des enseignements faux ou hérétiques. Les
points qu'elle a fixés officiellement et qu'elle impose à
noire foi sur ce sujet sont donc peu nombreux.
1° La création des démons a été définie par divers
conciles et imposée à la foi de tous les fidèles, dans les
nombreux symboles, affirmant contre les doctrines dua-
listes, qui se renouvelaient presque à chaque siècle,
que Dieu était le créateur des êtres visibles et invi-
sibles, parmi lesquels étaient rangés les anges déchus
aussi bien que les anges demeurés fidèles à Dieu. Voir
t. i, col. 1264-1265; t. in, col. 2078-2079.
2° Dans des réunions tenues à Constantinople avant
le Ve concile œcuménique de 553, on condamna dans
15 analhématismes diverses erreurs des origénistes du
vie siècle. La seconde partie du 2e anathématisme con-
damne leur opinion sur la déchéance des esprits. Les
âmes préexistantes, tout à fait identiques les unes
aux autres, lasses de contempler Dieu, se portent vers
le mal, chacune suivant sa propension propre. Par suite,
elles prennent des corps plus ou moins subtils et gros-
siers et portent des noms différents; elles sont enfin
réparties dans ce qu'on a appelé les ordres célestes.
Les démons sont celles de ces âmes, qui ont atteint le
suprême degré de malice et ont été liées à des corps
froids et ténébreux (4e anathématisme). Le 5e repousse
la théorie de la métempsycose ou du changement d'un
animal ou d'un homme en ange ou en démon. Le
début du 6e repousse la distinction de deux catégories
de démons, l'une formée des âmes humaines déchues
et des anges les plus élevés, entraînés plus bas par le
poids de leurs fautes. Le 12e rejette l'union des anges,
des hommes, du diable, des mauvais esprits et de l'âme
elle-même du Christ au Logos dans le futur royaume
de Dieu. Denzinger, Enchiridion, n. 188, 190192. 198.
Voir t. i, col. 1265-1266, et OrigÉNISME ,\r vr siècle.
3° Au concile de Braga, tenu en 561, les évèques es-
pagnols ont porté ces quatre anathématismes contre
les manichéens et les priscillianistes :
7. Si qnis dicit diabolum non fuisse pn'us lionum angelum a
Deo factumnec Uei opificium fuisse naturamejus, sed dicit eum
ex tenebris emersisse nec aliquem sui habere auctorem, sed
ipsum esse principium atque substantiam mali, sicut Manichasus
et Priscillianus dixerunt, anathema sit.
8. Si quis crédit, quia aliquantasin mundo creaturas diabolus
fecerit et tonitura et fulgura et tempestates etsiccitates ipse dia-
bolus sua auctoritate faciat, sicut Priscillianus dixit, anathema
sit.
12. Si quis plasmatlonem bumani corporis diaboli dicit esse
uluin et conceptiones in uteris niatruin operibus dicit dœ-
monum Bgurari, ...sicul Manichieus et Priscillianus dixerunt, ana-
thema sit.
13. si quis 'ii.it creationem univers» carnis non opificium Uei,
bi 'i malignorum esse angelorum, sicut Priscillianus dicit, ana-
thema sit. Cf. Denzinger, Enchiridion, 10* édit., I
Brisgau, 1908, n. 237, 238,241, 242.
i" Le IV* concile de Latran, XII* œcuménique, pro-
mulgua, en 1215, une profession de foi contre les
erreurs des albigeois, qui avaient renouvelé la doctrine
manichéenne des deux principes. Il y définissait que
Dieu est le créateur de toutes choses, puisqu'il a fait
de rien, simul ab initia lemporis, les créatures spiri-
tuelles et corporelles, les anges et le monde. Il ajou-
tait : Diabolus enim et alii dwniones a Deo quidem
vatura creati sunt boni, sed ipsi per se facti sunl
mali. Homo vero diaboli suggestione peccavit. Den-
zinger, n. 355 (128 de la I0« édition). De celle définition
il résulte clairement que tous les anges, même ceux qui
sont devenus mauvais, ont été créés par Dieu et qu'ils
ont été créés bons, mais qu'ils sont devenus mauvais
d'eux-mêmes, parleur propre dépravation; il en résulte
aussi que le diable a fait tomber l'homme dans le pé-
ché. La spiritualité des anges et des démons, bien
qu'affirmée par le concile, n'a pas été cependant l'ob-
jet de sa définition, pas plus que la date précise de
leur création. Voir t. i, col. 1268-1270; t. m, col. 2080-
2081.
5U Parmi les 45 articles de Wikleff, condamnés par
le concile de Constance et par le pape Martin V en
1418, le 6e est ainsi libellé : Deus débet obedire dia-
bolo. Denzinger, n. 482 (586 de la 10? édition).
6° Le concile de Trente, sess. V, can. 1, a déclaré
que, par sa transgression du précepte divin, Adam a
encouru captivitatem sub ejus potestate <jui mortis
deinde habuit imperium, hoc est diaboli. Denzin_
10- .'dit., n. 788.
1° Le concile du Vatican, const. Dei Filins, c. i, a
renouvelé le décret Firmiter du IVe concile de Latran
et il a défini que toutes les choses du monde, les spi-
rituelles et les matérielles, ont été produites de rien
par Dieu dans la totalité de leur substance. Denzing
10e édit., n. 1783. Comme il a reproduit textuellement
sur le point qui nous occupe le décret de Latran, il n'a
voulu définir, comme lui, que la création par Dieu de
tous les anges et il n'a pas imposé à la foi catholique ni
la spiritualité des démons, ni la date précise de leur
création. Voir A. Vacant, Etudes théologiques sur les
constitutions du concile du Vatican, Paris, 1895, t. i,
p. 219-227.
En résumé, l'autorité de l'Église nous impose
d'admettre comme de foi catholique que les démons
ont été créés par Dieu ainsi que toutes choses, qu'ils
ont été créés lions, que, s'ils sont déchus, c'est par
leur faute, et qu'ils n'ont pas créé la matière ni les
corps. Il est de foi divine qu'il y a des anges déchus,
que le diable, leur chef, a tenté l'homme et l'a fait
tomber dans le péché, que Satan et ses anges ten-
ii ni et persécutent les hommes et que, en punition
de leur faute, ils ont été condamnes à l'enfer éternel,
qui a été préparé pour eux. Il est certain par ailleurs
que les démons, comme les anges, sont des esprit-
n'ont pas de corps, qu'ils ont été créés avant les hommes
ei au commencement du temps, avec les êtres corpo-
rels. Mais il n'y a rien de définitif sur la nature et
l'objet du péché des anges, sur la date de leur chute,
sinon quelle esl antérieure à la création de l'homme:
sur leur condition après la chute, sinon qu'ils sont les
ennemis de l'homme, qu'ils portent au mal et qu'ils
sont obstinés dans leur malice, sur la nature de leur
peine, sinon qu'ils sont destinés à l'enfer éternel. Les
sentiments des théologiens, que nous avons exposés
plus haut, sur les points non contenus dans la révé-
lation, sont plus ou moins probables et n'ont jamais
été sanctionnés par l'autorité de l'Église. Les docteurs
ne se sont pas crus liés par les opinions de leurs
devanciers; ils les ont copieusement critiquées, cher-
409
DÉMON — DÉMONIAQUES
410
chant à préciser davantage les points laissés à leur
libre discussion.
Hagen, Der Teufel im Licht der GlaubensqueUen, 1899;
Kirehliches Handlexikon, Munich, 1907, t. i, col. 1035.
E. Mangenot.
DÉMONIAQUES. — I. Définition. IL Existence.
III. Cause. IV. Responsabilité des démoniaques.
I. Définition. — On appelle démoniaques les per-
sonnes dont le corps, par une permission de Dieu, est
livré, plus ou inoins complètement, à l'influence mal-
faisante du démon. L'Ecriture les désigne sous le
nom de 5<xi(i.ovtÇ(Su.evo[, ou de SaiptôvtadévTe;, a dee-
monio vexali, Sa.aov.a ï/ovts:, dœmonia habenles,
(re)iT)vtaÇôu.evoc, lunatici.
Cette inlluence du démon sur les possédés n'est pas
simplement indirecte ou morale, comme, par exemple,
dans les tentations, même les plus fortes; elle est une
action directe et physique, exercée par les esprits de
ténèbres sur les organes corporels du malheureux
soumis à leur empire. Il en résulte pour celui-ci un
étal maladif, étrange, sortant des lois ordinaires des
affections morbides, quoique souvent accompagné de
phénomènes d'ordre purement naturel que le démon dé-
termine en lui. simultanément avec ceux qui dépassent
la sphère propre aux agents physiques. Ces phénomènes
sont habituellement une surexcitation générale et pro-
fonde de tout le système nerveux; l'épilepsie, Matth.,
IV, 24 ; Marc, III, 11; Luc, VI, ES; ou bien des paraly-
locales, Luc, xih, 11, 16, causant le mutisme, la
cécité ou la surdité, bien que les organes des sens
persistent dans leur intégrité native, Matth., ix, 3-2; xn,
22; Marc, ix, 2i; et d'autres maladies de diverses
formes. Matth., vin, 16; xv, 22; Marc, i, 32, 34, 39;
vu, 25; Luc, iv. il; vu, 21; vin, 2.
D'autres fois, au contraire, le démon communique
\ictime un accroissement extraordinaire de force
musculaire. Le malheureux entre en fureur, au point
d'éci :r de rage, de grincer des dents, de pousser
des cris épouvantables, de se précipiter dans l'eau ou
dans le feu. Il devient alors redoutable pour ceux qui
l'approchent, brise, comme des fétus de paille, les
chaînes de fer donl on veut le lier; et, s'il ne peut
atteindre les autres, tourne sa fureur contre lui-même,
se déchirant avec . et se meurtrissant
pierres du chemin. Matth.. vin, 28, 32; wu. Il;
Marc, v, 2,4, 13; ix. 16, 17; Luc, vin, 27, 29, 33; ix,
39; v -t . six, 13-16.
Ci tl troublante et bouleversante du démon
sur I rporels se continue dans les fai illl
mixtes, comme l'imagination, la mémoire, la sensibi-
lité. Elle s'étend même plus loin et plus haut dans
■ humain, car elle a sa répercussion jusque dans
l'intelligence. Les opérations intellectuelles présentent
parfois un tel caractère d'incohérence, que les d
niaquet parais enl frappés d'aliénation mentale. Il
de voir se produire, dans le domaine
de l'espi it. un phém lui qui se passe
le corps 'Pi" le démon,
au le u de paralyser les i orporelles du di
niaque, en aug nte parfois la pui n de même,
au lieu de* diminuer si lumières naturelles, il com-
muniqué ,i ion intelligence des connaissances qui dé-
lucoup i poi tée. Matth., vin, 29; Marc,
m, 2, v, 7; Luc, IV, 3i il ; vin, 28; Act., XVI,
peuvent i non
ment il un démon, mais de plusieurs, en même
temps; et parfoii d'un m grand nombre qu'ils s'ap-
ion. Matth., vu. 13, i.">. m
. 26.
II. l xi . ■ ■ L'Ai ■ .lient ne (ail
ition explicite Aep démoniaques; il parle n ulemenl
du pouvoir qu ont li malin d'exercei
malheureux, dont ils s'emparent, une action néfaste,
malfaisante et tyrannique. Il raconte, par exemple,
comment l'esprit mauvais se précipitait sur le roi Saùl,
l'agitait d'une façon affreuse et le rendait farouche et
sanguinaire. I Reg., xvi, 14-16; xix, 9. Cf. Josèphe,
Ant. jud., VI, vin, 2; xi, 2.
Au temps de Xolre-Seigneur, les démoniaques
étaient fort nombreux, en Palestine, voir col. 331, et
ils paraissent l'avoir été beaucoup plus que dans toute
autre période de l'histoire. Il en fut ainsi, soit parce
que la dépravation païenne avait pénétré jusqu'au sein
du peuple de Dieu; soit parce que c'était le moment
d'une lutte décisive et sans merci entre le bien et le
mal. La puissance céleste qui se manifestait si claire-
ment dans les actes de Jésus, provoqua, de la part des
anges tombés, une recrudescence de haine et de rage.
De même que Dieu, par l'incarnation, se rendait visi-
ble et habitait parmi les hommes, Raruch, m, 38;
Joa., I, 14; ainsi le démon affirmait davantage son
existence et son pouvoir, essayant, lui aussi, d'habiter
d'une façon plus visible et comme tangible dans l'hu-
manité. Le contraste entre la miséricorde de Dieu et
la malice de Satan, poursuivant de sa haine jalouse
l'homme que Dieu voulait sauver, s'accentuait ainsi
davantage. Marc, v, 19. Cet antagonisme violent était
nécessaire, afin que la victoire du Sauveur sur les
puissances infernales lut plus éclatante. Cf. Delitzsch,
System der biblischen Psychologie, in-8°, Leipzig,
1861, p. 305.
Depuis l'établissement de l'Église, le nombre des
démoniaques a, de beaucoup, diminué dans les nations
devenues chrétiennes. Cf. Martigny, Dictionnaire des
antiquités chrétiennes, in-i", Paris, 1889, p. 312. l'ai-
le baptême et les autres sacrements, les fidèles sont
préservés de ces atteintes sensibles du démon. lia
perdu de son empire, môme sur ceux qui, ayant été
baptisés, vivent cependant d'une manière peu conforme
à la foi de leur baptême. Membres de l'Église, quoique
membres morts, ils trouvent dans cette union, pour-
tant si imparfaite, au corps mystique du Christ, un se-
cours souvent suffisant pour que le démon ne puisse
s'emparer d'eux, comme il l'aurait l'ait, s'ils étaient
païens.
Néanmoins, non seulement dans les régions qui
n'ont pas reçu l'Évangile, mais aussi clans celles où
li e est établie, des démoniaques se rencontrent
encore. Leur nombre augmente en proportion du degré
de l'apostasie des nations qui, autrefois catholiques,
abandonnent peu à peu la foi, el retournent au ]
nisme théorique et pratique.
• in a tenté, de nos jouis, au nom du progrès des
sciences médicales et des sciences connexes, de nier
l'existence des démoniaques. Dans leur état si étrange,
on n'a voulu voir qui lions morbides spéciales,
surtout des maladies nerveuses, d'origine toute natu-
relle. Cf. Ricbei. Les démoniaques d'aujourd'hui et
refois, dan- la Revue des deux mondes, lô jan-
i ■■< et lô février 1880; Richer, Éludes cliniques sur
la grande hystérie, in 8°, Paris. 1880; Charcot, /■
sur i es du systt • ux, i<<iics à la Sal-
pêlrière, recueillies et publiées par le docteur Bour-
neville, in-8°, Paris, Issu. Charcot el Richer, /.<
moniaques dans l'art, in 8°, Paris, 1881 ; Bourneville
gnard, L'iconographie photographique de l<>
So'pi
i ■ fuif a-t on dit, attribuaient aux démonc
phénomènes morbides qui n'étaient que l'effet de
l'épilepsie, de l hystérie, ou de la folie. Cf. Renan
de Ji i. Ed. Stapfer, La Palestine <>" temps
de fésut Christ, 3 i dit - Pari . Il 85, p 113 iU I
ern ur leur • | beaucoup d'ani
peuples, qui rendaient li malfaisant respon-
me foule de maladies dont souffraient les
411
DEMONIAQUES
412
hommes. Cf. Maspero, Histoire ancienne des peuples
de l'Orient classique, 3 in-8°, I';iris, L895, t. i, p. 683,
780. Chez les Grecs, d'ailleurs, le mot Soctpov&v,
avoir un démon, signifiait simplement divaguer, être
fou. Cf. Euripide, Phœnic, 888; Plutarque, Marcel.,
23; Lélut, lin démon de Sacrale, in-8°, l'aris, 1850.
C'est dans ce sens que les Juifs accusèrent Jésus d'avoir
un démon, et, par suite, de ne savoir ni ce qu'il
disait, ni ce qu'il faisait. Matth., xi, 18; Joa., vin, 48,
52; x, 20.
Les apôtres, ajoute-t-on, auraient partagé l'erreur
des Juifs, alors si répandue; et Notre-Seigneur, en dé-
livrant les malades de leurs inlirmités, se serait, dans
la manière de s'exprimer, conformé à l'erreur de son
temps. Cf. Winer, Biblisches Realwôrterbuch, in-4°,
Leipzig, 1833, p. 191. Il n'est pas admissible que
Notre-Seigneur, par son langage, ait voulu confirmer
une erreur. Il l'aurait combattue, au contraire, tout en
guérissant les malades, comme il le fit à propos de
l'aveugle-né. Ses apôtres croyaient que celte cécité
était une punition des pécliés des parents, ou même
de ceux que l'aveugle aurait commis avant sa naissance,
ou pendant sa vie présente, et que Dieu aurait punis
par anticipation. Les Juifs pensaient, en effet, que
tout mal physique était un châtiment, comme l'avaient
dit à Job les amis venus pour le consoler. Cf. Exod.,
xx, 5; Deut., v, 9. Notre-Seigneur détrompa ses apô-
tres au sujet de l'aveugle-né. Joa., ix, 1-8. Comment
ne l'aurait-il pas fait pour une erreur plus préjudicia-
ble encore? Non seulement il ne chercha point à
modifier cette croyance des apôtres à l'existence des
démoniaques, mais il la fortifia par son enseignement,
liien plus, il leur communiqua le pouvoir de guérir
ces étranges malades, en chassant eux-mêmes les dé-
mons. Matth., x, 1; xn, 27, 43, 45; xv, 22; xvn, 15-20;
Marc, v, 9; VI, 7; vu, 25; IX, 27 sq.; XVI, 17; Luc.,iv,
33; vm, 27; ix, 1, 40; x, 17, 20. Ils ont exercé aussi
ce pouvoir après l'ascension. Voir col. 33i.
Le démon, il est vrai, peut causer dans l'homme des
désordres organiques desquels résultent des maladies
qui ne dépassent pas l'ordre naturel. Job, il, 7 sq.
Mais il peut faire davantage. De nombreux exemples
prouvent que les évangélistes distinguaient très bien
entre les maladies simplement naturelles, susceptibles
d'être produites indifféremment par les agents phy-
siques, ou par les agents supérieurs à la nature; et les
effets extraordinaires et autrement surprenants qui ne
pouvaient être que la suite de l'intervention des démons.
Matth., iv, 24; vm, 14-17; xn, 9-14; xv, 28; Marc, m,
10, 11; Luc, vi, 18; ix, 43. Tout muet, tout homme
sourd, tout épileptique n'est pas pour eux un démo-
niaque. Leur était-il possible de concevoir comme
purement naturelle, une maladie qui, au moment de la
guérison, projette violemment à terre celui qu'elle
abandonne, et le laisse comme pour mort sur le sol?
Marc, ix, 25; Luc, iv, 35; ou bien celle qui d'un
malade passe dans un troupeau d'animaux, et les préci-
pite dans un lac, où ils sont noyés, comme il arriva
pour les deux démoniaques du pays des Géraséniens?
Matth., vm, 28-31. Cf. S. Thomas, Sum. theol., III»,
q. xliv, a. 1, ad 4,,m. Aussi saint Matthieu, dans les
malades que Notre-Seigneur guérissait, distingue-t-il
très clairement les démoniaques des paralytiques et des
lunatiques, ou épileptiques. Cf. Vigouroux, Les Livres
saints et la critique rationaliste, 5 in-8°, Paris, 1891,
t. v, p. 386 sq.
La croyance des évangélistes aux démoniaques se
retrouve dans les saints Pères. Très souvent ils affirment
que les démoniaques existaient, à leur époque, parmi
les païens. Cf. Tertullien, Apolog., c xxm, P. L., t. i,
col. 413; Minucius Félix, Oclaviits, c. XXVII, P. L.,
t. ni, col. 323; S. Cyprien, Adversus Demelrianum,
c. xv, P. L., t. iv, col. 574 sq.; Lactance, Divin, inslil.,
I. II, c. xvi ; 1. V. c. xxiii, /'. L., t. vi, col. 355; S. Jé-
rôme, Adversus Vigilant., c. x, P. L., t. XXIII, col
S. Justin, ApoL, i, 18; Dialog. cunt Tryph., D
P. G., t. vi, col. 355, 070; S. [renée. Contra hier., 1. II,
c. vi, n. 2; c. xxxu. n. i, /'. <>., t. vu. col. 725, 829;
Origène, In Sum., homil. xvi. P. G., t. xn. col. 690;
Eusèbe, Praep. evangel., 1. IV, c. i sq.; 1. XIV, c. x,
/'. G., t. xxr, col. 229, 309; S. Athanase, De inca
lione Verbi, n. 46 sq., P. G., t. xxv, col. 178 sq.;
S. Cyrille de Jérusalem, Cal., iv. 13; x, 19, P. G.,
t. XXXIII, col. 472, 685; S. Cyrille d'Alexandrie.
Comment, in Os., c. iv. P. G., t. i.xxi. col. 130; Q
sliones ad orthodoxos, q. XL, P. G., t. vi, col. 1285.
L'objection faite au nom des progrès des sciences
médicales tombe d'elle-même, si l'on considère atten-
tivement les faits allégués. L'ignorance a parfois con-
fondu des cas pathologiques mal étudiés, ou mal connus,
avec des possessions démoniaques. Il est faux, cepen-
dant, que l'on puisse toujours confondre celles-ci avec
des affections simplement morbides. Les maladies
mentales, pas plus que l'hystérie ou l'état hypnotique,
ne peuvent soustraire un individu aux lois du inonde
physique, ni lui communiquer des lumières intellec-
tuelles ou des forces musculaires ne présentant aucun
rapport avec celles qu'il avait dans son étal normal.
On ne peut nier, en outre, que, de nos jours encore,
l'hystérie, l'aliénation mentale, et autres maladies, ne
soient accompagnées de faits vraiment extraordinaires
qu'on ne saurait rattacher au domaine strictement
scientifique. Ces cas, qui déroutent la science impuis-
sante à les guérir, et ne peuvent s'expliquer par le
seul jeu des agents physiques, semblent bien dus à
l'intervention de causes supérieures à la nature. De
plus, comme il s'y révèle une action malfaisante et
souvent immorale, on ne saurait les faire remonter
jusqu'à Dieu ou àsesanges. Il faut donc y voir l'inlluen-
ce des démons; et ces prétendus malades, sont, bien
des fois, de vrais démoniaques. Cf. Jaugey, Diction-
naire apologétique de la foi catholique, in-4°, Paris.
1889, col. 778 sq., 2515-2541; Hélot, Névroses et posses-
sions diaboliques, in-8°, Paris, 1898.
III. Cause. — La permission donnée par Dieu au
démon de s'emparer ainsi des organes corporels et des
facultés spirituelles d'une créature humaine, est parfois
la punition de certains péchés graves commis par les
possédés, en particulier des péchés de la chair. Il n'en
est pas cependant toujours ainsi. Un démoniaque n'est
pas nécessairement coupable. Quelquefois, Dieu permet
cet état, comme il permet certaines maladies, pour en
tirer sa gloire par l'intervention ostensible de sa toute-
puissance, Joa., ix, 1-8, ou pour éprouver les possédés
eux-mêmes.
L'Évangile nous présente l'exemple de démoniaques
gémissant sur leur triste état, dont ils se rendaient
suffisamment compte pour désirer leur guérison. Il leur
restait, en effet, des intervalles de lucidité et de liberté
morale. Ils allaient alors demander à Notre-Seigneur
de les délivrer. Mais, dès qu'ils s'approchaient du Fils
de Dieu, les démons qui les possédaient, entraient en
fureur, ne voulant pas lâcher leur proie. Ces malheureux
semblaient alors soumis, en même temps, à deux forces
contraires : l'une qui les attirait vers Jésus; l'autre qui
les en repoussait violemment. C'est à ces moments
surtout qu'ils semblaient être des fous furieux, et deve-
naient dangereux pour ceux qui les entouraient. S'ils
ne pouvaient les atteindre, ils tournaient contre eux-
mêmes leur propre fureur, se déchirant et se meurtris-
sant les chairs. Après des paroles de supplications
adressées au Messie, suivaient, sans transition, des
injures et des cris de haine, ou des reproches tels que
ceux-ci : « Qu'y a-t-il de commun entre toi et nous? —
Pourquoi viens-tu avant l'heure nous tourmenter? »
Matth., vin, 29: Marc. v. 7; Luc. VIII, 28.
413
DÉMONIAQUES — DENIFLE
414
IV. RESPONSABILITÉ DES DÉMONIAQUES. — Malgré le
trouille apporté par la présence du démon dans les
opérations intellectuelles des démoniaques, ceux-ci
gardent parfois, en tout ou en partie, le pouvoir de
résister aux suggestions diaboliques. Ils restent, alors,
devant Dieu, responsables de leurs actes, dans la mesure
où leur liberté morale demeure. Mais si leur corps
échappe totalement, par intervalles, à l'empire de leur
ârne. ils ne portent plus évidemment la responsabilité
d'actes qui ne sont pas leur œuvre, et qu'ils ne peuvent
nullement empêcher. Cette irresponsabilité persiste,
>nt que dure en eux cette perturbation profonde qui
leur enlève l'usage de la liberté. L'homme n'est plus
alors qu'un instrument inerte, sous le pouvoir absolu
de l'esprit mauvais qui le possède et s'en sert.
Chose digne de remarque, en effet. Si le démon peut
s'emparer du corps des démoniaques, au point de les
soustraire parfois plus ou moins aux lois physiques,
par exemple à celle de la pesanteur, ou de leur commu-
niquer une vigueur extraordinaire ; il ne peut pas,
cependant, à proprement parler, s'emparer de leur
âme. et pénétrer en elle contrairement à leur volonté.
I là un privilège de Dieu exclusivement. Cf. S. Au-
gustin, De spiritu et anima, 27; De ecclesiasticis
'■us, 50, P. L., t. XL, col. 799; t. xlii, col. 1221;
S. Thomas, In IV Sent., 1. II, dist. VIII, q. I, a. 5.
ad f> iheol., Ia, q. cxiv, a. 1-3. Il ne peut donc
se servir de la liberté humaine, comme il se sert des
organes corporels, pour les faire agir à sa guise. Tous
les moyens qu'il est capable de mettre en jeu, pour
amener les démoniaques à vouloir ce qu'il veut lui-
même, sont la crainte, la terreur, la fascination pro-
duite dans L m- esprit par cette puissance extraordinaire
dont ces malheureux constatent les ell'ets, dans leur
propre corps. Leur responsabilité, quand elle subsiste,
est fortement diminuée par ces circonstances atté-
nuantes. C'est pour ce motif sans doute que l'on voit si
souvent dans l'Évangile N neur adresser de vifs
reproches aux démons qu'il chasse, et n'avoir que des
paroles 'le compassion pour les démoniaques eux-
mêmes. Cf. Ribet, La mystique divine distinguée des
liaboliques et des analogies humaines,
part. III. c. \. g 9. 10,3in-8°, Paris, 1895, t. m, p. 207
sq. Voir Possession.
i' i n ' e, I ' I ■'■ gne, 1594 ; in-8-, Lyon,
nés, in-4", Paris, l(>57;
. I. VI HKiii, p. V.'l s!) . ■ irn ; t. VII,
itrol, Maladies mentales, 2 in-8*, P Braid,
gu or (lœ rationale •" nervous sleep. considérée
lation u'iiii animal magnetism, in-*-. I Ire . 1843
Calmi i..; Briqu< I
l'hystérie, in-8\ Paris, IKi7; Hu I un voyagi
. le Thibet et la Chine 2 In-
maladies net vi
\ Nervosisme, in-8", Paris, 1880;
m-s , Paris, 1862 :
livine, naturelle et diabolique, I in B#,
Pailloux, / itismi si la
session, in-12. Paris, 181 I 0 a rapports de Vfo
I ■ i. - i- i 364; Smith, I
Londn i, 1868, t. I, p
nanifestations divi
Chat-
• xp. physiologiqui
1874 !'•'. net, You
< allileratun
IK77, i i. p 861-664; Palmier!, /'
II, c. n, a 2, th. î xm, in-8-, Rome,
et les m ici
p. n.
■
. /.
Uniques sur in pi
laques ,/ au
mondes, 15 janvier, 1" et 15 février 1880; Charcot et Richer, Les
démoniaques dans l'art, in-8", P;uïs, 1881 : Bourneville et
Regnard, L'iconographie photographique de la Salpêtrière,
3 in-4% Paris, 1878-1882; Petit, Une épidémie d'hystéro-démo-
nopathie à Verzegnis, dans la Revue scientifique, avril 1880;
Axenfeld et Huchard, Traité des névroses, in-8", Paris, 1883;
Jaugey, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, in-i",
Paris, 1889, col. 778 sq., 2515-2541; Féré, Les épilepsies et les
êpileptiques, in-8", Paris, 1890; Nevins, Possession and allied
thèmes being an inductive Study of Phenomena of our own
Times, in-8*, New-York, 1895; Ribet, La mystique divine
distinguée des contrefaçons diaboliques et des analogies
humaines, part. 111, c. ix-x, 3 in-8% Paris, 1895, t. ut, p. 175-
233; Voisin, L'épilepsie, in-8", Paris, 1897; Hélot, Névroses et
possessions diaboliques, in-8°, Paris, 1898; Sollier, Genèse et
nature de l'hystérie, 2 in-8", Paris, 1897; Janet, Névroses et
idées fixes, 2 in-8", Paris, 1898; .Maurice de Fteury, Introduc-
tion à la médecine de l'esprit, in-8", Paris, 1898'; Pesch,
Prxlectiones dogmatiese, tr. De Deo créante et élevante, sect. v,
a. 2, n. 414, 9 in-8", Fribourg-en-Brisgau, 1902, t. ni, p. 220;
Picard, La transcendance de Jésus-Christ, 1. IV, c. î, §2, Les
anges et les démons, 2 in-8", Paris, 1905, t. Il, p. 61 sq., 63-67;
H. Laehr, Die Dàmonischen des N. T., Leipzig, 1894.
T. Ortolan.
DENIFLE Joseph, né à Imst, village de l'Oberinntal,
en Tyrol, le 16 janvier 184$, fit ses premières études au
gymnase de Brixen. En 1861, il prend l'habit domini-
cain au couvent de Gratz et change son nom de Joseph
en celui de Heinrich, en mémoire de Henri Suso, un des
grands mystiques de l'ordre. Il étudie la philosophie et
la théologie dans l'ordre, à Gratz, d'abord, puis à Rome
el à Saint-M aximin, près de Marseille. ( trdonné en 1866,
il continue ses études jusqu'en 1870. Vers cette époque,
il devint professeur de philosophie au couvent de Gratz :
il y demeura pendant dix ans. Pendant cette période,
le P. Denille s'adonna à la prédication à Gratz et dans
d'autres grandes villes d'Autriche. Un premier livrefut
le résultat de ces prédications : Die kalliolisclielunlte
und das Ziel der Menscheit, Gratz, 1872; 2e édit., in-8°,
Gratz, 1906. En 1880, le P. Denille est appel,' à Rome
auprès du général de l'ordre, en qualité de socius. Au
cours de l'hiver 1882-1883, il se rend en Espagne pour
j rechercher les manuscrits des œuvres de saint Thomas
d'Aquin, en vue de la réédition que venait de décider
Léon XIII. Il profile de ce voyage pour poursuivre ses
travaux personnels. En 1883, à la recommandation du
cardinal Hergenrother, il fut nommé sous-archiviste
aux Archives secrètes du Vatican. A partir de ce mo-
ment l'histoire de la vie du P. Denille se confond avec
celle de son activité littéraire. Ses travaux lui procurè-
rent de nombreux séjours en France, en particulier à
où il séjourna plus de 'i0 fois. Les qualités de
Cœur du P. Denille lui avaient assuré' partout de pré-
es amitiés. Durant sa vie les plus honorables dis-
tinctions lui liaient venues de nombreux corps savants
des différents pays de l'Europe. Le P. Denille fut an
vigoureux polémiste, parfois môme son ardent amour
de la vérité lui lii dépasser la mesure dans ses critiques
à ses contradicteurs. Il mourut le 10 juin 1905, à Munich,
d'une attaque d'apoplexie el fui enterré dans la crypte
de la basilique de Saint-Bonil
Nous n'indiquerons i * - i que celles des œuvres du
I». Denille qui oni rapport à la théologie. Mien qui
rches fassent surtout d'ordre historique, il n'en
est guère pourtant où des questions théologiques de la
plus haute importance n'aii nt été touchées. Au point
de vue surtout des sources de l'histoire de la théologie
médiévale, l'œuvre du P. Denille s'impose parla rich
,.i i, -uni, di renseign ments Noua grouperons
i rapportant à un mô sujet,
entrer dans le détail desn breuses polémiq n rap-
portant ■, ces dit
I s la théologie médiévale; étude des ins-
titution». Le centre des études Ihéologiquei au
ni l'université, d'où procèdent tout le
in, ut théologiq il la vli ; tique, le
415
DENIFLE
IlKMSOV
416
I'. Denifle s'adonna d'une façon spéciale à l'élude de ces
institutions. On a de lui : 1. Die Universilâten des Mit-
telalters bis 1400, t. i. Die Enlstehung der Universi-
tâten, in-8°, Berlin, 1885. Dans la pensée de l'auteur,
f'ouvrage devait comprendre 4 volumes. Seul, le pre-
mier parut; dans les 3 autres, il devait traiter en particu-
lier de l'université de Paris. — 2. Le plus important
pour l'élude de la vie théologique est l'ouvrage publié
en collaboration avec Emile Châtelain : Chartularium
tinii ersitatis Fart. i^nsis sub auspi: u: tonsihi generalis
facultatiim Parisiensium, 4 in-8°, Paris, 1889, t. i (de
1200 à 1286); 1891, t. n (de 1286 à 1350); 1894, t. m (de
1350 à 1384); 1897, t. iv (de 1384 à 1452). Comme com-
plément au cartulaire, les deux collaborateurs publièrent
VAuctarium charlularii universitatis l'arisiensis,
Paris, 1894, t. i; 1897, t. n. Ces deux volumes contien-
nent le Liber procuratorum nationis Anglicavse (Ale-
inauise), de 1333 à 1466. Le cartulaire présente aux éru-
dits de la Ibéologie médiévale deux classes de rensei-
gnements précieux : l'une regarde l'histoire de l'institu-
tion elle-même et de son développement; l'autre,
surtout constituée par les notes très abondantes des
éditeurs, renferme à peu près sur ebaque personnage de
cette période des données érudites très complètes.
— 3. Intéresse aussi l'élude des sources de l'histoire
de la théologie médiévale Y Archiv fur Litteratur und
Kirchengescliichle des Miltelalters, revue fondée en
1885, en collaboration avec le P. Eluie, S. ,1. Elle com-
prend 7 vol. Dans les 6 premiers, le P. Denille a publié :
Die Sentenzen Abûlards und die Bearbeitungen sei-
ner :< t/teologia» von Mille des 1"2 Jahrhunderls, 1885,
t. i, p. 402-469, 584-624; Die Sentenzen Rugos von
St. Victor, 1887, t. m, p. 634-640; Ursprung der
Hisloriadcs Nenw, 1888, t. îv, p. 330-348. — 4. Concer-
nant les théologiens du moyen âge, le P. Denille
avait réuni une quantité de documents précieux : Quel-
lenzur Gelehrtengeschiclile des Predigerordens im 13
und 14Jahrhundert, 1886, t. n, p. 365-248; Quellen zur
Gelelirtengeschic/tle des Karmelitenordens im 13 und
14 Jahrhundert, 1880, t. v, p. 365-386; Quellen zur Dis-
pulation Pablo's Christiani mit Mosc Nachmani zu
Barcelona, 1263, dans llislorisclies Jahrbuclt, 1887,
p. 225-214.
2° Etudes sur la théologie mystique au moyen âge.
— Le P. Denifle ne cessa jamais de s'occuper de ces
études par lesquelles il avait débuté. 1. Der Gottes-
freund im Oberland und Nikolaus von Basel, dans
Historisch-politische Blàlter, 1875, t. lxxv, p. 17 sq.,
93 sq., 245 sq., 340 sq.; sur ie même sujet, Die Dic/t-
tungen des Gottesfreundes im Oberland, dans Zeit-
schrift fur deutscher Allerthum und deutsche Littera-
tur, 1880, t. xxiv; 1881, t. xxv. — 2. Une autre série
très importante sur les mystiques dominicains :
a) Henri Suso, Die Schriften des sel. Heinrich Seuse,
t. i, Deutsche Schriften, 3 parties, in-8°, Munich, 1880;
h) Jean Tauler, Das Buch von geistlicher Arrnulh, be-
kannl als Johann Tauler s Nachfolgung des armai
Lebens Chrisli, Munich, 1877; c) Maître Eckhart,
Aktenslucke zu Meisler Eckltarls Prozess, dans
Zeilschrift fur deutscher Alterlhum, 1885, t. xxix,
p. 259 sq.; Meisler Eckharts lateinische Schriften und
die Grundanschauung seinev Lehre, dans Archiv,
1886, t. il, p. 417-652; Dos Cusanische Exemplar la-
teinischer Schriften Eckharts in Cues, dans Archiv,
t. n, p. 673 sq.; Die Heimalh Meisler Eckharts, dans
Archiv, 1889, t. v, p. 349 sq.
Le 1'. Denille fit aussi dans VArchiv, 1888, t. îv,
p. 263-311, 471-601, une étude importante : Die Hand-
schriften der Bibelcorrektorien des 13 Jahrhunderts.
3° Controverse thcologique. — Nous plaçons sous
cette dénomination le dernier grand ouvrage du
P. Denitle : Luther und Luthertum in dei erster Ent-
wicklung queUenmâssig dargestelll. L'ouvrage com-
prend 3 parties formant le t. i : [« partie, in
Mayence, 1904; 2«édit., 1904 : Il partie, -t édit., \\
1905; Ilb partie, ± «'dit.. Weiss, 1906. Une traduction
italienne de la i- édition allemande a été entreprise par
M m Mercati, Rome, 1905. Ce n'est pas une biographie
de Luther, mais plutôt une étude sur la déformation
systématique de certaines idées théologiques dans la
psychologie de Luther. La I" partie est consacrée à
la critique du célèbre ouvrage de Luther, De votis
monaslicis judicium. Le 1'. Denifle s'applique à bien
caractériser la position de Luther par rapport à la
théorie des vœux de religion, spécialement de la chas-
teté. A la doctrine de Luther, il oppose celle de saint
Thomas d'Aquin sur la vie parfaite et les conseils
évangéliques. Cette étude est des plus importantes
pour bien comprendre les idées qui ont dominé toute
la théologie protestante depuis Luther. Le P. Denifle
lui-même a intitulé la IIe partie : Beilrag zur
schic/ite der Exégèse, der Lileralur und des Dogmas
im Mitlelaller. L'auteur y donne l'interprétation jusqu'à
Luther du passage de saint Paul : Justilia enim Dei
in eo revelalur ex fi de in fidem, Rom., I, 17. et de la
justification, en 66 grands extraits de l'Ambrosiaster et
des autres commentateurs occidentaux de l'Épître aux
Romains jusqu'à Luther. C'est un des plus beaux spi -
cimens d'étude de théologie positive. La IIIe partie est
constituée par l'étude des conséquences de ses doc-
trines dans la psychologie de Luther. Ce dernier ou-
vrage souleva contre son au leur une polémique très
vive de la part des protestants, surtout de Harnack et de
Seeberg. Le P. Denille leur répondit dans une brochure
importante : Luther in rationalisticher und christli-
c/œr Beleuchtung, Prinzipielle Auseinandersetzung
mit A. Harnack und B. Seeberg, Mayence, 1904;
cf. aussi Bévue d'histoire ecclésiastique, 111"!, p. In5sq.
Enfin le P. Weiss, O. P., a publié sur les notes du
P. Denifle et comme complément de son ouvrage :
Lutherpsychologie als Schlùssel zur Lullœrlegende,
in-8°, Mayence, 1906.
M«' J. P. Kirsch, Le R. P. Henri Suso Denifle, notice bio-
graphique et bibliographique (extrait de la Revue d'hisl
ecclésiastique, Louvain, 1905, t. VI, p. 3sq.);Herman Grauert,
P. Heinrich Denifie, O. l'r. Ein Wort ziun Gedaclttnis unit
ztun Frieden. Ein Beilrag auch zum Luther-Streit, in-8-,
FrU)ourg-en-Brisgau, 1906; Dr. Martin Grabniann, Heinrich
Denifie O. P. Eine W'àrdigung seiner Forschungsarbeit ,
in-8", Mayence, 1905. Voir aussi les diverses études faites en de
nombreux périodiques à l'époque de sa mort.
R. COLLON.
DÉNISOV André et Siméon, frères, les plus féconds
écrivains du raskol russe et les initiateurs de sa théo-
logie scientifique. André, l'aîné des deux frères, naquit
en 1061 à Povienetz, gouvernement d'Olonet/.. et Siméon
en 1082. Leur père, Denis Evstaphiev, descendait de la
noble famille des princes Mychelsky. Dans son enfance.
André assista aux épisodes de la terrible persécution
que le gouvernement russe avait inaugurée contre les
partisans du raskol. Ceux-ci, traqués comme des 1
fauves, étaient obligés de se cacher dans des forêts im-
pénétrables, toujours exposés au danger, si on les dé-
couvrait, de périr sur le bûcher, ou d'être ea\
en Sibérie. Dans leur farouche mysticisme ot dan»
l'attente prochaine de l'Antéchrist, beaucoup de ces
fanatiques se donnaient la mort. Ces circonstances influè-
rent sur l'âme du jeune André Dénisov, naturellement
portée au mysticisme. Le diacre Ignace du monastère
de Soloveu lui inspira sa haine contre la réforme li-
turgique du patriarche Nikon, et son enthousiasme
ardent pour le raskol. En 1691, à l'insu de ses parents.
il quitta la maison paternelle et se retira au monastère
de Saroo/ero, fondé par Ignace. Le monastère se trou-
vait alors sous la direction de Daniel Vikouline, qui
frappé par l'érudition et le zèle d'André Dénisov, l'en-
gagea à fonder avec lui l'ermitage de Vyg sur le
417
DÉNISOV — DENONCIATION
418
fleuve du même nom, dans la Poméranie russe. Cet
ermitage, connu sous le nom de Vygovskaia puslyna,
devint célèbre dans l'histoire du raskol russe. André y
acquit bientôt une si grande inlluence qu'en 1703
Daniel lui-même le pria de prendre sur lui le gouver-
nement de la nouvelle communauté. Pour défendre
plus de succès le raskol sur le terrain théolo-
gique, il fréquenta incognito les cours de l'Académie
ecclésiastique de Kiev, où enseignait alors Théophane
Prokopovitch. L'ancienne littérature russe lui était très
familière, et il s'en servait habilement pour défendre
les crovances du raskol. il avait des attaches même à
la cour du tsar, et on assure qu'il était en relations
avec la tsarine Sophie, (iràce à son inlluence, un ukase
de Pierre le Grand, du 7 septembre 1705, sanctionna
l'autonomie de l'ermitage de Vyg et reconnut officielle-
ment la communauté qui y était établie. En 1097, il
avait été rejoint à Vyg par son père et ses frères
Siméon et Ivan. Il s'y adonnait aux pratiques les plus
rudes de l'ascétisme et à l'étude. Il y fonda une école
de peinture religieuse et une école de calligraphes,
chargés de copier les œuvres polémistes des raskelniks,
que le gouvernement défendait d'imprimer. Leur atta-
chement au raskol était si grand que Siméon ne céda
quatre années de prison (1713- 1710) subies à Nov
gorod et résista énergiquement à toutes les tentatives
du métropolite de cette ville pour le gagnera l'Église
officielle. André mourut au mois de février 1730, et la
communauté de Vyg lui donna comme successeur Si-
Ce dernier s'appliqua à parachever l'œuvre de
son frère, à organiser intérieurement l'ermitage de
Vyg et à li dél udre contre l'hostilité de l'Église or-
thodoxe. Sa mort eut lieu en 1711.
Le bibliographe du raskol russe, Paul Lioubopylny,
mentionne 119 ouvrages de polémique théologique et
liturgique et d'ascétisme, sortis de la plume d'André
Le plus important sans contredit est intitulé :
';/ Réponses de la Poméranie). Les
ilniks le considèrent connue le livre fondamental
de leurs croyances. Le saint synode avait suggéré à
André la composition de ce livre. En 172-2, se présenta
g le hiéromoim Néophyte, chargé par le saint sy-
i, montrer au» raskolnil tonastère la faus-
ihyte rédigea un recueil de
106 qui lions touchant I s points controversés entre
rthodoxe et le raskol, et demanda aux m
de \ ndre. André se mit à l'œuvre, avec l'aide
■ i en quelques mois il composa les l'o-
y, l'apologie la plus complète et la plus
kol sous le rapport théologique, archéo-
i historique. \ en croire les raskolniks, le
- fut complet. Néophyte ne fut pas capable de
adversaires. Il quitta \ yg
a la d a répondre qu'après un
fingl an Son Oblitchi '■ lalion de
d Vndi é Déniso it la \ iolence comme
i ner les adhérents
du raskol L / Otviety avaient réussi à chan-
ique di l'Eglise officielle, qui, battue sur le
u doctrinal, cln ri bail - i revancl n préchant la
n. Il fallut attendre presque deux siècles pour
himandrite Paul le Prussien (f 27 avril I
kol ■! l'Égl Ile, publi it si /•'
/ ., | ,,,■/, ;
• ou. t s-*. 1 1 I
n i m 1 1.. 1 1 , n i ublié
x7 pu i du monastère Manouîlevsky-
n Roumanie.
i i \ieli. un .mil.- vol uni dam
■ z (iii-
kol
I
netz.
DICT. DE rMÉOI ' \Tiini..
Pitirim, archevêque de Novgorod (1719-1738), connu
par sa cruauté contre les raskolniks. avait envoyé des
missionnaires aux moines de Kerjenetz et ceux-ci
s'adressèrent, pour leur répondre, à André Dénisov qui
rédigea les Diakonovy Otviety. Cet ouvrage a été
édité en 1907 comme supplément au Slaraobriadet: de
Nijny-Novgorod : Otviety Aleksandra diakema na Kcr-
jenlzie podannyia Nijegorodskomu episkopu Pilirimu
i' 1819 godu. L'éditeur l'attribue au diacre Alexandre,
écrivain du raskol, mais il déclare lui-même que la
question d'auteur n'est pas tranchée.
Les autres écrits d'André Dénisov sont des traités de
polémique contre les orthodoxes, ou des monographies
historiques concernant le raskol, ou des sermons et
des exhortations ascétiques.
Siméon, d'après Lioubopylny, est l'auteur de
47 ouvrages d'apologie du raskol. Les plus importants
sont le Vinograd ou Verlograd (La vigne tinsse) et
l'Histoire des /ivres et des martyrs du monastère de
Solovel:. On y trouve les biographies, ou plutôt les
panégyriques des raskolniks qui payèrent de leur vie
l'attachement à leurs croyances, ou qui, parleurs écrits
i t leur prédication, contribuèrent à répandre le ras-
kol. Le Vinograd a été publié à Moscou en 1906 :
Vinograd rosiiskii ili opisanie postradavehikh r
liossii :a drevnetzerkovnoe blagotcheslie. On l'appelle
aussi Ycrtograd, p. XVI. Le second a été publié dans la
même ville par I!. Ousov : Istoriia o ottziekh i stra-
dallziekh ije za blagotcheslie i sviatyia tzerkovnyia
zakony i predaniia r nastoiachtchaia vremena veli-
koduchno postradacha, Moscou. 1907.
Tchistovltch, Vygovskaia raskonitchelskaia pustyna v per-
rui polovinie xvm stolietiia, dans les Tchteniia de la Société
d'histoire et d'antiquités russes, .Moscou, 1859, t. m, p. 161;
Philippov, Istoriia vygovskoi staroobriadtcheskoi pustyni,
Saint-Pétersbourg, 1862, p. -139-151 ; Bibliotheka dliia Tchteniia,
18f/i, t. xxxi, p. 1-32; N. Barsov, Bratiia Andrei i Semen De-
nisovy; epizod iz istorii russkago raskola, Pravosla
1865, t. xvm, p. 55-91, 232-247,412-438,514
i Barsov, Semen Dénisov Vforoue/une, predvoditel russkago
iiis!, ni, i xvm Vieka, l'rudy de l'Aciulrniir rrclr.iiiistique île
Kiev 1866, t. t, p. 174-230; t. n, p. 168-230, 285-304; t. m.
m., indrei Denisow Vtorouchine.kakvygoretzkii
viednik ; materialy dtia istorii russkago raskola, ibid.,
1867, t i. p. 243-262; t. n, p. Bl-95; Lioubopytny, Istoritcheskii
i katalog rtcheskoi tzerkvi, Mo
1,169-174 ' ./'-" v russkom
rsboui 1869, t. i, p. 29-30; ' ' fenie bra-
materialy dliia istorii pomorskago raskola,
■ m :,, 1868-1869 god,
5* année, Petrozavodsk, 1869, p. 85-119; Tstoritch
mi,, 1886, t. xxii. n. 12, p 716; Bratskoe Slovo, Moscou, 1886,
t. i, p. 321 ; i. ii. p. 777: Pravoslax lovskaia Entzi-
lia, i [V, col. 996-1001 \Russkii biographilcheskiiSlovar,
lltt, it, p, 514-528; Brada D nisovy, dan- Izobornih narodnoi
1" année, n 3-4, p. 1 113.
A. I'\i mm RI.
DÉNONCIATION. — I. Notion et espèces. [I. Droil
natun I. Il I . Droil positif.
I. Notion m espèces. — La dénonciation est la
manifestation faite à un supérieur du crime ou de la
faute de l'un de ses subordonnés. Faite à unsupérieur
ut palri, uniquement ou principalement dans l'intérêt
du délinquant, c'est la dénonciation êvangélique, l'une
des formes de la correction fraternelle. Voir t. m.
1907. Faite au supérieur ut jttdici, dan- l'intérêt
soit du bien public soil du dénonciateur, c'est la dénon-
ciation iii'lirimrr. la MU le ilolil il sera ici que-lion.
II. Droii vvn bel. A quelles conditions la dénon-
ciation Bera t-elli : l licite; 2 obligatoire?
| / Pour n ■ I ' |>ahle. la dénoncia-
tion doit être l exacte : les faite doivent être manif
teli qu'il nnus, don rlains ou
ut co probable loi »qu il- sont
autrement, la dénonciation devient calomnieuse ou
iv r,
419
DÉNONCIATION
420
téméraire; 2. motivée par des raisons suffisantes; autre-
ment, elle sérail médisance; 3. conforme, en ce qui
regarde l'intention, aux règles de la charité.
2" Obligation. — Pour être obligatoire, la dénoncia-
tion doil être nécessaire pour arriver à une lin — bien
à procurer ou mal à écarter — qu'on est tenu de chercher.
Ce principe s'applique évidemment à ceux qui par
devoir d'état sont tenus de surveiller et de dénoncer
les tentatives contraires au bien public; il s'applique
aussi aux personnes qui n'y sont tenues qu'en vertu
d'une obligation générale de charité ou de justice
légale. Il vise surtout les cas d'agissements occultes.
compromettant la paix de la société ou les droits des
individus, comme sont, par exemple, les entreprises
coupables menaçant la vie ou la fortune des particu-
liers, les complots contre la société ouïe chef de l'État.
La dénonciation ainsi entendue ne peut être confon-
due avec l'odieuse pratique de la délation; elle en
diffère à la fois par son but et son objet. La délation,
en effet, ne cherche point le bien public et ne manifeste
pas seulement ce qui peut le menacer; elle cherche
avant tout à nuire à la personne dénoncée et manifeste
indifféremment tout ce qui peut lui faire tort, fût-ce
la chose la plus innocente et la plus légitime. Voir
col. 244.
III. Droit positif. — 1" Droit civil. — Le droit
romain distinguait la dénonciation de l'accusation.
L'accusation forçait le juge à procéder contre l'accusé;
mais l'accusateur était tenu de faire la preuve sous peine
d'être poursuivi comme calomniateur. Le dénonciateur
n'était pas tenu de prouver, mais le juge n'était point
tenu de donner suite à sa dénonciation.
En France, le code pénal n'oblige plus les simples
particuliers à dénoncer les crimes. La loi du 28 avril
1832 a abrogé les articles qui rendaient la dénonciation
obligatoire, en particulier les art. 103-107, 136 du code
pénal. Le législateur se borne à encourager la dénon-
ciation de certaines fautes qui d'ordinaire ne peuvent
se commettre par un seul homme. On encourage les
coupables à dénoncer leurs complices par la promesse
de ne point inquiéter ceux qui, avant toute exécution
ou tentative de ces complots ou crimes et avant toutes
poursuites commencées, auront fait des révélations à
l'autorité administrative ou judiciaire. Code pénal,
art. 108, 138 et 435. Ces dispositions suppriment le
crime ou le délit de non-dénoncialion, mais pour n'être
plus une obligation légale, la dénonciation ne cesse pas
d'être prescrite par le droit naturel dans les circon-
stances indiquées plus haut.
2° Droit canon. — La nécessité de sauvegarder dans
le peuple chrétien la pureté de la foi a provoqué dans
l'Église l'établissement d'une législation spéciale contre
les hérétiques et les personnes suspectes d'hérésie. La
règle est qu'il faut les dénoncer à l'inquisiteur ou à
l'évoque. Un mois est concédé pour faire cette dénon-
ciation. Si la personne est simplement suspecte d'héré-
sie, deux causes dispensent de ce devoir : la .crainte
fondée de quelque grave dommage; puis, d'après une
opinion qui ne manque pas de probabilité, la parenté
jusqu'au quatrième degré. Si l'hérésie est formelle, la
raison de parenté ne suflit plus. On considère comme
suspects d'hérésie ceux qui contractent mariage malgré
la présence d'un empêchement diri niant ou qui donnent
les sacrements sans avoir reçu L'ordination sacerdotale,
ou qui s'obstinent à répéter des blasphèmes hérétiques,
ou qui abusent, par des pratiques superstitieuses, de la
sainte eucharistie ou des saintes huiles; ou qui ne
veulent point dénoncer les hérétiques formels, ou qui
font partie des sectes condamnées ou qui enfin sollicitent
ad tnrpia des personnes qu'ils confessent.
Comme le remarque Lehmkuhl, Tlicologia moralis,
n. 813, cette législation positive ne s'impose plus, dans
les contrées où l'hérésie est impunément professée,
avec la même rigueur qu'autrefois. La dénonciation
resterai) sans effet. 11 il. n lurtanl que, confor-
mément au droil naturel, on doit dénoncer à l'autorité
compétente l'hérétique qui répand en secret des
erreurs et corrompt la foi des simples. S'il !
possible de l'arrêter ou de l'empêcher, on pourra du
moins mettre le- fidèles en garde contre lui. Iteux dé-
positions toutefois restent en pleine vigueur; elles con-
cernent : 1. les chefs de certaines sociétés secrètes;
2. les confesseurs indignes qui sollicitent ait turpia.
1. Chefs des sociétés secrètes. — Pie IX. par la bulle
Apostolicœ salis, frappe d'excommunication non seu-
lement nonien dantes scctie massonicse aulcarbonarise
aat aitis ejusdcm generis, mais enccre non denun-
tiaules occultos coryp/iœos et duces... donec non de-
nuntutverint. Pie VII, const. Ecclesiam, $ 10, et
Léon XII, const. Quo graviora, § 13, obligeaient de dé-
noncer tous les membres des sociétés secrètes. L'ex-
communication aujourd'hui n'est encourue que si l'on
omet de dénoncer les chefs occultes. Cette obligation
subsiste relativement à ceux qui passent publiquement
pour avoir un grade élevé dans ces sociétés et qui l'ont
en effet, parce que la réalité ne répond pas toujours aux
apparences, et si cela est, il est bon qu'on le sache.
La dénonciation doit être faite à l'évèque ou à son dé-
légué. L'excommunication est encourue quand, durant
un laps de temps notable, on a négligé de dénoncer.
Il suffît d'un mois pour constituer cette notable période
et l'on doit compter à partir du jour où l'on connaît
l'obligation de dénoncer. Cette obligation cesse toutefois,
lorsque la dénonciation est complètement inutile ou
si difficile qu'elle est moralement impossible. Si l'ex-
communication a été encourue, elle cesse ou du moins
cesse d'être réservée quand la dénonciation est faite.
2. Les confesseurs coupables de sollicitation ad tur-
pia. — Pie IV, par la lettre Cum sirut nuper, ordon-
nait aux inquisiteurs d'Espagne de poursuivre et de
punir très rigoureusement les confesseurs coupables
de ce crime. Grégoire XV, par la bulle Universis
(10 août 1611), étendit à toute l'Église cette disposition
qui d'abord n'obligeait que l'Espagne. Il ordonna d'ins-
truire au saint tribunal les pénitents sollicités ad tur-
pia de dénoncer aux inquisiteurs ou aux évèques tout
prêtre séculier ou régulier qui pcrsonas, quœcuntcjue
illœ sint, ad in/ionesta sive inter se sive cum aliis
quomodoUbet perpetranda, in aclu sacramcntalis
confessionis sive antca sive post, immédiate, seu occa-
sione vel prœtexlu confessionis etiam ipsa confessione
non secula, sive extra occasionem confessionis. in
confessionario aut in loco quocumque ubi confes-
siones sacramentales audiunlur seu ad confessionem
audiendam eleeto simulantes ibidem confessiones
audire, sollicilare vel provoeare lentaverinl aut cum
eis illicitos et inlionestos sermones sire tractatus ha-
buerint. Benoit XIV, const. Sacramentum pxnilentiœ,
confirme et précise encore les décisions de Grégoire XV
en réprouvant, par une même condamnation, tout! sol-
licitation faite siue verbis, sive signis, sive nutibus, sive
lac tu, sive per scripturam aut tune aut postea h
dam. Deux décisions du Saint-i M lice, l'une du 1 1 février
1661, l'autre du 2(1 février 1867, sont relatives à ces
matières : la première, rappelée et confirmée par Be-
noît XIV, précise surtout la notion juridique de solli-
citation ; la seconde, le devoir de la dénonciation. Voir le
texte dans Ilallerini. Opus morale tlieoloi/ieum, 2* édit..
t. iv. p. 582-583. Pie IX a confirmé cette discipline en
frappant d'une excommunication majeure non réservée
négligentes sive culpabiliter omitientes denuntiare
infra mensem confessarios sive sacerdotes a quibus
sollicitait fuerinl ad turpia in quibuslibel casibus
êxpressis a... Gregorio XV... et Benedicto XIV.
.Nous indiquerons ici ce qui concerne la dénonciation
proprement dite. Pour les autres questions, voir Soi.-
421
DÉNONCIATION — DENS
422
LICITATION. La dénonciation est obligatoire sitb gravi,
tous les textes le supposent ou l'affirment. On encourt
l'excommunication, lorsqu'on omet sans motif, pendant
l'espace d'un mois, la dénonciation que l'on sait obli-
gatoire et imposée sous peine de censure. Le confesseur
ne peut donner l'absolution qu'après dénonciation faite
ou du moins sérieusement et sincèrement promise.
Sont tenus de dénoncer tous ceux qui connaissent
avec certitude le fait de la sollicitation, à moins qu'ils
ne l'aient appris sous le sceau du secret, sacramentel
ou non. La dénonciation est obligatoire même si la
faute est ancienne, réparée par la conversion du cou-
pable, impossible à prouver juridiquement. L'obliga-
tion cesse d'exister quand le coupal.de est mort, ou
même, selon une opinion probable, s'il est tout près de
la mort, c'est-à-dire si malade ou si vieux qu'il ne
pourra jamais plus confesser. Le confesseur qui a sol-
licité' n'est pas tenu de se dénoncer, ni ceux qui forment
avec lui une seule personne morale, c'est-à-dire ses
parents et ses proches au premier degré. Nul, en effet,
e dénoncer lui-même. Le fait d'un incon-
vénient très grave, conséquence certaine, inévitable et
extrinsèque île la dénonciation, excuse encore de ce de-
\oir; si pourtant le silence gardé' sur la sollicitation doit
provoquer un scandale public, il ne sera permis de se
laire que dans le cas d'un inconvénient analogue très
et d'ordre public. La crainte fondée de voir divul-
le secret de la dénonciation dispenserait encore
du devoir de révéler.
La dénonciation régulièrement doit se faire en per-
sonne ci (b vive voix, sous peine de nullité. S'il est
matériellement ou moralement impossible de remplir
ainsi ce devoir, on en est dispensé lant que dure l'im-
ibilité. Mais on doit tàcber d'en rendre possible
l'accomplissement, en demandant, par exemple, à
l'évéque de déléguer un clerc et de l'envoyer à l'effet
<b recueillir la dénonciation.
L'imputation calomnieuse du crime de sollicitation
est un péché dont l'absolution est réservée au pape,
mais non frappé de censure.
alie, ii \xi\, c. il ; s. Al-
1. III, n. 123; 1. IV, n. 288
LVt,i u, lo édlt.,
t. iv, n 181 Prumpta
Mari . /' aies alphon-
2304-2307, 1701, (354, 1794, 1772 et
442; Lehakuhl, /
i n B11-813; I. il, d. 952,
; : iv. p. ilT-'ilS:
vu, p. 2â0-254; les théologiens ralistes et
de la foi, île la | et des
v. Oblet.
I. DENS Pierre, théologien belge, naquit à Boom,
ni. iv 1690. Il lii de brill.ini. a
humanités au c illi la congrégation de
a Malines. Il vint ensuite à Louvain et \
osophie, à la ■ pédagogie du
i il de 1711, auquel cent-quatre
lient pris part, il sortit • second de la
[ui, en langage officiel de l'époque,
i de toute la série. Il entra alors au
pour v commencer l'étudi
i 1715, il était, deux
ned'Afflif
i in d uni; n aux
1 i iteun
i
ii rappoi ■ i i ann, ,
indiquons ici ne saurait être
doute, atlestée qu'elle i -I par le manu
iolliéqui royal
séminaire de .Malines. Dans ce nouveau milieu, ainsi
que dans le précédent, il s'acquitta de son devoir avec
autant de succès que de dévouement et d'intelligence,
s'appliquant surtout à réunir et à présenter en une
forme concise et claire les principes de la morale et
les résolutions particulières qui en découlent. En 1729,
il échangea le professorat contre la charge depléban de
Saint-Rombaut, qu'il avait obtenue au concours et
avec laquelle il cumula, à partir de 1735, les fonctions
d'examinateur synodal et de président du grand sémi-
naire. Il renonça, en 1737, à son ministère de pléban,
pour accepter un canonicat de l'église métropolitaine;
et, la même année, il fut nommé écolàtre de .Malines.
Le 4 juin 1751, il était appelé, comme chanoine gra-
dué', à l'office de pénitencier, puis, en 1754, promu à la
dignité d'archiprêtre. Il mourut âgé de près de quatre-
vingt-cinq ans, le 15 février 1775, et il fut inhumé dans la
chapelle du séminaire, qui avait été entièrement re-
construite sous sa direction. On y voit encore, sur sa
pierre tombale, une brève épitaphe rappelant les nom-
breuses charges qu'il avait remplies successivement ou
simultanément.
Pierre Dens était un prêtre d'une piété exemplaire,
d'une bonhomie et d'une simplicité antiques, d'une
grande affabilité, assidu et ardent au travail et cher-
chant à en répandre l'ardeur autour de lui. Sa gravité
sans affectation ni morgue, sa science théologique et la
droiture de son sens pratique en avaient fait le con-
seiller très écoulé de beaucoup de ses confrères dans
le sacerdoce et en particulier de beaucoup de curés.
Austère pour lui-même, il se distinguait par les lar-
gesses de sa charité. Mais à l'aumône matérielle il ai-
mait joindre celle, plus méritoire, qui s'adresse direc-
tement à l'âme et au coeur. Voilà pourquoi, imitateur
du célèbre Gerson, il avait pris l'habitude de réunir
chaque dimanche une multitude de pauvres, à qui il
expliquai! les éléments du catéchisme. C'est par le
même principe qu'il s'intéressait spécialement au sort
des jeunes filles de la classe populaire : pendant qua-
rante ans, il fut le proviseur et le bienfaiteur géné-
reux d'une école vouée à leur éducation. Ses habi-
tudes de vie et de labeur tranquilles furent momen-
tanément troublées par deux incidents désagréables.
Kn ITô.s, le gouvernement des Pays-Bas s'avisa de pros-
crire son Supplément à la théologie de Neeeen,
parce que l'auteur y revendiquai! pour les églises le
droit d'asile, qui, depuis les attaques île Van Kspen,
était, prétendait-on, tombé' en désuétude. Vers la
même date, il fui l'objet d'attaques assez violentes de la
part d'un franciscain, Jean Tomson, contre lequel il avait
défendu et fait prévaloir une coutume alors reçue
dans certaines paroisses et motivée par des nécessités
administratives : en vertu de cet usage, les confesseurs,
au temps de Pâques, devaient demander et inscrire les
noms des pénitents qui s'adressaient à eux. Une autre
polémique, avec Maugis, religieux de Saint-Augustin,
plus calme. Ici, il s'.i_iss;iii surtout de
Bavoir si une p i sonne qui n
peut cependant satisfaire a ifs obligations
d'actes surnaturels ; Mens le niait.
On doit à Pierre Dens, sans parler de publications
impoli. mie - l» Scliemata \ •> usinn
m l . Malines. 1748; 2° Suppletnenta
théologie» /.. Neeien, de virtalt 'iquisque
■ me ' i ^. in 1 '. Malines, l
une qui lui prohibé pu I' I nient , 3 Col"
m in lucem riiiia simt
n theologù mu un tou •< dot vel fr<
citant horai i anonit us in affei t\
mortalis, taliifaciat /• ..././.. leu obligation* >■
tmi'ii hora m i i ii iin I7(
cules dont il s'agit s. .ni au nombre de quatre; S De
ni. M, du . - traité
423
DENS — DENYS (SAINT
■42 i
lui ensuite, avec nue annexe, réimprimée sons le litre:
5° Supplément! theologise Neesen secundo, purs, cum
prosecutione pacifica animadvereionum per Petrum
liens ad responsionem h'm. Mam/is, in-i", Louvain,
1764; une première édition, séparée, des Animadver-
siones ad quxstionem quodlibeticam R. P. Maugis
avait paru antérieurement; 6° Responsio ad disserta-
tionem et apologiam .1. Tomson; attexitur pastorum
diœcesis de ea causa testimonium, in-i", Malines,
1759; 7" T/ieologia ad usum seminariorum el sacrée
theologise, alunmorum, 14 in-8n, Louvain, 1777. Ce der-
nier ouvrage est celui qui a surtout fondé la réputation
de l'auteur. Il ne lui pourtant publié qu'après sa
mort, et, à part les traités De virlute religionis et De
sacramento pœnilenliœ, il n'est pas son œuvre exclu-
sive : la Theologia est partiellement tributaire des pré-
décesseurs, des collègues et des élèves de Dens. Quoi
qu'il en soit, elle est restée pendant près d'un siècle
le résumé classique pour l'étude de la théologie, dans
plusieurs séminaires de Belgique et d'autres pays. Elle
a été souvent rééditée, notamment à Liège, en 1786;
à Malines, en 1819, 1828 et 1845. L'édition donnée
dans cette dernière ville de 1862 à 18G4 est la 9e. Tout
cela sans tenir compte de réimpressions partielles.
Ce succès durable est dû aux mérites caractéristiques
du recueil, qui sont principalement la solidité de la
doctrine et la clarté de l'exposition. Le plan général
est celui de la Somme théologique de saint Thomas;
et partout l'on s'est attaché surtout aux questions pra-
tiques, en passant beaucoup plus rapidement sur les
parties spéculatives, telles que le De Deo uno, De Deo
trino, etc. La théorie morale est antiprobabiliste.
L'emploi constant du procédé par demandes et réponses
et la façon nette et précise dont les unes et les autres
sont formulées n'ont pas peu contribué à la diffusion
de ce manuel pour l'enseignement élémentaire de la
théologie.
A cette liste on a parfois ajouté une Ratio historica
de conciliis generalibus, in-8°, Anvers, 1748. Mais le
volume ainsi dénommé est en réalité l'œuvre d'un autre
écrivain, à savoir de Théodore-Emmanuel Dens, comme
en témoignent tous les exemplaires qui ont survécu.
Yita auctoris, en tète de diverses éditions, par exemple
celle de Malines, 1862; la Dédicace de l'auteur au cardinal
d'Alsace, entête du De virtute religionis ; VApprobatio de
Foppens pour les deux traités De virtute religionis et De
sacramento pxnitentise ; Biographie nationale de Belgique,
Bruxelles, 1876, t. v ; Goethals, Lectures relatives à l'histoire
des sciences en Belgique, Bruxelles, 1837, t. i.
J. FORGET.
2. DENS Théodore-Emmanuel, né à Anvers le
25 décembre 1708, suivit les cours de philosophie à
l'université de Louvain et, en 1730, fut classé 30e sur
106 concurrents à la promotion de la faculté des arts.
Il étudia ensuite la théologie et prit le grade de licencié,
le 2 juin 1740. Cette même année, il fut nommé pro-
fesseur de théologie au séminaire d'Anvers; il remplit
cette charge jusqu'au 27 décembre 175$. Devenu alors
curé d'Edeghem, petit village à une lieue environ d'An-
vers, il administra cette paroisse jusqu'à sa morl, sur-
venue le 24 février 1799. Il composa quelques ouvrages
à l'usage de ses élèves, tandis qu'il était professeur à
Anvers : 1° lnlroduclio ad scienliam theologicam,
in-8°, Anvers, 1748; 2° Rrevis concionandi melhodus,
sive rhelorica ccclesiastica, in-8", Anvers, 1718;
3° Ralio historica potissimum de conciliis generali-
bus, in-8°, Anvers, 1748.
Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de la Bel-
gique, t. vi, p. 286-287; Biographie nationale, Bruxelles,
1876, I. v, col. 601-6U2.
E, Mam.knot.
1. DENYS (SAINT), pape. 259-268. Successeur de
saint Sixte II, qui mourut martyr le 6 août 258, Denys,
prêtre de Home, fut élu pape le 22 juillet 259. Il si<
du temps de l'empereur Gallien, sous lequel l'Églisi
lut en paix. Les textes ne sont pas d'accord sur la duré)
de son pontifical ; mais il semble qu'il vécut jusq .
26 ou 27 décembre 268. Duchesne, Liber pontificalis,
introduction, p. CCXLVin; Jaffé-Loewenfeld, Reg>
pont, roni., t. I, p. 22. Il est surtout connu pour
relations épistolaires avec son homonyme, I
évéque d'Alexandrie, dans diverses affaires discipli-
naires ou doctrinales et pour sa lettre consolatoire à
l'église de Césaréc en Cappadoce. Son rôle est d'une
véritable importance dans le développement du pouvoir
pontifical romain, en raison d'un cas d'appel à II -..
de Rome au sujet d'une question de doctrine, en raison
aussi de la générosité de l'Eglise de Rome envers les
Églises étrangères, en raison enfin du développernen
donné à l'Eglise de Rome elle-même.
I" Querelle baptismale. — Parmi les lettres de Den\s.
évéque d'Alexandrie, à l'Église de Rome, plusieur-
étaient écrites sous Etienne et Sixte II 1257-258) aux
membres les plus en vue du presbyteriurn romain,
entre autres à Philémon et Denys, pour les amener, dans
la querelle baptismale, à des dispositions plus douce-
que celles du pape Etienne envers les Églises où l'on
s'obstinait à ne pas reconnaître le baptême donné par
les hérétiques. La quatrième de ses lettres est adres
au seul prêtre Denys, et Eusèbe, qui nous la signale,
remarque que son correspondant l'appelle un bommi
XÔYtoç Te v.ai Oajaiato;. H. E., vil, 7, P. G., t. XX
col. 652. Il est permis de croire qu'il inclina Sixte II et
tout le clergé romain à la conciliation.
2° Affaire du sabelUanisme. — Denys d'Alexandrb
correspondit encore avec son homonyme, après son
élévation au pontificat, sur la question sabellienm
Ayant écrit plusieurs lettres aux Eglises de la l'enta-
pole pour les détourner de cette doctrine cyrénaïque,
qui venait de s'y répandre, il fut dénoncé par l'un*
d'elles, à son insu, au pape Denys, et accuse'' de -
erreurs. Celui-ci jugea l'affaire importante, convoqua
un synode en 262, voir S. Athanase, De sentenlia Di -
nysii, 13, P. G., t.xxv, col. 464; De synodis, 13, !'.<■ .
t. xxvi, col.7i9, examina la lettre incriminée, et y dé-
couvrit des impropriétés doctrinales, notamment l'em-
ploi du terme de créature, rcoc'ï)|ia, en parlant du Fils
de Dieu, la conception d'une trinité en trois hypost
tellement distinctes qu'on pouvait y voir trois dieux
enfin une répugnance marquée pour le terme d'ô|iooy-
gio:, consubstanliel. Cf. Duchesne, Histoire ancienne de
l'Église, 2* édit., Paris, 1906, p. 186.
Puis, en son nom et au nom du concile, il écrivit
à toutes les Églises d'Egypte une lettre circulaire où il
condamnait, en gardant un juste milieu, tout à la fois
l'unitarisme sabellien et le trithéisme subordinatien.
Sans nommer personne, il réfutait, avec une grande
logique, et ceux qui confondaient les trois personn. -
divines à cause de l'unité de substance appelant indis-
tinctement le Père Fils ou le Fils Père, et ceux qui
affirmaient que le Verbe était une créature, qu'il
devenu, qu'il y avait eu un espace de temps où le Pèl
était avant le Fils. Il voulait que l'on conciliât l'uni!
ou la monarchie divine avec la trinité, que l'on recon-
nût en Dieu le Père tout-puissant, Jésus-Christ, son
Fils, et le Saint-Espril. et spécialement qu'on dit du
Fils qu'il est l'auteur de toutes choses dans l'unité d<
substance avec le Père. Il insistait même, à en jugei
par les réponses de Denvs d'Alexandrie, sur l'utilité
d'employer le terme d'ôtxooû<rio; pour désigner pins
exactement les rapports du Fils avec le Père. S. Atha-
nase, De décret is Nicsen. synod., 26, P. G., t. xxv.
col. 464-465, citant i'Epistola adversus sabeltianos,
de s. uni Denys de Rome, P. L., t. v, col. 116. Cf. lui:
zinger. Enchiridion, 10* édit., n. 18-51.
Par une lettre séparée, le pape invita Denys à s'ex
425
DENYS (SAINT) — DENTS D'ALEXANDRIE (SAINT)
426
pliquer. Celui-ci envoya une justification en quatre
livres intitulés : Réfulalionet Apologie, dontsaint Atha-
nase nous a conservé des extraits, et qui dut satisfaire
l'orthodoxie romaine. Voir Feltoe, The Letters andotlter
remains of Dinnysius of Alexandria, Cambridge, 1904,
p. 18-2-198.
En résumé, en toute celte afl'aire, Denys de Rome
apparaît comme un homme de gouvernement et de
doctrine : il prémunit à jamais les Alexandrins contre
^■nisme qui était à la hase des théories de Denys,
et les prépare de loin à la lutte contre l'arianisme
lorsqu'il naîtra cinquante ans plus tard parmi eux.
3° Lettre à l'Église de Césarée. — Denys écrivit
: à l'Église de Césarée en Cappadoce, affligée par
l'invasion des Perses. Il lui envoya des secours en ar-
gent pour le rachat des fidèles, entraînés en captivité
par les barbares. Sa lettre était précieusement conser-
'lans les archives de l'Eglise, au temps de saint
Basile, qui dans sa correspondance avec le pape Da-
mase la rappelle, en appelant son auteur Aiovitatov
LxEÏvov, -'ri !ijz]io;ti.):jit'jv lictaxoitov. Epist., LXX, P. G..
t. xxxn, col. 436. Cet acte de charité, succédant aux
rapports tendus qui avaient existé peu auparavant entre
I irmilien, évéque de Césarée, et les prédécesseurs de
Denys, était de nature à resserrer l'union des Eglises
orientales avec Rome. Cf. Salmon, Injallibility of the
Church, p. 375.
On trouve encore le nom de Denys de Rome, comme
nataire de la circulaire adressée par les évéques
à la suite du dernier concile d'Antioche contre Paul
de Samosate : elle arriva peut-être à Rome après sa
morl //. E., vu, :s<>, P. G., t. xx, col. 709;
S.Jérôme, De viris, 71. /'. /.., t. xxm. Eusèbe, H. E.,
vil, 9. /'. '/'., t. xx, col. 657, mentionne une autre lettre
de Denys d'Alexandrie à Denys de Rome, sur Lucien,
doute le prêtre d'Antioche, dont se réclamait Paul
de Samosate; cette lettre ne nous est pas parvenue.
i Développement de l'Eglise de Rome. —Le Liber
(icalis, 'dit. Duchesne, t. i, p. 157, d'après quel-
que document un quelque tradition, rapporte que he-
in- lit mie nouvelle délimitation des '-lises et cime-
ins doute désorganis pr< la persécution
Galérien. Cf. Duchesne, ibid., introduction, p. C.
II signale aussi -es ordinations el ajoute seulement
quecepape fui enseveli au cimetière de CaJixte.
rtouth, Heliquise sa l. m; Manst, Concil., t. r,
i Feld, t. i, p. 22; 1 . édlt.
Duchesne, t. i, p. 157; Harnack, Geschichte der altchristlichen
i
; onn, 1881, p 353 i lui i
6, t. i, p. 486; i l. Chevalier, Répertoire.
lit., t. i. col. 117.". Voir l'article suivant.
\. Cl l.nv.w .
2. DENYS D'ALEXANDRIE (SAINT) naquil
la ville de ce nom | menl avant l'an 200,
parents païens. Amené au christianisme par de
ludes. il suivit les leçons d'Origène. En 231
•:■>. il succéda .i lléraclas dans la direction de
■ chétique. el 'i/'1 an- plus lard, sans ci
le-t-il, son enseignemenl .i l'école, dans la chaire
■ pal' l..' i \ le lut un enchaînement de
. Il put -e soustraire par la
ion de Dèc< 250 251 . m. h- durant
• !.■ de Valérien reli guer d a
phro en Libye, puis en un endroit i encore plus
, dit Eu» i". au pays d" Colluthioo dans
i Mi \ m. h a. en mari 262, il \
' .un. il mourut
!•■ .1' tatioche contn Paul de
lui a ai. ni pas
ndi e.
Le '•< nom de ami i .
• i Mexandi ii el peut-être lui fut-il atti ibui pai
contemporains. En tout cas, il est déjà employé par
saint Pierre d'Alexandrie, dans un fragment conservé
de sa Myslagogie, P. G., t. xvm. Ce titre a été consa-
cré par Eusèhe, H. E., 1. VII, préface, P. G., t. xx,
col. 657. Rien qu'il fût l'homme d'action plus que de
doctrine, saint Athanase le qualifie de xaOoXexîjç 'Ex-
xX^o-t'a; 6ioi^xa),oç. Epist. de sentent. Dionys., c. vi,
P. G., t. xxv. col. 487. Saint Rasile l'appelle xavovtxév,
attestant ainsi son autorité et l'orthodoxie de sa foi.
Epist., I. II, epist. clxxxviii, P. G., t. xxxn, col. 664.
Il intervint énergiquement et avec succès dans les ques-
tions qui s'agitaient alors dans l'Eglise, aussi décidé
contre l'erreur que doux et prévenant pour les errants.
Il ne publia guère que des écrits de circonstance, en
vue d'un besoin pratique, dans un style alerte et vivant,
non exempts d'obscurités dogmatiques, mais toujours
animés du zèle le plus pur. Nous n'en possédons mal-
heureusement que des fragments, la plupart sauvés
par Eusèbe, recueillis trop incomplètement par Migne,
P. G., t. x, col. 1233-1344, 1576-1602. Cf. Pitra, Analecta
sacra, t. m, p. 596-598; t. ir, p. xxxvi-xxxvii; frag-
ments syriaques et arméniens, t. iv, p. 169-182, 413-
422; cf. Prol., p. xxm-xxv. M. Feltoe a recueilli d'une
façon plus complète les fragments des .envies de
saint Denys, Aiovûtriou Xe»f/ava- The Letters ami other
remains of Dionysius of Alexandria, Cambridge, 1904.
Il les a groupés en six catégories :,1° les lettres, parmi
lesquelles il faut noter les cinq épitres baptismales;
2° IIcp'.. âitayYsXewv; 3° Ilept cp'Jistoç; 4° la controverse
avec Denys de Rome; 5° les fragments exégétiques;
6° des fragments divers. Il a utilisé des fragments pu-
bliés par Holl, dans Texte ttnd Unlersuchungen, 1900,
t. x\. el par Sickenberger, ibid,, 1902, t. xxil, fasc. i,
p. 62, 78-79, 82, 85, 86, 98. La liste des ouvrages de saint
Denys a été donnée par saint Jérôme, De viris, 69, /'. L.,
t. xxm, col. 677-681. Il faut signaler la lettre à saint De-
nys de Rome, lkp'i A.ouxtavoû, l'èitt<rroXT| 8iaxovwr| ôt'
ll7otoXut6u, l'épitre totç xctfi' Aïyv7iTov 7iepi psTavofocc,
l'épitre à Conon, l'épitre ÉftioHteoTix*), la lettre à Origène,
nepl p.apT'jp(ou, etc. On ne connaît aussi que le titre .lu
Livre sur les tentations, o Trspi JtEtpa<ru.ô>v >.6yoi, Eu-
sèbe, op. cit., 1. Vil, c. xxvi, 2, P. G., t. xx. col 705.
Les livres sur lu nature, ol itepl çûo-ew« \6yoi, Eusèbe,
loc. cit., ei Prtep. ev., I. XIV, c. xxm-xxvii. P. G.t
t. xxi, col. l272-lL2Sii. probablement antérieurs à l'épis-
copat .le Denys, étaient une solide réfutation du ma-
térialisme épicurien, D'un commentaire sur les pre
iniers chapitres de l'Ecclésiaste, i, l-in, 11, Eusèbe,
//. E., I. VII, C. XXVI, 3, COl. 705, qui semble de la
même époque, une chaîne donne des fragments consi-
dérables, certainement authentiques dans l'ensemble.
I i - ii, ua livres sur 1rs promesses, Ttepi inayYeXt&v ovo
iu-cYpiu.iJ.aTa, Eusèbe, op. vit., 1. VII, c xxiv-wv.
col. 692-704, écrits vers 253-257. étaient dirigés contre
Népos, un évéque de la région d'Arsinoë, et -a llr-
fulalion <!<•* allégorisles. Voir Népos. Dans le i. i
Denys combattait les rêveries millénaristes de V
il traitait, dans le I. II", de l'autorité de l'Apocalypse,
composée par g un Saint, inspiré de Dieu , n
Jean, mm toutefois par saint .ban l'évangéliste. Voir 1. 1,
col. 1469. L'adhésion de plusieurs évéques de Lin
lie de Sabellius fut l'occasion du concile d'Alexan-
drie de 261 el de la lettre > tmmonius et Euphranor;
pendant qu'il m qu à fuir l'écueil d >
dalisme, Denys faillit tombei sur celui .lu subordinatia
nisme ; pour exprimei avec toute la netteté possible la
distinction personnelle .in r. re et du i ils, il emploie
des tei mes et d ona qui impliquent une
distinction substantielle, accusé .1. lii .rieur- bu
du pape saint Denys, 1 1 1 . 1 1 ■ ■ | ..i i le ile rnuiain de
, tifler, il répondil d'abord par une i. Itre,
S. Alhan i e, 1 pist.de tentent i I /■ Q , i \w,
col. W6, et ensuite plu- explicitement par une Réfuta
427 DENYS D'ALEXANDRIE SAINT)- DENYS DE CONSTANTINOPLE 428
(ton et Apologie, :"/:-;•//,; xott iiroXoyia en 4 livres.
S. Alhanase, op. cit., 13, col. 500; Eusèbe, o//. cit., 1. VII,
c xxiv, I, col. 704; De synodie Arimini in Italia <■(
Seleucise. in Isauria celebratis, 43, P. G., t. xxvi,
col. 769, qui contenait des déclarations absolument or-
thodoxes au sujet de la Trinité. Saint Basile a connu
la dénonciation de saint Denys d'Alexandrie à saint
Denys de Home. Il mentionne l'apologie de l'évêque
accusé et rend justice à sa foi au sujet de la trinité. 11
précise exactement l'erreur de Denys, mais il l'expli-
que et partage l'opinion indulgente de saint Denys de
Home et de saint Alhanase. De Spirilu Sanclo, 72,
P. G., t. xxxii, col. 201 ; Epist., IX, ibid., col. 269. Il
a donc connu toute l'affaire et l'a jugée en théologien
compétent. Denys écrivit une série de lettres relatives
au schisme novatienet à la question des lapsi. 11 exhor-
tait Novatien et ses adhérents à se soumettre au pape
légitime et recommandait à l'égard des tombés toute
1 indulgence possible; particulièrement belle est la lettre
a l'antipape lui-même. Eusèbe, op. cit., 1. VI, c. xlv,
col. 03i. Dans le différend sur la validité du baptême
des hérétiques, Denys travailla surtout à porter les
uns et les autres à la paix. Eusèbe, op. cit., 1. VII,
e. iv-ix, col. 641-657. L'an 264 ou 2G5, le vieil évèque
écrivit à l'Eglise d'Antioche contre la doctrine de Paul
dé Samosate. Ibid., c. xxvn, 2, col. 705. La lettre à
l'hérétique lui-même qu'on trouve dans Mansi, Concil.,
t. I, col. 1039-1088, est une supercherie de plus des
apollinaristes. Eusèbe a extrait des lettres pascales de
saint Denys quelques données historiques, H. E., 1. VII,
c. xx-xxn, col. G8I-692; la lettre à Domitius et Didyme
pour la Pàque de 251 contenait un canon pascal de huit
années et décidait que la fête devait toujours se célé-
brer après l'équinoxe du printemps. Ibid.Une des let-
tres à Basilide, évêque de la Pentapole, Eusèbe, 1. VII,
c. xxxi, 3, col. 705, doit sa conservation intégrale à cette
circonstance qu'elle a été mise par les Grecs au nombre
des Épitres canoniques. Roulh, Reliq. sacrée, 2e édit.,
t. m, p. 219-250; Pitra, Juris eccl. Grœc. hist. et mo-
num., t. i, p. 541-545, cf. p. 518 sq.
La plupart des traités de saint Denys ont été écrits
sous forme de lettres. Eusèbe, H. E., 1. VII, c. xxvi,
P. G., t. xx, col. 704-705. Le Ilepî o-aSgâro'j, comme le
IIep\ Y"(JLvafftou, le Ilepi cpûcioi; et le Ihç,\ Tteipao-p.oiv,
dédié à Euphranos, étaient des lettres.
Saint Denys a sur l'inspiration de l'Écriture les
mêmes idées qu'Origène. Il attribue formellement l'É-
pitre aux Hébreux à saint Paul, et sur ce point, il va
plus loin qu'Origène. Cf. Eusèbe, 1. VI, c. xxv, col. 584
(pour Origène), et 1. VI, c. xli, col. 605, où saint Denys
cite Heb., x, 34, avec cette introduction : IlaC/.o; Èp.ap-
Tjpr^s. Il est aussi témoin de la foi de l'Église au sujet
de la présence réelle du corps et du sang de Jésus-
Christ dans l'eucharistie : toO o-tôpaTo; xat toG ai'u.axo.;
to-j Kvpîovi r,|j.<âv 'Ir,ffo0 XpuTToO asTaT/ôvr*. Eusèbe,
1. VII, c. IX, col. 656. Il nous apprend aussi qu'à Alexan-
drie la sainte eucharistie était conservée pour les ma-
lades : 'fiça.yy xr\i £'jy_aptsr\aç ê7ci8«i>xev x3> rcatSaplu.
Eusèbe, 1. VI, c. xliv, col. 632.
Bardenliewcr, Les Pères île l'Église, trad. Godet et Yerschalïel,
t. i, p. 283-288; Dittrich, Dionysius der Grosse von Alexan-
drien, in-8', Fribouig, 1867; Ha.vnack,Geschiclite der altchristl.
Litteratur, t. i. p. 409-427; Fœister, De doctrine, et sententiis
Diotiysli M agni Alexandrin i, Berlin, 18(35; Roch, Dionysius der
Grosse iiber die Natur, Leipzig, 1882; Dictionary of Christian
Biograpliy, art. Dionysios of Alexandria; Benson, Cyprin».
1897, passim; Feltoe, The Letters and other remains of Dio-
nysios of Alexandria, Cambridge, 1904; Hurter, Nomcncla-
tor, 3" édit., t. i. col. 82-86; Chevalier, Répertoire. Bio-biblio-
graphie, 2' édit., t. i, col. 1168-1169.
C. Vkrschaitel.
8. DENYS DE CORINTHE (SAINT) était évêque
de cette ville au lemps du pape saint Soter (vers 166-
174). Voir Soter. Il avait une telle réputation que les
Églises les plus loi niai nés ai niaient à le consulter. Eusèbe
connaissait de lui sept épitres « catholiques », c'est-à-
dire adressées à des communautés diverses, et une
lettre particulière. De la vu1 ('pitre catholique, lettre de
remerciement et réponse à la communauté de Home,
l'historien de l'Église nous a laissé de précieux extrait-.
//. E., I. IV, c. xxiii. 10-1/2. /'. .;.. t. xx, col.
11 y célèbre la charité de l'Eglise de Home envers celle
de Corinthe, col. 387. L'épitre aux r.phésiens était di-
rigée contre le gnosticisme de Marcion. Ibid., 1. IV.
c. XXIII, i, ibid,, col. 381.
Routh, Reliquix sacrœ, 2' édit., t. I, p. 175-201; H:u denliexver,
Les Pères de l'Église, trad. Godet et Verscbalfel, t. i, p. 242.
Cf. II. Chevalier, Répertoire. Biobibliographie, 2' édit., t. i,
col. 1174.
C. Verschafi i i .
4. DENYS d'Andrinople, métropolitain de cette
ville, mérite une mention dans ce dictionnaire pour le
recueil d'homélies qu'il publia à Venise, en 1777. sous
la surveillance de Spyridion Papadopoulos. En voici le
titre : 'Op.ii.iai Sidctpopot pt).07tovr)6eî<jai, oûtuk û>î ôpôv-
rai [u8e xestievai, <ruvro[i.o( ai iz~).eio\iç, -/.ai EÛavvoirroi,
yypcv tôv aTtÀoucTTÉpo)/, in-4°, Venise, 1777. Elles sont
divisées matériellement en deux parties, la première
consacrée aux principales fêtes, la seconde au propre
du temps; mais la division n'est qu'apparente. Ici
comme là, ce sont de simples exhortations aux vertus
chrétiennes, rédigées sobrement et prononcées par
Denys au cours de ses visites pastorales. C. Sathas, qui
les signale dans sa NeoeX).r)vixT| piXoXovfa, p. 610, assure
qu'elles ont été irnpriméesen 1775 et en 1778; ces deux
dates, comme tant d'autres fournies par ce peu scrupu-
leux écrivain, sont absolument fausses.
L. Petit.
5. DENYS IV DE CONSTANTINOPLE, pa-
triarche, auteur d'une célèbre profession de foi cuiitre
les erreurs calvinistes : c'est à ce titre qu'il figure ici.
à l'exclusion des autres patriarches de même nom.
Originaire de Constantinople, Denys Mouslim ou le
gouverneur était simple employé du patriarcat œcu-
ménique et étranger même à la cléricature, quand la
faveur de Denys III, son protecteur, l'éleva sans tran-
sition aucune à la métropole de Larissa 9 août 1662),
que Denys III venait précisément de quitter pour le
trône patriarcal. A la chute de Parthénius IV. le nou-
veau métropolitain devint patriarche lui-même au mois
d'octobre 1671. Renversé le 14 août 1673, il réussit à
remonter sur la chaire de Photius le 24 octobre 1676;
il s'y maintint jusqu'au 2 août 1679. Trois fois encore
il revint et trois fois il dut se retirer devant l'opposition
de la clique phanariote : 31 août 1683-10 mars 16S3,
7 avril 1686-17 octobre 1687, fin 1693 pour un court
pontificat de sept mois. Retiré en Valachie, il mourut à
Bucarest le 23 septembre 1696 et fui inhumé au monas-
tère de Radoulvoda. — C'est au mois de janvier L672,
lors de son premier patriarcat, que Denys. d'accord avec
les patriarches démissionnaires et les membres du sy-
node, donna sa fameuse réponse sur les erreurs calvi-
nistes. Elle traite, après uncourl préambule, du nombre
des sacrements et de leur nature, en particulier de la
sainle eucharistie et de la présence réelle, du baptême
des enfants, du sacerdoce et de sa nécessité, du mai
et du célibat des préires, de l'Église orthodoxe orien-
tale, du culte des saints et de la vénération des images,
du jeune, et, pour finir, des Livres saints et de leur
nombre. Editée pour la première fois par le bénédictin
Michel Poucqueret à la suite du synode de Jérusalem.
ïh-80, Paris, 1676 et 1678, cette déclaration dogmatique
fut insérée par Hardouin, avec quelques amendements
dans la traduction latine, au t. xi de sa collection des
conciles, p. 273 sq., d'où elle passa dans le Supplément
cli Mansi, Conciliorum collectio, t. xxxiv b, col. 1777-
1790 t. xxxvii. col. 153-464. On la trouve encore dans le
429
DENYS DE COXSTANTIXOPLE '— DENYS L'AREOPAGITE
430
recueil de Kimmel-Weissenborn, Appendix librorum
symbolicorum Ecclesise orientalis, Iéna. 1830, p. 2li-
227; dans la Vérité ecclésiastique de Constantinople,
1881, t. i, p. 88-91, et dans I. E. Mesoloras, £uu£oXumj
-r,: Ôp6o8ôËo-J àvara) r/.r,: i/.v.'rr^ix:, t. I, supplément.
Athènes, 1893, p. 139-116.
L. Petit.
6. DENYS DE GÊNES, TASSORELLI, nous dit
lai-même qu'il naquit le 18 mai 1636 et qu'il entra au
noviciat des capucins le 18 mai 1651. Il consacra le
temps que lui laissaient libre les divers devoirs de la
vie religieuse et les fonctions de supérieur de plusieurs
couvents à recueillir les éléments de la Ribliollieca
scriptorum ordinis minorum S. Francisci capuccmo-
rum, in-4», Gènes, 1680; in-fol.. ibid., 1691. Cet ou-
fut réédité et continué par Bernard de Bologne,
in-fol., Venise, 17 17. Le P. Denys mourut à Gènes en
I69.">, laissant dans ses manuscrits la traduction de plu-
sieurs ouvrages du P. Yves de Paris.
istinus Oldoinus, S. J., Athenxum Ligusticum, Pérouse,
1680, p. 153; Denys de Gènes et Bernard de Bologne, liibliotheca
scriptor. capuccinorum; Giornale dei letterati, 1692, p. 171.
P. Édoi'ard d'Alençon.
7. DENYS L'AREOPAGITE (LE PSEUDO-).
— I. Ecrits aréopagi tiques ou Corpus dionysiacum.
Il Auteur. III. Synthèse théologique. IV. Inllucnce.
I. Ecrits aréopagitiques, ou Corpus Dionysiacum.
— Denys l'Aréopagite est ce membre de l'Aréopage que
saint Paul convertit, Act., xiv, 34, et choisit pour le
premier évoque d'Athènes, Eusèbe, //. E., iv, 23, 'i.
/'. '.'., I. xx, col. 568: A cela prés, il n'y a sur lui
qu'erreurs ou simples conjectures. — Il nous esl
resté, sous le nom de saint Denys l'Aréopagite, un
groupe de livres et de lettres, où le caractère tout à
fait a pari du style el du ton. aussi bien que l'harmo-
nie constante des grandes vues philosophiques et théo-
logiques, dénotent, au moins dans l'ensemble, l'unité
de la composition avec le génie de l'auteur. Groupe
original, sorte de sphinx aux énigmes incessantes non
encore totalement déchiffrées, et qui ne laisse pas
d'être au centre de la mystique chrétienne, ou plutôt
d'en être le centre incontesté. On j aperçoit au pre-
- quatre livres assez étendus, tous dédiés par
l'auteur, sans que la dédicace actuelle suit de sa main.
aTimothée, i Bon collègue dans le sacerdoce, t<.> avr-
ils soni intitulés : I " De la hiérarchie
, P G., t. m, col. 119-369; 2 De la hiérai
ibid., col. 370-581; 3 De» noms divins,
ibid >996; I Théologie mystique, ibid.,
col. 997-19i8. Indépendamment de ces quatre li
i prendre i tions au pied de la
lettre, aurait écril ou projeté d'écrire sepl autres
ouvrages : les / théologiques, OcoXoYixai ûito-
livines, la Théologie symbo-
lique, le traité De l'âme humaine, Il ■-... ■l^/r,;, celui
Di lelligibles et des choses sensiblesj tlepl
xi -0/)Tû)v, celui De la hiérarchie de l'A
lui enlin Du juste jugement de Dieu,
Il - -. o*j x«l Oeto'j Sty.aiioTTipfou. De telle sorte qu'en
lin aurait conçu, sinon peut-être entiè-
. le plan d'une vaste el vivante synthèse
théologique. Hipler, Dionysius der Aràopagite, Ratis-
ne, 1801, p. 75 iq . Kirchetilexikon, 2 édit., t. ni,
1 ■ '■'■' Mais, outn que h - donm et de noire auteur
néral obscures,
i
n iii inspirer une confiance absolue;
il n'"-i. dans I di la littérature gri cque, ni le
pn tnier ni le seul qui *
pi dl l 'lie i
I l.i moindre '
llll r
1 . que les livn s et les lettres qui
sont parvenus en grec. C'est là tout ce qu'ont égale-
ment connu l'admirateur enthousiaste des écrits aréo-
pagitiques, saint Maxime le Confesseur (f 662), et le
bibliothécaire Anaslase, au ixc siècle. Il appert donc
aujourd'hui que les litres de ces sept derniers ouvrages
sont de pures fictions, et que les ouvrages n'ont jamais
paru. Avec le Corpus dionysiacum que nous possédons,
nous en avons l'auteur tout entier. Stiglmayr, S. J.,
Zeitschrift fur katholische Théologie, 1891, p. 257 sq.;
H. Koch, T/teoI. Quartalschrift, 1895, t. i.xxxvn,
p. 362-371; Rômische Quartalschrift, 1898, t. xn,
p. 364-367.
Le Corpus dionysiacum comprend aussi dix lettres,
la plupart très courtes, P. G., t. m, col. 1065-1120; au-
tant d'opuscules mystiques, qui se rattachent étroite-
ment, idées et st\le, aux quatre livres ci-dessus, et
dont les destinataires appartiennent ou sont censés
appartenir aux divers degrés de la hiérarchie sacrée.
Ces dix lettres sont écrites, les quatre premières au
« thérapeute » ou moine Caius, la cinquième au « li-
turge » ou diacre Dorothée, la sixième au prêtre Sosi-
pater, la septième à l'évêque ou « hiérarque » Poly-
carpe, la huitième au moine Démophile, la neuvième à
1' « hiérarque «Titus, la dixième à « Jean le théologien,
pendant son exil à Patmos. » Trois autres lettres,
dont le texte original grec est perdu, sont apocryphes,
c'est-à-dire de provenance étrangère : la lettre au phi-
losophe Apollophane, dont il ne nous est resté' que le
texte latin, P. G., t. ni, col. 1119-1122; Harnack, Ge-
schichle der altchristl. Litteralur, t. i b, p. 781 ; la
lettre à Timothée, sur la mort de saint Pierre et de
saint Paul, publiée par l'abbé Martin dans les versions
syriaque, arménienne et latine, Analecta sacra du
cardinal Pilra, t. iv, p. 241-254, 261-276; la lettre en
arménien à Titus, touchant l'assomption de la
sainte Vierge. Vetter, Theol. Quartalschrift, 1887,
t. i.xix, p. 133-138. M. Kugener a édité, traduit et an-
noté Un truite astronomique et météorologique sy-
riaque attribué à Demis l'Aréopagite, dans les Actes
iin w r congrès des orientalistes, Paris, 1907, t. il. Ce
traité, conservé dans le manuscrit de Londres, addi-
tionnel 7192, qui esi probablement du viie siècle, con-
tient une partie d'un mélange de philosophie et de cos-
mologie, constitue'' par Aristote. La traduction syriaque
a vraisemblablement été faite à Êdesse au vr siècle.
II. Ai ni K. — Quand, pour la première fois, le
Corpus dionysiacum fut produit, vers 532, à Constan-
tinople même, dans un colloque des catholiques et des
sévériensou monophysites modérés, Hypatius d'Éphèse,
le porte parole des catholiques, récusa comme apocry-
phes les prétendus ouvrages du Bénateur athénien.
Vlan si, Concil., t. vu, col. 821. Mais ces ouvrages ré-
pondaient aux besoins et aux préoccupations des es-
prits. Us ;e répandirent sans peine, obtinrent vite uni
popularité prodigieuse, et gardèrent le nom de
l'illustre chrétien auquel ils avaient été d'abord attri-
bués. Personne avant le xvi« siècle, sauf peut-être Pho-
tius, Stiglmayr, s. J., 11, st. Jahrbuch, 1898, t. six,
p. 91 '.il. ne s'est avisé' d'en dénier la paternité a
saint Denys l'Aréopagite. L'auteur, en prenant ce nom,
Epist., vu. '.',. /'. <;., t. m, col. 1081, ne s'était-il pas
donné' lui-même pour le célèbre disciple de s.iint Paul,
De nominibusdiv., il, II; tu, 2, P. G., t. m, col
i r le témoin oculaire tant de l'éclipsé survenue
à la mort du Sauveur. Epist., VII, 2. /'. Cf., t. III,
col. 1081. que de la mort de i.i s. unie Vierge, to-j
r/',-. /y., dtoftéxou vwu.Rto;, De nominibut div.,
m, 2, /'. G., t. m. ool. 682; pour un compagnon el un
iiuii il el de leurs disciples immédiats ' Epist.,
i-v, k. Partout, sans hésiter, on reconnut dans 1 Iréo
pagite I auteur du Corpus dionyt
k dionysiacum l'une des plus ani lennes pro-
ductions di , ■ itolique
431
DENYS L'ARÉOPAGITE (LE PSEUDO-)
432
Mais, au xvi" et au xvn< siècle, la critique d'un
Laurent Valla, d'un Érasme, d'un Sirmond, d'un Tillc-
mont, d'un Le Nourry el de bien d'autres dissipera
cette longue illusion, en faisant revivre la protestation
d'Hypatius. Ce n'est pas qu'il n'y ait eu jusqu'à la lin
du xix'- siècle, en France el ailleurs, des tentatives,
non pas ion les inspirées parle vrai intérêt de la science,
pour étayer l'opinion traditionnelle et rendre à FAréo-
pagite ses prétendus droits. L'abbé Darboy, en tète de
sa traduction des Œuvres de saint Denys l'Aréopagite,
Paris, 1845; l'abbé Freppel, Cours d'éloquence sacrée,
1860-1861, 5e leçon; Kanakis, Dionysius der Areopa-
gile, Leipzig, 1881; Baltenweck, Revue catholique
d'Alsace, nouvelle série, 1883, t. n, p. 487-501, 598-
004, 058-G67, 705-726; Moriceau, Vie de saint Denys
l'Aréopagite, Laval, 1883; Schneider, Areopagitica,
RatisLonne, 1884; Vidieu, Saint Denys l'Aréopagite,
Paris, 1889; John Parker, Are the writings of Diony-
sius Ihe Areopagite genuine? 1897, s'y sont employés
tour à tour avec des talents inégaux et un égal insuc-
cès. La supposition est visible; livres et lettres ne peu-
vent dater du Ie1 siècle de l'ère chrétienne; on y men-
tionne des faits, des usages postérieurs à cette époque ;
on y rencontre à chaque pas des idées et des formes de
langage dont l'Aréopagite ne pouvait avoir le moindre
soupçon. La question de l'authenticité du Corpus diony-
siacum est bien définitivement tranchée dans le sens de
la négative. De Smedt, S. J., Bévue des questions histo-
riques, avril 1896, p. 610; H. Koch, Hist. Jahrb., 1898,
t. xii, p. 361 sq.
Est-ce à dire que notre auteur a voulu prendre un
masque et abuser de la crédulité publique? M. Hipler,
op. cit., ne l'a pas pensé; et jaloux de sauvegarder
l'entière sincérité d'un docteur justement fameux, sans
remarquer assez peut-être la différence des temps en
matière de propriété littéraire, ni l'équivalence foncière
du pseudonyme d'autrefois et de l'anonyme d'à présent,
il a rallié nombre de partisans à son opinion. Enlre
autres, Ed. Bœhmer, Damaris, 1864, p. 99 sq.; Nirschl,
Patrologie, t. n, p. 134 sq.; Alzog, Palrologie, trad.
franc-, 1877, p. 595; Draeseke, Gesclt. patristische Unter-
suchungen, 1889, p. 25 sq.; Jahn, Dionysiaca, 1889;
Asmus, Zeitschrift fur wissenchaftl. Théologie, 1890,
p. 361 sq., etc. Ils conviennent tous, nuances de détails
à part, que notre auteur, qui vivait, d'après eux, vers
la fin du IVe siècle, ne cherchait pas à se faire passer
pour un contemporain des hommes et des faits aposto-
liques ; qu'il s'appelait véritablement Denys, et que la
dénomination d'Aréopagile était pour lui un surnom,
analogue à ceux que les membres de l'École du palais
et Charlemagne lui-même puiseront dans la littérature
sacrée ou profane; qu'on peut identifier ce Denys, soit
avec l'abbé Denys de Rhincoclure en Egypte, Sozomène,
H. E., vi, 31, 7». G., t. lxvii, col. 1389; Ed. Bœhmer,
loc. cit.; Nolte, Theol. Quarlalschrift, 1868, p. 449 sq.,
soit avec l'évèque d'Alexandrie, Denys le Grand, Skwor-
zow, Palrologische Unlersuch., 1875, p. 98 sq.; qu'en
tout cas, les noms propres du Corpus dionysiacum
désignent, sous des noms de guerre ou de cloître, des
personnages de l'Église d'Egypte, pendant la seconde
moitié du IVe siècle, par exemple, saint Athanase en
exil, Pierre, patriarche d'Alexandrie, Timothée, son
frère et futur successeur, etc.; qu'enfin, si l'opinion
s'est égarée, la faute en 'est toute aux interpolations,
altérations, mutilations, qui, dans le Ve ou vr siècle, ont
défiguré le texte primitif. Cette thèse ingénieuse n'a
pourtant pas prévalu. Funk, Lit. Rundschau, 1883,
col. 711 sq. ; Theol. Quarlalschrift, 1890, t. lxxii,
p. 310 sq.; 1891, t. i.xxiii, p. 495; 1894, t. i.xxvi.p. I72sq..
l'a combattue avec une grande vigueur, tandis que M.llar-
nack, Lehrbuch der Dogmengeschichlc, 3e édit., t. n,
p. 423, note 3, à demi gagné, mais non convaincu, de-
mandait, pour prononcer, un supplément d'informations,
l.a thèse de M. Hipler :> reçu enfin le coup de grâce di s
travaux parallèles du p. Stiglmayr, Dos .lu//.",,
der Pseudo-Dionysischen Schrifien..., Feldkirch, 1895,
dans Byzantinische Zeitschrift, 1898, t. vu, p. 91-110;
1899, t.' vin, p. 263-301, et de M. Koch, Theol. Quarlal-
schrift, 1895, 1. 1, xxvn, p. 371-420; 1896, t. i.xxvm. p
679; Rômitche Quarlalschrift, 1898, t. xn. p. 361 sq.;
Theol. Quarlalschrift, 1904, t. i.xxxvi, p. 378-379. Les
deux savants critiques ont relevé pas à pas tout ce
qu'il y a, dans l'exégèse el l'argumentation de M. Hipler,
d'arbitraire, de conjectural, de paradoxal, et mis ainsi
en pleine lumière le caractère pseudépigraphique du
Corpus dionysiacum. Le R. P. de Smedt, loc. vit-,
l" avril 1896, p. 612, admet sans réserve leur commune
conclusion. M. Hipler et M. Draeseke ont eux-mi
rendu les armes. Selon l'exemple des néo-platoniei' DE,
qui, pour leurs hymnes théurgiques, empruntaient le
nom d'Orphée, l'auteurdes écrits aréopagiliques a essayé
de se donner comme contemporain des apôtres el de
s'abriter sous le nom de l'une des plus glorieuses con-
quêtes du christianisme naissant. On a bien le droit de
l'appeler le pseudo-Denys, le pseudo-Aréopagite.
M. Hipler, pour le besoin de sa cause, avait reculé
jusque vers la fin du ive siècle la date du Corpus dio-
nysiacum. Mais les critères tant externes qu'internes la
ramènent entre les dernières années du Ve siècle et le
commencement du vr. Les premières citations qu'on
en trouve, sont faites par le monophysite Sévère,
patriarche d'Antioche, dans un concile de Tyr qui ne
peut être postérieur à l'an 513, et par André, archevêque
de Césarée en Cappadoce, dans son Commentaire su/-
l'Apocalypse, P. G., t. evi, col. 215-458, écrit proba-
blement de 515 à 520. Diekamp, Histor. Jahrbuch',
1897, t. xviii, p. 1-36, 602 sq. Sévère d'Antioche cite,
d'ailleurs, les Noms divins dans son traité contre .lu-
lien d'Ilalicarnasse, ainsi que Pierre de Calliniqne
(t 591) dans son traité contre Damien. P. Martin, Les
Aréopagiliques, dans De l'origine du Pentateuque
(lithog.), Paris, 1886-1887, t. i, p. 631-633. D'autre part.
il est maintenant hors de conteste que le pseudo-Den\s
se rattache étroitement à Proclus, le dernier chef de
l'école néo-platonicienne, 411-485; qu'entre tous les
néo-platoniciens, Proclus est son maître et son guide;
que souvent il le copie mot à mot, et qu'il nous a
conservé notamment, Denominibus div., iv. 18-31. un
extrait du livre de Proclus Sur l'existence du mal,
dont il ne nous reste qu'une traduction latine de basse
époque. Stiglmayr, S. J., Hist. Jahrb., 1895, p. 253 sq. ;
H. Koch, Theol. Quarlalschrift, 1895, t. lxxvii, p. 414;
Rômische Quarlalschrift, 1898, t. XII, p. 368 sq.;
Pseudo-Dionysius Areopagita in seinen Beziehungen
zum Neuplatonismus und Mysterienwesen, Mayence,
1900. Le pseudo-Denys connaît en outre la coutume,
introduite vers 476 à Antioche par le patriarche mono-
physite Pierre le Foulon, de chanter le Credo à la m
et l'Henoticon de l'empereur Zenon en 182. Le désir de
paix et de concorde qui anime le Corpu u uni
et qui semble trahir un partisan modéré du formu-
laire impérial, l'attention de noire auteur à ne poii
servir de termes qui puissent choquer ou les monophy-
sites ou les catholiques, et à garder au contraire la
neutralité dans sa christologie, tout parait rapprocher
son œuvre de la lin du v° siècle.
11 est très probable qu'elle a paru en Syrie, non point
en Egypte; la Syrie était alors la Terre promise des
supercheries littéraires. Malgré toutes les recherches et
tous les essais d'identification, le véritable nom du
pseudo-Denys est encore ignoré; peut-être qu'un manus-
crit syriaque nous le livrera quelque jour. Il est à croire
que noire auteur, né dans le paganisme, De hier, ceci.,
ix. 3, et élevé dans l'école néo-platonicienne, entra
dans le cloître, et de moine devint évêque. On le peut
conclure de la 1res haute idée qu'il se fait des préroga-
433
DENYS L'ARÉOPAGITE (LE PSEUDO-)
434
tives de l'épiscopat et de la fermeté qu'il déploie, tout
épris qu'il est de la sainteté de la vie monastique, pour
réprimer les prétentions des moines à rencontre du
clergé séculier.
III. Synthèse théologique. — Les écrits du Corpus
dionysiacum correspondaient à une tentative très active
ei 1res importante, au Ve et au vie siècle, dans l'état de
la société; ils avaient pour objet cette conciliation, cet
amalgame des dogmes chrétiens et des idées néo-plato-
niciennes qui formaient le problème intellectuel du
temps. Non pas que la synthèse théologique du pseudo-
Denys allât à reproduire les doctrines néo-platoniciennes
et à les infuser dans le christianisme; elle allait à chris-
tianiser, à baptiser, autant du moins qu'il se pouvait,
l'idéalisme et le mysticisme néo-platoniciens. L'auteur,
Epis t., vil, 2, nous explique son dessein, qui est de rui-
ner les entreprises du néo-platonisme alexandrin con-
Ire la foi chrétienne, en les mettant face à face et en
nant do faire ressortir, avec leurs points de contact,
la supériorité du christianisme.
Le style du pseudo-Dcnys — style extraordinaire, au
ment de Bossuet, Instruction sur les états d'orai-
son, 1. I , a. 2 — n'est ni simple ni clair; la prolixité',
l'enflure, l'affectation le déparent, et de propos délibère''
il voile la pensée plus qu'il ne l'illumine. Aux anciens
termes usuels d'évéque, de prêtre, de diacre, de moine,
I écrivain substitue les dénominations d'hiérarque, de
de liturge el de thérapeute; on dirait qu'il a la
fureur des néologismes, la fureur aussi des longues
phrases ton imbitieuses. Sans doute, la faute en
■ -i pour une part au caractère des questions abstruses
que l'auteur étudie, pour une part à sa trempe d'esprit
personnelle. Mais la faute en est plus encore à l'in-
fluence de l'école néo-platonicienne, et 1res spéciale-
menl à l'influence de Proclûs, dont le pseudo-Denys se
plait à reproduire, non pas toujours a\ec art ni d'une
les expressions et les tours particuliers.
II. \Loch,Rôm. Quartahchrift, 1898, t. ui, p.367-378;
Il '• Quartahchrift, 1904, t. i xxxvi. p. 379 sq. Bien
qu au fond notre auteur n'enseigne pas le panthéis
el qu'il ensape au contraire la base pai l'affirmation
du dogme de la création, son langage ne
pas d'avoir, comme celui de maints mystiques du
moyen Age, un relent émanatiste, qui, dans la bouche
d'un théologien de nos jouis, ne serait pas suppi
II. Koch, Theol. Quartahchrift, 1904, p. 399. Notre
ur parle même plus d'une fois la langue des mys-
, bien est devenue dans le néo-platonisme
la langue de la philosophie, il. Koch, Theol. Quarlal-
ft, 1895, t. i.xxvn. p. 118 sq.
Arec la tei minol le pseudo-
Denys emprunte du néo-platonisme toutes les idées qui
mmoder, selon lui, a la foi de II
L'allégorisme à outi oi mtaires de Porphyre
«lus sur lb.ni. ie el sur Platon revit dans
du pseudo Denys C'esl but tes traces di
Proclus qu'il marche dans l'étude de la que-lion du
mal En ce qui est de l'activité, di la providence, de la
fait également l'écho du néo-plato-
'"- sans aucune not< proprement, spécifiquemenl
ienne II. Koch, Theol. Quartahchrift, 1904,
i' 391. De même, la île orie des trois di
'■'|" - d, I., p| ,|]|. ,|e | Il
on . i ,i. rive bien moins d'Oi I
• prien que de Proclus, II. Koch, Theol.
in, fi, 1905, i. ixnwi, p. 592-596. L'a
D i> ni une teinte
néo plalon i 'i, idi e i \ autn - q
Dieu ii h i Ive aui hommes que pai l enlre-
nient
li - i hœurs Bngéliqui -. du premier au dei niei l a
lin. bien qu'elli
nlir l i n ti n. ne.
du néo-platonisme. L'idée toujours présente de l'unité
absolue, principe et fin des choses, du multiple qui en
sort et y retourne; la théorie des trois voies, purga-
tive, illuminative, unitive, déjà en germe dans Platon,
et remaniée tour à tour par Philon, Plotin, Jamblique
et Proclus; la doctrine de l'extase qui procure aux
âmes parfaites dès ce monde la vision intuitive, mais
non compréhensive, de la divinité; l'élaboration parti-
culière de la théorie de la déification humaine; tous
ces traits attestent un retour complaisant du pseudo-
Denys sur son éducation première et répandent sur sa
théologie mystique une nuance de néo-platonisme épuré.
H. Koch, Theol. Quartahchrift, 1898, t. î.xxx, p. 397-
420; 1904, t. i.x.xxvi, p. 395 sq.
Le pseudo-Denys ne sacrifie pourtant pas aux théo-
ries transcendentales du néo-platonisme alexandrin les
articles précis de la foi chrétienne; il ne s'aventure pas
hors du terrain de la tradition que sa vaste lecture lui
a rendu familier; et, théodicée ou christologie, son or-
thodoxie au fond n'a pas subi d'accroc. Les traces de
panthéisme qu'on a relevées dans ses œuvres, ne sont
que des trompe l'ieil, et les textes mêmes protestent
contre les injustes accusations d'apollinarisine, de mo-
nophysisme, de monothélisme. Bern. de Rubeis, Diss.
de fuie auctorh operum qux vulgo AreopagiHca di-
cuntur, P. G., t. îv, col. 1025-1079. Mais il faut regretter
que le pseudo-Denys, sous l'influence] d'une opinion
d'Origène qui n'était pas encore rangée définitivement
parmi les hérésies, ait maintenu la notion subjective et
donatiste de l'Église et des sacrements; que, partant, il
dépendre la validité et l'eflicacilé, soit de l'absolu-
tion, Episl., VIII, P. G., t. m, col. 1092, soit de l'excom-
munication, De hier, eccl., vu, P. G., t. m, col. 564,
des dispositions intimes du prêtre ou de l'évêque qui
les prononcent. Stiglmayr, S. .1., Zeitschrifl fur kath.
Theologiei 1898, t. xxii, p. 246-303; 11. Koch, Hhlor.
Jahrb., 1900, t. xxi, p. 74-77.
L'étroite union de l'homme avec Dieu, la déification
de l'homme, est le pivot de la théologie du pseudo
Denys. lie cette idée-mère, eu effet, découle naturelle-
ment sa conception des deux hiérarchies, qui lui
vaudront dans le moyen âge le surnom de doctor hie-
rarchicus, la hiérarchie céleste el la hiérarchie ecclé-
siastique, celle-ci modelée sur celle-là, el destiné) s
toutes les deux à nous acheminer à la Oec'mti;. à l'Evtuatf.
La loi de la gradation règne partout, dans le momie
de- esprits Comme dans celui des corps, dans le ciel
comme dans l'Église. Le premier, notre auteur a dis-
tribue les anges en 9 chœurs, 3 3, subordonnés entn
eux et qui -e I ra iiMnrl lenl les uns aux autres, par une
gradation descendante, les flots de la lumière divine,
dont le choeur le plus élevé a été toul d'abord inondé.
Classification qui. sm> êlre un objet de foi, ne laisse
de faire autorité dans la théologie. Stiglmayr,
S S „ Zeitschrifl fur kath. Théologie, 1898, p. 180-187;
Compte-rendu du Congrès scientifique des cnih. ù
,.,,/. Suisse, 1898, sect r, p 103-414. Voir t. i,
1209-1210; J. Tunnel. Histoire de Vangélol
dans la Revue d'histoire ri <ir littérature religieuses,
1899, i. iv. p. 218-232. Comme les neuf chœui
anges sonl divisés en trois hiérarchies de trois ordres
ne, ainsi il \ a, dan- la hiérarchie humaine de
l'Église, trois degrés successifs, les diacres, les prêtres
évêques, ; le pseudo-Denys j rattache même les
m.. un--. Episl., mu. i. /'. '.' . i m. col. 1993, bien
ipie ce suit leur fui d'obéir, non de commandi r i i
qu'ils ne tiennent de leur profession qu un cai u
purement hiérurgiqu». De hier, eccl,, VI, /'. '».. t. Ut,
.;::!. \u\ diacres la mission de veillei a i e qui
lienl pas profanées . aux pi êli
droit d'absoudre les p. e lu m - . i le i l'admetli
fidèles à la réception des diven lacremenUj la confir-
mation des chrétiei préln
435 DENYS L'ARÉOPAGITE (LE PSEUDO-) - DENYS LE CHARTREUX 436
consécration de l'huile employée dans plusieurs sacre-
ments ou cérémonies, ci la célébration de l'eucharistie
soni réservées à l'évêque. C'est par les sacrements que
notre déification commence et se consomme; le bap-
tême en est le gage et le prélude, l'eucharistie
l'achève. Notre auteur décrit en détail les rites de la
messe. De hier, eccl., n, P. G., t. ni, col. 394 sq. Outre
les catéchumènes et les énergumènes, les pénitents,
pendant toute la durée de leur pénitence, ne sauraient
assister au sacrifice, De hier, ceci., ni, P. G., t. III,
col. 452, et notre auteur forme le vœu << que les pé-
cheurs notoires en soient pareillement exclus.» P. G.,
t. III, col. 432. La pénitence publique, vers la (in du
Ve siècle, continuait d'être en vigueur dans la Syrie;
mais le pseudo-Denys, qui nous l'atteste, ne nous
parle que d'une seule catégorie de pénitents. 11. Kocli,
Hist. Jahrb., 1900, t. xxi, p.ô8-78.De l'exlrèine-onction
le pseudo-Denys ne nous dit rien et mentionne seule-
ment la cérémonie religieuse de l'onction du corps
des défunts. De hier, eccl., vu, P. G., t. m, col. 556-5» '>."">.
IV. Influence. — La haute valeur doctrinale du
Corpus dionysiacum et le nimbe apostolique, dont
s'est entouré le front de l'auteur, expliquent la for-
tune de l'œuvre; la diffusion en a été rapide, la re-
nommée universelle, l'action sur la théologie spécula-
tive et mystique, en Orient comme en Occident,
considérable et durable. L'Église d'Orient y voit une
sorte de somme théologique qu'interprètent tour à tour
ses meilleurs écrivains. Chez les Grecs, après les gloses
aujourd'hui perdues de Jean de Scythopolis au
vie siècle, et celles de saint Maxime le Confesseur au
xue, P. G., t. xci, col. 1031-1060, on trouve, empreints
du même respect et du même enthousiasme, les com-
mentaires de Georges Hiéromnemon, d'André de Crète,
du savant Michel Psellus, de Georges Pachymère. Au
vinc siècle, saint Théodore Studite célébrera dans ses
vers, P. G., t. xcix, col. 1797, la théologie profonde du
Corpus dionysiacum; et l'Eglise grecque, dans le
XIe siècle, aura fait siennes nombre d'idées du pseudo-
Denys. H. Koch, Hist. Jahrb., 1900, t. xxi, p. 58 sq.
Dans l'Eglise syriaque, Isaac de Ninive, dès le com-
mencement du VIe siècle, avait traduit le Corpus dio-
nysiacum; et maints théologiens du même siècle ou
du siècle suivant, Phocas d'Édesse entre autres et Jean
de Dara, s'en sont faits les interprètes. C'est la version
syriaque officielle qui, selon toute apparence, a été le
thème d'une version arabe, munie de l'approbation
ecclésiastique, comme aussi de deux versions armé-
niennes, l'une du vme siècle, l'autre du xvii".
En Occident, depuis que le pape saint Grégoire le
Grand eut cité avec honneur le Corpus dionysiacum
et que le pape Martin I" l'eut allégué dans le synode
du Latran de 6i9, la réputation et l'autorité du pseudo-
Denys allèrent croissant. Les Areopagilica furent en-
voyés d'abord à Pépin le Bref par le pape saint Paul I"' ;
et lorsqu'en 827 l'empereur d'Orient, Michel le Règne,
en adressa un second exemplaire à Louis le Débon-
naire, le précieux manuscrit fut déposé et gardé dans
l'abbaye de Saint-Denis. Il était en grec, et, fort peu de
gens pouvant le comprendre, l'abbé Hilduin, celui-là
même qui soutint l'identité du disciple de saint Paul,
du premier évêque de Paris et du père de la mystique
chrétienne, s'empressa d'en donner une version latine.
Mais, cette version paraissant fautive, Charles le Chauve
engagea Jean Scot Érigène à retraduire le texte origi-
nal, et ce fut là probablement l'ouvrage qui popularisa
le plus dans la Gaule le renom du savoir de Jean Scot.
Aussi bien, les difficultés de la langue et de la méta-
physique du pseudo-Denysprovoqueront successivement
en Occident de nouvelles traductions latines, qui
n'éclipseront pourtant pas le prestige et le crédit de la
version du docte irlandais. Jean Sarazin au XII" siècle,
Thomas de Verceil au XIIIe, Ambroise Traversari et
Marsile ricin au xv, Lefèvre d'Étaples, Clauserus et
Perionins au xvr, Lansselius el Corderius au xvir, ri-
valiseront entre eux d efforts pour faciliter la lecture ei
l'intelligence des Areopagilica. Le moyen âge fait de
l'œuvre du pseudo-Denys une des bases de sa théologie
scolastique et mystique; les théologiens d'alors élèvent
le pseudo-Denys au-dessus de tous les saints Pères et ne
reconnaissent au-dessus de lui que les écrivains cano-
niques. Albert le Grand, le docteur universel, et saint
Thomas d'Aquin après lui, écriront des commentaires,
celui-là sur la Hiérarchie céleste, celui-ci sur les
Nd»)s divins, et ne se lasseront pas d'en appeler à
l'autorité du pseudo-Dmys, qu'ils tiennent pour irré-
fragable; on a compté que la Hiérarchie céleste est
alléguée cent quarante-trois fois par saint Thomas
d'Aquin, et les autres écrits aréopagitiques à l'avenant.
P. G., t. m, col. 90-95. Tandis que Hugues de Saint-
Victor expliquera le livre de la Hiérarchie céleste,
saint Donaventure imitera celui de la Hiérarchie
ecclésiastique. Le pseudo-Den\s servira de guide aux
métaphysiciens dans leurs spéculations sur l'être et les
attributs de Dieu, sur les causes exemplaires de la
création, sur les hiérarchies angéliques, et de lumière
aux mystiques dans les obscures questions de la con-
templation et de l'extase. Aux ascètes il indiquera com-
ment l'âme peut s'unir à Dieu par la voie purgative et
illuminative; les exégètes et les liturgistes apprendront
de lui à chercher, sous l'écorce des textes scripturaires
et des rites sacrés, un sens plus profond: l'art chré-
tien du moyen âge enfin portera sa trace. Nous n'avons
pas encore de la propagation et de l'action de l'aréo-
pagitisme dans l'Église une histoire définitive. Avec la
Renaissance et la Réforme, la vogue du Corpus dio-
nysiacum s'affaiblit ou même s'éteint.
I. Éditions. — L'édition princeps des œuvres complètes,
Florence, 1516, et les éditions postérieures de Bàle, 1539, de
Paris, 15G2 et 1644, de B. Cordier, S. J., Anvers, 1634, de Venise.
1755-1756, de Migne, Paris, 1857, P. G., t. m-iv, n'ont à peu
près rien fait pour la critique textuelle. On n'a consulté qu'un
petit nombre de manuscrits grecs, et l'on n'a tenu aucun compte
des vieilles versions orientales, demeurées inédites.
Les œuvres complètes ont été traduites en français par l'abbé
Dailmy, Paris, 1845, et par l'abbé Dulac, Paris, 1865. Elles l'ont
été aussi en allemand par Engelhardt, 2 in-8', Soulzbach, 1823,
et en anglais par Parker, Oxford, 1897. Le traité De hierar-
chia ecck'siaslica a été traduit en allemand par Storf, dans
Bibliothek der Kirclienviiter, Kempten, 1877.
II. Travaux. — Hipler, Dionysius der Areopagita, Ratis-
bonne, 1861 ; ld., De theoloyia librorum qui suo Dionysii
Areopagitsc nomine feruntur.tt progr. du Lvceum Hosianum,
Braunsberg. 1871, 1874, 1878, 1885; Stiglmayr, .S. .1.. Dus Auf-
Ictimmen der Pseudo-Dionysischen Scliriften und ihr Eindrin-
gen in die christl. Litt. bis zum Lnteran Konzil 649, in-8",
Feldkirch, 1895; ld., Die Eschatologie des Pseudo-Dionysius,
dans Zeitschri/t fur die katholische Théologie, 1899, t. xxin,
p. 1-21; R. Foss, Uber den Abt Hilduin von St. Denis
Dionysius Areop. (Progr.), in-fol., Berlin, 1886; Alzog, Palrolo-
gie, trad. franc., Paris, 1877, p. 593-606: Fessler-Jungmann,
Institutioiies patrologiiv. tnspruck, 1890, t. r, p. 6354
O. Siebert, Die Metaphysik und Ethik des Pseudo-Dionysius
Areopagita, in-8", Iéna, 1894; II. Koch, Pseudo-Dionysius Areo-
pagita in seinen Beziehungen zum Neuplatonismus und
Mysterienwesen, Mayence, 1900; Bardenhewer, Les Pèn -
l'Eglise, nouv. trad. franc., Paris, 1905, t. m, p. 11-20; Hurter, No-
menelator, 3« édit., Inspruck, 1903, t. l.ool. 455-459; cf. (J. Che-
valier, Répertoire. Biobibliograplde, 2' édit., t. i,col. 1169-1172.
1'. Godi I.
8. DENYS LE CHARTREUX. -I. Vie. 11.(1 uvivs.
111. Appréciation. IV. Nouvelle édition de ses œuvres.
I. Vie. — Denys, appelé le docteur extatique, naquit
en 1402, à Ryckel, dans le Limbourg belge, de l'hono-
rable famille de Leeuvis ou Van Leeuven. Il lit ses
premières études à l'école de Saint-Trond et, à l'âge
de treize ans, il passa, comme il nous l'apprend, à
celle de Zwolle, qui était alors, sous la direction de Jean
Cèle, la plus célèbre et la plus fréquentée des Pays-
Bas. Denys aurait voulu quitter le monde s. m- prendre
437
DENYS LE CHARTREUX
438
ses grades dans une université. Il se présenta d'abord
à la chartreuse de Zelhern, près de Diest, en Brabant,
mais il ne fut pas accepté, n'ayant pas encore atteint
l'âge de 20 ans exigé par la règle. Il s'adressa ensuite
au prieur de la chartreuse de Ruremonde, qui lui
conseilla d'aller se perfectionner dans la philosophie et
la théologie à l'université de Cologne et puis de revenir
embrasser la vie du cloître. Le jeune postulant acquiesça
et, après avoir été reçu maître es arts, il retourna à
Ruremonde el y fut admis parmi les enfants de saint
Bruno. Il avait vingt et un ans. — Sa vie monastique
se résume en ces trois occupations : oraison, lecture,
composition de livres ou traités. 11 passait presque la
moitié de chaque jour à prier, à méditer et à contem-
pler. Le reste de son temps était employé à peu près
entièrement à l'étude. Il dormait peu, jeûnait beau-
coup el sortait rarement de sa cellule, s'abstenant
même de prendre part aux récréations de ses confrères.
En 1434, il composa son premier ouvrage, le commen-
taire sur les Psaumes; son dernier livre date de 1469 :
c'est un recueil de méditations qu'il dédia à ses con-
frères comme son testament et sa recommandation
suprême. Ainsi Denys vécut presque toujours enfermé
dans >a cellule. Il exerça quelque temps l'office de
procureur de son couvent et celui de recteur de la nou-
velle chartreuse de Hois-le-Duc. Le cardinal Nicolas de
Cusa, grand admirateur de ses talents, voulut l'avoir
prés de lui dans sa légation en Allemagne (1451-1452
pour travailler à la réforme du clergé cl des nionas-
ind nombre de prélats ecclésiastiques le
consultaient dans leurs doutes. Les princes et les prin-
clergé séculier, les religieux et beaucoup
de chrétiens de toutes les conditions lui demandaient
des conseils et des règles de conduite. Il était aussi
en gi nue à la cour romaine. On rapporte
qu'Eugène IV, après avoir lu un de ses ouvrages,
T mater Ecclesia, qvse talon habet
filium ' Le successeur d'Eugène, Nicolas V, agréa
l'hommage du traité Contra Aleoranum, que Denys
avait composé ;'i la demande du cardinal Nicolas de
Cusa. Après avoir reçu une révélation céleste, le véné-
rable solitaire adressa une lettre à tous les princi
la chrétienté pour les engager à réformer les mœui
leui S peuples et à s'unir dans une nouvelle croisade
Sai rasins, qui menaçaient I l urope entière.
ii m le 12 mars 1471, à i Iprès
devint d'une beauté remarquable,
el un parfum céleste s.' répandit dans sa cellule. La
du peuple n<- larda pas à proclamer sa sain
mbe devint de suite le centre 'l an petit pèleri-
contrée, beaucoup de fidèles assuraient
avoir reçu de Dieu, par son Intercession, des faveurs
miraculeuses, Cette espèce de culte persista dans les
- troubles el les boulevi
12 mars 1608 137 anniversaire de la
mort di Di n. on retrouva dans le cimetière de la
ments forl bien conservés. Le crâne
exhalait une odi m suave el h-s deux doigts de la main
ivaienl tenu la plum
iin. conservaient en
gumi ni-. M Henri Cuijck.
inonde, m en cette occasion la recon-
offn n Ile ,: i ,|N serviteur de [Heu, el
placer dam l , .h-, du ,,
autel, i n, mm • auparavant, le même
ner -a dévotion i nvers Denys le
ie vocable de saint I». nj I \< opagite, la |
II" di la -.nui vénérabli -
divins mysti res Pli m de
"'!•• poui li glorification de -..n illustre dl m. il
oommem ■< !•■ i onlque il- mirai li - qu'on lui
altribuail ...m [ et la publication 'i
d'Urbain VIII arrêtèrent le cours de cette procédure.
Néanmoins, la réputation de sainteté dont jouissait De-
nys le Chartreux ne cessa pas avec cette suspension.
Soit en Belgique, soit ailleurs, dans l'ordre des char-
treux et au dehors, il a continué d'être l'objet d'une
religieuse vénération. Des personnages très respec-
tables, parmi lesquels on compte saint François de
Sales, saint Alphonse de Liguori, Benoit XIII, le jésuite
Jean Bolland, l'évêque Du Saussay et Arnold Baissais,
n'ont pas hésité à lui décerner le titre de saint ou de
bienheureux ou simplement de vénérable. On a des
motifs de croire que bientôt le saint-siège permettra le
culte public de ce grand théologien, admirable par sa
vaste érudition et par l'héroïcité de ses vertus.
IL (Euvres. — Les œuvres de Denys forment une
véritable encyclopédie ecclésiastique.
1° Exéyétiques. — Il a écrit des commentaires sur
tous les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament,
selon le sens littéral et spirituel, soit allégorique soit
tropologique. Les sept Psaumes dits de la pénitence
ont été l'objet d'une explication particulière. Dans un
abrégé de toute la Bible, Denys a réuni les faits et
les sentences les plus remarquables de nos Livres saints.
Au jugement de dom Calmet, l'opuscule intitulé : Mo-
nopanton, id est unum ex omnibus Epis tolis B. Pauli
ad niaterias cerlas contraclum opuscidian, « tout pe-
tit qu'il est, l'emporte beaucoup sur tout ce qu'a fait
Bikel (sic), tant à cause de son utilité, que parce qu'il
est d'une composition toute singulière. C'est un recueil
des plus beaux passages de l'apotre saint Paul rai
sous certains titres qu'il s'est choisis pour son dessein;
en sorte que comme les Épîtres du docteur des nations
sont un des plus précieux monuments des Livres sacres,
on peut dire aussi que cette collection est d'un pris
infini. » Dictionnaire de la Bible, 17SIÎ, t. IV, p. 356.
Ce Monopanton est, en substance, le Codex Panlinus
ou le système théologique de saint Paul. Il a été publié
séparément plusieurs fois, Anvers, s. d. et 1391 ; Co-
logne, 1531, etc. La partie exégétique des œuvres de
Denys se complète par ces trois autres ouvrages : le
récit de la passion selon les quatre évangélistes, le
Sonus epulantis ou méthode pour psalmodier dévote-
ment, et une explication de certain- passages difficiles
du livre de Job intitulée : De rouan diversitatis r
titiim humanorum. Voir Denys le Chartreux dans le
Dictionnaire île la Bible de M. Vigouroux pour ce
qui concerne le reste des travaux scripturaires de cet
écrivain,
'.! Philosophiques. — Denys a composé un abrég
philosophie, in-fol., Cologne. 1532, dans Opéra mi-
nora, t. i. Il a fait une explication littérale el un com-
iii, ■ni. tire mystique de l'ouvrage de Boèce intitulé : De
dations philosophim, Cologne, 1540, dans Opéra
munira, t. m. L'opuscule De venustate mundi ri
pv.lchritu.dine Dei, dans Opéra minora, t. n. esl un
vrai ei beau traité d'esthétique. Le D' Zœckler, de
Greifswald, en 1881, lit paraître à Gotha, dans la revue
Sludien und Kritiken, une étude Bur cet opu
el -m toutes les œuvres de Denys. Plusieurs autres
écrits philosophique^ de Denvs sont perdus.
rhéologiques. Comme théologien, il a (ail un
grand el savant commentaire des quatre livres desSen-
-. 1 in-fol., Cologne, r>:r>. Veni 1584. Par
ge, il a pris rang pai mi l< - plus -i andc
lastiques du moyen âge el les meilleurs interpi
il,- Pierre Lombard, i lin n >\.- plu- simple ei de plu-
s.ivant a la fois. Sur chaque question I1 duil
'•■ du Maine, et donne quelqu nenta.
Puis il indique les divers problèmes qu il ■> soulevi
commi née l'exposé con té dit
avant lui -m- ce sujet; le tout se termine par s., propre
décision, qu'il juatl iitanl de solidité qu.' de
modi merveille, dit le P. I lassani, dont nous
439
DENYS LE CHARTREUX
440
empruntons le jugement, de lui voir reproduire fidè-
lement en quelques lignes, comme dans une belle mi-
niature, les opinions de tant de docteurs, sans jamais
les dénaturer, ni omettre rien d'essentiel; et son tra-
ii esl une véritable bibliothèque théologique double-
ment utile, parce qu'elle met sous les yeux du lecteur,
en quelques payes, sans fatigue el sans recherches,
tout ce qu'il a intérêt à trouver sur un sujet donné, et
qu'elle peutsuppléer à l'absence d'un certain nombre
d'auteurs aujourd'hui rares el difficiles à rencontrer, a
Mougel, Denys le Chartreux, Montreuil-sur-Mer, 1890,
p. 30-31. « Nous n'hésitons pas, dit Werner, à placer
le commentaire de Denys sur les Sentences, a côté
de l'œuvre de Capréolus, comme le plus important
travail de celle moitié du xve siècle, el comme le com-
plément essentiel de celui de Capréolus. Pendant que ce
dernier nous offre un aperçu critique de toutes les doc-
trines scolastiques postérieures à sainl Thomas, Denys
nous fait voir la scolaslique spéculative du XIIIe siècle
dans ses représentants les plus considérables. Nous ne
connaissons pas d'autre ouvrage qui donne, pour toutes
les questions théologiques, des informations aussi ap-
profondies sur les idées et les opinions des docteurs de
cette époque. Les citations nombreuses et fidèles qu'on
\ trouve permettraient à elles seules de reconstituer,
dans ses grandes lignes, la doctrine théologique de
chacun d'eux. On voit par là quelle est la valeur de
cet ouvrage pour l'histoire du dogme au xni" siècle;
valeur d'autant plus appréciable que les œuvres de
plusieurs de ces auteurs se rencontrent plus difficile-
ment. En rapprochant sur chaque question particu-
lière les manières de voir si variées des plus illustres
maîtres de cette période, il nous donne sur la vie in-
tellectuelle du temps, des lumières comme on n'en
trouve nulle part ailleurs dans les travaux modernes
sur la scolaslique du moyen âge. Il en résulte pour ce
commentaire une valeur propre, indépendante du juge-
ment qu'on peut porter sur les idées personnelles de
Denys. » Die Scholaslik des spâteren Mittelalters,
Vienne, 1887, t. iv, p. 261.
Après avoir ainsi condensé dans son commentaire
sur les ^Sentences la doctrine des interprètes les plus
autorisés, Denys voulut mettre à la portée du plus
grand nombre possible d'étudiants un autre ouvrage
classique, dont la valeur est inestimable. Il composa
donc un abrégé de la Somme de saint Thomas en
réunissant toutes les conclusions du docteur angélique,
rapportées presque intégralement et classées selon
l'ordre du texte original. C'est la moelle, dit-il, des
œuvres de sainl Thomas. Ce compendium a paru sous
le litre: Summa fidei orthodoxes, 2 in-4°, Cologne, 1535-
1336; 2 in-8°, Paris, 1548; Anvers, 1569; Venise, 1572
et 1585. Au sujet de cet ouvrage dom Robert Monta-
gnani, chartreux italien, a lait paraître dans le Divus
Thomas, Plaisance (Italie), 1899, t. vi, p. 542-549, une
élude intitulée : Doctor angelicus et doclor eestaticus
seu Manuale thomistarum.
Dans les Opéra minora, Cologne, 1532, t. i, on trouve
Elemenlalio theologica, qui est aussi un abrégé de
théologie, divisé en 159 articles. On n'a pas encore re-
trouvé un résumé de la Somme de Guillaume d'Auxerre,
qui a pour titre: Exhelcosis ex Summa G. Anlisio-
dorensis. En 1532, les chartreux de Cologne réunirent
en un seul volume, qui parut l'année suivante, in-8°,
les deux livres de la Somme de Denys sur les vices et
les vertus, le traité des passions de l'âme et le livre
du bonheur de l'âme. Plusieurs'autres traites de théo-
logie remarquables furent insérés dans les deux pre-
miers tomes des Opéra minora, Cologne, 1532. On
peut signaler dans le icr ceux qui traitenl de la nature
le Dieu, des dans du Saint-Esprit, de la munificence
divine et de ses bienfaits, de la distance entre la per-
fection divine et la perfection humaine, île la connais-
sance mutuelle des saints dans le ciel et un livre
des louanges de Dieu en strophes. Cf. Mougel, op. cit.,
p. 32, noie 3. Dans le t. n, on trouve l'opuscule De lu-
mine christiahse théorise, que Zœckler, critique pro-
testant, considérait comme a le plus important el le
plus systématique des écrits dogmatiques du -avant
chartreux. » Le même tome comprend aussi l'étude
théologique de la dépendance des créature-, à l'égard
de Dieu, et un autre livre des louanges de Dieu, écrit
dans cette prose hornophonique commun'- a plusieurs
autres ouvrages du moyen âge, notamment à l'Imita-
tion. Cf. .Mougel, ibid. Mais la valeur de ces deux toi
est rehaussée par les deux grands traités que Denys a
écrits sur la sainte Vierge, et qu'il a intitulés : De lau-
dibus gloriosm Virginis Monte et De prseconio et di-
gnitate beatissimse Virginis Marin;. Chaque traite- est
divisé en quatre livres. Le pieux écrivain y a condensé
tout ce qu'il y a de plus scientifique dans la théologie
mariale, et, en même temps, il a épanché toute l'affec-
tion de son cour enflammé d'amour pour la plus noble
des pures créatures. Il y soutient l'immaculée concep-
tion, 1. I, a. 13. Le premier traité. De laudibus, a été
traduit en flamand par l'abbé Leijnen, llassell. 1852;
Bois-le-Duc, 1867. Relativement à l'immaculée concep-
tion, il faut noter ce texte du dialogue De perfeclione
carilatis, a. 49: .4r<? Maria... originale peccalum
nunquam contraxisti, quemadmodum et peccalum
actuale nullum convmisisti.
Un autre sujet où Denys a excellé, c'est l'étude de la
divine personne de Jésus-Christ et de ses adorables
mystères. Il avait pour principe que « la gloire et la
sagesse du chrétien consistent dans le souvenir perma-
nent de Jésus-Christ et de ses mystères. » De médi-
tations, a. 10. Or, tous ses ouvrages sont remplis de
méditations, d'affections, d'enseignements et de com-
mentaires sur ce sublime sujet. L'explication des qu
Évangiles et de tous les livres du Nouveau Testament,
si souvent réimprimée au XVIe siècle, ne suffisait pas
au pieux interprète. Il commenta de nouveau la pas-
sion, et son travail fut inséré dans le t. n de ses Ser-
mons. Il a écrit aussi un livre intilulé : Laudes sive
Horae jiassionis amarissimœ Jesu Cliristi et Yln/lam-
matorium divini amoris, qui se trouvent dans les
Opéra minora, t. il. L'In/lammatorium fut imprimé
séparément, in-16, Cologne, 1605, et fait aussi partie
d'un recueil d'opuscules de Denys traduits en italien
par l'abbé Jean-Antoine Cazzulo, in-8', Milan, 1563.
Le saint sacrifice de l'autel complète l'œuvre de
Notre-Seigneur : Denys n'a pas manqué de s'en occu-
per particulièrement dans plusieurs de ses ouvrages.
Le Dialogus de celebratione et sacramenlo allaris est
un livre solidement pieux que, selon dom Thierry
Lober, premier éditeur des œuvres complètes de Denys.
tout prêtre désireux de célébrer avec ferveur devrait
connaître, approfondir el avoir souvent dans les mains.
On le trouve dans le t. ides Opéra minora, qui renferme
aussi ['Explication de la messe, le traité De sacra com-
munione frequentanda et six sermons sur l'eucharistie.
La théologie polémique a été aussi l'objet de plu-
sieurs études de Denys. Ainsi, \eDefide cathulica dialo-
gion, in-8°, Cologne. 1531: Venise. 1568. traite en huit
livres des principales questions sur la révélation, Dieu.
Jésus-Christ, la sainte Vierge, les anges bons et mau-
vais, le jugement général, l'Antéchrist, etc. Il composa
aussi cinq livres Contra Alcoranum el sectam Maho-
meticam, in-8°, Cologne, l.">;>3. et l'on regrette la perte
de son traité Contra artes magicas et errores Wal-
densium. Dans les Opéra minora, Cologne. 1532, et
dans les Opuscula insigniora, Cologne. 1559, on a in-
séré les deux livres contre la simonie surtout dan- la
réception des novices, les traités Contra ambitionis
pestem et Contra ritia superstitionum, et la lettre
adressée à une veuve Adversus avariliam.
441
DENYS LE CHARTREUX
442
Les circonstances particulières où se trouva Denys
surtout comme conseiller du cardinal-légat, et la con-
fiance qu'on avait dans sa sagesse et sa piété lui four-
nirent l'occasion d'écrire des traités sur presque tous
les états qui composent la société tant ecclésiastique
que séculière. Son ouvrage sur la réforme de VÉglise
est perdu, mais son zèle pour le salut des âmes se
manifeste dans toutes les occasions où il peut engager
ses lecteurs à prier et à faire pénitence pour le bien
de la sainte Église. Cf. De meditatione, a. li; ses Ré-
vélations et son Epistola ad principes cal/iolicos pour
les exhortera une croisade contre les musulmans. Il a
écrit deux livres, qui traitent de l'autorité, de l'office,
de la puissance et de la juridiction du souverain pon-
tife; dans un autre livre, il s'occupe spécialement de
la question qui, à son époque, c'est-à-dire peu de
temps après les conciles de Constance et de Bàle, pas-
sionnait tous les esprits. C'est le traité De auctoritate
generalium conciliorum, que l'on trouve avec les deux
livres ci-dessus énoncés dans le t. I des Opéra mi-
nora. La doctrine que Denys expose dans ce traité' a
été diversement jugée. Les gersoniens prétendent qu'il
fut partisan de l'opinion opposée au privilège de l'in-
faillibilité. Saint Alphonse enseigne que Denys ne s'est
pas exprimé d'une manière bien tranchée, car dans
l'ait. iS il dit qu'un pape, intolerabiliter vitiosus, est
soumis à l'autorité du concile, et ensuite il se contre-
dit en affirmant que le pape, en tant que suprême pas-
teur de l'Église, ne peut être jugé ni déposé par un
concile généra], parce que, ut talis, il est le supérieur,
le pré'lat et le juge de l'Kglise. Cf. Dissertai, de infal-
lib. papse et de auctoril. pontificis, dans la Theologia
moralis, in-fol., Bologne, 17(53, t. i, p. 37, 2n col.,
n. 135. Selon Zœckler, Denys « entre les deux pouvoirs
en litige cherche une sorte d'accommodement, et sau-
vegarde autant que faire se peut les prérogatives du
pape. » Cf. Mougel, o/>. cit., p. 33, note 2. On peut
noter le sermon de Denys sur saint II Maire de Poitiers,
dans lequel, par défaut de critique historique el sans
distinguer entre le pape agissant comme homme privé
et le pape définissant une doctrine ex cathedra, il
admet la chute du pape Libère et cite sans la contredire
l'opinion de Gerson. Cf. Sermones de sanclis, in-fol. ,
Cologne, 1542, fol. 87.
Den aussi un livre De offirio légal i, qui n'a
pas été retrouvé, ni dans la collection des manuscrits
du cardinal Nicolas de Casa conservée à Cues près de
), ni ailleurs. Le traité De vita et regimine pres-
II a paru à Cologne, en 1532 el 1559, dans les
Opéra minora, t. i, el dans les Qpuscula insigniora.
I ii autre traité De reginx itoruma été publié,
in-16, eu 1620, à Aschaflenbourg. I e De officio, vita el
\iine art hià ecle De statu et vita sa-
luni, canonicorum, clei i< arum aliorumque Eccle-
Irorum fonl partie des recueils déjà cités,
Opéra minora el Opuscula insigniora. Bien plus, la
doctrine exposée dans le livre De statu et vitasacerdo-
l'ut jugée tellement opportune el utile que
l'on n'hésita pas à l'impri r dès le commencement
du x. i i'. Panzer, Annales t>H"<tj., t. vi, p, 139;
t. vin, p, -i\i. (»u in connall quatre éditions
une dizaine a .■••• dati - cei laines i i trois traduc-
uiie anglaise, une française el une italienne.
l'art, 22 de cel ouvrage, Denys déclare qu'il avait
un traité contre la pluralité des bénéfices,
tsur cette i m iii' i e
an Dialogue entre le /><//."/( rt i,- cha-
i plusieurs éditions dans li U ite oi Igi-
nal el une traduction lr.ni.ai-.- par le chartreux d
.h. m de Billy.
i difl i n ti iit< di Den] lur l'étal religieux,
sur l'ordi i Dément civil,
sur 1 élal i ir la vie militaire, sur la
dition des gens mariés, des vierges, des veuves, des
marchands et des écoliers ont été également impri-
més à plusieurs reprises et traduits en diverses lan-
gues. Cf. Mougel, op. cit., p. 79-81-. Son commentaire
sur la règle du tiers-ordre de saint François a paru à
Cologne, en 1534, à Naples, en 1619, et a eu deux tra-
ductions françaises, in-18, Paris, 1620, 1868.
4° Sermons. — Les sermons de Denys sont un véri-
table trésor de science ecclésiastique. Le prêtre \ trou-
vera toujours des instructions solides et pieuses, qu'il
peut adapter soit au ministère paroissial, soit aux pré-
dications dans les maisons religieuses. Ils contiennent
des thèmes à développer selon les circonstances el des
sermons à peu de chose près achevés. La partie De lem-
pore est plus étendue que la partie De sanctis, et
Denys reconnaît lui-même qu'elle est surabondante,
in magnam, dit-il, nimis moleni excrevit\ Serm.
de sanctis, prœf. Il donne d'abord l'exposition de l'Épitre
du dimanche, suivie d'un sermon sur l'Épitre, ensuite
celle de l'Évangile, deux ou trois sermons sur l'Évan-
gile adplebem, et trois ou quatre autres ad religiosos.
Ce grand répertoire de matériaux pour la chaire a été
imprimé trois fois à Cologne, 1533, 1537 et 1512, en
2 in-fol., et plusieurs fois à Paris. Un choix de ces
sermons traduits en italien se trouve dans un recueil
de sermons des Pères de l'Église publié à Florence
dans les dernières années du XVIe siècle.
5° Œuvres ascétiques. — Mais Denys le Chartreux
est surtout eslimé comme écrivain ascétique et docteur
de théologie mystique. La vie intérieure, même dans
ses états extraordinaires, n'a pas de secrets pour lui.
Sa vaste et profonde connaissance de la scolastique el
de ses meilleurs interprètes lui a fourni le moyen
d'aborder les questions les plus difficiles, et de les ré-
soudre avec autorité'. Sa haute vertu et son expérience
lui permirent d'aplanir les voies de la sainteté, et de
manifester dans un langage exact comment l'homme
doit se disposer à l'union éternelle avec Dieu. Son
enseignement termine la période de l'ascétisme scolas-
tique greffé sur l'ascétisme des saints Pères. Les grands
maîtres qui sont venus après lui n'ont pas hésité à
louer ses œuvres et à les proposer à leurs disciples
c me des sources pures et limpides de là piété chré-
tienne. Saint i tint François de Sales, sainl
Alphonse de Liguori, Louis de Grenade, Alvarez de Paz,
le cardinal Brancati de Laurœa, le cardinal Manning
el beaucoup d'autres auteurs témoignent hautement de
leur esti pour le pieux solitaire. Ses écrits spirituels
lus importants et les plus connus sont les sui-
vants. Un commentaire sur tous les livres el les lettres
que les anciens attribuaient à saint Den\s l'Aréopagite
a eu deux éditions, in-fol., Cologne, 1536, 1556. Selon
le P. Cordier, jésuite, cette interprétation esl en même
temps très savante el très pieuse. Cf. Migne, /'. »...
ir.ul. latine seule, i. n, col. 87-95. Denys a simplifié le
Btyle des douze livres et des vingt-quatre conférences
de Cassien : Translalio, dit-il dans le catalogue de
écrits rédigé en \W\i>, librorum <■ ad *iiln»i
Il n'a donc pas traduit ces ouvra)
co ■ on I a dit par méprise, mais il les a rendus
plu- abordables A la plupart des lecteurs. Son travail
e-i remarquable par les correction res qu'il a
faites à ce qui est < 1 1 1 sur le mi nsongi d ins la confé-
rence wii . c. vin sip. el surtout a ce qui esl avancé sur
le libre arbitre de l'homme, la
sa coi" atuite, dans la xin conférence, Denys
eut l'habileté di le texte de ces conférences
en modifiant leurs expression qu'elles
ni une doctrine irréprochable. Cel heureux
emenl .i été adopté par tmis les éditaui
ducteura des oeuvres de Cassien. P. /.., t. xxix, Li
chartreux de Cologne, en 1540, réunirent en un seul
\niii qu'ils Intitulèrenl Operuni nmnirinii fomtu
443
DENYS LE CHARTREUX
444
tertius, in-fol., le commentaire de Denys sur les livres
de Boèce, l'édition simplifiée des œuvres de Cassien el
l'explication de l'Échelle du paradis de saint Jean
Climaque. Dom Ceillier dit que l'imprimeur l<àlois,
Henri Pétri, en 1559, réimprima in-fol. le travail de
Denys sur Cassien.
Dans le catalogue des œuvres de Denys, rédigé
en lilil) par lui-même et conservé à la bibliothèque
Bodléienne d'Oxford, C. 56't, on trouve la mention
impressus est après son Spéculum conversionis pecca-
torum, dyalogus. Quoi qu'il en soit de la valeur de
celte mention, il esl certain que cet opuscule de Denys
a été en vogue au XVe siècle et depuis. L'édition d'Alosl
remonte à li-73. C'est la plus ancienne production
typographique belge connue. Cf. Grasse, Trésor de
livres rares, t. il, p. 399. Un autre opuscule, intitulé :
Spéculum amalorum mundi, a paru sans mention de
date, de lieu ni d'imprimeur, et on l'a souvent réim-
primé. Ces deux traités intitulés Miroirs, réunis à plu-
sieurs autres opuscules de Denys concernant la vie
intérieure, eurent un grand succès pendant le
XVIe siècle et la première moitié du siècle suivant. Plu-
sieurs fois, on les joignit aux quatre livres de Ylmila-
tion et à quelque autre ouvrage spirituel avec la men-
tion ad c/iristiani Itomïnis vitam perfecte absoluteque
formandam.
Les opuscules de Denys embrassent les trois voies
de la perfection, comme on peut le comprendre par
leurs titres : 1° De arcla via salulis et conteniplu
mundi; 2° Spéculum amalorum mundi; 3° Liber de
gravilale et enormitale peccati; 4° Liber de conver-
sione peccaloris ; 5° Liber de fonte lucis et seniitis
vilse; 6° Liber devotum prsecordiale prsenolatus;
7° Dialogus patroni ad canonicum ; 8° Ad mundi con-
templum exhorlalio elegiaca. Le plus complet et le
plus solide de ces traités est le livre Le fonte lucis et
semitis vilee. C'est un vrai manuel de vie intérieure,
dont chaque article contient la substance d'un traité.
La première édition porte ce titre : Dionysii a Rykel
Carlhusiani de perfecto mundi contemplu ut pius
ila utilissimus heptalogus, in-8°, Cologne, 1530; elle a
été souvent reproduite. Une édition de Cologne, in-12,
1577, comprend les opuscules marqués ci-dessus par
les n. 1, 2, 6 et les deux livres intitulés De doctrina et
regulis vilse christianse. Le recueil des sept opuscules
a été traduit en français, en flamand et trois fois en
italien.
En 1534, les chartreux de Cologne firent paraître un
recueil d'opuscules de Denys traitant de la théologie
affective et myslique, sous ce titre : Opuscula aliquol
quse ad iheoriam mysticam egregie instiluunt, in-
8", Cologne, réimprimé à Montreuil-sur-Mer, in-12,
1894. Au nombre de ces opuscules il y a le traité ma-
gistral, De contemplalione, divisé en trois livres, dans
lesquels l'auteur examine toutes les questions philoso-
phiques et théologiques dont la connaissance est né-
cessaire pour la théorie et la pratique de la contem-
plation. Le 1. II de ce traité rapporte, en onze articles,
la doctrine des plus grands docteurs mystiques sur la
contemplation el ses espèces. Le 1. III s'occupe spécia-
lement de la contemplation per abnegalionem , c'est-à-
dire la plus élevée et la plus parfaite, qui est, selon
Denys, « l'acte » du don de sagesse accordé au plus haut
degré. Un bon juge, le R. P. Meynard, des frères-
prôcheurs, traitant des « principes formels élicitifs de
la contemplation extraordinaire », dit que « Denys le
Chartreux affirme cette doctrine dans tous ses écrits
avec une lucidité, une précision et une persistance qui
éclairent et édilient en même temps. On peut, en
effet, considérer ce grand docteur mystique comme
l'apôtre du don de sagesse. » Traité de la vie inté-
rieure, Paris, 1885, I. H, p. 76-77. Ce même recueil
d'opuscules renferme de savantes et fort pieuses médi-
tations sur Dieu, Jésus-Christ, la sainte Vierge, les
anges et les saints, qui peuvent aussi servir de thèmes
aux prédicateurs.
Denys a composé un autre grand traité Ur oratione,
où il expose la doctrine et la pratiqué de l'oraison en
tanl que demande, louange, action de grâces et médi-
tation. Cet ouvrage se trouve dans Opéra minora,
Cologne, 1532, t. n, conjointement avec les traités :
De remediis tentationum; De gaudio spirituali et <ie
puce interna. Les éditeurs de ce grand recueil de livres
spirituels de Denys lui attribuèrent le traité De via
purgativa liber unus, qu'ils insérèrent comme complé-
ment de la doctrine de l'auteur. Ce fut une méprise»
Cet opuscule, qui commence par ces mots : Volens
purgari de peccatis, etc., est du chartreux dom Henri
Eger, de Kalkar (f 1408), et Denys le Chartreux le cite
dans l'art. 33 de son livre De laude vilse. solitariœ où
il l'appelle : Exercitium carthusianum. Ailleurs, cet
opuscule porte des titres différents. Voir EGER. ..Mais
Denys a composé un Exercitium de via purge
qui fut imprimé à Anvers par Gérard Leen, in-lG,
décembre 1492. Cf. Lambinet, Origine de l'imprime-
rie, t. n, p. 285. Un exemplaire de cette édition est
conservé à la bibliothèque de l'université de Cambridge,
et le texte en a été publié de nouveau, in-18, Cologne,
1532. En 1020, le chartreux dom Théodore Petreius
publia à Aschaftenbourg un traité de Denys intitulé :
De discretione spirituum, qui avait échappé aux édi-
teurs de Cologne. Ainsi, la collection des œuvres ascé-
tiques et mystiques de Denys fut opportunément
complétée, et elle forme une véritable bibliothèque
spirituelle capable de satisfaire à toutes les exigences
de la direction de tous les états de la vie chrétienne.
Le R. P. Meynard, op. cit., t. I, p. 11. fait cet éloge de
la doctrine de Denys : « Nous citerons aussi, dit-il. le
plus souvent possible Denys le Chartreux, considéré à
juste titre comme un des meilleurs interprètes de la
doctrine de saint Thomas dans presque toutes les ques-
tions de la vie intérieure; à chaque instant, ce grand
contemplatif fait des emprunts au docteur angélique,
et ne s'avance jamais dans la voie suave de la théolo-
gie mystique sans s'être appuyé sur le fondement solide
de la scolastique. »
Nous mentionnerons en terminant le traité De qua-
tuor hominis novissimis, avec l'appendice De parli-
culari judicio, qui s'y trouve annexé dans un assez.
grand nombre d'éditions. Ce traité, qualifié d'excellent
(optimus), de très utile pour se bien préparer à la
mort, par le P. Possevin, S. J., Apparalus sacer, Co-
logne, 1608, 1. 1, p. 476-479, et ailleurs, v» Mors, esl 1 _ -
lement cité par les rédacteurs du Directoire des exer-
cices de saint Ignace (lequel fut approuvé en 1549, par
la congrégation générale de la Compagnie de Jésus),
comme pouvant être lu avec fruit au cours de la pre-
mière semaine. Réimprimé près de 40 fois, traduit plu-
sieurs fois en diverses langues : italien, français, espa-
gnol, allemand, flamand, il n'a pas cessé' d'être eu
usage, même après le grand nombre de traités simi-
laires publiés depuis la mort de Den\s. Le cardinal
Pecci, archevêque de Pérouse, devenu plus tard
Léon XIII, en lisait chaque jour quelques pages: il en
savait par cœur les sentences les plus pieuses et les
plus efficaces, qu'il aimait à citera l'occasion; il en
conseillait la lecture cl en a fait l'éloge dans une de
ses poésies latines. Son secrétaire d'alors, .M." Foschi,
a relevé ces détails dans la prélace d'une réimpression
de l'ancienne traduction italienne du P. l'iantedio,
S. J., et il ajoute que le Saint-Père encouragea et bénit
cette nouvelle édition, assurant que la lecture de ce
traité de Denys le Chartreux produirait un grand bien
dans les âmes. La Civiltà cattolica, en annonçant cette
nouvelle édition. Pérouse, IS86, n'hésita pas à dire que
c'était là « un livre d'or ».
445
DENYS LE CHARTREUX
446
Cependant il est juste d'ajouter que ce traité De qua-
tuor novissimis n'a pas été sans soulever quelques cri-
tiques dont on retrouve l'écho plus ou moins infidèle
dans quelques bibliographies.
Dans le 1. IV, en effet, a. 47, l'auteur rapporte, en
l'abrégeant, la vision du moine cistercien d'Eynsham,
écrite par Adam, sous-prieur de ce monastère et chape-
lain de saint Hugues, le célèbre évêque chartreux de
Lincoln. Cf. Analecta bollandiana, t. xxn, p. 225,
Visio monachi de Eynsliam. Or, d'après cette vision,
il y aurait en purgatoire des âmes incertaines de leur
salut final, torturées d'une manière spéciale par ce
doute cruel sur leur destinée définitive, sans savoir
positivement si elles sont sauvées ou damnées.
Possevin, dont nous avons rapporté plus haut les
paroles élogieuses, pense que ce passage aurait été in-
terpolé dans le traité de Denys ; Feller, dans son Dic-
tionnaire historique, est du même avis; Bellarmin, De
ptoribus ccclesiaslicis, dit de ce traité : Caute
legendus circa station animarum in purgatorio de-
gentium; d'autres enfin le combattent ouvertement.
Deux traductions espagnoles furent interdites aux
sujets de Sa Majesté catholique, ce qui n'empêcha pas
l'inquisiteur, don Antoine de Sotomayor (1647), malgré
sa sévérité' habituelle dans la censure des ouvrages, de
déclai texte original de Denys est solide pius
et calholicus. Le P. Thomas Sani, dominicain, dans la
traduction italienne du même traité, Pérouse, 1579,
supprima toutes les révélations privées, « non point,
dit-il dans la préface, qu'elles soient erronées ou en
opposition avec la saine doctrine, ni pour censurer
Denys si savant et si pieux, mais parce que je n'ai pas
qu'elles pussent servir à l'édification des lecteurs
\ ulgaires, pour lesquels j'ai entrepris cette traduction. »
Sans être aussi radical dans ses éliminations, le
P. François Plantedio, S. J., avait néanmoins éliminé
de sa traduction italienne, Venise, 1578, celles de ces
révélations qui pouvaient soulever des difficultés. Cer-
tains auteurs déclarent que le traité Dequaluor novis-
simis de Denys a été mis à l'Index, nisi repurgetur
(a. 47). II. Reusch, Der Index >irr verbolenen /.'
cher, l: mm 1883, t. I, p. 523. Il ligure, en effet, dans
l'Index de Sixte-Quint; mais cet Index n'a jamai
promulgué, el beaucoup d'ouvrages qui \ sont inscrits
n'ont pas été maintenus dans les Index suivants. C'est
le cas de cel opuscule.
Lu m peut reconnaître que sur la foi d'un
probablement Adam mentionné
oit , el d. Pierre abbé de Clunj i (person
ile .i identifier, car Pierre le Vénérable était mort
à l.i d ii ■ du miracle d'Eynsham), Denys s'est fait, peu)
trop facilement, le rapporteur confiant d'une vision
qui joua un grand rôle au moyen âge, el tendait a éta-
I lu diter dans les milieux ou elle trouvait
m .n point sans doute qu'en général les ; <
du pu. de leur salut, mais que,
pu une permission exceptionnelle de Dieu, par un
IIH.de de pellie e .. I | .,,,,, I i II .1 I le l|lle|qilOv ,ï|,ies SOllf-
frantea e li ouvi i iii ni lu i - ■! étal de disci rner si
i damné» I on c< nentaire sur
Deo, noli me • ondemnare, Denys
me d'ailleurs la mi n
phi- cône, i- n établi! d'abord la doctrine
I
■> i \i -i\i i i ni i 1,1 OLOM l .
n, il rappoi
lienl pouvoir admeltn di — pti
I hH m
ni, ul netcianl m,
■i /Ile
lum
Mon
■ iv, p ;
Déduite à cette proportion, la vision du moine
d'Eynsham rapportée par Denys ne tombe pas réelle-
ment sous la condamnation de l'Église; et elle diffère
totalement de la 38e proposilion condamnée de Luther.
Aussi on ne s'explique pas comment certains auteurs,
comme Durant, ont pu prêter à notre docteur le
même enseignement qu'à l'hérésiarque de Wittemberg.
Nous voyons une révélation analogue de sainte Bri-
gitte défendue par le cardinal de Torquemada en plein
concile de Bàle ; elle ne fut point un obstacle à l'ap-
probation des œuvres de la sainte. Labbe et Cossart,
Concil. collée t. suppl., Lucques, 1750, col. 9i8. On
peut voir également des révélations du même genre
dans la Vie de sainte Lydwine et dans celle de la sœur
Marguerite du Saint-Sacrement, excusées et justifiées,
la première par une note explicative du P. Papebrock,
Acta sancl., t. xi aprilis, p. 267. et la deuxième par le
P. Amelotte, docteur en Sorbonne, qui s'est fait l'histo-
rien de la pieuse carmélite. Vie de Sœur Marguerite
du Sainl-Sa.crement, 1. VII, c. iv, n. 10.
Le théologien Sylvius lui-même, Suppl., q. c, a. i,
ad 8um, en examinant techniquement la question et
faisant une allusion à la révélation de sainte Brigitte,
ne parait pas rejeter toute possibilité d'une permission
extraordinaire de Dieu, et d'une dérogation exception-
nelle à la loi commune telle que nous l'avons indiquée
plus haut.
La vision célèbre, dont Denys s'est fait l'écho, doit
donc être expressément distinguée, comme elle l'est
dans Suarez, des propositions hérétiques et impies de
Luther et de Bains, In 111 part. S. Thomse, disp. XL VII,
sect. ni; elle n'a rien qui contredise la doctrine ortho-
doxe, non reeedit a sensu orlhodo.ro, selon l'expression
employée en pleine Congrégation des Dites où notre
écrivain eut l'occasion d'être nommément défendu et
comme justifié, dans la cause de la li. Marguerite-
Marie. Les poslulaleurs, expressément mis en demeure
d'éclaircir une difficulté soulevée au cours du procès
sur cette question spéciale, posèrent nettement, dans
leur réponse, ce principe important : Non est articulus
fidei, animas, quotquot purgatorio igné expian tur,
ce> las esse de propria bealitudine aliquando adipis-
Cenda; puis, après avoir cité Denys le Chartreux et les
pareil es de son traité De quatuor novissimis : Qui taliter
torquebantur, comniuniler erant incerti an finaliter
salvarentur, ils concluent en ces termes leur discus-
sion : Igitur, theologicis rationibus atque revelationi-
bu$ probalur animas purgalas, generaliter loquendo,
de futura nanciscenda setema sainte esse cer tas, sed
tamen in nonnullis purgatorii animabus possibilem
esse, atque mien dari hanc pœnam, ut de propria bea-
titudine existant incertm. Qui igitur hœc docet non
'<>. Analecta juris pontificii,
i. ix, p. 158-159.
III. Appréciation. — L'œuvre théologique de Denys
le Chartreux est, comme on le voit, très considérable.
Ceal un des derniers et non des moindres repn
tants de la période proprement acolastique. Deux qua-
lités ne lui ont jamais été < al «naissance
parfaite de tOUS les I de tOUteS les questions
dans i' jusqu'à lui. et une piété pro-
fonde préoccupée de transformer la spéculation aride
affective, el de faire de la théologie uni' pré-
paration i la contemplation. Par ce côté, il se rattache
Je mystique des victorins Hugues el Richard, de
saint Bon a' entui eel de ' rei ion l 'ai ient,
il montre un esprit 1res on,, ri et résolument Indi pen
danl : Fréquent! < i sa.
laine diversorum doctorum docln
opinioni uniits incaule aut perlinacitei i
h, ,,, hit accidit qui i unutn dumta
doctorem legerunt, In IV Senl.,proatm., i xix. p. :î7.
lu métaphysique, il sni> i
447
DENYS LE GHA.RTREUX
DENYS LE PETIT
4is
(|ui est sans conteste son docteur préféré, Toutefois, sur
un certain nombre de points, il n'hésite pas à s'en sé-
parer avec une liberté qui étonnera plus d'un Lecteur.
A l'Aréopagite il emprunte ses idées mystiques et son
langage hyperbolique. On ne peut nier qu'il ne soit,
par sa tendance d'espril native, un intuitif plutôt qu'un
dialecticien, bien que son éducation intellectuelle ail
été presque exclusivement scolastique. En morale, son
enseignement participe plus de la tendance ascétique
qui vise à la perfection, que de la tendance casuistique
qui cherche à déterminer les limites en deçà desquelles
le salut n'est plus possible. De là une propension géné-
rale à la sévérité : sévérité de principes, lnl VSent.,\.ïll,
dist. XXXVI, q. m, sévérité aussi dans maintes appli-
cations, notamment dans les Sermons. Enfin, pour por-
ter sur son œuvre un jugement équitable, il ne faut
pas oublier que certaines théories lui furent en linéi-
que sorte imposées, et par les idées courantes de son
temps (autorité exagérée attribuée aux conciles), et par
l'imperfection de ses connaissances historiques. -Il
acceptait de bonne foi, et sans les vérifier, les assertions
d'auteurs qui sont loin de mériter toute créance, Pierre
Comestor, Jacques de Voragine et les légendaires du
moyen âge; et ces erreurs historiques ne sont pas sans
avoir exercé quelque inlluence sur son enseignement
théologique.
IV. Nouvelle édition de ses œuvres. — Depuis
deux siècles, les hommes d'étude désiraient voir une
nouvelle édition des œuvres complètes de Denys le
Chartreux qui fût uniforme dans son exécution et ré-
pondît au goût moderne. Il y eut un moment où les
chartreux des Pays-Bas furent sur le point de satisfaire
à ce vœu, en confiant au fameux Foppens, imprimeur à
Bruxelles, l'entreprise, qui devait surpasser toutes les
publications faites précédemment. Alors, la chartreuse
de Buremonde possédait encore quelques-unes des
œuvres de Denys qui étaient restées inconnues aux
chartreux de Cologne et aux éditeurs suivants. Des
circonstances particulières ne permirent pas de réali-
ser le projet; et les événements politiques de la fin du
xviue siècle obligèrent l'ordre des chartreux à y re-
noncer complètement. Le retour à la théologie scolas-
tique qui, de nos jours, a heureusement remis en
honneur les doctrines de saint Thomas et de son école,
fit renaître le désir d'une réimpression des œuvres de-
Denys, qui est le dernier, mais non pas le moins célèbre
des représentants de l'enseignement scolastique. Le
B. P. dom Michel Baglin, général des chartreux, se
rendit parfaitement compte des grands services qu'une
nouvelle édition pouvait rendre à ce mouvement intel-
lectuel, et, sans se préoccuper de la difficulté des
temps, soumit le projet au saint-siège afin d'attirer la
bénédiction du pape sur l'entreprise. Léon XIII, par
un bref du 1er avril 1896, approuva l'idée et accepta la
dédicace de la nouvelle édition. Le monde studieux
applaudit chaleureusement, el les revues les plus au-
torisées firent l'éloge de Denys el de son ordre qui, en
quelque sorte, le remettait en la place d'honneur et de
gloire, à laquelle il avait tant de droits. Aujourd'hui
(1908) 33 vol. in-i°, à 2 colonnes, ont déjà paru par les
soins de l'imprimerie de la Chartreuse de Notre-Dame-
des-Prés, à Montreuil-sur-Mer, maintenant transférée
à Tournai, en Belgique. Les I. i-xiv contiennent les
commentaires sur toute l'Écriture. Les t. xv et xvi
comprennent l'explication des œuvres attribuées à saint
Denys l'Aréopagite. La Swmma fidei orthodoxie, c'est-à-
dire l'abrégé de la Somme de saint Thomas, et le Dia-
logion de fi.de remplissent les t. xvn et xvm. Les
t. xix-xxv renferment le commentaire sur les Sen-
tences; les t. xxvi-xxvin, les travaux de Denys sur
Boèce, Cassien elsainl Jean Climaque ; les t. xxix-xxxtt,
ses Serinons; les t. xxxm-xxxv, les Opéra minora. La
publication entière formera environ 15 volumes et sera,
selon fi' vœu de Léon XIII, une œuvre digne de l'auteur
el des matières dont il traite : qutB auctorit rerumque
dignitati respondeat ' Bref au général des chartreux
du I" avril 1896.
D. Dionysii Carthusiani, doetori» eestatici, vita simul et
operum ejus fldissimus catalogua, in-8 . Cologne, 1532. Cette
vie composée par le chartreux dorn Thierry Loher, vicaire de la
maison de Cologne et principal promoteur de la pu]
oeuvres de Denys, avait déjà paru, Cologne, 1530; Paris.
jointe aux commentaires de Denyï sur les Épltres de saint Paul.
Elle a été plusieurs fois réimprimée avec quelques-unes des
œuvres de Denys. On la trouve aussi dan- les bollandistes, au
12 niais, et dans les Ephemerides ordinis cartusiensis de
dom Léon Le Vasseur, au même jour. Les nouveaux éditeurs
l'ont publiée en tête du t. i ; une édition, in-18, a paru en 19
Tournai (imprimerie de Notre-Dame-di -en. Flores
Ecclesim Leodiensis; H Dultor estatico, ovvero la Vita del
veneràbile Dionigio Richel, monaco carlusiano (œuvre pos-
thume du chartreux dom Daniel Campanini, -,'• 1727), in-1ti,
Venise, 173G: Admirable Vida, singulares virludes, y prodi-
giosa sabiduria del extatico varon Padre B. Dionysio Rickel,
llamado vulgartnente el cartusiano... por el Padre Joseph
Cassani, in-8', Madrid, 1738. Le chartreux italien, dom Pierre
Bandini (y 1797), sous le pseudonyme de P. Dinbani.fit pal
une Vita del Beato Dionisio da Richel, monaco carlusiano,
in-4", Sienne, 1782 ; H. Welters, Denys le Chartreux, sa vie et
ses œuvres, in-8", Ruremonde, 1882; Kirchenlexikon, Fribourg-
en-Brisgau, 1884, v Dionj/Stus; dom A. Mougel, Denys le (
treux, i403-1471. Sa vie, son rôle. Une nouvelle édition de
ses ouvrages, in-8", Montreuil-sur-Mer, 1896; il en a paru une
édition allemande augmentée, Mùlheim-sur-la-Ruhr, 1898; Albers.
S. J., Dionysius de Kartuizer en :ijne werken, Utrecht, 1897;
Un eminente scolastico troppo dimenticato. XelV oceasione
d'un a ristampa délie opère complète di Do sino,
riflessioni di D. Roberto Montagnani, deli Une,
in-8", Montreuil-sur-Mer, 1898; D' Krogh Tonning, Der letzli
Scholastiker, Fribourg-en-Brisgau, 1904.
On peut aussi consulter : dom Pierre Dorland, Chronicon
cartusiense, in-8-, Cologne, 1608, 1. VII. c. vi-xxiv. p. 3'.'_
ainsi que les notes de l'éditeur, dom Théodore Petreius. in-v
Cologne, 1608, p. 150-160; Btbliotheca cartusiana, du même
dom Théodore Petreius, in-8°, Cologne, 1609. p. 49-85; Tiithème,
De scriptoribus ecclesiasticis ; Thomas Bzovius, De signis
Ecclesiœ, 1. XXII, c. xxiv, signo 51; Aubert Le Mire, André
Sweert, Foppens et tous les grands bibliographes des écrivains
belges; le P. Théophile Raynaud, Stylita mysticus; Morozzi .
Theatrum chronologicum S. ord. carlusien., Turin, 1681;
Dupin, Lelong, le P. de Tracy dans la Vie de saint Bruno;
Hurter, Nomenclator, 1899, t. iv, col. 755, 1356; M. de Wulf,
Histoire de la philosophie médiévale, Louvain, 1900, p. 37n :
Keiser, Dionys des Kartàuscrs Leben und pddagugische
Schriftefi, dans la Bibliotek der katholischen ."
Fribourg-en-Brisgau, 1904, t. xv: les chartreux Nicolas Molin,
Charles le Couteulx et Benoit Tromby dans leurs travaux sur
l'histoire générale de l'ordre; les grands recueils de Vies des
saints de Baillet, Petits Bollandistes, etc., ainsi que les ouvi
spéciaux sur les saints du diocèse de Liège, par Daris, M d
Ram, le P. Nimal, etc.
S. ALTORK.
9. DENYS LE PETIT. Denys, à qui son humilité
fit prendre le surnom de Petit, naquit en Scythie la
Petite-Scythie ou la Dobrodja moderne), mais vint
jeune à Borne, vers l'an 500, et y vécut dans le cloître
jusque vers 540. Le document capital sur Denys -
trouve dans les lignes émues consacrées à sa mémoire
par son ami Cassiodore. Institut.. I. 1. 23, P. L., t. i.x\.
col. 1137. Il servit les lettres chrétiennes par ses tra-
ductions, par ses collections canoniques et par l'in-
troduction de 1ère diony sienne. Denys marque parmi
les savants qui, à la suite d'un Jérôme et d'un Bufin.
ouvrirent aux lecteurs latins les trésors de la science
grecque. La plupart de ses traductions se trouvent
/'. /.., t. i xvn. Mais ses travaux canoniques ont davan-
tage illustré son nom. Dès les premières années du
VIe siècle, il publia en latin une collection de canons
synodaux île l'Orient comme de l'Occident. De la pre-
mière rédaction de ce travail il ne reste que la pré-
face, niais nous possédons une seconde édition datant
probablement aussi de la première décade du \v siècle.
449
DENYS LE PETIT — DENZINGER
450
Le recueil s'ouvre par les canons des apôtres et se
clôt par ceux du concile de Chalcédoine (451). Sous le
pape saint Symmaque (f 514), Denys rassembla les
décrétâtes pontilicales, dont il n'existait pas encore de
recueil spécial; il en donnait trente-huit, allant de
saint Sirice (f 398) à saint Anastase II (f 498). Les deux
collections, qui obtinrent aussitôt dans l'Église ro-
maine une grande autorité, formèrent plus tard un
seul corps sous le titre de Dionysiana (collectio),
P. L , t. i.xvn, col. 139-316. Cf. Maassen, Geschichte
der (Juellen und der Littéral ur des kanon. Rechls,
t. i. p. 132-13G; Ad. Tardif, Histoire des sources du
<h,t canonique, p. 110-114. Denys entreprit enlin, à
la demande du pape Hormisdas (514-523), une édition
-latine des canons synodaux de l'Église grecque;
il n'en reste de même que la préface. Dans la chro-
nologie, Denys a attaché à son nom une gloire immor-
telle comme fondateur de l'ère chrétienne. Par ses
deux lettres De ralione paschsc, P. L., t. i.xvii, col. 19-
28, 483-494, son Cyclus decemnovennalis, col. 493-
498, et ses Argumenta paschalia, col. 497-508, il
insistait sur l'adoption du cycle pascal alexandrin de
dix-neuf ans, et continuait les tables pascales de
saint Cyrille pour une durée de quatre-vingt-quinze ans
a partir de l'an 525; c'est dans ce travail que, rompant
avec l'ère df Mioclétien ou des martyrs (29 août 284),
il compte pour la première fois les années à partir de
la naissance de Jésas-Christ. A tort, il est vrai, il fixait
l'avènement du Sauveur l'an 754 de Home, tandis que
des calculs plus exacts le placent quelques années plus
lot, probablement sur la fin de l'an 7'i9. Dom Ameili,
sans preuves bien décisives, attribue à Denys la pater-
nité d'une série de pièces latines du temps des querelles
eutychiennes, exhumées par lui d'un manuscrit de
Novare. Spicilegium Casinense, 1893, t. i, p. 4-189.
(T. le même, S. Leone Magno e l'Oriente, Mont-Cassin,
1890.
ver, Les Pères de l'Église, trad. Godet et Ver-
l. I. m, p. 165-1G7; Ifurter, Nom lit., t I,
i - i hevalii r, Ré\ ■ • toii e. B
■.. t. i, col. 1176-1177.
C. Verschafi i i
1. D EN Y SE Jean, philosophe français du xvnr3 siècle,
professeur au collège de Montaigne : il a laissé lesouvra-
suivants : /.« vérité de I" < ligion chrétienne dé-
Irique, in-12, Paris, 1717 : Lu
pliquée pur le rais mnement et pur r, i /> -
m 12, Paris, 1719.
tire, t. h, p. 'isl ; iimi
1049.
B. Mi H7RTEBI7.E.
2. DENYSE Nicolas, donl les < temporains écri-
vaienl le nom : De Niisse, naquit à Beuzeville, près
il était chanoine et vicaire de (ïodefroid
Herbert, évéque de ce diocèse (1478-1510), quand il
quitta -"ii ii. n (i pour entrer chez les mineurs de
'■ni de Valogn Pi dii iteui
lèbn (emplaii e, .1 mérita de remplir les
premii res chai m ordre, c'est ainsi que nous
la pro ne .le I rance. Il mourut
ieu I" 18 m h 1509, • i ne inscription lui pla
- e ipitulaire di -mi couvent.
ni h, i i
tolutio theolog*
fia p, oficere < ,,i< ,
a Veni
'M/7/1
■ pernlil, ..,_ IM ;
'I. ■ ,1 . .1
d. l auteur, h- I-. Marin <l publia le
i Opus super quatuor n
1509, 1518; Lyon, 1519, i
DICT. Ill 7111 ni . , MlUll..
difficile de se retrouver dans les éditions de ses sermons,
que l'on rencontre séparés ou réunis : de son vivant
parurent les Sermones... de C/tristo ejusque gerula
Matre, simnlque sanctorum et sanclaruin tant pro-
prii quant communes, ... suppositis etiani quibusdam
de advenlu Domini..., in-8°, Rouen, 1507. Il mourut
avant la fin de l'impression des Sermones de advenlu
duplice et de quadragesima, necnon de dominicis in-
tevmediis, de passione et resurrectione Domini usque
ad il dominicain post Pascha, in-8°, Rouen, 1508. On
trouve encore Sermones quadragesimales, in-8°, 1510;
Sermones 12 de S. Francisco, Paris, 1510; Sermones
sanctorum et Evangeliorum communium, in-8°, Paris,
s. d.; Sermones sestivi et hycmales de temporc, hye-
maies advenluales et per sinqulas ferlas, édités sépa-
rément à Paris et Rouen, 1510, réunis en 1 in-fol.,
Strasbourg, 1510.
Wadding, Sbaralea, Jean de Saint-Antoine, Bibliotheca'script.
ord. minorum ; Richard et Giraud, Dizionario universale délie
scicnze ecclesiasticlie, Naples, 1855.
P. ÉnouARn d'Alençon.
DENZINGER Henri-Joseph-Dominique, théologien
allemand, né le 10 octobre 1819 à Lûttich, où son père
était professeur, vint à 'Wurzbourg, patrie de son père,
en 1831, y lit ses études au gymnase, fut reçu docteur
en philosophie, entra au séminaire en 1838, alla à Rome
en 1841 au Collège germanique, y fut ordonné prêtre le
8 septembre 1844 et y prit le doclorat en théologie en
1845. Au mois d'octobre de cette année, il devint cha-
pelain à Hassfurt, mais en 1848 il revint à Wurzbourg
comme professeur d'exégèse du Nouveau Testament. Le
25 janvier 1854, il passa à la chaire île dogmatique
qu'il occupa jusqu'à sa mort, le 19 juin 1883. A cause
de son étal maladif pendant plus de 20 ans, Denzinger
n'a pu travailler autant qu'il aurait voulu. Il a cepen-
dant exercé en Allemagne une réelle influence dans le
domaine de la théologie positive. En 1840, il avait
publié contre Gfrôrer une dissertation lie Philonis
philosophia et schola Judxorum Alexandrina, Wurz-
bourg. Ses premiers écrits furent polémiques : Krilik
ilrr Vorlesungen der Profes. Thiersch iiber Katholi-
• n und Proies tanlismus, Wurzbourg, 1847, 1848;
i bi'r die Echlheit des bisherigen Texts der / ,
tianUchen Briefe, ihid., 1817, contre Cureton; Den-
zinger en a fait une traduction latine : Disquisitio
criticade textns recepli Epistolarum s. Tgnatiiinte-
'<•, dans /'. '.'.. Paris, IS57. t. v.col. 601-623; Die
ilative Théologie Gûnthers, Wurzbourg, 1853;
fjber die unbeflechle Empfângniss, ibid., 1855. Ses
autres ouvrages uni plus d'étendue el d'importance :
Enchiridion symbolorum cl definitionum quœ de
rébus fidei n morum a conciliis œcumenicis et sum-
mis ponlificibua emanarunt, in-12. Wurzbourg, 1854;
les 7. s- et 9r édit. augmentées uni été publiées par
.1. Slahl; la 10», plu-- complète encore el entièrement
remaniée, a été préparée par le P. Bannwart, in-8»,
Prjbourg en Brisgau, 1908; i ie\ Bûcher von der reli-
giôsen Erkenntniss, 2 in-8», Wurzbourg, 1856, 1857.
Ititus orientalium, coplorwn, syrorum ri armenorum
Iminùtrandis sacramenlis, 2 ln-8°, Wurzbi
qui contenait la traduction
latine de quelques textes inédits, valut à son auteur le
titre de consulteur de la Propagande pro rebut Orien-
talium. En l*7o. Denzinger publia un écrit de circon-
Kepha, \ pâpslliche Unfehlbarkeit, ,<\
ur de l'infaillibilité pontificale. Il a encore édité :
N. B opi Herbipolentiê opéra, /'. /. .
t. i A I II. ( I. ï'/trnl, : ,-lllll
uni vindicatm circa materiam gratta libri très,
Wurzbourg, 1853; De Rubeis, D< rigi-
ibid., 1857; Prud. Maran, Divinitat Domini
III- D l*8re tir nu
IV.
i:
4M
1 1 1 •: n z i N ( ; i ■: 1 1
DEPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS 152
11. .1. I). /)>• linger, Fril en-Bi au, 1883 ; Der Katholik,
1883, t. II, p. 428-444,523*38, 638-649; Kirchenlexikon, \. in,
col. 1516-1517; AUgemeine Deutsche Biographie, t. xi.vn,
p. 604 666; limier, Nomenclator, t. m, col. 1178; Kirchlit ht
Handlexikon, Munich, 1907, t. i, col. 1073.
E. Mangenot.
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES
CLERCS. — I. Xature et effets. II. Fautes qui les en-
traînent. III. Des personnes à qui appartient le droit
de déposer.
I. Nature et effets. — /. déposition et dégrada-
tion DV l"AV XII' SIÊt LE. — Comme toute 'société bien
organisée, l'Église possède une hiérarchie. Dans l'es-
pèce, la hiérarchie catholique se compose du pape et
des évêques, des prêtres, des diacres et dessous-diacres
qui forment les ordres majeurs, et des lecteurs, des
exorcistes, des acolytes, et des portiers qui constituant
les ordres mineurs. Tous sont au service des fidèles, et
tous, en raison même de leurs fonctions et de leur
dignité, sont tenus de pratiquer la vertu à un degré
plus éminent que le reste des chrétiens. Les fautes
graves qu'ils commettent causent nécessairement du
scandale. Et il faut que l'Église, sous peine de se dimi-
nuer elle-même, ait le moyen d'enrayer un mal aussi
considérable. Elle obtient ce résultat en frappant les
membres coupables de peines proportionnées à leurs
fautes. Et de ces peines la plus terrible est la dégra-
dation ou déposition.
Dans l'antiquité chrétienne et jusqu'au XIIe siècle,
ces deux [termes sont synonymes. A vrai dire, les mots
même n'apparaissent pas avant le 1 1 Ie siècle. C'est saint
Cyprien, par exemple, qui emploie, le première notre
connaissance, dans une de ses lettres, Epist., lxv, n.3,
P. L., t. IV, col. 391, l'expression depunere pour dési-
gner la destitution d'un diacre. Le concile de Cartilage
de 398 parle de dégradation, ab of/icio degradari,
can. 48, dans llardouin, Concilia, t. i, col. 982, et
Gratien, Decretum, dist. XCI, c. 4. Mais, bien avant
cette époque comme après, on trouve une infinité de
textes qui marquent la dégradation ou la déposition
en termes dont le sens ne saurait être douteux. Nous
en citerons quelques-uns des plus significatifs : u,et<x-
vsoOai Èx T-yjç Xsnro'jpyi'a;, dit saint Clément de Rome,
7 Cor., 44, Funli, Patres apostolici, 2eédit., ïubingue,
1901, 1. 1, p. 156; xaTaTÎGsotiai, S. Hippolyte, Philosophu-
mena, 1. IX, c. ni, P. G., t. xvi, col. 1; xa8aipeî(x8ai,
Canons apost., 3, 6, 7, P. G., t. cxxxvn, col. 40 sq.;
TTavTc'/.to; xîOaipsïcOa; tï,ç Xeitoup'jïaç, concile d'Antioche
de 341, can. 5, clans llardouin, Concilia, t. i. col. 595;
xaBatpsfadai toî xXripou xa\ àXXÔTpiov eivai toû xavdvoç,
concile de Nicée, can. 17, Hardouin. t. i, col. 331;
xa8aip6Ïo-8at toû {ia.-\i.o\>, S. Basile, Epist. canon, ad
Amphiloch.j can. 32, P. G., t. xxxn, col. 728; xaOaipeï-
TOa: y.où Ttavtôç ÈxxXY)(ria<mxoÇ Sa-[j.oO -jnâp/siv a'/'/o-
tpi'ov, concile d'ÉphèsecontreNestorius,dans llardouin.
t. I, col. 1433; àixoYU".vo-Jo8xt t?,; lepaTiXïjç àÇt'a:, concile
in Trullo, can. 21, Hardouin, t. m, col. 1669; acleri-
catus of/icio renwveri, Innocent Ier, Epist., xxxix. ail
episcop. Apulise, /'. I.., t. xx, col. «JOii; ab ordine cîeri
amoveri, concile d'Arles, de 314, can. 13, llardouin,
t. i, col. 265; onvni ecclesiaslicee dignitalis privilegio
nudari, Sirice à Himère, c. xi, P. L., t. i.vi, col. 558-
559; ordine et honore privari, Innocent Ier, Epist., m,
ad episcop. in synod. Tolet., c. iv, P. L., t. xx, col. i'JI ;
ab honore deponi, concile d'Agde de 506, can. 19,
llardouin, t. Il, col. 1003; gradn pruprio penitus ca-
rere, concile de Rome, de 503, llardouin, t. n,
col. 985; a sacerdotii ordine dejici. S. Grégoire le
Grand, Epist., 1. V, epist. vu, P. /.., t. i.xxvn,
col. 728, etc. Cf. Kober, Die Déposition und Dégra-
dation, p. 3-5.
De toutes ces formules il résulte que la dégradation
ou la déposition est une peine ecclésiastique qui ôte
aux clercs toutes les prérogatives d'ordre ou de juri-
diction dont ils jouissaient. Ce dépouillem
entier et si radical que leurs droits aux bénéfii
les honneurs attachés à leurs dignités leur sont ravis.
Ils cessent de faire partie du clergé et sont désormais
rangés parmi les laïques. Toutefois leur abaissement
laisse entier le caractère spirituel qu'ils ont n i D dans
l'ordination. Ce sont tous ces effets de la dégradation
ou déposition qu'il nous faut expliquer.
El d'abord, les clercs déposés ou dégradés sont dé-
pouillés de toutes leurs prérogatives d'ordre et de juri-
diction. L'affaire des évéques espagnols, Basilid
.Martial, vers le milieu du IIIe siècle, en fait foi. Ils
avaient été, pour des fautes graves qu'on leur repro-
chait, déposés régulièrement; mais soutenus par quel-
ques-uns de leurs collègues, ils en appelèrent au pape
Etienne qui, trompé par de faux rapports, les réta-
blit sur leur siège. Cette décision choqua l'Église •
gnole qui délégua plusieurs de ses membres aupn
saint Cyprien, le priant d'examiner l'affaire à nouveau.
Dans un concile tenu à Carthage en 254, l'épiscopat afri-
cain jugea que les inculpés étaient vraiment coupables
et qu'en conséquence ils étaient déchus de tous leurs
droits : nec Ecclesiœ Chris ti posse prœesse nec De" sa-
crificia offerre debere. S. Cyprien, Ejjist., i.xvin. I'. /..,
t. m, col. 400. A propos de Mélèceon trouve dans Socrate,
H. E., 1. 1, c. ix, P. G., t. lxviii, col. 80, une décision ana-
logue du concile de Nicée. Le pape Nicolas Ier, frappant
les archevêques Thietgaud de Trêves et Gunther de Co-
logne, qui s'étaient gravement compromis dans la ques-
tion du divorce du roi Lothaire, déclare pareillement,
qu'ils sont ab of/icio sacerdotali excommunicati atque
a regimine episcopatus alienati. Il ne fait guère d'ail-
leurs que répéter la sentence du concile de Lalran de 863
qui avait décidé que les coupables devaient ab omn%
sacerdotii officiio permanere penitus aliénas... ont ni
episcopali e.cutos regimine consistere. Hardouin, I
cilia, t. v, col. 573.
Les prêtres déposés subissaient la même humiliation.
Toutefois comme ils n'ont pas, en vertu de leur ordi-
nation, de juridiction proprement dite, ils étaient seu-
lement privés de leur pouvoir d'ordre. Le concile
d'Ancyre de 314, ayant à juger certains prêtres qui,
pendant la persécution, avaient sacrifié aux idoles,
leur interdit « d'offrir le sacrifice, de prêcher, d'exercer
aucune fonction sacerdotale. » Can. 1, Hardouin, Con-
cilia, t. i, col. 271. Saint Basile donne une décision
semblable à propos d'un prêtre dont la faute lui pa-
raissait comporter des circonstances atténuantes. Il
conservera son siège, mais sera privé de toutes -, -
fonctions, ce qu'il explique ainsi : « 11 ne pourra ni
publiquement ni en particulier donner la bénédiction,
ni administrer aux autres le corps du Christ, ni rem-
plir aucune fonction liturgique, y-rpe. ri ïXXo Xsiwjp-
yetTio. Epist. ad Amphilochinm , can. 27. /'. G.,
t. xxxn, col. 724; llardouin, Concilia, t. m, col. I669sq.
Dans certains documents, par exemple, dans le canon -
du concile de Tours de 461, la seule peine formellement
infligée au prêtre coupable regarde la messe, sacrificium
Dco offerre non prœsumat. llardouin. Concilia, t. n.
col. 79i. Mais si cet office est particulièrement désigné,
c'est parce qu'il forme la principale fonction sacerdo-
tale ; en réalité l'interdiction s'étendait à toutes les
autres. Lorsqu'on avait l'intention de limiter l'interdit,
on avait soin de le dire en termes expies. Cf. concile
de Néocésarée, de 314, can. 9, llardouin. Concilia,
t. i, col, 283.
Au-dessous des évêques et des prêtres, la peine de la
déposition pouvait être appliquée aux diacres et aux
clercs inférieurs. Les diacres perdaient le droit de
servir à l'autel el les clercs inférieurs devaient cesser
absolument leurs fonctions. Concile d'Ancyre de 311.
can. 2, llardouin. Concilia, t. i. col. 271; S. Bai
453
DÉPOSITION ET DEGRADATION DES CLERCS
4.">4
Epist. ad Amphiloch., can. 69, P. G., t. xxxii,
col. 801.
Certains honneurs extérieurs étaient attachés à la
cléricature. La déposition en entraînait nécessairement
la perte. On sait par exemple que l'évéque, les prêtres
et les autres clercs occupaient une place réservée dans
le sanctuaire; ils étaient séparés du gros des fidèles
par des cancelli. Une fois déposés, les clercs ne sié-
geaient plus, sauf exception, avec leurs collègues. Saint
Basile si-nale précisément une exception de ce genre,
quand il maintient, comme nous l'avons vu, à un prêtre
déposé le droit de siéger encore dans le sanctuaire :
xa8£8paç |iiv p.tziyv.v. Epist. ad Amphiloch., can. 27,
col. 724. Et cette exception confirme la règle. Cf. Ko-
l»er, Die Déposition und Dégradation, p. 9-1G.
La perte des revenus ou bénéfices était une autre
conséquence de la déposition. A l'origine les biens
élastiques étaient en commun et les clercs vivaient
de l'autel. Ils en avaient le droit, dit saint Paul. I Cor.,
ix, 13. Les papes Simplicius (468- 183) et Gélase (492-
196) décidèrent que sur les quatre parts dont se com-
posaient les revenus de l'église et les oblations des fi-
dèles, l'une (la première) serait réservée à l'évéque et
la quatrième distribuée aux autres membres du clergé
pro singulorum merilis, dit Simplicius, Epist., \u,a<I
Florentium, Ilardouin, Concilia, t. il, col. SOI; pro
officiorum snoruni scduUlate, écrit Gélase. Epist. ad
clerum, ordinem ci plebem Brundisii, ibiil., t. n,
col. 930. Mais les clercs déposés n'avaient plus de titre à
alléguer pour vivre de l'autel. Aussi les privait-on de
la part des oblations à laquelle ils avaient eu droit
jusque-là. Une lettre de saint Cyprien, Epist., xxvm,
/'. L., t. iv, col. 302, qui a trait aux sous-diacres
Philomène et Fortunat et à l'acolyte Favorinus, té
<'.On prive les clercs de la distri-
bution mensuelle des oblations avant même que leur
soil jugée, niin quasi a ministerio ecclesiastico
fi esse videantur, sed ut integris omnibus a<i
entiam differantur. Cette mesure pré-
ventive montre bien que, si les clercs étaient reconnus
coupables et déposés, ils perdaient du mémo coup
leur droit aux oblations. La déposition de Paul de Sa-
êque d'Antioche, eut pareillement poui
de la maison épiscopale. Le concile qui
communia en 269 lui avail donné un su
Paul refusait de quitter sa demeure. Cette maison
était, pourtant, bien d'église; elle revenait de droit au
titulaire légitime. L'affaire fui portée au tribunal de
l'empereur Aurélien, qui décida en faveur de l'é
saint-sîi de
m. Paul de Samosate dut déguerpir, Le
us île 538, ayanl à juger des clercs in-
lemande qu'ils soient rayés de la listi di
iqu I qu'ils ne reçoivent plus
< ndia ant
Can. I I . Ilardouin, Concilia, t. Il,
historica,
i étaient donc réduits
leui vie par le travail, par un métier ou par
tionnellement,
n l anité ou par crainte de
i qui
'l Anlioi he ayant été dépi
• ni aui Pèrea d icile
[lie de bu ei de lui accorder
agnifleent
i
■ il lu VASITATl i/
l ' ' •
o un
d'I i.inilé f| Grand
accorde à l'évéque de Lipari, Agalhon, qu'il avait dé-
posé, une petite rente, tirée des biens de l'église : nam
n'unis est impium, ajoute-t-il, S/ AL1M0NI0RVM NECES-
xii m i post vindictam subjaceat. Epist., 1. III, epist. lv,
P. L., t. i.xxvn, col. 6.")0. Cf. 1. V, epist. lu, col. 781.
Grégoire VII prenait la même mesure à l'égard d'un
clerc homicide qu'il avait mis hors des cadres du clergé.
« Il faut pourvoir à ses besoins, dit-il, s'il montre des
dignes fruits de pénitence; la religion doit veiller à
ce qu'il ne manque pas de ressources, » ne stipen-
iliis ecclesiasticis carrai. Hardouin, Concilia, I. VI,
col. 1223. Ces mesures d'indulgence étaient fréquentes
sans doute, mais elles n'en étaient pas moins exception-
nelles. En principe, les évêques, les prêtres, les simples
clercs disposés, n'avaient plus aucune part à la distri-
bution des oblations et des biens ecclésiastiques.
Leurs droits étaient dévolus à leurs successeurs. A
peine, en effet, un évêque était déposé que ses collè-
gues se chargeaient de remplir le siège vacant. Le
concile de Sardique, de 343, réglementa cet usage; il
décida, can. 4, que lorsqu'un synode provincial aurait
dépossédé un évéque, on ne devrait pas procéder à
l'élection de son successeur avant que l'évéque de
Rome eut approuvé la décision synodale. Ilardouin,
Concilia, t. i. col. 639. Saint Athanase en appelle à ce
canon, lorsque ses ennemis, non contents de l'expulser,
mirent Grégoire le Cappadocien à sa place sur le si. ge
d'Alexandrie. Ilefele, Conciliengeschichte, t. i, p. 495-
497; trad. Leclercq, Paris, 1907, t. i, p. 691-697. El
lorsqu'on 853 le synode de Soissons eut donné Ilinc-
mar pour successeur à l'archevêque Ebbon, sur le
siège de Reims, la question se posa de savoir si l'élec-
tion était canoniquement valide, parce qu'elle avait été
faite malgré l'appel à Rome qu'Ebbon avait interjeté :
lnterea ordinalur episcopus in cathedra virenlis,
quamvis ne unquam post appellationem romani
pontificis hoc fiai sacri canoncs evidenter vetare
noscuntur. Libellus proclamationis Rothadii ail Nico-
laiim papam, dans Ilardouin, Concilia, t. v, col. 582.
Mais il est clair que cel appel était simplement sus-
pensif. En l'ait, quand liome avait parlé, l'évéque dé-
posé était légitimement remplacé.
Et il axait perdu son siège sans espoir de retour. Il
devenait même radicalement incapable d'obtenir une
autre fonction ou un autre bénéfice ecclésiastique. Le
bruit se répandit en Afrique qu'un évéque déposé avail
été rétabli sur n par le pape Corneille. Ce fut
un scandale. On s'adressa à saint Cyprien qui commu-
niquait facilement avec Home pour savoir ce qu'il en
était. L'évéque de Carthage put répondre que la
rumeur qui agitait les écrits n'avait aucun Fondement
et que Trophi me, privé des honneurs du sacerd
.tait tout simplement admis ;i la communion laïque.
Sic admissus est Trophimus or laiccs commi sicet,
ndum quod a./ /,' nialignorum littera per-
tulerunt,Qi isi wci h s i< brdotis usurpi r. Epist., lu,
ad Antonianum, P. /.., I. in, col. 778, I. '('■motion
publique rie g'expli [uerait pas si, d'après les canons
ou l.i coutume, la déposition n'avait pas été irrévocable.
Aussi c'est en vain que les évoques Basilide et Martial
qui avaient ('•té- frappés de celle peine pour .1
espéraient pouvoir reprendre leurs fonctions,
frustra taies episcopalum til lantur; la
Bentence qui les atteignait les privail pour jamais ab
atione cleri atque sacerdolali honore. C •
s;tint Cypi len qui li . i w m. n 6, r l
t. m, col 1031 . 1 1 qualifie d' lui eur i el de demi
la tentative que fus. ni un autre évéque di posé pour re-
prend > sacerdolali s.
tetum 'I) t turitanorum de
i e pape
écril pareillemi ni A Himi re que |< - évéquea coup
q ' ' ' ■ ti ve n I
455
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
456
songer à célébrer dorénavant 1rs saints mystères : nec
uuquam posse veneranda altreclare mytteria. Ad
Hinierium, c. vu, /'. L., t. xm, col. 114. La déposition
de Contumeliosus, évêque de Riez, en 533, amena le
pape Jean II et saint Césaire d'Arles à faire une décla-
ration semblable. De tels misérables méritent, disent-ils,
qu'on leur applique la sévérité des canons et qu'on leur
ferme tout espoir de rentrer dans leur dignité : ldeu
justuni est, ut cum eis secundum omnium canonum
staluta redeundi ait honorem aditus clauditur, etc.
Voir le document : Ecce manifestissime constat, dans
llardouin, Concilia, t. Il, col. 1156. « Ce serait énerver
la vigueur de la discipline, dit saint Grégoire le Grand,
que de laisser les coupables nourrir l'espoir de remon-
ter plus tard à leur rang. » Si lapsis ad situm ordinem
revertendi licenlia concedalur, vigor canonicœ procul
dubio frangitur disciplinée, dum per reversionis spem
pravse aclionis desideria quisque concipere non formi-
dat. Epis t., 1. V, epist. îv, P. L., t. i.xxvn, col. 725.
Cf. S. Augustin, Epist., clxxxv, n. 45, P. L., t. xxxiii,
col. 812. Voir d'autres textes non moins concluants dans
Kober, Die Déposition und Dégradation, p. 29-33.
La sévérité de cette discipline était justifiée par l'inté-
rêt des âmes. Mais cet intérêt pouvait quelquefois
justifier l'indulgence. L'Eglise alors se relâchait de ses
rigueurs. Dans les crises de schisme ou d'hérésie il y
avait souvent avantage à réintégrer dans leurs fonc-
tions les évêques ou les prêtres déchus. Les ouailles qui
s'étaient à leur suite séparées de l'Église, rentraient
aussi à leur suite au bercail. En voyant des populations
entières assises à l'ombre de la mort, populorum
strages jacenl, la sagesse demandait qu'on ouvrit les
bras à qui pouvait les sauver, delrahendum est aliqvid
severilali. C'est ce que recommande saint Augustin, à
propos des donatistes. Epist., ci.xxxv, n. 45, P. L.,
t. xxxm, col. 812. Le pape Corneille avait déjà pris les
mêmes mesures de miséricorde vis-à-vis des évêques
et des prêtres compromis dans le schisme novatien, et
la raison qu il en donne est toujours l'intérêt de
l'unité : Credimus auleni fore, quinnimo pro cerlo
jam confidimus, exteros qnoque qui in hoc errore
sunt constituti, in Ecclesiam brevi reversuros, cum
auctores suos viderint nobiscum agere. Epist., xlyi,
ad Cgprianum, P. L., t. m, col. 720. Pour plus de
détails, cf. Kober, Die Déposition und Dégradation,
p. 35-38. Mais il demeure bien entendu que cet adou-
cissement de la discipline est commandé par les cir-
constances, et que l'avantage cessant, la sévérité, c'est-
à-dire la règle, reprend ses droits. Ergo quod néces-
sitas pro rentedio invenit, cessante necessitate , débet
utique cessare pariler quod urgebat. S. Innocent Ie'.
Epist., xvn, ad episcop. Macedoniœ, c. v, P. L., t. xx,
col. 532.
Le clerc déposé cessait donc régulièrement de faire
partie du clergé. Trois signes extérieurs marquaient
cette séparation.
El d'abord, il était rayé de la liste des clercs. On sait
que chaque église tenait un registre des membres de la
hiérarchie : les Grecs l'appelaient xaveov, concile de
Nicée, can. 16, 17,19, llardouin, Concilia, t. i, col. 329;
ôcvio; y.avciv, concile d'Antioche, en 341, can. 1, ibid.,
col. 593; xaTdtXoyo; iepaxixôç, y.xTàXoyo; t&v xXY|pixù>v,
Canons apost., can. 51, 15, P. G., t. cxxxvn, col. 141,
08; matricula, concile d'Agde, can. 2, llardouin, t. Il,
col. 998; tabula clericorum, S. Augustin, Se7'm., ccclvi,
De diversis, P. L., t. xxxix, col. 1560, etc. De là le nom
de canonici, que portaient généralement les clercs
dans l'antiquité. Mais, en vertu de la déposition, le
prêtre ou le diacre devenait iXXÔTpto; to-j xavâvoç. Con-
cile de Nicée, can. 17. Delebo eum de tabula clerico-
rum, écrit saint Augustin. Serm., ccclvi, De diversis,
col. 1580. Cf. Kober, op. cit., p. 39-40.
Du même coup, il cessait de participera la xoivwv-a
êxxXr)<xia<mxTJ, à la communia ecclesiastica, à la ■
munio clericalis, comme parlent le concile d'Épi
llardouin, Concilia, t. i, col. 1499; le pape Gélase,
Epist. ml episcop. l><irdatiix, dans llardouin. t. il,
col. 911; Nicolas l,r, Epist. ad modi
sion., ibid., t. v, col. 639. D'ordinaire, les évêques et
les prêtres qui voyageaient emportaient avec eux des
lettres de communion, Mitera commeudatitiœ, cf. Ko-
ber, op. cit., p. 61-64, en vertu desquelles ils siégeaient
dans le presbylerium avec leurs collègues et à leur
rang partout où ils se présentaient. Une fois déposés,
ces avantages leur étaient nécessairement retirés. On
les considérait comme « excommuniés ». Concile de
Nicée, can. 16, dans Hardouin, t. i, col. 329. Ce mol
fut quelquefois employé pour signifier simplement la
privation de la communia clericalis. C'est le sens
par exemple de la lettre de saint Cyprien : A comniu-
nione noslra arcealur. Epist., xxvm. a :leros
et diaconos, P. L., t. îv, col. 301. Sur tout cela. cf. Ko-
ber, op. cit., p. 41-48.
Au concile de Gaza de 541, après avoir rejeté de leur
sein le patriarche Paul d'Alexandrie, les évêques, ses
collègues, lui (itèrent le pallium. Liberatus, Breiiarium,
c. XXIII, dans Galland, Bibliotheca, t. xn, p. 158.
C'était, en effet, la règle que les évêques déposés fussent
dépouillés des insignes de leur dignité. Cf. le IVe concile
de Tolède, de 633, can. 28, dans llardouin. t. m. col. 586.
En fait, lorsque saint Léger d'Aulun fut, sur de faux
soupçons ou plutôt par suite d'abominables calomnies,
précipité de son siège, au synode de 685, ses juges
exprimèrent symboliquement leur sentence de con-
damnation en lui arrachant sa tunique. Hardouin.
t. m, col. 1757. Dans la déposition d'Ignace de Con-
stantinople, même cérémonial ; on lui enleva son étole
et tous ses ornements pontificaux. Nicétas, Vila Jgna-
tii, dans llardouin. t. v, col. 967. On s'est étonné que
le pape Innocent II, placé en présence de son adver-
saire l'antipape Pierre de Léon, lui ait violemment été
des mains « le bâton pastoral, » l'ait dépouillé du « pal-
lium et de l'anneau pontifical. » Chronique de Mori-
gny, dans Hardouin, t. VI b, col. 1214. La violence mise
à part, le procédé était canonique. La même discipline
s'appliquait aux membres les plus élevés de la hiérar-
chie aussi bien qu'aux moindres. Au concile de Nimes
de 886, on dégrada deux évêques indignes, « en déchi-
rant leurs vêtements épiscopaux, en brisant leurs
crosses sur leurs tètes et en leur arrachant des doigts
leurs anneaux. » Hardouin, t. VI, col. 398. Inutile de
multiplier les exemples. Le concile de Limoges de 1031
formule ainsi la règle à suivre dans le cas de déposition
d'un prêtre : Quando episcopus presbylerum depo-
suerit, sic agat : jubeat eum prius^ indui omnibus
sacerdotalibus indumenlis, deinde manu sua auferat
ei manipulum, deinde casulam, deinde mediam slo-
lam de collo re/lectat ei inter scapulas sub latere
dextro; et deposilus est a presbyteratu in diacona-
tum. Hardouin, t. VI, col. 884: Martène, De antiquis
Ecclcsix ritibus, 1. III, c.H, 19, Anvers, 1736, t. n,p
Ce procédé de dégradation semble avoir été emprunté
à la dégradation militaire. Et on s'en étonnera d'autant
moins que les papes avaient coutume de considérer le
clergé comme une véritable « milice », militia sacra,
dil Sirice à Himère, c. x. P. /.., t. XIII, col. 1113; mi-
litia clericalis, reprend Gélase. Epist., m, ad episcop.
per Picenum; Epist., v. ad episcop. Lucanix, dans
Hardouin, t. n, col. 892, S9S, etc. Cf. Kober, op. cit.,
p. 53-54. Ainsi dépouillé de ses insignes, le clerc ne
pouvait plus évidemment prétendre à l'honneur de
faire partie du clergé.
Quel était donc son sort et quels rapports pouvait-il
encore conserver avec la communauté chrétienne? Les
sentences de déposition, telles qu'elles nous sont par-
venues dans les documents, portent ordinairement :
457
DÉPOSITION ET DEGRADATION DES CLERCS
458
ut laicus eommunicet, S. Cyprien, Ejiist., lxviii, n. 6,
P. L., t. nt, col. 1030; inter laicos communionem acci-
piat, S. Grégoire le Grand, Epist., I. V, epist. m, vu,
P. L., t. i. xxvii, col. 724, 7-29; laica lantum tribuatur
ei communia, S. Innocent I«, Epist., xvn, ail episcop.
Macedon., c. îv, P. L., t. xx, col. 531 ; Jaieam tantum-
inodo communionem accipiat, concile d'Agde, can. 50,
dans Hardouin, t. n. col. 1003; laicœ (sit) communion:'
conlentus, IIIe concile d'Orléans de 538, can. 2, 19,
dans Hardouin, t. n, col. 1423; <é; Xafitbc xoivuveîTci»,
(■>; Xaïx'oç Kv/'yr-.M, Canons aposlol., 15, 62, P. G.,
t. iaxxvii, col. 68, 160 ; cf. concile de Sardique, can. 19,
dans Hardouin, t. I, col. 651, elc. Cf. Kober, op. cit.,
p. 56. Bellarmin a pensé que cette communion, à la
manière des laïques, signifiait la communion sous une
seule espèce. De eucharislia, 1. IV, c. xxiv. Mais à
l'origine, les fidèles communiaient habituellement sous
les deux espèces. Il faut donc prendre à la Lattre les
expressions : inter laicos communionem accipiat.
Saint fîasile ne laisse place sur ce point à aucun doute,
quand il dit: si; tôv tôiv ).aïx<5v àTC(oa6el; tôtcov t/,;
xotvcdvs'a; où-/, z'.-.yrf^-.-y.:. Epist. ad Amphiloçhium ,
can. 3. /'. ('■., t. xxxii, col. 672. Pour comprendre ce
langage il suffit de se rappeler que les clercs recevaient
la communion dans le sanctuaire et les laïques en dehors
des cancelli : eo videlicet ordine ut sacerdos et levitœ
antb altare communicent, i\ enono clerus, extra
CBORVM populus, comme parle le concile de Tolède de
can. 18, dans Hardouin, Concilia, t. m, col. 58'k
Cf. concile de Laodicée, can. 19, ibiil., t. î, col. 785;
concile in I • ullo, can. 69, ibid., t. m, col. 1688; con-
cile de Braga, en 561, can. 13, ibid., col. 351. Parfois
sans doute, l'excommunication accompagnait la dépo-
sition et alors la communion même laïque était inter-
dite au coupable. C'est le cas de cet Évariste dont parle
-aint Cyprien dans son Epist., xux, P. L., t. iv,
col. 3-12, et dont il dit : De episcopo jam nec laicum
remansisse. Mais la simple dégradation faisait seule-
ment descendre l'évêque ou le prêtre au rang des
laïques : mé déposé, il pouvait participer aux biens
spirituels de l'I -'lise, assister à la messe, fain
aents,
lil h dignité sacerdotale, et si
graves, par cor les fuites des
el des pleins, qu'une simple déposition ne
paraissait pas toujours être une punition suffisante
ibles étaient alors frustrés inémi m m union
l.'iiqu iu rang des pénitents publics, (tu sail
quelle était la ri. unir de celte es logé i [ortul-
lien l'a décrite dans son De pœnilentia, c. ix, /'. L.,
1. 1. col. 1243. Saint Cyprien, dans sa lettre i.ix ;ï l'évêque
Fidus, témoigne qu'un prêtre déposé, du nom de Victor,
y fut assujetti. La j legilimum et
il il parle, ne saurait
que la pénitence publique. /'. /,., t. iv.
". cit., p. 66. I usèbe en fournit un
autre i x< mpl , quand il raconte que le pape Corneille,
touch ritir de lui i orateurs
de Novalien, repentir marqué par l'exomologése qu'il
i vo; -.<, -.3. .
■ la com uion laïque, //. /•.'.,
i m, /'. '■'.. t. xx, col. 620.
demeura pas longtemps en vigu
in' elle pai r par toute l'I ise. (
le le pape Sue
i Him onl p i soumis ■<
li péniU m • publique, ticui pamitenti
"»l, c. Xl\. /'. /.., I. Mil,
de 101, i in, Il
Hardouin, t. i I i Gratien, dit i I
BU milieu du
tend qui d origine apostolique
e$t a
prcsbyterali honore aul in diaconii cjradu fuerunt
consecrati, ii pro crimine aliquo suo per manus im-
positionem REMEDIUM accipiant p.kmtesoi (pénitence
publique), quad sine dubio ex apostolica TRABITIONE
descendit. Epist., clxviii, c. h, dans Gratien, Becrc-
tum, dist. L, c 67. La tradition qu'invoque le pontife
est loin d'être cerlaine. Son témoignage prouve du
moins que la pratique du Ve siècle remonte assez haut
dans l'Eglise romaine. En Gaule, il semble qu'on ait
tâtonné vers cette époque sur les mesures à prendre.
Le concile d'Orange de 441 et celui d'Arles de 452 déci-
dent que les clercs qui désireront subir la pénitence
publique pourront y être soumis : Psenitcntiani desi-
derantibus clericis non negandam. Concile d'Orange,
can. 44; concile d'Arles, can. 29, dans Hardouin, t. i,
col. 1784; t. n, col. 775. 11 y a ici une hésitation entre
l'ancienne discipline et la discipline nouvelle. C'est
pourquoi Rusticus de Xarbonne s'adresse à saint Léon
pour savoir quelle ligne de conduite on suivait à Pome.
Nous venons de voir quelle réponse lui fut faite : au
lieu de la pénitence publique, le pape recommande la
pénitence privée : Ilujusmodi lapsis ad promerendam
misericordiam Dei PRIVATA BST BXPBTENDA SBCESSIO,
ubi illis satisfaclio, si fucril digna, sit etiam fruc-
tuosa. Epist., CLXVII, c. n, /'. L., t. L1V, col. 1203. La le-
çon ne fut pas perdue. Le concile d'Agde de 506, qui
avait à désigner la punition qu'on devait infliger aux
évéques, prêtres et diacres gravement coupables, ne
[aile plus de pénitence publique. Can. 50, dans Har-
douin, t. n, col. 1003, et dans Gratien, dist. L, c. 7.
Cf. concile d'Épaone de 517, can. 22, dans Hardouin,
ibid., col. 1049.
Abandonnés à eux-mêmes, les clercs déposés per-
daient tous les privilèges que, depuis Constantin, les
empereurs avaient accordés au clergé. L'État repre-
nait ses droits sur eux. En 408, l'empereur llonorius
décide qu'une fois privés de leurs fonctions, ils au-
ront à remplir les devoirs qui incombent à loutcitoven :
conlinuo ubi eum enria vindicet. Code Théodosien,
I. XX. MX, !>,■ episcop., xvi, 2. On s;iit combien étaient
alors onéreuses les fonctions des curiales. Tous les
gens aisés essayaient de s'j dérober. Justinien
ordonne que, dans les cités auxquelles appartiennent
les 'lires déposés, ipsos statim ri confestim civitalis
illius ex qua sont, fieri curiales, nisi vehemenler
curialibus abundet civilas. Code théod., De episcop.,
I. 1. til. m. 53. Cf. Novell», CXXIII, c. Ii. Voir Kober.
op. cl., p. 79 '.Kl.
Mais ces cas durent être exceptionnels. Il était rare
que l'Église livrât à eux-mêmes el à la vie publique
lercs qu'elle avait déposes. La secessio dont parle
saint Léon ne fut pas longtemps uni' pénitence privée,
à la discrétion du coupable. Pour certains crimes la
réclusion dans un monastère était exigée : Ni <7"
pus, presbyter oui diaconus capitale crimen commù
sent, aul thorium falsaverit oui testimonium falsum
dixérit, dii l.' concile d'Agde de ônti. ab offtcii honore
depOSitU8 IN HONASTBRIO ni i ni lr\ 1 1 II el ibi, quam-
diu n. uni. laicam lanlummodo communionem
■ ii. Can. 50, dans Hardouin, i. n. col. 1003, dans
Gratien, dist. L,c. 7. Cf.,conciled'Épaone de 517, can. 22,
Hardouin, t. n. col. 1019 ... \_,i,.
décida pour falsification de chartes, faux témoign
ou mmru capitale, le concile d'Orléans de 538 le lit
tlemenl pour l'adultère c on-- par des elei
dans I tir adultCi \\t h inoutorum
.. m monasterio loto lempore
relrudalur, can. 7, Hardouin, t. m. col. 1425: Gratien,
dist. LXXXI, c. I" Cette réclusion était déjà iVuu
-i i on en croit le protocole du concile
de Mai seille tenu ■■■ i po |ue. Hefi lien-
rblr, t. II. p. 730. Cf. M.ird n. I. II. < id. I 168
l'I" nd int, p " mu' Il Mir du papi tgapi I I / |
159
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
Î60
ad Cassarem Arelal., nous apprenons que le choix pou-
\:iii être donné entre la pénitence proprement privée
ri la réclusion claustrale, privatam magie iioiuii se-
cundum canones expetere secessionem, quant severv-
tatem religionis excipere. Hardouin, t. il, col. 1180.
.Mais insensiblement la discipline la plus rigoureuse
prévalut et nous savons par nombre de lettres de saint
Grégoire le Grand, I. 1. epist. xvm; I. [II, epist. xxvu;
I. Ml, epist. xxxi; 1. XIII, epist. xlv, /'. /... t. i, xxvu,
col. 163, 624, 1241, 1294, que la detrusio in arcluin
monasterium était toujours une conséquence de la
déposition. Celle règle était générale au ix« siècle; le
concile de Chalon-sur-Saône de 813, eau. 10, dans Har-
douin, t. îv, col. 1038; dans Gratien, dist. LXXXI, c. 8,
et celui de Home de 853, can. Il-, dans Hardouin, t. V,
col. CG; dans Gratien, disl. LXXXI, c. 7, en témoignent.
Le pape Innocent 111 la confirma en décidant que si un
clerc accusé de faute grave ne pouvait pas se justifier,
il fallait l'enfermer dans un cloître pour y faire péni-
tence : Quod si forsan in purgatione defecerit, eum...
ab officio et beneficio deposilum ad agendam peeni-
tenliam IX ABCTDM UONASTERll 1/ VETRUDERE non
omiltas. Décrétâtes, 1. V, tit. xxxiv, De purgat. canon.,
c. 10. Cf. 1. V, tit. xxxviii, De paenit. et remission.,
c. 10. Sur le sort et les obligations des clercs ainsi
cloîtrés, cf. Kober, op. cit., p. 75-78.
Assimilé au moine, le clerc déposé recevait la com-
munion comme les simples fidèles : depositus ab offi-
cio, communione concessa in monasterio totovitse suie
teiupore retrutlatur, disait le concile d'Orléans de 538,
can. 7. Hardouin, t. n, col. 1425. Cette dégradation avait
donc pour effet de le ramener à un état où rien ne le
distinguait plus des laïques. Elle était si entière qu'on
s'est demandé si elle ne lui était pas le caractère sacré
que le sacrement de l'ordre lui avait donné. Morin,
De ordinalione, part. III, exerc. I, ci; van Espen,
Jus ecclesiast., part. Il, tit. i, c. I, n. 11, et avec eux,
les canonistes protestants estiment que oui. Mais il
est facile de montrer que, dès l'origine, c'est-à-dire
aussitôt que la question fut posée dans l'histoire, il y fut
répondu négativement. Le concile de Carthage de 397,
qui en appelle au concile de Capoue de 391, interdit
formellement les réordinations : non liceat fieri rebap-
lizationes et reordinationes, can. 38. Hardouin, t. i,
col. 964. Et les Canons apostoliques frappent précisé-
ment de la peine de la déposition ceux qui oseraient
réordonner un évèque, un prêtre ou un diacre, can. 68,
P. L., t. cxxxvn, col. 173. Saint Optât déclare de son
côté qu'une telle pratique est contraire à l'esprit de
l'Église : quod ab Ecclesia alienum est. De schismate
donalislarum , 1. I, n. 21, P. L., t. xi, col. 933. Et
saint Grégoire le Grand a la prétention d'être l'organe
de la tradition ecclésiastique quand il écrit à l'évêque
Jean de Ravenne : Illud autem quod dicitis, ut is,
qui ordinalus est, iterum ordineluv, valde ridiculum
est... Absit a fraternitate vestra sic sapere. Sicut
enim baptiiatus seniel iterum baptizari non débet, ita
qui ordinalus est seniel, in eodem iterum ordine non
valet consecrari. Epist., 1. II, epist. xi.vi, dans Gratien,
dist. LXVIII, c. 1. Cf. concile de Tolède de 653, can. 7,
dansllardouin, t. m, col. 943. Il estdonc manifeste que,
dans la pensée des Pères et des docteurs de l'Eglise, le
sacrement de l'ordre a toujours conféré aux clercs un
caractère indélébile, que la déposition elle-même,
la plus grave des punitions dont elle disposait, lais-
sait absolument intact'. Cf. Kober, op. cit., p. 91-109.
Il ne faut pas confondre la déposition avec la suspense.
La suspense est une peine temporaire, la déposition
une peine à perpétuité. La première est uniquement
médicinale; l'épreuve achevée, le clerc qui la subis-
sait rentrait officiellement dans ses fonctions; la se-
conde, bien que médicinale encore, doit être r
parmi les pœnx vindicatives; elle était surtout destinée
ii aux autres membres de la hiérarchie,
ni n, tin* punit multorum posset ess<- eorreclio, écrit
saint Grégoire le Grand. Epi* t., I. XI.epM. i.xxi. /'. /..,
t. i. xxvu. col. 1211. Aussi ne l'appliquait-on qu'à la der-
eztrémité. Elle remplaçait quelquefois la peine
de suspense quand celle-ci demeurait inefficace. Ainsi
le il' des Canons apostoliques décrète qu'un évéque,
un prêtre ou un diacre qui, sous prétexte de per
lion plus grande, quittera sa femme, sera suspens,
il ajoute : « s'il ne revient pas a résipiscence, il sera
déposé', s P. G., t. xxxvii. col. i.">. Le concile d'An-
tioche de -lil promulgue les mi alités pour \> -
diacres et les prêtres qui auront quitté leurs paroisses;
suspens d'abord, ils seront ensuite déposés sans espoir
de rétablissement dans leur dignité, s'ils s'obstinent à
ne pas réintégrer leur domicile. Can. 3, dans Hardouin.
t. I, col. 593. Ainsi ce qui distingue proprement la dépo-
sition de la suspense, c'est la durée de la dé-position
qui, de sa nature, est perpétuelle. Cf. Kober, op. cit..
p. 110-113, et du même auteur, Die Suspension der
Kirchendiener, p. 26.
Jusqu'ici nous n'avons eu en vue que la dégradation
plénière, si je puis m'exprimer de la sorte; mais il
existait aussi, dans l'antiquité, des dégradations par-
tielles. Les membres de la hiérarchie pouvaient être
condamnés, tout en perdant leur titre officiel, à n'exer-
cer plus que des fonctions inférieures : les évoques
celles de prêtres, les prêtres celles de diacres, etc. Le
concile de Nicée, can. 8, dégrade certains évêqnes, tout
en leur conservant rrçv Tipriv toîj 4v<juoctoç. Hardouin, t. I,
col. 327. Le concile d'Ancyre de 314 pose également
en principe que les prêtres et les diacres qui, au temp-
de la persécution, ont sacrifié aux idoles, mais se sont
ensuite ressaisis et sont rentrés dans l'Église, cesseront
d'exercer leur ministère, mais garderont les droits in-
hérents à leur dignité, c'est-à-dire occuperont leurs
places dans le presbyterium et recevront la o commu-
nion cléricale », can. 1 et 2, dans Hardouin, t. i, col. 271.
Saint Basile, Epist. can. ad Amphilochium, c. xxvu.
P. G., t. xxxn, col. 723, et le concile de Saragosse
de 592, can. 1, dans Hardouin, t. ni, col. 533, font allu-
sion à une discipline du même genre. Cf. le concile de
Néocésarée (entre 314 et 325), can. 9, Hardouin, t. i.
col. 283. Le même concile décide qu'un diacre qui, après
son ordination, aura commis le péché de luxure et se
repentira, ne remplira plus que les fonctions des clercs
mineurs, r/;/ -o-Z Û7cr)pÉTou -.-xzyi ï/ï-.ut. Can. 1. Hardouin,
t. i, col. 283. Cf. Gratien, caus. XV, q. vm, c. 1, dont la
traduction est fort inexacte. Le concile de Tolède de 400
ramène pareillement au rang des portiers et des lec-
teurs le sous-diacre coupable de bigamie successive.
Can. 4, Hardouin, t. i, col. 990. Cf. concile de Tolède de
589, can. 5, Hardouin, t. m, col. 480; concile deBour.e-
de 1031, can. 5. ibid., t. vi, col. 849. Dans le concile
de Limoges de 1031, on voit le cas d'un prêtre réduit
aux fonctions de diacre : et depositus est a pretbyte-
ratum in diaconalum. Les dégradations d'évéques au
rang de prêtres offrent un intérêt particulier en ce
que la discipline sur ce point eut quelque peine
fixer. L'affaire d'Eustathe de Béryte et de Photiusde Tyr
au concile de Chalcédoine (IV« session) amena les I
du pape à se prononcer sur la question : « Si un
évêque, dirent-ils, est coupable d'une faute qui le
rende indigne d'exercer ses fonctions, on ne peut pas
le rabaisser au rang de prêtre; si les motifs qui l'ont
fait dégrader sont insuffisants, qu'on le rétablisse dans
sa dignité épiscopale; mais dégrader un évèque au
rang de prêtre est un sacrilège,"» litîoxonov t\; ttpec-
Svrcépov y.aTiyi'.v jjaTu.'ov IspoiTjXia estiv. Ad.. i\. Har-
douin, t. n, col. 441. Cependant le concile in Trullo, de
692, donne une décision contraire; il condamne
l'évêque qui exercerait indûment son ministère dans
i un diocèse qui n'est pas le sien, à ne plus remplir que
461
DÉPOSITION ET DÉG II A DATION DES CLERCS
462
les fonctions de prêlre : rf,ç licmoicry, iravéaBù), rôt 8s
toO Ttpsaoutépoy £v:ovî!7w. Can. 20, Hardouin, t. III,
col. 1669. Ces sentiments contradictoires ont amené
certains critiques à penser qu'il ne s'agissait pas, dans
les deux cas, d'une même peine disciplinaire. Le mot
jrausaôac, a-t-on dit, doit s'entendre de la suspense et
non de la déposition. C'est une erreur; TtaJsiOai est
l'expression technique qui désigne la déposition dans
les textes conciliaires. Cf. concile de Xicée. can. 2.
Hardouin, t. r, col. 323; concile d'Ancyre, can. %ibid.,
col. 271; concile de Sardiquo, de 3i3, can. '11 (14),
ibid., col. 617; Canons apost., 14e, P. G., t. cxxxvn,
col. 64. Sur ce point voir Kellner, Das Buss- und
Strafverfahren gegen Kleriker in den sechs ersien
• llichen Jahrhundcrten, Trêves, 1863, p. 50. Il faut
donc reconnaître tout simplement que la discipline
ecclésiastique a pu varier sur la déposition totale ou
partielle des évêques. En fait, ce fut la règle du concile
m Trullo qui se généralisa. Le concile de Reims de
1049 ôta à l'évéque de Nantes, coupable de simonie, ses
fonctions épiscopales, condonalo ci lanlummado pres-
byteratus officio. Le plus piquant est de voir le pape
iîenoit V, après sa déposition, condamné par Léon Mil
ercer plus que les pouvoirs de diacre, diaconatus
ordinem habere permittimus. Concile de Rome
de 964, Hardouin, t. vi, col. 638. Pour plus de détails,
cf. Kober, »/<. rit., p. 113-129.
//. /. I DÊPOSITIOy ET l..\ DÉGRADATION m XIIe AU
y/a siècle. — A l'origine, la dégradation et la dépo-
sition ne sont qu'une seule et même peine. On peut s'en
convaincre par certains textes conciliaires. Le concile
d'Agde de 506 frappe de la a déposition » les clercs cou-
pables d'un crime capital, de faux témoignage ou de
faux. Can. 50, Hardouin, Concil., I. n. col. 1003. Or, le
concile d'Orléans de 538 visant les mêmes crimes leur
applique la peine de la « dégradation ». Can. 8, Har-
douin, I. ii, col. 1425. Et cette sMionymie se retrouve
dans d'autres passages des mêmes conciles. Le concile
d'Agde, can. 19, exige que les clercs dont la malversation
en mature de biens ecclésiastiques sera établie, ab
honore dbpositi, de suo ni nui ta h in m restituant, quint
tum ipsisse; le concile d'Orléans,
can -■'>. te serl de l'expression degradbntvr, conimu-
I es clercs usuriers sont pareillement
frappés crime peine que le concile d'Elvire, des envi-
m. 20, Hardouin. t. i, col. 252; Gratien,
dist. X.LVII, c. •"'. appelle la t dégradation «, tandis que
H— de l.i'J. can. l'i. Hardouin, t. n,
cul. 771. l.i dési le nom de déposition ».
In réalité, jl la lin du XII1 siècle, les dru\
ds de ureni synonymes, ('.'est alors seule-
ut qu'elles prennent un sens distinct. Le changement
lise ci de l'Étal dans les questions
d droit pénal ■■ n.i celte distinction, Pour la corn-
prendri . il importe de rappeler quelques principi
droit ecclésiastique.
i>n iail que le empereurs chrétiens avaient reconnu
h- droit de jugei Ii 3 bres de la hiérar-
chie. Le clei ' - fui' nt de la sorte soustraits aux tribu
pas d.' loi de Constantin ins-
tituanl cette discipline. Mais en plusieurs circonst
■ ml empi i mettre au
oin de trancher les différends
qni pouvaient s'élever dam i i gliae Il n'aurait pat
Vugustin, ju| er le jugi ment qu'avaient
t., xi m. ii. 20, /'. /
I.xxj itin marquait ion m pei t pour
• ut de recevoir ceux
qui ei h clou. il Sa* ■ judi-
i ,
il. Hardouin, i. i. I \„ coni Ile
i i ..m en croil Rulln, d'inti i
arbitrage : Dcus vos constituit sacerdotes, dit-il, et no-
bis a Dco dali eslis dit , cl conveniens non est, ut homo
judicet deos. II. E., 1. I, c. Il, P. L., t. xxi, col. 468.
Théodose et Justinien élargirent, par leur législation,
les droits judiciaires des évêques. Il fut entendu que les
fautes ecclésiastiques, les Èxx^ï)<jia<mxà ky/.'/r^.oiTu. ou
K(j.aprq!jLaTa, concile de Conslantinople de 381, can. 6,
Hardouin, t. i, col. 812; Novellse, lxxxiii, c. i, seraient
du ressort des tribunaux épiscopaux. Les crimes graves,
cependant, ressoitiraient toujours aux tribunaux civils
mais le coupable devait, en ce cas être préalablement
dépouillé de la dignité sacerdotale pour être remis aux
mains de l'État : prius hune spoliari a Dco amabili
episcopo sacerdotali dignitate et ila sub legum fîeri
manu. Novellse, i.xxxiii, prœf., sect. n. Cf. ibid., c. xxi.
sect. i. L'Église ne se contenta pas de ce partage.
Avec Charlemagne, elle finit par obtenir que son droit
de justice sur les personnes ecclésiastiques fût illi-
mité. Ulclerici cl ecclesiaslici ordines, si culpam incur-
rerint, apud ecclesiasticos judicenlur non apud secu-
lares, est-il dit dans le capitulaire de 789, can. 28, dans
Perlz, Mouton. Germanise, t. ni, p. 60. En 791. déci-
sion analogue : Si presbyter in criminali opère fuerit
deprehensus, ad episcopum ducatur et secundum ca-
nonicatn inslitulionem constringatur, can. 29, ibid.,
p. 74. On suppose même le cas où l'évéque ne pourrait
rendre sentence; l'accusé ne sérail pas déféré pour cela
aux tribunaux civils, mais devrait comparaître devant
un concile. En 803, l'empereur revient sur ce point
avec insistance : Volumus primo, ut neque abbates
neque presbyleri neque iliaconi neque subdiaconi ne-
que quislibct de clero, de personis suis ad publica vel
secularia judicia Irahantur vel distringantur, sed a
suis episcopis adjudicati justiticam) fartant. Can. 12,
ibid., p. HO.
Si celle législation offrait des avantages, elle avait
aussi des inconvénients. Les crimes d'un clerc sont
évidemment, en raison de sa dignité, plus graves que
eux d'un laïque. Or, à culpabilité égale, les clercs
étaient souvent moins punis que les laïques. L'Église'
ne comprenait pas dans la nomenclature de ses péna-
lités la peine de mort. Tous les crimes passibles de
cette peine, commis par un clerc, restaient donc, aux
yeux du peuple, partiellement impunis. La réclusion
dans un cloître était le seul châtiment qu'on put appli-
quer au coupable: qttaliler clerici ;\ / itrociniis \i:i.
mu-. \i iGtfi8 si i lbribus DEPREHESsrpuniri debeanl,
quod a suis ordinibus degradati detrvdi dbbi mi
i\ irctis uoxASTBRiis ad pmnitentiam peragendam.
Décrétâtes, I. V, lit. xxxvn, lie pœnis, c. 6.
Cette législation émul le pouvoir civil vers la lin du
xir siècle. Richard d'Angleterre, Henri H, Philippe
Auguste, Frédéric II, exercèreni une pression sur
l'Église, essayant de soustraire a sa juridiction les fautes
graves commise clercs, Les papes résistèrent,
cf. F.jusi. Alexandri lit ad T/iomam Cantuar., dans
Hardouin, l. vib, col. 1383 : Clerici maxime in cri-
minalibus in nullo casu jiossunt ab alio, quant ab
ecclesiaslico judice ari, eiinmsi consueludo
■ habeat, ut jures a judicibu bus judi-
i euh
' ependanl Lucius 1 1 1 avait ouvert la porte à une dis-
cipline nouvelle, lorqu'en I I8i il décidait que les 1
coupables du crime d'hérésie, s, 1 dent dépouilli
prérogatives 1 r être II éculier Si
'... totiui irdinis p, ■
nudetur,ei officio elbenej r atu$ eccle-
11 Iflf m 1 i\ni mi 1 1 -1 \ /!■*,
• ■ débita 1 u 1 '. ci était 1 \ . /»■
. ni. vu. c. 9. Quelques annéed après, le pape
tin donne une consultation d'une portée semblable
.m - 1 1 ( « 1 .1 d'homicide, de par
u de tout mil • ■ mi me nati
403
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
£64
est coupable, il sera déposé par le juge ecclésiastique,
el s'il ne revient à résipiscence, la déposition pourra
être suivie d'autres peines, l'excommunication et Vana-
thème. Enfin, si in profundum malorum veniens con-
tempserit, eum Ecclesia non liabeul ullra quid facial
el ne possil esse ullra perditio plurimorum, per
SECULAREM COMPRIMENDUS ESI POTESTAl'BM lia quod
ci depuletur exsitium vel alia légitima pœna infera-
lur. Décrétales, I. II, De jud., tit. i, c. 10. On voit ici
s'établir une distinction entre la déposition et les con-
séquences diverses qu'elle peut avoir. La déposition
est une peine inférieure à l'excommunication et à
l'anathème ; elle ne prive pas celui à qui on l'applique
du privilegium fori. Il faut qu'il soit lolius ecclesia-
stici ordinis prœrogoliva nudalus et sic omni officio
et bénéficie/ spoliatus ccclesiastico, avant d'être livré
comme un laïque à l'autorité civile. Celle-ci alors use
de son droit et se prononce, comme elle fait pour
tous les citoyens, sur la peine que mérite le coupable :
secularis relinqualur arbitrio potestatis, dit Lucius III.
La distinction entre la déposition et l'acte qui pré-
pare la tradition au bras séculier n'est pas encore net-
tement déterminée. Innocent III va la marquer davan-
lage. Il décide que les clerici qui falsarii fuerinl
deprehensi, OMNIBUS OFFIC1IS et BENEFICIIS PERPE-
ïuo sint privati, ila cjuod qui per se falsitatis vitium
exercuerint, postquam per ecclesiasticum judicem
FUERINT DEGRADAT!, Seculat'i poleslati TRADA.XTUH,
secundum consuetudines légitimas puniendi. Décré-
tales, 1. V, De crimine falsit., tit. xx, c. 7.
D'après ce texte, il semble que tous ceux qui au-
ront participé à la falsification des écrits apostoliques
seront « déposés », omnibus officiis el beneficiis pri-
vali, et les falsificateurs proprement dits, qui perse
fahitalis vilium excercuerinl, seront « dégradés » pour
être livrés au pouvoir séculier. Les mois c déposilion »
et « dégradation » auront désormais un sens distinct.
Aussi bien, Innocent 111 fut appelé à s'expliquer lui-
même sur la dégradation proprement dite; pour qu'elle
obtint tous ses effets légaux, il décida qu'elle serait for-
mulée par les juges ecclésiastiques en présence des
juges civils : ejus est degradatio celebranda, seculahi
POTESTATE PR.ESENTE, AC PRONUNTIANDUM EST EIDE M,
Ci M FCERIT CE 1-E DU AT A, UT IX SUUM FORUM RECIP1AT
hEGRADATUM, et sic inlelligitur tradi curim seculari.
Le pontife ajoute que l'Église devra prier le pouvoir
séculier d'épargner au coupable la peine de mort : pro
quo tamen débet Ecclesia efficaciler intercedere, ut
citra niortis periculum circa eum sentenlia modere-
tur. Décrétales, 1. V, tit. xl, De verborum signif.,
c. 27. 40.
Celte procédure de la « dégradation », si différente de
a « déposition », parut encore un peu obscure à quel-
ques-uns, et l'évêque de Béziers s'adressa au pape
Boni face VIII pour avoir des éclaircissements. Celui-ci
distingue entre la « dégradation verbale » et la «dégra-
dation réelle », degradatio actualis. La dégradation
verbale est accomplie par l'ordinaire, assisté d'un
nombre d'évêques requis par les canons. S'il s'agit,
au contraire, de la dégradation réelle, il faut procéder
comme on fait pour la dégradation des soldats, que
l'on dépouille de leurs insignes militaires. Le clerc à
dégrader est donc revêtu des ornements qu'il recul au
jour de son ordination, y compris le vêtement auquel
lui donne droit la tonsure et il se présente ainsi devant
l'évêque. Celui-ci lui ôte la cbasuble (si c'est un prêtre)
en disant : Auferimus libi vestem sacerdotalem el le
honore sacerdolali privamus ; puis il oie le reste des
insignes en prononçant cette formule : Auctorilate Dei
omnipotentis Patris etFilii ci Spirilus Sancti acnes-
tra libi auferimus habitum clericalem etdeponimus,
degi'adamus, spoliamus et exuimus le omni online.
beneficio et privilégia clericali. Sexli Décret., 1. Y,
De /ce ni., tit. ix, c. 2. Si l'on veut concilier cette
Décrétale avec les décisions précédentes des souverain-.
pontifes, il faut admettre que Boniface VIII rapproche
dans sa pensée la •■ dégradation verbale a de l'antique
« déposition » et appelle degradatio aclualis la dégra-
dation l'aile eu présence des juges civils.
Les documents nous montrent ces principes en vigueur
dans le procès de Jean lluss. Le concile de Constance
conserve encore l'ancien langage, mais il applique la pro-
cédure nouvelle : Joannern lluss ah ordine sacerdolali
et aliis ordinibus quibus extilit insignilus dbponbndvm
et DECRADANDUM fore déclarât et decernit. 11 ebarge
l'archevêque de Milan et quelques autres pontifes de
procéder à la dégradation selon les règles du droit : ut in
prsesenlia hujus sanctœ synodi diclam degradationem,
secundum quod ardu juris requtril, débile exequan
Hardouin, Concilia, t.vin, col. 410; Van der Ha rdt, Cota cil.
Const ., sess. XL1V, t. iv. part. VI, col. 'j : iT . .ban lluss com-
parut devant ses juges sans manifester le inoindre regret
de sa faute. On lui ôta ses insignes d'après les formules
usitées, et on le déclara « dépouillé de son caracb
sacerdotal. On le condamna ensuite comme hérétique
à être livré au séculier. Il fut, en effet, remis entre les
mains des juges civils. Mais les juges ecclésiastiques
« prièrent le seigneur roi et le tribunal séculier de ne
pas mettre le coupable à mort. » C'était la formule usitée,
par laquelle les clercs déclinaient la responsabilité des
jugements de sang. On réclamait seulement la peine du
cachot à perpétuité. Van der Hardt, ibid., p. 448 sq.
Le frère mineur Jacob de Julia, qui avait usurpé le
titre d'évèque, fait des ordinations nulles et falsifié des
lettres apostoliques, fut l'objet d'une dégradation sem-
blable à Utrecbt. On le revêtit des habits pontificaux,
qu'on lui ôta ensuite l'un après l'autre jusqu'à l'amict
exclusivement. Puis on lui rasa la tête, et peliis circa
digitos, quibus corpus dominicum traclare cou-
verai, cum vitro ossetenus lacer abatur. Enfin, ou le
revêtit d'habits séculiers, et on le livra aux juges civils,
qui eum ad cacabum dijudicarunt. MagnumrClironi-
cum Belgicum, dans J. Pistorius, Germ. Script., t. ni,
p. 354.
La nouvelle discipline ecclésiastique semblait donc
donner satisfaction à l'Etat, qui réclamait le droil de
châtier les clercs criminels, au même titre que les
autres citoyens. Mais en fait, cette concession de l'Église
était plus apparente que réelle. Avant d'en venir à la
dégradation des coupables, les évéques avaient des
peines graduées, dont leur sévérité ou plutôt leur indul-
gence se contentait quelquefois : la simple déposition,
l'excommunication et l'anathème. Décrétales, 1. II, De
judic, tit. i, c. 10. D'autre pari, la crainte de voir les
clercs dégradés subir la peine de mort, que l'Eglise ré-
prouvait en principe pour son propre compte, les em-
pêchait de prendre une mesure qui pouvait avoir pour
conséquence l'effusion du sang. Les dégradations réelles
étaient donc rares. Et la criminalité des clercs ne di-
minua guère, même après l'établissement du nouveau
droit pénal. L'Etat s'en plaignit. C'est un des cent
griefs que l'Allemagne adressa ;i 1 l^lise catholique
au XVIe siècle. On demandait que les clercs, majeurs ou
mineurs, n'eussent pas d'autres juges, d'autres châti-
ments que les personnes laïques : ila quod ecclesiastici
ultra laicos in paribus delictis nullam prsetendere / os-
sint prserogalivam immuni tatemve, etc. Sacti lia-
nxanx Imperii Principum ac Procerum gravamina
cenlum, dans Leplat, Monumenta concilii Tridentini*
t. II, C. XXI.
Le concile de Trente essaya de faire droit, au moins
dans une certaine mesure, à ces -raves réclamations.
11 ôta notamment aux clercs mineurs qui n'avaient
aucun bénéfice, cl le nombre en ('lait grand, le pririle-
gium fori. Mais les mesures qu'il put, sess. XXV, c. x\.
De reform.; sess. XXIII, c.Vl, parurent insuffisantes aux.
465
DÉPOSITION ET DEGRADATION DES CLERCS
466
gouvernements civils. L'État finit par ne plus attendre
toujours que l'Eglise eût << dégradé » les clercs crimi-
nels, pour s'emparer de leur personne et les juger. Ce-
pendant un édit de Charles IX de 1571 demande encore
que les coupables ne soient pas misa mort avant d'avoir
été dégradés : nec si damnait addiclique morti fue-
rint, aille pœnâm habcanl quam fuerint dégradait.
Mais cette dernière marque de respect pour la disci-
pline ecclésiastique ne fut pas longtemps observée. Les
canonistes furent réduits à constater la disparition du
cérémonial de la dégradation. « Les magistrats, depuis
le xvic siècle, écrit Pontas, considèrent la dégradation
comme une cérémonie inutile; aussi n'est-elle plus en
usage. » Dictionnaire, v° Déj.osition, cas 1er. Les Fran-
çais, dit un autre, estiment que « les crimes pour la
punition desquels la dégradation est nécessaire, dégi a-
dent eux-mêmes le coupable par leur gravité. » Gibert,
Corpus juris canonici, t. n, Tract, de Ecclesia, p. 90.
L'Église après avoir vainement protesté contre la
suppression de son privilegium fort, linit par en
prendre son parti dans la pratique. Plusieurs concor-
dats consacrèrent ce nouvel état de choses. Désormais
la déposition ecclésiastique n'a plus ses effets en droit
civil, pas plus que les pénalités édictées contre les clercs
par les tribunaux séculiers n'ont leur effet en droit
canon.
///. LA DÉPOSITION II LA DÉGRADATION D'APBÊS LE
DROIT MODERNE. — Dans les textes qui ont trait à la
« déposition»', on rencontre trois expressions différentes
pour désigner cette peine: la simple déposition, la dé-
gradation verbale et la dégradation actuelle ou réelle.
Tous les canonistes sont d'accord sur le sens de la pre-
mière et de la dernière : la déposition dépouille à per-
pétuité les clercs de leurs prérogatives d'ordre et de
juridiction; la « dégradation réelle >> leur ôte en outre
le privilegium fori et les rend justiciables, comme les
simples fidèles, des tribunaux civils. Mais les auteurs
ne s'entendent pas sur la portée de la dégradation ver-
bale; les uns l'assimilent tout simplement à la déposi-
tion; tris Fagnan, Comment., ad c. 24, X. de accu-
sât., 5, I, n. 7(i; Reiflenstuel, Jus canon., I. V,
lit. xxxvn, n. 22, 32; Ferraris, Prompla biblioth.,
v Degradatio, a. I sq. ; Berardi, Comment, in jus
-iast., t. Il, part. II. diss. IV, C. l; I Vrinaiiedcr,
dans Kirchenlexikon, ■ Dégradation et Déposition •
Phillips. Lehrbuch des Kirchenrechts, p. 585; Schulte,
Lehrbuch des kalhol. Kirchenrechts, p. 287. D'autres,
ivec plus de vraisemblance peul
distinguent entre la di position et la dégradation, quelle
qu'elle soit, verbale ou réelle. Le concile de Trente
semble ju e distinction, lorsqu'il déclare que
■ lésiastiques coupables de délits
uni atrocitatem <• sac ris ordinibus
DEPONBNDJ II i I lit I W\ / TRADBND.E S I i I I MU. ele.
Mil. c. iv, De reform. Selon cette interprétation
li dégradation consisterait en deux actes : la sentence
par laquelle le clerc coupable serait déclaré pai
delà peini di la dégradation [dégradation verba
'•t l'application de cette sentence par la dégradation
proprement diti •'• gi ad Cf. 1. V, Di
m significat., lit. \. c. 27, Sexti Décret., I. V,
us dit île la
Ii lean lin Voir sur tout ceci, pour
p cii . p. 178-184
Il \ .i donc lieu d'étudier séparément la déposition,
et la di . i ni. .in, n réelle avec
□traînent dans le droit
1 ' le droit moderne comme
dans l'antiquité, la • i privation A pei pi
irdre el de juridiction, jointe A
lé-, iasliqi •
■i la | un. disent li - jm i
deposilio a dignitale, honore, ordine, uf/icio el bene-
ficio. Sexti décret., 1. Y, lit. IV, De homicid., c. I,
sect. n. Cf. concile de Trente, sess. XXV, c. xiv, De
reform.
Et d'abord, le clerc déposé est privé de tous les
droits que lui confère l'ordre; il ne peut plus remplir
aucune fonction ecclésiastique. Cet interdit est person-
nel et le suit partout; il ne peut le violer sans com-
mettre un péché grave, le sacrilège, en même temps
qu'une désobéissance à l'Église. Les fidèles qui parti-
ciperaient sciemment par leur présence ou autrement
à cet acte coupable, par exemple en assistant à la messe
d'un prêtre interdit, ou en recevant de ses mains les
sacrements, se rendraient eux-mêmes coupables de
péché. Toutefois aucune peine ecclésiastique ne ;les
atteindrait; ils n'en répondraient qu'au for intérieur.
Le clerc déposé, au contraire, encourrait l'excommu-
nication. Cf. 1. V, De clerico excommunicato, de-
posito vel inlerdiclo minislranlc, tit. XXVII, c. 2, 10;
Gratien, caus. XI, q. m, c. 6. A vrai dire, il fau-
drait pour cela qu'il remplit en public, solennellement
et comme clerc, la fonction interdite. Un minoré qui
remplirait pendant la messe les fonctions que rem-
plissent habituellement aujourd'hui les simples laïques
ne tomberait pas sous le coup de l'excommunication.
Cf. la décision de la S. C. du Concile, dans Fagnan,
Comment, ad 1. V, tit. xxvil, De excommunicato, etc.,
c. 2, n. 19, 20. La loi porte : Si quis episcopus AOSl S
foerit aitrectare ministerium..., si guis presbyler
mit alins clericus... per contemptum et superbiam
aliquid de ministerio sibi inlerdiclo agere prmsump-
sbrit. D'où il suit qu'un prêtre qui administrerait le
sacrement de pénitence à un malade in articulo mortis
ou sous la pression de la force, qui par conséquent
n'agirait pas per contemptum et superbiam, mais
plutôt par crainte ou par charité, n'encourrait pas l'ex-
communication. En matière de pénalités, odia restringi
convenit, dit le droit canon. Sext. Décret., 1. Y,
tit. xii. De regulis juris, c. 15. Du reste, certains sacre-
ments administrés ainsi par des évoques déposés
peinent être valides. La déposition laisse en elfet intact
le pouvoir d'ordre; un évéque déposé peut donc confé-
rer A d'autres le sacrement de l'ordre, sinon licitement,
du moins validement.
.Mais, d'autre part, comme les clercs majeurs dépi
conservent le caractère indélébile que leur avait conféré
rement, toutes les obligations qu'ils avaient con-
tractées en vertu de leur ordination leur incombent
toujours, même après leur déposition, d'après ce prin-
cipe du droit : Nemo ex suo delicto meliorem suant
condilionem facere potest, 1. CXXXIV, Digest. de
rcijul. jur., i., 17, que le droit canon a adopté sous
celle forme ne guis videalur de sua malitia com-
\re, I. I, tit. n. Dejudic, c. 6; cf. I.IV,
tit. x.\, c. 5. Les évoques, les prêtres, les diacres, les
sous-diacres, sont donc toujours tenus A la récitation
du bréviaire. I.t le vieu de célibat qui est attaché à la
Non dos ordres majeurs, cf. concile de Trente,
XXIV, can. '.'. De sacramento matrimonii, les lit
]• o i illemenl toute leur \ ie.
Outre les fonctions d'ordre, la déposition ôte à celui
qu'elle atteint son offlee : deposiltO «b officio. Ton
aeles de juridiction qu'il Oserai I accomplir, une lois
~.his valeur. Sext. Décret., I. III.
lit. vil, De cona \ tbend., i I. Ses subordonni
son) donc désormais dispensés de lui obéir. Bien
plus, ils commettraient une faute grave en continuant
i ni ainsi
. .mil. l'autorité de il glise. I i '
raient pareillement nuls. Il j n p tanl une exception
a Cettl I i une allane .lut . nr;i: i . juridique
nu ni par le mandatai ncol où le mandant est
' rail suivre son cours normalement, el
SUT
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLEP
lad : isinii qui la suivi ii i su ni vslide. Il en seiîil
toul autrement si l'a (l'aire était encore entière, res in-
tégra, au moment de la déposition, car, à cet instant
même, toute juridiclio delegata cesse. Le déposé con-
serve, nous l'avons dit, ses pouvoirs d'ordre; in;iis
quand l'exercice de ces pouvoirs dépend d'une déléga-
tion il ne peut plus, une l'ois Trappe^, eu user validement.
C'est le cas pour l'administration du sacrement de pé-
nitence. Cf. concile de Trente, sess. XIV, c. VII, De
pœnitentia. L'absolution qu'il donnerait, en dehors du
cas de nécessité alisolue, serait nulle ex defeclu juHs-i
dictionis. Toutefois si un pénitent de pleine bonne foi
s'adressait à un prêtre déposé et en recevait l'absolu-
tion, celle-ci serait valide : l'Église, en ce cas, supplée-
rait la juridiction qui manque au ministre du sacre-
ment, par égard pour le pénitent. Cf. I. V, tit. xxvn,
De clerico excommunie, minist., c. 9. Dans le sacre-
ment de mariage, le curé n'est pas proprement mi-
nistre, il n'est que témoin qualifié, testis spectabilis;
cependant sa présence est absolument nécessaire sous
peine de nullité. .Mais un curé déposé perdant toute
juridiction, tout mariage contracté en sa présence
•serait nécessairement nul.
La déposition entraîne aussi la perte des bénéfices,
depositio a beneficio, et ceux-ci passent de plein droit
à un tiers. Gratien, caus. II, q. vi, c. 2G; Décrétâtes, 1. Y,
tit. xxxi, De excess. prselat., c. 15; Scxli Décret., 1. Y,
tit. iv, De homicid., c. 1. Le lien qui unissait un évêque
à son église, un prêtre à sa paroisse est pourtant le plus
fort que l'on puisse concevoir en droit : cum FORTIDS
s'il spirituelle vinculum, quam carnalc, dubilari non
potest quin omnipotens Deus spirituals conjugium,
quod est in 1er episcopum et ecclesiam, suo lantum
judicio reservaverit dissolvendum, 1. I, tit. III, De
translat. episcop., c. 2. Mais la déposition le rompt.
Divina potestate conjugium SPIRITUALS dissolvitur,
cum per translationem, vbpositioksm... episcopus
■ab ecclcsia removelur. Ibid. Elle fait l'effet de la
mort ou delà capitis deminutio, comme parle le con-
cile de Latran de 1215, c. vin, dans Hardouin, Concilia,
t. vu, col. 26; et 1. V, tit. i, De accusât., c. 2i. Du
reste, on comprend qu'un clerc déposé de son office
soit privé de son bénéfice : c'est un principe de droit
•canon que beneficium dalur propler officium. Sext.
Décret., 1. I, tit. III, De rescript., c. 15. L'office sup-
primé, le droit au bénéfice tombe. Et comme la déposi-
tion est, de sa nature, perpétuelle, le titulus possession!*
que pouvait avoir le clerc déposé n'existe plus. Bien
plus, en perdant ce titulus possessionis, il perd tout droit
à n'importe quel autre; il est désormais incapable de
jouir d'un bénéfice. Cf. 1. III, tit. i, De vita et honestate,
c. 13. Si donc l'Eglise subvient, de façon ou d'autre,
à ses besoins, ce ne peut être désormais qu'à titre
gratuit.
Le clerc déposé perd sa dignité, depositio a digni-
late, y compris les honneurs extérieurs qui y sont
attachés. Relégué au rang des laïques, il ne conserve
plus d'autres droits que ceux des simples fidèles. Mais.
•comme ceux-ci, il peut assister aux offices et participer
aux sacrements. La privation des sacrements ne pour-
rait lui être inlligée que pour un motif particulier et
comme peine spéciale. Gratien, dist. LXXXI, c. 14.
Bien que de sa nature la déposition ait des effets
perpétuels, il peut se trouver, dans le droit moderne
comme dans le droit ancien, des cas où elle n'est que
temporaire. Il appartient au pape ou aux évêques de
juger de l'opportunité du rétablissement d'un clerc
•dans sa dignité première. La formule de rétablisse-
ment correspond à celle de la destitution, dit le ponti-
fical romain : reslituere SOLO 7BRB0 i>otest, sicut et
uerbaliter depositus fuit. Quand il s'agit d'un béné-
fice, comme le titulus possessionis est absolument
périmé, une nouvelle « collation » est nécessaire; et si
le bénéfice primitif est pas>é à un tiers, il faut en
Chercher un autre, car une faveur ne peut jamai-
faite au détriment d'un tiers. Cf. Sexli Décret., 1. I,
lit. m, De rescript., c. 8.
La déposition est ordinairement totale, comme l'in-
diquent les expressions du droit canon ; penitu»
abjiciatur, caus. III, q. v, c. 3; OMIflKO cadat de
proprio gradu, caus. XI, q. i, c. 21. Cf. Sexli Décret.,
1. V, lit. iv. De honiicidio, c. 1; concile de Trente.
sess. XXV, De reform., c. xiv. Cependant, parfois elle
peut être partielle; en raison des fautes que l'on veut
châtier. Il y a la depositio ab altaris ministerio, 1. II.
tit. i, De judic., c. i. ou depositio ab officio sacerdo-
tali, 1. V, tit. xxvn, De clerico excommunicalo minis-
l nui le, c. 4; 1. V, tit. xxxvm. De psenil. et remiss.,
c. 12; cf. caus. XI, q. m. c. 10; la ab admi-
nistratione, 1. Y, tit. i, De accusât., c. 14, ou ab officio
ecclesiastico, 1. 111, tit. i, De cita et /«mental., c. 8;
enfin la depositio a benc/icio, 1. Y. tit. VI, De sin
c. 13. Ces diverses peines sont de leur nature P' I
tuelles, aussi bien que la déposition totale. Mais en
vertu du principe : odia restringi et javores convertit
timpliari, elles doivent être interprétées strictement.
La depositio ab officio sacerdotali, par exemple,
laisse entier le droit d'exercer les fonctions qui ne
sont pas propres au sacerdoce, celles du diaconat ou du
sous-diaconat. Dans 1. II, tit. xrv, De dolo et conlu-
macia, c. 8, quand le pape dit : Tulimus sententiam
perpétuas depositionis in ipsum et cum tant a ponti-
ficali quam ab omnî officio sacerdoluli privantes sine
s/ie restitutionis du.cimus condemnandum, il est clair
que, s'il avait voulu comprendre dans la déposition
toutes les fonctions cléricales, il l'aurait déclaré
expressément. Aux yeux de l'Église les pouvoirs d'ordre
et de juridiction sont distincts et peuvent être exer-
cés indépendamment l'une de l'autre, 1. I, tit. vi. De
elecl., c. 15; 1. III, tit. xl, de consecrat. eccles., c. 9.
La déposition ab adminislratione ou a juridictions
n'entraine donc pas la déposition ab officio sacerdotali
et réciproquement : etsi non degradelur ah ordine,
ab administrations tamen amovealier omnino, 1. V,
tit. i, De accusai., c. 24. Mais comme beneficium
dalur propter officium, il va sans dire que la déposi-
tion ab officio entraine la suppression du bénéfice. La
réciproque n'est pas vraie, la depositio a bénéficia
peut se concilier avec la continuation des fonctions de
juridiction. Pour subvenir aux besoins de celui qui
subit cette peine, l'Église ou lui donne des secours
momentanés ou lui attribue un autre bénéfice.
En règle générale, la sentence de déposition est pro-
noncée par le juge et communiquée à l'intéressé. Mais
il y a aussi des dépositions lalœ sententiœ, attachées
à la violation de certaines lois. Caus. IX, q. II, c. (i :
Sext. Décret., 1. Y, lit. iv, De Itomicidio, c. 1; 1. V.
lit. ix, De posais, c. 5.
A propos de cette depositio latte sententiœ, on s'est
demandé si le violateur de la loi tombait sous le coup
de la déposition au moment même où il commettait s.i
faute. Certains canonistes pensent que oui et ils
appuient leur sentiment sur celle formule du droit :
excommunicatio [latœ sententiœ) secum trahit exe-
neni, 1. II, lit. xxvin. De appellat., c. 5. Mais il
n'y a pas lieu d'assimiler l'excommunication à la dépo-
sition. La première est une peine purement morale, la
seconde a des conséquences extérieures et publiques
d'un caractère particulier. Le clerc dépose'' perd sa
juridiction et les fruits de son office. Or c'est un prin-
cipe généralement admis en droit que personne n'est
tenu de s'appliquer à lui-même la rigueur de la loi.
pas plus qu'il n'est tenu de se traduire en justice pour
des crimes qui sont demeui 3. lîeilfenstuel.
Jus canon., 1. I. lit. n. n. 2-JS: Fagnan, Commentât-..
ad c. 9, X, De pœnil. et remiss., Y. xxxvm. n. 10;
469
DEPOSITION ET DEGRADATION DES CEERCS
470
cf. Kober, op. cit., p. 205-209. La loi portée contre les
hérétiques offre quelque analogie avec la déposition
latse sententise. Les biens de ces hérétiques sont aussi
ijiso jure confiscata. Et cependant l'État n'y peut tou-
cher avant qu'une sentence super eodcni crimine fuerit
promulgata. Se. ri. Décret., 1. V, tit. n, De hseret.,
c. 19. Tout porte donc à penser qu'une sententia de-
claratoria du juge est nécessaire pour que la deposir
tio latse sententise produise tous ses effets. Cf. Bar-
Collectan., ad Sext. Décret., 1. V, tit. iv, De
homicid., c. 1, n. 22.
Et cela est de grande conséquence dans la pratique.
Si un clerc commet un crime que doit frapper la
depositio latie sententise, il reste toujours titulaire de
son office tant que la sententia declaratoria n'aura pas
été prononcée; il en conservera tous les droits; il en
pourra par conséquent disposer à sa guise, et quand la
sentence du juge interviendra, elle ne pourra avoir
d'effet rétroactif. Ce que le clerc coupable aura fait,
sera bien et légalement fait. Glossa, ad Sext. Décret.,
1. II, lit. vin, ut Vite pendenle, c. 2, v° Finila. Cf. Van
Espen, Jusecclesiast., part. II, tit. xxvn.c. iv, n.7sq.;
Pirhing, Jus canon. , 1. 1, tit. ix. n. 26 sq.; Reiffenstuel,
Jus canon., 1. I, tit. IX, n. 51 sq.
2 /.a dégradation verbale. — La déposition n'en-
lève pas à celui qu'elle atteint le privilegium fori ; la
idation, au contraire, le lui ôte complètement.
N.. un avons vu qu'on peut distinguer entre la dégrada-
irerbale et la dégradation réelle. La première con-
siste dan- le prononcé du jugement. Nous avons à
examiner dans quelles conditions il doit avoir lieu.
I. évi que ne saurait prononcer seul une sentence de
adation. Episcopus sacerdolibus ac ministris sa-
lua honorem darepotest, aufeure soluh von potest,
déclarait déjà le concile de Séville de 619, can. 6.
Bardouin, op. cit., t. m. col. 559; Gratien, caus. XV,
q. vu, c. 7. Conformément à ce principe, Iioniface VIII
décida que « pour les clercs dans les ordres majeurs
la dégradation verbale serait faite par l'ordinaire, pro-
copo, assisté d'un certain nombre d'évéqui -
déterminé par les canons. < Sext. Décret, 1. V, lit. in.
/»,• pamit, c. 2. La raison de celle exigence est qu'un
abandonné à lui-même, pourrait céder à la pas-
A'axi multi sunt qui indiscussos potbstati / r-
fli.vvi» i voa \m mini \n: casokicâ damnant, disait
jéville. Ilardouin, loc. Cit. Or, dans les
■ni que l'évéque
fut assisté de six collègues pour juger un pr< tre
pour un diacre. Concile de Carthage de 397,
can 8, dans Bardouin, op. <it., t. i, col. 962, et dans
Gratien, caus \ll. q. vu, c. 5. Cf. concile de Carthage
de 300, can. I1». Ilardouin, op. cit., t. i, col. 053; Gra-
lien, r-aus. XV, q. vu, r. 4, qui requierl pour juger un
.!'■ douze évoques.
Mais il peut être quelquefois difficile de réunir le
nombre d'évéques d terminé par 1rs canons. En ci
que est autorisé .i se faire assister par un
..I d'abbés, si son diocèse peut les fournir,
tut il n'a qu'à choisir autour de lui
onnes constituées en dignité' ecclésias-
ti |u<-. d u ible, et recomman labiés par
leur science du droit, Concile de Trente, sess. Mil.
[]
I. V, tit. ix, Di 2.
M. lis quel rôle i ni i de I ordin
qui est le pn i dant les aflain
nplement iltative ou
ii qu'on a
trou ■•■ ti am h
di difflculti
i ibunal épiscopal par
ni ils
vénérables par l'âge et la science, les canonistes ne sont
plus unanimes. Quelques-uns voudraient que les asses-
seurs dépourvus de la dignité épiscopale n'eussent que
voix consultative; leur présence, dit-on, est uniquement
destinée à donner plus de solennité à la sentence du
juge. Il faut reconnaître pourtant que la plupart des
canonistes et non des moindres, témoin Benoit XIV.
De synodo diœcesana, 1. IX, c. v, n. 4, accordent même
aux assesseurs non évêques le votum decisivum, Bar-
bosa, De officio cl potest. episcop., alleg. <:x, n. 26;
Reiffenstuel, loc. cit., n. i2; cf. Phillips, op. cit.,
p. 587, etc.
Reste à savoir si le jugement, pour être valable, doit
être rendu à l'unanimité' ou simplement à la pluralité
(majorité) des voix. Nombre de canonistes et des plus
qualifiés, Barbosa, loc. cit., n. 27 sq.; Reiffenstuel.
loc. cit., n. 44, etc., estiment qu'il doit élre rendu à
l'unanimité et s'appuient sur un texte de droit, 1. II,
tit. xxvn, De sentent, et re judicat., c. 3, qui suppose
l'accord de tous les juges dans une affaire analogue :
Non potest quemquam a sacerdotaligradu, nisi /ustis
ex cautis, CONCOBS sacerdotum sententia submoverc.
Mais ce texte est emprunté à saint Grégoire le Grand,
qui ne vise nullement la question d'unanimité ou de
pluralité des voix dans la sentence prononcée. Epist.,
1. III, epist. vin, P. L., t. i.xxvii, col. 612. Et d'autre
part, on pourrait citer des circonstances où l'Église se
contente précisément de la majorité dans certaines
décisions à prendre : Judicia enim sanioris et majo-
ris partis prsevaleant et quod conclusion fuerit ajtlu-
ribus, censetur approbation, dit le concile de Nar-
bonne de 1609, can. 29, clans Ilardouin, t. xi, col. 32.
Le principe est même nettement formulé dans le droit:
Quod a majori parle /il, ab omnibus faction censetur,
1. III, tit. xi, c. 1. La Glose abonde aussi dans ce sens,
1. II, tit. xxvn, De sentent, et re judicat, c. 3,v° Sacer-
dotes, c. 12, X, v Pressentes. Rien que Benoit XIV,
loc. cit., laisse la question indécise, on peut donc ad-
mettre en principe que la majorité des voix suflit pour
prononcer une sentence de dégradation.
Nous n'avons ici en vue que les clercs qui sont dans
les ordres majeurs, prêtres, diacres ou sous-diacres.
Pour juger les minorés, l'évéque n'a pas besoin d'asses-
seurs proprement dits : quanquani proprix episcopi
sententia sine aliorum episcoporum pi suffi-
ciat ni dégradations eorum, qui minores dumtaxal
or<ii>irs receperunl , dit expressément Boniface VIII,
De peenis, In sert., c. 2. Cependant la sentence doit être
rendue en présence du chapitre? ou du moins en pré-
sence de deui ou trois chanoines députés à cet
Glossa, au De pœnis, lu sext., c, i. v° Preesentia. On
peut voir dans Kober, op. cil., p. 231. une décision d.'
are rendue par l'archevêque de Mayence en 1668. Il
va sali- dire que les clercs ainsi Grappes doivent jouir
d'un bénéfice, OU faire un service dans une église, OU
vivre dans un séminaire, se préparant aux ordres
majeurs. Les minorés qui ne jouissent pas du privile-
gium fori ne sauraient être dégradés; ils ne relèvent
que des ti iluiiiaux civils.
;; /.,» degradatio aetualis. — Par la dégradation
verbale, le clerc déposé n'est pas encon privé du
vilegium fori. Tant que son juge n'a pas procédé à la
dation réi lie. M échappe en droit a l'ai tion des
tribunaux civils. C'est la dégradation réelle qui le dé-
pouille définitivement de Ni privili mastiques.
La i<>rmii degradationit qm se lii aujourd'hui dane
le pontifical romain, se trouve déjà, presque mot pour
mot. dans le pontifical de Durand [ 1206), que Catalan!
.i reproduit en partie dans --on Pontificale romanum,
t. m, p. 167. Cf. Durand, Spéculum juris, I. III. part. I,
l..i formule de di [ radation i ni la dignité de
celui que i "n n effel d'oter li
471
DÉPOSITION ET DEGRADATION DES CLEKCS
472
signes caractéristiques de l'ordre que le coupable a
reçu et ces insignes diffèrent suivant les degrés de la
hiérarchie. Nous nous bornerons ici à indiquer la pro-
cédure générale et renvoyons pour le reste ;tu pontifi-
cal romain :
Degradandus, indumeatis sacerdotalibus, si sacerdos sit,
indutUS, vel diaconalibus, si sit diaconus, et sic de reliquis
ordinibus et indumentls, oflertur pontifia. Pontifex vero quasi
cxsequendo sententiam depositionis in illum dudum prolatam,
praesente judicc steculari, cui degradandus débet relinqui, pu-
lilice abradit cum vitro vel cultello vel alio liujusmodi Ieviter
sine sanguinis elmsione loca manuum illius, qu;e in collatione
ordinum inuncta fuerunt, et etiam tonsuram, si velit. Et consé-
quente!' seriatim et singillatim detrabit illi omnia insignia sive
sacra oniamenta, quae in ordinum susceptione recepit, et demum
exuit illum habitu clericali el induit laicali, dicens publiée judici
saeculari pra_-senii, ut illum propter scclera sua sic depositum,
degradatum, expoliatum et exauclatorum in suum, si velit, forum
recipiat. Et est notandum, quod in hac sententiae executione non
est necessaria coepiscoporum praesentia, nec etiam refert, sive
in ecclesia fiât, sive in platea, sive pontifex dégradons indutus
sit pontificalibus ornamentis sive non.
Ces prescriptions appellent quelques remarques.
Uoniface VIII exigeait pour la dégradation l'assistance
d'un certain nombre d'évêques ou à leur défaut d'abbés
et de clercs éminents par leur science et leur dignité.
Le jugement ne peut en effet s'effectuer sans eux, et
nous avons vu que la degradatio verbalis exige leur
présence. Il semblerait qu'ils dussent aussi assister à la
degradatio actualis, et c'est le sentiment de Benoit XIV,
De synodo diœcesana, 1. IX, c. VI, n. 5. L'ordinaire
entouré de ses assesseurs donnerait à la sentence
qu'il exécute plus de force et de solennité. Dans la
pratique les eboses se passent ainsi. Mais Durand avait
déjà fait observer, Spéculum juris, 1. III, part. I,
De accusalione, que la présence des juges assesseurs
n'était pas nécessaire, dans l'exécution de la sentence
de dégradation, pour la validité de l'acte. Et c'est ce que
proclame à son tour le pontifical romain : Et est no-
tandum quod in hac executione senlentise non est ne-
cessaria coepiscoporum prœsenlia.
Il n'en est pas de même pour le juge civil. Sa pré-
sence qui est exigée par les Dccrclales, 1. V, tit. XL,
De verbor. significat., c. 27, l'est pareillement par le
ponlifical romain.
Quand le juge ecclésiastique dégrade un clerc pour
un crime qui pourrait .entraîner devant les tribunaux
civils la peine de mort, il doit intercéder instamment
auprès du juge séculier ut citra morlis pericidum vel
mutilationis contra degradatum sententiam modere-
tur. C'est une règle de droit, que recommande encore
le pontifical romain. On sait, en effet, que les clercs qui
participent de près ou de loin à une exécution capitale
ou à un jugement de sang encourent l'irrégularité.
Caus. XXIII, q. vm, c. 29, 30; 1. III, tit. l, ne clerici
vel monachi, c. 5. Cf. Suarez, De censuris, disp. XLVI,
sect. i-tv; Reiffenstuel, Jus canon., 1. V, tit. xi,sect. m,
n. 75 sq. En livrant le clerc dégradé à l'État, l'Eglise
reconnaît donc l'indépendance de celui-ci en matière
pénale.
Mais quelle était la valeur du jugement ecclésiastique
au regard du juge civil témoin de la dégradation? Les
canonistes du moyen âge estimaient généralement que
la sentence du juge ecclésiastique était décisive et que
l'État n'avait qu'à appliquer la peine due à la faute
commise par le clerc dégradé, lit c'est bien dans ce
sens que Boniface VIII entend faire châtier par le
pouvoir séculier le crime d'bérésie : « Nous défendons
expressément, dit-il, aux seigneurs temporels età leurs
officiers de connaître de ce crime qui est purement
ecclésiastique et d'en juger en aucune façon. » Il ajoute :
Prohibemus ne executioncm sibi pro hujusmodi
crimine a diœcesano vel inquisitoribus aul inquisi-
toire injunctam, prompto prout ad suum spectal
officium, facere scu adimplere detrectent. Sa t.
Décret., I. Y, tit. n, c. 18. D'après cette décision, l'Étal
n'avait qu'à s'incliner devant la sentence du juge ecclé-
siastique et à l'exécuter les yeux fermés, en appliquant
au clerc dégradé la peine prévue par les lois. Mais
parait contraire au principe de la séparation des
deux pouvoirs, principe que le pape Innocent III
sauvegardait quand il déclarait que le clerc dégradé
serait livré secularis arbitrio potestatis, animad . -
sione débita puniendus, 1. Y, tit. i, De hseret., c . '.'.
Cf. 1. V, tit. xi., de verborum signifie, c. 27; I. V, tit. xx.
De crimine falsar., c. 7. En fait, les juges séculiers se
faisaient donner les pièces du procès, afin de se rendre
compte du bien fondé de la sentence. El comme cet
examen avait lieu d'ordinaire après la dégradation ver-
bale, l'application de la peine pouvait suivre immédiate-
ment la dégradation réelle. Diaz. Praclica criminal.,
c. cxi. in, n. 2.
La dégradation ne dépouille pas plus que la simple
déposition, le clerc qu'elle atteint, du caractère que lui
confère l'ordination. Et toutes les obligations qu'il a
contractées en recevant le sacrement de l'ordre conti-
nuent de lui incomber : telles sont par exemple l'obli-
gation de réciter le bréviaire et celle d'observer le
célibat. Cf. Ferraris, Prompla bibliutlt., v° Degradatio,
n. 8, 9.
De ce caractère indélébile de l'ordination suit uni
autre conséquence : le clerc dégradé peut être rétabli
dans sa dignité par le souverain pontife, à qui appar-
tient la plenitudo potestatis en matière disciplinaire :
Post talem degradationem juste et rite factam soins
romanus pontifex cum tali dispensât, dit le pontifical
romain. C'est là une faveur extrêmement raie, selon la
remarque de Suarez. De censuris, disp. XXX. sect. il,
n. 10. Mais une nouvelle ordination n'est évidemment
pas nécessaire. Il suffit de procéder à la restitution des
insignes, comme on avait fait pour leur enlèvement.
Le Décret, caus. XI, q. ni. c. 05. indique cette Drocé-
dure et le pontifical la marque en ces termes : Non
solum verbo, sed etiam FACTO, secundum ea quae
prœmissa sunl,dispensatio et RBST1TUTIO fiât, et 1XSIG-
Y/.i sibi detracla seriatim, sigillalim, et SOLBXNITBR
El CORAM AlTARl REST1TUANTVR, etc.
II. Fautes qui méritent i.a déposition et i a dégra-
dation. — /. FAVTBS QUI MÊRITBKT LA DÉPOSITION.
— La déposition est la plus grave des punitions que
l'Église puisse inlliger à un clerc. Les Canons aposto-
liques 45e et 58e en marquent deux degrés dont le se-
cond est la déposition proprement dite. P. G., t. cxxxvn.
col. 129, 152. Et lorsque le concile d'Éphèse de 431 voulut
châtier le patriarche Jean d'Antioche, il indiqua d'abord
comme peines à lui appliquer l'excommunication et la
suspense; la déposition, T£>sia à-o;ai;;, fut réservée
comme châtiment suprême en cas d'obstination du cou-
pable. Act., v. Hardouin, op. cit., 1. 1, col. 1500. La même
gradation se retrouve dans une décrétale d'Alexandre 111.
I. II, tit. xxi. De teslibus, c. 2; cf. 1. V, tit. xxvii.
De clcric. excommunie, c. i. Cependant plusieurs
textes de droit semblent en contradiction avec celle
théorie. Le concile de Néocésarée de 314-325 décide
(lue les prêtres qui contracteront mariage après leur
ordination seront déposés; et que. s'ils tombent dans
la fornication, ou l'adultère ils seront finalement ex-
communiés. Can. 1. Hardouin. op. cit., t. I, col. 281.
Le 29' des Canons apostoliques marque pareillement
l'excommunication comme une peine qui peut suivre
la déposition. P. (.'., t. cxxxvn, col. 93. Enfin la gradation
dis peines ecclésiastiques indiquée dans le 1. II, tit. i.
De judic, c. 10. semble supposer qu'après la déposition
nombre de châtiments peuvent encore atteindre les
clercs coupables : Si clericus in quoeumque ordinc
constitutifs in furto vel homicidio vel perjurio seu
alio mortali crimine fuerit deprehensus légitime
473
DÉPOSITION ET DEGRADATION DES CLERCS
474
atque convictus, ab ecclesiastico judice deponendus
est. Qui, si deposilus incorrigibilisfuerit, excommuni-
C IRI débet; deinde, contumacia crescente, ANAi'BE-
MATIS mucrone feriri. Postmodum vero, si in pro-
fundum malorum eeniens contempserit, CUM ECCLESIA
NON habeat ULTRA QVID FACIAT et ne possit esse ultra
perdilio plurimorum, per sccularem comprimendus
est potestalem. Cf. concile de Trente, sess. XXV, c. XIV,
De reforrn. D'après ce document, ce seraient l'excom-
munication et l'anatlième qui constitueraient les peines
suprêmes des clercs. La contradiction entre ces divers
textes est plus apparente que réelle et il est aisé de la
résoudre. Le clerc doit être considéré ou comme
simple membre de l'Eglise ou comme membre de la
hiérarchie. Même déposés, les évèques, les prêtres, les
minorés pouvaient être admis à la communion parmi
les laïques, et c'est ce qui explique que certains canons
aient marqué la privation de la communion comme le
dernier châtiment des clercs. Mais considérés comme
membres de In hiérarchie, la peine suprême qu'on pût
leur infliger était bien la déposition. Nous avons donc
à examiner quels crimes pouvaient attirer cette peine
sur eux tant dans l'antiquité qu'au moyen âge et dans
les temps modernes.
1" Discipline de l'ancienne Église. — Les crimes
de droit commun les plus graves aux yeux de l'anti-
quité ecclésiastique, sent l'homicide, la fornication ou
l'adultère et le vol sous ses différentes formes. Cf. Ter-
tullien, De pudicitia, c. xu. P. L., t. H, col. 1002;
S. Augustin, lu .Inn.. tr. XII. c. xiv. /'. L., t. xxxv,
col. 1481. Il est tout naturel de penser que les clercs
qui s'en rendaient coupables étaient sévèrement punis.
Les Canons apostoliques, can. 25, P. G., t. cxxxvii,
col. 85. qui menacent de la déposition les évêques, les
prêtres el les diacres justement accusés de fornication.
de parjure el de vol, omettent, il est vrai, l'homicide.
Mais, quelle que suit la cause de cette omission, on ne
saurait admettre qu'un clerc homicide n'ait pas été
>sé. Le concile de Braga de 572, can. 26, Hardouin,
t. m, col. 394, exige qu'un homicide, qui aurait été
ordonné clerc subri pticement, dejiciatur, à plus forte
raison un clerc qui aurait commis son cri après
l'ordination. Celui même qui, par délation, aurait été
la mort d'un frère devait être déposé : Délits
qui... te dicunlur... xouixa in\n:i v svoRVit,
placeat ut quicumque eorum ex actis ]>nl>liti* fuerit
détectas, ab onniNE cleiu \movbatvr. Concile
d'Arli - de 31 i. i an 13, Hardouin. t. i. col. 265.
I i nue que i Uoliques signa-
lent c me p issible de la déposition est la fornication,
95. /'. '>'., i. cxxxvu, col. 55. El par là il faut entendre
ment l'adultère que les bus civiles elles-m
tenaient pour l'un des plus grands crimes. Cf. I
théodosien, XI, xwi. Quorum appellat. non recip.,
xxxvi, //' lulgent. crimin., i. <>n s.iii
quelle rigueur l'Eglise punissait ce péché chez les
1 qui s. \u -i le concile d'I l envi-
nlonne-t-il que les prêtres, les évêques
ut rendus coupables, ne
i ii n n ion . même a la lin
la déposition a ■■ c aggravation de
rdouin, t. i, col. 25 ncile
' moins sévère. Il -e contente de
• lui ni I. i
mon laïque ave. i., peini
n cloître, can 70, n i
i, i m, I t. mps, i i
de la ' I
elle
il qui prendi
i. ne,.! adn
Hardouin, t. m. col. 1689.
lui déj
n'avoir pas voulu brûler une poésie erotique qu'il
avait composée dans sa jeunesse. Nicéphore, H. E.,
1. XII. c. xxxiv, P. G., t. cxlvi, col. 860. Cf. Socratc.
IL E., 1. V, c. xxn. P. G., t. lxvii, col. 640.
Le vol est aussi un des péchés pour lesquels les
clercs méritaient d'être déposés, selon les Canons apos-
toliques, can. 25. Il faut y joindre la fraude et le
faux : si... chartam falsaverit, dit le concile d'Agde
de 500, can. 4, Hardouin, t. n, col. 1003. Cf. concile
d'Orléans de 538, can. 8, ibid., col. 1425. L'usure devint
passible de la même peine. Concile de Nicée de 325,
can. 15, Hardouin, t. i, col. 330-331; concile d'Elvire
de 308, can. 20 : placeat eiun degradari, Hardouin,
t. i, col. 252; concile d'Arles de 443 ou 452, can. 14 :
deposilus a clero, Hardouin, t. il, col. 774. Cf. Canons
apost., can. 44, P. G., t. cxxxvu, col. 128; concile in
Trullo, can. 10.
Le crime de lèse-majesté, dans la pensée des anciens,
était des plus odieux. Aussi l'Église qui faisait profes-
sion de respecter, autant et plus que les païens, l'auto-
rité de l'Etat représentée par la personne de l'empe-
reur était elle-même sévère contre les séditieux. Le
concile de Cartilage de 398, can. 67, décide seditionarios
nunquam ordinandos clericos. Hardouin, t. i, col. 983.
Cf. concile d'Agde de 506, can. 69, Hardouin, t. n,
col. 1005. Les clercs coupables d'outrage à l'empereur
ou aux officiers impériaux seront déposés, disent les
Canons apostoliques, can. b5. P. G., t. cxxxvu, col. 212.
Le IV" concile de Tolède de 633 décrète de son côté
que les clercs, pris les armes à la main dans une sé-
dition, seront dégradés el enfermés dans un cloître
pour y faire pénitence : amisso ordinis sui gradu in
monasterium paenitenliœ contradantur, can. 45, Har-
douin, t. m, col. 588.
Outre les crimes de droit commun, la déposition
atteignait lestantes qui portaient atteinte à la religion,
notamment l'idolâtrie. L'idolâtrie se présentait sous
différentes formes : il y avait d'abord les sacrificati
ou thurijicati, qui prenaient part aux sacrifices des
païens . les libellatici qui, moyennant de l'argent, obte-
naient un certificat portant qu'ils avaient sacrifié, bien
qu'ils ne l'eussent pas fait; les traditores qui avaient
livré' les saintes Écritures ou les rases sacrés, ou dé-
noncé leurs frères. I I dans ces diverses def'.ii llanccs
les degrés de culpabilité n'étaient pas toujours les
me s. Certains coupables étaient allés de leur plein
gré à l'autel; d'autres j avaient été amenés par la
force el n'avaient succombé qu'après une longue ré-
sistance. L'Église étudiait donc chacun des cas en par-
ticulier el làchail de mesurer le châtiment à la faute.
.M. us quand il s'agissait des clercs, elle ne faisait pas
de distinction, elle leur appliquait à tous uniformé-
ment la peine ,1e i.i déposition. C'est ce que remarque
saint Cyprien dans sa lettre lxiv, Ad Epictet. et plebem
Assurit., P. L., t. tV, col. 391. El dans une .mire.
.. i. xviii, qu'il adresse au clergé el au peuple
d'Espagne, COl. i'«», il ajoute que c'esl une v
par le papi Corneille. Piern d Alexandrie, can. 10,
_ne que i,, même discipline étail en rigueur en
Orient. La lit quelquefois atténuée en ce que
pouvait être admis à la communion
laïque. S. Cyprien, Epist., i n. •"' Antonianum, /'. /...
i. iv. col. 345. Cf. concile d'Ancyre de :;ii. can. l,
Hardouin, t. i, col. 271 .
limant les pi ;ra siècles, l'Eglise ne courut
aucun péril i^'\ coi.' du judaïsme. M. us. l'ère des pér-
inée, un e. ci, un n,, mi, i e il,' chrétiens
• ni i .lin i avec lea Juifs dana des relations qui
mirent la pureté de leur foi. Ils allèrent jusqu'à
brer li juive, i nus les clen
surent pas échappei a e, tte • ris.
Pour mal. les ■ rappè-
cent les coupables de la peine de la déposition, can. •>'»
475
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
176
cl 70. /'. <<'., t. cwnvii, col. 164, ISO. Le concilo «l'An -
tioche de 341 avail déjà menacé du même châtiment
ceux qui célébraient avec les .luifs la fête de Pâques,
can. I. Hardouin, t. r, col. 593. Le péril ne fut pas en-
tièrement conjuré, carie concile in Trullo de 692 eut
encore à édicter les mômes pénalités, can. 1, Har-
douin, t. m, col. 1664.
Il est une autre pratique qui rappelle le rite judaïque
et que l'Église adopta comme une loi dont la violation
constituait une faute grave : c'est la défense de manger
le sans; des animaux. Cf. Act., xv, 28-29. Terlullien,
Apolog., C. ix, P. />■, t. I, col. 323; Clément d'Alexan-
drie, Psedagogus, 1. III, c. m, P. G., t. vm, col. 592; le
concile de Gangres de 350, can. 2, Hardouin, 1. 1, col. 533;
Eusèbe, H. E., 1. V, c. i, P. G., t. xx, col. 420, témoi-
gnent qu'elle était en vigueur au ine et au ivE siècle.
Peu à peu elle tomba en désuétude. Saint Augustin
marque qu'elle est en décadence. Contra Faustùm,
1. XXXII, c. xni, I'. L., t. xi. ii, col. 503. En vain le
concile d'Orléans de 533, can. 20, Hardouin, t. n, col. 176,
et le pape Grégoire III, Judïcia, c. xxix, Hardouin,
t. m, col. 1876, essayèrent de la maintenir, en édictant
certaines peines contre ceux qui la violeraient. Balsa-
mon atteste que de son temps elle était oubliée. Com-
ment, ad can. apostol., can. 63, P. G., t. cxxxvn,
col. 165. Mais à l'origine et jusqu'en plein VIIe siècle
les Orientaux punirent de la peine de la déposition les
clercs qui auraient osé manger y.çïa èv atixart, Canons
apost., can. 63, ou comme parle le concile in Trullo,
xt|j.a Çtio-j, can. 67, Hardouin, t. m, col. 1685.
L'Église avait à se défendre non seulement contre le
paganisme et le judaïsme à l'extérieur, mais encore
contre l'hérésie et le schisme à l'intérieur. Tertullien,
saint Cyprien, saint Jérôme et en général les Pères re-
gardent le schisme et l'hérésie comme le crime le plus
horrible que puissent commettre les fidèles, à plus
forte raison les clercs. Le concile de Carthage de 398
interdit aux catholiques « de prier ou de psalmodier
avec les hérétiques. » Can. 10, Hardouin, t. i, col. 983.
Cf. concile de Laodicée, can. 9 et 32, Hardouin, t. i,
col. 787. Et les Canons apostoliques, can. 65, menacent
de la déposition les clercs qui ont avec eux commu-
nicalio in sacris. P. G., t. c.xxxvn, col. 168. Du reste,
on sait que nombre d'églises particulières ont pendant
quelque temps considéré comme non valides les sacre-
ments administrés par les hérétiques. Une consé-
quence de cette discipline fut que, si un évêque ou un
prêtre catholique reconnaissait la validité de tels sa-
crements, il commettait une faute grave; les Canons
apostoliques, can. 47, portent contre lui la peine de la
déposition. Ibid., col. 132. Il va sans dire qu'un
évêque ou un prèlre qui aurait reçu le baptême de la
main d'un hérétique et serait parvenu subrepticement
aux ordres devait être déposé. Concile de Nicée, can. 19,
Hardouin, t. i, col. 331.
La divination, le sortilège, les augures, l'astrologie,
la magie, bien que d'origine païenne, offrent quelque
analogie avec l'hérésie. Le concile de Carthage de 398
estime que ceux qui s'en rendent coupables doivent
être exclus a convenlu Ecclesiœ, can. 89, Hardouin, t. i,
col. 984-986. Cf. concile d'Agde de 506, can. 42, Hardouin,
t. n, col. 1003; concile d'Ancyre de 314, can. 24, Har-
douin, t. i,col. 279. A l'origine, la peine de l'excommu-
nication les frappe tous indistinctement, qu'ils soient
clercs ou laïques. Cf. Concile de Chalcédoine de 151,
act. X, Hardouin, t. n, col. 517; concile d'Orléans de
511, eau. 30, Ibid., col. 1012. Mais plus lard, du moins
en Espagne, les clercs qui s'adonnaient à la magie, au
sortilège, à la divination, etc., furent condamnés à la dé-
position. Concile de Tolède de 633, can. 29. Hardouin,
l. m, col. 586.
Les encralites et les manichéens poussaient les lois
de l'abstinence, du jeûne et de la continence à une
rigueur que l'Église réprouva toujours. Le
apa toliquei supposent que certains clercs tombèrent
(lui- ces excès. On prononça contre eux la peine de la
déposition. Can. 51,66 et 69, /'. G., t. exxxvn, col. 112.
169, 176. Cf. concile de Gangres. cm. 19, 20, Hardouin,
t. i, col. 537; concile in Trullo, de 692, can. 15, Har-
douin, t. ni, col. 1681.
Les jeux de dés, les spectacles, les jongleries, les
mimes, les danses obscènes que le paganisme avait
religieusement entretenus s'infiltrèrent malheureuse-
ment dans la société chrétienne. L'Eglise les interdit
sévèrement à tous ses membres, à plus forte raison au
clergé. Le concile d'Agde de 506 déclare que « le clerc
bouffon ou jongleur doit être déposé, c. ab officie retra-
hendum, can. 70, Hardouin, t. il, col. 1005. Certains
jeux sont punis de la même peine. Concile in Trullo,
can. 50, Hardouin. t. in, col. 1681; cf. can. 24, ibid.,
col. 1669.
Indiquons maintenant les fautes qui sont propres
aux clercs, les fautes professionnelles.
En première ligne viennent celles que les évêques
peuvent commettre soit pour obtenir leur dignité,
soit dans l'exercice de leurs fonctions.
Dans l'antiquité, les fidèles avaient part, aussi bien
que les clercs, à l'élection des évêques. Une fois élus.
ceux-ci devaient être sacrés par un de leurs collègues.
Le nombre d'évéques dont la présence était nécessaire
pour la licite du sacre fut d'abord un peu flottant. Les
Constitutions apostoliques, 1. III, c. xx, P. G., t. i,
col. 804, et les Canons apostoliques, can. 1er, P. G.,
t. exxxvn, col. 36, se contentent de deux ou trois. Le
concile d'Arles de 314 en exige sept, ou en cas d'impos-
sibilité, au moins trois, can. 20. Hardouin, t. i, col. 266.
Le concile de Nicée est plus exigeant encore : tous les
évêques de la province devront assister au sacre de leur
nouveau collègue; ceux qui en seraient empêchés enver-
ront par écrit leur adhésion, can. i, Hardouin, t. i,
col. 323. Le concile d'Antioche de 341 prescrit au métro-
politain de convoquer tous ses collègues pour la cérémo-
nie: la majorité au moins devra y assister ou y adhérer
par écrit, can. 19, Hardouin, t. i, col. 601. Les conciles
de Sardique de 313 can. 6, et de Laodicée de 343-381,
can. 12, renouvelèrent les prescriptions de Nicée. Har-
douin, t: i, col. 639, 783. Mais on finit par trouver cette
discipline trop sévère et on revint au nombre trois,
qui était le chiffre originel. Concile de Carthage de
390, can. 2, Hardouin, t. i, col. 954; concile d'Arles de
452, can. 5, Hardouin, t. n, col. 773. 11 fut entendu que
la nomination d'un évêque qui ne réunirait pas ces
deux conditions : élection parles fidèles et les clercs
réunis, sacre par le métropolitain assisté des évêques
delà province (au moins deux', ne serait pas ratifié
par l'Église, nulla ratio sinil ut inter episcopos habea-
lur. La déposilion suivait immédiatement le sacre.
Epist., ci. xvn, de saint Léon à Rustique de Narbonne,
c. i, P. L., t. i.iv, col. 1203.
C'est ainsi que le concile de Riez de 'i39 di
Armentarius qui avail été placé sur le siège d'Embrun
et sacré par deux évêques seulement, can. 3, Hardouin,
t. i, col. 1749. Le concile d'Orange de 441 frappe de
la peine de déposition les deux évêques (lui oseraient
procéder au sacre en de pareilles conditions, can. 21.
ibid., col. 1785.
Une fois sacré, l'évêque avait contracté avec son
église une alliance indissoluble. Passera un autre -
constituait une sorte d'adultère, comme parle s.<inl
Cyprien. Sous l'influence des empereurs, cependant, on
\il nombre d'évéques quitter leur église pour une au lie.
Les conciles autorisèrent ces sortes de translations, à la
condition qu'elles fussent faites dans l'intérêt général
et non pour satisfaire l'ambition des particuliers. Cf.
nons apost., can. II. 7'. G., I. exxxvn, eol. 61; concile
de Carthage de 398, eau. 27. Hardouin. t. i. col. 9"
477
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
478
Gratien, cuis. VII, q. i, c. 37. Le concile d'Anlioche de
341, can. 16, Hardouin, t. i, col. 599, et le concile de
Sardique de 343, can. 1, ibid., col. 637, édictèrent la
peine de la déposition contre les évéques qui abandon-
neraient leur église pour une autre sans motif grave.
Les diocèses ecclésiastiques formaient une unité indi-
visible. Les conciles de Chalcédoine de fôl, can. 12,
Hardouin, t. n, col. 605, et de Tolède de 681, can. 4,
Hardouin, t. in, col. -1720, supposent qu'ils étaient par-
fois abusivement divisés. Un nouvel évoque prenait
possession d'une partie d'un diocèse dont le siège était
légitimement occupé. On formula contre l'intrus et
contre celui qui l'avait ordonné la peine de la déposi-
tion; lani ordinans quam ordinatusgradumsui hono-
ris perdat, dit le concile de Tolède.
Ceux qui occupaient par la violence, fùt-ee par
l'appui de la puissance impériale, les sièges déjà établis,
étaient considérés comme intrus. Les Canons aposto-
liques, can. 31, P. G., t. cxxxvn, col. 96, et le concile
d'Orléans de 549, can. 1, Hardouin, t. n, col. 1445, les
condamnent à la déposition : ab adepto episcopatus
honore in perpetuum deponatur, dit le concile d'Or-
léans.
La simonie fut toujours regardée dans l'Église comme
un crime ignoble. Act., vm, 18-24. Elle ne semble pas
avoir fait de bonne heure son apparition dans le cler-
-i l'on en croit Tertullien, Apologet., c. xxxix, P. L.,
i. n, col. 469-470. Au iv« siècle, saint Basile la signale
(buis son Epist., lui, aux chorévéques, P. G., t. xxxn,
col. 397. Il n'est pas facile de savoir s'il applique aux
simoniaques la peine de la déposition ou simplement
la suspense. .Mais le concile de Chalcédoine de 451 est
précis; les clercs qui achètent les dignités ecclésias-
liques et les évoques qui les leur confèrent seront dé-
s, can. 2, Hardouin, t. n, col. 601. Le concile de
tantinople de 159, Epist. encyclic. ad omnes
ropolilas, Hardouin, I. n, col. 781, et le concile
in Trullo de 692, can. 22, Hardouin, t. ni, col. 1669,
renouvelèrent ces prescriptions; les empereurs eux-
mes les consacrèrent par leurs lois. Cod. Théod.
I. III. De episcop. et cleric., 31; Novell, cxxiii, c. i;
Cf. Novell., CXXXVII, c. n. Sur ce point l'Occident fil
éebo à l'Orient. Concile d'Orléans de 533, can. i, Har-
douin, t. n, col. I17i; concile de Tolède de 633, can. I'.'.
Hardouin, t. ni, col. 581 sq.
Pour le bon ordre de i., discipline ecclésiastique, il
naturel que l'ordinaire seul pûl conférer les ordres
diocésains. Démétrius d'Alexandrie se plaignit à
juste titre que les évéques Alexandre, de Jérusalem,
»enl ordonné prêtre le fa-
raeu . qui n'appartenait pas à leurs églises.
Le même al • ncontrer en Occident, car le
concile d'Elvire, des environs de 300, crul nécessaire
de le réprouver, can. 24, Hardouin, i. i. col. 253. Le
concile de Nicée décida que les clercs ainsi ordonnés
uspens jn squ'au jour où leur propre évéque
nplir buis fonction-, can. 16, Har-
douin t. i. col 329 Cf. I Suspension dei
ir n étail atteint
indirecterm ni. Le concile d'Anlioche di
ippa de la d. position, can. 13, Hardouin
anont apostoliques,
■ n. col. 112, inlligentla m
ordonné. I
irdique d< i 15. Hardouin,
de Carthage de 348, can. 5,
el le pape lue |ans ta h
rigueur, i ■
ni un m i m. 15, Hardouin, :
fui rédu
léans de 549, can. 5, ibid., col. 1444. Gratien inséra dans
son décret le canon du concile de 538. Caus. VIII, q. i.
c. 28. Les Décrétales marquèrent la peine sous forme
de suspensio a collalione ordinum pendant un an.
Sext. Décret., 1. I, tit. ix, De tempor. ordinat., c. 2.
Cf. Concile de Trente, sess. XXIII, c. vm, De reform.
Les rebaptisations et les réordinations furent aussi
réprouvées dès l'origine. Cf. textes de saint Augustin
et de saint Léon, dans Gratien, caus. I, q. i, c. 27, De
consecrat., dist. IV, c. 108, 112; Codex canon. Eccle-
siae Afric, can. 8, Hardouin, t. I, col. 886, ;etc. Les
Canons apostoliques frappaient de la déposition les
évéques, les prêtres et les diacres qui enfreindraient à
cet égard les prescriptions de l'Église, can. 17 et 68
7'. G., t. cxxxvn, col. 132, 174. Cf. Félix III, Epist!,
ix, ad univers, episcop., c. il, dans Hardouin t u
col. 833. ' '
Une des principales obligations des clercs majeurs
est le célibat. Il n'en fut pas ainsi à l'origine. Jusqu'au
IVe siècle le célibat est en honneur chez les clercs, mais
il n'est pas obligatoire. Cf. sur ce point Vacandard, Les
origines du célibat ecclésiastique, dans Études de cri-
tique et d'histoire, 3« édit., Paris, 1907, p. 71-120, et art.
Célibat. Même à partir du iy> siècle, la discipline ne
fut pas absolument uniforme en Orient et en Occident.
En Orient, on autorisa les clercs mariés à conserver
leur femme, mais on leur interdit de contracter mariaee
après leur ordination. Const. apost., 1. VI, c. xvii
P. G., t. i, col. 957-958. Le concile de Néocésarée de 413
ordonne la déposition contre un prêtre qui se marie-
rait, can. 1, Hardouin, t. I, col. 281. Et le concile d'Ancyre
de 314 étend celte peine aux diacres, can. 10, ibid.,
col. 275. Il n'est pas fait mention des évéques. Le cas ne
se présentait sans doute pas. L'usage, du reste, que les
évéques vécussent dans le célibat finit par prévaloir.
Le concile in Trullo de 692 consacra cet ordre de choses
el décida que le clerc marié qui parviendrait à l'épis-
copat devrait se séparer de sa femme. Par contre, les
prêtres, les diacres et les sous-diacres mariés devaient
garder leurs épouses. « Si quelqu'un osait, en dépit
des canons apostoliques, priver un prêtre, un diacre ou
un >ous-diacre des droits qu'il a sur son épouse légi-
time, qu'il soit déposé. Semblablcment, si quelque
prêtre ou diacre rejetait son épouse sous prétexte de
piété, qu'on l'excommunie; et s'il persévère (dans sa
faute), qu'on le dépose, « can. 13. Hardouin, t. m,
col. 1665. Cf. Can. apost., canons 5, P. c,.y t. cxxxvn'
col. \ i.
En Occident, nous rencontrons une discipline plus
e. Dès l'an 300, le concile d'Elvire punit de la
déposition tous les clercs majeurs qui continueraient
de cohabiter avec leurs femmes. Placuit in totum
prohib opis, presbyteris el diaconibus vel omni-
bus clericis posxtis in ministerio obstinera se a c<m-
jugibus suis et non generare fdios ; quicumque vero
fecerii <d> honore clericatus exterminelur, can. .",:i.
Hardouin, i. i, col. 2."»:; sq. Le pape Sirice (385-398)
renouvelle celle prescription dans sa lettre a Min.
évéqne de Terragone, e. vu, Schœnemann, op. cit.',
p- H0; Innoci m [•« fait de même dans s;, |eiti
Exupère de Toulouse, n. 2-4. Schœnemann, il>id.,
)'■ 541. En Afrique, on constate une discipline sem-
blable en MM, concile de Carthage, can. 8, Hardouin
I. I. col. 987 ; el . n m, il, d'i 11 i'd'
il 1786; i oni ili <i V .h de 501
Hardouin, t. n, col. 999; concile .b- Maçon, de 581,'
cm. II. Hardouin. I. m. col. 152. En ce qui regarde
il j cul quelque tâtonnement. Le con«
elle de Cai tha( e di 101 ne leur iui| m< ni pas
l'obligation d,- renoncer .< leurs droit
cm. 3, Hardouin, i. i, col. '.',-7 i • omnU
ii'i hue lea con-
douteux. i n toi partir di
W9
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
480
saint Léon (440-461) ils sont rangés décidément parmi
les clercs majeurs et soumis aux mêmes obligations.
Epist., xiv, ail Anastas. Thessalonic., c. iii-iv, dans
Gratien, <îist. XXXII, c. 1. Saint Grégoire le Grand le
rappelle dans une de ses lettres, I. III, epist. XXXIV,
dans Gratien, dist. XXXII, c. 2.
Pendant les persécutions nous avons vu les clercs
déposés comme traditores. Ils furent également mena-
cés de la déposition pour reniement de leur dignité
sacerdotale : ec os xai o'ioy.» tvj xXriptxoû (apvvjcnrjTa!),
■/ca6atp£i(j0(.>, disent les Canons apostoliques, can. 62,
P. G., t. cxxxvn, col. 160.
Les mêmes canons remarquent que, de leur temps,
circulaient nombre de livres bibliques apocryphes. On
sait comment les gnostiques altéraient les Ecritures.
Il y avait danger à laisser circuler des ouvrages qui
pouvaient compromettre la foi des fidèles. La déposi-
tion frappa les clercs qui publiaient ces livres pseudé-
pigraphes, comme parlent les Canons apostoliques,
can. 00, ibid., col. 156.
Les hérésies sur la trinité attirèrent aussi particu-
lièrement l'attention de l'Eglise. Elle veillait avec un
soin jaloux et inquiet sur les rites du baptême qui
caractérisaient la doctrine orthodoxe. La déposition fut
donc prononcée contre les clercs qui altéreraient la
formule baptismale : « Au nom du Père et du Fils et
du Saint-Esprit, » ou qui, au lieu de la triple immersion
usitée, n'en emploieraient qu'une seule, comme les
eunoméens. Cf. Sozomène, H. E., 1. VI, c. xxvi, P. (',.,
t. i.xvii, col. 1361 ; Canons apost., can. 49 et 50, P. G.,
t. cxxxvn, col. 136, 137.
On peut s'étonner que certains prêtres, diacres ou
sous-diacres aient omis, habituellement et par manie,
<ie réciter dans leur office de chaque jour l'oraison do-
minicale. Le concile de Tolède de 633 les menace de la
déposition, can. 10, Hardouin, t. ni, col. 582. Même
peine est infligée à ceux qui, résidant dans une loca-
lité, négligeraient d'assister à la messe quotidienne, si,
après une admonestation, ils ne donnent pas satisfac-
tion à leur évêque. Concile de Tolède de 400, can. 5,
Hardouin, t. i, col. 990.
La résidence était obligatoire pour les évèques et tous
ceux qui avaient charge d'âmes. Mais dès que les em-
pereurs furent devenus chrétiens, on vit trop facile-
ment affluer à leur cour les prélats ambitieux. Les
conciles d'Anlioche de 341 et de Sardique de 343 se
plaignirent de cet abus; celui d'Antioche prononea
même la peine de la déposition contre les évêques et
les prêtres qui se présenteraient à la cour sans autori-
sation de leur métropolitain ou de leur ordinaire,
can. 11, Hardouin, t. 1, col. 597. Cf. concile de Sardique,
can. 8, ibid., col. 641. Certains évèques manquaient
d'ailleurs autrement à la résidence. L'empereur Justi-
nien leur rappela les canons qui interdisaient ces
absences non motivées de leur diocèse et prononea
contre ceux qui, après avertissement, ne rentreraient
pas chez eux la peine de la déposition. Novell., vi.c. n :
expellalur a sacro episcoporum choro. Les absences
des prêtres et des diacres reçurent aussi leur châti-
ment. Le concile d'Agde de 506 décide que ceux qui
n'assisteraient pas dans leur paroisse aux fêtes solen-
nelles de la Nativité, l'Epiphanie, Pâques et la Pente-
côte, seraient « exclus pour trois ans de la commu-
nion, » can. 64, Hardouin, t. il, col. 1005. Les Canons
apostoliques, can. 68, /'. G., t. cxxxvn, col. 173, donnent
à entendre que des absences trop prolongées entraî-
naient même la déposition. Une négligence notoire
des devoirs professionnels équivalait à la désertion. Le
concile de Cartilage de 398, can. 50, Hardouin, t. i.
col. 982, et le concile d'Orléans de 533, can. I i. Hardouin,
t. n, col. 1 175, menacent de la déposition ceux qui s'en
rendent coupables. Quitter son diocèse pour s'attacher
à un autre ('tait une désertion véritable. Le concile
d'Arles de ::ii, can. 21, Hardouin, t. i, col. 266. et les
Canons apostoliques, can. 15, /'. G., t. cxxxvn, col. 68,
li punissent comme telle par la déposition. Le concile
d'Antioche de 341 décide seulement que la peine ne
sera applicable qu'après une sommation de l'évèque
pour faire rentrer les déserteurs à leur poste, can. 3,
Hardouin, t. i. col. 593. Cf. concile de Cbalcédoine de
151, can. 10, Hardouin, t. Il, col. 605.
I siirper les fonctions d'un ordre •supérieur était réputé
faute grave. Le concile de Sardique déposa Eutychien et
Musée qui, sans être sacrés, avaient osé conférer les
ordres, can. 9, Hardouin, 1. 1, col. 651. Les mêmes prin-
cipes régnaient en Occident, comme on le voit par une
décision du pape Gélase. Epist., v, ad episcopos Luca-
nise, c. vi, Hardouin, t. n, col. 900, et par un canon du
concile de Bragade563, can. 19, Hardouin, t. m, col. 352.
L'Eglise avait son for à elle, reconnu par l'Etat. Cer-
tains clercs dédaignaient de s'y soumettre et recouraient
au for civil. Le concile de Cbalcédoine de 451 s'élève
contre cet abus et demande l'application des peines
canoniques à ceux qui faisaient si peu de cas du for
ecclésiastique, can. 9, Hardouin, t. n, col. 605. Et ces
peines n'étaient autres que la déposition, si l'on en juge
par le concile de Carthage de 397, can. 9, Hardouin,
t. i, col. 962, et par le Codex des canons de l'Église
d'Afrique, can. 104, ibid., col. 923. Les simples marques
de mépris pour l'évèque entraînaient la déposition
d'après les Canons apostoliques : ='. tiç x).ïipwô; û6pt'Çei
t'jv iiu'cr/.oTtov, xa0atpsfcr6a>, can. 55, P. G., t. cxxxvn.
col. 149.
En retour, les évêques ou les prêtres qui maltrai-
taient leurs subordonnés s'attiraient un châtiment. Il
fut un temps où dans certaines églises on frappait les
lideles qui se rendaient coupables de quelque faute.
Les Canons apostoliques attestent cet usage et le ré-
prouvent comme contraire à la mansuétude évangé-
lique; ils attachent même à ces violences la peine delà
déposition, can. 28, P. G., t. cxxxvn. col. 92. Evèques,
piètres et diacres se trouvent atteints par cette me-
sure. Cf. Novell., CXXIII, c. 11; dist. XLV. c. 1. Une
autre manière d'atteindre les clercs était de les priver
de leur part des offrandes et de les réduire à l'indi-
gence. Les évèques et les prêtres qui abusaient de ce
mode de punition devaient être déposés. Canons apost.,
can. 59, P. G., t. cxxxvn, col. 153. La dureté excessive
des évêques et des prêtres à l'égard des pénitents qui
demandaient à rentrer dans l'Église, était pareillement
menacée delà déposition, au moins en certaines églises.
Cf. Canons apost., can. 52, ibid., col. 144.
Nous arrivons maintenant aux actes qui étaient non
seulement permis, mais encore recommandés aux
laïques et qui étaient interdits aux clercs. Tel est
d'abord l'exercice de la justice criminelle. Les clercs
n'ont pas le droit d'assister a la torture, ni aux juge-
ments de sang, ni à l'exécution des condamnés. Cf.
concile d'Auxerre de, 578, can. 33, 3i, Hardouin, t. ni.
col. 410. Cependant les princes s'en remirent quelque-
fois aux prêtres et aux évèques pour ju rimi-
nels à leur place. Le concile de Tolède de 633 le con-
state et menace de la déposition les clercs qui se
prêteraient ainsi aux desseins de l'autorité civile,
cm. 31, ibid., col. 587, dans Gratien, caus. XXIII, q. vin,
c. 29. Cf. concile de Tolède de 675, can. 6, ibid.,
col 1026; Gratien, ibid., c. 30.
Cette horreur que l'Église éprouvait pour l'effusion
du sang lui fit interdire à ses clercs le service mili-
taire. Elle excluait des ordres ou du moins des ordres
majeurs ceux qui avaient porté les armes. Cf. S. Inno-
cent I". Epist., m, ad episcop. in synodo Tôle tan.,
c. îx ; concile de Tolède de MX), can. 8, Hardouin, t. i.
col. 991. Ces deux textes sont dans Gratien. dist. LI,
c. I. 'i. l.a cléricature et le service du soldat sont in-
compatibles, disent les Cumins apostoliques, can. 8;!.
481
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
482
P. G., t. cxxxvn, col. 208. Le concile de Chalcédoine de
451 frappe de l'excommunication les clercs qui aban-
donneraient leur poste pour l'armée, can. 7, Hardouin,
t. il, col. 603, et le concile d'Angers de 453, can. 7,
ibid., col. 779, les menace de la déposition.
Les magistratures civiles étaient également considé-
rées comme incompatibles avec le service des autels.
Les Carions apostoliques, can. 81, P. G., t. cxxxvn,
col. 20i, veulent que les clercs qui les exercent soient
déposés. On trouve pourtant une exception à cette règle
dans l'histoire de saint Jacques de Nisibe, qui se met
a la tête de la cité pour la défendre contre les Perses,
et qui mérite cet éloge qu'il était aussi excellent « stra-
tège qu'excellent évéque. » Tbéodoret, 11. E., 1. II,
c. xxvi, P. G., t. lxxxii, col. 1077.
Nombre de fonctions civiles d'ailleurs bonorables
étaient également interdites aux clercs. Ils ne pouvaient
être tuteurs, cf. Epiât., lxvi, de saint Cvprien au
peuple de Furni, P. L., t. iv, col. 398; exécuteurs de
aments ou légataires universels, concile de Car-
thage de 398, can. 18, Hardouin, t. i, col. 980; admi-
nistrateurs de biens ou de maisons, concile de Car-
tilage de 348, can. 6; cr. can. 9, ibid., col. 08G sq.;
concile de Chalcédoine de 451, can. 3, Hardouin, t. n,
col. 001; à plus forte raison ne pouvaient-ils se livrer
au commerce et vendre ou acheter dans les foires. Con-
cile d'Elvire de 300, can. 19, Hardouin, t. i, col. 252;
concile de Carlhage de 397. can. 15, ibid., col. 963^
Toutes les infractions à ces lois ecclésiastiques étaient
passibles de la peine de la déposition. Canons apost.,
can. 7 et 20, P. G., t. cxxxvn, col. i8, 70; concile de
Cartilage de .'lis. can. (i. Hardouin, t. i, col. 086; con-
cile d'Arles de 152, can. 14, Hardouin, t. h, col. 774. Par
exception cependant, le concile de Cbalcédoine de 451
autorise les clercs h être tuteurs des veuves et des or-
phelins, can. 3, Hardouin, t. n, col. 601.
Enfin les conciles prévoient le cas où leurs prescrip-
tions canoniques seront considérées comme non ave-
mie- par |r> membres du clergé. De tels contempteurs
doivent être déposés, disent le concile de Cartilage de
can. M. Hardouin. t. i, col. 688, et le concile de
Braga de 561, can. 22, Hardouin, t. m, col. 352.
Discipline d,, vu» au xir- siècle. — L'Église
un -ure sa législation aux besoins des temps. S'il n a
des fautes qui sont de toutes les époques, il y en a
aussi qui sont plus spéciales à certains peuples ou à
ivilisation. Manifeste m l'ère des
empereurs chrétiens diffèrent
du moyen âge, que caractérisent la féodalité et la chris-
Uanisalion di i . rmaines et anglo-saxons
- nouveaux M fallait une législation à eer-
,,,u nouvelle; à nouveaux, des pé-
nalités nouvelli i e pénilenliels qu'on voit naiti
Vl1' M" lr el l|"' I suivants témoignenl de
e. Die /•'"
nungen der abendlandischen Kirclte, Halle, 1851.
le vol, le parjure, le foux témoigna
ipitalia sont touj 's punis de i,
"■ "•'"- l'antiquité, I, ,,, me de lèse-majesté
Mais au moyen
''■•""I tirés des grandes la,,,, Iles de la
conflits entre l- de II glise et les
équemment. I. I
déposition les clercs qui s,, révoltaienl
linsi que Hincmar, évéque
''' ' ■■ d'avoir trahi le tei i ,i, fid
*' " ' L ,' ' ■ ' I*'/ fu< déposé au concile deDouzi
Hardouin, op. cit., I v, col 1316 sq
, ' ,'r" '!"" 1 •■pu,. ,h : „,,.,, .,„
m, -i. 1879, e, le concile
Chapelle d „ <; |o, Hardouin, i ,
'"' l;''- n ,.. ronl de la moralité du ,
lomenl affreuse l
DICT. l)K TIIKOL. CATIIOI..
ses variétés. Cf. Réginon de Priim, De synodalibus
caxsis, 1. I, c. 235-238, etc., P. L., t. cxxxn, col. 235.
La peine de la déposition menace ceux qui s'en ren-
dent coupables. Mais le nombre en était tellement
grand au xie siècle que le concile de Rome, tenu par
Léon IX, en 1019, n'osa les frapper tous. On fit obser-
ver que, si tous les prêtres simoniaques étaient déposés,
presque toutes les paroisses seraient privées de pas-
teurs. Il fallut se contenter d'imposer une pénitence
de quarante jours à ceux qui, sciemment, s'étaient fait
ordonner par des évoques simoniaques. Cf. Pierre
Damien, Opuscul, VI, XXXV, c. v, dans Hardouin,
t. vi, col. 991.
L'incontinence des clercs revêtit aussi toutes les
formes à cette époque : la fornication avec des vierges
vouées à Dieu, l'adultère, l'inceste, la sodomie, la bes-
tialité, le rapt des jeunes filles, tous ces crimes furent
punis de la déposition. Pénitentiel de Théodore, 1. I,
ix, sect. i; Pénitentiel de Paris, c. i.n, dans Wasser-
schleben, op. cit., p. 194, 417; concile de Worms de
808, can. 11, 12, Hardouin, t. v, col. 739; Pénitentiel
des xxv chapitres, c. vu, sect. i-m, v, dans Wasserschle-
ben, op. cit., p. 508; concile de Tolède de 693, can. 12,
Hardouin, t. m, col. 1795; Réginon, op. cit., 1. II,'
c. 157, /'. L., t. cxxxn, col. 313. Le nombre des clercs
concubinaires était énorme; les conciles travaillèrent
à le diminuer par la menace de la déposition. Concile
de Pavie de 1018, can. 1, 2; concile de Rome de 1059,
can. 3, Hardouin, t. vi, col. 813, 1062. L'Église frappa
de la même peine les prêtres qui contractaient ma-
riage ou qui refusaient de renoncer à leurs droils
conjugaux après leur ordination. Réginon, op. cit.,
1. I, c. 8i, P. L., t. cxxxn, col. 208; synode d'Augs-
bourg de 952., can. 1, Hardouin, t. vi, col. 617; Alexan-
dre II, Epist. ad episcop. el regem Dalmaliœ, ibid
col. 1113.
Un des vices les plus répandus au moyen âge était
l'ivrognerie. Nombre de clercs s'y livraient sans ver-
gogne. Les rixes, les batailles, les meurtres s'ensui-
vaient. L'Eglise, pour remédier à tous ces maux, n'eut
d'autre ressource que de frapper les coupables de la dé-
position. Concile de Mayence de 813, can. 46, Hardouin
t. iv, col. 1016; concile de Paris de 829, can. 2, ibid '
p. 1352 sq.; Pénitentiel de Théodore, I. I, i sect i'
Pénitentiel d'Kgbert, c. xi, sect. i; Pénitentiel des
xxxv chapitres, c. xxn, sect. n, dans Wasserschleben
op. cit.,p. 184,242, 518; concile de Fréjus de 796, can 3
Hardouin, t. iv, col. 858; Réginon, 1. I, c. 138 I iG
148, 152, 15',. />. /,., t. cxxxn, col. 219 sq.; concile de
Gran de 1114, can. i,x, dans Hefele, Conciliengeschichte
1886, t. v, p. 290.
La révolte contre l'autorité ecclésiastique n'était pas
rare; les métropolitains rejetaient l'autorité du pape
ôques celle du métropolitain, les prêtres et les
simples clercs celle des évoques. Toutes ces rebellions
étaient passibles de la déposition. Concile de Rome
83, can. 2, Hardouin, t. v, col. 573 sq.; Hefele
Conciliengeschichte, t. iv, p. 257; Zacharie, /
vu, ad Pippinum, c. m, Hardouin, t. m, cul. 1901. L'in-
dépendance des clercs se manifestai! aussi par la né-
leura devoirs professionnels, par l'amour
i le porl des .unies, par leur partici-
!'■ " anticanonique BU1 jugements de s.,,,L
Même pénalité. Concile de Meaux di i ,:; n ,,
douin, t. iv, cl. [480; Réginon, I. I. c 169, 177. /■ /
t. cxxxn, col. -i-l->. concile de Tolède de 675, eau <;'
Hardouin, t. m, col. 1086.
Une plaie qui para!) parti» uiii re au vu,' siècle, •
Saint Bonirace fut charge par t. , . ■ . ,, ,|,,
réunir un concile poui proi .der a b . ..,,,,,
- dan Hardouin i m
col. [91 I
IV. 16
483
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
484
L'union des deux pouvoirs était si étroite, au moyen
âge, que les empiétements de l'État dans le domaine de
l'Église étaient presque inévitables. De là cet usage de
l'investiture qui troubla si profondément la société au
\r siècle. Acquérir un évêché par des moyens illé-
gitimes, recevoir l'investiture laïque, ordonner des
clercs d'un diocèse étranger, ou des clercs absolument
ignorants, lancer l'interdit pour des motifs d'intérêt
privé, etc., etc.. toutes ces fautes furent punies de la
déposition. Concile de Rome de 863, can. 1, Ilardouin,
t. V, col. 138, 203, 848; concile de Rome de 1075, dans
Monumenta Germanix Itisl., t. x, p. 412; concile de
Latran de 1179, can. 14, Ilardouin, t. vi b, col. 1679,
concile de Londres de 1070, Ilardouin, t. vi, col. 1165;
cf. concile de Tolède de 683, can. 7, Ilardouin, t. ni,
col. 1742.
La paganisme et le judaïsme ne formaient plus de
danger pour l'Église ou du moins pour le clergé. Si
l'on continue de mettre les fidèles en garde contre les
intrigues des juifs, concile de Rome de 743, can. 10,
Hardouin, t. m, col. 1929; concile de -Metz de 888,
can. 7, Ilardouin, t. vi, col. 412, on suppose que la foi
des clercs n'a rien à redouter de leur contact, d'ailleurs
assez rare. Mais un reste du paganisme qui se maintint
pourtant, ce fut la superstition sous toutes ses formes,
le culte des arbres, des sources, des montagnes, des
pierres, la divination, les sorts, l'astrologie, la sorcel-
lerie, les pbiltres, les amulettes. Il fallut menacer de
la déposition les clercs qui s'y livraient. Concile de
Tolède de 633, can. 29, Hardouin, t. m, col. 586;
concile d'Aix-la-Chapelle de 813, can. 17, Ilardouin, t. iv,
col. 1044; concile de Paris de 829, ibid., col. 1352.
L'hérésie fut rare dans le haut moyen âge. Au xiesiècle,
elle réapparut sous la forme du néomanichéisme. Les
clercs qui en furent reconnus coupables au concile
d'Orléans de 1022 furent déposés et même brûlés.
Cf. Hardouin, t. vi, col. 821 sq. Ce fut surtout au sujet
de l'administration du baptême qu'on vit surgir des
théories hétérodoxes. Le pape Zacharie ordonna de
déposer un prêtre qui prétendait que le sacrement ne
conférait aucune grâce. Episl., x, ad Bonifac. archiep.,
dans Hardouin, t. m, col. 1912. Même peine devait être
infligée à ceux qui baptisaient sans invoquer les trois
personnes de la Trinité. Ibid., col. 1910. La triple im-
mersion n'était plus obligatoire. Mais bien qu'une
seule immersion fût considérée comme un rite suffisant
pour la validité et la licéité du sacrement, on crut
devoir attirer l'attention sur les clercs qui attacheraient
à l'unité d'immersion un sens hérétique; et on les
menaça de la déposition. Réginon, 1. I, c. 262, P. L.f
t. cxxxn, col. 240.
L'administration du sacrement de baptême consti-
tuait l'un des principaux devoirs de la charge pasto-
rale. Malheureusement nombre d'enfants mouraient
sans baptême. Les pénitentiels notent que, si ce mal-
heur arrive par la faute d'un curé, ce curé doit être
déposé. Pénitentiel de Théodore, 1. I, îx, sect. vu;
xiv, sect. xxvm; Pénitentiel de la Vallicellane, c. xvni,
dans Wasserschleben, op. cit., p. 194, 200, 686.
3. Discipline du XIIe siècle à nos jours. — Avec le
Corpus juris canonici qui comprend le Décret de
Gratien, de 1140, les Décrétâtes, le Sexte et les Extra-
vagantes, commence, semble-t-il, une ère nouvelle du
droit canon. Nous vivons encore sous le régime de
cette législation. Il nous reste donc à examiner quelles
fautes le Corpus punit de la déposition.
On peut les ranger sous quatre chefs : les fautes de
droit commun, fautes contre le respect dû à la dignité
ecclésiastique, fautes contre la religion en général,
fautes contre les devoirs d'état.
Parmi les fautes de droit commun, notons le meurtre
et la complicité de meurtre, dist. L, c. 6, 7, 39, 40;
1. V, tit. xn, De homicid., c. 7; 1. V, tit. xxxt, De ex-
cessib. prselat., c. 10 ; la mutilation ou les coups qui en-
traînent par exemple la perle d'un a-il, dist. LV, C. 13;
la mutilation de soi-même, dist. LV, c. i, 9; le vol et
le parjure. 1. II, tit. i, De judic, c. 10; le faux témoi-
gnage devant les tribunaux, dist. L, c.7; eau-. V. q. VI,
c. 3; la falsilication de documents, chartes ou bulles,
dist. L, c. 7; 1. V, tit. xx, De crin}, falsar., c. 3, ' ■
complicité pour crime, caus. XXXVI, q. il, c. 1, 4;
I. V, tit. xxxiv, De purgat. can., c. 4; participation à
la rébellion, caus. XXIII, q. vm, c. 5; la fornication,
caus. XXVII, q. i, c. 6; l'adultère, dist. LXXXI. c. 10;
l'inceste, 1. V, tit. xxxiv, De purgat. can., c. 15: la
sodomie, 1. V, lit. xxxi, De excess. preelat., c. 4.
Fautes contre la dignité ecclésiastique. Celles-ci
n'entraînaient la déposition en général que lorsqu'il y
avait récidive ; l'ivrognerie et le jeu, dist. XXXV, C. 1;
l'exploitation de débits et maisons de commerce,
dist. XLIV, c. 3; la bouffonnerie et les discours indé-
cents, dist. XLVI, c. 6; les outrages à des supérieurs
ou à des collègues, dist. XLVI. c. 5; fréquentation
suspecte de personnes du sexe, dist. LXXXI. c. 20. 29;
visites répétées et non motivées de religieuses cloîtrées,
1. III, tit. i, De vita et honest., c. 8.
Fautes contre la religion : l'hérésie et l'apostasie,
dist. XXX, c. 17; dist. L, c. 32; caus. I, q. vu, c. 21 :
1. V, tit. vu, De hseret., c.9; tradition de chrétiens aux
païens, dist. XLVI, c. 3; relations trop fréquentes avec
les juifs, caus. XXXVIII, q. I, c. 13; blasphème,
caus. XXII, q. I, c. 10; consultation des diseurs de
bonne aventure et pratique d'usages superstitieux,
caus. XXVI, q. v, c. 5, 13; réitération du baptême,
dist. IV, c. 118; usure, dist. XLVI, c. 1. 2, 5; caus. XIV.
q. iv, c. 3, 4, 8; 1. V, tit. xxxix. De usur., c. 1 ; simo-
nie, caus. VII, q. I, c. 3 ; 1. V, tit. vm, De simon..
c. 11.
Fautes contre les devoirs d'état : elles diffèrent sui-
vant la dignité. Fautes propres aux évéques : le sacre
d'un clerc qui n'est pas élu canoniquement ou qui
n'a pas les qualités absolument requises ou enfin
qui a commis des fautes qui le rendent indigne de
l'épiscopat, dist. XLII, c. 3; dist. LI, c. 5; dist. LXXXI.
c. 3; exercice irrégulier des fonctions épiscopales dans
un diocèse étranger, caus. IX, q. n. c. 6; ordination
d'un clerc d'un autre diocèse sans l'autorisation de
l'ordinaire, caus. XXI, q. il, c. I ; ordination d'un
néophyte, d'un idiot, ou de quelque autre frappé d'ir-
régularité, dist. XLVIII, c. 1; dist. XXXVI, c. 2;
dist. LI, c. 1. Fautes propres aux prêtres : fornication
avec une de leurs filles spirituelles, caus. XXX. q. i,
c. 8,10; violation du sceau de la confession. De psenit.,
dist. VI, c. 2; 1. V, tit. xxxvm. De psenit. et rémis-
sion., c. 12; audition d'un pénitent sur lequel on n'a
pas de juridiction, dist. VI, c. 3, De psenit.; absolution
et inhumation d'un voleur sacrilège impénitent, I. V.
tit. xvn, De rapt., c. 2; traitement irrévérencieux delà
sainte eucharistie, De consecrat., dist. II, c. 2 ; refus non
motivé du baptême, si l'enfant vient â mourir sans être
baptisé. De consecrat., dist. IV. c. 22. Les diacres sont
punis de la déposition, s'ils usurpent des fonctions d'un
ordre supérieur, dist. XCIII,c. 14. Fnfin tous les clercs
sans distinction sont passibles de la même peine s'il>
commettent l'une des fautes suivantes : réception irré-
gulière de l'ordination, dist. XLVIII, c. I : dist. LI. c. 1.
5; réception de l'investiture laïque, De jure patronal.,
1. III, tit. xxxvm, c. 4, 21; abandon de sa propre église
pour passer dans un autre diocèse sans l'agrément de
l'ordinaire, caus. XXI. q. il, c. 1; érection d'un au-
tel sans l'agrément de l'évêque, dist. I, c. 25. De
consecrat.; perception des fruits d'un bénéfice après
('•change avec un autre bénéficiaire, caus. XXI. q. n,
c. 3; négligence scandaleuse des devoirs d'état,
dist. LXXXI, c. 8; dist. XCI, c. 3. 4; dist. XCII.
c. 9; acceptation de présents pour rendre la justice.
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
486
caus. XV, q. n, c. 1; gestion d'affaires civiles par
amour du gain. dist. LXXXYII1, c. 2, 3; cautions.
1. III, lit. xxn, De fide juss., c. 1; service militaire,
caus. XXIII. q. vin, c. 5, 6; 1. V, lit. xxxvii, De pœnis,
c. 5, 7; duel. 1. V, lit. xiv, c. 1, De clerie. pugnant.
luello,\; coups et mauvais traitements à l'égard
d'un subalterne pour lui inspirerde la crainte. dist. XLY,
e. 7: 1. V, tit. xxv, De clerie. percussor., c. 1; sen-
tence d'interdit pour dos motifs personnels et par
haine, caus. XXVI, q. v, c. 13; malversation des biens
d'Égiise, caus. XII, q. n. c. 13. 19, 20. 24, 33, 41;
XVII, q. IV, c. 1; caus. XXX. q. m, c. 5; rejet
du for de l'Lglise et appel au for civil en matières
ecclésiastiques, caus. XI, q. i, c. 11,44; 1. V, tit. xxxi,
De excess. prœlat., c. 15 ; refus d'obéissance à l'évêque,
1. Y. til. xxxi. De excess. prselat., c. [15; résistance
.i l'évêque qui. dans l'intérêt généra), veut élever un
clerc à une plus haute dignité, dist. LXXIY, c. 3,4;
embûches secrètes ou révolte ouverte contre l'évêque,
non observation des sentences de suspense, d'excom-
munication ou d'interdit qu'il a prononcées, caus. III,
([. iv, c. 8; caus. III, q. v, c. 3; caus. XI, q. i,
c. 21-14. 31; 1. Y, tit. xxxi. De excess. prœlat., c. 15;
1. III, til. i, De vita et honest., c. 13; 1. V, tit. xxvn,
De clerii '•un:, ministrant., c. 3; violation
dis lois du célibat par le concubinat ou le mariage,
dist. XXVIII. c. 2. 8,9; dist. XXXII, c. 10; dist.LXXXI,
c. 16-18; dist. LXXXII, c. 2 -S ; 1. III, tit. n. De cohabit.
clerie. et mulier.,c. 1,6; concile de Trente, sess. XXV,
c. xiv, De reform.; continuation des rapports conju-
gaux après réception des ordres majeurs, dist. LXXXI,
e. 19; dist. LXXX1V, c. 4.
I n droit, tout clerc, convaincu d'avoir commis une
faute passible de la déposition, doit être déposé. L'évê-
que ou tout autre supérieur ecclésiastique n'est que
■uleiir de la loi; il ne dépend pas de lui de ne pas
l'appliquer. Cependant on s'est demandé s'il devait
toujours s'en tenir à la lettre stricte du droit écrit et
ne pas tenir compte de ce que l'on est convenu d'appe-
ler les circonstances atténuantes. Justement la vieille
maxime : duo cum faciunt idem, non est idem, est de
m- en matière criminelle el par conséquent en
I. juge doit apprécier l âge, les disposil
mentales, les antécédents de l'accusé qui se présente à
tribunal. Le droit canon suppose même qu'en rai-
le I ntalité du coupable, voire de son âge, la
pénalité peu! être atténuée, dist. LXXXVI, c. 24, Il \ ..
donc di - ras ou la peine de la déposition peut être
commuée en une autre moins ..rave. Le c. I, De
clerie. pugnant. in duello, v. M. nous en fournit un
que h ^ deux clercs duellistes, le vaincu
bii n que I.- vainqueur, soient passibles de la d'-
il n') a pas mort d'ho te ni
mutilation, on peut leur infliger une peine inférii
1 •' pape Mi landr m rei oi ande, t n une circon-
•ii semblabli adoucissement. Co le
ou lui rapportai! qu -n ; prenaienl
l'habitudi de mépriser l'interdit el l'excommunication
nt la d position en continuant d'exi
fonctions, il lit faire une enqui te pour établir le
"•""' ils n- dépassenl j .. . — quarante,
1 qu on leur applique la peine de droil .
nsidérable, qu'on dépose seu-
mvemenl de rébellion et qu on
. l v. m. XXVII, Ih
II. lit. Kl /'.
donc manifeste que. î| i.,
elle-même inflexible, M appartient au
Il chir quelquefoi
• < ulpabilité mérite quelque merci \ plu forti
qui militeni (
ril, raut-il ne
1 Indulgi h
dit le droil canon, Se.ct. Décret., 1. Y, tit. xn, De re-
gulis jur., c. 30; cf. ibid., c. 49; Melius est propler
misericordiam rationem reddere quam propter cru-
delitatem, caus. XXYI, q. vu, c. 12.
//. FAUTES PASSIBLES DE LA DÉGRADATION. — Le
privilégiant fort qui avait été accordé aux clercs par
les empereurs chrétiens offrait, avec ses avantages, de
graves inconvénients. Il établissait parfois entre les
membres de la hiérarchie et les simples fidèles, cou-
pables des mêmes crimes, une inégalité de châtiments
absolument choquante. Comme l'Église ne prononçait
jamais de sentence capitale, les clercs avaient beau com-
mettre des forfaits qui entraînaient civilement la peine
de mort, ils n'étaient jamais condamnés à la subir. Le
scandale devint tel que l'Église finit par abandonner
une partie de son privilège et par livrer ses clercs au
bras séculier. Cette tradition était ordinairement précé-
dée de la dégradation. Il nous reste à indiquer les
crimes pour lesquels les membres de la hiérarchie en-
couraient cette peine.
C'est d'abord l'hérésie. A l'origine, l'Église frappait
les hérétiques'de l'excommunication. Les empereurs
chrétiens édictèrent contre elle différentes pénalités.
Cf. Godefroid, Paratitlon, ad titul. Cod. Theodos., De
hereticis, xvi, 5. Théodose, le premier, en 382, menaça
du summum supplieium les encratites et les hydro-
paratastes. Cod. Theod., XYI, v. De hœrelic.,9. Arcadius
étendit cette pénalité aux eunomiens. Ibid. Lois 3i,
36. Mais en fait, elle ne fut pas d'abord appliquée.
So/oinène raconte que les empereurs voulaient par là
tout simplement faire peuraux hérétiques.//. E., 1. VII,
c. xn, P. G., t. i.vii, col. 1444. Mais au moyen âge, Fré-
déric II reprit la lettre de ses prédécesseurs chrétiens
el «'dicta contre les cathares ou néomanichéens la peine
île mort. Constitution sicilienne de 1231; constitution
Commissi nobis de 1232. Les conciles cl les papes adop-
lerent colle législation. Conciles d'Arles de 1234, can. «;
concile de Béziers de 1246, can. 2, dans Hardouin, t. vu.
col. 237, 416; const. Cum adversus de 1243 d'Inno-
cent IY, Bullarium romanum, t. i, p. 83. Bref, la
peine do mort put être appliquée aux clercs aussi bien
qu'aux simples laïques. Dès 1184, le pape Lucius III
avait déclaré qu'un hérétique, même clerc, devait être
abandonné seculari arbitrio polestatis, anima
simie débita puniendut, après avoir été dégradé, lotivts
ecclesiastici ordinis prerogativa nudetur. Hardouin,
I. VIO, col. 1879. Le concile de Latran de 1215 renou-
di cret, toujours avec mention de la dégradation
■ins prius a suis ordinibm deg>
tis, can. 3. Hardouin, I. vu, col. 19. Grégoire IX fit
insép isions dans les Décrétâtes,]. Y, tit. vu,
Dr heeret., c. 9, 13. Et elles ont toujours force de loi,
sauf en co qui regarde le for civil. Remarquons
lemenl que l'animadversio débita ne devint li peine
•I" mort qu'à partir de Grégoire IX. Sur ton I ceci, voir
'laid, L'Inquisition, i édit.. Pans, l!»07, n. 125
1(11.
Après l'hérésie vient, comme faute entraînant la
dégradation, la falsification dos bulles ou autre-, i
des pape,, i,,. crimen falsi avait été frappé pai le- em-
pereurs de diffén n' le la peine ,|e mort.
Cod. a<i leg. Cornet. , Dr faltis, IX, xxn. Les cou
lui appliquèrent l'excommunication el la déposition,
ile de Rouen de 1096, i m \. Hardouin, t. m /■.
col. 1745; concile d'Orléans d n s. Hardouin,
t. n. col. l u:. Mais lorsque la .nés
lui devenue compli le, li bulles
dei | Multiplieront a un tel point que la lenla-
tion • mt aux inl i dea (aux ■< leur pi
■vanU {, ,|,.
Frauduleuse, hmee. m m i., ai ,,
• n ilion ■ t p> ie. .e .i . ontn l< . te,, ■ ,,,,
livraient la p< m,' di
■487
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
ixg
conséquences : ut clcrici qui per se falsilalis vilium
exercuerint, postquam per ecclesiasticum jwlicem fue-
rint dégradait, seculari poteslate Iradanlur, sectmdum
constituliones légitimas puniendi, 1. V, tit. xx, De
crimine falsar., c. 7; cf. 1. V, lit. xi, De verborum
signifie, c. 27. Les « constitutions légales » dont parle
Innocent n'étaient autres que les lois de l'État, qui pro-
nonçaient contre le crimen falsi des peines corporelles,
y compris la peine de mort. Les canonistes furent d'avis
que cette dernière pénalité devait être appliquée aux
falsificateurs des bulles papales. Barbosa, Collectait., ad
c. 7, X, tit. cit., 20, n. 14; Fagnan, Commentai-., in c. cit.,
n. 40. Innocent III emploie, quand il s'agit des clercs le
mot exercuerint qui indiquerait, ce semble, un métier.
Les canonistes décidèrent qu'un seul acte entraînait la
peine de la dégradation. Barbosa, loc. cit., n. 7 ;
Reifl'enstuel, Jus canon., 1. V, tit. xx, n. 33. Innocent III
entend frapper les clercs qui forgent un faux per se.
En vertu du principe : od'ta restringi convenit, Sexti
Décret., 1. V, tit. xu,De regul. jur., c. 15, les fauteurs,
les complices du faux échappent à la pénalité, bien
que certains canonistes aient voulu les y astreindre en
se fondant sur cette règle du droit : qui facit per
alium est perinde ac si faciat per se ipsttm. Sexti
Décret., 1. V, lit. xn, De reg. juris, c. 72. Le contexte
en effet montre que le pape distingue, à propos des
laïques, ceux qui fabriquent des faux per se ou per
alios. Si donc il emploie une formule différente quand
il s'agit des clercs, c'est qu'il n'entend pas frapper de
la même façon les faussaires et leurs complices. Plus
tard, Innocent X, dans sa constitution In suprcmo
jitstiliœ du 8 avril 1653, Bidlar., t. v, col. 484, inflige
la même peine aux uns et aux autres. A l'origine, les
faussaires que les évêques découvraient dans leurs
diocèses étaient déférés au tribunal du souverain pon-
tife, dist. XIX, c. 3; 1. I, tit. ni, De rescript., c. 2.
Mais peu de temps après la décrétale d'Innocent III,
les ordinaires furent autorisés à prononcer eux-mêmes
contre les coupables. Fagnan, Comment., in c. cit., X,
De crim. fais., n. 65.
On peut établir un rapprochement entre les faux
monnayeurs et les fabricateurs de fausses bulles. Les
législations civile et ecclésiastique sévirent toujours
contre ces faussaires d'un nouveau genre, fussent-ils des
clercs. Le pape Urbain VIII finit par leur appliquer la
peine de la dégradation. Mais, à en juger par le contexte,
cette pénalité n'atteignait que les clercs des Etats de
l'Église. Const. In suprema de 1627, sect. iv, Bullar.,
t. iv, p. 141. Dans le reste de la chrétienté, clercs ou
laïques, qui faisaient de la fausse monnaie, étaient
simplement excommuniés. Concile de Latran de 1123,
can. 15, Hardouin, t. vi b, col. 1113; concile de Salz-
bourg de 1282, can. 17, Hardouin, t. vu, col. 859.
L'excommunication était réservée au pape, dit le con-
cile d'Oxford de 1287. Hardouin, ibid., col. 1126.
Au concile de Lyon de 1245, Innocent IV avait dé-
crété la déposition contre les clercs qui emploieraient
les bandits de la Phénicie connus sous le nom d'/lssas-
sins pour perpétrer un meurtre. La décrétale, Sexti
Décret., 1. V, tit. IV, De homicid., c. 1, l'ut insérée
dans le Liber sexlus du droit, et les canonistes en ont
aggravé le sens. D'après la jurisprudence, tout clerc
meurtrier ou assassin doit subir non seulement la dé-
position, mais encore la dégradation, pour être livré au
bras séculier. Fagnan, Comment., in c. 10, X, De
judic, II, I, n. 72 sq. ; c. 45, Xv De sentent, excom-
municat., V, xxxix, n. 19 sq. ; Barbosa, Collect., ad c. 1,
De Itomicid., VI, V, iv, n. 13 sq.
L'avortement, la procuratio abortus, fut de bonne
heure assimile'' à l'homicide. Cf. concile de Worms de
MiS, can. 35, Hardouin, t. v, col. 742; et frappé de la
déposition, I. V, tit. xin. De Itomicid., c. 20. Sixte Y
estima que cette peine élai.t encore insuffisante. 11 y
ajouta la dégradation avec tradition au bras séculier.
Const. Kffrenatam du 29 octobre l."xS8, Bullar. ro-
man., t. il, p. 702 sq. On sait que l'État punissait de
la peine de mort ceux qui se rendaient coupables
d'avortement. Cf. le code pénal de Charles-Quint,
a. 133. Sixte V mit la procuratio sterilitatis, qui était
déjà considérée connue un homicide, I. Y. tit. xn, De
homicid., c. 5, sur le même pied que la procuratio
abortus, et décida que les auteurs de pareils forfaits
tomberaient sous le coup d'une excommunication ré-
servée au pape, sauf in articula mortis. La décision
de Sixte Y fut confirmée par Grégoire X1Y dans
presque toute sa leneur. Const. Sedes ajioslolica du
31 mai 1591, Bullar. roman., t. il, p. 766 sq. Deux
modifications seulement y furent apportées. D'une part,
la réserve de l'excommunication au pape fut suppri-
mée ; les évêques et les prêtres, à qui les évèqui s don-
neraient une juridiction spéciale pour ce cas, furent
autorisés à la lever. D'autre part, Sixte V. partant de
l'idée que le fœtus n'était pas animé dés le moment de
la conception, ainsi qu'on le croyait de son temps,
avait déclaré qu'animé ou non l'embryon devait être
considéré comme un être humain et que celui qui le
ferait périr encourrait la peine de la dégradation. Mais
Grégoire XIV tint compte de la distinction que l'École
établissait entre le fœtus animé et le fœtus non animé
(on pensait que le fœtus masculin ne recevait l'âme
qu'au bout de quarante jours et le fœtus féminin au
bout de quatre-vingts) et décida que ceux-là seuls
seraient frappés de la peine canonique qui procure-
raient l'avortement d'un fœtus animé. Mais on sait que
l'être humain reçoit la vie dès le moment de la con-
ception. La distinction sur laquelle s'appuyait Gré-
goire XIV est donc injustifiée. Il s'ensuit que tout
avortemenl est passible de la dégradation, comme le
voulait Sixte V.
La sodomie est aussi un attentat contre la vie
humaine. Tertullien, De pudicilia, c. IV, P. L., t. n,
col. 987, et saint Augustin cité par Gratien. caus. XXXII,
q. vu, c. 11, la signalent comme un crime horrible,
une monstruosité. Constantin et ses successeurs lui
appliquèrent la peine du feu. Cod. théod., IX, vu,
ad leg. Jul. de adult., 3, 6; Cod. just.. IX. ix. 31;
Novel., LXXVII, c. 1 ; cxli, c. 1. Les conciles et les papes
menacèrent de la déposition les clercs qui s'en ren-
draient coupables. Concile de Tolède de 693, can. 3.
Hardouin, t. m, col. 1795; Léon IX. E/iitt. ad Petruin
Damian., dans Hardouin, t. vi, col. 976; concile de
Londres de 1102, can. 28, Hardouin, t. vi b, col. 1565;
concile de Latran de 1179. can. 11, Hardouin, ibid.,
col. 1678; cf. Décrétâtes, 1. V, tit.xxxi, De e.rcess. prselat.,
c. 4. Enfin, saint Pie Y décida qu'après avoir été dégradés
ils seraient livrés au bras séculier pour recevoir le châ-
timent que les lois appliquaient aux auteurs de ce crime
quand ils étaient simples laïques. Const. Borrendum
scelus du 30 août 1568, Bullar. rom., t. il, p. 287. Les
théologiens distinguent différentes espèces de sodomie :
la fornication entre personnes du même sexe [sodamia
ratione se.vus). la bestialité sodomia ratione gent
l'onanisme, les rapports contre nature entre personnes
de sexe différent, et l'on s'est demandé si Pie V enten-
dait frapper toutes ces variétés du crime. Il parait sûr
qu'il visait uniquement la sodomie ratione se.rus et
generis, parce que les lois civiles, auxquelles il ren-
voyait les coupables, ne connaissaient que ces deux,
formes. Cf. code criminel de Charles-Quint, a. 116.
Mais un seul acte de sodomie entraînait la dégradation.
Si le pape emploie les expressions : clericos tam
dirum nefas exercentes, il n'y a pas lieu de prendre
le mot exercentes dans le sens d'une « habitudi
La constitution Cum prinium qu'il avait publiée deux
ans auparavant, 1" avril 1566, Bullar. roman., t. n.
p 192, et qui contient, sect. xi, une disposition contre
489
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
490
les sodomites, au lieu de exercere donne perpetrare,
dont l'interprétation n'est sujette à aucun doute. Or,
dans la constitution Horrendum, sect. m, Pie V dit
expressément que sa nouvelle bulle confirme et aggrave,
s'il est possible, la précédente : plenius mine fortius-
gue persequi volentes.
Il est un autre crime contre les mœurs que la disci-
pline ecclésiastique a toujours châtié sévèrement, c'est
la sollicilatio ad turpia et inhonesla in confessione.
Le concile de Trêves de 1227 menaçait les prêtres
sollicitantes de la déposition et de l'excommunication.
Ilefele, Conciliengeschichte, 1886, t. v, p. 944. Pie IV,
par un bref du 16 avril 1561, adressé à l'archevêque
de Séville. demande qu'ils soient, après dégradation,
livrés au bras séculier : débita prsecedente degra-
datione, secularis judicis arbitriez puniendos. Const.
Cum sicut, dans Bullar. roman., t. u, p. 48. La déci-
sion ne regardait que l'Église espagnole. Grégoire XV,
dans sa constitution Universi Dominici gregis du
30 août 1622, l'étendu l'Église universelle. Bullar. rom.,
t. m, p. 484 sq. 11 décrit les diverses manières dont le
confesseur sollicilans peut se rendre passible de la
déposition : peu importe que- le pénitent soit homme
ou femme, que sa sollicitation soit faite dans l'intérêt
du confesseur ou dans l'intérêt d'un tiers, qu'elle ait
lieu avant ou après la confession, dans le confessionnal
on en dehors du confessionnal. Le pape ajoute que les
pénitents sollicités doivent dénoncer le sollicitons
sous peine de ne pas recevoir l'absolution. lienoil XIV
dans sa constitution Sacramenlum pœnitentiœ du
1er juin 17H, Bullarium, Rome, 1754, t. i, p. 30, re-
nouvelle les prescriptions de la bulle de Grégoire XV,
en précisant que le confesseur qui donnerait à son
pénitent ou ;> sa pénitente une lettre déshonnête à lire
après la confession devrait être considéré comme solli-
cilans. Les trois bulles s'en remettent à l'appréciation
du juge séculier pour la peine à appliquer. En quoi
pouvait-elle consister, nous ne saurions le dire. En
tout cas. Benoit XIV, De synodo diœcesana, 1. IX. c. vi,
n. 7. fail remarquer qu'à .sa connaissance la loi n'a pas
i. , u d'application depuis la publication de la bulle de
goire XV.
L Église n'a jamais toléré que ses clercs exerçassent
actions d'un ordre supérieur à celui qu'ils avaient
ur un diacre célébrer la messe ou administrer
le sacrement de pénitence, pour un prêtre remplir les
fonctions épiscopales fut toujours considéré comme un
horrible sacrilège. La déposition atteignait les auteurs
ncjle de Nia e de 325, can. 16, Hardouin,
t. i, col. 331; concile d'Arles de H3 (ou 152) can. 15,
Hardouin, t. n, col. 77 i . Gélase, Epis t., v, ad episcop.
■m. v. c. vi, dans Hardouin, t. u, col. 900; concile
de Braga de 563, can. 19, Hardouin, t. tu, col. 352. Plus
tard, la peine de la déposition fut commuée en celle
de la t rli.iiii III. Epist . n,i /. op.,
dans Hardouin, t. vi, col. 1873; cf. I. V, lit. wvin. /><■
ordinal. »iinistrant.,c. 2. .Mai s au xvi Ie siècle
on jugea qu'il fallait sévir pin, rigoureusement contre
urpateurs d< - fonctions ecclésiastiques. Le pape
Clément VIII, dans sa bulle Etsi alias du I" décembre
1601, décide que quicumque non pronwlus ad
• lux ordineni reperlu» fuerit missarum
, >asse vel saeramentalem confes-
»e.. . rite <'. gradatut Uatim curim
debitit pœnis
. i. m. p. 142. D'apn
■ m. .m pn e, ,|.ni- qu'on
■■ dans i i,i-i de i Kglise, 1 1. Magnum ch
dan - i l'i torius, G
t. m. p. 354, Vuiurpatio iil la peine de
lion d, mettre i n •. Igueur la
bulle de Clémenl VIII, on lit remarquer que, suivant la
coutume,
n'étaient pas soumises à la peine capitale. Urbain VIII
abaissa la majorité requise pour la peine de mort à
vingt ans accomplis. Const. Aposlolatus ofjicium du
23 mars 1627, Bullar. roman., t. iv, p. 144. Et
Benoit XIV, dans sa constitution Sacerdos in seternum
du 20 avril 1744, Bullarium, t. i, p. 208 sq., précisa
les cas où les ;< usurpateurs » tomberaient sous le coup
de la bulle de Clémenl VIII. Ne devaient échapper à la
peine de la dégradation que ceux qui n'auraient pas
prononcé à la messe les paroles de la consécration ou
qui au confessionnal n'auraient pas administré l'abso-
lution.
Il est un autre sacrilège que l'Eglise réprouvait à
l'égal de l'usurpation des fonctions ecclésiastiques, c'est
le vol et la profanation des hosties consacrées ou non
dans un ciboire. Innocent XI, dans la constitution
Ad nostri aposlolatus du 12 mars 1677, demande que
ces profanateurs, eliam pro prima vice curiœ scculari
tradantur, ainsi que leurs mandants. Bullar. roman.,
t. vu, p. 1 sq. Charlemagne, au concile de Paderborn
de 785, avait porté contre eux un capilulaire qui les
condamnait à la peine de mort. Ilefele, Concilien-
geschicltle, 1877, t. in, p. 594. Le code criminel de
Charles Quint, a. 172, édicté la même peine. Mais la
constitution d'Innocent XI ne fait pas d'allusion
expresse aux clercs qui pourraient profaner les hosties.
Alexandre VIII répara cet oubli (ou combla cette lacune)
en décidant que toutes les personnes ecclésiastiques,
même les réguliers, coupables de ce sacrilège, subi-
raient « la dégradation réelle » et seraient livrées « au
bras séculier >• Const. Cum alias du 22 décembre
1690, sect. u, Bullai . roman., t. XH, p. 68. Il se greffa
sur cette question plusieurs cas de conscience. Si les
hosties n'étaient pas consacrées, si la mauvaise foi des
profanateurs n'était pas suffisamment établie, fallait-il
néanmoins leur appliquer la peine? Benoit XIV se
prononça pour la négative dans la constitution Ab
augustissimo eucharisties, du 5 mars 1744, Bullarium,
t. i, p. 190 sq., et maintint, quant au reste, la décision
d'Alexandre VIII.
Nous avons énuméré tous les crimes que la législa-
tion ecclésiastique a désignés spécialement comme
passibles de la déposition. 11 est, cependant, une formule
plus générale qui semble appliquer la même pénalité à
d'autres fautes graves des clercs : nous voulons parler
de la consultation de Célestin III ainsi conçue : Si
clericus in quoeumque ordine conslitutus in furto
vel homicidio vel perjurio seu alio mortali crimine
fuerit deprehensus légitime atque convictus, ab
iastico judice deponendus est. Oui si depositus,
incorrigibilis fuerit, excommunicari débet, deinde,
contumacia crescente, anathemalis mucrone feriri,
Postmodum vero, si in profundum malorum veniens
contempserit, cum Ecclesia non habeal ultra quid
facial, et ne possil esse ultro perdilio plurimorum.
tecularem comprimendus iist potettatem, ita
quod ei deputetur exsilium tel alia légitima pœna
inferatur, I. II. tii. i. De judic., c. 70. Le pape ■
que les voleurs, les homicides, le- parjures ou tous
nds criminels qui, sous le coup des pénalités
amélioreraient pas, soient ii
.m in. i- séculier. Cela implique la dégradation. M. us
quand il fut question de déterminer les ^r;m,ls crimes
qui pouvaient entraîner cette peine, les canonistes ne
lurent pas d'accord, i n Merlu de ce principe "./ai
restringi '■/ favores convenii ampliari, Seat, Décret.,
De reg. ,/"<■., c- I"', un certain nombre d'entre eui
ie i ■ ni qu'il fallait s en tenir a la lettre du ,1
dire aux fautes que le droit
ment. Comme cette question n'a qu'un intérêt rétros-
pi m . ■ ondaire, nous nom abstiendront de la discuter
plu- ., fond, Cf. Kober, • ■}< cit., y 708407,
III. Ili - il RSONNI - M VI i i i i - àPPARTISNI I i D
491
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
492
Dl DÉPOSITION. — /. SUR LE CLERGÉ DO DIOl
— L'évoque a, de tout temps, possédé le droit de dé-
poser les clercs de son diocèse. Il est, en effet, l'héritier
des apôtres, et c'est à eux que le Christ a conféré le
droit de « régir l'Église de Dieu. » Act., xx, 28. << Tout
ce que vous lierez sur la terre, leur dit-il, sera lié
dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre
sera délié- dans le ciel, x Matin., xvin. 19-20; cf. Marc,
xvi, 15-16; Luc, xxn, 19; Joa., xx, 21-23. Aussi voyons-
nous, dans les Actes, les apôtres à l'œuvre, nommant
des diacres, et leur imposant les mains, vi, 1-6; éta-
blissant des prêtres à la tête des églises, xiv, 22, et
posant des règles disciplinaires au nom du Saint-
Esprit, xv, 28-29. Au point de vue pénal, l'autorité
n'est pas moins visible. Le Sauveur leur avait dit de
considérer comme des païens et des publicains ceux
qui n'obéiraient pas à l'Église. Mat th., xvnr, 15-17.
Usant de ce droit, saint Paul livre à Salan un fidèle
de Corinthe. ICor., v, 3-5; cf. II Cor., xm, 10; ITim.,
i, 20. Et les prêtres n'échappent pas plus que les fidèles
à cette juridiction. Saint Paul, l ïim., v, 17-21, de-
mande seulement que les accusations portées contre
un prêtre ne soient pas reçues à la légère. Presbytero-
rum ergo judices sunl episcopi el quidem summi ja-
dices, écrit Thomassin, à propos de ce texte. Part. II,
1. I, c xv, n. 3.
En excommuniant le fidèle de Corinthe, l'apôtre
prend à témoin les membres de la communauté : con-
gregatis vobis et meo spiritu. I Cor., v, 4. On en peut
conclure, ce semble, qu'il n'entendait pas agir seul.
Leçon destinée à montrer aux évêques futurs qu'ils ne
devaient pas procéder à des exécutions aussi graves
sans prendre avis de personnes compétentes de leur
entourage.
Le premier cas de déposition de prêtres constaté
par l'histoire se trouve justement dans l'Église de
Corinlhe : c'est l'œuvre de la communauté; le rôle de
l'évèque n'est pas nettement indiqué. C'est que Co-
rinthe comptait plusieurs presbylres (ou prêtres) épis-
copes. S. Clément de Rome, 1 Cor., xliv, 5; liv, 2;
lvii, 1, Funk, Patres apostolici, 2e édit., Tubingue,
1901, t. i, p. 156, 168, 172. S'agissait-il d'une révolte
de la communauté contre tous les supérieurs ecclé-
siastiques, ou bien certains presbytres furent-ils assez
puissants pour déposer leurs collègues? Saint Clément
de Rome intervint et posa ce principe : « Ceux qui
ont été établis par les apôtres ou par les créatures des
apôtres, toute l'Église y consentant — et qui ont rem-
pli leur ministère sans reproche, selon le témoignage
persévérant de tous — ceux-là, notre avis est qu'on
ne peut les déposer de leur ministère, » xliv, 3, p. 156.
Si Clément ne parle pas de celui à qui revient le droit
de déposer un prêtre, c'est que 1 épiscopat monar-
chique n'était pas encore définitivement établi à Co-
rinlhe, comme il l'était à Rome. Sur cette question
qui demanderait à être traitée à part, cf. Kober, op.
cit., p. 289 sq.; Batiffol, La hiérarchie primitive, dans
Éludes d'Iiisloire et de théologie positive, Paris, 1902,
p. 225 sq.
A partir du jour où chaque Église fut régie par un
évêque, celui-ci jouit de toutes les prérogatives du
pouvoir; le rôle de juge des clercs de son diocèse lui
fut exclusivement réservé. C'est ainsi qu'en 231
l'évèque d'Alexandrie Démétrius frappa Origène de la
peine de la déposition, sous sa propre responsabilité
et sans l'avis de ses prêtres. Photius, Biblioth.,
cod. 118, P. G., t. cm, col. 397. Le concile d'An-
tioche de 341, can. 12, suppose que cet usage est
partout en vigueur : Eï tiç Oitô to0 iôt'o-j èjriffxÔ7rov
xaOaipsÛs'i; upEo-ëûxepo; r\ ôi'axovoç, •/.:),. Hardouin, t. i,
p. 597. Les conciles de Carthage de 390, can. 8, ibid.,
col. 953. et de 398, can. 66, ibid., col. 983, et Gratien,
caus. XI, q, ni, c. 30, parlent de la même idée, quand
ils reconnaissent au prêtre ou à tout autre clerc déposé
le droit d'en appeler aux évêques voisins ou au synode.
Les Constitutions apostoliques, d'origine orientale,
posent expressément ce droit épiscopal en principe,
aux environs de l'an 100 : 'En:<rxo7co; naQatpei icâvra
xXr,p(xàv aÇiov Svra xaOaipItre&K, 1. VIII, c. xxvni,
P. G., t. i, col. 1 121. El ce principe était si universelle-
ment reconnu que les empereurs chrétiens le sanc-
tionnèrent par une loi : « Tout clerc accusé devait
d'abord comparaître ju.rta sacra instiluta, apud epis-
copuni in quo clcricus rersatur, » 1. XXIX, De episcop.
audientia, iv, 1.
Et ce n'est pas seulement en vertu des textes scrip-
turaires ou de la théologie positive que l'on peut attri-
buer à l'évèque le droit de déposer les clercs de son
diocèse. Il suffit de remarquer que les clercs n'existent
que par lui, pour en conclure que ce qu'il leur a dôme
il doit pouvoir aussi le leur ôter. Les apôtres, leurs
auxiliaires et leurs successeurs confèrent par l'imposi-
tion des mains les différents degrés de l'ordre. Cf. Act..
vi, 6; xiv, 23; I Tïm., m, 14, 15; II Tim., i, 6; lit.,
i. 5. Saint Jérôme et nombre d'autres Pères notent
justement que ce qui distingue les évêques des simples
prêtres, c'est le pouvoir d'ordonner : Quid facil,
excepta ordinatione, episcopus, quod presbyter non
faciat? Epist., lxxxv, ad Evangelum, P. L., t. xxn.
col. 1194. Cf. S. Jean Chrysostome, In 1 ad {Tim.,
homil. xi, P. G., t. lxii, col. 553. Il est vrai que dans
l'ordination de ïimothéela participation des prêtres à la
cérémonie est également marquée : p.E7a irabiaiw; tô*
/Eipôiv to-j TrpECTo-jTEp'O'j, I Tim., iv, 14; les prêtres
imposent aussi les mains au nouvel élu. Mais cela
n'empêche pas saint Paul de penser que le pouvoir
d'ordre, le yâpi(T(j.a, n'a été conféré à son disciple que
par lui-même, otà -r?,: i-tiinzw; t<ôv getp&v piou. II Tim.,
i, 6. C'est ainsi, du reste, que la tradition a toujours
interprété la participation des prêtres à la cérémonie
de l'ordination sacerdotale. « Lorsqu'on ordonne un
prêtre, dit le prétendu IVe concile de Carthage, epis-
copo eum benedicenle et maman super caput eius
tenente, tous les prêtres présents tiennent aussi leurs
mains sur sa tête à côté de la main de l'évèque, »
can. 3, dans Hardouin. t. i, col. 979, et Gratien, dist.
XXIII, c. 8. Il est clair que c'est la « bénédiction »
épiscopale qui est censée conférer l'ordre, et non la
simple imposition des mains laquelle est commune à
l'évèque et aux prêtres. Les Constitutions apostoliques,
1. VIII, c. xxviii, P. G., t. i, col. 1121, soulignent ex-
pressément celte» distinction : ètuV/.o-o; /E;poGETe:T
ysipoTOVEÎ... ; TtpEtrêjTEpoç... ysipoOeTE!, où -/E!po?ov;f,
j/resbyter manus imponit, non ordinal. C'est donc
bien l'évèque et l'évèque seul qui communique le pou-
voir d'ordre, c'est par conséquent à lui seul que revient
le droit de l'ôter.
11 est bien vrai que, pour le conférer, il est assisté
de son presbyterium. Pour la même raison, il ne
l'ôlera pas non plus sans l'assistance de ceux qui
forment son conseil. Le pape Corneille donne l'exem-
ple de cette pratique dès le milieu du ni' siècle : Omni
igitur actu ad nie perlato, placuit conlrahi presbyte-
rium... ut /innato consilio, quid circa personam
eorum observari deberet, consensu omnium stalue-
retur. Epist., xi.vi, ad Cyprianuni, P. L., t. îv,
col. 311. Mais l'Eglise, dans sa prudence, voulut en-
tourer de toutes les garanties possibles un acte aussi
grave que la déposition d'un prêtre, ou même d'un
simple diacre. Le concile de Carthage de 348 exige
pour la déposition d'un prêtre la présence de six
évêques voisins, el pour celle d'un diacre la présence
de trois évêques, can. 11, Hardouin, t. i, col. 687.
Même règle au concile de Carthage de 390, can. 10,
ibid., col. 953, et au concile de Carthage de 397, can. 8,
ibid., col. 962; Gratien, caus. XV, q. vu, c. 3-5.
493
DÉPOSITION ET DEGRADATION DES CLERCS
494
Cf. concile de 398, can. 23, Hardouin, t. i, col. 980.
L'ordinaire conserve plus de liberté pour juger les
clercs minorés : reliquorum auteni clericorum causas
etiam solus episcopus loci agnoscit et finiat; il est
seul pour en connaître et porter la sentence. Saint
Grégoire le Grand ne fait pas de distinction entre les
clercs; il demande seulement que l'évoque ne décide
rien sans son conseil : de quoeumque clerico... prse-
sentibus senioribus Ecclesise tuse diligente)' est veritas
perscrulanda, etc. Epist., 1. XIII, epist. xi.iv, ad
Joann. Panorniit. episcop., dansGratien, dist. LXXXVI,
c. 23, et caus. XV. q. vu, c. 2. Cf. le concile de
Tolède de 674, can. 7, dans Hardouin, t. m, col. 1027.
Dans la pratique, la prescription des conciles de Car-
tilage n'était pas facile à observer. Les canonistes du
moyen âge la rappelaient volontiers. Concile de Trêves
de 895, can. 10, dans Hardouin, t. VI, col. 412; Réginon
de Priim, De synodalibus causis, append. I, c. 63,
édit. Wasserschleben, op. cit., p. 421. Aussi le concile de
lîouen de 1072, can. 20, dans Hardouin, t. VI, col. 1 190,
nutorise-t-il les évoques convoqués par l'ordinaire pour
la déposition d'un prêtre ou d'un diacre à,se faire rem-
placer par un « vicaire » : unusquisque qui adesse non
poterit, vicarium suum cuin sua aucloritate trans-
mutât. Le concile de Frioul, dans la province d'Aqui-
lée, décide au contraire, en 796, que l'ordinaire, en
pareil cas, devra prendre avis du patriarebe avant de
procéder à la déposition d'un prêtre, d'un diacre ou
d'un archimandrite, can. 7, Hardouin, t. iv, col. 858.
Ces diverses décisions embarrassent Gratien qui les
rapporte dans son Décret, caus. XV, q. vu, c. 1, 7;
caus. Ill.q.x . c.2-6. Grégoire IX essaie d'y mettre quelque
ordre. Il commence par bien établir que la destitulio
d'un prêtre appartient à l'évêque, aussi bien que son
institutio, I. V, lit. vu, De hœrelic, c. 12; cf. 1. III,
lit. xxxvn. De capell. monach., c. 1, tam ordinatio
ejus quam depositio. Mais ce principe posé, il demande
que l'ordinaire ne frappe pas ses prêtres de suspense
sinr judicio capiluli, I. Y, tit. XXXI, De excess. prxlal.,
c. 1. El puni la dégradation sans laquelle un prêtre héré-
tique ne pouvait être livré au bras séculier, comme le
nombre d'évéquea requis par les canons n'était pas
facile à réunir, il autorise l'évêque à les remplacer
par les abbés et les autre- prélats ou personnes reli-
li ttr< es de son diocèse. » iiext. Décret., 1. V,
lit. il, De lurent., c. 1.
lions 'le Grégoire l\ devinrent bientôt
lettre moite. Durand, tout en reconnaissant que, pour
procéder à la déposition d'un prêtre, l'évêque doit le
cutti sud • ua synodo, cutn tuo capitulo,
observe que dans la pratique il n'en est pas ainsi :
Qtendent perse vel per officiale» iuos,
- criminelles de leurs clercs Spéculum
. I. III. pu lie. I. sect. IV, lie accusai . Le cbapiti
prend aucune pari .i leur décision. Boniface VIII cons-
tate que cette procédure simplifiée avail de -on temps
de coutu i déclare qu'il n'y a pas lieu de |,,
ennsuctudo quam allegat episco-
,i,s. puniendis et
I iluli
ne tenealur. Sert. Décret., I. I.
lit ' , tit. xvi. lie offic. or dinar., c. 7.
Il 'I' In n!' le lil que e.n .,, I e| , , | , t.,| ,|r
d décidant que. dans les affaires dise iplinain
! évi que ou l'ordinaii • lerail seul juge
•n de lOUtt lugl i ■ le • étl RUgl i \ IV,
; \llellll I I. le il,. M, m
' on idiction. Sets. M V, c. iv . De
dO i .un pOE
llfe 'i ut s'en pn valoir,
poui i il' leui évi que. Jbid.,
Il faut due l.i nu ne | .mi ail ni
i I' pape, I. I, tit. xxxiii. /'•
et obedient., c. 7; 1. II, tit. n, De foro compétent., c. 3,
20; 1. V, tit. xvii, De raptor., c. 1. Cf. Kober, op. cit.,
p. 338-340. Que si un évêque ou autre prélat possède
par privilège quelque droit de juridiction sur certaines
personnes d'un diocèse déterminé, il ne peut l'exercer
sans l'assentiment de l'ordinaire de ce diocèse. Sess. XIV,
c. vin, De reforni. Pour mieux marquer son intention,
le concile ôta même aux archidiacres les privilèges qu'ils
possédaient au moyen âge. On sait qu'ils exerçaient
dans leur archidiaconé une juridictio propria indépen-
dante de la juridiction épiscopale, 1. I, tit. XXXIII, De
of/ic. archiiliac, c. 7; 1. V, tit. xxvn, De pœnis, c. 3.
Innocent III reconnaît expressément l'archidiacre
comme « juge ordinaire » : ne diœcesanus episcopus
vel arcltidiaconus j udex , etc. Regesta, 1. XIV, epist. xlv,
P. L., t. CCXVI, col. 413. Un tel pouvoir limitait d'au-
tant l'autorité épiscopale. Le concile met un terme à
cet abus; il décrète que « les causes matrimoniales et
criminelles seront réservées à l'examen et à la juridic-
tion de l'évêque seul. » Sess. XXIV, c. xx, De reforni.
Dans ces conditions, l'ordinaire jouit d'une indépen-
dance absolue vis-à-vis de son clergé, et il n'a besoin de
recourir à l'assistance de personne pour juger et dépo-
ser un prêtre ou un diacre, à plus forte raison les
clercs minorés.
En vertu d'un mandatunt spéciale, les vicaires g;né-
raux ont le même pouvoir sur les clercs d'un diocèse,
et, le siège vacant, cette prérogative passe au chapitre,
et par le chapitre au vicaire capitulaire. Sexli Décret.,
1. I, tit. xm, De offic. vicar., c. 2. Cf. tit. xvi, De offic.
ordinar., c. 7; concile de Trente, sess. XXIV, c. xvi,
De reform.
Les droits que l'évêque exerce dans son diocèse, le
pape les possède dans toute l'Eglise. Gratien, c. 17,
18, caus. IX, q. ni; cf. c. 6, dist. XL. Tout clerc, à
quelque diocèse qu'il appartienne, peut donc être déposé
par le pape. Il va sans dire que les conciles généraux
jouissent des mêmes prérogatives que le souverain pon-
tife. Le champ d'action des cardinaux est beaucoup
plus limité; ils ont la juridictio quasi episcopalis dans
les églises de leurs titres, Sixte-Quint, const. Religiosa
de 1587; et le droit de censure sur les clercs attachés
à ces églises leur est expressément reconnu, 1. 1,
tit. xxxili, De majorit. et obedient., cil; comme ils
peuvent instituer ces clercs en toute indépendance, I. I,
lil. vi, De elect., c. 24, ils peinent pareillement les
déposer. Fagnan, Comment, in c. Il, X. De majorit. et
obedient., I. xxsill, n. 21. Les légats du pape exerçaient
aussi au moyen âge, comme représentants du pape,
une jui idicito ordinaria, dans la province qui leur
('■lait confiée, 1. I, lit. xxx, De of/ic. Icqat-, c. 3.
Cf. Reiffenstuel, ad h. lit., n. 25. Celle juridiction qui
limitait nécessairemen celle de l'ordinaire parut abu-
sive. Elle fui supprimée par le concile de Trente.
S.XIV, c \\. De reform. Le droit des archevêques
ou métropolitains ne s'étendent pis jusqu'à la dépo-
sition des clercs des diocèses Buffragants, cuis. IX.
q. ni, c. 7, 8, arg. ; 1. 1, lil. XXXI, Dr offic. jud, ordinar.,
e. 9; il- forment simplement un tribunal de première
instance pour certains cas déterminés, Fagnan, Corn*
nient., in <■. 8, \. Dr excess. prrntal . \ . xxxi, n. s.
I. liai ne possède évide lent pas le pouvoir de dé-
lei clercs. Ces! un principe de droit romain,
aussi bien que de droit canonique, qu'un privilège ne
peut ■ lie ,,i, que par l'autorité qui le confère <<' inde
a /m! Ivalio, unilr etiam datur. Novell., xv,
c. i . cf. I. v. Ut, vu, De hmret., c. 12. El le pouvoir
civil ne pi ni conférer l'ordre m la juridiction ecclé-
siastique, ^e fui donc |i,n abus que le i"
simplement les patron I es firent, au moyen
.n ii d'autorité pour donnei ou ôter les bénéfices. L •
( oui île pi un illégitime,
Concile ii tries de 813, can. 39, dans Hardouin, t. iv,
',!!.-,
DEPOSITION ET DÉGRADATION DES CLEF
L96
col. 1004, 1014; concile de Lillebonne de 1080, can. 9,
Hardouin, t. vi, col. 1599; concile «l( Londres de 1125,
can. 9, Hardouin, t. vi, col, 1 12G; concile de Tolède de
683, can. 2, Hardouin, 1. [II, col. 1739. Et le III» concile
de Latran de 1179 prononça contre ceux qui attente-
raient aux droits exclusifs de l'évéque sur ses clercs en
matière criminelle la peine de l'excommunication, 1. III-
lit. XXXVIII, De jure patronat., c. 4.
Mais comment l'évéque procède-t-il pour déposer un
clerc? Si le clerc esl présent, il suffit que le juge pro-
nonce contre lui la sentence de déposition; s'il est
absent, on la lui communique par écrit. Telle est la
coutume, comme on peut le voir par la déposition de
Nestorius au concile d'Éphèse de 431, Hardouin, t. j,
col. 1421, 1433; par celle d'Eutychès au concile de Cons-
tantinople de 448, Hardouin, t. n, col. H33; par celle
de Gotescalk au synode de Quiercy en 8i9, Hardouin,
t. v, col. 20; cf. Hefele, Conciliengeschiehte, 1879, t. iv,
p. 137 sq.; par celle que prononça le pape Nicolas Ier
contre l'archevêque de Trêves et l'archevêque de Cologne
en 863. Hardouin, t. v, col. 594; Gratien, caus. XI, q. III,
c. 10. Cf. la sentence de déposition prononcée par Inno-
cent III et devenue une formule du droit, 1. II, tit. xiv,
De dolo et contumac, c. 8. Du reste, même après que
Doniface "VIII eût réglé le cérémonial de « la dégrada-
tion actuelle, » la simple déposition conserva son carac-
tère de simplicité, et Durand montre que, de son temps
comme par_le passé, deponitur quis solo verbo. Spécu-
lum juris, 1. III, part. I, sect. il, De accusât.
il. DÉPOSITION DES ABBÉS. — A l'origine, les monas-
tères n'étaient peuplés que de laïques; les abbés eux-
mêmes ne faisaient pas partie du clergé. La juridic-
tion que l'évéque exerçait sur eux ressemblait donc à
celle qu'il exerçait sur les simples fidèles : la plus
grande peine qu'il pouvait leur infliger était la péni-
tence publique. Cf. S. Léon le Grand, Epist., ci.xvn, ad
ïtuslicum Narbonens., c. xiv, P. L., t. nv, col. 1207. Le
concile de Carthage de 401, can. 14, laisse entendre que
nombre de moines recevaient les ordres. Hardouin, t. i,
col. 988. Dans tous les cas, clercs ou non, les moines dé-
pendaient du tribunal de l'ordinaire; les lois ecclé-
siastiques et les lois civiles le reconnaissent. Concile
de Chalcédoine, can. 7, Hardouin, t. il, col. 603; No-
vell., lxvii, c. i; cxxin, c. ii. On peut voir dans Gratien
toute la législation qui se réfère à ce sujet, caus. XVIII,
q. ii, c. 16. La même discipline se retrouve dans les
Décrétâtes de Grégoire IX, 1. I, tit. vi, De elecl., c. 49;
1. V, tit. m, De simonia, c. 43, et de Boniface VIII,
c. 7, Sext. Décret, V, tit. vu, De privileg.
Les abbés doivent obéissance à l'ordinaire du lieu où
est fondé leur monastère, c. 9, Sext. Décret., 1. V,
tit. vu, De privileg. Cf. pontifical romain, De bene-
dictione abbalis. Aussi bien, s'ils doivent être élus
librement par leurs frères et en conformité avec [les
règles particulières de leur institut, cf. Régula S. Be-
nedicti, c. i.xiv, P. L., t. lxvi, col. 880; concile de
Carthage, sub Reparato, de liberlate monaslerioruni,
dans Hardouin, t. n, col. 1178, et le code de .lustinien,
De episcop., III, i, 47 : quem commune reliquorum
monacltoruni coniplemenlum aut maxima eoruut
pars idoneuin ad hoc putaveril et... elegerit, leur
élection reste sans effet tant qu'elle n'est pas ratifiée
et confirmée par l'ordinaire. Justinieo remarque expres-
sément qu'il appartient à l'évéque ut promoveat ipsurti
(élection) ail hujusmodi abbalis ordinem. De episcop.,
III, î, 47. C'est donc l'évéque qui proprement institue
les abbés dans leurs fonctions. Il s'ensuit qu'il peut
les destituer. Et historiquement on voit qu'il en fut
ainsi. Cf. concile de Toul de 859, can. 1, dans Har-
douin, t. v, col. 487. Le IVe concile de Latran consacre
cette pratique. Il recommande aux visitateurs et visi-
tatrices des monastères de signaler les abbés indignes
à l'ordinaire, afin d'obtenir leur déposition : deitnn-
lient episid/m proprio "t illum amovere procuret.
De statu monachorum, 1. III, tit. xxv. c. 7. Kl pour
faciliter l'application de cette discipline, Honorius III
autorise l'ordinaire à procéder absqi
strepitu. Sur le sens de ces expressions, »oir dans les
Clémentines, I. V, tit. xi, De verborum signifiait., c. 2.
Cf. Reiffenstuel, Jus canonic, I. V, tit. i, n. 320
l'abbé est coupable de dilapidation ou d'un autre crime
non moins grave, dit le pontife, per diœcesanv
amoveatw absque judù irepilu a regimine
abbatise », etc. Les fautes pour lesquelles l'ordinaire
peut frapper de la peine de la déposition un abbé- de
son diocèse sont indiquées dans les conciles, dans Gra-
tien et dans les Décrétâtes. Concile d'Orléans de 511.
can. 19, Hardouin. t. il, col. 1011; concile d Epaone de
.">I7, can. 19. ibid., col. 1019: concile de Toul de 839,
can. I, Hardouin, t. v. col. 187; Gratien, caus. XVIII,
q. il, c. 15; Décrélales, 1. III, tit. xxxv. /),■ statu ,,iona-
cltorum, c. 2; Glossa, in c. 6. X. tit. cit.. III. xxxv,
au mot Négligeas; const. Panas fons de Clément IV
en 1265, dans Tamburini, De jure abbalum, t. i.
disp. XIII, q. n, n. 13.
Est-il besoin de noter, en finissant, que durant le
moyen âge un grand nombre d'abbayes étaient exemp-
tes et ne relevaient que du saint-siège'.' La juridiction
épiscopale s'arrêtait nécessairement à leurs portes.
C'était le souverain pontife seul qui donnait à leurs
abbés la bénédiction et confirmait leur élection. Cala-
lani, Pontificale romanum, t. i, p. 253 sq. Seul par
conséquent le pape pouvait les destituer et les déposer :
Hœc circa exemptos ahbates fieri praecipimus.... dépo-
sition' ipsorum sedi apostolicae reserrata, etc. L. III,
tit. xxxv, De statu monach., c. 8. Pour la procédure
suivie en pareil cas, cf. Tamburini, <qi. cit., t. i,
disp. XIII, q. il, n. 1.
///. miras ri tn\ des ÉvÊQUES. — C'est un principe
du droit, fondé d'ailleurs sur la nature des choses,
qu'un égal ne peut juger son égal : Non habet impe-
rium par in parent, 1. I, tit. vi, De elect., c. 20. l'n
évêque ne peut donc être déposé par un évéque. Les
Constitutions apostoliques, aux environs de l'an MX),
l'avaient déjà reconnu, I. VIII, c. XXVIII, P. C, t. i.
col. 1 124. Le concile de Conslanlinople de 394 posa même
en règle que la réunion de deux ou trois évéques n'était
pas un tribunal compétent pour juger un de leurs
collègues. Hardouin, t. i, col. 957.
A considérer la constitution de l'Eglise telle qu'elle
s'est accusée à travers les âges, c'est le pape seul, le
successeur de saint Pierre, chef des apôtres, qui, en
raison de sa primauté, exercerait une suprême juridic-
tion sur ses frères les évéques. Celte primauté se trouve
attestée, dés le début du n siècle, par saint Ignace.
L'épitre qu'il adresse aux liomains contient dans sa
suscription certaines expressions très caractéristi-
ques: r,Ti; xxi itpoxà6/-,Tai vi toto) ^topt'ov 'Pcij-jau.iv...
y.x'i npoxa6r||iiv7| irt: a-iTTr,;. /'. Cf., t. v. col. 685.
M. Funk, qui discute ce texte à fond, lier Primai
der rômischen Kirche nach Ignalius und 1 rendus,
dans Kirchengeschichtliclie Ab/tandlungen, Paderborn,
1897, I. 1, p. 219, le traduit ainsi : L'Église qui pré-
side dans le pays des Romains... qui préside sur la fra-
ternité. " L'évéque d'Antioche attribue donc à l'Eglise
romaine une prééminence universelle... Reste à savoir
où cette prééminence a sa source... Si l'on considère
que, un peu plus loin, n. 4, ibid., col. 689. Ignace men-
tionne le rapport qui relie' l'Église romaine aux apôtres
Pierre et Paul, on peut conclure, par voie d'induction.
qu'il fonde sur ce rapport la primauté dont il vient de
parler. » Cf. Denys Lenain dans la Revue d'histoire
et de littérature religieuses, t. vi (1901 . p. 455-156.
Voir pourtant, contre celte interprétation. Tunnel, llis-
toire lia dogme de la papauté, Pari-, 1908, p. 16-18.
:(7-:;s. (in ne doit donc pas s'étonner que le pontife
497
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
i98
romain ait exercé son autorité au loin, dés l'origine.
Quand le pape Victor (vers 185-197) menaça les évêques
d'Asie de l'excommunication, à propos de la question
pascale, saint Jrénée lui fit voir l'inopportunité de
la mesure sans mettre pour cela en doute le pouvoir
suprême en vertu duquel le pontife agissait. Eusèbe,
H. E., 1. V, c. xxiv, P. G., t. xx, col. 193. Calliste
affirme pareillement sa suprématie et Tertullien lui
reproche de se considérer comme l'évêque des évêques.
De pudicitia, c. i,P. L., t. Il, col. 981. Le pape Etienne,
dans la controverse sur le baptême des hérétiques, ne
manquera pas d'invoquer le titre que lui confère le Tu
es Peines, pour imposer à l'Église d'Afrique la règle
qu'il suit lui-même. S. Cyprien, Epist., i.xxv, n. 17,
élit, llartel, du Corpus de Vienne, p. 821. Et bien que
saint Cyprien s'insurge' contre la décision de celui qu'il
considère comme son « collègue », Epist., i.v, n. 8;ix,
n. "1, etc.. édit. Hartel, p. C29, 488, de Rome, il ne va
pas jusqu'à méconnaître la primauté de « la chaire de
Pierre o : Xarigare audeni et ad Pétri cal/ieclrani, etc.
Epist., xn, n. 14, P. L., t. ni, col. 818.
Sun opinion à cet égard mérite d'être notée. Dans son
traité' F)e calholicse Ecclesiœ unitale, il remarque que
le Seigneur a bâti son Église sur un seul : « Sans
■doute, les autres apôtres étaient autant que Pierre; ils
avaient reçu en partage les mêmes prérogatives et la
lui nie puissance. Mais l'unité est au début, exordium
ab unitale, pour nous apprendre que l'Église du Christ
-est une. » De catholiese Ecclesiœ unitale, n. 4, 5, 7, P. L.,
t. iv, col. 199 sq. Le passage qui contient ce traité sur
« la primauté de Pierre » parait interpolé. Cf. Tunnel,
Histoire du dogme de la papauté, Paris, 1908, p. 109,
note. On pourrait dériver de la la primauté du pape.
Saint Cyprien semble pourtant ne voir dans le Tu es
Petrus, que le gage et le symbole de l'unité. 11 va plus
loin dans une ('pitre adressée au pape Corneille, il
signale des schismatiques qui, après s'être donné un
[ue hérétique, ont eu encore l'audace de naviguer
ire île Pierre, de su présenter devant la
première Eglise, celle d'où est sortie l'unité épiscopale
pour lui porter des lettres impies. Epist., xil, n. 14,
/'. /.., t. ni, col. 818. Cet appel des schismatiques a
Rome est déjà en soi fort significatif, et le primai de
Carthage n'en méconnaît pas la portée dogmatique.
\ln- une pareille démarche lui parait tout à fait r
table, parce que les appelants ont déjà été jugés sur
place en connaissance de cause et qu'il serait indigne
des évêques qu'on pûl les accuser d'inconstance et de
légèreté dans leurs arrêts. Ibiil. Cyprien n'envisage
pas ici le cas où la sentence primitive, inacceptée des
coupablec cas s'esl présenté a
Arles, el le primai d'Afrique sollicita lui-même le
pape Etienne d'intervenir pourla déposition de Marcien,
qui avait pris parti pour les novatiens. « Envoie, dit-il,
à la province et au peuple d'Arles une lettre qui -
Marcien de son siège afin qu'un autre soil un
i.,., quibu$,ab lento Warciano, alms inlocc
tilualur. Epist., i.xyii. n. 3, /'. L., t. iv,
col. 399. On ■< bi .nu ib strict de o
qui n esl pas douteux, c'esl que Cyprien
nul, -.m pape un- li itrcen vertu de laquelle l'évêque
d'Arles sera di pi ié. Cf. Turmel, op. ni., p. [26 sq.
luprématie du pontife romain el les droits atla-
ni donc suffisait ml reconnus par saint
rai qu'ailleurs il demande ■ au noi
[uité, que la cause -ni inslrui
oolecrime i été commis » et qui li accusés plaident
h m
ad Cornel., n. I i. /' / , t. m.
col. .. m. I. o,, . C,.,,,. péciatng.
tion i I lil ju ■■ Mais elli
ni loui qu< , droil lupn me
papauté-, fui-il reconnu en | tail ù un.
application difficile pour ne pas dire quelquefois im-
possible. Aussi, en fait, la discipline touchant la dépo-
sition des évêques a-t-elle varié suivant les temps.
Le concile de Nicée posa un principe d'où l'on tira
peu à peu la règle à suivre en celte matière. Le canon 4
décide que les évêques ne peuvent être institués que
par les évêques réunis de la province, métropolitain en
tête. Ilarduuin, t. i, col. 323; Gratien, dist.LXIV, c. 1.
On ne peut conclure que leur destitution doit s'opérer
de la même manière. Du reste, dans le canon 5, il est dit
que chaque année se tiendra un synode provincial, où
sera examinée et jugée la conduite des clercs, aussi bien
que celle des laïques. Les évêques ne sont pas nommés
expressément, llardouin, lac. cit.; Gratien, caus. XI,
q. m, c. 72. Mais ils pouvaient être compris sous la
désignalion générale de « clercs ». C'est du moins ainsi
que les papes et les conciles postérieurs ont interprété
le canon nicéen. Innocent 1er écrivait à Viclrice de
Rouen que les alfa ires des clercs tam superioris ordinis
quam etiam inferioris devaient être décidées devant
le concile provincial, secundum synodum Nicœnum.
Le mot « évêque e n'est pas encore prononcé. Les
évêques d'Afrique, dans une lettre adressée en 424, au
pape Célestin, llardouin, t. i, col. 950, le prononcent
enfin : Décréta nicœna sive inferioris gradus clericos,
sive ipsns episcopos suis melropolitanis aperlissime
commiserwnt, etc. Longtemps auparavant le concile
d'Anliocbe (de 341) s'était exprimé dans le même sens
et avec une précision plus grande encore. Il avait
déclaré que le svnode provincial présidé par le métro-
politain était seul compétent pour déposer un évêque.
Si les juges n'étaient pas d'accord, le métropolitain
devait convoquer des évêques d'une province voisine.
En cas d'unanimité, la décision était irrévocable. .Mais
si, même après la convocation des évêques voisins, l'una-
nimité ne pouvait être obtenue, le jugement devrait être
porlé au tribunal du synode patriarcal, dont la sen-
tence serait définitive. Can. 14, 15, dans llardouin, t. I,
col. 599, et Gratien, caus. VI. q. IV, c. 1, 5. Cf. can. 12,
llardouin, ibid., col. 59S; Gratien, caus. XXI, q. v,
c.2.
Le concile de Sardique de 343 modifia profondément
cette législation. D'après les canons 3-5, le synode
provincial formait un tribunal de première instance,
qui pouvait prononcer la déchéance d'un évêque. Si
l'évêque déposé trouvait la sentence injuste, il lui était
loisible, par respect pour l'apôtre Pierre, d'en appelei
au pape .Iules qui confirmerait ou casserait le jugement
du synode. Si une enquête était nécessaire, les évêques
d'une province voisine en seraient chargés sous la
conduite des légats du pape, llardouin. t. l, col. 039 sq. ;
Gratien, caus. VI, q. îv, c. 7; caus. II, q. vi, c. 36;
cf. llefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, 1907,
t. I, p. 7V3. Ces décisions qui s'accordent avec elles du
concile d'Antioche pour la constitution du tribunal de
première instance, en diffèrent pour tout le reste. Il
n v esl plus question d'en appeler au concours des évê-
ques \oism-. ni au synode patriarcal. C'est la juridiction
papale qui esl suhsliliiée aux antres pour la sentence
définitive. De tels changements dans la discipline
orientale peuvenl paraître étranges. Aussi l'authenti-
uoiis de Sardique a-t-elle été contestée. Elle
est pourtant suffisamment établie. I l'authen-
ticité, i- Friedrich, dans Sitzungtberichte der histo-
richen Klasse der Académie der Wissenschaften :u
Vùnclien, 1901, rase. 3, p. U7-476; pour l'authenticité,
l'inik, Die Echtheit der Canonei von Sarc/t/ca, dans Kir
chengetchichtliche Abhandhmgen mut Unlersuchun-
gen, Padcrborn, 1907, t. m. p. 169-217; cf. Turner, The
genuinett .</ Ihe S >\ ma Journal <>/
theological Sludiei, t. m (1902), \>. 390-397. N.m-
ntn i dans la controverse qui s'est éle-
i .i poinl qui nous intéresse ici
i!)9
DEPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
500
l'influence que ces canons ont exercée sur la discipline
tanl en Orient qu'en Occident.
En Orient, l'appel à Rome provoqua la protestation des
semiariens, <|ui déclarèrent celle pratique contraire â
l'usage de l'Église : liane novitalem... quant horrei
vêtus consuetùdo Kcclesix. Cf. Decrelum synodi orien-
talium apud Sardicam episcoporum, dans Ilardouin,
t. I, col. G75-(i79. Les orthodoxes parurent même par-
tager ce sentiment au concile de Constantinople de 381.
On y renouvela les prescriptions du concile de Nicée,
et on décida que si un évêque frappé par un synode
provincial trouvait injuste la sentence portée contre
lui, il n'avait qu'à en appeler au concile patriarcal,
can. 2 et G, Ilardouin, t. i, col. 809, 812. Cf. Hefele,
Histoire des conciles, édit. Leclercq, 1908, t. il,
p. 21 sq., 32 sq. De l'appel à Rome, pas un mot; pas la
moindre allusion aux canons du concile de Sardique;
ils furent traités comme s'ils n'existaient pas.
Cependant, dans la pratique, le recours des évèques
orientaux au tribunal du pontife romain devenait pres-
que habituel. Eustathe de Sébaste, déposé par le synode
arien tenu à Mélitène en 357, en appelle au pape Libère
qui le rétablit sur son siège. Socrate, H. E., 1. 1V,c.xii,
P. G., t. i.xviii, col. 485. Cf. Basile, Epist., CCLXin, ad
occidentales, n. 3, P. G., t. xxxn, col. 977. A quelque
temps de là, le successeur de saint Athanase sur le
siège d'Alexandrie, le patriarche Pierre, chassé par les
ariens, se met sous la protection du pape Damase, qui
le rétablit pareillement. Socrate, H. E., 1. IV, c. xxxvn,
P. G., t. lxvh, col. 557; cf. Sozomène, //. E., 1. VI,
c. xxxix, ibid., col. 1413. Saint Jean Chrysostome,
condamné à l'exil par le concile ad Qucrcum en 403,
se tourna à son tour vers le pape Innocent Ier pour
demander justice; et chose remarquable, ses juges eux-
mêmes envoyaient une ambassade à Rome, afin d'ame-
ner le pontife à partager leur sentiment. Innocent prit
parti pour l'innocence, cassa le jugement du synode et
rendit à Chrysostome injustement déposé tous ses droits.
Cf. S. Jean Chrysostome, Epist. ad Innocent., n. 1, 7,
P. G., t. xxvii, col. 6; Palladius, Dialog. de vita
S. Chrysostomi, c. n, P. G., ibid.; S. Gélase, Epist. ad
episcop. Dardaniœ, dans Hardouin, t. n, col. 909.
Lorsque plus tard (en 448) Eutychès eut été déposé
par le concile de Constantinople, il s'adressa à saint
Léon en des termes qui témoignent qu'il attendait du
saint-siège, considéré comme juge suprême des conflits
ecclésiastiques, une décision qui lui serait favorable :
Ad vos confugio... Quse vera fueril vobis super (idem
proferre senlenliam et nidlani deinceps perniillere a
factiosis contra nie calumniam procedere. Epist. ad
Leonem, parmi les lettres de saint Léon, epist. xxi,
cm, P. L., t. liv, col. 71i. Sa requête fut mal accueillie,
Mais l'appel de Flavien de Constantinople, frappé par le
concile connu sous le nom de Brigandage d'Ephèse, eut
plus de succès. Saint Léon cassa la sentence du conci-
liabule. Sur cette affaire, voir dans les lettres de saint
Léon, Epist., xi.v, xlvi, lv, P. L., t. liv, col. 834 sq.
Théodoret de Cyr, déposé comme Flavien, imita son
exemple; il écrivit au pape : « J'attends la décision de
votre siège apostolique; j'en appelle à la justice de
votre tribunal... Ne" rejetez pas ma prière et ne mépri-
sez pas mes cheveux blancs, qui, après tant de travaux,
sont maintenant couverts de honte, » Epist., ui, c. v.
ibid., col. 8i8; saint Léon lui rendit pareillement justice
et le rétablit sur son siège. Epist., i:xx, ad Théodoret.,
c. v, col. 1040. Les légats de l'empereur qui assistèrent
en 151, au concile de Chalcédoine où fut n'habilité
l'évéque de Cyr, nous font voir quelle autorité avaient
en Orient les décisions romaines : « Recevez, disent-
ils aux Pères du concile, le très digne évèque Théodo-
ret, alin qu'il prenne part au synode, car le très saint
archevêque Léon lui a rendu l'épiscopat. » Concile de
Chalcédoine, act. 1, dans Ilardouin, t. Il, col. 72 sq.
Le concile fit écho aux légats impériaux, i Théodoret,
proclame-t-il, est digne de son siège; Léon, après
Dieu, a prononcé ce jugement, « \h-.-j. roO Qeov A:-./
s8(xa<rev. Act. VIII, dans Ilardouin. loc. cit., p. 500.
Malgré les faits, les principes posés par le concile de
Constantinople en 381 étaient maintenus dans les lois,
.lustinien les consacre en quelque sorte dans une de
ses Suvcllcs. Il déclare que le métropolitain tranchi ra
dans son synode les conllits ecclésiastiques. Et si l'une
des parties n'admet pas la décision, elle en appellera
an patriarche de sa province, dont la sentence sera dé-
Gnitive ; nulla parte ejus senlentise conlradicerc va-
lente. Novell., cxxni, c. 22. Ce fut seulement au con-
cile in Trullo de 092 que les canons de Sardique furent
formellement approuvés et que les appels au pape qui,
dans la pratique, étaient reconnus par l'Église d'Orient,
reçurent une consécration légale, can. 2, Hardouin,
t. m, col. 1059.
En Afrique, la hiérarchie n'était pas constituée abso-
lument comme en Orient. Le « primat * de chaque
province tenait lieu de métropolitain; mais cette di-
gnité n'était pas attachée à un siège particulier;
l'évéque le plus ancien par l'ordination en remplissait
les charges. Pierre de Marca, Disserlatio de primati-
bus, n. 3 et 4, appendice au De concordia sacerdidii
et imperii. C'était devant ce primat de la province que
comparaissaient les évêques accusés de quelque faute
grave. Codex canon. Eccles. africaine, can. 19 : .Si
quis episcoporum accusalur, ad primaient provincial
ipsius causant déférât accusalor. Hardouin, t. i.
col. 875. Le primat de l'Afrique proconsulaire était
l'évéque de Carthage dont la prérogative était, par
exception, attachée au siège même. L'évéque de Car-
tilage exerçait, en outre, la juridiction sur toute l'Eglise
d'Afrique. C'était à son concile qu'étaient déférées les
affaires litigieuses que les primats des autres pro-
vinces n'avaient pu faire aboutir. Il formait un tribunal
de seconde instance, comme celui des patriarches en
Orient.
Comme en Orient aussi, l'Église d'Afrique ne voulut
pas reconnaître d'abord d'autres tribunaux que ceux
de ses primats. Les canons de Sardique avaient pour-
tant été d'abord admis en Afrique aussi bien qu'en
Egypte. Hefele. Hist. des conciles, trad. Leclercq, t. 1.
SOS; Maassen, Geschichte der Quellen und der Litera-
tur des canonischen Redits, p. 50. Cf. Tunnel, op. cil..
p. 203. Mais ils tombèrent bientôt dans un oubli pro-
fond, et le « code des canons de l'Église d'Afrique
les ignore absolument : Non provocent ad trattsmarina
jiidicia, sed ad primates suarum provinctarum aut ad
universale concilium (le concile de l'évéque de Car-
thage) sicut et de episcopis sœpe constilutum est. Ad
transmarina aillent qui pulaverit apjtellandum a
nullo iittra Africain ad communionent suscipiatur.
Codex cation. Eccles. Africanse, can. 28, Hardouin,
t. i, col. 878. Cf. can. 12, ibid., col. 871, où le recours
à douze évêques choisis est autorisé, mais à condition
qu'on se soumette à leur sentence, can. 15. ibid.,
col. 874; can. 90, col. 919; can. 122, col. 934.
Saint Augustin n'a qu'une idée fort vague de ce qui a
pu se passer à Sardique. Comme les eusébiens, qui en
avaient fait partie, avaient ensuite attaqué, à Philip-
popolis, saint Anastase et le pape Jules, l'évéque
d'Hippone estime que le concile de Sardique fut tenu
par les ariens : l'ndc apud nos constilit arianorum
fuisse concilium... Epist., xi.iv, ad Eleusium, c. m,
P. L., t. xxxui, col. 170. L'affaire du prêtre Apiarius de
Sicca, déposé par son évêque L'rbain, montre encore
mieux l'état d'esprit des Africains. Apiarius en avait
appelé à Home et le pape Zozime axant accueilli son
appel, l'avait fait rétablir dans ses fonctions par les
légats qu'il avait envoyés sur les lieux. Non content de
cri acte d'autorité, Zozime proclama que les prêtres,
501
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
502
aussi bien que les évêques, avaient le droit d'en appe-
ler au pontife romain, et il appuyait son allégation sur
un canon du concile de Nicée. Par malheur, ce canon
était apocryphe, ou plutôt il était emprunté au concile
de Sardique, can. 5. L'erreur était explicable, parce que
dans les recueils dont le pape faisait usage, les canons
de Sardique avaient été placés à la suite de ceux de
Xicée, sous une même rubrique. Cf. Ballerini, De an-
tiqitis collectionibus canon., dans Galland, De vetuslis
canon collect., t. i, col. 78. 289. Mais les évêques
d' Afrique réunis en concile, en 418, ne manquèrent
pas de protester contre l'allégation du pontife romain.
L'année suivante, ils décidèrent qu'on en appellerait
aux patriarches de Constantinople, d'Alexandrie et d'An-
tioche pour savoir si le texte authentique des canons de
Nicée comprenait le canon invoqué par Zozime. Leurs
envoyés rapportèrent la copie du texte oriental; le fa-
meux canon ne s'y trouvait pas. Un nouveau concile
tenu en 424 s'adressa au pape Célestin pour lui com-
muniquer le résultat de l'enquête et formuler les règles
qu'entendait continuer de suivre l'Église africaine. On
montrait au pontife les inconvénients des appels à
Rome; Apiarius que Zozime avait réhabilité s'était plus
tard avoué coupable. 11 est donc juste que les affaires
soient jugées aux lieux mêmes où elles ont pris nais-
sance; ainsi en ont décidé nos pères : Prudentissime
enini justissimeque providerunt, quœcumque negotia
in suis loeis, ubi orta sunt finienrfa. On reconnaît là le
langage de saint Cyprien. Cf. Cyprien, Epist., lv, ad
Cornelium papam, P. L., i. iv, col. 348, et Cod. Theo-
dos., De accusât., 1. X, ix, 1. L'Église d'Afrique se flatte
d être demeurée fidèle observatrice des canons nicéens.
Si les affaires ne peuvent être décernées devant le pri-
mat de chaque province, elles le sont devant « le concile
universel », que préside l'évèque de Carthage. Epist.
condlii africani ad Cselestinum papam, dans Har-
douin, t. ir, col. 947 sq. Cf. pour les détails de cette
affaire, ibid., col. 942-946; Hefele, Histoire des conciles,
trad. Leclercq, Paris, 1908, t. n, p. 196-201, 209-211 :
pour les précédents, cf. concile de Milève, de 416,
can. 22, Hardouin, t. i, col. 1221.
En dépit de ces décisions, la compétence exceplion-
ih Ile et suprême du pontife romain fut encore invo-
quée dans la suite. En 145, l'évoque Lupicin, menacé
de déposition par un synode africain, n'hésita pas à en
appeler .. Rome. Ses collègues, qui d'ailleurs ignoraient
sa démarche, ne l'en déposèrent pas moins. Mais son
M'I* ' i au point de vue africain, était conforme
'" principe posé par le concile de Sardique, et saint
Léon le considéra comme parfaitement légitime. Epist.,
mi. ml epiteop. african. provincial Cxsar., c. su, /'. /...
I- i iv. col. 665,
finit par triompher il. -
d'Afrique. Le diacre Fulgen-
errandus, qui li( en .Vt7 une eolleclion canonique.
connue sous le i le /;
uivants qu'il emprunte expressément au
irdique, tir. \ et vi : Ut adjudia
\ '"' aposlolia em, si voluerit appellel,
hedra ipsiu» noi
'">'■ can. 60, dans Biblu theca Patrum maxima
1 " i;"'1' ■ l application des canons du concile di
ne parail pas ..voir rencontré d'opposition. Il
" T" les coni ,. de Lyon de 567,
■i" Maçon de 585 can 9; concile di Ps
' 6H, can. Il corn lit di Chalon d< 644 i ,,, ffl
"'"' "• '■ '". col I 553,951, lupposenl
iode provincial,
mentionnenl pas l'appi i
Rome' ■' méro-
de i i con ultation
,l""""' Par !' i"i" lm al [« à l'évèque de lieu, m
saint Victrice. Cf. concile de Tours de 567, can. 10-
(ou 21). Or, Innocent avait dit que selon le concile de
Xicée tout procès, jurgium, des clercs majeurs aussi
bien que des clercs mineurs devait être terminé, con-
gregatis ejusdem provincial episcopis. Mais il avait eu
soin d'ajouter : sine prsejudicio tamen Romanse eccle-
siœ cui in omnibus causis débet reverentia custodiri.
Epist. ad Yictricium, c. m, P. L., t. xx, col. 472. Par
cette réserve le recours au pontife romain élait sauve-
gardé et ce principe il est vraisemblable que le pape l'ap-
puyait sur les canons de Sardique. La phrase suivante
l'indique assez clairement : Si majores causse in mé-
dium fuerint devolutx, ad sedeni apostolicam, sicut
synodus statuit et beala eonsueludo exigit, post judi-
cium episcopale referanlur. Le pape Gélase (492-496),
dans son Commonilorium ad laustum magistrum,
avait ces mêmes canons en vue quand il écrivait : Ipsi
sunt canones qui appellaliones lotius Ecclesiic ad hu/us
sedis (apostolicœ) examen voluere deferri. Hardouin,
t. il, col. 885. C'est en conformité avec celle règle que
Contumeliosus, évèque de Riez, déposé par son mélro-
polilain, saint Césaire, en appela au pape Agapet (535-
53G). Et celui-ci dans sa lettre à Césaire invoque l'au-
torité de Sardique pour marquer la procédure qu'on
aurait dû suivre. Hardouin, t. H, col. 1179 sq. Les
évêques Salonius d'Embrun et Sagittaire de Gap, dé-
posés au concile de Lyon de 567. que le roi Contran
avait convoqué, firent pareillement appel du jugement
porté contre eux. Et le pape Jean III, d'ailleurs trompé
par de faux avis, autorisa Gontran à les replacer sur
leurs sièges. Grégoire de Tours, Hist. Francor., 1. V,
c. xxi, P. L., t. lxxi, col. 341. Aucun de ces actes ne
provoqua de protestation de principe de la part des
évoques francs.
Nous n'insisterons pas sur la discipline de l'Église
espagnole ou de l'Église d'Angleterre. Quelques faits
qu'on peut éludier dans les lettres de saint Grégoire le
Grand, 1. XIII, epist. xi.v, P. L., t. i.xxvn, col. 1294, etc.,
et de Jean VI, cf. Hefele, Conciliengeschichte, 1877,
t. m, p. 327 sq., montrent que ces deux provinces
acceptaient le principe de l'appel de Rome. Une série
des faits que nous venons d'examiner oui été interpré-
tés différemment par les critiques gallicans. Tunnel,
Histoire de la théologie positive, du concile d,' Trente
m, concile du Vatican, Paris, 1906, p. 258-286, h fort
bien exposé leur théorie, et celle des théologiens ultra-
rnontains qui la réfuti ni.
Sous les Carolingiens, la législation ecclésiastique
devint de plus en plus favorable à l'intervention des
ponlifes romains dans les affaires des églises particu-
lières. Le pape Adrien envoya en 774 à Charlemagne
le recueil de canons de Denys le Petit qui renfermai!
les fameux canons de Sardique et, à la dièle d'Aix-la-
Chapelle en 802, Charlemagne donna à l'ouvrage force
de lui dans son empire. Cf. Anségise (Bened ictus Le-
vita), Capitular., I. VII, can. 311, 315, 412. dans lialuze,
Capitula*-, regum Francorum, t. i. p. 1094, IMî . Le
can. 314 reconnaît aux évêques réunis en svnode l'au-
torité d'un tribunal de première instance. Le cm. 315
dii : Placuit, s, episcopus accusalus appellaverit ad
Romanum i><iuii/i,;-),i, id slatuendum </i<<id ipsr cen-
euerit. Le can. 412 : Vl judicatus episcopus ad apo-
stolicam sedrm, si voluer il, appelle t, ex concilia Sardù
Il ne faudrait pas croire que cette publication offi-
cielle des i Sardique .m changé les rappi
de Rome. L'an
vêque .le Reims, I llpio, . plalf uni déjà que l'on eûl
m Rigoberl conti a , rt
sine ullo apostolicm ,,-\ interrogatione.
1 ' le pape Adrien auquel 11 t'ai pond que
.me n',-, le droil d. déposi r un év< que tint cano-
. et urqur ullO juà ro-
503
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
504
mani pon.lifi.cis, siadhanc sanctam tedem romanam,
guse caput esse dignoscitur orbis terra', appellaveril
in ipso judicio. Epist., iv, <«/ Tilpinum archiepiscop,
Remens., dans Hardouin, t. ni, col. 2020.
A quelque temps de là, parurent les Fausses Décré-
tales, qui confirmèrent cette jurisprudence et cette
législation. Leur lieu d'origine, on le sait, est la Gaule
franque et pour plus de précision Reims ou le Mans,
plutôt Reims. Voir col. 212. Elles mettent à contribu-
tion les papes de l'antiquité et leur attribuent des
décisions toutes favorables à la suprématie pontilicale.
Il va sans dire qu'en matière de conflits ecclésiastiques
l'appel à Rome est recommandé. Les synodes provin-
ciaux forment un tribunal de première instance.
S. Fabien, Epist., m; ad Hilar. episcop., c. xxiv :
TJnde oportet, si aliquis episcoporum super certis
<tccuselur criminibus, ut ab omnibus audialur, qui
surit in provincia episcopis, quia non oportet accusa-
tum alicubi quant in foro suo audiri. Dans Gratien,
caus. III, q, vi, c. 2; Hinschius, Decrelales pseudo-
lsidorianae, Leipzig, 1803, p. 107. Cf. ibid., p. 185,201,
488, 503, les décrétales des papes Etienne, Félix I,
Félix II, Sixte III. Mais les clercs, les évêques mêmes
peuvent toujours en appeler au siège apostolique.
S. Anaclet, Epist., i, c. xvn : Qttod si difficiliores orlae
fuerint quœstiones aut episcoporum vel majorum ju~
dicia aut majores causai fuerint, ad sedeni apo-
slolicam, si appellation fuerit, referantur. Ilinscbius,
op. cit., p. 74. Cf. ibid., p. 712, une décrétale de
Vigile, dans Gratien, caus. II, q. vi, c. 12; p. 724, une
décrétale de Pelage II, dans Gratien, caus. VI, q. m,
c. 2. Jusqu'ici le pseudo-Isidore ne s'écarte pas de la
discipline préconisée par le concile de Sardique. Mais
il s'inspire d'un autre document quand il autorise
l'évêque inculpé à recourir à Rome, même avant son
procès, s'il tient pour suspect le métropolitain qui doit
le juger. S. Anicet, Epist. ad univers. Gallise episcop.,
c. iv : Si aliquis episcoporum proprium mctropolila-
num suspectum Itabuerit, apud primaient diœcesis
vel apud hanc aposlolicam sedem audialur. Hinschius,
op. cit., p. 821; cf. une décrétale de Victor, ibid.,
p. 128, dans Gratien, caus. II, q. vi, c. 7; une
décrétale de Fabien, Hinschius, p. 107, dans Gratien,
caus. II, q. vi, c. 21; une décrétale de Sixte II, Hins-
chius, p. 190; Gratien, ibid., c. 15; une décrétale de
Félix Ier. Hinschius, p. 202. Si cette mesure n'était pas
encore enregistrée dans le droit canon, il y avait long-
temps qu'elle avait force de loi. Dès 378, un concile
romain avait demandé que l'appel au pape fût autorisé
quand le tribunal du métropolitain n'offrirait pas de
garantie suffisante à l'accusé. Certe si vel melropoli-
tmii... suspecta gratta vel iniquitas fuerit, vel ad
Rontanum episcopum vel ad concilium quindecim
episcoporum ftnilimorum ei liceat provocare. Epist.
romani concilii ad Gralianum et Valentinianum im-
peralores, c. ix; Rescriplum Graliani Aug. ad Aquili-
num vicarium Urbis, c. VI, dans Schœnemann, Pon-
ti/icum roman, epislolai genuinve, p. 359, 304.
En somme, le pseudo-Isidore ne modifiait pas essen-
tiellement la discipline reçue de son temps. Il ne faisait
qu'accentuer le droit d'appel à Rome que revendiquaient
déjà habituellement les évoques accusés et qui se trou-
vait formulé dans les lois préexistantes. Cf. Van Espen,
Jus ecclesiast. universale, part. IX, Tractalus de
collect. canonum quai sœculo vin et ix prodierunt,
c. i, sect. ni. Ce n'est pas à dire que l'épiscopat galli-
can ait approuvé unanimement les Fausses Décrétales.
On trouva même quelles étaient en désaccord avec les
anciens canons qui demeuraient toujours en vigueur.
Cf. llel'ele, Ueber tien gegenwârtigen Stand der
pseudo-isidorischen Frage, dans Tubinger Qttarlal-
sehrift, 1847, p. 045, 001 ; Gerbais, De causis majori-
bits, Lyon, 1085, p. 228. Mais l'opposition qu'elles ren-
contrèrent ne fut guère consistant .Dès 867 le concile
de Troyes parle au pape dans un Ben s absolument
conforme aux Décrétales ita ut net veslrU nec fu ta-
ris lemporibus prœter consullum Romani pontij
île gradu suo quilibet episcoporum dejiciatur, si
eorunidem sanctorum antecessorum vesirorum mul-
tiplicibus decretis*et numerosis privilegiis tlabilitum
modis mirificis extat. Hardouin, t. v, col. 085. Au
concile de liasle (pies Reims) de 991, où l'archevêque
Arnulphe de Reims, accusé de trahison par le roi. fut
mis en jugement, deux partis se trouvèrent en pré-
sence. Les uns, s'appuyant sur les Fausses Décret
prétendaient que l'affaire était uniquement du ressort
du souverain pontife; les autres invoquaient I autorité
des canons de Nicée, d'Antioche et d'Afrique pour se
déclarer juges compétents. Mais, à vrai dire, il n'\ eut
pas de protestation contre la doctrine du pseudo-
Isidore; ceux qui écartaient l'idée d'un appel à Rome
donnaient pour raison que l'affaire traînait déjà trop
en longueur. Voir les deux lettres des évêques dans
Hardouin, t. vi, col. 721. Cf. Baluze, Additio à Pierre
de Marca, Concordia sacerdotii cl imperii, 1. VII,
c. xxv. L'hérésie de Bérenger, dans laquelle se trouvait
compromis l'évêque Brunon d'Angers, amena Deoduin
de Liège à invoquer aussi (vers 1050) l'autorité des
Fausses Décrétales. Comme le roi de France se propo-
sait de [convoquer un concile pour juger les coupables,
le prélat fait observer que la chose n'est pas possible,
parce que Brunon est évêque et que l'évêque ne peut
subir de sentence de condamnation prœter aposlolicam
auctoritalent. Hardouin, t. VI, col. 1023 sq.
Si l'épiscopat gallican fit bon accueil aux Fausses
Décrétales, à plus forte raison Rome n'eut pas l'idée de
les désavouer. Le procès commencé à Basle contre l'ar-
chevêque de Reims ne fut terminé qu'en 995 à Senlis.
llelele,' Conciliengesclticlt te, 1879, t. iv, p. 612 sq. Mai-
la sentence de déposition prononcée contre lui fut cas-
sée parle pape Silvestre, uniquement parce qu'elle axait
été portée sans l'agrément du pontife romain. Tibi, écrit
celui-ci à Arnulphe.... subvenire duximus, ut, quia
abdicalio romano assensu caruil , rontanœ pietatis mtt-
nere credaris posse reparari. Hardouin, t. VI, col. 700.
Léon IX porte en quelque sorte promulgation des
Fausses Décrétales en Afrique, [quand il adresse au
primat de Carthage, en 1054, les observations sui-
vantes : Hoc autem nolo vos laleal, non debere prœter
sentenliam Romani ponlificis universale concilium
celebrari; aut. episcopos damnari veldeponi, quia etsi
licet vobis aliquos episcopos examinare, dif/initirant
lamen senlentiam absque consulta Romani ponlificis,
ut diclum est, non licet tiare ; quod in sanclis canoni-
bus slatutum, si quierilis, polestis invenire, etc. Har-
douin, t. vi, col. 949. Le pape Victor II alla plus loin,
au dire de saint Pierre Damien ; il donna à son légat,
le célèbre Hildebrand, tout pouvoir sur l'épiscopat
gallican; et dans un concile tenu à Lyon en 1055.
Hildebrand déposa, d'un seul coup, six évêques ex
apootolicœ sedis attctoritate. Hardouin. t. vi, col. 1040.
Hildebrand, devenu pape sous le nom de Gré-
goire Vil. lit une large application des canons pseudo-
isidoriens. Le fameux Diclatus Gregorii, où il est
censé revendiquer pour lui seul les insignes impériaux,
et où se lit celle bizarre déclaration que tout « pape ca-
noniquement institué possède le privilège de la sainteté
en vertu des mérites du bienheureux Pierre, o Hardouin,
l. vi, col. 1304 sq., est évidemment apocryphe et l'œuvre
d'un clerc plus papiste que le pape. Mais nombre de
propositions du même ouvrage répondent certaine-
ment à la pensée intime de Grégoire et lui servirent
de règle : ijuoil Romanus ponlifej solus possit depo-
uere episcopos vel reconciliare. Quod absque synodali
convenltt possit episcopos deponere vel reconciliare.
Quod legatus ejus omnibus episcopis juœsit in conci-
505
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
50&
lia eliam inferioris gradus et adversus eos sententiam
deposilionis possit dare. Conformément à ce principe,
tantôt le pontife appelle à Rome même les évêques
inculpés et prononce en leur présence son jugement.
Epist., 1. II, epist. il, ni, Ilardouin, t. VI, col. 1261 sq.
Tantôt il fait porter ses sentences par des légats ou
charge ceux-ci de juger les évêques en synode, Epist.,
I. V, epist. XI ; 1. VIII, epist. xvm, Ilardouin, ibid.,
col. 1383, 1466 sq.; 1. I, epist. xvr; 1. IX, epist. XX XII,
Ilardouin, ibid., col. 1207, 1503. Tantôt il délègue des
évoques voisins de l'accusé et leur donne le pouvoir
comme judices in parlibns de juger leur collègue ou
tout simplement de promulguer la sentence de dépo-
sition qu'il a lui-même portée. Epist., 1. V, epist. vin,
Ilardouin, t. VI, col. 1380.
Ainsi mises en vigueur, les Fausses Décrétales ren-
dirent caduque et surannée l'ancienne discipline. Gra-
tien en les insérant dans son Décret (1140), qui fit peu
à peu loi dans toutes les écoles, consacra cet état de
choses. Sur un point, toutefois, il apporta une modifica-
tion au système du pseudo-Isidore. A coté des fausses
Décrétales, qui réservaient au tribunal du pontife ro-
main les affaires criminelles des évêques comme causée
majores, Gratien mentionna les canons de Nicée, d'An-
tioche et de Sardique, qui affirmaient sur ce point la
compétence des synodes provinciaux, dist. XVIII, c. 3;
caus. XI, q. m, c. 73; caus. VI, q. iv, cl, 5; caus. XXI,
q. v, c. 2; caus. VI, q. iv, c. 7; caus. II, q. VI, c. 36. La
contradiction était flagrante. Les glossateurs trouvèrent
moyen de la résoudre, en décidant que les causse
majores seules relèveraient du tribunal du pape, et
que les causes mineures resteraient soumises aux
tribunaux provinciaux. Cf. Guimier, Pragmatica san-
ctio, lit. De concubinariis. Cette distinction laissait en-
tière la compétence du pape en matière de déposition
des évêques.
Les Décrétales maintinrent cette discipline. Inno-
cent III sr borna à lui attribuer le caractère d'une ins-
titution divine. « Rompre le mariage spirituel qui unit
un évéque à son Église, par translation, par déposition
ou par cession, appartient, dit-il, à l'autorité du pon-
tife romain, et ces trois choses sont réservées au pon-
tife romain non tant constitulione canonica, quant
institutione divina, 1. I, lit. vu, c. n, De translat. epis-
..7, Ce langage a provoqué des protestations au cours
«les âges. Cf. l'ien-e de Marra. Concordia sacerdotii n
■ ni, I. VII. c. wvi, n. 8; Gerbais, De cousis majo-
rais Innocent a expliqué ailleurs plus
Clairement -.i pensée. Il n'entend pas que son privi-
-oit formellement marqué dans les ouvrages des
. témoins de la tradition. Mais il estime que le
développement des institutions canoniques, en vertu
desquelles la déposition des évêques est réservée au
rain ponl I -ce dans la parole du Christ.
qui a donne au prince des apôtres un pouvoir particu-
Cum ex Mo generali prim
quod beatn Pelm el per eum Ecclesi s romanes Do-
induisit, canonica poslmodum tnana-
\linentia msns
per hoc trans-
lation icut deposiliones eorum ci
ad summum apostolicss sedis
■ de jun
aliquid debeat attentari,miramur non
■ l< '■- ■/■ ' . i l. epist. i ./'/., t. o
i I ron posée
i ' ne pliquée, sa théorie peut laci
lemi
I ; Ud0-
ut,au concile de I rente,
une confirmation pleine et entiéri L
nelli .,,iX
ip$o lanlu
gnoscanlur et terminentur. Sess. XXIV, c. v, De re-
forrn. Cf. Sess. XIII, c. vin, De reforrn. Dans la consti-
tution Si de protegendis du pape Pie V, en 1569, la
même réserve est indiquée. Les causes mineures res-
tent dans la compétence des conciles provinciaux ou
d'une commission nommée par ces conciles. Sess. XXIV,
c. v, De reforrn .
Cependant dans la pratique ces conciles se dessaisi-
rent facilement des causes épiscopales qui pouvaient
leur être déférées. Et insensiblement on prit l'habitude-
de porter à Rome toutes les affaires, majeures ou mi-
neures, qui regardent les évêques. Cf. Giraldi, Expo-
sitio juris ponlif., p. 559, 1005.
La procédure à suivre a été nettement réglée par le-
concile de Trente et par les papes. En voici les points
principaux :
1° Comme les évêques étaient assez souvent victimes
d'accusations plus ou moins graves et plus ou moins
justifiées, et comme le déplacement des accusés qui,
suivant le droit, auraient dû comparaître devant leur
juge, offrait de graves inconvénients, le concile décida
qu'un évèque mis en cause ne serait obligé de se pré-
senter devant le pape que pour des fautes qui pour-
raient entraîner sa déposition ou la privation d'un
bénéfice : Episcopus nisi ob causam ex qua deponen-
dus sive privandus veniret... ut personaliter compa-
reat, nequaquam citetur vel moneatur. Sess. III, c. vi,
De reforrn. Cf. Pie IV, const. De salule gregis do-
miniez de 1560, sect. ni, dans Bullarium romanum,
Luxembourg, t. n, p. 21. D'autre part, comme une
affaire aussi grave que la déposition nécessite absolu-
ment une enquête, cette enquête devra être faite sur
les lieux par des judices in partibus qui recevront à cet
effet une délégation du pape. Sess. XXIV, c. v, De re-
forrn.
2° Au moyen âge, le pape était libre dans le choix de
ces enquêteurs. Les défenseurs de l'Église romaine,
au temps de Grégoire le Grand, étaient tout simple-
ment des minorés. Cf. Thomassin, part. I, 1. II, c. vin.
Hildebrand n'était encore que cardinal sous-diacre,
quand il fut délégué par Victor 11 pour les affaires
épiscopales de France. Et, en 1262, Urbain IV confia à
deux religieux de l'ordre des mineurs le soin d'étudier
le cas de l'archevêque de Trêves menace de déposition.
Hontheim, Hist. Trevirensis diplomatica, t. i, p. 743.
Rien en tout cela qui ne fût conforme au droit. Cf.
1. V, lit. xx.xni, De privileg., c. 3. Le Liber sains
limita celte absolue liberté du pape et décida que les
ledits seraient pris parmi les dignitaires ecclésiastiques
el les chanoines des cathédrales. Sext. Décret., 1. I,
fit. m, De rescript., cil: Nullis nisi dignitate prse-
diiis aut personatum obtinentibus seu ecclesiarum
cathedraiium canonicis. Cette limitation avait pour
but de soustraire les évêques à l'enquête de clercs trop
inférieurs à eux dans l'ordre hiérarchique. Mais la me-
sure du Seins ne remédiait au mal que d'une façon
insuffisante. Plus soucieux du respect dû à la dignité
■pale, le concile de fiente voulut que les légats en-
quêteurs fussent égaux, sinon supérieurs aux évêques,
dont ils avaient à examiner la conduite : Xeninii pror-
sus ea committatur nisi metropolitanis aut episco-
pis a beatissimo papa eligcndU. Sess. \\IV. c. \. De
reforrn. Le choix du pape se trouve de la sorte circons-
crll entre les métropolitains et te corps épiscopal.
:; ■ ' - légats du pape doivent êtr unis de U
delegationis, t. I. lit. wi\. c. 31, De offle judic. dele-
'/"/.. ei les présenter aux parties en cause. Personne
n ' Il tenu .le les croire sur parole : Snl nr,- <!,, rut, se
delegatum sedis ejutdem creditur vel intenditur,niei
,1,- m, nul, il,, apOltOliCO /nie il,„,nl OCulata. De rirrl .,
l. m. c, l. Exti ■• • i ,,,i,iiii, Bien plus i,
delegationis donent porter la signature même du
- lit et nu
507
DÉPOSITION ET DEMI". A DATION DES CLERCS
51 IN
■ipsius sanctissimi pontifiais signata. Sess. XXIV, c. v,
De reform.
4° D'après le droit commun, les légats du pape avaient
non seulement le droit d'instruire les allaires, niais
encore de les trancher : In causse cognilione ac dec't-
sione procedere, 1. 1, Ut. m, c. 18, De rescript.; cf. 1. I,
lit. xxix, De of/ic. judic. delegat., c. 13; et de faire
■exécuter leurs sentences, sententiam àb eo lalam suo
effectui mancipare, delegatus judex cam auctorilale
nostra sibi commissa polesl exseculiotti mandare, etc.,
1. I, til. xxix, De rescript., c. 7. Cf. ibid., c. 9. Mais,
pour la déposition des évêques, leur mandat se borne à
faire une enquête et à instruire le procès; ils envoient
toutes les pièces au pape et le pape se réserve de pro-
noncer la sentence : nec unquam plus liis tribnal,
quam ut solam facli instructionem sumant proces-
■sumque conficiant, quem slalim ad Romanum ponli-
fteem transmittant, reservata eidem Sanctissimo sen-
tenlia definitiva. Sess. XXIV, c. v, De re/orm. S'ils
outrepassaient leur pouvoir, leur sentence serait nulle
de plein droit. De rescript., 1. I, tit. in, c. 22.
5° Dans les affaires ordinaires les commissaires délé-
gués par le pape peuvent subdéléguer leur pouvoir,
•1. I, tit. xxix, De of/ic. judic. delegat., c. 27; ibid.,
c. 28; ibid., c. 5; Sext. Décret., 1. I, lit. xiv, c. 5.
Mais bien que le concile de Trente n'en dise rien,
cf. Barbosa, De officio et poleslale episcopi, allegat.
■cxn, 34, les canonistes s'appuient sur une règle du droit
qui réserve les affaires graves aux délégués eux-mêmes,
•1. I, tit. xxix, De of/ic. jud. delegat., pour déclarer
qu'en matière de déposition épiscopale ceux-ci ne
sauraient subdéléguer.
6° Les Décrétâtes avaient déjà fait observer que sancli
patres provide statuerunt ut accusalio prœlatorum
■non facile admittatur. De accusât., 1. V, tit. i, c. 24.
Le concile de Trente exige que les témoins, appelés à
déposer contre un évêque soient bonse conversationis,
exislimationis et famse. Sess. XIII, c. vu, Dereform. Si
leur déposition était entachée de haine, de témérité ou
de cupidité, gravibus pœnis m ulctentur. Le châtiment
infligé aux calomniateurs en pareil cas fut, pendant
longtemps, la peine du talion. Cf. la législation du
moyen âge sur ce point, Kober, op. cit., p. 480-482. Et le
pape Pie V a encore décrété cette peine pour certains
crimes. Const. Cum prinium, de 1566, sect. xiv, dans
Bullarium romanum, t. il, p. 192. Elle est pourtant
tombée en désuétude et remplacée par d'autres péna-
lités dont les tribunaux ecclésiastiques sont juges.
Reiffenstuel, Jus canon., 1. V, tit. I, n. 10 sq.; tit. il,
n. 9.
Dans l'application, ces règles, empreintes d'une
.grande sagesse, devaient souffrir quelque difficulté.
Nous n'en voulons pour exemple que le procès intenté
à René de Rieux, évêque de Saint-Pol-de-Léon, au
xviie siècle.
Ce prélat qui s'était mis en opposition avec la cour
■de Rome, à propos d'une sentence d'excommunication
prononcée contre les carmélites de Morlaix (sur cette
affaire, voir un certain nombre de documents dans les
Mémoires du clergé de France, t. n, p. 466-486; Mer-
cure français, année 1626, p. 933-934; Archives natio-
nales, ms. 23-2, L. 1046, 2" liasse, cote C; L. 1047 ;
Archives des affaires étrangères, Home, xxxvm;
Bibliothèque nationale, fonds Béthune 3668, fol. 92;
cf. Houssaye, Histoire du cardinal de Bertille, t. m,
p. 72-85) avait en outre irrité le roi de France qui lit
alors bon marché de ce qu'on appelait les « libertés de
l'Église gallicane » pour satisfaire sa vengeance. A sa
demande Urbain VIII, par un bref en date du 8 octobre
1632, chargea quatre commissaires, l'archevêque d'Arles,
les évêques de Boulogne, de Sainl-Flour et de Saint-
Malo, d'instruire le procès de l'évèque de Léon. Pour
-ce document et tous ceux qui appuient le récit qui va
suivre, voir Mémoires du clergé de France, t. n,
p. 115-466. Nous n'avons pas leur < au aa . mais nous
savons qu'ils dépouillèrent René de Rieux de son
évéché. Sans plus tarder, le pape lui donna un succes-
seur. Le roi était satisfait.
Mais ces mesures soulevèrent l'indignation des
ques de France. Déjà dans l'affaire des carmélites de
Morlaix, ils avaient cru devoir intervenir el avaient
contraint le doyen du chapitre de Mantes, le D' Loti
qui, au nom et comme subdélégué des commissaires
d'Urbain VIII, avait fulminé l'interdit contre la cathé-
drale de Léon, à reconnaître ses abus de pouvoir. La
condamnation de René de Rieux leur paraissait plus
irrégulière encore. Le bref d'Urbain VIII interdisait
par avance tout appel de la sentence que pouvaient
porter les commissaires; il confiait à quatre évêques
seulement la police de l'Église de France, et ces
ques n'étaient ni les comprovinciaux ni les voisin^ de
l'évèque de Léon. Autant d'atteintes et d'infractions au
droit canon, semblait-il.
Urbain VIII mort, les évêques s'adressèrent à son
successeur. Par une lettre en date du 27 octobre 1645,
ils supplièrent Innocent X de « recevoir M. l'évèque de
Léon en son appel interjeté de la sentence portée
contre lui le dernier mai 1635. » Ils osèrent même
critiquer le bref d'Urbain VIII, en vertu duquel René
de Rieux avait été jugé, et demandèrent qu'à l'avenir
pareil bref n'émanât jamais de la cour de Rome; les
membres de l'épiscopat avaient le droit de n'être jus-
que par douze de leurs pairs « suivant les statuts des
anciens conciles. » Les conciles dont ils invoquent l'au-
torité ne sont autres que ceux de Sardique, de Car-
tilage, etc. Le doyen de Saint-Séran était chargé d'in-
diquer au besoin à la cour de Rome les références
exactes.
Il n'est pas sûr que la condamnation de l'évèque de
Léon fût aussi irrégulière que le pensaient les évêques
de France. Le concile de Trente, qui donne le dernier
mot en matière de procès canoniques, ne marquait
pas le nombre des délégués que le pape devait désigner.
A cet égard les anciens canons pouvaient être consi-
dérés comme caducs. L assemblée du clergé de France,
en essayant de les remettre en vigueur, n'avait donc
guère chance de succès.
Elle se fût placée sur un meilleur terrain de discus-
sion, si elle avait fait appel au concile de Trente pour
montrer que le procès d'un évêque ne pouvait être
tranché que par le pape lui-même et non par ses com-
missaires. Mais, de fait, Urbain VIII avait ratifié per-
sonnellement la décision de ses délégués, en donnant
un successeur à René de Rieux.
Restait la question d'appel. Il semble qu'ici l'évèque
de Léon invoquait un droit imprescriptible. L'assem-
blée du clergé, en appuyant sa requête, ne faisait que
sauvegarder l'honneur de l'épiscopat.
Elle obtint gain de cause. Innocent X chargea une
commission nouvelle d'examiner le cas de René de
Rieux. Cette commission n'était pas composée de
douze membres comme l'auraient désiré les évêques
de Fiance, mais de sept seulement : c'étaient l'arche-
vêque de Sens, les évêques d'Évreux, de Laon, de Sen-
lis, de Maillezais, d'Angoulême et du Mans; les deux
premiers étant décédés furent remplacés par les évêques
d'Amiens el de Vabres. René de Rieux comparut
devant eux. La sentence portée contre lui en 1635 fut
cassée. Il fut rétabli sur son siège.
(\tail un réel succès pour l'épiscopat français. Sa
courageuse intervention avait amené l'annulation de
la première décision de la cour de Rome. Quelques
évêques furent d'avis de ne pas s'en tenir là. Dans
l'assemblée générale de 1650, on avisa aux moyens
n d'empêcher qu'à l'avenir le procès ne fut fait aux
évêques par commissaires. » Les anciens conciles
509
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
510
avaient décidé qu'en première instance les évoques
seraient jugés par douze de leurs collègues de la pro-
rince ou du voisinage, réserve faite de l'appel au pape.
Pourquoi ne reviendrait-on pas à cette procédure?
C'esl dans ce sens que l'assemblée rédigea une sup-
plique à l'adresse du pape Innocent X. Une allusion
y ('tait faite au bref d'Urbain VIII, dont on déplorait la
ur. On exprimait l'espoir que le mal qui en était
résulte pour l'Église de France ne se renouvellerait
plus. En même temps l'assemblée envoyait à tous les
membres de l'épiscopat une lettre d'avis du même
style : elle « protestait de nullité contre les brefs qui
seraieul expédiés pour des causes majeures contre les
évéques, dans la forme de celui de l'an 1632. » lit elle
ajoutait : « On n'aurait nulle puissance de nous nuire
si nous ('lions tous unis pour notre légitime conserva-
tion, » mettant ainsi l'épiscopat en garde contre les
entreprises de la cour de Rome.
Cette littérature, où perce à côté d'un juste souci des
intérêts de l'Église de France, ce qu'on est convenu
d'appeler l'esprit gallican, ne parait pas avoir influencé
la curie romaine. En dépit des anciens canons, Rome
demeurera, ainsi que l'avait voulu le concile de
Trente, juge, en premier comme en dernier ressort, des
causes épiscopales.
Les concordats établis entre les pontifes romains cl
divers gouvernements chrétiens n'ont pas modifié cette
discipline. Il est vrai que l'Eglise a reconnu à l'Étal le
droit d'intervenir dans la nomination des évéques.
Cf. art. i du concordat de 1801, voir t. m, col. 750.
,\lai< j| fut bien entendu que ce serait le souverain
pontife qui conférerait l'institution canonique. » D'où
il es) aisé de conclure que la déposition des évéques
demeurait la prérogative du pape. Le concordat autri-
chien (art. Il1 renferme une réserve du même genre.
Ce! article, est-il dit, ne comprend pas les causes ma-
jeures dont parle le concile de Trente, 'es-. XXIV, c. v,
De reforni. Quand il s'agira de traiter ces affaires le
Très saint Père et Sa Majesté impériale y pourvoiront,
m besoin est. » Manifestement pas plus en Autriche
qu'en France le pape n'avait l'intention de céder aucun
,l,. ses droits de juridiction sur l'épiscopat.
I\. DÉPOSITION DB8 VÉTHOPOLlTAlttS II m- PATRI-
ipcbes. L'épiscopal remonte aux apôtres, et il est
d institution di\ ine. Les métropolitains, le- archevêques
et les patriarches ni peuvent revendiquer une origine
aussi liante, [la sont d'institution purement ceci'
tique. Le besoin de groupe ni qui esl naturel a toute
Ciation et surtout ■< mie association de cai :
catholique leur m donné naissance.
c groupement par province était loul indiqué.
"il >ic dans li i iers siècles, on voit des réu-
DÎons d'évéques di provin es fort différentes. Cf. Du-
,,. Original du culte chrétien, 2 .'dit., p. 17-20
M. m- c.i ie l'- divisions territoriales de l'empire
formaient des cadres loul tracés pour les divi
l h • -. elles s'imposèrenl vite à l'attention du
m dei inrent 'le- n
politains, et le litre n'alla pas sans quelques pn i
i concile de Nier. cm. 17. le groupement
m ■ pai | ie ■ et leur subordination à
que de |., métropole civile sont déjà ch
n i '!■■ là peu iur les ordina
iin-i que pour
.le, Ducliesne, op. cit.,
V ->
métropolitain qu'il appartient de conllrmer
de leur donnei
, i ...ii. He i flj
Hardouin, t. i
Hardouin, i n.
n qui con Oque I Ii iqUI .uni.'. | nu
temps et à l'aul Dncili proi ne ni. . i le pi
Concile de Nicée, can. 5, Hardouin, t. i, col. 325;
concile d'Antioche. can. 20, ibid., col. 599; concile de
Cbalcédoine, can. 19, Hardouin, t. n, col. 609. En
dehors du synode, le métropolitain exerce une haute
surveillance sur sa province. Concile d'Antioche, can. 9,
Hardouin, t. I, col. 595. Aucune affaire importante ne
peut être réglée sans lui. Can. apost., can. 35, P. G.,
t. cxxxvir, col. 109. Les suffragants ne peuvent même
quitter pour un temps assez long leur diocèse sans son
autorisation. Concile de Carthage, can. 28, Hardouin,
t. i, col. 964. Enfin ses comprovinciaux relèvent de
son tribunal pour les conllits que s'élèvent entre eux,
et les clercs des autres diocèses peuvent en appeler à
lui du jugement de leurs évéques. Concile de Milève
de 416, can. 21, Hardouin, t. i, col. 1221; concile de
Sardique, de 343, can. 14, ibid., col. 647.
Si telles sont les prérogatives du métropolitain, il est
clair ipie. dans sa province, personne n'a d'autorité sur
lui. Par conséquent, nul ne possède le droit de le
déposer, pas même le concile provincial, puisqu'il en
est le président de droit. C'esl donc en dehors de sa
province qu'il faut chercher son juge.
Ce juge, en Orient, sera le patriarche. L'organisation
provinciale sur laquelle se modela l'organisation ecclé-
siastique n'était pas le seul groupement imaginé par
les empereurs.* Au dessus des gouverneurs de provinces
Dioctétien avait établi des chefs de diocèses ou vicaires.
Dans la partie orientale de l'empire les diocèses furent
d'abord au nombre de quatre : ceux d'Orient, de Pont,
d'Asie et de Thrace. Vers le temps de Théodose, ce
nombre fut porté à cinq, par la création du diocèse
d'Egypte, séparé du ressort du comte d'Orient. Au con-
cile de Constantinople en 381, les cinq diocèses furent
adoptés comme ressorts d'une juridiction ecclésiastique
supérieure à celle des métropolitains et des conciles pro-
vinciaux. Cette juridiction l'ut attribuée, dans le diocèse
de l'ont, à l'évéque de Césarée en Cappadoce; dans le
diocèse d'Asie à celui d'Éphèse; » dans celui d'Orient à
l'évéque d'Antioche, eten Egypte à l'évéque d'Alexandrie.
Pins le diocèse de Thrace, Constantinople, désormais
en possession d'être la résidence de l'empereur, était
désignée par cela même. Mais les évéques de la capi-
tale ne se contentèrent pas longtemps d'être les chefs
ecclésiastiques d'un seul diocèse. Le concile de 381
leur avait décerné la préséance sur tout l'épiscopat,
après l'évéque de la vieille Rome... Celle décision, il est
vrai, ne fut point acceptée a Rome... Cela n'empêcha
pas l'évéque de Constantinople de se transformer de
plus en plus en une soi le de pape de l'empire oriental... B
Son ingérence dans li des trois diocèses du nord
augmenta peu > peu son prestige Nombre de faits de
étaient déjà produits, cf. Tillemonl. Histoire
ecclétiasl., t. .xv. p. 702, quand le concile de Cbalcé-
doine décida que l'évéque de Constantinople aurait le
droit de consacrer les métropolitains provinciaux di s
trois diocèses, ceux-ci conservant l'ordination de leur-
suffragants. Le même droit d'ordination lui l'ut attribué
relativement aux chefs des églises nationales relevant
S, can. 28. Il fut. de plus, investi
d'une juridiction concurrente avec celle des exarques
mu chefs des diocèses] pour juger les proi es ecclésias-
tiques intentés aux métropolitains, can B, 17.x huches ne,
Originel du culte chrétien, p. 23-35. On peu
Duchesne, ibid., p. 27. comment l'évéque de Jérusali m
parvint a ol. tenir .m concile de Chalcédoine les r
gativei du pati larcat. Concile de Chali édoine, act. VII,
Hardouin, t. tt, col. wi. De la -mie ran le milieu
du v iasiiques,
«■n Orient, formèrent fs patriarcal de Constantinople,
d'Antioche, de Jérusalem et >i Uexandrie
i- patriarche ou exarque exerça sur le- métropoli-
tain! i pi n pi ' lei m !"• droit que l< s méti opoli
ni sur leurs sur .inpi'ov inci.iiix.
Ml
DISPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
512
C'est lui, notamment, qui préside à leur sacre. Concile
de Chalcédoine de 151, can. 28, Hardouin, t. n, col. 613.
Cf. Novell., vu, c. 1 : Quorum metropolitas ipse
(Constantinopol. episnop.) ordinal. Il les convoque à
sou synode. Cf. Novell., cxxxvn, c. I. Il reçoit les
appels do ceux qui ont pu être jugés par les métropoli-
tains. Concile de Chalcédoine, can. 17, Hardouin,
ibid., col. 61)7; Code théodos., I, tv, De episcop audient.,
29. Rien d'important ne peut être décidé par un métro-
politain sans l'agrément du patriarche. Concile de Chal-
cédoine, can. 30, Hardouin, t. il, col. 013. Enfin c'est
le patriarche qui juge les causes où la responsahilité
du métropolitain se trouve engagée et, en cas de faute
grave, il peut prononcer la peine de déposition. Concile
de Chalcédoine, can. 9, Hardouin, col. 605, dans Gratien,
caus. XI, q. i, c. 46. Cf. Novell., cxxxn, c. 22.
Que ce dernier droit ait été exercé par les patriarches,
cela ne fait pas l'objet du inoindre doute. On s'est de-
mandé seulement si un patriarche pouvait déposer un
métropolitain, sans faire appel à son synode. Le concile
de Constantinople de 381 donne à entendre que cette
déposition doit être prononcée en synode, can. 6, Har-
douin, t. i, col. 812. On peut déduire la même chose
du canon 9 du concile de Chalcédoine qui suppose que
l'évêque de Constantinople juge ordinairement en
concile, ij-jvoSo; èvoïjixoO'ia. Cf. Hefele, Histoire des
conciles, trad. Leclercq, 1908, t. Il, p. 79. Nul doute que
tel ait été le principe et telle la pratique à l'origine.
Mais, exceptionnellement et lorsque la culpabilité du
métropolitain était évidente, les patriarches n'hési-
tèrent pas à agir seuls. C'est ainsi que saint Jean
Chrysostome prononça, sans convoquer son synode, la
peine de déposition contre Gérontius, métropolitain de
Nicomédie, et lui donna sans délai, un successeur.
Sozomène, H. E., 1. VIII, c. vi, P. G., t. i.xvn, col. 1529.
Un tel procédé pouvait être irrégulier au point de vue
du droit, mais la grande autorité du patriarche en cou-
vrait, pour ainsi parler, l'illégalité. Du reste, Justinien
semble reconnaître que les exceptions pouvaient avoir
leur raison d'être et autorisa les patriarches à juger
Jes métropolitains sans égard à leur synode : Si qui-
deni episcopus est qui accusatus est, ejus metropoli-
tanus examine l ea quse dicta sunt; si verometropoli-
tanus sit, ejus beatissimus archiepiscopus, sub quo
deget. Le synode n'est pas mentionné. Novell., cxxxvn,
c. 5.
En Occident, les métropoles se constituèrent plus
tard qu'en Orient. Mais on ne connut pas le régime des
patriarcats. D'après le canon 6 du concile de Nicée,
l'évêque de Rome parait seul assimilé aux patriarches.
Et, de fait, il en exerce les prérogatives dans toute
l'Eglise latine. Il ordonne les archevêques par lui-
même ou par ses légats : lia eos melropolitanos a le
volumus ordinari, écrit saint Léon à l'évêque de Thes-
salonique.Êpi'st., vi, adAnastas. Thessalon., c. \\,P.L.,
t. liv, col. 619. Milan et Aquilée échappent à celte
règle pendant quelque temps; Milan consacre l'arche-
vêque d'Aquilée et réciproquement Aquilée celui de
Milan. Mais le pape Pelage fait observer qu'une telle
exception est justifiée par la difficulté des rapports de
ces deux sièges avec Home. Caus. XXIV, q. i, c. 33.
Grégoire le Grand a soin de revendiquer le droit de
l'Église romaine et il exige que la consécration de
l'archevêque de Milan se fasse cum noslro consensn.
Epist., 1. III, epist. xxxi, ad Romanum Pairie, P.L.,
t. lxxvh, col. 628. Cf. Epist., xxx, ad Joann. subdiac,
col. 627. Les papes ('tendaient la juridiction de leur
tribunal sur les métropolitains. Dès 378, le concile
romain affirme ce privilège : Vel si ipsenietropolitaniis
sit,Romam necessario veladcos quos Romanus episco-
pus judices dederit, conlendere sine dilatione jubea-
tur. Epist. ad GratianumetValenHnianum imperat.,
dans Schuenemann, p. 359. Cf. la réponse de l'empe-
reur Gratien, ibid., p. 364. L'évêque d'Arles Patrocle
s'était fait octroyer du pape Zozime 117 le droit de
consacrer les évéques des provinces de Vienne, de la
Narbonnaise I" et de la Narbonnaise II*. Le concile
de Turin accorde au contraire à Proculusde Marseille
une juridiction sur la Narbonnaise II». Comme il
usait de ce pouvoir, le pape Zozime le déposa. Quid de
Proculi damnatioue censuerim. Zozime. Epist., i. ad
episcop. Gallix, c. il; Epist., vu, ad Patrocl. Arelat.,
P. L., t. sx, col. 668. .Vous n'avons pas à voir si la
conduite du pape était adroite et sage; nous constatons
seulement qu'il usait de son droit île déposition. Saint
Léon agit a peu près de même vis-à-vis du successeur
de Patrocle, Hilaire. S'il ne le déposa pas, ce fut pure-
ment par indulgence, pro sedis aposlolicse piclale, mais
il le priva de ses droits de métropolitain sur la province
de Vienne. Qui non tanlum noverit se ab aliéna jure
depulsum, sed etiam Viennensis provinciœ, quant
maie usitr paverai, poteslalc privation. Epist., x, ad
episcop. per provinciam Viennens. constitutos, c. vu,
/'. L., t. Liv, col. 63L Pour les détails de ces affaires,
voir Duchesne, Fastes épiscopauxde l'ancienne Gaule,
t. i, p. 102-1 17. Personne ne sembleavoir contesté cette
suprématie du siège apostolique. Aussi quand le pape
Nicolas Ier déposa les archevêques de Trêves et de Co-
logne, Thietgaud et Gunther, il s'exprima en des
termes qui ne laissent planer aucun doute sur ce qu'il
considère comme son droit et un devoir de sa charge :
''/ ideo Spiritus Sancti jndicio et sancti Pétri per nos
auctoritale omni episcoj ali exutos regimine a
stère definimus. Décréta Romanse synodi, a. 2. Har-
douin, t. v, col. 574. Ailleurs, il est vrai, il s'autorise
du 9e canon du concile de Chalcédoine qui défère les
métropolitains ad primaient diœceseos ou à l'évêque
de Constantinople. Epist. ad Carolum Calvum, dans
Hardouin, t. v, col. 585. Par « primat », les Pères de
Chalcédoine n'entendaient sûrement pas l'évêque de
Rome. Mais, tout en protestant contre la tyrannie du
pape, les archevêques de Cologne et de Trêves ne son-
gèrent pas un instant à révoquer en doute le droit
qu'il entendait exercer sur les métropolitains.
Cependant, quel que fût le principe, pendant la pé-
riode mérovingienne, les métropolitains furent jugés
par les conciles nationaux, qui étaient habituellement
convoqués par les rois. Ce fut le cas de Prétextât,
évêque de Rouen, au synode de Paris de 577 ; de Didier
de Vienne au concile de Chàlon de 603; d'Ebbon de
Reims et d'Agobard de Lyon au synode de Thionville
en 835. L'usage, on le voit, se perpétua sous les Caro-
lingiens. Le concile de Savonières de 859 faillit frapper
également de la peine de la déposition Wenilon de
Sens, accusé de haute trahison. Wenilon n'échappa au
coup qu'en faisant amende honorable. Si le roi ne
lui avait accordé son pardon, il est probable qui
collègues lui auraient infligé le châtiment prévu par
la loi. Cf. Libellas proclamationis dontni Caroli régis
adversus Wenilonem archiepiscop. Senonens., Har-
douin, t. v, col. 487; Epist^ synodal, ad Wenilon.
archiepiscop., ibid., col. 490 sq. ; Commonitorium
Herardi ail Wenilonem , ibid., col. 500 sq.
Mais ces faits ne périmèrent pas le droit. On voit, au
IXe siècle, Hincmar de Reims protester contre lu
rence de l'État et se tourner décidément vers Home
comme vers le tribunal suprême auquel devaient être
déférées les causes des métropolitains. Le pape Benoit
lui répondit en affirmant la même doctrine, nec alicui
cujuscumque juri vel judicio te subjici, excepta po~
1,'shih1 sedis apostolicx pontificum. Epist., i. ait Hinc-
marum Remens., dans Hardouin, t. v, col. 102. L'ap-
parition des fausses Décrétâtes ne lit que fortifier ces
théories. Et le concile de Trente les consacra. Si les
causes majeures des simples évéques ne pouvaient être
jugées que par le souverain pontife, à plus forte raison
513
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
514
celles des métropolitains. Fagnan, Comment., in c. 25,
De accusât., V, I. n. 44 sq.
En Orient, les patriarches, supérieurs aux métropo-
litains, étaient, à l'origine, égaux entre eux. De quel
tribunal pouvaient-ils relever ? Jusqu'au jour où Con-
stantinople'eut accaparé la suprématie sur tout l'Orient,
les patriarcats jouissaient d'une réelle indépendance
vis-à-vis l'un de l'autre. Un seul évêque, le pape, pou-
vait devenir leur juge. Et, en effet, au concile d'Éphèse
de 431, l'évêque de Jérusalem lit remarquer que,
d'après la tradition, les patriarches d'Antioche n'avaient
jamais eu d'autres juges que les papes, et conformé-
ment à ce principe on se contenta d'excommunier le
patriarche Jean, et on réserva au souverain pontife le
droit de lui appliquer, s'il y avait lieu, la peine de la
déposition. Epist. synodi Ephes. ad Celeslinum pa-
pam, n. 4. Nous avons vu plus haut que les papes
avaient usé de leJur droit en frappant les patriarches
Nestorius de Constantinople et Dioscore d'Alexandrie.
En 484, Félix III déposa pareillement le patriarche Acace,
et comme les Crées se plaignaient que le pontife eût
prononcé sa sentence sans l'avis de son synode, le
pape Gélase leur répondit que le pontife romain était
personnellement l'unique juge des patriarches, qu'il
pouvait exercer ses droits sans réunir de synode et
que. du reste, Acace avait été jugé conformément aux
canons de Chalc'doine. Gélase, Epist., vu, ad episcop.
Dardanitr, Ilardouin, t. n, col. 905 sq., cf. col. 831 sq.
Au \r siècle les papes professaient toujours la même
doctrine. On la retrouve sous la plume de Nicolas Ier,
qui proleste conlre la déposition du patriarche Ignace,
décidée au synode de Constantinople de 861, par suite
des intrigues de Photius. Aucun de ceux qui ont pro-
cédé à cette déposition, écrit le pontife, n'était juge
légitime. Epist., vin. ad Michaëlem imperat., dans
Ilardouin, t. v, col. 150. On n'a guère d'exemple qu'un
patriarche de Constantinople ait jamais été re/ectus
sine consensn romani pont i fuis. Ibid., col. 157. C'est le
successeur de Pierre qui a la sollicitude de toutes les
Églises. Il est le primat de toute l'Église, comme l'in-
dique le concile de Chalcédoine. (Erreur d'interpréla-
tion, que nous avons signalée plus haut.) Pierre a
fondé' l'Église d'Antioche, il a placé son disciple Marc
à la tète de l'Église d'Alexandrie, etil est venu mourir
à Rome. Ibid., col. 162 sq. Ses successeurs sont donc
au-dessus des patriarches et ils sont leurs juges. C'est
pourquoi noua ordonnons que l'hotius et Ignace com-
paraissent devant noire tribunal, pour que leur cause
jugée à nouveau, et. s'ils ne peuvent venir eux-
méini-s. qu'ils aient des représentants. Ibid., col. 166.
Au moment où Nicolas rev< ndiquait ainsi les droits du
pontife romain sur les patriarches, Photius méditait
le schisme. C'en 'tait fait de l'autorité du pape sur
Constantinople et sur l'Église d'Antioche.
i. DÊPOSfTIOn DBS • IRDIXACX. — Saint Peinard
exprimait l'idée que les cardinaux, comme tels, occu-
nl dans la hiérarchie une place inférieure à celle
rèques. /'*■ ■ ne, I. IV, c. v, n. 16, /'. /,.,
t. i.iawii. col. 784, Léon X pensait tout autrement,
qu'il déclarail qu'ils surpassaient en honneur et m
dign ipsa Ecclesia post summum
qsI Supet ■■■' di 151 1. -•■' i . wi, /))//-
mum, I i. p. 544. Déjà Eugène I \ dans
Itntion Non médiocre de 1439, iect. nv, avait
I nu une di mblable Quit non videat • ar-
dinalatut dignitatem archiepiscopali esse tnajt
il en i onclaail 'i1"' personne, m ce n • I
h- p lit le 'if.ii de les juger < um a nemine
papa, judicentw cardinale*. BuUarium,{ i
P
ii dinaux tiennent du souverain
tife, donl ils ont li i ollaboi ateui -. toute l'auto-
[u'i L'Ordo i omanui XI V, P, / .
DICT. DE TIIÉOI.. CATHOL.
t. lxxviii, col. 1122, le montre assez clairement. Le
Cœremoniale romanum indique pareillement que la
création des cardinaux est une œuvre proprement
papale. Hoffmann, Nova scriptorum ac monumento-
rum colleclio, t. Il, p. 393 sq. Et cette doctrine a été
confirmée par le concile de Trente, sess. XXIV, c. i,
De reform. La formule employée par le pape en con-
sistoire, quand il crée un cardinal, porte en effet :
Auctoriiate omnipotentis Dei, sanclorum apostolorum
Pétri et Pauli AC NOSTBA CREA MUS sanclie Ecclesise
Romanx cardinalem N.Analecta juris pontif. ,2esérie,
col. 1940.
Or, d'après le principe que qui peut instituer peut
destituer, les souverains pontifes ont évidemment le
pouvoir de déposer les cardinaux. On ne s'étonnera
donc pas que, dans la pratique, les papes aient usé de
ce droit. Léon IV déposa en 853 le cardinal Anaslase :
Sancta communione privavimus..., deposilus est juste
atque canonice Anastasius. Ilardouin, t. v, col. 85 sq.
La même peine fut inlligéeau cardinal évoque Rodoald
de Porto, que Nicolas Ier avait envoyé à Constantinople
pour instruire l'affaire du patriarche Ignace et qui
s'était laissé corrompre par les amis de Photius. Nostri
apostolatus judicio deposuimus eum, écrit le pape à
l'empereur Michel, et a corpore et sanguine Christi
excommunicavimus. Hardouin, t. v, col. 141 sq. C'est
avec un semblable sentiment de sa suprême autorité
que, quatre siècles plus tard, Boniface VIII frappait les
cardinaux Jacques et Pierre Colonna : Deposuimus
dictos Jacobum et Petrum a cardinalatibus ejusdem
ecclesise et ab omni cardinalalus commodo et honore.
Sexti Décret., 1. V, tit. m, De schismat., c. unie.
La formule que Pie IV emploie pour déposer le car-
dinal Odet de Chatillon, évêque de Beauvais, qui avait
abandonné l'orthodoxie pour passer au protestantisme,
ne diffère guère de la précédente dans les termes : Et
propterea eum ab omni cardinalatus commodo et
honore ac privilegio etiam clericali... ij^so jure de-
positum... declaramus. Consl. (Jnerosum, de 1563,
sect. iv, dans Dullarium , t. n. p. 102.
Tout le monde est d'accord sur le droit du pape à
juger les cardinaux. On s'est demandé seulement s'il
pouvait porter seul contre eux une sentence de dépo-
sition. Nombre d'anciens canonistes estimaient qu'un
pareil jugement ne devait être prononcé qu'avec l'agré-
ment du Sacré-Collège. Cf. Fagnan, Comment., adc.2,
X, De cleric. non résident., III, iv, n. 5, 7. Ils s'ap-
puyaient sur le texte qui concerne la déposition du
cardinal piètre Anaslase au synode romain de 853 : lu
hac synodo Anastasius presbyter cardinalis... ab om-
nibus canonice est deposilus, loc. cit , c. 2. Mais bien
qu'en fait les papes se soient généralement entourés de
la lumière des membres du Sacré-Collège pour frapper
un cardinal d'une peine disciplinaire, il n'en est pas
moins vrai qu'ils prononçaient leur sentence uniquement
en leur propre nom; les cardinaux qui les assistaient
n'avaient que voix consultative. Les actes du synode
romain de 853 portent, il est vrai. qu'Anastase a été dé-
posé tam a tummo pontiflee quamque ab universis
■ ipis tune synodo residentibus. Mais la sentenc
de déposition ne lait mention que de l'autorité papale
Léo ex Dei omnipotentis et beati Pétri apostoli
ttOBTRAQUB S1MUI APOSTULtCA Minimisa... PRIVA-
VIMV8, etc. Ilardouin, t. v. col. 86 sq. MicoUfl I
s'exprimi de la même manière au sujet du cardinal
Rodoald i sanclissimorum episcoporum >/n-
merosa et venerabili synodo, aucloritale Dei omnipo-
tentis... neenon si nostri apostolatus judicio deposui-
Hardouin, t. v, col, 141 sq La lam
phrase qui regarde le cardinal Vnastase '" hac
anonice est rf< posihts, doit donc
ntend lans un sens large; elle signifie que le
a pi - part .m procès qui lui fui intenté, i e
i\
51 J
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES GLERl -
51G
qui D'empêché pas que la sentence suit l'œuvre exclu-
sive du souverain pontife : ab omnibus approbantibus,
connut' porto la (Hum-, caus. IX. <|. III, C. 17, quuniam
solus papa hune cardinales deposuit.
Du reste, il esl naturel que le pape procède pour la
déposition des cardinaux comme il fait pour leur créa-
tion. D'après le c. cxm tics Cseremonise et solemnilates
saiiiir servari in creatione novorum cardinalium,
lorsque le souverain pontife veut créer un cardinal, il
consulte les membres du Sacré-Collège, niais il n'est
nullement force de suivre l'avis de la majorité. Le Ceere-
moniale romanum, 1. I, sect. vin, c. i, suppose que
le pape est libre dans son choix. Et le concile de
Trente, sess. XXIV, c. i, De reform., affirme le même
principe. La formule employée aujourd'hui par le
pape ne laisse place à aucun doute : Illum N. in ves-
Irtim collegium adlegendum esse dechevimus. A la
vérité, s'adressant aux cardinaux, il leur pose la ques-
tion : Quid rubis videtur? Mais ce n'est là qu'une
simple formalité. Il n'attend même pas leur réponse
pour procéder à la nomination de leur nouveau col-
lègue. Aualecta juris pontifi.cn, 2e série, col. 1939 sq.
Même procédure pour la déposition d'un cardinal.
Boniface VIII n'a pas frappé les Colonna sans avoir
consulté les membres du Sacré-Collège. De schismat.,
Sexti Décret., 1. V, tit. m, c. unie. Pie IV en usa de
même, quand il déposa le cardinal de Cbàtillon : Habita
cum prœdictis et aliis venerabilibus fralribus nostris
ejusdem S. R. E. cardinalibus maltira deliberalione,
de eorumdem unanimo voto, consilio et assenait, etc.
Const. Onerosum de 1563, sect. iv, Bullarium, t. n,
p. 102. Par contre, en 1046, le pape Innocent X in-
fligea à certains cardinaux, qui avaient quitté Rome
sans sa permission, la peine de la déposition molli
proprio, en ayant soin d'ajouter que sa sentence était
aussi valable que si elle eût été portée en plein consis-
toire : ac si in consistorio nostro secrelo de eorumdem
venerabilittm fratrum nostrorum consilio et unanimo
assetisu emanassel. Const. Cumjitxlasacrorum, sect. I,
6, Bullarium, t. v, p. 432, 434. Il voulait montrer par
là que, si l'avis des membres du Sacré-Collège pouvait
être en pareil cas très utile, il n'était pas rigoureuse-
ment indispensable. Et c'est ce qu'enseignent commu-
nément les docteurs. Cf. Julius Ctarus, Praclica ciril.
et criminal., 1. V, sect. xxxv, n. 10; Fagnan, Comment.,
ad c. 2, De cleric. non résident., III, iv, n. 8.
Un document apocryphe inséré par le pseudo-Isidore
dans les Fausses Décrétales et plus tard par Gratien
dans son Decretum, caus. III, q. iv, c. Il, voudrait
que les papes ne pussent condamner un cardinal sans
un nombre considérable de témoins : soixante-douze
pour un cardinal évêque, quarante-quatre pour un
cardinal prêtre, vingt-sept pour un cardinal diacre.
Cette règle a été imaginée à une époque où les clercs
accusés pouvaient se disculper par serment, s'ils avaient
comme témoins à décharge un certain nombre de co-
jureurs. Pour l'historique du document, voir Kober,
op. cil., p. 539-549. Le chiffre de ces témoins était
llottant. Le pseudo-Isidore a voulu le fixer. Mais les
faits de déposition qui sont venus à notre connaissance
ne nous laissent pas entendre que la règle ait jamais
été appliquée. Ni Boniface VIII, en frappant les Co-
lonna, ni Pie IV, en condamnant le cardinal de Cbà-
tillon, ne paraissent s'être souciés d'entendre les
soixante-douze témoins que requiert la lettre du droit
écrit. Ce n'est là, il est vrai, qu'un argumettlum ex
siientio. Nous savons, du moins, par un canoniste
autorisé du xvr siècle,, Iulius Clarus, que de son temps,
en dépit du Décret de Gratien, les papes procédaient à
la déposition des cardinaux sans entendre ni soixante-
douze, ni quarante-quatre, ni même vingt-sept témoins.
Sni certe quidquid sii de jure, iste numerus testium
/imite de consuetudine n"n servatur, quando papa
procedit contra cardinale!. H" tettatur card. Ah
ri Un m facto nostris temporibut >><ii ri h"/ ; fuisse
observatum. .1. Clarus, Praclica civil, et criminal.,
I. V. q. i.xvi.
17. DÉPOSITJoy BE8 PAPES. — Le principe d'après
lequel personne ne peut être destitué que par celui
qui l'a institué s'applique aux papes aussi bien qu'aux
autres clercs. Or les papes sont .lus par le collège car-
dinalice, mais ils ne reçoivent leur autorité que de
Dieu. C'est en ce sens que les canonistes interprètent
le 1. II, tit. i, De judic., c. 13, qui cite saint Paul :
Poteslas nostra min esl ex homine, sed ex Deo.
Cf. Fagnan, Comment., ad c. 4, De elecl., I, vi, n. 32.
Aussi le pape Innocent 111 proclamait-il hautement sa
souveraine indépendance vis-à-vis de tout pouvoir
humain : « Le pontife romain, dit-il, n'a d'autre supé-
rieur que Dieu, t pont Deum alium superiorem non
habet. Serm., IV, in consecral. ponlif., /'. L., t. ccxvu.
col. 670. Et il en concluait que personne n'avait le
pouvoir de le déposer : cum romanus pontifes
liabeat alium dominum nisi Deum, quantutnlibel
eranescal, quis potest eum foras milteref Serm., iv.
in consecrat. pontif., ibid.
Cette règle s'est trouvée de bonne heure formulée
dans les termes suivants : Prima sedes a nemine ju-
dicetur. Les actes apocryphes du concile de Sinuesse
en 303 la contiennent déjà. Le pope Marcellin, accusé
d'avoir offert de l'encens aux dieux, est censé s'être
reconnu coupable; les évêques se contentent de pro-
noncer sa déposition et ils ajoutent : Juste ore suo
condemnalus esl... Nemo enim ttnquam judicavit
ponlificem, nec prsesul sacerdotem suum ; quoniam
prima sedes non judicabilur a quoquam. Hardouin.
t. i, col. 217 sq. Lorsque plus tard le pape Symmaque,
poursuivi avec un acharnement inouï par les partisans
de l'antipape Laurent, fut déféré devant plusieurs
synodes que convoqua le roi des Ostrogoths. Théodoric
le Grand, on n'osa le condamner, ni même le juger,
parce qu'on craignait d'attenter à son autorité suprême:
on estimait qu'il ne pouvait être soumis au jugement
de ses inférieurs : nec antediclsc sedis antistitem
minorum subjacuisse judicio. Hardouin, t. n, col. 967.
Sur cette affaire, voir un article intitulé : Uno antipajia
e uno scisma al tempo del Theodorico, dans Civillà
cattolica, 4 avril 1908, p. 68-78. Ennodius de Pavie
(f 521) écrit à ce propos que, si Dieu a voulu que « les
hommes terminent les procès des hommes, ■> il s'est
réservé à lui-même les causes du saint-siège, sed sedis
islitts prœsulis suo, sine quœslione, reservavit arbi-
trio. Caus. IX, q. ni, c. 14. Les décisions du concile
connu sous le nom de synodtts Palmaris, qui inno-
centa Symmaque, furent envoyées aux évêques de Gaule
et ceux-ci chargèrent saint Avit de Vienne de répondre
en leur nom aux sénateurs de Rome, Fauste et Sym-
maque. Avit relève dans sa lettre le principe « qu'un
supérieur ne peut être jugé par des inférieurs », i
farile dattir itttelligi qua lege ab inferioribus emi-
nenlior judiceltir, et loue le synode d'avoir réservé la
conduite du pape au jugement de Dieu, divino pot
servavit examini. Aussi bien, si on touche au pape, ce
n i -I pas un évêque, mais l'épiscopat tout entier qui
chancelle. » Episl. ad sénat, ttrbis Rom se, dans Har-
douin. t. n, col. 982 sq. Ainsi ce n'est pas seulement
en Italie, mais dans un cercle beaucoup plus étendu
que prévaut la règle : prima seilesa nemine judiceltir.
Lors donc qu'un faussaire attribua au pape Silvestre
le fameux canon : Nemo judicabit primant sedem, quo-
niam omnes sedes a prima sede justitiam desiderant
temperari, Act., H, can. 20, Hardouin, t. i, col. 291. il
ne faisait que formuler la doctrine reçue de son temps.
Saint lioniface, l'apôtre de l'Allemagne, ou l'auteur
quel qu'il soit du texte, disl. XL. c. 6. la précise en-
core, quand il déclare que, sauf le cas d'hérésie, le pape
517
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
518
ne saurait rire jugé par personne, quia cunclos ipse
rudicaturus a nemine est judicandus, nisi deprehen-
datur a fi.de devins. Ce dernier membre de phrase
sera expliqué plus loin. Le pape Léon III, poursuivi
par la calomnie, comparut en 800 devant un tribunal
ecclésiastique où siégeait Charlemagne. On n'osa pas
cependant le juger : tous les archevêques, évoques ou
abbés présents se récusèrent, en disant : Nos sedem
apostolicam...judicare non audemus, nam ab ipsa nos
nés et vicario suo judicamur, ipsa aulem anemine
iudicatur, quemadmodum et antiquitus mos fuit.K&r-
douin, t. iv, col. 936. Le Dictatus de Grégoire VII.
Hardouin, t. vi, col. 1304; Gratien, dans son décret,
dist. XL, c. 6; caus. IX, q. ni, c. 14-16, répètent la
■ formule. Et le principe était si universellement
reconnu au XIIIe siècle que le roi Philippe de Souabe
le rappelle dans une lettre adressée au pape Inno-
cent III : Ab Itom'me non estis judicandus, sed judi-
■ vestrum soli Deo reservatur. Scriptum Pkilippi
ad dominum papam, Raynaldi, Annal, cèdes., an.
1206, n. II). Boniface VIII n'avait donc qu'à consulter
la tradition pour écrire à Philippe le Bel : Si deviat
ipiritualis /«iiestus minor, a suo superiore; si vero
tuprema, a solo Deo, non ah homine poterit judicari.
uvag. communes, I, vin, De majorit. et obedient.,
c. 1.
Aussi bien quel pourrait être le juge du souverain
pontife? Ce n'est pas le Sacré-Collège. Quand les cardi-
naux ont nommé un pape, leur rôle est achevé; celui
qu'ils viennent d'élire, une fois consacré, devient leur
supérieur. El donc ils n'ont plus d'autorité sur lui.
Serait-ce l'empereur'.' Les empereurs chrétiens sont
quelquefois intervenus, en effet, dans les affaires ecclé-
siastiques, voire dans les affaires papales. Le concile
romain de 378 rappelle le jugement que rendit (ira-
tien en faveur du pape Damase. Mais il s'agissait de
crimes de droit commun, où l'État avait à montrer la
force, en même temps qu'à rendre la justice. Epist.
alian. et Valentinian. invpe-
rat.u. 11, cf. a. 8, dans Schœnemann, op. cit., p. 360.
Ii'' bonne heure le principe de la séparation des deux
pouvoirs l'ut reconnu dan- I Église. L'immixtion de
l Etal dans l< - choses ecclésiastiques parut dès lors à
tous un abus intolérable. Il esl vrai qu'au xiv Biècle
un conseiller de Louis de Bavière, Marsile de l'adoue.
les papes m avaient de juridiction an
nr qu eu vertu d'uni ion impériale et,
quent, relevaient de- empereurs, qui pouvaient
I f. Defensor pacis, dans Gol-
i, t. II. p. loi sq.
dans le tumulte d'un conflit
mpereur, n obtint aucun crédit au-
uistes. La tradition écrite lui était déjà
fameux canon attribué au pape
I >|iii est du
lempa de I h< odoi i< . on Msail : neque uh I ugusto, m
• regibus... judicabitur. Har-
o, t. i. col. J'<i II le pape Nicolas I", rappelant à
l'empereur Michel le principe de l'indépendanci
il avait justement conclu que le pon-
ail être di pos< par le pouvoir Bécu
ligai i i tolvi
'■/>■'■„, Hardouin, t. v, col. I7I sq.; Gratien,
tCVII, « i.. ',. Le VIII» ci iménique, tenu
1 9, loi. n. il- «olennellemi m la
21, Hardouin, t. \ DOS tussi
Otton, a la dem inde du concile de
le pape Jean \ II. reconnut on
droit
le on <<■ trouvai! I i
Har-
douin I
L'incompétence des empereurs à déposer les papes
résulte, du reste, de leur situation vis-à-vis de la pa-
pauté. Si indépendants qu'ils fussent dans le domaine
des choses temporelles, il ne faut pas oublier qu'ils
étaient sacrés par les pontifes romains et que, par con-
séquent, à certains égards ils tenaient d'eux ou du
moins par leur entremise l'autorité suprême qu'ils
exerçaient sur les peuples. C'est en raison de ce fait
que certains papes, Grégoire VII, par exemple, reven-
diquaient le droit de déposer les empereurs/ Cf. sur ce
point Cenni, Monumenta dominationis pontif., dist. 1,
n. 21-52; dist. VI, n. 13-41 ; Kober, op. cit., p. 568-572.
De leur coté, il est vrai, les empereurs prétendaient
que la nomination des papes ne pouvait être valable,
s'ils ne la ratifiaient. Mais celte ratification n'équivalak
évidemment pas à une consécration^ et ne conférait
pas de droit sur celui qui en était l'objet. Jamais un
empereur ne fut considéré comme le supérieur du
pontife romain. Jamais, par conséquent, il ne put
s'attribuer le droit de le déposer. Les tentatives de
Henri IV contre Grégoire VII et de Louis de Bavière
contre Jean XXII échouèrent nécessairement, parce
qu'elles étaient contraires au droit et à la tradition.
Mais si les entreprises des empereurs sur la papauté
ne furent qu'un accident temporaire dans l'histoire de
l'Église, les conciles généraux qui possèdent incontes-
tablement l'autorité suprême dans le domaine spiri-
tuel ne pourraient-ils déposer un pape qui trahirait
son devoir? En fait, le concile de Constance a déposé,
au moment du grand schisme d'Occident, Jean XXIII
el Benoît XIII, cl il a obtenu la démission de Gré-
goire Xll. Hardouin, t. vin, col. 37G, 380. Cet événe-
ment, qui ramenait la paix au sein de la chrétienté',
fut salué par des cris de joie universelle. N'est-ce pas
un indice et une preuve que la déposition des papes
constitue en certaines circonstances un droit, voire un
devoir des conciles généraux?
Les actes du concile de Constance onl besoin d'être
expliqués, mais n'ont nullement modifié la constitution
de I I glise. Et c'est à tort que les Pères du concile onl
prétendu posséder la suprématie sur le pape. Sess. IV el
V, Hardouin, t. vin, col. 252, 258. Cf.. sur ce point, Bel-
larmin, De concil. et Eccles., n, 19; Bossuet, Defensio
declarationis cleri gallicani, v, 2 sq.; Tunnel, His-
de la théologie positive, t. n, p. 365, 373
La primauté du pape esl d'institution divine, aussi
bien que l'épiscopat. Que le pape el les évéques soient
réunis ou qu'ils soienl séparés, leur condition res
même. Sans doute, le pape n'esi pas un monarque
absolu ei dans un concile les évéques collaborent avec
lui. Il est la tête de l'Église, el ils en sont le COI
Mai- on ne cou te d'auto-
rité sans la tête; on ne conçoit pas surtout qu
corps domine la tête. Aussi bien le concile œcuménique
n'exisir pas s;in- [a participation du pape-, si l'on sup-
'iu moment que le pape soi) d'un côté, les évéques
de i autre, l'I -lis.- .m rail cessé d'exister. C'esl don. là
une hypothèse chimérique. D'autre part, il esl admis
de tout le monde qu'un évéque isolé ne saurait dépi
un pape. Ce) acte de suprématie dép
On ,i bien vu, il esl vrai, un hioseore d'Alexan
prononcer l'exco unication contre Ii p.p. gainl
i.' Grand, el Photiua lancer un.' senteno de dépo
[•'. Mais de Eels actes oui él
déclarés nul- par le coneib.de Chalcédoine el pai
nstantinople. Sur tout ceci, voir Libellut 11,,
diacon , , , ntra Dio ' i irdouin, i. n.
Vnasla le Bibliothécaire, Hardouin, i. v. col. 76SI
papam, Har-
douin, t.m, co n lantinople di
Hardouin, L v, col '.HT Ce qu un év< que ne peu) faire
deux évéques ni dit évi |< poui rail ni faire
dix, de Vingt, d.. ci ni me -
r>i9
DEPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERl -
pétences ne saurait constituer une compétence. Un
concile œcuménique, privé de sanction papale, n'a pas
plus d'autorité qu'un concile particulier. Si donc on
reconnaît qu'un concile particulier n'a pas le pouvoir
de déposer le souverain pontife, il faut en conclure
qu'un concile universel, privé de son chef, ne peut non
plus le déposer. La déposition prononcée par le concile
de Bàle contre Eugène IV, pape certainement légitime,
était radicalement nulle. Si un pape commet un abus
de pouvoir qui, pour un simple évèque, entraînerait
la déposition, tout au plus peut-on lui résister en face,
comme lit saint Paul vis-à-vis de saint Pierre. Mais
ainsi que le remarque Yves de Chartres, s'il lui a
résisté, il ne l'a pas déposé : In faciem reslitit, non
lamen eum abjecit. Epist., ccxxxiii, ad Henric. abbat.,
P. L., t. clxh, col. 236. Contre un pape qui s'obstine
dans le mal il n'y a d'autre ressource que « d'attendre
le temps de la moisson » et de s'en rapporter au juge-
ment de Dieu. Epist., ccvxxvi, ad Joann. episcop.
Lugdun., ibid., col. 210.
Le souverain pontife est donc au-dessus de toute juri-
diction terrestre. Cela est si vrai que, le voulût-il, il ne
pourrait se soumettre à un tribunal humain. On
allègue, il est vrai, que le pape Damase s'en rapporta
au synode romain de 378 : se dédit ipse juciciis sacer-
dotum, concile de Rome, Epist. ad Gratian. et
Valentinian. imperat., n. iO, dans Schœnemann,p. 360;
que Symmaque fit la même chose en 501, Sijnodus
roman. Palmaris, Hardouin, t. Il, col. 967, et que
Léon III convoqua un synode à Rome en 860 pour se
justifier des crimes qu'on lui imputait. Vita Leonis,
dans Hardouin, t. iv, col. 936. Cela serait, du reste,
conforme au droit romain qui pose en principe qu'un
supérieur a le droit de se soumettre à la juridiction
d'un inférieur. Digest., De juridict. omnium judic, II,
i, 14. Mais il y a lieu de remarquer que ni Damase,
ni Symmaque, ni Léon III n'ont pris, à proprement
parler, les conciles romains pour juges; ils les ont simple-
ment pris à témoin de leur innocence : affeclu pur g a-
tionis suse culmen humilians, ditle synode où comparut
Symmaque. Hardouin, t. il, col. 969. Cf. pour Damase
et Léon III, loc. cit. Sans doute, il est de droit commun
qu'un particulier peut renoncer à son privilège : Quilibet
polest renuntiare jurisuo atque favori privato. Digest.,
loc. cit., loi 14. Mais c'est seulement quand il s'agit
d'une faveur personnelle. Le souverain pontife n'est
pas dans ce cas. L'immunité dont il jouit lui a été
octroyée dans l'intérêt général. Il n'est pas en son pou-
voir de s'en dépouiller. Par conséquent, en tout état de
cause, la maxime : prima sedes a nemine judicetur,
demeure vraie.
Toutefois à cette règle on admet communément deux
exceptions. On se rappelle que le canon attribué à saint
Boniface et cité par Gratien, dist. XL, c. 6, d'après
lequel « le pape peut juger tout le monde et ne peut
être jugé par personne, » contient, cette réserve : nisi
deprehendatur a fide devius. L'hérésie constitue donc
une faute pour laquelle un pape peut être déposé par le
concile général. Le concile romain de 503 fait la même
remarque à propos de Symmaque : nisi a recta fide
exorbitaverit. Hardouin, t. il, col. 984. Cette doctrine
fut reçue et confirmée par tout le moyen âge. On en
trouve l'expression dans la troisième allocution du pape
Adrien II au IVe concile de Constantinople. Hardouin,
I. v, col. 86G. Le pseudo-Isidore l'attribue au pape
Eusèbe. Epist., il, ad episcop. Alexandrin., c. xi; Ilins-
chius, op. cit., p. 237. Gratien l'insère dans son Décret,
caus. II, q. vu, c. 13. Yves de Chartres la rappelle à
Jean, archevêque de Lyon. Enfin le pape Innocent III
reconnaît solennellement que, si pour ses autres péchés
il a Dieu seul pour juge, « en matière d'hérésie il peut
être jugé par l'Eglise, » propter solum peccatum quod
in fide commillitur possern ab Ecclesia judicari.
Serin. , n, in consecrat. ponlif., /'. L., t. o:\vn.
col. 656. Ce principe est donc hors de doute. Cf. sur
ce point, Bellarmin, De concil. et Ecclesia, n, 90;
Cano, De locis tlteologicis, VI, 8; Turrnel, histoire de
la théologie positive, du concile de Trente au concile
du Vatican, p. 366-368.
La règle qui s'applique aux papes hérétiques s'ap-
plique également aux schismatiques, et c'est là la
seconde exception que nous voulons signaler. Vers le-
milieu du xie siècle, trois papes, Benoit IX, Silvestre III
et Grégoire VI, revendiquaient le droit à la tiare. Un
concile se réunit à Sutri en 1046 pour examiner la
validité de leurs titres. Les deux premiers furent
déposés comme «'lus par simonie ou népotisme, et
Grégoire A'I consentit à donner sa démission. Clément II
fut élu pape à leur place et sacré à Saint-Pierre de
Home. A la mort d'Etienne X, Benoit X se fit élire
par la force; mais vers la fin de 1058 Hildebrand
réussit à grouper les voix de la majorité du Sacré-
Collège sur Tévèque de Florence qui prit le nom de
Nicolas II. Le concile qui se réunit l'année suivante
à Sutri prononça la déchéance de Benoit X, et Xicolas
fit sans opposition son entrée solennelle à Borne. La
déposition de Jean XXIII et de Benoit XIII au concile
de Constance est un acte du même genre. Le concile
procéda en vertu de son autorité, parce qu'il s'agis-
sait de papes schismatiques. Pas n'était besoin, pour
justifier sa conduite, d'invoquer une prétendue supé-
riorité du concile sur le souverain pontife.
Mais quand nous disons que les papes peuvent être
exceptionnellement déposés pour cause d'hérésie ou de
schisme, nous entendons le mot « déposition » dan-
un sens large. A proprement parler, ni dans l'un ni
dans l'autre cas le pape n'est « déposé » par le concile.
Un pape qui tomberait dans l'hérésie et qui s'y obsti-
nerait cesserait du même coup d'être membre de
l'Église et par conséquent d'être pape; il se déposerait
lui-même. Ainsi l'entend Innocent III : Potest (pon-
lifex) ab hominibus judicari tel potius judicatus
ostendi, si videlicet evanescat in hseresim, quoniam
qui non crédit jam judicatus est. Serm., iv, in consecr.
ponlif., P. L., t. ccxvn, col. 670. Cf. Fagnan, Com-
ment, ad c. 4, De elect., I, vi, n. 70. Non potest exui
jam nudalus, lit-on encore. Sexti décret., 1. II, tit. v, De
reslit. spoliât., c. 1. Cf. Gratien, caus. XXIV, q. i,c. 1.
Un jugement que le concile général prononcerait contre
un pape schismatique n'est pas davantage une déposi-
tion. En fait, les papes schismatiques ont été simple-
ment traités comme usurpateurs et dépossédés d'un
siège qu'ils ne possédaient pas légitimement. Cf. le dé-
cret contre les simoniaques du concile de Rome de
1059, Hardouin, t. vi, col. 1064; Gratien, dist. LXX1X.
c. 9; Grégoire XV, const. JEterni Palris, de 1621,
sect. xix, Bullarium roman., t. m. p. 416. Les con-
ciles qui les ont frappés n'ont fait qu'examiner leurs
titres à la tiare. Ce ne sont pas les papes qu'ils ont
jugés, mais l'élection et l'acte des électeurs : Eo casu
non pontifex maximus, sed faction potius eligentium
judicalur, dit fagnan, loc. cit., n. 65. En réalité, per-
sonne ne saurait déposer un pape hérétique ou schis-
matique, puisque le premier a cessé d'être pape et que
le second ne l'a jamais été. Par conséquent, les excep-
tions à la règle que le droit écrit semble indiquer ne
sont qu'apparentes. Le principe : prima sedes a ne-
mine judicetur est absolu, il ne souffre pas d'excep-
tion : un pape, quels que soient ses crimes, n'a pas.au
for extérieur, d'autre juge que Dieu.
Ballerini, De vi ac ratione primatus romanorum pontifl-
• ■nui, dans M igné, Theologias cursus complétas, t. ni; Bar-
bosa, Collectanea doctorum in V lib. Decretalium, 3 in-fot.,
Lyon, 1C56 ; Bellarmin. De Uomano pontifice; De conciliis et
Ecclesia; Binterim, Denkwiirdigkeiten der christkatliolis-
chenKirche, 7 in-s , Mayence, 1825-1832; Bullarium magnum
521
DÉPOSITION ET DÉGRADATION DES CLERCS
DEPOT
522
I. Du dépôt en général. II. Du dépôt
Romanum, 19 in-fol., Luxembourg, 1727 sq. ; Bullarium Bene-
dicli XIV, 4 in-fol., Rome, 1754-1758; Van Espen, Jus eccle-
siasticum universum, 4 in-fol., Louvain (Paris), 1641 ; Fagnan,
Commentarius in V lib. Decretalium, 3 in-tol., Rome, 1G61 ;
Ferraris, Prompta bibliotlteca canonica,8 in-4% Rome, 1885 sq.;
Hardouin, Conciliorum collectio regia maxima, 12 in-fol., 1715:
Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, 1907-1908, en cours
de publication; Hinschius, System des katholischen Kirchen-
rechts, fi in-8% Rerlin, 1879-1897 ; Decretales Pseudo-Isidorianœ ,
in-8% Leipzig, 1863; Kober, Die Suspension der Kirehendiener ,
in-8°, Tubingue, 1862 ; Die Déposition und Dégradation nach
den Grundsâtzen des kirchlichen Rechts, in-8% Tubingue, 1867
(ouvrage classique) ; Lœning, Geschichte des deutschen Kirchen-
rechts, 2 in-8", Strasbourg. 1878; Marca, De concordia sacer-
dotii et imperii, in-4% Paris, 1641 ; Massuet, Dissertationes
prsevise in Irsenei libros, P. G., t. vir, col. 281 sq. : du Perron,
Réplique à la réponse du sérénissime roy de la Grande-Bre-
tagne, Paris, 1620; Philipps, Kirchenrecht, 7 in-8% Ratisbonne,
1845-1872: Real-Encyklopiidie der christlichen Alterthïtmer,
Fribonrg-en-Hrisgau, 1882, art. Déposition par Kober; Reiffens-
tuel, Jus canonicum universum, 5 in-fol., Ingolstadt, 1759;
Sanii, Prxlectiones juris canonici juxta ordinem Decreta-
. 5 in-8% Ratisbonne, 1892 ; Scbmalgrueber, Jus canonicum
universum, Rome, 1844; Schœnemann, Pontificum romano-
rum epistolse genuime ; Schulte, Dos Kirchenrecht, 2 in-8%
Stuttgart, 1860; Thomassin, Vêtus et nova disciplina circa béné-
ficia et benefteiarios, 3 in-fol., Venise, 1752; Tunnel, Histoire
de la théologie positive, 2 in-8% Paris, 1904-1906 ; Histoire du
le de la papauté, des origines ii la fin du iv siècle, in-12,
Pari*. 1908: Wasserscbleben. Die Bussordnungen der abend-
l&ndischen Kirche, in-8% Halle, 1851 ; Wernz, Jus Decretalium
•im prselectionum in scholis textus canonici sire juris
Decretalium, 3 in-8% Rome, 1897-1908.
E. YaCANDARD.
1. DÉPÔT.
proprement dit.
I. Dr dépôt en général. — 1" Définition. -■ Le
dépôt en général est « un acte par lequel on reçoit la
chose d autrui, à la charge de la garder et de la resti-
tuer en nature. » Code civil, a. 191,"). Dans cette défini-
tion le législateur a employé le mot acte, afin d'y faire
rentrer le séquestre, une des variétés du dépôl qui est
un acte judiciaire et non un contrat.
Le i I peu! signifier soit le contrat dont il va
être question, soit la chose déposée, objet de ce contrai.
On appelle déposant la personne qui fait le dépôt, dé-
positaire celle qui le reçoit.
2° Caraclires essentiels. — I. Le dépôl appartient à
la catégorie des contrats réels. Lu effet, le dépôt en-
;_. mire uniquement l'obligation de restituer, mais on
ne peut restituer un objel qu'après l'avoir reçu, c'est-
à-dire après tradition. D'ailleurs, celte tradition peut
icite. Pierre a prêté à Paul de la vaisselle
pour un repas de noces. Le lendemain delà cérémonie,
i t partir en voyage, il la lui conlie en dépôl ju^-
qu'à son retour. Il n'es! pas nécessaire A la formation
de ce contrat de di p luer une nouvelle tradi-
tion de la vaisselle, qui se trouve déjà entre les mains
de Paul et l'on peul dire que la tradition esl déjà im-
plicitement contenu ivelée dans et par le con-
menl des parties.
-'. Le di pôl esl un contrat synallagmatiqu,
fait. D'une pari, en effet, au moment "ii il se Forme,
ntral n'engendre d'obligation que pour le di
qui esl lenu de restituer l'obji i sa garde,
'' doil le con idi 1 1 r coi i un contrai uni-
i il. D'autre pari, certaine circonstances peuvent
la charge du déposant,
di po itaire a fait des dépenses pour
ition de la ( I dépôt inl
de l'inden uir.it. parce qu'il en-
gendre d< a ol ntrac-
el la f.rme de contrai bilatéral ou syn
que. Il «'ensuit que le dépôl n esl pas un contrai
plemenl unilatéral, puisqu'il peut, dans cerl
ren-
ie.n pin d'une mai
absolue un contrat bilatéral, puisque le déposant se
trouve obligé à des dommages-intérêts, non pas en
vertu du contrat lui-même, mais par certains faits
concomitants ou subséquents. Voilà pourquoi on a
classé le contrat de dépôt, ainsi que ses congénères, le
commodat et le gage, dans la catégorie intermédiaire
des contrats synallaymatiques imparfaits.
II. Du dépôt proprement dit. — 1° Nature du contrat
de dépôt. — Le dépôt proprement dit est un contrat
par lequel une personne — le déposant — remet une
chose mobilière à une autre personne — le dépositaire
— qui s'oblige à la garder gratuitement et à la rendre
dans son individualité au déposant, à première réquisi-
tion. De cette définition découlent deux propriétés du
dépôt proprement dit.
1. Le dépôt ne peut avoir pour objet que des choses
mobilières. Le but de ce contrat est, en effet, la garde
d'une chose. Or il est évident que les immeubles n'ont
pas besoin d'être donnés en garde pour que le proprié-
taire soit sur de les retrouver. Ainsi lorsque quelqu'un,
partant en voyage, confie à un ami les clefs de sa mai-
son, le dépôt qu'il fait est celui des clefs, ou encore
des meubles qui sont gardés sous ces clefs dans la
maison; mais ce n'est pas un dépôt de la maison elle-
même, qui, ne pouvant être déplacée, n'a pas besoin
d'être gardée.
2. Le dépôt esl un contrat essentiellement gratuit.
Code civil, a. 1917. Le dépositaire rend un service bé-
névole, il ne reçoit pas d'ordinaire d'autre rémunéra-
tion que le témoignage d'estime et de confiance con-
tenu dans le choix dont il est l'objet de la part du
déposant. Mais si le contrat de dépôt est essentielle-
ment gratuit, il ne l'est pas exclusivement . Aussi bien
la stipulation d'un salaire ne transforme pas nécessai-
rement le dépôt en un louage de services. Code civil,
a. 1928. Le salaire convenu peut n'être qu'une faible
compensation des soins exigés par la garde du dépôl,
et alors le contrat, conservant dans une certaine mesure
le caractère d'un acle de bienveillance, ne cesse pas
d'être un dépôt. Si, au contraire, le salaire esl l'équiva-
le ni exactdu service rendu parle dépositaire, le contrai
de dépôt devient un louage de services.
L'intention des parties peut seule permettre de dis-
tinguer le dépôt de plusieurs contrats similaires. Comme
le commodat el le prêt de consommation, le dépôl ne
devient parfait que par la prestation de la chose, mais
dans le commodat la prestation est faite pour que le
co-conlraclanl se serve de la chose, dans le prêl de
consommation pour qu'il la consomme, dans le dépôl
pour qu'il la garde, Unis certains cas.il sera nécessaire,
pour déterminer la nature du contral.de rechercher la
lin principale de la convention; je remets des pièces i
un avoué pour qu'il s'en serve dans le procès que je lai
ai confié. L'avoué qui reçoit ces pièces s'oblige évi-
demment a les garder et à me les remettre. Est-ce un
dépôl propre m dit? Non, parce que la garde des
pièces n'est pas la lin principale du contrai Mon avoué
a reçu mission di as un bul
déterminé : c'esl un mandat.
:;. Le dépôl esl volontaire on néc< Code civil,
a. 1920. Le dépôl esi volontaire, lorsque le déposant a
pu choisir en toute liberté la personne du dépositaire.
Au ras où son chofo est. sinon imposé, du moins dicté
par les circonstances (incendie, ruine, pillage, i b
dépôl est dit nécessaire.
2 Dépôl volontaire. Le dépôl volontaire se forme
par li .ii. Iproque de la pei sonne qui
la ii le dépôl • i d>- ceii<- qui le reçoit, Code civil, a. 1931.
I. Capacité requise. La loi n'i pa chei les
pai n. - contractantes une péciale pour la \..ii
dite du dépôl volontaire la capacité générale de
i suffit, (aide civil, a. ||2i. Si donc l'un.
déni ; '' ' ."i d. positaii e. esl incapable de
523
DEPOT
524
contracter, le contrai de dépôt esl frappé de nullité.
D'après l'art. 1125, l'incapable peut seul revendiquer
l'action en nullité, soil par lui-même, si l'incapacité ;i
cessé, suit par son représentant légal, si elle dure. Par
conséquent, l'incapable peut à son choix réclamer
l'exécution ou l'annulation du contrat.
D'après l'art. 1922, le dépôt volontaire ne peut régu-
lièrement être fait que par le propriétaire de la chose
déposée ou de son consentement exprés ou tacite. Tou-
tefois, il n'est pas nécessaire à la validité du dépôt que
l'objet soit la propriété du déposant. Je vous confie en
dépôt un livre rare qui m'a été prêté, vous êtes lié par
le contrat de dépôt et devez notamment me rendre le
livre à la première réquisition, sans pouvoir objecter
que je n'en suis pas le propriétaire.
2. Preuve du dépôt volontaire. — La preuve du
dépôt volontaire reste soumise aux règles de droit
commun. — a) Le dépôt volontaire doit être prouvé par
écrit. La preuve testimoniale n'en est point reçue pour
une valeur excédant 150 francs. Code civil, a. 1925. 11
est manifeste qu'au for de la conscience l'obligation
existe par le seul fait de la prestation et du consente-
ment des parties. — b) Même en matière excédant
150 francs, l'existence du dépôt pourrait être prouvée
par l'aveu du défendeur. C'est ce qu'indique l'art. 1924 :
Lorsque le dépôt, étant au dessus de 150 francs, n'est
point prouvé par écrit, celui qui est attaqué comme
dépositaire en est cru sur sa déclaration, soit pour le
fait même du dépôt, soit pour la chose qui en faisait
l'objet, soit pour le fait de sa restitution.
3° Obligations du dépositaire. — D'une manière
générale, les obligations du dépositaire, telles qu'elles
se déduisent de la définition du contrat de dépôt don-
née plus haut, peuvent se ramener aux deux suivantes :
1. garder avec fidélité la chose déposée; 2. la restituer
au déposant à première réquisition. En particulier,
quatre règles déterminent les obligations du dépositaire.
i"> règle. — Le dépositaire doit apporter dans la
garde de la chose déposée les mêmes soins qu'il
apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent.
Code civil, a. 1927. Il est cependant des cas où le
dépositaire doit apporter un soin plus grand, une dili-
gence plus attentive, celle qui convient à un bon père
de famille. — a) Si le dépositaire s'est offert lui-même
/mur recevoir le dépôt. — En allant au devant de l'offre
du déposant, le dépositaire s'engage tacitement à
donner des soins particuliers à la garde de la chose
déposée, car il a pu empêcher par son offre le déposant
de s'adresser à une personne qui aurait été plus dili-
gente que lui. — b) S'il a stipulé un salaire pour la
garde du dépôt. — Il est tout naturel d'exiger une
plus grande diligence de celui qui se fait payer ses
soins que de celui que les donne gratuitement. Citons
comme exemple les bagages que les voyageurs mettent
à la consigne dans les gares de chemins de fer. —
c) Si le dépôt a été fait uniquement dan* l'intérêt du
dépositaire. — Voici un exemple emprunté à Ulpien et
cité par Pothier : Vous proposant d'acheter un héritage,
vous me demandez, au moment où je suis sur le point
départir pour un long voyage, de vous prêter la somme
néci ssaire pour cette acquisition, au cas où vous
concluriez le marché. Alors, je vous remets, à titre de
dépôt, la somme nécessaire en convenant avec vous
que, si vous faites l'acquisition, le dépôt se transfor-
mera en un prêt à votre profit, —d) S'il a été convenu
expressément que le dépositaire répondrai! de toute
espèce de faute, de la faute légère comme de la faute
lourde. On pourrait aussi convenir que le dépositaire
répondra d'une certaine faute seulement.
règle. — Le dépositaire'doit rendre identiquement
la même chose qu'il a reçue. Code civil, a. 1932. Ainsi,
quand j'ai déposé un sac de mille francs, le dépositaire
devra me restituer le même sac de mille francs.
Le déposant peut donner au dépositaire l'autorisation
de foire delà chose déposée un usage qui la consomme,
saufâ restituer l'équivalent de cette chose. Par exemple,
lorsqu'on opère chez un banquier le dépôt d'une
somme d'argent, exigible à vue. Cette opération con-
stitue ce qu'on appelle un dépôt irrégulier. Dans le
i irrégulier comme dans le prêt de consommation,
l'emprunteur n'est tenu de restituer que dans le délai
convenu, tandis que dans le dépôt régulier le déposi-
taire doit remettre l'objet déposé à la première réqui-
sition.
Si le dépositaire découvre que la chose a été volée el
quel est le véritable propriétaire, il doit dénoncer à
celui-ci le dépôt qui lui a été fait, avec sommation de
le réclamer dans un délai déterminé et suffisant. Si
celui auquel la dénonciation a été faite, néglige de
réclamer le dépôt, le dépositaire est valablement
déchargé' par la tradition qu'il en a faite au déposant.
Code civil, a. 1938.
Dans certains cas, la charité imposera au dépositaire
le devoir de ne pas restituer le dépôt; par exemple, s'il
prévoit que le déposant fera de cette chose un
mauvais usage, principalement à l'égard d'une tierce
personne. Toutefois, conformément aux règles géné-
rales de la vertu de charité, cette obligation cesserait
d'exister, s'il devait en résulter pour le dépositaire un
grave inconvénient. Pierre m'a confié en dépôt un
fusil chargé, il me le redemande pour attaquer son
ennemi, j'ai l'obligation de le lui refuser; mais il insiste
et me menace de mort; dans un tel péril, je puis lui
restituer le dépôt.
Si la chose déposée a produit des fruits qui ont été
perçus par le dépositaire, celui-ci est obligé de les
restituer. Mais il ne doit aucun intérêt de l'argenl
déposé, si ce n'est du jour où il a été mis en demeure
de faire la restitution. Code civil, a. 1936.
3e règle. — Le dépositaire n'est tenu de rendre la
chose déposée que dans l'état où elle se trouve au
moment de la restitution. Les détériorations, qui ne
sont pas survenues de son fait, sont à la charge du
déposant. Code civil, a. 1933.
Si le dépôt a subi des détériorations, ou se trouve
détruit par le fait du dépositaire, deux cas peuvent se
présenter. Ou bien, il y a eu faute théologique grave,
de la part du dépositaire, et alors celui-ci est tenu en
conscience à réparer intégralement le dommage causé
au déposant. Ou bien, il y a simplement faute juridique,
et alors le dépositaire est obligé au for intérieur à la
réparation du dommage causé, seulement après le juge-
ment du tribunal.
Le dépositaire a-l-il de bonne foi aliéné l'objet dépo-
sé, il doit restituer ce qu'il a reçu en échange. Code
civil, a. 1934. Ainsi j'ai déposé des denrées entre vos
mains, une guerre étant survenue, vous êtes obligé de
livrer ces denrées sur une réquisition de l'autorité
militaire; vous ne serez tenu de me restituer que le
prix que vous avez reçu.
4e règle. — Le dépositaire ne peut se servir de la
chose déposée, sans la permission expresse ou présumée
du déposant. Code civil, a. 1930. Pour présumer
timement cette permission, il est nécessaire de consul-
ter les règles de la prudence, de peser les dive
circonstances des personnes et des choses, de consi-
dérer surtout le péril auquel serait exposé le dépôt, et
le dommage qui pourrait résulter pour le déposant.
S'agit-il d'un objet de consommation, l'argent par
exemple, le dépositaire pourrait, sans commettre de
faute théologique grave, aliéner la chose déposée, à
condition toutefois qu'il ait la certitude de pouvoir à
première réquisition restituer le dépôt in sequivalenti.
I elle esl l'opinion commune des théologiens moralistes.
De Lugo, disp. XXXIII, n. i. Il ne semble pas. en effet,
que dans ces conditions le déposant subisse une injus-
52r
DÉPÔT — DÉPÔT DE LA FOI
526
tice grave. Que le dépositaire ne se fasse pas illusion
en comptant sur une spéculation heureuse pour se
libérer, car ainsi il manquerait gravement à ses obli-
gations contractuelles. Si l'usage d'un dépôt d'argent
contre la volonté du déposant n'entraîne pas nécessai-
rement une faute théologique grave, il constituera sou-
vent une infraction à la loi. En tout cas, le dépositaire
pourra, en conscience, garder l'argent gagné par l'emploi
du dépôt, c'est en effet le fruit de son travail ou de
son industrie personnelle.
4° Obligations de la personne par laquelle le dépôt
a été fait. — La personne qui a fait le dépôt est tenue
de rembourser au dépositaire les dépenses qu'il a
faites pour la conservation de la chose déposée et de
l'indemniser de toutes les pertes que le dépôt peut lui
avoir occasionnées. Code civil, a. 1947. C'est ainsi que
le déposant devra indemniser le dépositaire des pertes
résultant de vices cachés dont la chose était atteinte et
qui se sont communiqués par contagion à d'autres
choses appartenant au déposilaire.
Pour garantir l'exécution des diverses obligations
dont le déposant peut être tenu à raison du dépôt, la
loi accorde au déposilaire un droit de rétention sur
la chose déposée.
5° Dépôt nécessaire. — 1. Dépôt nécessaire en géné-
ral. — Le dépôt nécessaire est celui qui a été forci'-
par quelque accident, tel qu'un incendie, une ruine,
un pillage, un naufrage ou tout autre événement im-
prévu. Code civil, a. 1949. A lire cette définition, on
il tenté de croire que le dépôt nécessaire — à la
différence du dépôt volontaire — n'exige pas de con-
sentement préalable. Mais le dépôt ne cesse pas d'être
un contrat, lorsqu'il devient nécessaire en raison des
circonstances, et il n'y a pas de contrat sans consente-
ment. I.a définition du dépôt nécessaire dit simplement
que le déposant peut être obligé en certains cas de
confier le dépôl au premier venu qui veut bien s'en
charger. Le dépôt nécessaire est régi par toutes les
règles précédemment énoncées concernant le dépôt
volon' ' eml. a, 1951.
La précipitation, avec laquelle il doit agir, en cas de
dépôt nécessaire, ae permet pas au déposant de se pro-
curer une preuve écrite du dépôt. Aussi l'art. 1950,
eanl sur ce point aux règles de droil commun,
dispi la preuve par témoins peul éiie reçue
pour le dépôt nécessaire, même quand il s'agil d'une
\ aleur au-dessus de 150 franc
— On donne ce nom aux
Il - fonl de leurs effets dans les
aubergistes -mu responsable
appoi i— i ar li voyageur qui loge chez eux, Code civil,
a. 1952, soit que le vol ail été fail ou que le .Ion,
;iii été causé par les domestiques et préposés de l'hôtel-
'"i par des étrangers allanl et venant dans
■ llerie. Art. 195 ons allant et 1 1
l'hôtellerie i xpriment dans leur généralité, non
rs habitant l'hôtellerie, mais
qui s'} -oui introduits furtivement.
te peul avoir .iiri-i ;i répondre de vols qui,
tient a la
propriétaire, co le constituant di
l a loi ne décharge l'a que lorsqu
itue, ie. n plus ,,,, ,.,, fortuit, mais un i
i il i r.i.M.
■ nu- le moi effets comprenait, d'aj juris-
prudi tante, l'ai
banque et lei autn i poi li ur, l"s aubei .
'
ibles, qu'a été édictée, -in- t, péti-
i ux-rnémes, la loi du 18 avril
qui limiti
i porteur
de toute nature, non déposés réellement entre les
mains des aubergistes ou hôteliers.
Cette loi laisse subsister intacte la responsabilité de
l'hôtelier pour tous les effets du voyageur autres que
les espèces monnayées et les titres au porteur, notam-
ment pour les bijoux. Elle maintient aussi dans son
intégrité la législation du Code civil relativement aux
espèces monnayées et aux valeurs ou titres au porteur
déposés réellement entre les mains de l'hôtelier.
Une autre amélioration a été apportée à la situation
des aubergistes par la loi du 31 mars 1896, votée elle
aussi à la suite d'une pétition émanée des aubergistes.
L'art. l(r de cette loi porte : « Les effets mobiliers
apportés par le voyageur ayant logé chez un aubergiste,
hôtelier ou logeur et par lui laissés en gage pour
sûreté de sa dette ou abandonnés au moment de son
départ, peuvent être vendus dans les conditions et
formes délerminées par les articles suivants. » Aupa-
ravant, les aubergistes ne pouvaient faire vendre les
effets dont il s'agit que dans les conditions prescrites
par le droit commun, c'est-à-dire qu'ils étaient obligés
de faire des frais qui dépassaient souvent la valeur du
gage à réaliser. Ils se trouvaient ainsi exposés à être
obligés de conserver indéfiniment la possession des
objets laissés en gage ou abandonnés par le voyageur
qui n'avait pas payé sa note. La loi nouvelle a donc
fait œuvre de justice en organisant une procédure
moins coùleuse et plus expéditive.
Malgré ces adoucissements, la responsabilité des
aubergistes demeure grande. Il ne faut pas s'en étonner.
La sécurité des voyageurs, la profession des aubergistes
fondée sur la confiance qu'ils inspirent, exigent impé-
rieusement celle garantie.
Consulter les auteurs classiques de théologie morale et do
droit civil.
C. Antoine.
2. DEPOT DELA FOI. - I. Étymologie. II. Dépôt
de la foi sous le Nouveau Testament. III. Dépôt de la
foi sous l'Ancien Testament.
I. ÉTYMOLOGIE. — Le mol deposilum, TtapaOr.y.r,, ap-
pliqué à la doctrine confiée par Jésus-Christ à son
Église, se rencontre dans saint Paul, I Tim., vi, 20;
II 'fini.. I, li, et dans les écrits de plusieurs Pères,
notamment Tertullien, De prsescriptionibus, c. xxv.
I'. h., i. n, col. 37; saint Vincent de Lérins, Commoni-
torium primum, c. xxn, P. L., I. i., col. 6(57 sq.
Les théologiens du moyen fige, bien qu'ils aient
connu et formulé assez clairement le concept du dépôt
de la foi. n'emploient point ce terme qui reçoit sa con-
sécration théologique définitive seulement à partir de
la lin du xvp siècle. L'usage en a été sanctionné parle
concile du Vatican, sess, III, c. iv.
II. Dépôi m la i oi soi s le Nouveau Testament. —
An sens strictement théologique, c'est l'ensemble
vérités révélées par Jésus-Christ à l'humanité pour la
dirigera sa fin surnaturelle et confiées par lui au ma-
gistère infaillible de l'Église catholique qui doit les
garder intégralement, les expliquer el les défendre
siii\,mi les besoins des fidèles des divers temps. I
D défini parle concile du Vatican : Neque enim
loctrina </<<«/,) Drus revelavil velul philosoplii-
cum inventum proposita est humants nuirons perfi-
a,aed tanquam divinum depositum Chris li sj
idila, fideliler custodienda cl infallibilil
III. e. IV.
I Pour qu'une vérité soit l'objet du dépôt di
■ •'tienne ou catholique, il . d requis
qu'elle appartienne i la révélation chrétienne publique,
strictement obli mr ton- les fidèles I, La
révélation di hrisl comprend
nient publii i riture ou transmis par
l.i tradition chrétieni
seulement i
527
DÉPÔT DE LA KOI
528
mais aussi des manifestations de l'Esprit de vérité par
lequel il avait promis de compléter ses instructions :
Ail hue. multa habco vobis dicere, sed non poleslis por-
tare modo. Cum autan vaieril Me Spirilus veritalis,
docebit vos oninent veritatem. Non enim loquelur a
semetipso : sed qusecumque audiel loquelur et quse.
ventitra sunt annuntiabil rubis, llle me clarificabit,
quia de meo accipiet et annuntiabil vobis. Soi,, xvi,
12-15. Billot, De virtutibus infusis, Home, 1901,
p. 252. A l'enseignement public de Jésus appartiennent
aussi les vérités précédemment révélées et qu'il a lui-
même rappelées au monde en les confirmant par sa
divine autorité. De cette révélation chrétienne pu-
blique ne relèvent évidemment point les révélations
entièrement privées, faites au cours des siècles et
ayant uniquement pour objet la direction inorale d'actes
particuliers. Quelque certitude que l'on possède de
leur réalité et quelque approbation qu'elles aient reçue
de l'Église, elles restent toujours en dehors de l'en-
seignement que Jésus a voulu obligatoire pour toute
son Église. L'autorité ecclésiastique en leur donnant
une approbation simplement négative ne modifie aucu-
nement leur nature strictement privée. Voir RÉVÉLA-
TIONS privées. — 2. Toute vérité révélée par Jésus-
Christ appartient au dépôt de la foi chrétienne, qu'elle
soit formellement révélée dans son propre concept et
en termes exprès comme la génération et l'incarnation
du Verbe, ou en termes équivalents comme la divine
maternité de Marie. Une vérité appartient encore au
dépôt de la foi, quand elle est révélée concomitamment
ou dans une vérité qui a avec elle une telle connexion
que ce dogme révélé ne peut être pleinement conçu sans
elle, comme l'infaillibilité du pontife romain est inti-
mement liée avec sa primauté effective, et l'immaculée
conception de Marie avec sa divine maternité. Vacant,
Etudes théologiques sur les constitutions du concile du
Vatican, Paris, 1895, t. il, p. 292 sq. Cette connexion
nécessaire qui se découvre, non par le raisonnement,
mais par une simple comparaison des dogmes entre
eux ou par l'analyse immédiate du contenu de l'un
d'entre eux, peut parfois se manifester bien tardivement
et comme accidentellement, surtout à l'occasion de nou-
velles erreurs qui attirent particulièrement l'attention
sur telle vérité jusque-là moins explicitement proposée
ou enseignée. Ainsi, en considérant attentivement la
primauté effective du successeur de Pierre, en regard
de récentes erreurs, l'on peut facilement se convaincre
que la plénitude de pouvoir conférée au pape compre-
nait aussi la plénitude du magistère infaillible ou l'in-
faillibilité pontificale. La définition vaticane en décla-
rant celle-ci vérité révélée ne faisait donc que mani-
fester le sens plénicr de la primauté réelle conférée à
Pierre et à ses successeurs. En ce sens restreint,
l'Église peut aux diverses époques de son histoire faire
progresser le formulaire explicite de ses dogmes: sans
jamais rien ajouter au dépôt divin.
2° Pour qu'une vérité appartienne directement au
dépôt de la foi, il est encore requis qu'elle soit propo-
sée par l'Église comme révélée et comme obligatoire
pour tous les fidèles, soit par une définition solennelle,
soit par l'enseignement du magistère ordinaire et uni-
versel : l'orro fi.de divina et catholica eu onmia cre-
denda sunt quse in verbo Dei scripto vel trodito con-
linenlur et ab Ecclesia sive solemni judicio sire
ordinario et univcrsali magisterio tanquam divinitus
revelala credenda proponunlur. Concile du Vatican,
sess. III, c. ni. C'est une conclusion rigoureuse de la
divine constitution de l'Église à laquelle seule il appar-
tient de garder ou d'expliquer l'enseignement révélé
que Jésus lui a exclusivement confié.
3° Sur ces vérités appartenant directement au dépôt
de la foi, l'Eglise possède donc exclusivement un triple
droit : droit de déclarer infailliblement que telle vérité
est vraiment révélée, droit de conserver et de défendre
tout renseignement divin et droit de l'expliquer avec
autorité.
1. Dans l'exercice de ce droit de déclaration toujours
formellement restreint par le mandat divin, Matth.,
xxviii, 20, aux vérités réellement révélées par Jésus-
Christ, l'Église ne peut jamais rien ajouter au dépôt
qui lui est confié ni rien en retrancher. Mais ses décla-
rations explicites ne comprennent point toujours expres-
sément toutes les vérités particulières. Il peut se faire
que la connaissance distincte de quelques-unes ne se
manifeste que tardivement à l'occasion de quelque
erreur menaçant le dépôt de la révélation. Toutefois,
avant cette reconnaissance positive, la vérité particu-
lière, toujours implicitement comprise en quelque
dogme expressément professé, ne fut jamais niée ni com-
battue par L'Eglise. 11 est également certain qu'à aucune
époque l'Église ne faillit à sa mission d'enseigner aux
fidèles les vérités dont la connaissance explicite leur était
particulièrement nécessaire. Enfin ce dogme une fois
reconnu ou défini ne subit plus jamais aucune modifi-
cation substantielle. L'histoire de l'Église otTre plusieurs
exemples de nouvelles déclaratious de ce genre affir-
mant d'une manière plus expresse comme révélé ce
que l'on avait implicitement cru jusque-là. Voir Dogme.
2. Exclusivement chargée de veiller à la conservation
ou à la défense intégrale du dépôt de la foi, l'Église a
nécessairement le pouvoir de réprouver toutes les
erreurs qui menacent la révélation chrétienne, sous
quelque forme qu'elles se cachent et quelque argument
qu'elles fassent valoir. Elle a toujours exercé et reven-
diqué ce pouvoir comme contenu dans son divin mandat.
3. L'Église possède encore le droit exclusif d'expli-
quer l'enseignement révélé pour prémunir ou fortifier
la foi des fidèles. Le développement des hérésies aux
diverses époques de l'histoire, les progrès des sciences
humaines ou de graves transformations sociales ont
fourni à l'Église de nombreuses occasions de remplir
ce rôle en matière dogmatique ou morale.
4. Gardienne vigilante et fidèle interprète des vérités
révélées, l'Église doit pouvoir affirmer, définir ou en-
seigner infailliblement toutes les vérités, même non
révélées, sans lesquelles le dépôt de la foi ne pourrait
être défendu avec efficacité ni proposé avec une suffi-
sante autorité. L'Eglise s'est constamment servie de ce
droit et l'a nettement affirmé, particulièrement en con-
damnant les propositions du Syllabus et en faisant au
concile du Vatican cette déclaration formelle : Ijuoniam
vero satisnon est hsereticam pravitatem derilare.nisi
ii quoque errores diligenter fugiantur qui ad illam
jilus minusve accedunt, onines officii monemus, ser-
vandi eliani conslilutiones et décréta, quibus pravse
ejusmodi opiniones qu,v isthic diserte non enumeran-
tur, ab hac sancta sede proscriptœ et prohibitm sunt.
Sess. III, c. iv. Cette même doctrine ressort aussi de
la condamnation de la proposition 5e réprouvée comme
erronée par le décret du Saint-Office, Lamentabili sane
du 3 juillet 1907 : Quuni in deposito /idei uerilates
tautum revelatm conlineantur, nullo sub respeclu ad
Ecclesiam pertinet judicium /Vive de assertionibus
disciplinarum humanarum. Toutes les \érités ainsi
définies par l'Église, bien qu'elles n'appartiennent point
au dépôt des vérités révélées, en relèvent indirecte-
ment, dans la mesure où l'Église juge leur définition
nécessaire pour l'accomplissement de sa divine mis-
sion. Elles constituent ainsi l'objet indirect du dépôt
de la foi.
Cette doctrine de l'objet indirect du dépôt de la foi.
bien qu'elle découle nécessairement de la divine consti-
tution du magistère ecclésiastique, ne p. irait pas avoir
été nettement indiquée avant saint Thomas, distinguant
mi double objet de la foi : l'un comprenant les vérités
immédiatement proposées à noire foi ou articles de foi
529
DEPOT DE LA FOI
530
immédiatement enseignés par Jésus-Christ, l'autre ren-
fermant toutes les vérités dont la négation entraînerait
le rejet de quelque article de foi. Sum. tlteol., lla 1I'\
q. XI, a. 2. Cette distinction, dès lors communément
admise par les théologiens, fut plus explicitement for-
mulée vers la fin du xvie siècle et directement appli-
quée à l'enseignement du magistère ecclésiastique par
Grégoire de Valence, Anahjsis fideicatholicœ, part. VIIT,
Ingolstadt, 1583, p. 313 sq., et au xvne siècle par
Bannez, In llîm IIe, q. xi, a. 2, concl. 1, Venise, 1602,
col. 5't8 sq., et De Lugo, De virlule fidei divinœ,
disp. XX, sect. m. n. 111 sq., et dès lors unanimement
suivie par les théologiens, surtout au XIXe siècle où le
traité de l'Eglise reçut de si considérables développe-
ments.
5. Le concept théologique du dépôt de la foi, logique-
ment déduit de Matth., xxvm, 20 : Docentes eos serrure
omnia quœcumque mandavi vobis, est expressément
indiqué par saint Paul : Déposition cuslodi, devitans
profanas vocum noritales el oppositiones falsi nomï-
nis scientix. I Tim., vi, 20; cf. i, 3; iv, 6, 10. Bonum
déposition cuslodi per Spiritum Sanction qui habitat
in iinbis. II Tim., I, 14; cf. n, 8, li; m, li: îv, 3;Tit.,
i, 9, 14; n, 1; Gai., i, 8, 9. L'apôtre saint Jean recom-
mande aussi de conserver ce qu'on a reçu. I Joa., il,
20; II Joa., 9-12.
Son affirmation implicite se rencontre très fréquem-
ment dans la tradition ecclésiastique, avec la divine
mission de l'Église de conserver et d'enseigner intégra-
lement les vérités que Jésus-Christ lui a confiées, avec
l'inviolable unité de la foi et de la communion catho-
lique, el avec le juste reproche de nouveauté sacrilège
adri ssé aux hérétiques de tous les temps. Comme
exemples de ces affirmations implicites, nous citerons
à la lin du i'r, au n» et au me siècle la Didaché, l'Épl-
tre de Barnabe, saint Irénée, Clément d'Alexandrie et
Origène. La Didaché, iv, 13, et l'Épitrede Barnabe, xix,
II, répètent une règle du Deutéronome, xn, 32 : « Tu
garderas ce que in as reçu par tradition, n'ajoutant
rien, n'enlevant rien. » l'uni», Patres apostolici,
2« édit., Tubingue, 1901, t. i, p. 14,92, Sainl (renée dit
expressément que l'Église qui a reçu des apôtres et de
leur- disciple- renseignement de Jésus-Christ ie garde
avec -"in. l'enseigne et le transmet unanimement,
une p.iïT:il:- unit: >-■ j.-/.i,i; yji^rT; ... '/.'/ c.'j.. r/i,
-x:*-.x KY)pV99ei, v.x\ ô'.Ô'/T/î'.. /.%: TtapaBtS'OOtV, m; iv TTO'j.a
v.i/.-.t ' ir.cr., 1. I, c. x. /'. G., t. vu. col. 552.
Clément d'Alexandrie en prouvant la vérité de l'Eglise
catholique contre les hérétiques affirme l'unité i
foi dont H montre l'origine dans l'enseignement d'un des
apôtres qui est la tradition ecclésiastique. Strom.,
VII. c. xvi, xvii. /'. G., t. ix. col. 532, 552. Oi
■u début de -un II:-,; ip/i»' établi) cette règle absolue :
l'on doil garder l'ei ni ecclésiastique réguliè-
rement transmis par les apôtres et encore présentement
i.-int dans h- i ule celte vérité don
crue qui n'est nullement en désaccord avec la tradition
Mastique el apostolique, I. I, proœmium, n. 2,
]'. t... t. xi. cl. lin. Cf. I . lv. ,i. Origène, Paris, 1907,
I' ~
L'affirmation explicite du concepl théologique, jointe
dépôt de i.i fui. est peu fn quente chez
lei i' inq prem i Son expression la
pin- complète se rencontre chei Tertullien ;> la lin du
ni Vincent de Lérim .m \ ■ . Tertullien
de saint Paul . I I illl . . \ I. 20.
M Tu n. i. 14, déclare que ce dépôl du in esl la doctrine
publiquemenl par Jésus-Christ, absolument
atoire .il j » » i De |
P. /,., t. n. col. 'M. Toute doctrim
nemenl apostoliqui
p.ir ' ■ | r vraie, celle qm
ire elle II, « ni. :'•
même doctrine est reproduite aux c. xxxi et xliv,
col. 4i, 59 sq. Cf. P. de Labriolle, Tertullien, De prœ-
scriptione hœreticorum, Paris, P.!07, p. xxi-xxiv.
Selon saint Vincent de Lérins, le depositum de saint
Paul, I Tim., VI, 20, est le talent de la foi catholique,
confié à la vigilance pastorale de Timothée. avec obli-
gation de le préserver de toute atteinte. Commonito-
rium prinium, c. xxn, P. L., t. l, col. 667. Cette garde
vigilante n'est point l'œuvre personnelle de Timothée;
elle incombe à l'Église de Jésus-Christ : V.hristi vero
Ecclesia sedula et eau la depositorum apud se dog-
matum eus t os nihil in /lis unquani permutât, nihil
minuit, nihil ad dit, col. 669. Celte conservation im-
muable des dogmes confiés à l'Église n'empêche
cependant point un réel progrès dans leur connais-
sance de la part des individus ou de l'Église entière,
mais in eodem dogmate, eodem sensu, eadenique sen-
tenlia, col. 668. Dans ses conciles, l'Église ne fait
qu'expliquer avec plus de soin ce que l'on a toujours
cru : Denique quid unquani aliud conciliorum decre-
tis enisa esl nisi ut quod antea simplicité)- credeba-
tur, hoc idem postea diligentius crederetur, quod
antea lenlius pnvdicabatur, hoc idem postea inslan-
lin* prœdicaretur, quod antea securius colebatur, hoc
idem postea sollicitius excolereturf col. 669. Cf. P. de
Labriolle, Saint Vincent de Lérins, 2e édit., Paris,
1906, p. 89-91.
Chez les théologiens du moyen âge, bien que l'ex-
pression déposition /idei ne se rencontre point, le
concept est assez nettement indiqué. Il résulte chez
saint Thomas de cette doctrine, plusieurs fois répétée,
que les définitions postérieures des conciles ainsi que
les additions aux symboles sont simplement une décla-
ration plus explicite de ce qui était moins expressé-
ment contenu dans les formules ou définitions anté-
rieures. Sum. t/tcol., IL1 II*, q. i, a. 9, ad 2"'"; a. 10,
ad l"m. En reproduisant communément cette explica-
tion sommaire, les théologiens scolasliques approu-
vaient implicitement cette même notion théologique
du dépôt de la foi.
A partir du xvi" siècle, les nécessités de la polémi-
que, en attirant l'attention des théologiens sur l'immu-
tabilité substantielle des dogmes catholiques en face
des nouveautés el des multiples variations de l'hérésie
et sur le divin magistère de l'Église, mirent en évi-
dence le concept théologique du dépôt invariable de la
foi, confie'1 à l'autorité ecclésiastique. L'objet direct el
indirect de ce dépôl fut plus nettement déterminé. En
même temps l'expression elle-même entra définitive-
ment dans le formulaire théologique.
III. DÉPÔ1 m. LA l "I 90DS i.'Ancikn TESTAMENT. —
D'une manière générale, c'est l'ensemble des vérités
révélées par Dieu à toute l'humanité ou au peuple
israélite en particulier pour diriger les individus ;'i
leur (in surnaturelle et préparer le iel. ,i l.ivene-
inent définitif du christianisme. Nous n'avons point à
exposer ici en détail chacune 'le- vérités ainsi cor
p. n- Dieu au genre I tain ou au peuple d'Israël spé-
cialement. Elles rassortiront suffisamment de l'étude
de chaque dogme dans la période antéchrétienne,
rvons seulement les deux unie- caractéristiques
dudépôl de la foi sous l'Ancien Testament I II n'esl
confié- par Dieu a aucune autorité doctrinale divine-
ment instituée et revêtue d'une un sion permanente
el de prérogati' i I , Pour l'humanité en
général, le principal moyen de conservation des vérités
révélées est la tradition du peuple fidèle, pin- tard
aidée par celle d'Israël providentiellement disséminé
parmi les nations de la gentilité, l I' ' Israël en
particulier, le principal moyen providentiel esl i n
I- tradition du peuple resté fidèle - l enseigne m de
Dieu ■ c .'ud ni- \i.n- cette tradition,
u- lll\ mes
)31
DÉPÔT DE LA FOI — DESCARTES
m
successives el par de fréqucnles interventions provi-
dentielles, est plus apte à transmettre la parole divine
sans aucun mélange d'erreur ou de corruption. Pour
maintenir et fortifier cette tradition, Dieu suscite fré-
quemment dans son peuple, presque à toutes les pé-
riodes de son histoire, des prophètes ayant la divine
mission de combattre les erreurs opposée- ;'t l'unité de
Dieu et à son culte, et de garder dans toute son inté-
grité la croyance au seul vrai Dieu et son culte unique.
2° Le second caractère du dépôt de la foi dans l'An-
cien Testament est sa perfectibilité successive, non par
le travail de l'homme sur la vérité divine, mais par de
nouvelles et plus complètes révélations, rendant la
vérité plus manifeste à mesure que l'humanité approche
de Jésus-Christ. Ce progrès de l'enseignement divin
est particulièrement manifeste pour la manière dont
s'accompliront dans la plénitude des temps l'incarna-
tion du Verbe et sa mission rédemptrice. Observons
d'ailleurs que, dans le plan divin, la révélation primi-
tive contenant expressément le dogme de l'existence de
Dieu rémunérateur et celui d'une libération future,
renfermait implicitement toutes les vérités postérieure-
ment révélées à l'humanité. S. Thomas, Sum. theol.,
IIa IIœ, q. I, a. 7. En ce sens, une réelle unité ou com-
munion de foi relie l'Ancien au Nouveau Testament.
Voir Communion dans la foi, t. ni, col. 428 sq.
Tei'tullien, De prsescriptionibus, c. x\v, xxvni, xxxi, P. L.,
t. Il, col. 37, 40,44; S. Irénée, Cont. hier., 1. I, c. x, P. G.,
t. vu, col. 552; Clément d'Alexandrie, Strom., VII, c. xvi, xvn,
P. G., t. ix, col. 532, 552; Origène, Periarchon, 1. I, proœmium,
n. 2, P. G., t. xi, col. 116; S. Vincent de Lérins, Commonito-
rium primum, c. xxu, P. L., t. L, col. G67 sq. ; S. Thomas,
Sum. theol., II" II", q. I, a. 9, ad2'""; a. 10, ad 1"'"; Grégoire de
Valence, Analysis fulei catholicse, part. VIII, Ingolstadt, 1583,
p. 313 sq.; Rannez, In II"" II", q. xi, a. 2, concl. 1 , Venise,
1602, col. 548 sq. ; De Lugo, De virtute fulei divinœ, disp. XX,
sect. m, n. 111 sq.: Franzelin, De divina traditione et Scrip-
tura, thés, xn, 4" édit., Rome, 1896, p. 112 sq.; Hurter, Theologise
dogmaticse compendium, 4' édit., lnsprucl;,1883, t.l, p.267sq.,
'isê sq.; Berthier; Tractatus de locis theologicis, Turin, 1888,
p. 233 sq. ; Peseta, Pra>lectiones dognuitiae, 2' édit., Fribourg-en-
Brisgau, 1898, t. I, p. 317 sq. : Wilmers, De Christi Ecclesia,
Ratisbonne, 1897, p. 454 sq., 469 sq.; de Groot, Summa apolo-
getica de Ecclesia catholica, 2' édit., Ratisbonne, 1892, p. 265 sq.;
Billot, Tractatus de Ecclesia Christi, 2' édit., Rome, 1903,
p. 402 sq.; De virtutibus infusis. thés. XII, Rome, 1901, p. 251 sq.;
L. de Grandmaison, Le développement du dogme chrétien,
dans la Revue pratique d'apologétique du 15 juin 1908, p. 401-
43G.
E. DUBLANCIIY.
DER-KENNIS Ignace, théologien ; dogmatique, né
à Anvers le 3 mars 1598, entra dans la Compagnie de
Jésus le 26 septembre 1614. Après avoir professé les
humanités et la rhétorique, les mathématiques et la
philosophie, il enseigna pendant dix ans la théologie
à Louvain et fut des premiers à combattre les erreurs
de Jansénius. Il gouverna ensuite les collèges d'Ypres
et de Louvain; il mourut dans cette dernière ville, le
20 juin 1656. Ses écrits théologiques sont nombreux;
nous indiquons les principaux : Positiones sacrée de
auguslissimo sacramento eucharisties ralionibus illu-
stratœ, Anvers, 1638; Thèses Iheologicse de gralia,
libéra arbitrio, prsedeslinatione, etc., in quibus do-
ctrina theologorum Soc. Jcsu contra Cornelii Jansenii
Augustinum defenditur, Anvers, 1641. C'est le premier
ouvrage qui parut contre VAuguslinus de l'évêque
d'Ypres, publié dans l'année même, Jansénius, étant
mort (1638), par ses deux amis Libert Froidmond el
Henri Calcnsis; Eximio acadmod. reverendo D. Libei'o
Fromondo el reverendo adm. D. Henrico Caleno,
lettre par le professeur de théologie du collège
des jésuites de Louvain el adressée aux éditeurs de
l'Augustinus; Thèses theologicm, apologelicœ ci mis-
adversus doctrinam Corn. Jansenii propu-
gnal Anvers, 1641. Ces thèses, ainsi que celles de
la grâce et du libre arbitre, Furent déféré) - i l Im
prohibées par décrets pontificaui du 6 mars et du
l ■ aoûl 1641, comme contrevenant à la défense de traiter
les questions De auxiliis; elles ne sont plus dans l'édi-
tion officielle de ['Index de 1900; De heu uno,trino,
créature, Bruxelles, 1645; Tractatus de creatione
mundi seu opère sex dierum, Vienne. 1719.
Cf. E.-H. Reusens, dans Biographie ■■ par
l'Académie royale de Belgique, Bruxelles, 1865, t.|v, coL 679
sq.; Sommei vu;_iel, lliljlioihèque de la C" de Jésus, t. v.
col. 1940-1944; Huiler, Nornenelator, t. i. p. 422; Dumas, His-
toire des cit^q propositions de Jansénius, Paris, 1. 1 ; (Gerberon,)
Histoire générale du jansénisme, Amsterdam, 1701, t. î, p. 30.
P. Bernard.
DÉROGATION. Derogalur legicum pars delralti-
lur, abrogatur legi, cum prorsus tollitur. Ainsi -
prime le vocabulaire officiel du droit romain. Loi Cil.
De verborum significatione ; loi XVI, au Digeste. La dé-
rogation est un des trois modes par lesquels le législateur
rend licites les actes contraires à la loi qu'il a portée.
Llle se place entre l'abrogation et la dispense dont elle
se distingue très nettement.
L'abrogation (voir ce mot, t. i, col. 126) ne laisse rien
subsister de la loi, prorsus tollitur. La dispense laisse
subsister au contraire toute la loi en elle-même. Elle en
suspend seulement l'application pour un temps, pour
une personne, pour un groupe, pour un cas concret.
Voir Dispense. La dérogation atteint la loi elle-même
comme l'abrogation, mais elle la laisse subsister en
partie, en supprime certains articles tout en laissant
leur valeur aux autres, ou bien encore elle déclare que
toute une catégorie de faits ne tombe plus sous le coup
de la loi.
La dérogation n'étant qu'une abrogation partielle,
tout ce qui est dit à ce mot de l'agent abrogateur et des
formes de l'abrogation trouve son application en matiè-
re de dérogation. Voir t. i, col. 127-129.
Le fait que la coutume peut déroger à une loi, comme
d'ailleurs l'abroger, n'est pas en contradiction avec le
principe que seul celui qui a porté la loi peut faire ces-
ser l'obligation qu'il a imposée. Omnis res per guas-
cumque causas nascilur, per easdem dissolvitur. En
effet, la coutume ne produit son effet que par le con-
sentement tacite du supérieur qui connaît et approuve
les lois ecclésiastiques générales qui régissent la cou-
tume. Il n'y a là qu'un cas d'abrogation ou de dérogation
tacite analogue à ce qui se passe quand le supérieur
porte une loi nouvelle inconciliable avec une disposi-
tion antérieure. Voir t. m, col. 1997-1998.
Les commentateurs des Décrétâtes au titre De constitutiuni-
bus, I, il.
P. Fourni .m i.
DESCARTES.— I. Le christianisme de Descaries.
II. Les rapports de la raison et de la foi. III. Le doute
méthodique. IV. La théodicée de Descartes. V. L'an-
thropologie cartésienne. VI. La doctrine eucharistique.
VII. La morale de Descartes.
I. Le christianismi m Descartes. —René Descartes
naquit à la Haye en 'fontaine, le '.'<\ mars 1596. Au
collège des jésuites de la Flèche qui était alors, comme
il l'écrit lui-même, < l'une des plus célèbres écoles de
l'Europe, » il reçut une instruction complète. Il y apprit
« tout ce que les autres \ apprenaient o et même un
peu plus. Et cependant, cela ne satisfaisant pas sa pas-
sion de vérité et de certitude, il employa « quelques
années à étudier dans le livre du monde el à tâcher
d'acquérir quelque expérience. ■ Apres quoi, dit-il. je
pris un jour la résolution d'étudier aussi en moi-même
et d'employer toutes les forces de mon esprit à choisir
les chemins que je devais suivre, i Discours sur la
méthode, 1' partie.
Ceci nous montre un esprit qui sort de tous les -en-
tiers battus, qui se met à sa propre école; et abandon-
533
DESCARTES
534
nant ainsi la tradition des maîtres de son temps sur
le terrain des sciences naturelles, s'expose aussi sur un
autre terrain, celui des connaissances surnaturelles
et de la foi religieuse, à quitter volontairement, ou du
moins inconsciemment à ne pas suivre la grande tradi-
tion chrétienne. Descartes traçant une méthode nou-
velle d'arriver au vrai et à tout vrai, cette méthode ne
pouvait pas ne pas intéresser directement ou par contre-
coup les vérités théologiques. C'est ce côté de sa doc-
trine que nous étudions ici ; nous laissons à d'autres le
soin de raconter la biographie de ce philosophe et d'ex-
poser la synthèse de son système, nous examinerons
seulement les points de contact de ce système avec le
dogme et la théologie.
lue, dans le for extérieur, il ait été croyant, prati-
quant et finalement dévot, c'est ce qui est hors de doute.
Des preuves de fait en faveur de ce fait, on n'a que
l'embarras de les choisir : professions répétées et dé-
clarations énergiques même en face de ses adversaires
luthériens; empreinte reçue de sa première éducation
dont il s'honore toujours; enthousiasme pieux et même
mystique; vœux accomplis « avec toute la dévotion
< qu'on a coutume d'y apporter; » sens de sa vocation
philosophique sous la direction du cardinal de Bérulle;
part qu'il a en d'illustres conversions; déférence ex-
trême à l'autorité de l'Église; zèle qui le porte, alors
qu'il ne veut plus rien imprimer, à « publier cinq ou
a six feuillets touchant l'existence de Dieu, à quoi H pense
êl bligé |>our la déchargede sa conscience; » fran-
chise avec- laquelle il approuve contre la princesse Eli-
sabeth la conversion de son frère; soin qu'il met à
montrer « qu'on ne peut inférer de son discours que
« les infidèles doivent demeurer en la religion de leurs
parents, » que la religion catholique esl la meilleure,
et que ses vérités sont les premières en sa créance;
désir de faire disparaître les occasions d'hérésies; ami-
tiés avec des hommes qui sont les garants intimes de
entimenls; souci de ne s'établir en piy s réformé
qu'où il rencontre des prêtres catholiques, commi
Bannius et Bloemaert, et où « l'on peut entendre la
messe en sûreté : « scrupule qui l'empêche d'assister à
l'office luthérien et qui le fait « demeurer contre la
juste une fois pour entendre a un mi-
tre français donl on (ait état; » patriotisme pieux;
I de faire I rancine en pays catholique;
il a rue de se retin r eu Italie, ce qui semble
eules raisons o de son séjour en
sont celles qu'il donne; témoignages sur sa fin
.n te, tous ces arguments que de récentes recherches,
iluui il faut attendre les résultats pour épuiser ce
confirment et multiplient, tendent à prouver que, selon
l'expression de M. Liard, la foi ci la bonne roi de Des-
M. Blondel, Le cliris-
tiam ■ D dans la Revue de mélaphy
juillet 1896, p. 552-553. 'm ne doit
pendant oublier, pour l'interprétation de sa con-
duis , ce qu'en écrivait Bossuetle24marsl70l
i M. Pastl I. doctl m de Soi I mine \1 . I >e -ci ries ;i ton-
craint d'être noté par l'Église; el on lui voit
Ire poui ( ela de- pi donl quelques-uni
ni jusqti à l'excès < ! dit. Guillaume,
I. IV. p ! Quoi qu'il en soit il. s scnli-
ni rite du christianisme de
qu'on n'a pat i isivea de sus-
i tain que -, , bez lui le philosophe n'esl
re .le l.i foi, du i, 'tiloiophie
loppe, .1 iquea ou théo
u il n'a m toute pi
qui. portant leurs fruits
ni .m détriment de i .
ii .i un di Halebran
non seulement en ci point de la nature 1 1 di
mais encore en beaucoup d'autres articles très impor-
tants de la religion, un grand combat se préparer contre
l'Église, sous le nom de la philosophie cartésienne. Je
vois naître de son sein et de ses principes, à mon avis
mal entendus, plus d'une hérésie. «Lettre du 21 mai 1C87,
Œuvres, édit. Guillaume, t. ix, p. 59. Il ne fut pas né-
cessaire de mal entendre les principes de Descartes
pour en tirer plus d'une hérésie. Nous Talions voir.
II. Les rapports de la raison et de la eoi. — La
première question qui s'offre à nous est celle des rap-
ports de la raison et de la foi. de la théologie et de la
philosophie.
1° Les vérités de foi, Descartes a bien soin de les
mettre à l'écart de son doute méthodique et de les
enfermer à part comme en une arche sainte, qu'il
n'est pas permis d'ouvrir, dont on ne doit ni connaître,
ni encore moins vérifier ou contrôler le contenu, à la-
quelle il n'est pas permis de toucher. Discours sur la
méthode, III1' partie. Cf. Francisque Bouillier, Histoire
de la pliilosophie cartésienne, c. n, Paris, 185i, t. i,
p. 42. Du reste, ce serait une tentative à la fois impos-
sible et inutile, « .le prétendais autant qu'aucun autre
à gagner le ciel; mais, ayant appris comme chose très
assurée, que le chemin n'en est pas moins ouvert aux
plus ignorants qu'aux plus doctes, et que les vérités
révélées qui y conduisent sont au-dessus de notre in-
telligence, je n'eusse osé les soumettre à la faiblesse de
mes raisonnements, et je pensais que, pour entreprendre
de les examiner, et y réussir, il était besoin d'avoir
quelque extraordinaire assistance du ciel et d'être plus
qu'un homme, d Discours sur la méthode, I" partie.
C'est donc une chose entendue : Descartes professe
l'agnosticisme par rapport aux vérités de la foi; il les
croit, il veut les croire, il ne veut en aucune façon les
examiner avec sa raison. C'est la préparation ration-
nelle à la foi supprimée avec l'intelligence de tous les
dogmes, mystères ou vérités naturelles révélées.
Quant à la raison, il professe à son endroit la plus
grande confiance. Il a la conviction que, bien utilisée,
elle le conduira jusqu'au bout des sciences humaines
et des choses connaissables. « Ces longues chaînes de
raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres
ont coutume de si' servir pour parvenir à leurs plus
difficiles démonstrations, m'avaient donné occasion de
m'imaginer que toutes les choses qui peuvent tomber
sous la connaissance des hommes s'entresuivent de
même façon, ci que, pourvu seulement qu'on s'abstienne
d'en recevoir aucune pour vraie qui ne le suit, el qu'on
garde toujours l'ordre qu'il faut pour les déduire les
unes des autres, il n'y en peut avoir de si éloignées
auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cacli.es qu'on
ne découvre. Discours sur la méthode, II' partie La
raison devient donc l'instrument universel, et comme
l'immortalité de l'âme étant une vérité de foi > tn
hors de son domaine, il s'ensuit que la raison a son
Lui dans celle vie, dans la conduite heureuse de i
destinée ici-bas et dans le progrès de notre condition
lie : d'OÙ l'on a pu conclure sur DeSCarteS que
ïtiviste, il l'est plus que personne, i M. lîlondcl,
'.. p. 560.
La philosophie, i elle ■■• - celle qui
mie. tout en n'en voulant rien dire, voici Ce qu'il
en écrit : Je ne dirai rien de la pliilosophie. sinon
que. voyant qil Lll tî I I pal I' - plUfl excellents
esprits qui aient M eu depuis plu-ieiil '< que
n. ni lis il n. j'j lue .m. un. chose donl
..n n.. dispute, .i pai conséquent qui ne soit douteuse,
je n'avais point assez de présomption i espérer d v
titrer mieux que les autn DU - mr '" nié'
Ihode, I1 partie. Jusqu'à lui. la philosophie n'a donc
résolu aucun probb me. ni produit aucune certitude.
■ ml il la o
pour pat • i onnaissam e de i..ni
■535
DESCARTES
536
choses dont son osprit serait capable, o Discours sur la
méthode. IIe partie, il découvre cette méthode et nous
la raconte. Ainsi crée-t-il une nouvelle philosophie, sa
philosophie, mais il ne peut y arriver qu'en déclarant
auparavant la guerre à la théologie scolastique :c'estsa
delenda l'.arlhago. Il ne veut plus entendre parler de
cette science surnaturelle et naturelle à la fois qui
apporte à l'explication ou au développement des dogmes
les lumières de la philosophie de l'École, qui compromet
les vérités révélées en les solidarisant avec les élucu-
brations scolastiques et qui donne à celles-ci une illé-
gitime consécration et stabilité en les alliant avec la
parole de Dieu. La théologie scolastique à son sens a
fait fausse route. Aussi « Descaries commence par
rompre toute solidarité entre la foi et la théologie sco-
lastique; et pourquoi'? parce que cette théologie avait
établi une solidarité et comme une continuité entre les
données delà révélation et les connaissances naturelles,
entre le christianisme et le péripatétisme. Et d'autant
que, liant indûment les dogmes de la religion aux expli-
cations de la philosophie, elle transforme perfidement
les erreurs humaines en vérités divines et des réformes
salutaires en damnahles hérésies, la scolastique, voilà
l'ennemie qu'il faut exterminer, comme le mauvais
démon des théologiens et le principe de leurs calomnies
chroniques. » M. Blondel, loc. cit., p. 555. Cf. Revue
bourguignonne de l'enseignement supérieur, 1896,
n. 1, p. 48.
2° Nous pouvons maintenant jeter un coup d'oeil
d'ensemble sur la pensée cartésienne au sujet de la
question qui nous occupe et en constater les erreurs et
les dangers.
1. L'Église est sans doute d'accord avec Descartes
pour distinguer deux ordres de vérités : les vérités ra-
tionnelles et les mystères, et le concile du Vatican a
nettement précisé la distinction : Perpetuus Ecclesise
catholiese consensus tenuit et tenet duplicem esse or-
dinem cognitionis. Les vérités rationnelles nous sont
enseignées par la raison naturelle et concernent la na-
ture créée ; les mystères nous sont révélés par Dieu, sont
acceptés par la foi et consistent dans des arcanes divins
qu'aucune intelligence ne peut pénétrer sans le flam-
beau de la révélation. La démarcation est nette et Des-
cartes y aurait souscrit. Mais où bientôt il s'éloigne de
la voie tracée par la tradition catholique et que le con-
cile du Vatican devait définir plus tard, c'est sur la
question des rapports entre ces deux ordres de con-
naissances. L'Eglise déclare possible et exige comme
nécessaire et indispensable une préparation rationnelle
à la foi, afin que ralionabilc sit obsequinm : Rationis
ttsus fidem prœcedil et ad eatn hominem ope revela-
tionis et gratis conducit, Den/.inger, Enchiridion,
10e édit., n. 1651 ; la philosophie de Descartes ne connaît
pas cette préparation rationnelle; pour elle, l'assenti-
ment de foi procède, non pas d'une conviction intellec-
tuelle, mais d'un pur acte de volonté.
2. Par où se découvre une nouvelle opposition entre
les deux philosophies, la catholique et la cartésienne :
l'analyse de l'acte de foi catholique révèle, en effet, un
élément intellectuel et un élément volontaire libre; le
chrétien croit, parce qu'il a vu qu'il doit croire et parce
qu'il veut croire; dans l'analyse de l'acte de foi carté-
sien, l'élément intellectuel disparaît pour ne laisser
subsister que le volontaire; puisque Descartes n'osait
pas soumettre les vérités révélées « à la faiblesse de ses
raisonnements » et qu'il pensait « que pour entreprendre
de les examiner et y réussir, il était besoin d'avoir
quelque extraordinaire assistance du ciel et d'être plus
qu'homme. »
3.11 y a d'autres oppositions entre la foi chrétienne et
la cartésienne : pour l'Église, il y a entre la raison et la
foi des vérités mi. des et des vérités communes. Les
vérités mixtes sont celles que la raison ne peut démon-
trer, mais qu'une fois révélées elle peut entendre : ce
sont par exemple les décrets libres de Dieu; l'exercice
de la liberté divine est le secret de Dieu ; mais ce secret
une fois révélé, nous pouvons comprendre les desseins
qu'il enferme. Nul ne pouvait démontrer que Dieu au-
rait un peuple choisi, que le Christ établirait une Église.
Mais ce plan une fois manifesté, nous en comprenons
facilement l'objet. Ce sont encore des vérités naturelles
par essence, mais que la raison n'est pas arrivée à dé-
couvrir et que, guidée par la parole de Dieu, elle dé-
montre maintenant et anahse sûrement : telle est la
création du monde. Dieu nous l'a révélée; assurés du
fait, nous trouvons maintenant, dans l'examen du
monde, des raisons solides pour le démontrer. Vérités
mixtes donc que les faits dont l'existence est affirmée
par la révélation et la nature décrite par la raison.
Vérités communes que celles dont l'existence et
la nature sont établies par la raison et confirmées par
la révélation. Nous savons par la philosophie rationnelle
que Dieu existe, et nous le croyons de foi surnaturelle.
Pour Descartes, ces lumières partagées ou communes
n'existent pas : le flambeau de la foi n'éclaire que des
régions ignorées de la raison et réciproquement; ja-
mais les deux flambeaux ne réunissent leurs rayons sur
un même objet pour en éclairer simultanément la
même face ou distinctement les deux cotés; c'est ce qui
ressort d'une foule d'assertions et surtout de celle-ci:
« les vérités révélées qui y conduisent (au ciel) sont
au-dessus de notre intelligence. »
4. La religion catholique et la philosophie cartésienne
ne sont pas non plus entièrement d'accord sur la valeur
et la puissance de la raison : Descartes a, en celle-ci,
trop et trop peu de confiance.
a) Il a trop de confiance. — En effet, ne professe-t-il
pas que parmi « toutes les choses qui peuvent tomber
sous la connaissance des hommes... il n'y en peut avoir
de si éloignées auxquelles enfin on ne parvienne, ni de
si cachées qu'on ne découvre? » Comparez à cela ce
que l'Eglise a toujours senti, à savoir : Huic divinœ re-
velationi tribuendum quidem est, ut ca quse in rébus
divinis Immanse rationi per se impervia non sunt, in
prsesenti quoque generis humani condilione ab omni-
bus e.rpedite, firma certitudine cl nullo admixto er-
rore cognosci possint. Concile du Vatican, const. De
fide, c. n. Même après la découverte de sa méthode par
Descartes et après plus de deux siècles d'expérience de
cette méthode, l'Église tient que. parmi toutes les choses
qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes,
il y en a de si éloignées et de si cachées que, sans le
secours de la révélation, l'homme est dans l'impossibilité
morale de les découvrir. Le concile du Vatican n'est
pas cartésien.
6) Nous avons dit aussi que Descartes n'a posasse: de
confiance en la raison. Si, en effet, les vérités révélées
sont tellement « au-dessus de toute intelligence i> que,
c pour entreprendre de les examiner et y réussir, » il
soit « besoin d'avoir quelque extraordinaire assistance
du ciel et d'être plus qu'homme, « à moins qu'il n'ait
voulu affirmer la nécessité du surnaturel, ce (pie rien
dans sa doctrine n'autorise a penser, il faut désespérer
de pouvoir obtenir jamais quelque intelligence des
mystères, ou de les éclairer par des analogies tirées de
la nature ou enfin de les confirmer par des déductions
où apparaissent leur enchaînement ou leurs connexions.
Il cependant l'Eglise estime assez la raison humaine
pour en attendre une illustration très féconde des dog-
mes, .le ratioquidem, fide illustrata, cum sedulo, pie
et sobrie quœrit aligna»), Deo dan te, mysleriorum
intelligentiam eamque fructuosissimam assequitur,
lion e.i eorum, quse naturaliler cognoscit, analogia,
lum i Ueriorum ipsorum nexu inter se et cum
fine hominis ultimo. Concile du Vatican, ibid.
.">. L'altitude de Descartes à l'endroit de la théologie
537
DESCARTES
53S
scolastique n'est pas plus justifiée ni moins opposée à
la direction permanente de l'Église. L'erreur de Des-
cartes a été de penser que les dogmes et la théologie
scolastique sont choses très distinctes et séparahles ;
que la théologie scolastique était née de l'application
de l'aristotélisme aux vérités révélées; qu'à cette ap-
plication une autre pouvait succéder et que l'aristoté-
lisme n'était pas plus désigné que tout autre système
philosophique pour interpréter les dogmes; qu'il était
donc possible et loisible de renoncer à l'aristotélisme
même baptisé et christianisé par les grands docteurs de
l'École; et qu'on pouvait philosopher en dehors des sen-
tiers battus jusqu'ici, et que, pourvu que les vérités de
la foi fussent bien mises hors de cause, cette philosophie
nouvelle pouvait ratiociner à sa guise. Il y a, en tout
cela, une illusion profonde. La philosophie scolastique
n'est pas née de l'aristotélisme indépendamment des
dogmes; mais elle est née surtout des dogmes. Ceux-ci
apportent avec eux une vérité, on ne peut les confesser
sans les entendre en quelque façon, et cette intelligence
des dogmes est déjà une philosophie religieuse. Elle
s'est développée par l'effort de la raison aidée de la
grâce. Cette raison a trouvé dans les philosophies
humaines, dans la stoïcienne, dans la platonicienne,
mais surtout dans l'aristotélicienne, des lumières qui
paraissaient toutes prêtes à se fondre avec les lumières
de la révélation. Klle a ainsi, petit à petit, l'œil toujours
lixé sur la révélation, élaboré une philosophie qui
n'est pas la philosophie aristotélicienne, ni la platoni-
cienne, ni aucune autre, mais la philosophie sortie du
sein même du dogme, et tellement unie à lui qu'elle ne
peut plus s'en séparer et qu'elle sera perpétuellement
apte à en rendre raison dans la mesure possible à l'es-
prit humain et postulée par les opportunités et les
exigences des siècles. Evidemment elle doit toujours
tenir compte des progrès des sciences; mais jaillie des
entrailles du dogme, fille de la vérité éternelle, elle est
sûre de sa voie et ne peut rire détrônée. Aussi l'Église
a-t-elle inscrit dans le Syllabus de Pie IX et condamné
cette proposition que Descaries aurait aimée : Metho-
ihis et principia, quibus antiqui doctores scholaslici
theologiam e.rcoluerunl, temporum noslrorum necessi-
tatibus scientiarumque progressui minime congruunt,
Proposit. XIII», Denzinger, ï<> .dit., 1908, n. 1713. On le
voit. l'Église parle de la méthode et des principes em-
ployés par les docteurs scolastiques, et empruntés par
eux à la raison philosophique pour la constitution de
la théologie. Ce sont ces principes et cette méthode
qui, dans la théologie, se Boni mis tellement au service
du dogme et se sont si bien scellés à lui, qu'ils l'accom-
pagnent à travers les siècles et ne craignent rien des
exigences nouvelles que les siècles voient naître dans
les esprits Nous disons qu'ils ont été mis au service
du dogme, car c'est là une théorie chère a l'Église et
odieuse au cartésianisme, que la raison en général el
la raison philosophiq n particulier, est la suivante
ou la servante de la théologie et de la foi et que toul en
gardant sa méthode prop ini ip< el sa liberté
d'allure sur son terrain, elle doit, sur les frontièn et
dans les questions mixtes, - 'inspin >r d'abord des dou-
anes de la foi ou de la théologie et subordon-
na i .i l'autoriti dei urnalurellea -es propres
affirmations. Cl concile du Vatican, const. De fide,
c. rv, Denzinger, Enchiridion, d 1799,
Ml l.i len ii méthodique. La question du doute
mis l' n t i prétendue i estaura
tion philosophique, bien qu'à premii re me elle semble
ne i ii . lui Importe cependant
quelque pi u i 81 ét< ado qu'il soit, le doute de
Poui qu iilurs je
désirai iqui t euli m< ni t la î » ni rche de la
qu'il (allait qui t ..mine absolu-
ment faux toul ce . n quoi je i ner le
moindre doute, afin de voir s'il ne me resterait point
après cela quelque chose en ma créance qui fût indis-
cutable. » Discours sur la mélliode, IVe partie. Il veut
faire table rase des connaissances du passé pour édifier
un système philosophique nouveau : il établit en pre-
mier lieu la méthode de reconstruction, laquelle a pour
principal instrument le doute. Mais à ce doute, il donne
une double frontière : il met premièrement hors de
cause d'une façon définitive les vérités de la foi, d'une
façon provisoire celles de la morale; voilà un premier
terme que le doute méthodique n'atteint pas, du moins
primitivement, dans son plan. Secondement, il cherche
jusqu'où il pourra aller dans la voie du doute, mais il
ne pose pas en principe qu'il arrivera à douter de tout,
et, en fait, de démolitions en démolitions, il aboutit à
un roc stable dont la fermeté parait inébranlable et la
vérité indubitable : c'est la constatation de sa pensée
et, dans sa pensée, de son existence. Je pense, donc je
suis : de cela il n'a pas douté un instant même d'un
doute méthodique. « En considérant que celui qui
veut douter de tout ne peut toutefois douter qu'il ne
soit pendant qu'il doute, et que ce qui raisonne ainsi,
en ne pouvant douter de soi-même et doutant néan-
moins de tout le reste, n'est pas ce que nous disons
être notre corps, mais ce que nous appelons notre
âme ou notre pensée, j'ai pris l'être ou l'existence de
cette pensée pour le premier principe duquel j'ai dé-
duit très clairement les suivants. » Lettre-préface de.
la traduction française des Principes de la philoso-
phie, édition des Œuvres, Napoléon Chaix, Paris, 1864,.
t. n, p. 10.
2" Son doute n'est pas positif et réel. On distingue,
en philosophie et en théologie, le doute positif et réel
et le doute méthodique. Dans le premier, on a vrai-
ment la conviction qu'une chose est douteuse, on en
doute vraiment; dans le second on prend en face d'une
affirmation l'attitude du doute, on fait comme si elle
était douteuse, quoique au fond on ne cesse pas d'y
adhérer. Le premier a été défendu par Hermès qui
le regarde non seulement comme licite, mais même
comme ordonné. Avant tout il veut que le doute, dont
il prend la défense, soit étendu à toutes les connais-
sances sans exception. Nous devons être et rester
indécis ou en suspens, non seulement sur la vérité de
la religion chrétienne, l'immortalité de l'âme, l'exis-
tence et les attributs de Dieu, mais encore sur la réalité
du monde extérieur el même sur l'existence et les
divers états de notre propre âme, tant que nous ne
pouvons pas montrer qu'il y a nécessité absolue pour
la raison de Be déterminer. De tout temps, dit-il, on a
cru nécessaire de démontrer philosophiquement la
divinité du christianisme, l'existence de Dieu et
d'autres vérités semblables, mais par la philosophie
nouvelle, il est devenu douteux, si l'homme peut en
général porter des jugements sur la vérité, ou si, du
moins, notre intelligence est assez ('tendue pour qu'elle
puisse répondre avec certitude à ces questions prélimi-
naires de la théologie. Introduction philosophique,
Munster, 1819, préface, et en outre § 12, p, 71-77.
Cf. Kleutgen, /." philosophie scolastique, trad. Const.
Sierp, diss. III. c. t, S I. " 224, Paris, 1868, t. i, p
Ce doute positif, Grégoire \vi le rejetai! par ion
bref du 'iti septembre 1835 où étaient condatnm
œuvres de Geori i Hermès el où nous lisons ces mots :
Inter... erroril magisiri tanti et fere com~
muni pet Germanium /.i>..« adnumeratur Georgius
es utpote qui... lenehrosam ad errorem omni-
n viam moliaturin dubio posUivo tanquam basi
it theologica inquisitionis.., Denzinger, En*
dion, u. K)I9. Cf. le canon 6 De fide du concile du
Vatican, Denzinger, n. 1816. On ■ voulu trouver cette
tr (he/ 1 1 mai ce n'est pa - .i torl que
(.uniher et Papst li défendent contre une semblable
:vg
DESCARTES
5 !■ i
accusation. Kleutgen, ïoc. cit. Il s'en explique, du
reste, d'une façon fort flaire au sujel de l'existence de
Dieu donl il doute d'abord et que sa méthode lui fait
bientôl connaître et démontrer : Si guis sibi pro scopo
proponat dubitare de Dm, ut in kac dubitatione per-
sistât, graviter peccat dum vult in re tanti momienti
pendere in dubio. Verum cum quis hanc sibi dubila-
tionetn proponat tanguant médium ad clariorem
ueritatis cognitionem asseguendam rem facit omnino
piam et honestam. Epist., part. Il, epist. x.
3« Le doute recommandé par Descartes et mis par
lui au point de départ de ses démonstrations philoso-
phiques est donc le doute méthodigue, c'est un pro-
cédé de dialectique, ce n'est pas, du moins dans toute
son étendue, un état ou une conviction de l'esprit. Les
scolastiques en ont usé largement et saint Thomas avec
eux, puisque nous le voyons se demander dans sa
Somme théologique sous la formule du doute, mais
sans aucune hésitation d'esprit : utrum Deus sit, utrum
Deus sit unus, etc. Le procédé du doute méthodigue
en soi n'est donc pas condamnable en théologie. En
fait, le doute méthodique cartésien n'est pas sans dan-
ger. Il est dangereux, parce qu'il est trop étendu et
que, ramenant l'unique certitude primitive, du sein de
laquelle toutes les autres devront sortir, à la certitude
subjective de l'existence de la pensée ou de l'âme, il
compromet Vobjectivité de toute connaissance humaine
et donc des choses rationnelles et de la foi et des faits
qui légitiment noire croyance. « En partant du point
de vue adopté par Descartes ou de la simple conscience
que l'esprit a de lui-même et de sa pensée, on se
voyait dans l'impossibilité de parvenir à la connais-
sance de la réalité qui existe hors de l'esprit. On arri-
vait ainsi forcément à l'aveu si triste, et cependant fait
avec une incompréhensible suffisance, que la connais-
sance scientifique de la vérité est impossible à l'esprit
humain ou, pour me servir des paroles d'Hermès, qu'il
y a bien une nécessité de penser les choses d'une
manière déterminée, mais non de regarder comme
vraies, les choses ainsi pensées. » Kleutgen, op. cit.,
n. 6, t. i, p. 9. Il est dangereux, parce que, malgré les
réserves faites par Descartes, la logique doit amener
tout esprit à douter réellement de toutes les vérités
autres que l'existence de sa pensée et à étendre ce
doute réel à toutes les vérités morales ou de foi. 11 est
dangereux, parce que la persuasion qu'il invoque de
l'inutilité des philosophies qui l'ont précédé, et la
volonté qu'il manifeste de créer un système nouveau
de toutes pièces, porte la plus terrible atteinte à l'ar-
gument d'autorité qui a sa valeur en philosophie et
qui est indispensable dans les choses de la tradition et
de la foi. Comment ne pas craindre, quand on l'entend
dire « de ceux qui ont commencé par l'ancienne philo-
sophie, que d'autant qu'ils ont plus étudié, d'autant ils
ont coutume d'être moins propres à bien apprendre la
vraie. » Ibid.
IV. La TUÉODICÉE DE DESCARTES. — /. EXISTENCE DE
dieu. — 1° C'est par la théodicée que Descartes com-
mence la construction de tout son système; c'est sur
Dieu, son existence et sa véracité qu'il fonde toute cer-
titude. « Je dois examiner s'il y a un Dieu, sitôt que
l'occasion s'en présentera; et si je trouve qu'il y en ait
un, je dois aussi examiner s'il peut être trompeur ;
car, sans la connaissance de ces deux vérités, je ne
vois pas que je puisse jamais être certain d'aucune
chose. » Troisième méditation, édit. X. C.haix, t. i,
p. 117. Il n'y a donc pas de certitude possible pour
les athées.
2° Mais comment prouvera-t-il l'existence de Dieu.
si le doute règne partout et enveloppe son esprit, sauf
sur le point unique de l'existence de sa pensée et de
son àme? Il arrivera à se démontrer (nous disons à
se démontrer et non pas à démontrer) l'existence de
Dieu par l'existence de l'idée de parfait ou plutôt d'im-
parfait, parle contenu de cette idée de parfait, par sa
propre existence : ce sont là les trois voies que >-uit
son raisonnement et que nous décrirons, afin de bien
montrer en quoi l'argument à triple face de Desi
se différencie dans la forme de celui de saint Anselme,
tout en s'y réduisant au fond.
I. Pour Descartes, l'idée de l'imparfait et du fini
suppose celle du parfait et de l'infini; sans celle-ci,
celle-là est impossible et inconcevable et. dès lors, le
fait que je doute, que j'ai conscience de mon doute et
donc de l'imperfection qu'il met en moi prouve que
j'ai préalablement l'idée de quelque état plus parfait
que celui-là, de quelque être supérieur à moi en qui
ne sont pas mes imperfections. « Je ne dois pas ima-
giner que je ne conçois pas l'infini par une véritable
idée, mais seulement par la négation de ce qui est fini,
de même que je comprends le repos et les ténèbres par
la négation du mouvement et de la lumière; puisqu au
contraire je vois manifestement qu'il se rencontre
plus de réalité dans la substance infinie que dans la
substance finie, et partant que j'ai en quelque façon
premièrement en moi la notion de l'infini que du fini,
c'est-à-dire de Dieu que de moi-même; car comment
serait-il possible que je pusse connaître que je doute
et que je désire, c'est-à-dire qu'il me manque quelque
chose et que je ne suis pas tout parfait, si je n'avais en
moi aucune idée d'un être plus parfait que le mien,
par la comparaison duquel je connaîtrais les défauts
de ma nature? » Troisième méditation, Œuvres, t. 1.
p. 127-128. J'ai donc l'idée de l'infini; or la présence
de cette idée en moi prouve l'existence de Dieu. J'ai
l'idée de Dieu, donc Dieu existe... En effet, d'où cette
idée a-t-elle pu venir? De moi ou du dehors? De moi.
je puis avoir l'idée des autres hommes, puisqu'étant
mes semblables, je trouve en moi de quoi les concevoir.
De moi encoreje puis tirer l'idée des choses inférieures,
puisque celles-ci existant entièrement en moi, il suffit
pour les concevoir que j'enlève à la connaissance que
j'ai de moi quelqu'un de ses éléments ou quelqu'une
de ses perfections. Mais dans l'idée de Dieu il y a
quelque chose qui n'a pu venir de moi-même. « Par le
nom de Dieu, j'entends une substance infinie, éter-
nelle, immuable, indépendante, toute connaissante,
toute-puissante, et par laquelle moi-même et toutes le<
autres choses qui sont (s'il est vrai qu'il y en ait qui
existent) ont été créées et produites. Or, ces avantages
sont si grands et si éininents, que plus attentivement
je les considère, et moins je me persuade que l'idée
que j'en ai puisse tirer son origine de moi seul. Et par
conséquent, il faut nécessairement conclure que Dieu
existe; car, encore que l'idée de la substance soit en
moi, de cela même que je'suis une substance, je n'au-
rais pas néanmoins l'idée d'une substance infinie, moi
qui suis un être fini, si elle n'avait été mise en moi par
quelque substance qui fût véritablement infinie
Troisième méditation, p. 127. La présent e en moi de
l'idée d'infini ou de l'idée de Dieu ne peut donc s'expli-
quer que par l'action et l'existence de ce Dieu infini.
2. Descaries complète sa thèse par cet argument :
que le contenu de l'idée de Dieu postule l'existence de
Dieu : « Revenant à examiner l'idée que j'avais d'un
être parfait, je trouvais que l'existence y était comprise
en même façon qu'il est compris en celle d'un triangle
que ses trois angles sont égaux à deux droits ou eu
celle d'une sphère que toutes les parties sont également
distantes de son centre, ou même encore plus évidem-
ment; et que, par conséquent, il est pour le moins
aussi certain que Dieu, qui est cet être si parfait, est ou
existe, qu'aucune démonstration de géométrie le saurait
être. ) Discours: sur la méthode, IVe partie. Œuvres, 1. 1,
p. 3i. Ceci est proprement l'argument de saint Anselme.
Voir Anselme >:>'«(/<( i, 1. 1, col. 1350. Cf. Notes et éclair-
541
DESCARTES
542
cissements sur la troisième méditation, Œuvres, t. i,
p. 261.
3. Tout cela est confirmé par Descartes de la manière
suivante où l'existence de Dieu est prouvée par l'exis-
tence imparfaite d'un être qui a l'idée du parfait :
a Lorsque je relâche quelque chose de mon attention.
mon esprit, se trouvant obscurci et comme aveuglé par
les images des choses sensihles, ne se ressouvient pas
facilement de la raison pourquoi l'idée que j'ai d'un être
plus parfait que le mien doit nécessairement avoir été
mise en moi par un être qui soit en ell'et plus parfait.
C'est pourquoi je veux ici passer outre et considérer
si moi-même, qui ai cette idée de Dieu, je pourrais
être, en cas qu'il n'y eût point de Dieu, n Troisième
talion, p. 130. .le tiens mon existence de moi-même
ou d'un autre, lequel est imparfait ou parfait. Je ne
puis la tenir de moi-même. Ce qui est par soi et qui
pense ne peut pas ne pas être parfait : car se donnant
l'être, il se donne nécessairement toutes les qualités
dont il a l'idée; or je pense, j'ai l'idée d'une foule de
perfections que je ne possède pas. Je ne me suis donc
pas donné l'être. Je l'ai reçu d'un autre. Il faut que
celui-ci, pour faire de moi une àme qui pense et qui a
l'idée du parfait, pense lui aussi et ait l'idée du parfait.
S'il est imparfait, il vient comme moi d'un autre au su-
jet duquel la même question se posera. Il faut s'arrêter
quelque part et aboutira un être qui pense, qui a l'idée
du parfait et qui est parfait, et ainsi est par soi.
Dieu. Ainsi « de cela seul que j'existe et que
l'idée d'un être souverainement parfait, c'est-à-dire de
Dieu, est en moi, l'existence de Dieu est très évidera-
iiicn i démontrée. » Ibid., p. 134.
i. Il y a un certain nombre de confusions et d'illu-
sions dansées divers aspects de l'argument de Descar-
te- Celui-ci se trompe sur la nature et la valeur de l'idée
qui' nous avons du parfait et de Dieu; il se trompe sur
l'origine de cette idée; et celte double erreur enlève toute
valeur objective à sou argument. — m (l'est, en effet, une
illusion grave de penser qu'il a une <• véritable idée, »
, p. D27. c'est-à-dire une idée formelle, adéquate,
claire • i distincte de l'infini. Nos agnostiques modernes
61 demi tes ont de toutes Liions battu en lu
cette prétention. La vérité, c'est qu'il faut proie
sur le terrain de l'idéede Dieu, un certain agnosticisme,
n latif et modéré sans doute et fort éloigné de celui di -
modernistes, mais réi l Qu'elle vienne de la raison, ou
qu'elle nous soit su ir la loi. l'idée que nous
Dieu ne saurait être compréhensive, ni sur-
tout exhaustive, Les comprehensores, voir Compréhen-
ippartiennenl à I autre monde. Ici-bas.
il n \ .i que des apprefiensorei, c'est-à-dire desesprits
eulemenl quelque chose, quelque a
de la divinité, celui qui la rattache au monde p
li< n de la causalité. I1- ne se > eprésentenl cel
que, Voir Analogie, 1. 1, col. 1142. Nous
i la connaissance di heu par le triple
pi aflirmatifs, des concepts négatifs et
n étninenls el quand l'asi I ler-
iniie ition humaine es di-
imais s'accomplir en cette \ le, l'idée
qui n Bti el qui s'approche le plus de l'objet éterni
n infiniment imparfaite.) est linsi que l'Aréopa-
i en cela par toute la tradition, ■> pu parler
di Dieu tellement brillantes qVelli
par notre regard el sont pool
ne mu- nuit par leur excès mém Cf. L
■ m. col. 586,590; Chollet, I
linsi
qu< la I - on anthropomorphisme
i la coiin li Dieu el
qui i l'aveu de i imperfi ction de notre
lu p.irf.iii inthropomorphisme
- tre pai fait
ou d'être inlini n'est encore qu'un cadre vide, on cherche
à lui donner un contenu; et l'on croit y réussir en pui-
sant à pleines mains au trésor de l'âme humaine. On
prend dans son esprit, dans sa volonté et dans son cu-ur,
tout ce qu'ils recèlent de plus noble et de plus exquis ;
on le purifie, on le brûle sur l'autel de l'adoration pour
en dégager la quintessence; on y supprime toute trace
de finitude. Puis, on jette dans le gouffre ce précieux
holocauste convaincu qu'il est digne, non seulement
d'être offert à l'Kternel. mais d'être comme élément
dans la constitution de sa très auguste et très sainte
nature. » Clodius Piat, De la croyance en Dieu, 1. I.
c. m, Paris, 1907, p. 128.
b) La théorie de l'analogie et celle de l'anthropomor-
phisme ne montrent pas seulement l'erreur de Descartes
sur la valeur de notre idée de Dieu, elles nous décou-
vrent aussi l'origine de cette idée. L'idée du parfait n'est
pasprimitive, ainsi que le voulait Descartes, et elle n'est
pas une condition de la connaissance de l'imparfait.
L'esprit humain est tout entier dépendant, pour ses re-
présentations, de l'expérience sensible. Il n'y a rien en
lui qui n'ait au préalable passé par le sens et son ob-
jet propre, c'est la nature, l'essence, disaient les scolas-
tiques, (.les choses corporelles. C'est pour cela qu'il est
abstraclif et que ses premiers concepts naissent d'une
abstraction opérée sur les perceptions des sens et les
données de la mémoire sensible ou de l'imagination.
Ce n'est que plus tard, grâce au principe de causalité,
que l'esprit s'élève à la découverte d'êtres ou de notions
supérieures et que l'analogie suivant les trois voies, ex-
plorées et décrites par le pseudo-Denys l'Aréopagite et
saint Thomas, réalise la représentation des choses ou
des notions de cette région plus haute. Finalement,
elle monte jusqu'à Dieu, et loin de connaître l'imparfait
par le parfait, l'âme humaine ne connaît le parfait que
par l'imparfait, c'est-à-dire en attribuant à celui-là les
qualités de celui-ci, mais sans leurs limites el avec un
degré meilleur. Que si parfois nous mêlons à l'idée
d'imparfait celle du parfait et si même nous ne nom-
mons le premier que par la négation du second, le
parfait dont il est question est le parfait créé, le par-
fait dont nous avons fait l'expérience, dont nous ne
trouvons plus toute la richesse dans des êtres inférieurs.
Ainsi l'animal me parait irrationnel, el donc imparfait.
parce qu'il manque d'une perfection que j'ai cons
en moi, la raison, l'oint n'esl besoin de remonter au
parfait absolu pour avoir ce concept de l'imperfection
relative animale. Du reste. Descartes lui-même, quoi-
qu'il ait professé' le contraire, a reconnu implicitement
et inconscii m ment celle source de l'Idée de par-
tait dans l'imparfait. « Il établit d'abord que Dieu esl
l'infini dans tou> les sens, ['infiniment infini : el que
par là mê , il enveloppe toutes les perfections. Mais
.n quoi consistent-elles, ces perfections? Là, le phi-
losophe descend de son hyperciel et ne trouve d'autre
iree que celle d n Dieu, à l'étal éminent,
l.i pensée, la liberté el la force : autan) de projections
des propriétés du fini dans l'absolu, d Cf. Piat, ibid.,
p. 129.
L'idée de l'infini et du parfait n'étant pas parfaite
i origine s'expliquanl par les différents traite-
ments que l'abstraction Intellectuelle lait subir à
hoses finies el imparfaites, l'arg ni l'on. le sur la
présence en non- de l'idée innée ou infuse d'un Dit u
infini et parfait ne prouve plus l'existence de celui i i,
puisque I idée n'esl ni innée ni infuse, mais acquise; du
ins, H ne la prouve plus a la fai on décrite pai
el p ■ donner quelque ■. aleur à la démon
lion, il faudrait la reprendre à la façon de Bossue*! :
i Pourquoi l'imparfait serait il, el le parfait ne serai) il
■ dire. | rquol ce qui tien! plus «lu néant
lerail IL el que ce qui n en lient i Ien du tout ne
i » ■ i appelli -t on parfait ! i n être i qui i ii
543
DESCARTES
r,ii
manque. Qu'appelle-t-on imparfait? Un être à qui
quelque chose manque. Pourquoi l'être à qui rien ne
manque ne serait-il pas plutôt que l'être à qui quelque
chose manque? D'où \ieni que quelque chose est et
qu'il ne se peut pas faire que le rien soit : si ce n'est
parce que l'être vaut mieux que le rien, et que le rien
ne peut pas prévaloir sur l'être, ni empêcher l'être
d'être? Mais par la même raison, l'imparfait ne peut
valoir mieux que le parfait, ni être plutôt que lui, ni
l'empêcher d'être. Qui peut donc empêcher que Dieu
ne soit'.' » Elévations sur les mystères, l,e semaine,
l« élévation, Œuvres, t. n, p. 172.
d) La seconde « voie » suivie par Descartes pour aller
à l'existence de Dieu, est précisément celle qu'avait
suivie saint Anselme. On en trouvera la discussion à
l'art. Anselme (Saint), t. i, col. 1353-1354. Elle ne peut
valoir pour établir réellement l'existence de Dieu; elle
prouve seulement : a. qu'il est impossible de penser un
êlrc parfait sans le penser existant, autrement il ne
serait plus parfait, puisqu'il lui manquerait quelque
chose; et b. qu'à supposer qu'il soit, il est par soi et
nécessairement.
e) La dernière « voie », si l'on fait abstraction, dans
un de ses éléments accidentels, de son erreur sur la
nature et l'origine de l'idée du parfait, peut se rame-
ner à l'argument traditionnel et objectif par lequel,
de l'existence de l'être contingent, on prouve la réa-
lité de l'être nécessaire. Dans l'argument de Descartes
comme dans le traditionnel, le point de départ est que
j'existe et que mon existence ne peut venir de moi; on
conclut : elle me vient donc d'un autre qui lui aussi
aura reçu l'existence, d'un troisième et ainsi de suite.
Et comme il faut s'arrêter dans la série, on arrive fina-
lement à quelqu'un qui est par soi et a créé les autres.
La différence entre l'argument cartésien et l'argument
traditionnel est que, dans le premier, on démontre que
mon existence ne peut venir de moi, parce que j'ai l'idée
parfaite du parfait et qu'ayant cette idée je l'aurais réa-
lisée en moi si je m'étais moi-même posé dans l'exis-
tence ; dans le deuxième, on démontre que je ne me suis
pas donné l'existence, parce qu'elle est contingente et
qu'un être qui est par soi est nécessaire; la seconde
forme d'argument est légitime, la première ne l'est
pas, parce qu'elle se sert du postulat faux de l'idée
innée et parfaite du parfait.
3° A la triple « voie » qui le mène à admettre l'exis-
tence de Dieu, Descartes en ajoute une quatrième qui
part du fait de la conservation des êtres. Il commence
sa démonstration par une remarque très juste : c'est
que la preuve tirée de la création vaut, même dans
l'hypothèse de l'existence éternelle du monde, car ce
qui prouve Dieu, ce n'est pas le fait que nous commen-
cions, mais le fait que nous soyons insuffisants à nous
donner l'être. « Et encore que je puisse supposer que
peut-être j'ai toujours été comme je suis maintenant,
je ne saurais pas pour cela éviter la force de ce raison-
nement, et ne laisse pas de connaître qu'il est nécessaire
que Dieu soit l'auteur de mon existence. » Ceci l'amène
tout naturellement à la preuve tirée de la conservation,
c'est-à-dire de mon insuffisance à me conserver conti-
nuant mon insuffisance à me poser dans l'être : « Car
tout le temps de ma vie peut être divisé en une infinité
de parties, chacune desquelles ne dépend en aucune
façon des autres (ce concept est exagéré et conduirait
notre vie à n'être qu'une série de moments se succédant,
sans enchaînement, surtout sans lien de causalité; une
vie ainsi morcelée en parties indépendantes n'est plus
une vie, puisque la continuité lui est au contraire indis-
pensable); et, ainsi, de ce qu'un peu auparavant j'ai été,
il ne s'ensuit pas que je doive maintenant être (il ne
s'ensuit pas non plus que je doive n'être pas), si ce
n'est qu'en ce moment quelque cause me produise et
me crée pour ainsi dire derechef, c'est-à-dire me con-
serve (la conservation n'est pas une production ou nue
création renouvelée à chaque instant : ceci serait le ren-
versement de la loi et surtout de la morale sur une
foule de points; comment me récompenser ou me châ-
tier si à chaque instant je cesse d'être celui qui a dé-
mérité ou mérité pour être créé de nouveau et vivre
une partie d'existence qui « ne dépend en aucune façon
des autres » parties de ma vie'.' Le concept catholique
de la conservation dit que celle-ci n'est que l'acte lui-
même de la création non révoqué et se perpétuant d'un
seul trait sans interruption ni division de parties. Voir
Conservation, t. m, col. 1194. En effet, c'est une chose
bien claire et bien évidente à tous ceux qui considé-
reront avec attention la nature du temps, qu'une sub-
stance, pour être conservée dans tous les moments
qu'elle dure, a besoin du même pouvoir et de la même
action qui seraient nécessaires pour la produire et la
créer tout de nouveau si elle n'était point encore: en
sorte que c'est une chose que la lumière naturelle nous
fait voir clairement, que la conservation et la création
ne diffèrent qu'au regard de notre façon de penser, et
non point en eflet. ». (Ici, Descartes raisonne absolu-
ment comme les scolastiques et la tradition chrétienne.)
Troisième méditation, Œuvres, t. I, p. I3l, 132.
Cf. Francisque Bouillier, Histoire de la philosophie
cartésienne, c. iv, Paris-Lyon, 1854, p. 75-95. Voir
Création, t. ni, col. 2093.
//. NATURE ET ATTRIBUTS de mec. — Descartes s'est
surtout appesanti sur les preuves de l'existence de Dieu.
Comme s'il avait eu conscience de leur faiblesse, il les
tourne et retourne en tous sens, en décrit tous les
aspects, en répète les exigences. Quand il a prouvé que
Dieu existe, il croit avoir à peu près terminé sa tâche
en théodicée; cependant il est possible de récolter ou
au moins de glaner çà et là des données où se dessinent
ses pensées sur la nature et les attributs de Dieu.
1° C'est l'idée de « parfait » qui sert de fil conducteur
à Descartes dans l'exploration du monde des attributs
divins. Tout ce qui réalise d'une façon parfaite quelque
perfection se trouve en Dieu; tout ce qui enveloppe
quelque imperfection en soi ou dans son mode d'être
n'est pas en Dieu. « Pour connaître la nature de Dieu
autant que la mienne en était capable, je n'avais qu'à
considérer, de toutes les choses dont je trouvais en moi
quelque idée, si c'était perfection ou non de les possé-
der; et j'étais assuré qu'aucune de celles qui mar-
quaient quelque imperfection n'était en lui, mais que
toutes les autres y étaient ; comme je voyais que le doute,
l'inconstance, la tristesse et choses semblables, n'y pou-
vaient être, vu que j'eusse été moi-même bien aise d'en
être exempt. Puis, outre cela, j'avais des idées de plu-
sieurs choses sensibles et corporelles... Mais, pour ce
que j'avais déjà connu en moi très clairement que la
nature intelligente est distincte de la corporelle, consi-
dérant que toute composition témoigne de la dépendance
et que la dépendance est manifestement un défaut, je ju-
geais par là que ce ne pouvait être une perfection en
Dieu d'être composé de ces deux natures, et que par
conséquent il ne l'était pas. » Discours sur la méthode,
IVe partie, Œuvres, t. I, p. 33. Dieu n'est donc pas
composé; il n'y a en lui ni doute, ni inconstance, ni tris-
tesse; un peu plus haut on avait dit qu'il est « infini,
éternel, immuable, tout connaissant, tout-puissant. »
Ibid. La règle qui consiste à attribuer à Dieu au mode
parfait toutes les perfections connues est bonne; mais
elle ne vaut qu'à la condition qu'une preuve objective
valable ait établi l'existence de l'être parfait. Dans le cas
présent, Descaries est toujours hypnotisé par cette con-
sidération que de même qu'il est compris, dans l'idée
« d'un triangle, que ses trois angles sont égaux à deux
droits, ou en celle d'une sphère que toutes ses parties
sont également distantes de son centre, » ibid., p. 34,
ainsi il est compris dans l'idée de l'être, doué de ces
545
DESCARTES
546
perfections, qu'il existe, qu'il est infini, éternel et donc
il est infini, éternel, etc. Nous l'avons déjà fait remar-
quer : ce raisonnement nous prouve simplement qu'il
est impossible de penser un être parfait, sans le penser
infini, éternel, tout-puissant, simple, existant, etc.
Observons enfin que pour Descartes l'attribut du par-
fait est en Dieu la source de tous les autres et contient
l'essence de Dieu, tandis que pour la scolastique cette
essence est Vaséité. Voir ce mot, t. i, col. 2079.
2" Parmi tous les attributs de Dieu, celui dont Des-
caries s'est le plus occupé, après celui de parfait ou
d'infini— et c'était justice — est l'attribut de créateur.
Descartes considère Dieu comme créateur de toutes
choses, en quoi il est parfaitement orthodoxe. Mais il
s'écarte de la théologie traditionnelle sur plusieurs
aspects de cet attribut. En premier lieu, il impose
l'optimisais comme règle de l'acte créateur, ce qui ne
laisse pas de l'embarrasser quelque peu en face des
imperfections qu'il constate en lui, ou chez les autres.
Il se tire de la difficulté en faisant observer : 1. que ses
facultés sont parfaites en leur genre ; 2. qu'il faut consi-
dérer Yensemble des êtres plutôt que les détails ou les
individualités séparées; 3. qu'au demeurant, il ne faut
pas vouloir découvrir les fins impénétrables de Dieu.
« t. n considérant la nature de Dieu, il ne semble pas
possible qu'il ait mis en moi quelque faculté qui ne
soit pas parfaite en son genre, c'est-à-dire qui manque
de quelque perfection qui lui soit due; car s'il est
vrai que plus l'artisan est expert, plus les ouvrages qui
nt de ses mains sont parfaits et accomplis, quelle
chose peut avoir été produite par ce souverain créateur
de l'univers qui ne soit parfaite et entièrement achevée
en toutes ses parties? Et certes, il n'y a point de doute
que Dieu n'ait pu me créer tel que je ne me trompasse
jamais; il est certain aussi qu'il veut toujours ce qui
est le meilleur ; est-ce donc une chose meilleure que je
puisse me tromper que de ne le pouvoir pas'.' Considé-
rant cela avec attention, il me vient d'abord eu la
pensée que je ne me dois pas ('•tonner si je ne suis pas
capable de comprendre pourquoi Dieu la il ce qu'il fait...
car, sachantdéjà quema nature est extrêmement faible
et limitée, et (pie celle de Dieu, au contraire, est
ii use, incompréhensible et infinie, je n'ai plus de
peine a reconnaître qu'il \ a une infinité de choses en
■a puissance desquelles li surpassent la portée
de m sprit... I'' plus, il nie vient encore a l'espril
qu'on ne doil pas considérer mie Beule créature séparé-
ment, lorsqu'on recherche si les ouvrages de Dieu Boni
si-, mais généralement toutes les créatures en-
.1- l.i même chose qui pourrait peut-éti
quelque sorte de raison sembler forl incomplète, si elle
('■tait seule dans le inonde, ne lai d'être très
ime faisanl partie de tout
' atrième méditation, Œuvret, t. i,
(i. 139, 140. L'optimisme esl une erreur dont on
il qui lui sera con
ulement ici que I optimisme de Des
limite d'une fa ive : I. la possibilité des cl
-la seules -ont possibles qui sont les
Heures : 2. la p\ . puisqu'au lieu de
tlonl le- éléments ne se con-
il le peut plus qui | ml la
■ (Ue. ou au moins dans le cadre oii il les
il la plu- . . /o liberté humaine qui
i -i plus loisible de faire ce que
qui ' chaque instant
ai a l idi -il divin. Choisir autre chose,
di faut la bonté el la < \\ me.
n de remarquer plusieurs
|ue Dieu n
mai- ,|,,, ,,,| ,,,,.,11, , ,(|| ,|
i mi qu'il était
leur qtn I' monde lut cri dan le temps qu
[(ICI. H ICI (.!
l'éternité, qu'il a voulu créer le monde dans le temps
mais au contraire parce qu'il a voulu créer le monde
dans le temps, pour cela il est ainsi meilleur que s'il
eût été créé dès l'éternité. » Réponse aux sixièmes ob-
jection*, Œuvres, t. i, p. 323. Si l'on admettait cela, il
s'ensuivrait que n'importe quel autre monde aurait pu
également être choisi par Dieu et serait ainsi devenu
meilleur : ce qui est la négation même du principe de
l'optimisme.
3° Descartes n'y a pas pris garde, parce qu'il tenait
surtout à affirmer une théorie très personnelle et très
fausse concernant la liberté divine et son inlluence sur
la possibilité des choses. La théologie traditionnelle en-
seigne que les êtres sont possibles antérieurement à la
liberté divine et indépendamment d'elle; que l'homme,
par exemple, n'est pas possible, parce qu'il a plu à Dieu
de le rendre tel, mais parce qu'en lui réside une image,
une participation finie, non contradictoire, de la perfec-
tion divine. Et ainsi dans l'ordre des moments que l'es-
prit humain distingue en l'infinie simplicité divine, la
théologie range en premier lieu l'essence parfaite de
Dieu, de laquelle découle la possibilité générale et in-
déterminée d'êtres extérieurs; en ^second lieu, la con-
naissance nécessaire et exhaustive que Dieu a de son
essence. Au premier plan de cette connaissance se
trouve l'essence divine; en elle, mais comme au second
plan, l'intelligence divine conçoit un nombre infini de
modes sous lesquels cette essence infinie peut être par-
ticipée et imitée au dehors par les créatures finies; cette
connaissance divine qui se termine à toutes et à cha-
cune de ces participations extérieures, distinctes et
finies, constitue le monde des idées; et les créatures,
termes de ces idées, sont les possibles. En troisième
lieu, vient la volonté divine qui aime l'essence et la
perfection de Dieu et en elle tous les modes finis sous
lesquels la participation à cette perfection est pos-
sible. Ici vieni la liberté, laquelle est donc non réel-
lement et chronologiquement, mais par ordre logique
de nature, après la connaissance el la constatation et
constitution par celle-ci des possibles, Les ('1res finis
sont donc nécessairement possibles el antérieurement
(dans l'ordre logique bien entendu) à l'apparition et à
l'exercice de la liberté divine, Celle-ci n'intervient qu(
pour choisir, parmi lespo u\ qu'elle appellera
a l'existence. Voyons combien la théorie de Descartes
ipposée à ces notions catholiques : n Quant à la
liberté du franc arbitre, il est certain que la raison ou
nce de celle qui est en Dieu est bien différente de
celle qui est en nous, d'autanl qu'il répugne (pie la vo-
lonté de Dieu n'ail pas été de toute éternité indifférente
a toutes les choses qui oui été faites el qui se feront
jamais; n'\ ayant aucune idée qui représente le bien
ou le \rai. ce i|ii'il faut croire, ce qu'il laul l'aire ou ce
qu'il faut omettre, qu'on puisse feindre avoir de l'objet
de l'entendement divin avant que sa nature ail ét<
tituée telle par la détermination de -., volonté, o II ne
tre plus en opposition avec la théol
el la psychologie traditionnelle qui affirment qu'en I heu
comme dans l'homme, la liberté est une fonction, non
le, mais éclairée el lumineuse de l.i volonl
que précédée de l'intellij asei-
gnée par elle. Ici. c'esl la volonté qui précède el qui
détermini [ui esl bien el ce qui est mal;
I entendement re< oil d'- la volonté le décret qui lui or-
donne ce qu'il doit considérer co • bien et vrai ou
comme mal el cm faUl i I i je ne parle pas ici d'une
simple priorité de temps, mais bien davantage, je dis
qu'il a été impossible qu'une telle ni
termination de la volonté de Dieu par une priorité d'ordre
ou de natureou d - la n me
(Lui- i i cole, en toi te que » Ile idi i du bien ail porté
■ (lire 1 un plutôt que l'autre. Vinsi ;
i pu-' •■ que bonnes, mai >
iv. - is
547
DESCARTES
548
elles bonnes parce que choisies de Dieu; le choix di-
\in leur confère leur bonté et si Dieu eût aimé d'un
amour d'élection le vol, l'assassinat ou la fornication,
ces choses seraient devenues par le l'ait même dési-
rables et bonnes. « Par exemple (aussi) il n'a pas
voulu que les trois angles d'un triangle fussent égaux
à deux droits, parce qu'il a connu que cela ne pou-
vait se faire autrement, etc. ; mais, au contraire...
d'autant qu'il a voulu que les trois angles d'un triangle
fussent nécessairement égaux à deux droits, pour cela
cela est maintenant vrai, et il ne peut pas être autre-
ment, et ainsi de toutes les autres choses. » Réponse
aux sixièmes objections, Œuvres, t. i, p. 322. 323. Le
P. Daniel, S. ,1., écrit dans son Voyage du monde de
Descartes, Impartie, Paris, 1703, p. 5 : « Dieu selon lui
peut faire que deux et trois ne soient pas cinq; qu'un
carré n'ait pas quatre côtés; que le tout ne soit pas
plus grand qu'une de ses parties; choses que tous les
autres mettent sans scrupule au-dessus du pouvoir de
Dieu. » Ainsi la liberté divine diffère de celle de l'homme
en ce que celle-ci trouve déjà « la nature de la bonté
et de la vérité établie et déterminée de Dieu », tandis que
celle-là ne trouve aucune nature de bonté et de vérité
déterminée au préalable, et au contraire indifférente
entre ce que nous appelons bien ou mal, vrai ou faux,
choisit à son gré parmi toutes choses et par son choix
les rend lionnes ou mauvaises, vraies ou fausses, meil-
leures ou moins bonnes, certaines ou probables : affir-
mations extrêmement graves. « En effet, si la vérité et
le bien ne sont que des décrets arbitraires de Dieu,
il n'y a plus rien de solide ni dans la science ni dans
la morale et la garantie ontologique du critérium de l'é-
vidence est ruinée; si Dieu peut faire tout ce qu'il lui
plait, que devient la maxime que Dieu ne peut nous
tromper? Qui nous assure que ce que Dieu a établi par
un décret arbitraire, indépendant de toute considéra-
tion de sagesse, il ne le renversera pas par un au Ire
décret arbitraire? » Fr. Bouillier, Histoire de la philo-
sophie cartésienne, c. iv, Paris, 1854, t. i, p. 88, 89-
Cf. Cudworth, Système intellectuel, c. in,Leyde, 1773;
S. Clarke, Discours concernant l'être et les attributs
de Dieu, les obligations de la religion naturelle, la
vérité et la certitude de la révélation chrétienne,
Amsterdam, 1727.
4° De même que la volonté divine est le principe de
tout mal et de tout bien, d'après Descartes, la véracité
de Dieu est la garantie de la vérité de nos facultés en
général, de notre esprit en particulier. « Car, premiè-
rement, je reconnais qu'il est impossible que jamais il
me trompe, puisqu'on toute fraude et tromperie il se
rencontre quelque sorte d'imperfection... Ensuite, je
connais par ma propre expérience qu'il y a en moi une
certaine faculté de juger ou de discerner le vrai d'avec
le faux, laquelle sans doute j'ai reçue de Dieu, aussi
bien que tout le reste des choses qui sont en moi et que
je possède; et puisqu'il est impossible qu'il veuille me
tromper, il est certain aussi qu'il ne me l'a pas donnée
telle que je puisse jamais faillir lorque j'en userai
comme il faut. » Quatrième méditation, Œuvres, t. i,
p. 137. C'est le renversement de l'ordre admis dans l'É-
glise où la valeur de l'intelligence et du raisonnement
est reconnue d'abord et où à l'aide des connaissances
naturelles certaines, l'homme s'élève à la certitude de
l'existence du Dieu vrai, omniscient et véridique. Nous
sommes donc sûrs de la valeur de notre raison axant
d'être sûrs de la véracité divine. D'autre part, avec
Arnauld, dans les Quatrièmes objections, nous deman-
derons « comment on peut se détendre de ne pas com-
mettre un cercle lorsqu'on dit que nous no sou :S
assurés que les choses que nous concevons clairement
et distinctement ne sont vraies qu'à cause que Dieu est
ou existe. Car nous ne pouvons être assurés que Dieu
est, sinon parce que nous concevons cela très clairement
et 1res distinctement: donc auparavant que d :
rés de l'existence de Dieu, nous devoi -que
toutes les choses que nous concevons clairement et
distinctement sont toutes vraies. »
5° A la théodicée de Descartes appartient aussi sa
théorie sur la providence et sur la fin de la création.
A la providence appartient d'abord la prescience :
« Avant qu'il nous ait envoyés en ce monde. Dieu a su
exactement quelles seraient toutes les inclinations de
noire volonté; c'est lui-même qui les a mises en n
c'est lui aussi qui a disposé de toutes les autres choses
qui sont hors de nous, pour faire que tels ou tels
objets -e présentassent à nos sens à tel ou tel temps, à
l'occasion desquelles il a su que notre libre arbitre
nous déterminerait à telle ou telle chose, et il l'a ainsi
voulu, mais il n'a pas voulu pour cela l'y contraindi
Lettre ù lu princesse Elisabeth, édit. Garnier, t. ni,
p. 210. Dieu en choisissant l'univers actuel pour lui
donner l'être a certainement prévu toutes le- actions
bonnes ou mauvaises des libertés qu'il allait ci
mais on ne peut affirmer qu'il les ait voulues purement
et simplement. Il a voulu les bonnes, il a permis les
mauvaises. Du reste, avec le système de Descartes, tout
ce qui est voulu de Dieu étant bon par le fait même,
si Dieu avait, comme il semble le dire ici, prévu et
préparé et voulu toutes nos décisions libres, celles-ci
seraient toujours morales et il n'y aurait pas de péché*.
— Après la prescience ou avec elle, la providence : « Je
ne crois pas que par cette providence particulière, que
Votre Altesse dit être le fondement de la théologie, vous
entendiez quelque changement qui arrive en ses d> >
à l'occasion des actions qui dépendent de notre libre
arbitre, car la théologie n'admet pas ce changement. Et
lorsqu'elle nous obligea prier Dieu, ce n'est point afin
que nous lui enseignions de quoi nous avons besoin,
ni afin que nous tachions d'iinpétrer de lui qu'il
change quelque chose en l'ordre établi de toute éternité
par sa providence, l'un ou l'autre seraient blâmables,
mais c'est seulement afin que nous obtenions ce qu'il
a voulu être de toute éternité obtenu par nos prièi
Lettre à la princesse Elisabeth, citée par Fr. Bouillier,
op. cit., p. 94. On ne voit guère ici l'efficacité réelle de
la prière, et il y a de quoi décourager ceux qui prient.
Descartes oublie de dire que, si les décrets divins une
fois portés ne peuvent plus être changés par nos prières,
dont le rôle alors est de nous élever jusqu'à l'accepta-
tion de la volonté divine, il va une prescience éternelle
qui, antérieurement aux décrets définitifs, prévoit nos
prières et inspire ces décrets conformément à la nature
et à la valeur de ces prières. Elles sont donc en ce sens
efficaces et agissent abxterno sur les décisions divines.
— A la providence aussi appartient la théorie des fins,
de la lin suprême des créatures, de la place que l'homme
tient dans la finalité des choses. Sur ce point. Descartes
est très catégorique, et rejette radicalement la recherche
des causes finales : « Nous ne nous arrêterons pas aussi
à examiner les fins que Dieu s'est proposées en créant le
monde, et nous rejetterons entièrement de notre phi-
losophie la recherche des causes finales. » Les prin-
cipes de la philosophie, I« partie, Œuvres, t. u, p. H.
« Je ne me dois pas étonner si je ne suis pas capable
de comprendre pourquoi Dieu fait ce qu'il fait... Tout
nre de causes qu'on a coutume de tirer de la tin
n'esl d'aucun usage dans les choses physiques ou natu-
relles; car il ne nie semble pas que je puisse sans
témérité rechercher et entreprendre de découvrir les
lins impénétrables de Dieu. » Quatrième méditation ,
Œuvres, t. i, p. 139. Cette théorie est logique dans le
système cartésien. Étant admis que tout à l'origine esl
indifférent à Dieu, que rien n'est essentiellement bon
ou vrai, que le choix libre de Dieu seul constitue la
vérité, la bonté, la nécessité et l'essence des choses, rien
ne s'impose plus, rien ne peut être perçu directement
549
DESGARTES
550
par notre esprit dans les raisons et les buts des choix
de Dieu. Dans la sphère des décrets libres de Dieu, il
faut une révélation qui nous dise dans quel sens et
pourquoi Dieu s'est décidé. Or, Descartes professe une
philosophie séparée et une théologie séparée : en philo-
sophie, il ignore la révélation et donc toutes les fins
qui ne peuvent être connues que par elle. Mais la
théologie traditionnelle affirme que des fins s'imposent
à l»ieu, que Dieu ne peut, par exemple, dans ses actes
poursuivre un accroissement impossible de sa béatitude
ou. de son être, qu'il doit agir dans le but de manifester
au dehors sa perfection dans les biens qu'il accorde à
ses créatures, que celles-ci, étant donné que Dieu les
tire du néant, ne peuvent être produites que pour la
plus grande gloire <lu Seigneur, que tout cela peut être
connu par la raison. Cela a même fait l'objet de décla-
rations solennelles du concile du Vatican : Hic solus
i Deus bonitale sua el omnipolenli virtute, non ttd
augendam suam bealitudinem, nec acguirendam ,
ted ad manifestandam perfectioncm suam per bona,
qum creatu is impertitur, liberrimo consilio simulab
initio lempoi'is ulramque de nihilo condidit crealu-
ra»i, spiritualem et corporalem, angelicam videliccl
et mundanam, ac deinde humanam quasi communem
ea spirilu et corp nstitutam. Gonst. De fide, c. i,
Denzinger, n. 1783. Voir Cause, t. n, col. 2017, 203i.
Ailleurs, parlant de l'homme. Descartes tient un langage
plus exact, quoiqu'il appelle encore quelques réserves :
■. liien que nous puissions dire que toutes les choses
pour nous, en tant que nous
en pouvons tirer quelque usage (c'est donc là son sens
de la finalité : je suis la lin de ce qui me sert), je ne
sache point néanmoins que nous soyons obligés de
croire que l'homme soit la lin de la création. Mais il
es) «lit que omnia propler ipsum i Deunx) fada sunt,
que c est Dieu seul qui est la cause finale comme la
cause ni ute de l'univers (« il est dit, » donc dans le
domaine de la révélation que Descartes tient soigneuse-
ment à l'écart); et pour les créatures, d'autant qu'elles
ni réciproquement les unes aux autres, chacune se
peui attribuer cet avantage, que toutes relies qui lui
ent sont faites pour elle. H est vrai que les si\
joursde la création sont tellement décrits en la C'
qu'il semble que l'homme en soil le principal sujet ;
maie <>n pi ni dire qui ■ tti ; toire de la Genèse ayant
crite pour l'homme, ce sont principalement les
- qui le regardent que le Saint-Esprit > a voulu
:îer. "t qu'il n \ est parlé d'aucunes qu'en tant
qu'elles se rapport) ni ;i l'homme... Je ne vois point que...
■i"1 Dieu ' faits il homme empêchent
qu il n'en puisse avoir fait une infinité d'autres à une
infinité d'autres créatures. El bien que je n'infèi
qu'il \ ail des créatures intelligentes dans les
a ou lilleurs, je ne vois pas ans-, qu'il \ ail
m. ni par laquelle "n puisse prouver qu'il n'y
• U Chanul, Œuvres, l. n. p. 290.
ie de I Église n- rejette pas la possibilité
ndes habités, m par conséquent de lin a
ne prétend pas que l'homme
■oil l' leule lin pour laquelle l'univers a été créé; maïs
on n imie de cela qu il n \ ;ni aucune finalité
••" I I il n'esl pas la fin première et exclusive
d< i il est une iin secondaire et relative du
■ n particulier de la tei re, donl infi
P . Mil.
,; 8 ph . i. 22; llei,., n, 7 8; et
•Ju n ■iion. 1.. n, de toul l'ordn
I donl l'unique raison d'être fut le rachat et
1 ' 1 moN, 1. m
V. I - I. l'i Mu
i Dit n. li phi
1 l'hommi .1. 1 . . 1. .<
trine catholique en voulant quitter les sentiers tracés
par la philosophie scolastique. Descartes semble ici
oublier la définition de l'union de l'âme et du corps
donnée par le concile de Vienne. Je sais bien qu'il laisse
les dogmes dans une région où il se défend de .pénétrer,
mais alors il ne devait pas philosopher sur un point
touché par la décision de l'Eglise ou, s'il le faisait, il
devait avoir alors devant les veux la doctrine définie
par le concile. Descartes innove sur l'âme, sur le corps
et sur leur union.
J° Pour lui, l'âme est uniquement pensée, pensée en
acte et non pas seulement intelligence, c'est-à-dire
pouvoir de pensée, si bien que cesser de penser amène
la cessation de l'être. « La pensée est un attribut qui
m'appartient; elle seule ne peut être détachée de moi.
Je suis, j'existe : cela est certain ; mais combien de
temps? Autant de temps que je pense; car peut-être
même qu'il se pourrait faire, si je cessais totalement
de penser, que je cesserais en même temps tout à fait
d'être. (Remarquons ce « totalement » et ce « tout à
fait » et si lorsqu'on cesse « totalement » de penser,
c'est-à-dire pour toujours, l'on cesse aussi « tout à fait »
c'est-à-dire pour toujours, d'être, est-ce que Descartes
soutiendrait que lorsqu'on cesse « provisoirement » de
penser, l'on cesse aussi d'être pour un temps'.' L'idée
serait bizarre; mais s'il ne la sous-entend pas, qu'est-
ce donc qu'il veut dire en introduisant ces mots « tota-
lement » et a tout à fait »?) Je n'admets maintenant rien
qui ne soit nécessairement vrai ; je ne suis donc, préci-
sément parlant, qu'une chose qui pense, c'est-à-dire un
esprit, un entendement, une raison. » Deuxième mé-
ditation, Œuvres, t. 1, p. 106. Cf. Les principes de la
philosophie, Impartie, Œuvres, t. n, p. 29.
2° Et le corps qu 'est-il? 11 est une pure et simple
étendue. « Encore que tout attribut soit suffisant pour
faire connaître la substance, il y en a toutefois un
en chacune qui constitue sa nature et son essence, el
de qui Ions les autres dépendent. A savoir : l'étendue
en longueur, largeur et profondeur, constitue la nature
de la substance corporelle, el la pensée constitue la
nature de la substance qui pense. Car, tout ce que
d'ailleurs on peut attribuer au corps présuppose de
l'étendue, et n'est qu'une dépendance de ce qui
étendu; de même, toutes les propriétés qm' nous trou-
vons en la chose qui pense ne sont que des I
différentes de penser. Ainsi, nous ne saurions conce-
voir, par exemple, de figure si ce n'esl en nue chose
étendue, ni de mouvement qu'en un espace qui est
étendu ; ainsi l'imagination, le sentiment et la volonté
dépendent tellement d'une chose qui pense que nous
ne pou "n les Concevoir sans elle. Mais, au conlr
nous pouvons concevoir l'étendue sans figure ou sans
mouvement, et la chose qui pense sans imagination <>n
sans sentiment, el ainsi du reste. Les principes de
lu philosophie, I" partie, Œuvres, t. n, p. 65.
:'> L'âme est pensée, le corps est étendue; dans
l'homme il- sonl uni-. Comment cela peut-il ie faire
Ea question embarra tes. Il iiii bien
qu'il est - compoc di corps et d'an il parle bien
dans la Si litat de « l'union 1 el « du mé-
l m e de l'esprit avec le corps. » — 1 -le ne suis pua
Seul ni logl 'lui- COrpS ainsi qu'un pilote .11
son navire, mais outre cela je lui suis conjoint
étroitement, et tellement confondu el mêlé que jecom-
comme un seul tout avec lui '/ wi (•/•.«.t. 1, p. 166
Nonobstant, cette Si éditalion comme la pre-
mière p.,i v in philosophie »'t tend
surtout sur la distinction 'tu corps el de l'âme. Des
ible avant toul préoccupi de ne pas lei
fond ri ■■ il les a tellement distingués qu'on ne
voit plu- comment le- unir et que la princi 1
beth l'interroge anxieusement, il répond a oelli
ible 'ire celle qu'on peul me
551
DESCARTES
552
demander avec le plus de raison, en suite des écrits
que j'ai publiés. Car y axant deux choses en l'âme hu-
maine desquelles dépend toute la connaissance que
nous pouvons avoir de sa nature, l'une desquelles est
qu'elle pense, l'autre, qu'étant unie au corps elle peut
agir et pâtir avec lui, je n'ai quasi rien dit de cette
dernière et nie suis seulement étudié à faire bien enten-
dre la première, à cause que mon principal dessein
était de prouver la distinction qui est entre l'àme et
le corps; à quoi celle-ci seulement a pu servir, et
l'autre y aurait été nuisible. » Il avoue donc que la
question a été à peine soulevée par lui, mais, ajoute-t-
il, « pour ce que Votre Altesse voit si clair qu'on ne
lui peut dissimuler aucune chose, je tâcherai ici
d'expliquer la façon dont je conçois l'union de l'àme
avec le corps, et comment elle a la force de le mou-
voir. »
Et dans une longue épître fort embarrassée il explique
« qu'il y a en nous certaines notions primitives qui sont
comme des originaux, sur les patrons desquels nous
formons toutes nos autres connaissances; et il n'y a que
fort peu de telles notions : car après les plus générales
de l'être, du nombre, de la durée, qui conviennent à
tout ce que nous pouvons concevoir, nous n'avons pour
le corps en particulier que la notion de l'extension, de
laquelle suivent celles de la figure et du mouvement; et
pour l'àme seule nous n'avons que celle de la pensée
en laquelle sont comprises les perceptions de l'entende-
ment, et les inclinations de la volonté; enfin pour l'àme
et le corps ensemble, nous n'avons que celle de leur
union, de laquelle dépend celle de la force qu'a l'àme
de mouvoir le corps et le corps d'agir sur l'âme, en
causant ses sentiments et ses passions. » En d'autres
termes, l'union de l'âme et du corps consiste en ce que
l'âme est unie au corps et conséquemmenl le meut, et en
ce que le corps est uni à l'âme et eonséquemment agit
sur elle et l'émeut. Quant à la manière dont s'exerce la
force de l'àme sur le corps, il pense que précisément
l'idée de la pesanteur « nous a été donnée pour conce-
voir la façon dont l'âme meut le corps. » Il ne faut pas
s'étonner qu'après cela Deseartes termine sa lettre par
ces mots : « Je serais trop présomptueux si j'avais pen-
sé' que ma réponse doive entièrement satisfaire Votre
Altesse. » Lettres, t. i, lettre xxix, édit. Cousin, t. i'x,
p. 125 sq. En effet, Son Altesse se déclare non satisfaite
et réclame des éclaircissements. Deseartes répond que
« c'est en usant seulement delà vie et des conversations
ordinaires, et en s'abstenant de méditer et d'étudier aux
choses qui exercent l'imagination, qu'on apprend à
concevoir l'union de l'âme et du corps. » Au fond, il
considère l'union de l'àme et du corps comme inconce-
vable, puisqu'il dit ensuite : « Il ne me semble pas que
l'esprit humain soit capable de concevoir bien distinc-
tement, et en même temps, la distinction d'entre l'âme
et le corps et leur union ; à cause qu'il faut pour cela les
concevoir comme une seule chose et ensemble les con-
cevoir comme deux, ce qui se contrarie. » Le procédé
qu'il conseille est donc de concevoir successivement
l'union et la distinction : « Puisque Votre Altesse re-
marque qu'il est plus facile d'attribuer de la matière et
de l'extension à l'àme, que de lui attribuer la capacité
de mouvoir un corps et d'en être mue, sans avoir de
matière, je la supplie de vouloir librement attribuer
celle matière et cette extension à l'àme, car cela n'est
autre que la concevoir unie au corps ; et après avoir
bien conçu cela, et l'avoir éprouvé en soi-même, il lui
sera aisé de considérer que la matière qu'elle aura at-
tribuée à cette pensée, n'est pas la pensée même, et que
l'extension de celte matière est d'autre nature que l'ex-
tensionde cette pensée (en d'autres termes, il faut suc-
i vi i unit considérer l'àme comme avant et o'ayanl pas
l'attribul de la matière; c'est toujours l'inconcevable);
et ainsi Voire Altesse ne laissera pas de revenir aisément
a la distinction de l'âme et du corps, nonobstant qu'elle
ait conçu leur union, i Lettres, t. i. lettre xxx. édit.
Cousin, t. ix, p. 127. Aprée cela, Descartes se dérobe et
s'excuse de devoir se rendre à Utrecht où il est cité par
le magistral a l'effet de s'expliquer sur " ce qu'il a écrit
d'un de leurs ministres : cela me contraint de linir ici
pour aller consulter les moyens de me tirer le plus tôt
que je pourrai de ces chicaneries. • En somme, il n'a
pas résolu le problème, parce que, par sa réduction de
l'âme à la pensée et du corps à l'étendue, il l'a rendu
impossible, comme il a rendu impossible, ainsi que nou-
le verrons, l'intelligence du dogme eucharistique.
Cf. M«' .Mercier, Les origines de la psychologie con-
temporaine, c. i, Louvain, Paris, Bruxelles, 1897,
p. 37 sq. Au reste, le « moi » humain semble, d'après
lui, résider dans l'àme seule : .le ne suis pas un com-
posé de corps et d'âme, mais je suis une pensée acciden-
tellement unie à un corps. . Je suis une chose qui pense...
mon essence consiste en cela seul que je suis une chose
qui pense ou une substance dont toute l'essence ou la
nature n'est que de penser. Et quoique peut-être, ou
plutôt certainement, comme je le dirai tantôt, j'aie un
corps auquel je suis très étroitement conjoint; néan-
moins, pour ce que d'un coté j'ai une claire et distincte
idée de moi-même, en tant que je suis seulement une
chose qui pense et non étendue, et que d'un autre, j'ai
une idée distincte du corps, en tant qu'il est seulement
une chose étendue et qui ne pense point, il est certain
que moi, c'est-à-dire mon cime, par laquelle je suis ce
que je suis, est entièrement et véritablement distincte
de mon corps et qu'elle peut être ou exister sans lui. »
Sixième méditation, Œuvres, t. i. p. 163. Le raisonne-
ment amène à la conclusion que mon corps peut exister
sans mon âme et qu'il n'y a entre eux qu'une union ac-
cidentelle. Cf. Landormy. Descartes, c. IV, Paris, s. d..
p. 101. « Quand Dieu même joindrait si étroitement un
corps à une âme qu'il fut impossible de les unir davan-
tage, et ferait un composé de ces deux substances ainsi
unies, nous concevons aussi qu'elles demeureraient
toutes deux réellement distinctes, nonobstant cette
union. » Les principes de la philosophie, I" partie,
Œuvres, t. n, p. 60.
Le corps humain n'est qu'une merveilleuse machine
dont tous les mouvements se produisent en vertu des
seules lois de la mécanique. L'àme ne l'occupe pas tout
entier : elle siège seulement dans la glande pinéale,
est en communication avec les autres parties du corps
par le moyen des esprits animaux et. grâce à eux. peut,
non pas produire, mais diriger les mouvements cor-
porels.
4° Il est facile de constater combien tout cela est
opposé à l'anthropologie catholi [ue, et en particulier à
l'union substantielle de l'àme et du corps qui fait du
corps, non pas un automate dont les mouvements restent
propres et sont seulement < dirigés i par l'âme, mais
une substance animée et donc pénétrée, informée par
l'àme; celle-ci, en retour, est tellement unie au corps
qu'elle constitue avec lui un seul principe organique
duquel procèdent les perceptions sensibles, les appétits
animaux, les passions, les opérations vitales. Elle ne
meut pas le corps par des intermédiaires, esprits plus
ou moins animaux dont la nature devient inexplicable
s'ils ne sont ni esprits ni animaux mais quelque chose
d'intermédiaire ni chair ni poisson, et dont le rôle est
inutile s'ils sont ou esprits ou animaux, puisqu'on ne
conçoit plus comment lame ne pourrait pas aussi di-
rectement qu'eux mouvoir le corps. L'àme meut le
corps directement et immédiatement, puisqu'elle est
unie à lui dans l'unité de nature et de substance. L'àme
suliit directement aussi et pour la même raison le- in-
fluences <\u corps: il y a action propre du corps sur
l'àme et de l'âme sur le corps et non ce simple oi
sionnalisme qui découle logiquement du système de
553
DESCARTES
554
Descartes où Dieu semble émouvoir l'âme à l'occasion
des mouvements du corps. Cf. M'" Mercier, op. cit.,
c. il, p. 49. L'âme donc réside dans tout le corps et non
dans une petite partie : du reste, son union avec la
glande pinéale est aussi diflicile à expliquer que son
union avec le corps entier. Enfin, le système cartésien
par toutes ses parties parait en opposition directe avec
celte définition du concile de Vienne, 1311-4312 :
Porro doctrinam omnem seit posilioncm teniere asse-
renlem aut vertentem in dubium, quod substantiel
animes rationalis seu inteUectivee vere ac perse hu-
mant corporis non sit forma, relut erroneam ac veri-
tati catholicae inimicam fidei, pratdicto sacro appro-
bante concilio reprobamus : diffinientes, ut cunctis
nota sit fidei sincerse rcrilas ac prœcludatur univer-
sis erroribus aditus, ne subinlrenl quod quisquis
deinceps asserere, defendere, seu tenere pertinaciter
prxsumpserit, quod anima rationalis seu intelleclira
h, -a sit forma corporis humani per se et esscntialiler
tanquam hsereticus sit censendus. Pie IX, le
30 avril I8G0, écrivant à l'évêque de Breslau, renouvelait
celle doctrine et l'opposait aux erreurs de Gùnther par
lesquelles il déclarait : Isedi catholicam sententiam ac
inam de homme qui corpore et anima, ilaabsol-
• ntue ni anima caque rationalis sit vera, per se,
ai, lue immediata corporis forma. Si l'on songe que
ces décisions s'inspirent du langage de l'École au eom-
mencement du xiv siècle, il sera difficile d'admettre
que la théorie cartésienne de l'union accidentelle de
l'âme et du corp- puisse se concilier avec la doctrine
calholique de l'union substantielle et celle de l'âme
forme immédiate el donc substantielle du corps. Voir
Ami:, t. I, col. 1041.
//. flSf.vORJ \i. in: or l'ami:. — 1° Descartes ne traile
de l'immortalité de l'âme que rarement el il en donne
la raison dan- V Abrégé des six méditations : ■• Parce
qu'il peut arriver que quelques-uns attendront de moi
lieu-là des raisons pour prouver l'immortalité de
l'âme, j'estimi r ici avertir qu'ayant tâché de
ne rien écrire dans fout ce traité donl je [n'eussi
dé nstrations très exactes, ji me suis vu obligé de
suivre un ordre semblable à celui dont se servenl les
• vancer premièrement toute le
i desquelles dépend la proposition que l'on
he, avant il'' n'en rien conclure, Q uvt\ ■■, t. i.
p, '.«i. i i st-à-dire qu'il n'a pas de démonstration 1res
• de l'immortalité de l'âme <•! que la démonstra-
tion quelconque qu'il oir exigé de longues
pendant comment il
esqn monstration : a Or la première et prin-
[ui esl requise pour bien connaître l'im-
mortalité de l'âme esl d'en former une conception claire
;!,-, 1 1 entièremenl distincte de toutes 1rs concep-
principe
il va pouvoir tirer une conclusion de ce que nous ne
aucun corps que comme divisible, au lieu
que l'espril ou l'âme de l'bo e ne se peut concevoir
que comme indivisible; car. eu effet, non- no saurions
la moitié d'aucuin mme nous pou-
faire du plu- petil de ton- lis corp rte que
Ion reconnaît que loin- natures ne sont pas seule-
■i éme en quelque façon contraires...
lairemenl que de la
iption du corps la mort de l'âme ne ensuit pasel
i donner aux bon d une
1 1 prou\ o donc l'immorta-
i itualité de I ime par sa stmpi
I ; i liant ion uptible,
Il ajoute une nouvelle pi
1 ■' II' l.lll IIH'Ill
i qui
ni de
leui natun ini rrupl
cesser d'être, si Dieu même en leur déniant son con-
cours, ne les réduit au néant. » La notion de substance
lui fournit une dernière preuve : « Le corps pris en gé-
néral est une substance, c'est pourquoi aussi il ne périt
point; mais le corps humain, en tant qu'il diffère des
autres corps, n'est composé que d'une certaine configu-
ration de membres et d'autres semblables accidents là
où l'âme humaine n'est point ainsi composée d'aucuns
accidents, mais est une pure substance. Car encore
que tous ces accidents se changent, par exemple encore
qu'elle conçoive de certaines choses, qu'elle en veuille
d'autres, et qu'elle en sente d'autres, etc., l'âme pour-
tant ne devient point autre, au lieu que le corps hu-
main devient une autre chose, de cela seul que la figure
de quelques-unes de ses parties se trouve changée :
d'où il s'ensuit que le corps bumain peut bien facile-
ment périr, mais que l'esprit ou l'âme de l'homme" est
immortelle de sa nature. » Abrégé des six médita-
tions, Œuvres, t. i, p. 91. Cf. Réponse aux sixièmes
objections, Œuvres, t. i, p. 343.
2° En somme, l'âme est immortelle, parce qu'elle est
simple, parce qu'elle diffère du corps humain, lequel
est corruptible: parce qu'elle a été créée par Dieu el
ne peut disparaître que par sa volonté, parce qu'elle
est une substance. Le dogme chrétien n'a rien à re-
prendre à celte théorie, puisque Descartes professe
l'immortalité de l'âme et que le dogme n'a pas déterminé
par quelles preuves la raison humaine pouvait ou de-
vail assurer cette vérité'. Mais la tradition théologique
et philosophique dans l'Église a toujours procédé par
d'autres voies.
En premier lieu, la philosophie démontre la spiri-
tualité de l'âme et son immortalité par l'étude de ses
ululations; c'est la transcendance de celles-ci par
rapport à la matière qui prouve la transcendance des
facultés et de la substance de l'âme. La simplicité on
découle. En sorte que l'on va ainsi de la spiritualité à
la simplicité'. Voir Ame, l. i. col. I028sq.; Mb' .Mercier,
Les origines de la psychologie contemporaine, c. i,
p. 16. En outre, on ne peut guère admettre la preuve
de la simplicité de l'âme tirée de l'analyse de la sen-
sation. Ma» Mercier, La psychologie, n. -2l20, .V édit.,
Louvain, Taris, l!ru\ollrs. p. 'iTli. IVsearles au con-
traire professe la simplicité de la sensation qui esl,
i lui. une opération exclusive de l'âme, el de la
simplicité de l'âme déduit la spiritualité et l'immorta-
lité.
En second lieu, on ne voit guère comment on peul
dire que l'âme osl immortelle, parce qu'elle osl autre
que le corps humain, d'autant que plus loin, Descartes
enseigne qui' le corps de l'homme a une structurée
pari ; on peul donc être autre que h' corps humain et
pas pour cela Incorporel et spirituel, on le voit
du reste à la dernière preuve on Descartes affirme que
le corp- en général, étant substance, ne péril pa
nous constatons que l'immortalité conférée par De
à l'âme ne serait pas différente de celle des corps i n
ralj celle-là el ceux-ci son' des substances, i
substances reposant sur le concours de lieu, no pé-
ril p.is plus que celui-ci. Premiers princi
D' partie. Œuvres, t. n. p. ">i. Cen esl l'ait de l'im-
mortalité (!<• l'âme, si elle ne repo ur les exi-
de la notion de substance.
mu conl cette crainte, a fait par
que la gubstance n étant incorrup-
tible qu'à cause du concours divin, Dieu esl toujours
libre do retin i que vous
ajoutez quo de la distinction do l'a i - ppj il
i immortelle, parce que Don-
i on pi ul dire quo Dion l'a fail il'une telle
iiatui i celle do i.i \ ii' du ci
i. i \ répoti n ai
tanl d' pi ■ omption quo d'i nlrepi i ndr< de ':
.,.,.,
DESCARTES
556
miner par la force du raisonnement humain une chose
qui ne dépend que de la pure volonté de Dieu. » ld:-
ponse aux sixièmes objections, Œuvres, i. i. p. 343.
11 y a ici mie confusion. Évidemment Dieu peut tou-
jours retirer son concours, non seulement à l'àme,
mais à tout être à chaque instant de sa vie. La ques-
tion est autre. 11 s'agit de savoir si, le concours de Dieu
(Mant supposé acquis, l'àme a telle nature qu'elle puisse
vivre et agir en dehors du corps et une fois sépari
lui. Si oui, elle est immortelle, n'ayant en elle aucun
principe de dissolution, mais au contraire, un principe
permanent de vie. Prétendre que l'àme ne saurait être
dite immortelle, parce que Dieu peut lui retirer son
concours, équivaut à refuser le nom de « viable » à un
être vivant bien constitué, parce que Dieu peutl'anéan-
tir à chaque instant.
Enfin, la preuve de l'immortalité par la création de
l'àme ne porte pas : de ce que Dieu ait créé une chose,
il ne s'ensuit pas qu'elle soit incorruptible. Il pourrait
créer un corps humain, lequel serait nonobstant mortel.
La preuve ne vaudrait que si l'on disait : l'âme ne peut
être le produit de forces créées, elle doit être néces-
sairement créée par Dieu, donc elle est immortelle.
Descartes a donc eu raison d'admettre l'immortalité
de l'àme; mais il faut regretter la faiblesse des raisons
sur lesquelles il appuie cette vérité.
VI. La doctrine eucharistique. — 1" Nous touchons
ici au point de l'enseignement dogmatique le plus me-
nacé par la philosophie cartésienne. Il est évident à
première vue que si l'essence du corps réside dans
son étendue, si, d'une façon plus générale, la substance
est inséparable de ses accidents, la formule tradition-
nelle du mystère eucharistique devient difficilement
acceptable. L'étendue du pain reste après la consécra-
tion certainement. Comment confesser avec cela que le
pain a été transsubstantié, c'est-à-dire converti en la
substance du corps de Notre-Seigneur ? Comment ad-
mettre l'absence d'un pain dont l'étendue est conservée,
et la présence d'un corps humain dont l'étendue est
absente? Problème extrêmement difficile à résoudre el
en face duquel Descartes a surtout gardé l'attitude pru-
dente du silence. Il n'a publié à ce sujet qu'une réponse au
P. Mersenne relative à des objections faites par Arnauld,
et quelques pages de méditations métaphysiques pro-
voquées par des difficultés soulevées par quelques phi-
losophes et théologiens. Ajoutez à cela deux lettres
secrètes au P. Mesland (on en trouvera le texte dans
Fr. Bouillier, Histoire de lap/til. cartes., c. xxi, t. i,
p. 438 sq.). Sur le même sujet, M. l'abbé Lemaire a
découvert à Chartres et publié une courte lettre de
Descartes à Clerselier et un extrait d'une autre lettre,
écrite à une personne dont Clerselier déclare ignorer le
nom. Paul Lemaire, Boni Robert Desgabets, Ire partie,
c. IV, Paris, 1902, p. 100 sq. Dans ces documents on
voit que Descartes craignait de se prononcer, « parce
que n'étant point théologien de profession, j'avais
peur que les choses que j'en pourrais écrire, fussenl
bien moins reçues de moique d'un autre. « Aussi, dit-il
au P. Mesland : « Je me hasarderai ici de vous dire en
confidence une façon qui me semble assez commode
et très utile pour éviter la calomnie des hérétiques qui
nous objectent que nous croyons en cela une chose qui
est entièrement incompréhensible et qui implique con-
tradiction; mais c'est, s'il vous plait, à condition que,
si vous la communiquez à d'autres, ce sera sans m'en
attribuer l'invention, et même que vous ne la commu-
niquerez à personne, si vous jugez qu'elle ne soit pas
entièrement conforme à ce qui a été déterminé par
l'Église. » Fr. Bouillier, p. 440, Et dans l'extrait de lettre
à un inconnu, sur la difficulté : « Comment le corps de
Jésus-Christ peut être sous les mêmes dimensions où
était le pain, n il s'exprime ainsi : « Je n'ai plus besoin
de chercher aucune explication, et bien que j'en puisse
p quelqu une, je m- la Uvulguer,
qu'en cea matières là les plu-, communes opinions
sont les meilleures. Lemaire, Dont Robert Desgabets,
p. 102.
i Ses solutions s,j|,t très obscures et non moins em-
barrassées. Dans la première lettre au P. Mesland, la
plus importante, il considère d'abord trois superficies:
celle du pain qui demie a moins
que le pain ne change; celle qui touche le pain, la-
quelle aussi demeure eadem numéro à moins que l'air
ne change; el i la superficie moyenne entre l'air et fi-
pain (lui ne change ni avec l'un ni avec l'autre, mais
seulement avec la figure des dimensions qui sépare
l'un de l'autre. >> C'est ohscur : c'est sans doute ce
principe qui inspire la lettre non moins obscure à Cler-
selier. « Pour la difficulté que vous proposez touchant
le saint-sacrement, je n'ai autre chose à y répondre que
si Dieu met une substance purement corporelle en la
place d'une autre aussi corporelle, connue une pièce
d'or à la place d'un morceau de pain, ou un morceau
de pain à la place d'un autre, il change seulement
l'unité numérique de leur matière, en faisant que la
même matière numéro, qui était or, reçoive les acci-
dents du pain, ou bien que la même matière nuu
qui était le pain A, reçoive les accidents du pain 11.
c'est-à-dire qu'elle soit mise sous les mêmes dimen-
sions, et que la matière du pain B y soit ôtée; mais
il y a quelque chose de plus au saint-sacrement, car,
outre la matière du corps de Jésus-Christ, qui est mise
sous les dimensions où était le pain, l'àme de Jésus-
Christ, qui informe cette matière, y est aus-i
Descartes considère en outre dans la première lettre
au P. Mesland, que, grâce à la circulation du sang et à
la nutrition, il n'y a « aucune particule de notre corps
qui demeure le même numéro un seul moment; encore
que notre corps, en tant que corps humain, soit toujours
le même numéro pendant qu'il est uni avec la même
âme; et même en ce sens il est indivisible, car si l'on
coupe un bras ou une jambe à un homme, nous ne
pensons pas que celui qui a un bras ou une jambe
coupée, soit moins homme qu'un autre. »
Il considère encore que « lorsque nous mangeons du
pain et buvons du vin, les petites parties de ce pain
et ce vin se dissolvant dans notre estomac, coulent in-
continent de là dans nos veines, et par cela seul qu'elles
s'y mêlent avec le sang, elles se transsubstantient na-
turellement et deviennent parties de notre corps, bien
que si nous avions la vue assez subtile pour les distin-
guer d'avec les autres parties du sang, nous verrions
qu'elles sont encore les mêmes numéro qui compo-
saient auparavant le pain et le vin ; en sorte que si
nous n'avions point de garde à l'union qu'elles ont
avec l'àme, nous le pourrions nommer pain et vin
comme devant. Or, cette transsubstantiation se fait san>
miracle, r On sent ici une préoccupation, qui grandira
dans l'école cartésienne, c'est de réduire au minimum
la part du miracle dans la transsubstantiation eucharis-
tique.
Toutes ces considérations étant présupposées,' Des-
cartes aborde son interprétation du mystère. A l'exem-
ple de la transsubstantiation précédent i vois
point de difficulté à penser que tout le miracle de la
transsubstantiation, qui se fait au saint-sacrement, con-
siste en ce qu'au lieu que les particules du pain et du
vin auraient dû se mêler avec le sang de Jésus-Christ,
et s'y disposer en certaines façons particulières, afin
que son âme les informât naturellement, elle les
informe sans cela par la force des paroles de la Ce
cralion; et au lieu que cette âme de Jésus-Christ ne
pourrait demeurer naturellement jointe avec chacune
de ces particules de pain et de vin, si ce n'est qu'elles
fussent assemblées avec plusieurs autres qui composas-
sent tous les organes du pain et du vin nécessaires à
557
DESCARTES
558
la vie, elle demeure jointe surnaturellement à chacune
d'elles, encore qu'on les sépare. De cette façon il est
aisé à entendre comment le corps de Jésus-Christ a'esl
qu'une fois en toute l'hostie quand elle n'est point di-
visée; et néanmoins qu'il est tout entier en chacune de
ses parties quand elle l'est; parce que toute la matière
tant grande ou petite qu'elle soit, qui est ensemble
informée île la même âme humaine, est prise pour
un corps humain tout entier. » Il faut avouer que
quoiqu'il dise que c'est « aisé à comprendre >). toute
celte théologie eucharistique de hescartes est fort ma-
laisée à entendre.
3° Le meilleur moyen de l'entendre, c'est d'en deman-
der l'interprétation à l'un de ses plus fidèles disciples,
dom Robert Desgabets, dont le langage théologique
est plus précis et fort intéressant sur le point qui nous
occupe. Selon lui, les difficultés de la philosophie car-
tésienne en face de la croyance eucharistique se
ramènent à deux principales, dont l'une regarde l'exis-
tence d'un corps en plusieurs lieux, et l'autre l'exis-
tence d'un grand corps en un pelil espace. Voici l'expli-
cation de Desgabets : « Sans nul doute, dit-il, l'étal
ordinaire d'un corps humain exige la continuité locale
de sa matière pour exercer les fonctions communes de
la vie. qui dépend du rapport que les organes ont les
uns aux autres, ce qui fait qu'un chacun n'est qu'une
partie, et non pas un corps entier, mais nous appre-
nons de lioèce que les substances immatérielles ne
sont pas proprement dans le lieu, c'est-à-dire qu'elles
n'y sont que par leur action ou passion... de sorte...
qu'une .'une pourrait être unie à des portions de ma-
tière forl éloignées l'une de l'autre, s'il n'y avait aucune
fonction à faire qui requit de la continuité end
portions de la matière fort éloignées l'une de l'autre;
c'est pourquoi la forme donnant l'être â la cl
I One peut avoir son corps par miracle en plusieurs
lieux séparés, et, en cet état, elle n'aurait qu un seul
-. >i ces parties de matière n'avaient aucun rap-
port entre elles de tout et de parties, t Desgabets
examine ensuite comment il peul se faire qu'un grand
corps pniss,. tenir en un petit espace : « S'il est vrai
que Notre-Seigneur a toujours été le même homme,
même corps pendant sa vie, ne faut-il pas
•maille qu'on pi ul dire de ce même corps indivi-
sible qu'il est formé du plus pur sang de la sainte
u il ne respire pas et qu'il respire.... qu'il est
ind, qu'il n'esi jamais dans le même
! qu'il demeure le même, si tout cela se dil pro-
ni d'un même corps d'homme numéro à raison
qui lui convient en divers temps... quelle mer-
veille que ce même corps, se trouvant tout entii
indivisiblemenl i n divers lieux, ail des organes et du
ii '-n ail pas, -oii grand et petit, \ isibl
invisible, se divise et ne se divise pas. etc. « Mais tout
cela i jster la substance du pain et lui unit
de .lésus-Clirist. Comment des lors échapper à
l'impanation de- luthériens et aux condamnations du
conri \ oici la réponse du carti sianisme
la plu de De Ceux qui sont accoutu-
iux principes de M, De ni qu'il pour-
' qu'un corps d'homme parfaitement i
fonctions animales, n'aurait
I àme raisonnai. le. n lit animal
à-dire bête i oi les autres. Or,
lorsque l'éme Mendia ■., être unie A
■ un homme tout Fait, 1 1 la bête absolument
chanj -i pins une bête ou un
imal, qu» plus ni lion, ni cheval, si
unie |iar animaux.
Voila don» toute la difficulté uchanl le pain
icré qui di di meure pat . qu'on
ne du pain, -i on d< lourni
attention de l'âme qui l'informe, et qui n'est plus pain,
si on le considère comme informé d'une àme qui le
change au corps d'un homme. » Lemaire, op. cit.,
p. 112-113, note.
4° Il est certain que ces théories se répandirent vite
et finirent par constituer une théologie nouvelle en-
tièrement opposée à la théologie scolastique. Le P. Ber-
tet, jésuite, écrivait à Clerselier que la « jeunesse » de
sa Compagnie commençait, grâce à lui. à s'attacher à la
philosophie cartésienne. Lemaire, op. cit., p. 106. Il se
vantait, car c'est l'honneur de la Société' de Jésus
d'avoir fourni surtout des défenseurs de la philosophie
traditionnelle contre les nouveautés cartésiennes. Néan-
moins hon nombre d'esprits allaient à la suite de
Descartes et nous recueillons ce détail suggestif dans
un Mémoire de dom Mège contre un écrit du P. Gai
(Le Gallois), au sujet de l'eucharistie : ci Je ne vous
dirai point, écrit dom Mèi;c aux Pères du chapitre gé-
néral, le 25 mai 1672. que lorsqu'il (dom Le Gallois)
enseignait cette détestable doctrine i cartésienne) dans
l'abbaye de Saint-Vandrille, quelques-uns de nos Pères
qui en entendaient tous les jours parler aux maîtres et
aux écoliers en élaient affligés, et un d'eux, qui est su-
périeur et excellent religieux, m'a dit que cela lui était
la dévotion envers ce saint mystère. Et ce qui vous
inspirera des sentiments d'horreur el une juste indi-
gnation, j'ai su par un de nos Pères que le jour du
he- saint-sacrement, lorsqu'on chantait à matines
les leçons du second nocturne, dans lesquelles saint
Thomas explique ce divin mystère, ces leçons furent
sifllées par quelques écoliers. >> Lemaire, Dom Robert
Desgabets, p. 389.
5° On lira dans les deux ouvrages de Francisque
liouillier et de Paul Lemaire le récit des controverses
auxquelles donna lieu l'essai d'explication cartésienne
du mystère de l'eucharistie. Quoi qu'il en soit de ces
controverses, il parait certain que la philosophie de
Descartes est en opposition directe avec l'intelligence
catholique du dogme de l'eucharistie. Le concile de
l'renie, sess.XIII, c. vi, Denzinger, n. 877, définit comme
la foi perpétuelle de l'Église que par la consécration
du pain et du vin est opérée la conversion de toute la
substance du pain en la substance du corps du Christ,
et île toute la substance du vin en la substance du
igneur, conversion convenablement ei proprement
appelée transsubstantiation par l'Église catholique. Per-
suasum semper in Ecclesia Uei fuit idque nunc denuo
sancta hmc synodus déclarât, per consecratùmem panis
ci nui conversionem fieri totius substantiel panis in
substantiam corporis Chrisli Domini nostri, cl totius
substantiel ion m substantiam sanguinis cjus, (/»«
conversio convenienter a proprie n sancta catholica
lia transsubslantiatio est appellata. Si, comme
l'affirme Descartes, les particules qui constituaient
auparavant le pain et le vin restent les mêmes apn
■ ration, on comprend difficilement qu'il > ait
conversi i transsubstantiation. Elles gardent leur
nature, mais, nous dit-on, elles sont Informées par
l'âme du Christ. Il faut comprendre que cette infor-
mation par l'âme i\<\ Christ n une, puisque
c'est un simple rapport qui fait que les particules,
appel,',- pain auparavant, sont niai ntenanl appelées
.lu Christ, que celle âme ne les vivifie pas,
qu'elles n'ont rien de l'organisation du corps, qu'elles
uverlies au propre corp- de NotPe-
ui né de la bienheuri i nme
le chaule la lilin 11 1 • . . DUS iinlllll] ,lc
I -prit et
Marie n que peut
dire Descartes, c'est que les particules constitutives du
t du vin. tout en gardant leur liai'. ..me
h' dil dom Mège, leur mêmelé numériq ien«
n. ni p o i opi i ation myali u un
i59
DES CARTES
560
corps appartenant à l'âme el par elle à Notre-Seigneur,
mais sa théorie lui interdit d'affirmer qu'elle devienne
le propre corps de Notre-Seigneur, celui qui a souffert
pour nous. <>n ne voit donc pas comment le cartésia-
nisme échappe autrement que par des formules vides
à l'anathème prononcé par le concile de Trente : Si
guis dixerit in sacrosancto eucharislise sacramento
remanere substantiam panis el vini una cum corpore
el sanguine Doniini Nosiri Jesu Christi, anathema
sil. Denzinger, n. 88'k — Descartes et ses disciples
diront vainement que les particules du pain tout en
restant les mêmes cessent d'être du pain, parce qu'elles
sont informées par l'âme du Christ : celte allégation
est contredite par la doctrine cartésienne qui fait con-
sister l'essence du corps dans l'étendue, ici on a
l'étendue du pain, ses dimensions propres, on en a
donc formellement aussi la nature; celte allégation est
en outre contredite par la doctrine catholique qui fait
de l'information substantielle autre chose qu'une sorte
d'harmonie préétablie ou d'occasionnalisme qui rap-
porte une parcelle corporelle quelconque à une âme
humaine et du coup affirme que cette parcelle corpo-
relle, tout en gardant sa nature de pain ou de vin.
devient un corps d'homme. Ce que nous avons entendu
que toute matière quelle qu'elle soit, qu'elle soit un
corps d'animal, ou de plante, ou de minéral, peut
garder sa constitution propre et ses qualités antérieures
et devenir simultanément un corps d'homme pourvu
qu'elle soit « informée » (à la façon cartésienne) par une
àme humaine, ne peut se concilier avec la doctrine
dogmatique rappelée par Pie IX, dans son href du
30 avril 1860 à l'évêque de Breslau sur les erreurs de
Baltzer : Considérantes liane sententiam quse. unum
in homine ponit vilse principium animant scilicet
rationalem a qua corpus quoque etmotumet vitam
OMNBM et SENSUM ACCIPIAT, in Dei Ecclesia commu-
nissimam, atque docloribus plerisque el probatissi-
mis quidem maxime, CUM EcCLESIjE DOGMATE ha
VIDER1 CONJTJNCTAM, ut hujus sil légitima solaqvevera
interpretatio, nec proinde sine errore in vide possit
negari.
C'est donc une doctrine catholique, presque de foi,
que l'âme est ie principe de la vie corporelle et que le
corps reçoit d'elle le mouvement, toute sa vie et ses
sens. Or, si nous en croyons Descartes, « si nous pou-
vions séparer d'un corps humain l'âme qui s'y trouve
unie, nous verrions ce corps continuer à vivre comme
par le passé, ou du moins accomplir très régulièrement
toutes les fonctions qui, en lui, ne dépendent que de
lui-même et suffisent à le conserver sain et prospère.
Ce n'est pas parce que l'âme quitte le corps que le
corps périt, mais c'est parce que le corps périt que
l'âme l'abandonne. » Landormy, Descaries, c. vi, Paris,
s. d., p. 121, 122.
Ces quelques réflexions montrent toute l'opposition
de la philosophie cartésienne au dogme eucharistique,
indépendamment des remarques qu'il serait possible
d'ajouter, au point de vue purement philosophique,
sur la subtilité et l'inanité de la distinction rapportée
plus haut des « trois superlicies », celle de l'air, celle
du pain et la moyenne. — Une dernière observation
suffira pour indiquer l'impossibilité de confesser la
transsubstantiation et la présence réelle, si l'on ne
professe pas la distinction entre la substance et les
accidents absolus et la possibilité par un miracle de
maintenir ceux-ci dans l'être en l'absence de celle-là.
Celle distinction et celle possibilité ne peuvent s'accor-
der avec la physique ou la métaphysique cartésienne el
montrent ainsi une nouvelle opposition de cette doc-
trine avec la foi.
6° A toutes ces critiques ajoutons les suivantes que
clcun Mège relevait contre dom Le Gallois et qui por-
l en t contre tout vrai tenant de la philosophie carté-
sienne : ■ ■ l. Après la consécration, la même matière
numéro qui était dans le pain el dans le vin dem
dans le saint-sacremeni : non définit, at. Et
elle devient le corps et le sang de Jésus-Christ 'nous
avons observé qu'elle ne devient pas le corps, mai!
corps de Jésus-Christ, ce qui aggrave encore l'en
pai une nouvelle union de l'âme, de la divinité et de
la personne du Fils de Dieu à cette matière, de la
même façon que la matière des aliments que nous
mangeons devient notre corps par l'union et l'informa-
tion de notre âme. — 2. Le corps de Jésus-Christ est
dans le saint-sacrement véritablement et très propre-
ment divisible et il se divise en effet réellement et sub-
stantiellement... — 3. Que le corps de Jésus-Christ
est plus grand- dans une plus grande partie de l'hostie
et plus petit dans une plus petite. C'est une suite in-
contestable de sa doctrine. — 4. Que le corps de Jésus-
Christ reçu dans l'estomac des fidèles y e>t digél
corrompu, et lorsque la matière qui le composait dans
le Sacrement cesse d'avoir les accidents ou dispositions
de pain et de vin, elle passe elle-même en la propre
substance de leurs corps, en sorte que la même matière
qui était le corps de Jésus-Christ devient le corps de
ceux qui l'ont reçu. » Lernaire, p. 390. Tous ces points
sont manifestement opposés à l'intelligence catholique
de la foi.
7° On conçoit dès lors que Bossuet, bien que s\m-
pathique à Descartes, écrivant à M. Postel, pour lui
demander copie de la première lettre écrite, ait trouvé
« de grands inconvénients à la publier. » Œuvres,
Paris, 1881, t. ix, p. 133. On conçoit surtout le juge-
ment suivant porté par lui dans une lettre du 21 mai
1687 à un disciple du P. Malebranche : « Pour ne
vous rien dissimuler, je vois non seulement en ce
point de la nature et de la grâce, mais encore en beau-
coup d'autres articles très importants de la religion.
un grand combat se préparer contre l'Église sous le
nom de la philosophie cartésienne. Je vois naître de
son sein et de ses principes, à mon avis mal entendus,
plus d'une hérésie; et je prévois que les conséquences
qu'on en tire contre les dogmes que nos pères ont
tenus, la vont rendre odieuse, et feront perdre à
l'Église tout le fruit qu'elle en pouvait espérer, pour
établir dans l'esprit des philosophes la divinité, el
l'immortalité de l'âme. » Bossuet est, nous l'avons vu,
Irop confiant surtout sur la valeur dos preuves carté-
siennes de l'existence de Dieu. Du reste, il suffit de
lire la suite de sa lettre pour y trouver une excellente
critique du premier principe de la philosophie de
Descartes : « De ces mêmes principes mal entendus,
un autre inconvénient terrible gagne sensiblement les
esprits : car sous prétexte qu'il ne faut admettre que
ce qu'on entend clairement, ce qui, réduit à certaines
bornes, est véritable, chacun se donne la liberté de
dire : J'entends ceci, et je n'entends pas cela: et sur-
ce seul fondement, on approuve et on rejette tout ce
qu'on veuf, sans souper' qu'outre nos idées claires et
distinctes, il y en a de confus* li ne
laissent pas d'enfermer des vérités si essentielles, qu'on
renverserait tout en les niant. » Ihid., p. 59.
VII. La morale ru: Descartes. — On ne peut dire
que peu de choses bien assurées Mrr la morale de Des-
cartes pour' la raison que sa pensée parcourt deux
étapes sur ce point, l'une où elle n'établit que du pro-
visoire, l'autre où elle semble ne pas vouloir se pré-
ciser.
1° Descartes ayant établi son àme dans le doute,
mais pressé cependant par la nécessité d'agir que
chaque instant fait naitre, rédigea primitivement le
code d'une morale provisoire. Discours sur la
'. 111 partie. Ce code contient une règle pour l'in-
jence, une pour la volonté, une pour la sensibilité.
L'intelligence, ne pouvant avoir la certitude, irait au
561
DESCARTES
562
plus sur et sa règle serait « d'obéir aux lois et aux
coutumes de mon pa\s, retenant constamment la reli-
gion en laquelle Dieu m'a fait la grâce d'être instruit
dès mon enfance o et mettant « entre les excès toutes
les promesses par lesquelles on retranche quelque
chose de sa liberté. » En effet, le provisoire pouvant
toujours être abandonné, ce serait imprudent de s'y
fixer par des promesses ou des vœux. — La règle de la
volonté, dont le rôle est de suppléer par ses décisions
aux incertitudes de la raison. « était d'être le plus ferme
et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de
ne suivre pas moins constamment les opinions les plus
douteuses lorsque je m'y serais une fois déterminé que
si elles eussent été très assurées. » Cette règle eut pour
résultat de le < délivrer de tous les repentirs et les
remords qui ont coutume d'agiter les consciences » des
esprits faibles et chancelants. — La règle de la sensi-
bilité ou de l'action était celle du sacrifice. « La nature
même de l'action restreint notre bonheur : agir, c'est
toujours choisir entre une infinité de partis possibles,
en réaliser un et renoncer aux autres : l'action est
essentiellement un sacrifice. » Landormy, op. cit., eu,
p. MO. Sa réple est donc « de tâcher toujours plutôt à
me vaincre que la fortune et à changer mes désirs que
l'ordre du monde. > — Il y a dans cette morale, d'utiles
préceptes, mais son défaut fondamental est de reposer
sur le doute universel, de regarder tous les comman-
dements de la morale naturelle comme provisoirement
inexistants et universellement douteux. Or. si les con-
clusions plus ou moins éloignées de la loi naturelle
peuvent être ignorées dé certaines consciences, il y a
lions primordiales qui sont manifestes pour
toute âme et desquelles il n'esl jamais permis de douter,
même provisoirement.
2° A cette morale provisoire. Descartes devait en sub-
stituer une définitive, celle-ci semble être l'objectif
constant de ses recherches et le fin i t attendu de sa
méthode, n Quelle est, selon les Régula, la manière
sérieuse de chercher la vérité? C'est de souper unique-
ment à accroître la lumière naturelle de la raison, non
pour résoudre telle ou telle difficulté d'école, mais
pour rendre l'entendement capable, en chacune des
rencontre- de la \i'-. de prescrire à la volonté ce
qu'elle doit choisir. Si Di scarti a un très vif désir
d'apprendre à distinguer le vrai d'avec le faux, c'est,
nous dit-il dans le D le la méthode, I" partie.
qu'il Bail que c esl le moyi n de voir clair en se- actions
el di m. irel issurance en cette vie. El dans la
préface di I pes, il définit la philosophie, l'étude
de la laquelle consiste, dit-il, en une parfaite
connaissance de toute- les choses que l'homme peul
r, tant pour la conduite de sa vie, que pour la
rvation de sa sanlé el l'invi ntion de ton- les arts,
Boutrou Du rapport de la morale à dans
I" pi irtes, dan- la Revue de meta-
que et de moi aie, juillet 1896.
De fait, selon l'homme du monde qui semble l'avoir
connu le plu- intimement, Clerselier, la morale faisait
onsidérations les plus ordinaires. Bailli t,
Pai I' '»l. I. I. p. I l.">. Mai- il
jet et s'il en a donné' une
i m- le Di /./ méthode, ce fut mal-
lal ■ t par prudi ace, i r.,,, ,■ det péd
|ui
'lion
M. Ch. Adam. dan
r, Cf. le. Il
trou butin la morale qu'l
jaillir du sein de u philosophie, m
fruii m I.
rôle
liberti di ntlitutlon de l'objet de la
morale et des lois de la conscience; elle attribue à la
raison une place excessive; elle mène au déterminisme.
Le premier grief résulte de ce que nous avons dit plus
haut de la dépendance des essences, du vrai et du bien
par rapport à la liberté' de Dieu. C'esl parce que Dieu
l'a voulu librement que deux et deux font quatre et que
l'adultère est coupable; s'il en eût décidé autrement,
deux et deux feraient cinq, et l'adultère ferait les saints.
Nous avons dit la gravité de cette erreur qui, en morale,
peul conduire aux pires excès, puisqu'on pourra pré-
tendre (pie la révélation par laquelle Dieu nous a fait
connaître ses libres décisions n'est ni claire et évidente,
ni définitive.
L'autre grief n'est pas moins grave. La morale de
Descartes peut, dans sa partie spirituelle, se ramènera
la culture de l'esprit. L'âme étant identifiée avec la
pensée et la morale étant la recherche de la perfection,
celle-ci consistera dans la pensée parfaite. En toutes
choses, écrit-il au début de ses Règles, c'est la bonté
de l'esprit « qu'il nous faut chercher; le reste ne mérite
d'être estimé que dans la mesure où il y contribue. »
Et dans le Discours sur la méthode, nous lisons : « 11
suffit de bien juger pour bien faire. » C'est la réduction
de l'homme à l'esprit, de la vertu à la droiture du juge-
ment, de la vertu morale à la vigueur de la pensée :
connaître, c'est pouvoir; bien conduire son esprit, c'est
bien agir. C'est sans témérité qu'on a pu rattacher à
ces aperçus la doctrine moderne dont quelques-uns
seulement commencent à revenir : la science rend
l'homme meilleur; l'instruction suffit à tous ses besoins :
lesavoir a une vertu éducative. Lucien Roure, Doctrines
ci problèmes, Ilr partie, c. i, Descartes, Paris. 1900,
p. Iti. Nous ne saurions instituer ici une réfutation com-
plète île ce rationalisme naissant qui a l'ail tant de mal
aux moralités modernes. Voir MORALE, Fin. Nous
dirons seulement que confondre seience et morale, c'est
supprimer simplement celle-ci, ([lie la morale esl Ni
recherche du bien et du parfait et non la poursuite du
vrai: que la sainteté' consiste à vouloir et à réaliser b1
perfection et non à savoir; que la vertu est un effort
vers le mieux cl non un simple reflet, une représenta-
lion du vrai. Il v a dans la morale de Descartes une
confusion absolue de deux ordres qui doivent rester dis-
tincts. — Sans doute la raison doit régler les actions
morales, elle les dirige, mais elle n'en est pas la ///(. La
lin de la vie morale est triple et une en mémo temps;
elle nous mené .i la glorification de Dieu, à notre per-
fection et à notre bonheur : trois choses, disons i
qui n'en sont qu'une et sauvent ainsi l'unité' et l'har-
monie de la loi morale; car Dieu esl glorifié surtout en
image qui est notre nature, cette image le fait
connaître, le loue, dans |;, mesure où elle est parfaite,
en sort.' que noire perfection est le fait même qui i
ti t in- la gloire de Dieu; la paisible possession de la per-
fection esl source de bonheur : être parfait, c'esl donc
r d me coup i,i -bine de Dieu et le bonheur
de l'homme. Cette doctrine morale prend tout l'homme
dans I bar nie de Imite- ses bien 1 1. - el lie le réduit
■i e Descartes, ;i n'être qu'une simple peu
Où la divergence s'accentue entre le- deux morales,
c'est dans V autorité qui oblige la conscience. Pour
ta source de i obligation morale esl dans la
raison : non- s nies essentiellement peu
nature parfaite consistant dans la perfection <\<- la
son. celle-ci devient l'idéal ,i pou rsui vi'e. le principe
d'autorité qui noua lie. Si Dieu intervient, c'esl plus
pour garantir la véracité de la raison que pour pro-
mulguer par elli des commandements moraux. L'auto*
non lie de la rai -..n découle en droite ligne du cai
ni-ine. \l i end din ctcui de uni supéi ieur,
i bi Sor-
bonne, en l'honneur du tro de la
i pu .t que
r,63
DESC U'.TKS
564
Descartes a fondé (lune manière définitive « la libi rté
de l'espril el la prépondérance de la raison. s L. Roure,
il., p. 16. I»;nis la doctrine catholique, au contraire,
si l'on consulte la raison, ce n'est pas pour lui deman-
der ses préceptes, mais ceux de Dieu, elle n'est pas
l'autorité qui commande, mais la conscience qui pro-
mulgue, elle n'est pas source, mais seulement instru-
nt d'obligation; elle n'oblige pas, mais indique les
obligations imposées par Dieu. Suivanl une expression
moderne, l'hétéronomie inspire la morale chrétienne,
même dans la sphère des simples préceptes naturels.
L'homme juste, en suivant sa raison, obéit à la volonté
de llieu.
'i" La morale cartésienne ne mène pas qu'au rationa-
lisme. Le déterminisme est un autre écueil où elle
précipite la liberté et fait sombrer la vertu. Pour Des-
cartes, la science royale, c'est la mathématique; il est
convaincu que tout dans la nature se fait mathéma-
tiquement et il s'efforce de le démontrer. « De là. tout
d'abord, ses spéculations métaphysiques. Il prouve par
les perfections de Dieu el le caractère clair et distinct
de l'idée d'étendue, que nous sommes en droit de tenir
les qualités mathématiques pour l'essence des choses
matérielles. Il cultivera donc la mathématique et son
euvre tout entière sera dominée par cette science;
mais c'est que dans la considération des choses à ce
point de vue gît le moyen véritable de se les approprier. »
Baillet, op. cit., t. n, p. 227. Et cette fin pratique, tou-
jours présente à ses yeux, détermine la marche géné-
rale de ses études. Il ne s'attarde pas aux développe-
ments de la science qui n'auraient qu'un intérêt spécu-
latif. Il demande simplement aux mathématiques les
quelques principes généraux qui lui permettront de
fonder sur elles la mécanique et la physique. Ces
sciences à leur tour n'ont besoin d'être développées que
dans la mesure et dans le sens nécessaires pour rendre
possible la science de la vie. Il s'agit d'arriver à prou-
ver que la vie elle-même n'est qu'un mécanisme et par
conséquent tombe sous nos prises. » Boutroux, toc.
cit., p. 505.
Le mécanisme, telle est donc la base de la science de
la vie, la base de la morale. Celle-ci dans son essence
sera encore une sorte de mécanique. Selon Descartes,
la science de la vie consiste à connaître la nature, celle
de la terre, des corps inanimés, des plantes ou des
animaux, afin d'arriver par cette connaissance à agir sur
les êtres et aies dominer; puis elle consiste à connaître
l'homme, son état physique, afin d'en savoir tous les
ressorts et de diriger par cette science le mécanisme
du corps dans son inlluencesur l'âme ou dans l'inlluence
de l'âme sur lui. La morale procède de la physique et
de la médecine, lesquelles ne sont qu'une mécanique,
et vient les couronner. Préface des Principes, Œuvres,
t. n, p. 14. Il faut donc promouvoir le plus possible ces
diverses connaissances. « Mais à quelle morale ce pro-
grès va-t-il aboutir? Ne tend-il pas simplement à nous
mettre en mesure de disposer de la nature humaine,
grâce à la science de l'homme, comme nous disposons
de la nature corporelle grâce à la science des corps?
Une mécanique psychique, n'est-ce pas tout ce que
Descartes a en vue? Et de fait, Descartes a jeté les fon-
dements d'une telle morale dans son Traite des pas-
simis, où, en en découvrant le principe, il nous ap-
prend à les dresser, à les conduire. Comme d'ailleurs
cette étude même nous montre à quel point l'esprit
dépend du tempérament et de la disposition des or-
ganes du corps, Descaries conclut que, s'il est possible
de trouver quelque moyen qui rende communément
les hommes plus sages et plus habiles, c'est dans la
médecine qu'on le doit chercher. » Boutroux, loc. cit.,
p. 507.
Il est incontestable que tout cela respire le détermi-
nisme le plus pur et le moins équivoque. On verra 1 a
discussion de eeiie erreur aux art. Déterminisme, Li-
berté. Tout ce que nous avons dit des erreurs pro-
par la philosophie de D< écartes
suffit à montrer combien légitimement ses œuvres ont
été condamnées par le Saint-Office et par l'Index, rfi
corrigantur, le 10 octobre el le 20 novembre 1663.
I. Œuvri lrtes. — Œuvre», 9 in-V, a
dam, WiX'2: 7 in-V, Francfort-sur-le-Meii vres com-
plètes, 13 in-1'2, Paris. ITj'j : édit. Victor Cousin, 11 in-8*,
Paris, 1824-1826; Œuvres ph les, édit. Ad. Garnier,
ï vol., Paris, 1835; Œuvres philosophiques, édit. Aimé Martin,
Paris, 183H: Œuvres < iiiliées par Fouch
Careil, 2 in-8°, Paris. 1858-1860; Œuvres choisies, édit. Napo-
léon Cl Paris, 1864 : <J Ch. Adam
et Paul Tannery sous le- de l'Instruction
publique, 4 vol. parus, contenant la correspondance jusqu'en
avril 1647, Paris, 1896-1901; manuscrit de G<
bourguignonne de l'en 'mis-
ent de Hanovre {Bulletin des sciences mathématiques, 18
II. Travaux. — 1° Sur Descartes. — Baillet, /../ m
M. Descartes, Paris. 1691; Et. Thouverez, I.a vie de Dese,
d'après M. Baillet, dans les Annalesde philosophie chrétienne,
1899; E. Saisset, Descartes, et ses disciples.
Paris, 1865; Paul .lanet. Descartes, dans la Bévue des
mondes, 1868; Liard, Descartes, Paris, 18*2: A. Fouillée,
Descartes, Paris, 1*9:1; Fr. Bouillier, Deux nouveaux histo-
riens de Descartes, dans la Bévue philosophique, 1894;
Landormy, Descartes, Paris, s. d. ; Haldane, Descartes, his life
and Unies, Londres, 1905: J. Millet, Descartes, savie, ses tra-
vail c, ses découvertes avant 1637, Paris, 18t;7: Id., Descartes,
son histoire depuis 1G37, sa philosophie, son rôle dans le
mouvement général de l'esprit humain, Paris, 1870; Foucher
de Careil, Descartes et la princesse Palatine, Paris, 1802;
Id., Descaries, la princesse Elisabeth et la reine Christine,
d'après des lettres inédites, Paris, 1879.
2 Sur le cartésianisme. — Bayle, Becueil de pièces cu-
rieuses pouvant servir à l'histoire du cartésianisme; Bordas-
Deiiioulin, Le cartésianisme ou la véritable rénovatior
ces, suivi de la théorie de la substance et deceile de l'n<-
fuii etprécédé d'un discours sur la réfo< laphiloso-
pliie au xix' siècle, par F. Huet, Paris, 1843; Fr. Bouillier.
Histoire de la pliilosophie cartésienne, Pari-. 1854 : Smith,
Studiesinthe car lésion pltilosophy, Londres, 1902; H.G.HoUio,
De philosophia Cartesii, diss.. Berlin, 1820; Paul Lemaire, Le
cartésianisme chez les bénédictins. Dom Bobert Desgabets,
Paris, 1902; George; Monchamp, Histoire du cartésianisme en
Belgique, Bruxelles, 1887; Lucien Roure, Doctrines et
blêmes, I. Descartes, Paris. 1900; Victor Brochard, Dese
stoïcien, dans la Bévue philosophique, 1880; Fr. Thomas,
Descartes et Gassendi, Paris, 1889; F. Brunetière, Jansé-
nistes et cartésiens, dans les Études critiques, 4* série, l'ai i-.
1894; Fr. Papillon, De la rivalité de l'esprit leibnitzien et de
l'esprit cartésien au xvtir siècle, Orléans, 1873; Ad. Franck,
Moralistes et philosoplies, Paris, 1872; A. Fouillée, Descartes
et les doctrines contemporaines, dans la Bévue philosopliiquc.
1894; le numéro de juillet 1890 de la Bévue de métaphysique
et de morale, spécialement consacré à Descartes, contient îles
études de MM. lî. Gibson, J. Berthet, P. Nathorp, A. Manne-
quin. H. Schwarz, P. Tannery. D.-.I. Horteweg, E. Boutroux,
V. Brochard, G. Lanson, Blonde!. F. Tocco, et Ch. Adam:
Fonsegrive, Prétendues contradictions de Descartes, dans la
Bévue philosophique, 1883.
3- Sur la doctrine de Descartes. — P. Knoodt, De Cartesii
senteutia : Cogito. ergo sum, diss., Breslau, 1845; .lut. Bau-
mann, Doctrina cartesiana de vero et falso explicata atque
examinata, diss. inaug., Berlin, 1863; Liard, /.<i m
Descartes et ,la mathématique universelle, dans la Bévue
philosophique, 1880; Adam. De méthode a\
Spinozam et Leibnitium, Paris, !Ss">; Milbaud, Utrum <
lesii methodus tantum calent quantum ipse senserit, Mont-
Paris, 1894; Paul Viallet, Je pense, donc je suis. Intro-
duction à la méthode c Paris, 1897; E. Duboux, La
physique de Descartes, Lausanne. 1881 ; P. Valois, Les Senti-
1$ de Descartes opposés à ceux de l'Église et confort
ceux de Calvin; La philosophie de Descartes opposée à la foi
catholique, Paris, 1682; Quœdam recentiorum philosophorum
praesertim Cartesii propositions damnatse et prohibitif.
Paris. 1705; Ëmei le Descartes sur la religion et la
raie, Paris. 1811; Chr. A. Thilo, Die Religionsphilosi
'escortes, dans Zeitschrifl fur ex. Philosophie. 1862;
cl,. Waddington, Descartes et le spiritualisme. Paris, lsiy;
Renouvier, Histoire et solution des problèmes métaphysiques,
565
DESCARTES
DESCENTE DE JESUS AUX EX FEUS
566
Paris, 1901; .1. N. Huber. Die Cartesian Beweise vum Dasein
Gottes, Augsbourg, 1851; P. .1. Elvenich, Die Beweise fur das
Dasein Gottes nach Cartesius. Breslau, 1868; F. Pillon, l.a
première preuve cartésienne de l'existence de Dieu et la cri-
tique de l'infini, dans ['Année philosophique, 1891: E. Bou-
troux, De verilatibus .vternis apud Cartesium, Taris, 1875;
E. Melzer, Augustini atque Cartesii placita de menti*
humanx sui cognitione quomodo inter se congruant n
seseque différant, quseritur, diss. inaug.. Bonn, 1860;
Ant. Koch, Die Psychologie Descartes, systematisch und his-
torisch-kritisch bearbéitet, Munich, 1881; P. Nathorp, Des-
cartes Erkenntnisstheorie, eine Studie zur Vorgescliichte des
A'i ■ iticismus, Marbourg, 18s2; M«" Mercier, Les origines de la
psychologie contemporaine, Louvain, 1897; J. Prost, Essai
sur l'atotnisme et l'occasionalisme dan* la philosophie car-
tésienne, Paris, 1907. On trouvera dans la bibliographie de
l'article Anselme {Argument de suint), l'indication d'autres
ouvrages sur la preuve cartésienne de l'existence de Dieu, t. i,
COl. !
Sur l'eucharistie, un manuscrit de Chartres, n. ;î6(i, contient
plusieurs opuscules inédits : Conjectures du P. Daniel, récol-
let, sur un moyen que M. Drscarti s dit avoir dans une de
ses lettres, pour expliquer le mystère de l'eucharistie,
fol. 818; Lettre du R. /'. Le Bossu, chanoine régulier de Saint-
Augustin, lequel, ayant eu communication du présent manuscrit,
en dit son sentiment, et expose, en même temps, une façon
d'expliquer le mystère de l'eucharistie, selon la pensée de
M Descartes, mais d'une autre manière que ce"e contenue
dans il. 829; Lettre du même au P. de Rragclongne,
sur le sujet de la lettre précédente, fol. 904; Mémoire, en forme
de lettre, du R. P. Aubert, chanoine régulier, touchant la conco-
mitance, fol. 917; Lettre de M. Gravelle de Revei
la lettre du P. Le Bossu, fol. 925; Lettre de dom Antoine Vi-
not, bénédictin, ou il n'approuve pas les relations de jésuites
et de M. Clerselier, particulièrement avec le P. Bertct, et lui
fait en .i]sdes difficultés sur la manière d'expliquer le
-sacrement, suivant les pensées de M. Descartes, fol. 651 ;
le P. - 1 1. dan-, la Bibliothèque de la C' de Jésus,
>. i, col. 1374, signale un manuscrit inédit «lu P. Bertet :
Traité de la prèsenci la transsubstantiation, du
sacrifice de la messe où toutes les disputes sur ce sujet sont
recueillies avec une concorde des anciens Pères et des coti-
rnes; Vernet, Pièces fugitives sue l'eucha-
ristie, Gen tet, Dissertations théologiques et
Paris, 1727 ; Brève o\ tulum quo geo-
monstratur possibilitas prsesenlise corporis Christi,
1729; E. Levesqui uvelle explication
1900.
!.. Carrau, Exposé critique de la théorie des passions
branche et Spinosa, thi bourg, 1870;
.M. Heinze, Die Sittenlehrt l
le ethica <;<>. ir,:,eK senserit, Paris, 1883;
P. liiricL, La morale dans les Annales de
1898; V. de Su n
Kleutgen, La philosophie scolastique, trad. Sierp,
i i Papillon, iiist,,ire ite in philosophi
■ par Ch. Levêqui . l'a: , 1876; Kun . Ges-
; lue. Munich, 1878, t. i ; i leberweg-
Itichte lier Philosophie, part. ni.
i 1901, i
A. Cimi i
DESCENTE DE JÉSUS AUX ENFERS. La for-
mule Descendit ad inféras constitue la première
partie du '< article du symbole, selon l'exposé du
■ ' (In , oncile 'le I renie. I. |: lai de la
question. II. Démonstration théologique du fait el du
i aux enfers. Ml. Expli-
n doctrinale du fait de la descente aux enfers. IV.
complic par \e Christ dan- -a descente aux
' \t tu i \ question. - Au début de cette étude,
1,1 llll ,,:
les : le Cl
iimit el
1 i toul
"i que, h' '.in i-i étant t et son cm (
loin i uilii aux enfi ' ■ dire
au lieu ou di mcuraienl h
lui-mémi dan!
le sépulcre. Mais cette croyance en enveloppe évidem-
ment une autre. Puisque le symbole dit : le Christ est
descendu aux enfers, c'est donc que la personne du
Christ, je veux dire la divine personnalité du Verbe,
se trouva, elle aussi, durant ce temps, dans les enfers,
avec son âme séparée de son corps : Une nobis creden-
ilum proponitur, Christo jam mortuo, ejus animant
cul inféras descendisse, ibique tamdiu mansisse,
quamdiuejusdem corpus in sepulcro fuit. His autem
verbis simul etiam confitemur eamdem Christi per-
sonani, eodem tempore,... apud inféras fuisse. Cate-
chismus ad parochos, pari. I. c. vi, n. 1, Rome, 1902,
p. 55.
Cette croyance fut commune el expresse, parmi les
fidèles, dès les origines; nous le constaterons. Elle a
cependant, à travers les âges, rencontré des opposants
qui retenaient le mot ou la formule, mais en niaient
le sens ou la chose. — Abélard d'abord, puis Durand
de Saint-Pourçain, admettaient bien l'existence du lieu
souterrain que sont les enfers. Quant à la descente
du Christ, ils lui reconnaissaient quelque réalité, mais
pas celle de l'interprétation traditionnelle. Dans leur
pensée, l'âme du Christ ne s'esl pas rendue aux enfers
véritablement et réellement, avec sa substance indivi-
duelle. La descente aux enfers est une expression
impropre, ou plutôt inadéquate, signifiant que l'âme du
Christ a montré ou exercé son pouvoir dans les enfers,
en faisant du bien aux âmes des justes. — Au x\ Ie siècle,
avec son scepticisme accoutumé, Érasme commence
l'ébranlement de cet article du symbole, dans son
Catéchisme, c. iv. Il n'ose l'attaquer de front, ni le
répudier trop expressément, à cause de l'autorité de
l'Église. Néanmoins il laisse entendre qu'il ne le trouve
pas très solide ni établi, et il n'est pas éloigné' d'x
voir une interpolation introduite dans le symbole. —
Bientôt les protestants, plus audacieux, rejetèrent l'exis-
tence même des lieux infernaux. Par suite, ils dénièrent
à la formule le sens propre d'une réelle et vraie des-
cente aux enfers. Selon Calvin, l'article du symbole est
une métaphore qui désigne la tristesse intérieure
qu'éprouva le Christ, la lutte qu'il soutint, au temps
de sa passion el île sa mort el qui lui causèrent véri-
table m el réellement les douleurs mêmes de l'enfer,
Institut., I. II, c. xvi, n. 8 sq. Pour d'autres, comme
itor, Arminius, la descente aux enfers signifie la
mort du Christ; pour Bèze, elle exprime sa sépulture,
et pour MarheineKe, sa charité envers les pécheurs. 1 » < ■
Welle. Hase y voient celle simple indication que lieux i e
du Chris! esl salutaire pour tous, sans exception.
Sur ce terrain comme sur les autres, les rationa-
listes ont fait écho aux protestants; avec eux. ils ont
travaillé a effaci r ce poinl de la doctrine. Puis les
mistes -oui venus, el n'ont vu, dans ce dogme,
e me dans Ions les aulres. qu'un produit Ires variable
de l évolution vitale du sentiment religieux. Il se peut
qu'à certaine époque, la fui collective comme la foi
individuelle des chrétiens aient tenu pour réelle el
ente du Chrisl aux enfers; partant, le dogme a
pu avoir, à certain moment, celle signification. Mais
aujourd'hui, avec le progrès de la pensée religieuse, la
formule ou le symbole dogmatique esl demeuré i
lemenl le même, mais [| s'esl vidé de sa signification
théologique el traditionnelle pour prendre de- sens
tout différents, plus en rapport avec le développement
do la science cl a\ ee la i , I | moderne du COU
de la personne du I -I par un effet de
perspective que nous cro] evoir l'identité dans
nification de- formules, aux di |uee l 'ai
l'effel d'une smie de mirage uou concluons que le
udu par nous, dans les articles an. i. n- de la
ti Duvail pareil dans la pi n
ra fidi les. Ces! une erreui duc a ce que nous
1 1 critique de nos
567
DESCENTE DE JÉSUS AUX ENFERS
3G8
propres connaissances. ■ J'aicité des exemples, affirme
audacieusemenl M. Loisy, notamment les articles du
symbole concernant la descente du Christ aux enfer»
et son ascension au ciel. » Autour d'un petit livre,
Paris, 1903, p. 202. Voir aussi p. 46, 177; L'Évangile
et l'Église, Paris, 1902, p. L63-166. Cf. II. Quilliet,
Une conséquence de l'évolution vitale appliquée au
dogme, dans la Croix de Paris, 8-9 décembre 1907.
L'écrivain moderniste fait ici allusion à des études qu'il
a publiées, sous le nom de Firmin, dans la Revue du
clergé [ruinais, t. xxi, p. 253 sq. Cf. Ed. Le Roy,
Dogme et critique, Paris, 1907, p. 248, 263.
Avec M. Sabatier, nombre de protestants contempo-
rains ont abandonné le terrain des négations brutales,
pour embrasser les théories évolutionistes. C'est en ce
sens qu'ils expliquent aujourd'hui la descente aux en-
fers. Pour eux, l'affirmation du symbole abrite des
conceptions très diverses de l'esprit religieux. Tantôt,
c'est le salut même, offert et gagné dans la vie d'outre-
tombe, comme l'avait conçu l'école d'Alexandrie. Tantôt,
c'est la descente aux limbes d'où sont délivrés les
lidéles de l'Ancien Testament. Puis, c'est un effort
plus accentué pour établir la doctrine ecclésiastique
du purgatoire. Plus tard, avec la Réforme, la descente
aux enfers perd toute relation avec le salut des morts.
Finalement, « la théologie critique, retrouvant le sens
des conceptions primitives, a permis de découvrir, dans
les textes du Nouveau Testament, la pensée même des
apôtres : le salut olfert à ceux qui n'avaient pas connu
l'Évangile de leur vivant. Et ceci amène à ce que la
théologie anglaise contemporaine appelle l'espérance
plus large. » Jean Monnier, La descente aux enfers :
Etude de pensée religieuse, d'art et de littérature,
Paris, 1905, Avant-propos, et p. 88-89. Cet élargissement
des espérances chrétiennes présente une singulière
ressemblance avec ce que les modernistes appellent la
réforme nécessaire des concepts dogmatiques, et
notamment de celui de la rédemption. Cf. prop. 61e du
décret Lamentabili, Denzinger, Enchiridion, 10eédit.,
Fribourg-en-Brisgau, 1908, n. 2064. Ne faut-il pas défi-
nitivement rendre le salut à peu près universel, même
en élargissant une voie que Nôtre-Seigneur a déclarée
très étroite? Tel est le sentiment plus ou moins avoué
de plusieurs modernistes contemporains.
II. Démonstration théologique du fait et du dogme
DE LA DESCENTE DU ClIP.IST AUX ENFERS. — /. luicf-
MENTS AUTHENTIQUES. — 1° Le symbole des apôtres.
— 11 fournit tout à la fois un argument d'autorité, un
argument historique et de tradition.
1. Le symbole des apôtres, dans la forme universel-
lement reçue aujourd'hui, est une règle ou confession
de foi imposée aux néophytes par l'Église, dans l'ad-
ministration du sacrement de baptême. Il en est ainsi
depuis le ix1' siècle. Depuis des siècles aussi, l'Église
a communément adopté ce symbole dans la liturgie et
pour l'enseignement catéché tique. Cet usage officiel et
séculaire prouve que l'Eglise considère le symbole
comme la formule exacte de sa foi. Sans doute, il n'est
pas, dans sa teneur présente, une définition conciliaire
proprement dite, une déclaration solennelle émanée
d'une assemblée œcuménique des évèques. Jlais, en
vertu de la discipline liturgique et par le fait de l'en-
seignement catéchétique, le symbole se présente
comme l'expression authentique de la prédication
universelle et quotidienne de l'Église. Il est donc un
moyen voulu et approprié de son magistère catholique
et formel; et chacune des vérités, chacun des articles
qu'il relève expressément s'impose, sous peine d'hé-
résie, à la foi des chrétiens. Voir Apôtres [Symbole des),
t. i, col. 1680. Dans ces conditions, la présence de la
formule descendit ad in feras dans notre symbole actuel
permet d'affirmer que la descente du Christ aux enfers
constitue un article fondamental de la foi catholique.
2. Au point de vue de la tradition el de la théol
positive, il importe rcher l'origine de notre
article et les traces de son insertion dans le symbole.
Sans entrer dans la question générale de la formation
el de l'histoire du symbole lui-même, voir APÔTRES
{Symbole des), t. i. col. 1660-1673 (sur son histoi
col. 1673-1679 (sur son origine) ; E. Vacandard, Étude»
de critique et d'histoire religieuse, Paris. 1906, p. -
rappelons cependant quelques données nécessaires.
a) Le symbole des apôtres s'est élaboré' pendani
siècles, et peu à peu, sous des formes variables. Tan-
tôt, il manque de tel article, tantôt il manque de tel
autre; d'autres fois, il porte une aflirmation à la place
d'une autre; il se modifie de toutes manières jusqu'à
ce qu'il arrive enfin à la formule claire, concise, suffi-
samment complète que l'Église et la conscience i
Henné cherchaient comme d'instinct pour l'expression
adéquate de la foi. La formule aujourd'hui reçue du
symbole, qui contient l'article descendit ad inferos, esl
un développement d'un texte antérieur, le symbole
romain. Celui-ci se forma de bonne heure, primitive-
ment sans doute en langue grecque, sous les indu*
générales que nous venons d'indiquer et surtout en
raison de la liturgie baptismale. Celle-ci comprenait,
dans la préparation au baptême, la traditio symboli,
c'est-à-dire la lecture et l'explication données aux
catéchumènes des principaux articles de la foi. Elle
contenait aussi, dans l'administration du sacrement, la
reddilio symboli, c'est-à-dire l'attestation de sa foi
donnée par le néophyte, et habituellement sous forme
de réponse à une ou plusieurs interrogalions. Il esl
incontestable que, dans ses parties essentielles, le
symbole romain est d'origine apostolique. Or, même
dans sa forme définitive, il ne porte pas notre article.
b) Avant le ivc siècle, les textes symboliques ou les
formulaires de la foi dans lesquels on a résumé les
traditions apostoliques, ne contiennent pas l'article de
la descente aux enfers. Il ne se rencontre, ni dans
saint Irénée qui nous présente deux abrégés de la doc-
trine chrétienne, Coût, hser., 1. I, c. x. n. 1. P. '>'..
t. vu, col. 549; 1. III, c. iv, n. 2. col. 855-856; ni dans
les trois règles de foi rédigées par Tertullien, De
ginibus velandis, c. I, P. L., t. il, col. 889; Adv. l'ra-
xeam, c. Il, ibid., col. 156-157; De praescriptionibus,
c. xin, ibid., col. 26; ni dans celle d'Origène. Ih-.l
àpyûv, 1. I, Prologus, n. 4-10, P. G., t. xi, col. 117-
121. Il n'y en a pas trace davantage dans les esqm-
ou projets de symboles des Constitutions apostoliques,
I. VI, c. xi-xiv, P. G., t. i, col. 935-917; de No va tien,
De Triuilate, c. i. vin. xxx. P. L., t. m, col. 886, 898,
946; de saint Cyprien, Epis t., i.xxvi, P. L., t. ni.
col. 1143; t. iv, col. ili;Epist., lxx, t. iv, col. 408; ou
de Victorin, Schol. in Apoc, xi. 1, P. L., t. v, col. 334.
Même au iv siècle, nous ne remarquons la descente
aux enfers, ni dans le symbole du concile de Nicée
(325), Denzinger, Enchiridion, n. 17; I0eédit.,n.54; ni
dans celui du concile de Constantinople (381); Denzin-
ger, n. 47; 10e édit., n. 86; ni dans celui de l'£glisi
de Jérusalem, tel qu'il résulte des Catéchèses de saint
Cyrille de Jérusalem. Denzinger, n. 13, )(> .'dit., n. 9-
Voir la fin de la Catéchèse v. /'. G., t. xxxin. col. 514sq. :
et les titres des Catéchèses xui et xiv : SrauptoOÉvra xa«
xxzi-i-y. : «ai àvaTTï'/ra i/. vsxptôv. Ibid., col. 771. 826.
c) La première mention authentique de la descente
aux enfers dans le symbole catholique est île la fin du
iv' siècle. Elle vient de Rufin. qui rapporte le symbole
baptismal de son Eglise d'Aquilée. Nous y lisons :
Crucifixus sub Pontio Pilato et sepultus. DES( i:\mr
ID INI ERNA. Tertia die resurre.rit. Comment, insym-
bol., n. 14, Denzinger, Enchiridion, n. 3. Rufin prend
soin de remarquer que cet article ne se rencontre
pas dans le symbole romain ; Sciendum sane est
quod in Ecclesise romanse symbolo non habelur,
569
DESCENTE DE JESUS AUX ENFERS
570
additum : descendu ad inferna. Comment, in sym-
bol., n. 18, P. L., t. xxi. col. 356. Il ajoute que l'article
manque pareillement dans les symboles de l'Orient : Sed
neque in Orienlis Ecclesiis habetur liic sermo. Ibid.
Toutefois, même avant Rufin, nous retrouvons la
doctrine ou la formule symbolique de la descente aux
enfers. Nous n'insisterons pas sur la déclaration de
foi qu'Eusèbe prête à Thaddée, disciple du Seigneur,
dans un prétendu sermon donné à Edesse : Kctxé6-/\ si;
t'.v zSy|V, v.x: 'j'Ai /'.m ppocjCiôv tov s; ïîtôvo; \j.r, (TjjtffGévTa.
//. Ê., I. I, c. xm, P. G., t. xx, col. 128. Mais notons que.
vers le temps du concile de Nicée (325), la Constitution
ecclésiastique égyptienne présente, sous forme de red-
dilio xymboli ou d'interrogations posées aux catéchu-
mènes, une sorte de confession de foi qui attribue au
Christ une véritable activilé dans les enfers : « Croyez-
vous à Notre-Seigneur Jésus-Christ... qui... est ressuscité
au troisième jour, qui a délivré les captifs, qui est monté
au ciel'.'... » F. Kattenbusch, Das apostolisclie Symbo-
lum, Leipzig, 1894, t. i, p. 320 sq.; H. Acbelis, Die Ca-
nones Hippolyti, dans Texte und Untersuch., 1891,
t. \i, fasc. 4, p. 97. — Il y eut, en 359, à Sirmium en
Pannonie, un concile d'évéques ariens (boméens), qui
promulgua un formulaire à la date du 22 mai. Il professe
que le Christ est mort; qu'il est descendu aux enfers et
v a réglé toutes choses; que les portiers de l'enfer ont
frissonné à sa vue : 'AitoSavivra, xal si? ix y.a-a/Oôvia
xarg).86vTa, xa't -x ïv.ilm oixovo(j.V)<javTa, m itvXcopo'i a6o'j
îSovte; £çpt$av. Mansi, Concil.,X. ni, col. 265; A. Ilabn,
Bibliothek der Symbole und Glaubensregeln deralten
Kirche, 3« édit., Breslau, 1897, g 103. Cette dernière
incidente est une allusion directe à. lob, XXXVIII, 17, selon
les l.\.\ : 'Avoryiviat ',i uoi v66w miXai Oâvdctoy, rcuXtopol
BÈ SSou l'Jii-.i; as \--.r"-'j.t. Socrate nous apprend que
l'auteur de cette quatrième formule de Sirmium fut
l'évêque syrien et arien, Mare d'Aréthuse. //. A'., 1. II,
c. xx\. /'. G., i. i xvii. col. 280; F. Kattenbusch, Das
apostolische Symbolum, t. i. p. 897. On a prétendu que
les ariens de sirmium. en adoptant la formule ci t -
voulu signifier simplement la sépulture du Christ, dont
leur symbole ne porterai! pas d'autre trace. Accordons,
ce qui est vrai, que leur symbole ne contient pas l'ar-
licle de la sépulture du Christ. Mais soutenir q
formule si explicite : descendu aux enfers pour y
■■■ toutes choses, marque uniquement que le Chrisl
iveli, est d'une interprétation aussi fantaisiste
qu'exorbitante. La proposition affirme une action du
lion particulière et déterminée . mémi
elle l'explique, en ajoutanl que si le Chrisl est descendu
aux enfers, ce fut pour y régler toutes choses. La
même année que l'assemblée de Sirmium, deux autres
Iles, pareillement ariens, éditèrent desformul
qui contiennent aussi l'affirmation de la descenti
allusion au texte de Job, mai rvenl
n relative au règlement de toutes choses.
I mcile de Nicée ou N'iké. en Thrace, déclare
i.-.j./1)', i:x /.x:i/', ',/-■/., u, RvTb( o
ncil., i. m, col. 312. Le concile de
intinopli professe à son tour : K >
ovxtva v.x: n-iti
' ' .'//'/.. col
* raison di es, l on a cru i voii
. au moins probablement, a l'origine orientale de
l'article du syn hanl la descente au
rai que les formula i rmium, de Nii
inslinople sonl bien antéi ieurs à Rufin. Mais
mbole d \.|.ni- 1 i
même jusqu à
ndre que la formule de Sirmium, el |
quenl | - Lantinople qui i
oie >l Aqul
. i. i. p n non pli
bole, aujourd'hui encore inconnu, et qui ait contenu la
descente aux enfers. — Pour corroborer cette opinion
de l'origine orientale de notre article, on insinue que
la descente aux enfers est une manière dramatique
d'entendre la rédemption, et l'on ajoute : « C'est en
Orient que l'on rencontre d'abord les façons drama-
tiques de se représenter la rédemption. » Jean Mon-
nier, La descente aux enfers, Paris, 1905, p. 150-154.
Un autre voit dans la descente aux enfers une manière
mythologique d'entendre l'activité du Christ clans le
monde, et conclut : « La représentation plus ou moins
mythologique de l'activité du Christ dans le monde d'ici-
bas trahit une plus haute antiquité, et un caractère
plus oriental qu'occidental. •> Van Loon, Theologisch
Tijdschrift, 1902, p. 263. Cf. p. 254-265. Les documents
patristiques sur l'intelligence du dogme montreront que
ce sont là des appréciations d'un caractère tout subjectif
et a priori. Peut-être aussi ne fait-on pas erreur en les
jugeant inspirées par le désir de nier la réalité du fait
affirmé dans le symbole catholique. En tout cas, l'opinion
ne tient pas compte d'un fait présentement acquis : c'est
que le milieu, dans lequel nous trouvons répandue
d'abord la formule symbolique de la descente aux enfers,
est occidental et même gaulois : d'où il semble qu'elle
a passé à Rome et en Orient, et dans toute l'Église.
d) En elfet, à partir de l'époque marquée par Rufin,
nous voyons apparaître notre article, de divers côtés,
dans les symboles catholiques. Le credo récemment
découvert par do m Germain Morin, s'il n'est pas de
saint Jérôme lui-même, est bien de son temps. Il pro-
fesse que le Christ est descendu aux enfers, et ajoute
celle explication qu'il a foulé aux pieds l'aiguillon de la
mort : Descendit ad inferna, calcavit aculeum mortis.
Revue bénédictine, janvier 1904. En 1895, M. Bratke dé-
couvrit à la bibliothèque de Berne, dans un manuscrit
du vii'1 siècle — Bemensis 645 — un vieux symbole gal-
lican. Il juge vraisemblable, mais pas démontré, que ce
symbole soit du ive siècle, Sludien und Kritiken, 1895,
p. 153 sq., tandis que Harnack n'hésite pas à le décla-
rer antérieur à l'an 100. Bealencyclopâdie, art. Aposto-
lisches Symbolum, t. i, p. 742. Ce symbole contient notre
article : Crucifixum et sepultum. Des< en du \o jni i -
ros. Tertia die resurrexit. llalm. Bibliothek der Sym-
bole, s, 90; Burn, An introduction to Ihe creeds, Lon-
dres. 1899, p. 242; Apôtres [Symbole des), 1. 1, col. 1662.
Au v siècle, la descente aux enfers n'est mentionnée
ni dans le symbole de l'Église de Rome, Denzinger,
Enchiridion, n. 2. ni dans celui de l'Église de Ravenne,
ibid., n. i, ni dans celui de Fauste, évéque de Riez
(f485), Ilabn, op. cit., g 61, ni dans celui des I !
d'Afrique. Denzinger, Enchiridion, n. 5. On lit cepen-
dant : Qui passus est pro salute nostiu, descendit
10 inferos, tertia d\ exit, dans le symbole dit
tint Atbanase. qui provient certainement d'une
de la Gaule méridionale. Sa date doil être repor-
;iii ■<■ i.'iti et 600, et n.' blemenl vers la fin
du V nzinger l m hit idion, n. 136 ; 10' édit.,
n in. Revue bénédictine, 1901, p. 336, Kiinstle, qui
attribue à ce symbole une origi spagnole ne tro
pas une difficulté à son sentiment dans la mention de
la desrenie aux enfers, puisqu'elle se trouve dan
documents espagnols du vi* - ' tipriscilliana,
Fribourg-en-Brisgau, 1905, p. 229-231. Le symbole Atha-
nasien, n . u en ' lecidi ni el en Orient, n > pat dt
s;m- influence pour l'insertion de la desi ente aux en-
iiis le symbole des apôtn -, tel que le rapport, ni
les missels el les sacramentaires du vin siècle.
Au i \ ■ i oe I ortunat,
évéque de 1 révise el élei
ne, donne, lui aussi, une explical ion du
dans laquelle il ri mentaires
de Rufin cl I .1 Vqui
■
r»7l
DESCENTE DE JÉSUS A IX ENFERS
:.T2
Denzinger, Enchiridion, n. 3; Hahn, Bibliolheh det
Symbole, ï 38. La plus ancienne attestation du texte
aujourd'hui reçu du symbole des apôtres se trouve dans
un sermon du pseudo-Augustin, maintenant restitué
saint Césaire, évêque d'Arles f 543). Il > a descendu
ad inferna au lieu de descendit ad inferos. Pseudo-Au-
gustin, Serm., ccxuv, De symbolifide et bonis moribus,
P. L., t. xxxix, col. 2194-2195; Hahn, op. cit., §62. C'est
aussi la leçon adoptée dans le symbole espagnol de l'ar-
chevêque Martin de Braga (-j-580). De correctione rustico-
runx, édit. Caspari, Christiania, 1883; Hahn, op. cit., §54.
Cependant, auvii6siècle, ladescenteaux enfers manque
encore dans la liturgie mozarabe : elle ne se lit pas
dans la traditio symboli quia lieu au jour des Hameaux.
Denzinger, Enchiridion, n. 6; Hahn, op. cit., S 58 ;
P. L., t. LXXXV, col. 395. Mais le symbole de saint llde-
phonse (f 669), Liber de cognitione baplismi, c. xlix,
P. L., t. xcvi, col. 132, et celui d'Éthériuset de Beatus,
écrit en 785, Etherii episcopi Uxamensis et Bcati
presbyteri adv. EUpandum archiep, Toletanum libri
duo, I. I, c. xxii, P. L., t. xcvi, col. 906, confessent :
Crucifixus et sepultus. descendit ad inferna. Tertia
die resurrescit. Denzinger, Enchiridion, n. 6. La même
formule descendit ad inferna est reprise dans l'antique
svmbole gallican que rapporte le Missale gallicanum
vêtus, qui est de la fin du VIIe ou du commencement
du vme siècle, Denzinger, n. 7; Hahn, op. cit., §67;
P. L., t. lxxii, col. 3i9; Mabillon, De liturgia yulli-
cana, Paris, 1685, t. ni, p. 339; et aussi dans la Missa
in symboli traditione du missel de Bobbio : Morluum et
sepultum. Descendit ad inferna. Tertia die resurrexit
a mortuis. P. L., t. lxxii, col. 489; Denzinger, n. 7. A
la fin du sacramentaire de Bobbio, se retrouve un article
tout semblable. Denzinger, n. 8. D'autre part, le symbole
irlandais que nous a transmis le vieil antiphonaire de
Bangor, porte : Crucifixus et sepultus, DESCENDIT ad
INFEROS. P. L., t. lxxii, col. 597; Hahn, op. cit., § 76-
e) C'est donc à partir du ive siècle que l'article
descendit ad inferos paraît dans le symbole. Il n'y
fait pas une entrée solennelle d'autorité, comme une
définition destinée à combattre une hérésie. Il s'intro-
duit peu à peu, d'une manière lente et sûre, parce qu'il
fait partie, nous le verrons, de la doctrine ancienne-
ment prêchée et reçue, et aussi parce que les Eglises
et les consciences chrétiennes ont jugé opportun
d'affirmer ainsi ce point de leur foi. Il est bien évident
que cette addition ne se fût point produite, et surtout
ne se fût pas conservée, si elle n'avait eu d'autre but
que d'exprimer une nouvelle fois, et de manière assez
peu intelligible, la sépulture du Christ, qui est claire-
ment indiquée par le mot propre, sepultus. Il suit de là
encore qu'il n'y a pas lieu d'invoquer une controverse
particulière pour expliquer l'insertion dans le symbole
du descendit ad inferos.
Pourtant P. King, ressuscitant et développant une
opinion déjà signalée par Amandus Polanus, a soutenu
que c'est une visée polémique qui a produit notre
article. The history of the Aposùes' creed, Londres,
1702. L'intention aurait été de protester ainsi contre
l'apollinarisme. Apollinaire, on le sait, admettait bien
que le Christ eût un corps véritable, animé par un
principe vital d'ordre pareillement organique, mais il
se refusait à reconnaître en lui l'âme supérieure, l'âme
raisonnable et immortelle. Le Aôyo; avait pris sa place
et sa fonction. Proclamer alors le descendit ad inferos,
confesser que l'âme du Christ, une fois séparée de son
corps, est descendue aux enfers, aurait été un moyen très
habile d'affirmer la réalité de l'âme humaine du Christ.
L'on a, depuis longtemps, démontré la gratuité abso-
lue de l'opinion de King. Ilolger Waage, De asiate ar-
ticuli quo in symbolo aposlolico traditur Jesu <:/<risti
ad inferos descensus, Copenhague, 1836; Dictionnaire
encyclopédique de la théologie catholique, trad.
(«osciller, v° Descente du Christ aua enfers, l
1869, t. vi, p. 231-233; Kattenbusch, Dos apostolische
Symbolum, 1. 1, p. 11.11 est incontestable : ■ res
ont quelquefois tiré argument, contre les apollinaii
du dogme de la descente ;nix enfers. C'était de bonne
guerre, le fait étant admis de part et d'autre. Hais il
n'y a aucun indice que cette argumentation ait été
l'arme principale, moins encore l'arme unique, avec
laquelle les Pères combattirent l'apollinarisme.
Waage a victorieusement réfuté King; mais il est
tombé' dans un travers analogue, en prétendant que
l'insertion de la descente aux enfers dans le symbole
est due au désir de favoriser la doctrine du purgatoire,
récemment découverte et répandue. C'était, selon lui,
le seul moyen de rattacher celte invention nouvelle à
la chaîne des vieilles croyances chrétiennes. L'auteur
se libère du souci d'une démonstration positive, en
avouant qu'il n'a pu trouver, pour son opinion, un seul
témoignage historique de quelque valeur. Aussi s'est-il
reporté sur des considérations a priori, tirées d'une
façon toute personnelle et purement subjective d'envi-
sager l'histoire des dogmes. Elles trahissent la volonté
de ruiner la thèse catholique du purgatoire plutôt que
la recherche indépendante de la vérité. Aussi ne nous
arrêterons-nous pas plus à réfuter cette opinion que la
précédente. Harnack lui-même, les ayant en vue toutes
deux, conclut nettement contre elles : « Je suis, écrit-
il, disposé à admettre que ce qui a fait accepter cet
article, c'est moins le dessein de combattre l'apollina-
risme ou de soutenir une théorie donnée sur l'état des
âmes, qu'un effort pour présenter de la façon la plus
complète les faits de la passion et de la glorification. »
Harnack, dans Realcncyclopôdie, art. Apostolisches
Symbolum, t. i, p. 755.
La vérité est donc que l'article descendit ad inferos,
à la différence des définitions ecclésiastiques, n'est pas
sorti de la volonté d'exclure une erreur. Il n'a pas da-
vantage éfé inspiré par le désir de faire prévaloir un
intérêt particulier. Comme nous l'avons marqué, il est
né de la conscience chrétienne, cherchant, sous le
contrôle des autorités compétentes et avec leur concours,
à compléter la formule de sa croyance touchant la vie,
la mort et la glorification du Christ. Lorsque l'Eglise
de Rome, après avoir peut-être, durant un certain
temps, substitué le symbole grec de Nicée au vieux
symbole romain, eut décidément accepté le symbole
gallican, l'article de la descente aux enfers prit dans
le credo sa place définitive. C'était chose déjà faite au
IXe siècle, comme il parait par YOrdo roman us de
l'époque du pape Nicolas Ie' (858-867), Dom Germain
Morin, Revue bénédictine, 1897, Denzinger, 10e édit..
n. 6. Nous constatons aussi qu'Amalaire évêque de
Trêves, dans son traité des Cérémonies du baptême,
donne la formule symbolique : mortuus et sepultus*
DESCENDIT au INFERNA, anima tantum. Epist. de-
cseremoniis baplismi. P. L.,\. xcix, col. 896. Çà et là.
certains manuscrits pourront bien l'omettre encore,
et, de fait, Théodulfe d'Orléans parait l'ignorer. Liber
de online baptismi, c. vu, P. L., t. cv, col. 227.
Nonobstant, l'insertion est devenue irrévocable.
On voit renaître alors l'antique légende, suivant la-
quelle les douze apôtres auraient apporté au symbole-
chacun leur article particulier : et l'on attribue celui
de la descente aux enfers à saint Thomas ou à saint
Philippe. Le témoignage le plus ancien de cette attri-
bution est le serin, ccxl, du pseudo-Augustin. P. L..
I. xxxix, col. 2189. ou encore le serm. i CXI i. ibid.,
col. 2190: Hahn. Bibliothek der Symbole. § 12 :
Thomas dixit : descendit a<! inferna. On la retrouve,
mais en faveur de sainl Philippe, à la fin du sacra-
mentaire de liobbio. Ad calcem sacramentarii Bob-
biensis, /'. L., t. lxxii, col. 580 : Andréas dixil pas-
siim sub Poutio l'Halo, crucifixum et sepultum. —
573
DESCENTE DE JESUS AUX ENFERS
.. 574
Thomas dixit : terlia die resurrexit, clans S. Pirmin,
De singulis libris canonicis scarapsus, P. L., t. lxxxix,
col. 103t ; cf. Caspari, Kirchenhistorische Anecdota,
Christian*, 1883, p. 151 ; Halin, op. cit., § 92; et dans
une pièce de vers attribuée à saint Bernard :
Infera Philippins fugit, Thomasqui revixit.
2» Les papes et les conciles. — 1. Du ive siècle,
mentionnons, pour ce qu'il vaut, le témoignage suivant.
II se trouve dans le Dictionnaire encyclopédique de la
théologie catholique, trad. Goschler, Paris, 1869, t. vi,
p. 234, qui le rapporte d'après Mansi, Concil., t. m,
col. 565, où il n'existe aucunement, pas plus d'ailleurs
que dans Hardouin, et d'après Waage, De setate arti-
culi quo in s</mbolo aposlolico traditur Jesu Christi
a<l inferos descensus, Copenhague, 1836, p. 9i sq., où
nous n'avons pu faire la vérification. Les orthodoxes
présenteraient une définition expresse de la descente
aux enfers dans un analhème 69e du IIe concile œcu-
ménique de Conslantinople, tenu en 381. L'anathème
serait conçu eu ces termes : E; -:■ >.é—£i Sri oCy ô
A'/-/',; roû 6cvj rjapx<jù9e\ç txv/.'i iu.'Vj/ovijivr,, 'Vj/-/;
)'j-;:yrÊ xctî vospà xaT£>.Y|),v8ev ='.; rôv îSrjv, àvâOr){J.a 'inxio.
Nos textes ne connaissent pas cette série d'anathèmes,
et le symbole connu de Conslantinople ne contient pas
l'article de la descente aux enfers. Cf. Denzinger, En-
chiridion, n. i" ; 10" édit., n. 86.
2. Le 21 juillet 'ii7. le pape saint Léon le Grand
adresse àTurribius, évêque d'AsIorga, en Espagne, une
lettre dogmatique très importante au sujet des erreurs
priscillianistes. Il y parle de la descente du Christ aux
enfers, comme d'un point de doctrine absolument hors
d*' doute pour un catholique : Miror cujusquam calho-
ini intelligenliam laborare, lanquam incertum sit,
an DBSCBNDBNl'B AD INFBRNA CHRISTO, Caro cjus re-
quieverit in sepulcro : quœ sicut rere et mortua est i'i
sepulla, il" vere est tertio die suscitata. E/iist., xv, ad
Turribium Asturicensem episcopum, c. xvn, P. L.,
t. i.iv, col. 690
:i. Au début du vpsiècle, le pape Symmaque écrit à
l'empereur Anastase, une lettre demeurée célèbre, pour
se défendre de l'accusation d'hérésie portée contre lui
par ce souverain qu'il avait dû excommunier. S\m-
maque écril en pape, en finalité' de sedis apnslolicm
vicarius, 'I'- /•'. Pétri qualiscumque vicarius .'comme
tel, il formule sa propre foi : elle n'esl autre que la foi
catholique, quam in sede beati apostoli Pétri veniens
epi : el il croil que le Christ s'est
rendu aux enfers, comme il croil iion ci ■< sa
résurrection : Chrislus ilaque, Dcus veraciter tutus,
et totut Itomo est, sic • ersatus in
SIC APDD INFEROS, sic resusci ln-
. dans Mansi, t. vin,
col. 214; /' /.., t. i.xii, col. 66 sq. — Peu après, llor-
I I I i -« i -• ~ . -uccesseur de Symmaque, dans une lettre à
I em| clare dii r,i elon la doctrine
aints conciles, les questions souh sou-
n. Tout I tendant à établir que Ji
Chrisl esl Dieu el homme tout à la fois, rapproche in-
iblement, dan- une sorte de parallélisme continu,
rails qui se rapportent à l'humanité et ceux qui se
rapportent à la divinité. Ces) ainsi qu'il écrit: TpseDei
■ homo... , ■ um et $al
ificalor obeunl
w> i\i i n\ i m el a Paît non rece-
. dans
Mansi i m col 522; Hardouin I • nciliorum,
t. il. col. 1015; /'. /.., t i\ni. col. 515. — Nou
plus loin qu'à la tin de ce w siècle, le papi sainl
le Grand, non cont< ni d'< nsi if ner le fail de
la di i donné ui iplication qui
■
I. Il y eut au , ■.. ,|,. con-
ciles aussi importants par la netteté des affirmations
doctrinales que par leurs statuts disciplinaires. Deux
intéressent particulièrement notre question. Le Tole-
tanum IV, tenu en 633, sous le pape llonorius, par
6-2 évéques, déclare, dans sa confession de foi initiale,
que le but de la descente du Christ aux enfers fut la
délivrance des justes, détenus jusqu'alors dans les lieux
inférieurs : Descendit ad inferos, ut sanctos qui ibi-
dem tenebantur efûeref, devictoque rr.orlis imperio
resurrexit. Conc. Toletanum TV, c. i, dans Mansi,
Concil., t. x, col. 616; Kiinstle, Antipriscilliana, p. 69.
Le Toletanum XVI, tenu en 693 par 59 évêques, ex-
plique à son tour que i'àme du Christ est venue aux
enfers pour arracher les Ames justes à la tyrannie de
Satan qui les retenait captives : Tarlara penetravit
in a)iima et sanctorum animas, quas illic hostis
vinclas tenebat, morsu polentiiv suai exemil, ut pre-
phelale valicinium inquit : 0 inferne, ero morsus
tuus. Conc. Toletanum XVI, c. i, dans Mansi, t. xn,
col. 67.
5. Au ix' siècle, le VIe concile d'Arles, assembléjsous
Charlemagne, renouvelle, dans sa profession de foi, la
déclaration du IVe concile de Tolède : Descendit ad in-
feros, ut sanctos qui ibidem tenebantur, erueret. Conc.
Arelatense VI, dans Hardouin, t. iv, col. 1003.
6. L'an 1141, le concile de Sens dut censurer cer-
taines doctrines d'Abélard, et ses décisions furent so-
lennellement confirmées, le 16 juillet de la même année,
par le pape Innocent II, agissant au nom de sa pleine
autorité pontificale. Or, la 18e- proposition ainsi con-
damnée avançait que l'âme du Christ n'est pas descen-
due aux enfers réellement et par elle-même, mais seu-
lement par sa puissance : Quod anima Christi )>er se
non ilescendit ail inferos sed per potentiam tantum.
Den/.inger, n. 327 ; 10e édit., n. 385. C'est l'erreur que
devait, au xive siècle, rajeunir Durand et que, plus lard,
les auteurs du Catéchisme romain croyaient devoir si-
gnaler encore expressément.
7. Au xiif siècle, deux conciles œcuméniques défi-
nissent solennellement le dogme de la descente du
Christ aux enfers. En 1215. le IV'° concile de Latran
établit la profession de foi catholique contre les albi-
geois et d'autres hérétiques. Il affirme donc que le
Christ est descendu aux enfers : passus et murtuus,
DESCENDU AD INFERNOS, rrsnrrr.ri ( a mortuis, el as-
cendit in cselum. Mais, de plus, le concile explique
aussitôt la formule dogmatique, el ajoute que le Christ
i^t descendu aux enfers, non point en sa chair, mais
en son aine : SED DBSi ES DIT n ANIMA et resurrexit
iscenditque pariter in utroque. Denzin
n. 356; 10» édit., n. '.29. En 1267, Clément I\ impose
me condition du retour à l'unité, à Michel Paléo-
. une confession de foi catholique, préparée par
rdre. L'empereur accepta et émit solennellement
cette profession de foi, au concile de Lyon, en 1274,
devant le pape Grégoire X. Elle porte : Credimus...
unum et unicum Filium f)ci... in humanitate...
mortuum et sepultum, si descendisse lo ini bros, ac
tertia i/o' resurrexisse. Denzinger, n. 384 10 .dit..
n 162
:; Let catéchisn es. I. Les catéchismes diocésains,
publiés par ordre des évoques, sans 'ire des
authentiques, .m <en^ Btricl du mol. n'en sont
pas moins des oi i u des moyens officiels de l'en-
i no ni quotidien ei catéchétique de l'Église. Pour
n. il \ a lieu de remarquer que ton- pi opo
senl la doctrine de la desi ente aux enfers. 2. D'autre
part, le Catéchisme romain > l'en -on aut
u il fut par onire riu concile de 'i i
publie parles souverains pontifi Pii v el Cli menl \ i il.
donné aux pasl ne texte à suivre pour la pré
dication ou l'i i ni de la doeti [que
■
:.7.".
D E S C E N T E D E .1 É SUS A U X E N F I . I ; S
>7G
descente du Christ aux enfers, dans les termes rappe-
lés dès le début, mais pour inculquer toute la portée
du dogme, il i nsi> te sur le sens propre et non méta-
phorique de la formule, sur la réalité du l'ait lui-même.
Il serait insuffisant de penser que le Christ soit des-
cendu aux enfers, en ce sens qu'il \ aurait, en quelque
manière, manifesté l'éclat de sa force ou de sa puis-
sance. Il faut tenir que son âme, toujours unie à sa
divinité, s'est vraiment transportée, s'est rendue réelle-
ment présente aux enfers. Nec vero exislimandum est
eum (Chrisium) sic ad inferos descendisse, ut ejus
lantummodo vis ac virlus, non eliam anima, eo per-
oenerit : sed omnino credendum est 'ipsam animam
HIC ET PRjESENTIA au inferos descendisse; de quo
exslat firmissimum iliud Davidis testimonium : Non
derelinques animam meam in inferno, Ps. xv. 10.
Catechismus ad paroclios, part. I, c. VI, n. i. lîome,
1902, p. 56. C'est la réplique directe à la théorie erro-
née d'Abélard et de Durand.
/;. LES DOCUMENTS SCRIPTURAIRES. — La descente
aux enfers peut-elle se démontrer par les Ecritures'.'
Bellarmin trouve qu'on ne peut, par les seules Écri-
tures, établir cette preuve avec une certitude telle
qu'elle rende impossible la contradiction. Il veut mon-
trer la fréquente nécessité de traditions autorisées
pour fixer le sens des Écritures, et il écrit : Exempta
sunt plurima. Nam sequalitas divinarum persona-
rum... descensus Chrisli ad inferos, et multa similia
deducunlur quidem ex sacris litteris, sed non adeo
facile, ut si solis pugnandum sit Scriptural testimo-
niis, nunquam lites cum protervis finiri possint.
Disput. de controversiis fidei, De Verbo Dei, 1. IV,
c. iv, Ingolstadt, 1599, p. 2C5. Louis de Hlois est d'un
avis analogue. Duns Scot déclarait aussi que la des-
cente aux enfers n'est pas enseignée par l'Évangile,
mais il faut cependant la tenir pour un article de foi :
Dico quod Christum descendisse ad inferna non
docetur in Evangelio, et tamen tenendum est sicut
arlicidus fidei, quia ponilur in symbolo apostolorum.
In IV Sent., 1. I, dist. XI, q. i, Venise, 1617, p. 723.
Payva Dandrada étend cet avis négatif à tous les écrits
du Nouveau Testament.il y a bien quelque exagération
dans ces jugements si absolus.
1° Dans l'Ancien Testament, il n'y a que des pro-
phéties, toujours plus ou moins voilées; des figures
que les Pères et notamment saint Jérôme et saint Au-
gustin, saint Hilaire et saint Basile, ont expliquées de
la descente aux enfers. — 1. Le Ps. xxxui, 7-9 : Attol-
lite portas, principes, veslras, et elevamini portée
œternales, est une sommation aux portes de la forte-
resse de Sion d'avoir à s'ouvrir pour laisser passage à
l'arche du Seigneur. On l'interprète d'une sommation
aux portes du Schéol pour la glorieuse entrée du Christ,
vainqueur de la mort et du démon. — Au Ps. xxix. i :
Eduxisti ab inferno animam meam, le roi David re-
mercie Dieu d'une guérison qui peut être regardée
comme une résurrection, comme un retour du Schéol,
tant la maladie était grave. Le verset s'entend de l'âme
du Christ qui est sorti du Schéol pour se réunir à son
corps, à l'aube du troisième jour. — On interprète,
dans le même sens, Ps. xlviii, 16 : Deus redimel ani-
mam meam de manu inferi, ru m acceperit me;
Ps. LXXXV, 13 : Eripuisti animam meam ex inferna
inferiori ; Ps. evi, 16 : Quia contrivit portas œreas, et
vectes ferreos confregit, et même Ps. cxxxvin, 8 :
Si ascendero in cselum, lu illic es; si descendero in
infemum, ades, ou pourtant il est assez difficile de
trouver une prophétie ou une figure; car le psalmiste
emploie cette formule pour marquer que Dieu est par-
tout, si loin qu'on se transporte.
2. D'autres textes île l'Ancien Testament ont encore
été invoqués : par exemple, Eccli., XXIV, 15, où il est
directement question de la Sagesse : Penetrabo omnes
inferiores parles terra;, et mtpiciam omnes dor-
mienlet, et Uluniinabo omnes sperantes in !)•>,,
Zach., ix, 11, où Dieu rappelle ■< Jérusalem qu'il a
rendu la liberté' aux Juifs exilés en Chaldée, à i
de l'alliance consacrée dans le sang des victimes
quoque, in sanguine te t tamen ti tui, emitûti vinclos
tuos de lacu. Mais le texte, qui parait avoir été le plus
souvent allégué, est la prophétie d'Osée, xm. 14 : De
mnnn morlis liberabo eos, de morte redimam eos.
Ero mors tua, o mors; morsus tuus ero, in/erne.
Littéralement, il est ici question de la victoire par
laquelle Dieu délivrera les Israélites de tous leurs
ennemis. Saint Grégoire le Grand y voit une prophétie :
elle a trouvé sa réalisation dans la victoire que le
Christ a remportée sur la mort, et aussi sur l'enfer
lorsqu'il y descendit : lllos ex inferni claustris ra-
puit, qitos suus in fide et aclibus recognorit. I
recle eliam per Osée dicil : Ero mors tua, o mors:
ero morsus tuus, inferne, Osée, xm, 11. 1,/ namque
quod occidimus, agimus ut penilus non s'il. Ex eu
etenim quod mordemus, parlent abstrahimus par-
temque relinquimus. Quia ergo in eleclis suis fundi-
lus occidit mortem, mors morlis exslilit. Quia vero ex
inferno partem abstulit et parlem reliquit, non occi-
dit penilus sed monwrdil infemum. Ait ergo : Ero
mors tua, o mors. Ac si aperte dirai : Quia in eleclis
■meis le funditus perimo, ero mors tua; ero morsus
tuus, inferne, quia sublatis eis, le ex parte transfigo.
Homil. in Evang., xxii, n. 6, P. L., t. lxxvi, col. 1177.
Cf. S. Cyrille de Jérusalem, Cal., XIV, 17. P. G.,
t. xxxiii, col. 848; S. Jérôme, lu Ose., xm. li. P. L.,
t. xxv, col. 937; S. Pirmin, Desingulis libris canonicis
scarapsus, /'. L.. t. lxxxix, col. 1033-1034.
2° Le Nouveau Testament contient des assertions
très diverses touchant la descente aux enfers. Quelques-
unes sont tellement catégoriques qu'elles ne laissent
plus place à l'hésitation.
1. En saint Matthieu, xn. 39-40. Notre-Seigneur.
parlant de ses contemporains, annonce le grand mi-
racle qui s'accomplira sous leurs yeux : « Cette géné-
ration méchante et adultère demande un signe, et il
ne lui sera donné d'autre signe que le signe du pro-
phète Jonas. Car de même que Jonas fut trois jours et
trois nuits dans le ventre d'un grand poisson, ainsi le
Eils de l'homme sera trois jours et trois nuits dans le
cœur de la terre. » Plusieurs interprètes ont vu dans
l'expression : in corde terra:. ï-i -r, xapêia rîKYÎjç, uni.
manière poétique de désigner le sépulcre de Jésus-
Christ. Au contraire, un bon nombre d'autres, comme
saint Irénée, Cont. hser., 1. Y, c. xxxi, n. 2, P. G.,
t. vil, col. 1209; saint Grégoire de N\sse. Oral., i, de
resurreclione : Tôv TcovSv ).éy<o, tôv irraOw; -/.a?à toC
XT,TOVç y.3(Ta2-jôjj.svov, xa\ Z-.yv. -i6o'j; iv. roj xt.to-.;
àvaS-j&jiEvov, tôv y.y.\ Tpi^\v r.uipa:; xai roca'jTai; wS':v
i/ -o':; /.r.-'i'O'.: (j-xliyy'/o:: ri)V Èv 55ou 6tXTpt6T)V roO
Kvpc'ou itpo&iavpâtliavToc, P. G., t. xlvi, col. 601: saint
Ambroise, In Epis t. ad Eph., c. iv. 9. P. L., t. xvn.
col. 587; et saint Jérôme. In Jon., c. il. P. L.. t. xxv,
col. 1131, ont jugé difficile d'admettre que le sépulcre
de Notre-Seigneur soit présenté comme situé au cœur
même de la terre. Aussi ont-ils trouvé plus naturel
d'entendre ces mots de la signification du lieu infer-
nal : en sorte qu'il \ aurait ici. du Christ lui-même,
une prophétie de sa descente et île son séjour aux en-
fers. Cf. lînabenbaucr, Comment, in Erang. S. Mat-
ai, 39-40, Paris, 1892, i. i. p. 199-500.
2. En plusieurs endroits, saint Paul parait supp.
pour certain le fait de la descente aux enfers. —
I, x, li. il explique aux Juifs combien il leur
était facile d'adhérer au Christ et d'être justifiés par
lui. Pas besoin n'était pour cela, soit de monter au
ciel pour en faire descendre le Christ, soit de des-
cendre dans l'abîme pour en rappeler le Christ d'entre
577
DESCENTE DE JESUS AUX ENFERS
578
les morls : Ne dixeris in corde tno : Quis ascendel in
cœlum ? id est, Christum deducere. Aut (juis descen-
del in abyssum? hoc est Christum a morluis rero-
care. D'où il semble que, dans la pensée de saint Paul,
le Christ, après sa mort et avant sa résurrection, a été
dans l'abime. c'est-à-dire dans le séjour des morts. —
b) Eph., iv, 9-10, l'apôtre écrit : Quod autem ascendit,
quid est, nisi quia et descendit primum in inferiores
parles terrée (xa-Éër, jtpwtov ec; ri -/.a-o'jTcpa (j.:'pr, rfjç
yf,ç)? Qui descendit, ipse est et qui ascendit super
omîtes ceelos (àvÉëïi ô-Epivi.) 7c<xvt<uv t<5v ovipavûv), ut
implerel omnia. D'après les uns, les inferiores partes
terne marqueraient l'abaissement de l'incarnation, et
le passage signifierait que le Christ est monté à la
gloire, parce qu'il s'était humilié jusqu'à revêtir
l'humanité terreslre; saint Thomas n'accepte pas celte
interprétation. Selon d'autres, l'apôtre enseigne ici que
le Christ, afin de remplir toutes choses, c'est-à-dire
afin de parcourir tout l'univers en triomphateur el
de partout manifester sa puissance, est descendu dans
les parties inférieures de la terre et monte'' au-dessus
de tous les cieux. De l'opposition établie entre ces
deux extrêmes, il résulte que le verbe y.axéër\ doit être
pris dans le même sens localisé que v.'iidr„ c'est-à-dire
qu'il marque aussi un réel passage d'un lieu à un autre.
Ainsi se trouve exclue l'interprétation métaphorique
de la descente par l'incarnation et de l'ascension par
la glorification. D'autre part, il parait difficile que l'ex-
pression : inferiores partes terrée, désigne ou toute la
terre, ou simplement la surface terrestre et la place du
tombeau de Notre-Seigneur. Elle semble plutôt mar-
quer un lieu déterminé, situé dans les profondeurs de
la terre, je veux dire les enfers, que le Christ a visités
comme il avait visité la terre elle-même et devait visiter
le ciel, afin de loul remplir de sa présence et de son
influence : »/ in nomine Jesu omne genu fleclatur,
ceeleslium, lerreslrium ri infemorutn. Phil., n, 10.
Aussi paralt-il beaucoup plus probable que l'apôtre
mentionne ici la descente de Jésus-Christ dans les lieux
infernaux. — c) Col., n. 15 : Et eoespolians principatus
ri po testâtes, tradv i il confidenter, ),alam triumphans
iltus u, terne tipso. Selon les uns, l'apôtre avertit que
les chrétiens, s'ils demeurent unis à Jésus-Christ, n'ont
plus rien à craindre des dénions : car, par l'intermé-
diaire de son Christ. Dieu les a terrassés et désarmés;
il a triomphé d'eux publiquement, les conduisant de-
vant lui comme on faisait jadis des vaincus. Mais
d'autres commi ont entendu le passage d'une
omplie directement par !<• Christ, et, par
suite, il \ aurait in mention de la descente aux enfers
et du triomphe qu'elle fut pour le Christ sur les puis-
3. Les textes décisifs el classiques nous viennent de
1 Le premier est le discours prononcé
par b' prince d< - apôln - i Jérusalem, au jour de la
Pentecôte el rapporté par fis Actes. N'ous laissons 'le
Act.. ii, 24 : Quem /' lavit, solutis dolorv-
"/■■tut. parci que la leçon est indécisi on ne
faut lue î?ou ou ÛavdiTov, et, par
■■u ne peut dii it des douleurs de l'enfer
ou il- celles de la mort. Mus nous retenons Vct., il,
10 'In l's. XV : |
inques ani nfei ,,,, ; ,\
I peuvi 1 1 p a appliqu
I lui même, i ar il i t mort, il a li et
oui- li qui le contient. <tr, conti-
Pii rre, i prophète. Il savait que
lui avait juré de mettre sur son trône un lil
d du Christ, qu il pré' oyait,
en 'ii dam le séjour
iii n'a pa i onnu la corruption.
Au li 'loue
qui le < i mort ei avait
DICT. [)F. 7111 "ni . CiTHOL.
résurrection, iraiten son Ame dans les enfers, si; SSou.
Mais elle n'a pas été' abandonnée en ce séjour infernal :
à la résurrection, elle fut réunie à son corps. Le sens
de ce passage est si clair que les commentateurs catho-
liques sont unanimes à l'entendre delà réelle descente
de l'âme du Christ aux enfers. Nombre de protestants
abondent aussi dans le même sens. En fait, il faut impo-
ser aux mots une véritable violence pour en tirer les
interprétations opposées, celle-ci, par exemple, de
Calvin : Saint Pierre marque simplement ici que l'âme
du Christ ne fut pas tout à fait anéantie par la mort;
ou cette autre de Théodore de Bèze : En disant que
l'âme du Christ ne fut pas abandonnée dans l'enfer,
saint Pierre n'annonce rien autre chose sinon que le
corps du Christ n'a pas été délaissé dans le tombeau.
Quand on accorderait à Théodore de Bèze que le mot
hébreu néféê, t-::, a parfois la signification de cadavre,
il ne s'ensuivrait nullement qu'il a précisément ici ce
sens et qu'il faut lire : non relinques cadaver meum
in sepulcro; d'autant plus que le mot se'ô/, ViNtf, ne
signifie jamais sépulcre, mais habituellement, pour ne
pas dire toujours, le monde inférieur, le royaume des
ombres, l'enfer. D'autre part, ce qui a bien son impor-
tance, le texte grec des Actes traduit Se'ôl, non par râçoç,
mais par Sôï|ç, et néféê par ■l-jyrr Or, malgré que Suicer,
Thcs. eccles., v» <l>-jyr„ t. n, p. 1579, veuille donner au
mot SSïjç, dans la littérature patristique, le sens de
sépulcre, Dietelmaier avoue qu'il n'a rencontré aucun
texte des Pères offrant ce sens exclusif. Historia dog-
matis de descensu Christi ad inferos, 2e édit., Altorf,
1762, p. 12. Suicer n'est pas plus heureux quand il
tente de traduire anima, \ivy_rn par cadavre. D'où l'on
peut conclure absolument qu'en son discours saint
Pierre a voulu dire et a dit que l'âme du Christ ne fut
pas délaissée dans les enfers où elle élait descendue.
Cf. Bellarmin, Controv. fidei, De Christo, I. IV, c. xn,
Ingolstadt, ir>99, p. 375-377; Dictionnaire encyclopé-
dique delà théologie catholique, trad. Goschler, Paris,
1869, t. vi, P. -l-i-i-ïi).
b) Il est un autre enseignement de saint Pierre qui
a aussi sa grande importance, et qui est consigné dans
la la Pet., m, 19. Il n'affirme pas simplement le fait
de la descente aux enfers, mais en expose l'économie.
Le texte sera plus utilement étudie plus loin, à propos
de l'œuvre du Christ aux enfers.
///. LES DOCUMENTS PATRISTIQUES. — Nous avons
Constaté que la première attestation de la descente aux
enfers dans les symboles ou les professions de loi date
du iv siècle. Mais les Écritures nous ont édifiés sur le
sentiment de l'âge apostolique, et l'ancienne littérature
patristique témoigne que. dès les tempe les plus reculés,
la croyance se trouve établie que le Christ est descendu
aux enfers.
1» La plupart des écrits ecclésiastiques du ir siècle
enseignent cette doctrine. 1, Un apocryphe, VÉvan-
gile :ie Pierre, dit qu'à l'instant ou le christ sortit
du tombeau, une voix cria du ciel : i As lu prêché aux
morts? » Et une voix partie de la croix répondit :
« Oui. ■> Kal •;<. '",; rjxouov ï/. rûv oùpav&v ).i",o J-rr,;'
. /. su ùnaxa . a- ■ to-j
o-ravpoû 6tt' val. Evangel, Pétri, il. Parmi les Testa-
mente, pareillement apocryphes, de- douze patriarches,
celui de Benjamin prophétise le fait, c. xn, n. 9, dans
Galland, Bibliot Palrum, t. i, p. 239; P <• .
t. n, col. 1148. Cf. Mo. Mer. Patrologie, t. i, p. 966.
Saiiii [gnai que le Sauveu i les pro-
qui attendaient sa venue et li i ressuscil
Kal '■'.■x -',
i i Hagn , i x. -2. 1 nul, . Palrum
i. p. Ifs. Dans
s.i b lire aux Trallii ns, il semble an lluaion i
la descente aui enfers, lorsqu'il écrit Le Sauveurs
I\. 19
579
liKSCEXTE DE JESUS AUX ENFERS
580
été vraiment crucifié, il est réellement mort, au vu et
au su des esprits célestes, des hommes, et des .'unes re-
tenues sous terre. BXeitdvtcov tûv £jcovpavtu>v /.%: ïr.:-
•riîuyi '/.al •j7to/0'jvû.)v. Ad Trall., IX, 2, Funk, op. cil.,
t. i, p. 208. Le pseudo-Ignace a commenté ce texte par
l'addition suivante : Le Christ est descendu seul aux
enfers, mais il est remonté en nombreuse compagnie :
Kai y.aT7(/.0sv eïç x8ï)v [làvoç, àv/)X8ev Sk p.îTà tcXtjOovç.
^1(/ Trall., ix, i, Funk, op. eif., t. il, p. 70. Au milieu
du ne siècle, Ilermas imagine que l'œuvre du Christ se
continue après lui dans les enfers. Voici quarante apô-
tres et docteurs qui, une fois décédés, s'adressent main-
tenantaux runes des morts, les amènent à la connais-
sance du Fils de Dieu et leur donnent le sceau de la pré-
dication (le baptême) : Oûtoi o\ a7i6<TTo).i-ji /ai oi 5'.5â<7-/.a-
)oi ol xï)p'Ji;avTeç tô ovotj.a to'j \i\o\j toû 0eoO xotjj.r,6£vT£;
Èv 8\jvap.£c xai ■xia-i: toû -jiov toû ©eoO È-/ïjpui;av /.ai toï;
7rpo5tExoi|J.Y)|jivoiç, /.a"! a-JTo\ È'ôar/av a'jroî; r/]v ffçpayîSa
toû xr)pûy|JWiToç. S<m., IX, XVI, 5, Funk, op. cit., t. I,
p. 532.'
2. Saint Justin blâme les Juifs de se figurer que le
Christ a paru dans les enfers comme un homme ordi-
naire. Il leur fait grief d'avoir supprimé de la prophétie
de Jérémie ce texte, du reste apocryphe, plusieurs fois
invoqué au IIe siècle : « Le Seigneur Dieu s'est souvenu
des morts d'Israël qui dorment sous la terre, et il est
descendu vers eux pour leur annoncer la bonne nou-
velle de son salut. » Kai àno Taiv Xôytov to-j avToû Is-
pejjiou ôp.ot'a>ç xaÛTa 7r£p:£-/.0'}/av. « 'E|xvr,«ï6Y| 6k KJptoç ô
èeoç àirb 'I<rpar|X tûv vsxpûv aijtoû T<iiv xsxot[i,Y][iiv<i>v eIç
vr,v /(ôp-axoç. Kai •/.atÉgr, Ttpôç aÙToùç E-JaYYEXcc-aTOai
aOioîç tô o-a>TT,piov avToû. » DiaL cum Tryph., 72,
P. G., t. vi, col. 645. Saint Irénée s'appuie lui aussi
sur ce texte apocryphe, qu'il attribue tantôt à Isaïe et
tantôt à Jérémie, Cont. hser., l.*III, c. xx, n. 4, P. G.,
t. vu, col. 945 (Isaïe)... Et descendit ad eos evangelizare
salutem quae est ab eo, ut salvavet eos; 1. IV, c. xxii,
n. 1, col. 1046 (Jérémie); 1. IV, c. xxxm, n. 12, col. 1081 :
Rccommcmoralus est Dominus sanctus lsrai'l mor-
tuorum suoriim qui preedormierunt in terra defossio-
nis et descendit ad eos; 1. V, c. xxxi, n. 1, col. 1208.
Dans l'ouvrage du même Père, récemment découvert
en arménien, il cite encore ce texte apocryphe sous
le nom de Jérémie pour en conclure que Jésus est
descendu aux enfers afin de sauver les morts, qui y
étaient enfermés. Karapet Ter-Mèkërttschian et Erwand
Ter-Minassiantz, Des heiligen 1 rendus Schrift zum
Erweise der apostolischen Verkundigung, n. 78, dans
Texte und Untersuchungen, Leipzig, 1907, t. xxxi,
p. 42, 63. L'évêque de Lyon s'appuie encore sur une
vieille tradition, venue d'un ancien qui la tenait des
auditeurs des apôtres : Audivi a quodam pre&bytero
qui audieral ab his qui apostolos viderant... Dominum
in ea,quse suntsub terra, descendisse, evangelizantem
et illis adventum suum, remissione peccatorum exis-
stente his, qui credunt in eum, I. IV, c. xxvn, n. 1-2,
col. 1056-1058. Parfois aussi saint Irénée part du fait
même de la descente aux enfers comme d'un principe
pour combattre ses adversaires. Reprenant une opinion
de saint Justin, il soutient que les âmes des défunts
ne sont pas immédiatement accueillies dans le ciel,
mais elles vont attendre le jour de la résurrection dans
un lieu invisible situé dans l'aôriç. Ainsi l'exige la res-
semblance avec Jésus-Christ qui est allé dans l'endroit
où vont les âmes des morts et n'est ressuscité et monté
au ciel qu'après cela. Cum enim Dominus in medio
umbree mortis abierit, ubi animée mortuorum erant,
post deinde corporaliter resurrexit, 1. V, c. xxxi, n. 2,
col. 1209. Aux gnostiques qui tentaient de la résurrec-
tion une explication allégorique, il oppose la réalité
du fait de la descente aux enfers : Dominus legem
mortuorum servavitut fieret primogenitus a nwrtuis,
et commoratus usque in diem tertiam in inferioribus
terrse. Ft il s'agit bien là des enfers, inferiora terrée,
car c'est le lieu de l'ombre de la mort, ubi animai
mortuorum erant, 1. V, c. xxxi, n. 2. col. 1209. Tribus
ut eonversalus est ubi erant mortui... et descendit
ml eos, extrahere eos et sahare eos. Ibid., n. 1.
col. 1208.
3. Aux confins du IIe et du m» siècle, nous rencon-
trons Clément d'Alexandrie. Il consacre tout un chapitre
de ses H tr ornâtes à l'empire des morts dont il décrit
les conditions ou l'économie, au moment de la venue
du Sauveur. Or il affirme que le Christ est descendu
aux enfers pour visiter les hommes d'autrefois, qui,
toujours vivants en leur âme, attendaient son arrivée.
Le seul but de sa visite était de leur annoncer la bonne
nouvelle: Eï y'»5v ô K-jpto; St'ovSsv Êtepoy s'.; xSo*j
xatTJXOev, ïj oià tô EÛayyEAÉffaffôat. Slrom., VI. c. VI,
/'. G., t. ix, col. 268. Cette évangélisation d'outre-
tombe ne cesse pas avec la résurrection du Christ. Clé-
ment cite expressément deux fois le passage d'Hermas
où il est dit que les apôtres morts ont prêché aux âmes
des justes qui ne connaissaient pas le Christ et n'avaient
pas reçu le sceau du baptême. A'.ôttes 6 K-jpto; e-jyjy-
YeXtVaTO -/.ai toî: èv S8o«. Strom.,\l. c. VI, i*. G., t. ix.
col. 265; cf. II, c. IX, ibid., t. vm, col. 980.
2° Le ine siècle apporte aussi sa gerbe de témoignages
plus explicites à notre moisson patristique. — 1. Ter-
tullien est formel. Comme saint Irénée, du fait de la
descente aux enfers, il tire argument contre l'opinion
qui ouvre le ciel aux âmes des justes immédiatement
après la mort. Le Christ s'est conformé aux lois de la
mort humaine : il n'est monté au ciel qu'après être
descendu dans les profondeurs de la terre pour se ma-
nifester aux prophètes. Ainsi doit-il en être de ses dis-
ciples : Siquidem Chris tum in corde terrse triduum
mortis legimus expunctum... Quod si Chris tus Deus,
quia et homo, mortuus secundum Serij>turas et sepultus
secundum easdem, huic quoque legi satisfecit, forma
humanse mortis apud in feras functus ;nec ante OSi
dit in sublimiora cwlorum, quant descendit in infe-
riora terrarum,ut illic patriarchas et proplwtas com-
potes sui faceret. De anima, c. lv, P. L.,l. n, col. 742.
Puis, du même fait, il conclut à l'existence réelle d'une
région infernale : Si Christus Deus descendit in infe-
riora terrarum ut illic patriarchas el prophelas com-
potes sui faceret, habes et regionem inferorum subler-
raneam credere. De anin}a,c. l\,P. L., t. il, col. 742-
743; cf. c. vu, ibid., col. 657.
2. Contre Celse, Origène soutient la foi de la des-
cente du Christ aux enfers. Les prophètes l'y ont pré-
cédé, annonçant sa venue, et saint Jean-Baptiste a été.
là comme sur terre, son précurseur. A l'heure marquée,
l'âme du Seigneur, dépouillée de son corps, alla vers
les âmes qui étaient dans le même état, afin de con-
vertir celles qui voudraient recevoir son enseignement :
Kai yi)(i.VTJ <ra>(j.aTo; yevdjtevoç 'V-yr, xa:ç yu(ivat; TwiiaTN»
f.'ej.i"/r. 'l/'j/ai; È~'.<7T-pi;<ov xàxEtvcov Ta; ëovXojiiva; itpô;
aùrôv, rt a; âaSpa Si'Su; r/ji: a^TÔ; Xoyou;, êTttTr.BetoTepaç.
Cont. Celsum., 1. II, c. xi.in, P. G., t. xi, col. 865. Il
ne faut pas s'étonner de cette démarche : ce sont les
médecins qui visitent les malades, et il est le grand
médecin. In lib. Regum, homil. u. P. G., t. xu,
col. 1025. Patriarches, prophètes, tous attendaient l'ar-
rivée de Jésus-Christ : ileptltiEvov ojv ttjv toû K.
|j.o-j 'Iï^tovi Xp'.OT'-j-j £-iSr,u.:av -/.ai -rraTp'.ipya:. xai ~'-0-
çr.tat, -/.ai -ixvte;. Ibid., col. 1028. Après son triomphe
sur les démons ennemis, il emmène ceux qu'ils déte-
naient sous leur empire comme le butin de sa victoire
et il emporte les dépouilles du salut : Yictis adversariis
deemonibus, eos qui sub ipsorum dominalione lene-
bantur, Christus tjuasi prsedam victoriœ suœ ducit,
et spolia salulis reportai: sic<<l cl in aliis déco scrip-
tum est, quia ascendens in altuin captivam duxit cap-
tivitatem. In Num., homil. wiii. n. i. P. G., t. XII,
581
DESCENTE DE JÉSUS AUX ENFERS
582
col. 717-718. Cf. In Gen., homil. xix, i; xvm, 6; In
Exod., homil. vi, 4; In 1 Reg., homil. xxvm; In
Ezech., homil. i, 13. — Vers la même époque, saint
llippolyte martyr souligne lui aussi ce trait que saint
Jean-Baptiste a devancé Jésus dans les enfers comme
sur la terre, et qu'il y vint annoncer le Sauveur qui ra-
chète les saints des mains de la mort. De Christo et An-
tichristo, 45, P. G., t. x, col. 764. Ojtoç npoésÇais xai
toï; iv SSï) S'jjyyï/ ;.ij-x'7f)y.i, âvatpedetç ùizb 'HpcâSov, itp<J-
Bpojioç - :vvjsvoç êxel. Ailleurs, il relate la bienheu-
reuse passion du Christ, sa sépulture, sa descente aux
enfers, sa rédemption des âmes. Cf. A.d'Alès, La théo-
logie de saint Bippolyte, Paris, 1906, p. 198. C'est
alors que saint Cyprien prêchait à Carthage, et rappe-
lait la victorieuse descente aux enfers. Testimonia,
I. II, c. xxiv, P. L., t. iv, col. 716-717; Corpus scripto-
,-nm latinorum, Vienne, 1868, t. i, p. 91. Rapportons
encore un témoignage des plus anciens. Il se trouve
dans l'une des deux prières de Cyprien, poète italien ou
gallo-romain. K. Michel estime que ces prières, dans
leur forme actuelle, sont postérieures à Constantin,
mais qu'elles procèdent d'un original grec du ir' ou du
ni' siècle. Dans ces conditions, l'on voit comhien est
précieux le témoignage ainsi conçu : Qui jiassus es
tub Pontio Pilato bonam confcssionem,gui crucifiants
•ndisti, ri conculcasti aculeum mortis. P.L., t. iv,
col. 908. Voir CYPRIEN (poète), t. m. col. 2472.
3. Ne quittons pas ce ine siècle sans accorder une
brève mention à des documents qui, pour être ano-
nymes ou apocryphes, n'en sont pas moins de précieux
témoignages de la foi primitive. Dans les Oracula
sybillina, 1. VIII, v. 310-316, Leipzig, 1902, la sibylle
chrétienne chante l'espérance annoncée dans les en-
fers aux Aines des saints, la victoire remportée sur
la mort et la résurrection inaugurée par le Christ.
L'Évangile de Nicodème oflre pour la question une
particulière importance. Il se compose de deux par-
tie- :1a première (c. i-wn contient les Actes de
l'ilote dont nous n'avons pas à nous occuper; la se-
conde (c. xvn-xxix) constitue la Descente aux enfers.
Nous en possédons un texte grec, probablement du
ix« siècle, que Thilo a publié, Codex apocr\j)ilius \ •
Testamenti, Leipzig, 1832, p. 666-786, et deux traduc-
tion- latines, \ et B, éditées par Tischendorf, Evangelia
rypha, 2 édit. Leipzig, 1876, p. 389-416, (47-432.
Cf. p. lxvii-i.xxvi. Le texte grec de Thilo est très rap-
proché de la version latine A. tandis que la version B,
fréquemment retouchée, s'éloigne de l'un et de l'autre.
Dans ci conditions, il faut supposi p une rédaction pri-
mitive de laquelle dérivent les textes actuels. Quelle en
est la il. ii' ' Les mis supposent un auteur gnostique
du ni' ou même du n siècle, II. lioltzmann, Einlei
tung,$ 191; les autn ne remarquent aucun Irait qui
oblige à remonter plus haut que le iv« siècle, Harnack,
igie, p. 604; l'abbé J. Variot, Élude sur l'his
giles apocryphes, Paris. 1866,
p. '.W.K place, sans hésiter, la Descente dans la première
moitié du à l'époque où la formation des lé-
Irouvail 'u pleine activité. Cf. M igné, Diction-
apoi ryphes, i i col 1088 sq. L'on a ob
m que la /'• cente est un véritabli
la lettre, qui sera largi ni utilisé au moyi ■
i action. Au proli
m une multitude de n • i. parmi
1 n ■ (Tel, l'on constate que leui -
t'/ui! idi Poui 'in, [la vivent dans la
> imathie. Anne, Caïphe, Nii odi me 1 1 loseph
d'Aï irnalhie » iennenl li . onjurent,
au nom de Dieu, d< dire coi ni Ils sont n
de la croix sur
' ■ < me leur histoire. I
i ni . et nous montre i"
lieu infernal, le Fils de Dieu requérant l'ouverture des
portes, Satan la refusant. Adam et Seth, Isaïe et Jean-
Baptiste, David et Jérémie interviennent, et, dans leur
joie, chantent le Benedictus qui venit in nomine Do-
mini. Voici qu'entre à la dérobée le bon larron. Bien-
tôt les portes sont brisées, seras cotnminutse et vectes
ferrei fraeli. Satan est enchaîné par le Christ qui lui
met le pied sur la gorge, pedemque suum sanction ci
posuit in gutliire. Alors Adam, Eve, tous les saints
invoquent Jésus, qui rejette une partie des morts vers
le Tartare, et emmène les autres après lui. Voilà, au
IIIe siècle, un long commentaire, très original et 1res
dramatique, de la descente aux enfers. Il a, nous le
verrons, fréquemment inspiré l'iconographie chré-
tienne. Voir Jean Monnier, La descente aux enfers,
c. iv, Paris, 1905, p. 91-107.
3° A partir du iv- siècle, la tradition patristique re-
joint les affirmations du symbole. Elle devient si una-
nime et si continue, que déjà saint Augustin pouvait
écrire : Seul, un inlidèle peut nier la descente du
Christ aux enfers : Quis ergo nisi infideUs negaverit
fuisse apud inferos Chrislum? Epist., CLXJV, ad Evo-
dium, c. n, n. 3, P. L., t. xxxm, col. 710. C'est presque
tous les Pères, à dater de cette époque, qu'il faudrait
citer pour être complet, et plusieurs très longuement.
Il faudrait au moins entendre, pour l'Occident, Firmin
Materne, saint Hilaire, sainl Ambroise, saint Augustin,
saint Jérôme, Rulin, Prudence, Fulgence et saint Gré-
goire le Grand; pour l'Orient, Eusèbe de Césarée, sainl
Athanase, saint Cyrille de Jérusalem, sainl Basile,
saint Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de Nysse,
sainl Épiphane, saint Jean Chrysostome et saint Jean
Damascène. Tantôt ils se contentent de reproduire
simplement les dires des anciens sur la question;
tantôt ils affirment le fait et en esquissent l'explication;
tantôt ils commentent les textes scripturaires que nous
avons précédemment indiqués ; d'autres fois même, ils
partent de la descente aux enfers pour démontrer,
contre les ariens ou les apollinarisles. l'existence
d'une âme humaine dans la composition du Verbe
incarné. On trouvera leurs références et citations dans
Petau, Dogmata theologica, De incarnatume, 1. XIII,
c. xvi. xvii, Venise, 1757. t. v, p. 133-138; Bellarmin,
Disputationes de controversiis i In istianse fidei, De
ChrUto, I. IV, c. xiv, Ingolstadt, 1599, p. 386-391;
Stentrup, Soteriologia, thés, xi.vi. Il sera tout à la
fois plus pratique et plus utile à notre but de rappor-
ter leurs 'ii-i i l. n . - nts principaux à propos de l'œuvre
du Christ aux enfers.
M'. LA VRADIirON THÉOLOGIQVB, l« La théol
scolastique a trouvé le dogme si bien ancré dans la
foi des fidèles qu'elle ne s'est guère attardée à en établir
les preuves. Elle en a plutôt cherche l'explication. Le
maître des Sentences, I. IN, dist. XXII, s'il rapporte
quelques textes des Tores, I)(. |r |,n| pas pour tirer
démonstration expresse du fait de la descenti
son côio. sainl Thomas, Sum. theol., IIP. q. lu,
le- Imii articles de cette longue question à noire
sujet, Le premier seul peut paraître un essai de dé-
monstration : mais, en réalité, c'est plutôt une esquisse
onvenances ou du but de la descente :
nient Chrislum ad inferos des-
I ommentateurs des Senti ni es el de la
Somme suivirent le sillon ainsi tracé, el les chi
demeurèrent en l'étal jusqu'à la Réforme.
2° Au xvi liécle, déniant toute valeur démonstrative
aux Écritures h jusqu'alors, les protestants
repoussèrent cel article de la fol traditionnelle
bien d'auti fut doue aux théologiens catho-
liques de faire front iveaui ad L'un
pi i Bellarmin Conli
sur li i rote chapil lir, contre (
vin, Théodoze de Bi ze, Buci r, la n alité de la descente
583
DESCENTE DE JESUS A IX ENFERS
aux enfers. La question bien posée, c. vi, il prouve
d'abord que « descendre aux enfers » n'est pas une
métaphore pour exprimer un anéantissement complet,
c. vu; ni pour marquer que le Christ a enduré les
douleurs infernales, c. vm; ni pour signifier qu'il a
été enseveli et mis dans un tombeau, c. ].\; car les
enfers sont un lieu souterrain tout différent des lieux
de sépulture, c. x. Ayant rappelé alors que les âmes
des justes ne furent pas introduites au ciel avant l'as-
cension du Sauveur, c. xi, Bellarmin démontre la vérité
de la descente aux enfers par les Ecritures, c. XIV,
explique le locus obscurissinnis de la 7a Pétri, III, 19,
et iv, 6, c. xin, relate abondamment les attestations
des Pères grecs et latins, c. xiv; établit contre Durand
que l'âme du Christ est descendue aux enfers au sens
propre de sa réelle présence en ce lieu, c. xv; et ter-
mine en réfutant quelques objections particulières de
Calvin, c. xvi. Disputationes de conlrorersiis chri-
stianse fidei, De Christo, 1. IV, c. vi-xvi, ingolstadt,
p. 351-428. — En même temps, Suarez faisait un ellort
analogue, mais plus spéculatif, De mysterio vitae
Christi, disp. XLII, XLIII, Paris, 1866, t. xix, p. 697-
743; et Estius venait à la rescousse, avec sa compé-
ence scripturaire. Peu après, Petau reprenait toute la
question à sa manière et au point de vue de la théo-
logie positive. Dogmata Iheologica, De incarnat ione,
1. XIII, c. xv-xvm, Venise, 1757, t. v, p. 132-142. Sa
question nettement introduite, c. xv, il rapporte en
détail l'enseignement des Pères grecs, c. xvi, celui des
Pères latins, c. xvn, et il explique, avec la même éru-
dition, l'œuvre accomplie aux enfers, c. xvm.
3° Peu à peu cependant, les théologiens catholiques,
occupés, sans doute, par des soucis plus urgents, ont
détourné les yeux de ce terrain de combat. Tandis que
les protestants continuaient de disserter, en leur sens,
sur la question, les catholiques parurent s'en désinté-
resser. Aujourd'hui les traités ordinaires de théologie,
ou passent la question sous silence, ou l'effleurent à
peine. Cette abstention est d'autant plus regrettable
que la descente aux enfers est un article du symbole,
un point de la foi catholique que le concile de Trente
impose aux pasteurs de prêcher et, partant, de bien
connaître, une vérité que les modernistes et les pro-
testants plus ou moins rationalistes ne négligent pas
et cherchent à rejeter aujourd'hui dans le chaos de
leur système évolutioniste. A leurs publications nous
n'avons guère à opposer, de notre côté, que l'étude
critique et positive de M. .1. Turmel, dans la collection
Science et religion : La descente du Christ aux en-
fers, Paris, 1905, laquelle avait paru dans les Annales
de philosophie chrétienne, en 1903.
III. Explication doctrinale du fait de la descente
AI X ENFERS. — /. LE LIEU DE LA DESCENTE DO CHRIST.
— 1« L'enfer, les enfers sont exprimés, dans la tradi-
tion latine, par les mots : inferi, inféras, inferxu*,
infemi, inferna; dans la tradition grecque par Hadès,
"AS/,;; dans la tradition juive, par Se'ôl, ViNtf. Ces dif-
férents vocables désignent communément le lieu où
demeurent les âmes des morts. Jamais ils ne signifient
sépulcre, comme Bèze l'a prétendu. Quand on étudie
soigneusement les textes allégués pour soutenir cette
traduction, on constate que la signification naturelle
et obvie de ces mots est celle de monde inférieur, de
royaume des ombres. Cf. Bellarmin, Disp. de contro-
versiis christ, fidei, Dr Christo, 1. IV, c. x. xn, Ingol-
stadt, 1599, p. 368, 374. Pott, Epislolx catholicee, Gœt-
tingue, 1810, p. 317, affirme qu'à sa connaissance Wôl
n'a nulle part le sens de sépulcre; qu'il est synonyme
du grec "AS/;; et que ces mots désignent tous deux le
royaume des ombres. Ajoutons que les plus anciennes
versions traduisent unanimement Se'ôl par enfer, ra-
rement par mort, jamais par sépulcre.
2» Dans l'Ancien Testament, le Se'ôl est le séjour
commun aux ânes de tous les morts. Il est représenté
comme un lieu souterrain, Gen., xxxvu. 35; Num., XVI,
30, qui se trouve dans les profondeurs de la terre.
Ps. xi. vin. 18; i.iv, 10; LUI, 10; i.xxxvn, 7; cxxxvin,
8; Job, xvn, 16; Prov., IX, 18; Is., xiv. '.) sq. Mais si les
livres les plus anciens considèrent principalement h
Se'ôl comme la demeure où sont reçus tous les morts,
les livres postérieurs montrent que, dans ce séjour, I
différent est le sort des bons et des méchants. Les
Psaumes indiquent cette différence, au moins comme
une espérance. Ps. xvi,15; xlviii, 15-16; i.xxn. 24-25;
xv, 9-10. Job, lui, célèbre le libérateur qui arrachera
les justes au Se'ôl et à l'empire de la mort, xix, 23-27.
Les prophètes insistent sur le feu et les autres châti-
ments dont seront punis, dans le Se'ôl, les crimes des
impies. Les livres deutérocanoniques font ressortir les
récompenses que les justes trouveront déjà dans le ie
Ils sont « dans la paix, leur espérance est remplie
d'immortalité; ils sont dans le lieu du rafraîchisse-
ment. » Sap., ni, 1 sq.; IV, 7. Même le IIe livre des
Machabées parle de la purification de certaines âmes
dans le Se'ôl, et aussi de la gloire et de la puissance dont
y jouissent des justes. II Mach., xn. 42-46; xv, 12-1 i.
D'où, pour les Juifs, il y avait trois catégories parmi
les âmes des morts : celle des justes qui se trouvent en
condition heureuse et peuvent, par leurs prières, venir
en aide aux vivants, comme Jérémie et Onias; celle
d'autres justes, qui portent encore la charge de fautes
dont ils peuvent être délivrés par les prières des vi-
vants, tels les soldats de Judas Machabée; celle enfin
des criminels qui ont mérité la peine du feu.
Il y a un changement à noter avec le Nouveau Tes-
tament. Les croyants savent que le Christ a tiré les
justes de l'enfer et leur a ouvert le ciel. Par suite, l'enfer
va désigner habituellement le séjour de ceux qui ne
sont pas dans le ciel, et proprement la demeure des
damnés. Néanmoins, plusieurs fois encore, il sera parlé
du se'ôl d'après la conception juive, vraie d'ailleurs
jusqu'à la mort, et même jusqu'à la résurrection et
l'ascension du Sauveur. Ainsi Jésus déclare que les
justes, comme Lazare, sont accueillis dans le sein
d'Abraham, et les pécheurs dans les tourments. Luc.
xvi, 19 sq. Le sein d'Abraham, c'est la partie du Se'ôl
où se trouvaient les âmes des justes décédés avant
Jésus-Christ et attendant de lui l'ouverture du ciel.
Ainsi encore, pour saint Paul et pour saint Jean,
les créatures douées de raison sont de trois classes :
cœlestium, terrestrium et infernorum; il en est qui
sont in cselo, super terram et sub terra. Phil.,
H, 9-10; Apoc, v, 13. Cf. Dictionnaire de la Bible,
v Enfer, t. n, col. 1792 sq. ; v» Hadcs, t. m. col. 391:
v" Limbes, t. iv, col. 256. Voir Abraham (Sein d'), 1. 1.
col. 111 sq.
3° Le catéchisme du concile de Trente propose très
nettement cette doctrine dans son explication de l'ar-
ticle du symbole. Il expose d'abord ce qu'il faut, de
façon générale, entendre par les enfers : ce sont ces
lieux, ces dépôts cachés où sont retenues prisonm
les âmes qui n'ont pas encore obtenu la béatitudi
leste, lnferorum nomen ahdila illa receptacvla signi-
jicat, in quibus anima; detinentur, quse
titudinem non sunl consequutœ. L'on confirme cette
définition par la citation de Phil.. Il, 10, et de Aet.. II,
l'.i. Ensuite le catéchisme ajoute que ces receptoculm
ne sont pas tous semblables et d'une seule sorte : Xeque
tamen ea receptacula unius et ejusdeni generis sunt
omnia. Il y a d'abord une prison affreuse et obscure,
où les âmes des damnés sont tourmentées avec les
esprits immondes par un feu perpétuel et qui ne s'éteint
jamais, ('.est l'enfer proprement dit. celui des damnés.
'la géhenne, l'abîme : Est enim ieterrimus et obscu-
rissimus carcer, Matth., xxv. 41, ubi perpetuo et
linguibili »;/«<' damnalomm animx simul cum îm-
585
DESCENTE DE JESUS AUX ENFERS
586
mundis spirilibus torquentur, qui etiam gehenna,
Apoc, ix, 11, abi/ssus et propria significatione infer-
Yius vocatur. Luc, xvi, 22. Il y a encore le purgatoire,
où les âmes des justes se purifient dans des souffrances
qui durent un temps déterminé, en attendant qu'elles
soient dignes d'entrer dans l'éternelle patrie : Prse-
terea est purgalorius ignis, quo pioruni animas ad
definitum tempus cruciatae expiantur, ut eis in seter-
<nam patriam ingressus patere posait, in quant niliil
inquinatum incurrit. Apoc, xxi, 27. Enfin il y avait
le sem d'Abraham pour les âmes des saints qui atten-
daient la venue du Sauveur, exemptes de toute douleur
dans un séjour tranquille et soutenues par l'heureuse
espérance de leur rédemption: Tcrtiuni postremo re-
ceptaeuli genus est, in quo animas sanctorum, ante
Chris ti Domini advenlum excipiebanlur, ibique sine
doloris sensu, beala redemptionis spe sustentait,
quieta liabitatione fruebantur. Calechismus ad paro-
dias, part. I, c. vi, n. 3, Rome, 1902, p. 56.
1 Considéré en soi et absolument, l'article de notre
foi enseigne que le Christ est descendu aux enfers,
: 1 1 ;> i s sans autre précision. La considération de l'œuvre
accomplie par le Christ vient déterminer le lieu par lui
visité. Il ne s'est rendu, ni à l'enfer des damnés, ni
au purgatoire, ni aux limbes des enfants que la sainte
Ecriture ne mentionne pas directement.il est simple-
ment descendu aux a limbes des Pères ».
//. /..l PERSONNE DESCENDUE AUX ENFERS ET SON
. — 1 C'est le Christ en son âme. — 1. Quand la
foi enseigne que le Christ est descendu aux enfers, il
faut entendre évidemment la personne même du Christ,
c'est-à-dire le Verbe de Dieu. Toutefois ce n'est pas le
Verbe seul que dénomme le Christ, mais le Verbe in-
carné, c'est-à-dire le Verbe en tant qu'il a pris, dans
l'union hyposlalique, une âme humaine et un corps
humain. Or nous savons que le corps de Notre-Seigneur,
ré de son .une par la mort, mais demeuré le corps
Inanimé du Verbe auquel il restait hypostatiquement
uni. fut enseveli, mis et gardé dans le tombeau. 11 faut
donc que le Christ soit descendu aux enfers avec son
âme, séparée de son corps, mais restée l'âme humaine
et immortelle du Verbe, auquel elle était toujours
hypostatiquement unie. Suarez n'hésite pas à déclarer
que c'est là une vérité de foi: Christum Dominum ad
infen tndum mu muni descendisse. Assertio
est de /ni,-. De mysterio vitm Christi, disp. \LIII,
n. n. :\. Paris, 1866, i. \ix, \>. 7-28.
2. En réalité, la conclusion découle nécessairement
des sources rapportées à propos du fait de la descente.
La tradition, nous l'avons observé, a nu. un ment in-
terprété en ce sens le l's. xv, 10, commenté par saint
Pierre dans les \< h -. it, 29-31. Ainsi l'entendit saint
Athanase, ou l'auteur, quel qu'il soit, du livre De salu-
ntu Christi, ou du Liber secundus contra
em, n 15, /' '. . t. xxvi, roi. 1156-H57,
montrant le triomphe de l'âme du Christ sur la mort,
par la descente aux enfers, i i le triomphe de son i
•divin sur la corruption, par la résurrection : \\-j.
'j./r, 8 o . ( r.pâti)rsi; ro-j OavxtQ'j / --,.//
-.',. v.x: -i:; ls/7.:: ilrrfyî'i i'Çeto" èv
< i / x\ r, àçOif/iria
Aussi bien, nous l'avon noté, déjà Origène
i • 1 1 1 Seigneur, dépouillée
imi c n eillemenl dépouilli
leui i i l 'm . i. il.
i
i leur 00.
nl que la du Christ .mv enfet su]
ucni en lui I • i nue .'une vraimi ni
lune ce but apologétique, saint Vthanase, ou
/' ,\ /
I
ment le Seigneur, arrivant sans son corps dans les en-
fers, a pu être pris pour un homme par la mort. Il
explique que le Seigneur présenta une âme comme les
autres âmes, capable de subir les liens ou les entraves
de la mort. C'est dans ces conditions qu'il brisa les liens
des âmes détenues dans l'enfer : IIw; ïy.v. 7rapô>v 6 K-J-
pio; ai7(D[j.àT(i)r, o>; àvGptoiros èvopu'o-0ï] CiTtà to-j Qavâtou ;
î'va •Iv/txïç rai'; êv jetijo;; xaTE/ojjiÉvat:, ij.op ?•/•,'/ îêia;
■{'■j/r,; avent'fiexTOv u»ç oExnxr,-/ twv Becr(iâ>v to-j Oavâtou
7ïapoc7Tr|i7aç, TrapoOirav Tiapcjuatî, 8iappr,E-/) rà oin\>.x
i'j/wv TtoV Èv iôr, xaTE/OUÉvwv. P. G., t. XXV, col. 1117.
Cf. "n. 15-17. ' '
Dès la fin du ivc siècle, les Pères, en parlant de la
descente, mentionnent que c'est l'âme du Sauveur qui
s'est rendue aux enfers. Même l'on ajoute encore une
précision, et nous lisons communément que le Christ
est descendu aux enfers en son âme sans aucun doute,
mais aussi avec sa divinité. Saint Épiphane se plail à
le répéter : Ka~éç>yj.Tai si; ta xaTa-/ôov'.a èv (JEÔTr|Ti xai
èv '1/jx/j. Hœr., xx, n. 2, P. G., t. XLI, col. 276. Kai èv tm
a8ï] o-Jv •:•/■ 4/'-'Z"') xaT£>.9t'i)v Èv rrj Oeôt^ti v.'/inr, tb xevTpov
toO Ôavâ-'o-j, liier., i.xix, n.'52, P. G., t. XLII, col. 28i;
un peu plus loin, il emploie cette autre formule que la
divinité est descendue aux enfers avec son âme :
"ll[xe).>.E yàp 'ô &S0T7|ç teXeioOv Ta 7iàvTa, ;a xaià ~h \rjv-
Tr,piov toO TiàOovç, xcù o-jv -r, tyvyfi xaT£À0e;v liz\ xà xa-
TayÔovta, £7r\ to èpysTa'j'Jat tï]V £/.£• tôv npoxsxoi(iY|(iÉvb>v
<7b>TY)plav, çyjffV S; Tà>v àyuov Trarptap'/fov. Ibid., n. 52,
P. G., t. xlii, col. 305-308. Saint Cyrille d'Alexandrie
nomme l'âme divine qui, avec son privilège d'union au
Verbe, est descendue aux enfers, et par le moyen de sa
divine puissance s'est manifestée aux esprits là pré-
sents : i/'J'/jt 2è r, 6et'a tt,v upôç ocÙtov ).a-/o0aa ouv6po{ivjv
Te XM! èv(0(7lV, Xaxà TIESOlTYiXS [J.£V Sl( âîo'J, 0so7Tp£7t£Î 0£
Suvâ(l£l, xa't È^O'Jaia /pd)i/èvr,, xa\ toi; èxEÏTE 7rv£-j(j.aoi
xatEipxivETo. De incarnalione Unigeniti, P. G., t. i xxv.
col. 1216. Saint Jean Damascène écrit que l'âme et le
corps du Christ n'eurent jamais d'autre subsistance ou
personnalité que la subsistance ou personn alite'' du
Verbe : ()-j6ét:ot£ yàp où'ts r; i^vr/T), o-jte to o-'D|j.a iSiav
k'o-/ov •j-xà'jzznv/ Ttapà tïjv toC A.dyOU -j-oo-TaTiv, \i.;.x Zï
'/.i: r, toj Ao-;oj •J7rôo'TaT,.;. De fide orlhodoxa, I. III,
c. XXVII, /'. >'•., I. xciv, col. 1097. C'est pourquoi,
ajoute-t-il, l'âme déifiée, anima deificata, est descendue
aux enfers : lvetTEiaiv eI; 56r|v 'Vj/v, t«8ea>jiévifi. Ibid.,
c. \ xix, col. 1101. Saint Augustin, de son côté, ne tient
pas un autre langage, /o Joa., tr. M.\ll. u. 10, /'• /..,
t. xxxv, col. 1738, et dans son livre Dr fide ad P< triim,
ii. II. /'. /,., t. xi. , col. 757 : Sed in sepulcro secundum
solam carnem idem Unis jacuit, et in infernwm se-
cundum siiiam animam descendit. Même dans un 9er-
n aux catéchumènes sur le bj mbole, le docteur d'Hip-
pone tire de ce qui précède une conclusion très juste qui
n'échappera pas aux Bcolastiques : Totus ergo Filius
n/, n,/ Patrem, tains in cœlo, lui us in terra, totus in
utero Virginia, totus in cruce, totus in inferno, toi"*
m paradiso quo latronem introduxit. De symbolo ad
catechumenos sermo "ims, c. vu, n. 7. P. /.., t. \i,
col. 658.
:;. La Bcolastique n'a p.i^ manqué de conserver et de
défendre cette tradition. Analysant le problème, elle
B'esl demandé si le Christ est allé toul entier aux en-
utrum Chris tus fuerii totus m inferno ' Elle a
répondu en distinguant justement la personne divine
du Christ, sa nature divine et M lut lire b u mai ne. Abus
elle a Conclu avec saint Thomas : In mnrh' autrui
ti, hrri anima fuerit separala a oorpore, neu-
trum lame» fmi separatum a persona Filii l><i i t
ideo m ilto tridt Isli, dicendum r*t quod
I mi m sepuli i o, quia tola
fuit ibi pi • [militer, totus
isli j ml ihi i almiir
r, at
587
DESCENTE DE JÉSUS .MX ENFERS
588
ubique ralione divines natures. Sum. llieol., III ,
(|. i ii, a. 3. Mais il est clair que si l'on envisage uni-
quement la nature humaine, le Christ ne fut pas tout
entier aux enfers, puisque seule son âme s'j rendit.
ï. Aussi bien le IVe concile de Latran avait déjà Bxé
la pensée chrétienne. « Le Fils de Dieu, Jésus-Christ,
avait-il déclaré, est descendu aux enfers, est ressuscité
des morts, est monté aux cieux. Mais il est descendu
selon son âme, il est ressuscité selon sa chair. »
Denzinger, Enchiridion, n. 350; ÎO édit., n. 429. Dès
lors, la doctrine, de quelque façon et en quelque mi-
lieu qu'elle s'affirme, reprend toujours des formules
identiques ou analogues. Cf. Ludolplie de Saxe, Vita
Jesu Christi, part. II, c. lxviii, édit. Rigollot, Paris,
1870, t. îv, p. 650; Louis de Grenade, Le livre de l'a-
mour de Dieu, IIe traité, Ve médit, sur la résurrection,
dans Les (Entres spirituelles, Lyon, 1660, p. 799;
Médit, sur les mystères de la foy, Ve partie, I" médit.,
Paris, 1684, t. m, p. 8.
2° Cette descente de l'âme du Christ aux enfers doit
s'entendre de façon réelle, en ce sens que son âme
s'est là transportée réellement et en sa propre sub-
stance, et non pas seulement par son opération. Aux
termes mêmes du catéchisme du concile de Trente, on
aurait tort de s'imaginer que Notre-Seigneur descendit
aux enfers uniquement par sa puissance et par sa
vertu, et que son âme n'y pénétra pas réellement. Au
contraire, l'exacte vérité est qu'elle y descendit véri-
tablement et qu'elle y fut présente substantiellement :
Nec vero existimandum est eum sic ad inferos des-
cendisse, ut ejus tanlummodo vis ac virtus, non eliam
anima eo pervenerit :sed omnino credendum est ipsam
an imam re et preesentia ad inferos deseendisse de quo
exslal flrmissimum illud Davidis lestimonium : Non
derelinques animam meam in inferno. Catechismus ad
parochos, part. I, c. vi, n. 4, Rome, 1902, p. 55.
Au xive siècle, Durand de Saint-Pourçain, s'inspi-
rant quelque peu sans doute de la proposition
18e d'Abélard. Denzinger, Enchiridion, n.327; 10e édit.,
n. 385, rompit avec l'intelligence traditionnelle du
dogme. Il admettait bien un lieu infernal; il confessait
bien que le Christ y est descendu; mais, selon lui, il y
a dans la descente même une métaphore. Le Christ est
descendu aux enfers, c'est-à-dire qu'il y a exercé son
pouvoir et ses fonctions rédemptrices. Durand fut vive-
ment combattu sur ce point. Plus tard, Bellarinin et
Suarez ont cru devoir réfuter encore son opinion, à
laquelle le premier inflige la note d'erreur : liane sen-
lentiam esse erroneam probalur. Disp. de controver-
siis christ, fidei, De Christo, 1. IV, c. XV, Ingolstadt,
p. 392. Suarez va plus loin et. déclare très justement cette
prétention hérétique : lia interpretantiir hoc mysle-
rium omnes doclores scholastici , uno excepto Durando,
eitjus senlenlia non solum non est jirobabilis, verum
potius est erronea et plane liœretica. De mijsterio
viles Christi, disp. XLIII, sect. il, n. 7, Paris. 1866,
t. xix, p. 729. Nos docteurs n'ont eu aucune peine à
démontrer que ni l'Ecriture, ni la tradition ne peuvent
s'accommoder de l'interprétation métaphorique de
Durand, et ils eurent facilement raison de ses subtilités
métaphysiques ou exégé tiques. Nous ne nous y attar-
derons pas; relevons seulement l'argumentation sui-
vante de Suarez, laquelle ne manque ni d'à-propos, ni
de sel : Quia si propter solam operationem dicilur
anima Christi descendisse ad infernum, patent et
dici ascetidisse in cselum; quia etiani ibi aliquid ope-
rala est, angélus illuminando. Dicetur eliam irisse
ml paradisum terre*! rem rel eum locuni iu quo Elias
et Enoch vivunl; quia verisimile est illis etiani mani-
festasse gloriam suam, eisque gaudium consummatm
redemplionis annunliasse. Similiter dicetur anima
Christi profecta in domum Virginis, rel in locuni ubi
Petrus amare /lehat peccatum; denique ubicumque
aliquid operata est. Conséquent autem répugnât
Si i ipturis,ijuœ il uni speciuliter dicunt un m m m Christi
fuisse in inferno, et inde fuisse eduelaut ut Chris tus
resurgeret, a/perte significant, et tamlum ibi proprie
fuisse, et ulin modo quant esset in altis locis ubi o
rabatur. Et confirmatur, quia alias codera modo
diceretur mine Christus descendere in terrain, q
in ea milita operatur per virlulem animée suée; ■
et m infernum nunc descendit, quia interdum aliquid
ibi operatur, saltem in animabus purgatorii. lbid.,
p. 730.
3° L'âme du Christ n'est pas descendue aux enfers
comme un coupable destiné encore à de nouvelles
expiations, mais elle s'y est rendue en triomphe. —
1. Les protestants, et notamment Calvin et Brenz, vou-
laient que l'âme du Christ ait pu endurer, ait réelle-
ment supporté les tourments des damnés qui sont
cesse devant le spectacle d'un Dieu irrité contre eux
et s'abîment dans le désespoir du salut. Calvin avance
expressément l'acceptation par le Christ, après sa mort,
a de la rigueur de la vengeance de Dieu en son âme...
des tormens espovanlables que doivent sentir les dam-
nez et perdus. » lnsl. chrét., 1. II, c xvi; 1. VIII,
c. ix, dans Corpus reformatorum, t. xxxi, p. 31,
586 sq. C'est là une opinion que Suarez déclare avec
raison hérétique et blasphématoire. Non seulement elle
suppose que l'âme du Christ n'avait pas déjà, dans celte
vie mortelle, la vision intuitive de Dieu, mais elle la
présente sujette à l'ignorance, à l'erreur, aux passions
déréglées et à leurs mouvements non délibérés. La
théorie nous montre même l'âme de.Iésus abandoniiiV
au péché soit du désespoir soit de la crainte désordon-
née qui conduit au désespoir et provoque des paroles
désespérées. Cf. Bellarmin, Disp. de conlror. chri-
slianes fidei, De Christo, 1. IV, c. vin. Ingolstadt, p. 354-
367. A ces erreurs et autres semblables, saint Hilaire
de Poitiers répondait par avance que la promesse du
Christ au larron leur donne un démenti formel : Anne
tibi metuere infernum chaos... credendut est dicens
lalroni in cruee : Amen dico tibi, hodie mecum eris in
paradiso? Natures hujus potestatem jam non dico metu,
sed nec infernes sedis regione concludes, qux descen-
dons ad inferos, a paradiso mm desit... Dominas
communionem ei (lalroni) mox pollicetur : tu Cliri-
slum in inferis sub pœnali terrore concludis! De Trt-
nilate, 1. X, n. 34, P. L., t. x,col. 570-571.
2. A sa descente l'âme du Christ n'a pas davantage
enduré la peine du sens, je veux dire le feu de l'enfer
ou celui du purgatoire. Car ces peines, de leur nature,
sont destinées soit à l'éternelle punition de fautes per-
sonnelles devenues irréparables, soit à l'expiation tem-
poraire de dettes contractées par le péché personnel et
non éteintes encore. Par conséquent, elles supposent
une âme réellement pécheresse, ce qui ne va pas sans
hérésie ni blasphème dès qu'il s'agit de l'âme du Verbe
de Dieu incarné. D'autre part, tous les documents ré-
vélés aboutissent à montrer que. par sa moi t sur la
croix, le Sauveur a pleinement satisfait pour nos péchés
et consommé l'œuvre de notre rédemption. C'est le
sens de cette parole prophétique de Jésus : Et ce
ascendimus Jerosolymam, et consummabuntur omnia
quse dicta sitnt a prophetis de Filio hominis, Luc,
XVIII, 31; c'est la mission déclarée accomplie en
saint Jean : Sciens Jésus quia omnia consummata sunt,
et par le Consummatum est de l'heure suprême, Joa..
xix. 28, 30; c'est le sacrifice définitivement libérateur,
le prix que saint Paul expose longuement. Heb., ix et x.
Aussi bien si les hommes sont rachetés, le prix indiqué,
que Jésus a payé, n'est ni la torture du feu infernal ni
la peine du purgatoire, mais c'est son sang, I Pet., ni,
18; I Joa., i, 7; Apoc, v, 9, et c'est toujours à la mort
du Sauveur, et non aux souffrances des enfers, que
notre salut est rapporté. Rom., v; Col., I, passim. Du
589
DESCENTE DE JESUS AUX ENFERS
590
reste, le Christ n'a-t-il pas dit, en parlant de sa mort,
aux disciples d'Emmaûs : Xonne hœc oportuit pâli
Christum, el ita intrare in gloriam suant? Luc,
xxiv. 26. Et saint Paul, observant que le Christ a été
obéissant jusqu'à la mort de la croix : factus obediens
usque ad morteni, mortem autcm crucis, ajoute que
cette mort a été le point de départ de son exaltation :
Peupler quod et Deus exaltavit illum el donavit Mi
nomen quod est super omne nomen, ut in nonrine
■lesu onine genu flectatur, cselestium, lerrestrium el
infemorum. Phil., n, 8-10.
3. Du reste, en principe, il faut admettre avec les
Pères el Bellarmin que le Christ n'a souffert quoi que
ce soit en enfer : Nec ullo modo judicant (Patres)
Christum aliquid passum in inferno. Disp. de controv.
christ, pdei, De C/tristo, 1. IV, c. vin, p. 3.">8. Aussi à
rencontre de saint Thomas, Sum. tlteol., III3, q. i.h,
a. '1, 3, et avec saint Bonavenlure, In IV Sent., 1. III,
dist. XXII, q. IV, Bellarmin estime que l'âme du Christ
dans les limbes n'éprouvait aucune douleur, ni d'être
séparée de son corps, ni de se trouver dans le lieu in-
fernal. Il donne de sa conclusion ces justes raisons :
.1/ Bonaventura dicit Christi animam, dum essel in
inferno, fuisse in loco pœnse, sed sine pana, cujus
is loquendi mihi videtur magis conformais Pa-
tribus. Itaque, etsi quod maneat anima separata a
corpore, pâma vel pœnalilas, vel jioiius minor per-
feclio dici possit, tamen mansionem Chris ti in in-
ferno... non auderem vocare pœnam, nec pœnalita-
tem. Nam illse animas pœnam trahunl ex inferno,
qum ibi sunt tanquam in carcere, nec possunt egredi
quando volunt. Ai Chris tus fuit in inferno liber et
liberalor aliorum , ut omnes Paires clamant. Op. cit.,
c. xvi. p. 367. Cf. .1. de l.i Serviére, La théologie de
Bellarmin, c. il, § ï, Paris, 1908, p. 67.
i" l)e ces considérations, et selon l'indication mémo
de saint Paul, il faut conclure que l'âme du Christ a
visité les enfers en vrai triomphateur. L'œuvre
accomplie par Jésus en ce milieu nous révélera ce que
fut ce triomphe. Il suflil présentement de constater
que les commentateurs sont unanimes a exposer en ce
si ii- les textes de l'Écriture déjà mentionnés, spéciale-
ment ' Iséi . \im. I î : Ps. cvi, 16. Les sainis Pères, cons-
tate Bellarmin, décrivent la descente aux enfers,
comme celle d'un vainqueur et d'un triomphateur, non
comme celle d'une victi es Patres, uni des-
t inferos describunt, describunt
m descensum victoris ri triumphatoris, mm ni ni.
<)p. cit., c. vin. p. 358. Cf. I. '1,' l.i Serviére, np. cit.,
p. iiT. Saint Cyrille de Jérusalem parle de l'étonnement
de l.i mort, en voyant descendre cette âme libre de
tous les liens qui retenaient les autres aux enfers:
& ôâvaTo; Oecopirço'a; xaivôv Tiva xaTeX6<5vra
: x'.-'/i: \ic, xïti/mje/ov. Cat., XIV.
n. 19, /' '. . t. xxxiii, ci. 848. L'auteur d'un sermon
■ttribui • > - ■ 1 1 « f Ambroise prononce le unit de triom-
llfistUS, CU1 n ml lu, In, , ,,,,,,
nderel, tera wferni ianuasque confring
vinctat peccalo animas, nwrtis dominalione destt ucta,
e diaboli faucibus revocavit n<i vitam, alque itadivi-
/,/i/'~ teternii characleribus est conscriplus.
Sei " • /..r, c. iv, /'. L.. t. xvii,
■ n- 'l un sermon, pareillement attribué
complaît .i dr imatiser élégamment
eddidit, imita
rofunda descendit;
■ ■i terminum '/un latoi
. aspii ii nlet i
\ ., ... .,
. m /. débiter;
plicem. Venit jubere, non succumbere ; eripere, non
mancre... Hic si reus essel, tain potens non esset. Ap-
pendix operum S. Avgustini, Serin., clx, De Pascha,
n. 2, P. L., t. xxxix, col. 2060.
Aussi bien, explique le catéchisme romain, en des-
cendant aux enfers, Jésus-Christ ne perdit rien de sa
puissance ; et l'éclat de sa sainteté ne fut point obscurci :
bien au contraire. L'événement mit en belle évidence
la vérité des magnifiques descriptions tracées par les
prophètes et à faire voir de nouveau qu'il était vrai-
ment le Fils de Dieu, comme il l'avait déjà prouvé par
tant de prodiges. La chose se comprend sans peine, si
l'on prend soin de comparer les causes diverses qui
ont amené aux enfers Jésus-Christ et les autres hommes.
Ceux-ci s'y trouvaient captifs; lui, était libre au milieu
des morts, libre et vainqueur, puisqu'il arrivait terras-
sant les démons qui retenaient les hommes enfermés
et enchaînés à cause de leurs péchés. Parmi tous ces
prisonniers, les uns enduraient les peines les plus
cruelles; les autres, quoique exempts de châtiments,
souffraient cependant de la privation de Dieu, et ne
pouvaient qu'espérer sans cesse la gloire qui devait les
rendre heureux. Jésus-Christ, lui, non seulement n'en-
dura dans l'enfer aucune souffrance, mais il n'y parut
que pour délivrer les saints et les justes des douleurs
de leur triste captivité, el pour leur communiquer les
fruits de sa passion. Ainsi donc sa descente aux enfers
ne lui fit rien perdre de sa dignité, ni de sa puissance
souveraine. Catechismus ad parochos, part. I, c. vi,
n. 5. Borne, 1902, p. 57.
///. I.i; TEMPS ni; LA DESCENTE AUX ENFERS. —
L'âme du Christ fut dans les enfers depuis le moment
de la séparation suprême jusqu'à l'instant de la résur-
rection. C'est là une conclusion tout à fait certaine :
Veritatem banc, écrit Suarez, non minus certain
existimo, quant quod Christus in infernum descen-
dent. De mysterio vitœ Christi, disp. X.LIII, secl. iv.
n. 6, Paris, 1866, t. xix, p. 742. En fait, la plupart des
arguments qui prouvent la vérité de la descente, dé-
montrent en même temps qu'elle s'est réalisée par le
transpoli aux enfers de l'âme du Christ unie à sa divi-
nité. Que si elle est demeurée trois jours en ce lieu,
ce n'est pas qu'elle eûl une expiation quelconque à
fournir. Elle devait attendre l'heure de la réunion à
son corps, et celle-ci ne pouvait avoir lieu immédiate-
ment, sous peine de provoquer le doute sur la réalité
de la mort. Telle est la pensée de saint Thomas : Sicut
Christus... voluit corpus suum in sepulcro poni, ita
etiam voluil animant suant ad infernum descendere.
Corpus aulem ejus mansitin sepulcro perdiem inte-
grunt ci duas uoetes ml comprobandum veritatem
nwrtis suse. l'ode etiam tanlumdem credendum est
a,,,, nam ejus fuisse m inferno, ni simul anima ejus
educeretur de inferno ci corpus de sepulcro. Sum.
theol., III», q. in, a. 'i. La tradition appuie sa croyance
sur ce mot de Notre-Seigneur lui-même : Le Fils de
l'homme sera au cœur de la terre trois jours et trois
nuits, comme .louas dans la baleine. Matlh., XII. l'i
linl Pierre remarque que si l'âme du Sauveur n'a
il. m- l'enfer, cela veul dire qu'elle
• sortie pour ressusciter : Providens loculus esl
il, résurrections Christi, quia neque deralictus est m
inferno, neque caro ejus vidit corruptiontm. \ei.. n.
31.
IV. L'ŒUVRl ACCOMPLIE eu; il CHRIS1 DANS SA DES-
CEND KVX ENFERS. — /. M - i i \ i l - DB SAINT PII
i ni., m, 1 8-80, Bi iv, 5-6. - Us ont eu, le premier
surtout, 1res particulière importance pour l'intelli-
chrétienne de la mission remplie par le Sauveur
,i m- la di ii • nie aux enfers, et il esl d'j
ter.
l Le texte «le la i ' Pet., m ■ ■ u
591
DES C ENTE DE JESUS Al ' X E N FE B S
592
mortificalus quidem ru, ■m-, vivificatus aulem spiritu,
'm quo (spiritu) el his, qui in carcere erant, spirili-
bus venient prsedicavit, qui increduli fuerani ali-
quando, quando expectabant Dei patientiam in
diebus Noe, cum fabricarelur arca, in qua pauci, id
est oclo anima salves faclse sunt per aquam. —
1. Saint Pierre a pour IjuI de prouver incidemment
l'universalité du salut apporté par le Christ : car, d'un
côté, Jésus a sauvé les âmes depuis longtemps détenues
aux limbes; de l'autre, il sauve les chrétiens par le
baptême. Dans la pensée du prince des apôtres, c'est
le Christ qui est mis en cause, le Christ in spiritu, en
tant qu'esprit, selon son âme et pendant que son corps
reposait au tombeau. En cet état bien déterminé, le
Christ est parti, jtopeu9etç. Il s'est véritablement déplacé'
pour un voyage qui eut lieu entre sa mort et sa résur-
rection. Ce voyage doit s'entendre au sens propre,
aussi réel que celui de l'ascension, exprimé de la
même façon à l'endroit parallèle du c. îv, 22, TtoprjOe't;
el; o-jpavôv. — 2. Il s'est rendu à la prison, cp'j),a/.r,,
c'est-à-dire au ëëôl. En cette demeure, selon l'en-
seignement de Jésus lui-même, il y a au moins deux
parties : à savoir, un lieu ou une place exclusivement
réservée aux damnés; une autre, appelée le limbus
patrum, où les âmes des justes attendaient que le
Messie vînt les délivrer et les conduire au ciel. C'est
évidemment de cette dernière demeure qu'il est ici
question. Cette portion du ëeôl est justement appelée
une prison, puisque les âmes étaient là tout à la fois
détenues, et privées de la vie bienheureuse. Cf. Is.,
XXXVIII, 18. — 3. Le Christ est allé vers les âmes,
nvejjj.axa, des défunts : car jamais ce mot ne s'emploie
pour désigner les hommes encore en vie. Il est allé
aux âmes des hommes qui avaient été incrédules, en
grec : qui avaient été rebelles, autrefois, àiretO/ioaoïv
jiots, et nommément à l'époque du déluge. L'on peut,
en effet, supposer que beaucoup parmi ces hommes
qui refusèrent de croire à la parole de Noé, furent
pris d'une crainte salutaire à l'instant du déluge, firent
pénitence et obtinrent la rémission de leurs péchés. A
première vue, ces détails semblent limiter très étroi-
tement le nombre des âmes vers lesquelles le Sauveur
s'est rendu de sa personne : car Yaliquando peut pa-
raître restreint à l'époque de Noé... aliquando, quando
expectabant Dei patientiam in diebus Noe, dum
fabricaretur arca. Il faut néanmoins reconnaître au
f. 19 une portée générale. Seulement l'apôtre caracté-
rise, par leur état antérieur d'incrédulité, les âmes
visitées par Jésus. Si saint Pierre mentionne spéciale-
ment les hommes du temps de Noé, c'est à titre
d'exemple particulier, et parce qu'ils s'étaient mon-
trés plus gravement coupables, et parce que l'efficacité
de la passion du Christ s'est ainsi révélée plus grande
à leur égard. Car l'opinion juive, même au temps
apostolique, était que tous ceux qui avaient péri au
déluge, étaient exclus du royaume ou du salut messia-
nique. Cf. L. Cl. Fillion, La Sainte Bible [commentée,
Paris, 1904, t. vm, p. 682-683. — 4. Et donc à ces âmes
des défunts, le Christ est venu prêcher : ixrçp-jçe. Non,
certes, qu'il ait voulu proprement les convertir, puis-
qu'il n'y a pas de conversion possible dans l'au-delà.
Ce n'est pas non plus qu'il ait voulu signifier leur
damnation à ceux qui étaient morts en état de péché,
car cxr'pvEs ne peut avoir et n'a jamais cette significa-
tion ; et, d'ailleurs, au passage corrélatif du chapitre
suivant, il est dit que la bonne nouvelle a été apportée
aux -morts : vexpoï; ti^yyiK^firi, mortuis evangeliza-
luni est. C'est donc l'Evangile ou la bonne nouvelle de
la rédemption accomplie que le Christ a apportée aux
âmes des morts. En leur appliquant le fruit de la ré-
demption, je veux dire la vision béatilique. il les a
délivrées de leur prison, du lieu où elles étaient déte-
nues dans l'état de privation de la vue de Dieu.
Cf. Stentrup, Soteriologia, thés, xi.v ; Hundhausen,
I)as ersle Pastoralschreiben de» Apostelfùrsteti Pe-
ints. Mayence, 1873, p. 343 Bq.j C. Pesch, Prsslec-
tiones dogmaticee, De Verbo incarnate, part. II,
sect. m, a. 4, § 2. Fribourg-en-Briegau, 1896, t. iv,
n. 501, p. 243-244 : P. Dracb, Épilres catholiques, Pa-
ris, 1879, p. 99-100;. I. A. Van Steenkiste, Sanction
Jesu Christi Evangelium secundurn Matthseutn,
3 édit., Bruges, 1882," t. iv. p. 1308-1310; Id., Epi
catholiese breviler explicatœ, 2e édit., Bruges, 1887,
p. 82-84; Th. Calmes, Epilres catholiques, Apocalypse,
Paris, 1905, p. 40.
2° L'autre texte de saint Pierre est celui-ci : Qui
reddent ralionem e\ qui paratus est judicare vivos et
mortuos. Propter hoc enim et mortuis evangelizalum
est, ut judicentur quidem (aoriste dans le grec) se-
cundurn homines in ru nie, virant autem secundurn
Deum in spiritu. I Pet., îv, 5-6. — 1. La particule
enim , reliant les deux versets, montre que saint Pierre
va expliquer ce qu'il a avancé dans la proposition pré-
cédente : que Jésus-Christ jugera les morts comme les
vivants. Car, aux morts eux-mêmes, -/.ai vexpoîç, aussi
bien qu'aux vivants, c'est-à-dire à ceux qui sont main-
tenant décédés comme aux vivants de l'heure présente,
l'Évangile a été prêché ; on leur a annoncé la bonne
nouvelle de la rédemption accomplie et la proximité
du salut pour ceux qui étaient jusqu'alors retenus dans
les limbes. Le but de cette évangélisalion, -va. ut,
c'est qu'après avoir été jugés (judicentur, mais l'aoriste
grec dénonce un fait passé) selon les hommes quant à
la chair mortelle, c'est-à-dire, après avoir subi le juge-
ment commun à tous les hommes, la mort, ces défunts
vivent dans la sphère de l'esprit conformément aux
opérations de Dieu. — 2. Ce passage est évidemment
parallèle de m, 18-20 : des expressions analogues y
désignent les mêmes choses. Ce second texte énonce,
en termes généraux, le principe dont l'apôtre a donné,
au c. m, l'indication avec une application particulière
et concrète. Mais, ici, de même qu'au c. ni, comme il
s'agit d'un ordre de choses très éloignées de notre
conception et que l'écrivain touche seulement en pas-
sant, il y a toujours quelque obscurité, surtout quand
on en veut venir à la précision des détails. Cf. Fillion,
op. cit., p. 685-686; P. Drach, op. cit., p. 103-104; Van
Steenkiste, Epistolae catholiese, p. 86-87.
3° Ces textes de la I,e Épitre de saint Pierre, le pre-
mier surtout, ont pris, dans la question de l'intelli-
gence de la descente aux enfers, une place trop parti-
culière pour qu'il ne soit pas nécessaire d'en suivre
l'histoire.
1. Durant les quatre premiers siècles, le passage du
c. m fut communément invoqué, soit pour démontrer
le fait de la descente, soit pour les essais d'explication.
Au 11e siècle, nous en avons déjà rapporté les preuves
textuelles, l'Évangile de Pierre, il. s'inspire évidem-
ment de la Ia Pet., ni, 18-20, pour faire demander au
Christ s'il a prêché les morts. Il en est de même pour
llermas, quand il expose que les apôtres elles disciples
allèrent, après leur mort, prêcher les trépasses, Sini.,
1\. xvi, l1. G., t. n, col. 995-996; Funk, Opéra /'.i-
irum apostolicorum , Tubingue, 1881, t. i, p. ,">:!2. et
pour Clément d'Alexandrie, disant que le Seigneur
n'est descendu aux enfers que pour prêcher l'évangile,
si5ay,E).(ffao-8<xi. Strom., VI, c. v. P. G., t. îx. col. 268.
Du nie au v siècle, les Pères continuent de citer ou de
rappeler le même texte. Ainsi Origène dit que le Sau-
veur se rendit convertir les âmes qui voulurent bien
l'écouter. Gonl. Celsum, I. 11. n. 43, P. (.'.. t. XI,
col. 865. Nous pourrions, après Bellarmin, mentionner
saint Athanase, Epist. ad Epictetum, /'. (•'.. t. xxvi,
col. 1050 sq.; l'auteur déjà cité du livre De incarner
lione; saint Épiphane, User., î.xxvn, /'. G., t. xin.
col. 642 sq.; saint Cyrille d'Alexandrie, De recta fuie
593
DESCENTE DE JESUS AUX ENFERS
594
<x> Theodosium, n. 22, P. G., t. r.xxvi, col. 1163;
In Joannis Evangelium, 1. XI, c. n, P. G., t. i.xxiv,
col. 456 : TpnQjJLepoç fàp àveëta, v.r,p-JEa; xat to?; êv
:'jr/.'', 7TV£-J;j.a'7t... Kal toi; r(ÔT| xaTOt^ofilvot;, xal iv
roi; Tr,; àoÛT'70'J p.'J/oï; y.aOr p.Evot; âv uzotoi... Sia/.^p-jïat
T7)v ayinn ; saint Ililaire, 7w ps. cxviil, sur le verset
Defecerunt oculi met, P. L., t. ix, col. 572-573; l'Am-
brosiasler, In Epist. ad Rontanos, c. x, P. L., t. xvn,
col. 143; Hufin, Cnnimentarius in sijmbol, apostol.,
n. 18 sq., P. L., t. xxi. col. 356 sq.
2. Au v° siècle, saint Augustin change la situation.
Son ami Evode lui demande un jour : « .Tuels sont les
esprits dont Pierre dit que le Christ est venu dans
l'enfer les évangéliser tous et les délivrer, si hien quei
•de la résurrection du Seigneur à l'heure du jugement,
l'enfer est et demeurera vide. » Epist., CLXIII, P. L.,
t. xxxni, col. 708. Le grand docteur fut hien embar-
rassé et ne trouva pas moyen d'éluder les difficultés
entrevues par Évode et par lui, en continuant d'appli-
quer notre texte à la descente aux enfers. Ce n'est pas
que saint Augustin ne professât fermement la vérité
de ce fait et de ce dogme, loin de là; mais il avança,
hien qu'avec une certaine hésitation, que saint Pierre
n'en parle aucunement en son Épitre. Pour lui, ce
n'est pis après sa mort,» mais avant son incarnation,
au temps du déluge; ce n'est pas en son âme humaine,
mais avec sa seule divinité' el par des inspirations inté-
rieures, que le Christ a porté l'Evangile aux esprits
emprisonnés; ou bien même ce n'est pas personnelle-
ment et directement, mais d'une manière indirecte,
n la personne et par le ministère de Noé, qu'il a
rempli cette mission. Quant à la prison, il faut la
prendre au li^uré, pour les ténèbres de l'incrédulité
qui enveloppaient les contemporains de Noé. Nous le
verrons, cette explication s'écarte de l'interprétation
autrefois el aujourd'hui universellement reçue dans
l'Eglise, lie plus, elle s'écarte du texte lui-même.
Sans parler du reste, rappelons que saint Pierre, très
expressément, relie d'intime façon la prédication aux
esprits et la mort de Jésus. Or l'explication augusli-
nienne, au contraire, interpose une longue série de
siècles, tout le temps de N'oé ;'i Jésus-Christ, entre [a
même prédication el la mort du ur. Epist.,
clxiv, mi Evodium, n. 12, 13, 16, 21. /'. /.., t. \\.\m.
col. 71 i. 715. 7is.
Par une conséquence logique qui ne saurait éton-
ner, saint Augustin veut aussi prendre, dans un sens
figuré '-i .m moral, le mot et mortuù du second pat
de l'Épltre de saint Pierre. Il s'agit la, dans sa pi n
d'- homm >iit morts spirituellement, de
cheui iculièremenl des païens. .Mais il y
n encore une réelle violi au teste. Car,
a la fin du \. 5, gui paratus est judicare vivos et mor-
te mut e^t pris dans son sens propre; et rien
n'autorise,-, penser qu'il > ail dans h - liions
d une même ligne, dont la premi< re explique I
onde, deux ai ci ptions ditTén ntes du i te i
3. L'Orient ne suivit pas sainl luguslin. Ni Jobius,
dan Photius, BU lit < n. 38, /'. G., t. cm,
col. 80i, i.
'• HI, e. xxix, /'. G ,t. xci . col. 1101, ni CEcumi nias,
'" I Pelri, m. l'.t. /•. c,.. t. , ux, col. 567, m l
phylacte, In l Pétri, m, 19, /•. G., i. cxxv.col. 1232,
n'uni •-■ ssé de r irir .m c. m d.' la I" Épitre de
ni la qui lieu il. la desi .nie .m
!- m. nu l'influence de -.uni \.
lin .i
mentaire bientôt unanimement Sccepté el propa i
insi Le • ni est
m nu dans l.i chair e,, ni , -,u\
hoinn (,Mi
ni nu rédu
liarm llement. /e / ■,,, |Q( /
t. xcm, col. 58 sq. Walafrid Strahon recueillit dans sa
Glose, au IXe siècle, cette interprétation. P. L., t. exiv,
col. 686. Le mot se trouvait ainsi donné par ceux qui
furent le plus écoutés dans le monde latin du moyen
âge.
Aussi les théologiens scolastiques, quand il s'agit de
démontrer ou d'expliqner la descente aux enfers, pas-
sent complètement sous silence le célèbre texte de
l'apôtre. Saint Thomas indique la raison de cette atti-
tude : Ad terlium dicendum quod illud, quod ibi
dicit Petrus, a quibusdam refertur ad descensum
Ckristi ad inferos, sic exponentes verbum illud : Ilis
qui in carcere inclusi eranl, id est inferno, spiritu,
id est secundum animant, Chris tus reniais prsedica-
vit, qui increduli fuerant aliquando. Un de et Da-
mascenus dicit in III libro, c. xix, qnnd sicut his
</ui in terra surit evangelizavit, ila et his qui in
inferno. Non quidem ut incrédules ad (idem conver-
lerel, sed ut eorum infidelitatem confutarel. Quia
ipsa prsedicalio nihil aliud intelliqi potesl quant ma-
uifeslatio divinilalis ejus, quse 'manifestant est in
infernalibus per virtuosum descensum Christi ad
inferos. Auguslinus lamen melius exponit in Epist.
ad Evodium ut referatur non ad descensum Christi
ail inferos, sed ad operationem divinitatis ejus, quant
exercuit a principio mundi. Cl *it sensus, quod lus
qui in carcere conclusi erant viventes, scilicet in cor-
pore morlali [quod est quasi quidam carcer anima'),
spiritu suœ divinitatis veniens prsedicavit per inter-
nas inspirationes, et eliam exteriores admonitiones
pérora juslorunt; liis, inquam, prsedicavit , qui in-
creduli fuerant aliquando, Noe scilicet prœdicanti,
quando expectabanl Uei palientiam, per quant diffe-
rebalur ptena diluvii; unde subdit : In diebus Sue,
dum fabricarelur arca, etc. Sum. theol., llla, q. LU,
a. 2, ad 3"'". Cette leçon de l'angélique docteur fut
retenue, comme un mot d'ordre, par les sententiaires
ou les sommistes, jusqu'au XVIe siècle.
L'on s'est demandé s'il n'y eut pas une raison spé-
ciale pour imposer ou conseiller celte prétermission
du texte de saint Pierre. Nous verrons que les Pères
se sont représenté l'œuvre de Jésus aux enfers, les
uns comme une évangélisation, les autres comme une
délivrance ou une victoire. Puisque l'apôtre parle de
prédication aux morts, les partisans de l'évangélisation
s'appuyaient volontiers sur lui, tandis qu'au contraire
liants de la délivrance l'auraient, à Cause de leur
théorie, laissé' dans un ouhli voulu, .le ne sais si un
pareil calcul a été fait par les théologiens en cuise :
les documents semblent faire défaut pour l'établir.
Peut 'lie est il plus simple el plus vrai tout ensemble
d'attribuer l'attitude des scolastiques Bur ce point à un
courant d'interprétation déterminé par l'autorité si
particulière de saint Augustin.
i. Quand les protestants rejetèrent en bloc et
bruyamment toutes les démonstrations bibliques de la
visite aux enfers, les thé' catholiques durent
fortifier leurs positii " [dus ap]
fondi et une critique plus serrée des textes. Ainsi
furenl ils amenés ■< constater que -.uni Augustin
abandonné un argument présenté, pendant quatre
sied. 's. par l'ensemble des écrivains ecclésiastiques.
Ausm les théologiens de ],i réforme ne manquaient pas
In belle occasion de s'. il. nier, .i ce propos, sous le pa-
',.1 doeti ur africain.
Bellarmin rétablit la pn uvi tirée du e. m. lequel,
dit-il. a toujour 'i' i ' puté poui qui
(locus) tenipei imtu hal Diap. 'le
controv. chrUlianœ fidei, De Christo, I- 1\. c. xm,
tdt, 1599, r 379 il démontra, dan- une dl ■
mou précise el très détaillée, que l'interprétation •"•
tinienne s'oppo imme
mie logique di
DESCENTE DE JÉSUS AUX ENFERS
596
hsereni : Christus in passione sua carne mortuus est,
spiritu virus mansit, ideo Deus olim prsedicavit ho-
minibus per Noe? Ai si intelligamus de desceniu ad
inferos, omnia cotisèrent. Nam volens Petrus osten-
dere Christum in passione et morte mansisse vivum
quoad animani, probat quia Mo tempore anima ejus
profecta est in infemum et prsedicavit spiritibus in
carcere conclusis. Ibid., p. 381. Puis il saisit l'objec-
tion de l'évêque d'Hippone : Mais alors pourquoi le
Christ s'est-il borné à prêcher aux incrédules du temps
de Noé, tandis qu'il y en avait tant d'autres dans les
enfers? Bellarmin répondait que l'objection se retourne
aussi bien contre son auteur : Nam eliam non apparet
ratio, cur dicai Peints Christum in diebus Noeprœ-
ilicasse potius quam in diebus Abraham et aliorum
palriarcharum vel eliam aliorum omnium liominum.
Ibid., p. 382. Alors le docte jésuite expliquait le fait
objecté de façon aussi simple que juste : Dico prœterea
Christum prœdicasse ininferno omnibus bonis spiri-
tibus, sed nominalim fuisse expressos illos, qui fue-
rant in diebus Noe increduli, quia de Mis eral majus
dubium, an essent salvi necne, cum pvniti fuerini a
Deo et submersi aqids diluvii. Indicat ergo hic Petrus
eliam ex Mis incredulis fuisse aliquos qui eliam in
fine vitse pœnitenliam egerint, et licet quantum ad
corpus perierint, tamen quantum ad animam salvi
f tierint. Ibid.
b) De son côté, Suarez trouva l'exégèse de saint Au-
gustin creditu difficilis; et cela, pour plusieurs rai-
sons. Primo quia mtdta verba e.vponunlur impropvie
et per translalionrm... Deinde per carcerem inler-
prelari covpus valde melaphoricum est, et Origenis
sapit errorem, eo vel maxime quod Petrus dicitmor-
tuis prœdicasse Christum, quod exponere de morluis
spiritualité)- per peccalum, valde violentum est, prœ-
sertim cum illos mortuos ab hominibus vivis Petrus
distinguât, et ibidem in hoc sensu dicat Christum
esse judiccm vivorum et mortuorum. Denique non
placel hsec expositio quia juxta illam non potest lit-
lera connecti, nec reddi ratio cur Petrus repente et
absque idla occasione, illius pvœdicationis feceril
mentionem. De myslerio vitse Christi, disp. XLIII,
sect. m, n. 7, Paris, 1866, t. xix, p. 736. Mais quand il
s'agit d'indiquer le motif pour lequel l'apôtre a spécia-
lement mentionné les incrédules du temps de Noé,
Suarez rejeta assez légèrement l'explication de Bellar-
min pour lui substituer celle-ci qui ne la vaut certai-
nement pas. Selon lui, le but de saint Pierre était de
consoler et d'encourager, par la vue des célestes ré-
compenses, les fidèles diversement éprouvés. Alors il
suggéra que les incrédules du temps de Noé étaient
cités en exemple, parce qu'ils furent les plus éprouvés
des hommes. Ibid., n. 9, p. 737.
c) Petau prit, lui aussi, sa part dans le débat. [Du
passage de saint Pierre, il dit : Qui locus admoduni ,
ut est, visus antiquis est obscurus ac perplexus , et il
ajoute cette malicieuse réllexion à propos de saint Au-
gustin : de quo (loco) interrogalus Augustinus ab
Evodio, pro responsione, nihil propemodum prseter
hsesilationem explicavit suam epislola undecentesima.
Aces explications hésitantes, Petau ne reconnaît 'pas
la moindre probabilité : Neuliquam Ma (opinio) pro-
babilis est. Dogmata théologien, De incarnalione ,
1. XIII, c. xvni, n. 14, Venise, 1757, t. v, p. 142. Be-
noit XIV lui-même reprit, pour son compte, une partie
de l'argumentation de Bellarmin. De sabbatosanclo,5.
d) Par ailleurs, au nom des exégètes de profession,
le savant Estius s'efforça de restituer la véritable signi-
fication des textes de saint Pierre. Pour le premier, il
résume ainsi son opinion : Christus qui homo homi-
nibus m carne evangelizavit, idem came mortuus, m
spiritu, al est secundum animam, profectits ad in-
feros, prsedicavit, cl, ut infra dicitur, evangelizavit,
id est hi'Uim allulil nunlium, spiritibus. hoc. est ani-
mabus quse apud in fer os, m ,</ pœnarum
loco conclusse, delbiebanlur. Qui quidem spirilus,
alim carne induti, increduli fuerant, lune nimirum
quando Deus patientei et longanimiler...'eos expec-
tabai ad psenitenliam, idque quo tempore Noe, jussu
divino, fabricabat arcam in quaipsecum sua fanii-
lia... servarelur et servatus fuit ab aquis diluvii,
qnod peccatoribns tuperventurum tam uerbo prsedi-
cabal quam faclo. Nam et i/isa arese fabricatio q
dam prœdicatio eral. Cui tamen prsedicationi et prse-
dictioni credere noluerunl... donec vend diluvium et
consumpsit omnes. Ex guibus tamen multi, ipsius
rei quam credere noluerant experienlia et prsest
periculo commonili, tandem, Deo invocato, ad pseni-
tentiam converti suut et cum sjie salulis mortui.
Propler peccata tamen sua, quoad pœnam adhuc ex-
pianda, apud inferos, carceri et crucialibus addicti
remanserunl usque ad Christi redemptoris a<<
tum. Unde si quseras quid Iseli nantit Christus eis
prsedicaveril, respondeo nunliasse se redemptorem,
et ad hoc venisse ut eos e pwnis et carcere liberaret,
atqae ex inferis educlos una secum et cum sanclo-
rum patrum sjtiritibus eveheret ad cselestia. In
omnes divi Pauli Epislolas commentaria, Douai,
1616, t. il, p. 750-751. — Du second texte Estius donna
une explication aussi lumineuse et tout aussi ferme :
Jam secundo meminit apostolus hujusmodi prœdica-
tionis ut non videatur dubilandum quin eumdem
sensum ulrobique speclel, ul ulerque locus ex altero
sit illustrandus. Quod igitur superiori capite dixit :
Christum prœdicasse spiritibus qui in carcere erant,
idem est cum eo quod hic dicit : Evangelizatum esse
morluis... De Us lantum hic agit de quibus ante
(apostolus) egerat, id est de spiritibus in carcere
purgatorio conslitutis, qui in diebus Noe increduli
fuerant, deque aliis quorum similis eral causa, cur
eo carcere detinerenlur... Non vivis lantum ab eo
(Cliristo) prœdicatum est evangelium, sed etiam
mortuis, tune nimirum quando mortuus ad mortuo-
rum loca descendit. Quodnam evangelium mortuis
prsedicaveril si quseras, respondemus in génère qui-
dem prœdicasse idem quod vivis, nempe se Messiam
esse et Filium Dei, qui sua passione et morte grenus
laimanum redemerit; speciatim vero, se ad ea loca
descendisse ut, lanquam morlis et inferni victor,
ipsos e carcere quo tenebantur eriperel, alque una
secum ad cœlos subveheret... Ad hoc... etiam mor-
luis evangelizavit Christus ut, quamvis judicali fue-
rint, id est puniti came seu corpore, quando eos
aquœ diluvii sujfocarunt, et id secundum homines,hoc
est publiée et in liominum nolitia (fuit enini Ma
punitio omnibus hominibus manifesta, nec discerne-
bat electos a reprobis), vivant tamen féliciter et béate
per Christi redemptionem ; spiritu, id est anima,
quam Christus, annuntiato ipsis evangelio, glorise
suse participent fecit, etsi came adhuc corruptionem
patiente ; et id secundum Dcum, id est coram Deo.
licet mundus eos apud Dcum viverc nesciut aut mai
credat. Ibid., p. 756-757. Estius terminait en con-
cluant que son interprétation des deux passades est la
plus probable, parce qu'elle s'éloigne le moins possible
de la signification accoutumée des termes. 11 s'y arrê-
tait d'autant plus volontiers qu'elle lui parut d'une
grande importance pour la confirmation du dogme du
purgatoire.
e) Depuis Bellarmin. Suarez et Estius, exégètes el
théologiens se sont ralliés au fond commun de leurs
conclusions : ils furent et sont unanimes, depuis trois
siècles et plus, à reconnaître que saint Pierre a voulu
dans les passages indiqués, parler de la visite du Sau-
veur aux enfers.
//. LES PERES Ef l'ŒCVRE l>l CHRIST AUX ENFERS. —
597
DESCENTE DE JESUS AUX ENFERS
598
L'époque palrislique s'est assez justement représenté
l'œuvre accomplie dans la descente aux enfers comme
une conséquence et une application de l'œuvre com-
mencée par l'incarnation et couronnée par la rédemp-
tion. Or, l'antiquité chrétienne s'est expliqué le mystère
de la rédemption par deux théories principales : celle
de L'évangélisation ou de la lumière apportée aux hom-
mes enténébrés, celle de la délivrance qui renverse
l'empire du démon et brise les chaînes, ouvre la prison
dans lesquelles il détenait les hommes en réelle capti-
\ité. Parallèlement à ces concepts, les Pères ont exposé
la descente aux enfers, soit comme une prédication
spéciale adressée aux esprits des demeures infernales,
soit comme une victoire du Sauveur, je veux dire un
-ement du démon, d'où s'ensuit la délivrance de
ses victimes.
1° Théorie de l'évangélisation ou de la prédicalii n.
— I. Nous l'avons rencontrée dans les citations déjà
faites de V Évangile de Pierre, d'Hermas, de Clément
d'Alexandrie et d'Origéne; et c'est grâce à l'influence
de celui-ci qu'elle se répandit si largement. En même
temps qu'il exalte le triomphe du Christ, la défaite de
la mort et celle du diable. Oral, de incarnatione Verbi,
il 23-27, P. (.., t. xxv, col. 136 sq., saint Athanase
maintient le fait de la prédication. Ad Epiclelum,n.5,
6, P. G., t. xxvi, col. 1058-1061. Saint Hilaire dit que
le Christ a fait ses exhortations, comme l'apôtre
Pierre en témoigne, à ceux qui étaient en prison, aux
incrédules du temps de Noé, » Tract, in ps. CXVI1I,
xi, 3. P. L.,\. ix, col. 572-573; et il laisse entrevoir que
la conversion demeurait possible dans le sombre sé-
jour.
2. Mais quelle fut l'étendue, quel fut l'effet de cette
prédication? Ses partisans l'ont conçue comme un
moyen d'illumination des intelligences et de réelle
conversion des volontés. Par suite, elle se trouvait
inutile pour les saints patriarches et les justes de l'an-
cienne loi; mais elle devait s'adresser aux esprits qui
n'avaient pas reçu la lumière de la foi, et, dans cette
théorie, c'est donc pour les infidèles que le Sauveur
est descendu aux enfers. Tour Clément d'Alexandrie
et Origène, ce sont tous les esprits, à qui la prédica-
tion des enfers a offert la lumière évangélique, et tous
oui pu obtenir le salut à la seule condition de la bonne
volonté- : èito[<rrp£çci>v xàxeîvtov -i»; 6ouXouivac itpb( aù-
-.',,■ Origène, Cont. Celsum, I. II. a. 13, /'. G., t. xi.
col. 8tJ5. L'Ambrosiaster expose que la prédication dans
i' - enfers consista essentiellement dans .l'apparition
même de Jésus, el il ajoute cette conclusion très i
que Jésus délivra tous ceux qui eurent le désir ou
l'amour de lui Triumphato ergo diabolo, descendit
m cor terra, ni os mor-
tuorum, et quolquot cupidi ejus estent liberarentur.
Comment, in ,Epist. ad P/di.. tv, 9, /'. L., i. wn.
col. 387. Cet amour de Jésus était, dans
l'espérance d'obtenir par lui le salut : Ornais enim
quicumque, viso Salvalon apud inferos, sperani <lr
illo taluiem, liberalus est, Pelro apostolohot testante.
1 ,,i>i . mi lioni., x, 7, ibid., col. 143. Saint
lire de Na/ian/e semble ac< i pli r au moins I
sibilité du -.dut universi l il ne sait si le Chi isl libéra
qu'il trouva au i i nfei s, ou seulement
n ni en lui \' ,<.,'>: ■/.%-. -.% \i ■-. -■,. Xptw
"i r,; xaTK6âa(W(, t:;
,-i.ii:;, 'rl /A/v. tOV<
' •'/.. MA. 21, P. L . t. XXXVI. Col. li.'lT.
Saint Cyrille d Alexandrii paraîtrait aller plus loin en-
••t adinettn li lui du salul ,.■ aérai
... \\uii dépouillé tout
I i nf r, el iv. mi '.i,
diable abandonm
Homil. paschal., vu, P. G., t. lxxvii, col. 552. Il
semble cependant que cette formule absolue doive
s'entendre avec quelque restriction, celle-ci, par exem-
ple, que la libération atteignit tous ceux qui en étaient
dignes. Car saint Cyrille dit ailleurs formellement que,
prêchant aux esprits en prison, le Christ a délivré ceux
qui auraient cru en lui, s'ils avaient vécu au temps de
sa prédication publique sur la terre : î'va \\)or\ toûtouç,
ôaoc ittareûstv hi.ùlo-i. Fragm. in Episl. 1 B. Pétri,
m, 19, P. G., t.'i.xxiv, col. 1013.
3. Avec saint Jean Damascène la doctrine se restreint
en se précisant. Il retient la doctrine de l'évangélisa-
tion des âmes aux enfers; il n'accepte pas que le Sau-
veur y ait accordé le salut à tous indistinctement,
mais seulement â ceux qui alors crurent en lui. Pour
lui, en dehors des justes de l'ancienne loi, ceux-là
seuls obtinrent le salut qui avaient, sur la terre, mené
une vie très pure, pratiqué la modestie, la tempérance,
la chasteté, sans pourtant avoir reçu la lumière de la
foi. Ce fut, pour eux, comme la récompense de leurs
vertus naturelles. De fide orlhodoxa, 1. III, c. xxix,
P. G., t. xciv, col. 1101; De Us qui in /ide obierunl,
a. 13, P. G., t. xcv, col. 257. L'Église grecque, sauf
quelques exceptions notables cependant, suivit désor-
mais son grand docteur. Selon la pensée d'Œcuinenius,
quelque peu semblable à celle de saint Cyrille d'Alexan-
drie, ceux qui avaient mené, sur la terre, une vie de
justice et qui auraient écoulé Jésus s'ils avaient vécu
de son temps, ont éprouvé aux enfers le bienfait de la
prédication salutaire du Sauveur : Oi ya.ç> àpYQ'C «ya-
Oos; tÔv éaurtôv vatà ibv rijç s^r,; ocÙTÛv ypdvov, itîp'.iv-
ÔtffavTEî fh'ov, (i; ei xa't tôtî tiS y.O(j[xu> £7reSr||j.Y]<JE Xf.T-
T'JÇ, (J.Y) av à7TOÀîtç0r|Vai toû ÏWOTIOIO'jVTOC «vitoviç
y./.p'J-Mj.aro;, o'jtoc xnù t^tô o;à rjjç St; 58o-J toû Kvpt'ou
jeaèdéou, rfjç <roT»>piaç ït-j/ov. In 7ai" Pétri, ni, 18-19,
/'. I'.., t. exix, col. 557-559. Cf. Théophylacte, InP" Pe-
lri, m, 19, P. G., t. cxxv, col. 1232.
2° Théorie de la délivrance des dmes cl de la vic-
toire sur le démon. — Elle fut toujours proposée dans
l'Église en même temps que la précédente, mais comme
celle-ci fut surtout soutenue dans l'Eglise grecque,
l'autre se retrouve le plus fréquemment dans l'I
latine.
I. lui Orient, la note doctrinale, en ce qui regarde
l'étendue de la libération, fut assez exactement donnée
par saint Cyrille de Jérusalem. Il montre le Sauveur
allant aux enfers pour délivrer, non toutes les âmes,
mais celles des justes : iXuTpoûvTO nâvrsc oî Stxatoc
o-3« xatémev. Cal., xiv, n. 19, P. G., t. xxxm, col. 819.
Cf. n. 12, 18; '.'»/.. IV, n. I. col. 169. Hé ces justes
sont [sale, David, Samuel, Jean-Baptiste, les prophètes.
I usèbe de ( ■ sari l expose que le but du Sauveur était
de dominer sur les morts comme sur les vivants, de
détruire la méchante puissance <\e> démons. Aussi a-t-il
brisé les portes des ténèbres et ressuscité avec le
saints nombreux. Dem. evang., 1. IV. c. xn, /'. G.,
t. WII, col. 281. ht à propos d I Usèbe Comme île saint
Cyrille, il est curieux de cueillir dan- un ouvrage pro-
Ul el rationaliste celte juste observation.
bonne .i retenir au point de vue catholique : « <>n voit
combien ces théologiens conservateurs, etqui expriment
l'opinion moyenne, se rencontrent. Il y avait un s.
ment commun de | i ce sont eux qui le tra-
duisent, i l. Uonnier, /." descente aux enfers, Paris,
1905, p 129 Nous avons vu que saint Êpiphane d
pour but a la descente aux enfers le lalul des saints
•/.3CTX
è-'l " 'IjVOlV
. //' r.. I XIX. 11. l'I.
/'. '... I. Mil. ■ ' pour lui. i '. si uni
lut m «el •■ e-i la thèse que va
iinl i' .m i brysosfc
599
DESCENTE DE JÉSUS A.UX ENFERS
600
dout'1. il a écril que l'âme do Christ va aux enfers
pour prêcher. .Mais sa manière de comprendre celte
prédication l'a conduit à la théorie de la délivrance
qu'il expose avec une réelle éloquence. C'est un en-
fantillage de penser que la prédication peut conver-
tir après la mort. Nous n'avons que la vie présente
pour faire le Lien; il n'y a pas de place pour le re-
pentir efficace dans la vie d'outre-tombe. « Si l'on
admet qu'il suffit de croire après la mort pour être
sauvé, personne ne périra. Nous savons, en effet, que
tous doivent faire pénitence et adorer le Christ. Saint
Paul nous l'apprend, quand il dit que toule langue
louera et que tout genou llécliira au ciel, sur la terre
et dans les enfers... Toutefois cette soumission sera
inutile, attendu qu'elle ne sera pas volontaire mais im-
posée par la nécessité. » In Matth., liomil. xxxvi, n. 3,
P. G., t. lvii, col. 417. Ne quittons pas l'Orient, sans
écouter le syrien, saint Éphrem. Dans ses hymnes sur
la résurreclion, il décrit la descente aux enfers à la
manière de l'Évangile de Nicodéme : on y retrouve le
défi à la puissance du Christ, la victoire soudaine et
éclatante qu'il remporte en enlevant les morts, la sou-
mission au roi Jésus de la mort vaincue. Cf. J. Mon-
nier, op. cit., p. 118-119.
2. En Occident, nous voyons se dresser des adver-
saires très déterminés de la thèse de l'évangélisation.
Ils la qualifient purement et simplement d'hérésie, si
elle suppose la possibilité de la conversion dans l'au-
delà. Avec le pape saint Grégoire le Grand, rappelons
deux condamnations expresses. Saint Philastre de Bres-
cia consacre tout le c. cxxv de son livre De hœrcsibus
à Yhœresis de Christi descensu ad inferos. P.L.,t.iiu
col. 1250. Nous y lisons : Alii sunt hseretici quidicunt
Dominum in infernum descendisse, et omnibus )>osl
niortem eliam ibidem renuntiasse ut confilentes ibi-
dem salvarentur. lbid., col. 1251. Saint Augustin pro-
nonce le même jugement dans son livre De hxresibus
■ad Quodvultdeum , lxxix : Alia, descendenle ad m-
feros C/iristo credidisse incredulos, et omnes exinde
exislimat liberatos. P. L., t. xxil, col. 45.
S'appuyant sur ces autorités, saint Grégoire le Grand
va résoudre le problème comme gardien suprême de la
doctrine et fixer nettement les lignes de la tradition
catholique. Il exclut donc du concept correct de l'œuvre
■de la descente aux enfers toute espèce de conversion
réelle des volontés en ce lieu : il ne peut être désor-
mais question que des justes. Des représentants du
patriarche de Constantinople étaient venus à Rome :
le prêtre George et le diacre Théodore. Après leur dé-
part, le pape apprend que, de leur avis, Jésus, dans
les enfers, aurait sauvé tous ceux qui le reconnurent
pour Dieu : Agnovi quod dilectio vcstra dixisset om-
nipotentem Dominum salvalorem nostrum Jesum
Christum ad inferos descendentem, omnes qui illic
confi lercnlur eum Deum, salvasse, alque a pœnis de-
bitis libérasse. Le pontife veut qu'ils abandonnent
cette opinion : De qua re volo ut charilas vcstra longe
■aliter sentiat. Il leur indique, par deux fois, la véri-
table doctrine à tenir sur ce point : Descendais quippe
■ad inferos, solos Mo s per suam gratiam liberavit,
nui eum et venturum esse crediderunt, et prxeepta
ejus vivendo lenuerunt... Heec itaque omnia pertra-
ctantes, nihil aliud teneatis nisi quod vera /ides per
catltolicam Ecclesiam docet : quia descendent ad in-
feros Dominus illos solummodo ab inferni claustris
eripuit quos viventes in carne per suam gratiam in
fine et bona operatione servavit. Le pape avance de la
doctrine ainsi proclamée cette juste raison : Il est cer-
tain que depuis l'incarnation, personne ne peul être
sauvé, qui. croyant en Jésus, ne mène pas la vie de
l.i f"i. Constat ai/lcut quia pusl incarnat nmcm Dnmiui
nullus etiam ex fris salrari jwtcst, qui /idem illius
nt et vitam fidei non liabent. Or, si aujourd'hui
les fidèles ne peuvent se gauvei -an- I.- bonnes iruvres;
si, d'autre part, les fidèles et les réprouvés ont été,
sans bonnes œuvres aucunes, sauvés lors de la descente
il n Seigneur aux enfers, il faut avouer que la condition
des hommes, qui n'ont nullement vu 1 incarnation, est
meilleure que celle des hommes venus après la réali-
sation de ce mystère : Si ergo fidèles nunc tins bonis
operibus non salvantur, et infidèles a< reprobi sine
h, ma aclione, Domino ad inferos descendenle, salvali
sunt, tnelior illorum sors fuit, qui incarnationem
Diiniiiti minime viderunl, quam horum qui post
incarnalionis ejus mysterium nali sunt. Epist., 1. VII.
epist. xv, ad Georgium presbyterum, 1'. L., t. i.xxvn.
col. KG9-870.
3. Telle est donc l'explication exacte de l'œuvre du
Christ aux enfers : c'est la libération des justes ou des
saints, des Juifs principalement et même des gentils
qui accomplirent durant leur vie les préceptes de la
loi de la nature ou de leur loi positive et obtinrent
ainsi la grâce. Toutefois, en attendant que cette expli-
cation prédomine absolument, il se produira des fluc-
tuations. De ci.de là, quelques écrivains ecclésiastiques
étendront ou sembleront ('tendre le bienfait de la déli-
vrance à des pécheurs, dans certaines conditions don-
nées. Pour ceux-ci, elle aurait eu le caractère d'un réel
pardon octroyé outre-tombe.
Saint Jean Chrysostome,à l'endroit ci-dessus rapporté,
limite correctement l'œuvre de la descente aux enfers à
la libération des justes. .Mais, parmi ces justes, il ne
range pas seulement les saints de l'ancienne loi; il y
ajoute les gentils qui n'eurent ni la connaissance ni
l'espérance du rédempteur, pourvu qu'ils n'eussent pas
adoré les idoles et qu'ils eussent connu le vrai Dieu :
'Evïjv yip xoci y.\ oixo/.oyr.'TavTa; tov Xp terri) v tots ctcoÔt,-
vat. Où yaçi toOto à-r.T-'To r:ap' aÙTcôv, à/./ i rô jj.j| EÏSti)-
)'j>aTDEÏv, xaV tô tov à/Y.Ov/ov 0sov eïoévat. In Matth.,
homii. xxvi, n. 3, P. G., t. lvii, col. 416. Saint Philastre
avait soutenu une doctrine identique, quand il admet
le salut possible des poètes, des philosophes et autres
infidèles, à la condition qu'ils aient cru en Dieu et
n'eussent pas propagé l'idolâtrie : Nam si Deum esse
credidissent, deorum et dearum lurpia nomina mm
seminassent, et in descensionc Christi in infernum re-
niant impetrassent. De hxresibus, cxxv. haeresis de
Christi descensu ad inferos, P. L., t. XII, col. 1251-
1252. Selon cette opinion, les païens auraient donc
obtenu, dans les enfers, le pardon de leur incrédulité
au regard du Messie rédempteur, et la remise des péchés
d'omission que suppose l'absence de bonnes œuvres.
De leur côté, saint Épiphane en Orient, saint Irénée
et saint Jérôme en Occident, enseignèrent expressément
la doctrine de la délivrance des justes. L'évêque de
Lyon a écrit: Non enim propter cos solos qui tempori-
bus Tiberii Caesaris crediderunt ci, venit Chris tu*;
nec propter eos solos, qui nunc sunt, homines provi-
dentiam fecit Pater; sed propter omnes omnina
homines qui ab initia propter nrlutem suam in sua
generatione, et timuerunt, el dileieruiil Deum, etjuste
ci /ne conversati sunt erga proximos, et concupierunt
videre Christum et audire vocem ejus. Cont. hser.,
1. IV. c. xxil. n. -1. P. '.'.. t. vil, col. lOiT. Mais, en
même temps, ces docteurs on disent expressément ou
semblent insinuer que le Christ, dans la descente aux
enfers, accorda leur pardon à des croyants en état de
péché. Saint Épiphane expose que le Christ a accordé',
non par voie de pénitence, mais par voie de miséri-
corde, la rémission de leurs fautes à tous ceux qui
l'avaient connu jadis, qui ne s'étaient pas détournes
de sa divinité, et qui se trouvaient détenus aux enfers
a raison de quelques péchés. ~O0:v y.a\ rôv %•■:■. i 'A8à|i
tôv -aripa £v "ô>t: jrErtareûxa|Asv Si ' 5v xai -où; x- ' iùtoO
r(;iâ; ïrâvta; Xpicrb; ?,X0s, toî; (xèv rcàXai aÙTOv -fivaxr-
y.o'jc., /x'i uv-, itXavrl6e:o"t>i ànb -ft; aùroù 8eÔTr,To;, svexev
601
DESCENTE DE JÉSUS AUX ENFERS
602
Zï nza.j.y.ô.-Ufi èv SSy) xaTEÇ/Y.nsVj'.; 'AfJlvrjOTÎav -/ap;<7a<T-
8af Toi; p.iv k'xt âv xô<ru.(i> Six [AEtavoiaç, rotç Se èv aOr)
'>.' D.éou; -a'. c(oTr,ç ia:. Hser., XLVI, 11. 4, iJ. G., t. XLI,
col. 844. Saint Jérôme mentionne bien quelque part
certaines dispcnsations, de nous ignorées, que le
Sauveur devait accorder dans les enfers, en outre de
l'accomplissement de la loi et des prophètes. Car,
écrit-il, nous ne pouvons savoir comment le sang du
Christ a pu être utile aux anges et à ceux qui se trou-
vaient dans l'enfer; nous ne pouvons toutefois ignorer
qu'ils en aient tiré avantage : Descendit ergo in infe-
riora terrée et ascendit super omîtes cselos Filius Dei,
ut non tantum legeni prophetasque compleret, sed et
alias quasdain occultas dispensât iones, quas soins ipse
novit cum l'aire. Neque enim scire possumus quo-
tnodo et angelis, et Itis, qui in inferno erant, sanguis
Christi profuerit : et tante» quin profuerit nescire
non possumus. Mais si cette formule parait tellement
large qu'elle devient inexacte, lisons la restriction qui
suit immédiatement et peut corriger toute exagération :
Descendit quoque ad inferos et ascendit ad eselos, ut
impleret eos, qui in illis regionibus erant, secundum
id quod capere poterant. lu Epis t. ad Eph., iv. 10, AL.,
t. xxvi, col. 499. Il y a d'autant plus lieu d'accepter
cette interprétation bénigne, que, plus tard, écrivant à
Hédibia, saint Jérôme restreindra formellement aux
s de l'ancienne loi les bienfaits de la descente aux
enfers. Epist., CXX, ad Hedibiam, c. vin, P. L., t. xxu,
col. 991 sq. On le voit, le texte de saint Jérôme, pour
si élastique qu'il soit, n'implique pas nécessairement
la rémission proprement dite des fautes accordée outre-
tombe : puisque chacun a reçu, à son avis, ce qui était
dans sa capacité : secundum id quod capere paieront.
Quant à saint Irénée, saint Épiphane et les quelques
docteurs qui parlent plus expressément de pardon, il
importe d'observer qu'ils tiennent ce langage à propos
de pécheurs convertis et pénitents dès ce inonde. Ce
pardon alors, sous leur plume ou sur leurs lèvres, n'est
que la consécration officielle et divine, apportée dans
l'enfer par le < Ihrist, de l'absolution obtenue sur la terre,
el aussi le premier octroi de la récompense consécutive.
Saint Augustin a donné' du problème en cause une
solution assez particulière. Il pose en principe que le
Sauveur est descendu aux enfers pour \ délivrer des
- en état de souffrance. Il tourne à son opinion
A et., Il, 2k qui peut ; entendu : Vt eos dolores
. quibus leneri ipse non pote-
rat, sed quibus alii tenebanlur, quos illenovrrat libe-
randi ,clxi\, ad) i, n. 3, P. L., t. xxxm,
col. 710. 11 invoque d'autres témoignages encore, no-
tamment que I i nfi r est toujours présenté comme un
lien de punition et de souffrance, et il pose sa conclu-
sion leiie ntia testimonia el infernutn
commémorant et dolores, nulla causa occurrii cur
iiln credatur venisse Salvator, nisi ni uii ejus dolori-
but talvoi facerel. Ibid., n. 8, col. 712. Or les justes
comme Abraham i t Lazari n'étaient ni en enfer ni dans
la souffrant i I es justi s se trouvaient dans un lieu de
et de paix si uvenl appelé le paradis et le sein
d'Abraham, où le Sauveur était présent bien avant le
drame du Calvaire ! igitui in paradiso alque
\brahm,etiam anli am eral beatifu uni,- %a\
lia. Ibid. Cette demeure paradisiaque était Béparéede
l'enfei par un chaoi magnum. Il teste donc que le
I descendu dam l'enfer proprement dit pour
■ itu-
c'est-A-dire di e tanu n
onttilutit hoc
te >" a dubito. /' déli-
pou r t ou s les péch e u î
dïStini II lli' Ml. OU bien flll e||e lin p] 0| ,|,
pro-
lolot ibus)
inrenit, an quosdam qnos illo bene/icio dignos judi-
cavit, ad hue requiro. Ibid. Mais ailleurs saint Augustin
embrassera formellement la première solution sans
établir d'autre règle pour la concession de cette divine
délivrance que la volonté souverainement juste et à
nous cachée de la providence : Et Christi quidem
animant venisse usquead ea loca in quibus peccatores
crucianlur, ut eos a tormentis quos esse solvendos oc-
culta nobis sua justitia judicabat, non immerito cre-
ditur. De Genesi ad litterant, 1. XII, n. G3, P. L.t
t. xxxiv, col. 481. Sur ce point, comme sur tant d'au-
tres, saint Fulgence a épousé la théorie de son maître :
Et usque adinfernum descenderet anima Salvatoris,
nbi peccati merito torquebatur anima peccaloris. Une
aulem ideo factum est ut per ntorientem temporalité)
carnem justi donaretur vila eeterna carni, el per des-
cendenlem ad infemum animant justi, dolores sol er-
rent ur inferni. Ad Thrasymundum, 1. III, c. xxx,
P. L., t. lxv, col. 294. Un peu plus loin, il explique
que le Christ est venu aux enfers en son àme unie à sa
divinité, et il écrit cette formule qui se retrouvera,
elle aussi, chez les scolasliques : Secundum divinita-
lem vero suant quai nec loco tenetur, nec jine conciu-
iliiur, tolus fuit in sepulcro cum carne, lotus in in-
ferno cum a)iima, ac pro hue plenus fuit ubique
Chris tus. Ibid., n. 34, col. 299.
.Mais, nous l'avons marqué, au milieu de ces nuances
plus ou inoins divergentes, la doctrine traditionnelle
s'affirmait de plus en plus nette, et saint Grégoire le
Grand l'avait proclamée avec son autorité : Neque elc-
nim infidèles quosque et pro suis criminibus seternis
suppliciis deditos, ad veniam Dominus resurgendo
reparavit ; sed illos ex inferni claustris rapuit, quos
suos in fide et actibus recognorit. Hontil. in Evange-
lia, 1. II, homil. XXII, n. 6, P. L., t. i.xxvi, col. 1177.
4. Durant la période qui va du vnc au XIe siècle, la
théorie ne change guère chez les écrivains ecclésiasti-
ques. Si l'on rencontre des variations, elles sont de
pure forme, et l'on ne recueille aucune idée nouvelle.
Le Vénérable Bède, s'il suit saint Augustin dans son
opposition à la théorie de la prédication aux morts,
introduit cependant, dans son exposé' de la délivrance,
une modification qui contredit le docteur africain. Se-
lon son sentiment, les saints ou les justes eux-mêmes
i ni pas, dans l'enfer, sans y souffrir quelque dou-
leur : Si enini in lacu locorum infernalium liberi
proravi i e munis erant sancli, quare dicit eos
vinctos, donec educereniur in sanguine <:/irisii:' Liber
tu in mi s m Ad. Apost., II. /'. /.., I. xcii, col. 1001.
Alcuin reproduit saint Jérôme et indique coi but
de la descente aux enfers le salut des justes. Cum ment,
in Bccle.,iu, 18-21, /'. /.., t. c, col. 683; Adv. Elipand.,
1. II, n. 2, /'. /... t. CI, col. 258-359. Ilincmar en-'
res d'Israël : ils ont cru en celui qui
devait venir comme nous croyons en celui qui est venu,
et ils ont été' Sauvés par la même foi que nous. De
prœdestinalione, c. xxvm, xxxn, /'. /.., t. cxxv,
col. 28:;, 299. s.iint Rémi de Lyon déclare que jamais
docteur catholique n'a pensé' ni enseigné que le S;m-
iid u aux enfers pour la multitude des
impies : il lient pour le salut des patriarches, des pro-
phètes. des justes. Lib. <!<■ tribus epist., c. x\m. /'./...
t. CXXI, roi. HlIT; De tel S ipl.'veril., c. \l\.
/'. /.., t. CXXI, col. 1122 Bq.
D'un autre côté, tandis que Walafrid Strabon consa
crail la fausse interpri ition aux morts
mentionnée dans la [• Pet., m, 19, Scol i rig< De semail
ins plus qu'hétéroclites sur l'eut, r el le para-
dis qui ne soni pas des lieui déterminés, mais des
I : lienl pour la
ii i action du < Ihrist et par
l'épreuvi et il < dut lin. il de toutes />•
6 /'. /.., t. ' wii. col. 980
603
DESCENTE DE JÉSUS AUX ENFERS
604
."). Ces théories de l'évangélisation et de la «I Slivrance
furent donc deux efforts parallèles de l'intelligence
chrétienne pour concevoir l'œuvre de la descente aux
enfers. Si la première n'avait mis en avant que l'illu-
mination des âmes par la prédication du Christ, c'est-
à-dire par ces facultés qu'ont les âmes séparées de re-
cevoir et de se communiquer mutuellement leurs pen-
et leurs volontés, elle n'eût été qu'une opinion
fort juste et elle eût été conservée. Mais on l'exagéra;
elle fut poussée jusqu'à la ressemblance avec l'apos-
tolat de la terre. Ainsi supposait-elle, jusque dans l'au-
delà, la possibilité de la conversion. Par là, elle
aboutissait à des conclusions formellement erronées :
pour cela, elle fut vivement combattue et promptemeiit
délaissée.
Au contraire, la théorie de la délivrance, dans son
concept le plus général, répondait plus exactement à
la vérité dogmatique. Elle prédomina, et prit, dans la
littérature de l'époque patristique, des expressions
particulières qu'il convient au moins d'indiquer.
3° Nous avons noté déjà que l'œuvre de la descente
aux enfers fut considérée comme l'exécution partielle
de la rédemption du genre humain. D'où il advint que
les formes, sous lesquelles les Pères se sont représenté
la rédemption, eurent leur retentissement sur la façon
de concevoir et d'exprimer cette œuvre elle-même.
Or, chez les Pères, le point de départ commun des
diverses manières de concevoir la rédemption fut
celui-ci : Dieu et Satan sont comme les deux maîtres
qui se disputent le genre humain. Les hommes se sont
volontairement éloignés de Dieu et ainsi livrés au dé-
mon qui les retient esclaves sous son joug. Il s'ensuit
que le démon a sur eux une sorte de droit plus ou
moins légitime, droit de propriété ou de conquête,
peu importe.
1 . Dans ces conditions, des écrivains ecclésiastiques,
et parmi eux saint Irénée, Origène, saint Basile, saint
Grégoire de Nysse, saint Ambroise, ont expliqué la
rédemption comme une rançon réellement payée au
démon pour le rachat de l'humanité. Ainsi l'exigeait la
justice, et Dieu a voulu user de justice envers le
démon lui-même. Parfois, l'on considérait le sang
versé par le Sauveur sur la croix comme le prix véri-
table de notre rançon. Alors, l'œuvre de la descente
aux enfers était la délivrance des Ames de la servitude
particulière dans laquelle elles gémissaient. D'autres
fois, l'âme même de Jésus rentrait dans le prix [deTa
rançon. Dans ce cas, l'œuvre de la descente;; aux en-
fers devenait une conception assez odieuse : c'était la
livraison au diable de l'àme du Christ pour la rançon
des âmes des défunts comme des autres hommes. Mais
cet abandon, tout passager d'ailleurs, devenait immé-
diatement le commencement de la ruine du démon.
«Notre Sauveur, écrit Origène, alla si loin qu'il donna
son àme pour le rachat de plusieurs. Mais à qui a-t-il
donné son àme? Ce n'est pas à Dieu. N'est-ce point
alors au démon? Celui-ci, en effet, nous tenait sous
son pouvoir, jusqu'à ce que, pour rançon de notre
délivrance, l'àme de Jésus-Christ lui fut donnée. »
In Mat th., xvi, 8, P. G., t. xin, col. 1397. Mais le dé-
mon s'est trompé. Il avait rêvé de s'emparer de l'àme
du Sauveur, mais il n'avait pas prévu l'intolérable
supplice qu'il allait endurer en la retenant. Jésus étail
libre entre les morts et plus fort que la puissance de
la mort. Aussi son âme n'est-elle pas restée au pou-
voir du démon, comme il est dit au Psaume : Vous ne
laisserez pas mon âme dans l'enfer. Origène, ibid.
.\ insistons pas davantage. La conception de la rançon,
fausse par plusieurs côtés, fut vivement combattue dès
qu'elle se trouva nettement formulée : on lui substitua
la théorie de l'abus de pouvoir. Cf. J. Rivière. Le
• loijmede la rédemption, c. xxi, Paris, 1905, p. 373-
391, passim; Henry E. Oxenham, Histoire du dogme
delà rédemption, trad. .1. Bruneau, c. ii.wi. Paris,
1909, p. 124-186, passim.
2. Cette nouvelle conception << suppose établie entre
le démon et Dieu une délimitation de pouvoir^
comme une manière de charte. Le démon a reçu de
Dieu le pouvoir' de mettre à mort les hommes à cause
de leurs péchés; mais en s'attaquant à Jésus-Ci
qui était innocent, il a gravement outrepassé ses droits
constitutionnels : c'est donc en toute justice que Dieu,
pour cet abus de pouvoir, le dépouille de ses captifs.
Le démon ne reçoit plus une rançon, mais le juste
châtiment de son crime. » J. Rivière, op. cit., p. 395-
396. Telle est la théorie nouvelle, présentée en Orient
par saint Jean Chrysostome, saint Cyrille d'Alexandrie
et Théodoret; en Occident, par saint llilaire, l'Ani-
brosiaster, saint Augustin, saint Léon le Grand et saint
Grégoire le Grarul. Cf. J. Rivière, op. eit, c. xxn.
p. 395-414. Dans cette théorie, la descente aux enfers
devient plus particulièrement une punition et une
défaite infligée au démon, qui voit arracher les âmes à
sa hrannie.
3. Qu'il s'agit de rançon ou d'abus de pouvoir,
l'opinion se compliquait souvent d'un expédient cé-
lèbre. Dieu, qui voulait, à l'égard du diable, procéder
par les voies de justice et non par celles de force,
envoya sur la terre son propre Fils, mais en voilant sa
divinité sous les dehors d'un homme. Au vu des
œuvres miraculeuses que cet homme multipliait par-
tout, le diable vit bien qu'il était un envoyé divin,
mais il le prit pour un envoyé ordinaire, tel Moïse ou
Jilie. Il le fit mettre à mort par les Juifs, el pour enle-
ver au monde sa présence trop sanctifiante, et surtout
pour enfermer son àme avee les autres aux enfers.
C'est alors qu'il fut pris au piège, à la souricière, dit
saint Augustin, à l'hameçon, dit saint Grégoire le
Grand. Comme toute la rédemption, la descente aux
enfers, qui en est un épisode, fut aussi prése
comme un piège dans lequel le diable tomba sotte-
ment : et il eut la mortifiante surprise de se voir en-
lever ses sujets par celui-là même qu'il regardait déjà
comme son captif.
4° Quelle que fût la conception utilisée, la descente
aux enfers était toujours, en réalité, une défaite pour
le démon, une victoire pour le Christ, une délivrance
pour les âmes. C'était toujours Satan dépouillé ou
vaincu, le Christ triomphateur, les âmes sortant de
captivité. Pour traduire le plus vivement possible la
vérité dogmatique, les écrivains comme les orateurs
avaient recours à toutes les images et ils épuisaient
toutes les ressources de la rhétorique. La descente
aux enfers était un thème merveilleux pour ces déve-
loppements littéraires ou oratoires : elle offrait tout de
suite à briser les portes d'une prison séculaire, on.
depuis les origines, les âmes des justes étaient rete-
nues captives; elle continuait la ruine de l'empire du
démon, bien avancée déjà sur le champ de lutte «lu
Golgotha; elle apportait aux générations déjà pas
la libération que le sacrifice du Calvaire avait ass
aux générations à venir; elle se présentait comme le
couronnement de l'œuvre divine de la rédemption.
Lutte et résistance, victoire et défaite, triomphateur et
vaincu, ruine et dépouilles, tout se rencontrait en un
pareil sujet, et tout fut exploité avec une recherche
voulue pour frapper l'imagination du peuple chrétien.
Évidemment, toutes ces métaphores doivent être pi
dans le sens où les écrivains et les orateurs eux-mêmes
les employaient, comme des images plus ou moins
heureuses, plus ou mains éloignées, parfois peu adap-
tées, toujours très inadéquates, jamais comme des for-
mules exprimant exactement le dogme. On a pu obser-
ver déjà cette rhétorique dans les textes antérieure-
ment rapportés. Il ne sera pas inutile d'en consigner
ici quelque s exemples spéciaux et typiques.
605
DESCENTE DE JÉSUS AUX ENFERS
606
1. Saint Proclus, évêque de Constantinople, célèbre,
en ces termes, dans un sermon pour le vendredi-saint,
la victoire du Sauveur : « Aujourd'hui la mort a reçu
un mort qui vit toujours. Aujourd'hui sont brisés les
fers que le serpent forgea dans le paradis. Aujourd'hui
sont délivrés ceux qui étaient esclaves depuis des siè-
cles. Aujourd'hui le brigand a enfoncé le paradis gardé
depuis cinq mille cinq cents ans par le glaive de
flamme. Aujourd'hui la lumière a lui dans les ténèbres
et vidé tout le trésor de la mort. Aujourd'hui le roi est
rentré dans la prison. Aujourd'hui il a brisé les portes
d'airain et les verrous de fer, celui qui, absorbé comme
un mort ordinaire, a dévasté l'enfer en Dieu. Aujour-
d'hui le Christ, pierre angulaire, a ébranlé l'antique
fondement de la mort; il a arraché Adam, sauvé
AJbel et renversé toute la demeure infernale. Aujourd'hui
ceux qui pleuraient, ceux que la mort avait dévorés
crient à haute voix : 0 mort, où est ta victoire, où est
donc ton aiguillon? » Serm., vi. n. 1, P. G., t. lxv,
col. 721. Cf. J. Rivière, op. cit., p. 424.
In sermon, faussement attribué à saint Augustin,
voit dans le lion et l'ours abattus par David, la ligure
du diable vaincu par le Christ : Hoc totum.... quod
lune in David legimus figuration, in Domino Jesu
Christo cognoscimus esse contpletum. Tune etenim
leonrm et ursum strangulavit, quando ad inferna
descendais, omnesde eorum faucibus liberavit. P. L.,
I. xxxix, col. 1819.
Dans sa fameuse Catéchèse xiv déjà mentionnée,
saint Cyrille de Jérusalem donne cette description assez
vive de l'arrivée du .[('sus aux enfers et de l'œuvre qu'il
accomplit : 'EgenXâYi) o Oïvocto; ôïwpr.oa; xatvtfv -riva
xaxsXQrfvTa sic a5r,v, Znaoî^ toî; a'j-çfji jj.r, xaTe^épevov.
T:V>; Ivexev, ù> 7cu).fa>po\ aSo-j, toOtov îSovte; Eirc^ÇcKFÔej
-■: ô /.3.-ï/mi ûuâ; à<Tvvrç8ï)î çôêoç ; îyvyvi ô ôàvaroî,
/.%. p«Y*l r*lv Sei\(*v V -'."/.-*''■ Hfj'Jîtpc/ov ol ocyio". irpo-
frJTon, xai McoiiffYJç 6 voyoûir/:, xai.'Aëpaàu., -/.ai 'Io-ai/.,
y.a'i 'Iaxtuê' Ax-viô Tî /.ai Eap.0l)Y)X, xal 'IItoci-x:, v.x:
•', Ba-TfjTr,; 'Ia)âvvT|ç, ôXéycov xas [iaptvpcSV Su si
o èpxd|i.Evo(, t, êtepov 7ïpo; ôo x<ôu.evj 'EXwcpoOvto
-v/t:; o'i Sixatoi, o-'j; xaxéictev 6 Bâvatoç ïli'. yàp "'"''
XT)pu.j(6£vTa BaeiXéa tûv xaXûv xvjpuxcov ycvio-Oou X'jrpto-
Tr.v. EÏtï Exaffto; tûv Bcxaicov ëXeye. IloC aov, Bâvats,
fxoç; jtoï 7 0/, S6t)( tb xévtpovj iXvTpt&accro yàp
ïo.î: o v.y.o-oio;. (ïrt/., XIV. n. 19, P. ff., t. XXXIII,
B48-849.
2. D'autres fois, c'est un vrai drame que les Pères
font se dérouler devant le lecteur ou l'auditeur. Nous
lavons dii déjà : Il vangile de Nicodème, que les meil-
leurs critiques placent au v siècle, est comme un mys-
tère que l'on a pu, sans effort exagéré, distribuer en
en tableaux. I. Monnier, La descente aua
enfer», Paris, 1905, c. iv, p. '.10-107. Vers le vr siècle,
nous rencontrons la même dramaturgie dans trois ho-
mélies, 'i 1829 et attribuées à Eusèbe
il I in discours sont aussi comme o une pre-
mière ébauche des mystères et comi une trilogie
dramatique sur |a ruine de l'empire infernal. La
troisième partie, qui se ra] beaucoup de l'Evan-
de Nicodème, contient la de cription de la d<
aui enfers. A la vue i nés qui accompa-
n t la nmei de Jésus, le démon comprit qu'il était
fuit ch( / ll.nl. ■ \ ii. . cria-t-il, fermon
les portes pour qu'il n'entre pas et ne vienni
empire. D<
ndant avei qui chantent
\ti ■ • : voici le Roi l
i ' ■ -i lui, demande tiadès, que vient il
H . ient détruire ta pui iam e. Alors
Nul. - . tournant vers le démon lai reprochi
dit ' lu si voulu lui faire l.i
ni il vient nom enchalm i
'u ' réplique le dén pp
faiblesse m'ont trompé. — Et les anges reprennent
leur chant, et le Seigneur entre, victorieux. Cf. Eusèbe
d'Émèse, P. G., t. lxxxvi, col. 403-406;,!. Rivière.
op. cit., p. 436-437.
C'est une peinture toute semblable que nous retrou-
vons dans une homélie faussement attribuée à saint
Epiphane. M. Rivière en donne cette analyse : « Jésus
va ;tux enfers pour délivrer les âmes qui s'y trouvaient
enfermées; comme un berger, il va chercher jusque
dans leurs profondes ténèbres les brebis perdues. Il
trouve là Adam, Abel, Abraham et tous les patriarches
et prophètes, qui tous adressaient au ciel des vœux
pour leur délivrance. Jésus-Christ vient briser la puis-
sance du tyran (tôv t<;> xpârei xpoctalov -xari v.pàxo;
y-paiei toû xpdiTouç xpaToirupavvovj. Il s'entoure donc
d'une armée d'anges pour descendre en maître, en
guerrier, en Dieu; et, avec eux, il s'empare triompha-
lement des enfers. Les anges crient le psaume Tollile
portas : oui, n'ouvrez pas, arrachez ces portes pour
que jamais plus elles ne se ferment. Les démons se
troublent dans le plus affreux désordre. L'un se tient
là, bouche bée; l'autre cache son visage dans ses ge-
noux; celui-ci est tombé la face contre la terre, l'autre
rigide comme un mort. Les anges les poursuivent dans
leur dernière retraite, amènent les captifs au Seigneur
et leur rivent des fers. Pendant ce temps Adam, ré-
veillé par tout ce bruit, comprend que sa délivrance
est arrivée et vient se prosterner aux pieds du Sau-
veur, qui l'emmène au ciel et tous les hommes avec
lui. » Op. cit., p. 437-438; P. G., t. XLHI, col. 432-464.
Enfin voici, dans une homélie restituée à saint Césaire
d'Arles, un curieux monologue; c'est le démon qui
exhale son désespoir en une suite d'antithèses cher-
chées. Au moment où le Sauveur arrive, l'enfer devient
tout à coup resplendissant. Les pleurs cessent, les
chaînes tombent. A ce spectacle, les démons apeurés
se communiquent leur stupéfaction et leur crainte :
Quisnam est iste lerribilis et niveo splendore décor us?
Numquid truster talent excepit Tarlarus? Numquid
in noslram cavernam taicm evomuit mundus? Invasor
iste, non debitor ; extractor est, non peccator ; judicem
videmus, non supplicem; venit juberc, non succum-
bere; erumpere, non matière, l'binam pulalis jani-
lores nosiri dormicrunl, cuni iste bellator claustra
nostra vexabat? Hic, si reus esset, superbus velaudax
mm essri. Si mm aliqua delicta fuscarent, nunquam
fulgore suo nostreu tenebras dissiparet. Sed si Deus
est. quid m tepulcro facit? Si bomo, quid prasump-
si Drus, ulquid venit f Si liomo, quare caplivos
tolvitf Numquidnam iste cuni auctore nostro compo-
sait, aut \ortc ipsum aggressus viril, et sir nostra
régna transivit? Certemortuus erat, cerle victus erat.
liator noslrr in muudo ; nrsrivit quant
hic stragem procuraret inferna crux illa fallens gau-
dia nostra, parturiens damna nostra. Per liguum
dilati sumus, per lignum evertimur; périt potestas
illa semper populia formidata. Nullus hic virus m-
irurii, nemo eamiflees lerru.it. Nunquam hoc ni loco,
fuligine et nigra sn,t />r, caligine cm ato, injucundum
lumen apparuit. l" forte soi </,• mundo migra
Sed nec cmlum nobis aslraque parent, et tamen in-
fernus lucet. Quid agimusf Quo modo verlimurf
Oefendere contra islum non valemut ' Voir turbati
tumus. Lumen obtenebrare nequivimus, insuper et
de nostro interitu farmidamus. Homil . t, De }>as-
chate, I'. L., i. i xvn, roi. 1043.
Intercalé dans un sermon
du pteudo- Vu^iMin. Son discours est, lui aussi, comme
'i' taillé d'un drame en cinq actes. \u pre-
tnier point, un récitatif met en reliel la liberté du Sau-
montre qu'il est la mort de la mort et la moi
de l'enfer, tu second point, ce sont les exclamations
du Tartan •■ l'arrivée du Christ, tu troisième, le^
607
DESCENTE DE JÉSUS AUX ENFERS
608
objurgations de l'enfer au diable son cliof; au quatrièmi .
les supplications des justes à leur Sauveur. Au cin-
quième, par une permission de Dieu, les justes se re-
tournent contre leurs bourreaux, et chantent la victoire
du Verbe incarné. Serm., ci.x, De pascha, /'. L-,
t. xxxix, col. 2059-2061.
3. Les expressions de victoire et de défaite, de ruines
et de dépouilles, sont passées jusque dans la poésie
chrétienne et l'hymnographie. Prudence décrit longue-
ment, dans l'hymne consacrée aux louanges du Christ,
son voyage aux enfers, la porte brisée qui laisse échapper
les âmes des défunts, sa victoire sur les puissances
infernales :
Ouin et ipsum, ne salutis inferi expertes forent
Tartarum benignus intrat, fracta cedit janua,
Vectibus cadit revulsis cardo dissolubilis,
Illa prompta ad irruentes, ad revertentes tenax.
Objice exli'orsum recluso porta reddit mortuos.
Calhemerinon, hymn. ix, P. L., t. lix, col. 870.
Sidoine Apollinaire expose, non sans les exagérer,
les résultats de la visite du Sauveur aux enfers :
Postremo mortem, sed surrecturus, adisti
Eripiens quidquid veteris migraverat hostis
In jus, per nostrum facinus...
Il explique aussi comment le démon s'est lui-même
leurré, en poursuivant le Christ :
Sic niorlua mors est,
Sic sese insidiis quas fecerat ipsa, fefellit,
Nam dum indiscrète petit insonlemque reosque,
Egit ut absolvi possent etcrimine nexi.
Carmen, xvi, eucharisticum, P. L., t. lvii, col. 719.
Elle ne manque pas non plus d'un certain charme,
la description du séjour du Christ aux enfers, que fait
Dracontius, au IIe livre de son Carmen de Deo :
Dum vita perennis
Limina mortis adit, Stygii tremuere ministri,
Etïugiunt tormenta reos, invita pepercit
Tortorum metuenda marins, lux funditur umbris,
Descensum comitata Dei, simul orbe fugata,
Tartarus infelix nunquam satiabilis umbris,
Et solitus gaudere neci, turbatur amare,
Et supplex augmenta dolet. Nam damna futura
Heec augmenta dabant; animas, uuas claustra tenebant
Carceris asterni, redituras lucis ad usus
Infremit, et legem violari deflet Averni.
Luminis impatiens, ut jam remearet ad auras
iEtliereas, orat Dominum, regemque polorum,
Ne gravet omnem Hecaten jubar insuperabile Christus;
Aut spoliet toto nigros simul agmitie mânes.
Ad superos revocans animas virtute parentis.
Carmen de Deo,\. II, v. 526-541, P. L., t. lx, col. 812-814.
C'est une note analogue dans le Vexilla reg\s de
Venance Fortunat :
Beata cujus brachiis
Pretium pependit seeculi,
Statera facta corporis
Tulitque praedam Tartari.
Miscellanea, 1. II, c. vu, Hymnus in hon. S. Crucis,
P. L., t. lxxxviii, col. 96.
On devrait encore rappeler ici la série des hymnes
pascales. Toutes célèbrent le Christ revenant des enfers,
et font penser aux rentrées triomphales des généraux
vainqueurs. Voici, à titre d'exemple, comme chante
Fulbert de Chartres :
Quo Christus, invictus leo,
Dracone surgens obruto,
Dum voce viva personat,
A morte functos excitât.
Quam devorarat improbus
Praedam, refudil tartarus,
Captivitate libéra,
Jesuni sequiintur agmina.
Triumphat il le splendide.
Hymnus paschalis,5-l'à, P. L., t. cxli, col. 352.
5° Au xir siècle, saint Anselme et Abélard s'attaquè-
rent tour à tour, et victorieusement, à celle tl
des droits du démon et â celle du piège, son corollaire
habituel. S. Anselme, Cur Dent homo, 1. I. c. vu,
/'. L., t. ci.vm, col. 367-368j Méditât., xi, ibid.,
col. 763-764; Abélard, h, Rom., I. II, c. m. P. /..,
t. ci.xxvm, col. 833-335. Cf. J. Rivièn . le dogme de la
rédemption, c. xxiv, p. 446-486; Henry E. Oxenl
Histoire du dogme de la rédemption, trad. Bruneau,
c. iv, Paris, 1909, p. 187-232. Bientôt l'on vit dispar
aussi de la littérature théologique ces explications qui
représentent la descente aux enfers comme le moyen
employé- pour renverser' un empire qui n'eut jamais
d'existence qu'en de fausses imaginations.
///. L'ŒVTRE DP CBRIST Al X B.VFRRS, APRÈS
PATRtSTlQUE. — \» La littérature théologique. —
1. Après l'intervention de saint Anselme et d'Abélard,
c'est la doctrine du sacrifice, et de la satisfaction off
à Dieu, qui prévalut justement dans le concept et l'ex-
plication théologiques de la rédemption. Saint Paul
l'avait expressément enseignée, et de l'aveu même
des protestants, on la rencontre dans nombre d'écrits
de l'époque patristique, avec les théories précédem-
ment indiquées. Comme conséquence, pour rendre
compte de l'œuvre de la descente aux enfers, la lie se
du Christ libérant les Ames des limbes où elles l'atten-
dent, prit plus de précision et devint bientôt la thèse
unique et universelle. L'idée ou l'image de victoire
pour le Christ et de défaite pour le démon put y de-
meurer associée en un certain sens. Le démon se trouve,
comme tentateur, avoir entraîné le genre humain dans
sa révolte et sa punition, en causant, pour sa part, la
faute originelle et même les fautes actuelles. Par suite,
il semble subir une sorte de défaite personnelle, quand
le Christ, effaçant le péché d'origine et ses conséquen-
ces, délivre des limbes les âmes des justes.
2. L'ancienne scolastique, tout en répétant simple-
ment l'enseignement traditionnel, ne tarda pas à sou-
lever, à propos de la descente aux enfers, une foule
de problèmes connexes. Hugues de Saint-Victor se
demande si, durant la mort de Jésus, la divinité fut
séparée de l'humanité. Summa, tr. I, c. xix, P. L.,
t. ci.xxvi, col. 78-80. Le premier, Robert Pulleyn. étudie,
en détail et dans un ordre systématique, la délivrance
des patriarches et des pères d'Israël dans les limbes. Il
se pose à ce sujet les problèmes les plus minutieux.
Sent., 1. IV, c. xvi-xxvi: 1. V, c. i-ih, P. L., t. u.xxxvi.
col. 823-830, 829-831. Pierre Lombard n'offre sur la
descente aux enfers que des considérations très géné-
rales, bien que très élevées, mais ses commentateurs,
les Sententiaires, en prendront texte pour l'exposé
plus développé de la doctrine. Sent., 1. 111, dist.XXH.
Innocent III recherche à quel moment précis la des-
cente a eu lieu : Ulrvm ipsa die mortis? Serm., v.
De resurect. Domini; Serin., xx. in dont. I ]>o$t
pascha, P. L., t. ccxvn, col. 469 sq., 102. Alexandre
de llalés ne s'étend pas sur l'ouvre de .lésus au séjour
infernal, mais il étudie plutôt l'état de sa personne, se-
demandant si alors il était vraiment homme, s'il est
allé au véritable enfer, s'il n'était pas indigne de la
nature divine de descendre en ces lieux. Summa,
part. I. q. xix, m. i-v.
Avec saint Thomas, les contours définitifs de la doc-
trine sont arrêtés désormais. Siim. theol., III1, q. ni.
L'avenir ne fera que le répéter, tout en développant da-
vantage certains points secondaires, ou en tirant les
conclusions contenues dans ses prémisses. Nous ne
rapporterons ici aucun texte : ceux que la théologie
nous obligera plus loin d'invoquer suffiront amplement
à démontrer que le grand courant théologique est
demeuré identique depuis l'époque de saint Thomas,
en passant par les Sommistcs et par les théologiens
modernes. Les poètes, comme Dante, n'ont rien dit
-609
DESCENTE DE JESUS AUX ENFERS
610
d'autre dans leur langage épique, Inferno, iv, 18-21,
37-38; xn, 13 sq.; et, dans leurs plus vives peintures
de la scène de la descente, les prédicateurs et les mys-
tiques ont conservé l'exposé traditionnel de la théolo-
gie. Cf. Ruysbroeck, L'ornement des noces spirituelles;
S'* Brigitte de Suède, Sancta Birgitta, édit. F. Ham-
merich, p. 225; Ludolphe de Saxe, Vita Jesu Christi,
part. II, c. lxviii, De sabbato sanclo, édit Rigollot,
Paris, 1870, t. iv, p. 648-654; Louis de Grenade, De
l'amour de Dieu, IIe traité, De la résurrection de
Xostre-Seigneur, ire médit., dans Œuvres spirituelles,
Lyon, 1660, p. 799-803; Louis du Pont, Méditations
sur les mystères de la foy, part. V, ire médit., Paris,
1684, t. III, p. 6-16.
3. Il faut noter encore cependant quelques déviations
ou même quelques oppositions. On connaît l'erreur de
Durand de Saint-Pounain. Elle fut reprise, à la fin du
xve siècle, par Pic de la Mirandole. L'une de ses
900 thèses était celle-ci .Chrislus non veraciteret quan-
1, — Les limbes.
D'aj 'uartalschrift, t. i. pi. vu, B{
tum ad rcalem prsesenliam descendit ad infcros, ut
punit Thomas et conmiunis o)>inio, sc<l solutn quoad
effectum. Opéra, Bâle, 1601, t. t, Conclusioncs, n. 29;
Apologia, \>. 83-90. Marsile l'icin soutint une explica-
tion analogue : Neque mutavit tuncsedem divina ma-
jestas, quutn sit temper ubique; neque te ad humana
quati /«''• defeclum defecit divina sublimitas, sed
humana ad se potius elevavit. Marsile ne pouvait com-
prendre la présence [dus particulière du Verbe aux
enfers par le moyen de son âme. De religione chri-
ttiana, c. i\ , Brème, 1617.
D'un autre côté, le cardinal Cajetan semble admettre,
(Lui- les enfers, une véritable prédication suivie d'effi-
ippuyanl sur ce que saint Pierre ilii que le
Christ a prêché .ni ceux qui lurent incré-
dules •,,, temps de Noé, il conclut : l'nde insinuatur
quod prsedicatw hm /"*' fructuoea. In omneë
n. PauH a, 1639, p, 871
lut lurtoul re-
ii l'.l.iu Umiêêiê onini-
<mr ratio ri" -
, et, que 'n 'l ii .■ Chri-
\ illapium, non-
tt talutem niiprrt tssr : îiiiiiiriini
iffecti
ml ejui (idem
tent iiiiiimi /.>•
DICT. CF. 7111 ol.. CATIIOL.
Spiritu, id est effîcaci divinitatis suse potentia, infe-
ros adiens, copiam sut mortuis ipsis bénigne prse-
buit, et eos ad agnitionem sui veneralionemque con-
vertit, non omnes quidem, sed eos dumlaxat, qui ab
orbe condito in Dei gratia et amicitia decesserant.
Dogmata theologica, De incarnatione, 1. XIII, c. xvm,
n. 14, Venise, 1757, p. 142.
4. Du coté de l'Église grecque, nous savons déjà
qu'Œcurnénius et Théophylacte retiennent la théorie de
l'évangélisation dans leurs commentaires de la 7a Pétri,
in, 19, P. G., t. exix, col. 557-559 ; t. cxxv, col. 1232.
Ils accordent le bénéfice de la descente du Christ à ceux
qui ont bien vécu. C'est la doctrine qui semble conser-
vée en Orient jusqu'à la lin de l'empire grec. Pendant
l'époque troublée de la conquête musulmane, il n'y a
rien à retenir comme mouvement théologique. Mais au
2. — Descente de Jésus aux enfers.
D'après un ancien ivoire byzantin du Brltisb Muséum.
xvir siècle, nous remarquons que les confessions de foi
sehismatiquesont subi l'influence de l'Église catholique :
elles suppriment l'explication de la descente par la
prédication, La confession de Critopoulos dit que le
Christ délivre « ceux qui avaient déjà cru en lui; »
et celle de Pierre Mogilas précise qu'il sauve les saints
patriarches et le brigand, i Telle esl toujours la foi de
l'Église orthodoxe. Aujourd'hui encore elle enseigne
que le Christ descendit BUS enfers « pour prêcher sa
victoire sur la mort, et délivrer les fîmes qui attendait ni
sa venue avec foi. » Cf. .1. Monnier. op, cit., C. IX,
p. 183-492,
2° L'iconographie chrétienne, — L'iconographie,
qui a traité avec prédilection ce thème de la descente
aui enfers, apporte son té ignage, non seulement au
fait lui-même, n Date
I. l.a plus ancienne manière 'le représenter la
rente aui enfers est tout Inspiréi de V Évangile '/<•
i • Christ, entouré d'une gloire, ■> le démon
il tend la main t idam qu'il aidi a
'lu séjour infernal aucune idée de prédication
ici. mais la victoire du Chrial et la délivrance des i"
ni I' Sam eu r lient en mains gg crois, COnsidt " e
comme i Instrument de ion triomphe autant que il
l\.
611
DESCENTE DE JÉSUS AIN ENFERS
012
supplice. L'enfer est assez semblable à une caverne
d'où parfois s'échappent des flammes. Elles ne signifient
pas les peines des damnés, mais les tourments purifi-
cateurs auxquels les justes eux-mêmes n'écliappent pas
toujours (fig. 1). M. .). Monnier reproduit, comme exem-
ples de ce type, une peinture du ix,É siècle qui se trouve
dans l'église inférieure de Saint-Clément, une minia-
ture du XIe siècle, tirée d'un ExsuUel, un ivoire by-
zantin du xii* siècle (fig. 2).
2. De ce type initial sont nées deux façons différentes
de représenter ensuite la descente.
a) La première, plutôt orientale, s'en tient au type
primitif, avec cette différence que la délivrance des
justes devient leur résurrection. Par suite, c'est du
séjour de la mort plutôt que de l'enfer que le Seigneur
fait sortir ses justes. A ce genre se rapportent les
Anastasis ou résurrections si nombreuses dans les
églises d'Orient. Le Christ est debout, à l'entrée de
l'enfer, de l'Hadès, entre des montagnes. Il tend la
main à Adam qui sort d'un sarcophage. Eve et d'autres
justes l'accompagnent. Voilà, dans ses lignes générales
un type assez fixe, qui se retrouve aujourd'hui encore
dans les icônes russes.
b) La seconde manière, plutôt occidentale, continue
de représenter la délivrance des justes en accentuant
son caractère de triomphe sur la mort et sur le diable.
La scène, évidemment, soit comme personnages, soit
comme topographie, se développe de façon différente,
selon le génie particulier à chaque époque.
Tantôt, l'entrée de l'enfer est une gueule largement
ouverte, aux dents acérées, d'où parfois s'échappent
des ilammes. Telle nous la montre un parement d'autel
de Charles V, au xive siècle. Tantôt, l'enfer est « le
chastelet des diables ». On les y voit aux créneaux, ils
sonnent du cor et se préparent à la défense, ou bien
ils sont dans l'attitude des vaincus. Tantôt encore,
l'enfer est une caverne, dont une paroi s'écroule pour
livrer passage à la foule des justes. Dès la fin du
XIVe siècle, les miniatures deviendront cependant moins
sévères. Là, dans tel livre d'heures, l'on pourra voir
s'ouvrir la caverne des limbes sur une riante prairie;
et sur les portes renversées, Adam et Eve se trouvent
à genoux devant le Christ en robe blanche.
Les primitifs italiens se sont attachés à exprimer la
hâte, la confiance, la ferveur des justes. Ainsi, à Flo-
rence, dans sa fresque de la chapelle des Espagnols,
Simone di Martino fait avancer vers le Sauveur la
théorie des patriarches, des prophètes, des rois, des
saintes femmes, en vêtements magnifiques. Au xve siècle,
voici la splendide fresque du couvent de Saint-Marc à
Venise et le petit tableau de l'Académie, dus au pin-
ceau de Fra Angelico. Il y plane un silence d'ineffable
adoration; et les esprits en prison, aux pieds du Christ,
dirigent vers lui leurs mains jointes, leurs lèvres trem-
blantes, leurs regards aimants et passionnés, cependant
qu'ils ont instinctivement fléchi les genoux. C'est le
même genre et la même expression dans le tableau de
l'école de maître Guillaume de Cologne.
Mais bientôt la descente deviendra un thème ou un
prétexte à des détails plus ou moins pittoresques et à
des académies, qui n'ont plus rien à voir avec le sens
religieux, ni même quelquefois avec le sens moral.
Cf. J. Monnier, La descente aux enfers, c. x, p. 193-
209, passim.
IV. L'ŒUVRE DE LA DESCENTE ht CHRIST AUX i:.\-
/■7;7(N, d'après I.A THÉOLOGIE CATHOLIQUE. — Avec
saint Thomas, Bellarmin et Suarez, la théologie a établi
ses dernières conclusions sur l'intelligence chrétienne
de l'article du symbole. Nous allons simplement ré-
sumer leurs données.
1" L'œuvre de la ilescente du Cln-ist aux enfers et les
anges. — Nous ne posons la question que pour être
complet. En fait, bien qu'il ait pu exister et qu'il y ait
en réellement des rapports entre la descente du Christ
i i le, ;mges, leurs conséquences ne regardent pas di-
rectement l'oeuvre accomplie dans le séjour infernal.
Ouoi qu'il en soit, disons avec Suarez que l'âme du
Christ, descendue aux enfers, n'a pas rnodifiéessentiel-
lement la béatitude des anges; sous ce rapport, elle est
immuable de sa nature. Mais ils ont reçu des lumières
et des grâces qui augmentèrent accidentellement leur
état bienheureux. Cum Mi (angeli) jam vicU
Deuni, cerluni esl animant Cliristi nihil novi m eot
influxisse, quod ad essentialem beatitudinem perti-
nuerit : quia bealitudo esl immulabilis, et itugeri non
potest secundum naturam suam, et secundum legem
hi'i ordinariam, et non sunl fingenda miraeula
fundamento aut necessitate. Quoad accidentaient vero
beatitudinem, credendum esl Cliristi animam e cor-
pore egredienlem illuminasse angelos atqtie nova gau-
dia illis atlulisse. Ea tanien actio per tenon perlinet
ad effeclus a Cltristo faclos in loco infemi, quia an-
geli sancti per se ad illum locuni non pertinent :
quanquant ditbitandum non sit eos cum C/tristo illm
descendisse. De myslerio vitse Chrisli, disp. XLIII,
sect. m, n. 1, Paris, 1866, t. xix, p. 733.
2° L'œuvre de la descente du <:/uisi aux enfers et
les damnés. — 1. Le Christ est-il descendu dans l'enfer
proprement dit, au lieu où les âmes des damnés su-
bissent leurs tortures vengeresses? — a) Saint Thomas
précisela question pour y répondre. Si l'on suppose que
l'âme du Christ s'est rendue réellement et de sa per-
sonne au lieu déterminé où les damnés subissent leur
supplice, il est de fait que le Christ n'est pas descendu là.
Alio modo dicitur aliquid esse alicubi per suam essen-
liam ;elsous ce rapport, dit le docteur angélique, l'âme
du Christ ne s'est rendue que dans les limbes. Si l'on
suppose que l'âme du Sauveur a produit quelque effet,
amené quelque résultat jusque chez les damnés, oui,
le Christ est descendu en ce lieu : car son âme a achevé
de convaincre les damnés de mauvaise foi et de réelle
malice. Dupliciler dicitur esse aliquid alicubi. Vno
modo per suum effeclum. Et hoc modo Cliristus in
quemlibel inferorum descendit. Aliter tamen et aliter.
Nam in infernum damnatorum liabuit hune effectum,
quod descendens ad inferos, eos de sua incredulilale
et malitia confutavit. Sum. theol., III», q. i.h, a. 2.
b) Cette solution n'agréa pas à Bellarmin. Selon lui,
il est tout à fait probable que le Christ a visité tous les
lieux infernaux, et aussi, par conséquent, l'enfer des
damnés. Prohabile est profeclo Cliristi animant ail
ontnia loca infemi descendisse. Il invoque Eccli., XXIV,
45 : Penetrabo omnes inferiores partes terrse, inspi-
ciam otiines dormientes, et illuminaboomnesspe7%antes
in Domino. Il appelle en sa faveur saint Augustin, saint
l'ulgence, saint Cyrille de Jérusalem. Disput. de con-
troversiis c/tristianœ fidei, De Cltristo, 1. IV, c. xvi,
Ingolstadt, 1599, p. 396. Même il aurait pu fortilier son
argumentation par cette considération, suggérée par
Suarez : Cliristus in omnibus infemi locis aliquid
ojieralus est ; sed perfectior modus operandi magisque
connaturalis est per realem prsesentiam. lient in
morte sua declaralus est Cliristus dominas vivorum
et morluorum, ila ut omnes etiam dxmones et dam-
nati ad ejtts regnum pertineaut ejusquepotestati sub-
diti sint. Ergo oportuit ut sua prsesentia veluti pos-
sessionem regni sui caperet ac de omnibus trium-
pharet. De mysterio vitse Cliristi. disp.XLllI.sect.lv,
n. 1, Paris, 1866, t. xix, p. 740-741.
c) Envisageant le problème à son tour. Suarez ac-
corde que la solution de Bellarmin, pour nouvelle
qu'elle soit, ne lui semble pourtant ni téméraire ni
dénuée de toute probabilité. C'était généreux. Mais
l'opinion opposée lui parait beaucoup mieux fondée.
Peut-être Suarez aurait-il pu accentuer davantage cette
note. Il conteste la valeur du texte allégué par Bellar-
G 13
DESCENTE DE JESUS AUX ENFERS
614
ni in, car il n'est pas du tout démontré qu'il doive s'ap-
pliquer à la question débattue, moins encore qu'il
doive seul la dirimer. Il revendique pour lui le con-
sentement des théologiens, dont la démonstration com-
mune part de ce fait : toute la raison de la descente
aux enfers, indiquée dans les sources révélées, est que
le Christ devait visiter, consoler, délivrer les saints
pères. Theologi nullam aliam probationem adducunt,
nisi quoi! potissima et adseqitala ratio, ob quant
Christus ad inferos descendit, fuit ut sanclos patres
visitaret et consolarelur aique eos inde educeret.
Ibid., n. 2, p. 740. En réalité, les saintes Écritures
donnent surtout ce motif de la visite du Sauveur, et
aussi les Pères eux-mêmes invoqués par Bellarmin.
Enfin, Suarez fait ainsi ressortir l'inutilité et l'inconve-
nance de la visite du Christ chez les damnés. Ad gehen-
nam aillent nullam habuit occasioneni descendendi,
i/uia neque ille locus erat accommodatus ipsi (quemad-
nwdunt linibus aplus erat ad animas sanctas), neque
effeclus quem ibi habuit, hoc requirebat. Quia lotus
fuit per moduni locutionis seu cujusdam manifesta-
tionis. Ut aulem unus spiritus cum altero loquatur
teque illi manifeslet, nulla loci propinquitas neces-
saria est. Deinde ut rex possessionem regni capiat,
mm perambulal omnia Iota, eliam vilia et objecta,
sed in ea civitale qux est capul regni, in qua eum
maxime residere decet, tolius regni suscipil guber-
naculn. Igitw "i Christus omnibus damnatis ac dse-
monibus dontinaretur eosque lerrerel et sibi genua
flectere coi l, nec necessarium, nec espediens
fuit ut eorum teterrintum locuni descenderet. Ibid.,
n. 3, p. 711. Cependant Suarez, comme saint Thomas,
admet quelque opération de l'âme du Christ sur les
damnés. Ram seipsum secundum animant illis nta-
nifestavit, et utse adorarcnl compulit, ut generaliter
verum sit illud: In nomine Jesti omne genu fJeclalur.
ctelestiunt, terrestrium et infernorum. Inde conse-
quenter factum rut ut et Christus earum maliliam et
pertinaciam reprehenderit, et ipsx ex superbia no-
quamdam afflictionem invidiamque persenserint.
Ibid., n. 10, p. 738.
2. Mais, sans se transporter réellement au séjour
des damnés, le Sauveur n'a-t-il pas arraché l'un ou
l'autre d'entre en, à ses tourments trop justifl
— a) Saint Thomas résout le problème, très fermement,
en partant d'un principe fort juste : l'œuvre accomplie
aux enfers ne pouvait être qu'une application des
ne ni .le la divine passion; pareille application ne
pouvait se faire qu'aux sujets rendus, par la foi et la
charité, capables île recevoir ce couronnemenl surna-
turel, lu- telle n'esl pas la condition des damnés.
Chris ndens «<l inferos operatus est tu virtute
I ideo ejus ad inferos illis
toli.t liberalionis contulit fruclum, qui fuerunt pa<-
Christici er /idem cliaritale formatant,
nia tolluntur. Illi autem qui erant in
inferno damna i penilus jute,,
kabuerant, ticut infidèles, nui si fidem habuerant,
nulla mitatem habebanl ad cltaritatem
mie née a peccati • uis erant w»«n-
ilnh El propter hoi descen ut Chrisli ad inferos non
lulit eit lib ealu pœnœ. Sum. theol.,
III . .| Ml
b I Imettanl la réelle visite du s, ,._,,, ur ;,ux
Mai min ni tnenl qu'il en ail délivré'
un damm quelconque. Il rappelle qui Philaslre di
Un ni Auguxlin ont qualifia celle ifflrmation
die i ■ i- i ■ . onclusion
' quod nii-
qui fuet <■ 1 lamnatt
■
•ht • ' ■ , >iinii fiineinhi . Ai quo
modo certi esse possunt se sine fine puniendos, qui
aliquando liberantur? Op. cit., p. 399. Aussi doit-on
tenir pour une légende l'histoire, rapportée par Nicétas,
de Platon apparaissant et venant attester son accession
à la foi, lors de la descente du Christ aux enfers.
c) Suarez a pris une attitude moins catégorique. Il
est certain, dit-il, que le Christ, en descendant aux
enfers, n'en a retiré aucun damné. Tel est le sentiment
commun des Pères et des théologiens. Poussant plus
loin, notre docteur se demande si sa conclusion est
certaine en la foi, certa de ftde. Impressionné par
l'autorité des Pères qui ont soutenu l'extension du
salut aux damnés, par la prédication de Jésus aux
enfers, il risque cette solution, qui n'est peut-être pas
celle d'un esprit très assuré de ses principes. La con-
clusion est certaine de foi, dit-il, selon la providence
ordinaire, secundum legem Dei ordinariam. Il dé-
montre fort bien son assertion par le principe de
l'éternité des peines et par cet autre : que l'acquisition
du salut est strictement réservée à cette vie, au temps
de la voie, ad tempus vise. Hoc argioucntunt convincit,
secundum comniuneni legem divina- justitite nullam
ex illis animabus fuisse inde eductam, quia hsec est
lex lata, ut, ubi ceciderit lignum, ibi maneat, sive ad
austrum, sive ad aquilonem. Item quia hujus vitae
tempus concession est liominibus ac comparandam
vel amittendam seternam vilam, et ideo, qui liic non
fuit usus mediis enneessis a Deo ad fidem et gratiam
obtinendam, secundum legem ordinarium consequi
salutem non polest. Tandem quia alias pejoris con-
ditionis fuissent homines qui nunc damnanlur, quam
qui ante mortem Christi. Non ergo eduxit Cltrislus
ab inferno animas damnatas. Ibid., sect. m, n. 6,
p. 735. Pour ces motifs, il faut traiter comme fables
toutes les histoires qui se colportent sur la libération
de telle ou telle Ame damnée, comme par exemple,
celle de Trajan qui aurait été sauvée grâce aux prières
de saint Grégoire le Grand. Pour se libérer de ses
scrupules patristiques, Suarez a admis la possibilité
d'exceptions à cette loi générale. An vero ex speciali
privilégia sua volunlate et arbitrio aliquem damna-
tion e gehenna Christus eduxerit, dubitari quoquo
modo potes t. Xant licel videatur lemcrariitm hoc affir-
mare contra générales régulas Scripturœ sine funda-
mento vel auctoritate, simpliciter tamen nonvidetw
esse erroneum vel hsereticum : quia non est de fuie
gêneraient illam legem, nullam dispensationem privi-
legiumve admittere. fftid. Suarez a vu lui-même la fai-
blesse de sa preuve. Précisément, parce que les sources
révélées, loin d'autoriser semblable exception, l'ex-
cluent au contraire expressément, il fallait logiquement
s'en tenir là. L'on ne devait pas ouvrir, sans raison au-
cune, cette porte d'un salut exceptionnel : l'on ne devait
pac émettre une hypothèse d'autant plus dangereuse,
qu'on peut la généraliser, avec autant de raison que
notre théologien l'a émise, pour l'un ou l'autre cas par-
ticulier. A la vérité, la première position de Suarez
était la bonne. Ou il faut nier l'éternité des peines de
l'enfer et admettre que le temps de la voie et .te
l épreuve n'est pas déflnitivemi ni cloi pour tous ,.
vie; ou bien il fini tenir que le Sau\''iir lia tir de
l'enfer aucun damné. Et qu'on ne le taxe point, è e mse
de cela, >l impuissai n est pas ton pouvoir
qui est iei en cause, mais les bus qu'il a établies et h
condition Irrémédiable dans lesquelles les damm
-..ni eux-mêmes libre ut jet
.i / ente 'in Chritt aux enft
\ortt eu état de /.<;< hé • I . L'am
île. réellement el di nu. . venue aux
imii ■ i en
étal 'i el? La question doit évidemment
'e d'apn '■ i'i m. Ipe - qui ii. .us ..ni
i problèmi pai illèli con em ml li i damnés • 'i
G15
DESCENTE DE JÉSUS A.UX ENFERS
616
la présence réelle et personnelle de Jésus ne convenait
pas plus en ce lieu qu'en l'autre; et, d'autre part, nous
ne savons pas exactement si l'âme <lu Sauveur a exercé
aux limbes une action quelconque. Quse (ce qui est dit
du lieu des damnés) pari fere probabilitate procedunt
de loco puerorum. Quia licet in Mo non sinl horror
et inordinalio quse. in loco damnatorum, tamen eliani
non congruebat Cliristo. Ac prœterea, quia ad/atr esl
incertum an Christus sese manifestaverit his pueris
vel aliquid eis contulerit; et si quid contulil, non per-
tinuit ad eorum salutem aut spirilualem prnfectum,
sed solum ad recognitionem dominii Christi, ad quem
effectum satis superque eral loculio et spiritualis
prsesentia secundum cognitionem. Ibid., sect. iv. n. 3,
p. 741.
2. Mais, laissant de côté la présence réelle de Jésus
aux limbes, demandons-nous si certaines âmes d'en-
fants n'ont pas été alors délivrées par le Christ. Sur ce
point saint Thomas, Bellarmin, Suarez tiennent una-
nimement pour la négative. En effet, à part les souf-
frances, la condition des enfants est la même que celle
des damnés : leur sort est définitivement fixé pour
l'éternité. Par ailleurs, n'ayant eu ni la foi ni la grâce,
ils étaient incapables de recevoir la vision béatilique.
Voici le juste raisonnement de saint Thomas : Descen-
sus Christi ad inferos in illis solis effectum liberatio-
nis habuit, qui per fidem et charitatem passioni
Christi conjungebantur, in cujus virtute descensus
Christi ad inferos liberatorius erat. Pueri autem,
qui cum originali peccato decesserant, nullo modo
fueranl conjuncti passioni Christi per fidem et dilec-
tionem ; neque enim fidem propriam habere potue-
rant, quia non habuerant usum liberi arbilrii, neque
per /idem parentum aut per aliquod fidei sacramen-
tum fuerant a peccato originali mundati. Et ideo
descensus Christi ad inferos hujusmodi pueros non
liberavit ab inferno. Et prœterea sancti patres ab
inferno sunt liberati per hoc quod sunt ad gloriam
divinse visionis admissi; ad quam nullus potest per-
venire, nisi per gratiam. Cum igitur pueri cum ori-
ginali peccato decedentes gratiam non habuerint, non
fuerunt ab inferno liberati. Sum. theol., IIIa, q. lu,
a. 7. Suarez ne fait que préciser davantage les mêmes
motifs : llla enim. pana (parvulorum) ex divina lege
est seterna, et ideo descendens Christus ad inferos
illam non immulavit, neque hujusmodi damnatis sua
mérita applicavit. Quse ratio alio etiam modo expli-
cari potest... scilicet neminem pervenire ad Dei visio-
nem nisi per fidem. At hi parvuli nunquam habue-
runt fidem Christi, et ideo non fuerunt capaces ut per
visioncm beatam ab Mo statu liberarentur. llle au-
tem status, sicut non erat status vise neque merili,
ita non erat status acquirendi fidem, per quam per-
veniretur ad sj>em. Ibid., n. 1, p. "18. Cf. Bellarmin,
De Cliristo, 1. TV, c. xvi, p. i(0 : Eadem est ratio de
animabus infantium qui discessenmt cum peccato
originali.
4° L 'œuvre de la descente du Clirist aux enfers'et le
purgatoire. — 1. L'âme du Sauveur a-t-elle, en propres
termes, visité le lieu de souffrances où les âmes des
justes achèvent de satisfaire à la divine justice pour
leurs péchés? Sur ce point, bien qu'avec moins d'assu-
rance, Suarez répond encore négativement. Son argu-
mentation d'ailleurs est bonne. C'est qu'aucune raison
positive n'autorise à affirmer la visite du purgatoire; et
d'un autre coté, la révélation indique comme cause de
la descente aux enfers la délivrance des justes : ce qui
ne semble pas regarder ' le purgatoire. Suarez écrit
donc : Probabilius censeo Christum adillum nondes-
cendisse. Privnum i/uia e.ristimo non eduxissc omnes
animas e purgatorio, et si alignas eduxit, eas non in
purgatorio sed in sintt patrum glorificasse. Atqui ut
cas Mue adduccret , non oportuit ut ad locum purga-
torii descenderet, sed ut suam voluntatem ac impe-
rium manifeslaret. Ad illuminandas vero cœterat
m muas, jam diximus non esse necessariam propin-
quilalem loci; ergo cum alias nec loci qualilas et n>n-
ditio essel aninîse Christi accommodata, nec ex parle
animarum, quse ibi purgabanlur , esset ea congruitas
quse in animabus patriarcharum ri p,nphetarum,non
oportuit Cliristi animam Mue descendere. Ibid.,
sect. iv, n. 3, p. 741-742.
Il se peut cependant que les ârnes du purgatoire,
sans que le Christ les ait visitées, aient reçu quelque
bienfait de sa descente aux enfers. En effet, l'on peut
admettre qu'à l'occasion de ce voyage, le Sauveur a
adouci les souffrances de toutes les ârnes en augmentant
leur espérance, ou par quelque autre moyen : In qui-
bus (animabus purgatorii) certum est Christum ha-
buisse aliquem effectum Muminalionis, gaudii et
consolalionis . Ibid., sect. ni, n. 11, p. 738. *
2. Mais les âmes, ou des âmes du purgatoire, ont-
elles été pleinement libérées de leurs dettes et ainsi
amenées à la vision bienheureuse? Si nous envisageons
la question dans son étendue la plus large, si nous
l'entendons et de la délivrance totale des peines et de
la libération universelle des âmes, l'on peut dire que
la réponse négative est certaine. La raison en est que
ces âmes n'avaient pas achevé de satisfaire à la justice
divine, et, d'un autre côté, l'on ne peut admettre que
la descente du Christ ait opéré au purgatoire à la ma-
nière d'un sacrement spécial de pénitence ou d'un
sacrifice expiatoire. Tel est le sens de la réponse de
saint Thomas : Descensus Christi ad inferos liberato-
rius fuit in virtute passionis ipsius... El sic patel
quod non habuit tune majorent efficaciam passii>
Christi, quam habeat nunc. Et ideo Mi qui fuerunt
laies quales nunc sunt qui in purgatorio detinentur,
non fuerunt a purgatorio liberati per descensum
Christi ad inferos. Ibid., a. 8.
Bellarmin embrasse le sentiment de saint Thomas.
Après lui, il remarque que si des âmes en étaient arri-
vées à la fin de leurs expiations, rien n'empêche de \
croire que la descente du Sauveur les ait délivrées :
Si qui autem inventi sunt taies, quales etiam nunc
virtute passionis Christi a purgatorio libetxmtur, talcs
nihil prohibe! per descensum Christi ad inferos a
purgatorio esse liberatos. S. Thomas, ibid. Bellarmin
renouvelle cette autre concession de saint Thomas :
que des âmes ont pu mériter durant leur vie d'être
délivrées par le Christ au moment de sa descente.
Addit tamen B. Thomas, duobus modis potuisse ac-
cidere ut tune aliqui liberarentur. Primo, si cxpleve-
rant lempus purgationis suse. Secundo, si ex devo-
tione peculiari ad Christi passionon id meruerant in
hac vila, ut tune liberarentur, cum Christus in cum
locum descenderet. Ibid., p. 401.
Suarez rapporte d'abord les diverses opinions soute-
nues sur le sujet. L'une défend la libération, sans con-
dition, de toutes les âmes du purgatoire; l'autre tient
pour la délivrance de celles qui avaient achevé de
purger leurs peines; une troisième s'inscrit pour la
libération universelle, mais en ajoutant qu'elle eut lieu
moyennant une sorte de compensation, l'intensité des
peines ayant suppléé ce qui restait à expier. Pour lui,
il s'arrête à la thèse fort sage de saint Thomas. Il est
certain, dit-il, que le Christ n'a pas vidé le purgatoire,
en sauvant toutes les âmes. Ce point acquis, il déclare
accueillir comme la meilleure, l'opinion qui croit à
la délivrance de quelques âmes en particulier. Inler
omnes opinxones, sententia D. Thomse ridetur majo-
rent speciem probabilitatis simulque pietatis, ac jus-
tilix divinse congruentem rationem habere. Ibid.,
sect. ui. n. 1."). p. 710. Sans doute, sur la question, à
défaut île documents positifs, le théologien en esl ré-
duit à des conjectures, ou plutôt à des raisons de
617
DESCENTE DE JESUS AUX ENFERS
618
convenance et à des analogies. Voici celles qui ont
touché le cardinal Cajetan (sur ce passage de la Somme) :
Ralionabiliter dicitur quod Christus, descendons ad
inferos, multos in purgatorio existentes, qui non lam
cito fuissent liberali, ex spécial! gratiâ bescensus
si i liberavit. Consentaneum siquidem est ut mullse
personse propinquse tempori mortis Christi,anle ipsum
mortuse, prseparalse sint a Deo cum simili devolionc,
ut sicut nascens Simeonem et Annam perfeclos inve-
nit, et paslores et magos prseparatos, ut digni essenl
consolatione nativilalis suse, ila moriens non solum
Patres sanetos perfeclos, sed eliam in purgatorio
speciali devolionc prseparatos inveniret, qui digni
essenl consolari ex descensu ad inferos "liber alorio.
Suarez invoqua des convenances ou des analogies du
même genre : Nam sicut Christus Dominas lac vivais
quibusdam remisit peccala speciali gralia et libera-
litale,et moriens similem lalroni impertivit graliam,
et postea resurgens quosdam secum suscitavit, non
tamen omnes, ila verisimile est aliquibus animabus
purgatorii hoc beneficium conlulisse propter aliquam
specialem rationem merili et devotionis. Item suffra-
gia et orationes sanctorum j avant animas purgatorii
ut cilius liberentur ; ergo multo magis juvare poterit
Christi oralio, si illse speciali aliquo tilulo e<> modo
juvari merenlur. Ergo, simili modo, credibile est
sua voliintate et petitione alignas lune libérasse, quai
ad hoc magis erant disposilse. lbid., n. 13, p. 740.
Louis du Pont se laissait donc entraîner en dehors des
limites du vrai, quand il écrivait : « Il est probable que
lf Fils de Dieu tira des llammes du purgatoire toutes
les âmes souffrantes, ou en abrégeant la durée de leur
supplier, ou en leur remettant leurs dettes, par l'ap-
plication des mérites île son sang nouvellement ré-
pandu, l'eut-estre leur envoya-t-il des anges pour les
délivrer les unes après 1rs autres. » Méditations sur
les mystères de la foy, part. Ve, v- médit., Taris,
1684, p. 14-15.
ô L'œuvre du Christ aux enfers et les limbes des
justes. — 1. L'àme du Christ est-elle vraiment descen-
due au sein d'Abraham, aux limbes des pères, en ce
lieu mi les âmes des justes attendaient la venue du
eur pour entrer en possession de la béatitude La
question ne saurait être douteuse. Tous sont d'accord
pour l'affirmative, et elle découle nécessairement dis
solutions données antérieurement. La foi enseigne qui
b' Chrisl i -«i descendu aux enfers, s'il ne s'est rendu
ni cbe/ b'- damnés, ni chez les âmes en état de pi
originel, ni au purgatoire, il reste qu'il a visiti
limbes di - justes Certum <"-/, écrit Suarez, descen-
disse ad s inu m Abrahœ, qui erat proprius locus ju-
Btorum : diffici • est de es lbid.,
sect. iv, n. I, p. 710.
I ii i> i ité une du Sauveur, séparée de son corps,
devait se rendre qui Ique part. Or, il existait un lieu
idenliellemenl destiné a recevoir les âmes des
. depuis l'origine du monde, ils étaienl là recueil-
li semble tout naturel que le Christ, homme
comme eux, ait voulu, pour cette raison et indépen
damment des autn . passer par la même demeure
mi Christi anima,
■ n,i lolum ]n(>i>lr, cffCCl uni , yi'l
tupposito
Ma anima a
ila alicubi futura 1 1 et, null
leret '
Me I m depulalui pro anima-
nt hominui
,/</ debuli
OëSUi |
■ '.. p 741,
2. Que le Christ, ainsi descendu aux limbes, ait
immédiatement délivré les âmes des justes, en leur
conférant la bienheureuse vision, la béatitude essen-
tielle, comme dit l'École, c'est une conclusion abso-
lument certaine. Suarez déclare même que c'est là
une vérité de foi : Certum est Chrislum, descendendo
ad inferos, animabus sanctis quai in sinu Abralise
erant, essentialem bealitudinem, ac cœtera animai
dona quse illam consequuntur, conlulisse. Hoc de fide
certum exislimo. Quia de fide est illas animas non
vidisse Deum anle Christi morlem... Deinde est de
fide certum Chrislum per morlem aperuisse homi-
nibiis januam regni... ideoque de fide etiam certum
est animas sanctorum omnium post Christi morlem
decedentium, si ni/iil purgandum habeant, stalim
videre Deum. Ergo idem de prœdictis animabus.
lbid., sect. m, n. 1, p. 733.
Saint Thomas recourt toujours au très juste principe
de l'efficacité de la passion du Sauveur. C'est par elle,
en effet, qu'a été supprimé cet empêchement qui retient
les hommes, en punition du péché d'origine, dans
l'impossibilité de voir Dieu. Il ajoute cette explication
et cette comparaison tout à fait appropriées : Sancli
paires, dam adhuc viverent, liberali fuerunl per fidem
Christi ab omni peccalo, tam originali quam actuali,
et a reatu pœnse aclualium peccatorum, non tamen a
realu pœnse originalis jieccali, per quem excludeban-
tur a gloria, nondum solulo prelio redemptionis
humante. Sicut etiam nunc fidèles Christi liberantur
per baplismum a realu aclualium peccatorum et a
realu originalis, quantum ad exclusionem a gloria;
rémanent tamen adhuc obligati reatu originalis pec-
cati, quantum ad necessitalem corporaliter moriendi.
Sum. theol., IIIa, q. lu, a. 5, ad 2"m. Le catéchisme du
concile de Trente s'est inspiré de cette doctrine, part. 1,
a. 5, n. i) : Repetere debemus pios homines non solum
qui post ailvenlum Domini in lucem editi erant, sed
qui ilhim post Adam antecesseranl, vel qui usque ad
/inrm sseculi fiiinri sunt, ejus passionis bénéficia
salutem consecutos esse. Quamobrem antequam Me
morerelur ac resurgerel, cseli portée nemini unquam
patuerunt. Celte délivrance se lit, du reste, d'une
manière admirable et infiniment glorieuse. Car la seule
présence du Sauveur répandit immldiatement, au
milieu des justes, une lumière resplendissante ; el le lis
lii d'une joie et d'une allégresse ineffable, et lis
mit en possession de celte béatitude qu'ils désiraient
tant, et qui consiste dans la vue de Dieu : Doccnilum
erit propterea Christum Dominum ad inferos descen-
disse ut, ereptis dœmonum spoliis, sanclos Mût patres
cœterosque pios >■ carcere liberatos secum adducerel
m cselum quod admirabiliter summaque cum gloria
•'nui est. Stalim enim illius a*i>erius clarissimam
lucem rupiiris iillulit, eorumque animas immensa
i gaudioqueimplevit ; quibus etiam optatissimani
ni i ne m . qum m lin visione consistit, impertivit :
1/i'n facto, ni ' nmprobatum est quod lalroni protni-
serai illis verbis : Ilodie mecum cris m paradiso.
I u us dès I arrivée du Christ aux limbes, (
à-dire aussitôt après sa rt,les Imes desjustes furent
) de l'obstacle qui les empêchai! de voir Dieu.
elles furent pénétré* s il, la lumière de gloire et m
en possession de la vision intuitive. Dès lors, ell< a
commencèrent à jouir du bonheur quien esl la coi
quence, et d'une joie d'autan) plus parfaite qu'elle
comblai! di s espérances plus longti mps différées ci des
plus ardents. Les mystiques se complaisent ■•
analysi i 1 1 situation, s'attardent :i mon
n viennent, par troupes, s'incliner devant leur
sauveur pour lui rendre gloire di son in phe el lui
offrir i' m s adoi ationa el leur \ oir
Ludolphe de Saie, VilaJt . part. II. c. LXVIU,
.dit Rigollot, l' 6 il.
619
DESCENTE DE JESUS AUX ENFERS
DESESPOIR
620
:i. Que devinrent lésâmes en cet étal bienheureux?
Sortirent-elles immédiatement du sein d'Abraham et
des limbes? Plusieurs écrivains ecclésiastiques, qui
avaient proposé la théorie de l'évangélisation aux enfers,
ont enseigné que les .nues délivrées furent d'abord
reçues au paradis terrestre, fermé depuis l'expulsion
d'Adam; ils y laissaient 1rs âmes, soit jusqu'à l'ascen-
sion, soit jusqu'à la résurrection générale. Origène,
saint Cyrille de Jérusalem, saint Jean Cbrysostoine ont
écrit ou parlé en ce sens, dans [es textes que nous
avons déjà indiqués. Mais cette opinion assez bizarre
disparut avec la tbéorie de l'évangélisation, grâce à
l'enseignement de saint Grégoire le Grand. Il exposa,
en effet, que les âmes, pures de toute faute, sont
admises dans le ciel sans retard.
Restait donc à se demander simplement si les âmes
des justes sortirent des limbes et entrèrent au ciel
aussitôt après la descente du Sauveur, ou seulement
plus tard. On eut vite remarqué qu'il appartenait au
Cbrist d'entrer au ciel le premier. Comme il n'y fit son
entrée qu'à l'ascension, les justes attendirent jusqu'à
ce jour pour y prendre aussi leur place. Ils demeurèrent
donc encore quarante-deux jours dans les limbes, en
jouissance toutefois du bonbeur de la vision avec le
droit acquis et inamissible à l'entrée du ciel. Telle fut
la solution bientôt universellement adoptée, et toujours
retenue depuis. Saint Thomas la formule ainsi : Chri-
stus statim ad infernum desccndens sanctos ibi exi-
ste nies liberavit, non quidein statim educendo eos de
loco inferni, sed in ipso inferno eos de luce glorix
illuslrando. Sum. theol., M», q. lu, a. 4, ad lum. A la
question lvii, a. 6, le saint docteur explique que ces
âmes bienheureuses entrèrent au ciel avec Notre-
Seigneur, faisant un cortège triomphal à leur sauveur
et rédempteur. Cf. Bellarrnin, De Christo, 1. IV, c. xn;
Benoit XIV, De festo ascensionis, xxxix.
Nous ne donnons pas une bibliographie détaillée : à propos
de chaque point, les références utiles ont été indiquées. Rappe-
lons seulement : Pierre Lombard, Sent., 1. III, disp. XXII, et les
sententiaires sur ce passage; S. Thomas, Sum. theol., III",
q. i.n, et les sommistes sur ce passage; Catechismus ad paro-
chos, part. I, a. 4; les théologiens, au traité De Verbo incarnato,
par exemple: Bellarrnin, Disput. de controversiis christianœ
fldei, De Christo, 1. IV, Ingolstadt, 1599, p. 337-401; Suarez, De
mysterio vitm Chrisli, disp. XLI-XLIII, Paris, 1866, t. xix,
p. 697-743; Petau, Dogmata theologica, De incarnatiene,
1. XIII, c. xv-xvin, Venise, 1757, p. 132-142; Stentrup, Soterio-
logia, thés, xlv-liii; C. Pesch, Prxlectiones dogmaticx. De
Verbo incarnato, n. 498-506, Fiibourg-en-Brisgau, t. iv,
p. 242-247; A. Paquet, Disputationes theologicse. De incarna-
tions Verbi, disp. IX, q. v, Québec, 1899, p. 475-483; L. Jans-
sens, Summa theologica, Tractatus de Deo-Homine, sect. m,
m. iv, Friliourg-en-Brisgau, 1902, p. 879-889 ; G. Weber, Doc-
trina tutior de descensu Christi ad inferos; Dietelmaier,
Historia dogmatis de descensu Christi ad inferos, 2e édit.,
Altorf, 1762; Kiinig, Die Lehre von Christi HOllenfahrt,
Francfort, 1842; Giïder, Die Lehre von der Erscheinung Jesu
Christi unter den Todten, Berne, 1853; Koeiber, Die ka-
tholische Lettre von der HOllenfahrt Jesu Christi, Landshut,
1860; Dictionnaire encyclopédique de la théologie catho-
lique, trad. Goschler, v° Descente du Christ aux enfers,
Paris, 1809, t. VI, p. 221-237; Huidekoper, The belief of the
first three centuries concerning Christ' s mission to the un-
derworld, New-York, 1S76; Bruston, La descente du Christ aux
enfers, 1897; P.-.). .lensen, Laereu om lîristi Nedfarl til de
Dude, Copenhague, 1903; J. Tunnel, La descente du Christ aux
enfers, dans la collection Science et religion, n. 3i2, Paris,
1905; J. Monnier, La descente aux- enfers. Étude de pensée
religieuse, d'art et de littérature, Paris, 1905; Encyclr,
des sciences religieuses de Lichtenberger, v Descente du
Christ aux enfers, Paris, 1878, t. m, p. 074-680.
H. Quii.i.iet.
DESERICIUS (DESERIZ) Joseph-Innocent, reli-
gieux des Kcoles pies, né à Neîtra en Hongrie, en 1702,
et mort dans le même pa\s à Watzen en ITtiô. Profes-
seur de théologie au séminaire de Raal, puis supérieur
de diverses maisons de sa congrégation et enfin assis-
tant du général â Rome, il fut nommé- cardinal par
Benoit XIV qui l'envoya comme légat en Valachie. De
retour en Hongrie, il se retira a Watzen, où il se con-
sacra entièrement a l'étude et où il mourut en 1765.
On a de lui : Tractatus ad p icularum
flammarum, 1,1738; Lapisangv
laris sive prœnwlio physica l/wmistica, in-4°, Tymau,
17M; De initiis acmajoribus Ifungarorum conu
taria, 3 in-fol.. liude, 1748, 1753, 1758, suivis de 2 in-fol.,
l'est, 1700; Historia episcopalus, diœcesis ac civilatis
Vaciencis, in-fol., 1703, ouvrages érudits, mais sans
beaucoup de critique.
Michaud, Biographie universelle, t. x, p. 481; Hœfer, .Y'..<-
velle biographie générale, t. xni, col. 705-790; Feller. Biogra-
phie universelle, Paris, 1848, t. ni, p. 210.
A. INOOLD.
DÉSESPOIR. — 1. Péché de désespoir. II. Tenta-
tion de désespoir.
1. Péché de désespoir. — 1 Définition Ihéologique.
— C'est un acte de la volonté se détournant de Dieu
comme fin dernière, parce que l'on juge l'acquisition
du bonheur éternel entièrement impossible pour soi-
même. — 1. Se détourner de Dieu comme fin der-
nière, parce qu'on le hait positivement, est un péché
de haine de Dieu, immédiatement opposé à la charité,
péché le plus considérable de tous, puisqu'il est le
plus radicalement contraire à la fin dernière. Voir
t. n, col. 2261 sq. S'éloigner de Dieu comme tin der-
nière à cause du découragement ou de l'abattement
causé par une difficulté jugée insurmontable est le
péché de désespoir, que l'impossibilité porte sur la fin
dernière elle-même ou sur les moyens nécessaires
pour y parvenir. — 2. Cette aversion est un acte positif
de la volonté écartant délibérément toute espérance.
Une vive impression de découragement, surtout si elle
se prolonge et si elle cause quelque trouble dans
l'exercice normal des facultés, peut constituer un
danger d'entraînement pour la volonté. Elle ne peut
être une faute tant que la volonté n'a point consenti.
Ce que l'on doit aussi appliquer aux troubles plus pro-
fonds de découragement et de désespoir que l'âme
peut involontairement éprouver dans les purifications
passives précédant toujours dans le plan divin les
faveurs extraordinaires des états mystiques. — 3. L'aver-
sion de la volonté suppose toujours un faux jugement
de l'intelligence considérant le bonheur éternel comme
inaccessible à l'individu lui-même. Par ce faux juge-
ment l'on nie absolument, au moins pour soi. la con-
cession de l'indispensable secours divin, ou l'on se
persuade faussement que toute coopération personnelle
est impossible ou trop difficile pour être essayée avec
succès. Dans le premier cas, il y a hérésie formelle, si
l'on adhère positivement et sciemment à cette proposi-
tion hérétique qu'il est au moins un fidèle dont Dieu
ne veut réellement point le salut. Dans le second cas,
il n'y a point hérésie, mais seulement jugement erroné.
En l'une et l'autre circonstance, l'on doit soigneuse-
ment distinguer entre l'adhésion positive de l'intelli-
gence et une simple suggestion ou soupçon même per-
sistant, auquel on ne consent point d'une manière
gravement coupable.
2° Malice. — 1. Malice spécifique. — a) En soi, le
désespoir est un péché spécifiquement opposé au pré-
cepte surnaturel de l'espérance chrétienne, puisqu'il
supprime son terme final, la récompense éternelle,
jugée inaccessible faute de secours divin ou de coopé-
ration personnelle. — b) A la violation spécifique du
précepte de l'espérance peuvent accidentellement se
joindre d'autres péchés, notamment le péché de haine
ou d'infidélité, ou de blasphème et l'abandon complet
de tous les devoirs religieux avec tout son cortège de
fautes.
2. Gravité objective. — Directement opposé au gi
G21
DESESPOIR
DESGABETS
622
précepte de l'espérance chrétienne, le désespoir plei-
nement consenti par la volonté est toujours une faute
mortelle, quel que soit le jugement, hérétique ou sim-
plement erroné, qui lui donne naissance. Toutefois
une imperfection accidentelle du consentement empê-
cherait toujours la gravité subjective dans une circon-
stance donnée. Salinanticenscs, Cursus Iheologiœ mo-
ralis, tr. XXI, c. vi, n. 51.
'à. Gravité comparée. — Le péché de désespoir.
quand il n'est accompagné ni de haine ni d'infidélité,
est un péché d'une gravité moindre que celle de ces
deux péchés opposés à la foi ou à la charité, mais
même en ce cas il surpasse en malice les péchés
opposés aux autres vertus à cause de l'excellence par-
ticulière de la vertu d'espérance. S. Thomas, Sum.
theoh, II" II*, q. xx, a. 3; Suarez, De spe, disp. II,
sect. il ; Salmanlicenses, Cursus théologiens, tr. XVIII,
disp. V, n. 8sq.; Billuart, De spe, a. 5; Gotti, tr. XI,
De spe theologica, q. n, n. 32, Theologia scholaslico-
dogmatica, Venise, 1750, t. n, p. 504. Pratiquement,
le désespoir pleinement consenti est souverainement
nuisible et dangereux, plus même que l'infidélité et
la haine de Dieu, parce que, dans l'âme où il continue
à régner, il paralyse entièrement tout effort dans
l'ordre surnaturel et pose, pour ainsi dire, l'arrêt de la
damnation éternelle, s. Thomas, loc. cit., bien que le
repentir soit toujours possible avec le secours de la
grâce divine.
II. Tkntation de désespoir. — 1° Xature. — Cette
tentation, nous l'avons déjà observé, est une suggestion
de l'imagination ou de l'intelligence, accompagnée le
plus souvent d'un trouble sensible et constituant pour
la volonté un danger d'entraînement au péché de déses-
poir. Comme toute autre tentation, elle peut se pro-
duire sans aucune faute de notre part même in causa,
et elle n'est point en elle-même une faute tant que son
objet n'est point ratifié par la volonté. Mais elle con-
stitue pour la volonté un danger plus ou moins immé-
diat et plus ou moins grave de se laisser entraîner au
consentement.
2° Causes et remèdes. — Dans chaque cas particulier,
plusieurs causes peuvent contribuer à la naissance ou
au développement de la tentation. Le confesseur ou le
directeur devra les anah soin pour déterminer
les remèdes Bpirituels les plus appropriés. — 1. Cette
ti ntation peu! prendre naissance dans la grandeur et
la fréquence d I l'impossibilité pré-
sumée d'en briser le joug, i on devra opposer le motif
souverainement efficace de l'infinie miséricorde de Dieu
et de la toute-puissance de sa grâce toujours assurée
aui âmes de lionne volonté. — 2. La tentation peut
encore provenir de l'habitude de scrupules non com-
battus el dominant entièrement l'intelligence el la vo-
lonté'. Le remède sera un patienl el persévérant traite-
ment du scrupule assuji ttissanl la conscience par la i
de l'ol ■ n |i"int tenir compte des doutes non
f.. mies qui la torturent sans relâche. — 3. La <
déterminante des tentations p ut i tre parfois la lecture
d'auteurs moralistes ou ascétiques r i-. . | > rigides décri-
vant h-- préceptes chrétiens ou les conseils de perfec-
tion comme inaccessibles à l'humaine fragilité. Le même
effet peut résulter d une direction spirituel! dont les
trop . butent et découragent. Dans
I un 1 1 I antre ii-. i .,ii de' ra i loigner ces funestes In-
tlueu ibstituer une direction sage el prudente.
orales du pénitent.
• i nvenl être puissammi ut
i une disposition habituelle di
■ ni du tempérament on de la
maladie SI I on veut, en i .. rcer une influi m ■
salutaire, Ion >i thérapeuti
ou préventifs << utiles ."• i s cas pins
ptionm 1- ■!■ i particulier* ment i •
Dieu pour purifier l'âme et la disposer aux plus hautes
faveurs surnaturelles méritent une attention spéciale.
— a) L'occasion principale de ce profond sentiment de
désespoir est la conscience intime que l'on éprouve de
la grandeur de ses fautes et de l'étendue de ses misères
et défaillances. Plus l'âme est favorisée de lumières
extraordinaires lui manifestant l'infinie sainteté de Dieu,
plus elle tend à s'abaisser dans la conscience de sa
propre indignité; et si elle n'a soin de s'appuyer forte-
ment sur la confiance en Dieu, elle peut facilement être
entraînée vers le découragement et le désespoir. Phi-
lippe de la Sainte-Trinité, Summa theologia' mystiese,
Paris, 1874, t. r, p. iôô sq. — b) Pour une âme qui aime
Dieu sincèrement, la souffrance que cause ce violent
état d'abattement est la plus douloureuse et la plus in-
tense qui puisse être ressentie, surtout parce qui1 le
mal que l'on redoute est éternellement irrémédiable.
— c) Dans cette redoutable épreuve, il est souvent dif-
ficile de juger dans quelle mesure l'on a pu consentir
imparfaitement. Mais puisqu'il s'agit d'âmes très dési-
reuses de s'unir à Dieu et très soucieuses d'éviter les
moindres fautes, on peut facilement présumer qu'elles
n'ont aucunement offensé Dieu, surtout en des circon-
stances où le jeu normal des facultés est si bouleversé.
D'ailleurs des grâces spéciales soutiennent ces âmes en
vue des hautes faveurs auxquelles Dieu les destine.
Schram, Theologia mystica, 2eédit., Paris, 1848, t. i,
p. IÎ5 sq. — (/) Le principal effort du directeur spiri-
tuel doit être de soutenir la confiance et la générosité
de ces âmes troublées, en leur montrant dans ces
grandes épreuves une marque de l'amour tout spécial
de Dieu qui veut les combler ensuite d'ineffables fa-
veurs et qui saura les soutenir par sa grâce toute-puis-
sante. Qu'on s'efforce surtout de les maintenir dans une
généreuse et constante conformité à la volonté de Dieu,
dictée par son amour et soutenue par les héroïques
exemples d'âmes semblablement éprouvées, puis libéra-
lement récompensées par Dieu. Philippe de la Sainte-
Trinité, op. cit., p. 158 sq.; Meynard, Traité de la vie
intérieure, '■<■ édit., Paris, 1899, t. n, p. 266 sq.
Parmi les théologiens moralistes et mystiques on peut parti-
culièrement consulter : S. Thomas. Sum. theol., Il' II', q. xx,
a. ;!; Suarez, De spe theologica, disp. II, sect. n Philippe de la
imjsticœ, Paris, 1K74, t. i,
Bq.; Salmanttcenses, Cursus théologiens, tr. xyiii.
disp. \ Jnt-Espril c\- 1677), DirectoHum mystir
cura, tr. II. disp. VIII, sect. i. n. 813 sq., Paris, 1904, p. 167 Bq.,
ni si|. : Salmanticences, Cursus theolog lis, tr. XXI,
c. vi : Thomas de Vallgornera, Mi/stica theologia divi Thomse,
q. n, disp. vu. a, 9, Turin, 1890, t. i, p. 293 Bq. : Billuart, I
lutins de spe, a. 5 ; Schram, Theologia mystica, 2 édit., Paris,
i. p 125 Bq : Meynard, l'raitc de la vie intérieure,
3- édit., Paris, 1899, i. n, p. 259 sq.,266 sq.; Lehmkuhi, Theo-
logia moralis, t. r, n. 810
E. Dl BLANCHY.
DESGABETS Robert, bénédictin, né è Aneemont
dans le diocèse de Verdun, morl .i Breuil pris de >
■< pj le 19 mars 1678. Il lit profession sous la t
ni Benoit dans la congrégation de Saint-Vanne le
■2 juin 1636 à l'abbaye d'Hautvillers près de Reims.
Chargé d'enseigner la théologie à Saint-1 i de roui et
dans quelques autri - monastères, il s'attacha à l'étude
■ i - Pèrei et de sain! Augustin en particulier. Il fut
prieur de Saint- Léopold de Nancy, en 1654. Ayanl
ris comme procureur d<
■ ■n. il se lis avec les plus célèbres théologiens
et philosophes de son époque. Comme il était i m-
dément désireux de nouveautés, i >l prit une part
active aui réuni ivanta de cette ville, el ce fut
,i la -uite d'une de • qu'il composa an
petit Traité <'• 'ue, qal se trouve i
œuvres philosophiques, kucun genre d'études d'ail!
ne lin était i avait découvei i i >
; usion >i ii eut ■> gouvei ner comme
G23
DESGABETS — DESIR
624
prieur Saint-Arnotil de Metz et plusieurs autres
abbayes, fui visiteur de sa congrégation et enfin sous-
prieur de Breuil. Comme plusieurs de ses confrères,
dom Desgabets avait été attiré par la philosophie de
Descartes dont il aurait voulu faire comme le portique
de la théologie catholique. Tout en admirant le génie
de ce philosophe, il voulut rectifier ou compléter ce
qui lui semblait défectueux ou incomplet dans ses doc-
trines. Il s'efforça d'en tirer toutes les conséquences,
mais celles-là seulement qui y sont renfermées légi-
timement. Il composa donc un Supplément à la philo-
sophie île Descartes. Mais s'il corrige quelquefois celui-
ci, lui-même se laisse entraîner dans d'autres erreurs et
on lui a reproché avec raison d'incliner au sensualisme
et au panthéisme. Ce fut surtout dans les questions de
physique et de mécanique qu'il se montra ardent parti-
san de Descartes. Les principes énoncés par ce philo-
sophe suffisaient, aflirmait-il.pourexpliquer les miracles
et le mystère de l'eucharistie. Dans les discussions à
ce sujet, dom Desgahets intervint avec une fougue
allant jusqu'au fanatisme et avec un mépris constant
de la scolastique. Pour défendre Descartes, pour se
justifier, il composa plusieurs traités. Il soumit ses
travaux à Bossuet qui les comhattit dans un opuscule
qui était demeuré inédit jusqu'à nos jours : Examen
d'une nouvelle explication du mystère de l'eucharis-
tie, et que M. Levesque a publié dans la Revue Bossuet,
juillet 1900, p. 129. Pascal se déclara également contre
la théologie eucharistique de dom Desgabets. L. Couture,
Commentaire d'un fragment de Pascal sur l'eucha-
ristie, in-8°, Paris, 1899. Elle ne reçut pas un meilleur
accueil de Nicole et des autres théologiens jansénistes.
Quelques-uns de ses confrères l'avertissaient des erreurs
où il se laissait entraîner, et l'un d'eux, Thomas le
Géant, le dénonçait aux supérieurs de la congrégation
de Saint-Vanne. L'archevêque de Paris, François de
Harlay, intervint à son tour et des explications lurent
demandées à dom Desgabets. Pour se justifier il écrivit
divers mémoires. Voir col. 557-558.
Après les avoir examinés, ses supérieurs lui ordon-
nèrent, le 15 décembre 1672, de renoncer à ses senti-
ments, et lui défendirent d'en écrire à l'avenir et de
communiquer ses nouvelles opinions sur l'eucharistie.
Dom Desgabets se soumit aussitôt et demanda la per-
mission de se retirer à la Trappe. On le lui accorda;
mais après réflexion il préféra aller en qualité de sous-
prieur au petit monastère de Breuil. Là, il devait ren-
contrer le cardinal de Betz, qui, en donnant sa démission
d'archevêque de Paris, avait obtenu de pouvoir se reti-
rer dans ses terres de Commercy. Entre eux il y eut
de longues conférences philosophiques. Dom Desgabets
« distillait Descartes à l'alambic » et le cardinal réfutait
les théories du sous-prieur de Breuil. Ces discussions
ont été l'origine de quelques-uns des plus curieux
ouvrages de dom Desgahets. Celui-ci d'ailleurs ne
savait demeurer oisif; il écrivit sur une foule de
sujets; il composa même contre le chanoine Simon
Foucher une défense de Malebranche dont celui-ci
parut peu satisfait. Soumis aux ordres de ses supérieurs
lui défendant d'exposer ses sentiments sur le mystère
de l'eucharistie, dom Desgabets ne montra pas la même
docilité en se refusant toujours à signer le formulaire.
Dans les jansénistes il voyait surtout les adversaires
des ennemis de la philosophie cartésienne. Il tradui-
sit en français un abrégé de l'extrait de YAugustinus,
fait par un chanoine régulier de la congrégation du
Saint-Sauveur en Lorraine. Les nombreux ouvrages de
dom Desgabets sont presque tous demeurés manuscrits.
Les Mémoires de Trévoux en septembre 1707 en ont
donné le catalogue. Ils avaient été recueillis par dom
Catelinot et élaient conservés à l'abbaye de Senones, d'où
à la Bévolution ils passèrent à la bibliothèque d'Épi-
nal. On en trouve également à la Bibliothèque nationale,
à celle de l'Arsenal à Paris et à la bibliothèque de la
ville de Chartres. Dom Desgabets publia lui-mi
Critique de la critique de la recherche de la vérité,
où l'on découvre le chemin qui conduit aux connais-
sances solides pour servir de réponse à la lettre d'un
académicien, in-12, Paris, 1675; Considérations sur
l'état présent de la controverse louchant le très saint-
sacrement de l'autel oii il est traité en peu de I
de l'opinion qui enseigne que la matière du pain est
changée en celle du corps de Jésus-Christ par son u ■
substantielle à son âme et à sa personne divine, in-12,
en Hollande, s. d. Après la mort de l'auteur fut pu-
bliée : Lettre à dom Jean Mabillon sur la question
des azymes, dans le t. i des 'Œuvres posthumes de
dom Mabillon et de dom Ruinart, in-4», Paris, 1724
Dans ses Fragments de philosophie carti'sienne,Var\s,
1852, Victor Cousin donna quelques extraits des œuvres
de dom Desgabets. Dans son ouvrage : Dom Robert
Desgabets, M. Paul Lemaire a publié : Descartes << la
lambic(sic) distillé par dom Robert, p. 302-325; ce titre
appartient au cardinal de Betz; De l'union de l'âme et
du corps, p. 326-347; Réponse d'un cartésien n la l
d'un philosophe de ses amis, p. 347-378; Lettre de
Desgabets à M. l'évëque de Condom, 5 septembre 1671,
p. 378-387.
Dom Calmet, Bibliotliéque lorraine, Nancy, 1751, col. 396-
403; [dora François,] Bibliotliéque générale des écrivains île
l'ordre de Saint-Benoit, in-4", Bouillon, 1777, t. I, p. !
A. Hennequin, Les œuvres philosophiques du cardinal de
Retz, Paris, 1842; F. Bouillier, Histoire de la philosophie car-
tésienne, Paris, 1854, t. i, p. 521-530; P.- Lemaire, Dom Robert
Desgabets, son système, son influence et son école, in-8*,
Paris, 1902; C. de Kirwan, Le cartésianisme chez les
dictins, dans la Revue thomiste, 1903, t. xi, p. 379:
J.-B. Delpouve, Dom. Robert Desgabets, dans la Revue des
sciences ecclésiastiques, novembre 1902; Revue bénédictine ,
1900, p. 314, 422; 1903, p. 267.
B. Heirtebize.
DESGRANGES Michel. Voir Archange de L\on
(le P.), t. i, col. 1758-1759.
DÉSIR. — I. Nature. IL Moralité.
I. Nature. — Nous n'avons à considérer ici le désir
qu'au point de vue de la morale, et spécialement en
tant qu'il est un péché. Or, par péché de désir, ou
entend la volonté délibérée de commettre, autant qu'il
dépend d'elle, le mal dont la pensée s'est présentée à
l'esprit.
1° Il ressort de cette définition que le péché de désir
ne se confond pas avec celui de mauvaise pen-
autrement dit, de délectation morose, comme il a été
expliqué déjà. Voir Délectation morose. Il y a néan-
moins plus d'un rapprochement à faire entre ces deux.
péchés, car ils ont un élément commun, la complaisan-
ce de la volonté pour un objet mauvais; aussi, de la
mauvaise pensée passe-t-on facilement au mauvais
désir et à l'acte extérieur, afin de trouver dans la
possession de l'objet une délectation plus parfaite.
S. Thomas, De veritate, q. xv, a. 8. C'est pourquoi
Suarez, In /"" II*, tr. V. De passionibus, disp. V,
sect. vu, n. I, regarde la délectation comme un genre
dont les deux espèces, la délectation morose et le désir^
se distinguent en ce que la délectation morose exclut,
tandis que le désir inclut la volonté de commettre l'acte
extérieur.1
2° Le désir est absolu ou conditionnel : absolu, quand
il est émis sans condition, exemple : je veux piller l'é-
glise; conditionnel, lorsqu'il est subordonné à une con-
dition : si je le pouvais, je pillerais l'église. Plus com-
munément, les théologiens appellent désir efficace le
désir absolu e! désir inefficace celui dont la réalisation
est suspendue par une condition quelconque. S. Alphon-
se, Theol. moralis, 1. I, n. 15.
II. Moralité. — 1» Le désir absolu de faire ce qu'on
62Û
DESIR
626
sait être mal est, de l'avis de tous les moralistes, un
poché du même genre (mortel ou véniel) et de même
espèce que l'acle extérieur que l'on veut commettre.
Celte doctrine est celle même de Jésus-Christ, Matth.,
V, 28, et un corollaire du principe général en vertu du-
quel la moralité des actes intérieurs se tire de l'acte
extérieur auquel ils se rapportent. La seule différence
est que le péché de désir (et ceci est vrai également de
la délectation morose) n'entraine pas les conséquences
qui sont inhérentes au seul péché extérieur, telles que
la réserve, l'obligation de restituer, etc., mais cela n'em-
pêche pas que, par exemple, le désir de voler ne soit
un péché contre la vertu de justice. Gn doit donc, en
accusant en confession un péché de désir, indiquer les
circonstances numériques et spécifiques comme si le
péché avait été extérieurement commis. Mais, en pra-
tique, cette obligation est ignorée de beaucoup de péni-
tents et il est souvent difficile, inutile ou même dange-
reux de les interroger sur les circonstances spécifiques
des désirs auxquelles ils ont consenti. C'est pourquoi
d'ordinaire, on est obligé de se contenter de demander
au pénitent s'il y a eu consentement et combien de fois.
Voir Délectation morose, col. 219.
2° Le désir conditionnel de faire un acte mauvais cesse
d'être un péché ou du moins un péché grave, quand la
condition à laquelle il est subordonné rend l'acte licite.
— 1. Si l'acte dont il s'agit n'est pas opposé à la loi
naturelle, mais prohibé uniquement par une loi posi-
tive, il est permis de désirer faire cet acte sous la con-
dition qu'il ne lut pas défendu. Il n'y a donc aucun
péché dans ce désir : je ferais gras vendredi, si l'Église
ne le défendait pas. En effet, l'apposition de cette con-
dition montre que la volonté n'est nullement attachée au
mal. puisque tout ce qu'il y a de mal dans l'acte dési-
ré tient à ce que cet acte, permis en soi, est interdit
par la loi de l'Église. Suarez, De legibits, 1. III, c. xn.
n. 10. — 2. Parmi les actes opposés à la loi naturelle
il en est qui sont néanmoins permis dans certains cas,
notamment dans certains états de vie, et non point
ailleurs; dès lors, d'après ri' qui précède, il est permis
de désirer faire un acte de cette nature sous la condi-
tion qui autorise cet acte. Ainsi un religieux peut licite-
ment exprimer ce désir : si je n'étais pas religieux, je
ferais de grandes aumônes, je me marierais, etc. Hais
les moralistes font observer que ces désirs sont ordi-
nairement des péchés véniels, puce que. le plus sou-
ils sont oiseux o me dangereux, s. Alphonse,
Theol ,i. V, n. 13, sol. 2«.
'.', Le désir conditionnel de faire un acte mauvais
coupable, quand la condition dont il esl affecté
ipprime pas la malice de l'acte. Effectivement,
dans ce cas, i., volond se montre attachée au mal tout
comme m le désir était absolu. — I. Toutefois les for-
mules qui expriment ci Ite sorte de désirs n'oni
neiit le sens coupable qui vient d'être dit;
car elles peuvent également bien indiquer un étal de
volonté tout a fait irrépréhensible ou même 1res
Innalile, Par exemple, «elle formule : Si je n'avais pas
fait vœu de chasteté, je commettrais la fornication.
atendue di deus fa< ons diffi rentes. D'abord,
que le sujet est disposé I commettre l'acte
mauvais dans le cas où il -• rail lil re de tout vœu, dis
nent coupable, puisqu'elle implique la
volonté il- e ne lin uni I tul d ondi-
iinn qui n empêche point qui mu péché
i. in deuxii me sens
qui b- -n' ianl pour le péché dont
i! p n I.
condamn
plutôt il être loué ■_'. On expliqu
nient le ,'. p ,
inclut «m exclut la ■ olonté de péi 1er selon
que II
n'existât pas, pour pécher à mon aise, ou : quoique
porté au mal, je ne veux pas pécher, parce que l'enfer
existe. — 3. Les expressions conditionnelles : Si ce
n'était pas un péché, je ferais tel ou tel acte défendu,
ont ceci de particulier qu'elles paraissent innocenter le
désir qu'elles accompagnent. Il en est évidemment
ainsi, lorsque l'acte en question peut devenir licite
moyennant l'apposition d'une condition appropriée
comme il a été dit ci-dessus, mais il est des actes dont
aucune condition ne peut supprimer la malice comme
le montre cet exemple : si cela était permis, je me par-
jurerais; quelle est alors la valeur de la condition ap-
posée? Ici encore, il faut se référer à l'intention du
sujet, au sens que la condition a dans l'esprit du sujet.
Si, vraiment, elle signifie : Je voudrais que tel acte
(intrinsèquement mauvais) fût permis, elle manifeste
l'attachement du sujet à la malice de l'acte, il y a péché
tout comme si le désir était absolu. Mais il arrive sou-
vent que la condition : si cela était permis, apposée par
le sujet à un acte qu'il sait n'être pas et ne pouvoir
être licite, n'exprime rien de répréhensible, vu qu'elle
indique simplement le penchant indélibéré qui porte
le sujet à cet acte et sa volonté de ne pas le commettre
parce que cela n'est pas permis. Sanchez., In decal.,
I. I, c. n, n. 22 sq.; Laymann, Theol. moralis, tr. II,
c. v, n. Il; S. Alphonse, Theol. moralis, 1. V, n. 13.
6° Comme complément à la théorie des désirs condi-
tionnels, les théologiens se sont demandé s'il est per-
mis de se délecter intérieurement d'un acte mauvais,
('■tant donné que l'on envisage cet acte sous les condi-
tions qui permettent de le désirer licitement? Pour
répondre à cette question, plusieurs auteurs, entre
autres Sanchez, In decalogum, 1. I, c. il, n. lii. s,.
basent sur la distinction de deux espèces de délectation :
l'une, dite rationnelle, existe, lorsque la volonté se
complaît dans la pensée que la raison lui présente;
l'autre est appelée délectation sensible, parce qu'elle a
pour siège l'appétit sensilif et parce qu'elle détermine
dans l'organisme des mouvements passionnels. A la
vérité, la seule pensée d'un acte ou d'un objet agréable
à l'appétit sensitif suffit ordinairement à provoquer la
lation sensible, surtout lorsque la pensée touche à
des choses qui sont capables d'exciter la concupiscence
eba ruelle, voir In i ei rATiON MOROSE; néanmoins, malgré
cette affinité physique, les deux délectations diffèrent
iielleni.nl au point de vue moral. En effet, si l'on
suppose un acte mauvais en général, mais qui devient
licite dans certaines conditions déterminées, la raison
peut ne proposer à la volonté cet acte que revêtu des
conditions qui le rendent licite, et des lors le consen-
tement de la volonté, autrement dit, la délectation ra-
tionnelle est également licite. H n'en est pas de même
de la délectation sensible que provoque l'image de l'acte
mauvais, car L'imagination, qui est une faculté irration-
nelle, ne peut pas mettre des conditions a l'acte dont
elle présente l'image à l'appétit sensible; d'où il suit
que la délectation de cet appétit a pour objet l'acte maii-
i.i i s. tel quel, -ans aucune modification conditionnelle, et
que, de- lorS, SI elle est volontaire, elle est illicite.
C'est pourquoi, à la question ci-dessus, les auteurs
répondent que la délectation volontaire portant
sur un acte mauvais mais envi conditions
qui le rendent licite sérail en soi licite. Mais celle
opinion n'a guère qu'un intérêl théorique, car. en fait.
la délectation même rationnelle cesse d'être pern
quand il y a dan hain que le sujet consenti
délectation sensible; or c'esl <•<• qui a heu le plus
vent. Voir In m i uii"\ HOROSI .
■
1 \\ I .
I
Opuê theol m,,v«lr, tr. IV, |
i iv,, it n. Mot m vi ,
(327
DÉSIRANT
028
DÉSIRANT Bernard, théologien el polémiste belge,
de l'ordre des ermites de Saint-Augustin, naquit à
Bruges le 21 mai 1050, d'une famille honorable,
médiocrement favorisée des biens de la fortune. Entré
très jeune encore chez les augustins de sa ville natale,
il se distingua très vite par sa grande pénétration
d'esprit el son ardeur à défendre ses convictions. Après
ses études, on le chargea d'abord du cours de rhéto-
rique au collège de Bruges en 1079. puis quelques
années plus tard, de celui de philosophie au couvent
de Bruxelles. Mais bientôt, il se donna tout entier à la
théologie et spécialement aux questions de controverse.
Ces dernières offraient alors un vaste champ à son
activité naturellement impétueuse : l'université de
Louvain, où il prit le grade de docteur en 1685,
était divisée en deux camps : celui des rigoristes à
tendances jansénistes, représenté par Van Espen et
Huyghens, et celui des modérés, groupés autour de
Steyaert et Dubois. Le P. Désirant, dans une thèse
retentissante, se déclara pour ces derniers contre les
jansénistes, le 11 mai 1683. Dès cette époque, il occupa
la chaire de théologie à l'intérieur de son couvent.
En 1689, la chaire d'histoire du collège universi-
taire de Busleyden lui fut confiée malgré plusieurs
oppositions de la part du conseil des Régents, après
dispense accordée par le pape Innocent XII et grâce à
l'appui du roi Charles II qui avait déjà nommé le
nouveau titulaire historiographe royal en 1688. En
même temps, il occupa dans son ordre plusieurs postes
de confiance ; il fut définiteur provincial en 1689, sous-
prieur de Louvain en 1691, président du chapitre le
28 avril 1697, visiteur des couvents en 1700, et de nou-
veau définiteur en 1703.
Mais, au sein de l'université, les controverses étaient
devenues plus aiguës, et le P. Désirant fut choisi en
1692, par l'archevêque de Malines, pour transmettre à
Rome les plaintes suscitées en Belgique par l'enseigne-
ment des docteurs rigoristes. Il avait extrait des ouvrages
de ses adversaires les plus inarquants, 65 propositions
qu'il voulait faire condamner. Les docteurs dénoncés
se firent représenter devant les congrégations romaines
par le docteur Hennebet, et la condamnation ne fut pas
portée. Le 22 avril 1697, dans une réunion tenue à
Bruxelles, de vifs mécontentements éclatèrent de nou-
veau; on voulait, pour remédier au mal, désorganiser
l'université elle-même. A cette occasion, le P. Désirant
publia, mais sans grand succès, l'opuscule : Accusalio
el querela populi Bclgici, dédié au général de son ordre.
A la suite de troubles politiques et à cause de son
ardeur contre le rigorisme, il fut relégué par Louis XIV,
pendant cinq mois, dans la ville de Saint-Trond.
Rétabli dans ses fonctions, il reprit ses études et ses
controverses. Quatre ans plus tard, survint l'affaire
connue sous le nom de « fourberie de Louvain ». De
notoriété publique, les rigoristes désiraient voir la
Belgique transformée en République ou Provinces-
Unies. On prétend que le P. Désirant se chargea de
faire la preuve d'une réelle conjuration, en produisant
au jour de nombreuses pièces accusatrices. Les inculpés
soutinrent énergiquement que tout le dossier ne conte-
nait que des pièces fabriquées par l'accusateur pour le
besoin de la cause. Voir le recueil publié à l'occasion
du procès: Conclu sio /inalis proconsultissimo Domino
Joanne Baptista Van Cutscm J. U. L. universitatis
Lovaniensis promotore seu fisco generali, nomine
officii adore, contra Pat rem Désirant réuni inquisi-
tion, personaliter citatum, et signé par II. Malcorps.
Après un procès de 15 mois, le P. Désirant fut condamné
le 18 mai 1708, destitué de sa charge et banni des
Pays-Bas. Toutefois, la sentence ne porte que cette
accusation : Tanquam suspectus qui concurrent ad
fabricandum prsescriptas Htteras, formulariael réso-
lu tiones. Après avoir passé quelque temps à Aix-la-
Chapelle, le P. Désirant fut appelé à Home par Clé-
ment Kl, qui lui confia la chaire d'Ecriture sainte an
collège de la Sapience; le registre du général des augus-
tins, Thomas Cervioni, ajoute qu'il fut nommé préfet
des études au collège de la Propagande, et qualificateur
du Saint-Office. De son côté, l'empereur Joseph I" lui
envoya le 15 septembre 1710 un diplôme des plus
Matteurs danslequel il le déclarait theologum caesareum.
Enfin, le principal accusateur du P. Désirant. Pierre
Nicolas Tourteau, sur le point de mourir, fit réd
par son confesseur, assisté de deux témoins, un acte de
rétractation, dans lequel il déclarait calomnieuses ses
anciennes imputations contre ce religieux et il deman-
dait humblement pardon de ses torts. Voir Pétri
Nicolai Tourteau Lovaniensis pxnitentia c/iristiana,
clumdie 17 octobris 1713 in articula mortis déclarât
sefalsitatis labe inusisse eximium Pati ■
Désirant, ordinis eremitarum S. Auguslini, etc
eoque veniam petit, et in révocation- jurata pie ut
con fidilur, quarto die posldcfungilur. Contra D. Hen-
ricum Malcorps tanquam evulgatorem famosx con-
clusions jinalis, Cologne, 1713. Le P. Désirant continua
à Rome, entouré d'égards, la guerre sans merci qu'il
avait déclarée aux jansénistes et à leurs partisans : il
joua notamment un rôle appréciable dans les dém
où fut compris le cardinal de Xoailles. Il mourut le
le 2 mars 1725 à l'âge de 74 ans.
On a de lui un grand nombre d'ouvrages, dirigés la
plupart contre les jansénistes. Nous en donnons la liste
à peu près complète : 1° De Ecclesia cl pontifice, in- i .
Louvain, 1681, 1686; 2° Oratio de veritate SS. cruoris
Domini, qui Brugis Flandrorum... colilur, in-4°.
Louvain, 1686; 3° De auxiliis divinis in via média
S. Auguslini, in-4», Louvain, 1687; 4° Clarissimi Do-
mini Zegeri Bernard i Van Espen juris utriusque
doctoris et professoris Palinodia Palinodies bullse
démentis VIII, quintuplez capitulis corruptio, silen-
tiiini multiplex et csetera, sive confutalv Ar
giss de verbo ad verbum, Louvain. 1686; 51 Tl
theologicse et conclusiones in theologia universa, Lou-
vain, 1683, 1688; 6° De Romani pontificis infalli-
bililale, in-4°, Louvain, 1687; 7° De methodo romano-
catholica remit tendi peccata, Louvain. 1688; 8° De
prœscriplionibus sacrosanctse eucharislise ad prote-
stantes noslri temporis, in-8°, Louvain, 1689, 1691;
9° Epistolica responsio ad Valcnlinum Randour
S. facultalis theologicse Duacense pro tempore deca-
num el Theodorum van Converden ejusdem faculta-
tis S. theologicae doclorem et professorem, s. 1. (Bibl.
Angelica, Q. 5. 24); 10° Commonitorium ad orllio*
do. vos de accusalis in urbe doclrinis DD. Gummari
Huygens, Joannis Libérait Hennebelt, Zegeri Ber-
nardi Vati Espen, Joannis Opstraet cum suis, sive
imposturarum quœ ipsorum nomine prodierunt con-
futatio dispunctoria, in-4°, Louvain, 1701, condamné
parle Saint-Office, le 26 octobre 1707; Il Apologia
pro P. Bernardo Désirant... contra impressam con-
clusionem finalem consultissimi H. de Malcorps,
in-8°, Liège, 1709; 12° Consolatorium pro romano-
cal/iolicis per luiitas provincias dispersis contra sex
calumniatoria édita per octo Vltrajeclinos missiona-
rios lapsos, cum octo aliis Amslelodamensibus et no-
vemdecim similibus Delphis, circa excommunicatio-
nem partim a nuncio pont. Coloniensi, de expresso SS.
christianitatis parentis mandato légitime per nuntia-
turam adversus Matthiam Tork, partim contractant
per quosdam filios iniquitatis, Liège, 1709; cet ouw
a paru en flamand la même année, et a été traduit en
français par le P. Théodose Bouille, carme; 13" Concor-
dantia litterarum Z. 11. V. E. Zegeri Bernardi Van
Espen) Lovanii in januario 110' et litterarum llen-
rici Grasper ibidem in sequenti februario detectorum,
De variis consiliis adversus romanum pontificem,
629
DÉSIRANT
DESMARETS
G30
ln-8°, Liège, 1709; 14» Dialogi paciftci inter theologum
et jurisconsultum contra libellum de ijuœstione facti
Jansenii, varias quasstiones juris et responsa, aliosque
anonynws cum designatione V famosarum proposi-
tionwm in libro Jansenii, Liège, 1710; 15" De nullila-
libus aliisque defectibus schedulse, quam D. Henricus
Malcorps cum suis corruperunt, publicisque typis
donarunt sub nomine sententise latae contra P. Ber-
nardum Désirant, 1710, apologie personnelle, condam-
née par le Saint-Oflice, le 31 janvier 1713; 10» C/iri-
siiana salvatio testium calholicorum rev. admodum
Patruni Silvani a S. Francisco... et Leopoldi a
S. Theresia, adversus schediasma Maximiliani Del-
becquecujus titulus : Juslilia et veritas vindicata ad-
verses calumnias, errores et falsitates quibus scatet
Apologia P. Désirant, l'trecht, 1710; 17» De la ré for-
mation régulière contre le libelle du Révérend D. Ni-
colas Heyendal : Orthodoxie de la foi et de la doctrine
de l'abbé et des chanoines réguliers de Saint-Augustin
de l'abbaye de Roduel, Maastricht, 1710; en latin, la
même année; 18° Consolalorium secundum ad ro-
mano-catholicos per imitas provincias dispersas,
contra calumniatoria nova Xlatthiee Tork et simi-
tium circa Lelhargiam anno majorem novorum
protestantium in démérita sua excommunicatione in-
sordescentium cum approbalione legati apostohci,
Aix-la-Chapelle, 1711, traduit aussi en français et en
flamand; 19° Antidotum doloris contra crudelia gau-
dia exultantium quod D. Petrus Codde in finali erga
sedem apostolicam vmbedienlia excesseril, sive res-
ponsio ad libellum vernaculum cui lilulus : Succinct a
relatio ritse et rnortis Revmi et lllmi D. Pétri Codde
archiepiscopi iSebasleni et per imitas provincias vica-
rii pontifiai qui obiit Ultrajecti die 18 decembris
1~, 10, Aix-la-Chapelle, 1711; -20» Honorais papavindica-
lus,salva integritate concilii VI, sive historia mono-
thelismi contra ultima jansenislarum effugia, Aix-la-
Chapelle, 171 1 ; la Bibliothèque Angelica (Cod. A, 7, 10)
contient un remaniement inédit du même travail, dont
l'auteur espérait donner une seconde édition; 21° Dis-
sertatio dogmatica de oralione Pharisœi et publiai m
sive île catholico sensu orationis dominicss contra
II. I). Nicolai Heyendal priori» Rodensis Apologia,,,
/'/■</ ubbale et priore monasterii Rodensis, Aix-la-Cha-
pelle, 1712; 22° Actio epistolaris de gratta et libero
arbitrio contra imum Intention in 3.3 /•
irptii e qvibusdam II. D. Nicolai Heyen-
dal, abbatisi RodensU prions ci doctoris, dictalis, Aix-
la-Chapelle, 1712; 23° Prosecutio actionis epistolaris,
m qnu principaliler impenditur judicium cum cen-
sura S. facultatif theologicse Coloniensis, super
loi>i i liliro ,ui titulus : Defensio
torum theologicorum de gratia Cliristi a Nicolao
Heyendal dictatorum, ci peo générait iotius
nolitia, prsemiUilur brevis historia de vita, doctrina,
et moribus Paschasii '.tues, ici, jansenistarum
signani, Cologne, 1713; -i Vuctoritas epUcopal
dicala, sue expostulalio contra II. /' A. mn Ertborn
nsem libi ni, tan-
quamapprobal ipti eu, titulus . Sub etobrep-
tio demontlrata m causa libri abbatit Rodensis cui
titulus : D torunx theologicorum, Cologne,
1713; 25" Nullibista castigatut seu defensio
■ , /,, Islia i anonymam satiram i ui titu-
lus /, tola familiarit mi jurisconsultum I
/». 1 ,,u, tenu ■tel u ,. .. p II
rani et contra jansenismi 1714;
atis de t\ .,i,iin ,
|| -/ ' ' mues : I . l'hi h)gn I I
Galliarum /■•
ira Boni/ VIII ; II, loannis Chat
lier Cri "/'/" """ ''
futurum concilium générale, i vol., Rome, 1720-1725;
27" S. Augustinus vindicatifs contra centum et imam
damnatas Paschasii Quesnelli propositiones, et contra
.loannis Frickii, luterani Ulmensis, in clementiam dé-
mentis examinatam, \lli;Joh. Wolfg. Jœgeri, luterani
tubicemiSjbullam novitiampont.maximiClementisXI
sub examine vocatam,[l['t; GolllobFridericiJenichen,
luterani lipsiensis, historiam et examen bullm dé-
mentis XI, I7B; et contra anonymi (seu Paschasii
Quesnelli cum suis) Hexaplas, 1713; Libri centum el
unus, opus in 7 partibus distributum, in-'t°, Rome,
17-21-1728.
Ossinger, Bibliotheca augustiniana, p. 291-292; Lanteri,
Postrema sxcula sex religionis augustinianse, t. m. p. 27-29 ;
Hutter, Scriptores eremitani ordinis sancti Augustini, dans
Ciudad de Dios. 1883, t. vi, p. 157-159; Hurter, Nomenclator,
t. ii, col. 1026-1027; Biographie nationale (de la Belgique),
t. v, p. 731-741; P. Keeloll", Histoire de l'ancien couvent des
ermites de Saint-Augustin à Bruges, p. 2'i5-261 ; (iœtlials,
Lectures relatives à l'histoire des sciences, etc., en Belgique,
t. I, p. 200-218.
N. Merlin.
DESLIIONS Jean, né à l'on toise en 1615, mort le
26 mai 1700 à Senlis, nommé doyen théologal de cette
ville, le 11 septembre 1638. En 1636, il avait été exclu
de la Sorbonne pour n'avoir pas voulu souscrire à la
condamnation d'Arnauld. On a de lui : Défense de' la
véritable dévotion à la sainte Vierge, in-4°, Paris. 1651,
pour justifier un sermon, intitulé : Enlèvement de la
Vierge par les anges, in-12, Paris, 1647, censuré par
l'évêque de Senlis; Discours ecclésiastiques ami vi-
le paganisme des roys de la Fève el duroy boit, in-12,
Paris, 1664; 2e édit., 1670; Lettre ecclésiastique tou-
chant la sépulture des prêtres, dans laquelle il combat
ceux qui prétendent que les prêtres, comme les laïques,
doivent être enterrés la face et les pieds tournés vers
l'autel; d'autres écrits imprimés et quelques œuvres
restées manuscrites, dont de curieux Journaux (1653-
1671) conservés à la Bibliothèque nationale.
Nicéron, Mémoires, t. xi, p. 322-342; Michaud, Biographie
universelle, t. x, p. 514-615; Rœfer, Nouvelle biographie
aie, t. xin. col. 838-889; Potier, Biographie universelle.
1848, t. m, p. 215-216; Sainte-Beuve, Port-Royal,
«im; Féret, Lu faculté de théologie d* Paris, Époque mo-
■. i. iv, p. 304.
A. Lnoold.
OESM ARES Toussaint-Gui-Joseph, ii in fran-
çais, né à Vire en 1603, mort à l.ianeoiirl, en 1687,
un des prédicateurs et des directeurs les plus célèbres
du wii siècle, unis imbu 'les erreurs du jansénisme,
ce qui le mil aux prises* avec les jésuites et M. Olier.
En 1658, il Fui député à Rome pour essayer d'empi
la condamnation des cinq propositions (voir le Jour-
nal ,le Saint-Amour), dont il parait cependant bien
avoir ensuite signe1 la condamnation. . i i 1 1 - i que le
mulaire. La plupart de ses ouvrages sonl restés manus-
Parmi ceux, surtout de controverse, qui ont êti
imprimés, il fiant citer : Les laints Pères vengés par
noies, in i . P. iris, 1652. < >n lui a attribué, mais
à tort, semble-t-il, la 1™ partie de ['Idée du sacerdoce
du P. de Condren, et le Nécrologe de Port-Royal.
Batti ligues, i. i Beuve,
l'ort-l licha
i. \. p. .MT . Ha I)
i. mu col 841-t
\. Im.iiI II.
DESMARETS Charles, ornière n II m. ils, lié' à
|lj(.|)|„ i 1600 H Q, en 167.".. OÙ il fut I
dateur de belles
\ \tre- Seigneur, que
publ : en 1876; 2 édit., in-18, Paris, 1677.
/urf. I III. p. 10
\ [Ml old.
o:h
DESPREZ DE BOISSY — DESTIN
(;:;•_
DESPREZ DE BOISSY Charles, né à Paris vers
1730, mort le 29 mars 17X7. Connu par sis Lettres sur
les spectacles, 1759, donl l'édition de 1774 et celle de
1780, 2 in-12, contient un Catalogue, raisonné des ou-
vrages pour et contre les théâtres.
Feller, Biographie universelle, Paris, t. [II, p. 220-221.
A. Ingold.
DESPRUETS Jean, prémontré, nT> vers 1525, mort à
Prémontre'' le 5 mai 1596. Nommé abbé général de son
ordre le 15 décembre 1572, il déploya un grand zélé
pour en visiter et réformer toutes les maisons, tant de
France que de l'étranger. Outre quelques livres de
controverse contre les calvinistes, on a de lui un Recueil
de sermons et de discours, et un Traité des sacrements,
et des commentaires sur la Bible.
Michaud, Biographie universelle, t. x, p. 548; Hœfer. Nou-
velle biographie générale, t. xni, col. 900-901 ; Feller, Biogra-
phie universelle, Paris, 1848, t. III, p. 221.
A. INGOLU.
DESSERVANTS. Voir Curks, t. m, col. 242 sq.
DESTIN. En grec, 7t£ii:pu>(ji.evri, de ircpaTÔw, ce qui est
déterminé, décrété sans retour et constitue ainsi la \>.rj~:çz,
lVtp|i.ap[i.évY) (autre nom du Destin,) c'est-à-dire la part
de chaque chose, son partage définitif. En latin fatum,
la parole immuable, le verbe qui domine toutes choses,
commande aux destinées et se réalise infailliblement.
— I. La mythologie. IL La philosophie antique. III. La
théologie chrétienne. IV. Le fatalisme arabe. V. Conclu-
sion.
I. La mythologie. — 1° Le Destin ne pouvait pas ne
pas y être personnifié. Tantôt il se confond avec Zeus
et tantôt il s'en distingue pour le tenir sous sa sujétion,
ainsi que les autres dieux. Tantôt il s'appelle Moira,
par exemple dans la littérature homérique. Hésiode le
nomme Moros et le fait descendre du Chaos et de la Nuit;
il se multiplie plus tard en plusieurs Moirai qui chez
les Latins s'appelleront les Parques; et tantôt il s'ap-
pelle Ananké et Tyché ou Fortune et Nécessité suivant
qu'on suit la mythologie des Grecs ou des Latins. — 2° Le
Destin avait un symbolisme qui soulignait ses caractères
de nécessité aveugle, de force inéluctable. On lui mettait
sur la tète une couronne surmontée d'étoiles; la cou-
ronne était l'indice de sa puissance, l'étoile de chacun
et qui décidait de son sort appartenait à la constellation
qui enveloppait la tète du Destin. Celui-ci était aveugle,
car, s'il avait la 'toute-puissance, il ignorait les lois
d'exercice de sa puissance, c'est pour cela qu'on le disait
fils de la Nuit. Dans les mains il avait un sceptre, signe
de sa royauté; ou une urne contenant le sort des hu-
mains; ou une balance où leur destinée était mesurée
et pesée. A ses côtés une roue qu'une chaîne fixait pour
montrer l'immutabilité des arrêts du Destin; un livre
sur lequel ces arrêts étaient inscrits de toute éternité
et où les dieux allaient lire les choses futures; les
Parques étaient chargées d'exécuter les décrets éternels.
Sous ses pieds, la terre, qui représentait son domaine.
Plus simplement le Destin était parfois représenté sous
les traits d'une femme portant la corne d'abondance ou
tenant le gouvernail, attributs de la Fortune, ou écri-
vant sur un registre les décrets immuables. — 3° L'idée
qui se dégage de cette personnification et de ce symbo-
lisme du Destin, représente une force toute-puissante
à laquelle rien dans les cieux ni sur la terre ne résiste.
Cependant on trouve chez les païens, en particulier dans
la l'Iiarsaletie Lucain, deux sortes de Destins, les majora
el les minora, ceux que rien ne peut rompre, pas même
la divinité, et ceux qui peuvent être conjurés par les
prières et par l'action des hommes ou par la protection
divine. A la toute-puissance se joint V immutabilité :
le Destin peut tout, sauf changer ses décrets. Ce qui
est dit, est dit; c'est la fatalité : ce qui est écrit est
écrit. Le Destin ne s'arrête ni ne se reprend, ni ne se
repenl jamais ; il suit sa voie inéluctablement. Le mo»
s fatalité » qui indique ce côté immuable des décrets-
du Destin est souvent pris aussi dans un sens mauvais
et pour désigner seulement les arrêts malheureux, ceux
qui sèment le mal, la douleur ou le crime.
L'immutabilité vient surtout de ce que le Destiii
aveugle : c'est une force brutale que nul ne compi
dont les desseins sont supérieurs et incompréhensibles
pour les humains et pour le Destin lui-même. Mais où
est le siège de cette force, d'où vient cette nécessité?
Qui a porté ces décrets? Ce siège est transcendant, il
dépasse le monde des hommes et des dieux. Cette né-
cessité ne sort pas des lois naturelles des choses. Quand
le Destin voue des hommes au malheur, ou des géné-
rations entières au crime et à la malédiction, rien dans-
la nature n'explique cette fatalité. La divinité qui est
intelligence et raison, sagesse et bonté, n'est pas davan-
tage l'organe qui a écrit ou dicté les arrêts du Destin;,
celui-ci se distingue donc de la nature; il la domine,
comme il est au-dessus des hommes et des dieux. En
résumé, le Destin dans la mythologie apparaît comine-
une force toute-puissante, inéluctable, aveugle et trans-
cendante. -; 4° L'origine de l'idée du Destin est dans
le sentiment que l'homme païen éprouvait de son im-
puissance à conduire sa destinée et à comprendre le
sens de la vie. Ceci l'amenait à constater sur les évé-
nements dont la trame constituait son existence, l'action
d'une force étrangère et supérieure, dont les buts ne
lui apparaissaient pas et dès lors lui semblaient abso-
lument impénétrables en eux-mêmes.
II. La philosoi'Hie antique. — Elle s'attacha tou-
jours à éclairer et à préciser la notion du Destin. Aussi
bien celle-ci intéressait les principales préoccupations
religieuses de l'esprit humain. On verra bientôt le Destin
aveugle, incompréhensible, distinct des dieux et des-
hommes et leur imposant sans raison sa fatalité impla-
cable, s'irradier d'une lumière plus douce et plus hu-
maine. On cherchera dans l'idée de Dieu ou dans la
nature des choses une explication à cette force mysté-
rieuse et la définition du Destin variera suivant qu'on y
donnera une place plus grande à la providence divine
ou aux exigences de la matière. Esprit et matière, sa-
gesse supérieure et nécessité d'en bas seront les élé-
ments dont la combinaison formera le Destin. — 1° Py-
thagore et son école, cherchant dans le nombre et dans
l'harmonie l'explication de toutes choses, identifieront
le Destin avec les lois du nombre et de l'harmonie; la
mathématique et la musique en dicteront les décrets et
il s'appellera la mesure des choses, la nécessité qui en-
veloppe tous les êtres, la raison qui les pénètre dans
leur essence. Hiéroclés, Carm. aur.; Stobée, Eclog.
phys., 1. I, c. vi. — 2° Avec Platon, l'idée du Bien do-
minera la notion du Destin. Le Bien est le principe de
toutes choses : Dieu et les « idées » en découlent pa-
rallèlement. C'est Dieu qui crée les êtres, qui les gou-
verne, mais conformément à la loi inéluctable du Bien
duquel il procède et dont il ne peut s'écarter. C'est là
le Destin, force dominatrice, mais bonne et suave. La
création trouve sa raison d'être dans 1 amour que le
Bien impose à Dieu. « Il (Dieu) était bon; it celui qui
était bon n'a aucune sorte d'envie; voilà pourquoi il a
voulu que toutes choses fussent, autant que possible,
semblables à lui-même. Quiconque, instruit par de-
hommes sages, admettra ceci comme la raison princi-
pale de l'origine et de la formation de l'univers, sera
dans le vrai. » Platon, Tintée, 29-30. L'amour uni à
l'idée du meilleur gouverne également le monde et y
ramène sans cesse chaque partie à l'intérêt du Tout :
« Toi-même, chétif mortel, si petit que tu sois, tu
entres pour quelque chose dans l'ordre général et tu
t'y rapportes sans relâche. Mais tu ne vois pas que
toute génération se fait en vue du Tout, afin qu'il vive
d'une vie heureuse; que l'univers n'existe pas pourtoi,
-633
DESTIN
634
■mais que tu existes toi-même pour l'univers... Et si tu
murmures, c'est faute de savoir comment ton propre
bien se rapporte à toi-même et au tout, suivant les lois
du devenir universel. » Platon, Luis, X, 899-904.
Cf. Gorgias, 479; République, 11, 379-380. Ainsi le
monde marche sans cesse vers le Bien, par les voies
•du « devenir universel »; les lois de cette marche, où
l'individu est subordonné au Tout, sont l'exécution du
Destin, oracle de bonté et d'amour. Il n'est pas jusqu'au
mal lui-même qui ne trouve sa place dans cette har-
monie de toutes choses et ne concoure au bien. Le mal
•est nécessaire : « Il ne cessera pas, ô Théodore; car
c'est impossible. Le bien aura toujours son contraire :
ainsi le veut la nécessité. Sans doute, le mal ne sié-
gera jamais parmi les dieux; mais cette nature mor-
telle et cette région de l'univers, il les enveloppera tou-
jours. » Théétète, 176. Le parfait ne peut exister sans
le mal, mais celui-ci finira toujours par se changer en
bien. République, X, 613; Lois, IV, 715-716. Cf. Cl.Piat,
Plalon, c. v, § 3, Paris, 1906, p. 175-177. — 3° Le Des-
tin redevient plus rigoureux et plus sombre dans la
philosophie stoïcienne, où il s'allie avec l'idée de cau-
salité nécessaire et de déterminisme. Selon les stoï-
ciens, en effet, l'univers est soumis à la loi du Destin.
Un enchaînement fatal et nécessaire y lie les effets
aux causes. Une cause étant posée, l'effet s'ensuit in-
failliblement et celui-ci, a son tour, devient une cause
nécessaire pour le fait suivant. El non seulement tout
■effet est lié à la cause qui le précède immédiatement,
mais encore, par celle-ci, il procède de la série de tous
les faits antérieurs et il porte en lui-même la trace
de chacun d'eux et de leur somme. Dès lors,
deux effets absolument semblables sont impossibles,
car il faudrait qu'ils fussent le résultat de deux séries
identiques, ce qui ne peut être. Le monde suit donc
une voie inéluctable et il parcourt toute la suite des
possibilités. Quand celle-ci sera épuisée, le cercle sera
terminé, la lin du monde se produira. — De cette
théorie du Destin, en découle une autre sur la divina-
tion (fj (iotvTixT|). Si, en effet, toutes choses sont en-
chaînées fatalement et se suivent nécessairement, il est
clair que quiconque tiendra un bout de la chaîne
pourra en parcourir tous les anneaux, et que, ('tant
donnée la connaissance de quelques-uns de ces an-
neaux, on peut, avec un peu de perspicacité, prévoir
ceux qui suivront et annoncer l'avenir. La divination
du futur, impossible, hormis à Dieu, quand on a
affaire ■< des causes complètement libres, devient rela-
tivement facile ou au moins possible, quand on se
trouve^ en face de causes prédéterminées à des effets
certains. Aussi les stoïciens accordaient-ils à l'homme
['api de la divination. ('.(. Cicéron, Dr divinatione, I. I.
cm; Chollet, /." morale stoïcienne en face de la
morale chrétienne, n. IN, 35. l'ans, 1808, f) 39^ -102.
La prière devenait impossible avec une pareille notion
du Destin et de l'enchaînement rigoureusement dét* r-
miné des causes. Aussi les stoïciens, el parmi eux Sé-
néque, la rejettent-ils. Cependant, ils ne s'v < . j • j , .
pas toujours radicalement, soit par l'effet dis contra-
dictions qui fourmillent entre leur doctrine dogma-
tique et leur morale, soit grâce à la distinction que
ppelée plu- haut de- fata majora, qu'on
ie peut éviter, et des /"'<< minora, qu'on peut conjun 1
La |" IlX-Cl. « 1 Qg se
complaisaient (fin- l'admiration de cette invincible
■ in h' tin qui, dirigeant et qui cède, entraî-
nant ce qui d< le mond 1 le ici, 1^
\ers un terme unique, l lie
l.l h» COn
et toujours suivie, de gré ."i
de force, fait du monde un.- rit. bien policée Elle
est 1
1 qui domine el gou • 1 m
tous les êtres. Elle est encore la raison ().ôvo;), qui,
disposant toutes choses avec ordre et mesure,
établissant partout la symétrie, répand la beauté et
fait du monde tout entier une œuvre d'art parfaitement
belle. Elle est la pensée prévoyante et sage, la providence
(Ttpovoia), qui veille avec un soin toujours vigilant;à la
conservation des êtres, fait des uns un moyen pour la
vie des autres, et les subordonne tous à une fin suprême
qui n'est autre qu'elle-même; en un mot elle est le
principe d'universelle activité (t'o TtopoOv) par rapport
auquel lout le reste n'est que passif; elle est la qualité
(tô Ttopôv) dont les autres êtres sont la matière, l'âme
(^uy/i) dont ils sont le corps. 0 Ogereau, Essai sur le
système philosophique des stoïciens, c. ni, Paris, 1885,
p. 52-53. — 4° Une telle conception du Destin, cette
loi commune jamais transgressée, parlout et toujours
suivie de gré ou de force, comment est-elle conciliable
avec la liberté humaine? Son déterminisme n'est-il pas
la suppression radicale du libre arbitre? Comment,
en effet, espérer voir survivre la liberté dans une mo-
rale pleine de fatalisme, qui affirme que tout dans le
monde arrive suivant des lois fatales et invariables ;
que tous les êtres sont ainsi soudés ensemble par un
lien de causalité inéluctable; que ce lien les rattache
à une cause première dont le nom est indifféremment
Dieu, matière, Destin, nécessité ou fortune ; que chaque
événement est l'effet nécessaire de l'événement qui a
précédé et la cause non moins nécessaire de l'effet qui
suivra : que cet enchaînement inflexible de toutes
choses s'accomplira entièrement jusqu'à ce que, la
dernière heure arrivée, tout périsse dans une univer-
selle combustion pour renaître à une autre existence
pareillement fatale ? Ce fut la grande préoccupation de
Cicéron qui, dans son De fato, revendiqua les droits de
la liberté et aima mieux compromettre la prescience
et la providence divine, c'est-à-dire le Destin, que de
sacrifier le libre arbitre de l'homme. — 5° Les systèmes
précédents expliquaient le Destin par l'action de la
puissance et de la providence divine et par la réaction
de la matière éternelle dont la nature et les lois sont
inéluctables. La combinaison de cette action etde cette
réaction amenait une résultante qui était le fatum.
Mentionnons pour mémoire l'école sceptique ou sensua-
lité, pour laquelle la matière seule existe et qui explique
le Destin par les nécessités des lois qui gouvernent cette
matière. Cf. Franck, Dictionnaire des sciences philo-
sophiques, art. Drstiu.
III. La THÉOLOGIE CHRÉTIENNE. — Elle ne pouvait pas
se désintéresser de la théorie du Destin qui avait tant
eupé le paganisme et menaçait tant de dogmes. —
I \ussi voyons-nous saint Augustin consacrer de
nombreuses pages du I. V de la Cité de Dieu, à ce
problème. Il cherche à quoi est du le développement
de la puissance romaine, écarte l'erreur qui voudrait
en faire honneur au hasard, au fatum, et montre le
pôle de la providence. !l y a la tonte une réfutation et
une théorie dont la tradition chrétienne profitera ple-
ment. — 1. L'évéque d'Hippone réfute d'abord la fo
astrologique de la pensée païenne ^ur le Destin. La
de la grandeur de l'empire n'est donc ni fortuite.
ni fatale, .m sens de ceux qui tiennent pour fortuit ce
qui esl sans cause on s,ms convenance avec l'ordre de
la raison; 1 r fatal, ce qui arrive en dehors de la
volonté de Dieu et des hommes par un certain ordre
1 1 t, en effet, la divine providence qui éta-
blit les royaumes de la terre. Celui qui en fait hon-
neur au Destin, parce qu il donne a la volonté ou ■< la
mee divine le nom de Destin, peut garderson
opinion, mais il doitchangei -en lan igi kinai voilà
ind principe, n d'j :i pas de Destin proprement
cl i 1 , n n'\ a qu'une providence divine, improprement
appelée 1 lestin par quelqui uni x< que peu
-,i des astres <■! de la fatalité qui pèse sur certaines
635
DKSTI.X
030
existences commencées sous des conjonctions détermi-
nées? Le Destin se prend, en effet, dans Le langage
ordinaire, pour l'influence de la position des astres à
l'instanl de la naissance on de la conception ; et les
uns regardent celte influence comme distincte, les
autres comme dépendante de la volonté de I>ieu. »
Saint Augustin trouve les deux interprétations égale-
ment condamnables. Contre les premiers il s'écrie :
« Loin de nous ces insensés qui attribuent aux astres
le pouvoir de disposer, sans la volonté divine, et de
nos actions, et de nos joies et de nos souffrances... Car
oii tend cette opinion, si ce n'est à abolir tout culte,
toute prière? » Aux seconds il objecte : « Quant à la
croyance qui attribue à l'influence des astres la déter-
mination des pensées et de la fortune des hommes,
inlluence subordonnée toutefois à la volonté divine.
cette croyance, dis-je, que les astres tiennent de la
souveraine puissance celle de disposer ainsi à leur
gré, n'est-elle pas pour Dieu la plus cruelle injure?
Quoi! cette cour céleste, ce sénat radieux, ordonne des
crimes, tel qu'au tribunal du genre humain la ville
qui en autoriserait de semblables encourrait sa ruine?
Et d'ailleurs, en accordant aux astres une influence
nécessitante, quelle faculté de juger les actions hu-
maines laisse-t-on à Dieu, maître des astres et des
hommes ? » Saint Augustin ne veut même pas que les
astres soient de simples signes, du reste sans influence,
des destinées commencées sous leurs constellations.
« Si l'on dit que les étoiles sont plutôt les signes que
les causes des événements et que leur position n'est
que la voix qui prédit l'avenir sans le réaliser, comme
le pensent certains hommes d'une érudition peu com-
mune, » outre que c'est tenir un langage différent
de celui des astrologues, « d'où vient qu'ils n'aient
jamais pu rendre raison, pourquoi, dans l'existence
de deux jumeaux, dans leurs actions, leur fortune,
leurs occupations, leurs emplois, dans toutes les circon-
stances de la vie, et jusque dans la mort, il se trouve
d'ordinaire une diversité si grande qu'à cet égard ils
ont l'un avec l'autre moins de rapports qu'avec des
étrangers, quoiqu'un imperceptible intervalle sépare
leur naissance et qu'un seul moment ait opéré leur
conception dans le sein maternel? » Cet argument des
deux jumeaux parait si décisif à saint Augustin qu'il le
développe tout le long de plusieurs chapitres.
2. « Quant [à ceux qui appellent destin, non la situa-
tion des astres au moment de toute conception, de toute
naissance, de tout commencement, mais l'enchaîne-
ment et l'ordre des causes de tout ce qui arrive, nous
n'avons pas à disputer sérieusement avec eux sur ce
mot, puisqu'ils attribuent cet ordre même et cet en-
chaînement des causes à la volonté, à la puissance du
Dieu suprême, dont nous avons ce sentiment juste et
véritable qu'il connaît toutes choses avant qu'elles arri-
vent et ne laisse rien qu'il n'ait prédisposé, lui de qui
viennent toutes les puissances de l'homme, quoique
toutes les volontés de l'homme ne viennent pas de lui.
C'est donc cette volonté de Dieu, dont l'irrésistible
pouvoir s'étend sur tout, qu'ils appellent Destin. » Pour
saint Augustin, l'antique Destin doit laisser place à la
puissance de Dieu, guidée par sa volonté et éclairée
par sa prescience. La puissance divine est irrésistible,
et s'étend sur tout, cependant toutes les volontés de
l'homme ne viennent pas d'elle.
Ici, saint Augustin rencontre Cicéron et sa négation de
la prescience divine. Le grand orateur, en effet, nous
l'avons dit, était entré en lutte contre les stoïciens et
leur idée du Destin qui détruisait toute liberté. Pour
sauver le libre arbitre, Cicéron avait renoncé à admet-
tre quelque divination que ce soit, même en Dieu,
parce qu'il lui semblait que la divination supposait
l'enchaînement fatal des choses et que d'autre part cet
enchaînement fatal lui paraissait, comme il l'est du
reste, inconciliable avec la liberté- humaine, i Cicéron
s'attache à réfuter ces philosophes et ne croit pouvoir
y réussir s'il ne détruit la divination. C'est pourquoi il
va jusqu'à nier la science de l'avenir. Il soutient de
toutes ses forces qu'elle n'existe ni en Dieu, ni en
l'homme, et qu'il n'est point de prédiction possil
Mais c'est une prétention insoutenable : » Car recon-
naître un Dieu et lui refuser la prescience de ce qui
doit être, c'est une folie des plus évidentes. » Mais,
reprend Cicéron, « choisir la prescience, c'est anéan-
tir le libre arbitre : choisir le libre arbitre, c'est anéan-
tir la prescience... l'admission de l'une emporte la
négation de l'autre. Ainsi en homme docte, en sage,
dont toutes les méditations sont dévouées aux grands
intérêts de la société civile, Cicéron se détermine en
faveur du libre arbitre. Pour l'établir il renversera la
prescience, et c'est sur un tel sacrilège qu'il prétend
fonder la liberté. » Ici se révèle le génie de saint Au-
gustin, supérieur à celui de Cicéron. Il veut sauvera la
fois et il sauve la prescience et la liberté, « il pose l'une
et l'autre sur les bases de la foi et de la piété. » Et il
écrit : « Contre ces témérités sacrilèges et impies nous
disons, nous, que Dieu connaît toutes choses avant
qu'elles soient, et que c'est notre volonté qui fait tout
ce que nous savons, tout ce que nous sentons ne faire
que parce que nous voulons... Quant à l'ordre des
causes où la volonté de Dieu exerce un souverain pou-
voir, nous sommes également loin de le méconnaître...
Mais de ce que l'ordre des causes est certain dans la
puissance divine, il ne s'ensuit pas que notre volonté
perde son libre arbitre. Car nos volontés elles-mêmes
sont dans l'ordre des causes, certain en Dieu, embrassé
dans sa prescience, parce que les volontés humaines
sont les causes des actes humains. Et assurément celui
qui a la puissance de toutes les causes ne peut dans le
nombre, ignorerjios volontés qu'il a connues d'avance
comme causes de nos actions. »
Saint Augustin peut dès lors conclure : « Nous ne
sommes donc nullement réduits à cette alternative ou
de nier le libre arbitre pour maintenir la prescience
de Dieu ou d'élever contre sa prescience une négation
sacrilège pour sauver le libre arbitre, mais nous em-
brassons ces deux vérités, nous les confessons toutes
deux d'un cœur fidèle et sincère. L'une fait la recti-
tude de notre foi, l'autre la pureté de nos mœurs. On
vit mal, si l'on n'a de Dieu la croyance qu'on doit. Loin
de nous donc de nier, pour être libres, la prescience de
celui dont la grâce nous rend ou nous rendra libres!
Et ce n'est pas en vain qu'il y a des lois et encourage-
ments, louanges et blâmes, toutes choses prévues de
Dieu et qui ont toute la force qu'il a prévue. Et la
prière sert à obtenir tout ce qu'il a prévu devoir accor-
der à la prière, et c'est avec justice que des récom-
penses sont réservées aux bonnes œuvres et des sup-
plices aux péchés, car ce n'est point parce que Dieu a
prévu qu'il pécherait que l'homme pèche; quand il
pèche, il est indubitablement l'auteur de son péché:
l'infaillible prescience voit que ce n'est ni le destin, ni
la fortune, ni rien autre que lui-même qui pèche. Et
il ne pèche point, s'il a une ferme volonté', et cette vo-
lonté même, Dieu la connaît par sa prescience. >> De
civil. Dei, 1. V. c. i-x. trad. L. Moreau, Paris, 1899, 1. 1,
p. 235-261.
2° A la doctrine de saint Augustin sur le Destin, il
faut, pour avoir l'ensemble de l'enseignement de l'Ecole,
joindre le passage classique du De consolatione philo-
so/'/tiœ de lîoèce, 1. IV. prosa vi, interprété par saint
Thomas, dans son commentaire. Opéra, Parme, t. xxiv,
col. 116 sq. Boèce rapporte le destin, le fatum, à la
providence, et établit le parallèle entre celle-ci et
celui-là. Le destin suit la providence et s'en distingue
sans cesse. La providence est en Dieu, le destin est
dans les choses. En Dieu, la providence est la vue sim-
G37
DESTIN — DESTINEE
638
pie et le décret qni décide de la génération et de l'en-
chaînement de toutes les créatures : le destin est la
réalisation objective ou extérieure de ce plan divin.
Omnium generatio rerum, cunctusque mutabilium
naturarum progressus, et quidquid aliquo movetur
modo, causas, ordinem, formas, ex divinœ nienlis
slabilitale sortitur. Hœc in suœ simplicitatis arte
composila, multiplierai rébus gerendis modum sta-
tuit; qui modus cum in ipsa divinœ intelligentiœ pu-
ritate conspicitur, prôvidbntia nominatur ; cum veru
ad eu qttœ svnl,atque disponit refertur, FATUM a ve-
teribus appellatus est. De cette double définition
jaillissent de multiples oppositions ou différences,
ijuip diversa esse facile Uquebit si quis utriusque vim
>nenle conspexerit. La providence est un plan ration-
nel, ratio, elle siège en Dieu créateur, elle préside à
l'organisation de tout; le destin est inhérent aux créa-
tures, il est leur mobilité même ou plutôt l'orientation
de leur mobilité conformément aux décisions de la
providence. Nam providenlia est illa ipsa divina ratio
in summo omnium principe constitula, quse cuncla
disponit : fatum vero inhserens rébus mobilibus dis-
posilio, per qnam providenlia suis quœque connectit
ordinibus. La providence domine les temps, les lieux,
les contingences, et s'occupe également de toutes choses,
le destin est mêlé aux mouvements, et avec une mer-
veilleuse plasticité se moule sur les natures, les forces,
les conditions d'espace et de durée pour y assurer
l'exécution îles volontés providentielles. Providenlia
namque cuncla pariter, quamvis diversa, quamvis
m finit a, compleclitur : fatum vero singula digerit
m mut uni, locis, formis, ai temporibus distributa;
ut Usée temporalis ordinis explicatio, in divinœ mentis
adunata prospectu, providenlia sit; eadem vero adu-
natio digesta, atquc explicata temporibus, fatum
vocelur. On saisit dès lors la dépendance étroite et
essentielle qui reliele destin a la providence; la com-
plexité ordonnée de celui-là à la simplicité de celle-ci ;
l'activité toujours en mouvement de celui-là à la rigou-
reuse immobilité de celle-ci. Quœ licet >liversa tint,
alterum tamen pendel ex al ter o. Ordc namque fatalis
ex providenlia siniplicitate procedit... Drus providen-
tia quidem singulariter stabiliterque facienda dispo-
nit, multiplh iteret temporaliter administrât. Les ins-
truments de la providence utilisés par le destin sonl
multiples, et cela explique les nombreuses acceptions
données au destin par l'antiquité, qui confondait celui-ci
avec les forces ou agents donl se servait la divine pro-
vidence. Si eigitur, famulantibus quibusdam provi-
dentise divinis tpiritibtis, fatum exercetur, teu anima,
■eu tota imerviente natura, sc>> ctelettibut tiderum
motibus, seu angelica virlute, seu dsemonum varia
tôlier tia, seu aliquibus horum, seu omnibus, fatalis
séries t rilur, illud certe manifestum est, imtnobi-
ida "m formant rerum esse
providentiam . fatt >rum quss divina simpli-
mobilem nr.rum atque
ordinem temporalem. h'où la conclusion 9 impose que
tout ce qui es) mené par le destin est soumis à la
providence, el que celle-ci domine le destin lui-même.
Quofitul omniaqua identité quoque
.<)//.//■• etiam tubjacet fatum, 1
m de bien expliquer la nature du
ition ;i la i>n>\ ni m ■ qu'il multiplie li -
comparaisons dan ci but; c< que le raisonnement 1 n
: .1 1 intelligence calme, ce que la porte es) an
cl. île -m lequi l elle roule, ce que le commen-
• 1 n. le t' im|i- qui cou li
riiniiiii.il' li 'i 1 m 1 ■ -1 pai 1 apport I 1 1
len ■ Igitur uti ■ tum 1 aliot ino
; ; \ t ttierni talent
,t,i ,,%t fati
nlicilalem.
Après saint Augustin, après Boèce interprété par saint
Thomas, la notion du destin est baptisée et fixée. La
théologie catholique ne l'admettra plus que comme la
réalisation temporelle et fidèle du plan immuable
conçu dans la prédestination divine.
IV. Le fatalisme arabe. — Il lit renaître la théorie
antichrétienne du Destin. On en verra le développement
à l'article Fatalisme, à l'article Coran, t. m, col. 1809
sq.; nous signalerons seulement dans la littérature
arabe le traité d'Avicenne sur le Destin, où le philo-
sophe musulman s'attache surtout à faire ressortir cette
idée que le destin n'est autre que le mystère qui enve-
loppe les décisions divines et les voies par lesquelles
Dieu exécute ses prédestinations. Le destin, c'est l'in-
cognito de la providence; d'où le problème insoluble
de la présence simultanée des biens et des maux :
« Si le beau et le laid, le bien et le mal étaient aux
yeux de Dieu ce qu'ils sont aux yeux des hommes, il
n'aurait pas créé le lion redoutable aux dents disloquées
et aux jambes tordues, dont la'faim n'est satisfaite qu'en
mangeant la chair crue et sanglante, nullement en
broutant des herbes et des baies; ses mâchoires, ses
griffes, ses tendons solides, son cou imposant, sa
nuque, sa crinière, ses côtes et son ventre, la forme de
tous ses membres excitent en nous l'étonnement,
quand nous considérons que tout cela lui est donné
pour atteindre le bétail fugitif, le saisir et le déchirer.
Il n'aurait pas non plus créé l'aigle aux griffes cro-
chues, au bec recourbé, avec ses ailes souples et di-
visées, son crâne chauve, ses yeux pénétrants, son cou
élevé, ses jambes si robustes; et cet aigle n'a pas été
créé ni pour cueillir des baies, ni pour mâcher ses ali-
ments et brouter des herbes, mais pour saisir et dé-
chirer sa proie. Dieu, en le créant, n'a pas eu le même
égard que toi aux sentiments de compassion, ni suivi
les mêmes principes d'intelligence. Lui, il ne s'est pas
conformé à ton avis, qui eût été d'éloigner les
malheurs et d'éteindre la llamme brûlante. Dans sa
sagesse impénétrable aux yeux de notre intelligence,
il y a donné son consentement et lu n'aurais pas le
droit d'exiger de lui la compensation des membres dé-
chirés, ni des cous cassés. Le temps fait oublier les
douleurs, éteint la vengeance, apaise la colère et
étouffe la haine; alors le passé est comme s'il n'eût
jamais existé, les douleurs affligeantes et les pertes
subies ne sont nullement prises en considération;
Dieu ne fait aucune distinction entre la compensation
et le don gratuit ; entre l'initiative de sa grâce el la
récompense; les siècles qui liassent, les vicissitudes du
temps enlacent toul rapport causal. «Traduction du baron
Carra de Vaux, dans Avicenne, c. x. Paris, 1900, p. 282.
En résumé, Dieu mène toutes choses, mais à sa manière
qui nous esl incompréhensible; et cette marche
choses sous la force mystérieuse divine est leur destin.
V. Conclusion. — Par cette esquisse on voit com-
bien de dogmes sonl intéressés i la doctrine du des-
tin. Si. en ellel, celle-ci reste païenne, elle peut com-
promettre gravement les dogmes ou les vérités reli-
- di 1 '"■ 1 tem ■ di Dii u, de sa puissance 1 1 d<
son intervention dans le monde, de sa prescience, de
sa providence, de l'accord de la prédestination avec la
liberté, de l'utilité el de l'efficacité de la prière, de
l'i spérance, du met ite el do démérite. Si, au contraire,
on suit lea principes de aainl Augustin el de B01
tous 1. . toutea cei rériti 'ises, sont
sauvegardés. Dieu est le maître du monde, où rien ne
le i.ut ..11 m permission el son concours; où cepen-
dant l'homme reste libre el où la prière garde
Ml| el le ■ 1 naire place.
I '
DESTINÉE. La desth un dea prt
Ihéologiquei lea plu li - plua n 1
aux autrei problémea Ses éléments sont dont tous tral
.;.!'.(
DESTINÉE — DÉTENTION INJUSTE DU BIEN D'AUTRUl
040
tés ailleurs; il nous suffira d'indiquer l'idée synthé- I
tique qui les relie enlre eux. La destinée, c'est la
question de la fin de l'homme (voir ce mot). On peut
donc se demander à son sujet :
1° S'il y a une destinée, c'est-à-dire si l'homme a I
une fin, s'il y a une orientation nécessaire et provi-
dentielle de sa vie, ou s'il est tout simplement un ré-
sultat de forces aveugles qui vont au hasard et pro-
duisent sans cesse, sans les prévoir, sans les vouloir,
sans y tendre, de nouveaux résultats. Voir CAUSE, t. il,
col. 2033 sq.; Hasard, ÉVOLUTION, HOMME. La religion
naturelle et la révélation affirment que l'homme est
l'œuvre d'un créateur intelligent et sage, qui n'a pu
agir sans imposer un hut à son œuvre. Voir C. Piat,
Déminée de l'homme, Paris, 1898.
2° Quelle est cette destinée? — Est-elle en dehors de
l'homme, dans l'avantage utilitaire ou honorifique du
créateur; ou dans l'homme? En l'homme consiste-
t-elle dans sa perfection ou dans son bonheur ou dans
les deux? Si elle réside dans la poursuite de sa féli-
cité, quelle félicité doit-il chercher, celle des sens ou
celle de l'esprit, ou les deux? Toutes ces'solutions ont
été données par les morales humaines. Voir Création,
t. m, col. 2034 sq. ; Béatitude, t. il, col. 497 sq. ; Dieu. La
réponse de la théologie chrétienne est que la destinée de
l'homme réunit en un seul terme trois aspects divers :
l'homme est créé pour la gloire de Dieu, mais celle-
ci réside surtout et essentiellement dans la perfection
de l'homme, image et glorification de la divinité; et
la perfection à son tour rend heureux l'homme qui
l'a obtenue, qui en a conscience et se repose en elle.
En sorte que le terme pour l'homme est dans la gloire
de Dieu, dans la perfection personnelle et dans la
félicité.
3o A quel ordre appartient cette destinée? — Est-
elle d'ordre naturel ou d'ordre surnaturel? Voir
Nature, Surnaturel, Ordre. A ce sujet encore de
longs développements se donnent là où est discutée la
vocation de l'homme à l'ordre surnaturel. Les uns nient
<;ette vocation; ils sont les tenants du naturalisme sous
toutes ses formes; les autres adoptent cette vocation.
Selon eux, et selon la religion catholique, chacun a
été appelé primitivement à la vie surnaturelle, puis,
l'ayant perdue, y a été restauré par la rédemption.
L'ordre surnaturel comporte une fin nouvelle, qui
enveloppe et complète la fin de l'ordre naturel, et
donne à l'homme une destinée correspondante au
caractère spécial de l'ordre surnaturel ; destinée de
participation à la vie divine, d'élévation à une per-
fection inabordable par nos moyens naturels d'explo-
ration, de connaissance ou de conquête. L'homme a
donc, depuis le Christ, une destinée surnaturelle.
4° Cette destinée est-elle libre ou obligatoire? —
Autre question qui touche la destinée et qui fut sou-
levée par des libéraux (voir Liréralisme, Vie surna-
turelle) pour lesquels la vie surnaturelle serait un
don facultatif offert, mais non imposé par Dieu à notre
bonne volonté. La thèse catholique est que la desti-
née surnaturelle est gratuite, mais obligatoire. Dieu
nous la donne par un pur effet de sa bonté, qui au-
rait pu nous refuser une si grande faveur; mais en nous
la donnant, Dieu pousse la bonté jusqu'à nous l'impo-
ser, afin que, par notre caprice, nous ne soyons pas
privés d'un tel privilège. Nous ne sommes donc pas
libres d'accepter la destinée surnaturelle ou d'y
renoncer.
5° Où celte destinée doit-elle se réaliser? — Ici-bas
ou dans une autre vie? Les matérialistes, qu'ils portent
ce nom ou que, sous d'autres appellations, ils nient
l'autre vie, s'accordent à dire que l'homme est fait
pour cette vie et qu'il doit se borner aux horizons
terrestres. La destinée serait dès lors d'y jouir le plus
et le plus longtemps possible, d'où la curée des volup-
tés, des richesses et des honneurs. La doctrine catho-
lique affirme l'immortalité et la spiritualité de l'âme,
voir Ame, t. 1. col. 1022, et lui attribuant une destinée
correspondant à sa nature en relarde la plein.- réalisa-
tion jusqu'à l'autre vie. Voir Ciel, t. 11, col. 2i7i;
Purgatoire, Enfer.
6" Dans quel acte principal cette destinée doit-elle
s'accomplir? — Est-ce dans l'action, dans l'amour, ou
dans la vision? La théologie enseigne que le terme de
l'homme surnaturalisé est dans l'acte de la vision in-
tuitive de Dieu. Voir ComprÉhensive {Science), t. m,
col. 631 ; Vision, Ciel. Cette vision rayonnera dans la
volonté, pour y provoquer un amour suprême et irré-
vocable de Dieu, dans toutes les facultés pour les éta-
blir dans l'état bienheureux de pleine possession de
leurs objets, mais l'acte premier, essentiel, qui cons-
titue l'homme dans sa fin, c'est le face à face avec
Dieu, en quoi Dieu est souverainement glorifié, et
l'homme divinement perfectionné et béatifié.
7° Comment l'homme accomplit-il sa destinée? —
Librement ou nécessairement ? Les déterministes assu-
rent que l'homme est conduit par la fatalité, ou la né-
cessité des forces créées, vers une fin prédestinée et
inéluctable; la foi enseigne que l'homme est libre et
que, si sa fin est obligatoire, il a l'honneur et le mérite
de la réaliser librement et volontairement. Voir Déter-
minisme, Lirerté, Prédestination.
8° Où a commencé la destinée de l'homme? — La
marche de l'homme et le travail qui accomplit sa des-
tinée commencent-ils à sa naissance, ou remontent-
ils au delà du berceau ? La métempsycose et l'évolu-
tionisme (voir ces mots) font de la vie humaine un seul
instant, un anneau d'une chaîne infinie qui s'est dé-
roulée auparavant dans des existences préparatoires à
la vie humaine et se prolongera après dans l'épanouis-
sement d'une espèce nouvelle et supérieure, qui sera
le surhomme, ou un esprit pur. ou dans la déchéance
d'une matérialité douloureuse où l'homme subira le
châtiment et la purification de ses fautes et de ses
vices. La révélation enferme l'homme dans son espèce,
créée par Dieu, douée d'une âme créée spécialement
pour chacun, au moment de sa conception; sa destinée
est de se perfectionner dans son individualité propre et
son espèce humaine. Le surhomme est une utopie.
L'homme marche vers l'homme parfait décrit par saint
Paul : donec occurramus omttes in unitatem fidei et
agnitionem Filii Dei in virum perfection, in men-
suram œtatis plenitudinis Christi. Eph., iv, 13.
90 y a-l-il une destinée sociale? — L'homme peut-
il se sauver individuellement, ou doit-il, pour le salut,
s'unir en société, ou recourir aux sociétés existantes?
L'homme est essentiellement social; il ne peut accom-
plir ni sa destinée terrestre, ni sa destinée céleste,
sans le secours de l'humanité groupée en société. Il
faut à l'homme une patrie, au chrétien une Église :
c'est dans ces grands organismes seulement qu'il
trouve les moyens indispensables à la réalisation de sa
destinée, et la destinée de ces sociétés est précisément
de faire à l'homme le milieu et les moyens de salut et
de vie naturelle et surnaturelle. Voir Société, Église.
A. Ciiollet.
DÉTENTION INJUSTE DU BIEN D'AUTRUl.
Le septième commandement de Dieu, Xon furtum
faciès, Exod., xx. 15, défend non seulement de prendre
le bien d'autrui, mais aussi de le retenir contre sa
volonté, car on fait aussi tort au prochain en détenant
injustement son bien qu'en le lui prenant. Detinere
quod ulteri debetur, eamdem ralionem nocumenti ha-
bet cum acceptione injusla; ideo sub injusta accep-
tione intelligitur etiam injusta detentio. S. Thomas.
Sum. theol.,\\* H', q.i.xvi. a. 3, ad2u . De plus, la dé-
tention injuste du bien d'autrui n'est pas un acte tran-
sitoire, comme l'est le simple vol; mais c'est un état, la
641
DÉTENTION INJUSTE DU BIEN D'AUTRUI
DÉTERMINISME 642
prolongation du vol, et comme un vol continué et renou-
velé. On peut supposer même qu'il n'y a pas eu vol,
dans le principe, c'est-à-dire pas d'injustice formelle,
comme il arrive lorsque quelqu'un possède de bonne
foi ce qui ne lui appartient pas, mais ce qu'il croit
lui appartenir. S'il s'aperçoit ensuite de son erreur,
et qu'il ne rende pas, dès qu'il le peut, ce qu'il sait
alors n'être pas à lui, il commet un vol par cette dé-
tention qui, à partir de ce moment, devient injuste.
Aussi les théologiens, sans exception, enseignent-ils
qu'on pèche contre le septième commandement de
Dieu, soit en s'emparant injustement du bien d'au-
trui. soit en le gardant, ou le détenant, sans le consen.
tement de celui qui en est le légitime propriétaire :
ralionc injustse acceplionis, vel injuslx detenlionis.
Ces deux cas sont une même violation de la justice
exigeant que chacun ait la libre disposition de ce qui
lui appartient : cuique sinon.
Comme le septième commandement de Dieu est né-
gatif, il oblige sans cesse, et à chaque instant. Celui
donc qui, le sachant, détient injustement le bien d'au-
ti'ui, est dans un péché continuel, et il le renouvelle
toutes les fois que, s'apercevant de l'injustice commise
par lui, il ne consent pas, dans son for intérieur, à
restituer quam primum le bien injustement détenu.
mais réitère, au contraire, sa ferme volonté de ne pas
le rendit1.
La détention injuste du bien d'autrui impose à l'in-
juste détenteur, non seulement l'obligation stricte de
rendre le bien à son légitime propriétaire; mais, en
outre, celle de réparer tous les dommages que celui-ci
a subis, ou subit encore, par le fait de cette injuste dé-
tention. Voir Restitution, Vol.
T. Ortolan.
DÉTERMINISME. - I. Définition. II. Histoire.
III. Théorie et critique.
I. DÉFINITION. — On désigne du nom commun de
déterminisme les systèmes philosophiques qui consi-
dèrent tous les phénomènes de l'univers et en particu-
lier les actes humains comme des produits, en sorte
que ce que l'on a appelé liberté morale ou libre arbitre
(voir LIBERTE | ne correspond à aucune réalité. Le déter-
minisme Be < 1 1 < i i ji l: n <■ du fatalisme (voir ce mot), en
ce que le fatalisme fait dépendre tous les événements, et
les actes humains qui y sont compris, d'une première
cause qui peut être aussi bien une volonté libre absolue,
telle que parait être l'Allah musulman, qu'un fatum
m une Moïra obscure, tels que les révérai!
l'antiquité grecque el latine. Voir Destin. Cette pre-
mière cause pourrait être libre elle-même, indétermi-
u Le déterminisme n'admet que du déterminé. 11 ne
remonte pas au delà d< s phénomènes du monde, un être
transcendant quelconque pourrait par cette transcen-
dante échapper > la détermination; le déterminisme
es! i ssentiellemenl une doctrine de l'immanence. Un
bref exposé historique va confirmer ces quelques no-
tion-.
II. Histoire. I. qui n'admettaient ni mou-
venu ut ni aucun changement dans le monde devaient
voisins du déterminisme, mais les atomistes,
tels que Démoci ite, qui ramènent tous les phén mes
impli - déplacements mécaniques di
p. ndanl 'le lois m ,,.■ pouvaient être que di -
terministei Êpicure et ses disciples, bien qu'ad ttanl
la physique de Démocrite, échappèrent u cli-
namen, an déterminisme. M. Fouillée, Philotophie de
J in S . Pai i-. [889, a voulu f.nre de Si
un déterministe Di ■ que -ncr.tte professe (pu- p, ,
échanl volontairement et que toute but*
s, M I ouillée conclut q
ne i la olonti iou la di pi nd me. . Qtière de l'intelli
Il p lll .Ile qui il.
terminée, il s'en ui ite aurait p:
MCI. DS 7111 OL. f.ATIIOL.
déterminisme intellectualiste. Et Platon l'aurait à peu
près suivi sur ce point. Ces vues historiques assez in-
complètes sont fort contestables, comme l'auteur de cet
article a essayé de le faire voir, Essai sur le libre ar-
bitre, 1. I, c. H, mais il reste de ces discussions que
toute doctrine métaphysique qui prétend tout ramener
à des lois intellectuelles ou mettre tous nos actes sous
la dépendance de l'intelligence, en un mot tout intellec-
tualisme est et ne peut être que déterministe. Les
stoïciens paraissent soumettre entièrement l'homme à
la nature et enfermer toutes ses actions dans la série
rigoureusement ordonnée des événements, série dont la
trame forme l'siij.ap[jiv/] ou fatum, cependant ils ad-
mettent un certain pouvoir intérieur de la volonté qui
parait pouvoir donner ou refuser son assentiment aux
forces qui dominent les actions. Fa ta voleniem ducunt,
nolenteni trahunt.
Une nouvelle forme de déterminisme résulta des spé-
culations théologiques qui succédèrent aux écoles de
philosophie antique : les uns, comme les mahométans,
très frappés de l'omniscience que devait posséder la divi-
nité, crurent en pouvoir déduire que Dieu, sachant tout,
prévoyait d'avance l'avenir et ils professaient par suite
que cet avenir, d'avance prévu, ne pouvait être dès lors
qu'arrêté, fixé et déterminé; les autres, tels que Jean
lluss, Wycleff, Luther, Calvin (voir ces mots), ne croient
pas que la toute-puissance divine puisse laisser quelque
place à l'activité humaine : ce n'est pas seulement dans
un sens surnaturel, mais dans un sens tout positif et
naturel, qu'ils entendent le mot de saint Paul : Doits
operatur in vobis et relie et per/iccre. Phil., Il, 13.
L'homme n'agit point, il est seulement agi : non agit,
sed agitur, car ils ne peuvent admettre que l'homme
puisse produire par lui-même aucune réalité; ce serait,
leur semble-t-il, autant de dérobé au domaine de la
puissance de Dieu. C'est sur cette pente que glissèrent
les jansénistes (voir Jansénisme) ; c'est pour des raisons
semblables que Malebrancbe (voir ce mot), tout en vou-
lant maintenir le libre arbitre, refuse à l'homme toute
causalité véritable, et c'est enfin tout à fait dans le
même sens que Spinoza disait : « L'homme n'est pas
un empire dans un empire. <>
L'un des premiers philosophes modernes qui professe
ouvertement le déterminisme est Hobbes qui, réduisant
tout à la matière et au mouvement, ne peut que faire
dépendre les actes humains comme tous les autres évé-
nements des mouvements corporels. Le monde n'est
qu'une horloge et nos plaisirs, nos souffrances, nos désirs
ne sont que des conséquences des mouvements des
rouages. Nos volitions ne sont que la dépendance de nos
désirs, car celui de nos désirs qui l'emporte sur les autres
et se réalise est ce que nous appelons volonté. Descartes,
voir col. 563, parait tantôt faire dépendre le jugement de
la volonté et tantôt mettre la volonté sous la dépendance
du jugement. Dans ces derniers cas, il est détermi-
niste el c est au déterminisme que, par l'intellectualisme,
incline tout son système. Cet intellectualisme, Spinoza
le construit et le développe dans ['Éthique. Tout l'être
du inonde se réduit à une seule substance qui existe
menl par cela seul qu'elle esl pensée, en
vertu de la preuve ontologique (voir Du i . son es
enferme donc son existence el c'esl de cette nécessaire
, iseneeque i existence is déduit. Mais l'essence n'est que
la somme des attributs sf les attributs A leur leur ns
i. i en» mbli de l'être, il s'ensuit que,
si un seul des modes venail ■< chan nce sérail
changée el le rail plus I on
modes de i être tonl donc né
ittribuls, ii ICe pour que soft
ti m e Mus ji n'\ .i el il ne psul
u qu'une ■< aie Substance, un eul Êtrt êri
Dieu ; toui ce qui existe ■ i ■' quoi l'on donne le nom
d'être d une (ai on équivoque n'esl que mouvant tssem
iv. - SI
643
DETERMINISME
644
blage de modes, d'attributs divins. Chaque homme en
particulier n'est qu'une série de modes de pensée que
l'on désigne sous le nom d'âme, unie et coordonnée à
une série de modes d'étendue à laquelle on donne le
nom de corps. Il n'est donc rien en nous qui ne découle
de la nature même de Dieu, tout en nous comme hors
de nous est déterminé par l'essence divine comme
toutes les propriétés du triangle sont déterminées par
sa loi de construction. LeibniU ne professe peut-être
pas une métaphysique aussi rigoureusement détermi-
niste qu'on l'enseigne d'ordinaire, il distingue soi-
gneusement le contingent du nécessaire, il admet la
liberté de Dieu, mais il soutient que Dieu ne peut
être que déterminé par sa nature morale et que toute la
création est également déterminée. Leibnitz critique
avec la plus extrême rigueur le concept de la liberté
d'indifférence. Tous les phénomènes de l'univers sont
dominés par le principe de raison suffisante. Rien
n'existe qui n'ait une raison d'exister et à ce qui n'existe
pas la raison suffisante fait défaut. D'où il suit rigou-
reusement que tous les états du monde, à un moment
quelconque de sa durée, dépendent de tous les états
antérieurs et conditionnent tous les états postérieurs.
« Le présent résulte du passé et est gros de l'avenir. »
L'homme n'est donc qu'une sorte d' « automate spiri-
tuel ». H y a toujours pour nous faire choisir une ac-
tion plutôt qu'une autre de petites raisons souvent
inaperçues, mais qui n'existent pas moins. L'action qui
n'a pas été choisie manquait de raison suffisante, et c'est
pour cela qu'elle ne s'est pas réalisée. Le libre arbitre
que l'homme croit exercer n'est donc que l'ignorance
des raisons qui le font agir. Les événements de notre
âme sont gouvernés aussi bien que les événements
matériels par la raison suffisante et la seule différence
qu'il y ait, c'est que les phénomènes corporels ne sont
soumis qu'à la loi de causalité efficiente, tandis que
les phénomènes de l'âme sont régis par la loi de
causalité finale. Ainsi tout est intelligible, tout peut
s'expliquer et par conséquent se ramener à des raisons
antécédentes. On peut dire qu'après Leibnitz, le déter-
minisme n'a plus fait aucun progrès. Toutes les théo-
ries que l'on a développées ne sont guère que des appli-
cations du principe posé par Leibnitz, c'est-à-dire des
déductions du principe de raison ou plus simplement
de causalité. Une action vraiment libre serait sans
cause, aurait, comme dit Kant, son point de départ
en elle seule. C'est pour cela que Kant, suivi en cela
par Schopenhauer, n'admet pas le libre arbitre phé-
noménal et rejette la liberté dans le noumène. Les
matérialistes, tels que K. Vogt, Bùchner, réduisent
l'univers à n'être plus qu'un système mécanique où
tout est par suite rigoureusement déterminé, et les
monistes, tels que Ha?ckel, soutiennent, à la suite de
beaucoup de savants, que la quantité de force devant
demeurer constante dans l'univers, rien ne peut
venir rompre le déterminisme des forces. Car si quel-
que mouvementpouvait se produire qui ne résultat pas
des forces déjà existantes, ce mouvement supposerait
une véritable création de force et tous les principes de
la science seraient renversés. Tous les résultats mêmes
de la science seraient remis en question, car la science
n'a de valeur que par les prévisions qu'elle permet et
si, à chaque instant, par le jeu des libertés, des forces
nouvelles pouvaient venir introduire leurs effets dans
le cours des phénomènes, toutes les prévisions de la
science seraient renversées.
III. Théorie et critique. — On voit par cet exposé
historique quelles sont les raisons qui ont amené les
philosophes au déterminisme et d'où ils ont tiré tous
leurs arguments. On apercevra mieux encore quelle est
l'essence de ces raisons, si l'on rappelle brièvement les
principaux raisonnements que font les déterministes
pour établir le bien fondé de leur système. Ces argu-
ments peuvent se diviser en arguments psychologiques,
arguments scientifiques, arguments métaphysiques.
Xous allons les formuler tour à tour et les critiquer à
mesure.
1° Arguments psychologiques. — « Xous nous croyons
libres, parce que nous n'apercevons pas les causes qui
nous font agir. Nous ne voyons pas ces causes, nous en
concluons qu'elles n'existent pas. » Il est facile de voir
que l'argument n'a aucuneValeur, car, si de ce que notre
conscience ne découvre pas de causes qui nous fassent
agir, il ne s'ensuit peut-être pas à la rigueur que ces
causesn'existentpas,ils'ensuit bien moins encore qu'elles
existent. Si dire : je ne vois rien, donc il n'y a rien, peut
être aventureux, il est bien plus aventureux encore de
dire : je ne vois rien, donc il y a quelque chose. — « La
volonté n'est autre chose que le désir qui l'emporte;
or, tous nos désirs sont déterminés, donc la volonté est
aussi déterminée. » On fait remarquer que la volonté
ne saurait se confondre avec le désir, car, s'il est vrai
qu'on ne veut que ce qu'on désire, il n'est pas vrai qu'on
veuille toujours ce qu'on désire le plus fortement. Il y
a même une différence de nature entre le désir et la
volonté, car plus le désir est violent, plus l'intelligence
est réduite, tandis qu'au contraire plus l'intelligence
s'exerce, plus la volonté a le sentiment de son énergie.
— « La volonté se décide toujours d'après des motifs,
elle n'est jamais indifférente, le motif qui l'emporte est
évidemment le plus fort, c'est donc ce motif qui décide
tout et l'âme n'est bien, comme on l'a dit si souvent,
qu'une balance qui penche du côté le plus fort. »
Toute cette argumentation repose sur une équivoque.
On considère les motifs comme des forces extérieures
à l'âme, tels les poids par rapport à la balance, mais la
force des motifs dépend de l'âme elle-même, c'est nous
qui donnons aux motifs leur force, de façon déter-
minée si tout est déterminé, mais aussi librement si
nous sommes libres. La question n'a pas fait un pas.
2° Arguments scientifiques. — « Si la volonté
humaine était libre, si tout n'était pas déterminé, la
liberté humaine apporterait des perturbations dans les
chiffres des statistiques, crimes, suicides, mariages,
divorces, etc. Or, la marche des statistiques est régu-
lière, donc la cause perturbatrice n'existe pas. t Ici.
c'est le point de départ même de l'argumentation qui
est contestable, car : 1. les statistiques sont loin d'em-
brasser la totalité des actes humains; 2. leur marche n'a
pas la régularité que les démographes leur attribuent;
à. enfin et surtout, alors même que les statistiques sui-
vraient des courbes très régulières, et que les nombres
totalisés paraîtraient déterminés, il ne s'ensuivrait pas
à la rigueur que chacun des actes singuliers qui for-
ment les nombres ait été tout entier déterminé. —
« Mais, reprennent les déterministes, la science établit
que la quantité d'énergie qui se trouve dans le monde
demeure constante. Rien ne se crée, rien ne se perd.
Une indétermination quelconque permettrait d'ajouter
ou de retrancher quelque chose à la somme constante
des forces et serait par conséquent contraires la grande
loi sur laquelle repose toute la science moderne, la loi
de la conservation de l'énergie. » 11 suffit, pour re-
mettre les choses au point, de faire observer que la loi
de la conservation de l'énergie ne repose que sur un très
petit nombre de mesures qui n'expriment que des
moyennes. L'expérience ne permet d'affirmer que cette
proposition : La quantité d'énergie est sensiblement,
moyennement, c'est-à-dire à peu près constante. Vou-
loir transformer cet à peu près en absolument, c'est
supposer ce qui est en question et faire une pétition de
principe. Car des mathématiciens, tels que Cournot et
Saint-Venant, ont montré que des forces par elles-
mêmes insensibles, pourvu qu'elles soient plus grandes
que 0. peuvent, dans des systèmes mécaniques appro-
priés, produire des effets très considérables. — >< II
€45
DÉTERMINISME
646
n'en est pas moins vrai, soutient le déterminisme, que
si les événements du monde ne sont pas déterminés,
la science est impossible. Car il n'y a science que du
déterminé. Si l'esprit humain ne peut pas formuler des
lois et d'après ces lois établir des prévisions, il n'y a
plus de science. Or, quelles lois certaines peut-on for-
muler dans un monde qui ne serait pas déterminé et
quelles prévisions peuvent-elles être assurées? » Ainsi
que l'a fait souvent remarquer avec force Charles Re-
nouvier, en raisonnant ainsi les déterministes prennent
pour accordé précisément ce qu'on leur conteste. Il
n'est pas douteux que ce qui est indéterminé n'est pas
scientifique, mais la question est précisément de savoir
si tous les événements du monde, si tout sans excep-
tion doit entrer dans le domaine de la science. Si la
science peut et doit s'étendre à tout, si tout doit être
nécessairement soumis à des lois incoercibles, alors le
déterminisme [a gain de cause. Mais qui ne voit que
c'est précisément là toute la question?
3° Arguments métaphysiques. — Nous retrouvons
la même pétition de principe dans les arguments
métaphysiques. Le premier est celui de la prescience de
Dieu. « Dieu voit tout d'avance, donc tout est prévu,
et par suite des aujourd'hui demain est fixé, arrêté,
déterminé. » Il suffit pour répondre de faire remar-
quer que Dieu, à proprement parler, ne prévoit pas,
mais voit. Sa connaissance des événements du temps
est intemporelle et de cette connaissance intemporelle
on ne peut intelligiblement déduire quoi que ce soit
par rapport aux événements du temps. Si l'on voulait
appliquer à la connaissance de Dieu les règles ordi-
naires de la connaissance, on devrait dire : Dieu con-
naît les choses qui sont parce qu'elles sont et elles ne
sont pas parce qu'il les connaît. — Mais ici intervient
la toute-puissancc|de Dieu. « Si Dieu est tout-puissant,
comment se peut-il qu'il ne fasse pas tout ce qui se fait
et par suite que les choses et nos volontés comme tout le
reste ne soient pas de simples dépendances de sa vo-
lonté'.' » Tous les théologiens catholiques ont fait
remarquer que c'est précisément parce que Dieu est
tout-puissani qu'il a pu donner à la créature la liberté
et toute l'indépendance compatible avec la nature de
l'être créé. — Voici enfin la dernière raison du déter-
minisme, c'est que l'indéterminé, le vraiment libre,
serait sans raison. « Il serait déraisonnable d'admettre
que quoi que ce soit puisse arriver sans raison. Or,
une action libre est par définition celle qui ne peut
pas se ramener à ses antécédents, qui ne peut pas
pliquer, car si l'on pouvait explique!' le choix, il
i alors déterminé par les raisons mêmes qu'on en
donnerait. Mais j| n'est pas possible à l'intelligence
d'admettre que rien puisse arriver sans une raison suf-
Hsante. Tout ce qui esl rationnel es) déterminé, cela
donc qui ne serait pas déterminé serait par là même
Irrationnel. El l'irrationnel ne peut entrer dans la
nature des choses car, autrement, le inonde devien-
drait inintelligible el notre connaissance n'aurait plus
a m ■util- règle qui luipermll d<- s'i ■■ n i r sur 1, nc|r.
ulemenl la science qui deviendrai!
Impc lis aussi bien la métaph toute
sorte de er;mi a i laine. »
un voit que ce) argumenl résume ''n lui tous les
i Fond de tous. Il en
i le nerf caché. Leibnltz, en le
formulant, a si pi In ace mé du déter
mlnll Toute la question est là en effet : Y a-l-il
mènes du monde, tel que certains ad
lonté i aine, qui ne \ ramener a des
et d l' i tnim es? Si on n'admi I p i
la d terminisme, il Faut répondre par 1 affirmative
iine i "M i - ivec la raison toute nob
talligc i au dilemme, il suffi) de foin
: . ■ n particulier celles di
actes, peuvent demeurer de véritables raisons et cepen-
dant n'être pas semblables aux causes ou aux impul-
sions physiques. Nous pouvons agir raisonnablement
sans qu'il soit nécessaire ni même possible de sou-
mettre nos raisons à la mesure et au calcul. M. Berg-
son dans deux livres importants : Essai sur les don-
nées immédiates de la conscience, in-8°, Paris, 1889,
et L'évolution créatrice, in-8°, Paris, 1907, a insisté
avec raison sur le caractère purement qualitatif de
nos événements spirituels. Ce n'est que par des artifices
d'analogie que nous les assimilons à des faits physiques
et la raison psychique est quelque chose de très diffé-
rent de la causalité physique. Or, le déterminisme de
la succession n'a jamais été conçu qu'en fonction de la
succession des événements physiques. Nos actes peuvent
donc n'être pas rigoureusement conditionnés par les
événements antérieurs ou concomitants et ne pas pour
cela manquer de raison. Leur raison profonde se
trouve dans ce qui nous constitue à l'état de puissances
libres -capables d'apporter dans l'univers des qualités
nouvelles. Et l'existence de telles puissances n'est pas
elle non plus sans raison. Car il n'y a dans le monde
un domaine propre de la moralité que si de telles
puissances existent. Dans un monde tout entier déter-
miné, le vice et la vertu, ainsi que Spinoza l'a admi-
rablement déduit, ne sont que la nocuité ou la
bienfaisance nécessaires résultant de la nature des êtres
et ne sont pas du tout ce que l'humanité a toujours
voulu signifier par ces mots. Le devoir, le droit, la
responsabilité, le mérite, la sanction, toutes les notions
morales changent de sens. Si le déterminisme est vrai,
il n'y a pas de monde moral. La moralité se trouve
donc être, en dernière analyse, la raison de la liberté.
Si le déterminisme a tant de prises sur beaucoup
d'esprits, c'est qu'il satisfait le besoin qu'a l'intelli-
gence non seulement de tout expliquer, mais encore
de tout unifier. Un monde déterminé présente en effet
au plus haut point tout l'aspect d'un être unique,
extérieurement modifié ou diversifié, mais constitué
essentiellement par son unité, substance de Spinoza,
matière des matérialistes, force des dynamistes. L'in-
telligence tend au monisme; elle tend donc aussi au
déterminisme. Mais l'aspect du monde montre que les
différences n'ont pas moins de réalité que les analogies,
et que la diversité existe aussi bien que l'unité. Si tout
pouvait se ramener au passé et qu'il n'y eût rien de
réel dans la nouveauté, comment pourrait exister l'as-
pect nu' de la nouveauté! M. Bergson, op. cit., a
insisté avec beaucoup de force sur ces divers points et il
semble bien qu'il faille tenir grand compte de ces in-
contestables constatations. En résumé, le déterminisme
établit que si l'on considère le monde comme tout
entier tributaire do la science positive, tout doit y être
déterminé; il pousse même un peu plus loin et il tend
à montrer que si tout dans l'univers esl objet d'intel-
ice, d'une intelligence discursive el définissante telle
que la nôtre, tout aussi doit j être déterminé. Mais la
question est précisé ni de savoir si le point de vue de
rallie n'esl pas aussi légitime que le point de vue
de la science, si même la moralité i>> di passe pas la
science, si enfin I intelligibilité esl la lin véritable de
l'univers, si on n'a pas le droit de placer celle lin dans
la l.oni.'. Si la si m ie
le vrai, mais la science ebaorbe-t-elle tOUl el la morale
ll'a-l-elle pal 'I i III p'T ie II X ' I o il s |,- i.H-oii
nementa déterministes supposi ni la qui stion résolue
en faveur d'1 la science contre la morale, c'eal i reela
qu'ils soni tous viciés par la pétition de prini Ipe qui
non- avon an chacun deux.
lit . IM-S , I
' I i ni sur |f Moi t
arbitre 2" édlt, in
G47
DETERMINISME
DEUSDEDIT
048
ris, 1894, 18P5; Couailbac, Lu liberté et la conservation de
l'énergie, ln-8*, Paris, 1897; J. Guibert, Les croyances reli-
gieuses et les sciences de la nature, c. VI, 2' édit., Paris. 1908,
p, 169-495.
G. FONSEGRIVE.
DÉTRACTION. Voir MÉDISANCE.
DETTE. Voir RESTITUTION.
1. DEUSDEDIT I. Voir DlEUDONNÉ.
2. DEUSDEDIT II. Voir AdÉODAT, t. I, col. 394-395.
3. DEUSDEDIT, cardinal. — 1. Vie. II. Œuvres.
III. Doctrine.
I. Vie. — On ignore également le lieu, la date de sa
naissance, ses débuts dans la vie religieuse, et tout ce
que l'on sait de lui se borne à fort peu de chose.
Rérenger de Tours, dans le récit de sa comparution au
synode romain de 1679, Mansi, Concil., t. xix,col. 762;
P. L., t. cxLvin, col. 809, le cite comme cardinal et
abbé de Todi. Il aurait donc été moine avant que Gré-
goire VII Je nommât cardinal-prêtre du titre des
Apôtres in Ewlo.cia, c'est-à-dire de Saint-Pierre-ès-
liens; il vécut sous les pontificats de Victor III et
d'Urbain II, et mourut en 1099. Quant à savoir quel fut
exactement son rôle au milieu des conflits suscités par
la querelle des investitures- et par les agissements de
l'antipape Clément III, c'est chose assez difficile. Fut-il
chargé d'une mission en Allemagne, dont il profita
pour recueillir des documents, ou y alla-t-il à titre
privé et dans un but scientifique? On ne saurait le dire.
Mais certainement il s'y rendit, comme en témoigne ce
passage de sa collection canonique : Juramentum fu-
turï imperatoris. Hoc sacramentum invenit scriptor
hujus libri in Saxonia, in monaslerio quod dicitur
Luineburg. Collectio canonum, 1. IV, c. clxi.
On peut croire que, dans l'entourage de Grégoire VII,
il fut sympathique à la personne de Bérenger, sinon à
ses erreurs. C'est du inoins ce qu'affirme le fameux
archidiacre, loc. cit., car il le cite à côtéd'Atto de Milan
parmi ceux qui furent favorables à sa cause et avaient
embrassé son parti.
Vis-à-vis de Guibert de Ravenne, l'ancien fauteur de
Cadaloùs (l'antique Honorius II), l'ennemi d'Alexandre II,
l'inspirateur de la plupart des complots tramés contre
Grégoire VII, et qui avait fini par se faire élire lui-
même, à Brixen, en 1080, grâce à l'appui de l'empereur
Henri IV et des simoniaques, sous le nom de Clément III,
il se montra un adversaire décidé. Pendant de longues
années Clément ne cessa d'agiter l'Église, soit à Rome,
quand il s'en fut emparé, soit hors de Rome, avec la
connivence du pouvoir impérial; mais Deusdedit fla-
gella ce Cleinens ou plutôt ce Démens, comme il l'ap-
pelle, composa en grande partie contre lui son Libellus
contra incasores et symoniacoset reliquos scismaticos.
Champion de l'Église, il prit énergiquement la défense
du droit ecclésiastique contre l'empereur Henri IV, ses
conseillers et ses juristes césariens. A l'exemple de
quelques-uns de ses prédécesseurs et de ses contempo-
rains, tels que Anselme de Lucques, Boni/.o de Sutri,
l'auteur anonyme de la Collectio Britannica, et Yves
de Chartres, il composa un recueil de lois ecclésias-
tiques. Mais ses ouvrages, comme nous allons le voir,
prouvent qu'il fut meilleur canoniste que théologien.
II. ŒuvrtES. — La première en date, qu'il publia sous
Victor III et qu'il dédia à ce pape entre mai 1086 et
septembre 1087, est sa Collectio canonum, celle que
les correcteurs romains du Decretum de Gratien ap-
pellent Libri quatuor de rébus ecclesiasticis (e.r Vati-
cana). Elle suivit de près la collection d'Anselme de
Lucques et précéda le Decretum de Bonizo de Sutri.
qui se trouve dans Mai, Bibliotheca nova vet. Patrum,
Rome, 1854, t. vu, part. III, p. 2 sq. Elle .-. été éditée,
d'après le codex Vaticanus 38.33, d'abord par Marti-
nucci, Venise, 1869, et tout récemment par Glanvell,
Paderborn,19U.">. Le but de Deusdedit est de montrer que
les laïques n'ont pas le droit d'interposer leur autorité
dans la collation des bénéfices ecclésiastiques et que la
prééminence dans le gouvernement de l'Église appar-
tient exclusivement au siège romain. Dans son épitre
dédicatoire, P. L., t. Ci-, col. 1565-1570, il indique le
sujet et la division de son travail. Primus liber, dit-ilr
conlinet privilegium auctoritatis Bomanse Ecclesise.
Et quoniam sine clero Ecclesia esse non -potes!, nec
clerus absque rébus, quibus subsistai, huic subj<
secundum et lertium de clero et rébus Ecclesise. Quia
vero sseculi potestas Dei Ecclesiam subjugare nititur,
libertas ipsius Ecclesise et clerici et rerum ejus tertio
et ma:iime quarto libro evidenter ostendilur. Ses
sources sont : 1° l'Écriture, quand il y a lieu; 2° les
canons des conciles, dont il prend le texte latin, quand
il s'agit des conciles grecs, tantôt à la traduction de
Denys le Petit, tantôt à celle qui est connue sous le nom
de l'risca, quelquefois, mais plus rarement, à celle d'Isi-
dore ; 3° les décrets des souverains pontifes, quelques-
uns empruntés à la collection du pseudo-Isidore, plu-
sieurs de Grégoire VII; 4° les Pères, les lois de Justinien.
l'histoire d'Anastase le Bibliothécaire, le Pontifical ro-
main, le Liber diurnus, l'histoire de Paul Diacre, etc.
Le tout forme un ensemble de 251 chapitres ou titres
pour le 1. P1, de 131 pour le 1. IIe, de 159 pour le 1. IIP,
et de 162 pour le 1. IVe.
Le second ouvrage du cardinal Deusdedit est son
Libellus contra invasores et symoniacos et reliquos
scismaticos, adressé aux clercs de l'Église romaine.
Postérieur à la lettre d'Urbain II à Lucius de Pavie,
en 1089 ou 1090, à laquelle il est fait allusion, et an-
térieure au concile de Plaisance du printemps de 1095.
dont les décisions importantes auraient certainement été
mentionnées, ce Libellus se compose de quatre chapi-
tres. Les deux premiers, dans les manuscrits, sont
placés après le Contra Guibertum d'Anselme de Lucques
et ont été édités sous le titre de 1. IIe comme apparte-
nant à ce canoniste, P. L., t. cxlix, col. 455-476. lisse
trouvent aussi, mais augmentés d'additions nombreuses
sur les sacrements des simoniaques, dans \esLibelli
de lite imperatorum et pontificum des Monumenta
Germanise historica, Hanovre, 1892, t. il, p. 300-340;
mais Sackùr, leur éditeur, a eu soin de mettre entre
crochets les parties ajoutées et de les faire suivre de
deux chapitres nouveaux. Ibid., p. 3U-365. Déjà édité
par Mai, Bibliotheca nova veterum Patrum, Rome,
1854, t. vu, part. 3. p. 77-11 i. Cette double rédaction
des deux premiers chapitres du Libellus représente
deux éditions, la première dirigée contre l'investiture
laïque et la simonie, la seconde englobant les schis-
matiques avec les simoniaques, c'est-à-dire les guiber-
tins et les henriciens ou partisans de l'antipape Clé-
ment III et de l'empereur allemand Henri IV. Bien que
ce Libellus renferme des décisions canoniques et des
témoignages empruntés aux Pères et aux papes, ce
n'est pas à vrai dire une collection de canons du même
genre que l'ouvrage précédent : c'est un traité à la fois
canonique et théologique, une œuvre de polémique
contre les envahisseurs et les trafiquants des biens
ecclésiastiques, entachés de simonie ou de schisme.
Le c. isr, intitulé : Quod régi non liceat sacrosanctis
ecclesiis episcopos constituere, condamne l'abus de
pouvoir de l'empereur et des princes dans la provision
des sièges épiscopaux. Le c. Il, De simoniacis, schis-
maticis et eorum sacerdotio et sacrifteio, condamne
les simoniaques qui achètent ou vendent à prix d'ar-
gent les titres et les offices ecclésiastiques, et les schis-
matiques qui se contentent de recevoir gratuitement de
la puissance séculière la provision des bénéfices ; il nie
649
DEUSDEDIT
650
en outre la validité du sacrement de l'ordre qu'ils con-
fèrent et du sacrifice qu'ils offrent. Le c. m, Quod cle-
rus a ssecularibus pasci débet alque honorari, non
infamari, soutient les droits du clergé à son entretien
matériel et au respect sans qu'un prince quelconque
puisse poursuivre les clercs ou les juges. Le c. iv,
Quod sœculari potestali non licet in ecclesias clericos
introducere vel expellere, nec res ecclesiasticas regere
vel in sua jura trans ferre, dénie à la puissance ci-
vile le droit d'introduire des clercs dans l'Église ou de
les en chasser, de régir les biens ecclésiastiques ou de
s'en emparer.
III. Doctrine. — 1° Au point de vue dogmatique,
particulièrement en matière sacramentaire. — Mal-
gré l'opinion d'Anselme de Lucques et de Bonizo de
Su tri, qui se prononcent en faveur de la validité des
sacrements conférés par les simoniaques, et qu'il a pu
connaître, Deusdedit, à la fin du xie siècle, sert encore
d'écho aux principes erronés invoqués jadis en Cappa-
doce et à Carthage par saint Firmilien et saint Cyprien,
puis exploités par les donatistes. Sa pensée se manifeste
déjà dans sa Collectif) canonum, mais s'accuse surtout
dans son Libellus. Il parle comme parlait quelques
années avant le cardinal Humbert dans son Adversus
simoniacos et semble avoir eu pour but de réfuter l'opi-
nion du cardinal Pierre Damien. Voir Damien. Aussi
accumula-t-il les textes les plus défavorables à la vali-
dité des sacrements conférés en dehors de l'Église. Il
rappelle que le baptême administré en dehors de
l'Eglise ne se renouvelle pas sans doute, mais il répète
qu il ne confère pas le Saint-Esprit, qui ne peut être
donné que par l'imposition des mains.lorsde la récon-
ciliation de ces baptisés avec l'Église. Beaucoup plus
sévère qu Urbain II, qui admettait du moins que les
prêtres ordonnés gratuitement dans l'Église célébraient
■validement l'eucharistie, même quand ils étaient passés
au schisme, Deusdedit estime que l'eucharistie des
schismatiques et des simoniaques est nulle et ne con-
tient pas la présence réelle de Jésus-Christ. Libelli de
lile, loc. cit., t. ii. p. 319-323. Quant à l'administration
du sacrement de l'ordre, il croit expliquer le fait des
rèordinations par le pouvoir qu'aurait l'Église de rati-
fier ou de repousser telle ou telle ordination. A ses
yeux, toute ordination faite à prix d'argent est nulle, et
tout clerc entaché île simonie ne peut plus être ordonné
pour des motifs d'ordre canonique. Libelli de lile,
1. m, p. 326. Cf. Sallet, Les réordinations,
1907, p. 244-246. Comme tous les partisans de la
réforme et les \rais défenseurs de l'Église, Deusdedit
.iv. ut raison de combattre la simonie, cette plaie du
xi' siècle; mais les motifs qu'il fait valoir pour démon-
trer la nullité des sacrements «les simoniaques et d<
schismatiques sont erronés. Son excuse, il est vrai, se
trouve dans l'abseno d'une théorie sacramentaire,
patronnée par quelques-uns, mais non acceptée par
tout Dans celte question des sacrements, c'est Pierre
Damien qui se trouvait dans le vrai courant tradition-
nel, '1 c'esl \n i I <!>• Lucques, lionizo de Sutri, et
même l'antipape Clémenl III qui avaienl raison contre
lui. Guiberl île Ravenne, en effet, étail sans doute inté-
mlenir la validité des sacrements a, h, m,
mais, en s'inspiranl di - solides
P'"1' ainl Augustin, Decretum u iberti, dans
I. s / ,/,, //, ,/,. I,,,,t l,„. , ,, | , () ,,_,-; /. ; , , Vl Xlll
col. Kïl s,|,. ,i professait une théologie ncri intaire
■ elle '|ui devait triompher définitivement au
laatiquei du xiir s,, , |,.
tiédit, meilleur c inonl te que théologien, •>
ipinion de -uni Pu rre Damien .. un inti ri i
<b polémique, m k rappi lant pu on m connai
■i'" tt ine do i anu U 1 1 sacramentel
unique, Son meilleui Utn
A ■■•■ i cleno canonique, Deusdedit
appartient, en effet, à cette lignée de canonistes de la
seconde moitié du xie siècle, qui ont précédé Gratien
et méritent de prendre place parmi ses heureux pré-
curseurs. Tels Anselme de Lucques, dont la Collection
canonique va être enfin publiée (Thaner vient d'en don-
ner le 1er fascicule); Bonizo de Sutri, dont le Decretum
a été édité par Mai, Bibliotheca nova veterum Patrum,
Rome, 1854, t. vu, part. 3, p. 2 sq.; l'auteur de la
Colleclio Britannica, cf. Ewald, Die Papstbriefe der
britischen Sammlung, dans les Neues Archiv der Ge-
selschaft fur altère deutsche Geschichtskundc , Hano-
vre, 1880, t. v, p. 275-414, 505-596; Yves de Chartres,
dont le Decretum et la Panormia sont déjà connus,
P. L., t. clxi. Cf. Fournier, Les collections attribuées
à Yves de Chartres, Paris, 1897. Voir Décrets. Aussi
nul désaccord avec ses contemporains sur les principes
directeurs de la jurisprudence ecclésiastique. Comme
eux, il proclame avant tout l'indépendance et la su-
prématie du siège romain dans le gouvernement spiri-
tuel de l'Eglise, particulièrement dans la nomination des
évéques et la provision des bénéfices, auxquelles ni les
empereurs ni les princes ne sauraient avoir le moindre
droit en qualité de supérieurs séculiers; comme eux, il
revendique pour le clergé le droit de posséder des biens
temporels, de vivre de sa charge, sans avoir à être mo-
lesté dans la gestion de ces biens, moins encore à en être
injustement dépouillé. Les princes abusaient de leur au-
torité pour s'immiscer dans les affaires qui sont du res-
sort exclusif de l'Église; ils ne se contentaient pas de
nommer aux évêchés et aux bénéfices, ils empiétaient sur
la juridiction ecclésiastique, ils acceptaient ou repous-
saient les clercs, au gré de leurs caprices et selon les
besoins de leur politique ; ils géraient ou s'appropriaient
injustement les biens de l'Église ; et c'était là une source
de désordres et comme la main mise par l'Etat sur
l'Église, contre lesquelles Deusdedit protesta énergi-
quement. Sans doute, le pouvoir séculier ne peut pas se
désintéresser de l'action du pouvoir spirituel, mais il y
a loin d'une entente et d'un accord nécessaires à une
subordination de l'Eglise à l'État, telle qu'entendait la
pratiquer Henri IV, en essayant de faire revivre les
droits césariens de l'empire romain. Le prêtre, disait
Deusdedit, règne par le glaive de la parole, le roi par
le glaive matériel; l'un et l'autre se doivent un mutuel
appui, des égards réciproques, sans empiétement de
part ni d'autre, car ils ont besoin l'un de l'autre. Mais
dans cette réciprocité et ce concours, le sacerdoce et
l'empire doivent rester chacun dans sa sphère, le pre-
mier réglant les affaires spirituelles, le second les
affaires temporelles, l'Etat protégeant matériellement
l'Eglise sans chercher à l'asservir, l'Église protégeant
1 II. il en respectant ses droits. L'accord doit être har-
nieux avec la subordination nécessaire de l'Etal à
l'Église; car la prééminence, dans l'ordre voulu par
Dieu, revient incontestablement à l'Église. Or, cette
prééminence de l'Église dans les affaires spirituellei
un droit imprescriptible, qui ne porte aucune atteinte
aux droits de l'État en matière temporelle; et l'i.tat.
bien que subordonné par la nature même des intérêts
qu'il gère, et tenu par son propre avantage à seconder
l'action bienfaisante de l'Église, ne perd rien de son
indépendance et de sa dignité. On reconnaît ici la
théorie de I accord des deux pouvoirs telle que la com-
prenait Grégoire VII. Deusdedit, comme lescanoni
ni' mporains, s'en fait l'écho : il la proclame et la
justifie par toute la législation canonique Intervenue
dans la su il. .1. s .,._,■. . i sani tu. tin. « par .1, fl |,,i- ii..|..
riales.
Oldoln, \ii:r ri ras gtttm pontifleum et 8 u E.eanHna>
\ ■ JUStO
sa, UT77, t. i. p se:.. Ballerint, D< attff-
qui» ' [t. IV, 0. XIV, P. 1 I LYt, OOl :* ;" 'I
651
DEUSDEDIT
DEUTERONOME
652
Gsilhit Hzstoir* yint 'aU des auteurs eccliszastzjues, Fsn»
1863, t. xi ii, p. 568-569; Merkel, Geschichte des rômischen
Reclus i»i Mittelalter, 2 édit., Heidelberg, 1851 ; Giesebrecht,
Die Schriften des rOmiscken Cardinale Deusdedit, dans
Munchener Ilislur. Jahrbuch, Munich, 1866, p. 180-188;
Stevenson, Osservazionisulla Collecliocanonum di Deusdedit,
dans VArchivio délia Sm-ieta Romana di sturia patria, 1885,
t. vhi, p. 305-398 ; Liiwenfeld, Die Canonensammlung de^Kar dî-
nais Deusdedit und des Reyister Greyors VII, dans Neues
Archiv der Gcsellscliaft fur altère deutsche Geschichtskunde,
1885, t. x, p. 309-329; Fitling, Ueber die Stellne des rômischen
Redites in einer Streilschrift des Kardinals Deusdedit, dans
Zeitschriftder Saviyiiy-Stiftuny fiir Reclitsyescliicltte, W'eimar,
1888, t. IX, p. 370-381 ; Sackiir, Zu den Streitschriften des
Deusdedit und Hugo von Fleury, dans Neues Archiv, 1891,
t. xvi, p. 349-369; Libelli de Vite imperatorum ac pontificum
sxculis xi et xn conscripti, dans Monurnenta Germanise
historica, Hanovre, 1872, t. il; Der Diclatus papx und die
Canonsammluny des Deusdedit, dans Neues Archiv, 1893,
t. xvill, p. 135-153; Langen, Geschichte der rômischen Kirche
von Gregor VII lis Innocenz III, Berne, 1893; Potthast, Bi-
bliotheca historica medii sévi, 1' édit., Berlin, 1896; Sagmiiller,
Die Thatiykeit und Stellung der Kardinàle bis Papst Bonifaz
VIII, Fribourg-en-Brisgau, 1896; Kirchenlexikon, art. Deus-
dedit; Chevalier, Répertoire. Bio-bibliographie, 2' édit., t. i,
col. 1184; .Saltet, Les réordinations, Paris, 1907, p. 241-246;
E. Hirsch, Deusdedits Stellung zur Laien investitur, dans
Archiv fur kath. kirchenrecht, 1908, t. lxxxviii, p. 34-49.
G. Bareille.
DEUTÉROCANONIQUES (LIVRES). Voir Ca-
non des Livres saints, t. n, col. 1571 sq., 1588 sq.
DEUTERONOME. Après avoir traité les questions
générales d'introduction relatives à ce cinquième livre
du Pentateuque, nous exposerons spécialement la
prophétie messianique, xvm, 15-19.
I. DEUTERONOME. QUESTIONS GÉNÉRALES. —
I. Nom. II. Contenu. III. Théories des critiques. IV. Au-
thenticité mosaïque. V. Doctrine. VI. Commentaires.
I. Nom. — Comme sa forme l'indique, le nom Deu-
téronome dérive du grec AeijTEpov6p.iov. C'est le titre que
les Juifs hellénistes ont donné au cinquième livre du
Pentateuque, en se fondant sur la traduction que les
Septante ont faite des mots héhreux : n-npn n:rs
t t ■• : • '
Deut., xvu, 18, 8s'jTopovô(xiov toOto, traduction fautive,
puisqu'il ne s'agit que d'un exemplaire de cette loi,
celle de ce livre lui-même qui se nomme toujours
min, « loi », exemplaire que le futur roi devait rece-
voir des mains des prêtres au début de son règne. Les
Septante avaient traduit de même Jos., vin, 32, où il
ne s'agit que de la loi de la rénovation de l'alliance.
Deut., xxvn, 1-xxvin, 68. Les traducteurs reconnais-
saient dans ces lois le Deutéronome tout entier. Ils con-
sidéraient donc le livre comme une mischnah, une
SeuTÉpcoo-iç toû vô(jtou, une récapitulation concise et po-
pulaire de la législation, contenue dans l'Exode, le
Lévitique et les Nombres, la rénovation de l'alliance
contractée à l'Horeb par Dieu avec Israël. Le livre se
présente, en effet, comme une explication de la légis-
lation antérieure, explication faite par Moïse dans les
plaines de Moab, ou sur la rive orientale du Jourdain,
le 1er jour du 11e mois de la 40e année après la sortie
d'Egypte. Deut., i, 1-5. Les rabbins adoptèrent plus
tard cette désignation et nommèrent le 5e livre du
Pentateuque m'W nawa, ou répétition de la loi, quoique.
t •• : •
dans la Bible hébraïque, ce livre soit simplement dé-
signé par les premiers mots : onn^n n'îx, ou simple-
ment nnz^r.
• t :
II. Contenu. — Ce livre a, dans le Pentateuque, une
physionomie à'part. Il se juxtapose aux précédents plutôt
qu'il ne s'y relie, et il en diffère par la forme. Au lieu
d'être composé de récils et de lois, il comprend, en dehors
d'une introduction, I, 1-5, et d'une conclusion histo-
rique, xxxi-xxxiv, des discours, prononcés par Moïse
et exposant la législation à observer avec les motifs de
le faire. D'autre part, il forme un tout complet en lui-
iii. mi', dont le plan est très simple et l'unité manifeste.
Quatre discours de Moïse constituent le fond du
livre. Le premier, i, C-iv, il), a un caractère général;
après un résumé des faits qui ont suivi la promulga-
tion de la loi au Sinaï, i, 6-in, 29, vient une exhorta-
tion à observer cette loi, iv, 1-40. Entre ce discours et
le suivant, on trouve deux fragments historiques :
1° une note sur les villes de refuge, situées à l'est du
Jourdain, iv, 41-43, qui est un véritable bloc erratique;
2° le récit des circonstances dans lesquelles le 2e dis-
cours a été prononcé; c'est certainement l'introduc-
tion de ce discours, iv, 44-49. Celui-ci, qui est très
long, v, 1-xxvi, 19, après un rappel de la loi sinaïtique
et une reproduction du décalogue, v, 1-vi, 3, com-
prend : 1° une exhortation à obéir à la loi avec l'exposé
des motifs de le faire, vi, 4-xi, 32 (les versets 6 et 7 du
c. x interrompent la suite du discours et sont généra-
lement tenus pour une interpolation); 2° un code de
lois morales et religieuses, xu, 1-xxvi, 15, terminé par
une courte exhortation, qui sert de péroraison, xxvi,
16-19. Le 3e discours roule sur le cérémonial de la ré-
novation de l'alliance, qui devra être célébrée après le
passage du Jourdain, avec les malédictions et les béné-
dictions, qui seront prononcées ce jour-là. et gravées
sur les pierres de l'autel, et d'autres bénédictions et
malédictions, promulguées par le législateur en faveur
des observateurs de la loi ou contre ses violateurs,
xxvii, 1-xxvni, 68. Le verset 69 de l'hébreu (Vulgate,
xxix, 1) indique la signification de ce discours. Dans
le 4e discours, xxix, 1 (Vulgate, 2)-xxx, 20, Moïse
rappelle sommairement les bienfaits de Dieu envers
son peuple, exhorte celui-ci à être fidèle à l'alliance
conclue, indique que la loi est facile à observer et
résume les bénédictions réservées aux observateurs de
la loi et les malédictions prononcées contre les viola-
teurs. La conclusion historique relate les derniers évé-
nements de la vie de Moïse, xxxi, 1-xxxiv. 12.
III. Théories des critiques. — 1° Le Deutéronome
est un code spécial et indépendant. — Les critiques
rationalistes ne reconnaissent pas dans le Deutéronome
primitif une réitération sommaire de la précédente
législation des livres du milieu, Exode, Lévilique et
Nombres, puisque ce code ne mentionne pas les lois
strictement lévitiques et sacerdotales. Ils prétendent
que le rédacteur définitif du Pentateuque, en mettant
le Deutéronome à la place qu'il occupe maintenant, lui
a donné cette signification qu'il n'avait pas originaire-
ment. Pour eux, le Deutéronome n'est que l'un des
quatre documents, qui ont servi à la rédaction dernière
du Pentateuque, le document D. Primitivement, il se
présentait comme une législation, donnée par Moïse
au pays de Moab avant l'entrée des Israélites en Cha-
naan. C'est un code spécial, dit moabite du lieu de sa
promulgation. Il est presque sans précédent. Tout au
plus se réfère-t-il au décalogue, qu'il reproduit, v, 1-
33, en le modifiant, voir col. 162. et à la législation du
livre de l'alliance, Exod.. xx. 22-xxin, 33, qui a Tut
partie du document élohiste, E. Il s'en inspire, le
prend pour base, le développe, en tire les consé-
quences et y ajoute des dispositions nouvelles. Ce
code, en grande partie nouveau, est fait pour le peuple
Israélite, établi au pays de Chanaan; il ne s'adresse pas
aux prêtres et contient peu de prescriptions rituelles,
celles seulement qui intéressent et obligent les fidèles.
D'autre part, il n'est pas complet ni très détaillé. Il
n'envisage que les devoirs ordinaires, ne pose que des
règles générales et ne traite que des cas les plus usuels
et les plus fréquents, même au sujet de la famille et de
la vie domestique. Il est essentiellement moral et reli-
gieux, sans être, pour la forme extérieure, ni systéma-
tisé ni logiquement ordonné. Les prescriptions sont
653
DEUTÉRONOME
654
insérées dans des discours parénétiques. Le législateur
les explique plutôt qu'il ne les codifie; il exhorte à les
observer plutôt qu'il ne les promulgue et il y ajoute
les motifs qui portent à les pratiquer. Le vocabulaire
et le style de l'homéliste sont caractéristiques. Des
périodes spéciales reviennent fréquemment, comme
des sortes de refrains; des mots ou locutions, exclusi-
vement propres, distinguent sa langue de celle des
autres documents. Le style du Deutéronome est par
suite nettement accusé et aisément reconnaissable.
L'auteur a le ton prédicateur; il ne raconte pas, il
n'expose pas; il exhorte, il plaide, il stimule. Il est
onctueux et persuasif; sans manquer d'énergie, il n'a
pas la véhémence des prophètes; il s'exprime avec
clarté pour être compris du peuple, auquel il s'adresse;
il s'insinue doucement dans l'esprit de ses auditeurs,
et insiste longuement et sans se lasser sur l'obligation
d'observer fidèlement la loi de Dieu.
2" Absence d'unité et couches successives de rédac-
tion. — L'unité du livre actuel n'est qu'apparente; la
structure interne de la composition et le caractère
disparate du contenu font ressortir le manque d'homo-
généité et fournissent des indices que l'écrit actuel
n'est qu'un remaniement d'un fond primitif, complété,
retouché et finalement arrangé pour servir de conclu-
sion au Pentateuque. Mais les critiques sont très divi-
sés sur l'étendue du Deutéronome primitif, D 1, et sur
la nature, le nombre et l'importance des additions ou
modifications, I) 2, faites au noyau du livre. Les plus
modérés, tels que Pillmann, Driver et Montet, attri-
buent à D I, l'ensemble des c. i-xxxi, retouchés par
Rj. D'autres restreignent D 1 aux c. v-xxvi, avec iv, 45-
49, comme introduction, et une conclusion variable
selon les individus (Kuenen, Kônig, Reuss, Renan,
Westphal et Bertholet). Un troisième groupe le réduit
davantage encore et le ramène aux c. xn, 1-xxvi, 19.
AVellhausen avait imaginé deux éditions : la première
comprenait i, 1-iv, ii, comme introduction, le code,
XII -XXVI, et la conclusion, xxvn; la seconde avait iv,
r> \i. :!'.), comme introduction, le code, xn-xxvi, et la
conclusion, xxvui-xxx. Die Composition des Hexa-
teuchê, Ilerlin, 1889, p. 189-2I0. Cornill a disposé un peu
différemment les éléments de ces deux éditions, Einlei-
tung in das A. T., .'{' et i' édit., Fribourg-en-Brisgau,
1895, p. 27 28, et ses conclusions ont été admises par
Holzinger, Einleitung m dm Rexateuch, l'ribourg-
en-Brisgau el Leipzig, 1893, p. 274-27."); Wildeboer,
Die Literatur des A. T., 2- édit., Gœttingue, 1905,
p. 177, el I.. Gautier, Introduction à l'A. T., Lausanne,
1906, t. i, p. 79-84; /." lui dans l'ancienne alliance,
Lausanne, 1908, p. 54-57 Le comte de Baudissin, Ein-
leitung m d,,- i • s A. T., Leipzig, 1901, attribue
à It 1 le code, xn-xxvi, les bénédictions et les malé-
dictions, xxvii-xxvm. Pour L. Ilorst. Élude» sur le
Deutéronome, dans la Revue de l'histoire de» religi
1887, t. xvi, p. 28-65, le code lui-même manque d'unité;
mie compilation d'éléments antérieurs, réunis sans
ordre H presque au hasard. L'ne nouvelle raie a été
inaugurée par Staerk, Mrs Deuteronomium, Leipzig,
el par Steuernagel, Dei Rahmcn de» Deulcro-
itum*, Halle, 1894; u,, Enstehung de» deuterono-
'<<*'., 1896. IN ont distingué, cha-
cun i h fai -n dans le code les lois promulguées à la
ilr-u xj. u,. personne du singulier (ta) el celles qui le
ode du pluriel l I Steuernagel,
'"i Itingui . 1900, p. m m.
mentcompl
remanié ; ppartenanl
■ il < In dis-
tingui par suiti h.1 D 3, auteurs de* couches secon-
daires du livi .rler du rédactl m l;.|. .pu ,,
mu Da Jl • . i it foi m. .1. |., de la réunion de I ■'■l<.i
3° Date. — Le même désaccord règne au sujet de la
date du Deutéronome. La découverte de ce livre au
temple de Jérusalem, la 18e année du gouvernement
de Josias (621). II (IV) Reg., xxn, 3-xxm, 23, sert de
point de départ à sa fixation. Sauf quelques critiques
français sans autorité (L. Havet, G. d'Eichthal, Ilorst,
M. Ternes), qui ont dénié toute valeur au récit de ce
fait et ont rabaissé la composition du Deutéronome
après le retour des Juifs de Babylone, sinon sous la
domination perse, on tient généralement ce fait pour
historique et on en conclut que D 1 (plus ou moins
étendu) est antérieur à 621, date de l'événement. Mais
de combien de temps la composition du livre (ou du
noyau primitif) a-t-elle précédé la découverte? Kuenen,
Reuss, Wellhausen et leurs partisans ne le font guère
remonter plus haut que 621. A leur sens, la trouvaille
n'a été ni fortuite ni imprévue; elle a été préméditée
et faite à dessein. Le nouveau code avait été fabriqué
en vue de préparer une réforme qu'on voulait' intro-
duire, et la scène de la découverte organisée pour
impressionner le roi. Comme dans le code les idées
prophétiques sont associées aux pratiques rituelles,
on y reconnaît une sorte de compromis entre le parti
des prophètes et celui des prêtres, une transaction
faite par les tenants des deux tendances divergentes de
l'époque ou, puisque la part de sacerdoce y est peu con-
sidérable, le programme religieux et politique du parti
prophétique, un produit et un résumé de l'enseigne-
ment des prophètes, un précipité et une cristallisation
de leurs vues et de leurs espérances. Colenso el Renan
en rapportaient la rédaction à Jérémie. La législation
est remplie de son esprit; on y remarque ses idées et
son style. Pour d'autres, si elle n'est pas de lui, elle
est au moins de son temps; elle en reflète l'esprit et
en a le ton. Cependant, tout un groupe de critiques
rejette l'hypothèse d'une fraude pieuse et de la fabrica-
tion intentionnelle du Deutéronome. Ce code avait réel-
lement disparu de la circulation et il était entièrement
inconnu, sous le règne de Josias. Sa disparition n'a
pu avoir lieu qu'à une épo que où l'idolâtrie était ré-
pandue en Juda : ce qui convient bien au règne de
Mariasse. Toutes les idées, d'ailleurs, se rapportent à
un temps de réaction contre cette idolâtrie, introduite
parAchaz. Le Deutéronome a donc été rédigé au cours
du vin" siècle sous Ezéchias et Manassé et perdu dès la
lin de ce siècle, du temps de Manassé. Mais il a pro-
bablement été plutôt composé sous ce prince par réac-
tion contre sa politique el son infidélité, et en vue
d'une future réforme. Il ne fut pas répandu dans le
public, et peut-ilrc n'en exista-t-il qu'un seul exem-
plaire. La longueur du règne retarda la réforme proje-
i lit oublier le programme, secrètement élaboré.
Quelques-uns toutefois pensent qu'il servit déjà de
base à la réforme d'Ézéchias, II (IV) Reg., xvm, i-6,
ou même à celle de Josaphat. II Par., xvn, 9. Kleinert
disait que le Deutéronome avait été rédigé à la fin de
l'époque des Juges pour obvier à l'anarchie religieuse
qu'avait produite alors l'absence de tout code écrit.
Cf. E. Mangenot, L'authenticité mosaïque du l'enta-
teuque, Paris, 1907. |». 96-131.
Toutes ces théories si diverses n'ont de commun que
le rejel de l'authenticité mosaïque du Deutéronoiw
abandon de l'origine mosaïque de ce livi st-il fondé?
IV. Ai tiii.ntk ni MOSAÏQUE. — /. PRBOVB8 P08ITIVB8.
_ i • / , j .,. signagt du Deutéronome lui-même. —
Dans l'épilogue du livre, il est rapporté que Moïse, sur
le puiiii de mourir el prenant tes dernières dispositions,
remit aui prêtres el aui ancii n loi » qu'il
avait écrite, ixxi, 9, et leur ordonna de la faire lira
les sept ans ;m peuple assemblé, 10-13. Ayant
achevé d'écrire i les paroles de cette loi, dans un livi
il le fit déposer par les lévites auprès de l'arche < i ' ^ » 1
liance, U loi, qui ne contenait qui
655
DKI'TKItONOME
656
ceptes à observer, ne peut pas èlre le Pentaleiique en-
tier, comme le prétend l'abbé Troclion, Le Deutéro-
norne, Paris, 1887, p. 188. C'est le code, auquel le
c. wxi est rattaché; donc le Deutéronorne lui-même,
lia il leurs, Moïse présente le contenu de ce livre comme
une législation nouvelle qu'il promulgue au paysdeMoab,
iv, 1-8, 41-49; v, 1; xn, 1; xxvi, 16; xxvn, 1; xxvm,
1, 15. Nous avons déjà remarqué que le livre est dit une
loi, dont un" exemplaire devra être remis aux rois fu-
turs au début de leur règne, xvn, 18, 19, et les termes
de celte recommandation sont identiques à ceux de
Deut., xxxi, 12, 13. Cette loi, ou au moins une de ses
parties, devra être transcrite sur la pierre, lors du re-
nouvellement de l'alliance, xxvm, 1-8. Les malédictions,
portées contre les violateurs de cette législation nou-
velle, xxvm, 15, rappelées, xxix, 20, 21, 27, atteignaient
tous ceux qui n'observeraient pas « toutes les paroles
de cette loi, qui sont écrites dans ce volume, » xxvm,
58, qui forme le Deutéronorne. Moïse fit écrire le can-
tique, xxxi, 19, qui est reproduit, xxxn, 1-43, et il
rappela les bénédictions promises aux fidèles observa-
teurs des préceptes écrits de cette loi, xxxn, 46. Ce
livre législatif est donc de la main de Moïse, et l'épi-
logue, s'il n'a pas été rédigé par lui, a été au moins
écrit par son ordre. Cf. J. Brucker, L'Église et la cri-
tique biblique, Paris, s. d. (1908), p. 105-106.
2° Témoignage des autres livres de l'Ancien Testa-
ment. — Ce témoignage du livre lui-même est confirmé
par ce qui est raconté dans le livre de Josué. Le vo-
lume de la loi, que Josué doit connaître, méditer et
faire observer, Jos., i, 7, 8, répond à celui qui est
mentionné, Deut., xxvm, 58, d'autant mieux que les
termes de la recommandation divine se rapprochent
de Deut., xvn, 18-20; xxxi, 7, 23. L'alliance est renou-
velée, Jos., vin, 30-35, conformément aux ordres donnés
par Moïse dans le volume de sa loi, Deut., XXVIII, 58,
avec les bénédictions et les malédictions indiquées,
xxvn, 12-26. Le volume de la loi de Moïse, dont Josué,
avant de mourir, recommande d'observer les prescrip-
tions, est, d'après les expressions employées, Jos., xxin,
■6, celui que Dieu lui avait ordonné de faire pratiquer,
I, 7, 8. On comprend fort bien que Josué, le successeur
immédiat de Moïse, ait eu 5 cœur de recommander
spécialement au peuple la législation que son prédé-
cesseur avait promulguée et écrite pour ce peuple,
lorsqu'il était sur le point de pénétrer dans le pays de
Chanaan. Cf._.l. Drucker, op. cit., p. 111-112.
Les recommandations de Josué ne semblent pas avoir
été fidèlement observées. L'époque des Juges fut un
temps d'anarchie religieuse, durant lequel, faute de
roi, chacun faisait ce qui lui semblait bon. Jud., xvn,
6; XXI, 24. David mourant recommande à Salomon
d'observer les préceptes divins, consignés dans la loi
de Moïse, I (III) Reg., II, 3, et les termes qu'il emploie
sont ceux du Deut., vi, 1; vu, 11. Amasias,:faisant périr
les meurtriers de son père, épargna leurs enfants
« selon ce qui est écrit dans la loi de Moïse où Jéhovah
donne ce commandement. » II (IV) Reg., xiv, 6. Or
cette prescription se trouve Deut., xxiv, 16. La plupart
des rois d'Israël et de Juda furent infidèles et ne firent
pas observer les prescriptions du Deutéronorne. Ainsi
Jéhu ne marcha pas de tout son cœur dans la loi de
Jéhovah, II (IV) Reg., x, 31; ce qui est une expression
particulière au Deutéronorne. Le livre lui-même fut
perdu et retrouvé dans le temple sous Josias. II (IV)
Reg., xxn, 8 -xxiii, 25. Le prêtre juif qui fut envoyé aux
tribus assyriennes, exportées à Samarie, pour leur en-
seigner le culte de Jéhovah, leur recommande d'obser-
ver une loi écrite et de ne plus adorer les idoles,
Il (IV) Reg., xvn, 34-39, en des termes qui sont les
expressions caractéristiques du Deutéronorne. Daniel
parle de la loi divine, promulguée par les prophètes,
violée par Israël, écrite dans le livre de Moïse, qui
contient des malédictions et des serments, ix. 9-13, et
sa description convient au Deutéronorne, dont le code
est suivi de malédictions contre les violateurs de la
loi. Esdras et Néhémie, dans la question des mari
avec les étrangers, s'appuient sur le Deutéronorne.
I Esd., ix, 1, 12, et Deut.. vu. 3; II Esd., xm,1, 3. et
Deut., xxiii, 3. Le prophète Malachie, m, 22, désigne
le Deutéronorne comme la loi de Moïse. Les expressions
employées sont strictement deutéronorniques, Deut.,
iv, 44; v, 28; xn, 1; xxv, 16, et l'IIoreb est donné
comme le théâtre de la promulgation de cette loi.
Cf. Deut., i, 6; iv, 10, 15; v, 2; ix, 8: xvm, 16. D'ail-
leurs, on a constaté sa dépendance vis-à-vis du Deuté-
ronorne. Mal., i, 8, et Deut., xv, 21; Mal., n. 16. et
Deut.,. xxiv, 3, etc. Voir A. Van Hoonacker. Les O
petits prophètes, Paris, 1908, p. 700, 701, 710. Le can-
tique, Deut., xxxi, est cité, II Mach., vu, 6, connue
l'œuvre de Moïse.
3° Témoignage du Nouveau Testament et de la tra-
dition chrétienne. — Saint Pierre, parlant aux Juifs
au temple de Jérusalem, cite Deut., xvm, 15, comme
parole de Moïse. Act., ni, 22. Plusieurs Pères de
l'Église, nous le verrons dans l'article suivant, ont en-
tendu strictement de la prophétie messianique. Deut.,
xvm, 15, la parole de Noire-Seigneur : « Moïse a écrit
de moi, » rapportée par saint Jean, v, 46. D'ailleurs,
ils ont tous tenu le Pentateuque entier pour l'œuvre
de Moïse. Quelques-uns ont eu l'occasion d'affirmer
spécialement l'origine mosaïque du Deutéronorne.
Saint Hippolyle commente dans ce sens Deut., xxxi,
9, 24-25. Achelis, Arabische Fragmente zum Penta-
leuck, dans Hippolyius, Leipzig, 1897, t. i, p. 118.
Saint Ambroise affirme que Moïse a écrit le Deutéro-
norne. In ps. cxvm, serm. il, n. 13, P. L., t. xv,
col. 1214. Saint Grégoire de Nysse, cité par Euthymius,
Panoplia dogmatica, part. I, tit. vin, P. G., t. cwx,
col. 260, affirme que Moïse a écrit le Deutéronorne.
Saint Jérôme énumère les cinq livres de Moïse, dont
le cinquième est le Deutéronorne. Epist., cxi., n. 2,
P. L., t. xxn, col. 1167. Saint Augustin voit les cinq
livres de Moïse figurés par les cinq pierres que David
prit dans le torrent pour armer sa fronde. Serm.,
xxxi, c. v, vu, P. L., t. xxxvm, col. 198, 199, et dans
les cinq portiques de la piscine de Bethsaïde. Serm.,
cxxiv, c. ni, ibid., col. 687. Le pseudo-Athanase, Epist.
ad Marcellin., n. 5, 32, P. G., t. xxvn, col. 17, 20, 14.
qui est du IVe ou du vc siècle, rappelait que Dieu avait
ordonné à Moïse d'écrire un cantique et le Deutéro-
norne tout entier. L'auteur de la Synopsis Scripturx
sacrœ, attribuée à saint Athanase, n. 9, P. G., t. xxvm,
col. 308, dit que Moïse a écrit le Deutéronorne; il est
du commencement du vie siècle. Procope de Gaza dé-
clare expressément que le Deutéronorne. résumé des
livres précédents, est de la main de Moïse. In Deut.,
P. G., t. i.xxxvn, col. 893-894. Junilius sait de la tradi-
tion des anciens que Moïse a écrit les cinq premiers
livres historiques de l'Ancien Testament, bien que
leurs titres ne mentionnent pas son nom. De partions
divinx legis, 1. I, c. vm, P. G., t. i.xvin, col. 28.
Cf. Kihn, Theodor von Mopsuestia und Junilius Aftgr
canus als Eregeten, Fribourg-en-Brisgau, 1880, p. 180.
Saint Isidore de Séville connaît même le temps que
Moïse mit à rédiger ce livre. Qusest. in V. T., in Deut.,
i, 2, P. L., t. lxxxiii, col. 359.
4° Témoignage des Juifs et des rabbins. — L'histo-
rien juif Josèphe, qui était palestinien d'origine et
vivait au Ier siècle de notre ère, attribue explicitement
au législateur hébreu le récit même de son trépas qui
termine le Deutéronorne. Ant. jud., IV, vin. 48. Philon,
juif helléniste du même temps, rapporte comme une
merveille que Moïse, sur le point de mourir, fit par
inspiration divine le récit prophétique de sa mort.
De vila Mosis, I. III, Opéra, Genève. 1613, p. 538. Ce-
657
DEUTERONOME
G58
pendant les Juifs de Babylone attribuaient à Josué huit
versets de la loi, les huit derniers qui racontent la
mort de Moïse; le Pentateuque entier était de Moïse
lui-même. Talmud de Babylone, traité Baba Balhra.
Tel était aussi le sentiment de Rabbi Juda. Cf. traité
Makkoth, fol. 11 a; traité Menachoth, fol. 30 a. Mais
une autre beraïtha du même traité Baba Bathra,
c. Kama, relate l'opinion de Rabbi Siméon, suivant
laquelle il ne pouvait manquer une seule lettre au
livre de la Loi; aussi ce rabbin concluait-il que jusqu'à
Deut., xxxiv, 4, « Dieu dictait, Moïse répétait et écrivait;
à partir de là, Dieu dictait et Moïse écrivait en pleu-
rant. » L. Wogue, Histoire de la Bible et de l'exégèse
biblique jusqu'à nos jours, Paris, 1881, p. 21-23;
G. Wildeboer, De la formation du canon de l'A. T.,
Irad. franc., Lausanne, s. d., p. 44. Au xme siècle,
Rabbi Becchai enseignait encore que Moïse avait écrit
la Loi depuis le premier mot de la Genèse jusqu'au der-
nier du Deutéronome. Au xve, Abarbanel rejetait le
sentiment d'Abenesra qui attribuait à Josué les douze
derniers versets de la Loi. Cf. Richard Simon, Critique
de la Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques d'E. Du-
pin, Paris, 1730, t. ni, p. 215-220. Remarquons qu'au-
cun écrivain ecclésiastique, sauf Origène, Cont. Celsum,
1. II, n. 54, P. G., t. xi, col. 88i, n'a admis l'opinion de
ces rabbins. L'authenticité mosaïque du Deutéronome
n'exige pas que Moïse ait écrit les huit ou les douze
derniers versets de ce livre. Cette opinion inadmissible
doit être laissée au compte des rabbins.
5 Le contenu du Deutéronome répond bien au.r
nstances de la rédaction de ce livre par Moïse.
— 1. Souvenir et influence de l'Egypte. — .Moïse rap-
pelle souvent à ses auditeurs leur séjour en Egypte et
i) en parle comme d'un événement important qui doit
exercer une inlluence considérable sur leur conduite.
Les maux que les Israélites ont endurés en ce pays, ne
les frapperont plus; ils sont réservés à leurs ennemis,
vu. 15. Ils sont donc une cause de confiance en l'ave-
nir et Dieu quia frappé: de grandes plaies les Égyptiens,
oppresseurs de son peuple, saura frapper de même
les adversaires futurs d'Israël, [6-24. Parce que les
Israélites ontété étrangers en Egypte, ils doivent aimer
les étrangers, x, 19. Parce qu'ils ont été esclaves dans
ce pays, ils sont tenus de traiter favorablement leurs
esclaves, XV, 15. Pour la même raison, ils doivent être
justes envers les étrangers, les veuves et les orphelins
et leur permettre le glanage et le grapillage, wiv, 17-22.
Ils ne doivent pas haïr les Egyptiens, bien qu'ils aient été
esclaves chez eux, xxiii, 7. La sortie d'Egypte, favorisée
par Dieu et provoquée par il. - miracles manifestes, est
rappelée à tout instant, i, 27, 30; iv, 20, 34, 37; v, (i,
).-.: m, 13, 21-23; vu, 8, 18, 19; vin. Il; ix, 12, 26;
\i. •-'. 3, 10; xiii, 5, l(i. \\, I , XXIV, 9; x\v, 17; xxix, ~1.
3, 16. Ce souvenir est invoqué comme nn pressant mo-
tif d'être fidèle à Dieu, d'obéir à ses préceptes et de se
fl< r i lui. Les violateurs de la loi divine seront punis
de la plaie d'Egypte, xxviu, 27, 60, et seront ramenés
68. L'institution de la Pàque el de la Pente-
côte est rattachée à la délivrance de cette servitude dont
la Pftque est l'anniversaire, xvi, 1-8, Ce souvenirdevra
transmis aux descendants des Israélites, xxvi, 5-8.
le roi futur ne devra pas ramener son peuple en
pte, xvn, 16. i n écrivain, postérieur aux événe-
plusieurs siècles, a'anrail pas eu ces toave
nin si présents à la pensée el il n'aurail pu espérer
ut pu être, a une époque tar-
dive, un motif ni fort et si pn ant d'i Ira Bdèleà Dieu
tes II fallait plutôt que ||
pour faire impression.
D autre part, di fptiena ..,,1 mentionnés
auteur. Le paj d iaa ae ressemble pas i
pte, où on irn. ,,. ,m
pécial d'arrosage, xi, 10. Moïse Inslitui
Soterhn, xx, 5, dont le nom ressemble à celui des
scribes égyptiens. Il applique à certains délits la peine
de la bastonnade, infligée à la mode égyptienne, xxv, 2.
Les pierres, enduites de chaux, sur lesquelles on devra
écrire le texte de la rénovation de l'alliance avec Dieu,
xxvil, 1-8, rappellent une des manières dont les Égyp-
tiens écrivaient. Ces imitations des usages de l'Egypte
supposent un écrivain ayant habité ce pays, et
empruntant ce qui s'adaptait à la législation nouvelle
qu'il donnait à son peuple.
2. Souvenir du se jour de quarante ans dans le désert.
— C'est le 1er jour du 11e mois de la 10e année du séjour
au désert que Moïse commence à promulguer sa nou-
velle loi, i, 3; iv, 44-49. Or, ses discours sont remplis
du souvenir d'événements accomplis durant cet inter-
valle, depuis le passage de la mer Rouge, i, 20; xi, 4, et
la législation donnée au Sinaï jusqu'à l'arrivée dans les
plaines de Moab, i, 6-m, 29; iv, 3, 10-14; v, 2-31; vin,
2-4, 15, 16; ix, 7-x, 11; XI, 5-7; xvm, 16-19; xxm, 4-6;
xxiv, 9; xxv, 17, 18. Tous ces souvenirs des bienfaits
et des châtiments divins avaient pour but de pousser
les Israélites à l'obéissance et à la fidélité envers un
Dieu, à la fois si bon et si sévère. Israël devra agir à
l'égard des peuples conformément à leur conduite
respective à son égard durant le séjour au désert. Ces
souvenirs, comme ceux d'Egypte, ne pouvaient être si
vifs que pour un contemporain; ils ne devaient faire
impression que sur des contemporains. A la distance
des temps ils auraient perdu et de leur fraîcheur et de
leur efficacité.
3. Exhortation el législation données avant l'entrée
au pays de Chanaan. — Le Deutéronome tout entier
est écrit en vue de la mise en possession de la Terre
promise. La promesse, faite aux patriarches, est fréquem-
ment rappelée pour exciter la confiance en Dieu et
encourager à la pratique de la foi par motif de recon-
naissance, vi, 3, 23; vu, 8, 12, 13; vin, 1; ix, 5,28; x,
11; xi, 9; xix, 2; XXVI, 3, 15; xxvn, 3; xxvin, il; xxxi,
7, 20. Dieu donnera ce pays à Israël, non à cause des
mérites de ce dernier, mais par amour, ix, 4-6. La
confiance en Dieu est excitée aussi par le rappel de
l'engagement pris par Jéhovah d'aider son peuple à
vaincre les tribus chananéennes, iv, 38; VI, 18, 19; vu,
I, 7, 19-21; ix, 1-3; xi, 23; xn, 29; xix, 1; xxv, 19;
xxxi. 3, 4. Diverses mesures sont prises pour assurer
cette possession par la conquête. Les tribus de Ruben
et de Gadet la demi-tribu de Manassé, établies à l'est du
Jourdain, ont l'ordre d'aider les autres tribus à con-
quérir la partie occidentale de la région, III, 18-20. La
mission est confiée à Josué d'introduire Israël en cette
contrée, ni, 21-28; xxxi, 7. L'ordre est donné d'extermi-
ner les tribus vaincues, parce qu'elles sont idolâtres.
XIII, 15. L'alliance avec Dieu devra être renouvelée sur
le mont Garizim, xi, 29-31; xxvn,2-26. La loi est portée
précisément pour l'époque de l'occupation du pays con-
quis, vi. 1, ni; vu. I, in, 16; xn, 1,9, 10; xv, 7; xvi, 20;
xvin,9; xix. 2, 10, l i . xxi. I, 83; xxiv, i; xxvi. 1, 9,
15; x\xi. 13. En particulier, la loi du culte est établie
pour le lieu unique, que Dieu aura choisi et désigni
a cette lin dans le pays, une fois occupé, XII, 11,14, 18,
21,26; xvi. II. I(i. xvil. 8; xxxi. II. L'exhortation tend
à faire pratiquer la loi dans le paya, que l'on va conquérir,
iv, l. :.. r,. m, v. 31, 38; w, 18, 80-85; vui, 1, 7-10.
Lea bénédictions divine! s. .ni assurées à Israël, s'il
observe fidèlement cette loi en Palestine, v, 16; vu.
l 13; xv, 4; xxm, 20; xxv, 15; xxx, 16, 20. Dea menaces
de ruine lui sont fait il ne l'ob
iv, 86; vi. li. 15; mi, 80; xxvm, 52; xxx, 18;
xxxi, 16-20, Le 11 vre entier convient donc ans Israélites
sur le polnl de traverser le Jourdain pour s'emparer
,i,. [g i.rre promise à leurs ancêtres, Un écrivain,
rieur de plusieurs siècles, surail pu difficilement
imaginer constamment cette situation Bl v conformer
659
DEUTÉHONOME
660
toute sa rédaclion. Au lieu de prétendre qu'il a, parartifice
littéraire, fait parler Moïse rétrospectivement, comme
il aurait dû parler sur la rive orientale du Jourdain, il
est plus naturel de reconnaître que le législateur lui-
même a résumé la loi qui devrait régir son peuple en
Clianaan et a exhorté itérativement celui-ci à la prati-
quer. Tout donc dans le contenu du Deutéronome
concourt à confirmer la rédaction par Moïse lui-même
dans les circonstances historiques qui sont indiquées
au déhut du livre.
//. RÉPONSE AUX THÉORIES DES CRITIQUES. — 1° Le
Deutéronome n'est pas indépendant des livres précé-
dents. — 11 en dépend, au contraire, et pour l'histoire
et pour la législation. Les critiques le reconnaissent, à
leur manière, lorsqu'ils disent que l'auteur du Deutéro-
nome a connu et utilisé les documents élohiste et jého-
viste, soit à l'état isolé, Eet J, soit à l'état combiné, JE.
Voir les tableaux de Driver, Einleitung in die Littera-
tur des A. T., trad. Rothstein, Berlin, 1896, p. 73-76,
pour la législation, et p. 82-83, pour l'histoire. Mais,
en dehors des emprunts faits à ces prétendus documents,
on remarque dans le Deutéronome des indications de
faits et de lois, qui ne proviennent pas de E et de J. Il
y a au moins trois faits, qui sont dans ce cas et qu'on
trouve mentionnés cependant dans les livres du milieu
ou dans le document que les critiques appellent code
sacerdotal ou P. Ce sont le nombre des douze espions
envoyés au pays de Chanaan, i, 23; les 70 personnes
qui sont entrées en Egypte, x, 22; la matière (bois de
sittim) dont l'arche d'alliance était faite, x, 1 , 3. On peut
bien, pour les besoins du système, supposer qu'ils étaient
déjà rapportés dans des fragments perdus de l'histoire
élohiste ou jéhoviste. Il reste vrai qu'ils font partie des
livres actuels, dits du milieu, et il est légitime de
conclure qu'ils leur ont été empruntés. La législation
deutéronomique a aussi des traits, qui n'ont leur
pendant ni dans le décalogue ni dans le livre de
l'alliance, mais qui se remarquent dans le soi-disant
code sacerdotal. Assurément les critiques rapportent
la plupart à la loi de sainteté, 11, Lev., xvii-xxvi, qui,
selon eux, a été insérée dans le code sacerdotal. Il est
d'autres détails toutefois, dont le plus remarquable
concerne les animaux purs et impurs. Deut., xiv, 3-20;
Lev., xi, 2-22. Cf. Deut., xn, 29-32, et Num., xxxm, 52;
Deut., xiv, 22-29, et Num., xvm, 21-32; Deut., xv, 19-23,
et Num., xvm, 17; Deut., xvi, 1-17, et Num., xxvm,
xxix; Deut., xvm, 1-8, et Lev., vu, 32-34; Num., xvm,
1-20; Deut., xix, 1-13, et Num., xxxv; Deut., xxn, 12, et
Num., xv, 37-41; Deut., xxm, 10-15, et Num., v, 1-4;
Deut., xxm, 22-24, et Num., xxx, 3; Deut., vu, 2-4, 16,
et Num., xxxm, 55; Deut., vu, 6; xiv, 2, 21; xxvi, 19;
xxvm, 9, et Lev., xi, 44; Num., xv, 40; Deut.,
xvi, 4, et Num., ix, 12; Deut., xvn, 6; xix, 15,
et Num., xxxv, 30. Ou bien, on n'en tient pas compte,
ou bien on observe que ces points communs ne sont
rien en comparaison des prétendues divergences qu'on
signale entre les deux législations. Cependant des
critiques, comme Dillmann et M. Bruston, pensent que
le code sacerdotal est antérieur au Deutéronome et lui
a servi de source. Bruston, L'histoire sacerdotale et le
Deutéronome primitif, Paris, 1906, p. 28-40. Si on
n'admet pas la distinction des documents du Penta-
teuque, on conclura légitimement de ces faits que les
livres du milieu ont précédé le Deutéronome. L'omission
des lois sacerdotales et lévitiques se comprend suffi-
samment dans un code populaire, qui n'a rien de rituel
et n'est pas destiné aux prêtres. Moïse n'a pris dans la
législation antérieure que les dispositions du droit qui
convenaient aux particuliers. Cf. F. de Hummelauer,
Deuleronomium , Paris, 1901, p. 149-151; J. Brucker,
op. cit., p. 173-175.
2° L'uiixié du Deutéronome exige un seul auteur.
— Le Deutéronome donne l'impression d'un écrit
d'une seule et unique inspiration, produit tout entier
d'un seul jet. Le même but y est poursuivi d'un bout
à l'autre; l'esprit et la langue sont partout identiques,
tellement que les critiques, tout en découvrant des
mains différentes, reconnaissent qu'elles sont d'écri-
vains de la même école, qu'ils appellent deutérono-
miste. Mais leurs dissections du texte ne s'imposent
pas. Outre qu'elles ne se rencontrent pas dans les ré-
sultats soi-disant acquis, elles sont faites sur le texte
massorétique, qui est altéré en divers endroits, et elles
ne réussissent pas à entamer sérieusement l'unité du
livre. Kuenen a admis longtemps l'unité du discours
parénétique, v-xi, avec le code, xii-xxvi, et Dillmann
l'a péremptoirement établie ainsi que celle des c. xxvn-
xxxi. Numeri, Deuterononium und Josua, 2e édit.,
Leipzig, 1886, p. 263 sq. Ce grand discours forme, en
effet, une introduction au code, une exhortation pro-
longée à observer un code, reproduit plus loin. Or. il
est difficile d'admettre qu'elle a été composée après ce
code, qui en était indépendant, comme un supplément
parénétique. L'exhortation avec ses références conti-
nuelles à une législation, avec ses reprises perpé-
tuelles, suppose plutôt, comme cela est attesté d'ail-
leurs au c. iv, que l'orateur vise une législation, qu'il
a présente à l'esprit, qui était connue de ses auditeurs
et dont il se propose de faire un résumé. Si ses audi-
teurs ne l'avaient pas connue déjà, l'exhortation à
observer une loi, dont l'orateur recule sans cesse
l'énoncé, aurait été insupportable. Joignez à cela que
le ton parénétique se retrouve encore dans le code
lui-même et que les motifs de pratiquer les ordon-
nances promulguées s'ajoutent au texte du code.
D'autre part, les quatre premiers chapitres du Deuté-
ronome n'ont pas une origine distincte des c. v-xxvi;
ils présentent avec eux une unité de conception et de
style, qui en font un préliminaire obligé du corps
même du livre. M. Van Hoonacker l'a solidement
prouvé. L'origine des quatre premiers chapitres du
Deutéronome, dans Le Muséon, Louvain, 1888, t. vu,
p. 464-482; 1889, t. vm, p. 67-85, 141-149. F. Montet
admet aussi l'unité des c. i-xxvi. xxvm-xxx. Le Deuté-
ronome et la question de V Hexaleuque, Paris, 1891,
p. 49-116. Pour l'identité du style dans toutes les par-
ties, voir F. de Hummelauer, Deuteronomium, Paris,
1891, p. 110-135. Cf. Josue, Paris, 1903, p. 57-60. Les
derniers chapitres, formant épilogue, ont pu être
ajoutés par une autre main, sans que ni l'unité du
livre ni sa rédaction par Moïse en soient atteintes.
3» Les dates diverses, proposées par les critiques,
ne sont pas démontrées. — Les Pères de l'Église ont
justement remarqué que le livre, retrouvé au Temple
de Jérusalem sous le règne de Josias, était le Deuté-
ronome. Le pseudo-Athanase, Epist. ad Marcellinum,
n. 32, P. G., t. xxvn, col. 4i; S.;Jérôme, AdvcrsusJo-
vinianum, 1. 1, n. 5, P.L., t. xxm, col. 217; Comment.
in Ezech., i, 1, P. L., t. xxv, col. 17; S. Chrysostome,
In Matth., homil. ix, n. 4, P. G., t. lvii, col. 181;
Jn 1 Cor., homil. vu, n. 3, P. G., t. i.xi, col. 58;
Procope de Gaza. Comment, in Deut., xvn, 18, P. G.,
t. lxxxvii, col. 916. Or, ce livre ainsi retrouvé com-
prenait au moins les c. v-xxvi et le c. xxvm. En effet, la
réforme de Josias, faite conformément au code retrouvé,
concernait non seulement l'abolition des cultes étran-
gers et de leurs infiltrations dans le culte de Jéhovah,
la centralisation du culte au temple de Jérusalem et la
célébration correcte de la fête de Pâque, trois points
spécialement recommandés par le code proprement
dit, niais aussi la rénovation de l'alliance, signalée v,
2,3; xxvi. 17-19. Cf. F. de Hummelauer, Deuterono-
nium, p. 46-60, 83-87. D'autres rapprochements entre
le Deutéronome et II (IV) Reg., xxu. 8-xxiH, .23, con-
firment cette conclusion. Cf. E. Mangenot, L'authen-
ticité mosaïque du Penlateuque, p. 117-118. D'autre
661
DEUTERONOME
662
part, le fait de cette découverte ne prouve pas l'origine
récente du livre. Le code en particulier doit être bien
antérieur à l'époque à laquelle on le rapporte. Plu-
sieurs de ses dispositions, telles que la loi militaire,
xx, 2-8 (à la veille de la bataille de Mageddo), la re-
mise des dettes à l'année sabbatique, xv,l-9, la distinc-
tion des animaux purs et impurs, xiv, 3-21, et les im-
puretés légales, xxni, 9-14, ne sont pas appropriées à
la situation et aux conditions du règne de Josias.
P, Martin, De l'origine du Pentateitque (lithog.), Paris,
1887-1888, t. n, p. 243-270. Du reste, si le code avait
été fabriqué en vue de la réforme à procurer, il n'au-
rait contenu que les lois réformatrices. Or, le Deuté-
ronome contient beaucoup d'ordonnances, qui n'ont
aucun rapport avec ce projet. Ce manque d'adaptation
ne permet pas de voir dans le code le programme,
exactement défini et rédigé par écrit, du parti prophé-
tique. C'est une hypothèse sans fondement de dire
qu'ayant échoué une première fois sous Ézéchias, faute
d'un code écrit, ce parti, instruit par l'expérience et
voulant réagir contre les abus du règne de Manassé,
présenta à Josias un code rédigé. Il a bien tardé, en
attendant jusqu'à la 18= année de ce roi pieux ; il eût
pu commencer plus tôt, si la découverte du livre
n'avait été réellement fortuite. Si Jérémie en avait été
l'auteur, il eût pris part à la réforme qui suivit la dé-
couverte, ce qui n'apparaît pas dans le récit du livre
des Rois. D'ailleurs, il était bien jeune à cette époque,
et s'il a pris l'esprit et imité le style du Deutéronome,
c'est qu'il avait été frappé de l'importance du code,
récemment retrouvé, et s'en était fait le champion en
Juda.
Les autres dates, proposées en dehors de l'origine
mosaïque, dépendent de la théorie documentaire et
des vues qui en résultent sur le développement de la
religion chez les Israélites. Elles n'ont plus de fonde-
ment, si l'on n'admet pas les prémisses sur lesquelles
elles reposent. Si le Deutéronome était égaré depuis
longtemps, on comprend qu'il n'ait pas exercé d'in-
lluence sur les prophètes du vuie siècle qui ne le con-
naissaient pas, tout en étant animés du même esprit,
du véritable esprit mosaïque, et qu'il n'ait pas non
plus été observé. D'ailleurs, la non-observation d'une
loi ne prouve pas la non-existence de celte loi. Le code
deutéronomique a été violé, avant de s'égarer, et il n'a
pu èlre perdu di vue, que parce qu'on ne pratiquait
plus ses prescriptions. D'autre part, nous avons dit
précédemment, col. 655, que le livre ('tait connu de
l'auteur du livre dea Rois et du livre de Josué. Comme
les caractères intrinsèques, rappelés plus haut, col. I>Ô7-
659, conviennent parfaitement à l'époque de Moïse,
rien ne s'oppose à ce que nou^ attribuions le Deuté-
ronome à (" législateur lui même. Cf. P. Martin, De
l n, ujoie du Pentateuque lithog.), Paris, 1886-IS87.
t. i, p. 295-609; -I. Brucker, op. m., p, 183-189.
\. Doctrine. Le Deutéronome esl plus qu'un code
de lois. Dans toutes ses parties historiques, parénétiques
et législatives, il énonce une doctrine dogmatiq I
m<.i aie très i levée.
I Dogme II profe^-. le monothéisme le plus
absolu Le Dieu d [srai 1 est le seul Dieu el Seigneur,
vi. i II est le l'on des dieux, le Seigneur dea seigneurs,
le lueu grand el puissant el terrible, juste aussi, ne
faisant pat acception des personnes, el bon, x. 17, 18.
m 'i" toutes chi I ne faut-il ado
initie de ses créatures, le ciel, le soleil, la lune,
n'en faire aucune Image, de peur
mbei dans i idolâtrie, 18 18. Les Israélites devront
don< • nananéenm -. un, 2,
interdiction de foin aui uni Image de Dit u
I affli mation di • ipiritualité. Il fan) adorer 1 1 iei vii
Dieu seul, » 20 L< Dieu unique est le maître de toutes
il aurai) pu mettre Moïse ■• la tête
d'un peuple plus grand qu'Israël, ix, 4. Il a le pouvoir
sur la matière et il fait des prodiges qui témoignent de
sa toute-puissance. Moïse rappelle souvent les miracles
accomplis en Egypte pour tirer Israël de la servitude.
Etre spirituel, il n'a pas de forme sensible, il s'est ma-
nifesté seulement au milieu des éclairs et du tonnerre
et a fait entendre sa voix, iv, 11, 12; et il ne s'est pas
montré au peuple sous une apparence extérieure, de
crainte d'être honoré par lui sous forme d'idole, 13. Il
est fidèle et immuable; il a tenu les promesses qu'il
avait faites aux patriarches; par fidélité encore il don-
nera aux Israélites la terre de Chanaan, qu'il a promise
à leurs pères et à eux-mêmes. Il observera l'alliance
contractée avec eux et il donnera ses faveurs à ceux qui
l'aiment et qui pratiquent ses commandements, jusqu'à
mille générations, vu, 9. U garde sa parole même à
l'égard des étrangers; aussi interdit-il aux Israélites de
conquérir l'Idumée, qu'il a donnée aux fils d'Ésaii, II, 5.
liien qu'il soit le Dieu du monde entier, Jéhovah a
cependant des rapports particuliers avec Israël, qui est
son peuple spécialement choisi, vu, G; XIV, 2; XXVI,
18. Dans le désert, il l'a porté comme un père porte
son petit enfant sur le chemin qui l'amenait aux rives
du Jourdain, i, 31; il l'a instruit comme un homme
instruit son fils, vin, 5. Les Israélites sont donc les
enfants du Seigneur, leur Dieu, XIV, 1. 11 aimait déjà
leurs ancêtres, et il les aime eux-mêmes, iv, 37; vu,
8; xxiii, 5. S'il a choisi Israël pour son peuple spé-
cial, ce n'est pas à cause de sa grandeur extérieure,
puisqu'il est inférieur en nombre à tous les peuples,
mais par amour, vu, 6-8. S'il lui assure la possession
du pays de Chanaan, ce n'est pas en considération de sa
justice propre, puisqu'au contraire il a été infidèle à
son Dieu, IX, 6-24; c'est par fidélité à la parole donnée
aux ancêtres, vu, 8; ix, 4, 5. Dieu, en effet, a contracté
une alliance avec les patriarches, iv, 31; vu, 12; vm,
18. Elle a été renouvelée avec leurs descendants à
l'Iloreb, v, 2, 3; ix, 9; xxix, 1, aussi bien qu'au pays
de Moab. Or, cette alliance ne suppose pas l'égalité
des contractants et n'a pas été conclue et consentie de
la même manière des deux côtés. Jéhovah l'a imposée
à Israël et en a dicté les conditions, qui ont été volon-
tairement acceptées. Le pacte ainsi conclu établit entre
les contractants une certaine égalité, qui consiste dans
l'obligation mutuelle de fidélité à la parole donnée. Dieu
tiendra ses promesses à l'égard d'Israël, si celui-ci est
fidèle aux obligations, qu'il a acceptées et qui le lient à
Dieu. Os obligations concernent l'observation exacte
des lois, imposée-- par Dieu à son peuple, IV, 13, 23;
xxix, 9; xxxiii. 9. Si Israël esl fidèle à l'alliance, Dieu,
qui l'a tiré de la servitude d'Egypte et qui va le mettre
en possession du pays de Chanaan, continuera à le
protéger; s'il la viole, il le châtiera, xi. 26-28. De celte
alliance découlent donc les devoirs qu'Israël a à rem-
plir à l'égard de son I lieu.
2 Morale. — La fidélité aux conditions de l'alliance
el l'observation des préceptes divins, de ceux du déi a
ni^i bien que ceux du code, qu'il soit d'ordre
il. rituel ou purement juridique, sont donc les pre-
miers devoirs d'Israël envers son Dieu. Cette obéissance
aux volontés divines attirera sur Israël la bénédiction
de Jéhovah et lui assurera le bonheur. Les formul
■ Pour que .léhovali. ton Dieu, te bénisse, <■ xi\. 24;
XV, i. 10; XVI, 10, 15, etc. : g Pour qu'il t'en arrive
du bien, afin que tu vives longtemps, » i\. i": v, 10
28, 29; m. 2, 8, 18; si, 9; in, 26, 28; un, 7,
viennent fréquemment comme motifs d'observer les
commandements Mal cet eudémonisme esl pei
lionne par des mot ils plu- désintéressés. Il ne faut pas
obéir par intén lent, ni par crainte, quoique
liment attende le coupable. Puisque Jéhovah
le bienfaiteui d'israi l et qu'il aime ton pi uple, M peuple
doit w montrer reconnai n Dieu et aimer t n
6G3
DEUTÉRONOME
GC4
retour celui qui l'aime. Dieu veut être aimé, parce que
lui-même aime. Aimer Dieu de tout son cœur, de toute
son âme, de toutes ses forces, est une recommandation
très fréquente et très caractéristique du Deutéronome,
vi, 5; x, 12; xi, 1, 13, 22; xni, 4; xix, 9; xxx, 6, 16,20.
Les vrais serviteurs de Dieu sont désignés par l'expres-
sion : « ceux qui m'aiment, » expression qui, par sa
fréquence et l'accent mis à son emploi, prend une signi-
lication spéciale et exprime le motif le plus élevé qui
puisse être donné aux actions humaines. Agir par
amour pour Dieu, telle est donc la suprême recom-
mandation que Moïse fait aux Israélites. Notre-Seigneur,
interrogé sur le premier et le plus grand commande-
ment de la loi, a cité celui du Deutéronome, vi, 5, qui
ordonne d'aimer Dieu de tout son cœur, de toute son
âme et de tout son esprit. Matth., xxn, 36-38; Marc,
xn, 28-30. Cf. Luc, x, 25-28.
Du reste, l'observation de la loi divine est facile.
L'Israélite n'a pas à s'enquérir au loin de la volonté de
Dieu. La loi lui est très accessible; elle est à sa portée,
et il peut sans difficulté la comprendre, la retenir, en
faire le sujet de ses discours et l'objet de sa pratique,
xxx, 11-14. Le Deutéronome lui-même est le statut, fixé
par Dieu. Les ordonnances sont promulguées, la loi
écrite, et il suffit de régler sur elle sa conduite, xxx,
15, 16. Cette loi n'est pas au-dessus des forces de l'Is-
raélite, et il peut aisément s'y conformer. Le particu-
lier doit l'apprendre pour son propre compte et l'en-
seigner à ses enfants pour qu'ils la suivent, VI, 6, 7,
19 ; cet élément pédagogique est très significatif. Moïse
indique souvent les raisons des institutions religieuses
d'Israël, pour qu'elles puissent être répétées aux en-
fants qui interrogeront leurs parents sur leur origine
et leur signification, vi, 20-25. Le roi futur d'Israël
devra lire le Deutéronome pour apprendre à servir
Dieu et à observer ses prescriptions, xvn, 18, 19.
Ce ne sont pas seulement les individus qui doivent
agir .d'après ces principes religieux et moraux; la vie
de la communauté elle-même doit être gouvernée par
eux. Israël est un peuple saint, vu, 6; xiv, 2; xxvi, 19,
à cause de ses relations avec Dieu, à cause du choix
dont il a été l'objet. Il doit demeurer digne de sa con-
sécration à Jéhovah et s'astreindre à des observances
particulières de pureté, même de pureté extérieure,
XIV, 1-21; xxiii, 10-15. La morale sociale se rencontre
encore dans ce qu'on appelle les ordonnances humani-
taires du Deutéronome. Ce code recommande souvent
la bienfaisance envers tous ceux qui sont dans le besoin,
à l'égard de la veuve, de l'orphelin, du pauvre, de
l'étranger, xn, 12, 18, 19; xiv, 27-29; xvi, 11, 14; xxiv,
17, 19-22; xxvi, 11-13, même pour l'esclave, xv, 13,
14; xxiii, 15, 16. Cette bienfaisance doit spécialement
s'exercer aux trois fêtes annuelles. Durant l'année sab-
batique, les produits spontanés du sol doivent être
abandonnés aux pauvres. Cette loi d'amour et de fra-
ternité inspire et pénètre tout le programme de vie
sociale que trace le Deutéronome. On recommande la
patience, et l'équité, xx, 5-11, 19; xxi, 10-14, 17; xxn,
8; xxiii, 25-26; xxiv, 5, 6, 16, 19-22; xxv, 3, l'humanité
à l'égard même des animaux, xxn, 7; xxv, 4. Nulle part
ailleurs dans l'Ancien Testament, on ne voit tant de
bienveillance envers les hommes. Une seule exception
est faite pour les idolâtres, qu'il ne faut pas tolérer en
Israël, XVII, 2-7. C'est par crainte de la contagion ido-
lâtrique que Dieu ordonna l'extermination des tribus
chananéennes, vu, 1-5, 16.
Cette doctrine monothéiste et celte morale spiritua-
liste s'allient aux actes rituels, aux fêtes, aux sacrifices,
à l'oll'rande des prémices, des premiers-nés et des
dîmes, et à une observance du culte. La religion lie
l'homme tout entier et embrasse le culte intérieur et le
culte extérieur. Même chez les Juifs, les pratiques de-
vaient être vivifiées par l'amour de Dieu. Cf. G. Stern-
berg, Die Ethik des Deuteronomiums, in-8°, Berlin,
1908.
VI. Commentaires. — 1» Pères. — Origène, Selecta
et homilix in Deuleronomium, P. G., t. xu, col. NJ.V
817; Théodoret, Quœstiones in Deuteronomium, P. G.,
t. i.xxx, col. 401-456; S. Augustin, Quœslinnes in
lleptateuchum (pour le Deutéronome), 1. V. P. L.,
t. xxxiv. col. 747-776; S. Isidore de Séville, Quœstiones
in V. T. Pentateuchum (pour le Deutéronome), P. /..,
t. i.xxxin, col. 359-370; l'rocope de Gaza, Comment.
in Deuteronomium , P. G., t. i.xxxvn, col. 893-992 ;
S. Bède, In Penlateuchum commentarii, lu br,it.t
P. L., t. xci, col. 379-394; pseudo-Bède, Qusesl<
super Pentateuchum (pour le Deutéronome], P. L.,
t. xcin, col. 409-416; Raban Maur, Enarrat. super Dent.,
P. L., t. cvm, col. 837-998; Walafrid Strabon. Glosta
ordinana (pour le Deutéronome], P. L., t. cxm, col. 445-
506.
2° A a moyen âge. — S. Bruno d'Asti. Expotitio in
Deuteronomium, P. L., t. clxiv, col. 505-550; Rupert
de Deutz, De Trinitale et operibus ejus, Liber in Deu-
teronomium, P. L., t. clxvii, col. 917-1000; Hugues de
Saint-Victor, Adnotationes elucidatoriee. in Pentateu-
chum (pour le Deutéronome], P. L., t. clxxv. col. 86;
Denys le Chartreux, Comment, in Pentateuchum (pour
le Deutéronome), Opéra omnia, Montreuil, 1897, t. n,
p. 519-721.
3° Aux temps modernes. — 1. Protestants. — Calvin
a commenté le Pentateuque entier; J. Gerhart (fl637 a
fait un commentaire sur le Deutéronome. Au xixe siècle,
Sehultz, Das Deuleronomium erklàrt, Berlin, 1859;
Knobel, Numeri, Deuteronomium und Josua, Leipzig,
1861; 2< édit., par Dillmann, 1886; Schroder, Das Deu-
teronomium, Bielefeld, 1866; 2e édit. par Stosch, 1902;
Keil, Leviticus, Numeri und Deuteronomium,'!' édit.,
Leipzig, 1870; trad. anglaise, Edimbourg, 1885 ; Oettli,
Deuleronomium, Josux und Richter, Munich, 1893;
Bertholet, Das Deuleronomium,Tubingue, 1899; Steuer-
nagel, Deuleronomium und Josua, Gœttingue, 1900.
En Angleterre, Howarth, The books of Numbers and
Deuteronomy, Cambridge, 1857 ; Cook, The Holy Bible,
Londres, 1877, t. n; Driver, Deuteronomy, Edimbourg,
1895; Harper, Deuteronomy, Londres, 1895 ; Alexander,
Deuteronomy, Londres, 1897; Maclaren, The Books nf
Deuteronomy, Londres, 1906. En France, E. Montet.
Le Deutéronome et l'tiexaleuque, Paris, 1901.
2. Catholiques. — En outre des commentaires sur le
Pentateuque entier de Cajelan (1531), de Jérôme
Oleaster (1566), de Corneille de la Pierre, de Corneille
.lansénius (1641), de Bonfrère (1625), etc., J. Lorin,
Commentarius in Deuteronomium, Anvers, 1625; Tro-
chon, Le Deutéronome, Paris, 1885; F. de Hummelauer,
Deuteronomium, Paris, 1901.
Monographies: E. Biehm, Die Gesetzgebung Mosis im Lande
Moab, Gotha, 1854; L.Reinke, L'berdas unterdem KonigeJosia
aufgef. Gesetzbuch, dans Beitràge mr Erklarung des A. T.,
1872, t. vin, p. 131 sq. ; Kleinert, Das Deuteronomium und die
Deuteronomiker, Bielefeld, 1872; G. d'Eichthal, Étude sue le
Deutéronome, dans Mélanges de critique biblique. Paris, 1886,
p. 81-350; M. Veines, Une nouvelle hypothèse sur la rompo-
• sition du Deutéronome, examen des vues M. G. d'Eichthal,
Paris, 1887; Horst, Études sur le Deutéronome. dans la Revue
de l'histoire des religions. 1887, t. xvi, p. 28-65; 1888, t. xvn,
p. 1-22; t. XVIII, p. 320-33'»; F. de Moor, La date et la compo-
sition du Deutéronome, dans la Revue des religions, 1891,
I. m, p. 223-252; A. Westphal, Le Deutéronome. Étude de crt-
tique et d'histoire, Toulouse, 1891; Staerk, Das Deuterono-
mium, sein Inhalt und sei)ie litterarische Form, Leipzig,
Steuernagel, Der Rahmen des Deuteronomiums. Halle, 1SÏ4;
M., Die Enstehung des deuteronomischeit Gezetses, Halle,
1896; O. Naumann, Das Deutoronomium, Gùtersloli, 18'.'7;
1 •'. .le Hummelauer, '/.uni Deuteronomium, dans les Bibltsche
Studien, l'ribourg-en-Brisgau, 1901, t. VI, p. 13 sq.
Wellhausen, Die Composition des Hexateuclis, 2* édit.,
Berlin, 1889, p. 189-210; A. Westphal, Les sources du Penta-
665
DEUTÉRONOME (PROPHÉTIE MESSIANIQUE DU)
666
leuquc. Paris, 1892, t. Il, p. 42-113; H. Holzinger, Einleitung in
den Hexateuch, Fribourg-en-Brisgau et Leipzig, 1893, p. 255-
331 ; Driver, Einleitung in die Literatur des aUen Testa-
ments, trad. Rothstein, Berlin, 1896, p. 69-108; Cornill, Einlei-
tung in das Alte Testament, 3" et 4" édit., Fribourg-en-Brisgau
et Leipzig, 1896, p. 20-36 ; G. Wildeboer, Die Literatur des
Alte Testament. 2' édit., Gœttingue, 1905, p. 173-189; H. Stracl;,
Einleitung in das Alte Testament. 6" édit., Munich, 1906,
p. 62-64; L. Gautier, Introduction à l'Ancien Testament,
Lausanne, 1906, t. I, p. 78-84, 154, 159-160, 165-166, 180-183: Id..
La loi dans l'ancienne alliance, Lausanne, 1908, p. 54-57. 92,
'.10. 117,118, 120.
E. Mangenot.
II. DEUTÉRONOME (PROPHÉTIE MESSIANIQUE OU).
— Elle se trouve, Deut., xvm, 15-19. Comme la Vulgate
rend exactement le texte hébreu et comme le Penta-
teuque samaritain et la version des Septante ne présen-
tent que des variantes insignifiantes, il suffira de
reproduire la traduction française de l'hébreu tout en
replaçant l'oracle dans son contexte immédiat.
Après avoir interdit aux Israélites d'avoir parmi
eux des devins et des augures de toute sorte, pareils à
ceux des tribus chananéennes, Moïse pour écarter plus
sûrement de son peuple ce qui est une abomination
aux yeux du Seigneur, annonce ce que Dieu lui-même
donnera à Israël en remplacement des devins de
Chanaan :
Jéhovah, ton Dieu, te suscitera du milieu de toi, d'entre tes
frères, un prophète tel que moi : vous t'écouterez. C'est ce que
tu as demandé à Jéhovah, ton Dieu, en Horeb, le jour de l'as-
semblée, en disanl : Que je n'entende plus la voix de Jéhovah,
min Dieu, et que je ne voie plus ce grand feu, de peur de mou-
rir. Exod., xx, in. Jéhovah me dit : « Ce qu'ils ont dit est
bien, .le leur susciterai d'entre leurs frères un prophète tel que
toi ; je mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout
ce que je lui commanderai. Et si quelqu'un n'écoute pas mes pa-
roles qu'il dira en mon nom, c'est moi qui lui en demanderai
compte. > Traduction de Crampon, La Sainte Bible, Tournai,
1V'i. t. I, p. 646.
Dieu oppose ensuite à ce prophète, qui parlera en
son nom, le faux prophète, qui mourra, parce qu'il
parle sans mission divine, 20. Il indique enfin les
signes auxquels on distinguera le vrai prophète du
faux, 2t. 22. — I. Ce passage est-il messianique?
II. Dans quel sens l'est- il?
I. Ce passage est-h. messianique? — L'existence du
sens messianique, littéral ou spirituel, d'un texte de
l \inien Testament doit, pour élre certaine, être attes-
p.ir les organes de la révélation divine dans le
Nouveau Testament et reconnue par la tradition ecclé-
siastique. Ces deux conditions se vérifient pour le pas-
sage qui nous occupe.
1 D'aprèt U ^oreau Testament. — Saint Pierre au
temple de Jérusalem, parlant aux Juifs des temps
messianiques, prédits par les prophètes, Act., m. 20,
21. cite, 22,2.1. ranime paroles de Moïse les versets !•">
et 19 du c. xvm du Deutéronome. Il entend bien prou-
ver par là qii" Ji ^ii^ est le Messie annoncé- sous les
trait- du prophète juif, semblable a Moïse, à qui il
fallait obéir sous peine d être exclu du peuple de Dieu,
qu'il voulait convertir ses auditeurs et les amener
tire pénitence, 19, il donne un argument qui doit
convaincant pour eux et qui prouve, s.m< conteste,
la messianité '!■ Jésus "r. l'argument, tiré du texte
deutéronotnique, pour être convaincant, suppose que
inl Pierre reconnaissaient le Messie
le prophète prédit par Moïse. Saint Pierre a donc
Intel texte conformément au sens qu'on lui
dont i il a consacré l'interprétation
" parmi i mporaina, qui, en effet, atten-
tif b pi l'M.. i. 21. au sujet duquel
• loi '■,., . I. '(■"> Cl l"-l . 'm. I i ,
mi. i [ linl Etienne semble bien confir r
mmum alors, lorsqni . en résumant i a
Il signale comme un trait
important que Moïse « a dit aux fils d'Israël : Dieu
vous suscitera un prophète, etc. » Act., vu, 37. L'inter-
prétation de saint Pierre prouve donc que le Messie
était certainement prophète, qu'il fallait lui obéir et que
ce caractère et cette obligation avaient été prédits par
Moïse.
2° D'après la tradition. — Beaucoup de Pères et
d'écrivains ecclésiastiques ont accepté et proposé cette
interprétation du passage deutéronomique. Plusieurs,
dont les témoignages seront rapportés plus loin, se sont
contentés de faire purement et simplement application
de ce texte à Jésus-Christ. Quelques-uns ont expressé-
ment exclu la série des prophètes d'Israël et ont
reconnu dans le prophète, semblable à Moïse, Jésus-
Christ seul. D'autres, qu'il faut citer ici, excluaient une
interprétation juive, qui entendait ce passage de Josuë,
le successeur de Moïse. Dans sa Disputatio cum Ma-
nete, 43, P. G., t. x, col. 1501, après avoir appliqué
au Messie cet oracle, Archélaiis affirme qu'il ne peut
pas être dit de Josué. Saint Grégoire de Nysse, cité par
Euthymius Zigabenus, Panoplia dogmatica, part. I,
tit. vin, P. G., t. cxxx, col. 260, disait aussi que le
prophète annoncé par Moïse ne pouvait être Josué. Il
doit ressembler à Moïse, le législateur; or Josué n'a
pas été législateur. D'ailleurs, Josué avait déjà été
depuis plusieurs années déclaré le successeur de Moïse,
et cela à dessein pour que les Israélites ne pussent pas
le prendre pour le prophète futur. Enfin le Deutéro-
nome, xxxiv, 10, dit qu'il n'y avait pas eu encore un
prophète semblable à Moïse, et cependant l'auteur de
cette affirmation connaissait Josué. Saint Augustin,
réfutant Fauste, rapporte que les Juifs de son temps
prétendaient que Josué, le successeur de Moïse, était
le prophète prédit dans le Deutéronome. Cette inter-
prétation faisait rire l'évêque d'Hippone; il y répondit
toutefois sérieusement. Il observe d'abord que le nom
de Josué a été changé, pour qu'il ne fût pas confondu
avec le véritable Jésus, qui conduit à la vie éternelle.
De plus, Josué n'a pas été semblable à Moïse; il lui a
été inférieur, et il n'a rien ajouté à la loi. Enfin, si
Moïse avait parlé de Josué, il aurait dit : Suscitavit,
et non pas : Siisrilabit, puisque son exaltation avait
déjà eu lieu. Conl. Faustum, 1. XVI, c. xix, P. L..
t. xi, u, col. 327-328. Saint Isidore de Péluse écrivit
une petite lettre pour réfuter un juif, qui reconnais-
sait Josué dans le prophète prédit par Moïse. Ce pro
phète devait être écouté en tout ce qu'il dirait : ce qui
ne peut convenir à Josué. Epiât., 1. III, epist. xciv.
/'. (',., t. i.xxvn, col. 797, 800. Procope de Gaza déclare
aussi que ce prophète ne peut pas être Josué'. Com-
ment, in Deut., P. G., t. i.xxxvn, col. 916. Ces Pères
excluaient donc catégoriquement l'application littérale
à Josué. Clément d'Alexandrie cependant l'avait admise,
mais en reconnaissant que Josué était la figure de
Jésus-Christ. Selon lui, Moïse annonce prophétique-
ment le Pédagogue, le Verbe, et il recommande de lui
obéir; il le fait en parlant de Josué, qui représente
Jésus, le. Fils de Dieu. Psed., I. I, c. vu. /». <'.., t. vin,
col. 321, 324. Le Vénérable Unie a soutenu un senti-
ment analogue. Quoique, selon l'histoire, ce passage
puisse être entendu de Josué, cependant c'est une pro-
phétie manifeste du Christ, qui esl un véritable pro-
phète, issu d'Israël. Joa., \, W. /" Penlattuch. com~
ment., Deut., c. xvi-xvm, P. L.,\ ici, eol.887.
Au moyen Âge, les rabbins Abencsra et liecchai con-
tinuaient à entendre de Josué l annonce, laite par Mofse,
d'un prophète, semblable à lui. Denyï le Chartreux ré
fuie encore Ce sentiment . //. I h ,, l ,..,,,, on i nui , .dans
"; tnia, Mon treuil, 1897, t. n, p. 600, 501 Parmi
itholiques, wuls Vatabla et Sa y uni (ait écho au
xvii" siècle, en voyant toutefois en Josué le type du
ne interpn tal i i té just< ment délai
car rien dans la prédiction ne convient aargi
6G7
DEUTÉRONOME (PROPHÉTIE MESSIANIQUE DU
008
seulement delà mission de conquérir la Terre promise.
Les exégètes catholiques et beaucoup de protestants
ont maintenu avec raison l'explication messianique.
II. F.N QUEL SENS ce passage est-il messianique? —
Cette prophétie est-elle exclusivement messianique, ou
comprend-elle tous les prophètes d'Israël, dont le Messie
est le dernier et le plus grand? Les exégètes ont sou-
tenu les deux sentiments.
1° Le prophète annoncé est le Messie seul, à l'exclu-
sion de tout autre. — La plupart des commentateurs
l'ont ainsi entendu et l'entendent encore ainsi. Ils fon-
dent leur sentiment sur les raisons suivantes.
1. L'application que saint Pierre a faite de cet oracle
au Messie seul et la croyance universelle des Juifs, au
temps deNotre-Seigneur, que le Messie ou le prophète
attendu allait venir, parce que l'époque messianique
devait bientôt s'ouvrir, montrent que ce prophète de
l'oracle du Deutéronome était le Messie lui-même et
personne autre. Jean-Baptiste, en effet, qui était pro-
phète, Luc, i, 76; Matin., XI, 9; Luc, vu, 26, déclare
qu'il n'est pas le prophète. Joa., i, 21. Selon la juste
remarque de saint Isidore de Péluse, loc. cit., 7ipoçr,Tir)ç
|xèv yàp v, 6 icpoçr,Tïi; Sa oûx ?,v. Saint Pierre, en don-
nant l'interprétation messianique de ce texte, l'a entendu
du Messie seul, et nullement de la série des prophètes
juifs, dont le Messie devait être le dernier.
La plupart des Pères n'ont reconnu dans ce prophète
que le Messie, et quelques-uns ont exclu positivement
les autres prophètes. ïertullien cite cet oracle à propos
delà scène de latransfiguralion.il rapproche la recom-
mandation faite d'écouter ce prophète futur de la parole
divine prononcée au sujet de Jésus : « Écoute-le. »
Hune audite quem prœdixerat (Moïse, présent à cette
scène). S'il est annoncé ex filiis veslris, c'est que Jésus
est juif selon la chair. Adc. Marcionem, 1. IV, c. xxn,
P. L., t. il, col. 414. Saint Cyprien cite le passage du
Deutéronome sous ce titre : Prop/teta alius sicut
Moyses, qui Teslamenluni novuni daret et qui magis
audiri deberet, et il en rapproche Joa., v, 39, 40, 45,
47. Ce prophète est donc Jésus, qui ressemble à Moïse,
parce qu'il a donné aux hommes la nouvelle alliance,
et qui doit être plus écouté encore que Moïse. Tesli-
monia adversus Judœos, 1. I, c. XVIII, P. L., t. iv,
col. 688. Novatien se borne à appliquer ce texte à Jésus.
De Trinitate, P. L., t. m, col. 900-901. Origène a sou-
vent entendu cet oracle de Jésus-Christ. Moïse a pro-
phétisé par lui le Christ, qui a attesté lui-même que
Moïse avait écrit de lui. Joa., v, 46. In Num.,
homil. xxvi, n. 3, P. G., t. xn, col. 774-775. Comme il
avait écrit cela de Jésus, Moïse, à la transfiguration, fut
joyeux de voir celui qu'il avait prédit, et d'entendre
Dieu le Père dire : « Écoutez-le, » de celui dont il avait
dit lui-même : «Vous l'écouterez. » InExod., homil. xn,
n. 3, ibid., col. 385. Jésus est prophète pour toutes les
nations. Moïse l'a prédit. In Jer., homil. i, n. 12, P. G.,
t. XIII, col. 268-269. Origène cite Deut., xvm, 15, pour
prouver que Jésus est prophète, et il ajoute que la foule
le tenait pour prophète. In Mat th., tom.xvn, n. 14, ibid.,
col. 1517. Comme il y avait eu beaucoup de prophètes
en Israël, on en attendait un spécial, prédit par Moïse.
Aussi les Juifs firent-ils demander à Jean-Baptiste s'il
était ce prophète. In Joa., tom. vi, n. 4, P. G., t. xiv,
col. 213. L'auteur des Récognitions clémentines, qui
écrivait au mc siècle, raconte que Moïse, voyant l'ido-
lâtrie très répandue chez les Juifs, laissa à l'autre pro-
phète le soin de la détruire, 1. I, n. 36, P. G., t. i,
col. 1229. Or, c'est au nom de ce prophète, prédit par
Moïse, qu'on baptise; c'est lui qui a choisi douze dis-
ciples; c'est le Fils éternel de Dieu, n. 39, 40, 43,
col. 1230, 1231, 1232. Archélaiis applique à Jésus-Christ
qui a reconnu y être annoncé, Joa., v, 46, cette parole
de Moïse. On y trouve unde renturus est, c'est-à-dire
que le Messie devait être de la race juive, Disputatio
cum Manele, n. 41. Y.',, /'. G., t. x, col. 1496, 1301.
Pour saint Méthode, la Loi dit qu'il faut écouter Ji
Deut., XVIII, 15, et que toute âme qui ne lui obéira pas
sera exterminée, 19. DeSimeoneel Anna, n. II, P. G.,
t. XVIII, col. 376. Selon F.usèbe, Dcmonst. evangel.,
1. III, c. il, P. G., t. xxn, col. 168-169, Moïse a prophé-
tisé le Messie, un autre prophète de la nation juive. Il
a dit que ce prophète devait lui être semblable. Les
autres prophètes d'Israël ne peuvent être comparés à
Moïse. Celui-ci parle d'un seul, qui lui sera semblable;
c'est Notre-Scigneur Jésus-Christ. Et Eusèbe développe
longuement les ressemblances de ces deux prophètes,
col. 169-176. D'ailleurs, il est dit, Deut., xxxix, 10, 11,
qu'il n'y eut pas en Israël de prophète semblable à Moïse.
Ce dernier fut législateur, les autres prophètes ne le
furent pas. 1. IX, c. xi, col. 689, 693. Êusèbe explique
encore ce passage de Jésus-Christ seul. Eclogss pro-
pheticœ, 1. I, 15, ibid., col. 1072-1073. Pour Lactance,
Moïse a prédit un prophète, supérieur à la Loi et qui
dirait les paroles mêmes de Dieu : ce qui ne s'est réa-
lisé qu'en Jésus-Christ. Instit. div., 1. IV, c. xvn, P. L.,
t. vi, col. 499-500. Saint Athanase déclare que les Juifs
ont erré et errent encore de son temps, en interprétant
ce passage de quelque prophète et pas de Jésus. Orat., I,
contra arianos, n. 54, P. G., t. xxvi, col. 125. Saint
Cyrille de Jérusalem l'applique à Jésus. Il renvoie à
plus tard l'explication des mots : « semblable à moi. i
explication qu'il ne donne nulle part. Cal., xn, 17.
P. G., t. xxxiii, col. 744. Tite de Bostra déclare que
Dieu par Moïse a dit ces paroles de son Fils. Adrersus
manicltxos, 1. III, c. VI, JP. G., t. xvm, col. 1225. Pour
saint Grégoire de Nysse, le prophète annoncé ne prê-
chera pas la loi de Moïse, et on n'ajoutera rien à ses
lois. Dieu a mis sa propre parole dans sa bouche, et la
recommandation de l'écouter montre son excellence.
Tout cela ne convient qu'à Jésus. Teslimonia adversus
Judœos, 1. II, P. G., t. XLVI, col. 204. Saint Épiphane
remarque que les prophètes ont été les serviteurs de
Jésus, prédit par Moïse, et que Jésus lui-même a re-
connu être ainsi annoncé. Joa., v, 46. Hœr., XLH, n. 11,
P. G., t. xli, col. 744-745. Plus loin, liv, n. 3, col. 965,
il note que Théodote faisait ce raisonnement : La Loi a
parlé du Christ; or, Moïse a dit [qu'il était homme;
donc le Christ n'est qu'un homme. Épiphane observe
que chaque mot de l'Écriture a sa caution ailleurs. Si
le prophète est dit issu de ses frères, c'est que Jésus,
né de Marie, a une chair humaine; mais ailleurs il est
dit le Fils de Dieu. Donc, quoiqu'il soit homme, il est
Dieu néanmoins. Enfin, Hœr., lxix, n. 37, P. G.,
t. xlii, col. 260, ce Père affirme encore que Jésus est
proclamé prophète dans la Loi, et il se réfère à notre
passage. Saint Philastre le cite aussi au sujet du Christ.
Hœr., 119, P. L., t. xn, col. 1942. Saint Gaudence dit
que Moïse a ainsi annoncé d'avance la venue de Xotre-
Seigneur. Serm., ix, P. L., t. xx, col. 909-910. Saint
Augustin réfute Fauste le manichéen. Celui-ci compa-
rait le Christ et Moïse et montrait qu'ils étaient dis-
semblables. Il en concluait que le prophète, prédit par
Moïse comme semblable à lui, n'était pas le Christ.
Saint Augustin répond qu'il y a entre eux quelque res-
semblance. Le Christ est semblable à Moïse comme
prophète, puisqu'il a fait des prédictions. D'ailleurs, il
a reconnu que Moïse a écrit de lui. 11 y a eu beaucoup
de prophètes en Israël ; Moïse n'en avait qu'un seul en
vue, et ce n'était pas Josué. Jean-Baptiste était prophète;
il n'était pas « le prophète. » Jésus a été proclamé le
prophète, lorsqu'il a fait des miracles. Cont. Faustum,
1. XVI, c. xv, xvm, xix, ]'. L., t. xlii, col. 321-325, 326-
328. Pour saint Chrysostome, Moïse indique ainsi aux
disciples le maître, pour qu'ils l'ëcoutent. Joa., v, 46.
De Christi divinitate contra anomœos, orat. xn, n. 1.
P. G., t. xlviii, col. 803. 11 parle du Christ dans la Loi.
ceux]qui n'obéissent pas au Christ désobéissent à la Loi.
<3G9
DEUTÉRONOME (PROPHÉTIE MESSIANIQUE DU
670
In Gai, c. Il, n. 7, P. G., t. lxi, col. 645. De ce texte
il résulte que la Loi devait prendre tin dans le Christ.
In II Cor., horail. vu, n. 3, ibid., col. 446. Pour saint
Cvrille d'Alexandrie, Moïse prononça cet oracle, parce
qu'il avait vu la forme du Christ, qui est plus grand
que lui. De adoratione in spiritu, 1. II, P. G., t. lxviii,
col. 213. Il prédit le Christ, qui a reconnu que Moïse
avait écrit sur lui. In Malach., 1. IV, n. 40, P. G.,
t. lxxii, col. 364. Il annonçait que le Christ serait pro-
phète, In Joa., 1. I, c. x, P. G., t. lxxui, col. 184,
médiateur entre Dieu et le peuple, Joa., v, 46, 1. III,
c. m, col. 428-432. Il faut donc écouter le Messie, 1. V,
c. n, m, col. 760-765, 816, qui était attendu comme
prophète, 1. VI, col. 997. Voir encore 1. IX, t. i.xmv,
col. 105. De la comparaison établie entre ce prophète
et Moïse, Julien l'Apostat concluait que le fils de
Marie, s'il ressemblait à Moïse , n'était pas Dieu. Cont.
Jvlian., 1. VIII, P. G., t. lxxvi, col. 888. Saint Cyrille
répond que la ressemblance de Jésus avec Moïse peut
s'expliquer de diverses manières. Ils ont eu une mis-
sion semblable, celle de racheter leur peuple de la
servitude; ils ont été tous deux législateurs. Dieu a
donné à Jésus sa parole, et par sa seule parole Jésus a
fait des miracles. En cela, il est supérieur à Moïse et
aux autres prophètes, qui ne faisaient que répéter les
paroles de Dieu, col. 892-893, 896. Procope de Gaza re-
connaît dans ce prophète Jésus-Christ, qui est sem-
blable à Moïse, parce qu'ils ont tous deux racheté leur
peuple de la servitude. Comment, in Deut., P. G.,
t. i.xxxvii, col. 917. L'auteur des Quœstiones ad ortho-
doxes, qui est du v siècle, entend dans ce passage les
paroles de la Loi prédisant le Christ, q. Ci, P. G.,
t. vi. col. 1345. Dans les Consultaliones entre le chré-
tien Zachée et le philosophe Apollonius, celui-ci objecte
que les Juifs prétendaient que le Messie était une
créature. Zachée répond qu'il est Dieu et homme, et
pour prouver son humanité, il cite Moïse disant, etc.
Il ajoute que Xotre-Seigneur a confirmé cette explica-
tion, Joa.. v. 46, 1. II, c. iv, P. L., t. xx, col. 1113.
Plus tard, Hupert de Peut/ n'a pas de doute que ce
prophète ne soit Xotre-Seigneur Jésus-Christ. De Tri-
nitateet operibus ejus. Liber in Deut., P. L.,i. clxvii,
col. 919-920.
2. On trouve dans l'oracle deutéronomique lui-même
des indices, qui prouvent que Moïse parlait du Messie
seul.
Le nom s':: y est au singulier, aussi bien que
tous hs verbes et les pronoms suffixes, lîien qu'il soit
employé ainsi. Dan., ix, 24, pour désigner la collec-
tion des prophètes, il faut l'entendre ici d'un seul pro-
phète, puisqu'il s >-ii 'lu Messie el puisque, si le nom
singulier désignai! la série des prophètes, les verbes
el les pronoms devraient être plus régulièrement au
pluriel.
b) Cet oracle a été communiqué par Dieu a Moïse
sur le mont lloreb, sur la demande du peuple qui
craignait le Seigneur transmettant directement ses
- .m milieu des éclairs el du tonnerre. Accédant
prière, Pieu résolu! de parler a son peuple par
le ministère di Moïse. Celui-ci lut donc un prophète
i En prédisant un autre prophète, semblable
.i Motte, Dieu annonçait, non pas les autres prophi
qui n'ont pas promulgui uni oou • !!• législation divine,
ur île la nouvellle alliance et,
i i ipport, prophi te semblable ■< M
■ n le di M' m-. .ii, n. visai! que le Mi
■ qualité de prophète d'Israël.
i /.. ;,. ophi i , 7
/ le des niei et le plut grand,
— Nonobstant de Niçois
uni autn inlerpi Niion s'est produite dans l'exi
lique. Pan- le prophète annoncé elle reconnaît
tout' la si i ii di - prophi lesd'l rai i
le pernier de ces prophètes et l'objet principal de leurs
prophéties messianiques. Elle repose sur ces argu-
ments :
1. Saint Pierre, Act., m, 22, 23, en appliquant au
Messie l'oracle deutéronomique, n'a pas exclu les pro-
phètes d'Israël. Il a seulement indiqué le caractère
littéralement messianique des paroles de Moïse et
affirmé que le Messie v avait été annoncé. Il parle à ses
contemporains et à ses coreligionnaires conformément
au sentiment commun de l'époque. Or, les Juifs sa-
vaient que les temps de ce dernier prophète étaient
proches. Tous les prophètes depuis Samuel ont prédit
« ces jours », ainsi que saint Pierre le leur rappelle.
Act., m, 24. Comme la série de ces intermédiaires
entre Dieu et son peuple va être close, l'attention des
Juifs ne se porte plus sur les anciens prophètes, mais
bien sur le dernier, sur « le prophète » par excellence,
que les autres avaient précédé et annoncé. C'est pour-
quoi saint Pierre, parlant de lui, lui applique cet oracle,
principalement, mais non exclusivement. En d'autres
termes, il applique ce texte à un objet auquel il se
rapporte, mais il n'en fait pas l'exégèse littérale qui
exige, nous le verrons, qu'on l'entende de la série des
prophètes. Son application messianique du texte
n'exclut donc pas les autres prophètes d'Israël.
2. La tradition catholique n'a pas complètement
ignoré cette interprétation. Origène, qui a plusieurs
fois entendu notre texte du Messie, y a reconnu cepen-
dant les prophètes juifs, qui sont prédits dans leur Loi
et opposés aux augures et aux devins des tribus cha-
nanéennes. Cont. Celsum, 1. I, n. 36, P. G., t. xi,
col. 728-729. Quand il en faisait l'application au
Messie, il n'excluait donc pas les prophètes. Eusèbe
lui-même, pourtant si explicite, entend ce texte une
fois au moins de tous les prophètes d'Israël. Eclogm
prophéties:, 1. IV, proœm., P. G., t. xxn, col. 1192-
1193. Selon Théodoret, In ,1er., c. VI, P. G., t. i.xxxi,
col. 545, Moïse par ces paroles indique la bonne voie,
qui est Notre-Seigneur ; mais il indique aussi les pro-
phètes, qui montrent cette voie et sont eux-mêmes des
sentiers qui y conduisent. Saint Jérôme, d'après le
contexte, oppose aux devins des nations le prophète
promis par Dieu à Israël. Celui-ci ne doit pas consulter
les devins, mais entendre et écouter son Dieu qui lui
parle par les prophètes. ]n haiam, 1. III, vin, 19,
/'. /.., t. xxiv, col. 122. Saint Jérôme ne nomme pas
le Messie, mais il ne l'exclut pas; il l'inclut plutôt
dans la série des prophètes. Raban Maur, Enarratio
super Deut., c. xix, P. /.., t. c:\iii, col. 906-907, re-
marque que. quoique plusieurs veuillent entendre ce
passage de tous les prophètes d'Israël selon l'histoire
(ou le sens historique), cependant il s'agit aussi de
Jésus-Christ, dont Moïse a parlé, Joa., v. 16, et qui a
été appelé' prophète. Walafrid Strabon dit la même
chose. Glossa ordinaria. In Deut., P. L., t. cxni,
eol. 17 1 . Saint liruno d'Asti l'entend aussi il«s nombreux
prophètes d'Israël et spécialement de Jésus-Christ.
Eteporitio i» Déni., c. XVIII, /'. /.., t. ' ixiv, col. 512.
On peut penser que les Pères, qui ne nomment que le
Me sie sans exclure expressément les prophètes, fai-
saient commi Origène el i usèbe, et entendaient l'oracle
a la fus du Messie el des prophètes d'Israël. Quant
;\ qui excluent la série des prophètes el com-
parenl le Messie seul 6 Mofse, il est a remarqui r qu'ils
ne tiennent compte que de quelques expressions d< -
15 't 19 du '■ n t qu'ils perdent ant
nient de vue tout le eunt'Ale. Or, c'mI Ifl '"lllexle,
allons le voir, qui exige i interprétation dont
qoui nous occupons présentement, Leur exégèse ne
l'impi nniiieiir- catholiques peuvent
légitimement en proposer une autre, plus littérale el
[ua su pre.
.: La texte lui méma et le contexte justifient Tinter-
G71 DEUTÉRONOME (PROPHÉTIE MESSIANIQUE DU) - DEVARIS 072
prétation qui joint le Messie à la série des prophètes
d'Israël.
a) Le singulier sa: peut, de soi, équivaloir à un
pluriel et il est ici nécessairement collectif. Ce pro-
phète du \. 1") avait déjà été promis par Dieu sur le
mont Horeb; il devait continuer la mission de Moïse,
parler au nom de Dieu et transmettre aux Israélites
tous les ordres du Seigneur, 18. On devra écouler ses
paroles sous peine d'être exclu du peuple de Dieu, 19.
On le distinguera du faux prophète, 20-22. Notons que,
dans ces derniers versets, la série des faux prophètes
est désignée par le singulier collectif n>=:. Donc le
véritable N»3J, prédit ici, n'est pas un personnage
unique, le seul Messie; il embrasse une série d'indivi-
dus, qui seront prophètes de Dieu en Israël. D'ailleurs,
de semblables noms singuliers collectifs désignent aux
versets 10 et 11 les diverses espèces de devins chana-
néens. A des catégories interdites Moïse opposait une
catégorie, autorisée en Israël, d'intermédiaires attitrés
entre Dieu et son peuple.
b) Le contexte, en effet, oppose les prophètes aux
devins et aux sorciers. En interdisant à son peuple ces
derniers comme une abomination, Dieu cependant ne
veut pas laisser Israël privé d'hommes qui lui découvrent
l'avenir et lui révèlent ses propres volontés. A la place
des augures, il suscitera d'entre les Israélites et au mi-
lieu d'eux des prophètes qui, comme Moïse, parleront
en son nom et communiqueront ses volontés. Ces re-
présentants autorisés de Dieu devaient donc exister en
Israël d'une manière à peu près continue pour suppléer
à l'absence des devins, les remplacer et empêcher qu'on
ne les consultât. Si Israël avait dû attendre le Messie
avant de connaître les volontés divines, il aurait couru
dans l'intervalle le danger de recourir à ces devins
païens, dont la consultation lui était prohibée. Dieu
n'eût pas opposé de remède efficace au danger qu'il
voulait prévenir. Le Messie devait seulement être un
de ces prophètes.
D'ailleurs, c'était à la demande du peuple, qui redou-
tait les manifestations directes de Dieu, que Dieu avait
promis à Moïse ce prophète, qui lui ressemblerait, qui,
comme lui, serait en relations avec Jéhovah et parle-
rait au peuple en son nom. La promesse divine avait
obtenu sa première réalisation en Moïse, qui dès lors
servit d'intermédiaire entre Dieu et son peuple. S'il
avait fallu attendre jusqu'au Messie pour avoir un
second et unique prophète, semblable à Moïse, la pro-
messe divine, rappelée par Moïse à la fin de sa car-
rière, aurait bien tardé à recevoir son exécution et
aurait laissé la prière d'Israël inexaucée. Le prophète
prédit devait remplir sa mission durant tout le cours
de l'histoire israélite, et le Messie ne fut que le dernier
de la série ainsi annoncée. Il ne faut pas urger la res-
semblance avec Moïse et prétendre que ce prophète
devait nécessairement être législateur comme Moïse.
La ressemblance indiquée n'entraîne pas une égalité
parfaite, qui ne s'est pas même rencontrée dans le
Messie, supérieur à Moïse plutôt que son égal, mais
seulement une communauté de mission et le rôle d'in-
termédiaire officiel entre Dieu et son peuple. Du reste,
les prophètes d'Israël avaient le droit de porter des lois
de par l'autorité de Dieu. C'est à tort que quelques
Pères ont reconnu un privilège spécial au Messie dans
la promesse que Dieu mettrait ses paroles dans sa
bouche; les mêmes termes sont employés par Dieu
lui-même au sujet des prophètes. Is., li, 16; i.ix, 21.
Tous ont parlé au nom du Seigneur et ont transmis
ses ordres.
Enfin, les signes auxquels on reconnaîtra les faux
prophètes, 20-22, indiquent qu'il est question de vrais
prophètes dans la prédiction précédente. Ils sont
donnés pour servir aux Israélites de critères au cours
des temps et pas seulement à l'époque du Messie. C'esl
donc la série des vrais prophètes, qui était ainsi prédite
comme une institution divine en Israël, qui devait dur i
autant que les autres institutions, autant que les JU(
les rois et les prêtres, Dent., xvi, 18-xvni, 22, et se
continuer jusqu'au Christ.
Salomon Jarchi. Moïse Mairnonide et hiinchi ont
donc bien compris le sens de l'oracle deutéronomique
en l'enlendant de la série des prophètes d'Israël ; ils ont
eu le tort unique d'en exclure le Messie, qui devait
être prophète. Denys le Chartreux mentionne celte inter-
prétation, donnée par Rabbi l'aul (probablement Paul
de Burgos); mais quoiqu'il la trouve catholique, il pro-
fère entendre les versets 15 et 18deNotre-Seigneur seul.
In Deuleronomium , dans Opéra, t. h, p. 590-591. Des
commentateurs catholiques ont joint le Messie à
devanciers et à ses précurseurs. Leur interprétation a
le double mérite de rendre exactement compte de la
lettre et de maintenir très fermement l'interprétation
messianique de l'oracle. C'est plus qu'une conclusion
exégétique. Albert le Grand reconnaissait la prédiction
de la série ininterrompue des prophètes d'Israël. Enar-
ral. in Aggteum,u,&, Opéra oninia, Paris, 1892. t. xix,
p. 507. Après Nicolas de Lyre, Tostat, Oleaster,
Corneille de la Pierre, Bonfrère, Tirin, Calmet, Frassen,
Beinke, le cardinal Meignan, les Pères Cornely, Knaben-
bauer, de Hummelauer et Murillo, nous l'acceptons.
L'oracle ainsi entendu nous apprend que le Messie sera
un prophèle juif et qu'il achèvera en Israël la mission
des autres prophètes, ses prédécesseurs et ses précur-
seurs, en communiquant pleinement à l'humanité la
révélation divine que tous devront recevoir.
Pour la première interprétation, voir Cajetan, In Dent., xvm.
15-19; Sherlock, De l'usage et des fins de la prophétie dans les
divers âges du monde, discours vi, dans Sacra; Scripturx
cursus completus de Migne, Paris, 1840, l. xvm, col. 669-673,
et dans Démonstrations évangéliques de Migne, Paris, 1843,
t. vu, col. 519-523: Bade, Die Christologie des A. T., 2- édit.,
1858; Patrizi, Biblicarum quxstionum decas, Rome. Is",
p. 161-175; F. Vigouroux, Manuel biblique, 12' t'dit., 1
1906, t. i, p. 779; J. Corluy, Spicilegium dogmatico-biblicurn ,
Gand, 1884, t. l, p. 447-455; Ch. Trocuon, Le Deutéronome,
Paris, 1888, p. 8-13, 119-120.
Pour !a seconde, Corneille de la Pierre, Comment, in Deut.,
Lyon, 1732, p. 764; Calmet, Commentaire littéral, 2' édit.,
Paris, 1726, 1. 1 b, p. 497-498; Reinke, Beitràge zur ErkUirung
des A. T., Munster, 1855, t. iv, p. 301 sq. ; Meignan, Les pro-
phéties messianiques. Le Pentateuque, Paris, 1856, p. 619 sq. ;
Id., De Moise à David, Paris, 1896, p. 292-313; Knabenbauer,
Erklàrung des Propheten Isaias, Fribourg-en-Brisgau, 1881,
p. 3-5; Cornely, Introductio specialis in didacticos et prophe-
licos V. T. libros, Paris, 1887, p. 275-277, 278-280; Oettti, Deu-
teronomium, Josua und Richter, Munich, 1893, p. 72; F. de
Hummelauer, Deuleronomium, Paris, 1901, p. 371-377; M. Het-
zenauer, Theologia biblica, Fribourg-en-Brisgau, 1908. t. i,
p. 580-581; L. Murillo, San Juan. Estudio critico-exegético
sobre il cuarto Evangelio, Barcelone. 1908, p. 175-177.
E. Mahgenot.
DEUTMAYR Bernard, bénédictin bavarois, né le
28 décembre 17i7, mort le 29 juillet 1827. Profès de
l'abbaye d'Oberaltach et docteur en théologie, il publia :
E.rercitationes de juribus ecclesiasticis Gennanim
specialibus, Straubingen, 1779; De jure publico uni-
versali ecclesiastico una eut» subjectis ex jure Ger-
manise particulari neenon de nexn sacerdotium inter
et imperium corollariis, in-8°, Ratisbonne, 1781; De
limitibus utriusque potestalis neenon de juribus prin-
cipum circa sacra, Straubingen. 1782.
Ilurter, Nomenclator. in-8% 1895, t. m, col. 886.
B. Hh'l RTEBIZE.
DEVARIS Mathieu, littérateurgrec du xvi< siècle, ué
à Corfou. Paul III (1534-1549) le nomma correcteur des
manuscrits de la Bibliothèque vaticane. Sa mort eut
lieu en 15(38. En dehors du Liber de grseese lingux par-
ticulis, qui le rendit célèbre comme philologue, il est
l'éditeur des Actes du concile de Florence en grec :
673
DEVARIS
DEVOLUTION
674
'H àyht /.où o!xou(J.evtXT| èv $tapevT(* Yevo(*^vïl Euvofioç,
Rome, 1577. M. Vaast attribue au cardinal Bessarion
cette rédaction grecque des Actes du concile de Flo-
rence. Le cardinal Bessarion, Paris, 1878, p. 437-439.
Devaris est aussi le traducteur grec des canons du
concile de Trente : Kavôvsç xal So-'tj.aTa -»i; iepfiç -/.ai
iv;xr oi>to-jacV'./.r;; èv TpiSsvrcd YEVO|jivr)C o-jvôoo'j... sv. tjj;
AcctÎvoiv <pa)-/î); ec; t»jv Ttôv Fpar/.(ov jj.STajpaTÛ^vTot,
publiés après sa mort par son neveu Mathieu Devaris,
Rome, 1583.
Satlias, NeoeX1i)v»j| ?tîioXoTi'«, Athènes, 18G8, p. 158-159; Legrand,
Bibliographie hellénique du vr'-.vrr siècle, t. r, p. cxcv-
cxcviii; t. H, p. 33-40, 52-60.
A. Palmieri.
DEVELLES Claude-Jules, théatin français, né à
Autun en 1692, mort en juin 1765. On a de lui : De l'im-
mortalité de l'âme. A l'abbé B., in-12, 1730, réim-
primé dans la Continuation des Mémoires de littérature
et d'histoire, du F. Desmolets, t. x; Traité de la simpli-
cité de la foi, in-12, Paris, 1733; Xouveau traité de
l'autorité de l'Église, in-12, 1736, 1749.
Michaud, Biographie universelle, t. x, p. 580; Hœfer, Nou-
velle biographie générale, t. xm, col. 942.
A. Ini.oi.1i.
DEVIENNE D'AGNEAUX Charles-Jean Baptiste,
bénédictin, né à Paris en 1745, mort en 1792. II entra
fort jeune dans la congrégation de Saint-Maur et lit
profession le 30 mai 1745 à l'abbaye de Saint-Martin de
>• t/. l.n 1755, il fut chargé avec plusieurs de ses con-
frères d'écrire une histoire de Guyenne. Il ne tarda pas
à se créer de nombreuses difficultés avec ses supérieurs
et avec do m Carrière qui avait entrepris de publier les
Annales de Bordeaux. En 1776, il ne parait plus appar-
tenir à la congrégation de Saint-Maur : « II ne réside
plus dans ce corps par ordre de la cour, » écrira-t-il
plus tard. A l'époque de la Révolution, il embrassa avec
ardeur les idées nouvelles. Dom Devienne a laissé- les
ouvrages suivants : Prospectus de l'histoire générale
de Guyenne par des religieux de la congrégation de
Saint-Maur, in-i , Paris, 1755; Lettre en (orme de
dissertation contre l'incrédulité, in-12, Avignon, I75ii;
Eclaircissements sur plusieurs antiquités trouvées à
Bordeaux, in-12, 1757; Point de rue concernant l'étal
religieux, in-12. Paris, 1757 et 1771 ; Plan d'éducation,
1769 ; Histoire de la ville de Bordeaux, in-4". Bordeaux.
1771 : dom Devienne ne publia que le i" volume; le
ir parut par les soins de l'éditeur Laca/.e : Seconde et
troisième partie contenant l'histoire de l'église de
Bordeaux et les mœurs et coutumes des Bordelais,
in i . Bordeaux, 1862; Dissertation sur la religion de
Montaigne, in-12, Bordeaux, 1773; Eloge historique de
Michel Montaigne et discours sur sa religion, in-12,
1775. Administration particulière et générale de la
France, in 8°, Taris, 1775; Lettres à M. X" sur l'Ins-
■ de la France, in-12, Paris, 1782; Nouvelle méthode
pour apprendt eàlir< meut la langue
française, m-s , Paris, 1782; Histoire de l'Artois {jus-
Il I", ,2in 8°, 1785-1787; Le triomphe de l'huma-
nité ou la mort de Léopold de Brunswick, poème qui
.iiinii pour le) icadémie française, In-8
Lille, 1787; Le triomphe du chrétien, traduit de l'an-
nts d'Young . in-8 , 1788; Histoire
le la li ant <■, <■< , ,i,- ,i apt ■ i les pi im ipet qui
la Révolution, par t'.h.-.l. It. Dagneaux, ci-
ne, 2 in 8 . Paris, 1791 le n roi
■■H 1560 Dom Devienne a en outre publié deux Mémo
périeun on set con-
imphlets révolutionnaire! eom
Pari . 1780; I ir de
i dom Devienne... chan-
ni B . l'aris.
DICI. Dl mi mi . CATHOI .
des écrivahis de la congrégation de Saint-Maur, in-12, Munich
et Paris, 1882, p. 208; A. de Lanlenay, Les prieurs claustraux
de Sainte-Croix île Bordeaux, in-8", Bordeaux, 1884, p, 104-
110, 136-137; Tamizey de Larroque, Reliquix bénédictins?. :
Lettres et mémoires de dom Devienne, dans la Revue de Gas-
cogne, t. xxxvi (1885), p. 283, 438, 443.
B. Heurtedize.
DEVIN. Voir Divination.
DEVOIR CONJUGAL. Voir Époux (Devoirs des).
DÉVOLUTION. - I. Définition. II. Historique.
111. Discipline actuelle.
I. Définition. — Dévolution vient du latin de volvere,
rouler ou transporter d'un lieu dans un autre endroit.
En jurisprudence civile et canonique, ce mot signifie,
en général, la transmission d'un droit, ou d'un bien,
d'une personne à une autre. Il a pris cependant, de
bonne heure, un sens tout particulier. Ainsi, dans le
droit civil, il désigne le transfert, par hérédité, des biens
de la ligne paternelle à la ligne maternelle, ou vice
versa, quand l'une de ces deux lignes est éteinte, ou a
renoncé à la succession. Dans le droit ancien, en effet,
en vertu de la règle patenta pa ternis, materna m a ter-
nis, les biens immeubles ne pouvaient par succession
passer à une famille différente de celle dont ils prove-
naient. Les collatéraux maternels d'un défunt, par
exemple, étaient incapables de recevoir en héritage ce
qu'il avait eu lui-même de ses parents paternels, et
vice versa. Le droiteonsidérait cette translation comme
un renversement de l'ordre régulier, et une violation de
la justice. Le seul cas où il la permettait, était celui où
la branche dont il voulait par ce moyen maintenir les
droits s'était éteinte, ou avait renoncé de plein gré à la
succession.
Sans avoir adopté dans toute sa rigueur la formule
ancienne, patenta paternis, materna mateniis, la
plupart des droits modernes emploient dans un sens
analogue le mot dévolution. Cf. Code civil fronçais,
a. 733, 750, 752 sq. ; Rogron, Le code civil expliqué
par ses motifs, par des exemples et par la jurispru-
dence, in-12, Paris, 1840, p. 438 sq., 453 sq.; Mourlon,
Répétitions écrites sur lecode civil, contenant l'exposé
des principes généraux, leurs motifs et la soin/ion
des questions théoriques, 1. III, lit. i, c. m, sect. i.
3 in-8", Paris, 1849, t. Il, p. 33 sq., U sq. ; llicci, Corso
leorico-pratico di diritto civile, 10 in-8", Turin, 1886,
t. III, p. 11; Lomonaco, Istituzioni di diritto civile
italiano, 7 in-8», Naples, 1895, I. III, part. II, n. 81,
t. iv, p. 44; Laneyrie et Dubois, Code civil portugais,
il cl minute, I. III, lit. Il, c. HI-1V, in-8°, Fuis.
1896, p. 586 sq.; De la Grasserie, Code civil allemand,
traduit et annoté avec introduction, 1. V, sert, i-iii,
in-8", l'iris, 1901, p. 407 sq. ; Servais et Mechelynck,
Les codes et les lois spéciales les plus usuelles en
eur en Belgique, avec notes, in-8°, Bruxelles,
1907, p. 93 sq
Le droit de dévolution, étendu jusqu'à ses dernières
limites, fait passer à l'Étal les biens de ceux qui
meurent sans héritiers au delà d'un certain degré de
parenté, variant avec les pays. Cf. Code civil
a. 768; Code civil espagnol, ■>. 956; Code civil porlu-
i. 2006; Rogron, 1 civil expliqué, etc.,
i' 168 sq.; Mourlon, Répétitions écrite* sur le code
civil, |. m, m. i, c. n. net, ii. p. 77, Prudhomme,
Code enii iioi .,/, annoté et précédé d'une
introduction, 1. III. lit. n, sect. vi, in-8», l'an- 1896,
p, M8
Dans certaini . comme i \i- i lea 1
[uand N' défunt s'était marié plusieurs fois, li 'in
premier mariage n'était ni Issui qui di - Biles, b- droil
de dévolution les i i i onn i Limes hi ritii pi
préférenci bui (lia n nd lil Ce fui en raison
droit de dévolution que Louis XIV, après la mort
IV. - 22
675
DÉVOLUTION
676
de Philippe IV. roi d'Espagne, réclama les Pays-Cas
espagnols. Il fondait ses prétentions sur les droits de
sa femme Marie-Thérèse, fille et unique descendante de
Philippe IV, par son premier mariage. Charles II,
successeur de Philippe IV, n'était que (ils du second
lit. De ce conllit résulta la guerre dite de dévolution
I 1667).
En droit canonique, la dévolution est le transfert à
un autre du droit de conférer un hénéfice ecclésiastique,
quand celui qui devait le conférer a négligé de le faire
dans un certain espace de temps déterminé par les
canons, ou l'a attribué à un sujet indigne et inhabile.
Le droit de conférer ce bénéfice passe alors, pour cette
fois, au supérieur immédiat du collateur ordinaire, et,
en cas de négligence de la part de ce second collateur,
monte de degré en degré jusqu'au pape. Cf. Décrétai.,
1. I, tit. vi, De eleclione, c. 41, Ne pro defectu; tit. x,
De supplenda negligenlia prselatorum, c. 3, Licet;
1. III, tit. vin, De concessione prsebendse, c. 2, Nulla;
Reiffenstuel, Jus canonicum universum juxta quinque
libros Decrelalium, 1. I, tit. x, § 2, n. 18 sq., 6 in-fol.,
Venise, 1730-1735, t. i, p. 248; Pichler, Jus canonicum
secundum qxiinque Decrelalium lilulos, 1. I, lit. x,
n. 2, 2 in-fol., Venise, 1750, t. i, p. 66; Schmalzgrueber,
Jus ecclesiasticum universum , 1. 1, tit. x, n. 1, 12in-i°,
Rome, 1843-1845, t. i, p. 424; Hinschius, System des
kat/i. Kirchenrechts, 3 in-8", Berlin, 1878, t. in,
p. 167 sq.; De Angelis, Preelectiones jura canonici ad
melhodum Decretalium, 4 in-8°, Rome, 1887-1891, 1. I,
tit. x, n. 4, t. I, rp. 188; Wernz, Jus Decrelalium,
5 in-4», Rome, 1898-1907, part. II, c. n, tit. xv, § 4,
n. 324, t. n, p. 440; Ojetti, Synopsis rerum moralium
et juris pontifiai, alphabetico ordine digesla, v°
Devolulio, 2 in-4», Prato, 1905, t. i, p. 542.
II. Historiquk. — Il importe pour le bien des âmes
et la gloire de Dieu que les bénéfices ecclésiastiques ne
restent pas longtemps vacants, afin que les divers
services auxquels le bénéficier doit pourvoir ne de-
meurent pas en souffrance. Les canons ont fixé le
temps que la vacance ne doit pas dépasser, suivant les
cas. Or, il arrivait souvent que les collateurs, chargés
de nommer aux bénéfices, tardaient trop à le faire,
soit par négligence, soit par cupidité, afin d'en percevoir
eux-mêmes les fruits, en tout ou en partie. C'est pour
obvier à cet inconvénient si grave et stimuler le zèle
des collateurs, que fut introduit peu à peu, dans la
jurisprudence canonique, le droit de dévolution, attri-
buant au supérieur immédiat du collateur ordinaire
le droit de conférer le bénéfice que celui-ci avait négligé
de conférer dans les délais prescrits.
Ce point de discipline ecclésiastique remonte à la
plus haute antiquité. Il en est déjà fait mention au
milieu du Ve siècle. Le concile de Chalcédoine, IVe
œcuménique, tenu en 451, statue dans son 25e canon
disciplinaire que les églises doivent être pourvues
dans les trois mois, èvt'oç rpioiv u,y)vô>v. Le canon
26e fait allusion aux peines encourues dans le cas
contraire. Cf. Mansi, Concil., t. vu, col. 368, 380,
391 sq., 400; Décret de Gratien, part. I, dist. LXXX1X.
c. 4, Quia; part. II, caus. XVI, q. vu, c. 21, Quoniam
in quibusdam ; Justinien, Novell, cxxm, c. i.
Un siècle et demi plus tard, le pape saint Grégoire
le Grand revient sur cette question. Il rappelle d'abord
la règle établie par le concile de Chalcédoine, et en
vertu de laquelle les églises ne doivent pas rester
vacantes plus de trois mois. Epist., 1. VII, epist. xiv,
xlii, P. L.,I.lxxvii, col. 869, 901. Cf. Décret de Gratien,
part. I, dist. L, c. Il, Poslquam; dist. LXXV, c. 2,
Quoniam. Il parle ensuite, en propres termes, du droit
de dévolution, même pour les charges inférieures à
l'épiscopat. Chaque évêque, dit-il, doit avoir un économe
dans son église, et s'il néglige de le nommer lui-même,
ce droit est dévolu à son clergé. Si vero négligente))!
cum prospicis, et ea quie diximus implere differenlem,
omnis clerus ejus adltiberi débet, ut communi contilio
ipsi eliganl. Epist. ad Anlltemiurn subdiaconum,
1. XI, epist. lxxi, P. L., t. i.xxvn, col. 1241. Cette
prescription fut introduite dans le Corf ano-
nid, cf. Décret de Gratien, part. I, dist. LXXXIX. < . J.
Volumus. Le IIe concile de N'icée, VII1 œcuménique,
tenu en 787, régla par son canon 11«, que ce droit serait
dévolu au métropolitain, quand l'évêque ne l'exercerait
pas; et si le métropolitain se rendait coupable de la
même négligence dans sa propre église, le patriarche de
Constantinople aurait à y pourvoir. Cf. .Mansi, Concil.,
t. xiii. col. 752.
A partir du xn* siècle surtout, le droit de dévolution
se précisa de plus en plus, dans tous ses détails. Le IIP
concile œcuménique de Latran, tenu sous Alexandre III.
en 1179, renouvela dans son canon 8e, la règle que les
bénéfices ecclésiastiques ne devaient pas rester long-
temps vacants, mais qu'ils devaient être conférés dans
les six mois: quselibet officia non diu maneant m
suspenso, sed inlra sex menses personis quse digne
administrare valeant, conferanlur. Cf. Mansi, Concil.,
t. xxn, col. 222. 11 lit ensuite les prescriptions sui-
vantes : 1° Si c'est l'évêque qui est négligent dans la
collation des bénéfices, son droit est dévolu au chapitre :
Si episcopus conferre distillent, per capitulum ordi-
netur. 2° Si c'est le chapitre qui est coupable de cette
faute dans la collation des bénéfices qui dépendent de
lui, son droit est dévolu à l'évêque : Quod si ad capitu-
lum pertinuerit, et intra prœscriplum terminum hoc
non fecerit, episcopus... exequatur. 3°Sil'un et l'autre
sont coupables, le droit est dévolu au métropolitain :
Si omnes forte neglexerinl, melropolitanus de
ipsis secundum Deum absque illorum contradictu
disponal. Mansi, loc. cit.; Décrétai., 1. III. tit. VIII, De
concessione prœbendx, c. 2, Nulla. Cf. tit. cit., c. •">.
Quia; c. 10, Exporte; c. 13, Dileclus; c.15, Postulastis.
En 1215, le IVe concile général de Latran, tenu sous
Innocent III, dans son canon 23', édicta pour les préla-
tures électives un règlement analogue, mais encore plus
sévère, puisqu'il réduisit à trois mois les délais cano-
niques. Si, dans les églises cathédrales et dans celles
des réguliers, les élections n'étaient pas accomplies
dans ce laps de temps, le pouvoir d'élire était dévolu au
supérieur immédiat, et le concile énonçait clairement
les raisons de ces prescriptions canoniques : Ne j>ro
defectu pastoris gregem dominicum lupus rapax
invadal, aut in facullatibus suis ecclesia viduata grave
dispendium patialur, volentes in hoc etiam occurrere
periculis animarum... slaluimus ut ultra très mentes
cathedralis vel regularis ecclesia prwlato non vacel;
infra quos, juslo impedimenta cessante, si eleclio
celebrata non fuerit, qui eligere debuerant, eligendi
poteslate careant ea vice, ac ipsa eligendi poteslas ad
eum qui pro.cimo prœesse dignoscitur, devolvatur. 1s
vero ad quem devoluta fuerit poteslas, Dominvm
habens prie oculis, non différât ultra très menses...
si canonicam voluerit effugerc ultionem. Mansi.
Concil., t. xxn, col. 1011; Décrétai., I. I, tit. vi, De
electione, c. 41, Ne pro defectu.
Boniface VIII, en 1298, étendit ce temps à quatre
mois pour les bénéfices inférieurs soumis au droit de
patronage laïque, et à six mois quand le droit de
patronage appartenait à une église ou à un monastère.
Décrétai., 1. III, tit. xix, De jure palronatus, c. 1. s 2.
Verum, in 6°.
Afin d'assurer l'observation de ces prescriptions, le
concile général de Vienne (1311-1312) régla que l'évêque
serait considéré comme le supérieur immédiat des
collateurs réguliers de son diocèse. Les chapitres des
cathédrales et des collégiales qui, dans le but >!
soustraire à l'autorité épiscopale, avaient voulu
soumettre immédiatement ;au saint-siège, ne furent
(377
DÉVOLUTION — DEVOTI
678
pas exemptés de celte loi. Ces décrets furent insérés
dans le Corpus juris canonici. Cf. Clémentines, 1. 1,
tit. v, De supplenda negligentia prœlaloruni, c. 1,
Quia regulares prselali.
Ainsi le délai se renouvelait tour à tour à chaque
degré de la hiérarchie auquel passait le droit de dévo-
lution. Chaque supérieur avait successivement six mois
pour conférer le bénéfice. Il devait se conformer, en
outre, aux conditions spéciales auxquelles était soumis
le premier collateur, et les elfets de sa négligence étaient
les mêmes. Décrétai., 1. I, tit. u, De constilulionibus,
c. 8, Cum accessissent. Cf. Fagnan, Commcntaria
in c/uinque libi'os Decretalium, 1. III, De concessione
prœbendœ, c. n, n. 21-10, 5 in-fol., Venise, 1697, t. m,
p. 187 sq.; Schmalzgrueber, Jus ecclesiaslicum univer-
sum, 1. I, tit. x, De supplenda negligentia prœlato-
rum, % 1, n. 6, t. i, p. 429; Tliomassin, Ancienne et
nouvelle discipline de l'Eglise louchant les bénéfices
et les béné/iciers, part. II, 1. I, c. LI, Du droit de
dévolution, 3 in-fol., Paris, 1725, t. il, p. 322 sq.
Dans le cas où le bénéfice, conféré dans les délais
prescrits par les canons, avait été donné à un sujet
indigne, ou inhabile par le défaut des qualités requises
dans le titulaire, le droit de conférer ce bénéfice était
également dévolu au supérieur immédiat, ou directe-
ment au pape, s'il s'agissait d'évêchés. Décrétai., 1. III,
lit. vm. De concessione prœbendœ, c. 2, Nulla; 1. I,
tit. VI, De electione, c. 18, Quanquam, in 6°. Mais
alors il fallait que l'indignité ou l'inhabileté du déten-
teur du bénéfice fût juridiquement démontrée, et qu'une
sentence en ce sens intervînt de la part du juge. Celui
qui dénonçait à l'autorité compétente le fait d'indignité
ou d'inhabileté du titulaire, et réclamait ensuite le bé-
néfice pour lui, devait être, à mérite égal, préféré à
tout autre. Les papes avaient institué ce droit de préfé-
rence pour favoriser l'observation des règles canoniques
et débarrasser l'Église de ministres indignes.
L'action en dévolu devait être intentée dans les trois
mois. Celui qui soutenait ce procès ne pouvait entrer
en jouissance du bénéfice qu'après le prononcé de la
sentence, et mention de la cause spéciale du dévolu
devait être faite dans l'acte de provision. Cf. Thomas-
sin, ancienne el nouvelle discipline de l' Église, f&rl. Il,
I. I, c. il, n. 7-12. t. il, p. 321! s,,.
L'impétralion et l'attribution d'un bénéfice ecclésias-
tique à de pareilles conditions s'appelait dévolu, ou
dévolul [devolutum). On donnai! le nom de dévolutaire
.i ('lui qui l'obtenait, et le nom de dévolutéà celui qui
en >tait exclu. De là vinrent les expressions : plaider
t\n dévolu : obtenir un dévolu ; jeter son dévolu sur un
bénéfice, c'est-à-dire le solliciter de cette façon; puis,
on en vint à dire simplement jeter son dévolu sur quel-
que chose, pour signifier qu'on prétendait .i sa posses-
sion, ou qu'on arrêt, ni n choix, sur tel objet.
dévolutaires n'étaient pas toujours supposés agir
uniquement dans les intérêts de l'Eglise, mais aussi i I
souvent pour leurs propres intéi ôts. I In les soupçonnait
donc, bien des fois, 'i être mus par l'ambition, l'avarice
■ i la cupidité. Les canonistes gallicans étaient particu-
lièrement si ère •( li 'i gard, disanl qu'ils n'étaient
dignes d'aucui msidération, mais bien plutôt de
Dbation el de pris. Il- a hésitait ul i"- à leur
donner des épithètet ofli osante telles que celli
de bénéfici de procès,
Impétrante* jun devolulo non favoredigni tunt,
umunii ii
udicantw Sunt beneficiorum erutcato-
i i benefii ioruni .
nantê», rxpiematomr
■ itttmmnm, fortunit alienis inhiante». Louet,
"c. n. 1 12.
m '• . i' Ancii nne el nouvelle
diteipline d< oc, cil.
Le concile de Trente publia un décret très important
pour suppléer à la négligence des chapitres des églises
cathédrales, qui, dans les huit jours après la mort de
l'évéque, n'auraient pas élu un vicaire capitulaire pour
l'administration spirituelle du diocèse, et un économe,
ou commissaire de la mense, pour l'administration des
biens temporels. Il décida que, passé ce laps de huit
jours, le droit d'élire le vicaire capitulaire et l'économe
serait dévolu, ipso facto, au métropolitain. Dans le cas
où il s'agirait de l'église métropolitaine elle-même, et
que le chapitre fût négligent, le droit d'élire serait
dévolu à l'évéque le plus ancien de la province, anli-
quior episcopus ex suffraganeis. Enfin, s'il s'agissait
d'une église cathédrale exempte, le droit serait dévolu à
l'évéque le plus rapproché. Sess. XXIV, c. xvi, Dereform.
III. Discipline actuelle. — A notre époque, la
plupart des degrés de la hiérarchie ecclésiastique,
intermédiaires entre l'évéque et le souverain pontife,
sont devenus des titres purement honorifiques, tels
que ceux de patriarches, de primats, etc. Par suite, le
droit de dévolution, quoiqu'il n'ait pas été formellement
abrogé et subsiste encore en théorie, se réduit prati-
quement à peu de chose, si l'on excepte celui du
métropolitain pour suppléer à la négligence des cha-
pitres des églises cathédrales dans l'élection du vicaire
capitulaire, sede vacante. Dans les autres cas, si les
collateurs ordinaires, prélats, évèques, etc., sont négli-
gents, le droit de -conférer les bénéfices est dévolu
directement au saint-siège. Cf. Wernz, Jus Decrelalium ,
part. II, c. n, tit. xv, S 4, n. 32i, t. n, p. i'(2.
Fagnan, Commcntaria in quinque libros Decretalium, 1. III
De concessione prsebendx, c. Il, n. 21-40, 5 in-fol., Venise,
1G97, t. m, p. 187 sq. ; Tliomassin, A ncienne et nouvelle disci-
pline de l'Eglise louchant les bénéfices et les béné/iciers,
part. II, 1. I, c. Li, Du droit de dévolution, 3 in-fol., Paris, 1725,
t. n, p. 322-325; lteitl'enstuel, Jus canonicum universumjuxta
quinque libros Decrelalium, 1. I, tit. x, De supplenda negli-
gentia prselatorum, s 1, n. 1-16; §2, n. 17 27, 6 in-fol., Venise,
1730-1735, t. i, p. 246-248; Leurenius, Forum ecclesiaslicum in
quojus canonicum explanatur, part. II, q. ix.cxxxvii-dccxi.v,
5 in-fol., Venise, 1729; Schmalzgrueber, Jus ecclesiasticum uni-
versutn, 1. I, tit. x, S 1, n. 1-0, 12 in-4\ Rome, 1843-1845, t. I,
p. 124-430; Pichler, Jus canonicum secundum quinque Decre-
talium Htulos, I. I, tit. x, n. 1 sq., 2 in-fol., Venise, 1750, t. I,
1 ; llinscliius, System des Uuth. Kirchenrechts, 8 in-fol.,
Berlin, 187K, t. III, p. 167-173; De Angclis, Pnrlectioucs juris
canonici ad methodum Decretalium, 1. 1, tit. x, n. 1-6, 4 in-8-,
Rome, 1**9- 18.it, 1. i, p. 185-192; Wernz, Jus Decretalium,
part. II. C. u, lit. xv,§ 'i, n. 324-326, 5 in-4", Rome, 1898-1907, t. n,
],. iin-'i't'i: ( ijrtti, Si/nupsis t erum moralium et juris pontiflen,
alphabetico ordine digesta, V Devulutio, 2 in-'r, Prato, 1905,
i. i, p. 542.
T. Ortolan.
DEVOTI Jean naquit à Rome, le 11 juillet 17V't.
Entré dans l'état ecclésiastique, il se sentit, de bonne
heure, porté spécialement vers l'étude de la jurispru-
dence. Il y réussit à tel point que, docteur en l'un et
l'autre droit, et avocat à la cour romaine, il fut. à
peine âgé de vingt ans, nommé professeur de droit
canonique à l'université de la Sapience, Pendant vingt-
cinq ans il occupa cette chaire que tant d'autres avaient
illustrée, el lui donna un nouvel éclat. Les succès de
son enseignement lui acquirent une grande réputation,
Bl le mirent en vue pour les plus hautes dignités de
l Eglise. Pie VI lecréa évoque d'Agnani, a quarante-cieq
1789). Quinze ans après, Devoti, ayant résigné Bette
charge, fui attiré à la cour pontificale pai PU \ll. qui
im <i' m na le titre d'archevêque de Carthage in purtibus,
le lii des brefs bus princes, camérii r secret,
i .m -u i i.iir îles s.c. de l'Immunité, de l'Index et de plu
sieurs aotr ind Pli \ 1 1 ndil ■< P
pour le de Napoli On I . il voulut que Devoti fui
parmi les prélats qui devaient l'accompagner. Devoti
mourut a itnme, le 18 septembre 1890, el fut inhumé
dam l'église de Sainl Eustache.
G79
DEVOTI — DÉVOTION
080
Le plus renommé et le plus répandu de ses ouvrages
est celui qui a pour titre : lnslilulionum canonicarum
libri quatuor, î in-8°, Rome, 1785, très souvent réédita
depuis avec de nombreuses additions de l'auteur, non
«seulement en Italie, mais en Espagne et en Allemagne :
Rome, 1814; Rologne, 1818; Gand, 1816, 1822, 1830;
Venise, 1827, 1834, 1836, 1838, 1852; Liège, 1860, etc.
Ces lnsliluliones se distinguent par la limpidité du
style, par la sûreté delà méthode et la clarté de l'expo-
sition, comme aussi par des notes historiques très
appréciées. Devoti s'était proposé de combattre surtout
les erreurs d'Eyhel, qui, pendant la dernière moitié du
xvme siècle, avait fait tant de mal en Allemagne, par
ses écrits en faveur du joséphisme, condamnés par
l'Index, le 6 décembre 1781. Cf. Schulte, Die Ge-
schichte der Qucllen und Lileratur des canon. Redits,
Stuttgart, 1875-1880, t. m, p. 528 sq. ; Hurter, Nomen-
clator, t. ni, col. 680 sq. L'ouvrage de Devoti parut si
décisif pour la défense des doctrines orthodoxes, que
le roi d'Espagne ordonna, en 1817, qu'on ne se servirait
désormais, à l'université royale d'Alcala, que de ses
Instilutiones pour l'enseignement du droit canonique,
à l'exclusion de celles de Cavallari, dont on avait usé
jusqu'alors, et qui venaient d'être mises à l'Index avec
toutes les œuvres de cet auteur, par le décret du
27 janvier 1817, parce qu'il y professait, entre autres
erreurs, la supériorité du concile sur le pape. Cf. Hurter,
Nomenclator, t. ni, col. 443. Vu leur mérite, les
Instilutiones de Devoti furent également adoptées par
l'université de Louvain et par le séminaire Saint-Sulpice,
de Paris.
On a prétendu que les notes historiques si pleines
d'érudition, insérées presque à toutes les pages des
Institutiones, ne furent pas l'œuvre de Devoti, mais
celle de l'un de ses plus illustres élèves, le jeune
François-Xavier Castiglione, plus tard cardinal et pape
sous le nom de Pie VIII. Cette opinion fut répandue
dans le public par divers auteurs. Moroni, Dizionariu
di erudizione slorico-ecclesiaslica, 109 in-8°, Venise,
1840-1879, t. lui, p. 172 sq. Michaud s'est fait l'écho de
ce bruit. Biographie universelle, v° Pie VIll,t. xxxm,
p. 232. Mais un simple rapprochement de dates montre
combien peu celte opinion est fondée. Ces notes, en
effet, se trouvent déjà dans la l'e édition des Institu-
tiones, en 1785, et Devoti les revendique comme étant
de lui : Reliquum est ut aliqind dicam de notis, quibus
Instilutiones lias meas illuslrandas curavi. Prœfatio,
p. vil. Professeur depuis une vingtaine d'années, en
possession des fruits de nombreuses recherches, et
dans le plein épanouissement de son talent, Devoti
pouvait écrire ces notes remarquables; mais comment
les supposer l'œuvre d'un jeune homme de vingt-quatre
ans à peine, car Pie VIII était né en 1761 ? Comment
admettre que, pour la partie la plus difficile de son
ouvrage, le professeur si apprécié ait dû recourir à la
collaboration d'un de ses élèves encore inconnu, se
soit approprié son travail, et, sans aucune indication
qui pût faire soupçonner le contraire, l'ait présenté au
public, comme son œuvre à lui? Cette opinion est consi-
dérée comme une fable par les critiques plus mordernes,
tels que Nilles, Acl. theol. Œnip., t. î, p. 282; Wernz,
Jus Decrelalium, part. III, tit. xvi, Historia lilteraria
juris ecclesiaslici a concilio Tridenlino usi/ue ad
Leonem Xlll, S 2, n. 319, 5 in-4», Rome, 1898-1907,
t. î, p. 401.
Les autres ouvrages de Devoti sont : 1° De notissimis
injure legibus libri duo, dont la 6e édition fut publiée
à Rome en 1830. Cette œuvre est aussi estimée pour la
pureté du styl<; que pour l'importance du sujet. 2" Juris
canonici universi publia et privati libri quinque.
Dans la pensée de son auteur, ce dernier ouvrage
devait avoir de vastes proportions; mais l'Age et les
infirmités l'empêchèrent de le terminer, quoiqu'il y
eût travaille'' pendant longtemps. Les trois premiers
volumes seulement ont pain, et ils n embrassent que
les deux premiers livres des Décrétales, 3 in-4°, Rome.
1803-1815, 1837.
Micliaud, liiouraphie universelle, t. x, p. 591 sq. . t. xxxm,
p. 232: Moroni, Dizionario di erudizione storico-ecclesiastica ,
109 in-8-, Venise, 18i0-1879, t. Lin, p. 172 sq. ; Scbulte, Die Ge-
8chichte der Quellen und Literatur des canon. Rechls, Stuttgart,
1875-1880, t. m, p. 528 sq. ; Hurter, Nomenclator, t. ni. col. 077:
Wernz, Jus Dccretulium, part. III, tit. XVI, $ 2, n. 319, 5 in-4*,
Rome, 1898-1907, t. î, p. 401 sq.; h'irchenlexikon, t. m,
col. 1650-1 051.
T. Ortolan.
DÉVOTION. — I- Nature. II. Relalions avec la per-
fection. III. .Moyens principaux d'acquérir, de conser-
ver et de développer la dévotion.
I. Nature. — /. Définition. — Au strict sens théo-
logique, c'est l'acte de la volonté se donnant avec fer-
veur au service divin. — 1° L'objet vers lequel se porte
la dévotion est l'objet même de la vertu de religion, ou
le culte divin intérieur et extérieur dans lequel est
également compris le culte religieux rendu aux saints
comme serviteurs et amis de Dieu. Appartiennent en-
core à cet objet toutes les pratiques extérieures du culte
et leurs objets sensibles; car notre nature ne peut
s'accommoder d'un culte purement spirituel et l'Église
impose à tous ses fidèles quelque culte extérieur. Voir
Culte en général, t. ni, col. 2410-2411.
2° Par la dévotion la volonté se porte avec ferveur
vers le culte divin. — 1. Cette ferveur consiste premiè-
rement et principalement dans la ferme détermination
de la volonté de rester fidèlement dévoué au service
de Dieu, même malgré la douloureuse et fréquente
étreinte des désolations et épreuves spirituelles. Cette
ferveur de la volonté, appelée aussi dévotion substan-
tielle, est tout à la fois le fondement assuré sur lequel
repose toute la pratique de la dévotion et la cause de
tout son mérite devant Dieu. Sans elle, la dévotion
purement sensible n'a plus ni consistance ni utilité
vraie. Avec elle, l'âme reste tranquillement inébranlable
au service de Dieu malgré les fluctuations des impres-
sions sensibles. Même dans l'aride désolation des puri-
fications passives et en l'absence de toute consolation,
comme cela arrive surtout aux âmes fortes que Dieu
purifie d'une manière plus intense et plus rapide, la
dévotion substantielle continue à mouvoir et à soutenir
l'âme dans ses pratiques habituelles. Ajoutons toutefois
que celte dévotion, grâce à l'ardente charité qu'elle
suppose, cause toujours à l'âme quelque joie ou délec-
tation spirituelle que ne peuvent empêcher les plus
dures épreuves de la partie sensible. Schram, T/ieologia
mystica,%> édit., Paris, 1848, t. î, p. 146. — 2. A cette
dévotion substantielle de la volonté peut se joindre
fréquemment la dévotion accidentelle consistant dans
une abondante joie spirituelle causée à l'intelligence
et à la volonté par la considération ou contemplation
de l'infinie perfection ardemment aimée. S. Thomas.
Sum. theol., II» 11"=, q. lxxxii, a. 4; q. ci.xxx. a. 7, ou
même dans la délectation sensible qui souvent résulte
de nos fortes affections ou émotions spirituelles. Ces
eifets sensibles de la joie spirituelle peuvent aller jus-
qu'aux larmes, lbid., q. LXXXII, a. 4, ad 3um. Par le
contentement qu'elle répand dans l'âme et l'attrait
qu'elle donne pour les choses célestes, la dévotion
accidentelle surtout affective est un puissant stimulant
d'activité spirituelle et de vertu solide, à condition
d'être constamment accompagnée d'une humble dé-
fiance de soi-même et de faire tendre efficacement à la
vertu solide et à la vraie perfection.
3° Cette ferveur de la dévotion suppose dans la vo-
lonté la charité, la religion et la piété, et dans l'intel-
ligence une foi suffisamment éclairée et agissante. —
1. C'est la charité envers Dieu qui est la source pre-
mière et principale d'où jaillit et où s'alimente sans
681
DÉVOTION
682
cesse l'amour du service divin, tandis que la vertu de
religion dicte immédiatement à la volonté aimante les
actes religieux auxquels elle doit se dévouer. S. Tho-
mas, Sum. l/ieol., ID IIe, q. LXXXir, a. 2, ad l"m. La
religion est encore aidée dans son rôle par le don
complémentaire de piété, qui nous incline à rendre plus
parfaitement à Dieu considéré comme notre père tous
les devoirs qui lui sont dus. S.Thomas, Sum. theol:,
lla H", q. cxxi, a. 1. Ajoutant au motiC général de la
vertu de religion le motif plus puissant de la piété
filiale, la piété augmente dans la volonté l'inlensité de
la charité qui rejaillit sur la ferveur de la dévotion.
A cause de leur rôle prépondérant dans la genèse de la
dévotion, la charité et la piété sont souvent identifiées
avec elle. — 2. Les actes de la volonté que supposent
la dévotion, la piété, la religion et la charité, doivent
primitivement s'appuyer sur une foi suffisamment
éclairée et agissante. Car c'est un principe très assuré
que la foi doit diriger les actes de la volonté dans sa
recherche de la lin surnaturelle et des moyens qui y
conduisent, comme la raison doit conduire la xolonté
on tout ce qui est du domaine naturel. S. Thomas,
Sum. Iheol., II» IL, q. n, a. 3. Il est d'ailleurs très
certain qu'il n'y a point de charité ou d'amour sans
connaissance, hien que l'amour puisse être aussi aug-
menté par l'expérience ou connaissance pratique résul-
tant de l'intime jouissance de l'objet aimé. Voir t. II,
col. 223Ô. C'est donc dénaturer la dévotion que de la
représenter uniquement comme une exubérance d'un
sentiment religieux plus ou moins instinctif. Concept
familier à beaucoup de protestants pour qui d'ailleurs
la foi elle-même n'est le plus souvent qu'un vague sen-
limenl religieux. iibservons d'ailleurs avec saint Tho-
mas, que la perfection de la connaissance ou de la
science, loin de nuire à la dévotion, l'augmente plutôt
dès lors qu'elle ne se complaît point en elle-même et
qu'elle reste humblement soumise à Dieu. Sum. iheol.,
Il» U«, q. i.xxxn, a. 3, ad 3
4° La ferveur de la dévotion, au lieu d'être l'acte
passager que nous venons d'analyser, peut être une
disposition habituelle, constamment existante dans la
pratique des actes du culte divin. Alimentée par une
généreuse et constante charité et Fortifiée par les dons
du Saint-Esprit, particulièrement par le don de piété'
el par les dons d'inl el de sagesse,
cette disposition habituelle est encore puissamment
aidée par une incessante pratique des mômes devoirs
généralement accomplis. Pour être parfaite, cette dé-
votion habituelle doit se porter non seulement aux
actes religieux commandés par quelque précepte divin
ou ecclésiastique, mais encore à ce qui est recommandé
comme plus agréable à Dieu. Cette définition de la
dévotion adoptée par saint François de Sales, Introduc-
tion " la vie dévole, c. i. se rencontre fréquei en!
chez les théolog ii n ascétiques.
5 Enfin, dans un sens plus particulier, on donne le
nom de dévotion ou dévotion particulière à toute pra-
tique habituelle d'actes religieux commandés ou non
command -. caractéris - par un objet spécial. Telles
V(mt ls dévoi au saint Bacremenl ou au Cœur sacré
lie Jésus, la dévotion •• la très sainte Vierge ou à son
cœur ires pur, ;,„, quelque .mire
Suivant la - inction dont I Église les honon
ommandi du moins
i" m ipalei manifestations, ou simplement
mesure sagement r< itreinte. Pu-
bliques quand ter» nt su nom de
ni, dans i
coni. Quelle que soit leur
i.i direction de
pratiquées sm-.., ni ion nfoi
ne ne ni ei décret du concili de I n *<\. . //, ,, ,■■
acrli ima i
bus, sess. XXV, on doit s'abstenir de toutes les pra-
tiques cultuelles que l'Église réprouve, n'en réprouver
aucune qu'elle autorise, et ne point devancer le juge-
ment de l'Eglise sur celles qu'elle n'a point encore
sanctionnées. L'Église a d'ailleurs toujours interdit aux
fidèles toute dévotion publique ou particulière entachée
d'erreur ou de superstition. Elle s'est toujours opposée
à toute nouveauté, même apparente, qui n'offrait point
de litre suffisant de justification. Si elle en approuve
quelqu'une, c'est après mûr examen de sa pleine légi-
timité et moyennant certaines conditions déterminées.
Toujours, d'ailleurs, elle a énergiquement défendu
contre les hérétiques de tous les temps les pratiques
légitimement appuyées sur le dogme traditionnel et
sur l'usage constant des fidèles. Cette direction de
l'Église doit être invariablement suivie. On doit aussi
se conformer à l'esprit de l'Église suivant lequel les
dévotions publiques ou particulières sont de simples
moyens de réaliser plus efficacement et plus sûrement
l'observation des commandements de Dieu et de l'Église,
de tous les devoirs de la vie chrétienne et d'aider à la
pratique de la vraie perfection. Loin de conférer au-
cune exemption ou dispense des devoirs chrétiens ou
d'en diminuer l'importance, ces dévotions doivent
plutôt aider à leur intégral accomplissement. En ob-
servant fidèlement sur ce point l'esprit de l'Église, on
dissipera ou l'on préviendra les reproches les plus
habituels adressés à la dévotion catholique.
//. QUALITÉS PRINCIPALES. —Comme elles ressortant
suffisamment de la définition précédente, nous nous
contenterons de les résumer succinctement : 1° La
dévotion ayant sa source première dans la charité et
devant finalement tendre à Dieu comme fin dernière,
sera d'autant plus parfaite qu'elle sera plus exempte
d'amour-propre et de recherche de soi-même et qu'elle
s'attachera plus généreusement à suivre parfaitement
la volonté de Dieu. — 1. Rechercher sa propre satis-
faction dans l'exercice de la dévotion, en tirer vanité
ou en prendre occasion pour s'estimer au-dessus de
ceux qui ne la pratiquent point, c'est profaner les dons
de Dieu et ruiner l'ordre providentiel, Pour nous
contenir dans un humble désintéressement et nous
apprendre à tout attendre de lui et à ne rechercher que
lui, Dieu prend soin de nous laisser Fréquemment expé-
rimenter notre propre infirmité. Par le détachement
des consolations spirituelles ou sensibles et par la
constante el généreuse conformité à la volonté divine
au milieu des plus dures épreuves, l'âme s'enracine
fortement dans l'habitude de la plus pure charité et \
puise toute sa perfection. — 2. Cependant la recherche
ou la demande humble el résignée des divines faveurs
est conforme au plan providentiel, quand on reste
parfaitement soumis à la volonté de Dieu cl que l'on
se propose uniquement de progresser dans son amour
par lencouragemcntet la force qu'elles donnent à l'âme.
Schram, op. cit., t. t, p. 147; Meynard, frotte* de la
vie intérieure, 3" êdit., Paris, 1899, i. i. p. 86 sq.
D'ailleurs, la proposition opposée a été condamnée en
Molinos par Innocent M, le 20 novembre 1687 : i.'i'i
detiderat ci atnplectitur devotionem lensibUem non
lerat necquatrii Deum ted teip$um; et maie agit
r,n,i ,11)11 detiderat <■/ eam habere conatur (/m per
viam iuii'i mini incedit tant m locii tocris quam in
iiichiis soletnnibuB. Prop, 27, Denzinger,
lu édit., n. 1347.
i Pour mieux atteindre son but final, pour se main-
tenir dans m iacte orthodoxie toujoui is,<-
menl exigée par l'Eglise el pour éviter de nombreux
. la dévotion doit consti m s'appuyer sur une
foi suffisamment > i lairéi i . |
les mpérieuri religieux el les directeurs spirituels qui
doivent pi", uni abondi ml aux fidèles el surtout
aux .'unes plu- parfaite*. l'instruction . < I . ■ i \ . m
683
DEVOTION
(184
la puiser avec soin dans la doctrine traditionnelle de
l'Église et dans l'enseignement le plus autorise'' des
théologiens. Nous n'avons point à examiner ici si, de
fait, d.ins l'histoire de la dévotion ou des dévotions, cette
nécessaire qualité a toujours été pleinement réalisée
dans tous les fidèles. Les lacunes qui pourraient être
constatées sur ce point ne pourraient être aucunement
attribuées à la direction de l'Église ou à l'enseignement
théologique autorisé par elle.
II. Relations avec la perfection. — 1° La dévotion
substantielle, provenant d'une charité fervente et cons-
tante, suppose, surtout quand elle est habituelle, quelque I
réalisation permanente de la perfection ou y conduit
facilement. Car cette charité fortement établie dans
l'àme et la disposant à faire constamment et prompte-
mentee que l'on sait être plus agréable à Dieu, c'est la
perfection elle-même. Voir t. i, col. 2038 sq.
En même temps, la dévotion substantielle contribue
puissamment au développement de la perfection, par
l'emploi constant et fructueux des plus puissants moyens
de perfection, la mortification, la prière, la méditation
et la contemplation. La dévotion substantielle, généreu-
sement maintenue dans les douloureuses épreuves des
purifications passives, a une valeur et une efficacité
particulièrement intenses pour la sanctification per-
sonnelle à cause des vertus héroïques qu'elle suppose
ou fait pratiquer.
2° La dévotion accidentelle, considérée en elle-même,
ne suppose point nécessairement l'acquisition de la
perfection. Dieu se plaît parfois à la dispenser libérale-
ment aux débutants qui n'ont point encore dépassé la
voie purgative. Il veut ainsi les détacher des affections
périssables et les attacher définitivement à son amour.
Il est non moins vrai que la dévotion accidentelle
n'aide point toujours effectivement à l'acquisition de la
perfection. A l'âme imprudente qui s'y comptait ou s'y
affectionne excessivement et qui en prend occasion de
négliger la mortification et les vertus solides, elle peut
devenir une occasion de perdition. Mais quand elle
procède d'une ardente charité et qu'elle est accompa-
gnée d'une humble défiance de soi-même, d'une cons-
tante résignation à la volonté divine et de sérieux efforts
vers les solides vertus, elle aide puissamment à la vraie
perfection. Celte efficacité est particulièrement intense
dans les ineffables jouissances qui résultent de la con-
templation mystique et qui ont pour effet immédiat
dans l'âme un très grand amour envers Dieu et envers
le prochain. Philippe de la Sainte-Trinité, Summa
theologix mysticx, Paris, 1874, t. ni, p. 108 sq.; Mey-
nard, Traité delà vie intérieure, 3e édit., Paris, 1899,
t. il, p. 113 sq.
3° Les dévotions particulières, publiques ou privées,
peuvent être d'excellents moyens auxiliaires de perfec-
tion, suivant leur nature et leur importance et suivant
l'esprit avec lequel on les pratique. C'est ce que réalisent
principalement les dévotions dont le but immédiat
entièrement spirituel est intimement lié avec la charité
et les autres vertus chrétiennes.
Bien différentes peuvent être parfois les dévotions
où l'on se propose surtout l'obtention de faveurs
temporelles. Directement stériles au point de vue ascé-
tique pour les âmes trop oublieuses des dispositions
spirituelles toujours nécessaires, elles peuventeependunt
procurerde sérieux avantages, en soulageant de réelles
misères, en maintenant quelque pratique de la prière
et en facilitant l'accomplissement de quelques devoirs
religieux. Il appartient aux prêtres d'éclairer et de
diriger les fidèles de manière à assurer aux dévotions
autorisées par l'Église leur plein effet spirituel et â en
écarter les défauts qui les discréditent parfois aux
yeux des non-catholiques.
III. .Moyens principaux d'acquérir, de conserver
et de développer la dévotion. — Il n'est point néces-
saire de montrer dans la grâce divine la source pre-
mière d'où procède, avec tout bien surnaturel, toute
vraie dévotion. Nous avons seulement à indiquer lés
moyens qui produisent immédiatement en notre âme
cette salutaire disposition. On peut avec saint Thomas,
Suni. theol., IIa II», q. i.xxxii, a. 3, les ramener tous â
la méditation ou contemplation. Selon saint Thomas,
cette méditation ou contemplation est toute considéra-
tion de la vérité divine, dont le but principal est
d'exciter et d'augmenter notre charité envers l'infinie
perfection de Dieu. Op. cit., q. CLXXX, a. 1. Qu'elle ait
pour objet les effets de la puissance et de la miséricorde
divine dans les créatures ou qu'elle se porte immédia-
tement sur les perfections divines, la contemplation
tend toujours à exciter en nous une ardente charité
envers Dieu, charité d'où jaillit spontanément la ferveur
de la dévotion. Op. cit., q. lxxxii. a. 3. Voir Contempla-
tion, t. m, col. 1617. Mais pour produire en nous cet
effet habituel, la méditation ou contemplation doit être
précédée et accompagnée de la pratique du recueille-
ment intérieur et de la mortification ou modération
constante des passions aptes à distraire et à tourmen-
ter l'âme. Op. cit., q. clxxx. a. 2. Elle doit encore
s'appuyer constamment sur la prière, source habituelle
de lumière pour l'âme, et sur les autres moyens provi-
dentiels de communication de la vérité divine, tels que
l'enseignement d'autrui, les lectures pieuses, et les
réflexions personnelles, lbid., a. 3, ad 4am. Enfin le
saint docteur exigeque la contemplation tende incessam-
ment non à la connaissance intellectuelle, si louable
qu'elle soit, mais â la charité vraiment effective, avec
tous les sacrifices qu'elle exige de nous, q. clxxx, a. 1
et 7, ad lum.
Cet enseignement de saint Thomas résume fidèlement
les moyens partiellement indiqués par les Pères et
autres ascétiques antérieurs. S. Ambroise, De institu-
tion virginis, c. il, n. 10 sq., P. L., t. xvi, col. 308;
S. Grégoire de Nysse, De instituto c/irisliano, P. G.,
t. xlvi, col. 304; Cassien, Collaliones, collât. X,c. xiv.
P. L., t. xlix, col. 843; S. Jean Climaque, Scala para-
disi, gradus xxvm, P. G., t. lxxxviii, col. 1133;
Hugues de Saint-Victor, Erudilionis didascalicx, 1. V,
c. ix, P. L., t. CLXXVI, col. 797; De modo orandi, c. I,
col. 977 sq. ; S. Bernard, De consideratione, 1. I. c. vu.
P. L., t. clxxxii, col. 736 sq.
De tout ce qui précède l'on est en droit de conclure
que les personnes particulièrement obligées par état à
la perfection et à des devoirs qui ne peuvent convena-
blement s'accomplir sans la dévotion au moins substan-
tielle, sont tenues à quelque pratique habituelle de la
méditation ou contemplation des choses divines. Con-
clusion applicable non seulement aux personnes
engagées dans l'état religieux, mais encore aux prêtres
séculiers particulièrement obligés â la perfection par
leurs fonctions sacerdotales et par leur ministère.
Voir t. I, col. 2040. Enseignement d'ailleurs fortement
exprimé par saint Grégoire le Grand, exigeant que le
pasteur des âmes soit prx ciinclis contemplât ione
suspensus, Rcgulx pasloralis liber, part. II, c. v,
P. L., t. i.xxvn, col. 32, et que sludiose quotidie sacri
eloquii prxcepta meditetur, ut in eo vim solticitudiniî
et erga cxlestem vitam providœ circumspcctionis
quant humanx conversationis usus indesinenter de-
slruil, divinx admonilionis verba restaurent; et gui
ad vetustatem vitx per societatem sxcularium duci-
tur, ad amorem semper spiritalis patrix compun-
ctionis aspiralione renovetur, col. 48. C'est aussi la
pensée de saint Bernard, De consideratione, 1. I, c. vu;
1. II, c. IV, ix. xi-xiii, P. L., t. clxxxii. col. 736 sq..
745 sq.
S. Thomas, Sum. theol., II" II', q. î.xxxu; S. .lean de la
Croix, /.« montée du Carmel, 1. 111. c. xxxv sq., (Ktirres,
Paris, 1893, t. m, p. 186 sq.; Thomas de Vallgornera, Myftica
685
DEVOTION — DIACONESSES
686
tkeologia divi Thomœ, q. lv, disp. I, a. 14, Turin, 1891, t. n,
p. 90 sq. ; S. François de Sales, Introduction à la vie dévote,
1. I, c. i; Jean de Jésus Marie (f 1615), Opéra omnia, Florence,
1772. t. Il, p. 518 sq. ; Antoine du Saint-Esprit (f 1677), Dire-
ctorium mysticum, tr. III, disp. II, sect. xvi, n. 195 sq., Paris,
1904, p. 292 sq. ; Philippede la Sainte-Trinité. Summa theologise
mysticx, Paris, 1874, t. II, p. 256 sq. ; Scliram, Theologia
mystica, 2' édit., Paris,' 1818, t. I, p. 138 sq. ; Meynard, Traité de
ta vie intérieure, 3" édit., Paris, 1899, t. I, p. 85 sq., 207 sq.,
403 sq., 530 sq. ; Frederick William Faber, Groivth in holiness,
2' édit., Londres, iar>5, p. 396 sq.
E. Dl'BLANCHY.
DEZ Jean, controversiste, né à la Neuville-au-Pont
près de Sainte-Menehould (Marne), le 3avriH6i'3, entra
dans la Compagnie de Jésus en 1660. Après avoir ensei-
gné la rhétorique et les mathématiques à l'université
de Pont-à-Mousson et exercé un ministère fructueux à
Sedan, un des centres principaux du calvinisme fran-
il fut premier recteur du nouveau séminaire épis-
copal de Strasbourg (1682-1691); recteur, par deux fois,
de l'université épiscopalede la même ville (1704-1708 et
1711-1712); il gouverna aussi plusieurs provinces de
son ordre, la Champagne trois fois, la Gallo-Belgique
et la France (Paris); il mourut à Strasbourg, le 12 sep-
tembre 1712. Il s'occupa beaucoup de la réunion des
protestants, mais ne fut pas d'abord trop heureux dans
son programme en quatre pages, contenant 31 articles :
Articuli fideiprœcipui ad unionem utriusque Ecclesise,
Romano-catliolicœ et lutlieranœ, qui fut publié à son
insu et sans nom d'auteur, à Strasbourg, en latin et en
allemand, 1685. Vivement attaqué par les docteurs lu-
thériens d'Allemagne, ce programme fut mis à l'Index
de Rome, sans doute comme ne sauvegardant pas la
plénitude de l'enseignement catholique. En 1687, il
donna La réunion des protestans de Strasbourg à
l'Église Romaine également nécessaire pour leur salut,
et facile selon leurs principes, in-8°. Ce volume, qui
porte en tête, entre autres approbations, celle de Bos-
suet, très élogieuse, a été réédité à Strasbourg (1689)
et à Paris (1701), augmenté des réponses de l'auteur
aux écrits que deux ministres avaient publiés contre
son ouvrage, Une traduction allemande, due au savant
converti Ulrich Obrecht, préteur royal de Strasbourg,
parut dans cette ville, in-8", 1688. Un autre travail consi-
dérable du P. Dez, La foy des chrétiens et des calho-
lique» justifiée conti tes, les Juifs, les Maho-
inélans, les satinions et les autres hérétiques .ouvrage
où l'on réduit la foy à ses irritables principes, et où
l'elle est toujours conforme à lu m
ne fui édité qu'après la mort de l'auteur par le I'. de
Laubrussel, >-n i in -12. avec dédicace au roi, Paris,
171 i Le P. H' / publia sous le voile de l'anonymat deux
opuscules pour la défense 'l'- Fénelon contre Bossue!
■ n 1697 el 1698. Enfin on lui attribue la rédaction de
quelques-uns des mémoires qui furent présentés à la
du Sainl Office, en 1697 el Kilts. ,.„ faveur de la
pratique des missionnain - de la Compagnie de h
concernant la tolérance des rili
De I Bibliothèque ■'<? la us, lu-
it», col. 3" Vomenclal
• Int.cr !r:i . |t. ,,,,,. | ,,-, ,
Lèvre I nnales des pi
1871).
I
•I. BRI CK1 R.
DIABLE. Voir lu mon, col. 321 - |.
DIACONAT. Voir lu
DIACONESSES. I I il | ,„„,
IH.Qualili - n quises. I\
\ Eitinction de i ordri .. \ i. n,
1.0 Oriçi i
des femmes, vierges ou veuves, officiellement char-
gées de certaines fonctions attenant au ministère ecclé-
siastique. Leur institution n'est pas, comme celle des
diacres, rapportée dans les livres du Nouveau Tes-
tament. Il n'est pas douteux cependant qu'elle ne
remonte à l'âge apostolique. Dès les débuts des com-
munautés chrétiennes, on dut sentir le besoin de
créer, pour le service spirituel des femmes, surtout
pour sauvegarder les règles de la décence dans les
cérémonies du baptême, qui se conférait habituelle-
ment à des adultes et toujours par immersion, un office
qui serait confié à des personnes du sexe féminin. Les
textes ne manquent pas du reste, qui en attestent
l'ancienneté.
1. Trois passages de saint Paul peuvent s'y rapporter.
a) Le premier, qui se lit Rom., xvi, 1, parait absolu-
ment probant. L'apôtre y recommande aux Romains
de « recevoir dans le Seigneur, comme il convient aux
saints, notre sœur Phœbc, diaconesse de l'Église de
Cenclirées : 4>o:êr,v rijv àci),z>rfi fiixôiv, o'Tiaav xoù Stâxovov
tt(; èy.xAr,(îc'a; èv Ksvypeat;. » Il les engage à « l'assister
dans tous ses besoins, elle quia assisté bien des gens
parmi lesquels Paul lui-même. » Malheureusement, il
ne nous fournitaucune indication sur la nature de son
ministère. Les deux autres passages appartiennent à la
Ire Epitre à Timothée. — 6) Au c. m, f. 11, dans ce
qu'il dit des qualités nécessaires aux diacres, l'auteur
intercale cette proposition : « Que les femmes pareil-
lement soient dignes, n'ayant pas l'esprit de dénigre-
ment, sobres, fidèles en toutes choses. » Il est clair
qu'il ne parle pas des femmes en général, mais d'une
catégorie spéciale, d'une élite parmi elles. A-t-il voulu
désigner les épouses des diacres, comme le pense saint
Thomas? C'est possible, mais non probable; car alors
il eût sans doute rattaché ce verset aux précédents,
en disant : Que leurs femmes. Aurait-il eu en vue les
épouses des prêtres et des évoques, comme le veut
Estius'.' Ceci se comprendrait à peine, puisqu'il n'est
question dans le contexte ni desévêquesni des prêtres.
Il est bien plus vraisemblable que la mention incidente
de ces femmes a été amenée par la similitude, par le
rapprochement naturel de leur office et de l'office
des diacres. Aussi beaucoup d'interprètes catholiques
concluent-ils, à la suite de saint Jean Chrysostome,
Homil., xi, in 1 Jim., /'. G., t. t.xn, col. 553, qu'il
s'agit là des diaconesses. Cf. Eslius. In om.net Pauli
epislolas comment., I 'fini., m, 11. — c) Nous rencon-
trons au c. v, y. 9-11, de la même Epitre un troisième
passage qui mérite également attention, mais dont le
sens est plus douteux : « Qu'on n'inscrive comme veuve
que celle qui n'a pas moins de soixante ans et qui>
n'a\ant eu qu'un mari, mérite bon témoignage sous le
rapport des bonnes œuvres, qui a bien élevé ses enfants,
l'hospitalité, lavé les pieds des saints, secouru les
affligés, accompli toutes sortes de bonnes œuvres, Mais
écartes les jeunes veuves, i Selon certains commenta-
teurs, cette règle concernerait indistinctement toutes
les veuves pauvres nourries aux frais de la commu-
nauté, ses pensionnaires habituelles. Le nom de
sérail in employé' comme il l'est, Atl.. VI, I, à propos
de i Église de Jérusalem. Estius, "/'■ cit., m h, lue.
Mais d'autres pensent, el avec plus de raison, ce Bemble,
qu'il B'agit, dans notre texte, d'un collège de veuves
spécialement consacrées a Dieu, telles qu'il en exista
certainement un peu plus tard, ri secondant plus ou
moin i le < lergd 'lin son min I
social. Autrement, l'espliqucrait-on la sévérité des
condition ir l'apôln ' il paraîtrait* exorbi-
tant, dii M. Bellamy, d'exigei a la fois ni
el une perfection m haute pour l'admissibilité a des
distributions <i matériels, - En revendu
d< conditions toutes naturel!* i pour (aire pai !"■
d'un corps officiel cl choi-i folle ., . i. précl ment,
087
DIACONESSES
688
de tout temps, la situation des diaconesses. Voilà
pourquoi plusieurs ont cru les reconnaître dans les
veuves dont parle saint Paul. C'est en particulier l'avis
deTeriullien, Aduxorem, 1. 1,c. vu, P. L.,t. i, col. 1286,
et de saint Épiphane, Jlecr., lxxix, 3-'t, P. G., t. xi.fi,
col. 744-745. lit, de fait, les documents postérieurs, la
Didascalie des apôtres, par exemple, m, 1, et passim,
sous le nom de veuves désignent assez souvent les
diaconesses. C'est au point qu'ils appliquent sans plus
à celles-ci, comme prescription antique et aposlolique,
la règle de l'âge sexagénaire et que la Didascalie,
m, 8, leur attribue le pouvoir d'imposer les mains aux
malades. Cf. Didascalia et Constitutiones apostulo-
rum, édit. Funk, Paderborn, 1906, t. i, p. 182, 196. Ici
pourtant il y aurait plutôt lieu d'admettre entre dia-
conesses et veuves une distinction, qui se rencontre,
elle aussi, et plus fréquemment peut-être, dans les
textes anciens : les Constitutions apostoliques, III, 8,
édit. Funk, t. I, p. 197, proclament que les veuves doi-
vent « obéir aux évêques, aux prêtres, aux diacres, et
de plus aux diaconesses, ê'-t [J.f,v y.a\ raïç 5ia/.ovoiç ; »
nous y lisons, VI, 17, Funk, t. i, p. 341 : « Qu'on prenne
comme diaconesse une vierge pure, ou du moins une
veuve tidèle, honorable, qui n'ait été mariée qu'une
fois; » et tandis qu'elles assimilent, vm, 19, 20, Funk,
t. I, p. 525, le grade des diaconesses aux ordres sacrés,
en déterminant la manière dont « l'évêque, avec l'as-
sistance du presbyterium, des diacres et des diaconesses,
leur imposera les mains, » elles déclarent, vin, 24,
Funk, t. i, p. 529, que « la veuve ne reçoit pas d'ordina-
tion'ou d'imposition des mains : -/^Pa où yeipo-coveîTai. »
Il semble d'ailleurs que des personnes de soixante ans
ou davantage auraient pu difficilement remplir toutes les
fonctions que l'histoire des premiers siècles attribue
aux diaconesses. Le Testament de Noire-Seigneur Jé-
sus-Christ distingue aussi les veuves des diaconesses.
Il détermine les qualités qu'elles doivent avoir, le rite
de leur bénédiction par l'évêque, leurs attributions,
leurs fonctions qui consistent à louer Dieu le samedi-
et le dimanche et aux fêtes de Pâques, de l'Epiphanie
et de la Pentecôte, de veiller sur les diaconesses, d'ins-
truire les femmes catéchumènes, de reprendre les
chrétiennes, de visiter les malades et d'oindre les
femmes durant l'administration du baptême, 1. I, 40-
43, édit. Rahmani, Mayence, 1899, p. 94-105. Pour les
diaconesses, il n'indique aucun rite de bénédiction et
ne leur reconnaît d'autre ministère que celui de porter
l'eucharistie aux femmes malades, 1. II, 20, p. 142.
Elles habitent dans une maison près de la porte de
l'église, 1. I, 19, p. 26, et elles reçoivent la communion,
après les enfants, avant les femmes laïques, tandis que
les veuves communient après les diacres et avant les
lecteurs, 1. I, 23, p. 46. Cf. p. 153-166. La Constitution
ecclésiastique aposlolique, qui parle des veuves, voir
t. il, col. 1613, la Constitution ecclésiastique égyp-
tienne et les Canons d'Hippolyte ne connaissent pas
les diaconesses. Pour ces raisons, nous inclinons à
considérer le collège des veuves visées par saint Paul,
non pas comme identique, mais comme parallèle au
collège des diaconesses, ayant servi, d'abord régulière-
ment, puis partiellement,.à le recruter. Les veuves qui
occupaient d'abord le premier rang, ont peu à peu cédé
la place aux diaconesses et celles-ci ont finalement
rempli las fonctions des premières. Cf. Van Steenkiste
Actus apostolornv} illustrait, 4e édit., Bruges 1882,
appendice vi, De diaconissis.
2. Après saint Paul, le plus ancien témoin explicite
de l'existence des diaconesses aux premiers temps du
christianisme, se trouve être Pline le jeune, écrivant,
vers l'an 111, a ïrajan, Epist., 1. X, epist. xcvn, qu'il
a soumis à la torture deux chrétiennes honorées du
titre de « ministres »,ou diaconesses : Quo magis
necessarium credidi e.r duabus ancillis,quœ ministres
dicebantur, quid esset vert et per tormenta quxrere.
3. A ce témoignage, du commencement du n« siècle,
on ne peut en ajouter un autre, qui lui serait postérieur
d'une cinquantaine d'années. Il a été attribué au pape
Soter (165-174) par le pseudo-Isidore. Celui-ci a supposé
qu'à celte époque des femmes consacréesà Dieu s'étaient
attribué le droit d'encenser autour de l'autel et de tou-
cher les vases sacrés, comme les vestales brûlaient de
l'encens et tenaient le simpulum dans les sacrifices.
Cf. Labbe, Concilia, t. I, col. 586; Martigny, Diction-
naire des antiquités chrétiennes, Paris, 1865, p. 205.
L'interdiction attribuée à saint Soter a été conservée
dans le Décret de Gratien, c. Sacratas, dist. XXIII.
édit. Friedberg, Leipzig, 1879. t. i, col. 86 : « Soter pape
à tous les évêques d'Italie. Il a été rapporté au siège
apostolique que des femmes consacrées à Dieu, ou des
religieuses, se permettaient, chez vous, de toucher les
vases sacrés et les saintes pâlies et de faire des encen-
sements autour de l'autel. Qu'une telle pratique soit
abusive et digne de répression, c'est ce qui n'est dou-
teux pour aucun homme sage. En conséquence, par
application de l'autorité de ce saint-siège, nous voulons
que toutes ces choses soient radicalement supprimées,
et cela le plus têt possible; et de peur que cette peste
ne se répande davantage, nous ordonnons qu'elle soit
au plus vite bannie de toutes les provinces. » D'ailleurs,
les diaconesses, distinctes des veuves, n'apparaissent en
Occident qu'au Ve et au VIe siècle.
2° Origine du nom. — Si la fonction et l'ordre des
diaconesses remontent à l'aurore du christianisme, il
n'en est pas de même de leur nom propre et caracté-
ristique. La diaconesse s'est appelée d'abord, dans
l'Église grecque, soit r\ Siaxovo;. comme chez saint
Paul, soit yjv/] ôiâxovo;, soit même /vjpa, et dans
l'Église occidentale, diacona, vidua, virgo canoitica.
Cf. Duchesne, Origines du culte chrétien, Paris, 1889,
p. 329. Ce n'est qu'au IVe siècle, avec la traduction la-
tine de la Didascalie et avec les Constitutiones afo
slolorum, que nous voyons apparaître le terme nouveau,
en grec comme en latin, de diaconissa. Cf. Didascal.,
ii, 26, Funk, t. i, p. 104; Const. apost., m, 11; vi. 17;
vm, 19, 28, 31, Funk, t. i, p. 201, 341, 524, 530, 532.
Mais les Constitutions continuent à evnplojer concur-
remment les désignations anciennes r, Siâxovo;, il. 26,
58; m, 8, 16, Funk, t. i, p. 103, 171, 197, 211, et r:-,r,
Stdcxovoç, m, 16, Funk, t. i, p. 209. Les diaconesses
sont encore nommées 7;pe<jo-jTiô*e:, seniores, dans un
concile tenu à Laodicée vers 360, can. 11, et par saint
Épiphane, Hœr., lxxix, n. 4, à cause évidemment de
l'âge généralement requis pour la promotion à cette
charge. Cf. Hefele, Histoire des conciles, trad. Le-
clercq. t. i, p. 1003-1005.
II. Fonctions. — Le rôle des diaconesses s'est déve-
loppé avec le temps ; on constate aussi des différences
locales très notables. Nous tâchons de le résumer en
nous tenant aux grandes lignes de son complet épa-
nouissement.
1» Dans les Églises latine et grecque. — Pour l'Église
grecque, et aussi, bien que moins directement, pour
l'Église latine, la période classique du diaconat féminin
est principalement représentée par la Didascalie
(me siècle) et les Constitutions apostoliques (lin du iv).
En consultant ces sources, nous constatons que le mi-
nistère de la diaconesse était avant tout un office de
charité et d'hospitalité, analogue à celui que les diacres
remplissaient. Les diaconesses devaient : a) prendre
soin des pauvres et des malades de leur sexe et, au be-
soin, les visiter à domicile, Didascalie, ni, 8, 12,
Funk, t. i, p. 196, 208; Con.'.t. apost., m, 16, Funk,
t. i, p. 209; S. Épiphane, Hier., i.xxix, n. 3; b) exercer
une sorte de direction et de surveillance à l'égard des
« veuves ecclésiastiques », qui étaient tenues de Iput
obéir, Const. apost., m, 8, Funk, t. I, p. 199; et l'on
689
DIACONESSES
G90
peut croire, par analogie, que cette action directrice
s'étendait aux vierges chrétiennes; c) servir d'intermé-
diaires entre les femmes et les chefs de la communauté
et se trouver généralement présentes aux entretiens
particuliers des premières avec l'évêque, les prêtres et
les diacres, Const. apost., Il, '26, Funk, t. i, p. 105;
d) aider les personnes de leur sexe qui se préparaient
au baptême, en leur inculquant les éléments de la doc-
trine et en leur apprenant la manière de répondre aux
interrogations du ministre du sacrement, IVe concile de
Carthage, Labbe, Concilia, t. n, col. 1201; e) visiter
soit les catéchumènes soit les chrétiennes, notamment
dans les familles encore païennes et partout où les mi-
nistres ordinaires ne pouvaient décemment ou pru-
demment pénétrer, pour rendre tant aux convalescentes
qu'aux infirmes tous les bons offices que les circons-
tances comportaient, Didascal., m, 12, Funk, t. i.
p. 208; Const. apost., m, 16, Funk, t. i, p. 209;
cf. S. Jérôme, Epist., lu, ad Nepotianum, P. L.,
t. XXII, col. 532; /) se charger des visites et constatations
corporelles indispensables, suivant la discipline du
temps, en cas de procédure judiciaire contre des reli-
-i' uses accusées d'infidélité à leur vœu de chasteté,
S. Kpiphane, Hsev., i.xxix,3; gr) exercer une sorte de fonc-
tion liturgique, en gardant la porte par laquelle les femmes
entraient à l'église, ou au malroneum, et en veillant à
l'ordre, au silence, à la distribution des places dans
l'assemblée féminine, Const. apost., il, 58; vm, 28,
Funk, t. i. p. 171, 530; Epist. ad Anlioclienos, xn, dans
les Opéra de saint Ignace, P. G., t. v, col. 908; h) enfin,
prêter leur concours à l'évêque dans l'administration
du baptême des femmes. Ce ministère était de tous le
plus important; c'est même le seul mentionné dans
beaucoup de textes anciens, bien qu'il ne soit pas le
premier en date. On conçoit quelle en était l'utilité
alors que le sacrement se donnait généralement à des
adultes cl par immersion. Dans ce casdonc, le minisire
ne faisait la première onclion, celle du catéchuménat,
que sur le front, et les diaconesses achevaient d'oindre
le reste du corp^. Elles aidaient ensuite les baptisées à
entrer dans la piscine, puis elles les recevaient de la
même manière que les diacres faisaient pour les hommes,
et elles les présentaient, revêtues de la robe baptismale,
pour être confinm i - par l'évêque. Cf. Didascal., m, 12,
Funk. i. i. p. 208, 210; Const. apost., ni, 16, Funk.
t. i, p. 209, 211: s. Êpiphane, Expositio fidei, n. 21,
/'. '.'., t. xi.ii. col. 824,825. Les diaconesses procédaient
encore a la toilette funèbre dis chrétiennes. J. Hona,
lient»! liturgicarum, I. I, c. xxv, note 10, in-fol.,
I orin, 1749, p 358.
Nonobstant la multiplicité île leurs fonctions et la
Similitude de nom qui les rapprochait des diacres, les
diaconessi restaient bien en dessous du rang de ceux-
ci. Elles leur di raient respect et obéissance el ne
pouvaient agir que suivant leurs indications. Au 1. VIII,
c. xxvni. I iink, t. i. p. 531, di - Constitutions apost»-
liqut i ie, n, lison La diaconesse ne bénit pas et ne
fait nen de ce que li mi le prétri el les diacres; elle
quand les femmes sont
baptisées, ■ 'e ,l;ms |*jntérêl de la
d< cent • i mmunie le bous diacre, le lei
leur, le chantre. I,, diaconease,si, en l'absence du prêtre,
requii rent. Ni le loua-diacre, ni le
'" ■ ni le i hanln . m la di ni peuvent ex-
communier soi! clei lalquei
viteun du die ,
i luisirenl a di-
i'' là li irestii que men-
''•■""■ ' hi la i in., ii,,i. dam le heu saint, la
conti • l'administration proprement dHe du
bapti , bien que le l'autel, furent
'""e mi diacom • i>,
i nnk, t. i p 188 193, 198; Cotut,
apost., ut, 5, 6, 9, Funk, t. i, p. 189-193, 199. L'attri-
bution, faite par le pseudo-Isidore, d'une décrétale du
pape Soter pour interdire aux diaconesses de toucher
aux « pâlies » de l'autel et d'imposer l'encens, suppose
qu'à son époque ces vierges consacrées avaient usurpé
ces fonctions.
2° Dans les Églises syriennes. — Telles étaient les
bornes fixées au ministère des diaconesses par la légis-
lation canonique des Grecs et des Latins. Mais il faut
ajouter que, dans les communautés monophvsites ou
nestoriennes d'Orient, elles furent considérablement
élargies.
1. Dans l'Eglise nestorienne. — Chez les nestoriens,
les diaconesses suppléaient le diacre absent, pour
présenter aux femmes communiant dans le temple le
pain consacré et le calice. Elles faisaient la lecture des
livres sacrés dans les assemblées des femmes, sans
doute en dehors du service religieux proprement dit.
Enfin, elles avaient, au défaut des clercs, le soin des
lampes et même de l'autel. Elles conservaient du reste
le rôle sacramentel, si important et si nécessaire, que
nous leur avons vu remplir chez les chrétiens d'Occi-
dent. C'est ce que constate, entre autres, un synode
réuni en 676, dans l'île de Dàrin par le patriarche
Georges Ie1', lorsqu'il porte un canon 1 1e, où nous lisons :
« Que la diaconesse oigne de l'huile sainte les femmes
qui sont baptisées à l'âge adulte, el qu'elle accomplisse
à leur égard la cérémonie du baptême dans les choses
exigées par la pudeur. » Cf. Synodicon orientale, ou
Recueil de synodes nestoriens, publié, traduit et an-
noté par ,1.-15.' Chabot, Paris, 1902, p. i8G.
2. Dans l'Eglise nwnopliysite. — Au VIe siècle, sui-
vant la législation de Sévère, patriarche d'Antioche, et
de Jean bar Cursus, évèque de Telia ou Constantine,
les abbesses étaient diaconesses et pouvaient, en l'ab-
sence des ministres ordinaires, pénétrer dans le sanc-
tuaire et y faire la prière publique, donner l'eucharis-
tie à leurs religieuses, du moins en cas de nécessité, à
condition toutefois que ce fût dans leurs propres mo-
nastères et qu'elles prissent les saintes espèces là où
elles sont gardées sous forme de réserve, mais non pas
a l'autel pendant le sacrifice; car elles ne devaient pas
approcher de l'autel ni loucher la table sacrée.
Jean de Telia défend aux diaconesses d'administrer
la communion à un garçon de plus de cinq ans. Elles
présidaient l'assemblée des femmes et y lisaient les
Ecritures, même l'Evangile. Elles avaient aussi le droit,
si les prêtres et les diacres manquaient, d'offrir l'en-
cena, mais sans récitera voix haute la prière qui ac-
compagne d'ordinaire l'encensement. Si elles étaient
autorisées à pénétrer dans le sanctuaire, c'était pour
nettoyer l'autel, préparer les lampes et prendre soin
du mobilier liturgique. L'évêque pouvait leur permettre
île verser l'eau et le vin dans le calice, ainsi que cela
se pratique dans la liturgie monophysite, tout au com-
mencement de la messe; cependant elles ne partici-
paient pas directe nt aux fonctions de l'autel, comme
font les diacres, parce que, dit Jacques 'i Edesae, elles
sont iliai'on a de l'autel, mais des femmes ma-
lades, i Iles restaient chargées de l'onction de ces der-
aussi bien que de l'onction complète dans \,<
baptême di ■ toujours sous la surveillance du
prêtre. Enfin, ordonn es pour le service d'une église
d, i, i minée, elli dans
aucune autre. <;t'. Barhébrs n \ , i vu,
n, dans Mai, Scriptorum velerum novaeollectio,
t. \, p. 50, 51, J. Si d Assémani, Bibliolhe
talis, t. ii, dissertât, de monophysitis, t. m i>. p 847-
mi, Codex Mut ■ p 134 .
De Syrorum fide et disciplina in re euchari-
itica, Louvain, 1859, p 87, 203; Nau, dans le Canon
contemporain, 1908, i sxvi, p. ï 16 417,
m. Qualités n ses. — On ne conférait pas la
G91
DIACONESSES
092
charge du diaconissat à toutes sortes de personnes in-
distinctement. Or, dans les conditions auxquelles elle en
subordonne l'honneur, l'ancienne législation en appelle
généralement à l'autorité de saint Paul. Elle suppose
que c'est celte dignité que l'apôtre a en vue non seu-
lement I Tim., m, 11 , mais encore I Tim., v, 0-11 .
Effectivement, nous l'avons vu, le premier de ces deux
passages ne présente guère d'autre sens raisonnable;
et, quant au second, sans doute il ne nomme pas ex-
pressément, lui non plus, les diaconesses, mais ou
bien il les vise directement, l'appellation de veuve équi-
valant à celle de diaconesse, ou bien il s'applique au
collège des veuves ou « anciennes », presbylerse, qui
exerçait à l'origine, dans la partie féminine de la com-
munauté cbrétienne, une action parallèle à celle des
« anciens », presbyleri, parmi les bommes. Les diaco-
nesses proprement dites se recrutaient vraisemblable-
ment.dans ce corps qu'elles ont finalement remplacé.
Aussi voyons-nous : 1° qu'elles étaient choisies (y.ata-
li^i^ix), dit l'apôtre ; collocari, adlegi, dit Tertullien),
par les chefs de l'Église ou par l'assemblée féminine,
parmi les veuves qui n'avaient été mariées qu'une fois.
C'était une condition semblable à celle qu'on exigeait
pour les diacres et les prêtres. Delà vient que souvent,
dans les textes, les noms vidua etdiaconissa, viduatus
et diaconatus, apparaissent comme synonymes. Cf. Ter-
tullien, Ad uxorem, 1. I, c. vu, P. L., t. i, col. 1286;
De virginibus velandis, c. ix, P. L., t. n, col. 951. Que,
plus tard, on ait admis aussi des vierges, c'est ce que
nous atteste formellement, au ve siècle, saint Épiphane,
Exposilio fidei, 1. III, c. Il, n. 11, P. G., t. xlii,
col. 825, lorsqu'il dit des diaconesses qu'elles « vivent
dans la continence, soit veuves après un seul mariage, soit
vierges perpétuelles. » Mais les deux catégories doivent
avoir été reçues dans certaines églises bien plus tôt,
le même nom de veuves désignant d'ailleurs indiffé-
remment l'une et l'autre, à cause du noyau primitif.
Impossible, semble-t-il, d'interpréter autrement la
salutation que saint Ignace adresse, Ad Smyrn., xm,
Paires apostolici, édit. Funk, t. i, p. 286, aux « vierges
qui sont appelées veuves : 'At7izi.Coii.xi -àçTtapOsvou; Taç
2° Au point de vue de l'âge, toujours en supposant
une tradition apostolique, on exigeait la soixantaine
accomplie. Ici encore donc on entendait suivre la recom-
mandation de saint Paul, I Tim., v, 11-13: « Quant aux
jeunes veuves, écarte-les; car lorsque l'attrait des
voluptés les a dégoûtées du Christ, elles veulent se
remarier et se rendent coupables en manquant à leur
premier engagement. De plus, dans l'oisiveté, elles s'ac-
coutument à aller de maison en maison ; et non seule-
ment elles sont oisives, mais encore jaseuses, intri-
gantes, parlant de choses qui ne conviennent point. »
Dans l'application de cet article, comme dans celle du
précédent, des exceptions se produisirent assez vite,
et en partie sans doute pour la même raison. Le minis-
tère assigné aux diaconesses pouvait, en effet, deman-
der une force et une agilité qui se rencontrent malai-
sément dans des veuves sexagénaires. Tertullien signale,
De virginibus velandis, c. ix, P. L., t. il, col. 951, par
rapport à l'âge, un cas bien singulier. Il s'agit d'une
jeune fille Agée de vingt ans à peine, qu'un évêque
avait élevée à l'honneur du diaconat : Plane scio alicubi
virginem in viduatu ab annis nonduni viginli collo-
calam. Il est vrai que le bouillant Africain proteste avec
véhémence contre une anomalie qu'il qualifie de mons-
trueuse, alléguant l'usage apostolique de « n'élire à ce
siège » que des femmes « parvenues à la soixantaine,
mères de famille, n'ayant été mariées qu'une fois. »
Malgré des dérogations accidentelles, la limite d'âge
primitive fut maintenue en principe jusqu'au Ve siècle.
A la suite du concile de Nicée, can. 74 de la version
arabe, Labbe, Concilia, t. n, col. 287, saint Basile jus-
tifie encore l'entière application aux diaconesses du
texte de saint Paul ; et Théodose, par un décret daté de
Milan, en 390. confirme l'interprétation et les exigen-
ces canoniques : Nulla, nisi emensis sexaginla annis,
cui votiva domi proies sil, secundum prxceplum
aposloli, ad diaconissarnm consortium transferalur.
Code théodosien, 1. XVI, tit. n, 27. La disposition exi-
geant qu'elles fussent veuves et eussent des enfants,
fut abrogée la même année. D'autre part, c'est vers
cette époque, au témoignage de So/.ornène. //. E.,
1. VIII, c. ix, P. G., t. i.xvn, col. 1540, qu'à Constan-
tinople le patriarche Nectaire ordonnait la célèbre Olvui-
piade, qui n'avait pas encore atteint sa quarantième
année. Bientôt on en vint à permettre, par mesure géné-
rale, l'ordination à quarante ans. Le concile de Chalcé-
doine (151) le décida ainsi, can. 15, en prescrivant du
reste de soumettre les candidates à un examen sérieux.
Voir Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. il,
p.803sq.Asontour,.Iustinien, Novelle, CXXIH, 13, Corpus
juris civ., édit. Weidmann, Berlin, 1895, t. m, p. 604, lit
entrer celte disposition dans la législation de l'empire,
alors qu'il avait primitivement fixé l'âge de 50 ans, du
moins s'il faut admettre comme authentique le texte de
la Novelle, vi, 6, ibid., p. 43. Cf. Devoti, Inst. can., 1. II,
tit. n, p. 523. En 692, le concile in Trullo, can. 14, 40,
fit sien le décret de Chalcédoine. La nouvelle discipline
n'avait pas attendu ce moment pour s'implanter : on a
retrouvé l'épitaphe d'une diaconesse du nom [de Théo-
dora, morte en 539, à l'âge de 48 ans; une autre, nom-
mée Daciana, n'a vécu que 45 ans. Cf. Marligny, Dic-
tionnaire des antiquités chrétiennes, p. 206.
3° Autres qualités et obligations. — La législation
ecclésiastique exigeait de ces femmes une vertu et leur
imposait des règles de conduite en rapport avec les
fonctions religieuses dont elles étaient honorées. D'après
le canon 12 du prétendu IVe concile de Carthage, elles
étaient tenuesde connaître parfaitement tout ce qui inté-
ressait l'accomplissement de leur ministère. Elles de-
vaient aussi avoir fait profession monastique, ainsi qu'il
résulte de cette disposition du rituel grec qui leur pres-
crit de se pi-ésenter à l'ordination revêtues de l'habit
religieux. En qualité de personnes consacrées à Dieu,
elles n'administraient leurs propres revenus que sous
le contrôle des chefs ecclésiastiques. D'après la loi
théodosienne de 390, les diaconesses n'avaient que
l'usufruit de leurs biens, ceux-ci appartenant à leurs
héritiers naturels. Les donations et les legs testamen-
taires qu'elles auraient faits en faveur des pauvres ou
des églises étaient nuls de plein droit. Sozomène, H. E.,
1. VIII, c. ix, P. G., t. lxvii, col. 1539.
Le mariage leur était interdit après la réception du
diaconissat, et l'union qu'elles auraient alors prétendu
contracter était réputée nulle, comme l'est aujourd'hui
celle des hommes promus aux ordres sacrés. Concile de
Cbalcédoine, can. 15, Mansi, t. vu, col. 364; S. Basile»
Epist., clxxxviii, ad Amphilockium, can. 6, P. G.,
t. xxxn, col. 673. On ne leur permettait la cohabitation
sous le même toit qu'avec leurs proches parents. Le droit
ecclésiastique disposait à leur endroit de peines ana-
logues à celles que pouvaient encourir les [clercs. \
compris la déposition canonique. Aux termes d'une
constitution de Justinien, qui en appelait au supplice
des vestales infidèles, la violation de leur vœu de conti-
nence devait être punie de mort; mais les canons de
l'Eglise ne comminaient contre ce crime que la peine,
moins rigoureuse humainement, de la destitution ou de
l'excommunication. En vertu des mêmes lois civiles,
la mort par le glaive était réservée au corrupteur d'une
diaconesse, sans prescription de temps ni privilège de
noblesse, sans même l'intervention de l'autorité judi-
ciaire; et le coupable n'était pas excusé par le consen-
tement, fût-il démontré, de sa complice. Matthieu Blas-
tares, Quxst. matrim.,P. G., t. cxix. col. 1272, constate
693
DIACONESSES
694
qu'au Xe siècle la législation civile relative au mariage
des diaconesses était abandonnée et oubliée.
Relativement aux diaconesses pour lesquelles des
raisons de nécessité ou d'utilité avaient fait devancer
l'âge canonique primitif, les Novelles établissent qu'elles
seront tenues de résider dans des monastères de reli-
gieuses, au moins jusqu'à leur cinquantième année,
afin qu'elles n'exercent leur ministère qu'à l'abri des
regards des hommes et qu'elles ne soient point expo-
sées aux dangers d'une vie trop libre. Novelle, vi, 6,
Corpus juris civilis, édit. Weidmann, Berlin, 1895,
t. il, p. 43 sq. ; Nomocanon, tit. ix, c. XXVIII,
IV. Rang et situation canoniques. — Les diacones-
ses étaient constituées dans leur grade propre par
une imposition des mains ou ordination; elles rece-
vaient de l'évéque la ys-.poTovîa ou ysipoOîd!». Baronius,
Annales eccles., an. 3i, et quelques autres l'ont nié;
mais leur négation repose sur une méprise : ils ont
entendu comme énonçant une coutume générale ou un
principe le canon 19e du concile de Nicée, où, d'après
le contexte, il s'agit uniquement de quelques femmes
ambitieuses, de la secte des paulianistes, qui préten-
daient aux droits d'un ministère dont elles n'avaient
pas reyu le rite initiateur. Voir Hefele, Histoire des
conciles, trad. Leclercq, t. i, p. 616-618. Tous les textes
anciens sont formels. Le concile de Chalcédoine, par
exemple, en son canon 15e, applique ici les deux termes
consacrés de yzipozovia et -/stpoOEo-ia. -Mais il nous suf-
fira de citer les Constitutions apostoliques, xm, 19,20,
Funk, t. i, p. 524, qui non seulement attestent le fait de
l'ordination, mais en prescrivent la manière et la for-
mule : « Quant à la diaconesse, voici ce que moi, Barthé-
lémy, je dispose. Évêque, tu lui imposeras les mains avec
l'assistance du presbyteriurn, des diacres et des diaco-
!S, el tu diras : Dieu éternel, l'ère de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, créateur de l'homme et de la femme, vous
qui avez rempli de votre esprit Marie, Débora, Anne
et llolda, vous qui n'avez pas dédaigné de faire naître
d'une femme votre Fils unique, vous qui dans le taber-
nacle de l'alliance et dans le temple ave/ établi des
femmes gardiennes de vos saintes portes; jetez mainte-
nant un regard sur votre servante que voici, destinée
au diaconat : donnez-lui l'Esprit-Saint, purifiez-la de
toute souillure corporelle et spirituelle, afin qu'elle
remplisse dignement l'office qui lui sera confié, pour
votre gloire et à la louangr de rotre Christ, avec lequel
honneur el adoration soient à vous et au Saint-Esprit
dans tous les siècles. Amen, i Ce passage des Conttitu-
m est décisif. Il l'est d'autant plus que le même
ri cueil avait décrit en détail, vu, i-18, l' « ordination »,
•/ï'.'-oto v:a, des évéques, des pi des diacres, qu'il
décrit de même, 21, -11, V « ordination » des sous-
diacres el des lecteurs, et qu'il ajoute expressément,
'• que ni les confesseurs, ni les vierges, ni les
veuves, ni les exorcistes ne sont « ordonnés ».
I • s diaconesses entraient ainsi dans la hiérarchie
ecclésiastique, el leur ordre, suivant saint l-.piphane,
Ihr, , i.wix. ',. Expositio fidei, n. 21, l'.c.. t. xi.n.
col. Tt.'p. 77-2, en terminai! la chaîne. Elles étaient ins-
crites a la suite du clergé, au canon ou catalogue des
clercs ou i ntretenues pai mais à
un titre plus élevé que les personnes a \ con-
de Tolède, can, 1. •">. dam Labbe, Concilia, t. vi.
COl I aient, en ellet. awe le- clerCS, l-ur
Brand< non i tandis que les veuves
el i avrei de la communauti .
droit qu'à une pari des dlmea U Cotuti
tuttotu apostolique!, vm, 81, Funk, t. i, p. 682, sont
""■ ■ tel di - ..Mations
.■ni par h - .ii... ras distribuées au
a l'évéque
lui-même, quatn portions; au prêtre, trois poi I
diai n . di m iui ooi diacn i, aui l<
chantres, aux diaconesses, une seule. » Par assimilation
encore aux clercs inférieurs, les diaconesses étaient
soumises aux évoques, aux prêtres et aux diacres, sans
que les sous-diacres eussent sur elles aucune autorité.
C'est parce que l'on comprenait les diaconesses dans
la hiérarchie cléricale que le concile de Nicée, en sta-
tuant, par son canon 19e, sur la rebaptisation et la
réordination des clercs ordonnés par les paulianistes,
s'occupe aussi de leurs diaconesses, qui n'ont point
reçu, dit-il, d'imposition des mains et doivent donc
être considérées comme de simples laïques. Sous .lus-
tinien, Sainte-Sophie de Constantinople comptait 60 dia-
conesses dans son personnel ecclésiastique.
L'immatriculation des diaconesses au canon du clergé
leur valut d'être souvent appelées xocvovixaf, bien que
ce terme ait été appliqué également aux diverses sortes
de réguliers et spécialement aux membres des confré-
ries de sépulture, à Byzance.
Les monuments archéologiques témoignent, à leur
manière, de la considération dont jouit jadis cet ordre
dans l'Eglise, notamment pour sa coopération discrète
à la fonction enseignante. Nous lisons sur d'anciennes
pierres tumulaires cette formule, surprenante à pre-
mière vue : Vidua sedit..., elle a siégé, en qualité de
veuve, vingt ans, trente ans, etc., absolument comme
pour les évéques et les prêtres. Cette expression fait
allusion au siège, catltedra, sur lequel les veuves ecclé-
siastiques s'asseyaient pour catéchiser et exhorter. La
même pensée se retrouve dans ce texte de Tertullien,
De virginibus velandis, vin : Ad quam sedem, prmtev
annos sexaginta, non tanlum univirx, id est nuptae
aliquando, eligunlur, sed et matres. Nul doute que ce
trait ne convienne tout particulièrement aux veuves
promues à la dignité de diaconesses. On a mis au jour,
en certains carrefours des catacombes, des sièges taillés
dans le tuf et tout pareils aux chaires épiscopales,
mais qui, à raison de leur position, ne peuvent être
confondus avec elles. Au jugement des archéologues,
il est probable qu'ils ont servi aux diaconesses, que
plusieurs fresques de ces cimetières présentent assises
sur des sièges semblables. Cavedoni, Ragguaglio crit,
délie art. crist., p. 9.
Si considérées étaient les diaconesses qu'on vit, sur-
tout à Constantinople, des femmes de condition très
distinguée embrasser ce ministère et \ servir glorieu-
sement l'Église. La plus illustre fut Olympiade, au
IV siècle, qui, devenue veuve à dix-huit ans, refusa les
propositions de l'empereur Théodose, fut l'amie de
saint Jean Chrysostome, partagea ses travaux, répandant
parmi les pauvres de son diocèse d'inépuisables lar-
gesses, essuyant le contre-coup de ses disgrâces et de
ses persécutions et le consolant dans son exil; elle
mourut en 410. A la même époque appartiennent Pro-
cula et l'enladia, estimées aussi de saint Chrysostome,
qui leur adressa plusieurs lettres; Anastasie. qui fut
en commerce épistolaire avec Sévère, patriarche
d'Antioche; Macrine, so'ur de saint Basile el de saint
Grégoire de \\ssc, dont tous exaltaient la beauté' et qui
préféra le service du Seigneur aux brillantes perspec-
tives qui s'ouvraient devant elle; enfin I.ampadia, amie
de Macrine. nions encore Basilina, que Baronius ap-
pelle Regina, au \t siècle. Il arrivait aussi que les
femmes des personnages élevéi ans hautes dignités
ecclésiastiques, obligées qu'elles étaient par les canons
a entier dans les ordre* ou du moins a ne se point
irler, devinssent diai Uns! en advint-il de
e de sam: .le Nysse.
Hais le rang di diai s lui jamais tel que
leut ministère ne restât essentiellement distinct de
celui des ministres d'institution divine. Nous avons
consulté plus haut comment l< lulioru •ipmto-
leur Interdisaient tout ..(lire propre aux pri
..u aui diacres. Saint Epiphane dil également, h
695
DIACONESSES
fi'JC
i.xxix, 3 : . Si les femmes étaient appelées, dans le
Nouveau Testament, à exercer le sacerdoce ou à remplir
un autre ministère canonique (7, xavovtxtfv ti èpYaÇécrOai),
c'est à Marie, avant toute autre, que la fonction sacer-
dotale eût dû être confiée. Mais Dieu en a disposé dif-
féremment, en ne lui donnant même pas le pouvoir de
baptiser. Quant à l'ordre des diaconesses, s'il existe
dans l'Eglise, il n'y est cependant pas établi pour la
fonction du sacerdoce ni aucun ministère de ce genre.
Les diaconesses sont destinées à sauvegarder la décence
qui s'impose à l'égard du sexe féminin, soit en prêtant
leur concours dans l'administration du baptême, soit
en examinant celles qui souffrent de quelque infirmité
ou auraient été l'objet de quelque violence, soit en inter-
venant chaque fois qu'il y a lieu de découvrir lecorpsd'au-
tres femmes, afin que ces nudités ne soient pas exposées
aux regards des hommes qui accomplissent les saintes
cérémonies et qu'elles ne soient vues que des diaco-
nesses mêmes. » Déjà Tertullien avait dénoncé, Prœ-
script., xli, P. L., t. il, col. 56, comme d'intolérables
usurpations, les prétentions des femmes de certaines
sectes : Ipsœ niulieres liœrelicœ, quant procaces, quœ
audeant docere, coniendere, exorcismos agere, cura-
tiones repromiltere, forsitan et tingere! Et faut-il rap-
peler que saint Paul, le premier témoin de l'existence
et de l'utilité des diaconesses, Rorn., xvi, 1, a aussi été
le premier à interdire — et avec quelle énergie! — à
toutes les femmes sans distinction de prendre la parole
ou de prétendre enseigner dans les réunions publiques?
Vers le même temps, probablement la même année où
il recommandait aux Romains la diaconesse Phœbé, il
écrivait aux Corinthiens, I Cor., xiv, 34, 35 : « Comme
cela a lieu dans toutes les églises des saints, que les
femmes se taisent dans les assemblées. Il ne leur ap-
partient pas de parler, mais qu'elles soient soumises...
Il est malséant à une femme de parler dans une as-
semblée. » Un peu plus tard, il répétait, I Tim., n, 11,
12, la consigne en ces termes : « Que la femme écoute
l'instruction en silence, avec une entière soumission.
Je ne permets pas à la femme d'enseigner ni de pren-
dre autorité sur l'homme ; mais elle doit se tenir dans
le silence. »
_ De même que le ministère des diaconesses n'avait
rien de sacerdotal, de même leur ordination n'avait
rien de sacramentel. Jamais, dans les textes, le rite de
leur initiation n'est présenté ni comme divinement
établi ni, à plus forte raison, comme possédant de ce
chef une vertu sanctificatrice, une causalité instrumen-
tale pour produire la grâce et imprimer un caractère
indélébile. L'Église, en restreignant de bonne heure
et en finissant par supprimer l'ordre et l'office des
diaconesses, a bien montré qu'elle les tenait pour une
création ecclésiastique, essentiellement modifiable
suivant les circonstances. Saint Thomas, résumant
avec sa précision accoutumée la doctrine traditionnelle,
explique, Sun), theol., III» Supplem., q. xxxix, a. 1,
pourquoi il ne peut être question ici ni de sacerdoce
ni de sacrement : Qusedam requiruntur in recipïente
sacramentum quasi de necessilate sacramenti ; quœ
si desint, non potest aliquis suscipere neque sacra-
menlum neque rem sacramenti ; qusedam vero requi-
runtur non de necessilate sacramenti, sed de necessi-
late prœcepti... Dicendum ergo quod sexus virilis
requirilur ad susceptionem ordinum, non solum se-
cundo modo, sed etiam primo. Unde etsi mulieri e.r-
Itibeantur omnia quœ in ordinibus fiunt, ordinem ta-
men non suscipil, quia, cum sacramentum sit signum,
in Us quœ in sacramenlo aguntur requirilur non
solum res, sed significalio rei... Cum igilur in sexu
fœmineo non possit sif/ni/icari aliqua eminenlia gra-
dus, quia mulier slalum subjeclionis habel, ideo non
potest ordinis sacramentum suscipere. Cf. Chr. Pesch,
Prœlect. dogm., Fribourg-en-Brisgau, 1S97, t. vu,
p. 204, 283; Polile, Lehrbvch der Dogmalik, Paderborn,
1905, t. ni, p. 569; Devoti. 1 nsliluliones canon
I. I, tit. ix.
V. Extinction de l'ordre des diaconesses. — Le
diaconat des femmes, qui ne s'était pas développé en
tous lieux de la même façon, n'eut pas non plus par-
tout une égale durée.
1° En Occident, il se maintint certainement comme
institution régulière jusqu'au VIe siècle. *A cette époque,
les conditions du ministère ecclésiastique s'étaient mo-
difiées. Les baptêmes d'adultes étaient devenus relati-
vement rares, les diaconesses n'avaient plus guère l'oc-
casion d'exercer la principale de leurs fonctions litur-
giques. Des matrones ou de pieuses femmes, dépour-
vues de tout caractère officiel, suffisaient désormais à
remplir les devoirs de charité et de bienséance pu-
bliques qui s'imposaient à l'égard des personnes de
leur sexe. D'ailleurs, les vierges et les autres chré-
tiennes vouées à la vie religieuse se retiraient dans
les monastères, dont les abbesses recevaient parfois,
telle sainte Radegonde, l'ordination des diaconesses.
Fortunat, VilaS. Radegundis, n. 12, P.L., t. lxxxviii,
col. 502. En dehors de ces cas exceptionnels, le titre
de diaconesse semble représenter alors, surtout dans
les Gaules, une simple appellation honorifique, que les
veuves, les dames pieuses et même les moniales s'attri-
buaient indépendamment d'une ordination quelconque.
Plusieurs conciles de cette contrée décrétèrent l'aboli-
tion du diaconissat. Déjà le Ier concile d'Orange, en
441, s'était prononcé dans ce sens, en ajoutant que les
diaconesses existantes devraient se soumettre à rece-
voir la bénédiction ordinaire, que l'on donnait au
peuple : Diaconissœ omnimode non ordinandœ. Si
quœ jam sunt, benediclioni quœ populo impendilur
capita submiltant. Can. 26, dans Labbe, Concilia, t. m,
col. 1451; Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq,
Paris, 1908, t. n, p. 446-447. Celui d'Épaone (517)
abroge entièrement » la consécration des veuves que l'on
appelle diaconesses », ne leur laissant, si elles veulent
renoncer au monde, que le privilège de la bénédiction
pénitentielle : Viduarum consecralionem, quas diaco-
nas vocitant, ab omni regione noslra penitus abroga-
mus, sola eis pœnilentiœ benediclione, si converti
rnluerinl, imponenda. Can. 21, dans Labbe, t. IV,
col. 1578. Enfin le concile- d'Orléans (533) est on ne
peut plus formel : Vt nulli poslmodum fœminœ dia-
conalis benediclio, pro conditionis hujus fragililate,
credalur. Can. 18, Labbe, t. iv, col. 1782.
Ce n'est pas à dire toutefois que ces mesures, prises
pour des provinces ecclésiastiques déterminées, aient
eu immédiatement un effet universel. Les diaconesses
subsistèrent encore, sinon dans les Gaules, du moins
dans le reste de l'Occident. Un concile de "Worms, de
la seconde moitié du î.v siècle (868), reproduit sim-
plement le 15e canon de Cbalcédoine les concernant.
Can. 73, Labbe, t. vin, col. 958. Le Liber pontificalis,
édit. Duchesne, t. n, p. 6, mentionne des diaconesses
dans le cortège qui accompagnait Léon III rentrant à
Rome : Cunt sanctimonialibus et diaconissis et nobi-
lissimis matronis seu universis fœminis. Alton de
Yerceil (934-950), dans une lettre au prêtre Ambroise,
atteste à la fois la survivance et la décadence de l'in-
stitution des diaconesses. Episl., vin, P. L., t. cxxxiv,
col. 114. Trois papes du xie siècle garantissent à des
évèques suburbicaires le droit d'en ordonner : Be-
noit VIII (1018), à l'évèque de Porto, Epist., xvn, P. L.,
t. cxxxix, col. 1621; cf. Ughelli, llalia sacra, t. i,
p. 116; Jean XIX (1021-10331, à l'évèque de Sylva Can-
dida, P. L., t. cxxxu. col. 1056; S. Léon IX .1049), à
l'évèque de Porto, P. L., t. cxliii, col. 598. Certains
missels de même date contiennent encore l'oraison
Ad diaconissam faciendam : Exaudi Domine.
F. E. ^'arren, The Lœfric missal, in-8°, Oxford, 1883,
697
DIACONESSES
698
p. 216; Pontifical d'Egbert d'York, dans Martène, D
anliquis Ecclesipe ritibus, t. il, p. 99. L'Ordo roma-
nus IX, n. 3, édité par Mabillon, P. L., t. lxxviii,
col. 1003, signale encore la bénédiction des diaconesses
et le rite, distinct de la consécration des vierges et
des veuves, est décrit dans l'Ordo romanus, publié par
Hittorp en tête de son traité De divinis of/iciis, Cologne,
1568, p. 144. Mais à partir de cette époque, ce n'est plus
qu'à titre historique que les diaconesses sont mention-
nées parles écrivains occidentaux, par Hugues de Saint-
Victor, Pierre Lombard, saint Thomas notamment et
les autres scolastiques. La rareté du baptême conféré
alors aux adultes et la suppression du baptême par
immersion dans l'Église latine ont amené insensible-
ment l'extinction de l'ordre des diaconesses, sans qu'il
soit intervenu aucune décision de l'autorité ecclésias-
tique.
2° Dans les Églises orientales, les phases delà dispa-
rition se succédèrent d'une façon analogue, bien qu'un
peu plus lentement. Encore faut-il distinguer entre
Grecs, Syriens occidentaux et nestoriens.
1. A Constantinople, les femmes qui continuaient,
au xiii" siècle, à être élues au rang de diaconesses
n'en remplissaient plus le ministère traditionnel ; non
seulement elles n'approchaient pas de l'autel, mais
elles ne recevaient plus l'ancienne consécration. Leur
rôle se bornait à présider les assemblées féminines,
lialsamon, sur le canon 15e du concile de Chalcédoine,
P. G., t. cxxxvii, col. 142, et liesponsa ad inlerroga-
tiones Marci, resp. 35, P. G., t. cxxxviii, col. 987.
Dans plusieurs couvents, ce nom était devenu, comme
en Occident, un simple titre honorifique, pris abusive-
ment par des moniales. Les eucologes grecs du même
temps cessent de donner le rite de l'ordination diaco-
nale des femmes, témoignant ainsi qu'elle était tombée
en désuétude ou qu'elle n'existait plus qu'à titre d'ex-
ception.
2. Relativement aux Églises syriennes occidentales,
nous rencontrons, dans les dernières années du xir siè-
cle, un témoignage du patriarche jacobite Michel le
Grand (j 1199), qui permet encore, mais seulement
comme chose absolument exceptionnelle, d'ordonner
de véritables diaconesses. « Les diaconesses, dit-il, ont
cessé depuis longtemps, par cessation dos baptêmes
d'adultes et pour d'antres motifs. Toutefois le rite de
leur ordination subsiste dans beaucoup délivres, et si,
pour une raison urgente, un évéque veut en ordonner,
qu'il le fasse, à la condition de choisir des femmes de
bonne réputation el avancées en âge, selon le précepte
des Pères et des apôtres. » Cf. Sim. Assémani, Biblio-
Iheca orientalii, t. n, Disserl. de monophyritis. La
lation canonique du siècle suivant leur maintenait
Il - antiques pr< dont nous avons donné plus
haut l'énumération.
S. Les nestoriena se sont montres en ceci plus con-
iteurs que les autres communautés chrétiennes.
Le /."'< des Pères, traité des hiérarchies céleste et
ique, attribué à Simi on bar Sabbâé | 341),
mais œuvre probable de Siméon Schankelavaya, auteur
irien du xn asacre un chapitre aux dia-
donl il dit : i On les choisi! parmi les femmes
• renom de pureté el de crainte de Dit d el
unti ant i t ao-di nus Leur ministère con
les cérémonies du baptême des femmes, i n
tandis qu'elles plongent les bap
u, le prétn loil par une ouverture, soit
ten ml le do tourné, étend seulement la m. un.
poui m de la croix
, ' I nmei m et I onction totale- m
I ■ i iluel publié en I.W.I
donne encoi e i or
• lin il ; il ti moî( (e .iiii-i . | ■ ■ .,
■ / les chrétiens de P
et de Chaldée. Mais depuis lors cet ordre, aussi bien
que la vie conventuelle et les monastères de femmes,
a complètement disparu du milieu des mêmes commu-
nautés. C'est uniquement à titre de souvenir que le
pontifical nestorien conserve aujourd'hui la mention
des diaconesses dans les prières de la consécration
des évèques, là où le consécrateur appelle sur l'élu la
grâce de « créer des prêtres, des diacres, des diaconesses,
des sous-diacres et des lecteurs pour le service de
l'Eglise. »
4. Les Maronites ont encore aujourd'hui un petit
nombre de diaconesses. Suivant le synode tenu au
Mont-Liban en 1736, il n'y en a plus que dans les mo-
nastères de femmes. Les abbesses de ces maisons sont
ordonnées diaconesses et en remplissent les fonctions
à l'égard des religieuses qui sont sous leur autorité.
Elles ne distribuent pas cependant la communion,
même en l'absence de prêtre ou de diacre. Les évêques
peuvent encore, s'il en est besoin, ordonner des diaco-
nesses, pour remplir différentes fonctions à l'égard des
personnes de leur sexe. Colleclio Lacensis, t. Il,
col. 272.
VI. Diaconesses protestantes. — Le nom de dia-
conesses a été repris et remis à l'ordre du jour par le
protestantisme moderne, qui en a fait une application
nouvelle. Il le donne à des femmes groupées sous forme
d'associations charitables pour se dévouer au soin des
malades, à la visite des pauvres, à l'enseignement po-
pulaire et à d'autres services de ce genre.
"On sait qu'une des premières conséquences de la « ré-
formation » du xvie siècle pour les pays où elle s'est
installée en maîtresse, avait été la suppression des ordres
monastiques, la dispersion de leurs communautés, l'ac-
caparement de leurs couvents et de leurs biens par les
princes séculiers. Mais ave» les couvents étaient tom-
bées toutes les institutions de charitéet de bienfaisance,
toutes les œuvres consacrées au soulagement des mi-
sères humaines, dont ils étaient les centres, auxquelles
ils fournissaient et ouvriers et moyens matériels. Le
besoin de quelque chose qui put y suppléer se faisait
vivement et universellement sentir; il était reconnu et
publiquement avoué dans les milieux intéressés. Toute-
fois l'horreur du « monachisme >> et la crainte de faire
quoi que ce soit qui y ressemblât empêchèrent pen-
dant longtemps de rien essayer. Ce n'est que dans la
première moitié du xtx" siècle, à l'époque de ce raoti-
vement que les historiens du protestantisme appellent
« le réveil », qu'il se trouva enfin des hommes assez
courageux pour vouloir sortir de la phase des regrets
el des vieux stériles et passer à celle de l'action. La
pensée en vint, dit-on, presque simultanément à trois
pasteurs, dont chacun prépara son entreprise indépen-
damment des deux autres : c'était Th. Fliedner, de
Kaisers werth, pies de Dnsseldorf; Haerter, de Stras-
bourg, <t Vermeil, de Paris. Mais c'est Fliedner qui
doit être réputé historiquement le créateur des dit
ttesses protestantes, parce (pie, le premier, en 1836, il
mit son idée à exécution, ouvrant ainsi la voie où de
nombreux émules allaient bientôt le suivre.
i i.ins son intention, le nom même de diaconesses devait
rattacher le nouvel organisme aux origines de l'Église,
en évoquant le souvenir de ces généreuses chrétiennes,
Phœbé, les Priscille, les Perside, les Tryphème,
les Prypli odie, etc., que snint Paul mentionne
el qu'il appel le ses collaboratrices. Néanmoins,
linsl que plusieurs écrivains pr l'ont justement
inche ni remarqué, ce serait se tromper que de
conclure de l'identité du nom a l'identiti
dénommés entre les diai apostolique! et leurs
(elles, qile l'on CnlIMllere Oll l8 lâche,
soit li tni nt- des unes el de aotrt il n'y
;, qu ie et tort Imparfaite ressemblanci
cr. WkIhiu. iian- Herzog, Realencyclopâdie fur
699
DIACONESSES
700
protestantische Théologie, 2e édit. , Leipzig, 1877, t. in,
p. 581.
Quoi qu'il en soit, depuis ses origines, l'institution
des diaconesses, si elle a parfois rencontré de l'oppo-
sition, même parmi les coreligionnaires de Eliedner,
a pourtant pris de grands développements. C'est en
Allemagne que son essor a été le plus rapide et le plus
puissant. D'après une statistique de 1881, il y avait
alors en territoire allemand trente-deux fondations ou
maisons distinctes de diaconesses, comprenant environ
36i0 sœurs. Dans ce nombre, après la maison primor-
diale de Kaiserswerth, la plus remarquable est sans
doute celle de Neuendetlelsau, prèsd'Ansbacb (Bavière),
qui, par les écrits de son fondateur Lôhe, a exercé et
exerce une inlluence considérable sur l'esprit de toutes
les autres. L'exemple de l'Allemagne a été suivi à
l'étranger, quoique avec beaucoup moins d'entrain et
d'ampleur; et, dans la plupart des cas, on s'est inspiré
des idées et des règles adoptées en Allemagne. 11 y a
actuellement des maisons de diaconesses en Russie, en
Suède, en Norvège, en Danemark, en Angleterre, en
Hollande, en Autricbe-Hongrie, en Suisse. 11 en existe
également aux Etats-Unis. La France possède, pour sa
part, deux maisons mères à Paris ; elle a aussi quelques
établissements en province, par exemple à Nancy.
Chaque maison répartit ses sujets dans différentes
« stations», suivant les circonstances. En 1890, cinquante-
quatre ans après la première fondation, on comptait
soixante-quinze maisons mères ou fondations indépen-
dantes et 8478 diaconesses, dont l'activité embrassait à
peu près toutes les formes de la charité : hôpitaux,
hospices, orphelinats, pensions, dispensaires, établisse-
ment d'aliénés, refuges, etc.
Les créateurs et les organisateurs des diaconesses ont
toujours, par conviction assurément, mais peut-être
aussi en partie par un opportunisme nécessaire, c'est-
à-dire par ménagement pour l'opinion publique de
leurs milieux, proclamé hautement leur intention de se
tenir bien à distance des institutions catholiques simi-
laires : c'est pour cela qu'ils déclarent exclure les vœux
proprement dits de religion, surtout les vœux perpé-
tuels de pauvreté, d'obéissance et de chasteté; c'est
pour cela aussi que | lusieurs ont protesté contre tout
dessein de restauration même partielle de la vie con-
templative. Il semble que ces derniers aient craint un
retour à ce que Calvin appelait élégamment « l'ordre
oisif des nonnains. » Et pourtant, il faut bien le
reconnaître : malgré les craintes, les protestations et
les précautions, la plupart des établissements, parleur
organisation extérieure du moins, par leurs moyens et
leur forme de vie sociale, rappellent étrangement,
quelques-uns à s'y méprendre, les ordres religieux
dont s'honore le catholicisme. Le groupe des « Sœurs
de la Miséricorde », qui, fondé en 1864, a étendu son
action jusqu'à Ilonolulu, la capitale des iles Sandwich,
fut, le 23 août 1871, de la part de l'évêque Stanley,
l'objet d'une déclaration désobligeante, portant qu'il
était « fort utile dans les écoles, mais dangereux par
son organisation et trop semblable aux ordres romains. »
En Angleterre et en Amérique, les diaconesses forment
le plus souvent de véritables congrégations, qui sont
complètement sous la dépendance de l'évêque. De là
cette définition, formulée dans un manifeste épiscopal
et rapportée par le Rev. J. S. Howson, Deaconesses,
Londres, 1862 : « Une diaconesse est une femme qui a
été mise à part par l'évêque pour le service de l'Eglise
et revêtue par lui de ce titre. Il pourra toujours la
révoquer. »
Abstraction faite de ce trait, particulier aux instituts
de langue anglaise, et à s'en tenir aux grandes lignes,
on peut ainsi esquisser la physionomie commune des
maisons de diaconesses. Les postulantes, jeunes filles
ou veuves, qui n'y sont reçues généralement qu'après
dix-huit ans et avant quarante, doivent se soumettre à
une ('preuve de deux ans; pendant la première ain
elles s'appellent sœurs d'essai, et pendant la second'-,
novices ou sœurs adjointes. Vient ensuite la « consécra-
tion » (Einsegnung), à laquelle elles se préparent par
une retraite de huit à quinze jours. Elle est entourée
de différentes cérémonies religieuses, mais consiste
essentiellement dans rémission des « promesses des
diaconesses » et la réception d'une bénédiction par
imposition des mains du ministre ou de la supérieure.
Aux promesses ainsi émises, dans la plupart des maisons
on donne le nom de vœux, tandis qu'ailleurs on repousse
celte appellation comme équivoque et dangereuse.
Elles ont pour objet « l'obéissance, la bonne volonté
(WUligkeit) et la fidélité dans la fonction de diaco-
nesses. » A ces trois obligations certaines règles ajou-
tent celle de « franchise », entendant par là le devoir
de ne point contracter de promesse de mariage sans en
avoir averti au préalable l'inspecteur ou la supérieure
de l'établissement. Par ces mêmes promesses, la diaco-
nesse s'engage simplement « pour aussi longtemps que
le Seigneur la laissera dans cette vocation; » mais
chacune doit, par devers soi, avoir l'intention sérieuse
de persévérer indéfiniment, de se dévouer toute sa vie.
Les sœurs de chaque maison portent un costume
uniforme, et elles font ensemble un certain nombre
d'exercices pieux, qui constituent précisément leur vie
religieuse commune : prières, méditations, lectures,
assistance à l'office divin et à des conférences, partici-
pation à la cène, et, presque partout, « demi-heure
quotidienne de recueillement » (stille halbe Stunde).
La matière des lectures est très souvent fournie, sans
parler de l'Écriture sainte, par les ouvrages spéciaux
de Fliedner et de Lobe. Celui-ci a puisé abondamment
pour composer ses recueils et ses instructions, aux
sources canoniques, rituelles, ascétiques et hagiogra-
phiques dont l'Église a conservé le patrimoine tradi-
tionnel. Celles qui le suivent se meuvent donc, sans
s'en douter, sur un terrain catholique, elles vivent du
fonds doctrinal et moral, toujours inépuisable, du catho-
licisme. La congrégation des « Diaconesses du Mary-
land » a une règle qui prescrit même les six heures
canoniques de la prière. En dehors des pratiques
susdites, on recommande la confession et l'absolution
publiques, voire la c'onfession privée. Celle-ci, dit
Schàfer, « est le pivot de toute conduite spirituelle;
sans elle il n'est point de direction forte et efficace ».
Bien que, théoriquement, les sœurs doivent s'atta-
cher à leur vocation par pure reconnaissance pour
Jésus-Christ, en souvenir des grâces reçues de lui:
bien qu'elles ne doivent voir dans le célibat auquel
elles sont astreintes qu'une nécessité résultant de leurs
obligations d'état, et que le dogme protestant leur
interdise de rêver d'œuvres méritoires ou d'une excel-
lence intrinsèque de la virginité, l'expérience prouve
que beaucoup suivent l'indication concordante de la
raison et de la révélation chrétienne, en s'encourageant
dans leur tâche par l'espérance de la récompense
céleste; elle établit aussi que beaucoup, parmi celles
qui persévèrent, en viennent à envisager et à aimer la
virginité comme une condition en soi plus noble que
celle du mariage.
J'ai dit : parmi celles qui persévèrent. La plupart,
en effet, ne fournissent qu'un service temporaire. Les
meilleurs amis, les promoteurs les plus intelligents de
cette institution constatent le fait, en le déplorant et en
détaillant et recommandant les mesures, trop souvent
inopérantes, par lesquelles on tente d'j remédier. Des
160 sœurs qui ont desservi l'hôpital Elisabeth, de Berlin,
pendant une période de vingt-cinq ans, de 1837 à 1862,
cent-vingt, soit exactement les trois quarts, n'ont pas
persévéré. L'établissement de Bélhanie, dans la même
ville, a vu passer, durant une période égale (1847-t!
701
DIACONESSES
702
586 sœurs dont 337, c'est-à-dire plus de la moitié, ont
quitté l'habit. De 1836 à 1881, 1 054 sœurs ont été reçues
à la maison de Kaiserswerth ; de ce nombre, 110 sont
mortes comme diaconesses, tandis que 460, soit encore
la moitié du reste, « ont, dit Schàfer, contracté mariage,
sont rentrées chez des parents qui avaient besoin de
leurs soins ou se sont engagées dans d'autres car-
rières. » Le même auteur se plaint de la défiance à
laquelle les diaconesses se heurtent fréquemment
auprès des particuliers comme des autorités publiques,
et du petit nombre de recrues qu'elles font là où elles
devraientsurtouten trouver, parmi les filles des pasteurs.
.Malgré ses desiderata et ses imperfections, l'œuvre
de Fliedner et de ses imitateurs a son mérite propre,
que nous ne songeons pas à nier ou à dissimuler; elle
répond à une sorte de nécessité sociale. Les diaconesses
ont rendu et rendent des services très appréciables, et
beaucoup remplissent leurs devoirs avec une conscience
et un dévouement dignes de tous éloges. Leur création
et leur activité multiple feraient incontestablement
honneur au protestantisme, si elles n'existaient et ne
se maintenaient en grande partie à rencontre et aux
dépens des principes mêmes du protestantisme. Des
protestants, tels M. et Mme Agénor de Gasparin, en
France, le leur ont reproché et les ont combattues de
ce chef. De fait, il ressort de ce que nous avons dit
qu'elles s'organisent, se développent et se fortifient
précisément dans la mesure où elles s'éloignent des
théories fondamentales de la réforme sur l'individua-
lisme religieux, sur la gratuité du salut, sur l'immo-
ralité des vœux et des engagements delà vie monastique,
sur l'inutilité ou le danger tant de la vie contemplative
que d'une foule de pratiques extérieures, cultuelles ou
ascétiques. Par contre, si leurs organismes restent
faibles et branlants, s'ils soutirent de la tiédeur el de
l'inconstance des membres, si les défaillances et les
défections individuelles y sont de tous les jours, si le
succès enfin ne répond qu'imparfaitement aux vues
généreuses des créateurs et des promoteurs, cela tient
à des lacunes doctrinales et à des pauvretés inorales
que, seul, le retour à l'unité romaine pourrait combler.
Il n'est personne, parmi les protestants éclairés et im-
partiaux,qui, comparant les sœurs de charité catholiques
aux diaconesses, ne proclame la supériorité des pre-
miêrea, sous le rapport de la vitalité interne comme de
l'activité bienfaisante. Autant le fait est incontestable et
incontesté, autant les raisons en sont manifestes. Les
de charité s' pour toute la vie, de tout
leur cœur, Bans réserve ni arrière-pensée; aux diaco-
ii' ministère n'apparaît souvent que comme un
d'attente, parfois comme un pis-aller provisoii
Contre les difficultés inséparables de leur tâche, contre
les angoisses du doute, contn oùts et découra-
gements éventuels, les premières trouvent un refuge el
un appui BÛrs dans l'enseignement séculaire de l'J
concernant notamment la nécessité et le mérite des
œuvres charitables, l'excellence de la virginité et des
vœux de religion; cet appui et cet abri, les diaconesses
chercheraient vainement dans le sentimentalisme
'■t les ih '-ues, inconsistantes, du piétiame,
du néo-luthéranisme ou même de l'anglicanisme; or,
i trois tendant i - générales que semblent te
ni r pi' - |ue touti leurs maisons. C -ou lien
di la volonté pour loua l< a jour- el pour tous li a
"i1-. i al ut continuel d'un zèle el d un
uement qui n- doivent jamais se démentir, que
pourrait-on comparer i ci \w possède la sœur de
chariti dam m • t onstitution éprouvées
par i ■ ip< i ii r, .1 .n- la méditation el les
prièrei en com n el en particulier; dans des reti
i m la dire* lion de aupéi ieures, qui
omme elle, pour toujours i la roi ation
mune, ont touti aaconl tout dans la confi
sacramentelle, l'assistance à la sainte messe, la visite
au saint-sacrement, la communion fréquente ou quoti-
dienne? On a vu au prix de quelles inconséquences et
sous l'empire de quelles nécessités les fondateurs et
organisateurs des diaconesses ont tenté d'imiter ces
choses, de suppléer à ces ressources. Envisagés au point
de vue de la logique et de la cohérence intrinsèque,
tous leurs essais, tous leurs efforts se présentent encore
moins comme des imitations que comme de malheu-
reuses contrefaçons. Il est trop clair qu'à leurs pres-
criptions et règlements il manque une solide base
théologique, et elle manquera nécessairement jusqu'au
jour où, faisant un dernier pas, ils se décideraient à
rendre leurs œuvres purement et simplement catho-
liques. En attendant, ce n'est pas seulement par leur
constance, leur abnégation, leur aptitude et fous leurs
mérites professionnels, c'est aussi par leur puissance
de diffusion et de recrutement, que les sœurs de charité
continueront à laisser loin, bien loin derrière elles
leurs émules dissidentes. Sur ce dernier point, voici,
empruntée à une source non suspecte, au Lexikon fur
Théologie und Kirchenwesen, de Iloltzinann et Zopffel,
Leipzig, 1882, une constatation digne de remarque ;
« Dans la Prusse, où les protestants sont en majorité,
il y a plus de sœurs de charité catholiques qu'il n'y a
de diaconesses dans toute l'Église protestante; le nombre
des champs d'activité des premières en Prusse dépasse
celui des établissements desservis par les diaconesses
dans le monde entier. »
A consulter, en dehors de plusieurs ouvrages cités au cours de
cet article :
1" Sur les diaconesses en général, Funk, Didascalia et Con-
stitutiones apostolurum, I'aderborn, l'JOO, t. i; Th. Raynaud,
De sobria aUerius sexus frequentatione per sacros et reli-
giosos homines, c. vin, Lyon, 1633; J. Morin, Commentarius
de sacris Ecclesix ordinationibus, part. III, exercitatlo X :
De diaconissis, earum ordinatione et ministeriis, secundum
licclrsix grœcœ et latines praxim, Paris, 1655, p. 182-192;
Thomaaein, Vêtus et nuva Ecclesix disciplina, Paris, 1688,
c. xlix-li, p. 803-814; J. Pien (Pinius), dans les Acta sancto-
rum, t. xi. i, p. I-XXVin : De Ecclesix diaconissis; Binglian:,
Origines ecclesiastici, 1. Il, c. xxu, Halle, 1751, t. i, p. 351 sq.;
Goar, Rituale Grœcorum, Paris, 1C47, p. 262-207: llatlicr. De
sacris eleclionibus, part. Il, sect. iv, c. n, n. 14-20, édit. Migne,
col. 830 sq.; Binterim, Dentwùrdigkeiten der christ. -katho-
llschen Kirche, part. I, sect. il, c. i, s 0, Mayence, 1825, t. i,
p. 484-455; dom Parisol, Les diaconesses, dans la llevue des
sciences ecclésiastiques (Lille) de 1890, 8' série, t. îx, p. 289-
304,481-496; t. x, \>. 193-209; Martfgny, Dictionnaire des anti-
quités chrétiennes, Paris, lue,;,, art. Diaconesses, el Veuves
chrétiennes ;Chr. Pescb, Pralectiones iogmaticx, Kribourg-en-
B is:iT,t. vu, p. 264 sq. ; Petau, dans YAppendix dt
mi) qui fait suite au Panarium de Baint Êpiphane, /'. c,
t. xi.ii, col. 1079, 10*0; Hundhausen, dans le Kirchenlea
. Fribourg-en-Brisgau, Is84, t. m. art. Diaconissoi ;
.i Wordsworth, The tninistry of grâce, c. v, 2, Londres, 1903,
p. 276-282; S. Many, Pralectiones de sacra ordinatione I
1905, p. 170-183; une longue note de dom Leclercq, dans sa tra-
duction de llefele. Histoire des conciles, Paris, 1908, t. il,
p. 446-452.
2* Sur les données du JVouveai i aux
diaconesses, Beltamy, art Diaconesses, dans le Dictionn
la Bible, do \ > u, col. 1400-1401; Van Sleenklste, A dus
apostolorum illustrât), l* édit., Bruges, 1882, append. VI : De
Itres 'le saint Paul, traduci
enlaire, Paris, 1905, 1. 1, p. 336; t. n, p. 139, 140, ii"-i 19.
.'. sur les diaconesses syriennes, Sln
■ ' '. III h.
ianiê, p. B47-886 1 ^
I24aq.; Laxoy, De
i
18, 202-206,
', s ■■il • uses publica-
tions 'i'
n i mfan U, •< vol., Haml rg, is: •
\fonat n if l/ï ; : '
1880; Monatssi hrifl fur m>.
1
703
DIACONESSES — DIACRES
704
Hanke, etc., Gutersloh, 1880 sq. ; ensuite, le journal de Kaisers-
werth : Der Armen und Krankenfreund, Katserawerth, 18W
sq., el celui de Neuendettelsau : Corrcspondenzblatt der Dia-
conissenvon Neuendettelsau, Nordlingcn, 1808 sq. ; deux ouvra-
ges de LShe, Etwas aus der Gescliiehte des Diaconissenh.au-
ses Neuendettelsau, Niirnberg, 1870; Von der Barmherzigkeit,
2' édit.. Nôrdlingen, 1877; Adélaide liandau, Zwôlf Jahre als
Diaconissin, 2" édit., Berlin, 1881 ; Disselhoff, Der Rltein-
Westf, Diaconissen Verein und seine Arbcitsstiitten, Kaisers-
werth, 1882; Hundliausen, dans le Kirchenlexikon, article déjà
cité; Appia, dans le Dictionnaire des sciences religieuses, de
Lichtenberger, Paris, 1878, t. III, art. Diaconesses; Realency-
clopildie fur protestantische Théologie und Kirche, 3" édit.,
1898, t. îv, p. 604-016; G. Schul/.e, Bethanien, Die ersten 50
Jaltre und der gegemvàrtiger Stand des Diakonissenhauses
Bethanien zu Berlin, Berlin, 1897; ld., Tropfen aus stillen
Wassern, Leipzig, 1902; L. Algenstaedt, Frei zutn Dienst. Dia-
Itonissengeschichte, 3' édit., 1903; E. Wacker, Der Diakonis-
senberuf, 3* édit., 2 vol., 1902; Kirchliches Handlexikon, Mu-
nich, 1907, t. i, col. 1099.
J. FORGET.
DIACRES. Le diacre, suivant l'acception usuelle
du mot, est, dans l'Église catholique, le ministre sacré
qui occupe le degré inférieur de la hiérarchie d'ordre
divinement instituée, et qui reçoit, par son ordination,
le pouvoir d'assister immédiatement l'évêque et le
prêtre pour la célébration de la messe solennelle. —
I. Nom. et acceptions diverses. II. Origine. III. Nombre.
IV. Attributions. V. Institution divine. VI. Qualités re-
quises. VIL Nature sacramentelle de l'ordination des
diacres. VIII. Sa matière et sa forme. IX. Son céré-
monial.
1. Nom et acceptions diverses. — Le nom français
diacre dérive, par le latin diaconus, du grec Stâxovoç,
dont il est resté l'équivalent partiel et qui le repré-
sente dans la littérature primitive. Ces trois termes
ont une seule et même histoire ; une même évolution a
produit, dans la langue du chrislianisme, leurs diffé-
rentes significations, et ils ne peuvent convenablement
s'étudier qu'en celui qui est la souche commune. A son
tour, le substantif concret Scâxovo; correspond au verbe
StàxovsTv et au substantif abstrait £ia-/.ovc'a, qui nous
serviront à l'expliquer.
1° Atav.ovEÏv. — 1. En général, c'est aider, assister
quelqu'un, lui rendre service. En ce sens, le mot im-
plique une idée de subordination, de dépendance, qui
toutefois n'est pas accentuée comme dans son synonyme
SouXe'Jscv. Cf. Matth., iv, 11; vin, 15; xx, 28;xxv, 44;
xxvn, 55; Marc, t, 13, 31; x, 45; xv, 41; Luc, iv, 39;
vin, 3; x, 40; xn, 37; xvn, 8; xxn, 26; Philem., 13;
Heb., vi, 10; IPet., i, 12; iv, 10, 11.
2. De là -plusieurs acceptions particulières : a] ser-
vir à table. Ainsi, Luc, xxn, 17 : « Car quel est le
plus grand, de celui qui est à table, ou de celui qui
sert ? N'est-ce pas celui qui est à table? Et moi, ce-
pendant, je suis au milieu de vous, comme celui qui
sert. » De même Matth., vin, 15; Marc, i, 31; Luc, iv,
39; x, 40; xn, 37; xvn, 8; Joa., xn, 2. Act., vi, 2, 4,
ôiaxovstv TparcéÇouç est opposé à Siaxovca to-j Xoyou
upouxaptEpeiv ; non pas, pourtant, qu'il pût être ques-
tion pour les Douze qu'on leur proposât de servir
personnellement à table : ce qu'on leur demandait,
c'était de veiller à une juste répartition des aliments,
et c'est pour ce soin qu'ils firent élire les sept diacres.
— b) Assister, soulager l'indigence, recueillir et distri-
buer des aumônes. Rom., xv, 25; II Cor., vin, 19;
Heb., vi, 10. — c) Rendre service dans l'ordre du sa-
lut, mais en agissant d'après les volontés, sous la dé-
pendance d'un supérieur. Act., xix, 22, nous lisons :
•< Il (Paul) envoya en Macédoine deux de ses auxiliaires
(SiaxovojvTwv au™), Timothée et i^raste. » Cf. II Cor.,
m, 3; II Tim., i, 18. — d) Assister comme diacre, dans
l'acception postérieure et toute spéciale du terme.
C'est le cas pour I Tim., m, 10 : « Or, ceux-ci doivent
être d'abord éprouvés, et ensuite, s'ils sont trouvés
sans reproches, qu'ils exercent l'office de diacre (v.a-
y.ovciTi.iTjv); » et m, 13 : « Car ceux qui rempliss',,/
bien l'office de diacre (8iaxovr,o-avTe;) s'acquièrent un
rang honorable et une grande assurance dans la foi en
Jésus-Christ. »
2° Les diverses acceptions de Staxovt'a sont sensible-
ment parallèles à celles de Staxoveïv. — 1. Au substan-
tif aussi il faut reconnaître la signification générique
d'assistance ou de service rendu, d'un ministère quel-
conque, l'idée de dépendance que nous avons notée
dans le verbe tendant ici à s'atténuer. — 2. Quant aux
significations particulières, elles se succèdent dans le
même ordre que plus haut, avec cette différence que
le dernier sens, le sens technique, apparaît à peine
dans les écrits canoniques. — a) Le service de la table,
et parfois aussi les divers soins domestiques. — Marthe,
la sœur de Lazare, lors de la visite du Sauveur, Luc.
x, 40, « était occupée aux multiples besognes du mé-
nage (tcoXXt)v Bkxxovhxv); » et les Actes, vi, 1, nous par-
lent du « service quotidien » (des tables). — 6) Assis-
lance pécuniaire ou autre semblable, ministère de
bienfaisance, consistant à recueillir et à distribuer des
aumônes. Je dis : assistance en argent, distribution de
secoursou de dons, et non pas simplement secours, dons,
argent, comme on a traduit quelquefois. Cf. Erinoni,
Les premiers ouvriers de l'Evangile, t. i, p. 8, et, en
regard, Wilke-Grimm, Lexicon grœco-lalinum in li-
bros N. T., v° Aiaxovta. Les Actes nous racontent, xi.
29, que les disciples, instruits par Agabus de la famine
qui ravageait la terre, « résolurent d'envoyer, chacun
selon ses moyens, de quoi secourir £:: Scaxoviav jiéu.-
^at) les frères qui habitaient la Judée » ; xn, 25, nous
voyons que « Barnabe et Saul, après s'être acquittés de
leur ministère (de bienfaisance), s'en retournèrent de
Jérusalem, emmenant avec eux Jean, surnommé Marc, i
Saint Paul exhorte les Romains, Rom., xv. 31, à
adresser à Dieu des prières en »a faveur, « afin qu'il
échappe aux incrédules qui sont en Judée et que le
ministère (decharité) qu'il va remplir à Jérusalem soit
agréable aux saints; » II Cor., vin, 3, 4. il atteste que
tous les fidèles de la Macédoine « ont donné volon-
tairement, selon leurs moyens, et même au delà de
leurs moyens, demandant avec de grandes instances la
grâce d'être associés à ce ministère en faveur des
saints t>; ix, 1, il revient sur « le ministère en faveur
des saints », qu'un peu plus bas, ix, 12, 13, il appelle
encore « le ministère de cet office solennel» et dont il
dit que « non seulement il subvient aux nécessités des
saints, mais qu'il vaut à Dieu, par surcroît, de nom-
breuses actions de grâces, provoquées par l'expérience
de ce ministère. » — c) Service oit ministère en vue
de procurer le salut. — Celte acception est celle qui se
rencontre le plus souvent dans les livres du Nouveau
Testament. Saint Paul parle aux anciens d'Éphèse, Act.,
xx, 24, du « ministère qu'il avait reçu du Seigneur
Jésus », comme il en parlera plus lard aux Corinthiens,
II Cor., iv, 1; xi, 18, et à Timothée, I Tim., i, 12.
Rom., xi, 13, il déclare qu'il veut faire honneur à son
ministère; » I Cor., xn, 14, il atteste qu'il y a « diver-
sité de ministères sous un seul Seigneur; » Eph.. iv.
11, 12, il rappelle que Dieu a constitué dans l'Eglise
différentes fonctions « en vue du perfectionnement des
saints, pour l'œuvre du ministère, pour l'édification du
corps du Christ». La IIe Épitre aux Corinthiens oppose,
m, 7-9, « le ministère de la mort et de la condamna-
tion » au o ministère de l'esprit et de la justice. » donl
on peut rapprocher « le ministère de réconciliation,
mentionné v, 18. Un peu plus loin, II Cor., vi. 3,
l'apôtre affirme qu'il « ne donne aucun sujet de scan-
dale, afin que le ministère ne soit pas un objet de
blâme. »
Ce ministère en vue du salut, de même que Paul l'a
reçu du Seigneur, ainsi il le transmet à d'autres au nom
705
DIACRES
706
du Seigneur, et c"est dans le Seigneur que tous doivent
l'accomplir. En insistant là-dessus, l'apôtre montre qu'il
s'agit d'un but supérieur aux choses de ce monde, d'une
fin surnaturelle. Voilà pourquoi il mande aux Colos-
siens, iv. 17, de dire de sa part à Archippe : *< Consi-
dère le ministère que tu as reçu dans le Seigneur, afin
de le bien remplir; » c'est dans le même sens qu'il
écrit à Timotbée, II ïim., IV, 5 : « Quant à toi, sois
circonspect en toutes choses, endure la soullrance, fais
l'œuvre d'un prédicateur de l'Évangile, sois tout entier
à ton ministère. » Aussi bien les anges eux-mêmes sont,
Heb., I, 14, « envoyés pour exercer le ministère dans
l'intérêt de ceux qui doivent recueillir l'héritage du
salut; » et Rom., xii, 7, le ministère est mis au nombre
des charismes, mais des charismes entendus assuré-
ment dans l'acception large du mot, celle que connaissent
les documents de celle époque. Cf. Bruders, Die Ver-
fassung der Kirclie, p. 69 sq., 396.
Nous retrouvons ce sens spirituel, mais général, du
terme 5 ta ovi'a dans les Pères apostoliques. C'est ainsi
(|ue la 7a Cor., de saint Clément, xi., 5, I'unk, Paires
apostolici, 2e édit., Tubingue, 1801, t. i, p. 150, men-
tionne les ministères propres aux lévites de l'ancienne
loi. Saint Ignace adopte plusieurs fois la même accep-
tion : Ad Magn., vi, 1, Funk, t. i, p. 23 i-, il déclare que
le ministère de Jésus-Christ a été confié aux diacres; »
Ad Philad., I, 1, Funk, t. I, p. 26i. il enseigne que
a l'évéque ne tient ni de lui-même ni des hommes, mais
de la charité de Dieu le Père et du Seigneur Jésus-
Christ, le ministère qu'il remplit à l'égard de la com-
iituiiauli '■ ; g iliitl., x, 2, I'unk, t. I, p. 272, il proclame
c heureux en Jésus-Christ celui qui sera trouvé digne
d'un tel ministère, ■ c'est-à-dire d'être député parles
Philadelphiens à l'Église d'Antioche pour fêter reli-
gieusement avec elle la paix que Dieu lui a accordée.
*' Mais. Ad Smyrn., xn, 1, Funk. t. i, p. 284, il
semble bien que la 8eoû Staxovîct, parce qu'elle est
jointe au nom du diacre Burrhus, qui en est « un
modèle i . soit le diaconat au sens propre el spécial du
Nouveau Testament. Peut-être est-ce également le cas
pour ce passage de l'Épltre aux Romains, xn. 7, où
saint Paul nomme deux fois la Siaxovfa eu l'opposant
à d'autres • charismes » ou fonctions et notamment ■>
l'office des prophètes et à celui des docteurs. Cf. Wilke-
Grimm, Lexicon grseco-lat., v Âtaxovla.
NOUS arrivons au terme fondamental îtâxovoç. —
I. Se rattachant, d'après les étymologistea modernes, à
la racine ît/., qui exprime l'idée de lancer, il désigne
ni un serviteur en général, celui qui, par l'ordre
direction d'un autre, s'acquitte d'une tâche
quelconque. Ici, la notion de subordination dans l'action
est beaucoup plus marquée que dans l'abstrait Sioxovfa;
apparaît, peur ainsi dire, au premier plan. Qu'on
uge par quelques exemples, s. nui Paul écril aux
\\ .s I aMii ne que li Christ • -i fait le
îtixovov, de la circoncision, pour confirmer
aux t lalates, n, 17 : l i
Christ serait-il serviteur du péché? Loin delà' In-
ni par développement de la même idée d'infério-
rit' . de subordination, Stixovoç désigne celui qui a les
i attitude de I humilité chrétienne. Le
'■ celte rec mandalion disi iples,
Mai" onque veut être grand parmi
qu'il te fasse voti et il
un, Il Le plus grand pai mi von
■ Ulleur 11 déi lan plm
meut encore Si quelqu'un veut être le premier,
nier de t< el • ileur de to
S. t ni logique-
iquemenl tmis
i ■ (liai c ou plutôl le • I ivenl celui
table l' m la p iraboli du t
un I. D1 rilÊOL. < fcTHOl .
Matth., xxii, 13, « le roi dit aux serviteurs. » Le récit des
noces de Cana présente deux fois, Joa., n, 5, 9, la même
acception. Nous voyons d'ailleurs par Act., vi, 5, que
c'est à l'occasion de cette fonction matérielle que furent
institués les sept premiers diacres proprement dits dont
l'histoire fasse mention. — b) Le Stâxovoç est, en second
lieu, celui qui sert Dieu en travaillant à l'œuvre du
salut, dans l'économie chrétienne. Le nom est donc
applicable à tous les fidèles, et Jésus a pu dire de tous
ceux qui le suivraient, Joa., xir, 26 : « Là où je suis,
là aussi sera mon serviteur. » Mais, par l'usage, cette
signification s'est précisée : puisque le diacre est l'ou-
vrier du salut, on comprend que le mot ait désigné
plus parliculièrement les hommes choisis et adaptés
par Dieu à cette œuvre. Paul se donne lui-même, Eph.,
mi, 7; Col., i, 23, 25, comme « devenu ministre de
l'Évangile selon le don de la grâce divine; » c'est Dieu,
dit-il, II Cor., ni, 6, qui « l'a rendu capable d'être
ministre d'une nouvelle alliance. » 11 étend cette déno-
mination à ses coopérateurs tant ambulants que séden-
taires, lorsqu'il écril, parexemple, II Cor., vi, 4: « Nous
nous rendons recommandables en toutes choses, ainsi
qu'il sied à des ministres de Dieu. » Par application
du même sens, I Thess., m, 2, Timotbée est qualifié de
« ministre de Dieu dans l'Évangile du Christ »;
Tychique est appelé par deux fois, Eph., VI, 21; Col.,
iv, 7, « frère bien-aimé et fidèle ministre dans le Sei-
gneur » ; Fpaphras est dit également, Col., I, 7, un
« fidèle ministre du Christ ». Par analogie, Rom., xm,
ï, le pouvoir séculier, auquel nous devons obéissance,
est proclamé « ministre de Dieu ». Cette acception est
tellement usuelle que le même terme est appliqué par
contraste, II Cor., xi, 15, au « ministre de Satan ».
Xous avons enfin un exemple de l'exlension du nom à
une femme, puisque l'apotre, Rom., xvi, 1, recommande
« Phœbé, diaconesse (oîffav ôidxovov) de 1 Église de
Cenchrées. » — c) Jusqu'ici le mot Stâxovoç a embrassé
les différentes formes d'activité que les croyants exer-
cent en faveur de l'Evangile. En poursuivant son évo-
lution et en se précisant davantage, il finit par indi-
quer une classe déterminée de minisires à fonctions
spéciales. Les diacres proprement dits vont apparaître,
pour constituer un troisième degré hiérarchique, après
les évéques et les prêtres. A cette phase se rattachent
l'hil., I, 1, où Paul salue » les saints dans le Christ
Jésus qui sont à Philippes, ainsi que les épiscopes el
les diacres, » et I Tim., ni, 8-12, où nous trouvons
énuinérées les qualités des diacres, notamment qu'ils
doivent être honnêtes, éloignés de la duplicité, des
excès du vin, d'un gain sordide et mariés une seule
fois. L'apôtre ne définit pas, d'une façon précise, le
rôle des diacres. D'après l'ensemble des données que
nous fournissent les Epitres pastorales, ils forment, i
côté et visiblement au-dessous des presbj très ou i pis
copes, une cati jorie d'officiers inférieurs el chai
surtout des services matériels. Saint Paul n'exige pas
expressément pour eux, comme pour les presbytres-
épiscopes, l'aptitude A enseigner. Cf. Lemonnyer,
Epitres de saint l'uni, t. m. p. 139, lin.
Les écrits de l'âge apostolique confirment cet Indi-
cations en les complétant. La Didachè <■' borne, x\.
1,2, d.i n- Punk, /'n (ici, 1. 1. p. 32. i nommer
évéquea el ■< énumérer les qu il
requise dam I les .mires, en ajoutant qu'ils
el ■!' - docteurs et
qu'ils sont hou me eux. La / Cor. nom ap-
j ■ i ■ mi . vin. i. dans I'unk. t. i. |i 169, que l(
i établirent leurs prémicea comme évéques et diai
des futurs croyants. Poui tintl kntloche les
diai !• ont ordinairement une troisième i lasse 'i ofB
■ [vent .iu\
Ephésiens, il loubaite, it, I, I unk, t. i, p ..'li. que le
diacre Burrhus < demeure auprèi de lui, pour l'bon-
l\ - 23
707
DIACRES
708
neur des Éphésiens mêmes et de leur évêque. o Aux
Magnésiens, II, Funk, t. i, p. 232, il parle de leur
[ue Damas, des presbvtres Bassus et Apollonius et
du diacre Zotion, son coopérateur; il mentionne en-
core les trois ordres, vi, I ; un, 1, Funk, p. 234, 240.
Il dit aux Tralliens, il, 3, Funk, t. i, p. 244, que « les
diacres, ministres des mystères de Jésus-Christ, doivent
plaire à tout le monde, car ils ne sont pas les servi-
teurs, les diacres, des aliments et du breuvage, mais
les ministres de l'Eglise de Dieu, obligés dès lors à se
garder des reproches comme du feu. » « Que tous,
ajoute-t-il, m, 1, Funk, t. I, p. 244, respectent pareil-
lement les diacres, l'évêque et les presbytres : sans
eux il n'est point d'Église; » et vil, 2, Funk, t. i, p. 248,
il déclare que « quiconque fait quelque chose sans
l'évêque, le presbyterium et les diacres, n'est pas pur de
conscience. » La suscription de la lettre aux Philadel-
phiens, Funk, t. i, p. 264, nomme les diacres à côté de
l'évêque et des presbylres; ibid., iv, Funk, t. i, p. 266,
nous lisons : « Il n'y a qu'un autel, comme il n'y a qu'un
évêque avec le presbyterium et les diacres; » vu, 1,
Funk, t. I, p. 270, l'auteur « crie d'une grande voix, de
la voix de Dieu : Attachez-vous à l'évêque, au presby-
terium et aux diacres; » x, 1, 2, Funk, t. i, p. 272, il
recommande de choisir un diacre, pour le députer à
Antioche, d'autres églises voisines y ayant envoyé soit
des évêques, soit des presbytres et des diacres. Aux
Smyrniens il ordonne, vin, 1, Funk, t. i, p. 282 :«Tous,
obéissez à l'évêque, comme Jésus-Christ au Père, et
au presbv terium, comme aux apôtres ; quant aux diacres,
respectez-les comme le commandement de Dieu; » un
peu plus loin, ibid., xn, 2, Funk, t. i, p. 286, il « salue,
avec l'évêque et le presbyterium, les diacres, ses coo-
pérateurs dans le service de Dieu. » Sa lettre à Poly-
carpe proteste, VI, 1, Funk, t. i, p. 292, qu' « il est prêt
à donner sa vie pour ceux qui sont soumis à l'évêque,
aux presbytres, aux diacres. >>
Partout, du reste, dans les lettres d'Ignace, les diacres
sont présentés comme formant le degré inférieur de
la hiérarchie tripartite : non seulement ils sont con-
stamment nommés les derniers, mais Ad Magnes., n,
F'unk, t. i, p. 232, le diacre Zotion est loué d'être «sou-
mis à l'évêque, comme à la grâce de Dieu, et au pres-
byterium, comme à la loi de Jésus-Christ. » Il est éga-
lement clair, surtout par Ad Trall., m, 1, et . 4d Sm yrn. ,
vin, 1 (voir plus haut), que leur existence et leur auto-
rité reposent sur le fait de l'institution divine.
Peu après la mort de saint Ignace, saint Polycarpe,
dans sa lettre aux Philippiens, semble assigner le
même rôle et la même dignité aux diacres : v, 2, 3.
Funk, t. i, p. 300, 302, il les distingue expressément
des presbytres, et il détaille les qualités qui leur sont
nécessaires, en établissant, tout comme nous avons vu
Ignace le faire, Ad Trall., il, 3, un rapprochement
entre-leur nom officiel de diacres, Sientovoi, et le sens
primitif de ce nom : « Les diacres doivent être irré-
prochables, en tant que diacres de Dieu et non des
nommes, étrangers à la médisance et à la duplicité,
désintéressés, modérés en tout, miséricordieux, soi-
gneux, marchant selon la vérité du Seigneur, qui s'est
fait le serviteur (Siâxovo;) de tous. »
Ainsi, dans l'usage ecclésiastique, le sens du terme
Siâxovoç s'était vite restreint et fixé aux limites que
son dérivé diacre devait garder au cours des siècles.
La Vulgate n'emploie le mot diaconus que dans ce
sens. Cf. Phil., i, 1; I Tim., m, 8, 12. C'est celui
que nous aurons désormais devant les yeux. Remar-
quons en passant que les anciens écrivains et les Pères,
pour désigner le ministre dont il s'agit, se servent
assez souvent du nom de lévite, emprunté à l'Ancien
Testament. Saint Clément leur avait ouvert la voie,
dans un passage célèbre de la Ja Cor., xi., 5, Funk, 1. 1,
p. 150, où, tout en parlant directement du « grand-
prêtre, des prêtres et des lévites » de la loi mosaïque,
il a manifestement en vue les trois degrés de la hié-
rarchie chrétienne.
II. OmiiiNE des diacres. — Bien n'appuie l'opinion
de Vitringa, De sijnagoga velere, p. 895, suivant la-
quelle le diacre correspondrait au liazzdn (virr,p£n)Ci
Luc, iv, 20), ou serviteur de la synagogue. Cf. Michiels,
L'origine de l'épiscopat, Louvain, 1900, p. 117. Établi
en exécution de la volonté du divin fondateur de
l'Église, le diaconat date historiquement de l'aurore
même du christianisme. Selon l'opinion commune des
exégètes, ce sont les circonstances de sa naissance que
nous retrace le c. vi, 1-6, des Actes.
On sait que les premiers fidèles de Jérusalem avaient
poussé la ferveur et la charité fraternelle jusqu'à
mettre leurs biens en commun. Il en résultait que
tous devaient recevoir du fond commun ce qui était
indispensable à leur subsistance. Voir COMMUNISMI .
t. ni, col. 574 sq. La répartition quotidienne se faisait
vraisemblablement par certaines personnes agissant au
nom et sous le contrôle des apôtres. Mais la commu-
nauté ne resta pas longtemps à l'abri des inconvénients
humainement très explicables, voire malaisément iné-
vitables avec un semblable régime. Le nombre des dis-
ciples augmentant, dit saint Luc, des plaintes s'éle-
vèrent du milieu des Hellénistes, c'est-à-dire de ces
Juifs qui, nés dans la Diaspora, mais fixés dans la ville
sainte, continuaient à y parler entre eux le grec, leur
langue maternelle. Les réclamations étaient dirigées
contre « les Hébreux >< ; entendez les fidèles sortis des
rangs des Juifs palestiniens. Les veuves des Hellé-
nistes étaient, disait-on, négligées ou moins bien trai-
tées que les autres dans la distribution habituelle des
vivres. Il semble que les apôtres aient reconnu au
moins quelque fondement à ces plaintes ; voici, en effet,
comment il y fut donné suite, Act., vi, 2-6 : « Alors les
Douze, ayant réuni la multitude des disciples, leur
dirent : Il ne convient pas que nous laissions la parole
de Dieu pour servir aux tables. Choisissez donc parmi
vous, frères, sept hommes d'un bon témoignage, rem-
plis de l'Esprit-Saint et de sagesse, à qui nous puis-
sions confier cet office; et nous, nous continuerons à
nous appliquer à la prière et au ministère de la parole.
Cette proposition .plut à toute l'assemblée et ils élurent
Etienne, homme plein de foi et du Saint-Esprit, Phi-
lippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas,
prosélyte d'Antioche. Ils les présentèrent aux apôtres,
qui, après avoir prié, leur imposèrent les mains. »
L'imposition des mains, qui fait ici son apparition dans
l'histoire des origines chrétiennes, était un rite en
usage depuis longtemps dans la religion d'Israël. On
imposait les mains aux lévites, Nu m., vin, 10; xxvn, 18;
Moïse impose les mains à Josué, Deut.. xxxrv, 9 : i Et
Josué, fils de Navé, fut rempli de l'esprit d'intelligence;
car Moïse avait placé ses mains sur lui. » Cette céré
monie était dans l'ancienne loi et elle restera dans la
nouvelle un rite consécraloire, le symbole de la trans-
mission d'une fonction religieuse, marquant aussi, gé-
néralement, que l'élu recevait la grâce spéciale néces-
saire pour l'accomplir. C'est ainsi que Paul, Il Tim., i,
6, et le presbyterium. I Tim., iv, li, imposeront les
mains à Timothée; c'est ainsi que Timothée, à son
tour, devra imposer les mains, mais prudemment et
seulement après mûr examen, 1 Tim., v, 22. à d'autres
ministres. Cf. Rose. Les Actes des apôtres, p. 53; Bru-
ders, Die Verfassung der Kirche, p. 356, 397.
Les sept hommes dont saint Luc nous rapporte les
noms ne sont, ni ici ni en nul autre endroit du Nou-
veau Testament, qualifiés diacres; leurs fonctions seu-
lement sont caractérisées par les mots S-.axovia et
oiaxovîïv, minis terium, ministrare. Mais la tradition
chrétienne a toujours vu dans ce passage le récit de la
création du diaconat proprement dit; et son témoi-
709
DIACRES
710
gnage. qui remonte jusqu'aux origines, est d'autant
plus digne de foi qu'il est impossible de découvrir
ailleurs, dans les écrits apostoliques, la trace de l'in-
stitution effective de ces diacres que les Épitres pasto-
rales mentionnent comme suffisamment connus déjà.
Nous ne nous arrêtons pas à l'idée émise par Dôllinger
et reprise récemment par Funk, Lehrbuch der h'ir-
chengeschichte, ie édit., p. 42, d'après laquelle il s'agi-
rait ici d'une fonction générale, d'où seraient ensuite
issus, par dédoublement, le presbytérat et le diaconat.
C'est là une simple conjecture, que rien ne justifie et
qui va à rencontre de l'affirmation unanime des plus
anciens monuments cbrétiens. Nous savons d'ailleurs,
par l'histoire des premiers siècles, que les diacres
furent de bonne heure chargés du soin d'administrer
les biens des églises. Pour ceux du c. vi des Actes, le
service des tables, s'il fut l'occasion de leur création,
n'en fut point le but intégral; ceci paraîtra tout naturel
à qui se rappellera qu'à l'époque primitive le service
de la table était en connexion étroite avec l'agape et, par
l'agape, avec l'eucharistie. I Cor.,xi, 21. Cf. Funk, Die
Agape, dans Kirchengescliichlliche Abliandlungen
und Unlersuchungen, Paderborn, 1907, t. m, p. 1 sq.
Mais il y a plus : parmi les sept élus dont les noms
figurent au v. 5, deux seulement, Etienne et Philippe,
reparaissent dans les pages qui suivent; or, l'un et
l'autre sont bien éloignés de se confiner dans un mi-
nistère purement matériel. Flienne, cet « homme plein
île foi et de l'Fsprit-Kaint, rempli de grâce el de force,
opère de grands prodiges parmi le peuple»; il dispute
avec des membres de la svnagogue, qui « se montrent
incapables de résister à l'esprit parlant » par sa
bouche; traîné et accusé devant le sanhédrin, il con-
fond accusateurs et juges par sa science divine et par
sa fermeté, et, le premier de tous, il donne à la reli-
gion du Christ le témoignage du sang. Act., vi, vu.
Quant au diacre 'Philippe, d'après l'opinion commune
des exégétes, contredite pourtant par quelques-uns,
entre autres par Kellner, Jésus von Nazareth, Pader-
born, I'.hiS; Anzeiger fi'ir die Uatholisclie Geistlich-
keit, 15 août 1908, Francfort-sur-le-Main, c'est bien lui,
et non l'apotre Philippe qui va d'abord prêcher l'Évan-
gile à Sarnarie, Act., vm, et qui y convertit, entre
beaucoup d'autres. Simon le Magicien: de là il se rend.
par l'ordre du ciel, sur la route de Jérusalem à Gaza,
pour catéchiser el baptiser le ministre de Candace,
reine d'Ethiopie. Plus tard, nous le retrouvons. \. I .
xxi, 8-14, établi à Césarée, \ remplissant le rôle d' « évan-
til l'hospitalité à l'égard de Paul et
d.- .mires ouvriers évangéliques. On peut conclure de
ces deux exemples quelle dut 'ire l'ampleur du rôle
dont les premiers diacres se savaient investis.
Mai-, ceux dont nous parlons sont-ils bien les pre-
miers ' Si leur zèle pour la prédication au sein et au-
tour de l'Kglise naissante et leur puissante collabora-
1 ■' la multiplication de ses membres el à l'extension
■ - limites les font regarder â juste titre o
is. ni- île ceux qui fonctionnaient au lem|
Ëpltn n'ont-ils pas eux-mêmes d'autres
irsi ui - ' La question < été posi e île nos joui
quelques-uns l'onl résolue affirmativement, Voici, brié
. i incipales ur lesquelles
fondent. Cf. Michiels, op. cil . p, 110 sq. I Le codes
i date du vi« H.rie. présente, pour le vee.
i Uculii h : à la fin du texte
•"'*■ : . D'antre
Il \|« «ire
un texte plus explicite, qui serait : Sti lv rt •
M\ variantes iai^s,.ni
ndre qu il i des dlacn i, dont le tninii
des pauvn - Pai un les i
liques, M. Belser, Retirage zur Erklàrung der Apostel-
geschiclite, Fribourg-en-Brisgau, 1897, p. 29-33, s'est
montré le défenseur convaincu et intelligent de ce texte
occidental. Il avait été devancé par les protestants Blass,
Acta apostolorum, Gœttingue, 189i; Aeta apostolo-
rum secundum formant, quse videlur, Romanam,
Leipzig, 1896, et Hilgenfeld, Die Apostelgeschiclite
nach ihren Quellenschriften untersucht, dans la Zeil-
schrift fur viss. Théologie, 1895; et il a été suivi par
le P. Rose, La critique nouvelle et les Actes des apô-
tres, dans la Revue biblique, 1898. 2» On fait valoir en
faveur de ce sentiment que les Douze n'eussent pu
suffire au service des pauvres quand la communauté
comprenait déjà 3000, puis 5000 membres, et qu'ils
ont dû s'adjoindre sans tarder des auxiliaires; ceux-ci,
choisis parmi les Hébreux, auraient favorisé leurs
pauvres au détriment des veuves des Hellénistes, d'où
les plaintes de ce dernier groupe. Mais 3° il y a
mieux, ajoute-t-on : bien comprise, la réllexion des
apôtres consignée au y. 2 : « 11 ne convient pas que nous
laissions la parole de Dieu pour servir aux tables, »
suppose qu'ils n'ont pas été jusqu'ici chargés do la dis-
tribution des vivres. Ne rappelle-t-elle pas que leur
fonction principale était la prédication, comme v, 12,
l'a marqué expressément? Ceux qui éclairent notre
verset 2 d'après iv, 35, et v, 2, ne saisissent peut-être
pas le vrai sens de ces deux autres passages : si les
frères qui avaient vendu leurs biens venaient en dé-
poser le prix aux pieds des apôtres, il ne s'ensuit pas
que les apôtres eux-mêmes s'occupaient du service
quotidien de la répartition des vivres. Le principe for-
mulé dans le verset 2 du c. vi semble poser une alter-
native: ou prêcher ou servir aux repas: tout le monde
comprend que les Douze ne peuvent renoncer à leur
ministère, qui est celui delà prédication. Fnlin 4°, les
sept diacres, énumérés par saint Luc, ont été choisis
exclusivement dans le groupe helléniste, car ils portent
tous des noms grecs. Nicolas, « prosélyte d'Anlioche, t
est même Grec de race. Or il serait difficile de justifier
cette manière de faire, s'ils eussent été les seuls: les
Hébreux auraient été mécontents à leur tour, si leurs
intérêts n'avaient été assurés par des diacres de leur
langue, il semblerait donc qu'on a adjoint aux diacres
hébreux déjà existants des diacres hellénistes, propres
à donner satisfaction au parti des plaignants. Que si
cetle opinion est fondée, la variante du codex /.'.:;< et
la leçon du palimpseste de Fleury présenteront un
sens ires naturel et cadrant bien avec toutes les vrai-
semblances historiques.
III. NuMir.i DES i'Iacres. — On s'est demandé pour-
quoi le nombre sept, fixé par les apôtres dans leur pro-
position qui s,, ut .\ct.. vi, 3. Ce nombre était sacn
pour les Juifs, comme on peut le voir par Gen., XXI,
28; Fxod.. xxwn. 23: Apoc. i. i. 12. 1(1. 11 est permis
de conjecturer que celle circonstance n'a pas été sans
influer sur la détermination apostolique. Certains
commentateurs ont supposé', mais Bans fondement sé-
rieux, qu'il y aurait eu sept tables. Encore celte hypo-
devrait-elle s'entendre de sept tables nouvelles ou
destinées aux veuves du groupe helléniste, si l'on admet
l.i leçon du codes Cantabrigientit.
Quelle qu'ail été la pensée intime de- apôtres en
s'arrétanl au nombre sept, ce petit détail de leur con
duite a eu une répercussion considérable dans le cours
des siècles. In effet. Dé a Jérusalem, le diaconat i
rapidement au dehors: nous en avons la preuve dans
a empruntés ci-dessus > l'EpItre aux
Philippieni et aux Epltn li de saint Paul,
.iin-i qu'aux écrits des premlei Pèrei ipostolfques,
\v;ini le milieu du ii* siècle, les diacres existaient de
lait dans toutes les communauti i chrétiennes dont l'his-
toire i ml "il p' u connue, et nul doute qu'ils
I. ,1,-
711
DIACRES
712
la propagation de l'Évangile. Saint lynace d'Antiodie,
outre (ju'il les mentionne partout à côté de l'évêque et
des prêtres, proclame qu'a il faut les vénérer comme
un commandement de Dieu » et que « sans eux, il n'est
point d'église » entièrement constituée. Voir plus haut,
col. 707. Saint Justin atteste, Apol., I, 65 sq., P. G.,
t. vi, col. 426, 428, que, dans les réunions des lidèles,
ce sont eux qui sont chargés de la distrihulion de
l'eucharistie. On songea naturellement, dans les diffé-
rents lieux, à proportionner leur nombre à l'impor-
tance des communautés; mais presque partout, pour
se conformer exactement à l'exemple des apôtres, on
le porta à sept, sans qu'il fût permis d'aller au delà. Le
Liber pontificalis, édit. Duchesne, t. i, p. 126, nous
montre autour du pape Évariste (de 90 à 107 environ),
un groupe de sept diacres. Saint Pierre aurait déjà,
ibid., p. 118, ordonné sept diacres pour assister
l'évêque à la messe. Nous savons par Eusèbe, H. E.,
VI, 43, P. G., t. xx, col. 621, que l'Église romaine en
avait sept sous le pontificat de saint Corneille, en 251.
Prudence, Peristeph., h, P. L., t. lx, col. 293, relève
le même fait pour cette Église, du temps de saint Lau-
rent, et pour celle de Saragosse, ibid., v, col. 380, du
temps de saint Vincent, c'est-à-dire sous Dioclétien.
Un concile tenu à Néocésarée vers 314, Mansi, Concil.,
t. h, col. 546, 548, défend, par son 15e canon, d'en or-
donner davantage, même dans les plus grandes villes,
et il cite comme modèle obligatoire la communauté
primitive de Jérusalem. Hefele, Histoire des conciles,
trad. Leclercq, Paris, 1907, t. I, p. 334. Le Testament
de Notre-Seigneur, 1. I, 34, édit. Rahmani, Mayence,
1899, p. 82, ordonne qu'il y ait sept diacres dans
chaque église. L'archidiacre, chargé du soin des étran-
gers, demeurait à l'hospice en habit blanc ell'orarium
sur l'épaule. Ibid. Cf. 1. I, 19, p. 26, où il est dit que
cet hospice devait être proche de l'église. Saint Jé-
rôme signale, Epist., cxlvi, ad Evangelum, P. L.,
t. xxn, col. 1194, le petit nombre des diacres comme
une des raisons pour lesquelles ils étaient fort consi-
dérés.
Pendant longtemps, on resta fidèle à l'ancienne règle.
C'est du moins et surtout le cas pour Rome, où les
sept diacres furent préposés aux sept régions ou dia-
conies établies par le pape Fabien, Liber pontif., t. i,
p. 118. avec mission d'y pourvoir au soin des pauvres
et des malades; d'où le nom qui leur fut donné de
diaconi rcgionarii. L'un d'eux, qui jouissait d'une
certaine prééminence sur ses collègues, portait le
titre d'archidiacre. Tous, parleurs relations nécessaires
et constantes avec la personne du pape, acquirent à la
longue une très grande influence, dans ses conseils
comme aux yeux du public, et devinrent ainsi les car-
dinaux-diacres. Voir Cardinaux, t. n, col. 1717 sq. Mais
même sous cette nouvelle dénomination, leur nombre
septénaire fut d'abord maintenu. Ce n'est que plus tard
et peu à peu qu'on voit apparaître à côté d'eux, dans les
diverses églises de la ville, d'autres diacres, qualifiés de
slalionarii, qui n'avaient comme tels aucune région ou
diaconie à administrer, mais dans les rangs desquels
se recrutaient les rcgionarii. Mabillon nous apprend,
Muséum ilalicuni, Paris, 1724, t. H, p. 18, que dès l'an
520 Rome comptait en tout une centaine de diacres. Il
y en avait parmi eux dont l'oflice consistait à veiller
sur les tombeaux ou confessions des martyrs dans les
catacombes; on les appelait, pour cette raison, marty-
rarii. Le Liber pontificalis les appelle aussi cubicula-
rii et custodes martyrum; il emploie le premier terme
à propos de saint Léon le Grand, qui en attacha, dit-il,
au tombeau des apôtres saint Pierre et saint Paul, édit.
Duchesne, t. i, p. 239, et le second, dans un passage,
relatif à sainl Sylvestre; Duchesne, t. i, p. 771, où
nous est attestée l'ancienneté de cette fonction comme
propre aux diacres : Constituit ut si quis dcsidcraret
m Eccletia militari' aut proficere, ut essct leclor an-
nos triginla, exorcista dies triginta, acolylus annos
quinque, sul/diaconus annos quinque, custos marty-
rum annos decem, diaconus annos teptem, j/resbyter
annos très... et sic ad ordinem cpiscopalus ascendere.
Cf. Martigny, Dict. des antiquités chrétiennes, v° Mar-
tyrarii. Quant aux cardinaux-diacres en particulier,
ce n'est qu'au XIe siècle que leur nombre primitif fut
doublé, en même temps que l'était celui des diaconies,
par suite de la multitude toujours croissante des né-
cessités auxquelles il fallait subvenir; peu après, il fut
porté à dix-huit. Ce chiffre, d'après Mabillon. op. cit.,
t. ii, In ordinem Rom. comment., p. xxin. avait déjà
été atteint, sinon dépassé, sous Ilonorius II (1124-
1130;; mais Sixte-Quint, en 1586, le ramena à quatorze,
et celte règle est encore observée de nos jours.
D'autres Églises avaient devancé l'Église romaine
pour l'augmentation du nombre des diacres. L'histoire
rapporte qu'à Alexandrie, au ive siècle, il s'en trouva
neuf qui se rangèrent au parti d'Arius, et rien ne per-
met de penser qu'ils fussent seuls de leur ordre dans
la cité. A Édesse, lors du concile de Chalcédoine (451),
les documents en accusent trente-neuf. Mansi, Concil.,
t. vu, col. 255. A Constanlinople, au vp siècle, il n'y
en avait pas moins d'une centaine, suivant une Novelle
de Justinien, qui défend de dépasser ce chiffre. Malgré
cette défense, nous apprenons par Photius, Nomoca-
non, tit. i, c. L, qu'au VIIe siècle ils étaient cent cin-
quante; aussi le concile in Trullo (692), pour mettre
la discipline contemporaine en règle avec la tradition
et éluder le canon 15e de Néocésarée, imagina-t-il que
les sept premiers diacres, exclusivement chargés du
service des tables, n'avaient rien de commun avec les
diacres attachés au service de l'autel. Le canon 15e de
Néocésarée a été inséré dans le Corpus juris cano-
uici, dist. XCIII, c. 12.
Actuellement et depuis des siècles déjà, une réaction
remarquable s'est produite : à peu près partout la
classe des diacres a diminué en nombre comme en im-
portance, pour finir par disparaître presque complète-
ment. Aujourd'hui, si l'on excepte l'Église romaine, le
diaconat n'est plus guère considéré que comme un
ordre de transition, comme l'acheminement à la prê-
trise, devenue son complément ordinaire et en quelque
sorte obligé. A Rome même, parmi les quatorze cardi-
naux-diacres, il en est peu qui n'aient reçu l'ordination
sacerdotale ou épiscopale.
IV. Attributions des diacres — 1° 11 n'y en a que
trois qui soient indiquées dans les livres canoniques du
Nouveau Testament : le service des tables, Act.. vi. 2;
la prédication, Act., vu, 2-53; vin, 5; l'administration
du baptême. Act., vin, 38. Mais l'Église les a tour à
tour, selon les besoins et les circonstances du temps,
singulièrement amplifiées, puis ramenées à des limites
relativement étroites.
1. Anciennement, les fonctions du diacre furent in-
comparablement plus étendues et plus variées que de
nos jours. Non seulement il lisait ou chantait, à la
messe, du haut de Jambon, et l'évangile et Tépitre,
mais il recevait des mains des fidèles les offrandes,
qu'il transmettait au célébrant, et il inscrivait sur
les diptyques les noms des donateurs, qu'il proclamait
ensuite. Il distribuait l'eucharistie, surtout quand elle
se donnait avec le calice, ou il assistait le prêtre faisant
cette distribution, et il portait la communion aux
absents. Cf. S. Justin, Apol., i, 65-67, P. G., t. vi,
col. 426-429; S. Innocent Ier, Epist. ad Decentium,
n. 5, P. L., t. xx, col. 553; S. Jérôme, Epist., cxlvii,
adSabium, n. 6, P. L., t. xxn, col. 1200; In Jer., xi,
15. 16. P. L., t. xxiv, col. 755; lu Ezech., xvm. 5. ti,
P. L., t. xxv, col. 175; Testament de N. S., 1. I. 27;
I. II. 10, 20 (des diacres agitaient le flabellum sur le
calice consacré), p. 58, 130, 141 ; Canons d'HippoUjte,
713
DIACRES
714
20, 142, 1 45, 216 ; Constitution ecclésiastique égyptienne,
dans Achelis, op. cit., p. 48, 100, 101, 124. C'est à lui
qu'était confiée la police du lieu saint : il en faisait ou-
vrir et fermer les portes, y assurait en tout temps l'ordre
extérieur et l'observation des lois de la bienséance, re-
prenait, même publiquement, ceux qui y contrevenaient,
annonçait et dirigeait les prières à faire en commun.
Cf. Const. apost., vin, 11, édit. Funl<, t. i, p. 494; Tes-
tamentum D. N. J. C, I. I, 23, 34-36, p. 36, 38, 44,
80-88; 1. II, 7, 19, p. 120, 124, 138; Canons d'Hippoly te,
34, 36, dans Acbelis, p. 64, 65; Constitution ecclésias-
tique égyptienne, ibid., p. 57, 58, 60. C'est lui qui,
durant l'office liturgique, congédiait successivement les
diverses catégories de personnes admises, suivant la dis-
cipline du temps, aux diverses parties du sacrifice. On
sait que même les hérétiques et les infidèles étaient
autorisés à assister aux lectures, à la psalmodie et aussi
à l'instruction épiscopale, qui formaient la première
partie de la messe des catéchumènes. Mais alors, ainsi
que les Constitutions apostoliques, vm, 6, Funk, t. i,
p. 478, nous l'apprennent, le diacre les renvoyait, et
avec eux une certaine classe de pénitents, en prononçant
d'un lieu élevé ces paroles : « Plus d'écoutant, plus
d'infidèle : ne guis audientium, ne quis infidelium. »
Eux sortis, il ordonnait aux catéchumènes de prier, et
aussi aux fidèles de prier pour eux, loc. cit. : Orate,
catechunieni : et omnes fidèles pro illis cuni attentione
orent, dicentes...; après quoi, il faisait sortir les caté-
chumènes eux-mêmes, ibid., p. 480 : Exile, catechu-
nieni, in pace. Testament/on D. N. J. C, 1. I, 35, p. 82.
Il donnait encore, toute la messe terminée, le signal
de la sortie générale, en disant : In pace discedite,
formule qui a été remplacée par notre lte, missa est.
C'était aux diacres qu'il incombait d'instruire ceux qui
se préparaient au baptême et d'assister le ministre du
sacrement, Canons d'Hippolyte, 61, 121, dans Achelis,
p. 76, 96; Constitution ecclésiastique égyptienne, 46,
ibid., p. 95. 96; Testament de Notre-Seigneur, 1. II,
7, 8, p. I2d, 121, 126, 128; mais il ne leur arrivait de
baptiser eux-mêmes que rarement et dansdes conjonc-
tures extraordinaires. D'après le Testament de Notre-
Seigneur, 1. II, 10, p. 132, ils le faisaient en l'absence
du prèlre, en cas de nécessité. Ils le pouvaient encore
avec la permission de l'évéque. Tertullien, De baptismo,
c. xvii, /'. /.., t. i, col. 1218; S. Jérôme, Dial. eont.
luciferianos, n. 9. /\ A., t. win. col. 165; s. Gélase,
Epist., ix. ad episcopos I. maniée, n. 7, P. L., I. nx,
col. 51. Ils avaient parfois à intervenir dans l'admi-
nistration de la pénitence publique : quand un pécheur
était en danger de mort, ils pouvaient, à défaut de
prêtres, provoquer et recueillir se- aveux, puis pro-
noncer, sans absolution sacramentelle, sa réconciliation
extérieure avec l'Église et lui donner ensuite la sainte
eucharistie. Tel est le sens naturel de celte déclaration
de saint Cyprien, Epist., xvm, n. 1, P. J.., t. iv,
col. 25s : Si presbyte) repertus mm fuerit el exitus
urgerr cœperit, apud dia* onum quoque exomologesim
facere delicti m possint, ^t manu ejus ad pœniten-
tiam imposita rouant <ut //,.,,,,, ,„,„ pace, J. Mo-
rin. Comment, histor. de disciplina m admim
tione sacramenti pœnitenliœ, Paris, ICI. I. VIII, -j:i.
il là de confession sacra-
mentelle, puisque le m< , , gou-
"" '■"■" extra-sacramentel d'humiliation volon-
■ i publique. I. usage autorisé par s;,,ni Cyprien
au x siècle; nous i n avons pour garant
non, abbé de Prûm i \ 915), qui écrit, De i
*'"" . 1 I, c 295, P. /.., t. < wxn.
col. 2i7 >, ul sa ,. /„■„, „,w
lave* reg\
byler
tcipiai ,
sanclam communionem. La même coutume est encore
attestée et approuvée par les conciles d'York (1195), de
Londres (1200) et de Rouen (1231). Sa véritable portée ré-
sulte clairement de ces paroles d'Odon de Sully (-{-1208),
évèque de Paris, Slaluta diœc., P. L., t. ccxn,col. 68:
Item prohibeturdistrictene diaconi ullo modo audiani
confessiones nisi in arctissima necessitate; claves
enini non habent ncc possunt absolvere. L'erreur de
quelques-uns, qui revendiquaient pour les diacres le
pouvoir d'absoudre sacramentellement, fut formelle-
ment condamnée par un concile provincial de Poitiers,
de 1280, dont voici la sentence, Mansi, Concil., t. xxiv,
col. 383 : Abusum crroneum, qui in nostra diœcesi ex
perniciosa ignorant ia inolevit, eradicari volentes, in-
liibemus ne diaconi confessiones excipiant et ne in
foro pxnitentiali absolvant , cuni certum el indubita-
tum sit ipsos absolvere non passe, cum claves non
habeant, quse in solo sacerdolali online confcrun-
lur. Cf. Schanz, Die Lehre von den heiligen Sacra-
menten, Fribourg-en-Iirisgau, 1893, p. 608, 609; Pohle,
Lehrbuch der Dogmatik, Paderborn, 1905, t. m,
p. 447, 448; Laurain, De l'intervention des laïques,
des diacres et des abbesses dans l'administration de
la pénitence, Paris, 1899. Voir Confession, t. m,
col. 827 sq.
Il est à peine besoin de relever ici une assertion
étrange, d'après laquelle l'Église des premiers siècles
aurait reconnu aux diacres, aussi bien qu'aux prêtres,
le pouvoir de consacrer l'eucharistie. Elle avait été
avancée et défendue par Basnage, dans son Histoire
de l'Église, 1. XIV, c. ix, § 8; mais il ne s'est guère
rencontré d'historiens ni de théologiens, même parmi
les coreligionnaires de l'auteur, pour lui faire écho.
Aujourd'hui, cette thèse singulière est abandonnée de
tous. Cf. Lichtenberger, Dictionnaire des sciences reli-
gieuses, art. Diacres. Elle répugnait Irop manifestement
aux faits et aux textes pour mériter un meilleur sort.
lîasnage se fondait principalement sur ces trois
arguments : 1. Saint Ambroise, De of/iciis ministro-
rum, 1. I, c. xxi, n. 204, P. L., t. xvi, col. 84, met
dans la bouche de saint Laurent, diacre de Rome, ces
paroles à l'adresse du pape et martyr, saint Sixte, an
moment où celui-ci était conduit au supplice : « Vous
qui m'avez confié la consécration du sang de .lésus-
Christ, me refusez-vous la faveur de répandre mon sang
avec le votre? i — 2. Au témoignage de saint Jérôme,
bs diacres auraient été privés du pouvoir de consacrer
par le concile de Nicée; ce qui implique évidemment
qu'ils l'exerçaient légitimement auparavant. — 3. La
même conclusion se dégagerait des canons de deux
synodes du commencement du iv siècle, du I" synode
d'Arles et du 1" s\node d'Ancyre, réunis l'un et l'autre
vers l'an 313.
Nous répondons brièvement que les documents les
plus anciens et les plus authentiques établissent entre
les prêtres et les diacres une différence essentielle,
fondée notamment sur ce fait que ceux-là sont les
ministres consécrati urs du mystère eucharistique,
tandis que ceux-ci n'en sont que les dispensât! ni
s.iini Justin, dans sa In Apologie, publiée vers 150
on ne peut plus catégorique. Il écrit, op. cit., n. 65,
/'. G., t. vi, col. 138 "Eicstva itpooçipstai r<ji nposarûTi
t<Bv iSeXqrôv xproc, nal norrçpiov Oôxt'k %x\ y.pot|j.*To;-
y.-/; OVTOC, Xa6âkv, «ïvov y.a'i 5o:av t<.> Hcrrpl -'■" 'dmi Bta
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715
DIACRES
710
seul, au président, évéque ou prêtre, de l'assemblée
des fidèles qu'il appartient de réaliser l'eucharistie; et
Justin lui oppose les diacres, chargés de distribuer le
sacrement aux personnes présentes et de le porter à
celles qui sont absentes. Cette idée est répétée quelques
lignes plus loin, ibid., col. 429, en termes presque
identiques : ...xa'i r, StàSoffi; y.al /, |j.îTà>.r,}/i; àîtô T<i>v
£^/apt<7T/,Û£VTcov âxexoro) yc'vîTat, y.a'i toi; oj 7tapoô<7! fît it
rfi>v Sta/.ovio/ iréjiTCSTai. Après cela, personne ne s'éton-
nera que le concile de Nicée (325) ait argué du pouvoir
de consacrer propre aux prêtres comme d'un principe
incontesté, pour faire ressortir la prééminence du sa-
cerdoce à l'égard du diaconat et pour inculquer aux
diacres des dispositions et des allures plus humbles et
plus respectueuses. Nous lisons, en effet, ce qui suit
dans son canon 18e, Mansi, Concil., t. Il, col. 675 :
Pervenit ad sanctam sijnodum, quod in nonnullis locis
cl civitalibus diaconi dont presbyteris eucharistiam,
quod nec canon neque consuetudo trad.it, ut qui offe-
rendi polestatem non habent iis qui offerunt dent
corpus C/irisli. Jam vero illud etiam cognitum est,
quod jam quidam ex diaconis eliam anle episcopos
eucharistiam attingunt. Hxcergo omnia auferantur,
et diaconi intra suas mensuras permaneanl : scientes
quod suni quidem episcopi ministri, presbyteris vero
minores. Accipiant autem suo ordine eucharistiam
post presbyleros, eis prœbente episcopo vel presbytère
Scd nec in medio quidem presbyterorum îiceat dia-
conis sedere. Id enim fit prseler canonem et ordinem.
Si quis aulem non vult obedire post has constitu-
tiones, a diaconatu désistât. Hefele, Histoire des
conciles, 1907, t. i, p. 610-611. Les Statuta Ecclesiœ an-
tiqua de saint Césaire d'Arles, voir t. il, col. 1806-1810,
résumaient la pensée des Pères de Nicée, lorsqu'ils di-
saient, can. 4, Labbe, Concilia, t. n, col. 1437, que la
consécration du diacre est ministérielle, et non sacerdo-
tale, ad ministerium, non ad sacerdotium , et lorsqu'ils
ajoutaient, can. 37, ibid., col. 1440 : Diaconus ila se
presbyteri, ut episcopi ministrum noverit. Hefele,
Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. i, p. 611-614.
Le Testament de Notre-Seigneur, 1. II, 10, p. 132.
déclare aussi que le diacre ne doit pas donner l'eucha-
ristie aux prêtres; le diacre doit découvrir la patène
ou pyxide, et le prêtre se communier, le diacre dis-
tribue la communion aux fidèles de sa propre main.
D'après les Canons d'Hippolyle, 159, dans Achelis,
p. 104, si un fidèle veut faire une oblation, à l'heure
où le prêtre n'est pas à l'église, le diacre peut rem-
placer le prêtre en toutes choses, à la seule exception
d'offrir le grand sacrifice et la prière. Can. 215, 216,
p. 118, si un prêtre est malade, un diacre lui apporte
les sainte mystères, que le prêtre prend lui-même; le
diacre distribue la communion au peuple fidèle, si
l'évèque ou le prêtre le lui ordonne.
Puisque telle a été, dès l'origine, la doctrine univer-
sellement et publiquement affirmée, il serait au moins
surprenant, a priori, que des Pères ou des synodes
particuliers l'aient ignorée ou contredite sans paraître
même s'en douter. De fait, un simple coup d'œil sur
les textes dont Basnage a cru pouvoir se prévaloir nous
fait découvrir en tous un sens parfaitement conforme à
l'enseignement authentique de l'Église. 1. Quant à saint
Ambroise, il y a utilité à considérer dans leur contexte
les paroles qu'on nous oppose. Voici donc, de façon
plus complète, la touchante plainte du diacre Laurent,
Voc. cit., P. L., t. xvi, col. 84, 85 : Quo progrederis sine
filio, palerf quo, sacerdos sancle, sine diacono pro-
peras luo? Nunquam sacrificium sine ministro offerre
consueverus... Expcrire certe utrum idoneum mini-
strum elegeris. Cui commisisti dominici sanguinis
consecralionem, cui consummandbrum consortium
sacramentorum, huic sanguinis lui consortium negas?
11 résulte de là que saint Laurent attribuait en premier
lieu et directement au pontife l'oblation proprement
dite du sacrifice et qu'il ne se reconnaissait à lui-même
que le rôle accessoire de serviteur et d'auxiliaire. La
même idée fondamentale se retrouve dans la réponse
de saint Sixte : Mox renies , flere désiste, post triduum
me sequeris. Sacerdotem et levilam hic médius nu-
merus decel. Sixte seul est prêtre, c'est-à-dire sacrifi-
cateur; Laurent n'est qu'un « lévite », appelé en cette
qualité à prêter son concours au prêtre. Sixte est
même sacerdos, c'est-à-dire, suivant le style de l'époque,
éveque; il affirme la distance qui le sépare, comme
tel, de son diacre; et lorsqu'il dit : Sacerdotem et le-
vilam hic médius numerus decel, il fait sans doute
allusion au triple degré de la hiérarchie divine : épis-
copat, presbytérat et diaconat. On ne saurait donc,
sans introduire une contradiction flagrante dans la de-
mande de saint Laurent, interpréter les mots sanguinis
consecralionem comme impliquant, pour le diacre
aussi, la faculté d'offrir, en qualité de ministre visible
principal, le sacrifice eucharistique. L'expression est,
en réalité, susceptible de deux autres acceplions : on
peut croire qu'il s'agit d'une coopération matérielle à
l'acte consécratoire, d'un simple concours ministériel
et subordonné ; et cette hypothèse cadre fort bien avec
l'ensemble du petit dialogue, avec l'opposition desdeux
rôles qu'insinue toute la terminologie employée : sine
ministro offerre, idoneum ministrum eligere, consor-
tium, sacerdotem et levitam. D'après les principes
tbéologiques, tous les fidèles présents au saint sacri-
fice s'associent et prennent une part active à son obla-
tion; à plus forte raison, le diacre qui assiste le prêtre
à l'autel, qui lui prépare, lui met en mains, élève et
soutient avec lui la matière même du sacrifice. Mais il
est permis également de voir dans le terme consecratio
un exemple de l'abstrait pour le concret, de sorte que
la locution complexe sanguinis consecratio soit l'équi-
valent de sanguis consecratus. N'est-ce pas ainsi que
les juristes définissent un trésor pecunix deposilio,
pour pecunia deposilaL? N'est-ce pas aussi le cas dans
le canon de la messe, là où le prêtre, mélangeant les
saintes espèces, dit : Hœc COMMIXTIO et CONSECRATIO
corporis et sanguinis Domini noslri Jesu Christi fiât
ACCIPIBNTIBDS NOBis in vitam selernam ? Dans notre
texte, l'expression consummandorum consortium sa-
cramenlorum, parallèle à la première et ajoutée en
guise d'explication, parait en restreindre la portée à
l'usage et à la distribution du sacrement déjà existant.
Remarquons encore que, ceci admis, on comprend
mieux pourquoi il est fait mention seulement du sang
consacré, et non point du corps; nous savons, en effet,
par l'histoire des premiers siècles, que les diacres in-
tervenaient surtout pour la communion sous l'espèce
du vin : ils présentaient le calice aux fidèles, ils le fai-
saient passer de main en main et de bouche en bouche.
Cf. Bona, Rerum liturgicarum, 1. II, c. V, ^ 4.
2. La pensée de saint Jérôme concernant l'infériorité
des diacres par rapport aux prêtres ne saurait être
douteuse pour personne : il l'a exposée ex professa en
maintes occasions. Il s'attache notamment à dévelop-
per celte vérité dans toute sa lettre à Evangelus. Epist .,
CXLVI, P. L., t. xxii, col. 11921195. Or, il est remar-
quable que lui aussi tire argument du pouvoir de con-
sacrer, qu'il accorde aux prêtres et refuse aux diacres.
Toute sa thèse est pour ainsi dire résumée dans ces
deux phrases du début : Audio quemdam in tantam
erupisse vecordiam ut diaconos presbyteris, id est,
episcopis aiilefcrret. Nam cum aposlolus perspicue
doceat eosdem esse presbyleros, quos episcopos, quid
palilur mensarum et viduarum minislcr, ut supra
cos se lumidus cfferal, ad quorum preces Christi cor-
pus sanguisque conficitur? Si donc il écrit que le con-
cile de Nicée a privé les diacres du pouvoir de consa-
crer, il n'y a là qu'une de ces tournures rapides et
717
DIACRES
718
concises, une de ces breviloquentix énergiques dont il
est coutumier : il dit que le concile les a privés d'une
prérogative, pour signifier que le concile a officielle-
ment déclaré la privation, l'absence de cette préroga-
tive. C'est sa manière à lui de condenser la signification
du canon 18e, rapporté ci-dessus; et cette manière
n'étonnera que ceux qui n'ont jamais lu attentivement
une page de saint Jérôme.
3. Reste l'autorité des synodes d'Arles et d'Ancyre.
Quant au premier, observons simplement qu'il cons-
tate une erreur, une usurpation, qui, sur ce point
comme relativement à la confession, tendait à s'im-
planter dans certains milieux; mais qu'au lieu de s'y
montrer favorable, il la réprouve absolument. Le texte
de son 15' canon est assez clair et assez catégorique
pour se passer de commentaire, Mansi, Concil., t. n-
col. 473 : De diaconibus quos cognovimus multis
locis offerre, placuit minime fieri debere. Voir Hefele,
Histoire des conciles, 1907, t. I, p. 291-292. Le 2e canon
d'Ancyre est, à première vue, plus embarrassant. Il con-
cerne les diacres qui, après avoir d'abord faibli dans la
persécution et brûlé de l'encens aux idoles, se sont en-
suite relevés au point d'affronter et de supporter victo-
rieusement les tourments. En voici la teneur, suivant
la traduction d'Isidore Mercator, Mansi, t. il, col. 529 :
Diaconos simililcr, qui immolaverunt, postea aittem
iterum reluctati sunt,illum guident \honorem] habere
oporlet; cessare vero dcbcnt ab onini sacro minislerio,
ita ut nec panem nec calicem offeranl, nec pronun-
cienl; nisi forte aliqui episcoporum conscii sinl labo-
ris eorum, et liumilitalis,et manmeludinis, et volue-
rint eis aliquid ampli es tribuere vel adimere. Pencs
ipsos ergo de his erit potestas. Voir Hefele, op. cit.,
t. i. p. 303-304. Quand on rapproche ce texte de la doc-
trine primitive, clairement et publiquement attestée
par saint Justin ; du décret contemporain et péremptoire
du synode d'Arles; de l'affirmation solennelle, posté-
rieure seulement de quelques années, que nous ren-
controns dans le concile de Nicée, on doit regarder
comme absolument invraisemblable qu'il contienne une
note discordante, fût-elle locale et momentanée, par
rapport à l'objet qui nous occupe. Qu'on se rappelle
d'ailleurs les deux manières déjà exposées d'offrir le
sacrifice eucharistique, et que l'une d'elles, subordon-
na et ministérielle, convient incontestablement aux
diacres : celle-ci constitue tout naturellement, ce « mi-
Distère » dont l'exi rcice restera interdit à ceux qui
mi me apr< - leur conversion prouvée
par une nouvelle lutte victorieuse. Cf. Hefele, op. cit.,
I. i, p. 611 'il 1 Ajoutons, pour être complet, que cer-
tains commentateurs préfèrent expliquer le terme
offerre en suppléant (idelibus ou quelque synonyme,
alors il n lit, ici encore, que du ministère 'le
la dispensalion. C'est ainsi que le canon a été entendu
pu Isidore Mercator, qui. en marge de l'expression
êaerominiiterio, annote : Panis et calicit , ,tare
neque minittrare. Si, appliquée aux prêtres, l'exprès-
/' !i i e, étant donnée la dignité
du ministre, signifie ordinairement l'oblalion faite à
Dieu, laquelle implique la consécration mène', elle peut
lit, quand "II'' se <U\ des diacri i, s'interpréter de
la présentation et distribution aux communiants, lie
Cyprien parle expressé nt, dans son traité
/' / . > IV, ( -I 199, 'le
vertu duquel le- «li... i. . apn i l.i consécration, allait ni
■ offrir le calici i Qts. Voir L m, col MO.
Pi n lanl longtemp l< - diacres ont pris une pari im-
i ;■ m des < i — el des
.Ut lie vile, ils
ont rendu de grand équi n
mi qu I nptit trouvés investis du
soin des pauvi
I - 1 1 < 1 r- - . .m '
des persécutions, celle des chrétiens enfermés dans
les cachots; ils avaient mission de les visiter, autant
que possible, et, en tout cas, de leur faire tenir les
choses indispensables à leur subsistance. Pour satis-
faire à ces obligations, ils en vinrent à centraliser entre
leurs mains toutes les offrandes des fidèles, toutes les
ressources, tous les biens meubles et immeubles de la
communauté. Ils les gardaient, les faisaient valoir et
les employaient au nom et sous la direction du chef du
diocèse. L'histoire atteste les merveilles de charité et
de bienfaisance qui sortirent de cette organisation et
le soulagement qu'elle apporta, des siècles durant, aux
innombrables misères humaines. Les diacres aidaient
encore en d'autres manières à l'administration épisco-
pale : chargés d'abord de la surveillance des fidèles
pendant l'office divin, ils exercèrent bientôt, même
hors du temple, une sorte d'inspection officielle, ren-
seignant le pasteur sur l'état et sur les besoins de son
troupeau, lui fournissant, dans beaucoup de cas, des
lumières précieuses, capables enfin de lui suggérer
bien des mesures utiles au bien commun. Constitution
ecclésiastique égyptienne, 33, 56, dans Achelis, p. 64,
117; Canons ,1'Hippolyte, 34, 36, 37, 199, ibid., p. 64,
65, 117; Testament de JS'otre-Seigneur, 1. I, 30, 34,
37, p. 74, 90. Tout ceci nous explique que les Consti-
tutions apostoliques, n, 44, Funû, t. i, p. 139, aient pu
voir dans le diacre à la fois « l'œil, l'oreille, la bouche,
le cœur et l'âme de l'évêque : i'otoi ô ôciy.ovo; to-j lni<7-
xdnou i-'.o-^ ■/.%•. 09fJ3c)(j.ô; y.ai a-ôy.-j., xapSi'a xe xal 'iu/'v »
Cf. Testament de Notrc-Seigneur Jésus-Christ, 1. I,
:!i. t'dit. Rahmani, p. 82. Auxiliaires de l'évêque en
tant de façons, les diacres lui servaient en outre sou-
vent comme garde d'honneur, comme témoins perpé-
tuels et garants de sa vie et de sa doctrine; ils étaient
pour lui, ce que l'ancien droit appelait diaconi tatimo-
niales, ce qu'on a nommé aussi des syncelles (ffoyxêX-
Xot, compagnons de cellule). Ainsi, par la force des
choses, ils pénétrèrent dans son conseil, y prenant
place à côté du presbyterium, et plus mêlés que les
prêtres au maniement des affaires, ils les eurent vite
dépassés en inlluence extérieure. C'est souvent parmi
eux que nous rencontrons les hommes de confiance
îles évéques et même des papes, qui leur commettent
volontiers le soin des négociations les plus importantes ;
ils sont envoyés comme apoerisiaires à la cour de
Constantinople. ou députés, en qualité de représentants
ipaux ou pontificaux, à des conciles soit particu-
liers, soit œcuméniques, au sein desquels ils obtien-
nent fréquemment voix délibérative.
Que ce contact permanent el celte sorte île familia-
rité ou ils vivaient avec l'évêque ou le souverain pon-
tife, que tant el de si graves cli.ire.es concentrées en
leurs mains, surtout si l'on y ajoute la multitude de
sous-diacres et de clercs inférieurs qu'à la longue on
avait dû mettre à leurs ordres comme aides et suppléants,
aient fait naître dans la classe des diacres quelques sen-
timents de complaisance trop humaine, quelque dan-
gereuse ambition même, qui pourrait s'en étonner?
Etant donnée leur influence prépondérante, étant
donné' nu^si leur nombre toujours 1res restreint com-
ein.ni i celui îles prêtres, plusieurs en vinrent
i \-i i une sorte di supéi i
universelle, .i prétendre tout au moins ne leur cédei
en tien, même dans les choses relatives au pouvoir de
l'ordre. Cette tendance se révéla ci el fi de bonne
. ■ i les loi1- et la littérature ecclésiastique en
multiples \esti-es. Saint Jérôme, i la lin du
naît. Epiit., cxi.vi, ad Evangelutn,
/'. /... t. xxii, col. 1193-1195, Voir cl. Tlti. Avant lui,
23, le COI1I lie île \|,,e ,,\.i|l i|,'j,, dû, il. HIS s,,||
Don, que non produit, col. 715, il
«lie aux «h icrei 'i'' donner la communion aux prêtres
ou de vouloir prendre le pas sur eux. en allant la re-
719
DIACRES
720
cevoir. Nous rencontrons encore dans la législation pos-
térieure, par exemple dans le IVe concile de Tolède,
en 633, et dans le concile in Trullo, en 002, des dispo-
sitions attestant l'opportunité de rappeler aux diacres
leur infériorité hiérarchique, de droit divin, par rapport
au sacerdoce. Nous avons déjà signalé l'étrange aber-
ration de ceux qui, dans la province de Poitiers, au
xiii'' siècle, attachaient au diaconat la puissance de re-
mettre sacramentellement les péchés.
2° Si les fonctions diaconalcs ont été jadis si nom-
breuses, la discipline actuelle n'en a guère conservé
que trois, résumées dans cette formule du Pontifical
romain, pour l'ordination du diacre : Diaconum oportel
ministrare ad al tare, baptizare el prœdicare. La prin-
cipale, celle qui s'exerce le plus habituellement et de
plein droit, consiste à assister l'évêque ou le prêtre
dans la célébration solennelle du saint sacrifice; ce qui
vaut au diacre d'être appelé dans le Pontifical romain,
loc. cit., comminisler et cooperator corporis et san-
guinis Domini. A l'autel donc, il nous apparaît comme
l'auxiliaire et l'assistant immédiat du célébrant, Décret.
Grat., dist. XXV, c. 50, tandis que le sous-diacre est son
assistant à lui et, dans certains cas, son suppléant. Au
diacre seul il appartient de prendre place en un lieu
relativement élevé pour chanter l'évangile, de présen-
ter au prêtre la matière du sacrifice, d'inviter publi-
quement les fidèles à plier le genou ou à prier, de les
congédier, d'exposer, s'il y a lieu, le saint-sacrement
et de le remettre dans le tabernacle. Pour les moments
où nulle attitude ou action spéciale ne lui est prescrite,
il a sa place marquée en arrière du célébrant, sur le pre-
mier degré en dessous de ce que le langage des rubricistes
appelle le suppedaneum, le sous-diacre se tenant der-
rière lui, in piano. En dehors de son ministère stric-
tement liturgique, il peut, sur l'invitation du curé',
distribuer la sainte communion, dist. XCIII, c. 17,
bien que, aux termes d'une déclaration de la S. C. des
Rites, du 25 février 1717, cette invitation ne soit justi-
fiée qu'en cas de nécessité ou par des raisons graves.
Voir t. m, col. 490-491. S. Many, Prœlecliones de sacra
ordinatione, Paris, 1905, p. 51-52. Il peut encore,
suivant le droit commun, dist. XCIII, c. 13, être
autorisé par l'évêque ou le desservant à administrer
le baptême solennel; mais cette autorisation doit être
motivée, elle aussi, par une nécessité ou une utilité'
sérieuse : ce serait le cas si, le curé étant malade,
excommunié, retenu par des occupations urgentes,
aucun autre prêtre ne se trouvait présent. Le diacre
a bien reçu dans son ordination le pouvoir de bap-
tiser solennellement, mais seulement en sous-ordre,
comme ministre extraordinaire et suppléant. C'est le
sens de cette remarque de saint Thomas, Sum. theol.,
IIIa, q. lxvii, a. 1 : Ad diaconum non pertinel quasi
ex proprio of/icio tradere sacramentum baptismi,
sed in collatione Itujus sacramenli et aliorum assi-
stere el minislrare majoribus. Parce qu'il n'y a point
pour le baptême solennel d'autre ministre ordinaire
que le prêtre, la plupart des théologiens et des cano-
nistes soutiennent que le diacre qui le donnerait,
même en cas de nécessité, 'sans une délégation spéciale,
encourrait la peine de l'irrégularité, comminée par le
canon Si quis, dist. IV, De cons., contre les clercs assez
téméraires pour exercer des ordres qu'ils n'ont pas. Il
y a pourtant des auteurs modernes qui tiennent cette
manière de faire pour légitime. Sans aller jusque-là,
Gousset, Théologie morale, Traité du sacrement de
baptême, c. IV, n. 73, la croit au moins à l'abri de la
censure. Ajoutons qu'aujourd'hui, dans plusieurs pays,
l'usage a dérogé en ceci au droit des curés et réserve à
l'évêque la faculté de déléguer un diacre pour l'adminis-
tration du baptême solennel. Enfin, il appartient au diacre
d'instruire le peuple fidèle sous forme de catéchismes
et aussi, avec la permission de l'évêque ou du curé, sous
forme de prédication. Ad diaconurtl, dit encore saint
Thomas, Sum. theol., IIIa, q. lxvii, a. 1. ad I . pertinel
récit are evangelium in ecclesiaet prwdicai <■ iptum per
modum calec/iizanlis ; sed docere, id est exponevee
gelium, pertinel proprie ad episcopum, cujus actus ett
perficere. Cf. Testament de N. S., I. I, 37, p. 90.
Comme insignes extérieurs de leur dignité hiérar-
chique et de leurs fonctions, les diacres ont eu. dès
les premiers temps, la tunique ou le colobium et l'étole.
L'étole, qui était primitivement un manteau, ils la por-
tèrent d'abord sur les deux épaules, puis sur une seule,
pour se différencier des prêtres. Dans une mosaïque
de Saint-Laurent-hors-des-murs, Ciampini, Vetera
numenla, tab. xxviii, on voit saint Laurent et saint
Etienne avec l'étole sur l'épaule gauche. Quant au
colobium, il devint tellement propre aux diacres qu'il
prit le nom de levitonarium, c'est-à-dire d'habit des
lévites. On leur accorda plus tard l'usage de la dalma-
lique, antérieurement réservée au souverain pontife et
aux évèques qui l'avaient obtenue de lui comme dis-
tinction spéciale. Actuellement, la slola transversa et
la dalmatique restent les deux ornements caractéris-
tiques du diacre dans l'accomplissement de son minis-
tère liturgique. Cf. Martigny, Dict. des anliq. chrét.,
art. Colobium et Diacre.
V. INSTITUTION divine. — Établi de fait par les apô-
tres, le diaconat est en soi une création de droit divin.
Celte proposition est de foi : elle a été définie claire-
ment, sinon explicitement et en propres termes, par
l'Église. Le concile de Trente, sess. XXIII. can. 6, dit
« anathème à qui nierait l'institution par disposition
divine dans l'Eglise catholique d'une hiérarchie com-
prenant les évèques, les prêtres et les ministres, a I Ir,
dans ce dernier terme, le concile a dû comprendre au
moins les diacres, qui, parmi tous les ordres inférieurs
au sacerdoce, tiennent la tète et sont par office les
assistants du prêtre, qui sacerdotio ex officio deser-
viunt, ainsi que nous le lisons au c. 2 de la même
sess. XXIII". Il n'est pas difficile de montrer comment
cette doctrine est contenue dans le dépôt traditionnel.
1° Les sept élus dont nous parlent les Actes, vi, ne
sont pas, nous l'avons vu, de simples]ministres des tables,
mais des ministres sacrés, de vrais ministres du culte.
D'autre part, en comparant ce passage à ceux où,
comme I Tim., m. 8, 10, et Phil., i, 1. il est question
nommément des diacres, on comprend qu'il s'agit dans
tous non d'un ministère transitoire et d'origine pure-
ment humaine, mais d'une institution plus haute,
ayant un caractère définitif et suggérée aux apôtres
par l'Esprit-Saint. Sans cette circonstance, on ne s'ex-
pliquerait bien ni l'importance majeure que les Dou/e
attachent au choix des sept premiers diacres, ni la
préoccupation visible qu'ils apportent à marquer les
conditions auxquelles ils entendent subordonner ce
choix, ni la solennité dont ils entourent la nouvelle
création, ni non plus la série des rares qualités que
saint Paul vent rencontrer dans les diacres, ni enfin
l'étroite association qu'il établit entre eux et les évè-
ques. Par contre, l'origine divine du diaconat admise,
tout cela se con'-oit à merveille, ton t cela va de soi.
2° Le témoignage de la tradition patristique est bien
plus explicite : il est tel qu'il supplée à ce qui pourrait
manquer de précision rigoureuse dans les données et
les insinuations bibliques. Saint Clément de Rome
connaissait déjà une hiérarchie chrétienne à trois de-
grés, bien qu'il ne donne pas encore rénumération de
ceux-ci dans les termes que les siècles ont consacrés.
Qui pourrait en clouter, quand on lit, / for., XL, 5 .
xi.i, I, Funk, Patres apostol., t. i, p. 150, en un endroit
où il inculque aux fidèles et aux clercs de Corinthe le
devoir « pour chacun de se tenir sans écart à son rang
et à son ministère, » ces paroles : « Le grand-prêtre a
ses attributions propres; aux prêtres, leur place a été
721
DIACRES
722
déterminée; les lévites ont leurs offices particulier?,
tandis que les laïques sont soumis à des régies qui con-
viennent aux laïques? » Cela étant, il devient très vrai-
semblable, que, quand une ou deux pages plus loin, il
nomme les diacres, qu'il juxtapose aux évoques, il parle
des uns et des autres au sens propre et théologique.
Or, avec une insistance vraiment étonnante, il rattache
les uns et les autres à l'institution divine, xlii, 1-4;
x mu, 1, Funk, t. i, p. 152 : « Les apôtres ont été envoyés
par le Seigneur Jésus-Christ pour prêcher l'Évangile
parmi nous; Jésus-Christ avait été envoyé par Dieu. Le
Christ vient donc de Dieu, et les apôtres viennent du
Christ; et ces deux choses sont fondées sur la volonté
divine. C'est pourquoi, ayant reçu leurs instructions,...
(ces apôtres) sont allés préchant dans les campagnes et
les villes, et des prémices qu'elles ont produites ils ont
fait, après les avoir éprouvées par l'Esprit, les évéques
et les diacres de ceux qui devaient venir à la foi. Ceci
n'était pas nouveau; il y a beau temps, en effet, que
l'Écriture s'est occupée des évéques et des diacres, en
disant : J'établirai leurs évéques dans la justice et
leurs diacres dans la foi. Et faut-il s'étonner que ceux
qui avaient reçu de Dieu dans le Christ cette mission,
aient institué ceux que nous avons nommés'.' »
Pour saint Ignace d'Antioche, personne aujourd'hui
ne doute plus qu'il n'ait connu nos diacres actuels.
Voir plus haut, col. 7()(i-707. Tout en indiquant claire-
ment leur subordination à l'égard do l'évéqae et des
prêtres, il les nomme constamment à coté d'eux, comme
faisant, au même titre qu'eux, partie de l'Église divi-
nement constituée. Il enseigne, Ad Smyrn., VIII, I,
qu'on doit « respecter les diacres à l'instar du com-
mandement de Dieu; Ad Trall., m, 1, il énumére
les trois rangs de ministres divins et ajoute: « Sans
eux. on ne parle pas d'église : /losl; toû-rtov gxxXijetx
OÙ xaXeÏTai. » Apres lui, le courant de la tradition va
se renforçant toujours, et, détail digne d'être noté,
il marque bien plus nettement encore la dill'érence du
diaconat au sacerdoce que du simple sacerdoce à
l'épiscopat. Saint Polycarpe (f 16'}) rappelle aux l'Iii-
lippiens, v, Funk. p. :'.00, que « les diacres doivent
irréprochables en présence de la justice divine.
comme il convient à des ministres, non des hommes,
mai- de Dieu et du Christ. » Clément d'Alexandrie
(f 2I7> dit. Slrom., vi, 13, P. <•-, t. ix, col. 2:38, que.
i dans l'Eglise, la succession des évéques, des prétn s
et des diacres lui semble être uni- imitation de la hiérar-
chie des ai i la place des divers ordres est bien
Dxée par Origène ; 254), qui. prêtre lui-même, écrit,
tiomil., xi, in Jcr., n. 3. /'. (.., t. XIII, col. 369 : !>•
moi on exige plus que d'un diacre; d'un diacre, plus
que d'un laïque; quanl a celui qui occupe la tour de
ise (l'évéque), il devra rendre compte pour toute
I l glise. Enfin, saint Optai de .\lile\e. au iv« siècb .
déplore en ces termes, /<• schism <it>n<it., i. FI. /'. /...
t. xi, roi. 209-211, le>. nombreuses défections qui
ienl produites pendant la persécution île Diocté-
tien : Quid comme rem laicos, </<" tune in Ecclesia
milla fueruni dignitate tuffulti ' quid ministros plu-
- ' quid d n tertio, quid presbytère
\tio < omtitutoi ' 1 1 ■< apù et et prin-
aliqui episcopi illis temporibut inslru-
tradidei uni. Cf. de Smedt,
tequ'au milieu
<iu nr tu ■ le, dam li endu du l ient
•T Sq.
t ' ' hl\i RK8, - .Nous
ides i ondilions requ
lion validi d un ordre quelconqui
i que le sujet appartii me i,n ,.| qu'il
■'il ' U I' [ I" diaconat étant, de par l'inslitu-
ti"" divine, le dej f pn para toi ri sa an ordri
qui asso< ie di ja • ti i bu qui tn i tn • tu i
l'acte du sacrifice eucharistique et qui donne accès a
d'autres fonctions importantes, rien d'étonnant qu'on
ait toujours exigé des diacres des garanties spéciales,
tant morales que physiques, d'aptitude professionnelle.
1° Les qualités morales ont été résumées par saint
Paul, dans sa Ire Épitre à Timotbée. m, 8-10, 12. Les
unes, exprimées sous forme négative, consistent sur-
tout dans l'absence des défauts incompatibles avec
l'état ecclésiastique : les diacres doivent être « irrépro-
chables »; et pour cela, « qu'ils ne soient pas doubles
dans leur parole, ni adonnés au vin ni avides de gains
honteux. » Les autres, énumérées sous forme positive,
se peuvent ramener à cinq : l'honnêteté ou la dignité
de la vie en général, cejxvoj;; la connaissance des mys-
tères chrétiens, la pureté de la conscience, une répu-
tation solide de prudence dans la conduite du per-
sonnel et des affaires domestiques, et enfin la conti-
nence, sinon absolue, du moins relative, qui exclut
les secondes noces : unius u.roris viri. L'opinion qui
ne voit dans cette dernière prescription que l'exclusion
de la bigamie simultanée est inadmissible : pareille
remarque eût été superflue pour des chrétiens et, à
plus forte raison, pour des ministres des autels, après
la restauration par le Christ de la loi matrimoniale
primitive, Matth., xix, 9; d'ailleurs, l'expression \i.:ï;
•;■ jvaixô; avo?£; s'expliquerait au besoin par l'expres-
sion absolument parallèle : èvô; àvôpbç yj'nt, qui se
lit c. v, y. 9, de la même Épitre et qui, tout le monde
eu convient, ne vise que la bigamie successive. Au
fond, les qualités détaillées par saint Paul sont les
mêmes que les apôtres demandaient pour les sept pre-
miers diacres. Act., VI, 3. Avoir « bon témoignage » du
public ou » être irréprochable », c'est tout un. A qui
est « rempli de l'Esprit-Saint et plein de sagesse », ni
i la dignité de la \ie », ni « la connaissance des mys-
tères chrétiens dans une conscience pure, » ni la
sagesse dans l'accomplissement du premier des devoirs
sociaux, ne sauraient manquer. Toutes ces conditions
sont bien celles que requièrent raisonnablement la
dignité el Foflice d'un ministre sacré, appelé spéciale-
ment à jouer un rôle très marqué dans l'administra-
tion du temporel ecclésiastique. Le Pontifical romain
les rappelle longuement aux intéressés dans le moment
ne nie où ils se présentent pour la réception du dia-
conat, et il souligne notamment les principales en ces
i rmes : Abundet m as lutins forma virlutis, ancto-
riias modesta, pudor constant, innocentise puritas et
spiritualis observantia disciplinée. Cf. Testament de
N. s.. I. I. 33, p. 78-80.
2" Le célibat,, — La double préoccupation d'assurer
dans les diacres la parfaite décence de leurs fonctions
liturgiques, en même temps que l'accomplissement
/■ lé et désintéressé de leurs devoirs administratifs, se
retrouve dans l'obligation qui. avec le temps, leur i
été imposée de garder le célibat. On sait que la pra-
tique du célibat ecclésiastique, fondée sur l'exemple
■ 1rs apôtres, toujours tenue, d'après la doctrine pauli-
nienne de la supériorité de la continence sur le m
pour très recommandable en soi, toujours
observée non seulement par une élite, mais par beau-
coup des clercs majeurs, n'a pas cependant été obliga
I lire dèi n gine suivant I u ■■;-' di Irais pren
siècles, il était défendu de contracter mariage après i,
réception des oi lis les cleri n ' lient libres
en principe de renoncer ou de ne point renoncer à un
mariage contracté antérieurement; de fait, souvent Ils
f renoi // /. . i. 1 1 .
. i. i v. ii. col. 102, et par Sozotnène, // /•-'., i, 23,
ibid . col. 926, qu au coni il'' di Ni' i 326, le saint
Paphnuce, lui-même célibataire et réputé pour
I i ..iiMii. ni encoi . v ivemenl
pour b- maintien de la disi ipiine traditionnelle, i outre
un.- motion tendant a Impose) la contineno aux
723
DIACl'.KS
724
évéques, aux prêtres et aux diacres. C'est en Espagne
que nous voyons apparaître d'abord une loi sur cette
matière. Le concile d'Elvire, réuni vers l'an 300, publia
un canon 33", dont voici la teneur : Plaçait in totum
prohiberi episcopis, presbyteris et diaconis vel omni-
bus clericis positis in ministerio abslincre se a con-
jtigibus suis et non generare filios; quicumque vero
fecerit, ab honore clericatus exlerminetur. Celte dis-
position locale, mais atteignant indistinctement les
clercs employés au saint ministère, fut bientôt étendue
à toute l'Église latine, en même temps que restreinte
aux évèques, aux prêtres et aux diacres. C'est ce que
nous atteste, en 385, une lettre du pape Sirice à Ilirne-
rius de Tarragone, n. 7, P. L., t. xm, col. 1138-1141,
où nous lisons : Onines sacerdotes algue levitse inso-
lubili lege constringimur , ut a die ordinalionis no-
slrse sobrielali ac pudicilise et corda noslra mancipe-
mus et corpora, dumnwdo per omnia Deo nostro in
his quoe cotidie offerimus placeamus El quia
exempta prœsentia cavere nos prsemonenl in futu-
rum, quilibet episcopus, presbyter alque diaconus
deinceps fueril talis inventus, jam nunc sibi omnem
per nos indulgenlise aditum inlelligat obseralum,
quia ferro necesse est excidantur ruinera quse fomen-
torum non senserint medicinam. Nous trouvons une
application et une confirmation historique de cette
règle dans le canon 2e du IIe concile de Carthage (390) :
Episcopos, presbyteros et diaconos ila placuit, ut
condecet sacros antisliles et Dei sacerdotes necnon et
levilas vel qui sacramentis divinis inserviunt, conti-
nentes esse in omnibus, quo possint suppliciter quse
a Deo postulant impetrare, ut quod apostoli docue-
runt et ipsa servavit antiquitas nos quoque custodia-
mus. Saint Jérôme applique, lui aussi, et justifie la
nouvelle loi de l'Église, lorsqu'il écrit, Epist., xlviii,
ad Pammach., n. 28, P. L., t. xxii, col. 510 : Chri-
slus virgo, virgo Maria utrique sexui virginilalis de-
dicavere principia. Apostoli vel virgines, vel post
nuplias continentes. Episcopi, presbyleri, diaconi aut
virgines eliguntur, aut vidui, aut certe post sacerdo-
lium in seternum pudici. D'ailleurs, le même saint
Jérôme, dans sa polémique contre Vigilantius, qui
conseillait de n'admettre aux ordres que des hommes
déjà mariés, pouvait en appeler à la coutume la plus
répandue tant en Orient qu'en Occident, Contra Vigi-
lant., c. n, P. L., t. xxiii, col. 341 : Quid facient
Orientis ecclesise'! quid JEgypti et sedis aposlolicse?
quw. aut virgines clericos accipiunt aut continentes,
aut si uxores habuerint , mariti esse desislunt. On re-
marquera que, dans aucun de ces testes, les sous-
diacres ne sont nommés; c'est que, relativement à
ceux-ci, la discipline demeura, même chez les Latins,
flottante et variable suivant les lieux et les circon-
stances jusque vers la fin du xue siècle, c'est-à-dire
jusqu'au moment où le sous-diaconat fut définitive-
ment élevé à la dignité d'ordre sacré. Il est inutile de
rappeler que les Grecs et d'autres chrétiens orientaux
ont conservé en partie la faculté d'option que garan-
tissait le droit antique; chez eux, le célibat n'est ré-
puté obligatoire que pour les évêques. Quant à l'Église
latine, personne n'ignore la lutte héroïque et finale-
ment victorieuse que saint Grégoire VII soutint, au
xie siècle (1073-1085), pour bannir des rangs du clergé
à la fois l'incontinence, la simonie et toutes les servi-
tudes que ces deux abus traînaient à leur suite. Toute-
fois, ce n'est que plus tard que la défense faite aux
clercs majeurs de se marier fut renforcée par une
clause invalidante. Cette dernière remonte à tout le
moins jusqu'au IIe concile de Latran, dont le canon 7e
est ainsi conçu : Slaluhnus qualcnus episcopi, pres-
byleri, diaconi... qui uxores sibi copulare prœsum-
pserint, separenlur ; hujusmodi namque copulalionem
malrimonium non esse cens em us. Non content de
renouveler la prohibition et la clause y ann*
le concile de Trente éleva l'une et l'autre à la hauteur
d'une définition solennelle, sess. XXIV, can. 9 : Si
quis dixerit, clericos in sacris ordinibus conslilutos...
posse malrimonium conlrahere conlraclumque vali-
dum esse, non obstante lege ecclesiaslica,... anathema
sit. Cf. Funk, Colibat und Prieslerehe im christli-
chem Allerlhum, dans Kircliengesclticfitlicltc Abliand-
lungen und Unlersuchunqen, Paderborn, 1897, t. i,
p. 121 sq., 450 sq. Voir Célibat ecclésiastique, t. n.
col. 2068 sq.
3° L'âge. — Il n'y a pas lieu de nous arrêter à un
antique usage qui n'intéresse notre sujet qu'indirecte-
ment, je veux dire à la coutume, jadis communément
reçue, en vertu de laquelle de tout jeunes enfants
étaient offerts à l'évêque par leurs parents et dès lors
enrôlés dans le clergé par la collation de la tonsure et
même de l'ordre de lecteur, sauf la faculté, pour ces
« oblats » arrivant à l'âge de puberté (18 ans accom-
plis), de choisir librement entre les ordres sacrés et le
mariage. Disons seulement que le IIe concile de Tolède
(531) et le concile in Trullo (692) avaient déterminé
l'âge de vingt ans pour la réception du sous-diaconat,
qu'un concile de Melfi autorise cette ordination dès la
14e ou 15e année, et que Clément V, dans Clament.,
Generalem, de œtate et qualilate ordinandorum, 1. I,
tit. vi, c. 3, édit. Friedberg, t. n, col. 1140, reporte
la limite inférieure à 18 ans. Deux articles du Décret
de Gratien, les c. 5 et 6 de la dist. LXXVII, con-
cernent les ordres supérieurs : ils défendent d'or-
donner un diacre avant 25 ans, et un prêtre avant
trente. Clément V, Clément., I, vi, De œtate, c. 3,
décide qu'on sera admis au diaconat après vingt ans
accomplis. Mais le droit actuellement en vigueur est
celui qui a été sanctionné par le concile de Trente,
sess. XXIII, c. 12, De reform. Il fixe l'âge désormais
requis pour chacun des ordres sacrés : la 22e année
pour le sous-diaconat, la 23e pour le diaconat, la 25"
pour la prêtrise. A celui qui, sans dispense du saint-
siège, se fait ordonner en devançant l'âge canonique
l'exercice de son ordre est interdit; et s'il viole cette
interdiction, il encourt une irrégularité. Cf. Devoti,
Inslilutiones canonicx, 1. I, tit. iv, sect. n.
VII. Nature sacramentelle de l'ordination diaco-
nale. — Cette thèse, intimement liée à la question de
l'institution divine, s'en distingue cependant tant en
soi et au point de vue des concepts qu'au point de vue
de la certitude théologique. Le diaconat, comme tel et
séparé des ordres supérieurs, est-il un sacrement ?
Des théologiens en ont douté; quelques-uns, et entre
autres, Durand, Cajetan et Salmeron, l'ont nié. Ils allé-
guaient que ni l'Écriture ni la tradition ne contiennent
de témoignage péremptoire et que l'Église non plus n'a
rien défini. Aujourd'hui, personne, semble-t-il, parmi
les catholiques, ne le conteste plus; mais on n'est pas
d'accord sur la nature de l'assentiment qu'on doit à
l'affirmation. Vasquez, disp. CCXX XVIII, c. n, n. 12.
veut qu'elle soit de fuie; Sylvius, Supplem., q. xxxvn,
a. 2, concl. 2, la dit certaine : Diaconalu}ti esse sa-
cramentum ila cerlum est ut absque lemerilatc negari
non possit ; Bellarmin, De ordine, c. v, la tient pour
l'aide probabilis ; Dominique Soto, In IV Seul.,
dist. XXIV, q. I, a. 4, conclut simplement : Qui opinio-
nem Durandi sustincre vellet non esset magna repre-
hensione dignus ; nihilominus non est lam facile de
communi senlentia de/leclendum, esset enim nonnulta
temeritatis nota. Sur quelles raisons s'appuie la doc-
trine commune ?
1» Quoi qu'on en ait dit, le récit de saint Luc, Act.. m.
ne suffit pas à trancher la question : s'il relève que les
sept élus furent institués en charge parle rite de l'im-
position des mains joint à une prière, il n'ajoute pas
expressément qu'une grâce ait été attachée au double
725
DIACRES
726
élément sensible. Néanmoins ce dernier point restera à
peine douteux pour qui fera attention aux nombreuses
et difficiles vertus que saint Paul exige des diacres-
I Tim., m, 8 sq. Toute hésitation devra même disparai-
tre, si l'on s'en rapporte à l'interprétation tradition-
nelle, qui a toujours vu dans le c. VI des Actes la
relation d'une ordination sacramentelle d'où sont sortis
les premiers diacres. Citons-en un seul témoin, saint
Jean Chrysostome. Dans Homil., xiv, in Acl. apost.,
n. 3, P. G., t. lx, col. 116, il commente ainsi le pas-
sage dont il s'agit: « Prenez garde que l'écrivain sacré
ne donne aucun détail superflu; car il ne dit pas
de quelle manière ils ont été ordonnés, mais sim-
plement qu'ils l'ont été par l'imposition des mains et
la prière, 6-: È%eipoTovrfii\aa» 8ià TtpooTj/r,;. C'est bien là
l'ordination, toCto yàp r| XEtporovia éa-tiv : l'homme im-
pose sa main; mais c'est Dieu qui opère tout, c'est
Dieu dont la main touche la tète du sujet ordonné. »
2° Les plus anciens rituels fournissent une preuve
traditionnelle indépendante et certaine, en tant qu'ils
nous montrent le Saint-Esprit conféré par l'imposition
des mains de l'évéque. D'après les Constitutions apos-
toliques, vin, 17, édit. Funk, t. i, p. 523, le prélat con-
si'crateur dit: Deus omnipotens,... ostende faciem
tuam super servuvi luum hune , eleclum tibi in diaco-
natus minislerium, et impie eum Spiritu et virlute,
sicut implevisti Step/ianum. D'après le Testament de
Noire-Seigneur, 1. I, 38, édit. Rahmani, p. 90, 92,
l'évéque, en imposant la main aux diacres, demande
à Dieu une effusion de l'Esprit-Saint dans l'àme de
l'ordinand en vue de l'aider à bien remplir ses fonc-
tions. Voir aussi les Canons à" Hippolyte , 39-42, édit.
Achelis, p. 66-67. Non moins expressives ces paroles
du Sacramentaire grégorien, P. L., t. lxxviii, col. 222 :
Emitte in eum, Domine, quœsumus, Spiritum San-
etum, (jun in oj,us minislevii fideliter exsequendi
teptiformis gratis tua minière roboretur. La prière
épiscopale en usage chez les Grecs, Goar, Eucholo-
gium, p. 250, est semblable aux prières précédentes
et plus explicite encore : Domine Deus nosler,... gra-
tiam Slepliano protomartyri tua in opus minisle-
rii huju* a te primum vocato concessam largire...
Ipte, Domine, servum luum hune, quem diaconi mi-
nitterium sub' li, sancli ri vivifici Spirilus
lin adventu omni fide ri carilate et sancli/icalione
»/>/-' On peut voir d'autres formules de même sens
et de même portée dans Martène, De antiquie Ecrlesiœ
"s. t. ii. p. s.") m|.. et Denzinger, Ititus Orienia-
lium, Wurzbourj 1863-1864 I a, p. 8, 69, 133, etc.
Contre la conclusion tirée par nous de ces textes
qu'on n'objecte pas que la matière de l'ordination
diaconale consisti dans la porrection du livre des Evan-
. lequel n'existail pas encore lors du fait consigné
au c. vi des Acte- L'antériorité du diaconat par rap-
poi i -' 1 1 x écrits du N'ouveaujl estamenl esl uni' des con-
■idérations sur lesquelles nous établirons plus loinque
Cette porrection n'appartient pas à la matière essm-
lielle. On ne nous oppi plus de fonde-
ment que, suivant certains recueils liturgiques, la col-
lation des ordres mineurs se f.iii aussi par nue impo-
li tu m des mains accompagnée d'un appel à l'Esprit-Saint,
d'une Invocation tendant ■> l'attirer sur l'ordinand, et
que ■ luvenl même dans la con.
t. "/" ' . vin, 20. I iink .
t. i. i •-' il. cai actère particula-
• ttreint di ! qoi,
on) d'ailleurs b
il suffira de n marquer qui personm
• ndiquer pour eux ni un. ..i
or, celle i léfaut, le i Eté auqui I i II'- manqui
■al par cela nombre d cremi
:'- Le concile d.- i n uti ■< tout au mois
notre thèse. Qu'on rapproche, pour en juger, les ca-
nons 2'\ 3e, 4e et 6e de sa XXIIIe session. Par le 2e, il
définit l'existence, dans l'Église catholique, à côté du
sacerdoce, d'autres ordres majeurs et mineurs, et par
le 3e et le 4e, l'existence d'une ordination vraiment sa-
cramentelle. En ajoutant ensuite, dans le 6e, qu'il y a
une hiérarchie divinement instituée et comprenant les
évêques, les prêtres et les diacres, il semble bien oppo-
ser ces trois degrés aux ordres inférieurs, simples
créations ecclésiastiques et donc non sacramentelles,
non seulement au point de vue de l'origine divine,
mais aussi de l'efficacité propre aux sacrements. Nous
pouvons encore dégager la même pensée par une autre
voie : le 4e canon dit anathème à « quiconque préten-
drait que l'ordination sacrée ne donne pas le Saint-
Esprit et que, par conséquent, les évêques prononcent
en vain la formule: Recevez le Saint-Esprit. » N'est-
ce pas affirmer implicitement que toute ordination où
cette formule est employée opère ce que la formule
signifie ? Or le canon 6e nous parle de ministres
ou diacres d'institution divine, dont l'ordination,
nous le savons d'ailleurs, se fait par la formule
en question. La conclusion parait s'imposer : l'ordina-
tion des diacres leur confère le Saint-Esprit, elle tient
de Dieu même une vertu sacramentelle. Cf. Benoît XI\ ,
De si/nodo diœcesana, 1. VIII, c. ix, n. 2.
VIII. Matière et forme de l'ordination diagonale. —
La matière et la forme de l'ordination diaconale sont
controversées comme celles de la consécration épisco-
pale et de l'ordination sacerdotale.
1° Matière. — Quant à la matière, il s'agit surtout de
savoir si elle comprend essentiellement la o porrection
ou tradition des instruments, » c'est-à-dire, pour le
diaconat, la présentation et l'attouchement du livre des
Évangiles. Les théologiens se partagent ou se sont
partagés entre trois opinions d'inégale valeur.
1. Saint Bonaventure, In IV Seul., dist. XXIV, p. II,
a.'l, q. iv, Pierre Soto, J. Morin, Goar, Martène, Tour-
nely et la plupart des représentants modernes de la
théologie dogmatique : Perrone, Franzelin, Schwetz,
Oswald, Chr. Pesch,Tepe, Gihr, etc., placent la matière
essentielle exclusivement dans l'imposition des mains.
Pour eux, la présentation du livre des Evangiles est
une cérémonie ajoutée par l'Eglise et destinée à mieux
marquer l'effet et le but de l'ordination. Les arguments
sur lesquels ils s'appuient sont des plus graves, sinon
péremptoires. o) Il est tout d'abord très remarquable
que le Nouveau Testament ne fait nulle part menlion
que de l'imposition des mains. Peut-on raisonnable-
ment supposer que, gardant constamment le silence
sur la seule matière essentielle ou sur une partie de
cette matière, il ne nous aitdépeinl qu'un rite acciden-
tel, tout au plus un rite essentiellement incomplet, en
\ rattachant expressément, II Tim., i. 6, la grâce sacra-
mentelle? Ajoutons que les premières ordinations de
diacres sont antérieures à l'origine même des Evanl
giles et, plus encore, à leur réunion en un recuei-
unique.
/. NI les Pères de 1 I glise ni les conciles des neuf
premiers siècles ne disenl mot des instrument»; ils ne
parlent que de l'imposition des mains, gsiporovia,
■/EipoOî?:*. Voir le Testament de Notre-Seigneur, I. I,
:Î8, p. 90; Consiituh [astique ég ■ 83,
dans Achelis, p. fii; Cations d' Hippolyte, 38, ibid.,
p, 06. On trouvera un cln>i\ de témi
Pesch, Prselect. dogmat., t. vir, p. 874, 27."). Le ooncili
de l rente lui-m< MV, Dee» frem. unct., c. tu,
XXIII, c. n, m. attribue la grâce de l'ordina-
tion, comme effet, non pas i la Iraditio \Uh
■i l'imposition des mains; ce qui exclut
manifestement l'explication du silence des documenta
'h < ipline de l'an ane.
e 11 est un (ait liturgique qui suffirait à lui seul à
727
DIACRES
728
emporter conviction : aucun des rituels écrits avant
l'an 900 de notre ère ne prescrit la porrection des ins-
truments, si l'on excepte l'imposition du livre des
Évangiles, laquelle est en usagedepuis le iv siècle en-
viron pour la consécration épiscopale. .1. Morin, De
sacris Ecclesise ordinalionibus, fournit en abondance
les preuves de cette assertion. En présence des pre-
miers monuments qui commençaient à mentionner
une porrectio instrunienloram pour les trois ordres
supérieurs, les plus anciens commentateurs ne man-
quent pas d'attirer l'attention sur le caractère accessoire
et purement déclaratif de cette cérémonie. Ainsi fait,
par exemple, Hugues de Saint-Victor (f vers 1141),
lorsqu'il dit, à propos de l'ordination sacerdotale, De
sacramenlis, u, 3, 12 : Accipiunt cl calicem cum vino
et païen am cum Itostiis de manu episcopi, quatenus
his instruments polcstatem se accepisse cognoscant
placabiles Deo hoslias offerendi. En Occident donc, le
rite des « instruments » n'apparaît qu'au Xe siècle,
introduit par l'Église elle-même; il en résulte qu'il
n'est ni d'origine divine, ni, par conséquent, essentiel
au sacrement. Il ne servirait de rien d'objecter que
l'Église a pu n'user qu'au Xe siècle du pouvoir qu'elle
aurait reçu du Christ de déterminer la matière essen-
tielle; car, de quelque manière qu'on entende ce pou-
voir, il est a priori souverainement invraisemblable
que l'Église ait voulu réduire le rite apostolique de
l'imposition des mains au rùle d'accessoire purement
accidentel, pour lui substituer, comme élément essen-
tiel, un autre rite absolument nouveau. Cf. BenoitXIV,
Desynodo diœc, 1. VIII, c. x, n. 10.
d) Enfin, ce qui complète la preuve, c'est que les
Églises orientales n'ont de tout temps employé et n'em-
ploient encore aujourd'hui que l'imposition des mains,
pour la collation des trois ordres supérieurs aussi bien
que pour celle du sous-diaconat et de l'ordre de lecteur.
Jamais pourtant, au cours des négociations entreprises
en vue de leur réunion à l'Église romaine, ni à Lyon,
en 1274, ni à Florence, en 1439, il n'y eut d'observa-
tions de la part des Latins à ce sujet. Les papes ont
agi en ceci de la même manière que les conciles. Il
nous suffira de rappeler Clément VIII, qui, selon la
remarque de Benoit XIV, De synode- diœc, 1. VIII,
c. x, n. 7, « admit à l'unité catholique des évêques,
des prêtres et des diacres russes, avec leurs ordres tels
qu'ils les avaient reçus, conformément au rituel des
Grecs, à l'époque où ils étaient schismatiques. » L'hy-
pothèse d'une diversité de matière essentielle en Orient
et en Occident, qui a souri à quelques théologiens, no-
tamment à De Lugo, à Franzelin, à Gutberlet, parait
assez inutile'; elle est d'ailleurs peu en harmonie avec
l'unité nécessaire à l'Église, non seulement dans la
doctrine, mais aussi dans toutes les parties du culte et
autres pratiques qui sont en connexion étroite avec
cette même doctrine.
2. Une seconde opinion, dont on peut dire qu'elle
est actuellement surannée, s'oppose diamétralement à
la précédente; elle en prend exactement le contre-pied.
Elle a été défendue par Dominique Soto, Capréolus,
Grégoire de Valence, Gonet, Estius, etc. Aux yeux de
ces théologiens, il n'y a point d'autre matière essen-
tielle du sacrement de l'ordre que la porrection des
instruments, point d'autre matière essentielle de l'or-
dination du diacre que la tradition du livre des Évan-
giles; l'imposition des mains est étrangère à l'essence
sacramentelle, elle est simple materia intégrons. Les
défenseurs de cette théorie s'appuient principalement,
presque uniquement, sur le décret d'Eugène IV, l'ro
Armenis (en 1439). On lit, en effet, dans ce document.
Denzinger, Enchiridion, 10e édit., n. 701 : Sexlum
sacramentum est ordinis, cujus materia est illud per
citjus tradilionem conferturordo :sicut presbyteralus
tradilur per calicis cum vino et patense cum pane
porreclionem ; diaconalus vero per libri evangeliorum
daiionem; tubdiaconatus vero per calicis vacui cum
palena vacua superpoiita tradilionem ; et similiter de
idiisperrcrum ail m inisleria sua pertinenliu ni assigna-
lionem. Mais il importe avant tout «le saisir la véritable
portée de ce décret, qui reproduit souvent mot pour mot
un opuscule de saint Thomas, De jidei articulis et seplem
sacramenlis. Or, s'il a ce caractère d'autorité qu'on doit
reconnaître, dans l'Église, à tous les actes, à toutes les
directions du pouvoir suprême, on aurait tort cepen-
dant d'y voir soit une définition ex cathedra, soit
même un exposé doctrinal essentiellement complet. Il
est proprement une instruction pratique, adressée am
Arméniens afin de les amener à la plus grande confor-
mité possible avec l'Église latine dans l'administration
des sacrements et insistant, pour cette raison, unique-
ment sur ceux des rites romains qui n'étaient pas en
usage parmi ses destinataires. S'il en 'tait autrement,
on ne comprendrait pas comment Eugène IV a pu ad-
mettre au concile de Florence les évêques arméniens,
ordonnés sans la porrection des instruments et donc in-
validement; on ne comprendrait pas davantage pour-
quoi il ne mentionne pas expressément l'imposition des
mains, considérée pourtant et pratiquée comme essen-
tielle par tous les Latins. Il est vrai qu'un peu plus
loin il en indique la nécessité, mais de façon implicite
seulement et en renvoyant aux prescriptions du rituel
romain : El sic de aliorum ordinum formis, pro»t in
Ponti/icali romano laie continelur. En résumé, tout
nous amène, concernant la signification du décret Pra
Armenis, à cette conclusion de Benoit XIV, De synodo
diœc, 1. VIII, c. x, n. 8: Xecesse est igitur fateri
Eugenium locutum esse de maleria et forma inté-
grante et accessoria, quam optavit ab Armenis su) er-
addi rnanuum impositioni jam diu ab illis adhibitae,
ut Ecclesiœ lalinse moribus se accomodarent . Ainsi
tombe l'unique argument, plutôt spécieux que sérieux.
de la seconde opinion.
3. Mais il en est une troisième, qui essaie de concilier
les deux précédentes en s'appropriant ce que chacune
d'elles a de positif, c'est-à-dire en considérant comme
matière essentielle et l'imposition des mains et la por-
rection, suivant l'ordination dont il s'agit, soit de
l'évangéliaire soit d'autres objets caractéristiques. l'Ile
se refuse donc à restreindre, avec la seconde, la matière
sacramentelle à la tradition des instruments; mais elle
n'admet pas avec la première que cette tradition soit
une pure démonstration intuitive, une simple expression
symbolique de la grâce conférée ; elle y voit au contraire
une véritable partie essentielle du rite divinement
institué, partie qui forme avec l'imposition des mains
un tout moral, avec l'imposition des mains et la forme,
une seule cause sanctificatrice complète. Dans l'ordi-
nation sacerdotale, par exemple, non seulement l'impo-
sition des mains et la présentation du calice et de la
patène symbolisent, celle-là. surtout le pouvoir d'absou-
dre, celle-ci. surtout le pouvoir de consacrer, mais elles
confèrent ensemble sacramentellement l'un et l'autre.
Bellarmin, De Lugo. Vasquez, Maldonat, Ledesma, Liil-
luart,Berti. Gotti. et, parmi nos contemporains. Billot,
De sacramenlis, t. n, thés, xxx ; Gutberlet, Dogmalisclte
Théologie, t. x, p. 288 sq., défendent cette théorie.
Faisant leur profit des arguments propres aux deux
autres, ils insistent principalement, en faveur de l'im-
position des m. uns. sur l'autorité de l'Ecriture et de la
tradition, et en faveurde la porrection des instruments,
sur la pratique de l'Église latine et le décret d'Eugène I\ ■
Ils se vantent du reste, et à bon droit, d'échapper
aux difficultés spéciales de la seconde opinion: et pour
résoudre les objections historiques, ils supposent
généralement que le Christ a déterminé la matière et
la l'orme de l'ordination seulement in génère et que.
laissant à l'Église le soin de les déterminer in specie,
729
DIACRES
730
il lui a conséquemment laissé la faculté d'autoriser
certaines divergences et variations suivant les temps
et les lieux.
Sans entrer dans une discussion détaillée des divers
éléments de ce système et sans nier la faculté de déter-
mination spécifique qu'il attribue à l'Église par rapport
aux éléments sensibles de quelques sacrements, nous
remarquerons que plusieurs des témoignages bibliques,
patristiques, liturgiques et bistoriques produits ci-
dessus, col. 725, nous montrent l'imposition des mains
comme seule essentielle.
Théoriquement donc, nous concluons sans hésiter
pour la première opinion. Toutefois, en pratique, la
question se présente et doit se résoudre autrement.
Chaque fois qu'un doute porte sur les conditions de
validité d'un sacrement, le tutiorisme s'impose. Voilà
pourquoi l'Église agit et veut qu'on agisse autant que
possible conformément à la troisième opinion; voilà
pourquoi aussi elle ordonne, quand la tradition des
instruments a été omise, qu'on la supplée, et, dans
certains cas, que toute l'ordination soit réitérée, tantôt
absolument, tantôt conditionnellement. Cf. Pourrat,
La théologie sacramentaire, 2e édit., Paris, 1907,
p. 270 sq.; Chr. Pesch, Prselecliones dogmalicœ, Fri-
n-Brisgau, 1897, t. vil, p. 273 sq.
2° Forme. — Après ce que nous avons dit de la matière
de l'ordination diaconale, la question concernant la
forme est plus qu'à moitié résolue. La forme doit natu-
rellement consister dans des paroles ou dans une
prière qui accompagne la matière essentielle, c'est-à-
dire l'imposition des mains. Cf. Testament de Notre-
Seigneur, 1. I, 38, p. 90-92; Canons d'Hippolyte, 33,
39-42, dans Achelis, p. 64, 66-67. Mais concurremment
avec celle-ci, le rituel de l'ordination des diacres prescrit
deux prières. L'une, plus courte, est énoncée en manière
de commandement : Accipe Spiritum Sanclum ad
robur et ad resistendum diabolo et lenlalionibus
ejus in nomine Domini ; l'autre, seconde partie de la
préface chantée ou récitée par le prélat ordinateur,
débute ainsi : Emitte in eos, quœsumus, Domine,
tum Sanctum, quoin opns ministerii luifideliler
exsequendi septiformis gratis: tuai munere roboren-
hn ... La formule impérative, dont les premiers mots :
Accipe Spiritum Sanctum se retrouvent également à
propos de la consécration épiscopale, de l'ordination
: totale et de l'ordination diaconale, n'est pas 1res
ancienne dans I Église. Martène i établi, De antiquis
Ecclesite ritibui, t. ir, p. 21, 27, qu'elle ne remontait
pins de quatre siècles chez les Latins. On ne la
rencontre d'ailleurs dans aucun Eucologc grec. La
seconde, en revanche, semble, quant au sens, avoir
été toujours et partout en usage. C'est donc dans la
seconde qu'il faut voir la forme essentielle de l'ordina-
tion.
IX. Cérémonies de l'ordination diaconale. — Beau-
coup de cérémonies se reproduisent identiques dans
la collation de tous les ordres, surtout de tous les
ordres majeurs. Voici quelques-unes de celles qui sont
spécialement caractéristiques de l'ordination du diacre.
,■■ .i récité les prières de la mi
qu'à l'épitre inclusivement, l'archidiacre s'avance et
lui présente les candidats, i n lui demandant au nom
'h- l vouloir bien les ordonm r Po$lulat
m mater Ecclesia... Sur quoi. le prélat l'inter-
voua s'ils sont dignes? — Autan) que
le humaine permet de le connaître, répond
lidiacre, je le sais et je l'atteste, i L'évéque re r-
ponsi . pul . i adresi tnl au cli rgé
et au peuple, il continue I l'aide de Dieu, noua
■ii -m re que voici pour l'ordre du diaconat:
-i quelqu'un a contre loi quoi que (•<■ soit, qu'il s'avam i
hardiment, poui l'amour de Dieu, el qu il le déclare:
mai« qu'il million, h i
le Pontifical prescrit une courte pause. La notification
et la pause rappellent l'ancienne discipline, qui com-
portait une consultation des clercs et des fidèles avant
les ordinations. Ce moyen d'information est suppléé
aujourd'hui par les publications qui se font au prône
et par les enquêtes et examens auxquels les sujets sont
soumis; mais on ne peut qu'approuver l'usage, qui
s'est maintenu, d'inviter le public, dans l'acte même
de l'ordination, à la production des griefs éventuels.
Se tournant alors vers les ordinands, l'évéque leur dit,
entre autres choses : « Vous devez penser combien est
grand le degré où vous montez dans l'Église. Un diacre
doit servir à l'autel, baptiser et prêcher. Les diacres
tiennent la place des anciens lévites; ils sont la tribu et
l'héritage du Seigneur, ils doivent garder et porter le
tabernacle, c'est-à-dire défendre l'Eglise contre ses
ennemis invisibles et l'orner par leur prédication et
par leur exemple. Ils sont obligés à une grande pureté,
comme étant ministres avec les prêtres, coopérateurs
du corps et du sang de Notre-Seigneur, chargés
d'annoncer l'Évangile. » Toute l'exhortation épiscopale
insiste surtout sur la nécessité, pour ceux à qui elle
s'adresse, de servir de modèles à leurs frères : Curate
ut quibus Evangelium ore annuntialis vivis operibus
exponatis, ut de vobis dicatur : Beati pedes evangeli-
zantium pacem, evangelizantium bona. Ilabete pedes
vestros calceatos sanctorum exemplis, in prœpara-
lione evangelii pacis. Viennent ensuite les litanies,
récitées ou chantées par le chœur, durant lesquelles
les ordinands se prosternent la face contre terre; et les
litanies terminées, l'évéque, dans une allocution à
l'assistance, l'invite instamment une première fois,
puis une seconde, à s'unir à lui pour implorer le
Seigneur en faveur des ordinands. L'ordination propre-
ment dite débute par une prière plus solennelle ou
« préface », dont les idées, le style et le chant ont
quelque chose de majestueux et de joyeux tout ensemble.
Après la première partie, qui est une effusion enthou-
siaste de respect, de louange et de remerciement à la
providence divine, admirable et adorable dans l'orga-
nisation de l'univers, non moins admirable ni moins
adorable dans l'organisation de l'Église et des degrés
de la hiérarchie ecclésiastique, l'évéque s'interrompt
tout à coup. Il étend la main droite sur la tête de
chaque ordinand, en disant : Accipe Spiritum Sanctum
ad robur et ad resistendum diabolo et tentationibus
ejus, in nomine Domini. Reprenant alors le chant ou
la récitation de la préface et tenant jusqu'au bout sa
main droite ('tendue sur tous les ordinands, il sollicite
de nouveau pour eux les grâces divines, par l'éloquente
et pressante supplication dont le commencement a déjà
été indiqué : Emitte in eos, qusesumus... Cette prière
finale, Domine sanclc, constituait, dans la forme pure
de la liturgie1 gallicane, toute l'ordination du diaconat.
Le Missale Francorum, P. L., t. i.xxii, col. 321, a ac-
cueilli plus tard les prières précédentes de la litti
romaine. Doni Leclercq, dans Ilefele, Histoire des
lies, Paris. 1908, t. II, p. 112, note. Nous avons
suffisamment exposé plus haut ce qu'il fini penser de
l'antiquité respective et, conséquemment, du rôle sacra-
mentel de ces deux invocations, qui accompagnent et
commentent l'imposition des mains. Autrefois, la i
monie de l'ordination prenait fin ici. Dans le courant
du moyen âge, on j a ajouté trois actes, qui en aug-
mentent l'expressive solennil lodifier son
sence : c'est l'imposition par l'évéque de l'étole et de
la dalmatique et la présentation du livre di i i van)
En accomplissant chacun de ces actes, l'ordinateur
prononce une Formule 'i111 en marque la signification.
En plaçant l'étole sur l'épaule gauche de l'ordinand, il
dit lecipe ttolam candidam de manu Oei...,*en don-
nant la dalmatique Induai te Dominui indumento
salut> tlitim, el dedmatù " jut l
731
DIACI'.KS
DIACRINOMÈNES
732
circumdet te semper ; enfin, en présentant le livre des
Évangiles, que les nouveaux diacres doivent toucher :
Accipite potestatem legendi Evangeliutn in Ecclesia
Dei, tant pro vivis quant pro clef une Us, in nomme
Domini. Deux oraisons, récitées par l'évéque, clôturent
le cérémonial de l'ordination des diacres.
A consulter, outre différents ouvrages cités dans le corps de
notre article :
1° Sur l'ensemble de la question : Seidl, Der Diakonat in
ilcr katholischen Kirche, 'dessen hieratische Wiïrde und ge-
schichtliche Enlwicklung, Ratisbonne, 1884; S. Thomas, Sum.
theol., III* Suppl., q. xxxiv sq., et les commentateurs de la
Somme théologique, par exemple Billuart, De sacramento
ordinis, édit. Lequette, t. vu, et Vasquez, In ///■" partent,
disp. CCXXX V sq. ; ensuite tous les grands traités théologiques ou
canoniques sur les sacrements, notamment : Barbosa, Jus eccle.
siasticum universum, 1. I; Drouvenius, De re sacramento-
ria contra perdelluos hxreticos, Venise, 1737; Tournely,
Prxlectiones theologicx de sacramentis, Paris, 1739; Muszka,
De sacramentis N. L. dissertationum theologicarum libri VIII,
Vienne, 1758; oberndorfer, De sacramento ordinis, Freising,
1759; .Merlin, Traité historique et dogmatique sur les paroles
ou formes des sept sacrements de l'Église, Paris, 1744, réédité
dans le Theologix cursus completus de Migne, t. xxi, et.
parmi les modernes, Gaspard, Tractatus canvnicus de sacra
ordinatione, Paris, 1893; Schanz, Die Lettre von den Sacra-
menten der katholischen Kirche, Fribourg-en-Brisgau, 1893;
Oswald, Die dogmatische Lettre von den lieiligen Sakramen-
ten, 5* édit., Munster, 1894, t. n; Billot, De Ecclesix sacramen-
tis, Rome, 1895, t. n ; Chr. Pesch, Prxlectiones dogmaticx,
Fribourg-en-Brisgau, 1897, t. vu; Noldin, De sacramentis,
Inspruck, 1901; Gihr, Die lieiligen Sakramente der katholis-
chen Kirche, 2' édit., Fribourg-en-Brisgau, 1902, t. n ; Polile,
Lehrbuch der Dogmatik in sieben Bùchern, Paderborn, 1905,
t. ni ; S. Many, Prxlectiones de sacra ordinatione, Paris,
1905, p. 9-12, 14-16, 49-54, 439, 448-450, 460-461, 468-469, 473,
475, 476, 478, 480, 508-512.
2' Sur les données scripturaires : Seidl, Der Diakonat in
der Apostelgeschichte und den paulinischen Briefen, dans
Der Katholik, 1883, t. i, p. 585 sq. ; t. n, p. 40 sq.'; Bellamy, art.
Diacre, dans le Diction, de la Bible, de Vigouroux; Belser,
Beitriige zur Erkldrung der Aposlelgescltichte, Fribourg-en-
Brisgau, 1897; A. Michiels, L'origine de l'êpiscopat, Louvain,
1900, p. 110, 371,390; Bruders, Die Verfassung der Kirche von
den ersten Jahrzehnten der apostolischen Wirksamkeit an bis
zum Jahre 115 n. Chr., Mayence, 1904; Rose, Les Actes des
apôtres, traduction et commentaire, 3° édit., Paris, 1905, p. 50-
56; Lcmonnyer, Épitres de saint Paul, traduction et commen-
taire, Paris, 1905, t. n, p. 7, 139; Ermoni, Les premiers
ouvriers de l'Évangile, Paris, 1905, t. n.
3" Sur les premières origines : Sancti Ignatii epistulx,
dans les Patres apostolici, édit. Funk, 2* édit., Tubingue, 1901,
t. i; Didascalia et Constitutiones apostolorum, édit. Funk,
Paderborn, 1906, t. i ; De Smedt, L'organisation des Églises
chrétiennes jusqu'au milieu du iw siècle, dans le Compte
rendu du congrès scientifique international, Paris, 1888, t. n;
M«r Rahmani, Testamentum D. N. J. C, Mayence, 1899, p. 161-
162; H. Achelis, Die Canones Hippolyti, dans Texte und
Untersuchungen, Leipzig, 1891, t. VI, fasc. 4, p. 168-173. Ajou-
tez les ouvrages, déjà indiqués ci-dessus, de Bruders et d'Ermoni.
4" Sur le côté et le développement historiques : Hallier, De
sacris electionibus et ordinationibus ex antiquo etnovo jure,
Paris, 1636, réédité dans le Theologix cursus complétas de
Migne, t. xxiv ; Petau, Theologica dogmala, diss. IV, 1. II;
J. Morin, De sacris Ecclesix ordinationibus, Paris, 1655;
Aringhi, Roma subterranea novissima, Rome, 1651; 2' édit.,
Paris, 1659; Thomassin, Vêtus et nova Ecclesix disciplina,
Paris, 1088; Ciampini, Vêlera monimenta, Rome, 1690-1699;
Martène, De antiquis Ecclesix rilibus, Rouen (le iv vol. à
Lyon), 1700-1706; Hahn, Die Lehre von den Sakramenten in
ihrer geschichtlichen Entuiicklung innerhalb der abendlân-
dischen Kirclie bis zum Konzil von Trient, Breslau, 1864;
Laurain, De l'intervention des laïques, des diacres et des
dbbesses dans l'administration de la pénitence, Paris, 1899;
Maltzew, Die Sakramente der orthodox-katholischen Kirche
des Morgenlandes, Berlin, 1898; A. Leder, Die Diakonen der
Bischôfe und Presbyter und ihre urehristlichen Vorlàufer,
Stuttgart, 1905 (traite principalement de l'archi-diacre); Pourrat,
La théologie sacramentaire, étude de théologie positive,
2' édit., Paris, 1907.
J. FORGET.
DIACRINOMÈNES. Glaire, Dictionnaire de» scien-
ces ecclésiasti<iues, t. i, p. (il!), désigne sous ce nom
« une sorte de sectaires qui, d'après l'opinion d'Eutychès,
ne voulaient reconnaître aucun chef, parce qu'ils refu-
saient d'adhérer aux décisions de concile de Chalcé-
doine et de s'unir à ceux qui prononçaient des ana-
thèmes contre ce même concile. » Il cite comme réfé-
rences Prateolus et liaronius. Or Prateolus, De vilis,
seclis, Cologne, 1581, p. 1445, ne parle que des acé-
phales. Baronius, Annales, an. 431$, n. 1, 21, rapporte
d'abord l'opinion du diacre Liheratus, Breviarium, vin,
ix; édit. Garnier, Paris, 1675; P. L., t. lxviif, col. 984
988, d'après laquelle le nom d'acéphales remonterait au
milieu du ve siècle et s'appliquerait pour la première
fois à ceux qui, ne voulant pas tenir compte du pacte
intervenu entre Jean d'Antioche et Cyrille d'Alexandrie,
sous prétexte qu'on n'aurait pas dû faire la paix avec
le patriarche d'Alexandrie sans avoir préalablement
condamné les douze chapitres qu'il avait formulés con-
tre Nestorius, abandonnèrent à la fois le parti de Jean
d'Antioche et de Cyrille et restèrent sans chef pour
célébrer leurs synaxes. Dans la suite, Annales, an. 482,
n. 42; an. 492, n. 44, Baronius ne parle que des acé-
phales. Les diacrinomènes seraient donc à identifier
avec les acéphales. Or, il n'en est rien. Les acéphales
n'ont été que l'un des groupes nombreux formés parmi
les diacrinomènes. Ceux-ci constituent plutôt l'ensemble
des opposants du concile de Chalcédoine et des parti-
sans plus ou moins tranchés d'Eutychès et du mono-
physisme.
C'est Léonce de Byzance qui nous renseigne à ce su-
jet, car il les connaissait bien et les a solidement ré-
futés, dans la première moitié du vi« siècle. Or, d'après
Léonce de Byzance, De seclis, act. iv, 7, P. G.,
t. lxxxvi. col. 1225, lorsque saint Léon eut approuvé
la condamnation et la déposition d'Eutychès par Fla-
vien, patriarche de Constanlinople, les 5iaxpiv6(ievot,
le mot est de lui et est traduit par hassitantes, les
hésitants, doutèrent de la lettre du pape. Sur la
réclamation d'Eutychès, l'empereur chargea Dioscore,
patriarche d'Alexandrie, d'examiner la sentence portée
par Flavien. Celle-ci fut rapportée etEutychès réintégré.
Mais le concile de Chalcédoine, en 451, donna raison
à Flavien, déjà décédé, frappa d'anathème Eutychès et
condamna Dioscore à l'exil.
A partir de ce moment et pour plus d'un demi-siècle,
l'Église d'Alexandrie fut en pleine anarchie. Les mono-
physites y eurent des évêques et y formèrent plusieurs
groupes, entre autres celui des acéphales, qui répu-
dièrent Pierre Monge parce qu'il avait accepté Yttcno-
licon de Zenon. De seclis, act. v, 2, col. 1229. A Zenon
succéda l'empereur Anastase (491-518), qui était dia-
crinomène, De sectis, act. v, 2, col. 1229, et qui favo-
risa de tout son pouvoir les eutychiens, aidé par Sé-
vère, patriarche d'Antioche, et parTimothée, patriarche
d'Alexandrie. Mais à sa mort, Justin d'abord, puis
Justinien (527-566) résolurent de faire rendre au con-
cile de Chalcédoine l'obéissance qui lui était due, pour
supprimer toute division entre catholiques et monophy-
sites. Leur tentative ne fut pas couronnée de succès.
Elle détermina au contraire de nouvelles discussions
théologiques, de nouveaux groupements eutychiens,
séparés les uns des autres, ou par de simples questions
de personnes, ou par des points de doctrine secondaires.
Et c'est surtout à Alexandrie, dans ce milieu surexcité,
où s'étaient réfugiés Sévère d'Antioche et Julien d'IIa-
licarnasse, que la résistance des diacrinomènes se lit
sentir.
Léonce de Byzance prit alors la plume pour réfuter
ces sectaires. 11 expose les objections diverses qu'ils
empruntaient soit à l'histoire, De sectis, act. VI,
col. 1233-1237, soit à la philosophie, act. vu. col. 1240-
1252, soit aux témoignages des Pères, act.. vin-ix,
733
DIACRINOMÈNES — DIDASCALIE DES APÔTRES
734
col. 1252 sq., et les réfuta solidement. Bien qu'il les
qualifie de diacrinomènes, c'est en somme le parti des
•eutvchiens ou monophysites qu'il a en vue, pris dans
son" ensemble, depuis la moitié du vc siècle jusqu'à son
époque, sous le règne de Justinien. Dès lors, le terme de
diacrinomènes qu'il emploie ne désigne pas un groupe
spécial d'hérétiques, mais simplement les partisans
d'Eutychès et les adversaires du concile de Chalcédoine-
Voir Eutvchiens.
Léonce de Byzance, De sectis, P. G., t. lxxxvi, col. 1193-1208.
G. Pareille.
DIADOQUE DE PHOTIKÉ. Nous ne savons à peu
près rien sur la vie de cet évèque de Photiké, ville de
la Vieille- Épire. Il signa la lettre adressée à l'empereur
Léon 1er au sujet de la mort de Proterius d'Alexandrie,
«n 458, Mansi, Concil., t. vu, col. 619; ce qui nous
donne la date approximative de son existence. De même
on pense que c'est de lui qu'il est question dans le pro-
logue de Yllistoria perseculionis Africanse provinciœ,
écrite par Victor de Vite en 486. On lui attribue la
composition de cent Capita de perfectione spirilali,
publiés seulement en traduction latine, P. G., t. LXV,
col. 1167-1212. et dans le texte grec dans la $iXoxec-
>.ia, Athènes, 1893, t. i, p. 139-164. Photius, Biblio-
tlieca, cod. 201, donne déjà un excellent résumé de
cet ouvrage et, dans la première moitié du vne siè-
cle, Thalassius cite une pensée du c. c, P. G., t. xc,
col. 792, n. 10, laquelle se retrouve, en effet, au c. c
■des œuvres imprimées, P. G., t. lxv, col. 1212. On
attribue de même à notre Diadoque un Sermo de
ascensione D. N. Jesu Chrïsli, qu'a édité Mai, Spicile-
glum romanum, t. iv, p. xcvin-cvi, et reproduit, P. G.,
t. LXV, col. 1141-1148. l'ar contre, l'auteur du Serr»o
contra arïanos, P. G., t. lxv, col. 1149-1166, qui dans
les manuscrits s'appelle Marc Diadoque, a vécu au
IV siècle selon toutes les vraisemblances; il est donc à
distinguer de l'évéque île Photiké. Celui-ci diffère en-
core d'un Diadoque, dont le codex Arnbros. O8 sup. du
xi'-xii' siècle contient les scholies sur l'Échelle de
saint Jean Climaque, auteur du vu" siècle.
Kirchenlexikon , t. Vlll, col. 683-684; DUtionavtj of rhris-
biography, • Us., Londres, 1877, t. i, p. 823.
S. Vaii.iié.
DIAKROUSIS Anthime, hiéromoine, né dans l'Ile
de Céphalonie. On n'a pas d.' renseignements sur sa
vie. On sait seulement qu'il fréquenta dans sa jeunesse
les cours du collège Flanginien (çXaffivtccvbv -
de Venise, et qu'il embrassa la vie monasti-
que, i'n changeant son nom de baptême en relui d A
Il édita h- \='<; Hapâfieiaoc d'Agapios Landos, Ve-
nise, 1664. Il a écrit : I" 'AxoÂovOfei toî byiov NixoXio'j
tiiov idopâpTupo; tov tw fJo'Jvtocç &0xv)aavtoc,
Vienne, 1791. J I;-. -, , topcuéTatov -Epu'yv/ 7?r//<v:
"'.r-'./v,; xjcrà T.'ii'i i •l/'j/iofE/i'.; il; x/,v bmpBCfl&V
-//'.'. il: -.!■! p.axapfav TptaSa, ïi; tôv jiîtouov zoi-
/ Tcapouviav, xal ï-z-.^x Bisfopa -y,z
i ypriJovta, Venise. 1659.
' ttaèni 1 1 i i
222-223; Zavir..
■ries, IH72. p. 130; Zigeli, K:;,,, ,,.,,., L,. ,-,-•,, Allié-
oes, 1004, ' i, p, 1 I
A. l'Ai Mil RI,
Dl AMANTES Rhysios. profi leurel polémiste
de Rhysioti Aretzou, dam le golfe Asta-
Qom, il lit se- . tudi il'éi oie patriai*
du Phanai ntinople, \ i nseigna lui-mé
plusieurs innéi ii quelque temps le directeur
1704, il vécut trois ans en Cri
• n l7o; fui appelé pai li - habitanti de 8m
toujours comm< du. . t< m <\ ■ coli n , ,.i, . , ., longtempi
fonction, puii
mourut en I7J7. t ie de tes quatre Biles tut la mi re de
' '"" ' I qui nous inté-
resse ici est intitulé : Aa-ivtov ôp-^axeca; ï'/sy/oi 36 -/.aï
tî'; 6 êxi<TTO-j ).ôyo;, in-16, Amsterdam, 1748. Les £).Ey-/oi
de Diamantès sont en mauvais vers iambiques trimètres.
Malgré le titre, les 33 premiers seuls concernent les
Latins, les 3 derniers sont consacrés aux Arméniens.
En dehors des points dogmatiques controversés entre
Latins et Grecs, l'auteur reproche aux Latins les usages
que leur reprochaient déjà les Byzantins ; il critique
en outre les statues, le calendrier grégorien, la dévotion
des jubilés, etc.
C. Satlias, NcoiV./.v<i*<i yiXoio-,ia, Athènes, 1^68, p. 467;
A. P. Kerameus, 'AvéxSotoi ^yçaya, dans ù*apva<ro-oç, 1880, t. IV,
p. 203-217; M. Gédéon, Xçov.xà t?, -^-.^/^ UwHr^.y.;, Con-
stantinople, 1883, p. 135.
S. PÊTRIDÊS.
DIANA Antonin, né à Palerme en 1585, mort à
Rome, le 20 juillet 1663. En 1630, il entra chez les
théatins, et acquit bientôt un grand renom de théolo-
gien moraliste. On le consultait de tous côtés. Il a été
examinateur des évêques sous trois papes. Ses résolu-
tions de cas de conscience ont été publiées sous le titre
de Resolutiomtm moralium pars prima et secunda
in-fol., Palerme, 1629; d'autres parties furent éditées
de 1636 à 1656. Elles eurent de nombreuses rééditions;
celle du chartreux Alcolea a pour titre : P. Antoninus
Diana... coordinatus, suasomnes resolutiones murales
ejus ipsissimis verbis ad propria loca et matériau
fideliter dispositae ac dislribulse, in-fol., Lyon, 1667-
l'édition d'Anvers, 1656, par Antoine Cotonio, porte le
litre : Summa Dianie. Très savant casuiste, Diana
penche vers le laxisme. Voir S. Liguori, T/ieol. mo-
ralis, 1. VI, n. 257. On a fait divers abrégés de ses
solutions. Tomasi a donné : Tabula aurea operum
omnium Anlonini Dianaa, qua resolutiomtm plusquam
sex millia ordinantur, in-fol., Rome, 1664. On a encore
de Diana : De primatu sedis D. Pétri disceplationes
apologelicœ, in-4°, 1647; réimprimé par Roeaberti, lii-
bliotheca maxima ponti/icia, t. iv. Ch. Morales a re-
cueilli de tous les ouvrages de Diana ce qui concerne
l'autorité des papes : .1. R. P. D. Antoninus Diana
Panormilana, in-fol., Rome, 1697, avec une apologie
intitulée : Diana vindicatus.
Mlcbaud, Biographie universelle, t. xi, p. 4: Kirchenlexi-
kon, t. m, coL 1602: Hurter, Nomenclator, 3' édit., [nspruck
1907, t. m, col. 1191-1193.
A. Ingold.
DICASTILLO (Jean de), théologien moraliste, né à
Xaplesde parents espagnols, le 28 décembre 1584, reçu
au noviciat de la Compagnie de .(ésus en 1600, profes-
seur de théologie scolaslique pendanl vingt-cinq ans à
Murcie, à Tolède, (d d'exégèse biblique .i Vienne, où
il remplit les fonctions de prédicateur de la cour. Il
mourut à Ingolsladt le (i mars 1653. On a de lui un
traité célèbre sur la justice et le droit : Dejustitia n
jure ceterisque virtutibus cardinalihus, Anvers. 1641.
Ses aulres ouvrages méritent encore d'attirer l'atten-
tion : Tractalus de incarnatione, 2 in-fol., Anv< rs,
1642; De sacramenlis, 3 in-fol.. Anvers, 1646 et 1652.
Le traite de la pénitence est à signaler entre tous BU
point de vue de l'érudition et de la sûreté de la doctrine.
Tractatus duo de juramento, perjurio et adjuratione,
neenon de censuris et pœnis ccclesiaslicis, Anvers
1662.
p. Backer-Somraervoget, Bibl. de >■• <:- de .'■sus. t. ni,
lo, Bibliotheca Hisj i. i,
nnl, Olorioi del tegundo sujin. i. n.
■
P. Bl i vm'.h.
DIDACHÉ. Volt \ LA DOCTRINE DES DOUZE),
t. i, col. 1680 16*7.
1. DIDASCALIE DES APOTRES, : , lue
i/e apotrei ii des
7:*5
DIDASCALIE DES APÔTRES
<3G
saints disciples de notre Sauveur, document ecclésias-
tique du nie siècle de notre ère. L'écrit original, en
langue grecque, est perdu. Il n'en subsiste qu'un rema-
niement dans les six premiers livres des Constitution*
apostoliques et plusieurs versions. Nous avons déjà
exposé ici, voir t. m, col. 1522-1523, comment la con-
naissance de la Didascalie a conduit, dès Kenaudot,
mais surtout au XIXe siècle, à reconnaître la nature el
l'origine des Constitutions apostoliques. Nous avons
aussi indiqué les principales modifications que l'inter-
polateur, auteur du dernier ouvrage, a fait subir à la
Didascalie. Ibid., col. 1523-1524. Le présent article
comprendra donc seulement : 1. Versions. IL Sources.
III. Enseignements. IV. Origine de la Didascalie.
I. Versions. — On connaît deux anciennes versions :
latine et syriaque, et deux versions plus récentes déjà
interpolées : éthiopienne et arabe.
1' Version latine. — Des fragments de cette version,
à peu près les deux cinquièmes de l'ouvrage, sont con-
servés dans un seul manuscrit palimpseste, à Vérone.
L'écriture est du vie siècle, mais la traduction a déjà
été corrigée, et, surtout, elle cite la Bible d'après la
Vêtus llala el non d'après la Vulgale. M. Hauler sup-
pose donc que cette traduction est du rv« siècle. Elle
contient les parties qui correspondent aux Constitutions
apostoliques, i, 1-2, 5-7; 8-n, 2; 6-12; 14-15; 18-20;
20-22; 22-24; 25-28; 34-35; 57-59; m, 6-8; 15-iv, 5; v,
7-8; vi, 7-12; 12-20; 22-23; 24-30, et à quelques
canons coptes-arabes, canons 13-20. Voir t. il, col. 1613.
Tous ces fragments latins ont été édités par M. E. Hau-
ler, Didascaliœ apostolorum fragmenta veronensia
latina, in-8c, Leipzig, 1900. M. Hauler avait déjà publié
quelques-uns de ces fragments dans les Comptes ren-
dus de l'Académie des sciences de Vienne, t. cxxxiv,
fasc. 3 (paru en 1896) sous le titre : Eine lat. palimpsest.
l'ebersetzung der Didascalia apostolorum. Enlin
F.-X. Funk a réédité cette version latine en comblant
ses lacunes, comme texte parallèle aux Constitutions
apostoliques. Didascalia et Constitutiones apostolo-
rum,
2 in-8", Paderborn, 1906.
Le traducteur latin, sans souci du génie de la langue
latine, a violenté, tourmenté sa phrase; on pourrait
même citer un grand nombre de mots qui ne sont
qu'une pure transcription du grec, comme softslia,
parochia, prosforir, orfanitas, plasma, paralipome-
num. M. Viard, La Didascalie des apôtres, Langres,
1906, p. 14-15. On suppose souvent que l'auteur visait
ainsi à rendre plus fidèlement son texte : nous croyons
plutôt qu'il possédait mal la langue grecque, il suivait
donc le texte de près, de crainte de contre sens s'il
traduisait de manière un peu plus libre; il transcrivait
les mots grecs qu'il ne savait comment traduire en
latin. Par endroits même, il traduisait et transcrivait
ensuite des mots qu'il comprenait peu : universa dis-
pcnsalio [quod dicit grsecus 'mconomia]... inlumina-
tionem [quod dicit graecus folisma]. M. Viard, op. cit.,
p. 15. Comparons, par exemple, les premières lignes
des traductions latine et syriaque aux Constitutions
apostoliques.
Constitutions
apostoliques
0Eûv yjTsîa T|
y.aOoXixr, 'Exxavj-
ot'a, xal àjj.Tce/.àr/
a-jToû èxXexfbc, oî
TUTtlOTEV/.ÔTE; EIÇ
xr,v aTt/.avr, Oîoa;-
ficiav ayTO'j, oî
tï)V aioSviov xap-
r.ryj\j.v/<ji 5tà 7ti<7-
xeco; paoV/.siav aO-
Syriaque
(traduit mot à mot
en grec)
*I>UTEÎa Osoû xaî
àu/irEAtov âyioî T'ôî
EXXAY)0-£a{ a-JToO
xocOoAtX7)f éxXex-
Toi ol iteittoreux6-
teç si; tï]v ctTiXavri
TÏjî OcOCTEÊEia; a-j-
TOÙ, Ol Ôlà 7ttOTc(OÎ
aùràiv x).V|povo-
|j.oiij.Evoi Tïjv aicô-
Latin
Deiplantatio vinete
catholica Ecclesia
ejus et electi sunt,
qui ciediderunt in
eam, quœ sineerrore
est vera religio, qui
œternum regnum
fructuantur et per
fidem regni ejus
virlutem acceperunl
TO'j, Ol 'jj-t X\V.I
kutoû eiXtjçhSte;
■/.ai (leTOVfft'av -.v.
■x-y.',-j [Iyeû|ueTo;.
vtov aJTo-j fiaTt- et parlicipationem
> v.'Xi, ol tu ', .'',: - "-cti ejus Spiritus.
5*jva|uv xal (ietovi-
i':%i toO àyiou
KUTOÛ \\iZ\i\i.ti.-.',:
— xxovete....
Tandis que le traducteur syrien est maître de son
texte et ne craint pas d'intervertir les mots et d'ajouter
ce qu'il croit nécessaire au sens; le traducteur latin
se traîne dans les non-sens et les contresens : I'Ian-
lalio vinesc est censé rendre vjt::'* xal ày-rf/oi., qui
se trouve dans les Constitutions apostoliques, dans le
svriaque et même dans une citation de saint Epiphane,
Hser., xi.v, n. 5, P. G., t. i, col. 544, etqui appartient
donc sans conteste à la Didascalie grecque; quae sine
errore est vera religio, semble un contre sens pour
rendre t>,v àirAavfj tt,; HeoaeSelxz; fructuantur est un
barbarisme imaginé par l'auteur qui ne savait comment
rendre xapiro-j(iEvo( par un équivalent latin; per fidem
ejus est transposé et oblige à répéter regni ejus.
Toutes ces fautes nous ont conduit à désigner saint
Paulin de Noie comme l'auteur possible de cette tra-
duction latine. Actes du XIVe congrès international
des orientalistes, Paris, 1906, t. i, p. 35-38.
En l'an 408, saint Paulin adresse en effet à Rufin la
traduction d'un ouvrage de saint Clément; il le remer-
cie de l'avoir dirigé vers les études grecques et réclame
son aide pour poursuivre ces études : Kam quomodo
jirofectum capere potero sermonis ignoti, si desit a
quo ignora ta condiscam? Credo enim in translatione
sancti démentis, preeter alias ingenii met defecliones ,
hanc le polissimum imperitise mew penuriam consi-
dérasse quod aliqua in quibus intelligere vel expri-
mere verba non potui, sensu potius appreltenso, vel,
ut verius dicam, opinata translulerim : quo magis
egeo misericordia Dei, ut pleniorum mihi lui copiant
Iribuat, cito. P. G., 1. 1. col. 1192-1193.
Ainsi, d'une part, saint Paulin a traduit, avant l'an
408, un ouvrage attribué à saint Clément; d'ailleurs, il
a mal fait son travail, par endroits il n'a pas com-
pris, il n'a pas su rendre les mots, il a tâché de se
borner au sens ; d'autre part, nous avons une traduc-
tion latine d'un ouvrage attribué à saint Clément (Di-
dascalie et Canons) faite par un auteur qui avait étudié
la Velus ltala (et non la Vulgate, composée par saint
Jérôme vers l'an 400), mauvaise traduction d'ailleurs :
son auteur, par endroits, n'a pas compris ni su rendre
les mots grecs, il les a donc transcrits ou bien il les
a traduits et ensuite transcrits; par endroits, il a voulu
se borner à rendre le sens et est tombé comme on l'a
vu dans de nombreux contresens. Nous pouvons donc,
sinon avec certitude, du moins avec certaines probabi-
lités, identifier le traducteur latin de la Didascalie avec
saint Paulin de Noie.
Ajoutons qu'un manuscrit palimpseste de la biblio-
thèque Ambrosienne de .Milan contient la traduction
latine, faite par Rufin, des Récognitions attribuées à
saint Clément et que ce manuscrit du vi« siècle semble
être de la même main que le manuscrit de la Didas-
calie. Nous serions donc conduit aux résultats suivants :
la version latine de la Didascalie a été faite par Paulin
de Noie avant l'an 408, sur un texte grec fourni sans
doute par Rufin. Saint Paulin a remis son travail à
liulin en lui demandant ses conseils et Rufin a >an^
doute laissé dans sa bibliothèque cet ouvrage si im-
parfait. Au VIe siècle, un scribe, pour former un * Clé-
ment » complet, a transcrit et les Récognitions traduites
par Rufin et la Didascalie traduite par saint Paulin. Sur
ces deux manuscrits démembrés, on a transcrit du
VII« au VIII' siècle les sentences d'Isidore et ils sont
conservés sous celte dernière forme, l'un à Milan et
l'autre à Vérone.
737
DIDASCALIE DES APOTRES
738
2° Version syriaque. — Elle est conservée en entier
dans d'assez nombreux manuscrits : 1. Paris, n. 62, ap-
pelé aussi Sangermanensis, du VIIIe et IXe siècle, donné
par le duc de Toscane à Renaudot et laissé par celui-ci
à la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Germain-des-
Prés, édité par de Lagarde, sans nom d'auteur, en 185i,
Didascalia aposlolorum syriace, Leipzig. — 2. Le ma-
nuscrit du musée Borgia, maintenant au Vatican et coté
Siro 148. D'après .Abir Rahmani, Testamentum Domini
nostri Jesu Christi, Mayence, 1899, p. xn, ce manuscrit,
qui provient du séminaire de Scharfé, a été écrit en
"1576. 11 est de la même famille que le précédent; nous
l'avons décrit, La Didascalie, Paris, 1902, p. 161-162, et
Mme D. Gibson a reproduit ses principales variantes. —
3. Un manuscrit acheté en .Mésopotamie par M. Rendel
Harris, transcrit sur un ancien ms. daté de 1036, édité
par Mm« D. Gibson, The Didascalia apostolorum in
Syriac, Londres, 1903. Ce manuscrit est caractérisé
surtout par un emprunt fait à l'Octateuque de Clément,
p. 20-33, et par de nombreuses omissions. — 4. Vati-
canus, lai. 5403, fol. 1-72, écrit en 1596, qui porte une
traduction latine interlinéaire, il est apparenté de très
près au manuscrit de Paris sur lequel il a sans doute
été transcrit. Les autres manuscrits sont fragmentaires:
5. le manuscrit add. 20-23 de Cambridge, écrit en 1591 ;
ses variantes ont été relevées par M°" 1). Gibson; (i. le
manuscrit add. 12154 du British Muséum, du vm«
au ix« siècle, renferme une citation en dix lignes de
la Didascalie, ses variantes ont été relevées par
M",e D. Gibson; 7. un manuscrit de Séert (Kur-
distan), tronqué au commencement, renferme les
quinze derniers chapitres de la Didascalie. Cf. A. Scher,
Catalogne îles manuscrits syriaques et arabes conser-
vés dans la bibliothèque épiscopale de Séert, Mos-
soul, 1905, p. 52. Enfin on rapporte quelquefois à la
Didascalie. I). Gibson, p. v-vn ; M. Viard, p. 11, note 2 :
1. un second manuscrit de Rende! Harris; 2. un Mala-
bar coder, Cambridge Oo, 1, identique à un Mossul codex
(sans doute le manuscrit de Mossoul d'où .\bir Rahmani
a tiré le Testamentum D. X. J.-C. et dont une copie
se trouve an Vatican), mais, d'après les variantes appor-
tées par M' D. Gibson, p. 213-219, et d'après le Cata-
logue des mss. syriaques de Cambridge, p. 1012, il
nous Bembleque ers manuscrits ne renferment rien de
la Didascalie, mais seulement le 1. IIIe de Clément qui
porte un tilro analogue el qui contient en fait VJEgyp-
tische Kirchenordnung. Voir t. u, col. 1616.
La meilleure famille de manuscrits est, sans doute
possible, la famille I. 2. i (Paris, Mu- < Va-
tican); le manuscril :î (Rendel Harris) ne contient
qu'un texte remanie : interpolé au commencement à
l'aide surtout 'h- 1 Octateuque i i éi I i (in.
Nous ;nonspeu de choses à ajouter sur l'importance
de cette version : la seule complète et la plus fidèle,
elle remonte , -m moins au n siècle; noua avons cité
plus haut (en grec es premières lignes. Ce n'est pas
adiré qu'elle ne renferme pas de fautes dues au tra-
ducteur ou aux transcripteurs La rsion l.itine, et
même le- Constitutions apostoliques, permettent par
endroits de la cori i
La n -jr, chapitn s J7
ndel il 1 1 wiii est parta|
deui n n ,, aucune chance di
monter ■< l'original, puisqu'on n'en trouve pas trace
dans la version latine. Voici des chapih
leur plar •
l. De
■
■
-u* (loi
DICT. DB Tlli oi. < àTHOl .
P. G., t. i, col. 561, avant-dernière ligne, $wrtàZ,m oav). m. Ins-
truction aux femmes pour qu'elles plaisent seulement à leurs
maris et les honorent, qu'elles s'acquittent avec diligence, sa-
gesse et zèle du travail de leurs maisons, qu'elles ne se baignent
pas avec les hommes, qu'elles ne s'ornent pas et ne soient pas
une cause de scandale pour les hommes, qu'elles ne les recher-
chent pas, qu'elles soient pures et tranquilles, qu'elles ne que-
rellent pas leurs maris (Const. apost., i, 8). IV. Quel doit être
celui qui est choisi pour l'épiscopat et comment il doit se conduire
(Const. apost.. Il, 1). v. Doctrine au sujet du jugement (Const.
apost., n, 6, P. G., t. i, col. 605, lig. 31, Sv SîT). vi. Des pécheurs
et de ceux qui font pénitence (Const. apost., Il, 12). vu. Sur les
évoques (Const. apost., Il, 18, P. G., t. I, col. G29, lig. 5, «a!
-'/■; |icTavoo3<rcY). vin. Avis aux évoques sur leur conduite (Const.
apost., Il, 24, P. G., t. I, col. G00, lig. 5, K v.-.izi. >■;-;.(). ix. Exhor-
tation au peuple afin qu'il honore l'évèque (Const. apost.. Il, 25,
P. G., t. i, col. 661, lig. 38, 'AxoCete tcot*). x. Des faux frères
(Const. apost., II. 37, P. G., t. i, col. 689, lig. 10, lÏZufEÏ vij),
xi. Exhortation aux évêques et aux diacres (Const. apost., n, 43.
P. G., t. i, col. 704, lig. 4, i'j o:jv). XI. Aux évêques, pour qu'ils
soient pacifiques (Ci ist. apost., Il, 57). xm. Instruction au
peuple, qu'il soit fidèle à se réunir dans l'église (Const. apost..
n, ô'.l). xiv. Du temps (âge) de l'ordination des veuves (Const.
apost., m, 1). xv. Comment les veuves doivent se conduire. Des
fausses veuves. Des veuves pauvres. Que les veuves ne doivent
rien faire sans l'ordre des évêques. Reproches aux veuves re-
belles. Qu'il ne convient pas de prier avec celui qui est séparé de
l'Église, qu'il n'est pas permis à une femme de baptiser. Des
jalousies des veuves menteuses entre elles. Réprimande aux
veuves maudites (Const. apost., m, 5). xvi De l'ordination des
diacres et des diaconesses (Const. apost., III, 15; P. G., t. i.
col. 793, lig. 32, Stfc toOto). XVII. De l'éducation des jeunes or-
phelins. Ceux qui reçoivent une aumône sans en avoir besoin
sont coupables [Const. apost., IV, 1). xvm. Que l'on ne doit pas
recevoir l'aumône de ceux qui sont répréhensibles (Const. apost.,
iv, 5). XIX. Qu'il convient de prendre soin des martyrs affligés
pour le nom du Messie (Const. apost., v, 1). xx. De la résurrec-
tion des morts. Confirmation de la résurrection d'après les livres
des païens (sibylle) et par des exemples pris dans la nature
(phénix). Qu'il ne faut pas refuser le martyre pour le Messie
(Const. apost.. v, ')■ xxi. De la Pàque et de la résurrection du
Messie notre Sauveur (Const. apost., v, 10). xxn. Qu'il convient
d'apprendre des métiers aux enfants (Const. apost., IV, 11 ;
nous avons donc ici une transposition ). xxiu. Des hérésies et
des schismes (Const. apost., vi, 1). xxiv. Sur la constitution de
l'Église. (Ce chapitre) apprend en plus que les apôtres se réu-
nirent pour redresser les torts (Const. apost., vi, 11). xxv. (Ce
chapitre) nous apprend que les apôtres retournèrent de nouveau
aux églises (après le concile de Jérusalem) el les constituèrent
(Const. apost., VI, 13). XXVI. Des liens de la Deutérosis (loi
juive). Sur relies qui observent les jours du flux (menstruel).
Des femmes qui observent le flux menstruel el se croient impures
durant sept jours (Const. apost., vi, 18, P. G., t. I, col. 961,
lig. 37, ti'tn).
3° Version arabe. — Presque tous les manuscrits
arabes consi rvés remontent à une môme source : à la
compilation canonique faite au commencement du
\iv siècle, par Abou Maqarah (Macaire), moine du
monastère de Sain) Jean-le-Petit, au désert de Scété,
A celle compilation appartiennent en effet les deux
manuscrits arabes de Paris 251 (de l'an 1353), 252 (le
ms. 845 de Paris semble un extrait des précédents .
un de Londres, deux d'Oxford, deux du Vatican et un
de la bibliothèque Barbérini [de l'an 1350), Jusqu'à ces
dernières années toutes les éludes avaient port
l'un ou l'autre des mss. de cette seule collection el les
résultats ne pouvaient donc qu'être concordants. Il a
existé cependant d'antres venions arabes de jla D
calie, comme en témoignent les analyses d'Aboul Ba-
rakal el de Vansleb; M. Baumstark vient encore d'en
. 1003
I. /..> arabe oV Ibou Maqarah, Bile est ca
ractérisée par des intervei ion dans lea l. III el l\
des Constitution» apostoliques. Nous l'avions étudiéi
sur le ms. 253 de Paris copié .m Caire sur un manus-
crit de la bibliothèque patriarcale par les
leb, I unk, Ihe apostolischen Konstitutù
Rottenbourg, 1901, p. 221-323, le croyait différenl
autres, mais il leur est Identique, comi d pouvait le
IV. - 24
739
D1DASCALIE DES APOTRES
740
deviner, puisqu'il n'est lui aussi qu'une transcription
de la collection d'Abou Maqarali. En voici une courte
analyse :
La Didascalie suit, dans la compilation, les canons
coptes- arabes, une introduction de dix lignes a donc
été ajoutée, au nom des apôtres, pour relier les canons
à la Didascalie. Le texte de ces dix lignes se trouve
dans T. P. Platt, The Ethiopie Didascalia, Londres,
1834, p. xin, et la traduction allemande dans Funk.
p. 217. Vient ensuite le commencement de la Didasca-
lie sous le titre : Commencement de la sainte Didas-
calie des apôtres, des prêtres et des docteurs à tous
ceux des gentils qui ont cru en Noire-Seigneur Jésus-
Christ. Puis : Que la grâce et la paix se multiplient
sur vous de la part de Dieu, le Père tout-puissant, et
de Noire-Seigneur Jésus-Christ pour l'instruction de
toute l'Église. Celle-ci est une belle plantation de
Dieu et celui qui croit en son culte divin infaillible,
celui-là est pour lui une vigne élue. Ce sont ceux qui
par le moyen de leur foi acquièrent le royaume éter-
nel et sa force, et qui reçoivent la participation du
Saint-Esprit, etc. P. G., t. i, col. 557. C'est en somme
la traduction du texte des Constitutions apostoliques.
En particulier, les petites additions des Constitutions
apostoliques à la Didascalie syriaque (P. G., t. i,
col. 500, lig. 30-38, <pr)cù yâp-TraTÉpcç aou) se retrouvent
dans la Didascalie arabe. — i. Que les riches doivent
étudier et lire la sainte Écriture (Const. apost., I, 4,
P. G., t. i,col. 569, lig. 9, 'AXX'etxai). n. Que les femmes
doivent obéir à leurs maris et marcher dans la pureté
(Const. apost., i, 8). ni. Sur les évêques, les prêtres et
les diacres (Const. apost., n, 1). iv. Que les évêques
doivent accueillir avec bonne grâce les pénitents (Const.
apost., n, 15). v. Que l'on ne doit rejeter personne avant
que la preuve de ses fautes n'ait été soigneusement faite
{Ccnst. apost., n, 21, P. G., 1. 1, col. 640, lig. 42, 6 psv èx-
êa*/.o')v). vi. Sur les laïques, qu'ils sont tenus de donner
selon leurs moyens, des offrandes à l'église (Const. apost.,
il, 25, P. G., t. I, col. 664, lig. 38, 'A/.o^ets tccO™).
vu. Sur les diacres, qu'ils doivent, pour tous leurs pro-
jets, demander la permission de l'évêque et ne rien
faire sans sa permission (Const. apost., u, 30, P. G.,
t. I, col. 677, lig. 9, xoù oidirep). vin. Que l'évêque
doit tout examiner avec justice et conformément à la
vérité (Const. apost., n, 37, P. G., t. i, col. 689, lig. 4,
rfvËoSe o'jv). IX. Que les chrétiens doivent toujours se
pardonner les fautes, ne pas garder rancune du mal et
ne pas le conserver dans leur cœur (Const. apost., n,
53, P. G., t. i, col. 717, lig. 22, olsv si), x. Que les
évêques doivent être pacifiques et miséricordieux, qu'ils
doivent accueillir avec bonté les pénitents (Const. apost.,
il, 54, P. G., t. i, col. 720, lig. 9, El Sa aXHiç). xi. Que
les chrétiens n'aillent pas dans les réunions des païens
(Const. apost., n, 62-63). La compilation de Maqarah pré-
sente, à partir d'ici, la plus grande confusion : Cousl.
apost., ni, 1-11 =c. xix-xxi de Maqarah; Const. apost.,
n, 12 b-d et 15-20= c. xxxiv; Const. apost., m, 14-15 =
c. xxii ; Const. apost., iv, 1-4 = c. xii-xm; Const. apost.,
iv, 5 = c. xxiv; Const. apost., IV, 6-10 = c. xiv-xv;
Const. apost., iv, 11 = c. xxv; Const. apost., iv, 12-13
= c. xvi ; Const. apost., îv, 14 = c. xxvi; Cont. apost.,
v, 1-6» = c. xxvn ; Const.. apost., v, 7 ll-'1 = c. xvn;
Const. apost., v, 8-9 = c. xxvin; Const. apost., v, 10
= c. xxix ; Const. ajwst., v, 11-12 = c. xxx; Const.
apost., v, 13-16 = c. xvin; Const. apost., v, 17-20 =
c.'xxxi ; Const. apost., vi, 1-6 = c. xxxn ; Const. apost.,
vi, 30*-'1 = c. xxxiii. Les c. xxxv-xxxix de la Didascalie
arabe ne se trouvent ni dans le syriaque ni dans les
Constitutions apostoliques. Funk y reconnaissait des
traits du 1. VIII des Constitutions ; en réalité, ces cha-
pitres ne constituent qu'une interpolation et sont em-
pruntés au Tcstamentum Domini nostri Jesu-Christi.
Ils ont été traduits d'abord en allemand par Funk,
o)i. cil-, p. 226-236, puis en latin par le même auteur,
Didascalia et Constitutions aposlolorum , p. 120-136.
H est donc facile de les comparer à l'édition de
•M" Rahmani : c. xxxv = Test., i. 19, p. 23; c. xxxvi
= Test., i, 20, p. 27; c. xxxvn = Test., i, 22s P- 33;
c. xxxvin = Test., i, 22b et 23a fortement interpolé,
p. 33; c. xxxix = Test., i, 28, p. 59.
2. Autres versions arabes. — Aboul-Darakat (+ 1363)
nous apprend déjà qu'on a trouvé trois exemplaires de la
Didascalie dans lesquels l'ordre des chapitres était dif-
férent. W. Riedel, Die Kirchenrechtsquellen des Pa-
triarchals Alexandricn, Leipzig. 19U0. p. 28-32. Vans-
leb a aussi donné une analyse de la Didascalie arabe
où l'ordre des chapitres diffère. Histoire de l'Eglise
d'Alexandrie, Paris, 1677, p. 256-259. Cf. Funk, Die
aposlolichen Konstitutionen, p. 221-224. D'ailleurs, la
Didascalie éthiopienne, qui a été traduite sur un texte
arabe, n'a pas les interversions que nous avons cons-
tatées dans la version de Maqarah. On s'attendait donc à
trouver une ou plusieurs versions nouvelles de la Di-
dascalie arabe. Enfin, M. Baumstark a signalé, Oriens
christianus, t. m (1903), p. 201-208, un manuscrit
arabe de la Propagande (K, iv, 24). traduit sur le copte
en 1295, qui ne présente pas les interversions de la
compilation de Maqarah et qui semble être le texte, sur
lequel a été faite la version éthiopienne; le ms. corres-
pond aux Constitutions apostoliques, i-vn (hormis vil,
47-48), il est divisé en 44 chapitres dont les 34 premiers
correspondent aux six premiers livres des Constitutions.
Cf. Funk. Die arabische Didashalia, dans Theol.
Quartalschrift, Tubingue, 1904, p. 233. C'est ce ms.
arabe, semble-t-il, qui a été signalé et utilisé par
Mir Rahmani, Teslamentum D. N. J.-C, Mayence,
1899. p. xn, xiv.
4° Version éthiopienne. — C'est une traduction d'un
texte arabe. Il en reste de nombreux manuscrits. Les
22 premiers chapitres (sur 39 ont été édités et traduits
en anglais par Thomas Pell Plaît, Londres, 1834. Le
ms. d'Abbadie, n. 79, est divisé en 46 chapitres.
Après la courte introduction et les 11 premiers cha-
pitres qui sont, en substance, les mêmes que dans la
compilation de Maqarah, l'éthiopien suit l'ordre des
Constitutions apostoliques : xn. Des veuves Ci'itst.
apost., m, 11). xin. Que les femmes ne doivent pas
baptiser (Const. apost., ni. 9). xiv. Que les laïques ne
doivent pas présumer de faire ce qui est réservé aux
prêtres (Const. apost., ni, 10). xv. Des veuves (Const.
apost., m, 12. P. G., t. i, col. 789, lig. 3, àitsior .
xvi. Qu'il n'est pas bien de faire du mal à son pro
chain (Const. apost., m, 15, P. G., t. i, col. 793, lig. 13-
tov oc-jt'ov tsottov). xvii. Sur les orphelins (Const. apost.,
iv, 1). XVIII. Qu'il est ordonné à l'évêque d'avoir soin,
des veuves et des orphelins (Const. apost.. IV, 2-4), etc.
Il est donc certain que tous les exemplaires des
Didascalies arabe et éthiopienne découlent d'un texte
grec (ou copte ou syriaque) interpolé comme le sont
les six premiers livres des Constitutions apostoliques.
Ils ont d'ailleurs des omissions et des additions propres.
On doit se demander dés lors si ces Didascalies cons-
tituent une étape intermédiaire entre la Didascalie
syriaque et les Constitutions apostoliques, ou bien si ce
ne sont que des extraits des six premiers livres des
Constitutions. Funk tient pour la seconde hypothèse,
voir t. m, col. 1525-1526, mais il se trompe lorsqu'il
suppose que l'auteur de la Didascalie arabe cite WEgijp-
tische Kirchenordnung et les canons de Clément. Il
ne l'ait en réalité que rattacher la Didascalie aux canons
coptes-arabes qui précèdent et, en fait de Kirchenord-
nung, on ne trouve qu'un emprunt au Tcstamentum,
analogue à l'emprunt que fait déjà à l'Oetateuque le
ms. syriaque de Rendel Harris. Voir col. 737. — Il
semble donc plus probable que les Didascalies arabe et
éthiopienne représentent des étapes intermédiaires
741
DIDASCALIE DES APOTRES
742
entre la Didascalie syriaque et la compilation en huit
livres des Constitutions apostoliques.
Le texte arabe de Maqarah est 1res mauvais; ici,
comme pour le Testamentum D. N. J.-C, « c'est une
traduction servile, au style aussi peu cliâtié que pos-
sible, confus, obscur. Les phrases ne sont pas bien
liées entre elles et sont souvent très incomplètes. Quant
aux règles de la grammaire elles y sont méconnues
presque à chaque ligne. » Cf. Revue de l'Orient chré-
tien t. x (1905), p. 423. Toute la suite de cet article sera
donc fondée sur la version syriaque, telle que Paul de
Lagarde l'a éditée.
II. Sources. — On s'est demandé si la Didascalie
était un ouvrage original ou un remaniement d'un ou-
vrage plus ancien. M. Ilolzhey supposait que la Didas-
calie était une interpolation de la Didachè, Compte
rendu du IV" congrès scientifique international des
catholiques, Fribourg, 1897, Scie?ices religieuses, p. 249-
278, mais la disproportion des deux ouvrages l'obli-
geait bientôt à imaginer deux autres Didascalies inter-
médiaires entre la Didachè et la Didascalie syriaque.
Ce sont pures hypothèses. Cf. F. Xau, La Didascalie,
Paris, 1902, p. 'i-ê>. 161-163. M. Ilarnack a écrit qu'un
antinovatien avait introduit les passages relatifs à la
pénitence, mais on s'accorde à reconnaître que la Didas-
calie D'à aucune tendance polémique. De même, l'ou-
vrage contient certainement des digressions, des ré-
pétitions, peut-être même d'apparentes contradictions,
Achelis et Fleinming, Die syrische Didaskalia, p. 262-
266, mais il a été écrit sans divisions, d'un style homi-
létique diffus et nullement précis, ses défauts ne
peuvent donc nous étonner et nous sommes conduits à
carder comme une production originale fidèlement
représentée — hors les fautes des traducteurs et trans-
cripteurs — par la version syriaque.
La source principale est la Bible, qui fournit près du
cinquième de l'ouvrage. L'Évangile de saint Jean et
les Epltres de saint Paul ne sont pas cités explicite-
nient, nuis sont visés ou imités en plusieurs endroits.
Achelis et Flemming. op. cit., p. 320-323; M. Viard,
op. cit., p. 21-22. La I" Épitre de saint Pierre est
peut-être aussi l'Épltre de saint Jacques; l'Apo-
calypa mble connue Achelis et Flemming, op. cit.,
p. 323. L'auteur cite les Sepkjinte (et non une version
|ue faite sur l'hébreu); il groupe souvent à la
suite plusieurs passagi - il.- mê sens comme s'il uti-
une concordance. Ses citations sont parfois assez
négligées; il est le premier à citer la prière de Ma-
nas* , cai c'esl de la Didascalie que paraissent prove
nir i -ions connues de celte petite pièce.
Cf. /tel uc <h- l'Orient chrétien, t. xiil (1908), p. 134-141.
En di hors de la Bible, l'auteur a pu encore utiliser
'■' Didachè, !■ de s.iint Ignace, un Évangile
apocnphe l angili j II breux ou Évangile de Pierre),
Achelis et Flemming, p 324-330, les Acla Pelri et
l'auli -tir Simon I" Magicien, le livre de la Sibylle.
L'histoii du phénix, y 83-84, esl peut-être empruntée
:'< I' I I pitre de -uni Clément aux Corinthiens. P. Cf.,
col 261 265. Enfin l'auteur i dis] I nue tra-
dition orale; il a pu croire qu'elle remontait jusqu'aux
il a donc pu. de bonne foi, leur attribuer
oe consigner que des tradi-
dea paroli apostoliques.
"I La Didascalii nous rensi
mit l.i i onstitution d au m- si. cle.
on l .i fait n marquer Ichelia el l lenuning,
tolique, d'Hip-
' laconiq forme de
indis qie la Didascalii .
i
la vie publique chrétii un
iteur parle de toul de l'aocien el du
nouveau; il fournit donc de nombreux m
l'historien. Nous utiliserons surtout ici le travail de
M. Marcel Viard. Nous renvoyons à la pagination de
Paul de Lagarde qui a été reproduite dans toutes les
traductions.
1° L'évêque et ses fonctions. — Tout converge vers
la personne de l'évêque, Achelis et Flemming, p. 269,
il n'y a, en dehors de lui, que des serviteurs et des
sujets. La constitution est donc monarchique, rigide.
1. La personne de l'évêque. — L'évêque doit être
un homme « d'au moins 50 ans, qui sera ainsi éloigné
des passions de la jeunesse, des volontés du démon, de
la calomnie et du blasphème que de faux frères por-
tent contre beaucoup. » Cependant, à défaut d'un su-
jet âgé, si la paroisse est petite, on pourra nommer
un jeune frère qui montre, « dans la jeunesse, une
mansuétude et une tranquille conduite digne de la
vieillesse, » « si c'est possible, qu'il soit instruit et
docteur, » p. 10. « Voici comme il faut que l'évêque
soit : un homme qui a pris une femme, qui conduit
bien sa maison. Que l'on s'enquière, lorsqu'il recevra
l'imposition des mains pour prendre la charge de
l'épiscopat : s'il est pur, si sa femme est fidèle et pure,
si ses enfants ont grandi dans la crainte de Dieu, s'il
les a réprimandés et instruits, si ses serviteurs le crai-
gnent et le respectent et si tous lui obéissent, » p. 11.
On trouve aussi de longues énumérations des vertus
morales qui lui sont nécessaires, « tout ce qui existe
de beau chez les hommes se trouvera aussi dans l'évê-
que. » p. 12.
2. L'enseignement. — En sus du bon exemple,
l'évêque doit dispenser au peuple « les paroles vivantes
et vivifiantes du Dieu vivant qui peuvent délivrer et
sauver du feu et conduire à la vie, » p. 60. C'est
l'évêque qui doit nourrir les fidèles « de la parole
comme du lait, » p. 39, et la dispenser à chacun selon
son besoin.
3. La discipline sacramentelle. — On trouve sou-
vent mentionnés le baptême, l'eucharistie et la pénitence.
Lorsqu'un païen déclare qu'il croit, on le reçoit
dans l'assemblée pour qu'il entende la parole, mais il
ne prend pas part à la prière et doit sortir de l'église,
on ne l'admet pas aux autres actes de la vie chrétienne
avant qu'il ail reçu le signe (du baptême: el qu'il soit
accompli, p. 44. L'évêque oint la tète de tous ceux qui
doivent êlre baptisés : des hommes el ensuite des
femmes — c'est sans doute l'onction avec l'huile d'exor-
cisme. Rahmani, Testamentum, p. 127-129 - puis les
baptisés descendent dans l'eau et sont oints de l'huile
de l'onction, les hommes par les diacres ou les prêtres
et les femmes par les diaconesses ou par une chré-
tienne. Cf. Rahmani, Testamentum, p. 129-131. Il n'est
pas question de l'invocation du Saint-Esprit et de la
troisième onction qui esl la conlirmation, Testamen-
tum, n, 9, p. 131, mais nous ne pouvons pas conclure
qu'elle n'existait pas, car la Didascalie n'a pas de cha-
pitre ex professo sur le baptême; tout ce que nous ve-
nons d'exp lire du chapitre sur les diaconesses
et leurs devoirs, p. Tu 7 1 .
Le baptême remet complètement lea péchés, aussi
doit-il être un ppléer aux vaines ablutions de
l'ancienne loi; il ne peut 'Ire réitéré, il rend le i
lien til- 'le lieu ei lui confère le Saint-Esprit.
L'eucharistie art un sacrifice, la matière en esl le
pain délicat fait dans le feu el Sanctifié par les in
ifferte par l'évêque au nom de toute la
communauté, elle ne peut • du Si igneur
entre eux, c esl la nour-
riture divine qui demeure éternellement, p. 1 19, 39, 54,
• *-t l'euch de heu. p
par l i iprit-Saint, p, 116, I image du corpi royal du
Christ, p. 118 . on doil I "iii Ir pour les morte, p. 1 19.
On trouve d'ailleurs de nombreux détails matériels aur
n. les places a attril raux Bd< li -
743
DIDASCALIE DES APOTRES
74i
un diacre place les assistants, un autre diacre se tient près
de l'autel. L'office commence par la lecture des Livres
saints, p. IIS, qui inspire la prédication de l'évéque,
on fait ensuite sortir les catéchumènes et les pécheurs
avant la prière qui comprend sans doute la récitation
de formules liturgiques et le chant des psaumes, p. 93;
vient alors l'eucharistie, les deux diacres servent à
l'autel, l'évéque prononce les invocations sanctifica-
trices, p. 57, 119; avant la distribution de l'eucharistie,
le diacre demande si personne n'est en conflit avec son
prochain. S'il en est, l'évéque les réconcilie, p. 54-55.
Une collecte termine la cérémonie.
L'évéque est le juge des pécheurs, tout ce qu'il lie
sur la terre est lié dans le ciel, p. 15, 21. Il ne faut pas
encourager la délation, mais s'il se trouve un pécheur,
il faut le réprimander devant rassemblée réunie, p. 21;
s'il promet de s'amender, on lui impose une pénitence,
des jours de jeûne d'après son péché, deux semaines,
ou trois, ou cinq, ou sept; durant tout ce temps il quitte
l'office, avec les catéchumènes, après l'audition de la
parole, p. 20; lorsque ses bonnes dispositions ont pro-
duit des fruits durables, l'évéque impose les mains au
repentant, et le Saint-Esprit prend de nouveau posses-
sion de son âme.
4. L'évéque et les affaires temporelles. — L'évéque
doit juger tout conllit entre les fidèles, qui ne doivent
pas prendre les païens pour juges ni même pour té-
moins, p. 49-50; il gère les biens de l'église, tous les
dons doivent venir entre ses mains, les diacres doivent
le renseigner sur les vrais nécessiteux, les veuves, les
orphelins, les pauvres, les infirmes. L'évéque dispense
sans contrôle, il ne doit de comptes qu'à Dieu, p. 42.
2° La hiérarchie subalterne. — Elle comprend les
presbytres, les diacres, les veuves et diaconesses et
peut-être le lecteur et le sous-diacre.
4, Les presbytres. — L'évéque les choisit, p. 40; dans
les assemblées liturgiques, ils sont assis autour du trône
épiscopal, mais ils ne remplissent aucune fonction sa-
cerdotale, ils ne prêchent pas, ils n'administrent pas
les sacrements. Ils semblent venir après les diacres,
car le diacre est comparé au Messie, la diaconesse au
Saint-Esprit, tandis que les presbytres ne sont comparés
qu'aux apôtres, p. 36, et ne paraissent pas avoir un
droit strict aux oblations, p. 37.
2. Les diacres. — Ils sont vraiment les « serviteurs »
de l'évéque. Durant la sainte liturgie, ils surveillent
l'entrée de l'église, maintiennent le bon ordre, servent
à l'autel. Au baptême, ils oignent le corps des hommes
catéchumènes. Chaque jour, ils visitent les malades,
portent à l'évéque les olfrandes des fidèles et remettent
aux nécessiteux les aumônes de l'évéque. Le diacre est
« l'oreille de l'évéque, sa bouche, son cœur et son âme, »
ils sont « deux en une seule volonté, » p. 48.
3. Les veuves. — Au-dessus des veuves ordinaires
qui ont droit à l'appui et au secours de la communauté
par cela seul qu'elles ont perdu leur mari, on trouve
dans la Didascalie une espèce d'ordre que nous appel-
lerons « les veuves religieuses ». Elles sont établies —
nous dirions presque ordonnées — par l'évéque, elles
ne doivent pas avoir moins de 50 ans, afin que leur âge
ne les porte pas à prendre un nouveau mari ; elles pro-
mettent la continence, p. 62; elles prient pour les ma-
lades, pour les bienfaiteurs, pour toute l'Église; elles
visitent les malades et leur imposent les mains, p. 66;
elles vivent retirées dans leurs demeures et tissent des
vêtements pour les pauvres, p. 66. Ce sont bien là,
semble-t-il, les premières « religieuses » ; mais la Di-
dascalie n'admet pas dans cet état les jeunes veuves
que leur âge pourrait porter à vouloir prendre un se-
cond mari, à plus forte raison n'admet-elle pas. dans
l'étal religieux, les jeunes personnes qui n'ont pas été
mariées, car elle fait une obligation aux parents de les
marier, sous peine d'être responsables des fautes que
" leur jeunesse et la force de leur âge » leur ferait
commettre, p. 96.
ï. Les diaconesses. — Celles-ci sont toutes déw
aux œuvres et ne semblent donc qu'un dédoublement fé-
minin du diaconat. Elles sont choisies par l'évéque, sont
peu nombreuses, certaines communautés n'en ont pas,
elles concourent au baptême des femmes et, après le
baptême, elles les initient plus parfaitement aux dogmes
de la foi et aux prescriptions de la morale chrétienne,
p. 70-71; elles visitent les femmes malades. « leur
fournissent ce qui leur est nécessaire et lavent II s
personnes faibles qui sortent de maladie, « p. 71. Elles
sont pour le pasteur « des aides qui conduisent (son)
peuple vers la vie. »
5. Lecteur et sous-diacre. — Il existait parfois un
lecteur qui, pour les oblations, est assimilé aux pres-
bytres, p. 37. S'il n'y en a pas, l'évéque remplit cet of-
fice, p. 57-58. Le sous-diacre est mentionné en un
seul endroit, p. 40 : l'évéque choisira dans le peuple
les hommes dont il a besoin pour l'aider, il se choisira
des presbytres « ainsi que des diacres et des sous-diaci e.?
autant qu'il en aura besoin pour le service de sa mai-
son. » Certains regardent les mots « et des sous-
diacres » comme une interpolation, Achelis et Flemrning,
p. 265, mais ils figurent à la fois dans le latin et dan<
le syriaque; d'ailleurs, les diacres qui servaient l'évéque
ont dû songer de bonne heure dans certaines commu-
nautés à choisir aussi des serviteurs. C'est ainsi qu'on
trouve mention, p. 64, « des jeunes gens de l'église, »
qui semblent être aussi les auxiliaires des diacres.
3° Eté interne de la communauté. — 1. La société
chrétienne. — Tous les chrétiens ne doivent former
qu'un corps bien uni, centralisé entre les mains de
l'évéque. 11 ne faut donc pas de brandons de discorde
entre les frères, une des obligations les plus impor-
tantes de l'évéque est de maintenir la paix et le bon
accord. Les pécheurs doivent être rejetés. Il ne faut
pas faire à autrui ce qu'on ne veut pas que les autres
nous fassent, p. 2. Le but est de se conformer à
la conduite et à la doctrine du Messie qui est le
maître et le docteur des chrétiens, p. 79, 81 ; de
comprendre les commandements de Dieu et de les
garder, p. 2; de plaire à Dieu et de vivre pour Dieu,
p. 1, 5. Comme sanction, les bons trouveront le repos
éternel dans le royaume de notre Seigneur, tandis que
si quelqu'un pèche et se perd, Satan s'impwnte en lui.
p. 21, il se trouve privé de la vie, maudit devant le
Seigneur Dieu, p. 4, et condamné à la géhenne du feu,
p. 14. Nombreuses sont les objurgations et les recom-
mandations que la Didascalie prodigue à tous, clercs
et laïques, hommes et femmes, pour les rendre con-
formes à l'idéal évangéliqne de l'auteur.
2. La famille. — La chrétienne ne doit plaire qu'à
son mari, elle doit le servir avec respect et soumission,
l'homme ne doit plaire qu'à son épouse, car l'impor-
tant, dans le mariage, c'est de garder le lien conjugal
dans toute son inviolabilité et non de recourir aux
vaines purifications observées par les judaïsants. Les
secondes noces sont licites, les troisièmes équivalent à
la fornication, p. 62. Éviter la mollesse et employer la
verge dans l'éducation des enfants, ils ne doivent pas
fréquenter les enfants de leur âge, il faut leur apprendre
un métier et les marier jeunes, sous peine d'être res-
ponsable de leurs désordres, p. 96.
3. Le martyre. — La communauté apparaît comme
6 l'Église de tranquillité et de repos », p. 26, cependant
elle a connu l'âge des persécutions, elle doit se pré-
parer à les affronter de nouveau : ((Aidez avec grand
soin les fidèles qui sont arrêtés, emprisonnés et en-
chaînés par la force inique comme s'ils étaient crimi-
nels, afin de les arracher à la main des méchants. Si
quelqu'un s'approche d'eux, est arrête en même temps
qu'eus et est traité iniquement à cause de son frère.
74Ô
DIDASCALIE DES APOTRES
74C
liienheureux est-il d'être appelé chrétien et d'avoir con-
fessé le Seigneur... Recevez et aidez ceux qui sont
persécutés pour la foi et qui fuient d'une ville à l'autre...
Quand un chrétien est poursuivi, martyrisé et mis à
mort pour la foi, il devient un homme de Dieu... S'il
renie et dit qu'il n'est pas chrétien, on l'appellera
pierre de scandale, il sera rejeté par les hommes et
par Dieu, il n'aura pas de part avec les saints dans le
royaume éternel, » p. 78-79.
4. La résurrection et la fin du monde. — « Accep-
tons (le martyre) avec joie, de toute notre ;'ime, et
croyons que le Seigneur Dieu nous ressuscitera dans
une lumière de gloire, » p. 84. Non seulement « les
pèches des frères qui quittent le monde par le martyre
sont couverts, » p. 86, mais le Seigneur fera d'eux ses
conseillers, il les revêtira d'une lumière éblouissante,
p. 8i-85. Tout le monde d'ailleurs ressuscitera, fidèles
et impies, par le moyen de Notre-Seigneur, dont la
résurrection est le gage de la notre, p. 81-83; « il nous
[' ssuscitera tels que nous sommes, avec la figure que
nous avons maintenant, mais dans la grande gloire de
la vie éternelle, sans que rien nous manque, » p. 81,
en quelque état que notre corps ait été réduit; les pré-
dictions de la Sibylle et l'histoire du phénix sont des
témoignages de la résurrection que les païens eux-
mêmes ne peuvent récuser, p. 83-8i. On ne conn;iit
pas l'époque de l'arrivée nouvelle du Messie, on sait
seulement que de grandes calamités en seront les
avant-coureurs, p. 106. L'évèque, comme le guetteur
de l'oracle d'Ézéchiel, doit réveiller sans cesse le sou-
venir du jugement, p. 13.
i Vie externe de la communauté. — 1. Rapports
avec les hérétiques et les schismatiques. — Chaque
communauté appartient à l'Église catholique et uni-
Ile dont elle revendique le titre, p. 1, 32, 36, avec
qui elle est en communion de prière, p. 89-90, et dont
elle se sent membre par l'unité de foi et d'amour, p. 17.
On doit rejeter de l'Église ceux qui sont en révolte
contre l'autorité (les schismatiques), p. 96; ils seront
engloutis dans les llammes comme les compagnons de
Dathan et Abiron, p. 97-98. « Quant aux hérésies
n'accepte/ même pas d'entendre leur nom... les héré-
tiques seronLcondamnéa parce qu'ils résistent à Dieu, »
p. 99 Satan entra dans un certain Simon qui avail
magicien... il lui adjoignit Cléobius... Tous De
croyaient pas à la résurrection... Beaucoup enseignaient
que personne ne devait prendre de femme et disaient
que citait sainteté pour un homme de ne pas prendre
de femme; d'autres ii ni que personne ne de-
vait minier de chair; d'antres disaient que la chair de
porc était seule défendue... D'autres enseignaient de
re iliii. n nti . i ngi ndraient des disputes el trou-
blaienl les Égl p 100- 101 . <ui ne doîl avoir com
merci a ec les hérétiques ni par la parole, ai par les
prières, car il- sont les ennemis el les spoliateurs de
■ . p. 105.
- /.'■<// 'ifs et les judaïëanlë. — I. 'au-
teur i nguement l'abrogation de l'ancienne
loi qui est ri mplacée par I Évangile, l'inutilité des pra-
tiqui qui étaient un joug et une punition,
1 100, 107-120, la substitution du dimanche au sab-
n pascale occupe aussi une large place,
que la chronologie de la semaine de la passion,
Il faut fuir li
livres, éviter mi mi de parler
qu'ils toui ie ni la docli ine chrétii uni
irii la plupai i des fldi les soi U ni
ilité, il leur •> raffl pour i els de renom
imp-
uté de Dl n mur i tous le
' toutes li .n i. mpiir la salle i
■thollqui
que tous soient joyeux et contents et louent Dieu qui
les a appelés à la vie, » p. 55-56.
IV. Origine. — 1° Destinées. — Saint Épiphane
(318-403) nous apprend que les audiens regardaient la
Didascalie comme une œuvre apostolique et il en fait
plusieurs citations. P. G., t. xlii, col. 369. Or les audiens,
qui avaient été très nombreux en Palestine, en Mésopo-
tamie et en Arabie, s'étaient vu enlever leurs monas-
tères et, de son temps, n'occupaient plus que deux
bourgs. Ibid., col. 373. Il s'ensuit que dès leur origine,
au moins dès 325, les audiens regardaient déjà la Didas-
calie comme une œuvre apostolique, et la composition
de cet ouvrage se trouve ainsi reportée, sans doute pos-
sible, au ine siècle.
Du IVe au v siècle, avant la diffusion de la Vulgate,
la Didascalie était traduite en latin. Nous avons
émis l'hypothèse que Rulin, le plus grand traducteur
de cette époque, avait pu rapporter de Palestine ou
d'Egypte un exemplaire de cet ouvrage et le remettre
à saint Paulin, qui lui adressait sa traduction en 408.
Vers cette époque, la Didascalie était remaniée pour
constituer le prototype des Didascalies arabes, puis les
Constitutions apostoliques.
Au VIe siècle, un scribe transcrivait en Italie le
manuscrit des Récognitions et de la Didascalie et son
travail est conservé à Milan et à Vérone. Du Ve au
VIe siècle, l'auteur arien de l'0/>«s imporfectum in
Mallheeum utilise aussi la Didascalie. Cf. Funk, Di-
dascalia el Constitutiones, I. n, p. 8-11.
C'est sans dou-te au VIIe siècle que la Didascalie a été
traduite en syriaque, du moins on n'a pas de faits
pour prouver qu'elle l'a été plus tôt. Le traducteur a pu
être Jacques d'Édesse qui traduisait déjà l'Octateuque
de Clément. La Didascalie, traduite par un jacobite au
VIIe siècle, n'est donc pas connue des auteurs syriens
antérieurs et ne sert ensuite pendant longtemps qu'à
l'Église jacobite.
Il nous reste au moins deux manuscrits de la Didas-
calie qui remontent au VIIIe siècle ou au ixp siècle
(Paris 62 et Londres add. l?lî>4). Au xm" siècle, Bar-
Hébraeus s'appuyait sur la Didascalie dans sa codifica-
lion jacobite du droit canon. Cf. Komocanon Gregorii
Bar Heorasi, édit. P. Bedjan, Paris, 1898, p. 26, 87, 97.
480; traduit dans Punk, Didascalia et Constitutiones,
t. n. Bar-Hébrœus l'a encore citée dans son Éthique-
D'ailleurs, en I gypte, une recension grecque interpo-
lée, I. I-VII, fut traduite en copie, bien que I on ne con-
pas encore d'exemplaire de cet intermédiaire
copte, puis du copte en arabe el de l'arabe en éthiopien.
La Didascalie arabe était analysée par Aboul Barakat
(y 13»i3), utilisée au xii" siècle par Ibn el Assal (dans
sa compilation canonique conservée en arabe et Ira-
duile en éthiopien sous le titre de Fetha Naga
au xiii' par Michel de Damiette et enfin une recension
particulière (I. I-VI des Constitutions apostolique», avec
n I. reuses interversions) était insérée au \i\ siècle
dans la collection canonique d'Abou Maqarah.
2° Pairie el époque. Il est naturel de localiser la
Didascalie d.ms le pays où elle u<>us apparaît d'abord
ei .m elle a eu le plus de Mue en Méso-
potamie, car Audo était d'J desse et c'est en Mésopo-
tamie que furent faites la plupart des traductions du
' iaque. Il n'est pas étonnant que Àphra
et jainl Ephrem c'en fassent paa mention, cai
deux auteurs comprenaient peu ou pat l la
Didascalie n'était sana douti paa traduite en syriaque,
puisqu'on ne la trouve pat dans i i alise nestoi ii
pendant lea nombreuse! polémiques contre les judal-
smblenl indiqni r un paj l'élément juil di -
rail être encore puissant On n i se
i ippi ocher de la Syrie 1 1 de la Dét spole, \i. \ lard,
op. ■ ît., p 39; de la Ca lé Syrie, Achelii el Flemml
d'Ali p. / • non 1.
747
DIDASCALIE DES APOTRES
DIDV.ME L'AVEUGLE
im
Nous avons vu, par témoignage externe (saint Épi-
phane), que la Didascalie remonte au 111e siècle; pour
aller plus loin, on ne dispose plus que de la critique in-
terne, c'est dire que le champ est ouvert à toutes les
hypothèses et à toutes les incertitudes. M. llarnack a
placé la composition de la Didascalie dans la seconde
moitié du i IIe siècle, depuis il a préféré la première
moitié ; Funk, au contraire, a indiqué d'abord la pre-
mière moitié et depuis la seconde moitié; Kaltenbusch
a toujours tenu pour la lin du IIIe siècle, pendant que
Zahn et d'autres semblent tenir pour la première
moitié. Achelis et Flemming, op. cit., p. 370. M. Ache-
lis lui-même, après avoir opiné pour les dix premières
années du me siècle, reconnaît que la question est in-
décise et penche plutôt pour la lin. Ibid., p. 370-377.
M. Marcel Viard propose « quelques années après 258, »
p. 35.
3° Auteur. — L'importance et les prérogatives qu'il
attribue à l'épiscopat et l'expérience qu'il semble avoir
du gouvernement des âmes le désignent comme un
évêque catholique du me siècle. Achelis et Flemming,
p. 378; Viard, p. 35. Il devait être excellent adminis-
trateur et pasteur dévoué, mais il n'était pas théolo-
gien, il n'en a pas les formules, son ouvrage n'a au-
cune tendance dogmatique, mais est tout entier moral
et disciplinaire. Encore la discipline canonique ne s'y
trouve-t-i lie que sous forme homilétique, c'est-à-dire
chargée de digressions, d'inutilités, de redites. « Sa
pensée n'arrive pas à se manifester du premier coup,
il sent toujours le besoin d'en reprendre l'exposé. Ce
défaut se remarque principalement quand il se lance
dans les théories générales; dans les recommandations
pratiques, il est plus sobre et plus précis. » M. Viard,
p. 37. Il est peut-être d'origine juive, cela expliquerait
sa connaissance des fêtes juives et de l'Ancien Testa-
ment qu'il utilise beaucoup plus que le Nouveau,
Achelis et Flemming, p. 384; « il garde des sentiments
de fraternelle compassion pour ses anciens coreli-
gionnaires, en termes touchants il implore pour eux
les prières des chrétiens pendant les fêtes de Pâques
(c. xxi), aucune amertume quand il enseigne la dé-
chéance du peuple élu (c. xxvi). » M. Viard, p. 37.
Comme indice d'origine syrienne nous pouvons citer
la comparaison de la diaconesse au Saint-Esprit, car
dans cette langue « esprit » est féminin. Cf. Achelis et
Flemming, p. 329.
M. Achelis, p. 381-384, croit que l'auteur de la Di-
dascalie était médecin. En effet, il compare l'évêque à
un médecin, p. 26; il compare longuement aussi la
conduite à tenir envers les pécheurs aux diverses opé-
rations que l'on peut être amené à faire sur un membre
malade, p. 45-46; il sait même que des hommes « nais-
sent avec des membres superllus, par exemple des
doigts ou quelque chair de surcroît » que le praticien
enlève, p. 47; ailleurs, p. 80, il donne de nombreux
exemples de maladies. Cf. p. 106.
Si l'on demande comment ce médecin, juif converti,
d'ailleurs fort honnête homme et pasteur dévoué, a pu
commettre un tel faux littéraire. M. Achelis et M. Viard,
p. 36, répondent que bon nombre d'Églises croyaient à
l'origine apostolique de toutes leurs traditions discipli-
naires, jusque dans leurs détails divergents; il s'ensuivait
que les mettre par écrit n'était que faire œuvre de secré-
taire des apôtres et que l'on avait toujours le droit de
signer l'ouvrage de leur nom. La question serait encore
plus simple si l'auteur s'était borné à remanier et à in-
terpoler un écrit apostolique plus ancien.
I. Éditions et traductions. — 1° Syriaque : Didascalia
apvslolorum syriace, Leipzig, 1854, sans nom d'éditeur (Paul
de Lagarde); The Didascalia apostolorum in Syriac, par
Margaret Dunlop Gibson (Horse semiticse, n. 1), Londres et
Cambridge, 1903; F. Nau, La Didascalie, c'est-à-dire rensei-
gnement catholique des douze apôtres et des saints disciples
de Notre Sauveur, traduite du syriaque pour la premii-i'
Paris, 1902 (extrait du Canoniale contemporain, février 1901
à mai 1902) ; The Diilascalia aposluloi i!ish, trans-
lated fromthe Syriac, par M. Dunlop Gibson (Hors eemitiae,
n. 2>, Londres et Cambridge, 1908; Dit tyrteche Didaskalia,
Iraduite et expliquée par Hans Achelis et Joli. Flemming, Leip-
zig, 1904 (Texte und Unterauch. de Gebbardt et Hurnack,
t. xxv, fasc. 2). — 2" Latin : E. Hanter, IJine lut. palimpsest
Uebersetzung der Didascalia apostolorum, dans les l
rendus de l'Académie des sciences de Vienne, 1895, t. cxxxiv,
fasc. 3, 1895 (publié en 1896; ; E. Hauter, Didascalia! apostolcrum
fragmenta Veronensia latina accedunt canonum qui dicuntur
apostolorum et Mgyptiorum reliquix, fa-ciculus prior, Leip-
zig, 1900; F. X. Funk, Didascalia et < -onstilutiones apostolo-
rum, Paderboro, 1906 (texte de l'ancienne traduction latine
complété à l'aide du syriaque; on trouve aussi t. [, p. m-xiv,
et t. n, p. xxvni-xxxii, 120-130, une étude sur la Didascalie
arabe avec la traduction latine de la préface et des chapitres
propres à cette version qui proviennent du Testamenlum). —
3° Arabe et éthiopien : Thomas Pell Platt, The Elh
Didascalia, Londres, 1834 (texte du. commencement de l'arabe,
texte el traduction anglaise des vingt-deux premiers chapitres de
l'éthiopien); F. N. Funk, Vie apostolischen Konstitutii
Hottenbourg sur le Necker, 1891, p. 207-236 (traduction alle-
mande du commencement et de quelques chapitres de 1 Oth
et de l'arabe).
II. Ouvrages divers. — J. C. Grabe, An essay upon two
Arabie mamiscripts in Ihe Bodleian Library, and lhat an-
cient book called tlie Dtclrine of Ihe Apostles, Oxford, 1711;
Londres, 1712; Vansleb, Histoire de l'Église d'Alexandrie,
Paris, 1677; Ludolf, Commentarius ad suam historiam
.Ethiopicam, Francfort-sur-le-Main, 1691, ont analysé lesDidas-
calies arabe et éthiopienne; .1. W. Bickell, Gesch. des Kir-
chenrechts, 1843; Hamack, Altchristliche Literaturgeschiclite,
t. i, p. 517; Achelis, Realencyclopàdie fur prol. Théologie,
3e édit., t. i, p. 735; W. Riedel, Die Iiirchenrechlsquelle,
Palriarchats Alexandrie», Leipzig, 1900; C. Holzhey, Die
Abhiingigkeit der syrischen Didaskalia von der Didaché,
dans Compte rendu du IV' congres intem. des catholiques.
Fribourg, 1897, Sciences religieuses, p. 249-278; et Theolo-
yisch-prakt. Monatschrift, 1901, p. 515-523; O. Bardenliewer.
Les Pères de l'Église, trad. banc. Paris, 1898, t. i. p. 45-47;
F.-X. Funk, La date de la Didascalie des apôtres, dans la
Revue d'histoire ecclésiastique, Louvain, t. II (1901), n. 4;
Die arabische Didaskalia und die Konstit. der Apostel, dans
Theol. Quartalschrift. 1904, p. 233-248; Marcel Viard, La Di-
dascalie des apôtres, introduction critique, esquisse historique,
thèse de doctorat en théologie présentée à la faculté catholique de
Lyon, Langres, 1906. Voir l'indication des comptes rendus qui
ont été donnés des traductions Nau, Gibson, Achelis-Flemming,
dans Byzantinische Zeitschrift, t. xm (1904), p. 246-247, 610-
612 ; t. xiv (1905), p. 683.
F. Nau.
2. DIDASCALIE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉ-
SUS-CHRIST. C'est le titre donné par le ms. grec
Yalic. 2072 du xie siècle à la « Constitution des saints
apôtres », que nous avons analysée, t. III, col. 1536.
Nous avons édité et traduit ce document, au plus tôt du
ve siècle, peut être du VIIe au vin*, dans la Revue de
l'Orient chrétien, t. xn (1907), p. 225-254.
F. Nau.
DIDYME L'AVEUGLE. - I. Vie. II. Ouvrages.
III. Doctrine.
I. Vie. — Didyme, sans mériter au pied de la lettre
les éloges enthousiastes de ses contemporains, ne laisse
pas d'être une des ligures les plus curieuses, sinon les
plus grandes, du IVe siècle. Né vers 313 à Alexandrie,
dès l'âge de quatre ans, selon Palladius, Hist. Laus.,
c. iv, P. G., t. xx.\iv,col. 1012, de cinq ans, selon saint
Jérôme, Chronic. ad an. Abr. 2388, P. L., t. xxvn.
col. 695, il perdit la vue. Nulle part, il n'a parlé lui-
même de sa cécité, encore que moralement il en ait
beaucoup souffert, S. Jérôme, Ejiist., î.xvm, ad Cas-
Irutium, P. L., t. xxil, col. 652 sq.; à peine y trouve-
t-on dans ses livres une seule et unique allusion, d'ail-
leurs très douteuse. In Prov., P. G., t. xxxix, col. 1624.
La cécité du jeune Didyme décida probablement de
l'orientation de sa vie et en assura certainement la
tranquillité. La prière et l'étude furent dès lors les
749
DIDYME L'AVEUGLE
750
douces et puissantes consolatrices de Didyme; il se
voua en particulier à l'étude avec une ardeur ingé-
nieuse et opiniâtre qui porta tous ses fruits. Rulin,
H.E., ii, 7, P.L., t. xxi, col. 516. Adiré vrai, Ru fin,
op. cit., Socrate, H. E., iv, 25, P. G., t. i.xvn, col. 525,
528, et Théodoret, H. E., iv, 26, P. G., t. lxxxii,
col. 1189 sq., ont un peu surfait leur héros, en exagé-
rant la profondeur comme l'étendue de son savoir;
Didyme n'est pas plus un mathématicien, un astro-
nome, un polyglotte de premier ordre, qu'il n'est un
métaphysicien et un théologien de génie, liais son
érudition, pour n'égaler pas celle d'un Origène ou d'un
Eusébe de Césarée, ne laisse pas néanmoins d'être
vaste et variée, et d'attester, dans les débris qui en ont
survécu, son culte passionné de la science. Sans avoir
jamais quitté sa ville natale, et malgré son attachement
à la foi de Nicée, Didyme dut à, sa cruelle infirmité
d'échapper aux persécutions des ariens, qui aussi bien
s'imaginaient n'avoir rien à craindre pour leur cause
d'un savant aveugle. Saint Athanase, qui connaissait
Didyme, Palladius, op. cit., lui confia, on ne sait trop
à quelle date précise, la direction de l'école catéché-
tique d'Alexandrie. Par conviction personnelle et par un
pieux respect pour la mémoire de son plus illustre de-
vancier, peut-être aussi à l'instigation de quelques
moines origénistes et, entre autres, d'Évagre le Pon-
tique, Didyme fera revivre au Didascalée l'enseigne-
ment d'Origéne, non toutefois sans expliquer dans un
sens orthodoxe les expressions ambiguës du maître, ni
sans modifier ici et là sa pensée. Après avoir rempli sa
charge avec éclat et compté parmi ses élèves les Gré-
goire de Nazianze, les Jérôme, les Rufin, les Palladius,
les Isidore de Péluse, etc.. il semblera emporter avec
lui la gloire de l'institution célèbre qu'il avait long-
temps honorée. L'opinion commune, assise notamment
sur le De Trinit., il, 727; m, 1, P. G., t. xxxix, col. 595,
768, 784, tient que Didyme était marié et père de fa-
mille. M. J. Leipoldt, Didymus dcr Blinde von Alexan-
dria, Leipzig, 1905, p. 6, 7. s'autorise, au contraire, des
traditions du Didascalée, de l'austérité de la vie du
docte aveugle, de ses relations familières avec les
moines les plus renommés de toute l'Egypte, pour
faire de Didym On a placé sa mort tantôt
c ii 395, selon saint Jérôme, tantôt en 1598 ou 399, selon
Palladius.
S'il est difficile d'apprécier le rôle de Didyme dans
l'histoire et le progrès de la théologie catholique, on
lurail du moins lui contester une part d'influence
is contemporains et sur les générations qui ont
sui\i. Didyme, en eflet, ne mourut pas tout entier; la
preu\e en esl dans les disgrâces encourues par sa
mémoire du fait de l'origénisme. Un le verra excom-
munié, plus 'I un siècle el demi mort, pour
soutenu les doeti ines de la préexistence des âmes
el de V apocalasla.se. Au mois de mars ou d'avril 553, les
■ véques convoqués au V« concile général el déjà ras-
semb tantinople avant l'ouverture du concile,
5 mai -2 juin 553, condamnèrent, avei Ori ne, les théo-
ries origénistee de Didyme l'Aveugle et d'Évagre le Pon-
tique, moi Les VD, Vil» et VIII* conciles œcu-
méniques anathématiserent de nouveau, en se référant
par ern ur au \ concile, I Irigène, Didyme et I i
m Diekamp, Die Origenistischen Slreitigkeiten
i Tahrh. unddas V< alîgeni. Komil, Munsti r, 1899.
II. 0 - Didyme ■ beaui oup écrit. Hais il ne
■ I .imiiiie préoccupation littéi aire . Mail M de
la rhétorique, bien qu'il ne l'ignore pas. Son style,
i simple el clair. Kn revanche, on y relève
quantité di i de fautes de goût, l'abu
épithi I d" pur oi oement, l'abui d< i dl
\ di In rar pai
, li . /'' i ■ "< . i. 26; ii. l. /• G.,t. \\\\\. col. 884,
■ Tob, col. 1186, 1138, point de coloris, poinl de
vie et de mouvement, nul souci de persuader et d'en-
trainer. La plupart des œuvres de Didyme ont péri ou
disparu dans les querelles origénistes, ne laissant que
leur seul titre ou de courts fragments. Dans les œuvres
mêmes qui nous restent, les lacunes foisonnent. Les
travaux de Didyme roulent, les uns sur le dogme, les
autres sur l'exégèse.
/. TRAVAUX DOGMATIQUES, — 1° Le premier en date
peut-être des écrits de Didyme, cet opuscule Contre
Arius el Sabellius, Ariyo; xonî 'Apsio'j xa\ XaSf/'/.ioo,
qui nous a été conservé sous le nom de saint Grégoire
de Nysse, P. G., t. xlv, col. 1281-1302, et qui remonte
assurémentbienau delà de 362, vient d'être rendu à son
auteur, et, ce semble, d'une façon définitive, lloll, ÏJber
die Gregorvon Nt/ssa zugeschriebene Schrift Adversus
Arinni et Sabellium, dans Briegers Zeit schrift fur
Kirchengeschichte, 190't, t. xxv, n. 3, p. 380-398.
2° L'opuscule Sur le Saint-Esprit, 1 1 s p\ ro0 àyiov
IIvsjij.aTo; ).ôyo;, un des meilleurs écrits de l'antiquité
chrétienne en pareille matière, ne nous est parvenu que
dans la version latine qu'en a faite saint Jérôme, à la
prière du pape saint Damase, entre 38i et 389. P. G.,
t. xxxix, col. 1031-1086; P. L., t. xxm, col. 103-154.
La perte du texte primitif est avant tout le fait des que-
relles origénistes, peut-être aussi, pour une part, de la
supériorité littéraire de la version sur l'original.
M. Schanz, Geschichle dcr rôm. Litteratur, 1904, l.iv,
p. 437. Mais ni Jacques Rasnage, dans son édition des
Lectiones antiquse de Canisius, Anvers, 1725, t. i,
p. 202, ni M. Schermann, Die griecliischen Quelle)!
des hl. Ambrosius in De Spirilu Sancto, Munich.
1902, p. 80, n'ont réussi à convaincre la traduction de
saint Jérôme d'une infidélité substantielle. Tout con-
court à prouver que cette traduction, loin d'être une
refonte du travail primitif, reproduit sans altération
comme sans mélange d'idées étrangères la pensée de
Didyme, et jusqu'aux inexactitudes de ses citations bi-
bliques. Stolz, dans Theologische Quartalschrift, 1905,
t. i. xxxvii, n. 3, p. 379-387. L'opuscule comprend
63 chapitres et se divise, indépendamment de l'intro-
duction et de la conclusion morale, en deux parties :
l'une, qui établit successivement la divinité du Saint-
Ksprit.sa consubstanlialité avec le Père et le Fils, l'iden-
tité de l'opération des trois personnes divines ad extra;
l'autre, qui explique, à la façon et dans le Ion de l'ho-
mélie, 1ns passages scripturaires sur lesquels s'appuie
la foi au Saint-Esprit.
3° Les trois livres De la Trinité, Ihp'i tptôôoi; fJiêXfa
:■/•/. /'. ('•., t. \x.\ix, col. 269-992, ont été retrouvés par
.1. A. Mingarelli dans un manuscrit très défectueux et
mutilé du xr siècle; ils ont été publiés en 1769 à
Bologne par les soins du même savant, avec une traduc-
tion latine. De ces trois livres le Ier traite principale-
ment de la personne du Fils, et le II* de la personne du
Saint-Esprit; le III", après un résumé rapide en 55 syl-
mes du dogme de la trinité, discute el résout les
objections scripturaires les plus fortes des hérétiques
du temps. C'est la le chel'-d ou \ ce île Didyme. Saint
Jérôme, De viris, 109, ]'. I.., t. «m. col. 705, n'en fait
pas mention, sans doute par© qu'en 399 il n'avail
; mu paru. J. Leipoldt, op. cit., p. 12. En tous
cas, l'ou -i postérieur très probablement au con-
cile de Constantinople de 381, c'est-à-dire à la condam-
nation de Macédonius et de ses adhérents. On s'expli-
que ainsi l'ardeur maccut le que déploie Didyme
contre la nouvelle héréaia pneumatomaque, au point
d'oublier presque les ariens el les eunomiens Stolz,
kn . i it-. p
l ti n. ni dans le texte original un opus-
18 chapitres) Contre les manichéens, Kat* (Aotvt-
vafov, /'. '».. t. \\\i\. col. 1085 1110, Réfutation phi-
Iquedu manichéisme, en même tempe qu'examen
il ni.
751
DIDYME L'AVEUGLE
752
Nombreux et puissants en Egypte, les manichéens ont
toujours été le point de mire de Didyme, notamment
dans ses travaux d'exégèse. <m rencontre au début de
notre opuscule une lacune, que les Parallèles sacrés
ili saini Jean Damascène, /'. ('•., t. xcv, col. 1532, ont
comblée en partie.
5° 11 y a grande apparence que les deux livres pseudo-
basiliens (1. IV et V) Contre Eunomius, P. G., t. XXIX,
col. 671-77i, sont l'œuvre de Didyme, et nous dirent
en définitive un résumé de ses deux livres, mentionnés
par saint Jérôme, De viris, 109, loc. cit., le De dogma-
liOus et le Contra arianos. Funk, Compte rendu du
IVe congrès scientifique international à Fribourg
(Suisse), 1897, t. H, p. 217-248; Kirchengeschichtl.
Abhandlungen und Untersuchungen, Paderborn, 1899,
t. Il, p. 291-329; Theologisehe Quartahchrift, 1901.
p. 113-116. M. J. Leipoldl, op. cit., p. 26-31, n'aper-
çoit pourtant rien, ni dans le style ni dans les idées du
pseudo-Basile, qui mette hors de conteste la paternité
de Didyme.
6u M. Stolz, loc. cit., p. 395-396, attribue à Didyme
les sept dialogues De la Trinité, qui nous sont parve-
nus sous les noms de saint Atbanase et de saint Maxime
le Confesseur. P. G., t. xxvili, col. 1113-1338. M. Leit-
poldt, op. cit., p. 24-20, n'y reconnaît pas le style ordi-
naire du célèbre aveugle.
7° On n'a pas encore retrouvé l'opuscule écrit par
Didyme en 386 sur la mort des petits enfants, S. Jé-
rôme, Adversus Rufinum, m, 28, P. L., t. xxm,
col. 478; le IIpô; cfO.ôuotpov, dont il ne nous reste
qu'une seule phrase, P. G., t. xxxix, col. 1109; le
Ilepi àc<o|j.âTO'j, dont saint Jean Damascène nous a
conservé un court fragment, P. G., t. xcv, col. 1532;
t. xevi, col. 524; le IIep\ Au/f,;, sauf un fragment de
découverte récente, J. Leipoldt, op. cit., p. 16; les
opuscules Ilsp't -îipovoi'ac xal koictemcJ la célèbre apolo-
gie du IIsp\ àpyûv d'Origine. S. Jérôme, op. cit., i, 6;
il, 11, 16, P. L.', t. xxm, col. 401-402, 434, 438-439, etc.
//. travaux d'exégèse. — Didyme avait tout em-
brassé dans ses travaux d'exégèse, l'Ancien et le Nou-
veau Testament. De ces vastes travaux, où l'auteur de-
meurait fidèle, non sans quelques réserves, à la mé-
thode allégorique d'Origène, et partant se gardait en
général de suivre le sillage de saint Athanase et des
Cappadociens, nous ne possédons plus que des débris,
dispersés pour la plupart dans les Chaînes.
1° Ancien Testament. — On doit à la Chaîne du
moine Nicéphore, Leipzig, 1772-1773, quelques frag-
ments sur la Genèse, sur l'Exode, sur le IIe livre des
Rois, P. G., t. xxxix, col. 1111-1120. Mentionnons ici,
en outre, une scolie latine, Gen., n, 27, publiée par
dom Pitra, Spicilegium iSolesmense, t. i, p. 284. Un
fragment sur le IIIe livre des Rois a été signalé dans
un manuscrit de l'Escurial par Faulhaber, Die Katenen-
handschriften der spanischen Bibliolheken, dans Bi-
blische Zeitschrifl, 1903, t. i, p. 251. A la Cliaine de
Nicélas, éditée par P. Junius (Young), Londres, 1637,
on est redevable d'importants fragments sur Job, P. G.,
ibid., col. 1119-1154. Peut-être que le passage de Di-
dyme, inséré dans les Parallèles sacrés, P. G., t. xcv,
col. 1256, est extrait de l'explication de Job. Voir aussi
le Aôyo; et; rbv 'Itoë, P. G., t. xevi, col. 141. La relique
la plus considérable de l'exégèse de Didyme, un long
fragment de l'explication du Psautier, a été retrouvée
par le cardinal Mai, Rome, 1854, P. G., t. XXXIX,
col. 1155-1616, et a,singulièrement grossi les trouvailles
antérieures de B. Cordier, Exposilio Patrum Greeco-
rum in psalmos, Anvers, 1643, et de Mingarelli. Bo-
logne, 1784, P. G., ibid., col. 1617-1622. Cf. Faulhaber,
loc. cit., p. 355. Le cardinal Mai a publié aussi des
scolies sur les Proverbes, 7'. G., ibid., col. 1621-1646;
entre les textes de Mai et ceux de Th. Peltanus, Catena
Grœcorum Patrum in Proverbia Salomonis, Anvers,
1614. l'accord n'est pas complet. La Chaîne de J. Meur-
sins, Eusebii Polychronii, Pselliin Canticum canti-
corum erposiliones greece, Leydc 1617. p. 19, contient
une scolie sur le Cantique des cantiques. Une vieille
Chaîne, encore inédite, renferme des scolies sur l'Ec-
clésiaste. J. Leipoldt, op. cit., p. 20. Les Parallèles
sacrés, P. G., t. xcv, col. 1093, 1196; t. xevi. col. 525,
nous ont conservé des fragments d'une explication de la
deuxième partie d'Isaïe, mentionnée par saint Jérôme,
De viris, 109, P. L., t. xxm. col. 705; Prol. in lsaiani,
ibid., t. xxiv, col. 21. Des deux amples commentaires
écrits en 386 à la prière de saint Jérôme, De viris, 109,
l'un en trois livres sur le prophète Osée, l'autre en cinq
livres sur le prophète Zacharie, il ne subsiste plus
rien, qu'un fragment du premier, recueilli dans les
Parallèles sacrés, P. G., t. xcv, col. 1381; t. xevi.
col. 520. Ghisleri, In Jeremiam prophetam conimen-
tarii, Lyon, 1623, t. i, p. 39; t. il, p. Tin. 753, a rangé
parmi les textes des Pères grecs etv latins trois courts
fragments de Didyme sur Jérémie. Faulhaber, p. 107,
en indique un quatrième inédit. On retrouve dans
Faulhaber, Die Proplœlen-Catenen naclt rômischen
Handschriften, dans Biblische Sludien, Fribourg-en-
Brisgau, 1899, t. iv. fasc. 2 et 3, p. 169, 179, deux scolies
sur Daniel.
2° Nouveau Testament. — L'explication de l'Évan-
gile de saint Matthieu, le texte original des scolies sur
la I" Fpilre aux Corinthiens donl saint Jérôme nous a
conservé des fragments dans une version latine, P. L.,
t. xxii, col. 511, 968-970, le commentaire sur l'Epitre
aux Galates, antérieur à l'an 387, la brève explication,
commentarioli, de l'Epitre aux Éphésiens, ont
lement péri. On rencontre des scolies sur l'Évangile
de saint Jean dans les Parallèles sacrés, P. G., t. xevi,
col. 484, dans la Cliaine de B. Cordier, Catena Pa-
trum Grœcorum in sanction Joannem, Anvers, 1630,
et dans celle de Cramer, Calense G rsecorum Patrum
in Novum Testamenlum, Oxford. 1844, t. il, enfin
dans la Bibliolheca nova de Mai. P. G., t. xxxix.
col. 1645-1654. J. Chr. Wolf, Auecdota Grxca, Ham-
bourg, 1724, t. iv, a donné, d'après une Chaîne, des
fragments sur les Actes des apôtres, P. G., ibid.,
col. 1653-1678; on doit à Cramer, op. cit., t. m, une
trentaine de fragments nouveaux. Il s'en trouve encore
dans Théophylacte. On lit en outre dans Cramer,
op. cit., t. îv, p. 196 sq., un fragment sur l'Epitre aux
Bomains, et, t. vu, p. 131 sq., un autre fragment sur
l'Epitre aux Hébreux. Le cardinal Mai a publié des
fragments étendus de l'explication de la IIe lettre aux
Corinthiens, P. G., ibid., col. 1679-1732. Ce qu'il y a
comme traduction de moins mutilé, c'est le commen-
taire des sept r.pitres catholiques. In Epistolas cano-
nicas enar ratio. Il nous en reste la version latine
d'Epiphane, l'ami de Cassiodore ; Lucke, dans son édi-
tion critique du texte, y a joint quelques fragments
grecs, P. G., ibid.. col. 1719-1818. On est aussi rede-
vable à Cramer de quelques autres fragments grecs,
op. cit., t. vin. Un fragment de Didyme sur la I* Pétri
est signalé dans deux manuscrits de l'Escurial par
Faulhaber, dans Biblische Zeitschrifl, t. i. p. 378.
L'authenticité intégrale de la traduction latine a été na-
guère contestée par Klostermann, dans Texte und Un-
tersuchungen, Leipzig, 1905, t. xxvm, fasc. 2. Cf. J. Lei-
poldt. op. cil., p. 22-23.
III. Doctrine. — La théologie de Didyme n'est pas
un monument, l'œuvre d'une pensée originale et puis-
sante; on dirait plutôt une mosaïque, dont les mor-
ceaux, tle provenances diverses, attestent, avec l'érudi-
tion de l'auteur, le cours des idées et l'état des esprits
au iv« siècle.
Origéniste avant tout. Didyme n'est pourtant pas
l'écho servile d'Origène, et, si marqué que soit l'air de
famille entre les deux doctrines, on y constate plus
753
DIDYME L'AVEUGLE
754
d'une dissonance. La théodicée, l'angélologie, la psy-
chologie, l'eschatologie de Didyme portent en particu-
lier l'empreinte du maître qui l'avait fasciné. La sim-
plicité de Dieu, o-jui'a âir/.r,, P. G., t. xxxix, col. 1064,
1560, etc., avec ses corollaires naturels, immutabilité,
spiritualité parfaite, invisibilité, transcendance souve-
raine, etc., fait le fond de la théodicée de Didyme, qui
volontiers réduirait Dieu à n'être qu'une sorte de point
mathématique. La chaleur de la lutte contre la philo-
sophie aristotélicienne d'Aétius et d'Eunomius, l'en-
traîne à insister fortement sur l'incompréhensibilité
de Dieu. L'homme ne peut se former ici-bas quelque
idée de Dieu que par voie d'analogie, col. 308, 1066.
L'Kcriture elle-même ne nous en donne qu'une con-
naissance très imparfaite et disproportionnée à la na-
ture divine, col. 505. Ce n'est qu'à la fin des temps que
nous acquerrons une pleine connaissance de Dieu,
col. 1317. Comme Origène, Didyme admet la création
ab seternu ; Dieu, en effet, agit sans cesse, t. XXV,
col. 1288; penser, pour lui, c'est agir, t. x.xxix, col. 277.
Les anges sont sortis les premiers des mains de Dieu.
Rons ou mauvais, ils ne sont pas, au sens rigoureux du
mot, de purs esprits; ils ont tous, sinon un corps ter-
restre analogue à celui de l'homme, col. 481, 1773, du
moins un corps plus ou moins éthéré et subtil, selon
l'éminence de leur perfection ou la profondeur
de leur chute, col. 1109. Pendant que les démons
conspirent noire perte, col. 1157, 1171, les bons
- veillent sur nous et intercèdent pour nous; en
sorte que nous leur devons un culte, 'col. 1039, 1772,
177.'!. .Mais, point d'anges qui soient les âmes des astres
et leur communiquent le mouvement avec la vie.
col. 428. Tandis que Didyme rejette la fable de la mé-
tempsycose, col. 1145, 1332, sans conlredit il croit à la
préexistence de l'âme humaine, col. 773. 777. 17.")."). etc.
Il n'est pas sûr que Didyme soit trichotomiste. Car,
outre qu'en maints passages, col. 765, 1115. 1185.
1520, etc.. il professe la dicholoinie el n'aperçoit rien
dans l'homme qu'un corps et une âme, les textes nom-
breux dans lesquels il reconnaît, à côté du corps et
de l'âme, •!/-//, un autre élément constitutif,
ii impliquent pas nécessairement une troisième sub-
stance; pourquoi ne les pas entendre au contraire
d'une distinction modale, d'une distinction entre l'âme
il -,i plus noble faculté, la raison? La pensée de la
isie H.- semble pas avoir hanté l'esprit de! hdyme ;
il n'a parlé qu'une fois. col. 76."). sous l'empire peut
émotion, de la lin pro-
chaine du monde. Quanl aux espérances fantaisisti
millénarisme, il le- réprouve avec énergie, col. 1756-
Nul doute qu'il n'enBeigne la résurrection de la chair,
col. 1309, et qu'en faisant ressortir les qualités nou-
velles du corps ressuscité, col. I7ni. 1818, il ne main-
tienne l'identité essentielle de ce corps avec noire
corp , re, col. 1309.
Saini Jérôme, Advenu» Ruftnum, i. 6; ti, II, 16.
/'./.., t. wiii. col. 101-402, 134, 138-489, accuse Didj
d'avoir soutenu Vapocalaslase d'Orîgène. On
''lotir > r il n'esl pa rare d entendre
Didyme parler de 1 éternité des peines de l'enfer /' '■ .
t. xx.xix. ci, 669, 7i'.". Il"i II faut remarquer toute-
■ i "•■ Didyme te ours des
d'été) lernilè dans lent- seus précis el rigou-
col 516-517. \ lilleurs que sa théorie du
itiellemenl médicinal des châtiments di -
\ins, col. <i7.;. I0HS. [108, 1176, 121,1. [404
autn thi <•! i. de l'efficacité souveraine de la rédemption,
col. 104 106 109, 1759, [770, cadrent, I lonl prendre,
lauration univei selle el sem-
blent donm t rai ion au réquisitoire ne
I ti présence do dogme de la triniié. Didyme, esprit
•iii. manque parfois de pri ci lion el de net-
unie- de fixité el de COtll
dans ses pensées ; mais, tout compte fait, l'orthodoxie de
sa doctrine, laquelle se ressent à la fois de saint Atha-
nase et de saint Basile, est hors de conteste, S. .lérôme,
Adversus Rufinum, n, 16; ni, 27, P. L., t. xxm,
col. 438, 477 ; ni les ariens, ni encore moins peut-être
les macédoniens ne trouveront rien à glaner dans la
doctrine de Didyme. Les deux faces, pour ainsi parler,
du dogme trinitaire, l'unité numérique de la nature
divine, De Trinit., i, 27; ri, 1, 3, 7, etc., /'. G., t. xxxix,
col. 405, 452, 476, 565, 581, etc., et la distinclion des
trois personnes en Dieu, avec leur égalité parfaite, De
Trinit., i, 16, 26, 27; m, 2, col. 332-336, 389, 396, 792,
et leur absolue consubstantialité, De Trinit., I, 18, 20,
col. 356, 369, y sont respectées et mises en relief. La
célèbre formule, fju'a oùa-ia, rpsi; -j^o^r-' si:, dans son
sens traditionnel, est probablement de Didyme; on la
rencontre du moins sous sa plume, avant qu'elle n'ait
reçu du concile d'Alexandrie, en 362, son brevet d'or-
thodoxie, et que les Basile et les Grégoire de Nazianze
ne l'aient popularisée. Didyme est aussi le partisan dé-
terminé de Vhomoousicn, qu'il applique soit à la Tri-
nité tout entière, soit à chacune des personnes divines
en particulier. De Trinit., i, 19, 27, 28, col. 368, 397,
409. Mais, en reconnaissant au sein de la Trinité l'unité
du vouloir et, par suite, l'unité de l'action, fj.ia ÈvÉpyEta,
Didyme ne laisse pas de se montrer indécis et impré-
cis. Car, tantôt il entend cette jx:a èvép-yeioe dans toute la
rigueur des termes, De Trinit., il, 7, 8, 15, col. 565,
624, 717; tantôt il se réduit à dire que les trois per-
sonnes divines agissent toujours en commun, De Trinit.,
ii, 1, col. 452; tantôt il attribue à chacune des personnes
divines son activité spéciale, De Spiritu Sanclo, 27,
col. 1058, et semble répartir entre elles l'ouvrage de la
rédemption. De Trinit., m, 39, col. 980. Quant à la
distinction du l'ère, du Fils et du Saint-Esprit, Didyme,
après avoir semblé d'abord la regarder comme pure-
ment nominale ou peu s'en faut, De Trinit., I, 36,
col. 140, revient sur ses pas et tient qu'elle repose sur
un fondement réel. De Trinit., n, 6, col. 552. Entre les
personnes divines tout est identique, sauf ce qui dé-
coule de leurs relations. C'est le propre du l'ère que
H i ngendrer, que d'être père. C'est le propre caractère
du Fils et du Saint-Esprit qu'ils procèdent l'un el
l'autre, celui-là du Père seul, celui-ci du Père el du
Fils, celui-là par voie de génération, yi-rrr^i:. celui-ci
par voie de spiralion, ' ir6peu<rcç. Dr Trinit., I, 9, 15,
35; m, 38, col. 277. 320, 137, 976. Deux aeles éternels
et continus, sans commencement el sans lin. Mais l'in-
telligence complète de la différence de ers deux actes
est absolument au-dessus de la portée de Ions les es-
prits créés. De Trinit., Il, 1; ni, 38, col. 448, 976.
Didyme, du reste, proclame 1res haut et sans .nul
la divinité du Saint-Esprit
La christologie de Didyme, bien qu'un examen su-
perficiel \ relève plus d'un emprunt au vocabul
d'Arius, reflète en réalité la christologie de sainl Atha-
nase el prépare celle de saint Cyrille d'Alexandrie.
Tout s'y inspire de l'axiome des premiei lire-
liens, -■> iitp6ffX7j«Tov dtôepiitsvtov, quod auumplum
non est, neque sanatum est. \ rencontre d'Arius,
Didyme, après Origène, reconnaît une âme humaine an
incarné. De Trinit., ni, 2.21. In P»., col,
900,904, 1284, 1465. \ rencontre d'Apollinaire le jeune,
qu'il c t al an - h nommi r el touji n une
courtoisie parfaite, en Jésus-Chris! il reconnaît, indé-
pendamment de la i.,r. le /•,.: humain. l'Ame rai-
sonnable. /" P»., col. Ii."ii>. 1465. Il s'élève aussi contre
l'idée prêt» |ue de Laodicée, que le corps de
di cendu du ciel, De rVinfl . m. s .
col B49, I79(i. el H réfute p
■ion quelques hérétiq n temps qui reléguaient
dans le loleil, jusqu'au temps de la paroutie, le corps
1269. Nonobstant
755
DIDYME L'AVEUGLE — DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
756
laines locutions impropres ou équivoques, on ne sau-
rait douter que Dklyinc n'enseigne, sans toutefois le
formuler explicitement, le dogme des deux natures en
Jésus-Christ, De Trinit., i, 9; ni, 1, 3, «10,817; ht Ps.,
col. 289, SI 7, 1233; et qu'il ne professe pareillement
celui de l'unité de la personne de l'Ilomme-Dieu. De
Trinit., i, 27, col. 397. Aussi se plait-il à saluer Marie
du nom de Mère de Dieu, Beétoxoç, lie Trinit., i, 31 ;
ii, ï; m, G, 41, col. 421, 481, 484, 848, 988; et à pro-
clamer sa virginité perpétuelle, à£t7iapOÉvo;. De Trinit.,
i, 27, col. 404.
Tillemont, Mémoires, 1730, t. x, p. 135-152, 330; Fabricius
Harless, Biblivtheca Grxca, t. IX, p. 269 sq., dans P. G.,
t. xxxix, co!. 131-140; J. A. Mingarelli, De Didgmo commenta-
rius, ibid., col. 139-216; Epistola de opère antiqui theologi
inedito, ibid., col. 993-1030; Th. Schermann, Die Gottheit des
ht. Geistes, c. vu, p. 189-223; Bardenhewer, Les Pères de
l'Église, nouv. t'dit. franc., Paris, 1905, t. il, p. 124-128;
J. Leipoldt, Didymus der Blinde von Alexandria, Leipzig,
1905, dans Texte und Untersuchungen, t. xxix, fasc. 4; Stolz,
Didymus, Ambrosius, Hieromjmus, dans Theologische Quar-
talschrift, 1905, t. xxxvn, n. 3.
P. Godet.
DiERINGER François-Xavier, théologien catholi-
que allemand, né le 22 août 1811 à Rangendingen dans le
Hohenzollern-llechingen, alla en 1831 étudier à Tu-
bingue, reçut la prêtrise en 1835 a Fribourg-en-Brisgau
et fut nommé répétiteur de théologie systématique et
d'homilétique au séminaire de cette ville; il fut aussi
chargé de la bibliothèque de la maison. En 1840, il de-
vint professeur de dogme au grand séminaire deSpeier
et dès l'année suivante, en même temps professeur de
philosophie au convict de cette ville. En 1843, le gou-
vernement prussien le nomma aux chaires de dogma-
tique et d'homilétique à l'université de Bonn ; il y
enseigna aussi la morale. De 1841 à 1843, il avait
dirigé le Katliolik de Mayence. De 1844 à 1846, il diri-
gea la Katholische Zeitschrift fur Wissenschaft und
Kunsl, fondée pour contrebalancer la Zeitschrift fur
Théologie und Philosophie, et il y publia de nombreux
articles contre Hermès et sa doctrine. En 1847, sa revue
prit le titre : Katholische Vicrteljahresschrift fur
Wissenschaft und Kunsl. En 1844, il fut encore direc-
teur d'un séminaire. L'année suivante, il devint membre
du Verein vont hl. Karl Borroniàus, et à partir de
1871, il en fut le président. Dès 1853, tout en gardant
sa chaire, il fut nommé doyen du chapitre de Cologne.
Il combattit dès lors le giinthérianisme. Il fut exclu
par le gouvernement de la liste des candidats comme
persona minus grala, en t856 pour l'évêché de Pader-
born et en 1861 pour celui de Trêves. En 1862, il devint
prédicateur de l'université. Au moment de la tenue du
concile du Vatican, il fut opposé d'abord à l'opportunité
de la définition de l'infaillibilité pontificale, puis au
dogme lui-même. En 1871, il abandonna sa chaire et
devint curé de Veringendorf, dans le Hohenzollern;
il mourut dans sa paroisse, le 8 septembre 1876. Il
a publié : 1° System der gôtllichen Thalen des Chris-
tenlums, 2 vol., 1841, 1842; 2e édit., 1857; cet ouvrage
lui valut le titre de doclor honoris causa de l'université
de Munich; 2° Der hl. Karl Borromùus und die Kir-
chenverbesserung seiner Zeil, Cologne, 1846; 3° Lehr-
buch der katltolischen Dogmatik, Mayence, 1847;
5e édit., 1865; 4° Dogmalischen Erôrterungcn miteinem
Gïinlherianer, Mayence, 1853; 5° Das Epistelbuch der
kalholischen Kirche Iheologisch erkh'irt, 3 vol.,
Mayence, 1863; 6° Laienkatcchismus liber Religion,
O.ffenbarung und Kirche, Mayence, 1865; 2L' édit., 1868.
Kirchenlexikon, t. m, col. 1727-1731; Kirchliches Hand-
lexikon, Munich, 1907, 1. 1, col. 1116.
E. Mangenot.
DIERTINS Joseph, théologien flamand, né à
Bruxelles, le 27 avril 1626, admis dans la Compagnie
de Jésus le 18 septembre 1642. Outre un ouvrage de
polémique sur l'ignorance invincible du droitnaturel :
De peccatis ignorantiœ, Cologne, 1681, le I'. Diertins
a laissé des commentaires sur les Exercices sjiiriluels
de saint Ignace, qui rendent encore des services de nos
jours : Sentut Exerciliorum spiritualium .S". /'. lguaiii
Loyolae explanatus, Ypres, 1691. plusieurs fois réim-
primé ;Exercitiaspiritualiasancti Pal ris nos tri Ignatii
cum sensu eorumdem explanalo, avec un appendice
sur la distribution des Exercices pour la retraite de huit
jours, Anvers, 1693. Cette édition est du P. Papenbroeck.
A l'édition de Rome, 1698, est joint un appendice qui
a été souvent réimprimé à part sous ce titre fort connu :
Praxis medilalionum .S'. /'. Ignatii Loyola?, Rome,
1698; Prague, 1721; ou encore Exercilia spiritualia
S. P. Ignatii Loyola-, Turin, 1826, 1838; Rome, 1835.
Ce dernier ouvrage a été traduit par M. Abel Gaveau :
Méditations sur les Exercices de saint Ignace, Paris,
1876; 2e édit., 1886. L'histoire de l'ascétique a été enri-
chie également par le P. Diertins d'un ouvrage de haute
valeur : Historia Exerciliorum spiritualium S. P. Igna-
tii de Loyola, pars 1*, liber 7u% Rome, 1700. La 2« édi-
tion en sept livres est de 1733. La première édition a
été rééditée par les soins du P. Watrigant, Lille, 1882.
Le P. Diertins est mort à Rome, le 4 novembre 1700,
après avoir rempli les plus hautes charges de son
ordre.
De Backer-Sommervogel, Bill, de la C' de Jésus, t. m.
col. 53-55; Doliinger, Geschiclite der Moralstreitigkeiten, t. il,
p. 125 sq. ; Hurter, Komenclator, 2* édit., t. ni, col. 555.
P. Bernard.
DIETENBERGER Jean, dominicain, né vers 1475
à Francfort-sur-le-Main, entra de bonne heure chez les
dominicains de sa ville natale, fut licencié en théolo-
gie le 23 septembre 1514, et docteur, l'année suivante,
à Mayence. De 1510 à 1520, il fut cinq fois prieur de
son couvent, et plusieurs fois encore plus tard. En
1517, il fut envoyé comme régent à Trêves, où il com-
mença, le 27 janvier 1518, ses leçons sur saint Thomas.
En 1526, il était prieur du couvent de Coblentz. A la
diète d'Augsbourg (1530), il fut employé à rédiger la
Confutatio de la Confession d'Augsbourg. En sa qua-
lité d'inquisiteur, il fut mêlé à l'affaire de Reuchlin.
De '1533 à 1537, il fut chanoine et professeur à
Mayence. Il mourut en cette ville, le 4 septembre
1537. De 1522 à 1530, il a publié des écrits ascétiques et
polémiques contre les protestants sur la messe, la pé-
nitence, les vœux, les cérémonies, etc. Xoinmons seu-
lement Fragstuck an aile Chrislglùuoiyen, Cologne,
1530. En 1534. il publia une traduction allemande de la
liible, faite sur la Vulgate, iu-fol., Mayence. Elle a eu
plus de 100 éditions. Pan/.er, Versuch einer kurzen
Geschichte der rômisch-kathoUschen deutschen Bibel-
iibersetzung, Nuremberg, 1781, p. 94 sq. ; Dictionnaire
delà Bible de M. Vigouroux, t. I, col. 380-381. Il com-
posa aussi un des premiers catéchismes allemands,
publié en 1537. Voir t. Il, col. 1913.
H. Wadever, Johannes Dietenberger, 1 i~û-l~>3~ : seinLeben
und Wirken, in-4", Fribourg-en-Brisgau, 1888; Kirchenlexi-
kon, t. in, col. 1739-1741; Kirchliches Randlexikon, .Mu-
nich, 1907, t. I, col. 1117-1118.
E. Mangenot.
DIEU. Nous étudierons successivement : Ma connais-
sance naturelle que nous pouvons avoir de Dieu ; 2U les
preuves de l'existence de Dieu; 3 la nature de Dieu
d'après la sainte Ecriture; 4° d'après les Pères; 5° d'après
les scolastiques; 6° d'après les philosophes modernes;
7° d'après les définitions de l'Église. Sur l'activité de
Dieu ad extra, voir Création, Conservation, Concours,
Providence, et sur la vie divine ad intra, voir Trinité.
i. dieu (connaissance naturelle de). — I. Dé-
limitation du sujet. II. En quel sens il est théologique.
III. Origine historique des erreurs condamnées au con-
757
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE]
cile du Vatican. IV. Le protestantisme. V. Le nomina-
lisme. VI. Le pseudo-mysticisme. VII. Le jansénisme.
VIII. Le traditionalisme. IX. Le modernisme et l'en-
cyclique Pascendi. X. Erreurs visées par le concile.
XI. Sens précis de la définition conciliaire. XII. Jus-
tification et sources de la doctrine.
1. Délimitation du sujet. — Le problème de la
connaissance de Dieu, comme il est de tous les pro-
blèmes le plus important, est aussi des plus complexes.
Essayer d'en écrire ici l'histoire complète serait tenter
l'impossible : la seule bibliographie du sujet compose-
rait plusieurs gros volumes. C'est qu'au fond l'histoire
de l'idée de Dieu dans l'humanité serait l'histoire de
toutes les religions, de toutes les civilisations, de toutes
les philosophies. Il faut donc se borner à l'essentiel.
D'ailleurs, pour les détails, l'ensemble de ce diction-
naire constitue déjà une mine féconde de renseigne-
ments, et il n'est pas douteux que nos collaborateurs
continueront à nous donner sur ce point la pensée des
auteurs qu'ils étudient.
Pour orienter le lecteur et lui donner la clef du choix
auquel nous nous sommes arrêté, rappelons quelques
distinctions classiques dont la suite de ce travail don-
nera tout le sens et fera sentir la valeur. — 1° Suivant
la nature et le mode d'action des moyens internes et
externes qui interviennent dans la connaissance que
nous pouvons ici-bas avoir de Dieu, les théologiens
distinguent la connaissance naturelle, la connaissance
surnaturelle et la connaissance mystique de Dieu. Ils
appellent connaissance naturelle de Dieu, celle qui se
produit par le moyen objectif des créatures et par les
seules lumières de la raison; la connaissance surnaturelle
s'obtient par la révélation proprement dite, à l'aide de la
grâce intérieure de la foi ; enfin la connaissance mystique
de Dieu est donnée par l'expérience intérieure du divin.
Nous ne traiterons ici directement que de la connais-
sance naturelle de Dieu. Voir, pour la connaissance sur-
naturelle et mystique, les articles Révélation, Mystère,
Trinité, Foi, Vision intuitive, Mystique, Contempla-
tion. — 2° On peut poser le problème de la connais-
sance de Dieu soit par rapport à l'existence, soit par
rapport à la nature de la divinité. De là deux questions:
qui' 9avons-nous de l'existé de Dieu; que connais-
sons-nous de la nature divine? Et chacune de ces ques-
tions reçoit uni' solution différente suivant qu'il s'a_ii
de la connaissance naturelle, de la connaissance sur-
naturelle ou de la connaissance mystique de Dieu. Nous
n'avons ici en vue directement que la connaissance
naturelle de ['existence de Dieu. Cependant, comme,
d'une part, il est impossible d'affirmer l'existence objec-
tive d'un être, si l'on ne saisit intellectuellement rien
de -,i nature ; comme, d'autre part, la connaissance que
nous pouvons naturellement avoir de Dieu est celle
d'un Dieu personnel, les deux questions proposé)
sont pas adéquatement distineti - : el i ' traiter de la
première comme il convient, nous devrons m
lairement toucher à la seconde, sur laquelle on peul
d'ailleurs consulter le- articles Agnosticisme, ÂNALOQi) .
Attributs divins, Nati re di Do i . :; On peul étu-
dier la connaissance naturelle que nous .nous de l'exis-
'!•■ Dieu, soit à un point de vue purement philo-
ique, ioil A un poinl de \ ne puremenl do
tique. Dam ce problème, pour le philosophe, tout se
réduit en dernière analyse ■< la critique des preuves de
di Dit m ou à la critique il.' notre tu ulté de
connaître; pour le chrétien, toul s,- ramène a consl
pour \ adhérei fermement, ce que la révélation
enseir ur le fui soil sur la possibilité de la
naturelle de Dieu, i nlre l attitude du
phil -II" du simple croyant l'intercali m i. -
di mai du théolog ■ ■• i
pr< mit i pn nd poui poinl di d< pai i l< - donné) i de la
n, ou tout au h h interlocuteur veul
bien admettre pour données, S.Thomas, Sum. theol.,1*,
q. i,a. 8, et il s'achemine vers la connaissance naturelle,
puis vers la connaissance surnaturelle de Dieu par la
foi. Le second s'appuie sur les données intégrales de
la révélation et de la doctrine catholique, qui lui ser-
vent de principes; et partant, sinon de la pleine lumière,
du moins de la pleine certitude, il tend la main à la
spéculation philosophique. Dans le présent article nous
envisagerons surtout la face dogmatique du sujet. Dans
l'article suivant, Existence de Dieu, nous essaierons de
satisfaire moins indirectement aux exigences de la pen-
sée philosophique. Cette distribution a paru nécessaire
pour que ces pages fournissent au fidèle, au théologien,
au philosophe et à l'apologiste la réponse aux trois
questions : 1. Quel est l'objet de ma foi sur la connais-
sance naturelle de Dieu? 2. Quelle est la doctrine com-
mune de l'Église sur la connaissance de l'Absolu'.'
3. Quelles sont les limites entre lesquelles peul et doit
se mouvoir un apologiste catholique et hors desquelles
les constructions ou concessions apologétiques cesse-
raient d'être conciliaires soit avec le dogme, soit avec
l'enseignement autorisé dans l'Église?
II. En quel sens est théologique le problème de
LA POSSIBILITÉ DE LA CONNAISSANCE NATURELLE DE DIEU ?
— Un peut très bien concevoir comme possible dans
l'abstrait, bien plus, étant donnée la condamnation de
la proposition 53e de Baius, la masse des théologiens
catholiques considère comme possible au concret, un
état de l'humanité ou un ordre de providence dans
lequel aucunerévélation proprement dite ne serait faite à
l'homme. Dans cet état, que nous pouvons désigner par
le nom classique d'état de nature pure, l'homme, sans
aucun secours strictement surnaturel, tant d'ordre sub-
jectif que d'ordre objectif, connaîtrait Dieu à l'aide de ses
facultés naturelles par le seul témoignage des créatures.
Supposons cet état réalisé : 1° L'homme pourrait avoir
la connaissance certaine de Dieu; 2° il pourrait réflé-
chir sur cette connaissance, parce que la faculté de
réfléchir sur les opérations de notre esprit est une pro-
priété essentielle de notre nature; 3° comme, d'ailleurs,
créé dans un tel état, l'homme serait exposé, ainsi qu'il
est aujourd'hui, au doute et à l'erreur, il devra il avoir
et par conséquent — c'est l'hypothèse — aurait le
moyen naturel [debilum, exigé] de résoudre les diffi-
eullés philosophiques que soulève le problème de la
possibilité de connaître Dieu parles lumières naturelles.
Ces difficultés peuvent se ramener à trois chefs, sui-
vanl qu'elles sont prises : 1. de l'objet de noire con-
naissance; 2. de nos facultés de connaître; 3. de la
méthode à tenir pour parvenir à la vérité'. L'ensemble
dt s difficultés constitue ce qu'on appelle depuis
Kanl le problème critique, où tout se réduit en der-
nière analyse à l'examen des facultés de la connaissance.
Cf. J. F. Buddeus, Traité de l'athéisme et de lasuper-
Blition, c. vi, Amsterdam. 1740. p. 218. D'où l'on con-
clut, par définition, que dans l'étal de nature pure,
l'homme aurait le moyen de résoudre le problème cri-
tique el que ce moyen sérail rigoureusement naturel,
cel état, la possibilité de la connaissance natu-
relle de Dieu sérail donc une question d'ordre exclu-
sivemenl philosophique.
Mais H": vivons pas dans l'état de nature pun
la révélation proprement dite nous a été donnée. On
peui -.,' demander si le fait de la révélation a changé
notre situation pic rapport au problème critique qui
nous occupe. Spéculativement, deux bypothèaes sont
possibles 1° la c relation positive est muette sur le
naître Dieu par le. force- naturelli
la i télation renferme di itions
i n\ hypothi -■ lonl | Dieu
étant le maître de la mesure ; n naturels,
^i la pn nu re étail en d auti il la
dépôt «le la révélation qui nous a été transmis ne con-
759
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
760
tenait rien sur la possibilité naturelle de connaître
Dieu, nous serions actuellement en face du problème
critique exactement dans la situation de l'homme créé
dans l'état de nature pure; ce problème serait philo-
sophique et la théologie n'aurait pas à s'en occuper
directement. Si, au contraire, la seconde hypothèse
était vérifiée, nous aurions pour la solution du problème
critique des éléments nouveaux, des arguments pro-
prement théologiques. Le fait de la révélation de ces
éléments, la mise en œuvre de ces arguments ne nous
feraient évidemment rien perdre des moyens de solu-
tion de ce problème qui sont dus à notre nature :
ajouter de nouvelles données ne serait pas supprimer
celles que nous fournissent les lumières naturelles de
notre raison; ce serait, au contraire, faciliter l'exercice
de notre activité naturelle. Si donc Dieu avait bien voulu
nous manifester sa pensée, et par conséquent la vérité,
sur notre pouvoir naturel de le connaître, la critique
philosopbique ne serait pas éliminée; mais, à l'examen
philosopbique se juxtaposerait un examen théologique;
à la certitude que peut produire la philosophie se su-
perposerait la certitude qui dérive de l'affirmation
divine.
Quiconque a saisi la portée de la seconde hypothèse
que nous venons de faire, voit avec évidence que, dans
cette hypothèse, il n'y aurait aucune pétition de prin-
cipe, aucun cercle vicieux, à traiter dogmatiquement
ou théologiquement du problème de la possibilité de
la connaissance naturelle de Dieu. Or, cette hypothèse
est précisément celle que la foi catholique nous en-
seigne avoir été réalisée. Donc, sans nous attarder à
dire ici comment les conceptions protestantes, jansé-
nistes, etc., sont embarrassées sur cette question de
méthode, nous pouvons commencer notre exposé théo-
logique. La suite de ce travail justifiera d'ailleurs notre
position. Cf. Franzelin, Le Deo uno, Rome, 1883 ;
Traclatus de divina tradilione et Scriptura, Appen-
dix de habit udine ralionis humanse ad divinam /idem,
surtout c. m, Rome, 1875, p. 620.
III. Origine historique des erreurs condamnées au
concile du Vatican. — 1° C'est un fait depuis long-
temps remarqué et universellement admis que
l'athéisme spéculatif, très rare au moyen âge, n'a cessé
de devenir de plus en plus fréquent depuis le xvie siè-
cle : on peut dire que le scepticisme et l'athéisme à
l'état endémique datent de la Renaissance et de la
Réforme. Bayle, si empressé à grossir le nombre des
athées anciens et modernes, cite, sans oser y contre-
dire absolument, ces paroles de Clavigny de Sainte-
Honorine, Discernement et usage des livres suspects,
p. 82 : « Je ne trouve pas d'athées chez nous avant le
règne de François Ier, ni en Italie qu'après la prise de
Constantinople. » Et, de fait, avant le XVIe siècle on
trouve peu d'écrits pour ou contre cette forme parti-
culière de scepticisme qui consiste à nier ou à mettre
en doute l'existence de Dieu, tout en ayant une notion
correcte de la divinité. A partir du XVIe siècle, au con-
traire, le scepticisme universel ou le pyrrhonisme en
religion et en morale pullule de toute part. Sur ce
point, le témoignage des protestants s'accorde avec
celui des catholiques. Le ministre Viret (y L">71) nous
apprend qu'il « y en a plusieurs qui confessent bien
qu'ils croient qu'il y a quelque Dieu et quelque divi-
nité...; mais quant à Jésus-Christ... ils tiennent tout
cela pour fables et rêveries... J'ai entendu qu'il y en a
de cette bande qui s'appellent déistes, d'un mot tout
nouveau, lequel ils veulent opposer à a théiste... Ces
déistes se moquent de toute religion, nonobstant qu'ils
s'accommodent quant à l'apparence extérieure de la
religion de ceux avec lesquels il leur faut vivre, et
auxquels ils veulent plaire, ou lesquels ils craignent.
Et entre ceux-ci il y en a les uns qui ont quelque opi-
nion de l'immortalité des âmes : les autres en jugent
comme les épicuriens, et pareillement de la providence
de Dieu envers les hommes... L'horreur me redouble
que plusieurs... sont infectés de cet exécrable athéisme.
Par quoi nous sommes venus en un temps où il y a
danger que nous n'ayons plus de peine à combattre
avec tels monstres qu'avec les superstitieux et idolâtres
(c'est-à-dire les papistes). Car, parmi les différends qui
sont aujourd'hui en la matière de religion, plusieurs
abusent grandement de la liberté qui leur est donnée
de suivre des deux religions qui sont en différend, ou
l'une ou l'autre. Car il y en a plusieurs qui se dispen-
sent de toutes les deux et qui vivent du tout sans au-
cune religion. » Viret, Instruction chrétienne, 1565,
t. il, épitre dédicatoire, cité par Bayle, art. Viret. Le
théologien espagnol Vasque/ écrivait un peu plus tard:
In ea vero (alheorum) senlenlia noslro sseculo multi
hœrelici plane conquiescunt. l't enini testantur He-
dio,in epist. ad Philip. Melanchthonem, et Lindanus,
in suo Dubitantio, dutn pravi homines hujus tempo-
ris niaxima inconstantia ex catholicis /iuntlulheraui,
e.c lutheranis zwingliani, et ex his calrinistœ algue
singulas seclas experiunlur et profitentur, in profun-
dum malorum prolapsi Deum esse negant. InSum.,
I-'.disp. XX, c. i. Le même théologien ajoutait, dans un
passage qu'on ne lit que tronqué dans les vieilles édi-
tions de Lyon, « qu'on appelle ces athées poliligues,
parce qn'avec Machiavel ils ne voient plus dans la
religion qu'un moyen de gouvernement, témoin Henri III
de France, dont la fin devrait leur ouvrir les yeux. »
Outre ces témoignages directs, la dilïusionde l'athéisme
au xvie siècle se prouverait encore parla multiplication
des écrits contre les athées. Dans l'épilre dédicatoire
que nous venons de citer, le ministre Viret avertissait
le lecteur qu'il augmentait beaucoup la seconde édi-
tion de son ouvrage : a) « pour ce que l'esprit de Dieu
nous propose souvent, es saintes Ecritures, tout ce
monde visible comme un grand livre de nature, et de
vraie théologie naturelle; b) à cause de l'athéisme.» La
même pensée et la même préoccupation amenèrent le
calviniste Pacard, ségusiain, à écrire sa Théologie
naturelle ou recueil contenant plusieurs arguments
contre les épicuriens et athéisles de notre temps, La
Hochelle, 1579. Pacard dédie son travail à François de
la Rochefoucault. prince de Marcillac, et lui fait cet aveu :
« Au commencement de mon ministère j'ai eu à com-
battre plutôt contre telles gens (épicuriens et athées),
que contre ceux qui nous sont adversaires au fait de la
religion. Et Satan ne s'est point contenté de me pour-
suivre en ce commencement, mais m'a presque conti-
nuellement exercé en cette sorte de combat. » C'est la
mode parmi les universitaires de crier à l'exagération
quand ils lisent dans le P. Garasse ou dans le P. Mer-
senne certains chiffres sur le nombre des athées de
leur temps; il était donc utile de produire les aveux
du ministre réformé Pacard.
2° Après avoir constaté le fait de la diffusion de
l'athéisme à partir du XVIe siècle, il faut dire un mot
des causes de ce fait. Évidemment, il faut ici se gar-
der des explications simplistes, unilatérales, et du so-
phisme : posl h>>c. ergo propter hoc, auquel les cher-
cheurs de filiations doctrinales semblent spécialement
exposés. Sans doute, l'histoire ne manque pas de con-
tinuité, mais il y faut laisser une large place à la con-
tingence. Une chose est nécessaire : le rapport de con-
venance ou d'opposition des idées entre elles: le fait
île l'association de ces mêmes idées en tel cerveau, à
telle date, est chose contingente, qui dépend elle-
même de beaucoup de contingences. Ces faits contin-
gents sont l'objet propre de l'histoire. Constatés, ils
sont du plus haut intérêt pour le psychologue, dont ils
élargissent le champ d'observation; ils sollicitent l'at-
tention du métaphysicien et du théologien spéculatif,
dont ils fécondent les méditations sur des rapports que,
761
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
762
sans eux, il n'eût peut-être pas aperçus ou qu'il eût
négligés; la théologie positive fait de ces contingences
une étude minutieuse, d'abord, parceque celte étude est
nécessaire à l'intelligence des données traditionnelles,
dont un théologien ne doit jamais s'écarter quand il
expose les sources de la doctrine; ensuite, parce que
cette étude est très utile à l'interprétation des docu-
ments ecclésiastiques, dont le contenu doctrinal, in-
variable depuis les temps apostoliques, prend de nou-
veaux sens adversatifs à mesure que paraissent de nou-
velles erreurs. Mais de la contingence même de ces
faits résulte l'extrême difficulté, sinon l'impossibilité,
de leur appliquer convenablement les régies de la
méthode d'induction; et c'est ce que, dans leurs affir-
mations de filiations et de dépendances, semblent
oublier beaucoup de nos contemporains, dont la spé-
cialité est d'exercer leur flair sur l'histoire des dogmes,
sur la philosophie ou la théologie historiques, et plus
généralement sur l'histoire plus ou moins comparée
des religions. Dans toutes ces histoires à visées phi-
losophiques, le sophisme non causa pro causa est
l'abime perpétuellement côtoyé. Enfin, l'on accordera
qu'il est bien hasardeux de prétendre déterminer
exactement la genèse du théisme ou de l'athéisme dans
un individu donné. Quù enim hominum scit quœ
stint hominis nisi spirilus hominis qui in ipso est?
I Cor., il, 11.
3° Sous le bénéfice de ces réserves, nous pouvons
nous dispenser de discuter beaucoup de prétendues
causes de l'athéisme moderne souvent alléguées par
des auteurs protestants, qu'il est inutile de nommer et
qui ont soutenu longtemps, par exemple, que l'Église
romaine est athée, parce que pélagienne; que les sco-
lastiques sont alliées, parce que disciples d'Aristote et
donc partisans du système de la matière et de la forme,
des générations spontanées, etc.; que les jésuites sont
athées, parce que leur politique est celle de Machiavel;
que les cartésiens sont alliées, parce qu'ils usent du
doute méthodique, etc., etc. Nous pouvons de même
négliger cette observation, que reprit, au xix,; siècle,
l'abbé Gaume dans sa lutte contre les classiques
païens : ItaXorum philologiœ majusquam verm theo-
logiœ studium, )>oeta>um Italorum elhnicismiun .
Le luthérien Reimann, qui, un siècle avant damne,
ne ces deux causes à l'athéisme des papisles ita-
liens, s'appuie sur l'autorité de Philippe de Hornay,
De verilate religionis christianœ, c. xxvi, p. 567, de
Gisbertus Voêtius, Paralip., t. i, p. I 146, cl de Bayle,
Dictionnaire, p. 2920. Cf. Lotterus, De causis atheismi,
Leipzig, 1711. Nous n'avons pas davantage ■< nous arrê-
ter à uni' autre cause du 'le l'irréligion, sou-
vent mise en avant depuis Voltaire, à savoir le progrès
cl.- lumières el des sciences Mise à la mode el exploi-
tée par les philosophes du xviii» siècle, celle prétendue
cause et excuse de l'athéisme est devenue, chez
Auguste Comte, /" l<>i des trais états. Connue dans
h- deui cas précédents, nous sommes ici en face du
sophisme non causa pro causa, el d'une induction
Incorrecte. I>u fait de la liaison contingente de
l'athéisme el de la culture littéraire ou scientifique
dans qui Iques cerveaux, on pisse à l'affirmation d'un
rapport nécessaire, d'un l'ail universel. Or, il est histo-
riquemenl prouvé que les vrais initiateurs du merveil-
leux progrès di iciences modernes ne furent ps
alliées, que, parmi nos contemporains, beaucoup di
• i qu'il • h ■ -i de dévots. <»n saii
i que les principe-, directeurs de la u ii n<
plus favorabli me qu'à l'athéisme ou même
.m déisme. Cf. le bon travail du prolestant i. Navllle,
La phy$iq[ dil . Pai ls, 1800. il esl de mi me
in que la théol i andemenl aidé
su il ni de i i , ntiflqus tnodei n
■ o ■ prépart li ne i Voir, a o itijat, de bonnes
indications, remarquées autrefois par Renouvier, dans
Fréd. Morin, Dictionnaire de philosophie et de théolo-
gie scolastique, 2 vol., Paris, 1856, dans la troisième
Encyclopédie théologique de Migne, t. xxi, xxn. Enfin,
qui croit encore aujourd'hui à la loi des trois états'.'
11 en va autrement, croyons-nous, d'une autre cause
de la diffusion de l'athéisme dans les temps modernes,
à laquelle nous avons fait allusion, le protestantisme.
C'est ce qu'il est nécessaire d'expliquer, pour exposer
clairement et dans son entier le coté théologique du
problème de la connaissance naturelle de Dieu. Ces
doctrines protestantes nous donneront la clef des er-
reurs jansénistes, traditionalistes et modernistes, et
nous fourniront l'occasion d'indiquer le rôle du nomi-
nalisme et du pseudo-mysticisme dans le problème
de l'athéisme et de l'agnosticisme.
IV. Le protestantisme. — 1» Un certain nombre de
protestants allemands ont affecté de déclarer, après
l'encyclique Pascendi, que leur protestantisme n'a rien
à voir avec le modernisme. De même, beaucoup de catho-
liques ont été surpris, lorsqu'ils ont entendu la même
encyclique rapprocher le modernisme du protestantisme,
et les deux de l'athéisme. Le concile du Vatican, dans
le préambule de la constitution Dei Filins, avait déjà
souligné le fait de la coïncidence de l'apparition de la
Réforme et de la diffusion de l'athéisme. Cf. Acta con-
cilii Yalicani, dans Colleciio Lacensis, t. vu, col. 219.
Il est à remarquer que le concile écarta une première
rédaction où la filiation des doctrines parut trop inar-
quée. Cf. ibid., col. 507, 1612 sq., 1628, 1648 sq., 70,
91, emend. 9, n. 4; puis col. 96, nouvelle rédaction.
Notons ensuite avec soin que ce préambule historique
ou, si l'on veut, ce morceau d'histoire des doctrines
n'est pas de foi; la chose est évidente; et le rapporteur
eut soin de le déclarer en plein concile : cum prœam-
bulum... ad /idem, ad doctrina))/ minime pertincal,
Acta, col. 91. Mais ce préambule reproduit la pensée
commune des théologiens catholiques depuis le xvi« siè-
cle. Ainsi, par exemple les dissertations [X -XI du traité
De religionc de Neubaer dans Tlteologia Wircebur-
gensis, t. Il, écrites dans h seconde moitié du xviii" siè-
cle, pourraient servir de commentaire au texte du
concile et par suite à l'encyclique Pascendi qui ne fait
guère, sur ce point, que répéter le concile.
Les deux faits suivants justifient la pensée commune
des théologiens catholiques sur les rapports du protes-
tantisme el de l'athéisme, ou de l'agnosticisme
1 ■' Aux témoignages déjà cités du calviniste Viret et du
jésuite Vasquez, on pourrait joindre ceux d'autres
écrivains s'accordant à considérer la liberté de penser
et la fluctuation entre les différentes sectes issues du
protestantisme, comme liées au développement du
déisme el de l'athéisme. Les controversistes protestants
ci catholiques du xvr» siècle j reviennent fréquemment.
Ainsi, pour lîacon de Verulam, la principale caus, de
l'athéisme est la multiplicité' des religions, divisiones
circa religionem. Sermones fidèles, xvi, de atheismo,
I 1res, 1(538, p. 184. L'érudit Spizelius, de la con-
fession d'Augsbourg, s'accordait encore mieux que
Bacon avec Vasque/., qu'il cite à plusieurs reprises,
De atheismo eradicaiido, Augsbourg, 1660; d'après lui.
De atheismi radiée, epUt. ad Henr. Sleibomium,
p. 30, cen'i I pu précisément la diversit ions,
le mélange «les religions, le changement de reli-
gion, qui est la cause principale du mal. Cu/us i,
cjuë religiot - i On accordera que le protestantisme
libéral, qui ne > herche déjà plus à éi Iter î'agnosticis
ie vers l'athéisme. < >r. de tous cotés, le proteatan-
libéral se vante de n êti s que le dé' eloppement
complet dei doctrines de Luther •■! ds Calvin, On s. ut
que les polémistes catholiques écrivirent de bonne
lieun ipelaienl les athéi
Luthei ilvin.
703
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
764
Cette littérature futabon lante. Citons Claude de Sainctes, plue
tard évêque d'Évreux, Déclaration //'aucuns alhéismea de
la doctrine de Calvin et de Bèze, contre lespremiers fonde-
ments de lu chrétienté, etc., Paris, 1568 ; Posscvino, Ath
Lutheri, Melanchthonis, Calvini, liezve, ubiquetariorum,
anabaptistarum, picardorum, puritanorum, urianorum et
aliorum nostri temporis hsereticorum, Vilna, 15W3 ; ld., Biblio-
theca selecta, l. VIII, Rome, 1503 ; ld., Judicium de Xuoe
militis ijalli scriptis, etc., Lyon, 1593 : contre François de la
Noue, Jean lîodin, Philippe du Plessis-Mornay, Machiavel, etc.;
Keuardent, Tlieomachia culvinistica XVI libris profligata
quibus mille et quadringeiiti hujus sectœ novissimse errores
diligenter excutiuntur et profligantur, 1604. On trouve des
réminiscences de ces écrits polémiques dans Garasse, Somme
théologique des vérités capitales, Paris, 1025, a vert., p. 35; 1. I,
et surtout 1. II, contre l'agnosticisme (athéisme couvert) de Char-
ron; Mersenne, Quxstiones celeberrimse in Genesim. In hoc
volumine atkei et deistx impugnantur, Paris, 1623, col. 15-
676; ld., L'impiété des déistes, alliées et libertins de ce temps
combattue et renversée, Paris. 1624; voir c. ix, x, le juge-
ment sur Charron, Cardan et Bruno; Théoph. Raynaud, Erote-
mata de bonis et malts libris, part.I.erot. 3 et 4, dansOpera,
Lyon, 1665, t. xi, p. 211.
Durant trois siècles, les protestants mirent sur le
compte de « la rage des papistes » et sur « l'esprit de
parti » les conséquences athées que les polémistes ca-
tholiques déduisaient des écrits des réformateurs. Ce
n'était certes pas sans quelques fondements que luthé-
riens et réformés rejetaient l'épithèle d'atliéisles ; car
si athée signifie « qui n'admet point de Dieu, » ni
Luther ni Calvin n'étaient athées. Les auteurs catho-
liques dont nous parlons avaient donc tort d'employer,
sans toujours le bien définir, un terme péjoratif très
odieux. Mais de cette concession, que nous faisons très
volontiers, à conclure que les conlroversisles catho-
liques étaient aveuglés par la rage papiste, il va loin. Au
contraire, ce qui se passe depuis cent ans dans le monde
protestant démontre que nos théologiens voyaient juste.
En effet, sous le nom d'athéismes de Luther, de Calvin,
etc., que désignaient-ils? Qu'on les relise avec soin,
sans s'arrêter à l'écorce des mots; ce terme d'athéisme
désigne chez eux ce que nous nommons aujourd'hui
naturalisme, rationalisme, panthéisme, agnosticisme.
Or, il n'est pas rare que les mêmes textes de Luther et
de Calvin qui servirent à de Sainctes, à Possevin, à
Feuardent, etc., pour dénoncer au monde chrétien ce
qu'ils appelaient en bloc «l'athéisme », soient précisé-
menteeux sur lesquels s'appuyaient, il y a quatre-vingts
ans, Wegscheider et Bretschncider pour prouver l'iden-
tité du protestantisme et du rationalisme, ou ceux que
mettent en avant de nos jours llarnack, Plleiderer,
Sabatier, Paulsen, etc., pour se persuader qu'ils sont
encore protestants, tout en ayant depuis longtemps
cessé d'être chrétiens ou même déistes. Nous pouvons
donc conclure que, si l'anglican Bacon, le calviniste
Viret, le luthérien Spizelius étaient d'accord avec le
jésuite espagnol Yasquez pour reconnaître une coïnci-
dence de fait et quelque liaison entre l'hérésie protes-
tante et la diffusion de l'athéisme proprement dit, de
nos jours les protestants libéraux pensent, comme de
Sainctes, Possevin, Feuardent, Mersenne, Garasse et
Raynaud, que la doctrine protestante contenait en germe
toutes les thèses que nous voyons systématiquement
développées autour de nous et dont l'aboutissement
naturel n'est autre que l'athéisme pur et simple. Le
cours de l'histoire n'a donc fait que confirmer ce que
la perspicacité des théologiens catholiques avait deviné,
cf. Duns Scot, In IV Sent., q. tu, prologi, qu;est. later.2,
Ex diclis ; Yasquez, In Sum., Ia, disp. X, n. 8, 15; el
le protestantisme libéral, en se rattachant aux doctrines
des premiers réformés. justifie les assertions historiques
du concile du Vatican. D'ailleurs, nous pouvons négli-
ger les réclamations de certains protestants libéraux
allemands contre l'encyclique : L'encyclique, démas-
quant le modernisme, démasquait du même coup le
protestantisme libéral ; de là, chez certains protestants
libéraux, la préoccupatipn de séparer leur cause de
celle du modernisme. Mais l'attitude que le protestan-
tisme libéral dans son ensemble a prise à l'égard du
modernisme, condamné par Rome, montre assez que
la parenté des doctrines n'est pas imaginaire.
2° Ce serait pourtant manquer de toute justice et de
toute mesure que de prétendre que les protestants
sont tous et fatalement sur le chemin de l'athéisme ou
de l'agnosticisme. Il n'en est heureusement rien. Les
excès de quelques-uns de ses premiers adeptes
effrayèrent Luther, comme plus tard le socinianisme
lit reculer le calvinisme. Aussi, dès ses débuts, le pro-
testantisme eut-il une théologie ou science de Dieu;
les Loci communes de Mélanchthon sont célèbres; le
calviniste Yirel, nous l'avons dit, donnait des preuves
philosophiques de l'existence de Dieu; la Théologie
naturelle du huguenot Pacard a pour épigraphe Rom., I,
20. La bibliographie des ouvrages protestants anciens
du même genre est immense. Disons simplement que
Lobstein a raison d'affirmer que « la Réforme n'en-
tama point la notion consacrée du Dieu personnel. I
Etudes sur la doctrine chrétienne de Dieu, Paris et
Lausanne, 1907, p. 160. Et, grâce à Dieu, il serait facile de
citer parmi les protestants contemporains beaucoup
d'écrivains dont la pensée est correcte sur le sujet qui
nous occupe. C'est une appréciation très fausse, pro-
pagée à dessein par les modernistes dans les pays
néo-latins, que tout le monde protestant partage leurs
idées sur l'impuissance de la raison à connaître Dieu;
il suffît de vivre en pays protestant pour savoir que
c'est calomnie pure. D'ailleurs, à côté de la littérature
du protestantisme libéral dont on fait tant de bruit, il
y a, aussi bien en Allemagne et aux États-Unis qu'en
Angleterre, en Suisse et même en France, tout un monde
de penseurs protestants qui sont aussi éloignés que
nous de Hume et de Comte, de Kant et de Ritscbl, de
Buchner et de Spinoza; il y a du reste longtemps que
l'on a remarqué que « rien n'est moins voltairien qu'un
huguenot » orthodoxe. Lorsque donc les théologiens
catholiques rapprochent les doctrines de la Réforme
de l'athéisme, leur pensée ne vise pas l'ensemble des
doctrines ; on veut simplement énoncer un fait : la
coïncidence du développement de l'hérésie protestante
et de l'athéisme; et on explique celte coïncidence d'une
manière générale par la mentalité faite aux protestants
par quelques-unes de leurs doctrines, d'une façon plus
spéciale, par les liaisons logiques de ces doctrines avec
certaines positions philosophiques, qui conduisent au
lidéisme, à l'agnosticisme ou à l'athéisme.
3° Dans tout ce travail, qu'il s'agisse des protestants
ou des modernistes, nous n'avons en vue. même lorsque
nous donnons des noms propres, ni les croyances per-
sonnelles, ni la foi subjective des individus. Il n'est
question que des idées et de leur liaison ai eenotre sujet.
Hans l'histoire des sciences, on discute la valeur d'une
hypothèse comme d'un objet qui n'a rien à voir avec
la personnalité de son auteur. Les juristes et les mo-
ralistes rejettent tous les jours tel principe d'un au-
teur classique sans mettre en question sa moralité.
Les théologiens font de même. Dans le cas particulier
qui nous occupe, nous sommes d'autant plus à l'aise
pour procéder ainsi scientifiquement que nous tenons,
avec h doctrine commune des Pères et de l'Ecole, que
l'idée de Dieu est rarement absente chez l'homme
normal; car la croyance en Dieu naît et s'impose spon-
tanément. Cf. Dictionnaire apologétique de la foi ca-
tholique, Paris, 1900, t. i, col. 10 sq. D'où il suit, par
exemple, que si nous voyons M. Lobstein, qui est
symbolo-lidéiste, protester qu'il admet un Dieu per-
sonnel, nous n'avons aucune raison de mettre en
doute sonaflirmation, bien que nous soyons convaincu
(iiie les Études sur la doctrine chrétienne de Dieu
765
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
766
du même auteur ne justifient et ne légitiment pas cette
ferme croyance. D'ailleurs, et d'une façon générale, un
écrivain, protestant ou catholique, peut avoir et dé-
fendre une idée sans en voir toutes les conséquences
logiques. Par exemple, tel principe d'Occam peut avoir
l'athéisme spéculatif ou l'agnosticisme comme consé-
quence logique, sans qu'Occam ait admis ou entrevu
ce lien, faute de pénétration ou d'examen. Et quand il
s'agit du cas particulier de l'idée de Dieu, rien n'est plus
facile à expliquer qu'une telle inadvertance, parce que
l'idée de Dieu est chez, nous antérieure à la réllexion
philosophique. Cette antériorité explique pourquoi
tant de philosophes modernes, qui réfutent Descartes,
se donnent l'équivalent de l'idée innée de Dieu, que
leurs philosophies seraient incapahles de leur fournir.
Est-ce un mal de constater celte impuissance et de
dire, par exemple, que dans le système d'Occam et
dans la Grammar of assent de Newman, on se donne
l'idée de Dieu ? Cf. Fifleen sermons, xv, n. 41, où,
pour éviter le sombre scepticisme qu'engendrent les
théories modernes sur la connaissance, Newman fait
entrer en ligne de compte, comme Victor Cousin,
« l'existence et la providence de Dieu, d'un Dieu qui
est à la fois miséricorde et vérité. » — Il arrive sou-
vent qu'un auteur énonce un principe ou fasse une
théorie inconciliables avec le dogme ou avec la théologie
et qu'ailleurs, dans le même ouvrage, cet auteur atté-
nue ses dires; il arrive aussi que, soit par suite du
progrès de sa pensée, soit comme résultat de polé-
miques, cet auteur modifie ses premières vues ou même
les abandonne. Le critique des idées n'a pas à s'occuper
de ces contingences, pourvu qu'il prenne bien le sens
de l'auteur qu'il cite dans le passage précis auquel il
renvoie. C'est au lecteur à ne pas généraliser et à se
souvenir qu'une discussion sur le rapport des idées
n'estpas le tableau littéraire'dela mentalité d'un auteur
ni l'histoire de sa pensée intime.
i Si étonnant que le fait puisse paraître au scepti-
cisme et au rationalisme modernes, c'est sur un terrain
proprement théologique que se posa le problème de la
connaissance naturelle de Dieu, à l'époque de la Réforme.
Laissons de coté la question des origines psychologiques
des erreurs de Luther sur laquelle on discute encore,
il reste que la doctrine de la justification est la base
de tout le système protestant, et que celle-ci repose
sur la doctrine luthérienne de la chnte originelle. Voir
Justification, P originel. D'après Luther, la
concupiscence, que n'avait poinl Adam, est chez nous
insurmontable, car le libre arbitre a péri; et de même
que les énergies de notre volonté pour le bien ont dis-
paru, noire raison naturelle a été obscurcie. Incapable
d'aimer Dieu sans péché, l'homme, même justifié, n'a
gardé la raison qu'en matière de boire et de manger,
de chevaux et de mariages, d'objets terrestres. Impuis-
sant à toute vertu naturelle, virtutei paganorum
tplendida vitia, I homn >t aveugle pour les choses
divines. Attaque''. Luther nia les droits de la philosophie
et de la tb péculative, puis, il eut recours contre
b's sorbonistes à la théorie des deux vérités : verum
vero contradicei e polat. Enfin, contre 1rs anabaptistes,
qui prétendaient que l'exercice de la i ai on esl la condi-
tion de la foi, il soutint que les lumières fumeu
la raison ne sont que ténèbres puantes wieein Drech
•.s sur ces violences de I '■
d< i" n ■ e, bien qu'elles aient pi •
ne point s'étonner de rencontrer
partout di antinomi de la conception luthérienne
de li chule originelle, il était logique de
lure à l'impossibilité di tonte connaissant natu-
relle de Dieu, el la conclusion fut d< duile, Calvin, tout
oncédanl la connaissanci naturelle de quel
Dieu . nia la possibilité de la i on nce naturelle
du i »r.n Dieu l lai i u ni ricui alla plus loin i I
soutint que, si nous avons été faits à l'image de Dieu,
ce miroir a été brisé. De cette image il nous reste, il
est vrai, quelque chose, mais c'est seulement quoddam
perversum et distortum lumen, quod verum Deum
ejusque relijionem damnel ut extremam stultitiam
et falsos deos ut colendos monstre!. Cicéron parle
d'une certaine prolepsis de la divinité admise par
Epicure. Cette anticipation est réelle, dit Illyricus;
mais, au lieu du vrai Dieu, ce qu'elle nous représente,
c'est le polythéisme anthropomorphique, quod dii sint
jihires et humanam forniam habeant.
On trouvera les textes de Calvin au premier livre de l'Insti-
tution chrétienne, s qui est de connaître Dieu en titre et qualité
de créateur et souverain gouverneur du monde, » Genève,
1502. Voir aussi 1. II, c. il, « Que l'homme est maintenant
dépouillé de franc arbitre et misérablement assujetti à tout mal. j>
Le P. Mersenne. Quxstiones celeberrinix in Gcnesim, Paris
1623, col. 233 sq., donne toute l'argumentation de Flaccus Illy-
ricus. « Illyricus, observe Mersenne, ne nie pas ex professo et
directement l'existence de Dieu, cependant par une conséquence
— légitime ou non, peu importe ici — il est certain que plusieurs
en partant de cet axiome que nousiie connaissons pas ce qu'est
Dieu, arrivent à se persuader qu'il n'existe pas. Il est donc
nécessaire de discuter les arguments d'Illyricus, qui sont au
nombre de seize. » Cf. Bellarmin, Controv. de tjratia et libero
arbitriez, 1. IV, c. Il, Lyon, 159G, t. m, p. 529; J. de la Servière,
La théologie île Bellarmin, Paris, 1908, p. 613; Kleul^en, De
ipso Ueo, Hatisbonne, 1881, n.115; < k>nst. Germanus, Re/orma-
torenbilder, Fiïbourg-en-Drisgau, 1883, p. 90; Lobstein, Études
sur la doctrine chrétienne de Dieu, Paris, 1907, p. 111.
D'autres protestants sont arrivés à se défier de la
raison naturelle en matière religieuse par des voies
plus courtes, par la doctrine de la « Bible seule ». Il
existe en Ecosse une secte fondée au xvine siècle par
John Barclay et nommée « les béréans ». Elle a pris ce
nom, parce qu'elle se pique d'imiter les habitants de
Rérée, dont il est dit, Act., xvn, 11 : Suiceperunl ver
bum cttm omni avidilale, quolidie scrutantes Scrip-
luras, si ila se haberent. Certes, celle origine textuelle
n'a rien de philosophique. Cependant, voyez les consé
quences que l'on a déduites de ce texte scripturaire.
En ce qui touche la connaissance de Dieu, les béréans
professent « que la majorité des prétendus chrétiens
errent sur le seuil même de la révélation ; en admet-
tant une religion naturelle, des connaissances natu-
relles, etc., non fondées sur la révélation ou non
dérivées d'elle par voie de tradition, ces prétendus
chrétiens rendent impossible toute apologétique du
christianisme : car l'incrédule, si on lui concède qu'il
peut connaître Dieu par les forces naturelles de sa
raison, prétendra que la parole de Dieu est inutile. Il
faut donc soutenir que sans la révélation nous n'au-
rions pas même l'idée eh' Dieu. » Cf. The denonrina-
tional reason why... giving the origin... of tlie Christ-
ian secls, Londres, 1890, p. 22G. n. 77 sq, Voila donc
toute une philosophie, toute une méthode d'apologé-
tique, fondée, non pas sur l'observation ou l'induction,
mais sur un bout de texte mal compris. Il y a dans le
monde pi ti s de béréans que l'on ne pense.
i incluons. Entendu au sens catholique, le dogme de
la chute originelle ne nous prive que des dons surna-
turels d'Ail indebita simplicité)' et secundum quid).
Entendu au sens protestant, le même dogme constitue
une déchéance, non pas seulement de l'étal historique
ou vécut Adam, mais bien de uns facultés naturelles.
Or, un' de ces (acuités est la raison, puissance natu-
relle qui, entre autres, a Dieu pour objet. Luther, Calvin,
us [llyricus, etc., déclarent celte puissance inca-
pable d'atteindre cet objet. D'autres arrivent au m
résultat en exagérant la néo ssité de la révélation et par
suite en mettant le I 'le la reli|
D'où cette conséquence: tout système philosophique
qui tend ■> déprimer la raison, à en nier la valeur, à
prouver qii • n m île re n lïgiet Unes e ne
767
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE]
768
les brutes, est un confirmatur de la thèse fondamen-
tale du protestantisme; le mouvement anti-intellectua-
liste actuel est foncièrement protestant. L'Eglise catho-
lique, au contraire, prend la défense de la raison.
M. Ollé-Laprune a fort bien dit : « L'Eglise condamne
tout fidéisme. Elle qui, sans la foi, ne serait pas, elle
commence par rejeter, comme contraire à la pure
essence de la foi, une doctrine qui réduirait tout à la
foi. L'ordre de la foi n'est assuré que si l'ordre de la
raison est maintenu. » Ce qu'on va chercher à Rome,
Paris, 1895, p. 36. Ce n'est rien dire de trop; et le con-
cile du Vatican, en délinissant que nous pouvons con-
naître Dieu par les lumières naturelles de notre raison,
avait explicitement en vue de défendre les droits de la
raison. « Il semble, disait M«r Simor, primat de Hon-
grie, un des rapporteurs du concile, dans une des pre-
mières séances de l'assemblée, que nous voyons se réa-
liser aujourd'hui ce qu'un grand philosophe d'Allema-
gne avait prédit il y a deux siècles, à savoir qu'un
temps viendrait où l'Eglise catholique aurait à défendre
la raison humaine contre les incrédules et que
l'athéisme serait la dernière des hérésies. » Acla, col. 92.
Si, depuis quatre siècles, les philosophies négatives
ont tant de succès, c'est surtout au protestantisme
primitif qu'il faut en demander compte; Paulsen a
raison : « Les conséquences que nous voyons étaient au
fond des premières tendances du protestantisme. »
Kant,der Philosoph des Protestantismus, p. 10.
On trouvera des développements et des textes sur ce sujet
dans Mohler, La symbolique, 3 vol., passim; Dbllinger, La
Réforme, passim, et t. i, p. 449-454; Denifie, Luther und
Lulherthum, Mayence, 1904, t. I, passim; Oistiani, Luther et
le luthéranisme, Paris, 1908.
L'anglican Litton, Introduction to dogmatic theology on
the basis of the xxxix articles of the Churchof England,
Londres, 1882, p. 211, parlant de Mohler lui reproche de ne pas
s'être souvenu que par « l'image de Dieu » dans laquelle
l'homme a été créé, les protestants entendent « la justice origi-
nelle •> et non pas la simple capacité de la raison à la religion,
qui « sans aucun doute reste dans l'homme tombé. » Que cette
manière de voir ait été adoptée par beaucoup de protestants
depuis que les déistes d'abord, les athées ensuite, ont fait argu-
ment de l'ancienne opinion que nous avons rapportée, la chose
n'est pas douteuse. Mais d'autres protestants continuent encore
à regarder comme fondamentale la théorie luthérienne de la
chute. Lire sur ce sujet James Gibson de l'Église libre écossaise,
Présent truths in theology, Man's inability and God's
sovereignty in the « things of God, »I Cor., n, 11, 2 vol.,
Glascow, 1863. Ce fanatique, qui pourtant connaissait le pro-
testantisme libéral, n'a pas l'air de se douter que, plus il prouve
par maintes citations anciennes que la doctrine luthérienne de la
chute originelle est le fondement du protestantisme, plus il ap-
paraît que le protestantisme libéral actuel est l'aboutissement
logique de la Réforme. Il est vrai que les protestants libéraux
n'admettent plu« le dogme du péché originel, bien qu'il y en ait
encore quelque trace dans la chute extratemporelle de Kant;
mais ils conçoivent l'intelligence de l'homme, comme les anciens
protestants s'étaient appliqués à la représenter en vue d'établir
leur doctrine de la justification.
V. Le nominalisme. — Les objections les plus répan-
dues de nos jours contre la possibilité de la connais-
sance naturelle de Dieu ou bien sont dirigées contre
les preuves qu'on donne de cette existence, ou bien
contre la conclusion que l'on déduit de ces preuves.
Les premières attaquent la valeur objective de nos
idées et l'universalité ou la nécessité des premiers
principes qui font le nerf des preuves classiques. Les
secondes tendent à montrer que nous ne pouvons pas
porter de jugements valables sur la nature intrinsèque
de Dieu, d'où l'agnosticisme. On ramène ordinairement
toutes ces objections à deux systèmes: l'empirisme, qui
dérive toutes nos connaissances de la sensation, l'idéa-
lisme, qui en trouve l'origine dans la pensée même. Si
l'on va au fond de ces difficultés, on reconnaît qu'elles
ont un point commun, le nominalisme.
Ce mot, souvent employé en différents sens, a besoin
d'être délini. On sait que l'activité de l'esprit intervient
dans la formation de nos idées universelles et par
suite dans celle des principes nécessaires qui servent
de base à tous nos raisonnements. Cf. Suarez, Dispni.
metaphys., disp. VI, sect. il, n. 1, On sait aussi que
le fondement objectif de nos idées universelles git aux
diverses relations de similitude, de causalité, etc., que
nous percevons. Suarez, op. cit., disp. VI, sect. v,n. .'1,
ad 3""1; cf. disp. XLV1I, surtout sect. xi sq.; Minges,
Sur le prétendu réalisme de Duns Scot, dans Beilrùge
de Baeuinker, Munster, 1908, t. vu. Le nominalisme
prend occasion de ce rôle de l'activité de notre esprit
dans la formation des idées générales et des principes
universels et nécessaires, et dans la perception des rela-
tions de similitude, de causalité, etc., qui en sont le
fondement objectif; et il consiste essentiellement —
essentiellement, car de là on déduit les conclusions
contre les substances, les causes, le noumène, etc. — à
nier la réalité objective de ces relations pour les attri-
buer à l'activité du sujet : duo albaesse sirnilia est nie
percipere duo alba. « Une relation, dit M. Bergson.
après une foule d'autres, est une liaison établie par un
esprit entre deux ou plusieurs termes. » L'évolution
créatrice, Paris, 1907, p. 385. Biel, résumant son maître
Occam, avait dit de même : Relationes important con-
cepluni mentis quo intellectus fornialiter refert rem
unam ad aliam... Et l'observation est exacte, re-
marque Suarez. Mais Suarez avec le reste de l'Ecole
disait : Notre esprit découvre dans les choses, non seu-
lement la ressemblance d'essence et de propriétés,
mais encore la connexion intrinsèque entre les essen-
ces et leurs propriétés, en vertu du principe de fina-
lité interne. Cf. Hahn, Philosoph ia naluralis, Fribourg-
en-Brisgau, th. xn, n. 86; Kaufmann, La cause finale
et son importance, Paris, 1896. Biel, au contraire,
pensait que les relations ne sont rien en dehors de
l'esprit. Et ille conceptus, quo res cognoscunlur ah
intelleclu taies, dicitur relalio. tn IV Sent., 1. I.
dist. XXX, a. 3. Conséquemment, Duo alba esse
similia est me percipere duo alba; on bien : Simili-
tudo Socratis et Platonis in albedine niliil aliud est
quant Sacrâtes et Plato ; ordo est partes ordinatx,
etc. lbid., a. 3, Brescia, 1574, p. 278. M. Bergson,
bien qu'il soit subjectiviste, tandis que Biel était objec-
tiviste, ne va pas plus loin, lorsqu'au passage cité il
ajoute : « Un rapport n'est rien en dehors d'un esprit
qui rapporte. »
Nous n'avons pas à dire ici comment autrefois
l'école d'Occam, plus tard les nominalistes Arriaga, de
llurtado, de Benedictis et ceux qu'on nommait les Con-
notatores, enfin depuis Descartes une infinité d'écri-
vains, non scolastiques mais nominalistes. sont parve-
nus, quelquefois au prix de notoires contradictions
avec leurs principes, soit à se donner soit à légitimer
l'idée de Dieu et à éviter l'agnosticisme. Ce qui
nous intéresse, ce sont les relations de la position nomi-
naliste avec la possibilité de la connaissance naturelle
de Dieu. Cf. Dictionnaire apologétique, Paris, 1909,
1. 1, col. 53. Or. il est aisé de comprendre qu'il suffit de
se mettre dans l'hypothèse fondamentale d'Occam et de
s'y tenir pour ruiner toute la théodicée. Celle-ci, en effet,
soit pour prouver, soit pour penser Dieu, se sert des
notions de cause, efficiente et finale, de substance,
d'ellets et de propriétés, etc. Un nominaliste a comme
tout le monde ces notions; comme tout le monde, en
vertu du principede raison suffisante, il applique spon-
tanément à la cause, à la substance, finies, la notion de
relation intrinsèque et déterminée aux effets et aux
propriétés. Mais, à la réllexion. par esprit de système, il
pose en fait que cette relation n'est pas objective, réelle,
qu'elle est le produit de la seule activité de son esprit :
duo alba esse similia est tue percipere duo alba ; « un
rapport n'est rien en dehors d'un esprit qui rapporte. »
769
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
770
Ce principe admis, peu importe que le nominaliste soit
objectiviste avec l'école d'Occam ou subjectiviste avec
les modernes, peu importe qu'il cherche à légitimer
son relativisme par l'association et par l'hérédité avec
l'école anglaise, ou parles lois subjectives de la pensée
avec Kant; quelques traits de l'histoire des doctrines
vont nous montrer que, placé dans l'hypothèse de la
subjectivité des relations, on arrive vite à rejeter les
preuves rationnelles de l'existence de Dieu ou à l'agnos-
ticisme, parce que, dans cette hypothèse, la copule
des jugements universels et nécessaires n'a et ne peut
avoir d'autre sens que celui d'un rapport posé par l'es-
prit. Cf. Brunschwicg, La modalité du jugement,
p. 53 sq. D'où il suit que notre science est, non des
choses, mais de noire connaissance, scienlianon est de
rébus, sed de terni inis, cf. Denille, C/iartularium uni-
versilalis Parisiensis, Paris, 1891, t. n, p. 506; et,
conséquemrnent, nous ne pouvons désigner le supra-
sensible que par des dénominations extrinsèques, tirées
de nos états subjectifs (agnosticisme croyant), à moins
que l'on ne soutienne avec Hume, Comte et Huxley
qu'il est absolument inconnaissable :agnosticime pur).
I ' L'école d'Occam et la possibilité de la connais-
sance naturelle de Dieu. — Deux noms sont à retenir,
celui de Pierre d'Ailly et celui de Nicolas d'Au-
trecourt. Les scolastiques depuis cinq siècles repro-
chent tous à Pierre d'Ailly d'avoir enseigné que l'exis-
tence de Uieu ne peut pas se prouver. Le reproche
est fondé. Occamiste, Pierre d'Ailly soutient que la
croyance en Dieu que nous fondons sur les données
naturelles de notre intelligence est non pas certaine,
mais seulement probable. Nam ex nullis apparen-
tions natur aliter potes t concludi Deumesse evidenter.
Comme d'ailleurs il déclare sophistique l'argument
de saint Anselme, il suit que, Dieu n'étant natu-
rellement connu ni par intuition ni par démonstration,
la foi est le seul moyen de tenir son existence pour
certaine. 11 en dit autant de l'unité de Dieu. (Ju/cst.
m Sent., 1. 1. q. m, a.l ; q. xr, a. 2; q. n. a. 1 ; Quod-
lib. I, q. i, cité par Salembier, Pelrus ab Alliaco,
Lille, 1886, p. 209 sq. Cf. l'.ouchitté, Dictionnaire
des sciences philosophiques de Franck, Paris, 1875,
art, d'Ailly, p. 18.
Nicolas d'Autrecourt, un contemporain d'Occam, dé-
duisit d'un seul coup les conséquences de l'occamisme
en théodicée. La publication récente de ce qui reste de
• rils nous permet de reconstituer en partie son
san- divination. Retenant le principe de con-
tradiction, comme premier principe, Nicolas se posa la
même question que se pose Kant. dans son essai sur
l'introduction en philosophie du concept des quantités
négatives. Cf. Kant, Opéra, édit, de l'académie de
Berlin, t. n. p. 202: trad. latine de liorn, Leip/.ig,
1798, t. iv. p. 197. Ma question, dit Kant, se pose sous
celle forin nple : Pourquoi pensé-je, de ce que
quelque chose existe, qu'une autre chose existe? »
On avait l< ans condamnées de Niçois d'Autrecourt,
lu Boolny el <l Vrgentré. Le P. Denifle en a donn
édition dan» le t. n du Chartulariam uni
1124, | 76 q. DenJfle a
pour la numérotation de ces propositions les chiQri
May; nous ferons de m' mi Ma! quelquea-unes des pro-
se liseni dan D< nifli ont inintelllf
i ippe,
lit- de Ne olaa qui ""' survécu.
■
t. vu ne bonna
laquelle noua lai i voiB.
Nicolai 'i \>iii i p..ri donc de li ! question
que Kantel \-> résout comme lui parla négative: '■> t
eo quod un ■. non potest évidente» evidenlia
dedut ta ■ \ ,,.,., .,,,,,,1 „;„,
*'<■ /" ■•' idôm i i. prop. 12. Kanl a
dict. de riiftoL. CATIIOL.
recours à la croyance; Nicolas, à la foi : 11. Dixi quod
excepta eertiludine fidei non eral alia rertitudo 7iisi
certitudo prinii principii vel quse in primum princi-
piurn polest resolvi. Faisant et revocandam. Voir
Lappe, texte, p. 8, 15. Quant à l'agnosticisme de Nicolas,
on peut juger de son étendue par ces quelques propo-
sitions: 21. Quod quacumque re demonstrata nullus
scit evidenter ijiiiu excédai nobililale omnes alias.
Faisant, hœreticam et blasphemarn. 22. Quod quacum-
que re demonstrata nullus scit evidenter quin ipsa sit
Deus, si per Deuni intelligantus ens nobilissimunt.
Faisant, hœreticam et blasphémant . 23. Quod aliquis
nescit evidenter quod una res sit finis alterius. Fai-
sant, hœreticam et blasphemarn. Nous laissons de
côté d'autres conclusions étranges : Quod Deus et crea-
tura non sunl aliquid, 32, formule occamiste déjà
interdite en 1339, cf. Chartul., t. n, pièce 10'i2, p. 500;
Quod Sacrâtes et Plalo, Deus et creatura nihil sunt,
ou encore celle-ci : Propositiones : Deus est, Deus
non est, penilus idem signi/icanl, licet alto modo, 3,
condamnées comme fausses et scandaleuses, pour
nous arrêter à la négation du devoir de la religion
naturelle : 24. Nullus scit evidenter qualibel reoslensa,
quin sibi debeat impendere maximum, honorent.
Faisant, hœreticam et blasphemarn. Ici Nicolas d'Au-
trecourt parait dépasser Kant, mais, n'étant pas ratio-
naliste, il recourt à la foi chrétienne.
Essayons de comprendre comment du principe
d'Occam sur la non-objectivité des relations suivent
les conclusions de Nicolas, et bornons-nous à ce qui
louche aux preuves de l'existence de Dieu a posteriori.
De l'existence d'une chose, on ne peut pas conclure
avec une certitude absolue à l'existence d'une autre
chose : c'est en ces termes que Nicolas formule sa con-
clusion contre l'emploi en philosophie du principe de
causalité, p. 9. Car, dans une telle inférence, dit-il, le
conséquent ne serait identique ni à l'antécédent ni à
une partie de l'antécédent. Or, il n'y a certitude absolue
que lorsqu'il y a identité entre le conséquent et l'an-
técédent ou une partie de l'antécédent, comme il ar-
rive dans les démonstrations de la géométrie, p. 8.
Donc ex una re non polest evidenter inferri alia, p. 16.
Sous les apparences de cette pure chicane de logique
formelle se cachent, suivant la mode des \iv° et x\" siè-
cles, d'assez gros problèmes, repris par les modernes
depuis Euler.
Nicolas d'Autrecourt, suivant l'esprit et la méthode
de son temps, établit ses conclusions nominalistes plu-
lot par déduction que par induction, et ne dit à peu
[ires lien de l'induction qui lui servait de hase. Il
prit pour point de départ la certitude spéciale des
mathématiques.
La certitude spéciale des mathématiques, remarque
saint Thomas, leur vient soit du grand rôle que joue
l'activité de notre esprit dans la constitution de leur
objet, quantité' abstraite, continue ou discrète, soit de
ce qu'elles ne démontrent pas une chose par une autre,
mais toujours par sa propre définition, lu Boeth., de
l i mit., q. vi, incorp.et ad 2""' ; lu metaphys., I. II, a
la lin. En effet, dans les axiomes mathématiques, le
sujetet l'attribut sont de même nature et appartiennent
tous deux à la catégorie de la quantité; les raisonne
mathématiques vont loujours, sinon du même
au même, ilu moins à l'équivalent. ' lr, il snflil de se
mettre dan- l'hypothèse occamiste de la subjectivité di -
relations pour ramener (eus les raisonnements au type
du raisonnement mathématique, où seule l'id
rapports est considérée. El Nicolas d'Autrecourt, bien
avant Sluart Mill, vil très bien que, si Ion f.iil Cette
rédaction, il ne peut \ .noir d'inférence que du m
au même on > l'équivalent. Euclide a démontré dans
sr,u V« livre, définitions xu iq., qu'en géométrii
rapport de I anfc ■ i dent au i onséquenl
I \ . - 25
77)
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
772
dans tous les cas. ce qui est l'opposé de l'une des ri
du syllogisme classique : ab opposito antecedenlit non
valet semper ad oppositum consequenlis. Cf. Diction-
naire apologétique, Paris, 1909, t. i, col. 69. Nicolas
d'Autrecourt, pour qu'il y eût certitude absolue, exigea
qu'on s'en tint à la règle d'Kuclide. « Il n'y a certitude
absolue dans 1< -s inférences que lorsqu'il y a identité
entre le conséquent et l'anlécédent ou une partie de
l'antécédent, comme il arrive dans les démonstrations
de la géométrie, » p. 8. Donc, concluait-il, par le
principe de causalité on ne peut pas inférer de l'exis-
tence d'une chose, l'existence d'une autre chose.
Si l'on concède le principe, la conséquence de
Nicolas est rigoureuse. En effet, la règle d'Kuclide est
valable : 1° parce que les mathématiques considèrent
le quantum en dehors de tout rapport avec la sub-
stance, S. Thomas, Melaphys., 1. XI, lect. i; 2° et
aussi en dehors de tout rapport ou de toute dépendance
causale, S. Thomas, Sum. l/icvl., Ia, q. xliv, a. 1,
ad 31""; 3° parce que les mathématiques ne s'occupent
nullement de l'essence de la quantité, qui pour elles
est une donnée, mais n'envisagent dans la quantité
abstraite que la propriété de la mensurabilité, cf. Pto-
lema?us, Philosophia mentis, Rome, 1702, p. 258; 4°
et cette propriété n'a pas la même espèce d'objectivité
que les relations simplement réelles de similitude, de
causalité, etc., sur lesquelles repose la doctrine des
universaux et des premiers principes de la physique
(sens scolaslique du mot) et de la métaphysique. En
effet, l'activité de l'esprit et son mode de connaître
dans la durée successive jouent, dans la perception des
relations qu'étudient les sciences mathématiques, un
rôle qu'elles n'exercent pas dans la connaissance des
relations de similitude, de causalité. Anima complet
tempus, avait dit Aristole; saint Thomas le suit et
répète plusieurs fois que, s'il n'existait pas d'âme, le
temps n'existerait pas. In plujsic., 1. IV, lect. xvi sq.,
surtout lect. xxm; In IV Sent., 1. 1,dist. XIX, q. n,a. 1.
VoirBergomo, Tabula, v° Tempus, 7, 35; cf. dub. H 49.
C'est parce que nous sommes nous-mêmes dans la
durée successive que dans nos jugements est impliqué
le temps : anima coinlelligit ten,pus. S. Thomas, De
veril., q. i, a. 5, à la fin; voir Vasquez, In Sum., Ia,
disp. LXIV, c. v, Paris, 1905, p. 529. Mais, si
telles sont les raisons, fondées sur la nature spéciale
de « l'abstraction mathématique », pour lesquelles la
règle d'Kuclide est valable, il est clair que Nicolas
d'Autrecourt, en « demandant » qu'on appliquât cette
règle à tous les raisonnements, rendait impossible tout
passage de l'effet à la cause, des propriétés à la sub-
stance, etc.
D'un seul coup, toutes les preuves a posteriori de
l'existence de Dieu étaient ruinées; l'agnosticisme
avait le dernier mot; et cela, par le principe même du
relativisme, indépendamment de toute hypothèse occa-
sionnaliste ou phénoméniste; car ces hypothèses ne
sont, chez Nicolas, que des conséquences et nullement
des principes.
2° Répercussions du nominalisnie de la dogmatique
protestante sur ta doctrine de la connaissance natu-
relle de Dieu. — La doctrine catholique enseigne la
volonté salvifique universelle, la prédestination gratuite,
la grâce suffisante donnée à tous et la justice inhérente.
Assurément ces vérités ne peuvent pas se démontrer
par la seule raison philosophique, c'est-à-dire en vertu
du principe de causalité efficiente et finale. Mais, ces
vérités admises par la foi. la réalité du monde invi-
sible et de l'ordre surnaturel se présente à la réllexion
comme de tout point conforme à la loi de causalité et
de finalité. Au sommet, la bonne volonté de Dieu; au
bas, notre libre activité'; à l'intersection des deux plans,
la grâce, don intérieur, créé, actuel ou habituel. La
grâce est cette réalité objective, par laquelle le dispen-
sateur du salut gratuit nous conduit efficacement, avec
notre coopération active, à notre lin surnaturelle. Ainsi,
dans la théologie catholique, rien ne peut nous amener
à douter de la réalité du lien causal et téléologique par
lequel nous soiiiincs unis â Dieu, soit dans l'ordre
naturel, soit dans l'ordre surnaturel. Nous avons l'unité
dépensée. Sans doute, pour la pensée catholique, toutes
les certitudes ne viennent pas de la foi ou n'en dépen-
dent pas. Mais on peut dire que le dogme catholique
oriente nos spéculations philosophiques et scientifi-
ques dans le sens du sage réalisme du bon sens. Il
en va tout autrement dans la dogmatique protestant'-.
Inclinée par la doctrine luthérienne de la chute à se
défier de la raison naturelle en matière religieuse, la
philosophie protestante se voit imposer par la dogma-
tique de la Réforme une loi de développement dans le
sens nominaliste. Il serait facile de montrer que, dès
le temps du concile de Trente, pour éluder la justice
inhérente comme cause formelle de notre justification.
l'efficacité des sacrements ex opère operalo, ou la
présence réelle et la transsubstantiation, lescontrover-
sistes protestants s'appliquèrent à développer la philo-
sophie nominaliste d'Occam. Dès cette époque, on
trouve chez eux, pour attaquer ces dogmes, les argu-
ments et les hypothèses — sans en excepter l'associa-
tionisme — qu'ont exploités plus lard Hacon, Ilobbes,
Locke, Hume, etc., contre la connaissance des sub-
stances, des causes et des fins. Les doctrines zvvin-
gliennes et calvinistes sur la cène posaient les prin-
cipes de l'idéalisme moderne et du relativisme le plus
radical. Lorsque Bèze, au colloque de Poissy. avouait
la présence réelle, en ce sens que « la foi rend les
choses promises présentes, » il disait exactement ce
que soutient aujourd'hui l'évéque anglican Gore.
lorsqu'il enseigne que a la foi commune de l'Église
constitue la réalité spirituelle du sacrement — le corps
du Christ — comme la raison constitue les objets du
monde matériel. » The body of Christ, 3' édit..
Londres, 1904, p. 124-157. La terminologie de Gore
diffère de celle de Bèze, mais la pensée est identique,
comme il ressort de la critique de Bèze faite par le
carme Beauxamis, Histoire des sectes tirées de l'armée
sathanique, etc., Paris, 1570, p. 102 sq. La seule dif-
férence est que Gore, lorsqu'il soutient que i les
choses n'ont pas d'existence en dehors des esprits qui
les connaissent, que les relations sont l'œuvre de l'es-
prit et sont nécessaires pour faire les objets. » fait ap-
pel à des systèmes philosophiques, tandis que Bèze
s'appuyait sur l'interprétation huguenote de Heb.. XI,
1 : reprœsenlatio eorum qusc speranlur et denwn-
stralio eorum quœ non lidenlur. Cf. Reding. Œcume-
nici concihi Tridentini veritas, Einsielden, 168L t. il,
p. 26i; Atmales de philosophie chrétienne, t. ci i.
p. 357. Mais la prétendue métaphysique qu'allègue
Core n'est en réalité que le résultat d'une extension au
monde extérieur de vues philosophiques, systémati
d'abord pour un autre objet, c'est-à-dire pour la cène
au sens zwinglien et calviniste. La résistance des pro-
testants au cartésianisme eut surtout pour cause la doc-
trine de l'idée innée de Dieu, qui ruinait le dogme lu-
thérien de l'impuissance de l'homme déchu. Locke
employa contre cette idée innée le vert et le sec . el
Descartes fut accusé' d'athéisme par des gens qui pen-
saient prouver Dieu « par l'insuffisance des lumières
naturelles pour le salut, s.ms remarquer qu'ils s'en-
fermaient dans un cercle vicieux. Mais on ne tarda pas
à remarquer que la philosophie cartésienne pomail
être utilisée, soit contre la justice inhérente, soit en
faveur du subjectivisme qui est au fond des doctrines
de la Réforme, et on se radoucit. Ce fut une fête,
lorsque, du cartésianisme, Leibniz déduisit le subjec-
tivisme de la monade, et Malebranche les fondements
de l'idéalisme : idéalistes en théologie dans les thèses
773
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DEN
774
•de la justification, de l'efficace des sacrements et de la
présence réelle, beaucoup de protestants pensèrent
faire un pas vers l'unité de pensée en acceptant avec
Berkeley l'idéalisme en philosophie. De son coté, sans
aller à ces extrêmes, Wolf imagina un petit principe
de psychologie pour exorciser le réalisme des papistes.
Il posa a priori que, si par les sens nous connaissons
le monde matériel et ses modifications, l'âme a con-
science de toutes ses modifications. Comme les catho-
liques concèdent que nous n'avons pas conscience de
la grâce du baptême, on voit de quelle utilité pouvait
cette magnifique extension du rôle de l'introspec-
tion en philosophie. Cf. Amort, Philosop/iia pollin-
■ >. Augsbourg, 1730, de logica neotericorum, sect.
vi, p. 578. Le principe de Wolf a d'ailleurs fait son
chemin. Eucken, dans la préface d'une récente tra-
duction allemande des Pensées de Pascal, écrit avec
aplomb : « Il n'y a rien de certain que ce qui se mani-
feste de sa propre réalité dans le cœur; ce qui doit
•être prouvé est toujours contestable et ne peut être
qu'une amplification de ce qui nous est fourni par la
réalité immédiate. » Eucken admet-il l'immanence
comme doctrine ou seulement comme méthode? Peu
importe ici. Dans l'un et dans l'autre cas, il dépend de
Wolf; et par là sa thèse est un postulat non évident,
mais inventé et posé sans preuves pour étayer une
thèse de la théologie huguenote. Plus ou moins nomi-
nalisles sur ces points particuliers, les penseurs pro-
uts, quand ils exposent les solides fondements
réalistes de la théologie naturelle, ont fort souvent
l'air d'être mal à l'aise, et font l'effet, tant ils sont hé-
sitants et pleins de restrictions et de sourdines, de
craindre de ruiner 1rs ouvrages de défense nomina-
listes de leur dogmatique. Cette gène explique assez
pourquoi, du xvi» siècle à nos jours, ils ont peu à peu
en si grand nombre abandonné la plupart des preuves
traditionnelles de l'existence de Dieu, pour se réfugier
avec Butler et Pale y dans l'unique argument de lina-
lité ou de moralité.
Par ailleurs, la doctrine, commune à tous les pro-
testants, de la justification par la foi sans grâce inhé-
rente, cf. Adolphus, Compendium theologicum or ma-
nualfor students in theology, •> (dit., Cambridge, 1881,
p. i'.iT. remarques sur le 11' des 39 articles, explique
la direction de leur philosophie constructive.
Luther l'étant persuadé que la concupiscence est le
péché originel lui-même, puis constatant ce fail d'ex-
•nce que la concupiscence rest^ dans le baptisé,
conclut que la grâce de notre justification n'est pas
intérieure, mais extrinsèque. L'école d'Oecam, tout en
ervant la croyance de l'infusion dans le baptême
d'un don intérieur, créé, distinct de Dieu, de l'a i
de ses actes, avail cru pouvoir expliquer certaines pro-
priétés de la justification par des dénominations extrin-
f liiel, In I VSenl., 1. Il, dist. XXVI, q. i. a. 2,
.'1; dist. XXX, q. I, vantait il être
occamiste. En réalité, M dépassait beaucoup son maître,
quand il écrivait, au sens exclusif, contre l'Écriture et
la tradition : gratia significai favorem </"'■ Deu» nos
I lectitur. C'était nier toute justice inhérente, n'ad-
mettre qu'i justice imputée : on faisai dans
fait- ce que les nominalistea avaient été ame-
dire, dans l'ordre des possibilités abstraites, par
de leur concept bâtard des relation Dans
i naturel, pour Luther, sur un plan éternel, la
art- de |., volonté divine tout extérieur S. nous;
'in autre plan, l'ordre historique et la pilovihle
die de la race di chue pas d intersection. Le lieu
' donc inexistant entre Dieu et nous dans
i naturel.
combler le gouffre d un i Aie, il re-
connul une manifestation objective de Dieu dan
li l'autre, il conserva dam l'humanité déchue
une sorte d'idée innée qu'il y a « quelque Dieu >>, et il
crut ainsi pouvoir damner les païens « sans excuses ».
Qu'on admette les trois thèses calvinistes : 1° Dieu est
l'auteur du mal ; 2° la volonté salvifique n'est pas uni-
verselle; 3° certains hommes sont positivement réprou-
vés, le système ne manquera pas de quelque cohé-
rence; ces trois aspects d'une même affirmation relient,
en effet, les dires de Calvin. Mais l'hiatus reste entre
Dieu et nous, dans l'ordre surnaturel, chez Calvin aussi
bien que chez Luther : car la téléologie très rigide de
la prédestination calviniste reste toute entière dans le
plan de l'éternité sans atteindre le sujet raisonnable.
Leibniz s'est appliqué à masquer ce défaut; pour
donner de l'apparence aux doctrines théologiques qui
étaient les siennes, il construisit le monde de ses mo-
nades sur le modèle du monde surnaturel protestant.
Pas de liberté proprement dite en Dieu, non plus que
dans le monde créé, mais seulement la spontanéité :
d'où, la vocation au salut étant nécessaire, une notion
du surnaturel où la divergence avec la doctrine catho-
lique va « jusqu'à la contradiction », comme l'a fort
bien entrevu M. Fonsegrive. Cf. Les idées religieuses
de Leibniz, dans le Correspondant, 25 juin 1908-,
p. 1165. Le principe de causalité cède donc tout natu-
rellement la place au principe de raison suffisante :
aussi la monade fermée contient-elle toutes ses déter-
minations et « exprime tout l'univers en un certain
sens». Cf. Leibniz, Opéra, édit. Gerhardt, t. n, Corres-
pondance de Leibniz et d'Arnaud, p. 105-111 Sïp Mais
l'harmonie préétablie ne sauve pas le principe téléolo-
gique, précisément parce qu'elle est une harmonie préé-
tablie, c'est-à-dire parce qu'elle est une causalité sans
efficience réelle et, par suite, sans finalité digne de ce
nom.
Wolf tente une autre solution du côté du concept de
finalité. Il se fait de la téléologie une idée telle que,
« si l'on acceptait, dit-il, la thèse de l'idéalisme absolu,
l'argument de finalité subsisterait, puisqu'il resterait
une succession d'états constante. » Psychol. ration..
sect. m, c. i, § 50(1. Cf. Faure, Enehiridion de fuie, spe
et carilate S. Augustini. Xaples, 1837, p. 13. Ceux qui
ont lu et compris L'évolution créatrice de M. Bergson
savent où cette métaphysique peut conduire; qu
ail des attaches Ihéologiques, il sullitpour s'en apei
voir de citer celte phrase nouiinaliste de Pierre d'Ailh :
Aliquis non dignus cita œterna potest fieri digims
potenlia absoluta (les protestants supposenl réa-
lisée cette abstraction) absque mutatione aliqua in
ipsoaut in quolibet alio farta, prœter solam iraus,-
lionem temporis existenlis vel possibilis. In IV Seul..
I. I. q. i\, a. -l. prop. 3".
D'un autre côté, Hume nia la causalité efficiente.
L'écossais Thomas Brown entreprit pour l'efficieno
que Wolf avait essayé pour la [Inalité; M écrivit une
dissertation pour établir que l'empirisme sceptique de
Hume « se concilie avec n'importe laquelle des vérili -
fondamentales de la religion et de la moralité. » Exami-
nalion, nouvelle édition en 1806 ; refonte en 1818 sous
le titre : .1" Tnquiry inlo t/w relation of cause and
effect.
Rivé au nominalisme d'Oecam par la Uns,, de la
justification extrinsèque, le protestantisme ■> été amené
dernier dans la même doctrine en philosophie.
Cf. Decurtins, Héfoxme sociale chrétienne ci ré-
formisme catholique, dans l'Association catholique,
lût 1907, p. 163. lussi a-t-il développé lea deux
systèmes philosophique! auxquels le nominalisme ri
goureusement appliqué aboutit, l'empirisme positiviste
et I Idl
'.'■ Le nominalitme empirique L'École, i esl une
chose assez c mnue, i t empiriste, en ci n ns, que dans
i.i quesl le l'on, ne d. nos Idéi - elle ■
l'expérience peu tout expliquer, Mali elle n'est pas
77:»
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DEi
"V,
nominaliste et soutient l'objectivité du rondement des
relations contre les occamistes. Par là, elle défend la
valeur des arguments a posteriori par lesquels on
prouve l'existence de Dieu ; par là aussi, elle a un
moyen d'expliquer comment nous arrivons à porter des
jugements valables sur la nature intrinsèque de Dieu;
et cela, tout à fait indépendamment du problème de la
perception immédiate des substances, sur laquelle la
majeure partie des scolastiques tient la négative avec
saint Thomas, Scot et Suarez; d'ailleurs, les partisans
de la perception immédiate dessubstancesne se servent
pas de cette vue systématique pour expliquer notre
connaissance des êtres immatériels et de Dieu, je
parle des grands maîtres de la scolastique avant Des-
cartes. Et il est bon de remarquer que le grand dé-
fenseur moderne de la perception immédiate, Hamil-
ton, est tombé dans l'agnosticisme, pour avoir négligé
de noter qu'il percevait « les relations des choses ».
On trouvera la doctrine de l'École sur ce sujet dans Suarez,
De anima, 1. IV, c. iv-vi ; JHsp. metaph., disp. XXX, sect. xu ;
Lossada, Curs. philos., Barcelone, 1883, t. IX, Animastica,
disp. VII, c. i ; Ptolemceus, Philosophia mentis et sensuum, etc.,
Rome, 1702, logico-physica, diss. XII, omnium logico-phy-
sicarum facile princeps, donne un bon exposé synthétique du
problème de la connaissance intuitive et abstractive dans l'École
et l'état de la question vers la fin du XVII' siècle, p. 76-91. On
sait que, sous l'influence du cartésianisme, ce qu'on appelle la
philosophie « éclectique », au xvnr siècle, se donna la connais-
sance per species proprias des êtres immatériels; voir ce sys-
tème bâtard dans E. Amort, Philosophia Pollingaua, Augs-
bourg, 1730, p. 481-506. Neubaucr, dans Thcoloijia Wirceb.,
De religione, diss. XI, Paris, 1852, t. H, p. 283, sent le
besoin d'expliquer que le déisme n'est pas du à la philosophie
éclectique, qui d'ailleurs n'est pas la sienne. Ce jugement parait
exact; mais la philosophie d'Amoit qui sauvait, comme il s'en
vante naïvement, toutes les entités de la scolastique, n'en sauvait
pas les principes essentiels ; elle se donnait la connaissance des
êtres immatériels et de Dieu, sans pouvoir en rendre compte ;
enfin en réagissant à l'excès contre l'empirisme qui tire nos idées
de l'expérience, elle préparait les esprits, non moins efficace-
ment que l'idée claire de Descartes et les monades de Leibniz,
à l'idéalisme subjectiviste, qui les tire toutes de la raison elle-même.
Cf. IJict. apologét. de la foi, Paris, 1909, t. i, col. 58. De nos
jours, on est revenu aux doctrines de l'Ecole. Cf. Pesch, Institut,
psychologie, Fribourg-en-Brisgau, 1898, t. Il, n. 871. Boedder,
Psychologia rationalis, ibid., 1894, énonce la thèse classique
que nous ne connaissons clairement la nature des substances im-
matérielles que par un raisonnement et donc par des concepts
analogues (analogie logique), th. xx, p. 114. Cf. Coconnier.
art. Ame, dans Dictionnaire apologétique, Paris, 1909, col. 95.
Voir Piat, Insuffisance des philosophies de l'intuition, Pa-
ris, 1908; Moisant, Dieu, l'expérience en métaphysique, Paris,
1907; Maher, Psychology, 5' édit., Londres, 1003; Bickaby, The
lirst principles of Knowledge, Londres, 1888; Peillaube, Théo-
rie des concepts, Paris. On peut dire que le grand ouvrage de
Kleutgen sur la Philosophie scolastique, 4 vol., trad. Sierp, et
sur la Théologie der Vorzcit, 5 vol. non traduits, a surtout
pour but la défense delà doctrine scolastique de la connaissance:
après l'avoir exposée, il montre comment elle est nécessaire ou
suffisante pour résoudre les grands problèmes philosophiques ou
dogmatiques. Heinrich a repris ce travail en ce qui concerne la
connaissance naturelle de Dieu. Dogmatische Théologie,
Mayence, 1884, t. ni, surtout au S 141, P- 131-152. Voir aussi
Polile, Lehrbucli der Dogmatik, Paderborn, 1902, t. i, p. 33.
Il ne s'agit donc pas ici d'attaquer l'empirisme, mais
de montrer comment l'empirisme, s'il accepte la thèse
occamiste de la subjectivité des relations, arrive à nier
la possibilité de connaître Dieu. — Dès que les protes-
tants se mirent à attaquer la possibilité pour l'homme
déchu d'arriver à connaître Dieu par la raison naturelle.
les théologiens catholiques insistèrent sur ce que les
Pères ont appelé la connaissance « spontanée, natu-
relle, native, innée » de Dieu. Un chanoine régulier du
Saint-Sauveur, Augustin Steuchus d'Eugubio, composa
un traité De perenni philosophia lib. X, réimprimé
à Paris en 1578, pour montrer que les philosophes
païens ont reconnu de tout temps un Être souverain, etc.
Un de ses arguments était tiré des textes patristiqu.es
sur la connaissance spontanée de Dieu : et on ne trouve
guère de théologiens catholiques de la lin du xvi* siècle
qui, sur la thèse classique de la possibilité de l'athéisme,
ne renvoient pas à Steuchus Eugubinus. Mersenne,
ses Commentarii in Genesim, Paris, 1623, et dans
V Impiété dévoilée, Paris, 1(>2i. développa la thèse de
Steuchus. Aussi, lorsque Descaries se mit à parler de
l'idée innée de Dieu, sans d'ailleurs bien expliquer ce
qu'il entendait par là, cf. Vacant, De nostra naturali
cognilione Dei, Nancy, 1879, p. 110 sq., le mol et dans
un certain sens la chose étaient familiers aux penseurs
catholiques, qui rejetaient la thèse de l'impuiss
naturelle de la raison eu matière religieuse, aussi bien
sous la forme rigide proposée par les premiers proles-
tants, que sous la forme adoucie de l'agnosticisme
croyant ou dogmatique, proposée par Charron sous le
nom « d'ignorance consciencieux di Dieu.
Le père des déistes anglais, Herbert de Cherbury,
voir Cherbury, avait insisté sur la connaissance natu-
relle de Dieu dans son De veritate, prout distinguitw
a revelatione, etc., 1645. Mais dans son De religione
gentilium errorumque apud eos causis, 1651, il s'était
appliqué à montrer que toutes les erreurs religieuses
des païens venaient de l'inlluence sacerdotale et des
lois civiles. La religion naturelle des païens était pure;
leurs « croyances » étaient fausses. Uobbes nia que
« nous ayons une connaissance, gravée par la nature
dans notre âme. de la divinité ; » ce qui était la thèse
fondamentale de Cherbury; « et son opinion était qu'on
ne la peut acquérir ni par les arguments, ni par les
idées; non par les idées, parce qu'on ne peut avoir
l'idée de l'infini; ni par les arguments, car quoiqu'on
puisse inférer assez justement de ce que rien ne peut
se mouvoir de soi-même, qu'il y a un premier moteur
éternel, l'on n'en infère pas néanmoins un être éternel
immuable, mais un être éternel en mouvement: puisque,
de même qu'il est vrai que rien ne se meut par soi-
même, aussi est-il vrai que rien n'est mis en mouvement
que par une chose qui est en mouvement. » Phys.,
part. IV, c. xxvi. Cf. Samuel Parker, De Deo et provi-
dentiel, Londres, 1678, disp. I, c. xxvii. Partant de ce
principe que nous ne pouvons avoir l'idée naturelle
d'une essence immatérielle, Hobbes en avait déduit que
notre âme est matérielle. Leviathan, 1651, c. xu.
Cependant Dieu n'est pas un corps et « c'est contre
l'honneur de Dieu, qui est infini, de lui attribuer une
figure. » lbid., c. xxxi.
Ces conclusions peuvent paraître contradictoires.
Hobbes, pour se mettre d'accord avec lui-même et
avec les lois, recourt à la distinction du connaître, du
croire et de la foi. Cherbury déclarait fausses toutes les
croyances fondées sur la commune opinion. Hobbes.
qui déduit et dérive tout du souverain, asseoit
les croyances sur le respect des lois; mais pour lui
« croyance » ne va pas sans agnosticisme. L'on peut
arriver à la croyance en Dieu — opposée au connaître
— dit-il, soit par la raison naturelle, soit par le respect
des lois : le prince ayant le droit de faire et d'imposer
la commune « opinion > , qui devient objet de croyance.
Cf. Samuel Clarke, Praires de la religion tant natu-
relle que révélée, dans Défense de la religion de
Burnet, t. III. Cette doctrine de la commune opinion,
origine des croyances, est à rapprocher : 1. avec le
rôle assigné aux prêtres et au souverain dans l'origine
des cultes par Voltaire, etc., et aussi parDupuis, dans
{'Origine (astrale) des ailles, 171)5 : ceux-ci suivent
la tradition de Cherbury ; '2. avec les vérités du seus
commun de Huilier et de l'Ecole écossaise, qui ne nous
apprennent rien du fond des choseset au fond suppriment
la métaphysique : ce mouvement a abouti, on le sait,
à l'agnosticisme désir Hamilton, d'où est venu Mansel.
puis Spencer, qui ne fait que mettre en oeuvre ces
deux derniers. Cf. Spencer, Les premiers principes,
777
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE;
778
c. v, Réconciliation de la science et de la religion par
la croyance, c'est-à-dire par l'Inconnaissable.
Hobbes concède en paroles que « la foi »,qui corres-
pond à la révélation, nous renseigne sur la nature in-
trinsèque de Dieu — comment, l'ernpiriste matérialiste
ne le dit pas; et on explique ordinairement cette con-
cession par le besoin d'être en règle avec les pouvoirs
établis. La croyance, au contraire, qui résulte soit de
l'exercice naturel de nos facultés sur Dieu, soit de la
commune opinion, du consentement commun à la
volonté du prince, ne nous apprend rien de la nature
de Dieu. « Elle nous enseigne seulement à lui donner
des noms honorifiques, soit négatifs, soit d'excellence,
comme infini, très-haut; mais par ces termes nous ne
disons pas ce qu'est Dieu en soi, mais seulement
combien nous l'honorons et restituons. Car, quand
nous disons qu'une chose est infinie, nous voulons
seulement dire que nous ne pouvons concevoir les
bornes et limites de cette chose, et que nous ne
concevons que notre propre impuissance. » Levia-
l/tan, c. m, n. 26. Dans le De cive, c. v, S 14, après
avoir repété que l'on ne peut se former l'idée
de Dieu, « parce que, concevant toutes choses par
la voie de la sensation, l'homme ne peut rien ima-
giner que ce qui frappe ses sens, » il enseigne que,
lorsque nous désignons Dieu par les attributs positifs
€l lui attribuons, par exemple, la science ou l'entende-
ment. " l'on n'a point d'autre vue que de réveiller
l'esprit plongé dans les choses sensibles. » Dans le
passage du nominalisme empirique à l'interprétation
pragmatique des formules religieuses, sauf à faire appel
à l'incoiiipréhensibilité divine, Hobbes devait avoir de
nos jours plus d'un imitateur.
Hobbes, dans le De corpore, avait rejeté tous concepts
qui prétendraient au titre de premiers ou d'innés; ce
qui était se séparer à la fois et de Descartes et de
l'École. Locke, place' entre l'empirisme absolu de
Hobbes el I innéismede Descartes, rejeta nettement et
combattit non sans finesse les idées et les principes
innés cartésiens, Essai, 1. I; mais, tout en prenant
pour base l'empirisme, il reconnut la valeur de la ré-
flexion, rejeta la commune opinion comme origine de
la croyance, et soutint la possibilité de prouver l'exis-
tence de Dieu. Essai, 1. IV. c. xv, xvi ; 1. II, c. xxm,
S 12; I. IV, c. x. où Rom., i, 20, est allégué. Inutile de
dire que l'auteur du fameux chapitre De l'enthou-
$iasme,l. IV, c. \i\. ne s'accommode pas delà préro-
gative e par Hobbes à la foi de nous instruire
sur la nature divine : pour Locke, la révélation et par
suite la foi sont impossibles.
Locke essaie donc de prouver l'existence de Dieu el
<l i tpliquer comment, par la raison naturelle, nous en
avons l.i connaissance. Mais il échoue sur le premier
point: et, quanl au second, il aboutit aux mêmes con-
clu-ions subjectivisles, relalivistes, et par conséquent
stiques, que le sensualiste son devancier. Il - I
inslrucl il de le voir à l'œu\ re.
.me Occam, Locke attribue les relations à l'acti-
vité du sujet, D'où cette th< se, sur laquelle Locke ne
de revenir que « toute notre connaissance con-
dans la vue de nos propres idées, el que c'est
Ile que roule toute notre connaissance, n Essai,
I. IV, c. i. n. Venu apn Descartes, Locke ne
lue pas pins que Malebranche de confirmer la
erreui di sens, p ir la non-obji
vile des qualité - sensibles, par le besoin d ii
clain par la confusion entre la simple
nce d'une cho • et la connaissance adéquate,
i ompréhenslon, do bjel Hobbi -
i appliqué la conception nominaliste de la
Dti il. clui H' kl idi e de cause : pour lui
me pour Nicolas d tutrecourt el pour l< - positivistes
I< rnea, la n lation d< que celle
d'un antécédent à un conséquent. Hobbes définit la
causalité : aggregalitm omnium accidentium, tiim
agentium quotquot sunt, tum patientis, quibus omni-
bus supposilis intelligi non potest quxn effectus sit
una productus , et supposito quod unum eorum desit,
intelligi non potest quin effectus non sit productus.
Prima philosoph., c. ix. Locke, sans même remarquer
qu'une telle définition supprime non seulement la
liberté d'indifférence, mais tout libre arbitre, y sous-
crit volontiers. « Tout ce que nous considérons comme
contribuant à la production de quelque idée simple,
excite par là dans notre esprit la relation d'une cause
et nous lui en donnons le nom. » Essai, 1. II, c. xxvi, § 1.
Aussi Locke voit-il, après Hobbes et comme Stuart
Mill devait le remarquer plus tard, que dans un tel sys-
tème les arguments du premier moteur et de la pre-
mière cause ne concluent pas à Dieu ; que, logiquement
et en rigueur, ils ne concluent qu'à l'impossibilité
pour nous de penser qu'à un instant donné rien n'était ;
que, tout au plus, grâce à l'action latente du vrai prin-
cipe de causalité qui est présent à l'esprit des nomina-
listes comme du reste des hommes, ils ne concluent
qu'à la matière éternelle. Pour exclure cette dernière
conclusion, Locke raisonne ainsi : parmi les choses dont
l'existence est certaine se trouve l'âme, qui est immaté-
rielle. Or la matière ne peut pas être la cause d'un être im-
matériel; donc Dieu, la première cause, est immatériel.
L'argument est excellent, s'il est possible d'en prouver
la majeure. Mais Locke en est incapable, toujours à
cause de son nominalisme. En effet, l'âme est une
substance ; or Locke en vingt endroits répète que les
« substances nous sont inconnues. » « Le mot de
substance n'emporte autre chose à notre égard qu'un
certain sujet indéterminé que nous ne connaissons
point, c'est-à-dire quelque chose dont nous n'avons
aucune idée particulière, distincte et positive, mais
que nous regardons comme le subslralum des idées
que nous connaissons, > 1. I, c. III, £ 18; 1. II, C. xxm,
S 2,45. Il en est de même pour les essences des choses.
Locke trouve « beaucoup plus raisonnable » que celle
qui soutient que nous pouvons les connaître, l'opinion
de 6 ceux qui reconnaissent que toutes les choses natu-
relles ont une constitution réelle, mais inconnue, de
leurs parties insensibles, » 1. III, c. m, S 17. Avec un
nominalisme aussi rigoureux, comment Locke peut-il
savoir que notre âme est immatérielle? Et s'il l'ignore,
que vaut son argument en faveur de l'existence de
Dieu? Or, il l'ignore, et il avoue cette « ignorance où
nous sommes, concernant la nature de cette chose
pensante qui est nous-mêmes, » 1. II, c. XXVI I, § 27.
En ajoutant à la sensation la réllexion comme source
de nos idées. Locke s'est donné l'âme; mais son nomi-
nalisme le prive du bénéfice de sa trouvaille. Car il
connaît si peu l'âme el si peu la matière, quoiqu'il ait
des idées de la matière et de la pensée, qu'il écrit :
< Peut-être ne serons-nous jamais capables de connaître
si un être purement matériel pense ou non. par la
raison que sans révélation il nous est impossible de
découvrir si Dieu n'a point donné à quelques amas di
matière disposés comme H le trouve ;i propos, la puis-
i de penser, » I. III. c. iv, § (">. Mais
s'il en est ainsi, Locke n'a pas prouvé l'existence de Dieu.
Mais, homme, il avail ci tû idée naturelle de Dieu
et de sou existence que, philosophe, il mettait en péril,
sinon en doute. Il n'a pas réussi à l'expliquer mieux
qu'il n'avait fait à la légil r. Lee. xxm du 1. H de I I
insacré i cette explication, fin y lit : o Les idées
simples que nous avons de Dieu sont c posées des
impies que nous recevons de la réflea u
constitue, nous l'avons dit. un propres sur Hobl
hujusmodi autem simili potest in potenliii
il <•/ m virtutibus operativit humanis, 'dil
saint Thomas, t'.nnt . gvul .,1. I. e. xx\l. (I. UUngWI
77!»
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
7»
Personalily liuman and divine, Londres, 1903. «Après
avoir formé, continue Locke, par la considération de ce
que nouséprouvons en nous-mêmes, les idées d'existence
cl ilf durée, de connaissance, de puissance, de plaisir,
de bonheur et de plusieurs autres qualités el puissances
qu'il est plus avantageux d'avoir que de n'avoir pas,
lorsque nous voulons former l'idée la plus convenable à
I Être suprême, qu'il nous est possible d'imaginer, nous
étendons chacune de ces idées par le moyen de celle
que nous avons de l'infini, et joignant toutes ces idées
ensemble nous formons notre idée complexe de Dieu,«
§ 33, Sans entrer dans la discussion détaillée du procédé.
qui, quoi qu'en pensent les modernistes, est bien dillé-
rent de celui de l'École, puisque Locke est nominaliste,
ne retenons que ce qui concerne l'idée d'infini. Cette
idée est la pierre d'achoppement de tous les systèmes
nominalistes ou ultra-réalistes. Malebranche s'y est
heurté aussi bien que Spinoza, bien que par un autre
biais; Locke s'y heurta après Ilobbes, et de la même
façon que M. Le Roy. Ce dernier prononce que le mot
infini désigne seulement « ce double fait que, dans le
progrés des représentations, on ne peut s'en tenir à
aucun stade et que chaque stade, pleinement vécu,
suscite aussitôt le suivant. » Dogme el critique, 2e édit.,
Paris, 1907, p. 280. D'après Locke, « lorsque nous nom-
mons ces attributs [de Dieu] tn/mis, nous n'avons aucune
autre idée de cette infinité, que celle qui porte l'esprit
à faire quelque sorte de réllexion sur le nombre ou
l'étendue des actes, ou des objets de la puissance, de
la sagesse et de la bonté de Dieu, » 1. II, c. xvn, § 1.
On a souvent reproché à Locke d'avoir ici confondu
l'indélini avec l'infini, et de n'avoir réfuté Hobbes, qui
niait comme Malebranche toute idée de l'infini dans un
être fini, que par une pure équivoque. En réalité, Locke
avait l'idée de l'infini, puisqu'il avoue que « les attri-
buts de Dieu contiennent toute perfection possible. »
Son erreur est de soutenir que nous n'en avons que
la représentation symbolique qu'il décrit : « Telle
est, dis-je, la manière dont nous les concevons,
telles sont les idées que nous avons de leur infinité. »
Que Hobbes dise que, « lorsque nous parlons de
l'infini, nous ne signifions que notre impuissance; »
que Locke explique que cette impuissance est du
même ordre que celle d'atteindre le nombre infini
par la multiplication interne d'une infinité de nom-
bres multipliés sans fin; pour un métaphysicien,
c'est tout un; les deux empiristes nominalistes ne dé-
signent l'infini positif que par une dénomination extrin-
sèque fondée sur leurs actes internes et s'interdisent
systématiquement tout jugement sur sa nature intrin-
sèque : l'essence de l'agnosticisme dogmatique est tout
entière dans ce procédé. Du même point de vue méta-
physique, c'est de même tout un, quant au fond des
choses, sous la diversité des modalités systématiques,
de dire avec M. Le Roy : « Connaître Dieu, c'est pren-
dre ^conscience de ce qu'implique [l'acte de vivre, »
Revue de métaphysique et de morale, 1907, p. 498, et
de parler du Dieu, postulat de la conscience morale de
Kant, du Dieu résumé de nos expériences intérieures
de Ritschl et de Sabatier, de l'absolu qu'implique notre
connaissance du relatif de Spencer, de l'immense être
inconnu dont l'être personnel a le sentiment intime
qu'il dépend de Schleiermacher, de l'objet de la foi
morale et religieuse de sir Hamilton et de Mansel.
Toutes ces formules, dont nous n'épuisons pas la liste,
ont ce trait commun qu'elles désignent le vrai Dieu
exclusivement par une dénomination extrinsèque, sans
pouvoir arriver à rien affirmer de défini et de positif
sur la nature intime de la substance divine. C'est la
position de Locke, qui très logiquement, puisque,
d'après lui, même les substances finies nous sontincon-
uues, se refuse à dire catégoriquement que Dieu est
une substance, 1 II, c. xm, $ 17 sq.
C'est chez Locke un principe que noire « connais-
sance ne va point au delà de nos idi'-js, » 1. IV, c. m,
S 1. Si l'on fait abstraction du sens snbjectiviste
Locke donne au mot idée, ce principe est ('vident. Or,
d'un autre côté, Locke n'a aucune idée des causes, des
substances, de l'infinité divine ou plutôt la seule idée
qu'il en ait est celle de l'activité qu'il déploie pour les
penser, de la pression de la loi subjective qui les lui fait
nécessairement concevoir. Mais cette idée subjective
pourluin'estpas représentative de la cause, de la substan-
ce, de l'infini en soi, dont par hypothèse ou par système
il n'a pas connaissance. Cependant il se tient pour
assuré de la réalité de ces divers objets, et donc • sa
croyance dépasse ses idées. » Telle est la genèse philo-
sophique de cette formule souvent employée, d'abord
par les cartésiens, alind est credere, aliud 8<
cf. Lossada, op. cit., t. iv, p. 47; Jourdain, Histoire
de l'université de Paris, Paris, 1862, p. 209; appendice,
p. 144 sq. ; puis par les jansénistes, Denzinger, n. 1392 ;
enfin par les agnostiques dogmatiques; et telle est aussi
l'origine historique de la distinction des vérités notion-
nelles et des vérités réelles, reçue depuis Locke chez
les idéalistes et chez les empiristes anglais et familière
sous d'autres noms aux pseudo-imsliques. VoirXewman,
An essay in aid of a grammar of assenl, Londres,
1892, c. vin, § 1, p. 282, sur la ressemblance abstraite
de Jean et Richard, ce qui explique la théorie de l'ap-
préhension des propositions, c. I, § 2, p. 9 sq. Cf. Bau-
din, La philosophie de la foi chez Neivman, dans la
Revue de philosophie, Paris, 1906, surtout, juin, p. 580;
juillet, p. 27. En sens opposé, Toohey, An index lo the
grammar of assent, Londres, 1907; The grammar of
assent and the old philosophy, dans The Irish theolo-
gical quarterly, octobre 1907; Neivman ami Moder-
nisai, dans The Tablet, 4 janvier 1908.
Convaincu que nous ne pouvons avoir aucune idée
de l'infini, Malebranche recourt à la fois au lidéisme
et à la vision en Dieu, Recherche de la vérité,
part. I, I. III, c. iv; part. II, I. III; vers le même temps,
Pascal pour la même raison recourt à la foi du cœur.
Dans le pays de Hume, le nominalisme bien développé
dans toutes ses conséquences jette Berkeley dans l'idéa-
lisme de Malebranche. En France, Rousseau décrie la
raison, Emile, Paris, 1793, t. n, p. 356. et résout le
problème religieux, comme tous les autres, par le sen-
timent, unique voie pour arriver à la vérité. En Alle-
magne, Jacobi, Kant, Schleiermacher se précipitent,
l'un dans le sentiment obscur de Dieu, l'autre dans la
conscience morale, le troisième dans le sentiment de
dépendance, tous au fond dans le subjectivisme de la
doctrine de la foi justifiante, qu'ils accommodent au
scepticisme et au rationalisme de leur temps.
L'histoire le prouve, comme la logique le prévoit.
Le nominalisme rigidement exposé aboutit à l'athéisme
et au nihilisme de Hume, ou tout au moins à l'agnosti-
cisme pur d'Auguste Comte, de Huxley et du « rationa-
lisme » anglais contemporain. Si l'on veut, tout en
acceptant la position nominaliste, éviter celte abdica-
tion de la conscience, il ne reste plus qu'à mettre en
système que « notre croyance dépasse nos idées, » que
seule elle atteint le réel, et à construire des Glnubens-
lehren, qui justifient cette retraite. De là tant de livres
d'apparence constructive. qui ne sont au fond que des
apologies déguisées de la foi subjective, dont le protes-
tantisme avait semé l'idée. Locke lui-même, tout ratio-
naliste qu'il est, donne l'exemple de cette méthode.
Comme beaucoup de nos contemporains, Locke -
fait de la conception une idée toute cartésienne : en
dehors de l'idée claire, il n'y a rien pour lui. Or il est
obligé d'avouer que, dans son système, une substance
immatérielle échappe à notre conception. C'est, en effet,
un de ces objets que nous ne pouvons concevoir clai-
rement qu'à l'aide des relations réelles entre la cause
781
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
782
et son effet, la substance et ses propriétés, ou à l'aide
de l'application objective du principe de raison suffisante.
La difficulté est grande pour Locke, puisqu'il croit à
un immatériel. 11 essaie donc, pour la résoudre, de
prouver qu'à « bien approfondir les idées que' nous
avons de toute substance, nous ne 'connaissons pas
mieux à fond la corporelle que l'incorporelle. » Essai,
1. II, c. xxm. Les cboses sont donc parfaitement égales
des deux cùtés. A l'oreiller du doute substituons le
cbarme des ténèbres en religion.
Dans la pbilosophie nominaliste, l'analogie se réduit
à une vague ressemblance, et le raisonnement par ana-
logie est de nulle valeur. Cf. Stuart Mill, System of
logic, 1. III, c. x.\ ; Ilamilton, Lectures on metaphysics
and logic, édit. Mansel. Edimbourg, 1866, t. IV, p. 170.
D'autres nominalistes, comme Kant, Prolégomènes, etc.,
§ r>7, et Whately, Eléments of logic, 2e édit, p. 138, ré-
duisent toute analogie à une ressemblance de rapports.
Voir Analogie. Cf. llastings, Encyclopsedia of reli-
gion and ethics, Edimbourg, 1908, art. Analogy.
î Le nominalisme idéaliste. — Nous employons ici le
mot idéalisme dans le sens qu'on lui donne le plus sou-
vent quand on l'oppose à empirisme, pour désigner les
doctrines qui expliquent la genèse de nos concepts et
des principes par la raison elle-même.
Hume avait déduit les conséquences du nomina-
lisme jusqu'à détruire non seulement la connais-
sance des substances et des causes, mais bien les
substances etles causes mêmes, sans en excepter la sub-
stance de son tnoi. La science devenait impossible. Kant
parait s'être proposé de sauver du naufrage la science,
tout en restant fidèle à la thèse protestante de l'impos-
sibilité de connaître Dieu par la raison naturelle. Ce
~.i ait à la fois la ruine du déisme et du catholicisme, ces
deux formes du naturalisme ou du pélagianisme pour
les sectes piétistes. En gaulant la croyance en Dieu
donnée par la conscience morale, on préserverait l'es-
sentiel de la foi justifiante; et il n'y aurait qu'à res-
treindre l'objet de la foi à la simple croyance en Dieu,
pour pouvoir rester protestant quand même, tout en
admettant le rationalisme de Lessing. Résoudre d'un
seul coup un problème ;iusm complexe était difficile •
mu- les éléments de solution étaient dans l'atmosphère
du monde protestant vers la tin du xvnr siècle.
kant -avait que la science tendait à devenir mathé
malique ; sauvi i ilhématiques, c'était donc sau-
ver la Bl i' DC II savait aussi, car en dehors du carté-
sianisme (•'.'■tan chose admise, que les mathématiques
tint Thomas le concède après Aristote, font
abstrael h'- substances el dea causes, et que l'acti-
vité du sujet pi i ie un rôle considérable dans
la constitution de l'objet même dis mathématiques, le
quantum abstrait, continu ou discret. D'ailleUI
considération de la subjectivité de nos idées était à
la mode depuis I1 Locke, Spinoza, Leibaiz,
Berkeley, '-te. Sans s'expliquer nettement sur l'objecti-
vité de l'espace et du temps on discute encore sur
- Kant mit en relief le côté subjectil de notre
connaissance di ci - quantités, ■■! -ans trop rie pi in
lit des formes de notre sensibilité. Il fallait passer aux
nutri -. Kant B'empara de I hypothèse nomi-
naliste de la tubjectivité des relations di similitude, de
ubslance, .'te., el nui tout ion ai I a persuadai
.m lecteur cette hypothèse, en se servant adroitement
■>< h- deux formes de la si li-
sibilité. Il parvint ainsi a parler d
d'un x inconnu ce que faisaient di ià
Vutrecoui i , ,,,,. , , i
i'" « biais, h % en a moins dans Kant
■I" on m- 'lit ordim ment consistait a pré» nb r,
"ii' . l'objectivité dei rela
l. etc. et celle
du quantum al, -Ira .,„.. !,,,, je (/„„„_
tu m abstrait, objet des sciences mathématiques, est hors
des relations substantielles et causales, et de ce que,
d'autre part, par les sciences nous atteignons le réel
puisque nous agissons sur lui, on concluait que la
connaissance des substances et des causes est hors de
la science, hors de notre connaissance; cependant la
connaissance mathématique subsistait. D'ailleurs, de ce
que notre activité est nécessaire pour qu'il y ait temps,
animacomplet tempus, on concluait au droit d'ériger 1»
représentation dos relations causales, etc., en pure fonc-
tion de notre activité. Ces points acquis, nos concepts
expriment le réel, mais symboliquement, comme en
mathématiques x est le symbole de l'inconnue. On con-
naît la suite, antinomies, critique des preuves de l'exis-
tence de Dieu, etc., qui repose sur le principe de Ni-
colas d'Autrecourt.
Après avoir accepté, dans la Critique de la raison
pure, la distinction du connaître et du croire dont
nous avons dit les origines nominalistes, Kant se
donne l'idée de Dieu. Ainsi il peut croire en Dieu,
qu'il désigne par une dénomination extrinsèque,
fondée sur ses besoins subjectifs : Dieu devient un
postulat. Mais il se déclare incapable de porter au-
cun jugement valable sur la nature intrinsèque de
celui que sa conscience lui présente — mais dans son
hypothèse nominaliste ne peut pas lui représenter —
comme juste et bon. Critique du jugement, î 86. De
cet agnosticisme croyant, qu'il légitime par l'exemple
des proportions en mathématiques, Prolégomènes, -?57,
58, il déduit l'impossibilité de la révélation propre-
ment dite, el par suite de tout dogme; mais il est pro-
testant, et donne des formules de la Bible et de son
Kglise une interprétation morale. La religion dans les
limites, etc. Cf. i Herzog, Realencyclopâdie, 3e édit..
art. Theismus, p. 592.
5° Critique. — I. Le nominalisme prouve-t-il la sub-
jectivité des relations de causalité, de raison suffisante,
de similitude, etc., qui sont le fondement des univer-
saux el des premiers principes et par suite des preuves
de l'existence de Dieu'.' 2. Prouve-t-il que nous n'avons
aucune connaissance des substances et des causes en
soi, que nous ne pouvons que les désigner par des
dénominations extrinsèques sans porter sur leur nature
intrinsèque des jugements valables, et que par suite
la connaissance de Dieu en soi nous est absolument
impossible ?
A la première question, on répond que, sans excep-
tion, depuis Occam jusqu'à M. Bergson, les nomina-
listes se donnent la subjectivité des relations de cause
a effet, de substance à propriétés, etc., mais ne démon-
trent pas cette hypothèse. M. Bergson, dans L'évolution
créatrice, reproche avec raison à Kant de se donner les
formes ou moules u priori el à Spencer de ne rendre
compte de rien avec ses idées héréditaires. Pour se
mettre hors de pair, .M. Bergson recourt à une seconde
hypothèse : le monisme plotinien lui -cil a donner de
l'apparence a l'hypothèse du subjectivisme. Mai- la lo-
gique enseigne que la probabilité des conclu-ion- dé-
croît a -m- que l'on introduit dan- -c- prémi
plus de vues systématiques, et que cette probabilité
Bl nulle si l'une des li introduite
absurde. Nous pouvons donc conclure (pie les divi
philosophiea nominalistes ne prouvent rien (•■mire li -
principes et les conclusion- classiques de la théologie
naturelle.
reposent sur les faits suivants. «.rnand
distinguons un homme qui raisonne d'un animal
qui brait, non- connaissons nettement par le principe
util- mie me propriété de la lubi tan
I un qui e-t exclusive de certaines propriétés ■ • élue -
ubslance ds l'attire . de même, pour la eau
son rapport avec l'effet, dont notre acli
lonne mu . , typiqui i I In nous objecta la
7HH
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
784
d'illusions des sens, d'erreurs, etc. ; nous acceptons les
faits constatés, tout en nous déliant des interprétations
que l'on en donne; mais nous nions la parité des cas.
— 2. On nous montre que les sciences de classification,
par exemple la botanique, n'atteignent guère <|ue les
dehors des choses; et que les sciences physiques font
souvent de même, par exemple quand elles définissent
l'électricité, « la cause inconnue des phénomènes sui-
vants. » On répond avec saint Thomas que les sciences
de classification ne définissent les êtres que par leurs
accidents, comme lorsqu'on dit que l'homme est un
bipède, et que souvent les sciences physiques ne dé-
finissent les causes que par leurs effets, parce que les
différences essentielles des êtres nous échappent sou-
vent : essentielles differentise ex accidenlibus nomi-
nantur, In IV Seul., I. III, dist. XXVI, q. l,a.i, ad 3""';
sicul causa signi/icatur per suum effectum, vicul
bipes ponitur differentia hominis. De ente et essenlia,
c. vi, Venise, 1595, t. v, p. 28. Mais nous échappent-
elles toujours? Et ne savons-nous réellement rien de
l'électricité, des champignons, etc? Les apparences ne
nous appprennent-elles absolument rien des réalités'.'
Cf. Hastings, Encijclopœdia of religion and elltics,
Edimbourg, 1908, art. Agnostieism et Absolule; Ca-
tholic Enajclopsedia, New-York, 1907, art. Agnostieism.
Enfin, la méthode des sciences, telle que nous l'a léguée
le xviii« siècle, qui ne se préoccupe ni des causes, ni
des origines, est-elle toute la méthode? Cf. Gwatkin,
The Knowledge of God, Edimbourg, 1906, t. i, p. 11.
— 3. On fait appel aux sciences mathématiques, aux
intuitions spatiales et temporelles — Kant et Renouvier,
La monadologie nouvelle, p. 102, 111, et passim — aux
jugements synthétiques et analytiques, au symbolisme
■et à la conventionnalité des formules mathématiques,
qui ne représentent le réel que par correspondance
'.Spencer). Nous avons indiqué ce qu'il faut concéder
sur ce point. Mais ici encore on devrait pour conclure
nous prouver la parité des cas ; et on oublie celte règle
de logique. De ce que l'activité du sujet joue un grand
rôle dans la constitution de l'objet des mathématiques;
de ce que dans l'étude du quantum qui est leur objet
nous faisons abstraction des relations substantielles,
causales, etc., il ne suit pas que le rôle de notre esprit
soit le même dans la perception des relations de simi-
litude, de causalité qui régissent le monde concret, ni
que nous n'atteignons pas ces relations dans le monde
des réalités qui nous environnent et agissent sur nous.
— i. Enfin, Kant, comme autrefois Nicolas d'Autrecourt,
a la prétention de nous faire « passer par ses condi-
tions ». L'évidence des propositions de géométrie n'est
pas celle des autres propositions; or, dans les propo-
sitions de géométrie, il ne s'agit que de rapports posés
par l'esprit; donc nos jugements sur toutes les caté-
gories ne sont qu'un « lien logique », et penser, c'est
quantifier, qualifier, etc.; toutes opérations qui ne
nous apprennent rien de l'ae inconnu. Celle négation de
la possibilité de toute métaphysique objective suivrai!
chez Kant comme chez Nicolas d'Autrecourt, s'il était
nécessaire que toute évidence soit de l'ordre des évi-
dences mathématiques. Mais nous ne pouvons avoir
d'évidences mathématiques qu'en faisan1 abstraction
de toutes les relations réelles connues de ions, autres
que les relations de la quantité; et cette abstraction
n'est possible d'une manière réfléchie qu'autant que
nous connaissons ces autres relations, qui ne sont pas
des relations quantitatives. Mais s'il en est ainsi, il y
a un cercle vicieux à passer du fait de la possibilité de
l'abstraction mathématique à la négation d'une des
conditions de ce l'ait. Sur ce point, il faut se séparer de
ceux qui avec M. Sentroul, Revue néoscolastique,
Louvain, mai 1906, p. 185 sq., pensenl qu'il o faut
passer par les conditions » de Kant. Cf. Baille, Qu'est-ce
que la science ? l'aris, 1907.
L'hypothèse de la subjectivité des relations, qui sont
le fondement objectif des universaux el des principe!
nécessaires et universels, n'est donc pas démontrée.
Nous pouvons donc rester sans trouble fidèles au
lisme du bon sens. En indiquant la trame générale d< a
j raisonnements par lesquels on montre que l'hypothèse
nominaliste n'enlame pas les preuves classiques de
l'existence de Dieu, nous avons donne'- la réponse à la
seconde question posée. Nous avons quelque connais-
sance des substances, des causes finies; très souvent,
nous ne les désignons que par des dénominations ex-
trinsèques; mais nous pouvons aussi dans bien dé-
porter des jugements valables sur leur nature intrin-
sèque. L'analogie ne se réduit donc pas toujours à une
vague ressemblance, ni à une ressemblance de rapports,
comme le veulent les nominalistes. Le raisonnement
par analogie peut donc être valable; et nous pouvons
penser par des concepts analogiques les êtres immal -
riels, Dieu lui-même (analogie logique). L'agnosticisme
dogmatique ou croyant avoue penser Dieu, puisqu'il
croit à l'existence de l'Absolu; mais il se refuse à recon-
naître que nos jugements sur Dieu ont une valeur de
vérité : ab eo quod res est aut non est, oralio dicitur
vera vel falsa. Quand nous disons que nou> pouvons
penser Dieu, nous allons plus loin : en affirmant de
Dieu les attributs absolus, c'est de Dieu considéré en
lui-même, abstraction faite des créatures et de notre
mode de penser, que nous parlons. Si l'on admet la va-
leur objective des relations de causalité, de similitude
et de raison suffisante, l'explication philosophique de
notre dogmatisme est facile. Tout se réduit à ce raison-
nement : qui finxil oculum, non considérât'.' Y's. xem,
9. Raisonnement spontané, qui s'explicite : l'effet procède
de sa cause suivant un mode déterminé', par lequel il lui
ressemble. Le principe de raison suffisante exige donc
que la cause soit d'abord déterminée, avant que reflet
le soit; car toute action est produite en vertu d'un prin-
cipe qui est dans la cause. S. Thomas, De potentnt.
q. vu, a. 6. Donc, si parmi les effets produits par Dieu
se trouve celui que nous appelons science, il faut
qu'il y ait en Dieu quelque chose qui réponde à la dé-
finition de la science. S. Thomas, In IV Sent., 1. I.
dist. XXXV, a. 1, ad 2unl. Sans doute, Dieu est infini,
et nous n'obtenons de sa nature intrinsèque par ce
procédé qu'une connaissance très inadéquate, très im-
parfaite. Mais notre connaissance reste vraie. Le même
saint Thomas indique bien le résultat auquel on ar-
rive : « On parle du sourire des prés en Heurs; la
sagesse incréée, si l'on considère ce qu'elle est en Dieu
— où elle est la substance divine — diffère plus de la
sagesse créée que la lloraison des prés ne diffère du
sourire de l'homme; mais quant à la raison objective
pour laquelle on donne le nom de sagesse et A la sa-
gesse divine et à la sagesse créée, la ressemblance est
plus grande qu'entre les lleurs des préset le sourire de
l'homme, parce que cette raison objective est une par
analogie (ontologique), se trouvant en Dieu comme
dans le premier principe et dans la créature par voie
de causalité. « lu IV Sent.. 1. 1, disp. XXII, q. 1,
a. 2, ad 3'"". C'est tout ce que la logique exige, quoi
qu'en ait dit Duns Scot, partisan de l'univocilé ontolo-
gique, pour que notre connaissance de Dieu soit telle
que nous puissions procéder par déduction en théodi-
cée et en théologie. Et, puisque le nominalisme n'est
qu'une hypothèse, nous gardons le droit de rester
fidèle à l'intellectualisme objectiviste qui est celui de
l'humanité et de l'Église. A côté des autres sciences,
il estime science per ullimas causas, la métaphysique.
Pour les discussions de détail avec les positivistes et les kan-
tistes. voir Mac Cosh, The méthod o/ the divine government,
4' édil., Edimbourg, 1855; The mutilions of the miiui, ilntl.,
1860; M. Cosh montre bien que l'agnosticisme de Kant et de
Hamilton vient de leur nominalisme, au sens où nous avons pria
78;
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
786
ce mot; Hodge, Systematic theology (protesl.). Londres, 1871.
t. i, p. 335-365 ; De Rroglie, Le positivisme et la science expé-
rimentale, 2 in-8°, Paris, -1880; Ward, Essays on the philoso-
phy oftheism, 2 vol., Londres, 1884; Gruber, Auguste Comte ;
Le positivisme depuis Comte, 2 vol., Paris, 1893; Pescb, Insti-
tutiones logicales, Fribourg-en-Brisgau, 1889, t. n, p. 349-366,
et n. 874, critique de Kant. Dehove, La critique kantienne des
preuves de l'existence de Dieu, Lille, 1905, montre très bien
que cette critique se ramène à nier la valeur de l'infércnce : de
ce que quelque chose existe, une autre existe; et cela en vertu
de l'hypothèse subjectiviste non démontrée. Sentroul, L'objet de
la métaphysique selon Kant et selon Aristote, a essayé une
méthode qui a soulevé bien des discussions que l'on trouvera
dans Godsdienst, Wetenschap, Lctteren,W06, p. 53-78 (Begout);
Ilevue néo-scolastiquc, mai 1906, p. 164-200 (Sentroul) ; Revue
de philosophie, juillet 1907 (Farges) ; novembre 1907, p. 446-
471 (Sentroul); Revue pratique d'apologétique, 15 septembre
1908 (Piat), Pesch, liant et la science moderne, trad. Lequien ;
Paris; Piat, L'idée ou critique du kantisme, Paris, 1907;
Farges, La crise de la certitude, Paris, 1907; Laminne, La
philosophie de l'Inconnaissable, Bruxelles, 1908; Gérard, The
uhl riddle and the newest answer. Londres, 1904; Gruber,
art. Positivismus , dans Kirchenlexicon, 2" édit., Fribourg-en-
Brisgau. Chossat, art. Agnosticisme, dans le Dictionnaire
apologétique, Paris, 1909, t. i, col. 1-75, expose et discute
d'après saint Thomas l'agnosticisme de Maimonide et d'Avicenne
et montre que nos problèmes modernes ne sont pas tout à fait
neufs. Tour la vulgarisation, Halleux, La philosophie condam-
lusitiviste et kantienne), Paris, 1908. Pour la bibliographie
de lliistoire du sujet, col. 798-799.
VI. Le pseudo-mysticisme. — La possibilité de la
connaissance certaine de Dieu par la raison naturelle
suppose qu'on admet la valeur des éléments intellec-
tuels dans la connaissance religieuse. Les pseudo-
mystiques l'ont souvent mise en question. 11 y a pour
toutes les âmes menées par les voies mystiques un
danger contre lequel tous les directeurs orthodoxes
les prémunissent, celui d'attacher trop d'imporlance
au sentiment, à la vie émotive dans la vie spirituelle;
c'est de là que naît souvent la tcntalion qu'elles ont
de préférer leurs lumières ou leurs obscurités, en un
mot la connaissance religieuse qui leur vient de leurs
expériences intérieures, aux données de la foi. Poussée
à la limite, l'exagération de la valeur religieuse du
sentiment, de l'expérience intérieure, suflit à elle
seule .i faire déclarer impossible et non valable toute
connaissance rationnelle de Dieu. Deux exemples nous
sufliront pour le montrer.
I. MOLINOS ET JACQUES BOEHMB. —Le pseudo-m\s-
tique libidineux Molinos, dont M. William .lames s'est
constitué' le chevalier. Varieties of religious expérience,
Londres. 1902, p. 130, était entiché de - foi obscure et
universelle, » c'est-à-dire d'une certaine expérience
mystique de l'Être illimité'. Il écrit d'un trait : « Celui
qui dans l'oraison se sert d'images, de ligures, de
représentations el de conceptions propres, n'adore
pas Dieu eu espril i t en vérité. Celui qui aime Dieu
■nivanl que la raison argumente ou que l'esprit com-
prend, n adore pas le vrai Dieu. Denzinger, n. 1 105 sq.
En d'autres tenues, les représentations intellec
tuelles, que nous pouvons avoir par le discours ou
par les formules traditionnelles, en dehors de l'expé
rience mystique de la « foi obscure el universelle -.
sont tant valeur objective. On voit que, sans se per-
dra dans le dédale des philoaophies, Molinos aboutis-
ticisme, relalivemenl i l'ordre de
eption, au aotionnel. Donc, pour lui, sans expé-
1 ii ure urnaturelle, pa ibilit* di
connaître le vrai Dieu,
bien, v* leçon; E. Xaville, Les philosophies négatives, Paris,
1900, p. 185-222.
Iiu mysticisme au panthéisme ou à la connaissance
purement négative de Dieu des néoplatoniciens et du
soufisme, il n'y a qu'un pas : et plus d'un mystique le
franchit au moyen âge. Dans les deux cas, c'est encore
l'impossibilité de toute connaissance rationnelle de
Dieu. Le « Philosophe allemand », Jacques Boehme, et,
après lui, les « enthousiastes »ou fanatiques tombèrent
dans ces erreurs. Ils appelaient Dieu, considéré en
lui-même et sans les créatures, un Rien, nihil.
Comme les vues de Boehme se rattachent à celles de
Fichte, de Hegel et de Schelling, par l'intermédiaire
de Geulincx, de Spinoza, de Malebranche et de Berke-
ley, cf. l'hégélien Schvvegler, Geschiclile der Philaso-
pliie, tiré à part de la Neue Encyclopudie der Wis-
senschaften und Kûnste, Stutlgart, 1848, p. 90. la
doctrine de l'immanence n'est pas sans lien avec lui.
D'autre part, les dévots actuels de l'Inconnu ou de
l'Inconnaissable s'inspirent souvent de Boehme ou de
ses ancêtres. Cf. Thamiry, De ralionibus seminalibus
el immanentia, Lille, 1905. Il est donc nécessaire de
noter que, si certains mystiques orthodoxes ont autre-
fois employé l'expression de Boehme, ainsi que nous
l'apprend M. Sertillanges, qui connaît mais ne nomme
pas de « grands mystiques thomistes qui ont parlé avec
une sorte d'épouvante religieuse du néant de Dieu, »
dans la Revue de p/dlosophie, février 1900, p. lii.
cette formule n'avait pas, sous leur plume, le même
sens que chez Hoehme.
En ellet, les mystiques orlliodoxes : 1" faisaient une
dill'érence entre Rien, niltil, et Néant, non ens.
Cf. Denille, Chartularium universilatis Parisie)isis,
t. il, pièce 10i2, p. 506. 2° Ils admeltaient, à l'inverse
des pseudo-mystiques comme maître Eckart, Denzinger.
n. 428, et Boehme, qu'on peut se faire une idée de
Dieu, lorsqu'on le considère en lui-même et sans rap-
port aux créatures. 3° Enfin, les mystiques orthodoxes
n'appliquaient à Dieu considéré en lui-même, à la plé-
nitude de l'Etre, l'épi thèle de nihil, que pour exprimer
sa grandeur par l'apport à nos connaissances et à nos
lumières et l'absolue incompréhensibilité de la nature
divine, qu'une forme de pensée, tirée des créatures, ne
peut pas adéquatement représenter et saisir. La ques-
tion n'est pas ici de savoir si cette façon de s'exprimer
de ces mystiques orthodoxes était heureuse. Tout le
monde aujourd'hui la trouvera choquante, fondée sur
une distinction à peine intelligible entre nihil et non
ens, et de nature à induire en erreur : tous défauts
qu'on ne lui fait pas perdre, en l'isolant des contextes
oubliés où elle se trouve. Mais, heureuse ou non, Cette
expression n'a pas, chez les mystiques orthodoxes, le
sens puremenl négatif qu'elle a chez ceux qui, comme
Boehme et les fanatiques, ne le sont pas.
Chez les mystiques orthodoxes qui l'emploient, ce
nihil ne signifie pas que Dieu est l'indéterminé, ni
que la connaissance mystique est puremenl négative.
Elle vent dire que la connaissance )><isilire de la divi-
nité donne à l'une la claire notion de l'incompréheu-
sibililé divine, en sorte que par la l'âme si' forme de
Dieu une idée 1res relevée, bien que confuse, et com-
prend qu'il \ a pour elle une grande intelligence de la
nature divine ■< saisir que nul être fini n'a le pouvoir
de la comprendre, de la pénétrer adéquatement Dans
cii état, tous |eg termes de comparaison font défaut a
elle écarte toutes les formes ordinaires de pensée
ec w impropret •■ Iraduin ce qu elli i on ">i el, à
n ell i I précisémenl qu'aucune foi me
n'esl adéquate ■< I ei i nce divine Les lignes sui-
vantes de sainte tagéle de Poligno montrent que tel
■ si le sens de nihil, dans la formule nihil videt, d'où
est venue I ,, que Dieu ,sl uihd . Kl ulen r] -
ht in lenebra, quiae bonum,quod ne< poêtil
787
1)1 KU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
788
cogilari nec inlelligi, et omne quod potesl Cogitari
rel intelligi non attingit ad illud... Et nihil videt
omnino cuiinia quod narrari jiossit ore, nec etiam
concipi corde ; et nihil videt et omnia videt. Cf. Acla
sanctorum, Anvers, 1643, t. i januarii, p. 197, n. 72;
cf. ri. 148, 207; S. Thomas, In IV Sent., 1. I, dist. VIII,
q. i, a.,1, ad 5um; De potentia, q. vu, a. 5, ad 13W|" sq.;
Suarez, Disi>. metaph., disp. XXX, sect. xu, n. 12.
On objecle que saint Thomas, après saint, Jean Da-
mascène, parle de « l'être indéterminé de Dieu »,Sum.
theol., Ia, q. xi, a. 4; q. xm, a. 14; De potentia, q.vii,
a. 5; que par conséquent pour lui comme pour l'iotin,
IIIe Ennéade, 1. VIII, c. IX, et pour Spinoza, omnis
determinatio est limitatio seu negalio ; d'où il suit
que tous les noms de Dieu sont purement négatifs.
Cf. de Munninck, Praelectiones de Dei exislentia, Lou-
vain, 1901, p. 96, 99; Sertillanges, dans La quinzaine,
1« juin 1905, p. 412 sq., et dans la Revue du clergé
français, 1er octobre 1905, p. 317. — Réponse. — La
formule de saint Jean Darnascène estclassique pour ex-
primer la plénitude de l'être divin ; si nous appelonscette
plénitude « indéterminée », ce n'est pas qu'elle n'est
pas saisissante en soi, c'est parce que nous savons que
la simplicité de sa nature parfaite et certains de ses
modes d'opérer que nous connaissons, sont absolument
incommunicables à tout être fini; de plus, ce terme né-
gatif connole l'impossibilité où nous serons toujours
d'épuiser la richesse de la simplicité divine et l'impos-
sibilité d'une représentation adéquate de l'infinie per-
fection par des perfections créées. D'ailleurs, pour
saint Thomas, qui suit en ce point le pseudo-Denys,
De potentia, q. vu, a. 2, ad 9"m; Sum. Iheol., Ia II*,
q. il, a. 5, ad 2om, les déterminations dans les êtres
finis ne sont pas des négations, mais bien des addi-
tions. L'être infini, au contraire, est le seul à qui onto-
logiquement rien ne peut s'ajouter, parce que, tous
les êtres finis étant limités à une perfection déterminée,
liieu est au contraire en soi et par soi toute perfection,
in se inclv.dit omnem modum perfeclionis; c'est en
cela que consiste son infinité positive. De verilate,
q. XXIX, a. 3. Cf. Penzinger, n. 1631. Pans ce sens,
saint Thomas répète souvent que l'être divin est l'être
sans addition, esse sine additione est esse divinum,
parce qu'il est de son concept d'exister, et de ne rien
pouvoir recevoir, vu qu'il est l'infinie perfection, Sum.
Iheol., Ia, q. m, a. 4, ad l"ra; et il se sert souvent de
cette considération pour rejeter le panthéisme de Plo-
tin et des Arabes, De potentia, q. VII, a. 2, ad 6um,pour
écarter du pseudo-Denys tout soupçon de panthéisme.
Cont. génies, 1. 1, c. xxvi. Dieu est donc, pour saint Tho-
mas, distinct du monde, bien qu'immanent, c'est-à-dire
bien qu'omniprésent, ibid. ; et il est absolument déter-
miné en soi. Celte dernière formule est fréquente chez
saint Thomas et il signale les inconvénients de penser
autrement. In IV Sent., 1. I, dist. XXIV, q. i, a. 1,
ad 3""'; dist. VIII, q. îv, a. 1, ad l"m; 1. II, dist. III,
q. i, a. 2; De potentia, q. i, a. 2, ad 7"1"; q. vu, a. 2,
ad 6i,m; Cont. génies, 1. I, c. \.\vi; Quodlibet., q. vu,
a. 1, ad I"»; a. 6. Cf. In IV Sent., 1. I, dist. XIX, q.i,
a. 1, ad lum; Sum. theol., I1, q. xm, a. 11, ad 2UI".
D'où il suit que nos jugements sur Dieu, sans avoir
une valeur de définition, nos concepts appliqués à
Dieu laissant rem incomprehensam et excedentem
nominis signi/icalionem (analogie ontologique), ibid.,
a, 5, portent cependant sur l'essence divine considérée
en soi, subslanlialilcr. Ibid., a. 2. Et nous pouvons
parler de la perfection divine « absolument » et aussi
de l'être divin « au sens absolu ». Sum. theol., I»,
q. xm, a. 11, ad 3».œ; In IV Sent., 1. I, dist. XXII,
q. i, a. 2, ad 2llm. Au point de vue absolu, tout ce qu'on
peut dire de Dieu n'est donc pas faux, ibid., ad 4um;
et si tout cela n'est pas faux, les formules ne sont pas
indifférentes, De potentia, q. vil, a. i, ad 8"m; Penzin-
Lfv, n. 155; et nous » savons au vrai ce que nous
disons de Dieu, » lorsque nous disons, par exemple,
que Dieu est personnel. De potentia, q. vu, a. 2,
ad I"" ; Cont. génies, 1. I, c. xu ; Sum. theol., I .
q. m, a. '». ad 2"m; q. XIII, a. 8, ad 2um; a. 12. On sait
d'ailleurs que dans celte dernière question de la Somme
saint Thomas a réfuté ex professa la théorie de la
connaissance purement négative d Avicenne et de
Maimonide. Cf. les censures de l'inquisition, dans
Eymericus, Directorium inquisitorum , II*, q. i.viii,
q. IV, Krrores Avicennœ, prop. 13; Alchindi, prop. 5;
Maimonidis, prop. 1-3, Rome, 1585. p. 254 sq., Saint
Thomas ne favorise donc en aucune façon l'agnosti-
cisme des pseudo-mystiques. Mais il se rendait si bien
compte des dangers des voies mystiques qu'il écrivit
un article de la Somme pour proposer de faire passer
les contemplatifs par des maisons d'études. S
llteol., IIa II*, q. clxxxii, a. 5.
//. 1.1: PSBVDO-MYSTIC1SMB DES PROTESTANTS ET LA
CONNAISSANCE NATURELLE blC DIEU. — On distingue
deux sortes d'agnosticisme, l'agnosticisme pur — agnos-
licism of unbelief — qui est celui de Comte et de Hux-
ley, pour lequel l'absolu est totalement inconnaissable;
l'agnosticisme dogmatique ou croyant — agnosticism nf
belief — qui concède à l'agnosticisme pur qu'il n'y a
pas et ne peut pas y avoir de preuves rationnelles de
l'existence de Dieu, mais qui fait profession de croire
en Dieu pour des raisons purement subjectives, sans
toutefois reconnaître aucune valeur objective aux di-
verses formes de pensée par lesquelles il pense Dieu ; tel
est l'agnosticisme de Kant, Hamilton, Mansel, Spencer
et des modernistes. Ce que nous avons dit de la doc-
trine luthérienne des suites de la chute originelle et
du nominalisme explique assez pourquoi beaucoup de
prolestants abandonnent les preuves de l'existence de
Dieu, et comment ils arrivent à désigner Dieu, au-
quel ils croient encore, seulement par des dénomina-
tions extrinsèques. Le fait delà persistance de quelque
croyance en Dieu, dans des conditions aussi défavo-
rables, s'explique aussi par la connaissance naturelle
et spontanée de la divinité qu'ont tous les hommes et
par l'influence du milieu chrétien. Mais les construc-
tions systématiques que l'on voit se multiplier ne se
comprennent pas, si l'on ne tient pas compte de l'élé-
ment pseudo-mystique qui gît au fond des doctrines
de la Réforme sur la connaissance religieuse.
1° La foi fiduciale cl le mysticisme. — On sait que
Luther en appelait aux mystiques contre les théologiens.
Une de ses propositions censurées par la Sorbonne
portait : In sermonibus Joannis Tauleri lingua teuto-
nica conscriptis plus reperio tlteologise syncerm et so-
lidm quam in omnibus omnium universitatum sco-
lasticis docloribus repertum aul reperiri possit in
omnibus suis senlentiis. Cf. [Mélanchthon], Confutatio
determinationis doctorum parrhisiensium contra
M. L., etc., Bàle,1523, p. 241-252. On sait aussi que de
nos jours les protestants libéraux, qui en sont à la
croyance en Dieu « sans preuves »,et qui ne conçoivent
Dieu qu'en fonction des états subjectifs de leur con-
science religieuse, se réclament des mystiques et du
mysticisme de la doctrine protestante de la foi. Cet
appel n'est pas sans fondement.
Les mystiques parlent tous d'une connaissance ex-
périmentale de Dieu. Theologia mystica, dit Gerson,
est expérimentales cognitio habita de Deo per con-
junclionem a/fectus spiritualis. Opéra, s. I.. 1 488, t. m,
De mystica theologia spéculai ira, consid. xxvn, n. ï.
verso. Pour faire entendre le mot experimentalis, les
mystiques, spécialement saint Bernard, parlent de sens
spirituels dans notre âme, analogues à nos sens inté-
rieurs et extérieurs. Sermo de cita et quinque sensi-
bus animse, P. L., t. CLXXXIII, col. 567. « De même que
par les sens corporels nous avons l'expérience des objets
789
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE;
790
sensibles, de même par les sens spirituels nous pouvons
avoir l'expérience des choses spirituelles. » Pierre
d'Ailly, Spéculum considerationis, part. III, De spiri-
lualibus scnsibus, c. ni. Ces sens, sous une action spé-
ciale du Saint-Esprit, qui n'est ni nécessaire au salut ni
donnée à tous les fidèles, goûtent, aiment Dieu, présent
dans l'âme; et, remarque Gerson, comme il n'y a pas
d'all'ection sans quelque connaissance expérimentale,
on dit quedans cet état l'âme connaît expérimentalement
les choses divines. Sur ces points l'accord existe entre
les mystiques orthodoxes.
Le débat commence, lorsqu'on se demande : Dans
la contemplation affective dont nous parlons, la con-
naissance intellectuelle précède-t-elle l'amour ou le
suit-elle '? Tous conviennent — il s'agit toujours des
orthodoxes — qu'ordinairement une connaissance
intellectuelle, au moins confuse, de Dieu précède le
mouvement affectif d'où résulte la connaissance dite
expérimentale, suivant l'adage : nihilvoliiuni nisi prse-
cognilum. Mais Gerson, quelques franciscains, Alva-
rez de Paz, Oviedo et quelques autres soutiennent,
contre les thomistes, Suarez, Vazquez, Lossada et la
plupart des auteurs, qu'il peut y avoir une contempla-
tion affective, surnaturelle et en somme miraculeuse,
sans connaissance réfléchie ou même directe, antécé-
dente ou concomitante. Dans ce cas, la connaissance
est donc subséquente à l'état all'ectif.
Gerson lui-même a fort bien vu les dangers de l'opi-
nion qu'il soulienl et en particulier celui de l'agnosti-
cisme : nec i ■<lalis cognitio fit per solam
abnegationem, car la voie de négation doit inclure celle
d'excellence et de causalité ; propterea damnât us est
arliculus parisiensis dicens quod m.u cognoscimus de
Dec hacin vita nisi quod non est. Alphabetum i.xxxvi,
o, et passim; De elucidatione scholaslica mysticee
théologies, consid. xi. Cf. de Munnynck, Prxlecliones
de foi existentia, Louvain, 1904, p. 25-31. Cette erreur
et d'autres écartées, il reste que quelques mystiques
orthodoxes ont admis la possibilité et même le l'ail,
non pas seulement d'une aperception, nouvelle au
moins quant à ses modalités, par voie de réllexion, de
souvenir le raisonnement, à la suite d'un état affec-
tif— ce que tout le inonde accorde — mais bien d'une
fonction de représentation issue d'une fonction du
vouloir. l'riminn tangitur supremus apex affectus,
ndum quem movelur \n Deuni, el ex ixio eontactu
relinquilur in mente verissima cognitio intellectus ;
namgue illudsolum quod sentit, de divinis verUtime
apprehendil intellectus. Pseudo-Bonaventure, Opéra,
édit. Vaticane, q. unie, t. vu, p. 729, Vue Sion lugent,à
la lin des solutions.
Si l'on définit la connaissance fidéiste, subjectiviste
.i ri lativiste, celle qui : I. consiste en un sentiment
meun jugement préalable, nulle prœvertente men-
culiarem quemdam commovet sensuni,
ilii l'encycliqui Pascendi, HU tamen agnosticismus ;
•J. qui tire -"ii origine du sujet, sans que l'objet lui
■oit intellectuellement représenté avant qu'il réagisse
sentimentalement; 3. qui n'exprime son objet qu'en
fonction de l'opération par lequel elle le constitue
eu t objet, la connaissance expérimentale de Dieu
équente, dont Gerson admet la possibiliti
unie ni lld \u^si.
h. parlant d'elle, ne trouve aucun argument de
ii pour montrer qu'elle n'< il pat purement i
de la difficulté en recourant à I
il d'autorité, condt mnatui > il artit
,ir. ii ni a propot que li - Pères el les tl
- n'admet) trois voiei
h n' dans l'hypothèse qu'il soutient
on i wlement, Pe fait, dans cette b] po
'in ,i t., -, iaion en he,,
telque lie celle
de l'inclusion des choses dans les monades, on ne voie
pas comment on pourrait parvenir à dépasser le stade
où Dieu est désigné uniquement par des dénominations
extrinsèques, et à porter des jugements déterminés sur
la nature intrinsèque de Dieu.
Voir Gerson, Opcra. 1488, outre les passages cités dans le
texte, Magnificat, tr. V, alphabetum i.xxxiv, n. I, o; alphabe-
tum i.xvi, consid. xil; tr. VII, alphabetum i.xxxvi, j; Alvarez
de l'az, De inquisitione pacis. 1. IV, part. III, c. vm, Opéra.
Paris, 187G, t. vi, p. 299 sq. ; Oviedo, Integer cursus philoso-
phicus, t. II, De anima, cont. vm, p. nr. En sens contraire,
Suarez, De religioue. tr. IV, de oratione, 1. II, c. xm, Opéra,
édit. Vives, t. xiv, p. 17G ; Disput. metaphys., disp. XXI II ,
sect. vn ; Vasquez, In Sum. theol.,\" II", q. IX, a. 1, disp. XXXV;
Lossada, Cursus philosophicus. Animastica, disp. VII. c. IV,
n. 74, Barcelone, 1883, t. IX, p. 127; Gravina, Lapis lydius,
1. II, e. xnr, Naples, 1638, p. 150.
C'est sur le modèle de la connaissance subséquente
des mystiques que Luther calqua sa théorie de la foi
fiduciale qu'il appelle expressément agnitio experi-
mentalis. Cf. Calvin, Institution chrétienne, 1. III,
c. n, 14, Genève, 1562, p. 335. On sait que les anciens
protestants distinguaient la foi des histoires ou des
dogmes et la foi justifiante. Cf. Harent, Expérience et
foi, dans les Éludes, 20 octobre 1907 et avril 19(18. La
foi justifiante considérée précisément, c'est-à-dire
comme distincte de la foi des dogmes, dont Luther ne
l'avait pas complètement purgée comme font les pro-
testants libéraux, est une expérience intérieure.
L'Évangile proposait la promesse générale de la ré-
mission des péchés; comment passer à la certitude de
la justification personnelle1? Par le sentiment, répondit
Luther, par l'expérience intérieure. Tamisée par le
sentiment, la promesse générale se réalisait en certi-
tude du salut personnel. Cette certitude, on le voit,
est nettement fidéiste, puisqu'elle ne se légitime pas
par un motif qui puisse intellectuellement se formuler
par un jugement qui la précède, niais seulement par
le goût intérieur, par la certitude immédiate du contact
ou de l'action divine, parle témoignage de l'Esprit, etc.
Voir Crédibilité, t. tu, col. 2299, et Foi. Les théolo-
giens protestants ont fait subir à la doctrine primitive
bien des retouches. Mais, pour tous ceux qui ne sont
pis de purs rationalistes, comme Wegscheider, la foi
justifiante est restée fidéiste. On y croit, comme les
mystiques de Gerson aiment, sans raisons intellectuelles.
La foi fiduciale est de même subjectiviste. En effet,
l'objet précis de celte foi se réduit au contenu des états
i iprésentatifs issus de l'expérience. Les protestants ne
s'accordent pas sur cet objet ni sur la genèse de ces
états : les opinions vont de l'orthodoxie à l'Inconnais-
sable, du mysticisme le plus outré au voisinage du ra-
tionalisme. Mais tons s'accordent à dire que l'objet de
celte foi est déterminé par l'expérience intérieure et
qu'il se réduit à ce qui est expérimenté, senti, goùlé.
Seule la connaissance expérimentale il'1 cel objel est
pour eux un'' véritable connaissance religieuse, de
même que l'état de celui qui est justifié par la foi. est
• ni i religieux ». Cel exclusivisme suit, soit de la
thèse fondamentale de l'impuissance de la raison na-
turelle de l'homme déchu en matière religieuse; soit
qu'avant la foi et même avec la loi. tout ce qui
n'est pas la foi est péché, suivant le sen-. donné par le
libre examen an texte de saint l'aul . Onuic iiiilem
quod mm est ex flde, peccatum est, Rom., xiv, 23; soit
enfin «le ce qu'il n'j a de vraie connaissance religieuse
Celle qui lerl BU MIuI et qui' sans la fol on ne
saurait plaire ., lion. 1 n pa B( 1 de Kanl indique
bien leur pensée. Parlant «le la croyance en Dieu. Kant
o! pal que DOUS disions : « Il Bel moralement
certain que Dieu existe, I liens seul, ne ni !
moralement certain, i lanl M se défie de la certitude
rationnelle, il tanl il donne de prix .1 la 1 onnai
791
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
792
qui naît de la certitude qu'il appelle morale et définit :
celle qui s'appuie sur des causes subjectives. Critique
de la raison pure, Méthodologie transcendantale, c.w,
sect. m, trad. Born, t. i, p. 569. Tel est le sens pour
eux de ces expressions : la religion est une vie; une
impression précède les formules religieuses qui en
fournissent une expression extérieure et formelle; Dieu
■est le résumé de nos expériences religieuses, etc. Si on
veut les entendre dans le sens où ils les emploient —
et qui est tout différent de celui qu'elles pourraient
avoir sur des lèvres catholiques — il faut se souvenir
que, de même que la connaissance subséquente à
l'amour des mystiques, la foi justifiante est une con-
naissance qui, par déiinition, manque de fondement
rationnel, objectivement adéquat soit à la représenla-
tion produite, soit à l'adhésion donnée; dont l'objet,
comme tel, ne vient pas du dehors (extrinsécisme),
mais est constitué exclusivement par l'action ou parla
réaction du sujet; et où la vérité objective et la certi-
tude subjective ne se résolvent en aucun cas, soit à des
raisons logiques, soit à l'autorité du témoignage divin
garantissant la vérité de la pensée divine contenue
dans la révélation générale.
Fidéiste et subjectiviste, la foi fiduciale est nécessai-
rement relativiste. Car, puisque seule elle constitue
l'objet religieux comme objet, elle l'exprime nécessai-
rement en fonction de l'opération par laquelle elle le
saisit et s'en tient pour assurée. La conséquence est
nécessaire, puisque, d'une part, la foi justifiante
comme connaissance religieuse valable se distingue
adéquatement de la foi des dogmes ou des histoires;
puisque, d'autre part, l'éclosion dans l'âme de cette foi
est indépendante de tout motif rationnel adéquat et
reste un fait impénétrable à l'analyse. La « bonne nou-
velle » à laquelle doit répondre le « oui » de l'âme,
pour être justifiée, se réduit, on le sait, à peu de chose
pour la plupart des protestants. Or, quanu on examine
de près, dans les meetings de la rue, au temple, dans
la conscience ouverte des néophytes aussi bien que
dans les livres, cet acte de foi, on observe que rien n'y
est affirmé de Dieu objectivement. L'idée de Dieu n'y
intervient qu'indirectement, soit comme cause, soit
comme terme d'un état actuel ou futur de la conscience
subjective du croyant : on croit non quee vera, mais
seulement quee promissa sunt. Ce fut la raison pour
laquelle le concile de Trente, que le concile du Vati-
can n'a fait que développer sur ce point, inséra ces
mots : credenles vera esse quai divinilus revelalct.
Denzinger, n. 680. Les anciens protestants disaient
que dans la foi fiduciale tout se passe comme dans la
foi des miracles. Or le thaumaturge qui affirme avec
certitude que dans un quart d'heure il opérera un pro-
dige, n'énonce directement et explicitement rien de la
toute-puissance divine; ce qu'il affirme objectivement,
c'est l'œuvre merveilleuse. De même, la foi fiduciale
qui se tient pour assurée de la rémission actuelle des
péchés ou de la réalité future et définitive du salut,
n'affirme directement rien de la bienveillance divine
considérée en elle-même. Dans la foi des miracles et
dans la foi justifiante, l'idée de Dieu et de ses attributs
n'est impliquée dans le phénomène subjectif de la cer-
titude que par manière de postulat. Sans doute, il est
possible dans certaines conditions de désigner l'objet
religieux, Dieu lui-même, à l'aille d'étals subjectifs.
Cf. Dictionnaire apologétique, Paris, 1909, t. i,
col. 13 sq. Mais, enfermé dans le subjectivisme, si l'on
ne se donne pas par ailleurs l'idée de l'Infini — et
comment se la donner si, faisant abstraction de la ré-
vélation extérieure et tenant pour nulles les connais-
sances rationnelles, on ne tient pour vrai en matière
religieuse que ce qui est vécu, donné par l'expérience
intérieure — on n'arrivera jamais par des formules
construites rigoureusement avec des états subjectifs
à exprimer rien d'intrinsèque a la nature divine.
2» lié percussion de la doctrine de la foi justifiante
sur la doctrine de la connaissance naturelle de Dieu. —
.Nous avons vu (pie la doctrine luthérienne des suites
du péché originel, le nominalisme de la dogmatique
protestante poussaient la Réforme a se délier des moyens
rationnels de connaître Dieu. La théorie de la foi jus-
tifiante, commune à tous les protestants, mais déve-
loppée surtout chez les sectes mystiques et piétistes. a
puissamment contribué à les confirmer dans cette dé-
fiance. On se souvient que le pseudo-mysticNne de
Molinos l'amena à nier la valeur de la connaissance
intellectuelle de Dieu, et que Boehme réduit a rien
notre connaissance de Dieu considéré en lui-même et
indépendamment des créatures. Il s'est passé quelque
chose de semblable dans le monde protestant, par suite
du rôle prépondérant, exclusif, attribut' à la foi justi-
fiante dans la constitution de nos idées véritablement
religieuses, et par suite du relativisme du mode de re-
présentation de l'objet religieux impliqué dans ce pré-
tendu acte de foi. Cf. Le Bachelet, art. Apologétique,
dans le Dictionnaire apologétique, Paris, 1909, t. i.
col. 207. C'est sur le modèle des diverses théories pseudo-
mystiques de la foi fiduciale qu'ont été construits, de-
puis la fin du wiii" siècle, tous les systèmes protestants
— doctrines de la foi et philosophies de la religion —
qui, prenant pour base la distinction du connaître et
du croire, ont nié que nous connaissions Dieu ration-
nellement et pourtant gardé la croyance en Dieu. A
défaut d'une histoire, qui ne saurait trouver place ici,
voici quelques faits, qui serviront d'indications.
1. Le flottement doctrinal du protestantisme permet-
tait de ramener toute la religion â l'idée de Dieu; en
d'autres termes, les « essences du christianisme », puis
« l'unité des religions sous la diversité des théologii
étaient dans la logique et partant dans la psychologie
du système des articles fondamentaux. Le protestantisme
manque de règle de foi objective; car ni la Bible, ni les
formulaires ecclésiastiques, livrés aussi bien que les dé-
cisions du prince, à l'interprétation privée, ne sont des
règles de foi extérieures. Intérieurement, chacun réduit
le dogme à ce qu'il expérimente. De là, l'indifférentisme,
le rationalisme, puis le latitudinarisme. Cf. Herzog.
Realencijclopiidie , 3e édit., v» Adiaphora : Wetzer el
Welte, Kirchenlexikon, 2e édit.. v° Adiaphora.
2. Même pour les protestants qui admettent encore
la révélation positive, il est à remarquer que dans la
foi fiduciale l'autorité du témoignage divin n'est pas
le motif de l'assentiment et la base de la certitude.
Denzinger, n. 1G3S. Car l'objet de cette foi renferme
toujours quelque chose de personnel, qui n'a pas été
révélé, qui n'est pas contenu dans la révélation exté-
rieure. Etant donné que dans le système est valablement
religieux seulement ce qui est donné par et dans l'ex-
périence intérieure, on crut depuis Lessing pouvoir se
passer de la révélation proprement dite, tout en restant
protestant, le protestantisme étant réduit à l'idée de
Dieu et à la connaissance par h' sentiment moral et
religieux. On en est venu à confondre tellement la foi
et la connaissance naturelle de Dieu que certains pro-
testants, conscients de la dureté de la prédestination
luthérienne et calviniste, admettent la justification des
païens par la première idée de Dieu. Cf. Hastings, Die-
tionary of the Bible, Edimbourg, 1899, t. n, art. Jus-
tification, p. 828; Denzinger, n. L040.
3. La théorie de la foi justifiante fournissait un cas
typique de connaissance religieuse tenue pour va-
lable sans connaissance intellectuelle antécédente, de
croyance « sans raisons intellectuelles ». comme dit
M. Payot. Voir Croyance. Pour accorder le dogme lu-
thérien de l'impuissance de la raison en matière morale
et religieuse et le privilège de vérité que Ion attribuait
à l'expérience religieuse, on imagina d'abord que. s'il
793
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
794
y a des preuves rationnelles île l'existence de Dieu,
elles ne sont point suffisantes. « Ce sont les preuves de
sentiment •> qui donnent la vraie persuasion; « ce sont
elles qui font le véritable fidèle, » disait déjà un des tra-
ducteurs de la Vraie religion de Grotius, Amsterdam,
1728, p. xv. Et l'on retrouve cette même théorie fort
nettement exposée dans Hastings, Encyclopsedia of
religion and ethics, Edimbourg, 1908, t. I, art. Apolo-
getics, p. 612, 622. L'auteur de l'article, M. Crafer,
professeur à Cambridge, ne veut pas être agnostique et
il admet les preuves de l'existence de Dieu ; « maisau-
cune d'elles ne va jusqu'à être une preuve positive. »
■ L'expérience personnelle du chrétien peut seule être
la preuve finale. « •• La preuve rationnelle s'achève dans
la région de l'Esprit (Spiril) par la faculté spirituelle
de la foi. » Pour la raison, le mot « infini » est purement
négatif; mais, pour la foi, il est entièrement réel et
positif. La foi est un moyen ou organe de connaissance
« distinct de nos autres moyens de connaissance, en
sorte qu'elle doit être ajoutée à nos sens et à notre rai-
son pour compléter notre être cognoscitif. » Car «l'es-
sentiel de la vraie religion estl'exercice de la foi (faitli) ; »
or Dieu fait appel non à la raison, mais au cœur.
M. Crafer voit bien que ce fidéisme choquera; il ré-
pond que « la raison ne doit pas se moquer de la fa-
culté spirituelle de la foi, mais doit l'accepter comme
supérieure à elle. » Dcn/.inger. n. 1639, 1643.
On est allé bien plus loin. .lacobi recommanda le
taltn mortale du fidéisme aveugle. Kant écrivit la Cri-
tique de la raison pure pour ruiner les preuves ratio-
nelles de l'existence de Dieu. Le premier en appelait
directemenl à l'expérience religieuse, à celle-là même
que l'ensemble des protestants admet dans la justifica-
tion. Le second déguisa savamment sa pensée, qui
pourtant n'échappa pas à ses contemporains, qui par-
lèrent de son mysticisme el dirent tout haut que le
système n'était autre que la doctrine piétiste « de la
foi qui opère par la charité. » C'est bien en effet ce que
veut dire Kant, lorsqu'il fait reposer la croyance sur
des causes subjectives, c'est-à-dire sur des raisons mo-
rales. Son habileté- fut de profiler du fait que le senli-
nii'iit de l'obligation morale n'esl jamais absent de la
conscience et qu'il est lié à l'idée de Dieu. Saenger,
Kanls Lehre votn Glauben, 1903. Cependant la doctrine
de Kanl parut trop rationaliste à Schleiermacher. qui
s'appliqua à rendre au sentiment, à l'expérience reli-
se proprement dite, son importance. Pas de con-
ance religieuse sans l'expérience de la foi :rien de
plus conforme au luthéranisme primitif. Ce qui explique
l'énorme influence de Schleiermacher dans les milieux
protestants, c'est qu'en Be réfugiant dans l'expérience
intérieure on croyail Irouvercontre l'athéisme un asile
Imprenable, uni' forteresse inattaquable : c'est aussi
qu'on se débarrassai! pai n du poids morf di -
dogmes, qu'avaient retenus les premiers protestants,
tout en n'ayanl pas l'air de tomber dans le pur rationa-
lisme d'un Wegscheider. Cf. T. Parker. Discourse of
matlei v pei taining lo religion, 1846; Morell, Philosophy
• i( religion, I8i9; Kerrier, Institutes o\ metaphysic,
Edimbourg, 1854. Le pasteur < toquerel écrivil Le
tiani niai, Paris, IsiT, «pour les esprits
doués d un juste instinct religieux, i dans le bul i di
remplacer la foi objective puiséi dam les dehors de la
i une foi subjective puisée dans l'homme
en lui-même, p mi. Pour cette fol sub-
•'. disait Coqui rel, nfler en heu. c\
confier en soi-mémi Pai pli e confier en Dieu
connue en un éire aimant ei bon. c'i tu confli i en
l'idée qui d< On amour el dl
bonti Vewman, encore protestant, Di$-
tw le •' ii.nl Saleilli i, La
>>n et p '
i7, n il
i. Nous avons dit que le nominalisme rigoureux,
s'il garde la croyance en Dieu, ne peut le désigner que
par de pures périphrases, par des dénominations
extrinsèques, sans arriver à porter sur Dieu en soi des
jugements valables. Nous avons dit aussi que l'objetre-
ligieux,dans l'expérience intérieure sans connaissance
antécédente de la foi fiduciale, est nécessairement dé-
signé de la même manière. Dès qu'on eut réduit l'objet
de la foi à la croyance en Dieu par l'expérience reli-
gieuse, il était donc naturel de ramener notre connais-
sance de Dieu à ce qu'elle est dans l'hypothèse nomina-
liste, et de nier la portée ontologique de nos jugements
sur la nature divine. Kant le fil, on le sait. Schleier-
macher, bien que fort peu dogmatique, ne déduisit pas
lui-même nettement cette conclusion agnostique, du
moins en ce qui regarde Dieu en soi. Mais il se ren-
contra bientôt des esprits qui tentèrent l'aventure. Cela
se fit, soit par réaction contre les prétentions outrées
de l'intellectualisme de Cousin et de la philosophie
spéculative de Hegel, et tel est le cas de sir Hamilton,
Discussions on philosophy and literalure, 1852; Lec-
tures on metaphysics and logic, édit. Mansel et Veitch,
Edimbourg, 1866, et aussi de Mansel, The limits of
religions Thought, 1859; soit dans un esprit plus
rationaliste, et tel est le cas de Parker et de Coque-
rel qui, dès ces temps lointains, parlent, l'un, de la
« vérité mobile » et de « l'unité des religions, sous la
diversité des théologies, » Denzinger, 10e édit., n. 2058,
2082, parce que l'expérience religieuse « ne nous ren-
seigne pas plus sur son objet que ne le font nos sens
sur la nature intime des choses, » Parker, op. cit.,
p. !i sq.; l'autre, du principe « que la nature de Dieu
n'est connue que de lui, que Dieu n'est pas matière à
raisonnement. » Coquerel, op. cit., passim. Le moyen
terme employé fut simplement l'adjonction de l'hypo-
thèse noininaliste à l'interprétation de l'expérience
religieuse sentimentale. On sait que le c. V, Réconci-
liation, des Premiers principes de Spencer est le ré-
sultat de cette manœuvre. L'agnosticisme empiriste a
été l'issue de ces spéculations.
En Allemagne, on est arrivé au même résultat de
l'agnosticisme, mais idéaliste, avec Albert Ritschl.
Celui-ci, pour bien marquer les origines prolestantes
de son système, l'a exposé dans un livre qui a pour
litre. Die christliche Lehre der Rechtfertigung und
Versôhnung, édition modifiée de 1888. Il faut analyser
cette doctrine, parce que c'est de Ritschl que dépendent
llarnack, Sa ha lier, etc., et par suite ceux des modernistes
qui ne sont pas simplement spencériens ou positivistes.
La théorie de la connaissance religieuse de Ritschl est
fondée sur la théorie kantienne de la connaissance,
bornée au seul phénomène, bien que Ritschl accepte la
formule de Lotze : g Nous connaissons les choses dans
les phénomènes, i Car il semble bien, malgré des flot-
temi nis, que « les choses » sont pour lui un produit de
noire activité' mentale, une image, résidu de plusieurs
ptions sensibles; et sur ce point, le système cou-
ine a l'idéalisme phénoméniste. Quoi qu'il en soit,
Ritschl distingue expressément une connaissance reli-
gieuse el une connaissance théorique, - fondions dis-
tinctes, qui. même appliquées au même objet, ne
ident su rau (un point, mais divei - ni entii n ment. »
ait i i. en effet, se référer de deux façons
ptions : ou. le, regai daol e. di me i
objectives, il cherche ■> le*- organiser en un système
cohérent de la nature, au moyen du heu causai, et
porti ' leur sujet des jugements théoriques, scienti-
fiques, d'existence; ou il le, considère comme a^is-
-ani sur le sujet sensible et porte à leur soji ;
jugement i de valeur Werlurteile), caracti risés par ce
l'ail qu'ils font al. h n lion île la n ilui'e ODJeCtivi • I di •
relaie entre elli 1 1 appi ■ tu ni feule-
ment leur aptitude i latisfaire b-s besoins (esthétiques,
795
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
796
moraux, religieux) du sujet. Ainsi est établie la distinc-
tion entre la connaissance religieuse, exclusivement
relative au sujet, intéressée, s'exprimant par des <■ juge-
ments de valeur indépendants » — et la connaissance
théorique. Par exemple, l'homme religieux n'a pas à
se prononcer sur ce jugement : Jésus est-il Dieu? —
mais sur celui-ci : Jésus a-t-il pour moi, pour ma vie
religieuse et morale, la valeur d'un Dieu'.' Et le second,
pour Ritschl, ni n'implique le premier, ni n'en dé-
pend. La théorie, de la religion est faite pour s'accor-
der avec celle théorie de la connaissance religieuse.
La religion n'a pas pour objet les rapports de Dieu
•avec l'homme ou l'union de l'âme avec Dieu. Son but
est de donner une solution au problème que voici :
l'homme, jugeant qu'il est un être spirituel et personnel,
voit qu'il est né pour dominer le inonde; d'autre part,
il se sent dépendant du monde, opprimé par lui. Il
trouve une solution de ce problème pratique dans l'idée
d'un pouvoir supérieur au monde, qui le gouverne
pour les fins delà vie spirituelle. Celte idée de Dieu
n'est ni une intuition, ni une inférence rationnelle,
mais un postulat de l'homme qui en a besoin pour exer-
cer sa maîtrise personnelle et spirituelle sur le monde.
Ce postulat s'exprime sous une forme symbolique,
par exemple, Dieu est amour. Par là, on voit ce que
signifie la célèbre phrase de Ritschl : « Dieu n'est qu'un
simple nom qu'emploie le chrétien pour résumer ses
impressions religieuses. » Mais toute intrusion du ju-
gement théorique en matière religieuse est nulle et sans
valeur : exemples, dogmes de la Trinité, des deux na-
tures dans le Christ. Tout ce que nous pouvons dire est
que Jésus est Dieu pour nous, a pour nous une valeur
divine, parce qu'il nous révèle Dieu, c'est-à-dire parce
qu'il nous manifeste une maîtrise complète sur le
monde matériel (rédemption, justification, vie éter-
nelle), un dévouement absolu au royaume de Dieu
(communauté de personnes agissant d'après les lois de
la vertu). Donc notre religion, notre christianisme,
conclut Ritschl, sont indépendants de ce que nous
pensons comme philosophes, de ce que nous tenons
comme historiens.
Sous la phraséologie moderne de Ritschl, on recon-
naît la vieille doctrine de la foi fiduciale, où tout en
matière religieuse dépend de l'impression du sujet, où
l'objet religieux se définit en fonction des besoins, des
états, des émotions du sujet, sans qu'aucune donnée
intellectuelle intervienne. Le système a été développé
et appliqué à la connaissance de Dieu. On croit à l'exis-
tence de Dieu « sans raisons intellectuelles »; ou bien,
si l'on garde encore ces raisons, on déclare, comme
Molinos, sans valeur la conclusion à laquelle on aboutit
par le discours, sauf à déguiser le procédé par un appel
à Kant ou à la philosophie positiviste. A la réllexion
■cependant, on concède, ou bien avec Kant que l'on croit
à cause de nos besoins moraux, ou bien avec Rainquc
la croyance est un « développement de la volonté à la
poursuite de fins immédiates » et qu'elle « dépend de
nos tendances actives et émotionnelles. » Mental
science, 1. IV, c. vin, lre et 3e édit. Toutes explications,
d'apparence scientifique, que donnait déjà d'un mot le
traducteur ancien de Grotius, quand il affirmait que la
preuve qui fait le vrai fidèle est la preuve de sentiment
« par les besoins de la conscience ». D'ailleurs, que
pour éviter en apparence le pur sentiment, on ait re-
cours à l'intuition immédiate, sans preuves, avecM. Mo-
nod, art. Foi, dans Lichtenherger, Encyclopédie des
sciences religieuses, Paris, 1878, t. v, p. 1; qu'on fasse
appel à une vue mystique et suprarationnelle, avec
Rradley, Appearance and reality, 2e édit., 1902; au
subconscient, avec William James; à l'action de l'Esprit,
avec Heard, The triparlite nature of man, 5e édit.,
Edimbourg, 1882; à un fait de conscience « impéné-
trable à l'analyse », avec Sabatier, Esquisse d'une phi-
loeophie religieuse, etc., Paris, 1898, p. in: c'est tou-
jours à l'expérience intérieure, à l'exclusion de toute
connaissance rationnelle, qu'on a recours. Le thème
sur lequel on exécute toutes ces variations, n'est autre
que la pseudo-mystique de la foi liduciale des premiei -
protestants.
Inutile d'ajouter que, ne reconnaissant aucune valeur
aux preuves, à la connaissance intellectuelle en ma-
tière religieuse, on s'abstient, comme Locke ou connue
Kant, de tout jugement sur la nature intrinsèque
Dieu. Dieu reste aussi inconnu dans le système d Au-
guste Sabatier que dans celui de Spencer. Dans les
deux cas, on le désigne par une dénomination extrin-
sèque et par de pures métaphores. Les métaphores bi-
nent, mais le procédé est identique. (Jue Spencer dé-
crive le travail de la religion : « Construire sans fin
des idées qui exigent l'effort le plus énergique de nos
facultés, et découvrir perpétuellement que ces idées
ne sont que de futiles imaginations et qu'il faut les
abandonner, telle est la lâche, qui, plus que toute
autre, nous fait comprendre la grandeur de ce que
nous nous efforçons en vain de saisir, a Premiers prin-
cipes, § 31; ou que Sabatier nous apprenne que « la
définition de l'objet adoré se tire du culte et du bienfait
qu'on en attend », Les religions d'autorité et la
gion de l'esprit, Paris, 1904, p. 529, 534; c'est philoso-
phiquement tout un. Nous n'avons dans les deux cas
qu'une connaissance symbolique, et Dieu n'est désigné
que par nos états subjectifs.
On pourrait s'imaginer que cet agnosticisme croyant
était totalement étranger aux anciens protestants. Les
protestants libéraux ici encore ont raison; ils ont des
ancêtres. La multiplicité des sectes, l'ambiguité voulue
des formulaires ecclésiastiques, les variations perpé-
tuelles sur les dogmes particuliers, l'unité extérieure
sauvegardée, sans unité de pensée, par le soin de vider
les formules de tout sens ferme et précis qui s'imposât,
firent naître de bonne heure l'idée de la relativité de
nos connaissances sur Dieu. On s'attacha surtout à ce
qui répondait à un intérêt moral, à ce qui procédait
des besoins de l'âme. De tout le reste, on fit des sym-
boles, qui ne sont que des images subjectives, d'une
vérité toute relative; on considéra ces symboles, créés
par les besoins de notre esprit et correspondant aux
lois psychologiques de notre être spirituel, comme des
produits de la réflexion, sans portée objective et méta-
physique. Tel est le sens de l'apologétique d'aveugles
adoptée par le D' Harris ; pour défendre la religion
naturelle, il s'appuie sur ce que nous sommes dans
une ignorance complète de la nature de tout ce qui
nous entoure : il en est de même pour Dieu. Quoi de
surprenant? Cf. Rurnet, Défense de la religion tant
naturelle que révélée (fondation Boylei, La Haye. 17'ii.
t. il, p. 34 sq. Vers la même époque, et donc bien avant
Mansel, Limits, etc., et M. Tyrrell, Through Scylla
and Charybdis, Londres, 1907. c. Révélation, l'arche-
vêque anglican de Dublin, King, Discoursc of predes-
linalion, 1709, réimprimé par Whately, dans ses Bantp-
lon lectures, Appendix, p. 480. et l'évêque de Cork.
Browne, Procédure, e.rtenl and limits of human under-
slanding, 1728, soutinrent, dans des vues iréniques, à
propos de la prédestination, que notre connaissance de
Dieu est purement analogique au sens nominaliste, en
sorte que nous « n'avons aucune conception directe
et propre des attributs divins, pas plus que de quelque
autre chose de ce monde. » Cf. S. Thomas. Sum. theol.,
1», q. xin, a. 3. Voir Berkeley, Alciphron, dial. iv.
c. xxi, et, en sens contraire, Spinoza. Ethica, pari. I.
prop. xvn, scholion ; pari. II. prop. xi. v-xi. vu ; Copies-
ton, Enquiry into the doctrines of necessity andpre-
destination, 1821 ; Grinfield, Vindiciiv analogies, 182-2;
Ruchanan, Analogij considered as a guide la truth,
2« édit., 186."). Le rôi Jacques Ier, pour écarter tout
797
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
798
blâme de l'Église anglicane, parle de sa « religieuse
modération dans la curiosité aux mystères, » et pense
résoudre les controverses par une solution agnostique.
Cf. Du Perron, Réplique à la réponse du sérénissime
roi de la Grande-Bretagne, Paris, 1620, p. 858 sq. Voir
ïxrrell, op. cit., p. 95, 99 ; Denzinger, n. 1392, 1644 ; Le
Roy, Dogme et critique, Paris, 1907, p. 32. Calvin,
malgré son dogmatisme, pour résoudre les difficultés
de la prédestination telle qu'il la conçoit, recourt à
l'échappatoire de la « docle ignorance » pseudo-mvslique
et agnostique de Nicolas de Cusa. Institution chré-
tienne, 1. III, c. xxi, 3; c. xxiii, 8. D'ailleurs, d'après
Calvin, « l'intelligence de la foi consiste plus en certi-
tude qu'en appréhension. » Lobstein, Élude sur la
doctrine chrétienne de Dieu, Lausanne, 1907, p. 115 sq.
La position de Luther relativement à l'agnosticisme se
manifeste par cette proposition : Istis novissimis tre-
cenlis aunis multa perperam detcrminala sunl, quale
est essentiam divinam nec generari nec generare.
Pour détendre cet article, condamné par la Sorbonne,
Mélanchtlion, après avoir parlé des stidtas et nugato-
rias qusestiones et de lana caprina logomacltias que,
d'après lui, discutent les théologiens, cherche à légi-
timer l'agnosticisme de Luther par un texte de saint
Augustin, souvent cité durant ces dernières années :
Augustinus percutit vcstram audaciam. Vis scire,
inquit, naluram Dei'? Hoc scito, quod nescias. Confu-
tatio, p. 71. Sans doute, ni Luther ni Mélanchtlion
n'auraient admis, avec M. Simrnel, « que toutes les reli-
gions se valent théoriquement, puisque le contenu
d'aucune n'est logiquement déterminable. » Simrnel,
De la religion au point, de vue de la théorie de la
connaissance, dans Bibliothèque du congres inter-
national de philosophie de 1900, Paris, t. il, p. 319.
Mais s'ils auraient reculé devant les conclusions.
M. Harnack n'a pas complètement tort de penser qu'ils
posaient les prémisses.
Critique. — 1° Il ne manque pas de protestants qui
voient clairement que « c'est abuser du langage de rem-
plir ses pages des mots foi, vie spirituelle, quand on
croitàl'Kcritnre comme on croit à Homère et à Platon. »
MacCosh, The methodofthe divine government, 'redit.,
Edimbourg, 1855, p. 507. Il en est d'autres qui continuent
rationaliste Wegscheider, que a la raison
guider et juger le sentiment. < Institutiones theo-
■ 1844, p. 5::. D'autres pensent avec saint Paul.
I Église et ie concile du Vatican, Denzinger, n. 1643,
Hi.".:i, 1658, qu'il est deux ordres de vérités moral*
ii uses, celui que la raison peut atteindre naturel-
le ni el celui don) la connaissance suppose la révé-
lation, et ils regrettent que cette distinction soit mé-
connue par tanl d< réformés. .Vaille. Les philosophie*
négatives, Paris, \> 13 il». Il ne leur échappe pas que
n fait, (le la f,,i. indi ml confondue avec la con-
naissance nalun Ile de Dieu, un « pur sentiment, qui m
pas plus sur le caractère intime di
objet que ne i,,nt les sens, imites les relij aient.
Buchanan, Faith n, God, Edimbourg, 1855, t. il, p. 219.
Enfin beaucoup combattenl l'agnosticisme en généralel
"1er" du pragmatisme. Oui ou non, sa-
que Dieu i •! rémunérateur ' ■ Si l'on admel
alité objective du jugemenl el du juge, il m a plus
i un quid divin, il ya connaissance,
affirmation s,,,
nalité de Dieu Si l'on n'admel pa
ni le texte de sainl Paul, Heb., si
Seing and allributei o/ God, I ondre . 1886,
P 106 Le i" li
' inqargumi n rti . ncycliqui
il aux
ur le modèle de la
'I'""1' i ' étal affectif qu'admel Gerson, lia ont
(mil ou calqué des il <iei im l'i
religieuses et toute une épistémologie. Mais c'est pren-
dre pour accordée une hypothèse psychologique et
oublier de prendre pourpoint de départ un fait cons-
taté. Ensuite, chez les mystiques orthodoxes qui la
soutiennent, cette hypothèse est réservée à certains cas
d'états mystiques; aucun auteur orthodoxe ne confond,
avec ces états, la foi surnaturelle proprement dite, et
encore moins la simple connaissance naturelle de Dieu
par la raison. D'ailleurs, cette hypothèse est contre l'a-
dage : lgnoli nulla cupido, et contre le mot de saint
Augustin : Invisa diligere possumus, incognila non
valemus. Mot et adage qui expriment un fait d'expé-
rience, parfaitement indépendant de l'opinion qu'on se
fait sur la question de la distinction réelle des facultés
Peut-on raisonnablement fonder toute la religion sur une
hypothèse aussi branlante que celle de Gerson? Est-ce
là procéder scientifiquement? Enfin, quand l'hypothèse
de Gerson serait confirmée par les faits et, par suite,
pourrait servir au théologien dans la théorie de l'inspi-
ration ou de la révélation immédiate, c'est un saut de
génère ad genus de transporter à notre foi qui est
j médiate et non œuvre d'amour mystique, ce que Ger-
! son et ses adhérents disent d'un certain état de l'amour
| mystique. .4 fortiori, ce saut est-il, comme celui de
Jacobi, mortel, si on passe de l'amour mystique dont
parle Gerson à la simple croyance à l'existence de
Dieu.
Il serait illusoire d'essayer ici une bibliographie. Nous nous
bornons de parti pris aux indications suivantes, où l'on trouvera
les renseignements qu'il nous est impossible de donner. Beiman-
nus, HistoriaUmversalisatheismietatheorum...apudJudwos
christianos, muhamedanos.ordinechronologico descripta et à
suis initiis usque ad nostra tempora deducta, Hildesheim
1725; Jean François Buddeus, Traité de l'athéisme et de la
superstition avec des remarques historiques et philosophi-
ques, trad. L. Philon, Amsterdam, 1740 ; J. Brucker, Historia
critica philosophise... ad nostram usque tetatem deducta
2- édit., 6 vol., Leipzig, 1767. Ces trois ouvrages de main protes-
tante donneront l'histoire et la bibliographie de toutes les ancien-
nes controverses sur notre sujet. Pour la (in du xvm siècle et
le début du xix-, le même service sera rendu, à un point de vue
plus rationaliste que protestant, par G. Bretschneider, Systema-
tische Entwickelung aller in der Dogmatik vorkommenden
Begriffe, nach den symbolischen Schriften der evangeliscl..
lutherischen und reformirten Kirche, etc., 4- édit., Lei
1841 (ouvrage publié en 1803, mais tenu à jour); Wegscheider.'
Institutions theologise christianm iogmaticœ, 8- édit., Leip-
zig, 1844. Depuis cette époque à nos jours, cette littérature pi -
ciale esi touffue plus que jamais. On trouvera des références
suffisantes, pour l'Angleterre, dans le rationaliste (sens 8
actuel), Benn, The Mstory o) english rationalistn in the xix
iry, 2 vol.. Londres, 1906; peur l'Allemagne, dans Uh!-
mann (catholique), Die Peradnlichkeii Goltes und ihre mo-
dernen Gegner, 1906. D'une manière générale, la bibliographie
abondante de Sabatier, Esquisse d'une philosophie de la reli-
V après la psychologie et l'histoire. Parle, 1896; celle de
Morris Jastrov, The study of religion, Londres, 191 I
in, Études sur la doctrine chrétienne île Dieu, I au-
sanne, 1907, Indiqueront le- travaux récentsà
i ... ii humaine m noug
de donner indirectement l'ind „■, ,,
avoir lu qu'Une mince partie, en cherchant a choisir, P
trôler les vues que nos études nouBavalenl i
avant de publie, . nté nos conclus!' .
ouvrages elles dans le ■ suivants, qui m
atlon du nominal
rges Lyon, / « p\ \>\>cs,
Parla, 1898;] inglelcrre au wnr slàt I
1888: D( me moral dont SptMi ,/),,,-
Boutroux, Éludes d'histoire de la phii
phie, P tines de m ,
aine, Lonvaln, 186
sophy of Immanuel Kant, 2 vol., 161 ,,/,,,.
pratique de Kant, Pari , I» Léon I a ) hil tophie
i B .In philosopha
Parla, 1894 ; Maillet / ■ ,,,f /„
1 ' ' ' I ■ 1 1 ■ : I h la
m :
Essence du christianisa ,„„_'
799
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
800
nés Duns Scotus, Leipzig, 1000; Pfleiderer, Geschichte der Re-
ligionsphilosophie, 3* édit., 1893;Balllie, Theorigin and
ftcance of Hegel's logic, 19CM : J. Caird, A« introduction to tl»'
philosophy ofreligion, 1880; .i- Orr, llw Ritsehlian theology
and the evangelical faith, 1897 ; Kattenbusch, VunSchleierma-
cher zu Ritachl, 2* «jdit., 1893; Ecke, Die theologische Schule
.\. RitschV», 1897: Rébelliau, Boasuet historien du protestan-
tisme, Paris, 1892.
VII. Le jansénisme. — Baius cl après lui Jansénius
acceptèrent en partie les doctrines de Luther et de Calvin
sur les suites de la chute originelle, et cherchèrent à
les accréditer sous le grand nom de saint Augustin.
Pour Baius, comme pour Calvin, dans L'état de nature
déchue, les forces de la raison en ce qui concerne les
vérités morales sont entièrement éteintes. Baius traite
de pélagiens ceux qui « entendent des nations qui n'ont
point la gr;'ice de la foi » le texte de saint Paul : Godes,
(/use legeûi non habent. Boin., h, 14. Denzinger, n. 902.
Voir Baius, t. n, col. 70-71.
1» Jansénius. — L'Augustinus, Rouen, 1 6 43 , reprit
les vues de Baius. Au premier abord, il semble que
Jansénius se sépare de Baius; car il concède que les
philosophes platoniciens ont pu connaître Dieu par les
créatures, que tel est bien le sens de Rom., i, 20, et
l'opinion définitive de saint Augustin. De statu naturse
purse, 1. I, c. xin, p. 304. Il dit même expressément
qu'ils l'ont connu, nalurali ralionis lumine, nulla reve-
latione, par le principe naturel de l'obligation absolue
où nous sommes d'aimer Dieu par-dessus toutes choses.
lbid., c. xv, p. 307.
Mais : 1. cette connaissance était de nulle valeur au
point de vue moral et religieux sans la grâce. Jansénius
Fait ici l'équivoque, déjà signalée chez les protestants, qui
confond l'utile au salut éternel, le méritoire du salut
éternel, avec l'honnête. Comme il n'admet pas que
l'homme déchu puisse rien faire de naturellement
honnête sans la grâce, comme d'ailleurs il est vrai que
sans la grâce, dans l'état où de fait nous sommes, nous
n'atteindrons pas la vie éternelle, il conclut que les
païens ne pouvaient avoir aucune connaissance de Dieu
valable moralement sans la grâce : comme si « mora-
lement honnête » et « méritoire de la vie éternelle i>
étaient équivalents. Le vice du système est facile à
découvrir. Jansénius concède que les païens ont eu
une connaissance naturelle de Dieu spéculativement
valable, mais non une connaissance pratique, une
connaissance avec laquelle ils aient eu le pouvoir de
commencer leur vie morale et religieuse. A l'objection
que saint Paul, Rom., i, 20, déclare les païens inexcu-
sables de n'avoir pas honoré Dieu qu'ils connais-
saient, et que par conséquent ces païens n'avaient pas
une connaissance simplement spéculative de Dieu, mais
une connaissance moralement utile, les jansénistes ré-
pondaient par la plus immorale des doctrines : Deus
impossibilia jubet. C'est ce que veut dire Jansénius
quand, pour expliquer comment la connaissance de Dieu
(ju'il concède aux païens n'était que spéculative, il leur
octroie pour honorer Dieu « l'impuissance morale » où
nous sommes d'observer toute la loi : or, on sait que
d'après Jansénius cette impuissance morales- ramenait
à une véritable impuissance physique. lbid.,c. xiv, p. 306.
2. Cette connaissance purement spéculative de Dieu,
que Jansénius concède à quelques païens manquait
d'ailleurs de certitude, sans la grâce. Jansénius veut
prouver que 1' « état de nature pure » est impossible.
Denzinger, n. 935. Entre autres arguments, il apporte
celui-ci : Car le bonheur y serait impossible. Une des
conditions du bonheur parfait, en effet, d'après saint
Augustin et le sens commun, est qu'il soit assure''. Or,
dit Jansénius, dans l'état de nature pure, o quand même
on accorderait que l'homme pourrait connaître Dieu,
auteur des choses naturelles, il ne pourrait pas arriver
à la certitude. Car, bien que dans cet état il pourrait
connaître les vérités rationnelles tenuiter, il n'aurait
pas la certitude de son immortalité personnelle, non
tamen quamdiu vel ipsemet qui cognoscit, puisque au-
cun philosophe n'y est parvenu. » lbid., 1. II. c. vu,
p. 337. En d'autres tenues, la philosophie spiritualiste
esl impossible, sans la grâce. Cf. Denzingi r, n. 1506,
la proposition que dut signer lionnetiy.
3. Lnlin, cette connaissance spéculative et incertaine
de Dieu, que Jansénius concède à quelques païens etqu'il
appelle naturelle, en réalité vient de la révélation par la
grâce de l'amour. D'après M. Laberthonnière, la foi et
l'amour se confondent. « Avoir la foi, la foi vive et com-
plète, c'est posséder liieu. .Mais nous ne pouvons possé-
der Dieu qu'en nous donnant à lui; et nous ne pouvons
nous donner à lui que parce qu'il se dorme à nous. La foi
apparaît ainsi comme la rencontre de deux amours. »
Essais de philosophie religieuse, 1903, p. 166; cf. p. 110.
D'ailleurs, le don surnaturel de l'amour précède La foi
et même la recherche de Dieu. « Lorsqu'en elle! on en-
treprend de chercher Dieu, c'est que déjà d'une certaine
façon on l'a trouvé, » p. 145. C'est, à peine démarqué, le
fameux « Tu ne me chercherais pas, si lu ne m'avais
trouvé. » Mystère de Jésus. Et ailleurs : « La foi, pour
se réaliser, suppose la grâce, » p. 165; cf. p. 182. t Mais le
désir [déposséder Dieu, d'être Dieu] n'est pas naturel, je
veux dire que l'homme ne saurait l'avoir par lui-même,
car on ne peut pas posséder Dieu malgré lui, comme
on possède une chose. Et si l'homme désire posséder
Dieu et être Dieu, c'est que déjà Dieu s'est donné à lui.
Voilà comment dans la nature même peuvent se trouver
et se trouvent des exigences au surnaturel, » p. 171. Ces
exigences sont équivoques; oui ou non, la nature exige-
t-elle de posséder Dieu'.' Rien n'est plus exige dans un
être que ses constitutifs intrinsèques. M. Laberthonnière
répond avec une précision qui ne lui est pas coutu-
mière : « Ce qui fait que l'homme est homme, c'est
justement qu'il a le pouvoir de mettre Dieu dans sa vie
en le prenant pour fin, » p. 78.
Cette psychologie de la foi-amour n'esl rien moins
qu'originale. Jansénius avait dit au fond la même chose
que M. Laberthonnière. Chez Jansénius aussi la mani-
festation de Dieu se fait par la grâce surnaturelle de
l'amour (surnaturelle, au sens janséniste du mot). En
effet, dans le passage où il semble accorder que
l'homme peut connaître Dieu par les lumières natu-
relles de sa raison et sans révélation, l'évèque d'Ypres-
dit bien « que la lumière naturelle de la raison dicte
que Dieu seul doit être aimé par-dessus toutes choses; »
que cette vérité appartient « à la loi naturelle, o parce
que sans un tel amour de Dieu aucun acte ne peut
èlre même ethice bon; il ajoute même que, bien qu'in-
capable de remplir un tel précepte, l'homme • sans
révélation, par la seule lumière naturelle, connaît celte
obligation. 9 Mais la connait-il parles seules forces d<
sa raison sans la grâce de l'amour? Non. le don sur-
naturel de l'amour est supposé. Les platoniciens, dit-il^
ont fait consister la sagesse dans l'amour de Dieu;
mais ces païens eux-mêmes ont attribué cet amour à-
la grâce. Cet amour doit, d'après eux, être inspiré de
Dieu, il doit « être imprimé en nous par lu forme de-
l'élernelle et immuable substance; «ceux en qui cet
amour esl ainsi inspiré, ceux-là. et non pas les autres,,
connaissent Dieu et leur lin. Liquida sequilur amorent
Dei, quo naluralis ratio, site christianorum, sive-
gentilium, dictai eunt relut bonum naturie lalionalis
beatificum esse diligendum... nullo modo posse ei
crcalurce viribus naluralibus pro/icisci. lbid., I. I.
c. Xlil, p. 305; c. xv, p. 307. La volonté qu'avait Jansé-
nius de donner, par des bouts de textes, l'impression
que saint Augustin pensait comme lui, explique le dé-
dale de ces raisonnements. Mais, la pensée de Jansé-
nius saisie, la ressemblance de ï'Augustinus et du Dog-
matisme moral est ici frappante.
801
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE'
802
Dans les deux cas, la manifestation de Dieu dans
l'homme se fait par l'amour, la foi-amour, don surna-
turel. Dans les deux cas, c'est la fin dernière de
l'homme qui sert de moyen terme. Dans les deux cas,
le don de l'amour est à la fois exigé (naturel) et gratuit
(non naturel). Dans les deux cas, l'état d'impuissance
de l'homme joue le même rôle. Que les deux auteurs
parlent d'un don de l'amour, nécessaire à la manifesta-
tion de Dieu, c'est évident. Chez Jansénius, la fin dont
il est question est la vision intuitive, par laquelle seule
on possède Dieu, on est divinisé : bonum beatificum.
Chez M. Laberthonnière, il s'agit de la même fin, car
les expressions « posséder Dieu, être Dieu » ne s'em-
ploient pas en dehors de l'élévation à l'ordre surnatu-
rel; d'ailleurs, l'auteur exprime la nécessité de la
grâce, ce qui n'aurait pas de sens s'il parlait d'une autre
fin que de la vision face à face. Chez Jansénius, le don de
l'amour est surnaturel, au sens janséniste, c'est-à-dire
exigé par la nature intègre, gratuit pour la nature dé-
chue. Chez M. Laberthonnière, le même don est
m exigé », puisque la fin pour laquelle il est nécessaire
est strictement exigée; on nous dit, en effet, que le
pouvoir de prendre Dieu pour fin est ce qui fait que
l'homme est l'homme: mais rien n'est plus strictement
que ce qui résulte des constitutifs de l'individu
ou de l'espèce. Ce don est en même temps « gratuit »,
puisqu'on nous avertit que « le désir » dont il est
question « n'est pas naturel ». Enfin, dans les deux
systèmes, l'impuissance de l'homme joue le même
rôle : d'après Jansénius, l'amour ne peut pas sortir des
forces de l'homme; d'après M. Laberthonnière, « le
désir n'est pas naturel, je veux dire que l'homme ne
saurait l'avoir par lui-même. » Il y a bien quelques
nuances, qui viennent de ce que Jansénius parle de
deux états, celui d'Adam avant le péché, et celui de
l'homme déclin, landis que M. Laberthonnière ne parle
que d'un seul, le noire. Mais, si l'on va au fond des
choses, c'est la même conception du surnaturel exigé
dans les deux cas. M. Laberthonnière a ses réponses,
nous allons y venir après avoir conclu. Comme le désir
de la vision intuitive suppose la révélation, qui, à cause
de notre élévation à cette fin, est absolument nécessaire
d'après te concile du Vatican, Denzinger, n. 1635, il Bail
que Jansénius, eu vertu de sou système dans lequel
le-- dons surnaturel-; d'Adam sont exigés, el M. Laber-
thonnière. puisqu'il fait profession d'admettre le con-
cile du Vatican, sont d'accord et sur l'origine, par la
révélation, de la connaissance de Dieu, ontologiquement
et moralement valable, et sur l'impuissance physique
de l'homme déchu a parvenir à cette connaissance par
les -eules lumières de sa raison naturelle. Cette im-
puissance est moins masquée dans VAugustinus que
(buis le Dogmatisme moral, parce que Jansénius ne
donne pas la grâce de la foi-amour a tout le monde el
n'a pas de peine à damner ceux qui ne l'ont pas,
M. Laberthonnière, que les athées embarrassent, mel
tout le toit sur eux : ils croiraient, s'ils si- donnaient
les dispositions morales requises pour croire; mais la
de l'amour esl universellement donnée ■< tous.
Cette dernière assertion fournit à M. Laberthonn
I Le don de l'amour n'esl pas i
m pas posséder Dieu malgré bu. I
qui ■ b- pouvoir, la lin », mais non pas
désir . Réponse. — I . Si la lin est exi|
ent, •- Dani cette question, quand
on parle . toujoui - d'exi{ eni es hy-
i hypothèsi > d< i" ndu • t d< i" ad de
llcation rien .loue ne te i
LU est vrai que les tl
nple de la cou i i ration, du corn
débita, et ajoutent
i que n :. vivre on
que m I ■ I ion.
D1CT. !>F Mil OL. Ci moi..
ni le concours général ne sont en notre pouvoir. Mais
quel est le théologien qui a jamais ditou pensé que si,
par exemple, je vis demain, ma vie ne sera pas natu-
relle, sous le prétexte qu'il n'est pas en mon pouvoir
de me la donner par moi-même? Or, c'est ainsi que
parle M. Laberthonnière : « Le désir n'est pas naturel,
je veux dire que l'homme ne saurait l'avoir par lui-
même. » — 2° On nous réplique encore et surtout : Mais
il n'est question que du surnaturel exigeant et nulle-
ment du surnaturel exigé, comme chez Jansénius ou
Baius. — Réponse. — 1. «Ce qui fait que l'homme est
homme » est du surnaturel exigeant'.' C'est plus qu'é-
trange. 2. On conçoit un surnaturel exigeant ex hypo-
thesi elevationis gratuilœ, mais on nous parle d'un
surnaturel exigeant ex hypothesi elevationis debitse.
Cf. Thamiry, Les deux aspects de l'immanence, Paris,
1908, c. ix, p. 230-294.
2° Qucsnel. — Les jansénistes développèrent la doc-
trine de VAugustinus. Charron, après Montaigne,
s'était appliqué à montrer que par « les seules forces
de la raison », l'homme ne peut pas connaître Dieu, et
que, même quand on le connaissait par la foi, on res-
tait dans une « ignorance consciencieuse », à savoir
dans l'agnosticisme. Cf. Garasse, Somme théologique,
1. II, sect. il, m. L'abbé de Saint-Cyran prit la défense
de Charron; il ('tait d'ailleurs convaincu qu'il y a
« quelque danger à prouver par des raisonnements la
vérité d'un Dieu. » Les théologiens de la secte s'atta-
chèrent surtout à confondre la foi et la charité. Voir
les propositions condamnées de Quesnel, Denzinger,
n. 1200, 1267. Celte confusion établie contrairement au
concile de Trente, sess. VI, can. 28, Denzinger, n. 720,
et à toute expérience psychologique, ils soutinrent :
1. que la foi est la première des grâces que l'homme
reçoit et peut recevoir, Denzinger, n. 1242, 1241; 2. que
la charité seule parle à Dieu et que Dieu n'entend
qu'elle : « Tu ne chercherais pas, si tu ne m'avais
trouvé. » On rencontre, il est vrai, cette formule chez
certains mystiques, mais dans un tout autre sens. Nemo
i/uwrere valet, dit saint Bernard, nisi (/ni prius inve-
ncrit. De diligendo Dca, c. vu, 22, P. L., t. clxxxii,
col. 987. Celle phrase décrit ce qui se passe dans l'âme
justifiée (lui ne goûte plus les douceurs de l'amour di-
vin et en soutire; celte angoisse qu'elle ('prouve est
encore de l'amour ou vient de l'amour; l'âme cherche
Dieu et court vers lui comme le cerf altéré \ers l'eau
des fontaines; si elle cherche, c'est que déjà elle a
trouvé. De plus, chez certains mystiques, cette for-
mule s'entend d'une « possession de Dieu par dispo-
sition potentielle ; ce qui ne favorise d'aucune façon
m le jansénisme ni la philosophie ou la méthode d'im-
manence. Cf. Rousselot, Pour V histoire du problème
de l'amour au moyen âge. Munster, 1908, dans
Beitrâge de Baeumker, t. vi, p. 8ô. :î. Quesnel parle
d'une certaine connaissance naturelle de Dieu même
pour les païens, Rom., i, 19, mais elle esl mauvaise el
pernicieuse, bien que venant de Dieu, Denzinger,
n 1256 ans la lumière de la foi, sans le Christ
el sans la charité, que pouvons-nous être, sinon té-
nèbres, aberration et péché'.' s Denzinger, n. i
i. Dernière conséquence, qui montre bien à quel rela
n isme peut conduire une exagération pseudo-mystique
en théologie Vec Detu e$t,nei ■ igio, ttoi non < si
chantas. Denzinger, n. 1273. Quesnel alléguait en
faveur de cette proposition un rersel de -.uni Jean :
nui non diligil, "<" }iovit Deum : quoniam /•
charitat eil. I Joa., iv-, s. Le sens de ce , il le
■divan! Qui nondiligitnon novit D itoporlet
tii talubrller; ce qui lignifie que personne ne
auvé sans la chai ité. Corni 111e de la PI
ajoute : Eslo spéculative noicat Deum, praclice ia-
,i,rn. ni etl experimentaliter, fui, \ sapide,
i > ,,i . ticul melli •* el duU ■
IV.
8o:î
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE;
804
nem nenio novit per experientiam et saporem, nui
qui illud gustat et sapit. Sicul enim sapor sapiendo,
iia amoi' amando practicecognoscitur,gu8latur et sa-
pitur. Quesnel confond donc deux choses : la connais-
sance qui assure le salut, expérimentale, et la connais-
sance purement spéculative, de pure foi; et il donne
tellement d'importance à la première qu'il conclut à la
nullité de la seconde comme Molinos ou Ritschl.
Sur les propositions de Quesnel, voir Greg. Kurlz, O. S. B.,
Theologia suplristica in compeiulio délecta, Bamberg, 1736;
il examine 537 propositions condamnées ; Calatayud, Uivus
Thomas, Valence, 17'ii, t. n, et pasaim ; l'auteur s'occupe beau-
coup des faits mystiques allégués alors comme aujourd'hui ; Jac.
de la Fontaine, Conslitutio Unigenitus iheotogice propugr.ata,
4 in-fol., Dillingen, 1720, où l'ordre des propositions est suivi ;
les textes scripturaires et patristiques. cités par Quesnel et ses
défenseurs, sont rapportés et discutés.
3° Pascal. — On trouve dans les Pensées de Pascal
un grand nombre des conséquences ou des hypothèses
de YAuguslinus, bien que les cinq propositions n'y
soient pas. De .même, on n'y trouve pas toutes les pro-
positions de Quesnel, mais les germes de tout ce qu'a
condamné la bulle Unigenitus y sont assez apparents.
Je parle bien entendu, non pas des Pensées éditées en
1669 et 1670 par les jansénistes où, spécialement sur le
sujet qui nous occupe, furent faites des corrections
importantes, cf. Pensées de Biaise Pascal, édition des
grands écrivains, Paris, 1901, t. i, p. clxxvi, lit. xx;
fragments 242, 243, t. u, p. 175, et des omissions sa-
vamment calculées, cf. fragment 556, t. m, p. 4, note 2,
avec les renvois. Mais il est question des Pensées telles
que nous les lisons aujourd'hui, telles que les admire
M. Eucken, telles que les recommande M. Laberthon-
nière. Essais de philosophie religieuse, p. 193-224.
1. La doctrine de Pascal sur les suites du péché ori-
ginel est celle de Luther, de Calvin, de Baius, de Jan-
sénius; elle n'est pas la doctrine catholique.
2. La doctrine de la connaissance religieuse de Pas-
cal, en tant qu'elle suppose que notre raison n'est na-
turellement que ténèbres et aveuglement, et en tant
que sous le nom de foi du cœur elle propose au fond
les vues de Jansénius et de Quesnel sur la foi-amour,
a été condamnée parla bulle Unigenitus; l'Église n'est
donc pas responsable des défauts de l'apologétique
qu'on en peut tirer.
3. Sur le point spécial qui nous occupe, à savoir de
l'impuissance de l'homme à parvenir à la connaissance
de l'existence de Dieu par les lumières naturelles de
sa raison, sans l'aide de la révélation, Pascal est héré-
tique; il a été condamné avec les traditionalistes,
comme nous le verrons bientôt, par le concile du Vati-
can. Il écrit en effet : « Parlons maintenant selon les
lumières naturelles. [XI vient de dire que par la foi
nous connaissons l'existence de Dieu, mais non sa na-
ture.] S'il y a un Dieu, il est infiniment incompréhen-
sible... Nous sommes donc incapables de connaître ni
ce i/it'll est, ni s'il est. » Pensées, t. H, p. 145, frag-
ment 233. C'est précisément ce que le dernier concile
a condamné. Denzinger, n. 1634, 1653. Aussi, de même
que Jules Simon avait raison de soutenir contre les
traditionalistes français que leur Église les désavouait,
quand ils prétendaient que lui, rationaliste, ne pouvait
pas, indépendamment de la révélation, écrire une
théodicée, et qu'il n'y a pas de « philosophie séparée »,
Religion naturelle, Ie édit., Paris, 1857, p. ix sq.j de
même, le protestant de Genève, E. Naville, et « l'évadé »,
M. Hébert, ont raison de ranger Pascal parmi les au-
teurs condamnés au concile du Vatican. E. Naville,
Philosophies négatives, Paris, 1900, p. 63 sq.j Hébert,
L'évolution de la foi catholique, Paris, 1905, p. 135.
Aussi M. Decurtins n'a-t-il fait (pie tirer une consé-
quence de bon sens, lorsqu'il a écrit dans un article
qui avait pour but de dégager du mouvement moder-
niste « la réforme sociale chrétienne » : <■ Nous ne
comprenons pas comment, après le Vatican, on peut
construire une apologie du christianisme sur Pascal.»
Parlant des preuves classiques de l'existence de
Dieu c par les ouvrages de la nature », l'édition de
1 070 faisait dire à Pascal : « Je n'attaque pas la soli-
dilé de ces preuves consacrées /mr l'Écriture sainte. »
En réalité, Pascal avait écrit : « C'est une chose admi-
rable que jamais auteur canonique ne s'est servi delà
nature pour prouver Dieu. » Fragment 243, t. il, p. 177.
« N'oublie-t-il pas, demande M. Naville, la déclaration
du psalmisle, Ps. xtx? N'oublie-t-il pas la parole si
claire de saint Paul que les perfections de Dieu se
voient comme à l'œil dans ses ouvrages, Rom., I, 20?»
Pascal n'oublie rien; mais son exégèse est celle de
YAuguslinus tout comme sa psychologie et sa morale.
Cf. Pensées, t. n, p. 285, frag. 375; p. 21, frag. 294; t. i,
p.CLXii.« Je n'entreprendrai pasici. dit-il, de prouver par
des raisons naturelles ou l'existence de Dieu, ou la tri-
nilé, ou l'immortalité de l'âme ni aucune des choses de
celte nature; non seulement parce que je ne me sen-
tirais pas assez fort pour trouver dans la nature de
quoi convaincre des athées endurcis, mais encore parce
que cette connaissance sans Jésus-Christ est inutile
et stérile. » Fragment 556, t. m. p. 4. Port-Royal avait
écarté ce passage compromettant, parce que trop voi-
sin de YAuguslinus. En le présentant au public,
Etienne Périer prit soin de gloser, afin de faire ou-
blier cette filiation; mais Mme Périer en fait le centre
de YApologie, prononçant avec Quesnel que « hors
Jésus-Christ, il n'y a que vices, que misère, que déses-
poir, et nous ne voyons qu'obscurité dans la nature de
Dieu et dans la nôtre, » t. i, p. cxciv, ccxliv. Qui
avait tort ou raison de la préface d'Etienne Périer ou
de Mme Périer'? L'une et l'autre. Car Etienne Périer
écrivait sa préface pour une édition où on lisait seule-
ment qu'on n'attaquait pas la solidité des preuves de
l'existence de Dieu, mais que souvent ces preuves ne
son pas assez proportionnées à la disposition d'esprit
de ceux pour qui elles sont destinées. Mais Mme Périer
pouvait lire dans le manuscrit : « Ces personnes desti-
tuées de foi et de grâce, recherchant de toutes leurs
lumières tout ce qu'elles voient dans la nature qui les
peut mener àcette connaissance [de Dieu], ne trouvent
qu'obscurité et ténèbres. » Fragment 242, t. n, p. 176.
Là est le mot de l'énigme.
Car, pour Pascal, comme pour Jansénius, « il est
certain (pie ceux qui ont la foi vive dedans le cour
voient incontinent que tout ce qui est n'est autre chose
que l'ouvrage du Dieu qu'ils adorent. » lbid. Avec la
grâce de la foi vive le ca>ur connaît bien des raisons.
Kt sans elle? Nec unus quidem tôt sœculorum lapsu,
répond Jansénius, in tanta liistoriarum vastitate
reperiri potest, qui summum bonum , id est Deum
verum, naturse sagacitale sine Dei gratia invenerit
et coluerit. Augustinus, De statu, etc., 1. II, c. v,
p. 335. Le cœur de ceux qui ont la grâce de la foi vive
voit clairement toutes les raisons de croire; la raison
des autres ne voit rien, ou ce qu'elle voit est inutile.
Sans doute le Crede, ut inlelligas a un certain sens
vrai, mais 1' « abêtissez-vous ne parait en avoir aucun.
Le tort de Pascal est de ne pas distinguer entre la
connaissance des mystères proprement dits, et celledes
vérités rationnelles sur Dieu. Denzinger, n. 1631. 1643,
entre les vérités que la foi nous propose et celles qui
constituent lespréambules delà foi, dont l'existence de
Dieu fait partie, lbid., n. 1638. Pour lui, l'homme cor-
rompu a, relativement à toutes ces vérités, la même
impuissance physique, tant qu'il n'a pas la grâce; et. il
n'y a pas plusieurs variétés de grâces : ou bien nous
avons l'amour céleste et tout est sauf, ou bien nous
sommes les esclaves de la cupidité et tout est perdu.
Denzinger, n. 1385 sq.
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Aussi Pascal se proposait-il d'écrire contre ceux qui
tiennent que l'existence de Dieu est manifeste, que
nous en avons une connaissance spontanée et natu-
relle. Fragment 242. Il ne s'agit pas ici de Descartes, pour
lequel Pascal est d'ailleurs très dur, fragments 76 sq.;
ni précisément de ceux qui comme Grotius commencent
leur apologétique par les preuves en forme de l'exis-
tence de Dieu, fragments 243, 556; mais bien des théo-
logiens, qui prenaient pour base de leur apologétique
le lait de la connaissance spontanée et certaine de Dieu,
considérant, comme le fait encore un des meilleurs
théologiens du XIXe siècle, Scheeben, La dogmatique,
trad. Bélet, t. n, n. 29, que dans l'espèce « les preuves
scientifiquement développées, bien loin de donner à
l'homme la première certitude de l'existence de Dieu,
ne font qu'éclaircir ou consolider celle qui existe déjà. »
Le P. Colon, dans un entretien laissé dans ses manus-
crits et publié plus tard (en 1683, d'après Sommervogel)
par le P. Boutauld, Le théologien dans les conversations,
i eilit., Avignon. 1853, avait employé cette méthode.
Interrogé' par un athée sur les preuves de l'existence de
Dieu, le théologien de f'.oton refuse d'abord de « par-
ler de la nécessité' de l'Etre absolu, de la non-impli-
cance en sa définition, de V impossibilité des causes
infinies en nombre, de tous les autres arguments in-
ventés par la logique artificielle des académies, « p. 40.
Il y vient plus tard; mais il débute par une sorte de
démonstration ad oculos : Voyez et regardez le soleil et
le> astres et vous sentirez naître la science de Dieu,
avec un instinct qui vous portera à l'honorer. Cf.
Illingworlh. Th mmanence, Londres, 1904; au
c. n. The religious influence of the material wo ld,
p. i:i--27, l'auteur a rassemblé de curieuses citations sur
ce sujet. C'est à celle méthode des théologiens que s'en
prend Pascal au fragment 242. Les rencontres verbales
avec le texte de Colon sont d'ailleurs remarquables.
Coton et Pascal discutent à peu prés les mêmes diffi-
cultés des athées, bien qu'ils les résolvent très différem-
ment. « Leur argi >nl principal, dil Eugène le théo-
logien de Coton, ù propos des anciens docteurs, quand
ils ont voulu convaincre les infidèles, a toujours été de
leur montrer le firmament el les astres, et les autres
parties de l'univers. Je vous les montre, Messieurs, et
je vous dis : Regardez. Eugène s'étant arrêté après
avoir prononcé' cea il"u\ paroles, Léonce [l'athée du
diali i -lit de continuer el de rapporter les rai-
sons et les preuves que les anciens avaient formées là-
ii3. Quand j'ai dit : Regardez, repartit Eugène, j'ai
■ lit tout ci- que je dois dire; car la maxime de ces pre-
niiei i l'avis qu'ils m'ont donné', est que. ap-
porter des raisons à ceux qui, après avoir regardé le
monde, ne savent pas encore qu'ils ont un Dieu, c'est
apporter le flambeau pour montrer le soleil à ceux qui
ne le voient pas en plein midi, • p. 18. C'est ruiner
toute l'apologétique de Pascal, dont la base esl que
depuis la corruption de notre nature, Dieu nous a
I. lisses dans un aveuglement « dont nous ne pouvons
ir que pai la foi i lin tii nne. lussi Pascal écrit-il
de ci - l qui n'ont pas la grâce de la foi
Dire à i ■ ux-là qu'ils n'ont qu'à voir la moindre
! qui les environnent el qu'ils verront Dieu à
•overt, "i leur donner pour toute preuve de ce
nd et important sujet le cours de la lune i i ,i
'm i' l
I leur donm r sujet de it les
preuvi ide notre religion sont bien faibles, ■ i l
la i omparaisondu joui en plein midi, Pascal alli ,
de i i i niui. et ajoute r.,-r n'esl
• "•' '""'i' c . qu'on parle eu ■ le joui • n
plein midi. On d< dil point que ceui qui i herchenl le
■ " plein midi ou de i eau à la mer, en trouveront
et ainsi il faut bien que l'évid de Dieu ne Mil pas
telle dan ,., ,,i i;i. i., i, ,_,,,, „i 244
jetle quelque lumière sur ce dernier passage : « Ne
dites-vous pas vous-même que le ciel et les oiseaux
prouvent Dieu? demande l'athée à Pascal. — Non. —
Et votre religion ne le dit-elle pas? — Non [au con-
trairej. Car encore que cela est vrai en un sens pour
quelques âmes à qui Dieu donne cette lumière, néan-
moins cela est faux à l'égard de la plupart.» Ceux qui
ont la foi vive voient, les autres sont aveuglés. Pascal
se souvient-il de la phrase de Calvin sur les païens :
S'ils ont eu quelques éclairs de la vérité, c'était pour
les mieux perdre? La doctrine catholique est que Dieu,
après la chute, nous a laissé la raison, l'usage de la rai-
son, la puissance physique de le connaître, afin de
nous sauver, si profitant de ses bienfaits nous ne
manquons pas à notre devoir : facienli quod in se est,
Veus non denegat gratiam, cela est vrai de tous.
Lnfin, que savons-nous de la nature intrinsèque de
Dieu, même lorsque nous croyons en lui? Nominaliste
comme Locke, Pascal est agnostique comme lui. Il
s'applique à montrer « qu'on peut bien connaître qu'il
y a un Dieu sans savoir ce qu'il est. » Fragment 233,
t. n, p. 143. Des éditeurs modernes rapprochent de ce
fragment plusieurs textes de Charron où il con-
clut à « l'ignorance consciencieuse ». Ces textes sont
précisément ceux que le P. Garasse avait relevés et
où il avait flairé « l'athéisme couvert »; ce sont donc
bs mêmes que Saint-Cyran, défenseur de Charron,
avait jugés orthodoxes. Pascal et Saint-Cyran s'accor-
daient sur l'agnosticisme croyant : « Voilà ce que c'est
que la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison, »
parce que dans le système janséniste il n'y avait pas de
foi sans amour. Fragment 278, t. il, p. 201, avec la noie
très instructive. Cela est exact de la « foi parfaite » ;
aussi les éditeurs de 1670 ajoutèrent-ils cette épithèle
au texte original ; mais cela est faux de la foi tout court.
Et, si on soutient cette erreur, le danger de mettre la
foi dans le sentiment et de réduire l'objet de la foi au
l'ait brut de l'existence de Dieu est difficile à éviter. Ce
pas franchi, si vraiment « c'est le cœur qui sent Dieu, et
non la raison o, et si ce sentiment est la foi, il est lo-
gique d'écrire : o Par la foi nous connaissons son exis-
tence; par la gloire nous connaîtrons sa nature, >■ t. II,
p. 144. Le sentiment, en effet, ne peut pas, en tant
qu'opposé à la raison, nous renseigner sur la nature
intrinsèque de Dieu. Mais la raison, d'après Pascal, . ne
connaît ni l'existence ni la nature de Dieu, parce qu'il
n'a ni étendue ni bornes. » lbid. Il reste donc que ni
par la raison, ni par la loi, isolées, ou prises ensemble,
nous ne pouvons porter un jugement sur la nature in-
trinsèque de Dieu: ce qui esl l'agnosticisme croyant
de Spencer, de Kant, de Mansel el des modernistes.
VIII. I.i. TRADITIONALISME. — Le traditionalisme est
la doctrine d'après laquelle une révélation primitive
fut absolument nécessaire au genre humain, non seu-
lement pour acquérir la connaissance des vérités de
l'ordre surnaturel, mais bien pour acquérir la con-
naissance des vérités suprasi nsibles, c'est-a-dire des
<. rites fondamentales de l'ordre métaphysique, moral
et religieux; les vérités dont il s'agit sont spécialement
tence de Dieu, la spiritualité' et l'immortalité de
l'âme et l i aie sii ictemenl obli-
ie. Cette révélation non- esl parvenue par la tra-
dition, l'enseigni i i oral el social, d'une génération
à l'autre ; don le nom de Iradil loua hsiue. Celle doc-
trine admet donc dans Ile le une véritable Impuis-
sance physique a pai enii soit i la i onnai
à la certitude de l'existence de Dieu, indépendamment
do la révélation. Celle-ci devient donc absolument
lire.
N . .i i - a'. ..n- déjà lie onlré cet te Idée de |,, i
lue il la révélation chez lei protestants et chez
Pô mi |i - calholiqui i, > e lui une qui ■
■ i i m le
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pyrrhonisme t' 1 a i t plus favorable à la religion que le
dogmatisme. > L'influence janséniste poussait à humi-
lier la raison, cette superbe. Malebranche se déclara
pour le fidéisme, tant à cause de prétendues difficultés
déduites de la théorie de la connaissance, qu'à cause
de l'impossibilité pour l'homme d'avoir l'idée de
l'infini ; mais il ne recourut pas à la révélation; la
vision en Dieu, d'où devait sortir ce qu'on a appelé
Yonlologisme, lui servit d'échappatoire. Xous n'avons
pas ici à nous occuper de cette solution, parce qu'elle
ne nie pas précisément le pouvoir pour l'homme de
connaître Dieu par les lumières de sa raison, mais
explique le fait d'une façon incorrecte et inconciliable
avec le dogme de l'invisibilité divine. Muet, dans son
traité De la faiblesse de l'esprit Immain, paru après
sa mort, fit de grandes concessions au pyrrhonisme.
Il accordait bien que l'homme a quelque pouvoir de
parvenir à la vérité, mais il lui refusait le pouvoir
d'arriver à la pleine certitude par les seules forces de
la raison. Mais la bonté divine nous a enlevé cette
infirmité, en nous concédant le don inestimable de la
foi, qui chasse tous les brouillards. L'ouvrage posthume
de Muet fut désavoué par ses amis' La question devait
être reprise au xixe siècle.
Durant le xvrïï* siècle, on débattit onguement la
question de l'origine du langage. On se souvient que
Fénelon, dans sa Lettreà l'Académie, s'inspired'Horace:
Sylvestres homines, et que le passage ne s'accorde
guère avec la tradition biblique. L'Italien ,T.-B. Vico,
tout en concédant qu'avant le déluge l'homme avait
conservé la religion, la vie sociale et le langage, soutint
que les fils de Noé furent tellement dispersés par la
crainte des bêtes féroces que ceux qui échappèrent à
leur voracité perdirent d'abord toute religion, puis le
langage, enfin la vie sociale et l'usage de la raison; ils
vécurent ainsi mille ans, au bout desquels, réveillés
par la foudre, ils retrouvèrent quelque connaissance
de la divinité, le langage, puis la vie sociale. De con-
stantia philologiœ, c. IX, Scienlia nova, passim. On ne
tarda pas à dire des « premiers » hommes, supposés
barbares, ce que Vico avait imaginé pour les descen-
dants de Noé. Avec Rousseau, Discours sur l'origine
de l'inégalité parmi les hommes, Œuvres, Paris,
1819, t. iv, p. 201-373, la question s'embarrassa dans
celle de l'origine des sociétés. Comme les rationalistes
et les déistes pour faire une nasarde à la Bible, les
sensualistes et les matérialistes pour renforcer leurs
systèmes, se ralliaient en grand nombre à cette idée de
l'homme sauvage, sans langage; il arriva, ce qui n'est
pas rare, que certains apologistes crurent bien faire
de soutenir l'impossibilité pour l'homme d'inventer
le langage. Après la Révolution, de Bonald lit entrer
cette apologétique dans son système philosophique et
social. Voir Bonald, t. n, col. 959; Bonald, Recherches
philosophiques sur les premiers objets des sciences
morales, 1818.
La même année parut le premier volume de V Essai
sur l'indifférence en matière de religion de Lamennais.
Bans le IIe volume, Lamennais reprenait les objections
des pyrrhoniens et concluait : « Il est de fait que sou-
vent les sens nous trompent, que le sentiment intérieur
nous trompe, que la raison nous trompe cl que nous
n'avons en nous aucun moyen de reconnaître quand
nous nous sommes trompés, aucune règle infaillible
du vrai. C'en est assez, comme on l'a vu, pour ne pou-
voir rigoureusement affirmer quoi que ce soit, pas
même notre propre existence. » Essai, 1820, t. Il,
c. XIII, p. 29. Cependant la raison individuelle, à celte
impuissance d'arriver au vrai et à la certitude, joint
un invincible « besoin de croire ». Le consentement
commun (l'ordre de foi) supplée à notre faiblesse, el
6 devient, dans l'institution de la nature, le point
d'appui de nos connaissances, le titre qui nous en
assure la possession certaine, en un mot la véritable
base de notre raison, t c. xiv, De l'existence de Dieu,
p. 37. Le consentement commun ou l'autorité du genre
li uiiiain renferme donc le plus haut degré de certi-
tude où il nous soit donné' de parvenir. Lamennais
montre ensuite qu'il n'est aucune proposition sur
laquelle l'accord du consentement commun soit aussi
unanime que celle de l'existence de Dieu. « Cette
immense idée n'est pas seulement en harmonie avec
notre intelligence; elle est notre intelligence même,
p. 70. L'athéisme est donc l'extrême folie. Le c. XV
traite des « Conséquences de l'existence de Dieu par
rapport à l'origine et à la certitude de nos connaissant
L'auteur y conclut : » Il existe donc nécessairement,
pour toutes les intelligences, un ordre de vérités ou
de connaissances primitivement révélées, c'est-à-dire
reçues originairement de Dieu, comme les conditions
de la vie ou plutôt comme la vie même; et ces vérité»
de foi sont le fonds immuable de tous les esprits et
la raison de leur existence, » p. 81. Et un peu plus
bas : « De même que la vérité est la vie, l'autorité, ou
la raison générale manifestée par le témoignage ou
par la parole (ce n'est pas nous qui soulignons ici) est
le moyen nécessaire pour parvenir à la connaissance
de la vérité, ou à la vie de l'intelligence, » p. 81.
Lamennais soutient ensuite que l'on ne saurait parler
sans nommer Dieu, puisqu'on ne « saurait parler sans
prononcer ou sans concevoir le mot est, » qui est le
nom de Dieu. « Ainsi l'homme n'a pu exister comme
être intelligent, n'a pu parler sans connaître Dieu, et
ne l'a pu connaître que par la parole, » p. 82. Repre-
nant ici l'argumentation de Bonald, qu'il cite en note.
Lamennais prétend que l'homme n'a pu inventer la
parole, puisque cette invention suppose des idées
préexistantes, et le besoin, et même le moyen de les
communiquer. Donc il a fallu qu'il reçût à la fois les
idées et les mots. » Enfin : « Ainsi In pensée, la parole
ont été révélées simultanément » et, avec elles, Dieu,
p. 83.
Le traditionalisme de Bonald et de Lamennais excita
de l'enthousiasme, spécialement clans les milieux ecclé-
siastiques et même chez les protestants. Le jansénisme
n'était pas mort : ce qui rendait moins choquantes alors
la confusion de l'ordre naturel et de l'ordre surnaturel,
et la thèse fondamentale de l'impuissance de l'homme,
tel qu'il est depuis la chute, en matière religieuse, doc-
trines jansénistes que le traditionalisme acceptait. Les
ennemis de la foi, afin de saper par la base la révéla-
tion divine, s'efforçaient de montrer que la connaissance
des vérités de la religion naturelle dérivent de la puis-
sance, de la spontanéité absolue et indépendante de l'es-
prit humain. De là, l'hypothèse des premiers hommes.
sauvages, muets, se développant spontanément par le
moyen de leur seule raison, découvrant le langage, fon-
dant la société civile, inventant un culte religieux, pas-
sant du fétichisme au polythéisme, s'élevant au mono-
théisme, puisa la religion chrétienne. Produit du génie
de l'homme, la religion était donc soumise au jugement
et à la souveraineté de la raison humaine et devait parle
seul moyen de cette raison se perfectionner conformé-
ment à la loi nécessaire du progrès continu. Cf. Laforét,
Les dogmes catholiques, Tournai. I8(i0, t. i. p. 458 sq.
lai face de tels adversaires, on crut aller a la racine du
mal, en niant à la raison humaine toute force, toute
spontanéité en matière religieuse et morale, ou même
avec Lamennais en toute matière; on remplaça la
raison par la révélation comme liant l'avait remplace
sur le terrain moral et religieux par la raison pra-
tique, comme Schleiermacher la remplaçait par le sen-
timent.
Il y eut chez les traditionalistes un très grand nombre
de nuances et on les divise en deux groupes.
1. Les traditionalistes rigides soutenaient : a) que
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l'institution sociale riait le seul moyen par lequel
l'homme pouvail parvenir à la première idée des
vérités suprasensibles; b) que l'unique motif efficace
sur lequel la raison pouvait s'appuyer en adhérant à
ces vérités était immédiatement l'autorité sociale,
médiatement et en dernière analyse l'autorité de la
révélation divine. Ce rôle attribué à la foi seule dans
l'acquisition d'une vraie certitude des principes de la
raison les a fait nommer fidéistes. Pour défendre cette
position, Lamennais lit de la raison une puissance
purement passive, la connaissance des vérités suprasen-
sibles venant du seul enseignement extérieur. L'abbé
Jiaulain, plus théologien que Lamennais, rattachait
cette opinion aux doctrines de la grâce. Dans l'exposi-
tion et la défense de son système qu'il présenta à l'évêque
de Strasbourg, 21 novembre 1837, il disait : « Soutenir
que l'homme peut, par les seulsarguments de la raison,
démontrer l'existence de Dieu et ses infinies perfec-.
tions, qu'est-ce autre chose que prétendre que l'homme
peut par ses propres forces s'élever à Dieu et connaître
Dieu sans Dieu.' Kst-ce que par là on n'attribuerait
pas à la raison humaine Vinilium fidei, contrairement
au concile d'Orange? Xe serait-ce pas affirmer que
l'homme n'a pas besoin de la grâce pour croire en
Dieu et que nous sommes les auteurs de noire foi'.' o
Cité dans les Acla concilii Valicani, col. 520.
2. Les traditionalistes mitigés — on range ordinai-
rement dans celte catégorie Ventura, Bonnetty, et les
professeurs de Lo'jvain, Ubaghs, Laforèt, etc., bien
que certaines phrases de deux premiers semblent quel-
quefois aller plus loin — faisaient plusieurs restric-
tions : o) Il ne -:i-:iss;iii plus de l'acquisition de toutes
nos idées par la révélation, mais seulement des vérités
morales el religieuses, b) D'après Bonnetty et Ventura,
l'homme avait besoin du magistère social pour les
premières notions de Dieu, de l'âme, de la vie future
'■I des principaux devoirs; après y avoir adhéré par un
acte de foi purement humain, l'homme avait la force
gu Disante pour se les démontrer par les procédés ra-
tionnel- ordinaires, c) Les professeurs de Louvain
pensaient éviter la nécessité absolue de la révélation,
li confusion de l'ordre naturel et surnaturel, les doc-
trincs de Calvin, de Baiusel de Jansénius sur les suites
du péché originel — erreurs qu'ils voyaient à bon
droit impliquées dan- le traditionalisme rigide — en
disant : I. esprit humain esl doué d'une force interne
qui lui esl propre; il est actif par lui-même i
ité esl continue; néanmoins, pour que l'homme
doin- de cel • -prit parvienne au véritable usage de la
oin d'un secours intellectuel extérieur.
Les principes des vérités rationnelles, métaphysiques
i-i morales, onl été mis dans l'espril humain par le
iteur. Mu- telle esl la loi gique ou natu-
relle de noire espril que l'homme a besoin d'un en-
m ne ni intellectuel pour arrivei < i ■ i usage de la
n suffisant peur pouvoir acquérir une connais
distincte de heu el des vérités morale Lai
catholiques, I. i. p. 'ii>7. dans un rapport à la
di l'indei Donc, d'après ces auteurs, pour que
m me arrive à une connaissance claire el certaine,
• el cerla, de l • «istence de Dieu, il fallait un en-
1 ■ n ■ ignemenl n'étail p i
■'• tisoi leulemenl une
laquelle on ne pourrait p is ai i iver i cel
1 la raison acquis «ous l'inllu-
m. l'homme pom.ui démontrer
n particulier - di
De n i n il était absolue, pour
lai actuel, qualet nuru na$'
i rue n restriction avait pour luit de
du p< ché originel isité
"■ d '"' • de façon a pou
von dln ivec la tl - idilionnella qui
lation primitive n'avait pas été absolument nécessaire.
Rome donna un inslant un laisser-passer, sous la si-
gnature du cardinal d'Andréa. Laforèt, op. cit. Mais
un bref pontifical, puis divers documents, s'opposèrent
à celte forme extrêmement adoucie du traditionalisme.
Cf. Annuaire de l'université catholique de Louvain
pour l'année 1876, où ces pièces ont été' publiées après
la mort d'Ubaghs; elles ont été reproduites par Bouix,
dans la Revue des sciences ecclésiastiques, 1876, p. 541-
552, Ces professeurs de Louvain avouaient bien que
l'usage de la raison précède la foi, qu'affaiblie par le
péché originel, notre raison, excitée par l'enseignement
social, pouvait démontrer Dieu. Mais l'usage de la rai-
son, tel qu'ils l'entendaient, supposait la connaissance
de Dieu et des principes rationnels, issue de l'ensei-
gnement social, el l'enseignement social découlait de
la révélation primitive. Acla concilii Valicani, col. ÎMO.
A supposer qu'à l'aide de quelque subtilité on put
encore dans ce système soutenir la non-nécessité
absolue de la révélation primitive, il restait que cette
nécessité est absolue pour nous depuis la chute, et que
parmi les suites du péché originel il fallait admettre
une impuissance physique personnelle de connaître
Dieu avec cerlitude indépendamment de toute révéla-
lion.
Sur te traditionalisme on trouvera l'essentiel : 1- au point de
vue philosophique, dans Rozaven, Examen d'un ouvrage inti-
tulé de§ doctrines philosophiques sur la certitude dans leurs
rapports avec les fondements de la tliéologie de l'abbé Gerbet,
Avignon, 1831, 1833 ; Chastel, De la valeur de la raison hu-
maine OU c que peut la raison par elle seule, Paris, 1854:
Kleutgen, La philosophie scolastique, Irad. Sierp, Paris, 1868,
ti I, diss. III, p, 132-455. Les ontologistes comme Gioberti atta-
quêrenl de leur côté le traditionalisme, jusqu'à ce que i baghs
joignit le système de Gioherti au sien. Les protestants ortho-
doxes se félicitèrent de voir Rome défendre les droits de la rai-
son contre le scepticisme. Voir James Buchanan, Failli in God.
Edimbourg, 1866, t. II, Theory of certitude, of scepticism,
p. -lu sip i) mires affectèrent da croire au scepticisme de 1 1 „lr-e
romaine en présentant le traditionalisme comme sa doctrine
piopreil.a Placette, De insanabili Romanm Ecclesis scepti-
cisme — 2* Au point de vue theologique spécial des rapports de
la connaissance de Dieu avec l'ordre surnaturel, voir Constantin
von Schazler, Natur und Vebernatur, Dus- I n der
ini,i die theologinche Frage der Gegenwart, Mayence,
tsiio. Kleutgen touche souvent à la même question. Dit i ■■.
gie der Vorzeit, 5 édit., 5 vol.. Munster, 1K72. spécialement au
commencement du t. n. — 3" Au point de vue historique, voir de
L'abbé Hautain, sa rie et ses oeuvres, Paria, 1884;
. Études théologiques sur les constitutions du concile
du Vatican Pai ,1896, t. I, p. 120 sq., 329 sq.; Didiot, J.<
surnaturelle subj édit., Lille, 1894, n. 505 sq.
i\. Le hodernishi ei l'encyclique Pascbnoi. — Le
modernisi st une doctrine dont les origines histo-
riques el la parenté philosophique et theologique sont
des plus complexes. Cf. Parodi, Le pragmatisme, dans
la Revue de métaphysique et de morale, Paris, janvier
1908, p. 10t. Dan- les pages précédentes non- avons in-
diqué' les doctrines philosophiques el pseudo-théol
ques dont dépend le modernisme. Les lecteurs par
suite comprendront plus facilement ce qui est dit dans
lîque Pascendi de la connaissance religieuse i a
-('•niral cten particulier de la connaissance naturelle de
Dieu. Il ne nous reste plus qu'à indiquer l la position
de l'encyclique ; 2" ce qu'il faui répondre aux moder-
nistes qui prétendent que nous ne connaissons Dieu
que par la i le intérieure.
I La rationnelle île Dieu el les 1710-
après l'encyclique. San- donner le détail
des origines historiques du modernisme, l'encyclique
en indique nettemenl la parenté philosophique el II
i ■ modei niâtes, dit-elle, pai li ni <!■ ci prei
principe : • La raison humaine, enfermée rigoun
ut dan le cercle d< phénomi n due des
ni el tell
811
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
812
apparaissent, n'a ni la faculté ni le droit d'en franchir
les Hlnites; elle n'est donc pas capable de s'élever jus-
rp^a Dieu, non pas même pour en connaître par le
moyen des créatures, même phénoménales, l'existence.
D'où ils infèrent que Dieu nepeutpas être directement
un objet de science. » Denzinger, ICC édit., n. 207'2.
On sait que, dans la terminologie moderne, « notre
connaissance est bornée aux phénomènes » a deux sens.
Dans les sciences, telles qu'elles sont aujourd'hui cons-
tituées, un phénomène signifie a un fait à expliquer,
un individu réellement connu à ramener à une loi ou à
une cause inconnue. «C'est dans ce sens que les positi-
vistes entendent le mot, lorsque — faisant non plus de
la science, mais de la mauvaise philosophie — ils énon-
cent avec Comte, Huxley, Spencer que notre connais-
sance est bornée aux phénomènes. En sl\le kantien,
c'est autre chose : « notre connaissance bornée aux
phénomènes » signifie que le seul être qu'atteigne
notre intelligence est l'être que nous présentent nos
sens; cet être, qui s'interpose officieusement entre
l'esprit qui connaît, et ce que l'esprit connaît de la
réalité, est le phénomène. L'encyclique s'est servie pour
énoncer le premier principe des modernistes, de termes
tels qu'ils désignent à la fois le nominalisme empi-
riste sous tous ses formes et le nominalisme idéaliste
de Kant et des philosophies qui dérivent de lui. On se
souvient qu'avant l'encyclique les modernistes don-
naient pour prétextes à leurs innovations « les résul-
tats acquis de la critique kantienne et spencérienne »
et la nécessité d'accepter le nominalisme. Depuis l'en-
cyclique ceux d'entre eux qui ont élevé la voix pour
protester n'ont pas nié ou même ont, comme le Pro-
gramma dei modernisa, Rome, 1908, avoué que telle
est bien leur manière de voir.
Mais les modernistes, tout en acceptant les résultais
acquis de la critique kantienne et spencérienne, pré-
tendaient dépasser Kant et Spencer, et rien ne les cho-
quait plus, à en juger par leurs protestations, que
d'être confondus avec des kantistes. Le lecteur a vu
qu'on peut arriver aux résultats de Kant et de Spencer,
quant à l'impossibilité de connaître la nature intime
des choses par des procédés qui ne sont pas spécifique-
ment les leurs : Nicolas d'Autrecourt par exemple au
xive siècle a parcouru toute la carrière agnostique à
l'aide d'une seule hypothèse et d'un seul postulat. De
même, si l'on restreint la question à la connaissance
religieuse, Molinos niait la valeur de toute connaissance
intellectuelle sur Dieu en dehors du sentiment, de
l'expérience intérieure; Quesnel soutenait qu'il n'y a
pas de Dieu pour qui n'a pas la foi-amour, la charité;
Pascal, comme Hobbes, et à l'aide du même argument
concluait que, même avec la foi, nous ne savons rien
de la nature divine, mais seulement le fait brut de
l'existence de Dieu, Pensées, édit. Brunschvicg, 1904,
t. n, p. 143 sq.; cf. Slapfer, dans la Revue des Deux
Mondes, 15 novembre 1908, p. 383 sq. ; Boehme rédui-
sait à rien notre connaissance de Dieu considéré en
soi et par suite pouvait, comme certains modernistes,
affirmer de l'absolu, les contradictoires. Denzinger,
n. 2102. Il ne répugne donc pas qu'un moderniste soit
arrivé à ses conclusions indépendamment de Kant et
de Spencer. Dans la réalilécependant, les textes montrent
que, si M. Loisy emploie la terminologie et la philo-
sophie des idées héréditaires de Spencer, d'autres ont
utilisé Comte, et d'autres Kant, soit par l'intermédiaire
de Ritschl et de son école, soit directement. Cf. Léon XIII.
Encyclique au clergé de France, 8 septembre 1899;
Eucken, Thomas von Aquino, ein Kampf zweier
Welten, Berlin, 1901.
L'encyclique Pascendi ne fait aucune recherche sur
le détail de ces filiations philosophiques. Elle constate
simplement : a) que les modernistes admettent la posi-
ion des philosophes pour lesquels l'idée de Dieu, notre
connaissance intellectuelle (abstraite, spéculative, ra-
tionnelle, notionnelle) de Dieu est sans valeur objec-
tive, n'atteint ou ne représente pas le réel el n'a pas
de portée ontologique. Denzinger, n. 2091 — '< Qu'ils
expliquent l'origine de cette idée par l'immanence
vitale, par un sentiment qui jaillit en nous sans ju(
ment intellectuel qui le précède (fidéisrne). lbid.,
n. 2074. — e) Que cette idée ne devient une connaissance
ayant une portée ontologique, atteignant la réalité, que
par la croyance, lbid., n. 2081. — d Que, même avec
la croyance ou la foi, la connai-sance que nous avons
de Dieu reste toujours purement symbolique, ibid.,
n. 2108, soit à cause de son origine purement sub-
jective, ibid., n. 2079, soit à cause de l'élaboration
que nous lui faisons nécessairement subir suivant nos
besoins et nos états, ibid., n. 2080. soit à cause de
l'universalité de la loi d'évolution, lbid., n. 2080, 2058.
De la sorte aucune affirmation sur Dieu en soi n'est
possible, d'où le manque de valeur métaphysique
formules, lbid., n. 2080, 2020. Ce qui revient a dire
que les modernistes admettent donc la distinction du
connaître et du croire au sens de Hobbes, Locke,
Pascal, Kant, Mansel, Spencer, Ritschl, etc. — e\ Enfin,
les modernistes font dépendre la croyance de « l'expé-
rience individuelle, » qu'ils expliquent par une •■ certaine
intuition du cœur. » Le texte ajoute : « Ils se séparent
ainsi des rationalistes, mais pour verser dans la doc-
trine des protestants et des pseudo-mystiques. » lbid.,
n. 2081. En d'autres termes, les modernistes, après
avoir admis la thèse du relativisme de Kant et de
Spencer, les dépassent, tout en continuant avec eux à
tenir pour symbolique notre connaissance de l'absolu,
par un appel à Schleiermacher, c'est-à-dire à la thèse
protestante qui fait consister la foi en une expérience
intérieure, ou par un appel à la doctrine des pseudo-
mystiques qui, avec Molinos par exemple, nient toute
valeur à la connaissance intellectuelle indépendamment
de l'expérience mystique.
L'encyclique fait remarquer : a) Que la conclusion
moderniste : « Dieu ne peut pas être directement
objet de science » a déjà été condamnée par le concile
du Vatican. » Voir col. 857. — b) Que la théorie pro-
testante de la croyance ou de la foi, qu'ils confondent à
tort, à laquelle ils ont recours, a été rejetée comme héré-
tique par le même concile : sola interna cujusijue e.r-
perientia. Cf. de Broglie, Les relations entre la foi et
la raison, Paris, p. 54; Denzinger, n. 2072. — c) Que
dans leur recours à l'expérience, ils débutent par le
fidéisrne. lbid., n. 2074. — d Que de parti pris ils ne
s'élèvent pas au-dessus du symbolisme, c'est-à-dire des
théories d'après lesquelles nous ne pouvons désigner
Dieu que par de pures dénominations extrinsèques.
lbid., n. 2079. — e) D'où il suit qu'ils s'enlèvent tout
moyen de distinguer les religions fausses de la vraie.
ibid., n. 2082, et de ne pas tomber dans le panthéisme,
puis dans l'athéisme. Ibid., n. 2108 sq. On sait assez
que l'agnosticisme dogmatique de Locke, de Kant. de
Mansel, etc., n'a pas abouti à autre chose. — f) Enfin
l'encyclique consacre un paragraphe au sentiment pro-
testant, ou pseudo-mystique, dont les modernistes ont
tant abusé. Elle fait remarquer que. considérée philo-
sophiquement, leur psychologie est en défaut : car
qu'est-ce après tout que le sentiment sinon une réac-
tion de l'âme à l'action de l'objet proposé par l'intelli-
gence ou par les sens? » De plus, au point de vue
moral, cette importance donnée au sentiment est dan-
gereuse ; de même, elle est caduque au point de vue
apologétique, car le bon sens n'admettra jamais que
l'émotion soit un moyen sûr de découvrir la vérité;
elle est en outre ruineuse au point de vue religieux,
car n'aboutissant à aucune affirmation ferme et précise
sur la nature intrinsèque de Dieu, elle ne peut pas
décider s'il existe un Dieu rémunérateur, lleb.. XI, 6:
813
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE'
814
car le sentiment est incapable de résoudre objective-
ment celte question. Il est vrai qu'on cberche dans le
système à suppléer à cette insuffisance par l'expérience.
Mais l'expérience n'est elle-même dans l'espèce qu'un
sentiment à l'état fort, dont l'intensité peut bien en-
traîner une persuasion plus grande de la réalité de
l'objet religieux, si déjà l'on a des éléments intellectuels
objectifs de cette persuasion, mais ne peut pas suppléer
ces éléments. Denzinger, n. 2106 sq.
2° La connaissance rationnelle de Dieu et la vie in-
térieure. — Avant l'encyclique, les modernistes ont
souvent fait appel aux mystiques et aussi à la vie reli-
gieuse ordinaire des chrétiens pieux pour conclure au
manque de portée ontologique des notions religieuses,
en debors de la « vie de foi » ou en dehors de la « vie
de foi, qui opère par la charité ». Depuis l'encyclique,
M. Tyrrell a prétendu que le pape avait décrété la mort
de la piété dans l'Église. Il n'est pas douteux que les
modernistes n'aient réussi à s'attirer les sympathies de
plusieurs catholiques plus fervents qu'instruits par cette
argumentation, qui ne tend à rien moins qu'à rendre
ou impossible ou sans valeur toute connaissance natu-
relle de Dieu. Il faut donc exposer les faits, l'objection
qu'on en tire, et donner une solution.
1. Les faits discutés. — Tout homme de quarante
ans et qui pense, s'il est vraiment religieux et aussi
capable d'un retour nettement réfléchi sur sa vie mo-
rale, fait un jour ou l'antre cette découverte, que Dieu
est maintenant pour lui, habituellement ou à certaines
heures, un Être bien différent de celui qu'il priait et
adorait dans son enfance ou même à vingt ans. Prier,
adorer, ces mots semblent n'avoir plus le même sens
qu'ils avaient dans la famille, au collège ou au lycée,
à la faculté. La définition abstraite qu'on en donnerait,
est bien la même que celle du catéchisme de première
communion ou du manuel de séminaire; mais combien
plus profondes en sont dans l'âme les répercussions;
combien modifié le sens perçu, vécu; combien trans-
formée, l'attitude intérieure que ce sens commande.
Et du côtéde Pobjel :Dieu représenté sous des attributs
moins distincts, plus uns, parce que plus dégagés des
triées d'anthropomorphisme, que ceux qui avaient sou-
tenu les premiers pas vers le devoir; Dieu connu par
oncepts moins abstraits, moins métaphysiques ou,
plus exactement, moins théoriques, moins académiques
et scolaires, que ceux qu'avaient élaborés les efforts
juvéniles de la spéculation personnelle. Dieu, essen-
tiellement, au concret, distinctement, se présente sans
ellort et comme spontanément à l'âme, meilleur que
notre bonté', plus vrai que notre vérité, plus grand que
nos hommages; non seulement autre et différent de
ses œuvres — cela il l'était dés le commencement —
mais dessus d'elles, el cependant intimement
m', dissemblable à tout, et pourtant et
surtout infiniment digm d'être aimé.
tte impression (l'une connaissance vraiment nou-
velle, autre, grandit encore, si le Seigneur invite l'âme
iter combien il est doux, gustate et vide te, plutôt
entimenl que par lumières : pise devotionis cru-
diamur affectu, 'lit la liturgie. Supposons le cas,
tiques pour se faire entendre, où nous
n .ninon- jamais goûté de miel. On pourrait par le
raisons démonstratives nous
donni i . mi que is j touchions, quelque Idi
ir el de son parfum omettrions, soil
pai la loi au | : par raison scientifi
que li miel est doui La connaissanci que nous s
de Dieu pai la raison naturelle, el au
: an quelq mblableé celle
que non- aurions de la douceur du m
donn di ,i. votion ressi mble
plol oe que nous am Ion di
du miel, si nous venions à en goûter pour la première
fois. A ces moments bénis, cette connaissance parait
suivre l'expérience que nous faisons de l'amour divin.
Cet amour nous pénètre et, sans raisonnement, un
regard amoureux de notre àme perçoit confusément
la douceur des perfections divines. Ce n'est pas Dieu
tel qu'il est en lui-même et face à face, puisque nous
sommes dans l'exil; mais ce n'est pas non plus autre
chose que Dieu, qui fait l'objet de cette sorte d'intuition,
que les mystiques nomment regard intérieur. Dès lors,
pour l'âme, le cruciiix de son prie-Dieu, le Dieu de ses
méditations, ce Dieu toujours présent et qu'elle sent
tout près d'elle, comme dans l'obscurité on sent un
ami près de soi sans le voir ni l'entendre, paraît autre
qu'on ne le décrit dans les livres, autre qu'on ne le
prouve par les philosophies : il est bien l'Être néces-
saire, l'Etre suprême, l'Être des êtres, le Père des idées,
le ijuo majus cogitari naquit; mais il paraît différer
en bien, beaucoup plus que ressembler à ce qu'autre-
fois l'esprit saisissait, non sans peine, dans ces formules
abstraites. De même, le rédempteur, auquel s'adresse
le culte, et sur lequel s'appuie toute l'espérance de
l'âme exilée, à qui va lout son amour, parait au regard
intérieur, vraiment plus rédempteur que dans le sym-
bole : cruci/ixus sub Pontio Pilalo, plus divin, dans sa
divine et miséricordieuse condescendance, que dans la
formule conciliaire : consubslantialis. Cf. Acta sancto-
rum, Anvers, 1643, t. i. p. 197, n. 70. Enfin, le mystère
île Jésus parait plus réel que tous les syllogismes, tous
les textes et toutes les conclusions de l'École sur ce
même mystère. Il est réel comme une relation de per-
sonne à personne : ce qu'il n'est pas dans les livres.
Oui, à mesure qu'on progresse dans la vie intérieure,
l'objet religieux parait à l'âme plus réel : elle le « réa-
lise », disait Nevvman. En même temps, cet objet de-
vient pour elle plus certain. Sans raisonner sur la vérité
des paroles divines, sur la fidélité des promesses, l'âme
prend conscience d'une certitude des réalités divines
et surnaturelles, qui paraît indépendante du motif
d'autorité divine, el uniquement fondée sur l'expérience
qu'elle a de ces réalités. Quand toute l'Écriture et tous
les écrits des Pères seraient brûlés, ma foi resterait la
même, disait un grand saint, tant il était sur de celui
à qui il s'était donné et dont il avait goûté les incom-
préhensibles perfections.
Tels sont les faits, qu'indubitablement perçoit lies
souvent la conscience religieuse des pieux fidèles. Sché-
matiquement, la situation est la suivante ; la descrip-
tion de Dieu traditionnelle, la définition des actes du
culte, également traditionnelle, ne paraissent plus, a la
pensée réfléchie, adéquates à leur objet; bientôt même
la pensée directe de Dieu à l'aide des concepts s'accom-
pagne de cet épi phénomène : « Cela n'est pas tout, H
n'est pas tout à fait cela, mais plus; i el pour parler le
langage de saint Augustin, l'âme « distingue Dieu .
qui n'est pas lui „ beaucoup plus par l'abandon
l'aveu de son néant, par la confiance en lui que par
un discours métaphysique. I. I tre suprême •■ n épi
plus le contenu île l'idée île Dieu. Ile contenu, qui
trefois paraissait à l'âme venir du dehors par le moyen
Compliqué des Concepts abstraits (le la formule |
chismale ou métaphysique, parait maintenant .ire réa-
lisé sans ell.nl par un mouvement qui vient du dedans.
Quand, p.u- la mémoire, le sujet compare ta i. pi
talion mentale, qui accompa iffectil ai luel,
ii nnes, d.s juvéniles repré-
sentations religieuses, l'aperci ption actuelle déborde
tellement le contenu primitif, le modifie et le transforme
. ce point que la formule catéchismale, associée dan
l'esprit a vi i parall ni
plui .'ire qu'uni -..rie de schème vide, Im el, une
de projection maladroite et .t ,,,1,
tel qu'il eal maintenant p. r\ a. El il (li
815
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
816
cliii sur ses expériences successives, sur la transfor-
mation de plus en plus complète pour elle de l'objet
réel île son adoration et de son amour, elle constate un
écart de plus en plus marqué entre cet objet, tel que le
saisit sa pensée actuelle, et le même objet, tel qu'elle
le saisissait autrefois à l'aide de la seule formule tradi-
tionnelle. Bref, l'objet des formules catéchismales el
métaphysiques lui paraît comme inanimé, indillérent
au cœur, sans valeur d'action sur sa vie morale et re-
ligieuse; au contraire, l'objet de l'expérience intérieure
affirmé, semble-t-il, par un autre organe que le cer-
veau, est bien vivant; bien que très imparfaite nt
connu — et l'âme a conscience de celte imperfection
et de cette insuffisance — c'est Lui, moins inadéqua-
teinent, le vrai Dieu, à qui l'âme s'abandonne et se lie,
prête à tous les sacrifices : Dominus meus et Deus
meus. Et la certitude delà foi en paraît toute rajeunie;
une certitude nouvelle, qui est d'essence diûerenteque
la certitude appuyée sur la pure autorité du témoignage
divin extérieur, paraît dans la conscience.
2. L'objection. — Certains modernistes se sont em-
parés de ces faits de conscience, pour vider de toute
valeur ontologique la connaissance que nous pouvons
avoir de Dieu par les concepts, par les formules reli-
gieuses, par l'abstraction. « Notre foi va plus loin que
nos idées. » disait l'un; « vous le savez bien, si vrai-
ment vous avez la foi. » « C'est par la croyance que
nous atteignons la réalité intérieure des choses que
n'atteignent pas les sens, » disait l'autre, qui se flattait
d'inaugurer l'objectivisme postkantien. « Dieu n'est pas
une vérité abstraite, c'est une réalité qu'on perçoit, et
dont on vil, par le sentiment, faculté immédiate du
réel, » disait un troisième. « On ne démontre pas une
réalité concrète, on la perçoit. Elle n'est pas objet
d'analyse conceptuelle, mais d'intuition vécue... Dé-
duire Dieu équivaut à le nier. Prétendre vouloir le
trouver ainsi revient à vouloir l'atteindre par une mé-
thode athée, » écrivait sans sourciller M. Le Roy, dans
la Revue de mélaj>hysiqne et de morale, 1907, p. 472,
474. Quelques-uns de ces écrivains, pour satisfaire aux
nécessités du dogme, sauver la possibilité de la révéla-
tion extérieure et garder la notion ebrétienne de la foi,
assentiment de l'esprit à l'autorité du témoignage divin,
gardaient quelque nexus objeclivus entre nos idées
religieuses et leur objet, cf. Webrlé, dans la Revue
biblique, juillet 1905, sans d'ailleurs toujours éviter, à
cause de la distinction du connaître et du croire, de
tomber dans « la foi du cœur hermésienne ». Acta
concilii Vaticani, col. 527, 529 sq. Cf. Annales île
philosophie chrétienne, octobre 1908, p. 1-79. Mais
d'après la majorité, l'absolu, le fonds substantiel de
l'être, la réalité sous-jacente aux formules, pour parler
net. Dieu, perçu, senti, vécu, ne pouvait être exprimé
qu'en formules de vie : sous les espèces et symboles de
l'action, d'après M. Le Roy ; par des images décolorées,
résidu de notre expérience, d'après M. Loisy; par de
pures métaphores, d'après M. Tyrrell. Cf. Programma
dei modernisti, p. 95. Mais tous s'entendaient sur le
point suivant : avant et sans la croyance ou la foi, im-
possibilité pour la raison de connaître Dieu, la réalité
divine, objectivement; car, indépendamment de l'expé-
rience, la « notion » n'a pas de valeur et de sens rela-
tivement à la réalité. Outre les arguments communs à
l'école nominaliste et qui se résument à nier que nous
ayons aucune connaissance « par les causes », Pro-
gramma, loc. cit., on prouvait cette conclusion par
l'appel aux mystiques, au grand chrétien Pascal, par
des attaques contre les théologiens qui ont la supersti-
tion de formules mortes et vides, et par le développe-
ment vibrant des faits de la vie intérieure que nous
ayons rapportés, suivi du raisonnement suivant : La
vie intérieure atteint la réalité spirituelle; donc, en
dehors de l'expérience intérieure, les formules n'uni
pas de portée ontologique, et par suite en dehors de
• l'expérience actuelle du divin opérant en nous et en
tout, » Programma, loc. cil., pas de connaissance de
Dieu, et donc pas de connaissance rationnelle de Dieu.
lbid., p. 105.
ÎJ. Réponse. — Les théologiens connaissent et admet-
tent les faits religieux que j'ai essayé plus haut de dé-
crire brièvement. Dire que l'Eglise réprouve ces états
d'âme, reviendrait de fait à dire qu'elle bannit de son
sein la piété et la vie intérieure, qu'elle renie saint
Bernard, saint Bonaventure, l'Imitation, saint François
de Sales, etc., et bille environ les deux tiers des Patro-
logies deMigne. Le Credo commence par ces mots : Je
crois en Dieu ; et nos catéchismes, à la question : Pour-
quoi dites-vous, je crois en Dieu et non pas seulement
je crois qu'il y a un Dieu? répondent : Parce que non
seulement je tiens pour certain que Dieu existe, mais
encore je mets en lui loute ma confiance. Où est le
théologien catholique qui a mis en question la valeur
de cette réponse'.' Quelques protestants ont soutenu en
Allemagne que la distinction célèbre Credere Deum,
credere Deo, credere ni Deum était spécifiquement
hussite et luthérienne. Le P. Denifle leur a montré
que c'est ignorance pure. Le plus mince étudiant catho-
lique en théologie sait que cette formule se trouve dans
le Maître des Sentences et par suite dans tous les
théologiens scolastiques. On faisait de même au sub-
jectivisme de Luther, à sa doctrine de l'expérience in-
térieure, l'honneur de formules émues, qu'il emploie.
Le même Denille a montré que Luther n'avait eu pour
composer ces formules touchantes qu'à traduire le bré-
viaire et le missel de l'ordre des augusliniens. auquel
il avait appartenu. Denille, Luther und Lutherthum,
Mayence, 1904, t. i, p. 416 sq. Non, l'Église catholique
n'a jamais fait de la vie religieuse une affaire de gla-
ciale élégance académique et de froide correction con-
ceptuelle.
On nous objecte la froideur de nos manuels de théo-
logie, et il n'est pas difficile de montrer qu'elle est
grande. Disons que cette froideur est voulue, calculée,
non certes pour bannir la vie alfective de la religion,
mais pour la rendre plus intense. 11 n'est pas de pro-
fesseur de théologie qui ne pense et ne sente autrement
de la Trinité, quand, en chaire, il raisonne pour ses
élèves sur ce profond mystère, et quand il est à son
prie-Dieu. Dans les deux cas, c'est delà même Trinité,
considérée objectivement, qu'il s'occupe, de la même
réalité mystérieuse, qu'il parle. Mais en chaire, il rai-
sonne; à son oratoire, il adore, il aime et il prie. Si.
en classe, il sent l'émotion religieuse le gagner, le
prendre à la gorge, il la refoule le plus souvent, pré-
férant laisser à ses auditeurs de rigoureuses et lumi-
neuses démonstrations plutôt que le souvenir de la
vibration d'un instant. C'est que le professeur de théo-
logie sait parfaitement que, si son élève comprend bien
la doctrine, le dogme, il y trouvera pour lui-même et
pour les autres, l'heure de Dieu venue, une source in-
tarissable de chaudes lumières et de pieuses affections.
Bien de glacial comme les Respondeo dicendum de
saint Thomas; en apparence, rien de moins religieux
que les o disputes » de Suarez. Faut-il les supprimer
ei les remplacer dans les cours de théologie par la
lecture de l'Imitation et le chant de quelque pieuse
prose du moyen âge? Non, parce que, à qui sait
regarder comment les choses se passent ici-bas, les
pages incolores de saint Thomas et de Suarez sont des
foyers de vie religieuse intense, d'une incomparable
puissance. « Il vaut mieux, dit limitatif», sentir la
componction que d'en savoir la définition. » C'est exact,
pour la conduite personnelle et le salut de chacun.
Mais si mil ne savail définir la componction, qui en-
seignerait aux autres à la sentir, à la distinguer de ce
qui n'est pas elle? D'ailleurs, c'est encore honorer Dieu
817
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
818
que de se donner beaucoup de peine pour comprendre
de son mieux ce qu'ila bien voulu nous révélerde lui-
même et de ses œuvres. J'ai signalé tout à l'heure
l'écart qui, par suite du développement de la vie reli-
gieuse profonde, apparaît au fidèle entre la formule
abstraite et le Dieu vivant de son cœur. Les pages
glacées de saint Thomas et de Suarez n'auraient-elles
pas, d'aventure, pour but d'expliquer cet écart apparent,
d'en faire comprendre le sens, d'en mesurer la portée?
Jusqu'à preuve du contraire — et on ne me la fournira
pas — je pense que l'étude approfondie des grands
théologiens reste la meilleure apologétique contre les
modernistes, qui prennent occasion de cet écart appa-
rent pour nier la portée ontologique des notions abs-
traites sur Dieu et en général des formules dogmati-
ques. Aller dans l'étude des mystères divins jusqu'au
bout de l'analyse conceptuelle et logique, c'est le meil-
leur antidote contre la défiance de la pensée spéculative,
que peut faire naître la réflexion sur les caractères de
la croyance vécue et vivante. Là où les modernistes,
pour n'avoir pas rompu l'os et atteint la substantifique
moelle du dogme objectif, concluent que « la formule
est vide de sens et de valeur, qu'elle est irréelle, o le
théologien voit intellectuellement que la parole divine,
la langue de l'Église ont un sens tellement plein, une
valeur ontologique tellement riche que les battements
de cœur, les enthousiasmes de la foi, les folies d'amour
religieux de toutes les générations ne seront jamais
adéquats à l'objet que cette parole sacrée et cette langue
officielle nous manifestent. Comprise autant que l'intel-
ligence humaine peut la comprendre, la formule révé-
lée nous découvre l'objet de notre foi, bien au-dessus
de ce que l'amour réuni des hommes et des anges pour-
rait nous faire soupçonner, s'il nous était donné de
pouvoir l'analyser. Ce qui est vrai des vérités révélées,
l'est, toute proportion gardée, des formules philoso-
phiques. .Mais pour mettre dans un livre la métaphy-
sique sur Dieu dont nous parlons, il ne suffit pas de
l'écrire avec son coeur, il \ faut de la pensée pure; et
celle-ci est en quelque sorte impersonnelle, c'est-à-dire
t, pour ceux qui ne sont pas formés à celte
discipline, glaciale. Il parait donc que les pages déco-
lorées des théologiens, loin d'être une preuve de leur
ïndilTérence à la vie spirituelle intime et profonde.
lui 'ont en réalité' ordonn
Le préjugé de religion académique el d'intellectua-
lisme exclusif écarté, serrons de près le raisonnement
qu'on nous oppose : La \ie intérieure itteint la réalité
spirituelle; donc, en dehors de l'expérience intérieure,
de la foi du cœur, pas de connaissance rationnelle de
Dieu, valable.
Sur l'antécédcnl de cel enthymème, mettons-nous
d'accord quant aux points suivants : a) Il est vrai que
la vie intérieure des chrétiens atteint la réalité spiri-
tuelle. || esl vrai que les mahométans, qui croient i
• du vrai Dieu, atteignent la même réalité,
bien que d'une autre manière, puisqu'ils n'ont pas la
vertu théologale di foi. b On convient aussi que sans
m vitale du sujet, l'individu n'atteint pas cette
réalité. Beaucoup di nts des modernistes
prouvent que. dans la connaissance religieu • . nous ne
uremenl passifs; i| j a longtemp
l'Eglisi i condamné la | ■ passivité des pseudo-mys-
tiques. < M ["yrrella découverl i une unité an n
t ■ péi du féti-
chisn lints et des extal iqui -
i ''ii- • n effet, d après lui, se N\ i
■i inti rprétei I ln< onnu sans limid
le eette fraction i II I i II I t. s i „,;, | ,. ,),, ï„,,| ,|m
née de l'homm
i iimi Charybdin, Londi . 272,
175. I ■ • que l'encyclique /' rail
remarquer aux mod |ue dam leur systi
toutes les religions se valent, et qu'il n'y a pas pour
eux de moyen de montrer la vérité de l'une et la fausseté
des autres. Comment le feraient-ils, puisque, d'après
eux, d'une part les principes abstraits n'ont pas de
portée ontologique en dehors de l'expérience intérieure,
et d'autre part tous les hommes ont une expérience
religieuse qui atteint la réalité divine? On ne voit donc
pas comment ils pourraient convenablement exclure
de la vraie religion, par exemple les hallucinés de nos
hôpitaux qui se croient le Père éternel, celui des
Monod qui s'est dit le Messie, le fondateur de l'Agape-
inone, bref tous les fanatiques, derviches hurleurs, etc.
Mais pour simplifier la présente discussion, laissons
de côté ce point et convenons de ne parler pour le mo-
ment que de l'expérience religieuse des bons chré-
tiens.
Le sens de l'antécédent étant ainsi bien déterminé,
et concédé, nous demandons par quelle « conséquence »
passe-t-on, de la proposition : la vie intérieure des bons
chrétiens atteint la réalité spirituelle, à cette autre
proposition : les formules religieuses, en dehors de
l'expérience intérieure, n'ont pas de portée métaphy-
sique? Cette inférence est légitime, si l'on sous-enlend
dans l'antécédent le mot seule, en d'autres termes, si
l'on donne un sens exclusif à la proposition : la vie
intérieure atteint la réalité spirituelle. Et c'est bien en
réalité ce que font les modernistes.
En effet, l'appel aux mystiques et aux grands chré-
tiens, l'étalage des bénéfices de l'apologétique nouvelle,
la description émue des expériences religieuses tendent
à suggérer au lecteur que seule l'expérience intérieure
al teint l'être substantiel; quand le lecteur esta point,
on lui glisse la conclusion, et le tour est joué. Mais a)
l'appel aux mystiques esl un leurre : a. parce que les
mystiques supposent explicitement la foi, une pensée
de foi, par exemple, celle de la présence de Dieu,
c'est-à-dire une connaissance notionnelle au début de
leurs expériences; et, seuls, les pseudo-mystiques
comme Molinos nient la valeur ontologique de cette
pensée initiale proposée par la foi. b. 11 est vrai que
Gerson et quelques autres ailleurs admettent la possi-
bilité d'une connaissance subséquente à l'état affectif,
sans connaissance antécédente. .Mais alors il faut dire :
quelques mystiques et non pas : les mystiques. De
plus, ces quelques mystiques n'admettent la connais-
sance subséquente que comme un cas singulier. Pour
le reste des cas. ils parlent comme tous les autres. —
b) L'étalage des avantages de l'apologétique nouvelle,
en vue d'amener le lecteur à penser que seule la vie
intérieure atteint le réel, est une amorce assez gros-
sière. Elle sert à la fois à dissimuler les concessions
que l'on fait aux agnostiques, et à donner de l'appa-
rence aux moyens que l'on propose, par la beauté de
la fin. « La pensée moderne est jalouse de la notion
d'immanence, etc.; si nous ne concédons rien, nous
serons sans action sur noire temps. » le n'en crois
rien; mais, soit! Suit-il de là que seule la vie inté-
rieure atteint le réel? Nos théories, fussent-elles de
Kant, changent-elles l'ordre causal du inonde? — cl La
description émue de la vie spirituelle des bons catho-
liques, aux lins de produire la ne stion en
f.neur de la \aieur exclusive de la connaissance issue
de l'expérience, couvre un triple sophisme.
n. On nous décrit avei ïnes modalités de la
vie intérieure. Mais I numération complet*
parties.' Non, les éUlfl que l'on denit sont triés sur le
volet; "n néglige, de parti pris, ceux qui contrediraient
la thèse, par exemple le Pail de la foi sans amour dans
l'étal île péché, Denzinger, n, 740, le fait de i i
en Dieu sans la foi dans l'hérétique formel, le fait de
la foi dans Vacedia, le fait de la foi dans ce que saint
Jean • i ■ la Croix appelle la nuit obscure, ou encore
le Lut di la foi dans t oraison de pan foi, etc i i puis,
819
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
820
on n'explique pas la croyance en Dieu chez ceux qui
n'ont pas la révélation, clic/, les fidèles, qui, soit par
ignorance, soil par grossièreté, ne sont pas capables
de toutes les analyses psychologiques dont on nous
parle. Et, d'une énumération 1res incomplète, portanl
sur le cas spécial des catholiques fervents, on passe à
une généralisation comprenant tous les individus,
toutes les situations.
b. On nous décrit avec art certaines modalités de la
vie intérieure; on nous fait remarquer que les réalités
suprasensililes prennent pour nous, lorsque ces moda.
lités accompagnent nos actes, un aspect de vérité, d'ob-
jectivité spécial : ce qui est incontesté; et on nous
demande d'avouer que la connaissance que nous avons
de ces réalités n'est objective, réelle, que par ces mo-
dalités. Mais réel signifie deux choses : existant hors
de moi indépendamment de mes états, ou bien dont
l'existence objective m'affecte dans ma vie émotive,
dans mes jugements de valeur. Les modernistes, pour
tirer leur conclusion, devraient nous montrer que nous
ne pouvons pas percevoir le réel au premier sens, sans
passer par la perception du réel au second sens. Est-il
vrai qu'il n'y a pas connaissance du réel, de l'objectif,
indépendamment de l'état émotif que le réel excite
quelquefois en moi, ou de l'estime qu'il fait naître? Je
ne nie pas qu'en certains cas la réllexion philoso-
phique ne puisse, de cet état émotif, de cette estime,
s'ils sont donnés dans la conscience, remonter à la
réalité; il y a très longtemps que certains théologiens
ont essayé de défendre par cette voie l'argument de
saint Anselme. Je ne nie pas, dans tous les sens du
mot, que le sentiment soit « faculté du réel ».Mais les
observations qu'on nous apporte prouvent-elles qu'il
est « la faculté du réel »? La répétition des mots
« réalité vécue, réel agi » n'est pas une réponse à la
question.
c. Les bons catholiques atteignent les réalités divines
dans leur vie intérieure. Nous en convenons. Comme
pour argumenter, on a choisi des cas où, d'une cer-
taine façon, ils les atteignent par le sentiment, par
l'estime, on conclut que le sentiment est « la faculté
du réel ». Admettons-le pour un instant. Cela exclut-il
la connaissance objectivement valable du réel, je ne
dis pas indépendamment du sentiment, ce qui serait
contre l'hypothèse que je concède à ce moment, mais
par un autre moyen, x? Non. En effet, mettons que le
sentiment soil un épiphénomène nécessaire et constant
de x, il restera vrai de dire que le sentiment est « la
faculté du réel », même si l'on admet que x atteint le
réel. Quand donc on nous démontrerait qu'il n'y a pas
connaissance du réel sans sentiment, par exemple,
parce que l'homme va à la vérité de toute son âme, il ne
s'ensuivrait aucunement que notre puissance abslrac-
tive n'atteint pas le réel; il s'ensuivrait seulement qu'elle
ne l'atteint pas, sans que le sentiment ne l'atteigne
aussi à sa façon. En d'autres termes, le rôle du senti-
ment n'exclut pas, mais suppose l'exercice de notre
faculté intellectuelle de connaître; et les analyses des
modernistes ne contiennent rien qui démolisse la po-
sition classique en cette matière.
Nous croyons donc pouvoir conclure que leur ar-
gument : « la vie intérieure atteint le réel, donc la
connaissance purement intellectuelle ne l'atteint pas, »
pèche par nullité d'inférence, puisqu'ils n'établissent
pas le sens exclusif de l'antécédent. Si d'ailleurs ils
disent qu'ils ont le droit de donner le sens exclusif à
cet antécédent, parce que les « résultats acquis de la
critique kantienne et spencérienne «démontrent l'ina-
nité de la connaissance intellectuelle, nous n'avons
qu'à observer qu'en réalité ils concèdent la valeur du
Kantisme et du positivisme, qu'ainsi la conclusion de
leur enlhymème, qu'ils se donnent l'air de déduire de
l'étude du fait religieux, ne suit en réalité de leur an-
técédent que parce qu'ils se la donnent a priori et
in verba magislri.
4. Interprétation des faits. — Bien que suffisante
pour montrer le défaul du raisonnement des rnoder-
nistes, cette première réponse n'explique pas la ques-
tion qu'ils ont soulevée des rapports de la connaissance
rationnelle de Dieu et de la vie intérieure. Nous em-
pruntons à Ferez, théolog nol du xvir siècle,
une page qui mettra le lecteur sur la voie a suivre. Ens
intenllonale aliud est logicum, aliud est reale seu
roi iniialis, aliud est commune u trique. Logica enim
solum agit de esse objective) conslilulo per triplicem
inlcllcclus operalionem humanam ; philosophia au-
tem moralis progreditur ad esse volili et noliti, et ad
esse œslimati per a/lectum aut contemplum. Comparer
avec l'action, la pensée-action et les jugements de va-
leur. Ulrunique ens convenil in génère enlis intentlo-
nalis ; neque est necesse iilud restringere ad intelle-
ctum aul volunlalern humanam, sed oportet illud
e.clendere ad omnem intellectum et voluntalem. Fer./
fait cette dernière remarque pour préparer le moyen
dont il se sert pour défendre l'argument de saint An-
selme. Voici ce procédé: nidlum bonum est esse chime-
ram; sed carens omni defectuest bonum : ergo eurent
omni defectu non est chimera. La majeure est évi-
dente, dit-il, parce qu'il est de l'essence de l'être chi-
mérique de ne pas pouvoir être l'objet d'une volilion
ex judicio vero, et que, si on le veut quand même,
nécessairement la volilion ne peut aboutir. On se sou-
viendra que Leibniz avai! lu Ferez et l'avait trouvé in-
génieux. Est autem intellectus universim loquendo
potenlia cognosciliva perceptiva contradiclionis et
invenliva rationum contradiclionis seu delectiva illa-
rum. Voluntas autem est potentia lendensin objectum
ut intellectum, nullam novam ralionem addens in
objeclo sed inclinationem ex parte subjecli aut decli-
nalionem. Comparer avec ce qu'ont dit du rôle des
causes subjectives de la croyance le F. Gardeil, voir
Créuiiulité, t. m, col. 2306 sq., et le P. Ilarent, voir
Croyance. Ens autem intentionale est illud quod Itabel
esse per denominalionem ab aclu intellectus aut vo-
lunlatis, relut si habeal esse voliti aut cogniti. El sic,
positiviun intentionale est : esse nominati nomine dicta
per affirmationem; aul esse af/irmati per judicium ;
aul esse voliti, aut esse œslimati, wstimalione dan le
aliquam magnitudinem. En ce sens, et si l'on s'en
tient à une observation sommaire, cf. Dictionnaire
apologétique, Paris, "1909, t. I, col. 64, noire foi peut
aller bien plus loin que notre connaissance purement
notionnelle : esse nominati, ou purement logique : esse
af/irmali. Mais on va voir pourquoi il n'en faut pas
conclure que la connaissance notionnelle ou logique
manque de portée ontologique ou que notre foi « pro-
longe nos idées ». En effet, est autem talis sestimalio
judicium de re ex amore, cm iniitcio respondet nomen
nobile et honori/icum. L'âme religieuse qui aime Dieu
s'incline au Gloria Patri avec une altilude intérieure
de respect, commandée par son amour ; mais son amour
lui-même dépend de l'objet intellectuellement connu,
et n'ajoute rien à l'objet en soi. L'auteur a recours à
des exemples aujourd'hui classiques, l'iui hujus nomi-
nis quilibel intelliget et sentiet multo melius quam
ullis verbis possit exprimi, si quis reflectat super hoc
nomen ego et supra illud mea cita, mea sapientia.
Comparer avec la réalisation de New man. Voir Croyance,
t. m, col. 2373 sq. Comparer aussi avec la vérité ;< per-
sonnelle, pour moi, agio, vécue », dont on nous parle
tant. <juia enim unusquisque se amat, aliter se xsti-
mat dicendo ego atque dicendo tu, 0/7111' aliter affi-
citur ad meum et ad tuum. Hujus causa est, quia
unusquisque judicat et xstimat ex affectu. Cette re-
marque est du prince de la logique conceptuelle.
Aristote. Le chaste, dit saint Thomas, juge autrement
821
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE;
822
de la pureté que l'incontinent : suit-il qu'il juge plus
mal, et que son jugement n'a qu'une valeur purement
relative? L'idée de Dieu émeut et fait vibrer autrement
l'homme pieux que l'impie, faut-il en conclure, comme
on le fait, que l'impie n'a pas d'idée objectivement
valable de Dieu, et que l'homme pieux n'a de Dieu que
l'idée que son émotion peut lui en donner? A ce compte,
dans le fameux jugement de Salomon, celle qui par
l'émotion de sa réponse fut jugée la vraie mère, ne
l'était, et ne savait l'être, que par l'émotion que lui
causa la proposition du roi. Qui ne voit que la réponse
de cette femme et l'accent qu'elle y mit furent com-
mandés par la réalité objective, par le fait de la gesta-
tion, de la parturition et de l'allaitement? Salomon
compta sur la réaction émotive de sa proposition pour
distinguer la vraie mère, et nos juges d'instruction,
qui épient « l'accent de vérité » d'un témoin, font de
même; mais tous savent et admettent que l'émotion et
l'accent de vérité du témoin ne créent pas la connais-
sance du fait, qu'au contraire ils la supposent, et c'est
précisément parce qu'ils la supposent, qu'on en tient
compte. De même, l'indifférence du témoin est, dans
bien des cas, la meilleure garantie de son témoignage :
vérité admise de tous, mais que ne peuvent pas expli-
quer ceux qui tiennent que ce qui n'est pas émotionnel
ne saurait atteindre le réel. C'est que la connaissance
objectivement valable du réel est antérieure à la réac-
tion affective. 111a autem nomina quœ praecedunt
affectum, c'est-à-dire les formules purement concep-
tuelles et logiques, possimt esse œstimaliva realiter,
sed formaliter non sunt. Ce qui signifie que la formule
purement spéculative peut être prégnante de toutes les
réactions affectives du sujet de façon à les légitimer
logiquement, sans que subjectivement le sujet réagisse;
$unt lacrymx rerum, a dit le poêle dans le même
sens. Par exemple, la formule abstraite du Credo, qui
esl l'objet direct de noire foi, n'est pas moins repré
tentative de la réalité en soi, pour nous laisser froids
à certains jours, quand par exemple nous avons une
forte migraine. Os jours-là, le Credo reste pourtant la
parole de Dieu, et par suite la vérité; et le fait que
nous ne réagissons pas, à cause de la migraine, n'en-
rien à la valeur objective de notification de la
formule. Perez conclut : Patei ergo quid sitesse inlen-
tionab- quod, juxta dicta, non solum constituitur per
triplicem opérai ionem logicam, sed per quartam ro-
lili,et per quintam sestimati. Volilioenim estquœdam
illatin— i\ n'est pas nécessaire qu'il \ ait inférence for-
melle, de même plus haut il n'est pas question de
jugement formel : les scolasliques connaissaient les
apprehensiones virlualiter judicativa et illativse —
ntelleclione , et cet timatio est Mario ex volitione
Ant. Perez, In I n divi Thomm
tract, quinque, Rome, 1656, t. i. p. 3.
On voit par ce texte que l'admission des notions con-
ceptuelles valables dans la vie morale et religieuse, loin
d'être ■ gêne pour l'interprétation des faits, sert au
Contraire à les comprendre.
"ii nous objei lera que les scolasliques ne s'occupent
jamais que des concepts i t des opérations logiqui
que nous serions bien embarras é pour citer un autre
auteur que Perez, qui parle d'une quatrième opération
■ et d'une i Inqui i, Nous avouons qu'il
nir, où nous avons trouvi
Mai! la cl qu ils expriment rail le fond de
la " : tique des vertu ; el l'on ail que, dans
la religion esl uni ver
r'Pl ite qu'un ai
de toutes les vertu p .,
ni de la rertu de prudence, j intervient.
i fournil la réponse aux
'ions que lin m des tut rappi
'"- moderniiti libéraux, pour con-
clure que nous n'avons la certitude du réel en religion
que par l'intuition dans le sentiment ou l'expérience.
— 1. Il y a, disent-ils, progrès dans la connaissance du
réel divin par l'expérience; donc l'expérience est le
seul moyen de l'atteindre. — Réponse. —Nous admettons
le fait du progrès, que nous expliquons très facilement
sans avoir à concéder la conséquence que l'on déduit
de ce fait. Cf. Kleutgen, Théologie der Vorzeit, Munster,
1874, t. v, p. 272; S. Bonaventure, Opéra, édit. Qua-
racchi, t. v, p. 55; Bossuet, Œuvres oratoires, édit.
Lebarq, t. v, p. 10't.
2. Par la vie intérieure, disent-ils, on a une sorte
d'intuition des vérités divines; donc la connaissance
du réel, qui ne peut être qu'intuitive, s'acquiert par
l'expérience. — Réponse. — Dans le conséquent on prend
pour accordée la non-valeur de la connaissance abstraite,
c'est-à-dire précisément ce qui est en question. Quant
à l'antécédent, nous concédons une sorte d'intuition, à
condition qu'on ne prenne pas ce mot au sens où les
théologiens l'emploient quand ils trailent de la vision
intuitive. Cette équivoque écartée, l'emploi du motintui-
tion n'a rien qui nous choque. Cf. Harent, Expérience et
foi, dans les Etudes, 20 octobre 1907, p. 233. On le trouve
équivalemment dans saint Thomas : In hac etiani rila
purgato oculoper donum intellectus Deusquodammodo
videri potest. Sum. l/ieol., I» II", q. i.xix, a. 2, ad 3"m.
Huarez, De oratione, c. xm, dit : quasi intuitu ; Benoit XIV
définit la contemplation : simplex intellectualis in-
tititus cum sapida dilectione. De bealificalione, 1. 111,
c. xxvi. Le sens de cette expression se détermine par
celui des termes auxquels on l'oppose, qui sont « mé-
ditation et discours ». Méditation et discours emportent
proposition d'une vérité de foi, puis raisonnement,
ell'ort conscient; intuition, au contraire, signifie appré-
hension de la vérité de foi sans raisonnement, avec
clarté et sans effort; c'est ainsi que nous saisissons les
premiers principes, et que nous voyons que deux et
deux font quatre. Par la pratique de la vie intérieure,
sous l'action de la grâce de Dieu, il arrive que le fi-
dèle saisit les vérités de foi, comme on voit les pre-
miers principes spontanément, sans elïort, avec clarté,
qu'il leur donne son assentiment sans raisonnement
conscient, et qu'ainsi tenues pour certaines, ces véri-
tés, qu'énonce la formule traditionnelle, mieux péné
trées sollicitent fortement les puissances affectives. Dans
ce cas, l'illusion serait de croire que la formule abs-
traite n'exprimait pas objectivement de quoi justifier
tout l'ébranlement ressenti. Parce qu'on a mieux com-
pris le dogme, on en a été plus touché : et parce que
les objets que nous voyons, nous sont plus distincte-
ment présents à l'esprit et nous émeuvent plus que ceux
qui sont absents, on dit ici par analogie que, dans ces
cas, on a l'intuition de la réalité divine. Cf. Scaramelli,
La direction mystique, Irad. Catoire, S vol.. Tournai,
1863; l'auteur avait en vue Molinos et ses disciples, el
par suite traite les questions précisément au point de
vue qui nous occupe ici; Schram, Theologia myslica,
Paris, I Sis. Voir aussi Moisant. Dieu, l'expérieni
métaphysique, Paris. 1907,
3. Dans l'expérience religieuse, on n'a pas consi ienci
d'un travail intellectuel , la connaissance semble venir
du dedans et non du dehors, du cœur plutôt que du
au. — Réponse. —Ce que i s venons de dire ex-
plique pourquoi la conscience de Pefforl rail défaut,
qu'il n'} t ni effort, ni raisonnement explicite. La
ade partie de l'observation, que nous admettons
comme la premii re, a été députa longtemps i tpliquée
par les thi dans le ti i rlus, à propos
des habitudi acquises que non- laissent nos icti rai
naturels. Cf. de Coninck, De moral) la te, natu
efferlibut acluum tupernaturalium in génère, etc.,
Ame. lisp \ il. dub. m, n. Si, I n vertu «le
l'unitédu sujet humain, tout ce quenou non*.
823
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
824
même les objets spirituels, dans l'acte le plus épuré de
l'intelligence, a une représentation concomitante dans
notre imagination, et par suite émeut d'une certaine
manière nos puissances affectives sensibles. D'où il
arrive, observe de ConincU, que si notre piété produit
un acte d'amour de Dieu très sensible, nous éprouvons
aussi une certaine douceur dans tout notre être : Cor
nieum et caro mea exultaverunt in Deunt vivum.
l's. lx.\xiii,3. Ile là naît dans nos puissances inférieures
une inclination aux appréhensions et aux affections de
même nature. Kl celle inclination est très utile pour
faciliter à la volonté les actes surnaturels, soit parce
que cette inclination fait disparaître les empêchements
que la partie sensible de notre êtreapporte souvent aux
actes de la partie supérieure, soit parce que, grâce à
cette inclination, l'intelligence est excitée et aidée à
proposer son objet à la volonté avec plus de perfection
et plus de force. L'objet étant ainsi proposé, l'imagina-
tion le présente à sa manière à l'appétit sensible, qui
d'un mouvement nécessaire se porte à lui, in objectum
aliquo modo simile corporali modo apprehensum.
D'où il suit que l'objet religieux apparaît à la volonté
libre d'autant plus digne d'amour que celte puissance
est sollicitée à l'acte, à la fois, par l'objet vivement pré-
senté par l'intelligence, et par l'état émotionnel de la
partie inférieure. A la lumière de cette explication, il
nous semble qu'on se rend assez compte pourquoi,
dans certaines expériences religieuses, la connaissance
parait venir du dedans, du cœur, et non du dehors, du
cerveau. Mais on a tort de conclure que, dans ces cas,
le réel n'est pas atteint par la connaissance abstraite,
par l'intelligence. Si on retranche cet élément, on
tombe dans le subjectivisme et dans le relativisme ra-
dical.
4. On objecte enfin : La vie intérieure nous donne
une certitude sui generis de la réalité de l'objet reli-
gieux. Donc cet objet n'est pas alteint par les notions. —
Réponse. — Les théologiens concèdent que la répétition
des actes surnaturels engendrent une habitude de ces
actes. Actuellement, la plupart des théologiens admettent
que cette habitude est naturelle. La raison qu'ils en
donnent est le fait d'expérience suivant. Le fidèle qui
devient hérétique formel perd tous ses dons surnaturels :
cependant il lui reste, s'il était théologien, Vhabitus
acquis de la théologie; et, bien qu'il n'ait plus la foi,
il lui reste, pour les articles qu'il admet encore, une
fermeté et une certitude subjectives d'adhésion à ces
articles, dont il a conscience. Cet habilus n'est pas sur-
naturel maintenant, puisque, par hypothèse, tous les
dons surnaturels sont perdus; il est donc naturel; et,
s'il est actuellement naturel, il l'était quand l'héré-
tique avait la foi. On admet donc, en même temps que
la certitude de la foi proprement dite, qui repose sur
l'autorité du témoignage divin, une certitude naturelle
des vérités révélées, acquise par la pratique de la vie
spirituelle. Les modernistes réduisent la certitude de
la foi à celte certitude naturelle acquise. C'est ce que
l'on ne peut pas leur concéder. De l'existence de cette
certitude naturelle, ils concluent à la non-valeur
ontologique de l'assentiment ferme, donné aux propo-
sitions révélées précisément parce qu'elles sont la
parole de Dieu. Encore une fois, la conséquence ne
vaudrait que si l'on prouvait par ailleurs que les for-
mules abstraites ne représentent pas le réel et nous ont
été transmises, uniquement comme des types d'expé-
riences religieuses, et non pas tout d'abord comme des
manifestations des réalités divines, garanties par le
témoignage divin.
Études sur le décret Lamentabili, lire à part de V Univers,
août 1907; Heiner, Dcr neue Syllabus Pins .Y. 2' âdit., Mayence,
1908; Michelitsch, Der bibliscli-tlog»iatiscl>er Syllabus Pius A
sarm dcr Encyclica gege>i den Modernismus' 2' édit., Ciraz.
1908.
X. I i;i;i [ US -l R LA POSSIBILITÉ DE LA CONNAISSANCE
CERTAINE DE DlEl PAR LA RAISON NATURELLE VISÉES l'Ait
LE CONCILE ni' Vatican. — Le concile se proposa de con-
damner: L» le traditionalisme, Acla, coi. 79, 131 . 2" l'er-
reur très répandue depuis les encyclopédistes fran
et depuis l'apparition de la philosophie critique en Alle-
magne, qui consiste à nier la possibilité de connaître
Dieu par la raison, soit faute d'arguments valables,
soit pareeque les impressions dites intuitions sensibles
sont seules l'objet réel de la connaissance, ralii
per se nihil eognoscere, sed tanlum percipeve, Acla,
col. 520, 79, 8(3, 129 sq.; 3° ceux qui nient la possibilité
ou la légitimité de la théodicée, qui tlieologiam natu-
ralem negant.Acta, col. 1 i8, 127. Le concile a condamné'
les partisans d'une religion exclusivement naturelle :
dans l'ordre de providence où nous sommes, elle est
insuffisante. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas
une science naturelle de Dieu et des mœurs : scientia
de Deo et rébus moralibus; l'expression est du concile,
Denzinger, n. 1658, qui ne l'emploie pas pour la reje-
ter, mais simplement pour avertir de leur erreur ceux
qui confondent la théodicée et la morale avec la foi
proprement dite. 4° Le concile n'a pas entendu défi-
nir seulement la possibilité d'une connaissance de
Dieu abstraite, sans inlluence sur la vie morale et re-
ligieuse. La connaissance de Dieu, dont il affirme que
la raison naturelle est capable, est une connaissance
telle que la conscience de nos principaux devoirs
envers Dieu en découle. En effet, un des membres du
concile ayant proposé un amendement qui indiquait
explicitement que la connaissance de Dieu dont on
définissait la possibilité, emporte avec elle la connais-
sance de nos principaux devoirs moraux et en particulier
de la religion naturelle, Acta, col. 121, emend. 11, la cor-
rection fut rejetée comme superflue sur l'observation
suivante que fit le rapporteur : « Nous disons que
l'homme peut connaître Dieu, « principe et fin de toutes
c choses; » notre formule énonce donc aussi que
l'homme peut connaître ses principales obligations mo-
rales. Car personne ne peut tendre à Dieu, auteur de
la nature, comme à sa fin naturelle, sans connaître au
moins ses principaux devoirs envers Dieu. » Acta,
col. 133, 507 sq. Le concile admet donc, antérieurement
à tout acte de foi, la possibilité d'une théodicée dont la
certitude et l'étendue permettent à l'homme de commen-
cer sa vie morale et religieuse. D'ailleurs, parmi ces
devoirs, le concile énumère plus loin celui de se sou-
mettre à la révélation; il suppose donc qu'avant la foi
l'homme peut arriver par sa raison à une connaissance
de Dieu telle qu'elle puisse servir de préambule à la foi.
Mais une telle connaissance ne peut pas être sans quel-
que jugement de portée ontologique sur la nature in-
trinsèque de Dieu.
XL Sens précis de la définition du concile du Va-
tican. — Les passages du concile qui touchent directe-
ment à notre sujet sont les deux suivants :
Eadem sancta mater Eccle- La même sainte Église, notre
sia tenet et docet Deum, re- mère, tient et enseigne que
rum omnium principiutn et par la lumière naturelle de la
Bnem, naturali humanse ratio- raison humaine, Dieu, prin-
nis lumine e rébus creatis cipe et lin de toutes il
ccrlo cognesci p"s^e: invisibi- peut être connu avec certitude
lia enim ipsius, a creatura an moyen des choses créées;
mundi. per ea quse facta sunt, car depuis la création du
intellecta, conspiciuntur ; at- monde, ses invisibles perfec-
tamen placuisse ejus sapientiœ tions sont vues par l'intelli-
el bonitati, alia, eaque su- gence des hommes au moyen
pernaturaii via, seipsum ac des êtres qu'il a faits; que
a tenu voiuntatis sua; décréta néanmoins il a plu à la sagesse
liumano generi revelare, di- et à la bonté de Dieu de se ré
cente apostolo : Multxfariam voler lui-même et les éternels
mullisque modis olim /'eus décrets (le sa volonté, par
loquens patribus in proplie- une autre voie et cela par
lis; novissime, diebus istis une voie surnaturelle. C'est ce
locutus est nobis in Filio. que dit l'apôtre . Aprcsavoir
825
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE;
826
Huic divinœ revelationi tri-
buendum quiilem est, ut ea,
quae in rébus divinis humanae
rationi per se impervia non
sunt, in praesenli quoque ge-
neris humani conditione ab
omnibus expedite, firma certi-
tudine et nullo admixlo errore
cognosci possint. Non hac ta-
men de causa revelatio abso-
lute necessaria dicenda est,
sed quia Deus ex infinita bo-
nitate sua ordinavit bominem
ad finem supernaturalem, ad
participanda scilicet bona di-
vina, quaj humanœ mentis in-
telligentiam omnino superant :
siquidem oculus non vidit,
nec auris audivit, nec in cor
hominis ascendit, quse prepa-
ravit Deus illis qui diligunt
illum. Oonst. Dei Filius, en,
De revelatione, Acta concilii
Vaticani, col. 250; Denzinger,
n. 1634, 1635.
parlé autrefois à nos pères à
plusieurs reprises et de plu-
sieurs manières par lespro-
plwtes: pour la dernière fois.
Dieu nous a parlé de nos
jours par son Fils.
On doit, il est vrai, attribuer
à cette divine révélation que
les points, qui dans les choses
divines ne sont pas par eux-
mêmes inaccessibles à la rai-
son humaine, puissent aussi
dans la condition présente du
genre humain être connus de
tous, sans difficulté, avec une
ferme certitude et à l'exclusion
de toute erreur. Ce n'est pas
pourtant pour cette cause que
la révélation doit être déclarée
absolument nécessaire, mais
parce que Dieu, dans son in-
finie bonté, a ordonné l'homme
à la fin surnaturelle, c'est-à-
dire à la participation de biens
divins qui dépassent tout à
fait l'intelligence de l'esprit
humain ; car l'œil n'a point vu,
ni l'oreille entendu, ni le coeur
de l'homme conçu les choses
que Dieu a préparées à ceux
qui l'aiment. (Traduction de
\l. Vacant.)
Après une série d'anathémes où sont rejetés l'athé-
isme, le matérialisme, toutes les formes du panthéisme,
etc., vient le canon suivant :
Si quis dixerit Deum unum
et verum, creatorem ei Domi-
niini nostrum, per ea qu;e
facta sunt. naturali rationis
humanse luminc certo cognosci
non posse, anathema sit. A cta,
col. 25r> : 1 lenzinger, n. 1653.
Si quelqu'un dit que le Dieu
unique et véritable, notre créa-
teur et Seigneur, ne peut pas
èlre connu avec certitude par
la lumière naturelle de la rai-
son humaine, au moyen des
i très Cl ''■-. qu'il soit ana-
1 l,e concile a défini que l'homme a le pouvoir
physique de s'élever à la connaissance de Dieu. —
L'accenl doit être mis mit le mot posse dans le canon
cité. 11 ne s'agit donc pas du fait. En d'autres t<
on n'a pas voulu définir que chacun des hommes tire
en fait la première connaissance qu'il a de Dieu, de la
manifestation naturelle de Dieu par les créatures, mais
bien que la r;i is<,n humaine possède en elle-même des
ce auxquelles elle peut connaître Dieu
par le moyen de cette manifestation. Acta, col. 127.
(580, 79; emend. 51 el 98, col. 224, 228, 238. Établir ce
on, c'était poser un principe qui
excluait à lui seul toutes les erreurs que l'on voulait
atteindre el spécialemenl le traditionalisme rigide.
■ M rsi notre but, disait le rapporteur de la commis-
sion de la foi; el ce principe est le suivant : in homi
otentiam esse Deum p<
■ loi cei in idi. Acta, col. 79, 127. 130.
Cette puissance n'est pas affirmée indistinctement de
chacun d<s individus de l'espèce humaine, col. 2:!<>.
mais on veut dire 'i'"' l'homme qui a l'usage de la
• n. col. 520, quelles que soient d'ailleurs les con-
ditioni pour qu'il parvienne ;i cel état, col. 520, 79,
di la bu ce de remonter à on auteur, p
i aide des lumièn - naturelles
de ol. 7!t. 150 : te formule n'exclut
directement tout traditionalisme mitigé, mais elle
■ mi ni opposée au di Luther, La-
et( A i emarquei le ' fo\ i
1 imennais n avait p.is nié toute pui
i puisque d'api es lui l'homme
li recevoir la vérité, On
ni ttemenl dan le i on< ile que le pouvoir qu'on
délinissait, est un pouvoir physique, actif. Acta, col. 127
230, 521.
La solution donnée au concile de quelques difficul-
tés qui peuvent se présenter à l'esprit, fera mieux
saisir la portée réelle de ce que nous venons d'exposer.
On objectait : Mais les païens n'ont pas connu Dieu,
principe et lin de toutes choses. On répondit : Nous
ne définissons pas le fait, mais la puissance. Acta,
col. 236. Un autre répliquait : Mais le sourd-muet,
l'homme des bois ne connaissent pas Dieu, n'ont pas
la faculté de le connaître. On répondit : Nous ne par-
lons pas de chaque individu, mais de la nature humaine.
Ibid. On reprenait : Mais pas de religion, pas de mo-
rale, sans vie sociale. La réponse fut que l'on ne
délinissait rien sur les conditions du développement
des facultés humaines, mais seulement l'existence en
nous d'un moyen naturel d'atteindre les vérités mo-
rales et religieuses, col. 239. L'adversaire ajoutait que
si, de fait, les païens ont connu Dieu, ils ne l'ont pas
connu indépendamment de toute tradition. Le rappor-
teur, après avoir répété que l'on ne définissait rien sur
les conditions de l'exercice des facultés de l'homme,
refusa d'entrer dans la controverse de la question
historique que l'on soulevait, parce que saint Paul, qui
affirme que les païens ont connu Dieu, dérive cette
connaissance non de la révélation primitive, mais bien
du miroir des créatures, per ea (jux facta sunt, liom.,
1,20, col. 238. Enfin, un dernier amendementopposait —
et nous avons souvent retrouvé cette objection chez les
modernistes — que l'on ne pouvait pas parler dans le
canon de la lumière naturelle de la raison, puisque,
de fait, l'homme n'a jamais été dans l'état purement
naturel : Adam était dans l'état de justice originelle,
nous sommes déchus, mais relevés. La réponse fui que
la difficulté ne portait pas, puisque le concile parlait
seulement des principes de la raison, sans parler de
['exercice de la raison : nos solummodo loquimur de
principiis rationis, quod Deus e.r principiis rationis
certo cognosci possit ; quidquid sit de exercitio ra-
lionis. S'il était question de l'exercice de la raison,
évidemment le problème de la nécessité de la grâce se
poserait et il faudrait entrer dans des questions d'écoles;
maison ne parlait que des principes de la raison. Or,
nonobstant le l'ait de l'élévation de l'homme à l'état
surnaturel, l'expression lumière naturelle de la raison
pour désigner notre faculté de connaître, en tant que
distincte de la foi, avait un sens net admis par tous
les théologiens et par tout le inonde sans exception.
Acta, col. 238; Denzinger, n. 1643 sq.
2» Le pouvoir physique de connaître Dieu par la
raison naturelle, défini par le concile, ne se réduit
pus à uur impossibilité morale, bien moins encore à
mu- impossibilité absolue. — Il pourrait paraître au
premier abord que le pouvoir physique de connaître
Dieu, défini par le concile, doit s'entendre d'un pouvoir
physique a né d'une impossibilité morale de
jamais parvenir naturellement à cette connaissance
En d'antres termes, le pouvoir physique affirmé' sérail
,i peu près de la même espèce que le pouvoir physique
impliqué dans la phrase suivante : Archimède i I ses
contemporains avaient le pouvoir physique de connaître
notre télégraphie sans fil. Quelques modernistes ont
pr tendu se mettn d'i I a ei le concile par cette
interprétation, dont les sophismes j sur l'im-
morale constituent toul le fond. Voici leur
nnement, Après avoir défini la possibilité pour
l'homme de connaître Dieu, le concile admet implici-
tement la n raie de la révélation proprement
dite. dm. col. 136, 1672. D'ailleurs, qui dit n
site morale d'an sec i el admet comme
corrélatif une impossibilité morale. Acta, col. 524,
n. il. Or, parmi los idijois pour lesquels le concile
t que la révélation est moralement né<
827
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
828
trouve l'existence de Dion. Donc, concluent-ils, le
concile, tout en définissant que l'homme a le pouvoir
physique de connaître Dieu, a admis que ce pouvoir
est environné de telles difficultés qu'en fait il ne
s'exerce jamais : ce qui est, sinon la définition essen-
tielle, du moins la description caractéristique de l'im-
possibilité morale. D'où il suit que, si avec les jansé-
nistes on étudie bien le problème, on peut concéder
que les individus sont dans l'impuissance morale
absolue de connaître Dieu par la raison naturelle et
que cette impuissance absolue provient d'une sorte
d'impuissance physique. Acta, col. 236.
Rien de plus fallacieux que ce raisonnement, rien de
plus contraire à la pensée certaine du concile (piécette
jonglerie de mots. En effet, même en supposant pour
un instant que du fait d'impuissance morale on puisse
jamais conclure à une impossibilité absolue ou même
à une impuissance physique, eneore faudrait-il, pour
que l'inférence fût correcte, que la proposition où est
impliquée l'impuissance morale et celle où est affirmé
le pouvoir physique de connaître Dieu par la raison
naturelle fussent de eodem et sub eodem respectu. Or,
nousallons montrer que cette condition essentielle n'est
pas vérifiée; nous dirons ensuite d'une manière plus
générale pourquoi le passage de l'impuissance morale
à l'impuissance absolue ou physique est illégitime dans
la question qui nous occupe.
1. L'objet pour lequel le concile admet un pouvoir phy-
sique de connaissance rationnelle est différent de
l'objet pour lequel il admet la nécessité morale de la
révélation. L'objet de connaissance assigné aux forces
naturelles de la raison est Dieu et les principales obli-
gations morales et religieuses. Acia, col. 133. Au con-
traire, l'objet de connaissance pour lequel on déclare
la révélation moralement nécessaire est beaucoup plus
étendu, in rébus divinis. La dill'érence des formules
n'est due ni au hasard ni à un caprice de style. A un
amendement qui proposait de remplacer les mots
choses divines par ceux-ci : Dieu et la loi naturelle,
Acta, col. 509, 122, emend. 19, on répondit que la for-
mule à sens moins restreint avait été intentionnellement
choisie, col. 136, 239, 1652, 1672. Donc, même en né-
gligeant les raisons de ce choix, il est certain que,
lorsque le concile enseigne équivalemment que l'homme
se trouve dans l'impuissance morale de connaître les
choses divines, bien que dans cet objet l'existence de
Dieu et les premiers principes de la morale et de la
religion naturelle soient sûrement compris, cependant
l'impuissance morale implicitement admise ne porte
pas directement sur cet objet restreint, mais bien sur
un ensemble de vérités plus étendu. On ne peut donc
pas légitimement et de bonne foi conclure du texte
voté par le concile qu'il admet dans l'homme une im-
puissance morale à connaître précisément Dieu et ses
principaux devoirs. Cf. Granderath, p. 78, n. 1.
Dans le paragraphe où il est traité de la connaissance
de Dieu, le concile parle du pouvoir de connaître ; dans
la phrase où est impliquée la nécessité morale de la
révélation, il s'agit de la connaissance actuelle des
choses divines. De plus, l'impuissance morale suppo-
sée parle texte conciliaire n'est implicitement affirmée
que par rapport à une connaissance universellement
répandue, prompte, sans mélange d'incertitude et d'er-
reurs. Acta, col. 135, 524, n. 11; voir Granderath,
p. 78, n. 3; Fran/.elin, De Scriptura et traditione,
2e édit., p. 617. Si je constate l'impuissance où se trou-
vent nos paysans de suivre l'exposé des fondements
des géométries non euclidiennes, si je reconnais qu'Ar-
chimède était dans l'impuissance morale de découvrir la
télégraphie sans fil, il ne suit nullement de ces impuis-
sances relatives que le pouvoir physique d'enlendre
Lobatchefsky ou de devancer MM. liranly et Marconi
ait été refusé à l'humanité, ni même à nos paysans et
aux savants anciens. La raison en est que le pouvoir
nu de poser un acte esl différent du pouvoir prochain
de le poser, ou encore que le pouvoir physique de
connaître un objet n'est pas du tout le pouvoir de la
connaissance actuelle de cet objet. Il y a loin de la
coupe aux lèvres, c'est-à-dire qu'entre la faculté et son
exercice s'intercale toute une série de circonstances,
de conditions, de causes variables et variées, qui peu-
vent être favorables à l'activité de la faculté et à la
perfection de son acte, qui peuvent aussi leur être nui-
sibles. Or, en théologie, quand on parle de l'impuis-
sance morale où se trouve un agent par rapport à une
action, on veut dire que le pouvoir physique, faculté
ou inclination naturelle à l'acte, subsistant intact, les
circonstances, conditions et causes, extérieures à ce
pouvoir, mais requises à son exercice, sont défavorables
ou empêchent l'acte de se produire. Passer de l'impuis-
sance morale, comme les théologiens l'entendent, à
l'absence du pouvoir physique serait donc une parfaite
ignoratio elenchi. Le sophisme est dillérent d'espèce,
mais reste un sophisme classé, si l'on passe de l'im-
puissance morale, concédée relativement à la connais-
sance actuelle, à une impuissance morale affectant le
pouvoir même de connaître. Les jansénistes, malgré
toule leur subtilité, n'ont pas réussi à persuader le
contraire aux théologiens dans la question analogue
de la nécessité de la grâce pour l'observation prolon-
gée de toute la loi.
Une troisième différence entre les deux passages que
nous comparons est que, c'est de V /tontine en géné-
ral, de la nature philosophique de l'homme, qu'on
affirme le pouvoir physique de connaître rationnelle-
ment Dieu; c'est au contraire des individus qu'on ad-
met l'impuissance morale dont il s'agit. Le texte du
concile suffit à lui seul à prouver cette différence : dans
le canon le mot homme est absent ; on lit seulement ces
mots: nalurali rationis /tum a nselumine (supposition ab-
solue); la nécessité morale de la révélation est au con-
traire enseignée ut ab omnibus (supposition relative). La
première rédaction du canon portait ces mots : ab
homine. Un membre du concile en demanda la sup-
pression « de peur que le concile ne parût définir
comme un dogme de foi qu'il ne saurait jamais se
rencontrer d'adulte qui ignore Dieu invinciblement, »
conséquence qui suivait du texte proposé, si l'on y pre-
nait les mots ab /tontine au sens de la supposition rela-
tive. L'observation parut exacte et l'amendement fut
accepté. Acta, col. 126, emend. 49, 149. Voir Vacant,
n. 273 sq.
Enfin, dans le canon, il s'agit de la nature philoso-
phique de l'homme et non de l'homme dans l'état his-
torique; la nécessité morale de la révélation est affir-
mée au contraire, non pour l'homme en général, mais
pour l'homme dans l'état où il se trouve de fait. Le
rédacteur du projet de canon, M«' Martin, s'était placé
au point de vue historique, et il avait écrit : ab fco-
ntine lapso cognosci posse. Acta, col. 1631, 131, 1672.
La commission chargée d'étudier ce projet biffa le mot
lapso qui ne se trouve pas dans le texte soumis aux
délibérations du concile. Acta, col. 76, 1655. Dans le
cours des discussions, plusieurs amendements furent
proposés, qui tendaient de diverses manières à reprendre
ce point de vue : ab homine in societate adulto, ab
homine prouli nuncest. Acta, col. 1652, 120, emend. 3,
i..">:col. 125, emend. 51, 52, .">;>; col. 224, emend. 51,52;
col. 228. emend. 98. Un de ces amendements demandait
qu'on omît le mol naturali, parce que l'homme n'ayant
jamais été dans un étal purement naturel, on ne pou-
vait pas parler d'une connaissance de Dieu naturelle.
Ces amendements ollraient une issue au traditionalisme
mitigé et extirpaient moins radicalement le traditiona-
lisme rigide. Car l'école de Louvain aurait pu dire que
ce pouvoir de l'homme déchu n'aurait jamais été ce
829
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
830
qu'il est, sans la révélation faite à Adam; Lamennais
ou ses héritiers auraient pu essayer de retrouver un
acte de foi dans l'exercice de ce pouvoir; en tout cas,
les uns et les autres n'auraient pas manqué de dire
que ce pouvoir n'était pas simplement naturel, puis-
qu'il n'aurait été défini que pour un état de l'humanité
qui ne l'est pas. D'un autre côté, comme les expres-
sions prouti mine est, ab homme lapso, etc., rappel-
lent non seulement la chute, mais aussi l'état antérieur,
la rédemption et tout l'ordre de providence surnaturel
où nous vivons, c'était s'exposer à voir remettre en
question à propos du texte conciliaire la gratuité ab-
solue de notre élévation à l'ordre surnaturel, la possi-
bilité de l'état de nature pure ou, ce qui revient au
même, la distinction réelle entre l'ordre naturel et
l'ordre surnaturel; et il devenait ainsi nécessaire de
s'engager à fond dès le début dans diverses questions
délicates touchant le traité de la grâce, que le concile
devait examiner plus tard et sur lesquelles il n'a pas
eu le temps de statuer.
Ces amendements qui tendaient à ne définir que
pour l'homme historique la possibilité naturelle de
connaître Dieu furent tous rejetés sur la demande du
rapporteur delà commission. Acta, co\. 130 sq., 150, 236,
238, 243. Celui-ci sous dill'éren tes formes répéta que, si
l'on voulait porter le remède à la racine du mal, il
fallait définir une proposition universelle, s'appliquant
â l'homme en général, non pas seulement à des hommes
existant dans un état particulier, réel ou hypothétique :
Agitur i» génère île conditione naturse humanse,
col. 150; et la raison de cette insistance se trouve for-
mulée en quelques mots : cum eaquœ in ista doctrina
docentur, generatim vera habenda sinl, sive sumalur
homo in statu naturse purée, sive in statu naturœ
lapsx, col. 131. Quant à l'argutie tirée de la grâce de
l'ordre où nous sommes, on répondit que la question
de la grâce se posait relativement à l'exercice de la
faculté, et que le concile ne disait rien de cet exer-
cice, se contentant d'affirmer que l'homme a les prin-
cipes naturels de ht connaissance de Dieu, col. 238.
Au contraire, dans le passage où le concile parle de
la nécessité morale de la révélation, il s'agit de
l'homme historique : in prsesenti quoque gencris hu-
mant conditione. Bien que les modernistes aient fait
les plus grands efforts pour persuader au public, qui
lias théologien, que le mot naturel, dans l'expres-
sion « lumières naturelles de la raison », doit s'entendre
au sens composé de l'état où nous sommes qui est
surnaturel — ce qui ruine tous les fondements ration-
nels de la religion, puisque la valeur de la raison est
niée ou grandement mis.. ,n suspicion — il est certain
qu'en adoptant la formule du canon que nous éludions
le concile lit aux rationalistes un.' grande roncession,
celle précisément que les traditionalistes leur déniaient.'
Rome, a diverses reprises dans le cours du siècle.
;iv:i ' » r"ni1 ne le rationalisme et aussi le semi-rationa-
lisme de quelques Vllemands. Les traditionalistes fran-
ivaienl affecté de prendn . ou pi ut-é(re
simplement pris, ces condamnations pour une appro-
bation de leurs doctrines. Quand Rome exigea des rétrac-
tations (!-• Bautain el de Bonnetty.les semi-rationalistes
1 ur tour triomphé de I autre côté du Lin
Religion naturelle de lui. Simon, ouvrage nettement
rationaliste, fui un- à l'Index. Les traditionalistes, à
'I'" '«le* Simon a ail '.ni remarquer A bon droit, dans
"» v m daté du 10 août 1856, V édît., |
M"" u r th( liqui idmel la valeur de la raiBon el
qu'ils n'étaient dan qui .1. g dl idi nui el
,l"s ' di renl ou dirent que l'Index
' '•"' l"1" •"''• ur. La nécessité di mettre lin a cel im-
tail pas un pour li
-""• itanl que le Syllabus, très clair r
'"~ " n pourceuiquioun'avaienl
aucune théologie ou avaient plus de zèle pseudo-apo-
logétique que de doctrine. Sur ce point, le concile
donna raison au rationaliste Jules Simon : l'Église
admet la valeur de la raison en matière morale et reli-
gieuse; mais en même temps il eut soin de tracer une
ligne nette de démarcation entre la doctrine catholique,
le rationalisme qui exagère les forces de la raison, et
le traditionalisme qui. à la suite de Luther et de Jan-
sénius, les déprimait à l'excès. Tel est le but du para-
graphe qui nous occupe en ce moment.
La théologie juive et arabe avait eu au xil« siècle sa
crise de rationalisme. Cette crise fournit â saint Thomas
l'occasion de poser les principes qui ont triomphé au
concile du Vatican, après une étude de la question
qui n'avait pas duré moins de six siècles. Le concile du
Vatican se trouvait en face de trois solutions : a) Celle
de ceux qui se déliaient de la raison naturelle pour des
raisons soi-disant théologiques (doctrine de la chute,
pseudo-mysticisme), ou philosophiques (scepticisme, no-
minalisme, impossibilité de découvrir le langage, etc.),
et qui de la nécessité morale de la révélation concluaient
à la nécessité absolue de la même révélation, b) Celle
des rationalistes qui, niant le dogme de la chute dont
les précédents exagéraient les suites, soutenaient que
le pouvoir de connaitre Dieu et de mener une vie reli-
gieuse et morale digne de ce nom est un des consti-
tutifs de l'esprit humain, et concluaient de là que la
révélation positive, loin d'être nécessaire, soit relati-
vement, soit absolument, est inutile ou même nuisible,
puisque naturellement et nécessairement l'homme à
tout le pouvoir de connaitre Dieu dont il est suscep-
tible, c) Celle des semi-rationalistes, Ces derniers ad-
mettaient le principe du rationalisme, que la religion
tout entière n'est et ne peut être que le développement
complet de l'esprit humain; mais ils se flattaient de
rester dans l'orthodoxie en maintenant le dogme de la
chute originelle. La conception baianiste du surna-
turel leur servait â réaliser ce prodige d'équilibre.
D'après (Jùnther, comme d'après Raius et Jansénius,
I étal de justice primitive était nécessaire et par con-
séquent naturel. .Mais, par suite du péché originel,
l'homme sans un secours d'en haut ne peut plus
atteindre à son développement religieux normal. Les
rationalistes, concluaient-ils, ont donc tort de rejeter
toute grâce (révélation) de Dieu, puisque l'homme dé-
fini et non relevé ne pourrait rien dans l'ordre reli-
gieux sans la rédemption. Cependant, le secours requis
n'esl point nécessairement pour l'homme déchu el
relevé celui de la révélation proprement dite ou ma-
nifestation de vérités; car la raison humaine est ca-
pable de comprendre toutes les vérités religieuses; de
son côté, la grâce n'a point pour rôle de constituer
notre être dans un étal supérieur à l'état naturel el
normal de l'humanité. Grâce et révélation ne servent
qu'à nous rendre la facilité perdue de mener la vie re-
ligieuse et morale qui est «le l'essence de notre nature
unable; et c'est en ce sens seulement qu'elles sont
Surnaturelles. De là à ré', luire toul h' dogmi i une phi-
losophie purement déiste ou même â un symhol
moral el métaphysique, il n'j avait qu'un pas.
Pour extirper d'un seul coup toutes ces erreurs, le
concile proposa la doctrine traditionnelle sur la ni
site de la révélation, qui avail servi de hase aux diversi ■-,
mm ns renfermées dans le Syllabut.a) C'eaté la
révélation qu'il (aut attribuer que. même dansl'ordi
nous tous puissent sans difficulté, sans in
litude ei sans erreur connaître les pointa qui. dan
ni pas par eux mêmes Inai
la raison humain ormule condamnait le rat
lisme en affirmant la néi • ib morale di la révi lation,
pour l'homme tel qu'il est. Elle condamnait le
rationaliame qui, ionien accordant la nécessité morale
d'un n b. mi. ur lalaait pas eonal
831
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
832
dans la révélation proprement dite : huic divinœ reve-
latiom tribuendum, dit le concile, et donc à la révé-
lation extérieure, et non pas précisément à la grâce, à la
foi du cœur, à la foi-amour, etc. Le semi-rationalisme
attribuait la nécessité morale de la révélation unique-
ment à la chute. In pnvsenti quoque generis humant
condition?, répond le concile. En d'autres termes, il
est vrai qu'historiquement l'impuissance morale où gît
l'humanité est la suite du péché d'Adam ; mais la fai-
blesse qui affecte l'ensemble de notre race dans l'état
actuel, est de telle nature que, bien que dépendant en
fait du péché d'Adam, elle eût pu se rencontrer dans
une autre hypothèse : c'est ce qu'exprime le mot quo-
que. Acta, col. 122, emend. 20-21, col. 136. Le semi-
rationalisme niait la distinction entre les vérités reli-
gieuses accessibles à la raison et celles qui ne le sont
pas, le concile avait soin de la maintenir. Enfin, la
même formule condamnait le traditionalisme et tous les
hétérodoxes qui dépriment outre mesure la raison :
car la phrase même qui constatait la nécessité morale
de la révélation, affirmait implicitement que nos facul-
tés naturelles nous sont restées après la chute, puisque
certaines vérités religieuses ne nous sont pas d'elles-
mêmes inaccessibles, même dans l'état où nous sommes.
b) Le concile déclare ensuite que la révélation n'est
pas, absolument parlant, nécessaire. On ne peut la
dire absolument nécessaire, que si l'on envisage notre
destinée actuelle qui est surnaturelle, puisque notre fin
est la vision intuitive. Cf. S. Thomas, Sum. theol., Ia,
q. i, a. 1; Visio intuiliva tolius ordinis supernatu-
}'alis origo et radie (Suarez). Voir Appétit, Surnatu-
rel. Cette doctrine du concile était un dernier coup
contre le rationalisme : la révélation est nécessaire,
étant donnée la fin gratuite, mystérieuse et au-dessus
de nos forces et des exigences de notre nature, que la
bonté divine nous a librement assignée. Le semi-ratio-
nalisme, qui n'admettait la nécessité, soit morale, soit
absolue, de la révélation que pour remédier à une im-
puissance accidentelle provenant de la chute origi-
nelle, était par là également de nouveau condamné. Le
concile, en enseignant que la nécessité absolue de la
révélation provient d'une impuissance radicale de
l'homme dans l'ordre surnaturel, indiquait en même
temps contre les protestants pseudo*-mystiques pourquoi
l'expérience intérieure, sans révélation proprement dite,
ne permet pas de retrouver tout le contenu vrai et réel
du Credo et des formules ecclésiastiques ni d'en déter-
miner le sens.
Le concile mettait ainsi fin à la confusion entre
l'ordre naturel et l'ordre surnaturel introduite dans le
monde chrétien à la suite du dogme luthérien de la
chute. Le traditionalisme même le plus mitigé était
atteint, j4cta, col. 136, en même temps que le baianisme
et le jansénisme recevaient la condamnation la plus
radicale qu'ils aient jamais subie. Depuis trois cents
ans, les théologiens s'étaient servis contre Baius et
Jansénius, pour expliquer saint Paul et saint Augustin,
de la distinction entre la nature philosophique et la
nature historique de l'homme, entre le surnaturel
absolu et le surnaturel relatif: le concile, en assignant
la vision intuitive comme raison de la nécessité absolue
de la révélation, faisait sienne la substance de cette
doctrine. Acta, col. 547, n. 38. De là, en grande partie,
les criailleries des modernistes contre les théologiens,
fidèles à la pensée du concile du Vatican; de là aussi,
l'inutilité des efforts d'érudition de certains moder-
nistes, pour déterrer, chez quelques théologiens tradi-
tionalistes ou anciens, des opinions moins opposées
au baianisme et au jansénisme : la question est de
savoir si ce que l'on a pu dire avant le concile du Va-
tican, peut correctement et loyalement se dire ou se
soutenir après.
c) Que, par exemple, il y ail eu des théologiens qui
de l'impuissance morale aient pensé pouvoir conclure
à une impuissance absolue ou même physique, qu im-
porte, puisque le concile du Vatican dit expressément
que de la nécessité morale de la révélation on ne doit
pas conclure à une nécessité absolue : non hac tamen
de causa rerelalio absolute necessaria dicenda est.
C'est ce qui nous reste à expliquer, avec d'autant plus
de soin que les modernistes, qui parlent tant du pro-
grès de la théologie, ont comme pris plaisir de n
ter sur ce point les sophismes des jansénistes et les
à-peu-près des traditionalistes.
2. Le concile enseigne implicitement que la révéla-
tion est moralement nécessaire pour que tous puissent
arriver à la connaissance prompte, certaine et pure
d'erreurs, des points qui dans les choses divines ne
sont pas par eux-mêmes inaccessibles à la raison;
comme la nécessité morale a pour corrélatif l'impuis-
sance morale, le concile admet donc dans l'homme une
impuissance morale relativement aux vérités reli-
gieuses d'ordre naturel. Quelle est au juste cette im-
puissance? Si l'on prend la formule conciliaire indé-
pendamment des délibérations de l'assemblée,il semble
au premier abord qu'elle peut rendre trois sens :
a) chaque individu est impuissant et par suite l'ensem-
ble; b) quelques individus arriveront ou peuvent arri-
ver à la connaissance de toutes les vérités par elles-
mêmes non inaccessibles à la raison, mais l'ensemble
n'y parviendra pas, même avec l'aide de l'élite des
intelligences; c) sans rien spécifier sur les individus,
l'ensemble ne parviendra pas à cette connaissance sans
le secours extérieur de la révélation. De ces trois sens
logiquement possibles, quel est celui que de fait le con-
cile a eu en vue?
Deux hypothèses classiques sont ici à examiner. Duns
Scot, saint Thomas d'après le Ferrariensis, Vasquez
admettent que toutes les véiilés d'ordre naturel ne
sont pas accessibles à l'esprit humain; cette opinion
était chère aux nominalistes qui. avec Grégoire de l!i-
mini, insistaient sur le vulnus ignoranlise : et peut-être
Capréolus l'enseigne-t-il : mnltas esse de Deoverilates
cognoscibilcs, quas nullus inlellectus potest naturaliter
cognoscere. Dans cette hypothèse, la révélation des vérités
morales et religieuses est moralement nécessaire, non
pas seuleinentpour l'ensemble et par suite pour les indi-
vidus, mais pour chaque individu et par suite pour l'en-
semble; l'impuissance morale gît donc en chaque indi-
vidu, et, sans la révélation, personne ne sait fout ce qui
de soi est naturellement connaissable sur Dieu. Vas-
quez à l'appui de cette opinion cite saint Thomas. Sum.
theol., IIa II*, q. ii. a. 4, dont l'argument pour démon-
trer la nécessité de la foi vaut, semble-t-il, pour chaque
individu : ratio enim Itumaua in divinis est multum
deficiens; il tire aussi un argument, peu solide il est
vrai, de Sap., i.\, 15 : Corpus enim quod corrumpi-
tur aggravât animant. Cf. Vasquez, In /am, disp. I, c. il.
Cajetan, sur le même l e \ l o de saint Thomas, intro-
duit une hypothèse tout opposée. D'après lui. tout le
vrai spéculatif d'ordre naturel est accessible sinon à la
foule, du moins à l'aristocratie intellectuelle, dont le
rôle est de diriger les masses. In II*" 11' . q. il, a. i.
Cette opinion d'un intellectualisme ambitieux, d'après
laquelle dans l'ordre naturel il y a du provisoirement
inconnu, mais point d'inconnaissable, n'a jamais.
semble-t-il, rencontre beaucoup de faveur chez les théo-
logiens et l'encyclique Pascendi se sert de la notion
d'inconnaissable, Denzinger, 10e édit., n. 2109; et la
raison en est que. même avec la foi. nous devons dire
avec saint Paul : e.r parle cognoscimus. On peut cepen-
dant y rattacher l'opinion adoucie de omni vero co-
gnoscendo in complexu vel distributive, voir Suarez,
De gratia actuali, 1. I, c. i. el n. 20; et aussi le
système intellectualiste d'Eusèbe Amort, dont, pour
sauver le péripalétisme, l'éclectisme allait jusqu'à sou-
833
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE;
834
tenir que le monde intellectuel est exactement sem-
blable au monde réel. Dans cette hypothèse de Cajetan,
la nécessité de la révélation ne subsiste que pour la
multitude, mais non pas pour tous et chacun des
individus; pour lui, certains individus sont exempts
de toute impuissance morale relativement à tout le vrai
spéculatif d'ordre naturel.
Un des théologiens du concile proposa une rédaction
où le texte de la Sagesse, allégué par Vasquez, se trou-
vait introduit. Acla, col. 1652, La commission refusa
d'entrer dans cette voie. Durant les délibérations du
concile, des amendements assez favorables à l'hypo-
thèse de Cajetan furent proposés, Acla, col. 121,
emend. 17, 18; mais ils furent rejetés. Acta, col. 135,
524, n. 10. Enfin, à la dernière discussion, un amen-
dement mit sur le tapis l'hypothèse même de Cajetan.
Acta, col. 225, emend. 56. L'auteur de cet amendement
demandait qu'on omit le passage que nous étudions,
celui où la révélation est déclarée n'avoir pas été
absolument nécessaire pour remédier à l'impuissance
morale de l'homme quant aux vérités religieuses d'ordre
naturel. Il résulterait du texte proposé par la commis
sion, disait-il, que dans l'état de nature pure l'homme
pourrait sans aucun secours spécial pleinement se
suffire à lui-même : ce qui suit de l'hypothèse de Caje-
tan; or, faute de preuves théologiques, vous ne pouvez
introduire rien de semblable dans un texte dogmatique;
et le saint-siège n'a jamais eu recours à cet argument
(dont s'était servi Zigliara contre Ventura, Œuvres phi-
losophiques, Lyon, 1880, t. r, p. 124, n. 97; p. 63, n.55,
et passim) dans le cours du siècle pour condamner
ceux qui ont le tort de déprimer trop les forces de la
raison. La commission du concile examina cet amen-
nt et le rejeta, quia id a quo in allcra [emenda-
tione] abhorretur, in textu non e.rprimitur. Le texte,
en effet, n'entraîne en aucune façon que l'homme eût
pu pleinement se suffire à lui-même dans l'état de na-
ture pure : des secours naturels autres que la révéla-
tion pourraient, en effet, remédier naturellement à
l'impuissance morale de l'homme en matière religieuse.
Voir Vacant, t. i, n. 335. p. 350. Bien plus, le rappor-
teur donna en séance plénière la raison pour laquelle
li' texte proposé et accepté ne permet pas de déduire
rien qui favorise les thèses du progrès indéfini, de la
perfection et indépendance naturelles absolues, qui
sont le rempart du rationalisme. Nous ne disons pas.
lit-il observer, que toutes les vérités naturelles sont
accessibles à la raison. Non dicimus quod mimes veri-
lales /<<"'< I humanm rationi pervite. L'hypo-
thèse de Cajetan ne fut donc pas adoptée. Quant à celle
cot el de Vasquez, elle resta en l'étal : pi
hypothesis il!**, ulrum sint qusadam veritates natu-
, qupe homim pe\ / ■ ■ • < non sint, hmc hypo-
thesis, quse est utic/ue niera hypothesis, per doclri-
uaui nostram non tangitur. Aria, col. 239. Mais par
le fait seul que le concile s'abstenait de prendre parti,
il suivait que, des trois sens logiquement possibles de la
formule ut ab omnibus, le i iffirmail que le
dernier.
Voici donc i sens du concile. Prenant pour
dm el définie qu'il j a dans les choses divin
vértl naturel qui par elles-mêmes ne sont
la r.n son humaine, .1 1 ta , col. 238
affirme, quant à ces vérités, la nécessité mo.
■ pour l'ensemble du genre humain
impliqui i i tains indi-
vidu happenl à cette néci Balte el que
tOUt IglbU
ider que nul indiv [du
-nient \ ,,
que/ On arrive donc par la tir l'impul
Ité morale de i.,
affe< tant mble
tJK.T. r>F. TIIÏ'iI.. CATHOI..
de la race humaine. Au sens du concile, cette impuis-
sance morale, qui affecte précisément l'ensemble de
notre espèce, signifie que, sans considérer les individus
séparément, sans les distribuer en groupes favorisés ou
non, l'ensemble des hommes se trouve, par rapport à
l'exercice de la faculté que chacun d'eux a de connaître
certaines vérités morales et religieuses, dans des con-
ditions telles quV/i fait cet ensemble ne les connaît
pas, sans le secours de la révélation extérieure, comme
il convient à l'homme et à Dieu, c'est-à-dire expedite,
firnia certitudine et nullo admixto errore.
Reste à conclure. Nous voulions montrer pourquoi
il serait illégitime de déduire du texte qui traite de
l'impuissance morale où l'homme actuel se trouve par
rapport aux vérités d'ordre naturel, l'impuissance abso-
lue et a fortiori l'impuissance physique. Le sophisme
qui se glisserait dans cette inférence est évident, puisque
nécessairement on passerait du sens collectif au sens
distribué.
3° Le concile n'a pas défini que le pouvoir physique
de connaître naturellement Dieu passe facilement à
Vacte, mais cette doctrine est au moins proxima fidei,
et le texte du concile est favorable à cette interpréta-
tion. — Que le concile n'ait rien défini sur ce sujet, la
chose est certaine et suit de la position qu'il prit :
« Nous affirmons le pouvoir, les principes, sans rien
dire de Yexercice de ce pouvoir. >> Il n'est donc point
défini que tout individu peut et doit acquérir une con-
naissance certaine du vrai Dieu par suite du dévelop-
pement normal de sa nature intellectuelle. Mais, qu'il
en soit ainsi, la chose n'est pas douteuse, parce que,
dans l'Écriture, la connaissance certaine du vrai Dieu
est présentée comme facile, plus facile que la science
du monde, vider i, Sap., xm, 5, 9, conspiciunlur,
Rom., I, 20, de telle sorte que l'homme est responsable
devant Dieu de ne pas la posséder ou de la renier. Les
Pères ont souvent affirmé que, même chez les païens,
il y a une connaissance élémentaire de Dieu qui est
spontanée, congénitale, d'où conclut saint Cyprien
après ïertullien : Summa delicti est,nolle agnoscere,
quem ignorare non possis. De idol. vanit., n. 9, P. L.,
t. iv, col. 577. Cf. Tertullien, Apolog., c. xvn, P. L.,
t. i, col. 376. Que le texte du concile soit favorable
à la doctrine traditionnelle, cela suit du principe gé-
néral que les documents ecclésiastiques doivent se
prendre au sens de la doctrine scripturaire et patris-
tique; dans le cas particulier, le concile fait appel au
passage de saint Paul, Rom., i, 20, où sûrement il est
question d'un pouvoir physique de connaître Dieu qui
passe facilement a farte, Rom., i, 19; enfin, le grand
soin qu'a pris le concile de bien distinguer, comme
nous l'avons explique, l'objel de la connaissance pour
lequel il admet une impuissance morale dans l'homme,
est un indice certain que s'il Considérai) coin nie difficile
la connaissance rapide, sûre el sans erreur de tout ce
que nous pouvons connaître de Dieu par la manifes-
tation de ses perfections dans ses o'iivres. il entendait
que la simple connaissance de Dieu, qui suffit à com-
mencer la vie morale et religieuse, est i la portée de
tous. Nous n'avons pas à discuter ici la question de la
possibilité de l'athéisme, voir athéisme, el Kilber, De
/'. . e. i, dans Theologia Wireeburgetuii . mais ce que
venons d'exposeï fera comprendre au lecteur
pourquoi lis théologiens : a) refusent de suivi
qu'ils ne considèrenl comme valable que
la connaissance de Dieu qui explicitement saisit
l'Absolu, l'inflniment parfait, etc. ; fr) ni prél ni pas
aux systèmes apologétiques qui. sous le prétexte de
jouer un vilain tour aux historien eom-
ti ni ou mettent en question i ment
uni'.. di I al i i
leur . C) i -' jettent aussi bien b- tle 01 II 'I api '
quelles la raison naturelle ne pourrait aboutir qu'au
I \ - 27
83t
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
8:36
panthéisme (Dr Kuhn), que celles qui posent en prin-
cipe qu'ii y a des hommes déterminés à l'erreur ou à
la vérité, comme M. l'abbé Martin le prétend pour le
philosophe de génie. « Pour lui [liant, Spinoza, saint
Augustin, Bossuel], la seule raison est sa raison propre,
déjà déterminée à penser telle doctrine. » La démons-
tration philosophique, Paris, 1898, p. 213. Les théolo-
giens ont de honnes raisons de cultiver une psychologie
moins simpliste.
i' Le concile n'a pas défini que le pouvoir physique
de connaître Dieu, par la raison au moyen des créa-
tures, est tellement personnel qu'il passe nécessaire-
ment à l'acte indépendamment du milieu social, ou
que tout individu en possession de sa raison a par le
fait le moyen de connaître Dieu sans l'aide d'aucune
autorité extérieure ; mais celte doctrine est certaine,
proxima fidei. — En d'autres termes, la thèse que le
dernier critérium de l'évidence soit le consentement
universel n'a pas été condamnée directement par le
concile, pas plus que la théorie cartésienne qui fait dé-
pendre la valeur du témoignage de nos facultés de la
véracité divine. Sans doute, si le concile avait dû ou
pu procéder par voie d'investigation philosophique, il
eut fallu discuter ces questions; mais les conciles dé-
cident directement par voie d'autorité scripturaire et
traditionnelle. D'ailleurs, sur un point donné, les con-
ciles le plus souvent ne définissent pas toute la doc-
trine, mais seulement ce qui est indispensable pour
écarter du peuple chrétien les erreurs régnantes; or
il n'est pas toujours nécessaire pour atteindre ce but
de trancher tous les problèmes philosophiques affé-
rents. C'est ainsi que le traditionalisme a été condamné
en vertu d'un principe théologique. Il suivait des spé-
culations philosophiques du traditionalisme rigide que,
sans la révélation transmise par la société, l'homme
est incapable de connaître Dieu, d'où la nécessité
absolue de la révélation, et l'insuffisance de la raison
naturelle. Ces conclusions étaient contre le dogme ré-
vélé : le concile les a rejetées directement.
Un amendement fut proposé demandant l'insertion
dans le texte de ces mots : cilra quamlibet de Deo
traditam doctrinam. Acta, col. 121, emend. 8. Si cet
amendement eût été voté, le traditionalisme le plus
mitigé eut été directement condamné et on eût déter-
miné que le pouvoir de la raison est strictement, adé-
quatement, personnel. Mais le concile, sur la demande
de la commission et de son rapporteur, rejeta cet
amendement. Acta, col. 130; cf. col. 150, emend. 52.
Cependant le traditionalisme mitigé, qui posait l'ensei-
gnement social comme condition de la connaissance
certaine de Dieu, se trouvait indirectement atteint, non
point précisément à cause de son appel à l'enseigne-
ment social, à l'autorité extérieure — le concile ayant
constamment refusé de s'occuper des conditions du
développement et de l'exercice de la raison — mais en
tant qu'il dérivait l'apport de l'enseignement social, en
matière morale et religieuse, de la révélation surnatu-
relle : ce qui réintroduit la nécessité absolue de cette
révélation, au moins pour arriver à une connaissance
de Dieu certaine : certo cognoscere.
Une hypothèse fera comprendre tout le sens de celle
conséquence. Si quelqu'un disait : L'apport de la tra-
dition ne dérive pas précisément de la révélation pri-
mitive surnaturelle [indebila) faite à Adam, mais seule-
ment de la science religieuse infuse par accident (adulto
débita) qu'il reçut, de l'avis de tous les théologiens, au
moment de sa création, science qui n'était pas stricte-
ment surnaturelle mais seulement miraculeuse comme
serait la connaissance que nous aurions, par exemple,
d'une langue étrangère par des espèces soudainement in-
fuses; cette façon de défendre le traditionalisme mitigé
s< rait, d'après Granderath, p. 37, note 3, à l'abri de la
condamnation même indirecte du Vatican, parce que,
tout bien pesé, la nécessité absolue de la révélation
surnaturelle n'en découlerait pas.
On peut admettre et nous admettons la concession
de Granderath ; mais il faut remarquer qu'elle ne sauve
pas de l'erreur ceux qui nient le pouvoir perso,
de connaître Dieu. En effet, quand on admet que la
science religieuse, per accidens infusa, d'Adarn était
due à son état d'adulte et par suite non surnaturelle
au sens strict, c'est qu'on considère comme due, et
par conséquent comme naturelle, la connaissance cer-
taine de Dieu chez l'adulte. En d'autres termes, la
théorie classique sur la science infuse d'Adam suppose
et la notion du surnaturel et le pouvoir de connaître
Dieu, que le concile du Vatican a solennellement sanc-
tionnés. On ne peut donc rien déduire de celte théorie
contre le pouvoir physique personnel de connaître
Dieu qu'admettent les théologiens, puisque la suppo-
sition d'un tel pouvoir personnel est à la base de toute
la théorie classique sur laquelle on s'appuie.
Il est d'ailleurs aisé de se rendre compte des raisons
pour lesquelles les théologiens, tout en concédant si
l'on veut avec Corluy, .S'pi'cHegriMH^Gand, 1884, t. i,p. 9t.
que l'on ne peut rien déduire de l'Écriture pour les cas
singuliers de l'homme des bois, du sourd-muet, voir
cependant Franzelin, De traditione, 2e édit., p. 609.
enseignent que la thèse du pouvoir physique personnel
est proxima fidei. Dans l'hypothèse des adversaires, il
faudrait donner aux passages classiques, Sap., xm, 5;
Rom., i, 20, le sens suivant : L'ignorance de Dieu est
inexcusable, parce que la connaissance de Dieu a été
donnée à tous les hommes par la science infuse natu-
relle d'Adam, grâce à laquelle tous les individus peuvent
avec certitude découvrir Dieu dans les créatures. Mais
est-il vraisemblable qu'un pareil sous-entendu, si peu
dans les idées communes de l'humanité, se trouve dans
ces textes? Ne faut-il pas ranger une pareille exégèse
parmi ces tours de passe-passe que l'envie de décou-
vrir ou de mettre une théorie philosophique dans
l'Écriture fait inventer? D'ailleurs, la tradition a tou-
jours entendu ces textes d'un pouvoir personnel el
exclu tout autre témoignage que celui des créatures.
Cf. Heinrich, Dogmatische Théologie, Mayence, 1881.
t. i, p. 135-199; Perrone, Prxlect., De locis theol.t
part. III, sect. i, c. i, Louvain, t. ix, p. 383.
Les modernistes ayant mis à la mode un certain mé-
pris pour les dires de l'École, pour les décrets doctri-
naux des Congrégations romaines et pour les condamna-
tions pontificales, il est ici opportun de rappeler que
le concile du Vatican lui-même a, en quelque sorte, pris
à son compte les décisions romaines sur le sujet qui
nous occupe. On lit, en effet, à la fin de la constitution
Dei Filius, cet avertissement : * Comme il ne suffit pas
d'éviter l'hérésie, si l'on ne fuit aussi avec soin les
erreurs qui en sont plus ou moins voisines, nous aver-
tissons tous les fidèles du devoir qu'ils ont d'observer
aussi les constitutions et les décrets par lesquels le
saint-siège a proscrit et prohibé les opinions de ce
genre dont mention expresse n'est pas faite ici. » Den-
zinger, n. ItiGti; Acta, col. 131. Cf. Franzelin, De tradi-
tione, 2e édit., 1875. p. 131 sq. Or, on sait que Lamen-
nais, Bautain, Bonnetty, Ubaghs, etc.. ont été condam-
nés. Il est vrai que celte monition du concile ne
change rien par elle-même aux notes théologiques que
méritent les erreurs de ces auteurs; mais comment se
dire fils soumis de l'Église, si l'on tient pratiquement
pour non avenues les monilions d'un concile œcumé-
nique? Observons que dire avec presque tous les théo-
logiens qu'en fait la première connaissance que nous
ayons de Dieu nous vient le plus souvent de l'éduca-
tion, c'est constater un fait facilement observable; dire
qu'elle ne peut venir que de l'éducation, du langage,
c'est construire toute une théorie.
5" Le pouvoir physique de connaître Dieu qu'a défini
837
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE}
838
le concile, ne se borne pas au pouvoir de connaître le
fait brut de l'existence de Dieu, sans atteindre au-
cune de ses déterminations intrinsèques. — En d'autres
termes, l'agnosticisme dogmatique est inconciliable avec
le concile du Vatican. Cet agnosticisme consiste essen-
tiellement à soutenir : 1. contre l'agnosticisme pur,
que nous croyons à l'existence de Dieu ; 2. contre le
dogmatisme, que nous ne connaissons cependant en
aucune façon la nature intrinsèque de Dieu auquel nous
croyons; notre connaissance de Dieu se réduit donc
au fait brut de l'existence. Dans ce système, le sujet
Dieu n'est désigné que par de pures périphrases. Nous
n'avons pas à expliquer ici pourquoi et comment cette
forme d'agnosticisme, qui est celle des modernistes
aussi bien que de Kant, llamilton, Mansel et Spencer,
diffère de l'athéisme. Voir Agnosticisme, t. i; Diction-
naire apologétique de la foi, 1909, t. I, et The Catho-
lic Encyclopsedia, New-York, 1907, t. i. Il nous suffit
de montrer que le concile entend parler, non seulement
de la connaissance de Vexislence de Dieu, mais aussi
d'une connaissance de l'essence divine, telle que nous
puissions former des jugements de valeur objective
sur sa nature intrinsèque, en particulier sur la per-
sonnalité et sur la providence divines. Si l'on pèse bien
tous les termes du chapitre et du canon que nous étu-
dions, on y trouve joints au nom de Dieu, les mots
« principe et fin de toutes choses, un, vrai, notre
créateur et notre maître. » Dans le cours des discus-
sions du concile, divers amendements furent proposés
demandant la suppression de toutes ces appositions.
Acla, col. 22i, 228, 229, 1629, 1631, 1652, 1655. La prin-
cipale raison, apportée à l'appui de tous ces amende-
ments, était qu'en employant ces termes le concile avait
l'air de trancher des questions controversées dans
l'École, par exemple celle-ci : « La création proprement
dite, e.r nihilo, peut-elle être connue parla seule rai-
son naturelle? » Le rapporteur répondit qu'en em-
ployant ce terme, on ne faisait que suivre et adopter
l'exemple et l'usage de l'Écriture. Sap., xm, 5. Or,
tout le monde dans l'Kcole convient que ce texte ne
démontre pas à lui seul la création ex nihilo et ne
décide pas qu'elle soit démontrable par la seule rai-
son; il en serait de même du texte conciliaire, si le
concile adoptait la rédaction proposée. Acla, col. 79,
I i'.». 243. Ii'où il suit que la formule adoptée par le concile
signifie que la raison naturelle peut connaître avec
certitude le Dit u q\ii, dans l'Écriture, se dit unique et
wai, notre créateur et notre maître. En d'autres termes,
il est défini que la raison peut connaître le Dieu, qui
est créateur au sens large du mot, mais il n'est pas
défini qu'on puisse par la seule raison, indépendamment
de toute révélation, le connaît i rtitude, comme
créateur, au sens strict, que tous les chrétiens entendent
dan i . Voir t. in, col. 2192-2195.
Lei déclarations très nettes du rapporteur sur le mot
indiquent aussi commenl il faul entendre ces
• principe et lin de toutes choses, comme le fait
justement remarquer Granderath, p. 16. Si, eu
■ laissé indécis le point d i la raison,
ule, peul d> montrer la création ex nihil
i "ment dan- la ne ne indécision le point
•i li 'ne* raison, non éclairéi par la
ut connaître heu comme principe el lin de
■ ar "i lu. u n'a p ■ - ci • ex nihilo, mais
iplemenl pro luil i I ordonné le monde, il nV
el II lill (le tOl plein
que rendi lani l hjpothi se de la cré ition
ni dite. Il faul il. me dire que le I u pi
foi d l'Église pai i principi
'
du e. m,, n, ,i dire que pu la seule
connaître Dieu, principe el lin de
toutes chosea rge di mol , tan* décidi
notre pouvoir physique naturel de connaître Dieu va,
sans l'aide de la révélation, jusqu'à saisir avec certitude
que non seulement il est notre principe et notre fin,
mais encore qu'il est en fait et en droit l'unique éter-
nel principe de tout ce qui n'est pas lui. Acla, col. 236.
Tout le monde conviendra que si le concile eut défini
ce dernier point, l'agnosticisme dogmatique eût été
par cette décision nettement rejeté. Mais bien que la
définition du concile n'ait pas toute cette ampleur, ce
qu'elle contient exclut sans aucun doute non seulement
l'agnosticisme pur, qui nie que nous puissions connaî-
tre l'existence de Dieu, mais encore l'agnosticisme
dogmatique qui nie que nous puissions jamais porter
de jugement valable sur la nature intrinsèque de Dieu,
spécialement sur la personnalité et sur la providence
divines. En effet, connaître Dieu, notre principe et notre
fin, notre créateur et notre maître, ne va pas sans quel-
ques jugements sur sa nature intrinsèque. Certains
agnostiques concéderont avec Kant et même avec Spencer
la présence dans notre esprit de ces jugements, mais ils
en contesteront la valeur objective. Or, il est certain
que c'est précisément cette valeur objective que le con-
cile a eu en vue d'affirmer. En effet, comme nous l'avons
rapporté, col. 824, les théories kantiste et positiviste
sur la connaissance furent visées nommément par le
concile, aussi bien que le traditionalisme, qui lui du
moins, s'il était agnostique ou sceptique avant la foi, ne
l'était pas avec elle. Un amendement fut d'ailleurs
proposé qui demandait la condamnation expresse de
ceux qui « sans précisément nier l'existence de Dieu »
errent de diverses manières sur sa nature et tombent
dans le panthéisme. L'amendement fut rejeté, non
pas comme hors de la pensée du concile, mais
comme inutile, étant donnée la portée du texte préparé
par la commission. Acla, col. 98, 103. Non seulement
le concile se sépara des agnostiques croyants, mais il
voulut affirmer plus que ne faisaient les déistes. On
sait que les déistes — ces dogmatiques dont parle Kant
— admettaient que nous avons la connaissance des
attributs métaphysiques de Dieu, mais ,non pas une
connaissance qui puisse servir de base à la vie morale
et religieuse. Or, nous l'avons déjà dit, col. 82 i, le
concile en parlant de Dieu, principe et fin de toutes
choses, entendit expressément affirmer, non seulement
avec les déistes que nous pouvons avoir de Dieu une
connaissance spéculative el purement théorique objec-
tivement valable, mais encore contre les déistes que
cette connaissance est telle qu'elle rend possible le
commencement de la vie morale et religieuse : ce qui,
a n'en pas douter, inclut la personnalité et la provi-
dence divines. Les modernistes auront beau épiloguer ;
ils ne réussiront pas à faire que telle n'ait pas été la
pensée du concile, car ad prwlerilum non datur po-
I a: lui; el il n'est pas de théorie de l'évolution qui
fuie ipn- le sens historiquement déterminé d'un
texte diffère demain de ce qu'il est aujourd'hui el de
ce qu'il était au jour où il a été écrit. Or, il est certain
«pie le concile a \oiilu affirmer que, parles seules lu-
mières de la raison, nous BOmmeS capables de porter
sur Dieu des jugements de valeur objective, tels qu'ils
ni d.' fondements a notre vie morale el religieuse,
jioBa el nhiriiii qua Dette apprehende-
retur utcolendu» <■! cm obediendum tit; bien plus, le
le a VOUlll dire que • née naturelle
de Dit n i amène au seuil d'- la révélation positive.
i non- prépare a la rece ■ oir . ce qui inclut
toute une théodicée. ( les /<" I Hanta
pour ceux doni la preiiiiere démarche en apologétique
est d'admettre, • ndo ce qui peul se faire
al el ni si", rent néa iir<
rende, que la critique kantienne > i ipencéi i< ans de la
conn. ' dont toute la théodicée
luil a la seuls idée absti aitc de l'incompn i
839
DIEU (CONNAISSAN'CE NATURELLE DE)
840
bilité divine, soit par transcendance, soit par imma-
nence. Mais ce sont des faits dont il faut tenir compte.
D'ailleurs, tout ce que le concile a affirmé se trouve
dans le texte de saint Paul, Rom., i, 20; les païens y
sont déclarés inexcusables de ne pas avoir honoré celui
dont ils ont connu, vu les attributs invisibles par le
moyen des créatures. C'est donc qu'ils ont connu Dieu
de telle sorte que l'adoration, l'obéissance devaient
suivre de la connaissance qu'ils avaient. Mais sans la
connaissance d'un Dieu personnel et provident, ces
termes n'ont plus de sens, à moins qu'on ne fasse con-
sister la religion, avec l'athée Clill'ord, dans « l'émotion
cosmique », et qu'on ne prenne pour de la religion le
tressaillement que peut subir un névrosé en pensant
qu'à chacun de ses efforts musculaires « collabore la
masse des étoiles ».
6° Le concile, sans exclure toute connaissance im-
médiate de Dieu et sans décider si oui ou non la pre-
mière connaissance de Dieu peut nous être donnée
par la révélation, enseigne que nous avons le pouvoir
physique de connaître Dieu médiatement, per ea
qu.e facta sunt, E rébus creatis. — 1. Une propo-
sition affirmative n'est pas une proposition exclusive.
En affirmant un pouvoir naturel médiat de connaître
Dieu, le concile n'exclut donc pas d'autres manières de
le connaître, s'il en est. En particulier, a) la doctrine
de la connaissance immédiate de Dieu, soutenue par
les ontologistes, n'est pas condamnée directementpar le
texte du concile. Il fut question des ontologistes, dans
l'assemblée et hors de l'assemblée, à plusieurs reprises.
Acta, col. 1652, 120, 1672, 849, 127, 128, 153. Mais la
question ne fut pas discutée à fond ; on se contenta de
l'écarter et de la « laisser en l'état ». L'ontologisme
n'est donc pas opposé au texte du concile, à la condi-
tion pourtant que la connaissance immédiate ne soit
pas proposée comme l 'unique moyen de connaître Dieu,
à l'exclusion de toute connaissance médiate certaine;
et que l'on prouve que cette connaissance immédiate
est naturelle. Les ontologistes soutiennent le second
point; mais comme les théologiens prouvent solide-
ment, par des moyens termes proprement théologiques,
l'impossibilité de la vision intuitive par les seules
forces naturelles, la doctrine des ontologistes se trouve
inconciliable avec le mot naturali du texte conciliaire.
D'autre part, plusieurs ontologistes expliquaient la
vision en Dieu de telle sorte que la création ex nihilo
et la distinction adéquate de Dieu et du monde dispa-
raissaient. Cette forme d'ontologisme est inconciliable
avec la distinction de Dieu et du monde et de la création
ex nihilo enseignées par le concile. Acta, col. 85, 86.
Cf. Granderath, p. 75, n. 1 ; Denzinger, n. 1521 sq. Enfin,
un bon nombre d'ontologisles enseignaient avec Ubaghs
que, sans l'intuition préliminaire immédiate de Dieu,
l'homme ne peut pas par les créatures connaître Dieu avec
certitude. Ubaghs, Theodicese seu l/teologise naturalis
elementa, Louvain, 1852, p. 66 sq. Cette proposition, en
tant qu'elle est exclusive de la connaissance médiate
pour amener à la certitude, est immédiatement opposée
à la définition du Vatican. Cf. Granderath, op. cit., p. 37.
Voir Ontologisme.
6) M. Baeuinker dislingue deux voies pour parvenir
à Dieu. L'une qui dérive de la doctrine platonicienne
des idées, et qui a pour principe que l'ordre objectif
correspond à l'ordre de nos idées et qu'un objet réel
répond à notre système de concepts. Souvent saint Au-
gustin s'en est servi, comme plus tard saint Anselme,
puis Descartes, Leibniz. On peut appeler cette méthode
immédiate, en ce sens que, sans nier la valeur du pro-
cédé par voie de causalité, elle n'a pas recours à la
considération des causes. L'autre voie est celle d'infé-
rence causale, qui part du monde pour remonter à son
auteur. Cf. Baeumker, Witelo, Munster, 1908, p. 289 sq.,
dans Beitrâge, t. ni. Voir Grabman, Die philosophisc/ie
und l/teologisclie Erkennlnislehre des Cardinals Mat-
thœut von Aquasparta, Vienne, 1906. Le concile du
Vatican, en définissant que nous pouvons connaître
Dieu per ea qusa facta sunt, e rébus creatis, n'a pas
voulu exclure la première voie. Le rapporteur, en elîet,
exposa en plein concile que le texte n'entraînait nulle-
ment la condamnation « du très célèbre argument de saint
Anselme. » ^4c<a, col. 132. Les cartésiens qui siégeaient
au concile se trouvèrent donc fort à l'aise pour voter
le texte; car on sait que peu de cartésiens nient la
valeur des arguments fondés sur la causalité, efficiente
ou finale.
Cependant le P. Piccirelli, De Dco uno et trino,
Naples, 1902, p. 21, et n. 29 sq., soutient cette thèse :
Fide divina edocemur..., sine ullo subsidio neque im-
médiates et directe visionis divini esse, neque prm-
lernaturalis idese innalse Dei ad mentent cartesiano-
rum, ex rébus factis... in Dei exislenlis cognilionem
posse assurgere. Nous ne saurions le suivre. — a) Le
P. Piccirelli fait sur les idées innées un raisonnement
analogue à celui que nous avons fait nous-mêrne à pro-
pos de l'ontologisme. Mais il y a entre les deux cas de
notables différences. C'est par des moyens termes théo-
logiques qu'on prouve l'impossibilité de la vision im-
médiate par les seules forces naturelles, et le P. Piccirelli,
pour prouver l'impossibilité des idées innées, n'a que
ce refuge, qui n'a rien de théologique, ut docelur in
psychologia. La philosophie la plus scolastique du
monde n'a jamais démontré la répugnance intrinsèque
des idées innées; car, de l'avis de tous les théologiens,
Adam, le Christ en ont eu et les anges n'en manquent
pas. Au contraire, la même philosophie scolastique,
qui en psychologie se borne à montrer que les idées
innées ne sont pas données dans l'expérience et ne
sont pas requises pour expliquer notre connaissance
intellectuelle, donne de bonnes et solides, bien que
subtiles, raisons contre toute vision immédiate de Dieu
par les seules forces naturelles. — b) Pour prouver sa
thèse anticartésienne, l'auteur introduit, soit dans les
textes qu'il cite, soit dans les livres cartésiens, des dis-
tinctions scolastiques — excellentes sans doute — mais
qui, bien que familières à tous les théologiens actuels,
ne se trouvent, ni chez les cartésiens, ni dans les docu-
ments conciliaires. Il parle, à propos des idées innées,
qu'un cartésien ne lui concédera jamais être « préter-
naturelles », de l'acte second, et de l'exercice, des
principes quo, quod, in quo. Mais le concile du Vati-
can n'a parlé que du pouvoir de connaître Dieu et s'est
abstenu de parti pris de toucher à la question des con-
ditions et de l'exercice de ce pouvoir. Mais, de plus,
l'idée innée de Dieu des cartésiens n'est pas un acte
second, et les cartésiens objectivistes concéderont
volontiers au P. Piccirelli, s'il leur montre la nécessité
de cette concession, que leur idée innée est un princi-
pium quo. — c) Sans doute, le P. Piccirelli, quand il
donne comme de foi divine que les idées innées sont à re-
jeter, suit cette opinion que les conclusions théologiques
peuvent être objet de foi divine. Sans discuter cette
opinion — ce qui demanderai l beaucoup de distinctions
qu'il ne paraît pas fairedans sa thèse — nousnousborne-
rons à faire observer que la conclusion du P. Piccirelli
ne nous parait en aucune manière suivre des prémisses
qu'il avance, de façon à pouvoir être ou devenir objet
de foi. Nous ne connaissons, d'ailleurs, aucun autre
théologien qui affirme une telle conclusion. Bien que,
d'après nous, la connaissance immédiate de Dieu par
lidée innée soit une chimère, ce n'est pas une hérésie,
et le concile ne l'a pas condamnée.
Pour ne pas avoir à revenir sur le cartésianisme,
rappelons la doctrine commune des théologiens. Plu-
sieurs auteurs catholiques ont soutenu et soutiennent
que la connaissance spontanée, naturelle, dont parlent
les Pères, n'est autre chose que l'idée innée des carte-
841
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE;
842
siens, au sens« d'une représentation actuelle » de Dieu
(Thomassin, Klee, Staudenmayer, Kuhn, etc.). La masse
des théologiens soutient, et avec raison, l'opinion con-
traire; on trouvera dans ce dictionnaire sous le nom des
principaux Pères les textes les plus discutés etleur inter-
prétation historique. La masse des théologiens n'admet
donc pas qu'il y ait une tradition patristique en faveur
des idées innées. Mais de cette constatation à donner
une « note » théologique au cartésianisme, il y a d'autant
plus loin qu'en se donnant l'idée de l'infini positif
Descartes se donnait toute la théodicée. Les théologiens
de l'école se contentent donc de considérer la doctrine
cartésienne sur l'origine des idées comme « philoso-
phiquement fausse », et la grande raison des théologiens
est que cette doctrine ne peut pas se concilier avec le
fait de l'athée par l'ignorance. Cf. Pohle, Lehrbuch der
Dogmalik, Paderborn, 1902, t. i, p. 14. Si cependant
l'innéisme cartésien est proposé de manière à exclure
toute véritable preuve de l'existence de Dieu, per ea
quae facta sunt, e rébus creatis, on s'accorde à le
regarder comme « téméraire », parce que les preuves
de l'existence de Dieu ont un solide fondement dans
l'Écriture et dans la tradition. Cf. Granderath, p. 41;
Pesch, Prxlect. theolog., t. il, n. 27.
c) On connaît l'argumentation que Kant a tirée de
Locke pour démontrer l'impossibilité de toute révéla-
tion positive sur Dieu. Selon lui, la première idée de
Dieu ne peut pas nous venir de la révélation; donc ni
la seconde, car il faudrait apprécier celle-ci par la
première. Pendant que dura la controverse traditiona-
liste, quelques apologistes employèrent une argumen-
tation partant du même principe. Cf. Valerga, Del tra-
dizionalismo, Gènes, 1861, p. 24 sq. La première idée de
Dieu ne peut pas nous venir de la révélation; car la
foi est essentiellement libre, nemo assent'Uur aUer't
tiisi volons; or, pour vouloir donner son assentiment
à quelqu'un, il faut déjà le connaître. Donc. Quelques
théologiens continuent à se servir de cette réfutation
du traditionalisme, et la mettent sous l'égide du con-
cile. Les vues systématiques se manifestent ici ; on veut
défendre la théorie d'après laquelle l'existence de Dieu
ne peut pas être objet de foi; et comme il semble bien
que le concile du Vatican pense autrement, cf. Didiot,
Logique surnaturelle subjective, Lille, 1894, p. 323,
n. i78sq.; A cta, col. 171 ; Pesch, l'rœ.lect. theol., t. il,
n. 40 sq.. on s'ingénie à déduire de la condamnation
du traditionalisme par le même concile un principe
qui sauve l.i thèse préférée. Noua n'avons rien décou-
vert dans les Actes du concile qui nous permette de dire
qu'il ;iit résolu cette question : la première idée de
Dieu peut-elle nous venir de la révélation? Acta,
col. 127. De ce que le concile affirme que la révéla-
tion n'est pas nécessaire à la connaissance certaine de
Dieu, en s'appuyant sur des textes révélés el par voie
d'autorité, le principe de Kanl ne suit du texte que si
l'on démontre que le dogme défini ne peut pas se
vérifier autrement. M ;i i - comment fera-t-on cette dé-
monstration ' Su. ne/ s'est posé la question, el a résolu
ince 1 objection de Locke et de Kanl, De Deo,
1. I. c. i. n. 3 sq.; et depuis trois roui-, ans on n'a pas
re démontré contre lui l'impossibilité de cet acte :
a$seni>)i primo Deum ene e.r testimonio ipritu Dei.
D'ailleurs, ceux qui se séparent ici di Suarei el en
appellent avec confiance à v;,ini Thomas, ne paraissent
jamais di mandi li li nrs doctrim i a'accor-
• tit facilement avec ce que 'lit le grand docteur
delà première grâce d'Adam, question où Suarez,
comme tout le inonde le tait, suit ci défend sainl Tho-
0 dit I wm, I. III, c. wiir sq. ; s. Tho-
mas, De verilate, q, xvm, a. 2 sq. Enfin est-il bien
dans la méth< ifnl i homaa d.' prou< i r de -
ruines, là ou ipe de pri
lide de principe douteux, simplement probables,
et d'où on peut tirer aussi bien l'erreur que la vérité?
Nous croyons donc qu'après, comme avant le concile,
l'argument de raison théologique contre les traditio-
nalistes doit se formuler, sans entrer dans cette ques-
tion controversée et sans introduire des vues systéma-
tiques sur l'obscurité et la liberté de l'acte de foi.
L'argument suivant, d'ailleurs classique, parait satis-
faire aux conditions indiquées; et il vaut contre tous
ceux qui, pour expliquer la première connaissance de
Dieu, font appel à la foi, ou à la croyance commandée
par la volonté libre. Le premier élément et le plus
important de la crédibilité de la religion chrétienne
est la connaissance certaine de l'existence de Dieu. Si
donc on soutient que cette connaissance certaine ne
peut être obtenue que par la révélation, ou en vertu
d'un acte commandé par notre volonté libre, on est
amené à conclure que la foi chrétienne n'est pas évi-
demment croyable, et par conséquent que l'assentiment
de foi ne peut pas être prudent et raisonnable. Or, on
démontre qu'il en est autrement. Voir Crédibilité,
Foi. Nous préférons cette argumentation à celle qui
suppose que la révélation ne peut pas donner à quel-
qu'un la première idée de Dieu, parce qu'elle nous
parait solide et tout à fait conforme au concile du
Vatican.
2. Que nous ayons le pouvoir physique de connaître
Dieu d'une façon médiate, l'Écriture elle-même nous
l'apprend. Les passages classiques sont ceux que nous
avons déjà cités souvent, Sap., xm; Rom., i, 20; et
il serait facile d'en citer beaucoup d'autres, par
exemple, Rom., Il, 12 sq.; Act., xiv, 14 sq.; XVII,
24 sq., etc., où la nature créée nous est présentée
comme un miroir où Dieu se rend visible au regard de
notre esprit, non certes immédiatement, mais par
l'entremise des créatures, que nous voyons placées sous
sa dépendance et dont nous saisissons qu'il est la
cause. Hien plus, l'Écriture nous apprend que de la
contingence des créatures imparfaites nous pouvons
passer à l'être nécessaire, ht tcôv ôpo|/ivtov àyaOûv
E'ios/ai -'•>■> 'jvtoc, Sap., xm, 1, et remonter par discours
intellectuel des perfections finies à la perfection divine
à l'aide des principes de causalité et de raison suffi-
sante : a nwgnitudine enim speciei et crealurse co-
gnoscibiliter [«vaX^yait] poterit creator horion videri.
Ibid., 5. Cf. .lansénius d'Ypres, dans Cursus sacrse
Scriptura completus de Mi^ne, t. xvn, col. 5:>7.
Est-il besoin d'ajouter que l'expression per ea quse
facta sunt est très générale, que notre Ame et toute
s.i vie intérieure y sont comprises, comme eut soin
de le déclarer le rapporteur du concile : Nam si
iliciotits Drum cognosci nnlurali rationis lumine per
crealuras, id est per vesligia quse creaturis omnibus
impretta snni ; mulio minus excludimu» imaginent
quw. anima immortali hominit vmpresaa estl Aria,
col. 132, 149. Est-il besoin de rappeler le soin avec lequel
[es Pères el les docteurs scolastiques ont suivi
indications scripturaircs'.' 11 vaut mieux signaler 8
l'attention du lecteur la magnifique cohérence de la
doctrine scripturaire et traditionnelle, reproduite par
n île. Parlant de la création, le concile déclare,
conformément i de nombreux témoigi riptu-
raires, que Dieu a tout créé « à cause de sa bonté el de
ite puissante vertu, non en vue d'augmenter sa
béatitude, ni pour acquérir sa perfection, maia pour la
manifester par les biens qu'il accorde aux créatun
Denzinger, n. 1683, Calvin lui-même avait retenu cet»
vérité, lorsqu'il parlait des magnifiques flambeaux allu-
ii temple du inonde pour nous montrer Dieu;
mais Calvin, | >- • i esprit de système, noua imaginait
aveugles depuis la chute. La doctrine catholique est
que, même apn i la chuta, nous somn
voyants : le livre du monde non seulement sel ouvert
l, mais nous pouvon • I n pi uétTOI Tous
843
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
844
les liions que Dieu nous accorde, soit dans l'ordre na-
turel, soit dans l'ordre surnaturel, portent l'empreinte
de l'infinie perfection de leur auteur; et cette empreinte
est dans le plan divin ordonnée à notre esprit : non
sine testimonio scipsum reliquit. Act., xiv, 1G. Car,
quoi qu'il en soit de la question spéculative de la possi-
bilité d'un monde créé sans créature intelligente, il est
sûr que le monde, tel qu'il est, est ordonné à nous signi-
fier la gloire de son créateur : Caeli enarrant gloriam
Dei, Ps. xvni, 2; et que du signe nous avons le pou-
voir physique de passer à l'Être signifié. C'est ce qu'on
veut dire quand on parle de notre pouvoir de connaître
Dieu « médiatement » par la raison naturelle. Mais ces
deux derniers mots demandent quelques explications
qui compléteront cette étude de la définition du con-
cile du Vatican.
7° Comme moyen subjectif de la connaissance na-
turelle de Dieu le concile désigne la raison naturelle.
— Notons d'abord que cette partie de la phrase n'a
rien d'exclusif : on condamne ceux qui soutiendraient
que la raison naturelle n'est pas un moyen de con-
naître Dieu, mais on n'exclut pas les autres moyens
de connaître Dieu, s'il en est, comme la révélation
proprement dite, l'expérience mystique, ou même
simplement le témoignage humain des parents, etc.
Le but du concile n'est pas de donner l'énumération
de tous les moyens de parvenir à connaître Dieu, mais
d'enseigner qu'un de ces moyens est la raison natu-
relle. Tous les modernistes qui excluent ce moyen
sont donc condamnés aussi bien que les traditiona-
listes, les kantistes et les positivistes que le concile
avait en vue. Par exemple, on ne saurait regarder
comme orthodoxes les anonymes italiens qui ont écrit
le Programma dei modernisli, Rome, 1908, en réponse
à l'encyclique Pascendi. Ils rejettent, en effet, la raison
du nombre des moyens subjectifs que nous avons de
connaître l'existence objective de Dieu, sous le prétexte
que le concile était plein de thomistes infatués d'intel-
lectualisme, et qu'on peut modifier le sens des défini-
tions ecclésiastiques, conformément à la loi de l'uni-
verselle évolution. Op. cit., p. 105. Cf. Denzinger,
n. 1665.
1. D'une manière générale :a) le mol « raison », dans
le concile du Vatican, n'est pas employé au sens vul-
gaire du terme; b) il n'est pas davantage employé au
sens spécifiquement péripalélicien, platonicien, sco-
laslique, cartésien, leibnizien, etc. ; c) mais il est em-
ployé au sens philosophique, répandu au XIXe siècle
chez tous les tliéologiens et chez tous les philosophes,
sans en excepter ceux qui, kanlisles, positivistes ou
traditionalistes, niaient alors la valeur de la raison. —
a) Sans aller aussi loin que les auteurs du Pro-
gramma, quelques écrivains français, sous le prétexte
que les conciles ne font pas de philosophie, soutiennent
que le mot raison dans la définition conciliaire doit
être entendu au sens vulgaire. Le principe d'hermé-
neutique invoqué est inexact, cf. Ami du clergé,
5 mars 1908; mais nous n'avons pas à le discuter ici.
Car le sens du mot raison dans notre texte est une
question de fait. Que ce mot ne soit pas employé par
le concile au sens vulgaire, comme équivalent d'une
capacité quelconque de connaître et de juger, la chose
est évidente; car le concile, distinguant la lumière de
la raison de la lumière de la foi, caractérise la raison
« par la connaissance de la vérité intrinsèque des
choses; » or, on avouera que cette description dépasse
« le sens courant, étranger aux systèmes, qu'un homme
du peuple pourra voir » du mot raison. Le mot raison,
dans le langage vulgaire, entendu de tout le monde, y
compris les enfants qu'on dit avoir atteint l'âge de rai-
son, rend un sens plus large. Acta, col. 171.
b) Le même mot n'est pas employé par le concile
dans le sens spécial que lui donnent les diverses écoles
de théologie et les diverses philosophies suivant leurs
doctrines variées, touchant la table rase, l'intellect
actif, l'origine des principes, les différentes concep-
tions de la matière et de l'esprit et de leurs relations.
On en conviendra facilement à l'égard des systèmes
que le concile a eu en vue de proscrire. Il en est de
même à l'égard de ceux qu'il n'a pas condamnés. Le
mot raison dans le concile n'est employé ni au sens
spécifiquement péripatéticien, ni au sens de saint Au-
gustin, ni dans celui qui est spécifiquement de saint
Thomas. Ce n'est pas môme le mot raison au sens des
scolastiques, en tant que ce sens est spécifiquement
distinct, par exemple, du cartésianisme et du plato-
nisme. Les modernistes italiens dans leur Programme
parlent du sens thomiste du mot raison dans le concile.
Il faut dire pourquoi ils se trompent.
a. Où dans le concile se serait trouvée une majorité
pour voter le mot raison dans le sens scolastique pré-
cis? D'où serait sortie cette majorité, puisque le car-
tésianisme, l'ontologisrne, le traditionalisme s'ensei-
gnèrent un peu partout, sans excepter Rome, durant
les soixante années qui précédèrent le concile? Sans
doute, la scolastique durant cette longue période n'était
pas complètement morte; mais pour cent cartésiens
qui ont écrit durant les trois premiers quarts du
xixe siècle, on serait bien embarrassé de nommer dix
scolastiques, au sens spécifique du mot. Le Programma
des modernistes italiens est donc victime d'une pro-
jection du présent dans le passé, quand il parle de
concile thomiste, à propos du Vatican. Il y avait des
thomistes — encore un mot devenu équivoque depuis
quelques années — au Vatican, par exemple, des ban-
néziens — quelques amendements, non acceptés, trahis-
sent leur présence, leurs préoccupations et leur
mentalité. Mais la masse des amendements fut dans un
sens tout opposé; et ceux qui furent les ancêtres
des divers néo-thornismes actuels ne paraissent avoir
eu que fort peu d'influence dans l'assemblée. Les dis-
cours des rapporteurs sont aussi peu thomistes que
possible; ils renferment même plus d'une saillie qui
dut plaire médiocrement aux thomistes présents, par
exemple, l'éloge du fameux argument de saint Anselme,
rejeté par saint Thomas, et, durant des siècles, par
toute l'école thomiste. Sans doute, Franzelin, qui
écrivit les travaux préparatoires de l'assemblée, était
scolastique et thomiste. Il était scolastique dans toute
la force du terme; mais la rédaction qu'il avait pré-
parée fut rejetée, parce que trop scolastique. Vacant,
t. i, n. 16, p. 32. En un sens très réel, qui est celui
qu'avait dans l'esprit le nominaliste Arriaga lorsqu'il
pensait diminuer son adversaire Suarez en le qualifiant
de thomiste, Franzelin était thomiste, comme Kleutgen,
comme je le suis moi-même; mais les modernistes
italiens savent très bien que Franzelin n'était pas
thomiste au sens où ils emploient ce mot, et que le
« thomisme » qu'ils ont en vue n'a pas Franzelin ou
Kleutgen pour patrons.
b. Qu'on parcoure, je ne dis pas les travaux de polé-
mique et de littérature courante, mais les livres qui
comptent et qui représentent la pensée du monde
théologique, parce qu'ils sont écrits par des hommes
qui dominent leur sujet; on verra combien ils sont
réservés pour avancer que tel ou tel auteur est con-
damné ou atteint par le concile du Vatican. Le
P. Gratry excluait tout syllogisme du procédé par
lequel nous connaissons Dieu ; il le décrivait comme
« une opération de la raison, qui, regardant l'être Qui,
monde ou Ame, voit par contraste et par regrès, dans
ce fini l'existence nécessaire de l'infini. » Connnissance
de Dieu, t. n, c. VIH. Or je ne connais pas un théolo-
gien qui affirme que le P. Gratry soit condamné; tous
disent, il est vrai, que le procédé est imaginaire et par
suite faux. Il est pourtant bien évident que si la doc-
845
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
846
trine scolastique de la raison avait été inclue dans le
texte du Vatican, le P. Gratry comme le procédé « mé-
talogique » des giinthériens seraient hérétiques. Pour
d'autres auteurs, il est vrai, les théologiens discutent,
par exemple pour Kuhn et aussi pour la Grammar of
assent de Newman. Le fait de ces discussions montre
à l'évidence que la doctrine scolastique de la raison
n'est pas considérée par les théologiens comme néces-
sairement impliquée par la doctrine du concile. Si
elle l'était, ni Kuhn, ni Newman ne feraient l'objet
d'un doute, puisqu'il est certain que leurs théories de
la connaissance ne sont pas celle de l'École.
c) Que le concile ait employé le mot raison dans le
sens philosophique commun au xixe siècle à tous les
théologiens et à tous les philosophes, sans en excep-
ter ceux qui, positivistes, kantistes ou traditionalistes,
niaient alors la valeur de la raison humaine, les Actes de
l'assemblée nous l'apprennent; l'histoire du concile et
le texte volé nous le disent encore plus clairement.
Dans un moment de vivacité, dont la sténographie nous
a conservé la trace, le rapporteur, comme il arrive, dit,
à ce sujet, toute sa pensée. Les amendements favorables
au traditionalisme mitigé se multipliaient; le rappor-
teur se lassait de répéter qu'on parlait, non de l'exer-
cice, mais des principes de la raison. « Si, dans ce
sens, ajouta-t-il, on ne peut pas employer l'expression
de « lumière naturelle de l'homme », il faudrait biffer
absolument tous les livres tant des théologiens scolas-
tiques que de tous les autres. » Acla, col. 238. Le rejet
des amendements fut acquis.
La position même des controverses que le concile
avait en vue de terminer, amenait d'ailleurs l'assemblée
à prendre le parti qu'elle prit en effet. Par raison, tous
ceux que le concile visaient, entendaient précisément
ce que les théologiens et les philosophes, qu'ils com-
battaient, signifiaient par le même mot, à savoir le
pouvoir des idées ou concepts, des principes et des
conclusions. C'est ce pouvoir dont les traditionalistes,
les kantistes et les positivistes contestaient la valeur
objective aux cartésiens, aux rationalistes comme
Wegscheider et .luhs Simon, enfin aux théologiens
catholiques. Or, comme pour niera un adversaire sa
position, il est nécessaire de s'entendre avec lui sur
cette position, on peut dire que les ennemis de la raison
i atendaient ce mot comme ses défenseurs. Le concile,
s'il eût pris le mol dans un sens différent, n'eût atteint
ni les traditionalistes, ni les kantistes, ni les positi-
vistes ; et dan agi - où il enseigne contre les
rationalistes les limites de la raison et ses véritables
rapports avec la révélation, il eût parlé une langue
Inintelligible <>n objectera que le concile aurait pu
définir sa terminologie et par là, sans parler la même
langur- que ci ux qu'il condamnait, les atteindre. On en
convient; mais il ne l'a pas fait, les Actes de l'assem-
blée en fonl roi, el si le où le mot raison b'j
trouve employé dans le sens admis par les adversaires
sont tns nombreux, nous n'avons pu en découvrir au-
cun où le concile ait produit une définition spéciale de la
raison,
n plus, ce qui esl dit de la raison dans le texte
oguement discuté de la constitution Dci Filius
confirme ci que l'histoire nous apprend. La raison y
' idéi ou i ■■ ipts, puisqu'elle est le
pouvoir de l'idée de Dieu, objel central du débat avec
d ingi r M 1634. Elle eal le pou-
voir des princi] ,iii<ini le vrai, propter
tant, objet que
1 n'atteinl pat de la même manière. Denzinger,
o. 163 oir d'inférer el de déduit
elle peut, a) indépi adammenl di
la fol, atteindre certaines vérités ur Dl lare
dépendant au devoir «le la fol, Denzin
n. 1618, 1688; li ta, col. 503
par le discours, à l'aide du raisonnement par analogie
et par téléologie, à une certaine intelligence des mys-
tères sans toutefois les épuiser, Denzinger, n. 1644;
c) et enfin démontrer les fondements de la foi et cul-
tiver la science des choses divines, ibid., n. 1658, 1646;
tous actes qui ne vont pas sans le pouvoir de porter
des jugements objectivement valables sur la nature
intime des choses et de Dieu. Décidément, à défaut
d'autre mérite, le Programma des modernistes italiens
ne manque pas de clairvoyance, quand il reconnaît que
l'idée de la raison, telle qu'elle est exprimée dans le
concile, est incompatible avec les théories modernistes
sur la connaissance philosophique, scientifique et reli-
gieuse. D'autre part, il nous parait évident que le texte
du concile exprime de la raison un concept qui ne se
réduit pas au sens commun. C'est que le concile, qui
n'avait pas de l'objet de la foi et de la philosophie qu'il
implique, la notion exténuée des écrivains français que
nous réfutons, ne pouvait pas concevoir comme eux le
rôle delà raison.
Si maintenant l'on demande sur quel fondement
scripturaire ou patristique le concile s'est appuyé pour
parler de la raison dans le sens philosophique, bien que
non systématique, que nous venons d'indiquer, la ré-
ponse est très simple. L'Écriture, soit dans des ma-
tières faciles à tous, soit dans des matières qui dépas-
sent l'intelligence commune et vulgaire, est pleine de
quia, enim, ergo, etc. ; or ces particules n'ont pas de
sens sans l'idée de la raison que nous avons décrite
Au début du xvnc siècle, quelques controversistes fran-
çais imaginèrent d'acculer les protestants, qui préten-
daient s'en tenir à la Bible seule, à l'absurde et au si
lence, en leur refusant de raisonner d'aucune façon sur
l'Écriture, sous le prétexte que l'Écriture ne donne
nulle part les règles de la logique et « les formes de
conséquence »; par conséquent, disaient-ils aux protes-
tants, en raisonnant même exclusivement avec des
textes d'Écriture, vous allez contre votre premier
principe sur la règle de foi, qui est la Bible seule.
Cf. Chossat, Les jésuites el leurs œuvres à Avignon,
Avignon, 1896, p. 20Ô. Celte chicane embarrassa peut-
être le premier huguenot auquel on la fit, mais l'Église
n'approuva pas cette nouvelle apologétique, qui se pla-
çait en dehors du bon sens et aussi en dehors de la
tradition. Les Pères ont raisonné beaucoup sur Dieu et
sur les choses divines; ils ont employé la raison pour
pénétrer et pour exposer les « conséquences » que nous
propose l'Écriture, par exemple, la métaphysique des
attributs divins de la seconde partie d'Isaïe; ils ont de
plus tenu pour valables les conclusions aussi bien que
les principes de ces conséquences. La réflexion philo-
sophique chrétienne n'a pas eu de peine à tirer de ces
faits la notion de raison, telle qu'elle est exprimée
dans le concile du Vatican. Et, comme le disait le rap-
porteur, si l'on ne veut pas admettre celle notion, il
faut fermer tous les livres anciens et modernes.
2. Bien que le concile, quand il parle de noire j
voir de connaître Dieu naturellement, entende le. mot
raison au sens philosophique indiqué, cependant il ne
définit pas que oe pouvoir toit un pouvoir d'inférence,
soit médiate, soit immédiate. — Ce point demande A
être étudié afin d éviti rtouti ition dans
Usures, afin aussi de diminuer les équivoques
nombreuses auxquelles la position du eourilr. m. il
comprise, a donné lieu. Quelques uns, en effet, rai-
nl ainsi : Dans ou il s'agit de la
première connaissance de Dieu, le concile a entendu
le ' in on dani un len très lâche, puisqu'il n'a pas
voulu définir que la raison puisse démontrer, ou d
pronvi r, l'< de Dieu, n boi né I dire
qu'elle peut connaître Dieu avec certitude Donc le mol
m sens le plu- 1 ulgaire ir être d'accor 1
avec le concile. Rappelons les faits, leurs raisons d
847
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
848
et examinons les conséquences qu'on en a déduites.
a) Les faits. — II est certain que les mois prouver et
même démontrer ont été proposés, que quelques amen-
dements en réclamèrent l'insertion. Acta, col. 1631,
li;r>;i sq., 121. Il est certain également que la commis-
sion du concile ne voulut pas proposer ces termes à la
délibération, qu'en fait ils ne furent pas proposés el
qu'un amendement qui les introduisait fut rejeté. Acla,
col. 76, 132. Quamvis aliquatenus cerlo cognoscere el
demonstrare sit unum idemque, tanien phrasim nii-
tiorem depulatio de /ide sibi eligendam censuit et non
islam duriorem, déclara le rapporteur. Il n'est donc
pas de foi délinie : a. que le pouvoir physique que
nous avons de connaître Dieu par les créatures implique
nécessairement une inférence soit immédiate soit a for-
tiori médiate; et sur ce point nous ne pouvons pas
arriver à comprendre comment le P. Buonpensiere peut
écrire que la démonstrabilité de Dieu est un dogme de
foi depuis la délinition du Vatican. Commentaria in
/a« partem, Borne, 1902, p. 110, n. 160, 163. — b. 11
n'est pas davantage défini que la certitude de l'exis-
tence de Dieu, à laquelle nous avons le pouvoir phy-
sique de parvenir par la raison naturelle, soit entière-
ment et exclusivement fondée sur une inférence immé-
diate ou médiale, même implicite.
Je ne trouve sur ces deux points aucun désaccord
ferme chez les théologiens catholiques. C'est la raison
pour laquelle ils conviennent par exemple que l'idée
innée des cartésiens, le passage du fini à l'infini du
P. Gratry, le procédé métalogique des gùnthériens,etc,
et d'un autre côté la doctrine de l'illumination de saint
Augustin, voir Augustin, t. i, col. 2336, celle de la pur-
gation, ibid., col. 2332, celle qui, avec Vasquez, re-
quiert une grâce naturelle pour la première connaissance
de Dieu, Vasquez, In 7am, disp. XCVII, c. V, surtout
n. 33; cf. disp. I, n. 15; disp. XIX, n. 9, etc., ne sont
pas condamnées par le concile. Scheeben, qui a fort
bien exposé cette question, La dogmatique, t. n, n. 14-
20, n'en excepte pas même la théorie mystique du ca-
pucin Juvenalis Ananiensis, Sol inlelligentix, Paris,
1876, p. 343, d'après laquelle nous connaissons Dieu
sans inférence même immédiate à travers le miroir inté-
rieur de l'âme.
Mais il faut bien remarquer : a. qu'une doctrine peut
n'être pas définie par un concile, et cependant apparte-
nir à la foi; la raison en est que, pour appartenir à la
foi, une doctrine n'a pas besoin d'avoir été définie, il
suffit qu'elle soit contenue dans l'Écriture ou dans la
tradition. Nous avons d'ailleurs déjà dit que les con-
ciles se bornent ordinairement à définir ce qui est stric-
tement requis pour écarter les erreurs qu'ils ont en
vue, et telle fut l'intention explicite du dernier concile.
Acla, col. 84. Ne peuvent s'en étonner ou s'en plaindre
que ceux qui ont la mentalité de ce théologien angli-
can, converti au catholicisme, qui dans son zèle de
néophyte aurait voulu que chaque matin le Times lui
apportât une définition ex cathedra; mais telle n'est
pas la mentalité ordinaire des théologiens, encore
moins celle des modernistes. — b. Une doctrine peut
n'être ni définie, ni explicitement contenue dans le
dépôt de la foi, et cependant toucher à la foi ou être
théologiquement certaine. Il est vrai que le concile n'a
pas défini que la raison pour connaître Dieu fasse une
inférence, ni que toute la certitude que nous avons na-
turellement de l'existence de Dieu soit fondée sur une
inférence; mais abstraheiitium non est mendacium,
c'est-à-dire ne pas spécifier n'est pas nier. Dans le cas
particulier, d'ailleurs, bien que le concile n'ait rien
défini sur ces deux points, l'histoire du concile nous
montre qu'en ne spécifiant pas, l'assemblée n'avait pas
l'intention de nier. On y parla plus d'une fois officielle-
ment des preuves de l'existence de Dieu; nous avons
entendu le rapporteur explicitement affirmer que
» jusqu'à un certain point, aliquatenus, connaitreavoc
certitude et démontrer sont une seule et même cho-
Acla, col. 132. Enfin, le concile renvoya aux décisions
pontificales antérieures. Or, hautain et Bonnette avaient
dû >igner, entre autres, ces propositions : « Le raison-
nement peut prouver avec certitude l'existence deDieu
el l' infinité de ses perfections. — Quelque faible et
obscure que soit devenue la raison par le péché origi-
nel, il lui reste assez de clarté et de force pour nous
guider avec certitude à l'existence de Dieu. .etc. Voir
Hautain, ou Denzinger, 10e édit., n. 1622, 1627. Ratio-
nis usus fidem prsecedil, et ad eam hominem ope re-
velationis et graliœ conducil. Voir Bonnetty, et
Denzinger, n. 1507. Donc le concile, en ne spécifiant
pas dans sa définition quel acte de la raison intervient
dans la connaissance naturelle de Dieu, n'a pas voulu
faire une proposition exclusive de l'inférence et du
raisonnement. De même, en n'excluant pas nécessaire-
ment par le mot naturel toute espèce de secours sub-
jectif — voir plus loin col. 861 — son intention n'a
pas été de faire entendre que ces secours sont néces-
saires, soit pour le fait, soit pour la certitude de cette
connaissance.
b) Raisoyis de la réserve du concile. — Il est facile
de se rendre compte pourquoi le concile s'est tenu sur
cette réserve, a. soit que l'on considère le but qu'il
poursuivait; b. soit qu'on tienne compte de l'état des
documents traditionnels; c. et de ce que nous enseigne
l'Écriture.
a. Le concile, nous l'avons déjà dit plusieurs fois,
ne voulait définir que ce qui suffisait à atteindre les
erreurs à la mode. Acla, col. 84. Or, ces erreurs, bien
que pour des raisons très diverses, s'accordaient à nier
le pouvoir et la valeur de la raisoii. Il suffisait donc
d'affirmer que la raison est le moyen subjectif de con-
naître Dieu, sans qu'il fût nécessaire de préciser
davantage.
b. Il est très facile de montrer dans l'Écriture et
dans la tradition que la connaissance de Dieu peut
s'obtenir par voie de causalité et par conséquent par
une inférence comme en font même les simples, sinon
par un syllogisme à la manière des doctes. Cf. S. Tho-
mas, Sum. theol., Ia, q. xn, a. 12; q. XIII, a. 10, ad5um;
De veritale, q. x, a. 12, ad lum; In Boeth., de Trinit.,
q. i, a. 3, ad 6um. Saint Thomas enseigne que la pre-
mière idée de Dieu nous vient par cette voie. Il n'est
pas difficile de trouver chez les Pères nombre de pas-
sages qui indiquent la même origine psychologique à
la toute première idée de Dieu. Mais il ne serait pas
facile de faire la preuve qu'il y a consentement des
Pères pour attribuer exclusivement à une inférence la
première idée certaine de Dieu, que l'homme a ou
peut avoir. Saint Thomas sur ce point est très réservé;
car certains raisonnements de saint Augustin l'embar-
rassent, et bien qu'il les fasse de son mieux rentrer
dans son système, cf. par exemple, Cont. gent., 1. III,
c. xlvii, il écrit cependant avec beaucoup de prudence :
Est ijuxdam communia et confusa Dei cognitio, qux
quasi omnibus liominibus adesl, sive hoc sit quod
Deum esse sit per se nolum, sicut alia demonstratio-
uis principia, ut quibusdam videlur [ut in llibro,c. x,
dictum est), sive quod magis ver uni videlur — voilà
ce que saint Thomas pense de sa propre opinion —
quia naturali ratione — par une inférence — in ali-
qualem Dei cognilionem pervenire potest. Et aussitôt
saint Thomas, comme procédé de cette inférence, in-
dique la considération de l'ordre du monde. Cont. gent.,
1 . III, c. xxxvm. Cf. Schmid,Die thomistischeund sco-
listische Gewissheilslehre, Dillingen, 1859. Exposons
l'état du problème.
Qu'on lise la plume à la main les auteurs nombreux
qui depuis trois ou quatre cents ans ont construit des
systèmes sur la première idée de Dieu, on remarquera
849
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
850
que les séries de textes qu'ils apportent sont toujours
les mêmes. Thomassin a ramassé beaucoup de textes
en faveur des idées innées. Vers la même époque, l'ora-
torien Martin se servait des mêmes textes en faveur de
la thèse janséniste, à savoir que sans une grâce surna-
turelle nous ne sommes pas capables d'une bonne
pensée, même naturelle, et par conséquent pas de la
pensée de Dieu. Cf. de Rochemonteix, Le collège
Henri IV de la Flèche, Le Mans, 1889, t. iv, p. 231,
233, 235. Or qu'est-il arrivé? Au xixe siècle, un ontolo-
gisle ardent, l'abbé Fabre, a réédité l'ouvrage de
Martin, en y changeant seulement le titre de quelques
chapitres, et il a fait de l'ouvrage une « démonstra-
tion » de l'ontologisme. Les mêmes textes se retrouvent
chez le mystique capucin Ju vénal, Sol intelligentiœ,
1686, et en partie chez Malebranche; le môme abbé
Fabre n'a pas manqué d'enrichir la littérature ontolo-
giste d'une réédition enthousiaste de Juvénal. Rossuet
appuyait sur une partie de ces mêmes textes l'argument
des vérités éternelles, pendant que bon nombre de
scolastiques en faisaient usage, comme leurs prédéces-
seurs, pour soutenir que l'idée de Dieu est per se nota
et que l'argument de saint Anselme est patristique. De
nos jours, Staudenmayer, Kuhn ont puisé aux mêmes
sources et ont abouti à des vues plus ou moins nou-
velles. Voilà donc, pour les mêmes séries de textes,
huit interprétations, et il faudrait y ajouter celle de
saint Bonavcnture, celle de saint Thomas, celle de
Vasquez, etc. On sait enfin que les modernistes ap-
portent leur interprétation, à la suite des érudits alle-
mands qui travaillent à donner au protestantisme libé-
ral uneassielte traditionnelle. Ces faits sont indéniables.
L'accord n'est pas encore complètement fait parmi
les érudits sur la portée réelle de ces séries de textes,
bien que, d'une manière générale, on s'accorde à les
rattacher aux doctrines platoniciennes, solution que
saint Thomas avait déjà entrevue à propos des Noms
divins du pseudo-Denys. Déjà nos collaborateurs ont
donné, dans les articles parus, le sens objectif de ces
formules palristiques, et nous sommes sur que ce
que nous écrivons ici ne gênera aucun des rédacteurs
des futurs articles et que tous continueront à traiter
scientifiquement une question scientifique. Voici, en
quille est la position des théologiens sur ce su-
jet; elle explique pourquoi le concile s'esl abstenu de
rien spécifier sur la nature de l'acte de la raison par
h quel nous connaissons Dieu par les lumières natu-
relles.
Des Ion;. de textes où les Pi res parlent de
la première idée naturelle de Dieu même chez les
païens, les théologiens concluent à la certitude théolo-
gique de la Ihèse qui enseigne une connaissance natu-
relle. Bponlanée, de Dieu. Les Pères du Vatican con-
naissaient parfaitement cette doctrine solidement établie
depuis le xvr siècle contre li - prolestants. Ensuite,
dans un- traités d< théologie, nous prouvons que pour
|uerla genèse de cette idée spontanée de Dieu, on
ne démontre pas le consentement di s Pi res soil pour
l'inn il pour l'ontologisme, soil pour l'illumi-
nation, Boil pour la purgation, soil i r l'argument
ii même pour celui qui perle
le nom de saint Anselme, etc. Et, pour administrer
preuve aux unilatéraux ou :mx esprits systéma-
tiques en quête de parrains, il sufBl de prendre les
lexti s dans leur sens objectif, tel qu'on peut le déter-
miner par l'application rigoureuse de la méthode his-
torique Di cette enquête les théologien concluent
qu'aucune dei interprétations de Martin, de Juvénal
Hune doctrine catholique, lia fonl re-
[uer ensuit) qui le Pèrea n'ont pas parlé au
isif, m. us qu'ils ont admis it employé, a coté de
léa qui leur sont spéciaux, la voie ordl
-lé qui a îles fondements précis dani
l'Écriture. Mais, de cette enquête, il ne résulte pas
que nous ayons la clef de tous les passages des Pères
discutés; et par suite, la preuve n'est pas faite que
le consentement unanime des Pères ait exclusive-
ment considéré la première idée de Dieu comme pro-
venant d'une inférence. Et voilà pourquoi la commis-
sion du concile, qui n'était pas composée d'ignorants,
refusa de préciser que notre première idée de Dieu —
il s'agissait de celle-là contre les traditionalistes — est
due à une inférence médiate ou même immédiate.
Quand il s'agit de la première connaissance certaine
de l'existence de Dieu, outre la difficulté' générale inhé-
rente à cette sorte de questions — qui se souvient de
l'heure où il eut, à un âge où il n'était pas capable de
retour réfléchi et méthodique sur ses actes intérieurs,
la première idée de cause, d'addition, de multiplication,
et qui peut reconstituer la psychologie de cet instant?
— il est une autre difficulté qui vient de la singularité
du cas de cette idée : a. L'idée de Dieu comme celle,
par exemple, de la réalité objective du monde extérieur,
est spontanée. On veut dire par là, non seulement
qu'elle parait de bonne heure, mais qu'elle jaillit de
notre nature raisonnable un peu à la manière des pre-
miers principes de la raison ; qu'elle trouve de l'écho dans
les plus profonds replis de notre nature raisonnable,
morale et religieuse, puisqu'elle donne la réponse au
besoin inné d'assigner une dernière cause à tout, puis-
qu'elle explique ou fait naître le sentiment de l'obli-
gation, puisqu'elle assigne un objet à la conscience de
notre dépendance, à ce fond d'amour respectueux et
de désir du bonheur qui sommeillent en nous. On veut
dire enfin qu'elle est facile et s'harmonise avec les prin-
cipes de la raison, au point que, si elle implique un
procédé logique, il est à peine perceptible. — h. A l'in-
verse de ce qui arrive pour la plupart de nos idées
primitives, la genèse de l'idée de Dieu est susceptible
de plusieurs explications, suivant qu'il s'agit de la con-
naissance confuse de Dieu, ou d'une connaissance plus
développée. On a ou on n'a pas l'idée de cause.de ligne
droite; sans doute, on peut faire et on fait des progrès
dans ces sortes de concepts, mais la notion primitive
reste identique, et l'explication réflexe el consciente
qu'on se donne de celle notion n'est que le développe-
ment île la perception primitive de l'activité causale, du
quantum, Au contraire, l'idée de Dieu admet bien des
degrés dont le contenu est le même objet, mais fort
diversement connu ; et on n'arrive pas à chacun di
degrés par le même procédé. On peut, en effet, parler
île la connaissance de Dieu par pures dénominations
extrinsèques : par exemple, la cause défait de cet uni-
vers; ou s'élever à une connaissance de sa nature in-
trinsèque : par exemple, la cause de droit de tout ce
qui est; et cette dernière connaissance sera plus ou
inoins parfaite, suivant qu'elle représentera Dieu plus
ou moins nettement, personnel, libre, infini, provident,
bon, etc. Or, ces différentes connaissances de Dieu ne
se justifient pas philosophiquement de la même façon.
Les théologiens l'ont bien VU, qui admettent avec saint
Thomas qu'il y a une connaissance île Dieu rudi li-
tres facile à tous; et une autre qui demande les
plus grands efforts de la pensée philosophique. Cont.
gent., I. I, c. iv. Cf. Dictionnaire apologétique de i<<
foi catholique, 1910, t. t. col. Il sq., 58. c, lutin.
comme le remarque très finement Selieeb' II. Lu 1/117-
matique, t. 11. p. 20, n. 28. quel qu'il soit. " le moyen
par lequel nous nous formons l'idée de Dieu 1
même par lequel nous arrivons a la certitude d
réalité objective, et nous ne pouvons pas admettre que
1 idée que nous avons 'te lu. u soil vraie el légili m
idmettre l'i de Dieu. 1 Scheeben 1 1
pliqne, i l'aide de cette double remarque, ['illusion '!•
ceux qui admettent la valeur de l'argument de saint
\n-i luie, parce qu'en fait l'i ti [ble
851
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
852
qu'autant qu'il existe réellement, ot parce que nous ne
pouvons pas concevoir Dieu comme cause première el
nécessaire sans le supposer lui-même existant. Il suffit
d'étendre cette observation à d'autres arguments moins
célèbres, mais également historiques, et de la joindre
aux deux singularités précédentes pour comprendre
les explications variées des Pères sur la genèse de la
première idée de Dieu.
En effet, tous ne parlent point, et le même Père, par
exemple saint Augustin, ne parle pas toujours de la
même espèce de connaissance de Dieu : d'où le besoin
chez les Pères comme chez les scolastiques, de proposer
des arguments très différents. En second lieu, le fait
que l'idée de Dieu trouve un écho profond dans notre
conscience amena ces écrivains à donner souvent une
grande importance au procédé par lequel, d'une ma-
nière réflexe, on peut remonter à Dieu en partant de
la conscience morale et de la vie religieuse : toutes
choses qui, elles aussi, font partie du pcr ea quœ facla
sunt. Entrer dans cette voie était d'autant plus naturel
que la grande facilité et la grande limpidité de la con-
naissance rendent peu perceptible le procédé psycho-
logique qui y intervient. Si l'on joint à ces observations,
qu'il est, dans le cas singulier dont il s'agit, très facile
de s'illusionner sur « la valeur de preuve » des argu-
ments d'allure scientifique, réflexe et consciente que
l'on apporte; et si l'on ajoute, d'une part, que les
Pères n'emploient pas de formules exclusives, comme
font tant de modernes, d'autre part, que pour eux qui,
ainsi que les théologiens, n'admettaient pas facilement
l'absence de toute idée de Dieu dans l'âme, les preuves
scientifiquement développées étaient beaucoup plus
des moyens d'écarter les doutes ou de parvenir à une
connaissance plus parfaite, que des recettes pour faire
naître la première conviction de l'existence de Dieu;
on se rendra compte de l'état de la littérature patris-
tique, et de la réserve très prudemment scientifique de
saint Thomas, du concile du Vatican et des théologiens
qui les suivent.
c. Une dernière raison de cette réserve est l'état des
données scripturaires. L'Écriture propose, il est vrai,
des arguments en faveur de l'existence de Dieu, mais
sans dire partout que ces arguments nous en donnent
la première idée. Or, si le débat contre les kantistes et
les positivistes s'étend aussi à ces arguments, la con-
troverse avec les traditionalistes roulait surtout sur
la première idée de Dieu. D'ailleurs, décider de la
première idée à l'aide d'un texte révélé, c'était tran-
cher dans leurs racines profondes toutes les difficultés
pseudo-théologiques sur les suites de la chute
qu'avaient soulevées Luther, Calvin, Illyricus, etc.,
Jansénius, Pascal, Quesnel, etc., Hautain, etc. ; c'était
ruiner toutes les prétentions du pseudo-mysticisme
contre la connaissance rationnelle en matière religieuse;
c'était juger les doctrines, diverses en apparence, mais
se réduisantau fond au nominalisme, que différents phi-
losophes employaient pour ruiner, soit la possibilité,
soit la valeur, et de l'idée rationnelle de Dieu et des
arguments classiques en faveur de son existence. Or,
deux passages de l'Écriture, Sap., xm ; Rom., i, 18 sq.;
spécialement ce dernier, permettaient de décider dog-
matiquement les controverses pendantes; la tradition
était d'ailleurs ferme sur le sens du texte de saint Paul.
Saint Irént'e et Tertullien s'en servent déjà contre
l'agnosticisme des gnostiqucs. Cf. Irénée, Conl. Iiœr.,
1. IV, c. vi, P. G., t. vu, col. 939, 1061; Tertullien, Adv.
Herruogen., c. xuvsq., P. L., t. n, col. 238. Dans l'Épitrc
aux Romains, saint Paul veut montrer que les jugements
de Dieu sont justes, soit sur les Juifs, qui ont la révéla-
tion, soit sur les païens, qui ne l'ont pas. La conduite
de Dieu à l'égard des païens est juste : « Car la con-
naissance de Dieu est à leur portée; Dieu, en effet, la
leur a clairement proposée. Car, depuis la création du
inonde, les attributs invisibles de sa nature, à savoir
son éternelle puissance et sa divinité, sont vus claire-
ment dans la connaissance intellectuelle, voovixevcc, qui
les perçoit à l'aide des choses qui ont été faites, et de
la sorte ils sont inexcusables eux qui, ayant connu
l)ieu, n'ont pas voulu l'honorer. » Ce texte est décisif.
Acta, col. 520. L'homme déchu — et par conséquent
l'homme dont s'occupe la philosophie, qui n'en connaît
pas d'autre — a le pouvoir de connaître Dieu avec
certitude par la raison naturelle; avec certitude, parce
que s'il y avait impossibilité d'exclure le doute, il n'y
aurait pas obligation et responsabilité morale; par la
raison, parce que ce mot désigne le pouvoir de former
des concepts objectifs, et parce que si directement ou
indirectement la connaissance de Dieu n'était pas ra-
tionnelle, les doutes sur sa valeur seraient légitimes,
et l'homme athée ne serait pas sans excuse. Tout cela
est impliqué et dans le texte de saint Paul et dans la
formule du concile qui allègue ce texte. Cependant —
et c'est ce que nous voulions faire remarquer — saint
Paul n'entre pas dans le dernier détail quant à la
nature du procédé psychologique et logique par lequel
l'homme connaît Dieu au moyen des créatures. Le con-
cile, qui s'appuie spécialement sur ce texte, a voulu
rester dans la même indétermination.
c) Examen des conséquences déduites. — Tels sont
les faits et leur raison d'être. Suit-il de là que toute théo-
rie de la connaissance religieuse s'accorde avec l'Ecri-
ture, la tradition et le texte du concile? Suit-il de là qu'on
est en règle avec le concile, si, avec les modernistes, on
soutient que la première idée objectivement valable de
Dieu nous vient d'une expérience qui n'a rien de ration-
nel; si l'on concède aux protestants libéraux que II lie
est la transcendance divine que la raison est impuis-
sante à s'en former une idée valable, pourvu qu'on
ajoute que l'immanence divine est telle que l'homme
prend conscience de l'action de Dieu sur lui? etc. Suit-
il de là enfin, comme plusieurs écrivains français le
prétendent, qu'on est en règle avec le concile, si l'on se
contente du simple bon sens vulgaire pour expliquer
la première idée de Dieu ? En répondant à ces questions,
nous ferons connaître pourquoi les théologiens jugent
qu'il n'en est pas ainsi.
Pour n'avoir plus à y revenir, disons d'abord que les
écrivains français qui insistent tant sur le simple bon
sens sont en règle avec le concile, pourvu que le bon
sens dont ils parlent soit bien un pouvoir de connaître
objectivement valable, et pourvu qu'on ne donne pas à
l'appel au bon sens un sens exclusif. Ils sont en règle
avec le concile sur la première idée certaine de Dieu,
parce que les théologiens qui admettent l'universalité
de la connaissance de Dieu ne requièrent pas autre chose
que le sens commun, le bon sens vulgaire, pour qu'on
y arrive. Mais il ne faut pas que ce simple bon sens
soit limité à un pouvoir de connaître qui ne peut pas
arriver à une affirmation ferme et précise sur la nature
intrinsèque de Dieu, par exemple, sur la personnalité'
divine; car le concile a défini le pouvoir de connaître
Dieu de façon à commencer la vie morale et religieuse,
et cela se trouve dans le texte même de saint Paul. Il
ne faut pas non plus que ce bon sens soit opposé en
un sens exclusif à la raison discursive, par laquelle
nous arrivons ou pouvons arriver, même sans la foi, à
une connaissance plus développée de Dieu, à ce que le
concile appelle à deux reprises au moins la « science»
de Dieu. Denzinger, n. 1616, 1658. Or. malheureusement,
les écrivains dont nous parlons ont quelquefois oublié
ces conditions d'un langage correct en ces matières.
Ajoutons qu'on peut être en règle avec la définition
conciliaire entendue rigoureusement, c'est-à-dire ne
pas être hérétique, et cependant ne pas satisfaire à
toutes les conditions d'orthodoxie; cela résulte assez
de ce que nous avons rapporté de l'enseignement de
853
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE;
854
l'Écriture et des Pères sur les preuves rationnelles de
l'existence de Dieu. Cf. Franzelin, De Deouno, th. vr.
Quant aux modernistes, ils ont été condamnés, en ce
qui concerne le point spécial qui nous occupe ici :
a. à cause de leurs formules exclusives; b. à cause de
leurs conclusions agnostiques.
a. Formules exclusives des modernistes. — L'Ecri-
ture, les Pères et le concile désignent comme le moyen
objectif de connaître Dieu les créatures, e rébus crea-
lis,per ea quse factasunt, et cela comprend sans doute
le monde ou miroir intérieur, S. Thomas, Cont.gentes,
1. I, c. xxxi : huj nsmodi autem simile inveniri polest
m potentat cognoscilivis et in virtutibus operativis
humanis, mais aussi le monde ou miroir extérieur.
Qu'on le remarque, le concile n'a pas défini que c'est
par une inférence que nous acquérons per ca quse
facta sunt la connaissance certaine de Dieu, mais il
ne l'a pas nié — ce qui eut été contre l'Écriture et spé-
cialement contre Sap.,xni — et en employant l'expres-
sion générale per ea quse facta sunt, il n'a pas exclu
le monde extérieur. Qr, le modernisme exclut toute
méthode qui tient compte de la manifestation de Dieu
par le monde extérieur. En effet, d'après lui, la vraie
philosophie est celle « où rien n'est communiqué du
dehors, où tout croît du dedans. » D'où la bizarre
conception de « la pensée, efficace de Dieu ». Ci. Revue
de philosophie, novembre 1907, p. 4£2. Un moderniste
dira : .Mais s'il faut tenir compte du miroir extérieur
et ne pas l'exclure, la théorie scolastique de la connais-
sance s'impose! On répond : En elfet, il est bien diffi-
cile de ne pas admeltre cette conséquence : plus la cri-
liqtie moderne, qui a laissé intacte la doctrine scolas-
tique, démolit de systèmes, plus celte conséquence
s'impose; et c'est la raison pour laquelle les théolo-
giens s'y rallient de plus en plus et c'est, croyons-nous,
la raison pour laquelle le magistère insiste tant sur le
retour à saint Thomas et à l'École. Cf. Léon XIII, En-
cyclique au clergé de France, 8 septembre 1899, dans les
Etudes, octobre 1899, p. 12. Cependant, ici où il s'agit
autant qu'il est possible de parler en rigueur, je con-
cède que cette conséquence n'est pas définie et qu'elle
n'est impliquée dans le dogme qu'autant qu'on en dé-
montrer,) l'absolue nécessité : certo cognoscere et pro-
bare est aliquatenus idem, disait le rapporteur.
L'Ecriture et la tradition proposent, même pour les
simples, des arguments en faveur de l'existence de Dieu,
airemenl implique la connaissance et la
valeur des principes de la raison. Le modernisme rejette
parce qu'il n'admet pas qu'on raisonne
avant d'avoir fait la critique des premiers principes.
méthode d'immanence consiste à prendre l'atti-
tude philosophique des disciples de Kant. c'est-à-dire
■i ne pas chercher à s'élanci r hors de soi-même, comme
d'un bond, appuyé sur des principes auxquels on donne
d'emblée une valeur obj e, dans La
Quinzaine, 1" janvier I,s!i7. p. 124. Celle formule en-
traîne toute une série d'exclusions par ricochets.
D'abord, tous l< • simples, c'est-à-dire 9999 individus
sur 10000, sont exclus de la vraie et certaine connais-
sance de Dieu par voie d'inférence, par le seul fait
qu'ils n'ont pas eu la chance d'être éduqués par l'uni-
ité de France depuis qu'elle esl aux trois quarts
iviste ou kantiste. Cf. la statistique dans la R
d'apologétique, 15 novembre 1908, p. 296.
Ensuite, coi e il esl bien entendu pour le moder-
nisme que la critique démontre la non-valeur di
premiers prim ip< - et di ip< l illusion qui leur fait
'■onii litre par |< I on n une valeur
i i ipturaire i t traditionm
dont le princip la ba .ni exclus
pour les tin, i. - . car le princi] dite a'appai
tient qu'à la législation interne de l'ordre phéni
BU, qu'il ne peut donc ser<ir a n passeï Le 1
dans la Revue de métaphysique et de morale, mars
1907, p. 143. En sorte que, par exemple, saint Paul
proposant un argument très simple en faveur de l'exis-
tence de Dieu aux habitants de Lystres, qui étaient
incapables de critique, perdait son temps et manquait
de méthode, et le même apôtre donnant à l'Aréopage
des arguments plus relevés se trompait lui-même et
décevait ses auditeurs. D'où il suit que les habitants
de Lystres eurent tort de croire à l'existence de Dieu
sur les raisons avancées par l'apôtre, puisqu'ils n'avaient
pas fait la critique du principe de causalité d'après
Kant et Spencer, et que les Arcopagiles eurent raison
de n'y pas croire et de s'en tenir au culte du « Dieu
incompris », puisque saint Paul faisait devant eux « un
usage transcendant du principe de causalité, » ce qui
est un paralogisme.
Enfin, le concile, tout en affirmant, avons-nous dit,
la certitude rationnelle de l'existence de Dieu, ne spé-
cifie pas dans sa définition les conditions d'un tel acte;
il se contente d'exclure toutes les doctrines d'après les-
quelles l'homme est incapable de s'élever à une con-
naissance rationnellement valable et certaine de l'exis-
tence de Dieu. D'où il suit que tous les procédés qui
aboutissent à la certitude rationnelle de l'idée de
Dieu se concilient avec la définition conciliaire. La
position des modernistes consiste ici, comme on dit
dans l'École, à nier l'hypothèse, negare supposilum,
ce qui, comme le savent ceux qui connaissent les règles
de la civilité des disputes scolastiques, est la manière
la moins polie du monde de contredire un adversaire.
Il faut bien noter cette nouvelle exclusion des mo-
dernistes, parce que c'est à la faveur de ce procédé
qu'ils cherchent à se couvrir de l'autorité des Pères
et aussi des théologiens. Ils n'ont, en effet, pas de
peine à trouver, dans les vieux textes, bien des argu-
mentations sur Dieu qui ont le même point de départ
que les leurs, par exemple le célèbre Fecisti nos
ad te de saint Augustin, ou la considération de la reli-
gion naturelle comme principe de vie répondant à la
nature de l'homme, etc. Comme il est certain que ni
l'Ecriture, ni les Pères, ni l'Ecole, ni le concile, ni
l'ensemble des théologiens depuis le concile, n'ont
exclu ces argumentations — nous avons dit pour-
quoi — il parait au public qu'on ergote vraiment trop
contre les modernistes, puisque l'on regarde comme
non orthodoxes, chez eux, des arguments qu'on ap-
prouve ou tout au moins qu'on ne condamne pas che?.
d'autres; et on sait que bien des apologistes, qui ne
sont pas modernistes, ont emboîté le pas, en vue de
satisfaire à ce qu'on appelle les exigences ou les be-
soins de la pensée moderne. D'où grand désappointe-
ment à l'apparilion de l'encyclique Pascendi. Le grand
public et aussi les apologistes que j'ai en vue ont été
victimes d'une équivoque. Ils n'ont pas remarqué que,
lorsque les modernistes partent du Fecisti nos ail te,
ou de ce fait d'expérience : la nature postule la vie, et
concluent : donc l'objet nécessaire de cette vie, de ce
désir, Dieu, existe, ces formules, tout en étant mot
pour mot les mêmes que celles de beaucoup de Pères
et de quelques scolastiques, rendent chez les moder-
nistes un tout autre sens que chez les auteurs ortho-
doxes.
Chez les auteurs orthodoxes, ces sortes de raisonne-
n'onl rien d'exclusif, car ces auieurs n'excluent
pas les autres raisonnements, et ils s'appliquenl a
montrer que des faits moraux, religieux, on peut dé-
duire sur l'existenct de Dieu des conclu ions ration-
nellement valables el Ils n'j réussissent
toujours, il est vrai, d'où il suit qu'ils trouvent sou-
vent des contradicteui parmi les théologiens; n
comme leui n'a rieu d'exclusif et comme ils
parlent dans l'hypothèse de la possibilité d'arrivei i
une certitude rationnelle ,1 | existi Di S de Dieu, il est
855
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
850
conciliable avec le concile du Vatican. Rien plus,
l'apologiste peut légitimement ad hominem y avoir
recours, si la mentalité, c'est-à-dire les préjugés, de
l'adversaire ou du néophyte le demandent.
Chez les modernistes, au contraire, l'emploi de ces
mêmes arguments ne va jamais sans deux arriére-
pensées exclusivistes : il s'agit, bien entendu, des ar-
riére-pensées manifestées dans les textes. D'abord,
ils ont toujours à l'esprit, en exposant ces sortes de
preuves, ce principe que la réflexion détruit la force
de tous les autres arguments, que seules « les consé-
quences déduites de prémisses confiées au travail de
la vie résistent à la dissolution critique. » Ce qui veut
dire que Pascal a bien fait d'aflirmer l'inanité de la rai-
son; et que Kant et Hume, Comte et Spencer ont dé-
montré l'assumption de Pascal; et que, par suite, le
même Pascal, Rousseau, Jacobi, Kant, Schleiermacher
ont vu juste en recourant au cœur, au sentiment, à la
conscience morale, à la piété, etc. Ensuite, ces argu-
ments eux-mêmes sont donnés par les modernistes de
façon à exclure des débuts de notre vie morale et re-
ligieuse précisément cette certitude rationnelle que le
concile du Vatican a voulu affirmer. Ce sont ces deux
arrière-pensées que les théologiens qui suivent le con-
cile et la tradition ne peuvent pas accepter; car elles faus-
sent l'usage des arguments moraux, même les plus classi-
ques, chez les modernistes. Donnons quelques exemples.
Bon nombre de théologiens admettent une interven-
tion des tendances naturelles dans la formation delà
première idée de Dieu : c'est le testimonium animas
naturaliter christianse de Tertullien ; beaucoup d'au-
tres considèrent comme valables les démonstrations de
l'existence de Dieu partant du fait de l'obligation mo-
rale, du désir du bonheur; d'autres enfin parlent d'une
certaine illumination de l'esprit ou des dispositions
morales du sujet. Mais tous évitent ou cherchent à évi-
ter le fidéisme, c'est-à-dire un assentiment subjective-
ment certain, non fondé et appuyé sur un jugement
intellectuel antécédent et non susceptible de se légiti-
mer rationnellement; en d'autres termes, tous pré-
tendent sauver la certitude rationnelle.
Par exemple, saint Thomas est un des auteurs qui
parle le plus souvent d'un « instinct de nature »,
« d'un instinct divin », qui, d'après lui, joue un grand
rôle dans l'acquisition rapide des premiers principes
spéculatifs et surtout pratiques. Une de ces premières
vérités est, d'après lui, la connaissance de Dieu. Mais
voici comment il explique lui-même la spontanéité de
cette connaissance : Ejus cognitio nobis innata dicitur
esse in quantum per principia nobis innata de facili
percipere possunius Deum esse. In Boeth., deTrinit.,
q. I, a. 3, ad Qamj Sum. theol., Ia, q. il, a.'l,ad lura ; 1*11*,
q. i, a. 4; q. il, a. 8; q. lxxxix, a. 6; Contra génies,
1. III, c. xxxviii. Il serait facile de multiplier ces cita-
tions; quiconque aura parcouru celles-ci conviendra
que M. Mallet a raison de penser que plusieurs des
« données » de la philosophie de l'Action sont iden-
tiques à quelques-unes des données de la scolastique.
Mallet, La philosophie de V Action, dans la Revue de
philosophie, septembre 1906, p. 239. Le même auteur
expose que la philosophie de V Action s'occupe du
cognilum ex actione et volitione elicilum. Ibid.,p. 243.
J'ai moi-même montré plus haut que cette sorte d'objet
n'est pas inconnu des théologiens. Mais de nouveau,
comme le fait très bien remarquer M. Baudin, « il y a
deux manières de trouver Dieu dans les impératifs. La
première consiste à entendre psychologiquement sa
voix, par une expérience personnelle et une réalisation
affective et imaginative... La seconde consiste à relier
niétapli[isi<iuemcnt les lois morales à l'intelligence et
à la volonté divine, par une rationalisation, et c'est la
méthode de saint Thomas. » La philosophie de la foi
chez Newman, dans la Revue de philosophie, octobre
1906, p. 377. Ajoutons que cette seconde méthode est
celle de tous les théologiens, qui développent les ar-
gumente dont il est ici question. De même, Vasquez
qui donne une grande importance aux dispositions
morales quand il s'agit de connaître Dieu, explique
son point de vue ainsi : Licet in demonstralionibus
necessarius non sit affectus volunlalis, et bonaillius
disposilio, ut apprehensis proposilionibus stalim ho-
mo... assensum prsebeal iis rébus quse notissimse
sunt, et nullo modo adpielatem perlinent;in iis tamen
quse ad pictatem spectaut, quales... sunt de unitate
Dei, de illius scientia et providenlia, etiamsi demons-
trationes in Ira propriam mensuram habeantur, ne-
cessarius est pius affectus... Jn iis ergo plurimum
confert affectus bonus, non quideni ut, visa extre-
morum conformitate, assenliatur intelleclus, sed ut
illam propositionem tali modo appréhendât et formel,
ut faciat apparere eam extremorum conformitatem.
InPm, disp. I, c. ii, n. 15. Ailleurs le même théologien
applique cette théorie à la démonstration de l'existence
de Dieu elle-même, lbid., disp. XIX, c. ni, n. 9. Donc,
pour les théologiens qui emploient des arguments ana-
logues à ceux que développent les modernistes, l'assen-
timent s'appuie toujours en dernière analyse sur une
évidence rationnelle. Saint Augustin est probablement
de tous les Pères celui qui a le plus insisté sur le côté
psychologique du problème que nous étudions :
cependant il déclare nettement que nous ne pourrions
pas croire si nous n'avions pas des âmes raisonnables.
Credere non possemus, nisi rationales animas habere-
mus. Episl., cxx, n. 'S, P. L., t. xxxm, col. 454. Et
ailleurs : Eslenim Dcus, et vere summeque est; quod
jam non solum indubitatum, quantum arbitror. fi de
relinemus, sed etiam cerla, quamris adhuc tenuissima,
forma cognitionis altingunus. De libero arbitrio, 1. II,
c. xv, n. 39, P. L., t. xxxu, col. 1262. La certitude de
la connaissance naturelle de Dieu est donc, d'après
saint Augustin, rationnelle. Cf. Enchiridion, c. IV :
H sec sunt defendenda ratione vel a sensibus corporis
inchoata, vel ab intelligentia mentis inventa. P. L.,
t. XL, col. 233.
Non, répliquent les modernistes, les raisons morales
de croire ne sauraient donner lieu à une certitude ra-
tionnelle, c'est-à-dire à une certitude fondée sur des
principes objectifs nécessaires et universels. La critique
kantienne et post-kantienne a définitivement ruiné
tous ces prétendus principes. L'àme moderne ne les
admet plus. D'ailleurs, « la foi est introduite par une
impulsion émotive en présence de raisons qui ne sont
pas absolument des preuves. » Cf. Saleilles, La foi et
la raison, Paris, 1905, p. xxxvn. Les arguments en
faveur de l'existence de Dieu, fondés sur des faits de
conscience morale et religieuse, doivent donc être traités
et développés comme des preuves d'expérience; et il ne
peut en tout cela être question que d'une « expérience
qui n'a rien de rationnel, mais qui est supérieure à
toute expérience rationnelle. » Cf. encycl. Pascemli,
S Alque hsec, Denzinger, 10' édit., n. 2081. Tel est le
fond de l'exclusivisme des formules modernistes, dans
le développement des arguments moraux et vécus de
leur théodicée ou, plus exactement, de leur doctrine de
la croyance. C'est donc le fidéisme mis à la base de
notre vie morale et religieuse, le fidéisme que le concile
du Vatican a repoussé du sein de l'Eglise, parce que
contraire à la révélation. C'est ce que sans doute
n'avaient pas assez démêlé les apologistes que l'ency-
clique Pascendi a surpris. Concluons : ce qui est
condamné, ce n'est pas l'usage des arguments moraux
ni l'étude de la psychologie de la vie religieuse; c'est
simplement cet usage et cette élude avec la mentalité
exclusiviste des modernistes. Cf. Raille. L'idée de Dieu
et l'âme contemporaine, extrait de la Revue apologé-
tique de Bruxelles, 1908.
857
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
858
b. Conclusions agnostiques des modernistes. — Sans
rien répéter de ce qui précède sur le sens du concile,
nous pouvons affirmer que dans les passages que nous
étudions, le concile par « raison naturelle » entend le
pouvoir physique que nous avons d'atteindre et de
distinguer le réel, suprasensible, matériel ou non, de
façon à porter sur lui des jugements valables fondés
sur la connaissance de la nature intrinsèque deschoses.
Cela suit de ce que le concile définit qu'on peut con-
naître Dieu « par les choses », et de ce qu'avec l'apôtre
saint Paul il entend parler d'une connaissance de
Dieu telle que, si nous ne l'honorons pas d'un culte
religieux, après l'avoir connu par ce moyen nous som-
mes inexcusables. Il est vrai que la considération du
a monde phénoménal » peut amènera la connaissance
d'une première cause, d'un premier moteur. Stuart
MiU admet cette conséquence; mais, positiviste, il
conclut au matérialisme. Cf. Maillet, La création et la
providence devant la science moderne, Paris, 1897,
p. 107. Or, ce n'est que par la connaissance de la
nature intrinsèque des choses que l'on exclura l'hypo-
thèse matérialiste ou panthéiste, Denzinger, n. 1648-
1651; et, d'un autre côté, si l'on n'admet pas que la
raison est capable de porter sur la nature intrinsèque
des choses, et par conséquent de Dieu, des jugements
objectivement valables, il est impossible de légitimer le
devoir du culte. Cf. Dictionnaire apologétique de la
foi, t. i, col. 7. Nous n'ajoutons donc rien au concile,
en décrivant la raison comme nous venons de le faire.
Sans doute, cette description en un sens ne dépasse
pas le sens commun, si dépasser le sens commun c'est,
comme les philosophies nouvelles l'entendent, le con-
tredire, en cessant d'être avec lui objectiviste et dogma-
tique. Elle ne dépasse pas non plus le sens commun
en ce sens que, moralement parlant, tout homme
venu en ce monde est capable de faire les actes qu'elle
implique. Mais elle le dépasse de beaucoup, si dépasser
le sens commun, c'est distinguer par l'analyse ce
qu'impliquent nos actes directs, ce qu'expriment les
textes de la Sagesse, xm, et de saint Paul, Rom., i, qui
interprétés par la tradition chrétienne ont servi de
i la décision conciliaire.
11 est donc certain que le concile n'admet pas qu'on
soit confiné dans l'agnosticisme, ni avant ni après la
première adhésion de la raison à l'existence de
Dieu, ni avant ni après le premier acte de foi
proprement dite. Or les modernistes préfèrent, avant
la croyance ou la foi, se rallier à l'opinion des
positivistes ou des kantistes, sauf à essayer avec
If. Brunetière d'utiliser l'inconnaissable de Spencer.
Brunetii re, Pour le centenaire d'A uguste Comte, dans
la Revue des Deua Mondes, 1-- juin 1902, p. 691 sq-
Cf. Itevue de philosophie, février 1903, p. 237. après
ou dans la croyance et la foi. ils préfèrent se rallier
a l'opin i<>ti des protestants libéraux. Pour eux, comme
pour M. Ménégoz, la raison est impuissante en ma-
tière religieuse — el il s'agit bien de la raison des
philosophes, telle que je viens de la décrire; nous
n'atteignons Dieu que par la croyance, et nous expri-
mons cette croyance par des images (Tyrrell), dos sym-
boles, des anthi opomorphismes, des formules absti
mes un caractère s\ mbolique, car . Iles
s riment direi li menl que les luis de notre esprit,
ibitudes de conduite qui résultent de
notre croyance & la vérité du conc< pi de Dien, de même
que les formules mathématiqui - n i (priment que notre
lion aux intuitions du réel el aussi notre action,
commodité qui nous guident dans notre choix de
/ he • eality
of God, dan- Uibbert i ctobn 1906, p 106
bien plus, cet t ipn Ions sont contingentes, variables,
comme tout le reste, aux I". lution
| •>/. dans I 1907, II. I .
Cf. Denzinger, 10' édit., n. 2074, 2079 sq., 2094, 2026,
205$. M. Le Roy ayant proposé son symbolisme mathé-
matique ou pragmatique, M. Sertillanges prononça que
« la foi est un problème de vie, non un problème phi-
losophique; » et que « fùt-on relativiste en philosophie,
si l'on maintient — et cela se peut — dans le système
des relations une place pour les réalités dogmatiques,
qu'importe que la réalité totale ait été définie tout d'a-
bord, philosophiquement, par la relation ou par autre
chose'.'» Cf. Revue du clergé français, novembre 1905,
p. 5't3; octobre, p. 317. M. Desbuts marcha sur les
traces de M. Sertillanges et exténua l'analogie de pro-
portionalité de Cajetan, en « prolongeant », dit-il, la
pensée de saint Thomas, p. 384, au point de pouvoir,
dans des vues apologétiques, proposer sérieusement de
renoncer « à connaître Dieu par et dans nos concepts. »
Desbuts, La notion d'analogie, dans les Annales de
philosophie chrétienne, janvier 1906, t. eu, p. 385.
Depuis, le même écrivain a écrit sans embarras : « Se-
lon le saint docteur [saint Thomas], notre idée de Dieu
est une idée analogue selon l'analogie de proportiona-
lité. Une telle idée n'exprime pas une propriété abstraite
commune à Dieu et aux créatures; elle n'est, en aucune
façon, une représentation, même obscure, de la nature
divine. » Ibid., juin 1908, p. 255. Voir sur la position
réelle de l'ancienne école thomiste, Dictionnaire apo-
logétique de la foi, Paris, 1908, 1. 1, col. 45.
Toutes ces formules reconnaissent avec la scolastique
et avec Kant que nous pouvons désigner Dieu par des
périphrases tirées de nos états subjectifs, par des déno-
minations extrinsèques; mais elles nient avec le même
kant, non pas seulement contre la scolastique, mais
bien contre la pensée de l'Eglise et de tous les fidèles,
S. Thomas, Sum. theol., Ia, q. xm, a. 2, que nous soyons
capables de porter un jugement défini, ayant une valeur
de connaissance objective précise, sur la nature intrin-
sèque de Dieu. Peu importe ici, où il s'agit de l'abou-
tissement, de savoir si toutes ces philosophies ont ou
n'ont pas dépassé Kant, si elles ont ou n'ont pas re-
trouvé le réel; peu importe de même les diverses
allonges essayées; nous parlons du résultat. Or, qu'ils
soient à la remorque de Spencer et de ses idées hérédi-
taires, comme M. Loisy; qu'ils tiennent que tous les
termes de l'Ecriture sur Dieu sont figurés, comme le
juif Maimonide et M. Tyrrell; que leur symbolisme soit
métaphysique, avec M. Desbuts, ou pragmatique, etc.,
avec M. Le Roy, etc. ; tous s'accordent à nier que la
raison humaine ait le pouvoir de se faire une idée
rationnelle valable de l'absolu, de façon à pouvoir
porter sur la nature intrinsèque de l'ion desjugements
définis; tous s'accordent avec il. Dunanà considérer le
et et l'estime de l'Église pour la raison « comme
une erreur ». Cf. Rifaux, Les conditions du retour
au catholicisme. Enquête, réponse de M. Ounan,
p. 205. Ceux-là seuls qui ne connaissaient ni le sens de
la définition du Vatican, ni les prétentions du moder-
nisme, ont pu s'étonner de la condamnation de ce
« rendez-vous de toutes les hérésies ». L'expression a
froiss. ■ ii tins protestants libéraux, qu'elle démasquait
— car ces messieurs sont souvent gens d'église et vivent
de ri venus ou d'aumônes ecclésiastiques et d'i
. I Ile n'est pourtant que juste, I
dinairei n'errent que sur quelques points; mais la
théorie de la connaissance religieuse du lern
exige qu'on erre à la fois sur tous les dogmes; bien
plOS, elle siippri aussi l.ien la foi que la raison, la
révélation que la connaissance naturelle de 1 » i .
que ne faisaient ni le luthéranisme, ni le calvinisme,
ni le traililion.il
go / snii/i , t<i tir connu
naturelle. Non
suffisamment telles sont l< s dot trini
mh la raison qui ne peuvent TS)0 le
859
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
SGO
texte du concile, et quelles sont les conséquences de
la doctrine révélée sur les théories de la raison. Il ne
reste plus qu'à répondre à une dernière tliflicu 1 1<'- en
exposant le seul mot du canon conciliaire que nous
n'avons pas encore expliqué. 11 s'agit dans notre texte
de la raison naturelle. Ce mot, tout le monde en con-
vient, a été voté par le concile en vue d'exclure le tra-
ditionalisme. Cette hérésie admettait que l'homme, tel
qu'il est, n'a pas les forces rationnelles suffisantes pour
arriver à la connaissance certaine de Dieu; il lui fallait
donc un secours, une aide, pour suppléer à son insuffi-
sance; cette aide était la révélation proprement dite,
cette révélation qui est, d'après l'Ecriture, strictement
surnaturelle, c'est-à-dire indebila. En employant le
mot naturel, le concile a eu explicitement en vue
d'exclure ce secours surnaturel qui est la révélation;
et dous avons déjà dit que le texte de saint Paul, qui
parle des païens qui n'ont pas la révélation, a bien ce
sens.
1. Questions. — Ici certains apologistes cherchent à
greffer leurs théories sur le texte du concile. Voici
comment. Le concile, disent-ils, n'a exclu par le mot
naturali que cette espèce particulière de secours, qui
est la révélation proprement dite. Mais, puisque les
Pères ont admis, par exemple, les théories de l'illu-
mination et de la pur galion, puisque certains théolo-
giens ont admis des secours surnaturels pour la pre-
mière connaissance de Dieu, on peut concevoir et
admettre la nécessité de secours autres que la révéla-
tion proprement dite, sans lesquels la raison ne peut
pas parvenir à la connaissance certaine de Dieu. Or, si
l'on admet la nécessité, et par conséquent la réalité
historique de tels secours — lesquels ne sont pas exclus
par la'définition conciliaire — le premier assentiment
certain donné à l'existence de Dieu n'est plus néces-
sairement déterminé par le seul poids des preuves; il
n'est donc plus simplement rationnel. D'où il suit que,
sans contredire en rien le concile du Vatican, on peut
très bien concéder que le pouvoir physique de con-
naître Dieu avec certitude ne gît pas dans les principes
intrinsèques et constitutifs de notre nature : sinon, il
faudrait dire que le concile du Vatican a défini la pos-
sibilité de l'état de nature pure, ce que nul n'accor-
dera. On peut donc, tout en restant fidèle au concile,
concéder aux philosophies modernes, qu'en réalité nous
n'avons intrinsèquement en nous aucun principe -na-
turel par lequel nous soyons capables d'atteindre et de
distinguer l'absolu. Cette opération n'est possible que
grâce à un secours de Dieu, à une action divine; et de
la sorte, sans admettre la doctrine de l'immanence,
nous pouvons très bien, tout en restant catholiques, en
admettre la méthode. Nous dirons donc que dans la
connaissance religieuse, l'action divine supposée, tout
croît du dedans; qu'il suffit de l'observation psycholo-
gique pour expliciter avec une infaillible sûreté le
contenu de l'action divine, confié au travail de la vie;
que la croyance en Dieu est une forme de l'être moral,
que par son action Dieu ramène à lui; que la connais-
sance intellectuelle de Dieu n'est que le rellet de la vie
morale et religieuse; et, comme les théologiens, à bon
droit, rejettent l'agnosticisme dogmatique et veulent
porter sur Dieu en soi des jugements objectifs, nous
ajouterons que ce reflet ne va pas sans un nexus obje-
ctivus avec la réalité. Sur ce dernier point, il est vrai,
notre doctrine se séparera des philosophies issues de
Kant. Mais notre apologétique nouvelle aura l'immense
avantage de tenir compte de ce fait, signalé par
M. Blondel, que « la pensée moderne, avec une sus-
ceptibilité jalouse, considère la notion d'immanence,
comme la condition même de la philosophie. »
Ces quelques lignes résument fidèlement, croyons-
nous, la pensée un peu confuse qui, ces dix dernières
années, a inspiré beaucoup d'articles, parus dans la
Revue du clergé français, dans les Annales de philo-
sophie chrétienne, dans The New York Heview et ail-
leurs. Pour soutenir celle méthode d'apologétique, on
a cherché chez les anciens théologiens diverses théories
sur le surnaturel, absolu et relatif; on a travaillé à \
enrégimenter les cardinaux Newrnan et Dechamps; on
a discuté de l'état de nature pure; on a découvert « le
point de départ de la recherche philosophique, » etc.
Tous ceux qui ont pris part à la lutte contre les posi-
tions classiques, ne s'en écartaient pas également; et
bien que des modernistes avérés, c'est-à-dire des agnos-
tiques, se soient servis des vues émises en faveur de
la méthode d'immanence ou du dogmatisme moral,
nous ne reviendrons pas sur l'agnosticisme ; mais il reste,
après tout ce que nous avons dit, à traiter à part du
problème des rapports de la nature et de la grâce, dans
la connaissance de Dieu. La question à laquelle il nous
faut répondre est donc la suivante : Cette apologétique
nouvelle, en tant qu'elle s'appuie sur la doctrine des
auxilia, pour expliquer notre première idée valable et
certaine de Dieu, est-elle conciliable avec le concile?
Nous n'oublierons pas plus que dans ce qui précède,
que les textes dogmatiques sont striclissirnse interpre-
tationis. Acta, col. 131.
2. Réponse. — a) Les théologiens divisent les secours
divins, auxilia, en deux grandes catégories : les natu-
rels ou débita, et les surnaturels ou indebita. Les se-
cours naturels comprennent le concours général, sans
lequel aucune créature ne peut agir; les secours spé-
ciaux, exigés pour un acte déterminé, par exemple,
pour que l'intelligence passe à l'acte ou pour que la
volonté soit excitée et rende l'intelligence attentive :
c'est à cette classe que se rapportent, si on les déclare
nécessaires, l'idée innée cartésienne, l'illumination, la
purgation, les dispositions morales, l'exemple des
autres, l'enseignement social, etc. Les secours surna-
turels sont destinés à élever les puissances à l'ordre
divin, sans tomber sous le champ de la conscience,
par exemple, la grâce infuse du baptême; ou bien, ils
excitent nos puissances à l'acte, par exemple, les
grâces actuelles qui éclairent et sollicitent la volonté.
Ces derniers secours, relativement à l'objet qui nous
occupe, sont de deux espèces : per modum mère sub-
jectivi, et per modum objectivi. On appelle secours
objectif, tout ce qui se tient du côté de l'objet; et pu-
rement subjectif, ce qui influe sur l'acte sans consti-
tuer une présentation de l'objet et sans varier la nature
ou la force perçue des motifs d'adhésion. En d'autres
termes, est dit « secours objectif », ce qui se présente
à l'esprit comme objectif; « subjectif », ce qui inllue sur
l'acte sans constituer un objet. Par exemple, la révéla-
tion proprement dite est un secours objectif, parce
qu'elle présente l'objet, et le motif d'adhésion : l'auto-
rité divine. Mais, si nous supposons qu'en même temps
que Dieu révèle une proposition au prophète, il agit sur
ses puissances pour les inclinera l'assentiment, celte
action qui, par hypothèse, ne constitue pas l'objet pro-
posé à l'adhésion du prophète et ne varie pas la nature
ou la force perçue du motif d'adhésion, qui, dans
l'espèce, est l'autorité divine, est appelée secours pure-
ment subjectif. Ainsi, dans cette terminologie, l'hérésie
traditionaliste consistait à soutenir que, sans un se-
cours objectif, la raison de l'homme ne peut pas à
l'aide des créatures connaître Dieu avec certitude.
De ces divers auxilia quels sont ceux que le concile
a exclus, quels sont ceux où le champ reste ouvert aux
opinions? — a. Le mot « naturel » du concile exclut la
nécessité de tout secours per minium objectivi, c'est-à-
dire précisément l'erreur traditionaliste. Acta, col. K10.
h'où il suit que si l'on requiert un secours de celte
espèce, en soutenant que, sans lui, l'homme n'a pas le
pouvoir physique de connaître Dieu avec certitude, on
est condamné. On est condamné, soit parce qu'on pro-
861
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
862
fesse le fidéisme, soit parce qu'on confond le concours
général avec les dons gratuits, et la raison avec la foi
surnaturelle, soit parce qu'on exige la révélation comme
absolument nécessaire, soit parce qu'on exclut la suffi-
sance de la présentation médiate de Dieu par les créa-
tures à la raison. Cf. encyclique Pascendi, passiin. —
b. Le concile est absolument muet sur tous les autres
auxilia, soit naturels, soit surnaturels. Cela suit de la
déclaration, faite plusieurs fois dans le concile, qu'on
ne voulait pas parler de l'exercice de la raison, mais
de ses forces, et qu'il fallait établir une proposition
raie qui s'appliquât à tous les états, aussi bien à
celui de nature pure qu'à notre état actuel.
Que tel soit le sens du concile, je ne vois aucun
théologien qui le mette en doute. Par là, le concile et
les théologiens laissent donc la porte grande ouverte
aux hypothèses sur les divers secours qui peuvent in-
tervenir dans la connaissance spontanée de Dieu, et
aussi à l'étude et à l'analyse psychologique de notre
première adhésion certaine à l'existence de Dieu. On
peut donc — je ne dis pas : on doit — si l'on a de
solides raisons à en donner, faire l'hypothèse de divers
secours nécessaires ou exigés, c'est-à-dire naturels, et
aussi faire l'hypothèse de certains secours gratuits,
préternaturels ou surnaturels, non exigés dans l'état
où nous sommes, mais donnés en fait, pour incliner
notre nature à l'assentiment. Ces hypothèses faites, on
peut s'en servir pour la description psychologique des
faits, et ad hominem pour résoudre les difficultés de
l'athée ou du sceptique à qui l'on s'adresse, s'il veut
bien les admettre; on peut même, comme faisaient par
exemple les cartésiens pour l'idée innée, essayer de
construire sur ces hypothèses une doctrine générale.
La plus stricte théologie, même après l'encyclique
Pascendi, permel toutes ces études, dont, nous l'avons
dit, les Pères et certains théologiens orthodoxes nous
ont donné l'exemple. Nous disons que la théologie per-
met l'emploi de ces procédés; cela ne signifie pas du
tout qu'elle en garantit la valeur. Il faut toujours s'en
souvenir, les conclusions ne dépassent jamais la valeur
des prémisses. Dans ci - études psychologiques où l'on
f.iit intervenir diverses hypothèses de secours néces-
saires ou gratuits, les conclusions ne peuvent jamais
avoir que la certitude, la probabilité ou la fausseté de
la moins certaine, de la plus douteuse ou de la plus
inexacte des prémisses emplo;
h De ce que la théologie permet, sans toujours les
garantir, la prise en considération des facteurs psycho-
logiques, religieux ettnoraux, qui, sans en excepter divi rs
iurs, naturels ou gratuits, peuvent inlluer sur la
notre connaissance certaine de Dieu, il ne
faudrait pas toutefois se hâter de conclure que taules
les hypothèsi - possibles sont concilia blés avec le dogme
défini et ~es exigences. Il n'en est rien; caria définition
du concile exige que 1rs hypothèses sur les secours
pour la première connaissance de Dieu ne
..munir !■• caractère rationnel de cette
connaissance et de la certitude qui l'accompagne : sinon,
i erreui mi me que le concile a voulu pros'
le fldéisme; que ces hypothèses soient telles qu'elles
ni rien d'exclusif relativement aux procédés de la
nante, indiqués par l'Écriture el employés
par la tr.idiii t que le concile n'a pas ex< lus, bien
qu'il ne li I Unis, comme nous l'avons expliqué
li "i i . que ces hypothèses soienl telles qu'elles
t,t valables pour loul étal de l'humanité, puisque le
ment enli min définir IV \is!ence
ins l'homm rai, • toi) i dans l'étal actuel,
dans l'étal d< nature [une. du pouvoir physique
Dieu pai les lumières naturelles. Acta,
131. Il faut enfin, pour reati i dani l oi thod
nouvellenl pu les propositions
ni \ l el par Pie \ i Denxingi i .
n. 1040, 1381, 1385, 1380, 1527. Cf. Franzelin, De Dec
uno, 3e édit., Rome, 1883, p. 09; Yiva, Damnatarum
tliesium theologica trutina, Padoue, 1723, p. 238, sur
la proposition 23e d'Innocent XI, en 1679; Faure, En-
chiridion, Naples, 1847, p. 19-28, sur les doctrines
jansénistes.
Ces quatre conditions d'orthodoxie expliquent bien
la position de la théologie classique. On reproche beau-
coup aux théologiens de n'avoir pas envisage' le coté
moral, subjectif, du problème de l'idée de Dieu, et on
renvoie à l'article très sec de la Somme où saint Thomas
propose ses cinq arguments. D'un autre côté, on se
fait un plaisir de citer à l'appui de la méthode, dite
psychologique et morale, des thèses de divers théolo-
giens. Voici la clef de l'imbroglio. Dans les traités de
la grâce et des vertus infuses, les théologiens ont été
amenés à considérer bien des hypothèses sur les auxilia
naturels ou gratuits que Dieu nous donne; et ils les
étudient. Quelques-uns y ont admis des secours sur-
naturels pour les débuts de notre vie morale et reli-
gieuse. C'est là qu'on les pille aujourd'hui, sans beau-
coup de critique et de discernement . Quand, au contraire,
les mêmes théologiens donnent les preuves de l'exis-
tence de Dieu, ils font presque tous totalement abstrac-
tion de ces auxilia, c'est-à-dire des illuminations, des
inclinations, en un mot des raisons d'adhérer subjec-
tives. Nous avons cité Yasquez, qui admet l'intervention
d'une « grâce naturelle » pour la première connais-
sance de Dieu, mais qui là où il donne les preuves
de l'existence de Dieu réduit l'action de cette grâce
« à faire saisir comme il faut les prémisses objectives, »
par exemple, de l'argument de saint Anselme, qu'il
défend en même temps que celui de la contingence.
La raison de celte conduite suit des quelques remar-
ques qui précèdent. Ces théologiens ont conscience de
tout ce qu'ont d'hypothétique leurs doctrines sur la
nature et la distribution des divers auxilia : à côté
d'un certain nombre de thèses certaines, il y a là bien
des vues purement systématiques ou conjecturales,
que la logique interdit d'employer quand on a en vue
une conclusion certaine. De plus, faire intervenir la
notion d'un secours divin quand, par hypothèse, on
ne sait pas si Dieu existe, ne parait guère correct à
beaucoup de logiciens. Ensuite, les théologiens partent
toujours du principe que la connaissance- de Dieu est
rationnelle, possible dans tous les états de l'humanité
et non exclusive des mo\ens de la raison raisonnante.
De là, leur effort d'objectivité', leur sécheresse dans la
proposition des preuves de l'existence de Dieu. L'émo-
tion, l'appel au sentiment, etc., n'est pas leur allai i,
leur lecteur, s'il a de l'âme et du doigté', saura parier
i ire comme il convient, el ci les circonstances
l'exigeront : c'est affaire, la doctrine acquise, d'éloquence
naturelle, de poésie, de piété, de zèle, etc., mais ce
pas de la science théologique.
c) Les écrivains que nous avons ici en vue procèdent
tout autrement que l'École. N'ous avons .1 jà parlé de
leur exclusivisme : il n'y a que... est leur premier mot,
quand ils parlent de leur système; tant pis pour ceux
qui ne se payant pas de mots, de sentiments et d'hypo-
mandent des raisons; c'est leurfaute s'ils ne
croient pas. Cf. encyclique Pascendi, § Atqut hsx,
Denzinger, lo édit., n. 3081. Saint Paul, Rom., i, 20,
il est vrai, el le livre de la Sagesse, mu. ont affirmé
donner de raisons; mais ces deux auteurs étaient
inspirés, el ni le moyen objectif, ni le moyen sui.joctif
qu'ils assignent, n'est précis ni celui de nos apolo-
gistes l'un el l'autre, en effet, parlent du monde i
rieur et 'b cette raison par laquelle b - n ont
tantum /"-/ne, uni teit < "i ;
Kstitnarc seeculum, quo mode hujus Dont
. Mil. 9.
i nei pi ■ n iH-ii i pour accord
863
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE;
864
et considèrent comme certaines des hypothèses, qui
ne sont que des vues systématiques — et ils sont étonnés
que les théologiens, même ceux qui admettent ces hypo-
thèses, prolestent contre le sophisme qu'il y a à les
prendre comme hases d'une démonstration qui prétend
aboutir à la certitude rationnelle. A ces hypothèses, ils
joignent des thèses qu'aucun théologien catholique ne
concède. M. Nouvelle, en effet, répondant à Mur Turinaz,
raisonne ainsi : « Tout homme en fait est appelé à vivre
surnaturellement, à devenir consors divinee naturœ.
Dès lors, je ne puis pas voir comment l'homme qui
doit lihreinent atteindre cette fin pourrait seulement
s'orienter vers elle, si au moins implicitement il n'en
sent pas le hesoin et n'en éprouve pas le désir... Il faut
donc bien admettre que, pour atteindre sa lin surnatu-
relle, qui est d'être participant de la nature divine,
tout homme doit désirer posséder Dieu et être Dieu. »
Réponse « M'Jr Turinaz, dans les Annales de philoso-
phie chrétienne, décembre 1905, p. 271. Cf. Denzinger,
n. 1387, perinde ac si non daretur dilectio humana
licila. M. Laberthonnière, continuant la même contro-
verse, affirme que « le désir d'être Dieu, de posséder
Dieu est bien certainement constitutif et caractéristique
de l'humanité que nous sommes. » Ibid., p. 400.
Cf. Denzinger, n. 1040, 1527, 1385. Pour M. Blondel,
antérieurement aux grâces surnaturelles, « il y a une
autre grâce, une vocation première, un état qui résulte
de la perte du don initial. » Histoire et dogme, p. 68.
Cf. Denzinger, n. 1381. De son côté, M. Desbuts pro-
posant Une utilisation de la doctrine thomiste du
concours, écrit : « Sans doute le concours divin n'est
pas toujours ordonné directement à l'ordre surnaturel.
Quand il tombe dans une âme séparée de Dieu, il se
moule, comme partout, sur la nature qui le reçoit, et
il ne vise alors immédiatement que des actions natu-
relles. Et cependant, cette âme, appelée à un ordre
surnaturel, créée pour lui, n'est pas à l'état de « nature
pure » : elle possède, de par la bonté gratuite de Dieu,
un vide qui demande à être comblé. Dieu... tôt ou tard,
l'amènera à se poser l'inévitable question de sa vocation
surnaturelle; il prépare tout en vue de ce moment
gros de toute une éternité. Aussi le concours divin,
même quand il est en soi naturel, n'est-il jamais ce
qu'il serait chez une âme dont la destinée normale
serait naturelle ; il conserve toujours, s'il est permis
de risquer cette métaphore, une arrière-pensée surna-
turelle. Il est donc forcé que notre idée d'infini, issue de
l'action divine en nous, ne puisse s'appliquer qu'au but
dernier vers lequel nous conduit cette action, » c'est-
à-dire à notre fin surnaturelle. Cf. Denzinger, n. 677,
1381, 1010, 1527. La question ici n'est pas de savoir si
M. Desbuts fausse ou non la notion de la prémotion
bannézienne, cf. Pègues, dans la Revue thomiste, juillet
1908, p. 316, ni si l'emprunt qu'il fait à une des écoles
néo-thomistes de Rome, à savoir que albedo separata
esset (simpliciter) infini ta, est vrai ou faux, ad rem ou
non. Nous ne nous arrêtons de même pas à remarquer
que sans le concours, avec « arrière-pensée surnatu-
relle », M. Desbuts avoue ne pas s'élever au-dessus de
la connaissance de « l'idéal », p. 254. Desbuts, Utilisa-
tion de la doctrine thomiste, dans les Annales de phi-
losophie chrétienne, juin 1908, p. 259. De même, nous
ne discutons pas la portée de l'écart que l'on remarque
entre les doctrines classiques sur la grâce, sur notre
élévation extrinsèque et intrinsèque au surnaturel, sur
notre justification et les thèses de MM. Nouvelle, Laber-
thonnière et Blondel. Ces graves questions sont hors de
notre sujet, qui est l'interprétation du concile, cf. Mm
Turinaz, Lettre au R. P. Nouvelle, dans les Annales,
t. eu, p. 387. Nous retenons seulement .qu'aussi bien
dans le « vide » de M. Desbuts que dans le « désir »
de M. Laberthonnière, le secours, donné dans l'ordre
actuel pour nous amener à la première connaissance
certaine de Dieu est intrinsèquement surnaturel. 11 le
faut bien puisque, dans les deux cas, c'est par le <• sur-
naturel exigeant » que nous arrivons à connaître véri-
tablement Dieu.
II est vrai, avons-nous dit, que quelques théologiens
ont parlé de l'hypothèse de secours surnaturels con-
cédés de fait dans l'ordre actuel pour nous amener à
la connaissance certaine de l'existence de Dieu. Mais
lorsque nos apologistes, en quête de justification pour
la méthode d'immanence, ont recours aux vues de ces
théologiens et disent que sans les dons surnaturels on ne
peut pas connaître Dieu, la formule n'a pas chez eux le
même sens que chez les théologiens orthodoxes. En effet,
la phrase peut avoir deux sens : de fait, sans un secours
surnaturel, l'homme n'arrive pas à la connaissance de
Dieu; ou bien, en droit, sans un secours surnaturel,
l'homme n'arrive pas à la vraie connaissance de Dieu.
Le premier sens est conciliante avec le concile — et
c'est celui des théologiens orthodoxes; le second ne
l'est pas — et c'est celui de Luther, de Jansénius, etc.
Expliquons-nous.
Le premier sens est conciliable avec le concile, à
savoir, de fait, sans un secours surnaturel, l'homme n'ar-
rive pas à la connaissance de Dieu dans l'ordre actuel de
providence; en ce sens, il ne peut pas connaître Dieu
sans l'aide d'une grâce. En effet, le concile n'a rien
voulu décider sur les « conditions » de l'exercice du
pouvoir qu'il définissait. Dire qu'un secours surnatu-
rel, différent de la révélation, est accordé pour que ce
pouvoir passe à l'acte ne contredit donc pas le concile.
Quand on ajoute : de fait, dans l'ordre actuel, l'homme
ne peut pas connaître Dieu sans la grâce, on peut
encore concilier la pensée avec le texte voté. En
effet, le concile a défini que l'homme en général, c'est-
à-dire l'homme qu'étudie la philosophie, est constitué
de telle sorte que par sa raison naturelle il peut con-
naître Dieu avec certitude; ce qui entraine un pouvoir
intrinsèque à l'homme de connaître Dieu, et, de plus, si
un secours est nécessaire pour que ce pouvoir passe à
l'acte, que ce secours soit assuré, ne fasse jamais défaut,
quel que soit l'ordre de providence envisagé. Cf. l'appli-
cation de ces principes au cas de l'idée de l'infini du
Dr Kuhn, faite par le P. Granderalh, p. 41. Les théolo-
giens orthodoxes anciens que l'on cite, concilieraient
donc leur doctrine des secours surnaturels avec le
concile, en disant : de fait, Dieu ne refuse à personne
dans l'ordre où nous sommes cette grâce surnaturelle
qui est la condition de la connaissance de Dieu ; et,
dans l'état de nature pure, ce secours serait remplacé
par un autre, en dehors de toute révélation. Comme
d'ailleurs, chez les anciens théologiens, le secours dont
ils parlent n'est pas per modum objectivi, mais servait
seulement à faire voir, saisir ou admettre les prémisses
naturelles et la conclusion, dans leur hypothèse, c'était
encore au sens propre qu'il était question d'un pouvoir
rationnel intrinsèque à l'homme, et la certitude aussi
bien que la connaissance restaient rationnelles. Enfin,
la connaissance n'atteignait pas, sans la révélation.
Dieu, comme auteur et fin de l'ordre surnaturel.
Le second sens, à savoir, en droit, sans un secours
surnaturel, l'homme n'arrive pas à la connaissance di
Dieu; en ce sens, il ne peut pas connaître Dieu sans
secours surnature], est hérétique, parce que la formule
ainsi entendue signifie, comme le voulaient Luther,
Jansénius, etc., l'homme, en général, n'a pas le pouvoir
physique de connaître Dieu. On nous demandera :
Mais comment concilier cette conclusion avec l'aveu fait
précédemment que le concile n'a rien défini sur les
auxilia soit naturels, soit surnaturels, qui peuvent
intervenir, hormis les secours objectifs qu'il a exclus '.'
Rien n'est plus simple. Le concile admet que l'un des
constitutifs intrinsèques de l'homme est la raison,
pouvoir physique d'arriver à une connaissance et à une
865
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE
866
certitude rationnelles de Dieu; qu'il y faille de l'aide,
ni il ne l'affirme, ni il ne le nie; qu'on pense qu'ac-
tuellement, l'homme a de fait une aide non exigée,
surnaturelle, c'est conciliaire avec le concile, parce
que cette hypothèse n'entraine pas nécessairement la
négation ou la mise en question du pouvoir physique
défini, ainsi que nous venons de l'expliquer; de même,
qu'on dise que nécessairement un secours est exige,
debitum, par exemple, l'idée innée, l'illumination, la
purgation, si le pouvoir physique en question pour l'acte
et l'objet déterminés dont il s'agit, reste intact, on est
encore en règle avec le concile. .Mais, si l'on combine
les deux hypothèses — ce qu'un théologien qui tient la
notion du surnaturel qui résulte du concile ne fera
jamais — et que l'on dise : dans l'ordre où nous sommes
une aide, surnaturelle, gratuite, est, en droit , nécessaire,
on dira une absurdité, que les théologiens qu'on allè-
gue n'ont pas dite; et, si quelqu'un l'a dite, il n'est pas
à suivre, quel qu'il soit. Si on donne un sens à celte
absurdité, on niera par là l'existence dans la nature
humaine actuelle du pouvoir physique, actif, défini par
le concile. Tel est le cas de Jansénius. Nous avons plus
haut exposé comment, d'après lui, nous ne pouvons
arriver à la connaissance de Dieu que par la foi-amour.
Voici ce qu'il écrit sur le même sujet dans son com-
mentaire du livre de la Sagesse, xm, 5. A magnitudine
enim speciei, id est. prsestanlia puïchriludinis, cognos-
cibiliter poterit horum crealor videri; per inlellectus
discursu.ru quo ex creaturœ cognilione, ad Deuni se
erigit. L'nde grxcc clarkis est : analogice sive per
proportionem poterit videri. Jusque là rien de plus
orthodoxe, et les modernistes n'en concéderaient pas
un mot. Mais voici : quod intellige, nisi mens variis
gentilitiorwn deorum erroribus ebria sit ac nimium
déprava ta, ni docet August., tractatu JOO in Joannem.
'l'uni- enim mm niai magmr gratis adjutorio lumen
verse divinitalis intuetur. Cursus Scripturse sacras
de M igné, t. xvn, col. 531. Voilà bien le secours sur-
naturel, nécessaireà l'homme tombé d'après Jansénius,
parce que cet homme n'a pas !es forces suffisantes
pour s'élever à Dieu. Or, le concile du Vatican en-
que l'homme, en tout état, a ces forces. Et voilà comment
précisément parce que le concile, sans entrer dans la
question des différents états de l'humanité et dans
celle des auxilia de ces états, a défini que dans
i l'homme en général Icta, col. 131, 150, se trouve
le pouvoir physique, la force naturelle de connaître
Dieu, A' ta, col. 70. 1-27. 130, il résulte du texte voté,
par uni conséquence qui \ est impliquée et que le
concile connaissait, Acta, col. 131, 523, n. 10, 547,
n. 38 sq., 1623, que loutet le doctrines de la chute
qui nient ce pouvoir veut condamnées, et que toutes
1. - hypothèses sur le- auxilia qui mettent ce pouvoir
en question ou le nienl sont inconciliables avec la doc-
trine di flnil < i ' ainsi que d'un coup Luther, Calvin.
• al, Quesm I. Bautain, le- traditionaliste!
de Louvain sont frapp -
Maintenant, des deui ibles de la formule
que nous étudions, quel esl relui que prennent les
de l'immanence, les apologistes à qui déplai-
rocédés < I < Il col< Le pn mil i sens ne ser-
virait île rien aux immanentistes pour leur but, qi
d'arriver à pou dei aux kantistes et auj
■m moyen rationnel d'at-
teindre i ml i chercher ■< le retrouver dans
I e\| d'une aide surnatu-
relle, du rarnaturi at. Ils choisissent donc le
• I celui qu'a condamné l'Église. Luther, Cal
lu
"u que l'homme tombé o a p i dan ■ i
les forces poui un si > la connal tance de Dieu-
parallèlement, et non ans Ils
Ique., la philosophie nominaliste, i mpi-
t)lf.T. Dl Tllioi.. CAT1IOI.
riste ou idéaliste, est arrivée à une conclusion iden-
tique. Les nouveaux apologistes qui, sans adopter l'im-
manence comme doctrine, l'acceptent comme méthode
exclusive, commencent par concéder cette impuissance
de la raison en matière morale et religieuse, en s'ap-
puyant sur Pascal, sur les pseudo-mystiques, ou bien
sur les prétendus « résultats acquis » de la critique kan-
tienne et positiviste; puis, ils se donnent — à quel
titre logique et rationnel, on ne sait — ils se donnent
donc, non sans soupçon de fidéisme, le surnaturel pro-
prement dit, dans le concours, ou dans le désir, etc.,
sans remarquer, semble-t-il, que la question dogma-
tique se pose : oui, ou non, avons-nous le pouvoir
physique de parvenir à une certitude rationnelle de
Dieu, qu'a défini le concile? Précisons notre pensée.
L'encyclique Pascendi regrette que des catholiques
se servent en apologétique de la méthode d'immanence.
Denzinger, 10e édit., n. 2103. Il s'agit, dans ce pas-
sage, de l'apologétique de la religion catholique; et le
document fait remarquer que ces apologistes ont eu
tort de mettre en l'homme une « exigence » et non
pas seulement une « convenance » au surnaturel. 11
ne suit pas de ce passage que l'encyclique enseigne
qu'on ne puisse pas démontrer Dieu en prenant pour
point de départ notre nature morale et religieuse, con-
sidérée comme un fait. Lorsque donc, il y a quinze ans,
M. lilondel partait des faits de conscience moraux et
religieux et concluait à Dieu dans L'action, il était sur
ce point précis — et en ne tenant pas compte ni de ses
concessions très larges au kantisme, ni de ses pré-
tentions à tout retrouver dans sa conscience de philo-
sophe chrétien — moins loin de beaucoup de théolo-
giens qu'on ne pourrait le croire au premier abord.
Mais depuis, sous le prétexte de chercher des appuis
théologiques, pour éviter le surnaturel exigé, dont on
avait d'abord parlé, on a introduit la considération des
auxilia, et l'on a parlé du surnaturel « anonyme »
exigeant. Cf. Laberthonnière, Essais de philosophie
religieuse, Paris, 1903, Appendices, p. 316 sq. L'ency-
clique Pascendi décrit à merveille ce qui s'est passé.
Denzinger, 10e édit., n. 2074, 2081. L'action divine est
devenue la cause de la connaissance religieuse, et dans
cette connaissance l'expérience a remplacé la raison,
comme chez beaucoup de protestants et chez les pseudo-
mystiquee. Que deviennent, si les choses se passent
ainsi, la connaissance et la certitude rationnelles de
l'existence de Dieu définies par le concile '
11 ne m'échappe pas que les apologistes, dont il est
moment question, font — quelques-uns du moins
— les plus grands efforts pour aller moins loin que
les protestants et les psoudo-linsliques, et pour arriver
a une connaissance vraiment rationnelle de Dieu.
Cf. Blonde), dans les Annales, t. cm, p. '230 sq. Nous
tenons compte de ces ellorts, tout en restant sceptique
sur la valeur du résultat; nous savons que M. I aber-
thonniere entend, par les procédés qu'il emploie, prou-
ver l'existence de Dieu, Essais, p. 78, note; «le même
nous savons que ces apologistes refusent d'avouer que
le surnaturel soit dans leur syslèmi \igé „. Ibid.,
p, 315 sq M us il nous semble que deux choses les ont
La premièn esl que, partant de l'hypothèse que
entimenl certain donné' a l'idée de Dieu n'eal pas
déterminé uniquement par le poids des preuvi
d. m- i' Béni D'est pas pure ut rationnel, il- ont (in
pouvoir négliger ce que cet assentiment .i de rationnel
— de lé fi- concessions initiales au kantisme, au
pai udo m] sti< i au lien de s'attacher,
ne font 1 mettra en
relief cet élément rationnel. Ensuite, l'étant donni
auxilia surnaturels, ils parai |u'on
peut ienl < i .< bon droit transport
que les tii de la libei té di i acte lui oa»
iv. - n
807
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
868
turel de foi, au cas de l'adhésion certaine, que natu-
rellement nous sommes capables de donner ration-
nellement à l'existence de Dieu. Jansénius, on s'en
souvient, avait eu la même conception; les païens qui
ont connu Dieu, d'après lui, ont rc(,u la grâce surna-
turelle de l'amour; dans et par cet acte libre ils ont
connu Dieu, dont ils ont pu rationnellement se légiti-
mer ensuite la connaissance par le discours.
A cette conception on oppose le raisonnement sui-
vant, qui n'est pas usé pour avoir servi contre les tra-
ditionalistes. Si vous prétendez que l'existence de Dieu
ne peut pas être aflirmée avec certitude sans un acte
essentiellement libre (produit avec ou sans la prémo-
tion physique, avec tel ou tel secours surnaturel, etc.,
peu importe), vous devez concéder qu'antérieurement à
cet assentiment libre personne n'a et ne peut avoir la
connaissance certaine de Dieu — c'est bien de fait ce
que les apologistes de l'immanence soutiennent, les
mots « action, vie, orientation », etc., désignant un
acte libre. D'où la singulière conséquence : dans votre
système, avant d'avoir librement voulu tenir pour cer-
taine l'existence de Dieu, c'est-à-dire avant d'avoir pro-
duit l'acte libre dans et par lequel, ou bien à la suite
duquel, on connaît Dieu, il est impossible à l'homme
de se considérer rationnellement comme obligé en
conscience de suivre la loi naturelle; car cette obliga-
tion ne va pas sans la connaissance certaine du légis-
lateur. Et qu'on ne dise pas : Mais, comme beaucoup
de théologiens, nous admettons le fait initial de
l'obligation. Car il y a disparité. En effet, les théolo-
giens qui admettent la valeur de la preuve de l'exis-
tence de Dieu par le fait de l'obligation, montrent que
ce fait entraine la connaissance certaine de Dieu — en
cela vous faites comme eux ; mais ces mêmes théologiens
ne donnent à la liberté aucune part dans la genèse du
fait de conscience subjectif, qu'on appelle le sentiment
de l'obligation. Or, dans votre système, si la liberté
n'intervient pas dans la genèse du sentiment de l'obli-
gation, ce sentiment ne peut pas impliquer la connais-
sance certaine de Dieu, puisque, dans voire doctrine,
l'existence certaine de Dieu ne peut être affirmée que par
un acte libre. « Sous une forme ou sous une autre, écrit
M. Blondel, Lettre sur les exigences, etc., p. GO, est
fait nécessairement à l'homme un don surnaturel... et
l'homme doit sentir en quelque manière l'obligation
d'accepter ce don. » Et si la liberté intervient dans la
genèse du sentiment de l'obligation, de la responsabi-
lité — ou du fait psychologique quelconque qui vous
sert de base, car la nature spécifique de ce fait est ici
indifférente, pourvu qu'il dépende de la liberté — si,
dis-je, la liberté intervient dans le fait qui sert de base
à votre argumentation pour prouver l'existence de
Dieu : que devient chez vous la morale? Sera obligé,
qui le voudra bien. Quant à trouver Dieu, l'Etre non
pas seulement subjectivement nécessaire, mais l'Être
objectivement nécessaire, en partant d'un tel fait, il n'y
faut pas songer : debiliorem scquilur 'parlent conclu-
sio. Tout au plus, déduirez-vous « la catégorie de l'idéal»,
esthétique, eudémonique, social, etc. Et la nature in-
trinsèque du concours ou du secours que vous mettez
à la clef, ne changera rien à la portée du résultat. Il
ne restera toujours qu'une vérité et qu'une certitude
subjectives à la fin de tous vos raisonnements. Mais,
s'il en est ainsi, que deviennent la connaissance et la
certitude rationnelles définies par le concile? Il faut
s'en souvenir; le mot cerlo fut très attaqué au concile.
Un amendement proposa de le supprimer, Acta, col. 224,
« comme superflu pour les catholiques, puisque con-
naître et connaître avec certitude sont équivalents, et
comme très utile aux rationalistes, » qui en profite-
i lient sans doute pour s'en tenir à la religion naturelle
de Wegscheider et de Jules Simon. Le concile, pour
éviter un abus possible, ne voulut pas sacrifier la vérité;
il préféra maintenir les droits de la raison et vota le
mot cerlo, dont celte discussion montre les consé-
quences et la portée.
Une autre cause de l'illusion des mêmes apologistes
est leur appréciation de la doctrine du concile relati-
vement à l'état de nature pure. Cf. Iiirot, dans les
Annales de philosop/iie chrétienne, t. eu, p. :#>; Fon-
segrive, dans le Correspondant, juin 1908, p. 1166. Il
est vrai, comme ils le disent, que le concile n'a pas
défini la possibilité de l'état de nature pure. Mais il est
absolument faux que les théologiens ne peuvent et ne
doivent rien déduire du concile relativement à cette »
possibilité, il est absolument faux que, relativement
au pouvoir spécial de connaître Dieu avec certitude par
la raison naturelle, les controverses antérieures au
concile soient restées en leur état. Acta, col. 1623 sq.
Le lecteur aura remarqué dans nos citations que
l'expression « état de nature pure » est revenue sou-
vent dans les discussions du concile. Cependant, le
concile n'a rien décidé sur ce sujet directement; il
s'en est tenu à ce qui se trouve dans l'Épitre aux Ro-
mains, entendue, non au sens luthérien, calviniste ou
janséniste, mais au sens de la tradition catholique.
Nous pourrions nous contenter ici de conclure :
comme les théologiens prouvent très bien que l'Écri-
ture ainsi entendue exige la déduction de la possibilité
de l'état de nature pure, la question est vidée. Mais,,
sans entrer dans ce très vaste sujet, bornons-nous au
point spécial qui nous occupe. Le concile a voulu défi-
nir qu'il y a, dans « l'homme en général », un pouvoir
physique de connaître Dieu par les lumières de la
raison naturelle; ce qui signifie que ce pouvoir est
un des constitutifs intrinsèques de l'homme, quelque
chose qui est de l'essence de l'homme ou qui en dé-
coule nécessairement, de telle sorte que, quoi qu'il en
soit des conditions de l'exercice de ce pouvoir, ce pou-
voir existe par le fait qu'un individu humain est donné.
Les anciens protestants et les jansénistes concédaient
que dans l'idée de l'homme se trouve un tel pouvoir;
mais ils ajoutaient que l'homme déchu l'a perdu et que-
l'homme relevé ne l'a que par la foi. Or, nous avons
vu que saint Paul, parlant de l'homme déchu et
relevé, c'est-à-dire de l'homme tel qu'il est de fait, de
« l'homme historique », affirme qu'il ace pouvoir; et,.
aussi bien dans saint Paul que dans le livre de la
Sagesse, le moyen objectif et le moyen subjectif assi-
gnés ne sont ni la révélation proprement dite, ni la
foi, mais le témoignage des créatures et la raison. La
conception protestante et janséniste des suites de la
chute et de la rédemption se trouve donc, sur ce point
spécial, condamnée.
Cependant, bien que saint Paul parle de « l'homme
historique », on peut légitimement et on doit affirmer
le même pouvoir de « l'homme en généra] ». Qu'est-ce.
en effet, que « l'homme en général »? Rien autre que
les principes constitutifs de l'homme et tout ce qui en
découle nécessairement, ce sans quoi on ne peut pas
penser l'homme et cette expression connote en même
temps qu'on fait abstraction des conditions particule
des individus de l'espèce humaine et qu'on doit cette
notion à l'observation de l'espèce humaine, telle qu'elle
nous est donnée dans l'expérience: en d'autres termes,
la base de cette idée abstraite est, non un être de raison,
mais l'homme historique. Mais, si l'homme en général
n'est pas autre chose que cela, il se trouve que saint
Paul, partant et parlant lui aussi de l'homme historique,
ne disant rien des conditions particulières des individus,
et affirmant d'une manière absolument universelle dans
l'homme historique l'existence d'un pouvoir subjectif
de connaître Dieu auquel correspond un moyen objectif,
les créatures, énonce une proposition sur l'animal rai-
sonnable, qui est l'homme en général, comme font tous
les jours les philosophes et aussi beaucoup de ceux.
869
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE;
870
qui ne le sont pas. Voilà ce qui se trouve dans saint
Paul et dans le concile du Vatican. Et, je le répète, ce
n'est pas la définition de la possibilité de l'état de
nature pure.
.Mais les théologiens peuvent et doivent déduire du
texte du concile plusieurs conséquences relativement
à cette possibilité. Laissons de côté ce qui touche à la
concupiscence, à l 'immortalité et au mal physique. On
sait que, depuis longtemps, les théologiens déduisaient
la possibilité de l'état de nature pure de la théorie
classique du surnaturel et, en second lieu, de la pos-
sibilité pour l'homme actuel, sans révélation, d'avoir
quelque vie morale et religieuse. L'argumentation
protestante et janséniste contre la possibilité de cet état
était au contraire principalement fondée sur une autre
notion du surnaturel et sur l'impossibilité de toute vie
morale et religieuse pour l'homme déchu, faute du
pouvoir de connaître Dieu avec certitude. Le raisonne-
ment des théologiens orthodoxes était le suivant.
L'homme tel qu'il nait aujourd'hui, outre les principes
constitutifs et consécutifs de sa nature, a le péché ori-
ginel, la privation de la grâce sanctifiante et de la fin
surnaturelle, la concupiscence, la mort et les misères
de la vie : toutes suites, qui sont maintenant des peines
du péché d'Adam ; enfin l'homme actuel a en naissant
la simple « carence » ou absence des dons surnaturels
ou préternaturels d'Adam. Or, Dieu n'a pas pu créer
l'homme soit avec le péché originel, soit avec les
peines du péché originel, mais très bien avec la simple
« carence » ou l'absence des dons gratuits histori-
quement conférés à Adam. Mais l'homme ainsi créé
serait précisément dans l'état de nature pure. Donc cet
état est possible. Comment prouvait-on que Dieu pou-
vait créer l'homme avec la simple absence des dons
conférés à Adam? Précisément, par la doctrine de la
gratuité des dons surnaturels dune part, et par la pos-
sibilité pour l'homme d'avoir, sans ces dons, quelque
vie morale et religieuse, c'est-à-dire parce que l'homme
avait dans sa nature intrinsèque le pouvoir de con-
naître Dieu avec certitude. D'où suivait la méthode
scolastique, attaquée par Bonnetty comme conduisant
mm rationalisme, au naturalisme et au panthéisme, mais
défendue par l'Église, Denzinger, n. 1508; d'après la-
iu> Ile méthode, dans l'état actuel de l'humanité— qui
est le même que celui de la nature pure, si on fait
abstraction du péché' originel et de ses suites qui sont
maintenant des i" ines — sont possibles uni' philoso-
phie objectiviste, une morale, une théodicée et même
une religion naturelles, insuffisante-, il est vrai, pour
le salut dans l'ordre de providence surnaturelle où la
boni' ei |cl miséricorde divines a voulu nous placer,
mai- objectivement valables, moralement utiles et
bonnes.
Or, qu'a fait le concile >\u Vatican? Il a f.iit sienne
l.i doctrine traditionnelle, celle de l'Ecole par consé-
quent, loui hanl le surnaturel, Denzinger, n. 1635; il ■>
défini li' pouvoir physique de l'homme ■< connattre
Dieu. Uni)., n. I6.'li. Par là, Ii protestants el
jansénistt deux points sont jugés. Donc, bien
que du concile on ne puisse pas d dune la possibilité
de l'étal de nature pure en bloc, parce que cette con-
ique i i théologiquemenl 1 1 i taine dép< ml
i ib plusieurs .miles questions dont le concile n ..
point parlé, cependant il esl faux de due que du eon-
c île rien ni -une -m cette possibilité. Les plu
diflli nid ..lues cl ce n ter la
"M autori • • .lue oncile que de les r< i hauffer. On
rit, comme si tout ce qu'ont Imagim sur
olestants, les jansi ailles, el m
'i ailleui ! .h iont< nable
srd'hui. Il faudrall pourtant te louvenii que
■ ni a la notion du surnaturel et turtoul relativt
m ni . c Ile du pouvoir de connaître Dieu .née .
tude par les lumières de la raison naturelle, l'état des
controverses n'est plus le même qu'il y a quarante ou
quatre cents ans.
Quand donc on nous dit que le concile n'a pas défini
la possibilité de l'état de nature pure, etque,par consé-
quent, le pouvoir physique de connaître Dieu avec cer-
titude ne gît pas dans les principes intrinsèques et
constitutifs de notre nature, l'on se trompe; car bien
que le concile n'ait pas décidé de toute la question de
l'état de nature pure, il a tranché précisément le point
que nous étudions. On nous oppose immédiatement les
rares théologiens molinistes qui ont admis le fait de
secours surnaturels donnés dans l'ordre de providence
actuel pour arriver à la connaissance de Dieu; et l'on
dit : puisque ceux-là ne sont pas condamnés, pourquoi
le serions-nous? comme eux, nous ne parlons que de
secours surnaturels, donnés en fait, et nous nous refu-
sons à les dire exigés, nécessaires. J'ai déjà répondu.
Je me résume.
Supposons qu'un de ces molinistes emploie toutes
les formules de la méthode d'immanence : dans l'ordre
où nous sommes, la connaissance de Dieu est due à
l'action d'une aide, qui est surnaturelle, et cela,
précisément en tant que cette aide est surnatu-
relle; cette aide est donc dans l'ordre actuel né-
cessaire, indispensable; nous connaissons Dieu grâce
au surnaturel exigeant. Sûrement le moliniste qui
parlerait ainsi serait attaqué et par les siens et par les
autres écoles — et avec raison. Mais, sur le point spé-
cial de l'accord avec le concile quant au pouvoir phy-
sique défini et quant à la distinction de l'ordre su i na-
turel (au sens du concile) et de l'ordre naturel, ce mo-
liniste hypothétique se disculperait par cette simple
remarque. Je ne mets pas en péril le pouvoir physique
de la raison, parce que j'admets que dans un autre
ordre, sans aucune aide surnaturelle, le m. nie homme
pourrait connaître Dieu par sa raison. Quand donc je
disque l'aide surnaturelle, précisément en tant qu'elle
est surnaturelle, est maintenant indispensable, néces-
saire, d'une part, je ne mets pas en question le pouvoir
physique de la raison, je ne parle que des conditions
de l'exercice de ce pouvoir dont le concile n'a rien dit;
d'autre part, je ne peux pas être acculé au surnaturel
i :, soit parce que je tiens fermement à la possibilité
de l'étal de nature pure, ou, par définition, 'il u'j aurait
point de surnaturel, soit pareeque, quant à la manifes-
tation de l'existence de Dieu, dans mon système, elle
ne dépend pas précisément de la surnaturalité du
secours. En eiïel, si j'admets dans cet ordre la néces-
■ hypothesi) d'un secours qui est surnaturel, el
si je dis que ce secours nous aide de fait à connaître
Dieu précisé nt en tant qu'il est surnaturel, remar-
quez que j'admets que, dans l'état de nature pure, ..
secours serait remplacé par un autre, non surnaturel,
qui amènerait l'homme exactement A la même connais-
sance. La Burnaturalité du secours n'est dune pas préci-
sément ce qui nous amène i connaître Dieu. Tout cela
serait compliqué'; mais enfin, pour un théologien, c'est
intelligible. Un bannézien, qui se placer,, il .fins h 'nie
hypothèse, emploierait pour répondre une terminolo-
gie diffi rente, mais le fond de >a > épon e et le pi ■
employé reviendraient au même \ l'issue, il esl vrai,
li bannézien aurait du pouvoir physique naturel affirmi
un concept qui serait moins fort que celui du moliniste,
.. cause de la différence qui existe dans les deux 1 1
». des pouvoirs finis, des <
deux écoles aboutiraient, dans l'hypotl
introduite, i un pouvoir physique naturel, constitutif,
iliel i l'homme dans loul état. Cf. Desjardins,
ttr l'ordre rurnaturel, dans la Revue dei
iquea, 1872, t. \w. p, 188, 348; Salmantlcen
diap KX, dub. I, § 3, n. i't sq < .
point ' ir lerest< de l'hypotl
87]
DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)
872
Que ilisent les auteurs dont nous discutons la posi-
tion'.' Excluant la possibilité de la nature pure, ils ne
peuvent pas expliquer, comme le moliniste et le ban-
nézien hypothétiques dont je viens de parler, comment
ils gardent le pouvoir physique rationnel défini par le
concile. Concédant, d'une part, la thèse kantiste et
positiviste de l'impuissance de la raison à connaître
Dieu, et soutenant, d'autre part, que nous le connaissons
à l'aide du surnaturel intrinsèque, ils font dépendre
cette connaissance précisément de l'aide surnaturelle
en tant que surnaturelle; et cette formule, dans leur
hypothèse, met en question la réalité du pouvoir phy-
sique rationnel délini par le concile, puisque leurs
concessions aux résultats acquis (?) du kantisme et du
positivisme ne signifient pas autre chose que la négation,
ou la non considération, de ce pouvoir. C'est donc chez
eux la sumaturalité même du secours qui précisément
manifeste l'existence de Dieu : cela, ils ne le nient pas,
puisqu'ils parlent du consors divinœ naturse et con-
cluent à la possession de Dieu, fin surnaturelle. D'où il
suit que, chez eux, le surnaturel est exigé, et non pas
seulement exigeant. Il est exigé, debitum, parce que
l'homme sans obligation morale, sans (in, est inconce-
vable; mais la morale et la fin exigent la connaissance
certaine de Dieu ; or tout le système est construit sur
l'hypothèse que, dans l'ordre actuel, seule la sumatu-
ralité du secours manifeste Dieu. Le secours surnaturel
est donc exigé dans l'ordre actuel, et par conséquent la
révélation et tout le reste. Mais le concile a délini que
tout l'ordre surnaturel est gratuit, n'est pas absolument
nécessaire, même pour l'état actuel de l'humanité, .le
ne vois donc pas comment, malgré l'affirmation des dits
apologistes que leur système n'admet pas le surnaturel
exigé et par suite n'entraîne aucune confusion de l'ordre
naturel et de l'ordre surnaturel, ils évitent ces consé-
quences. Me déliant ici de ma mentalité moliniste, je
me mets un instant dans l'hypothèse bannézienne, ou
dans le scotisme, et je vois bien qu'il y faut juger
comme dans l'hypothèse moliniste. Comme, d'autre
part, les néo-thomistes ont réclamé contre la méthode
d'immanence, et la repoussent presque tous; bien que
je ne puisse pas juger de leurs raisons, parce qu'ils
n'ont pas encore eu le temps ou le génie de produire
sur l'ensemble de la théologie des travaux exhaustifs,
analogues à ceux que nous ont laissés les scotistes, les
bannéziens ou les molinistes; je pense que, même dans
ces systèmes récents, malgré des hésitations constatées
çà et là et des concessions malheureuses, on arriverait
aux mêmes conclusions que celles des molinistes et
des bannéziens. D'où je conclus que Mo1' Turinaz a eu
raison de dire que les nouvelles méthodes sont inconci-
liables avec le Vatican; en tout cas, si elles sont conci-
liables, je ne le vois pas; et les réponses faites jusqu'à
ce jour ne le montrent pas quant au point spécial dont
il est ici exclusivement question, celui du pouvoir phy-
sique de connaître Dieu par les lumières naturelles de
la raison. Sans rien connaître ni directement ni indi-
rectement des secrets des Congrégations romaines, je
m'explique donc très bien la mise à l'Index des Essais
de M. Laberthonnière.
Pour l'interprétation du concile sont à étudier d'abord les Acta
concilii Vaticani, dans la Collectif) Lacensis, t. vu. La partie
olïicielle de cette publication s'étend jusqu'à la col. 500 du vo-
lume. C'est surtout là que nous avons puisé. Les références à ce
qui suit cette colonne se rapportent aux travaux préparatoires
des théologiens et aux études de la commission conciliaire.
Ktisuite sont à consulter : Granderath, Constitutiones dogtna-
tiese sacrosancti œcumen. concilii Vaticani, Fribourg-en-Rris-
gau, 1892, p. 32, 77, 97; Vacant, Études thcologiques sur les
constitutions du concile, du Vatican, 2 in-8°, Paris, 1895, t. i.
p. 282-305, et passim. Nous devons beaucoup a ces Jcm auteurs;
el souvent nous n'avons fait qu'appliquer leurs principes à des
problèmes qui n'étaient pas soulevés de leur temps parmi les
' atholiques. Les théologiens qui ont écrit après Je concile sont
ment à consulter, surtout Franzelin, lie Deo uno et De
traditiune. Appendix. Voir la bibliographie de la section suivante.
XII. Justification f.t sources de i.a doctrine. — La
méthode que nous avons suivie pour exposer le sens pré-
cis de la définition conciliaire, et qui a consisté à dé-
terminer ce sens à l'aide des arguments sur lesquels le
concile s'est appuyé, nous dispense d'entrer ici dans de
longues études scripturaires et patristiques. Tout ce
que nous pouvions faire dans un sujet qui touche à
tant de points, c'était d'orienter le lecteur à travers ce
fouillis de faits et de doctrines, qui encombrent aujour-
d'hui, comme a dit M. Piat, les abords de l'idée de Dieu.
Les détails trouveront place dans les différents articles
de ce dictionnaire, spécialement en ce qui concerne
la doctrine des Pères. Esquisser cetle question nous a
paru inutile; car elle est elle-même, si on veut la traiter
scientifiquement, très complexe. Mieux vaut ne rien
dire sur un pareil sujet que de paraître écourlé et de
rester insuffisant. Nous préférons nous borner à quel-
ques références utiles.
1° Ecriture. — Les commentaires de Corneille de la Pierre
sur Sap., xiii, et Rom., i, sont à lire ainsi que le commentaire
de saint Thomas sur l'Épitre aux Romains. Pour le livre de la
Sagesse, Lorin, Comment, in Sapientiam, Lyon, 1607; dom
Calmet ajoute à son commentaire du même livre une intéressante
étude sur l'origine de l'idolâtrie ; C. L. Grimm, Das Buch
der Weislieit, dans Kurzgefasstes exegetisches Handbuch zu
den Apocnjphen des A. T., Leipzig, 1860; C. Gutberlet, Das
Buch der Weislieit ïtbersetzt und erklàrt, Munster, 1874. Sur
Rom., i, 19 sq., les meilleurs théologiens renvoient à Tolet,
Commentarii et annotât, in Epist. B. Pauli ad Romanos,
Rome, 1602; Cornely, Epist. ad Rom., dans le Cursus Serip-
turse sacrse, Paris, 18?6; VVieser, Pauli Apostoli doctrina de
justificatione, Trente, 1874; Prat, La théologie de saint Paul,
Paris, 1908; Schaefer, Erklàrung des Briefes an die Rômer,
Munster, 1891 ; Quirmbacb, Die Lehre des lil. Paulus von der
naturlichen Gotteserkenntniss und dem natûrlichem Sitten-
gesetz, Fribourg, dans Strassburg. theolog. Studien, t. vu.
Parmi les travaux protestants citons Sanday. A critical and
exeg. commentary on the Epistle to the Romans, 4* édit.,
Edimbourg. 1900, p. 43, et comparaison avec Sap., xm, p. 53
sq. ; Rogge, Die Anschauungen des Ap. Paulus von dem
religids-sittlichen Character des Heidenthums, 1888 ; Klopper,
Die durch naturliche Offenbarung vermitlelle Gotteser-
kenntniss der Heiden bei Paulus, Rom., i, 18 sq., dans Zeil-
schrift fur iviss. Théologie, 1904, p. 169. Ceux qui ne pourront
pas aborder ces commentaires et travaux trouveront l'essen-
tiel dans Corluy, Spicilegium, t. i, p. 75-96, et dans les premiè-
res thèses du De Deo uno de Franzelin.
2* Patristique. — Petau et Thomassin ont recueilli beaucoup
de textes. A mesure que les discussions sont nées ou se sont
renouvelées sur le sens des textes, les théologiens en ont repris
l'étude; le mouvement traditionaliste et l'ontologisme ont occa-
sionné de bons travaux. Consulter spécialement Heinrich, Dog-
matische Théologie, 2' édit., Mayence, 1883, qui est très riche
au t. i et m; Kleutgen, Théologie der Vorzeit, t. il; Stentrup.
Prxlect. dogmat. de Deo uno, Inspruck, 1879, explique surtout
les textes cités par le D' Kuhn. L'Histoire de la philosophie
de Stôckl et aussi son Lehrbuch der Geschichte der Philoso-
phie, Mayence, 1875, indiquent nettement les positions des Pères
en face des erreurs sur la connaissance de Dieu. Il en faut dire
autant de la Dugmengeschichte de Schwane, 2' édit., Fribourg,
1892, 1895, t. i, n; trad. franc. , 2' édit., Paris, 1903, t. i, il.
L'opuscule de Cari van l'.ndert. Der Gottesbewris m der po-
tristischen Zeit mil beaond. Beriiksicht. Augustins, Fribourg,
1869, est encore utile et souvent employé. Le Itr Deo uno de
Franzelin et le t. il de la Dogmatique de Scheeben donneront
une vue synthétique des résultats acquis. Le t. I de l'excellent
Lehrbuch der Dogmatik de Pohle, Paderborn, 1902, dont la
traduction en français serait très utile, donne la bibliographie
des principales monographies récentes à consulter.
Conclusion. — Pour faciliter au lecteur une vue
synthétique du sujet, indiquons la place que le dogme
délini au concile du Vatican occupe dans la théologie
catholique, et aussi quelle situation il nous fait au
point de vue philosophique. La doctrine que nous avons
exposée occupe une place importante dans la théologie
systématique catholique. Car I" elle consacre la distinc-
873
DIEU (SON EXISTENCE
874
tion des deux ordres de vérités religieuses et morales,
celles auxquelles la raison et la conscience peuvent
parvenir par leur fonctionnement naturel, et celles que
nous ne connaissons que par la révélation, Denzinger,
n. 16i.'5; et l'on sait que, s'il s'agit des préliminaires
de la foi, sans cette distinction aucune apologétique
rationnelle n'est possible. 2° Si l'on n'admet pas la
doctrine délinie sur la cognoscibilité de Dieu, on est
forcé, ou bien de nier la possibilité de l'état de nature
pure, ou de dire que dans l'ordre présent la révéla-
tion est absolument nécessaire, ou de soutenir que
le péché originel, non seulement — ce qui est de foi
— nous a fait déchoir de l'état historique d'Adam, mais
a corrompu dans leur fond nos puissances naturelles,
les constitutifs de l'homme. Or, la première conséquence
est contre tous les théologiens de l'École, qui enseignent,
comme théologiquement certaine, la possibilité de l'état
de nature pure ; il s'ensuit d'ailleurs cette absurdité que
l'homme n'est pas nécessairement dirigea Dieu comme
à sa fin et qu'il est incapable, tel qu'il est, de loi et de
religion naturelles. La seconde conséquence est contre
le concile : non absolute nccessaria (licencia est reve-
latio. Denzinger, n. 1635. Elle suit d'ailleurs de la
première, car l'homme, sans destination à Dieu comme
à sa fin, sans loi et sans religion naturelles, est une
monstruosité que Dieu ne peut pas faire. Donc, la ré-
vélation devient nécessaire, exigée, débita, c'est-à-dire
naturelle. L'adversaire a une échappatoire : Je ne sou-
tiens pas en thèse que la révélation est débita, mais
seulement dans l'hypothèse de la chute. On lui répond
en lui faisant remarquer qu'alors il admet la troisième
conséquence, c'est-à-dire la ruine de nos constitutifs
naturels par le péché d'Adam. En effet, si l'homme
déchu est incapable de connaître Dieu, c'est que sa
tendance nécessaire, naturelle, à Dieu comme (in, sa
capacité de loi et de religion naturelles sont détruites;
c'est que le péché originel a totalement corrompu les
éléments de notre nature philosophique et éteint notre
libre arbitre, ce qui a été condamné chez les premiers
protestants par le concile de Trente. Cf. Piccirelli, De
Deo uno et (rino, Naples, 1902, n. 38, p. 42. Cet aperçu
montre la cohérence de la doctrine théologique.
Muant à la philosophie, nous avons vu que le concile
n'a pas exclu l'argumenl de saint Anselme, c'est-à-dire
tout le mode de philosopher qui se rattache ordinaire-
ment à Platon et aux Pères platonisants. Ce fait seul
réduit anéanties accusations de « thomisme » outré et
de médiévalisme g absurde que le Programma des
modernistes italiens et M. Tyrrell adressent à l'Église,
dont ils n'écoutent plus la voix. Les faits sont les faits.
En réalité, toutes les philosophies qui admettent que
l'homme a le pouvoir de connaître les principes de
causalité, efficiente el finale, el de raison suffisante, et
que ces principes oui une valeur universelle, comme
le principe de contradiction, admettent h' minimum
saire pour que l'homme puisse par le moyen des
créatures h par les lumières naturelle de sa raison
l'élever à la connaissance certaine de Dieu. Ne peuvent
donc avoir des difficultés contre le dogme que nous
n- d'exposer, que les philosophies qui, ou bien
d'une façon générale rejettent la valeur objective uni-
Ile de in n- les principes de la raison, ou bien
rejettent les principes de causalité el «h- raison sufli-
Dii leur emploi hors de l'ordre phénoménal. D'où
il vu it qui- le dogme défini nous met philosophiquement
- bonm posture La métaphysique scolaslique,
qus i re ordinaire nous recommande, el qui
niiii' .i la < ..nii.il- .m. • di - ubstam e
itions objectives el des formi
. ul d'ailleui iculs
principes i nseignom donc une philosophie sagement
obji i m me celle de l'I coli i I -i noui
i m n n
l'encyclique vient de le rappeler à tous avec autorité —
qu'en fin de compte notre néophyte doit aboutir à une
dogmatique et par suite à une philosophie objectivistes.
Sans doute, comme le fait remarquer saint Thomas,
Sum. t/teol., Ia, q. i, a. 8, on ne peut discuter avec
quelqu'un qu'en se mettant d'accord avec lui sur quelques
principes, el par conséquent en se plaçant ad hominem
à son point de vue. Mais il est certaines concessions
qu'on ne peut pas faire, puisque les accorder, c'est
s'enlever tout moyen de conclure. Dans ce cas, saint
Thomas nous dit encore ce qu'il reste à faire et ce qui
est utile : Si l'adversaire ne concède aucun des prin-
cipes nécessaires pour aboutir à la conclusion que l'on
a en vue, on ne peut pas discuter avec lui, si autem
nihil concedit, non polest cum eo disputari. Les kan-
tistes et les positivistes sont-ils donc à abandonner?
Non, car nous pouvons dans nos principes, et souvent
dans les leurs, résoudre leurs difficultés el leur faire
comprendre qu'elles ne sont que la duperie de leur
imagination, le résultat d'un manque de méthode, le
fruit d'un abus de la réllexion philosophique : potest
tamen solvere rationes ipsius. C'est plus utile et moins
dangereux que de construire de soi-disant nouveaux
systèmes. M. CiiOSSAT.
II. DIEU (SON EXISTENCE). — I. Déinonstrabililé de
l'existence de Dieu : 1° dans la connaissance spontanée;
2° dans la connaissance rélléchie ou scientifique.
II. Exposé sommaire des preuves classiques.
I. DÉMONSTRABILITÉ DE L'EXISTENCE DSDlEU. — Buon-
pensiere, Commentaria in lam parlent Summse theolo-
gicse, Rome, 1902, p. 110, et de San, Tractatus de Deo
uno, Louvain, 1894, t. i, p. (55, n. 34, affirment que la
démonslrabilité de l'existence de Dieu est une vérité
de foi, définie par le concile du Vatican. Mais l'ensemble
des théologiens n'admet pas cette conclusion, qui est
d'ailleurs démentie par les actes du concile. Le concile,
en effet, parlant du vrai Dieu, distinct du monde, per-
sonnel et provident, a seulement défini que l'existence
de Dieu peut être connue avec certitude par les lumières
naturelles de la raison; mais, bien qu'il ait assigne
comme moyen objectif de connaître Dieu, les créatures,
per ea qusefacla sunt, el par conséquent admis en ce
sens une connaissance médiate de Dieu, il n'a pas
spécifié que l'idée de Dieu soit le résultat d'une infé-
rence médiate ou immédiate, ou que la certitude
rationnelle de l'existence de Dieu dépende d'un syllo-
gisme. Voir col. 8i(>. Cependant la doctrine commune
de l'Eglise est que l'existence de Dieu esl démontrable.
Pour exposer avec clarté' cette doctrine, distinguons la
connaissance spontanée, commune, de Dieu et la con-
naissance réfléchie ou scientifique. La première a pour
caractères d'être très facile, de précéder la réflexion
et, en ce sens, on l'appelle souvent immédiate; la
ide esl plus difficile, el ne s'obtient que par une
recherche volontaire et méthodique : ce qui lui fait
souvent donner le nom de médiate. Dans l'une et dans
l'autre de ces connaissances, il \ ■< bien des degrés,
qu'il ne faut pas confondre, -i l • > 1 1 m ni parler avec
quelque précision.
/. de i..\ cor ftAiss t vcb spoa i wi r m DIEU. L'étude
de la connaissance spontanée de Dieu a de m"- i
rande importance ;car beaucoup d'auteurs, tenant
pour acquise la critique kantienne de- preuves «le
l'existence île Dieu, n. - ipenl plus que .le la con
naissance naturelle 'le Dieu qu'implique l'universalité
du fait religieux. Ces études ■-uni commandées par des
cupations très variées, les uns prétendant lé|
mer le scepticii religieui ou l'athéisme, d'autres
voulant il tir ■< l'unité des religions, etc., d'autres
enfin cherchant de bonne foi un moyen de connaître
Pieu san- infèrent i i tusale, Au milieu d< ce> di bats
utile d'indlqui i .1'- l'I cole el I
87Ô
DIEU (SON EXISTENCE)
870
fondements. Car il faut ici marcher entre deux écueils.
Depuis que Descartes a misa la mode les idées claires,
un très grand nomhre d'auteurs admettent que nous
n'avons pas d'idée réelle de Dieu à moins qu'explici-
tement nous ne saisissions la note d'infini té. Cf. Janet,
Principes de métaphysique, Paris, 1897, t. ri, p. 8(i;
Desbuts, Annales de philosophie chrétienne, juin 11)08,
p. 258. De là, les préjugés très répandus contre l'uni-
versalité de la connaissance de Dieu, contre ladémons-
trabilité de cette existence; dé> là aussi, les essais très
nombreux de se passer des preuves rationnelles de
l'existence de Dieu : le traditionalisme, l'intuitionisme,
le sentimentalisme ont dû une grande partie de leurs
succès à cette préoccupation. A l'opposé du cartésia-
nisme, nous rencontrons l'agnosticisme moderne.
L'universalité du fait religieux s'est imposée aux
esprits, et la critique de la connaissance a ruiné
l'intellectualisme outré des idées claires cartésiennes :
idea clara, dit la Philosophie de Lyon, ea est quee
objeclum sunm ila représentât ut quid et quale sit
bene intelligatur. Philosophia Lugdunensis, Lyon,
1807, t. I, p. 31. On s'est enfin aperçu que nous pou-
vons désigner Dieu par des dénominations extrinsèques :
ce dont convient toute l'École. Mais, sous l'influence
du nominalisme, empiriste ou idéaliste, on a avec
Hobbes, Pascal, Locke, Kant et Spencer limité notre
pouvoir de connaître Dieu à ce mode de connaissance.
Il en est résulté la théorie de « l'unité des religions
sous la diversité des théologies, » chère d'abord aux
protestants libéraux, T. Parker, Discourse of mallers
pertaining lo religion, 18i6, p. 14, puis aux positi-
vistes et aux historiens des religions, Spencer, Principes
de sociologie, 1876-1882; Frazer, Golden Bougli, Londres,
1890; Salomon Reinach, Cultes, mythes et religions,
Paris, 1906; Chantepie de la Saussa je, Manuel d'histoire
des religions, trad. Hubert et Lévy, Paris, 1904 ; Morris
Jastrow, The study of religion, Londres, 1901 ; enfin
aux positivistes orthodoxes, comme F. Harrison, The
plûlosopliy of common sensé, Londres, 1907; et aux
modernistes. Cf. Tyrrell, Through Scylla and Clta-
rybdis, Londres, 1907, p. 272 sq. VoirMackintosh, Chris-
tian thcology and comparative religion, dans YExposi-
tor, septembre 1907; Toutain, Éludes de mythologie,
Paris, 1909; G. Foucart, La métlwdc comparative dans
l'histoire des religions, Paris, 1909. La vérité se trouve
entre ces deux extrêmes. On peut avoir l'idée valable du
vrai Dieu sans avoir l'idée claire de l'infini, que se
donnent les cartésiens; la connaissance spontanée de
Dieu va plus loin qu'une simple désignation de Dieu
par de pures dénominations extrinsèques.
Comme, depuis Descartes, beaucoup de termes dont
nous avons ici besoin ont changé de sens, il est néces-
saire de rappeler la terminologie de l'École. On y oppose
l'idée claire à l'idée obscure. On définit l'idée claire,
celle qui distingue son objet de tout autre objet, l'idée
obscure, celle qui ne le dislingue pas ainsi. L'idée claire
est ou bien confuse, ou bien distincte. L'idée claire est
dite confuse, si l'objet y est distingué de tout autre
par des dénominations extrinsèques, sans que l'esprit
porte de jugement déterminé sur la nature intime de
l'objet; cela peut se faire de deux façons, suivant que
la nature intime de l'objet échappe totalement à l'esprit
(pures dénominations extrinsèques), ou suivant que
l'esprit atteint quelques notes ou propriétés caracté-
ristiques intrinsèques de l'objet, mais sans les dis-
tinguer expressément (connaissance implicite, interpré-
tative, virtuelle, etc.). Enfin l'idée claire est dite dis-
tincte, expresse, explicite, si elle atteint d'une façon
nette la nature intrinsèque de l'objet. Plus on atteint,
mieux on distingue les notes de l'objet, plus la connais-
sance est parfaite, bien que, s'il s'agit de Dieu, la
connaissance la plus parfaite soit celle qui se rapproche
davantage de la divine simplicité. Nous emploierons
cette terminologie classique, parce qu'elle est plus pré-
cise et beaucoup plus psychologique que le langage
d'origine cartésienne.
1° Universalité de la connaissance spontanée de Dieu.
— Les Pères ont beaucoup insisté sur la connaissance
spontanée, naturelle, commune à tous les hommes,
même aux païens. Cf. Tertullien, Adversus Marcionem,
c. x, xm, P. L., t. il, col-. 257, 260; De teslimonio
animas, 1. 1, col. 609 sq. ; Apologeticus, c. xvn, col. :
voir Xourry, ibid., col. 804; S. Irénée, Cont. hser.,
1. II, c. «, P. G., t. vu, col. 724; S. Cyprien. De ido-
lorum vanilate, n. 9, P. L., t. IV, col. 577 ; Clément
d'Alexandrie, Cohortatio ad génies, c. vi-ix. P. G.,
t. vin, col. 174; Strom., Y, c. XIH sq., ibid., t. ix,
col. 127 ; S. Augustin, In Joa., P. L., t. xxxv, col. 1910;
S. Cyrille d'Alexandrie, Contra Julianum, 1. Il, P. G.,
t. lxxvi, col. 580; S. .lérôme, Comment. inEpist. ad
Gai., 1. I, c. i, 15. P. L., t. xxvi, col. 326; Cornn,,
in Epist. ad TH., c. I, 10, ibid., col. 570. On sait que
l'auteur du De vocatione gentium met en relief cette
connaissance spontanée de Dieu, comme premier
moyen de salut donné par la bonté divine à tous les
hommes. Saint François-Xavier eut recours à la même
pensée lorsque, pour répondre aux Japonais qui lui
objectaient qu'un Dieu bon ne les eût pas laissés tant
de siècles sans moyen de salut, il leur répondit qu'ils
l'avaient toujours connu par la loi morale. Lettres de
saint François-Xavier, trad. Pages, Paris, 1855, t. Il,
p. 225, lettre de Cochin, 29 janvier 1552. Bossuet n'a
donc fait que résumer l'enseignement traditionnel,
lorsqu'il a parlé de l'étincelle du feu céleste qui brille
dans nos âmes, du secret instinct qui élève nos yeux
au ciel vers l'arbitre des choses humaines dans toutes
les nécessités de la vie : « c'est une adoration que les
païens même rendent, sans y penser, au vrai Dieu;
c'est le christianisme de la nature ou, comme l'appelle
Tertullien, le témoignage de l'âme naturellement chré-
tienne. » Premier sermon pour la Circoncision, édit.
Lebarq, Lille, 1890, t. i, p. 251 sq.
L'École, avant et après Bossuet, est restée fidèle à la
tradition sur le fait de l'universalité de la connaissance
de l'existence de Dieu, mais sans nier, comme les carté-
siens, toute possibilité de l'athéisme négatif, et sans
prétendre que tous les hommes ont l'idée claire de l'in-
fini. Cf. Hontheim, Inslitutiones theodiceœ, Fribourg-
en-Brisgau, 1893, n. 615; Bœdder, Theologia naturalis,
ibid., 1895, n. 147; Kleutgen, Philosophie scolastique,
n. 225-232, 432 sq., 929; Dublin review, 1S69, t. n.
Explicit and implicit thought, p. 421-442; 1871, t. i.
Certitude in rcligious assenl, p. 253-275, à propos de
la Grammar of assent de Newman.
2° Connaissance spontanée et obscure de Dieu. —
Tous les anciens scolasliques, disent les savants com-
mentateurs desaint Bonaventure. Quaracchi, 1882, t. i.
p. 156, tiennent que l'existence de Dieu nous est i>er
se nota, s'il s'agit d'une connaissance obscure : non
sub ratione propria, sed communi. nempe cutis,
unius, veri, boni, beatiludinis, etc. Laissons de côté
les nombreuses controverses verbales sur l'expression
perse nota; elle signifie que la vérité delà proposition
dont il s'agit apparait évidente, dos qu'on en comprend
les termes. Par exemple, le tout est plus grand que «a
partie, est une proposition per se >wla, parce que. les
termes saisis, l'esprit perçoit nécessairement, sans
réflexion ultérieure, et sans aucun discours, la vérité
de la proposition. Cf. Jean de Saint-Thomas, Cursus théo-
logiens, In /■"", dis]). III, q. n, a. I ; Frassen. Seotut aca-
demicus, Home. 1900. p. 108. Voici comment Alexandre
de llalés explique la connaissance obscure de Dieu :
Cognitio alicujus potest esse duobus modis, in
ratione communi et in ratione propria. Potesl
igitur aliquid cognosci in ratione communi, et ta-
mi'ii ignorarisub ratione propria, sicut cum aliquis
«77
DIEU (SON EXISTENCE'
878
■cognoscit mel sub ratio ne communi, videlicet quod
est corpus molle, rubeum, ignorât autem sub ra-
tione propria; et ideo cuni videt fel esse corpus
molle, rubeum, deceptus crédit ipsum esse mel. Simi-
liler cognilio beatitudinis et appetitus ipsius nobis
innalus est ralione communi, quod est status omnium
bonorum aggregatione perfectus; tamen in ralione
propria ab aliquibus ignoralur... Similiter dicendum
quodidololatrœ Deum in ralione communi non igno-
rant, quod est ens, principium... tamen sub ratione
propria ignorant. Summa, part. I, q. m, m. u,ad 3am.
Albert le Grand a repris la comparaison du miel et du
fiel d'Alexandre. Summa, part. I, tr. III, q. xix, m. H,
édit. Vives, t. xxxi, p. 128. Saint Conaventure enseigne
expressément que l'idée de l'unité de Dieu est connue
de tous comme les premiers principes d'une façon
implicite. De mysterio Trinitatis, q. il, a. 1, Quaracchi,
t. v, p. 61; cf. llinerarium mentis in Deum, c. v,
ibid., p. 309. Saint Thomas n'est pas moins affirma-
tif : nos facultés sont ordonnées à Dieu, et le prin-
cipe est général : omnia cognosccnlia cognoscunt im-
plicite Deum in quolibet cognilo, De vcritate, q. XXII,
a. 2, ad l,lra; car rien n'est connaissable sinon par
ressemblance avec la première vérité. On reconnaît
l'influence du célèbre passage de saint Augustin sur la
première vérité. De Trinilate, 1. VIII, c. n sq., P. L.,
t. XLII, col. 9i8. Voir Duns Scot, In IV Sent., 1. I,
dist. III. q. ni, n. 26; Lodigerius, Disput. theolog.,
Home, 1698, t. i, p. 67. C'est surtout à propos de la
volonté, de nos appétits naturels et de nos actes libres
que les scolastiques ont parlé de cette connaissance
obscure de Dieu, naturelle à tous. Saint Thomas y
revient souvent. L'homme veut nécessairement sa béa-
titude. Sum. theol., I", q. i.xxxii, a. 1 ; Ia II*, q. v, a. 8;
q. x, a. 1, 2; De malo, q. ni, a. 3. Cf. Suarez, Disp.
metaphys., disp. XIX, sect. vin, n. 8. Or, l'objet de
cette béatitude, l'idéal du bonheur que nous nous for-
mons, n'est autre que Dieu obscurément conçu. Sum.
theol., I», q. n, a. I, ad 1um et 3"m ; Contra génies, l.I,
c. Kl, ad i ■""; l. III, c. XXXVIII ; De vcritate, q. XXII,
a. 2 ; //i / V Sent., I. I, dist. III, q. I, a. 2. De nouveau,
on reconnaît l'inlluence de sainl Augustin, de Denys
et des néoplatoniciens. Cf. Rousselot, Pour l'/iistoire
du problème de l'amour au moyen âge, Munster;
1908, dans Beitrâge de Baeumker, t. vi, p. 32, et pas"
sini. Bien plus, Scol ne craini pas de dire : Cognot-
■ quodeumque eus, ut /<<»' ent est, indistinctis-
Deu h, i V Sent., 1. I. disp. III, q. n,
n. 3. Henri de Gand, Summa, a. 24, a même prétendu
que la première notion de l'être que i sacquerons
l'être divin. Les ontol >nt, mais à
tort, attribué cette opinion d'Henri de Gand à saint
Bonavi nture < I 0) ra, Quaracchi, t. v, p. 313; t. i.
p. Tu. -' liolion in I. I, dist. III. p. i. q. i. Ludovicus a
iplanio, Sei aphu ■ . Home. 1874;
h79. Voir S. Bonaventure, /« IV Sent., 1. II, dist. III,
p. II. a. "2, q. il. ad 2""' sq.; dist. XXIII. a. 2, q. III,
■ ■n l.i retrouve pi ut-étre ch< / Richard, rmn i
llgimut ens in commut ndendo ad eus
Uum, inlelligimus /v<<.
t$ima, In I V Sent., I. I, dist. III, q, m ;
remeni chez les néoplatoniciens de la renaissance.
m. Theologise plalonicœ, I. XII, c. vu.
l< non i i ipte 'le cette opinion
d'Henri de Gand qui la critique de -'-,,i avail ébranlée,
/" tV Sent., i i, dist. Ml. q. n. m. et que Suarei a
ru in melaphyê., disp. II. sect. u. n. 8;
NW Ml. -• i I m. n. 17. il reste que l<
i.e n \n que pu
naturel, iponl iné • l , ,i, ,,„.,,
notre bon/on intellectuel el
quelque idée de Dit n l n ologlquei
■
cières, ou si l'on veut de nos besoins intellectuels et
eudémoniques, surgit un idéal d'être, d'unité, de vrai
et de bien, qui n'est pas encore déterminément Dieu
lui-même, mais qui nous oriente vers lui; cet idéal,
d'après saint Thomas, s'inspirant de Boèce, De veri-
tate, q. x, a. 12, ad 3um, n'est autre chose qu'une simi-
litude de Dieu. Notre esprit la forme malgré lui et se
refuse à la traiter de vaine, comme le montrent les
dires des athées qui croient encore à « la catégorie de
l'idéal » ou de « la justice immanente des choses ». Ne
désignant Dieu qu'en fonction de nos tendances subjec-
tives les plus générales, cette connaissance ne l'exprime
que par de pures périphrases et par des dénominations
extrinsèques, comme saint Paul décrit les biens célestes :
nec oculus vidit, nec auris audivit, nec in cor homi-
nis ascendit. D'où il suit que cette connaissance reste
obscure, c'est-à-dire ne parvient pas, si l'on ne va pas
plus loin, à une idée précise qui distingue Dieu du
reste des êtres. Elle n'exclut donc pas, par elle-même,
le monisme, le panthéisme, le po ythéisme, etc.; et,
de soi, elle ne nous apprend rien de Dieu considéré
en lui-même, non pas même sous un concept qui le
désigne exclusivement, son existence. Survienne l'idée
claire, confuse ou distincte, de Dieu, par laquelle nous
concevons la divinité comme excedens sua causata,
non lalis qualis ejfectus, S. Thomas, De anima, q. Il,
a. 16; Sum. theol., I«, q. XII, a. 12; cet idéal nous ser-
vira beaucoup pour passer par jugements catégoriques
à l'exclusion de ce qui ne convient pas à Dieu; cette
similitude nous aidera à porter des affirmations nettes
et de plus en plus précises sur l'original. Cf. Wieser.
Die natùrliche Goliescrkenlniss, dans Zeitschrift fur
kalholische Théologie, Inspruck, 1879, p. 7 18 sq.
Un exemple fera comprendre combien il est impor-
tant de ne pas concéder que toute notre connaissance
naturelle de Dieu se réduit à l'idée obscure dont nous
parlons. D'après le positiviste orthodoxe Harrison.
l'amour, le respect, le dévouement, le culte et l'abné-
gation sont aussi essentiels à l'animal humain que le
protoplasme ou l'appareil digestif. Dans toutes les
croyances que l'on nomme religions, dit-il, il y a un
élément commun. « Cet élément commun est : 1. la
croyance à quelque pouvoir considère comme plus
grand que l'individu ou la communauté, comme capa-
ble de faire du bien ou du mal et comme s'intéressanl
aux actes de l'individu et de la communauté ; -. un sen-
timent de respect, ou d'amour el de gratitude, pour ce
pouvoir, non sans quelque manière de manifester ce
sentiment; 3. certaines pratiques, ou ligne el règle de
conduite et de vie. que l'on pense être agréables à ce
pouvoir et capables d'assurer sa faveur. » Les descrip-
tions analogue s du fait religieux sont aujourd'hui très
fréquentes chez les écrivains qui s'occupent de religions
comparées. Elles peuvent rendre trois sens fort diffi -
renls. Si l'on accorde quelque valeur objective aux
représentations qu'impliquent les termes % pouvoir,
intérêt, faveur » que l'on y rencontre, elles expriment
I idi e distincte de Dieu. Si l'on met l'accent sur la
'lité du pouvoir dont on parle et sur la valeur
morale des pratiques employées pour lui i '" agréable,
elles expriment l'idée confuse de Dieu, telle qui
l'ont reconnu.' nui jhei les pâli ns. Mais pln-
gieurs des historiens des religions el M. Harrison les
entendent dan un en absolument relatif, de ('.non a
rdani l'indétermination absolue l'objet religieux,
m par nos états sul
formules eipriment la connaissance obai
dont nous parloi que plus d'un êcrl
vain, Bprès avoir restreint notre connaissance de Dleo
e l'objet relia; eux parmi li - pro
■ i notn r i onnalité dans le champ de lin
Feuerbach, Dm H Chrwtenthunu, Optra,
t. vu, p. 62; t. vin. p. 809 . qui' <l '.. lient
879
DIEU (SON EXISTENCE)
880
l'athéisme déclaré, comme Faust interrogé par Margue
riir, Gœthe, Faust, Berlin, 1873, p. 137, que pour tom-
ber dans un vague panthéisme, Loisy, Quelques lettres,
1908, p. 44; que d'autres reprennent la vieille thèse de
l'âme du monde, William James, Principles, t. i,
p. 370; Denzinger, 10e édit., n. 2109, sauf à nous pro-
poser aussi le polythéisme, V ariettes <>{ religious
expérience, Londres, 1902, p. 526; que d'autres s'en
tiennent à la religion de l'Inconnaissable, Spencer,
Premiers principes, c. v; Principes de sociologie, d'où
il suit que d'autres enfin ne voient aucune difficulté à
proposer aux agnostiques, comme planche de salut,
« l'émotion cosmique en face de l'énergie du système
sidéral » ou la religion de l'Humanité. Fortnightly
Review, février 1885. La religion de l'Humanité, pense
M. Harrison, op. cit., faite d'un sentiment de gratitude
pour les services passés de l'organisme social et d'un
sentiment de bienveillant dévouementpour les services
futurs du même organisme, remplit toutes les condi-
tions de la vraie religion. Ces conclusions et d'autres
du même genre montrent assez quels écueils n'évitent
pas les écrivains qui concèdent que toute notre idée
naturelle de Dieu se réduit à celle d'un « idéal » et « à la
conscience que nous prenons de notre élan pour aller
au delà. » Cf. Desbuts, loc. cit., p. 253 sq. Cette intui-
tion de l'idéal désigne Dieu, mais sub rations communi,
non sub ratione propria, pour parler avec les anciens
scolastiques, en ce point fidèles rapporteurs de la pen-
sée des Pères
Saint Augustin a écrit : Sicut ergo mentibus nostris
impressa est nolio beatitatis, itaetiam sapientiœ no-
tionem Itabemus impressam. De libero arbitrio, 1. II,
c. xin, P. L., t. xxxn, col. 1254. Boèce a dit de même :
Inserta est mentibus hominum, veri bonique cupidi-
tas. De consolations, pliilosophise, I. III, prosa n, ix-xl,
P. L., t. lxiii, col. 724, 768. Ces tendances natives de
notre esprit et de notre cœur posent bien le problème
de l'au-delà et ne nous permettent pas de l'oublier
complètement, de rester froids devant la solution, quand
elle nous est proposée; elles sont à la racine de notre
inquiétude religieuse : Fecisli nus ad te, et irrequie-
tum est cor noslrum donec requiescat in te. Et c'est
pourquoi on peut les prendre pour base d'une argu-
mentation en faveur de l'existence de Dieu. Cf. Hettinger,
Apologie du christianisme, t. I, c. ni, p. 162. Mais par
elles-mêmes elles ne résolvent pas la question qu'elles
soulèvent. Les raisonnements de saint Augustin lui-
même, quand il y a recours, le montrent assez. Cf. Jean
de Saint-Thomas, In iai", q. II, disp. III, a. 1, n. 11 j
d'Aguirre, Theologia sancti Anselmi, tr. I, disp. VI,
sect. iv, n. 31, Rome, 1688, t. I, p. 142.
3° Connaissance spontanée et confuse de Dieu. —
La connaissance confuse est celle qui distingue son
objet de tout autre par des dénominations extrinsèques,
sans que l'esprit porte de jugement déterminé sur la na-
ture intime de cet objet. C'est le mininum de connais-
sance de Dieu que les théologiens requièrent pour que
l'homme puisse commencer sa vie morale et religieuse.
Omnes, nalura duce, co vehimur, deos esse, avait dit
Cicéron. De natura deorum, 1. I, c. i. Or les anciens
donnaient à leur Dieu principal le nom d'Optimus,
Maximus. C'est donc que la divinité était conçue par
eux, même dans le paganisme, comme une nature supé-
rieure. Cf. Cicéron, ibid., 1. II, c. vi. Les platoni-
ciens désignaient volontiers Dieu par l'excellence et
la bonté. Saint Augustin, qui connaissait le passage de
saint Luc, xvm, 19, remarque que pour tous le nom de
Dieu signifie en latin une nature supérieure : Omnes
latinae linguae socios, quum aures sonus iste tetigerit,
movet ad cogitandum excellenlissimam quamdam
immortalemque naluram. De doclrina christ., 1. I,
c. vi sq., P. L., t. xxxiv, col. 21. Hune plane falebor
Deum, quo nihil superius esse constiterit, phrase qui
probablement inspira plus tard saint Anselme. De libero
arbitrio, 1. II, c. VI, P. L., t. xxxn, col. 1248. I.n
second lieu, rien n'était [il us fréquent dans la littéra-
ture de l'antiquité païenne, grecque et romaine, que
la désignation de Dieu sous les noms de principe des
choses, d'architecte de l'univers; les beaux développe-
ments de l'argument de l'ordre du monde de Socrate,
cf. Xénophon, Memorabilia, 1. I, c. iv, 4; 1. IV, c. m,
3, de Platon, De legibus, 1. X, XII, et de Cicéron, sont
connus de tous. Les Pires y reviennent fréquemment,
plus souvent qu'à l'argument de contingence, quand il
s'agit de prouver aux païens qu'ils ont l'idée du vrai
Dieu. Minucius Félix, Octavius, c. XVII sq., P. L., t. m.
col. 286; S. Théophile Ad Autolgcum, 1. I, 5, P. G.,
t. vi, col. 1031; à rapprocher de Maimonide, Guide des
égarés, trad. Munk, Paris, 1856, t. i, p. 157; S. Athanase,
Oratw contra génies, n. 27, 43. /'. G., t. xxv, col. 54,
86; S. Augustin, De civilate Dei, 1. XI, c. IV, 2, P. L.,
t. xli, col. 319; Confessiones, 1. XI. c. iv, t. xxxn,
col. 811; S. Grégoire de Na/.ianze, Oral., xxviii, n. 6.
P. G., t. xxxvi, col. 32; S. Grégoire de Nysse, Oratio
catechetica, P. G., t. xlv, col. 11 ; S. Jean Damascène,
De (ide orlhodo.ca, 1. I, c. m, P. G., t. xciv, col. 796.
Le monde tout entier est une école où par les choses
visibles Dieu nous montre les choses invisibles. Voir
col. 842. S. Basile, In Hexaemeron, hornil. I, n. 6, P. G. ,
t. xxix.col. 15. Bien entendu, la considération de l'âme
humaine, faite à l'image de Dieu, n'est pas exclue.
S. Athanase, ibid., n. 30, col. 59 sq.; S. Basile, Homil.
Attende, P. G., t. xxxi, col. 196; S. Augustin, De do-
clrina christiana, 1. 1, c. vin sq., P. L., t.xxxiv, col. 22 ;
De Trinitate, 1. VIII, c. v sq., t. xlii, col. 952; 1. IX,
c. m-vi, ibid., col. 962; De Genesi ad lit ter am, 1. X,
c. xxiv, t. xxxiv, col. 426; S. Thomas, Sum. theol., I1,
q. lxxxviii, a. 1, ad lam; q. lxxxiv, a. 7, ad3unl; Con-
tra génies, I. I, c. m, n. 2; c. xxxi. Et cela inclut la
présence et l'action de Dieu dans l'âme. Minucius Félix.
Octavius, c. xxxn, P. L., t. ni, col. 341; S. Thomas,
Contra génies, 1. I, c. XXVI, à la fin; De veritate, q. x.
a. 9, contra, ad 7l,m; a. 11, ad lluu>; hi Boeth. de Tri-
nitate, q. i, a. 1.
Enfin, bien que l'antiquité classique ait eu des sys-
tèmes de philosophie et de morale sans Dieu, la philo-
sophie populaire et la littérature des païens n'avaient
pas séparé l'idée de Dieu de celle de la loi morale et reli-
gieuse. Les discours de Socrate dans sa prison sont pré-
sents à tous les esprits; on sait aussi que les Érynnies
poursuivaient le coupable, que les païens, même dans
le bonheur, n'ignoraient point que l'impie n'a point la
paix. Job, xv, 21. Les Pères se servirent de ces faits indé-
niables pour convaincre les païens qu'ils avaient quelque
connaissance d'un Dieu unique et provident ou rému-
nérateur. C'est le sens de Tertullien, lorsqu'il raisonne
sur les exclamations, qui, en certaines circonstances,
échappaient aux païens, au singulier : Deus videt omniar
et Deo commendo, et Deus in ter nos judicabit. Vnde
hoc tibi non christiana:' De testimonio animas, c. il,
P. L., 1. 1, col. 612. Cf. S. Hilaire, /v Trinitate, L I. 2-11,
P. L., t. x, col. 27. Les Pères entrèrent d'autant plus
facilement dans cette voie que leurs expériences per-
sonnelles du inonde et du cœur païens se trouvaient
confirmées par l'Écriture. Celle-ci, en effet, suggère les
arguments dont ils se servaient. Yoircol.8i2.851. Elle ne
laisse d'ailleurs aucun doute sur la culpabilité de ceux
qui errent sur Dieu, Rom.. I, 20, ita ut sint inexcusa-
biles; Sap., xiii. 8 : nec liis débet ignosci. On n'est
tombé dans ces erreurs que par un juste châtiment de
Dieu qui, connu, n'a pas été honoré et remercié. Prin-
cipale crime» generis humani, dit Tertullien, summus
sxculi reatus, tola causa judicii, idololatria. De ido-
lolatria, P. L., t. i, col. 663. Merilo igilur omnis ani-
ma rea et testis est, in tantum el rea erroris in quan-
tum testis verilatis. Ibid., col. 618. Cf. S. Athanase,
881
DIEU (SON existence;
882
Oratio contra gentes, n. 11, 14, 35, P. G., t. xxv,
col. 23, 30, 70. Comparer le n. 8, col. 15, avec saint
Basile, Homilia in ps. xxxm, n. 3; in ps. xxxir, n. 3,
P. G., t. xxix, col. 357, 329; Homil. Attende, n. 7, ibid.,
t. xxxi, col. 214. Saint Grégoire de Nazianze, Orat.,
xxviii, c. xiv, P. G., t. xxxvi, col. 43; saint Augustin,
De vera religione, c. xxxv, n. 67, P. L., t. xxxiv,
col. 152; Lactance, De origine erroris, P. L., t. vi,
col. 254, assignent la même origine au paganisme. Et
cette observation donne la clef d'une grande partie de
ce que les Pères ont écrit sur les dispositions morales
nécessaires pour connaître Dieu. Cf. Dôllinger, Paga-
nisme et judaïsme, Bruxelles, 1858, 1. 1,1. II, n. 1, p. 95;
llettinger, Apologie des Christenthums, Fribourg,1875,
t. I, p. 30-51 ; trad. Felcourt et Jeannin, 3e édit., t. i,
p. 29 ; Hontheim, op. cit., n. 615, a. 3.
4° Elaboration scolastique de la doctrine tradition-
nelle. — Les scolastiques ont remarqué de bonne heure
que l'idée spontanée de Dieu ne s'exprime pas chez les
Pères en une formule unique et fixe. Voici, distribuées
en trois groupes, les différentes formules que l'on ren-
contre chez les Pères ou chez les théologiens. — 1. Na-
lura excellentissima, ens realissimum, ens enlium,ens
quo majus cogitari nequit, ens necessarium. L'idée
d'être y e3t déterminée à signifier Dieu par un super-
latif, qui le distingue de tout ce qui n'est pas lui et le
met a part. — 2. Principium omnium rerum, causa
hujus mundi, supremus artifex, gubernalor hujus
mundi. Dieu est conçu comme la cause du monde et
de l'ordre du monde. — 3. Auclor et vindex legis mo-
ralis, remunerator, summum bonum, ens imprsefe-
ribile, ens ab omnibus colendum, Dominus, etc. De
même que, dans le second groupe, l'idée d'être est dé-
terminée à signifier Dieu par l'adjonction de la dépen-
dance physique des choses, dans le troisième la même
idée signifie déterminémenl Dieu et lui seul grâce à la
considération de notre dépendance morale et religieuse,
manifestée par les tendances spéciales à l'animal qui
est l'homme; car personne ne prendra au sérieux ce
que l'on a écrit <■ sur le sentiment religieux des chiens
qui aboient à la lune. 11 est d'ailleurs facile de voir
que tontes ces notions sont connexes et s'impliquent
mutuellement les unes les autres.
- trois groupes de formules el leurs équivalents
nent bien Dieu il lui seul, comme distinct de tous
les autres êtres, puisqu'elles le caractérisent par une
propriété qui lui convient et ne convient qu'à lui, pi
catum converlibile ■ uni Deo. Cajetan, Commmlarii i«
/ Sunimm, q. il. a. '■'>. Cf. Dictionnaire apologétique
de la foi p Paris, 1909, 1. 1, col. 13, 59 ; Hontheim, op. cit.,
p. 10, n. Hi; Boed li i op. cit., a. 6. Mais on peul 1rs
entendre en des si ne forl différents. — L On peul 1rs
entendre au sens absolu, ou de droit. En ce sens, ens
ijiui , igilari nequit, principium omnium,
muni bonum di signent i xpliciternenl l'être infini,
li Ire le plus grand (superlatif absolu), la cause de
iln. ii de loutes choses, notre cause finale nécessaire
S. Thomas, In IV Sent., I. I. dist. XVIII, q, i. .,. ."..
De telles notions de Dieu sonl 1res relevées, difficiles à
acquérir, mais elles sont de soi exclusives de toute
erreur sur la nature divine : dès que l'esprit les a for-
. H juge avec la (dus grande facilité que l'être à
qui elles con\ iennenl est unique, éternel, omniprésent,
ut, intelligent, libre el loul puissant, i n d'autres
termi les conclusions de la plus sublime théo-
% sonl données. -- 2. On peul les entendre au
tem relatif ><n iir fait. Ainsi comprises elles signifient :
Dieu esl l'être qu il nous esl impossible de pi n i i
meilleur ou ini li tant Dli a ■ I de fail le plus grand
très (superlatif relatif); Dieu est la cause de fait
■l" cel anivi rs; Dieu esl «le fait l'objet qui
tout notre désii <b' bonheur ou, comme dit M. Tyrrell,
« tous nos besoins spirituels, nui et mystiqui
Op. cit., p. 274. Nous n'avons pas à discuter ici le sens
historique de saint Anselme, cf. Piccirelli, De Deo
disputationes metaphysicœ, Paris, 1885, p. 511-544;
Adloch, dans le Pliilosopliisches Jahrbucli, Fulda,
1895, 1896, 1897; Pesch, Prselectioncs théologien,
Fribourg, 1899, t. n, p. 19; Baeumker, Witelo, dans
Beiti-âge, Munster, 1908, t. m, p. 304; ni la valeur de
cet argument. Voir ANSELME, t. I, col. 1350. Il nous
suffit de noter que celui qui conçoit l'être qu'il nous
est impossible de penser meilleur ou inexistant conçoit
en réalité Dieu, quoi qu'il en soit de la question de sa-
voir si cette idée est spontanée et naturelle à tous ou
s'il est possible de passer de cette idée à un jugement
existentiel certain. Il en est de même du superlatif
relatif, le plus grand des êtres, et aussi de la formule,
cause de fait el arbitre de fail du monde. De même,
Dieu conçu en fonctions de nos tendances morales et
religieuses, est bien le vrai Dieu. S'il est vrai que nos
tendances générales à l'unité, au vrai, au bien ne
peuvent par elles-mêmes et sans réflexion et discours
ultérieurs ne nous donner qu'une idée obscure de
Dieu, comme nous l'avons dit, il est certain que nous
pouvons désigner Dieu distinct du monde par les idées
de législateur, d'objet du culte universel, etc. On sait
que les sceptiques modernes ont essayé, à la suite des
anciens athées, deos fecil timor, et de certains protes-
tants anciens comme Flaccus Illyricus, voir col. 766,
d'expliquer la genèse de l'idée de Dieu par divers
sentiments, par exemple la crainte en présence des
grands phénomènes de la nature, la terreur de l'esprit
des morts et des fantômes vus en rêve, elc. Voir Marillier,
art. lieligion, dans la Grande encyclopédie, p. 346.
Notre intention n'est pas de nier que les phénomènes
de la nature, ces apparitions, etc., puissent concourir à
aider l'homme à former les concepts de pouvoir supé-
rieur, de puissance invisible, immatérielle, etc., qui
enlrent dans les concepts corrects quo nous avons de
Dieu. Cf. Sap., xiv, et la dissertation de dom Calmet
«sur l'origine de l'idolâtrie ». jointe à son commentaire
de ce livre. Sans aller aussi loin que quelques écrivains
récents qui regardent le spiritisme comme un achemi-
nement vers la vérité, Vasque/, fai-t celte remarque à
propos de la France et de l'Angleterre de son temps :
Teslantur riii gravissimi eontagis hominesabatheismo
detineri quo avidius magicis artibus student .' quod
nisi inler hœreticos Deus permisisset, pêne omnes jam
in atlieismo versarcnlur. In /". disp. XX, n. 10.
Cl. hu l'Iessis Mornay, De la vérité de lu religion chré-
tienne, Anvers, 1581, c. i; Spizelius, De atlieismo
eradicando. Augsbourg, 1669, p. 36-42. Mais les athées
el les sceptiques modernes ne trompent qu'eux-mêmes,
lorsqu'ils confondent avec l'idée spontanée il'' Dieu les
représentations issues des répercussions en nous des
orages, des fantômes, etc. L'idée de Dieu est tout
autre, parce qu'elle est mêlée de respect, jointe à l'idée
de bonté : « Si lu es dieu, disaient les Scythi
Alexandre, C'esl en faisant du bien el non du mal aux
hommes que tu dois le témoigner, « Quince-Curce, mi.
8; enfin, elle ne va pas Bans l'idée du devoir et du châ-
timent. Hettinger, Apologie 'lu christianisme, t. i,
p. 118-121. Nous pouvons dont c dure que le troi-
s groupe des formules que nous étudions désigna
bien le vrai Dieu el lui seul: il le désigne comme
l'être dont l'idée excite en nous des retentissements
d'ordre moral el religieux très profonds qu. n'excite
aucune sutn idée.
Les icolasliquea ont ensuite remarqué que l'idée de
Dieu, telle que fis Pères i.i découvraient naturelle et
spontanée chei fis paons, était moini parfaite que
l'Idée qu'en ont les chrétiens par la révi lation, "n ne
voit pas que le. Péri aient jamais prétendu que la
ni m i ld< i préi ise de Dieu qu'i n
donnent nos catéchismi Dieu i t un esprit souverai-
883
DIEU (SON existence;
884
nement parfait, infini, éternel, omniprésent, créateur
et maître de toutes choses. Au contraire, c'est un lieu
commun de l'apologétique patristique d'insister sur la
grande supériorité de la notion révélée et chrétienne
de Dieu. D'où l'Ecole a conclu que les formules par
lesquelles les Pères ont exprimé la connaissance spon-
tanée que nous avons naturellement de Dieu ne doivent
pas se prendre au sensahsolu, mais bien au sens rela-
tif. Ce n'est que depuis Descartes qu'on a imaginé des
sauvages, remplis de l'idée explicite d'infini. On ne
veut pas insinuer par là que la philosophie païenne ne
pouvait pas s'élever à la notion d'infini et l'appliquer
à Dieu, mais seulement que rien n'est moins conforme
à l'observation et à la tradition chrétienne que de pré-
tendre que l'infinité de Dieu est une idée spontanée,
qui s'impose clairement à tout homme venant en ce
monde dès le début de sa vie morale.
D'un autre côté, les Pères supposent chez les païens
plus et mieux que l'idée obscure de Dieu dont nous
avons parlé. En effet, pour affirmer que les païens
connaissaient Dieu, les Pères s'appuyaient non seule-
ment sur leur expérience personnelle du monde et du
cœur païens, mais encore sur l'Écriture. Or on ne peut
pas douter que saint Paul, Rom., i, II, et l'auteur de la
Sagesse, xin, xiv, aient parlé d'une connaissance de
Dieu qui le distinguât du reste des êtres : invisibilia
conspiciunlur, creator horum videri. Jl est vrai que
saint Augustin a quelquefois pris pour point de départ
dans son argumentation la connaissance obscure de
Dieu; mais un don médiocre d'observation psycholo-
gique suffit pour se rendre compte que la masse de
l'humanité n'a jamais été, n'est pas et ne sera jamais
capable de découvrir spontanément les déductions que
saint Augustin a appuyées sur celte base. D'ailleurs,
saint Augustin dans ses démonstrations psychologiques,
qu'il ne donnait pas non plus comme spontanées ou
possibles sans quelque maïeutique, prétendait bien
s'élever au-dessus de l'idée obscure de Dieu. La plu-
part des Pères, sans remonter comme saint Augustin
jusqu'à la racine profonde de l'inquiétude religieuse de
l'homme, se contentaient de partir du fait de l'idée de
la divinité distincte du monde. Qu'on lise par exemple
le Discours contre les gentils de saint Athanase, on y
remarque vite que le but de l'auteur est moins de prou-
ver l'existence de la divinité que de faire reconnaître
et avouer le vrai Dieu. Le grand docteur était donc
convaincu que l'idée de Dieu était tellement présente à
la pensée des païens qu'il suffisait de la rapprocher des
notions qu'ils se faisaient soit du double principe soit
des dieux anthropomorphes, etc., pour les amener à
reconnaître la contradiction entre leur pensée intime et
la religion ou le culte qu'ils professaient. Saint Gré-
goire de Nysse nous a donné un bon résumé de la
méthode apologétique des Pères. Si l'infidèle ne croit
pas à l'existence de la divinité, on la lui prouvera par
l'ordre du monde; s'il admet cette existence, mais erre
sur la nature divine, on lui fera remarquer que, même
dans sa pensée, les dieux sont excellents (superlatif
relatif) : o-j yàp av '£-<. Oeôtt,to; tiç cy_o;ï] ûït^X»)<plv, ou y)
toO yîîpovo; oûx arceem irpoTY)Y0P'-a' Et par ce moyen
terme on lui fera avouer que la divinité n'est pas mul-
tipliée, qu'elle est intelligente, etc. Oralio catechetica,
P. G., t. xlv, col. 12. Mais cette méthode suppose évi-
demment plus qu'une idée obscure de Dieu au début;
et, si celle-ci seulement est présente, l'emploi de l'ar-
gument de l'ordre du monde, en même temps qu'il
prouve l'existence de la divinité, amène à la concevoir
comme distincte de tous les autres êtres.
Si la connaissance initiale, spontanée et universelle
de Dieu n'est ni la connaissance développée et de soi
exclusive des erreurs sur Dieu, ni seulement la connais-
sance obscure, il reste qu'elle est ou une connaissance
distincte ou au moins une connaissance confuse. Or
elle n'est pas une connaissance distincte, c'est-à-dire
une connaissance qui exprime d'une façon nette et
explicite la nature intime de Dieu. Si, en effet, les païens
eussent eu la connaissance distincte de Dieu, ils
n'eussent pas honoré les idoles; de plus, toute l'argu-
mentation des Pères eût été inutile, puisqu'elle n'a pas
d'autre but que d'amener les païens à cette connais-
sance distincte. Il reste donc que la connaissance
spontanée de Dieu est une connaissance confuse.
Que la connaissance confuse exprimée par les trois
groupes de formules précédemment rapportés soit une
connaissance par dénominations extrinsèques, la chose
est facile à prouver. Car, si Dieu n'avait rien créé, il
serait en lui-même exactement ce qu'il est, puisqu'il est
absolument immuable, éternel et indépendant. Dans
cette hypothèse, il ne serait donc pas relativement le
meilleur des êtres existants, la cause de fait de cet
univers, la fin à laquelle de fait nous sommes ordon-
nés. D'où il suit que celui qui conçoit Dieu simplement
et rigoureusement comme le meilleur de tous les êtres
existants, comme la cause de fait du monde, comme
l'être dont la non-existence est pour nous inadmis-
sible et dont l'idée excite en nous certains états affec-
tifs d'ordre moral et religieux très spéciaux, 1. distingue
bien Dieu des autres êtres, mais 2. ne conçoit direc-
tement et explicitement rien des constitutifs intrin-
sèques de la nature divine. Cette dernière conséquence
est évidente, car la nature divine considérée en soi
serait exactement ce qu'elle est dans une hypothèse où
de fait rien de ce que cet homme affirme ne serait
exact. C'est dans ce sens que Cajetan, parlant de la
conclusion directe et explicite des cinq preuves de
l'existence de Dieu proposées par saint Thomas, re-
marque que ces preuves ne prouvent pas Dieu, ut Deus
est, mais seulement l'existence d'un être à qui con-
viennent certains prédicats, qui objectivement ne se
trouvent réalisés qu'en Dieu : prsedicata qusedam in-
veniri in rerum nalura, quse secundum veritatem
sunt propria Dei. In Sum., I», q. il, a. 3. Cette simple
remarque suffit à résoudre les neuf dixièmes des diffi-
cultés proposées par et depuis Kant contre la démons-
trabilité de l'existence de Dieu. Cf. Tolet, In Pm, Rome,
1869, t. I, p. 69, n. 3: Jean de Saint-Thomas, lu 1 .
q. il, disp. III, a. 2, n. 1; Gayraud, dans la Revue de
philosophie, juillet 1908. Cette doctrine n'est pas
d'ailleurs particulière à Cajetan, comme le montre la
thèse classique suivante, tirée de saint Anselme, Mo-
nologium, c. xiv, P. L., t. CLVIH, col. 162, et de saint
Thomas, Sum. theol., Ia, q. XIII, a. 2, ~, ad l'"> : .4/-
tribula contingenter relaliva ad creaturas, fomialiter
considerata, nihil rcale in Dco exprimunt ; quan-
ijuam malerialiler et fundamentaliter considerata
divinam ipsam substantiam désignant. Cf. Urraburu.
Institulionès philos., Valladolid. 1899, t. vu. p. 299;
d'Aguirre, Theologiasancti Anselmi, tr. III. disp. XX III.
sect. n, Rome, 1688, 1. 1, p. 411. Cf. Tertullien, Advenu»
Hermogenem, c. ni, P. L., t. n. col. L 79 ; S. Grégoire
de Nazianze, Orat., xxvm, n. 9. P. G., t. XXXVI, col. 55.
Or, celui qui conçoit Dieu rigoureusement en fonction,
soit de la dépendance des créatures à leur auteur, soit
de ses tendances morales et subjectives, n'atteint que
les attributs relatifs de Dieu; il ne porte donc par là,
si sa pensée ne va pas plus avant, aucun jugement
déterminé sur la nature de Dieu considéré' en soi,
puisqu'il le désigne seulement par des dénominations
extrinsèques tirées de ses oeuvres.
Ici un très grave problème se pose. Nous avons dit
que la cgnnaissance confuse se rencontre de deux
façons : ou bien la nature intrinsèque de l'objet nous
échappe totalement, et alors l'objet est désigné par de
pitres dénominations extrinsèques; ou bien la nature
de l'objet, désigné par des dénominations extrinsèques,
ne nous échappe pas totalement, mais l'esprit ne dis-
885
DIEU (SON EXISTENCE
88G
tingue pas explicitement les propriétés caractéristiques
de l'objet. A laquelle de ces deux sortes de connais-
sance confuse faut-il rapporter la connaissance spon-
tanée de Dieu, commune à tous les hommes?
On sait que beaucoup de nos contemporains opinent
en faveur de la connaissance par pures dénominations
extrinsèques : tous les agnostiques croyants ou dogma-
tiques en sont là. Cette manière de voir est loin d'être
nouvelle. Plusieurs philosophes arabes et juifs, entre
autres Avicenne et Maimonide, l'ont soutenue au moyen
âge. Il est impossible de rapporter ici tous les arguments,
voir Dictionnaire apologétique, Paris, 1909, 1. 1, col. 30-
(><>; voici le fond de leur raisonnement. Les preuves
ordinaires de l'existence de Dieu sont valables, mais,
si elles prouvent le fait brut de l'existence de Dieu,
elles ne nous apprennent rien de sa nature. Car tous
lis noms de Dieu expriment un rapport causal; or,
d'une part, un rapport causal ne nous renseigne pas
nécessairement sur la nature de la cause, puisque par
exemple on peut dire « c'est Zéid qui a charpenté cette
porte, sans penser à la capacité artistique de Zéid; »
d'autre part, nous pensons toujours Dieu relativement:
cum Deus dicitur primus, non intelligitur nisi relatio
essenlix ejus ad esse alterius; et cum dicitur polens,
non intelligitur per hoc nisi quod esse, quod est rea-
liler necetse esse, est ad aliquid quod potesl haberc
esse ab eo, Avicenne, VIII Metaphys.; cf. .1. Bacon.
In IV Sent., 1. I, dist. II, q. i, a. 1, Venise, 1527,
fol. 22; mais il ne peut y avoir en Dieu aucun rapport
réi 1. non pas même de similitude, entre Dieu et la
créature. Maimonide, Cuide des égares, Paris, 1856,
t. i, p. 201, 203, 227. Donc toute notre connaissance
de Dieu se réduit à de pures dénominations extrin-
sèques et nous ne saurions porter aucun jugement
affirmatif sur Dieu considéré en soi. Kant est arrivé
an mé résultat. Poussant plus loin le nominalisme
que ne l'avait fait Maimonide, il rejette les preuves
classiques de l'existence de Dieu par voie de causalité
et cherche à s'expliquer ou plutôt à se légitimer l'idée
de Dieu par la loi morale. Voir col. TS-J. Là où Avi-
cenne et Maimonide désignaient Dieu par de pures dé-
nominations extrinsèques fondées sur la causalité, Kanl
recourt lui aussi à de semblables dénominations, mais
fondées sur la moralité : Dieu devient le postulai de
notre vie morale et la condition de notre bonheur. De-
puis Kant un grand n bre de philosophes sont entrés
dans cette voie el ne conçoivent Dieu <|u'en « fonction
du i i nt de la réalité divine dans l'homme. »
Le l e el critique, p. 134; Tyrrell, T/nougli
•Sri//' arybdis, Londres, 1907, p, 289, I ncorc
li iii i ■ ra il ipassent-ils ici les juifs el les arabes du
moyen âge i t Kant. En effet, Maimonide n'écrivail que
pour les esprits cultivés, Kant composait ses fameux
Prolé\ pour une métaphysique future : ions
accordaient que la masse pi nse autremenl que la phi-
phie nominaliste. Depuis Spi ncer el Ritschl, beau-
ns des religions, les proies ta ni s libéraux
lernistes considi n ni que la connaissance par
dénomination; extrinsèques est une loi de na-
ture, ef. I.e Roy, l,,c. cit., p, 133; Tyrrell, op. cit.,
M11'' »ponU nt l'humanité pi nsi • i e
Maimonide comme chez Kant, 1 \
pn sente que comme une attitude com-
idi e par la réllexion philosophique; pour les n
litial. Noti ince ipontam e
de Dieu i n duirail dont ■< ne. di i. nation de I
•-ii pu- l'alti-
tude que l'idée de Dieu i ommande ou pai \'efficcu ité
a 't'in mil m-, que de l'obji I di
d'il" tationi doui échapperai! tota-
• ut
que notn atanée ds Dieu
ill-dessiis d'uni
dénominations extrinsèques? Non, pour des raisons
théologiques, et aussi pour des raisons philosophiques.
Saint Paul déclare les païens inexcusables, parce que,
ayant connu Dieu, ils ne l'ont pas honoré et ne lui ont
pas rendu grâces. Rom., i, 20. Il ne s'agit pas seulement,
comme l'a soutenu Calvin, delà connaissance de « quel-
que Dieu », ni comme l'a imaginé Flaccus Illyricus, de la
connaissance i des faux dieux ». Voir col. 765 sq., 773sq.
Car saint Paul parle du vrai Dieu. Les païens ont donc
connu le vrai Dieu, et de telle façon que le devoir du
culte et de l'action de grâces s'imposait. Mais pour qu'il
y ait culte, il faut que l'homme tienne pour certain que
l'objet de son culte lui est supérieur, et du moment que
nous sommes des êtres intelligents et libres, cette supé-
riorité ne va pas sans quelque connaissance au moins
implicite d'un Dieu personnel. Voir col. 837, 857 sq. ;
Dictionnaire apologétique, 1. 1, col. 7, 21 sq. Kant a vu
juste lorsque, dans son système agnostique, il a conclu
à l'impossibilité de toute relation intime enlrc Dieu
et l'homme et rejeté la prière. Cf. Herzog, Realency-
clopàdie, art. Theismus, p. 592. Que devient en effet la
prière, si Dieu n'est pas personnel, provident? Si l'on
objecte que les Athéniens honoraient « le Dieu inconnu »,
il faut remarquer qu'ils sacrifiaient à un être qu'ils
pouvaient croire supérieur à ses adorateurs, ce que
ne peuvent pas logiquement faire nos contradicteurs,
et que saint Paul n'a pas considéré que les Athé-
niens aient en cela suivi la nature. Ensuite, il est
certain que les Pères ont admis chez les païens une
connaissance spontanée de Dieu telle que, suffisante
pour commencer la vie morale et religieuse, elle
était capable de progrès et renfermait implicitement
diverses aflirmations catégoriques sur la nature intrin-
sèque de la divinité. Toute l'argumentation des Pères
contre les païens montre que telle était leur pensée.
Ils supposent, en effet, toujours que les païens ont avec
eux de la divinité un concept naturel commun.
S. Thomas, Sum. theol., Ia, q. xm, a. 10. Cf. Vasquez,
in loe.; Lossada, Summulœ, Barcelone, 1882, disp. VI.
c. v sq., p. 132, et noter le mot singulcu'is, Denzinger,
n. 1631; voir Acta concilii Vaticani, col. 99, emend. 13;
col. 106. Ils supposent ensuite que c? concept est expli-
citahle. Donc, dans la pensée des Pères, l'idée spon-
tanée de Dieu chez les païens ne se bornait pas à de
pures dénominations extrinsèques. In effet, si elle est
réduite a de telles dénominations, d'une part, aucun
concept commun sur Dieu n'eut existé chez lis fidèles
i i i Ife2 les païens, puisque les païens n'eussent jamais
pensé Dieu que par ce que l'Ecole appelle terminus
indiffèrent ad Deum verum oui ftclum, ce que ne
font pas les chrétiens; d'autre pari, l'idée sponi
de Dieu des païens n'eût jamais pu se développer en
affirmations catégoriques. M. William .lames, un fer-
vent des nouvelles doctrines, aboutit à penser que, si
l'on prend rigoureusement pour bise les états reli-
gieux subjectifs dans la détermination de l'objet reli-
gieux, le polythéisme satisfait au^sj bien que le mono-
tin'' sine aux données duproblé .Varieties of religions
e, Londres, 1902, p, 526. En rigueur logique,
conclusion est exacte ; et celte exactitude pi
invinciblement que les l'eus qui montraient aux
païens que le monothéisme seul répondait ■! !
aspirations religieuses, a leur idée naturelle de la
divinité, ne partageaient pas le- préjugés nominalistes
de M. \V. .lames. D'où il f.iul COncl |Ue d
la tradition, par l.i connais ance religieuse naturelle el
spontanée, l'homme ne distingue pas Dieu du resta dea
par de purei dénominal n èqui
A i lues, ajoutons un -n gument
pnn ne m philosophique. Le nominalisme, emp
ou idéaliste, ail le résultai dune savante el difficile
réflexion de |\ , itioni \ qui
fera -i
N87
DIEU (SON EXISTENCE)
888
humain soient nominalistes? Autant vaudrait soutenir
que l'homme commence par douter de la réalité du
monde extérieur, que les enfants qu'on vient de sevrer
se livrent au doute méthodique, etc. Soit une abstrac-
tion dégagée de l'expérience, par exemple celle de la
série des espèces botaniques ; c'est déjà une grave faute
de méthode de proposer cette abstraction comme une
formule rationnelle, objective et nécessaire du déve-
loppement du monde végétal. Que faut-il penser de
l'acribie logique de ceux qui transportent dans le monde
des réalités humaines et donnent pour des faits univer-
sels, leurs attitudes intellectuelles les plus artificielle-
ment acquises, des vues abstraites qui n'ont d'autre
fondement que des réllexions de l'esprit sur sa propre
activité, après qu'on s'est mis par système et préjugé
d'école dans l'hypothèse contre nature de la subjectivité
des relations de cause à effet, de substance à propriété?
5° Solution scolaslique. — 1. L'idée obscure de
Dieu n'est pas le résultat d'une inférence; 2. comme
l'est l'idée spontanée, personnelle, mais confuse de
Dieu; 3. la première certitude rationnelle et person-
nelle de l'existence de Dieu confusément conçu est
le résultat d'une inférence ; 4. dont on admet généra-
lement trois procédés.
Bien que l'idée de Dieu ne nous vienne pas de l'en-
seignement social comme le prétendaient les traditio-
nalistes; bien que « le Dieu de la religion ne soit pas
posé par l'imagination collective spontanée, » comme l'a
sans preuves affirmé M. Belot au troisième congrès
international de philosophie, cf. Revue de métaphy-
sique et de morale, novembre 1908, p. 718; nous recon-
naissons que la plupart des hommes acquièrent en
fait leurs premières idées religieuses par l'éducation
aussi bien parmi les infidèles que parmi les chrétiens. De
là vient l'extrême importance de la première éducation.
Mais nous ne nous occupons pas ici de l'idée de Dieu
acquise par cette voie de l'enseignement social ni des
retards et des déformations que l'école neutre, la mo-
rale sans Dieu, ou l'enseignement polythéiste peuvent
apporter à la connaissance spontanée de Dieu. Cf. Hon-
theim, op. cit., n. 615, a. 3. Voici, en court, comment
les scolastiques expliquent la genèse de cette connais-
sance.
1. L'idée obscure deDieu n'est pas le résultat d'une
inférence, c'est plutôt une simple appréhension, issue
d'une réllexion spontanée de l'esprit sur ses tendances
fondamentales. C'est ce que signifie Jean de Saint-Tho-
mas, quand, par opposition à l'idée confuse de Dieu ac-
quise par inférence, il parle du concept quidditatif de
l'être in commuai. In l3-'", q. il, disp. III, a. I , n. 10. Cela
suit du moyen terme qu'emploie saint Thomas pour
montrer l'universalité de l'idée obscure de Dieu :
l'homme connaît d'abord Dieu in communi, ut scilicet
appelât naluraliler se esse coniplelum in bonitate. De
veritate, q. xxn, a. 7. Ce qui est vrai de l'idée de bien,
l'est également de celle d'être, d'unité, de vérité, comme
il est facile de s'en rendre compte. Cf. pour l'unité,
S. Augustin, De libero arbilrio, 1. II, c. vin, P. L.,
t. xxxii, col. 1251; De vera religione, c. xxxii-xxxiv,
t. xxxiv, col. 149; pour la vérité, De libero arbilrio,
ibid., c. ix sq.; pour le bonheur, Confessioncs, 1. X,
c. xxi sq., t. xxxii, col. 792; De Trinitale, 1. VIII,
c. vi sq., t. xlii, col. 953. On a dit plus haut, col. 855,
que M. Mallet a raison de penser que les données fonda-
mentales de la philosophie del'Action sont identiquesà
quelques-unes des données de la scolastique; on a mon-
tré aussi, col. 820, que les scolastiques n'ont pas ignoré
ce que M. Mallet appelle cognitum ex aclione et voli-
tionc elicilum, sans pour cela tomber dans le sentimen-
talisme. Il leur suffisait d'avoir lu saint Augustin pour en
être instruits; et saint Thomas en fait expressément la
remarque à propos du passage des Confessions auquel
nous venons de renvoyer le lecteur. Saint Augustin
dit-il, parle d'un triple mode de connaissance : Terlius
modus est eorum quse pertinent ad partent affecti-
vam, quorum ratio cognoscendi non est in inlel-
lectu sed in ajfeclu; et ideo non per sui prsesentiam,
quœ in affecta, sed per ejus notitiam vel rationem
quse est in inlellectu, cognoscunlur, sicul per im-
medialum principium , etc. De veritate, q. x, a. 9,
contra, ad 1"'", 3u,n; a. 11, ad 6U'".
2. L'idée spontanée, personnelle, mais confuse de
Dieu est le résultat d'une inférence. — Nous n'avons
pas à répéter ici ce que nous avons dit, d'une part,
contre les nominalistes qui nient la possibilité d'une
vraie connaissance de Dieu par inférence, col. 782,
d'autre part, contre les pseudo-mystiques qui ne con-
naissent pas d'autre origine à notre idée valable de
Dieu que le sentiment ou l'expérience intérieure,
col. 797, 816. Hontheim, op. cit., n. 72. Rappelons
seulement que dans l'École l'innéisme cartésien est
écarté, soit parce que contre l'expérience il se donne
l'idée d'infini et la prête à tous, soit parce que le petit
fait du sauvage alliée par ignorance le contredit,
col. 840 sq. Les doctrines strictement intuitionistes sont
écartées, parce que la vision naturelle immédiate de
Dieu est impossible. Voir Ontologisme, et col. 839. On
écarte également les théories diverses d'après lesquelles
le concept spontané et premier d'être in communi nous
représenterait Dieu sans inférence aucune, d'abord et
surtout parce que Dieu n'est pas l'être en général,
mais la plénitude de l'être, S. Thomas, Contra gentes,
1. I, c. xxvi ; d'où il suit que l'être en général ne
signifie pas déterminément Dieu, mais seulement in
communi. Que si l'on prétend que la plénitude de
l'être au concret est l'objet de notre première intuition,
on répond que l'observation psychologique récuse celte
assertion, de même que celle des panthéistes qui
prétendent que la totalité de l'être, l'Absolu, est le
contenu de notre concept abstrait d'être. De veritate,
q. i, a. 1; q. x, a. 11, ad 10u°>; Sum. llieol.,\ .
q. lxxxviii, a. 3. Cf. Franzelin, De Deo uno, Rome,
1883, th. xxiv. En d'autres termes, l'idée de la pléni-
tude concrète de l'être aussi bien que celle de la col-
lection totale des êtres sont des idées élaborées et non
pas le concept primitif et spontané de l'èlre en géné-
ral. Voir col. 787. Ces exclusions faites, on conclut que
l'idée confuse de Dieu s'acquiert par inférence et qu'elle
est par conséquent ce que les logiciens appellent un
concept discursif. Cf. Hontheim, op. cit., n. 29, 39.
Le rôle du discours, du syllogisme proprement dit,
peut être très saillant. Supposons un homme instruit,
mais ignorant Dieu, qui se pose la queslion philoso-
phique suivante : la série des causes subordonnées
peut-elle être infinie? Si au bout de ses déductions, il
conclut à la négative, la conclusion à laquelle il par-
vient lui fournit l'idée de la cause première. L'infé-
rence peut être d'un autre ordre. Qu-on reprenne les
trois groupes de formules par lesquelles les théolo-
giens ont l'habitude d'exprimer l'idée confuse de Dieu :
il s'agit, une fois qu'on a les idées simples d'être, de
cause et de maître, de passer à l'être de fait et rela-
tivement le plus grand, à la cause de fait du inonde
et de l'ordre du monde, à l'auteur et au vengeur de
la loi morale, ou sous des termes plus abstraits au bien
à qui tout doit être sacrifié et qui doit être préféré à
tout le reste, etc. Or, rien n'est plus facile que le pas-
sage des idées simples d'être, de cause, de maître, aux
suivantes. Ajoutons que rien n'est plus spontané qu'une
telle démarche de l'esprit. Et cette spontanéité s'ex-
plique fort bien par les tendances de notre raison spé-
culative et de notre raison pratique, vers l'unité, et
par notre besoin de nous expliquer à nous-mêmes le
monde, notre faculté de connaître et plus encore nos
facultés, indigences et aspirations morales et religieuses.
Telle est en peu de mots la genèse psychologique de
889
DIEU (SON EXISTENCE)
890
notre première idée confuse de Dieu. Cf. VVieser, Die
natùrïiche Gottcserkenntniss, dans Zeilschrift fur
kat/tolische Théologie, Inspruck, 1879, p. 725 sq.
3. La première certitude de l'existence de Dieu
dépend d'une inférence. — L'idée de Dieu sans la
certitude de son existence ne servirait pas au but pour
lequel Dieu nous a faits à son image; et il faut que
nous ayons une certitude rationnelle de l'existence de
Dieu; sinon, l'idée confuse dont nous venons d'expli-
quer avec l'École l'origine ne nous mettrait en présence
que d'une simple hypothèse. Voyons donc les raisons
qui ont amené presque toute l'École à soutenir que c'est
par une inférence, par un raisonnement, que l'homme
arrive naturellement à la première certitude de l'exis-
tence de Dieu.
On pose le problème en ces termes : utrum Deuni
esse sit per se notum ? Cf. S. Thomas, Sum. tlieol.,
I», q. il, a. 1; In IV Sent., 1. I, dist. III, q. i, a. 2;
Contra génies, 1. I, c. x sq. ; De veritate, q. x, a. 12.
Le sens de la question est le suivant. On ne cherche
pas d'où nous vient l'idée de Dieu : de même que si
on dit que la proposition homo est rationalis est évi-
dente, on ne met pas en question qu'on a formé cette
proposition par induction. Il n'est pas davantage ques-
tion de savoir si certaines propositions qui impliquent
une hypothèse de la part de Dieu sont évidentes; car
tout le monde concède comme évidentes : Si Deus
conservât mundum, e.cistil ; si Deits existil, est colen-
dus, etc. Mais on demande si nous arrivons spontané-
ment à nous faire de Dieu une idée telle que la con-
nexion qui existe réellement entre l'objet représenté
par cette idée et L'existence de cet objet nous devienne
manifeste par le seul énoncé des termes, sans réflexion
ultérieure et sans l'aide d'aucun raisonnement.
Cf. d'Aguirre, Theologia sancli Ansehni, tr. I, disp. VI,
Rome, 1688, t. i, p. 133-152. Les termes nalura excel-
lentissima, principium omnium rerum, auclor et
vindex legis moralis, summum bonum, étant saisis
par l'esprit, l'assentiment à l'existence de cette nature
supérieure, de ce principe, etc., s'impose-t-il avec
avec évidence à notre esprit?
I (eus opinions se sont partagé les théologiens. Albert
le Grand, l.iher de causis, c. vin sq., édit. Vives, t. x,
p. 377; Su, mini theol., I», li-. III. q. XVII, t. xxxi,
p. 116; li. IV, q. xix, m. il. p. 127; Gilles de Rome,
h, IV Sent., I. I. dist. III, q. il sq.; Thomas de
Strasbourg, In IV s,-,, t., |. I, dist. III, q. i, a. 3,
Venise, 1564, fui. 33 sq.; Denys le Chartreux, il, ni.,
<[. il, a. 3, Cologne, 1535, \<. 101-104; Nicolas de Lyre,
lu postUla, Exod., v, 2, Biblia sacra cum (/hissa et
lia Lirani de Strabo. Anvers, 1031, t. i, col. 534;
' , v. 2, Opéra, Cologne, 1613, t. Il, p. 53;
Michel Palacios, lu IV Sent . I. I. prologi q. v, pour
ne citer que des auteurs anlérieurs à Descartes, ont
soutenu qu'on peut arriver et qu'on arrive de fui i
avoir de Dieu une idée ti Ile que, sans aucun raison-
nement, la réalité de l'existence de Dieu appai
nettement .< l'intelligence. Il y a parmi ces auteurs
quelques divergences, par exemple Albert le Grand pense
que l ■ tisii h. . de Dieu reste démontrable, bien qu'évi-
dente, tandis que Gilles de Rome soutient le contraire
parce que l'évident in- se prouve pas; quelques uni accor-
d eut que seuls les hommes instruits arrivent à se former
idée, les autres affirment qu'une telle Idée est
ipontam e ch< / tou Mai- tous s'accordent a dire que,
jdi e donm b dam i esprit, l'intelligent e poi le
ir Diea un jugement existentiel i ertain, sans
réflexion, ni discoui -
lie opinion .. contra elle l'ensemble de i i
D'abord lalnl i in.>n.i~ . i i., longui thomistes,
ndanl quelques néothomistes, qui ont
■ " de la philosophie chi
I hypothèse de la distinction réelle de IV ence et d<
l'existence, réfutée par saint Thomas chez Avicenne,
et une thèse de l'épistéinologie d'Averroès dont Caje-
tan s'est un jour servi. Scot et toute l'école scotiste
partagent sur le fond l'opinion de saint Thomas, In
IV Sent., 1. I, dist. II, q. h, ainsi que l'école nomina-
liste d'Occam, cf. Biel, In IV Sent., 1. I, dist. III,
q. iv, Brescia, 1574, p. 110. Les jésuites Suarez, Dis-
pulaliones metaph., disp. XXX, sect. m, n. 33-37;
Valenlia, In Jam, q. il, disp. II, p. i, Lyon, 1603, t. i,
col. 61; Molina, Comment, in 7»,n, q. n, a. 1, Venise,
1602, t. i, p. 33; Vasquez, In P<», disp. XIX; les
sorbonistes Ysambert, Disputaliones in /am, q. il,
disp. I, a. 1, Paris, 1643, t. i, p. 30; Gamache, Summa
theologica, q. n, a. 1, Paris, 1627, p. 36; Grandin, De
Deo, q. n, a. 1, Opéra, Paris, 1710, t. i, p. 38, ne sont
pas d'un autre avis.
Ces auteurs s'accordent à ne point donner de « note
théologique » à la première opinion; saint Thomas
avait donné l'exemple de cette abstention. Contra
génies, 1. III, c. xxxvin. Voir col. 848. Ils s'accordent
aussi à rejeter cette même opinion comme « moins
vraie, moins bonne, fausse; » et chose remarquable
leur principal argument est qu'elle est contraire à
l'expérience. Si l'existence de Dieu nous était connue
à la façon des premiers principes, nul ne pourrait la
mettre en doute, ni la nier; or, l'expérience montre
qu'il en est autrement. Donc, s'il est vrai que l'hypo-
thèse Dieu confusément conçu se présente naturelle-
ment à l'esprit, la vérité de cette hypothèse ne s'im-
pose pas à nous comme celle des axiomes. D'ailleurs,
les arguments d'autorité qu'apportent les adversaires
sont de nulle valeur. Ils s'appuient sur saint Augustin
et Boèce ; mais l'un et l'autre n'ont considéré comme
per se nota que la connaissance obscure de Dieu, in
communi ; tous deux pour passer de cette idée obscure
de Dieu à l'idée confuse, puis distincte de Dieu, ont
proposé des raisonnements variés et souvent compli-
qués, comme l'a fait plus tard saint Anselme; ni l'un
ni l'autre n'ont cru à la spontanéité de ces raisonne-
ments, puisqu'ils requièrent pour passer de l'idée du
bonheur, etc., à celle du bonheur en Dieu une grande
élévation d'âme, des dispositions morales qui sont
rares; n'est-ce pas saint Augustin qui s'écrierO animée
pervicacet, date mini <jit< videat sine ulla imagina-
tione visorum carnalium ; date milii qui videat om-
nis unius principium non esse niai unum solum, a
quo sit omne unum. De vera religione, c. xxxiv,
/'. /.., t. xxxiv, col. 150. Quelques-uns des adversaires
se retranchent derrière la distinction per se notum sa-
pientibus et soutiennent que du moins les hommes
instruits arrivent à saisir avec évidence la connexion
entre l'idée de Dieu et l'existence. C'est une illusion
dont rendent compte 1 éducation, l'habitude et aussi la
culture philosophique. Quand Boèce dit que les -
voient avec évidence que les êtres immatériels ne sont
pas dans le lieu, cela ne signifie pas qu'il ne leur a
fallu aucun raisonnement pour se faire à cette ma-
nière de concevoir les choses, qvasi >ion indiguerint
ibus aliquilms assentibus, quitus rus proposi-
tiones sibi persuadèrent, sed dicuntur ipsis per se
natte, quia consuetu 'uni illis tueentiri soient
immédiate sine pressenti diseur su; memores nimi-
rum argumentorum saltem in confuso, 'imbus cas
aliquando sibi i uni, Valentia, ioc.cif., ad!
Suarez, lor. rit., n. 37; s. Thomas, ('.unira gentes,
I. I. r. \i. n. I .
Enfin m l'on étudie à la lumière de la métaphysique
la façon dont en fail l'idée de Dieu s. à la
lui que "m- mi.
rence nous ne ponvon pa noir l'évidence naturelle
dr la réalité objective de Dieu, i o effet, quand nous
peu on à Dieu, bien que, considén en soi, il soit
absolu, nous ne poui pas penser à lui sans quelque
891
DIEU (SON EXISTENCE)
892
relation à la créature, comme l'expérience le prouve.
Significatum nominis Deus relata concipitur ad uni-
versuni, vel per modum excedentis, vel per modum
causai vel donùni, etc. Nom, dit Vasque/., non possu-
mus audita voce Deus, ut ipsam rem inlelligamus,
non appréhende re aliqidd aliud, cujus instar Deus
ipse a nobis cognoscatur : quod nullus scholaslicorum
negare polesl. In 7"", disp. LVIII, n. 6. D'un autre
côté, bien que nous puissions arriver à porter sur la
nature divine considérée en soi des jugements valables,
subslanlialiter dicuntur, cf. S. Thomas, Sum. theol.,
I», q. xin, a. 2; S. Anselme, Monologium, c. xiv, et en
particulier ce jugement que l'existence est du concept
de l'essence de la divinité, cependant nous ne pouvons
pas penser celle identité elle-même autrement que par
deux concepts distincts. Il en est ici comme de la sim-
plicité divine; celle-ci, nous le savons, est la substance
même de Dieu, cependant nous la concevons comme
une propriété de cette substance. Vasquez, ibid.,
disp. XLI, n. 6. Donc, bien que nous concevions
l'Absolu et l'Ktre nécessaire considéré en soi, n'en
ayant pas la vision intellectuelle immédiate, nous ne
pouvons pas en former un concept absolu et totale-
ment simple. Si tlicis : Deus est terminus absolulus,
et volo quod sic acclpialur in nostra proposilione,
Deus est. Dicendum quod illa vox Deus... in quan-
tum subordinalur conceptui quem solum format
vialor non est absolula, sed vel complexa vel connola-
tiva. Biel, lac. cit., et q. il, a. 2. Concept connotatif,
nam aliud a Deo concurrit in ratione objecti; concept
complexe, parce qu'il est formé de plusieurs concepts
abstraits simples, dont chacun en particulier s'applique
à Dieu et à la créature. De là, conclut Vasquez, ibid.,
disp. XIX, n. 10 sq., l'impossibilité pour nous de
jamais passer de l'idée de Dieu à l'affirmation de son
existence objective sans inférence. Cf. Jean de Saint-
Thomas, ramenant l'argument de saint Thomas à celui
de Vasquez, In I*u', q. n, disp. III, a. 1, n. 7, et
d'Aguirre cherchant à sauver l'évidence immédiate de
Dieu pour les sages. Tlieologia sancti Anselmi, t. i,
tr. I, disp. VI, n. 21 sq.
En effet, ou bien, comme le remarque finement Hau-
nold, T/teologise speculalivse libri IV, Ingolstadt, 1G70,
1. I, cont. il, n. 27, on considère l'idée de Dieu pris
en soi indépendamment de l'existence des créatures,
comme l'a fait saint Anselme très probablement, et
comme ont essayé de le faire plusieurs théologiens
espagnols et allemands au xvne siècle, entre autres
A. Ferez, Derkennis, Spiznagl, qui partaient de l'idée
ens carens omni defeclu, ou de cette autre ens habens
cumulum omnium perfectionum ; ou bien, on consi-
dère Dieu conçu sous un prédicat qui lui convient et
ne convient qu'à lui, mais qui n'a pas la prétention
d'exprimer la quiddité divine. Ibid., cont. i, n. 1 sq.
Si l'on considère la nature divine en soi, par exemple
comme existant de droit : Deuni nempe esse ex se
delerminatum ut existât minimeque indifferentem
ut non existât, on ne peut pas sans inférence passer à
l'existence réelle de Dieu. Car pour penser cette exis-
tence de droit nous nous servons fatalement de notre
concept d'existence, qui convient et à l'existence objec-
tive réelle et à l'existence pensée ou même simplement
possible. De là vient que la liaison de Dieu considéré
en soi et de l'existence n'est pas immédiatement évi-
dente pour nous; car la liaison du prédicat et du sujet
ne peut pas nous être évidente, si la cohérence des
concepts par lesquels nous pensons le sujet ne l'est
pas. Scot, remarque Platel, Synopsis cursus theologici,
xvii, n. 7, Douai, 1706, a fort bien dit : Quod dicilur
de subjccto complexo non est magis notion quam
nolum sit partes subjecli inler se uniri. Or, la cohé-
rence des concepts par lesquels nous pensons Dieu
considéré en soi n'est pas immédiatement évidente.
Donc, et sans entrer dans la question de l'analogie de
l'être afin d'éviter tout cercle vicieux, cf. de Rhodes,
Uisput. theol., Lyon, 1661, t. I, De Deo, disp. I, q. i,
sect. i, S 2, ad 2["", la liaison de Dieu considéré en soi e
de l'existence ne peut se faire qu'à l'aide de quelque
discours, conclut Vasquez, partisan de l'argument de
saint Anselme; pour passer de l'idée d'ens quo nia jus
cogitari nequil à celle d'existence réelle, il faut au
moins une deductio ad absurdum. Le passage pour-
rait se faire correctement, si la possibilité de l'être
existant était prouvée, pense avec beaucoup d'autres
Esparza, Cursus theologicus, Lyon, 1685, t. i, 1. I, q. i.
a. 5, ad 2um : formule empruntée aux théologiens par
Leibniz, mais avec une nuance qui dépend de sa con-
ception des possibles. Perez, Derkennis, etc., pensaient
pouvoir légitimer le passage et trancher la question de
possibilité par un appel à la finalité interne; si Dieu
est le bien, il doit avoir réalisé son existence. Voir
col. 820. Mais il reste cette grosse difficulté qui vient de
la singularité du cas de Dieu et qu'a soulignée Chris-
tophe Cil, Commenlationum theolog. de essentia
alque unitale Dei libri duo, Lyon, 1610, 1. I. tr. VIII,
c. ni, à savoir : lorsque la connexion du sujet et du
prédicat, y compris celui d'existence, ne dépend pas de
la nature du sujet lui-même, nous pouvons voir immé-
diatement cette connexion à l'aide d'un principe uni-
versel sans pénétrer la nature du sujet; car la conve-
nance du prédicat au sujet dépend dans ce cas d'autre
chose que de la nature du sujet, et par suite on conçoit
que cette convenance puisse être connue en vertu d'un
principe commun à tous les êtres ou à certaines caté-
gories d'êtres. Mais lorsque la connexion du prédicat
et du sujet n'a pas d'autre fondement que la nature
intrinsèque du sujet, et tel est le cas pour l'existence
divine, celui qui par hypothèse s'est interdit de consi-
dérer les créatures et le fait de leur existence, ne sau-
rait voir immédiatement que Dieu existe, s'il ne pé-
nètre pas la nature même de Dieu. De plus, dans la
même hypothèse, aucune inférence ne peut aboutir à
la réalité de l'existence divine; car cette existence
n'ayant pas d'autre raison immédiate que Dieu lui-
même, rien ne peut la manifester à celui qui, d'une
part, n'a pas la vision intuitive de Dieu et qui, d'autre
part, s'est interdit la considération des œuvres divines.
Donc saint Thomas a fort bien conclu : In ralionibus
in quibus demonslratur Deum esse, non oportet assu-
mi pro medio divinam esse7itiam seu quidditatem.
Contra génies, 1. I, c. xn, ad lum, 2U,U; De potenlia,
q. vu, a. 2, ad lm". Aucune inférence non causale ne
peut donc suffire à légitimer un jugement existentiel
sur Dieu, concluent tous les adversaires de l'argument
de saint Anselme. Cf. Kleutgen. Théologie der Vorxeit,
t. v, n. 423; P/iilosophie scolastique, t. iv. n. 939. Il
est d'autant moins utile d'insister que de nos jours le
débat ne porte guère sur la valeur do l'argument de
saint Anselme, spécialement quand il est question de
la connaissance spontanée de Dieu. Avertissons seule-
ment le lecteur qu'il ne faut pas confondre les discus-
sions sur l'argument de saint Anselme, avec cette autre
question : L'existence de Dieu étant supposée connue
par le moyen des créatures, le métaphysicien peut-il
arriver à se démontrer a priori, positive, sed logice
l'existence divine? Cf. Suarez, Disp. metaphys.,
disp. XXIX, sect. m; Godoy, De Deo, tr. I, disp. 111,
p. n, n. 31; Borrull, Tractatus duo de essentia,
attribulis et visione Dei, tr. I, disp. II, sect. iv sq.,
Lyon. 1661, p. S7-102.
Si, abandonnant la voie de la preuve de l'existence
de Dieu qui prend pour point de départ l'essence
divine considérée en soi, on considère Dieu, non plus
en soi, mais au sens relatif— et, comme le remarquait
déjà saint Grégoire de Xazianze. Orat.,XX\Ul,n. li.P.C-.
t. XXXVI, col. 42, on n'arrive jamais ici-bas à se dégager
893
DIEU (SON existence;
894
complètement de ce point de vue — il est de nouveau
aisé de voir que sans inférence on ne peut pas passer
de l'idée des attributs relatifs et de l'existence objective
niais idéale, qu'on leur donne comme à tous les objets
de la pensée, à l'existence objective et réelle de Dieu. La
raison en est que l'existence de Dieu n'a rien de rela-
tif, mais est totalement absolue. Mais, remarque saint
Anselme, de relativis nulli dubium, quia nullum
connu substantielle est Mi, de qtto relative dicitur.
Quare si quid de summa natura dicitur relative, non
est ejus signi/îcativum substantiœ. Unde hoc ipsum,
quod summa est omnium, sive major omnibus, quse
ab Ma facla sunt, vel aliquid aliud, quod similiter
relative dici polest, non ejus naluralem désignât
esseuliam. Si enim nulla earum rerum unquam esset,
quaruni relatione summa et major dicitur ipsa; nec
summa nec major intelligeretur ; nec tamen ideirco
minus bona esset, aut essentialis suse magniludinis
in aliquo detrimenlum pateretur. Quod ex eo mani-
feste cognoscitur, quoniam ipsa, quidquid boni vel
magni est, non est per aliud quam per se ipsam. Si
igitur summa natura sic potest inlelligi non summa,
ut tamen nequaquam sit major aut minor quam cum
inlelligitur summa omnium; manifeslum est quo-
niam summum non simpliciler significat summam
i liant essentiam, quas omnino major aut ntelior est,
(juam quidquid non est, </uod ipsa. Quod autem ratio
docet de summo, non dissimililer invenitur in simi-
liter relativis. Monologium, c. Xiv. Donc. Dieu conçu
par les attributs relatifs, Dieu désigné par des dénomi-
nations extrinsèques, et d'une manière plus générale,
pour parler comme les modernes, l'bypothèse Dieu, est
ce sans quoi Dieu serait Dieu; l'existence réelle de
Dieu est au contraire « ce sans quoi Dieu ne serait pas
Dieu et son culte anéanti. « Personne n'admet comme
légitime le passage immédiat d'une hypothèse abstraite
.1 l'affirmation catégorique de l'existence concrète,
mettons par exemple de î'éther. A plus forte raison, ce
passage doit-il cire tenu pour incorrect, quand il s'agit
rie l'hypothèse Dieu, parce qu'il y faudrait passer de
ce sans quoi Dieu serait Dieu à ce sans quoi Dieu ne
il pas Dieu. Si donc, en général, l'intelligence
d'une hypothèse m sert à rien pour donner la certi-
tude rationnelle d'un jugement d'existence sur l'objet
hypothétique considéré, et s'il y faut une preuve; le
ingulier de l'hypothèse Dieu, où l'objet hypothé-
tique nVsi désigné que par des dénominations extrin-
sèques, loin de nous dispenser de la preuve, l'exige
absolument. Soutenir que l'intelligence peut porter un
juge ni existentiel cei tain, Bans autre appui que l'idée
de l'hypothèse Dieu, reviendrait, en effet, à dire qu'on
peut avoir l'évidence de cette absurdité «pie ce sans
quoi Dieu sérail Dieu esl identiquement ce sans quoi
Dieu )//■ sérail pas Dieu, Denzinger, n. 428, ou du
moins que ce sans quoi Dieu sérail Dieu nous mani-
imrnédiatemenl ce par quoi Mien esl Dieu.
Il faul ici, sans prétendre exclure en détail toutes
les bypotl . mentionner les principales;
car actuellemeul une grande partie du débal sur l idée
leuse se déroule sur ce terrain, comme l'ont fort
bien \u MM. Moisant, Dieu, , ,■ en métaphy-
sique, Paris, 1907; Piat, Insuffisance de» théorie» de
\ition, Paris, l908;Michelet, Dieuetl'agnosti\
oonteniporain, Paris, 1909 Laissant di côté! as, ou
l'intuition sensible de Dieu, inventé ou plutôt réédité
par Max Huiler, Origine» et développement de !"
Paris, 1879, p. 32 sq., il nous reste, après les
exclu . liminer ce qui
li - hypothi n imi talogique, psychologique, morali .
logique el m< I iphysique. "
" ' ni n
onl 1 1 ption ■!■■ Ii coni ibs traite Immi
diau del i m-', n, ■ .1- i L'amei rda.nl l'être uni,
monde ou âme, voit, par contraste et par regrès, dans
ce fini l'existence nécessaire de l'infini. » Gratry, Con-
naissance de Dieu, 1. II, c. vin, Paris, 1854, p. 100;
Logique, t. n, p. 42. — Critique. — a. Victor Cousin
d'une part s'est donné l'intuition du fini, de l'infini et
de leur rapport et a professé le panthéisme; Spencer
voyant l'absolu dans le relatif ne dépasse pas l'agnos-
ticisme. Toute doctrine dont l'emploi est si dangereux
demande à être précisée. — b. Gratry voyait juste, lors-
qu'il disait que c'est par le fini que nous nous élevons à
l'infini; la chose n'est pas douteuse. Cf. Urraburu,
Instilulioncs p/tilosophicx, Valladolid, 1891, t. il, n. 193.
Mais la conscience nous révèle que penser au fini, ce
n'est pas nécessairement penser à l'infini, et encore
inoins saisir l'infini existant de fait. Cf. Hontheim,
op. cit., n. 101; Urraburu, op. cit., t. vu, p. 79;
Kleutgen, Philosophie scolastique, t. IV, n. 926. Gratry
pensait qu'il faut que la philosophie débute par la
théodicée, parce que l'idée d'infini éclaire tout pour le
chrétien. Connaissance de Dieu, 2e édit., 185i, t. i,
p. 51, 71. Il est vrai, et saint Thomas en a fait la
remarque, Contra gentes, 1. II, c. IV, que, la certitude
de l'existence de Dieu acquise, l'âme chrétienne éclairée
par la foi envisage le fini en fonction de l'infini; mais
cette association est contingente et n'est pas une loi
de l'esprit : quod aliter considérât de crealuris theo-
logus, aliter philosophas. Ce fait d'expérience quoti-
dienne détruit à lui seul la théorie de la connaissance
abstraite immédiate. Cf. ibid., c. il sq., sur l'utilité
réelle de l'élude des créatures; voir l'application de
ces principes dans saint Ignace, K.vercitia spiritualia,
Fundamentum, Conlemplatio ad amorem.
b) Hypothèse psychologique. — Au xvue siècle, quel-
ques théologiens espagnols ont essayé le raisonnement
suivant pour soutenir que la proposition Deus est peut
être immédiatement évidente. Existentia Dei, prout
relucens in existentia créatures, codent judicio immé-
diate affirmatur, sicut audita mec Pétri, nobis bette
nota, immédiate judicamus existere Pelrum, ut con-
nexum cum voce quant audimus, el af/irmantus
existere. Celte opinion a été reprise et développée par
Julius Millier. ])ie chrislliche Le lire von der Sûnde,
:i édit., Breslau, 1849, t. i. 1. I. c. n, et par John
Tulloch, Theisnt, Edimbourg, 1855, p. 265, Dans cette
théorie, l'idée de I lieu esl le nilet lumineux, (/<■>•.! bglanz,
de notre propre personnalité; on le montre d'abord
par l'Écriture, der Mensch ist der Abglant der
Gottheit; puis parla représentation Imaginative de la
grande barbe du Père éternel; » par le « tu », qui
s'échappe naturellement de nos lèvres quand nous
implorons grâce ou secours; par le sentiment que dans
les Centres les plus profonds de noire vie, un Autre,
tout |ires de chacun de nous, se trouve, in qno riii-
mus, minemurcl sumiis. Act., xvn. JTsq. <in reconnaît
la réalisation Imaginative et affective qui Berl de
base au sens illatif de Newman. — Critique, — a. Si
l'on voulait réfuter cette hypothèse par ses consé-
quences, il suffirai! de remarquer que la plupart des
théories athées modernes prennent pour accordé que
le théisme n'a pis d'autre fondement que cette bypo-
i hologique : les ailées affectent de prendre
.m sérieux cette doctrine, puis n'ayant pas de peine à
la démolir par l'hypothèse des projections subjei li
du double, etc., il- concluent ■< leurs philosophiea
..es. — ii. M. us voici la position de la théol
que. Nous ne contestons nullement le faii psy-
chologique observé, à savoir que noua avons une n
ion Imaginative el aussi une représentation Intel*
lectuellede Di< u, On peut mémeconci d< i avi c Haunold,
Théo lativa, Ingolstad, 1670, 1, I, c. I, cont. i,
que lorsque non- entendons la voix connut d<
Pien ace de Pierre ou sa pi
sence tant Infi n n<
895
DIEU (SON EXISTENCE)
896
effet, pouvoir suffire, sans même que nous fassions cette
simple réflexion, hxc vox est connexa cuni exislenlia
Pétri. De la sorte nous pouvons concéder que, pour
celui qui a l'habitude de la vie chrétienne, la réalisa-
tion imaginative ou intellectuelle de Dieu suflit pour
que, sans inférence, il juge que Dieu existe. Mais il ne
suit nullement de là que l'idée confuse de Dieu dont
nous étudions la genèse soit ou puisse être naturelle-
ment telle qu'elle nous manifeste avec évidence l'exis-
tence réelle de son objet. Ne prêtons pas nos habitudes
acquises à la nature. C'est pour l'avoir fait qu'on reste
sans réponse devant ceux qui assignent pour tout fon-
dement aux religions « des émotions puissantes et
vagues, unies par un lien fort lâche à des images con-
fuses et instables, qui prêtaient à l'objet religieux pour
un instant une forme objective. » Marillier, art. Reli-
gion, dans la Grande encyclopédie, p. 347.
c) Hypothèse morale. — On a essayé de suppléer à
l'insuffisance évidente de l'hypothèse psychologique
par l'adjonction de considérations morales. On attribue
aujourd'hui, en France, à Kant l'honneur d'avoir intro-
duit en théodicée la morale pour expliquer la genèse
de l'idée de Dieu. En réalité, Kant pensait que le ciel
étoile, l'ordre du monde, nous donne la première idée
de Dieu, Critique de la raison pure, Dialectique
transcendantale, 1. II, c. m, sect. VI, et que la loi morale
seule nous donne la certitude subjective de son exis-
tence. Cf. Caird, The critical philosophy of Kant,
Glasgow, -1889, t. n, 1. II, c. v, p. 289; 1. III, c. v, p. 507.
Avant Kant, l'école écossaise avait beaucoup étudié
les relations entre l'idée de Dieu et la morale; et c'est
aux Sermons on human nature de Butler que le
Royaume-Uni doit la" vulgarisation de cet ordre
d'études. Vulgarisation, car les moralistes protestants,
les jansénistes et aussi les théologiens catholiques
avaient beaucoup écrit sur ce sujet avant Butler. Voir
Péché philosophique; Denzinger, n. 1156-1159. Les
théologiens catholiques et avec eux Butler et plus
récemment le théologien écossais Chalmers, Natural
theology, Opéra, Glasgow, 1836, t. i, p. 331, consi-
dèrent la conscience morale comme un pouvoir délégué,
c'est-à-dire en langage augustinien comme une parti-
cipation de la loi éternelle, et en ce sens comme la voix
de Dieu. Le fait des impératifs nous donne, en effet, le
sentiment d'une autorité et nous suggère ainsi puissam-
ment et immédiatement la notion d'un législateur et
d'un juge souverain : comme cette autorité ne s'est pas
constituée d'elle-même en nous, par une inférence cau-
sale très rapide nous passons à l'affirmation d'un légis-
lateur, extérieur et supérieur à nous. Rien n'est plus
classique. Mais on a cherché à se passer de cette infé-
rence; dans cette vue on a conçu la conscience morale,
non pas comme un pouvoir délégué, comme un guide
intérieur, mais bien comme la perception d'un pouvoir
directeur dans un autre que nous; et on a dit que le
fait des impératifs est une intuition de la volonté
divine et que l'autorité avec laquelle la conscience nous
parle est l'expression directe, et par conséquent litté-
ralement, la voix de Dieu en nous. Cf. Tullocb, op. cit.,
p. 273. Nevvman s'est approprié cette doctrine, qui, se
donnant l'audition d'une parole étrangère dans la con-
science morale, supprime toute inférence dans la con-
naissance spontanée de l'existence de Dieu. Cf. Baudin,
La philosophie de la foi chez Neivman, dans la Revue
de philosophie, octobre 1906, p. 377. M. Le Roy se
déclare prêt à accepter la preuve de l'existence de
Dieu parles aspirations de l'âme, à la condition toute-
fois que l'on parvienne» à établir que les données dont
elle part, je ne dis pas entraînent, mais constituent
l'affirmation de Dieu, » c'est-à-dire à la condition que
cette preuve ne soit plus une preuve, mais se réduise
à une intuition. Le Boy, Comment se pose le problème
de Dieu, dans la Revue de métaphysique et de morale,
mars 1907, p. 156. — Critique. — a. On a vu plus haut,
col. 841, que Suarez admet que dans une révélation
privée l'homme peut apprendre de Dieu lui-rnéme
l'existence de la divinité. Cf. Ulloi,Theologia scolastica,
Augsbourg, 1719, t. i, disp. I, c. il. Mais nous nous occu-
pons ici de la connaissance naturelle, et donc sans
révélation proprement dite; et personne ne soutiendra
que l'expérience nous donne ce que requiert Suarez
pour qu'une telle ré vélation soit rationnellement certai in •
Saint Augustin, Confessiones, I. VII, c. x, P. I..,
t. xxxii, col. 732, parlant de la révélation du nom de
Dieu, écrit : El clamasli de longinquo : Imo vero : Ego
sum qui sum. Et audivi sicut auditur in corde et non
erat prorsus unde dubitarem; faciliusque dubilarem
vivere me, quant non esse veritatem, quee per ea quse
facta sunt, intellecta conspicitur. Donc saint Augustin,
parvenu à la connaissance de Dieu par la voie de cau-
salité, superior quia ipse fecit me, et ego inferior,
quia faclus sum ab eo, compare à la parole et à l'audi-
tion intérieure l'action divine et sa répercussion en
son âme : le cas n'est pas chimérique, cela s'appelle
en scolastique apprehensio suasira, vi cujus absque
ulla alia suadente ac probante ratione certi omnino
sumus. Mais le phénomène est rare; et le texte de
saint Augustin n'attribue pas à cette audition la pre-
mière certitude de l'existence de Dieu, mais seulement
une connaissance plus parfaite de la nature divine.
D'ailleurs, les protestants qui ont si souvent cité les
Confessions, 1. XI, c. m, P. L., t. xxxn, col. 811, en
faveur de l'inspiration privée, de la parole intérieure.
n'ont pas remarqué qu'après s'être adressé à la vérité
pour être instruit, saint Augustin nous en donne la
réponse : Ecce sunt cselum et terra, clamant quod
facla sint. — b. Enfin, l'âme chrétienne habituée à rece-
voir avec respect la parole révélée de l'Écriture et de
l'enseignement de l'Église, habituée aussi, puisque le
décalogue est révélé, à regarder comme exprimant la
volonté divine révélée la voix de sa conscience, n'a pas
de peine à ne plus considérer dans les impératifs le
diclamen, comme un fruit de son propre esprit; elle
le conçoit comme la voix du législateur suprême. Mais
peut-on soutenir que tout homme réalise spontanément
la loi morale comme le font les chrétiens fervents et
même comme l'éducation a formé nos athées modernes
à le faire? Non, parce que les faits sont là, brutaux,
indéniables. La conscience n'est jamais absente, mais
elle s'impose chez les athées « comme le dictamen de
leur propre esprit et rien de plus. » C'est Newman lui-
même qui reconnaît le fait, ldea of a Universily,
dise, vin, n. 5, 3e édit., Londres, 1873, p. 192. « La
conscience n'est pas pour eux, dit-il, comme elle le
devrait, la voix d'un législateur. » Mais, s'il dépend de
nous de ne pas entendre l'affirmation de l'existence de
Dieu dans le dictamen, c'est donc que le fait de l'impé-
ratif n'est pas lié pour notre esprit à l'existence de Dieu
comme 2 et 2 sont pour lui liés à i.
d) Hypothèse épistémologique. — On sait que du
cartésianisme on a déduit l'idéalisme, c'est-à-dire la
doctrine d'après laquelle nos idées sont le fruit de notre
propre activité, de notre raison; il est historiquement
certain que de bonne heure les cartésiens, sans beau-
coup se préoccuper des arguments de Descartes, ont fait
l'assomption d'une connaissance immédiate de Dieu.
On commença avec Fénelon par parler de « la merveil-
leuse représentation de l'infini, qui tient de l'infini
même et qui ne ressemble à rien de fini. >: De l'exis-
tence et des attributs de Dieu, c. H. Mais Fénelon,
comme plus tard Louis Racine, La religion, c. I, de
cette idée remontait à Dieu par la causalité. « Ouelle
main, quel pinceau, dans mon âme a tracé, d'un objet
infini, l'image incomparable ?,» Mais déjà Saguens. De
perfectionibus divinis, Cologne, 1718, t. i. p. 363,
soutenait que l'idée innée de Dieu précède la connais-
897
dieu (son existence;
898
sance de tous les premiers principes, parce que nous
avons veram speciem divinilatis, unius, simplicis,
immenses, omnipotentis, etc.
A côté du courant cartésien il faut signaler le cou-
rant mystique. Un capucin originaire de Milan, Yalé-
rianus Magnus, mort en 1601, avait écrit un opuscule
mystique De luce menlium et ejus imagine, où par
quarante degrés il conduisait son lecteur à la plus haute
contemplation. Un capucin tyrolien, Juvenalis Ananien-
sis, dans un ouvrage du même genre, Solis intelli-
genlise, cui non succedit no.r, lumen indeficiens ac
inextinguibile, illuminons omnem hominem venien-
teni in hune mundum, seu immediatum Christi cru-
cifixi internum magisterium, Augsbourg, 1186, réim-
primé en 1876, imagina d'appliquer à la connaissance
spontanée de Dieu, une théorie familière à certains
mystiques. Plusieurs des mystiques qui admettent la
possibilité d'un acte surnaturel d'amour de Dieu sans
connaissance antécédente ou concomitante, mais avec
connaissance de Dieu subséquente, voir col. 78!),
expliquent que par cet amour mystique l'âme connait
Dieu, et sait que c'est Dieu qu'elle aime, parce qu'elle
saisit intellectuellement la relation transcendanlale du
don infus de l'amour à Dieu son auteur, Cerson revient
assez souvent à celte explication. Le P. Juvénal exploite
cette veine on alléguant Yltinerarium de saint Bona-
venture. Si je vois, dit-il, les traces d'un lièvre sur la
neige, il faut une inférence pour passer des traces au
lièvre, parce que le lièvre n'est en aucun sens contenu
dans la neige. Si, au contraire, je vois le soleil ou la
tête de César dans un miroir, je n'ai qu'à bien regarder,
et je passe sans inférence de l'image à la réalité, parce
que dans ce cas la réalité est d'une certaine façon dans
le miroir. De même, deux procédés pour connaître
Dieu; en tant que Dieu est cause efliciente et finale
des choses, il faut un discours pour le connaître; mais
Dieu est en tout per essenliam, prsesentiam et polen-
tiam, et en particulier dans l'âme intelligente et dans
les actes de sa raison, il suffit donc de se contempler
soi-même pour connaître Dieu sans inférence. Cepen-
dant on ne tombe point par là dans l'erreur de la
vision intuitive naturelle, parce qu'on ne connaît pas
Dieu ut in se est, mais seulement in aller o. En effet,
Dieu est en nous ut principium et terminus, el donc
comme terme d'une relation. Porro relativa sunt
cognii ognoscuntur per discursum;
qui intuetur relalivum, et ejus terniinum intuetur,
mosci specificatum sine suc speci-
! i,i tan a-, moscitur lermi-
olum sub hoc solo extrinseco
mus illius artus. Op. cit.,
1876, p. :iî'i Cf. Scheeben, La dogmatique, t. Il, n. 17, 19.
L'alliance du mysticisme el du cartési tnisme se lit
par l'intermédiaire d'une Ihéorie néoplatonicienne el
I i jetan. De celle
alliance naquit ce qu'on a appelé la philosophie éclec-
tique au xviir siècle. Les initiateurs de ce système
ienl proposés d'éviter à la fois le cartésianisme el
la vision en Dii n de Malebranche et de sauvi r ce qu'ils
prenaient pour le péripatétisme. Cajetan assez tard, il
l'avoue lui même, avait emprunté aui averrofsles leur
opinion que no onl la similitude formelli
iar les idées îonl unies à notre
par manière de cause f telle. Jn / , q.xit,a 2, ad
l ont volon-
ipinion de Cajetan, moins pour expliquer
ossibilité de la vision intuitive que pour dont
quelques text< an ienl i onfi ;
leurs princip nu sur l'activité des ca
■ n ni i ~ aucun pai mi le anciens qui
iur expliqui i notre i onnaissance de
Dieu li au xviii" siècle, I usèbe
ndamentale l'opinion d'Avi
DICT. ri nu 01 . ' ITHOL.
et de Cajetan. Nos idées sont la représentation exacte
des choses, et les choses connues font un avec notre
esprit : similitude inler mundum inlcllectualem et
realem est perfeclissima ; et ex intelleclu el specie fit
magis iinum quani ex materia et forma; car, a dit
Aristote, anima est quodam modo om>iia. Donc, en
contemplant nos idées, nous voyons le monde spirituel
per species proprias ut sunt in scijisis. Amort est fier
de son invention; elle sauve, pense-t-il, toutes les
entités de la scolastique, /on»as, accid en l ia ,relationcs ,
modos, puisqu'elle nous donne des idées claires de
tout, aussi bien de Dieu que de la chaleur, de la
lumière et des ubications. Cependant par elle on ne
tombe ni dans la doctrine de Doscartes, de Locke, de
Malebranche, de Leibniz ou de Wolf, puisqu'on rejette
les idées innées et que l'on garde les entités réellement
distinctes : à chaque idée, la sienne. Philosophia Pol-
lingana, Augsbourg, 1730, p. 480-506. Cette philosophie
eut beaucoup de succès, et plut aux mystiques qui n'y
virent qu'une extension de la doctrine en vertu de
laquelle ils se flattaient de connaître sans inférence
l'existence de Dieu par la contemplation de la similitude
formelle qu'ils pensaient en avoir dans leur âme rai-
sonnable ou dans quelques-uns de ses dons ou actes.
On a beaucoup parlé ces derniers temps de l'action
divine et de la motion de Dieu; poussant l'analyse de
ce que nous avons vu chez Juvénal, que Dieu peut être
immédiatement connu parce qu'il nous est intimement
présent, les éclectiques en vinrentà expliquer l'origine
de nos idées de Dieu et des premiers principes par
l'action immédiate de Dieu. Quare qitod ad rei fun-
iliini, licet maximum idearum partent acquisitam
esse aul medilalione parlant dicamus; mentis tamen
ef/icaciam et motionés quasdam animœ a Deo inditas,
quibui anima ipsaad Dei et primnrum principiorum
cognitionem perveniat, tenemus. Utrum vero motionés
illse humants mentibus ab illo inditx, qui illuminai
omnem hominem venientem in hune mundum, appel-
lenlur a te idese neene, nihil moror. Philosophia
eclectica, 1770, Ars crilica, part. I, lect. m, annot.
hist., n. 'i0. Cf. le platonicien Philippe Mocenicus,
l niversales institutiones ail hominum perfeclionem,
Venise, 1581. En d'autres termes, comme on peut le voir
dans Para du Phanjas, Théorie des êtres insensibles ou
cours complet de métaphysique, Paris, 1779. t. i,
p. 516; Philosophie de la religion, dans les Démon-
strations évangéliquei de Migne, t. ix, col. 41, 53, la
philosophie éclectique, rejetant les idées innées, la
vision en Dieu, l'acquisition de nos idées par l'expé-
rience, concluait que Dieu <> es! l'unique cause effi-
ciente de toutes nos idées primordiales », que de ces
idées celle de Dieu est la première, qu'elle nous mani-
immédiatetnenl l'existence de Dieu, et que nous
sommes sûrs de sa valeur par le « sentiment intime
qui donne toujours une certitude infaillible de son
objet, par le témoignage des idées claires el par le
consentement généi
D'autres prirent une autre voie. J'ai sous les \< ui
un essai d'apologétique mystique par Udalric a Gablii
Imago Dei sive anima rationalis ad exprestionem
rùt œternm facla, Verceil, 177-J. qui pourrait
servir i prouver que l'histoire est quelquefois un re-
commencement. L'auteur s'adn sse a i i cli ctique et lui
.o de l'origine di a idéi
inadéquate, bien qu'exacte en ci qu'elle affirme i
naissance de Dieu sans aucune Inférence. Admettez,
ilit-il .i\n- Ainoi'l, que noire .une COOnOScendO fit
a, p. 10, el que nos Idées sont la similitude for-
melle des choses comme notre ai si l'image expi
île Dieu, p. li sq. Puisque nous ,i\,,iis l'idée de Dieu,
us onl appi i- i le faire li i
capucins Juvénal el Valetianus Ma mme cette
Idéi ie i" ul venir que de Pieu qui nous Illumine tous,
l\. - »
809
DIEU (SON EXISTENCE)
900
consequilur Henni Ter Optimum Maximum esse
onmi homini ralione ulenti per se ac immédiate anle
m, Dion illationem, demonstrationem et argumenla-
tionem aliquo modo nolum,el neeessario ante omnem
aclum rationis sive perceptivum, sire judicathum
aut illativum, ipsum Deum sub ralione Enlis perfe-
ctissimi, scu Entis qua ens, velut œternum, immula-
bile et incircumscriptum motivum cidem menti na-
luraliter lucere, p. 65. Udalric fait ensuite, valoir que
sa doctrine a le grand avantage de mettre l'existence
de Dieu hors de question, p. 66, et de dispenser de
l'étude du problème des critères delà vérité, p. 108sq.
Ce qui advint est connu du lecteur. Kant se trouva
en présence d'apologistes qui avaient renoncé à l'usage
du principe de causalité et même à celui de (inalité,
pour se réfugier dans la connaissance immédiate de
l'existence de Dieu. Il ramena la question à cet unique
point et n'eut pas de peine, dans sa critique de la
preuve ontologique, à monlrer qu'elle ne fournissait
pas la connaissance immédiate dont on se flattait : ce
qui ne peut pas faire de doute même pour les scolas-
tiques qui défendent cet argument. Alors la philosophie
éclectique se disloqua. Jacobi et Schleiermacher res-
tèrent fidèles au sentimentintime, à l'expérience pseudo-
mystique, voir col. 793, tout en renonçant à l'idée claire
de Dieu. Lamennais garda la connaissance immédiate
de Dieu, mais la justifia par la révélation attestée par
fe consentement général : la connaissance immédiate
est impossible, cependant l'humanité l'a, donc elle a
été révélée. Voir col. 807. Gerdil, Gioberti, puis les
ontologistes français et Rosmini pensèrent sauver la
connaissance immédiate en recourant à la vision en
Dieu de Malebranche et de Berkeley. Un thomiste mo-
derne signale les rapports que la philosophie spécula-
tive allemande eut avec l'hypothèse averroïste de Caje-
tan et d'Amort et avec certaine mystique. Quidquidest
realitatis divines, etiamillud minimum (tiostro modo
concipiendi) quod est « reprsesenlari » est idenlicum
cum toto esse divino, cum totali « Ipsum esse ». Et
sic Itabemus ut profundissimum pronuntialum tho-
mislicte philosophiœ aliquam asserlionem, quam
perverse extendens Hegel — une note avertit le lecteur
que Fichte a devancé Hegel et Schelling dans cette
voie — assumpsit ut primum siti si/slemalis funda-
mentum ; quseque forte coincidit cum assertionibus
quibusdam omnino mysteriosis mysticorum. DeMun-
nynck, Prselecliones de existentia Dei, p. 13, 20. Je ne
contredirai pas le P. de Munnynck; la ressemblance
des doctrines n'est pas niable, Hegel disant pour cette
vie ce que Cajetan imagine pour l'autre; mais la filia-
tion directe ne me parait pas sûre, parce que, sans avoir
à recourir à la grossière équivoque des formules anima
fit omnia, exobjecto et intellectu fit unum, entendues
au sens averroïste, plotinien et pseudo-mystique, Hegel
avaitdes ancêtres dans Boehme et Spinoza. Voir col. 786.
Mais c'est bien en partant de la même doctrine néo-
platonicienne de l'identité de la connaissance et de
l'être que M. Bergson aboutit à l'espèce de monisme
idéaliste qu'il professe; il avoue d'ailleurs celte filiation
et cite à son tour le mot d'Aristote voOç 7(7> uàv-a
yfveaOat, qu'il interprète dans le sens de Plotin. Evolu-
tion créatrice, Paris, 1907, p. 348, 229. C'est du mé-
lange de toutes ces données pseudo-épistémologiques
et des plus larges concessions faites au nominalisme,
positiviste ou idéaliste, que sont sorties les diverses
théories courantes de l'origine des idées religieuses
et en particulier la doctrine d'immanence. L'ency-
clique Pascendi fait remarquer que le protestan-
tisme libéral et le modernisme attribuent la con-
naissance religieuse à l'action divine et que dans cetle
connaissance qui, chez eux, ne dépasse pas l'agnosti-
cisme, l'expérience et le sentiment ont remplacé la
raison. Denzinger, 10e édit., n. 207i, 2081; voir
col. 805. Sans qu'il soil nécessaire d'insister, le lec-
teur à l'aide de ce que nous venons d'exposer pourra
facilement juger à quelles préoccupations sont dues
certaines doctrines épistémologiques à la mode chez
certains néo-scolastiques et aussi d'où sont venues
certaines concessions qui peut-être l'ont surpris.
Critique. — Il n'est rien en tout ceci dont les causes
profondes et les conclusions n'aient été indiquées et
discutées au cours de l'article sur la connaissance na-
turelle de Dieu, sauf cependant deux points dont il
faut dire un mot. — a. La théorie de Cajetan, d'à]
laquelle nos idées sont la similitude formelle des
choses, tandis cjue les choses nous sont d'abord unies
par manière de causes formelles pour que l'intellec-
lion soit produite, est plus que douteuse. Ce n'est pas
du tout, quoi qu'en puissent dire quelques néo-tho-
mistes, une vérité acquise en philosophie scolastique;
le nombre des théologiens qui la rejettent et pour
celte vie et aussi pour l'autre est immense. Cf. Lossada,
Cursus pliilosophicus, Barcelone, 1883, Animatlica,
disp. VI, c. n, n. 15, t. ix, p. 13. Ensuite confondre la
doctrine de Cajetan et des thomistes qui l'ont ici véri-
tablement suivi, avec celle d'Amort, de certains mys-
tiques et néo-thomistes, de Hegel et de M. Bergson, qui
tous prétendent en cette vie atteindre immédiatement
l'absolu, est profondément injuste et inexact. Cajetan, en
effet, maintient expressément que l'idée est produite par
l'objet et que l'idée et l'intelligence concourent comme
deux causes partielles à l'intellection; à cela il ajoute,
il est vrai, ce qu'il emprunte à Averroès et aux néo-
platoniciens, à savoir qu'avant de féconder l'esprit
comme cause efficiente l'objet s'unit à lui natura prias
comme cause formelle. Je n'admets en aucune façon
la probabilité intrinsèque de cette hypothèse, cf.- S. Tho-
mas, De verilale, q. x, a. 7; mais il faut reconnaître
qu'en ce qui concerne le point qui nous occupe, la doc-
trine de Cajetan et de tous les thomistes qui lui sont
fidèles est absolument correcte et conforme à l'enseigne-
ment commun de l'École. Ils admettent, en effet, que
notre idée de Dieu ici-bas est acquise par inférence,
grâce à notre activité sous Faction causale des éléments
de notre expérience intérieure et extérieure ; cette idée,
comme toutes les autres dans leur système, nous identifie
à l'objet qu'elle représente à la manière des causes for-
melles; comme cependant, vu son origine, elle est adé-
quatement distincte de Dieu, le péril du panthéisme et
du monisme est écarté; comme en vertu de la même
origine elle ne représente aucunement Dieu per spe-
ciem propriam ex propriis, mais seulement per spe-
ciem propriam ex communions, la connaissance sans
inférence de l'existence de Dieu que se donnent Aniort,
les pseudo-mystiques et certains néo-thomistes est impos-
sible, puisque l'esprit n'est informé et fécondé que par
une similitude déficiente. Cf. Thomas. De teritale, q.x,
a. 12. ad 10'""; De potentia, q. vu, a. 7, ad 6um; a. 9,
ad6"m; a. 2, ad l"m; Sum. theol., I», q. i.xxxvm, a. .'!,
ad 3um; q. m. a. i. ad -J : Contra génies, 1. I. c. xn;
voir les commentaires de Cajetan et du l'orrai ionsis sur
ces deux derniers passages. Bref, les anciens thomistes
qui ont accepté l'opinion de Cajetan. afin de pouvoir
se passer de toute similitude formelle de Dieu en
l'autre vie, étaient trop bons logiciens pour admettre en
celle-ci ce qu'ils prétendaient démontrer impossible
pour l'autre. — b. L'hypothèse du P. Ju vénal survient
ici. Ne peut-on pas concevoir une connaissance de
Dieu comme terme et principe de nos états subjectifs,
naturels et surtout surnaturels, sans inférence et
pourtant sans vision intuitive? Les anciens théologiens
ont longuement discuté ces sortes de possibilités, soit
à propos des anges, soit à propos d'Adam avant la chute,
soit aussi à propos de quelques faits mystiques. Mais
nous ne sommes ni des anges, ni des enfants d'Adam
avant la chute, ni tous dans les voies mystiques. On
901
DIEU (SON EXISTENCE)
902
fait aujourd'hui de la psychologie comparée avec les ani-
maux; les scolastiques en ont fait à leur manière à
propos des anges et d'Adam; et l'étude de ce qu'ils en
ont dit est utile pour connaître toute leur pensée sur
notre propre psychologie. Mais, prendre pour des faits
toutes leurs hypothèses en ces matières serait de la
naïveté; transporter ces faits à notre cas serait un dé-
faut radical de méthode. Je sais bien qu'on le commet
souvent de nos jours pour rapprocher, croit-on,
l'École de la pensée moderne; mais ce souci ne
saurait autoriser la construction d'une apologétique
sans solides fondements. De même pour les états mys-
tiques; ils sont dits mystiques, parce qu'ils sont en
marge de la psychologie de tout le monde. Quand même
les choses se passeraient dans les états mystiques
comme le prétend le P. Ju vénal, quand il serait prouvé
qu'il ne répugne pas que par l'intuition de notre âme,
de nos dons surnaturels infus ou actuels, de nos actes
el états affectifs religieux, on peut arriver à une con-
naissance abstraite mais immédiate de Dieu existant et
présent, la solution du problème que nous étudions ne
serait pas avancée d'une ligne. Tout cela ne nous don-
nerait pas la certitude rationnelle de l'existence de
Dieu que nous cherchons; etqui dira que tout homme
venu en ce monde a expérimenté ce que décrivent les
mystiques? Que notre Ame est faite à l'image de Dieu,
nous n'y pensons pas toujours, et beaucoup n'y pensent
jamais. Cf. S. Thomas, De veritate, q. x, a. 11, ad 11»1".
— c. On a répondu que l'on peut supposer un secours
(h' Dieu tel que notre attention soit dirigée sur cette
similitude, qu'il est possible que le secours de Dieu
lui-même nous la manifeste. Le lecteur a déjà vu,
col. 859 sq., combien ce recours à une action spéciale
de hieu, soit naturelle, soit surnaturelle, est délicat;
ensuite, on arrive par cette voie à exclure le monde
extérieur du nombre des moyens par lesquels nous
pouvons naturellement connaître Dieu, col. 812, 853.
Inutile d'insister.
Hypothèse métaphysique. — Le lecteur sait que
plusieurs de nos conlemporains onl essayé île trouver
une voie raccourcie pour parvenir à l'existence de
Dieu m moyen de nos tendances naturelles. Accordant
comme acquis les résultais de la critique kantienne
et spencérienne, ils se sont demandés s'il ne serait pas
possible de trouver Dieu sans passer par la causalité,
efficiente ou finale. Comme ces auteurs Faisaient des
emprunt'- assez luges aux doctrines issues des quatre
hypothèses pr ! ment à la doctrine
il immanence, on a donné à leur méthode le nom de mé-
thode d'immanence. Le détail de la gamme des nuances
entre ceux qui de près ou de loin se sont ralliés à
cette méthode serait infini et ne saurait trouver place
ici. Quelques théologiens espagnols et romains du
xvir siècle se sont |i isé exactement le même problème
ontre de nos apologistes actuels, en rei
tant dans les limites de la plus -tricle orthodoxii
tuteurs, i h effet, d'une part admettaient la valeur
démonstrativi d"> preuves classiques de l'existence de
Dieu, d'autre part il- ne mêlaient a leur hypothèse
[lie. i in trouve donc chez eux
■ i l'étal pur tout ce qui peut faire l'intérêt du probli mi
traité par les philosophie! de l'action, du dogmatisme
moral, du pragmatic Si après avoir eu un moment
«le vogue, leui ont onl été abandi
M et intén -- mi .1 en donner les rai-
la critiqui dei philosophiei de
l'immani n tte discussion four-
n de dire pourquoi non seulement
l« méthode d'immanence, mus encore lei quatre I
iboutir .i nous don-
ner • une certitude rationnelle
de I ■ di Dieu.
<»i> .mi qu Ani m- Perez a<
saint Anselme, en partant de l'idée de Dieu considéré en
soi, à prouver son existence, et cela par la finalité in-
terne. Mirabilis theologi Antonii Père:... in iam par-
lem tractalus quinque, opus posthumum, Rome, 1656,
1. 1, disp. I, c. iv sq. Le même auteur avait aussi essayé
de prouver Dieu considéré en soi directement par nos
tendances ou comme on dit aujourd'hui par l'action et
par nos jugements de valeur. Cette voie avait été ouverte
par Scot, dont l'esprit subtil s'était un jour amusé à
« colorer », comme il dit, l'argument de saint Anselme.
Ver illud potest colorari ratio Anselmi de sumnio
cogitabili. Intclligenda est descriptio ejus sic : Deus
est quo, cogitato sine contradiclione, majus cogilari
non potest sine contradiclione... Sequitur autan laie
gamme cogilabile esse in re, per quod describitur
Deus. Quo oslendi tur primo de esse quiddilativo :
quia in tali cogitabili summo summe quiescit intel-
leclus; ergo est in ipso ratio primi objecti intelleclus,
scilicet enlis, et in summo. Ultra de esse existentiœ :
summum cogitabile non est tantum inlelleclu cogi-
tante, quia tune possel esse quia cogitabile ; et non
possel esse, quia ralioni ejus répugnât esse ab alio.
Scot, De primo rerum omnium principio, c. iv, n. 24,
édit. Vives, t. iv, p. 778. Voir In IV Sent., 1. I,
dist. II, q. n, n. 32. Perez reprit le procédé indi-
qué par Scot : demander la concession d'une idée
de Dieu correspondant à nos tendances naturelles : in
summo cogitabili summe quiescit intellectus, et de
cette tendance conclure, par un appel implicite au
principe de finalité interne, que la réalité correspon-
dant à cette idée existe; il prétend même que cette
manière d'argumenter est facile et populaire et, d'après
lui, c'est à cet argument que se réduit le raisonnement
fameux d'Aristote: non est bona multitudo principum :
entia volunl bette gubernari ; uno ergo principe. Ibid '.,
n. 57 sq. D'après beaucoup de scolastiques l'argument
île saint Anselme vaudrait si la possibilité de l'essence
divine était prouvée. Sylvester Maurus essaya de mon-
trer cette possibilité à l'aide du procédé de Scot el de
Perez. Quia cenlrum ad quod impelus et volutitas
summo impetu feruntur ut in co quiescanl non est
./ impossibile; il le montre parce que si le centre
('■tait impossible les graves n'y tendraient pas.
datur aliquod ens carens defeclu in quo quiescat in-
tellectus cnntemplans et volunlas amans, eo quodnihil
in ipso displiceat, ac per displicentiam stimule/ a<l
quserendum melius. Qussstiones philosophicœ, q. xn,
phytico-nietaphysica, Rome, 1670, édit. Liberatore,
Paris, 1876, t. m, p. 349. On se lama dans ces sortes
d'argumentations, qui n'ont pas encore complètement
disparu de nos jours. Cf. Lepidi,cité par de Munnynck,
/., p. 19; Cuevas, allégué par Urraburu, op,
t. vu, p. 63. Et l'on pensa prouver l'existenci de Dieu
en déduisant directement de nos tendances naturelles
son éternité, sa nécessité, son infinité. Par exemple,
nouspercevons le principe de contradiction comme per-
manent : mais il faut un vérificatif à toute proposition
vraie; donc un éternel existe. Ou bien, la >
île nous donne l'idée d'un impraferibile, d'un
qui ne peut déplaire 4 nul non sensé; mais seul
unet re peut être impraferibile, ou quodnulli
sapienlidù semery, Friennium phi'
bicum,R 1688, t. m. p. ils. Ou encore, la con-
science morale nous donne l'idée d'un être non hos
',■ uni fugibile ub aliquo ; ted omne habeni defec-
aliquem vel imperfectionem est honeste odibile
nul fugibile ab aliquo; donc l'objet que non
conscience moi i omble de la perfection,
infini; doue il existe. Esparza, Cwiut th
I, I. q. ii, .i- 7, Lyon, 1666, t. i. I lison-
nemi nta -ont Indiqués dans tous les manuels qui dîs-
cutenl -i foml l'argument de ..uni Anselme, 1 1
faciles à découvrir. D'ailleurs, bien qu'on • n
903
1)1 EU (SON EXISTENCE,
904
encore solennellement le contraire dans plusieurs lycées
de France, ils n'ont jamais été les seuls arguments que
l'École ait employés pour prouver l'existence de Dieu.
Ceux-là même qui les proposent maintiennent les
preuves a posteriori classiques.
A coté de ce vernissage de l'argument de saint An-
selme, les théologiens que nous venons de citer,
Espar/a, Pallavicini, Semery, Maurus, avaient un autre
procédé qui leur était davantage personnel et qui se
distingue du précédent, bien que souvent ils les aient
entremêlés, pour rendre la solution de leur argumen-
tation plus difficile. Ils connaissaient la thèse classique
qu'en vertu de nos tendances les plus générales, Dieu
nous est connu in communi : Deum esse in communi
est per se notum. Voici l'interprétation qu'ils en don-
nèrent. Nous désignons Dieu en soi et Dieu en fonc-
tion des créatures : prsedicata absohtta et relative/., et
ils reproduisaient les trois groupes de formules données
plus haut, et qui peuvent s'entendre soit au sens absolu,
soit au sens relatif. Or, ajoute Esparza, op. cit., 1. I,
q. I, a. 3; q. il, a. 4, 7, certwn est esse per se notant
respect» vostri existenliam Dei sub multiplici con-
ceptu reipsa converlibili cum iis prœdicatis quai modo
enumerala sunt, licet non sit per se nota convertibili-
tas cum iisdem. Voici comment on montre ce fait.
Une tendance spontanée de notre esprit nous impose
le principe de contradiction, et bien que ce principe
soit disjonclif, il nous est absolument impossible de
penser que rien n'existe. Qu'il est impossible que rien
n'existe n'est pas seulement une vérité d'expérience,
contingente; mais c'est une vérité nécessaire, immédia-
tement fournie par la conscience. Or, lorsque nous
réfléchissons à ce fait subjectif que nous ne pouvons
pas penser que rien n'existe, l'objet de notre pensée
directe est en réalité Dieu, fondement des possibles,
principe des existences, bien qu'à ce stade notre pen-
sée ne démêle pas encore que ces propriétés désignent
Dieu et ne conviennent qu'à lui. Pallavicini, Assertio-
nes theologicœ, 1. VIII, c. n, n. 5, Rome, 1652. Nous
avons donc sans aucune inférence l'existence actuelle
de la raison de la possibilité des choses et du principe
de leur existence. D'un autre côté, dit Esparza, cum
omnes absque discursu necessario retint esse beali,
alque assequi suum fincm ultimum bonumque
suum bealificum, quod fieri non potesl absque prvevio
assensu ex sola lerminorum apprehensione concepto,
quod detur bonum bealificum et ullimus finis, sequi-
tur esse per se notum dari aliquem finem hominis et
bonum bealificum respectu ejusdem. Donc de nouveau
sans inférence nos tendances nous donnent un juge-
ment existentiel sur Dieu ; car dans la réalité, c'est
Dieu qui est notre béatitude.
Cependant la conscience qui nous fournit immédia-
tement l'existence de Dieu per prsedicatum identifica-
tum cum Deo et cum ipso converlibile, cujus lixc
identitas et convertibililas ignoratur a nobis, ne nous
donne pas sans quelque discours la connaissance de
cette identité et de cette convertibilité. Licet non sil
per se notum dari Deum sub conceptu Dei, tamen est
perse notum dari sub conceptu converlibili cum Deo,
itaul hœc convertibililas non sit per senota sed debeat
demonstrari. Nam est per se notum necessc esse ut
quodlibel sit velnon sit;dari sufficientiam ad hoc ut
sint omnia quse sunt, etc.; sed haec nécessitas et htec
sufficientia identificantur cum Deo, licet nobis non
s'il per se nota lisec identitas ideoque a multis nege-
tur. Dum igilur cognoscimus cl affirmamus Deum
sub conceptu veritatis necessariœ, sub conceptu beati-
tudinis, etc., cognoscimus et Deumquasi per accidens,
eo paclo quo videns venientem qui est Petrus sed non-
tinm discernens Muni esse Pelrum, cognoscit Petrum
per accidens, Maurus, Opus theologicum, Rome, 1083,
l. i, 1.1, q. xiv, n. S, p. 39. Le lecteur remarquera que
.Maurus dans cette dernière phrase interprète saint Tho-
mas, Sum. t heol., [•, q. nta.l,ad I " . dans le sen
précisions formelles de l'école d'Occam, tandis qu'il est
certain que saint Thomas, tous les thomistes, scotistes
et suaréziens admettent les précisions objectives.
Après avoir trouvé dans les données immédiates de
leur conscience l'existence de Dieu en soi. per / il
catum identifieatum cum Deo, restait à prendre une
conscience distincte du donné de la spontanéité. L'ac-
tivité de notre intelligence nous impose le principe de
contradiction et sa valeur objective; elle nous fournit
aussi l'idée de la possibilité des choses, comme quod-
libel esse tel non esse, et de l'impossibilité, comme
simul esse et non esse. Donc, puisque ce principe est
disjonctif. indépendamment de toute considération des
choses existantes et des conditions de leur existence,
par le seul principe de contradiction, nous connaissons
la détermination absolue des choses à être ou à n'être
pas, raison suffisante de la possibilité des possibles et
de l'impossibilité des impossibles, racine dernière, si
de fait quelque chose existe, de l'existence des unes et
de la non-existence des autres. On se souvient que
Leibniz avait lu Perez et les écrivains de son école et
que l'on retrouve chez lui sur les êtres contingents des
idées analogues à celles-ci; mais les théologiens rejet-
tent les vues de Leibniz parce qu'inconciliables avec
la liberté absolue de la création. De même pour la
volonté, poursuivaient les théologiens que nous élu-
dions. La conscience morale nous présente certains
objets comme absolument inéligibles: mais cette idée
ne va pas sans la notion corrélative d'un objet imprae-
feribile; per cujus oppositionem malum morale est
taie ; quod nullisapientidisplicerepotest, etc. Nous voilà
donc sans aucune inférence causale, par la simple ana-
lyse des notions fournies par l'activité de nos facultés
intellectuelles et morales, en possession des idées sui-
vantes : nécessitas quam res habent ad alterulram
parlent contradiclionis, possibilitas possibilium et
impossibilitas impossibilium, sufficientia omnium
quse sunt vel esse possunt, primm régula' synderesis,
ultimi finis quo a natura ducimur.
Ces notions acquises, il serait facile de passer à l'af-
firmation de l'existence objective de l'objet qu'elles
représentent :1° par le principe de causalité, efficiente
ou finale, à la manière de l'Ecole; 2° par le principe
platonicien, qui n'est qu'une forme déguisée du prin-
cipe de finalité, d'après lequel l'ordre objectif corres-
pond à l'ordre subjectif de nos pensées: 3° par les pro-
cédés de vernissage de l'argument de saint Anselme
rapportés plus haut. Mais on peut arriver au même
résultat par une autre voie sans inférence causale
d'aucune sorte. En effet, nous avons, d'une part, Vexis-
tence du fondement des possibles, du principe des exis-
tences, du bien béatilique; d'autre part, nous avons la
notion de la détermination absolue des choses à être ou
à n'être pas, de la raison suffisante des possibles, de
la racine dernière de l'être, du bien dont le respect et
l'estime s'imposent à la conscience morale, du but auquel
la nature nous pousse impérieusement. Si nous pou-
vons montrer l'identité du premier objet et du second,
le premier étant connu comme existant, le second sera
donc connu comme existant. Or. le second indubita-
blement est Dieu connu comme Dieu. Donc.
L'identité de ces deux objets ne fait aucun doute, dit
Pallavicini, toc cit., n. 7. si l'on fait une hypothèse.
niée par beaucoup de théologiens avant Vasquez, par
Vasquez et depuis pur quelques rares auteurs, mais que
l'on peut d'ailleurs démontrer. Supposila veriore sen-
tentia inferius probanda, quod entitas Dei non sil
aliquid intrinsece preescindens a possibilitate aliisque
prœdicatis necessariis creaturarum, Deum ex parle
objecti identi/icari palet exempli gratia in conce/ tu
necessitatis quam res habent ad alterulram partent
905
DIEU (SON EXISTENCES
906
contradiclionis, item in eonceptu exislentise quant ha-
bent res in aliqua causa, in eonceptu primée reguix
synderesis, in eonceptu ullinti finis quo ducimur a
natura et similibus. Hi enim omnes conceptus objec-
tivi reipsa idem sunt ac Deus, quse lamen identitas
non constat nobis nisi per discursum.
Quel est enfin ce raisonnement? Le voici, ramené
à ses termes généraux. Quand l'esprit saisit un des
termes d'une connexion logique, physique ou méta-
physique comme connexe, il saisit nécessairement du
même coup l'autre terme de la connexion. Or, si on
rejette la doctrine de Vasquez sur l'être absolu de
Dieu, In I3m, disp. CIV, Dieu est connexe avec la déter-
mination absolue des choses à être ou à n'être pas,
avec la possibilité des possibles et l'impossibilité des
impossibles, avec la raison suffisante des existences,
avec la conscience morale et la tendance à la fin der-
nière. De plus, tous ces objets nous sont présentés
par la conscience comme connexes avec quelque chose :
en effet, toutes les notions dérivées de l'étude du prin-
cipe de contradiction sont vraies et nécessairement
vraies, donc liées avec quelque chose d'objectif, puis-
qu'il faut un vérificatif à toute proposition vraie, comme
le démontrent les thomistes qui soutiennent la présen-
tialité éternelle des existants; ou du moins comme le
pensent saint Augustin et saint Thomas. De veritale,
q. i. a. ô; quant aux notions fournies par la conscience
morale, celle-ci nous les présente toujours en fonction
d'un être supérieur, et donc comme connexes avec lui.
D'où il suit enfin qu'il esf un moyen d'avoir la certitude
rationnelle de l'exisfence de Dieu sans aucune infé-
fi n i par voie de causalité, soit efficiente, soit finale.
Cf. L'Iloa, Prodromus, disp. Y, c. vin, Rome, 1711,
p, 17.").
Critique. — Notre but n'étant pas de faire un cours
de haute métaphysique, mais seulement de dire pour-
quoi cette méthode est insuffisante, nous nous borne-
rons à quatre observations, après avoir signalé au
passage sur la genèse du principe de contradiction et
sur la notion de vérité, Blondel, Principe élémentaire
logique de la vie morale, dans la Bibliotlu
ngrè» international de ; le de 1900, t. H,
p. .">l ; Royce. The probien i of truth, dans la lierur de
métaphysique el de morale, novembre 1908, p. 930. Com-
parer avec saint Thomas, lu IVSent., 1. I, dist. XXXV,
theol., [« Il ■ | ([. i.xxii. a. 0; De quatuor
itis; avec Scot. /// metaphys., 1. VII, q. xill ;
Ix IVSent., !. II. dist. III. Minges explique les ti
de Scot et montre leur accord avec Suarez, c'est-à-dire
li . dans le fascicule I 'lu t. vu des Jleitrâge
eumker. Le même auteur a préci demment réduit
à leur jusle valeur les accusations de volontarisme
outré' portées contre Se,, t. au fascicule i" du t. v de [g
m. !.. ii. intitulé : ht Dons Scotus Indéter-
miné
". Les faits psychologiques qui servenl -
toute I argumentation sont mal interpn tés, comme le
montre finement saint Thomas, De veritate, q. X, a. 12,
■d 5", 8 De & que nous ne pou ons pas penser
que rien n'existe, on conclut que l'objet de notre
I- ns ■ esl d m : Heu . mai- cette formule peu)
nifiei qui ci Lui <\<- co>> bien qu'il nous
n ■ i que nous n'existons pas, il
ible d.- porti > un juge ni férue
■ en réalifa i e que nous donne
[ue, et dai
•gique qui périmentoni . On objecte que,
menl
'I11''1 ible que i i ,,, , pond
-i l'on pente en nu que
maintenant, ou que quelque i I
n'a qu'une nécessité hypothétique et non absolue; donc
la conséquence ne suit pas, à moins que l'on ne passe
par le principe de causalité. Si l'on fait totalement
abstraction de toutes les existences, il ne reste qu'un
principe purement formel auquel ne répond qu'une
vérité purement logique, d'où rien ne suit dans l'ordre
des réalités, quia de ente et non ente contingit verum
dicere. Esparza n'observe pas mieux à propos du désir
du bonheur. Nous voulons, dit-il, être heureux; cela
suppose l'idée antécédente du bonheur et un jugement
d'existence. .Mais ou bien on nous parle de la tendance
innée à Dieu dont il est question dans saint Thomas,
Sum. theol., D, q. LX, a. 3; F II1', q. cix, a. 3; II» II»,
q. xxvi, a. 3; Maslrius, In IV Sent., I. III, disp. YI,
q. xxv ; Tolet, Comment, in l-im, Rome, 1869, 1. 1, p. 488;
et cette tendance, qui n'est pas un acle mais un fait et la
racine métaphysique de notre liberté, n'inclut aucune
appréhension antécédente ; et, pour en déduire quoi
que ce soit, il faut recourir à la (inalité interne. Voir
le procédé dans Schiffini, Dispulationes meta/Jnjsicse
specialis, Turin, 1888, t. n, th. m, n. 395; Hontheim,
op. cit., n..">(>7, el à un autre point de vue dans Cafhrein,
Philosophia moralis, Fribourg, 1893, th. i, n. 10. Ou
bien on nous parle de l'appétit élicile, du désir actuel
du bonheur, qui naît de l'appétit naturel quo quodlibet
appétit naluraliter se esse completum in bonitate,
comme parle saint Thomas, De veritale, q. XXII, a. 7.
Celui-ci, en saine philosophie, suppose quelque connais-
sance de son objet : nihil volitum, nisi prsecognilum .
Mais Esparza devrait prouver que l'objet d'un tel acte
ne pouf pas être impossible, ou que la simple idée de la
possibilité du bonheur ne suffit pas à provoquer un
acle de ce genre. Or, ces exclusions ne sont possibles
qu'à l'aide de la causalité efficiente ou finale. El lors-
qu'elles sont faites, on n'a pas encore l'existence du
bien béatifique, à moins de faire un nouvel appel au
discours causal. Voir le procédé dans saint Thomas,
Sum. theol., F II-1', q. I, a. 4; Contrit génies, 1. III, c. il,
n. 2 sq., bien différent de celui de Kant, cf. Frins,
De actibus humanis, Fribourg-en-Brisgau, 1897, i. i,
p. 07-8."); et pour se persuader qu'on n'a pas attendu
Kant pour entrer en plein dans cette voie, lire Bagot,
Apologeticus fidei, part. Il, I. II. disp. I. c. m-vi,
in-fol.', Paris, 1645, I. il, p. 99-118.
b. Quand bien même on devrait au point de vue de
rvation psychologique concéder à Esparza, comme
il le veut, que nous percevons immédiatement l'exis-
lu vrai el du bien, il ne suivrait pas du tout que
ce soit là concevoir Dieu considéré eu soi, per prsedi-
calum inlrinsecum Deo, Tous les anciens scolastiques
concèdent une connaissance spontanée mais obscure
de Dieu, sub rations unius, veri, boni, beatutidinis ;
mais celte connaissance obscure ne distingue pas Dieu,
ils. du resté des êtres; elle ne le saisit donc
i soi. per prœdicatum identi/icatum, mais seu-
lement à l'aide d'un concept abstrait, prœscindens <<
creatura, << Deo vero et ficto. A s'en tenir là,
c'est donc une désignation de Dieu par dénominations
extrinsèques, convenant de rail exclusivement i Dieu.
mais dont la COUVI -natice exclusive à Dieu échappe a
Uum non identiflealum cum De
converlibile, sed cujus hsn convertibilitas ig\
nobis. Esparza, au contraire, prétend que cette pre-
mière notion atteint Dieu en soi etque le seul proj
a faire eSl de le Con-lalel. ;„•/- /o\r,/o ,, I ,, lu ull'U 1 1 /Iffl-
luni cum Deo et converlibile, sed ■ njus htec identitas
ri convertibiliti l«r. Di ne, d
nie- d. - donni et immédiates de i île
(bndi ment de droi I la cause efficiente
et finale di ou nous
.ii ommes, l'homme ignore que ce donné esl Dieu lui*
même; mail il est hoi d< doute que l'objet 'font la
i en réalité Dieu, et Dieu
907
1)1 KU (SON EXISTENCE)
908
considéré on soi. Car la doctrine de Vasquez esl fausse.
I! esl vrai, dirons-nous, que la doctrine de Vasquez
sur l'être absolu de Dieu est communément abandonnée
par les théologiens ; mais elle reste probable, et donc
le procédé d'Esparza ne peut pas aboutir, comme il le
prétend, à nous donner une certitude rationnelle de
l'existence de Dieu : debiliorem sequilur conclusio
partent. Si l'on répond qu'on peut prouver la fausseté
do la thèse de Vasquez, ceux qui ont étudié la question
du médium de la science des futurs conditionnels
avoueront qu'on ne se débarrasse pas très facilement
de la formule vasquézienne : si par impossible une
mouche possible devenait impossible, rien ne serait
changé en Dieu. Quoi qu'il en soit de cette question
et de la question voisine du constitutif de la liberté de
Dieu ad extra où Vasquez suit l'opinion des thomistes
antérieurs à Godoy et à Jean de Saint-Thomas— Cajetan
excepté, dont tous aujourd'hui rejettent l'opinion — il
est certain que l'opinion dont a besoin Esparza ne se
prouve qu'en faisant un large usage du principe de
causalité et de raison suffisante. Voilà donc que, sans
recourir à l'inférence causale, on ne parvient pas à
échafauder le système dont l'originalité consiste à
vouloir se passer de ce moyen.
Et il faut ici remarquer que si ce dernier argument
n'a pas beaucoup de force contre Esparza et son école,
il est insurmontable contre les modernes qui ont renou-
velé leur tentative. Il n'a pas beaucoup de force contre
Esparza; car celui-ci pourrait répondre non sans
logique : Il y a dans l'Ecole seize essais de solution
du difficile problème des relations de l'infini et du
fini, que l'on a l'habitude de ramener à quatre types
dans la question de la conciliation de l'immutabilité
divine et des actes libres de Dieu ad extra. Nos actes
spontanés se font indépendamment de la connaissance
de ces spéculations, tout le monde en convient. Je
les étudie donc tels que la conscience me les révèle,
je suis amené à penser que l'une des seize solutions
classiques est explicative des faits observés; et je
conclus que, si cette hypothèse est admise, l'existence
de Dieu considéré en soi est donnée par la conscience.
Ensuite, pour résoudre les difficultés que l'on soulève,
j'ai recours aux principes de causalité et de raison suf-
fisante; ce que j'ai le droit de faire, puisque je ne les
mets nulle part en question et que je concède qu'avec
leur emploi on prouve l'existence de Dieu et que je
soutiens qu'on démontre celle des seize solutions que
suit la conscience. Mais les philosophes modernes qui
font quelque concession au kantisme ne peuvent pas
éviter le cercle vicieux, comme faisaient les anciens
théologiens dont nous parlons. Us concèdent, en effet,
la valeur de la critique kantienne, ou tout au moins, ils
cherchent à persuader de l'existence de Dieu ceux qui
admettenteette valeur et qui, par suite, rejettent l'usage
transcendantal du principe de causalité. Or, Kantdans
la troisième et dans la quatrième antinomie prétend
démontrer qu'aucune des seize solutions classiques
dont nous venons de parler et qu'il ramène à deux
n'est recevable : si donc l'on admet soi-même la valeur
du kantisme, ou si l'on a la prétention d'argumenter
contre un kantiste, on ne pourra pas supposer comme
Esparza que nos actes spontanés se font suivant une de
ces solutions, et si on le suppose il restera à démontrer
que cette solution est valable. Or, on s'est enlevé le
moyen de faire cette démonstration, soit avant la connais-
sance certaine de l'existence de Dieu, soit après, puis-
qu'on a renoncé à l'usage transcendantal du principe de
causalité. M. Blondel conclura : cela montre que le
kantisme est contre nature. C'est ce dont je conviens,
sans accorder qu'il en suive que Dieu existe ou que
l'existence de Dieu considéré en soi soit une donnée
immédiate de ma conscience, comme le veut Esparza.
C'est aussi ce dont ne conviendra pas le kantiste que
l'on veut persuader; pour peu qu'il ait pénétré le sens
des deux dernières antinomies et ce que la méthode
d'immanence lui demande d'accorder, il répondra :
mais l'acte que vous supposez que je fais ou que vous
m'invitez à faire implique précisément la solution dans
un sens très déterminé des antinomies. Esparza, s'il
eût connu Kant, n'eût pas nié le fait ; et je pense que
tous les théologiens seraient ici de son avis. Cf. sur les
antinomies, Dictionnaire apologétique, t. i, col. 33,
36 sq. D'où l'on conclut à l'inefficacité spéciale de la
méthode d'immanence contre les kantistes intelligents
et convaincus. On a beaucoup exploité pour l'aire de
la réclame à la méthode d'immanence la « colère » de
certains universitaires et athées en présence de V Action ;
c'est qu'élevés dans la mentalité cartésienne ces pro-
fesseurs concédaient sans examen critique que notre
idée de Dieu est toujours per prsedicatum idenlifica-
tum cum Deo ; or, c'est précisément ce que nie Kant
qui la réduit toute entière à de pures dénominations
extrinsèques; M. Le Roy a vu plus juste quand, tout en
se réclamant de la méthode d'immanence, il a conclu
à l'agnosticisme sous le nom de pragmatisme. C'est,
nous allons le voir, tout ce qu'on peut tirer de la mé-
thode, si l'on s'y "obstine à se défier du principe de cau-
salité et de la finalité interne.
c. Esparza et Pallavicini admettaient un discours
pour légitimer dans leur système tous les passages
d'idée à idée, d'objet à objet, et toutes les conversions
de propositions dont ils avaient besoin. Ce discours
reposait tout entier sur la thèse épistémologique sui-
vante : L'esprit qui connaît un des termes d'une con-
nexion comme connexe connaît du même coup l'autre
terme de la connexion. Cette thèse, il faut le remar-
quer, fait le fond réel des quatre hypothèses précé-
demment rejetées. Gratry fait l'assomption du fini et
par contraste ou regrès, Gûnther disait par contra-
position, de l'infini : creatura connexa rjua connexa.
L'hypothèse psychologique imagine la personnalité et
son prolongement ou son objectivation, c'est encore
une connexion. L'hypothèse morale postule une lo-
cution intérieure et son origine : encore une chose
finie expérimentée et son lien avec autre chose.
Les diverses hypothèses épistémologiques font de
même, en insistant soit sur les similitudes dans les
choses ou dans les espèces et images intentionnelles,
soit sur quelque autre donnée; il en faut dire autant
de ceux qui ont essayé de résoudre tout le débat par
la notion de vérité, à laquelle appelait d'ailleurs
Esparza. Voir les textes cités par Esparza, sagement
interprétés par Suarez, Disp. metaphys., disp. VIII.
sect. vu, n. 21, La petite école dont nous parlons, qui
eut en Espagne, à Rome et en Allemagne ses jours de
gloire, sans se hasarder dans des thèses discutables,
posait simplement le problème en termes généraux,
comme la logique l'exige quand on a la prétention
d'arriver à une conclusion certaine.
Quoi qu'il en soit de la question de savoir s'il v
intervient deux idées ou une seule, il est incontestable
et incontesté dans l'École que l'esprit qui perçoit un
des termes d'une relation comme connexe, saisit l'autre
terme de la relation. Tout irait donc bien si Esparza
montrait, indépendamment de toute liaison ou dépen-
dance causale, que subjectivement nous percevons
creaturam connexam cum Deo ut connexam. M;ii<
l'expérience montre qu'il n'en esl rien. Tous les êtres,
en effet, sont connexes avec les décrets divins dont ils
dépendent; or la conscience psychologique ne nous
dit rien de ce rapport. C'est la raison pour laquelle
Esparza choisit des cas où la conscience psychologique
ou morale, surtout cette dernière, nous avertit d'un
rapport, d'une dépendance, etc. Mais il suffit pour vé-
rifier le principe de la simultanéité de la connaissance
des connexes que le terme non directement saisi soit
909
DIEU (SON EXISTENCE*
910
appréhendé abslracte, genericc et in eommuni; il
n'est pas du tout nécessaire, en vertu du principe gé-
néral invoqué, qu'il le soit determinate, privai im et
in individuo. C'est, par exemple, ce qui se fait en
physique quand on y définit l'électricité, la cause des
phénomènes suivants. De vcritate, q. x, a. 1, ad 6u,n.
Cela ne veut pas dire que nous ne savons rien de l'élec-
tricité, hors le fait brut de l'existence, et qu'elle soit
une cause totalement inconnue. Elle est totalement in-
connue dans l'hypothèse nominaliste qui refuse de re-
monter des effets aux causes par le principe de raison
suffisante. Voir col. 784. Elle ne l'est pas, si l'on rejette,
comme il faut absolument la rejeter, la subjectivité des
relations de cause à effet, de substance à propriété, etc.
Aussi a-ton cherché à déterminer, dans la question qui
nous occupe, la nature de la connexion donnée par la
conscience, afin de pouvoir atteindre Dieu considéré en
soi. C'est de ce souci que procèdent les appels aux
similitudes, aux espèces intentionnelles, à la nature de
la vérité, a la thèse du vérificatif des jugements, etc.,
que nous avons rapportés ou omis. Le mouvement est
bon, mais il ne peut pas aboutir.
Sans avoir à discuter la valeur des différents moyens
auxquels on a eu recours, sans même faire remarquer
qu'étant systématiques ils empêcheraient d'arriver à
une conclusion certaine, voici pourquoi ils sont vains. —
a. Avant de savoir avec certitude que Dieu existe, nous
ignorons absolument si les créatures lui sont sem-
blables; quia quamvis finita sint quodamnwdo spécu-
lum et imago Dei, liane tamen rationcm imaginis
non deprehendes in ente finito donec cognoveris hoc
esse illiuse effetum. Cf. Urraburu, op. cit., t. vu, p. 81.
Que les créatures soient semblables à Dieu cela vient,
en effet, de ce qu'il est leur cause. Mais que Dieu soit
la cause des effets considérés n'est pas immédiatement
donné par la conscience avec certitude, ni par consé-
quent qu'une relation de similitude intervient : est per
se nolum veritatem esse, dit d'une façon absolument
raie saint Thomas, non autem est per se nolum
noliis esse aliquod primum ens quod sit causa omnis
entis, quousque Itoc vel fides accipiat vel demonstratio
probet. De vcritate, q. x, a. 12, ad .'!""'. On objectera :
mais les principes généraux sur la similitude formelle
des espèces, sur la théorie de la vérité, adxqualio rei
et intellectus, etc. D'abord, tout cela n'est pas sûr; car
beaucoup de théologiens nient la susdite similitude
formelle ; et jamais dans l'Ecole, avant ces dernières
années, on n'a pressé le mot adxquatio comme on l'a
fait récemment, du tique pour conclure que
nous ne connaissons pas Dieu en soi, du côté catho-
lique pour réfuter l'agnosticisme tout en se donnant le
plaisir de soutenir un système préféré el ordinairement
décoré du nom de saint Thomas. Suarez se contente
de dire : Supponimusde ralione intellectionit imo el
cognitionis esse ut per'quamdani assimilationem intra
mentent inlelligentis fiai. De angelis, I. II, c. ni. n. 7.
Cf. Kleutgen, Philosoplu <que> • • '. n- 23 Bq.
Mais, connue les constructeurs de systèmes ne se ren-
dront pas devant ci de simple bon sens et
de logique, voici la raison " priori de l'inutilité de
'• '" Ile -e tire de la nature I de du
pariicnliei don) il a agit, b, Juxta hanc do
uod agnoscatur fundamentum ut
i i go, e
jnoicatur lie,, s. non cognoteitur
Intel ligitur i , ■ atut a ut 1 1 nnei ■•
l h, u$ est i omlitutivum
Deo, Sed hoc ett falt\
Deo lantummodo redupli-
"" ■ Di . • ■ ont) - juate
uipote idenlij cala adéquat*
■'<" n n'; i i h n dam i e i lisonnemenl qui ne
soit admis par les thomistes anciens, par les scotistes
et par Suarez. Seuls ceux qu'on a appelés les Conno-
latoves pourraient se plaindre qu'on y introduise l'ar-
gument forgé contre eux par Lugo, omne, quo solo
non intellecto, non intelligitur aliud, aut est Iota
essentia aut est pars essentix illius alius. Mais cet
argument est solide et fait toucher du doigt le danger
de panthéisme. Si l'on en fait d'ailleurs abstraction, il
reste que, lorsque nous pensons à Dieu ici-bas et à la
dépendance, ressemblance..., connexion des créatures
avec lui, ce qui nous sert pour nous élever à lui est
toujours adéquatement distinct de l'objet de notre pen-
sée. Car si les créatures sont semblables à Dieu, Dieu
ne leur est pas semblable. Et c'est la raison pour la-
quelle, toute révélation mise à part, nous ne saisissons
avec certitude rien de Dieu considéré en soi, per prx-
dicatuni idenlificatum cuni Deo, sans passer par le
lien causal.
L'école d'Esparza l'avait bien senti; aussi avait-elle
enchevêtré son argumentation dans celle de saint
Anselme, comme nous l'avons rapporté, ce qui signifie
qu'elle se donnait directement l'idée d'infini et par
suite l'existence intrinsèque de Dieu. Tout revient là;
ou bien, on se donne l'idée de l'infini proprement dit,
l'idée de l'être dont l'essence se définit par l'existence
actuelle, et alors on n'a pas besoin de passer par la
causalité; ou bien, on constate, quoique la phrase ens
necessarium est ens necessarium et par suite aussi
celle-ci ensnecessarium est ens necessario existais soient
évidentes, que cette évidence n'entraîne pas l'existence
réelle de l'être nécessaire, soit parce qu'une proposi-
tion tautologique peut impliquer quelque contradiction
dans son sujet, soit parce que dans ces propositions
l'être nécessaire n'est pris qu'au sens abstrait et nulle-
ment au sens d'un être positivement réel; et le seul
moyen de lever le doute sur la possibilité de passer
de l'abstrait au réel, est de passer par la causalité.
Cf. d'Aguirre, Theologia tancti Anselmi, tr. I, disp. VI,
sect. iv, n. 33 sq. C'est ce que dit saint Thomas : Ra-
tio illa procederet, si hoc esset nobis }>er se notion
quod deilas sit esse Dei, quod guident nunc nobis non
est notuni per se cum Deuni peressentiani non videa-
uius, sed indigemus ad hoc tenendum vel ilemonstra-
tione vel l'ide. lbid., ad i"m.
d. Esparza ne semble avoir traité toute la question
que d'une façon spéculative. Un de ses élèves, compo-
sant une apologétique, pensa qu'il pouvait utiliser la
théorie pour la réfutation des athées el aussi pour
l'explication au concret de notre permière connais-
sance de Dieu. Iionc, Michel de Elizalde, Forma verse
religionis quœrendse et inveniendœ, Naples, 1672,
ii. 85, écril Deus est primum nolum, cl universale et
transcendais omnium principiorum principium, uni-
cuni et sufficiens, et omnium probationum probatio,
rationum rotin et conclvsio ac omnium verilatum
veritas et conclusio. Séries t"ia verilatum ad pri-
resolvitur, quse demum omnes édi-
tâtes verificet el qua sublata , um ta, ut vocant, neutra,
ambigua, net falsa nec vera et injudicabilia. Tout
cela pourrait se concéder de l'ordre ontologique des
êtres, mais le mol nolum du début el toul le discours
qui précède nous force à le prendre de l'ordre même
de nos connaissances. L'auteui -•■ souvient cependant
du fameux aziome d'Ariatole que les princi| i i ne
doivent pas se démontrer; il répond lestement . Quid
,i,ini ArittoteU el de tummis rebut docuil
tUSI Ci I I apottolut .1 1 br-
uis ih kct., X \ II.
In,,, prope enim adest •'! qui se <•/ tua tanlitj
tiderare velit, tul a I
originem el genut. Vbi omilto alla. Au paragraphi
suivant, Elizalde nous apprend que par I idée de tin
dernii i nnallre 1 [dus
< Il
DIEU (SON EXISTENCE)
912
de chut''; mais il renvoie â un autre ouvrage ce déve-
loppement, quia hoc de Deo fine hominis unico multa
infert non recepta communiter. A défaut des vues
morales d'Elizalde, nous avons aujourd'hui, sur le
même sujet , une littérature assez abondante écrite du
même point de vue.
Remarquons d'abord que dans son « apologétique
nouvelle » Elizalde introduisait deux éléments, la
priorité de la connaissance de Dieu et l'appel à la pré-
sence intime de Dieu dans l'âme, dont le premier était
positivement exclu et dont le second n'était pas einplové
par Esparza et Pallavicini. Saint Thomas avaitdéjà re-
marqué qu'une conception inexacte de l'omniprésence
divine conduit au panthéisme, non intelligentes rjuod
Deus non sic est in rébus quasi aliijuid rei, sed sieut
rei causa, qux nullo modo sui effectui deest. Contra
génies, 1. I, c. xxvt, à la lin. Et ailleurs il avait expliqué
que, hien que Dieu soit présent à notre intelligence, il
ne lui est pas uni comme une forme intelligible, non
est tamen ei conjuncla, td forma intelligibilis, quam
intclligere possit quandiu lumine glorise non perfici-
lur. Car autre chose est l'union par essence, présence et
puissance, autre chose l'union par manière de forme
intelligible. De veritate, q. x, a. 11, ad 8llm, llum. Nos
habilus sont pour nous intelligibles et Dieu ne l'est pas
immédiatement, hien qu'il soit plus présent à notre
âme que nos habitas, quia habitas saut proportionali
ipsis objectis et actibus et sunt proxima eorum prin-
cipia, quod de Deo dici non pot est, ibid., a. 9, ad 7,lm ;
ce qui donne l'exégèse de Sum. l/ieol., h1, q. xn, a. 2,
et fait de saint Thomas un excellent moliniste au lieu
d'en faire un averroïste comme le veut Cajetan. Elizalde
se réfugie derrière le texte de saint Paul. Act., xvn, 28.
Mais, fait très bien remarquer Yasquez, saint Paul ne
parle pas directement dans ce passage de l'omnipré-
sence de Dieu, il exprime simplement que nous pou-
vons facilement connaître Dieu par ses œuvres, par
l'action de sa providence en nous. In 7am, disp. XXVIII,
c. iv, n. 17. Et cette interprétation, outre qu'elle en-
lève toute base à l'abus que Spinoza a fait de ce passade
a l'avantage d'être conforme aux données patristiques.
Corneille de la Pierre, Comme7it. in Acta apostolo-
rum, loc. cit.; Verhoer, In Actus, dans le Cursus coni-
pletus Scriplurœ de Migne, t. xxm, col. 1289; Beelen
Comment, in Acta aposlolorum, Louvain, 1864, p. 435-
Patrizzi, In Actus, Rome, 1867, pensent comme Yas-
quez; et Chase observe que si saint Paul cite un poète
stoïcien, partisan de l'immanence panthéistique du
Portique, il a grand soin de maintenir la transcen-
dance divine, cseli et terrœ cum sit dominas. Chase
The credibilily oft/ie book of llte Acts of the Aposiles
Londres, 1902, p. 227. Sur la doctrine chrétienne dé
l'immanence divine, consulter Scheeben, La dogma-
tique, t. n, n. 234, 24-0, 360. Dans ces conditions, il
est facile de comprendre pourquoi un appel à l'imma-
nence divine, ou, pour parler correctement et sans
équivoque, à l'omniprésence de Dieu, ne sert â rien
pour expliquer la connaissance que nous avons de
lui.
Elizalde commet une autre faute. Il suppose que
notre première connaissance certaine est celle de
l'existence de Dieu. Pallavicini avait expressément re-
jeté cette opinion. Rejicimus senlentiam Henrici asse-
rentis Deum esse id quod primo concipitur in cogni-
tione en lis indéterminable . Kl la raison qu'il apportait
est curieuse à noter, si l'on se soinient qu'il écrivait avant
Spinoza, en 1652 : Nom primo falsum est quod assu-
milur, essentiam Dei consistore in hoc quoi! sit ens et
nihil aliud, hoc. est nullam habens dijferentiam ex iis
lier i/iius limitatur esse crealum. Ex hoc enim seque-
retur Dcum differre a créât urispersolam negationem
se tenentem ex parle Dei, aeproinde sequeretur dif-
férencias positivas creaturarum qualenus positivas
esse pura mala, et per illas (quœ tamen ut po$iti
procedunl a D<o nullam dari aimililudinem in en
turis i-iim Dr,,, Confirmalur,quia conceptu$ négation
nis non est conceptus entis, adeoque non est <
boni, quod est proprielas entis; sed différentiel !
iront differl a créa turis, est tenta. Ergo. Op. cit.,
c. iv, n. 29 sq. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. 1.
disl. XXIV, q. i, a. 1, ad 3"'"; De veritate, q. x, a. 1.
ail .">"'".
Laissons donc de côté l'apologétique dangereuse et
lidéiste d'Elizalde et voyons si la doctrine d'Espai/.i.
de Pallavicini, etc.. telle qu'ils l'ont exposée, est sus-
ceptible d'utilisation en apologétique. Deux de leurs
contemporains montrèrent clairement qu'elle ne l'est
pas, â savoir Izquierdo, Pharus sciei disp. Il,
q. m, n. 135 sq.: disp. X, q. 1, n. 39, Lyon, 1659; 0\
theologicum... de Deo uno, Rome, 1664, t. i, tr. I,
disp. I, q. vin, n. 155; t. il, disp. XXIII, q. VI, n. I
et Haunold, Theologia speculativa, Ingoldstadt, 1670.
1. I. tr. I, c. i, cont. i sq. En effet, disent-ils, l'at!
quand on lui fait remarquer qu'il ne peut pas penser
que rien n'existe, et que l'idée du bonheur s'impose à
lui, concédera l'observation; mais de cette nécessité il
refusera de conclure â Dieu. Car quand on lui parle des
vérificatifs objectifs nécessaires de ces sortes d'idi
il répondra qu'il convient de l'existence éternelle île
quelque chose et que cela suffit à vérifier la nécessité
du principe de contradiction; il pourra ajouter que les
nécessités subjectives et objectives dont on lui parle ont
leur raison suffisante dans la collection totale de tous
les êtres qui se succèdent, que l'apparition â un instant
donné aussi bien que la possibilité de chacun de ces
êtres dépend de l'ensemble de la collection; et ainsi on
ne pourra jamais le forcer à s'élever au-dessus de l'idée
d'une nature universîlle; il restera matérialiste ou pan-
théiste tant que par un appel au principe de causalité
on ne lui montrera pas que l'ensemble de la collection
des êtres de l'univers dépend d'une cause supérieure.
Deus ergo nonnisi per illationem ex creaturis •■
rimenlaliler cognilis certo cognosci potest /telle est
la conclusion fort sage de l'Ecole.
4. Preuves qui de fait produisent la première cer-
titude rationnelle et personnelle de l'existence de
Dieu. — Dans la détermination de ces preuves le pro-
blème â résoudre est le suivant. Tenir compte de
l'inlluence de nos tendances générales et particulières
qui nous inclinent à l'idée de Dieu et à l'admission
de son existence; assigner cependant un moyen non
purement subjectif, mais rationnellement valable, qui
remplisse les conditions suivantes : qu'il soit facile, à la
portée de tous; qu'il aboutisse à une connaissance qui
distingue réellement Dieu de tous les autres êtres, de
façon â ce que l'homme puisse commencer sa vie mo-
rale et religieuse, mais de manière aussi à ce que la
possibilité de toute erreur sur Dieu ne soit pas exclue.
tout en laissant la voie ouverte au progrès dans la
connaissance religieuse. Ces conditions sont requises
par la nature même du cas envisagé, et aussi pour
rester en harmonie avec l'ensemble des données scriptu-
raires et patristiques. Yoici les preuves que l'on pense
y satisfaire.
L'action de la providence divine dirige toutes nos
tendances et puissances actives â leur- actes conformé-
ment aux vues du créateur. Prseter operalionem enim
t/ua Deus naturas rerum iustiluil, singulis formas cl
virlutes proprias tribuens, quibus possent suas
valûmes exercer e, operatur etiam in rébus opéra pro-
\}idenlim,omnium rerum virtutes propriis actibus diri-
gendo. S. Thomas, In Boethium de Trinitate, q. i.
a. 1. Sans même faire avec Vasquez l'hypothèse d'une
faveur spéciale de Dieu, lu 1*">, disp. XCI, c. xiv;
disp. XCY1I. c. v. n. 33; cf. col. 856, sans recourir à
une grâce surnaturelle avec quelques thomistes, Sal-
913
DIEU (SON EXISTENCE
maticenses, De vitiis, disp. XX, dub. i, n. 29 sq., saint
Thomas par cette remarque qui implique la perma-
nence après la chute de toutes nos lendances naturelles
actives à la vérité et au hien, In IV Sent., 1. III,
dist. XXIII, q. i, a. 4, ad 3""'; Sum. Iheol., II» II*,
q. x, a. 4, explique assez ce que manifeste l'intro-
spection, à savoir, comme dit Kleutgen, que « sans
beaucoup de réflexions, nous sommes excités et con-
traints, non seulement par une inclination spontanée
du cœur, mais encore par une puissante nécessité de
l'esprit à reconnaître l'existence d'un être suprême et
lu, cause et maître souverain de toutes choses. »
Kleutgen, Philosophie scolastique, t. iv, n. 929, p. 318.
Telle est la raison profonde pour laquelle tout homme
arrive à se former d'abord l'idée obscure de Dieu en
vertu de ses tendances les plus foncières, puis, comme
cette connaissance de Dieu in communi ne suffit pas,
vu qu'elle ne distingue pas Dieu du reste des êtres,
l'idée confuse ou distincte de Dieu. De veritale, q. xxn,
a. 7, a. 2.
La connaissance de Dieu inspectai! s 'acquiert proba-
blement parla considération de l'ordre du monde, pense
saint Thomas. Cseli enarrant gloriam Dei. Ps.xviii, 2.
testimonio semelipsum reliquit, benefaciens
decœlo, dans plumas, etc. Acl.. xv. 16;xvn, 26. Vit lentes
enim hommes res naturelles secundum ordinem cer-
tum currere, cum ordinatio absqueordinatorenon sit,
percipiunt, ut in pluribus, aliquem esse ordinatorem
rerum quas videmus. Contra génies, 1. III, c. xxwin.
C'est l'argument de la montre et de l'horloger. Rai-
sonnement facile, tout à fait rationnel, employé chaque
jour dans la vie courante et aussi dans les sciences
physiques, naturelles et morales. Le cas du fils de
l'écossais . Beattie, raconté par Paul Janet dans son
excellent ouvrage : Les causes finales, Paris, 1870, 1. II,
c. I, p. 129, montre d'ailleurs que ce procédé est tout
à fait dans la psychologie infantile. F.t qu'on ne s'y
trompe pas. Kepler ou Newton s'inclinant religieu-
sement devant la sagesse ordonnatrice du cours des
astres ne faisaienl pas d'autre raisonnement, au point
de vue purement logique, que le jeune fils du philo-
sophe Beattie, concluant du fait que son nom se trou-
vait formé par les pousses d'une plate-bande de cresson
alénois à l'existence de quelqu'un qui en avait disposé
les r i
al II - admet aussi que les païens arrivent â
la connaissance de Dieu par la causalité proprement
dite Sum. theol., Ia,q. xm, a. 10, ad 5» ; q. xii, a. 12,
Quel est l'auteur des choses, est une question qui se
pose spontanément à l'esprit, tout aussi hien que celle
de l'auteur de l'ordre. Souvent même les deux n'en
font qu'une. L'application naturelle du principe de
dite nous amène à répondre par l'affirmation
d une eau lire au monde et à nous-mi
tentem sua eau ala - Chômas, Queesliones disp'.,
/'< anima, a. 16. ■ Il \ a quarante ans, disait lord
Kelvin, en Khi:;, m promenant dans la campa
Liebig, je lui demandais s'il croyait que I herl t les
(leurs que nous voyions autour de nous poussaient
] action di - si uli 3 forces chimiques. Il me répon-
dit ti Non, pat plus que je ne pourrais croire qu'un
re de botanique qui les décrit peut être produit par
i I,. .que acte de la libre ai
1 un miracle pour la cieno chimique
■thématique. ma le Speclalor, 21 dé
ceiul. i • 1907 l. lémenl d1 ippi é< ': ion, le coi
d'idi l mi. renct . la vue
de la n
i aient tout auti • - que chez
lord Kelvin et Lieb ni qui arriverait par
d" Dieu ; mais
lit identique et ni \a-
lahle. la \ il Ii d< p ndanl pa
de l'étude de la philosophie, a magnitudine enim
speciei et créatures cognoscibiliter poterit crealor
horum videri, Sap., xm, 5, et l'étude des sciences et
de la philosophie ne faisant qu'augmenter notre cul-
pabilité, si nous venons à ignorer Dieu : si enim lan-
tum poluerunl scire «t ssstimarent sseculum, quomodo
/nijus Dominum non facilitas invenerunt? lbid., 9.
C'est dans ce sens que les Pères entendent ce texte et
aussi très souvent Rom., i, 20. Cf. S. Jean Chrysostome,
In Rom., homil. ni, n. 2, P. G., t. lx, col. 412;
s. Augustin, Serm., cxli, 2, /'. L., t. xxxvni, col. 776;
In .loa., tr. II, n. 4, P. L., t. xxxv, col. 1390. Saint
Grégoire expliquant Job, xxxvi, 25. omnes homines
vident eum, écrit: Omnis homo eo ipso quo rationa-
lis est condilus, débet ex rations colligere eum qui se
condidit Deuni esse. Quem nimirum jam videre est
dominationem illius ratiocinando conspicere... quem
videre est transcendentem omnia ejus essenliam ex
ratione colligere. Moral., 1. XXVII, c. v, n. 8, /'. L.,
t. lxxvi, col. 403.
Tous les théologiens concèdent que la connaissance
de Dieu acquise par les deux voies indiquées suffit
pour que l'homme soit en état de commencer sa vie
morale et religieuse. Dieu j est, en effet, conçu comme
existant, et comme cause et chef, ut prineipium et
capot, ce qui entraîne au moins implicitement la per-
sonnalité divine et, outre le souverain domaine de
Dieu et notre dépendance, la volonté divine comme
règle de notre conduite. Cf. Suarez, De bonilate et
malilia, disp. I, sect. II. Il n'est donc pas nécessaire de
recourir à l'obligation morale pour expliquer la possi-
hilité de la connaissance de Dieu, ('.(«pendant on ne
peut pas nier que les faits de conscience morale ne
nous servent grandement à prendre conscience de ce
qu'est Dieu. Indépendamment de toute preuve de
l'existence de Dieu par la conscience morale, il est
certain, remarque judicieusement Mac Cosh, que la
conscience nous manifeste avec évidence que Dieu
connu existant se comptait à la rectitude morale. Nous
soi s contraints de penser, dit-il, que celui qui a
mis dans nos Cieurs la conscience, aime la vertu qu'elle
nous recommande, et déteste le crime dont elle nous
inspire la répulsion. Par l'analogie de l'intention
humaine, nous inférons un ordonnateur plus puissant
que l'homme; par l'analogie de noire conscience et de
notre activité psychologique, nous inférons une cause
mnelledonl nous dépendons; par l'analogie de nos
idées morales, non- concluons que l'auteur de l'univers
ne manque pas des qualités morales qui font de lui le
juste gouverneur du monde et le juge di nos actions-
The methodof the divine governmeni, r édit., Edim-
1855, p 9. Suarez a d'un mol profond expliqué
l 'quoi et co enl morales nous instrui
sur la perfection divine. Toutes les créatures tendent
a Dieu, dit saint Thomas, mais les i tri ^ raisonnables
j tendent autrement que les animaux et les êtres ina-
nimés; car srul- les êtres doués il" raison sont capables
de réflexion sur celle tendance et par suite de tendre
a Dieu explicitement connu, ce en quoi consiste leur
■ lion morale. Ile veritate, q. XXII, a. 2. Mais,
ajoute Suarez pénétrant la pensée de saint rhomas,
Dieu n'est pas le bien de la piern comme il est le bien
de Thon parce que l'homme a par rapport ■■ Dieu
d'autre- aptitudes naturelles que la matière inanimée.
bonum et /mis hominis cl aliter Infodis,
quia m eo est a lit in lapide, l
en deu» ts fort simples et non métaphoriques le
fond métaphysique de la célèbre doctrine il
séminales que M. I ni i
d, -, n- ion de la doctrini ut de la méthode
d'immani n
lient, a, Lille, 1905. Voici la conséquence qui nou
915
DIEU (SON EXISTENCE)
916
signiflcat in Deo perfectionem et connolat in homme
capacitateni. Convenienlia ergo nihil aliud essepotcsl
quant denominalio orla ex Itujusmodi rébus et eorum
coexistentia seu connexione.- lllud ergo objeclum ha-
neslum est taie quale exigil dignilas seu capacilas
naturne hunianx secanduni propriam inclin a tionem
naturalem. lbid., disp. II, sect. n, n. 17. C'est donc
une perfection intrinsèque de Dieu d'être tel que seul
il soit le bien qui peut satisfaire nos tendances foncières
et aussi nos tendances morales et religieuses. Cette per-
fection de Dieu ne nous est pas manifestée directement
non plus que l'existence divine. Mais, pour parler avec
saint Thomas qui a fait l'emprunt de cette terminologie
à lioèce, l'idéal d'unité, de vérité, de bonté, de justice,
de perfection morale qui jaillit de l'activité de nos
puissances, n'est autre chose qu'une certaine similitude
de Dieu, un de ses effets plusexpressifsque d'autres de
ce qu'il est en lui-même. Le lecteur sait pourquoi de
cette similitude on ne peut pas sans inférence causale
ou téléologique remonter avec certitude à l'existence de
Dieu. Mais dès que nous sommes assurés de son exis-
tence par une autre voie, comme la preuve même qui
nous amène à reconnaître celte existence nous le dé-
couvre supérieur à nous et à ses œuvres, nous ne pouvons
avoir aucun doute sur son excellence. Cette excellence
perçue par l'esprit, mise en face de notre misère, des
besoins de notre intelligence et de notre cœur, nous
amène par l'application spontanée du principe de fina-
lité interne à comprendre qu'il est objectivement et en
soi notre idéal. Ce sont des jugements de nature, dont
n'arrivent à se débarrasser ni les impies ni même les
athées. Ils gardent, en effet, si bien cette idée que Dieu
ne peut être que d'une souveraine élévation morale et
ils sont si persuadés que tout le monde en juge ainsi,
que leurs blasphèmes et leurs arguties tirées de l'exis-
tence du mal n'ont pas d'autre but que de chasser en
eux ou dans les autres cette obsédante idée, qui
malgré tout survit. Bien plus, une application spontanée
du principe de causalité nous apprend très vite que
Dieu est bien supérieur à tout notre idéal; car l'idée
même que nous nous formons de la vérité, de la bonté,
de l'excellence morale est, comme tout le reste, une des
choses qu'il a faites.
Sans doute, l'enfant qui arriverait par lui-même à la
connaissance de l'existence de Dieu serait absolument
incapable de démêler l'écheveau complexe des procédés
logiques impliqués dans ses actes directs; il n'est d'ail-
leurs pas probable ni nécessaire que tous les actes in-
diqués dans cette analyse se produisent tout d'un coup.
Mais on voit que l'analyse des scolastiques rend bien
compte de la possibilité d'arriver à connaître rationnel-
lement Dieu de manière à commencer la vie morale et
religieuse. Elle tient compte aussi de ce que les Pères
ont si souvent répété sur le rôle des dispositions mo-
rales dans la connaissance religieuse. On a souvent dans
les récentes controverses interprété les Pères comme
s'ils faisaient dépendre la première idée de Dieu des
dispositions morales. C'est une erreur. Les Pères sup-
posent Dieu spontanément connu; leur but est plus de
dégager l'idée de Dieu de la gangue où elle gît dans
l'âme de leurs contemporains infidèles, que de la faire
naître. Unusquisque judicat secundum quod af/icilur,
dit Aristote. Cela est surtout vrai en matière morale,
comme le remarque saint Thomas. Étant donc donné
le grand rôle que jouent nos idées morales dans le
développement de notre idée de Dieu, il n'est pas sur-
prenant que les Pères aient souvent attribué les erreurs
des païens à leur mauvaise vie. Cela toutefois ne veut
pas dire que les dispositions morales soient l'unique
moyen d'arriver à connaître avec certitude l'existence
de Dieu. Voir t. i, col. 2333, 2336.
Cependant, bien qu'aucun argument par la moralité
ne soit nécessaire pour expliquer la connaissance spon-
tanée de Dieu et comprendre comment par un pr< i
très simple l'homme se trouve mis à même de tendre
par son activité libre a sa lin dernière, les théologiens
se sont demandé s'il n'était pas possible que l'homme
arrive à connaître rationnellement Dieu par le seul fait
de la conscience morale. Ils ne sont pas du même avis
à ce sujet. Leur désaccord ne porte pas précisément
sur la possibilité de remonter à Dieu d'une mai;
réfléchie par les faits moraux, mais sur l'ordre logique
de cette démarche. Donc, beaucoup de théologiens
pensent que par le texte, Rom., n, 14 sq., on peut
prouver que d'après saint Paul les païens ont connu
Dieu ; car, disent-ils, ils ont connu la loi et la loi coiniie-
les obligeant; mais une telle connaissance de la loi
suppose la connaissance antérieure du législateur; don-c
ils avaient cette connaissance. Cf. Franzelin, De !•■
uno, th. ni, n. 3. Les autres théologiens, au contraire,
soutiennent que le même texte permet de raisonner
ainsi : les païens ont connu Dieu par le fait même du
dictamen ; car le diclamen manifeste Dieu implicite-
ment et un raisonnement très facile permet de remon-
ter par lui à Dieu explicitement. Cf. Hontheim, op. cit.,
n. 38. Celte question a été grandement étudiée au
xvnc siècle à propos du péché philosophique. Voir ce
mot.
J'emprunte, en me bornant à notre sujet actuel,
l'exposé de la question au P. Le Tellier, dans un opus-
cule anonyme, L'erreur du péché philosophique com-
battue par les jésuites, Liège, 1692, p. 234. On distingue
deux idées différentes sous lesquelles Dieu peut être
connu : celle de premier principe qui a fait toutes
choses, et celle de juge des actions humaines, témoin
et vengeur des péchés les plus secrets. Or, quoi qu'il en
soit de cette vérité qu'il y a un créateur de l'univers;
soit que des barbares la puissent ignorer longtemps
invinciblement ou non; on s'occupe ici de celle-ci, qu'il
y a un souverain juge qui défend le mal et qui doit le
punir. On imagine donc un jeune sauvage qui. étant
parvenu à l'âge de raison, est déjà assez éclairé pour
savoir que le parricide ou l'inceste par exemple est un
grand péché, mais qui faute d'esprit ou d'instruction,
et d'ailleurs tout occupé du soin des nécessités de la
vie au milieu des forêts, n'a encore fait aucune réllexion
qu'il existe une divinité. On suppose d'ailleurs que.
n'ayant jusque-là commis aucun crime, il se trouve sur
le point d'en commettre un avec autant d'advertance et
de liberté qu'il lui en faut pour être coupable d'un
péché grave. Cela supposé, voici comment ce sauvage
pensera alors à Dieu pour le moins confusément et
implicitement. Comme il n'est pas encore endurci par
une habitude criminelle, il ne saurait manquer de sentir
à la vue du crime un reproche intérieur de sa con-
science et une secrète appréhension de quelque châti-
ment. Or ce reproche et cette appréhension qu'il ressent
malgré lui, lors même qu'il n'a rien à craindre du colé
des hommes, d'où lui peuvent-ils venir que d'un senti-
ment occulte, par lequel il entrevoit, pour ainsi dire,
qu'il y a quelqu'un au-dessus de lui qui sait son crime,
qui le défend et qui est en état de le punir? S^r.s
doute que si l'on interrogeait alors ce barbare et que,
rentrant en lui-même, il développât ce qui se passe
dans son cœur, il avouerait que c'est de là que procède
le remords qui le détourne du mal avant qu'il le com-
mette et qui lui en fait sentir la peine après qu'il l'a
commis. Le barbare ne commet donc point ce crime
sans avoir quelque notion et quelque pensée d'un Dieu,
au moins confuse et implicite, qui suffit pour exclure
l'ignorance invincible et pour faire que le péché soit
une vraie offense de Dieu. Et si le premier crime est
un péché théologique, il est impossible que tous les
suivants ne le soient aussi. Cf. Viva, Cursus théologiens,
De Deo uno, part. I, q. i, a. 1, n. 6.
Les thomistes expliquent généralement d'une autre
917
DIEU (SON EXISTENCE)
918
façon pourquoi tout péché est théologique. On sait que
saint Thomas, contre l'opinion la plus commune des
théologiens, parle d'un devoir strict pour l'homme par-
venant à l'âge de raison de se tourner ou convertir à
Dieu, le souverain bien. Sum. tlieoh, 1*11*, q. lxxxix,
a. 6. Nous n'avons pas à discuter ici celte opinion, ni
les interprétations divergentes que l'on a essayé de
donner au texte. Cf. Vasquez, In ljm 113-, disp. CXL1X;
d'Aguirre, Theologia sancli Anselmi, t. i, tr. I, disp. VI,
sect. iv, n. 40-44; Salmanticenses, De vitiisetpeccatis,
disp. XX, dub. i, n. 17, édit. Palmé, t. vin, p. 498. Il
nous suffit de rappeler l'interprétation donnée par Caje-
t.m,7/i Il'mIIx,q. x, a. 4; Médina, Jn7amJJB,q. lxxxix,
a. 6, concl. 1; Jean de Suint-Thomas, In 7am, q. n,
disp. III, a. 1, n. 19, édit. Vives, t. i, p. 537. Ces au-
teurs pensent que pour remplir cette prétendue obli-
gation il suffit de connaître Dieu in communi et con-
fuse; et que la conversion totale à Dieu que demande
saint Thomas se fait suffisamment, si l'on adhère à Dieu
en tant que Dieu est renfermé dans l'idée générale du
bien conforme à la raison. Communior sententia,
disent les carmes de Salamanque, tenet sufficere
amorem Dei /mis naturalis implicilum, contentant
in ipso amoreet eleclioneboni honesti et in proposito
virendi secunclum reclani ralioncm. Cf. Zumel,
/,, ;»m Hxt q. lxxi, a. 6, p. 174. Donc, pour reprendre
la psychologie du jeune barbare de Le Tellier, l'inquié-
tude et l'avidité insatiable du cœur humain, qui le
porte toujours à souhaiter plus qu'il ne possède, à
aspirer à un état plus heureux, supposent en lui néces-
sairement quelque idée d'un bien souverain et capable
de contenter tous ses désirs. Et il faut le noter, l'idée
du souverain bien ne doit pas être ici disjointe, dans
l'opinion des thomistes que nous rapportons, de celle
d'un législateur souverain. « On ne doit point accorder,
disent les carmes déjà cités, que personne puisse com-
mettre un péché sans connaître au moins implicite-
ment qu'il y a quelqu'un au-dessus de lui qui a droit
de lui commander par la loi et qu'il est obligé de lui
obéir; ce qui renferme une connaissance au moins
virtuelle et implicite de Dieu en tant que législateur;
de sorte qu'il sait ou peut savoir qu'en violant la loi il
agit contre cet être supérieur et qu'il l'offense. »
Tr. XIII, De peccatis, disp. VII, dub. m, n. 18.
Noua n'avons pas à discuter les diverses et graves
questions morales qui se présentent ici, soit dans
l'hypothèse de Le Tellier, soit dans celles des thomistes
cités. Cf. Lacroix, Theologia moralis, 1. Y, q. vi,n.25;
q. xii, n. 19. Nous constatons seulement qu'ils admettent
tous une connaissance implicite de Dieu contenue soit
dans le dictamen de la conscience, soit dans le désir du
souverain bien et dans la conscience de l'obligation. Peul
on de cette connaissance implicite passera un jugement
orique sur l'existence de Dieu? Oui, répondent
beaucoup d'auteurs catholiques. Il est peu probable
que dans la fjenèsi de la connaissance spontanée île
l'existence de Dieu les choses se passent comme le
supposent c.i-u\ des thomistes qui suivent ici Cajetan.
SI toutefois on l'admet, la connai sance certaine de
'■■nci' de Dieu pourrait e déduire de l'étal décrit
ide du principe de causalité et de finalité', exacte-
ment comme dans l- ■ as du barbare de Le Tellier. Un
trouvera le procédé di • loppé a ec des nuancée dans
Hontheim, h, titutionei theodiceœ, i ribourg, 1893,
n. 387-399; Schiffini Ditp\ lalione» metaph
. Turin. 1888, i. n. p. il. n. 397; de Broglie, La
mora Heu, Pari 1886, p. 307; d'Hulst, Confé-
Notre-Danu . Pari - 1892, p \S q. . Sertil-
Dieu t
fond du raisonnement revicnl à dire ;
L'Imp ires! donné parla i onsi ieni i
Dieu, il ne - explique paa, n i p i
■ an te; donc le vrai Di< u i Isti I
raisonnement, remarque Msr d'Hulst avec bon droit, est
fort différent de celui de Kant dans la Critique de la
raison pratique, parce qu'on ne s'est pas confiné
comme lui dans le cercle infranchissable des concep-
tions subjectives. Voir, sur les défauts de l'argumenta-
tion de Kant. Naville,ies philosophies nrgatives, Paris,
1900, p. 159.
Il résulte assez clairement, pensons-nous, de cet
exposé que la solution scolastique du problème de la
connaissance spontanée de Dieu satisfait bien à toutes
les conditions que nous avons énumérées. Sans nier
l'élan subjectif qui nous porte à l'affirmation de Dieu,
elle assigne des moyens faciles, rationnels qui, le prin-
cipe de causalité intervenant toujours, distinguent Dieu
de ses œuvres et le manifestent de telle sorte que le
devoir du culte s'impose en même temps que le respect
de la loi morale. Mais il faut préciser le contenu de
cette connaissance.
D'après les agnostiques croyants ou dogmatiques,
quel que soit d'ailleurs le moyen qu'ils assignent à la
genèse de l'idée de Dieu, toute notre connaissance de
Dieu, et par conséquent notre connaissance spontanée
de la divinité, se réduit au fait brut de l'existence, sans
que nous puissions jamais parvenir à porter sur Dieu
considéré en lui-même, sur sa nature intrinsèque,
prxdicalum identification, aucun jugement objective-
ment valable. Quelques-uns, comme Avicenne et Mai-
monide, admettent que l'existence de Dieu nous est
connue par la causalité, et donnent des arguments péri-
patéticiens; mais, disent-ils, la causalité ne nous
apprend rien <le Dieu considéré en soi, hors le fait de
son existence, pas plus que la phrase : « c'est Zéid qui a
charpenté cette porte, » ne nous renseigne de soi sur la
capacité artistique de Zéid. Beaucoup d'autres, surtout
parmi les modernes, conçoivent que nous désignons
Dieu par de pures dénominations extrinsèques fondées
sur nos états subjectifs et non sur la causalité. Si
nous écrivons à un ami dont la correspondance avec
nous est en retard : Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu
rien venir? nous exprimons notre état subjectif d'attente
par une pure dénomination extrinsèque; l'existence de
cet état, c'est toutee que peut, par notre lettre, connaître
avec certitude notre correspondant, mais les modalités
intrinsèques de notre désir de recevoir des nouvelles lui
échappent. Le langage lui-même est souvent construitsur
de telles dénominations, comme saint Thomas en fait la
remarque. In IV Sent., I. III. dist. XXVI, a. I, ad 3"1".
Celui qui attend, dit-il, a coutume de regarder souvenl
si l'objet de son désir intérieur arrive, et ideo d\
sitio prœdicta quielis cum niotu appctilus expectatio
dicitur. Nous ne nions pas que souvent nous ne pen-
sions ainsi et désignions les existences de fait à l'aide
dépures dénominations extrinsèques. Saint Thomas le
concède explicitement a Maimonide. De veritate, q. n,
a. 1. Mais pensons-nous toujours ainsi '.'et quand il s'agit
de Dieu, sommes-nous réduits à ce mode de peu
D'abord, bien que nous signifions le rail | gique
de l'attente par des dénominations extrinsèques, il est
faux que nous n'en connaissions rien de plus : la
conscience psychologique noua en dit bien davant
et tout autre chose. Quand donc nou m Anne,
m' Inné, ne vois-tu rien venir? noua-même el
notre > intellectuellement autn
chose qu'une pure dénomination extrinsèque. Hume,
dont le nominalisme allait jusqu'à confondre l'éti
la coi site est percipi, n. sera jamais suivi
par le bon sens. Kant va moins loin, mais il est induit
n nominalisme, quand il prétend que
|-| unie lit rien de
leur sujet, linon l'existence d'ut i ice
.n m ne lit qui faisait dire â Ma iiiiniiiile qu
non! i i rien de di
miné concernant la cause, el que par consi qui ni l'i
919
DIEU (SON EXISTENCE]
920
tence de I )ioti elle-même n'est exprimée par nous
qu'en fonclion de l'impossibilité subjective où nous
sommes de penser qu'il n'existe pas. Il est assez facile
de montrer et à Maimonide et à Kant qu'il en est au-
trement. L'un et l'autre concèdent que nous concevons
Dieu en relation avec le monde. « De même, dit Kant
dans ses Prolégomènes, S 57. qu'une horloge, un vais-
seau, un régiment se rapportent à un horloger, à un
ingénieur, à un colonel, de même le monde sensible se
rapportf à un inconnu. » Cf. Maimonide, Le guide
des égarés, t. i, p. 247. Si la thèse de l'agnosticisme
croyant est vraie, pourquoi Kant ne dit-il pas qu'une
horloge se rapporte à un colonel, un vaisseau à un
horloger, etc.? C'est que le bon sens réclamerait; c'est
qu'en remontant de la montre à l'horloger, de l'exis-
tence de l'une à l'existence de l'autre, par la causalité
nous ne faisons pas totalement abstraction de la « capa-
cité artistique » de l'ouvrier. Quand donc, par l'emploi
du principe de causalité, nous inférons de l'elfet l'exis-
tence de la cause, nous ne concevons pas dans la
conclusion la cause par une pure dénomination extrin-
sèque tirée de l'effet. Ainsi en est-il dans la question
de l'existence de Dieu. Les raisonnements spontanés
que nous étudions mettent en relief le fait de l'exis-
tence et par là nous font atteindre ce qu'on appelle la
nature physique de Dieu, quelque chose sans quoi Dieu
ne serait pas Dieu, cf. Theoîogia Wirceburgensis, De
Deo uno, n.15: Secundum aliquod prœdicatum essen-
tielle cognoscitur Dei essenlia prœsertim physica. Et
en même temps les dénominations extrinsèques tirées
de ses œuvres, par lesquelles nous concevons cette
cause existante, nous donnent d'elle une notion qui
ne pourrait pas s'appliquera quelque autre cause que
ce soit, per prxdicata converlibilia.
Les vues des cartésiens sur le sens de la conclusion
dans les preuves de l'existence de Dieu sont à l'extrême
opposé de celles des agnostiques croyants. Le passage
suivant du P. Gratry les résume fidèlement. « Il est
clair que, comme le dit Descartes, ce procédé donne du
même coup la démonstration de l'existence de Dieu et
la connaissance de ses attributs. Car Dieu ne peut
être démontré qu'autant qu'il est démontré comme
doué de ses attributs essentiels, sans quoi on aurait
démontré l'existence de quelque autre chose, non celle
de Dieu. La démonstration de l'existence de Dieu nous
donne tout en même temps. » De la connaissance de
Dieu, Paris, 1854, t. n, p. 100. Mais, s'il en est ainsi,
comment les païens ont-ils pu errer aussi grossièrement
sur la nature de Dieu ; et pourtant, d'après saint Paul,
ils ont assez connu Dieu pour être tenus de l'adorer,
et pas assez pour éviter toute erreur sur Dieu. Le
P. Gratry est ici victime du préjugé de « l'idée claire »,
au sens cartésien. La doctrine traditionnelle est que
tous, moralement parlant, non seulement ont le pou-
voir de produire, mais encore produisent l'acte de con-
naître Dieu; et pourtant cette même doctrine enseigne
aussi que la révélation est moralement nécessaire pour
que tous arrivent sans mélange d'erreur, nullo admixlo
errore, à connaître de Dieu, ce qui n'est pas de soi inac-
cessible à la raison. D'après les cartésiens, au contraire,
Dieu prouvé, tout ce qu'on peut savoir de Dieu est
connu, donné dans la conscience. On nous dit que si
l'on ne démontre pas Dieu, comme doué de ses attri-
buts essentiels, on ne démontre pas l'existence de Dieu,
mais celle de quelque autre chose. Nous accordons qu'il
faut que la preuve atteigne quelque chose d'essentiel.
d'intrinsèque à Dieu, sinon Dieu ne sérail pas distin-
gué suffisamment du reste des êtres; et nous avons
dit que ce que la preuve spontanée par la causalité
atteint de la sorte est précisément et directement le
fait de l'existence divine. Quis auteni, vel qualis sit,
vel si unus iiiiihiiii est ordinator natures, nondum
slaiim ex hac communi consideraliune habetur.
Contra génies, 1. III, c. xxxvm. El ailleurs le même
docteur explique que la preuve nous apprend d'abord
de Dieu an est, quod scilicet omnium est causa et par
conséquent qu'il est distinct du monde; mais il reste
à chercher ca qux necesse esl ■
quod est prima omnium eau ns omnia sua
causala. Sum. llteol., Ia, q. XII, a. 12. En d'autres
termes, nous connaissons Dieu d'abord par ses attri-
buts relatifs, qui nous servent à le désigner comme
existant à l'aide de dénominations extrinsèques; reste
à le connaître au sens absolu, comme la cause de droit
de tout ce qui n'est pas lui, comme l'existence néces-
saire et par suite comme l'infini, etc. On a vu que
nous ne voulons pas des pures dénominations extrin-
sèques des agnostiques; c'est une hérésie. L'Ecole rejette
aussi le cartésianisme en tant qu'engoué d'idées claires
il nie la valeur de toute connaissance par dénomina-
tions extrinsèques.
On objecte à la fois, dans des intentions différentes,
du côté agnostique et du côté cartésien, que nous tom-
bons dans l'agnosticisme. La réponse est facile. Quand
nous affirmons l'existence objective de Dieu, per prai-
dicalum identificatum, ce que n'arrivent pas logique-
ment à faire les agnostiques croyants, et que nous
disons que cette existence est affirmée d'abord du sujet
Dieu, désigné par des dénominations extrinsèques, per
relaliva, per prœdicatum convertibile, nous avouons
que dès le premier raisonnement par lequel l'esprit
infère l'existence de Dieu, il ne porte pas de jugement
déterminé sur la nature intrinsèque de la divinité.
Mais il y a plus qu'une nuance entre ne pas distinguer
des éléments objectifs du connu et ne pas les atteindre
du tout. Nous reconnaissons avec saint Thomas qu'en
vertu du premier raisonnement spontané, l'esprit ne
distingue pas par exemple la personnalité divine; cela
ne veut nullement dire qu'il ne la perçoive pas impli-
citement. Ceux-là seuls peuvent confondre ces propo-
sitions, « Dieu n'est pas perçu d'une façon distincte
comme personnel, infini; Dieu n'est pas personnel,
infini, » qui ignorent ce qu'est la différence entre
la connaissance pênes implicitum et explicitum.
Cf. S. Thomas, Sum. Iheol., I», q. xm, a. 2, 7,
ad lum. Autre chose est de dire : la conclusion du pre-
mier raisonnement par lequel on arrive à la première
connaissance certaine et personnelle de Dieu ne se
présente pas sous la forme de ce jugement : Dieu est
personnel, infini; autre chose est de dire, il n'est ni
l'un ni l'autre. Quamvis Deus cogitari possit sine
hoc quod bonitas ejus cogitetur, non tamen potest
cogitari quod sit Deus et non sit bonus. D'un autre
côté, dato quod ab aliquo non cognoscatur ut jus/us,
non sequitur quod nullo modo cognoscatur. De veritate,
q. x, a. 12, ad 9'"" sq. Cf. De potentia, q. vu, a. 5,
ad 8anl. L'Église a depuis longtemps condamné comme
hérétique la doctrine d'après laquelle nos jugements
sur Dieu sont indifférents. Denziuger, n. iôô. D'ail-
leurs, un examen attentif du contenu réel de cette
conclusion : « un ordonnateur, une cause de l'univers,
existe o, découvre qu'obtenue par inférence causale
et par le procédé même qui nous manifeste l'existence
de son objet, l'idée du sujet de la phrase implique la
personnalité, etc., soit à cause que l'esprit le saisit
comme supérieur à nous, soit en vertu du principe de
raison suffisante que l'esprit applique en même temps
que celui de causalité, sans avoir une conscience nette
du procédé qu'il emploie. D'ailleurs, rien de plus facile
que de passer de l'implicite à l'explicite, de la connais-
sance confuse qui atteint mais ne distingue pas les
notes intrinsèques de Dieu à une connaissance distincte.
Nous pensons Dieu à ce stade par exemple comme
cause ; s'il esi cause, il a le pouvoir de produire, est
un raisonnement facile. Ensuite, dès que Dieu est
connu exister sous le concept de cause de fait des
921
DIEU (SON EXISTENCE)
922
choses, de la nature de l'effet, il est facile aussi de
remonter à celle de la cause, en vertu du principe que
toute cause produit son effet par un principe qui
est antérieur a l'effet et intrinsèque à la cause. Qui
finxil oculum, non considérai? Ps. xcm, 9. Voir
col. 784. Cf. De veritate, q. H, a. 3; In IV Sent., 1. I,
dist. XXXV, q. i. a. 2. Si donc la conclusion du premier
raisonnement par lequel on arrive à affirmer rationnel-
lement l'existence de Dieu n'est qu'un simple jugement
existentiel, le sujet de ce jugement n'est pas conçu par
de pures dénominations extrinsèques; et des inférences
très simples permettent d'expliciter vite le contenu de
la première idée de Dieu et de passer de la connais-
sance confuse à des jugements déterminés objective-
ment valables sur sa nature intrinsèque. Si l'homme
fait son devoir, le progrès ne manquera pas de se réa-
liser et le secours de la providence ne fera pas défaut.
Ainsi l'agnosticisme est écarté, mais de telle sorte
que. d'une part, les dogmes de l'absolue incompréhen-
sibilité de Dieu et de l'invisibilité naturelle de Dieu et
la doctrine patristique de l'impossibilité d'une connais-
sance quidditative de l'essence divine soient hors de
toute atteinte, et que, d'autre part, l'imperfection de
notre connaissance de Dieu reçoive une explication,
qui rende intelligible le fait des erreurs sur Dieu chez
les païens et la possibilité du progrès dans la connais-
sance naturelle de Dieu. Dieu est incompréhensible,
naturellement invisible, de plus nous ne pouvons pas
ici-bas connaître de Dieu quidest, ut est in se, on pour
parler avec les Pères nous savons de Dieu seulement
quia est et non qttiil sit. La doctrine de l'École rend
compte de toutes ces thèses. Car puisque, d'un côté,
nous ne pensons Dieu qu'à l'aide de concepts tirés des
créatures, et puisque, d'un autre côté, certains attributs
de Dieu sont absolument incommunicables, il esl évi-
dent que nous ne pouvons avoir ni la compréhension,
ni la vision intuitive naturelle, ni une connaissance qui
nous représente l'essence divine comme elle est en soi.
Cf. S. Jean Damascène, !><• fide orthodoxa, 1. I, c. il,
iv, /'. (',., I. m:iv, col. 791, 800. Une représentation de
cette dernière espèce serait quidditative el se défini! :
cognoscere de re omnia prœdicata quidditativa usque
ad differenfiam vel quasi differentiam ullimam, eam
Ipiendo proprioet positivo conceplu. L'impossibi-
lité d 'm iif connaissance abstraite de ce genre relativement
divine suil immédiatement du fait que les
œuvres de Dieu n'épuiseni pas son pouvoir. Cf. S.
mas, Sum. theol., I», q. xti, a, Il sq. Mais ces mêmes
œuvres nous permettent d'avoir quelque connais
de la quidditédivim ère quodeumque prsedi-
le, ce que Bossnel traduit o connaître
les i" - 1 1 1 ■— lesquelles Dieu neserail pis Dieu. •
Saint Thomas pour signifier la même d lit que
nous | nnaitrcDieu secundum eubslanliam,o\i
ndum ijti.,1 ,, se est, Sum. tlieol., l.q. xm. a. 2;
ad - '" ; et Suarez précise : cognoscere de re qûid
■ licatum quidditalivum
..nu tantum ut commune n utproprium.
\aph., 'li i' \\\. sect. xn, n. 9. Cf. S. Tho-
De verilale, q. n, a. I, ad 9um sq. Mais, en vertu
même du procédé p;ir lequel cette connaissant
nue, elle i si d'abord confuse et mêlée d'élémi nts
i confuse, p;irce qu'elle pri
i I Dieu coi aliquid supi
m ab om-
nl Thomas, Sum. theol., I \ q. xm.
■d - ' un léi d éli menti in . car |*ex-
lîvine n'esl
muni . pi S qui im-
plique |., tu. ii«,n .i ,i,i,'. comme l'a forl bii n
en n lief lllingworth, / . and
' ondn i qm entratm ausal di
r<'pr i. commi |
Bossuet, « des images grossières, indignes de la pure
essence » divine. Œuvres oratoires, édit. Lebarq, t. v,
p. lOi. On a beaucoup abusé de ce fait psychologique
pour essayer de montrer que nous n'avons le choix
qu'entre l'agnosticisme à la façon de M. Le Roy et
l'anthropomorphisme. Mais c'était oublier, d'abord que
toute notre connaissance de Dieu n'est pas symbolique,
ensuite que le procédé rationnel par lequel nous l'ob-
tenons nous permet de distinguer ce qui convient à
Dieu et ce qui tient à l'imperfection du symbole, enfin
comme le remarque saint Thomas : hoc quod in modo
significandi (metaphorice) importetur aliqua imper-
feclio non facit prsedicationem esse faisant vel impro-
priam, sed impèrfectam. In IV Sent., 1. 1, dist. XXII,
q. I, a. 2, ad i'""; De veritate, q. x, a. 7, ad 10'"".
Suarez explique avec son habituelle exactitude et pro-
fondeur la même doctrine. Disp. metaph., disp. XXX,
sect. xn, n. 12; De anima, 1. IV, c. îv, n. i; c. v.
Cf. Mayr, Philosophia peripatelica, part. IV, disp. IV,
q. n, a. i, Ingoldstadt, 17:!!). I. iv, p. 424. Ce que
disent saint Thomas, Suarez et après eux Bossuet se
trouve d'ailleurs clairement dans saint Augustin, à pro-
pos de Josué, xxiv, 23. Queestiones in Heptateuchum,
1. VI, c. xxix, P. L., t. xxxiv, col. 790. Cf. De Trinitate,
1. I, c. i, n. 1, t. xlii, col. 819-820.
Si l'on a eu tort de conclure de la confusion de
notre première idée de Dieu à l'agnosticisme, et des
images grossières qui l'accompagnent à l'anthropo-
morphisme; s'il est totalement faux qu'un païen et un
chrétien parlant de Dieu ne s'entendent que par la
fonction religieuse dont la représentation que le nom
de Dieu désigne serait le symbole, dételle sorte qu'abs-
traction faite du contenu de cette représentation le
païen parlant de Jupiter et le chrétien du vrai Dieu
n'attacheraient à la divinité aucun autre sens que celui
de l'identité des rôles que Jupiter et Jahvé jouent par
rapport à différentes dénominations religieuses, cf. Be-
lot, Note sur la triple origine de Vidée de Dieu, dans
la Bévue de )i><:t<ipl<ijsi</ue el de morale, novembre
1908, p. 717, il reste vrai que l'imperfection de cette
idée primitive de Dieu rend possibles les erreurs sur
la nature divine et que la doctrine scolastique rend
compte de cette possibilité. Saint Augustin, De vera
religions, c. xxxvn. /'. /.., t. xxxiv, col. 132, énumère
les diverses créatures que l'on a confondues avec le
créateur, l'âme, les puissances génitales, divers ani-
maux, les astres, le ciel, le m on de conçu connue animé
etc., et l'on s, lit ;isse/ que les pi iriis avaient multiplié
les dieux anthropomorphes. Deux passages de sainl Iîo-
naventure donnent l'explication des faits. Quœst.
dispul, île mysterio Trinilatis, q. i, a. I, ad 3in; q. n,
a. 1. Le païen, dit-il, ne conçoit pis Dieu connue le
bien absolu (superlatif absolu), mais plutôt par voie
de comparaison (superlatif relatif), ut 0/17110/ païens,
quod homo non potes t. ('.<■ superlatif relatil di
bien le Mai Dieu, et ainsi c'est bien le vrai Dieu que
uvre au païen l'instinct naturel; mais, comme b'
fait remarquer Lossada, Summulœ, Barcelone,
i' 13S, Dieu ainsi connu ne se présente pas à l'esprit
l'unicité ; le- exclamations rel
par Tertullien montrent que s, m-- la croûte des ei reura
du polythéisme sommeillai! l'idée de l'unité de Dieu,
mais les païens peu Instruits n j prenaient pas gardi
• i ne se ie nil.i ien i pas compte de la contradiction de
leurs propri Idéi sur la divinité. Aussi, dit saint Bo-
naventure, (/nia homines tunl opinait illud esse Deum
ip"tti ,,iti humanum lut hutnemum
teire, et hoc viderunl / lide-
runt ■ que dit saint Bonaventure du
n'ile d. di ne 1 puisque saint
Paul a écril : qua immolant ger • im-
molant, et non Deo 1 < "i . \. J" d cuit* di
. '!■ 1 la, d 'i' 1.1 nalui • . 1
923
DIEU (SON EXISTENCE
924
plique donc par la confusion de l'idée spontanée de
Dieu et aussi par les dénominations extrinsèques à
l'aide desquelles à ce stade Dieu se trouve désigné. Ce-
pendant le livre de la Sagesse et saint Paul nous ap-
prennent que l'erreur des païens était coupable. La
doctrine classique rend compte de cette culpabilité,
puisqu'elle explique comment ils ont un vrai pouvoir
physique de connaître Dieu; bien plus, en ajoutant
que ce pouvoir est personnel, qu'il passe facilement à
l'acte, elle nous permet aussi, même dans l'affreux
châtiment qu'est le paganisme ou l'athéisme spécula-
tif, d'admirer la suavité de la providence divine, qui a
si bien ordonné toute chose à notre salut que l'idée
de Dieu est toujours prête à jaillir de nouveau, surtout
si l'homme ne néglige pas de suivre la voix de sa con-
science morale et ne corrompt pas violemment sa na-
ture. S. Thomas, Sum. theol., II» II*, q. x, a. 4. Obser-
vons en finissant que la solution scolastique du problème
de la connaissance spontanée de Dieu, tout en mettant
en relief la nécessité morale de la révélation, voir
col. 824 sq., et la grande différence qui existe entre la
connaissance spontanée de Dieu et celle qui nous vient
de la révélation ou de la spéculation philosophique,
cf. S. Thomas, Cont. gent., 1. I, c. iv ; Sum. theol.,
Ila IIœ, q. il, a. 4, a le grand avantage d'assurer l'ho-
mogénéité de l'idée de Dieu à tous les stades de son
développement naturel. Le lecteur remarquera, en effet,
dans ce qui va suivre, que le même principe de causa-
lité, efficiente ou finale, par lequel l'homme peut
d'après les Pères et les scolastiques arriver par lui-
même à l'affirmation de l'existence de Dieu confusé-
ment conçu, cgmmande toutes les démonstrations
scientifiques de l'existence de Dieu dont les conclusions
contiennent implicitement toute la théodicée.
Dans tout cet exposé nous avons procédé en théolo-
gien. On nous permettra pourtant de mentionner ici
que l'étude directe des faits, au grand émoi des histo-
riens athées et évolutionnistes des religions, confirme
l'enseignement traditionnel. Malgré les indéniables
difficultés de l'observation en pareille matière, malgré
aussi la chance de mal interpréter les faits observés, il
devient de jour en jour expérimentalement plus mani-
feste que la religion de tous les peuples contient
quelque idée de la divinité, conçue comme un être re-
lativement supérieur : c'est la formule des scolastiques,
c'est la pensée des Pères, et M. Lang l'a retrouvée.
Cf. Christian Pesch, Der Gollesbegriff in den heid-
nischen Beligionen des Alterthums, der Neuzeit,
3 fascicules, Fribourg-en-Brisgau, 1888; Lang, The
making of religion, 2e édit., Londres, 1900; Schmidt,
enquête poursuivie méthodiquement dans Anthropos ;
Mo' Le Roy, La religion des primitifs, Paris, 1909,
p. 170-198; Bugnicourt, art. Animisme; Condamin,
art. Babylone et la Bible, VI, dans le Dictionnaire
apologétique, Paris, 1909. Neque enim erant ab initio.
Sap., xiv, 13.
Outre les ouvrages cités dans le corps de l'article, voir Petau,
Theol. dogmata, t. i, De Deo, 1. I, c. i-iv; Thomassin, Dog-
mata theologica, t. i, 1. 1; Staht, Die naturliche Gotteser-
kenntniss aus der Lehre der Vàter dargestellt, dans Der Ka-
tholik, 1861, t. 1, p. 9, 129; Franzelin, De Deo uno, sect. i, n,
surtout th. vi, x ; Heinrich, Dogmalische Théologie, Mayence,
1883, t. m, p. 35-113.
//. CONNAISSANCE RÉFLÉCHIE El SCIENTIFIQUE DE
l'existence de dieu. — La connaissance infléchie de
l'existence de Dieu est celle où l'esprit prend nette-
ment conscience des procédés par lesquels cette exis-
tence est connue avec certitude. Cette conscience sup-
pose qu'on est en possession de l'idée de Dieu ou,
comme dit saint Thomas, qu'on en connaît au moins
la définition nominale. Les théologiens appellent scien-
tifique la connaissance de Dieu, soit en raison de la
Valeur des preuves qui l'appuient; soit en raison du
dispositif où ils les présentent. Ils ne veulent pas dire
que c'est aux sciences, telles que les modernes les en-
tendent, qu'il revient de prouver l'existence de Dieu.
Mais, pour eux, 1» l'existence de Dieu est une vérité
scientifique en ce sens que, sans avoir l'évidence im-
médiate des premiers principes ou des données de
l'expérience, elle a l'évidence médiate d'une conclusion
correctement déduite. C'est là le sens large du mot
scientifique, qu'on retrouve dans la vieille définition :
l'ropositio scibilis scioitia proprie dicta est propositio
necessaria, dubitabilis, nala fieri evidens per propo-
siliones necessarias ecidcnter )>er discursum syllogi-
slicum ad eam applicatas. 2° La théologie naturelle ou
théodicée tient à présenter ses preuves de l'existence
de Dieu dans un ordre naturel et scientifique, qui
permet à la connaissance de progresser du connu à
l'inconnu, et d'appuyer constamment les conséquences
sur les principes : dispositif qui vaut à la théologie à
la fois son unité d'exposition, la ferm»té de ses con-
structions doctrinales, et qui donne à ses thèses l'as-
pect élégant et solide de théorèmes à la façon d'Ku-
clide.
Pour enlever ici toute équivoque, il ne s'agit donc
point d'une démonstration mathématique. En effet, par
démonstration mathématique, ou bien on entend un
raisonnement qui va du même au même ou à l'équi-
valent, et nous avons déjà expliqué, col. 770, pourquoi
le procédé mathématique ne démontre pas Dieu ;
ou bien on entend une preuve qui arrache l'assenti-
ment et produit la conviction dans n'importe quel
esprit, comme le font par exemple les premiers théo-
rèmes d'Euclide. Jamais l'ancienne tradition ni les
théologiens, en soutenant la démonslrabilité de Dieu,
n'ont prétendu que toutes les preuves de l'existence de
Dieu s'imposent à l'esprit de chacun avec cette force.
Clément d'Alexandrie en donne déjà la raison. Il dis-
tingue la connaissance confuse de Dieu qui s'impose à
tous, et la connaissance moins imparfaite qu'en ont eue
les philosophes grecs, Strom., V, c. i, xiv, P. G.,
t. ix, col. 15, 196; de l'une et de l'autre de ces con-
naissances il reconnaît qu'on les met en question, soit
à cause de leurs conséquences morales, soit à cause
de la difficulté intrinsèque du sujet, lbid., c. mi.
col. 121 sq. Le même auteur avertit aussi que Dieu n'est
pas connu lmavi\^.i\ t/j <x-oZi:x-r/.?,, ce qui signifie exac-
tement ce que les scolastiques expriment en écartant du
problème actuel toute démonstration propter quid.
Car Dieu n'a point de cause. Il n'est donc question
que d'une démonstration a posteriori, ex effeclibus.
Toute démonstration, pour être légitime, suppose
des prémisses vraies, ab eo quod res est aut non est
oralio dicitur vera vel falsa, et dont la vérité est
saisie par l'esprit. Mais la vérité des prémisses d'un
raisonnement peut être intuitive et tellement manifeste
qu'elle frappe tous les esprits; il en est ainsi de la
vérité des propositions qui énoncent des faits d'expé-
rience commune ou des inductions spontanées sur ces
faits; dans les cas où la vérité des prémisses apparaît
ainsi à l'esprit, l'évidence des prémisses rejaillit sur
la conclusion, qui est elle-même déclarée non seule-
ment certaine, mais évidente pour tous. Quand on dit
que l'existence de Dieu est démontrable, on ne prétend
point que les prémisses et la conclusion y soient néces-
sairement et pour tous évidentes à ce degré. Cf. Suarez.
De dirina substantiel, 1. I, c. i, n. 20; d'Aguirre,
Theologia sancti Anselmi, tr. II, disp. XII, sect. i.
n. 11, Rome, 1688, t. 1, p. 251. Aussi Vasque/, écrit-il,
en transcrivant presque Bannez, Commentaria in lli<",
q. ii, a. 3, Venise, 1587, col. 227. advertendum est talis
natures esse eas demonstrationes ut in eis ea vis et
evidentia requirenda non sit qux in mathemalicis
reperilur, sed quam naturalis, aut melaphysica, vel
moralis scienlia exposcit : ad /<;<■<• enim tria capita
925
DIEU (SON EXISTENCE)
926
omnes, quas subinde adducemus, refcrunlur. In 7aul,
disp. XX, c. m, n. 9. Ces nuances n'étonneront que
ceux qui ne connaîtraient qu'une seule espèce d'évi-
dence, la fulgurante, et une seule espèce de certitude,
celle qui exclut la possibilité cie tout doute, même
sophistique. Voir Croyancf., t. ni, col. 2388.
Ces équivoques dissipées, et c'est pour les éviter que
dans notre langue nous parlons plutôt des preuves que
des démonstrations de l'existence de Dieu, quand on
dit que Dieu est démontrable, cela signifie que son
existence se prouve par un syllogisme, pariens scien-
liam. Cf. Frassen, Scotus academicus, 1. 1, tr. I, a. 1,
q. ni, Rome, 1900, 1. 1, p. 116. On sait qu'Aristote définit
la démonstration : syllogismus conslans ex veris,pri-
et immediatis notionibus, causisque conclusionis.
Anabjt. post., 1. I, c. n. Cette définition convient
spécialement à la démonstration désignée sous le nom
de propter cjuid, dans laquelle les prémisses doivent
contenir les causes de la conclusion dans l'ordre onto-
logique. Les logiciens expliquent comment la même
définition s'applique à la preuve a posteriori, mutatis
mutandis. Kans cette dernière, les prémisses ne sont
plus les causes de la conclusion que dans l'ordre logique.
Prsemissse, dit Lossada, sint causée conclusionis saltem
in cognoscendo, licet non in essendo, ita scilicel ut
objectum prœmissarum, quamvis non sil causa vel
radix ohjccti conclusionis, sil lamen tilulo neccssariœ
connexionis efficaxmotivum et ratio cur assentiamur
><*iniiis objecto. Cursus philosophions, Logica,
tr. VI, disp. II, c. n, n. 6, Barcelone, 1883, t. m, p. 252.
Quand donc on se demande dans l'École si Dieu est
démontrable, le sens revient à ceci : l'esprit humain
peut-il d'une façon réfléchie, artificiellement, être dé-
terminé à un jugement existentiel certain sur Dieu,
par le moyen d'une connexion nécessaire saisie entre
lui et ses œuvres?
A la question ainsi posée, depuis le maître des Sen-
tences jusque vers le milieu du XVIIIe siècle, lous les
théologiens, sauf Pierre d'Ailly et Nicolas d'Aulrecourt,
col. 769, ont répondu par l'affirmative et très catégori-
quement. Pierre Lombard, Sent., 1. I, dist. 111, appuyé
sur Rom., l, 20, sur saint Ambroise et saint Augustin,
avait montré comment par les créatures le créateur
Ire connu, et indiqué brièvement les raisonne-
ments par lesquels nous arrivons à voir intellectuelle-
ment d'une façon réfléchie les perfections invisiblesde
Dieu. L'École entière l'a suivi. Ces dernières années
<>n ;i cherchée mettre en doute l'accord des scolas-
tiques sur ce point; le 1'. Fox, pauliste américain, a
déterré un opuscule de Scot. d'authenticité d'ailleurs
douteuse, pour insinuer, plutôt que pour conclure net
lemi nt. '['!'■ Scol rejetait la doctrine commune, Seotus
redivivus, dans The New Yorh Revicw, juin 1905,
p, :;.">. d'autres ont mis en avant dans le même sens
[et noms de quelques nominalisles comme llolcolt,etc.
Mais quand on étudie les textes, on remarque vite que
le mot démonstration a bien que durant la
■■!'■ en( • de logique formelle des xiv el
, on raffina beaucoup, surtout parmi les no-
minaliatea, sur les différentes i pèces de démonstra-
tion, ■ t qu'en aorome b rares auteurs qui énoncer* ni
la thèse que Dieu n'esl pas démontrable, entendaient
snn|il nt qu'elle n'est pas <\\i genre des preuves
mathématiques, ni une démonstration polissima, ni
une démonstration quia, ea effeclu, m.iis seulement
lilanti, etc., louti façon étranges pour
•ner. mais qui i ■■<. iennenl exactement ■<
diri ■ i > j ii i une di - d< monatrations que
■ rvanl de
us facilement ai non-inl
I, In I V Sent., I. I. prologut, q. ii-vi, lu.
15" i. i' 15-W i n - •■ qui ' ont i ■ n< Si ol l ra> tat
■ dit. \ iv 38, M. on
n'a pas remarqué qu'il ne s'agit nullement dans cet
opuscule de la démonstrabililé de l'existence de Dieu,
mais seulement delà démonstrabilité de certains attri-
buts de Dieu, vivus, sapiens, volons, unions, ce qui
est fort différent. Le P. Fox aurait pu noter aussi que
Scot ne se demande pas simplement si l'unité et la
personnalité divines peuvent se démontrer, mais qu'il
examine si lelsou tels arguments les démontrent d'une
manière rigoureuse; les arguments dont il entreprend
l'examen critique sont du genre de ceux qui emploient
ce qu'on appelle un médium physicum. Scot parait ne
pas les accepter, comme plus lard Suarez les rejettera;
de ce fait conclure que Scot n'a pas enseigné la thèse
de la démonstrabilité de Dieu, ou même l'a mise un
instant en doute, c'est raisonner à peu près comme si
du fait que l'auteur de cet article tient pour inefficace
la méthode d'immanence on concluait qu'il n'admet
pas la démonstrabilité de l'existence de Dieu; la men-
talité de Scot dans son examen critique est la même
que celle de Suarez : plus un théologien est convaincu
que Dieu est démontrable, plus il est sévère dans l'exa-
men des preuve-. Cf. Scot, In IV Sent., 1. I, dist. Il,
q. m, n. C, à la lin. 11 peut se tromper dans ses appré-
ciations, et peut proposer comme valable une démon-
stration défectueuse, ce que ses contemporains ou la
postérité ne manqueront pas de remarquer; mais son
effort même, quoique malheureux, est une preuve de
son adhésion à la thèse de la démonstrabilité. Ajoutons
d'ailleurs que Scot est dans le reste de ses ouvrages très
catégorique en faveur de la thèse traditionnelle, et que
le prince des nominalisles Occam ne l'est pas moins,
bien qu'il hésite sur la rigoureuse démonstrabilité de
l'unité divine, comme plus tard Molina, partisan déclaré
de la démonstrabilité de l'existence, sera moins affir-
matif sur la démonstrabilité de l'infinité. Molina, Coni-
ment. in /■"», q. vu, a. 1, Venise, 1602, p. 60. Cf. Oc-
cam, In IV Sent., 1. I, dist. II, q. x, a.*l; Biel, ibid.,
p. 93.
L'accord des scolastiques va plus loin. Ils donnent
une note théologique à l'opinion qui nie la démonstra-
bilité de l'existence de Dieu. Saint Thomas la qualifie
d'erreur, Cont. gcnl., 1. I, c. xn; ailleurs, De veritate,
q. x, a. 12, il la déclare manifestement fausse, invenitur
hoc quod est Deum esse rationibus irrefragabi-
libus ctiam a philosophie probatum. Cf. Scot, In
IV Sont., 1. I. dist. II, q. ni, n. 7. Iiannez, parlant de
l'opinion de Pierre d'Ailly, écrit : H sec sententia est
temeraria cl ut quibusdam videtur erronea. Sed
nihilominus mihi distinguendum videtur. Si enim
quia neget naluraliter posse cognosci quantum sat
est ad obligandum Iwmincs ad cultum Dci, negare
Deum esso demonstrari posse est hœresis; si qui
autem dicunt non demonstrari secundum artem ar.-
slotelicam, <<"// est error in fuie, sed in physica aut
melap/n/sica, et temerarium in fide. Quapropler
sil nobis cerla conclusio. Sententia sancli Thomas in
secunda sua eonclusione (Dcmonslrabile est Deum
esse démons! rat urne quia, id est ea e/Jectibus) est
certissima et oppositum ejut est temerarium. Scola-
commentaria m /"", q. il, a. 9, Venise, 1587,
p. 216. Molina est plut aflinnatif encore que Bannezj
il cite l'Écriture, Rom., 1,20; Sap., xm; Pa. xvni, 2,
et l'interprétation des Père a et il conclut : Ex his palet
non solum temerarium, sed in ftde minime lutum
esso, ne ampliui ti> iars lecundam
propositani. "/». cit., q. n, ■> 2, p. 35. Suarei
danc n métaphysique constate que les thi
traitent d'erreur l'opinion de Pierre d'Ailly
melaphyt., disp. X \ \ , tect. n. n. 8 , dans son ou
théologique mr Dieu on lit Dieu oalde consentant
naturali d iemonstrai /
>l hOC nrgarc tenu
« Trac tatus de divinu subit antia, \. I,e. t,n.l3j
927
DIEU (SON EXISTENCE
928
c. vi, n. 7. Cf. Valentia, In [<"», disp. I, q.ii, p.ii, a. 2 sq.
Vasquez attaqua non pas, comme on l'a prétendu, la
démonstrabilité de Dieu, mais la rigueur des censures
que l'on donnait ordinairement à l'opinion de Pierre
d'Ailly. In lim, disp. XX, c. III, n. 8. Il opinait que
les textes scripturaires et patristiques n'exigeaient pas
la possibilité d'une démonstration qui donnât la certi-
tude; car, disait-il, on prétend que la certitude est né-
cessaire pour expliquer comment ceux qui nient Dieu
sont inexcusables ; mais ad hoc ut non possentexcusari,
satis est si probabilissimam quamdam et prudente»!
nol'Uiam habere po unissent. Quelques scotistes se
rangèrent du coté de Vasquez; tels Smising, tr. I.
disp. I, n. 00; Ilerincx, Sum. theol., part. I, disp. I,
q. il, a. 3, Anvers, 1680, t. I, p. 22. Sylvius, In iai",
q. il, a. 2, concède à Vasque/, que l'Écriture ne décide
pas la question, mais se retranche derrière les Pères.
Suarez montra la « frivolité » des raisons de Vasquez,
parce que l'Ecriture et les Pères insistent sur l'évi-
dence de la connaissance discursive de Dieu obtenue
par le moyen des créatures, et aussi parce qu'il fallait
bien pour l'état de nature pure en venir à une certitude
rationnelle absolue et par conséquent à la possibilité
d'une preuve évidente au moins pour quelques indivi-
dus ; et donc aussi pour notre état. Op. cit., c. i, n. 15-
22. Cf. S. Thomas, Sum. theol., Il" D>, q. i, a. 5,
ad 3um. Le sorboniste Cxamache se rallia à Suarez et
soutint la démonstrabilité évidente jusqu'à la certitude
comme une donnée de la tradition. In Iam, q. il, c. il.
Le grave Ysambert enchérit même sur Suarez contre
Vasquez. Comme Valentia et Molina, de ce que ni
l'Écriture ni les Pères ne parlent d'une très grande
probabilité, mais bien d'une certitude de l'existence de
Dieu produite en nous par le moyen des créatures,
Ysambert conclut que la démonstrabilité de l'existence
de Dieu par les œuvres divines paraît être une doc-
trine révélée, videatur de fide. Dispululiones in I*"',
q. n, disp. I, a. 3, Paris, 1643, p. 34.
Nous nous trouvons donc en présence d'un accord
moralement unanime de l'École durant plusieurs siè-
cles en faveur de la thèse de la démonstrabilité de
l'existence de Dieu. Si les scolastiques, comme nous
l'avons dit, n'ont pas censuré ceux qui soutenaient la
proposition Deum esse est per se notum, ils ont con-
sidéré comme hérétiques, ou comme errants, ou comme
téméraires, ceux qui excluaient toute preuve de l'exis-
tence de Dieu par le moyen des créatures. Vasquez et
quelques autres ont mis en question la solidité de cette
censure; mais leur opinion n'a pas ébranlé l'ensemble
des maîtres, et il est inutile de la discuter, puisque le
concile du Vatican a défini que nous pouvons connaî-
tre Dieu avec certitude et enseigné que la raison
« démontre les fondements de la foi, » dont l'exis-
tence de Dieu est le principal. Denzinger, n. 1656. Cf.
Heinrich, Dogmatische Théologie, Mayence, 1881. t. i,
p. 134 sq. Et cet enseignement officiel exclut le moyen
terme imaginé par Vasquez pour laver de toute cen-
sure Pierre d'Ailly, dont il ne partageait d'ailleurs pas
l'opinion. D'ailleurs, cet accord des théologiens ne
s'explique pas par des préjugés philosophiques, puisque
des auteurs qui, par exemple, n'admettent aucun des
arguments de saint Thomas en faveur de l'existence de
Dieu, comme Aurioli ou Lherminier, affirment la dé-
monstrabilité aussi bien que l'ensemble des nominalistes
et les autres écoles. Enfin tous en appelaient à l'Écriture
et aux Pères sur ce point. Hujusmodi autem sentenlise
falsitas ostenditur... tuni etiam apostolica veritate
asscrente, Hom., i, 20, Invisibilia, etc., disait déjà
saint Thomas. Cont. gent., 1. I, c. xn. Or, on sait que
dans ces conditions l'accord des Écoles constitue un
argument théologique valable. Cf. Franzelin, Tracta-
tus de divina traditione et Scriptura, th. xvn, Rome,
187"), p. 2U0. D'où l'on conclut qu'il est au moins témé-
de nier la démonslrabilité de l'existence de Dieu.
Telle est la conclusion minimiste de Bannez, de Sua-
rez el à leur suite du P. Pesch, Prselecliones degma-
ticœ, t. il, n. 29. Kleutgen propose la conclusion i n
ces termes: Si quelqu'un reconnaît que Dieu peut être
connu avec certitude par le moven des créatures,
comme l'a défini le concile du Vatican, et nie qu'on
puisse démontrer strictement, c'est-à-dire jusqu'à
l'évidence, l'existence de Dieu, son assertion, bien que
non hérétique, est néanmoins peu sure dans la foi.
De ipso Ben, Ralisbonne, 1881, n. 156.
Si, laissant de côté- l'argument tiré de l'autorité de
l'Ecole, on étudie la question en elle-même, on se
trouve en face des faits suivants. D'après l'ensemble de
l'Ecriture et de la tradition, entre Dieu, les créatures
et la position par notre esprit d'un jugement existen-
tiel certain sur Dieu, il y a une relation telle que la
position de ce jugement découle de la connaissance des
créatures. Voir col. 842. Tel est sans conteste le con-
tenu de la révélation. C'est équivalemment dire que
Dieu est démontrable a posteriori, dira-t-on; et ainsi
en jugent de fait les théologiens qui, avec Molina,
Valentia, Ysambert, disent que la thèse que nous étu-
dions est de foi divine. Non, disent les autres, il y a
une nuance. Car l'Écriture ne dit pas explicitement
tout ce que signifie la thèse que Dieu est démontrable.
Cette thèse, en effet, dit que la relation entre les créa-
tures et l'affirmation certaine de l'existence de Dieu
est celle des prémisses à la conclusion; elle dit aussi
qu'il intervient dans le procédé suivi par l'esprit la
connexion entre un terme plus connu et un ternie
moins connu, que cette connexion non seulement est
perçue par l'acte direct de l'esprit, mais que l'esprit a
la conscience réfléchie du procédé qu'il emploie pour
conclure. Or, toutes ces précisions ne sont pas dans les
textes scripturaires explicitement. Mais, ajoutent-ils
avec Suarez, elles s'y trouvent à l'état implicite, loc. ci t.,
n. 13. L'Écriture, en elfet, nous propose de vrais argu-
ments en faveur de l'existence de Dieu et nous invite
par là à faire intellectuellement les actes que fait tout
homme qui suit une démonstration : si ergo demon-
stratur, denwnslrabile est; et si ratione naturali sci-
tur Deum esse, etiam scimus nos hoc scire et demon-
strare. Ces conséquences sont si naturelles, et les ré-
flexions de l'esprit qu'importe le terme démonstrabilité
sont dans l'espèce si faciles, qu'on en conclut à la note de
témérité dans la foi contre l'opinion deXicolas d'Autre-
Court et de Pierre d'Ailly. On ne voit pas, en effet,
comment le contenu de la révélation reste intact, sj
l'on nie la démonstrabilité de Dieu au sens où ce terme
est pris dans l'Ecole. Voir col. 853 sq.
La même conclusion se déduit de la formule définie
parle concile du Vatican. Denzinger, n. 1653. Quelques-
uns font cette déduction par le raisonnement suivant.
Le concile définit que l'homme peut connaître l'exis-
tence de Dieu avec certitude par le moyen des créatures.
Or, il n'y a pas de certitude si l'assentissenient n'est
pas fourni en vertu d'un motif qui exclut la possibilité'
du contraire, el si l'esprit ne connaît pas clairement
que toute possibilité d'erreur est exclue. Mais seule une
démonstration proprement dite peut déterminer un
assentiment de ce genre. Donc. Cf. Stentrup, De Deo
uno, Inspruck, 1879, th. iv. p. 76; Hontheim, Institu-
tions theodicex, n. 79; Frick, Logica, n. 210. 131.
p. 133, 291. Ce raisonnement est fallacieux; d'abord,
parce qu'il s'ensuivrait que jamais la connaissance
spontanée de Dieu ne pourrait donner la certitude ;
ensuite, parce que dans la mineure on prend pour
accordé que le concile en employant le mot certo a
nécessairement fait sienne celle des diverses théories
classiques sur la certitude el sur le critérium de la
vérité que l'on adopte soi-même. Voir Ci'.uvanci:. t. m.
col. 2389 sq. Il faut donc, si l'on veut déduire avec cer-
929
DIEU (SON EXISTENCE
930
titude du texte conciliaire la thèse de la démonstrabilité
de Dieu, procéder autrement.
Le concile a défini que par la raison naturelle au
moyen des créatures on peut arriver à connaître Dieu
avec certitude; mais, ou bien on reconnaît que notre
connaissance spontanée de Dieu s'obtient par inférence
causale, ou bien on ne le veut pas reconnaître. Or, dans
les deux cas. pour satisfaire au concile, il faut admettre
la thèse de la démonstrabilité. Dans le premier cas, la
conséquence est évidente; car dire que Dieu est démon-
trable quand on reconnaît d'ailleurs que c'est par une
inférence causale qu'on obtient la certitude de son exis-
tence, ce n'est ajouter à ce que l'on concède déjà que
la possibilité d'un retour réfléchi de la pensée sur son
opération de façon à en constater la légitimité; et,
remarque Kleutgen, op. cil.,n. 157, bien que ce retour
réfléchi de la pensée ne soit pas nécessaire avant l'acte
de foi à celui qui a la certitude spontanée de l'existence
de Dieu, ni même, avait dil saint Thomas, Sum. theol.,
H» II», q. r, a. 5, ad 3um, à celui qui ne connaîtrait Dieu
que par la foi humaine, on ne peut pas nier qu'il est
souvent nécessaire soit avant soit même après l'acte de
foi proprement dit. Si l'on opte pour l'hypothèse que
notre première connaissance de Dieu n'est pas le résul-
tat d'une inférence causale, ou bien on en explique la
se par l'argument de saint Anselme, ou bien on a
recours à quelque élément subjectif indémontrable.
Hais l'argumenl de saint Anselme ne donne pas la cer-
titude; et l'expérience aussi bien que l'histoire de la
philosophie el de la théologie nous apprennent qu'il
l,i plan' à des doutes raisonnables sur la légiti-
mité de la conclusion qu'il prétend imposer à l'athée.
A plus forle raison en faut-il dire autant de tous les
aystèmes qui fonl dépendre la certitude de la première
connaissance de Dieu d'un élément subjectif indémontré
et indémontrable el dont les titres ne peuvent pas s'ex-
pliciter à la raison. Cf. Pesch. op. cit., n. 25.
Sur ce point la pensée du i ordinaire n'esl
ni douteuse ni équivoque. Le moyen âge condamna Xi-
colas d'Autrecouri. Voir col. 770. En 1835, 1 Irégoire \ VI
reprochait à Hermès de ne pas rester fidèle a la doc-
trine catholique en ce qui concerne les argun
par lesqui Is on a coutume d'établir et de confirmer
l'existence de Dieu. Denzinger, a. 1620. La même
année, on demanda à Bautain de signer que le rai-
sonnement peut prouver rtitude l'existence de
Dieu, i Voir Bautain. Cf. Denzinger, 10« édit., n. 1622.
In 1843, la S. C. de l'Index demanda diverses correc-
tion, a (Jbaghs. En particulier l baghs ayant écrit :
ad quandam (idem,
nul fundari in hac fide, <i"<i non tam videmu» quanx
jeu pet suasum »ooi • est, ideam
fidelem, id qui d •■> iden 'ia met e il
. l'Index observait : Qua; verba signij
nlur potius credi quam demonstrari Dei existen*
: quod quidem << vero omnino dislat. Cf. les dé-
tail* singuliers de l'affaire dan? Dec Kalholik, 1865, l. i.
p, 210; 1866 i ii. p. 191 . toutes les pièces ont été
publiées par V Annuaire <lr l'université de Louvain
pour 1876, el réimpi imées par Bouix, dans la H
miens, 1876, p. ô.Vi «\. En
Pie I \ rappela dan- une encyclique que la r
■ils de la f.,i. Denzinger, n 1635; el
n inl ur ce ujel à propos des erreurs de
rimer, en faisant mi ntion expre se de :
> . n. 1670. I n 1855, Bonnettj
la même proposition qu'on avait pro
1650. Les con
mon • renl dan- le même
oir, p ir exemple, I" concili
d" i 1873,
i- !'■ Bordi aui en 1856, ibid ,
col. f.'.'l . autrichien di
nui. i.t. t m i ot ( ITHOL
Vienne en 1858, ibid., t. v, col. 130; celui de Cologne
en 1860, col. 27 1, 294, 300; celui de Kalocsa en 1S62,
ibid., col. 612; celui d'Utrechten 18(55, ibid., col. 746.
On a vu plus haut, col. Si" sq., pourquoi le concile du
Vatican n'a pas voulu employer le mot demonstrare
dans la définition dogmatique qu'il a proposée à la
foi de l'Église; mais en se tenant sur la réserve, parce
qu'il importait surtout de décider du pouvoir naturel
que nous avons de parvenir à la première connais-
sance certaine de Dieu, le concile ne désavoua ni le
saint-siège ni les conciles provinciaux que nous ve-
nons de citer. Certo cognoscere et demonstrare, dit le
rapporteur, aliquatenus est unum idemque, et le concile
eut soin de recommander à tous les fidèles de suivre
les décisions du saint-siège. Voir col. 836. Depuis le
concile, la direction du magistère n'a pas varié'. On
sait que Léon XIII a donné une vigoureuse impulsion
au retour à la philosophie de l'École, spécialement da
saint Thomas. Or, dans une encyclique au clergé' de
France, 8 septembre 1899, il expliquait que son but en
poussant à l'étude de la scolaslique était surtout d'en-
rayer le nominalisme moderne, qui rend impossible la
preuve des préambules de la foi. Acta l. rouis XIII,
Rome, 1900, t. xix, p. 168. C'était redire après vingt ans
ce que Kleutgen avait écrit dans l'encyclique JEtemi
Patris, dont la rédaction lui avait été confiée : Et rê-
vera divinse Sapientise eloquiis graviter reprehenditur
eorum hominum stullitia qui de. his quai videntur
bona non poluerunt intelligere cum qui est, ne que
operibus altendentes, agnoverunt quis esscl artifex.
Tgitur primo loco magnus hic et prxclarus ex hu~
riiana ratione fructus capitur, quod illa. Deum esse
demonstret : a magnitudine enim speciei el creaturœ
cognoscibiliter poterit creatùr horion videri. Acta
Leonis XIII. Home, 1881, t. I, p. 268. Ceux donc qui
parmi les catholiques pensent que la question de la
démonstrabilité de Dieu est une question libre, font
preuve d'une connaissance peu ('tendue de la littérature
officielle de leur Église; il en faut dire autant d'un
grand nombre d'autres qui prétendent être tout à fait
en règle avec l'orthodoxie, parce qu'ils admettenl une
inférence causale dans la genèse de noire pren
idée de Dieu, sauf a nier, pour excuser l'athéisme spé-
culatif, toute démonstrabilité proprement dite de I
tence divine.
II. Exposé sommairi des preuves di l'existence
de Dieu. — <»n peut étudier les preuves de l'exis-
tence de Dieu à un triple point de vue. qu'il imp
de distinguer, I i «pie souvent il soit confondu par-
les auteurs qui traitent de ces questions : le
vue historique, le point de vue pratique ou apoli
tique, le point de vue scientifique.
1" Point de vue historique. — Placé a ce point de
vue. on ne cherche à convaincre personne de l'exis-
tence de Dieu ni même à faire la critique des preuves
qui ont été proposées dans le cours des lg< s, I e but
poursuivi esl d< dresser un catalogue exact el coi
des ai . m n axant, d'en indiquer les nuai
les filiation'- el d en découvrir les relations avi
doctrines soit des auteurs qui les ont employés, soil de
leur milieu Ces recherches ne vonl pas sans quelque
danger de dilettantisme ou même de positivisme;
qui s'y livrent exclusivement el sans une lorte éducation
philosophique, Unissent par opini r avec Ri nan i qu'il
esl plus important de savoir ce que l'espril humain i
• n problème, que d'avoir un a\is hh- cepro-
i.i' m i i 1866, p. IX.
Mais ' -ont bien conduiti
sortent d< qui
ein brenl encoi e les I e la philosophie mé-
diévale, elles sont d'un haut intén t ■ t d'une ti
utilité pour I inli lligem en h Carl
van Endert a laiss uni bonne étude de o genre pour
IV. - 30
931
DIEU (SON EXISTENCE
932
la période palrislique, Der Gottesbeweis in der patris-
lischen Zcit, Fribourg-en-Brisgau, 1869. Beaucoup de
monographies sur différents Pères ou (;crivains ecclé-
siastiques contribuent à celte enquête; elles ont été ou
seront indiquées aux différents articles de ce diction-
naire. L'attention des érudits juifs et chrétiens s'est en
Allemagne beaucoup occupée des arguments donnés
par les grands docteurs du moyen âge, spécialement
par saint Thomas. On a surtout étudié l'origine de l'ar-
gument du premier moteur, tel qu'il se lit au Contra
génies, 1. I, c. xm. On trouvera le matériel des résul-
tats obtenus et des controverses pendantes dansRolfes,
Die Gotlcsbeweise beim Thomas von Aquin und
Aristoteles, Cologne, 1898; Baeumker, Witelo, dans
Beitrâge zur Geschichle der Philosophie des Mittelal-
lers, t. ni, p. 288-343; Weber, Der Gottesbeweis ans
der Beivegung bei Thomas von Aquin, Fribourg, 1902;
Grunwald; Geschichte der Gollesbeweise im Mitlelal-
ter bis zum Ausgang der Hochscholastik, Munster,
1907, dans les Beitrâge, t. vi.
Ces essais sont encore très imparfaits pour bien des
raisons qu'il serait fort long d'exposer. Qu'il suffise en
général de mentionner que la critique actuelle des
sources de saint Thomas dépend beaucoup trop du
préjugé mis ù la mode par Renan, à savoir que saint
Thomas fut surtout un adversaire d'Averroès et s'ins-
pira principalement d'Avicenne. Les emprunts à Avi-
cenne surtout par l'intermédiaire de Mairnonide ne
sont pas niables; il est certain, par exemple, que la ter-
minologie du troisième argument de saint Thomas dans
la Somme, Ia, q. n, a. 3, est d'Avicenne. Cf. Mairnonide,
Guide des égarés, trad. Munk, Paris, 1861, t. n, p. 19.
Mais il n'est pas douteux que chez saint Thomas cet
argument a un sens tout différent de celui que lui don-
nait Avicenne, puisque saint Thomas a constamment
rejeté avec Averroès la distinction réelle de l'essence
et de l'existence qu'admettait Avicenne. Cf. S. Thomas,
In metaph., 1. IV, lect. il, n. 3; 1. X, lect. m, n. 8; De
ente et essentia, c. iv, voir le commentaire de Cajetan,
q. v, x. On n'a pas assez remarqué aussi qu'en théo-
dicée saint Thomas emprunte a Averroès ses arguments
décisifs contre l'agnosticisme d'Avicenne et de Mairno-
nide et qu'en physique il modifie la théorie du mouve-
ment d'Avicenne. Malgré tous ces défauts, les travaux
publiés ont remis en lumière un fait que l'on avait
perdu de vue depuis Cajetan et depuis Suarez, à savoir
que saint Thomas à la suite d'Albert le Grand, Summa
tlieol., part. I, tr. III, q. xvm, m. I, édit. Vives, t. xxxi,
p. 119, mais avec beaucoup plus de sens critique, s'est
grandement inspiré des philosophes arabes et du juif
Mairnonide dans l'exposé qu'il nous a laissé des preuves
de l'existence de Dieu. Il nous en avertit d'ailleurs lui-
même, Contra génies, 1. 1, c. xm, procedamus ad po-
nendum raliones quibus tam philosophi quam do-
ctores catholici Deum esse probaverimt.
Il faut donc distinguer dans saint Thomas deux
sources : la tradition chrétienne qu'il reçoit du Mailre
des Sentences, et la tradition péripatéticienne qu'il reçoit
des philosophes arabes et juifs. Ce qui provient de ces
derniers nous intéresse seul ici, et on peut le ramener à
deux points. D'abord, saint Thomas emprunte à la
philosophie arabe l'argument du premier moteur
tel qu'il le développe dans le Contra génies, loc. cit.
L'idée foncière de cet argument est la suivante : le
changement est un passage de la puissance à l'acte;
c'est la définition du mouvement métaphysique et celle-ci
n'est pas discutée; mais, pense saint Thomas, aucun pas-
sage de la puissance à l'acte ne se fait dans le monde de
notre expérience sans qu'un mouvement de translation,
motus localis, moins physicus, n'ait précédé. Ce que
Mairnonide exprime en ces termes : « Le mouvement
de translation est antérieur à tous les mouvements et
en est le premier selon la nature ; car même la nais-
sance et la corruption sont précédées d'une transfor-
mation; et la transformation à son tour est préct
d'un rapprochement entre ce qui transforme et ce qui
doit être transformé; enfin il n'y a ni croissance ni
décroissement sans qu'il y ait d'abord naissance et cor-
ruption. » Loc. cit., p. 13. Si donc on constate un change-
ment, il y a eu mouvement local : Omne molum mo-
vetur ab alio ; mais cela ne peut pas se continuer à
l'infini. Donc. Voir le développement du raisonnement
dans Mairnonide, loc. cit., p. 29, et remarquer que saint
Thomas emprunte au rabbin jusqu'à ses exemples :
« cette pierre qui se meut, c'est le bâton qui l'a mise
en mouvement; le bâton a été mû par la main, »] etc.
Le second emprunt de saint Thomas consiste à dire
que la non-éternité du monde ne se démontre pas;
proposition qui excila beaucoup de murmures, comme
nous l'apprend saint Thomas lui-même dans son opus-
cule De xlernitale mundi contra murmurantes, et
l'on sait que parmi ceux-ci se trouvait saint lionaven-
ture. Voir t. m, col. 2174. De là saint Thomas concluait
que les preuves de l'existence de Dieu doivent être in-
dépendantes de la question de la création proprement
dite ou tout au moins du dogme de la création dans
le temps. Cette position fut empruntée par lui à Mai-
rnonide. Cf. Worms, Die Lehre von der Anfanglosig-
keit der Welt, etc., dans les Beitrâge de Daeumker,
t. m; Raymond Martin, Pugio fidei, part. I, c. vi sq.;
Guttmann, Moses ben Maimon, Leipzig, 1908, t. i.
p. 189.
Ces deux emprunts de saint Thomas à la spéculation
orientale n'ont pas eu la même fortune dans les écoles.
Bien qu'on trouve encore jusqu'au XVIIIe siècle cette
question discutée par les auteurs, an eœistenlia Dei
possil demonslrari permisso progressu in infinitum,
bien que ce problème ait encore une grande utilité pé-
dagogique, il semble que l'accord est fait pour le ré-
soudre dans le sens de saint Thomas. Cf. l'exposé de
la question dans Sertillanges, La preuve de Dieu et
V éternité du monde, Paris, 1897; Les sources de la
croyance en Dieu, Paris, 1905, p. 69 sq.; Hontheim,
Institutiones theodicese, Fribourg-en-Brisgau, 1893,
n. 198. Ce qui ne veut pas dire qu'on s'interdise le
droit de chercher à montrer directement la répugnance
du progrès à l'infini, soit qu'on admette les nombres
infinis, soit qu'on les rejette. Quant à l'argument du
premier moteur tel que saint Thomas l'a compris, il y
a longtemps qu'il ne s'enseigne plus, même dans
l'École thomiste. L'histoire en serait fort curieuse, mais
longue; voici quelques points de repère sans discussion.
Pour Scot comme pour saint Thomas, les corps ont
un lieuet un appétit naturel pour ce lieu. Cf. Sum. theol.,
Ia, q. vu, a. 3. Ils l'atteignent ou y tendent par divers
changements qui se font sous l'action des sphères
célestes, celles-ci se communiquant de degré en degré le
mouvement de la première sphère. Celle-là est mue
par le premier moteur. Mais, observe Scot. dans ces
conditions l'argument tiré de l'impossibilité du progrès
à l'infini du mouvement local ne prouve pas l'existence
de Dieu. En effet, 1. le principe quod movetur, ab alio
movetur, entendu dans ce sens qu'un mouvement
local précède tout changement, n'est pas un principe
universel el nécessaire; car il admet bien des exceptions,
spécialement dans les êtres libres et vivants. L'induc-
tion ne prouve ce principe que dans les limites sui-
vantes : quod movetur, ab alio etiam movetur, c'est-à-
dire rien dans notre expérience n'est la cause adéquate
de son mouvement, cf. Suarez, Disp. melaphys., disp.
XXII, sect. il, n. 23, 17 : si on l'étend davantage, il est
faux, quia aliquid potest esse i)i actu virtuali et i»
potentia formali. In IV Sent., 1. I, dist. III, q. vu,
n. 28 sq. Ce qui peut se traduire familièrement : dans le
monde, il n'y a pas que des toupies à fouet, mais aus>i
des toupies à ressort. — 2. D'ailleurs, si l'on adme! l'hy-
933
DIEU (SON EXISTENCE
934
pothèse des Arabes sur le mouvement de translation
cause de tous les changements, l'argument ne conclut
pas à Dieu, vu qu'il ne conclut qu'à un moteur qui
n'est pas mû par un autre et non pas à un moteur abso-
lument immobile. Saint Thomas avait cru pouvoir passer
d'un tel moteur à Dieu en s'appuyant sur « l'assomplion »
d'Aristote, Physic, I. VI, c. x, édit. Bekker, t. i, p. 2i0,
que les êtres simples ne peuvent être mus que par ac-
cident; théorie qui suppose que tous les mouvements
locaux sont des mouvements absolus, qu'il n'y a pas et
nepeul pas y avoir de mouvements relatifs. Scot conti-
nue à penser, comme tout le monde jusqu'à Copernic,
que de fait les mouvements de l'univers sont des mou-
vements absolus, bien qu'il entende ce mot dans un
sens moins strict que ses contemporains; mais son génie
lui a fait remarquer qu'il n'est pas du concept de mou-
vement de translation qu'il y ait application d'un quan-
tum sur un quantum; il suflit, dil-il à propos desanges,
de considérer l'espace parcouru; c'est, en effet, ce que
nous faisons tous aujourd'hui en mécanique dans les
problèmes de composition des mouvements. In IV Sent.,
1. II, dist. II, q. ix. Donc, conclut-il, le premier moteur
non mû par un autre, auquel aboutit l'argument em-
prunté par saint Thomas aux Arabes et à Maimonide,
serait en réalité un moteur non immobile; il ne serait
pas plus immobile que notre âme: Ibid. ,q.\u. —3. Dans
ses Theoreniata, Scot attaqua d'une autre façon encore
la preuve de l'existence de Dieu par un moyen terme
physique; mais dans ce passage l'argumentation du
docteur subtil vise plus Albert le Grand que saint
Thomas et déborde l'argument du premier moteur.
Cf. Suarez, Dispul. metaphys., disp. XXIX, sect. i,
n. 1S.
Iles trois observations de Scot, les scotistes dévelop-
pai eut surtout la première; les nominalistes. à fini
leur occasionalisme ne permettait pas de suivre en ce
point Scot, développèrent les deux autres. Voir les
arguments d'Aurioli dansCapreolus, Defensiones théo-
logies tancli Thomee, I. I. dist. III, q. i. Tours, 1900,
t. i, p. 164. Cf. Occam, ibid. Les thomistes firent
preuve pour défendre le texte et la pensée de saint
Thomas d'une ingéniosité rare. Cf. Ferrariensis, Contra
génies, 1. 1,c. xm. Mais la subtilité des scotistes triompha,
aidée Bans aucun doute par tout le mouvement scienti-
fique qui devait aboutir à Galilée et :i l'application de
l.i mathématique .i l'étude des mouvements réels. Aussi,
après ;i\oir vivement lutté spécialement contre le sco-
liste Trombetta, qui avait dédié •■ Léon X son opuscule :
De effleienlia primi principii... quid senserinl Ari-
tlolelet <H Commenlator Averroès) de effleienlia
primi principii inftnitate inten-
, Venise, 1313, Cajetan >- signait ;i avouer dans
la compilation qu'il écrivait sur la Somme de saint
Thomas que l'argument du premier moteur ne con-
clut pas à un moteur plu- immobile que n'esl l'Ame
humaine. - /" l*m, q. n, a.:1.. Suarez ne dit guère antre
• - 1598, lorsqu il i iul !•■ débat el
lut que le- ne. s, n- tei mes physiques ne sufl
-n infinité. Disp. metaphys.,
disp. XXI) t; disp. X\ \. sect. n. On pouvait
croire la question vida • Il n'en fui rien. Bannei prit la
position suivante .Sinomine motus solum intelligatui
nwlut physicut, b< mut quod per
solum de\ enilui a I i molorem i»i-
quidenx per se, per accident lamen potetl
mobilis. En d'autres termes, li «m prend I
ment dans le -• ni où bistoi iqui m» nt - uni Thon
runlé aux Irabi - il m conclut pas, el la critique
■me/ ajoute de ion cru :
8a d non débet iti ,., ehendal
■
ipplu oh,, potentiel
■ i elUÛn motut metaphi
qualis est modo finis. El tune ratio ista sic débet dis-
poni. Omne quod movelur quoeumque motu, sive spi-
ritual), sire melaphysico, sive morali propter appeli-
lum alicujus (i)iis superioris, ab alio movelur, el in
islis motibus non dalur processus in infinitum. Ergo
deveniendum est ad unum motorem qui islis motibus
est omnino immobilis, qualis esl Deus. Scolaslica com-
menlaria in 7a"<, q. n, a. 3, Venise, 1387, p. 230.
Depuis Bannez, on n'est, pour son école, thomiste
que si l'on admet l'argument du premier moteur en
transférant au concours divin ce qui fut écrit de l'action
de la première sphère. Goudin prononce sans hésiter :
Qui negant praemotioncin negare soient lioc axioma,
quod movelur, abalio movelur , sicque expedilissimam
scalam subruunt qua philosophi anliqui ad cognilio-
nem Dei ascendebant. I'hysica, part. I, disp. III, q. vi,
t. n, p. 389. De nos jours, le P. de Munnynck pense de
même : « Si Suarez n'admet pas l'argument du pre-
mier moteur de saint Thomas, c'est que cet argument
favorise trop la prémotion physique. » Prœlecliones
de Dei existenlia, Louvain, 1904, p. 64. Les thomistes
bannéziens font donc de l'argument du premier mo-
teur un argument métaphysique, ex ratione metaphy-
sica, non ex medio plujsico. Il en est de même des
différentes espèces de néo-thomistes, qui ne sont pas
bannéziens; ils ont recours pour soutenir cet argu-
ment à diverses notions sur la limitation des êtres
finis, sur la composition des êtres, sur l'acte et la
puissance, etc., dont se servaient, il est vrai, les tho-
mistes anciens à l'époque où ils défendaient encore
contre les scotistes la valeur de l'argument de saint
Thomas pris au sens de l'antériorité du mouvement
de translation, mais qui n'ont aucun rapport telles
qu'elles sont entendues par les néo-thomistes avec l'ar-
gument ex medio physico. Cette intervention récente
du néo-thomisme a fait de cette question le carrefour
le plus systématique de tonte la théologie, et on s'j
querelle aujourd'hui en pleine obscurité. Du moins les
bannéziens anciens sont-ils toujours restés fidèles au
principe qu'on ne doit pas prouver les choses certaines
par des opinions controversées; c'est ainsi que Jean de
Saint-Thomas refuse de se servir de la distinction i
de l'essena t de l'existence pour prouver l'infinité de
Dieu, parce que, dit-il. ce n'est là qu'une opinion con-
troversée. /// / q. vu, disp. Vil, a. 1, n. 7, édit. Vives.
t. i, p. 696. De lie nie. le P. Lepidi considère avec
D. Soto comme une question secondaire dans le tho-
misme l'existence distincte de cette entité'. Cité par
Reinstadler, Elementa philosophie! scolasticœ, Fri-
bourg-en-Brisgau, 1907, t. i, p. 256. Les néo-thom
ont abandonné cette Bage méthode et procèdent ainsi.
S.iinl Thomas a dit que l'argument du premier moteur
est le pins manifeste; or, pour qu'il soit valable, au
métaphysique où nous l'entendons, telles el telles
hypothèses métaphysiques, telles entités, telles distinc-
tions réelles oie., nous sont nécessaires; c'est donc
que d après saint Thomas ces hypothèses sont évidentes,
D'où il suit que l'argument, que les néothon
déclarent à l< le meilleur pour démontrer
l'existi nce de Dieu, esl finalement basé' chez eux sur un
appel à l'autorité du docteur angélique, interprété à
sens. Sans discuter la question de fond, nous
constaton qui l< néo-thomistes, par le moyen de con-
sidérations métaphysiques qu'Us déclarent très
fondes, fondamental! ibandonnenl en réalité comme
tout le reste de l'École l'argument physique du pre t
moteur, tel que sainl Thomas le reçnl di - \< ib« -
Cf. Honll op. • '/., n
si. pour les raisons el de la mania reque noua n non»
d'indiquer, l'argument tin- du mouvement de transi a
lion .i disparu de l l cole depuis pluaieu . il •>
écu dans la ei quelques
philo i chez quelques apologistes de I
935
DIEU So.N EXISTENCE
936
volonté. De nos jours, nous assistons au mouvement de
réaction suivant. Beaucoup île philosophes ayant réduit
au sentiment tout le fondement de la croyance en Dieu,
les positivistes se sont mis à attaquer la légitimité de
la connaissance sentimentale; AI. Ribot, par exemple,
a t'-cri t La logique <ics sentiments, en prenant pour
accordé que la connaissance religieuse n'a pas d'autres
origines que l'émotion, sauf à montrer dans tout son
ouvrage qu'il n'y a là aucun moyen valable de connaître.
Or, nous avons vu une levée de boucliers contre
M. Jlibot : on croit rendre grand service à la religion
en défendant contre lui « la logique des sentiments, »
et on ne se rend pas compte qu'une telle apologétique
est de nature à confirmer les positivistes dans leur
erreur et, comme dit l'encyclique Pascendi, que ja-
mais « le bon sens n'admettra que l'émotion soit un
moyen sûr de découvrir la vérité. » Denzinger, 10e édit.,
n. 2106. Il s'est passé pour l'argument du mouvement
local quelque chose de semblable. Hobbes, voir col. 776,
Pascal, voir col. 805, et de nos jours Stuart M i 1 1 ont
allecté de prendre cette preuve pour la seule valable;
puis, ils ont montré ou affirmé qu'elle n'est pas con-
cluante ; et depuis Hobbes jusqu'à nos jours, il s'est
trouvé des théologiens protestants, des philosophes et
des apologistes pour réfuter Hobbes d'abord, puis To-
land, lorsque celui-ci riposta que le mouvement, c'est-
à-dire l'effort que fait un corps pour se transporter
d'un lieu à un autre, est essentiel à toute matière.
Cf. Samuel Parker, De Deo et providentiel, Londres,
1678, disp. I, c. xxvm ; Abbadie, Traité de la vérité de
la religion chrétienne, sect. i, c. IV, Rotterdam, 1684;
Samuel Clarke, Démonstration de l'existence et des
attributs de Dieu, dans la Défense de la religion de
Burnet, La Haye, 1740, t. m, p. 13, 33 sq. ; Buddeus,
Traité de l'atliéisnte, Amsterdam, 1740, p. 179. La polé-
mique contre Stuart Mill, même après l'hypothèse de la
nébuleuse, a rajeuni le zèle de quelques écrivains d'ail-
leurs bien pensants, qu'il vaut mieux ne pas nommer et
dont il suffit de dire ici qu'ils eussent bien fait de se
demander si leurs prétendues démonstrations, tirées de
la physique et des mathématiques, n'étaient pas de
nature à fournir une excuse aux athées bien informés.
Cf. par exemple Keyser, The message of modem ma-
themalics to theology, clans Hibbert Journal, janvier
1909. Saint Thomas faisait déjà de son temps la re-
marque que le fidéisme doit son origine à la faiblesse
des raisons que l'on apporte quelquefois en faveur de
l'existence de Dieu. Contra génies, 1. I, c. xn.
2° Point de vue 'pratique ou apologétique. — Quand
on se place à ce point de vue dans l'exposé des preuves
de l'existence de Dieu, on a pour but ou bien d'amener
quelqu'un à la croyance au vrai Dieu, ou bien de lui
montrer que la croyance en Dieu qu'il professe est
raisonnable, ou enfin de résoudre certaines difficultés
qui se sont élevées dans l'esprit d'un croyant ou d'un
homme qui a cru en Dieu mais a cessé d'y croire pour
diverses raisons. Dans l'ordre de providence où nous
sommes placés, la méthode apologétique est en celte
matière dominée par les faits suivants.
1. Tout homme est personnellement capable de par-
venir à la connaissance certaine de Dieu de façon
à pouvoir commencer sa vie morale et religieuse.
Voir col. 831. Nous avons dit par quel procédé lo-
gique il y aboutit. L'apologiste n'a donc rien de mieux
à faire que de développer et de présenter d'une
façon adapté'e à l'intelligence de ses lecteurs pro-
bables l'argument tiré de l'ordre de l'univers, celui
de causalih', enfin les arguments muraux dont nous
avons parlé. Dans la pratique, c esl bien ce que donnent,
en effet, les apologistes les plus autorisés, protestants
aussi bien que catholiques. La littérature de ce genre,
spécialement en ce qui concerne l'argument de l'ordre
du monde, est immense depuis trois siècles. Il esl â
remarquer que souvent les apologistes dont nous par-
lons n'excluent pas < ni dans leur manière de
présenter leurs preuves le matérialisme ou le pan-
théisme; ils supposent que l'on admet par exemple
l'existence et la spiritualité de lune, la distinction de-
Dieu et du monde et autres vérités de même espèce
qui ne font communément aucun doute parmi les
chrétiens. Ils ne donnent donc pas une démonstration
rigoureusement complète. Par exemple, la célèbre
preuve tirée de l'existence de notre pensée et de notre
âme, indiquée par Hugues de Saint-Victor, De sacra-
ruenlis, 1. I, part. III, c. vu sq.; Erudilio didascalica,
1. VII, c. xvn, P. L., t. CLXXVI, col. 219, 8-25. reprise
par les cartésiens, cf. Fabri, Summa theologica, tr. I,
c. i, n. 6, Lyon, 1669, et de nouveau remise en hon-
neur par Illingworth, Personalily hum an and dix
1894, et par l'abbé de Broglie, Preuves psychologiques
de l'existence de Dieu, Paris. 1905, prend pour accor-
dées bien des choses que l'athée mettrait en question. Il
est vrai que dans ses négations l'athée se mettrait en
marge du sens commun. On peut donc, si l'on écrit
pour des hommes qui ne sont pas décidés à faire ce
mauvais pas, leur épargner les dédales d'une démons-
tration complète et argumenter ex concessi*.
2. Cependant, la plupart des hommes, surtout dans
nos sociétés chrétiennes, n'acquièrent pas par eux-
mêmes la première idée de Dieu, mais la reçoivent en
fait de l'enseignement social. Voir col. 835. De là, au
point de vue pratique, l'importance de l'argument tiré
du consentement universel des peuples. Cf. S. Thomas,
Sum. theol., II» IIe, q. i, a. 5. ad 3"m. C'est donc avec
raison que les apologistes lui donnent souvent la pre-
mière place dans leurs traités. Cf. Hettinger. Apologie
du christianisme, t. 1, p. 117; Crafer. Apologelics,
dans Y Encgclopaedia of religion and ethics de Ilas-
tings, Edimbourg, 1908, p. 613, 620; Sertillanges, Les
sources de la croyance en Dieu, c. 1, Paris, HHJ5. Cette
preuve morale est d'ailleurs solide; car, remarque
Cicéron, De natura deorum, 1. I. c. xvn. « une opi-
nion qui a pour elle le témoignage positif de tout
le genre humain ne peut pas ne pas être vraie. »
Quand on se sert dans la question qui nous occupe
de cet adage, il est à noter que l'on n'invoque pas le
sens commun comme autorité. Car, remarque jus-
tement Mgr Mercier, « son témoignage commande des
réserves. L'humanité n'a-t-elle pas cru unanimement à
la solidité des cieux, au mouvement du soleil autour de
la terre? » Critériologie générale. 5e édit., Louvain.
1906, p. 153. On ne considère pas davantage le consen-
tement universel comme le véhicule de la révélation,
ou comme le résultat d'un instinct aveugle, ainsi que
le faisaient Reid et les traditionalistes. On le prend
comme sigtie d'une tendance delà nature intelligente
à adhérer à certaines propositions, connue résultat de
l'usage normal des facultés de connaître de l'espèce hu-
maine. Cf. Farges, La crise de la certitude, Paris, L907,
p. 216. Ainsi envisagé, le consentement universel ou le
sens commun est un critère de vérité, mais fondé sur
l'induction. Si, en effet, dans un c;is déterminé, on peut
faire voir que la rencontre de toutes les intelligences en
une même affirmation n'est pas explicable par des causes
accidentelles, il est permis de conclure qu'elle a pour
cause une même perception chez toutes d'un même
objet. 11 est facile de se rendre compte que c'est bien
de la sorte que procèdent les apologistes et les philo-
sophes qui développent l'argument du consentement
universel. Cf. Tongiorgi, histitutiones philosophas,
'.y édit., Bruxelles, 1864, t. m, p.343-3ôi; Palmieri, In-
stil. philos., Rome, 1876. t. ni.]). 77-83; Hontheim, op.
cit.. n. 405-417; Boedder, Thcologia naturalis, Fri-
bourg-en-Brisgau, 1895, p. 76-87. Quant au degré de cer-
titude que donne cet argument, les auteurs sont parta-
gés. Tous ceux qui n'admettent pas la valeur apodictique
937
DIEU (SON EXISTENCE
938
de la preuve de l'existence de Dieu par la finalité in-
terne, soutiennent ici que l'argument du consentement
universel ne peut produire qu'une certitude morale ou
même une très haute probabilité. Cf. par exemple
Buonpensiere. In 7 ", Rome, 1902, p. 130 : Hoc argu-
mentum quia innililur consensui humani generis,
qui consensus prxbet solam certitudinem moralem,
non habet nisi certitudinem moralem; Sertillanges,
op. cit., p. 31, juge « qu'il est capable, si on l'examine
à son vrai point de vue, d'emporter la conviction de
l'homme prudent. » Sans partager la même défiance
contre la réduction de cet argument à celui de la fina-
lité interne, d'autres auteurs ne font pas cette réduc-
tion; d'où il suit que pour eux cet argument ne donne
également qu'une certitude morale; ainsi pensent
Tongiorgi, Palmieri, Hontheim et Boedder, loc. cit.
Quelques philosophes vont plus loin avec Kleutgen,
J'/iilosop/tie scolas tique, t. iv, n. 931, et cherchent à
montrer par le moyen du consentement universel que
nous sommes en présence « d'une loi de notre esprit,
en vertu de laquelle l'homme doit reconnaître la réalité
de l'idée de Dieu. » Car, si la raison est une faculté de
connaître, il faut aussi que ses pensées et ses juge-
ments, conformes aux lois qui la régissent, possèdent
la vérité. Iniis, dit Heinstadlcr, quse ratio naturali
motu ut verum admit tit, non potest esse error. Ele-
menta p/iilosopltiœ scliolaslicœ, 3e édit., Fribourg-en-
Brisgau, 1907, t. i, p. 202; t. n, p. 23S. Le protestant
Crafer fait dans le même sens, loc. cit., la remarque
suivante : Sans doute, la croyance en Dieu est dans un
individu donné un fait subjectif; mais quand on considère
que ce fait se reproduit chez, tous les individus de l'espèce
el quels sont les caractères singuliers qui distinguent
l'idée de Dieu d«-loule autre, le fait subjectif constitue
un fait nouveau, objectif, dont en vertu du principe de
raison suffisante ri de finalité interne l'existence réelle
de Dieu fournit seule l'explication. Cf. S. Thomas,
Contra génies, 1. Il, c. xxxiv. n. I.
■ >. Un dernier fait dont l'apologiste doit tenir compte
est que l'athéisme spéculatif absolu est relativement
rare, bien que les doutes ou même les défaillances
dans la crovance en Dieu soient chose fréquente sur-
tout depuis que l'impiété jouit de la funeste liberté de
répandre partout les sophismes dont elle s'autorise. La
fermeté dans la foi esl sûrement le meilleur conseil à
donner, d'autant que pour le croyant qui prie et observe
les préceptes bien des difficultés s'évanouissent, par
exemple celle de l existence do mal dans le monde.
Cependant, au point de vue apologétique, on peut tris
utilement recourir à certains arguments, qui par eux-
mêmes ne prouvent pas l'existence de Dieu, mais qui
d'une part font sentir à celui qui fait parade u'incré-
dulité qui -ons de ne pas croi;
sont pas solidi -, el qui d'autre part suffisent pour écar-
ter li il du croyant que des (toutes
ébranlent ou inquiètent. L'emploi de tels moyens esl
parfaitement ]• ar il m- oduire
la croyance, qui m fond de l'âme, mais seule-
ment de chasser un brouillard qui obscurcit la lumière
donm e- de la raison naturelle ou de la foi. si
donc, et h pas i him i ique, en rencontre une
ou même niant Dieu par suite d'une
difficulté d'ordn | • bien détermi-
ii peut i in' il. ■ utile, après avoir expliqué com-
ment la méthode des scieni n'est pas
'oui.- la méthode, cf. s. Tho ntes, I, II.
'ii.nl/' ,■ jue de la
1909, I i. i .1. 27. 39, de discuter de près 1 1
"due difl alfa P n ■ temple, on sait qui
vieilles difficultés de Lucrèce sur les atomes ctei
produisant le monde tonl fréquemment reprises, el
que pour expliquer la vie dans i e monde ■
venu .i l'hypothi -■ de la rie universelle qui si and ilisa
si fort le xvic siècle, lorsque Césalpin et Cardan la
proposèrent en s'appuyant sur les générations sponta-
nées. Cf. Andréas Caesalpinus Aretinus, Quseslionum
peripaleticarum libri V, Venise, 1593, 1. V, q. i. On
répondit longtemps que « l'origine toute récente des
états, des lois, des arts et des sciences sont des preuves
incontestables de la nouveauté du monde; et que ces
preuves se confirment par la découverte de diverses
choses utiles que font les modernes, étant impossible
qu'on eût fait ces découvertes si tard, si le monde
eût été éternellement ce qu'il est. » Cf. Gastrell, dans
Ilurnet, op. cit., t. i, p. 417. Pour éluder cette réponse,
l'incrédulité eut recours à l'hypothèse de la réversibi-
lité, « le spectacle actuel du monde n'étant que l'une
des répétitions sans nombre d'un même ensemble de
phénomènes périodiques. » Mais le principe d'entropie
admis par la science montre que toutes les modifica-
tions dans l'univers matériel ne sont que des pas vers
un équilibre final, vers une répartition uniforme de la
température de l'espace et vers le repos des masses de
matière pondérable. L'argument ad homineni qu'on
déduit de ce principe pour montrer que le monde n'est
pas éternel et a une cause n'est donc pas à dédaigner.
Cf. Hontheim, op. cit., n. 336; Dressel, dans Stimmen
ans Maria-Laach, février 1909; Reinsladler, Elemenla
pliilosopliise scolaslicse, Fribourg-en-Brisgau, 1907, t. Il,
p. 232. De même, on attaque l'athéisme et on résout
certains doutes en partant des découvertes de Pasteur
a propos des prétendues générations spontanées. S'il
n'\ a pas de générations spontanées, d'où vient la vie?
Et la difficulté croit dans l'hypothèse de la nébuleuse,
que généralement l'on admet. Cf. Hontheim, op. cit.,
n. 346. Ces arguments, j'en conviens, ne constituent
pas plus une preuve apodictique de Dieu que l'argument
des Arabes tiré du mouvement de translation. Mais
entre les mains d'un théologien, initié aux théories et
aux méthodes scientifiques modernes, ils sont d'un
merveilleux effet pour montrer que l'athéisme spécu-
latif se repaît d'évidences purement subjectives, et pour
débarrasser l'esprit des croyants des doutes que les
affirmations de vulgarisateurs, comme Bùchner, etc.,
jettent dans les esprits.
8° l'oim de vue scientifique. — L'étude scientifique
des preuves de l'existence rie Dieu n'est pas à propre-
ment parler œuvre de théologien, si par théologie on
entend la science des choses divines dont les principes
sont les articles de notre foi; et c'est la raison pour
laquelle ces preuves sont omises ou très sommairement
dans beaucoup de traités théologiques. Cepen-
dant les travaux de l'École sur ce point sont considé-
rables. Tour en faciliter l'étude directe que rien ne
saurait suppléer, nous indiquerons : t. les principes
directeurs des théologii us dans leur exposé des preuves
nies; 2. le si n- el la mai élu1 de la démonstration
dans les cinq preuves données par saint Thomas
1. Princ'i leurs de i ficole dans l'élaboration
technique des — si l'on étudie attentive-
ment l'ensemble des travaux de l'École sur notre sujet.
on remarque que leur développement a éb commandé
par les préoccupations suivantes - » Le théologien qui
i les preuve- .1" l'existence de Dieu n'a pas
la prétention de produire la première conviction reli-
n en donm l.i raison : La preuve
Mie" | "m acquêt ir une plein* i
titude esl si facile si si claii e qu'on It a peine
du procédé logique qu'elle implique, et qi pi uvee
scientifiquemi nt développées, bien loin de donn
l'homme la prei tude de l'existence de Dieu,
et consolider celle qui existe déjà.
De plu-, comme la preuve, dans sa for iriginelli
il., en qui Iqui uni d< monslration
le- pin- prol
'i.' la nature raisonnable de l'homme, 'lie i..>
939
DIEU (SON EXISTENCE)
940
à ce litre, une conviction plus forte et plus inébran-
lable que n'importe quelle conviction artificiellement
obtenue et ne peut être ébranlée p;ir aucune objec-
tion scientifique. » La dogmatique, t. n, p. 21, n. 29.
Cf. Schanz, Apoloyic, 3e édit., Fribourg, 1903, t. i,
p. 499. Cela ne veut pas dire que les preuves classiques
ne sont pas de soi capables de produire la certitude de
l'existence de Dieu ou de ramener à la croyance en
Dieu celui qui l'a perdue; car nous ne concédons en
aucune façon à M. Le Dantec, L'athéisme, Paris, 1906,
p. 24, que ces preuves sont « bonnes pour ceux qui
croient » à l'exclusion de ceux qui ne croient pas, ou
que leur insuffisance excuse l'incrédulité. Elles sont de
soi valables et suffisantes pour tous; mais, comme pour
en saisir intellectuellement toute la force, il faut
« beaucoup de pénétration et de profondes éludes dont
peu d'hommes sont capables, » S. Thomas, Contra
gentes, I. I, c. iv, il est comme impossible d'avoir
de fait à les présenter à un homme assez cultivé pour
les entendre pleinement et qui ne soit pas déjà arrivé
à la certitude spontanée et réfléchie de l'existence de
Dieu, nécessaire et suffisante pour commencer sa vie
morale et religieuse et, si la révélation extérieure lui
est proposée, pour faire l'acte de foi. D'où il suit que
le fidèle qui ne saisirait pas la force démonstrative de
ces preuves, ne saurait trouver dans ce fait, qui résulte
de l'opacité naturelle ou du manque de culture de son
esprit, un motif raisonnable de mettre en suspicion sa
foi, et que l'athée ne saurait être excusé de ne pas se
servir des lumières qu'il a eues ou qu'il a, sous le pré-
texte que d'autres sont mieux partagés que lui. Cf. Ba-
det, Le péché d'incroyance, Paris, 1899; Gardeil, La
crédibilité et l'apologétique, Paris, 1908, p. 237 sq. Les
prétendues insuffisances que l'athéisme ou l'agnosti-
cisme pensent découvrir dans les preuves scientifique-
ment exposées de l'existence de Dieu, de même que
les nombreuses erreurs sur Dieu dans lesquelles nous
voyons tomber les rationalistes qui ont rejeté la foi
chrétienne, loin de le troubler constituent aux yeux du
théologien une excellente preuve expérimentale de la
nécessité inorale de la révélation pour que tous puissent
connaître sans erreur l'ensemble des vérités religieuses
que la raison peut démontrer. Cf. conciles de Reims en
1858, d'Avignon en 1849, de Bordeaux en 1856 et 1868.
Colleclio Lacensis, t. iv, col. 187, 360, 692, 843.
Les autres principes directeurs de l'École sont :
b) Respect de la tradition scripturaire, patristique et
même philosophique. Ce souci part d'une idée très
juste, à savoir que les preuves scientifiques ne diffèrent
pas essentiellement des arguments par lesquels on
parvient à la connaissance confuse, spontanée, puis
réfléchie de l'existence de Dieu. — c) Recherche de la
rigueur logique dans la démonstration; ce qui inclut le
rejet de toutes prémisses qui ne seraient pas absolu-
ment certaines, c'est-à-dire qui dépendraient d'une hy-
pothèse non évidente et non démontrée, et la réduction
au "minimum des principes invoqués. — d) Recherche
de moyens termes qui amènent à une conclusion telle
que les principales thèses de la théodicée chrétienne
puissent facilement en être déduites. C'est ainsi par
exemple, remarque Jean de Saint-Thomas, que le doc-
teur angélique démontre l'existence d'un premier mo-
teur immobile, d'une première cause efficiente, d'un
être nécessaire, d'un être parfait et d'un souverain
gouverneur du monde, ex his nolis quinque conditio-
nibus pendent omnia alia allributa, quœ in hoc opère
de Deo démons Iran lur. In 7e"", q. il, disp. III, a.- 2,
n. 1. De même Duns Scot réduit toutes les preuves à
la démonstration de ce qu'il appelle « trois primautés ».
Dalur primum efjectivunt, quod non sil effeclibile,
nec effectivum virtute altérais, sed a se ; dalur pri-
mum fînitivum, seu aliquod simpliciter primum in
ratione finis, quo nullum aliud sil jirius, seu ita
primum in finibus ut adnullum aliud nt ordinabile>
dalur aliquod simpliciter primum secundum emi-
nentiam. De l'existence de ces trois primautés Scot
déduit toute la théodicée : quod est /// imum secundum
unam primilalem, idem est primum secundum duat
alias ; et liœc triplex primilas uni soli nalurx conve-
nu, et hase est Deus infini tus. In IV Sent., 1. I, dist. 11.
q. n; De primo principio, c. i sq. Cf. Seeberg, Die
Théologie des Jo/tanncs Scotus, Leipzig, 1900, p. I i.'i-
152; .Montefortino, Summa Iheolagica Yen. Duns Scott,
Rome, 19C0, t. I, p. 82-92; Belmond, L'existence de
Dieu d'après Duns Scol, dans la Revue de jiltiloso-
phie, septembre 1908. — Enfin on ne comprendra jamais
l'ordonnance des preuves de l'existence de Dieu et de
la théodicée chez les grands docteurs scolastiques. -i
l'on néglige d'observer que leurs démonstrations sont
à deux degrés.
Après avoir prouvé l'existence de Dieu par la c
efficiente, là où un esprit non rigoureux, un cartésien,
concluraient à Dieu considéré en soi, Albert le Grand
fait cette remarque, qui parait obscure à .M. Grunuald.
mais qui est fort claire : et hsce ratio non probal mu
quod Deus est per modum causx. Summa theol.,
part. I», tr. III, q. xviu, édit. Vives, t. xxxi, p. 118. En
d'autres termes, cette preuve conclut à l'existence de
Dieu, conçu par un attribut relatif, sans entraîner par
elle-même d'affirmation sur la nature intrinsèque, sur
les attributs négatifs et absolus, delà divinité. Scot pro-
cède de même. Il veut prouver l'existence d'un être infini,
bien loin de conclure directement à cette propriété in-
trinsèque, qui n'esl pas immédiatement accessible à notre
esprit, il remarque que nos raisonnements sur Dieu ne
concluent immédiatement qu'aux attributs relatifs : nam
immédiate ex esse unius relativi sequilur esse sui
correlalivi ; ideo primo declarabo esse de proprietati-
bus relativis entis in finiti; et secundo ex his declarabo
esse de ente inftnilo, quia istse proprietales relativse
soli euti infinito conveniunt. In IV Sent., 1. I. dist. Il,
q. n, n. 10. Si l'on met ici de coté l'effort de Scot pour
passer directement de ses trois primautés à l'idée po-
sitive de l'infini et par l'infini à tous les attributs négatifs
et absolus de Dieu, la méthode est exactement celle que
suit saint Thomas. Celui-ci distingue, en eflet, soigneu-
sement deux degrés dans sa démonstration. Par les
effets de Dieu nous pouvons conclure démonslrativement
qu'il existe, scire an est ; cette conclusion ne nous donne
qu'une connaissance pour ainsi dire toute négative de
Dieu, quid non sit, parce qu'elle n'atteint directement
que les attributs relatifs de Dieu qui suffisent à le dis-
tinguer du monde dont il est la cause, mais sans nous
renseigner fur sa nature : habiludinem ipsius ad
creaturas, seupotius creatttrarum ad ipsum. Reste à
chercher les attributs intrinsèques de Dieu, qui lui
appartiennent nécessairement; ca quse necesse est ei
convenir e secundum quod est prima omnium causa
excedens omnia sua causata. Sum. theol., I . q. XII,
a. 12; Contra gentes, 1. 1, c. xiv, xxx sq. Or. prima, causa,
excedens, autant de dénominations extrinsèques, mais
choisies de telle sorte qu'elles sont prégnantes de toute
la théodicée. Kant dans ses antinomies prétend qu'il \
a un saut de génère ad genus et par conséqent un so>
phisme dans le passage des causes conditionnées à la
cause inconditionnée et que par suite, bien que logi-
quement valable, la déduction des attributs métaphy-
siques de Dieu est \aine et ne peut rien nous apprendre
sur Dieu en soi. 11 en serait de fait ainsi, si d'une part
l'iispothèse nominalisle était la vérité, voir col. 782. et
si d'autre part quand on conclut à la cause première,
on aboutissait, comme Kant affecte de le croire, à la
cause première dans le loups, et non à la cause qui
causalement ne dépend pas. Cf. Dictionnaire apologé-
tique, t. i, col. 38, 48. Les preuves scientifiques de
l'existence de Dieu concluent directement à l'existence
949
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA RIRLE
950
La Bible affirme donc seulement la révélation du
monothéisme aux premiers liommes. Le Dieu unique,
créateur de toutes choses, se montre uniquement
comme le souverain de l'univers et en particulier des
hommes, qu'il lie par une obligation morale et dont il
agrée le culte. Il a des droits sur les consciences
morales et il reçoit les sacrifices, celui de Noé, Gen.,
vin, 20-22, comme ceux d'Abel. Gen., iv, 4. Aucune
notion métaphysique de la divinité n'est incluse dans
ces manifestations anthropomorphiques. Gen., ni, 8;
vu. 16; vin. 21; xi, 5. Voir t. I, col. 1368-1369. La
lliljle n'ajoute pas que le monothéisme primitif se soit
fidèlement conservé. Elle suggère plutôt le contraire,
car si elle n'enseigne pas ex professe* l'origine du poly-
théisme, au moins dans le P.entateuque, elle en constate
l'existence; mais elle n'explique pas comment cette
déchéance s'est produite. Celle-ci a eu lieu dans les
époques que la Bible laisse vides entre Adam et Noé,
entre Noé et Abraham. Quelles qu'en soient les causes,
d'après la Bible, le monothéisme a précédé le polythé-
isme, et ce dernier ne peut être sorti du premier « que
comme une erreur sort d'une vérité, par voie de néga-
tion ou d'oubli. » P. Lagrange, Eludes sur les religions
sémitiques, 2* édit.. Paris, 1905, p. 3.
2° Son nom principal. — Dans les onze premiers
chapitres de la Genèse, qui racontent l'histoire de
l'humanité primitive, Dieu est appelé tantôt Élohim,
tantôt Jahvé, quand il n'est pas dit Jahvé Élohim. Les
récits dits élohistes nomment Elohim le Dieu créateur,
qui dirige les premiers hommes; les récits dits jého-
vistes nommaient .léhovah ou Jahvé le Dieu qui a formé
l'homme et qui a été invoqué dès le temps d'Énos. Nous
reviendrons plus loin sur la dénomination Jahvé, en
parlant de la révélation de ce nom faite à Moïse. Le nom
d'Élohim, donné' au créateur de l'univers, nous ren-
seigne sur la nature divine, telle qu'elle était connue
dr- premiers hommes.
Elohim est le pluriel du singulier Ëlôha, postérieure-
ment formé, selon le sentiment général, contre lequel
élevé pourtant .1. Halévy, i'Aoah, dans le Journal
asiatique. 1905, t. ni, p. 339-340. L'étymologie de ce
nom est incertaine. Quelques-uns l'ont fait venir de la
racine â'lah, ■ avoir peur, chercher un refuge », et lui
ont donné le sens de mime» iremendum ou colendmv,
objet de terreur et de crainte. Mais le plus grand
nombrr des hébraïsants d'aujourd'hui le tiennent
pour un augmentatif de l'A, dont l'emploi était plus
ancien. Il aurait alors la même signification étymolo-
e. Voir plus loin. Quoi qu'il en soit de l'origine et
du Bens primitif de ce nom, il ne désigne, dans les
on/e premiers chapitres de la Genèse que le véritable
et unique lien. Pour l'auteur, la forme plurielle ne
portait donc aucun préjudice ;i l'unité divine. C'est en
vain que différents critiques \ uni vu un indice du
polythéisme primitif, pui nom pluriel est tou-
jours suivi d'un verbe ou d'un qualificatif au singulier.
Élohim n'esl pas, d'ailleurs, le nom primitif de Dieu
l'- Bémite; . il est. au contraire, une des formes
plus secondaires du nom divin. Il n'indique donc
la somme d divins qui habitaient dans un
les religions séim-
77 78. Aussi b 9 grammairiens le regardent
. comme un pluriel de majesté eu d'ex-
anl que Dieu esl la somme de h
!•'- i" h mil.- pi nsi ni que ■ " pluriel di
uin- n l.i divinité . Voir I. Drusius,
Francfort-sur-le-Main,
1606,1 vi, roi. 2115 2140; Dictionnaire de /« Bible de
M. Vigouroui, .ut. Élohim, t. il, col. 1701 1792; I \ i
>ui, /.</ /.' , ,,,, ,/, , net, 6« édit.,
"'•. t iv, p. 170 180; Driver, The booh o/
1904, p 102; M. Hctzenauer, Theologia
■ '. r ribourg-en-Brisgau, 1908, t. i. p. 373-374. On
peut conclure de là que, depuis Adam jusqu'à Tharé,
Dieu s'est manifesté aux hommes comme Dieu en gé-
néral, Dieu de tous, sans relation encore avec un peuple
choisi. L'humanité primitive connaissait donc par révé-
lation ou naturellement Dieu comme distinct des créa-
tures, parfaitement unique, infiniment puissant, juste
et bon, et gouvernant le monde.
//. dieu a l'époque des Patriarches. — Nous ne
connaissons les idées des patriarches sur Dieu que par
la Bible. Tout ce qu'on peut dire en dehors de son
témoignage n'est qu'hypothèse pure ou système a
priori. Il faut donc extraire delà Genèse les renseigne-
ments qu'elle a recueillis à ce sujet. — 1° Relation*
deDieu avec les patriarches. — Tandis que des branches
de la famille de Tharé étaient devenues idolâtres en
Mésopotamie, Jos., xxiv, 14, 15; Judith, v, 7-9; Gen.,
xxxi, 19, 30, 34 (Rachel avait enlevé les tcrapliim de
Laban, son père), Abraham, par une vocation spéciale
de Dieu, se retire d'abord à Haran, Judith, v, 7, 9,
puis au pays de Chanaan, pour échapper à l'idolâtrie
et être la souche d'un peuple fidèle au vrai Dieu. Voir
t. i, col. 94-98. C'est le Seigneur du ciel, qui choisit
ainsi Abraham et le fit sortir de la maison de son père.
Gen., xxiv, 7. Jahvé apparaît aux patriarches et inter-
vient dans leur vie ordinaire. Il leur promet une nom-
breuse postérité, à laquelle il donnera le pays de
Chanaan, et des bénédictions spéciales. Voir t. i,
col. 106-111. 11 est le Dieu de l'humanité, puisqu'il
dispose des contrées idolâtres. Gen., xn, 7; xm, 14-17;
xv, 18-21; xvii, 8. Il est connu de Melchisédech, roi
de Jérusalem, Gen., xiv, 18, et d'Abimélech, roi de
Gérare. Gen., xx, 3. Il sait l'avenir de son peuple futur
et prédit à Abraham la servitude des Israélites en
Egypte et leur délivrance. Gen., xv, 13-16. Il fait un
pacte éternel avec la postérité d'Abraham pour être
toujours son Dieu, Gen., XVII, 7, et il institue la circon-
cision comme signe de celte alliance, 9-14. Voir t. Il,
col. 2520. Il sera donc le Dieu spécial du peuple choisi,
comme il est déjà le Dieu d'Abraham, Gen., XXIV, 12,
27,42, 48, et d'Isaac, Gen,, XXVIII, 13; XXXI, 28, 42;
XXXII, 9; xi vin, 15, tout en étant le Dieu de l'humanité
entière, puisqu'il punit les habitants des villes de la
Pentapole. (un., xvm, 16-21; XIX, 24, 29. Il renouvelle
à Isaac les bénédictions et les promesses faites à Abra-
ham. Gen., XXVI, 2-5, 22, 21; XXVIII, 13-15; XXXV, 9-12;
xi, vin, 3, i. Il intervient dans leur vie journalière et
ii.ni ses promesses, en les protégeant. Gen., xxvi, 12-
IV. 22. 28; XXXI, Il 13,42; XXXII, 30; XXXIII, 10, 11. Les
femme- de Jacob attribuent à Dieu leur fécondité.
Gen., xxix, 33, 33. 35; xxx, 2, 6. s. 17. is. 20, 22-24.
Elles reconnaissent que Dieu a fait passer à Jacob,
leur mari, les richesses de Laban, leur père. lien..
xxxi. 16. Dieu voit les pactes jurés, et M en est le garant
connue le témoin. Gen., xx, 22-24; xxxi. lu 53. Jacob
purifie sa maison et enlève toutes les idoles qui
venus de Mésopotamie, pouvaient avoir gardées.
1.. n.. xxxv, 2-4. Dieu punit les Ris de luda coupables.
Gen., xx.xvni, 7, 10. Il protège Joseph clic/ Putiphar,
Gen., xxxix, 2, :'.. 5. ri dans la prison. Gen . \\\i\. 21-
23. Il envoi.' des songes au pharaon d'Egypte. Gen .
xi 1, 25, 32. 30. Les frères .le Joseph lui attribuent ce
qui leur arrive, Gen., XLii, 26, ainsi que Joseph lui-
même, lien., m. m. 23. Jacob demande que Dieu rende
l'intendant d 1 _ •- pte fa rorable A set 01 Gen., kliii,
1 1 . .1.. ieph .iiii il. ne ;i ta \ ..I. .ni. .ii . Ine la 1 ..n. tuile .le
ses !:• rd et y reconnaît un dessein de la
providence. Gen., m v. 5. 7. 8, 0. 1 . 19, 20. Dieu prédit
.i Jacob ce qu'il adviendra de 1 famille en Egypte,
Gen . ilvi, 2 I i" eph regardi ses Dis comme un don
.le Dieu, Gen . xi vm, 9. et Jacob appelle sur eus 1. s
bénédictions divines, 15. ainsi que -m' Lui ;
21 ; m i\. .' m mi 1 appelli •> les fn res que
Dieu s'occupera d'eus et li fera n toui uer au p 1
1)51
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE
952
Chanaan, qu'il avait promis à Abraham, à Isaac et à
Jacob. Gen., L, 23.
Sans avoir donc encore aucune idée métaphysique
de Dieu, les patriarches le reconnaissaient cornue- le
seul vrai Dieu, digne d'être honoré, comme le créateur
du ciel et de la terre, le Dieu de l'humanité, avant
conclu avec Abraham et sa famille un pacte particulier,
en vertu duquel il sera toujours leur Dieu, à l'exclusion
de tout autre. Par suite, sans se désintéresser des
autres hommes, qu'il bénit ou qu'il punit selon qu'ils
le méritent, Dieu protège spécialement les patriarchi -
veille sur eux, intervient clans leur vie et règle par sa
providence leur sort. Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et
de Jacob est ainsi le Dieu unique et véritable, dont la
nature sera mieux manifestée à leurs descendants par
des révélations postérieures. Il n'y aura pas d'interrup-
tion dans la connaissance de lui-même que Dieu com-
muniquera à l'humanité. Cf. P. de Broglie, Questions
bibliques, 2» édit., Paris, 190i, p. 294-295, 299.
2° Les noms divins à celle époque. — La Genèse
continue à nommer Dieu à l'époque patriarcale, tantôt
Elohim, tantôt Jéhovah, selon les narrations élohisles
ou jéhovistes. Cependant, Dieu est parfois désigné par
le nom commun El, qui est le nom de Dieu par excel-
lence. Ces deux noms nous apprennent quelle idée se
faisaient de Dieu ceux qui les employaient. Il faut donc
les étudier ici.
1. Jéhovah, le Dieu des pères. — Beaucoup d'exégètes
ont pensé que ce nom propre de Dieu avait été révélé
pour la première fois à Moïse au Sinaï, Exod., ni, 14,
et que c'est pour cette raison que les récits dits élo-
histes commencent seulement à partir de cette révéla-
tion à nommer Jéhovah le Dieu d'Israël. Ce serait donc
par prolepse ou par anticipation que les récits jého-
vistes auraient employé ce nom divin à l'époque pa-
triarcale. Dieu aflirme, en effet, à Moïse qu'il a apparu
à Abraham, à Isaac et à Jacob comme Êl-Sadda't et
qu'il n'a pas été connu d'eux sous son nom de Jévo-
vah. Exod., vi, 3. Cependant, dans les récits élohistes
eux-mêmes, Jéhovah, qui se manifeste à Moïse, se dit
expressément le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.
Exod., in, 6, 15, 16. C'est donc au moins le même Dieu
qui s'est manifesté et qui était honoré sous des noms
différents. Il parait néanmoins certain, nous le verrons
plus loin, que le nom de Jéhovah était connu des pa-
triarches avant Moïse. Il est, d'ailleurs, peu vraisem-
blable que Moïse ait pu proposer aux Israélites comme
leur Dieu spécial, un Dieu inconnu d'eux. Aussi Moïse
répète-t-il que Jahvé avait été le Dieu des pères.
Deut., i, 21; vi, 3; xxvn, 3. Israël le connaissait donc,
quoiqu'il ne le reconnût pas encore pour son Dieu
spécial. C'est pourquoi les récits jéhovistes emploient
constamment ce nom pour désigner le Dieu créateur et
le mettent dans la bouche de Dieu parlant à Abraham
ou d'Abraham parlant à Dieu, Gen., XV, 6-8; qu'ils
disent aussi que Jahvé a été l'El de Sem et de sa race,
Gen., ix, 26; qu'il était connu de Tharé et de Nachor,
Gen., xxxi, 53, de Laban et de Bathuel, Gen., xxiv, 50,
51; xxvi, 28, 29; xxx, 27; xxxi, 2i, 49, 50, de Melchi-
sédech, Gen., xiv, 18-20, 22, et d'Abimélech. Gen.. xx.
3-7; xxi, 23. Ce nom convenait donc déjà au Dieu des
patriarches avec sa signification précise, que nous
fixerons plus loin, quoique peut-être elle n'ait pas en-
core été parfaitement comprise.
2. 7'.'/ et 'Êl-Saddaï. — Le Dieu des patriarches est
spécialement désigné par le nom de 'F.l seul ou avec
des épithètes, qui expriment divers attributs.
a) 'El. — Ce nom, qui était le nom propre de Dieu
chez tous les sémites primitifs, voir P. Lagrange,
Etudes sur les religions sémitiques, p. 70-77, a dû
être aussi employé de la sorte par les Hébreux, quoi-
qu'il soit devenu appellalif dans l'usage chez eux,
comme partout ailleurs. Un le retrouve au moins deui
fois avec certitude- .1. m la Genèse. A Bersabée, Jacob
venait d'offrir des sacrifices à l'ÉIohim de son |
Cet Elohim lui apparaît et lui dit : g Je suis Kl (l'article
qui, en général, est de basse époque, a dû être ajouté
plus tard;, l'ÉIohim de ton pire. .. Gen., xi.vi, 3. A Si-
chem, Jacob avait élevé déjà un autel et y avait honoré
El, l'EIohim d'Israël. Gen., XXXIII, 20. Il se pourrait
que ce nom eût le même caractère en d'autres passages,
tels que Gen., xxxi. 13; xxxv, I. Stade, Biblische
Théologie des Allen Testaments, Tubingue, 1905, t. i,
p. 7i-7."). a prétendu que, dans ces passages, El désignait
un dieu local, un numen loci, honoré dans ces lieux
de culte. .Mais, dans le contexte, ce sens est impos-
sible. Ce n'est pas un £1 quelconque, qui apparaît à
Réthel ou à Phanuel, Gen.. XXXII, 30, 31; c'est l'El de
Jacob, qui se montre à lui en ces lieux, ainsi dénom-
més pour cette cause. Du reste, l'El de Béthel apparaît
à Jacob en Mésopotamie, Gen., xxxi, 13; ce n'est donc pas
un dieu ou génie local. C'est Élohïm, qui se manifeste
en divers lieux et qui est l'unique Dieupour Jacob comme
pour son père Isaac. Cf. P. Lagrange, op. cil., p. 81. A une
époque où El avait déjà partout ailleurs le sens appel-
latif, Jacob, n'ayant qu'un Dieu, pouvait employer ce
nom pour désigner la divinité. Avant de consacrer un
lieu pour en faire un sanctuaire, les patriarcl.
avaient eu une marque de la puissance, de la bonté ou
de la présence toujours vigilante du Dieu qu'ils adoraient
comme auteur de la nature. Les sanctuaires de leur
époque n'étaient pas dédiés à divers dieux, aux génies
de la contrée et ne sont pas des traces du polythéisme
primitif des Hébreux.
El se retrouve dans les noms araméens Camuel et
Bathuel, Gen.. xxii, 21, 23, et dans celui d'Ismaël.
Gen., xvi, 11.
L'étymologie de El n'est pas certaine. Beaucoup font
dériver ce mot de la racine verbale inusitée. '--s, à
laquelle ils donnent, entre autres, le sens de <■ être
fort », de sorte que Ll signifierait •■ le fort >-. D'autres
le font venir de rï'-s, qui a le même sens. D'autres ont
T T
donné au nom le sens de « premier ». P. de La.^arde
a proposé la signilicalion de terme auquel tendent les
hommes par leurs désirs et leurs efforts; mais, au
jugement de Stade, loc. cit.. p. 75. -s indique la direc-
tion et non pas le but. M. Hetzenauer, op. cit., t. i,
p. 372. Cf. P. Lagrange. op. cit., p. 79-81; F. Delitzsch,
Babel und Bibel, Ier discours, 5e édit.. Leipzig. IC05,
p. 49, 75, note 36; A. Jeremias, Monotheistische Slrô-
mungen innerhalb derbabylonischen Religion, Leipzig,
1904, p. 19; .T. Nikel, Cer Ursi rang des alllestameal-
lic/ien Goltesglaubens, ,'!• édit.. Munster, 1908, p. 31.
Tous ces concepts sont très relevés et montreraient
que les patriarches avaient un sentiment profond de
la supériorité de la nature divine. — Mais, en dehors
de toute étymologie, on peut déterminer le sens - -
néral de El chez les sémites primitifs, pour qui il
était le plus ancien nom de Dieu. « Ou bien c'est le
nom propre du dieu des sémites employé ensuite
comme appellatif, ou c'est un nom commun devenu le
dieu des sémites par excellence. Nous pouvons pour
le moment laisser la question en suspens. Mais en
revanche un point parait clair. Si El. nom appellatif,
c'est-à-dire s'appliquant à la nature divine, a pu deve-
nir un nom personnel, eest donc que la nature divine
était à ce moment considérée comme unique, et si
d'autre part c'est un nom personnel qui est devenu le
nom commun pour désigner tout ce qui participe à la
nature divine, c'était donc derechef qu'on donnait à
cette personne divine toute la plénitude de la divi-
nité', n P. Lagrange, op. cil., p. 77. A l'origine, il dé-
signait donc le divin conçu comme distinct du ri ste
des choses et comme unique d'une certaine façon. Pour
le sémite primitif, El était « un être supérieur sans
953
DIEU (SA NATURE D'APRES LA BIBLE)
954
aucune attache ni à un lieu spécial, ni à une force de
la nature, ni à un objet animé ou inanimé. La concep-
tion première va à Dieu sans s'arrêter à tout le reste :
il est l'au-delà. » Ibid., p. 82. Ces idées très relevées
des anciens sémites ont pu passer chez les ancêtres
des Hébreux avec le nom de El. Cf. Barns (Lagrange),
La révélation du nom divin « tétragrammalon »,dans
la Revue biblique, 1893, t. n, p. 339 340.
b) FA Roi. — Agar, ayant fui au désert, eut une vi-
sion et donna à la personne divine qui lui parlait le
nom d"Êl Roi. Gen., xvi, 18. Dans le récit, c'est .Tahvé
qui reçoit ce nom. Primitivement, il devait être ques-
tion de El, de qui est venu le nom d'Ismaël et que
V- ir appelle El Ro'i. On entend généralement ce nom
dans le sens du Dieu qui voit partout; le Dieu qu'Agar
a vu est le Dieu dont le regard s'étend sur tous les pays.
11 pourrait aussi signifier dans la bouche de cette
femme, qui vise la vision qu'elle a eue, le Dieu de
l'apparition au sens actif du mot.
c) 'El 'Olâni. — Abraham, après avoir fait une al-
liance solennelle avec Abimélech, plante un tamaris et
invoque le Dieu de l'éternité. Gen., xxi, 33. C'est
Jahvé qui est désigné sous ce vocable, parce qu'il est
identique à El. El est donc le Dieu de la durée, qui
vivra toujours à l'avenir, tandis que l'homme passe.
L'idée de Baethgen, Deilragezur semitischen Religions-
geschicltle, Berlin, 1888, p. 292, suivant laquelle Abra-
ham opposait le Dieu «lu vieux temps à celui des temps
nouveaux, ne repose sur rien.
d) 'Kl 'Elyôn. — Melchrsédech, roi de Salem, est
prêtre du Dieu très haut; il bénit Abraham au nom du
li • --Haut, qui a créé le ciel et la terre, et il bénit ce
Dieu, dont la protection a donné au patriarche la vic-
toire sur ses ennemis. Abraham, de son côté, jure par
le Très-Haut, mailre du ciel et de la terre. Gen., XIV,
18-20, 22. Ce nom désigne le Dieu suprême et marque
ublimité etsa transcendance.
e) 'i-'A Saddaï. — On adonné au qualificatif Saddaï
des significations bien différentes. Les uns le font ve-
nir de iâdad, qui signifie « dévaster », et le traduisent,
comme a fait la Vulgate, par « tout-puissant » ; il ex-
prime donc pour eux la vigueur et l'énergie avec la-
quelle Dieu accomplit des prodiges clans la nature et
ige pour punir. Gesenius y a vu plutôt un pluriel de
majesté, dérivant de Sâd, « fort ». à la première per-
sonne, et il a traduit: mei potentes, di mei, ou mi
drus. Thésaurus, p. 1366-1367. Ch. Robert, à la suite
ald, a rattaché ce mol a la racine Sddâh, qui si-
gnifie répandre avec abondance el d'où vient le mot
melli Par til Kl Saddaï désigne Dieu
la puissance qui donne la fécondité dans les fa-
milles, les troupeaux et les champs. Cet exégète a ensuite
montré, par l'examen de (ou- les passages de la Genèse,
xvii. I ; icxviii, ■'.: xxxv, 1 1 ; xi ni. 1 1 ; xlviii, 3; xiix, 25,
que Dieu s'esl nanifesb ous cet aspect aux patriarches.
ElShaddai et léhovah, dans Le Mu éon, I -main, 1891,
t. x. [>. 361-370; l.n révélation du nom divin Jéhovah,
dans la Revw biblique, I89i, t. m, p. 162-164.
I t. p. 76 : M. Hetzenauer, op. cit.,
t. i. p. 383. Sur I I seul ou né d'épith
P. Lagrange, El et hthvi . dan la Revue bibl
1903, l. mi. p. 362-370, article que j'ai mis largement
itribuli .n dans les pa Di iver, The
p 102 H o M I: u m ch a cru ri
qu'honorait Abraham, un dieu
■
h1 dieu lunain "-m des Babyloniens, et locali
quenl la n H, I >n 'lu pa-
un moni >tl que, si conciliant avec
le polytl n r, était pat nié théoriquemi ut.
titrait la religion en un dieu snpi
\/. -,
Tubil
Ces idées sur Dieu unique, omniprésent, éternel,
très haut, et principe répandant partout la fécondité,
les Israélites les ont reçues de leurs pères et les ont
portées en Egypte. Tandis que, dans cette contrée, la
masse demeurait fidèle à l'El des sémites et au Dieu
des ancêtres, Deut., xxvi, 6-8; Exod., m, 7, quelques-
uns versèrent dans l'idolâtrie égyptienne. Jos., xxiv,
14; Ezech., xx, 7, 8. Avant de les constituer en peuple,
spécialement voué à son culte, et pour affirmer la foi
ancienne, Dieu voulut se faire mieux connaître aux
fils de Jacob et il leur révéla sa nature intime par le
ministère de Moïse.
///. RÉVÉLATION i>r: JAHVÉ A MOÏSE. — 1° Double
révélation. — Dans l'Exode, il y a deux récits succes-
sifs de la manifestation de Jahvé à Moïse. Le premier,
Exod., m, 12-25, que les critiques attribuent au docu-
ment élohiste, contient une explication plutôt qu'une
révélation du nom divin. Le second, Exod., VI, 2-8, qui
dériverait du code sacerdotal, affirme un changement
de nom divin et la substitution de Jahvé à 'El Saddaï.
1. Première révélation. Exod., m, 2-15. — Dieu,
voulant choisir Moïse pour délivrer les Israélites es-
claves en Egypte, se révéla à lui au pied de l'Horeb au
milieu d'un buisson ardent. Il se nomma d'abord
comme le Dieu de son père, le Dieu d'Abraham, d'Isaac
et de Jacob, G; il lui promit son secours pour l'accom,
plissement de la mission difficile qu'il lui confiait, 12-
Moïse, sachant ainsi que le Dieu des ancêtres lui parle.
lui demande quel est son nom propre, afin de pouvoir
le dire aux Israélites qui l'interrogeront, et Dieu répond
d'abord à Moïse : « Je suis celui qui suis. » C'est
d'avance la définition du nom qui va être prononcé.
Puis, ayantainsi préparé son interlocuteur,! comprendre
son nom, il le lui révèle : « Tu parleras ainsi aux fils
d'Israël : Je nuis m'envoie vers vous, » 14. Enfin, il
affirme que Jahvé est le nom du Dieu des pères et que
ce sera désormais et pour toujours son nom propre et
caractéristique, 15. Le nom que le Dieu des pères
prend et explique est contenu dans les quatre consonnes
hébraïques mn», d'où lui est venu le nom grec tétra-
grammalon.
a) Prononciation de ce nom. — La lecture Jéhovah,
à laquelle nous sommes habitués, est généralement te-
nue pour inexacte. Les rabbins modernes l'ont admise
cependant, et elle a été défendue par quelques éru-
dits, entre autres par Michaelis, Supplementa ad lexica
hebraica, 1792, t. i, p, 524, par Drach, De l'harmonie
l'Eglise et la Synagogue, Paris. l,Si i, |. i, p, 572-
488, par J. II. Lévy, The Tetra(9)grammaton, dans
Jcwish quarterly Review, octobre 1902, p. 97-99, et
par l'rquhart, Die Bûcher derBibel, Stuttgart, 1904, 1. 1.
p. 24. Les rabbins y trouvaient l'expression simultanée
du présent, au passé et du futur. Voir Drach. op. cil.,
t. I, p. 319-333. Cette lecture suppose une forme ver-
monstrueuse; elle est donc inadmissible. On pré-
tend généralement qu'elle est d'origine moderne, et on
l'attribue à llalalin, qui l'aurait mise en vogue vers
1520. Or, Galalin a déclaré qu'elle était connue et re-
nie de son temps. Arcana calholù itis, Paris,
1516, p. 77. De fait, elle était employée au xvi«
par tous les protestants et par plusieurs catholiques.
Denys le Chartreux 1402 1471 l'empruntait au x.\
rie ;i Nicolas de Lyre el A Paul de Bui ' ■
in Exod., a. II. Opéra, Montreuil, 1896, t. t, p. 521,
522. Porchetti, théologien du début du xiv siècle, s'en
en I. Cf. D
sacri, Amsterdam, 1698, t. tfe, col. 351. Enfin Raymond
Martin, que Galatin ;> copié, l'employait dans son /'»-
gio fidei (écrit vers 1270), part. III, dist. II. c. tu,
lii.M. p. lis. -, |
Quoi qu'il en soil de
l'union 'fis voyelles du nom AdanaX avec les consonnes
I ont ïjoul i i c les
953
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE
95G
modifications rendues nécessaires par la différence des
consonnes, pour suggérer la lecture Adonaï, « le Sei-
gneur ", qui devait être substituée au nom ineffable
de Dieu. C'est un qeri, « ce qui est à lire », perpétuel,
remplaçant le kctib, « ce qui est écrit ». Par respect
pour sa transcendance, les Juifs ont restreint de plus en
plus l'usage du nom divin par excellence et ont fini
par le supprimer entièrement, préférant prononcer
Adonaï ou se servir de nu, « le nom »,qui le rempla-
çait. Déjà les Septante ont traduit le tétragramme par
K-Jptoç, qui est devenu en latin Bominus et en français
« le Seigneur ». Josèphe aussi, dans son récit de la
révélation divine à l'Horeb, ne transcrit pas le nom
divin révélé, parce que cette transcription est interdite.
Ant. jud., II, xii, 4. Voir Drusius, Telragramma-
tan, 8-10, dans Critici sacri, Francfort-sur-le-Main,
16S6, t. vi, col. 2153-2155; Drach, op. cit., t. i, p. 350-
365, 512-516.
La véritable prononciation du nom ineffable n'est
pas connue avec certitude. Les anciens écrivains pro-
fanes et ecclésiastiques en ont signalé différentes, qui
peuvent se ramener à trois principales : la&ï (à pro-
noncer Javé), Taà> ou Jao et 'là ou Ma. — a. 'Lzoï se
trouve dans Clément d'Alexandrie, Strom., v, 6, P. G.,
t. ix, col. 60; Clemens Alexandrinus, Leipzig, 1906,
t. il, p. 348, sous les formes Taoùat ou 'Ixovz; dans
saint Épiphane, Hier., XL, n. 5, P. G., t. xu, col. 685;
dans Théodoret, In Exod., q. xv, P. G., t. lxxx,
col. 244, qui le cite comme usité chez les Samaritains;
et dans un manuscrit éthiopien de la Bodléienne, à la
lin d'une énumération des noms divins. Cf. Driver,
Récent théories on the Tetragrammaton , dans Studia
biblica, Oxford, 1885, t. i, p. 20. — b. 'Iaw est repré-
senté par Diodore de Sicile, I, 94, et par Lydus, qui
l'attribue à Varron et à Herennius (Philon de Byblos).
Demensibus, édit. Wuensch,p. 111. Saint Irénée, Cont.
User., 1. I, c. iv, n. 1, P. G., t. vu, col. 481, nomme
l'éon Taù> des valentiniens, que ïertullien déclare avoir
été emprunté à l'Écriture. Adversus valentinianos,
c. xiv, P. L., t. n, col. 565. Origène connaît ce vocable
divin, puisqu'il interprète le nom de Jérémie [j.£Tsa>pi<7-
(jl&; 'Iaw. In Joa., tom. i, n. \,P. G., t. xiv, col. 105; Uri-
genes, Leipzig, 1903, t. iv, p. 53. Les Grœca fragmenta
libri nominum hebraicorum, attribués à Origène et soi-
disant traduits en latin par saint Jérôme, contiennent
ce nom, à qui ils donnent le sens d' « invisible »,
P. L., t. xxm, col. 1189-1190, ainsi que VOrigenianum
texicon nominum hebraicorum. Ibid., col. 1225-1226.
Théodoret l'a emprunté à une interprétation des noms
hébraïques, qui lui donnait le sens d' « être ». Qusest.
in 1 Par., prœi., P. G., t. lxxx, col. 605. Cf. Grsec.
affect. curalio, serm. Il, De principio, P. G., t. lxxxiii,
col. 840. Saint Jérôme le cite comme un des dix noms
divins. Traclatus de ps. cxlyi, dans Morin, Anecdota
Maredsolana, Maredsous, 1897, t. m b, p. 293. A son
avis, le nom ineffable, qui est le nom propre de Dieu,
legi potesl Jaho. Commenlarioli in psalmos, Ps. vm,
ibid., 1895, t. ma, p. 20-21. Le Breviarium in psalmos,
faussement attribué à ce saint docteur, lui a emprunté
cette affirmation. Ps. vin, P. L., t. xxvi, col. 838. La
forme 'Iaù se rencontre enfin très souvent sur les
pierres gravées, dites Abraxas. Voir Baudissin, Stiidien
ztir semilischen Religionsgeschichte, Leipzig, 1876, 1. 1,
p. 185 sq.; Driver, toc. cit., p. 8. Cette forme est pro-
bablement la transcription du nom in>, qui entre en
T
composition dans des noms théophores de la Bible et
qui a été récemment lue sur les nouveaux papyrus
d'Éléphantine. Voir Revue biblique, juillet 1908, p. 326-
328. — c. Ta est attesté par Origène, qui reproche aux
ophites d'avoir emprunté leur 'Iaù au 'là des Hébreux.
Cimt. Celsum, 1. VI, c. xxxn, P. G., t. xi, col. 1345
(voir la note); Urigenes, Leipzig, 1899, t. il, p. 102 (où
on lit Tsuws). Cet écrivain y fait encore une allusion
dente, lorsque, au début du ps. n, à propos de gXXqXovfa,
il dit que partout où on lit Ta/, (transcription pour là)
dans le texte hébreu de l'Ancien Testament, les Grecs
ont traduit Kûpioç. Selecla in psalmos, l's. Il, /'. G.,
t. xu, col. 1104. Saint Jérôme a noté que la cinquième
version des Hexaples d'Origène avait traduit alléluia,
laudate la, id est Bominum. lu unum est de décent
nominibus Bei. Commentarioli in psalmos, Ps. CXLVI,
dans Morin. op. cit., t. ma, p. 99. Dans son Traclatus
sur le même psaume, ibid., t. iwb, p. 293, il signale,
parmi les dix noms divins, celui de la, qu'il inter-
prète invisibilis. Il le retrouve dans alléluia, allelu la,
et il rapporte que Théodotion, volens interpretalionit
edicere veritatem , ait aivstTô tôv Ta. Voir aussi Epist.,
xxvi, ad Marcellam, n. 3, P. L., t. xxn, col. 130.
Saint Épiphane, User., XL, n. 5, P. G., t. xi.i, col. 685,
met 'là au nombre des noms divins et il le traduit
K-Jpioç. Théodoret dit que les Juifs nomment Dieu
'Aïà ou !Ta. In Exod., q. xv, P. G., t. lxxx. col. 244.
Sur les différentes formes du nom divin dans les papy-
rus magiques de l'Egypte, voir A. Deissmann, Griechis-
che Transskriplionen des Tetragrammaton, dans
Bibelstudien, Marbourg, 1895, p. 3-20.
Les critiques modernes ont généralement reconnu
que la leçon mn» de l'Ancien Testament et de la stèle
de Mésa, lig. 18, devait se prononcer --->, que l'on a
transcrit en français Vahvé, ou Yahvéhyou Jahweh, ou
lahveh, ou Iahvé. Quelques-uns ont conclu que telle
était l'unique et authentique prononciation du nom
ineffable et que les autres formes Iao ou Iaou et la
avaient été extraites des noms théophores de la Bible.
Mais la forme T\i se trouvant employée régulièrement
par la colonie juive établie à Éléphantine avant la do-
mination des Perses, elle apparaît désormais comme
une forme nouvelle du nom divin, et c'est d'elle que
dérive la forme abrégée Iah. Elle a coexisté avec mn>,
sans qu'on puisse déterminer laquelle des deux a été
primitive. Grammaticalement, elles peuvent être déri-
vées l'une de l'autre; elles pourraient cependant être
distinctes, si mn> est la forme indicative (imparfait kalj
du verbe hébreu ~^~ ou araméen -"- « être ■ et si --•
T T T T
est la forme jussive du même verbe.
b) Elymologie et sens. — Cette origine est généra-
lement admise aujourd'hui et on rejette communément
la dérivation d'une racine arabe, signifiant • souffler
ou « tomber », imaginée pour faire de Jahvé un dieu
de l'orage, qui verse la pluie ou lance la foudre. Dès
lors, on ne discute plus que pour savoir si mn> est à la
voix hiphil ou à la voix l;al. Dans le premier cas, ce
nom aurait le sens de « celui qui donne l'être », le
créateur, ou celui qui fait « arriver ■> les événements ou
ses promesses, le Dieu provident et fidèle à sa parole.
Mais la forme hiphil de ce verbe n'existe pas en hébreu,
et il est hasardeux d'y recourir pour expliquer le nom
divin. Il vaut mieux donc lui donner la forme indica-
tive avec le sens d' « être », que lui a toujours reconnu
la tradition hébraïque. Cette étymologie admise, il reste
à déterminer si ce nom désigne l'être historique ou
l'être métaphysique, ce que Dieu est pour les autres ou
ce qu'il est en lui-même. Les protestants sont en
néral du premier sentiment. Les uns prennent le sens
du futur : « Je serai ce que je serai. > ce que je dois
être, votre protecteur. Exod., m. 12, ou ce que je veux
être, étant le maître absolu de ma propre conduite.
Arnold, The divine name tu Exodus, m. li. dans
Journal of biblicul literature, 1907. t. xxiv. p. 107-
165. Les autres traduisent par le présent. Selon eu\. le
verbe mn exprime l'être en mouvement, l'être qui de-
vient, et l'imparfait indique une action commencée,
mais encore incomplète. Pour .Œlher, Théologie de*
957
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE;
958
àlten Testaments, Stuttgart, 1882, p. "142, Jahvé est
l'être divin qui entre en relations avec les hommes et
spécialement avec Israël et qui se montre constamment
dans son intervention historique celui qui est et celui
qui est qui il est. Il lui reconnaît donc l'indépendance,
la constance absolue et la fidélité à ses promesses.
Cf. Baenlsch, Exodus, Leviticus, Numeri, Gœttingue.
1903, p. 23. Pour Driver, loc. cit., p. 15; The book of
Genesis, p. 407-408, Jahvé est celui qui est, non seu-
lement celui qui existe simplement, mais celui qui
affirme son existence et qui, différent en cela des faux
dieux, entre en relations personnelles avec ses adora-
teurs. Mais le second sentiment, qui donne à Jahvé le
sens de l'être en soi, est plus fondé. Le verbe mn ex-
prime l'être stable autant que l'être en mouvement, et
l'imparfait hébreu s'emploie pour énoncer des maximes
générales, faisant ainsi abstraction du temps. Jahvé, du
reste, se nomme à Moïse : « Je suis », Exod., ni, 14, et
il désigne ainsi ce qu'il est en lui-même, l'être par ex-
cellence, comme nous allons le voir.
c) Signification de cette première re'i<élalion. —
A Moïse, qui lui demande son nom, Dieu répond : « Je
suis celui qui suis. » Cette première réponse ressemble
à certaines manières de parler qui, dans la bouche de
Dieu, Exod., iv, 13; xxxm, 19, inarquent l'indépen-
dance suprême de celui qui parle, de telle sorte qu'on
pourrait la traduire : Je suis qui je suis. » Mais Dieu,
loin de déclarer ainsi qu'il est innommable, indique
dans la phrase suivante qu'il a révélé son nom véri-
table, puisqu'il ajoute : « Tu diras aux lils d'Israël :
Je suis m'a envoyé vers vous. » Je suis exprime donc
bien ce qu'est Dieu, qu'il est l'être. Se délinissant lui-
même, Dieu devait dire : c Je suis celui qui est je suis. »
Toutefois, cette formule à la première personne ne pou-
vait reproduire le nom de Dieu dans l'usage des
hommes. En nommant Dieu, les hommes devaient ex-
primer son être à la troisième personne. Aussi Dieu,
révélant enfin son nom. se nomme mn». Ce verbe si-
gnifie : 6 11 est . et pris comme substantif : « Celui
qui est ». Cette révélation montre donc que Dieu a en
lui seul sa raison d'être nommé et que l'idée d'être
rend le mieux sa propre nature. Jahvé signilie l'être
absolu, l'être métaphysique, celui en qui l'essence et
l'existence se confondent, et il indique l'attribut de
l'aséité coi e caractéristique de la nature divine. Il
est inutile d'objecter que celle notion métaphysique de
Dieu 'tait trop abstraite pour être comprise en ces
temps primitifs, lin cessaire d'affirmer que les
Israélites du \i\ siècle avanl Jésus-Chrisl et que Moïse
lui-même comprenaient parfaitement la signification
du nom divin. Il suffit que le nom révélé ail
contenu ce sens, qui a été plus lard saisi et compris
dans la r< élation laite .< Moïse. Voir t. m, col.
2. Seconde révélation. Exod., VI, 2-8. — Apres l'in-
succès île Moïse auprès de Pharaon et les récrimina-
tions 'l' • Israélites opprimés davantage ■< la suite de
démarche, Exod., v, 1-21, Moïse se plainl à Dieu
de la mission qu'il lui a confiée, 22, 23. et Dieu lui
ond qu'il obligera le pharaon à laisser partir les
id., vi, I. Puis, il ajoute: « Je suis Jahvé.
<>r, j'ai apparu à Abraham, à Isaac el à Jacob en qua-
lité à''Êl-Sadda\, • sous mon nom de Jahvé, je m
pas fut connaître à eux. i Exod., m. •!. 3. lie
li ibuenl au code lacerdo-
lat, il semble résulter que les patriarches, dont pour-
tant t.ili'.' était le Dieu, ne l'onl pas connu sous ce nom,
il i conclu qu'à partirde Moïse, ce nom. révél
la premièn fois, a remplacé celui d"Êl-Saddaî,
denznent usité seul Or, cette affirmation ne -accorde
l'emploi int< i ieur du nom de Ji hovah dans
la i.>n, i ni ave< le fail que le nom nouveau enti
composition dant des noms propres intérii
l'Exode, à tout le moins dans celui de Jochabed, mère
de Moïse. Exod., vi, 20; Num., xxvi, 5, 9.
On a résolu cette difficulté de différentes manières.
Plusieurs commentateurs catholiques ont pensé que le
nom divin, révélé à Moïse pour la première fois, a été
employé dans la Genèse par prolepse ou anticipation,
et que le nom de Jochabed n'est pas primitif; la mère
de Moïse se nommait Elichabed; plus lard, quand le
nom de Jahvé a été usité, on a remplacé le nom divin
El. qui élait en composition, par celui de Jahvé, comme
celui de HôsC a a été changé par Moïse en celui de
Jhôëû a. Num., xm, 8, 16. Cf. Eranzelin, Troc-talus de
Deo uno secundum naturam, 2L' édit., Rome, 1876,
p. 272. Le P. de Hummelauer pensait que le nom de
Jahvé a été introduit dans la Genèse par des copistes,
longtemps après sa rédaction, et qu'il était entièrement
inconnu avant sa révélation à Moïse. Commcnlarius in
Genesim, Paris, 1895, p. 7-9- Il a changé d'avis et il a
admis que les patriarches connaissaient le nom de
Jahve et sa signification, mais qu'ils ne savaient pas que
Dieu lui-même l'avait adopté comme son nom propre.
Commentarius in Exodum el Leviticum, Paris, 1897,
p. 71, 73. M. lloberg, Moses und der Penlateuch, dans
Biblische Studien, Eribourg-en-Brisgau, 1905, l. x,
fasc. 4, p. 50-52, admet aussi la permutation des noms
divins dans les passages delà Genèse, où sont racontées
des révélations surnaturelles, permutation faite par
Moïse lui-même ou par les copistes postérieurs. Cf.
Die Genesis, 2e édit., Fribourg-én-Brisgau, 1908,
p. xxv-xxvn. Ce n'est "qu'une hypothèse, qui ne se
vérifie pas partout, puisqu'il y a des récits de révéla-
tion surnaturelle dans lesquels le nom d'Élohim a été
conservé. M. lloberg n'y voit qu'une inconséquence
d'application. La preuve de la substitution n'est pas
faite.
D'autres exégètes ont pensé que le nom de Jahvé était
connu des patriarches, mais que ceux-ci en ignoraient
la signification profonde, n'a\ant pas compris que l'être
est l'attribut caractéristique de Dieu. Le sens et la valeur
du nom divin ont été révélés seulement, du temps de
l'Exode, a Moïse et, par son intermédiaire, aux Israé-
lites. Cf. Corneh, Introductio specialis in historicos
V. T. tibros, Taris. KS87, l. i, p. 108-111. Plus récem-
ment, on a fait remarquer que, dans ce récit, l'anti-
thèse n est pas tant entre deux noms divins qu'entre
deux manifestations de la divinité. A l'époque des pa-
triarches. Dieu s'était manifesté en qualité de 'Êl-Saddaï,
parce qu'il comblait ses adorateurs de toute sorte de
biens, tandis qu'au temps de Moïse, il s'est manifesté
connue I lire, le maitre de tout ce qui est, de la terre
entii i. et de tous les peuples. Cela ne veut pas dire
qu'il a révélé son nom ou en a explique'' le sen- I
nom était connu, ainsi que sa signification; mais Dieu,
par ses actes et sa conduite à l'égard d'Israël, en a
manifesté la pleine signilication. Tandis que par sa
manière d'agir avec les patriarches, il se mollirait
prolecteur bienfaisant de leur famille, désormais il se
montrera h l'égard des Israélites le maitre du inonde,
disposant des royaumes et des contn es, partageanl la
terre co ! bon lui semble, privant les Ghanan
de leur territoire pour y introduire son peuple choisi.
C.Robert, El-Shadda'i et Jéhovah, dans Le Sfui
1891, t. x. p. 372-374; /.« révt lu nom divin
Jéhovah, dans la Revue biblique, 1894, i. m, p. 170-
172. On a justifié cette distinction entre se manifester
SOUS Ull attribut particulier et révéler OU expliquer le
nom. pai de formules analogues,
I . Etobiou, /." révélation du nom divin Jéhovah à
Moite, dans i.i Science catholique, 1888, p. 818-624, ei
i Bible elle-même. A. Delattre, •s'»c un eniptbi
pari u mots i a dont la
Bible,ibid., 1882, p. 673-687. Cf. Van Kasteren, /oAvé
i.e p, Lagi
959
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE
960
d'abord sous le pseudonyme de Bams, La révélation
du nom divin « télragrammalon », dans la Revue
biblique, L893, t. h, p. 338-341 (auquel s'esl rallie- le
P. do Ilummelauer, Commentarius in Exodum cl
Leviticum, p. 71), puis sous son nom, El cl Jalivé,
ibid., 1903, t. xn, p. 381-382, établit l'antithèse entre
'Êl-Saddaî et Jahvé. Dieu s'était manifesté aux patriar-
ches sous le nom divin, 'El, commun à tous les sémites,
et avec la qualité de Saddaï comme créateur du ciel et
de la terre. Quand il se choisit un peuple, il se mani-
festa et se fit reconnaître officiellement, sous le nom
propre et personnel de Jahvé, comme le Dieu particu-
lier des Israélites; et pour éviter le danger d'être con-
sidéré seulement comme le Dieu national de son
peuple, il a adopté la dénomination absolue et univer-
selle d'Être, qui convenait au Dieu absolu et universel.
Cf. P. de Broglie, Questions bibliques, p. 307-308.
2° Origine du nom.— Si le nom de Jahvé était connu
avant la révélation qui en a été faite à Moïse, il y a lieu
de se demander d'où il provient, s'il était l'apanage
des Israélites ou s'ils l'ont emprunté à un clan ou à
un peuple étranger. On a multiplié les hypothèses
d'emprunt et on a fait dériver le nom de Jahvé de
différents peuples. Trois de ces hypothèses ont encore
besoin d'être discutées.
1. Origine égyptienne. — Moïse, ayant été élevé dans
la sagesse des Egyptiens, Act., vu, 22, il était naturel
de penser qu'il avait appris le nom de Jahvé en Egypte.
Si on n'a pas trouvé dans le panthéon égyptien un nom
semblable à celui de Jahvé, on a rapproché la formule :
« Je suis celui qui suis » de celle qu'on lit dans le
Livre des morts :Nuk pu nuk, « moi, c'est moi », que
prononce l'âme, lorsqu'elle franchit divers passages
difficiles dans son voyage d'outre-tombe à travers les
diverses régions des enfers. Mais cette formule signifie
seulement : « C'est bien moi » un tel, et n'a aucun
rapport avec l'Être absolu. Le pharaon ne connaît pas
Jahvé, Exod., v, 2, et le culte, que Jahvé exige de ses
adorateurs, aurait été une abomination pour les Égyp-
tiens, Exod., vin, 25-27, puisqu'il imposait le sacrifice
d'animaux que les Égyptiens adoraient.
2. Origine qénite. — Selon plusieurs critiques,
Tiele, Stade et Budde,.Tahvé était primitivement le dieu
local de la montagne du Sinaï ou de l'Horeb. D y ap-
parut à Moïse dans le buisson ardent, Exod., m, 2sq. ;
Israël y vint lui offrir des sacrifices, 12; il s'y montra
à tout le peuple, Exod., xix, 2-4; il y donna la loi à
Moïse, Exod., xx, 22 sq.; il y demeura tandis que
Moïse par son ordre introduisit son peuple dans la
terre promise, Exod., xxxm, 1 sq.; il vint du Sinaï se-
courir ce peuple au pays de Chanaan, Deut., xxxm, 2;
Jud., v, 5; Élie alla au Sinaï l'y chercher. I (III) Reg.,
xix, 8 sq. Or, cette montagne est située au pays des
Madianites. Stade, Biblische Théologie des A. T., Tu-
bingue, 1905, t. i, p. 29. Moïse donna ce dieu comme
dieu national aux tribus nomades Israélites qu'il avait
enlevées à la suzeraineté des Égyptiens et qu'il avait
confédérées. Elles l'acceptèrent parce qu'elles étaient
persuadées que ce dieu les avait aidées à secouer le
joug égyptien, comme plus tard il leur donna la vic-
toire sur les Amalécites et les Chananéens. 76k/., p. 31.
Moïse, en effet, avait rencontré Jahvé en faisant paître
dans la région les troupeaux de son beau-père, le Ma-
dianite Jéthro, Exod., ni, 1 ; ce prêtre offrit des sacri-
fices à Jahvé en reconnaissance de la libération des
Israélites, Exod., xvni, 11, 12, et Aaron et les anciens
du peuple participèrent à ce sacrifice : ce qui est un
indice qu'Israël apprit de Jéthro à connaître Jahvé.
Jéthro, nommé Hobab, servit de guide aux Israélites
dans les marches et campements au désert. Num.. x.
29-32. Or, Hobab était un qénite, on cinéen, Jud., iv.ll,
et sa famille s'établit en Juda. Jud., î, 16. Cf. I Reg.,
xxvn, 10; xxx, 29. Elle fut toujours bien traitée par
les Israélites, 1 lie-., xv, 1-6, et les Réchabites, quien
descendaient, I Par., H, 55, restèrent fidèles adora-
teurs de Jahvé, IV lieg., x. 15, 16, en même temps
qu'ils continuaient à mener la vie nomade de leurs
ancêtres, ,1er., xxxv, 9, 10. D'autre part, si le conseil
de Jéthro a déterminé l'institution des juges en Israi I.
Exod., xviii, 13-27, on peut penser que le prêtre de
Madian avait fait connaître à son gendre le dieu qu'il
adorait, le dieu du lieu qu'habitaient I"- Israélites et
que par suite, selon les idées du temps, ils devaient
eux-mêmes honorer. Budde, Die Religion des Yolkes
Israël, Giessen, 1900, p. 15 sq.; Baentsch, Exodus, Le-
viticus, Numeri, Gœllingue, lin:;, p. 24-25; Altorien-
lalischer und israelitischer Monotheismus, Tubic
190G, p. 51-52, 67-77. C'était un dieu de la nature, le
dieu de la tempête ou de l'orage, et, selon Uacntsch,
le dieu lunaire Sin. Sa puissance sur les éléments lui
permettait de réprimer vigoureusement les désordres.
Ses actes de répression du mal lui firent attribuer un
caractère moral et plus tard une sainteté incompatible
avec les moindres déchéances. A. Réville, Jésus de Xv-
zareth, Paris, 1897, t. i, p. 13-17. Pour R. Smend,
Leltrbuch der alltestamentlichen Religionsgeschichte,
2e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1899, p. 3i-36, Jahvé. le
dieu du Sinaï, était déjà avant Moïse le dieu national
des Israélites, qui habitaient depuis longtemps avant
l'exode les environs du Sinaï et qui. en se formant en
nationalité parla réunion de différentes tribus, avaient
adopté le culte du dieu de la contrée. M. Loisy, La
religion d'Israël, Paris, 1901, p. 11-42, ne se prononce
pas entre les deux sentiments.
Mais ces systèmes manquent de fondement. Les Ci-
néens n'habitaient pas au Sinaï. puisque Moïse y mena,
de loin peut-être, paître les troupeaux de son beau-
père et puisque celui-ci y vint ramener à son gendre
Séphora et ses fils. Exod., xvm, 1-5. L'Horeb est nommé
la montagne de Dieu, avant la théophanie du buisson
ardent, Ëxod. ni, 1, ou bien par anticipation, ou bien
parce que peut-être il était couronné déjà par un sanc-
tuaire et indiqué ainsi pour être le centre de réunions
religieuses. Voir Revue biblique, 1901. p. 500-501 . Celte
circonstance expliquerait seulement pourquoi Jahvé l'a
choisi pour théâtre de sa manifestation. Si Jéthro est le
même personnage que Hobab, il opposa un refus éner-
gique aux propositions que lui fit Moïse de l'accompa-
gner et de guider les Israélites au désert, afin de re-
tourner dans son pays et parmi les siens. Num., x,30.
Du reste, les Cinéens habitaient le pays de Chanaan.
Gen., xv, 19, à côté des Amalécites et dans une région
rocheuse. Num., xxiv, 21, 22. Si une fraction de la
tribu s'unit aux Israélites et vécut au milieu d'eux, elle
avait plutôt reçu d'eux le culte de Jahvé, cf. I Par., iv.
10, qu'elle ne le leur avait communiqué, car en Orient
jamais un peuple fort n'a accepté la religion d'une
peuplade plus faible. C'est donc une pure hypothèse
d'imaginer que Jéthro a fait connaître Jahvé à Moïse.
Le récit du sacrifice, offert par le piètre de Madian,
Exod., XVIII, II. 12, signifie que Jéthro s'associe au
culte israélite. D'autre part, rien dans l'Exode ne prouve
que les Israélites axaient eu avant leur venue en
Egypte quelque attache avec le Sinaï. Quand Moïse
demande au pharaon l'autorisation d'aller ofiriràJahvé
un sacrifice au désert. Exod.. \. 3. il n'allègue pas une
ancienne coutume, mais l'ordre de Dieu, Exod.. ni. 12;
pour l'offrir il fallait sortir de l'Egypte, parce qu'un
sacrifice d'animaux, honorés dans ce pays, eut irrité les
I gyptiens. Exod., vin, 26. Si Jahvé s'est révélé à lui
dans le buisson, c'est soudain, par une manifestation
inattendue, sans liaison préalable avec le Sinaï. S'il
conduisit les Israélites au pied de celte montagne,
Exod., ni. 12, ce fut pour les délivre! de la servitude;
et pour cette œuvre il a opéré des prodiges en Egypte
au nom île Jahvé. I>ans la bénédiction de Moïse mou-
961
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA RIBLE'
962
rant, la parole : « Jahvé est venu du Sinaï » signifie
seulement que Dieu a donné sa loi du haut du Sinaï
au milieu des éclairs. Deut., xxxm, 2. Le psalmisle
qui dira plus tard que Jahvé est venu du Sinaï au sanc-
tuaire de Jérusalem, Ps. i.xvu (lxviii), 18, rappelle
seulement encore la proteclion divine accordée à son
peuple depuis le départ du Sinaï, 8-11, et il dit plus
loin que ce Dieu est porté sur les cieux, 14. Bref, ni
.Moïse ni les Israéliles n'ont jamais su que leur Dieu
était le dieu du Sinaï, et que leurs ancêtres avaient
adopté un dieu local pour en faire leur dieu national.
Cf. Diilmann, Eandbuch der allteslamenllichen Théo-
logie, Leipzig, 1895, p. 103.
3. Origine assyrobabylonienne. — Les deux formes
du nom divin, Jahou et Jahvé, ont été rencontrées dans
les documents babyloniens du temps d'Hammourabi.
Elles entrent en composition dans des noms tlu'o-
phores. Jahou, au début ou à la fin de ces noms, est
toujours rendu en assyrien par ia-u. Ainsi le nom
la-u-um-ilu répond à Iaou-el ou Joël. De même, dans
les contrats, on a rencontré d'autres noms, tels que
Ia-pi-ilu et la- -pi-ilu.qui contiennent certainement la
transcription de Jahvé, puisque le signe pi est ordinai-
rement prononcé wi, comme le prouve le code d'Ham-
mourabi. L'absence du déterminatif, qui indique la di-
wnilé, n'est pas une raison de nier que le premier
élément de ces noms était divin. Cf. F. Delitzsch, llabrl
und Bibel, Leipzig, 1902, p. 47; Ed. Kônig, Bibel und
Babel, Berlin, 1902, p. 37-45; Schrader, Die Keilin-
scliriften und das Aile Testament, 3e édit., Berlin,
Khi:!, p. M38. Toutefois, la lecture de ces deux noms
n'est pas encore tout à fait sûre. Cf. S. Daiches, Ko>n-
nii das Telragrammalon rnn> in den Keilintchriften
VOr9 dans Zeilsclirift fur Assyriologie, novembre 1908,
p. 125-136; I. Nikel, Der Crsprung des alttestamen-
Uiclien Gottesglaubens, p. 32. Dans des noms analo-
gues, donl le premier élément est certainement un
nom de dieu, tel que Aku-ilum (Aku est dieu), le déter-
minatif (h l.i divinité manque. Or, tandis que le nom
babylonien lahou se présente grammaticalement
cor e un substantif en raison de la forme indéter-
minée '"", l'autre forme la-wi est verbale (forme qui
se rencontre dans beaucoup d'autres noms), avec la
préformanle ia. Cela prouve qu'ils ne sont pas baby-
loniens, mais qu'ils appartiennent au groupe septen-
trional ou occidental des langues sémitiques (chana-
néenne, ar: lenne el arabe). Cf. P. Lagrange, Enct re
le nom de Jahvé, dans la Revue biblique, 1907, p. 383-
386. <>n connail aussi par les inscriptions assyriennes
un roi de Hamalh, qui esl nommé t.mtol laubi'di, tantôt
Ilu-ibi'di. Il m résulte que 1 lu et lau sont synonymes
el que [au esl un dieu, car ce nom esl précédé de l idéo
;:r.- ne divin, Mais ci 9 inscriptions sont du vnr siècle,
cl le nom royal qu'elles produisent peul provenir de
l'influence israélile en un royaume voisin.
S'il en esl ainsi, on doil l 'gitimemenl conclure que
le nom divin. m,ih ses deux for s Jahou et Jahvé,
i ta ii connu déjà avanl Moïse en Babylonîe. <*n ne peul
toutefois en conclure que le dieu ainsi nommé appar-
tenait au panthéon babylonien, coi iHommel l'a fait,
en disant «pie le nom de dieu .1.1 devait se proni
.li nu lu. el qu'il désignai! le dieu d'Eridou. Outre
que l'identité de celli divinité n'a pas été prouvée, la
forme laou, rapprochée de la-wi, ne peu' pins «tic la
forme noniinali i ih la el la supposition de Hom I
■m- fondi ni. lin resle, le nom hébreu n
|iu •'•ire emprunté aux Habylonii ns, car les II l reus ou
ii auraient jamais ajouté h' n qui manque
■ n ltab\lonie. Il manque plus probablement, pane que
i ■ ih\ lonii n • .-iit n gligé 'i" le li rivanl
un ii'iin . transi i i ■ i i de Jahvé el ''<■ Jahou élail
donc i o'ii < 'n celui d lieu étranger, d'un dieu d<
. • eni
DE TIIH.I.. CATIIOL.
4. Origine chananéenne. — Max Mùller, Asien und
Europa, 1893, p. 162, 312, 313, et Winckler, Geschichle
lsraels, t. i, p. 36 sq., reconnaissent en Jahvé un dieu
chananéen. Le premier fondait son sentiment sur la
présence d'une localité de Palestine, nommée Bai-ti-y à.
a maison de la », dans une liste de Touthmès III. Nous
avons prouvé plus haut que les Israéliles connaissaient
Jahvé avant leur entrée au pays de Chanaan, et il est
toul à fail invraisemblable que Jahvé, s'il avait été pri-
mitivement un dieu des Chananéens, fût devenu,
comme il l'est dans la Bible, l'adversaire des tribus
ehananeennes et de leurs idoles. La forme mn», si elle
dérive de mn, ne peut venir des Chananéens, qui, dès
le temps des lettres d'El-Amarna, se servaient, comme
les Hébreux plus tard, de n'~. Les Phéniciens expri-
maient l'idée d'être par ir. Enfin, ce nom ne se ren-
contre nulle part avec certitude dans les letlres d'El-
Amarna, et la forme y'à, signalée par Max Mûller,dans
une transcription égyptienne, ne représente peut-être
pas très bien le nom divin. Sellin fait élat du nom de
Jali, trouvé récemment à Jéricho gravé sur une cruche
chananéenne. Die alttestamentliche Religion im llah-
men der anderen orientalisclten, Leipzig, 1908, p. (il.
Cf. .1. Nikel, op. cit., p. 33. Bien que le nom de Jahvé
ait eu une large diffusion dans le monde sémitique et
peut-être en Palestine dès le xvr siècle avant notre
ère, il n'est pas d'origine chananéenne, et par sa forme
il dérive plutôt de la langue araméenne.
ô. Origine araméenne. — Elle résulte donc déjà de
l'étymologie, venant de la racine araméenne mn, et de
la forme araméenne du nom divin. Elle est confirmée
par l'usage de ce nom dans la famille de Nachor, Ëlié-
zer l'emploie chez Laban, lorsqu'il demande la main
de Rébecca pour Isaac. Gen., xxiv, 31, 30, 51. Laban,
bien qu'idolâtre, prend Jahvé, le Dieu d'Abraham et
de Nachor, connue juge de ses engagements avec
Jacob, Gen., xxxi, 49, 53, et on a remarqué que l'au-
teur jéhovisle, à qui on attribue ces récits, a soin de
ne pas mettre le nom divin sur les lèvres des hommes
qui n'appartiennent pas à la race choisie. S'il est ara-
méen d'origine, ce nom n'était donc pas une énig
pour la famille de Tharé.Maissi Jahvéélail déjà connu
ite tribu, ne pourrait on pas faire remonter le fail
île connaissance jusqu'à Sein, dont Jahvé était le
Dieu, Gen., ix, 26, jusqu'à Énos, au temps de qui on
c meiii a à invoquer Jahvé par son nomV Gen., tv, 26.
Si la révélation de ce nom divin n'a pas eu lieu pour
la première fois au Sinaï, elle aurait été faite anté-
rieurement à l'humanité primitive et se serait con-
servée dans la descendance de Sem el d'Abraham.
M. Dôller, Bibel und Babel, Paderborn, 1903, p. Il,
i ependanl que les hommes ont pu à l'aide des
créatures connaître l'être en soi el lui donner le nom
de Jahvé comme nom propre, el le P. Hetzenauer, I
! i ibourg-en-Brisgau, 1908, t. i. p. :;~<>
377, approuve ce sentiment.
J, Dru lus, Tetragrammaton, dans Critici sacri, Frai
141 H80; J, ' i rluy, Spii ilegium
ttico-biblicum, G 112; G. d E ii I
Sur le nom el le caractère du Dieu <i fsrai I Jahvt u. ci
M élat ges de critique biblique, P
La gran ge) , La
,,,. biblique, 1893, t. n. p. 3
vélatii Jéhovah, ibid., 1804, t. m. p. 161-181 ;
Hummelaui
p. 47-."2. 70 Jéhovah
1ê '" Bible di M V \. i. m, col
i
iv. - :;i
963
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE
964
3° Nature et al tributs de Jahvê pour Moïse et les
Israélites de son temps. — 1. D'après les livres du
milieu (Exode, Lévilique, Nombres). — Si, avec les
eritiques rationalistes, on y distingue trois documents,
pour le jéhoviste, voir Baentsch, E.rodus, Leviticus,
iXitmeri, p. xvin-xx, pour l'élohiste, ibid., p. xxxi-
xxxn, et pour le code sacerdotal. Ibid., p. xi.iv-xi.v.
Cf. E. Mangenot, L'authenticité mosaïque du Penta-
teuque, Paris, 1907, p. 55-56, 83-85, 142-144. Mais en
considérant ces trois livres comme l'œuvre de Moïse,
on y trouve une doctrine sur Dieu, qui a son point de
départ dans la révélation du Sinaï et qui est d'accord
avec elle. Jahvé, le Dieu des pères, s'étant manifesté à
Moïse comme l'Etre par excellence, l'Être en soi, a tous
les attributs du vrai Dieu. Il est le Dieu unique, qui
veut pour lui seul le culte de son peuple et qui interdit
rigoureusement à ses adorateurs d'honorer d'autres
dieux et de se faire aucune idole, d'aucune forme et
d'aucune matière. Exod., xx, 3, 5, 23; xxm, 13;xxxiv.
14, 17. Il ordonne de détruire les autels des dieux cha-
nanéens et défend de s'allier aux habitants idolâtres
de la Terre promise, afin d'éviter la contagion de l'ido-
lâtrie. Exod., xxm, 24; xxxiv, 12-16. Il est un Dieu
puissant et jaloux, Exod., xx, 5; xxxiv, 14; il ne tolère
pas en Israél un autre Dieu que lui, comme l'époux
qui ne veut pas qu'un autre ait part à l'amour de son
épouse. Il punit l'iniquité des pères jusqu'à la troisième
et la quatrième générations, mais sa miséricorde s'étend
jusqu'à mille générations sur ceux qui l'aiment et qui
observent ses préceptes. Exod., xx, 5, 6. Il hait l'impie.
Exod., xxm, 7. Il a formé l'homme, et il a créé le sourd
et le muet, l'aveugle et le clairvoyant. Exod., IV, 11.
Il est le Dieu universel, et il agit en Egypte, sur les
forces de la nature, pour montrer qu'il est le maître
de la terre entière. Exod., IX, 29. Il manifeste aussi sa
souveraineté universelle en disposant des biens des
Égyptiens, Exod., m, 21, 22, et du pays de Chanaan en
faveur des Israélites et par fidélité aux promesses qu'il
avait faites à leurs pères. Exod., m, 8, 17; vi, 8. Il règle
le sort des tribus chananéennes. Exod., xxm, 27-33;
xxxiv, 24. Il choisit spécialement Israël pour son peuple
et il en fait son premier-né. Exod., iv, 22. Aussi s'in-
téresse-t-il à son sort pénible en Egypte et le tire-t il
de la servitude, Exod., m, 7, 10, 16, 17, en opérant des
coups de puissance pour décider Pharaon à laisser sortir
les Israélites, 19, 20; vi, 6; vu, 4, 5. Il intervient ainsi
dans les événements de l'histoire, et par les prodiges
qu'il accomplit, il se montre le maître des éléments,
qu'il fait servir à ses desseins. Les plaies d'Egypte sont
en même temps des représailles de sa vengeance sur les
oppresseurs d'Israël et des marques de sa souveraineté.
Exod., vu, 17; vm,22; ix, 14-16; xiv, 4,31. Il sera désor-
mais le Dieu d'Israël, Exod., vi, 7, qui sera son peuple.
Exod., xix, 4-6. Jahvé n'est donc pas la divinité a bstraite ;
c'est le Dieu vivant, qui s'occupe des hommes et règle
les destinées d'Israël. C'est pourquoi il guidait ce peuple,
Exod., xui, 21, 22; il combattait pour lui, xiv, 14. Aussi,
après le passage de la mer Rouge, Moïse célèbre-t-il
la toute-puissance, la sainteté et la bonté du Sauveur
d'Israël. Exod., xv, 3-13. La providence spéciale de Dieu
sur son peuple se manifeste durant tout le séjour de
celui-ci au désert, malgré ses ingratitudes et ses révoltes
réitérées. Dieu lui donne une législation religieuse, mo-
rale et sociale. Il lui promet de le protéger s'il est fidèle
et de l'introduire dans la Terre promise, dont il fixe les
limites. Exod., xxm, 20-33. Il fait un pacte solennel
avec lui. Exod., xxiv, 7, 8. Israël obéira à tous les
ordres de son Dieu. Après une première infidélité de
ce peuple à tète dure, Exod., XXXII, 9; xxxm, 5, qui
avait adoré le veau d'or, Dieu, qui est miséricordieux,
palient et fidèle à sa parole, Exod., xxxiv, 7; Num.,
xiv, 18, renouvelle solennellement le pacte violé. Exod.,
xxxiv, 10, 27. Les Israélites, plusieurs fois révoltés, sont
punis, surtout au désert de Pharan où. après un
volte générale, Dieu prive de l'entrée eu Palestine toute
la population, ayant 20 ans et au-dessus. N'urn., xiv,
28-35. Cette punition sévère succède à des pardon- de
séditions moins graves. Dieu ''tait plus patient, Num., xiv,
18, que Moïse qui se plaignait amèrement à lui d'un
peuple indocile, qui lui était à charge. Num., xi. 10-15.
Quand les 40 années de pénitence dans le désert fuient
accomplies, Dieu fit des miracles pour aider son peuple
à parvenir jusqu'aux frontières du pays de Chanaan et
à occuper la partie orientale de la contrée, qu'il lui
avait destinée. Il régla même les droits de la conquête
et les limites du pays à conquérir. Num.. XXXIII, 10;
xxxiv, 15.
Ce Dieu invisible se manifestait, sous des formes sen-
sibles, à Moïse dans le buisson ardent; le lieu de sa
manifestation était saint par le fait même, et Moïse se
voilait la face pour ne pas voirie Seigneur. Exod.. m.
2-6. Au Sinaï, il se montra au peuple dans la nuée, au
milieu du tonnerre et des éclairs. Exod., xix, 9,16-18.
Le peuple entendait sa voix, mais ne le voyait pas. Seule,
une partie des anciens put d'abord le contempler, sous
des formes extérieures. Exod., xxiv, 9, 10. Israël tout
entier vit ensuite la gloire de son Dieu, qui apparut sur
le Sinaï comme un feu brillant au milieu d'une nuée,
15-17. Dieu se manifestait au tabernacle de l'alliance
dans une colonne de nuée, Exod., xl. 32-36; Num.,
xiv, 10, et il y parlait à Moïse bouche à bouche. Exod.,
xxxm, 9-11. La plupart des lois ont été portées par
Dieu, parlant directement à Moïse. Cependant, Moïse
lui-même n'avait pas vu la face du Seigneur. Il demanda
à Dieu de lui montrer sa gloire; mais Jahvé. tout en
reconnaissant qu'il était clément et miséricordieux en-
vers qui il lui plait, déclara à son envoyé que personne
ne pouvait voir sa face sans mourir, et il lui accorda
seulement, dans l'anfractuosité du rocher, de le voir au
passage par derrière, autant que le permettait l'écarte-
ment momentané de sa main qui le cachait. Exod..
xxxm, 13-23. Ce fut pour Moïse un privilège unique de
parler à Dieu bouche à bouche et publiquement; les
prophètes n'entendront Dieu que par énigmes et par
ligures, en vision ou en songe. Num.. xn, 6-8. Dieu
parlait de nuit à Balaam. Num., xxn, 8, 20. Dans ses
relations avec les hommes, Dieu parfois agit à la ma-
nière des hommes et éprouve les mêmes sentiments
qu'eux. Il fond sur Moïse et veut le tuer, Exod., îv. -Ji;
il brise les roues des chars égyptiens, Exod., xiv, 25; il
écrit de son doigt le décaloguesur des tables de pierre.
Exod., xxxi. 18; xxxn, 16. Il s'irrite contre Moïse, Exod.,
iv, 14, et contre le peuple coupable et se laisse apaiser
par l'intervention de Moïse. Exod.. xxxn, 10-14; Num.,
xi, 1-3; xvi, 46-48; xxv, 3. Dieu s'irrite aussi contre
Marie et Aaron. Num., xn, 9. Il fait des sermenls.
Num., xi, 12; xiv, 17.
Dieu règle la conduite des hommes et il impose aux
Israélites des règles morales par la promulgation du
décalogue. Exod.. xx. 1-17. Dans le petit code de sain-
teté, il ordonne aux Israélites de ne pas imiter les
Egyptiens et les Chananéens, mais d'observer les règles
qu'il leur a tracées parce qu'il est leur Dieu. Lev., xviu,
1-5; xx, 26; xxn, 31-33. Il impose la sainteté extérieure,
parce qu'il est saint lui-même. Lev.. six, 2. Ses lois
morales sont suivies de sa signature : Je suis Jahvé;
je suis Jahvé votre Dieu. Lev., xvin. 6, 21,30; xix.
3, 10, 12, 14, 16, 18, 25, 28, 30, 31, etc. Il sanctifie lui-
même ses adorateurs fidèles, Lev., xx. 8, et ses prêtres.
Lev., xxi, 8, 15; xxn, 16. Il veille a l'observation des
préceptes positifs et fait punir de mort un Israélite qui
avait violé le repos sabbatique. Num., xv. 32-96. Au
désert les Israélites sont bénis ou punis selon qu'ils ont
été fidèles ou infidèles à ses prescriptions, Dieu n'étend
pas seulement sa providence sur le peuple tout entier,
il s'occupe de la conduite des individiis.il punit Marie
965
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA RIRLE)
966
et Aaron, Num., xil, 1-15, Coré, Dathan et Abiron,
Num., xvi, 1-4, Moïse lui-même et Aaron. Num., xx,
12, 13. S'il endurcit le cœur de Pharaon, Exod., IX,
12; x, 1. 20; xr, 10; xiv, 8, c'est qu'on est en droit de
lui attribuer un effet, qu'il a voulu directement, Exod.,
IV, 21 ; VII, 3; xiv, 4, 17. et qui s'est réalisé par le jeu
des événements, dirigé par lui-même. Exod., vil, 13,
22; vin. 15, 19, 32; ix, 7, 35.
2. Dans le Deutéronome. — Moïse y insiste sur
l'unité de Dieu, et il pose en principe, pour l'avenir,
l'unité de sanctuaire. Deut., xii, 4-8. Voir col. 6til-6G2.
Conclusion. — Le véritable monothéisme : « 11 n'y a
qu'un Dieu et il est mon Dieu, » qui est l'apanage
propre et exclusif du peuple juif dans l'antiquité, n'est
donc pas, comme beaucoup le prétendent aujourd'hui,
la création des prophètes d'Israël. Il a été donné à ce
peuple par Moïse, son fondateur, et le monothéisme de
Moïse est absolu. Ce législateur n'a donc établi en Israël
ni la monolâtrie nationale, comme si Jahvé n'avait été
que le dieu unique et particulier de ce peuple, ni le
jahvisme, culte du Dieu national. Il n'est pas reste» â
mi-chemin, ayant institué un monothéisme national et
pratique, comme le pense M. Baentsch, Altorientalis-
clier und Uraelitisclier Monolheismus, p. 77-94. Il a
atteint le monothéisme théorique et parfait, en con-
damnant définitivement le polythéisme. Les Israélites,
mêlés à des peuples idolâtres, ont bien pu demeurer
fortement enclins à l'idolâtrie et avoir été infidèles à la
foi monothéiste, du vivant même de Moïse et après sa
mort; le monothéisme existait parmi eux, et Dieu avait
accompli de grands miracles pour l'instituer définiti-
vement dans son peuple de choix, dépositaire de sa
révélation. Les prophètes ramèneront leurs contempo-
rains à cette révélation première, qu'il;-, rappelleront;
ils épureront et élèveront les idées populaires, en
préchant l'unité de Dieu, et en luttant contre l'idolâ-
trie, ils n'auront pas à inaugurer une doctrine qui
avait retenti devant Israël des hauteurs du Sinaï.
Cf. Konig, Bibel und Babel, llerlin, 1902. p. 45-47.
IV. lu: MOÏSE WX PROPHÈTES m vilf SIECLE. —
Suivant la théorie dominante parmi les critiques ra-
tionalistes, c'est le jahvisme populaire qui caractérise
la religion d'Israël, durant celte période. Ce peuple
considère Jahvé comme son Dieu national, mais il re-
connaît comme de véritables dieux les dieux des autres
nations et il les honore parfois ace titre, liref, la mo-
nolâtrie, établie par Moïse, aurait régné jusqu'au
VIII* siècle. Voyons si celte théorie répond aux faits.
racontés dans la Bible.
I Sous Josué. ~ loMié. choisi par Dieu pour suc-
céder à Moïse, Num., xxvn, 12-23; Dent., xxxi, 1-X,
li 23; xxxiv, 9, continue avec la protection divine la
mission du législateur israélite, en conquérant et en
partageant entre les Iribus la terre promise, .los., i,
1-9. Jahvé, dont le siège n'est pas fixé au Sinaï, lui
parle et le protège Rahab, qui a appris les merveilles
mplies par lui en faveur d'Israël, sait qu'il est le
Dieu du ciel et de la terre, et elle a confiance en un
serinent f.iil en s,,M num. .los., il, 8-14. Pour Josué,
Jahvé \it au milieu de sm, peuple; il est le Dieu de la
mplil des miracles pour les
siens, .los., ni, 5-10. Le monument de pierres, élevé a
la apn s le pa âge miraculeux du Jourdain,
devait rappelé,' ., toute la postérité des Israélites cl
.i tons les peuples de la terre la pui sance de Jahvé et
l'obligation de le révérer. .Lis., iv, 19-25. La pril
ho fut un nouvel indice que le Seigneur était
losué. .los., vi, 27. Dieu punit une désobéis-
n. lo 13, et il livre le roi de
H h "i\ mains de Josw , lo ., vin, I. 7. Is Les «éd.. m,
nites, ayanl appris i •■ qui Jahvi .. ..ni fait pour I
•■" I gyple ' ' ni" la rive orientale du Jourdain, veulent
■'«Hi l i (élites, .los.. i\. '.i. lu, i eux-ci ob-
servent exactement un serment, prêté au nom de
Jahvé, bien qu'il ait été obtenu par fraude, .los., ix, 18-
20. Dieu livre à Josué les rois chananéens, ,Ios., x, 8,
19, 30, 32, et il livrera de même aux Israélites tous
leurs ennemis, 25. Il combattait avec Israël, 42. Cf. xi.
8. 11 avait endurci les cœurs de tous les Chananéens,
pour que, ayant attaqué eux-mêmes les Israélites, ils
ne méritent aucune merci et qu'ils périssent comme
il le voulait. .los., XI, 20. Il tint ainsi la parole qu'il
avait donnée aux patriarches. .los., xxi, 41. Les tribus,
situées à l'est du Jourdain, devaient accomplir les pré-
ceptes divins, aimer le Seigneur leur Dieu et le servir
de tout leur cœur et de toute leur âme. .los., xxn, 5.
En élevant un autel, ils ne voulaient pas transgresser
les ordres de Jahvé, 10-34. Josué, avant de mourir,
rassemble les tribus à Sichem, leur rappelle les actes
et les promesses de Dieu et leur recommande d'éviter
l'idolâtrie, d'aimer le Seigneur et de ne pas s'allier aux
Chananéens par crainte de perversion. .los., xxm, 1-16.
Dieu expose aux Israélites réunis tout ce qu'il a fait
pour leurs pères et pour eux. Puisqu'il a tiré Abraham
de l'idolâtrie, ils doivent rejeter les dieux étrangers et
le servir lui seul. Il leur donne à choisir entre lui et
les dieux, et tous choisissent le service de Jahvé.
.los., xxiv, 2-18. Josué rappelle à la foule que Jahvé est
un Dieu saint, puissant, jaloux, vengeur des crimes et
spécialement de l'idolâtrie, mais bienfaiteur de ceux
qui le servent. 11 les prend tous a témoin de leur
libre choix. Tous rejettent solennellement les dieux
étrangers et s'engagent à servir Jahvé seul et â obéir à
ses préceptes. Un monument fut dressé comme témoi-
gnage perpétuel de cet .engagement public. 19-27, Donc,
en Israël, il n'y avait pas place pour le culte des dieux
étrangers et Jahvé était l'unique Dieu, â qui la na-
tion entière devait rendre des hommages. En principe
et en droit, c'était le monothéisme absolu comme
sous Moïse.
2° Sous les Juges. — En fait, la foi monothéiste subit
en Israël de nombreuses éclipses, et l'histoire de cette
époque se résume en une série d'infidélités â Jahvé et
de retours au Dieu unique, qui avait permis le châti-
ment des coupables. Israël servit son Dieu durant
toute la vie de .losué et tant que vécurent les anciens,
qui l'avaient connu et qui avaient vu les merveilles ac-
complies par Dieu de son temps, .lui!., il, 7. La nouvelle
génération, qui n'avait pas été témoin de ces merveilles,
abandonna Jahvé, se livra â l'idolâtrie et servit les
Baalimet les Astaroth, .Dul.. n, 10-1.'!. la cause de cette
infidélité était dans les alliances conclues, malgré les
prohibitions de Dieu, par les Israélites avec les Chana-
néens idolâtres demeurés au milieu d'eux par la volonté
divine. Jud., II. 1-5. Dieu, irrité contre les coupables,
les livrait aux mains de leurs ennemis pour les punir
de i.urs crimes. Dans l'aflliction, les Israélites recon-
naissaient leurs loris et revenaient à leur Dieu. Celui-ci
suscitait des juge9, qui délivraient le- tribus de l'op-
pression chananeenne et les maintenaient dans le culte
du vrai Dieu. Après la mort des juges, les Israélites
retombaient dans l'idolâtrie. Jud., n. 10-19. Dan
coli ce. Dieu maintint en Palestine des Iribus chana-
néennes qui auraient dû être an Nanties, et elles conti-
nuèrent â servir d'occasion d'idolâtrie aux Mb. d'Israël,
Jud.. ii, 2ii m. ii Ces taiis résument l'histoire d'Israël,
telle que l'auteur du livre des luges la présente.
i lepi ndani l'infidélité n était le m absolue.
Iribus n'apostasiaienl pis en même temps ,t
Jahvé avait toujours de fld lorateura. l ■> conta-
Idolfltriqyi gagnait nie m quelques-unes
d'entre ellei et bientôt même le malheur raie
■ n culte du vrai Dieu Le but de i
vain B été de montrer par des exemples historiques
que l'infidélité â Jahvé a toujours éti punie, pour en
lure que lahvéesl le seul Dieu d'Israël et q u
%7
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE)
968
culle constitue la religion véritable. Les faits racontés
ne sont que des épisodes choisis. Ce livre ne nous
donne donc que la philosophie religieuse de l'histoire
d'Israël durant celte période.
Ces récits détachés contiennent cependant, en outre,
quelques traits qui caractérisent le Dieu d'Israël.
L'unité de l'arche d'alliance, comme symbole de la pré-
sence de Jahvé parmi les Israélites, est un fait mono-
théiste et l'absence d'image dans l'arche, un indice delà
prohibition de toute forme idolàlrique. La puissance de
Dieu sur la nature est célébrée dans le cantique deDébora
par allusion aux faits antérieurs de l'histoire d'Israël.
Jud., v, 4, 5. On a conclu de ce passage que Jahvé
habitait le Sinaï et qu'il en vint, en passant par Édom,
pour secourir Israël, sous la forme d'un orage. Mais,
dans l'état actuel du texte, le Sinaï lui-même est une
des montagnes qui tremblaient quand Jahvé se mit en
marche. Quelques critiques pensent que la mention du
Sinaï est une glose, empruntée au Ps. lxvii (lxviii), 9.
P. Lagrange, Le livre des Juges, Paris, 1903, p. 81-83.
La victoire de Barac sur Sisara lui est attribuée.
C'était, de sa part, une œuvre de justice et de bonté,
11. Par la volonté divine, les étoiles elles-mêmes, du
haut du ciel, ont combattu contre Sisara, 20. Cela ne
veut pas dire qu'elles aient participé au combat parun
orage extraordinaire, mais simplement que la nature a
pris part à la lutte. P. Lagrange, op. cit., p. 97-98. La
cause de Jahvé y était engagée et le poète maudit ceux
qui ne sont pas venus la défendre, en combattant pour
lui et sous ses ordres, 23. Ibid., p. 100. Ce poète sou-
haite que tous les ennemis de Jahvé périssent comme
Sisara, et que ceux qui aiment le Seigneur brillent
comme le soleil à son lever, 31. La religion de Jahvé
exigeait donc l'amour de Dieu. Dans l'histoire de Gé-
déon, Jahvé envoie aux Israélites un prophète pour
leur reprocher de l'avoir oublié et leur rappeler qu'il
a fait sortir leurs pères de l'Egypte, qu'il les a délivrés
de tous leurs ennemis et qu'il est leur Dieu, VI, 8-10.
Au souvenir de la même délivrance d'Egypte, Gédéon
s'étonne que Jahvé n'intervienne pas pour sauver les
siens de l'oppression madianite, vi, 31. L'ange lui
annonce précisément le secours de Jahvé et lui confie
la, mission de battre les Madianites, 14-16. Il lui donne
un signe, 17-21. Gédéon craint de mourir, parce qu'il
a vu l'ange de Jahvé; Jahvé le rassure, 22, 23. Il
ordonne à Gédéon de renverser l'autel de Baal et de lui
élever un autel à lui-même à la place. Gédéon exécute
cet ordre de nuit. Les habitants du lieu voulaient le
faire mourir, mais son père déclare que Baal, s'il est
Dieu, se défendra seul, 27-32. Pour montrer sa puis-
sance, Jahvé veut vaincre Madian avec 300 hommes,
et il réduit l'armée de Gédéon à ce petit nombre, vu,
2-8. Il leur livra le camp des Madianites, sans coup
férir, 9-23. Les Israélites offrirent à Gédéon, leur sau-
veur, la royauté qu'il refusa, en disant : « C'est Jahvé
qui est votre maître. » Jud., vin, 22, 23. Avec les an-
neaux d'or qu'il préleva sur le butin, Gédéon fit un
éphod, non pas sansdoule une image de Jahvé, mais
plutôt un instrument divinatoire, pour rendre des
oracles au nom de Jahvé; après sa mort, cet objet de
culte devint pour les Israélites une cause d'idolâtrie,
27, 28, cf. 33-35.
Au début de l'histoire de Jephté, Dieu semble se
lasser des rechutes continuelles des Israélites dans
l'idolâtrie et les menacer d'une rupture définitive, en
raison du progrès du mal. Le repentir réitéré et la
conversion généreuse des fils d'Israël excitèrent la
compassion divine sur leurs souffrances, x. 10-10. Les
anciens de C.alaad prirent Dieu à témoin de leur
serment, quand ils reconnurent Jephté pour chef, XI,
10 Jephté déclare aux Ammonites que les Israélites
ont occupé le pays des Amorrhéens par la volonté de
Jahvé. Par suite, les Ammonites n'ont pas droit de
reprendre le pays conquis. Est-ce qu'ils ne possèdent
pas légitimement les contrées que leur dieu Chamos a-
enlevées à leurs possesseurs? xi, 15-24. Ce langage di-
plomatique n'est pas une profession de foi en la divi-
nité ri.- Chamos. Si on ne peut pas dire que. pour
Jephté, Chamos était une vaine idole qui ne pouvait
rien posséder, on ne peut pas davantage prétendre que
Jephté mettait ce dieu au même rang que Jahvé. Il
raisonne selon les idées communes du temps et il
part de principes admis par ses contradicteurs. Chacun
a donc droit de profiter des victoires de son Dieu. Or.
Jahvé n'a pas combattu pour les Ammonites, qui n'ont
rien à réclamer du pays conquis sur les Moabites. En
parlant des victoires obtenues par Chamos, Jephté ne
veut pas limiter le pouvoir de Jahvé, puisqu'il n'est
pas question des droits du plus fort. Les droits d'Israël
à occuper le pays conquis sont indiscutables et les ad-
versaires doivent les respecter. C'est tout ce que dit
Jephté, qui n'établit pas une comparaison entre Jahvé
et Chamos. P. Lagrange, op. cit., p. 199-200. D'ailleurs,
il considère Jahvé comme juge de la querelle, xi. 27
Le Dieu d'Israël est juge des peuples. Dans le cas
particulier, il ne combattra pas seulement pour son
peuple, il décidera entre les deux nations en conllil.
Jephté ne parle plus de Chamos et n'en appelle pas à
son arbitrage. Ibid., p. 203, 215. Aussi l'esprit de Jahvé
fut-il sur Jephté, qui voue en sacrifice à son Dieu la
première personne qui sortira de sa maison pour venir
à sa rencontre après la victoire sur les Ammonites, xi.
29-31. Jahvé ayant livré les ennemis, 32, Jephté exécute
son vœu sur la personne de sa fille unique, qui accepte
d'être la victime d'un vœu imprudent et brutal. 34-49.
De ce fait on ne peut conclure que Jahvé n'a pas toute
l'horreur du sang que l'on pourrait attendre d'un
Dieu juste et bon. Ce serait accorder trop d'imporlance
à un fait particulier. Jephté a voué à Jahvé une victime
humaine et il semble qu'il en a laissé le choix à Dieu,
arbitre des événements; il croyait donc que son Dieu
agréait de telles victimes. Si, après la victoire, il im-
mole sa propre fille, du plein consentement de celle-ci.
c'est que tous deux reconnaissaient l'obligation de
tenir un vœu, même imprudent et cruel. Jephté est un
aventurier; bien qu'il apparaisse comme un fidèle ser-
viteur de Jahvé, il a vécu à une époque troublée et
avant que les idées morales, contenues dans le culte
de Jahvé, aient reçu leur plein développement et aient
exercé leur complète inlluence sur un peuple, encore
grossier. P. Lagrange, op. cit., p. 215-217.
Manué, père de Samson, oll're un sacrifice à Jahvé,
qui fait des miracles. Jud., xm, 19. Il craint de mourir,
parce qu'il a vu Dieu, mais sa femme le rassure, car sr
Jahvé avait eu l'intention de les faire mourir, il n'aurait
pas agi à*leur égard comme il venait de le faire. 22.
23. Jahvé veut le mariage de Samson avec une philis-
tine comme un moyen d'arriver à ses fins contre les
Philistins, xiv, 4. Du reste, les actes de Samson sont
pour la plupart attribués à une forte action de l'esprit
de Jahvé sur lui, xiv. 0. 19; xv. IL Jahvé opère un
miracle pour étnncher la soif de son héros el exaucer
sa prière. XV, 18, 19. Jahvé, dont il était nazireen. XVI,
17. était considéré comme la cause immédiate de sa
force, puisqu'il l'avait abandonné, des que le rasoir
avait coupé la chevelure du héros, 20. Afin de se venger
des Philistins. Samson demande à Jahvé de lui accor-
der pour une fois encore les forces suffisantes pour
ébranler les colonnes de l'édifice, où ils étaient réunis,
ei pour les écraser tons avec lui. 28 30.
L'histoire de Michas, se fabriquant une idole en
l'honneur de Jahvé. un temple, un éphod et tles léra-
phims, instituant prêtre un de ses fils, puis prenant à
son service un lévite de Bethléhem, xvn. 1-13, la con
sultation des espions daniles, xvm, 5. 0. le vol îles
objets idolàlriques du sanctuaire de Michas par les
«69
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIRLE)
ï»70
Danites, 14-27, pour les honorer chez eux, 29-31, ces
faits constituent un cas isolé, une institution humaine,
contraire aux usages reçus. Le lévite consulte Dieu, il
est vrai, sur la requête des explorateurs danites, mais
on ne dit pas que Jahvé a répondu et a ainsi sanc-
tionné ce culte idolàlrique. Jahvé ne favorise pas l'en-
treprise de Michas, comme celui-ci l'avait espéré,
xvii, 13, puisque les Danites emportent l'Élohim que
.Michas s'était fait, xvm, 24, 31. Le culte que les Da-
nites lui rendent n'est pas légitime, puisque, à cette
époque, la vraie maison de Dieu était à Silo, 31. Que
ressort-il de tout cela? Un particulier organise de son
chef, mais sans scrupule, un culte idolàtiique. La trihu
de Dan vole son idole et l'honore. La défense de faire
des images de Jahvé n'avait pas prévalu partout, on ne
peut conclure qu'elle n'existait pas, ni que la loi de
l'unité de sanctuaire n'était pas portée, parce que les
Danites la violaient. En un temps d'anarchie, où cha-
cun faisait ce qu'il voulait, xvn, 6; XVIII, 31, les abus
se multipliaient; mais les abus supposent la régie
établie, et ces faits d'idolâtrie, la défense d'honorer
Jahvé sous forme d'idole. Cf. P. Lagrange, op. cit.,
p. 293-295.
Dans l'épisode de l'horrible crime des Bethléhémites,
les autres Israélites consultent trois fois Jahvé à
Béthel, xix, 18, 23, 26-28. Jahvé autorise la répres-
sion et livre les (ils de Benjamin aux mains de leurs
frères, 28, 35. A l'assemblée générale suivante à Bé-
thel, on constata l'absence de la tribu de Benjamin,
xxi. i fi. Le culte de Jahvé était donc universel, et les
Benjaminites eux-mêmes, si peu moraux qu'ils étaient,
adoraient Jahvé, l'unique Dieu d'Israël. Les Israélites
respectent rigoureusement leur serment de ne pas
donner leurs fi Iles aux Benjaminites, xxi, 1, 5, 7, et ils
recourent à de singuliers moyens pour ne pas y man-
quer, 8-14, 17-23.
Noémi, émigrée au pays de Moab, déclare que Jahvé
a eu pitié de son peuple, en lui donnant des aliments
après la famine. Ruth, i. 6. Llle souhaite à ses brus
que Dieu leur soit miséricordieux comme elles l'ont
été pour elle et ses fils défunts, i, 8, 9. La main de
Jahvé lui a causé ses malheurs, i, 13. Cf. 20, 21, où
Jahvé est aussi nommé Saddaï. Tandis q'u'Orpha re-
tourne en Moab à se- dieux, 15, Ruth reconnaît le Dieu
de Ba belle-mère, 16. Booz salue si - moissonneurs, en
appelant sur eux les bénédictions de Jahvé, n, î. Il
souhaite à Ruth que Jahvé, le Dieu d'Israël, vers qui
elle est venue el sous les ailes de qui elle s'est réfugii e,
lui accorde la pleine récompense de sa démarche. II,
12. Noémi bénit Jahvé de la faveur qu'il a accordée à
léfanta dans la personne de Ruth, faveur pareille
à celle qu'il leur avait donnée de leur vivant, il, 20.
Booz déclare à Ruth qu'elle est bénie par Jahvé el
qu'elle en a obtenu une plus grande miséricorde,
qu'elle n'a pas cherché d'autre mari, ni, 10. 13.
La foule appelle les bénédictions divines sur Ruth, iv.
II. 12. Jahvé donne à Ruth un (ils. 13, el 1rs fem
de Bethléhem en félicitent Noémi comme d'une béné-
diction divine, 1 4.
On attribue aussi à Jahvé la stérilité d'Anne, I Sam.,
i. '>. cette femme demande elle-même au Seigneur les
joiea de la maternité, II. el le grand prêtre Héli di
que c< tte pi ii re soil exaucée, 17. Dieu se souvint
d Ame'. 19, 20, qui accomplit son vœu et consacra
ni au service du Seigneur, 20-28, Dans sou
tique de reconnaissance, elle célébrait la sainteté de
Dieu, son unité, sa puissance, ta science universelle,
n. 2, •'!. Jahvé donne la vi'- el la mort, la richesse el la
reté, l'humiliation et la gloire; il est le maître di
i us si n (ail périr les Impies
qui le craignent; il les frappe de h fondre, il m
v"i' jugement iur la lerre entière el il eoioi.nn.
son autoriti an roi d'Israël, i in Eiéll demande que
Dieu accorde à Anne d'autres enfants pour remplacer
Samuel, 20, et Dieu rendit Anne mère de trois fils et
de deux filles, 21. Selon le grand-prêtre, Dieu accorde
plus facilement le pardon des péchés commis contre
le prochain que des sacrilèges contre son culte, 25.
Aussi punit-il sévèrement les crimes des fils d'Iléli,
24-34; m, 13, 14. Le grand-prôlre se soumet à la sen-
tence de Jahvé, qui fait ce qui lui semble bon, m, 18.
Dieu communiquait ses volontés à Héli par un pro-
phète, n, 27-36, et directement à Samuel, ni, 1-15, qui
était son prophète, 20, 21. Les anciens d'Israël attri-
buent à la volonté divine leur défaite par les Philistins,
iv, 3. Ceux-ci ne regardent Jahvé, présent dans l'arche,
que comme un puissant Élohim, qui a battu les Égyp-
tiens au désert, iv, 7,8, et dont le bras était fort contre
eux et contre leur dieu Dagon, v, 7. Cf. 2-6, 9-12. Ils
veulent l'apaiser et ils renvoient son arche en Israël,
vi, 2-12, 16-18. Parce que Jahvé est. saint, il a puni la
faute des Bethsamites, vi, 20. L'idolâtrie s'était intro-
duite de nouveau parmi les Israélites. Samuel, voulant
une conversion sincère, exige l'exclusion complète des
Baals et des Asthartés et le culte unique de Jahvé. A ce
compte, Jahvé délivrera son peuple de l'oppression des
Philistins, vu, 3. 4. Jahvé était donc plus que le « Dieu
personnel » de Samuel, comme l'a prétendu Renan,
Histoire du peuple d'Israël, 0e édit., Paris, 1887, t. i,
p. 386. La demande d'un roi, faite à Samuel, est consi-
dérée par Dieu comme un désir d'écarter son règne sur
Israël et comme une nouvelle apostasie de son peuple,
vin, 7, 8. Dieu y accède cependant, mais après avoir
exposé les droits des rois futurs et déclaré que, quand
Israël recourra à lui contre eux, il n'exaucera pas leurs
prières, 10-18; cf. x, 18, 19.
3° Sous Saul, David el Salomon. — Rien que Dieu
ait chargé Samuel d'élire le premier roi d'Israël,
l Sam., vin, 22, il indiqua lui-même Saùl au voyant,
ix, 15-17, qui attribue à Dieu le choix et l'onction du
fils de Cis, x, 1. L'esprit du Seigneur entra dans Saùl
ci en lit un homme nouveau, 6, 9, 10. Après la ratifi-
cation du choix divin par le sort, 20, 21, cet esprit mani-
festa qu'il animait le roi des le premier acte de souve-
raineté qu'il eut à accomplir, xi, 6, el Jahvé lui donna
la victoire sur les Ammonites, 13. Samuel, en abdi-
quant la judicature, en appelle au témoignage de Dieu
qu'il n'a pas opprimé le peuple ni reçu de cadeau, el
le peuple s'en rapporte à ce témoignage, xn, 3-5. Il
rappelle les bienfaits du Dieu de Moïse et d'Aaron. la
séi ie des infidélités d'Israël, ses conversions success
sous les juges, les délivrances d'oppression que Dieu >
accordées à leur repentir; il exhorte tout le peuple el
son roi à la fidélité envers Jahvé, el les menace de la
vengeance divine s'ils sont infidèles, 6-15. H ajoute
que, bien qu'ils nient en tort (le demander un roi, ils
doivent éviter un plus grand mal. celui de s'éloigner de
Dieu, qui a juré de faire d'eux son peuple, et de
s'adresser aux idoles, qui sont vaines. La voie bonne
et droiie est de servir Jahvé de tout son cœur, lie
grands biens seront la récompense de ce service
table, tandis que la min.' du peuple ei t\n roi sera le
châtiment de la persévérance dans le mal. 20-25. Une
issance de Saul aux ordres du Seigneur prive
.i race du droit de la sureessj,,n au trône. Dieu •> déjà
choisi mu autre roi. mu. 13, li La victoire rempoi
sur les Philistins est Pœuvre de Dieu, \iv, '-•'.. et le
lion divme est le châtiment de l'in-
n Involontaire d'un vœu, 87-44. Dieu ordonni ■<
Saul de faire périr tous les âmalécites, parce qu'il
s'étaient op] refois au pat i e d'1 raël, w. 1-3.
s., 1 1 1 ayant épargni la vie au nu tgag, Dieu se plaignit
i ince lui esl plus
i dires, et il lui enleva les dn
la royauté. Malgré le repentir de Saul, Dieu ne revint
on, car il n'es) pas un i i poui
!I71
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE:
972
repentir, 10-29. Cf. XXVIII, 46-18. Samuel tua Agag de
sa propre main devant Jahvé, xv, 33. Ce trait de
cruauté a été reproché à Jahvé, pour qui la vie^des
Amalécites ne compte pas. Mais la ruine des Ainalé-
cites était un châtiment mérité, et la barbarie de
lYpoque se reflète dans l'expression des idées reli-
gieuses.
Jahvé choisit David pour régner sur Israël à la place
de Saiil, xvi, 1-13, et l'esprit du Seigneur s'éloigna
de Saiil, tandis qu'un esprit mauvais, envoyé par le
Seigneur, l'agitait, 14, 15, 23. Jahvé avait donc pouvoir
sur les esprits mauvais, qui n'agissaient qu'avec son
autorisation. Cf. xvm, 10; xix, 9. Pour David, Jahvé
était le Dieu vivant, xvn, 26, 36, et ce Dieu, qui l'avait
tiré de la grille du lion, saurait bien le délivrer de la
main de Goliath, 37. Le jeune homme allait au-devant
du Philistin incirconcis au nom du Dieu des armées,
qui le lui livrera pour que la terre entière sache qu'il
y a un Élohim en Israël et que les deux armées en
présence apprennent que Jahvé ne sauve pas son peuple
par le glaive et par l'épée; c'est de lui que dépend
l'issue de la guerre et il livrera les Philistins aux
mains des Israélites, 45-47. L'esprit de Jahvé agitait
les soldats de Saiil et le roi lui- même, qui se joignaient
aux prophètes de Ramatha, xix, 20-23. Jonalhas s'unit
par serment à David, et ce pacte élait garanti par Jahvé,
xx, 8, 23, 42 ; Jonathas souhaite que Dieu détruise
tous les ennemis de son allié, 15, 16. Jahvé, consulté
par David, connaît et indique des faits qui se seraient
réalisés, si David ne s'était échappé de Ceila par la
fuite, XXIII, 2-13. David, qui venait d'épargner Saiil
dans la caverne, bien que Dieu lui ait livré ainsi son
ennemi, en appelle au Seigneur comme juge et ven-
geur, xxiv, 5, 11, 13, 16. Saiil, reconnaissant la justice
de son adversaire, souhaite que Dieu le récompense de
cette bonne action, 20, et demande un serment au
nom de Jahvé pour assurer la vie sauve à ses descen-
dants, 22. Abigaïl attribue à la providence divine la
venue pacifique de David, qu'elle avait elle-même mé-
nagée, xxv, 26, et elle fait des vœux pour que Jahvé
garde David clans le faisceau des vivants et lui accorde
ses bienfaits, 28-31. David, à son tour, bénit Jahvé, qui
a mis Abigaïl sur son chemin et l'a ainsi empêché de
verser le sang innocent, 32-34. Pour eux, Dieu dirige
donc les événements par sa providence. Dieu fait mou-
rir Nabal, 38, et David voit encore dans cette mort
l'action de Dieu, qui, après l'avoir empêché de mal
faire, prend en main sa cause et le venge de l'opprobre
reçu, 39. Dieu met de nouveau la vie de Saiil au pou-
voir de David, xxvi, 8, qui épargne une seconde fois son
adversaire, 9-11. Fort de son innocence, il déclare au
roi que si c'est Dieu qui le pousse à le persécuter, il
faut l'apaiser par un sacrifice, pour qu'il ne permette
plus une mauvaise action. Si ce sont des méchants,
qu'ils soient maudits par le Seigneur, eux qui obligent
David à quitter la terre qui est l'héritage de Jahvé, et
l'envoient en exil servir des dieux étrangers, comme si,
chassé de son pays, il élait forcé de rendre hommage
aux dieux de la contrée de son exil, 18, 19. David en
appelle plus tard encore à la justice de Jahvé et à sa
lidélité, et il met en lui seul, et non en- Saiil, toute sa
confiance, 23, 2i. Samuel, évoqué par Satil, annonce
au roi que Jahvé l'abandonnera, lui et ses fils, aux
Philistins, xxvin, 19.
L'oracle divin permet à David de poursuivre les
Amalécites et lui annonce qu'il reprendra le butin
qu'ils ont fait, xxx, 8. Un Egyptien demande à David
un serment par Élohim, et David le fait. 15, parce que,
pour lui, Jahvé seul est Dieu. Le succès de l'expédition
esl rapporté par lui à Jahvé, 23, car les Amalécites
sont ses ennemis, 26. C'est après avoir consulté Jahvé
que David se rend à Ilébron. II Sam., n, 1. Il appelle
la miséricorde divine sur les habitants de. labès-Galaad,
qui ont enseveli Saiil, G. Pour rallier à David les
Israélites, attachés à Isboseth, Abner leur rappelle que
Jahvé a promis de sauver Israël de tous ses ennemis
par le moyen de ce prince, m, 18. David se déclara, lui
et son royaume, purs devant Jahvé du meurtre d'Ab-
ner, 28, et il appela la vengeance divine sur ceux qui
lavaient commis, 39. Les meurtriers d'Isboseth attri-
buent à Jahvé sa mort en vue de venger David de
Saûl, iv, 8, mais au nom de Jahvé, qui l'a délivré de
toute épreuu-, David punit de mort les meurtriers d'un
innocent, 9-12. Tous les Israélites reconnurent l'élec-
tion divine de David, v, 2, et Jahvé, le Dieu des armées,
fit prospérer le nouveau roi, 10. David vit ainsi que
Dieu confirmait son choix précédent, 12. L'oracle de
Jahvé lui assura la victoire sur les Philistins, 19, et
après le succès, David reconnut que le Seigneur sépa-
rait ses ennemis devant lui comme des eaux qui se
séparent aisément, 20. Une autre fois, Jahvé indique
au roi la tactique à suivre pour tourner les Philistins
et les prendre par derrière, 23-25. Jahvé. qui avait
frappé Oza, vi, 7, 8, bénit la maison d'Obédedom, où
on avait déposé l'arche d'alliance, 11, 12. David ne
craint pas de s'humilier devant le Dieu qui l'a choisi,
et il estime être glorifié en s'abaissant devant lui, 21,
22. Quand Dieu lui eut fait répondre par Xathan qu'il
ne lui bâtirait pas un temple, et que le trône serait
assuré à sa postérité, vu, 4-17, David, dans son action
de grâce, s'humilie encore devant Dieu; il déclare que
Jalivé n'a pas son semblable et qu'il n'y a pas de Dieu
en dehors de lui et qu'il n'est aucun peuple, qui,
comme Israël, ait reçu de Dieu de pareils bienfaits.
Dieu l'a pris pour son peuple pour toujours et est de-
venu son Dieu, 22-24. David supplie ensuite le Seigneur
de tenir ses promesses, pour que son nom en soit
glorifié éternellement et qu'où dise : Le Seigneur des
armées est le Dieu d'Israël, 25, 26. Les promesses de
Dieu sont vraies ; que l'on commence dès lors à en voir
l'accomplissement par les bénédictions répandues sur
la maison de David! 28, 29.
De fait, Jahvé ramena David sain et sauf de toutes les
guerres qu'il entreprit, vm, 14. Cependant, l'adultère
de David déplut à Jahvé, xi, 27, qui envoya Xathan l'en
reprendre, xu, 1. Par la bouche du prophète, Dieu
rappelle au roi coupable les bienfaits reçus de lui, lui
reproche son double crime, commis en sa présence et
au mépris de sa défense et il lui annonce la punition
publique d'une faute secrète, 7-12. A cause de son re-
penlir, Dieu ne lui appliqua pas la peine de mort, qu'il
méritait; mais parce que le roi a provoqué par sa con-
duite les blasphèmes des ennemis de Dieu, le fils de
l'adultère mourra, 13, 14. Les prières et les jeunes du
père ne désarmèrent pas le Seigneur, qui frappa l'en-
fant d'une maladie mortelle, 15-17. David avait espéré
que Dieu, touché par ses jeûnes et ses larmes, lui
accorderait la vie de l'enfant, 22. Jahvé aima Salomon,
qui, pour cela, fut appelé Jedidiah, "Ji, 25. La femme
de Thécué rappela à David que Dieu ne veut pas faire
périr le coupable aussitôt après sa faute, mais qu'il
cache ses desseins pour que le malheureux ne périsse
pas, xiv. 14. David, luxant an moment de la révolte
tî'Absalom, espère que Dieu accordera miséricorde et
justice au fidèle Êthai, xv. 20; il attend de la faveur
divine son retour à Jérusalem, 25, el il demande au
Seigneur de rendre insensé le projet d'Achitophel, 31.
Séinéi reproche au roi en fuite de recevoir de Dieu la
vengeance de sa conduite à l'égard île la maison de
Saiil, xvi, S : c'est Dieu qui a donné la dignité royale
a Absalom révolté. David refuse de punir cette injure,
parce que Dieu a commandé à Séméi de le maudire;
il fallait donc laisser l'insulteur continuer ses attaques,
pour que Dieu considère l'affliction du roi et lui rende
le bien à la place de cette malédiction injustifiée. 10-
12. Chusaï feint de reconnaître Absalom comme l'élu
973
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE
974
de Jahvé, 18. Dieu permit que l'utile conseil, donné par
Achilophel à Absalom, fut abandonné, afin de causer
le malheur du révolté, XVII, li. La victoire remportée,
David bénit Dieu, qui avait mis fin à la révolte, xviu,
28. Chusaï pense aussi que Dieu a été juge entre le roi
et les rebelles, 31.
C'est un trait de mœurs cruelles que la demande des
Gabaonites : ils veulent que David leur livre sept descen-
dants de Saiil, leur persécuteur, pour les mettre en
croix et ainsi apaiser la colère divine, qui avait envoyé
une famine, parce que le crime de Saùl n'avait pas été
expié, xxi, 6. David les leur livra, et les Gabaonites les
crucifièrent devant Jahvé, pour lui donner satisfaction,
9. Après cet acte de justice tardive, Dieu fut de nou-
veau favorable à la contrée, en faisant cesser la famine,
14. David, délivré par Dieu de tous ses ennemis,
chanta un cantique d'action de grâces, qui est repro-
duit II Sam., xxn, 2-xxiii, 7, et qui n'est, sauf des
variantes, que le psaume xvn (xvin). Jahvé est sa force,
son rocher, sa forteresse, son bouclier, sa citadelle,
son libérateur, puisqu'il l'a délivré de tous ses enne-
mis. Aussi il l'aime et il le prie, 2-4. Dans sa détresse,
il a cric'- vers lui, et il décrit le secours obtenu sous
l'image d'une théophanie. Au milieu des nues, des
éclairs et des tonnerres, Dieu, porté par les chérubins
et planant sur les ailes des vents, descend du ciel, qui
est son palais, et met en déroute les ennemis de
David, .VI!). Il est intervenu sur terre, parce qu'il
.limait son serviteur; il l'a traité favorablement, parce
que David était juste, observateur exact de ses pré-
ceptes et que ses actions étaient pures, 20-25. Dieu se
montre pieux envers l'homme pieux, intègre avec
l'homme intègre, pur avec celui qui est pur, mais per-
iits. c'est-à-dire rendant le mal mérité, avec le pervers,
2G-27. Les voies de Dieu sont parfaites, sa parole est
épurée, 31. Qui est Dieu, sinon Jahvé'.' 32. Il protège
tous ceux qui se confient en lui; il a donné à David
aide et protection, 33-46. Louange donc à Jahvé parmi
les nations. Gloire a son nom ! 47-51.
David a manifesté sa foi en Dieu dans d'autres
psaumes, et elle est très élevée cl 1res pure. Jahvé
connail la voie du juste. Ps. i, G. Il est assis dan- les
cieux et il se rit des vains complols tramés par lis
nations conlre lui et contre son Christ, Ps. n. i. Il
punira les révoltés, 5. Aussi les rois et les juges de la
(erre doivent-ils le servir avec crainte, II. Protégé pri-
son Dieu, le psalmislene craint pas ses ennemis, l's. m.
2-8. Jahvé, -on Dieu juste, a pilié de lui. exauce sa
prière el hn donne pleine sécurité, l's. iv, 2, 4, !). Il
n.' prend pas plaisir au mal, el les méchants ne saù-
raienl habiter avec lui, Ps. v. 5 7; il bénil le juste et
l'entoure de sa bienveillance co e d'un bouclier, 13.
Il châtie le coupable, conlre lequel s'anime sa colère.
l's. vi. ■>. Il esl le juge des peuples ri >l sonde les reins
al li-- cœurs; il rend justice selon le droit, parce qu'il
e«l juste. Ps vu. 9-12; ix, '<. 8-11, 17. Son nom eal
glorieux sur la terre, il .* créi I-- cieux el il a fait
de l'homme le roi de la création, l's. via, 2, MO. Les
Dations l'oublient; il le jugera l's. ix, 18, 20. Le
nnéchanl impuni i i prospère prétend qu il n'\ a pas de
Dieu ; que I ii< u ni pas mépriser, Ps. i\ (x .
h 11, 13 n I roi ., jamais, 10. Il •> son trône dan -
eux, mais ses yeux sont ouverts sur les hommes;
il est juste «i il aime la justice. I' \ ■ ■ u i ■ .
paroles sont ( ms mensonge. Ps. \i (xii), 7.
M eal bon. et on peut .mur confiance en lui. Ps, \n
(mm , 6. I dil dans Bon cœur : « Il n'y
de Dieu . mais l< Seij neui • justi Pa.xill
I. 5. Pour venii d ms -on tabernacle, il faul
niv v . I •">. Pour David, Jahvé eal li
Ili-
plienl l< - idoli -. dont le p almiste refuse de pi oni i
ta nom. p : ; n signale n bonfa . ■ n lauvanl
ceux qui se réfugient sous sa droite. Ps. xvi (xvn), 7.
Il s'est révélé dans la création, et les cieux chantent sa
gloire, Ps. xvm (xix), 2-7; sa loi est parfaite et sa reli-
gion sainte, 8-12. Des cieux où il demeure, il a exaucé
et sauvé le roi de son peuple, qui a eu plus de confiance
en lui que dans les chars et les chevaux de son armée.
Ps. xix (xx),7-10. Cf. Ps. xx (xxi), 2-8. Abandonné par
son Dieu, David rappelle à Jahvé qu'il est saint, que
les ancêtres des Israélites ont eu confiance en lui, l'ont
prié et ont été exaucés, et que ses ennemis se moquent
de la confiance qu'il a mise en lui dès sa naissance.
Ps. xxi (xxn), 1-12. S'il est secouru, il célébrera la
bonté de son protecteur, 23-2G. A lui est l'empire; il
domine sur les nations, 29. Jahvé est le pasteur de
David. Ps. xxn (xxinj, 1. A lui le monde entier, et la
terre qu'il a créée, Ps. xxm (xxiv), 1,2; il faut être saint
pour le servir dignement, 3-6. Il est fort et puissant,
Jahvé des armées; c'est un roi glorieux, 7-10. D'une
parole, il a créé les cieux et leur armée (les astres), et
il a rassemblé les eaux de la mer. Que la terre entière
et tous ses habitants craignent le créateur de toutes
choses. Ps. xxxn (xxxiii), 6-7. Il est l'espérance du
psalmiste et son guide, Ps. xxiv (xxv), 1-5; sa miséri-
corde et sa bonté sont éternelles; il est bon et droit, et
il pardonne les péchés, 6-11 - La grandeur divine se
manifeste dans l'orage que, de son trône, il fait passer
sur la Palestine entière. Ps. xxvui (xxix), 1-11. La
colère de Dieu ne dure qu'un instant, mais sa grâce se
manifeste toujours. Ps. xxix ixxx), 6. Grande est sa
bonlé pour ceux qui le craignent. Ps. xxx (xxxi), 20.
Il garde ses lidèleset il punit sévèrementlesorgueilleux,
21. Celui qui se confie en Jahvé est environné de sa
grâce. Ps. xxxi (xxxn), 10. Sa bonté s'exerce à l'égard
des bons, et sa sévérité conlre les méchants. Ps. xxxin
(xxxiv),9, 16-23. Quel protecteur est semblable à Jahvé?
l's. xxxiv (xxxv), 10. Le psalmiste célèbre la bonté, la
fidélité et la justice de Jahvé. Ps. xxxv (xxxvi), 6-11.
Le Seigneur se rit du méchant et soutient les justes.
Ps. xxxvi (XXXVII), 13,17-20, 23, 2i. Il aime la justice,
28. Il préfère l'obéissance du co^ur aux sacrifices.
Ps. xxxix (xi. i, 7-9. Il a pitié du pécheur repentant.
Ps. l(i.i), 3, 19. Sa bonté subsiste toujours. Ps. i.iii.ii).
3; cf. Ps. lui (liv), 8. Il siège éternellement. Ps. i.iv
il .vi, 20. Il est le très haut.Ps. i.vi (i.vii), 3. Sur terre,
il récompense le juste et il montre ainsi qu'il y a un
juge. Ps. i.vn (i.vni), li2. Dieu désarmées et Dieu d'Is-
raël, il peut châtier toutes les nations. Ps. i.vin ii.ix),
li. 0. A lui, le puissance et la bonté, el il rend à chacun
selon sis oeuvres, Ps. i ai (lxii), 12, 13. Il remplit la
terre de ses bienfaits. Ps. i.xiv (lxv), 6-14. il esl venu
du Si nui , en multipliant les prodiges en faveur d'Israël.
l's. UXVII ll.Wllli. 8-19, Il esl port,' sur les cieux el il
fait entendre sa voix paissante, 3'i 36. Le 1'-. i\\\\
1 1 \.\\\ 1 1. s'il n'est pas de David, est au moins comp
de sentences empruntées aux ps.i >s de ce roi.
L'auteur se De en la bonté, la clémence el la miséricorde
de Jahvé, 5, 15, le Dieu suprême et tout-puissant, l'unique
Dieu, 8-10. David esl plein de confiance en Dieu au
milieu des dangers, parce que Jahvé rend justice •■> n x
pauvres al aux misérables, Ps. cxxxix (cxx), 2-18;
cf. l's. cm i < mu. 2 s. n demande que Jahvé le pré
de la société des méchants et de toute participation
à leur malici Ps. exi cxli), 'i Pour l irel célébrer
Jahvé, Asaph rappelle aux générations futures
prodiges que Dieu .. accomplis en laveur de li urs pères,
malgré leur- révoltes el leurs idolàtrii P lxxvii
i SX VII I ) ,
i i doctrim du roi p almi le sur l lieu i i donc In -
élevée. Il ne faul pas s'étonner qu'il demande si ardem-
ment ■' -"U i lieu la punition anémia el
oit-, Jahvé est pour lui le vengeur du juste
opprimé, el David réclai oergiquemeni inci
divine. C'est qu divine devail
91
DIEU SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE
976
«'exercer dès ici-bas, et il y allait de la gloire de Dieu
que les méchants ne prospèrent pas toujours. L'imper-
feclion de l'ancienne alliance se relléle dans celle con-
ception d'un Dieu vengeur des justes et des opprimés.
Cependant, David coupable préfère, pour la punition
de sa faute, s'en remettre à Dieu, dont la miséricorde
est infinie, qu'aux hommes, et il choisit la peste que
I Heu envoya en Israël et que par miséricorde il lit cesser.
II Sam., xxiv, 14-16.
Saûl etDavid ontétédeslieutenantsde.Iahvé. Ds n'ont
pas adoré d'autres dieux. Saûl, en nommant deux de
ses fils Esbaal, I Par., vin, 33; IX, 39 (c'est Isbosetb), et
Melchisna, I Sam., xiv, 49; I Par., vin, 33; IX, 39,
David, en donnant à l'un des siens le nom de Baaliada,
I Par., xiv, 6 (Elioda, II Sam., V, 16), n'avaient pas
l'intention d'honorer un baal quelconque, mais le
Seigneur, c'est-à-dire Jahvé, qui était vraiment le baal
d'Israël. En effet, baal et mélek n'étaient pas des noms
individuels comme Jahvé ou Charnos, c'étaient des noms
communs, qui signifient « maître » et (•. roi » et pou-
vaient être appliqués à un dieu quelconque ou au Dieu
unique. Cf. P. Lagrange,A'ii(des sur les religions sémi-
tiques, 2* édit., Paris, 1905, p. 83-109. Comme ces
titres divins étaient aussi les noms personnels de divi-
nités chananéennes, on comprit plus tard qu'il y avait
inconvénient à les appliquer au vrai Dieu. Baal tomba
entièrement en désuétude, et si Jahvé continua de
l'appeler « roi », on établit une distinction très nette
entre lui et ledieu Moloch,à qui l'on sacrifiait des enfants
dans la vallée de Hinnom. Le nom d'Esbaal, « homme
du Seigneur», fut changé en celui d'Isboseth, « homme
d'ignominie », bôset étant le nom donné aux idoles,
et Baaliada, « le Seigneur connaît », devint Elioda, qui
a le même sens, pour que le premier nom ne fût pas
pris dans le sens : « Baal connaît ». Le règne de David
marque la suprématie incontestée de Jahvé en Israël,
et ce prince, nonobstant sa faiblesse morale, est
demeuré à juste titre l'idéal du roi, soumis à Jahvé. Par
lui Dieu régnait véritablement parmi son peuple. Son
fils Salomon établit un État llorissant et en paix, de
par la volonté de Jahvé, le vrai conquérant et le pos-
sesseur réel du sol ehananéen.
Adonias, d'abord candidat au trône, reconnaît bien-
tôt que l'élévation de son frère Salomon était l'œuvre
de Jahvé. I (III) Beg., n, 15. Mais il parlait par ruse,
et Salomon, qui attribuait aussi au Seigneur sa royauté,
le fit mourir, 23,24. Ce roi justifie le meurtre de Joab,
comme un acte de la vengeance divine sur un meur-
trier, 32. Il rapporte à la même vengeance la conduite
de Séméi,qui lui vaut la mort, 44. Il demande à Dieu,
si miséricordieux envers David, un cœur docile et un
jugement droit, et Jahvé lui accorde, en outre, les
richesses et la gloire qu'il n'avait pas désirées, m, 6-
14. La sagesse que Dieu avait donnée au jeune roi, se
manifeste bientôt dans un jugement célèbre, 28, et
dans toute sa conduite, iv, 29-34. Jahvé donna la paix
à son règne, v, 4. Hiram, roi de Tyr, bénit Jahvé qui
a rendu Salomon si sage, 7. Cf. 12. Jahvé approuve le
projet de lui élever un temple à Jérusalem et promet à
Salomon, s'il est fidèle observateur de ses lois, de
demeurer toujours au milieu d'Israël, VI, 11-13. Au
jour de la dédicace la gloire de Jahvé remplit le temple,
vin, 10, 11. Dans sa prière, Salomon déclare que Jahvé,
le Dieu d'Israël, n'a pas son pareil ni au ciel ni sur la
terre pour la fidélité à sa parole et pour sa bonté en-
vers ses serviteurs, 23-26. Peut-on croire que Dieu
habite véritablement sur terre? Si les cieux ne peuvent
le contenir, comment habitera-t-il dans un temple?
C'est pourquoi Salomon demande à Jahvé que du haut
du ciel il exauce toutes les prières qu'on lui adressera
dans le temple, 28-53. En bénissant le peuple, le roi
demande que Jahvé protège toujours Israël, pour que
tous hs peuples de la terre sachent qu'il est le seul
Dieu el qu'il n'y en a pas d'autre que lui, GO. Les fit' -
terminées, les Israélites s'en retournèrent joyeux au
souvenir des biens que Jahvé avait accordésà David et
à Israël, G6. Dieu dit en songe à Salomon que sa prière
était exaucée, que, s'il était lui-même fidèle, sa post -
rite régnerait perpétuellement en Israël, et que si les
Israélites l'abandonnaient pour servir des dieux étran-
gers, il détruirait Israël et le temple, jx, 2-9. La reine
de Saba, attirée à Jérusalem par le renom de sagesse
de Salomon, -bénit Jahvé, qui l'a fait roi, x, 9. Ce roi,
dont toute la terre louait la sagesse, don de Jahvé, 21.
épousa des femmes étrangères et adora leurs dieux,
xi, 1-8. Jahvé, irrité de cette apostasie, en reprit Salomon
et lui prédit qu'en punition de sa faute, une partie du
royaume se détacherait de l'autorité de son fils, 9-13.
Il suscita contre lui Adab et Bazon, 14, 23, et il promit
à Jéroboam dix tribus, 31-37. en lui assurant sa protec-
tion, s'il était fidèle, 38, 39.
Si le psaume i.xxi (i.xxii) est de Salomon, le roi
demande qu'on révère Dieu, tant que subsistera le
soleil, tant que brillera la lune, 5; il bénil Jahvé qui
fait seul des prodiges et il souhaite que toute la terre
soit remplie de sa gloire, 18, 19. Dans les Proverbes,
le sage roi a déclaré que la crainte de Jahvéest le com-
mencement de la sagesse, i, 7. La sagesse elle-même
fait comprendre la crainte de Jahvé et donne la con-
naissance de Dieu. Jahvé dispense la sagesse, et de sa
bouche sortent la science et la prudence; il protège les
justes, il, 5-8. La confiance en Jahvé et la fuite du mal
font partie de la crainte de Dieu, m, 5-8. Si Jalné
corrige et éprouve, c'est par amour. comme un père qui
chàlieson enfant, 11, 12. C'est par la sagesse que Jahvé
a créé le ciel et la terre et qu'il a ouvert les sources de
la pluie et de la rosée, 19, 20. Jahvé déteste et maudit
les méchants; il bénit les justes et les humbles, 32-34.
Il faut éviter l'adultère, car les yeux de Jahvé regardent
les voies de l'homme, v, 21. Jahvé a en horreur sept
choses mauvaises, vi, 16-19. La sagesse de Jahvé est
éternelle, vin, 22-31, et les sages obtiennent la faveur
de ce Dieu, 35. Jahvé ne laisse pas le juste souffrir de
la faim, mais il repousse la convoitise du méchant, \.
3. La bénédiction du Seigneur procure la richesse. 22,
et la crainte de Jahvé augmente lesjours,27. La balance
fausse est en horreur à Jahvé, mais le poids juste lui
est agréable, xi, 1. L'homme au cœur pervers est en
abomination à Jahvé; celui qui est intègre est l'objet
de ses complaisances, 20. Celui qui est bon obtient la
faveur de Jahvé, qui condamne le méchant. XII, 2. Les
lèvres menteuses sont en horreur à Jahvé; ceux qui
agissent selon la vérité lui sonl agréables. 22. Celui qui
craint Jahvé appuie sa confiance sur un fondement
inébranlable et ses enfantsont un sûr refuge. La crainte
de Jahvé est une source de vie, xiv, 26. 27. Les yeux de
Jahvé sont en tous lieux et ils observent les méchants
et les bons, xv, 3. Jahvé déleste les premiers el aime
les autres, 8, 9. Il voit le cœur des hommes mieux que
le séjour des morts et l'abime, ouverts devant lui, 11.
La crainte de Jahvé est l'école de la sagesse, 33. Quels
que soient les projets que l'homme agite dans son cœur,
c'est Jahvé qui met sur les lèvres la meilleure réponse à
faire. Jahvé pèse les esprits et juge de leur valeur mo-
rale, xvi, 1, 2. Cf. xxi. 2. Jahvé a tout fait pour la lin
qu'il s'est proposée et le méchant lui-même pour le jour
du malheur. Tout cœur hautain lui est en abomination,
et il ne sera pas impuni, xvi, 4, 5. Quand Jahvé a pour
agréables les voies d'un homme, il réconcilie avec lui
ses ennemis eux-mêmes, 7. Lecœurde l'homme médite
sa voie, mais c'est Jahvé qui dirige ses pas. 9. Celui
qui se confie en Jahvé est heureux, 20. On jette les
sorts dans le pan de la robe, mais c'est Jahvé qui dé-
cide. 33. I.e Seigneur éprouve les cœursel connaît leur
valeur, xvn. 3. Celui qui absout le coupable et celui
qui condamne le juste sont tous deux en abomination
977
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA RIRLE
978
à Jahvé,15. Le nom de lahvé est une tour forte; le juste
s'y réfugie et y est en sûreté, xvin, 10. Celui qui trouve
une vraie femme a reçu de Jahvé une faveur, 22. Cf.
xix, 14. Celui qui a pitié du pauvre prête à Jahvé, qui
l'en récom pensera, xix, 17. L'homme propose; Jahvé
fait réussirson propre dessein, 21. La crainte de Jahvé
mène à la vie, 23. Avoir deux poids et deux mesures
est en horreur à Jahvé, xx, 10,23. Il a fait l'oreille qui
entend et l'œil qui voit, 12. Il dirige les pas de l'homme,
24. L'àme de l'homme est une lampe de Jahvé, la con-
science a été allumée par Dieu, 27. Le cœur du roi est
un cours d'eau dans la main de Jahvé; il l'incline par-
tout où il veut, xxi, 1. La pratique de la justice et de
l'équité est préférable aux sacrifices aux yeux de Jahvé,
3. Cf. 27. On équipe le cheval pour le jour du combat,
mais de Jahvé dépend la victoire, 31. Le riche et le
pauvre sont les œuvres de Jahvé, xxn, 2. Cf. xxix, 13.
Les yeux de Jahvé veillent sur les sages; il confond les
paroles du pervers, xxn, 12. Celui contre qui Jahvé est
Irrité tombera clans le piège qu'ouvre la bouche des
courtisanes, 14. Jahvé prend en main la cause du pau-
vre et du malheureux, et il ôle la vie à ceux qui les
dépouillent, 23. On ne doit pas se réjouir du malheur
de son ennemi, de peur que Jahvé, à qui cela déplaît,
ne tourne sa colère sur celui qui agirait ainsi, xxm.
IN. On doit secourir son ennemi malheureux; Jahvé en
récompenser;!, x\v, 21, 22.
î Depuis le schisme jusqu'au viw siècle. — Jahvé,
qui avait décidé la scission de dix tribus, détourna
Roboam d'écouter les sages conseils des anciens.
1 (111) Keg., xii, 1."). Comme cette scission était son
œuvre, il empêcha la guerre entre les deux royaumes,
24. Jéroboam ne fut pas fidèle à Jahvé. lie peur que
son peuple, en allant adorer Dieu à Jérusalem, ne
retournât sous l'autorité de Roboam, il compléta la
scission politique par un schisme religieux et proposa
â Israël deux veaux d'or, l'un à Béthel, l'autre à Dan,
comme l'image du Dieu qui l'avait tiré d'Egypte, iii 38.
Cette innovation de Jéroboam ne prouve pas que l'an-
cienne tradition Israélite ait admis la représentation
de Jahvé en forme de taureau. Jéroboam a imité les
cultes chananéens, ou peut-être les cultes égyptiens,
qu'il avait connus dans son exil. Jahvé condamna le
culte (Ir Béthel, xm. l-ln. 32. La faute de Jéroboam fut
punie par la chute de sa dynastie, '■'<'■'•, 34, chute prédite
pu Ahias, xiv. 7-11. li-l(), et réalisée sous Nadab, xv.
39, 30. Le9 habitants de Juda i bèrenl aussi dans
l'idolâtrie sous Roboam, xiv. 22-24, et sous Abia, \v,3.
Hais tsa détruisit les idoles, ll-li. Nadab, Bis de Jé-
roboam, favorisa l'idolâtrie, 26, ainsi que les usurpa-
teurs, Baasa, :'.i, Zambri, xvt, 19, Amri, 26. Le dis de
rr dernier, Achab, surpassa en malice ses prédécesseurs
ei adora, en même temps que Jahvé, Baal, dieu de
Sidon; ce qui accrut la colère de Jahvé contre lui, 30,
33. Il introduisit, en effet, en Israël, en face de Jahvé,
un dieu étranger, ci nsé puissant, et le nouveau culte
n'était pas institué uniquement pour Jézabel el les
Tyriens de la cour, Achabl'adoptaitel sollicitait l'adhé-
sion <l< -s Israélites. Élie lui reprocha de troubler Israël
par l introduction du culte de Baal, xviit. IN. Sur le
mont Carne 1. i •■ prophète, demeuré seul, proposa un
défl aux i."jo prophèti di Baal : «m ne peut t clochi r
entre deux dieux; il faut choisir entre lahvé et Baal;
celui des deux qui allumera le feu du sacrifice i i i
nnu pour Dieu, 21-24. Élie repoussait donc le s\n-
crélisme d'Achab, qui unissait Jahvé et Baal. Après
la vaines prières des prophètes de Baal, 25-28, Êlie
Invoqua Jahvé, le Dieu d'Abraham, d I aac et de J
b suppliant de montrer qu'il était le vrai Dieu, 38, '■~
La prière exaucée obligea le peuple i reconnaître que
il Dieu, 38, 39. La vu toire a donc été pour
Jahvé. Êlie, dont nous n'avons pa« ■! 1 1 rit,n t pa I
d'autre li > théologie. Nous ne pourofl
affirmer qu'il ait dit expressément que Baal n'était rien
et que Jahvé seul était Dieu; mais s'il ne l'a pas dit, il
est incontestable que Baal n'était rien pour lui. Il se
moquait de lui au Carmel, en disant à ses prêtres :
8 Criez plus haut, car il est Dieu; il est en méditation,
ou il est occupé, ou il est en voyage, peut-être qu'il
dort, et il se réveillera. » I (III) Reg., xvin, 27. Toute
sa carrière, du reste, a été une profession de foi mono-
théiste. Cf. Gunkel, Elias, Jahve und Baal, Tubingue,
19Ù6, p. 48-6L Cependant, au milieu de l'apostasie
d'Israël, tous n'avaient pas abandonné Jahvé, témoin
Abdias, le majordome d'Achab, qui avait servi Dieu
dés son enfance, xvin, 12. Aussi Élie e.xagérait-il, quand
fuyant la colère de Jézabel, et parvenu à la montagne
de Dieu, l'Horeb, xix, 8, il se plaignait à Jahvé, Dieu
des armées, de lui être seul demeuré fidèle, 10, li.
C'est pourquoi le Seigneur lui donna symboliquement
une leçon de patience, en lui montrant que Jahvé ne
passait pas dans le souffle impétueux ni dans le feu.
mais comme un vent léger, 11, 12. Il lui déclara ensuite
qu'il s'étaitréservé en Israël 7000 hommes, qui n'avaient
pas fléchi le genou devant Baal, 18. Élie n'était donc
pas isolé en Israël; il trouvait dans le peuple un point
d'appui pour lutter avec le roi et pour défendre le culte
traditionnel de Jahvé. Celui-ci le chargea enlin d'oindre
Hazaël comme roi de Syrie et Jéhu comme roi d'Israël,
I."), 16. 11 promit la victoire à Achab pour lui montrer
qu'il était Jahvé, xx, 13. Les Syriens attribuèrent celte
victoire à la protection du dieu de la montagne, et ils
voulurent faire la guerre dans la plaine, 23; mais
Jahvé donna encore le succès aux Israélites pourprou-
ver qu'il était le Dieu des vallées aussi bien que des
montagnes, 28, Dieu en tout lieu. Quand Jézabel eut
fait mourir Naboth pour qu'Achab put s'emparer de sa
vigne, Dieu envoya Élie annoncer an roi quelle serait
la punition de son injustice, xxi, 17-24, injustice que
lahvé ne peut tolérer. Son caractère mural apparaît
clairement dans cet épisode. Cette punition fut retardée
à cause de la pénitence du roi, 27-29. Jahvé décide du
sort de Ramoth-Galaad, xxu, 15. Michée le voit sur
son trône, entouré' de l'armée du ciel et envoyant un
esprit menteur pour tromper Achab. 19-23. Ochozias
suivit les mauvais r\<<ni|iles de m. n père el servit Baal,
ce qui excita le courroux de Jahvé, 53, .Vi. H consulta
aussi Beelzebub, dieu d'Accaron. Êlie vint lui dire: Il
n'j a donc plus de Dieu en Israël, que tu consultes Ir
Dieu d'Accaron'.' Il (IV) Reg., I, 2-8. Il lui annonça une
prompte mort en punition de sa finie, Iti.
Mans le royaume de Juda. Josaphat imita SOU père
Isa, -m- oser toutefois abolir le culte des hauts-lieux.
I Reg., xxn, i3. li. lue victoire que ce roi remporta
sur les Ammonites el les Moabites l'ut célébrée comme
I œuve de Jahvé, qui est très haut et redoutable, qui est
i de toute la terre, l's. xt.vi (xlvii), 2-10. cf.
II Par., xx, 20-22. Que les ennemis de Juda, COBlisi -
peur l'attaquer, soient traite- comme les an
ennemis de leur- pères I I qu'ils saelienl que JatlVI
est le Dieu très haut sur toute la tel i \X\II
fi x\ un). Dans le royaume d'Israi I, loram enleva la. n
! itues de Baal, mais il conserva les veaux d'or, qui'
Jéroboam avait fabi Iqués, M IV) Reg., m. '2. i •
trois rois d'Israël, de Juda et del'Idll I " li .
Mésa, roi de Moab, consultent Jahvé et lui demandent
s'il les a livrés a leur adversaire. Elisée ri nvoie Joram
aux prophètes de on i" pi el de ta mère et déclare
que ^i Jahvé ne les a pas livrés aux Moabites,
uniquement en considération de .iosapb.it. roi de Juda,
10-14. Jahvé avail sauvé' la Syrie par l'intermédl
de Naaman, v, I. La lèpre de celui-ci ne pouvait être
gm rie que pat Dieu, qui a le pouvoir de la vie et de la
mort, 7. Naaman pensait qu Éliséi le guéi nui en in«
voquanl le nom de Jahvé, son l'on. Il Quérl après
- . h . lavi d m- i. i 'n .1. un. il pi ofi isa ouvertemi ni
(17'.)
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE)
980
qu'il n'\ avait pas de Uieu sur toute la terre, en dehors
d'Israël, 15, et qu'il n'offrirait plus désormais d'holo-
caustes aux dieux étrangers, sinon à Jahvé, 17, quoi-
(|ii'il pensât pouvoir assister avec son roi au culte de
Remmon, sans que Jahvé en fût offensé, 18, 19. Le roi
de Samarie attribuait à Jahvé la famine, survenue
durant le siège de sa capitale par Benadad, roi de Syrie,
vi, 33. Mais Jahvé annonça pour le lendemain l'abon-
dance des vivres, vu, 1. Benadad malade lit consulter
Jahvé sur l'issue de sa maladie, vin, 8. Elisée apprit
de Jahvé que le roi mourrait de mort violente, qu'Ha-
zaël lui succéderait et causerait beaucoup de maux à
Israël, 10-13.
Joram, fils de Josaphat, épousa une fille d'Achab et
introduisit l'idolâtrie en Juda. Jahvé cependant ne
voulut pas perdre Juda à cause de la promesse qu'il
avait faite à David, 18, 19. Ochozias suivit les traces de
Joram, son père, 29. Jéhu fut élu par Jahvé pour régner
en Israël et frapper la maison infidèle d'Achab, ix, 3,
6-10, 12, 26, 36; x, 10, 17. Il abolit le culte de Baal en
Israël, x, 18-28, mais il y maintint celui des veaux d'or
à Béthel et à Dan, 29. Parce qu'il avait accompli les
volontés de Jahvé contre la maison d'Achab, Dieu pro-
mit le trône à sa postérité jusqu'à la quatrième géné-
ration, 30, mais parce qu'il avait conservé les institu-
tions religieuses de Jéroboam, Dieu prit Israël en
dégoût, 31, 32. Quand le grand-prêtre Joiada établit le
jeune Joas roi de Juda, il fit un pacte entre Jahvé, le
roi et le peuple pour faire reconnaître les droits exclu-
sifs de Jahvé sur le royaume, et le peuple renversa les
autels et les images de Baal, xi, 17, 18. Joas ne dé-
truisit pas cependant les hauts-lieux, xn, 2. Après la
mort de .loaida, il se livra à l'idolâtrie et tua le grand-
prêtre Zacharie qui lui reprochait sa conduite. Il Par.,
xxiv, 18-22. Il en fut puni par Dieu, 24. En Israël, Joa-
chaz, II (IV) Reg., xui, 2-6, Joas, II, furent idolâtres,
et cependant Jahvé les exauça, quand ils recoururent
à lui, 4, 5, 23, ne voulant pas encore ruiner entière-
ment Israël. En Juda, Amasias conserva les hauts-
lieux, xiv, 3, 4, et se livra à l'idolâtrie. II Par., xxv,
14-16. En Israël , Jéroboam II suivit les voies de Jéro-
boam I»', II (IV) Reg., xtv, 2i; néanmoins, Jahvé ne
fit pas encore périr Israël, 26, 27.
Durant cette période, les faits le prouvent, Jahvé est
demeuré le Jahvé de Moïse. Malgré de trop fréquentes
apostasies de la masse de la nation, il était le Dieu
unique, maître du monde, le Dieu tout-puissant et
juste par excellence, bien que les idées qu'on se faisait
parfois de sa justice aient été imparfaites et gâtées par
le vieux principe de la vengeance rigoureuse, qu'on at-
tendait de lui et qu'on lui demandait. Il ne souffrait
point de rival et punissait sévèrement les infidélités de
son peuple. L'adoration d'autres dieux était une faute,
à laquelle on se laissait entraîner trop souvent par
l'imitation des cultes grossiers et sensuels des peuples
voisins. Parfois, la masse du peuple a pu, dans ses pra-
tiques religieuses et sa vie morale, ne pas dépasser
de beaucoup le niveau d'une monolâlrie, à moitié
païenne. Le monothéisme était néanmoins connu. Jahvé
n'a jamais manqué de fidèles adorateurs ni en Israël
ni en Juda. Son nom entre en composition dans les
noms de presque tous les rois de Juda à partir d'Abia.
Les rois les plus impies d'Israël lui vouent leurs enfants.
Achab nomme son fils Ocbozias, « Jahvé me possède », et
sa fille Athalie, « Jahvé est ma force ». Jahvé est consi-
déré comme étant la cause de tous les phénomènes na-
turels et des principaux événements de l'histoire,
comme une sorte d'agent universel et la providence
spéciale d'Israël. Lien qu'il ait des droits à gouverner
l'univers, il semble n'exister que pour Israël et n'exer-
cer que les fonctions d'un dieu national. Cependant,
il s'occupe dis peuples voisins d'Israël, il règle leur
sort et il s'en sert comme ministres de sa colère contre
les siens. Son caractère de Dieu universel était reconnu,
quoique ses relations avec les nations païennes n'aient
pas encore été clairement définies. Son caractère moral
est nettement dessiné, bien qu'il doive s'élargir et
s'épurer dans la prédication des prophètes. C'est un
Dieu juste et saint, aimant la justice et préférant l'obéis-
sance du cœur aux sacrifices offerts par des méchants.
Il règne dans les cieux, d'où il veille sur la terre pour
y faire sentir sa providence tutélaire sur les bons et sa
justice vengeresse sur les impies et les méchants. Kt
ces caractères de Dieu résultent des seuls livres histo-
riques de la Bible. Par conséquent, nos conclusions
seraient les mêmes, si on ne voulait pas tenir compte
des Psaumes, que nous avons regardés comme l'œuvre
de David, ni de la doctrine d'une partie des Proverbes,
que nous avons attribuée à Salomon.
Un nouveau nom est donné à Dieu durant cette période;
c'est celui de Jahvé ou d'Élohim Sabaotfa ou Dieu des
armées. Quel que soit le sens que ce vocable prendra
plus tard, il ressort des documents les plus anciens où
il est employé, qu'il désigne Jahvé, comme chef des
armées d'Israël. Il a certainement ce sens dans plu-
sieurs textes du livre de Samuel. On le trouve sur les
lèvres de Samuel, rapportant à Saùl un oracle dans le-
quel Dieu ordonne de faire la guerre aux Arnalécites.
I Sam., xv, 2. Le jeune David court au devant de Go-
liath au nom du Dieu des armées, du Dieu des bataillons
d'Israël. I Sam., xvn, 4, 5. A ce titre, Jahvé fit prospé-
rer David, devenu roi, en lui donnant la victoire sur ses
ennemis. II Sam., v, 10. D'ailleurs, Jahvé, honoré à
Silo où était l'arche, est souvent nommé le Dieu des
armées. I Sam., i, 3, 11; iv, 4; II Sam., vi. 2, 18. Or,
l'arche était emportée dans les batailles comme sym-
bole de la présence de Jahvé à la tète des armées de son
peuple. Jos.,iv, 6-16; I Sam., îv, 3-1 1. Enfin, un ancien
document était intitulé : « Le livre des guerres de
Jahvé. » Xuin., xxi, 14. Ce nom de chef des armées
d'Israël convient à Jahvé à une époque de luttes et de
combat. Cf. J. P. P. Valeton, dans le Manuel d'histoire
des religions, de Cbantepie de la Saussaye, trad. franc.,
Paris, 1904, c. vin, § 48, p. 202-205; M. Lôhr, Untersu-
chungen zum Bach Amos, Giessen, 1901, p. 59-65;
Stade, Biblisclie Théologie des A. T., t. i. p. 73-74;
J. Touzard, Le livre d'Amos, Paris, 1909, t. lix-lx.
5° D'après le livre de Job. — Par sa langue, ce livre
appartient à l'âge d'or de la littérature hébraïque, qui
s'étend de David à Isaïe. Sa composition peut donc
être fixée entre Salomon et Ézéchias, quoique des cri-
tiques modernes la rapportent au temps qui a suivi le
retour de la captivité. Comme la théodicée de ce poème
est très développée, il importerait grandement de fixer
exactement sa date pour marquer chronologiquement
les progrès de l'idée de Dieu en Israël. Toutefois, l'im-
portance de cette question est diminuée par cette consi-
dération certaine que la doctrine du livre de Job, ex-
posée à propos du problème de la souffrance du juste
et de l'innocent, n'a qu'un rapport éloigné avec celle
qui précède et celle qui suit. Elle forme donc une étape
distincte et presque complètement isolée des autres.
Elle doit donc être étudiée à part et elle peut l'être
même en dehors de son époque certaine, tant elle est
spéciale. Chaque lecteur la replacera mentalement à la
date précise qu'il assigne à ce livre.
Un homme intègre, droit, craignant Dieu et éloigné
du mal, passe de la plus grande prospérité à une ex-
trême misère. Dieu permit à Satan d'éprouver s'il craint
Dieu, en le frappant dans ses biens et sa personne,
sauf la vie. Soumis à la volonté du Seigneur, qui lui
reprenait les biens qu'il lui avait donnés, le vertueux
Job, loin de s'irriter contre Dieu, bénit son nom au
milieu de ses afflictions malgré les reproches <l
femme, qui le poussait à maudire Dieu, auteur de ces
maux. H recevait de sa main le mal comme le bien,
D81
DIEU ('SA NATURE D'APRÈS LA RIRLE:
982
i, I-n, 10. Trois de ses amis vinrent le consoler; les
plaintes de Job et leurs discours posent le problème de
la souffrance, que Dieu cause lui-même aux hommes,
m, 23. Éliphaz, Baldad et Sophar pensent que, par le
moyen des maux temporels, le Seigneur punit les fautes
commises par les hommes et concluent que Job est
malheureux, parce qu'il a été coupable. Dès le début
de son discours, Éliphaz, pour forlilier Job, l'invite à la
crainte de Dieu et à la pureté de la vie, iv, 6. Jamais
l'innocent n'a péri ni le juste n'a été exterminé; tou-
jours, au contraire, les méchants périssent au souflle de
Dieu et sont consumés par le vent de sa colère, 7-9.
Une vision nocturne a confirmé son expérience et lui
a rappelé qu'aucun homme n'est juste devant Dieu,
aucun mortel en face de son créateur ; Dieu découvre
des fautes dans ses anges, à plus forte raison dans les
hommes, 17-19. Job n'a donc qu'à se tourner vers Dieu,
dont les actes sont insondables et les prodiges innom-
brables, qui rend le bonheur aux affligés et déjoue les
projets des méchants, v, 8-16. C'est Dieu qui châtie, le
tout-puissant qui corrige, mais il guérit la blessure
qu'il a faite et il tire de tous les malheurs, 17-20. Job,
qui sent vivement les flèches du tout-puissant le trans-
percer et voit les terreurs de Dieu rangées en bataille
contre lui, VI, 4, demande à Dieu la mort, pourvu qu'il
ait, en mourant, la consolation de n'avoir jamais trans-
gressé les commandements du Saint, 8-10. Le mal-
heureux eût-il abandonné la crainte du lout-puissant,
a droit à la pitié de ses amis, 14. Mais, fort de son
innocence, Job demande à Éliphaz quelles fautes il a
commises. 24-30; puis, il se plaint amèrement à Dieu
de ses soullrances, vil, 11-16. Pourquoi éprouve-t-il
l'homme à ce point et sans lui laisser de répit? Si
Job a péché, que peut-il faire pour être à l'abri des
traits du gardien des hommes? 17-21.
Baldad reproche à Job de telles plaintes, vin, 2.
« Est-ce que Dieu fait fléchir le droit? Le tout-puissant
renverse-t-il la juslice? » 3. Le droit est ceci : Dieu
livre les pécheurs aux mains de leur iniquité. Si Job
a recours à Dieu, s'il implore le tout-puissant, s'il
est droit et pur, il sera protégé et béni par Dieu de
nouveau. 1-7. Les maximes des anciens affirmant que
ceux qui oublient Dieu sèchent connue le jonc sans
e.iu et que l'espérance des impies périt, tandis que Dieu
ne rejette pas l'innocent, 8-22. Job reconnaît que
l'homme ne peul être juste vis-à-vis de Dieu, que Dieu
est sage en son cœur el que son bras a la puissance.
H commande à toutes lescréalures qu'il a faites, el per-
sonne ne peut s'opposer à ses actes. Dieu ne lléchit sa
colère. IX, iî - K î . Job, fût-il juste, ne contesterait donc pas
tvttC lui ; il implorerait plutôt la clémence de Bon juge,
II, 15. Dieu est fort, personne n'a le droit de l'assign< r
an jugement . ses arrêta son! irréformables, 19, 20, Aussi,
parce qu'il est innocent, Job pose le problème : a Dieu ne
fait-il pas périr égalemenl le juste et l'impie? ■ 21-24.
Toutefois, parce que Dieu n'esl pas un homme cou
lui, et bien qu'il se croie lui-même innocent, 28-81, il
ni pas entrer en discussion avec lui ni comparaître
nble en justice; il n'v a \\.\- d'arbitre entre eux.
U"'- Dieu cesse seulement île le frappei , 32 34. De nou-
veau, il donne libre coui i e plaintes amérea el re-
Dieu, s, ,n créateur, de punir a ce poinl ses
iniquités, \. 1-22.
Bophar veut < mdre Job, xi, 2, '■',. Celui-ci se pré-
tend irréprochable devant Dieu; si Dieu voulait révé-
ler li lob, on verrait
qu'il a • t. indulgent, 1-6. La perfection divine est in-
ensurabb mce irrésistible el
■ selle, :< II. Si .loi. prie Dieu, -'il cesse de l'oflen
il redeviendra | | heureux, 13-19 Raillé
nis, qui se i ii ni d'un juste el d'un inno
Job invoque Dieu, 1 1 Dieu daigne l'écouter, mi. I, Connu.'
•ux, il iail que le créateui de toutes chosea ■ puis* im •
surtout, qu'il est fort, sage et prudent et qu'il fait tout
ce qu'il veut, xn, 7-xiii, 2. C'est avec Dieu et non avec
eux. qui sont de mauvais avocats de Dieu et le dé-
fendent par des mensonges, qu'il veut plaider sa cause,
3-22, et il lui demande hardiment pour quelles fautes
il le punit, 23-28. Dieu poursuit-il donc ainsi l'homme
fragile et mortel? xiv, 4-6. Au lieu de le faire mourir,
Dieu le punit de ses péchés, 13-17.
Éliphaz reproche alors à Job de détruire ainsi la
crainte de Dieu et d'anéantir la piété, xv, 4. Il avoue
donc son iniquité, 5, 6. A-t-il assisté aux conseils de
Dieu? 8. Tient-il pour peu de chose les consolations
de Dieu, qu'on lui apporte? 11. 11 tourne sa colère contre
Dieu, 13. Dieu ne se fie pas même à ses saints, et les
cieux ne sont pas purs devant lui; combien moins
l'homme, pervers et injuste, peut-il l'être, lui qui fait le
mal comme on boit de l'eau? 14-16. C'est à la fois un
fait d'expérience et l'enseignement des sages, 17-19: le
méchant qui a levé sa main contre Dieu, qui a bravé
le tout-puissant, 25, est malheureux durant sa vie; sa
prospérité est passagère, et Dieu le fera périr par le
souffle de sa bouche, 20-30. Job riposte que Dieu l'a
livré au pervers et l'a jeté aux mains des méchants,
xvi, 11, quoiqu'il n'y ait pas d'iniquités dans ses mains
et que sa prière soit pure, 17. Si ses amis l'accusent, il a
au ciel un témoin, un défenseur dans les hauteurs :
c'est Dieu qu'il implore, qu'il constitue son juge et sa
caution, 19-21 ; xvn, 2-4.
Baldad décrit le sort funeste du méchant, dont il est
assuré, XVIII, 5-21, en laissant entendre qu'il vise Job
coupable. Celui-ci prend sur lui la responsabilité de sa
faute, xix, 4, et déclare que Dieu l'opprime et l'enve-
loppe de son filet, 6-20. La main de Dieu l'a frappé, 21.
Il a pourtant la certitude qu'il sera vengé, qu'il verra
Dieu et que la justice de sa cause sera reconnue, 23-
29. Sophar réplique vivement, en décrivant à son tour
la terrible destinée, que Dieu réserve au méchant, xx,
4-29. Job a vu, au contraire, la prospérité des mé-
chants. La verge de Dieu ne les touche pas, xxi, 7-9.
Ils refusent de reconnaître le tout-puissant et de le
prier. 14-15, et Dieu ne leur donne pas un lot dans sa
colère, 17. Il les punit, dit-on, dans leurs enfants; mais
ce sont eux qu'il devrait châtier, 19-21. Ln prétendant
que Dieu, le juge des êtres les plus élevés, donne tou-
jours le malheur aux méchants, veut-on lui faire une
leçon de sagesse? 22. En fait, au jour du malheur, le
méchant est épargné et il meurt heureux, 23 33.
Pour la troisième fois, les amis de Job reprennent
la discussion et lui reprochent directement ses fautes.
Eliphaz déclare catégoriquement que. puisque la justice
el l'intégrité de l'homme ne sont d'aucune utilité à
Dieu, ce n'esl pas à cause de sa pieté que Dieu châtie
Job, xxii, 2-4, el il énumère les fautes de son ami, .">-
II. Dieu, qui habite les hauteurs du ciel, les voyait et
les jugeait, 12-20. Que Job se réconcilie donc avec lui
el l'apaise, el la prospérité lui reviendra. 21-30. Job
voudrait rencontrer Dieu, arriver jusqu'à son trône
pour plaider sa propre cause devant lui el ôti
xxiii. 3-7; mais il ne le trouve pas, 8, 0 Cependant
Dieu connaît ses voii idélité, i'1 12. Mai- Il aal
souverain el innoiialile en ses desseins, el il exécutera
celui qu'il a d'éprouver Job. 13-17. Pourtant, puisque
le tout-puissani connaît les temps, pourquoi ne fait-il
pas voir son jour à ceux qui le servent? xxiv. 1. Les
méchants oppriment les innocenta, bI Dieu ne prend
forfaits, i 12. Les violenta el lea impiea
sont heureux jusqu'à la mort. 13-26 En réponse, Bal-
dad se contente de dire que Dieu eal puissant el que
l'homme ne peut pasi tre purel juste devant lui, puisque
la inné perd ut clarté et les étoiles ne sont pas pures
veux, xxv. 2-6, .lob proclami aussi hautement
qui on ami la pi divine, qu'il décrit mervalK"
leusement, xxvi, '■> 1 1
H83
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE
1184
Dans un discours nouveau, Job, tout en constatant
que le Dieu vivant lui refuse justice, que le tout-puis-
sanl remplit son âme d'amertume, XXVII, 2, proclame
son innocence, 3-7. 11 n'a pas les sentiments de l'impie,
quand Dieu l'afflige, 8-10. Le riche heureux jusqu'à la
mort est puni dans sa postérité, qui ne jouit pas des
biens amassés, 11-23. Dieu, qui voit tout et qui a tout
créé, a enseigné la sagesse aux hommes, en leur disant
qu'elle consiste dans la fuite du mal et la crainte du
Seigneur, xxviii, 23-28. Puis, Job décrit les années de
sa prospérité, les jours où Dieu veillait à sa garde,
quand il le visitait familièrement et vivait avec lui, xxix,
2-5. Il leur oppose par contraste ses misères présentes,
xxx, 1-31. Pourtant, en prévision de la récompense que
le tout-puissant lui réservait de son ciel, xxxr, 2, lui
qui conviait ses voies et a compté tous ses pas, 4, il a
mené une vie irréprochable et il ne craint pas le juge-
ment de Dieu, 5-13. S'il était coupable, il ne saurait
que répondre à son créateur, 14-34; parce qu'il n'a pas
fait les crimes qu'il énumère, il ne craint pas de rendre
compte à son juge, 35-37.
Un jeune homme, auditeur muet des discours précé-
dents, intervient avec impétuosité. 11 rejette la théorie
des amis de Job, qui voient dans tous les malheurs un
châtiment que Dieu intlige aux coupables, aussi bien que
le sentiment de Job, qui trouve dans ses maux une
sorte d'injustice de la part de Dieu, xxxn, 13, 14. Ce
n'est pas l'âge qui donne la sagesse, mais le souflle du
tout-puissant, 8, 9. Créature de Dieu comme Job, le
jeune homme est son égal devant Dieu et peut lui faire
la leçon, xxxm, 4-7. La haine que Job a supposée en
Dieu qui frappe un innocent, n'existe pas, 8-11. Dieu est
plus grand que l'homme, et il n'a de compte à rendre
à personne, 12, 13. Dieu parle aux hommes de diverses
manières, par la douleur aussi bien que par les songes
et les visions, 14-22. La douleur est un ange qui ramène
à Dieu et fait reconnaître que la maladie et l'épreuve,
même réitérées, sont profitables, 23-30. S'adressant en-
suite aux sages, Éliu demande catégoriquement si Job
a eu raison de se proclamer innocent et de dire que Dieu
lui refusait justice, xxxiv, 5,6. Il lient ces paroles pour
blasphématoires; c'est une impiété de dire : « Il ne
sert de rien à l'homme de chercher la faveur de Dieu, »
7-9. Le tout-puissant est juste; Dieu ne commet pas
l'iniquité ni ne viole pas la justice; il rend à l'homme
selon ses œuvres, il rétribue chacun selon ses voies,
10-12. Il gouverne le monde et il veille sur lui pour le
conserver; s'il ne pensait qu'à lui-même, s'il retirait
son esprit et son souffle, toute chair expirerait et
l'homme retournerait à la poussière, 13-15. Du reste,
un ennemi de la justice ne peut avoir le pouvoir su-
prême; le juste, le puissant ne fait pas acception des
personnes, il condamne les grands, qui sont mauvais,
il ne regarde pas le riche plus que le pauvre, parce que
tous sont l'ouvrage de ses mains. Ses yeux sont ou-
verts sur les voies de l'homme; il voit toutes les ini-
quités; il n'a pas besoin d'ouvrir d'enquête; il frappe
les impies et les puissants injustes, les individus aussi
bien que les peuples, 17-32. Job a donc parlé contre
Dieu, 37. Il n'est pas juste de dire : « J'ai raison contre
Dieu, » xxxv, 2. La méchanceté des hommes n'est pas
plus nuisible à Dieu que leur justice ne lui est utile,
6, 7. Mais Dieu n'exauce pas les discours insensés et le
tout-puissant n'écoute pas les reproches immérités, 13-
16. Le créateur est juste, en effet, xxxvi, 2, 3, car il est
puissant et ne dédaigne personne; il punit le méchant
et il fait justice au juste malheureux, 5-7. Si les bons
sont aflligés, c'est pour les éloigner du mal; s'ils com-
prennent la leçon, ils sont heureux; sinon, ils péris-
sent comme les impies, qui ne crient pas vers Dieu
quand il les frappe. Dieu sauve le malheureux, en l'in-
struisant par la souffrance, 8-15. Que Job craigne que
Dieu, irrité contre lui, ne lui inllige un châtiment ir-
rémédiable. 18. Dieu est sublime dans sa puissance; il
est le maître; personne ne peut lui tracer sa voie et
lui reprocher d'avoir mal fait. Ses ouvres sont admi-
rables; il est souverainement grand et éternel; il est
tout-puissant sur la nature et sur les peuples, 22-33. Il
commande à la foudre, il fait tomber la neige et la
pluie, il commande à la nature pour que les hommes
reconnaissent leur créateur, xxxvn, 2-13. Il produit
des merveilles dans la nature; sa majesté est redou-
table, sa toule-puissance sans bornes. Il est grand par
la force, par le droit et par la justice; il n'a pas égard
aux sages qui veulent lui en remontrer, 14-24.
Dieu, du sein des nuées, répond à Job qui a obscurci
sa providence, xxxvui, 1-3. Il l'interroge, et il
trace un magnifique tableau de son œuvre créatrice,
XXXVIII, 4-xxxix, 30. Que peut répondre le censeur du
tout-puissant? XL, 2. Job est réduit au silence, 3-5. Dieu
n'est pas seulement tout-puissant, il est juste encore,
8, 9, lui, le créateur de l'hippopotame et du crocodile,
15-33. Si personne n'ose provoquer le crocodile, qui
oserait résister à Dieu en face? Dieu ne doit rien à
personne, et tout ce qui est sous le ciel lui appartient.
xli, I, 2. Job confesse la toute-puissance de Dieu; per-
sonne ne peut obscurcir sa providence, et Job recon-
naît qu'il a eu tort de se plaindre de la providence
divine, xi.ii, 1-6. Dieu blâme ensuite les trois amis du
patriarche, parce qu'ils n'ont pas parlé de lui selon la
vérité, 7. Il rétablit Job dans son premier état et lui
rendit le double de ses biens, 10.
Y. DANS LA PBÉDICATIOK DES PnOPBÊTES DP VJIP M
vi" siècle. — D'après les critiques rationalistes, c'est
au vme siècle seulement que le monothéisme remplaça
en Israël la monolâtrie nationale. Les prophètes de
cette époque conçurent de Jahvé une idée bien supé-
rieure à celle qu'on en avait eue auparavant. Il fut,
pour eux, non plus seulement le Dieu unique de leur
nation, mais l'unique vrai Dieu, et un Dieu nettement
spirituel et moral. Jahvé tout-puissant et saint punis-
sait Israël de ses nombreuses infidélités, en faisant
marcher les nations contre lui, et ne voulait plus d'un
culte purement extérieur, mais désirait d'être aimé et
obéi par des adorateurs, amis de la justice et fidèles
observateurs de la loi morale. Les dieux des autres
peuples n'existaient pas et étaient des non-dieux. Les
prophètes seraient donc les créateurs du monothéisme,
du monothéisme pur et absolu. Voir Kuenen. cité par
l'abbé de Broglie, Questions bibliques, 2e édit., Paris.
1904, p. 248.
Personne ne nie que les prophètes de cette période
n'aient été les ardents prédicateurs du monothéisme
et les adversaires résolus de l'idolâtrie. Mais de l'exposé
précédent, il résulte qu'ils n'ont pas été les créateurs
de l'idée du Dieu unique et universel. Les Israélites.
avant eux, avaient cette idée, bien que leur conduite
pratique ait été souvent polythéiste. Si on veut que
les prophètes aient été les créateurs du monothéisme,
il faut considérer Moïse comme le premier d'entre eux.
Les prophètes, d'ailleurs, ne donnent pas leur théologie
comme une doctrine nouvelle : ils prêchent l'adoration
du Dieu de leurs pères; loin de prétendre innover, ils
ne veulent que conserver la religion antique. ■• Ils ne
supposent jamais contestable pour un enfant d'Israël
le principe qui réserve au seul Jahvé l'hommage de
son peuple; ils parlent comme avant pour eux, non
l'évidence de la raison, dont il n'est pas question, mais
le droit traditionnel; ils ne croient pas avoir à plaider
leur propre cause, à défendre des opinions particu-
lières, ils admettent implicitement, et sans chercher
de preuves, comme si le fait ne prêtait pas à discus-
sion, que toute pratique polythéiste vient d'une in-
fluence étrangère. De quel droit nous inscririons-nous
en faux contre ce jugement, qui. pour n'être pas le
résultat d'une étude archéologique, n'est pas davantage
085
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA RIRLE;
986
une conjecture de théologien et un subterfuge d'apolo-
giste, mais se fonde sur une situation historique et
un fait traditionnel? Les prophètes n'ont pas la pré-
tention d'instituer une nouvelle religion. Leur exis-
tence, le succès relatif de leur prédication, l'attitude
même de ceux dont ils condamnent les errements sont
de pures énigmes, si on ne doit pas les considérer comme
les représentants de la plus ancienne et de la meilleure
tradition Israélite, et si les coutumes qu'ils combattent
avaient été réellement sanctionnées parla pratique du
jahvéisme primitif. Il fait beau parler de création pu-
rement morale et de Jahvé s'idenlifiant à la conscience
des prophètes ; la création morale dont il s'agit et la con-
science des prophètes n'ont pu s'appuyer sur le vide.
Le passé les soutient, et la tradition les couvre de son
prestige, o A. Loisy. La religion d'Israël, Paris, 1901,
p. 50. Cf. P. de Broglie, Questions bibliques, p. 70-71,
277-282, 310-315, 317. « Il existe en Israël de faux pro-
phètes comme il y en a de véritables; les uns et les
autres sont constamment en lutte, mais leurs discus-
sions portent toujours sur les événements qu'ils an-
noncent, ou sur les fausses divinités dont quelques-uns
prétendent s'inspirer, jamais sur la nature du vrai
Dieu ni sur la manière de le concevoir. » F. Vigouroux,
La Bible et 1rs découvertes modernes, G" édit., Paris,
1896, t. IV, p. 492. Enfin, « si les prophètes n'avaient
jamais fait appel qu'à leur inspiration personnelle, s'ils
ne s'étaient rattachés à aucun principe reconnu autour
d'eux, à aucune tradition autorisée par un long passé,
leur rôle serait inconcevable et leur action impossible
h expliquer. » A. Loisy, op. cit., p. i9-50. « Kn l'absence
de toute loi religieuse monothéiste antérieure, com-
ment s'expliquer la doctrine des prophètes? Où l'ont-
ils puisée? Étaient-ce donc des philosophes à la manière
de Socrate et de Platon? Comment se sont-ils trouvés
d'accord sur une même doctrine? Comment se fait-il
que le berger Amos et le prince de sang royal, Isaïe,
professent le culte du même Dieu? Se sont-ils trouvés
d'accord par hasard sur la définition de l'Être suprême,
ou l'un d'entre eux lavant découverte, les autres mil-
Us eu la rare docilité de le prendre pour maître, et
il accepter sa doctrine sans la modifier? Comment ce
maître serait-il demeuré inconnu'.' » P. de liroglie, op.
cit., p. 71. cf. p. 310-311, Voir Kônig, Die Hauptpro-
blemc der allisraelilischen Ueligionsgeschichte, Leip-
1884, p. 15-22; -I. Robertson, Early religion of
! :> .dit.. 1896, p. r» i t:î.
Toutefois m |r- prophètes du VIIIe siècle ne sont pas
les créateurs du monothéisme absolu, il faut recon-
naître que, sous linspiralion divine, ils ont développé
li uolion du Dieu unique et universel, créateur de
toutes choses el maitre du monde, qu'ils ont mis en lu-
mière l'universalité de sa miséricorde et de son amour,
qu'ils oui montré avec plu- de clarté dans b> Dieu
'l Israël le Dieu de tous les peuples, et qu'ils ont insisté
plus fort que jamais sur l'inutilité des sacrifices el du
culte extérieur lorsqu'on m- pratique pas la justice. Ils
ont donc prêché le monothéisme transcendant et moral,
encore une i"i- ils ne l'ont pas créé de toutes
condamnent dis praliqu uses,
plus <iii moins tolérées avanl eux, il n'en résulti
davantage qu M aii ni inventé le principe qui leur a l'ait
II- oui seulement fait progre ei
raël l'esprit monothéiste, qui \ régnait aupara-
vant. Il nous i onstater, dans l'œm ri de
chaque prophète, le progrés qu'il a apporte, poui sa
pu ' ■> l'idée du vrai Dieu,
'■ livre d'A -. qui i -i reconnu par les critiques
lus avancés coi authentique dans ia majeure
partie, est un document de tout pie i ordn sur la
doctrine Idéologique de- prophètes dans li première
moitié du m i| . je monothéisme le plu- pui
plus il olu - -. m .mi' ste avec fon e et clarl ,el le
prophète ne le propose pas comme une doctrine nou-
velle, inconnue du passé et qu'il prêcherait le premier,
pas plus qu'il ne le formule en termes exprès, tant il le
suppose connu théoriquement, sinon toujours dans la
pratique. Une fois seulement, v, 26, il parle du culte
des dieux étrangers, d'origine assyrienne, introduit
déjà dans le royaume d'Israël, au moins chez quel-
ques particuliers. Cf. A. Van Hoonacker, Les douze
petits prophètes, Paris, 1908, p. 252-254; ,1. Touzard,
Le livre d'Amos, Paris, 1909, p. 55-58. Il avait fait aussi
allusion aux pratiques idolâtriques, usitées dans le
royaume de Juda, il, 4. Pour désigner Jahvé, il em-
ploie des appellations anciennes, celles d'Adonaï et de
Seigneur des armées; mais il parait bien donner à
celte dernière une signification nouvelle. Adonaï seul,
vu, 7, 8; IX, 1, 8, plus souvent avec Jahvé, désigne, sous
sa forme plurielle qui fait de ce nom, ainsi que
d'Elohim, un pluriel de majesté, Jahvé comme maître
suprême et exprime avec force la toute-puissance divine.
Quant au nom de Dieu des armées, dont AYellhausen,
Smend et Cornill ont attribué l'origine à Amos lui-
même, il ne désigne plus Jahvé comme le chef et le
guide des armées d'Israël au combat. Dans le livre
d'Amos comme dans ceux des prophètes, ses succes-
seurs, il « évoque surtout l'idée des armées célestes,
celle des astres dont les mouvements si régulièrement
ordonnés suggéraient l'idée de troupes conduites par
un chef habile et puissant, celles des esprits dont le
séjour était placé dans les régions supérieures. Ainsi
ce titre est-il une nouvelle expression de la majesté de
Dieu, de cette autorité qui s'exerce dans les cieux aussi
bien que sur la terre et les phénomènes qui s'y suc-
cèdent; c'est une nouvelle affirmation de la toute-
puissance divine. » ,1. Touzard, op. cit., p. i,x. Cf. Lôhr,
op. cit., p. 66. Du reste, Jahvé est, aux yeux d'Amos, le
maître tout-puissant de la nature et l'auteur des phé-
nomènes cosmiques. Sans parler des doxologies, îv, 13 ■
v, 8; ix, 5, 6, que certains critiques déclarent inter-
polées, il reste encore dans l'œuvre, reconnue par tous
pour authentique, du prophète, des affirmations de la
souveraineté de Jahvé sur la nature. En effet, Jahvé es{
l'auteur des astres, v, 8, des vents et des montagnes, IV
13. Il est le maitre des éléments, et tous les fléaux de
la nature sont des actes de sa volonté, iv. 7-11. Cf. vin,
8, 9; ix, 5, 6. Tandis que les polythéistes distinguenl
autant de dieux qu'il y a d'éléments a diriger, Amos
attribue à Jahvé le gouvernement de tous. Ce maitre
des cieux, de la terre, de la mer, poursuit en tous
lieux ceux que sa vengeance \eiil atteindre, ix. 2-4.
Dieu de la nature entière, il est aussi le Dieu de tous
les peuple- et le Dieu de l'histoire. Il a fait venir les
Philistins de Caphtor et les Syriens de Qir foinn
Israélites de l'Egypte, el le- Éthiopiens sont pour lui
autant que les Israélites coupables, i\. 7. De Sion, on
il habite, i. 2, il demande compte de leurs crimes aux
Syriens de Damas, 3-5, .iu\ Philistins de Gaza, 6-8, aux
Tyriens, 9, lo. aux Iduméens, 11, 12. aux ammonites,
13-15, aux Moabites, n, 1-3. aussi bien qu'aux Jud
i. ."). et aux Israélites, 6-16. Il reproche aux peuples
qs d'Israël d'avoir violé, surtout à la guerre, les
lois d'humanité, communes à tons, el il lestientcomp-
tables de ion jugement. Il s détruit les Amorrhéens,
ir, 9, Il convoque les Philistins d'Asdod el les Egyptiens
au jugement d'Israël, m, 9, Il susciti i b
i. i i-aélite* un peupi. |{ g Vssyi lens pour
pi si . n. 13-16; VT, 14, el les emmener captifs
.m delà de Damas, \. 17. Jahvé esl donc le Dieu de
',,,,- i. i pi aples, ci il l'esl précisément par son i
tèi e moral, puisqu'i I ur les Dations
qui onl violé le loi fondamentales de la
i violation de i ■ lois
qu'il reproche ■< ion peuple de choix el qu'il punil
■ mi ni Bii n qu il ail librement choisi I
<>87
DIEU
NATURE D'APRÈS LA BIBLE;
1188
pour son peuple parmi toutes les tribus de la terre lors
de la sortie d'Egypte, m, 1, 2, il ne favorise pas ses
crimes; il en tirera plutôt une vengeance plus écla-
tante. Malgré ses privilèges et à cause d'eux Israël sera
puni et considéré par Dieu comme tout autre peuple
coupable, ix, 7. S'il condamne Juda parce qu'il a rejeté
sa loi et n'a pas observé ses décrets, n, 4, il reprocbe
surtout à Israël ses injustices et ses mauvais procédés
à l'égard des pauvres, 6-8, reprocbe d'autant plus mé-
rité qu'Israël avait été, de sa part, l'objet de marques
de prédilection, 9-12. A différentes reprises, Jabvé
condamne les violences des siens contre les faibles et les
petits, m, 9, 10; iv, 1 ; v,7, 10-12; vi, 12; vin, 4-7. Pour
écarter le châtiment divin, il faudrait haïr le mal et
faire le bien, et en particulier restaurer le droit à la
Porte dans les jugements, iv, 15. Au lieu de multiplier
les fêtes et les sacrifices, il vaudrait mieux que le droit
coule comme l'eau et la justice comme un torrent in-
tarissable, 21-24, Ce n'est pas toutefois que Dieu blâme
les nombreuses pratiques religieuses d'Israël, qui sont
toutes accomplies en son honneur, il condamne seule-
ment qu'on les associe à l'injustice. Le culte qu'il aime
est un culte moral; il censure le caractère purement
formaliste et extérieur, qu'on lui donne en Israël, iv, 4,
3; v, 4-7,21-24. Il proteste contre les abus et contre les
pratiques immorales du culte, n, 7, 8. Il détruira les
hauts-lieux d'Israël, vu, 9. 11 n'attaque pas directement
les veaux d'or, emblèmes de Jahvé, à moins qu'on n'y
voie une allusion dans le « péché de Samarie », et le
Dieu de Dan, vm, 14. Cf. Touzard, op. cit., p. lxix-lxxii.
Israël n'a pas compris les châtiments que son Dieu lui
avait iniligés au cours de son histoire pour le retirer
du mal, iv, 6-11; vu, 1-6. S'il veut échapper à une pu-
nition plus grave, Israël doit chercher Jahvé, c'est-à-
dire le bien connaître, l'écouter et lui obéir, v, 4 ; pra-
tiquer le bien et fuir le mal, 14, 15; écouter les pro-
phètes et imiter les Naziréens, n, 11, 12. A un peuple
enrichi, aux gens satisfaits, VI, 1, aux dames de Sa-
marie, iv, 1, Amos prêche, au nom de Jahvé, un idéal
de justice, et il les menace du jour de Jahvé, du Dieu
juste et justicier, grand redresseur des torts de tous les
peuples, iv, 2; vi, 8; vm, 7. Les versets 5 et 6 du c. ix
sont une élévation sur la grandeur et la puissance de
Dieu, destinée à mettre en relief la force avec laquelle
il poursuivra l'œuvre du châtiment. Cf. C. Duhm, Die
Théologie der Prophelen, Bonn, 1875, p. 118-126; J.-J.
P. Valeton, Amos und Hosea, trad. allemande, Giessen,
1898, p. 101-115; J. Touzard, op. cil., p. lvi-lxxxi;
A. Van Hoonacker, op. cit., p. 193-195.
Osée ne considère guère Jahvé que dans ses rapports
avec Israël. Ces rapports se ramènent à ceux-ci : Jahvé
est le Dieu d'Israël, et Israël est le peuple de Jahvé. Ils
datent de la sortie d'Egypte, il, 17; xn, 10; xm, 4, Israël
ne doit pas connaître d'autre dieu que celui qui a été
son sauveur et son pasteur dans le désert, xm, 4, 5,
par le ministère d'un prophète (Moïse), XII, 14. Depuis
l'jigypte, Jahvé a appelé Israël son fils, et il l'a aimé,
quand il était enfant, XI, 1. Il trouva les Israélites
comme des raisins dans le désert, comme des primeurs
sur un figuier, ix, 10. C'est Osée qui, le premier des
prophètes, parle ainsi de la paternité de Dieu à l'égard
d'Israël. Israël encore enfant, au lieu de répondre aux
appels réitérés de Jahvé, se détourna de lui et offrit
des sacrifices aux Baals, â Caal-Peor, ix, 10. A ces
ingratitudes Dieu répondit par les soins d'un amour
persévérant; il apprit à Kphraïm à marcher; il le prit
sur ses bras, voulant le guérir; il cherchait à s'atta-
cher les Israélites par des liens d'amour; il fut pour
eux comme une nourrice qui embrasse un enfant, se
penche vers lui et lui donne à manger, xi, 1-4. Ils
ne reconnurent pas ces marques d'amour. Il avait
conclu avec eux une alliance qu'ils ont violée, en
péchant contre sa loi, VIII, 1; cf. VI, 7. Cette alliance
était si étroite qu'elle est représentée comme un ma-
riage entre Jahvé et Israël, considéré comme une unité.
Par suite, les membres de la nation, épouse de Jahvé,
sont les enfants de Dieu. Si la nation se livre à l'ido-
lâtrie, elle tombe dans la fornication et l'adultère, il,
î-9; iv, 10, 12-15; V, .'3, 4, 7; vi. 10; ix, 1, etc. Il en est
ainsi à l'époque d'Osée, qui insiste fortement sur l'ido-
lâtrie de ses contemporains, I. 2, représentés par les
enfants de fornication, nés â Osée, I, 2-9. Voir aussi
IV, 12-14; v, .'i-7; vi, 7, 10; vm, 1, i; ix, 1. Les Israélites
ne sont plus le peuple de Jahvé, de celui qui est l'Être par
excellence, i, 9, et Israël n'est plus son époux, il, i.
Jahvé le punira en barrant son chemin, pour lui faire
regretter son premier état et le ramener à son époux.
n,8, 9; ce peuple avait employé les biens reçus de Jahvé
à honorer les Baals; Jahvé lui enlèvera ses biens. 10-15:
puis parlera à son cœur et lui rendra les biens enb
16, 17. Comme ce sont les Baals qui l'ont fait prévariquer,
il supprimera de sa bouche le nom même des Baals. et
ne voudra plus que son épouse, revenue à lui, l'appelle,
comme par le passé, son baal ou son maître, mais
qu'elle lui donne le nom plus tendre de son homme,
18, 19. Une alliance sera contractée par lui avec
Israël, de nouvelles fiançailles, qui seront éternelles,
mais des fiançailles dans la justice et le droit, dans la
bienveillance et l'amour. La fidélité d'Israël ainsi assu-
rée, Israël connaîtra Jahvé, qui lui sera propice et lui
rendra la prospérité temporelle. A Pas-mon-Peuple
Jahvé dira : « Tu es mon peuple, » et lui, dira â Jahvé:
« Mon Dieu! » 20-25. Les Israélites seront alors appelés
« les enfants du Dieu vivant, » n, 1. Jahvé avait conti-
nué à aimer les Israélites, lors même qu'ils se tour-
naient vers d'autres dieux, m, 1. S'ils cessent de for-
niquer, ils se convertiront et rechercheront Jahvé, leur
Dieu, et tremblants de joie, ils s'empresseront vers
Jahvé, dont ils recevront les bienfaits, 3-5. Jahvé.
l'époux d'Israël, avait donc pour les enfants d'Israël les
sentiments d'un père. Il veut que ses enfants coupables
le recherchent, se mettent en quête de lui et reviennent
à lui, v, 15-vi, 3. Cette recherche consiste à le connaître
tel qu'il est et à l'honorer comme il veut être honoré.
C'est pourquoi il réprouve le culte idolâtrique et pu-
rement extérieur qu'on lui rend à Samarie aussi éner-
giquement que les cultes chananéens infiltrés en Israël.
Il préfère la piété, le culte intérieur, aux holocaustes
et aux sacrifices, vi, 6. Il répudie le veau de Samarie,
vin, 5, qui a été fabriqué par un artisan et qui n'est
point Dieu, 6. Il sera emporté en Assyrie, x, 5, 6.
Éphraïm a multiplié les autels pour pêcher, vm. Cf. x,
1. A cause de la malice de leurs œuvres. Jahvé chassera
les Israélites de sa maison et ne continuera pas à les
aimer; il les a pris en haine, vm, 15; il les a répudiés,
parce qu'ils ne l'ont pas écouté, 17. Leurs hauts-lieux
seront détruits, xi, 8. Jahvé punit pour convertir et ra-
mener les coupables à lui. Il ne veut pas perdre
Ephraïm, il l'éprouve seulement, parce qu'il est Dieu
et non pas homme, parce qu'il est saint et n'agit pas
par un mouvement de vengeance impitoyable ; il ne te
plaît pas â détruire, x, 9. Il fera périr seulement les
Israélites impies avec leurs idoles de néant. A Gilgal,
ces rebelles avaient offert des sacrifices, mais leurs au-
tels seront comme des tas de pierre sur les sillons des
champs, xn, 11, 12. Ils s'étaient l'ait un ouvrage en fonte
de leur argent et des statues, simple travail d'artisans,
qu'ils appelaient des dieux et à qui ils offraient des sa-
crifices. Des hommes adressaient des baisers à des
veaux! xm, 1, 2. L'expiation arrive à Samarie. parce
qu'elle s'est révoltée contre son Dieu. Qu'Israël, qui a
trébuché dans son iniquité, retourne donc a Jahvé!
XIV, 1, 2. Que les Israélites ne disent plus : •■ Noire
Dieu, » à l'œuvre de leurs mains, t. Qu'Éphraïm res-
tauré n'ait plus rien de commun avec les idoles! 9. Que
celui qui est sage comprenne ces choses, que celui qui
989
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA RIRLE'
990
est prudent les connaisse! Car elles sont droites les
voies de Jahvé; les justes marcheront en elles, tandis
que les méchants y trébucheront, 10.
Osée fait enfin ressortir le caractère moral de Jahvé.
Il reproche à ses contemporains leurs injustices autant
que leurs infidélités. Les princes de Juda sont devenus
pareils à des déplaceurs de bornes; Éphraïm opprime
le droit, v, 10. 11, et Jahvé l'en punira, 12-14. Il se
retirera même de lui et retournera en son lieu, jus-
qu'à ce que les Israéliles aient expié leur faule et qu'ils
cherchent sa face. Quand ils auront été dans l'angoisse,
ils se mettront en quête de Jahvé, ils retourneront
à lui, et ils s'efforceront de le mieux connaître, de le
connaître tel qu'il est réellement, v, 15; vi, 3, juste et
aimant le droit. Jahvé désire la piété, et non le sacri-
fice, la connaissance de Dieu chez ses adorateurs plus
que les holocaustes, vi, 6. Les Israélites avaient violé
l'alliance, qui exigeait la pratique de la justice et de
la piété. Galaad était devenue une ville de malfaiteurs,
une ville dont les brigands faisaient la force, 7, 8.
Les vices de Samarie sont la fausseté, le vol et le bri-
gandage; ils sont patents aux yeux de Jahvé, vu, 1, 2.
Israël a répudié le bien; l'ennemi le poursuivra, vin, 3.
A cause de la malice de leurs œuvres, Jahvé chassera les
Israélites de sa maison et ne continuera pas à les aimer,
ix. 15. Que le châtiment leur serve à faire des semailles
de justice et à se préparer des récoltes de piété ; qu'ils
cherchent Jahvé, qui viendra leur enseigner la justice,
x. 12. Jahvé, qui habite Israël, y est entouré de men-
songe et de fraude. Juda est traître envers Dieu. Éphraïm
fait le vent et poursuit l'ouragan; il multiplie la
fausseté et la frivolité par ses alliances avec les peuples
étrangers, xu, 1, 2. S'il veut revenir à son Dieu, qu'il
observe la piété et le droit, qu'il mette toujours en
Dieu son espérance, 7. Ephraïm est un marchand,
dont la main tient une balance trompeuse et qui
aime la fraude, 8 Que les Israélites convertis disent à
Jahvé « Pardonne toute iniquité et accueille ce
qui est bon, ■ xiv, 3. Cf. B. Duhm, op. cit., p. 137-
141; J. P. P. Valeton, Anws und Hosca. p. 141-155;
A. Van Hoonacker. Les douze petits prophètes, p. 4-6,
et passim.
Un psalmiste do l'école d'Asaph invile les Israélites
à célébrer une fête, prescrite par Jahvé, après la sortie
d'Egypte, el les exhorte à rejeter du milieu d'eux tout
dieu étranger, puisque Jahvé est le Dieu qui les a fait
monter d'Egypte. Ils ont été infidèles et Jahvé les a
laissés à l'endurcissement de leur cœur. Si Israël
l'écoutait et marchaildans ses voies, Jahvé le protégerait
contre ses oppresseurs el assurerait sa durée pour
toujours. Ps. i xxx (lxxxi ,
[raie, pour sa doctrine sur Dieu, se rapproche plus
d'Amos que d'Osée. Il donne au Seigneur deux noms
principaux : le Saint d'Israël el Jahvé des armées. Par
les armées dont j| est le Dieu, il faut entendre les
armées célestes, wiv, 21. 23; xxxiv, i. aussi bien que
relies de la terre, xm, i. xxxi, 'i. Les étoiles sont de
lui, xiv, 13; les cieux el la lerre doivent ('coûter sa
roix, quand il parle, i. I : xxxiv, I. Il est le créateur
de l'homme, xvn, 7. Dans sa colère, il exerce sa puis-
sur les éléments de la nature, dont il est le
maître, xm, 10, 13. Il demeure au ciel, xxvi, 21 ; xxxiv,
5. H ur un troue, entouré des séraphins, qui
forment sa cour el célèbrent sa sainteté, vi, I i Sa
royauté est encore affirmée, \.\i\. 23. Dieu de toute la
nature, il esl aussi le Dieu de tous les peuples. Il
nations, n. 1 Sa main es| étendue sur
-, \\i\. 26. Il règle le «ni du nu de Syrie aussi
que celui du roi d Israël, vu, 1-9. Il appi Ile
pie et l'Ass\ri«', v, 26-29; vil, 18, et il s'en serl
comme d instrument [jour châtier Juda, vu, 20, Quand
I Instrument de sa colère a outrepassé sa mission, il le
v 5 II, ou le trappe. |',-|i;. xxx, 27-33. Il
suscite et fortifie les ennemis d'Israël, vm, 7, 8; IX,
10, 11. Il excite les Mèdes, xm, 17; xxi,2. Il commande
aux Éthiopiens, XVIII, 1-3. Mais il punit tous les peuples
coupables : Babylone, xm, 19; xiv, 5, 22, et tous ses
dieux, xxi, 9; les Philistins, xiv, 28-32; Moab, xv,
xvi; Damas, xvn, 1-3; l'Egypte, xix, xx; Tyr, xxm, 1-
15. Au bruit de son tonnerre, il met en fuite les
peuples et disperse les nations, XXXIII, 3; il partage la
terre au cordeau, xxxiv, 17. Tous ses desseins s'accom-
plissent, XIV, 2i; xxv, 1; xxxvn, 26. Il est le Dieu
d'Israël, xxv, 9, et de David, XXXVIII, 5, le puissant
d'Israël, i, 24; xxxin, 5, et le roi de Juda, xxxm, 22.
Il est sublime et grand dans ses œuvres, x, 4-6, sur-
tout dans ses jugements, v, 16 ; xxxv, 2, qui manifestent
sa majesté et le font redouter, u, 10, 16. Il punil et
abaisse les orgueilleux, et il sera seul exalté, n, 17. Il
voit et connaît tout, parce qu'il est le créateur de l'œil
et de l'oreille, xxix, 15, 16.
Il a été un père pour Israël et a élevé des fils, i, 2;
il n'a rien négligé pour sa vigne, v, 1-4. Ézéchias met
en lui sa confiance, xxxvi, 7. Le général en chef du
roi d'Assyrie compare Jahvé aux dieux des autres
nations, qui n'ont pas pu défendre leurs peuples contre
les forces de son maître, 18-20; xxxvn, 10-13. Celle
comparaison ne diminue pas la confiance d'Ézéchias.
parce que Jahvé, lui, est le Dieu vivant, xxxvn, 4. Il a
pour trône les chérubins, il est le seul Dieu de tous
les royaumes de la terre, et il a créé le ciel et la terre,
16. Il est le Dieu vivant, tandis que les dieux des
nations, vaincues par les Assyriens, n'étaient pas des
dieux, mais l'œuvre des mains de l'homme, du bois et
de la pierre, 19. Jahvé délivrera ses serviteurs, pour
que tous les royaumes de la lerre apprennent qu'il est
le seul Dieu, 20. Cependant, beaucoup de Judéens
avaient abandonné le Seigneur et s'étaient livrés à
l'idolâtrie, i, 29; xvn, 10, 11. Leurs bois sacrés seront
détruits et leurs autels renversés, xxvn, 9; en se con-
vertissant, ils rejetteront leurs idoles d'or et d'argent,
il, 20; xxx, 22, qu'ils avaient fabriquées de leurs
mains, xxxi, 7. Ézéchias avait enlevé les hauts-lieux
et les autels idolàtriques; il était ainsi plus assuré du
secours divin, XXXVI, 7. Cf. II (IV) Beg., XVIII, i-7, 22;
II Par., xxxii. 12.
Les habitants de Juda étaient des enfants rebellas-;
ils étaient couverts de crimes, i, 2-5, 21-23; 111,8; 9,
12. 15; v. 7, S. 20-23; IX, 1,2. Non seulement Jahvé 11 B
en punit, I, 5-9, 24-26; mais il rejette encore leur
eulle purement extérieur, parce que leurs mains sont
pleines de sang. 11-15. 11 demande la pureté des aeles
et des pensées, les œuvres de justice et de miséricorde,
16, 17, et à ce compte il accordera le pardon des péchés
et rendra ses bonnes grâces, 18-20. Cepen dan I il endur-
cira les coupables, vi. !•. lu. et aveuglera son peuple.
VXIX. 1(1-12. I.e DieU de toute justice, XXX. I8j XXXIII,
5, tirera vengeance des crimes. \m, 1 ; il préparera de
loin ses vengeances, XXII, II; XXXI, 2. et dévastera la
leur. \xiv. I; XXXVIII, 21. 22. Il donne l'esprit de
justice a ceux qu'il veut sauver, xxxviu, <i. Les justes
sauvés célébreront sa majesté, xxiv, li. Il esl le n
du faible. XXV. i. et on peut inetlre en lui sa OOnfl
a jamais, XXVI, i: cf. Xll, I, 2. Il n esl pas seulement
juste; M asl saint. Il se nomma le sainl d'Israël, i. 'i.
etc., on de Jacob, xxix. J.l. Il esl trois toi- saint,
vi. 3 Lei éraphini proclament sa sainteté, et les
hommes doivent le tenir pour sainl. le ri.nndi I le
redouter, vm. 13. Il esl rainl par la justice, \. II».
luifi ont répudié la loi el méprisé le -ami, \. ,
aussi est-il en colère contre son peuple, 25, U veul
survivant- -ainl-, III, 3, un germe saint, VI, 18. Il
Mu .i le régne de la justice, xxxil, 1-6, 16, ■ t dans la
Me Sioii. il prendra le droit pOUI I ..rdeaii et
la justice pour niveau, xxviu. 17 aussi Isafe reut-
i pin pour parler au saint d Israël. VI.
991
DIEU SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE)
992
Celte sainteté n'était pas une sainteté purement
extérieure et légale, mais bien une sainteté morale,
imposant des bonnes oeuvres. Dulim, op. cit., p. 168-
178. Majesté et sainteté sont donc les deux principaux
attributs de Dieu qu'Isaïe fait ressortir dans la pre-
mière partie de ses oracles.
Dans la seconde partie d'Isaïe, c'est encore la majesté
de Jahvé qui paraît dans sa toute-puissance créatrice
et dans sa domination souveraine, plutôt que dans sa
colère vengeresse contre les peuples. Jahvé est le créa-
teur de toutes choses, des cieux et de la terre, XL, 12,
21,22; xi.iv, 24; XLV, 7, 12. Par sa force et sa puissance,
il a créé les armées des cieux, XL, 26. Aussi les créa-
tures sont-elles invitées à chanter sa gloire, xliv, 23;
XLix, 13. Le ciel est son trône, lxvi, l,et cette demeure
élevée est sainte et glorieuse. LVI, 15; lxiii, 15. Il n'a
pas eu besoin de conseiller, XL, 13, 14. Toutes les
nations sont néant devant lui, XL, 16, 17, ainsi que
leurs princes, 23, 24. Il juge les îles, xli, 1-3, 5; il a
prédit et il suscitera Cyrus, xu, 2, 5; xlv, 1, 3, 9. Il
n'y a pas d'autre Dieu que lui; il est le premier et le
dernier, Dieu dès l'éternité; personne ne peut discuter
avec lui, xlii, 5, 10, 11; xlv, 5, 6, 9, 10; xlviii, 12, 13;
li, 13. Il n'a pas son pareil ; lui seul connaît l'avenir;
il est l'unique refuge, xlvi, 6, 7. Il est le Dieu du
monde entier, liv, 5. On ne peut le comparer aux idoles
des nations, qui sont l'œuvre du fondeur, XL, 18-20;
xli, 6, 7. Aussi leur lance-t-il un défi, xu, 21-24, à
ces idoles, qui ne sont rien, que pur néant, 29. Cf. xliv,
9-20; xlvi, 6, 7. Ceux qui se confient en elles seront
couverts de honte, xlii, 17. On n'a donc à les redouter
en aucune manière. Dieu éternel est aussi immuable;
il ne se fatigue ni ne s'épuise, XL, 28. Il est dès le
commencement, et toujours le même, xli, 4. 11 exécute
tout ce qu'il a décrété, xlvi, 10, 11. Ses pensées et
ses voies ne sont pas comme celles des hommes, lv,
8, 9; sa parole s'accomplit, 11. Gloire donc à Jahvé
seul, xlii, 8, et partout, 10-13. Jahvé est cependant
tout spécialement le Dieu d'Israël, xl, 1, 2, 8, 9; il a
élu Jacob, il l'a créé, il l'a formé, il est son roi, xli,
8-10; xi.iii, 1, 15; xliv, 1, 2, 21. Il était le père des
Juifs, lxiii, 16; lxiv, 7. Mais parce que Israël a été
coupable, Dieu l'a puni, xlii, 21-25. Israël élait sans
vérité ni justice, xlviii, I ; il avait adoré les idoles, 5;
il était devenu ainsi adultère et s'élait prostitué, lvii,
3-13; lxv, 2, 3, 7, 11; lxvi, 3. Dieu lui a pardonné,
après l'avoir puni, XLIII, 25. Il le ramènera de l'exil,
xuii, 5-9, 16-21. Il se vengera sur Bab\lone, qui l'a
fait captif, xlvii, 1-15. Sa gloire sera manifestée par le
retour des Juifs dans leur pays, XL, 5. Il vient avec
puissance; son bras lui soumet tout, 10. Toute chair
le verra et saura qu'il est seul Dieu, xxix, 26 ; lu, 10.
Il anéantira les ennemis d'Israël, xli, 11, 12, et le saint
d'Israël sera le sauveur de son peuple, 14, qui devra
mettre en lui toute sa confiance, 13-20. Dieu, qui l'a
sauvé, XLIII, 1-4, le protège désormais et l'aime, xlvi.
3-5, comme une mère aime ses enfants, lxvi, 13. Il l'a
instruit pour le bien, xlviii, 17; il en fera un peuple
saint, lxii, 12. Il lui reproche ses crimes passés, i.ix.
1-8, 12-15, et il lui recommande d'observer le droit,
lvi, 1, qu'il aime, lxi, 8. Il fera germer en lui la
justice, 11, et il accepte l'observation du jeûne et du
sabbat, qui est jointe à L'équité, i.viii, (i, 7, 9, 10. Il
protège les pauvres et les malheureux, xu, 17. Les
nalions se convertiront à lui et l'honoreront, ni.v, 14,
20-25, Son serviteur leur exposera sa loi, LI, i; LU, 1.
'■>. 15; ix, 1-4, Le règne futur du Dieu unique et uni-
versel sera universel et s'étendra à la terre entière.
Cf. Duhm, o)>. cit., p. 279-282.
Michée, i|iii était contemporain d'Isaïe, a sur Dieu
les mêmes idées. Il convoque tous les peuples, la terre
entière, les montagnes cl les collines ;ï servir de témoins
au jugement que Jahvé \;i porter contre son peuple, i,
2; vi, 1, 2. Du fond de son palais, qui est le ciel, Dieu
descend sur les hauteurs de la terre, qui s'effondrent
en sa présence, I, 3. Il vient juger Sarnarie et la con-
damner à cause de ses crimes : sa prostitution aux
idoles, i, 7, ses injustices, ses pensées iniques et la
violation du droit, il. 1, 2, surtout de la part de ses
juges, m, 1-4, 7, 9-11. Ses idoles seront supprimées
pour que les Israélites n'adorent plus l'œuvre de leurs
mains, i, 7 ; v, 12. Les injustices et les mauvaises actions
seront punies, vi, 10-13; vu, 2-4. Ou'on n'accuse pas
Jahvé d'impatience; qu'on ne lui reproche pas de traiter
ainsi son peuple. Ses paroles ne sont-elles pas bienveil-
lantes envers celui dont la conduile est droite? il, 7.
Son peuple a été ingrat. VI, 3, 4. Ce que Jahvé demande
d'Israël, ce ne sont pas les sacrifices multipliés et
variés; seuls, ces actes de religion ne sont pas capables
d'obtenir la faveur ou le pardon de Dieu. Ce qui est
bon et ce que Jahvé demande, c'est d'accomplir le droit,
d'aimer la bonté et d'être humble devant lui, VI, 6-8.
Les juges iniques ont beau immoler des victimes et
crier vers Jahvé, il ne les écoute pas; à cause de leur
perversité, il cache loin d'eux sa face, m, 3, 4. II ne
veut pas toutefois faire périr son peuple; il sera le
pasteur des bons au milieude la détresse, il, 12; iv,6-8;
vu, 14. La nation se reconstituera et sera en sécurité,
car le pouvoir de Jahvé sera reconnu par toute la terre,
v, 3. Tous les peuples viendront honorer Jahvé à Jéru-
salem, iv, 1-8. Il faut donc espérer en Jahvé, le Dieu
sauveur d'Israël, vu, 7-10. Les peuples admirent les
prodiges qu'il accomplit en faveur d'Israël et tremblent
de crainte devant lui, 16, 17. C'est pourquoi le pro-
phète termine son livre par cet éloge de Jahvé : i Quel
Dieu est pareil à toi, enlevant l'iniquité et pardonnant
la prévarication! Il ne s'obstine pas perpétuellement
dans sa colère, car il aime, lui. la miséricorde. Il a
pitié d'Israël, à qui il pardonne ses fautes, parce qu'il
est fidèle à Jacob, propice à Abraham, selon ses antiques
promesses, » 18-20. Cf. Duhm, op. cit., p. 183-188.
Des poètes, probablement contemporains d'Kzéchias,
ont exprimé la foi des Israélites pieux de leur temps.
Ils ont une confiance absolue, au milieu des plus grands
dangers, en la protection de Dieu, qui vient d'ailleurs
de se manifester d'une manière éclatante (lors de l'in-
vasion des armées de Sennachérib). Dieu habite au
milieu de Jérusalem. Il fait entendre sa voix et les na-
tions qui s'agitaient se fondent d'épouvante. Jahvé des
armées est avec les siens; il a montré avec éclat qu'il
est Dieu et qu'il domine sur les nations et sur la terre.
Le Dieu de Jacob est en Israël une citadelle. Ps. xi.v
(xlvi), 2-12; cf. xlvii (xlviii), 2-9; xlv (xlvii, 1-11;
lxxiv(lxxv); lxxv (lxxvi). Le Ps. xlix (l) est dans
l'esprit des prophètes de cette époque. Jahvé convoque
la terre et le ciel pour assister au jugement qu'il va
porter sur son peuple, 1-6. 11 ne lui reproche pas de
lui refuser les sacrifices dont il n'a pas besoin. 7-1 i.
mais plutôt de ne pas pratiquer des préceptes et de
faire alliance avec les voleurs, les adultères et les frau-
deurs, 16-20. Dieu, qui préfère l'action de grâce aux
sacrifices et qui sauve ceux dont les voies sont droites,
reprend les coupables et les menace pour les convertir,
21-23. Un asaphite déclare que Dieu est bon pourceux
qui ont le cœur pur. Ps. i.xxn (lxxxiii), 1. Il a cepen-
dant été ébranlé dans sa foi en la providence, en voyant
l'insolente prospérité des méchants, 2-9, qui est un
scandale pour le peuple fidèle, 10-15; mais il a consi-
dère que Dieu conduit les méchants à leur perle. 18.
Aussi met-il en Dieu seul sa confiance. 23-28. Dieu,
juge de la terre, rend son arrêt contre les juges infi-
dèles, qui prennent parti pour les méchants, (.[ il leur
ordonne de rendre justice aux faibles et aux orphelins,
aux pauvres et aux malheureux. Ps. i xxxi i xxxi
Ps. XC1H (xciv) est l'appel d'un opprimé à la justice et
à la vengeance de Jahvé. 1,2. Les méchants triomphent
$93
DIEU (SA NATURE D'APBÈS LA BIBLE;
004
•et prétendent que Jahvé ne regarde pas leurs oppres-
sions, 3-7. Mais Dieu, créateur des hommes, entend et
voit leurs crimes, il connaît la vanité de leurs pensées,
■8-11. Jahvé fera que le jugement redevienne conforme
à la justice, 15; il soutient les opprimés, 16-19, et il
châtiera les mauvais juges, 20-23. Pour un psalmiste
inconnu, Jahvé est roi, roi des peuples et de la terre,
rui de Sion; son nom est grand et redoutahle; c'est
un roi puissant qui aime la justice. Ps. xcvm (xcix), 1-5.
Il faut l'exalter, car il est saint le Dieu de Sion, 9. Gloire
à Jahvé à cause de sa bonté et de sa fidélité! Ps. cxm
i \v 1. 1. Les nations demandent où est le Dieu d'Israël, 2.
« Notre Dieu est dans le ciel; tout ce qu'il veut, il le
fait, » 3. Les idoles d'argent et d'or, ouvrage de la
main des hommes, sont muettes, aveugles et sourdes,
immobiles et sans parole, 4-8. Jahvé est le secours et
le bouclier d'Israël qui peut mettre en lui sa confiance,
9-11. et il continuera ses bienfaits, 12-14. Il a fait les
deux et il a donné la terre aux hommes, 15, 16.
Est-il vrai que e l'intervention de l'Assyrie dans les
affaires des peuples palestiniens obligea les prophètes
à regarder bien loin au delà des frontières d'Israël et
à concevoir du monde et de l'humanité, par conséquent
■de Dieu, une idée plus large et plus profonde, >> comme
le pense M. Loisy? La religion d'Israël, p. 63. Cela ne
veut pas dire, comme l'a prétendu Renan, Histoire
du peuple d'Israël, Paris, 1889, t. il, p. 465, que « le
Jahvé national n'avait qu'une manière de se sauver,
lit de devenir le Dieu universel. » Jahvé avait tou-
jours été le Dieu universel, tout en étant le Dieu spécial
d'Israël. Il continua de garder la primauté absolue qui
lui appartenait auparavant. Mais l'horizon politique
s'étendant, les rapports d'Israël avec les conquérants
assyriens firent mieux comprendre le gouvernement
providentiel de Jahvé sur les nations. Le Dieu tout-
puissant et juste suscitait ce nouveau peuple, parce
que tout ce qui se passe dans le monde arrive par sa
volonté ; il lui permettait d'opprimer Israël, parce que
celui-ci n'avait pas été fidèle à son Dieu, lui avait pré-
féré des idoles, ne l'avait pas honoré comme il voulait
l'être et n'avait pas obéi à sa loi. L'unité divine ne
résulta pas de ces conceptions. Si elle n'avait pas été
admise auparavant en Israël, elle n'aurait pas été
gérée par la nouvelle situation politique. Beaucoup
d'aulres peuples ont eu à souffrir des Assyriens et n'ont
pas fait cependant un pas vers le monothéisme; ils
sont demeurés fidèles à leurs dieux nationaux, 'Poule-
fois, les succès de l'empire assyrien voulus par Jahvé
étaient une occasion de manifester plus nettement aux
jeux de tous la providence divine, de mieux marquer
■on caractère moral et de donner une idée plus com-
plète des rapports de Jahvé avec son peuple et avec
l'humanité. Les événements politiques de l'époque ont
servi à développer l'idée de Dieu en Israël par la pré-
dication morale des prophètes. Cette idée ne se trans-
forme pas. elle s'élève seulement et s'élargit.
règne de Manassé, fils d'Ézéchias, l'idolâtrie
reprit en Juda avec une nouvelle recrudescence. Ce
roi impie restaura les hauts-lieux el releva les autels
de Baal, que son père avait détruits. Il alla plus loin
et dresv.i des autels idolàtriqui \ dans le temple même
de Jahvé ■< Jérusalem. Il IV Reg., xxt, 2-9. En puni-
lion de ce crime, Jahvé lit annoncer par sis prophètes
la rume rie Jérusalem, 10 15. Amon imita Bon pi
abandonna Jahvé, le dieu des ancêtres, 20-22. Mais le
pieux ir.j Josias marcha sur les Iraces de David,xxil,2.
Après l.r découvcrle du Deutéronome, il renouvela
l'alliance avec Jahvé; el il extirpa l'idolâtrie du milieu
de Jérusalem, xxm, :i I i. el il renversa l'autel de
Béthel, 15-20. In vérilablr Israélite, il honora Jahvé
oui -"ii cœur, de touli n âme 1 1 de tout)
observa fidèlement la loi que Moïse
donnée au nom de Jahvé, 25. Néanmoins, Jahvé punit
DICI. DE Mil ni.. CATIIOI..
Juda à cause des crimes que Manassé lui avait fait
commettre, 26, 27; xxiv, 3,4. D'ailleurs, la masse du
peuple n'avait pas été convertie; l'esprit idolàtrique
fut seulement comprimé pendant quelques années et
le vrai culte de Jahvé, consistant dans l'amour de la
justice, ne fut pratiqué que par la minorité. La ven-
geance divine est prédite par les prophètes contempo-
rains de Josias, Sophonie et Jérémie.
Au vne siècle, Sophonie, prophète de Juda, proclame
la justice terrible de Jahvé, qui frappera la terre en-
tière, I, 2, 3, et d'abord Juda et les habitants de Jéru-
salem, du milieu desquels il fera disparaître les der-
niers restes d'idolàirie, en punissant ceux qui n'ont
point cherché ni honoré Jahvé, 4-6, les chefs, qui ont
abusé de leurs richesses, 8-12. Le jour de Jahvé' est
proche, 7; il sera terrible, 14-18. Pour y échapper, il
faudrait se conformer à la règle; pour éviter les eflets
de la colère divine, il faudrait chercher Jahvé, prati-
quer sa loi, chercher la justice et l'humilité, n. 1-3.
Mais Jérusalem est rebelle à Jahvé, qu'elle n'a pas
écouté; elle ne s'est pas laissé instruire; ses chefs
sont mauvais, m, 1-4. Jahvé estjusle au milieu d'elle ;
il ne fait pas l'iniquité; tous les matins, il établit son
jugement, 5; c'est pourquoi il exterminera les cou-
pables, pour se faire craindre par eux et les amener à
se laisser instruire, 6, 7. Son jugement s'étendra à
tous les peuples contre qui il prononce des menaces,
n, 4-10, 12-15. Il se fera craindre d'eux; il fera périr
tous leurs dieux, et tous les hommes l'adoreront, 11
Il rendra leur lèvre pure pour qu'ils invoquent son
nom et le servent avec un zèle unanime, ni, 9-10. Jéru-
salem elle-même, débarrassée de ses vantards arrogants,
sera un peuple humble et modeste, qui mettra son
espoir dans le nom de Jahvé. Ces survivants d'Israël
ne commettront plus l'iniquité, ne proféreront pas le
mensonge et leur langue ne sera plus trompeuse, 11-43.
Que Sion se réjouisse! Jahvé sera son sauveur et son
restaurateur, 14-20. Le jour de Jahvé, pour Sophonie,
est donc le jour où Dieu assurera le triomphe de sa
justice sur l'iniquité dans le monde entier, même en
Juda. Celui-ci triomphera, mais après que les arrogants
auront élé exterminés, et le reste sera constitué par les
humbles. Ce prophète montre donc le caractère moral
de Jahvé dans toute sa rigueur. Cf. Duhm, op. cit.,
p. 222-228; Van Hoonacker, op. cit., p. 501-502.
La prophétie de Xahuin, contemporain de Sophonie
est dirigée contre Ninive, n. i-ni, 19. sans que la ruine
prédite de celte ville soit attribuée à Jahvé mi justifiée
par la conduite de cette ville à l'égard d'Israël. La ven-
gr ance divine n'est donc pas affirmée directement. .Mais
le psaume alphabétique du début, i,2-u, 3, caractérise
Jahvé sous deux aspects. C'est un Dieujaloux, promps
à la colère et à la vengeance à l'égard de ses advi r
saires; il met en œuvre les éléments de la nature et
rien ne peut résister à son courroux, I, 2-6. Mais il est
bon pour ceux qui espèrent en lui: il esl leur i
au jour delà détresse. Il connaît ceux qui onl recours
à lui et il Les protège contre leurs ennemis, 7,8. Israël
coupable sera lui-même puni. Jahvé extirpera du mi-
Lieu de lui les images sculptées el les idoles fondi
Son peuple sers détruit, mais pour être restauré, i, 13,
n, 8. Cf. Duhm, op. cit., p. 218-219.
Jérémie commenr t ion ministère prophétique sou
. en même temps que Sophonie el Nahum, Dieu
i connu avant n et l'avait sanctifié
avant s. , n - ,, v le la mission qu'il voulail
lui confier, i, 5, el pour l'accomplissement rie laquelle
il le fortifie, (i in. n veillera a la réalisation di
rd rie Juda, J< i êmie est chargé de
lui reprocher ses fautes, i n par iculii ■ on idolâtrie, 16,
et île lui en prédire le châtiment. Dieu soutiendi < on
prophète, qui sers seul I luit» r contre tout »on pi uple,
19. Commi < Isi e, Ji 1 1 i i onsidi i t li > Dppoi
IV. - 3-2
i)95
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE)
996
Jahvé avec Israël comme un mariage, cont raclé par
amour, n, 2. De même que leurs pères, lesJudéensse
sont adonnés à l'idolâtrie, •">, 8. Ils se sont conduits à
l'égard de leur Dieu d'une façon plus indigne que les
païens à l'égard des leurs. Si ceux-ci changeaient leurs
dieux, qui ne sont rien, le peuple de Jahvé l'a échangé
lui-même pour une idole, qui n'est rien, 11. Les cieux
doivent en être dans la stupéfaction, 12. Ils ont aban-
donné Jahvé pendant qu'il les guidait, 17, et ils ne le
craignent plus, 19. Ils ont refusé de le servir et se
sont prostitués aux idoles, 20, 23; ils ont dit au bois :
« Tu es mon père, » et à la pierre : « Tu m'as engen-
dré, » 27. Mais les dieux, qu'ils se sont faits, ne les
sauveront pas au jour de l'aflliction, 28. En oubliant
Dieu, ils n'ont pas suivi la bonne voie et ont commis
des injustices, 32-35. Cependant, ils peuvent espérer
leur pardon; Jahvé reprendra son épouse adultère, III,
1-5. Juda n'a pas compris l'exemple d'Israël et s'est
livré comme lui à la fornication idolàtrique, 6-10. Mais
Jahvé est saint; il ne se met pas en colère pour toujours;
il pardonnera aux coupables, s'ils se convertissent,
11-25, s'ils appellent Dieu leur père, 19. La conversion
consiste à marcher dans la vérité, le jugement et la
justice et à circoncire le cœur, iv, 1-4. Jérusalem sera
punie, 5-13; qu'elle se convertisse plutôt! 14-18. Sa
corruption consiste dans l'absence de justice, V, 1-6,8,
25-28; ix, 2-9, 13, 14, et dans l'idolâtrie qui est une
fornication, v, 7; ix, 14. Elle en sera punie par Jahvé,
v, 19-24. Les peuples et la terre en seront les témoins,
vi, 18, 19. Juda se confie dans le temple de Jérusalem,
qui est la maison de Jahvé. Ceux qui ont pratiqué les
œuvres de justice et qui n'ont pas suivi les dieux
étrangers, peuvent avoir cet espoir, vu, 2-7. Mais les
méchants, les violents et les idolâtres ont une espé-
rance trompeuse, 8-15. La prière de Jérémie pour les
coupables ne sera pas exaucée, 16; xi, 14; xn, 11.
Jahvé a demandé à leurs pères, non de lui oll'rir des
holocaustes, mais d'observer ses préceptes; ils ne lui
ont pas obéi, ils ont fait le mal, n'ont pas écouté les
prophètes. Leurs descendants ont fait pire, n'ont pas
entendu la voix de leur Dieu et ne se sont pas soumis
à ses ordres. La piété a péri en eux, 21-25; Jahvé en
tirera vengeance, 29-34. Parce qu'ils n'ont pas eu de
repentir et se sont endurcis dans leurs crimes, vin,
4-12, ils seront punis, 13-17. Jahvé se complaît dans la
miséricorde, la justice et le droit, ix, 24; xv, 19; xxi,
12; xxn, 3. Il frappera tous les incirconcis et avec eux
les Israélites, dont le cœur est incirconcis, ix, 25, 26.
Il n'y a pas d'espoir à avoir dans les idoles, qui sont
faites de main d'homme et qui ne sont capables de
rien faire ni en bien ni en mal, x, 1-5. Jahvé n'a pas
son pareil; lui seul est grand et puissant; il est le roi
des peuples; tous doivent le craindre. Les idoles d'or
et d'argent ne sont rien. Jahvé seul est le vrai Dieu, le
Dieu vivant et le roi éternel. Les dieux n'ont pas fait
le ciel et la terre; qu'ils disparaissent de dessous le
ciel et de dessus la terre! Celui qui a fait le ciel et
la terre dans sa puissance, sa sagesse et sa pru-
dence, qui amasse les nuages, donne la pluie et fait
gronder le tonnerre, est la part de Jacob, l'héritage
d'Israël. Jahvé des armées est son nom, 6-16. Il avait
fait avec Israël un pacte, xi, 2-8, qui n'a pas été ob-
servé, 9-10, 17; xxn, 9; Israël en sera puni et ne sera
pas protégé par les dieux qu'il a choisis, 12, 13. Jérémie
se plaint de la prospérité des impies, xn, 1-3, et de
celle des ennemis de Juda, 7 -13; Jahvé frappera ceux-ci,
14-17. Juda et Jérusalem sont coupables, XIII, 8-10,27;
xvi, 11, 12, 18, 20; XVII, 2, 3; xix, 4,5, 13; xxv, 4-7.
Leurs jeûnes et leurs prières jointes à l'iniquité sont
inutiles, xiv, 12. Dieu scrute les cœurs et rend à cha-
cun selon ses mérites, xvn, 10; xx, 12. Les bons re-
viendronl de la captivité, xxiv, 5-7. Jahvé recommande
l'observation du sabbat, xvn, 19-27; l'obéissance â la
loi, xxvi, i, 5; xxxv. 13: en particulier au décret sur
l'esclave hébreu, xxxiv, 13-16. Il exige donc la pratique
des œuvres extérieures autant que la justice et la cha-
rité fraternelle. Parce que Jahvé est juste, Lament., i,
18, sa colère a été justement provoquée contre Soin,
Lament., n, 2, 3; m, 42, 13; iv, 11, et il ajustement
réalisé ses desseins de vengeance. Lament., il, 17. Ce-
pendant, il est miséricordieux, Lament.. ni, 22, et on
peut espérer en lui, 25. Il a promis de restaurer Juda :
il sera définitivement son Dieu, et Juda sera son peuple.
Jer., xxx, 22; xxxn, 38. Il l'a aimé, xxxi. 3; il en a eu
pitié, 20, et l'a remis dans la voie droite, 21. Il contrac-
tera avec lui une nouvelle alliance, et mettra sa loi dans
son cœur; tous connaîtront Jahvé, 31-31. Ils n'auront
tous qu'un seul cœur et ils suivront une seule voie,
celle delà crainte de Jahvé, et le pacte nouveau sera
éternel, xxxn, 39, 40. A l'alliance écrite, contractée
avec tout un peuple, Dieu substituera une alliance im-
primée dans le ca'ur de chacun. La solidarité collective
d'Israël sera détruite, et chaque âme aura avec Dieu
un lien direct et personnel. Parce que Jahvé est
bon et miséricordieux, xxxiii, 11, il se réserve en
Juda un germe de justice, 15. Les Judéens, réfugiés
en Egypte, se livrèrent à l'idolâtrie à l'exemple de
leurs ancêtres; ils en seront punis, xliv, 3, 8. 15. 19,
23, 25.
Jahvé, le Dieu d'Israël, est le créateur de toutes choses,
xxvn, 5; xxxn, 17. Il est miséricordieux et sévère, très
fort, grand et puissant; on ne peut le concevoir et il
reste incompréhensible. Ses yeux sont ouverts sur tous
les fils d'Adam, et il rend à chacun selon ses voies et
selon les fruits de ses pensées, xxxn, 18, 19. Il est
éternel et immuable. Lament., v, 19. Il est le roi de tous
les peuples. Jer., x, 7. Aussi présente-t-il le calice de sa
fureur à toutes les nations ainsi qu'à Juda, xxv, 15-18. et
envoie-t-il des chaînes aux peuples voisins d'Israël,
xxvn, 2-11. C'est pourquoi Jérémie prononce en son
nom une série d'oracles contre l'Egypte, xlvi, les Phi-
listins, xlvii, Moab, xi.vni, Ammon. l'Idumée, Damas,
Cédar et Asor, Élam, xlix, et contre Babylone, l, qui
ne sera pas défendue par ses idoles contre la vengeance
du créateur de toutes choses, 15-16. Cf. Duhm, op. cil ,
p. 235-240.
Habacuc, que .M. Van Hoonacker, op. cit., p. ix, place
sous le règne de Joakim, vers 605-600, est contempo-
rain de Jérémie. La providence de Jahvé s'exerce, pour
lui, sur les peuples étrangers, puisque Jahvé suscite
les Chaldéens contre Juda, i, 5, 6. Il permet à ces
conquérants cupides de prendre dans leurs filets toutes
les nations et il rend les hommes opprimés, pareils à
des poissons, enlevés à l'hameçon et au filet, i. li-17:
n. 14, 15. Jahvé, qui est ainsi le roi de l'humanité,
commande aux forces et aux éléments de la nature,
quand il vient au secours de Juda, ni, 2-16. H habite
au ciel dans son saint palais, et la terre entière doit se
taire devant lui, H, 20. Les idoles de bois et de pierre
n'agissent pas et n'ont pas un souille de vie: ce sont
des nullités muettes, fabriquées ou fondues parla main
de l'ouvrier, 18, 19. Cependant Jahvé est spécialement
le Dieu saint de Juda depuis les premiers temps de sa
nation; il a établi ce peuple pour le droil et la justice;
il ne le laissera donc pas périr entièrement, i, 12, mal-
gré ses fautes, car, en face de son oppresseur, Juda
est comme le juste aux prises avec l'impie; il ne peut
être abandonné, autrement le droit serait faussé, i, -J-i.
13; ni, 13. L'injuste vainqueur doit périr et le juste
avoir la vie en raison de sa confiance en Dieu, il, i.
Les attributs de sainteté et de pureté de Jahvé exigent
le triomphe du juste, i. 13. Jahvé répondit à cette con-
fiance du prophète que la punition de l'oppresseur est
assurée et qu'elle arrivera ; si l'exécution en est retardée,
il faut prendre patience et croire à sa promesse, qui
ne faillira pas, II, 3, car Jahvé doit frapper le brigand,
997
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA RIRLE;
998
."). Cf. Duhm, op. cil., p. 219-222; Van Hoonacker,
op. cit., p. 459-460.
Tandis que Juda agonisait et allait devenir la proie
des Babyloniens, les Israélites, transportés depuis 721
en Assyrie, conservaient, en partie du moins, la foi
monothéiste de leurs ancêtres. Tobie qui. dans sa jeu-
nesse, n'avait pas adoré les veaux d'or d'Israël et était
demeuré fidèle à Jahvé, Tob., i, 4-8, n'abandonna pas
la vraie voie au pays de sa captivité, 2. Il apprit à
son (ils à craindre Dieu et à s'abstenir de tout péché,
10. Parce qu'il se souvenait de Jahvé de tout son cœur,
.lahvé lui lit trouver grâce aux yeux de Salmanasar,
13. Sous le règne de Sennachérib, Tobie continua ses
bonnes œuvres, 19-21; il, 1-9, craignant Dieu plus que
le roi. Il supporta patiemment comme Job l'épreuve
de la cécité que Jahvé avait permise, et il attendait de
Dieu la récompense de ses bonnes actions, II, 12-18.
Objet de moquerie pour ses amis, ses parents, et même
sa femme, il se confia en la justice de Jahvé, dont les
voies sont miséricorde, vérité et droit, et demanda au
Seigneur d'oublier ses fautes et celles de ses pères, m,
1-6. De son coté, Sara, fille de Raguel, recourait à Dieu
dans les mêmes sentiments, espérant de sa bonté la lin
de ses épreuves et bénissant son nom malgré tout, 12-
23. Dieu exauça les prières de ses deux bons serviteurs.
24. Tobie conseille à son Mis la fuite du mal, la pra-
tique de la vertu et la fidélité constante à Jahvé, iv,
6-20. En cela consiste le vrai bien, 23. Raguel bénit le
jeune Tobie et Sara au nom du Dieu d'Abraham, d'Isaac
et de Jacob, vu, 15. Le jeune Tobie bénit aussi Jahvé,
le Dieu de ses pères et le créateur de toutes choses,
vm, 7, 8. Raguel désire que le Dieu d'Israël soit reconnu
par toutes les nations comme le seul vrai Dieu sur
toute la terre, 17-19. L'ange Raphaël appelle Jahvé le
Dieu du ciel, qui a eu pour agréables les bonnes œuvres
de Tobie, tout en éprouvant la vertu de ce juste, xn,
6-1."). Le vieux Tobie célébra alors les louanges de
Jahvé, sa grandeur, son règne éternel el sa providence
universelle. Lis Israélites, dispersés parmi les nations
qui ignorent Dieu, doivent raconter ses merveilles et le
proclamer comme le seul Dieu tout-puissant. Il les i
châtiés à cause de leurs iniquités, il les sauvera par
miséricorde. Il faut donc le bénir comme le Dieu des
siècles; il a manifesté sa majesté contre un peuple
pécheur. Les Israélites doivent se convertir, être justes
et espérer ensuite eu -..-i miséricorde, xm, 1-8. Jahvé
rétablira Jérusalem, 11-23; xiv, 6-H.
Les menaces divines contre Jérusalem et Juda
commençaient ■< se réaliser. Sons Jéchonias, fils de
.lo-i.is. les Chaldéens investirent Jérusalem et einmc-
nèrenl en captivité le roi el la majeure partie de |a na-
tion. II (IV) Reg., xxiv, 10-16. Cinq ans après, Barucb,
ancien sécréta in de Jérémie, lut aux Juifs captifs sa
prophétie, Bar., i, _' i. i i ceux-ci amassèrent de l'argent
pour faire offrir à Dieu des sacrifices au temple de
Jérusalem, encon debout, pour demander le coi
upporter l'épreuve el la lumière pour réparer leurs
10- 13. Ils reconnaissaient la justii
Jahvé leur Dieu, qui les avail justement i har|
usion à cause de leur incrédulité el de leur ido-
lâtrie, 15-22; il, 1-10. Ils imploraient la miséricorde du
Dieu d'Israël, 11-19, qui les avail par ses prophètes
menacés de châtiment, s'ils ne se convi rtissaient, 20-30,
ei qui avait prédit que leur rerail
qu'au pays de la captivité, 31-35. Reconnaissant leui
m • ni donc i ec confiance au I heu huit
ant, éternel • i miséricordieux d'Israël, m, l-S. La
lu lie de liai m h, donl la I produit chez le
sentiments ,.i une exhortation du pi o
ph< ie .m p< i j | . e ibirii sur la terre étran
qu il .i ili indonm qui n'i iste ni i nez
■ ut . m île/ le- ir . , ci, na lion . m •
Dieu .i donn c à J lils, et à Isi bien-
aimé, et qui se trouve dans la loi, le livre des préceptes
de Dieu, ni, 9-iv, 4. Le peuple de Dieu n'est pas vendu
aux nations pour sa perte, mais parce qu'il a provoqué
la colère de son Dieu. Il a irrité ce Dieu éternel, en
immolant des victimes aux démons, qui ne sont pas
des dieux, et en oubliant Dieu qui l'a nourri, iv, 5-8.
Jérusalem se plaint aux nations voisines et à ses fils
eux-mêmes de leur désobéissance aux préceptes de
Dieu, qui les en a justement punis, mais qui les
ramènera dans son sein; le Saint les sauvera par mi-
séricorde, et Israël marchera avec soin désormais pour
l'honneur de Dieu, iv, 9-v, 9. D'autre part, Jérémie
avait écrit aux Juifs captifs à Babylone, pour les pré-
munir contre le péril d'idolâtrie. Us voyaient autour
d'eux des dieux d'or, d'argent, de pierre et de bois, por-
tés en procession et se faisant craindre des nations.
Loin de se laisser séduire par leur culte, qu'ils disent
au fond de leurs cœurs : « Il vous faut adorer seul,
ô Jahvé, » vi, 3-5. Treize fois, le prophète répète : « Ce
ne sont pas des dieux, ne les craignez pas, ne les ado-
rez pas, » 14, 15, 22, 28, 39, 44, 46, 49, 51, 55, 63, 64, 68,
71. Cette vérité qu'il inculque si fortement, il l'établit
par les raisonnements les plus simples. Ces idoles sont
fabriquées et ornées de main d'homme. Elles ne peuvent
se défendre contre la poussière, la fumée, l'incendie,
les voleurs, la rouille et les vers. Elles ne peuvent
marcher, ni se relever, lorsqu'elles sont tombées. Elles
sont incapables de donner les richesses, de punir le
mal, de constituer un roi, d'exiger qu'on exécute les
vieux faits en leur honneur, d'accorder aux hommes
aucun bien, pas même la pluie. Elles sont pareilles aux
pierres de la montagne, d'où elles sont tirées. Le culle
qu'on leur rend est immoral, puisqu'il comprend la
prostitution des femmes. Ces dieux sont inférieurs à
un roi, qui accorde des faveurs à ses sujets, au soleil, à
la lune, aux astres, aux forces de la nature, qui sont
utiles aux hommes, aux animaux domestiques qui
peuvent fuir et rendre service à leur propriétaire. Les
honneurs qu'on leur rend sont donc inutiles, et l'homme
juste, qui n'a pas d'idole, sera exempt des opprobres,
dont ces dieux ne peuvent délivrer leurs adorateurs,
vi, 7-72.
La même année, un des captifs, emmenés avec
Jéchonias, eut des visions à Tell-Abib, prés du Meuve
Chobar, en Chaldée. Ezech., i, 2, '.]. La gloire de Jahvé
lui apparut sur un char mystérieux, i, 4-II, I. Dieu lui
traça sa mission, qui était d'annoncer aux Israélites
apostats le-- châtiments de leur apostasie et de tâcher
de se faire écouter de cette maison irritante, il, 3-7;
ni, 16-21. Mai* ils ne voudront pas ('coûter le prophète
pas plus que Dieu qui l'envoie, m. 4-9. Parce que Jéru-
salem a méprisé lesjugements de Dieu et n'a pas observé
ses préceptes, Dieu la jugera aux yeui des nations et
dans son indignation la dépeuplera el la rendra déserte.
Jahvé l'a dit, v, 5-17. Tout le pays sera désert a <
de l'idolâtrie qui y règne el ses habitants seront tués
devant li * autels. Les survivants se souviendront que
Jahvé a infligé celle punition aux idol lires fornicateurs,
vi, 1*14. La fin de Juda approche. Jahvé irrité juge le
royaume d'apn < bominations, vu. -i-
l .;. il ie fera plus miséricorde. Rien ne pourra lesau*
ver, ni l'or ni l'argent, dont il* ont fait les idole*. 19,
ijo Le pays est rempli d'injustice el d'iniquité, 23. Dieu
■ Ion leurs voies, el il* sauront qu'il est Jahvé,
-.: . i i gloire de Jahvé emporte en vision le prophètes
ileiu ei lui fail voir les abominations idolâtriques
i|uis'\ commettent jusque dans le (empli Leui gravité
ne permet plu* que Jahvé ilmer pai les pi
vm, I 18 l"n périront, iuf ceux qui sont marqués du
lha\ , ix, 3-6. A i I « inlquib lai ibandonne
le pays tout entier ; il sei .i sans misi le, 9, 10. La
di lai t du temple sur le i
. i - i • princi ■ upal lalvi
999
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE
1000
xi. 1-12. Les survivants se sanctifieront au pays de la cap-
tivité; ils retourneront en Israël et y seront fidèles a
Dieu et à sa loi, 14-21. Cf. xn, 16. Toute prédiction de
Jahvé se réalisera, Xir, 25-28. Les fausses prophétesses,
qui empéclient le peuple de se convertir, ne prophé-
tiseront plus le mensonge, xm, 22, 23. Aux Vieillards
impurs qui viennent le consulter, Jahvé fait répondre
qu'Israël, pour échapper au sort qui l'attend, devrait se
convertir, car il punira tout Israélite idolâtre et injuste,
xiv, 1-8, ainsi que tout prophète trompeur, 9-11. Les trois
justes, Noé, Daniel et.Ioh, s'ils étaient encore au milieu
du peuple coupahle, ne le délivreraient pas du châti-
ment qu'il mérite, 12-20. La ruine de Jérusalem est
causée par les prévarications de ses habitants, xv, 8.
Cette ville s'est honteusement prostituée aux idoles,
qu'elle a honorées par des sacrifices humains et des
turpitudes; elle sera sévèrement châtiée, car elle est
plus coupable que Sodome et Samarie, xvi, 1-52. Jahvé
cependant lui pardonnera et fera avec elle une nouvelle
alliance, qui sera éternelle, 53-63. Mais la violation de
l'ancienne alliance sera punie, xvn, 19-21. Tous les
hommes appartiennent à Jahvé : les jusles vivront, mais
si leurs fils sont mauvais, ils périront, tandis que le fils
innocent d'un père coupable ne sera pas puni. L'impie
qui fera pénitence sera sauvé; le juste qui prévari-
quera sera châtié, xvm, 4-28. Ézéchiel considère donc
chaque individu dans ses rapports .avec Dieu autant
que le peuple entier, et cet oracle est un des premiers,
dont le caractère individualiste est des plus marqués.
La voie de Jahvé est équitable; celle des Israélites est
mauvaise. Qu'ils se convertissent, s'ils veulent vivre, car
Jahvé ne veut pas la mort du mourant, 29-32. Après
avoir rappelé les prévarications d'Israël en Egypte, au
désert et dans la terre promise, xx, 4-29, Jahvé refuse
de répondre aux anciens du peuple qui le consultent,
parce qu'ils ont été idolâtres comme leurs pères, 30,
31. Il établira son règne sur eux dans sa fureur, en
exterminant tous les impies, mais il ramènera les sur-
vivants à Jérusalem, malgré les crimes de leurs pères,
pour y être honoré par eux, pour la gloire de son nom,
32-44. Le roi de Babylone est, dans les mains de Jahvé,
un glaive tranchant, qui frappera bientôt Juda et Arti-
mon, xxi, 1-32. Ézéchiel fait une nouvelle description
des péchés de Jérusalem : l'idolâtrie et l'injustice, XXII,
1-31. Deux sœurs, la grande Oolla ou Samarie, la petite
Ooliba ou Jérusalem, se sont livrées à la fornication en
adorant les idoles de l'Assyrie, de l'Egypte et de la Chal-
dée. De même que la première a été livrée aux Assyriens,
ses amants, la seconde sera livrée aux siens, les Cbal-
déens, xxiii, 1-35. Les deux sœurs porteront ainsi la
peine de leur idolâtrie, 32-49. Jérusalem sera brûlée à
cause de ses violences et de ses impuretés, xxiv, 6-14.
Mais Ézéchiel prophétise aussi contre les peuples
étrangers: les Ammonites, les Moabites, les Iduméens
et les Philistins, xxv, 1-17, contre les Tyriens, xxvi,
1-xxviii, 24, contre les Égyptiens et les Assyriens, xxix,
1-xxxn, 32. Tous ces peuples orgueilleux seront hu-
miliés et apprendront ainsi à connaître que Jahvé est
Dieu, le seul Dieu, le Dieu de la terre entière.
Quand Jahvé aura humilié ces peuples, il sanctifiera
les restes d'Israël aux yeux de toutes les nations, et il
les rétablira à Jérusalem, pour qu'ils sachent eux-
mêmes qu'il est leur Dieu, xxvm, 25, 26. En effet s'il
fait périr l'impie qui persévère dans son impiété, il
conserve la vie à l'impie qui se convertit, xxxm, 7-9.
Or, il ne veut pas la mort de l'impie, mais sa conver-
sion. C'est un nouveau trait de la prédication indivi-
dualiste d'Ezéchiel. Aussi ce prophète doit dire à la
maison d'Israël de se convertir et lui montrer l'équité
des voies de Jahvé, 10-20. Quand Jérusalem eut été dé-
sistée par Nabuchodonosor, Jahvé lit annoncer aux ha-
bitants qui demeuraient dans les ruines de leur ville de
ne pas se llalter d'un vain espoir : leurs péchés les ont
voués à la ruine. 23-29. Jahvé demande ensuite aux pas-
teurs coupables d'Israël compte du troupeau qui leur
était confié et qui leur sera enlevé j causede leurs crimes,
XXXIV, 1-10. Lui-même gouvernera désormais ses brebis
dispersées; il les rassemblera et leur donnera pour chef
un nouveau David. Il sera leur Dieu, fera avec eux un
pacte de paix, les bénira, les protégera, et ne permettra
plus qu'elles soient l'opprobre des nations. Ces brebis,
ce sont des hommes, et lui est Jahvé leur Dieu, 11-31.
Si lTdumée doit être dévastée, parce que les Iduméens
ont versé le sang des Israélites et voulu s'emparer de
la -terre d'Israël, xxxv, 1-15. les montagnes d'Israël,
dévastées, seront repeuplées pour toujours, xxxvi, 1-15.
Jahvé, quia puni les crimes de leurs anciens habitants,
purifiera les survivants de leurs impiétés et de leurs
iniquités et les ramènera dans leur terre, 16-38. Ce
sera une résurrection, et les ressuscites auront l'esprit
de Jahvé, xxxvn, 1-14. Les survivants des deux royaumes
d'Israël et de Juda, une fois purifiés, ne formeront
qu'un seul peuple de Jahvé, qui marchera dans la pra-
tique de ses préceptes et qui sera le peuple saint de
Jahvé au milieu de toutes les nations, 15-28. Les enne-
mis, qui attaqueront ce nouveau peuple de Dieu,
seronte.xterminés par Jahvé, pour que toutes les nations
sachent qu'il est le Saint d'Israël, xxxviii, 1-xxxix. 2.
La maison d'Israël saura aussi que Jahvé est désormais
et pour toujours son Dieu, et qu'elle est son peuple,
purifié par la captivité et animé de l'esprit de Jahvé,
22-29. La 25e année de la transmigration, Ézéchiel vit
en vision la théocratie nouvelle, son temple, son culte,
et le partage du pays, xl-xlviii. Et le nom de la cité
nouvelle est : Jahvé est là, xi.viii, 35. Les deux princi-
paux caractères qu'Ézéchiel reconnaît à Jahvé. c'est la
fidélité à l'alliance conclue par lui avec Israël, à ses
promesses comme à ses menaces, et la sainteté, qui
punit les crimes, pardonne au repentir et bénit chacun
des fidèles observateurs de sa loi. Le caractère moral de
Jahvé, si fortement accusé dans les oracles de ce pro-
phète, s'unit parfaitement à la pratique des rites, dont
Ézéchiel a élaboré un plan nouveau pour l'époque de
la restauration d'Israël. Cf. Duhm. op. cit., p. 252-
263.
Un autre prophète de la captivité, Daniel, est, à la
cour des rois de Babylone, l'interprète du Dieu d'Israël,
dont il demeure le serviteur fidèle, Dan., I, en refusant
d'adorer les dieux de Nabuchodonosor et la statue du
roi, m, 12, 14,' 15. Dans les songes qu'il explique, dans
les visions qu'il voit, il a l'occasion d'énoncer les attri-
buts divins, et il donne à Jahvé des noms variés, qui
répondent bien aux mêmes attributs. Voir col. 73. C'esl
le Dieu des pères, sage et puissant, qui constitue les
royaumes et les transfère, qui donne aux sages la science
et la sagesse et qui révèle les secrets cachés, il, 20-23.
Ce Dieu du ciel a révélé l'avenir en songe à Nabucho-
donosor, 28, 29; il lui a donné son royaume, la puis-
sance et la gloire, 37. Nabuchodonosor le reconnaît
pour le Dieu des dieux, 47. Ce Dieu est assez puissant
pour tirer Daniel et ses compagnons de la fournaise
ardente, III, 17. Au nom de la justice et de la miséri-
corde de Jahvé, Azarias demande la protection divine
pour que les Chaldéens apprennent que Jahvé est le
seul Dieu, glorieux sur toute la terre, 26-45. Préservés
des flammes, les trois jeunes Israélites glorifient et
bénissent leur protecteur, 51-90. Nabuchodonosor dé-
clare que Jahvé est le seul Dieu qui puisse faire un
pareil miracle, 95, 96. Il écrit à tous ses sujets que le
Dieu très-haut lui a donné des signes merveilleux,
qu'il veut faire connaître, 99. ICO. Daniel, qui a l'esprit
des dieux saints, iv, 5, 6, a interprété le songe de l'ar-
bre, envoyé au roi pour qu'il apprenne que le Tr< s-
llaut donne les royaumes à qui il veut. li. 22. 29.
Guéri, Nabuchodonosor a rendu gloire au Très-Haut,
dont toutes les œuvres sont vraies et dont les voies sont
1001
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA RIRLE)
1002
justes, 31-31. Daniel le rappelle à Baltassar, son fils,
v, 18-21. Ce roi a honoré des dieux, qui ne voient ni
n'entendent ni ne sentent, et n'a pas glorifié le Dieu
qui tient son souflle et ses voies dans sa main, mais
s'est élevé contre lui, 22, 23. Ce Dieu lui fait dire que
son règne est fini et que son royaume devient le partage
des Mèdes et des Perses, 24-28. Malgré les ordres de
Darius, lianiel priait son Dieu; il fut jeté dans la fosse
aux lions, VI, 10-16. Darius avait l'espoir que son Dieu,
le Dieu vivant, le sauverait, 16, 20. Le Dieu de Daniel
envoya un ange pour protéger son serviteur, 22. Darius
promulgua par décret qu'il fallait, dans tout son empire,
craindre le Dieu de Daniel, le Dieu vivant, éternel et
tout-puissant, 25-27. Dans les visions, l'Ancien des
jours, qui siège sur un trône, juge les rois delà terre,
VII, 9-12, et donne au Fils de l'homme le pouvoir sur
tous les peuples, 13, 14. Daniel prie Dieu pour son
peuple. Dieu est, à ses yeux, grand, terrible, fidèle,
miséricordieux pour ceux qui l'aiment et qui observent
ses commandements, mais juste et sévère pour les
Israélites coupables, ix, 1-14. Qu'il fasse miséricorde à
Jérusalem et pardonne au repentir, 15-19! La prophé-
tie des semaines et celle des royaumes des Perses et
des Grecs montrent que Dieu connaît l'avenir, qu'il
est le maître des peuples et qu'il règle le sort des empi-
res. A Babylone. Suzanne craignait Dieu et avait été
élevée dans la loi de .Moïse, xm, 2, 3. Accusée par les
vieillards, elle mit sa confiance en Jahvé, 35, et elle de-
manda à ce Dieu éternel, qui connaît toutes choses
avant même qu'elles ne soient faites, de protéger son
innocence, 42, 43. Jahvé exauça sa prière et inspira
Daniel, 14, i5, qui savait que Dieu ne laisse pas périr
l'innocent et le juste, 53. Daniel n'adorait pas le dieu
Bel, une idole faite de main d'homme, mais le Dieu
visant, qui a créé le ciel et la terre et a pouvoir sur
toute chair, xiv, 3. î. Le roi prétendait que Bel vivait,
puisqu'il mangeait et buvait chaque jour. Daniel répon-
dit qu'il était de lerre à l'intérieur et d'airain à l'exté-
rieur, G, et il prouva par un habile stratagème que les
l'i rires enlevaient la nourriture qu'on préparait chaque
jour pour l'idole el faisaient croire que le Dieu l'avait
mangée, 7-21. 11 lit périr aussi un dragon que les Baby-
loniens adoraient, pour montrer qu'il n'était pas un
dieu vivant, mais que Juhvé seul était le Dieu vivant.
22-26. Il fut protégé par son Dieu dans la fosse aux
lions; ie roi loua la grandeur du Dieu de Daniel el le
fit honorer par loute la terre, 39-42.
Des psalmistes, probablement contemporains de la
captivité', soupirent après le Dieu vivant, après son
temple saint, dont ils sonl éloignés. Ils espèrent en
leur Dieu. L'abandon el l'oubli, dans lesquels Jahvé
semble b-s l . i j — î- ■ t que leurs | ji ■ rs. -i 1 1 1 1 • 1 1 rs leur re-
prochent, ne diminuent pas leur confiance en leurpro-
i. cteur et leur sauveur. Ps. \i i un . J-I2. Le souve-
nu- des bienfaits que Dieu a accordés à leurs pères
par amour, ranime leur espérance de la victoire. Dieu
i-t plus a la ti te des armées de Jacob; il disperse
le peuple parmi les nations, bien que ce peuple n'ait
lublié son Dieu, qu'il n'ait pas tendu ses mains
un dieu étranger. Dieu, qui connaît I
l'aurait-il pas vu ' Qu'il se réveille donc el
qu'il se lève pour secourir les siens! Ps. xi ni (XLiv),
\ la vue des ruines di lérusalem, Ps. i x\ni (lxxiv),
3-9. aux souvenirs >i bienfaits de Dieu. 2, 10-
de sa puissance i : 15-17, un psalmiste
demande à heu , il ., ,. j, t, |, Israélites pour tou-
li protection, I*--.!.;. Cf. Ps. i \\\ i
il), 8 21 . i.xxvim (uxxix . 1-13; i \\\ (i \\\i .
Quand la dynastie de David, -i qui Jahvé avait pr
Il stabilité, a été rci I than rappelle •> ce Dieu
ml el redoutable, au en ateur du ciel el de la ti
i l'égard de la famille royale.
uxviii i \wi\ i i, psalmiste anonyme ci li bre
la bonté et la miséricorde éternelle du Seigneur; il
appelle le secours divin pour son peuple coupable,
Ps. c.v (evi), 1-6, comme ses pères, 7-46, que Dieu a
néanmoins secourus. Que Jahvé rassemble les Juifs du
milieu des nations, pour qu'ils puissent célébrer son
saint nom ! 47.
VI. APRÈS LE RETOUR DE LA CAPTIVITÉ. — Le mono-
théisme spirituel, prêché par les prophètes du vme
et du vu0 siècle, avait été tenu en échec par la majorité
de la nation jusqu'à la destruction de Jérusalem par
les Chaldéens. Il triompha définitivement sur la terre
étrangère. Les véritables Israélites s'imprégnèrent pro-
fondément de son esprit pendant la captivité, et quand
l'édit de Cyrus leur permit de retourner en Palestine et
de relever les ruines de Jérusalem, en 588, une partie
du groupe fidèle revint, et la nouvelle communauté
d'Israël se réorganisa peu à peu selon l'espritdes pro-
phètes de la loi divine. Dès lors, Jahvé régna sans
rival parmi son peuple, en attendant que par la venue
du Messie, son règne parmi les nations commença à se
réaliser.
1° Sous la domination perse. — On ne peut voir
sans doute dans le décret de Cyrus une profession de
foi monothéiste en Jahvé, Dieu du ciel. II Par., XXXVI,
23; I Esd., î, 2-4. Il faut y voir seulement l'expression
des bons sentiments d'un conquérant accommodant et
habile politique, qui parle avec respect de tous les
dieux de ses nouveaux sujets et se donne comme leur
adorateur. Il cro\ait avoir reçu d'eux des ordres et il
autorise la continuation ou la reprise de leur culte.
F. Yigouroux, La Bible et les découvertes modernes,
6e édit., Paris, 1896, t. iv, p. 405-419. Les premiers
rapatriés relevèrent à Jérusalem l'autel du Dieu d'Is-
raël et recommencèrent l'offrande des sacrifices.
1 Esd., m, 2-6. Ils jetèrent les fondements du temple,
en célébrant à grands cris la bonté el la miséricorde
de Jahvé, 10-13. Les travaux interrompus par la jalousie
des Samaritains, iv, 1-5, furent repris en la deuxième
année de Darius et achevés la sixième, IV, 24; v. 1-15,
avec les encouragements des deux prophètes Aggée el
Zacbarie.
Au nom de Jahvé des armées, Aggée reproche aux
rapatriés de négliger la reconstruction du temple; les
i vaises récoltes des années précédentes sont la juste
punition que Dieu inflige pour cette négligence ; Jahvé
met son plaisir el sa gloire à cette résurrection, 1,1-11.
Jahvé esl avec les rapatriés en vertu de l'alliance con-
clue à la sortie d'Egypte, n, 5. Il a le pouvoir de bou-
leverser le ciel, la terre et la mer pour glorifier le
nouveau temple, plus petit que l'ancien, l'ont argent et
tout or lui appartiennent, 6-9, 21, 22. Parce qu'on a
obéi à ses ordres, Jahvé répand ses bénédictions sur
les champs, 16-19. Les huit premiers chapitres de
/î. harie ont rapport aussi à la construction du temple,
mais à un autre point de vue que les exhortations d'A.
ivemenl de la maison de Dieu \ esi présenti
comme devant amener la manifestation complète de la
laveur divine envers la communauté rentrée en grâce,
tandis que les pères avaient été puni- pour leurs crimes.
L'action de la providence dune' Be Fera donc sentir
bienfaisante A l'avenir, c imme elle a\ tait exi i
sévère el punissante dans le passé. Jahvé des arn
était irrité contre les péri ' dl
leurs œuvres mauvaises, que leurs III ne doivent pas
suivre, i, 2-5, 12, 14. Les pères n'ont pas écoute les
prophètes qui leur prêchaient la pratique de la v< ;
,le |a bonté el de la justice, el ils ont été puni- par la
captivité, vu, 8-14. Mais la nation s'est convertie, î, 6 ;
cette convei sioo i I urroux divin, l i
la communauté nouvelle recevra les bi nédictions divines.
La di ili ucUon di i i mpin di Babj lom . la délivi
du peuple captif, la i tîon du lempli
par Dieu, i ntque li corn mène ni de plus grands
1003
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE!
1004
bienfaits, i. 15-17; H, 4-17. La réhabilitation du grand-
prétre est aussi un gage de prospérité future, m, 1-10.
Cf. vi, 9 15. Le candélabre d'or à sept lampes entre
deux oliviers représente la vigilance de Jahvé et les
agents dont il se sert pour s'éclairer dans la formation
de ses bons desseins pour la communauté, IV, 10-14.
L'ancienne malédiction sort du pays, où il n'y aura
plus désormais de voleur ni de parjure, V, 3, 4. Les
jours déjeune, institués pour expier les fautes passées,
doivent être changés en joyeux jours de fête, vu, 1-7.
Jahvé aime Sion d'une passion ardente, et il en fera
une ville fidèle, une montagne sainte. Ses habitants
seront son peuple, et il sera leur Dieu en vérité et en
justice, VIII, 1-8. Eux, qui avaient été une malédiction
parmi les nations, seront une bénédiction, 9-16; mais
ils devront pratiquer la sincérité et la justice, car Jahvé
hait le faux serment, 16, 17. Les jeûnes sont changés
pour eux en jours de joie, à la condition qu'ils aiment
la vérité et la paix, 18, 19, et les nations viendront à
Jérusalem pour gagner la faveur de Jahvé et pour
chercher Jahvé des armées, 20-23. Cf. Duhm, op. cit.,
p. 314-318.
Si, avec M. Van Hoonacker, op. cit., p. 649-662, on
admet l'unité de composition de Zachsrie, i-vm ; ix-xi +
xni, 7-9; xii-xiii, 6 -f xiv, on considérera les promesses
messianiques de la seconde et de la troisième sections
comme la continuation des bénédictions prédites dans
la première à la nouvelle communauté. Les ennemis
vaincus, ix, 1-7, Sion sera sous la protection de Jahvé
à l'abri de toute invasion, et son roi messianique pro-
clamera la paix pour toutes les nations, 8-10, car Jahvé
aura combattu pour son peuple, 11-16. Après avoir
puni les mauvais pasteurs, Jahvé visitera son troupeau,
le sauvera et le fortifiera, x, xi. Le créateur du ciel,
de la terre et de l'homme annonce le triomphe de
Jérusalem sur ses ennemis, sa restauration et la régéné-
ration spirituelle de ses futurs habitants, XII, 1-10;
xiv, 1-5. 11 n'y aura plus en Jérusalem ni péché ni
souillure, et Jahvé en enlèvera les idoles, XIII, 1, 2.
Jahvé sera roi sur la terre entière, xiv, 9. Les nations
viendront honorer Jahvé des armées à Jérusalem, 16-
19, et lui offrir des sacrifices, 20, 21. Cf. Duhm, op. cit.,
p. 145-149.
Plusieurs psaumes semblent avoir été composés pour
célébrer la reconstruction du temple. Le ps. xcv (xevi)
invite tous les peuples delà terreà chanter leslouanges
de Jahvé, à bénir son nom, à célébrer sa gloire, car il
est grand, digne de louange et redoutable plus que tous
les dieux, qui ne sont que néant. Il a créé les cieux.
Tous les peuples doivent le reconnaître pour roi et
pour juge, un juge juste et fidèle à sa parole. Le ps. cxvn
(cxvin) convient à la dédicace du second temple. Le
peuple et les prêtres chantent la bonté et la miséri-
corde éternelle de Jahvé, 1-4. Jahvé a sauvé Israël,
qui l'avait invoqué; il l'a secouru, après l'avoir rude-
ment châtié, 5-18. Les portes du nouveau temple sont
les portes de la justice, par lesquelles les justes peuvent
entrer, 19, 20. Jahvé est Dieu; il faut le louer, 27, 28.
Lors de la destruction de Jérusalem par les Chaldéens,
les Iduméens se réjouirent de la chute de la capitale
juive. Lament., iv, 21,22; Ezech., xxxv, 5-15; Ps. cxxxvi
(cxxxvn), 7. C'est pourquoi Abdias, que Van Hoonacker,
op. cit., p. 285-297, reporte à l'époque qui suivit le
retour de la captivité, annonce que Jahvé détruira en-
tièrement ce peuple, 1-16, tandis qu'il sauvera Sion et
la rendra prospère, lui à qui appartient l'empire, 17-21.
Et un peu plus tard, Malachie déclare que cette
différence de sort vient de ce que Jahvé a aimé Jacob
et haï Ësau,i,2-4. De la vengeance infligée aux Iduméens,
les Juifs concluront que Jahvé est grand au delà du
territoire d'Israël, 5. Parce que Jahvé est père et
maître, il demande aux prêtres prévaricateurs comment
ils le craignent, alors qu'ils n'observent pas exactement
les prescriptions du rituel, 6-10. Son nom est grand
parmi les nations, 11, 14. Si les prêtres ne s'appliquent
pas de cœur à leurs obligations, Jahvé les maudira et
les châtiera, II, 1-4. En vertu du pacte conclu avec
l.évi, le prêtre doit être franc, intègre et droit, 5-9.
Jahvé est le père et le créateur de tous les Juifs, qui
cependant sont perfides et profanent lalliance, en
épousant, eux, chose sacrée que Jahvé aime, les filles
d'un dieu étranger, 10-12. Jahvé n'a pas pouragréables
leurs offrandes, parce qu'ils divorcent pour des raisons
injustes, 13-16. Ils lui sont à charge, parce qu'ils
disent : (Quiconque fait le mal est bon aux yeux de
Jahvé, qui se comptait en lui, ou bien : Où est le Dieu
du droit'.' 17. Ils sont donc mauvais; mais le Messie
renouvellera le sacerdoce et la nation, m, 1, 2; les
lévites offriront à Jahvé des sacrifices en justice; Jahvé
jugera les adultères, les parjures el les oppresseurs,
3-5, car il n'a pas changé, tandis que les Juifs n'ont
cessé de faire le mal, 6, 7. Pour revenir à lui, il ne
faudra plus frauder dans le versement de la dirne,
7-12. C'est à tort que les Juifs se plaignent de lui,
disant qu'ils l'ont servi en vain, qu'ils n'ont tiré aucun
profit de l'observation de sa loi. Ils estiment heureux
les arrogants, puisque ceux qui font mal sont dans la
prospérité et qu'ils échappent au châtiment, bien qu'ils
tentent Dieu, 13-15. Jahvé a entendu ces raproches et
il y a fait attention. Aussi.au jour où il agira, ceux qui
le craignent seront pour lui comme sa propriété,
comme des fils pour qui il sera indulgent. On verra
alors la différence qu'il fait entre le juste et le méchant,
entre celui qui le sert et celui qui ne le sert pas, 16-18.
Les méchants seront punis et les serviteurs de Jahvé
récompensés, 19-21. Que ceux-ci pratiquent donc la loi
de Moïse! 22. Jahvé veut que ses serviteurs accomplis-
sent non seulement les œuvres de la justice, mais aussi
les préceptes de sa loi et les rites eux-mêmes. Cf.
Duhm, op. cit., p. 318-320.
A cette prédication de Malachie on rattache aujour-
d'hui la double mission de Néhémie, qui aurait précédé
celle d'Esdras. L'idée que Néhémie a de Dieu est la
même que celle de Malachie. Il prie le Dieu du ciel, le
Dieu puissant, grand et terrible, qui est fidèle et misé-
ricordieux envers ceux qui l'aiment et qui observent ses
commandements. Il confesse ses péchés et ceux de son
peuple, et la justice de leur châtiment, prédit à Moïse,
et il demande que Jahvé écoute sa prière et celle des
Israélites qui craignent Dieu. II Esd., i. 5-11. Dieu,
qu'il avait prié, h, 4, lui rendit le roi des Perses favo-
rable, 8, et lui suggéra le dessein de relever les murs
de Jérusalem, 12. Il demandait le secours du Dieu du
ciel pour cette œuvre, 20. Quand les Samaritains y font
obstacle, Néhémie demande encore à Dieu le succès,
îv, 4,5, 9, confiant en la puissance de ce Dieu terrible,
li. Dieu dissipa les projets des adversaires, 15. Les
Juifs avaient raison d'espérer qu'il combattrait pour eux.
20. La crainte de I > i e n ne peut se concilier avec la
perception d'intérêt pour l'argent prêté, v, 9, el Dieu
punira ceux qui la feront, 13. Par crainte de Dieu.
Néhémie n'a pas prélevé les impôts auxquels sa charge
lui donnait droit, 15, et il espère que Dieu se souviendra
de ce sacrifice fait pour le bien du peuple et l'en bénira,
19, comme des ennuis que lui ont causés Tobie, Sana-
liallat et les prophètes qui le détournaient de son œuvre,
vi, 14. hieu suggère à Néhémie l'idée de recenser les
habitants de Jérusalem, vu, ô. Il donna à tous une
grande joie le jour de la dédicace des murs de Jérusa-
lem, xn, 42. Si le récit de II Mach., i, 20-36, est histo-
rique, Néhémie, pour retrouver le feu sacré, invoqua
Jahvé, le créateur, en rappelant tous ses attributs, 34.
25. Il avait réglé auparavant qu'on observerait les pres-
criptions divines, relatives aux mariages mixtes.
Il Esd., x, 30. Quand il revint à Jérusalem, la 32* an-
née d Arlaxerxès, il constata que l'abus de ces mariages
1005
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE;
1006
avait persévéré ainsi que d'autres, auxquels il mit bon
ordre, xm, 4-31. Dieu les avait permis, 18, mais Néhé-
mie espère que Dieu se souviendra de lui et qu'il le
bénira de ce qu'il a supprimé de pareils abus, 14, 22,
29-31.
Selon M. Van Hoonacker, op. cit., p. 312-314, le
livre de Jonas a été composé au milieu du Ve siècle.
Le même critique croit plus au caractère didactique et
moral du récit qu'à la réalité des faits racontés, dont
la mise en scène est destinée à inculquer plus forte-
ment les leçons morales. Or, dans la première partie,
i. ir, Jonas essaie de se soustraire à la mission que
Jahvé lui avait confiée, mais il est ramené à la côle par
un double miracle, i, 4; n, 1, afin de montrer qu'un
envoyé de Dieu prétendrait en vain s'affranchir de son
mandat, malgré la volonté divine. Dieu exerce sur son
prophète une autorité absolue et il a le pouvoir de se
faire obéir, l'autre part, Jahvé a aussi autorité sur les
nations païennes, puisqu'il envoie Jonas annoncera Ni-
nivc que la malice de cette ville est montée devant lui,
I, 2. Les matelots païens, effrayés de la tempête en-
voyée par Jahvé, le Dieu du ciel qui a fait la terre et
la mer, prient ce Dieu, qu'ils ne connaissaient pas,
d'épargner des innocents et de ne punir que le coupa-
ble, i, 7-16. Jahvé, qui les exauce, écoule donc favo-
rablement les prières de tous les hommes, même des
païens, qui, à ses œuvres, l'ont reconnu pour le vrai
Dieu. Le miracle du poisson prouve la toute-puissance
de Jahvé, qui disposait de moyens souverains pour
ramener un prophète récalcitrant à l'exécution de sa
mission. La prière de Jonas fut exaucée, et le prophète
rejeté à la cote par le monstre marin. La providence di-
vine s'exerce môme sur les coupables, pourvu qu'ils re-
courent à Dieu ; seuls, les serviteurs des idoles ne peuvent
compter sur la faveur de ceux qu'ils invoquent, il, 9,
10. Dans la seconde partie, Jahvé ordonne de nouveau
à.Ionas de prêcher à Ninive la destruction de la ville
coupable; mais les Ninivites croient en Dieu et font
pénitence, et Dieu, voyant leur conversion et leurs
actes de pénitence, changea de résolution et ne détrui-
sit pas leur ville, III, 1-10. Le prophète en conçut du
dépit ci se plaignit à Jahvé de sa clémence et de sa
longanimité. Dieu lui prouva parle miracle du ricin
que j'- plaintes étaient inspirées par un amour-propre
te, iv, 1-11. Dieu garde donc une indépendance
absolue; sa miséricorde peut toujours octroyer le par-
don au repentir. Jonas s'irrite à tort des procédés bien-
veillants de la providence divine, qui, miséricordieuse
autant que juste, s'éti nd à tous les hommes, païens el
Juifs.
Pour M. Van Hoonacker, op. <it., p. 145-154, l'oracle
de Joël est d'un peu postérieur an livre de Jonas.
A l'annonce de la proximité du jour de Jahvé, tout
I (but jeûner et se réunira la maison restaun
Jahvé, i. 14, 15, pour prier >' Dieu qui punit, 19. Ce
jour de Jahvé n'esl pas le jour de la ruine des ennemis
d'Israël, < m1 dans les anciens prophèti s, mais bien
celui du jugement de Jahvé -m tous les peuples, n, II.
Pours'j préparer, les Juifs doivent revenir à Jahvé de
tout leur cœur, car il est propice el miséricordieux,
plein de longanimité el très clément; il se repenl du
mal. dont il menace, el il revient sur les mesures ven-
qu'il a prises, 12, 13. Aussi, peut-être qu'au
lieu de la malédiction prédite contre Sion, laissera-t-
il mu' bénédiction, 11. Donc, que I [ue àSion
me assembléi générale pour crier à Jahvé An- pitié
de ion peuple; que ton héritage ne soit pis l'oppi
nations qui le dominent, et qu'elli - ni pui
leur Dieu ' I.VI7. Par amour, Jahvé
n |m uple, écai t.i de lui les maus annoi
lui . bienfaits mati riel el pli Ituel -.
Ii( - pour im . que Jahvé esl leut Di< u, qu il n'j
en a pas d'autre que lui, 27. Le jour de Jahvé sera donc
pour Israël un jour de bénédiction : Jahvé répandra
son esprit sur tous, m, 1-2 ; quiconque invoquera le
nom de Jahvé sera sauvé, 5; Juda et Jérusalem seront
restaurés, iv, 1, et les nations qui les ont opprimés,
seront jugées et punies, 2-16. Les Juifs sauront que
Jahvé, leur Dieu, habite à Sion, sa sainte montagne.
Jérusalem sera sainte et les étrangers n'y passeront
plus, 17; les biens messianiques y couleront, 18, tandis
que l'Egypte et l'Idumée seront châtiées. Juda et Jéru-
salem dureront toujours, et Jahvé demeurera à Sion,
19-21. Le nouveau peuple de Dieu ne périra pas. Cf.
Duhm, op. cit., p. 312.
Sous Arfaxerxès II, en 398, Esdras ramène en Judée
une nouvelle colonie d'émigrants. I Esd., vu, 1-26. Ce
scribe, instruit dans la loi de Moïse, reçoit du roi,
par la disposition de Jahvé, la mission de réorganiser
au lemple de Jérusalem le culte du Dieu du ciel. Il en
bénit le Dieu des pères, qui lui a fait obtenir cette fa-
veur du roi des Perses, 27, 28. Il ordonne un jeûne
pour obtenir la protection de Jahvé pendant le voyage.
Il avait dit au roi que la main de Dieu protège ceux
qui le cherchent dans la voie du bien, et que sa fu-
reur toute-puissante tombe sur ceux qui l'abandonnent,
Vlll, 21-23, 31. Les mariages mixtes étaient aux yeux
d'Esdras un grave manquement à la loi de Jahvé. Cette
iniquité du peuple s'ajoutait aux péchés des ancêtres.
Esdras en demande pardon au Dieu d'Israël, qui a in-
terdit de telles unions, IX, 6-15. Par une mesure radi-
cale, toutes les femmes étrangères furent renvoyées,
x, 1-44. Esdras fit lire le livre de la loi et célébrer la
fête des Tabernacles. II Esd., VIII, 1-18. 11 lit renouve-
ler l'alliance avec Jahvé. Pour lui et pour ses contem-
porains, Jahvé élait le seul et unique Dieu, le créateur
du ciel et de ses armées, des astres, de la terre et des
mers, le vivificateur universel. Il 'a choisi Abraham;
il a tiré Israël d'Egypte et lui a donné' au Sinaï s;i
loi. Ce Dieu propice, clément, miséricordieux, longa-
niine. n'a pas abandonné au désert les Israélites re-
belles; il les a introduits dans la terre promise et a
multiplié leur race. Ils l'ont irrité par l'abandon de sa
loi; ils ont tué les prophètes qu'il leur envoyait. Il les
a châtiés; ils sont revenus à lui dans le malheur, et
du ciel il les a exaucés. Il ne les a jamais abandonnés
malgré leurs apostasies réitérées, parce qu'il est misé-
ricordieux et clément. Il a été juste, depuis Le jour où
il les a châtiés par Assur. Tous avaient délaissé ses
préceptes. I i - voilà, eux, revenus sur la terre de leurs
que ses bénédictions se multiplient pour eux el
pour les rois, BOUS l'empire de qui il les a placés! i\.
6-37. Les conditions du nouveau pacte sont l'observa-
tion t i < I < le de ions les préceptes de Jahvé, 29-33.
Le peuple de Dieu est donc ainsi devenu la nation
sacerdotale de Jahvé, qui est le Dieu du ciel autant
que le Dieu d'Israël. Les prescriptions divines seronl
fidèlement observées; celles de la pureté, mêi txté-
rieure, parce qui' Dieu est saint, celles du culte, que
Jahvé Mol voir unies à la pratique de la justice et de
la morale. Le monothéisme esl garanti par la fidélité
aux pratiq ligieuses, im] par le Dieu unique,
,|ui mettaient Israël a l'abri des influences palei
par i iili-.i l mi-
nutieux. Depuis Néhémie el l Bdras, le règne de la loi
lut absolu chez les Juifs, i a pratique du culte \ en-
tretint li religion vivante, sans détruire la piété indi-
viduelle sous l'influence deaséchante du légalismi La
piété individuelle a'eal exprimée, ■> cetb dans
un < ii tain nombre de Psaumi
d un nationalisme surpri nant, traduisent la religion du
coeur i sur la fol m<
' de leun auti ui - au Don » Ivant de l uni*. >
i , •
Mm gique, chanti m aussi le culte publii
1007
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE]
1008-
Jahvé au temple de Jérusalem et recommandent cha-
leureusement l'observation intégrale de la loi divine.
Le ps. i. xxxiv (Lxxxv)est une action de grâce à Jahvé.
qui ;i ramené les captifs de Jacob, après avoir pardonné
leurs péchés et fait cesser sa colère contre eux, 2-4,
une demande de salut complet,' 5-8, et une brillante
description de la restauration dans la bonté et la vérité,
la justice et la paix, 9-14. Le très haut et le tout-puis-
sant est un refuge contre tous les dangers; on peut se
confier en lui. Ps. xc (xci). 1-16; cf. Ps. cxxv (exxvi),
1-6. 11 faut louer Jahvé, le créateur et le modérateur
de l'univers, Ps. xci (xcn), 2-7, l'éternel qui disperse
tous les méchants, 8-10, le Dieu juste qui récompense
les bons, 11-16. Jahvé est roi, un roi plein de majesté
et de force, dont le trône est éternel et qui est lui-
même magnifique dans les hauteurs, Ps. xcn (xcin),
1-i; ses promesses sont immuables et sa maison
sainte, 5. Il faut célébrer avec allégresse Jahvé, le
rocher du salut. Ps. xciv (xcv), 1, 2. C'est un grand
Dieu que Jahvé, un grand roi au-dessus de tous les
dieux, 3. Il a créé la terre et la mer, qui lui appar-
tiennent, 4, 5. Jahvé est le créateur et le Dieu d'Israël,
qui est son peuple et son troupeau, 6, 7, trop long-
temps infidèle, 8-11; il ne faut pas imiter la rébellion
des ancêtres. Jahvé est roi; la justice et l'équité sont
la base de son trône; il est le Seigneur de toute la
terre, qui tremble devant lui. Les cieux proclament sa
justice, et tous les peuples contemplent sa gloire. Les
adorateurs d'idoles seront confondus; tous les dieux se
prosternent devant Jahvé; il est le très haut et il leur
est souverainement supérieur. Les fidèles qui haïssent
le mal sont protégés par lui qui sème la lumière pour
le juste et la joie pour les cœurs droits. Ps. xevi (xcvn),
1-11; cf. Ps. cxxxiv (cxxxv). Tous les habitants de la
Palestine doivent servir Jahvé et reconnaître qu'il est
Dieu. Il a fait d'Israël son peuple; les Israélites
doivent le louer, car il est lion; sa miséricorde et sa
fidélité sont éternelles. Ps. xcix (c), 1-5. Le psalmiste
prie Jahvé; il s'est épuisé à crier vers lui. Ps. ci (en),
1-12. Jahvé, qui est assis sur un trône éternel, aura
pitié de Sion et lui fera grâce. Toutes les nations révé-
reront son nom, parce qu'il a rebâti Sion. Que le nou-
veau peuple célèbre Jahvé, qui a regardé de sa sainte
hauteur, des cieux, sur terre pour écouter les gémis-
sements des captifs! 13-23. Il est éternel, lui, le créateur
de la terre et des cieux. Ses créatures périront et
changeront, il reste immuable, et ses années n'ont
point de fin, 25-28. Béni soit Jahvé à cause de ses nom-
breux bienfaits! Ps. en (cm), 1-5. Il exerce la justice
et fait droit à tous les opprimés, 6. Il est miséricordieux
et compatissant, lent à la colère et riche en bonté. Sa
colère n'a qu'un temps, et il ne punit jamais autant
qu'on mérite de l'être. Sa bonté envers ceux qui le
craignent est aussi grande que les cieux sont élevés au-
dessus de la terre. Sa compassion est celle d'un père
pour ses enfants. L'homme n'est qu'une Heur, qu'un
souflle desséché ; la bonté de Dieu est éternelle ainsi
que sa justice. Jahvé a établi son trône dans les cieux,
et son empire s'étend sur toutes choses, 6-19. Cf.
Ps. cxliv (cxi.v), 1-21. Le ps. cm (civ) est un hymne
au créateur, infiniment grand, revêtu de majesté et de
splendeur, 1, 2. La nature entière, qu'il a faite, est à
son service. Il a tout créé, les cieux, la terre, les mers;
il est l'auteur de tout ce que la terre produit pour les
oiseaux, 1rs animaux et les hommes. Il a fait la lune et
le soleil, le jour et la nuit, 3-23. Ses œuvres sont nom-
breuses et laites toutes avec sagesse, 24-30. Gloire donc
à Jahvé dans ses œuvres! 31. Le ps. civ (c.v) est une
invitation à louer Jahvé et à faire connaître parmi les
nations les bienfaits qu'il a accordés à Israël et qui
sont décrits, 9-44. Le Dieu d'Israël se souvient éter-
nellement de sun alliance, 8, et il en remplit fidèlement
les conditions si Israël garde ses préceptes et observe
ses lois, 45. Les rachetés de Jahvé doivent dire : « Loue/
Jahvé, car il est bon et sa miséricorde est éternelli
Ps. evi (cvn), 1-3. Le psalmiste décrit ensuite à l'aide
de riches comparaisons ce que Jahvé a fait pour eux.
en répétant plusieurs fois : « Qu'ils louent Jahvé pour
sa bonté! » 8, 15, 21, 31. La conclusion est celle-ci :
« Que le sage remarque cette conduite de Jahvé et
qu'il comprenne les bontés de son Dieu! s 43. Cf.
Ps. cxxxv (cxxxvi), cantique de louange dont le refrain
est: « Car sa miséricorde est éternelle. » Un psalmiste
chante lui-même parmi les nations la bonté et la fidé-
lité de Jahvé. Ps. cvn (cvm), 4, 5. Dieu est plus élevé
que les cieux, et sa gloire brille sur toute la terre, 6,
parce qu'il a secouru Israël contre ses oppresseurs,
12-14. Cf. Ps. cxn (cxm), 1-9. Un autre psalmiste loue
Dieu de tout son cœur, des grandes œuvres qu'il a
faites pour Israël. Ps. ex (exi), 1. 2. Sa justice sub-
siste à jamais, 3 ; il est miséricordieux et compatissant,
4; ses œuvres sont vérité et justice; ses commande-
ments sont immuables, portés selon la droiture et la
vérité, 7, 8. Son nom est saint et redoutable, 9. La
crainte de Jahve est le commencement de la sagesse,
et ceux qui observent sa loi sont véritablement intel-
ligents, 10. Cf. Ps. exiv et cxv (cxvi), cxvi (cxvn),
CXLV (CXLVl)-CL.
Une dernière série de ces cantiques recommande
l'observance de la loi divine et en fait l'élcge. Le ps. exi
(cxn) proclame heureux l'homme qui craint Jahvé et
qui met son plaisir à observer ses préceptes. Le long
ps. cxvm (cxix) célèbre à maintes reprises la beauté de
la loi divine et son prix inestimable. Elle éloigne du
mal et procure la sagesse. Le vrai fidèle doit la méditer
sans cesse et la pratiquer le plus fidèlement qu'il
pourra, parce qu'elle vient de Dieu et qu'il a promis
miséricorde et pardon à ceux qui la gardent. Dieu est
bon et bienfaisant, 68; il est le créateur de l'homme,
73; ses jugements sont justes, 75; sa fidélité est durable,
comme la terre qu'il a créée, 90. Tout subsiste d'après
ses lois, et tous les êtres obéissent à ses ordres, 91. Il
est juste; ses jugements sont équitables. 137. 138,etsa
justice est éternelle, 142. Ses miséricordes sont infi-
nies, 156. Les psaumes graduels ou cantiques des
montées chantent la joie de venir à Jérusalem en pèle-
rinage. Jérusalem est sainte, parce qu'elle contient la
maison de Jahvé, la maison où les lévites le servent.
Le secours vient de Jahvé, qui a fait le ciel et la terre.
Ps. cxx (cxxii, 2; cxxm (cxxiv), 8; cxxxni (cxxxn
Jahvé siège dans les cieux. Ps. cxxu (cxxin), 1. Heu-
reux l'homme qui craint Jahvé et qui marche dans
ses voies! Ps. cxxix (cxxvm), 1-6. Jahvé connaît toutes
les pensées de l'homme qui ne peut lui échapper: sa
science est donc infinie comme son immensité.
Ps. cxxxvm (cxxxix), 1-12. Il a créé l'homme dont il
sait les destinées futures, 13-16.
2° Sous la domination syrienne. — Quelques-uns
de ces psaumes appartiennent probablement à la pé-
riode syrienne et nous représentent la croyance juive
à une époque sur laquelle nous sommes peu rensei-
gnés. Nous n'avons pas de documents certains dates du
ine siècle. Du m siècle, nous avons les livres des Ma-
chabées et les écrits sapientiaux de l'Ecclésiasle, de
l'Ecclésiastique et de la Sagesse. Les livres îles Macha-
bées célèbrent l'héroïsme de la foi des Juifs li<l
Quand Séleucus Philopator (187-175 envoya lléliodore
piller le trésor du temple de Jérusalem sous le ponti-
licatd'Onias III, le peuple invoqua le Dieu tout-puissant,
qui intervint visiblement pour chasser l'usurpateur.
11 Alach.. m, 23-30. Celte intervention divine eut lieu
en considération du grand-prêtre, 33. lléliodore, frappé
par Dieu, fut invité à proclamer sa puissance: il offrit
un sacrifice et publia partout les œuvres et la puissance
du grand Dieu qui habite au ciel et qui est honore à
Jérusalem, 34-39. Sous le règne d'Antiochus Epiphane
1C03
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIRLE1
1010
(175-161), des Juifs abandonnèrent la foi de leurs pères
et adoptèrent les mœurs grecques. I Macli., i, 1 "2-16. Au
retour de sa seconde campagne en Egypte, Antiochus
enleva du temple les vases sacrés. Dieu, irrité des
fautes de son peuple, ne punit pas cet usurpateur
comme il avait puni Héliodore. Le lieu saint, qu'il avait
choisi pour demeure, fut abandonné à cause des crimes
de la nation et de la colère du tout-puissant. II Mach.,
v, 16-20; IMach., i, 23, 24, 38, 39. Le culte de Jahvéfut
aboli, I Macli.. i. 41, 46-52, et des temples furent élevés
aux idoles, 50, 57-60. IIMach., VI, 1-7.11 y eut des apos-
tats, I Macli. , i. 55, 62, mais aussi beaucoup de fidèles et
de martyrs, 65, 60. Le vieil Éléazar préféra la mort à
la désobéissance aux lois divines, II Mach., VI, 23, et
lis supplices des hommes au châtiment de Dieu, 26,
s'en remettant à la connaissance que Dieu avait de ses
dispositions. 30. Les sept frères avaient les mêmes sen-
timents, au témoignage de l'aîné, vu, 2, et ils atten-
daient de Dieu, qui sait la vérité, la consolation de
leurs maux, 6. Le troisième et le quatrième espéraient
du Dieu du ciel la résurrection de leurs corps, 11, 14.
Le cinquième en appelait à la puissance de Dieu, qui
vengera son peuple, 16,17, et le sixième avertit le tyran
qu'il ne compte pas sur l'impunité de la part de Dieu,
19. Leur mère avait en Dieu la même espérance; elle
le reconnaît comme le créateur du monde et l'auteur
de la vie des hommes, 23, 29. Le plus jeune menace le
roi du châtiment de Dieu, qui permet la persécution
des siens à cause de leurs péchés, mais qui, après la
conversion des coupables, punira le persécuteur, 31-36.
Il supplie Dieu de montrer qu'il est le seul Dieu, 37,
et se représente, lui et ses frères, comme des victimes
qui apaiseront la colère du tout-puissant, 38.11 soutint
jusqu'à la morl sa confiance en Jahvé, iO.
Le prêtre Mathalhias et ses fils se révoltèrent contre
le tyran, confiants dans le secours divin, parce qu'ils
ne voulaient pis abandonner la loi et les justes pré-
ceptes de Dieu. I Mach., il, 21. Ils s'encourageaient
dans la Gdélité à la loi par l'exemple des anciens, 49 63.
Judas pensait que la victoire lui viendrait du ciel plu-
tôt que de son année, Dieu pouvant également le déli-
vrer d'un li.hhI nombre comme d'un petit nombre d'en-
nemis, m, 18. 19. Sis soldats combattront, mais Jahvé
renversera les ennemis d< vant eux, 21, 22. Les r.
comptaient donc principalement sur le secours de
Dieu. 53, soumis qu'ils i taienl ■< la volonté divine jus
qu'à la mort, 60. Leur confiance se fondait sur le sou-
venir de la protection de Dieu au passage de la mer
Rouge ci sur l.i fidélité de Jahvé à l'alliance qu'il avait
contractée avec leurs pères. Grâce à l'intervention
divine eu leur faveur, toutes les nations sauront que
Jahvé (|ui sauve l sraël . iv, 9-11. Nicanor comptai!
sur la vieil. ne et ne pensait pas que le tout-puissani
tirerait vengeance de lui. Il Mach., vin, II. Les Juifs,
qui ne croyaient pas ;> la justice de Dieu, prenaient la
lu de. 13 ; d'autres vendaienl leurs biens et demandaient
■i Jahvé de les délh 1 1 i de l impii généi al, sic
leur considération, di l'alliance faite
les ancêtres el parce qu'i ux-mémes avaienl invo-
qué son nom grand el saint, li. 15. Judas se de, non
i omme son advi rsaire dai s la fon on ar e,
dans le loul pui .mi qui, d'un seul acte di
lonté, peut détruire i univi i -, 18, el il se souvient des
ura « i t j il ., donm - auln fois à Israël, spécialement
contre Sennachérib, 19. 20. Sous l'étendard du secours
de Jahvé, 23, il fui aidé i ai l< tout puissant
.une'- bénil Jahvé, qui avait commi ncé -■ n i and ri m
l sa miséricorde, 27. dont elle demande la conti
Duation, J9 Avanl une autre bataille, Judai invoqua
mveur d'Israël i i lui rappi lanl la protection qu il
donm ■ a in ai mes de hav id el de Jonall
anda la vu lui i . poui les siennes. I Mach., iv, 3
nor, humilié par Dieu, Il Mach., sut, 35, publiait
partout que Jahvé protège les Juifs, 35. Antiochus
Épiphane, que Jahvé, Dieu d'Israël, avait frappé d'une
plaie invisible, ix, 5, ne reconnut pas d'abord la puis-
sance de Dieu, s'exerçant sur lui, 8. Ne pouvant sou-
tenir lui-même la puanteur qui s'exhalait de son corps,
il avoua qu'il était justement puni et il eut recours à
la miséricorde divine, 12,13, promettant de rendre les-
vases du temple et de proclamer la puissance de Dieu,
16, 17. Il reconnut le juste jugement de Dieu, 18.
Vainqueur, Judas purifia le temple et rétablit le culte.
I Mach., iv, 42-58; II Mach., x, 1-3. Les Juifs, prosternés
à terre, suppliaient Jahvé, demandant que de pareils
maux ne leur soient plus infligés à l'avenir et que
leurs péchés soient réprimés plus doucement. IIMach.,
x, 4.
Sous Antiochus Eupator, Judas implora le secours
de Jahvé au début de son expédition contre l'Idumée,
16. Quand Timothée, chef de l'armée syrienne, recom-
mença la guerre, Judas et ses soldats suppliaient Dieu
de leur être favorable, 25, 26. Dès le début de la ba-
taille, Jahvé leur donna un gage de succès, 28, puis
intervint visiblement pour leur assurer la victoire com-
plète, 29-31. L'armée bénit Jahvé des merveilles opérées
par lui pour Israël, 38. Lysias, ne reconnaissant pas la
puissance de Dieu, xi, 4, vint avec de nouvelles troupes
envahir la Judée. Judas et les siens demandent avec
larmes le salut, 6. Une intervention divine donne une
nouvelle preuve de la miséricorde de Jahvé et est un
gage assuré de victoire, 8-10. Lysias, jugeant les Hé-
breux invincibles grâce à la protection du Dieu des mi-
séricordes, conclut la paix, 13. Dans ses autres guerres,
Judas invoque le juste juge, xn, 5, le grand prince du
monde, qui autrefois a renversé Jéricho sans armée,
15, 16, le tout-puissant, 28, Jahvé, son auxiliaire et le
chef de la guerre, 36, et il obtient le secours divin, 10;
la présence du Dieu qui voit tout répand la terreur
dans l'armée ennemie, qui prend la fuite, 22. Des Juifs
portaient sous leurs tuniques des objets consacrés aux
idoles, 40; ils périrent au combat par un juste juge-
ment de Dieu, 41, et Judas fit offrir à Jérusalem un sa-
crifice pour l'expiation de leur faute, 42-46. Le roi des
rois excite l'animosité d'Lupator contre le traître Mé-
nélaûs, xin, 4. Eupator s'avançanl contre la Judée,
Judas commanda des prières publiques pour réclamer,
fois encore, le secours de Dieu, 10-12.11 remettait
l'issue de l'expédition su jugement de Jahvé, le créateur
(li nde. 13, li. Il remporta la victoire, grâce à la
protection divine, 17.
Sous li règne de Démétriua I« (162-150). Nicanor
menaçait de renverser le temple de Jérusalem. Les-
prêtres invoquèrent celui qui avait toujours combattu
pour leur Dation ; ils demandaient au maître de toutes
choses, qui n'a besoin de rien, de sauvegarder la mai-
son qu'il avaii choisie, el le saint des saints de la pro-
téger contre ton le souillure. I Macli . . vil. .17. . V 1 1 M.n h . .
siv, 34-36. Nicanor voulait attaquer Judas un jour de
sabbat. Les Juifs qui l'accompagnaient lui représentèrenl
que le Dieu vîvantet puissant, qui est au ciel, ordonnai!
li repos en ce jour. Il Mach., xv, 1-4. il voulait B'empa
rer de Judas; celui ci espérai! toujours en Dieu e! ra
vivaii l'espérance de ses soldats dans le tout-puissant,
qui enverrait du ciel li victoire, 78. A la veille de la
bataille, il demanda au Seigneur de renouveler la dé-
faite miraculeuse de l'armée de Sennachérib, I Mach.,
\ n. il . 12 ; Il Macb.. xiv. 21 21. Sa prière et celle di
soldais furent exauo nfortés par la présence de
Dieu, i la eurent lu victoire et en rendirent grâces au
tout-puissant, 26-20, ■ I Juifs de Jérusalem, dans
d'Êg] pli
\ | > i ■ le triomphe, nd< lettre pour
leur annoncer que Dieu i exaucé l< un prit n . el ils
souhaitent qu i n souvenir de son alliance avi i li
( ■ i li e el leur donne
1011
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE'
1012
le véritable esprit religieux. II Mach., i, 1-8. Une troi-
sième Lettre rappelle le secours divin, accordé contre
Antioclms et ses successeurs et bénit Dieu, qui les a
délivrés de grands maux et leur a livré les impies, 11,
17. Elle se termine par un acte de confiance absolue
en Dieu, leur sauveur, n, 17-19. Avant de mourir,
Simon Machabée souhaite à ses frères le secours du
ciel. I Mach., xvi, 3.
Le livre do l'Ecclésiaste qui, par un simple procédé
littéraire, fait parler Salomon, est rapporté par les cri-
tiques au IIe siècle avant Jésus-Christ. L'auteur, un
désabusé des choses humaines, a gardé inébranlable
la foi au Dieu personnel de ses pères. Selon lui, Dieu
a fait et fait encore toute chose belle en son temps, au
temps qu'il a fixé; il a mis au cœur de l'homme la pen-
sée de l'éternité; mais sans que l'homme puisse com-
prendre parfaitement ce que Dieu a fait, m, 11. Le
bien-être de la vie est un don de Dieu; l'homme peut
en jouir, 13; vin, 14; ix, 9. Tout ce que Dieu fait, il le
fait constamment de même, pour qu'on le craigne, III,
14, 15. Dieu jugera un jour le juste et le méchant, 17,
et il remet son jugement à plus tard pour éprouver les
hommes et leur faire comprendre leur valeur, 18. Le
jugement de Dieu porlera sur toutes les actions de
l'homme, XI, 9. Dieu est au ciel, et la prière que l'homme
lui adresse depuis la terre n'a pas besoin d'être multi-
pliée, v, 1,2. On doit remplir promptement les vœux
qu'on lui a faits, 3, 4. Il ne faut pas parler ou agir de
façon à irriter Dieu et à rendre nuls ses propres actes,
mais craindre Dieu, 5, 6. Dieu donne à chacun la durée
de sa vie, 17, et aux uns les richesses, 18, 19, sans leur
permettre d'en jouir constamment, VI, 2. Il a fait le
jour du bonheur et le jour du malheur, et personne ne
pourra changer son œuvre; il faut donc jouir du bien
et se résigner au malheur, 13, 14. Celui qui craint Dieu
évite les excès, 18. Celui qui est agréable à Dieu échappe
à la femme mauvaise, qui enlace le pécheur, 26. Dieu
a fait l'homme droit, capable de faire le bien; mais
l'homme cherche beaucoup de subtilités pour dévier du
droit chemin, 28. Le bonheur est pour ceux qui craignent
Dieu et qui marchent dans la crainte en sa présence;
il n'est pas pour le méchant, qui n'a pas la crainte de
Dieu, vin, 12, 13. Les justes et les sages sont dans la
main de Dieu et dépendent absolument de lui, IX, 1.
C'est Dieu qui fait tout, et l'homme ne connaît pas ses
desseins, xi, 5. Il faut se souvenir de son créateur dès
la jeunesse et ne pas attendre, pour le faire, les jours
mauvais, XII, 1, avant que l'esprit retourne à Dieu qui
l'a donné, 7. Le résumé de tout le discours est celui-ci :
« Crains Dieu et observe ses commandements; c'est là
le tout de l'homme, car Dieu jugera toute action, bonne
ou mauvaise, » 13, 14.
L'Kcclésiastique est du début et sa traduction grecque
est de la fin du n« siècle. Le fils de Sirach déclare, dès
le premier mot, que toute sagesse vient du Seigneur
et qu'elle est éternelle, créée qu'elle a été avant toutes
choses par le Seigneur, assis sur son trône, lui-même
le seul sage, grandement redoutable. Il l'a libéralement
communiquée à ceux qui l'aiment, I, 1-11, en particulier
à Israël. Cf. xxiv, 3, 12. Cette sagesse consiste dans la
crainte et l'amour du Seigneur, dont elle est le commen-
cement et la racine, la plénitude et la couronne, 13, l 'i,
16, 18, 20. Ceux qui la servent, servent le Saint, IV, 1 1 ;
tous les biens viennent d'elle, x, 19,21,23; xv, 1-6,
x\ m, 27; xxv, 11 ; xxxn, 14-16; xxxiv, 14-17 ; xl, 26,
27. Il faut la pratiquer, en observant les commande-
ments, 26, 27; xix, 18. Malgré l'épreuve, il faut avoir
confiance en Dieu et en sa miséricorde, il, 3-10, car le
Seigneur est compatissant et miséricordieux; il remet
les péchés et délivre de l'affliction, 11. Ceux qui
craignent le Seigneur doivent lui obéir et ne pas le
redouter; car il a autant de miséricorde que de puis-
sance, 15-18. Le Seigneur veut que le père soit honoré
par ses enfants, III, 2, 7. 15; il est maudit de Dieu
celui qui irrite sa mère, 16. L'humble trouve _
devant Dieu, dont la puissance est grande, 18, 19. Dieu,
qui a fait le pauvre, exauce sa prière, IV, 6. Le Seigneur
combattra pour celui qui combat jusqu'à la mort pour
la vérité, 28. Il punira celui qui satisfera sa convoitise.
Le pécheur ne doit pas se rassurer sur la patience de
Dieu; de lui viennent la pitié et la colère, et son cour-
roux tombe sur les pécheurs, v, 2-7. Dieu n'a pas pour
agréables les sacrifices et les offrandes du pécheur, vu.
9; xxxiv, 19; mais ceux de l'homme juste, xxxv, 3-11. Le
culte est en l'honneur du Très-Haut, du tout-puissunt.
du grand roi, du miséricordieux, L, 14, 15, 17, 19. Il
faut craindre le Seigneur de toute son âme et aimer son
créateur de toutes ses forces, honorer les prêtres et
leur donner la part de la victime qui leur revient, vu,
29-31. Le succès d'un homme est dans la main du
Seigneur, qui donne aux chefs l'autorité dont ils
jouissent, x, 5, comme il la leur enlève et il règle le
sort des nations, 14-16. L'orgueil est odieux à Dieu; il
éloigne de Dieu et il est puni par Dieu, 7, 12, 13. Le
sort des grands dépend de Dieu, dont les actions sont
étonnantes, xi, 4-6. Les biens et les maux, la vie et la
mort, la pauvreté et la richesse viennent du Seigneur,
ses dons sont pour les justes, 14, 15. Il ne faut pas se
scandaliser de la prospérité du pécheur, car Dieu peut
facilement enrichir le pauvre, et sa bénédiction est la
récompense de l'homme pieux, 19, 20. Il sera facile au
Seigneur, au jour de la mort, de rendre à l'homme
selon ses œuvres, 24. Il récompense le bien fait à
l'homme pieux, xn, 2. Le Très-Haut hait le pécheur et
il tirera vengeance des impies, 6. Le Seigneur n'a pas
épargné le pécheur, il hait tout ce qui est criminel. Il
a créé l'homme libre, 11-17. Sa sagesse est grande, il
est fort et puissant, et il voit toutes choses; il connaît
toutes les œuvres de l'homme, et il n'a donné à per-
sonne la permission de pécher, 18-20. Dans l'histoire,
il a puni les grands coupables, xvi, 6-10. l'as même un
seul ne restera impuni, car du Seigneur viennent la
miséricorde et la colère ; puissant en pardon, il déchaîne
aussi sa colère; autant est grande sa miséricorde, autant
ses châtiments sont rigoureux; il jugera l'homme selon
ses œuvres, 11-14 ; xxvi, 19. Il punit les fautes contre le
prochain, XXVIII, 1 ; l'auteur appelle le Seigneur « père et
souverain maître de sa vie », xxxm, 1, 4. Personne ne
pourra échapper à son regard dans aucun lieu que ce
soit, puisque le ciel, la mer et la terre sont ébranlés,
quand il les visite, XVI, 15-21. Le fils de Sirach de-
mande à Dieu d'être préservé des péchés.
Dieu a créé toutes choses, qui subsistent telles qu'il
les a faites, dans le bel ordre que nous constatons, xvi,
22-28. Toutes les œuvres du Seigneur sont très bonnes.
et tousses ordres s'accomplissent en leur temps, xxxix.
16-18, 25-35; xlii, 15-xliii, 33. Il a fait l'homme et il a
assigné un terme à sa vie. Il l'a fait moral et religieux,
lui a donné une loi et lui a interdit l'iniquité: il veille
sur toutes ses voies, xvn. 1-13, 15-19; xu. :>. i. 11 assigne
un chef à chaque peuple, mais Israël est sa portion
chérie, 14. Le créateur de tout \it éternellement; seul,
il est juste; l'homme ne comprendra jamais parfaite-
ment ni ses perfections ni ses œuvres, xvm, 1-â. Parce
que l'homme ne vit pas longtemps, le Seigneur est
patienta son égard; il est miséricordieux pour tous; il
reprend, il corrige, il instruit, il ramené au bercail et
il a pitié de tous, 8-13. Au dernier jour, au temps de la
colère et de la vengeance. Dieu détournera son visage
de celui qui n'aura pas exactement accompli ses vieux.
21-23. Les yeux du Très-Haut sont mille fois plus
brillants que le soleil. Dieu sait l'adultère secret, qu'il
interdit, comme il connaissait l'univers avant de l'avoir
créé, xxiii, 18-20, 23. Il faut bénir le Seigneur, le
créateur el l'auteur de tout bien, xxxn. 13. L'on ne
peut se cacher à ses yeux, et son regard atteint de
1013
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA RIRLE)
1014
l'éternité à l'éternité, xxxix, 19, 20. Celui qui se confie
au Seigneur ne souffrira aucun dommage, 23; le
malheur ne lui surviendra pas, et s'il est éprouvé,
Dieu le délivrera, xxxm, 1. Dieu est l'auteur de l'iné-
galité des conditions, 10-13 ; ses œuvres sont diverses
et opposées l'une à l'autre, 15. Le Seigneur est un
juge, qui ne fait pas acception des personnes; il écoute
la prière de l'opprimé, de la veuve et de l'orphelin; il
juge selon l'équité et rend justice. II punira les oppres-
seurs, individus ou peuples, et prendra en main la
cause d'Israël opprimé, xxxv, 11-19. Le tils de Sirach
prie, pour la délivrance de son peuple, le souverain
Seigneur, Dieu de l'univers, qui manifestera aux na-
tions sa puissance et sa grandeur, comme il a mani-
festé sa sainteté en punissant Israël coupable, et leur
apprendra qu'il n'y a pas d'autre Dieu que lui, xxxvi,
1-5. Il fait appel à l'alliance, 8, pour que Dieu ait pitié
de son peuple premier-né, 12. Que tous les habitants
de la terre reconnaissent que Jahvé est le Dieu des
siècles! 17. Il remercie le Seigneur, roi, son sauveur,
qui l'a fait échapper lui-même à un péril mortel, i.i,
1-12.
3° Sous l'influence de la philosophie grecque. — Le
fils de Sirach était un juif de Palestine, tout pénétré
de l'esprit de sa race; l'auteur de la Sagesse est un
juif alexandrin, qui a subi l'inlluence de l'hellénisme.
Comme l'Ecclésiaste il parle au nom de Salomon, mais
sa langue est le grec vulgaire de l'époque. La sagesse
qu'il recommande consiste dans la justice et la droi-
ture morale, conforme à la volonté de Dieu et à sa loi.
Au contraire, les pensées perverses séparent de Dieu,
et la sagesse ne s'associe pas à l'iniquité. L'esprit saint
et sage de Dieu aime les hommes; néanmoins, il punit
l'impie, dont Dieu sauve le cœur, car son esprit rem-
plit l'univers et lui qui contient tout entend tout ce qui
se dit. Dieu punira donc tous les discours et toutes les
pensées des impies, 1-10. Dieu n'a pas fait la mort, et
il n'éprouve pas de joie de la perte des vivants, 13, 1 i ;
la justice est immortelle, 15; le péché et l'impiété font
mourir. 13, 10. Les impies oppriment le juste, qui
prétend posséder la science divine et se nomme lils
de Dieu, se vantant d'avoir Dieu pour père et d'être
finalement heureux, m. 12 Kl. Si le juste est fils de
Dieu, Dieu prendra sa défense et le délivrera des mains
adversaires, 18. Mais si, selon les secrets desseins
de hieu, le juste est éprouvé ici-bas, Dieu le rémunérai a
plus tard, car il a créé l'homme pour l'immortalité,
2-2. 23. Il l<- récompensera, après l'avoir éprouvé, ni,
1-9. Les impies, qui se sont éloignés de hieu, seront
châtiés, 10. Le juste est agréable a Dieu, iv, 10. 14, qui
brisera les impies. 18-20. Les iustesviventéternellement,
et leur pi i après du Seigneur, cf. vi, is ;
le tout-pin uci d'eux >■! il les protégera contre
les insensés, v, 15-23. Les rois doivent chercher la
l .i force leur a élé donnée par le Seigneur et
li puissance par le Très-Haut, qui examinera leurs
el sondera leur pensée. Ministres de la royauté
de Dii u. il- doivent pratiquer la loi et faire la volonté
divine; sinon, ils seronl jugés sévèrement, vi, !-<>. Le
rain de tous ne reculera devanl personne
il est le créateui d< ■ grands el di - petits, el il prend
soin des uns el des autres, 7.
La - !-• - se, 'i el de nature dn ine .
elle e-i le souffle 'l.- I.i puissance île hieu, mie pure
émanation de la gl du tout-puissant; elle esl l<
plendissemenl de la lumii re éternelle, le miroir on
de l'activité de hieu el l'image de §a bonté,
»tl, 25, 56, \n- i hieu n'aime-t-i) que celui qui habile
28. Klle-méme habite avec hieu. <i.
qui elle dérive, el le Si igneui de toutes choses l'aime,
vin, 3, L'auteur la demande au Dieu de les peu
Dieu de nu éricorde qui .i fui i univers par m parole
'•t qui. pai établi l'hommi poui i agir le
monde dans la sainteté et la droiture et exercer l'empire
sur les autres créatures dans [la droiture de son cœur,
ix, 1-3. Dieu, créateur de l'homme, x, 1, a puni les
Sodomitcs coupables, 8; il a combattu pour les Israé-
lites, 20, en faisant périr les Égyptiens, comme un roi
sévère et en éprouvant les survivants comme un père
qui avertit, xi, 10; ceux-ci reconnurent dans la défaite
la main du Seigneur, 13. Cette main toute-puissanle,
qui a fait le monde d'une matière informe, aurait pu
frapper l'Egypte d'autres plaies, 17-19 ; mais Dieu a
tout réglé avec mesure, nombre et poids, car la sou-
veraine puissance est toujours à ses ordres, et personne
ne peut résister à la force de son bras. Le inonde est
devant lui comme un atome, comme une goutte de ro-
sée; mais, parce qu'il est puissant, il a pitié de tous,
et il ferme les yeux sur les péchés des hommes pour
les amener à la pénitence. Il aime toutes les créa-
tures, qu'il a faites par amour. Elles ne subsistent que
parce qu'il le veut; il les conserve, parce qu'il les a
appelées à l'existence, 20-25. Il ne châtie les coupables
que par degré, il avertit et reprend les pécheurs, pour
qu'ils renoncent à leur malice et croient en lui, xii, 2.
L'auteur cite en exemple la conduite de Dieu à l'égard
des tribus chananéennes, 3-11. Si Dieu a été indul-
gent pour elles, ce n'est par crainte de personne, car
personne ne peut demander des comptes à Dieu. Il
n'y a pas d'autre Dieu que lui, qui prend soin de
toutes choses afin de montrer sa justice, règle de sa
conduite, et c'est parce qu'il est le Seigneur de tous
qu'il use d'indulgence envers tous. Maître de sa force,
il juge avec douceur, car il aura toujours la puissance
à sa disposition pour châtier quand il le voudra, 11-18.
Cette conduite de Dieu a appris à son peuple que le juste
doit être humain et que, s'il pèche, il aura le temps de
se repentir, 19-22. Les Égyptiens, qui regardaient
comme des dieux les plus vils animaux, ont été punis,
et voyant dans les plaies qui les frappaient la main de
hieu, ils l'ont reconnu pour le Dieu véritable, 23-27.
L'auteur du livre part de là pour prouver la folie de
l'idolâtrie et la possibilité' pour l'homme de connaître,
par le spectacle du monde, le Dieu créateur, xm, 1-9.
C'est la première fois que nous rencontrons dans la
Bible une preuve rationnelle de l'existence de hieu; il
a fallu que les Juifs fussent en conlact avec les Grecs
sceptiques pour sentir le besoin de démontrer hieu
par ses œuvres matérielles, Auparavant, le spectacle
de la nature manifestait seulement aux yeux des purs
Sémites les attributs divins, la puissance, la bonté, la
sagesse, la providence. L'écrivain Bacré tourne aussi
en ridicule les idoles el buis adorateurs. Il ne procède
pas de la même manière qu'Isaïe cl Jérémie ou les
psalmistes. Il disserte sur la manière donl on fabrique
les idoli - i i sur l'inutilité' du culte qu'on leur rend.
xm, 10-xiv, 21. Cesl Dieu lui-même qui. par sa pro-
vidence (itpovo(a), gouverne l'idolâtre, qui a invoqué
son dieu, xiv, 8-5. Il liait également l'impie el son im-
piété, 9. L'idolâtrie a été introduite dans le monde par
la folie de- hommes, pour honorer leurs morts, en déi-
liant des hommes, I 1-22. Ce ne fui pas OSSeZ d'errer sur
la notion de hieu, on rendit aux idoles un culte immoral
ci cruel. 22-29. Les idolâtres seront punis de cette double
prévarication, 29-31. hieu a agi autrement a l'égard
des Israélites, lui qui esl bon. Adèle el patient, qui
rne tout .née miséricorde, w. I. Les Israélites,
ne ne- lorsqu'ils pèchent, savent qu'ils appartiennent à
Dieu et reconnal -■ ni -< puissance, car connaître Dieu
esl I.i jiislice parfaite. e| reconiiailie -,i puissano
me de l'immortalité, 2, 3. Ils i
i me l's Idolâtres, qui adorent les obu\ i ■
iflfei h. .mi. ni le m. il. 'i ie L'ouvrier, qui
fabrique une Idole, méconnall ion • r iti ur, 1 1 . 1 1 tur
ni lui (ail commet! i ne, 12. h. en
crimim U onl tu il ci un qui tiennent pour des dieux.
1015
DIEU (SA NATUP.K D'APRÈS LA BIBLE
1016
des idoles insensibles, façonnées de main d'homme,
14-17, ou rendent un culte aux animaux, 18, 19. Ces
derniers sont les Égyptiens, punis par Dieu par des
plaies provenant des animaux, xvi, 1-9, ou par des
maux produits par les forces de la nature, 15-19. Les
Israélites étaient seulement châtiés par les mêmes
instruments pour les amener à résipiscence, 10-14, ou
secourus au moyen des mêmes forces de la nature qui
'rappaient leurs ennemis, 20-23. Car la créature, sou-
mise à son créateur, déploie toute son énergie pour
tourmenter les méchants et se relâche pour le hien des
serviteurs de Pieu, 24. Cette doctrine est illustrée par
trois exemples, ceux de la plaie des ténèbres, xvn, 1-
xviii, 4, de la mort des premiers-nés des Egyptiens,
xvin, 5-25, et de la poursuite des Hébreux fugitifs,
xix, 1-22. Cf. P. Heinisch, Die griechische Philosophie
im Bûche der Weisheit, Munster, 1908, p. 47-51, 122-
126.
Le monothéisme d'Israël, sans image de la divinité,
a toujours été d'une supériorité marquée sur tous les
polythéismes idolâtriques de l'antiquité. Malgré les
progrès successifs que l'idée de Dieu a faits dans la
révélation de l'Ancien Testament, elle est demeurée ce-
pendant toujours plus ou moins engaînée dans deux
idées caduques, celle du nationalisme qui faisait du
Dieu unique, universel en droit, le Dieu spécial d'Is-
raël, et celle des bénédictions temporelles, par les-
quelles Jahvé s'était attaché un peuple sensuel, recher-
chant les biens de la terre. La révélation du Nouveau
Testament fut nécessaire pour laisser tomber défini-
tivement ces deux conceptions inférieures, et présenter
Dieu comme le Père de tous les hommes, comme le
Père qui est au ciel, dont la bonté infinie n'a plus
besoin, pour être reconnue de tous, des récompenses
de la terre.
On trouvera les éléments de cette théologie, prise au sens strict
du mot, épars dans les ouvrages sur la religion juive et la théo-
logie biblique de l'Ancien Testament.
1" Vatke, Religion des Alten Testaments, 1835, 1. 1; B. Bauer,
Religion des Alten Testaments in der geschichtlichen Enl-
wickelung Huer Principien , 1 vol., 1838,1839; A. Kuenen,
De godsdienst van Israël tôt den ondergang van den jood-
schen slaat, 2 parties, 1869, 1870; Tiele, Geschiedenis van den
Godsdienst in de oudheid tôt op Alexander den Groote, 1893,
t. i, p. 272-347; R. Smend, Lehrbuch der alttestamentlichen
Religionsgescliichte, 2' édit., Fribourg-en-Brisgau, 1899, p. 32-45,
96-127, 151-161, etc.; J. P. P. Valeton, Les Israélites, dans le'
Manuel de l'histoire des religions de Chantepie de la Saussaye,
trad. franc., Paris, 1904, p. 186-251 ; A. I.oisy, La religion d'Is-
raël, Paris, 1901; Marti, Die Religion des Alten Testaments
unter den Religionen des vorderen Orients, Tubingue, 1906;
Hunnius, Natur und Cliarakter Jalnuehs nach der vordeute-
romisclien Quelten der Bûcher Genesis-Konige, Strasbourg,
1902; P. Volz, Mose, ein Beitrag zur Unlersuchnng iiber die
Urspriinge der israelitischen Religion, Tubingue, 1907. Voir
aussi Davidson, God in O. T., dans Dictionarij ofthe Bible, de
Hastings, t. il, p. 196-205.
2° H. Ewald, Die Lehre der Bibel von Gott, 4 vol., 1871-
1876; Œhler, Théologie des Alten Testaments, 3' édit., Stutt-
gart, 1891; H. Schultz, Alttestamenlliche Théologie, 5" édit.,
2 in-8, Gœttingue, 1896 ; A. Kayser, Die Théologie des Allen
Testaments in ihrer geschichtlichen Entwickelung, 2' édit.,
1894; F. Hitzig, Vorlesungen ùber biblische Théologie und
messianische Weissagungen des Alten Testaments, Berlin,
1880; A. Dillmann, fiandbuch der alttestamentlichen Théolo-
gie, Leipzig, 1895; B. Stade, Biblische Théologie des Allen
Testaments, Tubingue, 1905, t. î (seul paru), p. 72-121, 191-190,
etpassim;B. Baentsch, Altorientalischer und israelitischer
Monotheismus, Tubingue, 1906. Ces écrits sont composés plus
ou moins d'après les principes rationalistes de l'évolutionnisme
religieux. F. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes,
■i édit., Paris, 1896, t. iv, p. 423-496; M. Hetzenauer, Theolo-
gia biblica, Fribourg-en-Brisgau, 1908, t. î, p. 372-488 (traite
des noms divins.de l'essence, des attributs, des personnes et de
noscibilité de Dieu); F. Prat, art Jéliovah, dans le Dic-
tionnaire de in bible àe .M. Vigouroux, t. ni, col, 1220-1241.
Sur les prophètes, voir B. Duhm, Die Théologie der Prophc-
ten als Grundlage fiir die ntwicklungsgeschi
der israelitischen Religion, Bonn, 1875; h. Zscbokke, Théolo-
gie der Propheten des Allen Testaments, Fribourg-en-Brisgau,
1877, p. 4-168 (suit l'ordre logique du traite De Deo); Kirkpatrik,
The Doctrine oj the Prophète, 1892; 3' édit., 1001.
Sur les Psaumes, .1. Konig, Die Théologie der Psalmen, I ri-
bourg-en-Brisgau, 1857;!'. Delitzsch, Die Psalmen, b- édit.,
Leipzig, 1894, t. i, p. 48 sq.; E. Philippe, Introduction au livre
des Psaumes, Paris, 1802, p. 48-54.
Sur la doctrine de Dieu chez les Juifs, en dehors de la Bible,
voir E. Stapfer, Les idées religieuses en Palestine à l'époque
de Jésus-Christ, 2' édit., Paris, 1878, p. 27-37, et spécialement
dans les Apocalypses juives, voir P. Lagrange. Le messianisme
chez les Juifs. 1009, p. 52-53, et chez les rabbins, p. 146; p"ur
Hénocb, voir F. -Martin, Le livre d'Hvin,- h. Paris, 1006, p. xx-
XXII. Voir aussi ilackspill, dans la Revue biblique. 1900, t. IX,
p. 569-577.
II. Dans le Nouveau Testament. — /. d'après i'i. \-
SBIGNEMENT PERSONNEL DE JÉSUS-CBRIST. — 1° Dans
les Évangiles synoptiques. — Le Fils de Dieu est des-
cendu du ciel pour apporter aux hommes une révéla-
tion nouvelle, plus parfaite que celle de l'ancienne
alliance. Sur Dieu, son Père, sa révélation a consistée
faire ressortir sa paternité relativement à l'humanité
entière. L'idée de paternité divine n'était pas étrangère
aux religions sémitiques, voir J. Lagrange, Éludes sur
les religions sémitiques, 2e édit.. Paris, 1905, p. 110-
118, ni au monothéisme hébraïque. V. Rose, Études
sur les Évangiles, 2e édit., Paris, 1902, p. 132-137;
J. Lagrange, La paternité de Dieu dans l'Ancien Tes-
tament, dans la Revue biblique, 1908, p. 481-491.
Mais jamais ni chez les Sémites en général ni même
chez les Hébreux, il n'a suffi de dire « le Père » tout
court pour désigner Dieu. Ce sentiment de tendresse,
qui procède d'une connaissance si parfaite de la bonté
infinie de Dieu a été apporté aux hommes par le <■ Fils de
Dieu », qui est venu leur révéler « son Père ». Si Jésus
n'a pas créé le nom de Père céleste, il lui a donné une
signification qu'il n'avait pas avant lui et on peut dire
qu'il est le révélateur de la paternité de Dieu.
Toutefois, ce Dieu père n'est pas un Dieu nouveau,
distinct de celui des patriarches et des .luifs, que Jésus
prêche. C'est le Dieu, créateur du monde, Marc, xm,
19, et de l'homme, Marc, x, 6; le Dieu qu'adoraient
Abraham, Isaac et Jacob, le Dieu, non pas des morts,
mais des vivants, puisque ces patriarches vivent,
Matth., xxn, 32; Marc, XII, 26. 27; Luc, xx. 37. 38,
et le Dieu d'Israël, l'unique Dieu, qu'il faut aimer de
tout son cœur, Marc, xn, 29, 30; le seul, qu'on doit
adorer et servir. Matth., IV, 10; Luc, IV, 8; le Dieu
juste, qui rend justice, et sans tarder, â ceux qui l'im-
plorent jour et nuit, Luc, xvin. 7; qui seul est bon,
Matth., xix, 17; Marc, x, 18; Luc, xvm, 19; qui étend
sa providence sur la nature, l'herbe des champs,
Matth., vi, 30; Luc. xvin, 28. sur les oiseaux, les pas-
sereaux, les corbeaux. Matth., vi, 20; x, 29, 32, 33;
Luc, xn, 24. Mais ce Dieu de 1 ancienne alliance, le
Seigneur du ciel et de la terre, dont le ciel est le trône,
Matth., v, 3i, devient, sur les lèvres de Jésus, le Père,
non seulement son père à lui dans un sens réel et non
métaphorique, qui le fait être son lils suivant la nature
divine, Matth.. vu, 21; xi. 25-27; xn. 50; XV, 13; xvi,
17. 27; xvm, 10, 19, 35, le père de ses disciples, leur
père qui est aux cieux. Matth.. v. 1(5; VI, 1, 8. 9. 2(5 ;
x, 20, leur unique père, xxm, 9, qui fait lever son
soleil sur les bons et sur les mauvais et pleuvoir sur
les justes et les injustes. Matth., V, 45, qui donne â cha-
cun le pain quotidien, vi. Il, 31, 32, qui voit dans le
secret îles cœurs, Matth., vi, i. li, 18. qui remet les
péchés, li. 15: Marc, xi. 25. qui accorde les biens qu'on
lui demande. Mallh., vu, 11; Luc. xi. 13, qui donne
le royaume céleste à ceux qui font sa volonté. 21, qui
chasse loin de lui les ouvriers d'iniquité, 23, et qui
veut le salut de tous, xvm, 14. Les justes brilleront
1017
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA RIRLE]
1018
comme le soleil dans le royaume de ce Père, xm, 43.
Cette paternité divine impose aux fils du royaume la
pratique des bonnes œuvres, Malth., v, 16, l'amour
fraternel des hommes, même des ennemis, v, 44, et la
perfection morale, v, 48.
M. Harnack a voulu ramener toute la prédication
•de Jésus à la paternité de Dieu et à la valeur infinie
de l'âme humaine, qui en découle; c'est en cela que
consiste, selon lui, non seulement l'essence du chris-
tianisme, mais la religion même. L'homme, fils de
Dieu, doit avoir en son père des cieux une confiance
filiale, qui lui donne l'assurance que toutes ses prières
seront exaucées. C'est en l'appelant « notre père »,
notre père commun, notre père à tous, qu'il faut le
prier, et d'après le contenu de l'oraison dominicale,
qui débute par ce nom de tendresse, a la paternité de
Dieu. ..s'étend sur toute la vie, comme l'union intérieure
avec la volonlé de Dieu et le royaume de Dieu, et
comme la certitude joyeuse de posséder les trésors
éternels et d'être protégé contre tout mal. » L'essence
du christianisme, trad. franc, Paris, 1902, p. 72.
Donner à Dieu le nom de père, c'est faire un acte de
foi à sa bonté infinie; lui demander le pain quotidien
et la nourriture ordinaire, c'est croire à sa providence
paternelle, à sa sollicitude pour chacun de ses enfants.
On a pu discuter si la foi au Dieu miséricordieux était
le noyau de l'Évangile et l'élément original de l'ensei-
gnement de Jésus. Fn conséquence de son opinion sur
le royaume purement eschatologique, prêché par Jésus,
M. I.oisv a bien pu prouver contre M. Harnack que le
royaume n'était pas exclusivement un bien intérieur,
l'union actuelle de chaque âme avec le Dieu vivant,
avec le Père céleste; il a eu tort de prétendre que « la
paternité de Dieu, l'adhésion intérieure à sa volonté,
la certitude d'être en possession de biens éternels et
d'être protégé contre le mal n'excluent pas la concep-
tion eschatologique du royaume et n'ont même leur
pleine signification que par rapport à cette idée ».
L'Évangile et l'Église, 2« édit., Bellevue, 1903, p. 51.
Pour Jésus, le royaume de Dieu n'était ni purement
intérieur, ni réservé à la fin des temps, et en simple
préparation dans l'Évangile; il était déjà présent, actuel
el extérieur, et Dieu, le pire qui est au ciel, le père
commun de tous les hommes, en était le roi. Il en
résulte que la providence paternelle de Dieu à l'égard
des hommes et la confiance filiale de ceux-ci en la
bonté infinie du père céleste, si elles ne constituent pas,
à elles seules, l'essence même du christianisme, appar-
tiennent cependant à cette essence et caractérisent
spécifiquement la prédication de Jésus el le règne de
Dieu sur terre. Cf. B. Weiss, Lehrbuch der Biblischen
Théologie des Neuen Testaments, 6' édit., Stuttgarl et
Berlin, 1903, p. (i'.i-72. Jésus a apporté au monde la
certitude que Dieu étail vraiment père pour les I mes,
el que les le. mine-- pouvaient devenir réellement iv.a
fils. Par conséquent, de même que, dans l'ordre de la
nature, les mots père i i fils signifient l'amour le plus
fort el le plus intime .née réciprocité de devoirs el
d'obligations, ainsi dans le royaume de Dieu que Jésus
venait fonder sur terre, il devait exister entre Dieu el
l'humanité des relations d'amour paternel el filial el
les membres d< ci ro aume avaient la puissance de
nir fils de Dieu. V. Rose, op. i il., p. 138-148;
I'. Batiflbl, L'enseignement de ■/■■sus, -j édit., Pari
1905), p. 83 105. Voir t. m, col 2054.
le quatrième Évangile. Dam es di cours,
que rapporte le quatrième i tangile, comme dans ceui
Synoptiques, Jésus rattache l'idée de paternité à
celle de la divinité . Dieu esl le l'ère par excellence,
le Péri di irist el le péri des homme*. Si déjà
vnoptique . i ta pai i de tes dis-
dan i appoi ■ Pi re, celle attitude
ien plus m irqui e i di or« d in le quatrième I
gile. Dieu est le l'ère de Jésus a un titre spécial, qui
fait de Jésus le Fils de Dieu par nature, de telle sorte
que, dans sa bouche, « le père » et « mon père » sont
des expressions synonymes. Voir, par exemple, Xiv, 6,
9, 10-13, 16, 24, 26. 28, 31, et 2, 7, 20. Or, ce père de
Jésus, c'est le Dieu des Juifs, vin, 54; le seul vrai Di(u,
xvn, 3; le père et le Dieu de Jésus comme celui de ses
disciples, xx, 17. C'est un père saint, xvn, 11, un père
juste, 25. Il est invisible, v, 38; VI, 46. Il est le Père
vivant, vi, 58, qui a la vie en lui, v, 26, et qui la donne,
21. Il est toujours en actes, 17. Un jour viendra, où
ce Père ne sera pas adoré ni sur le mont Gari/.im ni
à Jérusalem; elle est même venue déjà, l'heure où
les véritables adorateurs, ceux que le Père recherche,
l'adoreront en esprit et en vérité. Dieu, en effet, est
esprit, et il faut que ceux qui l'adorent l'adorent en
esprit et en vérité, IV, 21, 23, 24. Le particularisme
juif est donc détruit, et le culte spirituel que Dieu veul
désormais n'est plus attaché aux sanctuaires de Gari-
zim et de Jérusalem. Dieu, qui est esprit, est toujours
agissant dans l'univers, v, 17. Il est plus grand que
tous, x, 29. Dans ses relations avec les hommes, il est
père; de même qu'il aime son Fils unique, v, 20, il
aime les hommes, et c'est parce qu'il a aimé le monde
qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit
en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle, ni,
16. Cet amour pour les hommes est, de la part de Dieu,
plus personnel et plus passionné que dans l'ancienne
alliance, où Dieu n'envoyait que ses prophètes. Aussi,
si les Juifs avaient Dieu pour père, ils aimeraient le
Fils, vin, 42, comme s'ils connaissaient le Fils, ils con-
naîtraient le Père, li), 27. Ceux qui aiment le Fils sont
aimés par le Père, xiv, 21, 23; xvi, 27, qui accordera
tout ce qu'on lui demandera au nom de son Fils, xv,
16. Dieu donc est père des hommes, et il a pour eux
une bonté' et un amour infinis. Cf. A. Loisy, Le qua-
trième Évangile, Paris, 1903, p. 98-99; Th. Calmes,
L'Évangile selon saint Jean, Paris, I90i, p. 3.
il. DANS LES m TBS DBS APOTRES. — Les premiers
apôtres et disciples, quand ils parlaient de Dieu aux
Juifs, leurs anciens coreligionnaires, l'appelaient le
Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, m, 13; xxn, li.
le Dieu du peuple d'Israël, xui, 17, le Dieu de gloire
qui apparut à Abraham, VII, 2. Ils reconnaissaient
cependant la paternité divine, que Jésus leur avait
rappelée avant l'ascension, i, i, 7, puisqu'ils nommaient
Dieu e le Père o,ii,33; xxiv, 14-16. La communauté de
Jérusalem invoque publiquement le créateur du ciel
et de la terre, iv, 24. Les apôtres n'avaient pas besoin
de prêcher l'unité de Dieu aux Juifs, qui étaient de
fervents monothéistes; mais saint Paul, dans sa prédi-
cation orale, eut en trois circonstances, rapportées
dans les Arles, l'occasion de l'annoncer aux païens.
A Lvsires, devant une explosion inattendue de foi ido-
làtriqtie, il refusa avec Barnabe les honneurs divins
qu'après un miracle la foule voulait leur rendre, ,i ,|
proclama ouveriemeni l'unité du Dieu vivant, créateur
du ciel, de la terra, de la mer el de toul ce qu'ils con-
tii nnent, providence bienfaisante, qui atteste son exia
ti ni e ei ^.i bonté par ses bienfaits, quoiqu'il ait laissé
utils suivre leurs voies. Act., xiv, 10-17, Voii
P. Rose, Lai Vctee des apôtres, Paris, 1905, p. 140-141.
\ Athènes, ville adonnée à l'idolâtrie, xvu, l<>, quel-
ques-une croient qu'il prêche de nouveaux démons, 18;
in i kréopage, à l'occasion d'un autel dédié au
Dieu inconnu, il déclare que ce Dieu, inconnu des
Athéniens, eat le Dieu unique, créateur de toutes chi
on de l'univers; > atériel, puisqu'il n'habite
pas dans les templei et ne re semble d'aucune façon
aux imagt iculpl rituel, puisqu'il n'a pas besoin
ni, qui i ègle les destiné) i de tous
de la teri d a pi emiei couple qu h
, qui agit en chacun de non-, en qui uousvivi
1019
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA BIBLE
1020
nous sommes et nous nous mouvons; méconnu, mais
prêl à pardonner ces temps d'ignorance, pourvu qu'on
revienne de celle erreur; juge du monde selon la justice
par Jésus, ressuscité des morts, 22-32. Voir 1'. Rose,
op. rit., p. 177-182. A Éphèse enfin, sa prédication
provoque une émeute, fomentée par l'orfèvre Démé-
trius. Dans toute l'Asie, Paul convainquait beaucoup
de personnes qu'il n'y avait pas de dieux fabriqués
de main d'homme. L'industrie des fabricants d'idoles
tombait en discrédit. Le temple de la grande Diane
d'Éphèse était compté pour rien et la majesté de la
déesse réduite au néant. La ville est en révolution, et
la foule, massée au théâtre, crie pendant deux heures :
« La grande Diane des Éphésiens, » xix, 23-29. Cette
scène prouve à la fois et la vogue populaire de l'idolâ-
trie dans le monde païen auquel saint Paul portail
l'Évangile et le caractère anti-idolàtrique de la prédi-
cation de l'apôtre du vrai Dieu. Cf. Rackham, The Acts
of the Aposltes, Londres, 1901, p. lxx ; F. Prat, La théo-
logie de saint Paul, Paris, 1908, p. 86-92. Voir t. m,
col. 2054-2055.
///. DA.\S LES ÉPll'RES DE SAINT PAUL. — Plus tard,
l'apôtre rappela aux Thessaloniciens quelle avait été
leur conversion : comment ils s'étaient détournés des
idoles et comment ils avaient servi le Dieu véritable
et vivant. I Thés., I, 9. Il leur avait prêché la vérité,
non pour les ilatter, mais pour plaire à Dieu, qui
sonde les cœurs, il, 4, afin qu'ils marchent d'une ma-
nière digne de Dieu, qui les a appelés à son royaume
glorieux, 12, et à la sainteté. II Thés., n, 12. Ils mar-
cheront de façon à plaire à Dieu, en pratiquant les
commandements, IThes., iv, 1,2, en évitant en particu-
lier la fornication, pour ne pas satisfaire leurs passions
comme les païens qui ignorent Dieu, 3-5, car Dieu ne
les a pas appelés à l'impureté, mais à la sainteté, et
leur a donné son Saint-Esprit, 7, 8. Ce Dieu est père,
1,1, notre père, m, 11, 13; II Thés., 1,1, 2, qui nous a
aimés, il, 15, le Dieu de la paix et le Dieu sanctifica-
teur. I Thés., v, 23. Il est fidèle; il fortifiera les Thes-
saloniciens et les détournera du mal. II Thés., III, 3.
Ce Dieu fidèle, 1 Cor., i, 9, parce que le monde ne l'a
pas connu par la sagesse, a voulu sauver les croyants
par la folie de la prédicalion de la croix, 21, et selon
sa tactique ordinaire, il a choisi dans l'Église de Co-
rinllie ce qui est insensé aux yeux du monde, ce qui
est faible, ce qui est vil, ce qui ne compte pour rien,
ce qui n'exisle pas, pour confondre les sages et les
puissants. Ainsi nulle chair ne pourra se glorifier de-
vant lui, 26-31; ni, 19-21. Il a prédestiné avant tous les
siècles la vraie sagesse, qui est restée cachée dans les
profondeurs de sa volonté. Elle a pour objet la béati-
tude que Dieu a préparée à ceux qui l'aiment, et il l'a
révélée par son Esprit, il, 7-11.
A propos des victimes immolées aux idoles, saint
Paul déclare aux Corinlbiens que l'idole n'est rien
dans le monde; c'est une chimère, une entité de raison,
un néant. Les chrétiens savent qu'il n'y a pas d'autre
Dieu que le Dieu unique. On nomme beaucoup de
dieux et de maîtres au ciel ou sur la terre; il n'y a
qu'un seul Dieu, le Père, auteur de toutes choses, vin,
4-6. Les victimes, qu'immolent les païens, sont offertes
aux démons et non à Dieu, x, 19, 20. Les chrétiens
peuvent manger de toutes les viandes, car la terre et
tout ce qu'elle conlienl appartiennent au Seigneur, 25,
26. Toutes choses viennent du Seigneur, xi, 11 ; II Cor.,
v, 18, qui est le père des hommes, I Cor., I, 9; XV, 23;
Il Cor., i, 2, père miséricordieux et consolateur, 3, 4,
et le Dieu vivant, m, 3; vi, 16-18. Il a tiré la lumière
des ténèbres, îv, 6, et il est le Dieu de paix et de cha-
nte, mu, 11.
Sainl Paul rappelle aux Galates qu'ils ignoraient
Dieu el qu'ils servaient des dieux, qui de leur nature ne
sont pas des dieux. Depuis leur conversion, ils connais-
senl Dieu; bien plus, ils sont connus de Dieu. Peuvent-
ils donc retourner aux rudiments du monde auxquels
ils étaient asservis autrefois, à leur connaissance élé-
mentaire île Dieu, maintenant que, dans la plénitude
des temps, Dieu leur a envoyé son Fils pour faire d'eux
ses fils d'adoption et l'Esprit de son Fils, qui dans leurs
cœurs crie : Abba, Père? iv, 3-6. Ils sont fils de Dieu
par la foi en Jésus-Christ, m, 26; Dieu les a adoptés,
en les faisant participer à la filiation transcendante du
Christ, et ils ont reçu l'Esprit du Christ, qui a créé
en eux la mentalité véritable de fils et leur fait crier
vers Dieu avec un sentiment filial, en lui disant : Père.
Telle est, pour l'apôtre, la signification profonde de la
paternité divine à l'égard des hommes délivrés de
l'esclavage de la loi juive. Il peut donc répéter que
Dieu est père, I, 1, 3, 4. Ce père est le Dieu unique,
m, 20, qui ne fait pas acception des personnes, n, 6, et
qui ne se laisse pas tourner en dérision, VI, 7.
La colère de Dieu se révèle du haut du ciel, où Dieu
habite, par le châtiment infligé dès ce monde aux
païens impies, qui dans leur méchanceté ont com-
primé et retenu la vérité qu'ils possédaient sur Dieu,
sur son existence et sa nature. En effet, depuis la
création du monde, les perfections invisibles de Dieu,
sa puissance éternelle et sa divinité, c'est-à-dire les
autres attributs, intellectuellement perçues, étaient
vues distinctement dans les œuvres de la créalion. Les
païens qui, ayant ainsi connu Dieu, ne l'avaient pas
glorifié comme Dieu, mais par une inintelligence cou-
pable avaient changé la gloire du Dieu incorruptible
en des images d'hommes ou d'animaux, avaient tra-
vesti sa vérité en mensonge, étaient inexcusables, et
Dieu, en punition de leur folie volontaire, les a livrés
aux désirs de leurs cœurs, aux passions déshonorantes,
et les a remplis de toute sorte de malice et de vices.
Rom., i, 18-32. Le jugement de Dieu contre ceux qui
agissent ainsi est conforme à la vérité, n, 2, pour tous,
pour le juif, 3, comme pour le gentil. Dieu a des tré-
sors de bonté, de patience et de longanimité, qu'on ne
peut mépriser toujours; sa bénignité n'est que pour
laisser aux coupables le temps de faire pénitence. Ceux
qui en abusent, thésaurisent la colère pour le jour du
juste jugement auquel Dieu rendra à chacun, juif ou
païen, selon ses œuvres, sans acception des personnes,
4-11. L'infidélité des Juifs n'annule pas la fidélité de
Dieu, qui est véridique, m, 3, 4. Bien que notre injus-
tice fasse valoir la justice de Dieu, Dieu, en déchaînant
sa colère, n'est pas injuste, car, autrement, comment
jugerait-il le monde'.' 5, 6. De ce que la véracité de Dieu
ressort avec éclat, pour sa gloire, du mensonge de
l'homme, il n'y a pas lieu de faire le mal pour que le
bien arrive; le pécheur sera néanmoins jugé et puni
comme il le mérite, 7. 8. Tous les hommes, également
coupables, sont justifiés par Dieu par la foi, 22-28, car
Dieu n'est pas le Dieu des Juifs seulemenl.il l'est aussi
et surtout des païens ; il n'y a qu'un seul Dieu qui jus-
tifie Juifs et païens par la foi, 29. 3(1. Un des effets de
la justification est de communiquer l'Esprit de Dieu,
qui fait monter sur nos lèvres le nom de Père, pour
attester que nous sommes réellement par adoption les
fils de Dieu, VIII, 14-16. Le Père lui-même concourt en
tout au bien de ceux qui l'aiment et qu'il a prédestinés
à être conformes à l'image de son Fils, afin que celui-ci
soit le premier-né entre plusieurs frères, 28, 29. Dieu
n'a pas été injuste à l'égard d'Israël, non converti au
christianisme, car il accorde ses grâces quand il veut
et comme il le veut; il fait miséricorde à qui il veut
el il endurcit qui il veut, ix, 14-18. L'homme n'a pas
le droit de demander à Dieu compte de ses actes et de
ses desseins; la créature n'a rien à reprocher au créa-
teur, pas plus que l'œuvre à l'artisan, qui fait a son
gré des vases d'honneur et des vases d'ignominie. 19-
21. Dieu n'a pas rejeté son peuple, xi, 1, qui a été
1021
DIEU (SA NATURE D'APRES LA RIRLE
1022
lirisé à cause de son incrédulité, 20. Dieu a donc été
bon et sévère à ia fois, sévère pour les Juifs incrédules,
bon envers ceux qui sont devenus chrétiens, 22. Plus
lard, les Juifs seront l'objet de la miséricorde divine,
32. • 0 profondeur de la richesse, de la sagesse et de
la science de Dieu! Que ses desseins sont impéné-
trables, et insondables ses voies! Car qui a connu la
pensée du Seigneur? Ou qui a été son conseiller?...
C'est de lui et par lui et pour lui que sont toutes
choses, b 33-36.
Au début de l'Epitre aux Éphésiens, saint Paul bénit
Dieu de tous les bienfaits spirituels que du haut du
ciel il a dispensés aux hommes par Jésus-Christ, r,
• 1-1 i, et il prie le père glorieux de faire comprendre et
goûter aux Ephésiens ces grands biens, 15-23. Dieu,
qui est riche en miséricorde, par l'amour extrême qu'il
a pour les hommes, les a tirés du péché et leur a
donné la vie surnaturelle en Jésus-Christ, u, i- 10. Il
a tout créé pour manifester aux puissances célestes
par le moyen de l'Eglise sa sagesse multiforme, m, 9,
10. Aussi l'apôtre prie-t-il à genoux le Père de Notre-
Sei^neur Jésus-Christ, de qui provient toute paternité
au ciel et sur la terre, de fortifier les Éphésiens selon
les richesses de sa gloire, 14, 15. Parmi les motifs de
garder l'unité, il cite l'unité de Dieu, père de tous, qui
est au-dessus de tous, par tous et en tous, iv, 0, ce
père à qui il rend grâces sans cesse pour eux, v, 20.
Enlin, il souhaite à ses lecteurs la paix, la charilé et
la foi, venant du Dieu père, VI, 24, comme au début la
grâce et la paix, i, 1, 2. Ce même souhait est adressé
aux Colossiens, I, 3, avec les mêmes actions de grâces,
12. L'apôlre prêche aux Colossiens le mystère du Christ
ou de la rédemption par le Christ, secret dessein de
Dieu, formé de toute éternité, dont la révélation a ma-
nifesté les richesses de la gloire divine, Col., 1,26,27,
et il veut leur faire comprendre parfaitement ce mys-
tère de Dieu le père, qui recèle tous les trésors de sa
-se et de sa science, il, 3. Les chrétiens doivent
éviter les vices qui attirent la colère de Dieu sur les
incrédules, ni, •">. 0. et rendre grâces à Dieu le père
par Jésus-Christ, 17.
bans la I "• Épitre à Timolhée, saint Paul affirme
l'unité de Dieu, du Dieu à qui il donne le titre de sau-
veur de l'humanité, puisqu'il veul le salul de tous, il,
8-5. A ce >' ul Dieu, roi immortel el invisible des
siècles, il avait rendu gloire et honneur à toujours, l.
17. Il est le seul Dieu vivant, III, 15; IV, Kl; VI, 17;
aliments, dont toutes les créatures
sont bonne-, r. . )!. i. et qui a mis abondamment tontes
chose* a noire usage, vi, 17. Di< u, qui a promis la vie
éternelle, 1 1 r ■ u ii n I | .i-, 'lit., i, 2: il esl l'auteur du
salut. 3; u. 10; par bénignité cl amour pour les
hommes, m. i I heu viendra un jour dans la
gloire, u. 13.
Dieu ;i loui créé, Heb., m, 1. et il s'esl i
septième jour, iv, 4, 10. C'est par la loi que nous sa-
vons 'i'" I' s -eeles ont été formés par la p. noie de
Dieu, m, 3. im reste, on ne peul pas aller l Dieu el
lui plaire sans croire à son exi tenci et à sa providence,
m. ii II est, 'il effet, l'architecte et le conslructi ur de
la cité future, I". 16, el il a eu en vue pour i
quelque chose de meilleur que les bii n di la ti rri
promis si u- r mcii me- alliance, S0; s;i providi nce i si
■ loi • ui naturelle aulanl que naturelle, vi, 7. Dieu n'esl
et il n'oublie pas pour lui
et l.i i liai ii' qu'on lin ;i i. moignée, 10. Dieu enfin i I
b' Dii m, 12 . ix. 11. x . ::i ; m, 22, le i" n
si - • ni. mi- -pu itui i- comme un
de l.i tei m . ses M-. \n. i-l I. Il esl le juge de
i b s fomicateun el les sdul-
mu. t. Il prend plaisir .• la bienfaisant e el i
nutuelle . ce sont li - ai i iflci qu il
Ib. Voir i m
/r. DANS LES ÉPITRES CATHOLIQUES. — Pour saint
Jacques, il est bien de croire qu'il y a un seul Dieu;
les démons croient aussi et tremblent ; mais la foi sans
les œuvres est morte. Jac, n, 19, 20. La religion pure
et sans tache devant Dieu le Père consiste à visiter les
orphelins et les veuves dans leur aflliclion, à se pré-
server des souillures du monde, i, 27. Dieu est à l'abri
des tentations mauvaises et il ne tente lui-même per-
sonne, 13. Toute libéralité, tout don parfait descend du
Père des lumières, en qui il n'y a ni changement d'éclat
ni ombre d'obscurcissement, 17. Dieu a choisi les
pauvres pour leur donner en héritage le royaumequ'il
a promis à ceux qui l'aiment, n, 5. L'homme patient
dans les épreuves recevra la couronne de vie, que Dieu
a promise à ceux qui l'aiment, i, 12. Le Seigneur est
père, m, 9; il est miséricordieux et compatissant, v,
11; les cris des moissonneurs frustrés de leur salaire
parviennent aux oreilles du Seigneur des armées, v, 4.
Celui qui veut être ami du monde est ennemi de Dieu.
Dieu est un ami jaloux ; il donne une grâce supérieure
aux humbles, mais il résiste aux orgueilleux, iv, 4, 6.
Il est seul législateur et juge, 12. Il a mis (in aux maux
de Job, parce qu'il est compatissant, v, 11.
Pour saint Pierre, Dieu a créé le ciel et la terre.
II Pet., m, 5. Il a tout prévu, I Pet., i, 2; il est puis-
sant, i, 5; v, 8, 11 ; il est saint et il veut que les hommes
soient saints comme lui, i, 15, 16; il est père et il juge
sans faire acception des personnes, 17. Il punira les
coupables et récompensera les bons, m, 8-12; II Pet.
n, il. Il est vivant et permanent, I Pet., i, 3. Mille ans
sont comme un jour devant lui, II Pet., m, 8; aussi
est-il patient et longanime; il diffère de punir les
pécheurs pour leur laisser le temps de faire pénitence.
I Pet., ni, 20; II Pet., m, 9. Pour saint Jude, Dieu
punit les coupables, 5-7. Il peut conserver les chrétiens
dans l'innocence. A lui seul la gloire, la majesté, la
force et la puissance pour toujours, 24, 25.
Dans ses Épitres, saint Jean adonné' deux définitions
de Dieu. Dieu est d'abord lumière, en qui il n'y a point
de ténèbres. I Joa., i, 5. Non seulement il est l'être
absolument pur, entièrement lumineux, que ne voile
aucune obscurité' et que ne limite aucune imperfection,
mais il est aussi pour les hommes une source de lumière,
le principe de toute pureté', de toute sainteté et de toute
vie. car le* ténèbres, c'est le mal. Par suite, quiconque
marche dans les ténèbres ou le péché n est pas en
société avec Dieu, puisqu'il se soustrait volontaire ni
à la lumière el ne cherche pas a n^ir conformément à
la volonle de Iheii. li. 7. D'autre part, Dieu esl aiunur.
iv. S. 16, et son amour pour nous s'est manifesté sur-
tout en ce qu'il a envoyé dans le inonde son Fils
unique, afin qu'en lui nous eussions la vie. y, 10, Dieu
esi donc père non seulement de Jésus-Christ, l, '.',, 7.
n, 22-2 i. etc., mais aussi des hommes, il, 1,14; II Joa.,
i, i. Son amour pour eux a consisté à faire d'eux
enfants, I Joa., m. 1, qui ne pèchent pis. parce qu'ils
-nui nés de Dieu et que le germe divin demeure en
eux. 9, v, is. 19, qui accomplissent la justice i i aiment
ii' ns, pour que l'amour de Dieu demeure en
eux. l. 10. 17; iv. 7. S, 12. 20, 21, qui observent les
commandements divins el croient en Jésus-Christ, v,
lui qui fait le bien I t de Dieu, III Joa., I I . i I l.i
tripl ocupi cence ne vient pas du Père, mai- du
inonde. I Joa., Il, 10. I.nl'm. Ilieu est de- le coin n-
cement. I Joa., n. I. Il est au dessus de no- cœui
il connaît toutes choses, m, 20. U est le vrai Dieu, que
son I ' fait eonn. - nous
garder des idole-, qui -oui d< ailés, v, 21 .
\ . dix-;' w/i ILTPSB, I lieD n
comme père . M esl plut I attributs
de majesté el de toute i Voir t. i, col 1478
1477. Cependant, il sera le Dieu du vainqueur qui
son Hls, xxi, 7. Cf. B. Wel hen
1023
DIEU (SA NAÎTRE D'APRÈS LES PÈRES
1024
Théologie, p. 550-551 ; E. Jacquier, Histoire des livres
,hi Nouveau Testament, Paris, 1908, t. iv, p. 110-411.
Les Théologies du Nouveau Testament contiennent peu de
choses sur la théodicée. Leurs auteurs se bornent, à propos de
l'enseignement de Jésus, à signaler que le nom de n père o
est le nom spécial de Dieu dans le Nouveau Testament, et ils
négligent presque complètement de relever les autres traits qui
caractérisent la nature de Dieu et ses perfections. Il n'y a donc
pas de bibliographie à citer. On peut voir, par exemple, J.Tixe-
ront, Histoire des dot/mes, Paris, 1905, t. i, p. 06-67, 78, 83-84,
107,111; J. Bovon, Théologie du Nouveau Testament, 2' édit,
Lausanne et Paris, 1902, t. I, p. 392-395, 495-497; Brassac, Ma-
nuel biblique, 12- édit., Paris, 1909, t. IV, p. 26, 549-550, 565-
569, 692.
E. Mangenot.
IV. DIEU. SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES. —
I. Le problème : se pose-t-il, et dans quel sens?
II. Développement général de la doctrine patristique
sur Dieu (théologie au sens restreint, théodicée).
III. Notre connaissance de la nature divine : sa portée
réelle et ses limites. IV. Les attributs divins considérés
en eux-mêmes et dans leur rapport à la nature.
V. L'apport philosophique dans la théodicée des Pères.
/. LE PROBLEME : SE POSE-T-IL, ET DANS QUEL SENS"?
— 1° Le problème se pose-t-il? — La question serait
oiseuse, si l'agnosticisme moderne, pur ou mitigé,
théorique ou pratique, ne faisait au théologien un
devoir de la prévenir. A quoi bon parler de nature,
quand il s'agit de Celui qui, pour les Pères comme
pour le bon sens, est l'Inconnaissable? Car n'est-ce
pas ainsi que les Pères ont considéré Dieu? Du jour
où la double question se posa nette et formulée de
savoir que Dieu existe, quod sit, ôti êctiv, et de dire
ce qu'il est, quid sit, ts'î k'<rnv, tous ne déclarèrent-ils
pas, d'un commun accord, leur ignorance, leur impuis-
sance à l'égard de la seconde question? Dans ses Bamp.
ton Lectures pour l'année 1858, The Liniits of reli-
gions thought, le Rév. H. Longueville Mansel, doyen
de Saint-Paul de Londres, a développé cette thèse :
Notre connaissance de Dieu est relative, et non pas
absolue; termes équivoques, mais dont le sens, dans la
pensée de l'auteur, est que nous n'atteignons rien
d'absolu en Dieu, nous le connaissons seulement sous
des aspects relatifs, fondés sur les liens qui existent
•de fait entre lui et nous, par exemple, Dieu créateur,
Dieu bon pour nous, Dieu sage dans le gouvernement
de l'univers, etc.
Pour confirmer cette doctrine, le Rév. Mansel étale
complaisamment, au début de son livre, 5e édit., Lon-
dres, 1870, p. xx sq., une longue liste d'autorités, où
figurent en première ligne quatorze Pères de l'Église,
y compris les plus grands. Autorités qui, nous dit-on,
prouvent la thèse sous l'une des trois formes suivantes :
1° la nature absolue de Dieu nous est inconnue;
2° les notions que fournit la conscience humaine ne
représentent pas la nature absolue de Dieu ; 3° la
sainte Écriture nous révèle Dieu à l'aide de conceptions
relatives, proportionnées à nos facultés. On entend
saint Athanase dire que Dieu « est au-dessus de toute
substance et de toute pensée humaine. » Contra génies,
c. n, P. G., t. xxv, col. 5. Et saint Basile : « Qu'il existe,
je le sais; ce qu'est son essence, je le tiens pour chose
inaccessible à notre esprit, inïç Çiàvo'.ocv xi'6su.ai. »
Epist., ccxxxtv, n. 2, P. G., t. xxxn, col. 869. Et saint
Jean Damascène, ce fidèle écho de la patristique grecque:
« Que Dieu existe, la chose est manifeste; mais ce
qu'il est dans son essence et sa nature, c'est chose
absolument incompréhensible et inconnue, àxaxiÀ/,-
jrrov toùto 7tavT£).<b; y.a't afvoxrtov. » De fiile orlliod.,].],
c. îv, P. G., t. xciv, col. 797. De même, chez les Latins,
saint Augustin : « Dieu est ineffable; il nous est plus
facile de dire ce qu'il n'est pas que ce qu'il est. » Enarr.
m ),s. lxxxv, v. 8, /'. L., t. xxxvii, col. 1090.
Tel passage se rencontre dans de grands ouvrages de
patrologie, qui semble au premier abord rendre le
môme son. On n'a pas manqué de le dire. Le Ri .
J.R.Illingworth, dans la note II, Positive and négative
theology, de son ouvrage Personalily Human ami 1>\-
vine, Londres, 1903, p. 1 13, cite comme résumant l'ensei-
gnement patristique, cette longue phrase de'fhornassin,
Dogmata theologica, t. i, De Deo, I. IV, c. vin, n. 1 :
Intexla implicalaque sunt inler se hsec oninia mg-
slicse Patruni théologie capila : guod nil proprie de
Deo inlelligi aut dici possit; quod sciri possit quod
sit, non quid sit; quod sciri possit quid non sit, non
vero quid sit; quod affirmari de en multa possint,
imo oninia per moduni causse, quod omnium causa
sit; quod eequius sit eadent oninia de eo negare, quod
causa sit longe prxcellentissima, cujus vix lenuissi-
mam umbram asscquunlur omnes ab ea promanan-
tes nalurx; quod omnes negationes posilionem ali-
ijnaia implicenl, non neganlur enim de Deo quaslibet
perfecliones, nisi ex sensu et couscientia perfeclionis
cujusdam longe eminenlissimœ, cujus lue sintextrema
quœdam et fugienlia vestigia ; et vicixsim posiliones
omnes de Deo ad negationes tandem resolvi debeant,
proplerea quod nil proprie sciri aut affirmari de
divinq essenlia polest; quod denique nalura divina
majore intervallo superet naluras intellecluales, quant
istœ corporeas.
A cette énumération je serais tenté d'appliquer les
paroles mêmes de son auteur : Intexla imjilicataque
sunt inler se liœc omnia ; il y a là bien des choses
mêlées, pour ne pas dire brouillées. Si nous ne pou-
vons rien dire de Dieu en termes propres, et s'il faut
toujours finir par une négation, à quoi se réduira notre
connaissance ? Heureusement, toute la doctrine des
Pères n'est pas là; cette courte incise, quod affirmai i
de eo multa possint, couvre toute une série de témoi-
gnages, où Dieu n'apparaîtrait pas précisément sous la
raison d'un être inconnaissable, ou si vaguement connu
que nous savons seulement qu'il existe, mais sous celle
de l'Être parfaitement déterminé, dont nous savons beau-
coup d'autres choses que son existence. « Alors Dieu
est inconnu? s'objecte saint Jean Chrysostome. Nulle-
ment. Je sais qu'il existe, je sais qu'il est clément, bon,
miséricordieux, provident, etc. » Exposit. in ps. CXLIII,
n. 2, P. G., t. lv, col. 459. Et ailleurs : « Je sais de lui
beaucoup de choses; mais je ne sais pas le comment.
Je sais que Dieu est partout, qu'il est tout entier par-
tout; comment, je ne le sais pas. Je sais qu'il n'a pas
eu de commencement, qu'il est incréé, qu'il est éternel :
comment, je ne le sais pas. » Homil., i. de incompre-
hensibili Dei nalura, n. 3, P. G., l. xi.vin, col. 704.
L'incompréhensibilité. l'invisibilité de Dieu n'entraînent
pas chez les Pères l'impossibilité d'une vraie connais-
sance, même déterminée : « Invisible en soi. mais non pas
inconnu, ignolus aulem uequar/uam, » dit saint Irénée.
Coût, hœr., 1. I, c. vi, n. 1. l>. G., t. vu. col. 721.
« Inénarrable, mais non par là même inconnaissable :
Cognoscibilis Deus est,cum sit inenarrabilis, » dit saint
Fulgence. Contra arianos, n. 2. P. L., t. i.xv, col. 207.
2° Dans quel sens le problème se pose-t-il? — Il faut
donc que le problème ait divers aspects, et il est essen-
tiel de les distinguer. Et d'abord, il y a nature et
nature. Ceci résulte des multiples acceptions du mot;
deux nous intéressent directement.
« Nature se dit de ce qui constitue tout être en général,
soit incréé, soit créé : la nature divine, la nature an-
gèlique, la nature humaine... Nature signifie encore
l'essence d'un être avec les attributs qui lui sent
propres: la nalurede l>i u est d'être bon. >> Dictionnaire
de l'Académie française. Sous ces deux acceptions, la
nature est manifestement enlenduedansun sens restreint
ou dans un sens large. Qu'on prenne ce dernier sen*.
et le problème qui nous occupe revient à ceci : Quelle
idée les Pères se sont-ils faite, quelle notion outils
1025
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES}
1026
eue de Dieu, envisagé comme un être qui se manifeste
à nous par tout ce qu'il est, ses propriétés ou attributs,
ses mœurs, s'il est permis de parler ainsi, sa manière
propre d'agir, en un mot par tout ce qui caractérise
ou accompagne sa vie ad extra1? Le problème est rela-
tivement simple, et les Pères n'hésiteront pas à l'abor-
der : ils proclameront l'Être suprême, qui n'est pas
ignoré, qui ne peut pas être ignoré. Substituez main-
tenant l'acception restreinte à l'acception large du mot
nature, et le problème devient tout autre : Qu'est, dans
ses plus intimes profondeurs, l'Être divin ? Qu'est-ce
qui non seulement le distingue pour nous des êtres
■ réés, mais constitue ad intra sa réalité concrète, sa
vie intime, conçue d'une façon pleine et propre, comme
elle est en elle-même? Problème transcendant, en face
duquel se multiplieront chez les Pères des expressions
analogues à celles que nous avons déjà entendues et
qui, prises absolument et hors de leur cadre, donnent
en e Ile t l'impression d'un Dieu inconnaissable.
Mais, à supposer que la synthèse des deux séries de
témoignages patristiques déboute de leurs prétentions
les agnostiques purs, restera encore la question, sou-
levée parles partisans mitigés du système, desavoir si,
par ces fortes affirmations d'une nature divine ineffable,
incompréhensible, inconnaissable même, les Pères ont
voulu dire qu'à notre connaissance de Dieu rien d'ab-
solu ne répondait, mais seulement quelque chose de
relatif. Alors il faudra étudier de près les témoignages
invoqués, en les regardant dans le contexte ou dans
les circonstances historiques où ils furent écrits; il
faudra examiner, dans ceux qui l'ont inaugurée ou déve-
loppée, cette théologie positive et négative, en d'autres
termes, cette double voie de connaissance, par affirma-
tion et par négation, pour voir ce à quoi l'une et l'autre
tendent directement et ce qu'elles supposent dans la
pense, des Pères. A cette condition seulement, nous
comprendrons la portée de cette petite phrase, perdue
dans la longue ('numération de Thomassin : quod
mines negationes positionem aliquam implicent.
II. Développement général i>e la doctrine patris-
TIQUE si r Dieu (théologie au sens restreint, théodicée).
Trois fadeurs principaux. — D'abord, la Sainte
Ecriture, méditée parla pensée chrétienne. La doctrine
sur Dieu se présentait aux Pères dans de tout autres
conditions que la doctrine relative aux grands mystères
de la foi, Trinité, Incarnation, Rédemption. L'Ancien
Testament leur offrait cet ensemble de notions très
es déjà, dont l'article précédent, col. 9i8 sq.. a
montré la genèse el l'évolution. La révélation évangélique
avait encore perfi i lionne ce fonds, en épurant certaines
notions ou en les développant. Quelle source, par exem-
ple, de nouveaux sentiments pour la piété chrétienne
el d'aperçus nouveaux sur Dieu dans la révélation du
l'ère qui est aux cieux, qui nous a donné son propre
Fila et, par sa médiation, ■( fait de nous ses enfants
adoptifs! La pensée chrétienne ne pouvait manquer de
«'exercer sur ces données primitives. Dans leurs com-
ntaires sur les saints Li\ res, en particulier, les Pères
furent amenés i exploiter la richesse de textes plus
Ibndament nme l «od., ni, 14 : \'.<\o sn,u qui
tut»; Sap., xiii, ."> : .1 magnitudim i ici et
■ ognost ibitili r poterit < reator horum vida i .
Rom., 1,20 lnvi ibiliaenim ipsiu$,acrealuramundi,
facta sinii, intellecta, conspiciuntur;
àct., xvii, 27. 28 ",,,/,,,.,v , .,/ ,,/, unoquo-
,///,■ noêti uni . us, et movernu
us.
i n n eond lieu, la $. a partir du iv si
le di i les dogmes trinitaire el chris
1 pu-, mais h avait d'abord porté sur la ool
de Dieu, dan< la lutte avec le judaïsme, le paga
dualisme. Si li point pasae ensuite au second
plan, la di m pli l' ne ni. I n
DU i. i-' tiii •>[.. CATUOL,
face d'incroyants qu'on voulait amener à la fo inouvelle.
il ne suffisait pas d'exposer la notion chrétienne deDieu
et de l'opposer à toute notion contraire, spécialement
à la notion païenne, fausse à tant d'égards et toujours
incomplète; il fallait légitimer ce qu'on prêchait.
Souvent aussi, ce furent les adversaires qui prirent
l'offensive; sur le terrain de la philosophie, ils criti-
quèrent la notion chrétienne de Dieu et soulevèrent, à
cette occasion, de très graves problèmes. Les erreurs
et les attaques étant multiples, multiples aussi furent
les aspects de Dieu que les Pères durent étudier, venger
ou mettre en relief.
En troisième lieu, la philosophie, ou plutôt l'alliance
de la foi et de la philosophie. Des Pères, convertis du
paganisme, philosophes d'éducation et de tempérament,
sentirentle besoin de garder de leur formation première
ce qui pouvait cadrer avec leur foi nouvelle, de proposer
aux autres ou de s'exprimer à eux-mêmes ce qu'ils
croyaient sous la forme et dans la langue qui leur
étaient propres. On a remarqué au sujet de l'incarna-
tion du Verbe, et la remarque s'applique tout aussi
bien aux grands problèmes de théodicée, que les philo-
sophes chrétiens passèrent naturellement du fait à son
explication, aux théories sur la nature du Verbe.
« C'était une époque de définition et de dialectique, »
remarque un auteur qui, d'ailleurs, a beaucoup excédé
dans l'application de ce principe aux faits. « Pour la
masse des hommes instruits, il était aussi difficile de
rencontrer un problème métaphysique sans le discuter,
qu'il serait difficile, de nos jour», aux chimistes de ren-
contrer un produit naturel sans l'analyser. » E. Hatcli,
The influence of greek ideas and usages upon the
Christian Church, Londres, 1890, p. 263.
De tout ceci résulte, non pas un enseignement sys-
tématique sur la nature de Dieu, non pas une théodicée
en forme, mais les matériaux essentiels de nos traités
modernes De ■ Deo uno. Pour un certain nombre de
Pères, la synthèse des éléments épars dans leurs écrits
a même été faite sous deux formes distinctes. Parfois,
ce sont des monographies où l'on traite spécialement
de la théodicée de tel Père, sa doctrine sur Dieu, Die
Théodicée, Die Golleslehre des... D'autres fois, ce sont
des études générales sur la théologie d'un Père, mais
comprenant un chapitre distinct sur Dieu. Dans les deux
cas. on trouve habituellement l'inventaire détaillé de
ce que ce Père a dit sur Dieu, sa nature et ses attributs,
la manière de le connaître; presque toujours Dieu est
considéré sous tous ses rapports : non seulement comme
un, mais comme trine; non seulement en lui-même,
mais dans son action au dehors, la création avec ses
conséquences, la providence avec tous les problèmes
qui s'y rattachent, origine et nature du mal, liberté de
l'homme, etc. Tel de ces écrits qui porte le titre de
Théodicée, par exemple de saint Justin ou de Tertullien,
traite en réalité de Dii u créateur el provident, ou même
uniquement du problème du mal.
L'étude présente sera nécessairement moins com-
préhensive; car des sujets qui viennent d'être signalés,
plusieurs relèvent d'arlicl >u\. comme il a ■ t<
dit col. 758, en particulier Création, Providence et
Trinité. Il suffira de souligner, à l'occasion, le point
d'attachi entre les questions traitées el celles (pu sont
Même i n n stanl dans le cadre restreint de
notre travail, il serait impossible de reprendre en détail
lei inventaires laits pour chaque Père; ce serait, do
>ml miner .1 il us sm^ fin cl
fruit, puisque (fi - le début la foi chrétienni
-.m Dieu l'ensemble des notions qu'elle trouvait formel-
lement contenues dans fis s.iinis Livres. L'importance
particulière qui s'attache de nos jours aui Pères du
n» et du nr siècle, apologistes ou contre
sciiie de présenter leui doctrine avec plus de dévelop
nt, Pour li nts, I mble pi éférable
IV. - 88
1027
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES
Ki28
d'indiquer l'orientation générale de la pensée patris-
tique, dans ses courants principaux, et de n'insister
que plus ou moins, suivant les circonstances, sur la
doctrine et le rôle de tel ou tel Père. La matière peut
se diviser en quatre périodes, caractérisées surtout
par la progression des questions relatives à notre con-
naissance et à la nature de Dieu.
2° Première période : les Pères apostoliques. — Nulle
spéculation, ni sur l'existence de Dieu, toujours sup-
posée, ni sur sa nature ou ses perfections. C'est la no-
tion biblique de Dieu, créateur et père de toutes choses,
Didaché, I, 2; Barnab., xix, 2; 1 Cor.,\ix, 2; Hermas,
Vis., I, lit, 4, Paires apostolici, édit. Funk, Tubingue,
1901, p. 3, 91, 125, 423; Seigneur tout-puissant et sou-
verain dominateur, Did., x, 3; Barn., xxi, 5; I Cor.,
vin, 2; Poh/carpi martyrium, xiv, 1; Hermas, Sini.,
V, vu, 4, p. 23, 97, 109, 331, 543; duquel nous tenons
toutes choses, et qui n'a lui-même besoin de rien,
I Cor., xxxviii, 4; lu, 1, p. 149, 167; Dieu unique et
vivant, par opposition aux dieux faux et aux dieux morts.
Did., vi, 3; 1 Cor., lviii, 2; 7/ Cor., m, 1; S. Ignace,
Ad Magnes., vin, 2; Ad P/tilad., i, 2; Hermas, Vis.,
II, m, 2; Mand., i, 1, p. 17, 173, 187, 237, 265, 429,
469. Invisible, mais qui s'est manifesté aux hommes
par son filsJésus. II Cor., xx, 5; S. Ignace, AdMagnes.,
vin, 2, p. 211, 237. Dieu qui habite au plus haut des
cieux, et qui n'en est pas moinsprésent partout, même
au plus intime de notre être : Consideremus quam
propre sit, et quod cogitationum nostrarum et collo-
quiorum, quse habemûs, nihil ipsum laleat. 1 Cor.,
xxi, 3, p. 129. Prescient, omniscient. I Cor., xxi, 9;
II Cor., ix, 9; S. Ignace, Ad Eph., xv, 3; Hermas,
Mand., IV, m, 4, p. 129, 195, 225, 479. Souveraine-
ment sage, saint, véridique. 1 Cor., xxxm, 3; xxxv, 3;
Martyr. Polyc, xiv, 2, p. 141, 143, 331. Juge suprême,
qui récompense les bons et punit les méchants, sans
acception de personnes. Did., iv, 7; Barn., iv, 12,
p. 13, 49.
Notion de Dieu beaucoup plus élevée et plus complète
que celle qui est attribuée aux premiers fidèles par
E. Hatch, op. cit., p. 224. D'après les deux derniers textes
cités, il nous les représente se figurant Dieu comme un
cheik oriental dont le rôle est de payer et de juger ses
subordonnés. Cette étroitesse de vue est d'autant plus
étonnante, que, chez les Pères apostoliques, la notion
chrétienne brille davantage : non seulement dans la
croyance à Dieu le Père qui a envoyé son propre Fils
sur la terre pour sauver les hommes, pour se manifes-
ter à eux et leur manifester la vérité, II Cor., xx, 5;
S. Ignace, Ad Magnes., vin, 2, p. 211, 237, mais encore
dans le relief donné à la fidélité, à la bonté, à la miséri-
corde, non moins qu'à la justice, à la sagesse et à la puis-
sance divine : Fidelisin omnibus generalionibus, justus
in judiciis , admirabilis in fortitudine et magnificien-
tia, sapiens in condendo et prudens in creatis stabilien-
dis, bonus in Us quse videntur, et /idelis in eos qui in te
con/idunt, benignus et misericors. 1 Cor., lx, l,p. 179.
D'un bout à l'autre du Pasteur d'Hermas, la miséri-
corde divine est prêchée, exaltée. De là un profond
sentiment d'amour reconnaissant à l'égard du Père
céleste qui nous a créés et qui a créé toutes choses
pour sa gloire sans doute, mais pour l'homme aussi,
Did., I, 2;x,3; Hermas, Mand., Xll,iv, 2, p. 3,23,515;
de confiance filiale en ce Père « tout miséricordieux
et bienfaisant, » 1 Cor., xxiil, 1; xxix, 1, p. 131, 137;
de soumission constante aux ordres de sa providence :
« Tout ce qui t'arrive, reçois-le comme un bien,
sachant que rien n'arrive en dehors de Dieu. » Did.,
iii,10, p. 11.
Non moins caractéristique, chez les premiers Pères,
est la tendance à envisager les œuvres et les perfections
divines sous un aspect moral et pratique, comme appe-
lant de notre part la reconnaissance effective, l'imitation.
Dans la description de ceux qui marchent dans la voie
de la mort, ce trail apparaît : a Ils n'ont pas pitié de
l'indigent, ils ne se préoccupent pas de l'affligé, igno-
rants qu'ils sont de b-ur créateur, non cognoscentes
rrcaloreni suum. » Did., v, 2; Barn., xx, 2, p. 17, 95,
La description de l'ordre et de l'harmonie merveilleuse
qui se manifeste dans le monde, 1 Cor., xx, p. 127,
tend à celte conclusion : « Prenons garde d'abuser de
ses nombreux bienfaits pour notre propre condamna-
tion ; menons une vie digne de lui, faisons le bien et ce
qui lui est agréable, en esprit d'union. » Ibid., xxi. 1,
p. 129. L'omniscience a pareillement ses enseignements :
« Puisqu'il voit tout et entend tout, craignons-le et
gardons-nous des désirs impurs. ■■ I Cor., xxvm. 1.
p. 135. L'habitation de Dieu en nous évoque l'idée de
temple spirituel, érigé au Seigneur. Barn., xvi, 8, 10,
p. 89. « P.ien n'échappe au Seigneur, pas même nos
secrets les plus intimes; rappelons-nous donc en
toutes nos actions qu'il habile en nous. » S. Ignace,
Ad Eph., xv, 3; S. Polvcarpe, Ad Phil., IV, 3.
p. 225, 301.
En dehors de ces grands traits, quelques détails seu-
lement méritent d'être relevés. L'unité de Dieu, créa-
teur et rédempteur, constamment supposée, est de
temps à autre fortement accentuée, Il Cor., xx. 5:
S. Ignace, Ad Magnes., vin, 2, p. 211, 237; mieux
encore dans le célèbre passage du Pasteur d'Hermas.
où l'immensité divine est aussi exprimée : Primum
omnium crede, unum esse Deum, qui omniacreavil et
consummavil , et ex nihilo fecit onmia, ut sint, et
omnia capit, soins autem incapabilis est, |itfvo; li
àyrâ>pi\xoi wv. Mand., I, 1. p. 468. La toute-puissance et
la pleine indépendance de la volonté divine est affirmée :
Nihil Deo impossibile prnterquam mentiri. Quando
vult et quomodo vull, omnia faciet. 1 Cor., xxvn. 2.
5, p. 135.
L'écrit anonyme et de date discutée qui porte le
titre d'Epistula ad Diognetum, reste, pour la doctrine
sur Dieu, dans le courant des idées familières aux
Pères apostoliques. L'aspect polémique contre les faux
dieux du paganisme se surajoute, mais là même
l'auteur reste biblique; contre ces prétendus dieux de
pierre, de métal, de bois, etc., il reprend l'argumentation
populaire ou de sens commun que les prophètes d'Israël
et les auteurs des livres sapientiaux avaient utilisée.
Plus caractéristique est l'attitude, agressive et tranchée,
qu'il prend à l'égard des philosophes, restés sans la
véritable notion de Dieu et coupables de l'avoir traves-
tie de tant de façons : Quis enim omnino hominum
norat, qui tandem esset Deus, priusquam ipse vene-
rat°! Anvana et nugacia dicta philosophorum istorum
approbas, qui /ide pcrperam digni suiit habit i ? vin.
1, 2, p. 405.
auteurs catholiques : J. Sprinzl, Die Théologie der apostu-
lisclien Vàter, Vienne, 1880, p. 122 sq. ; J. Xirschl, Die Théo-
logie desheiligen Igyiatius, des Apostelschitlers und Bischofs
vm Antiochien,c. i, Mayence, 1880, p. 1 sq. — nos catholiques :
J. Donaldson, A critical History of Christian Literature and
Doctrine from thedeathofthe Apostles tothe Nicene Council,
Londres, 1864 sq., t. i, The Apostolical Fathers, p. 122 sq.,
189 sq., 232, 281 sq. :E. von der Goltz, Ignatius von Anliochien
ali Christ und Theologe, part. I, c. i {Texte und Untenu-
chungen, publ. par O. von Gebhardt, etc., t. xn), Leipzig, i
A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3' édit , !• ribourg-
en-Brisgau, 1894, 1. 1, p. 170 sq.
3° Seconde période : les Pères apologistes et conlro-
versistesjusquauconcile de Xu; c 325 . — Cette période
diffère notablement de la précédente. La lutte s'engage
avec l'ennemi, et de plusieurs côtés à la fois : d'abord
avec les juifs et les païens, puis avec les hérétiques
gnostiques. Avec les juifs, le débat sur la nature de
Dieu fut secondaire; juifs et chrétiens s'accordaient
sur la notion biblique. Bientôt cependant deux pro-
1029
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES
1030
blêmes apparaissent : Comment concevoir Dieu, ou
comme un pur esprit, ou d'une façon plus ou moins an-
thropomorphique? Comment concilier le dogme fonda-
mental de l'unité divine avec la pluralité des personnes,
affirmée parla foi chrétienne? Avec les païens, le point
capital est l'unité de Dieu, dans son opposition for-
melle à tout polythéisme, mais la spiritualité divine,
entendue dans un sens large ou dans un sens rigoureux,
par exclusion d'un corps charnel ou d'un corps quel-
conque, intervient nécessairement encore dans la dis-
cussion. Avec les gnostiques, la question principale
est aussi l'unité divine, contredite par l'ingérence de
dieux subalternes ou par la distinction dualiste d'un
Dieu suprême et d'un démiurge. La grande énigme de
l'origine du mal est à l'ordre du jour; à côté ou par
connexion, d'autres questions se posent, sur la connais-
sance de Dieu, sur la providence et sa conciliation
avec le libre arbitre de la créature. La théodicée des
Pères apologistes tourne autour de ces problèmes,
mais en les dépassant; car les défenseurs de la doctrine
catholique ne se contentent pas de réfuter les notions
fausses sur Dieu, ils opposent une notion positive. Ce
faisant, s'ils n'oublient pas les Livres saints, surtout
dans la controverse juive et gnostique, la plupart
cependant se tiennent sur le terrain de la raison, de la
philosophie. C'est là un caractère, non pas exclusif,
mais dominant de la théodicée des Pères apologistes,
prise dans son ensemble.
1. Apologistes grecs. — a) Aristide. — Dans l'Apo-
logie qu'il présenta, vers l'an 140, à l'empereur Anto-
nin, apologie publiée par .T. Rendel Marris, dans Texls
and Studies, 2« édit., Cambridge, 1893, 1. 1, n. 1 et 4, et
par E. Hennecke, dans Texte und Untersucliungen zur
Gescliic/ite der allchristliclten Litcralur, Leipzig, 1893,
t. iv, fasc. 3, le philosophe athénien débute par une
véritable déclaration de principes sur Dieu. La consi-
dération de l'ordre et de la beauté du inonde lui a fait
conclure à l'existence d'un être supérieur, qui meut
les créa tares et qui, demeurant invisible, habite en
elles. Personne ne peut comprendre parfaitement ce
qu'il est, -v.o; è'ttiv. Souverain Seigneur, il a tout créé
pour l'homme. Il est incréé, sans commencement ni
lin, immuable, parfait, tout-puissant, tout sage. 11 n'a
pas de nom; il n'a ni ligure, ni membres, ni sexe. Les
cieux ne le contiennent pas, mais lui-même contient le
ciel et tout ce qui est visible ou invisible. Far lui
Subsiste tOUt Ce qui suivis!,., M. |. Aristide passe eu-
suite en revue et crilique ce qu'ont pensé de Dieu les
barbares, les Grecs, les Egyptiens, n. 212. Les juifs
ont éjé bien mieux inspirés dans leur notion d'un
Dieu unique, créateur de toutes choses, tout-puissant
ei seul digne d'adoration, n. 14. Mais la croyance
chrétienne esl supérieure, n. 15.
6 Saint Tuttin marque mie étape importante; il
aborde la question en philosophe, platonicien d'édu-
cation et d'attrait, mais chrétien 'le ci oyance et, comme
tel, dépassanl sciemment el volontairement la doctrine,
ou ce qu'il prenait pour la doctrine, de Platon. Dans
le milieu du n siècle,
il oppose au reproche d'athéisme, formulé contre les
leur croxance i au Dieu lies \r.u. père de
la justia . de la el autres vertus, sans mélange
de quoi que ce soil de mauvais, i a. 6, P. Cf., I n,
95. Dieu, donl la gloire el la forme sonl inénar-
. n. 9, col 340 II n'a pas besoin d offrandes ma
les, lui qui, dans •.< boni... lit à l'origine sut
i«"i ! lire' matière inforn hommes
ii. 10 ,|„j
\i. 18, voir l'art, Cri \-
iveraln naître
de i ii muni ratent el engi ai .
donl I air i .,,,,.,
n. 12, col. 345. Seul vrai Dieu, ô ovtu; Oeô;, immuable,
sempiternel, n. 13, col. 348; seul incréé, n. 14; cf. Dial.
cum Tryph., 5, col. 348, 487; tout-puissant, impassible,
n. 18, 25, col. 356, 366. Le problème du mal, sans être
pleinement traité, est cependant abordé. Le mal moral
est l'œuvre des hommes, qui ne viennent pas au
monde les uns bons et les autres mauvais, mais doués
du libre arbitre, don de Dieu leur permettant de mé-
riter ou de démériter; les maux physiques sont dus en
grande partie aux démons, ennemis des hommes, sur-
tout des bons, n. 28, 43. Cf. 11 Apol., n. 7, col. 371,
394, 455.
Dans la IIe Apologie, Justin accentue l'affirmation de
l'ineflabilité divine. Le Père de toutes choses n'a pas
de nom, parce qu'il est sans origine; l'imposition d'un
nom suppose, en effet, un plus ancien qui le donne,
n. 6, col. 454. Aussi l'apologiste associe-t-il en Dieu
les deux idées, bsbv tov àyévvr|Tov xa\ £ppr,Tov, n. 12,
col. 464. Les termes de Père, Dieu, créateur, Seigneur
et maître, ne sont pas de vrais noms, mais des appel-
lations tirées des bienfaits et des œuvres de celui qu'on
désigne ainsi. En particulier, le terme Dieu ne répond
qu'à la conception, implantée dans l'esprit humain,
d'une chose inénarrable, 7tpây|i*T0î Sutre^y^Tou èV?'J-o;
■ri] z-jiz'. -iïri àv8piû7rwv ôôË3c, col. 453. D'ailleurs, Dieu
s'est rendu témoignage par son Verbe; car le Verbe
divin s'est toujours communiqué aux hommes de
quelque façon, n. 8; il est toujours présent dans le
monde, 6 èv jt«vt\ ù'v, n. 10; mais la pleine communi-
cation n'a eu lieu qu'aux temps évangéliques, quand il
s'est incarné, n. 13, col. 458 sq.,466.
Le Dialogue avec le juif Tryphon présente cette
particularité que, dans le prologue, n. 1-8, saint Justin
raconte un entretien qu'il eut avec un vieillard provi-
dentiellement rencontré, entretien qui décida de sa
conversion au christianisme. Invité à dire ce qu'il
pensait de Dieu, Justin le donna pour l'être qui reste
toujours ce qu'il est, sans changer jamais, et qui en
même temps confère anx autres l'existence, n.3. Il cita
Platon concevant Dieu connue l'être même, cause su-
prême de tout ce qui tombe sous la perception intellec-
tuelle, n'ayant ni couleur, ni figure, ni grandeur, ni
rien de ce que l'œil atteint; en un mot, l'être qui est
au-dessus de toute essence, iïtsxeiva itiar.î ovafaCi iné-
narrable, inexplicable, seul beau et bon, qui se mani-
feste clairement à l'âme bien préparée et désireuse de
le voir, n. 4, col. ISS sq. Le vieillard, sans entrer dans
de longues discussions, rabattit aisément ces hautes
prétentions : l'âme peut connaître l'existence de Dieu,
6ti ïoti 0:o:, m. lis elle ne peut le voir, n. i. col. 188;
la philosophie ne donna pas elle-mê la science de
Dieu et des choses divines, il faut la demander :i ceUS
qui ont parlé sous l'influence >U\ Saint-Esprit, aux pro-
phètes. <t surtout à Jésus-Christ, Fils de Dieu, n. 5-7.
Le reste du dialogue porte principalement sur Jésus-
Christ, considéré' comme distinct de Hou le l'ère et
Dieu lui ml m< I apoli gl te reconnaît formellement le
même Dieu que m,h adversaire juif, n. Il, col. 197,
mais il rejette la conception anthropomorphique qui,
l'assimilant à un animal composé de parties, lui attri-
buait des pieds, des mains, des doigts et une .une.
n. Mi. col. 7W ration du Verbe, qu'il admet,
est d'un tout autre ordre : Dieu le Péri engendre de
lui même ion V\ r be, : rationm II riva
èc tauroQ XoyixV,v, non par une sorte de scission affec-
tant i tance, mais par h vertu et sa volonté,
diminution aucune de -.i part; tel le Heu donnanl
u feu, n. 61. 128, col. oi i, 775.
Parmi les autres ouvrages souvent attribués a salai
mais d'authenticité douteuse, la Cohortatio ",t
(rentes, col —il sq., mérite d'être signalée pour la
inéine qui •'] trou v< di •■■ loppée el qui r.ut .m->-i
le fond do i, col. 311 sq. I
4031
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES]
1032
et les philosophes de la Grèce ne sont arrivés sur Dieu
«m'a des opinions multiples et discordantes ; quelques-
uns cependant ont rendu témoignage à Dieu et à son
unité. Platon surtout, sous l'influence des Livres saints
dont il connut quelque chose en Egypte. La doctrine
de l'ineflabilité divine revient à ce propos, fondée sur
deux raisons : Nemo praiexslitit, <jui nomen Deo ini-
poneret, nec se ipsum numinandum duxit, n. 21,
col. 277. Ainsi, pas de nom propre au sens d'un nom
personnel qu'on impose à quelqu'un pour le distinguer
des autres, car personne n'existe avant Dieu pour pou-
voir le dénommer ainsi; pas davantage de nom propre
au sens d'un nom qui exprime la nature d'un être, car
Dieu seul pourrait se définir ainsi, et il ne l'a pas fait.
La parole dite à Moïse, Exod., ni, 14 : 'Eyw e I jx t 6 cîiv
(traduction des Septante), n'énonce en réalité qu'une
propriété du vrai Dieu, mais une propriété essentielle
et qui le distingue de tout autre être : ut per partici-
pium EXisiEys, Dei existentis et non existentium
discrimen doceret. Ibid., col. 279. L'existence dont
il s'agit, c'est l'existence sans limites, qui comprend
le passé, le présent et l'avenir, n. 25, col. 287.
La conception de Dieu qui se dégage decet enseigne-
ment n'est certes pas vulgaire, et elle n'est pas pure-
ment philosophique, elle est aussi chrétienne. Ce n'est
pas à dire qu'elle ait toute la netteté désirable. Les
expressions dont l'apologiste se sert plusieurs fois,
donneraient facilement l'impression d'un Etre qui se-
rait au-dessus et en dehors du monde, par exemple,
Dial. cum Tryph., n. 56 : to-j iv toiç -JTcEpoupavîoi; às'i
[xévovxoç; n. 60: tû> imïp v.haii.o't 9e<ii, col. 596, 613.
Dans ce dernier passage, saint Justin suppose même
que, pour apparaître en un lieu déterminé du monde,
le Dieu suprême devrait quitter les espaces supracé-
lestes : Nemo tamen non omnino mente captus au-
ctorem universorum et pctrentem relictis omnibus
supercœlestibus in paria lerrse parlicula visum dicere
audeat, col. 611. Idée reprise et développée plus loin :
« Ce Père ineffable, ce maître de l'univers ne se rend
nulle part, il ne se promène pas, il ne dort ni ne se
lève, mais il reste là où il habite, quel que soit cet
endroit; il y voit tout et entend tout, non par les yeux
et les oreilles, mais d'une façon qui ne se peut dire, et
nul de nous n'échappe à sa connaissance. II ne se
meut point, il n'est compris dans aucun lieu, pas
même dans le monde entier, puisqu'il était avant que
le monde n'existât. Comment donc pourrait-il parler à
quelqu'un, ou lui apparaître, ou se faire voir dans un
étroit espace de cette terre? » N. 127, col. 771. Le but
de l'apologiste est d'établir la distinction réelle du
Père et du Fils, en montrant que les théophanies de
l'Ancien Testament doivent être exclusivement attri-
buées au second. L'argumentation n'est pas heureuse;
elle crée même une difficulté réelle, classique dans le
traité De Deo trino, contre la consubstantialité du
Père et du Fils. Abstraction faite de cet inconvénient,
il est juste de reconnaître que, considéré dans sa na-
ture divine, Dieu le Père n'est pas susceptible de rela-
tions locales, ni par conséquent d'un mode de présence
dépendant de ces relations; mais pourquoi ne pourrait-
il pas apparaître d'une autre manière, ou sous une
forme d'emprunt, comme le Verbe, ou à l'aide d'un
symbole qui le représenterait, comme le Saint-Esprit?
Supposer que Dieu le Père, et lui seul, est tellement
lixé dans les espaces supracélestes, qu'il ne puisse se
faire voir ailleurs, c'est émettre une assertion arbitraire
et qui s'harmonise peu avec l'immanence ou l'ubiquité
divine, admise, semble-t-il, par Justin quand il fait
du Dieu incréé et inénarrable le témoin de nos pen-
sées et de nos actions, 8eôv rbv à^lw^tov xa\ appTjTov
[AapTUpa e'/ovtectûiv te >.oyi(T[j.(ov xat tcov 7TP<xEeu>v, n. 12,
col. 464. Il est vrai que la présence dite de connais-
sance et de puissance n'entraine pas nécessairement
la présence substantielle, au sens propre du mot;
aussi, même sur ce point, la pensée de l'apologiste
reste inachevée et ambiguë.
c) Tatien nous présente, dans son Oratio adversus
Grxcos, ]'. G., t. vi. col. 803 sq.. une doctrine moins
étendue que celle de saint Justin, son maître, mais
analogue dans l'ensemble. Dieu n'a jamais commencé
d'être; c'est sa prérogative exclusive, puisqu'il est le
principe de toutes choses. Il est esprit (c'est-à-dire sans
chair, acrapxo:, n. 15, et sans corps, àooiu.a-:o:, n. 25,
col. 837, 861); comme tel, invisible et intangible.
Incompréhensible aussi, en lui-même, et inénarrable;
mais ses créatures nous le font connaître, ses œuvres
nous témoignent de sa puissance invisible. Il n'a besoin
de rien ni, par conséquent, de nos présent*, n i.
col. 814. Une phrase mérite une attention spéciale :
IlvE\;p.a 6 8eb{ ou Biîjxov Sià tyj; v'/.?,;. icvg*j|Kxicdv '.i
ûXcxcôv xoù t(dv èy ol'j-?, c/ï(u.::mv xaTa<nceva<rnr,ç. « Dieu
est esprit, non pas esprit diffus à travers la matière,
mais créateur des esprits matériels et des formes atta-
chées à la matière. » L'apologiste veut-il dire que la
présence divine ne s'étend pas à la matière? Cette
interprétation ne serait pas tout à fait gratuite, car peu
auparavant Tatien reprochait à Zenon d'avoir affirmé
que Dieu se trouve dans les cloaques, les vers de terre
et ceux qui commettent des actions indignes, n. 3,
col. 811. Cf. Petau, Dogmala theolog., 1. III, c. vu.
n. 3. Mais la limitation de la présence divine, que
contient ce dernier texle, est loin de s'étendre à la
matière prise dans toute son extension. Les termes :
o-j otr/.ov osa -■!/, -Z't.r^, semblent plutùt viser l'imma-
nence panthéistique des stoïciens, qui concevaient
Dieu comme l'âme du inonde, en lui attribuant une
sorte de coextension par rapport à la matière. Il reste
qu'en face de cette notion fausse, Tatien ne pose pas
une notion positive de l'ubiquité divine, qui soit dis-
tincte et adéquate. Il en va tout autrement de l'unité
absolue du premier principe, fortement accentuée : la
matière n'est pas, comme Dieu, incréée; elle a été
créée, non par un autre, mais par Dieu lui-même,
unique auteur de tout ce qui existe en dehors de lui,
n. 5, col. 818. Le mal ne vient pas de Dieu, bon par
nature; il vient de la créature raisonnable, qui abuse
de sa liberté, n. 7, 11, col. 819, 830. Dans la partie
polémique de son discours, Tatien raille, avec son
outrance habituelle, les dieux et la philosophie du
paganisme : ces dieux innombrables, qui se brouillent,
se battent, se blessent, se marient, en un mot se
montrent sujets aux mêmes passions que les hommes,
n. 8, col, 822; ces philosophes superbes, qui n'ont su
donner de Dieu que des notions discordantes, *n. 25,
col. 859.
d) Athénagore composa vers 176-180 sa fIpea6E:'a zspi
/piô-Tiavàiv, Legatio pro christianis, P. G., t. vi,
col. 889 sq. Comme saint Justin, il repousse l'accusation
d'athéisme, portée contre les chrétiens, et, comme
Tatien, il réfute le polythéisme. Ce n'est pas être athée,
que de distinguer Dieu de la matière, et de montrer
l'infinie distance qui sépare les deux, l'un improduit
et éternel, iyÉwr-ov xoù «tètov, l'autre produite et
corruptible, yv/r\-rf/ xai ;ûaptr,v, n. i. col. S97. Les
poètes et les philosophes, s'élevant à la connaissance
de l'Invisible par la considération de ses œuvres, ont
rendu témoignage à l'existence de Dieu et à son unité;
c'est là qu'on aboutit invinciblement, quand on veut
en venir aux principes des choses, n. ô. 7, col. 900,
901. Athénagore fait lui-même appel à l'ordre, à l'har-
monie, à la beauté du monde, n. 4, 16, 22, 25,
col. 898,919, 942,950, mais il développe surtout l'ar-
gumenl c< topologique ». n. 8, col. 905. S'il y avait à
l'origine deux ou plusieurs dieux, ils seraient ou tous-
dans un seul et même lieu, ou chacun dans un lieu dis-
tinct; deux suppositions qui répugnent également.
1033
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1034
L'apologiste énonce, à cette occasion, plusieurs attri-
buts divins, la simplicité, l'indivisibilité, l'universelle
providence : cum ingenitus sit et perpessionis ac
divisionis expers, non sane constat ex parlibus,...
supra opéra sua versatur, ad eorum providentiam
advigilans. Les détails de l'argumentation ne sont ni
tous clairs, ni tous décisifs (voir la critique qu'en a
faite H. Ritter, Geschichte der Philosophie, Hambourg,
1841, t. v. p. 311, et la discussion de cette critique
elle-même par P. Logothetes, 'Il BeoXqycoc toO 'Aôvayô-
pou, p. M sq.); quelques expressions sembleraient
même nous ramènera l'idée d'un Dieu extra-cosmique :
«Les mettrez-vous chacun dans un lieu distinct? Mais,
puisque le créateur du monde est autour et au-dessus
du monde entier, zspi oc-jtôv t.%'i -jtiô toÛtov, où y au-
rait-il place pour l'autre ou les autres? » N. 8, col. 905.
Un certain correctif se trouve dans le contexte; on y
lit, en des termes de saveur biblique mais qui ne tran-
chent pas toute la difficulté, que Dieu remplit et con-
tient tout.
Du reste, Athénagore ne se contente pas de preuves
rationnelles; il attache plus de prix à ce que nous sa-
vons de Dieu par Dieu lui-mème,7tapà!tecrj neplOEoC, n.7,
grâce aux hommes inspirés dont il s'est servi pour nous
instruire, n. 9, col. 904, 900 sq. Revenant alors au re-
proche d'athéisme, il lui oppose, enrichie de quelques
attributs, la notion chrétienne du « Dieu unique, in-
Créé, éternel, invisible, impassible, intangible (àxaTa-
>r,-7v/i. immense, que seuls l'esprit et la raison peu-
vent connaître, qui est entouré d'une lumière ineffable,
d'une beauté', d'une majesté, d'une puissance indes-
criptible, et qui, ayant produit et orné toutes choses
par son Verbe, les conserve aussi par ce même "Verbe...
qui est son Fils, ne faisant qu'un avec le Père, Êvbç
Sv-roc toC IlaTpo; y.olX toO Tco'j, » n. 10, col. 908 sq.
Quelques traits s'ajoutent au tableau dans la suite du
plaidoyer. Créateur de toutes choses, Dieu n'a pas be-
soin d'offrandes matérielles, ni de quoi que ce soit,
âvev8er|ç xoei kizpoaZtrfi, n. 13, col. 9IG. Il se tient lieu
de tout, lui qui est lumière inaccessible, monde parfait,
esprit, puissance, intelligence, n. 16, col. 919. Immor-
tel, il est également immobile et immuable, t& Se deïov
%a\ àftivotTov y.iX àxfv/jTov y.a\ àvaW.ofwtov, n. 22,
col. 957. Chemin faisant, l'apologiste relève chez ses
adversaires tant d'erreurs qui ont faussé la notion de
Dieu, en faisant de lui, par exemple, l'âme du monde
ou en divinisant des êtres produits, corruptibles, char-
nels, sujets à toute sorte de pissions, n. 19-23,
Col. 930 sq.
Dans le problème du mal, Athénagore attribue un
rôle important à l'action néfaste des mauvais anges
ou des démons; non qu'ils puissent l'aire échec a la
puissance divine, mais Dieu tolère le mal, conséquence
du libre arbitre dont il a voulu doter les anges et les
bom i qu'ils puissenl mériter ou démériter,
n. 21, col. '.'i'i sq Lui-même est bon, parfaitement
bon et toujours bienfaisant, -Oii<»: àyaôb; ûv, ki<ot
*YaOoitofoc, n. 20, col. 952 Mais il est aussi témoin,
jour et nuit, de tout ce que nous faisons, disons ou
I" tisons; et, plus tard, il sera pige décernant les ré-
Compenses ou les châtiments, Persuadés qu'ils sont
comment les chrétien- ne s'abstien-
draient-ils pis de tout péchi ' N. 31, 36j col. 862,970.
L'écrit /'' - ■ urrectione lori uot uni . P, < • . t. vi,
col. 97:! sq.,d'uncaractéri plu- restreint, fournit A l'apolo-
i de itre particulièrement en relief la
l.i puissance el la volonté divini -.
tous ces attributs l'harmonisanl parfaitement en Dieii,
••n particulier la puissance el la volonté. Prise dam le
contexte, l'affirmation que cette dern end s
n indigne de Dieu quod
\n ih ■ ,, cadit, vel idei non cadit quod
injustum col. 991, ne
signifie pas, comme le suppose Petau, op. cit., I. V,
c. vi, n. 2, que Dieu veut de fait tout ce qui est juste
et digne de lui, en d'autres termes, tout ce qu'il peut
faire; elle signifie seulement, comme l'a remarqué à
bon droit Donaldson, op. cit., t. III, p. 145, que tout
cela rentre dans l'orbite normal de sa volonté, qu'il le
peut vouloir : quod Deus facere polest, id eum velle
posse dicendum, n. 11, col. 993, avec la note 72. Enfin
le développement des idées amène Athénagore à parler
de la fin dernière que Dieu s'est proposée en créant
l'homme; c'est pour lui-même que Dieu l'a créé, pour
manifester sa bonté et sa sagesse qui brille dans ses
œuvres, propter seipsum et elucentem in omnibus
ipsius operibus bonitalem el sapienliam. L'homme a
précisément reçu l'intelligence et la raison pour pou-
voir reconnaître dans les créatures la puissance, la sa-
gesse, la bonté, la justice, l'universelle providence de
Dieu, n. 12, 15, 18, col. 998, 1003, 1009.
e) Saint Théophile, évêque d'Antioche vers 168-181,
aborde plus directement que ses devanciers le problème
de la connaissance de Dieu, dans ses trois livres Ad
Aulolycum, P. G., t. vi, col. 1023 sq. Dans un esprit
évident de raillerie, le païen dit au chrétien, 1. I, n. 2,
col. 1025 : « Montrez-moi votre Dieu. » Et Théophile de
répliquer : « Et vous, montrez-vous d'abord comme il
faut; montrez-moi les yeux de votre âme, des yeux qui
voient; montrez-moi les oreilles de votre cœur, des
oreilles qui entendent, >> Ce qui, dans le contexte,
signifie que le pécheur n'est pas en état de voir Dieu.
Mais le païen insiste, n. 3, col. 1028 : « Vous qui voyez,
dites-moi quelle est sa forme. » L'autre répond : « La
forme de Dieu est ineffable, inénarrable, invisible aux
yeux du corps. Sa gloire et sa grandeur dépassent toute
conception; sa puissance, sa sagesse, sa bonté, sa
munificence défient toute comparaison et toute expres-
sion. Si je l'appelle lumière, c'est son œuvre que je
désigne; si je l'appelle parole, c'est son commande-
ment. » Et l'apologiste continue, ramenant à une œuvre
ou à un attribut de Dieu les appellations d'intelligence,
d'esprit, de sagesse, de force, de vertu, de providence,
de règne, de Seigneur, de juge, de père et de feu. Ce
dernier terme amène l'idée de Dieu juge et vengeur,
qui se fâche contre ceux qui se conduisent mal, tandis
qu'il est plein de bonté, de bénignité et de miséricorde
à l'égard de ceux qui l'aiment et le craignent. « Il est
sans commencement, avav/o;, parce qu'il est incréé,
8ti àyivvTjtoçj il est immuable, comme il est immortel,
xaOdti àOàvaTo,. <>n l'appelle Dieu, parce que tout re-
pose sur lui comme sur un fondement solide, Sià th
TsOsixivai Ta Ttivra Ln\ rfj tavrov àiçaWa, et aussi,
parce qu'il court, Siâ tb 8utv, c'est-à-dire qu'il va par-
tout pour donner le mouvement et l'activité, pour nour-
rir les êtres et leur fournir le nécessaire, pour tout
gouverner et vérifier. Il est Seigneur, en vertu de sa
domination souveraine; Père, tparce qu'il est avant
tout; démiurge et créateur, parce qu'il a forin
créé toutes choses; le Très-Haut, parce qu'il est au-
tout; tout-puissant, Ttavtoxpdttwp, parce qu'il
possède et contient toutes choses, » n. 'i. col. 1030.
I héophile, on le voit, revient toujours a quelque at-
tribut ou a quelque opération de Dieu. Il ne décrit
pas la forme même de celui qu'il i déclaré ineffable.
par la considération du inonde que nous H<
nous éle\ ei Ce, car « il a fait
toutes choses du néant, afin que ses oeuvrai lissent
connaît i >■ . i saisir m grandeur. Invisible en lui-même,
il se prouve par M providenci ■ ! son action, connue
l'âme par le mouvement qu'elle communique au c i
' me le pilote par la marchi i qu'il imprime
.-m navire, comme les prin< i - de la terre par leurs or-
donnances ou tout antre signe de leur puissance on di
leurs, . . \ | l'Antioche développe-t-il,
Mie . on marquée, l'argumenl tir.- de
1035
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES]
1036
l'harmonie qui règne dans toute la nature, n. 5-6,
col. 1031 sq. En même temps, il écarte le scandale
que pourraient causer l'incompréhensibilité et l'invisi-
bilité divines. Si notre œil ne peut soutenir l'éclat trop
vif et la chaleur trop intense du soleil, comment pour-
rait-il lixer la gloire inénarrable de Dieu'.' La graine
de grenade, cachée dans le fruit, ne peut pas voir ce
qui esta l'extérieur de l'écorce. Comparaison moins
heureuse; prise trop à la lettre, elle nous ramènerait
à la conception anthropomorphique d'un Dieu extérieur
à la création. Ce n'est pas la pensée de l'apologiste;
dans le II' livre, n. 3, col. 10i9, il affirme expressé-
ment l'ubiquité -divine, en la distinguant de l'omni-
science : Dei aitlem allissimi et omnipolcnlis el vere
Dei, toû ô'vTtos 6eo0, est non sohim ubique esse, scd
eliam omnia inspicere. Mais celte présence ne doit
pas s'entendre d'une circonscription locale, Dcus loco
non circumscribilur ; Dieu contient tous les êtres, à
ce titre il serait plutôt lui-même le lieu de tous, tôho;
Toiv o).<ov. Aussi, quand l'auteur de la Genèse repré-
sente Dieu se promenant dans le paradis terrestre, il
ne peut être question du père de toutes -choses; ce
passage et autres semblables s'appliquent au Verbe di-
vin, envoyé par le Père et agissant en son nom, n. 22,
col. 1088. Doctrine analogue à celle que nous avons
déjà rencontrée chez saint Justin et qui offre à peu
près les mêmes difficultés.
L'évêque d'Antioche confirme et complète son ensei-
gnement dans la partie polémique du IIe livre, n. 4sq.,
col. 1051. 11 y prend à partie les philosophes anciens
qui ont émis sur Dieu et le monde des erreurs diverses :
les épicuriens et autres, qui ont nié l'existence d'un
Être suprême ou sa providence, substituant à Dieu la
conscience individuelle, t>,v !x«otqu Gwet6ir)<nv; les
stoïciens, qui en ont fait l'àme du monde, diffuse à
travers les corps; les platoniciens, qui ont admis deux
principes incréés et coéternels, Dieu et la matière.
Contre ces derniers l'apologiste insiste surtout sur ies
propriétés opposées de ces deux principes. Dieu, comme
être incréé, est immuable : à-^vir^o^ ûv, -/.ai àvaXXoîwTÔç
Èffttv. Si la matière était incréée, elle devrait donc être
immuable aussi et égale à Dieu. Du reste, n'est-ce pas
en faisant sortir du néant tout ce qui lui plaît, que
Dieu manifeste sa puissance propre? Et Théophile
confirme par l'enseignement des prophètes celte doc-
trine et celle de la fin de l'homme, pour qui Dieu a
créé le monde et qu'il a créé lui-même. pour le con-
naître, n. 10, col. 1063. La préoccupation, déjà signalée,
de faire la part aux dispositions inorales du sujet non
seulement dans l'œuvre de la conversion, mais même
dans le développement des vérités qui ont Dieu pour
objet, reparait à la fin du livre, n. 38, col. 1119 : « Tout
cela sera compris de celui qui cherche la divine sagesse
et qui se rend agréable aux yeux de Dieu par la foi,
la justice et les bonnes œuvres. »
/) Mélilon, évèque de Sardes, en Lydie, vers la fin du
IIe siècléTTnérite d'être signalé pour le titre d'un ou-
vrage, qui n'a pas été conservé : llspi èvatou-àToy 6eo0.
Eusèbe, H. E., 1. IV, c. XXVI, P. G., t. xx, col. 392;
S. Jérôme, De viris, c. xxiv, P. L., t. xxiu, col. 643.
liufin, dans sa version d'Eusèbe, Eusebius Werke, édit.
E. Schwartz et T. Mommsen, Leipzig, 1903, t. n a,
p. 383, a traduit : De Deo corpore induto, et Valois,
P. G., t. xx, col. 392 : De incarnalione Dei. Le titre
grec ne parait pas se rapportera l'incarnation du Verbe,
mais à cette question, qui nous apparaît pour la pre-
mière fois nettement formulée : Dieu est-il corporel?
Gennade suppose que Méliton, comme Tertullien, ad-
mettait la corporalilé de Dieu : Ni/iil... in Trinitaie
credamus... corporeum, ut Melito et TertulKamts. De
eccles. dvgmat., c. iv, P. L., t. lviii, col. 982. Voir,
plus loin, les remarques qui seront faites au sujet de
Tertullien. Plus important et plus expressif esl le té-
moignage d'Origène. Selecla in Gen., i, 26, P. G., t. xn,
col. 93 : .Méliton, dit-il, laissa des écrits flep'i toC èvtoj-
HOctov slvai tôv 8eôv, où il affirmait que Dieu est cor-
porel. Cf. l'elau. 1. II, c. i, n. 4, avec la note apologé-
tique de J.-D. Thomas, édit. de P.ar-le-duc, 1874, t. I,
p. 163. En outre, Origène indique les fondements
que les partisans de cette opinion faisaient valoir.
L'homme, corporel, a été fait à l'image de Dieu. La
sainte Ecriture nous représente constamment Dieu
comme ayant des yeux, des oreilles, une bouche, des
mains, des pieds, etc. Comment Abraham, .Moïse et
autres saints auraient-ils pu le voir, s'il était sans
forme, <;.■>, nenopçup.lvo;? ^' semble donc manifeste
qu'à l'époque de Méliton, des chrétiens acceptaient la
conception anthroproinorphique de Dieu que saint
Justin avait rencontrée chez des juifs de son temps et
qu'il avait réprouvée.
g) SaintJxÉnée, mort au début du IIIe siècle, n'est
pas apologiste, il est controversiste; mais parce qu'à
la théodicée gnostique il oppose la doctrine catholique,
son œuvre n'est pas seulement polémique, elle est encore
et elle est éminemment positive. Certains considèrent
même le grand évèque de Lyon comme le chef d'un
des trois courants théologiques qui se seraient dessinés
à partir du iiie siècle, le courant asiatique, avec sa
théologie des faits, par opposition au courant cartha-
ginois-romain, avec sa théologie de la loi, et au courant
alexandrin, avec sa théologie des problèmes, rattachés
le premier à Tertullien, l'autre à Clément d'Alexandrie
et à Origène. Quoi qu'il en soit de la valeur objective
de cette classification et de son application particulière
à la question présente, l'influence de saint Irénée fut
réelle, et elle est incontestée. La doctrine sur Dieu se
présente directement sous un aspect relatif, déterminé
par les erreurs gnostiques qu'il combattit. L'unité
absolue du premier principe disparaissait dans l'hypo-
thèse d'une matière, mise en face de Dieu, l'éternelle
et dernière source du mal dans le monde; de même,
dans l'hypothèse d'un double Dieu, le créateur ou le dé-
miurge et le Dieu suprême, le Dieu de pure justice,
auteur de l'Ancien Testament, et le Dieu de bonté, auteur
du Nouveau et révélé par Jésus-Christ. Aussi la grande
thèse qui se déroule à travers les quatre dernierslivresdu
Contra hœreses, a pour objet l'unité de Dieu, premier
principe dans l'ordre de la nature et dans l'ordre de
la grâce; Dieu créateur et rédempteur, auteur de l'An-
cien Testament et du Nouveau, à la fois juste et bon,
qui a tiré du néant tout ce qui existe en dehors de
lui, sans en excepter la matière : Sed unus solus Deus
fabricator,... hic Pater, hic Deus, hic conditor, hic
factor, hic fabricator, qui fecit ea per semelipsum,
hoc esl per verbum et per sapienliam, cselum et
terrant et maria el omnia quœ in eis sunt; hic ju-
slus, hic bonus;... hic Deus Abraham et Deus Isaac
et Deus Jacob, Deus vivorum, quem et lex anntmtiat,
quem prophelsc prxconanl , quem Chris tus révélât,
quem aposloh tradunt, quem Ecclesia crédit, II, xxx,
9, col. 822.
Contre la théodicée et la cosmogonie gnostique saint
Irénée se sert d'abord de la raison naturelle, ratio
menlibus infixa, qui nous porte à nous élever de la
considération de l'univers à son auteur, le Dieu unique
et souverain maître, II, vi, 1, col. 724. Les preuves sont
plutôt énoncées que développées; elles se tirent de la
condition même du monde, de son caractère d'imper-
fection et de contingence, de l'ordre général qui s'y
manifeste : Ipsa enim condilio os tendit cum, qui con-
didit eam; et ipsa factura suggerit eunx, qui fecit;
el miuidus manifestât cum, qui se disposuit.il. IX, 1.
col. 731. Source de tout autre être et de tout bien, il
est lui-même l'Être transcendant et tout-puissant : po-
tentissimœ et omnipotentis eniinenliœ, II, vi, 1, col. 721.
Il n'est pas composé, mais simple, sans diversité de
1037
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES'
1038
membres, en tout semblable et égal à lui-même, II, xin,
3, col. 744. Sa providence est universelle, sa science
s"élend à tout, au passé, au présent, à l'avenir, II, xxvi, 3,
col. 801, etc. Il contient toutes choses, sans être contenu
par quoi que ce soit, II, XXX, 9, col. 822; cf. IV, îx, 2, et
fragm. vi, col. 1031,1231, où l'ubiquité et l'immensité
sont exprimées, immensus cum sit Deus, el mundi
opifex, etc. Sans commencement ni fin, il est abso-
lument immuable, vere et semper idem et eodem modo
se habens, II, xxxiv, 2, col. 835. Il n'a besoin derien.il se
suffit pleinement. Ibid. En particulier, il n'a nul besoin,
pour produire quelque chose, d'un secours étranger :
proprium est enhn hoc Dei supereminentiœ non in-
digere aliis ad conditionam eorum quse fiunt, II, xxv,
col. 715. Sa puissance lui suffit, ou sa volonté, ce qui
est tout un : sua voluntate et virtute substantiel usus, II,
x, 2; et est substantia omnium volunlas ejus, II, xxx,
9, col. 735, 822; à condition toutefois qu'on y joigne la
sagesse et la bonté, qui vont de pair en Dieu : virtus
simul, et sapienlia, et bonilas, IV, xxxvin, 3, col. 1107.
En un mot, Dieu est souverainement parfait, perfectus
in omnibus, IV, il, 2, col. 1002; et cela, parce qu'il est
l'incréé, TgXsio; -a? a x-i-nr-o:. VI, xxxvm, 3, col. 1108.
Rien de plus caractéristique, peut-être, dans la théo-
dicée de saint Irénée, que l'affirmation et l'application
multiple de ce dernier principe ; c'est en quelque sorte
le pivot de son argumentation rationnelle contre les
gnostiques. Schwane, op. cit., t. i, p. 123. Partant de
l'idée de plénitude qu'ils reconnaissaient au Dieu su-
prême, il relève la contradiction manifeste où ces héré-
tiques tombaient en dédoublant le premier principe.
Comment deux premiers principes pourraient-ils se
distinguer l'un de l'autre, sans préjudice de leur sou-
veraine perfection ? Pourquoi parler de plénitude, s'il
se trouve en dehors du Dieu suprême quelque chose
qu'il ne possède pas ou ne contient pas? Si Dieu, dans
son action, est dépendant de quoi que ce soit, matière
ou instrument, c'en est fait de la toute-puissance divine :
nolvetur omnipotent is «ppellalio, II. i, 2 et 5, col. 710 sq.
Le démiurge des gnostiques ne mérite donc pas le nom
de Dieu, IV, n, ô, col. 978. C'est blasphémer contre Dieu,
que de lui attribuer l'ignorance et de vraies passions,
ou de le concevoir comme un animal composé, II, xvn,
6 et 7, col. 764. C'esl ignorer ce qu'il est, que d'en faire
un homme situé dans l'espace et susceptible de rela-
tions locales. IV. m. 1. col. 980. Aussi, bien qu'il ne recule
pas devant les métaphores usitées, surtout quand elles
sont bibliques [renée, n'en est pas moins un adver-
saire décidé de l'anthropomorphisme : Nec enim sciunt
quid .si/ Deus, ibid. . X">i ^ic Deus, quemadmoduni
homines..., II. xni, 3, col. 744. Les conceptions de Dieu
qu'il affectionne davantage, tout en les déclarant impar-
faites, se ramènent aux id :es d'esprit ou d'intelligence,
ViO; [rendu par sensut dans la traduction latine), de
lumière, de vie, II. xin. 'i el !•. col. TU, 748.
Le grand adversaire du gnosticisme ne se borne pas
à une réfutation d'ordre rationnel; comme on l'a déjà
lit, il invoque longuement la tradition catholique,
appuyée sur 1rs saintes Ecritures. ><>u procédé général
établir la concordance des deux Testaments
d'après le témoignage d< Jésus-Christ, des apôtres et
ingélisti i cette nouvelle source de
preuves, la doctrine 3ur Dieu ne B'affermil pas
nrichil ■ lionne. Le dogme de
li l'nniii'- rendait le saint docteur plu- fort sur cer-
"i ■■ iit-il bi soin, pour n qu'il
lu, d instruments étranf ■ ou éons.
celui qui poss< le ■ n lui-même ce qo on pourrait appe-
'■ . le Vei I"- el l'Esprit, en qui et
qui il a librement créé imites choses? IV, w. i.
col. i iit-ii besoin de créer l'homme, puisque
"on ,ijon d'Adam, mais svant
lion le P glorlflaient mutuel-
lement? IV, xiv, 1, col. 1010. Paroles qui sont comme
une réponse à cette objection : Antequam mundum
faceret Deus, quid agebat ? d'abord énoncée, et laissée
sans réponse : Dicimus quia ista responsio subjacet
Deo, II, xxvill, 3, col. 807. Si Dieu a créé l'homme, ce
n'est donc pas par nécessité, mais pour pouvoir dé-
verser sur quelqu'un sa bonté et pour manifester au
dehors sa propre gloire, e.rceptorium bonitalis et or-
ganum clari/icationis ejus, IV, XI, 2, col. 1002. Mais la
bonté n'exclut pas la justice, elle l'exige dans un Dieu
sage. Par le dédoublement qui sépare et oppose le
Dieu bon et le Dieu juste, Marcion détruit l'idée du
vrai Dieu : Marcion igilnr ipse dividens Deum in duo,
allerum quidem bonum ,et alterum judicialem dicens,
ex utrisque inlerimit deum , III, xxv, 3, col. 968. Reste
seulement que la bonté tient le pas et précède la jus-
tice, prœsenle scilicet et prsecedenle bonitate. Ibid. Le
libre arbitre est un don de l'amour, Deo sine invidia
douante quod bonum est; c'est l'abus de ce don qui
produit le mal et appelle la justice, IV, xxxvm, 3 et 4,
col. 1107 sq.
La notion de Dieu n'était pas seule engagée dans la
controverse gnostique; sur la question principale s'en
greffait une autre, intimement liée avec le problème de
la connaissance de Dieu. Dans le système des héré-
tiques, le Dieu suprême apparaissait isolé dans de mys-
térieuses profondeurs, sans relation avec le monde
visible dont il n'était pas le créateur. Pour les hommes,
qui n'avaient pas été faits à son image, il devenait na-
turellement inconnaissable; et comme les gnostiques
interprétaient les paroles de Notre-Seigneur : « Per-
sonne ne connaît le Père si ce n'est le Fils, etc., » Matth.,
XI, 27, en ce sens que Jésus-Christ seul nous avait
révélé le Dieu suprême, il s'ensuivait qu'auparavant
le vrai Dieu était resté inconnu : Et inlerprelantur,
quasi a nullo cognitus sit verus Deus ante Domini
advenlum, IV, VI, 1, col. 987. Dès lors deux questions
se posaient. D'abord, la question de fait ou d'applica-
tion particulière : le vrai Dieu était-il resté inconnu
des générations qui ont précédé l'apparition du Verbe
incarné? Pour saint Irénée, le problème était résolu
par le fait même qu'il avait établi l'unité absolue de
Uieu, premier principe dans l'ordre de la nature et de
la grâce : i'nus el idem Deus Pater et Verbum ejus
semper assistons humano generi, variis quidem dis-
positionibus, et multa opérant et salvansab initio eos
qui salvanlur,\\ ,x\vni,2, col. 1062. Diverses économies
s'étaient succédé depuis le commencement du genre
humain, mais toutes reliées entre elles par l'unité
d'auteur et de tin. A cela s'ajoutait, dans la doctrine de
l'évéque de Lyon, l'unité du médiateur, le Verbe divin.
Sous ce rapport, les théophanies de l'Ancien Testa-
ment, exclusivement attribuées au Fils, jouent dans sa
théologie un rôle important; car elles se rattachent à sa
large conception de la révélation divine, une dans son
développement successif et son progrès continu à tra-
vers les économies patriarcale et mosaïque jusqu'à la
plénitude îles temps évangéliques. Cf. dom Hassuet,
Dissert.. III. n. :>7, col. 301; Schwane, op. cil., 1. 1,
p. 185.
Non moins importante, non moins générale ''lait la
question de principe Comment le Dieu suprême est-il
connaisaable ? Là, deux séries de textes semblent se
contredire, à première vue. D'un côté, ceux qui expri-
ment ou supposeni l.i doctrine déjà rapportée, de la
manifestation de Dieu par ses o livres kftmctui niant-
feetal eum, gui te dupotuit. De l'autre, 'eux nu Dieu
: connai lable que par l'entremise du Verbe :
Nequeenim Patrem ■ quitpotett, nisi Verbo
Dei, Id tet, nisi Fillo révélante; ou, d une façon plus
générale, que pai voie de révélation Edocuit aulem
Dominut, quoniam Deum teire nenio potest, niii Dec
dot ente, hoc est, sine i Deum, IV, vi.
lo:s9
DIEU (SA NATURE D APRÈS LES PÈRES;
1040
3 et 4, col. 987 sq. Trois remarques aideront à résoudre
l'antinomie et lixeront la vraie pensée du controversiste.
a. Saint Irénée considère la création comme une pre-
mière révélation, faite par le Verbe, de Dieu auteur de
la nature : Eteiiim per ipsam condilioneni révélai
Verbum condilorem Deum, etc., IV, 6, 6, col. 989. Que.
l'homme ne puisse connaître Dieu sans une révélation
de ce genre, la chose est manifeste. Un Dieu non
créateur, ou non créateur de ce monde, serait pour
nous exactement dans la condition du Dieu suprême,
êu8b{ ayvuuroç, des gnostiques. Mais cette révélation de
Dieu par la nature se distingue, en fait et dans la doc-
trine de saint Irénée, des révélations spéciales qui
appartiennent à l'ordre surnaturel et dont les pro-
phètes, les apôtres, les écrivains sacrés et surtout le
Verbe incarné furent les organes, b. Dieu peut être
connu comme premier principe dans l'ordre de la na-
ture, avec toutes les propriétés que ce titre entraine et
que la raison humaine est capable de déduire; mais
ce n'est pas là connaître Dieu dans sa vie intime et
tout ce qu'elle comporte, les pensées mêmes de Dieu, ses
desseins, les personnes de la Trinité avec leurs rela-
tions mutuelles. Sous ce second rapport, il est vrai de
dire que nous ne sommes pas en état de connaître
vraiment Dieu sans que Dieu nous parle de lui-même.
c. D'après saint Irénée, Dieu est invisible, incompré-
hensible, inénarrable secunduni magniludinem , mais
il est connaissable et connu secunduni dileclioneni,
II, xin, 4; IV, xx, 1 sq.,col. 744, 1032 sq. Serait-ce que
nous atteignons Dieu par l'amour, et non par l'intelli-
gence? Le sens est tout autre. Il ne s'agit pas de l'amour
des hommes pour Dieu, mais de l'amour de Dieu pour
les hommes, et d'un amour se traduisant au dehors par
des actes. On peut considérer Dieu dans sa grandeur
propre ou l'éminence de son être, la connaissance se ■
cundum magnitudinem serait celle qui répondrait
pleinement à cette grandeur, à cette éminence divine:
elle dépasse la portée de toute intelligence créée : Invi-
sibilis guident poleral (angelis) esse, propter eminen-
tiant, ii, 6, 1, col. 724; gualis et guantus est, invisibi-
lis et inconiprehensibihs est omnibus gux. ab eo facla
sunt, IV, xx, 6, col. 1037. Il en va différemment de la
connaissance qui a pour privilège ladilection de Dieu
à notre égard, c'est-à-dire les manifeslationsextérieures
de son amour ou, comme il est dit ailleurs, de sa pro-
vidence : Ignolus auteni neguaguam, propter provi-
dentiam, II, vi, 1; secunduni auteni dileclioneni co-
gnoscitur seniper percunt, per guem constituit oninia,
IV, xx, 4, col. 1034. Dans l'ordre de la grâce, nous
connaissons de Dieu, de sa vie intime, de ses pensées,
de ses desseins, ce qu'il lui a plu et ce qu'il lui plaît de
nous en révéler. Dans l'ordre de la nature, nous pou-
vons nous élever des perfections créées à celles de Dieu,
cause première de toutes choses, mais en ayant soin de
ne pas affirmer de Dieu ces perfections telles qu'elles
se trouvent dans les créatures. « Qu'on l'appelle intel-
ligence pouvant tout comprendre, fort bien, à condi-
tion qu'on n'entende pas une intelligence comme la
nôtre; qu'on l'appelle lumière, soit, mais lumière nul-
lement semblable à la nôtre ; et ainsi du reste, » II, xm,
4, col. 744. Passage qui contient en ébauche la doc-
trine de la connaissance de Dieu par voie d'affirmation,
de négation et d'éminence, comme l'a justement re-
marqué Ziegler, p. 162.
Ii) Clénum^jilAi^xausMjiiJ^oH vers l'an .2_L5_QuJi4I>,
marque une étape importante, comme coryphée d'une
théologie, et plus spécialement d'une théodicée déjà étu-
diées dans ce Dictionnaire, art. Alexandrie (École CHRÉ-
TIENNE d'), t. i, col. 812 sq., et Clément d'Alexandrie,
t. m, col. 137 sq. Il reste apologiste, mait il l'est à sa
façon. Si V Exhortation aux Grecs, Aôyoc 7tpoTps7rTcy.'o;
Trp''); "EXXïiva;, rentre dans le cadre des apologies an-
térieures, les deux autres ouvrages, le Pédagogue et
surtout les Stromates sont principalement une gnose
ou large philosophie du christianisme.
La théodicée de Clément renferme d'abord quelques
points très clairs et qu'il suffira de rappeler brièvement.
L'existence de Dieu est une vérité naturellement connais-
sable et qui s'impose à toute intelligence droite. Les
textes sont nombreux, quelques-uns très expressifs, par
exemple, Stroni., IV,c. «il, P. G., t. ix, col. 128 : ïpqami
putux-rç ; c. xiv, col. 197 : 7ipô>. r/htz, ur>e seule et même
anticipation ou notion instinctive de Dieu chez tous
les peuples. Le contexte, col. 196, donne un sens assez
général, qui se réduit à la faculté native et indépen-
dante de toute formation scientifique, Suivra; /.%': x6i-
oor/.T<oc, que nous possédons, de puiser dans les choses
créées une certaine connaissance de Dieu. L'expression
d'=[xs3tTc: pvcrexT] semble suffisamment expliquée par un
autre passage où le docteur alexandrin affirme l'exis-
tence d'une connaissance naturelle de Dieu, pwrixr.v
evvotocv, au sens où nous parlons de justice naturelle,
•/.zbo -/.ai Trf/ SixaiO<rjV7)V çuo-txrjv EtprjxaiiEv. StrOttl., I.
c. xix, col. 809. Quand il indique ou insinue le procédé
suivi par l'esprit humain pour s'élever à la connais-
sance de Dieu, toujours quelque intermédiaire appa-
raît : la création envisagée dans son harmonie ou sa
beauté générale, Protrept., c. I, P. G., t. vin, col. 57:
Stroni., V, c. i, xiv, t. ix, col. 16, 149, etc.; les êtres
dont la création se compose, considérés dans leur
vertu et leuraclivité, Strom.,1, c. xxyiii. t.vm, col. 924:
l'âme humaine, prise comme image ou dans ce qu'il y
a de divin en elle, toO êv r,uîv Os:o'j, Strom.,1, c. xtx.
t. vin, col. 809; cf. Peed., 1. III. c. i. t. vin, col. 555 :
Si guis enini seipsum norit, Deum cognoscet .Clément
affirme, il est vrai, que Dieu est un objet de foi, et
non de démonstration ni de science, Strom., II, c. v:
T.irjirn àXX'oux aTioScici; ; IV, c. xxv : txvermSSeti'.TOc â>v,
ovx In-:*) È7r:i7Tr,|j.ovcy.ô:, t. vin, col. 957.1365. Mais, dans
ces textes, il ne s'agit pas du simple fait de l'existence
de Dieu, il s'agit, on le verra plus loin, de sa nature
intime. D'ailleurs, le mot foi a lui-même, chez Clément,
un sens variable et élastique. Sur toute celte question,
voir Schwane, op. cit., t. i, p. 140 sq.: Kleutgen, La
philosophie scolastigue, trad. Sierp, diss. V. c. ni.
Paris, 1869, t. n, p. 315 sq. ; Cognât, Clément d'Alexan-
drie, p. 149 sq.
L'unité de Dieu occupe encore une grande place dans
l'apologie de Clément d'Alexandrie. Il la défend, en
particulier, contre les erreurs dualistes de la gnose hé-
rétique. Comme saint Irénée, il montre l'unité de la
Loi et de lVvangile. Voir t. in, col. 164. Les deux attri-
buts divins que Marcion avait déclarés incompatibles,
la bonté et la justice, font l'objet d'une étude spéciale
dans le Pédagogue, c. vin, col. 326 sq., et surtout ix
Quod ejusdem sit potestatis et benefacere, et juste
punir e, col. 339 sq.; de même, la nature et la fin
des peines infligées par Dieu, Strom., IV, c. xxiv.
col. 1361 sq.; leur caractère n'est pas purement vindi-
catif ou disciplinaire, mais encore et surtout médici-
nal. Dieu nous apparaît ainsi comme maître, éducateur
et médecin des hommes qu'il a créés et qu'il veut
sauver. La bonté reste toujours au premier plan;
non pas une bonté aveugle et s'exerçant nécessairement,
à la façon du feu qui chauffe parce qu'il est le feu,
mais une bonté consciente et voulue. Sur cette con-
ception et son caractère spécifiquement chrétien, voir
E. de Faye, Clément d'Alexandrie, p. 225 sq. D'une
façon plus générale, l'apologiste alexandrin défend
l'unité divine contre le polythéisme païen et la philo-
sophie hellénique, en se servant habituellement ded
mêmes preuves que pour l'existence de Dieu. Dans les
deux cas, il invoque l'idée de l'Être suprême qu'il re-
garde comme naturelle à toute intelligence droite et
qu'on retrouve, de fait, dans l'enseignement des sages.
'< portés comme d'instinct et même malgré eux à re-
1041
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PERES)
1042
connaître qu'il y a un Dieu unique, sans commence-
ment ni fin, qui demeure au ciel au-dessus de nous et
voyant tout. » Protr., c. vi, t. vin, col. 173. A ces no-
tions se rattache l'apologie de la providence divine,
présentée avec conviction et bien menée. Voir t. m,
col. 157.
Ces attributs en entraînent d'autres, intimement
connexes : l'immutabilité, ô>v àsi 3 kvw, Slrom., V,
c. xiv, t. ix, col. 205, avec application spéciale à l'ab-
sence de tout besoin et de toute passion, àvsvfieè; piv
yàp 70 0e;ov /.ai à-aOÉ;, Slrom., II, c. xvill, t. V11I,
col. 1020. et à la science, non seulement éternelle, mais
simple en son acte, |xtà jrpoTêoXrj itpoo-SXsirEt, Slrom.,
VI. c. xvii, t. ix, col. 388; la toute-puissance avec le
souverain domaine, Ivupûd -/.ai navco /piropi ôvzt, Strom.,
c. xvn, t. vin, col. 801; l'absolue indépendance dans
l'action, comme dans l'être, puisqu'en Dieu la volonté
même est puissance effectrice, tpùô) z& 6o-j>.evdac 5y;u,(oup-
yeî, Protr., c. iv, t. vin, col. 164; enfin l'ubiquité et
l'immensité nettement formulées : r.:j.-i-r{ fipt 8eô;âffTiv,
Stroni.,\l, cm, t. ix, col. 252;cf. VII, c. vu, col. 452;
r.xi-.r, ôî rîivicâvTOTE, y.*'. uroay/, ^eptsyôjAevo;. Ibid., VII,
c. ii, col. 408. Il est cependant difficile de déterminer exac-
tement ce que l'ubiquité comporte, dans la pensée de Clé-
ment, à cause des textes relevés par Petau, op. cit., 1. III,
c. vu, n.5. Parlant des stoïciens, l'apologiste dit: « Ils
affirment que Dieu est répandu à travers toute la na-
ture, alors que. selon nous, il en est seulement l'auteur. »
Strom., V, c. xiv, t. ix, col. 129. En réalité, Clément
ne semble rejeter ici que l'immanence panthéiste, dont
il a déjà été question. Mais ailleurs il oppose, sous le
rapport de la présence immédiate, l'essence et la puis-
sance divine : « Par un prodige ineffable, Dieu est à la
fois loin et tout prés de nous... Loin quant à la sub-
stance, nappa iivi ■/.>.-' ouata-/; comment, en effet, le
créé et l'incréé pourraient-ils être proches'.' Mais près
de nous par sa puissance, qui contient tout. Si clancu-
lum (juis fecerit, dit-il, el nonvidebo eum ? » Strom.,
II, c. m. t. vm. col. 936. Texte assurément difficile,
surtout si on le rapproche de quelques autres où Dieu,
Père ou Fils, semblerait regarder les choses comme
de loin, par exemple, Protr., c. vi, t. vm, col. 173: i-,
-r, [Sfixai ',■/:/ - -..M-r, v/tw; ovTa xii, et Strom., VII,
cl il, t. vin, col. 408 : Ojfkp IÇtoraTaî TTOTe ff,; xù-orj r.zy-
'.>->; 6 Vît; to0 &i->0. Petau pense, loc. cit., e. ix.
il. 12, que dans le principal passage, Slrom., II, c. il,
l'apologiste exclut seulement une présence panlhéis-
tique ou matérielle, en lui opposant une présence
d'ordre transcendant, car on lit quelques lignes plus
loin, col. 937, que Dieu n esl nulle part comme con-
tenant, ni connue r.uileiiu, ni par voie de circonscrip-
tion, ni par voie de division ; o-jts Rtptijrtov, otfts r.iy.i-
■/',•}-. i',:. c, xatà ov.-7'j.v/ tivx, rt /.x-.x stiroTo^v, D'autre
critiques ajoutent l'explication qui se lit dans l'édition
Migne, col. 935. noie 19 : Clément considère Dieu dans
l'ordre de notre ron naissance ; extré ment difficile à
r ici-bas, il éch • à nos recherches
ours de plus en plus, i$avcr/u>-
poOv à-', xai t.-.-.-.u, iv.7-7:)!-')/ toC Sicoxovto;. Vient
alors le texte objecté, dont |e sens esl : Hans l'ordre
Intelligible, dont il s'agit, Dieu est loin de
■'• qui nous échappe, mais il esl prés de i a
par s;, puissance, manifeste en n - effets, Voir !.. De
Traclatut de Deo un,,, Louvain, 1891, t. i.
p. 396. L'apologiste alexandrin ne (erail doue que re-
prendre ici, sous une forme spéciale, une doctrine qui
lui esi familière. L'explication esl probable sans lever
tout doute, el malgré i ambiguïté qui s'attache aux deux
textes contenant le terme de - pecula, < ai ou
ie peul rien conclure d'une façon ferme d'une exi
•Ion métaphorique qui. d.ms le contexte, d<
l'omniscience de Dieu, présenté d'ailleurs, au m
Il on l i déjà vu, comme indépendant de toute
condition locale : iràvrï] oï Sn rrâvTOTE, xai t/.^oajj.r,
7iîpt£-/o;j.£vo;.
Tout ce qui précède vaut de la connaissance de Dieu
que la raison naturelle et la philosophie peuvent donner.
Nous arrivons par cette voie à un certain nombre de
notions ou d'attributs qui, dans leur ensemble, con-
viennent à Dieu considéré dans ses relations avec les
créatures. Pouvons-nous monter plus haut, jusqu'à
une pleine connaissance? La réponse est donnée dans
deux chapitres du Ve Stromale; doctrine doublement
importante, et pour l'inlluence qu'elle a exercée dans
la suite, et pour les vives attaques dont elle a été
et est encore l'objet. Une première question se rapporte
à la manière de parvenir ou, plus exactement, de se
préparer à la contemplation de Dieu et des choses di-
vines. Clément emprunte une analogie aux mystères
d'Eleusis. Avant les grands mystères, qui consistaient
à contempler et à comprendre la nature et les êtres
dont elle se compose, il y avait d'abord les purifica-
tions, auxquelles répond notre baptême, puis les petits
mystères, où l'on recevait un premier enseignement, à
titre de fondement et de préparation. A ces petits mys-
tères répond la méthode que le docteur alexandrin
décrit ainsi, c. xi, t. vm, col. 108 sq. : «C'est par l'ana-
lyse que nous apprendrons à contempler. Par elle
nous arrivons jusqu'à l'intelligence première, en par-
tant des êtres qui lui sont soumis, dégageons les corps
de leurs propriétés naturelles, puis retranchons-en
les trois dimensions, profondeur, largeur et longueur.
Peste un point ou, pour ainsi dire, une monade occu-
pant une certaine place : u,ovocç, <o; ût.vm, dniv ïyovva..
Supprimons cette place elle-même, et nous aurons dans
l'esprit la monade pure, vosirac (xovà;. Si donc, écar-
tant des corps et des choses dites incorporelles tout
ce qui leur est propre, nous nous jetons dans les
grandeurs du Christ, et qu'ensuite, grâce à la sainteté.
nous nous élevions jusqu'à son immensité, nous com-
prendrons tant bien que mal le Tout-Puissant, de ma-
nière toutefois à savoir ce qu'il n'est pas, et non ce
qu'il est, rj'jy ij Icttiv, o cï u,yi £tt'. Yvcopfoavte;- On ne
peut évidemment pas prendre à la lettre, quand il
s'agit du Père de toutes choses, les expressions, usitées
cependant dans la sainte Ecriture, de figure, de mou-
vement, d'état, de trône, de lieu, de main droite et de
main gauche; ce qu'elles signifient on le verra plus
tard. La cause première n'est pas dans le lieu; elle est
au-dessus de l'espace, du temps, du langage et de la
pensée. ••
La transcendance divine est, on le voit, à la base de
la méthode décrite par Clément. Sous ce rapport, le
passage qui précède trouve son complément dans le
c. xn, col. 121 : « Traiter de Dieu est tout ce qu'il y a
de plus difficile. On n'atteint jamais aisément les prin-
cipes ,1, s choses; que dire donc du premier principe,
de tous le plus éloigné et d'où les autres êtres tirent
leur origine et leur permanence ' El comment exprimer
ee ipij n'est ni genre, ni différence, ni espèce, ni indi-
vidu, ni nombre, ni accident, ou suppôt d'accident '
On ne saurait non plus l'appeler tout, car ce mot im-
plique l'idée de grandeur (exlensive), et, de plus. Dieu
est le père de n'importe quel tout, /.ai KoTt TÛV I
itaTTjp. On ne saurait parler de ses parties, l'Un étant
indivisible. Il est infini, non pas précisément parce que
mois le concevons connue un use, mais parce qu'il
esl en lui-même sans dimensions ni fin, •,. y.xrx -.',
3.',:t\r -.-.-.', . . &XXà v.x-.x -<i àSiâaratov, x<
:/',-, - , \n -i n .i-t-il point de figure, et ne peut-il
êtn noi '■■ Si, cependant, nous l'appelons l'Un, le
Bon, rintelllgeno . l'Être même, ■< ou P< n
Dieu. Créateur, Seigneui ni pas la des noms
propi ' " aucun
i ne i" ofi ' o - ion i propi e, m
a défaut d'un tel nom, nous non le nobles.
1043
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÉRÈS)
1044
appellations, afin que la pensée, ayant où se prendre,
ne s'égare pas ailleurs. Nul de ces termes, pris à part,
n'exprime Dieu; pris en bloc, ils indiquent la puis-
sance de l'Être souverain. On dénomme les choses par
leurs qualités ou parleurs rapports mutuels; ce qui ne
peut se faire pour Dieu. Enlin il ne saurait être ques-
tion de science démonstrative, car celte science s'appuie
sur des principes antérieurs, mieux connus et rien
n'est antérieur à celui qui est incréé. Que reste-t-il,
si ce n'est de connaître l'Inconnu à l'aide de la grâce
divine et par l'entremise du Verbe, qui est en Dieu? »
Toute cette doctrine se réduit à trois points. On y
trouve d'abord, appliqué à la connaissance de Dieu,
un procédé d'analyse ou d'élimination. C'est ce qu'on
appellera plus tard la théologie négative, ainsi dite
en ce qu'elle procède par voie de négation et conclut
en énonçant ce que Dieu n'est point. On trouve ensuite
une aflirmation vigoureuse de la transcendance divine;
en troisième lieu, une aflirmation non moins vigou-
reuse de l'incomprébensibilité et de l'ineffabilité di-
vines. Ces trois points ont donné lieu à des attaques
nombreuses et, parfois, très graves. Clément a été ac-
cusé d'aboutir, comme les gnostiques que saint Irénée
avait combattus, à un Dieu d'une telle transcendance,
qu'il faudrait inscrire sur ses autels l'épitaphe athé-
nienne : Ignolo Deo! ou, du moins, de substituer à la
notion chrétienne d'un Dieu vivant et personnel, celle
d'un Dieu abstrait, inerte, impersonnel, à la manière
néo-platonicienne. Sans aller aussi loin, Tbomassin
juge que Clément réduit à de pures négations notre
connaissance de Dieu : Lucidenter ante alias Clemens
Alexandrinus solis negationibus affirmât nunc a
nobis cognosci Deum posse, op. cit., 1. IV, c. vu, n. 4;
et, plus loin, c. x, n. 2, il le cite, avec d'autres Pères,
sous cette rubrique : Niliil proprie dici de Deo posse.
L'accusation, sous toutes ses formes, est exagérée et
injuste. Elle repose d'abord sur un examen superficiel
et sur une interprétation inexacte de la doctrine incri-
minée. A s'en tenir au texte même, on n'a pas le droit
de s'arrêter, dans le c. XI, là où s'arrêtent d'ordinaire
les citations, telles que nous les avons reproduites (en
les reproduisant, nous avions toutefois rectifié certaines
traductions, trop libres, qui ont cours dans des études
faites sur Clément d'Alexandrie ou sur Origène). Après
avoir énoncé que, par la méthode d'analyse ou d'éli-
mination, nous arrivons à savoir ce que Dieu n'est pas,
le philosophe alexandrin poursuit un développement
qui se termine par le célèbre texte de saint Paul sur la
vision de Dieu, I Cor., xm, 12 : Videmus nunc per
spéculum et in senigmate, lune aalem facie ad fa-
ciem. A la vision intuitive, qui est le privilège des bien-
heureux au ciel, il oppose une conception positive de
Dieu, possible en cette vie, si l'on s'élève, par voie
d'éminence, i^avaoac'vtov lit: tî Û7tep-/.EÎ(j.sva aû-rùi, jusqu'à
l'appréhension purement intellectuelle du bien suprême ;
mais comme cette connaissance ne s'acquiert pas par
l'application immédiate de notre esprit à la vérité divine
considérée en elle-même, nous ne faisons guère en cela
que ce que Clément appelle t'o y.aTaij.avTcjîcOai toJ
©eoû, c'est-à-dire deviner ou conjecturer. Loc. cit.,
col. 112. La doctrine est platonicienne : v.iTa ID.i-nova,
lisons-nous à la fin de la phrase; mais il n'en ressort
pas moins nettement que, dans la pensée du docteur
alexandrin, il ne faut pas confondre la méthode d'ana-
lyse qui mène à la contemplation de Dieu et des choses
divines avec cette contemplation elle-même. L'analyse
précède; elle prépare l'intelligence en épurant nos
conceptions de tout ce qu'elle renferme de matériel ou
de complexe. Son rôle, en cela, est vraiment négatif;
elle écarte de Dieu tout ce qui, de près ou de loin, dit
quelque chose d'opposé non seulement à la pure spiri-
tualité, mais à l'absolue simplicité : Dieu n'est pas ceci.
Dieu n'est pas cela, liieu d'est pas ainsi, etc. Procédé
qui suppose, comme acquise préalablement, une cer-
taine notion de Dieu, positive et suffisante pour expli-
quer et légitimer ces éliminations. Vient ensuite la
contemplation, où l'âme essaie de concevoir Dieu tel
qu'il est. Mais Dieu, dans sa nature intime, échappe à
notre esprit, puisqu'ici-bas il n'y a pas de vision intui-
tive de l'essence divine et que rien de ce que nous
connaissons ne peut nous donner une idée propre de
l'être même de Dieu; au bout de nos syllogismes Dieu
ne se trouvera jamais directement que sous une notion
impliquant une relation de cause à effet, comme la no-
tion d'être nécessaire, de cause première, de souverain
maître, etc. Laissée à ses seules forces, l'intelligence
humaine ne peut donc pénétrer le mystère divin; elle
arrive seulement à comprendre vraiment un point, à
savoir que Dieu reste pour elle incompréhensible.
Cf. Strom., V, c. XI, t. ix, col. 292. La révélation chré-
tienne change cet état de choses, non pas complètement,
car notre connaissance de Dieu n'est jamais ici-bas
compréhensive, même au sens vulgaire du mot, Strom.,
V, c. i, col. 17; mais elle le change partiellement,
dans les limites où le Verbe divin, fait homme, nous a
parlé de son Père. C'est la conclusion même du second
passage de Clément; conclusion souvent répétée, par
exemple, Strom., I, c. xxvm, t. vin, col. 925; VII, c. i,
t. IX, col. 40k Nous arrivons donc à un Dieu, non plei-
nement inconnu, mais incompréhensible ici-bas dans sa
nature intime; inconnu par conséquent d'une connais-
sance propre et intuitive, et pourtant pressenti dans la
contemplation, ou partiellement révélé par Jésus-Christ.
Voir Hébert-Duperron, Essai sur la polémique, etc.,
de saint Clément d'Alexandrie, p. 203 sq.
L'interprétation agnostique ou purement idéaliste des
passages de Clément que nous venons de discuter ne
repose pas seulement sur un examen superficiel et une
interprétation inexacte; elle fausse encore la doctrine
générale de ce Père sur la connaissance de Dieu. Elle
la fausse en donnant un sens absolu à des négations
qui n'ont, chez lui, qu'une portée relative. Quand il
nous dit que la méthode d'analyse ne nous apprend pas
ce qu'est Dieu, mais ce qu'il n'est pas, il entend parler
de Dieu considéré dans son être intime, ou delà nature
de Dieu prise au sens restreint du mot; transposer
cette affirmation, en l'appliquant à Dieu considéré d'une
façon quelconque, ou à la nature prise au sens large
du mot, et de là conclure que notre connaissance de
Dieu est purement négative, c'est mettre l'apologiste
alexandrin en contradiction flagrante avec lui-même,
car l'ensemble de sa doctrine rend, on l'a déjà vu, un
son totalement opposé. D'après lui, le mouvement ins-
tinctif de notre intelligence ne nous force pas seulement
à croire en Dieu; il nous porte aussi à l'affirmer comme
l'Être suprême, premier et unique principe de toutes
choses, incréé, éternel, souverainement sage et puissant,
provident. Clément reconnaît cette connaissance de
Dieu chez des philosophes païens; elle rentre dans le
rôle providentiel qu'il attribue à la philosophie, de
préparer les voies au christianisme. Voir t. m. col. 1691.
Une fois même, oubliant sa terminologie habituelle et
la distinction fondamentale entre l'citt et le •rccïo; èori,
il va même jusqu'à dire de l'un d'eux, Cléanlhe. qu'il
lui semble avoir fort bien enseigné et' qu'est Dieu,
o iroïô; èutiv ô 0s<S;. Protr., c. vi, t. vin, col. 180. Ce
qui, dans le contexte, ne signifie sûrement pas que ce
philosophe avait eu de l'Être divin une connaissance
compréhensive; mais cela prouve du moins qu'aux
yeux de Clément, on peut connaître et affirmer de Dieu
autre chose que la simple existence ou des formules
négatives. En somme, nous trouvons dans ses écrit>
une quadruple connaissance de Dieu : la connaissance
vulgaire et comme instinctive; la connaissance déjà
supérieure que donne la philosophie; la connaissance
de la foi chrétienne, parfaite relativement, c'est-à-dire-
1045
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES;
1046
pour cette vie, Slrom., VI, c. vin, t. ix, col. 292, ou
par opposition à la connaissance purement philoso-
phique, ibid., c. v, col. 260; enfin, au ciel, la connais-
sance intuitive et, dans le même sens, compréhensive.
Slrom., V, c. i, t. VIII, col. 18. De ce que la dernière
seule alteint Dieu tel qu'il est en lui-même, il ne s'en-
suit pas que les autres n'atteignent rien de ce qu'est
Dieu ou de ce qui est en Dieu, sauf le fait de son exis-
tence.
La doctrine de Clément sur les noms que nous
donnons à Dieu n'infirme en rien ces conclusions; elle
n'est, en substance, qu'une application de sa doctrine
sur l'incompréhensibilité. Si nous n'atteignons pas
Dieu dans son être intime, comment pourrions-nous
l'exprimer par un nom propre, c'est-à-dire par un nom
qui l'exprime, et pleinement? Ne confondons pas dire
quelque chose de Dieu, et dire Dieu lui-même :S:açi-
;:-. ',t rbv 0sbv eîitsïv, "c, Tanepi 0£&O, Slrom., VI, c. xvii,
t. ix, col. 381; cf. c. xvm, col. 397, xav [M] Qsbv, i'ù.%
-i'f: 8eoû Àéyr,. Dans l'impuissance où ils étaient de
nommer strictement l'Etre suprême, les philosophes
se sont servis de périphrases ou circonlocutions, d'ail-
leurs vraies, -/.xxx -iç,;.ypoLavi a/.rfir,, pour exprimer ce
qu'ils ne pouvaient concevoir. Strom., V, c. xiv, t. îx,
col. 197, voir la note 31; I, c. xix, t. vin, col. 808. Le
terme même de Dieu ne fait évidemment pas exception :
0eb; î; T.xo'-x tf,v h\i:i i:'pr~y.: v.x: -y.lvi. Stroni., I,
c. xxix, t. vin, col. 929. Parmi ces appellations, il y en
a de métaphoriques, àXXy]Yopec96aî iï -riva i*. to iTtov tù>v
6vo|*xtci>7 éateôrEpov, Slrom., Y, c.xi, t. ix, col. 104; mais
toutes ne le sont pas pour cela. Rien dans les écrits de
Clément n'autorise à dire que les dénominations d'être,
d'intelligence, de bonté, de sagesse, etc., ne conviennent
pas à Dieu proprement; nous y lisons, au contraire,
pour ne prendre qu'un exemple, que Dieu seul est
niiellement sage, eo?bv yùrsu. Slrom., II, c. ix,
t. vin, col. 980. Reste seulement que nous ne pouvons
pas nous faire ici-bas une idée propre de L'intelli-
gence, de la bonté, de la sagesse et autres perfections,
telles qu'elles sont en Dieu; ce qui est tout différent.
Sur la théologie ou interprétation symbolique, Strom.,
Y. c. vin, l. ix, col. 73; VI, c. il, col. 212. Voir
t. ni. col. 151, 165.
Que Clément ait accentué fortement la transcendance
divine, rien n'est plus vrai; outre les textes déjà cités,
beaucoup d'autres vont dans ce sens, en particulier
Peed., I. I, c. vin, t. vin, col. 33G, où Dieu, considéré
connue un, est mis au-dessus de l'unité elle-même :
ttiva io*j 'vb;, xal •J7tîp avTT|V M.v/iôa.
Mais dans quel esprit el dans quelle direction? D'abord,
par réaction contre l'anthropomorphisme considéré
formes diverses : relui des païens, qui conce-
vaient leurs dieux à la manière des hommes, avec des
besoins, des passions, des défauts semblables; celui des
gnostiques, qui arrivaient presque au même résultat;
celui des juifs et des chrétiens dont il a été parlé à
propos de Méliton "i qui prenaient a la lettre tout, ou
•i peu près tout ce que la sainte Écriture «lit de Dieu,
L une des plus grandes préoccupations de l'apologiste
alexandrin est d'éliminer de sa conception de Dieu
tout anthropomorphisme. Slrom., 11. c. x\i, t. un.
col. 1012, tout le chapitre; VII, c. v. t. ix, col. 137. Il
ut pas davantage d'un Dieu compose, de quelque
'pie ce -"iï . aussi lient-il beaucoup à le mettre
• n dehors des prédicamenta aristoti liciens, genre, diffé-
iccidi m ele C'est dans I" même esprit
qu il Péli ua de l'unité; mais il n'éprouve
ne difficulté à l'appeler l'Un, comme il l'appelle
Il Don, l'Etre.
Sa i meut dans des notions d'ordre transcen-
dental, comme celles d'intelligence, de bonté, de sa-
de luinii n spirituelle.
plus loin s, || méthode d'anal
ou la théologie négative aboutit, comme on le prétend,
à l'abstraction pure; l'objection n'est pas spéciale, elle
vaut pour tous ceux des Pères de l'Église qui ont fait
usage de ce procédé.
i) Origène, disciple de Clément et son successeur
dans Fa direction de l'école catéebétique d'Alexandrie,
nous présente une théodicée semblable, dans ses grandes
lignes, à celle de son maître, éclaircie toutefois ou dé-
veloppée sur plusieurs points, complétée aussi par des
aperçus nouveaux, les uns féconds, les autres moins
heureux et gros de conséquences. Les orages qui s'éle-
vèrent contre son enseignement, n'atteignirent pas di-
rectement, il est vrai, sa doctrine sur Dieu; ce serait
toutefois porter un jugement trop llatteur que de dire
avec Lumper, t. ix, p. 356 : Nihil occurrit in Origene
circa Deum, divinasque perfecliones absolutas, quod
jierfecte orlhodoxum non sit. Cette doctrine se trouve
surtout dans ses deux principaux ouvrages : le Ilep'i
àpx<iv, ou De principiis (avant 231), premier essai que
nous possédions d'une systématisation doctrinale ayant
pour base le symbole ecclésiastique, et les Tôu.oi /.axà
Kilio'j ou Libri (octo) contra Celsum, traité apologé-
tique, composé sous le règne de Philippe l'Arabe (246-
249), en réponse à la longue diatribe contre le chris-
tianisme que le philosophe païen Celse avait publiée,
vers l'an 178, sous le titre de Ad-,-0; à).r,6r,;. Les autres
ouvrages fournissent un appareil conlirmatif ou com-
plémentaire; mais il n'est pas toujours possible de
fixer d'une manière certaine la doctrine du grand
alexandrin, à cause des antinomies irréductibles que
crée la divergence des textes ou même d'assertions
pleinement authentiques.
Comme Clément, Origène regarde l'existence de Dieu
comme une vérité intimement liée avec un ensemble
de notions communes au genre humain. En dehors des
saintes Lettres, deux sources de connaissance sont à notre
portée : la contemplation du monde visible et le sen-
timent naturel de l'âme, ex occasione visibilium crea-
turartim el ex liis qux humana mens naturalitcr sen-
tit. Periarc/t., I. I, c. m, n. 1, P. (i., t. xi, col. 117.
Pour la première source, reliée habituellement à la
doctrine de saint Paul, Rom., i, 20, cf. Contra Cels.,
1. I, n. 23; 1. III, n. 47; 1. VI, n. 3; 1. VII, n. 37, 46,
t. xi. col. 701, 981, 1291, 1473, 1489. Pour la seconde,
rattachée à l'idée de loi naturelle gravée dans les cœurs,
ou de responsabilité morale en face du souverain juge,
cf. Contra Cels., I. I, n. 4; I. VIII. n. 52, t. xi, col. 661,
1593; In A'/un.,hoiiiil.x,n. 3, t. xn, col. 649. Cette notion
naturelle est faussée par ceux qui la rapportent à n'im-
porte quoi plutôt qu'à Dieu, mais son contenu primitif
proteste contre l'identification de Dieu avec une matière
corruptible. Contra Cels., I. IL n. 40; I. III, n. 40, t. xi.
col. 861, 972. Aussi, l'apologiste s'appuie-t-il sur ce ca-
ractère de notion naturelle, pour reprocher aux philo-
sophes païens, en particulier aux stoïciens, leurs erreurs
sur Dieu ; Neque enim potuerunt illi sibi naluralem
ji,i luiiioiirm animo informare, i^lreiincorruptibilis,
simph npotiles, individu*1.. Contra Cels., 1. 1\ ,
n. 14, t. xi. col. 1046.
L'unii> de Dieu esi inséparable de sa notion. Cesl la.
pour Origène, une vérité rationnelle, Contra Cels., 1.1,
n 28, I. XI, col. 701, niais tout d'aluni mi" vérité d(
foi. Dans h' résumé des points manifestemenl transmis
par |a prédicatii lique, que contienl la pi i
du Perforc/ion, n. 4, t. xi. col. 117, l'unité divine pareil
en première ligni Pri *'.. quod unut Deu$etl...t Un
seul Dieu, créateur et ordonnateur de toutes choi
(pn a tiré i univers du néant, Dieu de tous les ju
depui l'origine du monde,... Dieu juste et bon, Pèn
de Noln Seigneui l< us-Christ, auteur de la Loi et des
prophètes, de l'Évangile el de I lieu de i ancien
el (lu Nouveau il H. vue larrelielll dl
loppé • nsuil . contn Ici ji osllqui i, d ipi tintes
1047
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1048
Lettres. Origènc insiste, comme Clément et en se ser-
vant des mêmes principes, sur la conciliation, néces-
saire et effective, de la bonté et de la justice en Dieu,
c. v, De juslo et bono, col. 203 sq. Réduit-il ces deux
attributs à un seul? Beaucoup le pensent, à cause de
ces mots : sicut unam eamdemque neqitiliam malilise
el injustifiée <licimus,ita bonitatis ac juslilisevirlutem
unam eamdemque teneam us. En tout cas, il n'affirme
pas seulement l'inséparabilité des deux notions : quia
nec bonum sine juslo, nec juslum sine bono dignila-
tem divins potest indicarc naturse;\\ donne encore à
la bonté, on le verra plus loin, une prépondérance in-
conciliable avec d'autres attributs, en particulier avec
la liberté et avec la justice divine considérée dans toute
sa plénitude (question des peines médicinales et tempo-
relles).
Après l'unité divine, professée formellement par
l'Église, la grande question pour Origène est celle qu'il
indique dans la préface du Periarchon, n. 9, col. 120 :
« Comment faut-il concevoir Dieu ? avec un corps et une
certaine figure, ou d'une autre manière'.' Quod utique
in prsedicatione noslra manifeste non designatur. »
Ainsi l'enseignement ecclésiastique n'avait pas alors
nettement tranché ce point; et d'autres passages d'Ori-
gène confirment bien l'existence de la controverse :
iielecta in Gen., i, 26, P. G., t. xn, col. 93; In Joa.,
tom. xni, n. 21, P. G., t. xv, col. 432 sq. Voir t. i,
col. 813. La question est traitée ex professo au début du
Ier livre du Periarchon, dans le Ie" chapitre, très carac-
téristique, qui porte sur Dieu, col. 121 sq. Le docteur
alexandrin répond tout d'abord aux textes de la sainte
Écriture, dont se servaient les partisans de la corpora-
lité; tels, Deut., iv, 24: Deus nos ter ignis consumens
est, ou Joa., iv, 24 : Deus spirilus est, le mot esprit
s'entendant d'une matière éthérée et subtile. Ces appel-
lations et autres, comme : Deus lux est, IJoa., i, 5,
ne peuvent évidemment pas se prendre à la lettre; ce
sont des expressions métaphoriques. Doctrine reprise
souvent par Origène, De oratione, n. 23, t. XI, col. 486;
In Gen., homil. i, n. 13, t. xn,col. 155 sq.; In Mallh.,
tom. xvn, n. 18, P. G., t. xm. col. 1532 sq., en parti-
culier, dans le traité contre Celse. Car la principale
originalité du philosophe païen consistait à se servir
de l'Écriture sainte pour accuser les chrétiens de se
faire de la divinité une notion grossière ou indigne; il
alléguait, par exemple, les passages où les écrivains
sacrés représentent Dieu comme descendant vers les
hommes, ou lui attribuaient des sentiments humains,
le repentir, la colère, la vengeance. Contra Cels.,\. IV,
n. 10, 13, 14, 71 ; 1. VI, n. 64, t. xi, col. 1040, 1041,
1043, 1140, 1395. Origène ne cesse de répondre : Lan-
gage figuré, dont Dieu s'est servi pour se faire com-
prendre par des images qui nous sont familières: hœc
omnia figurate dicunlur, ut intelligibilis nalura ex
usitatis sensililibusque nominibus nobis innotescal.
Ibid., 1. VI, n. 70, col. 1404. Sans doute, il est écrit,
Gen., I, 27 : « Dieu fit l'homme à son image, » mais
cela s'entend de l'âme, et non du corps. Contra Ccls.,
1. VI, n. 63; 1. VIII, n. 40, col. 1396, 1590; cf. Selecta
in Gen., et In Gen., homil. i, loc. cit. La corporalité
ferait de Dieu un être composé, dépendant des élé-
ments qui le composeraient, divisible, corruptible;
autant de choses qui répugnent aux propriétés essen-
tielles de la divinité. Periarch., loc. cit., n. 6; Contra
Cels., 1. I, n. 23, col. 701 ; De oratione, n. 23, t. xi,
col. 487; In Joa., loc. cit.
A la notion anthropoinorphique d'un Dieu corporel,
Origène oppose cette autre : « Dieu n'est donc ni un
corps, ni dans un corps. Nature intellectuelle d'une
simplicité parfaite, il exclut toute addition et toute di-
versité intrinsèque. Monade absolue et, pour ainsi dire,
hénade (ex omni parte y.n</i;,el ul ita dicam iiii), il
est l'Intelligence, source unique et cause de toute na-
ture intellectuelle, de toute intelligence. Rien de ce
qui s'attache à l'idée de corps et de matière ne vaut
pour son être ou ses opérations :ni présence locale, ni
grandeur sensible, ni forme corporelle, ni couleur. >
Periarch., loc. cit., n. 5. A ce texte s'en ajouteraient
facilement beaucoup d'autres, on la transcendance
divine est affirmée par rapport aux êtres intelligibles
ou toute autre nature : xhv ângxeivoc tûv votitô>v 0edv,
Exliorl. ad martyr., n. 47, t. xi, col. 629; ir.ïr. ïv.il-ix
o-jTc'a; r.'jti'ji:v., /.ai 3'jvâpet. In Joa.., tom. xill. n. 21.
P. G., t. XIV, col. 432.
Dieu incorporel est nécessairement invisible pour les
yeux du corps; c'est le sens qu'Origène donne à l'invi-
sibilité divine : Censemus quiclem Deum, quiacorporis
expers est, invisibilem esse. Contra Cels., 1. VI. n. 69.
col. 1404; cf. ibid., 1. VII, n. 33,39, col. 1403, 1475. pour
la distinction entre les yeux du corps et ceux de l'âme.
Dans Periarch., loc. cit., n. 8. il distingue entre voir
et connaître : voir et être vus se disent des corps,
connaître et ètre'connues se disent des natures intellec-
tuelles. On ne peut pas voir Dieu; on peut le connaître.
mais d'une connaissance imparfaite ici-bas, car Dieu
est incompréhensible : Dicimtis secundum veritaten
quidem Deum incomprelicnsibilem esse atque insesli-
mabilem. Une comparaison sert au docteur alexandrin
à éclairer tout à la fois les deux aspects de notre con-
naissance. Il en est des créatures par rapport â la
substance et à la nature de Dieu, comme des rayons du
soleil par rapport à la nature de cet astre : les rayons
ne nous suffisent pas pour connaître pleinement le
soleil, mais ils nous permettent de nous faire quelque
idée du foyer de lumière qu'il est. Ainsi l'âme humaine
ne peut pas, par elle-même, contempler Dieu tel qu'il
est, ipsum per seipsam Deum sicut est non potest in-
lueri, mais elle peut, de la beauté et de l'éclat des créa-
tures, s'élever au créateur, n. 5, 6, col. 124 ; cf. 1. I. c. ni,
n. 1, col. 147 : possibile est aliquem inlellectum capi.
Pour arriver à cette connaissance imparfaite, il faut,
suivant la loi de notre intelligence en cette vie, partir
des sens et des choses sensibles, ypr, t-'o i'.o-Ôtic-ewv
ap?a7Ôa; xxi Ttôv at<76r,T<îW, Contra Cols., 1. AU, n. 37.
col. 1474; mais ce n'est là qu'un échelon pour monter
plus haut et concevoir la nature des choses intelli-
gibles, wittg otove't èTriêiOpï yor^x: a'j~oï( ~>o; 'V **"
Txvôriir/ tî;ç tûv voy]t<ôv o^nzo):. Ibid., n. 45, col. 1490.
Nous arrivons ainsi d'abord à ce que l'apôtre, Rom.,
i. 10, appelle les invisibilia Dei, c'est-à-dire les choses
intelligibles; mais les chrétiens ne s'arrêtent pas là.
ils s'élèvent jusqu'à l'éternelle vertu de Dieu, jusqu'à
sa divinité. Ibid. Celse avait déjà forcé l'apologiste
alexandrin à s'expliquer sur ce point : « Rien de ce
que nous connaissons ne se trouve en Dieu, » avait-il dit,
par opposition au langage anthropomorphique de la
Bible. Origène n'avait pas admis une proposition aussi
absolue : « Nous connaissons beaucoup de choses qui
sont en lui, avait-il riposté ; telles, la vertu, la béatitude,
la divinité. Mais si l'on entend « ce que nous connais-
sons » en ce sens plus relevé, que tout objet de notre
connaissance reste au-dessous de Dieu, alors nous pou-
vons en convenir, rien de ce que nous connaissons ne
se trouve en Dieu. » Contra Cels., 1. VI, n.62, col. 1394,
Qu'on rapproche de cette réponse, el de toute la doc-
trine qui précède, tant d'affirmations superficielles, qui
courent les livres, sur la théologie négative ou les
abstractions du successeur de Clément! L'n exemple
sullira. emprunté à ['Essai sur la tltéodicée d'Origine,
par .1. Dartigue, p. 37 : « Le Dieu de Platon est celui
de la dialectique, et le Dieu de la dialectique n'est
que l'être indéterminé, insaisissable, que nous avons
trouvé dans Origène et chez tous les philosophes
idéalistes, c'est-à-dire qu'il n'est rien. (Ju'est-ce, en
effet, qu'un être auquel nous ne pouvons prêter ni qua-
lités morales, ni attributs métaphysiques? t
1049
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES}
1050
Origène ne décrit pas le travail de l'âme qui, s'étant
élevée au-dessus du sensible, cherche à se représenter
Hieu. Pour lui, comme pour son maître, c'est l'œuvre
de la contemplation jointe à la pureté de cœur. Contra
Cels., 1. VI, n. 69, col. 1403. Il ne parle pas, de lui-
même, de la méthode d'analyse; c'est son adversaire
qui l'introduit dans le débat, comme partie intégrante
du procédé trouvé par les sages pour se faire quelque
idée de l'Être suprême et inell'able, et qui consiste dans
la synthèse, l'analyse ou l'analogie, lbid., 1. VII, n. 42,
col. 1482. Le philosophe alexandrin connaît la méthode,
qu'il dit empruntée aux géomètres, àvà).o-pv fïj rcapà
toîs Yeb>|iÉTpai(i il ne la rejette pas absolument, quoi-
qu'en dise J. Denis, De la philosophie d'Origene, p. 85,
car son intention n'est pas d'attaquer ce que les Grecs
ont pu trouver de beau, ibid., n. 49, col. 1492; il avait
même accueilli avec admiration, quelques pages aupa-
ravant, n. 42, col. 1481, le célèbre passage où Platon,
dans le Timée, 28 C, déclara combien il est difficile
d'arriver jusqu'au grand architecte et père de cet uni-
vers. Et de fait, c'était une notion de la divinité assez
relevée déjà, que la notion présentée par Celse au cours
de son ouvrage : Dieu incorporel, éternel et immuable,
souverainement beau et bon, se suffisant pleinement à
lui-même, exempt de toute passion, juste et saint, d'une
puissance allant jusqu'à tout ce qui n'est pas indigne
de lui ou contraire à la nature. Voir J. F. S. Muth,
Der Kampf des heidnischen Philosophen Celsus yegen
das Christenlum, Mayence, 1899, p. 29 sq.
.Mais qu'était-ce que cela en face des enseignements,
autrement sublimes et divins, p.siÇova xceï OaciTEpoc, qui
venaient de Dieu lui-même par ses organes, les pro-
phètes, les apôtres, et surtout le Verbe incarné, Celui
qui connaît le Père et le révèle comme il lui plaît?
Ihid., n. 49, col. 1491 ; 1. VI, n. 65, col. 1398. Et puis,
quelle difficulté pour acquérir cette notion philoso-
phique de Dieu, mêlée d'ailleurs, dans la réalité, de
tant de scories, qu'on peut se demander si une connais-
sance pure de Dieu ne dépasse pas les forces de la
nature humaine! Surtout, quelle erreur de prétendre
obtenir par là une vraie et pleine connaissance! Et
c'est comme philosophe chrétien qu'Origène conclut :
i Nous .'.utrcs, nous affirmons l'impuissance de la na-
ture humaine à chercher et à trouver purement Dieu
le secours de Celui qu'elle cherche; mais Dieu se
fait connaître à ceux qui font leur possible et recon-
naissent le besoin qu'ils ont de lui; il se fait connaître,
comme il le trouve bon, dans la mesure où l'àme
humaine, prise encore dans ses liens terrestres, peut
le connaître. Ibid., n. 12, col. 1482.
L'ineffabilité divine, conséquence logique île l'in-
compréhensibilité,esl affirmée el expliquée par Ori_
Pour lui, comme pour les l'ères de son temps, le nom,
dans toute la force du terme, n'est pas une appellation
quelconque, mais comme la définition d'un être consi-
*'*•■■ dans sa nature intime, l'expression de ce qu'il est
proprement. Qu'en ce sens, nous ne puissions pas plus
nu er Dieu que nous ne pouvons le concevoir, Ori-
!•■ concède pleinement à Celse : Si intelligit verba
aut resverbissigni/icatas non esse, qum Dei pro/irietales
'tentent, verum dicit. Mais le nom s'entend aussi
plus largement, «le toute appellation qui serl ■ < dé
un -lie par une noie qui lui - > . ï t particulière: alors rien
n'empêche de non t Dieu, c'est-à-dire (d'indiquer
quelques-uni - il' ses perfections, pour aider ceux qui
■'■coûtent ,i s'en faire, dans la mesure du possible,
quelque idée, «./ quidpiam 'le Mis
, 1. VI, n. 65, col. 1398. Pour les applications, voir
Exhort. ad martyi .. n. Wi. Contra
I •■ n. 25; I. V. n. ',:,. t. xi, col. '.91. (128, 707,
1352, Dans le premii r | .,. centue le
""m T" Dieu lui-même - esl attribué, I tod., ni. I i
in Deo vero, qui invariabilii Unmutatriliiqw ici
est, unum idemque semper est veluli nomen, qui
est, quod in Exodo dicitur, aut si quid simile dici
possit. Dans les trois autres, l'apologiste fait sur l'ori-
gine de certains noms ou la vertu qui leur est inhérente,
des considérations secondaires et dont l'examen ne
rentre pas dans notre sujet. Voir J. Patrick, The apo-
logy of Origenes in reply lo Celsus, Edimbourg, 1892,
p. 303 sq.
La plupart des attributs divins ressortenl suffisamment
de ce qui précède. Dieu n'est d'aucun autre, et tout est
de lui. Contra Cels., 1. VI, n. 65, col. 1397.
Souverainement indépendant, il se suffit pleinement
à lui-même : tov \j.ô'io-j àvsvoïoC; xa'i a-j-câpxou; a-Lrài.
irt/oa.,tom.xni, n. 34, P. G., t. xiv, col. 460. Immuable,
impassible, éternel d'une éternité stricte et essentielle
qui bannit toute idée de commencement, de fin, de
succession, il jouit dans un éternel maintenant, de
son ineffable béatitude : Aliéna porro est divina na-
lura ab omni passionis et peniiulationis aflectit, in
illo semper beatitudinis apice immobilis et incon-
cussa perdurans. In Nuni., homil. XXIII, n. 2, t. XII,
col. 748. (Dansl'homil. vt, in Ezech., n. 6, t. xin, col. 715,
le Nonne quodammodo palitur est manifestement ora-
toire et métaphorique). C'est pour exprimer la trans-
cendance de l'immuable vie de Dieu par rapport au
temps, et même par rapport à l'éternité conçue comme
durée proprement dite, qu'Origène écrit : Supra omne
tempus, et supra omnia saecula, et supra omnem
œternitatem intelligenda sunt ea qux. de Pâtre et
Filio et Spiritu Sancto dicitntur. Periarch., 1. IV,
n. 28, col. 403.
Dieu, transcendant par rapport à la durée, l'est aussi
par rapport à l'espace. Le docteur alexandrin réfute
avec vigueur ceux qui, de son temps, lui attribuaient
une présence locale au ciel, tôv vou,tÇovxti>v «vitôv eïvoci
TOTtixù); iv oùpavoïç. De oralione, n. 23, t. xi, col. 487.
11 défend, contre les attaques de Celse, la conception
d'un Dieu élevé au-dessus des cieux, -rbv Û7tïpovp<iviov
QsAv. Contra Cels., 1. VI, n. 19, col. 1317. Mais, s'il
n'est jamais dans le lieu, Dieu n'en est pas moins
présent partout; et c'est pour cela qu'il ne peut être
question pour lui ni d'aller là où il ne serait pas encore,
ni de cesser d'être là où il était auparavant : Xonne
ubique est Deus:' Nonne ipse dixit : C.vluni et terrant
repleo? In Gen., homil. xn, n. 2, t. xn, col. 226.
« C'est en lui que nous vivons, que nous nous mou-
vonset que nous existons, » Act., XVII, 28; ou, comme il
l'a dit lui-même, Jer., XXIII, 23, « il est avec nous el
près de nous, ovto; ;j.eO' ?,|i<ôv -/.ai itXijalov f,|t(âv t'jv-
yivovto;. » Contra Cels., 1. IV, n. 5; I. Y, n. 12. t. xi.
col. 1033, 1200. Dieu est donc, pour Origène, à la fois
transcendant et immanent. Immanent, non pas ;; la
manière stoïcienne, comme un esprit diffus à travers
le monde, ni comme un corps qui renfermerait d'autres
corps, mais comme puissance divine qui contient tout
ce qui dépend d'elle. Contra, Cels., I. VI, n. 71,
col. 1405; cf. Periarch., 1. II, c. I, n. 3, col. 184. Or,
puissance divine et divinité vont de pair ici; elles
sont jointes à l'endroit déjà cité du Contra Cels., I. IV,
n. 5 : 8vvau,l< /.*'• Oîoty,; 0fOÛ, et dans le Periarch.,
I. IV, n. 29, col. 404,1 l'immensité et l'ubiquité sont
affirmées du Verbe quant ■> sa divinité',
t. imniacience esl intimement liée avec la notion de
providence. Si celle-ci s'étend > Bon tour, il s'ensuit
que rien n'échappe à la connaissance de Dieu. Origèm
fort bien la valeur morale de cette doctrine
i Quoi de plus 'lie pour engager les hommes ■ >
bien vivre, que la persuasion d'avoir le Dieu supri
pour témoin «le ses pan ' lions, di
titra Cela., I. I\ . n 53, col. 1 116. Il
net en ntre i imaj inalion, porU • > (aira con-
corde! le1' du sa oîr divin avec l'existence contin-
gente et i' I'' I objet connu !>■ ,1 no-
1051
DIEU (SA NATUIiE D'A PII ES LES PÈRES)
1052
vit antequam fiant, ncc quidquam cum exislil, ideo
primum innotescit ipsi quod existât, quasi non ante
cognitum. Deoratione, n. 5, col. 430. Mais c'est surtout
sur la prévision de nos actes futurs et libres, qu'il est
amené à donner des éclaircissements nouveaux. Celse
s'appuyait sur la prédiction de certains faits, comme
la chute de saint Pierre et la trahison de Judas, pour
attaquer la doctrine du libre arbitre, capitale dans
l'explication chrétienne du mal inoral : C'est Dieu,
raisonnait-il, qui a prédit ces faits; il était donc abso-
lument nécessaire qu'ils arrivassent d'une manière
conforme à la prédiction. Contra Cels., 1. II, n. 20,
col. 836.
La réponse est doublement intéressante : par ce
qu'elle suppose, et en elle-même. Origène ne met pas
en question la prescience divine ni son infaillibilité :
Si Dieu a prédit, il sait ce qui arrivera et la chose
arrivera. Ce n'était pas là un enseignement nouveau
pour l'apologiste alexandrin; il l'avait déjà donné
ailleurs. In Gen., n, n. 7, P. G., t. vu, col. 66 : Nam
ut mentiri Deus fallique non polest, ila quœ fieri
seque ac non fieri possunt, eadem ipse futura nosse
parité)', aut non fulura potest. Il avait même, ibid.,
n. 6, col. 64, considéré la science divine dans une
antériorité logique au décret créateur : « Comme rien
n'arrive sans cause, Dieu, quand il résolut, au com-
mencement, de créer le monde, embrassa par la pen-
sée tout l'avenir en détail; il vit que si telle chose
arrivait, telle autre aurait lieu, >> et ainsi de suite.
Mais alors, comment concevoir la liberté dans la
créature? La réponse est, en substance : Le fait n'arri-
vera pas parce qu'il a été prédit, mais il a été prédit
parce qu'il arrivera. Celui qui prédit n'est pas, pour
autant, la cause de l'événement; prédit ou non, il
serait arrivé; c'est l'événement qui donne lieu de le
prédire à celui qui le connaît d'avance. Puis, repre-
nant la conséquence tirée par l'adversaire du fait de
la prescience : Proinde omnino necessarium fuit, at,
quse prœdicta f aérant, aeciderent, Origène distingue
le terme omnino. Si Celse entend que la chose prédite
par Dieu arrivera infailliblement, c'est juste; mais
s'il prétend qu'elle arrivera nécessairement, il se
trompe, la nécessité qui résulte de la prédiction n'étant
que conséquente à l'exercice prévu du libre arbitre.
C'est là, chez Origène, une doctrine ferme et souvent
répétée : De oralione, n. 6, t. xt, col. 436; In Gen.,
loc. cit.; In Epist. ad Rom., 1. VII, n. 8, t. xiv,
col. 1126, etc. Elle ne passera pas inaperçue dans la
controverse De auxiliis.
La bonté, la puissance et la liberté divine ont, dans
la théologie de notre docteur, une connexion étroite.
Que le premier de ces attributs soit fortement accen-
tué, rien d'étonnant chez un alexandrin. Dieu est bon.
uniquement bon, àît).<5; aYotôô;, immuablement bon,
àiiapa>.).à-/.-<o; àyaôô;, essentiellement bon, o-jtyitocui;
àyaèdç. Periarch., 1. I, c. il, n. 13, col. 144; Contra
Cels., 1. VI, n. 44, col. 1365. Bonté substantielle, il est
la source de toute bonté participée, l'exemplaire et la
cause première de tout bien. Periarch., 1. I, c. vi.
n.2; c. vin, n. 3; Contra Cels., 1. V, n. 24, col. 166,
178, 1217, Du reste, le bien et l'être s'identilient en
Dieu : 6 à-;-a9ô; t<;> ovti 6 a-JTo; îttiv. In Joa., tom. n,
n. 7, P. G., t. xiv, col. 136. C'est sa bonté qui domine
et explique tout dans l'œuvre de la création et celle de
la rédemption. Periarch., 1. II, c. ix, n. 6; 1. IV, n.35,
col. 230, 409. Le mal proprement dit ne vient pas de
lui, car c'est du non-être, o-jy. Sv; il vient du libre
arbitre de la créature, qui décline et déchoit. In Joa.,
loc. cit.; Contra Cels., 1. VI, n. 55, col. 1384. Doctrine
longuement développée dans un ouvrage faussement
attribué à Origène, Adamantii dialogus de recta in
Deum fide, sect. m. P. G., t. xi, col. 1794 sq.
Tout ceci est vrai et beau; mais, suivant jusqu'au
bout le courant platonicien, le philosophe alexandrin
conçoit la bonté' divine comme une force naturellement
expansive et nécessairement active : Dieu crée donc et
se révèle de toute éternité. Il avait rencontré cette
objection : « Si le monde a commencé dans le temps.
que faisait Dieu avant la création'.' Se représenter la
nature de Dieu inerte et inactive, ou sa bonté ineffi-
cace, ou son souverain domaine sans sujets, ce serait
joindre l'impiété à l'absurdité. «L'objection l'atteignait,
car il enseignait, d'après la foi chrétienne, que le
monde actuel avait été créé, et créé dans le temps,
quod mundus hic factus sit et ex cerlo terni
cœperit. Periarch., 1. III, c. v, col. 325. Que répond-
il? Qu'avant ce monde visible, Dieu en avait créé
d'autres, comme il en créera encore, quand celui-ci
cessera. Ibid., n. 3, col. 327. C'était résoudre la diffi-
culté aux dépens de la liberté, de la pleine indépen-
dance de Dieu dans les opérations ad extra. Du mo-
ment où la foi nous apprend qu'il y a en Dieu des
productions immanentes, la génération du Verbe et la
procession du Saint-Esprit, nous devons concéder le
principe de l'activité naturelle et nécessaire de la na-
ture divine, mais parce que et en tant qu'il s'agit de
productions immanentes, tout ce qui est en Dieu par-
ticipant à la nécessité et à l'immutabilité absolue de
l'Être divin.
Origène renvoie à ce qu'il avait dit auparavant, 1. I.
c. n, n. 10, col. 138 sq. Il part, suivant la juste remar-
que du P. F. Prat, Origène, p. 71, de l'idée de Dieu
Tza-i-oy.pi.ziop, dominateur souverain, et non pas t. a. -
ToS-jva f/.o ç, tout-puissant, équivalent du mot latin
omnipotens. Il n'y a pasde père sans fils, ni de maître
sans domaine ou sans serviteurs; de même. Dieu ne
saurait être dit dominateur souverain, s'il n'avait pas
de sujets sur qui s'exerçât sa domination. Pour qu'il
soit ■Ktt.vzoY.pâ-wç,, il faut donc que les créatures exis-
tent. Impossible, d'ailleurs, de supposer que Dieu n'ait
pas eu celte qualité dès le début; ce serait avouer qu'en
l'acquérant plus tard, il aurait progressé et serait
devenu meilleur : Et quomodo non videbilur absur-
dum, ut cum non haberet aliquid ex his Deus quie
cum habere dignum erat, postmodum per profectum
quemdam in hoc venerit ut haberet ? Telle est l'argu-
mentation d'Origène. Un grand problème surgit assu-
rément du fait d'une création libre et non éternelle,
le problème de la conciliation entre la liberté d'une
part, et de l'autre l'immutabilité divine; il restera pen-
dant de longs siècles, et reste encore pour la raison
humaine Yœnigma sacrum. Mais ce n'est pas résoudre
le problème d'une façon orthodoxe, que de supprimer
l'un des termes, la liberté ou pleine indépendance de-
Dieu. Tertullien donnera bientôt le principe essentiel
de la solution; elle consiste à distinguer entre les
dénominations absolues, qui de leur nature sont éter-
nelles et nécessaires, et les dénominations relative*
qui, se tirant d'un terme posé dans le temps, en dehors
de Dieu, ne sont ni nécessaires ni éternelles.
La distinction entre les notions de Dieu icxvroxpâTcop
et jravroâ"jvau.oç, et de plus, entre la puissance divine
considérée en elle-même et dans son terme, me parais-
sent seules donner la clef d'un passage difficile du
Pertarchon, 1. II, c. ix, n. 1. col. 225, très diversement
rendu dans la traduction latine de Rufin et le texte
grec de Justinien, admis par Huct, Origeniana, 1. II.
c. il, q. I, n. 2, P. G., t. xvn, col. 705. D'après ce der-
nier texte, le caractère limité de la création primitive
s'explique par le caractère limité de la puissance divine:
7iETT£pa<r^iïvï;v yip elvai y. ai tï|v o-«va|i.iv toû ©soi Xextsov.
Si cette puissance était infinie, elle ne pourrait se
comprendre elle-même, l'infini étant incompréhensible.
Dieu a donc créé autant de créatures qu'il en pouvait
comprendre et gouverner. Doctrine d'où sortirait cette
grave conséquence : Dieu, limité dans sa puissance,
1053
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES^
1054
l'est aussi dans son être, puisqu'il se connaît et se
comprend pleinement, d'aprèsOrigène.-Periarc/i., L. IV,
n. 35, col. 409. Dans la traduction de Rufin, il s'agit,
non de la puissance divine considérée en elle-même,
mais dans son terme, les créatures. Dieu les a produites
en nombre fini; autrement, il ne pourrait ni les conte-
nir, ni les gouverner (idée du nx-i-oY.pizoiç,), ce qui
est infini ne pouvant être contenu, ni circonscrit, quia
ubi finis non est, nec comprehensio ulla, nec circum-
scriptio esse potest; cf. In Matth., tom. xm, n. 1, P. G.,
t. xm, col. 1092, où le raisonnement, trop concis,
parait s'appliquer à l'hypothèse d'une multitude infinie.
Dieu a donc créé au début autant de créatures qu'il
jugea suffire, quantum sufficere posse prospexit; idée
qui revient, 1. IV, n. 35, col. 410. Dès lors, il n'est
nullement question d'une limitation intrinsèque ou
proprement dite de la puissance divine.
La seconde interprétation me parait d'autant plus
vraisemblable, que la toute-puissance divine, au sens
de ï:avTo6-jvanoc, se trouve affirmée dans le traité contre
Celse. Ce philosopbe attribuait aux chrétiens cette
affirmation : Dieu peut tout, en y attachant manifes-
tement l'idée d'une puissance effrénée, laquelle, abso-
lument parlant, s'étendrait même à n'importe quoi :
Dieu, opposait-il, ne veut rien d'inconvenant ni de
contraire à la nature, 1. III, n. 70, col. 1012. L'objection
éclaire la réponse, qui tend à rétablir la notion chré-
tienne de la toute-puissance divine, mal comprise par
le païen : « Assurément, nous reconnaissons que Dieu
peut tout, c'est-à-dire tout ce qu'il peut sans détriment
de sa divinité, de sa bonté et de sa sagesse. » Aussi
l'apologiste ne se contente pas d'admettre que Dieu ne
voudra jamais rien d'injuste ou de mauvais, il affirme
qu'il ne le peut pas. lbid.;c(. 1. Y, n. 14, col. 1201,
Suit-il de cette réponse qu'Origène limite la toute-
puissance ou que, d'après lui, les diverses propriétés
de Dieu se limitent mutuellement, comme le veut
Ritter, op. cit., t. v, p. 489, et beaucoup d'autres à sa
suite? Nullement. Nier de la puissance divine ce qui
serait une imperfection, ou ce qui répugnerait intrin-
sèquement, ce n'est pas limiter sa perfection, mais
l'affirmer et la sauvegarder : Iteec enim potestas ejus
divinitali contraria est, et illi omnipotcnlise quam ut
Deus habel, 1. III, op. cil. Tenir compte, pour déter-
miner l'objet vrai de la toute-puissance, de ce qu'exi-
gent par ailleurs les autres attributs de Dieu, c'est tout
simplement dire que la puissance divine ne peut être
qu'une puissance digne de Dieu, aussi essentiellement
bon, sage, juste, que puissant : Dicimus eliam Deum
turpia non posse; alioqui Deus posset non esse Deus.
tfam fi quid turpe Deus facit, Deus non est, I. V,
n.23, col. 1215. Origine avail parlé d'une façon moins
châtiée, quand il avait dit ailleurs : Quoniam in quan-
tum ad potenliam quidem Dei,omnia possibiliasunt,
iusta, >/w. i\.n çj i. lu M n ii h,, comment. Beries,
n. 95. t. xm. col. 1746. C'est là une de ces antil
qu'on rencontre dans les écrits d'Origène; sa théod
malgré des taches, n'en reste pas moins brillante et
exercer une profonde influence dans II .
, Sainj Méthode d'Olympie, mort pour la foi vers 311,
peut non- servir de contrôle pour le jugement qui
èd(i. Il fut l'un des principaux adversaires d'Ori-
comme on le voit par les fragments de deux de
ses ouvrages, lie resurrectione el De crraiis. /'. G .
t. xviii, col. 265, 332. Or, dans un.' monographie sur
l,i théologie de ce Père, V Bonwetsch a signalé
l'étroite dépendance qui !>• relie, malgré tout, au grand
alexandrin. Rien dans es attaques qui aille contre la
théodicée il • h nité el
la nécessité de la i n atii n i ' là même, le laiul mar-
ri contre celui qu'il réfute de la notion de
Dieu qui leur est commune. Dieu n'esl-il pas l'Être
qui n prim q>' el la source de toute
sagesse, de toute gloire, de toute perfection, absolu-
ment et essentiellement parfait en lui-même et par lui-
même, ocvtck 6V éocviTÔv tÉ/.eio;, aOïb; y.a6'âa-jTÔvTé),Eio;?
De creatis, n. 2, col. 336. D'où viendrait pour lui la
nécessité de créer le monde, même spirituel? Et s'il
ne change pas, quand il cesse de produire de nouveaux
êtres, pourquoi changerait-il, quand il en produit?
lbid.,n. 3. Ce point écarté, nulle dillérence essentielle
n'apparaît entre Origene et Méthode sur la question
qui nous occupe. Mêmes principes contre le dualisme
et le déterminisme gnostique : ce n'est pas dans une
matière coéternelle à Dieu, qu'il faut chercher le prin-
cipe du mal; il vient de la défection du libre arbitre,
il a pour auteur la créature raisonnable. De libéra
arbilrio, col. 261 sq. ; De resurrect., n. 1, col. 265.
Même ensemble d'attributs divins. Même propension à
se complaire dans les métaphores de lumière, ou de
beauté incréée et incorporelle, qui n'a pas eu de com-
mencement et ne peut subir d'éclipsé; voir, par exem-
ple, dans le Convivium decem virginum, orat. vi, c. i,
col. 113. Même enseignement sur la possibilité de nous
élever à la connaissance de Dieu, à l'aide du monde
visible, et l'impossibilité d'atteindre clairement ici-bas
l'Être suprême, -b "O/. De libero arbilrio, col. 244;
Convivium, orat. vin, c. xi, col. 156. Si donc, comme
le dit Bonwetsch, p. 5i-, la notion de Dieu que nous
trouvons dans ce qui nous reste des écrits de saint
Méthode, est « celle qui régnait dans la théodicée
grecque, » il faut en dire autant, à part les erreurs
signalées, de la théodicée d'Origène.
auteurs catholiques. — Dom B. Maréchal, O. S. n., Concor-
dance des saints Përes de l'Église, grecs et latins, Paris, 1739.
t. i et n; G. Lumper, O. S. B., Historia theologico-critica de
vila, scriptis atque doctrina sanctorum Putrum, aliorumque
scriptorum ecclesiasticorum trium primuritm strculorum ,
Augsbourg, 1783 sq.; .1. Schwane, Histoire des dogmes, t.i. S 13,
14, 16, 17, 21; J. Rivière, Saint Justin el les aj>ologistes du
n' siècle, Paris, 1907; .1. Springl, Die Théologie îles ht. Justins
des Màrtijrers. Eine iogmengeschichtliche Studie, n. :>, dans
Theologlsch-praktlsche Quartalschri/l, Linz, 1884, t. xxxvi,
p. 778 sq.; A. Feder, S. J., Justins des Màrtijrers Lettre von
Jésus Christus, Fribourg-en-Brisgau, 1906, p. 86 sq., 106 sq. ;
J.-A. Schmit, Saint lretf.ee ellesgnostiqv.es, n. 3, ilans la Revue
catholique, Louvain, 1855, t. n i u. p. 558 sq.; J. Cognât, Clé-
menl d'Alexandrie, sa doctrine el su polémique, c. n et in,
Paris, 1859; V. Hébert-Duperron, Essai Sur la polémique et la
de saint Clément d'Alexandrie, V* part., c. n,
Parla, 1855, p. 201 sq.: B. Ruet, Origeniana,l. Il, c. n, q. i,
/'. G., t. xvu, col. 7u5 sq. ; F. Prat, s. .1., Origène. Le théologien
et l'exégète, Paris, 1907.
auteurs non c* rHOLiQUES. — J. Donaldson, op. cit., Londres,
18G6, t. ii et m; A. Harnack, Lchrbuch der Dogmengeschichte,
t. i, p. 485 sq., 529 sq., 618 sq. ; C. Semlscb, Justin der Màrtyrer.
Eine kirchen-un teschichtliche Mon
lau, 1840-1842, t. n, p. 247 sq.; J. C. E. otto, DeJustini marty-
iptis ri doctrina, léna, 1841, p. 125 sq. ; C \Vri7s
Die Théologie des Mnrtyrers JustinuB, dans Juin hacher fur
deutsche Théologie, (iotha, 18(i7, t. XII, p. 75 sq.; M von
hardt, Das Christenthum Justin* des Hàrtyrers, hïkin-
ls78, p. 127 sq. ; P. Dans Wimliscli, Die Theoditee d«-
n Justin, Leipzig, 1908; C. W. Steuer,
mit ihren Beriïhrun-
genindergriechischen Philosophie, lénsL,iSS2 1 \ Clarisse,
nentatio ad ./"■•»■ venerabili ordine theot
rum 1 ilavorum a. t8ié De A Iheti ■
vita et scriptis.... dans Annales Aeademim Lugduno-Batavœ,
1819, t. iv ; P. Logothetes, 'H I
Lelp&ig, 1898; K, 1 . Bauer, Die Lehre des Uhenagora
Einheit und D 1905 ; O. Q
on Antiochia. t bhandlung
tiiiii Jahresberii s tu
istern 1896, \ Pommrlch
Mlus en». I
1904 . 11 Zlegler, '- enàu
rur Entstehung der altkatholischen h
II- pari., Berlin, 1871, ] I
1891 ; C. Bigf Tu I Uonlsts o/
1055
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES
105G
lect. iv-vi, Origène ; S. Thomasius, Origenes. Ein Beytrag zur
Dogmengeschiehte des dritten Jahrhunderts, Nuremberg,
183"; F. B. (iass. De Deiindole cl attributie Origenes guid
doeaerit, Breslau, 1888; E. R. Uedepenning, Origenes. Ki»*1
Darstellung seines Lebens und seiner Lehre, Bonn. 1846, t. i,
]). 103 sq. (doctrine de Clément d'Alexandrie); t. n, p. 277 sq.
(doctrine d'Origène); P. Vischer, Commentatiu de Origenis
theologia et cosmologia, Halle, 1848 ; .1. Dartigue, Essai sur la
théodicée d' Origène, Genève, 1*73 ; W. Falrweather, Origen
and Greek Patristic Theology, c. vi, Edimbourg, 1901;
N. Bonwetsch, Die Théologie des Methodius von Olympus,
dans Abhandlungen der kônigl. Gesellschaft der Wissen-
schaften :u GiMingen. Philologisch-historische Klasse, nonv.
série, Berlin, 1903, t. vu, n. 1. — Les ouvrages qui traitent
directement des rapports entre la théodicée des Pères et la
philosophie seront cités plus loin.
2. xipologistcs latin^— La patristique occidentale
est beaucoup mÔTnslTche que l'orientale pour toute cette
période. Les noms marquants sont ceux de Minucius
Félix et de Tertullien. En supposant l'antériorité du
premier, je me conforme à l'opinion dominante des
érudits : A. Ehrhard, Die altchristliche Litleratur
und ihre Erforschung von 1884-1000, Fribourg-en-
Brisgau, 1900; Bardenbewer, Geschichte deraltchristli-
chen Litteralur , Fribourg-en-Brisgau, 1902, t. I, p. 312-
a) Minv£ixiS.Eâlix. — L'élégant dialogue qui porte
le titre $ Octavius, P. L., t. m, col. 231 sq., et qu'on
fait assez communément remonter aux débuts du règne
de l'empereur Commode (180-192), nous intéresse
doublement ; par l'attaque qu'il rapporte, et par la
défense qu'il présente. L'adversaire, le païen Cécilius,
commence par professer une sorte d'agnosticisme en
ce qui concerne la connaissance de Dieu : absil ab
exploratione divina huniana mediocritas, etc., c. VI,
col. 245; puis il s'en prend, entre autres choses, au Dieu
des chrétiens, r ce Dieu qu'ils ne peuvent ni montrer
aux autres ni voir eux-mêmes; Dieu qui scruterait
minutieusement les mœurs, les actions, les paroles et
les pensées les plus intimes de tous, courant apparem-
ment de ci et de là, pour être présent partout; Dieu
importun, remuant, imprudemment curieux, » c. x,
col. 265. Dieu d'ailleurs impuissant ou inique, puisqu'il
laisse souffrir, comme on le voit, la majeure et la meil-
leure partie de ses adeptes, c. XII, col. 271.
Dans sa défense, Octavius reste constamment sur le
terrain de son adversaire, celui de la philosophie et
de la littérature profane. Il établit d'abord par l'argu-
ment, devenu classique, des causes finales, l'existence
d'un Dieu, m Seigneur et père de l'univers, plus beau
que les astres et tout ce que le monde contient, »
c. xvii-xviii, col. 284 sq. L'unité divine, fondée sur des
considérations d'ordre politique ou de bon sens, l'amène
à compléter sa notion de l'Etre suprême : « Évidem-
ment, Dieu, le père de toutes choses, ne saurait avoir
ni commencement ni fin, lui qui donne à tous les
autres êtres l'existence, et est de lui-même éternel; lui
qui, avant le monde, se tenait lieu de monde; lui dont
la parole fait naître, la raison gouverne et la vertu
soutient tout ce qui est. On ne peut le voir, il est trop
brillant; ni le saisir, il est trop pur; ni l'apprécier,
il est au-dessus de toutes nos conceptions; infini,
immense, seul à connaître toule sa grandeur. Notre
cœur à nous est trop étroit pour le comprendre; aussi
c'est en le proclamant inestimable que nous l'estimons
dignement... Ne lui cherchez pas de nom; il s'appelle
Dieu. Il faut des noms quand, dans une multitude, on
veut distinguer chaque individu par une appellation
qui lui soit propre; Dieu est seul, le nom de Dieu
suffit. Si je l'appelais père, on pourrait le croire charnel;
si roi, on pourrait le supposer terrestre; si seigneur,
on pourrait le juger mortel. Supprimez tout cet appa-
reil de noms, et vous verrez sa clarté, » c. xvtn,
col. 290 sq. Est-ce à dire que l'apologiste réprouve
absolument ces appellations et autres semblables".' Ce
serait, de sa part, une contradiction manifeste, puis-
qu'il s'en sert couramment. Sous une forme oratoire,
il veut donc seulement les déclarer inaptes à dénommer
proprement l'Etre Bupréme. S il excepte le nom même
de Dieu, ce n'est pas, semble-t-il, pour la signification
l'iMnologique du mot, qu'il laisse inexpliquée, mais
pour l'usage qui lui a donné la valeur pratique d'un nom
propre ou du moins réservé. C'est dans le même esprit
que Minucius voit comme un hommage rendu à l'unité
divine dans ces exclamations spontanées : « Dieu! Dieu
est grand, Dieu est vrai, si Dieu le veut. » Doctrine
qu'il s'efforce ensuite de confirmer par des témoignages
de poètes et de philosophes; au fond de leurs concep-
tions sur Dieu, on retrouve l'unité, c. xix, col. 292 sq.
La réponse aux attaques de Cécilius complète la théo-
dicée de Minucius Félix. La première était tirée de
l'invisibilité divine. « Le Dieu que nous honorons,
pond Octavius, nous ne pouvons ni le montrer ni le
voir; mais nous le croyons Dieu, parce que nous pou-
vons le connaître, quoiqu'il soit invisible. Dans ses
œuvres, en effet, et dans le mouvement du monde nous
découvrons sa vertu toujours présente. » Après avoir
proposé diverses analogies, Octavius conclut : « Vous
voudriez voir Dieu de vos yeux charnels, alors que votiv
âme même qui vous fait vivre et parler, vous ne sauriez
la voir ni la toucher! » c. xxxu, col.3i0. Le païen avait
encore objecté que Dieu, fixé au ciel, ne pouvait se
trouver auprès de tous les hommes ni connaître chacun
en particulier : « Erreur, réplique l'apologiste. Com-
ment Dieu pourrait-il être loin de nous, puisqu'il
remplit le ciel, la terre et tout ce qu'il peut connaître
en dehors de ce monde? Non seulement il est partout
auprès de nous, mais il nous est immanent : ubique
non tantum nobis proximus, sed infusws est. Si le
soleil, fixé au ciel, pénètre cependant en tous lieux et
se mêle à tout, sans que jamais sa clarté en soit atteinte,
à combien plus forte raison Dieu qui a fait et qui voit
toutes choses, pour qui rien n'est secret, sera-t-il présent
dans les ténèbres et jusque dans ces autres ténèbres que
sont nos pensées! Non seulement nous agissons sous
son regard, mais c'est avec lui. dirai-je presque, que
nous vivons. » Jbid., col. 311. Enfin l'objection tir.-e
des souffrances des martyrs reçoit cette réponse : On
n'a le droit de s'en prendre ni à la puissance de Dieu
ni à sa providence. S'il laisse souffrir les siens, c'est à
titre d'épreuve et pour les couronner ensuite,' c. XXXVI,
col. 351. «N'est-ce pas un beau spectacle, et digne de Dieu,
de voir un chrétien aux prises avec la douleur, braver
la mort et les bourreaux, rester maître de lui en face
des rois et des princes, et triompher du juge même qui
vient de prononcer la sentence? » c. xxxvn, col. 352.
b) Tertullien n'est pas seulement apologiste, comme
Minucius Félix; il est encore, comme saint Irénée, con-
troversiste défendant la foi catholique contre les dé-
viations de l'hérésie. Sous les deux rapports, il présente
des écrits qui intéressent la théodicée. Tel, en parti-
culier, dans l'œuvre de l'apologiste, VApologelics
adversus gentes pro christianis (fin de 197), P. L.,
t. i, col. 257, l'opuscule De testimonio animm (entre
197 et 200), ibid., col. 607. et les deux livres Ad natio-
nes (197); dans la controverse dogmatique, le Liber
adversus Praxeam (après 213), P. L., t. H, col. 151
et surtout les deux ouvrages antidualistes, Adversus
Hermogenem (entre 200 et 206), ibid., col. 195. et
Adversus Marcio>ie>n (vers 207-208), ibid., col. 239.
Les preuves dont l'apologiste africain se sert pour
établir l'existence d'un Dieu créateur, sage, bon et
juste, sont assez connues pour qu'il suffise de les men-
tionner ici. Voir A. d'Alès, c. n. $, l,p. 37 sq. Deux ap-
paraissent au premier plan : d'abord, la considération
des œuvres de Dieu si nombreuses et si grandes, « qui
nous entourent, qui nous soutiennent, qui nous
charment, et même qui nous terrifient : e.r operibus
1057
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1058
ipsius tôt et talibus, quibus continemur, quibus sus-
tinemur, quibus oblectamur, etiam quibus exterre-
mur; puis, le témoignage de l'âme humaine, ex ani-
mée ipsius testimonio, témoignage dont Tertullien voit
une expression dans ces exclamations qui sortent
comme spontanément de toutes les lèvres : Dieu!
grand Dieu! Dieu bon! plaise à Dieu! etc. Apolog.,
c. xvn, col. 376 sq. Sur cette dernière preuve, voir
aussi De testimonio animée, c. i, col. 616, et De anima,
c. xli, P. L., t. ii, col. 720; car Tertullien attache
beaucoup d'importance à ces notions primitives de
l'àme qui nous font aller comme d'inslinct vers le
Dieu grand, bon et juste. C'est à ces deux sources de
connaissance naturelle, la raison s'appliquant à la
considération du monde extérieur et la conscience
parlant au dedans, que l'apologiste emprunte la notion
de Dieu qu'il prend pour point de départ de son argu-
mentation; par exemple, notion d'un être suprême
dont la nécessité s'impose même aux païens, pour
l'explication de leurs divinités subalternes, démonstra-
tion ad hominem, mais propre à disposer les esprits à
la conception du Dieu unique, Apolog., c. xi, col. 332;
notion de l'être souverainement grand, summum mag-
num, éternel, incréé, etc., Adv. Marc., n, 3, col. 249,
ou encore, notion du créateur. Dieu étant la cause pre-
mière de tous les êtres qui sont en dehors de lui, doit
posséder par lui-même non seulement l'existence,
mais toutes les perfections sans ombre d'imperfection :
Imperfectum non potuit esse, quod perfecit omnia.
Apolog., c. xi. col. 334 ; cf. Adv. Marc, i, 24, col. 274:
perfeclus in omnibus.
La transcendance et l'incompréhensibilité divines
suivent naturellement. Tertullien les énonce, en style
paradoxal, dans un passage où diverses conceptions de
saint Irénée et de Minucius Félix semblent combinées
et où résonnent quelques notes de la théologie néga-
tive : « Dieu est invisible, bien qu'on le voie [par
l'esprit], invisibilis, etsi vidcatur; inaccessible, bien
que notre intelligence nous le rende présent, incompre-
hensibilis, etsi pcr gratiam reprsesentetur ; inconceva-
ble, bien que notre intelligence s'en fasse quelque idée,
inœstimabilis,elsi hutnan i s sensibus seslimetur ;et c'est
pour cela qu'il est vrai et si grand, ideo verus et tan tus
est... Ce qui nous fait apprécier Dieu, c'est précisé-
ment l'impuissance où nous sommes de l'apprécier
[dignement]. Ainsi sa grandeur a-t-elle pour elfet d'en
foire pour les hommes quelque chose de connu et
d'inconnu à la fois. C'est ce qui rend inexcusables
ceux qui refusent de le reconnaître, alors qu'ils ne
peuvent l'ignorer. » Apolog., c. xvn, col. 375.
L'unité de Dieu ressort des principes énoncés. Elle
est spécialement affirmée dans le Liber advenu»
Praxeam, précisément à cause de l'obstacle apparent
que présentait la trinitédes personnes divines, défendue
par Tertullien contre Praxéas et ses partisans. Au mot
d'ordre de ces hérétiques Monarchiam tenemus, il
réplique : Nous aussi nous croyons en un seul Dieu,
unicum quidem Deum credimus; mais sans préjudice
de la distribution ou distinction des personnes : et
nihilominui cuslodiatur monomise sacrameuium
quœ unitatem in trinitatem disponil, c. il, col. 156.
Si l'unité demeure avec la trinité, c ■ si que dans cette
distribution ou distinction des personnes, il n'y a mul-
tiplication ni de substance, nid. rau-. m de puissance:
uniiM aulem substantiœ, et unius status, et uniu»
. quia unm Deu Ibid. i n .1 auln - termes,
M principal de la multiplication trinitaire le trouve
en dehors de ce qui constitue Dieu comme tel, c •
dire en dehors de la substance ou nature d
il surtout 'i m antignostiquei que
Tertullien, comme sainl Irénée, traite la question ca-
pitale de l unit 'ii ine m ii d uni façon :
DICT. HE THÉOL. CATH0L.
que dans la controverse polythéiste, puisqu'il s'agit alors
de l'unité de Dieu considéré non seulement comme
principe premier et unique de toutes choses, mais en-
core comme législateur et rédempteur, comme auteur
de l'Ancien et du Nouveau Testament. Le rhéteur afri-
cain se place d'abord sur le terrain de la raison. 11
trouve l'unité dans la notion même de Dieu, l'r.tre sou-
verainement grand : Non aliter Deus, tiisi summum
magnum; nec aliter summum magnum, nisi parcm
non habens: nec aliter parem non habens, nisi uni-
ons fuerit. Dieu est un, ou il n'est pas. Adv. Marc,
i, 3, col. 250. Puis, dans de vigoureux chapitres, il
poursuit l'antithèse, absurde en principe et fausse dans
la réalité, que Marcion prétendait établir entre un Dieu
de justice et un Dieu de bonté. Le vrai Dieu est à la
fois bon et juste, aussi nécessairement juste que bon,
les deux attributs devant s'allier en lui : quia bonitas
nisi justifia regalur, ut justa s'il, non erit bonitas,
si injusta sit, c. xi, col. 298. Et pour défendre Dieu
tel que l'économie mosaïque le représente, Tertullien
explique et justifie telles mesures qui, à première vue,
pourraient sembler barbares ou capricieuses, c. XVIII sq.
Knlin, comme saint Irénée, mais plus en détail, il fait
la concordance des deux Testaments, spécialement en
ce qui concerne la vie du Christ, dont toute la trame
n'est que la réalisation d'anciennes prophéties. Là,
évidemment, l'Écriture peut et doit être invoquée.
Tertullien dit même à ce propos que le chrétien apprend
à connaître Dieu à l'école non des philosophes et
d'Épicure; mais des prophètes et de Jésus-Christ :
Deum nos a prophetis et a Christo, non a pltilosopliis
nec ab Epicuro,erudimur, n, 16, col. 303. Idée ren-
forcée ailleurs : « Qui connaît Dieu sans le Christ? et
qui connaît le Christ sans l'Esprit-Sainl '? » De anima,
c. i, P.L., t. n, col. 647. Il s'agit alors d'une connais-
sance non quelconque, mais parfaite, ou du moins su-
périeure de Dieu. Ces passages et autres semblables
laissent intacte la doctrine expresse du docteur afri-
cain sur la double source où l'homme puise sa con-
naissance de Dieu : Nos de/inimus Deum primo na-
lura cognoscendum , dehinc doclrina recognoscendum ;
nalura ex operibus, doclrina ex prœdicatiouibiis.
Adv. Marc, i, 18, col. 266. Cf. Apolog., c. xvm.
col. 377 : i>ed quo plenius et impressius tam ipsum
[quani] dispositiones ejus et voluntates adiremus,
imtrumentum adjccit litteralurx. Voir Stier, Der
specielleGoltesbegrill Tcrtiillians, p. 14.
Le délicat problème du péché et du mal faisait partie
intégrante de la controverse antignostiquc, soit que l'ad-
versaire fût Marcion qui dédoublait les dieux comme
les Testaments, soit qu'il fût Hermogène recourant à
l'hypothèse d'une malière incréée, pour expliquer la
nce du mal dans le monde. Ce n'est pas le lien
de développer cette question, bien que des auteurs ré-
cents, comme Schul/.e (voir bibliographie), n'entendent
pas autre chose dans leurs études sur la théodicée de
Tertullien. Quelques détails seulement vont droit au
but du présent article. Marcion partait du fait histo-
rique de la chute primitive pour mener sa campagne
contre le Dieu de l'Ancien Testament : S'il était le
Dieu bon, prescienl de l'avenir et capable de prévenir
l«' mal, comment aurait-il pu permettre <|ut' l'homme,
son image, fùl tenté par le diable et induit à la '<
mce qui causa sa mort ? » Adv. Mn, ,-.. n. 5,COl
i ■ i lui lien commence par revendiquer i nergiquemenl
pour Dieu les attributs nommés par ion adversaire
la bonté, dont témoignenl .is^v les œuvres de Mien.
i.'iuii. .n elles-mé ■-. ./»" bona, la pi don)
témoignenl également ces œuvre odes, qua
imiiii . la pi lont témoigne chacun des proph
qualanlot habet lestet,quantot fecit r bid.,
col.2B0;cf .1/. <.'<"/,. ut, col 981 Idoneum, opti
.'m ./.. inil nalionit M. us Dieu
iv. - :ii
1059
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES]
1060
voulut l'homme libre, maître et, par conséquent, res-
ponsable de ses actes; c'était le faire à son image. La
permission du péché, défaillance du libre arbitre de
la créature, était une conséquence de cette institution,
en elle-même bonne et bienveillante. Ni la bonté, ni la
prescience, ni la puissance divine ne sont en cause;
c'est sur son fait, et non celui de l'homme qu'il faut
juger Dieu. Adv. Marc, il, 6, col. 291 sq.
Tertullien avait encore d'autres griefs contre le dua-
lisme matérialiste d'Hermogène. Avant même d'aborder
la thèse fondamentale de cet hérétique sur le caractère
intrinsèquement mauvais de la matière, il montre l'in-
compatibilité qui existe entre l'hypothèse d'une matière
incréée, et la vraie notion de Dieu; c'est méconnaître
celui-ci que de nier son indépendance absolue et de
communiquera la matière un attribut qui lui est propre,
c. n sq., P. L., t. il, col. 198 sq. Un raisonnement pré-
senté par Hermogène et la réponse qu'il reçoit méritent
une attention spéciale. Dieu, disait ie gnostique, a tou-
jours été non seulement Dieu, mais Seigneur, Deum
semper Deum etiam Dominum fuisse; comment se-
rait-il éternellement Seigneur, sans une matière qui
lui soit coéternelle et sur laquelle il puisse, en consé-
quence, toujours exercer un domaine actuel? Tertullien
répond : Les termes Dieu et Seigneur ne sont pas assi-
milables. Le premier convient à Dieu pris en lui-même
et pour lui-même, par conséquent toujours : Dei no-
men dicimus semper fuisse apud semetipsum et in
semetipso; et cela, parce qu'il désigne la substance
même de Dieu, ou la divinité: Deus substantim ipsius
nomen, id est divinitatis. (Contre la signification tirée
du verbe 6éeiv, voir Ad nationes, n, 4, col. 590 sq.) Il
en va tout autrement du mot Seigneur ; il ne désigne
pas la substance, il se rapporte à la puissance divine,
considérée non pas absolument, telle qu'elle fut tou-
jours en Dieu, mais relativement, dans son exercice,
temporel et contingent : Dominus vero non substantix,
sed potcstatis substantiam semper fuisse cum suo
nomine, quod est Deus, postea Dominus, accedentis
scilicet rei nientio, c. m, col. 199. Réponse perfectible,
assurément, mais, telle quelle, remarquable et d'une
grande portée, pour cette distinction fondamentale
entre les dénominations absolues et les dénominations
relatives qu'elle contient en termes équivalents. En
outre, cette réponse permet d'interpréter bénignement
la pensée de Tertullien dans deux passages où, s'aban-
donnant à une argumentation fougueuse contre Marcion,
il semble ne pas vouloir en Dieu d'une nature et d'une
bonté inactive. Adv. Marc, 1, 12, 22, col. 259, 271.
Cf. Petau, 1. III, c. n, n. 6.
De tout cet ensemble résulte une doctrine ferme et
précise sur beaucoup de points. Il y a pourtant des
exceptions; trois, en particulier, doivent être signalées.
Les théophanies de l'Ancien Testament sont toutes
rapportées à la seconde personne de la Trinité en des
termes qui rappellent la doctrine de saint Justin sur
la transcendance absolue de Dieu le Père, et même
sur son existence extracosmique, à ne considérer
que cette incise singulière : in quo omnis locus, non
ipse in loco ; qui universitatis ext renia linea est.
Adv. Praxeam, c. XVI, col. 175. Le correctif se trouve
dans les passages où Tertullien affirme non seulement
l'omniscience de Dieu, sub Deo omnium speculalore,
Apolog., c. xi.v, col. 500, mais encore son ubiquité :
Deum ergo exislimo ubique notuni, ubique prœsenlem,
ubique dominanlem. Ad nationes, il, 8, col. 595. L'ac-
centuation de la toute-puissance, identifiée avec la vo-
lonté divine : Dei enim posse, velle est, Adv. Prax.,
c. x, col. 100, garde quelque chose de vague, par trop
de généralité, comme dans cette assertion : Deo nihil
impossibilc,nisi quod nonvult, De carne Cltrisli, c. ni,
t. il, col. 756; ou quelque chose d'équivoque, par la
hardiesse de l'expression, comme dans cette autre phrase,
dite de Dieu le Père, et que Petau, 1. Y, c. vi, n. 6,
serait tenté de prendre pour une réponse ad hominem :
Sivoluit semetipsum sibi filium facere, potuit. Adv.
Prax., ibid. Par ailleurs, Tertullien tient que tout
est raisonnable en Dieu :«tcu/ naluralia,ita rationalia
esse debere in Deo omnia, Adv. Marc, i, 23, col. 272;
et il affirme expressément qu'en réalité Dieu n'a pas
fait tout ce qu'il aurait pu faire : Non autem quia
omnia polesi facere, ideo ulique credendum est illum
fecisse, etiam quod non fecerit ; sed an fecerit, requi-
rendum. Adv. Prax., ibid. Les textes ambigus peuvent
donc signifier simplement, comme on l'a déjà dit pour
Atbénagore, que Dieu peut faire tout ce qui rentre dans
l'orbite normale de sa volonté.
Beaucoup plus délicate est la question de la spiritua-
lité divine : Quis negabit Deum corpus esse, etsiDeus
spiritus est? Spiritus enim corpus sui generis in sua
ef/igie. Adv. Prax., c. vu, col. 162. Ainsi « Dieu est
corps, bien qu'il soit esprit; car l'esprit, en sa propre
forme, est un certain corps. » Assertion complexe et
déconcertante, d'autant plus que des deux séries de
textes relatifs au mot spiritus, qu'on trouve dans Ter-
tullien, les uns rangent les esprits dans la catégorie
des corps, et les autres décrivent leur nature et leur
opération en termes d'un matérialisme prononcé. Voir
A. d'Alès, p. 61 sq. A la vérité, le docteur africain nous
avertit de ne pas confondre Dieu et l'homme sous le
rapport de la substance, des facultés, des sentiments,
quoiqu'on les désigne sous le même nom dans la
sainte Écriture, « Ainsi, nous entendons parler de la
droite, des yeux, des pieds de Dieu, mais il ne s'en-
suit pas qu'on les compare aux organes qui, chez nous,
portent le même nom. Autant le corps de Dieu diffère
du corps de l'homme, quanta erit diversitas divini
corporis et humant, malgré la similitude du langage,
autant les sentiments de Dieu diffèrent des sentiments
de l'homme. » Adv. Marc, n, 16, col. 303. Dieu n'a
donc pas un corps comme le nôtre, ni des passions
comme les nôtres. Il n'en reste pas moins que l'ex-
pression de corps divin est maintenue dans ce pas-
sage et que, plusieurs fois, Tertullien suppose mani-
festement l'existence en Dieu du sentiment de la colère
et de la vengeance. Adv. Marc, i, 26; u, 16, col. 277.
304, etc.; cf. Petau, 1. III, c. il, n. 15. Ne faut-il voir
dans le terme latin de corpus qu'un synonyme de sub-
slance, de réalité , d'après l'explication proposée par
saint Augustin, De hxresibus, lxxxvi, P. L., t. xlii.
col. 46 sq., et suivie par beaucoup d'autres, spéciale-
ment par J. Pamelius, Paradoxa Tertulliani, n. 15 et
16, et par dom Le Xourrv. Dissert, in Apologeticum,
c. vu, a. 3, P. L., t. i, col. 192, 811 sq.'? Ou faut-il re-
connaître que Tertullien n'a pas réussi à se dégager
pleinement d'une conception matérialiste de Dieu, dont
l'existence à cette époque nous est garantie par divers
indices, en particulier par les attaques d'Origène?Tout
en faisant bénéficier Tertullien d'une interprétation
bénigne, Petau finit cependant, 1. II. c. 1. n. 7. par ac-
corder que son langage laisse à désirer. Les plus ré-
cents travaux sur l'apologiste africain ont montré tout
ce que la seconde hypothèse a de vraisemblable, soit
qu'on explique le fait uniquement par une inlluence
judéo-chrétienne, comme Stier, op. cit., p. 30 sq., soit
qu'on tienne compte, en outre, comme A. d'Alès,
p. 65, du fonds d'idées que Tertullien tenait de son
éducation première, stoïcienne. La conception de Dieu
comme summum magnum a même été rattachée à ce
courant d'idées par quelques écrivains, par exemple
G. Rausch, p. 43, et G. Schelowsky, p. 64. Voir biblio-
graphie à la fin de l'article.
c) Sa'uit Hippolyle de Rome n'offre rien de notable
sur la nature de Dieu, dans les œuvres qui portent son
nom. P. G., t. x, col. 583 sq. L'unité divine, maintenue
à la base de la Trinité, est fondée sur les saintes Écri-
1061
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1062
tures : Unus Deus est, quem non aliunde, fratres,
agnoscimus, quam ex sanctis Scripturis. Contra hse-
resim Noeti, n. 9, col. 815. La toute-puissance est très
fortement accentuée : Illud enim possibile, hoc vero
possibile, non dicetur de Deo. Liber adv. Grsecos,
n. 2, col. 799. La volonté divine, souverainement effi-
cace, immensm virtutis, De theologia et incarnat.,
n. 1, col. 830, est présentée comme acte pur : Velle
habet Deus, non autem non velle; l'alternative de ces
deux termes : vouloir et ne pas vouloir, suppose un
être mobile et qui procède par voie d'élection, hoc
enim vertibilis est et eligentis. Fragm., n, col. 862.
Les Philosophumena, composés après le pontificat de
saint Callixte (f 222), et communément attribués à saint
Hippolyte, ajoutent quelques traits; carie dessein de
montrer que les élucubrations des bérétiques dérivent
de la sagesse antique, amène l'auteur de ce livre à par-
ler çà et là des conceptions erronées sur Dieu qu'il
rencontre ou croit rencontrer chez les principaux phi-
losophes païens. Sa critique n'est pas toujours sans
appel, par exemple quand il voit dans le Dieu-néant de
Basilide un fruit de l'abstraction aristotélicienne, 1. VII,
n. 19, 21, P. G., t. xvi, col. 3302 sq. A ces erreurs il
oppose, 1. X, n. 32, col. 3445, la notion d'un Dieu
unique, créateur et maître de toutes choses, qui n'a eu
rien de coéternel, sauf dans sa prescience et sa volonté.
11 engendra son Verbe, d'abord à l'état de pensée inté-
rieure, puis comme une voix extérieure, quand il vou-
lut créer par son entremise. Comparer Contra hsere-
sim Noeli, n. 10, P. G., t. x, col. 818. La création,
œuvre du Dieu bon, ne contient rien que d'honnête et
de bon, bonus enim qui facit; l'homme, abusant de
son libre arbitre, cause le mal, dont l'existence est
accidentelle, quod ex accidenti perficilur, cum sit
nihil, nisi facias. L'accentuation de la puissance et de
la volonté divines atteint, dans ce passage, n. 33,
col. 3i49, des limites invraisemblables; l'auteur dit
de Dieu faisant l'homme : Si Deum te voluisselfacere,
poterat ; habes Logi excmplum, supposition manifes-
tement incompatible avec la consubstantialité du Verbe
et d'ailleurs absurde, s'il s'agit de la divinité au sens
propre du mot.
d) Saint Cyprien iy 258,1 n'a pas sur Dieu d'ensei-
gnemenT spéculatif, sauf un passage du traité Quod
uiolanon sinl dii, c. VIII et ix, P. G., t. iv, col. 575 sq.
L'unité divine y est fondée sur l'argument populaire,
tiré du bon gouvernement du monde, mundi unus
rector, et du témoignage spontané de l'âme humaine :
Nam et vulgus Deum naturaliter confitetur, et mens
et ayiima sui auctoris et principis admonetur. Com-
parer Episl., I, ad Donalum, n. 14, col. 221 : Postquam
auctorem suum, cselum initient, anima cognovit.
Dieu est décrit comme invisible, insaisissable, inappré-
ciable, et cela dans des termes identiques à ceux que
nous avons rencontrés chez Minucius Félix et chez
Tertullien. Dieu est répandu partout : ubique lotus
diffuiuê est, ou, suivant l'édition Martel, t. i, p. 26,
ubique ipse diffusas est. Nulle explication ultérieure
de l'ubiquité divine; le saint docteur y voit plutôt une
vérité d'ordre pratique et moral, la présence et l'oinni-
science allant de pair : Ut sciamus Deum ubique esse
prœsentem, audire omnes et videre, et majestalis suœ
plenitudine in abdita quœque ri occulta penelrare.
De orat. domin., n. 4, col. 521. Cf. De lapsis, n. 27.
.-8: De morlalitate, n. 17, col. 594. L'idée de la
providence suit naturellemi m. rien n'échappe à la vo-
lonté divine, pa plus qu'à sa sc-imee : nisi si hœc
\gnaro Deo >i<sia $unt,aut non permittente Mo onmia
ittaevenerunt. h. ,.,, . ., n. 21, col. 183. (.(.Ad Deme-
l> "inum, ri. 5. COl
D'autres attributs divins apparaissent, Incidemment
énoncés >.., BUpp . l'éternité ri l'immutabilité :
I cum qvtnni,, ,,,, ipU quod , i $emper i>nt <-t e$te
non desinil? De orat. domin., n 13, col. 527; la toute-
puissance : Nam Deo quis obsistit quominus quod
velit faciat? ibid., n. 14, col. 528; notre absolue
dépendance à l'égard de Dieu : Dei est, inquam, Dei
est omne quod possumus. Inde vivimus, inde polle-
mus, inde sumpto et conceplo vigore... Sit tantum
timor innocentiez custos, ut, qui in mentes nostras
indulgentiiB cselestis allapsu elementer Dominus in~
fluxit, in animi oblectanlis hospilio justa obtempera-
tione teneatur. Epist., i, n. 4, col. 202. Voir dans ce
passage l'écho d'une conception panthéistique (Rettberg),
ou je ne sais quelle idée d'une union « magico-phy-
sique » avec Dieu (G. Morgenstern), c'est par trop arbi-
traire. Arbitraire également, de prétendre relier à une
conception matérielle de la divinité les expressions an-
thropomorphiques dont Cyprien se sert couramment,
par exemple, quand il parle du baiser du Seigneur, ou
des prières qui arrivent aux oreilles de Dieu, ou des
chrétiens qui combattent sous ses yeux. Pures manières
de parler, populaires et imitées de la sainte Écriture.
L'évêque de Carthage, apôtre avant tout, ne pouvait
manquer de mettre en relief les attributs divins d'ordre
moral, la bonté, la miséricorde, la piété du Père qui
est aux cieux; il le fait à propos de Matth., vu, 9 sq.,
en des termes qui font de Dieu la bonté, la miséri-
corde, la piété même : Quanto magis unus Me et verus
pater bonus, misericors et pius, immo ipse bonitas et
misericordia et pietas lœtatur psenitentia fdiorum
suorum. Epist., x, ad Anlonianum, n. 10, P. L.,t. m,
col. 789. La bonté, toutefois, n'exclut pas la justice :
Deus, quantum patris pietale, indulgcns semper et
bonus est, tantum judicis majestate metuendus est.
De lapsis, n. 35, t. iv, col. 492.
e) Novatien, prêtre romain, composa, vers le milieu
du iif* siéTrTe"; avant de devenir schismatique, son livre
De Trinitate, dont les dix premiers chapitres portent
directement sur Dieu. P. L., t. m, col. 885 sq. Pour le
genre comme pour la doctrine, il rappelle Tertullien
dont il s'est servi, mais en s'inspirant aussi d'autres
auteurs. Il part de la croyance catholique « en Dieu
Père et Seigneur tout-puissant, c'est-à-dire créateur
parfait de toutes choses, » c. i, col. 886. Le créateur
nous est représenté comme contenant tout, veillant
incessamment sur son œuvre et allant partout, intentus
semper operi suo, et vadens per omnia ; il meut tout,
vivifie tout, voit tout. Il est sans commencement ni lin,
immense, éternel, immortel, absolument indépendant,
c. n, col. 889; seul bon dans toute la force du terme,
toujours semblable à lui-même, immuable (d'après
Exod., m, 14), souverainement grand, infini, et, comme
tel, nécessairement unique : quoniam nec duo infinita
esse possunt, ut rcrum dictât natura, c. iv, col. 893.
Il est partout, et tout entier partout, lotus ubique est,
c. vi, col. 896.
Invisible à nos yeux, il se manifeste à notre esprit par
la grandeur, la puissance et la majesté de ses œuvres,
c. III, col. 891. Mais notre connaissance ne va pas jus-
qu'à pénétrer Dieu dans son être intime, ni ses pro-
priétés et ses attributs dans toute leur étendue et leur
nature : De hoc ergo, ac de iis quœ sunt ipsius et in eo
sunt, nec mens hominis quœ tint, quanta sinl et qua-
Hasim. digne concipere potest. El de même Dieu esl
ineffable; d'où cette phrase caractéristique, dont il
serait facile d'exagérer le sens et la portée : Senlire
enim illum laciti aliqualenus possumus; ut autem
ipse est, sermunr explicare non possumus, Aium-
quand il s'agit d'énoncer Dieu tel qu'il est, notre Im-
mee • si absolue . Novatien en donne cette raison
générale, rencontré! ■ ! éj > chei Théophile d'Antioche ;
tous les termes qui sont à notre usage, par exemple
ceui de lumière, de vertu, <\<- majesté, expriment
plutôt une créature, un effel de la puissance divine,
que Dieu lui-même. D'ailleurs, comment pourrions
10G3
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1004
nous énoncer Dieu tel qu'il est, puisqu'il nous est im-
possible de le concevoir ainsi? Les noms dont nous
nous servons expriment les choses suivant l'idée que
nous nous en formons ; or, Dieu dépasse tout ce que nous
pouvons connaître de plus sublime et de plus relevé :
qui est sublimitate omni sublimior et altitudine omni
altior, c. II, col, 890; c. VII, col. 897.
Mais cette impuissance d'énoncer et de concevoir
Dieu tel qu'il est en lui-même, n'exclut pas une connais-
sance moins parfaite: sentire illuni tacili aliquatenus
possumiis. Novatien ne développe pas davantage sa
pensée, mais il est facile de voir, par ce qu'il dit en-
suite, c. in, col. 891, que cette connaissance inférieure
répond à la manifestation que Dieu nous fait de ses
propres perfections par la grandeur, la puissance et la
majesté de ses œuvres. Rom., I, 20.
En ce qui concerne la spiritualité divine, Novatien
est en progrès sur Tertullien. Non seulement il ne se
sert jamais du mot corps en parlant de Dieu, mais il
le proclame simple, d'une simplicité qui exclut tout
élément corporel : est enim simplex, et sine ulla cor-
porea concrelione, c. v, col. 895. Le langage anthro-
pomorphique de la sainte Écriture doit s'entendre mé-
taphoriquement; les écrivains sacrés se sont mis à la
portée du vulgaire, c. VI, col. 895 sq. Moins nette, ce-
pendant, est la doctrine de Novatien relativement à
certains sentiments, comme la colère et l'indignation,
parce qu'il n'explique pas en quel sens ces sentiments
s'appliquent à Dieu, proprement ou métaphoriquement;
il se tient plutôt sur le terrain négatif, en les écartant
de Dieu tels qu'ils sont en nous, avec les imperfections
qui viennent de notre nature corruptible : corrumpi
enim per hsec homo potest, quia corrumpi potest;
corrumpi per hsec Deus non potest, quia nec cor-
rumpi potest, c. v, col. 89i. Cf. Petau, 1. III, c. il, n. 15.
f) ArnQ^eet Laclance, le maître et le disciple, ori-
ginaires d'Afrique et rhéteurs de profession, se présen-
tent au début du IVe siècle comme des convertis qui se
font les apologistes de leurs nouvel les croyances ; Arnobe,
en Numidie, où il écrivit ses controverses Adversus
gentes, P. L., t. v, col. 713 sq.; Lactance, à Nicomédie
et à Trêves, où il publia son œuvre maîtresse des Divinse
institutiones, P. L., t. VI, col. 111 sq., complétée peu
après parle petit traité De ira Dei, P.L., t. vu, col. 79 sq.
Vigoureux polémistes, mais philosophes éclectiques et
littérateurs avant tout, ce ne sont pas des docteurs
de l'Église. Les erreurs doctrinales qu'on a signalées
dans leurs écrits et qui sont réelles, n'engagent qu'eux-
mêmes; on doit cependant présumer que leurs con-
ceptions et leurs difficultés ne furent pas sans écho
dans les milieux intellectuels où ils se formèrent et vé-
curent, suivant la remarque appliquée au premier par
E. F. Schulze, Das Uebel in der Welt nach der Lehrc
des Arnobius, léna, 1896, p. 42. Leur théodicée, consi-
dérée dans les points communs et les points divergents,
peut servir d'épilogue naturel à la période patristique
que nous venons d'étudier, en montrant ce qui était
définitivement acquis et ce qui, resté obscur, insuffi-
samment élucidé ou non défini, s'agitait encore de
leur temps.
L'existence de Dieu et sa providence sont pour les
deux apologistes une vérité naturelle, qui s'appuie sur
le consentement du genre humain, la voix de la con-
science et le témoignage du monde extérieur. Adv. gent.,
1. II, c. n, col. 814; lnstit., 1. I, c. Il; 1. II, c. L ; 1. VI,
c. vin, t. vi, col. 121, 255, 660. Dieu, qui échappe à
tous nos sens, tombe sous les yeux de l'âme, grâce à
ses œuvres si grandes, si merveilleuses : mentis oculis
inluendus, cum opéra cjus prœclara et miranda videa-
mus. lnstit., 1. VII, c. ix, t. VI, col. 764. A noter, chez
Lactance, la preuve spéciale qu'il tire, en faveur de la
providence, de l'admirable organisation du corps hu-
main, dans le livre De opi/icio Dei, P. L., t. vu,
col. 9 sq. Voir Mar Freppel, Commodien, Arnobe, Lac-
taire et autres fragments inédits, VI« leçon, Paris,
1893. Arnobe, de son coté, est peut-être l'écrivain ecclé-
siastique qui ait le plus fortement accentué le carac-
tère naturel et comme instinctif de notre connaissance
de Dieu. Douter en cette matière, c'est, à ses yeux, un
acte de folie furieuse, hoc enim furiosx restât insanix ;
car l'idée de Dieu s'attache à l'homme dès le premier
instant de son existence et comme dès le sein de sa
mère. Adv. gent., 1. I, c. xxxi, xxxin, col. 756, 757.
Expressions qui sont cependant beaucoup plus du rhé-
teur que du philosophe; dans d'autres endroits, Arnobe
parle en des termes qui supposent, comme intermé-
diaire, la considération des créatures et qui semblent
exclure l'hypothèse d'une idée strictement innée. Voir,
en particulier, les passages où il évoque en faveur du
vrai Dieu le témoignage d'un enfant, où il réfute la
théorie de la réminiscence platonicienne, où il pro-
pose et développe le cas d'un enfant qui croîtrait en
dehors de toute éducation intellectuelle et morale. Ibid.,
1. II, c. n, xix-xxi, col. 814 sq., 840 sq. Cf. Schwane,
op. cit., t. i, p. 105.
La notion qui répond à cette connaissance naturelle
de Dieu est la notion vulgaire d'un premier principe
et maître suprême, ou d'un témoin et juge souverain
de nos actions. Adv. gent., 1. I, c. XXXIII ; 1. II, c. il,
col. 757, 815. L'unité de Dieu, du vrai Dieu, n'est pas
spécialement développée par Arnobe, mais constam-
ment supposée inséparable de cette notion. Lactance,
au contraire, démontre longuement cette vérité, en se
servant généralement des mêmes arguments que les
apologistes plus anciens et en empruntant comme eux
force témoignages non seulement aux prophètes, mais
encore aux poètes et aux philosophes, lnstit., c. m-
vn, col. 122 sq. Il utilise aussi la preuve philoso-
phique qui se tire de l'absolue perfection de Dieu :
Deus autem, qui est xierna mens, ex omni utique
parle perfectx consummatseque virlutis est ; d'où
cette conclusion : Deus vero, si perfectus est, ut esse
débet, non potest esse nisi unus, ut in eo sint omnia.
Ibid., c. ni, col. 123. L'unité divine étant si clairement
admise, les expressions, familières aux deux rhéteurs
africains, de Deus princeps, Deus primus ou Deus
summzts, ne peuvent avoir qu'un sens relatif, ad ho-
mineni, par allusion aux croyances de leurs adver-
saires. Les difficultés que présente ici la théodicée
d'Arnobe et qui viennent de passages relatifs à la pro-
duction de l'âme humaine et de certains êtres inférieurs
ou à l'existence du mal en ce monde, Adv. gent.. 1. II.
c. xxxvi, xlvii, Liv, col. 866, 888, 895 sq.. ne se rapportent
pas directement à l'unité de Dieu, mais à l'universalité
de son action créatrice et providentielle. Voir, sur le
sujet, la dissertation de dom Le Nourry, c. vu. a. 1,
5; c. ix, a. 2, P. L., t. v, col. 458 sq., 480 sq.
Dieu est ineffable et incompréhensible pour tout
autre que lui-même, lnstit., 1. I, c. vin; cf. Epilome
inslit., c. m, col. 513, 1022. Doctrine extrêmement
accentuée chez Arnobe. Par rapport à Dieu, le langage
humain est incapable de rien dire ni de rien exprimer:
de quo nihil dici et exprimi mortalium polis est si-
gni/icatione verborum. Pour le comprendre, il faut
faire trêve de paroles et, silencieusement, chercher à
concevoir, semblable au voyageur qui tâtonne dans
l'obscurité : gui ut inlelligaris, tacendum est, atque,
ut per umbram le possit errons investigare suspicio,
nihil est omni no mutiendum. Adv. gent., 1. I,c.x.\\i.
col. 756. Affirmations singulièrement absolues dans
leur teneur littérale, mais dont un autre passage per-
met de déterminer la réelle portée : Tout ce que nous
disons de Dieu, tout ce que nous en concevons, prend
un sens humain qui le corrompt en quelque sorte et
ne lui laisse jamais, par rapport à Dieu, la valeur d'une
signification propre, in hunianum transita et corrum-
1065
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES^
1066
pitur sensum, nec habet proprise significationis no-
tant, lbid., 1. III, c. xix, col. 962. Arnobe parle donc,
comme ses devanciers, d'une idée qui représenterait ou
d'un nom qui exprimerait Dieu proprement, tel qu'il
est en lui-même. C'est dans le même esprit, pour nous
donner une haute idée de l'éminence et de la transcen-
dance divines, qu'il ajoute : i'nus est hominis inlelle-
ctus de Dei natura certissimus, si scias et sentias nihil
de Mo posse mortali oratione depromi.
Du reste, les deux apologistes ne se contentent pas
plus que leurs devanciers de cette simple énonciation :
Dieu existe. S'ils ne définissent pas l'Ineffable, ils
tracent quelques-uns de ses traits essentiels. Arnobe le
décrit comme la cause première, dont nous dépendons
totalement dans notre être, notre vie, nos opérations
les plus intimes; comme le fondement de ce qui existe,
infini lui-même, incréé, immortel, éternel, tout-puis-
sant, omniscient, souverainement sage et juste, source
de toute bonté. Adv. gent., 1. I, c. xxxi; 1. II, c. il,
xxxv, xlvi, col. 755, 814, 863 sq., 886. Lactance pro-
clame à diverses reprises les grands attributs de la
divinité : incorruptibilité, impassibilité, éternité, toute-
puissance qui n'a besoin pour agir ni d'instruments ni
de matière préexistante, indépendance absolue, souve-
raine béatitude, bonté plénière d'où dérivent tous les
biens, et non pas les maux. Jnstit., 1. I, c. m; 1. II,
c. ix ; 1. VI, c. vi, col. 127,300, 302, 453.
L'indépendance absolue, appliquée à l'être divin, se
confond avec l'aséité, l'àYevvY|<rtoc des Grecs. Arnobe la
rend simplement par l'épithète d'ingenilus. Lactance
est plus expressif. Il ne conçoit pas seulement cette
propriété sous l'aspect négatif qu'expriment les termes
àviv/vo; ou àitotr,Toc, quod origo illi non sit alhtnde,
quia non est aliunde generalus, carens origine, lnstit.,
1. I, c. vu; 1. II, c. ix; 1. IV, c. xxix, col. 152,302,
540; il la conçoit encore sous l'aspect positif que
disent les termes aÙToçiiTjç, a-JTo- ;£■//,;, ex seipso est; ce
qui est légitime en un certain sens. Seulement, par-
tant d'un principe qui s'applique aux êtres créés et
sous l'inlluence de philosophes païens, comme le
prouvent ses citations, il arrive à la conception singu-
lière, renouvelée de nos jours, d'un Dieu gui se crée
lui-même : Verum quia fieri nonpotest, quin id quod
sit, aliqnando esse cceperit, consequens est, ut</iiando
nihil ante illum fuit, ipse anle omnia et ex seipso sit
procreatus. lbid., 1. I, C. VU, Le sens de causalité effi-
ciente que Lactance attribue aux dernières paroles,
ressort nettement de ces autres, qu'il emprunie à
Sénèque : Dcus ijisese fecit. Plus loin, il dira de Dieu,
qu'étant de lui-même, il est ce qu'il a voulu être : Ex
se ips<> est, ut m primo diximus libre, et iiieo talis.
qualem se esse votait. lnstit., 1. II, c. îx, col. 302. Sur
les essais tentés pour justifier ces expressions, voir
.1. Geret, Spécimen examinis theologim Lacinntiame,
p. 4 sq. Les grands docteurs de I Église, saint Augustin
en particulier, les rejetteront, pour la fausse notion
qu'elles supposent.
L' incorporante divine est expressément soutenue par
Arnobe. Dieu n'a pas de forme corporelle et n'est pas
circonscrit dans l'espace; il est. dénué de tout ce qui
l'attache à l'idée de corps ou de lieu, comme la quan-
tité, la qualité, la position, le mouvement, la manière
d'être (accidentelle queni nulla delineat fi
ilis, nulla déterminât circumscriptio, qualitatif
r$, quanti talis, sine situ, molu et /in'»/». Adv.
W>it.. I. I, c. XXXV, col. 755 sq. Il raille ers dieUX du
inisme, au i m varié, qui se multipliaient par oii
de génération charnelle; il rejette la conception juive
idducéenne qui ans aller jusque-là, attribuait
ndanl à la divinité une formi Ile, lbid.,
I III. c. vin. i\, xii. etc., col 946 q Si Dieu
entend, ^ il parle s'il vo\ Dtes, ce n'esl
rément pa i notre façon, lbid., c. wni, col. 96i,
Dans le même courant d'idées, Arnobe écarte de la
divinité tous les mouvements de l'âme que les stoïciens
de son temps désignaient sous le nom d'affeclus, en
particulier la colère et l'indignation, 1. I, c. xviii,xxm :
dii veri... neque irascunlur,neque indignanlur ;\. VII,
c. v : universos animorum affectus ignotos diis esse,
conseclaneum est credere, col. 739, 743, 1224. Mais si
Dieu est incorporel, n'a-t-il pas du moins une forme
quelconque? La réponse de l'apologiste rappelle les
deux manières de parler que nous avons déjà rencon-
trées : Si veram vultis audire sentenliam, aut nullam
Dcus habet formam, aut si informatus est aliqua,
ea quœ sit, profecto nescimus, 1. III, c. XVII, col. 961.
Ainsi, Dieu n'a pas de forme; ou, s'il en a une, nous
ignorons pleinement ce qu'elle peut être.
Lactance, comme Arnobe, affirme la spiritualité
divine, mais en mêlant à cette affirmation générale
des vues particulières qui l'obscurcissent et ont fait
dire à Petau, 1. III, c. il, n. 16, que le disciple est resté,
sur ce point, beaucoup au-dessous du maître. L'auteur
des Institutions écarte bien de la divinité toute idée de
propagation par voie de génération charnelle et, au
même titre, l'idée de substance corporelle que ce mode
de propagation suppose, quod sine substanlia corpo-
rali nullum polest esse,\. I, c. vin, col. 154. Il ne veut
pas d'offrandes corporelles pour celui qui est incorpo-
rel : non clebere incorporali corporale munus offerri,
1. VI, c. xxv, col. 278. Dieu est une intelligence divine
et éternelle, exempte et libre de corps : divina et
œterna mens a corpore soluta et libéra, 1. VII, c. m,
col. 741. Lactance se sert même de cette notion pour
rendre croyable la survivance de l'âme humaine après
la mort : Quod si est Deus et incorporalis, et invisi-
bilis, et selernus, ergo non ideirco interire animant
credibile est, quia non vitlelur, poslquam recessit a
corpore. lbid., c. IX, col. 765.
Langage qui bannirait tout doute raisonnable, si le
même auteur ne revendiquait pas pour Dieu, dans
d'autres endroits, des propriétés et des sentiments qui,
prisa la lettre, s'accorderaient difficilement avec l'idée
d'une spiritualité et d'une simplicité absolues. Il désap-
prouve nettement ceux qui ne voulaient pas attribuer
de figure à Dieu ni entendre parler d'o/f ections divines :
qui aut figurant negant liabere ullam Deum, mit nullo
affectu commoreri pu tant. De ira Dei, c. Il, t. vu,
col. 821. Le premier point n'étant pas développé, omitlo
de figura Dei dicere, ibid., c. xviu, col. 134, on peut
se demander si Lactance prétendait prendre les mots
de forme et de figure au sens propre ou d'une façon
plus vague et plus générale; mais il n'en est pas de
même de l'autre point.;
Le traité De ira Dei n'est qu'une thèse tendant à
démontrer que la colère à l'égard des méchants n'existe
pas moins en Dieu que l'amour à l'égard des bons : Si
Deus non irascitur im/iiis et injustis, nec pios ulique
juslosque diligil, c. v, col. 90. Le rhéteur africain sou-
tient cette thèse contre deux sortes d'adversaires
d'abord, les épicuriens qui rêvaient d'un Dieu apa-
thique, confiné dans sa propre quiétude, indifférent
pour le bien comme pour le mal, inaccessible à l'amour
,,,iniiM :, I a col l'égard des créatures; <mi„i enim
quidam, nec gratificarieum cuit/i "'■ I""--
ceux des Btolciens ou dos platoniciens qui distinguaient
entre la bonté ou l'amour bienfaisant, admis en Dieu,
,i i.i exilera, exclue par eux : n'" vero iram tolluni,
,,,, relinquunl /'<••<, c. m, col. 83. Pour réfuter
. il suffisait de montrer, i o i - spo
logiates précédents l'avaient fait, que la perfection même
de Dieu el la notion de la provldem iii ni en lui
la bonté et. h- péché existant, la justice vindicative.
B pins loin . il InauU» sur le sentiment de
la coléra, conçue •< définie '"111111.' mouvement de
1 , iprii qi intra le péché, pour le refrém r
1007
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1068
ira est moins animi ail coercenda peccala insurgenlis,
c. xvn, col. 131. En face du mal, Itieu ne peut pas ne
point ('prouver ce mouvement d'opposition et de réac-
tion; aussi la colère a-t-elle en lui sa raison d'être :
non est cnim fas eum, cum talia fieri videat, non
nwveri et insurgere ad ultioncm sccleralorum , c. xvi,
col. 125.
La thèse ainsi entendue va-t-elle seulement contre
les philosophes anciens, ou n'atteint-elle pas aussi les
chrétiens qui, comme Arnohe, ne voulaient pas en Dieu
ù'afjeclions proprement dites'.' L'auteur du traité De
Deo uno, dans la théologie de W'urzbourg, observe,
n. 40, queLactance distingue, au dernier endroit, entre
affections et affections. Il y en a de vicieuses, vitioruni
aff'ectus, comme la passion déréglée (libido), la crainte,
l'avarice, la tristesse, l'envie; et il y en a de vertueuses,
qui sunt virtutis, comme la charité à l'égard des bons,
la compassion à l'égard des affligés, et de même la
colère à l'égard des méchants. Seules les affections du
second genre conviennent à Dieu; elles lui conviennent
par analogie et considérées dans leur effet, quoad effe-
ctum et simililudinem, en ce sens que Dieu punit le
pécheur pour l'amender, comme un père justement
irrité punit son fils désobéissant; mais ce n'est pas à
dire qu'elles lui conviennent proprement et considérées
comme affection physique ou dans ce qu'elles ont de
défectueux en nous, quoad affectum scu hujus natu-
ram aut imperfectionem et secundum proprie ta tem ,
Une distinction semblable parait suffisante à dom
Le Nourry, dans sa dissertation sur Arnobe, c. vu, a. 3,
P. L., t. v, col. 456 sq., pour éviter toute opposition
réelle entre cet apologiste et son disciple. Petau se
montre moins facile, 1. III, c. n, n. 14, et à bon droit.
La distinction entre les affections vicieuses et les affec-
tions vertueuses est bien de Lactance, mais l'autre n'est
pas dans son texte; on y lit plutôt le contraire, car,
bien que cet auteur chrétien n'attribue pas à la colère
divine tout ce qui se trouve dans la colère humaine,
par exemple le caractère transitoire ou défectueux de
l'affection, c. xxi, col. 139, il dit néanmoins de Dieu :
eos autem (affectus), qui sunt virtutis, id est, ira in
malos, caritas in bonos, miseratio in af/lictos, quo-
niam divina potestate sunt digna, proprios et justos
et veros habet, c. xvi, col. 126.
C'est précisément parce que Lactance n'a pas fait la
distinction nécessaire, que sa doctrine est restée à tout
le moins incomplète et équivoque : soit qu'il ait conçu
personnellement la colère comme une affection d'ordre
purement spirituel; soit qu'il n'ait pas eu de la spiri-
tualité ou de la simplicité divine une notion assez
rigoureuse. Les écrivains modernes qui se sont occupés
de la théodicée de Lactance, confirment généralement
cette dernière hypothèse par une double observation.
Le terme d'incorporeus ne signifie pas nécessairement,
chez cet apologiste, ce que nous entendons par pur
esprit, par exemple dans le De opi/icio Dei, c.xi, t. vu,
col. 49 : spirilus, qui est incorporalis ac tenuis. Le mot
spiritus, appliqué par Lactance aux démons et à l'âme
humaine, se trouve accompagné d'épithètes qui en
diminuent la force, comme dans Instit., 1. II, c. xv,
col. 333 : spirilus tenues; 1. VII, c. xx, col. 800 : ani-
ma... quia spiritus est ipsa tenuitate incomprehensi-
bilis; cf. c. xn, col. 771, 772.
Une dernière question se présente, où la doctrine
des deux rhéteurs mérite d'être rapprochée : celle de
la présence de Dieu dans le monde. Au principal endroit
où il parle de l'Être suprême, Adv. gent., 1. I, c. xxxi,
col. 755, Arnobe l'appelle : locus rerum ac spatium,
le lieu et l'espace universel, expression empruntée à
la philosophie antique et dont Théophile d'Antioche
s'était déjà servi. Mais comme cet apologiste énonce, au
même endroit et dans les termes les plus absolus, la
transcendance de Dieu par rapport au lieu et à l'espace,
il est impossible de prendre l'expression au sens propre
ou matériel; on ne peut y voir que l'affirmation de
l'immensité divine, contenant et débordant toutes choses.
Pour lui, d'ailleurs, l'immensité ne va pas sans l'ubiquité;
car c'est le propre du vrai Dieu non seulement d'entendre
tout ce qui se dit et de voir, de prévoir même les pensées
les plus intimes, mais d'être toujours et tout entier par-
tout, lbid., 1. VI, c. iv, col. 1170.
Lactance n'affirme pas moins nettement la préroga-
tive en vertu de laquelle Dieu, souverain juge, voit toutes
choses el en est le témoin : maximus et aequissimus
judex, spécula tor actestis omnium. Instit.,]. VI, c. xvm,
col. 699. La présence métaphorique, dite de puissance
et d'opération, est également manifeste; mais il n'en
est pas de même de la présence au sens propre, la pré-
sence substantielle. Traitant du siège de l'àme humaine,
il conclut que, dominant sur le corps, elle réside au
sommet de la tête, comme Dieu au ciel, tanquam in
cxlo Deus. Remarquant ensuite que l'àme, bien qu'atta-
chée au corps, a la puissance de se représenter et de
parcourir en un clin d'oeil des espaces indéfinis et le
ciel entier, il en tire celte réllexion : « Comment donc
s'étonner que l'esprit divin puisse parcourir l'univers
entier, et, présent partout, répandu partout, le régir
et le gouverner ? » De opificio Dei, c. xvi, t. vu, col. 65 sq.
Comparaison qui, de soi, n'entraine que la présence
dite de science et de puissance. L'obscurité ne dispa-
raît pas pleinement dans les Institutions Lactance y
parle de Dieu, « dont l'esprit et la puissance, répandus
partout, sont toujours présents, cujus spiritus ac nu-
men ubique diffusum, abesse nunquampotest, » 1. II.
c. Il, col. 259. Il montre « l'esprit de Dieu répandu par-
tout et contenant toutes choses, sans que Dieu lui-même
soit mêlé aux éléments pesants et corruptibles; non
tamen ita ut Deus ipse, qui est incorruptus, gravibus
et corruplibilibus elementis misceaiur, 1. VII, c. m.
col. 743.
Ces textes sont, à la rigueur, susceptibles d'une in-
terprétation bénigne; car, de ce que l'apologiste dis-
tingue Dieu de son esprit ou sa vertu, il ne s'ensuit
pas qu'il les oppose ou les divise objectivement. Dans
le dernier texte, en particulier, il est possible, suivant
la juste remarque de Petau, 1. III, c. vu, n. 6, que
Lactance ait voulu seulement rejeter une présence
panthéistique, à la manière des stoïciens qui confon-
daient Dieu et le monde; conception qu'il avait rejetée
au début du chapitre, col. 741. Quoi qu'il en soit,
sur ce point comme sur plusieurs autres dont il a été
précédemment question, il y avait lieu à progrès, pour
la netteté, la fermeté et l'universalité delà doctrine.
Auteurs catholiques. — Dom B. Maréchal, op. cit., t. I, Il ;
G. Lumper, op. cit., t. VI, vu, xi; J. Schwane, op. cit., t. i,
S 20; dom X. Le Nourry, O. S. B., Dissert, in Marei Minuta
Felicis librum qui Oclavius inscribitur, c. m-vi, P. L., t. m,
col. i09sq.\Dissertatioin Q. Septimi Florentis TertulUani Apc-
logeticum,duosadNationesIibroset unumadScapulam. c.vn,
P.L., t. I, col. 705 sq. ; Dissertatio de Cijpriani libris ad De-
metrianum, et de idolorum vanitate, c m. a. 2, P. L., t. IV,
col. 992; Dissertatio prsevia in septem Arnobii disputationum
adversus gentes libros, c. vu, P. L., t. v. col. 451 : Pvsefativ
in Lactantium, n. 11 sq.; Censura in Lactantium ; Disserta-
tio de septem divinarum Institutiununt libris, c. m, a. 4,
P. L.,t. v, col. 451, 85 sq., 882; O. Grillenberger, Studien ;nr
Philosophie der patristischen Zeit. I. Der Octavius des
M. Minucius Félix, keiue heidnisch-philosophische Auffassung
des Christentutns, dans Jahrbuch fur Philosophie und speku-
lative Théologie, 3' année. Paderborn, 1889, p. 104, 146, 260,
passim; G. Boissier, La fin du paganisme, t. I, I. III, c. n :
L'« Octavius » de Minucius Félix, 3' édit., Paris, 1898, p. 276.
284; J. A. Canova, De septimo Tertulliano et S. Epiphanio,
dissertationes dux, theologico-criticse, in quibus anthropo-
morphisme neutrum laborasse demonstratur, et tnulta ad
anthropomorphitarum historiam pertinentia ditucidantur,
Milan, 17G3; A. d'Alès, La théologie de Tertullien, c. II, Paris.
1905; J. Turmel, Tertullien, II' part., c. v; IV' part., c. i,
Paris, 1905: A. d'Alès, La théologie de saint Hippolyte, Paris.
1069
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES]
1070
1906, p. 30, 102; M. Thurnhuber, 0. S. B., Die vorz'âglichsten
Glauberislehren in den Schriften des hl. Bischofs und Mâf-
tyrers Cyprianus von Cartliago. Eine patristische Studie
(Programme de cours), Augsbourg, 1890; G. Lumper, Disserta-
tio de Novatiano, c. m, a. 1, P. h., t. m, col. 878 sq.
Non catholiques. —A. Harnack, op. cit., t. i, p. 529 sq., 584
sq. ; R. Kiihn, Der Octavius des Minucius Félix, eine heid-
niscli-philosophische Auffassung vom Ckristenthum, Leipzig,
1882, p. 25 sq., 56; J. Stier, Die Gottes-und Logoslehre Tertul-
lians, Gœttingue, 1899; première partie en tiré à part, sousle titre
de Der specielle Gottesbegriff Tertullians, ibid. ; F.. F. Schulze,
Elemente einer Theodicee bei Tertullian, dans Zeitschrift
fur wissenschaftliche Théologie, Leipzig, 1900, t. xliii, p. 62;
F. W. Rettberg, Thascius Cœcilius Cyprianus, Bischof von
Carthago, Gœttingue, 1831, p. 299 sq.; G. Morgenstern, Cy-
prian Bischof von Carthago, als Pliilosoph, c. m, § 1, Théo-
logie, Iéna, 1889, p. 5 sq.; J. G. Geret, Spécimen examinis
theologise Lactantianse inarticulo de Deo absolute consideralo,
Filio et Spiritu Sancto, q. I, Wittemberg. 1723, p. 1-17 ; D' Over-
lach, Die Théologie des Lactantius (programme), Schwerin, 1858.
4° Troisième période : les Pères poslnice'ens jusqu'au
milieu du ve siècle. — C'est l'époque surnommée Page
d'or de la patristique, où le christianisme n'ayant plus
ou presque plus à lutter pour vivre, l'élucubration
théologique succède au labeur apologétique, époque où
paraissent tant d'illustres Pères, qui sont en même
temps des docteurs attitrés de l'Église. Le débat avec
le paganisme et le judaïsme ne cesse pas complètement,
mais il devient secondaire. Secondaire aussi, la lutte
avec le dualisme manichéen, qui continue longtemps
encore le gnosticisme et prolonge la controverse sur
l'unité du premier principe, voir Création, t. ni,
col. 2067 sq., et sur l'origine ou la nature du mal, ce
qui est en dehors de l'étude présente. L'anthropomor-
phisme garde des partisans, mais dans des pays et des
milieux restreints, notamment parmi les moines égyp-
tiens. La principale hérésie de cette période, l'arianisme,
ne porte pas proprement et directement sur Dieu; la
controverse eunomienne seule fait exception, et encore
concerne-t-elle une question particulière, la connais-
sance et non la nature de Dieu. On peut dire qu'à
l'époque où nous sommes parvenus, les lignes fonda-
mentales de la théodicée chrétienne sont fixées; les
Pères marcheront désormais, pour l'ensemble de la
doctrine, sur les traces de leurs devanciers.
Beaucoup de points sont tellement acquis qu'ils four-
niront aux grands adversaires de l'arianisme, Athanase,
Didyme, Basile, les Grégoires, les Cyrilles, Augustin,
leur principal argument : La sainte Écriture attribue
au Verbe, elle attribue au Saint-Esprit la vertu créa-
trice ou sanctificatrice, l'éternité, l'immutabilité, l'im-
mensité, l'omniscience. la toute-puissance, etc.; donc
le Verbe, donc le Saint-Esprit est vraiment Dieu.
Voir Th. de Bégnon. S. .1.. Etudes de théologie posi-
4ire sur la sainte Trinité', '.V' série, étude XIV, Paris,
1878, p. 7i. Par contre, telle propriété divine, unani-
mement affirmée, deviendra dans les mains d'Arius et
de ses partisans l'arme de choix; ainsi l'épi thè te
d'i-i/ rr-'j; (ou à-;£y/To: . grâce à l'équivoque qui s'at-
tache au mol, suivant ([u'on lui donne le sens d'innas-
eible ou d'incréé. Maintenant à plaisir l'équivoque, les
ariens diront : Le Fils n'est pas. comme le Père, kyiv-
*i)TOc;donc il n'esl pas Dieu, ou du moins il n'est pas
Dieu au même titre que le Père. C'est par ce coté que
l'arianisme, comme d'ailleurs toute forme de subordi-
natianisme, ramenait indirectement la controverse sur
l'unité divine, en distinguant une divinité suprême el
ibaltei nés 'lu l ils el 'lu Saint-Esprit. Lei
. qui rejetaient ci tte distinction, se trouvaient en
hce de la difficulté inhérente au fond même du mystère :
S'il y a Trinité de | me i la fois réellement dis-
tinctes, immanentes et consubstantielies, comment
maintenir dans toute ~.i rigueur l'unité et la simplicité
divines'' Mais le débal ne portail pas sur la nature •
propriétés de Dieu,| m propre ci absolu,
Poursuivre dans le détail, sauf raison spéciale, ce
qui se trouve disséminé dans les écrits des Pères post-
nicéens sur ces points définitivement acquis, serait
chose inutile et dénuée d'intérêt; les considérations
sur lesattributs divins qui viendront plus loin suffiront
amplement. I! importe, au contraire, d'insister sur les
points restés moins clairs ou imparfaitement fixés dans
les siècles précédents et qui vont plus directement
au but de cette étude : Comment les Pères de la grande
période ont-ils conçu Dieu? Comment et dans quelles
limites pensaient-ils l'atteindre? Quelle idée avaient-ils
de la transcendance et de l'immanence divines? Les
Pères seront groupés par nationalités, en remontant,
pour les Grecs, de l'Egypte vers l'Asie-Mineure.
a) Pères alexandrins : saint Atlianase (f 373),
Didyme (f 395 ?), saint Cyrille (f 444). — La théo-
dicée de ces trois Pères a déjà été esquissée dans le
Dictionnaire, t. i, col. 2168; t. H, col. 2502; t. iv,
col. 753. Naturellement dépendante de celle de Clément
et d'Origène, elle présente des traits généraux et com-
muns, qui se manifestent surtout dans une accentuation
forte, mais pondérée, de plusieurs propriétés divines :
simplicité absolue, mais jointe à une perfection infinie;
transcendance souveraine, mais sans préjudice de l'im-
manence; incompréhensibilité stricte, mais supposant
l'existence naturelle d'une connaissance vulgaire et
laissant place à la possibilité d'une connaissance plus
relevée; bonté communicative, mais s'exerçant libre-
ment, quand il s'agit d'opérations ad extra.
Pour saint Athanase, Dieu n'est pas seulement im-
matériel et incorporel, a-J).o; xai àawp.aToc De decretis
niesen. syn., n. 10, P. G., t. xxv, col. 441; il est une
substance simple, d'une simplicité absolue qui exclut
toute qualité et toute composition proprement dite :
ànÀr, yzp èttiv ovdia, êv yj o-ix svi ttoioty,;, Epiai, ad
Afros episc, n.8, t. xxvi, col. 1043; cf. De décret, niesen.
syn., n. 22, t. xxv, col. 454, où l'idée d'accident est
expressément rejetée, to; âv Trj oùai'a tô <rju.ësor|y.o;.
Didyme n'est pas moins expressif, par exemple, De
Spiritu Sancto, n. 36, P. G., t. xxxix, col. 1064 : sim-
plex, et incompositse spiritualisque nalurœ; cf. In
Epist.l Joa., iv, 12, où la conception d'un Dieu visible et
corporel est rejetée. Ibid., col. 1798 sq. Par un raffi-
nement qui trouve son explication dans la voie d'émi-
nence, il donne même à Dieu l'épithète d'IiTupaçiôuaroc.
De Trinitate, 1. II, c. xx, ibid., col. 740. Cyrille, à
son tour, ne se contente pas de défendre la spiritualité
divine contre les attaques provoquées par le langage
anthropoinorphique de la Bible, Contra Julianum, 1. V,
/'. >;., t. i.xxvi, col. 764 sq., et, plus complètement,
dans son ouvrage, contesté, Advcrsus anl/iroponwr-
phitas, lettre-préface et c. i, P. G., ibid., col. 1068,
1077; comme saint Athanase, il écarte encore de Dieu
toute idée de composition ou d'accident : xh 5k ûnîov
â-/o0v X0Ù ôeT'ivOETOv xopu5rj...xal OUX txv VOOÏTO ti iTU|l6c-
gi)XÔC ait' aviroû. De Trinitate, dial. I et II, P. ('•..
t. i.xxv, col. 673, 720.
La simplicité absolue de l'essence divine n'est pas,
pour les trois docteurs alexandrins, celle d'un être abs-
trait; elle suppose, au contraire, que Pieu possède de
lui-même, par essence, toutes les perfections qui lui
conviennent, et c'est pour cela qu'on ne peut jamai
concevoir comme susceptible d'un complément quel-
conque, s. Cyrille, Thésaurus, ass. xxxi, t. lxzv,
roi. li.Y Ile la tant de passes on Pieu eSl <i
comme n'ayant besoin de rien, rnaK se suffisant a lui-
même en sa plénitude, tout parfait, infini : p.7)fttvb{
KÙxbv i-:',ir, à//' KVlTKpXT) /T.: ~'rr,',r, iavfOV, 9 Alh.1-
Irn genl., n. -js. t \w. col. 50; nXi
m -.ii\;:. Oral., m. COntra ariaii., n. I, t. XWI.
col. 1)24; Kvapxo; &n£pxti( kkI iitipavroc; liomins de se
et in u- lubsistêns, Didyme, De Trinitate, I. I, c. w.
De Spiritu Sancto, n. 38, i- txxtx, col. 888 1006.
1071
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1072
Saint Cyrille, après avoir affirmé l'absolue simplicité
de la nature divine, ajoute: tt'/.o'jtcÎ Se aùtô tô TravtiXetov
èi' focjTàJ ge/,0èv oÙSevô?. De Trinilale, dial. i, col. 673.
C'est au Verbe comme parfaite image et fils unique du
Père, et par conséquent comme l)ieu, que saint Atha-
nase attribue toute une série d'épitbèles, dont chacune
indique une perfection possédée simplement et essen-
tiellement : a-JTo<roip:a, ayToXôyoç, arjToS'jva(UÇ, kvtoç&>(i
a-JToa/.ïjôîia, a'JTOGtxaio<7'jvr(, avtoapETY), orJT')ayi3'7|j.ôr,
avitoÇbiYJ. Orat. conlra gent., n. 46, 47, t. xxv, col. 93.
La transcendance divine ressort manifestement de
tout ce qui précède; et d'abord, la transcendance onto-
logique, c'est-à-dire d'une nature supérieure à tous les
degrés de l'être créé : 6 ûicepéxetva 7iào~o; o'Jo-;'a; xa'i
àvBpioict'vv); èmvot'a; ùitâp/wv, ...èTtéxEiva 7ti<rr,; yevï)tïjç
o-jiri'ac -jnip/wv, S. Athanase, Orat. conlra gent., n. 2,
35, 40, t. xxv, col. 5, 69, 80; -jusp tô h'jçx-.rj'i v.ai
àyy.véa'TaTov -/.ai ûitèp iravToc vovv ûicâp^cov, Didyme,
De Trinilale, 1. III, c. xvi, t. xxxix, col. 873; %(>;...
•jTrspo-jTio;;... toï; t/,c çviffSMç àppr,toiî 7iXeovexTrj[i.a<jiv
ûicEpavîir^cDV ri yEvr(-â. S. Cyrille, /n ,/oa., I, 3, t. lxxii,
col. 85; vin, 23, t. lxxiii, col. 805.
Dieu, transcendant ontologiquement, l'est aussi logi-
quement; il reste en dehors de toutes les catégories de
la pensée humaine; en particulier, il ne peut être
question en lui ni de quantité, dimension ou grandeur,
ni de qualité, ni de figure ou de forme. S. Athanase,
Oral, contra gent., n. 22; De décret, nicsen. syn.,
n. 22, t. xxv, col. 44, 453, 456; Didyme, De Trinilale,
1. I, c. xvi ; 1. Il, c. xx, t. xxxix, col. 737, 740, etc.;
S. Cyrille, InPs., xi, 3, t. lxix, col. 793; InJoa., i, 1,
t. lxxiii, col. 48.
La transcendance, telle que l'entendent les Pères
alexandrins, n'exclut nullement l'immanence ou la
présence de Dieu dans le monde; elle l'implique, au
contraire. Car, si Dieu est créateur, il n'en n'est pas
moins conservateur, coopérateur, illuminateur, et, à ce
titre, toujours présent dans ses créatures, lui et son
Verbe. Doctrine fortement affirmée par saint Athanase
dans ses deux premiers ouvrages : ù to-j LTarpô: A6yo;,
È7uêàc toï; irâuc xa\ 7ravray_o-j rà; eauToO 8uviu.Ei;
Ê?aiï),a>aaç, etc., Orat. conlra gent., n. 42, t. xxv,
Col. S4 ; 7râvTa 8e Sià TcâvTiov TtsuX^pwxEv otJto; <7U'<(ov
;m i.xuToû 7iaip!. Orat. de incarnat. Verbi, n. 8, ibid.,
col. 109; cf. n. 41, col. 170. Doctrine complétée, dans
les écrits postérieurs, par l'accentuation de l'immensité ;
Dieu n'est jamais circonscrit dans l'espace ni fixé
quelque part; présent partout par sa bonté et sa
puissance, il reste néanmoins, par sa propre nature,
en dehors de toutes choses, k'îjto Se xù>v irâvidov 7iâÀiv
s<jt\ xa-à Tï]v îoe'av yvavi. De décret, nicsen. syn., n. 11,
t. xxv, col. 441. Ces dernières paroles ne s'opposent
pas à la présence substantielle, mais seulement à une
présence locale ou restreinte, qui répugnerait à l'im-
mensité divine; c'est le seul sens qui réponde au con-
texte et aux divers passages où la même idée revient,
par exemple Orat., m, contra arian.,n. 22; Epist., ni,
ad Serapion., n. 5, t. xxvi, col. 370, 631; Fragm. in
Job, c. i, n. 7, t. xxvil, col. 1345.
Cette interprétation est, du reste, confirmée par la
doctrine des deux autres alexandrins, analogue pour
le fond, mais plus claire dans l'expression. Ils affirment
l'ubiquité divine sans aucune restriction et en l'appli-
quant à la divinité : 0sô; èv oùpavtô ti <ï>v xa\ vuvùv
r|[/.Cv, airio; tzÏ'jVi jtâvwov xaXûv... TrXrjpoûo-a [xèv tôv
-/.Ô7JJ.OV xa\ c-jvÉyouo-a xaxà tï)v OeoTï^a, Didyme, De
Trinilale, 1. II, c. iv, vi, t. xxxix, col. 484, 509;
xevov 8c tt); Éa-jToC Qeotvito: oOSÈ a-JTÔv àyi-r^i tov iôV.v.
S. Cyrille, In Joa., i, 9, t. LXXIII, col. 129.
La formule athanasienne k'Ew ttoWtiov se retrouve
même chez ce dernier Père, mais dans un contexte
qui lève toute équivoque : 7t).T)poï yàp xà uâvra xa) Stà
7rivT<ov ÈDx<i(J.evov, k'Çto te xcàvTwv xa'c Èv 7tâo-t'v èo-r. In
■/i>a., xvn, 13. t. i.xxiv, col. 525. Ainsi, Dieu est à la
fois hors de toutes choses et en toutes choses; hors de
toutes choses, en vertu de son immensité; en toutes
choses, en vertu de son ubiquité. Qu'il s'agisse, dans
ces passages, du Verbe ou du Saint-Esprit, peu importe ;
car les trois docteurs alexandrins professent l'unité
rigoureuse de la nature divine et la communauté des
opérations ad extra, ce qui écarte radicalement la
conception pseudo-philosophique de Dieu le Père fixé
au ciel, mais agissant au dehors par le Verbe et par
l'Esprit.
L'incompréhensibilité de la nature divine, corollaire
de sa transcendance, est contenue dans les paroles
déjà citées de saint Athanase : ô uirepéxeiva imoy|C...
àvfjp(.)7c:vr,; ETct/ota; viTtipytov. Orat. contra gentes,n. 2.
Nombreux sont les textes où ce docteur déclare invi-
sible et incompréhensible l'essence de Celui qui est :
tï)v àùparov avToî /.ai àxatà).ï]7CTov oùaiav, -De décret,
nicsen. syn., n. 22, t. xxv, col. 453; i/.a.-.y.'/r,--oi toô
ovtoç o-Jciav. De synodis, n. 35, t. xxvi, col. 753. Même
doctrine chez Didyme. La contemplation des créatures
ne fournit rien qui, par voie de similitude ou d'analo-
gie, nous permette de concevoir et d'exprimer, i la
monade, l'incomparable nature ». De Trinitate, 1. II,
c. v, t. xxxix, col. 504. D'où cette conclusion : « Que
Dieu existe, c'est une vérité connue de tous; mais
comprendre ce qu'il est, et de quelle façon il est, -i 5s,
V) 7r(ii; intipyv., ceci dépasse la capacité de l'intelligence
créée. » Ibid., 1. II, c. v, col. 504. Saint Cyrille n'est pas
moins expressif en une foule d'endroits, par exemple.
In Joa., vin, 55, t. lxxiii. col. 928, où il montre com-
ment le fait de savoir que Dieu existe n'emporte pas qu'on
le connaisse dans sa propre nature; De Trinitate,
dial. iv, t. lxxv, col. 872, où, distinguant également
les deux questions, or: e<rn Béôç, et. « ce xcctù z.-li:-i
ÈTti'v, il dit de la seconde qu'il est absurde de pré-
tendre la résoudre, la nature divine étant au-dessus de
toute intelligence : No3 yàp âTOxeiva -ï/to: t, 0eoO
p-jo-iç. Dieu, l'Être subsistant et l'Intelligence suprême,
contemple tout et se connaît lui-même à sa manière,
divinement; il en va bien autrement de nous, qui ne
voyons Dieu que comme dans un miroir et par énigme.
Thesaur., ass. xxxi, t. lxxv, col. 449.
Dieu incomprétiensible en son être intime, et Dieu
inconnaissable, ne sont nullement, chez nos alexan-
drins, deux expressions synonymes ou corrélatives.
Didyme, qui traite ex professo de la Trinité ou du
Saint-Esprit, considère presque toujours, il est vrai,
notre connaissance de la divinité sous un aspect néga-
tif, du point de vue de l'incompréhensibilité; néan-
moins, dans plusieurs des passages où il accentue le
plus cette propriété, il suppose la possibilité d'une
connaissance qui n'est ni adéquate ni par notion propre,
mais qui, à l'aide de comparaisons et d'analogies, per-
met à l'intelligenee humaine d'avoir quelque idée de
ce qui la dépasse : eî xSv o-jtw ttog-ôi; e:; voûv 8e;-/6e:V,
t'o v7TÈp voOv. De Trinitate, 1. I, c. XV, t. xxxix,
col. 308; cf. 1. H, c. v, col. 505 : jitxpâ t:,-, tovù irxià
o[j.oKÙ(Teto; o'.ovsi-w;; DeSpiritu Sancto, n. 38, col. 1066,
passage d'où il résulte qu'à tout le moins nous pou-
vons parler de Dieu et des choses divines par cata-
chrèse, xaTaxpqorixûc.
C'est à bon droit que Schwane, op. cit., t. i, p. 28sq.r
trouve dans VOratio contra génies. P. (i., t. xxv,
col. 3 sq., un exemple remarquable de la doctrine qui
revendique pour l'homme, même déchu, la faculté de
connaître Dieu comme créateur et Être absolu; néan-
moins, dans cet ouvrage apologétique, saint Athanase
songe moins à prouver l'existence de Dieu en général,
qu'à justifier la notion chrétienne du vrai Dieu, c'est-à-
dire d'un Dieu sage et bon, premier et unique principe
du monde. Les considérations qu'il développe tendent
à faire admettre cette notion aux païens et à leur
1073
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES
1074
montrer qu'en se laissant aller à toutes les extrava-
gances de l'idolâtrie ou du polythéisme, ils ont été
coupables et responsables. Ils avaient, pour aller au
seul vrai Dieu, ttoô; tôv ovtojç ovtoc 0eôv, n. 30, col. 60,
deux voies : d'abord, leur âme raisonnable, faite à
l'image de Dieu et du Verbe; puis, le monde visible,
considéré comme révélation extérieure de Dieu. Voies
toujours possibles, la seconde surtout, qui supplée
pour ainsi dire à la première, quand l'âme, souillée ou
troublée, n'est plus en état de discerner en elle-même
l'image du Verbe divin, n. 34, col. 69. Ainsi Dieu,
quoique insensible, n'a pas voulu rester pour nous un
simple inconnu, rcavreXûc ayvioo-rov; par son Verbe, il
a si bien disposé la création qu'il nous est possible de
l'atteindre lui-même à l'aide de ses œuvres, êx -roiv
ÊpYcov, n. 35, col. 69. A plus forte raison, Dieu ne sera
pas un inconnu, si à cette manifestation générale
s'ajoute la révélation spéciale et d'ordre plus relevé
qu'il nous a faite dans les saintes Écritures, et surtout
dans la personne du Verbe incarné. Le résultat est
assurément une vraie connaissance, toute limitée et
obscure qu'elle soit : ôXivoctûç 7ta>; xa; àjjLuSptôç. Orat.,
H, contra arian., n. 32, t. xxvi, col. 216.
Saint Cyrille marche sur les traces de saint Atbanase,
en ce qui concerne la connaissance vulgaire et spon-
tanée. Voir t. ni, col. 2502. 11 signale, en particulier,
les deux grandes voies qui mènent à Dieu : notre âme
et le monde extérieur, Contra Julian., 1. III, t. lxxvi,
col. 65i; cf. pour la première voie, In 7s., xlii, 18,
t. LXX, col. 873; pour la seconde, In Joa., i, 9, t. LXXin,
col. 128, où la connaissance naturelle de Dieu est uti-
lisée, comme donnée positive, abstraction faite de
toute explication ultérieure. Les deux problèmes, de
l'existence et de l'essence divines, sont également dis-
tingués. In Joa., vin, 55, t. lxxiii, col. 928. Mais il ne
BU f fit pas, ajoute Cyrille en ce même endroit, de savoir
que Dieu existe; il faut encore avoir à son sujet des
idées convenables et justes. Les saintes Écritures sont
là pour nous renseigner. Ainsi, nous savons et nous
croyons que Dieu est puissant, et non pas faible, qu'il
est bon, et non pas mauvais, qu'il est juste, et non
pas injuste, etc. Distinction implicite entre les déno-
minations positives et négatives, formulée expressé-
ment et développée dans un autre endroit. Da Trini-
tate, dial. i, t. i.xxv, col. 709. Xous pouvons, à l'aide
de noms variés et multiples, expliquer les perfections
de la nature divine et, de la sorte, acquérir de celle-ci
une modeste connaissance, xav yoOv =!; [tetpfav t/,v
-:->'. R-jTfjc ?|XO(xev Yvûaiv. Nous nous servons pour cela
de ce qu'elle est, ou de ce qu'elle n'est pas; de ce
qu'elle est, quand, par exemple, nous appelons Dieu
\ieet lumière; de ce qu'elle n'est pas, quand nous le
disons incorruptible et invisible.
Une objection des eunomiens fournit au docteur
alexandrin l'occasion de compléter cette doctrine. Pour
prouver que nous pouvons et devons avoir de la na-
ture divine une conn ti ani i compréhensive, ces héré-
tiques raisonnaient ainsi, Thesavrus, ass. xxxi, t. i xxv,
col. 4M) : Dieu se connaît tel qu'il est, et sait parfaite-
ment ce qu'il est par essence; si nous ne le connais-
pas nous-mêmes lel qu'il est, notre connaissance
fausse. Connue le terme d'ày£vt)TO( intervenait
dans le débat, sainl Cyrille >iue, parmi les
divins, il en est qui ne signifient pas ce que
Dieu esl t ,;i r ■ iseni • . mai i ulemenl ce qu'il n'est pas,
Comme le terme il immortel, ou ce qu'il esl par rappoi i
■ i un autre, comme le nom de pi ri el ni' nie. il. m un
elui 'I i 'lvr,ïo;, col. 4-VJ. Il
troi- sortes de noms divin les uns purement l
tifs, les autres purement relatifs, lei autres positifs el
absolus, signifiant ce que Dieu esl essentiellement,
ii spn ■ le contexte, i esl prim ipali raiera
que correspond une certain* connal anci de la nature
divine. Dire de cette connaissance qu'elle est fausse,
parce que nous n'atteignons pas Dieu comme il se
connaît lui-même, c'est supposer ce postulat, manifes-
tement absurde, qu'une connaissance inférieure à une
autre ne peut pas être une connaissance vraie, quoi-
que imparfaite, col. 449. Nous retrouverons plus loin
celte question chez d'autres Pères, en particulier chez
les Cappadociens.
Dans ce qui précède, saint Cyrille suppose l'appoint
des saintes Écritures. On peut se demander s'il croyait
à la possibilité d'une pareille connaissance en dehors
de la foi. Les éléments de la réponse se trouvent sur-
tout dans l'ouvrage Contre Julien. Le docteur alexan-
drin revendique pour la philosophie, considérée dans
sa partie contemplative, la plus belle et la plus noble
de toutes, la prérogative de nous faire saisir en quelque
sorte, dans la mesure possible ici-bas, les choses di-
vines, tàwsp'i 0eoû,l. II, t. lxxvi, col. 564; expression
qui, manifestement, n'exclut pas, mais comprend Dieu
lui-même, 0eôv xi xoù -rà aûvoû, 1. III, col. 637. Aussi,
dans le Ier livre, Cyrille emprunte aux sages de l'anti-
quité des témoignages notables en faveur du vrai Dieu
et de ses perfections essentielles. Mais en même temps
il suppose que ces privilégiés n'ont pu s'élever à cet
ensemble de vérités qu'à l'aide d'un secours spécial,
accordé par Dieu à ceux-là seulement qui ont mené une
vie détachée, pure et pieuse, col. 525, et que, de plus,
ik; ont subi l'inlluence des écrits de Moïse, connus île
plusieurs d'entre eux, col. 556 : doctrine qui revient,
en substance, à celle de Clément et d'Origène.
Un dernier trait de famille entre la théodicée des pre-
miers Pères alexandrins et celle de leurs successeurs
postnicéens, se retrouve, mais avec quelques diver-
gences, dans le relief donné à la bonté communicative.
Pour saint Athanase, Dieu est assurément bon, il est
excellent, par nature : àyaôb; xai ûiripxaXoç r>,v qpvatv.
Orat. contra gent., n. 41, t. xxv, col. 81. C'est sa
bonté qui l'a porté à créer, à former l'homme à son
image et à lui témoigner un spécial amour. Le mal
n'est point un être posilif qui vienne de lui; son origine
se trouve dans la défaillance de la liberté créée. Ibid.,
n. 7, col. 16. Mais le grand champion de l'orthodoxie
ne suit pas Origène dans sa conception de la bonté
divine comme force naturellement expansive el ni I
sairemenl active. F.n tout ce qui concerne Dieu consi-
déré dans son être intime, la liberté n'a évidemment
pas de place. Qu'il existe et qu'il soit ce qu'il est, par
exemple bon et miséricordieux, ce n'est pas en Dieu
affaire de volonté, ovx h. pouXr>6w;. Dieu n'existe pas
non plus, et n'est pas ce qu'il est, par force et contre
son gré, àvàyxr) /.gù irr, 8é).wv. Il existe et il est ce qu'il
est, par naturel pverct. Orat., III, contra arian., n. 62,
63, t. xxvi, col. 453, 156. Mais pour tout ce qu'il l'ait en
dehors de lui, Dieu agit en toute liberté; possédant
éternellement la puissance créatrice, il fait surgir les
choses du néant quand il lui plaît, 8ts T)0éX^«. Oral., i,
contra arian., n. 29, col. 72.
Saint Cyrille ne parle pas autrement de la création;
Dieu a produit le monde librement el dans le temps.
Contra Julian., 1. II, t. i.xxvi, col. £84, L'accentuation
de la bout.' divine est plus prononcée, dans le sens de
la théologie alexandrine, Après avoir cité un pa
de Porphyre, où ce philosophe néoplatonicien affirme
que Dieu esl incompréhensible el qu'aucun nom ne lui
convient proprement, Cyrille continue en ces tenn
i Que s,, parmi les noms en usage, on ose lui en ap-
pliquer quelqu'un, c'esl plutdl l'I n el le Bon qu'il laul
l'appeler, pLâXXov rip tvj if,-. Rpofft)Yop(av xjù ri|v tiy«-
DoO raxtfov lit' rûtov. ■ Ibid., 1. I. col. 5W. El \oici
l'explication donnée : le premier nomexpri la sim-
plicité divine, en vertu de laquelle Dieu se suflit plei-
nl ' lui i le second indique que de lui dé»
roule loul ce qui est bon Un >. nature ouvi rainement
1075
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1070
simple, parfaite en elle-même et source de toute bonté
participée, telle serait la plus haute notion de Dieu. On
peut toutefois se demander si l'apologiste parle sim-
plement en son nom, ou si, plutôt, il ne résumerait pas
l'enseignement de Porphyre.
Didyme s'accorde naturellement avec les autres
alexandrins pour voir dans la création une œuvre de
bonté, àyaô'oç yîxp cV>v outq;, SïipiioupYet, De Trinitate,
1- II, c. vi, t. xxxix, col. 516, et pour dénier au mal
toute provenance divine et toute réalité substantielle.
Contra manichseos, c. il, xu, col. 1088, 1100. Admira-
teur fervent d'Origène, Didyme est-il allé jusqu'à le
suivre dans son erreur sur l'éternité de la création V
Voir t. iv, col. 750, 753. Cette doctrine semble bien
contenue dans un traité qui nous a été conservé sous
le nom de saint Grégoire de Nysse, et qu'un critique
récent a revendiqué pour Didyme : le traité Adversus
Arium et Sabellium, P. G., t. xlv, col. 1281 sq. Dieu,
pour l'auteur de cet ouvrage, est toujours actif, àsi
èvepfr,;, col. 1288. Expression dont on peut rapprocher
cette autre de Didyme : àEtxc'vr,To;, nunquam otiosus,
De Trinitate, 1. II, c. vin, t. xxxix, col. 612, et celte
assertion, que pour Dieu, penser, c'est agir, o-j ai vor,-
ctecç TCotr,(recç ûaiv. lbid., 1. I, c. VIII, col. 277. En
revanche, dans ce même ouvrage sur la Trinité, Didyme
considère comme connexes ces trois prédicats : n'être
pas soumis au temps, être éternel, être incréé : qui non
est tempore obnoxius, œlernns est; qui autem seternus
est, increatus est, 1. I, c. XV, col. 310. Ailleurs, il
affirme que la créature, n'ayant pas existé dès le début,
a commencé d'être : rt /.t;<ti; xb sîvai ïyti, oùx oStra ttjv
àp-/V>l- II) c- VI, col. 508. Ces passages rendent dou-
teuse, soit l'attribution faite à Didyme du traité A dver-
sus Arium et iSabellium, soit l'interprétation origéniste
des expressions relevées; car l'éternelle activité de Dieu
peut s'entendre de ses opérations immanentes, et,
même par rapport aux opérations extérieures, elle
peut s'entendre d'une façon relative, dans l'hypothèse
de la création, au sens où Notre-Seigneur dit, Joa., v,
17 : Pater meus usque modo operatur. Voir aussi les
annotations, dans Migne, col. 277, n. 38; col. 611, n. 67.
b) Pères palestiniens : Eusèbe de Césarée (f vers
339), saint Cyrille de Jérusalem (f 386), saint Épi-
phane (-f 403). — Ces Pères ne forment pas, comme les
alexandrins, un groupe homogène, qui appartienne à
une école déterminée. Si Eusèbe, disciple de Pamphile,
dépend fortement d'Origène, saint Èpiphane fut un
ardent adversaire du grand alexandrin, et saint Cyrille,
par sa formation comme par la tournure de son esprit,
se rattache à l'école d'Antioche.
Eusèbe de Césarée rentre dans la catégorie des Pères
apologistes par sa Préparation et sa Démonstration
évangélique, P. G., t. xxi, XXII. C'est surtout dans le
premier ouvrage, travail de vaste compilation, qu'il est
amené à parler de la divinité. Là se retrouvent les thè-
mes communs à ses devanciers : l'unité de Dieu, d'un
Dieu bon, qui n'est pas l'auteur du mal, 1. IV, c. xix;
1. VI, c. vi ; 1. XI, ex; 1. XIII, c. n, col. 291, 425,879,
1065; la providence, avec la prescience qui ne nuit pas
à la contingence de l'événement prévu ou prédit, 1. VI,
c. xi; 1. VII, c. x; 1. VIII, c. xiv, col. 492, 531, 651; la
réfutation de l'erreur dualiste sur la matière incréée et
cause du mal, 1. VII, c. xix, xxn, col. 563, 570. Pour
justifierlescbrétiens d'avoir suivi la doctrine des Hébreux
de préférence à celle des Grecs, Eusèbe démontre l'ex-
cellence de la première. Dans ce dessein, il signale la
concordance entre la doctrine chrétienne ou mosaïque
et celle des sages de l'antiquité, Platon surtout, sur
Dieu considéré sous divers aspects : comme l'Être même
(Exod., m, 14), incréé, éternel, immuable par nature,
1. XI, c. ix sq., col. 867 sq.; comme ineffable et incom-
préhensible^, xu, col. 879; comme seul et unique vrai
Dieu, c. xiii, col. 879; comme souverainement et essentiel-
lement bon, c. xxi. col. 902; comme incorporel, 1. XV.
c. xvn, col. 1345. Par contraste, il relevé clic/, les phi-
losophes leurs opinions discordantes et erronées sur
la divinité, 1. XIV, c. xvi ; I. XV, c. xv sq., col. 1237,
1342 sq. Comme l'auteur de la Préparation évangéli-
que procède habituellement par voie de citations et de
rapprochements, sa théodicée présente, au point de vue
de la terminologie, une saveur platonicienne, ou plutôt
néoplatonicienne, assez prononcée. Au reste, rien de
personnel, comme l'observe E. Preuschen, art. Eusebius
von Cdsarea, dans Pœalencyclopudie fur protesta» lis-
che Théologie und Kircfie/6' édit., Leipzig, 1898, t. v.
p. 617.
Comment Platon est-il parvenu à sa doctrine sur
Dieu et les choses incorporelles'.' Intéressante est la
réponse de l'évèque de Césarée, 1. XI, c. VIII, col. 868.
Il a recours, comme ses devanciers, à la théorie des
emprunts faits à ! Moïse et aux autres prophètes des Hé-
breux, mais d'une façon qui n'a rien d'absolu ni d'exclusif;
car il propose, en outre, comme hypothèses plausibles,
l'exercice naturel de la raison humaine ou quelque
disposition providentielle : eite xai -ap' êixvto-j xrk tC>v
TipaY|j.âTa>v êjtiêaÀù)'/ S'Jtei Eite ôitwijoOv Cîtô Heov zata-
l-iuiOelç t?,ç vv<i<jcu>î. Rom., i, 20. D'une façon plus
générale, il fait appel, contre les païens, à la notion
commune et comme instinctive de Dieu qui se trouve
en tout homme; elle leur aurait suffi, s'ils l'avaient
écoutée, pour éviter tant de grossières erreurs sur la
divinité, 1. II, c. VI, col. 140.
Les autres ouvrages d'Eusèbe ajoutent peu de chose
à ce qui précède. La preuve de l'existence de Dieu par
l'ordre et la beauté du monde, Sap., xm, 5; Rom., i,
20, apparaît, Comment, in Ps., xvm,% et xcm. 8-11,
t. xxiii, col. 186 sq., 1200. La transcendance divine,
exprimée dans la Préparation évangélique en langage
platonicien, n'est pas moins fortement accentuée dans
la Démonstration, 1. IV, c. I, t. xxn, col. 252 : -i.'zr;
-/.peÏTTûv npoffir)Yopta;, appï]-o/, àvsv.îpasTov. aitepiv(5r,TOv;
en même temps le grand principe de l'immanence
divine est rappelé : In Mo enim vivimus et movemur
etsumus. Act., xvn, 28. Mais parfois la transcendance
est attribuée à Dieu le Père en des termes où le subor-
dinatianisme d'Eusèbe parait se reiléter; ainsi en est-il
particulièrement dans l'un des écrits qu'il composa
contre Marcel d'Ancyre, De ecclesiastica theologia,
t. xxiv, col. 825 sq. Après avoir énoncé la foi de l'Église
en un seul Dieu, Père tout-puissant, 1. I, c. vin,
col. 837, il s'explique, c. xi, col. 844, de telle façon que
le Père seul semble, rigoureusement parlant, l'unique
vrai Dieu : exelvoç ô |j.6vo; àvap/o; xai àf£vvr]TOÇ, 6 tifi
ÔEOTïjTa olxeiav xeimjiiévoî. Dans le passage le plus qua-
lificatif de la divinité qui se trouve en cet ouvrage,
Eusèbe emploie la série d'épithètes commençant par
auto, que saint Athanase, on l'a vu, appliquait au Verbe,
précisément pour affirmer sa parfaite consubstantialité;
mais, détail notable, c'est au Père seul, dont il s'agit
dans le contexte, que l'évèque de Césarée attribue ces
épithètes : Ssov, é'v t; ôeïov, appr,Tov, àyxôôv, â-/o\,v.
àaJvôstov, [xovoe'.Se;, xb l-ÉxEiva Ttôv ô'/u)v ôjj.o).oyetv,aj-ô-
Oeov, oc'jtovoOv, -x-j-.'ji ôyov, a'JTOOOçiav, a^tô?<o;, avTo^(or,v,
aviTÔxaXov, auroâyaOov ovra... xb-i oï tovtou jjlovoyevt,
Yi'ov... y.j'i a'jTÔv Oeôv, xa'i voCv, xai /rivov, xa\ ffoçt'av,
etc., 1. II, c. xiv, col. 928. Ce passage, pris séparément,
n'est pas décisif contre l'orthodoxie d'Eusèbe ; voir,
pour l'ensemble de la doctrine, dom B. de Montfaucon,
préface des Commentaires sur les Psaumes, c. vi. n. 2,
P. G., t. xxiii, col. 29. Il prouve du moins ceci : c'est
tlans les endroits où l'évèque de Césarée parle du Pire,
qu'il faut avant tout chercher sa pensée, entière et
incontestable, sur la nature de Dieu, entendu au sens
strict et absolu.
Saint Cyrille de Jérusalem, docteur de l'Église et au-
teur de catéchèses adressées à des catéchumènes qui
1077
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES'
4078
devaient recevoir prochainement le baptême, P. G.,
t. xxxn, est, à ces deux titres, un témoin beaucoup plus
important que l'énigmatique Eusèbe. Trois catéchèses
portent directement sur des articles du symbole rela-
tifs à Dieu : la vie, sur l'unité; la vme, sur le souverain
domaine et l'universelle providence; la ix«, sur l'action
créatrice. Voir t. m, col. 2545. On y trouve, sous la
forme d'un enseignement populaire, l'affirmation de la
doctrine catholique sur Dieu et ses attributs, et la réfu-
tation des erreurs opposées, idolâtrie, anthropomor-
phisme, dualisme. En outre, dans la ive catéchèse, plus
générale, sur les dogmes fondamentaux, le docteur pa-
lestinien met en première ligne la croyance en un seul
Dieu, non engendré, àyévvr^o:, sans principe, à'vapyoç,
complètement immuable, éternel, à la foisjuste et bon,
créateur unique des âmes et des corps, du ciel et de
la terre, n. 4, col. 457. Immense, il est en tout et hors
de tout ; omniscient, tout-puissant, absolument parfait,
Èv TtâTi tsXsio;, n. 5, col. 460. A ces propriétés s'ajoutent
la simplicité, |*,ovoei8ï| ttjv ii-Korrzxnvi, la sainteté et autres
perfections morales, la transcendance; xaî îrâvTwv àya-
Otôrspo; /.ai Ttàvrwv jxetÇwv, xat TtâvTOJV ao^foTôpo;. Cal.,
VI, n. 7, col. 549.
Schwane, op. cit., t. n, p. 36, joint le témoignage de
saint Cyrille de Jérusalem à celui de saint Athanase,
pour montrer comment les Pères de cette période
croyaient au pouvoir inhérent à l'esprit humain de
s'élever à la connaissance de Dieu. Assurément l'Être
suprême ne tombe pas sous les yeux du corps, puisqu'il
est incorporel. Cal., ix, n. 1, col. 637. Dans sa nature
intime, il est même incompréhensible, à/.a-i).r)T:zô;
ÈTT'.'/ y, ■jnovzxiT:; r, Oî:'a, Cal., vi, 5, col. 545; il l'est
pour les anges au ciel, pour toute créature, car ils ne
le connaissent pas comme il se connaît lui-même ou
comme le Fils et le Saint-Esprit connaissent le Père,
mais seulement dans la mesure où ils le peuvent, n. 6,
ibid. Aussi notre langage reste bien au-dessous de ce
qui conviendrait à Dieu. « Nous n'expliquons pas ce
qu'il est, où yàp vo ri éiTt Qio; ï\r;;vlu.iHx\ nous avouons
franchement que nous n'avons pas de son être une
exacte connaissance, car avouer son ignorance, en cette
matière, c'est faire preuve d'une grande science, » n. 2,
col. 540. D'ailleurs, que de choses en ce monde, notre
âme en particulier, dont nous n'avons qu'une connais-
sance incomplète! n. 4, 6, col. 544, 548. « C'est assez
pour notre piété de savoir que nous avons un seul Dieu,
qui existe de toute éternité, toujours semblable à lui-
même, » etc., n. 7, col. 548.
Ce dernier passage, où saint Cyrille parcourt la série
•des attributs .que nous avons déjà indiqués, montre
■assez que pour lui, comme pour les autres Pères, Dieu
incompréhensible n'est pas Dieu inconnaissable. A cette
objection : « Si la substance divine est incompréhen-
sible, pourquoi discourez-vous à son sujet? » il répond:
l.h quoi! parce que je ne puis pas boire toute l'eau
du Meuve, me sera-t-il défendu d'en prendre à ma soif?
De ce que mes yeux ne peuvent pas embrasser le soleil
dans toute son amplitude, m'est-il impossible de le voir
dans la mesure qui suffit à mes besoins? » Cat., VI, n.5,
col. 545. Les œuvres de Dieu témoignent en faveur de
ses perfections. Sa p., xm. 5. Plus l'homme s'élève dans
la contemplation des créatures, plus grand lui apparaît
l'ion et plus grande est la conception qu'il en a, |t«(Çovo
•/.a\-£v. 8eo0 >.a|x@2vei yavToeTiav. Cal., IX, n. 2, col. 640.
Saint Epiphane. hérésiologue, ne nous offre pas.
comme saint Cyrille de Jérusalem, un enseignemi ut
didactique sur la divinité. Mais, à propos des hérésies
qu'il étudie dans son Panarium, il a l'occasion d'affir-
mer el de défendre h grandes thèses des apologistes
sur le Dieu unique, auteur des deux i itaments, //•' ■
IXIH, advertui taturniliam . n. ■"> sq . P. G., t. xu.
col. :}(ii sr|. , Dieu bon et juste, Hier., \xxiii. advernu*
ptolemaitas, n. 10, col. 57.'!; seul premier principi de
toutes choses, Hœr., lxvi, adversus manichseos, n. 14,
t. xlii, col. 49 sq. Souvent, dans le même ouvrage et dans
YAncoratus, la transcendance, l'invisibilité, l'incom-
préhensibilité divines sont exprimées énergiquement :
6 6s ©ta; àopato;, axarâXiriitToç, àïieptvôv)To;. Ancor.,
n. 54, t. xliii, col. 113; cf. Hœr., lxix, n. 68; lxx, n. 4,
8, t. xlii, col. 316, 345, 352 sq. Les prophètes n'ont pas
vu Dieu pleinement, même des yeux de l'esprit; ils
l'ont vu comme il leur était possible et dans la mesure
où Dieu a daigné se manifester. Hœr., lxx, n. 7, t. xlii,
col. 349; Ancor., n. 54, t. xliii, col. 112. Aussi, quand
il traite des anoméens qui prétendaient avoir de la
nature divine une connaissance parfaite, aussi parfaite
que Dieu lui-même, le saint docteur s'élève avec indi-
gnation contre le fol orgueil de ces hérétiques. Hœr.,
lxxvi, t. xlii, col. 634 sq. Il leur oppose la transcen-
dance et l'incompréhensibilité de cet Être incomparable,
tov ào-jyy.ptTOV nai àx»TâÀr,7iTov, t'ov y.arà tô ïISo; \>-ïv fJ.r,
y.aTa).a[ji.oavri|X£vov, dont la foi seule peut donner à ses
serviteurs quelque connaissance. Il va même jusqu'à
dire que, d'après les saintes Écritures, notre vraie
connaissance de Dieu se borne à savoir qu'il existe et
qu'il récompense ceux qui l'aiment. Ibid., col. 636. Le
texte visé est de saint Paul, Heb., xi, 6, mais l'appli-
cation qu'en fait l'hérésiologue dépasse manifestement
la pensée de l'apôtre; celui-ci ne parle pas de la possi-
bilité ou de l'impossibilité d'une connaissance plus ou
moins grande de la divinité, mais seulement de la néces-
sité, pour qui veut être justifié, de croire en Dieu et en
sa qualité de souverain rémunérateur : Credere enim
oportet accedentem ad Deum, quia est et inquirenti-
bus se remunerator sit.
A l'hérésie lxx, De schismale audianorum, t. xlii,
col. 339 sq., se rattache un problème spécial. Saint
Epiphane y raconte l'histoire d'un certain Audius,
natif de Mésopotamie, et de ses partisans qu'il donne
pour schismatiques, d'ailleurs orthodoxes quant à la
doctrine, « sauf un léger point où ils se montrent trop
opiniâtres. » Il s'agissait du texte de la Genèse, I, 27 :
El creavit Deus hominemad imaginent suam. Audius
et ses partisans voulaient absolument que les paroles
ad imaginem suam se rapportassent à l'homme con-
sidéré dans son corps. La conséquence rigoureuse de
cette interprélation était la corporéité de Dieu. Voir
Antiiropomorpiiites et AUDIENS, t. i. col. 1371, 2265.
Le fait que l'auteur du Panarion et de VAnaceplia-
Iseosix, P. G., t. xlii, col. 869, se contentait de traiter
les audiens de schismatiques et qu'il critiquait succes-
sivement les deux interprétations du texte mosaïque,
celle qui rapporte au corps les paroles ad imagine»)
Dei et celle qui les rapporte à l'homme, donna pro-
bablement lieu à l'accusation d'anthropomorphisme
dont parlent, dans leurs Histoires ecclésiastiques, !'.(,..
t. lxvii, Socrate, 1. VI, c. x, col. 693, et Sozomène,
1. VIII, c. xiv, col. 1552.
L'accusation est aussi peu sérieuse que pour Origc tu ,
inculpé de la même erreur pour avoir écrit que de
son temps l'affirmation de l'incorporéité divine n'était
pas manifestement contenue dans l'enseignement
ecclésiastique. Dans son ouvrage apologétique, In
s. Gregorii Nytseniset Origenit scriptaetdoctrirMtii
nova recensio, Home, 1864, t. il, c. VIII, p. 99 sq..
L. Vincenzi n'a pas eu de peine à montrer ce que nous
avons vu plus haut, col. 1047, h -avoir que la pei
personnelle d'Origène sur la spiritualité divine ne peut
pas faire le moindre doute. Il en est de même pouf
l'évéque cypriote. Quoi qu'il en soil de son indul-
gence, peiit-èirc excessive, a l'égard des audiens, quoi
qu'il en toil de l'espèce de neutralité qu'il prob
dans le PanarUm, /•"■. cit,, n. 1 sq., el dans r I
rali's, n. .V». col. 11.3, on face de ce prohlém. I
dans son àme ou dans son corps que l'hommi
l'image de Dieu, saint Epiphane admet lui-même indu-
1079
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES
1080
bitablement l'incorporéité divine. A l'interprétation
anthropomorphique il oppose précisément, n. 2, que
la conséquence irait à un Dieu visible et corporel,
ôpatôv tz /.ai erwu.aTixôv. Il déclare, n. 3, qu'en ce point
les audiens s'écartaient de la tradition de l'Église,
âxTÔ; y.xt ajro't fiacvo-jm TÎj; -/.aîà ty)v f.xxXï)ffia(mxf|V
•jjrôôefftv 7iapa6ôf7ï(.);. Pour lui, Dieu n'est contenu en
rien, à la différence de l'âme contenue dans le corps;
il est simple, à|j.=ptTTo:, n. 4: esprit transcendant,
7r/Ev(j.a imlçi 7:ve0|j.a, n. 5; cf. User., i.xxvi, col. 568 :
à:; à<7o)[j.aToç. Attribuer à Dieu des passions ou quel-
que chose de semblable, c'est une impiété et un sacri-
lège. Ibid., col. 577. Voir, sur ce sujet, la dissertation
de J. A. Cantova.
c) Pères syriaques : saint Apliraate (l'e moitié du
IVe siècle), saint Ephrem (f 373). — De ces deux an-
tiques témoins de l'Église syriaque, le second seul a
quelque importance. Le genre ascétique d'Aphraate
dans ses Demonstraliones, homélies composées de
336 à 345, ne comportait pas de hautes spéculations sur
la divinité. La croyance en un seul Dieu, créateur et
maître de toutes choses, auteur de l'Ancien et du
Nouveau Testament, Dem., I, n. 19; un court pas-
sage contre le dualisme de Marcion, de Valentin et de
Manès, Dem., ni, n. 9 : rien de plus dans les vingt-
deux premières homélies. Palrol. syriaca, Paris, 1894,
t. i, col. 43, 115. La vingt-troisième, traduite avec les
autres en allemand, par G. Bert, Texte und L'nter-
suchungen, t. m, fasc. 3 et 4, contient, en outre, sous
forme d'épithètes ou de dénominations, diverses pro-
priétés divines : l'aséité, exprimée par le terme îtyd
d-nafsch, essence ou substance de lui-même; l'éter-
nité, l'infinité, la transcendance ontologique, l'incom-
préhensibilité et l'ineffabilité, la bonté, la sagesse, la
toute-puissance. On trouvera dans l'article Aphraate,
t. i, col. 1459 sq., le renvoi aux pages correspondantes
du t. il de la Patrologie syriaque.
Saint Éplirem présente une doctrine beaucoup plus
développée, surtout dans ses discours dogmatico-polé-
miques. Les cinquante-six sermons Adiwsus hxreses,
Opéra omnia, Rome, 1732 sq., t. il, syriace et latine,
p. 437, visent particulièrement le dualisme gnostique
et manichéen; on y retrouve l'argumentation tirée par
saint Irénée, par ïertullien et autres apologistes, de
l'idée même de Dieu et de son absolue perfection : Si
Deus unus non est, nec Deus est; nec vero Deus, nec
anus est, si nec summus, nec super omnia. Serni.,
m, n. 2, p. 443. Par opposition aux erreurs relatives au
démiurge, supposé dis'.inct du Dieu suprême, et à la
matière, donnée comme principe du mal, le docteur
syriaque revient souvent dans ses autres écrits sur la
notion du Dieu unique, tout-puissant, qui a tiré toutes
choses du néant, librement et par pure bonté, pour notre
avantage et non pour le sien, mais qui sait aussi, pour
notre bien encore, nous châtier ou nous éprouver. Voir,
par exemple, De fide, serm. m, n. 1, dans Opéra,
t. m, syriac. lai., p. 195 sq.; Reprehensio sui ipsius,
ibid., 1. 1, grsece et latine, p. 125 sq.; Sermones roga-
tionum, i, 9; ni, 1, dans Hymni et sermones, édit.
■l.-B.Lamy, Malines, 1882sq., t. m, p. 20, 36; De defun-
ctisetS. Trinitate, n.6, ibid., p. 242; De reprehensione,
n. 12, ibid., t. iv, p. 299.
Mais la source principale de la théodicée de saint
Éphrem se trouve dans ses quatre-vingt-sept discours
Adversus scrutatores, t. ni des Opéra, syriace et
latine, p. 1 sq. (J'emprunterai la division en numéros à
l'édition publiée par D. A.-B. Cailla», Paris, 1832. t. ni,
p. 178 sq.) Le saint diacre d'Édesse donne la plus haute
idée de Dieu : nature suréminente, xi.vn, 2, p. 85;
essence suprême, lv, 1, p. 103, qui existe de toute éter-
nité, sans autre principe qu'elle-même; xlv, 2, p. 81 ;
non que Dieu se soit fait (cf. Reprehensio sui ipsius,
n. 11, loc. cit., p. 124 : nam si quis seipsum faceret,
is essetpriusquam fieret i, mais parce qu'il a en lui-même
sa propre raison d'être, subslantia ex seexistens, XXVII,
1, p. 48; pur esprit, mens soluta, xi.iv, 1, p. 79; abso-
lument simple i.xxiii, I. p. 137; inaccessible à tout
changement, xxxn,4, p. 59; souverainement grand sous
tous rapports, en sorte qu'on ne peut rien imaginer de
plus parfait : usquequaque summus est, ut eo nikil per-
fectius excogitari possit, xi.v, 4. p. 82.
Dieu est éminemment transcendant. Il n'agit ni ne
pense à notre manière. Sa science précède le temps et
n'a pas plus de commencement que lui-même, xxvi, 1,
p. 45. S'il remplit le inonde entier de sa divinité, rien
ne le renferme; d'où cette merveille, que partout il est
proche, et partout il est éloigné : proximus ades ubique,
abesque undique remotas, iv, 4, p. 7. Éphrem aime à
montrer ainsi ce qu'il y a de mystérieux en Dieu, non
seulement pris en général, mais considéré en détail dans
ses diverses perfections, xi.v, 2, p. 81. Il est particu-
lièrement soucieux de prémunir ses auditeurs contre
toute imagination anthropomorphique : « Penser qu'on
peut comparer cette éternelle nature aux choses qu'elle
a créées, c'est se tromper lourdement. Se l'imaginer
composée, à l'image de notre faible corps, servi par des
sens, c'est une horreur que les oreilles ne peuvent sup-
porter. » Si les prophètes nous représentent parfois Dieu
sous des traits moins relevés, c'est là une manière de
parler que le Saint-Esprit a voulue, pour nous instruire
d'une façon conforme à notre nature et à notre condi-
tion, xxvi, 3, 4, p. 46.
Dieu, transcendant, est naturellement invisible, iv,
3, 7, p. 48. Si, dans le sermon sur la pénitence qui
commence par ces mots : Pasnilenlia fertilis est fru-
ctus, n. 13 sq., Opéra, t. I, grsece et latine, p. 170,
saint Éphrem dit à celui qui mène une vie de charité :
Vides Deum, et noli negare quin adspicias eum; Deus
enim charitas est, tout le contexte montre qu'il s'agit
d'une vision de foi, et que l'orateur assimile la vie de
charité aux signes extérieurs qui manifestèrent Dieu
aux prophètes et autres personnages bibliques : Per
signa viderunt sancti : per ignis rubum, Moyses; per
turbiner», Job; per nubem, Esaias;per lucem,Paulus;
per vocem, omnis Israël; et nunc sancti per opera-
tiones, dam scilicet quasi per quœdam média manu
ducuntur.
Dieu n'est pas seulement invisible pour l'homme
ici-bas; il est, pour toute intelligence, incompréhen-
sible, xxvi, 2, p. 44. Doctrine commune à tous les Pères,
mais qui revêt un tour particulier chez le docteur
syriaque par la façon populaire et vivante dont il la
développe. Si nous ne connaissons pas même notre
âme, comment pourrons-nous prétendre à la connais-
sance de notre créateur? i, 2, p. 2; III, 2, p. 5; xvn, 1,
p. 32. Cf. Carmina Nisibena, publiés par G. Bickell.
Leipzig, 1866, p. 79. Comment apprécier celui qui
échappe à toutes nos mesures et à tous nos sens? Non
illc subest mensurœ, nec stalurse momento : non per-
cipitur sensu, nec specieni nwdumve suscipit : non
claudilùr spatiis, nec propagatur, uti lu.r et /latus;
ipsius essentia ratio est. xxx. 1, p. 53. Dans toutes ces
pâles figures que sont les natures créées, comment
reconnaître l'archétype, la nature incréée qui n'a rien
de commun avec les autres.' xxvn, 1. p. 213. Essayons-
nous de nous la représenter, c'est comme un fleuve
d'images sans nombre qui se déroule devant notre ima-
gination; mais en est-il une qui nous permette d'expri-
mer en nous l'image même de Dieu, cette image bénie
où convergent et se concentrent les archétypes de tout
ce qu'il y a de plus beau'.' IV, 7. p. 7.
Et saint Éphrem de conclure qu'il ne nous reste
aucun moyen de connaître Celui qui est : Ad eum. qui
est, cognoscendum nullus restât arfitus, xxxvi, 5, p. 65.
Ce serait l'agnosticisme, s'il ne s'était pas expliqué lui-
même. La connaissance dont il parle ici, c'est celle
1081
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES1
1082
à laquelle prétendaient les « scrutateurs » qu'il com-
battait, connaissance parfaite de la divinité : insani
siquidem divinitalis indagatores perfectam ejus noti-
tiam sibi quoque pollicentur. Sermones très de fide,
I, 1, p. 164. En dehors de cette orgueilleuse prétention,
la raison garde ses droits. Le docteur syriaque connaît
et admet la connaissance naturelle ou instinctive de
Dieu; on le voit par la manière dont il cite, en l'accom-
pagnant de quelques mots qui valent un commentaire,
le célèbre verset du psalmiste, XVIH, 2 : avli, ut scrip-
tum est, enarrant gloriam Dei et firmamentum
ostendit opéra sui creatoris, QVIN ISDAGATIOXE OPVS
sir. Hymni et sermones, édit. Lamy, t. iv, p. 148;
cf. Reprehensio sui ipsius, n. 11, Opéra, t. i, grsece et
latine, p. 123 : Domum vidi; et œconomum adesse
cognovi. Mundum intuilus sum ; et providentiam in-
tellexi, etc. Même dans ses discours Adversus scruta-
tores, il indique, comme moyen de connaître Dieu, le
livre de la nature, en le distinguant expressément du
livre écrit qu'est la Bible : Si naturam et Scripturam
consulerent, ab utraque utrinsque Dominum edisce-
rent : hune rébus sensui obviis natura docel, xxxv, 5,
p. 63 sq. ; cf. xi.viii, 2, p. 88 : naturam prœterea ha-
benius ducem ac magistram.
Comme d'autres Pères que nous avons rencontrés,
saint Éphrem voit dans la création une première mani-
festation de Dieu le Père par son Fils : per suum Uni-
genitum se manifestavit, tum quando per illum sine
labore mirandum hoc œdificium molitus est, xxvi, 1,
p. 44. Mais c'est surtout dans la sainte Écriture que
Dieu se révèle: hunc.apertiset explicalis verbis Scrip-
tura renuntiat, xxxv, 5, p. 64. Nous avons, en parti-
culier, les noms que Dieu s'est donnés lui-même; ils
nous enseignent ce qu'il est, quid et cujusmodi sit;
ils nous font comprendre qu'il est pure intelligence,
qu'il existe par lui-même, qu'il est principe et créateur
du monde, bon et bienfaisant par nature, juste vengeur
des crimes; ils nous apprennent encore qu'il est Père,
ayant la vertu de produire un Fils qui lui est semblable.
Ces noms, toutefois, sont de deux sortes : Nomina
Deus habet absolula et propria, habet etiam accom-
modata ac minime fixa. Ainsi, noms absolus et
propres, par opposition aux noms variables et adaptés
ou appropriés. Par ces derniers le saint docteur en-
tend ceux qui conviennent à Dieu accidentellement,
ex incidente causa, nous dirions maintenant : par dé-
nomination extrinsèque, fondée sur un terme contin-
gent; le terme variant, la dénomination varie égale-
ment. C'est en ce sens que Dieu nous est représenté
dans la sainte Écriture, tantôt comme réprouvant ce
qu'il a fait, tantôt comme oubliant les actions des créa-
tures ou, au contraire, comme se les rappelant. Il en
va tout autrement des noms qui conviennent à Dieu
proprement et d'une manière stable, comme ceux de
juste, de bon, de père; aussi sont-ils particulièrement
importants et se recommandent-ils à notre respect : Vide
ut religiose observes ejus nomina propria et rata,
xi.iv. 2. p. 711.
Saini Épbrem revient une autre fois sur celte doc-
trine, en affirmant plus énergiquernent encore la
valeur objective et absolue de certains noms divins :
A Deo discimus quid sit liens; suis ille nimirum nu-
minibus se manifestât . ex his intelligimus illum esse
sancle justum, vere bonum, nique ingenuanatursesum
virtute summum ... Kl quia vere Pater est, dicimui
verum gencratte Filium, i.n, n. 1, p. 95. Ailleurs, il
met en relief l'importance spéciale du nom Qui «■>./,
manifesté ■< Moïse, l.xod.. m. li; il y voit un nom qui
ule de l'essence divine, et que Dieu s'attribue en
propre, sans souffrir de partage : quod vocabulum ab
etsentin fluit, et velut certum <•, proprium nomen
suum; illud commune fieri nunquam mis/"
fueretei, i.iii, 5, <>i>cra, t. u, syr. et la t., p. 566. Nous
avons, dans ces différents passages sur les noms divins,
considérés comme source partielle de notre connais-
sance de Dieu, un commencement notable de synthèse
théologique, où pourrait bien se refléter quelque écho
de saint Basile et d'autres docteurs qui vont suivre.
d) Pères cappadociens : saint Basile (f 379); saint
Grégoire de Nazianze (f 389 ou 390); saint Grégoire
de Nysse (f vers 395). — L'importance spéciale de ces
trois docteurs tient au rôle qu'ils ont joué dans la con-
troverse anoméenne sur les noms divins et notre con-
naissance de Dieu ici-bas. Ils se complètent rnutuel-
| lement, car il y eut développement dans l'attaque.
L'adversaire est Eunomius, évèque de Cyzique (f 396),
le coryphée des anoméens. Voir t. I, col. 1322 sq.
Vers 360, il publia son 'Anoloyr^ty.ôi;, P. G., t. xxx,
col. 837 sq., pour défendre la thèse fondamentale de
l'arianisme sur la différence de nature ou d'essence
entre le Père et le Fils. Il part de ces premiers mots
de son symbole : Iltare-Jofisv ec; ëva ©sôv, Ttaxspa uavro-
•xpaTopa, è? ou rà uàvra, n. 5, col. 840. Mais à la pro-
fession de Dieu, un il rattache ensuite, en invoquant
expressément la raison naturelle et la doctrine des
Pères, y.axà te çuo-ixyjv k'vvotav xai xarà tt,v tàiv Ilatipwv
SiSaraaXfav, ce déterminatif : \i.r-.z Trap' iauioO, (j^tî
Trap' irépou Y£vô(j.svo;, qui n'a été fait ni par lui-même,
ni par aucun autre, n. 7, col. 841. C'est, par péri-
phrase, le terme fameux, àYsvvr^o;, qu'il introduit,
dans l'intention d'établir que cette notion exprime
l'essence même de Dieu. Ce n'est pas une dénomina-
tion purement verbale, comme celles qui répondent
aux conceptions de l'esprit humain, zkt' Èrcivotav ; anté-
rieurement à toutes nos conceptions et indépendam-
ment d'elles, Dieu est réellement ce qui est, o i«iv. Ce
n'est pas un nom privatif; l'idée de privation ne con-
vient pas à Dieu et présuppose, en outre, quelque
chose de positif. Ce terme ne peut pas se prendre en
Dieu, qui est simple et indivisible, pour une partie
déterminée ou différente de quelque autre. C'est donc
qu'il exprime l'essence même de Dieu, n. 8, col. 841 sq.
Eunomius oppose ensuite le Fils ysvvyjtôç au Père
à-;-ivv7,To;, en prétendant que la simplicité, l'éternilé,
l'immutabilité, l'incorruptibilité et autres propriétés
de la nature incréée ne permettent pas d'entendre la
génération du Fils autrement que d'une création ou
production proprement dite, n. 9 sq., col. 814 sq. Dés
lors la cause de l'arianisme est gagnée. Si ràyevvyioîot,
si le fait d'être innascible constitue l'essence même du
Père, comme Dieu, le Fils, qui n'est pas innascible, se
distingue nécessairement du Père, qui l'est; il ne peut
pas être Dieu au même titre. La diversité de noms
rend manifeste la diversité de nature, n. 12, col. 848.
Conclusion que, plus loin, n. 20, col. 856, Eunomius
s'efforce de confirmer à l'aide des deux voies distinctes
que nous avons pour juger des êtres, et qui consistent,
l'une à considérer leurs essences, l'autre à examiner
leurs opérations. Ce n'est pas à dire que des mots diflé-
rant quant au son matériel ne puissent pas signifier la
même chose, par exemple, quand on dit : VKtrc et le
seul vrai Dieu, <»; xa 6v xaV piâvoc àXi)8ivô( '-ho.-, n. 17,
col. 852. Inversement, des mots qui ont le même m in
peuvent ne pas signifier la mé chose; tels, les mots
de lumière, de vie ou de puissance, appliqués au P< re
(lumière incréée, etc.) ou au Fils (lumière en
n. 19, col. 853.
Cette analyse île ce qui. il. m- l'apologie d'Eunomius,
pporte plus directement i la nature el & la rotu
sance de Dieu, noua bit comprendra quelli ''ni sa
thèse fondamentale ei quelli
quences. La h '.• affirmation, que
l'innascibilité ou l'aséité, rb if<vvT|tov :!vai, constitue
m i- ne me de Dieu, et qui . pai i onséquent, le mot
-.',; est h' vr.ii nom de hieii. relui qui exprime
adéquatem lirait qu'en connais-
lus:;
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1084
sant ce nom, on connaissait pleinement l'essence divine ;
et telle était bien, on l'a déjà vu, la prétention des
anoméens. Socrate, H. E., 1. IV, c. vu, P. G., t. i.xvii,
col. 173. Relativement aux noms que nous donnons à
Dieu, cette alternative s'imposait : ou ils ne peuvent le
signifier vraiment que par synonymie avec l'àvévvYiroç,
ou, fondés sur des conceptions de raison, ils ne sont
que de pures dénominations subjectives ou verbales,
sans portée objective. Par ce dernier coté, Eunomius
préludait au nominalisme du moyen âge, suivant la
remarque de Schwane, op. cit., t. il, p. 40. Mais rien,
dans l'apologie de cet hérésiarque ni dans la réfutation
de saint Basile et de saint Grégoire de Nysse, ne jus-
tifie l'affirmation du cardinal Franzelin, Traclatus de
Deo uno, th. x, n. 1, Rome, 1876, p. 129, réfutée
d'ailleurs par le P. J. M. Piccirelli, De Deo uno et trino,
Naples, 1902, p. 335, à savoir que l'erreur d'Eunomius
ait eu sa racine dernière dans une confusion de Dieu
avec l'être abstrait et universel. Le contraire semble
plutôt résulter du fait que cet hérétique admettait en
Dieu les perfections positives qui se trouvent dans la
sainte Écriture, comme celles de lumière, de vie, de
puissance, etc., mais en les ramenant, on l'a vu, à sa
propre conception, par l'adjonction de son épithète
favorite : lumière incréée, vie incréée, puissance
incréée.
Saint Basile répondit, vers l'an 36i ou 365, à l'apo-
logie d'Eunomius par son triple 'AvaTpeimxoç to-j
'A7Io).oyt,ti-/.o-j to-j SvTiTîêo-jç E-Jvoat'ou ).i-fo;, Adversus
Eunomii libri 1res, P. G., t. xxix, col. 497 sq. Dix ans
plus tard, en 375, il écrivit à saint Amphiloque, évèque
d'Icône, plusieurs lettres, deux en particulier, qui sont
comme un complément du précédent ouvrage. A son
tour, Eunomius répliqua par une nouvelle apologie,
'A7to).oYi'a 'Jits? àiroXo-yt'aç, publiée vraisemblablement
peu de temps avant la mort de saint Basile (1er janvier
379). Elle n'est connue que par les fragments cités par
saint Grégoire de Nysse dans la réfutation qu'il en fit
immédiatement, Contra Eunomium libri duodecim,
P. G., t. xlv, col. 243-1122; fragments rassemblés, pour
la plupart, par C. H. G. Reltberg, Marcelliana, Gœt-
tingue, 1794, p. 125 sq. Ils sont d'ordre apologétique et
ajoutent peu d'éléments nouveaux à la doctrine exposée
ci-dessus; mais ils fournirent à l'évêque de Nysse
l'occasion de venger et d'expliquer plus complètement,
sur certains points, les enseignements de son frère
vénéré. Enfin, vers la même époque, saint Grégoire de
Nazianze prononçait à Constantinople, en 381, ses
fameux Discours théologiques, dont le second traite de
Dieu et se rapporte directement à la controverse ano-
méenne. La doctrine qui résulte de cet ensemble de do-
cuments peut se grouper autour de quatre points,
successivement touchés par saint Basile, dans î"Avoc-
a) L'îkI'ioix; conceptions et distinctions de raison en
Dieu. — Eunomius avait opposé le nom d'innascible aux
dénominations xoct' ènrvoiav, c'est-à-dire fondées sur les
conceptions de l'esprit humain. Il déniait à ces dénomi-
nations toute valeur objective; purement verbales, elles
n'ont d'existence réelle que dans les sons proférés. Saint
Basile se trouvait forcé d'élucider la question délicate des
conceptions ou notions de raison. Adv. Eunom., 1. 1, n. 5
sq., col. 520 sq. Il demande d'abord à l'adversaire ce
qu'il entend par cette opération de l'esprit qu'on appelle
èiuvota. Entendrait-il l'imagination créatrice de fictions
sans réalité, tels que centaures ou chimères? Même
alors l'affirmation d'Eunomius serait excessive; car ces
fictions creuses, ces êtres de pure raison ne passent
pas nécessairement avec les sons proférés, le souvenir
en peut rester dans l'esprit. Du reste, ce n'est là
qu'une acception imparfaite et inférieure de l'ènivoia;
dans le sens habituel et plus relevé du mot, elle s'en-
tend d'une opération de l'esprit qui s'exerce sur un objet
réel, pour le considérer d'une façon plus pénétrante et
plus précise, trjv Xurrotlpav /.y.: ixpiëecrépav to-j vokj-
OévTo; éitev(hiu.T)o'(y, col. 52'*. Il arrive, en elfet, qu'en
face d'un objet qui nous apparaît d'abord simple dans
sa réalité concrète, notre esprit perçoit ensuite des
aspects multiples ; dans un corps, par exemple, la cou-
leur, la forme, la dureté, la grandeur, etc. De là les
conceptions et les distinctions de raison, •/.»■:' tat'voiav,
ri. 0, col. 522 sq. C'est ainsi que, dans l'Evangile,
Jésus-Christ s'est nommé lui-même porte, voie, pain,
vigne, pasteur et lumière : notions distinctes dans leur
signification, distinctes aussi dans leur fondement par la
diversité des opérations qu'elles supposent, et par le
rapport multiple du Sauveur aux êtres qui ont joui de
ses bienfaits, n. 7, col. 524 sq.
Ces principes, saint Basile les applique aux noms
divins; d'abord à l'àvévvr.To:. puis aux termes : incor-
ruptible, infini, immense, en montrant les différents
aspects sous lesquels on conçoit alors la divinité.
« Pourquoi donc nier qu'on puisse légitimement former
de ces noms, et qu'ils ne répondent à quelque chose
de réel en Dieu, xoù ô|j.o).o-riav ivnx: toî xoct' i/r,6£iav
tu 0e;T) rcpoaoVroç? Ibid., col. 525. Si l'on rejette ces
conceptions et ces distinclions de raison, il faudra dire
que toutes les dénominations attribuées à Dieu signi-
fient également sa substance; que l'idée d'immutabilité
suggère immédiatement à l'esprit celle d'innascibilité,
ou l'idée d'indivisibilité celle de puissance créatrice.
Quoi de plus absurde qu'une telle confusion? Quoi de
plus opposé au sens commun et à la doctrine révélée?
n. 8, col. 528.
La simplicité divine serait lésée, si par ces noms
multiples on prétendait désigner diverses parties de
Dieu; mais nous savons qu'à part lui, Dieu est tout
entier vie, tout entier lumière, tout entier bonté. Il ne
s'agit donc que d'exprimer les propriétés de la nature
divine, d'ailleurs simple en elle-même. Autrement, tout
ce que nous disons de Dieu d'une façon distincte, en
l'appelant invisible, incorruptible, immuable, créateur,
juste, etc., tout se retournerait contre sa simplicité,
1. Il, n. 29, col. 640. Ailleurs, saint Basile insiste sur
l'unité du sujet, tôv ocCtov ève8ît';to, mais sans préjudice
de la notion propre qui s'attache à chacun des noms
divins, Sià t?,ç èxâcToïc Èv6;iopo-jjj.£vr,; ipjfioewç, Ejtist.,
clxxxix, n. 5, t. xxxn, col. 689. Telle est aussi la doc-
trine de saint Grégoire de Nysse, abstraction faite de
quelques arguments ad homineni, discutés par Petau,
op. cit., 1. I, c. vu, n. 5 sq. L'unité et l'absolue sim-
plicité de la nature divine ne sont pas en question;
mais cette nature, une et simple en elle-même, nous
ne pouvons l'atteindre immédiatement, ni la concevoir
ou l'exprimer par une seule notion. La multiplicité
vient ainsi directement de notre mode de connaissance,
mais elle trouve son fondement dans l'éminence et
l'ineffàbilité de l'objet. Contra Eunom., 1. XII, t. xlv,
col. 1069, 1077, IlOisq.
La réplique de l'hérésiarque força l'évêque de Nysse
à revenir sur d'autres points, en particulier sur le con-
cept de l'âittvoia. Eunomius accordait qu'il peut y avoir
autre chose que de simples sons dans les dénomina-
tions de raison, mais il limitait la portée de Vi-ivoix
aux créations fantaisistes de l'esprit, capable de se
figurer des colosses, des pigmées. des centaures. Ibid.,
col. 969. Grégoire, prenant acte de la concession, n'eut
pas de peine à montrer ce qu'il y avait d'arbitraire et
d'illégitime dans la restriction. L'à-è/ota n'est-elle pas.
avant tout, cette noble et féconde faculté de l'esprit
(faculté compréhensive ou interprétative, r, -r,; xocto-
Xy|tctixî|ç Btavoîa;, r, t>,; èpjAV5V£uTixf,;£-jva|ie(i)c, col. 1104),
qui permet « de trouver ce qu'on ignore, en prenant
pour point de départ d'une connaissance ultérieure
ce qui se rattache, par voie de connexion ou de
conséquence, à la première notion qu'on a d'une
1085
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES1
1086
chose? » col. 970. Ainsi, remarquant que Dieu, cause
première, ne peut venir d'un autre, nous formons
un terme pour exprimer cette idée, et de celui qui
n'a pas de cause au-dessus de lui, nous disons qu'il
existe sans avoir de commencement ou sans être pro-
duit, àvipyto; efrouv àyzwr^bt:, col. 973. Il en va de
lutine des autres noms divins; ils répondent à des
conceptions multiples et variées, que nous formons
pour acquérir la connaissance de celui que nous
cherchons, npôçTTjV xaTavÔT)<rtv to-j Z^o\i\i.v/(i-j 6r,ps'jovTec,
col. 957. Si ces noms sont vides de sens ou n'ont qu'une
seule et même signification, pourquoi les saintes Écri-
tures font-elles de ces énumérations où Dieu est appelé
juge, juste, bon, longanime, vérace, miséricordieux, etc.?
col. 1069; cf. 1. I, col. 396. L'Esprit-Saint n'a-t-il pas
voulu que, par cette variété et cette multiplicité, les
écrivains sacrés nous conduisissent à la connaissance
de l'incorruptible nature? De professione christiana,
P. G., t. xlvi, col. 241.
Ces témoignages, dont il serait facile d'augmenter le
nombre, donnent le droit de récuser une assertion,
émise par W. Meyer, Die Gotteslehre des Gregor von
Xy*sa, p. 16, et d'après laquelle toutes nos dénomina-
tions relatives à Dieu ne pourraient être, pour le docteur
cappadocien, que des réflexions subjectives de l'esprit
humain, sans signification métaphysique. Le passage
invoqué, Quod non sint très dii, P. G., t. xlv, col. 121,
loin de prouver cette assertion, établit le contraire.
L'évêque de Nysse y soutient, à la vérité, qu'aucun de
ces noms ne signifie la nature divine elle-même, mais
il dit en même temps que ces noms, qu'ils soient
d'institution humaine ou qu'ils nous soient fournis par
la sainte Ecriture, expriment quelqu'une des choses
qu'on peut concevoir au sujet de la nature divine, tù>v
-.: TTïp: Tr.v Oe:a\ y'invi voo-jjj.:v<o ep|i.Y)veuTtxbv eïvat /éyoïxsv;
qu'ils ont pour but de nous conduire à la connaissance
de Dieu, et qu'à chacun d'eux s'attache une significa-
tion particulière et relative à ce qui concerne la nature
divine, à»â u tfiv 7tcp\ aûtr|v Sîct t«5v XeYopévcov yvwpi-
ÈsoOai.
Eli somme, qui ne reconnaîtrait dans cette doctrine
de saint Basile et de son frère ce qui plus tard, dans
le langage scolastique, s'appellera distinctio rationis
raliocinatai ou virlualis, oon fundamento in re? El
dans la prétention d'Eunomius à faire retomber sur
ince divine elle-même la distinction formelle qui
se trouve dans nos conceptions de raison, qui ne recon-
naîtrait l'erreur de Platon, signalée par saint Thomas,
Suni. tlteol., Ia, q. i. xxxiv, a. 1, que la forme du concept
est la même que celle de l'objet connu? Cf. Petau,
Op. cil.. I. I, c. vll-ix.
b Les noms divins. — Funomius n'admettait, comme
vrai nom de Dieu, que l'àysvvïjTo;. Saint Basile répond
par une doctrine tout opposée. Adv. Eunoni., 1. I,
n. 10, t. xxix, col. 533. Aucun nom ne peut atteindre
ii ce divine dans son fond intime ni l'exprimer
pleinement; nous pouvons seulement, à l'aide de noms
multiples et variés, parvenir au degré de connais
qui nous est possible ici-bas. Parmi ces noms, il en est
de positifs et de négatifs. Les premiers signifient ce
qui est en Dieu : rà p.':/ T(ôv -v/to /:*.>/ t.. Qe<î»8r,).<.mxâ;
noms ei semblables : bon, juste, créateur,
mtres signifient ce qui n'est pas en Dieu
XVTl'ov.T'ov 'ii -•.«'« ,:m, . tels, ces nom- et
labiés : incorruptible, immortel, invisible -
par l'alliance de • -s di •• ■•< te ■! appellations que nous
nous formons une certaine idée de Dii
' •; ','.>''■'' éyyi'vjTai to0 6
il est évident que i jfa -uni iinpro-
fui ■ tels, .i nous dire ce qu'est la natun
divine. Il n'en va pas autrement du termi '.:;il
lu un' genn qu • ",ii . incorruptible,
Immortel, invisible II n'a pas rapport -i la qui itioD .
Qu'est Dieu, t:' è<ttiv ? mais bien plutôt à la question :
Comment est-il, îru; in:i'/'? Quand notre esprit exa-
mine si le Dieu suprême provient de quelque cause, il
n'en peut concevoir aucune, et il exprime cette pro-
priété de la vie divine par le mot àyêwqtoç, incréé ou
innascible, n. 15, col. 546.
Eunomius soutenait bien que ce terme n'était pas
privatif ou négatif, mais c'était abandonner la notion
même d'innascibilité, pour lui substituer une notion
positive et antérieure, laquelle ne pouvait être que la
notion d'être, impliquée dans Vaséité. Le débat ne
faisait que se déplacer, et saint Basile se refusait à
voir dans cette notion l'expression propre et adéquate
de la nature divine. Il y reconnaissait seulement une
dénomination que Dieu s'était attribuée en propre,
Exod., m, 14, et qui convenait, en effet, à son essentielle
éternité : oïxst'av ia*jT&> xa\ Ttpéuouaav tïj ÉauToO àï&iô-
tïjt!... 7rpo<7ï)yop['av, 1. II, n. 48, col. 609. Encore moins
le nom 0eô; pouvait-il exprimer l'essence divine, au
jugement de Basile; car il n'y voyait qu'un nom d'opé-
ration, suivant cette double étymologie présumée :
7iapàTÔ reÔeixévai Ta Ttavta, r, Geà?6ai Ta iravTa, parce
qu'il a tout constitué, ou parce qu'il voit tout. Epist.,
vin, ad Cœsarienses, n. 11, t. xxxn, col. 266.
La nécessité de répondre à l'objection contre la con-
substantialité du Père et du Fils, qu'Eunomius tirait
de la diversité de leurs noms, ày£wr,To; et yevvijTdî,
amène le champion de l'orthodoxie à compléter sa
doctrine. Il montre d'abord que souvent les êtres tirent
leurs noms de leurs propriétés individuelles, et non de
leur essence, 1. II, n. 4, col. 578. Puis il énonce une
distinction nouvelle, celle des noms absolus et des
noms relatifs : ~x [j.sv àiroXeXu[iivu>; xoct xaO' èauTa
jtpoçepdjAEva,... Ta 3: 7ipô; é'îcpa ),Eyô|ieva, n.9, col. 588.
Ainsi, les noms : homme, cheval, bœuf, signifient les
choses mêmes auxquelles on les applique; les noms :
fils, esclave, ami, ne signifient qu'une relation déter-
minée par le mot qui suit. En cet endroit, saint Basile
ne fait usage de cette distinction que pour résoudre
l'objection d'Eunomius. 'AYévvv)ro; et yswrito; sont des
noms relatifs; ils ne signifient pas la substance divine
considérée en elle-même, mais seulement le rapport
d'origine qui existe entre les deux premières personnes
de la Trinité, le Père et le Fils. La diversité de ces
noms n'entraîne donc nullement la diversité de sub-
stance, si, par hypothèse, une seule et même substance
se trouve dans le Père qui communique et dans le
Fils qui reçoit.
(elle distinction entre noms absolus et noms rela-
tifs, capitale dans la controverse Irinilaire, avait une
portée plus générale. Appliquée à Dieu, abstraction
laite des trois personnes, c'était la distinction enlr<
dénominations absolues, qui conviennent à la nature
divine considérée en elle-même, par suite essentielle-
ment, et les dénominations relatives, qui lui con-
viennent seulement par rapport à un len li>tinct
d'elle-même, par suite accidentellement. I.e terme
à-/£v/r,:o:, pris il.i ns le sens d'incréé, était un terme
absolu, mais négatif, et Convenant au Fils aussi bien
qu'an Père, dans l'hypothèse, catholique, d'une géné-
ration qu) ne se fut pas par voie de création ou de
production, mais de communication dune seul
inbstance Cf Grégoin de Nazianze, Orat., xxix,
n. 10, t. kxxvi, col. 88; Grégoire de x ntra
Eunom., 1. II. col. 512.
La doctrine de sain) Basile suri divins se
retrouve, sous une forme moins didactique, dans le
second discoun théologique de saint Grégoire de Na*
zianze. Orat., ixvih, t kxxvi, col. SB sq. L'orateur de
la ville impériale utilise, s;ms la formuler, la double
distinction enln In appellations positives el négatives,
I relatives. \ propos des termi - incorporel,
ible, immuable, incorruptible, el autres sembla
1087
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES;
1088
blés, qui se disent do Dieu ou de ce qui le concerne, 7iep\
0eoO rj jrepï 0sôv, il remarque que, pour exprimer la na-
ture de Dieu, ce n'est pas assez de dire ce qu'il n'est
point. A qui demande : Combien font deux fois cinq, ce
n'est pas répondre que de dire : Ni deux, ni trois, ni
quatre, ni cinq, ni vingt, ni trente, etc., n. 9, col. 37. 11
est d'autres noms, positifs ceux-là, comme : esprit, feu,
lumière, cliarité, sagesse, justice, etc., n. 13, col. 41.
D'autres encore, que saint Grégoire appelle ailleurs
noms de puissance, tïjç llov<s:.a.c, comme roi de gloire,
seigneur des armées, etc. ; ou noms de providence,
t?,; o£xovo[j.îa;, comme Dieu du salut, des vengeances,
d'Abraham, etc. Oral., xxx, n. 19, col. 128.
Parmi les noms positifs, deux attirent particulière-
ment l'attention de l'évêque de Nazianze : ô \i.vi "Uv
-/.où 6 0sôç u.âXXôv TCdj; tt)ç ojuia; ovôjj.aTa. Oral., XXX,
n. 18, col. 125. Ainsi, Être et Dieu sont, non pas préci-
sément des noms propres de l'essence divine, mais des
noms plus aptes à la désigner; le premier surtout, à un
double titre. Dieu s'est appelé lui-même Celui qui est,
Exod., m, 14; par ailleurs, nous jugeons facilement
cette appellation plus propre que les autres, •/.•jptovrépav.
Le mot Qeôç venant, à s'en tenir à l'avis des gens en-
tendus, de Ôéetv, courir, ou d'ai'ôeiv, brûler, convient à
la divinité à cause de sa perpétuelle activité et de sa
vertu purificatrice des vices; il rentre dans la catégorie
des noms relatifs, tùv Tipô; Tt Xeyo|jiva>v, comme celui
de Seigneur; il n'exprime pas ce que nous cherchons,
la nature qui existe par elle-même, rt tô îlvaiy.aô'éauxô,
et d'une manière absolument indépendante. Mais l'être
est vraiment propre à Dieu, l'être dans sa plénitude,
tô 8è ov, ïStov o'vTtùç 0eoî, y.ai ô'Xov, sans délimitation
ni restriction d'aucune sorte. Ibid., col. 128; cf. Orat.,
XXXVIII, n. 7, col. 317 : ocôv ti TréXayoî o-jo-iaç aTtetpov
y.ai aép'.tfTOv.
Saint Grégoire de Nysse marche plus strictement sur
les traces de saint Basile. Il reprend et défend sa doc-
trine sur les noms absolus et relatifs, positifs et néga-
tifs. Contra Eunorti., 1. I, col. 426 sq.; 1. XII, col. 953.
Il ajoute, au second endroit, une considération qui a sa
valeur. Entre les noms négatifs et les noms positifs, se
rapportant à un même objet, il y a corrélation; on peut
toujours ramener le nom négatif à un nom positif.
Ainsi, nier que Dieu soit capable de méchanceté, c'est
le dire bon; le proclamer immortel, c'est dire qu'il est
toujours vivant: Ta-JTÔ yâp èotiv... àââvaxov ôuoXoyrio-at,
•/.ai àei Çwvxa eItkïv. Mais aucun nom n'est capable
d'exprimer pleinement la nature divine : oùSèv ovo[i.ot
TC£pi).Y-|7my.ôv Tr,; 6etaç âije'jpyiTat O'Jaeto;. Ibid., col. 957;
cf. Quod non sint très dii, t. xlv, col. 121.
Dans ce dernier passage, l'évêque de Nysse constate
que le mot 0sô; est appliqué par certains à la divinité
comme un nom propre, tûoicep ti xûpiov fi'iop.%; opinion
qui explique la façon réservée dont il parle plus loin,
col. 133, quand il met de côté la question de savoir si
ce nom se rapporte à la nature ou à l'activité divine :
iitz Tzph; ç-Jtiv, eïxs Ttpôç èvspysiav flXiitElv ti; XÉyr,. Pour
lui, s'attachant à l'une des étymologies signalées par
son frère : 8e5o-Ûa'., voir ou inspecter, il prend le mot
pour un nom d'opération, relatif à la science et à la pro-
vidence divine. Ibid., col. 121 sq.; Contra Eunom.,
1. XII, col. 1108. Ailleurs, cependant, il en parle comme
d'un nom qui désigne la nature, ovojia o-Jo-t'a; o-Y)u.av-
t'./.ov, mais dans un sens plus général, celui de nom
essentiel, qui s'attache à la nature considérée en elle-
même ou dans ses attributs et qui, par suite, convient
indivisiblement aux trois personnes de la Trinité, kicA
jj.tà; ouata; sv ô'vop.a tô 0eô; ëtti. par opposition aux
noms propres ou notionnels, qui conviennent exclusi-
vement à chaque personne en particulier. De commu-
nibus notionibus, t. xi.v. col. 176. Voir F. Diekamp,
Die Gotteslehre des hl. Gregor ron Nyssa, p. 198 sq.,
sur cette opposition purement apparente, dont
W. Meyer, 075. cit., p. 22 sq., a prétendu profiter pour
confirmer sa thèse superficielle sur a les deux àrnes que
Grégoire portait en sa poitrine, a une âme de chrétien
croyant au Dieu vivant de l'Evangile et une ârne de
philosophe néoplatonicien rêvant un Dieu abstrait.
S'il n'admet pas de nom propre au st>ns rigoureux et
absolu du mot, l'évêque de Nysse reconnaît cependant,
avec son homonyme de Nazianze et avec saint Basile,
un nom spécialement caractéristique de la vraie divi-
nité, iv i,v6>pt<T(j.a t?,; <x).r,8ivf|<; Seôttjtoç; celui que Dieu
s'est donné lui-même, Exod., m. 1 i : 'Eyû z\y.: h d>v. Ce
nom dit, pour Grégoire, existence essentielle et tout ce
qui s'en suit, comme éternité, infinité, immutabilité.
Contra Eunom., 1. VIII, col. 768 sq. C'est là ce que le
saint docteur appelle être véritablement ou par na-
ture, ce qui est le propre delà divinité : ïStov Oetfrr/ro;
yv<«pt<xu.a, tô à'/rfiGi: sîvat, ibid., 1. X, col. 840 ; û(
à>,r,0â>; TÔ ov, ô' T>, aÛTOÛ çvjst to ilix: i/i:. De vita
Moi/sis, t. xliv, col. 333.
A la controverse sur les noms divins, qui vienld'être
rappelée, se rattache un problème qui mérite au moins
d'être signalé. Dans son explication de l'èn(vota, saint
Basile avait attribué à l'homme la faculté de connaître
les êtres créés dans leur nature ou leurs propriétés, et
de leur donner des noms. A rencontre de cette doc-
trine, Eunomius formula une thèse reprise de nos
jours par l'école traditionaliste : L'homme est incapable
de donner aux êtres de vrais noms; c'est Dieu lui-
même qui, en créant chaque être, lui a donné son
nom. Saint Grégoire de Nysse rapporte les arguments
scripturaires, vraiment pauvres, dont Eunomius pré-
tendait s'autoriser, et la réfutation de l'adversaire
l'amène à présenter de brillants développements sur
l'origine humaine du langage. Contra Eunom., I. XII,
col. 976 sq., 1044 sq. Voir F. Diekamp, op. cit., c. m.
§2, 5,6. Ce n'est pas le lieu de poursuivre cette ques-
tion, mais l'opinion d'Eunomius sur l'origine divine
des noms substantifs, ou même vraiment objectifs,
nous force à conclure qu'il ne pouvait attribuer qu'à
une révélation positive la connaissance du mot
àyÉwYîTo;, pleinement expressif, selon lui, de la nature
divine.
c) Vincompréhensibililé divine . — En prétendant pos-
séder le nom propre de Dieu, Eunomius s'attribuait
une connaissance parfaite de la divinité. Saint Basile
entreprend vivement L'hérésiarque sur ce terrain.
Adv. Eunom., 1. I, n. 12, t. xxix, col. 539 sq. D'où
lui vient une pareille connaissance? De la notion
commune de Dieu, £x t?(; xotvîj; àvvot'aç? Mais cette
notion nous dit que Dieu existe, et non pas ce qu'il
est : tô e'vat tôv 0sôv, o*j to -i eivat. D'une révélation
positive de l'Esprit? Qu'on la fasse connaître, qu'on
dise où elle s'est faite. Bien de semblable chez les
grands privilégiés de l'Esprit, David, Isaïe, saint Paul;
tous ont parlé de l'essence divine comme d'un objet
qui surpassait infiniment leurs lumières. Beste la sainte
Ecriture, qui ne nous renseigne pas davantage. Aux
anciens patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, Dieu n'a
même pas révélé son nom. Exod.. VI, 3. Saint Basile
omet ici de discuter le sens de la révélation faite
Moïse, Exod., m, 14; ce témoignage n'avait pas et
invoqué par Eunomius dans son apologie. Mais nous
avons vu que l'évêque de Césarée n'y trouvait pas la
pleine manifestation de l'essence intime de Dieu.
V.n réalité, Dieu est incompréhensible pour tout être
créé. Ce qui, dans les auteurs sacrés, semble dépeindre
la nature divine, doit manifestement s'entendre dans
un sens allégorique ou Iropologique; autrement, il
faudrait souscrire aux rêveries judaïques ou revenir
l'erreur païenne d'un Dieu matériel, n. 14, col. 543.
L'intelligence nous a été donnée, il est vrai, pour
connaître Dieu, mais dans la mesure où l'infinie majesté
peut être connue par le tout petit être que nous sommes.
1089
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES1
1090
Ce que nous pouvons faire, c'est de partir des créa-
tures pour connaître la puissance, la sagesse, la bonté
du créateur. Mais le monde ne dit pas plus la nature
intime de son auteur, qu'une maison ne dit la nature
intime de celui qui l'a fait construire : où yàp êx tyjs
o'xsaç ty,v oviT-av toC oixo5ôu.ou -/.araAaocïv Suvarov, 1. II.
n. 32, col. 648; cf. Epist., clxxxix, Euslathio, n. 8,
t. xxxil, col. 695. Quelle folie, du reste, de prétendre
à la parfaite connaissance de Dieu, quand nous con-
naissons si peu ce qui nous enloure, et quand nous
nous connaissons si peu nous-mêmes! 1. I, n. 12,
col. 540; I. II, n. 6, col. 668. En somme, transcendance
objective de la nature divine, imperfection et limi-
tation de notre intelligence, absence de révélation de
la part de Dieu : tels sont, pour saint Basile, les grands
fondements de l'ineffabilité et de l'incompréhensibilité
divines.
Saint Grégoire de Nazianze a consacré au même
sujet la plus grande partie du second discours théolo-
gique. Orat., xxviii, t. xxxvi, col. 25 sq. Dieu n'est pas
seulement difficile à comprendre et impossible à expri-
mer, comme l'a dit Platon ; s'il est impossible à expri-
mer, il est encore plus impossible à comprendre, quand
il s'agit non du simple fait de son existence, mais de
sa nature intime : )=•-<.) ô; <rjyi'6?t gtrctv, iM'rj ttç âornv,
n. 5, col. 31. Et l'orateur de multiplier les questions
pour mettre l'esprit en face du mystère. Eerons-nous
de Dieu un èlre corporel'.' Que d'absurdités s'ensuivent!
Et s'il est incorporel, où est-il? Nulle part, ou partout?
El avant la création du monde, où était-il? Confessons
plutôt qu'il est hors de notre portée, et que nous ne
pouvons concevoir pleinement ce qu'il est, ô),ov otov
totfv, n. 11, col. 40.
A cette raison, tirée de la transcendance divine,
saint Grégoire en ajoute d'autres, dont la principale
est d'ordre psychologique. Notre connaissance ici-bas
est nécessairement dépendante de notre condition;
notre esprit, uni au corps, ne peut connaître les choses
intelligibles qu'à l'aide des choses sensibles. Jamais il
ne pourra se faire une idée propre ou parfaite de l'Etre
souverainement simple et qu'aucune image ne peut
représenter, n. 12-13, col. 41 sq. Voir, dans Orat.,
XXXVIII, n. 7, col. :!17, une allusion aux vains efforts
de notre esprit qui, par association d'idées, cherche à
[jurer la divinité. Un jour nous connaîtrons Dieu
comme il nous connaît, mais en cette vie mortelle nous
De l'entrevoyons qu'à travers de faibles rayons. Si la
sainte Ecriture semble dire de quelques saints per-
sonnages, de l'Ancien ou du Nouveau Testament,
qu'ils ont connu Dieu, cela doit s'entendre d'une con-
naissance non parfaite en elle-même, mais supérieure
à celle des autres hommes, finit., xxvm, n. 17, col. 18 sq.
Ils n'onl pas vu Dieu face à face, mais par deri
I., xxxiii, 23, c'est-à-dire dans les créatures qui
manifestent ses perfections, n. 3, col. 30. Quoi
d'étonnant, puisque, dans l'ordre même de la nature,
noire connaissance est si bornée! n. 22 sq., col. 56 sq.
Saint Grégoire de Nysse ne fait, en général, que re-
prendre un développer la doctrine de saint Basile sur
l'incompréhensibilité divine. En dehors de l'argument
d'autorité, fourni par di - ti i d -nuls Livres,
comme Ps. i.xxxviii, 7; ( xi.iv. .'!; cxi.vi, 5; Eccle., v, I ;
Rom., m. '■'<■'<. I Cor., u, 9, Contra Eunom., I. III.
col. (KM sq.; I. XII, col. 941, 952; /« Eccle., homil. vu,
t. m. iv, col. 372. il fait appel, comi ux compa-
triote-, m carai l re borné et à la condition de notre
Connaissance. Conlra Eunom., I. XII. col. 932 sq. On
uve chez lui la preuve subsidiaire, tirée des mys-
I en dehors de nous et en nous. Ibnl.t
I \. col. 828; I. XII. col. ! l 'm n ti
le considération, que l'artiste m nou donne
lui- son œuvi ance de sa nature
intime. Ibid . I. 1, col. 381 oppose surtout
DICT. DI TBtOL. CATIIOL.
aux anoméens la transcendance, ontologique et logique,
de l'essence suréminente, ttjç ■J7iepsy_ovTr,ç o-Jui'aç, 1. III,
col. 597; rij VTrepî/ovirr, Tiivra vovv cpÛTct, 1. VII, col. 756,
et fonde en dernier lieu l'incompréhensibilité sur l'in-
finité, qui est la mesure de l'essence divine, tt,ç 8s
p.ÉTpov ï) àTteipia, 1. XII, col. 933; t'o 6k àôpiTTOv itcpi-
Xr,ï.0r,vac crj SJvatat, 1. III, col. 601. Aussi s'indigne-t-il
contre ces dialecticiens arrogants qui prétendaient en
quelque sorte forcer l'essence divine à coups de syllo-
gismes, o!. T7) o-JiTia toû 0soû Sià Tiîiv (ju).).oyc(jn.(;)v
âij.oaTôOovTs;, 1. VI, col. 729, et qui croyaient étreindre
dans la chétive mesure d'une seule notion l'ineffable
nature, 1. XII, col. 952.
Mais, platonicien d'éducation et de goût, admirateur
d'Origène, l'évèque de Nysse n'aurait-il pas trop pressé
la transcendance divine? On peut vouloir dire par là
que Dieu, conçu comme Être suprême, comme nature
suréminente, reste dans la catégorie de l'absolu et de
l'abstrait, par opposition au Dieu vivant de la foi.
Meyer, op. cit., p. 9 sq. En ce sens, l'objection n'est
pas spéciale; elle retombe sur presque tous les Pères
et sera discutée plus loin. Du reste, pour lui donner
ici quelque apparence, il faut démembrer l'œuvre du
saint docteur en deux séries de concepts qu'on déclare
objectivement inconciliables, bien que l'auteur les ait
unies dans sa foi naïve; il faut mettre dans sa poitrine
les deux âmes dont il a été déjà question. Il faut ou-
blier, en outre, que dans leur conception de Dieu
comme l'Etre suprême, les trois grands Cappadociens
étaient comme à l'antipode d'un Dieu abstrait, ou
simple comme un point mathématique. A l'encontre
d'Eunomius, qui réduisait la divinité à la seule notion
d'innascibilité, ils attribuaient à l'Etre suprême cette
suréminence, cette plénitude de perfection, qui est le
fondement même de la multiplicité de nos conceptions
de raison et des noms divins. Saint Grégoire de Nysse,
en particulier, a plus qu'aucun autre accentué l'infi-
nité divine prise au sens positif, c'est-à-dire sous le
concept d'absolue perfection. Conlra Exmom., 1. IX,
col. 808; De beatitudinibus, orat. i, t. xi.iv, col. 1197,
L'être infini est, pour lui, aussi essentiellement vivant,
qu'il est essentiellement sage, puissant, etc. : kÙtoÇiotj,
Contra Eunom., 1. VIII, col. 797; a-JToaoçioc, aùtoô'j-
vjat:. In Hexaem., t. xi.iv, col. 72.
L'objection peut cependant trouver là un nouveau
point d'appui. Établir la transcendance sur l'infinité,
c'était proclamer l'incompréhensibilité absolue de Dieu
en toute hypothèse, au ciel comme ici-bas. C'est vrai,
si l'on entend le terme de compréhension dans le sens
rigoureux où le prennent beaucoup de Pères, les Cap-
padociens entre autres, pour une connaissance de
i essence divine adéquate sous tous rapports, ('gale par
conséquent à celle que possèdent les trois personnes
de la Trinité. Mais celte affirmation de l'incompréhen-
sibilité absolue de Dieu n'est pas plus fausse qu'elle
n'est propre à saint Grégoire de Nysse. Voir Pelau,
Op. cit., I. VII, c. III et \ ; I i.in/elin. D« Dec un".
th. xix. La seule question qui puisse se poser avec
quelque apparence de fondement, est celle ci Ce l'ère
a-t-il porté la transcendance ei l'incompréhensibilité
jusqu'à dénier a la créature même béatifiée toute con-
naissance immédialede l'essence divine' M. us cette
question ne relevé pas du présent article; il suffit de
il ne ici que les textes allégui a n i tablissenl pas ce qu'on
leur prête. Les un- ne ~ ■ ■ 1 1 1 exclusifs que d'une connais-
stricte ni compréhensive de la divinité. Dans
i.s antres, il s'agit non de vision béatiflqne, mai- de
vision mystique et d it pas, en i (Tel .
Ii. île. Rien de plus, en particulier,
dans l'interprétation allégorique «le la vie de Mol
XI. IV, col. 'i'.lT iq., m dans s,.s ho-
mélies sur b Cantique il.- eanliqie • ' I
curieuses études 'le théologie mystique, où les n mlnii
iv. - SB
1091
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1092
cenccs néoplatoniciennes ne manquent assurément
pas, mais utilisées dans un sens et un esprit chrétien,
et où Ilenys l'Aréopagite puisera bientôt une bonne
partie des spéculations développées dans son fameux
écrit IIep\ jj.u<jTtv'.T;ç OeoXoyisç. Voir Diekamp, op. cit.,
c. i,§ 9 et 10.
d) Notre connaissance de llieu ici-bas. — Pour les
Pères cappadociens, incompréhensible n'est pas syno-
nyme d'inconnaissable. Ce point ressort assez de tout
ee qui précède; il mérite pourtant quelques dévelop-
pements, à cause des objections qui le firent éclaircir.
En 375, saint Ampbiloque, évêque d'Icône, interrogea
saint Basile au sujet de questions captieuses que les
anoméens posaient aux orthodoxes ; quelle est, deman-
daient-ils, l'essence de celui que vous adorez? Si les
catholiques se retranchaient dans l'incomprébensibilité
divine, les sophistes concluaient : Vous adorez donc ce
que vous ignorez. Et, si l'on essayait de récuser la con-
séquence, ils insistaient : C'est ignorer Dieu, que
d'ignorer ce qu'il est.
Le mot connaître, répond d'abord l'évèque de Césarée,
est susceptible de sens multiples. Si nous ne connais-
sons pas l'essence de Dieu, nous connaissons sa ma-
jesté, sa puissance, sa bonté, sa justice, sa providence;
tout cela rentre dans la notion courante de Dieu, rîjç
Ticçi ©eoO âvvota;. Objecter que Dieu est simple et que,
par conséquent, tout ce qu'on dit ou tout ce qu'on sait
de lui atteint son essence, c'est un pur sophisme. Autre
chose est l'essence considérée en elle-même, autre
chose est l'essence considérée sous les multiples aspects
que ses opérations nous permettent de connaître. Epist.,
ccxxxiv, n. 1, t. xxxu, col. 868 sq. Prétendre connaître
à fond l'essence divine, c'est montrer qu'on l'ignore.
Du reste, la foi nous prescrit, non pas de savoir ce que
Dieu est, mais de croire qu'il existe et qu'il récompense
ceux qui le cherchent. Heb., xi, 6. Nous adorons celui
dont nous connaissons et croyons l'existence. Ibid.,
n. 2, 3, col. 869.
Une nouvelle question, posée par l'évèque d'Icône,
amène une dernière réponse : De la connaissance (de
raison) ou de la foi, laquelle précède? Basile réplique :
En considérant l'ensemble de nos connaissances, la
foi vient en premier lieu ; la manière dont les enfants
apprennent les lettres de l'alphabet en est une preuve.
Mais dans la foi qui a Dieu pour objet, il faut d'abord
savoir que Dieu existe; cette connaissance préalable,
nous la tirons des créatures. Elles nous apprennent sa
sagesse, sa puissance, sa bonté et ses autres perfections,
invisibles en elles-mêmes. La foi vient après cette
connaissance, et l'adoration suit la foi. Epist., ccxxxv,
n. 1, col. 872. Ainsi se trouvait résolue l'objection ano-
méenne : Vos adoratis cjuod nescitis.
Que notre connaissance de Dieu ici-bas soit impar-
faite, c'est l'enseignement de saint Paul, I Cor., xm, 9 :
Nnnc quidem ex parte cognoscimus. Ibid., n. 3. S'en-
suit-il que cette connaissance soit fausse, ou qu'elle soit
nulle? La connaissance d'un être, d'un homme, de
Timothée, par exemple, pour être vraie, n'est pas néces-
sairement parfaite; nous pouvons le connaître sous un
rapport, et l'ignorer sous un autre : xoct;' aXXo (jiv oïSoc,
xoct' aXXo 8è àyvoeô. Ibid., n. 2. De ce que notre œil
n'embrasse pas toute l'étendue du ciel, dirons-nous que
le ciel est invisible? Ne disons-nous pas, au contraire,
qu'il est visible, pour ce que nous en voyons? Ainsi en
va-t-il de Dieu : Outw c<|xa\ 7cepl 0eo;j. Epist., ccxxxin,
n. 2, col. 868.
On aura remarqué qu'en toute cette controverse,
saint Basile considère le monde sensible comme la
source de notre connaissance naturelle de Dieu, atteint
►tans son existence et ses attributs essentiels. Mais cette
ascension vers l'Être suprême par le monde extérieur
n'exclut pas la connaissance que nous pouvons acqué-
rir de lui par le petit monde intérieur qui est notre
âme, rr,v Stà toO vo3 v<$ï)civ, /" Itaiam, v, 11, t. xxx.
col. 376. Voir surtout l'homélie sur le lexle : Attende
libi ipsi, n. 7, t. xxxi, col. -213 sq. : « Par l'àrne incor-
porelle qui est en toi, comprends que Dieu est incor-
porel, qu'il n'est circonscrit par aucun lieu, etc. «
Saint Grégoire de Nazianze, s'adressant à la masse,
insiste presque uniquement sur la voie du dehors :
« Qu'il y ait un Dieu, cause suprême, créateur et con-
servateur de toutes choses, les yeux mêmes et la loi
naturelle nous l'enseignent. » La loi naturelle désigne
ici, d'après le contexte, la propension instinctive qui
nous porte à nous élever des créatures sensibles à leur
auteur par le raisonnement, ouXXofisôiiEvo;. Orat.,
xxviii, n. 6, t. XXXVI, col. 32; cf. n. 16, col. 48, pour le
développement de la preuve, tirée de l'ordre du monde
ou des causes finales. En partant ainsi des créatures,
qui, dans la terminologie du saint docteur, sont comme
les entours de Dieu, iv. tûv irep'i ocjtôv, nous arrivons,
non pas à la compréhension de l'essence divine, mais
à une connaissance beaucoup plus modeste, qu'il com-
pare à un tout petit ruisseau, {Jpa-/eîa t;; i-noppor,, ou
au pale reflet d'une grande lumière, xai otov |iey<xXou
itoTci: (icxpàv àita-JYatraa. Ibid., n. 17, col. 48. A l'aide
du créateur nous nous formons comme une esquisse de
ce qui est en Dieu, èx to>v -£pï ocvrôv <T/.iaYpa?oûvT6; -x
•/.et-.' ocOtgv; de là une certaine image, obscure assuré-
ment, imparfaite et analogique, àjuiSpâv ::vi /.a: i<r6Evîj,
xai aXXrjv ait' aXXo'J çavTao-cav o-jXXsyofj.Ev. Orat., xxx.
n. 17, col. 125; cf. xxxvin, n. 7, col. 317, avec la note 11 :
o-Jx èx Twv xoct' ocOtôv, «XX1 Èx tôjv Tîsp'i avrôv. Ce n'en
est pas moins un moyen terme entre les membres du
dilemme qu'Eunornius ou l'un de ses partisans propo-
sait, en invoquant la simplicité divine et que l'évèque
de Nazianze nous a rapporté : Ou incompréhensibilité
totale, ou totale compréhension, xïv -:; otVjTai T'7> à-"/r,;
sii/ai Ç'jdîioç, r, a).T|~Tov c'vi'., r, te/ Eco; Xï)7îîév. Orat.,
XXXVIII, ibid.
A ne considérer que la manière dont nous parvenons
à la connaissance de Dieu, l'évèque de Nysse forme
contraste avec celui de Nazianze. Dans ses écrits mys-
tiques, commentaires sur la vie de Moïse ou le Cantique
des cantiques, homélies sur les béatitudes évangéliques,
traité sur la virginité, le frère de saint Basile s'attache
avec une prédilection marquée, à la voie du dedans,
celle qui part de l'âme humaine, considérée comme
image de la divinité. Il ne prend pas l'homme dans sa
seule nature physique ou philosophique, mais tel qu'il
est sorti des mains du créateur, Gen., I, 26 sq., avec
tous les dons qui l'ornaient alors, par conséquent
avec ce qu'on appelle sa nature historique ou théolo-
gique. La vertu du christianisme est de ramener
l'homme à cet état primitif, de restaurer en lui, dans
sa plénitude, l'image de Dieu. De professione chri-
stiana, t. xlvi, col. 244. Ceci fait, l'âme voit dans sa
propre beauté l'image de la nature divine : èv tcô !£:<.>
xâXXec Tr|C Oeia; çj<Tcco; xoc6opi tt,v stxôva. De bealitu-
dinibus, orat. vi, ibid., col. 1269. Tels sont les termes
dont se sert Grégoire dans le passage le plus caracté-
ristique de tous, alors qu'il explique la béatitude delà
pureté du cœur, Mattli., v, 8 : Beati mundo corde,
quoniam ipsi Deum videbunt.
Voici le fond de la pensée : L'àme-image se voit elle-
même et, se voyant, elle voit, c'est-à-dire connaît son
exemplaire, la divinité. Ce n'est pas une vision immé-
diate de Dieu ; F. Diekamp le démontre victorieuse-
ment, op. cit., p. 77 sq., contre divers auteurs, entre
autres W. Meyer, op. cit., p. 32 sq. Quoi qu'il en soit
de l'influence néoplatonicienne, indéniable en plu-
sieurs points, l'ensemble du passage enlève tout doute.
Quand le docteur cappadocien explique sous quel
aspect l'àme-image se voit, il n'indique pas autre chose
que des vertus : pureté, absence de vice et de passion,
éloignement complet du mal. La divinité est tout cela:
1093
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PERES
1094
xaôaptSr»)- yàç, à-cà8êta... r, 6ed?Y|" iitlt. L'âme voyant
ces vertus resplendir en elle, voit Dieu sous les mêmes
aspects; car la sainteté, la pureté, la simplicité sont
comme des rayons lumineux de la nature divine, à
l'aide desquels l'âme voit Dieu : rcavra Ta -rotaÛTa Ta
çauoîiS'T) TÎjç 6e;aç ç-jteco; àTix'jyàTiJ.aTa, 81' <I>v ô 0îbç
ôpàrott. 76ic/., col. 1272. Cf. In Cant. cant., homil. m,
t. xliv, col. 82i; homil. xv, col. 1093 sq.; De anima
etresurreclione, t. xlvi, col. 89 sq.
Mais comment l'âme se sait-elle image de la divinité?
Saint Grégoire de Nysse ne s'explique pas plus sur ce
point que saint Athanase et les autres Pères qui ont
eu la même conception. Tous s'appuyant sur le texte
fondamental de la Genèse, i, 26-27, il semble clair
qu'ils supposent une vue ou connaissance de foi. Le
procédé revient donc finalement à ceci : L'âme, ramenée
par le christianisme à sa beauté primitive et se sachant
image de Dieu, se contemple et dans ses propres per-
fections, connaît les perfections de son exemplaire, la
nature divine. La connaissance de Dieu acquise de la
sorte est d'ordre supérieur. Elle va directement, au
moins chez l'évéque de Nysse, aux attributs divins
d'ordre moral, alors que dans la voie du dehors, les
perfections physiques, comme la puissance, la sagesse,
la science, sont au premier plan.
Cette connaissance est, en outre, propre aux chré-
tiens; Grégoire l'oppose expressément à la notion que
les philosophes païens ont pu obtenir par la voie com-
mune. De bealitudinibus, loc. cit., col. 1269. Aussi,
quand ce Père indique ex prof'esso la méthode à suivre
avec un athée, il s'en tient uniquement à la preuve tirée
de l'ordre ou de la sagesse qui brille dans le monde
visible. Oralio catechetica, prœf., t. xi.v, col. 12. Cette
méthode a déjà été résumée plus haut, col. 883. On
remarquera soigneusement les deux étapes : d'abord,
preuve de l'existence de Dieu pour celui qui n'y croi-
rait pas encore; puis, exclusion du polythéisme par
l'idée de perfection qui s'attache à la vraie notion de
Dieu. Si \V. Meyer s'était aperçu que. dans cette seconde
étape, il n'est pas question de prouver l'existence de
Dieu, présupposée au contraire, il n'aurait pas soupe à
établir, op. cit., p. 17, note i, un rapprochement falla-
cieux entre le procédé grégorien et la preuve ansel-
mienne ou cartésienne de l'existence de Dieu par l'idée
d'infini. Le rapprochement est d'autant plus étonnant
que, dans la même Oratio catechetica, c. xn, col. 44,
le docteur cappadocien ne reconnaît comme valable,
quand il s'agit d'établir l'existence de Dieu, que la
preuve tirée de ses opérations : Keci fàp toO ;>/'.>; e'/ai
<-)-.', i. oùx «v «- ÉTÉpav àtn6£eiÇtv s'xoi, [~>V'] 'j'-% fflî
T<iv ivtpfeiàiv [lap-rupi'aç. Et si Thomassin avait pris
l'esprit de ces passages et autres du même genre, si
nombreux dans les écrits du saint docteur, il n'aurait
pas, pour soutenir sa théorie d'une idée de liieu stric-
tement innée, si mal interprété les deux ou trois textes
qu'il invoque. De Deo, I. I, c. IV, n. 2; c. VIII, n. 1.
Voir Franzelin, De Deo uno, Home, 1883, p. 113; Die-
kamp, op. cit., c. i, ^ i-, 5, en particulier p. 60.
Quand il s'agit, non plus de la manière dont nous
nous élevons .i Dieu, mais de la qualité même de la
connaissance que nous acquérons ici-bas, l'évéque de
N\sse se retrouve en pleine communauté de vues avec
son homonyme de Nazianze. Toutefois, ici encore, Gré-
goire le philosophe dépasse en aperi us Gr< go ire le théo-
logien. Nous n'obtenons de Dieu qu'une connaissance
obscure et très petite, i\i .j/.:/:',», mais
suffisante. ' ,'mi ira Eunom.,\. XII, col, 953. Notre intel-
eiïorce en vain >l atteind i rai sonni -
menU la souveraine natun ; elle n'arrive pas a la vision
re de l'Invisible, mais Dieu n'est pa n n ('lus si
inaccessible, qu'elle ne i faire quel*
que ébauche -, .-. xaOànaÇ à-sa ,
ytetu;, û; 'i i'.
ac'av. lbid., col. 956. Le raisonnement nous fait d'abord
comprendre quelque chose de l'objet de nos recherches :
TÔ [iïv Tt toû Çt)TOV) pivot) Stà tt,; tù>v ).oyio-(/.àiv l-acpf,;
ÈaTo/âTïto. L'impuissance même où nous sommes de
le connaître à fond, ajoute son enseignement, en nous
faisant conclure que Dieu dépasse toute science : to Se,
a^TÔ Toi |j.ï] 2'jvaaOac SiïSetv xpômov ttvà xaTev6ï)<jev, ofôv
Tiva "pwa-iv ÈvapyJ) to viùp rcâffav yvfi)(j(v to Ç^to-jjjevov
e'.vou -cof-|i«u.év/]. lbid. Nous comprenons ce qui ne
convient pas à la nature divine, mais nous ne savons
pas tout ce qu'il conviendrait de lui attribuer. Nous
n'arrivons pas à pénétrer ce qu'elle est, mais, par la
connaissance de ce qui est en elle et de ce qui n'y est
pas, nous en saisissons ce qui peut être atteint. Ainsi,
double moyen de connaissance, la négation et l'affirma-
tion : e < Se vrfi àpvrjCcwç Tàiv jj.t) npcKjo'nwt xai èx tt,;
6(j.o).o*fi'a; Tàiv vjgzoûh; uspi aÙTo-j voo'juivwv. lbid.,
col. 957.
Mais sur quel fondement le docteur cappadocien
s'appuie-t-il en dernier lieu, pour déterminer ce qu'il
faut affirmer de Dieu? La révélation mise à part, ce
fondement n'est rien autre que le rapport proportionnel
de perfection qui existe entre la cause et l'effet. Tout
ce qui existe en ce monde dépend de la nature suprême
et trouve en elle le principe de son existence; par
ailleurs, la création met sous nos yeux des merveilles
de beauté et de grandeur. De là viennent nos diverses
conceptions sur Dieu. Nous suivons en cela le conseil
delà Sagesse, kxoXouOoCvte; xi] <t\jp.ëriv).fl tt,? Soçta;. Ne
nous dit-elle pas, Sap., XIII, '5, qu'il faut partir de la
grandeur et de la beauté des choses créées, pour con-
templer, par voie de proportion, l'auteur de toutes
choses? lbid., col. 1105.
Par voie de proportion, àva).oyo>;; c'est là, pour la
doctrine de saint Grégoire de Nysse, un dernier com-
plément. Notre connaissance de Dieu étant toujours
au-dessous de la réalité, ce que nous affirmons de lui
doit évidemment s'entendre dans un sens éminent.
Cette conclusion, virtuellement contenue dans les pas-
sages qui viennent d'être résumés, est formellement
énoncée ailleurs. « Quand il s'agit de la nature souve-
raine, tout ce qu'on ditse trouve relevé par la grandeur
de l'objet qu'on considère, -râv t'o jrep\ «iMjv Xsy<[UVOv
auvs-caipeTXt. Oratio catech., c. I, col. 13. A Eunomins
qui, dans une objection, comparait la génération du
Verbe à celle des hommes, Grégoire répliqua : i Ne dis-
serte pas des choses d'en haut d'après celles d'en bas,
jj.r, h. Tory v.y-M yjv'.oïâyEt Ta fivto. » Cotilra Eunoni.,
1. IV, col. 625. Ainsi apparaissent tous les éléments de
la triple voie que nous retrouverons bientôt dans Denys :
voie d'affirmation, voie de négation, voie d'éminence.
Les résultats donnés par cette méthode n'ont pas
besoin d'être développés en détail. La doctrine des
trois Cappadociens sur les perfections divines est si
courante et si claire, dans son ensemble, qu'il suffit de
renvoyer aux études signalées dans la bibliographie, ou
même aui Indices analytici de Migne, au mot Deus :
pour saint Dasilc, P. G., t. xxx. col. 1206; t. xwn.
col. 1416, I i.'û, pour saint Grégoire de Nazianze, t. xxxvi,
col. 1288; pour saint Grégoire de Nysse, t. xlvi, col. 1255.
Voir aussi Schwane, op. cit., t. il, r. i, g i. p, 60 sq,
e) Pères antiochient : saint Jean Chrysostome ("f M)7),
Théodoret (f ■ iractéristiques qu'on
prête habituelle ai aux théologiens d'Antioche, com-
parés a ceux d'Alexandrie, voir Aktiochi {École théolo-
gique d . i. n, col. 1 136 sq., ont surtout leur application
el dans les questions christologiques,
sotériologiques el anthropologiques On en reti
ndanl quelque chose en théodici e, dans la tendance
beaucoup plus pratique que spéculative des docteurs
antiochiens. il suffit, pour i n n ndre c pte, de par-
courir la longue table des matières, placée i la Qn di i
| ' h ni i lu DStOfllI . oi mot h,
1095
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1090
t. xliv, col. 213-22."). On voit immédiatement quelle place
prépondérante occupent les attributs divins qui nous
concernent plus directement : la puissance qui a tout
produit et qui continue son œuvre par l'action conser-
vatrice et coopératrice; la science qui nous atteint tou-
jours et partout; la providence qui régit tout, qui veut
le châtiment et qui permet le mal ; la bonté qui par-
donne et qui sauve, etc.
Les homélies prononcées à Anlioche, en 386, et qui
ont pour titre : Ilepl àxotTa).7)irroy, De incomprehensibili,
P. G., t. xlviii, col. 701 sq., ne font pas exception. Par
leur genre, elles se rattachent beaucoup plus aux dis-
cours théologiques de saint Grégoire de Nazianze qu'aux
traités polémiques, et en partie philosophiques, de saint
Basile et de saint Grégoire de Nysse. Mais la doctrine est
identique. Le grand orateur s'élève avec véhémence
contre les spéculations arrogantes de ceux « qui se
vantent d'avoir de Dieu une science complète et par-
faite, et qui par là même tombent dans un abîme
d'ignorance. » Homil. i, n. 4, col. 704. C'est outrager
Dieu que de scruter sa nature avec trop de curiosité.
Homil. n, n. 3, col. 712. « Que Dieu soit innascible,
àyévvYjro;, la chose est manifeste; mais que ce soit là
le nom propre de son essence, aucun prophète ne l'a
dit; aucun apôtre, aucun évangéliste ne l'a insinué.
Rien d'étonnant : comment auraient-ils pu nommer ce
qu'ils ignoraient? » Homil. v, n. 4, col. 742.
Dieu est incompréhensible dans sa nature. Cette vé-
rité, Jean Chrysostome ne se contente pas de l'énoncer
en général; il la détaille, en l'appliquant aux divers
attributs. « Je sais que Dieu est partout, qu'il est tout
entier partout; mais j'ignore comment. Je sais qu'il n'a
point commencé d'exister, qu'il n'a pas été engendré,
qu'il est éternel; mais j'ignore comment. Mon esprit
ne peut pas concevoir une substance qui n'a reçu l'être
ni d'elle-même, ni d'un autre. » Homil. 1, n. 3, col. 704;
cf. Théodoret, Grœcarum affectionum curatio, serm. n,
P. G., t. lxxxiii, col. 858. Un peu plus loin, à propos
du texte de saint Paul, I Cor., xm, 12 : Nunc cognosco
ex parte, l'orateur n'insiste pas seulement sur la ques-
tion du comment, mais encore sur celle du combien.
«L'apôtre ne veut pas dire qu'il connaît une partie de
l'essence divine et en ignore une autre, car Dieu est
simple; mais il sait que Dieu existe, et ignore ce qu'il
est en son essence. Il sait qu'il est sage, mais il ignore
combien il l'est. Il n'ignore pas qu'il est grand, mais
il ne sait pas combien il l'est : x'o ôà tcôctov,... to-jto
oOx oïôsv, » n. 5, col. 706 sq. Ailleurs, c'est la spiritua-
lité divine, considérée en elle-même et dans ses consé-
quences, qui nous est présentée comme une énigme
pour l'humaine conception. In Episl.ad Colos., homil.
v, n. 3, t. lxii, col. 335.
Les nombreux passages où saint Jean Chrysostome
traite le sujet, n'ont pas tous la même portée. Souvent
il s'agit de l'invisibilité ou de l'incompréhensibilité de
Dieu par rapport aux hommes vivant sur la terre. Ainsi
en est-il, quand il rappelle les trois exemples, d'un en-
fant, d'un miroir et d'une énigme, I Cor., xm, 11-12,
dont saint Paul s'est servi pour caractériser la connais-
sance imparfaite, indirecte et obscure, qui est notre
partage ici-bas. De incompreh., homil. i, n. 3, t. xlviii,
col. 704. Ainsi en est-il, quand il parle des visions des
prophètes, comme Is., VI, 1; Dan., vu, 9; III Reg., xxn,
19; Amos, ix, 1; et conclut qu'ils n'ont pas vu l'essence
divine; car Dieu est simple, sans parties ni figure, et
ils ont tous vu des figures, et des figures différentes.
Homil. iv, 3, col. 730; cf. Théodoret, In Osée, xn, 10,
t. lxxxi, col. 1620. Ainsi en est-il encore, quand il fait
appel à la preuve subsidiaire, tirée des mystères qui
nous entourent ou qui sont en nous, celui de notre âme
en particulier. Homil. Il, n. 7; v, n. 4, t. xlviii, col. 717,
741.
D'autres fois, l'orateur d'Antioche affirme l'incom-
préhensibilité divine par rapport à tout être créé, les
anges comme les hommes : -/.ai :j.\- à/w-ripo) Swâpeffi*
àx«Td&ï)i«ov. Homil. ni, n. 1, col. 720. Il invoque
quelques textes de la sainte Écriture, comme Is., vi, 2;
Joa., i, 18; Eph., m. 10; I Tim., vi, 10. Homil. m, n. 3;
iv, n. 2 sq., col. 722, 730 sq. Mais il fait aussi appel à
la transcendance de la nature divine, comparée à toute
intelligence inférieure : tbv ûirEpëafvovTa ïvtjttjç ô'.avoii;
xaT(x/i)i|/iv, tov âve|t^vtafftov à- -f-ï/o'.;. Homil. (II, n. 1,
col. 720. Cf. Théodoret, In Canlicum cant., ni. 4.
t. lxxxi, col. 116, où, parlant de l'époux, considéré dans
sa nature incréée, et des anges, pures créatures, il dit:
tô [i-rfiï tOjtoi; ocutôv ei/ai xaTa/.v)irrdv, •/.ti'jtoï; o\tn: tov
axTiTtov. Doctrine facile à expliquer, dans son ensemble,
si l'on tient compte des circonstances. Les homélies
De incomprehensibili ont été prononcées contre les
anoméens; l'orateur a généralement en vue la connais-
sance que ces hérétiques s'attribuaient follement, en
disant : Je connais Dieu comme Dieu se connaît lui-
même. Homil. n, n. 3, t. xlviii, col. 712. Résumant sa
pensée, il la précise ainsi : Il n'est aucune intelligence
créée qui ait de Dieu une compréhension parfaite, ttjv
àv.piori xa-caXïnpiv ; ou encore : qui connaisse Dieu en
toute perfection, y.---x àxpsëetac àitia^ç. Homil. iv. n. 2,
3, col. 729, 731. La connaissance réservée au Fils,
Matth., xi, 27, il l'entend d'une vision et d'une com-
préhension semblable à celle que le Père a du Fils :
xr,v àxscëï) Xcysi Oscopiav ts zj'i xaTa/.Tjipiv, xii zoaaûzrft
otr/iv ô n<xTï)p ïyti TtEpi tov natôo;. In Joa., homil. XV,
n. 2, t. lix, col. 99. Voir Petau, op. cit., 1. VII, c. m,
n. 5, 12, pour la force du mot •/.a-i)r,.V.; ; c. v, n. 2 sq.,
pour les textes objectés.
Cette solution générale souffre difficulté pour quel-
ques passages, où les docteurs antiochiens, parlant des
saints anges ou des bienheureux, distinguent entre la
vision de l'essence divine elle-même et une vision dif-
férente, peu définie, appelée par Théodoret une vision
de gloire, et qui consisterait dans une manifestation de
Dieu proportionnée à la nature et à la faiblesse du sujet.
Telle paraît bien être la pensée de saint Jean Chrysos-
tome, quand il interprète contre les anoméens la vision
d'isaïe, vi, 1-2. Dieu apparaît assis sur un trône élevé,
tandis que les séraphins voilent sa face de leurs ailes.
Ils ne pouvaient supporter l'éclat jaillisant du trône
divin. Encore « ne voyaient-ils pas la pleine lumière
ni l'essence pure, o-J8' ocOttiv àxpaiçvf, tt,v o-Jin'av, mais
jouissaient-ils seulement d'une vision de condescen-
dance. Condescendance il y a, quand Dieu, s'accom-
modant à la faiblesse de ceux qui doivent le voir, se
manifeste non pas tel qu'il est, jj.r, u>: ëtviv, mais dans
une mesure proportionnée à leur nature. » De incom-
preh., homil. m, n. 3, t. xlviii, col. 722. Cf. In Joa.,
homil. xv, n. 1-2, t. lix, col. 98, où cette doctrine est
appliquée, d'une façon générale, aux saints anges et
aux bienheureux. Théodoret renchérit encore sur son
maître. Se trouvant en face de ces paroles du Sauveur,
relatives aux anges gardiens : Semper vident faciem
Palris veslri, Matth., xvm, 10, il les fait ainsi commen-
ter par l'interlocuteur orthodoxe, Dialog., i, t. lxxxiii,
col. 51 : « Ils ne voient pas l'essence divine, infinie, in-
compréhensible.... mais une certaine gloire ou splen-
deur proportionnée à leur nature, ix).à S&Sav ?tvà tr;
aOrùv ç'jdei dU|x|j.£TpoujjL£vr,v. » Passages difficiles, qui
supposent une interprétation particulière de plusieurs
textes de la sainte Écriture, mais dont la critique appar-
tient proprement à la question de la vision intuitive,
considérée dans son existence et dans sa nature.
Le rejet d'une connaissance compréhensive n'entraîne
pas, pour l'homme vivant ici-bas, celui d'une connais-
sance moindre et portant toutefois sur autre chose que
le simple fait de l'existence divine. Chrysostome con-
naissait l'objection anoméenne : « Alors vous ignorez
Dieu?» Nullement, répond-il. « Je sais qu'il existe; je
1097
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1098
sais qu'il est clément, bon, miséricordieux, que sa
providence s'étend à tout; je sais beaucoup d'autres
choses contenues dans les Écritures; mais je ne sais pas
ce qu'est son essence, tôti tt,v o-Wav. » Exposit. in ps.
CXLlii,Tk. 2, t. lv, col. 159; cf. In Joa.,loc. cit., col. 99.
Que dans ce simple aveu d'ignorance il y ait une plus
liante idée de la divinité que dans la prétendue con-
naissance des adversaires, le saint docteur l'insinue par
une comparaison pleine de finesse. Deux hommes dis-
cutent sur la grandeur du ciel : L'un dit que le regard
de l'homme ne peut en embrasser l'étendue; l'autre
prétend le mesurer de la main. « Quel est celui qui
comprend mieux la grandeur du ciel, celui qui se vante
d'en connaître la mesure, ou celui qui avoue son igno-
rance? » De incompreh., homil. v, n. 5, t. xi.viii,
col. 742 sq.; cf. Exposit. in ps. cxi.ui, loc. cit., où l'at-
tention est attirée sur l'infinie grandeur de Dieu, r'o
aitsipov Èxeïvo iJ.éyeOoç.
Pour les docteurs d'Antioche, la source de la con-
naissance que nous pouvons avoir de Dieu ici-bas, se
trouve, en dehors de la révélation, dans les créatures,
comparées par saint Jean Chrysostome à un maître qui
nous enseigne : v.-im;... SiBâcrxaXoç rïjç (isoy/tout'a:.
De diabolo, homil. il, n. 3, t. xlix, 261 ; In Epist. ad
Rom., homil. m, n. 2, t. i.x, col. 412; De incompreh.,
homil. ii, n. 4, t. xi.viii, col. 713. Dans ce dernier
passage, l'orateur, pour donner une haute idée de la
puissance divine, ajoute à la considération de la gran-
deur des choses créées celle de la facilité avec laquelle
Dieu les a tirées du néant. Comme apologiste, Théo-
doret reprend dans sa Thérapeutique, ou Grœcarinn
afjeclionum curalio,l. lxxxiii, col. 783 sq., les attaques
■de ses devanciers contre les erreurs païennes sur Dieu
et la défense de l'unité divine, avec témoignages con-
iirmatifs des poètes et des philosophes anciens. S'il
relève la prérogative de la révélation prophétique dont
la nation juive a bénéficié, il ne manque pas de rap-
peler que les autres peuples avaient reçu, dans l'in-
clination de l.i nature el le spectacle de l'univers, tout
ce qui leur était nécessaire pour connaître et servir
dignement le créateur. Serin, i, col. 82i. Les dix dis-
cours IÏEp\ npovofac, ibid., col. 555 sa;., contiennent de
riches développements sur l'ordre et la beauté du monde,
d'où ressortent directement les attributs divins qui ont
une connexion intime avec l'idée de providence.
L'abouliss;ini n ■ -l donc pas le simple fait de l'exis-
tence divine. « Si la grandeur et la beauté des créatures
Doua font, par voie de proportion, connaître le créa-
teur, plus nous contemplerons la beauté et la grandeur
des choses créées, plus aussi nous avancerons dans la
connaissance du créateur, » observe saint Jean Chrysos-
tome, Jn Genesim, i, n. I, t. i.iv. col. 581 . ht le disciple
d'ajouter, qu'en vert ême du rapport de proportion
supposé par l'auteur de la Sagesse, nous ne devons pas
ne tire le créateur mit le pied des créatures, mais le
déclarer infiniment supérieur en grandeur et en beauté,
aram a/] uratin, serm. m, t. LXXXIH,
col. 868. Ailleurs, il applique, dans les termes ne
de saint Basile, la doctrine des noms divins; ils nous
ut à louer la nature divine par ce qui esl en elle.
ir.'t -m, r.'.', '-.-,/-'. i. i i par ce qui n'y esl pas, xa\ i-o
-,-,',, -hm. Ibid., si fii» . il, col. -SOI).
La simplicité el la spiritualité de Dieu, cou idi i
leurs conséquences, comme
l'absence de figure el de ferme proprement dite, de
ns, de présence locale, onl souvent et vigoureu-
iit .il ii n n- Me ologiens d'Antioche. A pro-
pos du texte : ra, ■innius hominem ad imaginent i»o-
t Iront, Gen., i, 26, Chrysosti ■ déclare absolument
insi us' celui qui ose attribuer îles mi di
trait* a l'être incorporel. /.. ' nu, homil. VIII, n. .'t,
t. i .ni. col. 71 , cf. homil. Xlll, n. 2, col. I"
xal 3 ' rui. ni,
col. 589 : oOx ectti t'o ©sîov àvGpwTrôjAopiov. De même
Théodoret, Quœstiones in Genesim, xx, lu, t. lxxx,
col. 104, 156.
Aussi quel soin pour signaler le caractère métapho-
rique des expressions bibliques qui pourraient voiler
la simplicité ou la spiritualité divine aux yeux d'un
lecteur ou d'un auditeur peu instruit! « Quand vous
entendez parler de beauté, laissez de coté toute ima-
gination corporelle, pour ne songer qu'à une gloire
immortelle et à une magnificence ineffable. » Chrysos-
tome, Exposit. in ps. xli, n. 3, t. lv, col. 160. S'agit-il
de jalousie, de colère, de regret, de haine ? « Ne vous
arrêtez pas à la bassesse de ces mots humains; allez au
sens qui convient à la divinité. La jalousie en Dieu,
c'est son amour; sa colère, ce n'est pas un mouvement
de passion, mais l'exercice du juste châtiment. » Homil.
de capto Eulropio, n. 7, t. XLr, col. 402. lsaïe repré-
sente-t-ilDieu assis sur un trône? « Dieu n'est pas assis,
remarque l'orateur, c'est une position propre aux êtres
corporels... Dieu n'est pas contenu dans un trône, la
divinité ne peut être circonscrite. » De incompreh.,
homil. m, n. 3, t. xlviii, col. 722. C'est à propos de ces
sortes d'expressions que le saint docteur émet cette
réflexion : Dans la sainte Écriture Dieu prend, par
amour pour nous et dans notre intérêt, beaucoup d'at-
tributions qui, prises en soi, ne sont pas dignes de la
majesté divine. » In Joa., homil. lxiv, n. 2, t. ux,
col. 356.
Cette insistance à prévenir et à éclairer les fidèles
s'explique par la survivance, à cette époque, de l'erreur
anthropomorphique dans la secte des audiens, comme
Théodoret lui-même nous l'apprend. Ecclesiastica his-
toria, 1. IV, c. ix, t. i.xxxn, col. 1142; Ilwreticarum
fabidarum compendinm, 1. IV, c x, t. i.xxxm.
col. 428.
Avec Théodoret, nous sommes parvenus, pourl'Église
grecque, au milieu du vc siècle, époque où se termine
l'âge d'or de la patristique. Au groupe des l'ères antio-
chiens pourrait se rattacher un apologiste, qui semble
avoir écrit dans la première moitié du même siècle,
Macarius Magnés, donné pour évèque de Magnésie,
dans l'Asie-Mineure. Mais l"Airoxpmxb? \ Movoysvrçç
de cet auteur, publié dans ce qu'il en reste parC. lîlon-
del, Paris, 1876, ne donne pas lieu à une étude spé-
ciale. Les deux passages où il est directement ques-
tion de Dieu, ). IV, c. xx, xxvi, ne présentent que la
réponse à une objection relative à la monarchie divine :
Comment Dieu peut-il s'appeler monarque, s'il n'existe
pas d'êtres semblables auxquels il puisse commander ?
Il faut donc qu'il y ait d'autres dieux que lui. La réponse
est facile. Dieu esl monarque, ctdans un sens éminent,
puisqu'il commande à des sujets qui tous lui doivent
l'existence. Incréé, éternel, dominateur suprême, seul
il a droit par nature au nom de Dieu, 7rapà Ssov... to0
/a.-h. ç-Ji'.v, c. xxvi, p. 213. Si parfois d'autres reçoi-
vent la même appellation, I Cor., vin, 5, ce n'est pas
pour leur nature? ni dans toute la force du terme.
f) Pères latins, en dehon de l'Afrique : saint
Hilaire de Poitiert (f 366 ou 367), soinl Ambroiee
i ; : ; '. » T . taini Jérôme ; 190). — Pour la période qui
s'étend du concile de Nicée jusqu'au milieu du
le l'Occident est loin d'otirir autant de noms
que i I trient Ceui qui méritent d'être signalés peinent
■ réduire .i deux groupes, distincts surtont par le
Bjfenn le- non-africains et les africains.
Les trois docteurs qui font partie du premier groupe
ont une doctrine commune dans l'ensemble ei beau-
coup moins spéculative que relie .les alexandrins ou
celle ii.s cappadociena qui turent i la fois théoloi h ni
et philosophes, comme saint Basile el saint Grégoire
de Nysse. Du reste, point d'ouvrages qui-.' rapportent
■ nient .i la théodicée, m m teulemi ni. en .1. !
de phi lées, quelq plus i irae-
1099
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1100
téristiques sur la cognoscibilité de Dieu, sa notion et
sa transcendance.
La connaissance de Dieu est naturelle aux hommes.
Quia enim mundum contuens, s'écrie saint llilaire,
Deum esse non sential? In ps. lu, n. 2; i.xv, n. 10,
P. L., t. ix, col. 326,428; cf. De Trinitale, xn, 53, t. x,
col 467. Si l'homme a reçu la raison, qui lui permet
de connaître les créatures, c'est pour qu'il s'élève des
choses visibles à l'invisible majesté de Dieu. In
ps. cxxxyii, n. 13, t. ix, col. 790. Saint Ambroise
évoque l'ensemble de la création : hic mundus diviuœ
majestatis insigne est. Hexaem., 1. I, c. v, n. 17 ; De
fuga sœculi, n. 10, t. xiv, col. 131, 574. Il insiste, en
outre, sur le témoignage que les êtres pris en particu-
lier rendent à la sagesse et à la providence divine.
Hexaem., 1. VI, c. IV sq., col. 247 sq. Pensée qui se
retrouve chez saint Jérôme. Epist., lx, ad Ileliodo-
rum, n. 12, t. xxn, col. 596. Aussi, d'après le docteur
dalmate, ce n'est pas d'abord par la loi écrite, mais par
la loi naturelle que Dieu enseigna le néant des idoles
et sa propre divinité; et la loi naturelle désigne ici,
d'après tout le contexte, l'inclination native de l'esprit
humain à s'élever du monde sensible à son auteur. In
Isaiam, xl, 21, t. xxiv, col. 408. La même idée revient
dans les passages où l'âme nous est dépeinte comme
possédant en germe la connaissance de Dieu. In Gai.,
1,15; In Tit., i, 10, t. xxvi, col. 326, 570; Commenta-
riolus in ps. xvm, 7 : Nulius quippe est, qui non
habeat semina inlelleclus Dei. Anecdota Maredsolana,
publiés par dom G. Morin, Maredsous, 1895 sq., t. ma,
p. 29. Même dans les erreurs des païens Jérôme
retrouve quelque chose de l'inclination naturelle; car
le païen se croit inférieur à l'objet de son culte, et,
quand il veut prendre à témoin ou faire une invoca-
tion, il dit : Dieu voit, Dieu entend! Trac talus in
ps. ai', 10, ibid., t. m b, p. 137. En nous attestant
l'existence de Dieu, les créatures nous le font connaî-
tre par voie de conséquence : a condilionibus condi-
tor consequenler agnoscitur. Sap., xm, 5. De l'œuvre
nous concluons aux perfections de l'ouvrier. « L'art
qui brille dans les œuvres de raison ne révèle-t-il pas
l'intelligence invisible dont il est l'effet? » In Isaiam
tractatus duo, ibid., t. m c, p. 111. C'est par le
même principe et en s'appuyant sur le même texte de
la Sagesse, que saint Hilaire s'élève de la grandeur
et de la beauté des créatures à la grandeur et à la
beauté suprême du créateur : Magnorum creator in
maximis est, et pulcherrimorum condilor in pulcher-
rimis est. De Trinilate, i, 7, t. x, col. 30.
La théologie des païens n'en est pas moins remplie
d'obscurités et d'erreurs, ajoute l'évêque de Poitiers.
Quelle lumière, en revanche, dans nos livres sacrés!
La foi seule a ce qu'il faut pour calmer l'esprit. In
ps. lxi, 2, t. ix, col. 395 sq. Le passage où le saint
docteur raconte sa conversion, De Trinilate, i, 3 sq.,
t. x, col. 27, est comme le commentaire pratique de
cette vérité. L'examen des opinions multiples etdiverses
des anciens philosophes sur Dieu l'avait amené à ces
conclusions : La divinité ne va pas sans la providence,
elle ne comporte pas de sexe, elle ne peut être qu'éter-
nelle, une, simple, se suffisant à elle-même, toute-
puissante, n. 4. Le texte de l'Exode, m, 14, où Dieu se
donne pour nom : Ego sum qui sum, ou : Qui est,
jeta le penseur gaulois dans l'admiration par la pro-
fondeur du sens contenu dans cette appellation et son
aptitude à exprimer ce que nous pouvons concevoir de
plus propre à Dieu, l'être : non enim aliud proprium
magis Deo, quam esse, inlelligilur, n. 5. llilaire
entend ici, comme on le voit plus loin, xn, 24, col. 447,
l'être pur et simple, sans aucun mélange de non-être :
quia id quod est, non potcst intelligi dicique non esse;
esse enim et non esse contraria sunt.
Etant l'Etre par nature, Dieu est essentiellement
éternel, sans commencement ni fin : quia idipsum
quod est,neque detinentù est aliquando, neque cœpli,
i,5. Il est par lui-rnêrne, en lui-rnêrne, pour lui-même,
se suffisant pleinement à lui-même, immuable en ce
qu'il est, c'est-à-dire dans la plénitude de l'être, il, 6;
xi, 47, col. 55, 431; plus complètement, hips. il, n. 13,
t. ix, col. 269 : Ipsb i:<i , qui quod est, non aliunde
est; in sese est, secum est, a se [ou ad se] est, suus
sibi est, et ipse sibi omnia est, carens omni demuta-
tione novitatis. Immuable dans sa pure raison d'Etre,
Dieu est, au même titre, un et simple en tout ce qu'il
est : tolum in eo quod estunum est; ut quod spiritus
est, et lux et virlus et vita sit... Non humano modo
ex composilis Deus est, ut in eo aliud sit quod ab eo
habelur, et aliud sit ipse qui habeat ; sed totuni quod
est, vita est, nalura scilicet perfecla et absoluta et
infinila, et non ex disparibus constituta, sed vivens
ipsa per tolum. De Trinilate, vu, 27; vin, 43, t. x,
col. 223, 269. La notion d'Être devient ainsi, pour le
docteur gaulois, une notion première à laquelle se
rattachent, immédiatement ou par voie de conséquence,
toutes les propriétés essentielles de la divinité. Voir,
pour le détail et le groupement des textes, A. Beck,
Die Trinilàtslehre des hl. Hilarius, c. II.
Saint Ambroise et saint Jérôme ne présentent pas
une synthèse aussi pleine, mais ils attachent la même
importance au nom révélé à Moïse sur le mont Horeb.
En répondant : Ego sum qui sum, dit le premier de
ces docteurs, Dieu n'énonça pas une simpleappellation,
il exprima une réalité, car rien n'est aussi propre à
Dieu que d'être toujours : rem expressit, non appella-
tionem, dicens : Ego sum qui sum, quia niliil tam
proprium Deo quam semper esse, In ps. XLIJI, n. 19,
t. xiv, col. 1100; hoc est verum nomen Dei, esse sem-
per. Epist., vin, n. 8, t. xvi, col. 914. C'est en ce sens
que, d'après une étymologie risquée, oocti à::', le doc-
teur milanais affirme que le nom d'o-jtrt'a, essence,
convient à Dieu dans toute la force du terme. De fuie,
1. III, c. xv, n. 127, t. xvi, col. 614. Cette essentielle
éternité s'applique à tout ce qu'est Dieu; d'où l'immu-
tabilité absolue de l'Être divin, mais immutabilité dans
la plénitude même de la perfection : Soins enim sine
processu Deus, quia in omni perfeclione semper xler-
nus est. Ibid., 1. IV, c. i. n. 10, col. 619; cf. 1. I. c. n,
n. 14, col. 532 : cum in nalura Dei plenitudo bonita-
lis sit; De officiis, 1. III, c. il, n. 11, t. xvi. col. 48 :
Deus justus per omnia, sapiens super omnia, jerfe-
clus in omnibus. Par là, Dieu se distingue essentielle-
ment de toute créature, dont la bonté, comme toute
perfection, n'est jamais que partielle : Deus univers*-
taie bonus, homo ex parle. In Luc, 1. VIII, n. 65,
t. xv, col. 1785.
Dans ses Commentarioli, saint Jérôme considère le
nom de Dieu que les Juifs déclaraient ineffable, comme
un nom propre : quod proprie Dei vocabulum sonal ;
quoi! proprie in Deo ponitur. In ps. vin, 2; CIX, 1,
Anecd. Mareds., t. m a, p. 21, 80. Mais comment
Dieu a-t-il pu, Exod., m. li, s'attribuer en propre
l'être? N'est-ce pas là un nom commun de substance'.'
La réponse n'est pas difficile. Tous les autres êtres ne
sont que grâce à Dieu et dans les limites où ils ont
reçu de lui l'existence; ils ne sont pas par nature.
Mais Dieu, essentiellement éternel, a lui-même le
principe de son être, et ipse sui origo est, suwque
causa substantise ; seul il est par nature, comme seul
il est bon par nature. AdEph., m, 1 î. t.xxvi,col.488sq.
Aussi peut-on dire de la nature divine que seule elle
est vraiment : una est Dei et sola natura qux ver»
est. Les créatures, au contraire, semblent plutôt être
qu'elles ne sont; car il fut un temps où elles n'exis-
taient point, et elles peuvent cesser d'exister. Epist., xv.
ad Damasum, n. 4, t. xxn, col. 357. Assertion qui,
dans la pensée du saint docteur, ne tend pas à nier la.
1101
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1102
réalité objective des créatures, quand de fait elles
existent, mais seulement à lui refuser la prérogative
divine d'être par nature ou essentiellement. C'est dans
le même sens qu'il dit ailleurs : Dieu seul est immor-
tel, car il n'existe pas, comme les autres, par grâce,
mais par nature. Dialog. adversus pelagianos, 1. II,
n. 7, t. xxn, col. 542. Et comme il est par nature, par
nature aussi Dieu est immuablement ce qu'il est et
tout ce qu'il peut être : Dei solius naturam esse i>n-
mutabilem, de quo scribilur, Ps. cr, '28 : Tu vero ipse es.
Ad Gal.,i, 8, t. xxvi, col. 320.
Mais, si dans la notion d'être nous possédons enfin
un nom propre, et même le vrai nom de Dieu, celui-ci
restera-t-il encore ineffable, incompréhensible, impéné-
trable en sa nature? L'Occident vu-t-il faire échec à
l'Orient, et marcher sur les brisées d'Eunomius? La
supposition est inadmissible, non moins que fausse.
Autre chose est le nom propre, entendu généralement
d'une dénomination qui convient réellement à Dieu
par nature et qui le dislingue des créatures; autre
chose est le nom propre, entendu dans le sens plus
rigoureux de terme qui exprimerait en soi et qui
manifesterait à l'esprit de l'auditeur, par une notion
directe et adéquate, la nature intime de Dieu, tel
qu'il est en lui-même. Les Pères latins affirment avec
autant d'énergie que les Pères grecs, non seulement
l'invisibilité matérielle, mais l'ineffabilité et l'incom-
préhensibililé de l'essence divine.
L'invisibilité matérielle est un pur corollaire de la
spiritualité divine, souvent inculquée par nos trois
docteurs, par opposition à l'erreur anthropomorphique.
A propos de ces paroles de David : Deprecalus sum
faciem luatn in loto corde meo, Ps. cxvni, 58, saint
Ililaire fait cette remarque : Scil invisibilem esse car-
nalibus oculis gloriam Dei. In ps. c.xyiu. lit. vin,
n. 7, t. ix, col. 555. Plus loin, il juge ainsi l'exégèse
qui prétendait tirer du livre de la Genèse, i,26, l'idée
d'un Dieu corporel : Sed hsec iu/iilelitatis delira-
menta sunt. In ps. i xxix, n. 4, col. 720. Saint
Ambroise n'est pas moins expressif : AZternus corpo-
ralibus non videtur aspectibus. In ps. rxvni, serm.
xviii, n. il, t. xv, col. 14(57. Le inonde, parce que cor-
porel, ne peut pas s'appeler proprement l'ombre de
Dieu : rii/n incorporel Dei corporea adumbratio esse
non possit. Hexaem., 1. I, c. v, n. 18, t. xiv, col. 131.
Saint Jérôme, comme saint .Ican Chrysoslome, ne se
lasse pas de tenir son lecteur en éveil contre les
expressions anlhropomorpliiques qu'il rencontre sur
son chemin; voir, par exemple, In Isaiam, xi.vi, I sq.,
t. xxiv, col. 451; In Ezech., vm, 3, t. xxv, col. 78;
I" ps. m ni, 8 sq., Anecd. Mareds., t. m b, p. 129;
cf. t. m c, p. 83; In ps. x, 5, ibid., t. m c, p. 6.
Dieu, pur esprit, n'est pas seulement invisible aux
feux du corps; il est incompréhensible. Dans le
passa;:>- même où il admire et scrute la profondeur des
paroles : Ego snm qui sum, saint Ililaire conclut a
une grandeur de Dieu telle qu'on ne peut la concevoir
par la raison, mais seulement y croire : quantUS <■/
intelligi mm polest, et potest credi.De Trinilate,î, x.
t- x. col. .'il. Quand il s'agit d'exprimer Dieu tel qu'il
i en tout ce qu'il est, notre langage est radica-
lement impuissant : Deum ni est. quantusque est,
non eloquetur . La science parfaite, ici, consiste à savoir
que Dieu est inénarrable, bien qu'on ne puisse l'igno-
)ierfccla scientia est, su- limon scire, ut licet
mm ignorabilem, lameu inenarrabilem n "is. Ibid.,
n. 7, col. 57. Quelque beauté que noua loi prêtions,
Dotre conception reste au-dessous de la réalité,
que. cependant, Dieu échappe pleini m. ni a noire con-
: algue un pulcherrimui f)em est confi-
tendus, «( neque in Ira sententiam sit intelligendi ,
neque extra mlcWgcntiam sentiendi. Ibid., i. 7.
col.
Sans traiter ce point aussi fréquemment que l'évêque
de Poitiers, saint Ambroise n'en parle pas moins, en
passant, dans des termes aussi fermes. Dans la pré-
tention à pénétrer pleinement la nature divine, il ne
voit que l'infatuation d'une dialectique perverse et fal-
lacieuse : (/uomodo non infatuatur versutse disputa-
tionis aslutia? Hexaem., 1. I, c. i, n. 9, t. XIV, col. 127.
L'idée qu'il se fait de Dieu est tout autre : visu incom-
prehensibilis, falu inihterpretabilis, sensu inxstima-
bilis, fide sequendus, religione venerandns. Ce qui ne
veut pas dire qu'il faut s'en tenir au silence ou à la
négation, car le saint docteur achève ainsi la phrase :
ut quidquid religiosius sentiri potest, quidquid prse-
stantius ad décorent, quidquid sublimius ad'potesta-
tem, hoc Deo intelligas convenire. De fide, 1. 1, c. xvi,
n. 106, t. xvi, col. 553.
C'est dans le même esprit que saint Jérôme recom-
mande la modestie dans les spéculations et les discours
sur Dieu; entre nos conceptions et sa nature il n'y a
pas moins de distance qu'entre la terre et le ciel.
In Eccle., v, 1, t. xxm, col. 1052. « Voulez-vous savoir
la nature de Dieu? Voulez-vous savoir ce qu'est Dieu?
Sachez que vous l'ignorez : hoc scito quod nescias. »
Paroles que le Père explique comme nous avons vu
saint Jean Chrysostome expliquer la comparaison dont
il se servait contre les anoméens. « En sachant que
vous l'ignorez, ne vous trouvez-vous pas plus instruits
que les autres? Le païen voit une pierre, et la prend
pour Dieu ; les philosophes voient le ciel, et le prennent
pour Dieu; d'autres voient le soleil, et le prennent
pour Dieu. Comprenez donc combien vous l'emportez,
vous qui dites : Une pierre ne peut pas être Dieu, le
soleil ne peut pas être Dieu, etc. >> In ps. xri, 6, Anecd.
Mareds., t. m c, p. 74.
Le point de contact qui vient d'èlre signalé entre
saint Jérôme et le grand orateur d'Antioche, n'est pas,
en cette question, un fait isolé. Plusieurs fois le doc-
leur dalmate parle de la vision d'isaïe, vi, 1, et son
interprétation rappelle de très près celle de saint Jean
Chrysoslome. Voir In Isaiam, i, 10; VI, 1, t. xxiv.
col. 33, 92 sq.; et surtout, le petit commentaire sur
la \ision de ce prophète, que je résume d'après les
Anecdola Maredsolana, t. me, p. 107 sq. Les séraphins
couvraient de leurs ailes la face de Dieu, ou plutôt la
leur, pour faire comprendre au prophète que nul
mortel ne peut voir Dieu tel qu'il est, juxta id quod
est lirus. La parole dite par saint Jean, i, 18 : Deum
nemo vidit unquam, ne s'applique pas seulement aux
hommes, mais à toute créature raisonnable. Elle nous
apprend que tout ce qui est en dehors de Dieu ne peut
pas le voir tel qu'il est, mais seulement dans la mesure
où il daigne se manifester : non /uxta id quod est Deus,
sed juxta id quod se areaturis suis dignanter osicu-
dit. Saint Paul, à son tour, nous enseigne qu'il faut
savoir, non pas ce qu'est Dieu et comment il est,
qui» et qualis sit. mais seulement qu'il existe, quod
sit. Nous savons que Dieu existe, nous savons encore
ce qn'il n est pas; mais ce qu'il est cl comment il l'est,
nous ne le pouvons pas savoir. Par un effet di
bonté' et île sa cl. 'menée il s'est incliné vers nous, pour
nous permettre de Bavoir de lui quelque chose, el de
onnaitre dans ses bienfaits : ut aliqua île eo
esstimare valeamus, esse ettm senlianius benaflei
Hais quand il s'agit iln commenl de son élre, ./>.■
autenx sit, la distance eal trop grande entre Dieu el la
créature pour que celle-ci puisse prétendre à le
connaître.
De & il résulte manlfesl -ut que, d i|
saint l'i'i'iiie, mil homme mortel ne peut voir Dieu tel
qu'il est, el mé qu'aucune créature ne peul le voir
autrement que dan- la mesure ou lui-même daigni
manifester, Commenl Dieu m manifeste-l il aux bien
heureux habitants du ciel? C'est me .mire question, m
1103
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES]
1104
suffit de remarquer ici que, sous ce rapport, le s;iint
docteur met une différence essentielle entre les hommes
vivant ici-bas et les saints anges : Homo igilur Hei
faciem videre non potesl; angeli autcm etiam mini-
nwrum in Ecclesia, semper vident faciem Dei. In
haiam, I, 10, t. xxiv, col. 33. Cf. S. Augustin, Ejiist.,
cxi.vm, n. 7 sq., P. L., t. xxxiii, col. 625.
La théodicée de saint Jérôme, comme celle du doc-
teur gaulois et du docteur milanais, ne donne pas
lieu, pour le reste, à des développements spéciaux.
Dans une étude sur saint Arnbroise, J. E. Pruner carac-
térise la théologie de ce Père par le relief donne'1 à
l'amour : amour de Dieu qui explique et inspire toutes
ses œuvres, création, rédemption, économie entière du
salut; amour de l'homme pour Dieu, comme affection
due en retour. Si juste que soit cette affirmation, on ne
saurait la prendre dans un sens exclusif, car la bout''
de Dieu brille aussi dans les écrits des deux autres
Pères, en particulier dans ceux de saint Jérôme. C'est
lui qui, dans ses petits commentaires sur le livre des
Psaumes, lance au vol, à propos de ce texte : Et in
operibus manuum luarum exultabo, celte considéra-
tion simple, mais d'une si grande fécondité pour un
cœur chrétien : Video paulatim per singulos dieu in
singula tempora mihi naturam operari et in meos
cibos crescere. Video quomodo Deus in omnibus mihi
laboral, ut milii nildl desit; et propterea exulto in
te, Domine- In ps. xci, 5, Anecdota Maredsolana,
t. m b, p. 122.
g) Pires africains : Marins Victorin (f vers 363) ;
saint Augustin (f 430). — Comparés aux Pères latins
qui précèdent, les Africains présentent une physiono-
mie très distincte. Ils font à la spéculation une part
beaucoup plus large; en outre, leur éducation philoso-
phique, néoplatonicienne, réagit fortement sur leur
théodicée. Pour l'influence exercée comme pour l'au-
torité, nulle comparaison n'est possible entre le grand
docteur qui s'appelle Augustin et Marins Victorin, ce
rhéteur converti au soir de sa vie et qui se fit aussitôt
le champion delà foi chrétienne contre le manichéisme
et l'arianisme. Victorin n'en est pas moins un anneau
entre les apologistes africains de la période anténi-
céenne et le brillant génie qui, chez les Latins, cou-
ronne l'âge d'or de la patristique. Il touche plusieurs
problèmes que nous retrouverons chez l'évêque
d'Hippone, comme chez Denys en Orient.
La doctrine de Victorin sur Dieu contient d'abord
des éléments traditionnels, sur lesquels il serait inu-
tile d'insister; telle, par exemple, dans le livre Ad
Justinum manicliœurn, P. L., t. vin, col. 999-1010, la
réfutation des deux principes de Manès par la contra-
diction que renferme l'hypothèse de deux êtres néces-
saires, tout-puissants, infinis, indépendants l'un de
l'autre et même ennemis. L'opuscule De generatione
divini Verbi, ibid., col. 1019-1036, et les quatre livres
Adversus Arium, col. 1039-1138, méritent davantage
d'être signalés, non certes pour l'obscurité de l'auteur,
qui lui a valu cette critique de saint Jérôme, De viris
illustribits, c. ci, P. L., t. xxm, col. 701 : Scripsil
adversus Arium libros more dialectico valde obscuros
qui nisi ab eruditis non inlelliguntur, mais pour
cette particularité qu'on y entend un néoplatonicien
se servant de sa philosophie pour expliquer et défendre
les dogmes chrétiens. Certaines expressions, en appa-
rence contradictoires, que nous avons rencontrées chez
quelques Pères platoniciens, se retrouvent ici ramas-
sées et portées en quelque sorte à l'état aigu. En ce
qui concerne Dieu et la notion d'être, le oui et le non
se succèdent, Dieu étant dit 8v et pj| ov. De générât.,
n. 4, col. 1022. Par rapport aux choses créées, Dieu
.sera tout, unum omnia, ou, au contraire, rien, md-
lum de omnibus. Adv. Arium, iv, 23, col. 1129. Les
noms d'existence, de substance, d'intelligence, de vie.
lui sont couramment appliqués; puis vient un alpha
privatif, qui semble tout retirer : àvj7capxTo;, et àvo-i-
aïoî, et avo-j;, et aïtov. Ibid. En revanche, Victorin
otlre un grand avantage. Toutes ces expressions, il ne
les emploie pas seulement en passant, comme d'autres
Pères; il les discute et, ce faisant, en détermine la
signification.
On ne saurait comprendre la défense sans tenir
compte de l'attaque. L'arien Candide, qui avait com-
posé un petit écrit De generatione divina, P. L-, t. VIII,
col. 1013-1020, rejetait la génération du Verbe, comme
incompatible avec l'immutabilité divine. 11 insistait
naturellement, comme les théologiens de sa secte, sur
l'absolue simplicité de Dieu : aliud et aliud non reci-
pilur circa Deum, n. 2, col. 1014. Mais, détail carac-
téristique, il prétendait ruiner par la base le terme
nicéen de consubslantiel, en niant que Dieu fût sub-
stance. L'argumentation était assez simple. Toute sub-
stance, disait-il, est l'œuvre de Dieu et, par conséquent,
lui est postérieure; du reste, la substance est un sup-
pôt, subjectum quoddam, et ce qui est suppôt n'est pas
simple. Dieu n'étant pas substance, rien ne peut lui
être consubstantiel, n. 8, col. 1018. A cette attaque se
rattachaient des développements abstraits et subtils
sur les notions d'être, d'entité, d'existence, et autres
semblables.
Victorin fut donc amené à considérer Dieu sous les
mêmes aspects. Il le fait souvent au cours de ses deux
écrits, mais surtout dans le IVe livre contre Arius,où
il donne en raccourci « un traité de Dieu et des choses
divines, » n. 4, col. 1115 sq. Dieu est un esprit,
c'est-à-dire une substance existante, vivante, intelli-
gente. Dans cet esprit d'une absolue simplicité, être,
vivre et connaître s'identifient substantiellement. Mais
Dieu est et vit autrement que nous. Il est par lui-même,
pour lui-même, en lui-même, sans le secours d'aucun
autre principe : a se, sibi, per se, in se solo, simplex,
purum, sine existendi principio, n. 5, col. 1116. Plus
loin, n. 27, col. 1132, Victorin exagère même la notion
de l'aséité divine, en se servant, comme Lactance. voir
col. 1065, de termes qui suggèrent l'idée de causalité
efticiente; car, après avoir parlé de Dieu qui se con-
naît lui-même, il ajoute : Quod cum fit, se esse efficit.
Cf. I, 3, col. 10 il : Causa principalis et sibi et aliiê
causa est. Il faut toutefois tenir compte du but que
l'auteur poursuit dans son écrit. 11 ne considère pas
Dieu dans la seule unité de sa nature, mais aussi dans
la trinité des personnes, qu'il rattache, plus ou moins
heureusement, à ces trois actes : esse, vivere, intelli-
gere. De ce point de vue. Dieu pris dans sa réalité
concrète ne se conçoit définitivement constitué que
dépendamment de l'opération par laquelle il se con-
naît (il faudrait ajouter : et s'aime). Mais l'expression :
se esse efficit, semble aller plus loin.
Dieu, et Dieu seul, étant par lui-même, il lui appar-
tient de communiquer l'être aux autres : principium
existentium, substantiarum pater, qui ab c </uod
ipse est, esse cseleris prœstat, n. 12, col. 1122. Cette
considération amène l'apologiste à distinguer dans
l'être, pris non comme substantif, ov, mais comme
verbe signifiant l'acte de l'existence, tô tîvat, une
double acception : d'abord, celle d'être universel et
suprême : unum, ut universale sit, et principaliter
principale ; puis, celle d'être qui convient à tout ce
qu'il y a de genres, d'espèces et choses semblables :
alioque esse est exteris, quod est omnium post vel
generum vel specierum , atque hujusmodi cœtcrorum,
n. 19, col. 1127.
A cette doctrine se rattache la double série d'expres-
sions, en apparence contradictoires, que nous avons
rapportées. La dénomination d'être convient-elle à
Dieu? Oui et non, répond en substance Victorin. sui-
vant qu'on considère l'être dans l'une ou l'autre des
1105
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1106
deux acceptions distinguées. Dans la première, Dieu
peut et doit s'appeler être, c'est-à-dire l'être même,
ipsum esse, ipsum vivere, n. 19, col. 1127; l'être prin-
cipal, principale -zh ov, i, 33, col. 1066; l'être suprême,
supremum ov, De gcneratione, n. 4, col. 1022; celui
qui est vraiment, dans toute la force du terme, vere
ôv. Ibid., n. 2, col. 1021. Dans la seconde acception,
la dénomination d'être ne convient posa Dieu, puisque
son être n'est pas déterminé, génériquement ou spéci-
fiquement, comme l'être de toute créature (l'être précii-
camental) : non aut aliquid esse, aut aliquid vivere,
nec ôv. Adv. Arium, iv, 19, col. 1127. Dieu, en ce sens,
est supérieur à l'être, comme puissance capable de le
produire, supra id quodest, potentia ipsius toO ôvto;J
il est, au même titre, antérieur à l'être, irpoov. De
generalione, n. 2, 3, col. 1021. Mais quand on lui
refuse ainsi la dénomination d'être, ce n'est pas, on le
voit, pour le priver de tout ce qu'il est, mais pour
signifier qu'il diffère, comme être suprême, de tous les
aulres : et ju.rla qaod supremum est, u.ï) ô'v Deus
dicitur, non pcr priralionem miiversi ejus quod sil,
sed ut aliud ô'v ipsum, quod est (xt, ov. Ibid., n. 4,
col. 1022; cf. n. 13, col. 1027.
Dieu, par rapport aux créatures, est-il toutou n'est-
il rien? La réponse diffère encore suivant le point de
vue où l'on se place. Dieu, comme premier principe,
est tout virtuellement et d'une certaine façon : virtute
scilicet et modo quodam, unde diclum a Paulo,
I Cor., xv, 28 : Ut sil Dcus omnia in omnibus, Adv.
Arium, il, 3, col. 1091 , omnium existent iarum causa
est, et idco omnia. Ibid., iv, 18, col. 1126. En ce sens,
et en ce sens seulement, tout est dans l'Un et l'Un est
tout : in uno omnia, vel unum omnia; omnium
enim principium, unde non omnia sed li.i.O MODO
omnia. Ibid., n. 22, col. 1129. Mais si nous comparons
d'une façon absolue son être et celui des créatures,
Dieu n'est ni un ni tout : nec unum nec omnia. Ibid.
II est au-dessus de tout, et par conséquent rien de
tout ce qui existe en dehors de lui : super omnia, et
ideirco nullum de omnibus, n. 24, col. 1130; De gcne-
ratione, n. 13, col. 1027. (Expressions qui se retrouvent
presque littéralement dans Plolin, Ennead., III, vin. s ;
VI, vu. '.)■>, édit. Creuzer et Moser, Paris, 18,">5, p. IS7.
189.) On ne peut même pas dire propn meut qu'il est
seul de son espèce, puisqu'il est en dehors du genre
et de II est VI». Adv. Arium, I, 'i9, col. 1078.
Si Victorin suit là encore Plotin, en donnant la préé-
minence à la notion de l'Un sur celle de Yl'.tre, c'est
sans doute parce qu'elle lui semble mieux Béparer Dieu
de tout le reste el ramener tout en lui à la simplicité.
M. lis il faut avouer que la description faite de I I n
en cet endroit tend à la limite de l'abstraction et
justifie le jugement porté par saint Jérôme sur l'obscu-
rité du vieux rhéteur.
Dieu est-il substance? Oui, répond Viciorin à plu-
sieurs reprises el avec insistance. Adv. Arium, 1,29 sq. ;
H, 1 sq., etc. Il n'envisage pas la sub tance dans le
même sens que son adversaire, Candide l'arien, c'est-à-
dire comme suppôt des accidents, mais seulement
iine « le sujet qui est quelque chose, ou qui n'est
pas dans un autre : subjeclum, quod est aliquid, quod
ut m alio non es.s-c, » i, 30, col. 1062. Évidemment
Dieu, -ou- le ra| porl de la substance, a esl pas i n
transcendant qu'en toul le reste, liittpoûouo; ; el c'esl là,
remarque Victorin, ce qui a donné lieu à quelques-uns
de l'appeler à/ovTio;, non pas qui: soi! réellement
substance, puisqu'il existe : »"n quod .■,,/
subataniiii. non il », n, I. col 1089. La négation n'a
don' ib "lu. mail un -• n- purement
lifel qui tend > mettre en relui la transcendance
ou l'éminence de la substance divine, comparée aui
auires. Clic explication, l'apologiste africain l'étend
aux termes négatifs de m> i
avo-j;, aÇrov, en les commentant ainsi : sine existentia,
sine subslanlia, sine intelligentia, sine vila dicitur,
non quidem per rtziçr^i'i, idest, non per priralionem ,
sed per supraiationem; omnia enim quœ voces nomi-
nant, post ipsum sunt, iv, 23, col. 1129; cf. 26,
col. 1132.
Dieu pris absolument et abstraction faite de toute
relation au dehors, ne peut être qu'incompréhensible
et inconnaissable. Tout ce qu'il est se trouve alors
comme renfermé en lui et sans distinction : quia isla
inlus sunt et in se conversa sunt, omnia ayvjooTa,
àSiây.pira, incognila et indisercta sunt, iv, 20, col. 1 128.
Dansson immensité, son infinité même, Dieu est indéter-
miné,non pas en lui ni pour lui, mais pour les aulres :
omnimodis perfectus, interminalus, immensus, sed
cseteris, sibi terminants et mensus, îv, 24, col. 1130;
infinitum, interminatum, sedaliis omnibus, non sibi.
Ibid., 19, col. 1127. 11 faut qu'il y ait de sa part mani-
festation au dehors, pour qu'il se reflète et devienne
connaissable en quelque image : cum aulem foris esse
cœpcrit, tune forma apparens imago Dei est, Deum
per semet oslendens. Ibid., 20, col. 1128. Victorin
indique les deux grandes formes de cette manifestation
extérieure de Dieu; d'abord, la création du monde, ideo
mundum et opéra sua divi7ia constiluit, ut eum per
isla omnia cerneremus ; puis, l'incarnation du Verbe,
post Salvatoris adventum, cum in Salualore ipsum
Deum vidimus, ni, 6, col. 1102 sq. Aussi le monde et
la révélation sont-ils les principes de la connaissance
que nous pouvons avoir ici-bas de la divinité. Les termes
propres nous manquent, il est vrai, quand il s'agil de
parler des choses divines; nous pouvons cependant
nous servir, par adaptation, de ce qui est ici-bas, il, 3,
col. 1091. (Le texte, tel qu'il se trouve dans l'édition
Migne:.\av CONGRUE demum... a/ilamus, ne me semble
guère répondre à la suite des idées.)
Toute cette doctrine, envisagée sous son aspect philo-
sophique, présente des rapports de parenté si manifestes
avec celle des néoplatoniciens, en particulier de Plotin,
que ibms une étude sur Marins Viciorin, dom Geiger a
pu dire, p. 6: « Ces écrits ne renferment au fond que le
système néoplatonicien sous forme de théologie chré-
tienne, in chrisllich-theologisehem Gewande. » Mais en
même tempe il n'est pas difficile, quand on fait attention
à la fréquence des ci ta lions scripturaires, de se convaincre
que la foi de l'apologiste exerce une grande inlluence
sur l'interprétation et l'application de ses conceptions
philosophiques. C'est ce qui a fait dire .t Thomassin, à
propos de la notion d'élre premier et d'intelligence
suprême, op. cit., 1. 111, c. n, n. 11 : Ex Latinis unum
proférant Marium Victorinum Afrum,... iia in specie
platonico patrocinantem syslemati, ut a christianm
théologies cas tris secessisse videri possit,et mo.r tamen
se et qveeeumque dixerat christianee cathotieseque
• n reddentem et aptantem. Du reste, Victorin n'a
rien d'un docteur de l'Eglise, el sa philosophie, en ce
qu'elle a de systématique, n'intéresse pas la sub-
ites dogmes chrétiens qu'il prétendait défendre.
s.ms .noir d'ouvrage spécial sur la question, saint
Augustin présente, au cours de s<^ écrits, des éléments
. dont la synthèse forme une théodicée plus
complète que celle de tous les Pères qui l'ont pn
Pour juger de la richesse du fond-, il Suffi) de jeter un
coup d'œil sur VIndL xs de l'édition bénédic-
tine, mi le m"1 Deus occupe une place considérable,
/' /.., t. xi. vi, col. 217-233. En ce qui concern. les
principal) -, I > pen ■ i de IV vêque
il llippone -i d' i-i été exposée à l'article \i '■< stim SnmiK
t. i. col. 2325, -j:;ii II Importe grandement de tenir
pte du fait signalé au premier endroit, a savoir l'in-
ii n ' m e du néoplaton n
i d. ei d'une façon particulièt
Ibid., col. 2328. si c ite .t,,. ii ne ,, n . mble,
1107
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1108
qu'une large et forte synthèse de données scripturaires ou
traditionnelles, elle a en même temps des parties ori-
ginalfs, cl là se rellclcnt les conceptions personnelles
de l'écrivain, non pour transformer le dogme chrétien
en philosophie, mais pour le traduire ou l'expliquer.
Quatre points rentrent plus directement dans la série
des idées qui, jusqu'ici, ont attiré notre attention.
a. Preuves de l'existence de Dieu. — Que Dieu existe,
c'est une vérité si claire pour saint Augustin qu'il traite
l'athéisme de folie, heureusement rare : insania isla
paucorumest. Serm., lxx, c. ii, t. xxxvm, col. 4'tl.Les
preuves qu'il propose ex professo ou insinue en passant,
forment un sujet d'étude assez important pour avoir
donné lieu, soit à un chapitre distinct dans la plupart
des travaux faits sur la théodicée ou la philosophie du
saint docteur, soit à un développement privilégié dans
l'histoire des preuves de l'existence de Dieu chez les
Pères, ou même chez les scolasliques. C. vanEndert,!^')'
Gottesbeweis in der patristisehe?i Zeil mil besonderer
Beriicksichtigung Auguslins, Fribourg, 1869; G. Grun-
wald, dans l'introduction de Geschichte der Gottesbe-
weise ini Mitlelalter bis zum Ausgang der Ilochscho-
laslik, Munster, 1907 (collection BeilrUge zur Ges-
chichle der Philosophie des Millelallers, t. vi,fasc.3).
Dans la question présente, ces preuves nous inté-
ressent moins en elles-mêmes que dans la mesure où
elles aboutissent à des aspects variés de la divinité. De
ce point de vue, plusieurs des preuves courantes qui se
retrouvent chez Augustin, sont d'un intérêt secondaire;
par exemple, celle qu'on tire du consentement du genre
humain. In Joa., tr. CVI, n. 4, t. xxv, col. 1910. Telle
encore la preuve téléologique, par l'ordre et la beauté
du monde, quelles que soient d'ailleurs la délicatesse
et la maîtrise avec lesquelles le saint docteur la propose
en divers endroits, comme Serm., cxLi,n. 2, t. xxxvm,
col. 776; In ps. xu, n. 7, t. xxxvi, col. 468. La preuve
que fournit le monde considéré comme variable, par
exemple, Confess., 1. XI, c. îv, t. xxxn, col. 811 : Ecce
sunt cœluni et lerra; clamant quod facta sint : mu-
lanlur enïm atque variantur, est déjà plus impor-
tante; car, sous la forme concrète où saint Augustin la
présente en cet endroit, comme en beaucoup d'autres,
c'est-à-dire en considérant l'être muable non pas seu-
lement en général, mais en particulier dans ses diverses
réalisations concrètes, elle aboutit à Dieu comme être
nécessaire et absolu, comme perfection souveraine et
essentielle, par opposition à tout être contingent, à
toute perfection inférieure et participée : Tu ergo, Do-
mine, fecisli ea, qui pidcher es, pulchra sunt enim ;
qui bonus es, bona sunt enim ; qui es, sunt enim. Nec
ita pulchra sunt, nec ila bona sunt, nec lia sunt, sicul
tu condilor eorum , cui comparala, nec pidchra sunt,
nec bona sunt, nec sunt; cf. £>e Trinitale, 1. VIII, c. M,
n. 5, t. xlii, col. 950 : Quapropter nulla essent mula-
bilia bo7ia, nisi esset incommulabile bonum,... ipsum
bonum cujus participatione bona sunt,... ac per hoc
eliam summum bonum. Argument destiné à une grande
fortune; repris plus tard par saint Anselme et par
Kichard de Saint-Victor, il deviendra, chez saint Thomas
d'Aquin, l'argument des degrés. Sunt. theol., Ia, q. Il,
a. 3, quarla via. Cf. Kleutgen, Inslitutiones theologicse,
t. i, De ipso Deo, n. 169, avec la note; Hontheim, hi-
slitutiones theodiceœ, Fribourg-en-Brisgau,1893, n. 235.
Non moins importante et plus originale est la preuve,
d'ordre ontologico-psychologique, développée longue-
ment dans le De libero arbilrio, 1. II, c. ni-xv, t. xxxn,
col. 12i3 sq. Elle se tire des idées ou des principes
éternels et immuables qui s'imposent à ce qu'il y a en
nous de plus élevé, la raison, et qui, par là même,
témoignent de Dieu. « La raison voit quelque chose
d'éternel et d'immuable, elle voit en même temps sa
propre infériorité ; force lui est de reconnaître son Dieu.
Per scipsam cernit œlernum aliquid et incommuta-
bile, sinnd et seipsam inferiorem, et illum oportet
Deum suum esse fateatur. » lbid.,c. v, n. 14, col. 1248.
Preuve doublement délicate. D'abord, pour la difficulté
de déterminer sûrement ce qu'elle suppose, dans la
pensée de son auteur : ou une idée strictement innée,
ou une vue immédiate de Dieu sous le rapport qui
correspond à nos concepts, ou une simple inférence.
La question mériterait d'attirer noire attention, si elle
n'avait pas déjà été traitée dans ce Dictionnaire, t. I,
col. 2334, 2336 (théorie de l'illumination divine des in-
telligences), 2345. Cf. Schwane, op. cit., t. Il, p. 90;
Kleutgen, La philosophie scolaslique, trad. Sierp, Paris,
1869, t. ii, p. 409 sq. En outre, beaucoup se sont de-
mandé si l'argument, tel qu'il est proposé par saint
Augustin, ne présentait pas une lacune, si ce Père ne
concluait pas trop facilement du contenu de l'idée à
l'existence réelle de l'objet conçu. Schwane, ibid.,p.8ô,
90. Développée suffisamment, la preuve aboutit au
terme que le saint docleur avait en vue : Dieu source
immuable de la vérité et vérité même.
Un dernier argument, qui rentre en partie dans le
précédent, mérite d'être signalé; c'est l'argument psy-
chologico-moral, tiré de la conscience que nous avons
d'une obligation, d'une loi morale qui s'impose à notre
raison avec une autorité supérieure et qui témoigne,
à ce titre, de Dieu, comme premier principe de tout
bien, de toute moralité; car la loi éternelle, c'est la
raison divine, c'est Dieu vérité suprême : Lex vero
alterna est ratio divina vel volunlas Dei ordinem na-
tiwalem conservari jubens, perlurbari velans... Et
lex tua veritas,et veritastu. Contra Fauslum, 1. XXII,
c. xxvn, t. xlii, col. 418; Confess. ,\. IV, c. ix, t. xxxn,
col. 699.
b. Notion de Dieu. — L'ensemble des preuvesque
nous venons de rappeler conduisait Augustin à une
notion très relevée de la divinité. Il y trouvait d'abord
les éléments de celte grande trilogie dont la philoso-
phie platonicienne lui avait donné le principe et qui
reste à la base de sa propre synthèse : Dieu source de
tout être, comme premier principe des choses; source
de toute vérité, comme lumière intellectuelle des créa-
tures raisonnables; source de toute moralité, comme
bien suprême et fin dernière des mêmes créatures :
ut in Mo inveniatur et causa subsistendi, etratio intcl-
ligendi, et ordo vivendi;... ubi esset causa constitutx
universitatis, et lux percipiend.v verilatis, et fons
bibendse felicilatis. De civitate Dei, 1. VIII, c. iv, x,
n. 2, t. xli, col. 228, 235. A ces trois conceptions se
ramène toute une série de formules équivalentes ou
réductibles, dont quelques-unes sont signalées par
divers auteurs, comme II. Ritter, Histoire de la phi-
losophie chrétienne, trad. J. Trullard, t. II, p. 241, et
AV. Timme, Augustins geistige Entwickelung, p. 193.
L'aspect qu'elles expriment demeure relatif, puisque
Dieu est toujours considéré dans quelque rapport aux
créatures.
En suivant l'orientation de sa pensée, Augustin pou-
vait s'élever plus haut et atteindre Dieu sous un aspect
absolu. Dans la conception de la divinité qu'il nous
présente, quatre traits apparaissent particulièrement
en relief : la spiritualité, l'immortalité, la simplicité
absolue et, finalement, la raison d'être. Ces notions,
les trois premières surtout, étaient de celles que le
saint docteur avait apprises à l'école des néoplatoni-
ciens et dont il leur fut toujours reconnaissant. Voir
t. i, col. 2328. Il les félicite de s'être ele\és au-dessus
des choses corporelles, au-dessus des êtres muahles,
âmes et purs esprits, pour arriver à celui qui, étant
d'une façon immuable, est vraiment, qui vere est, quia
incommutabiliter est, et en qui tout, être, vie, con-
naissance, bonheur et toute autre perfection, s'identifie
dans une inellable unité : quia non aliud illi est esse,
aliud virere..., sed quod est illi vivere, inlelligere,
1109
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES;
1110
beatum esse, hocestilli esse. lie civitale Dei, 1. VIII,
c. vi, t. xli, col. 231; cf. De Trinitate, 1. VI, c. iv,
t. xlii, col. 927 : Deo autem hoc est esse quod est for-
tem esse, aut juslum esse, aut sapientem esse, et si
quid de Ma simplici mulliplicitate, vel multiplia
simplicitate dixeris, quo substanlia ejus significetur.
On voit par ces textes comment les notions d'im-
mutabilité, de simplicité et d'être se rejoignent dans la
pensée du grand docteur. Dieu n'est absolument im-
muable et simple, toutes ses perfections ne s'identifient
entre elles et avec l'être divin, que précisément parce
que Dieu est, par essence, l'être même. Augustin ne
définit pas autrement Dieu considéré tout à la fois dans
l'unité de la nature et dans la trinité des personnes :
Quod nihil aliud esse dicam, nisi idipsum esse. De
moribus Ecclesise cathol., 1. I, c. xiv, n. 24, t. xxxn,
col. 1321. Non pas l'être abstrait et indéterminé, mais
l'être de tous le plus concret et le plus actuel, puisque
tout ce qui possède l'être à un degré quelconque, le
tient de lui : Deus autem nec modum habere dicendus
est, ne finis ejus dici puletur. Nec ideo lamen immo-
deratusest, a quo modus omnibus tribuitur rébus, ut
aliquo modo esse possint... Si autem dicamus eum
summum modtim, forte aliquid dicimus;si lamenin
eoquod dicimus summum modum ,intelligamus sum-
mum bonum. De natura boni,c. xxn, t. xlii, col. 558.
Cette conception de la divinité, Augustin la trouvait
au terme de l'argument de contingence, tel que nous
l'avons rappelé. En toute ligne de perfection Dieu lui
apparaissait comme acte pur et infini, finalement
comme l'Être absolu, au-dessus duquel, en dehors
duquel et sans lequel rien n'existe, supra quem nihil,
extra quem nihil, sine quo nihil est, Soliloq., 1. I,
c. i, n. 4, t. xxxn, col. 871, mais qui est lui-même
toute la raison de sa propre existence. Cette dernière
notion n'emportait pas, pour Augustin, comme pour
Lactance et Victorin, l'idée de causalité efficiente ; il
voit dans cette conception une grave erreur : Qui pulal
ejus esse potentix Deu/n, ut seipsum ipse genuerit,
eo plus errât, quod non sulum Deus ilanon est, sed
nec spirilualis nec corporalis creatura ; nulla enim
omnino ves est, quœ seipsam gignat ut sit. De Tri-
nitate, 1. I. c. i, n. I, I. xi. n, col. 820. Mais l'évèque
d'Hippone trouvait dans l'aséité divine tout ce qu'y
trouvaient saint Hilaire et les autres docteurs : l'exis-
tence, l'éternité, l'immutabilité essentielle : Tlla œter-
naincommutabilisque natura, quod Deus est, habens
in se ut sit, sien t Moysi diclum est, Egosum qitisum,
Exod., in, 1 i ; longe scilicet aliter quam isla qux fada
sunt : quoniam illud vere ac primilus est, quod
eodem modo semper est. nec solum non commutatur,
sed commutari omnino non potcsl. De liencsi ad lia.,
I. V, c. xvi, i. xxxiv, col. 333. En d'autres termes,
Dieu est l'Être puremenl el pleinement, non moins
qu'essentiellement : Quidquid Un est, nonnisi est.
In ps. i i. - rm. n. n. I1'. t. xx.wu. col. 1311.
Les propriétés fondamentales de l'être divin, à la
fois simple, immuable et infini, se projettent naturelle-
ment sur tous les attributs. Si Dieu est bon. s'il est
Kraml, --il agit, gardons-nous de concevoir sa bonté à
l'instar d'une qualité, sa grandeur comme attachée A la
quantité, son action comme entraînant île sa part un
changement quelconque : sine qualilate bonum, sine
quantitate magnum, sine ulla s«i miitatione muta-
bilia facientrm. L'éternité, c'csi la durée continue,
avenir, dune immuable
vie : sine temporc sempiternum. L'ubiquité, c'est la
lire de t., ni llieu dan- le monde en I ier, mai
site, ni extension ni circon i ription : sine situ prsesi
denu continentem, sine loco
ubique tolum De Trinitate, I. V, c. i. n. 2, i. xlii,
col. 912 Présence d'ailleurs Féconde, puisqu
êtres créés ne lui doivent pas Mulemenl le pouvoir de
se développer et de tendre à leur perfection, mais
leur conservation même : creans, et nutriens, et per-
ficiens, Confess., 1. I, c. îv, t. xxxn, col. 662; ut, si
conditis ab eo rébus operatio ejus subtrahatur, inler-
cidant. De Genesi ad litt., 1. V, c. xx, n. 40, t. xxxiv,
col. 335. Présence spécialement féconde dans les créa-
tures raisonnables, puisque Dieu est et agit en elles
comme souverain bien de leur intelligence et de leur
volonté : Hoc ergo bonum non longe posilum est ab
unoquoque nostrum; in Mo enim vivimus, cl move-
mur, etsumus. Act., xvii, 27, 28. De Trinitate, 1. VIII,
c. ni, n. 5, t. xlii, col. 950. Doctrine importante, chez
l'évèque d'Hippone, car elle touche de très près à l'une
des principales caractéristiques de ce grand génie et
de ce grand saint, dont la passion fut de chercher
Dieu, vérité et bien suprême, voir, t. i, col. 245i, et de
le chercher, non pas exclusivement, mais surtout par
la voie du dedans, en son âme : habentes in inlimo
Deum.De musica, 1, VI, c. XIV, n. 48, t. xxxn, col. 1188.
c. Invisibilité et incomprehensibililé divines. —
Même en dehors des données que la révélation lui
fournissait, rien qu'à suivre l'orientation de la pensée
philosophique qui le menait à Dieu, acte pur, d'une
simplicité absolue où tous les degrés de l'être se fon-
dent dans une unité supérieure, Augustin ne pouvait
qu'affirmer aussi fortement que les autres Pères, fus-
sent-ils alexandrins ou cappadociens, l'invisibilité et
l'incompréhensibilité de Dieu. Pour lui comme pour
tous, l'invisibilité n'était qu'un corollaire de la spiri-
tualité et de la transcendance divine : Invisibilis est
natura Deus. Epist., cxi.vn, c. VIII, t. XXXIII, col. 605.
Dieu étant naturellement invisible, on ne peut le voir
qu'autant qu'il se manifeste lui-même; il nous a promis
de se faire voir tel qu'il est, I Joa., ni, 2, mais comme
récompense et au ciel seulement. Ici-bas il n'apparaît
que sous des formes d'emprunl ou symboliques qu'il
choisit à son gré : Apparet ea specic quam \wluntas
elegerit, etiam latente natura. lbid., c. vu, col. 60i.
Comme on l'a dit, t. i, col. 2335, le saint docteur, qui
avait paru d'abord accorder à Moïse et à saint Paul le
privilège d'une vision transitoires dans la suite rejeté
cette exception.
L'incompréhensibilité divine est l'un des thèmes
favoris de l'évèque d'Hippone. Il dit et redit cette pro-
priété sous toutes les formes, comme on peut s'en rendre
compte en jetant un coup d'o-il sur les textes recueillis
par la plupart des auteurs qui se sont occupés de s»
théodicée, en particulier L. Grandgeorge, Saint Augus-
tin cl le néoplatonisme, Paris, 1896, p. 59 sq. l'.enucoup
de ces textes se comprennent facilement. De Deo loqui-
mur, quid mirum si non comprehendis'. Si compre-
hendis, non est Deus. Serm., cxvn, n. 5, t. xxxvm,
col. 663. Comme le mot comprehendis s'entend ici d'une
connaissance parfaite, la cognoscibilité divine se trouve-
rait, dans l'hypothèse, épuisée par une connaissance
lime, suivant le principe du saint docteur : Quidquid
scienlia compreheuditur. scientis compreliensione fini-
tur. De civitale Dei, I. XII. c. XVIII, t. XLI, col. 368. In
autre texte rend ce sens très simple : Quand il s'agit de
Dieu, noire langage reste au dessous de notre concep-
tion, et notre conception elle même icoup plus
encore au-dessous de la réalité : Verius i fitatur
■/nain dicitur, ri venus est quam cogitatw. De
tôle, I. VII. c. iv, n. 7. t. xi. n. col. 939. Non moins
■impie est le aen« de ces autres paroles! Omnia dici
• .;. /' o, et nihil digne dicitur de Deo, In
h Mil, n. 5, t. XXXV, col. 1496; car nous pouvons
affirmer de Dieu toutes les perfections donl nous avons
.une dfl CM a 11 in na lion s n'e\ prime
dignement ce qu'est l'en
h ai emblent aller plus loin, eaux la
surtout qui rendent le son de ce qu'on appelle la théo-
logie négative, ainsi i il il dit de Dit n Qui teitur me-
1111
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES;
1112
lius nesciendo; ... cujua milla scienlia est in anima,
niai scire quomodo eum nesciat. De ordine, c. xvi, n.
44; c. xvin, n. 47, I. xxxn, col. 1015, 1017. De mémo :
Dcus ineffabilis est; facilius dicimus quid non sit,
quam quid sit... Hoc solum potui dicere, quid non
sit, In ps. tA.ï.vr, n. 12, t. xxxvn, col. 1090, ou encore:
Cui honorificum potins silentium, quant ulla vox
humana competeret. Contra Adimanlum, c. xi, t. xlii,
col. 142. Entendrons-nous ces expressions dans un sens
exclusif de toute connaissance positive de Dieu, en dehors
du simple fait de son existence? Ce serait contredire la
doctrine expresse de saint Augustin en ce qui précède
et en ce qui va suivre. Ce serait souvent contredire le
contexte même, où la distinction apparaît entre une
simple connaissance et la connaissance compréhensive :
Allingere ali quantum mente Deum, magna bealitudo
est ; comprehendere autem , omnino impossibile. Serai.,
cxvn, c. v, n. 7, t. xxxviii, col. 665.
La véritable interprétation se tire du sens que les
Pérès attribuaient à la question : Quid sit Deus, quand
ils l'opposaient à cette autre : An sit, ou : Quid non sit.
Nous avons vu trop souvent déjà pour qu'il soit néces-
saire d'insister, que le Quid sit s'entendait de l'essence
ou de la nature divine considérée dans son fond intime
ou dans sa pleine compréhension. En plusieurs endroits,
saint Augustin parle manifestement d'une connaissance
semblable à celle dont nous jouirons plus tard au ciel :
Nondum potes pervenire ad quid sit,perveni ad quid
non sit. In Joa., tr. XXIII, n. 9, t. xxxv, col. 1588. Sa
doctrine, comme celle des autres Pères, revient à cette
simple affirmation : Quand il s'agit de Dieu, en fait de
connaissance parfaite, en fait de science proprement
dite, nous n'en avons qu'une : celle qui consiste à sa-
voir ce qu'il n'est pas, ou qu'il est incompréhensible.
En ce sens, le plus haut point de notre connaissance de
Dieu ici-bas est la négation, mais la négation présup-
posant l'affirmation et contenant elle-même virtuelle-
ment une certaine affirmation. Quelle que soit, en effet,
la conception où nous soyons parvenus, nous devons
dire : Dieu n'est pas cela, parce qu'il est infiniment
mieux que cela; ou, dans les termes mêmes de saint
Augustin : Nec ita pulchra sunt, nec ita bona sunt, nec
ita sunt, sicut tu conditor eorum, cui eomparala, nec
pulchra sunt, nec bona sunt, nec sunt. Confess., 1. XI,
c. iv, t. xxxn, col. 811. La voie négative rejoint ici la voie
d'éminence.
C'est la remarque faite justement par un écrivain pro-
testant, G. Lœsche, dans une étude qui porte directe-
ment sur le néoplatonisme de saint Augustin, De Au-
guslino plotinizanle in doctrina de Deo disserenda,
léna, 1880, p. 35 : At ut jieri solet, quotiescumque via
negationis de divino numine tractatur, simul jam
cerla quœdam poni et nesciu quo paclo viam nega-
tionis ad viam eminenlise ducere, etiam Augustinum
videmus Deo simplici, ineffabili, immutabili, sum-
mas noliones attribuere. Quanquani enim quulitates
et altributanon staluenda sint, Ionien non deneganda
esse; Deum habere fundamenlum vel lanquam robora
omnium altribulorum in se et rêvera lenere, quse il-
lis res/ondeant.
Il ne faut pas entendre autrement le silence dont
parle l'évêque d'Ilippone, silence non pas absolu, mais
relatif, et qui se place, non pas au début, mais au terme
de notre connaissance. Quand nous avons fait tous nos
cll'orls pour concevoir Dieu et pour exprimer ce que
nous en concevons, force nous est de reconnaître que
nous sommes myopes en face de l'Invisible et que nous
balbutions en face de l'Ineffable. Le silence est l'aveu
éloquent de notre impuissance, et c'est un hommage
rendu à la divinité : Qui autem... de Deo, quantum ho-
mini conceditur, digne cogitare cœperit, inveniet
silentium incj]abili cordis voce laudandum. Serm.,
cccxli, c. vu, t. xxxix, col. 1 i98.
Et ce n'est pas peu de chose, ajoute saint Augustin
après saint Jean Chrysoslome et saint Jérôme, de com-
prendre ce que Dieu n'est pas : Velhoc comprehen-
Jite quid non sit ; multum profecerilis, si non aliud
quam est, de Deo senseritis. In Joa., tr. XXIII, n. 9,
t. xxxv, col. 1588. Allusion à toutes les fausses idées sur
Dieu, dans le genre de celles qui sont ensuite énumé-
rées : Non est Dcus corpus, non cœlum, non luna, non
sol, etc. ; fausses idées que le chrétien sait rejeter, mais
en vertu delà notion positive que la foi et la raison lui
ont d'abord donnée. Qu'on lise, par exemple, De Tri-
nitale, 1. V, c. i, n. 2, t. xlii, col. 912, et l'on verra
clairement que l'aptitude à juger ce que Dieu n'est )>as,
suppose, chez le saint docteur, une notion déjà très re-
levée de la divinité : Quisquis Deum ita cogitai, etsi
nondum potest omni modo invenire quid sit, pie ta-
men cavet, quantum potest, aliquid de eo senlire
quod non sit.
Ce n'était pas seulement l'hérésie anornéenne qui fai-
sait ainsi parler saint Augustin, mais tout autant, sinon
plus encore, l'erreur vulgaire et plus vivante des païens
et des anthropomorphites, du dehors ou du dedans, qui
tous, sous une forme ou sous une autre, se façonnaient
un Dieu à mesure humaine. C'était sa propre erreur
d'autrefois, alors qu'il se figurait Dieu avec un corps,
non comme le nôtre, mais plus subtil, qnoique maté-
riel encore, corporeum tamen aliquid. Confess. ,1. VII,
c. i, t. xxxn, col. 733. Et, jusqu'au moment où il enten-
dit la prédication de saint Ambroise, n'avait-il pas été
persuadé que les catholiques prenaient à la lettre les
expressions anthropomorphiques des saints Livres?
lbid., 1. V, c. xiv, n, 24;1. VI, c. m, n. 4, col. 718, 721.
d. Dieu connaissable; les noms divins. — Les fortes
affirmations de l'évêque d'Ilippone sur l'incompréhen-
sibilité ne doivent pas faire oublier ce qu'il trouvait au
terme des preuves qui établissaient à ses yeux l'exis-
tence de Dieu, ni ce qu'il lisait dans les Écritures de
celui qu'il invoque dans ses Confessions, 1. I, c. iv.
t. xxx ii, col. 662, en multipliant les superlatifs: Summe,
optime, polentissime, omnipotentissime, misericor-
dissime et justissime, secretissime et prœsenlissime,
pulcherrimc et forlissime. La doctrine du saint doc-
teur sur les noms divins confirme à la fois et complète
cette observation. Sans doute il n'eut pas à traiter la
question des noms divins aussi directement, ni au
mêmepoint de vue que les Pères cappadociens. Ceux-ci.
en face de la thèse anornéenne, devaient mettre en
relief la valeur objective et le bien-fondé des noms
multiples dont nous nous servons en parlant de Dieu.
Visant particulièrement les manichéens ou les anthro-
pomorphites de nuances diverses, le docteur africain
est surtout préoccupé de sauvegarder la spiritualité et
la simplicité divines. Aussi, le plus souvent, ramène-t-il
à l'unité les perfections qui, dans notre conception et
notre langage, apparaissent multiples. Il n'en a pas
moins perfectionné sur deux points l'œuvre de ses de-
vanciers.
Quand Eunomius objectait qu'en vertu de la simplicité
divine, tout nom s'appliquant à Dieu devait signifier
sa substance, saint liasile et saint Grégoire de Xysse
répondaient habituellement que, la nature divine étant
incompréhensible et ineffable, les noms dont nous fai-
sons usage ne signifient pas précisément la substance
même, mais plutôt ce qui, dans notre manière de con-
cevoir, s'attache à elle, -x rcepi i-j-ôv. Cette réponse
laissait place à une explication ultérieure; car. enfin,
si Dieu est absolument simple, tout nom désignant
quelqu'une de ses propriétés doit se dire de lui sub-
stantiellement : Omnia ergo ibi substantialiter simpli-
cia, comme l'accordait Marius Victorin à l'arien Can-
dide. Adversité Arium, 1. III, n. I, P. L., t. vin,
col. 1098. Saint Augustin reprend ce thème. Les notions
nue nous avons de Dieu se rapportent ou à la divinité
1113
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES;
1114
prise en elle-même, ou aux trois personnes considérées
clans leurs rapports d'origine et d'opposition mutuelle.
De là, en Dieu, deux catégories, et deux catégories seu-
lement : la substance et la relation. Tout ce qui n'est
pas d'ordre relatif, convient à Dieu et se dit de lui sub-
stantiellement, De Trinilate, l.V, c.vm, t. xlii, col. 917;
1. XV, c. v, n. 8, col. 1062 : Quidquid enim secundum
qualitates ill'tc dici videlur, secundum subslanliam
vel essentiam est intelligendum. Mais il ne suit pas
de là, que les noms dont nous nous servons expriment
la substance telle qu'elle est en Dieu, ni même que
chacun d'eux exprime tout ce que nous connaissons ou
pouvons connaître de la divinité. Il en est de la perfec-
tion divine comme de la lumière du soleil, dont les
rayons se reflètent ici sous une couleur, là sous une
autre : Hœc animarum sunt, quas illa lux perfundit
quodam modo, et pro suis qualitatibus afficit; quo-
modo cum orilur corporibus luxista visibilis. Serm.,
CCCXLI, c. vi, n. 8, t. xxxix, col. 1498.
L'opposition mise en Dieu par le saint docteur entre
l'absolu et le relatif, entre la nature et les personnes,
n'exclut pas, par rapport à Dieu considéré dans l'unité
de nature, la distinction, plusieurs fois déjà rencontrée,
entre les dénominations absolues, comme celle d'être,
et les dénominations relatives, comme celle de créa-
teur et de Seigneur. Saint Augustin connaît la distinc-
tion; il s'en sert pour expliquer comment Dieu, à la
création du monde, peut recevoir un titre qu'il n'avait
pas auparavant, sans qu'il y ait changement de sa part,
mais par le seul fait que la créature commence à exis-
ter : Quod ergo lemporaliter dici incipit Deus quod
antea non dicebalur, manifestum est relative dici;
non lamen secundum accidens Dei quod ei aliquid
acciderit, sed plane secundum accidens ejus ad quod
dici aliquid Deus incipit relative. De Trinilate, 1. V,
c. xvi, t. xi.ii, col. 924.
Mais quelle est la portée des noms que nous donnons
à Dieu? L'évéque d'Hippone a surtout considéré cette
question dans ses rapports avec le langage des saintes
Ecritures; et c'est le second point où sa doctrine gagne
en précision sur celle de ses devanciers. Auparavant,
les Pères se contentaient à peu près d'énumérer, à
l'occasion, un certain nombre de noms ou d'appella-
tions, sans dire s'ils les entendaient dans un sens
propre ou métaphorique. On pouvait seulement, en
recourant à d'autres passages, se rendre compte de la
façon dont tel ou tel nom devait, dans la pensée d'un
Père, convenir à Dieu. Nous avons pu le constater chez
plusieurs pour quelques noms, pour celui d'être en
particulier. Augustin se préoccupe davantage de ce
qu'un pourrait appeler la critique du langage biblique
et du nôtre en cette matière. Il me paraît d'autant plus
important i toute sa pensée, qu'il est facile, en
n'en donnant qu'un aspect, de présenter sa doctrine
sous un jour peu favorable. C'est ce qu'a fait Thoinassin,
op. cit., 1. IV, c. ix et xi, quand sous la rubrique :
A'iAU de Ileo proprie dici possc, et sous cette autre
Indigna de Deo dici in Scripturis ut et quœ digna
videuntiir, «que removeantur, il a groupé plusieurs
3 qui tous, rnème pris brutalement, sont loin de
rendre un son ;i n -si absolu.
L'évéque d'Hippone affirme, il est vrai, que, p.ir rap-
port à Dieu, nous manquons de noms convenab
rit congruum nonxen, no>i invenit. lu Joa-,
tr. XIII, n. 5, t. xxxv, col. 1495. On rappelle juste, par
exemple, faute de trouver un meilleur terme dans le
vocabulaire humain Dico justuni Deum,quia In ver-
bi$ hutnanii nihil nieliut invenio m.i.cvii,
n 9, t. xxxix, col. 1498. si, dans l'Écriture, le Saint-
il a voulu se servir de noms qui, ; leur
sens littéral, sont manife t< ment indignes de la divine
ié', c'est pour nous avertir d lérer
comme réellement dignes de Dieu ceux qui, en eux-
mêmes, nous paraîtraient l'être. Contra Adimantum,
c. XI, t. xi.ii, col. 142. Ainsi, deux catégories de noms
sont distinguées. 11 y a, d'abord, ceux qui, à première
vue, sont manifestement indignes de Dieu ; tels les noms
tirés des opérations ou affections corporelles, comme se
reposer, marcher, dormir, s'éveiller; telles encore les
descriptions anthropomorphiques, qui représentent
Dieu pourvu de membres ou sous une forme sensible.
Tout cela doit évidemment se prendre dans un sens
métaphorique, spiritualiter intelligendum. Epist.,
cxi.viiii,c. iv, n. 13, t. xxxiii, col. 628; cf. De vera reli-
gione, 1. I, c. L, n. 99, t. xxxiv, col. 166. Viennent en-
suite beaucoup de noms empruntés aux créatures spi-
rituelles, dont l'Esprit-Saint s'est servi non pour signi-
fier ce qui en réalité ne répondait pas à l'expression,
mais par nécessité de s'adapter au langage courant : et
de spirituali creatura multa translulit, quibus signi-
ficarel illud quod non ila esset, sed ita dici opus esset.
De Trinitate, 1. I, c. i, n. 2, t. xlii, col. 820. Dans cet
endroit, deux exemples seulement sont donnés : Ego
sum Deus zelans, Exod., xx, 5, et : Pxnitet me homi-
nem fecisse, Gen., VI, 7; cf. Contra adversarium legis
et proplielarum, 1. I, c. xx, n. 40, t. xlii, col. 627, où
les exemples, plus nombreux, sont du même genre.
Mais nous avons vu déjà que saint Augustin n'admettait
pas sans réserve l'épithèle de juste, et ailleurs il dis-
cute la propriété d'autres termes, celui de prescience,
et même de science. De diversis quœstionibus ad Sim-
plicianum, 1. II, q. n, n. 2, t. XL, col. 138 sq.
Est-ce à dire que nous ne pouvons rien affirmer de
Dieu que d'inconvenant et d'impropre? Si telle était
la pensée du grand docteur, il serait difficile, on s'en
rendra bientôt compte, de l'accorder avec lui-même.
Mais telle n'est pas sa pensée. Et d'abord, quand il re-
marque que le Saint-Esprit fait donnera Dieu dans
l'Écriture toute sorte de noms, même ceux qui, pris
dans leur sens littéral, sont manifestement indignes de
la divine majesté, il ne veut nullement infirmer notre
connaissance de Dieu ici bas; il affirme, au contraire,
que le Saint-Esprit a suivi cette méthode pour faire en
quelque sorte notre éducation et nous élever graduel-
lement à la conception des choses divines : Sancta
Scriptura parvulis congruens, nullius generis rerum
verba vitavit, ex quibus quasi gradalim ad divina
atque sublimia notter intellectus relut nutritua assur-
geret. De Trinitate, loc. cit.; cf. De cliverais qumstio-
nibus, loc. cit., n. 3, col. 140 : nonnullam ail intelli-
gendailla sublimia prêchent viam.
En second lieu, l'évéque d'Hippone ne dit nulle part
que les noms transportés des créatures spirituel!
Dieu doivent tout et toujours s'entendre d'une façon
métaphorique. Il suppose, au contraire, que les écri-
vains sacrés emploient parfois, bien que rarement,
noms qui conviennent à Dieu proprement : Que
proprie de Deo dicuntur, quœque in nulla creatura
inveniuntur, raro ponit Scriptura divina ; sirut illud
quod dictum est ad Moysen : Ego sum qui sum. De
Trinilate, loc. cil., col. 821. Le principal texte invoqué
par Thomassin, loin de contredire ceci, le confirme
plutôt. Aprèa avoir affirmé que, pour Dieu, la grandeur
s'identifie avec l'être, quia ipte sua est magniludo, le
saint docteur poursuit : Hœc et de bonitate, et d» ester'
ni la te, et de otnnipotentia l>ri dictum sit, omnibutque
omnino prœdicamenhs qum de Deo postant pronun-
ti<ir>, ijui.,1 ad se iptum dicitur. no» translate a
timilitudinem, ted proprie : si lamen de illo pro]
aliquid dici ore hominii ;>"'< tel . De T> initate, l.V,<
t. xi.ii, col. 918. Thomanin ne voit dans ce texte que
la linale : ti tamen de illo proprie aliquid, entendue
d'une négation absolue. Mais le mouvement général
de la phrase mon tri lairement qu'il \ a
i ni II ont réserve, l ■ iplication de cetli n
complétera la doctrine d'Augustin; elle donnera en
1115
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES;
1116
même temps le principe nécessaire et suffisant pour
résoudre l'antinomie qui semble s'atlacher à ses deux
séries de textes, en apparence contradictoires.
Quand le saint docteur, parlant même de noms qui
expriment une perfection purement spirituelle, comme
la justice et la bonté, dit qu'ils ne sont pas dignes de
Dieu ou qu'ils ne lui conviennent pas proprement,
cette assertion n'équivaut nullement à une pure néga-
tion. Si l'on examine attentivement le développement
intégral de sa pensée, on voit que la négation porte,
non pas sur la perfection prise en elle-même, mais
seulement sur celle perfection telle qu'elle est réalisée
dans les èlres créés ou telle que nous la concevons.
Pourquoi l'épilbèle de jitste appelle-t-elle une réserve,
quand il s'agit de Dieu ? Parce qu'en Dieu la justice
dépasse de beaucoup celle dont nous avons l'idée,
celle des hommes : Jusluni quidem Deum dicis, sed
intellige aliquid ultra justitiam quant soles et de
homine cogilare. Serm., cccxli, c. vu, t. xxxix,
col. 1498. Pourquoi, dans l'écrit Ad Simplicianum,
discute-t-il les termes de prescience et de science ?
Pour ce qui s'attache à ces deux mots de sens spécifi-
quement humain. Ce qui ne l'empêche pas de nous
indiquer ensuite comment de notre idée de science
nous pouvons nous élever, par voie d'épuration ou de
négation et par voie d'éminence, jusqu'à une certaine
notion de la science divine : Cum enim dentpsero de
liumana scientia mulabililalem et transi tus quosdam
a cogitatione in cogitalionem,... et reliquero solam
vivacitatem cerise alque inconcussse verilalis una
atque selerna conlemplalione cuncta lustrantis ; imo
non reliquero, non enim liabet hoc humana scientia,
sedpro viribus cogitavero ; insinualur mihi utcumque
scientia Dei. De diversis quœslionibus, loc. cit., n. 3,
t. xl, col. 140.
Et ceci nous mène à une distinction connue déjà et
suffisante pour résoudre l'antinomie apparente des deux
séries de textes augustiniens sur la convenance et l'in-
convenance, sur la propriété et l'impropriété des noms
divins. On peut entendre le nom propre d'une façon
plus ou moins rigoureuse. Nom propre et seul vraiment
digne de Dieu, celui qui exprimerait la perfection divine
telle qu'elle est en elle-même; c'est l'acception rigou-
reuse, qui s'oppose au concept et au nom de simple
analogie. Mais nom propre aussi, et convenable de
notre part, celui qui exprime une perfection convenant
réellement à Dieu dans ce qu'elle dit immédiatement;
c'est l'acception moins rigoureuse, qui s'oppose au
nom purement métaphorique. Nous n'avons pas, par
rapport à Dieu, de noms propres dans le sens rigoureux
du mot, mais nous en avons dans l'autre. Et dans la
même proportion nous pauvons parler de Dieu d'une
manière qui ne soit pas indigne de sa divine majesté :
Deus mullipliciter dicilur magnus, bonus, sapiens,
beatus, verus, et quidquid aliud non indigne dici vi-
detur. De Trinilale, 1. VI, c. vu, n. 8, t. xlii, col. 829.
Quels noms, épurés par la voie de négation et relevés
par la voie d'éminence, garderont assez de leur signi-
fication native pour qu'on puisse dire qu'ils conviennent
à Dieu proprement? Saint Augustin n'en a pas dressé
la liste. Les principes qu'il a posés permettent seule-
ment de tirer quelques conclusions ou de faire quel-
ques applications. Sont manifestement de ce nombre,
sous la réserve indiquée plus haut, les noms qui dé-
signent des perfections d'ordre transcendant, comme
la sagesse, la vérité, la bonté : Bonum bona facicns,
siculi est proprie, sic et bonum est proprie.
In ps. ixx.xiv, n. 4, t. xxxvn, col. 1741. Sont exclus,
au contraire, non seulement les noms tirés des choses
corporelles ou d'affections spirituelles qui, dans leur
idée même, renferment quelque imperfection, mais
encore les noms qui ont un rapport intime avec les ca-
tégories aristotéliciennes. Ainsi le terme de substance
n'est pas admis en Dieu dans son sens propre par le
docteur africain, parce qu'il l'entend comme suppôtdes
accidents, sub-stautia, tandis que le mot d'essence,
l'ouata des Grecs, est admis : Deus si subsistit ut
substanlia proprie dici possit, inesl in eo aliquid tan-
guant in subjecto, et non est simplex... ; unde manu
festum est Deum abusive subsianiiam vocari, ut no-
niine usitatiore intelligatur essenlia, quod vere ac
proprie dicilur, ila ut forlasse solum Deum dici opor-
teat essenliam. De Trinilale, 1. VII, c. v, t. xi.ii,
col. 942.
Au même titre que le nom d'essence, mais avec prio-
rité logique dans noire conception, le nom d'être con-
vient proprement à Dieu : Sola est incommutabilis
substanlia vel essenlia, qui Deus est, cui profecto
ipsum esse, unde essentia nominata est, maxime ac
verissime competit. De Trinilale, 1. V, c. il, t. xlii.
col. 912; cf. 1. I, c. I, n. 2, col. 821, où VEgosum qui
sum est donné comme exemple de nom scripturaire
qui convient à Dieu proprement et exclusivement,
quse proprie de Dco dicuntur, quseque in nulla crea-
tura inveniunlur. Cela ne veut pas dire que le scepti-
cisme d'Augustin « avait dissous le monde phénomé-
nal >>, suivant l'expression d' A. Harnack, Précis de
l'histoire des dogmes, trad. E. Choisy, Paris, 1893;
cf. Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3" édit., t. m,
p. 102 sq. Quand, à la suite de beaucoup d'autres Pères, le
docteur africain dit que Dieu seul est vraiment, cette
affirmation prend, dans le contexte et dans l'ensemble
de sa doctrine, ce sens précis : les créatures, spirituelles
ou corporelles, ne sont pas, comme Dieu, par nature
ou par essence; elles n'existentque d'une façon contin-
gente et avec dépendance continuelle de l'inlluence
divine qui les a produites et les conserve. Le sens est
relatif et comparatif : Cum ergo si>tt et illa quse fecit,
venitur tamen ad illius comparalioncm ; et lanquam
solus sit, dixit : Ego sum qui sum, el : Dices /iliis
Israël, Qui est misit me ad vos... lia enim ille est, ut
in ejus contparalione ea quse facla sunt, non sint.
Illo non comparalo, sunt, quoniam ab Mo sunt; illi
autem comparata,non sunt, quia verum esse, incom-
mutabile esse est, quod ille solus est. In ps. cx.xxiv,
n. 4, t. xxxvii, col. 1741.
En ce point, comme dans l'ensemble de sa théodicée,
l'évêque d'Hippone n'est en dehors ni de la sainte
Écriture, ni de la pensée que vécurent les Pères latins
ses devanciers. Il est vrai, toutefois, qu'en ses écrits
deux courants se rejoignent, sans se confondre : l'un
doctrinal et traditionnel, l'autre philosophique. Sous
ce second aspect, comme par la tournure de son esprit,
spéculatif à la fois et mystique, saint Augustin se rap-
proche des docleurs orienlaux, des alexandrins surtout
et des cappadociens. Il sut s'approprier et transmettre
à l'Occident beaucoup d'idées fécondes que ces fortes
intelligences avaient semées. Sa théodicée clôt digne-
ment et brillamment, chez les Latins, la grande période
patristique.
Auteurs catholiques. - Cypai-issiota, E.rpositio materia-
ria eorum qux de Deo a theologis dicuntur (recueil de textes
palristiques), P. G., t. clh, col. 937 sq. ; J. Schwane, op. cit..
t. n, part. I, c. I, S 2-7; J. Tixeront, Histoire des dogme», t. U,
De saint Athunase à saint Augustin, 2' édit., Paris, 1909, p. 24,
49,68, 362; E. Fialon, Saint Athanase, Paris, 1877, c. x, n. 4,
p. 270 sq.; L. Atzberger, Die Logoslehre des hl. Athanasius,
Munich. 1880, part. I, c. Il, p. 34 sq. ; F. Laucheit, Die Lettre
des hl. Athanasius des Grossett, Leipzig, 1895, part. I, c. l ;
F. Cavallera, Saint Athanase, Paris, 190S, pas-iin, surtout
p. 234 sq.; J. L. Mingaielli, De Didymo COtnmentarius, 1. II,
c. n; Epistola ad Archintum prsesuletn, c. I, P. G., t. .wxix,
col. 179, 1000; G. C. F. Lncke, Quxstiones ac vindicise Didy-
mianm, n. i, ibid., col. 1738; B. de Montfaucon. Prselitninaria
in Eusebii Commentaria in Psahnos, c. VI, n. 2. P. G..
t. xxiu, col. 29 sq.; G. Delacroix. Saint Cyrille de Jérusalem,
Sa vie et ses œuvres, Paris, 1865, part. Il, analyses des calèche-
1117
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES;
■M 18
ses iv, vi, vu, vin ; J. Mader, Der hl. Cyrillus, Bischof von
Jérusalem in seinem Leben und seinen Schriften nach clen
Quellen dargestellt, Einsiedeln, 1891, g 19, p. 71 sq. ; J. A. Can-
tova, De Septimo Tertulliano et S. Epiphanio, dissertationes
duœ, theologico-criticx, in quibus antliropomorphismo neu-
trum laborasse demonstratur, Milan, 1763; E. Fialon, Étude
historique et littéraire sur saint Basile, Paris, 1865, c. vm,
§ 2; Th. de Régnon, S. .T., Études de théologie positive sur la
sainte Trinité-, 3' série, Paris, 1898, Étude xvi, c. m, Euno.
mius et saint Basile ; dom Clémencet, O. S. B., S. Gregorii,
Theologi opéra, Prœ/utio generalis, part. III, De Deo, P. G.,
t. xxxv, col. 93 sq. ; F. Diekamp, Die Gotteslehre des hl. Gre-
gor von Nyssa. Ein Beilrag zur Dogmengeschichte der patris-
tischen Zeit, part. I, Munster, 1896.
A. Beck, Die Trinitàtslehre des hl. Hilarius von Poitiers,
Mayence, 1903, c. il, clans la collection Forschungen zur
christlichen Litcratur-und Dogmengeschichte, t. in,fasc.2et3;
J. E. Pruner, Die Théologie des hl. Ambrosius, dans Jahres-
Bericht iiber das bischôfiiche Lyceum zu Eichslalt fur dos
Studienjahr 186i-i862, Eichstsedt, 1862; J. Turmel, Sain*
Jérôme, Paris. 1906, part. III, c. i, p. 156 sq.; A. Martin, Sancti
Aurelii Augustini Hipponensis episcopi philosophia, nouv.
éd.t., par J. Fabre, Paris, 1863, part. II et III; T. Gangauf,
0. S. B., Des hl. Augustinus spéculative Lchre von Gott dem
Dreieinigcn, Augsbourg, 18C6, part. I; .1. Martin, Saint Augus-
tin, Paris, 1901, 1. II.
Auteurs non catholiques. — A. Harnack, Lehrbuch der
Dogmengeschiclite, 3' édit., Fribourg-en-Briçgau, 1894, t. il,
1. 1, c. xiv, p. 115 sq.; H. Voigt, Die Lehre des Atlianasius
von Alesandrien, Brème, 1861, part. I, c. I, p. 17 sq. ; A. Robert-
son, Select Writings and I.eltera of Alhanasius, Prvlegome-
na, c. iv, S 3, p. lxxii, dans A Select l.ibrary of Niccne and
Post-nicene Fathers of the Christian Church, 2' série, t. IV,
Oxford, 1892; K. Iloss, Studien ïtbcr die Schriften und die
Théologie dis Alhanasius auf Grund einer Echtheilsunter-
suchung von Athanasius Contra gentes und De incarnatione,
Fribourg-en-Hrisgau, 1899, part. I, § 12; H. E. F. Guerike, De
schula, quœ Alexandrin Portât, catechetica commentatio
histurica et theologica, Halle, 1824-1825, part. II, p. 333 (théodi-
cée de Didyme); J. J. van Vollcnboven, Spécimen theologicutn
de Cyrilli Hierosolymitani catechesibus, Amsterdam, 1837,
part. II, c. ii, p. 104 sq. ; .1. T. Plitt, De Cyrilli Hierosolymi-
tani orationibus qux autant catecheticis, Heidelberg, 1855,
part. II, S 8, p. 51 sq.; A. Ilaase, S. Ephnemi Syri theologia
quantum ex libris poeticis cognosci potesl explicatw, Malle,
1869; C. Ullmann, Grcgorius von Nazianz, lier Theolog. Ein
Beitrag zur Kirchen-und Dogmengeschichle des vierten Jahr-
hundertê, 2- édit., Gotha, 1867, pari. II. c. i, S 1. p. 219 sq. ;
s. p. Heyns, Disputatio hislorico-theologica de Gregorio Nys-
seno, Leyde, 1835, part. III, sect. i, c. i; W. Meyer. Die Got-
teslehre des Gregor von S'gssa. Eine philosophische Stvdie
nus der y.eit der Patristik, Halle, 1894; T. Foerstcr, Chrysos-
tomus m seinem Verhàltniss zur antiochenischen Schule.
I.,,: /.. Iti ag zur Dogmengeschichte, l ."1110,1869, c. m, p.87sq.;
A. Dorner, Augustinus. Sein theologisches System und
religionsphilosophisehe inschauung dargestellt, Berlin, 1873,
p, 18 sq.; w. Timme, Augustins geistige Enlwicklung <
trsten Jahren nach seiner Bekehrw 6 191, Herlin,
1908, c. XI, p. 171 sq. (dans la collection : Neue Studien zur
Geschichtr der Tlu ologie und der Kirche, publ. par N. Hon-
wctscb et R. Secberg).
:, Quatru me période : In basse palrislique, 'lu mi-
lieu du v* siècle jusqu'au vin*. — Dans l'ensemble,
cette période est loin de présenter le même inlérél
que li"-- précédentes. Sauf de très rares exception
ne sont plus des maîtres qu'on entend, mais des dis-
ciples qui répètent, a l'occasion, l'enseignement reçu,
ittaques cessant, ou à peu près, sur le terrain de
la théodicée, la littérature polémique n'esl presque
pin- représentée. Quelqu crits contre le i
iii-ine ou l>- manichéisme s'échelonnent au cours de
[uatre siècles, comme les huit livres De guberna
tione Dei, de Salvien, /'. /.., I. i ni, col. 25 sq.; le
petit traité Contra paganos, de uni Maxime de Tu-
rin, /'./... i i,vii, col. 7KI -T'.H : la Disputatio <ir opificio
mundi, de 7. >< lin ie, év< qui de Mitylèni / '. .
L lxxxv, col. 101 1 sq . le Diali gui • nuira m
tint Jean Damascènc, /'. G . i. xciv, col. 1506 iq,
n. t . .lit guère que répéter
su développer les argument 'b Péri antipolyth
et antidualistes. Si, d'une façon plus générale, nous
considérons la proposilion et l'explication de la théodi-
cée, l'Orient et l'Occident marchent désormais trop à
l'écart, pour qu'il soit possible d'assigner aux Pères
qui les représenlent des caractéristiques communes.
1. La basse palrislique en Orient. — Trois noms ré-
sument cette période : l'un, au début, vers la fin du
Ve siècle ou le début du VIe, le pseudo-Denys l'Aréopa-
gi te ; l'autre, au milieu, saint Maxime le Confesseur
(f662); l'autre, à la fin, saint Jean Damascéne (f vers
750). Dans la question présente, les deux premiers ne
font qu'un moralement; car, dans ses Scltolia sur les
œuvres de l'Aréopagite, saint Maxime n'est que disciple
et commentateur. Il n'en va pas de môme du docteur de
Damas; il se distingue nettement des deux autres et
doit être traité à part.
a) Le pseudo-Denys VAréopagile. — L'énigmatique
personnage dont les écrits nous sont parvenus sous le
nom de Denys l'Aréopagite, présente une double par-
ticularité dont il faut tenir compte. Pour la première
fois nous nous trouvons en face d'une synthèse qui
porte directement sur la connaissance et la nature de
Dieu, dans les traités De divinis nominibus et De
mystica Uwologia, 1'. G., t. ni, col. 985, 997. L'autre
particularité tient au caractère philosophique des écrits
dionysiens. L'auteurest néoplatonicien, et spécialement
dépendant de Proclus (411-485). Sur ce point, mis en
lumière par les récents travaux de J. Stiglmayr, S. .1..
et de H. Koch, voir Denys l'Aréopagite, col. 432 sq.
A la seconde particularité se rattachent diverses
accusations portées contre la théodicée de Denys;
accusations graves, surtout sous la forme où elles sont
présentées par un certain nombre d'écrivains protes-
tants qui voient en lui moins un théologien chrétien
qu'un philosophe païen. La plus commune est celle de
scepticisme ou d'agnosticisme mystique. On s'en rendra
comple par les phrases suivantes : « Tout effort pour
connaitie Dieu lui semble sans valeur... Toute pensée
humaine n'est en vérité qu'une erreur, si on la compare
avec la substance de l'aperception divine (De div. nom.,
vu, 1|... Dans la création du monde, Dieu ne s'est pas
révélé, mais voilé, puisqu'il a jeté toutes ses créatures
autour de lui, comme un voile qui nous le cache
(Epist., IX, 2)... Ainsi voilà le faux Denys qui contredit
ouvertement toute doctrine prétendant nous conduire
a la connaissance île Dieu, soit par l'investigation im-
médiate de sa nature, soii par la contemplation de ses
œuvres el de son efficace dans le monde. La nature
sceptique de la pensée de Denys est hors de doute. •>
II. I î i t ter. Histoire de In philosophie chrétienne, trad,
.1. Trullard, t. Il, p. 175. Sans aller aussi loin, Scbuane
voit dans l'Aréopagite un traditionaliste : « Il soutient
l'impossibilité pour notre raison non seulement de
comprendre, mais même de connaître Dieu. Comme
les traditionalistes, il rail dériver de la révélation toutes
nos connaissances sur Dieu. • Histoire des do\i
trad. A. Degert, t. n, p. 19, noie i. L'assertion est
fondée sur le début du traité des Noms divine, i, 1,
où il esl affirmé qu'il ne faul rien dire, ni même rien
penser de Dieu, que ce qui nous en a été manifesté
«i i n haut par les saints ora< l<
Une autre accusation, non moins grave, concerne la
relation de Dieu au mie. Comme les néoplatoni
alexandrins, Plotin el Proi lus en particulier, Denys
aurait eu sur la production des êtres une conception
panthéiste ou émanatiste : dans un sens gnostique, dit
Baumgarlen-Crusius, Dr Dionysio A reopagita, léna,
1823; dans un ,n- purement spirituel, dil J, 8.V. En-
gelhardt, Die ungeblichen Schriften dei Areopagilen
Dionysius, Salzbach, 1823, t. n. p. 336; dans l.
d'un panthéisme dynamique, dil o. Siebert, Die Meta*
plnjsik unil Kl lut, p 99 I ■ 1 1
moins n'a i il pas eu la notion chrétienne d un.
1119
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1120
lion libre, dit .1. Niemeyer, Dionysii Areopagitas do-
ctrinal philosoptiicse et theologicœ, p. 31 sq. Parmi les
catholiques, 11. Weertz, Die Golleslehre des Pseudo-
Dionysius, p. 28, a récemment concédé ce dernier
point, niais en rejetant l'accusation de panthéisme. Ces
circonstances indiquent suffisamment sur quels points
il sera nécessaire d'insister dans notre résumé de la
théodicée dionysienne.
a. Comment nous connaissons Dieu. — Que Denys
ait affirmé la transcendance, l'ineffabilité, l'incompré-
liensibililé divines, et cela dans des termes qui ne le
cèdent en rien aux plus fortes expressions que nous
ayons rencontrées, mais qui les dépassent plutôt, c'est
chose incontestable. Constamment il revient sur cette
doctrine, sous une forme ou sous une autre, soit en
l'énonçant expressément, soit en avertissant le lecteur
de ne pas voir dans les noms les plus relevés qu'on
donne à Dieu, l'expression de sa nature intime. Quelle
que soit l'excellence du titre de Bon, si hautement re-
levée d'abord, ce n'est pas, lit-on ensuite, que ce titre
soit strictement un nom propre, oûx oîxeîov xvpîcoç
0£(T), c'est seulement le plus vénérable de tous; en
réalité, il n'est rien parmi les choses créées qui puisse
dévoiler l'essence suréminente, et Dieu ne se nomme
ni ne s'explique; sa majesté est absolument inaccessible.
De divinis nominibus, iv, 1; xm, 3, col. 693. 989.
Y aura-t-il place encore pour quelque connaissance
de Dieu ici-bas, surtout pour une connaissance natu-
relle? Il n'est pas juste de demander la réponse aux
seuls passages où Denys parle de l'incompréhensibilité
divine ou de l'ignorance mystique; il faut d'abord tenir
compte de sa doctrine, quand il expose ex professo
comment nous pouvons nous élever à Dieu. De div.
nom., vu, 3, col. 869 sq. Le passage débute ainsi : « Il
faut rechercher maintenant comment nous connaissons
Dieu, que ni l'entendement ni les sens n'atteignent et
qui n'est rien de ce qui existe. » Aussitôt Denys met en
présence les deux idées qui, chez lui, comme chez tant
d'autres Pères, font contraste et posent le problème de
l'inconnu et du connu divin : d'un côté, la transcen-
dance de cette nature qui dépasse toute raison et toute
intelligence; de l'autre, la voie naturelle que nous oll're
la magnifique ordonnance de l'univers, où reluisent
certaines images et ressemblances des idées divines,
pour nous élever, dans la mesure de nos forces, jusqu'à
l'être souverain, en niant tout de lui, en le plaçant au-
dessus de tout, en le considérant comme la cause de
tout, iv xyj itivxtov àcpaipéiTEt xa\ ÛTtEpo/r,, xoù Èv tyj 7tâv-
tuv aî-ia. C'est le fondement même de ce qu'on appelle
la triple voie de connaissance : voie de négation, voie
d'éminence ou de transcendance, voie de causalité ou
d'affirmation.
Après quelques lignes d'explication, Denys ajoute :
Ka'i Itt'.v au6tç r) ÔeiotJit/; toO 0eo-j yvàia;;, r, S:' ayvto-
aîa? yivcoa/.ojj.Év^, xarà tïjv û/tèp vovv Ivtotriv. « Et il y a
encore la connaissance de toutes la plus divine, celle
qu'on a de Dieu par voie d'ignorance, grâce à une
union qui surpasse tout entendement. » C'est la con-
naissance d'ordre surnaturel et mystique dont il sera
question plus loin. Mais dès maintenant, cette conclu-
sion s'impose : Denys connaît et admet une connais-
sance naturelle de Dieu, qui part de la contemplation
du monde et qui se développe par le triple procédé de
causalité ou d'affirmation, dénégation et d'éminence.
11 parle ensuite d'une connaissance d'ordre surnaturel
et mystique, qu'il proclame supérieure, mais sans in-
firmer aucunement la valeur du premier mode de
connaissance. Et pour qu'on ne s'y trompe pas, il
revient, avant de passer à un autre sujet, sur sa pre-
mière affirmation : Kaitot xai èx ■kxvtmv, Stop fe'fï)v,
ajtriv yvuatÉûv... « Toutefois on peut, comme je l'ai dit,
connaître par l'univers la sagesse divine; car c'est
elle qui, selon l'Écriture, a créé toutes choses, qui
a établi et qui maintient l'ordre universel, etc. »
Denys fait ici allusion à plusieurs passages des livres
sapientiaux, comme Prov., vin, ,'iO; Sap., VIII, 1; ix,
1, 2, 9. Il fait, en outre, allusion au texte classique,
Sap., xm, 5 (d'après la version des Septante;, quand,
à propos de la voie d'affirmation, il dit que nous
pouvons tout appliquer proportionnellement à Dieu,
auteur de toutes choses : xaT» ir,v jrivTatv àvaXoyiav
tSv Écrnv xiT'.iv:. Ailleurs, iv, 4, col. 700, il invoque
expressément Rom., i, 20, et il s'y réfère également,
J-^/iist., ix, 2, col. 1108, c'est-à-dire à l'endroit même
où Ritter a prétendu trouver l'idée d'une création du
monde où Dieu ne se serait pas révélé, mais voilé : Ka'i
a-jTv-, SE toû patvouivou TravTÔ; r, y.o<Tu.oupyiaT<ôvaop(iTii>v
to-j 0eoû jrpo6éëXï)Ta'., xa9âlt£p pijffi \\%:.i<jz -.i -/.ai ô
à/.r,6r,ç Xôyoç. Quin et ipsius quoque mundi aspecta-
bilis fabrica invisibilibus Dei obducla est, sicul l'aulus
et vera ratio testalur. Le seul fait que Denys invoque
un passage où saint Paul affirme la manifestation du
Dieu invisible par le monde visible, aurait dû préve-
nir toute inéprise. Le mot grec npoêéo\r,-(xt a, du reste,
pour régime t&v àopàxtov roû 8eoû; le sens est donc
que le monde a été mis ou jeté devant Dieu considéré
comme invisible en lui-même. Et pourquoi ? Pour le
cacher? Mais à quoi bon, et comment cacher ce qui est
invisible? C'est, au contraire, en vue d'une certaine
transparence : Jnvisibilia enim ipsius, a creatura
mundi, per ea quœ facta sunt, intelîecta, conspiciun-
tur.
Denys ne nous a-t-il pas montré déjà le monde comme
reflétant, sous forme d'images et de ressemblances, les
idées divines ? Et ne nous parle-t-il pas de Dieu comme
de celui qui est présent à tout, et que tout révèle :
■/.ai tÔv itâcri Tcipovta xoù Èx rtivTMV EvipiaxéliEvov ? vu,
1, col. 865. La comparaison du voile est d'ailleurs juste,
mais à condition qu'on sache l'interpréter. Il ne s'agit
pas ici d'un voile formant écran et destiné à cacher,
mais du simple voile, qui laisse transpirer quelque
chose d'un objet, tout en nous le présentant comme
enveloppé d'un certain mystère, suivant la pensée de
saint Maxime : Quin et ipsa mundi creatura symbolo-
rum vicem obtinens, invisibilibus Dei obducta est.
P. G., t. iv, col. 567. Ajoutons enfin que la phrase
isolée sur laquelle s'est appuyé Schwane, pour voir en
Denys un traditionaliste, ne saurait prévaloir contre
l'enseignement si explicite de ce Père sur la cognosci-
bilité rationnelle de Dieu. La phrase a d'ailleurs dans
le contexte une explication suffisante; Dieu n'y est pas
considéré sous un aspect quelconque, mais bien dans
sa « sur-essentielle et mystérieuse divinité, icepi rïjç
ùuEpovj(7iou xai ypy?:a; Ôeotv.to;. » Saint Maxime, dans
sa note sur ces mots, t. iv, col. 185, n'a pas compris
Denys autrement.
b. Théologie philosophique elmystique, démonstra-
tive et symbolique. — Cette distinction est essentielle
dans la doctrine dionysienne; il importe de la préciser.
El d'abord, la théologie mystique et la théologie symbo-
lique s'identifient-elles, et à quoi s'opposent-elles? Quel-
ques textes seulement permettent dedonner une réponse
ferme. La méthodesymbolique est manifestement décrite
en fonction de la théologie mystique dans le De cselesti
hierarchia, il, n. 3 sq., col. 141 sq. (noter le début
du n. 5 : Tavxa tov; y/jarixol; ÛEo'/oyov;). Dans Epist.,
ix, n. 1, col. 1105, la chose est formulée en termes
précis. Denys fait observer que les théologiens, c'est-
à-dire les écrivains sacrés, ont une double doctrine :
ttjv |xÈv à7toppï)Tov xai p.yartxi)v, tt,v ôi Êuçavr, y.ii
yv(o?i(jLGùTs'pav xat Tr,v aàv <j'jaëo).ix7iv xat teXeotixtiv,
Trjv Se çiàocjoçov xxi àiEo6EtXTixr,v. Ainsi, d'un côté,
doctrine secrète et mystique, symbolique et relative
aux mystères; de l'autre, doctrine manifeste et plus
facile à connaître, philosophique et démonstrative. La
théologie mystique est en même temps symbolique, et
1121
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1122
elle s'oppose à la théologie philosophique ou démons-
trative. Et c'est hien dans ce sens que saint Maxime a
entendu la distinction, t. iv, col. 5G4. Cf. Jean Cyparis-
siotes, op. cit., préface, P. G., t. clii, col. 744; Petau,
op. cit., 1. I, c. v, n. 4.
Que sont plus exactement ces deux théologies, et que
comprennent-elles? Leur définition se déduit facile-
ment des noms que Denys leur donne et de l'opposition
qu'il met, en théorie et en pratique, entre leurs pro-
cédés. Elle a, du reste, été formulée par saint Maxime,
loc. cit. La théologie démonstrative est celle qui con-
siste dans la considération des créatures ou de certaines
œuvres de la providence1, et dans l'exposition spécula-
tive de ce qui est dit de Dieu dans les saintes Écritures :
~r;i 5:i Tr,; y.aTavoT|i7eto; xcov •/.TfTjxàtwv, xai rtvtôv Oeicov
o!xovo(xi(ôv, -/.où rr|ç 6ea)p7)Tiy.ïj; e^y^tem; tûv irep\
0eoO ).îyo[/iviov èv -rav; Fpacpaî; auvi(TTafiévY)v. Elle
comprend donc toute connaissance de Dieu qui s'appuie
directement sur notre raisonnement, sur les opérations
de notre intelligence spéculative.
La théologie mystique est celle qui procède par sym.
boles : -rt-/ S;à a\jy.66\u>\ TsXou[iivT]v ; comme sont,
ajoute saint Maxime, les mystères du culte mosaïque
et du nôtre. Il y a là toute une conception des sym-
boles où des éléments complexes interviennent. Denys
suppose une tradition sacerdotale qui, à l'instar des
divins oracles, cache ce qui est intelligible sous ce qui est
matériel, ce qui surpasse tous les êtres sous le voile de
ces êtres mêmes; il suppose en même temps l'aptitude
spéciale dont jouit la représentation symbolique ou
allégorique pour nous faire atteindre ici-bas, jusqu'à
un certain point, les réalités spirituelles dans leur
simplicité et leur unité. De divin, nom., i, 4, col. 592;
De cselesti hieearchia, i, 3, col. 121. Allusion est faite
souvent à une influence particulière d'illumination
divine, comme privilège des âmes pieuses et pures,
De <Hv. nom., i, 2; n, 9, col. 588, 673; souvent aussi
à la manière dont l'esprit procède dans la théologie
symbolique, non par l'exercice de l'intelligence
spéculative ou par actes discursifs, mais d'une façon
plus simple et plus relevée, dont le terme est une
union <iui dépasse l'activité intellectuelle, £mèp voepàv
évépys'.av IvwOévteç. Ibid., il, 7, col. 66!). Par là
Den\s ne prétend |>a^ exclure toute connaissance; on
peut s'en rendre compte par un autre passage, vu, 2,
col. 868 sq., où parlant de Dieu, il dit également qu'il
n'a pas d'opérations intellectuelles, oùx £/.''»'' voepàç
ei'aç; non qu'il ignore quoi que ce soit, mais parce
qu'il atteint tout par une connaissance d'ordre supé-
rieur, rij JlivtCOV ïlr^.fiirr, yjtoatl.
Dans cette méthode, il faut distinguer la voie et le
terme. La voie, c'est précisément l'étude des symboles,
relatifs à Dieu et aux choses divines, qui sont conte-
nus dans les sainles lettres ou transmis par la tradi-
tion. Symboles qui sont empruntés non seulement aux
créatures spirituelles, mais iux matérielles,
même les plus infimes, De csel. hierarch., Il, 2,
col. 137. Denys parle d'une 77. ymbolique
qu'il aurait composi laquelle il aurait exposé
If- noms divins empruntés aux choses sensibles, rt les
diverses représentât! n ou expressions symboliques
•le la divinité ou se rapportant a la divinité : ligures,
membres et instruments; lieux et ornements; affec-
tions de toute sorte, comme tri
sommeil el réveil, i U De Iheolog. myst., m, col. 1033.
On peut juger de la méthode par les échantillons qui
trouvent dans I v rages qui' nous possédons, par
nemple, De cselesti hierarch., n. .">, /'<■ di
IX, 5; Epi$l., ix, presque en entier, col. 144, 913,
1104 sq.
Le terme où t< tel imme il ■ déjà
dit, l'union avec I ineffable lumii t ■
ustv, au-dessus el en dehors d( l'activiU Intellec-
DICT. DE TBÉOL. CATIIOL.
tuelle. Cf. De div. nomin., iv, 11, surtout De myst.
theol., I, 1 sq., col. 708, 997 sq. Nous nous retrouvons
en face de ce que Denys appelait plus haut « la con-
naissance de toutes la plus divine, celle qu'on a de
Dieu par voie d'ignorance,... quand l'âme, quittant
toutes choses et s'oublianl elle-même, reçoit les rayons
célestes et, dans l'insondable abîme de la sagesse, est
inondée de lumière, Y.oi-ù.xij.n6}].vjo;. » De div. nomin.,
vu, 3, col. 872. Ce dernier mot peut nous faire soup-
çonner qu'en théologie mystique, le terme d'ignorance
est susceptible d'un sens métaphorique. C'est ce que
Denys explique, Epis/., i, col. 1065; parlant précisé-
ment de cette ignorance, il avertit son correspondant
d'y attacher l'idée, non de privation, mais d'étninence :
TOtOra C/TTEpo/tzàK, à).),à \j.'r\ y.arà <jT£py(<7iv âxXaêcâv. Aoir
les notes de Corder, ibid., et de saint Maxime, t. iv,
col. 527.
L'Aréopagite est d'ailleurs assez sobre d'explications
sur l'état, manifestement extatique, qu'il place au
terme de la voie mystique. On saisit seulement au
passage, en dehors des notions déjà rapportées, quel-
ques ternies expressifs; .par exemple, contemplation
de Dieu dans la mesure du possible, upbç tr|v è<ptxt7|v
jcj-o-J Oswptav, De div. nomin., i, 2, col. 616; con-
naissance expérimentale des choses divines, iraOùv xà
8eîa, n,9, col. 648; union de l'âme à l'Inconnaissable
par la plus noble partie d'elle-même, xarà rb xpEΗov
évo-j[j.svo;. De myst. theol., i, 3, col. 1001. Faut-il son-
ger à" une perception de Dieu immédiate, intuitive'.' On
l'a dit, parfois avec exagération manifeste, comme
.1. Niemeyer, op. cit., p. 15, note 3 : Excedit ctiani
haie divinarum rerum contemplatio cam ipsam bea-
lorum ; parfois d'une façon plus modérée, comme
II. Koch qui rapproche, sur ce point, la doctrine de
Denys et celle de saint Grégoire de Nysse, Das mys-
lisehe Schauen beim hl. Gregor von Nyssa, dans
Theologische Quartalschrifl, Tubingue, 1898, t. i.xxx,
col. 397 sq. L'assertion parait douteuse, pour l'un
comme pour l'autre; mais l'étude approfondie de ce
problème délicat ne rentre pas dans le cadre du pré-
sent article.
Il faut cependant ajouter quelques mots sur la rela-
tion qui existe, d'après Dems, entre les deux théolo-
gies et la triple voie d'affirmation, de négation et d'émi-
nenec. L'usage est de procéder par affirmation dans la
théologie démonstrative, el par négation dans la mys-
tique. De dit', nomin., i, 5, col. 628; Demyst.theolog.,
n, col. 1025. Mais il n'y a là rien d'absolu. Le triple
procédé peut s'appliquer aux deux théologies. C'est
même en parlant de la connaissance naturelle qui va
du monde visible à Dieu, que l'auteur des Noms divins
a donné celte formule, déjà rappelée : bv rij jwtvrtDv
ifatpécret, xal ■JTrspoy/,, xa'i »v xr) reavTtov aitiï. Du
reste, quand il s'agit de la divinité, les trois voies se
compénètrent, pr.îce surtout à la voie d'éminence qui
participe des deux autres et qui les relie. Ainsi Dieu
est la cause de tout ce qui est. Ttccvrtdv |ièv rtnv ffvTtov
•xi'Tiov (causalité ou Bi&rmation), mais il n'est rien de
ce qui est, xlr', 8) ovôiv (négation), tant son être l'em-
porte sur tout autre, <■<: itavruv Ù7tepovo(b>< iEr,pT]|i4vov
feiiiinencn. i. 5, col. 593. C'est d'après les mêmes
principes, ajoute Denys, que les théologiens déclarenl
Dieu s;ms nom, iv«ovu|*OV, et pourtant lui appliquent
tous les noms, xal âx t.xt.'<>; v/oyaTo.-. L'affirmation lui
convient pour son universelle causalité, et la négation
pour son éminence : v>(.>; oîv, rf] iràvTwv «it(o, xal
■j-tp navra rôm..., i. 6, 7. col. 686"; cf. n. 8. col
Par ii ncilienl tant de locutions en appan
contradictoires, dan lies que noua avons
/ llariua \ ictorin, col. I 104. Rittt i al
les ai i1" qui "t'1 epti-
cisme "ii d'agnosticisme auraient du con Idérei que,
dam le pi l< de cel auteur, la aé( ation 1 1 t afl
IV.
1123
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1124
lion n'ont pas, en principe (il y a, on le verra bientôt,
des exceptions; de valeur absolue, mais seulement une
valeur relative. La négation et l'affirmation peuvent
porter sur les mêmes choses, sans contradiction réelle,
parce qu'elles les atteignent sous des points de vue dif-
férents : l'affirmation au sens causal; la négation, soit
au sens formel, soit au sens implicite d'érninence.
Parlant de la cause première, Denys écrit, De myst.
theolog., c. i, n. 2, col. 1000 : « Il faut lui attribuer et
affirmer d'elle tout ce qui s'affirme des autres êtres,
puisqu'elle en est la cause, ou, plus proprement en-
core, le ni'ér, puisqu'elle est infiniment supérieure;
et il ne faut pas juger que la négation contredise ici
l'affirmation, -/.ai (j-y-, oÏectOcu Ta; ànosâczii àvTtxei(iéva(
sïvae rai; y.aTaçâcrecriv, mais seulement que la cause
suprême est au-dessus de tout, au-dessus de toute
affirmation comme de toute négation. » Cf. ibid., c. V
col. 1048: oùôi è<mv crir?,; y.a6ô).ou Gs<n;, o-jte àçaipscr'.; .
Denys, on le voit, donne la préférence à la négation
sur l'affirmation; il dit même ailleurs que, par rapport
aux choses divines, les négations sont vraies et les
affirmations mal séantes ou du moins disproportion-
nées, àvapiuxr-roi. De csel. hierarch., il, 3, col. 141.
Grand sujet de scandale pour ses adversaires ! Pour-
tant il leur auraitété facile de s'éclairer et de se rassu-
rer en interrogeant Denys lui-même. Il leur aurait
répondu : « C'est l'usage en théologie de parler de
Dieu par opposition, àvTiTtSTtovôo-rto;. en se servant de
termes privatifs. Ainsi les Écritures appellent invisible
son éblouissante lumière, ineffable et sans nom celui
qui est digne de toute louange et de tout nom, insai-
sissable et échappant à toute recherche celui qui est
présent à tout et que tout révèle. » De div. nomin.,
vu, 1, col. 865. La négation est donc plus apparente que
réelle; elle équivaut à une affirmation d'érninence.
Proclamer Dieu àvovatov, a^toov, avouv, sans substance,
sans vie, sans intelligence, c'est lui attribuer une sura-
bondance d'être, de vie, de sagesse, o-Jo-ca; •J7rep8o>.rn
'jTTîpéyo'jira Çtovi, ÛTtspsy/juo-a coçi'a. Ibid., IV, 3, col.697.
Ainsi entendu, le procédé négatif se compare au tra-
vail du ciseau, grâce auquel le statuaire tire de la ma-
tière brute une noble image; en faisant tomber les
parties extérieures qui cachaient le dedans, il dégage
la beauté latente. De myst. theolog., il, col. 1025. Par
cette comparaison l'Aréopagite suppose manifestement
qu'en face des symboles relatifs à Dieu, l'esprit écarte
les formes extérieures, mais conçoit en même temps
une notion de la divinité qui va toujours s'épurant et
s'anoblissant, à mesure qu'on s'élève des symboles infé-
rieurs aux plus élevés, en les dépassant tous. Car la
marche à suivre est différente, suivant qu'on étudie
Dieu par la voie affirmative ou par la négative. Dans le
premier cas, la marche est descendante, allant des
plus sublimes affirmations aux plus humbles; dans le
second, elle est ascendante, allant des négations les
plus modérées aux plus fortes, ibid.; pour l'application,
c. m (affirmations), c. IV et V (négations). C'est quand
il est au sommet de l'échelle, que l'esprit devant aban-
donner tout symbole et l'activité intellectuelle qu'il
exerçait jusqu'alors, arrive à l'ignorance mystique dont
il a été question.
Théorie que chacun est libre de discuter, sous la
réserve toutefois de ne pas refuser à Dieu le pouvoir
d'éclairer et de s'unir l'àme en dehors des voies nor-
males cle la connaissance humaine. On peut trouver
que le symbolisme et l'allégorisme y tiennent une place
non seulement arbitraire, mais excessive en beaucoup
de cas; par exemple, quand Denys les étend à des
locutions qui n'ont rien de mystérieux, mais qui sont
purement métaphoriques, comme tant d'expressions
anthropomorphiques des saints Livres sur le sommeil
ou le réveil de Dieu, sur ses opérations ou ses affec-
tions. Considérée dans sa substance, la méthode est de
provenance alexandrine, mais antérieure àProcluset
même à Plotin <-[■ 270); Clément d'Alexandrie en parle
déjà, sans la présenter comme une nouveauté-. Strotn.,
IV, c. iv : lies divinas per involucra tradere tum apud
ethnicos tum sacros script or et usu esse receplum ;
c. ix : Ilationes afferuntur cur veritaleni involucrit
symbolicis obtegere visum fueril; c. x : Apostolorum
senlenlia de mytleriu fidei occultandis. I'. G., t. îx,
col. 38, 88, 94. Voir aussi ce qui a été dit de la voie
négative et de la théologie mystique, à propos du même
Clément, col. 1043 sq., ou de saint Grégoire de Nvsse,
col. 1093.'
c. Le traité Qepi 9e;<ov ôvo|i.âfwv. — Nous nous re-
trouvons ici, pour le fond des choses, dans la voie com-
mune, celle des affirmations. Denys ne s'occupe pas
de tous les noms divins, mais seulement de ceux qu'il
appelle votjtix, intellectuels, par opposition aux 3.'.-,'vr-.i,
sensibles, qu'il fait rentrer dans la théologie symbolique,
ou encore à ceux dont la seule révélation peut nous
instruire; car, dans la Théologie mystique, c. ni,
col. 1032 sq., il dit avoir parlé en son livre des Insti-
tutions théologiques, des principales affirmations qui
conviennent à la divinité. Il y aurait exposé «comment
le Dieu bon a une nature unique et une triple person-
nalité ; ce qu'est en lui la paternité et la filiation, ce que
signifie la dénomination de divin Esprit, etc. »
Le traité Des noms divins complète la doctrine dio-
nysienne sur la connaissance que nous avons de Dieu
ici-bas; car c'est « pour nous le faire connaître et pour
le louer, que les écrivains sacrés ont formé les noms
divins d'après les diverses communications ou émana-
tions, TcpooôVj;, de la bonté divine, » I, 4, col. 589. II
s'agit des communicalions ou émanations ad extra, et
par le fait même de noms qui se rattachent à la nature
divine et qui sont communs aux trois personnes de la
Trinité, par opposition aux noms relatifs qui convien-
nent à chacune d'elles en particulier. Ibid., il, 1, 3, 5,
col. (337 sq. En outre, ces noms essentiels et communs,
Denys ne les considère pas, si je puis ainsi parler, par
le dedans, c'est-à-dire par rapport à la nature divine
considérée en elle-même, mais directement par le
dehors, c'est-à-dire par rapport à cette même nature
considérée dans son action extérieure, créatrice et pro-
videntielle. Ibid., v, 2, col. 816.
C'est sous cet aspect restreint que Denys propose et
explique successivement un certain nombre de noms
qu'il trouve dans la sainte Écriture, cf. I, 6, col. 596;
d'abord, la bonté à laquelle il ramène les idées de
lumière, de beauté et d'amour, c. iv; puis, l'être, la vie,
la sagesse, la puissance, la justice, le salut, la rédemp-
tion, c. v-vm. Là s'intercalent quelques dénominations
symboliques : grandeur et petitesse, identité et diver-
sité, similitude et dissemblance, repos et mouvement,
égalité, c. ix. Ensuite les noms ou titres recommencent :
Dominateur suprême et Ancien des jours ; paix; Saint
des saints, Roi des rois, Seigneur des seigneurs; Dieu
des dieux, c. x-xn. Le livre se termine par un chapitre
sur la perfection et l'unité divine. Chemin faisant,
Denys sème des considérations très relevées, dont beau-
coup sont plutôt philosophiques que théologiques.
Dieu apparaît donc directement, dans le traité des
Noms divins, comme la source et la cause cle toute
bonté, de toute lumière, de toute beauté, de tout être,
de toute vie, de toute sagesse, de toute unité, en un
mot de toute perfection. Tout vient de lui par partici-
pation, 7;ivTx aOro-j ;;;7iy;:.et d'abord par participation
de l'existence qui, dans les créatures, est comme le
fondement de toutes les autres participations, xx\ wpi
7<iiv i'/.MOV OtVToO ll.l 70 yûri 70 ù-ixi Tzçoôiokt^a.i, V, 5,
col. 820. Cependant dans le plan des communications
extérieures, Denys met expressément au premier rang
la bonté divine, comme embrassant la totalité de ces
communications, suivant qu'elles s'étendent à ce qui est
1125
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES]
1126
et à ce qui n'est pas, xaV eîç tx ovx ovret. Cf. S. Thomas,
Suni. theal., Ia, q. v, a. 2, ad lu">. Les autres noms
ne les expriment qu'en partie, sous le rapport particu-
lier, qui correspond à chacun, d'existence, de vie, d'in-
telligence, v, 1, col. 816. La bonté, mue par l'amour,
sort en quelque sorte d'elle-même, mais pour revenir
au même point, en ramenant tout à elle ; c'est comme
une perpétuelle circulation d'amour, «Soitep tiç itfitoç
y.jy.'/o:, IV, 14, col. 712 sq. Métaphore qui rattache à la
souveraine bonté la raison de premier principe et de
fin dernière des choses.
Denys ne se maintient pas toujours sur le terrain
exclusif du rapport causal ; il le dépasse souvent, en-
traîné par la logique et la connexion des idées. Ainsi
Dieu n'est pas seulement cause de toute unité; il est
l'Un, mais d'une unité sur-essentielle, absolument
transcendante : <I>; p.ovâoa uiv y.a;. évdcfia, ICx ty,v àiùo-
ty-x xal évÔTr,Ta rr,ç ûitïpçuoû; à|xspiaç, I, 4, col. 589;
cf. il, 11; xn, 2, 3, col. 649, 980. Dieu n'est pas seu-
lement cause de toute perfection participée; il est
encore et de lui-même, parfait, a-JtOTeXéç, parfait sous
tous rapports et dans loute l'extension du terme, y.a'i
o'/ov 8t' ÔXou teXeiôtotov, parfait d'une perfection trans-
cendante, ûwepTeXé;, xiii, 1, col. 977. Dieu n'est pas
seulement cause de toule vie et de toute sagesse; il est
encore la vraie et éternelle vie, la sagesse même, ct-j-ro-
to;:z, vu, 1, col. 865. Dieu n'est pas seulement cause
de tout être ; mais l'être constitue la dénomination
théologique de celui qui est substantiellement, tv-,v roC
ovtco; ovto; 8eoXoyixT)v oûffiwvyjtfav, de celui qui est
purement et sans limites, àitAûç xal àuspioptc7Tu>;, v, 1,
4, col. 816 sq. Enfin, Dieu n'est pas seulement cause
de toute bonté; il est encore, et il est surtout bon, la
bonté même, r, avroaya8ÔT7]c, à tel point que cette pro-
priété nous apparait dans la sainte Écriture, Matth., xix,
17, comme la caractéristique même de la divinité, il, 1,
col. 636. Et c'est parce qu'il est la bonté par essence,
'.i; O'joxcâ&tc àyaôbv, qu'il lui appartient de répandre la
bonté sur tous les êtres, IV, 1, col. 693. Suit-il de là que
Dieu crée nécessairement 9 C'est ce que nous allons
examiner à propos du rapport de Dieu au monde.
Notons seulement, avant de passer à ce sujet, l'usage
que Denys fait constamment de la méthode d'éminence,
en se servant, pour qualifier Dieu ou ses propriétés, de
trois catégories de dénominations ou d'épithétes, par-
fois combinées, et commençant les unes par ûwép,
comme -juipo-jctioi, sur-essentiel, •j-£p->.ï1?r,;, sur-plein ;
les autres par a-jro, connue oc-JToaya6rf;, essentiellement
'/"", i, avTovn;paya6tfTr,;, Y essentielle sur-bunlé; les
antres par &pyr\, comme àpy_T)ytxtoTEpo;, sur-principal.
Sur ces termes, si compliqués parfois qu'ils en devien-
nent littéralement intraduisibles, voir les ive, v et
vu observations générales de Corder, P. G., t. m,
col. 80 sq.
il. Rapport de Dieu an monde. — Ce point ne rentre
dans I'- présent article que dans la mesure où la doc-
trine des émanations de la bonté divine et celle de la
participation des créatures ■< cette même bonté ont fait
incriminer la tle odicée dionysienne, con • ne sau-
rdanl pas l'essentielle distinction de Dieu et des
créatures, ou du moins l'indépendance et la liberté
divine dans la production du monde.
Sur le premier chef d'accusation, la réponse i I
facile. Quoi qu'il en soit de la pensi e personnelle de
l'Iotin et de l'roclus, les expressions d'émanation et
de participation n onl pas par elli s-mêmes un sens
panthéiste; on les retrouve longtemps après chez des
théologiens radicalemen a cette erreur, par
exemple, chez le docteur angélique, Sum. theol., I
q. xi. \. i l secundum emanalionem totiut tntit
univenalt • < | incipio. Il faut donc recher-
cher le ien que L)enj - attribuai! -ions.
l!a ' -oui prompt*
ment, car l'Aréopagite distingue fort bien la communi-
cation de la nature simple et indivisible, qui a lieu
dans la Trinité, et la participation analogue, qui seule
convient aux êtres créés, et qu'il compare à la ressem-
blance produite par l'empreinte d'un sceau. De div.
nomin., n, 5, col. 644. Voir Crkation, t. ni, col. 2075.
En beaucoup de cas, les adversaires de Denys oublient
la distinction élémentaire, mais capitale dans l'inter-
prétation de cet auteur, entre l'être pris au sens formel
et l'être pris au sens causal. Ainsi en est-il, par exem-
ple, De cseh'sti hierarch., iv, 1, col. 177, où la parti-
cipation est fortement accentuée, et où l'être divjn
semble identifié avec celui des créatures : tô yàp se/at
TiàvrcDv ètt'iv t) -jTtkp tô sîvat 6eôtT)ç. Il suffit de lire les
deux phrases qui précèdent pour se convaincre que
Denys parle de la divinité suressentielle comme ayant
produit toutes choses et les faisant subsister, f, -j-spo-j-
(Tto; ôîap/ca Ta; tmv ovtwv o-Itix; ■j~rl<ï-rl<7XG'x. Enfin
l'immanence, en tout être, de Dieu présent ou agissant
ne prouve pas plus chez Denys la conception d'un pan-
théisme dynamique, qu'elle ne prouve semblable con-
ception chez saint Paul, quand il dit : In ipso enim
vivimus, et movemur, et sumus, Act., xvn, 28; ou :
Deus, qui operatur omnia in omnibus, I Cor., xn, 6;
ou encore : Ut sit Deus omnia in omnibus. I Cor., xv,
28. Sur l'action divine, d'après Denys et saint Maxime,
voir Petau, oj>. cit., 1. Y, c. xi, n. 2 sq.
Reste l'autre question, relative à la liberté ou à la
nécessité des communications divines ad extra. Le
problème se pose surtout à propos de la comparaison
établie par l'auteur des Noms divins, iv, 1, col. 693,
entre le soleil qui éclaire les corps non par raisonne-
ment ni par choix, mais parce qu'il est, et la bonté
divine qui rayonne proportionnellement sur tous les
êtres : Kai yàp <i><r~ïp 6 y.a6' r,ij.àc fjXco;, o\j Xoyi£6|isvoç
r, Tipoaipo-jaîvo;, à)./.' a-JT("> t-o s'vae çco-iÇei rrivTa...
ovTtii à:n y.ai ràyaÔbv... tcïti toï; o\hjv/ âvaXdycac iotr^i
Ta; t?,; ôXtjç àya86TT)TO« àxTÎva;. Est-ce à dire que le
Bon répand la bonté, et par conséquent crée, comme
le soleil luit, nécessairement? L'Aréopagite a-t-il suivi
sur ce point Platon et Origène? Nous avons vu plus
haut que la réponse affirmative a été donnée, même par
des écrivains catholiques; et il serait difficile de nier
que la présente comparaison, jointe à la doctrine géné-
rale de Denys sur la bonté divine, ne donne à cette
opinion un fondement sérieux.
Ce n'est pourtant pas l'interprétation des principaux
commentateurs de l'Aréopagite : saint Maxime, Pachy-
mère, Corder, t. ni, col. 735, 748; saint Thomas.
<>i>tisr., VII, InlibrumB. Dionysii de divinis nomi-
nibus, c. i, lect. i, Parme, 1864, t. xv, p. 29li; Cortasse,
Traité îles noms divins, p. 66, note 2. Denys ne repre-
nant pas dans le second membre ces mots dits du soleil
dans le premier : o-j Xoyc(é|ievoc rt Jtpoaipo'JfWvo;, la
comparaison ne semble point intervenir pour montrer
si Dieu se communique librement ou nécessairement,
mais seulement pour expliquer l'idée qui précède
c'est à Dieu, bonté substantielle, qu'il appartient de
n pandre la bonté sur les êtres; comme il appartient
au soleil d'illuminer, et cela par sa nature, non pas
d'une façon accidentelle. Un peu plus loin, n. 10,
col. 708, Denys nous montre l'amour inclinant la bonté
à se communiquer : ixivi)a< B) otvtôv s!: tô npaxTt-
xtvtffOou. La création ne semble donc pas dépi ndi
la bonté prise simplement en elle-même, mais mue en
quelque sorte par i ai r. Or, rien dans la texb d<
permet d'affirmer qu'il un amour propn -
Mil lit l>
doctrine de Denys \
nent qu'en porte Bardenhewer, Les Pèrei de
\$e, trad. Godet, Parla, 1899, i. u, p, 189
\eiti .m christianisme, il oppose au néoplatonisme
un système théologique qui
1127
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES'
1128
s'efforce de conserver les nombreux éléments de vérité
contenus dans les théories de Plotin [et de Proclus]. Il
parle la langue de l'école où se forma sa jeunesse. » On
peut ajouter avec II. Koch, l'seudo-Dionysiits Areopa-
flita, p. 255, que l'auteur des écrits dionysiens a utilisé
la philosophie néoplatonicienne dans une mesure où
nul écrivain chrétien ne l'avait fait avant lui et ne
l'a fait après. On peut appliquer spécialement à sa
Ihéodicée ce qui a été dit de son orthodoxie en géné-
ral et des difficultés que présente sa terminologie, dans
l'article qui lui a été consacré, col. 433 sq. Du reste,
l'étude du pseudo-Denys ne peut pas être considérée
comme complète et définitive. Si ses dépendances ont
été bien examinées du point de vue littéraire et phi-
losophique, il n'en est pas de même du point de vue
doctrinal et théologique. En face des ressemblances,
nombreuses et incontestables, que ses écrits ont avec
ceux des néoplatoniciens non chrétiens, il serait bon
de mettre les dissemblances, nombreuses aussi et non
moins incontestables.
b) Saint Jean Damascène (f vers 750). — Si le der-
nier des Pères grecs se recommande spécialement à
notre attention, ce n'est ni par l'éclat du génie ni par
l'originalité des vues, mais par un double caractère
qui le relie à la fois au passé et à l'avenir. Par rap-
port à l'Age scolastique qui suivra, il est précurseur
parla combinaison, dans sa tbéodicée, d'éléments néo-
platoniciens et aristotéliciens, et généralement par
l'usage qu'il fit de la philosophie, de la logique en
particulier, comme instrument de la théologie. Par
rapport aux siècles qui précèdent, il est écho, mais
écho intelligent, qui ne répète pas tout ce qu'il a en-
tendu, mais procède avec discernement.
La théodicée de saint Jean Damascène est tout entière
dans le Ier livre de son E.cposilio fidei ortliodoxœ,
P. G., t. xciv, col. 790-860. Les quatorze chapitres se
rapportent tous, sauf les vie, vir- et vme, à Dieu consi-
déré dans l'unité de sa nature. L'exposition, quoique
didactique, est loin d'être parfaitement méthodique;
les répétitions et les digressions sont nombreuses.
L'ineffabilité et l'incompréhensibilité divines sont
comme posées en principe : appïixov xb 0sîov -/.ai à/.a-
râXïiTCTov, c. i, col. 789. Il s'agit alors de Dieu consi-
déré dans sa nature, telle qu'elle est en elle-même, xi
Sa Iffti ©soc o'jCTÎa, ou dans le comment de ses per-
fections, de son ubiquité par exemple, r, 7io>; è(mv èv
ucdjiv, ou dans le comment des opérations qui relèvent
de sa vie intime, comme la génération du Verbe, r,
xcài; èauxbv xsviocra; 6 SJ.ovoyEvr,ç Yiôç, c. II, col. 793.
Dieu incompréhensible est, au même titre, ineffable :
xb ©EÏov àxaTâ).Y)lcrov ov, Txâvxa>; y.où avd>vu(i.ov Eorat,
c. xii, col. 845.
Nous ne sommes pourtant pas réduits à une igno-
rance absolue. Tout mortel sait naturellement, çuaixûg,
que Dieu existe, et le monde rend témoignage à son
auteur, c. i, col. 789. Plus loin, l'existence de Dieu est
démontrée ex professo : à-nôoeibi 6t<. iort 0e<Sç, c. m,
col. 794 sq. Trois preuves sont proposées. La première
repose sur la mutabilité des êtres et la contingence
qui en résulte : xpeuxà tosvuv o'vxa, nâvxwç y.a\ xx«rxâ.
Il faut monter à un premier principe, incréé,
immuable : et Se axxiaxa..., Tcâvxw; xai axp£7rxa. La
seconde preuve est fondée sur la conservation et le
gouvernement du monde; elle conduit à Dieu provi-
dence : /.ai ie\ ixpovooû|j.£vo;. Vient ensuite la preuve
téléologique, tirée de l'ordre universel; elle aboutit à
Dieu suprême artisan : 6 xs-/v:xï); xoûxmv, xai y.oyov
e/Oeî; 7r5(7i.
La première preuve est d'une importance particu-
lière; car à la notion d'être nécessaire et immuable se
rattachent, dans la pensée de son auteur, plusieurs
autres propriétés fondamentales, comme la simplicité
et l'infinité, qu'il ne se préoccupe amais d'établir sé-
parément. La spiritualité est une conséquence; c'est
chose manifeste, SfjXov, étant données les proprié-
tés d'infinité, d'invisibilité, de simplicité, d'immu-
tabilité, d'immensité, qui conviennent à la nature
incréée, c. iv, col. 797. A la démonstration de l'exis-
tence divine, le saint docteur joint celle de l'unité :
àît68etÇ(; Sxi si; ê<rri Sebc xal où noV/.ol, c. v, col. 800 sq.
Il l'appuie sur l'absolue perfection de Dieu, /.ara
TTxvxa xÉ'/E'.ov, sur son immensité et sur le bon gouver-
nement de l'univers. Preuves traditionnelles, qui se
retrouvent dans le Dialogue contre les manichéens,
t. xciv, col. 1505 sq.
.Mais, quand il s'agit de Dieu, la raison humaine
n'est pas l'unique source de connaissance; il faut y
joindre la révélation que Dieu a faite de lui-rnêrne,
dans la mesure qui nous convenait, -/.axa xb sfixTÔv
ï|f«v, d'abord par la loi et les prophètes, puis par son
Fils unique, notre Dieu et Sauveur, c. I, col. 789. C'est
appuyé sur ces deux sources que le docteur de Damas
détermine ce que nous connaissons et professons tou-
chant la divinité, c. Il, col. 792. L'énumération faite
en cet endroit comprend d'abord tous les attributs,
négatifs ou positifs, absolus ou relatifs, qui appartien-
nent à l'enseignement traditionnel; puis, la trinité des
personnes consubstantielles et l'incarnation du Verbe
avec ses conséquences christologiques et sotériolo-
giques. Celte énumération est reprise, quoique sous
un aspect différent, à la fin du livre, c. xiv, col. 860.
Un chapitre spécial, le xme, est consacré aux rap-
ports de Dieu à l'espace. Pour les corps, saint Jean
Damascène adopte la notion aristotélicienne du lieu :
TtE'paç TOÛ Tî-p'.É/ovxo:, y.aO' S TTEpii/Exa: TÔ r.-.y.v/',\>i-i'i,.
col. 849. Il ajoute, pour les substances incorporelles et
intellectuelles, la notion du lieu spirituel, entendu
d'un espace déterminé où s'exerce leur action et se
limite leur présence. Pour Dieu, pur esprit, il ne peut
être question du lieu corporel. Il n'est pas davantage
restreint à un lieu spirituel. Il est au-dessus de tout
lieu, intimement présent à tous les êtres, sans mélange
aucun, à[uyû>ç, et contenant tout sans être contenu
lui-même, v.a'; ~àvxa 7TîpiÉ'/ov, /.ai \irtr,i<v.i ■/.■x-x/vlz:
7r£p[E-/_op.Evov, col. 852, 853. En d'autres termes, il est
immanent par sa présence, et transcendant par sa na-
ture. Lui-même est en quelque sorte son propre lieu,
et quand l'on dit qu'il est dans le lieu, cela doit s'en-
tendre, dans un sens relatif, de l'endroit où son action
s'exerce et se manifeste, lbid., col. 852.
La seule question de quelque importance qui se
pose maintenant, est celle-ci : Jusqu'où va notre con-
naissance de Dieu ici-bas? Sur ce point, saint Jean
Damascène reproduit substantiellement la doctrine de
saint Grégoire de Nazianze, son auteur favori, en y
joignant quelques considérations de provenance dio-
nysienne. Ce qui se rapporte à Dieu n'est, pour notre
langage, ni complètement exprimable, ni complète-
ment inexprimable; pour notre connaissance, ni
complètement accessible, ni complètement inacces-
sible, c. n, col. 792. Notre savoir va plus loin que
notre parler; pour beaucoup de choses relatives à la
divinité, dont nous avons une connaissance à tout le
moins obscure, l'expression propre et convenable nous
manque et le langage humain s'impose. Par là s'expli-
quent toutes ces locutions anthropomorphiques qui
apparaissent dans la sainte Écriture, c. xi, col. 841 sq. :
7t£pi xùjv (Tiopiaxiy.iii; È~i 0soO /.syouÉv<ov.
La distinction des noms affirmatifs et négatifs est
donnée, c. XII, col. 8i5 sq. Le saint docteur rattache
les premiers au principe de causalité, ô>; alxiov t<ôv
Txivxtov y.ax/'.yopsixa:. Aussi rapporte-t-il au début du
chapitre, en se référant expressément à Denys, toute
une série de noms empruntés à la sainte Ecriture et
convenant à Dieu au sens causal; comme de dire qu'il
est le principe et la source de toutes choses, l'être des
1129
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1130
êtres, tûv ovtwv ol<r:'a, la vie des vivants, la raison
des créatures raisonnables, etc. Les appellations néga-
tives sont rattachées au principe de la transcendance
divine : BriXoûvra to Û7t£po-j<rtov. Klles n'ont donc pas,
pour saint Jean Damascène, un sens privatif, mais un
sens d'éminence, comme il l'ajoute expressément : o-jy
OTl TIVÔ; ïjTTO-JV STTl'v, ï} tVIO^ ÈGTî'pïjTat. . . à)./.' OTI TTÏV-
twv ûitspoxtxtôç twv ô'vtiov èÇ^pï)Tat. Ce qui le prouve
encore mieux peut-être, c'est qu'en ce même passage,
il énumère comme heureuse combinaison des noms
positifs et négatifs, les expressions suivantes, où la
négation n'apparaît que sous forme d'éminence : -r\
&icepo£etoc o-J<r:a, l'essence sur-essentielle; y| vurpôeo;
Bedrrçç, la divinité sur-divine; -j-îpâpy.to; àpy^, le
principe sur-principe.
De même, quand notre docteur affirme, c. v, col. 800,
qu'en parlant de Dieu, on se sert plus proprement
de formules négatives, otxetrfTCpov oï u.3XXov èv. tîjî
étnâvicov à;a^/ï'7S(i): tîo'.sîgOqu rôv Xôvov, il ajoute aussi-
tôt cette explication, qui transforme la voie négative
en voie d'éminence : Car Dieu n'est rien de ce qui
existe, non point que réellement il ne soit pas, mais
parce qu'il est au-dessus de tout, même de l'être (pré-
dicamental : ovy (î>ç \ù\ <3v, à).),' a>; ■Jrcïp Ttàvra Ta
ovTa, v.x: ûïlèp a-jtô xb Etvotl tïîv.
Enfin, il ne faut pas se figurer qu'aux noms divins
répondent autant de différences substantielles, ce qui est
incompatible avec la simplicité de Dieu. Ces noms ne
signifient pas la nature prise directement en elle-
même, mais ils lui conviennent de trois manières dif-
férentes, c. IX, col. 836sq. Les uns signifient ce qu'elle
n'est pas ; tels les noms d'innascible, d'incréé, d'in-
corruptible, etc. D'autres désignent un rapport de
Dieu aux êtres, ayinvi -zvi'x Trpo; ti tûv àvtiStacrreXXo-
iiivov ; tels les titres de Seigneur, de roi et semblables.
Ceux de la dernière catégorie expriment soit une no-
tion qui s'attache à la nature divine, soit l'exercice de
son activité : r, -.: x&\ nctpeico|tévo>v -ft çveret, r, êvép-
yeiav. Ainsi, la notion de bonté, de justice, de sain-
teté, de sagesse, s'attache à la nature, sans la déclarer
elle-même : r.x^i-; i-.x -rl p-jirei, oûxaûrriv Si ttjv oûefav
Bt|Xoî- Idée déjà énoncée auparavant, c. iv. col. 800 :
oj Tr,v •^•JT'.'/, x')ix'-.x 7tep\ 'r,'/ pvfflV 6'/)Xoî.
Deux noms sont mis particulièrement en relief : 6
m-i et Qt6ç. Sainl Jean Damascène donne ce dernier
pour un nom d'opération, d'après trois étymologies
qu'il rapporte, sans les discuter: Bsecv, courir; «Il
brûler; 0:-/.i6at, voir. Mais il proclame le nom d'Être,
révélé à Moïse, Kxod., ni, 14, comme le plus propre
de tous ceux qu'on applique à Dieu, xupttirepov nâvtcov
i-: 8goû Xeyopiivuv àvdixatuv. Et cela dans le même
sens et pour le même motif que saint Grégoire de .\'a-
zianze, voir col. 1089 : Dieu comprend l'être en sa to-
talité, comme un océan immense et infini, olôv ti
~i/x-;ri; ',C-7:.x: ïirtipov v.x: ï6piarov. Le texte grec,
dans l'édition de dom Lequien, reproduite par Migne,
porte ensuite ces mots, col. 836 : 'il- ô; o tx-;:o: A:o-
VV9(6*; çr(«Tlv, ô ay/Oo;. <)., fkç ï'irvi irÀ QtOV gilCStv,
,1 -.'<> etvai, y.a\ tôt; to iyaO^v. Phrase qui tend à
redonner au nom de Bon la prééminence sur r. lin
A'f'Are. C'est là une annexe qui ne se trouve pas dans
tous les manuscrits et qui semble bien surajoutée
9 coup; car, dans tout ce passage, le docteur de
Damas suit manifestemenl sainl Grégoire de Nazianze.
i. . -i pas à dire qu il B'écarfe de Denjs, quand il
■'agit d'exalter la boni'', il en fait l'apanage essentiel
delà nature divine xvaObv 9Ûv6pou>a
»va(a, c. \iii. col. 853. Avec l'Aréopagite, il voit dam
la création comme u li la bonté divine, tendant
faire participer au dehors !>™p6oXj} iv«6d
ivS6x -.',i:x
■ . iù-.t-u:. I. H. C. M, col. S'il. Ml
ée sur la liberté de l'acte créateur De lai
prise au doute; d'abord, à cause de sa doctrine géné-
rale sur l'indépendance et la liberté divines, t'o oi-Jto-
xparà; y.a\ avisço Jo-iov, 1. I, c. XIV, col. 860; puis, à
cause de cette affirmation distincte, que la création
relève en Dieu de la volonté, r( 6k •/.■zim; im 0soù ÔsXr,-
oEtoç k'pvov ojo-3, c. vin, col. 813, et qu'elle est due au
bon plaisir divin, vjoôv.t^ = ysv£T6at Tivà ix £-Jsp-yE07,o-ô-
p.eva, loc. cit. Voir encore d'autres considérations
dans l'article Création, t. m, col. 2142.
Ainsi trouvons-nous, au soir de la patristique grecque,
une synthèse de théodicée qui forme le meilleur épi-
logue à tout ce qui précède. Il est à remarquer que,
dans l'exposé qu'il donne de notre connaissance de
Dieu, saint Jean Damascène se rattache surtout à la
tradition antérieure au pseudo-Denys, et qu'il se main-
tient sur le terrain de la théologie, non pas symbolique
et mystique, mais philosophique et démonstrative;
car le c. xi, où le mot oupigoXixûç apparaît, ne traite
en réalité que d'expressions métaphoriques, comme
les yeux de Dieu, ses oreilles, sa bouche, ses mains, etc.
Il y a là un point de contact de plus entre le dernier
des Pères grecs et les docteurs scolastiques du moyen
âge.
2. La basse patristique en Occident. — Cette pé-
riode ne comporte pas de longs développements. On
n'y trouve ni un Denys qui l'inaugure, ni un Damas-
cène qui la couronne, à moins qu'on ne veuille rap-
procher de ce dernier docteur saint Isidore de Sé-
ville qui, dans la Patrologie de Gardenhewer et de
plusieurs autres, termine l'Age patristique dans
l'Église latine. Les autres Pères ne donnent pas lieu
à une étude spéciale; il suffira de demander aux
principaux d'entre eux les grandes lignes de leur doc-
trine sur Dieu.
a) Saint Léon le Grand (f 461); Boice (f vers 526);
saint Fxdgence (f 533); Cassiodore (f vers 570-578);
saint Grégoire le Grand (f 604). — Tous ces Pères
n'ont parlé de Dieu que d'une façon incidente; et,
quand ils le font, ils se contentent, à peu d'exceptions
près, de répéter la doctrine de leurs devanciers, sur-
tout celle de saint Augustin.
L'affirmation de la transcendance et de l'incompré-
hensibilité divines reste un thème commun. Saint Ful-
gence comprend l'une et l'autre dans cette courte
phrase : Consiilerata crealoris crealunvque distinctio
incomprehensibilem monstrat algue inexplicabilem
intellectui creaturx magnitudinem creatoris. Episl.,
xiv, n. 26, /'. L., t. i.xv, col. 416. Saint Léon disant :
Nemo de Deo potest explicare quod est, Serm.,
i.xxv, c. m, P. L., t. liv, col. 402, il ne faut évidem-
ment pas chercher une vraie définition de la divinité-
dans ces autres paroles : Dons omnipotens et clenxens.
cujuB natura bonilas, etc., Serm., xxn, c. i, col. 194,
Cassiodore répétant, après tant d'autres, qu'on peut
dire ce que Dieu n'est pas. mais qu'on ne peut
comprendre ce qu'il est, In //s. CXLI, 10; * SLV, 6,
/'. /.., t. i.xx. col. 1008, 1031. ce n'est assurément pas,
comme il nous en avertit lui-même, une définition
substantielle qu'il propose, quand il écrit : Potest
tamen, su-ut quibusdam visant ett, definiri taliter
Detu : Deu* e$i tubstanlia incorporea, $implex et
incommutabilis, In p$. il, 7. col. 39, ou quand il dit :
Cujut rera definitio est, finem in eanclit laudibus
,/..), habere. In p$. • miv, 3, col. 1 < *
Boéce M'- veul pas affirmer autre chose que la trans-
■ ■ . 1 1 , i . t n < e de l'être divin, quand il met Dieu en dehors
des prédic m ta el dit. i ce propos, qu'en lui la sul>-
stance n'est vraiment pas substance, mais dépasse cette
notion : tubttantia in illo mm <^i vert tubitemtia,
tantiam, l>< i , inttate, c. iv. /'. /.,,
t. Lxrv, col. 1262, Pure traduction, en latin philoso-
phique, de l'.r I Ml ■
Boéce explique, ibid-., c. m. oom-
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1131
ment la notion prédicamentale du nombre n'a pas son
application en Dion, bien qu'il eût dit auparavant que
la substance divine est une, mais d'une unité qui s op-
pose à toute multiplication et qui s'identifie avec
l'absolue simplicité : Hoc vere unum, in <i»o nullus
numerus, nullum in eo aliudprœter quam id quod
est, c. il, col. 1250.
La cognoscibilité de Dieu n'est pas un thème moins
commun, pour les Pères de cette période, que la trans-
cendance et l'incompréhensibililé. La voie du dehors
est toujours au premier plan : Unicuique fidelium ad
colendum Deum ipsa rerum nalura doctrina est,
dum cœlum et terra, mare et omnia quse in eissunt,
bonitatem et omnijiotentiam sui protestait tur aucto-
ris, dit saint Léon. Serm., xlix, c. i, col. 285. Con-
naissance si naturelle, si obvie, que nul ne peut ignorer
Dieu impunément, ajoute saint Fulgence. Contra
arianos, resp. 2, t. lxv,co1. 207. Boèce argue de l'ordre
merveilleux et constant du monde en faveur d'un
Dieu unique, souverain régulateur et conservateur :
Mundus hic ex tam diversis contrari'aque parlions
in unam formant minime convenisset,nisi umis esset
qui tam diversa conjungeret, etc. De consolatione
philosophise, 1. III, prosa xn, t. LXIII, col. 778.
Plus caractéristique est la preuve que le même au-
teur tire, ibid., prosa x, col. 764 sq., de l'existence
d'êtres imparfaits. L'imparfait n'est qu'une participa-
tion diminuée du parfait : Omne enini quod imperfe-
ctum esse dicitur, id imminutione perfecli imperfe-
ctum esse perlitbetur. 11 faut donc arriver finalement
à un Dieu souverainement grand, bien parfait et su-
prême : Quare ne in in/initum ratio prodeal, confi-
tendum est summum Deum, summi perfectique boni
esseplenissimum. Prise dans tout son contexte, la
preuve n'est nullement a priori, comme le reconnaît
F. Nitzsch, dans son ouvrage, si peu sympathique à
Boèce, Das System des Boelhius, p. 56; elle ne part
pas de l'idée innée que nous aurions d'un être parfait,
mais des êtres réellement existants dont nous consta-
tons l'imperfection ou la finilude. Elle repose sur le
même principe que l'argument des degrés, signalé à
propos de saint Augustin, voir col. 1 107, et se retrouvera
chez les scolastiques, en particulier chez saint Tho-
mas, Contra gentes, 1. II, c. xv, S Quod alicui conve-
nu ex sua natura et non ex aliqua causa, minora-
tum in eo et deficiens esse non potest. Ajoutons qu'il
ne faut pas confondre cette preuve avec une autre qui
se développe à travers tout le livre De consolatione
philosophise, et qui se rattache, elle aussi, à la notion
de Dieu souverain bien, mais considéré comme cause
finale, dont la bonté attire, et non plus comme cause
exemplaire et efficiente, dont les créatures, en ce
qu'elles ont de bon, ne sont qu'une participation ana-
logue. C'est la preuve qui résulte de la tendance innée
des créatures vers Dieu.
Saint Grégoire marche sur les traces de saint Augus-
tin. A la voie du dehors, qu'il signale souvent, voir
Ylndex inlibros Moralium et Homilias,P. L.,t. lxxvi,
col. 1379, il joint la voie du dedans, avant son point
de départ soit dans la conscience d'une loi morale qui
s'impose, Moral., 1. XXVII, c. xxv, ibid., col. 427, soit
dans la connaissance que l'âme a d'elle-même : ut
primum semelipsam, si valet, considerel, et tune
illam naturam, quse super ipsam est, in quantum
potuerit, invesliget. In Ezech., homil. v, n. 8, ibid.,
col. 989; cf. Moral., 1. V, c. xxxiv, n. 02, t. lxxv.
col. 713. Assez originale est la manière dont le grand
pape explique, dans son interprétation allégorique de
Job, iv, 12 sq., comment nous connaissons Dieu ici-
bas, même dans la contemplation. La façon dont Dieu
se révèle est comparée à un murmure discret : Susur-
rât, buia etsi plene non intimât, quiddam tamen de '
1132
sehumanm menti manifestai, c. xxix, 1. i. xxv, col. 707;
ou encore, à un souflle léger: Quia in liac adlmrvila
posilis conlemplatoribus suis,nequaquam se divinitas
sicut est insinuât, sed lip)>ientibus mentis nottrm
oculis claritatem suant lenuiler demonslrat, c.xxwi.
n. 66, ibid., col. 715. Nous n'arrivons donc jamais à
savoir ce qu'est Dieu, mais seulement ce qu'il n'est
pas, c. xxxiv, n. 62, col. 713. En parlant de lui, nous
ne faisons que balbutier : eum aliqualenus balbu-
liendo resonamus, c. XXXVI, loc. cit.
La question des noms divins reste stationnaire chez
les Pères latins de cette dernière période. Saint Ful-
gence suppose clairement que certains noms con-
viennent à Dieu proprement et dans un sens absolu,
quand il écrit incidemment des personnes divines :
In his dumtaxat nominibns quibus ad se non translate,
sed proprie dicitur... Dicimus enim sive Patrem,sive
Filium,sive Spirilum Sanclum ,esse Deum vivum, ma-
gnum, sapientem, f orient, bonum. Episl., xiv, q. il,
n. 16 bis, t. lxv, col. 406. A plus forte raison cela doit-il
s'entendre de l'être, le même Père disant de Dieu : Qui
sine inilio est, quia summe est. De fuie ad Petrum,
c. m, n. 25, col. 683. Cassiodore est formel sur ce
point : Esse enim ipsi proprie convenit, qui ut sit,
nullius adjutorio conlinelur... Essentia individuse
Trinilatis, quse, ab eo quod est, esse veraciler et pro-
prie dicitur. In ps. lxxvi, 14; LXXXIX, 2. t. lxx,
col. 551, 645. Saint Grégoire ne veut pas dire autre
chose, quand il appelle Dieu : Qui principaliler est,
et qu'il ajoute : Jntueatur eum incujus essenlise com-
paratione esse nostrum non esse est, et dicat : Ipse
enim solus est. Moral., 1. XVI, c. xxxvn, n. 45,
t. lxxv, col. 1144.
Un passage d'un auteur secondaire mérite d'être
relevé pour la classification qu'il énonce. Il est de .lu-
nilius, Africain de naissance, qui vécut longtemps à la
cour byzantine. Dans ses Instituta regulario divins
legis (titre vrai de l'ouvrage), P. L., t. lxviii, il pose
cette question, 1. I, c. xn, col. 21 : Quoi significationi-
bus Scriptura de Deo loquilur? et répond : Quatuor.
Aut enim essentiam ejus signi/icat, quam latine et
substanliam nuncupamus, ut est : Ego sum qui sum,
Exod., III, 14, aut personas..., aut operationem..., aul
collalionem ejus ad creaturas... Ainsi, les nomsdivins
ne signifient pas seulement les personnes de la sainte
Trinité, ou l'action de Dieu, ou ses rapports aux créa-
tures; il en est, comme le nom révélé à Moïse, qui
signifient son essence. Mais Junilius n'entend pas
l'essence dans le sens rigoureux du mot; on le voit
par la question suivante. Après avoir énoncé, comme
signifiant l'essence divine, huit noms usités dans l'An-
cien Testament, en particulier le nom d'être, il fait
demander au disciple : Quid de Deo Itsec verba signi/i-
cant ? et répondre au maître : Non quid est, sed quia
est; quid enim sit Deus, compreliendi non potest.
Preuve manifeste que sous le 7111a est, opposé au quid
est, les Pères comprenaient bien autre chose que le
simple fait de l'existence divine.
11 serait inutile d'insister sur les attributs de Dieu
contenus depuis longtemps dans la doctrine courante
de l'Eglise. Il suffit de dire que plusieurs, notamment
l'éternité et l'immensité, sont affirmés ou décrits avec
beaucoup de relief par Boèce, saint Fulgence, Cassio-
dore et saint Grégoire. VoirPetau, op. cit.,l. III, cm,
iv. \in, ix, passim.
b) La fin de la patristique latine : saint Isidore de
Sëville (f 636). — Encyclopédiste comme on pouvait
l'être de son temps, le docteur espagnol traite de Dieu
en deux endroits: Etym., 1. ATI, ci, P. L., t.i.xxxu.
col. 259-264; Sent., 1. 1. c. l-vi, t i.xxxni, col. 537-547.
Dans ce dernier livre, il établit successivement, en
autant de chapitres, les six points suivants : souveraine
grandeur et immutabilité de Dieu; son immensité et sa
1133
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES'
1134
toute-puissance; son incompréhensibilité; sa cognosci-
bilité par le moyen des créatures, quod ex creaturse
pulchritudine agnoscalur creator ; usage et raisons de
rapporter à la divinité certaines passions humaines ou
allections corporelles; transcendance de Dieu par rap-
port au temps. Tous ces points sont développés briè-
vement et nettement, mais sans rien qui ne nous soit
déjà connu. On peut relever cette affirmation du carac-
tère naturel de la connaissance de Dieu : Dixerunt
antiqui, quod nihil lam hebes sit, quod non sensum
habeat in Deum, c. IV, n. 4, col. 54i; ce fondement de
la cognoscibilité de Dieu dans les créatures : Vesligia
Dei sunt, quibus mine Deus per spéculum agnoscitur,
c. v, n. 10, col. 547; cette énumération, inspirée parla
doctrine d'Augustin et de Grégoire, des étapes que
l'Ame suit dans son ascension vers le créateur : Ab in-
sensibilibus surgens ad sensibilia; a setisibilibus sur-
gens ad rationabilia ; a rationabilibus surgens ad
creatorem, c. iv, n. 3, col. 544.
Dans le livre des Etymologies, saint Isidore traite,
sous forme de vocabulaire où chaque mot est accom-
pagné d'une courte explication, de trois sortes de noms
divins. D'abord, n. 1-17, des dix noms de Dieu chez les
Hébreux, d'après saint Jérùme. A remarquer, n. 5, la
singulière élymologie, donnée auparavant par Cassio-
dore, In ps. x.xi, 1, t. lxx, col. 153, du mot Dieu :
Deus grsece Wsô; dicitur, quasi Sïo:, id est, timor ; .
unde traclum est nomen Deus, quod euni colentibus
sit timori. Voir déjà dans saint Ainbroise, De fuie,
I- I, c. i, n. 7, P. L., t. xvi, col. 531. A remarquer
encore, n. 10, l'interprétation, empruntée à saint .Jé-
rôme, Epist., xv. n. i, du nom n>nN : Eie, id est, qui
est. Deus enim solus, quia xternus est, hoc est, quia
exordium non habel, essentias nomen vere tenet.
Vient ensuite, n. 18-33, une série de dénominations
substantielles, qui se rapportent aux attributs divins;
toutes son! négatives, à l'exception de quelques-unes,
comme : sapiens, summe bonus, perfeclus, n. 27, 28,
• >1. Encore saint Isidore, à la suite de saint Grégoire,
Moral., 1. XXIX, c. i, t. i.xxvi, col. 477, goùte-t-il peu
le dernier terme : Deus autem, qui non est faillis,
quomodo est perfeclus? Sed hoc vocabuliun de usa
nostro sumpsit Humana inopia. Pure question de
mots, remarque Petau. op. cit., 1. VI. c. vu. n. :S. Aux
noms substantiels s'ajoutent enlin. n. 34-40, les appel-
lations ou expressions, tirées des membres humains
et des choses corporelles; elles sont évidemment mé-
taphoriques : Nam et situs, et habitua, et locus, et
temjius m Deum non proprie, sed per simili tudinem
translate dicuntur, n. 39. En somme, simple résumé,
dans l'ensemble, de la théodicée traditionnelle. Comme
saint Jean Damascène pour l'Orient, mais d'une façon
plus humble, saint Isidore clôt ainsi pour l'Occident
notre longue enquête patristique.
Auteurs catholiques. — Cyparissiota, opfeit.; J. Schwane,
il . '. il, part. I, c. i, § 8; li. Corder, s. J. 01
aies pro faciliori intelligentia S. Dionysii; tsagoge ad
myiticam iheologiam s. l> t. m.
itté des noms tU-
" des perfection ■ c des noies en:
lophiques, théologiques et dogmatiques, Lyon, i Ifl
F.HIpler, /■ ; librorum qui sub Dionysii A,
i :t thiih ■ !
Regù Bru nsbergensi, années 1871, 1874
Ml',;
Is'rj, introductien, p. \< m sq.; il K i>, Pseudo-D
Itus Areopagita ,,, si il mgen rum Neuptatont
urul Mystei ienwi en
r ii,i,l 1)0
< treo-
' m, ,i,i,,. ' , ,, a,,/ Thomas von Aquin, cm,
z atristischt tionogra\
c. m, Gotha, 1879, p. 63 sq. ; V. Ermoni, Saint Jean Damascène,
c. m, Paris, 1904; L. C. Bourquard, De A. M. Severino Boethio
christiano viro, philosopho ac tlteologo, c. vi, Angers, 1877,
p. 118 sq.; A. Hildebrand, Boëthius und seine Stellung zur
Christentum, c. n, S 12, Ratisbonno, 1885, p. 73 sq. ; P. Godet,
art. Boèce, t. n, col. 918 sq.
Auteurs non catholiques. — J. Niemeyer, Dionysii Areo-
pagitx doctrinse philosophiez et theologicx exponuntur et
inter secomparantur. Dissertatio liistorico-dogmatica, Halle,
1869; I. Kanakis, Dionysius der Areopagita nach seinem
Charakter als Philosoph dargestellt, Leipzig, 1881; O. Siebert,
Die Metaphysik und Ethik des Pseudo-Dionysius Areopagita,
Iéna, 1894, p. 19-56; F. Nilzsch, Das System des Boëthius und
die ihm zugeschriebenen theologischpn Schriften, c. vin,
Berlin, 1860, p. 45 sq.
III. Synthèse et conclisions. Notre connaissance
DE LA. NATURE DE DlEU, D'APRÈS LES PÈRES. — A s'en
tenir à l'exposé qui précède, quelle est la portée
réelle et quelles sont les limites de notre connais-
sance de Dieu ici-bas? Nous avons entendu les Pères
répéter souvent qu'il est plus facile de dire ce que Dieu
n'est pas, que ce qu'il est. On peut en dire autant
d'eux-mêmes dans la question présente; il est plus
facile de déterminer ce que, d'après eux, notre con-
naissance de Dieu n'est pas, que ce qu'elle est. Aussi
commencerons-nous par le côté négatif du problème.
1° Limites de notre connaissance de Dieu. — La
doctrine patristique se résume en trois assertions,
contenues dans cette courte phrase de Novatien, De
Trinilate, c. n, 7'. L., t. m, col. 889: De hoc ergo, ac
de iis quœ sunt ipsius et in co sunt, nec mens homi-
nis qupe sinl, quanta sint et qualia sint, digne conci-
pere polest.
1. Dieu inconnu dans sa nature prise au sens strict ,
ti'; ètmv, quis sit. — C'est l'affirmation que nous
avons rencontrée constamment sous la plume des
Pères, quand ils opposaient l'une à l'autre ces doux
questions : Dieu est-il, et : Qu' est-il? Nombreuses et
variées ont été les formes, mais toutes revenaient à
cette pensée commune : Ici-bas, notre esprit n'atteint
pas Dieu tel qu'il est en lui-même. En d'autres termes,
il n'atteint pas, d'une connaissance propre et pleine,
la nature divine prise au sens strict, dans ses plus
intimes profondeurs, dans ce qui constitue ,/,/ mira la
réalité concrète de l'Être suprême, sa vie immanente,
Cette affirmation repose sur deux principes : celui de
la transcendance, question de droit, et celui de linvi-
sibilite divine, question de fait. Dieu, considère en
lui-même, est au-dessus de tout ce que nous pouvons
connaître directement ou concevoir par notion propre.
La doctrine patristique trouvait là un appui manifeste
dans le livre de l'Ecclésiastique, xi.iv, 30 sq. ; Ipse
enim Omnipolens super omnia opéra sua... E.valtate
illum quantum poteslis ; major est enim omni
laude..., non enim comprehendetis... Et quis magni-
ficabil eu m sicul est ab initio? Dieu peut, à la vérité,
se manifester lui-même tel qu'il est; mais une mani-
festation de ce genre n'est pas de ce momie, elle eat
seulement promise pour plus tard aux entants adop-
lifs. Kxod.. xxxill, 20j I Joa., m, -J. Notre connaissance
actuelle de Dieu n'est pas seulement indirecte,
uni ; elle est encore énigmatique, in tmigmate,
et partielle, uunr c : )u,tr. I Cor., Mil, 12.
•l. Dieu inconnu dans toute l'étendue de son être,
de sa perfection, r6vo< lostv, quanlus sit. — Autre
manière d'exprimer la même pensée. Nous l'avons
ut ne, en particulier, chez sainl Jean Chrysostotne,
col, 1095, qui l'applique non seulement livin,
■ tontes les perfections il'1 Dien, et plm spécia-
le m' i' I I ace et i ■ i i olonté, con dans
leur rapport su gouvernement du monde, i l'ordre
di ntiel, Elle ic rattai ha plus directement i l'in-
Qnité i de Dieu, que nous ne s. m.
d m- Dotn corn eption créé . iutn ment, Dii a -■ rail
113.")
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LUS J'ÈI'.ES.
1136
lini, suivant la remarque de saint Augustin, col. 1110.
Par là s'expliquent des textes comme celui où saint
Basile fait consister la connaissance de l'essence
divine en ce que nous voyons l'impossibilité de la
comprendre. Epist., ccxxxiv, n. 2, /'. G., t. Lxxxn,
col. 869. Détachée de ses antécédents et entendue
d'une façon absolue, l'assertion rend aisément un son
faux, ou du moins équivoque, mais elle est claire dans
le contexte. A prendre la connaissance de l'essence
divine dans le sens où la prenait Eunomius, combattu
ici par l'évêque de Césarée, c'est-à-dire pour une con-
naissance parfaite, il est vrai de dire que nous ne sa-
vons réellement de cette essence qu'une seule chose,
son incompréhensibilité. Sur ce terrain, la connais-
sance vraie, par opposition à la prétendue science de
Dieu que les anoméens s'attribuaient, consiste préci-
sément à reconnaître qu'on ne peut comprendre
l'essence divine.
3. Dieu inconnu dans le comment de ses perfec-
tions, Ttô>; sctiv, quomodo sit. — Conclusion formulée
encore par saint Jean Chrysostome, col. 1095, mais
commune à d'autres Pères, par exemple, saint Ephrem,
col. 1080, et saint Grégoire de Nazianze, col. 1091.
Elle n'est qu'un corollaire de la précédente. Dieu est
infini en tout ce qu'il est. Il est donc aussi impossible
d'avoir de chacune de ses perfections une idée propre
et compréhensive, qu'il est impossible d'avoir de son
essence ou de son être en général une semblable idée.
Quand les Pères considèrent cet aspect de l'incom-
préhensibililé divine, ils ont souvent en vue les mys-
tères de la vie intime de Dieu, comme la génération
du Verbe et la procession du Saint-Esprit. Et c'est gé-
néralement à ce propos qu'on rencontre des phrases
semblables à celle-ci, qui est de saint Hilaire : Et
non potest Deus nisi per Deum intelligi, De Trini-
late, 1. V, c. xx, P. L., t. x, col. 142, ou à cette autre,
qui est de saint Ambroise : Non Deus alienis asser-
tionibus, sed suis seslimandus est vocibus. Circons-
tance qui corrobore la doctrine générale des Pères sur
notre impuissance à connaître Dieu tel qu'il est; car il
est évident par ces exemples et par ces applications,
qu'ils ne songent pas à une notion de Dieu relative ou
abstraite, comme plus tard les théologiens scolastiques
dans la question de l'essence métaphysique, mais
qu'ils ont en vue l'essence physique dans sa pure, con-
crète et vivante réalité.
2° Portée réelle de notre connaissance. — Les con-
clusions deviennent plus importantes, à cause des
contradictions signalées au début de cet article,
col. 1023. Aussi est-il nécessaire de procéder par de-
grés, en partant des points communs pour s'élever à
ceux qui ont été ou sont encore illégitimement con-
testés.
1. Dieu connu dans le fait de son existence, oti
ëcttiv, quia est. — Assertion unanime, quelle que soit
la diversité des preuves dont les Pères se sont servis.
Elle a plus d'importance que ne lui en attribuent les
semi-agnostiques, combattus au cours de ce travail;
car elle contient déjà en germe les conclusions qui
vont suivre. Dieu, en effet, ne se présente jamais chez
les Pères sous la notion abstraite d'existence, mais
comme un être concret dont ils ont quelque idée.
C'est, du reste, le cas pour tout le monde, selon la
juste observation de Suarez, Disputaliones metaphy-
siese, disp. XXIV, sect. il, n. 41 : Nos non possumus
demonstrare Deum esse, nisi demonstrando aliquo
modo, quid sit; cf. sect. m, n. 2: Prius aliquo modo
definitur quseslio an est, quam quid est, quamquam
in Deo non possunt omnino sejungi lise qusesiiones.
Dans cette proposition : Dieu existe, l'existence est
affirmée du sujet, qui est Dieu; il faut nécessairement
qu'à ce sujet s'attache quelque idée: Dieu, c'est-à-dire
ceci ou cela.
Quelle idée les Pères avaient-ils à l'esprit, quand ils
disaient: Dieu existe, la première manière de s'en
rendre compte, en dehors d'une déclaration explicite,
consiste à examiner, dans leurs termes ou aboutissants,
les preuves utilisées. Ainsi, au terme de celles qui se
tirent de la beauté, de la grandeur, de la puissance,
île l'ordre qui brillent dans le monde, nous avons
trouvé chez les Pères ce qui se trouve aussi dans
saints Livres, l'idée de Dieu, suprême artisan, doué
d'une sagesse, d'une beauté, d'une grandeur, d'une
puissance transcendantes : artifex,... duminator eorum
speciosior,... forlior est Mis,... crealor Itorum, Sap.,
xin, 3sq.; sempiterna quoque ejus virtus et divinilasf
Rom., I, 20. Au terme de l'argument que fournit la
conscience d'une obligation supérieure, nous liant
sous le rapport du bien et du mal, Rom., il, li sq.,
nous avons trouvé l'idée de Dieu auteur et vengeur de
l'ordre moral. Au terme de la preuve résultant des
bienfaits divins, généraux ou particuliers, qui atteignent
les peuples ou les individus, Act., xiv, 16; toi, 28,
nous avons trouvé la notion de Dieu, cause première
.de tout ce que nous sommes et de tout ce que nous
faisons, conservateur et provbseur universel, provi-
dence en un mot. Et c'est pour cela que la notion de
Dieu providence, et spécialement présent en nous
comme témoin et comme coopérateur, accompagne si
naturellement, chez les Pères, celle de son existence.
Au terme de l'argument qui part de la contingence des
créatures, nous avons trouvé celui qui est dans toute
la force du terme, Sap., xm, 1 : Et de Itis quse viden-
tur bona, non poluerunt intelligere eum qui est, t'ov
ovTa. Avec ceux des Pères qui, comme saint Augustin,
col. 1107, ont appliqué celte notion de contingence aux
divers degrés d'être, vie, sagesse, bonté morale, nous
sommes arrivés à celui qui est la vie même, la sagesse
même, le souverain bien.
La synthèse de toutes les preuves patristiques de
l'existence de Dieu, telle qu'elle a été faite, par
exemple, dans l'ouvrage déjà cité de C. van Endert,
Der Goltesbeweis in der pat ri s lise lien Zeit, donne
donc une première notion de Dieu, qui va beaucoup
au delà du simple fait de son existence et qui, en réa-
lité, contient déjà en germe tout ce que la raison
humaine, laissée à ses forces, peut connaître de la
divinité.
2. Dieu connu dans ses attributs relatifs. — Asser-
tion très simple et inséparable, logiquement et histo-
riquement parlant, de la précédente. Dans la notion
de Dieu qu'entraîne nécessairement l'affirmation de
son existence, quelque simple et rudimentaire qu'on
la suppose, pourvu qu'elle porte vraiment sur Dieu, il
faut reconnaître, comme un minimum indispensable,
la connaissance de quelque rapport existant entre
Dieu, que nous affirmons, et les créatures, d'où nous
partons pour faire cette affirmation. Rapport d'une
dépendance essentielle, sous tel aspect qui correspond
à tel genre de preuves. D'où les litres de créateur, de
premier principe, de maître suprême, de souverain.
juge, de tout-puissant et autres qui nous ont apparu
d'abord chez les Pères de l'âge apostolique, col. 1027,
et qui sont aussi plus manifestement en relief dans la
sainte Ecriture : artifex, dominator, creator, domi-
nus, Sap., xm, 1, 3, 5, 9; Sempilerna quoque ejus
virtus, et divinitas, Rom., I, 20; cum judicabit Deus
occulta hominum, Rom., il, 16; ad Deum vivum, qui
fecit cselum et terrain, ...benefaciens de cxlo, Act.,
xiv, li, 16; hic cseli et terrse cum sit Dominus, Act.,
XVII, 24. Et ce sont également les titres qui apparaissent
dans les symboles primitifs : Credo m Deum Patrem
omnipotente»! creatorem cseli et terrse. Den/.inger-
Bannwart, Encliiridion symbolorum, Fribourg-en-
Brisgau, 1908, n. 2, 6 sq.
3. Dieu connu dans ses attributs absolus et négatifs*
1137
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1138
— En suivant l'exposé de la doctrine patristique sur
Dieu, le lecteur a pu remarquer que les Pères se servent
de la négation de deux façons, faciles à confondre,
mais pourtant distinctes. La première se rapporte à la
théologie négative, c'est-à-dire au procédé logique qui
consiste à s'élever dans la connaissance de Dieu en
nkint de lui ce que les créatures sont ou ce qu'elles
possèdent. Nous avons vu le développement de cette
méthode en partant de Clément d'Alexandrie, col. 1043,
pour aboutir à saint Jean Damascène, col. 1129, avec
saint Grégoire de Nysse, col. 109i, saint Augustin,
col. 1111, et le pseudo-Denys, col. 1122, comme princi-
paux intermédiaires. Nous n'avons pourtant pas trouvé
ce procédé chez tous les Pères, ni même chez le plus
grand nombre.
Il en va diversement de l'usage, commun à tous,
d'appliquer à Dieu des noms ou des épithétes au sens
négatif, soit explicitement, comme incréé, immortel,
incorruptible, immuable, infini, soit implicitement,
comme un, simple, éternel. Ces noms ne désignent
pas Dieu par rapport aux créatures, bien que souvent
ils emportent, par contraste, une comparaison entre
Dieu et les créatures, surtout quand ils sont accompa-
gnés d'une particule exclusive, comme dans cette
locution biblique, si fréquemment reprise ou imitée
par les Pères : Qui soins liabet hnmortalilatem.
I Tim., vi, 16. Directement, ces noms se disent de Dieu
pris en lui-même, et par là ils sont absolus, mais en
exprimant ce qu'il n'est pas, et par là ils sont négatifs.
Quelle est la portée de ces noms pour notre connais-
sance de la divinité? Dans l'interprétation agnostique
ou semi-agnostique, elle est nulle, ou du moins sans
valeur absolue, puisqu'en eux-mêmes ces noms ne
disent rien de positif et que, par ailleurs, on nie toute
valeur absolue à la notion positive qu'ils peuvent sup-
poser. Que celle interprétation soil manifestement con-
traire à la véritable pensée des Pères, toute l'étude qui
précède le démontre. De l'attribution faite à Dieu
d'appellations négatives, comme de l'emploi de la
méthode négative, les Pères ne concluent jamais que
nous ne savons rien de la divinité; nous la connaissons
mieux, disent-ils au contraire, et nous en parlons d'une
façon plu- digne que ceux qui prétendent savoir et
exprimer parfaitement ce qu'elle est. Qu'on se rappelle,
par exemple, les déclarations de saintJean Chrvsostome,
col. 1097, de saint .brome, col. 1102, de saint Augustin,
col. II 12. La raison, insinuée dans les textes cités,
esi facile à concevoir. Tout* s c, - dénominations néga-
tives écartent en réalité îles imperfections, contin-
gence, commencement d'existence, composition, cor-
ruptibiliié, mutabilité, linitude ou limitation de toute
sorte. Nous ne pouvons affirmer de Dieu le contraire
qu'en vertu d une notion positive ei antérieure, qui
contienne déjà, au moins en germe, les perfections qui
s'opposent .i toutes ces i m perfections de détail. En
d'autres ternies, la négation présuppose ici, et présup
pose essentiellement l'affirmation . elle l'implique
Déme comme son fondement. .Nous ne pouvons aflir-
in> r de i lieu qu'il i que bous la condition
de savoir préalablement qu'il possède en lui-même la
n di -on existence, et de s;, nécessaire existence.
l i ainsi du n île. Si les p, res affirment que non seu-
lement nous n'avons pas, i n fui. une notion compn
hensi\e de la nature divine, mais que cette nature
est. en droit, incompréhensible, c'est en vertu d'un
fondement d'ordre absolu, qui n'i -t autre que l'immi-
nence ou l'infiniti positivi de i i tre divin.
Nou ii, col. 1 1 1 1 . comment le princip
vérifie dan .un' Vugustin d'apn G M
application est faite à Origcm par C Bigg, The chrii-
tian Platonitlt o/ \U candria, Oxford, I 8 iq.
i' i onnai in< e de la divinité aboutit di I
1 i incompn h< nsible, mais elle a sa racine dans
quelque chose de positif, but it is rooted m the posi-
tive. Avant de pouvoir connaître ce que Dieu n'est pas,
nous devons connaître ce qu'il est. » C'est pour cela,
et c'est dans ce sens, que saint Grégoire de Nysse nous
a enseigné, col. 1089, qu'il est toujours possible de
ramener un nom négatif à un positif, parce qu'il y a
corrélation entre les noms négatifs et les positifs se
rapportant à un même objet. Cette considération
explique encore, comment l'usage, dans la sainte
Ecriture, des appellations et des épithétes négatives,
devient pour nous un principe fécond de connaissance;
car c'est affirmer implicitement en Dieu les perfections
qui s'opposent aux imperfections niées de lui explicite-
ment.
Cela ne veut pas dire qu'en toute connaissance de
Dieu, même celle que saint Basile, col. 1090, appelait
la notion commune, nous trouverons expressément ces
perfections, mais elles sont contenues virtuellement
dans l'idée de Dieu que nous donnent les preuves de
son existence, sans parler de la connaissance acquise
par la révélation. C'est un procédé fréquent chez les
Pères, que de s'appuyer précisément sur une notion
première et positive de Dieu, pour revendiquer contre
les païens des attributs d'ordre négatif. Voici un exem-
ple, emprunté à Tertullien, .4i/r. Marcion., I, 3, P. L.,
t. Il, col. 249 : Deum autem ut scias unum esse debere,
qwere quid sit Deus, et non aliter invenies. Quan-
tum liumana condilio de Dco de/inire potest, id defi-
nio quod et omnium conscientia agnoscel : Deum,
summum esse magnum in seternitate constilutum,
innalum, etc. Voir Dieu (son existence), col. 883.
4. Dieu connu dans ses attributs absolus et positifs.
— Cette conclusion est de toutes la plus importante,
puisqu'elle est diamétralement opposée à la thèse semi-
agnostique d'une connaissance qui atteindrait Dieu
sous un aspect purement relatif. Voir col. 1023. Nous
pouvons d'abord la considérer comme un corollaire
des précédentes assertions. Dieu nous est connu dans
le fait de son existence, de son existence non contin-
gente, mais nécessaire, essentielle. Comment soutenir,
sans une contradilion manifeste, que nous le connais-
sons sous un aspect purement relatif? L'existence peut,
à la vérité, se dire de Dieu dans un sens relatif de
causalité; ainsi en est-il, par exemple, quand Denys et
saint Jean Damascène l'appellent l'être de notre être,
col. I 125, 1 128. Mais les Pères, sans en excepter les deux
qui viennent d'être nommés, dépassent ce sens relatif,
guidés qu'ils sont par Sap., xm, 1 : eum, qui est, et
surtout par Exod., m, l'i : Ego sum qui sum. Trop
nombreux ont été. pour qu'il soit nécessaire île les
rappeler, les témoignages où les Pères uni affirmé sans
ambages que l'être convient à Dieu, ou vraiment, ou
proprement, ou même exclusivement: et cela précisé-
ment parce qu'étant la cause nécessaire des êtres, il est
lui-même, mais essentiellement, purement, totalement.
'fout se résume dans cette formule, ■'noue, e par saint
ire il'- \.i/i.in/". Orat., VI, n. 12, /'. '.'.. I. XXXV,
col. 737 : A celui-là revient la plénitude de l'être, de
qui toutes choses tiennent l'être, 6).ov bv «VTÛ ..tb tivat,
itap'ou ko '■■:• ou dans cette autre, qui est
d'Origène, lu librum Reguni, homil. t, n, II. P G
I. XII, roi. 1008: Tu tolut es, cm ijinid es, a ttullo
datum
Dieu nous esl connu dans ses attributs relatifi t ' dans
> « « — d opi i atlon qui ttti ibuta
■lion, la conservation, le concours ( t tous les actes
qui -e rattachent au gouvernement du monde et AU
providence. Or ces attribut! et o pris non
plus (fins leur rapport au terme on i m rcici t itérieur,
dam leur fond ml intrinsi que, sortent du
relatif et rentrent dam l'absolu. Aussi les Péri
comprennent-il il dan di
qu'ils donnent connue lignifiant la Itll '
1139
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES
1140
divine; par exemple, saint Athanase, De synodis,n.'âb,
P. G., t. xxvi, col. 753 : gxo*JovT£{ tô, Ilarrip /.ai x'o
<-> : '- ; zii tô navTOxpaTWp, où/ jrsp<5v tt, à).'/.' avr»)V tï|V
toû ovro; oùsiav oijjjt.atvo^.évïjv vooCasv. De même, quand
les Pères répondent à l'objection tirée d'une création
contingente et temporelle contre l'immutabilité et
l'éternité divines, ils distinguent entre le terme de l'acti-
vité créatrice, qui est en dehors de Dieu, et la puissance
elle-même, qui est en Dieu ou plutôt Dieu lui-même :
Tertullien, col. 1059; Augustin, col. 1113; Cyrille
d'Alexandrie, Thésaurus, ass. xxxi, P. G., t. lxxv,
col. 447. Clément d'Alexandrie observe que Dieu était
Dieu et qu'il était bon, avant d'être créateur : r.y.-t yàp
xTÎ(TTr,v ysvéolîat, 0eôç ïjv, àyaOô; r,v P&d., 1. I, c. IX,
P. G., t. vin, col. 356. C'est donc qu'il conçoit Dieu
comme bon en soi, avant de le concevoir comme bon,
pour nous, par la création. De fait, pour ce Père comme
pour les alexandrins en général, Dieu est en lui-même
le Bon. Que signifie la doctrine de la participation, si
fortement mise en relief par les plus illustres Pères,
si ce n'est que Dieu, bon par essence, la bonté même,
communique à tous les êtres qu'il produit quelque
chose de sa bonté : ipsum bonum, cujus participalio?ie
bona sunt, sunant la formule de saint Augustin,
col. 1107? Il s'agit manifestement de la bonté ontolo-
gique, immanente, absolue.
Dieu nous est connu dans ses attributs négatifs, et
ce sont desattribuls absolus; car Dieu n'est pas incréé,
immortel, immuable, infini, par simple rapport aux
créatures, mais en lui-même et par sa nature. Aussi
avons-nous vu les Pères indiquer ces attributs comme
se rapportant directement à l'essence divine, pour
signifier ce qu'elle n'est pas. Mais nous avons vu éga-
lement que plusieurs d'entre eux se sont parfaitement
rendu compte que les attributs négatifs supposent un
fondement positif. Dieu n'est incréé que parce qu'il
existe essentiellement;' Dieu n'est éternel que parce
qu'il vit essentiellement; et ainsi du reste.
La cognoscibilité de Dieu dans ses attributs absolus
et positifs est donc véritablement un corollaire des
précédentes assertions. C'est, en outre, l'un des prin-
cipaux résultats directs de notre enquête. Les Pères ne
se contenlent pas de reconnaître les titres d'ordre rela-
tif qui résultent du fait que le monde dépend essen-
tiellement de Dieu dans son existence et sa conserva-
tion. Ces titres d'ordre relatif sont, à la vérité, ceux
qui, logiquement, nous apparaissent en premier lieu,
et ils nous apparaissent aussi en premier lieu histori-
quement parlant, qu'il s'agisse de la révélation, Gen., i,
1, ou de la théodicée patristique dans l'âge apostolique,
col. 1027 sq., ou de la prédication ecclésiastique dans
les symboles, suivant ce qui a déjà été dit. Mais il est
impossible de réduire à de si minces proportions la
théodicée patristique, même en y joignant, comme
complément, l'emploi des épithètes et formules néga-
tives.
Il ne suffit pas, il est vrai, pour s'élever plus haut,
du seul principe de causalité, car Dieu est cause de
tout degré d'être produit, que ce degré d'être se trouve
en lui formellement ou non. Il ne suffit pas non plus
que tel nom soit appliqué à Dieu dans les saintes Écri-
tures, car, suivant la remarque de saint Augustin,
col. 1114, elles appliquent à Dieu des noms manifeste-
ment métaphoriques. Mais certains noms ne s'en pré-
sentent pas moins, dans des conditions privilégiées,
comme ceux d'être, Kxod., ni, H, de bon, Matth., xix,
17, de sage, Rom., XVI, 27, quand il s'agit de Dieu en
général; ou comme ceux de Père et de Fils, quand il
s'agit du mystère de la sainte Trinité. Appuyés sur
cette circonstance et sur la considération du genre de
perfection signifiée, les Pères ont reconnu des noms
convenant à Dieu proprement, dans le sens où propre-
ment s'oppose à métaphoriquement. Voir en parlicu-
lier, Clément, col. 1045; Cyrille d'Alexandrie, col. 1073:
Lphrern, col. 1081 ; les trois Cappadociens, col. 1087 sq.;
Pilaire, Ambroise et Jérôme, col. 1099 sq.; Augustin,
col. 1 115sq. ; Pseudo-Denys, col. 1 124; Junilius, col. 1132;
Isidore, col. 1133; Jean' Damascène, col. 1129.
Deux controverses montrent clairement que la ques-
tion était réellement posée dans l'esprit des Pères. La
première est celle que saint Grégoire de Nyssea signa-
lée, col. 1089, au sujet de la signification du mol Dieu ;
les uns le rapportaient à l'activité divine, les autres à
la nature prise en elle-même. Quoi qu'il en soit de la
valeur objective des étymologies que nous avons ren-
contrées, ou plutôt malgré leur insuffisance, voir
C. Pesch, De Dco uno, n. 100, le débat prouve que les
Pères avaient la notion de noms atteignant plus inti-
mement la nature divine que les noms relatifs ou d'opé-
ration. Plus concluante encore est la controverse portant
sur le point précis de savoir si tels ou tels noms
doivent s'entendre de Dieu proprement ou métaphori-
quement, par exemple, les noms d'esprit, col. 1047,
de substance, col. 1105, 1116, et même d'essence, o-It:*.
comme on le voit par le commentaire de saint Maxime
sur le traité des Noms divins, c. v, n. 1, P. G., t. iv,
col. 308. Car il reste que les Pères, sauf de rares
exceptions, ont considéré comme convenant à Dieu
vraiment ou proprement un certain nombre de noms,
en particulier ceux d'être, de bonté, de vie, de vérité,
de sagesse, de justice. Quelques-uns vont même, on l'a
vu, jusqu'à donner, soit l'être, soit la bonté, comme
note caractéristique de la divinité.
Leur doctrine reste incomplète sur un point, déjà
signalé à propos de saint Augustin, col. 1113; ils
n'énoncent pas de principe net qui permette de poser
une ligne de démarcation rigoureuse entre les noms
ou les perfections convenant à Dieu au sens propre,
et ceux ou celles qui ne peuvent lui être attribués
qu'au sens figuré. La solution est en germe dans cette
idée qui, sous une forme ou sous une autre, revient
fréquemment : Il faut affirmer de Dieu ce qui est bon,
ce qui est parfait. Les théologiens scolastiques diront
le dernier mot en énonçant et en éclaircissant la no-
tion de perfection simple et de perfection mixte. Voir
S. Thomas, Sum. theol., Ia, q. xiii, a. 3, ad lum;
Scheeben, Dogmatique, t. n, n. 51 sq.
5. Dieu connu dans sa nature /irise au sens large;
les textes objectés. — Si Dieu nous est connu dans ses
attributs absolus et positifs, il suit que, dans la mesure
même de cette connaissance, il nous est également
connu dans sa nature prise au sens large ; car la na-
ture ainsi prise s'entend, comme nous l'avons vu
col. 1024, de « l'essence d'un être avec les attributs qui
lui sont propres. » Nous n'avons pas, de ce chef, une
notion de Dieu intime ou adéquate (cognitio per se
propria), mais seulement une notion partielle et ana-
logique, suffisante pour savoir quelque chose de ce
qu'est Dieu et pour le mettre à part de tout autre être
(cognitio per accidens propria). C'est à celte distinc-
tion entre l'essence prise au sens rigoureux ou prise
au sens large, et aux deux autres distinctions connexes,
entre la notion strictement propre et la notion analo-
gique, entre le nom qui contient proprement, c'est-à-
dire formellement, et le nom propre au sens absolu
du mot, c'est-à-dire celui qui exprime l'essence et
toute l'essence, comme elle est en elle-même, qu'il
faut demander l'interprétation de la vingtaine de té-
moignages patristiques invoqués par le Rév. Mansel,
suivant ce qui a été dit au début de cet article, col. 1023.
Tous ces textes, sauf un ou deux, ont paru dans notre
('tude, mais placés dans leur cadre, historique ou litté-
raire, et interprétés d'après le contexte immédiat ou
la doctrine générale des auteurs. On peut les ramener
à trois groupes.
Les Pères disent, sous des formes multiples, que
1141
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1142
Dieu dépasse notre conception : Minucius Félix,
col. 1055; Arnobe, col. 1064; saint Atlianase, col. 1072;
saint Basile, col. 1088; saint Jean Chrysoslome,
col. 1095. — Rien de plus vrai, si l'on entend ces Pères
dans le sens où ils parlent, c'est-à-dire en excluant une
connaissance de Dieu soit totalement compréhensive,
soit même intuitive ou par notion propre. Cette ré-
ponse vaut également pour les passages où les Pères,
par exemple saint Jean Chrysostome. col. 1095, et saint
Athanase, Orat., il, contra arianos, n. 32, 36, P. G.,
t. x.wi, col. 216, 224, recommandent de ne pas scruter
le comment des perfections ou des opérations divines.
Elle vaut d'autant mieux pour ce dernier docteur,
qu'en ces endroits il traite des personnes divines, et
particulièrement de la génération du Verbe.
Les Pères distinguent les deux questions de l'exis-
tence et de l'essence, en concluant que nous ne savons
pas ce qu'est Dieu, mais seulement qu'il est et ce qu'il
n'est pas : saint Basile, col. 1090; saint Grégoire de
Xjsse, col. 1091; saint Augustin, col. 1110; saint Jean
Damascène, col. 1127. — Rien de plus vrai encore, si
l'on reste dans la pensée des Pères. Nous avons dû
faire remarquer souvent qu'en opposant les deux
questions, ils prenaient slrictement le mot d'essence,
ou les termes t:'c jttiv, quis sil. Aussi tout ce qui n'est
pas conception ou expression de la nature divine telle
qu elle est en elle-même, rentre, pour eux, dans l'autre
membre, Sri sVtsv, quia est. Et ceci explique que dans
les passages mêmes où ils réduisent notre connaissance
au quia est, les Pères font souvent des énumérations
d'attributs et de noms qui dépassent de beaucoup le
simple fait de l'existence; par exemple, saint Jean
Chrysostome, col. 1095, et Juuilius, col. 1132.
Les Pères déclarent qu'il nous est impossible d'ex-
primer la nature divine comme elle est en réalité;
nous ne pouvons le faire que dans la mesure impar-
faite où il nous est donné de la concevoir. Aussi pro-
clament-ils notre incapacité à nommer Dieu propre-
ment,ournvine convena&iement.-Clémentd' Alexandrie,
col. 1042; (»iii;ène, col. 1019; saint Atlianase, toc. cit. :
les deux Cyrille, col, 1073, 1077; saint Jérôme, col. 1102;
saint Augustin, col. 1113. — La réponse générale se
lire aisément des distinctions rappelées à la page pré-
cédente. En se reportant aux endroits cités, où la
doctrine de ces Pères a été exposée, le lecteur trouvera
l'application de ces distinctions générales aux cas
particuliers.
On peut, du reste, reconnaître que, sur le point
précis de la propriété, par rapport à Dieu, des noms
aérai, ou de tels ou tels noms en particulier,
lous les Pères n'ont pas parléavec la netteté désirable,
Ln témoignage d'Arnobe.cité par le Rév. Mansel, peut
r d'exemple Quis enim Deum dixerit fortem,
eonttantem, frugi, sapienteni"? quis probum? quia
êobrium? Adv. génies, 1. MI, c. i.\. /'. /,., t. v, col. 962.
Le rhéteur africain mêle ici des prédicats de nature
\v>- diverse. Il n'aurait pas dû oublier si facilement la
parole de saint Paul, Rom., xvi, 27 : Soli sapienti /<•
Eus< e rendail beaucoup mieux la concep-
tion courante, quand après avoir rattaché à l'idée
même de Dieu les notions qui vont suivre, il ajoutait,
De eccleiiasl. iheologia, I. 1. c. \x. n. 30, /'. G.,t. xxiv,
col. K'.t3 sq. , Qui donc pourrail nier qu'il j ail en
Dieu mee, vie, lumière, vériti
rai«on. el tout ce qu'il \ a de bi au el de bon. xal r.y.-,
j.i'i-1 i.-i: ivafto ■
Parlant de nos notions sur la divinité a qui, toutes
défed indirectes qu'elles soient, n'en ion!
noins positives et représentent réellement
perfections positivi ■! immanentes qui carael ri enl
■ d" Dieu, s.i nature el sa manière d'étn
ben n'a pa i crainl de i ncli . n. 15 ;
tte doctrine est au moins voisine de la foi, Car elle
est nécessairement impliquée dans les termes non
équivoques par lesquels l'Écriture sainte et l'Église
attribuent à Dieu plusieurs prédicats positifs. C'est en
tout cas la doctrine la plus commune des Pères(conlre
les gnostiques) et des théologiens, quoique plusieurs
expressions des Pères semblent y contredire et que
les nominalistes la repoussent formellement. » Il me
paraît d'autant plus nécessaire de souscrire à cette
appréciation, que, pour être conséquent avec lui-même,
un semi-agnostique doit refuser toute valeur propre et
absolue aux notions les plus fondamentales dans le
mystère de la sainte Trinité. Et c'est là non seulement
enlever tout sens objectif à la révélation du mystère,
mais contredire ouvertement la doctrine des Pères qui
ont combattu l'arianisme; car tout le débat portait au
fond sur ces questions : Le Père est-il Père, et le Fils
est-il Fils, proprement ou métaphoriquement? La
génération du Verbe doit-elle s'entendre proprement
ou métaphoriquement?
Petau, op. cit., 1. I, c. v, VI ; 1. VII, c. i, irr, iv; Thomassin,
op. cit., 1. IV, c. vi-xi (sous les réserves précédemment énon-
cées); Kleutgen, Die Théologie der Vorzeit, 2» édit, Munster,
1867, t. i, p. 211 sq. ; La philosophie scolastique exposée et
défendue, trad. Sierp, Paris, 1868, t. i, n. 189-196, p. 372 sq.
On trouvera une synthèse plus méthodique dons les traités
récents De Deo uno, ceux du moins qui ne sont pas purement
scolastiques; en particulier, J. Scheeben, La dogmatique, trad.
P. Bélet, Paris, 1880, t. n, § 62 sq. ; Franzelin, Tractatus de
Deo uno secundum naturam, Rome, 1876 (3' édit., 1883),
th. x-xm ; F. A. Stentrup, S. J., Prxlectiones dogmaticx de
Deo uno, Inspruck, 1879; J. B. Heinrich, Dogmalische Théo-
logie, Mayence, 1883, c. IV, § 156-158, t. III ; C. Pesch, S. .T.,
Prselectiones dogmaliar, t. ir, De Deo uno secundum natu-
ram, 3° édit., Fribourg-en-Brisgau, 1906, prop. xiv-xvi.
IV. Les attriruts divins considérés en eux-
mêmes ET DANS LEUR RAPPORT A LA NATl'RE. — On
pourrait construire toute une théodicée, et particuliè-
rement toute une doctrine des attributs divins, en
groupant et en systématisant ce qui se trouve chez les
Pères à l'état de matériaux épars. C'est ce qu'ont fait
divers auteurs dans les monographies que nous avons
citées, et, sur un plan moins restreint, Petau et Tho-
massin. Mais ce travail dépasse les limites du présent
article; en outre, il n'est possible qu'à la condition de
faire rentrer dans des cadres techniques une doctrine
qui, chez les Pères, se présente d'une façon beaucoup
plus large et plus simple. Nous nous contenterons
d'énoncer les conclusions générales qui ressortent de
notre élude, en y joignant quelques mois sur un pro-
blème important auquel donne lieu la doctrine patris-
lique sur les attributs divins : Le Dieu des Pères est-il
un Dieu abstrait el impersonnel?
I" Classification des attributs divins chez les Pères.
— Nous n'avons rencontre'' rien de complet ni de didac-
tique, mais seulement trois divisions générales, qui
sont p.-iss! es dans la théodicée traditionnelle. Les Pères
les ont appliquées, soit aux attributs eux-mêmes, soit
aux noms qui servent à les exprimer. La premier*
la distinction entre attributs absolus el attributs
tifs, insinuée par Tertullien, col. 1059, appliquée
ensuite el préi i par beaucoup d'autres, comme les
Cappadociens, col. 1088 sq.. sainl Êphrem, col. 1081,
saint Augustin, col. 1113. sainl Cyrille d'Alexandrie,
col. 1073, Juuilius, col. 1132. saint Jean Damas,
col. 1128. Dans la question qui non cette dis-
tinction s'applique directement à lieu considéré dans
l'unité de sa nature el ton action extérieure, mais
nous avons constaté' incidemment qu'elle s'applique
aussi aux mystères de la s. uni.' rrinilé el de l'incarna-
tion, par exemple, quand s. uni Grégoire di Nyese,
,-,,i 1069 alnl kuf ualin, col. 1 1 13, el autr<
opposent les attributs c tnun aux pro-
n d'ordre relatif.
!.. -.-coude division est celle des attributs négatif»
4143
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES
1144
cl di s attributs positifs, mise surtout en relief dans la
controverse anoméenne sur les noms divins, col. 1087 sq.,
et devenue ensuite d'un usage courant. Voir saint
Cyrille d'Alexandrie, col. 10715, Junilius, col. 1132, saint
Isidore, col.l [33, saint Jean Damascène, col. 1128. Dans
la pratique, les Pères énumèrent souvent pêle-mêle et
sans ordre lixe les attributs négatifs et les attributs
positifs; ce dont il est facile de se rendre compte en
comparant, par exemple, les ('numérations faites par
saint Cyrille de Jérusalem, col. 1077, par saint Isidore,
col. 11313, et par saint Jean Damascène, col. 1129. D'ail-
leurs, ces énurnérations sont la plupart du temps
abrégées, surtout en ce qui concerne les attributs
positifs, représentés par quelques noms avec adjonc-
tion d'une formule générale implicite, comme dans
l'exemple emprunté plus baut, col. 1141, à Eusèbe de
Césarée : y.ai tcSv o ti v.a'/.ôv -/.ai àya66v, ou encore,
suivant une formule de saint Grégoire de Nysse, Oralio
catechelica, c. xx, P. G., t.XLV, col. 56 : y.ai tc&v 6 ti
itpô; xb xpeïxxov Y| otâvoia çépst.
La troisième division répond à ce que les Pères ont
appelé, d'un côté, noms de nature ou d'essence, de
l'autre, noms de puissance, de providence ou, plus
communément, d'opération : saint Grégoire de Nazianze
et saint Grégoire de Nysse, col. 1089; Junilius, col.l 132;
saint Jean Damascène, col. 1129. Cette distinction équi-
vaut à la nomenclature plus moderne d'attributs passifs
ou statiques, quiescentia, et d'attributs actifs ou dyna-
miques, operaliva. Pour les Pères, elle n'est qu'une
subdivision des attributs positifs. Prise dans son
application aux attributs ou noms d'opération, elle
présente une grande analogie avec le second membre
delà première division, comprenant les attributs rela-
tifs; mais, comme on l'a déjà vu, l'opération divine
dit plus que la simple dénomination de créateur, de
seigneur et autres du même genre.
2" Distinction de la nature et des attributs. — La
doctrine patristique est restée sur ce point ce qu'elle
nous est apparue chez les docteurs cappadociens. Les
attributs sont considérés, non comme l'essence elle-
même, mais comme des notions ou propriétés qui
s'attachent à elle, qui l'accompagnent, et en résultent :
xà 7isp\ 0eôv ou BsoO; xà 7isp\ aùxôv, xà xai' aùxôv;
xà ÉTÔu.eva auxoCi ; xà 7Têp\ xr,v oùffiav, ou xr,v o-jtiv, et
autres expressions analogues ou équivalentes. Cbez
les Latins, Novatien a rendu la même idée dans le
texte cité col. 1062, en parlant de ce qui est de Dieu et
en Dieu : de Us quse sunt ipsius et in eo sunt. Cette
doctrine suppose qu'il y a, soit entre l'essence et les
attributs, soit entre les différents attributs, une distinc-
tion de raison, -/.xx' âitt'voiav, mais avec un fondement
objectif tel que les noms répondant à ces diverses no-
tions ne soient ni synonymes, ni pures dénominations
verbales. Ce fondement est, pour les Pères, l'éminence
de l'Être divin qui, dans son infinie actualité ou,
comme dit saint Augustin, col. 1109, dans sa « simple
multiplicité ou sa multiple simplicité, » équivaut à
des réalités distinctes chez les créatures. Auxanoméens
objectant que la nature divine, parfaite en elle-même,
n'estpas susceptible d'accidents, oùSèv -rr] 8eta o-uu.ééëï)xev
oiial-x, xs).eta yàp èÇ êa-jxr,;, saint Cyrille d'Alexandrie
répondait : C'est très juste, mais nous n'en constatons
pas moins la nécessité de concevoir ces notions à la
manière d'accidents, quoiqu'ils ne soient point tels en
réalité. Thésaurus, ;\ss. xxxi, P. G., t. lxxv, col. 445 sq.
Les Pères ne vont pas plus loin dans leurs spécula-
tions sur la nature de cette distinction. Encore moins
faut-il leur demander la solution du problème, agité
plus tard dans l'École, relativement à l'essence méta-
physique de Dieu, c'est-à-dire à une notion première
qui toutà la fois caractérise pour nous la nature divine
et soit comme le point de départ logique de toutes les
autres notions. Si les Pères avaient eu dans l'esprit
cette conception, il leur aurait été' facile de s'en servir
contre lesanoméens; car ils auraient pu leur répondre :
L'àyevv»)o-ta ou l'aséilé, même entendue dans un sens
positif, n'exprime pas l'essence physique de Dieu, elle
exprime tout au plus l'essence métaphysique, comme
notion fondamentale qui distingue Dieu de tout être
créé et d'où germent en quelque sorte ses autres per-
fections. S'ils ne l'ont pas fait, c'est qu'en réalité le
problème n'existait pas pour eux.
Ils n'en ont pas inoins fourni un précieux appoint à
ceux qui, dans la suite, ont cherché dans la raison d'être
non participé ou dans l'aséité positive l'essence méta-
physique de Dieu. Nombreux ont été-, au cours de cet
article, les témoignages où les Pères ont affirmé que
Dieu est par essence l'Être même. Voir, en outre,
Petau, op. cit., 1. I, c. vi; ïhomassin, o/>. cit., 1. III,
c. m. Nombreux également sont les textes où les
Pères rattachent à la notion d'àyéwT)xo?, ingenitus,
les attributs divins les plus fondamentaux. Tel, par
exemple, Novatien, disciple en cela de Tertullien :
Quippe cum originem non habcat, cunsequenter
nec exitum senliat... Ob hanc ergo causam semper
immensus,... semper wlernus,... ideo immortalis... Et
qui est, semper ipse est; et qualis est, semper talis
est... Ideo et unus pronunlialus est,dum parem non
habet ; Deus enim, quidquid esse potest Deus est, sum-
mum sitnecesse est. De Trinitate, eu, iv, P. L.,\. m,
col. 889, 893. Ainsi l'immortalité, l'éternité, l'immen-
sité, l'immutabilité, l'infinité, l'unité se groupent-elles
tous la notion première d'Être incréé. On a vu, col. 1100,
comment saint Hilaire trouve également dans la notion
d'Être une donnée fondamentale à laquelle se rattachent,
immédiatement ou par voie de conséquence, toutes les
propriétés essentielles de la divinité. De même, pour
saint Augustin, col. 1109, c'est la notion d'Etre, absolu, pur
et simple, qui couronne et comprend toutes les autres.
Sans être aussi nombreux ni aussi compréhensifs, les
témoignages ne font pas défaut chez les Pères grecs.
Saint Irénée, col. 1037, conçoit d'abord Dieu comme
l'Être incréé, puis comme éternel, immuable, se suffi-
sant pleinement à lui-même, absolument indépendant,
tout-parfait. Souvent à la notion d'Être propre à Dieu,
c'est-à-dire à la notion d'Être qui existe essentiellement
et de lui-même, diverses perfections sont ramenées,
en particulier l'infinité prise dans un sens positif et
dans toute son extension : saint Grégoire de Nazianze,
col. 1089; saint Jean Damascène, col. 1129.
En reliant de la sorte les attributs divins au nom ré-
vélé à Moïse sur le mont Horeb, les Pères imitent et
même invoquent expressément la sainte Écriture, où
Dieu, revendiquant ses attributs essentiels, se plait à
interposer ce nom sacré : Ego Dominus (Jahvé), pri-
mus et novissimus ego sum, Is., xi.i, 4; Ego enim Do-
minus (Jahvé), et non mutor. Mal., m, 6. Mais il n'y
a dans tous ces témoignages que des matériaux, et non
pas une thèse. Il est impossible de trop presser les
passages où les Pères disent du nom ineffable qu'il
signifie l'essence divine; car, ailleurs, ils s'expriment
de la même façon en parlant d'autres noms. Si l'on
voulait prendre les termes à la lettre, il faudrait con-
clure que dans la phrase déjà citée, col. 1130 : Deus
omnipotens et clouais, cujus natura bonilas, saint
Léon a favorisé ceux qui font de la bonté l'essence de
Dieu; que dans cette autre phrase également citée,
col. 1130: Cujus vera definitio est, finem m sanctis
laudibus non habere, Cassiodore a énoncé l'opinion de
ceux qui se déclarent pour l'infinité; ou qu'en écrivant,
Adversus scrutatores, serin, xxx, n. 1, Opéra, syr. et
lut., t. ni. p. 53: Ipsius etsentia ratio est, saint Ephrem
a été le précurseur de ceux qui mettent l'essence mé-
taphysique dans l'intellectualité. Autant d'assertions
auxquelles ces Pères n'ont pas dû songer.
3» Le Dieu des Pères est-il un Dieu abstrait ou im-
1145
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES!
1146
personnel"? — Nous avons eu l'occasion de signaler
l'attaque en exposant la doctrine de plusieurs Pères,
en particulier celle de saint Justin, col. 1031, de Clé-
ment d'Alexandrie, col. 1043, d'Origène, col. 1048, de
saint Grégoire de Nysse, col. 1090, du pseudo-Denys,
col. 1126. Elle se présente sous deux formes princi-
pales. En ce qui concerne les apologistes, l'accusation
d'aboutir à un Dieu impersonnel se rattache à quelques
expressions, de saveur platonicienne ou stoïcienne,
sur la présence et l'immanence divines, ou encore à
la conception d'un Dieu extra-cosmique, signalée
col. 1031 sq.
Il n'y a pas lieu de s'arrêter aux quelques expres-
sions, les unes insignifiantes, les autres simplement
équivoques, dont se sont servis trois ou quatre apolo-
gistes en traitant de l'immanence ou de la présence
divine. Tatien, Oralio adversus graecos, n. 5, P. G.,
t. vi. col. 813, appelle Dieu toû 7iavTÔ; f, vTrooraTt;;
mais ce qui suit montre assez qu'il prend le mot iith-
v-oïc'.; dans le sens causal de fondement, hypostasis
sive suslcnlatio, comme porte la traduction latine.
Dans la démonstration rationnelle de l'unité divine par
Athénagore, Legatio, n. 8, P. G., t. VI, col. 905, on re-
lève surtout ces expressions : r.yy-x yàp j-j tojtov
weit).^pu)tai, ou v.x-éy_îTx:, omnia enim ab isto implen-
tur, ou tenentur; mais ces expressions ont leur fon-
dement dans la Bible, Sap., i, 7, et, par ailleurs,
l'apologiste affirme formellement, comme croyance des
chrétiens, l'essentielle distinction de Dieu et de la ma-
tière, n. 4, col. 897, en reprochant aux païens de
n'avoir pas su discerner la plupart du temps ce qu'est
la seconde et ce qu'est le premier : u uiv OXij, '■■ Sî ®£Ô:,
n. 15, col. 920. Aussi Clarisse a-t-il conclu dans son
étude, De Athenagorae vila et scriplis, p. 87 : Nulla
igitur auctoritate nonnulli eum pantheismi insimula-
runt, etsi non negaml um est eum interdum invprur
dentius ita scribere, </iiasi aliquid maleriale xn Deo
oblineat. Théophile d'Anlioche appelle Dieu le lieu de
toutes choses, totto; tûv ô'/wv, Ad Autolycuni, 1. II,
n. 3, P. G., t. vr, col. 1059; expression reprise par
Aruol.i' -un- cette forme : locus rerum ac spatiiun,
comme on l'a vu col. 1067. Elle est l'uusse, si avec Stau-
denmaier, art. Dieu, dans le Dictionnaire encyclopé-
digue de la théologie catholique, par Wetzeret Welte,
trad. Goschler, Paris, 1858 sq., I. vi, p. 313, on la
prend matériellement, comme si les deux apologistes
faisaient de Dieu l'espace universel, à la manière des
stoïciens et autres philosophes païens; mais, d'après
le contexte, ils n'ont en vue que l'immanence et l'im-
mensité divines, qui embrassent toutes choses. Cf. Dé-
tail, op. cit., 1. III, c. IX, n. 9 sq.; (loin Le Nourry,
rt. m Arnobium, /'. /.., t. v, col. 455. La m
explication vaut de Vinfusus est de Minucius Félix,
col. 1056. III" a sa raison d'être dans ce fait que
d'autres apologistes, par exemple, Lactance, col. 1068,
reprennent des expressions semblables, mais accom-
nées d'une glose qui en précise la signification.
(m ne doit pas attacher plus d'importance ;'i la diffi-
culté qui se rattache à la conception d'un Dieu extra-
cosmique, attribuée, on l'a vu. a quelques anciens
Péri comme saint .lustin. Athénagore, Théophile
d'An tioche, col. 1031, 1033, 1035. A supposer que tous
ou «1 ii moins quelques-uns, n'eussent pas
dépa ■ onception, ce qui me parait probable,
m. us non |'.i certain, quelle Mirait la conséquence
logique'.' La négation de la présence immédiate et
substantielle de Dieu le l'ère dans le monde. [1 n'en
ilterail rien contre la lislinction substantielle de
Dieu et du momie, clairement profi ssée par les apolo-
. ni contre la parfaite intégrité et In pleine indé-
pendance dont hn n joint en lui-même; ce qui suffit
pour i notion d 'lit' dam ré-
ception plui large où cette notion peut l'affirmer de la
nature divine, quand on fait abstraction de la sainte
Trinité.
Mais il ne faut pas oublier qu'un chrétien, philo-
sophe ou théologien, ne cherche jamais la personnalité,
entendue strictement, ailleurs que dans le Père, le Fils
et le Saint-Esprit. A propos de la lutte contre le gnos-
ticisme, Schwane émet ces considérations, op. cit., t. n,
p. 126 : « Si saint Irénée n'avait pu opposer à cette
hérésie que le monothéisme juif, il se serait trouvé, à
certains égards, dans une position désavantageuse, car
il ne lui eut pas été possible de prouver l'existence
d'une vie divine hors de ce monde et d'échapper com-
plètement au danger de considérer ce monde visible
comme un élément de la vie divine, c'est-à-dire de
tomber dans le panthéisme, ou du moins de penser
que Dieu, avant la création, était une monade inerte;
ce qui rendrait la création aussi inexplicable que la
révélation. Or, le dogme chrétien de la Trinité tran-
chait le nonid de la façon la plus heureuse. Il dépei-
gnait la vie divine avant la création, au sein de la Tri-
nité de personnes consubstantielles, d'une manière
beaucoup plus parfaite, aux yeux mêmes de la raison
spéculative, que la théorie gnostique qui fait émaner
de Dieu des éons innombrables, et il résout beaucoup
mieux l'énigme de la création du monde, comme révé-
lation de Dieu dans le temps. » Ces considérations
valent, quant à la substance, pour les Pères apologistes ;
car ils envisagent toujours Dieu le Père, d'une façon
concrète, tel qu'il nous est présenté dans la sainte Écri-
ture et les symboles primitifs : Credo in Deuni Pal rem
omnipotentem.
Est-il nécessaire d'ajouter qu'il serait illusoire, sinon
ridicule, d'apprécier ce que les anciens Pères pen-
saient sur ce sujet d'après la notion kantiste ou hégé-
lienne de la personnalité, ou môme d'après la notion
aristotélicienne que les scolastiques ont empruntée à
Boèce, De persona et duabus naturis, c. ni, P. L.,
t. i.xiv, col. 1343 -.Persona estnaturse rationalis ind
dita substantiel? Les Pères se sont contentés de la no-
tion vulgaire et d'ordre psychologique, qui associe
l'idée du moi à celle d'un être complet, vivant, raison-
nable, libre. Connexe est l'affirmation de la pleine
suffisance que Dieu trouve en lui-même et de l'indé-
pendance absolue qui en résulte. Fortement mise en
relief par saint [renée, comme le remarque à bon droit
A. Dufourcq, Saint Irénée, Paris, 1905, p. 216, cette
considération est déjà bien esquissée dans Justin,
Athénagoreet Théophile, col. 1029, 1033, 1035. On doit
donc souscrire sans hésiter aux conclusions des écri-
vains qui ont étudié de plus près les apologistes, sans
se laisser guider par des préjugés philosophiques, et
maintenir que leurs écrits nous présentent vraiment
un Dieu concret et personnel.
I He attaque plus générale et plus importante se rat-
tache à la doctrine des Pères sur l'absolue simplicité
de Dieu, rapprochée surtout de leurs vues sur la trans-
cendance divine el sur la théologie négative. En vertu
de cette dernière méthode, il faut tout nier de Dieu.
Suivant une formule platonicienne que nous avons
d'abord rencontrée dans saint. lustin et qui s'est trans-
mise d'âge en â( il est au-dessus de toute rs-enee.
ÈTÛy.Eiv* n&Ti)i oO^'.a:. Clément renchérit encore en le
mettant au-dessus de l'unité el même delà monade,
col. 1045. Non seulement l'on est mis au-dessus de
toute essence; on nie qu'il soit essence on substance,
on le proclame ivoiivto(. A plus forte raison di
er de lui toute affection, toute qualité. On arrive
.iiin ehe Indéterminé, indéfini, i- iv, en
d'autres termes, ■ un être abstrait, métaphysique;
quille ,i revenir, par la foi. an Dieu vivant dl I I
Bile-
II faut que cette attaque ait fait à une ■ poque
ion, pour que. dans ion ai t
1147
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES;
1148
op. cit., p. 311, Staudenmaier ail cru devoir ('•crire ce
qui suit:»' Si les attributs divins sont des déterminations
de l'Être divin, n'est évidemment pas chrétienne l'opi-
nion suivant laquelle l'Être divin est sans qualités.
Ceux qui, parmi les catholiques, ont soutenu cette
opinion, ont prétendu en même temps que Dieu n'a
pas de substance. » Renvoi, en note, à Clément
d'Alexandrie, à saint Basile, à saint Athanase et à saint
Augustin. Mais ces Pères sont loin de se trouver seuls
en cause, si grand est le nombre de ceux qui ont dit de
Dieu qu'il est sans qualités. Là pourrait s'appliquer
la remarque de Thomassin, op. cit., 1. III, c. u, n. 9 :
Chrysostomus quoque et ente et menle superiorem
esse Deum affirmai, tamelsi a platonicis placitis
abhorrere se contestelur.
Heureusement, Slaudeninaier a corrigé ce qu'il y
avait d'excessif dans ses premières paroles, en ajou-
tant : « Mais l'opinion de ces théologiens, vue de près,
veut dire que Dieu n'est pas une substance comme les
substances terrestres [et même comme les substances
créées], qui sont accompagnées d'accidents ou qui sont
le résultat d'une composition. » Ceci est plus juste ; il ne
faut pas se payer de mots, mais il faut savoir deman-
der aux Pères ce qu'ils entendent par les expressions
dont ils se servent. Quand ils écartent de Dieu toute
qualité, ils ne comprennent pas sous ce mot les attri-
buts divins pris en eux-mêmes, tels qu'ils se trouvent
dans la nature incréée et éminemment simple, mais
seulement toute modalité accidentelle qui, en Dieu
comme dans les créatures, s'ajouterait à la substance
pour la déterminer ou la perfectionner. Ils parlent,
en un mot, de qualités prédicamcnlales, et les excluent
au même titre qu'ils excluent, quand il s'agit de Dieu,
toutes les catégories péripatéticiennes : genre, espèce,
quantité, qualité, lieu, etc. Les exemples abondent dans
l'exposé patristique qui a précédé.
L'épithète àvo-juio; et les autres analogues créeraient
une réelle difficulté, si elles équivalaient à une néga-
tion absolue d'être subsistant; mais nous avons vu
souvent que les Pères entendent ces termes de forme
privative dans un sens purement relatif; ce qui explique
qu'on puisse les trouver chez un seul et même auteur
en deux séries de textes, dont l'une est affirmative et
l'autre négative. Comparé aux essences ou substances
créées que nous connaissons directement, Dieu ne
peut entrer en ligne de compte; comme cause univer-
selle, il reste dans un ordre à part. Par rapport à la
substance, il ne participe pas, comme dit Origène,
mais il fait participer les autres : à).),' o-JS'o-j<7''a; \>.i-.iyv.
ô 0sd;' (j.sxf/STat vàp u.5).).ov ïj \>.z-.'z-/v.. Contra Celsum,
1. VI, n. 64, P. G., t. xi, col. 1396. Dans un sens par-
ticulier, qui est celui de plusieurs Pères, non de tous,
Dieu n'est pas proprement substance, parce qu'il n'est
pas suppôt d'accidents. Il est sur-essentiel, supra-
substantiel, mais il n'en est, de l'avis de tous, que plus
parfaitement être, subsistant en lui-même et par lui-
même. Et c'est précisément dans ce dernier sens que
plusieurs ne craignent pas de l'appeler substance; par
exemple, Victorin, col. 1105, et saint Épiphane, User.,
lxix, n. 70, P. G., t. xlii, col. 317, où il identifie d'abord
les termes de substance et d'essence, /.ai -J-oTTa-j;; /.a\
rrjryix Tautdv èiri ~û> ).ôy<o, puis applique à Dieu le
nom d'oùaîa, d'après Exod., ni, li.
La théologie négative, sainement interprétée et comme
les Pères l'ont comprise, ne tend nullement à reléguer
Dieu dans le domaine de l'abstraction pure. La mé-
thode d'analyse ou d'élimination conduit à ce résul-
tat, quand elle s'exerce sur un être concret, en le dé-
pouillant des propriétés qui en font précisément un
être concret, par exemple, quand elle dépouille un
individu déterminé, Pierre ou Paul, de toutes ses qua-
lités, même individuantes, pour ne laisser subsister
dans l'esprit que la raison abstraite d'homme, de sub-
stance,d'être indéterminé. Ce n'est pas le cas. L'analyse,
dans le procédé des Pères, ne s'exerce pas sur Dieu,
considère comme être concret, pour le dépouiller de
propriétés qu'il aurait et qui contribueraient à son
individuation ; elle s'exerce sur une perfection ci
dont Dieu est la cause première, ou tout au plus sur
une notion de Dieu plus ou moins anthropomorphique
que nous aurions d'abord. Xous écartons les imper-
fections, les limitations, comme ne pouvant pas être
en Dieu. Ce qui reste, quand la voie d'éminence a rem-
placé et complété la voie purement négative, ce n'est
pas une raison d'être abstrait; c'est, au contraire, la
raison d'être absolu, au™ tô ov, subsistant en lui-
même et par lui-même.
Rien n'est plus opposé à l'être abstrait, indéfini,
indéterminé des logiciens, que la plénitude d'être
attribuée à Dieu par les Pères, orientaux ou occiden-
taux, platoniciens ou antiplatoniciens, soit quand ils
interprètent le nom révélé à Moïse sur le mont Horeb,
et les exemples se sont accumulés au cours de cette
élude, soit quand ils appliquent intégralement le triple
procédé d'affirmation, de négation et d'éminence. La
méthode négative fait tomber la détermination spéci-
fique ou générique de l'être; elle sépare Dieu de tout
ce qui est créé, participé. Mais la méthode affirmative
maintient en lui, cause suprême et universelle, tout
ce qu'il y a de vraie et pure perfection dans les êtres.
et tout d'abord la vie dans ses manifestations les plus
hautes et les plus nobles. La voie d'éminence ne sup-
prime pas cette perfection; elle la surélève seulement,
pour en faire une perfection subsistante, kûtoÇiot;, irjro-
<ro?fa, aJToaYaOôr/);, etc., et pour la porter au degré
qui convient à Dieu, c'est-à-dire à l'infini, mais à l'in-
fini positif, àv t.-x'ï: tlXeioç, comme dit saint Cyrille de
Jérusalem.
L'àripiTTov et l'aTCEipov n'ont nullement ici la signifi-
cation d'indéterminé, d'indéfini, mais bien leur signi-
fication franche d'illimité, d'infini dans la ligne de
perfection dont il s'agit dans les différents cas, et
finalement dans la ligne de l'être non déterminé spé-
cifiquement ou génériquement, mais transcendant par
rapport à toute détermination de cette nature. Quelques
Pères parlent, il est vrai, d'indétermination de l'Etre
divin; mais il s'agit alors de l'Être divin considéré non
pas en lui-même, mais par rapport à notre connais-
sance. Ils veulent dire qu'indépendamment de toute
manifestation positive, l'Etre divin, que nous n'at-
teignons pas directement, reste pour nous indéterminé.
Voiries textes très significatifs de Victorin. col. I I0(i.
et des réllexions analogues, à propos de Philon, dans
M. Louis, Doctrines religieuses des philosophes grecs,
Paris, 1909, c. vi, p. 256 sq.
Pour la systématisation de la doctrine patristique sur les
attributs divins, on peut consulter les mêmes ouvrages que dans
la question précédente, en particulier Petau, op. cit., 1. II sq.,
et Thomassin, op. cit., I. Il sq. Plusieurs des monographies
indiquées, col. 1054, 1068. 1 116, 1133. contiennent aussi la mime
systématisation pour les Pères dont elles traitent. Les auteurs de
ces monographies, surtout les auteurs catholiques, se préoc-
cupent souvent de l'accusation, portée contre les Pères platoni-
ciens, d'aboutir à un Dieu philosophique, impersonnel ou
abstrait. Voir, entre autres, pour saint Justin, J. Sprinzl, op. cit.,
p. 779; A. Fedcr, op. cit., p. 110; pour Clément d'Alexandrie,
J. Cognât, op. cit., p. 169; pour Origène. J. Denis, De la philo-
sophie d'Origène, Paris, 1884, p. 87 sq; pour saint Grégoire de
Nazianze, F. Diekamp, op. cit., c. iv, S 2, où il soutient que
Grégoire n'entend point la transcendance divine dans le
néoplatonicien.
V. L'APPORT PHILOSOPHIQUE DANS LA THKODICKI
Père». — Deux questions se rattachent à ce dernier
point : l'une de fait, sur l'usage que les Pères ont fait
de la philosophie dans leur théodicée; l'autre de droit,
sur la légitimité de cet usage.
1° Question de fait. — Qu'il y ait dans la doctrine
1149
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES PÈRES)
1150
des Pères sur Dieu des éléments philosophiques, rien
de plus évident. Au début de notre enquête, col. 1025,
nous avons assigné au développement général de la théo-
dicée patrislique trois facteurs principaux : la sainte
Écriture, la controverse et la philosophie, c'est à-dire
l'alliance de la foi et de la philosophie. L'importance
du troisième facteur résulte suffisamment de l'exposé
qui a suivi. Aussi les historiens de la philosophie
chrétienne, soit en général, soit dans les temps palris-
tiques, ont-ils coutume d'examiner, de ce point de vue,
la doctrine des principaux Pères sur Dieu.
Qu'il y ait, dans la théodicée des Pères, apport phi-
losophique au sens plus déterminé d'une inlluence
exercée sur eux par les philosophes du dehors, les
platoniciens surtout et les néoplatoniciens, le fait
n'est pas moins certain. Des recherches d'ordre positif
ou technique ont clairement mis en relief les dépen-
dances littéraires et philosophiques des Pères de
l'Église. Tels, notamment pour saint Méthode et saint
Basile, les travaux de A. Jahn; pour le pseudo-Denys
PAréopagite, les travaux du même auteur, et surtout
les études déjà signalées, col. 1118, de J. Stiglmayr et
de' H. Koch ; pour saint Augustin, les études également
signalées, col. 1110, 1111, de L. Grandgeorge et de
G. Loesche. Du reste, la thèse des dépendances philo-
sophiques de certains Pères est loin d'être nouvelle.
Avant l'apparition du livre tapageur et outré de Nicolas
Souverain, Le platonisme dévoilé ou essai touchant
le Verbe platonicien, Cologne, 1700, Petau, dans son
Opus de llteologicis dogmalibus, et Thomassin, dans
ses Dogmala theologica, dont les premiers volumes
parurent en 1614 et en 1680, avaient rapproché, sur
un certain nombre de points, la théodicée des Pères et
celle des philosophes platoniciens ou néoplatoniciens.
Thomassin avait même souvent mis la chose tout à fait
en relief dans des chapitres distincts.
La question d'application relève d'études spéciales.
Malheureusement, les inexactitudes et les exagérations
de toute sorte ne sont pas rares dans les travaux faits
par des protestants de nuance rationaliste, sans une
véritable impartialité, parfois sans une connaissance
suflisanle de la littérature générale soit patrislique,
soit même biblique. On donnera, par exemple, comme
spécifiquement platoniciens tels aperçus sur Dieu que
les Pères trouvaient dans les livres sapientiaux de
I Ancien Testament, admis et cités par eux. On verra
dans une concordance de termes purement matérielle
des dépendances manifestes, sans songer que la foi
chrétienne de l'auteur donne souvent à tout l'ensemble
une orientation nouvelle. D'ailleurs, en théodicée
comme dans leur philosophie en général, les Pères
sont éclectiques; s'ils empruntent, ils savent aussi reje-
ter, et en le disant. Les louanges qu'ils donnent à
Platon et aux autres anciens n'emportent pas une
approbation intégrale de leur doctrine ni même de
tout le détail des | ilés, suivant la juste re-
marque de I homassin, op. cit., 1. III. c. i, n. L2,
— Elle se rattache au pro-
blème général du philosophisme des Pries: problème
soulevé .ni début du wnr siècle par Nicolas Souve-
rain, op. cil. Dana sa première phase, la controverse
porta presque exclusivement sur la doctrine trinitaire,
ei plus &p< il -ni celle du Verbe, Ni Souvi rain
dans jon attaque, ni Ualtus dans sa Défense de* laintt
/',,-,■, accu ei de platoni me, Paris, 1711. ne s'oc-
cupent de la notion de Dieu considéré dans l'unité de
sa nature. Plu lai 'I u lemi ni . le débal
s'étend il à ce point comme ■> beaucoup d'autres, Par
ôté, la question du philosophi
eée des Pèn i I, comme partie du tout, sa
problème général, et par conséquent à l'article qui,
dans ci Dictionnai au PlatokISMI
m- dire que le problème par-
tiel ne peut passe traiter pleinement en dehors du pro-
blème général, ni surtout en dehors de la doctrine des
Pères sur la Trinité et sur le rapport au monde soit
de Dieu comme tel, soit du Verbe en particulier. Pour
ne prendre qu'un exemple, le jugement à porter déli-
uitivement sur la conception d'un Dieu extra-cosmique,
attribuée aux premiers apologistes, dépend en grande
partie de cette autre controverse : Ont-ils vu dans le
Verbe un intermédiaire physique entre Dieu le Père
et le monde'.'
Disons seulement quelques mots d'une question qui
s'impose : Les emprunts réels, faits par les docteurs
de l'Église aux anciens philosophes, ont-ils eu pour
effet de pervertir la notion chrétienne de Dieu? Il est
facile à un théologien protestant de répondre oui,
mais en prenant pour base de son appréciation l'idée
confessionnelle ou même purement subjective qu'il lui
plaît d'admettre. Un théologien catholique demande
qu'on distingue entre la notion dogmatique et l'expli-
cation ou exposition philosophique, comme on a cou-
tume de le faire à propos de la doctrine des Pères
anténicéens sur la sainte Trinité. Schwane, op. cit.,
t. n, p. 90. Il s'en faut de beaucoup que toutes les spé-
culations palrisliques, rapportées au cours de cet
article, soient entrées dans ce qu'on peut légitimement
donner pour la notion dogmatique de Dieu.
A la prendre dans sa dernière détermination, telle
qu'elle a été formulée par le concile du Vatican, dans
la constitution De fuie calholica, c. i, cette notion se
borne à une description de Dieu qui comprend ses
attributs fondamentaux et sa distinction réelle et essen-
tielle d'avec le monde : Sancta calholica apostolica
romana Ecclesia crédit et conjitelur unum esse Deuni
verum et viviun, crealorem ac Dominum cseli et
terrse, omnipotentem, setemum, immensum, incotn-
preliensibilem, intellectu ac voluntate omnique per-
fectione infinituni, qui cum sit una singularis, sim-
plex omnino et incommutabilis substanlia spiritua-
lis, priedicandus est re el.e*scntia a mundo distinctus,
in seet ex se beatissimus, et supej' oninia aux prœter
ipsum suni et concipi possunt, ine/fabiliter excdsus.
Le concile affirme ensuite, c. il, et d'après la doctrine
de saint Paul, Rom., i, 20, le pouvoir dont l'homme
jouit de parvenir par la lumière naturelle de sa raison
et à l'aide des choses créées, e rébus creatis, à une
connaissance certaine de Dieu, principe et fin de toutes
choses. Rien de formel, dans les documents eccb
tiques, sur le triple procédé d'affirmation, de négation
et d'éminence, ni sur la voie mystique des alexan-
drins et de leurs disciples.
Si de la notion dogmatique de Dieu nous passons a
la notion proprement philosophique, beaucoup plus
étendue, il faut dire que la seconde n'est pas, sauf
quelques écarts réels d'ordre individuel, une corrup-
tion de la notion clin tienne. Elle en est une traduction
ou une explication répondant à des formes van
de li conception humaine, et légitimes dans la ne
où diverses écoles philosophiques ont garde un fonds
commun de principes rationnels ou mieux saisi tels et
tspects de rériti i noire raison. Dans
son ouvrage sur La fin du paganisme, t. i, I. III, eu,
.. Boissier a remarqué, à propos de VOclaviu* de
Minucius Félix, que, parmi lei tes du christia-
nisme, il j avail deux écoles : les uns insistaient de
préférence sur les côtés nouveaux de Is doctrine; les
autres voulaient à toute force la rattacher au
ceu\-ci « recueillaient .née soin toul ce qui, ch<
philosophi iiitii.ni aux dog s de l'Église, pen-
sant que c étail un coup de maître de réfuter les pad ns
par eux-n Sur le terrain philosophique, il \
avait, en réaltti . plus que ci la. l ormi - > une •
les Pi ni nullement le besoin d'abandon-
ner li Dieu 1 1 |i monde, quand slli
1151
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LES SCOLASTIQUES;
1152
(Iraient avec leur foi, encore moins quand elles la
servaient plutôt. Pourquoi n'auraient-ils pas profit'' de
tous ces nobles aperçus sur la divinité qu'ils avaient
trouvés chez les platoniciens, qu'ils y vissent des em-
prunts faits primitivement à la révélation ou le fruit
de la raison humaine? Du reste, beaucoup d'entre eux
recevaient Platon déjà interprété. Tels les alexandrins,
qui le voyaient beaucoup par les yeux de Philon; ce
qui était un avantage, Philon ayant eu à son service la
révélation mosaïque, et en même temps, il faut en
convenir, un danger, étant donnés d'une part, l'hellé-
nisme de ce philosophe, et, de l'autre, l'estime extraor-
dinaire qu'ont eue de lui plusieurs Pères.
Mais n'arrivc-t-on pas, par cette voie, au dualisme
que W. Meyer,col. 1088, 1090, a prétendu trouver dans
la théodicée de saint Grégoire de Nysse? E. de Faye,
Clément d'Alexandrie, p. 229 sq., distingue comme
deux faces dans la conception de Dieu qu'il attribue à
ce Père, l'une métaphysique et marquée à l'effigie de
Platon, l'autre religieuse et chrétienne : « Désormais,
conclut-il, le Dieu de la théologie chrétienne gardera
ce double caractère. D'une part, il semblera se perdre
dans l'abstraction impersonnelle; d'autre part, il
demeurera une personne vivante. » Ne sont-ce pas là
deux conceptions qui se heurtent?
Qu'elles paraissent telles à ceux qui établissent une
sorte d'opposition et de divorce entre la philosophie et
le dogme, entre la raison et la foi, et qui ne trouvent
de solution que dans les principes séparatistes de Kant,
de Hegel, de Ritschl ou de Schleiermacher, c'est chose
facile à concevoir. Que les deux conceptions se heur-
tent, si la notion philosophique n'aboutit réellement
chez les Pères qu'à un Dieu inerte, abstrait, imperson-
nel, ce serait difficile de le nier. Mais nous avons
montré précédemment qu'il n'en est rien. En fait, les
deux conceptions ne se heurtent pas, parce qu'elles se
meuvent dans un plan différent et que, de plus, l'une
complète l'autre. Par la conception que les protestants
rationalistes ou semi-rationalistes invoquent exclusive-
ment, du Dieu vivant de l'Évangile, tel qu'ils l'enten-
dent, du Dieu immanent ou sensible au cœur, etc.,
qu'atteint-on en fin de compte? Dieu considéré dans ses
relations aux créatures, et par conséquent dans ses
attributs relatifs; à moins qu'on ne rêve, hypothèse
non chimérique, d'un Dieu tellement immanent à
l'homme, qu'il ne s'en distingue plus nettement ou
plus du tout. Abstraction faite du panthéisme, et quelle
que soit du reste la valeur et l'efficacité morale de la
notion relative de Dieu qui vient d'être énoncée, si
l'on s'en tient là, on ne dépasse pas en pratique ce
que le semi-agnosticisme affirme en théorie.
Et pourtant la sainte Écriture elle-même nous invite
à nous élever des créatures à Celui qui est, qui est de
toute éternité, toujours le même, sans jamais changer.
Elle nous invite à considérer que le monde est devant
lui comme un rien, et que lui-même, avant que le
monde ne fût, il était, heureux et parfait dans sa
pleine indépendance. Or, bien que la foi suffise pour
dépasser en Dieu le relatif et atteindre l'absolu, il n'en
est pas moins vrai, et c'est là ce qui explique les Pères,
que sur ce terrain la raison est pour la foi un auxiliaire
précieux et normal. Si la notion chrétienne de Dieu
nous fait surtout comprendre et goûter ces paroles de
saint Augustin, col. 1110 : habentes in intimo Deurti,
la notion philosophique nous aide puissamment à
réaliser ces autres paroles du grand docteur, De vera
religione, c. xxxix, n. 72, P. L., t. xxxiv, col. 154 :
Transcende et te ipsum.
Auteurs catholiques. —1° Ouvrages généraux. — J. N.
Huber, Die Philosopliie der Kirchenvàter, Munich, 1859 ;
A. Stôckl, Geschichte der christlichen Philosopliie zur Zeit
der Kirchenvàter, Mayence, 1891 ; .1. Schwane, Histoire des
dogmes, 1. 1 et u, passim.aux endroits cités col. 1054,1068, 1116.
2' Monographit ment indiquées, où il est que
incidemment de la philosopha Période anténicéenne,
col. 1054, 1068 : 3. Sprinzl et A. Feder, pour saint Justin;
i. Cognât (-1 v. lii'biit-DupeiTon, pour Clément d'Alexandrie;
O. GriUnberger, pi i ix. — Période postnicéenne,
col. 1110 sq.: K. Etalon, pour saint Athunase et pour saint Basile;
F. Diekaniji, pour saint Grégoire de Nysse: E.Portalié et J. Mar-
tin, pour saint Augustin. — Basse patristique, col. 1133-1134:
H. Kocb et H. Weerlz, pour Denys le pseudo-Aréopagite; L.
C. Bourquaid el A. Hihlebrand, pour Boèce.
3° Études spéciales. — .1. M. Pfàttisch, O. S. B., Platos
Einflussaufdie Théologie Justine, dans Der Katkolik, Mayence,
1909,4' série, t. xxxix.p. 401-419; .1. Denis, De la pliilosophie
d'Origène, Paris, 1884. c. III, p. 69 sq. ; Paganinus Gaudentiue,
De dogmatum Origenis cum philosophia Platonis compara-
tione, Florence, 1G39, c. v, vi, xxn, xxiv.
Auteurs protestants. — 1 Ouvrages généraux. — H. Hit-
ter, Gescliichte der christlichen Philosophie, t. v et vi de sa
Geschichte der Philosophie, Hambourg, 1841; traiJ. frane. par
J. Trullard, Paris, 1843-1844; H. Ritter, Die chnstliche Philo-
sophie nach ihrem Begriff, iliren àusseren Verhàllnissen
unà in ihrer Geschichte bis auf die neuesten Zeiten, Gœt-
tingue, 1858, t. i, 1. II; E. Hatch, The influence of Greek Ideas
and Usages upon the Christian Church, Londres, 1890, lect.
vii-ix; H. M. Gwatkin, The knowledge of God and its histo-
rical development, Edimbourg, 1906, t. II, lect. xv ; A. Har-
nack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, aux endroits cités
col. 1054, 1069, 1117; J. Kôstlin, art. Gott, dans Bealencyclo-
pàdie fur prolestantische Théologie und Kirche, 3' édit., t. VI,
p.786sq.
2" Monographies déjà signalées. — Période anténicéenne,
col. 1054, 1068 : C. Semisch, J. C. E. Otto, C. Weizsàcker,
M. von Engclhardt, pour saint Justin; C. W. Steuer, pour
Tatien; P. Logothetes, pour Athénagore; A. Pomrnrich et
O. Gross, pour Théophile d'Antioche; J. Kunze, pour saint Iré-
née ; H. E. F. Guerike, pour les catéchètes alexandrins; C. Bigg,
pour les « platonistes chrétiens » d'Alexandrie; K. K. Re iej„n-
ning et P. Fischer, pour Origène : R. Kùhn. pour Minucius Félix ;
J. Stier, pour Tertullien. — Période postnicéenne, col. 117" :
\Y. Meyer, pour saint Grégoire de Nysse; A. Dorner, pour
saint Augustin. — Basse patristique, col. 1134 : J. Niemeyer,
J. Kanakis, O. Siebert, pour le pseudo-Denys; F. Nitzseb, p.jnr
Boèce.
3- Études spéciales. — E. de Faye, De l'influence du Timéede
Platon sur la tlicodicée de Justin Martyr, p. 169-187. dans
Études de critique et d'histoire, 2' série, Paris, 1896 (Biblio-
thèque de l'École des Hautes Éludes. Sciences religieuses
t. vu); L. Richter, Philosophisches in der Gottes-und Logos-
lehre des Apologeten Athenagoras aus Athen, Meissen, 1905;
A. F. Daehne, De Tv^ira démentis Alexandrini et de vestigiis
neoplatonicx philosophix in ea obviis commentatio historica
theologica, Leipzig, 1831, sect. m. p. 77 sq. ; C. Merk, Clemens
Alexandrinus in seiner Abhàngigkeit von der griechischen
Philosophie, Leipzig, 1879; E. de Faye. Clément d'Alexandrie.
Etude sur les rappor'ts du christianisme et de la philosopliie
grecque au ir siècle, Paris, 1898 ; H. J. Bestmann, Orignes und
Plotinos, dans Zeitschrift fur kirchliche Wissenschafl und
kirchliches Leben , Leipzig, 1883, t. IV, p. 169-187; A. Jalm,
S. Methodii opéra et S. Methodius Platonizans. Halle. 1865;
G. Rauch, Der Einfluss der stoischen Philosophie auf die
Lehrbildung Terlullians, Halle. 1890; G. Schelowsky. Der Apo-
loget Tertullianus in seinem Verliâltnis zu der griechisch-
rômischen Philosophie, Leipzig, 1901; G. Morgenstern, Cyprian,
Bischof von Carthago, als Philosoph, Iéna, 1889; A. Jahn,
Basilius Magnus plotinizans, comme supplément à l'édition de
Plotin par Creuzer, et à celle de saint Basile parGarnier, Berne,
1838; G. Loesche, De Augustino plotinizanle in doctrin
Deo disseretnla. Iéna, 1880; L. Grandgeorge, Saint Augustin
et le néo-platonisme, Paris, 1896 (Bibliothèque de l'École des
Hautes Études, Sciences religieuses, t.vm); A. Jahn, Diony-
siaca. Sprachliche und Sachliche Platonische Blùthenlese uns
Dionysius, dem sog. Areopagiten, zur Anbahnung der phU
lologischen Behandlung dièses Autors. Altona et Leipzig,
1889.
X. LE IîaCHELET.
V. DIEU. SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES.
— I. Méthode des études scolastiques sur la nature de
Dieu. il. Doctrine des attributs ou noms divins au
xiie siècle. III. Apport péripatéticien et néoplatonicien
dans la théodicée au xine siècle. IV. Inlluence de la
philosophie religieuse des Arabes.
On a exposé aux articles Attributs et Aséité ce qui
1153
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES)
1154
dans le sujet que nous avons à traiter est essentiel au
point de vue doctrinal. Les éludes développées consa-
crées aux principaux scolastiques et divers articles plus
spéculatifs ont indiqué déjà ce qu'offre de spécial le
détail de la théodicée de ces auteurs et des diverses
écoles, et, conformément au plan de ce dictionnaire, ce
travail se poursuivra. Il ne nous reste donc qu'à pré-
senter ici, ce qui ne peut pas trouver place ailleurs, un
aperçu historique de la formation de la doctrine sur
Dieu dans la scolastique. Dans ce but, nons ferons l'in-
ventaire des données, procédés et conclusions de la
théodicée auxue siècle. Puis nous chercherons à expli-
quer comment se fit au xme siècle l'introduction de la
doctrine de l'acte et de la puissance qui est la note
caractéristique de la théodicée scolastique. De la sorte
nous espérons d'une part donner une réponse aux
attaques courantes contre la scolastique, d'autre part
dégager les idées maîtresses de la théodicée de l'École,
et, par le moyen de l'histoire, montrer quel est le sens
des controverses qu'on y agite et quelle en est la mé-
thode. Commençons par quelques notions générales
sur ce dernier sujet qui est des plus complexes.
I. Méthode des études scolastiques sur la nature
de Dieu. — Relativement à la nature de Dieu, on peut
caractériser le mouvement théologique des XIe et
XIIe siècles, période des origines prochaines de la sco-
lastique, par trois noms : saint Bernard, saint Anselme
et Pierre Lombard. Cf. Grabmann, Die Geschichle der
scholaslisclien Melhode, Fribourg-en-Brisgau, 1909, 1. 1;
Robert, Les Ecoles et l'enseignement de la tliéologie
pendant la première moitié du x IIe siècle, Paris, 1909.
1° Saint Bernard. — Saint Bernard, que pour cette
raison l'on appelle souvent le dernier des Pères, repré-
sente spécialement l'élément traditionnel. Ce qu'il nous
a laissé sur la nature divine est la synthèse, filtrée à
travers une âme aussi religieuse qu'élevée, de ce
qu'extrayaient à son époque de l'Écriture, des Pères et
des textes canoniques, les glossateurs de la Bible, les
faiseurs de « chaînes », les compilateurs de décrétâtes
et aussi les « sententiaires ». Ces derniers, en se livrant
au travail de recueillir les g pensées » des Pères,
essayaient de les ordonner d'une façon méthodique, en
vue de l'enseignement religieux. Ils ne tardèrent pas à
remarquer que, d'accord quant au fond des vérités en-
seignées sur Dieu par l'Église, les Pères ne l'étaient
pas toujours sur les preuves et les explications qu'ils
en donnaient. Mais, dans ce désaccord même, un pro-
cédé leur restait commun : l'emploi d'arguments ra-
tionnels sur la nature divine.
l 'Saint Anselme. — Saint Anselme dégagea ce point
commun et par là fonda la scolastique, comme vient de
le rappeler Pie X. Encyclique Communium rerum.
C'est avre une pleine conscience de la nouveauté qu'il
Introduisait, que saint Anselme écrivit ses deux traités
sur Dieu, le Monologium, el le Pro$logion. P. /..,
t. ii. \ ni, col. 143, 223. Il suffit pour s'en convaincre
dru lire les premières lignes, et spécialement la courte
préface du Monologium, que l'auteur supplie les co-
pistes de ne jamais omettre en reproduisant le corps
de l'ouvrage. Cette préface a durant des siècles fourni
;'i tous les commentateurs du Maître des Sentences le
thème qu'ils développent, au prologue du I« livre, sur
l'objet et sur la méthode de la théologie; la pensée de
saint Anselme fait lefonddei où saint Thomas
traite proprio marie du même sujet, Contra gentet,
I. I, c. i-ix; Sum. theol., I», q. i; au xvn
cardinal 'I plus 'le deus cenl I |
in-folio ■< •' page
de saint Anselme, Fheologia tancli Antelmi, Homo,
. t. i, p. 35-246; et, de nos joui - en. ore,
directement on indirectement, di ne pa >age de
l archevêque d i . que • inspin ni les me,
théolo iei i but d leui ti nr Dieu, comme
DICT. Iii: Tlli'il.. CATIIOL.
on peut le voir par exemple dans les Prolegomena du
Tractatus de Deo uno de I-'ranzelin.
Depuis que Victor Cousin, suivi par Hauréau et aussi,
dans une trop large mesure bien que dans un esprit
différent, par M. de Wulf, a réduit ce qu'on appelle le
problème scolastique à la discussion d'une prétention
de Porphyre sur les universaux, on a beaucoup écrit
sur la scolastique, mais sans prendre connaissance ou
sans tenir compte de la série continue des travaux dont
nous venons de faire mention. On y eût trouvé précisé-
ment la discussion du programme d'études tracé par
saint Anselme en tète du Monologium. — l. L'objet prin-
cipal delà scolastique est la nature divine, de meditanda
divinilalis essentia et quibusdam aliis huic médita-
tions cohœrentibus. Sur ce point il n'existe chez les
scolastiques aucune divergence. Après saint Thomas,
qui enseigne, comme Duns Scot, que l'objet principal de
la théologie est l'essence divine considérée absolument,
on a opiné avec Gilles de Rome, Durand de Sainl-
Pourçain, que cet objet est l'essence divine considérée
relativement, glorificalor, etc., ou uniquement dans le
Christ; mais, de toute façon, l'objet principal de la
scolastique a toujours été la nature divine. Cf. Vasquez.
In Pm, disp. X, De subjecto theologiœ. S'en faire une
autre idée, c'est aller contre les textes et les faits, c'est
s'en interdire à jamais l'intelligence. Il est d'ailleurs
aisé de saisir pourquoi il ne pouvait pas en être autre-
ment. La scolastique est l'étude de la foi; mais l'objet
principal de la foi n'est autre que Dieu lui-même, sui-
vant une phrase de saint Augustin devenue classique :
Fides in Ecclesia brevissime tradilur, in qua com-
mendantur alterna quse inlelligi a carnalibus nondum
possunl ; et temporalia, prœterila et futura, quai pro
salule hominum gessit elgestura est xternitas divinx
providentise. Credamus ergo in Patrem et Filiuni et
Spiritum Sanclum : hsce selerna sunt el incommata-
bilia, id est, unus Deus, unius subslcintige Trinilas
alterna, Deus ex quo omnia, per quem omnia, in
quo omnia. De agone chrisliano, c. XIII, P. L., t. XL,
col. 299. — 2. Saint Anselme indique ensuite la méthode
à suivre : l'emploi de la preuve rationnelle, sans appel
direct à l'autorité de la parole divine, qualenus aucto-
rilate Scriptural penitus iiiliil in ea persuaderetur.
Cf. De fide Trinilalis, c. IV, ibid., col. 272. Subsidiai-
rement, les objections soulevées par la raison seront
résolues par le même procédé. — 3. Cependant tout en
faisant o'uvre de philosophe, saint Anselme n'oublie
pas que le philosophe, même lorsqu'il conclut d'après
les seules lumières de sa raison, a soin, s'il est prudent,
de contrôler ses principes et ses conclusions à l'aide
de la philosophia perennis, et, s'il est catholique, à
l'aide de l'enseignement de l'Église : nihil potui inve-
nirente ineadixisse, quod non catholicorum Patrum,
et maximebeati Augustini scriptis cohœreat. D'ailleurs,
Anselme n'ignore pas et ne néglige pas la distinction
entre les inysleres proprement dits, que la raison par
elle-même ne saurait découvrir, el les vérités sur Dieu
que nous pouvons connaître par la raison. De fide Tri-
7iilatis,c. il,/'. L., t. ci. vin, col. 263. Et si ce lut sur-
tout au nom des données de la révélation que saint
Bernard combattit Abélard et Gilbert de laPorrée, c'est
en vertu des méun !g données qn' Anselme traita d'heiv-
lique la dialectique île Roscelin. Ibid., col. 265.
30 Pierre Lombard. — L'innovation de --.ont Anselme
rencontra des 1 aces, Mais elle eut de sages parti-
sans, spécialement dans l'école de Saint-Victor. Moins
[que qu'on ne l'a prétendu, l'école de Sainl Victor
l'appliqua & perfectionner h prograi tin. .1 grands
trait-- par saint Anselme. Cf. Mignon, Lei origineê de
lu tcolastique ri Huguei >ir Saint
t. I, c.lll. Sous l,i d nul de in 11 11 ont An sel 1
de la curiosité philosophique qui se faisait alors sentir,
l'attention cialemenl
IV. -87
Il
DO
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES
1156
sur la partie rationnelle des écrits des Pères. L'abou-
tissement de cet immense travail fut le Livre des Sen-
tences de Pierre Lombard, P. L,, t. cxci ; édition cri-
tique, dans le I1'1 volume des Opéra de saint Jionaven-
rure, Quaracchi, 1882. Le recueil de Pierre Lombard lit
vite oublier les travaux du même genre qui l'avaient
précédé; il devint bientôt le texte classique des cours
et traités de théologie; il fut les Sentences, tout court.
Le succès du Maître des Sentences fut dû en grande
partie à sa méthode; en tout cas, cette méthode est la
méthode scolastiquedans son premier épanouissement.
Le Monologium et le Proslogion sont surtout œuvre
de philosophe; le livre des Sentences est plutôt rouvre
d'un théologien. — 1. Saint Anselme se livre à la spécu-
lation sur la nature divine, et constate que ses principes
et conclusions sont conformes à l'enseignement tradi-
tionnel; Pierre Lombard procède d'abord par voie
d'autorité scripturaire et patristique; et, chez lui, l'ar-
gumentation philosophique est ordinairement fournie
directement par les textes mêmes qu'il recueille. On
saisira la différence, qui est plus qu'une nuance, en
comparant par exemple la Somme philosojihique de
saint Thomas contre les gentils et sa Somme théolo-
gique. Dans le Contra gentes, saint Thomas n'amène
qu'à la fin de ses chapitres les textes scripturaires ou
patristiques que, dans la Somme tltéologique, il place
avant la spéculation philosophique, en tète du res-
pondeo dicendum au sed contra, qui résume et rap-
pelle d'un mot l'argument théologiquement décisif.
La reconnaissance de l'importance de la tradition
chrétienne, même en pure spéculation philosophique
sur Dieu, qui caractérise l'œuvre de Pierre Lombard,
orienta le travail des théologiens dans une direction
négligée par saint Anselme. — 2. Celui-ci avait abordé
la solution des difficultés que peut élever la raison
contre les conclusions traditionnelles sur Dieu; et en
ce point les scolastiques le suivirent. Mais il n'avait
pas donné la solution des problèmes que soulèvent
les divergences des Pères; ce fut un travail qu'allec-
tionna le XIIe siècle; et quoi qu'en aient dit le P. Denille
et M. Picavet, Abélard et Alexandre de Halis créateurs:
de la méthode scolastique, dans la Bibliothèque
de l'École des Hautes Eludes, Sciences religieuses,
t. vu, et après eux M. de Wulf, Histoire de la philo-
sophie médiévale, Louvain, 1900, p. 201, l'œuvre
d'Abélard, et en particulier le Sic et non, ne furent
qu'un épisode dans ce travail de classification et de
conciliation des textes, dont les canonistes avaient les
premiers donné l'exemple. Il y eut, en effet, des « sen-
tentiaires » avant le Sic et non, de même qu'il y eut
des « sommistes » avant Vlntroductio ad theologiam.
Cf. Baltus, Dieu d'après Hugues de Saint-Victor, dans la
Revue bénédictine, 1898, p. 109. D'ailleurs, la question
de dates qui cependant a bien ici quelque poids mise
à part, comment qualifier « d'initiateur de la méthode
scolastique » celui que le premier siècle de la scolastique
admira, mais condamna; celui que la scolastique posté-
rieure ignora si bien, que de nos jours encore on discute
sur la vraie portée de ses écrits? Le P. Denifle a mis
à la mode ce qu'il appelle une école d'Abélard, voir
t. I, col. 49; il semble bien que ce soit à tort; car le Sic
et non n'était qu'un recueil de textes en apparence dis-
cordants, mais sans critique, sans que l'auteur donnât
son opinion personnelle, comme font toujours les
scolastiques; et d'un autre côté, dans Vlntroductio ad
theologiam , où Abélard est personnel, il l'est, comme
ne le sont jamais les scolastiques, je veux dire sans
égard pour la subordination de la pensée humaine à
la révélation, de la spéculation au donné traditionnel.
Cf. Daniels, Quellenbcilrâge und Untersuchunge» iw
Geschichtc der Gottesbeweise im xni Jahrhundert,
Munster, 1909, p. 116. au t. vm des Beitrâge. Si l'on
tient absolument à compter parmi les initiateurs de la
scolastique un écrivain dont l'orthodoxie ne fut pas
toujours intacte, qu'on nomme Gilbert de la Pori ■< '■• . ,
qu'il est certain que ses commentaires sur Boèce furent
souvent cités, largement utilisés, et que son trait. De
sexpnncipiis fui longtemps classique. Albert le Grand le
commenta; saintThomas lui lit de larges emprunts; on
l'éditaitencore avec les œuvres d'Aristote au XVIe siècle.
On ne peut pas en dire autant d'Abélard. Tout ce qu'on
peut reconnaître d'influence au Sic et non, c'est d'avoir
fait sentir à tous la nécessité du travail d'interprétation
des textes patristiques, auxquels se livraient les sen-
tentiaires, et d'avoir ainsi préparé le bon accueil que
l'on ne tarda guère à faire à l'œuvre de Pierre Lombard.
Sans doute les Sentences, au point de vue de l'inter-
prétation objective des Pères et de leur philosophie,
nous paraissent aujourd'hui bien imparfaites; car les
recherches entreprises sur ce sujet par les théologiens
depuis la fin du xvi<= siècle nous ont rendu difficiles et
exigeants. Mais il ne faut pas oublier que, sans la per-
sistance de l'influence de Pierre Lombard, ni Melchior
Cano n'eut pu railler, comme il a fait, ceux qui en
théologie trancheraient tout par un syllogisme tiré
d'Aristote sans recourir aux sources chrétiennes: ni
l'école des jésuites espagnols, Vasquez et Suarez, n'eût
pu donner une si large place à la discussion de la
pensée historique des Pères, et faire naitre ainsi les
travaux de Petau et de ses émules. Il ne faut pas oublier
non plus que la préoccupation de concilier les Pères
entre eux, imposée à tous les scolastiques du mo\en
âge par le texte même de l'auteur qu'ils commentaient,
donna à leurs spéculations une base plus large, les
préserva du dogmatisme philosophique intransigeant
où incline l'usage constant de la méthode dialectique,
et mit en éveil, tint en haleine leur curiosité métaphy-
sique. Sans doute, quelques-uns abusèrent de la liberté
grande d'opiner qui naissait de la situation ; mais la
providence semble s'être servie de celte liberté mi
pour prévenir la formation dans l'Église d'une tradition
philosophique unilatérale, dont l'étroitesse eut pu un
jour devenir un embarras. Ces résultats sont assez
importants pour consoler de l'ennui que l'on éprouve
à voir les anciens scolastiques, même les plus grands,
se méprendre, dans la solution des difficultés patristi-
ques qu'ils se posent, sur le sens des textes et sur les
divergences ou nuances des diverses philosophies. faute
d'avoir comme nous une édition complète et critique
d'Aristote, de Plotin ou de Proclus, faute surtout d'avoir
sous la main l'équivalent des patrologies deMigne. Heu-
reusement, les intuitions du génie d'une part, celles du
sens catholique de l'autre, suppléèrent le plus souven
à ce que laissait à désirer l'érudition; et, quoi qu'en
puisse dire M. Picavet, il en résulta qu'avec des for-
mules néoplatoniciennes les scolastiques exprimèrent
des vérités chrétiennes.
Une dernière conséquence de la méthode strictement
théologique de Pierre Lombard fut la distribution des
matières de son Ie1 livre. — 3. Saint Anselme dans son
Monologium avait distingué la connaissance naturelle
que nous avons de Dieu par la raison, et celle que nous
avons par la foi; et, conformément à la logique des
choses, il avait commencé son ouvrage par la première,
et l'avait achevé par la seconde; c'est l'ordre que suivit
plus tard saint Thomas dans la Somme théologique, et
c'est l'ordre communément suivi dans l'École depuis
le milieu du xvic siècle, c'est-à-dire depuis le moment
où la Somme de saint Thomas a prévalu sur l'œuvre
de Pierre Lombard, comme texte de cours. Pierre
Lombard, se plaçant plus rigoureusement que saint
Anselme au point de vue théologique, débute au con-
traire par le dogme fondamental de la Trinité : Hoc
itaque vera ac pia fide tenendum est quod Trinitas
sil unus et solus verus Deus, lit ait Augustinus. L. I,
dist. II. c. I. Et ce n'est qu'à propos de l'étude ration-
1157
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES;
1158
nelle de la Trinité qu'il introduit, à mesure qu'il en
a besoin, l'enseignement patristique sur ce que nous
connaissons de Dieu par la seule raison. Il résulte de
ce plan un enchevêtrement des questions proprement
théologiques et des problèmes purementphilosophiques,
qui rend très difficile, sinon impossible, l'intelligence
des commentateurs des Sentences, à ceux qui n'ont pas
fait de très fortes études théologiques. En second lieu,
chez Pierre Lombard et chez ses commentateurs, les
problèmes philosophiques sur la nature divine ont
eux-mêmes leur distribution commandée, soit par le
dogme défini ou révélé, soit par la doctrine commune
de l'Église, soit par les données patristiques alors
connues, et par le sens où ces données étaient enten-
dues. On saisira la portée de cette remarque, si l'on
compare par exemple l'ouvrage théologique De Deo
uno de Franzelin avec la théodicée scolastique du
P. Hontheim. Ces deux catégories de traités ont au
fond le même objet, la nature divine en tant que con-
naissable par la raison; ils diffèrent cependant, non
seulement par l'ordre des matières, ce qui est de pre-
mière importance lorsqu'on suit, comme ils font, une
méthode déductive, mais encore par le choix des ques-
tions traitées, par l'importance accordée aux diverses
conclusions, et souvent par la nature même des argu-
ments employés. On sait que VHistoire de la scolasti-
que d'Hauréau fut d'abord un mémoire composé pour
un concours proposé par une de nos académies. Or,
l'Académie avait demandé un travail où l'on fit abstrac-
tion de la théologie des scolastiques. Cette condition,
contraire à la nature des choses, est, plus peut-être
que l'inlluence de Victor Cousin et du nominalisme
subjectiviste de M. Hauréau, la vraie raison de l'insuf-
fisance notoire du mémoire couronné et de VHistoire
qui en est sortie.
II. Doctrine des attributs ou noms divins aux xfet
xii' siècles. — Nous disons attributs ou noms divins,
pour bien marquer que nous ne prenons pas ici le
mot attributs dans le sens précis qu'il a reçu dans la
scolastique postérieure. <• Attribut » signifie donc ici
tous les termes, substantifs ou adjectifs, que nous
employons, avec l'Écriture ou la tradition, pour di li-
gner les perfections divines. Bien que saint Thomas
parle souvent autrement, c'est le sens qu'il a en vue,
lorsqu'il traite des noms divins. S uni. tlieol., I\ q. XIII.
Dans cette acception, la doctrine des attributs com-
prend en réalité tout ce que nous pouvons connaître
ici-bas de la nature divine, soit par la raison, soit par
la révélation.
1" Déduction des attributs. — Les procédés par
lesquels nous arrivons à connaître les perfections
divines par la raison naturelle, se réduisent à trois,
comme le remarquait déjà, au début du xiv« siècle, le
dominicain Hervé de Nédellec. Ou bien nous partons
de l'infinité' divine, du fait que Dieu est la plénitude
de l'être, supposé connu soit par la révélation, Ego
um, soit par l'idée uaturelle de Dieu, ensquo
m" " nequit, soit par démonstration, et nous
déduisons la pluralité des attributs; ",i bien nous pro-
cédons par voie de causalité, el cela dedeui manii
modo tic : quia Deut est agent primum et
ideo est agent pet intelleclum el volunta-
tem, • I Ibi dm cilù • t IntelL
per intel-
lectum, ibi est tapientia et tdentia;ei quia voluntas
■ m non extra te, ideo ibi est h, .min-.
et sic de a ■ nditur ex causali-
inir tic : Quidquid perfectionit eti limpliciter in
tffectu, "i m cauta;ted m creaturis in-
util, plura que
puta este '
ergo oportet talia pi Deo, qui est coûta oi
IV Sent., I. 1, diM il
q. I, Paris, 1647, p. 24. Or, l'emploi du premier pro-
cédé fait le fond du Proslogiwu et du Monologium de
saint Anselme, avec cette différence que, dans le pre-
mier de ces ouvrages, l'auteur part de l'idée de l'infini
qu'il suppose naturelle et spontanée, tandis que dans
le second il commence par prouver que Dieu est la
plénitude de l'être, en prenant pour base l'idée du sou-
verain bien. Voir col. 877,915. D'un autre côté, dans la
première partie du Monologium, non seulement saint
Anselme se sert du double procédé par voie de causa-
lité, mais il en fait la théorie, c. xv, P. L., t. clviii,
col. 162; et, sur ce sujet, on ne l'a pas dépassé. Tout
au plus faut-il reconnaître qu'Hugues de Saint-Victor
ajouta à la doctrine d'Anselme une précision impor-
tante, en insistant sur cette remarque, quod ralionem
creatnra recte considerala adjuvat ad cognoscevthon
Deum. De sacramentis, 1. I,part. III, c. xiv; Eruditio
didascalica, 1. VII, c. xv, P. L., t. clxxvi, col. 221,
823. Pierre Lombard, sans considérations spéculatives,
se contente de reproduire d'après les Pères la même
doctrine, Sent., 1. I, dist. III, c. i; cf. dist. XLIII,
contre Abélard.
Si l'on fait abstraction des controverses postérieures
sur la démonstrabilité par la raison de tel ou tel attribut,
par exemple l'unicité, la toute-puissance, l'infinité, sur la
valeur probante de tel ou tel argument emprunté plus
tard au péripatétisme ou au néoplatonisme, on peut
dire que la déduction des attributs, telle que l'ensemble
des théologiens la pratique encore aujourd'hui, n'a
fait, pour le fond des choses, aucun progrès depuis le
xne siècle; tout au plus l'agencement pédagogique de
nos traités est-il meilleur, bien qu'à ce point de vue le
Iei livre de VArs fidei d'Alain de Lille soit déjà très re-
marquable.
La déduction des attributs tient une large place dans
les textes du xii" siècle qui nous sont parvenus. En
faire honneur à Plalon,à Aristoteou au néoplatonisme,
c'estoublier quele xir siècle ne connaissait directement
de Platon que le Timée, qu'il ne put lire qu'assez tard la
Logique complète d'Aristote, et que l'influence, d'abord
latente, puis plus sensible, du néoplatonisme ne pou-
vait avoir, au point de vue qui nous occupe, que d'assez
fâcheux résultats. C'est à l'enseignement de la tradi-
tion chrétienne — les textes auxquels nous allons
renvoyer le disent clairement — que le XII* siècle em-
prunta la doctrine de la déduction des attributs, huis
l'impossibilité de passer ici en revue tous les attributs
divins, nous nous bornerons à ceux dont la connais-
sance nette est impliquée par les diverses décisions que
prit l'autorité ecclésiastique contre les erreurs qui se
produisirent durant cette période; en d'autres termes,
nous nous bornerons à ceux qui furenl l'objet des ques-
tions et des solutions agitées dans l'École, avant l'in-
troduction du péripatétisme irabe dans le monde latin.
1. Substantialité de Dieu. — Sur la substantialité
de Dieu, voir Yves de Chartres, Decretum, pari. I,
c. ii. /'. L., t. cxi. i, col. en. s. Anselme, Monologium,
c. xxvi sq., P. I . i clviii, col. 179; Gilberl delà
Porrée. De prsedicatione trium personarum, /' / .
t. i.xiv. col. 1304; De Trinitate, ibi:/., col. 1282, 1270.
lue question connexe esl celle qui concerne l'emploi
du mol essence en parlant de Dieu. La doctrine de
saint Augustin esl rapportée par Pierre Lombard, 1.1,
dist VIII, c. i. sirui oh m i/unii est tapere dicta •■*!
tapientia, ita ah eo quod est este dicta est essentia.
Kt, par être on entend la plénitude >\e l'être, comme il
apparat) par le contexte : Et qui* magit bst quam
ille qui m Exodi tertio dixil famulo tuo Moysi . '
Hum qui tum.
j ' nitéde Dieu, Evidemment on enseignait l'unité
iii\ in" i n mémi dogmi trinitain Mais
quand il d'expliquer la terminologie patris-
lique en cette matière, on était embarrassé On mal-
1159
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLA STIQUES
1160
tiplie les distinctions, cf. S. Bernard, De considera-
tione, 1. V, c. vin, /'. L., t. cixxxii, col. 799; Hugues
de Saint-Victor, Erudilio didascalica, 1. VII, c. xix,
P. L., t. clxxvi, col. 826; Alain de Lille, Régulée tlieo-
logicsc,reg. il, P. L., t. ccx, col. 624; Dislinctiones tlieo-
logicœ, v» Unum, ibid., col. 987. Mais la terminologie
reste confuse, parce que l'on n'a pas une connaissance
précise des sens spéciaux donnés à ce mot par les Pères
platonisants. Cf. Scheeben, La dogmatique, § 83, t. Il,
p. 193. La confusion ne lit que croître, lorsque l'on
reçut comme œuvre de Boèce, P. L., t. i.xiii, col. 1075,
le De unilate, que Dominique Gundisalvi avait com-
pilé d'après le néoplatonicien Avicebron. Cf. Correns,
Die dem Boethius fàlschlich zugeschriebene Abhand-
lung des Dominions Gundisalvi de unilate, dans le
t. i des Beitràge de Bammker, Munster, 1891; voir au
t. ni et vde la même collection les études de Witmann
sur Avicebron. On peut même dire que cette confusion
fut en partie la cause des obscurités dont s'enveloppa
alors la question des universaux. Cependant, sous les
embarras du langage, on retrouve sur l'unité divine,
non pas seulement le dogme de l'Église — ce qui n'est
pas ici en question — mais toutes les données tradition-
nelles. Sur l'unicité de Dieu, voir S. Anselme, Monolo-
gium,c. m, iv, ibid., col. 147; Hugues de Saint-Victor,
Desacramentis, 1. 1, part. III, c. xn, col. 220; Eruditio
didascalica, 1. VII, c. xix, col. 826; Pierre Lombard,
Sent., 1. I, dist. II, et à propos de l'unité du premier
principe des choses, 1. II, dist. I.
On sait que l'unité de singularité de Dieu se trouve
énoncée dans le concile du Vatican, Denzinger, n. 1631.
Pour défendre le texte proposé et accepté, un des rap-
porteurs cita Pierre de Cluny, Collectio lacensis, t. vu,
col. 106; il eût pu facilement citer aussi saint Anselme.
Le texte de Pierre Lombard, 1. I, dist. II, c. xxm-xxvi,
où l'accord de l'unité de singularité de Dieu avec la
trinitédes personnes est étudié, donna aux scolastiques
des âges postérieurs l'occasion de discuter les problèmes
suivants : an delur natura subsistens seu absoluta
subslantia communis tribus personis ; an delur perso-
nalilas realiter absoluta et communis. Ces problèmes
trouveront mieux leur place au mot Trinité. Il suffit ici
d'indiquer que le xnc siècle les rattachait à notre sujet
par une question de logique, comme on le voit dans
Pierre de Poitiers, Sententiarum libri V, 1. I, c.xxxm :
An hsec propositio sit singularis, Deus est ? Sous cette
forme la controverse a duré longtemps, les thomistes
soutenant que le nom de Dieu, si l'on fait abstraction des
personnes, est un nom commun. Cf. Lossada, Institu-
tiones dialecticx, disp. VI, c. v, Barcelone, 1882, p. 127.
Nous n'avons pas ici l'espace pour discuter la valeur
spéculative de cette opinion; il suffit de retenir que le
concile du Vatican a indiqué la singularité divine parmi
les moyens termes à employer rationnellement pour
éviter ou réfuter le panthéisme. Denzinger, n. 1631.
1650. Les mêmes passages du Lombard ont donné lieu
à une autre question. Il pense, 1. I, dist. XXIV, que les
termes numéraux, unus, duo, tria, ne se disent pas
de Dieu au sens propre, mais seulement dans un sens
négatif. Mais l'opinion commune de l'École s'est pro-
noncée contre lui, grâce à l'argumentation de saint
Thomas, In IV Sent., 1. I, dist. XXIV, q. i, a. 3;
Sum. theol., Ia, q. xxx, a. 3; De potentia, q. ix, a. 7;
voir les scholies de l'édition de Quaracchi de saint Bona-
venture, t. i, p. 422, 426. L'accord de l'Ecole nous est
manifesté par la liste d'articles qui, au moins à partir
du xve siècle, se trouve dans tous les manuscrits ou
éditions de Pierre Lombard, et qui est intitulée : arti-
culi in quibus Magister non lenelur communiter ab
(minibus. La formule est respectueuse, mais en réalité
l'université de Paris défendait d'enseigner ces articles,
dont trois seulement concernent la nature divine. Le
1er est ainsi libellé : Quod nomina numeralia dicta de
Deo dicuntm- solum relative, dist. XXIV, c. Kl si dili-
genter; vel fixe nomina numeralia trinus el trinitas
non dicunl positionem sed privationem tantum. l'.L.,
t. cxcii, col. 962. l'ne autre proposition connexe
celle-ci concerne le semblable et Végal dont le sens.
'-irait également privatif. Cf. S. Bonaventure, In IV
Sent., 1. I, dist. XXXI, a. 1, q. i. Le 3e article concerne
la toute-puissance, et nous le retrouverons plus loin.
3. Simplicité divine. — Sur l'uni té de simplicité ou.
comme on parle ordinairement, sur la simplicité divine,
les textes principaux se trouvent dans S. Anselme,
Monologium, c. xvi sq., col. 161; Proslogion, c. XXII,
col. 238; S. Bernard, De consideratione, 1. V, c. vu,
col. 797; Sermones in Canlica, serm. i,xxx, P. L.,
t.CLXXXin, col. 1169; Richard de Saint- Victor, De Trini-
tale, \.l,c.xmsq.. P. L.,l. exevi, col. 897 sq. ; enfin et
surtout dans Pierre Lombard, 1. 1, dist. VIII, c. m, où la
doctrine est prouvée d'abord par l'autorité des saints
Augustin et Hilaire, puis par voie d'exclusion : il n'y a
en Dieu composition ni de sujet et d'accident, ni de-
matière et déforme, ni départies intégrales, ni de per-
fections et de l'être qui les possède; d'où il suit que
les catégories de la dialectique ne conviennent pas à
Dieu. Cf. Alain de Lille, Ars fidei, 1. 1, vin; Theologicm
regulse, reg. vin, P. L., t. ccx. col. 600. 627, et la 8« règle
de Boèce exposée par Gilbert de la Porrée, In librum
quomodo substanlise bonse sint. P. L., t. lxiv, col. 1321.
4. Immutabilité. — L'immutabilité divine est en-
seignée par saint Anselme comme corollaire de l'éter-
nité, de l'omniprésence et de la simplicité. Monolo-
gium, c. xxv, col. 178; voir Cur Deus homo, 1. II.
c. xvii, ibid., col. 419. Hugues de Saint-Victor, comme-
saint Bernard, In Cantica, serm. lxxx, n. 5, P. /..,
t. clxxxiii, col. 1 169, déduit cet attribut de la simplicité ;
et, conformémentà son principe de procéder par induc-
tion en partant des choses finies, il se sert de l'immu-
tabilité comme de moyen terme, pour exclure toute
mutation temporelle et spatiale en Dieu, c'est-à-dire
pour prouver l'éternité et l'immensité divine. De sacra-
mentis, 1. I, part. III, c. xm; Eruditio didascalica,
1. VII, c. xix, ibid., col. 220, 827. Cet ordre est celui
que suit saint Thomas dans la Somme théologique, où
l'immensité et l'éternité sont déduites de l'immutabilité,
cf. Jean de Saint-Thomas, In /am, disp. III, a. 2, n. 1 ;
mais Hugues ne prend point pour base première,
comme saint Thomas, l'immobilité du premier moteur.
Procédant surtout par voie d'autorité, Pierre Lombard
traite de l'immutabilité avant de parler de la simplicité,
1. I. dist. VIII, c. n.
5. Spirittialité de Dieu. — La spiritualité se dit de
Dieu en plusieurs sens, tous vrais, mais inégalement
compréhensifs. Esprit est pris quelquefois pour le sim-
ple équivalent d'incorporel, incorporel s'entendant au
sens purement négatif. Cf. S. Thomas, De potentia,
q. ix, a. 7, ad 2um. En ce sens, les formules, Dieu est
esprit. Dieu n'est pas un corps, excluent l'anthropomor-
phisme et le grossier monisme matérialiste, mais ne
nous renseignent pas sur la nature intrinsèque de
Dieu d'une façon positive, parce que, dit saint Thomas.
loc. cit., le procédé d'éminence ou de causalité n'in-
tervient pas. Je n'ai pas souvenir d'avoir rencontré
cette acception au cours du XIIe siècle. Si l'on oppose
esprit à matière, spirituel à corporel, non plus seule-
ment avec l'appréhension que la division est logique-
ment adéquate, mais avec la vue intellectuelle du con-
tenu positif des deux membres de la division, les-
formules, Dieu est esprit, Dieu n'est pas un corps,
prennent un sens positif qui implique l'essentielle
supériorité de l'esprit sur la matière. C'est dans ce
sens que prend le terme esprit, saint Anselme. Monolo-
gium, c. XXVII, col. 1S0: Quoniam non noscilurdignior
essentia quam spiritus aut corpus, et ex his dignior
est spiritus quam corpus : utique eadem [essentia seu
1161
DIEU (SA NATURE SELOxN LES SCOLASTIQUES;
1162
substantia divina] asserenda est esse spirilus, et non
corpus. Le contenu positif de la notion de spiritualité
et la supériorité de l'esprit sur la matière peuvent
s'expliciter de plusieurs manières. D'abord, au point
de vue physique, à l'aide des notions d'indivisibilité,
d'extension ou de diffusion virtuelles, d'indépendance
des relations locales ou temporelles. On trouve des
traces de cette façon de concevoir la spiritualité, dans
saint Anselme, loc. cit.; cf. ibid., c. xxm, col. 176;
dans saint Bernard, De consideratione, 1. V, c. vi,
P. L.. t. clxxxii, col. 796; dans Hugues de Saint-Victor,
Eruditio didascalica, 1. VII, c. xix, ibid., col. 828, et
dans Alain de Lille, parlant après le Trismégiste de la
sphère intelligible dont le centre est partout et la cir-
conférence nulle part. Theologicee regulse, vu, P. L.,
t. ccx, col. 627. Cf. Baumgartner, Die Philosophie des
Alanus de Insulis, Munster, 1896, p. 118, 128, au
t. m des Beitràge de B;cumker. Cette conception n'a
rien de surprenant chez des penseurs aussi nourris de
saint Augustin. On peut aussi s'expliciter la notion de
spiritualité, au point de vue psychologique, par les
opérations de la vie intelligente et volontaire, par la
conscience psychologique : propriétés et fonctions qui
ne conviennent pas à la matière et ne dépendent pas
d'elle. En ce sens « esprit » signifie être intelligent et
conscient de soi; « pur esprit » signifie être intelligent
et conscient, absolument dégagé des imperfections de
la matière. Nous dirons plus loin comment un argu-
ment, emprunté par saint Thomas à Avicenne, de
l'aveu de Capréolus, amena dès le xiv siècle les
scolastiques à se demander si l'indivisibilité physique
est la raison formelle de l'intellectivité. Sans traiter
cette question abstruse, dont la Hiérarchie céleste du
pseudo-Denys suggérait pourtant l'idée, le xne siècle
se contenta de prendre pour matériellement équiva-
lentes les deux conceptions, et prouva l'intellectualité
divine soit par l'argument général de l'ordre du monde,
soit par la considération du miroir intérieur. Cf. Hugues
de Saint-Victor, De sacramentis, 1. 1, part. III, c. VI sq.,
col. 219; Eruditio didascalica, l.VII, c. XVI sq., col. 823 ;
De cxlesli hierarchia, 1. III, P. L., t. CLXXV, col. 977.
Voir aussi Pierre Lombard, 1. [, dist. XXXV, XLV.
6. Omniprésence. — Pour achever l'énumération
des problèmes sur les attributs qu'étudia spécialement
le xne siècle, il faut dire un mot de l'omniprésence el
de la toute-puissance. Ilonorius d'Autun, à la question
JJbi habitat Deus? répond dans son Elucidarium, '■'>.
i'. /.., t. ci.xxii, col. 1111 : Quamvis ubique potentia-
liter, lamen in intellecluali cxlo substanlialiter, et le
ciel intellectuel est le troisième, où la sainte Trinité
est vue face à face ; on dit qu'il est partout parce que
dans le même moment où il dispose tout en Orient, il
dispose tout en Occident, ce que ne peut pas faire par
exemple un ange. D'après une lettre de Gauthier de
Morlagne à Thierry de Chartres, ce dernier répétait
souvent que I lieu n'est point substantiellement partout,
mais seulement par sa puissance. Cf. d'Achery, Spici-
legium, Paris, 172.'!. t. m, p. Ô22. Depuis Bayle, la
tradition de ranger certains scolastiques parmi les pan-
théistes est de mise; \i. Hauréau, Histoirede la phi-
losophie tcolattique, Paris, 1*72. t. i. p. .'(12, puis
M. Clerval, Let école» de Chartres au moyen dge du
le, Paris, 1895, ont fait de Thierry un
pantb parce qu'il dit que Dieu est la fornfe de
des chose ioil parce qu'il aurait <"-cri t : oi
i/imii est, i h Deo est, quia unum est. Hauréau, Notù et
el extraits, Paris, 1890, t. i. p. 83. Hais M. Bœumker
a remarqué que la lecture de M. Hauréau es) fautive;
il but lire simplement, omne quod est, ideo rsi , quia
unum est, phrase qui n'étonnera aucun lecteur de
ou d'Alain de Lille. Archiv fur Geschichte det
Philosophie, Berlin, t. \. p. 138. Quant A la formule,
'lu mitas singulit rébus forma r
composée d'un mot de Boèce qui appelle Dieu forma,
et d'un mot de Denys qui dit que Dieu est l'esse om-
nium. Sans avoir recours aux considérations par les-
quelles M. Breumker pense laver du soupçon de pan-
théisme le pseudo mystique Eckart — voir la discussion
approfondie du sujet à propos de Wicliff dans Thomas
Waldensis, Doctrinale antiquilalum fidei catholiese,
Venise, 1757, t. i, 1. I, a. 1 — cette formule s'explique
fort bien par la phraséologie du xne siècle. Après
Boèce, Gilbert de la Porrée et Alain de Lille appellent
Dieu forma, dans le sens de cause, cf. Baumgartner,
Alanus de Insulis, p. 126; et Thierry de Chartres
n'entend pas le mot autrement, puisqu'il ajoute, après
avoir parlé de la production de la lumière et de la
chaleur par les corps chauds et lumineux : ila sin-
gulse res esse suum ex divi7iitate sortiuntur ; d'où il
conclut à bon droit que tout ce qui existe n'est que
parce que Dieu, l'unité supérieure, en qui se trouve
toute perfection, existe. Bien de plus augustinien et de
plus orthodoxe. Cf. S. Augustin, De moribus mani-
chseorum, c. VI, n. 8, P. L., t. xxxn, col. 1348; De
vera religione, c. xxxn, xxxiv, n. 63, P. L., t. xxxiv,
col. 150. M. Hauréau pense que la présence substan-
tielle de Dieu partout, communément enseignée par
l'École, est la doctrine même de Proclus et de Spinoza ;
mais, s'il en est ainsi, comment reprocher le pan-
théisme à Thierry de Chartres, qui, dans le passage
même que l'on allègue, rejette la doctrine de l'ubi-
quité essentielle? Thierry, en effet, garde le mot, Deus
lotus el essentialiter ubique esse vere perhibetur;
mais l'explication qu'il en donne nie la doctrine com-
munément admise, puisqu'il explique l'ubiquité divine
par la seule opération de Dieu, et réduit la présence
par essence à ce qu'on appelle en scolastique la pré-
sence par puissance, comme le lui reproche justement
Gauthier de Mortagne. En réalité, loin d'être pan-
théistes, c'est pour mettre en relief la transcendance
de Dieu, qu'Honorius d'Autun et Thierry ont mis
en question ou nié ce que l'on appelle souvent au-
jourd'hui, non sans équivoque, l'immanence divine.
Mais l'enseignement traditionnel sur l'omniprésence
divine, exprimé par Hildebertdu Mans dans une prière
rythmée du i;enre de celles que l'on attribue commu-
nément à saint Thomas, Carmina, LUI, P. /.., t. CLXXI,
col. 1441, fut appuyé de ses raisons dogmatiques par
Gauthier de Mortagne, loc. cit., mis en lumière et bien
distingué du panthéisme par Hugues de Saint-Victor,
Eruditio didascalica, 1. VII, c. xix,col. 828; De sacra-
mentis, 1. I, part. III, c. xvn, col. 223; Allegorim m
Novum Teslamentum, 1. V, P. L., t. clxxv, col. S57;
et soutenu par Pierre Lombard, 1. I, dist. XXXVII.
Cf. Anselme, De fide Trinilatis, c. iv, /'. L.. t. CLVIII,
col. 273; Richard de Saint-Victor, De Trinitate, 1. H.
c. XXIII, P. L., t. CXCVI, col. 913; pour la critique des
textes allégués parle Lombard, voir S. Bonaventure,
édit. Quaracchi, t. i, p. 632, 648. La doctrine du Maître
des Sentences passa dans la scolastique, cf. S. Thomas.
Sum. theol., K q. vm, a. :ï, et s. Bonaventure, In IV
Sent., 1. I. disl. XXX\ II. p. I,a.:i, q. II. H le SrluilniU de
Quaracchi. Ce ne fut que plus tard qu'on discuta entre
thomistes et scotistes de la valeur de l'inférence est
in/iu.ni immediato omnipotentiet ad ejus immenst-
tatem el indistantiam u rebut, puis de la question
connexe de la présence divine dans les espaces Imagi-
7. Toute-puissance, — Le dogme de la liberté de
Dieu dans les ouvres ,ui eatra est des plus importants,
non seulement pour la théologie de l'ordre surnaturel
oii nou^ sommes 1 1 qui dépend, soit pour l'incarnation
ii i,, rédemption, soit pour Is prédestination, du mi -
rdieui bon vouloir de Dieu, mais aussi i r la
théologie naturelle, rien ne mettant plu- eu relief la
transcendance absolue de Dieu, que la pleine Indépen-
1163
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES
1164
(lance de l'acte créateur et de la divine providence.
Aussi ces difficiles problèmes furent-ils grandement
agités au xn siècle, qui écrivit beaucoup sur la pre-
science et la prédestiaation. Cf. Mignon, Les origines
de la scolaslique, t. i, c. VI, p. 231. Ce fut à leur occa-
sion qu'Abélard, en dehors de toute tradition, comme
il l'avoue lui-même, P. L., t. CLXXVIII, col. 1098, inventa
la fameuse formule de son optimisme : cum id lantum
Deus facere possit quod euni facere convertit, nec euni
quidquam facere convertit, quod facere praternnt-
tat, profecto id soluni euni facere posse arbitror,
quod quandoque facit. Jnlroductio ad tlteologiam,
1. III, c. v, ibid., col. 1093; Theolog. chrisliana, 1. V,
col. 1324. L'histoire des doctrines nous a appris que
cette formule était grosse d'erreurs multiples, qui ont
été développées d'abord par maître Kckart, Denzinger,
n. 428; puis par Wicliff, Trialogus, 1. I, c.xi, cf. Wal-
densis, op. cit., I. I, c. x; par Leibniz, Essais de théo-
dicée, part. I, n. 8, et passim, édil. Gerhardt, t. vu
p. 107; Dererum originatione radicali, t. VIII, p. 304,
cf. Legrand, De incarnat., diss. V, dans le Tlieologiœ
cursus complétas de Migne, t. ix, col. 528; enfin, par
Hermès et Gùnther, cf. Kleutgen. Théologie der Yor-
zeit, Munster, 1867, t. i, n. 290, 327, 208, 228, 278;
Philosophie scolaslique, n. 129, 510. Le concile du Va-
tican a défini contre toutes ces erreurs la liberté ab-
solue de la création. Denzinger, n. 1632. Le xne siècle
ne démêlait sûrement pas, comme nous pouvons le
faire par suite des développements donnés plus tard à
la pensée d'Abélard, toutes les conséquences de l'opti-
misme. Mais il eut pleine conscience de la fausseté de
la nouvelle doctrine. On trouvera à l'article OPTIMISME
les arguments théologiques ou rationnels par lesquels
les écoles catholiques établissent aujourd'hui la thèse
contraire. La substance de ces arguments Ihéologiques
se trouve déjà dans Guillaume de Saint-Thierry, Dis-
pulatio adversus Abœlardum, c. VI sq., P. L.,
t. clxxx, col. 266, et dans saint Bernard, Epist., exc,
c. v sq., P. L., t. clxxxii, col. 1062; cf. col. 1049. L'au-
teur inconnu de la Disput. adv. Abœlardum, P. L.,
t. clxxx, col. 318, argumente plus philosophiquement,
ainsi que Robert Pulleyn, Sent., 1. I, c. xvi, P. L.,
t. clxxxvi, col. 709; cf. col. 1020. Mais Hugues de
Saint-Victor approfondit davantage ce problème philo-
sophique. De sacramenlis, 1. I, part. II, c. xxn,
P. L., t. clxxvi, col. 214; cf. Summa sent., ibid.,
col. 68; Erudit. didasc, 1. VII, c. n, ibid., col. 839.
On remarquera qu'aucun de ces auteurs ne rapproche
l'erreur d'Abélard sur la toute-puissance, de son hé-
résie sur le Saint-Esprit, âme du monde, non plus que
de sa théorie de l'amour. Ces rapprochements, que la
suite de l'histoire de l'optimisme a suggérés à quelques
écrivains récents, ne paraissent pas avoir été dans la
pensée du xn° siècle. Voir d'ailleurs t. I, col. 46. Pierre
Lombard ici encore synthétisa le résultat de la contro-
verse, 1. I, dist. XLII-XLIV. Mais il accepta une expo-
sition nominaliste delà formule, Deus polesl quidquid
poluit, que l'École rejeta unanimement, comme on
peut le voir dans saint Bonaventure, In 1 V Sent. ,1.1,
dist. XLIV, a. 2, q. I. Sur le texte de ce passage du
Lombard, comme aussi sur la distinction XXX, la
scolastique postérieure greffa bon nombre de questions,
entre autres celles-ci : an omnipolentia sil attribution
ratione dislinctum a voluntate et essenlia Dei; an
ab omnipolentia sit implicantia et non implicantia
creuturarum ;an omnipotenlia referatur ordine trans-
cendentali ail creaturas possibiles. Bien que sur ces
sujets on puisse trouver dans un sens ou dans l'autre
des bouts de phrases dans les auteurs du xne siècle,
surtout si l'on procède par voie de déductions et de con-
séquences, il faut reconnaître que bien des précisions,
qui nous sont aujourd'hui familières, ne l'étaient à per-
sonne à l'époque de Pierre Lombard. Et il en est de même
dans un grand nombre d'autres cas. 11 ne faut pas
demander au premier siècle de la scolastique de solu-
tions explicites â tous les problèmes que sept siècles
de rigoureuse analyse ont soulevés.
2° Portée ontologique des attributs. — 1. De tout
temps, comme le remarque saint Thomas, Sum. theol.,
Ia, q. xm, a. 2, la pensée des fidèles, en donnant à Dieu
certains noms, et en refusant de lui en appliquer cer-
tains autres, a été de porter des jugements de valeur
objective, non seulement sur l'existence, mais encore
sur la nature intrinsèque de la divinité. On ne peut
pas expliquer autrement pourquoi l'Ecriture et la tra-
dition nient de Dieu, par exemple, la corporéité. et
affirment de lui, par exemple, la sagesse. Bien plus,
de tout temps, l'Église a eu la conscience réfléchie,
non seulement de la valeur ontologique des attributs,
mais encore des conditions de notre connaissance de
Dieu : Deus est invisibilis ; lnvisibilia ipsius per ea
quse facla sunt intellecta conspiciuntur, et des limites
de cette connaissance : Deus est inconiprehensibilis,
ineffabilis. Franzelin a fort bien mis en relief la per-
pétuité de la tradition sur tous ces points, dans les deux
premières sections de son Tractalus de Deo uno ; et,
en particulier, il a fort bien montré, th. vi, que,
d'après la tradition chrétienne, nous ne saisissons la
perfection divine que par le moyen de la connaissance
que nous avons des perfections créées, et donc seule-
ment, par des concepts non immédiats mais dérivés, en
terme d'École, par analogie logique.
Sur tous ces points, la tradition était bien vivante
durant la période que nous étudions. Aucun doute ne
saurait s'élever à propos de Pierre Lombard, tant il est
catégorique, 1. I, dist. III, et tant il insiste sur notre
connaissance de Dieu par « similitude et par vestig
Quant à saint Anselme, bien qu'il admette et l'argu-
ment qui porte son nom. et la théorie augustinienne
de l'illumination, il se souvient toujours que la lun
divine est inaccessible, et que nous en concevons la
beauté seulement par de pâles rellets épars sur les
créatures. Habes enim lace, Domine Deus, in (<■, tuo
ine/fabili modo, qui ea dedisti rébus a te crealis suo
sensibili modo. Proslogior, . c. XIV, XVII, col. 236. Il
connaît d'ailleurs la doctrine des idées représentatives,
conservée, durant le haut moyen âge, par les commen-
taires alors connus du De interprelatione d'Aristote
et surtout par l'usage qu'en avait fait saint Augustin
dans l'explication du mystère de la génération du
Verbe. Monologium, c. xxxill, col. 188. On trouve la
même doctrine chez Hugues de Saint-Victor, De sacra-
mentis, 1. 1, part. III, P. L., t. clxxvii, col. 217 ; Erud.
didasc, 1. VII, c. i, ibid., col. 813.
2. La partie critique donne la même impression que
la partie didactique de ces écrits. On connaît les écrits
du pseudo-Denys, où le symbolisme de notre connais-
sance de Dieu est mis si fortement en relief, et la su-
périorité de la voie de négation si vivement affirmée.
depidsioncs [negationes] verse, intentiones [affirma-
liones] incompactœ. Cœlestis liierarchia, c. Il, J'. L.,
t. cxxn, col. 1041. Telle est, commente Hugiii
Saint-Victor, la transcendance de l'invisible et incom-
préhensible essence, qu'on l'exprime mieux en disant ce
que Dieu n'est pas, qu'en disant ce qu'il est, Expositio
in Hier, cselesl. S. Dionysii, 1. III, P. L., t. clxx\ .
col. 974. Mais, remarque le même auteur, il n'en reste
pas moins que certains noms divins sont des ternies
figurés, et que d'autres, bien qu'ils restent absolument
inexhaustifs, sont pris au sens propre. Car, si quelqu'un
disait que Dieu est un corps, tout le monde y verrait
une erreur, tandis que tout le monde tient pour vrai
qu'il est un esprit. Nunc ergo usque manenl figura:,
et ex ipsis qtuedam longe sunt, et apparent quod sunt
similitudo lantum ;quœdam vei opropriœ sunt. etacci-
piuntur quasi pro veritale, cum sunt lantum signa
1165
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES)
1166
veritatis et non veritas — d'après le contexte, la vision
intuitive seule nous donnera la vérité telle qu'elle est
en soi. Ibid., col. 977 sq. Cf. Thomas, Sum. theol., Ia,
q. xu, a. 2.
Cette question de la vérité, ici incidemment intro-
duite, fut nettement posée par Pierre Lombard, 1. I,
dist. VIII, c. i, De veritale et proprietate divines essen-
tise. Et ce passage servit plus tard de moyen terme aux
scolastiques qui essayèrent de concilier le péripaté-
tisme, soit avec l'argument de saint Anselme, soit avec
la théorie de l'illumination, comme on peut le voir, par
exemple, dans saint Bonaventure : Utrum divinum
esse sit adeo verum, quod non jwssit cogilari non esse.
In IV Sent., 1. I, dist. VIII, p. i, a. 1, q. il. Cette
notion transcendentale — au sens scolastique — de la
vérité ne parait pas cependant avoir beaucoup préoc-
cupé le xiic siècle. Il en fut autrement des trois autres
trancendantaux, ens, unum et bonum. D'après Aristote,
ens, unum, verum et bonum convertuntur. liais cer-
tains textes de Boèce et de Denys l'Aréopagile ne pa-
raissaient pas s'accorder avec ce principe. Il nous faut
faire ici connaître ce qu'en écrivirent Gilbert de la
Porrée et Alain de Lille, soit parce que ce fut à cette
occasion qu'ils traitèrent du sujet qui nous occupe,
soil à cause de l'influence de leurs écrits sur la scolas-
tique plus récente. Ce sont d'ailleurs les plus graves
problèmes qui s'agitent sous ces abstractions.
à) Gilbert de la Porrée. — Un opuscule de Boèce,
Quomodo substantise bonxsint, P. L., t. lxiv, col. 1314,
plus souvent désigné par les scolastiques sous le titre
De hebdomadibus, donne à Gilbert l'occasion de se
poser la question du bien et de l'être. Il prend pour
point de départ la formule célèbre diversum est esse,
et id quod est. Il est généralement admis que, par
celte formule, les néoplatoniciens païens enseignaient
la distinction réelle de l'essence et de l'existence, dis-
tinction qui leur servait à concevoir Dieu comme l'être
indéterminé. Il est grandement controversé de savoir
si l'éclectique lioece, qui reproduit cette formule, l'en-
tend au même sens que les néoplatoniciens à qui il
l'emprunte; ou il faut liien noter, qu'on peut admettre
la thèse de la distinction réelle avec Plotin, et ne pas
le suivre dans les conséquences qu'il en déduit. Nous
pensons qu'on peut soutenir avec quelque probabilité
que Boèce pense sur cette distinction réelle comme les
néoplatoniciens, cf. ibid., col. 1250; et qu'on peut par
conséquent \ traduire esse par Sein, existence; idquod
est, par Wesen, essence, comme fait M. Bae ker, Die
Impossibilia des Sigei von Bradant, Munster, 1898,
p. 124, t. h des Beitrâge. Bien qu'une grande partie du
moyen figeait interprété autremenl le laineux Liber de
causis, on peu! tenir pour certain que l'auteur enten-
dait ici les choses comme Plotin et Proclus. Mais il est
également sûr que, malgré son réalisme outré sur
d'autres points, Gilbert ai tte distinction réelle,
et donné un tout autre mus a la formule de lioéce.
Il avait, en effet, quelque peine à accorder cette for-
in ii le au sens où l'entendaient, comme il nous l'apprend,
tous les théologiens de son temps, avec Ba propre pli i—
losopliie. D'après lui, c'est un premier principe de
philosophie que l'humanité n'es) pas l'homme, qu'elle
que la forme par laquelle Socrate ou Platon est
homme : formule où il faut remarquer que le mol
for n'esl pas pris au sens péripatéticien de la sco-
lastique postéi i< née. eu- Gilbert n'a pas lu la Physique
ou l'Animastique d' Aristote. Donc pour lui, philosophi-
quement, la formule : divenum i id quod
- un eti esse, ntia
nue est " le, tl id quod est, id est iub$i$tent
ni quo est et corpus, hu-
manita el homo, col. 1318. il eal évident que s il eûl
appliqué ci eti 1 existi n i di
Dnies, il eûl comme beaucoup d'autres
depuis, la distinction réelle de l'une et de l'autre. Mais,
remarque-t-il dans le même passage, les théologiens
conçoivent les choses tout autrement. Quand on dit en
théologie qu'un corps est, qu'un homme est, ou qu'un
homme est bon, l'être se dit par une dénomination ex-
trinsèque, fondée sur l'être et l'action du premier prin-
cipe; de même pour la bonté, col. 1330. Car. d'une
manière générale, les théologiens ne disent pas que,
par la corporéité, un corps existe, ou par l'humanité
un homme; ils disent seulement que, par la corporéité,
par l'humanité, un corps, un homme sont dans la caté-
gorie des réalités objectives, sunt aliquid ; quant à leur
existence, elle n'est que par l'être el l'opération du
premier principe et c'est en ce sens que Boèce appelle
celui-ci la forme, et Denys, l'être de tout. F.rgo cum
dicitur, diversum est es_se, et id quod est, secundum
theologicos quidem intelligilur, esse, id quod est prin-
cipium; id quod est vero, illud quod est ex principio.
C'est à l'aide de cette conception qualifiée de théolo-
gique, c'est-à-dire de traditionnelle, que Gilbert fait le
départ de l'infini et du fini, de l'être par essence et de
l'être par participation, de la bonté première et des
bontés dérivées, au sens augustinien des termes. Exis-
tence et bonté se disent donc des créatures par déno-
mination extrinsèque, avec connotation de la causalité
divine.
Une autre maxime de Boèce le met en présence du
problème de l'unité : omne simplex esse suum, et id
quod est, unum Itabet. II se souvient ici qu'il ne faut
pas distinguer clans les attributs divins le quod est et
le quo est, l'abstrait et le concret; aussi renonce-t-il à
justifier l'adage par des exemples naturels ou mathé-
matiques : Hoc in solis theologicis exemplari potest ;
nim omnia naturalia, non modo creata, sed etiam
concreta sunt. Cette composition de tout ce qui n'esl
pas Dieu consiste en deux choses : d'abord, dans tout
ce qui est fini, l'abstrait et le concret différent réelle-
ment; c'est, dit-il, le sens philosophique de cette autre
maxime de Boèce : omni composito, aliud est esse,
aliud ipsum est, col. 1321; ensuite, tout être fini est
composé au sens théologique. En effet, tout ce qui
n'existe point par soi, c'est-à-dire en vertu de son
essence, mais par une cause, n'est point dans l'ordre
îles réalités précisément par son exislence;ct ainsi tout
être contingent est composé, concrelum atquecomp
tum,quoniam aliud est quod est, aliud quo est, col. 1321.
Dieu, au contraire, est absolument simple, et c'est de
lui seul qu'on peut dire que son existence et sa réalité
objective sont absolument identiques, esse suum, et id
quod est, unum liabet. Car, vu la nécessité' absolue de
son être, il est précisément ce qu'il est par le fail
même de son existence, ipse vero codem quo est, ali-
quid est ; el est vere in co quod est, el vere id quod
est, col. 1320.
Mais nous ne pouvons pas exprimer, comme elli
en soi, cette simplicité : quoniam non habemus illi
cognatos quibus de ipso loquamur semtones, a >mtu-
ralibus ad ipsum verba transuuiimus, dicentes : lu
I qua ipse est. et Juleulia qua pntens
est, et sapientia qua sapiens est, el hujusmodi; non
i cogilamus ab essenlia, qua illuni esse prstdù
a/m aul sapienliam cjus, quibus quasi
esse aliquid dicimuseum, de quo oninino neescimus,
nec sine possumus quid sit, in illa ratit
.mi. El lanla in illo est. sub bar hoTWIX nomi-
num diversitate, non dico rerum unio, sed rei lin-
gularis, et simplicis, et individus! unitas, ut de eo
• r : non modo Deut est, ' potsns,
ruru elian\ Dt :'~u-
\ia, D< tu est ipsa sapientia el huflismodi. Rien d
plus classique, mais Gill i eo
quodvereesl implex, dicai est, et iteni dicat
aliquid, nullut intelligi •
1167
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES)
1108
tione prsedicaverit de ipso aliguid proprieiale aliqua
diversum ab eo, quod prsedicaverat in prima. Sans
doute, la phrase a un sens orthodoxe; c;ir on lit dans
saint liernard : Si bonum, si magnum, si beatum, si
sapientem, vel quidquid laie de Dca dixeris; in hoc
verbo instauratur, quod est, bsi'. Nempe hoc est ci
esse, quod hsec omnia esse. Si et centum lalia addas,
non reccssisli ab esse. Si ea dixeris, nihïl addidisli ;
sinon dixeris, niliil minuisti, De consideratione,\. V,
c.YI,n.13, P. L., t. ci.xxxn,col. 795sq.; de même saint
Anselme écrit : Quemadmodum ilaqne unum est
quidquid essentialiler de summa substanlia dicitur,
ila ipsa uno modo, un a considcralione est, quidquid
est essentialiler, Monolocjium, c. xvii, P. L., t. CLVII,
col. 166; et ailleurs : imo lu es ipsa imitas, nullo
inteUeclu divisibilis. Proslogion, c. xvm, ibid.,
col. 237. Cf. Hurtado de Mendoza, Universa pkiloso-,
pliia, Lyon, 1624, Metaph., disp. VI, sect. iv, n. 125;
Oviedo, Cursus philosophicus, Lyon, 1640, Metaphys.,
cont. IV, p. vin, n. 16; d'Aguirre, Theologia S.An-
selmi, t. i, disp. XXXI, sect. IV. Mais, si l'on peut à
bon droit voir dans les textes de ces docteurs la néga-
tion des précisions objectives, on n'y trouve pas,
comme chez Gilbert, l'insinuation de la négation de
tout fondement prochain à la distinction que nous
faisons des attributs ; à lire, en effet, Gilbert, on sent
qu'il n'a pas élucidé la fumeuse question de eodem et
diverso, qui est au fond du problème des universaux.
Que répondrait-il, en ellèt, si on lui objectait qu'à ce
compte tous les noms divins sont synonymes? Nous
l'ignorons.
Mais il est certain que, devant l'infini, la plénitude
de l'être, est, Gilbert ne recourait pas à l'agnosti-
cisme. Nec ait, remarque-t-il sur un mot de Boèce à
propos de la Trinité, non intelligi potuil, sed vix in-
telligi poluit. Quibus verbis ostendit neque diclio-
nem liane a noslrse locutionis usu omnino abhorrere,
neque rem omnino ab liumanm inlelligentiee sensu
remotam ; sed ex aliqua rationis proporlione tran-
sumptum sermonem, rem ipsam, sicut est, minime
posse explicare. De Trinilate, P. L., t. lxiv, col. 1293;
cf. col. 1283, 1306. Nous ne disons pas autre chose
aujourd'hui : tirée des créatures, notre connaissance
de la nature de Dieu garde toujours quelque chose de
métaphorique, cf. Yasquez, In Pm, disp. LVII, n. 6,
puisqu'elle n'est pas immédiate; elle est donc très
imparfaite, inadéquate, mais vraie.
Gilbert, dans son commentaire des Semaines de
Boèce, ne parvient donc à concilier sa philosophie
avec le dogme de la simplicité divine, qu'en renonçant
à appliquer à Dieu son réalisme, outré, ou, pour parler
sans équivoques, son principe de la composition réelle
du quod est et du quo est. L'accord entre la vérité
philosophique et la vérité dogmatique s'obtient uni-
quement par le recours à des dénominations extrin-
sèques pour expliquer l'être et la bonté des créatures.
C'est, d'après lui, le sens de la formule patristique de
l'être et de la bonté participés des choses, col. 1330.
Cf. S. Thomas, De verilate, q. xxi, a. 4; voir t. n.
col. 835. Dans ses principes réalistes, Gilbert dit
expressément ne voir pas d'autre moyen d'éviter le
panthéisme que cette concession au nominalisme,
col. 1326.
b) Alain de Lille. — Alain essaya une voie meilleure
de conciliation entre la philosophie et l'enseignement
traditionnel . Alain, qui ignora le néoplatonisme comme
tout son siècle et le suivant, est déjà mieux renseigné
que Gilbert sur le véritable sens des formules des
écrivains platonisants, grâce au De unitale de Gundi-
salvi qu'il attribue à Boèce, grâce aussi au fameux
Liber de causis. Il prend pour point de départ com-
mun de sa théologie, de sa philosophie et de son inter-
prétation de Boèce ou de Denys, l'unité de la monade.
Théologies regulœ, reg. i, /'. L., t. ccx, col. 623.
Dieu est la seule véritable monade, id est, si, lus Deus
vere exislil, id est, simpliciter et immutabilité/- ens:
caetera aulem non sunl, quia nunquam in eodem
statu persistunt. Beg. Il, col. 624. D'où suit le prin-
cipe de la parfaite simplicité divine : Deus est eux
quodlibet quod est, est esse omne quod est. Cf. S. Au-
gustin. De Trinilate, 1. VII, c. i; 1. XV, c. v, P. L.,
t. xlii, col. 933, 1062. D'où suil, car Alain est très déduc-
tif, omne simple.c esse suum, et id quod est, unum
habet.Reg. xi, col. 628. Dans le fini —l'existence et la
bonté mises à part, comme on l'a vu, par le moyen
de dénominations extrinsèques — le réalisme outré de
Gilbert imagine partout des compositions, et par suite
des distinctions réelles : aliud quod est, aliud quo
est, l'humanité et un homme sont deux entités. Alain
retient la formule consacrée, mais l'entend dans le
sens du réalisme modéré de Jean de Salisbury qui
triomphera au x 1 1 Ie siècle. D'après lui, l'être et ses
propriétés sont toujours dans les êtres contingents
distincts de quelque manière, et c'est la raison pour
laquelle nous séparons dans nos propositions le sujet
de l'attribut; car, à défaut de composition réelle, il v
a toujours quelque contingence dans l'être créé. Il
en résulte donc, puisque toute composition doit être
écartée de Dieu, et puisque tonte proposition sur Dieu
est absolument nécessaire, de puro esse vel de ne-
cessario, que nous ne pouvons former sur Dieu
aucune proposition ayant le même degré d'exactitude
que celles que nous énonçons des créatures, reg. xn,
col. 629, non pas même une proposition existentielle.
omne simplex proprie est, et improprie dicitur esse.
Reg. xx, col. 630. C'est, pense-t-il, ce qu'a voulu dire
Denys : affirntaliones de Deo incompactœ, negationes
vero verse. Tune af/irmatio composila sive compacta
dicitur, cum compositionem signifient quant signift-
care videiur. Ut cum dico : Petrus est jus/us, hxc
affirmatio significare videiur composilio justitix ad
Petrum et signi/icat quidem. Incompacta vero dici-
tur af/irmatio, cum non significat compositionem
quant significare videiur ; ut cum dicitur: Deus justus;
non enim ibi significalurconiposiliojuslitisead Deum ;
non enim componitur vel inltœret, et 2iotius signifi-
calur esse justitia quant justus. Beg. xtx, col. 630.
Cf. Ars fidei, 1. I, xvi, xx, ibid., col. 601 sq. Ces pas-
sages sont très remarquables. L'explication, moitié
grammaticale, moitié psychologique, qu'ils renferment.
est comme une première ébauche de la distinction
entre la chose signifiée et notre mode de la signifier,
dont nous nous servons tous depuis le xme siècle. Cf.
Corderius, Prolegomena in Dionysium, P. G., t. m.
col. 83; S. Bonaventure, In IV Sent., I. I, dist. XXII.
a. 1, q. m; S. Thomas, ibid., q. i, a. 2; De poteutia.
q. vu, a. 5, ad 2""',: Sum. theol., Ia, q. xin, a. 12; pour
ce dernier, voir le reste des références dans Pierre de
Bergame, Tabula, v° Incompaclse, ou dans d'AIès,
Dict. apologét., t. i, col. 61.
Mais Alain n'applique point ces vues aux deux pré-
dicats d'existence et de bonté; pour lui, comme pour
Gilbert, l'être et la bonté, dont il connaît la converti-
bilité, se disent des créatures seulement par dénomi-
nation extrinsèque, reg. lxviii, col. 654, tandis que
l'unité en est un prédicat intrinsèque, bien qu'avec
dépendance causale de la première monade. Beg. II,
col.62i. Le péripatétisme de la scolastique postérieure
nous a tellement habitués à la formule, ens, unum,
verunt et bonum convertuntur, que nous avons de la
peine à comprendre l'hésitation des penseurs du
xne siècle. Si Alain eût dit de l'existence et de la bonté
ce qu'il pense de l'unité de singularité, il eut donné
sur ces questions la solution du réalisme modéré de
saint Thomas et de Suarez; il s'en tint sur ce point,
comme Gilbert, par respect pour des textes dont il n'en-
1169
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES]
1170
tendait pas le sens historique, à une solution nomi-
naliste.
Il en fut de même sur la distinction des attributs,
où Alain reproduit littéralement Gilbert; tous deux
disent : quand nous affirmons la puissance du Père, et
du Fils, et du Saint-Esprit, il n'y a aucune distinction
à faire entre puissance et puissance; il en est de même
entreles divers attributs. Gilbert, loc. cit., col. 1320; Alain,
reg. xi, col. 628. La raison en est, dit Alain, que tout
ce qui est en Dieu est Dieu ; donc la diversité des noms
divins n'a pas d'autre fondement que la variété de ceux
qui parlent de Dieu et des œuvres divines : non refer-
tur ad pluralitalem signi/icatorutu. sed significantium
eleffectuum ; uniusenim et ejusdem causse e/fectus sunt
diversi diversis nominibus significati, cum dicilurDeus
estfortis, pius, prudens. Reg.ix, col. 628. Nous retrou-
verons ces formules, communes au xne siècle, et en-
core fréquentes au début du xme siècle, chez les nomi-
nalistes du XIVe siècle, même après que saint Thomas
aura montré que les notions diverses que nous nous
formons de Dieu ont leur fondement prochain dans la
réalité divine. In IV Sent., 1. I, dist. II, q. i, a. 3;
De potentia, q. vu, a. 6; De veritate, q. n. a. 1. Mais
conclure que le XIIe siècle et en particulier Alain tom-
baient dans le relativisme ou dans l'agnosticisme, serait
précipité. Car après avoir divisé les noms divins,
d'abord suivant les catégories d'Aristote, reg. VIII,
col. 628, puis suivant l'usage des grammairiens de son
temps, reg. xxi, col. 631, Alain dit expressément que
les termes des trois premiers prédicamenls signifient
la divine essence : de ipso prsedicant divinam usiam,
ut cum dicitur : Deus est Deus, substantia, spiritus,
pius, misericors, fortis, niagnus, intntensus ; et il
remarque que les noms qui se disent de Dieu par voie
de causalité signifient la divine substance : va aillent
nomina guse de Dca dicunlur per causant, dicuntur
per substantiani. Celte dernière formule d'origine pa-
tristique, cf. Jean de Chypre, Exposilio maleriaria,
decas x, c. i ; decas iv, c. ix, P. G., t. ci.u. col. 959,
79!), bien que mal comprise plus tard par Cajetan qui
lui fait signifier une subtilité purement systématique,
est restée classique pour exprimer que les attributs
divins ont une portée métaphysique, que par eux nous
concevons la nature intrinsèque de Dieu. Cf. S. Bona-
venture, 1» IV Sent.,\. I. dist. XXII. a. l,q. iv ; S. Tho-
mas, Sum. theol.,1*, q. un, a. 2. Voir Vasquez, //* / ,
disp. LVII, n. 27. Ici encore les positions Ihéologiques
d'Alain sont bien meilleures que les explications phi-
losophiques qu'il essaie d'en donner; et ces positions
n'expriment pas autre chose que l'enseignement tradi-
tionnel sur notre mode de connaître la nature divine.
3. Même persistance de cet enseignement dans les
écrits polémiquas de la même période. Bornons-nous
au cas d'Abélard. Scot Érigène avait, en se couvrant
des formules du pseudo-Denys, enseigné l agnosticisme
croyant le plus radical : notre connaissance de Dieu se
réduisait pour lui à savoir qu'il est i/tiid. Cf. Stock),
Lehrbuch <'< r Gt chichte dei Philosophie, Mayence,
IH7.">. p. 369 382; » i dit, art. Scolus
Erigena; P. /... t.cxxn, col. S39. Sans aller aussi loin,
Ahébird prit pour base de sa doctrine ■- u r Dieu le sym-
bolisme que Scol avait étayé sur le pscudo-D<
//,/,-.../. mi theolog., I. Il, sec t. s, /'. /... i. cxxvm,
col. 1064. Ci -1 de ce fondemi ut, el non pas d'un pré-
tendu ■ onci ptualisme, comme l'a voulu Victor Cousin,
qu'il déduisit n erreurs ^ur la Trinité, ibid,,
un, col. 1068, sur l.i liberté el la toute-puissan i
divines, l. III. sert, v, col. 1096 Denzinger, n. 310, 323,
316 q. Comme plusieurs de nos contemporains, A lu lard
M flatta di ntre Charybde el Scylla, ibid.,
. -dire de résoudre ' liftlcultés,
en greffant li rat Il m( ur un symbolisme agnos-
tique. D api i lui, I e de foi, n'< tant que
symbolique, ne nous renseigne pas sur la nature intrin-
sèque de Dieu. Donc les termes Père, Fils et Esprit,
n'expriment rien d'intérieur à Dieu; ce ne sont que
des dénominations fondées sur ses effets, et des
termes impropres. Cf. Guillaume de Saint-Thierry,
Disp. adv. Abel., c. il, P. L., t. ci.xxx, col. 233 sq. Il
faut donc les interpréter philosophiquement, comme
des termes qui signifient autre chose que ce qu'ils ont
l'air de dire. Id.. De erroribus Guillelmi de Conchis,
ibid., col. 338. D'où une prétendue explication ration-
nelle de la Trinité, qui permet à Abélard de retrouver
ce dogme mystérieux chez les philosophes. Ibid.,
col. 333. Les polémistes lui répondirent sans hésiter
que sa conception de la foi était incorrecte : la foi est
essentiellement un acte intellectuel, par lequel nous
portons, grâce au témoignage divin, des jugements
objectivement valables sur la nature divine elle-même.
Cf. S. Bernard, Contra quœdant capitula errorum
Abœlardi, c. iv; De consideralione, 1. V, c. m, P.L.,
t. clxxxii, col. 1001, 790; Guillaume de Saint-Thierry,
ibid., col. 2i9, 253. D'un autre côté, ils s'élevèrent
contre la prétention de donner une explication soi-
disant exhaustive des mystères divins, parce que Dieu
reste invisible, incompréhensible et par suite ineffable,
aussi bien pour la foi que pour la simple raison natu-
relle. Cf. S. Bernard, Epist., exc, c. vu, n. 18, ibid.,
col. 1067; Gauthier de Mortagne, Epist. ad P. Abse-
lardum, dans le Spicilegium d'Achery, t. ni, p. 524.
Voir Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclé-
siastiques, Paris 11)0!), t. I, col. 85.
i. Mieux encore que les textes allégués, la vigueur
avec laquelle l'autorité ecclésiastique poursuivit et con-
damna les diverses erreurs sur la nature de Dieu qui
se produisirent à cette époque, montre la vitalité de la
tradition dont nous parlons. Le panthéisme d'Amaury
de Bène et le monisme matérialiste de David de
Dinant, voir t. i, col. 938, et plus haut col. 159, furent
sévèrement réprimés; on proscrivit le dualisme mani-
chéen des albigeois, Denzinger, n. 355, et on en imposa
le rejet aux vaudois, ibtd., n. 367; on condamna à di-
verses reprises l'agnosticisme de Scot Krigène, cf. Kir-
cltenlexikon, 2e ('-dit., v° Scotus Erigena; le symbo-
lisme d'Abélard ne fut pas épargné, Denzinger, n.310sq.;
et la dialectique nominaliste de Roscelin et de l'abbé
Joachim appliquée à la Trinité fut traitée d'hérétique
aussi bien que certaines conclusions sur la nature
divine du réalisme outré de Gilbert de la Porrée.
Denzinger, n. 329, 358. Or, toutes ces décisions impli-
quent chez la hiérarchie une vue nette de la portée
ontologique des attributs et des conditions ou limites
de notre connaissance de la nature divine ; bien plus,
elles supposent la connaissance réfléchie, de la substan-
tialité, de l'unicité, de la simplicité, de l'immutabilité,
de la spiritualité de Dieu; elles supposent en outre .m
moins un essai de solution des difficultés que présente
au premier abord l'accord des divers attributs, soit
entre eux, suit avec la simplicité de l'essi nce divine. Si
donc l i il n, mie se prononça catégoriquement
contre les erreurs que nous avons mentionnées, c'est
que sur tous ces points elle connaissait la tradition
chrétienne el lui restait Qdèle.
Rapport des attributs et de l'essence* ' es Péri 9
nous ont laissé diverses classifications des attributs ou
noms divins, biles étaient connues du XII1 Bièi
cf. Pierre Lombard. Sent., I.I.disi. XXII ; elles furent
même un des principaux véhicules par lesqui
transmit la doctrine patristique sur la nature de Dieu.
Hais ce ne fut pas de ce côté que se dirigea surtout
la pi ■ us durant cette période ; le
problème trinitaire sollicita davantage leur attention!
on en fut les divei ■ erreur iui la rrinité que
firent naître les difficultés du problème des universaux,
u. i Imparfaitement 1 1 olu au ui< lièi le < i. de w ulf,
1171
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES
1172
Le problème des universaux dans son évolution histo-
rique du i.v au xine siècle, Berlin, 1890; Huon;iiuti,
lioscelin, dans llivisla storico-crilica délie scienze
teologiche, mars 1908; Dehove, Qui prsecipui fuerint
labente Ml s;eculo anle inlroduclam Arabum pkilo-
sophiam tempérait realismi antecessores, Lille, 1908.
L'histoire de ces controverses est hors de notre sujet,
voir Trinité; il nous suffit d'en noter deux résultats qui
servirent de base à la scolastique postérieure, dans ses
recherches prolongées sur les rapports des attributs
entre eux et avec l'essence divine.
1. On lit dans le IV' concile de Latran que les trois
personnes divines sont une seule et même chose ou
réalité objective, une seule essence, substanceou nature,
absolument simple, una qusedam sunima res, una
essentiel, substantiel seu natura, simplex omnino.
Pierre Lombard, à l'exemple des sententiaires, ses
prédécesseurs ou ses contemporains, avait emprunté à
la tradition, spécialement à saint Augustin, l'usage
d'appliquer à Dieu ces termes d'essence, de substance,
ou nature, Sent., 1. I, dist. II et V; et pour exprimer le
dogme trinitaire il s'était servi de cette formule : le Père,
le Fils et le Sai nt-Esprit sont u ne même essence, substance
ou nature, c'est-à-dire, nonobstant la distinction des
personnes divines, une seule réalité objective, une seule
chose ; d'où il suit qu'il ne faut pas dire qu'en Dieu l'es-
sence a engendré l'essence, mais seulement que le Père
a engendré le Fils : cum enim una et summa qusedam
res sit divina essenlia, si divina essenlia essen-
tiani gênait, eadem res se ipsani genuit, quod omnino
esse non polest. Cf. Richard de Saint-Victor, De Tri-
nitate, 1. VI, c. xxn, P. L., t. CXCVI, col. 980. L'abbé
Joacbim ayant prétendu que Pierre Lombard enseignait
par là une quaternité à la place de la Trinité, le concile
de Latran le condamna et lit la profession de foi sui-
vante : Credimas et con/itemur cum T'elro Lombardo
quod una qusedam summa res est, quse veraciler est
Pater et Ftlius et Spiritas Sanctus; très simut per-
sonse et sigillatim quselibel earumdem ; et ideo in Deo
solummodo Trinitas est, non quaternitas, quia quse-
libet illarum trium personarum est illa res, videlicet
subslantia, essentia seu natura divina... ut distinctiones
sint in personis et imitas in natura. Denzinger, n. 358.
Cette profession de foi commande la terminologie
scolastique dans le sujet qui nous occupe, et elle a
servi de point de départ aux travaux qui ont abouti à
la formule du concile du Vatican. Denzinger, n. 1031.
a) Il est avéré que soit dans le langage courant, soit
dans la phraséologie patristique, soit dans les diverses
philosophies, les mots essence, nature, substance, ne
sont pas absolument équivalents; et il est également
avéré qu'en parlant de Dieu les Pères n'ont pas tous
employé ces termes de la même façon, soit parce qu'ils
se conformaient à l'usage de leur temps et de leur pays,
soit parce qu'ils tenaient compte de la dialectique du
système philosophique qui avait leurs préférences, soit
enfin parce qu'ils'voulaient éviter d'employer certaines
formules dont les hérétiques abusaient. Ces faits étaient
assez connus dès le XIIe siècle, et l'Ecole ne les a jamais
perdus de vue. Cependant l'autorité du concile de
Latran a fait que les théologiens scolastiques emploient
indifféremment les trois termes, essence, nature, sub-
stance, pour signilier la réalité objective, incompréhen-
sible et inelfable, qui est commune aux trois personnes
divines, sans être cependant ni multipliée ni multi-
pliable. Cf. S. Bonaventure, InIVSent., 1. 1, dist. XXIII,
a. 1, q. m. Sur ce point de terminologie, l'accord des
théologiens n'est pas douteux. Il se manifeste assez par
exemple par le titre que Suarez a donné à son grand
traité sur Dieu, De divina subslantia cjusque altribulis,
et par les innombrables traités De divina essentia
dont nous aurons l'occasion de citer quelques échan-
tillons. Essence, substance, les deux expressions sont
employées dans le môme sens par le concile du Vati-
can. Denzinger, n. 1031, 1051. D'autres, par exemple
Gonet, De Deo, disp. II, a. 1, traitent du même objet
en le désignant De natura et quiddilale Dei. La seule
controverse sur ce sujet dont j'ai noté des traces, se
trouve mentionnée dans ce passage de Gonel; un carme.
Pierre Corneio, suivi par quelques thomistes, avait,
dans la période de lloraison des distinctions virtuelles,
essayé de distinguer en Dieu entre l'essence et la nature,
l'essence étant d'après lui constituée par l'aséité, et la
nature par l'intellection ; mais Corneio fut solidement
réfuté, dans les principes thomistes, par Godoy, De
Deo, disp. IV, sect. H, dont Gonet résume l'argumen-
tation, loc. cit. L'accord des théologiens a eu sa réper-
cussion dans nos langues modernes et même dans la
terminologie philosophique communément admise. Les
Allemands, il est vrai, emploient de préférence le mot
essence; mais les Italiens et les Français disent plus
volontiers nature.
b) Une fois en possession du dogme défini au con-
' cile de Latran, les scolastiques se posèrent bientôt la
question qu'il suggérait : en quoi consiste précisément
la réalité simple, commune aux trois personnes di-
vines'.' Quand on se pose ce problème en théologie, il
ne s'agit point de pénétrer l'être divin, objectivement
et indépendamment de notre manière de le concevoir,
nalura Dei physice speclata; car, en ce sens, la nature
de Dieu est toute la réalité, qui est Dieu, Iota realitas,
quse Deus est, comme s'exprime iluniessa, Disputa-
tiones scholaslicse de essenlia et altributis Dei, Bar-
celone, 1087, disp. V, n. 3, et comprend par définition
toutes les perfections divines, aussi bien celles qui sont
relatives ad intra, que celles qui sont absolues. Or les
premières sont inaccessibles à la raison laissée à elle-
même, et par suite de l'invisibilité divine nous ne
connaissons les secondes que d'une façon médiate.
D'où il suit que nous n'avons aucun moyen direct de
traiter de la nature physique de Dieu au sens défini,
et si, depuis Duns Scot, on en parle en théologie, à
propos de la vision intuitive, ce n'est qu'à l'aide d'un
détour, en se plaçant au point de vue de l'esprit qui
voit Dieu face à face.
Il suit, au contraire, de la connaissance de la Tri-
nité par la révélation, que nous avons quelque notion
de ce qu'on appelle en théologie natura Dei theologice
speclata, qui n'est autre chose que la summa res, una
essentia, subslantia seu nalura dont parle le concile
de Latran, et qui. supposée la distinction de l'absolu et
du relatif en Dieu, se définit : id quod est in Deo se-
cundum rem absolution, ut distinguitur ab eo quod
est secundum rem relativum. Si, en eflet, nous n'avions
aucune idée de cette perfection qui constitue la divi-
nité en tant que commune au Père, au Fils et au Saint-
Esprit, la Trinité ne serait en aucune façon accessible
à notre pensée. Logiquement, la foi à la Trinité pré-
suppose quelque connaissance de la réalité, commune
aux trois personnes divines. Cf. Duns Scot, In 1 F Sent..
1. I, prologi, q. i, n. 15 sq.; Jérôme de Monlefortino,
Siuli summa theologica, Rome. 1900, t. I, q. XII, a. 13.
Qu'est-ce que cette réalité?
On chercherait en vain une réponse précise à cette
question dans le concile de Latran; nous verrons plus
loin comment, sinspirant des vues de Suarez, le con-
cile du Vatican y a répondu; sans doute on trouverait
sans peine les éléments de la solution dans les écri-
vains du XIIe siècle, comme aussi chez les auteurs qui
écrivirent durant les trois premiers quarts du
XIIIe siècle; mais ce fut Duns Scot qui le premier se
posa «letlement la question que suggérait le concile de
Latran. Bel exemple de la façon dont le dogme pro-
gresse dans l'Église : les controverses trinitaires du
XIIe siècle préparèrent, grâce aux travaux de la scolas-
tique, la formule de Latran, una res, etc.; celle-ci posa
1173
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES)
1174
une nouvelle question à la foi cherchant l'intelligence,
et servit de base certaine aux spéculations philoso-
phiques des siècles suivants. Peu à peu le problème
s'éclaircit, et le dernier concile consigna clans son
texte les résultats de l'enquête, après que par les tra-
vaux des Petau, des Thomassin il fut bien constaté que
la doctrine de l'École était, quant à la chose signifiée,
de tout point conforme à l'enseignement des Pères.
Les recherches sur la nature théologique de Dieu ne
tardèrent pas à faire naître dans le courant du
XIVe siècle une question analogue sur la nature méta-
physique de Dieu. Voir le sens du problème, t. i,
col. 2228. A cette question le XIIe siècle, non plus que
le xiii'-, ne donna pas de réponse formelle; et c'est ce
qui explique pourquoi toutes les opinions qui se sont
produites à partir du xve sont parvenues à se trouver
des parrains dans les siècles précédents. Mais, ici en-
core, le xii" siècle posa un principe qui servit de base
aux études ultérieures, et ce fut à propos de Gilbert
de la Porrée.
2. Ce n'est pas le lieu d'entrer ici dans le détail des
discussions sur l'ensemble des erreurs de Gilbert. Un
point seul touche à notre sujet, et ce qui nous intéresse,
c'est surtout la doctrine qu'on y opposa. Denzinger,
n. 329. Saint Bernard reproche à Gilbert. Sermones in
Cantica, serm.i.xxx. n.6 sq.,P. L.,t. Clxxxiii, col. 1109.
d'avoir, en glosant sur Uoèce, Vtrum Pater et Filius
et Spiritus Sanctus de divinitale substantialiter prse-
ntur, P. L., t. lxiv, col. 1307, écrit : Simili ter
diximus veritatem, quse eorumdem essentiel est, nec
alia quam divinitas, de ilhs et divisim et collectim
prœdicari. Kam ri divisim Pater est verilas, id est
venu est; item Filius vèritas, id est verus est; item
Spiritus Sanctus verilas est, id est verus est; et col-
lectim, Pater et Filius el Spiritus Sanctus non sunt
1res veritates, sed sunt una sinç/ulariter et simplex
verilas, id est «nus verus. Gilbert de la Porrée admet-
tait donc une distinction réelle entre la divinité et les
relations constitutives des trois personnes divines, et
par suile une quatemité comme le remarque saint
Bernard, De considérations, I. V. c, vu. /'. L.,
I. CLXXXII, col. 7!i7. Cf. Frassen, Scolus academicus,
1. I, disp. II, a. 2, q. i sq., Rome, 1900, 1. 1. p. 187, 198.
Le même auteur nous apprend que la racin>' de la
conclusion i i ronée de Gilbert se trouvait dans le com-
mentaire du De Trinitate de lïoèce, c. ni. ibid.,
col. 1251, on on lit : Cum dicilur tint* Pater, Deus
Filius, Unis Spiritus Sanctus, repetitio de eodem
mugis quam enumeratio diversi videtur; et où Gilbert
glose : sed m liis tam ejus rjuod est, quam ejus que
est, repelitiii facta est, col. 1278, quod est étant pris
pour tubsistens, c'est-à-dire pour les personne
quo est pour subsistentia, c'est-à-dire pour la divinité',
col. 1279. Non-- avons dit que Gilbert avait évité
d'appliquer aux attributs divins sa doctrine de la dis-
tinction réelle du quod est cl du quo est, de l'abstrait
et du concret. Là où Abélard disait : il est impossible
que la même chose soit la justice et la miséricorde, et
recourait au symbolisme pour concilier l'antinomie,
Gilbert admettait l'objectivité et i identité des deux
attributs; bien plus, il admettait l'identité des attri-
buts avec la divinité, cum enim dicitur, est honio
jus tus, non dicitur esse juslus toto 7e./ ipse est,
e justifia <la dicitur esse justu id est, ■■
est "I qUOd eSt /'m, m, ri illlml ,il
vero dicitur, Deut est juslus, toto eo quo ipst
dicitu \,im De nsum est q
est pistil., eodem quo est justus,
col. 1285. Mai al sur du principe d<
lisme outré, il i quo rut,
ni es/ $ubsisten droit,
puisque fi distinction réelle de cer-
t.iine, de l'appliquer ■> la diviniU dont il admettait i<
parfaite simplicité, naluram, et aux relations consti-
tutives des personnes, personam ; d'où, la quaternité
que lui reprochait justement saint Bernard, et la dis-
tinction réelle entre la personne et la nature en Dieu,
que proscrivit Eugène III; d'où aussi, par voie de con-
séquence, que Dieu au concret, persona Italiens deita-
tem, n'est pas la divinité, Deus non est divinitas quse
Deus est, sed qua est, et, par suite, Pater est verus,
non verilas.
C'est par cette dernière conséquence que saint Ber-
nard combattit les principes de Gilbert; et, par suite,
ce furent ces dernières formules que le concile de
Beims (11 18) rejeta. L'argumentation de saint Bernard
est restée classique. Ces hérétiques, dit-il, prétendent
que Dieu est par la divinité, mais que Dieu n'est pas
la divinité. Mais cette divinité, ou est Dieu, ou est
quelque chose qui n'est pas Dieu, ou n'est rien. Gilbert
ne concède pas qu'elle n'est rien, ni qu'elle est Dieu.
Beste donc qu'elle est quelque chose qui n'est pas Dieu.
Mais ce quelque chose ou est plus petit que Dieu ou plus
grand, ou égal. Il ne peut pas être plus petit, puisque
d'après vous c'est par cela que Dieu est Dieu. 11 ne
saurait être plus grand, car Dieu est au-dessus de tout;
ni égal, car alors il y aurait deux dieux. Le même rai-
sonnement vaut pour tous les attributs. Donc soutenir
qu'il y a en Dieu quelque chose par quoi il est Dieu
et qui n'est pas Dieu, détruit la simplicité divine, telle
que l'ont enseignée les Pères lorsqu'ils ont préféré
l'emploi des noms abstraits à celui des noms concrets :
rectius congruenliusque dicitur : Deus est magnitudo
quam : Deus est magnus. In Cantica, ibid., n. 6,
col. 1169 sq. Cf. S. Auguslin. De Trinitate, 1. V, c. x,
n. 11, P. L., t. xi.ii, col. 918. Le concile de Beims sanc-
tionna la conclusion de saint Bernard; et cette décision
domina par la suite toutes les discussions sur les rap-
ports des attributs et de l'essence métaphysique de Dieu.
[II, Apport péripatêticien et néoplatonicien dans
la théodicée au xiiie siècle, — Quand on passe de la
littérature philosophique que nous abaissée l'école spi-
ritualiste française à notre littérature philosophique
actuelle, il semble qu'on passe d'un monde à un autre,
tant la terminologie, les problèmes discutés et les
procédés d'argumentation ont varié. On éprouve une
impression analogue lorsqu'on passe subitement des
écrivains du \ir siècle aux scolastiques du xiir. Ces
variations s'expliquent, la première, par l'invasion du
Kantisme el du positivisme anglais ; la seconde, par
i introduction dans le momie latin de la philosophie
d'Aristote et de certains éléments néoplatoniciens par le
moyen des penseurs arabes et juifs. Voir AniSTOTi lishi .
Avi rroïsm] . 1. 1, col. 1278, 2628. Sur ce dernier fail le
désaccord n'est pas possible ; mais on est loin de s'en-
tendre quand il s'agit d'en mesurer l'importanci
d'en apprécier la portée pour le développement de la
théodicée chrétienne,
/. IPPHÊCtATIOltS l<i DIYBRS HÉTÉRODOXES. — On
vu, col. 761, que d'après beaucoup de protestants an-
l'École étail athée, parée que péripatéticienne,
On n 1 tujourd'hui ce griel cru-
dité; mais nombreux sont les écrits où, soit pour l'en
blâmer, soii pour l'en féliciter, la scolastique est re-
in - ntée comme avant modifié l'id ihrétii une et tra-
ditionnelle de l>ieu. Voici les principales raisons que
l'on met en avant pour justifier celle conclusion, et les
pic l'on en déduit. — I <hi procède
d'une main raie el l'on dit : Les documenta
pontificaux recommandent aux catholiques l'étude de
le retour à saint Thomas; or la sco-
lastique du xiit1 siècle doil beaucoup i axistote el au
itonisme du paeudo-Denys el des Arabes, el il est
par ailleurs certain que les doctrines péripatéticii
platonicienne! sur Dieu ne sont pas chrétiennes ;
donc ' iibniique non seule ni admet le util
1175
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOL A STKj LES
117G
d'une variation de ses doctrines sur Dieu au xni'-siècle,
mais elle prétend aujourd'hui imposer cette innovation
médiévale, el pour l'imposer ne varietur, elle a recours
à c une méthode de compression », dont les premiers
fondements sont la négation de tout progrès en théologie
depuis le XIII" siècle el le rejet de tout le passé de
l'Église platonisante. Cf. Weber, Histoire de la phi-
losophie européenne, 0e ('dit. française, Strasbourg,
p. 229; Picavet, Esijuisse d'une histoire générale el
comparée des philosophies médiévales, Paris, 1905; le
premier de ces ouvrages insiste surtout sur les em-
prunts faits au péripatétisme, le second sur l'intluence
■du néoplatonisme. Voir Revue d'histoire el de littéra-
ture religieuses, Paris, 1899, l. IV, p. 376. — 2° On entre
ensuite dans le détail des doctrines. D'abord, à propos
des théories de la connaissance, on met en relief le
fait que saint Thomas s'est inspiré plus que ses con-
temporains de la théorie empiriste de la connaissance
intellectuelle d'Aristote, développée par les philosophes
arabes dont plusieurs étaient des médecins adonnés
aux recherches expérimentales; puis on oppose cette
doctrine à d'autres théories sur l'origine de nos idées
et spécialement de la connaissance religieuse, conci-
liaires, semble-t-il, avec certaines vues modernes; et
l'on conclut au parti pris de médiévalisme aveugle et
de péripatétisme outrancier dans l'Eglise catholique.
Cf. Eucken, Thomas von Aquino, ein Kampf zweier
Welteri, Berlin, 1901. — 3°On prend ensuite le problème
par le coté métaphysique; et l'on dit qu'en introduisant
dans la théodicée chrétienne les notions d'acte et de
puissance, comme les philosophes musulmans l'avaient
fait dans la théodicée du Coran, les scolastiques ont
mis en péril ou dans l'ombre le dogme de la Trinité ou
•de la vie intime de Dieu, qu'ils ont remplacé le Dieu
vivant de la Bible par une abstraction, et ont aban-
donné la notion traditionnelle des rapports de Dieu et
du monde; comme l'acte pur d'Aristote répugne à la
création et à la providence, les scolastiques n'ont réussi
à sauver en apparence ces dogmes qu'en sacrifiant la
divine immanence à une chimérique transcendance.
Cf. Delitzsch, Die Gotleslehre des Thomas von Aquino,
Leipzig, 1870. — 4° On dit encore, au même point de
vue métaphysique, mais en sens contraire : L'hypo-
thèse de la distinction réelle de l'essence et de l'exis-
tence daDs le fini est fondamentale dans la doctrine
de Plotin, cf. Schindele, Aseitcit Goltes, Essenlia
und Existenlia im Neuplalonismus, dans le Philoso-
phisc/ies Jahrbuch, 1909, dans celles d'Avicenne, de Spi-
noza et des philosophies qui dépendent de leurs spécu-
lations. Cf. Drews, Plotin und der Untergang der
antiken 11 ellanschauung , Iéna, 1907; Freundenthal,
Spinoza und die Scholaslik, Berlin, 1887, p. 95; Spi-
noza, sein Leben und seine Lehre, Stuttgart, 1904, p. 118.
Il est vrai qu'une grande partie de l'École, nommément
Suarez, a toujours nié et nie cette distinction réelle, et
que Spinoza a dirigé ses Cogilata metaplnjsica contre
la métaphysique de Suarez, parce qu'il voyait avec raison
qu'il ne pouvait établir les principes de son panthéisme
agnostique qu'autant qu'il aurait détruit la doctrine du
théologien espagnol sur les rapports de l'essence et de
l'existence, et sur les êtres et distinctions de raison.
Cf. Couchoud, Benoit de Spinoza, Paris, 1902; Rivaud,
Les notions d'essence el d'existence dans la j^hiloso-
p/iie de Spinoza, Paris, 1906. Mais le reste de l'Ecole
a admis cette distinction réelle et s'en est servi pour
modifier le sens de la théorie péripatéticienne de l'acte
et de la puissance. Donc, la tendance de l'École a tou-
jours été favorable à l'immanence divine au sens mo-
derne du mot, et, malgré son intellectualisme et sa
philosophie statique, à la notion de l'Être divin comme
l'être indéterminé, en devenir, et par suite indéter-
minable. — 5° C'est au milieu de ces appréciations
contradictoires ou divergentes qu'ont pris position les
modernistes. Schell déduisit du prétendu plotinisme
de l'École et des Pères le heus causa sui. Voir, sur
les origines de cette idée que l'on trouve déjà chez
Raymond de Sébonde, Janet, La métaphysique en
Europe, dans la Revue des Deux Mondes, 15 avril 1877.
p. 827. D'autres cherchèrent une solution dans l'agnos-
ticisme croyant. De même, disaient-ils, que lee Pères
ont pensé Dieu à l'aide des catégories alexandrines, de
même les scolastiques ont fait à l'aide des catégories
d'Aristote. Ces variations prouvent que les énoncés sur
Dieu, même lorsqu'ils se trouvent dans les conciles
qui ont nécessairement adopté le l idées
de leur temps, sont sans portée métaphysique et n'ont
qu'une valeur de symboles. Cf. Tyrrell, Through Sajlla
and Charybdis, Londres, 1907, p. 338.
Ces appréciations montrent bien quels sont les points
à élucider dans le sujet qui nous occupe; les conclu-
sions que l'on en déduit disent aussi quelle est l'im-
portance de la question. Evidemment, le jeu d'opposer
ces dires les uns aux autres ne résoudrait pas le pro-
blème; il faut aborder l'étude des faits. Avant d'y venir,
il nous parait utile de présenter quelques observations
générales.
//. OBSEliYATIOyS GÉXÉRALES SDR LES APPRÉCIA-
tions et conclusions PRÉCÉDENTES. — 1° Les adver-
saires de la scolastique savent qu'en matière de dogmes
le concile du Vatican admet un développement, mais seu-
lement eodem sensu eademque sententia. Denzinger,
n. 1647. Ils pensent donc nous mettre en contradiction
avec nous-mêmes en plaçant en relief les différences que
l'on remarque entre la théodicée du XIIe siècle et celle
du xme, les emprunts faits par le XIIIe siècle à la phi-
losophie d'Aristote et à celle des Arabes, puis en
rapprochant ces faits des documents pontificaux qui
recommandent aux catholiques l'étude spéciale de saint
Thomas.
Laissons de côté pour le moment la question de
fait, et notons que, pour arriver à leurs déductions les
historiens de la philosophie dont nous parlons donnent
aux documents pontificaux auxquels ils se réfèrent un
sens qu'ils n'ont pas. — 1. Ces documents, en effet, ne
nous présentent pas la scolastique du xine siècle et la
doctrine de saint Thomas comme une interprétation
nouvelle et absolument inédite du fond des croyances
chrétiennes sur Dieu à l'aide d'une philosophie plus
relevée; ils se contentent d'y remarquer une meilleure
exposition des données traditionnelles; et ce pror
qui ne touche en rien à la substance des doctrine»
révélées, s'il est dû à l'introduction du péripatétisme,
n'a point consisté dans la reproduction servile des
idées du Stagyrite. Dans le document le plus précis
qu'il ait produit sur ce sujet, Léon XIII parle d'Aris-
tote comme du « païen à qui beaucoup d'erreurs ont
échappé » et dont saint Thomas « a rendu chrétienne
la doctrine. » Lettre Gravisshne nos, dans les Acta
Leonis XIII, Rome, 1893. t. xn, p. 372. Et Pie X.
écrivant à l'Académie romaine de saint Thomas, le
23 janvier 1904, pour confirmer les directions de son
prédécesseur, expose que Léon XIII a remis en hon-
neur la doctrine de saint Thomas, parce qu'il « avait
forgé des armes merveilleusement adaptées à la dé-
fense de la vérité et à la réfutation des erreurs, même
de notre temps : car ces principes de sagesse que les
Pères et les docteurs de l'Église, destinés au bien de
tous les temps, nous avaient transmis, personne mieux
que saint Thomas, qui les avait puisés dans leurs
ouvrages, ne les a disposés selon l'ordre qui leur con-
vient; personne ne les a mis en plus belle hunier
Traduction de la Revue thomiste, juillet 1909. p. 483.
La récente encyclique du même pape sur saint Anselme
se place au même point de vue de la continuité du
développement des doctrines traditionnelles. Le lecteur
qui a étudié ce que nous avons rapporté du XIIe siècle
1177
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLA STIQUEs;
1178
n'aura point de peine à se rallier à ce qu'affirme Pie X,
surtout s'il se souvient que, sauf trois phrases, l'Ecole
a toujours suivi le Ier livre des Sentences de Pierre
Lombard. Qu'on ait ajouté de nouveaux moyens termes,
qu'on ait discuté de nouvelles questions, qu'on ait
poussé plus loin l'analyse conceptuelle et cherché une
plus grande rigueur logique, une meilleure ordon-
nance des conclusions et de leurs preuves, cela ne
signifie pas qu'on ait abandonné la pensée du siècle
précédent ou qu'on l'ait contredite. — 2. On fausse
également les documents pontificaux en leur prêtant la
pensée que tout progrès a cessé depuis saint Thomas.
Dans sa lettre Gravissime nos adressée aux jésuites,
Léon XIII leur recommande, tout en étudiant saint
Thomas comme leur fondateur le leur a prescrit, de
ne pas négliger l'étude de leurs grands théologiens,
notamment de Suarez désigné par une périphrase non
équivoque; et la raison que le pape donne du soin
qu'il faut apporter à cette étude est précisément tirée
des contributions que les théologiens de l'ordre ont
produites dans le sens du développement et du pro-
grès de la théologie. Loc. cit., p. 374. — 3. Autres exa-
gérations sur la portée de l'approbation spéciale don-
née par l'Église à la doctrine de saint Thomas. Les
objections qu'on nous oppose supposent que nous
sommes obligés de la tenir dans toutes ses particulari-
tés pour infaillible et vraie; mais les documents ponti-
ficaux, même ceux qui précisent le plus, recommandent
simplement la théologie scolastique de saint Thomas,
tanquam solidiorem, securiorem et magis approba-
tatu, ibid., p. 371, et la philosophie d'Aristote, tan-
quam theologiiv magis ulilem, p. 373. Ces formules
sont empruntées à la lettre adressée à l'Institut des
jésuites; et elles ne sont que le résumé de ce qu'ensei-
gnent communément les théologiens lorsqu'ils traitent
de la portée de l'approbation donnée par l'Eglise à cer-
tains écrivains. On trouvera cet enseignement dans le
mémoire écrit par Pierre d'Ailly à propos des prétentions
de Jean de Monteson : cette pièce dont le P. Denifle n'a
rapporté que quelques lignes dans le Chartularium,se
trouve en entier à la lin de beaucoup d'éditions anciennes
des Sentences. Ceux qui se défieraient de Pierre d'Ailly
trouveront les mêmes explications dans un thomiste
très sûr, Jean de Saint-Thomas, Traclalus de appro-
bation et auctoritate doclrinse angelicse D. Thomas,
reproduit au t. i de son Cursus theologicua, Paris,
1883, p. 288-387; ou encore dans Schâzler, Inlrodu-
Ctio m sacram theologiam dogmaticam, Hatisbonnc,
1882, qui suit cl résume Jean de Saint Thomas. D'où il
Suit, puisque tel est le contenu des documents officiels
Bl leur interprétation classique, qu'on n'avance rien
qui puisse nous inquiéter, quand on exhume pour
s'en faire un argument certains passages dithyram-
biques de quelques scolastiques en l'honneur d'Aris-
tote, en particulier celui-ci : Aristoteles, prodigium
grandeque miraculum in Iota nalura, cui pêne vide-
tur infusum quidqnid naturaliter est capax Imma-
num genus. /'. L., t. x\x. col. 103. Ce texte attribué i
saint Jérôme est apocryphe; et l'autorité ecclésiastique
n'a jamais fait sienne la pensée qu'il exprime. La théo-
logie catholique n'a donc pas à défendre les hyperboles
de quelques n n s de nos théologiens, anciens on mo-
dernes; et il ne paraît pas équitable de noter ces exa-
ltions et je conclure ab <"»< ditet otnnes.
n i t de irue historique dm adversaires man-
quent il acribie dans leur critique, et ils oublient un
principe élémentaii savoir que la même
vérité peul énoncer de bien des façons et en fonction
de plu sieui - \ st< mes.
Leur pr icéd i on : te ■< noter
on rencontn verbali entre rits traditionnels
et ceuj '!■ loTcien . de n< oplatonii ii puis,
à conclure l'identité un la dépeodanci fa-
nons un exemple dans la doctrine de la participation
qui joue un assez grand rôle dans la théodicée, comme
nous le verrons. Volontiers ils expliquent l'idée de déi-
fication par la grâce, fréquente chez les Pères grecs,
par celle d'apothéose, commune chez les païens. Si on
lit dans II3- Pétri, i, i, consortes divinse naturse, on
se souvient que le mot se trouve chez le stoïcien Sé-
nèque et aussi dans la phraséologie par laquelle les
néoplatoniciens énonçaient leur doctrine de la partici-
pation; et l'on conclut, avec M. Harnack, que la doc-
trine delà justification par un don surnaturel, intérieur,
créé, différent de nos actes et de notre âme, est un
emprunt soit au stoïcisme soit au platonisme. Pour un
esprit médiocrementdélié et assez souple pour suivre la
complexité d'une pensée étrangère à la sienne, le so-
phisme est assez apparent. L'idée de Dieu que se for-
maient les Pères était-elle identique à celle que s'en
formaient les païens lorsqu'ils parlaient d'apothéose?
L'induction qu'on nous présente le suppose nécessaire-
ment; mais comment prouver la correction historique de
l'hypothèse? De même, dans le cas de Sénèque. Suppo-
sons que la II1' Epitre de saint Pierre soit tombée sous
les yeux de Sénèque ou plus tard de quelque néoplato-
nicien. Voilà, auraient pu dire nos philosophes, en y li-
sant ces mots consortes divinœ naturse, un écrivain
qui pense comme nous, qui admet la participation de
la nature divine au sens précis où nous l'entendons,
c'est-à-dire comme conséquence de la doctrine de
l'âme du monde ou de l'émanation. Qui oserait soute-
nir qu'en parlant ainsi ces philosophes se fussent
montrés bien au courant des choses chrétiennes? Com-
ment se fait-il que M. Harnack ne voie pas que pour un
chrétien dont les deux premiers dogmes sont l'unité
de Dieu et la création ex niliilo, la formule consortes
divins natures n'a pas, n'a jamais eu, ne peut pas
logiquement avoir le même sens où l'entendaient stoï-
ciens et néoplatoniciens? Je ne dis pas les nuances,
mais dans l'espèce l'opposition des doctrines est telle
que la méprise était impossible pour un ancien, et
que l'espoir de la faire commettre par un lecteur mo-
derne ne s'explique guère.
Tout le monde admet qu'on peut exprimer les rela-
tions des nombres de diverses façons, el de fait il y a
en mathématique divers systèmes. Il en est de même,
mutatis mu tandis, des vérités suprasensibles. Bien
avant que la diffusion de l'idée d'évolution n'eût donné
au problème du développement du dogme et de la
théologie l'acuité avec laquelle il se présente de nos
jours, les théologiens avaient à s'occuper de cette
question pour répondre aux cartésiens et aux protes-
tants demandant comment le concile de Vienne avait
pu définir que l'âme est la forme du corps, et celui de
Trente que a grâce esl la cause formelle de la justifi-
cation. La réponse classique est la suivante. Lorsque
les formules dogmatiques contiennent des tenues phi-
losophiques, on ne doit point, à moins de preuve cer-
taine d'une intention contraire du concile, les prendre
dans le sens technique d'une école déterminée, par
exemple thomiste, scoliste, nominalisle, hanné/jenne,
moliniste, cartésienne, néothomiste, etc. Il fam
entendre simplement dans le sens où ces écoles
viennent, ou convenaient, à l'époque de la rédaction du
document étudié, sens qui esl historiquement détermi-
nable. De cette t !i de la manii re
même dont les documents conciliaires sont discuti
il suit que li i termes philo i pi i
ut un antre sens que le i ni vulgaire qui
la portée de tous, vulgarii ; qu'ils ont on
technique, connue ,l
lions a l'époque d< la rédaction du texte, et qui était
le -, i, . : , ii, /n in s dei termes employés; que l'env
Ploi de ■ . - lei ne d enti p lairemeut
pti le la pOI inalique que leur lloIlU' .
1179
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES'
1180
ou leur donnait, telle ou telle école de philosophie. Sans
doute, il n'est pas toujours facile de parvenir à déter-
miner d'une façon absolue avec une pleine certitude
la compréhension de ce sens technique et non spéci-
fiquement systématique; de là, beaucoup de contro-
verses, et, chez le théologien prudent, beaucoup de
retenue; mais ce travail est possible, si l'on ajoute à la
lumière de l'histoire celle que donne l'emploi de la
méthode scolastique pour l'analyse des idées; on a
d'ailleurs un puissant moyen de contrôle dans l'opi-
nion de l'Eglise antérieurement à la rédaction de la pièce
étudiée, et dans l'opinion subséquente des théologiens.
considérés non pas commejuges de la foi. mais comme
témoins de la pensée de l'Église. En elîet, la grande
loi de continuité dans le sens traditionnel domine ce
qu'on appelle aujourd'hui le développement ou la vie
de la théologie et du dogme. Et l'on conçoit assez com-
ment une même vérité' peut s'énoncer d'abord en termes
vulgaires, puis se formuler en termes philosophiques,
enfin se '.ransposer en termes de diverses philosophies,
à la condition de prendre ces termes non au sens di-
vergent et opposé que leur donnent les différents phi-
losophes suivant les principes qui caractérisent leurs
synthèses, mais dans l'acception où ces philosophes les
prendraient nécessairement s'ils avaient à les discuter
entre eux. D'où la théologie classique a déduit ses ré-
ponses aux cartésiens et aux protestants sur rame,
forme du corps, et sur la grâce inhérente, cause for-
melle de la justification; à savoir, les conciles de
Vienne et de Trente n'ont fait qu'énoncer en style pé-
r.ipatéticien des vérités professées par l'Église antérieure
dans une autre terminologie. Seul un esprit prévenu
ou peu habitué à la spéculation peut mettre en ques-
tion la légitimité de cette solution; et il est aisé de
voir que, toute proportion gardée, on a le droit de
l'appliquer aux spéculations du moyen âge. Les auteurs
dont il s'agit étaient des théologiens, des hommes de
tradition; leur livre de texte était le recueil des pen-
sées des Pères de Pierre Lombard : ce sont là des faits
dont il y a lieu de tenir compte pour apprécier le sens
qu'ils attachaient aux formules péripatéticiennes ou
néoplatoniciennes dont ils se servaient.
3" Ces deux simples remarques nous permettent, sans
aller pour le moment plus au fond des problèmes his-
toriques soulevés, d'indiquer les déficits de l'argumen-
tation de nos adversaires.
1. Ils s'appliquent à nous montrer qu'avant le
xme siècle, et au xme siècle chez les auteurs qui repré-
sentent le courant augustinien, eurent cours diverses
théories de la connaissance religieuse que l'on peut
rattacher au platonisme; et ils opposent ces théories
à l'épistémologie péripatéticienne de saint Thomas,
recommandée aujourd'hui par l'Église. Laissons de côté
cette observation que la vraie position de l'Église surce
sujet n'est pas indiquée par les adversaires, voir col. 839,
et qu'ils se gardent d'avouer pourquoi l'autorité ecclé-
siastique encourage le retour au système scolastique de
la connaissance. Voir col. 853, 930. Mais notons qu'on
atténue singulièrement les dillérences d'une part,
pendant que d'autre part on dissimule les ressem-
blances. Pour persuader au lecteur que les théories
platoniciennes ou platonisantes seraient conciliables
avec des vues plus modernes, on oublie de dire que
les Pères et les quelques scolastiques dont il s'agit
n'ont admis ces théories que dans le sens objectiviste;
d'où il suit qu'au sens où ces écrivains les entendaient
et les acceptaient, ces théories étaient totalement in-
conciliables avec le subjectivisme qu'on veut faire
prévaloir. Par ailleurs, les Pères platonisants et les
scolastiques qui les ont suivis, n'ont jamais mis en
question la valeur de notre connaissance de Dieu par
la causalité; la doctrine des idées représentatives dont
saint Augustin s'est servi pour expliquer la Trinité
leur est familière; elle se retrouve d'ailleurs chez saint
Anselme aussi bien que chez saint Iionaventure. L'épis-
témologie péripatéticienne de saint Thomas ne fut
donc pas une révolution; et l'usage qu'il en fit pour
expliquer notre connaissance religieuse, ne fut une
nouveauté que dans un sens très relatif. On avait durant
des siècles donné les preuves classiques de l'existence
de Dieu sans faire cette réllexion que l'étude d'Aris-
tote suggéra à saint Honaventure : ces preuves suppo-
sent l'impossibilité de la régression à l'infini: suppo-
nitur status, sicut in tola philosophia supponxtn,
status >7i causis. In IV Sent., I. I. dist. III, dub. i,
circa lilteram. On concédera que cette réflexion ne
changea rien aux preuves que l'on donnait précédem-
ment. Ainsi en est-il de la remarque que fit saint
Thomas, en lisant les philosophes arabes, à savoir que
l'épistémologie d'Aristote pouvait servir à rendre
compte du mode par lequel nous connaissons Dieu per
ea quse facla sunl.
•1. Nous n'avons pas l'intention de nier qu'il y ait une
façon de concevoir Dieu comme acte pur, qui renferme
beaucoup d'erreurs et soit la négation de la notion
chrétienne de Dieu; ce n'est pas le lieu d'examiner
dans quelles limites cette conception fut celle d'Aris-
tote; mais il est certain que, proposée par divers héré-
tiques, cette façon d'entendre l'acte pur fut rejetée par
les Pères; on peut même dire que la sévérité de beau-
coup de Pères à l'endroit d'Aristote vient de l'introduc-
tion par Plotin dans le platonisme de la théorie de
l'acte et de la puissance, et des conséquences agnos-
tiques ou intuitionnistes que l'on en déduisait. Mais
ce que l'on devrait démontrer pour conclure à la cor-
ruption de l'idée chrétienne de Dieu par les scolasti-
ques, c'est qu'ils ont entendu dans ce sens païen la
doctrine de l'acte pur. La thèse que l'on soutient contre
nous n'est aucunement prouvée tant qu'on n'a pas
mené la démonstration jusque-là; et les identités ver-
bales ne sauraient suppléer à ce déficit.
3. De même, pour les conséquences de la théorie
néoplatonicienne de la distinction réelle de l'essence
et de l'existence dans les êtres finis ou contingents.
Plusieurs scolastiques l'ont admise. Il'abord, ils ne
sont pas toute l'École et par conséquent leur fait n'en-
gage pas à fond le magistère. Ensuite, ont-ils entendu
cette distinction au sens qu'elle a dans la doctrine de
l'émanation'? Ont-ils admis les conséquences agnosti-
ques ou panthéistes que Plotin et Avicenne en ont
déduites bien avant Spinoza, Hegel et nos philosophes
de l'inconscient? Tranchons la question par l'histoire.
Le premier scolastique dont un historien, dans l'état
actuel de nos connaissances, puisse dire sans contro-
verse qu'il ait admis cette distinction est Gilles de
Rome, quelques années après la mort de saint Thomas.
Or, Gilles prend pour point de départ de son hypo-
thèse d'une part le fait et la possibilité de la Trinité,
In IV Sent., 1. I, dist. V, Venise. 1 192, d'autre part la
possibilité et la démonstrabilité de la création, De
ente et essentia, Cordoue, 1701, comme fait encore de
nos jours le P. del Prado. Cf. Congrès îles catholiques
à Fribourg, 1897. La situation est donc historiquement
la suivante. De la distinction réelle de l'essence et de
l'existence les néoplatoniciens concluaient à l'être
abstrait et contre la personnalité divine, et ils aboutis-
saient à l'émanatisme et à l'agnosticisme croyant.
Gilles de Rome, au contraire, part de la Trinité des
personnes et de la création proprement dite pour abou-
tir à cette distinction réelle. Dans ces conditions, a
qui fera-t-on croire à l'identité parfaite des deux doc-
trines, l'une aboutissant à l'être vide, l'autre partant de
la plénitude de l'être. Il se peut, et tous ceux qui
rejettent cette distinction réelle le pensent, que Gilles
se trompe; ses premiers adversaires, l'un collègue,
l'autre témoin de l'enseignement de saint Thomas.
-J 181
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOL ASTIQUES)
1182
Henri de Gantl et Goclefroy de Fontaines, lui firent
remarquer que son hypothèse, outre qu'elle n'était ni
traditionnelle ni prouvée, mais simplement imaginée
et assumée, favorisait plutôt qu'elle ne renversait les
erreurs, qu'elle avait pour but de combattre; et on sait
que de nos jours les adversaires de la même distinction
tiennent tout uniment en latin le même langage aux
théologiens qui en sont partisans. Cf. PiccirelH, Dis-
<jinsitiometaphysica,theologica,critica de clislinctione
actualam inter essentiam existentiainque, Xaples,
1906. .Mais autre chose est de penser que Gilles et ses
adhérents se trompent et d'argumenter pour le leur
montrer, parce que l'on est convaincu que si la dé-
monstration est décisive, l'adversaire abandonnera ses
positions; autre chose de n'envisager pour les appré-
cier que la matérialité de leurs formules, et d'insinuer
qu'ils sont tombés de fait dans l'erreur. Leur langage
néoplatonicien doit être jugé comme saint Thomas
juge quelque part celui des Arabes ex cousis dicendi,
c'est-à-dire d'après leur contexte et en tenant compte
de l'hypothèse et du point de vue où ils se placent.
Nous avons le regret de constater que c'est ce que né-
gligent absolument de faire ceux qui abusent du succès
qu'a trouvé dans l'École Gilles de Rome, pour la repré-
senter comme la préparatrice des plus grossières
erreurs modernes.
4. Si, à la suite des écrivains hétérodoxes, les moder-
nistes n'eussent point exagéré les variations apportées
à la science de Dieu par le cours des âges, s'ils n'eus-
sent point perdu de vue ce fait que les théologiens de
l'École furent avant tout des hommes de tradition, et
ce principe que les mêmes vérités abstraites peuvent
se formuler en fonction de diverses philosophies, ils
n'eussent point abouti à l'agnosticisme ; car ils eussent
compris comment sous la variété des formules s'est
produite la continuité de la croyance à un même objet.
Leur échec n'est pas une raison de négliger l'étude
du problème du développement du dogme et de la
théologie, que la diffusion de l'idée d'évolution a rendu
si aigu. Mais c'est un motif de plus pour les catholi-
ques de poursuivre ces études avec soin et méthode,
en se servant pour aller au fond des questions dans
leurs travaux historiques, de l'admirable instrument de
précision qu'est la scolastique. C'est la conclusion de
Pie \. dans l'encyclique Pascendi, § Hoc ita posilo :
major profecto quam antehac positivée théologies ratio
est hulienda. Léon XIII avait déjà donné une direction
semblable au clergé de France, 8 septembre 1809. C'esl
la pensée dont est né ce dictionnaire.
m. EXPOSITION DES FAITS. — Le fait que le texte clas-
sique pour l'enseignement de la science de Dieu au
un* siècle était le Ie livre des Sentences de Pierre Lom-
bard nous dispense de répéter désormais la série d
thèses dont nous avons parlé à propos des siècles pré-
nts. En ce qui concerne le XIII' siècle, nous
n'avons donc en vue qu'une chose, chercher à faire
comprendre commenl s'est faite l'introduction du péri-
patétisme dans la théodicée chrétienne; du même
coup, le lei quoi consiste l'innovation qui
roduisit. Avant d'entrer dans les détails, disons un
mot des circonstances qui favorisi rent cette prétendue
révolution.
l Pourquoiet comment les théologiens furent a
nés <i Cemploi du péripatétisme en théodicée?— Les
ouvres d'Aristote parvinrent au monde |;,tjn d'abord,
I, accomp longs commentain
philosopli puis par voie de traduction il i
sur le texte grec. L'éclat de la civilisation arabe De lut
sans doute pas pour i ien dans l'attention qu'elles e\ri-
térent ; mais |;, haute i itime dans laquelle le xir I
tenait la partie d n jrrite qu'il connais-
sait..! savoir la logique, contribua probablement beau-
coup à pousseï • l'étude de
métaphysique. Mais ces circonstances à elles seules ne
suffisent pas à expliquer le rapide succès qu'elles obtin-
rent. Deux causes y aidèrent, à savoir l'état des con-
naissances philosophiques, et le secours qu'on y trouva
pour résoudre les difficultés rationnelles ou historiques
dont on avait à s'occuper.
1. Difficultés à résoudre. — Le lecteur se souvient
de l'embarras où avaient jeté le xne siècle certaines
formules néoplatoniciennes de Boèce et de Denys, sur
l'être, sur l'unité et sur la bonté. Ces trois questions
de première importance dans l'étude de la nature
divine, préoccupèrent plus vivement encore le xme siè-
cle qu'elles n'avaient fait le précédent. Car, à l'extérieur,
les Arabes soulevaient de grosses difficultés à propos
des notions d'être et d'unité, et ils concluaient à l'étna-
natisme, puis quelquefois avec Avicenne et Maimonide
à l'agnosticisme, enfin et toujours contre la Trinité soit
qu'ils admissent soit qu'ils niassent toute distinction
entre les attributs divins. Au dedans, quelques panthé-
istes avaient abusé des solutions données par l'âge
précédent à propos de l'être et surtout de l'unité, et
en avaient fait sentirl'insuffisance; enfin le manichéisme
renaissant mettait en question les explications jusque-
là données sur la notion de bonté. Ces problèmes diffi-
ciles s'imposaient donc aux théologiens du xiiic siècle.
On sait que, dans ces conjonctures, le premier mouve-
ment de l'Église ne fut pas favorable à Aristole, à qui
les livres et les hommes qui le représentaient faisaient
tort par leurs erreurs, qui n'étaient autres que celles
dont nous venons de parler. Mais quand on commença
à distinguer Aristotedeses commentateurs; quand sur-
tout on eût eu le temps de s'apercevoir que les livres
d'Aristote ne contenaient pas expressément les hérésies
mentionnées, qu'au contraire ils avaient fourni aux
musulmans et aux juifs le moyen de prouver l'exis-
tence de Dieu par la causalité' et de s'élever à la con-
naissance des principaux attributs de Dieu; quand enfin
on eût remarqué qu'au milieu des discussions des phi-
losophes arabes entre eux on pouvait, précisément à
l'aide des principes d'Aristote, les réfuter les uns par
les autres, et par exemple renverser l'agnosticisme
d'Avicenne par la théorie de la distinction de raison
d'Averroès, sauf à réfuter ensuite l'unité de l'intellect
défendue par Averroès, à l'aide de la doctrine péripa-
téticienne de l'âme forme du corps enseignée par Avi-
cenne, les appréciations se modifièrent. D'adversaire
Aristote devint un utile allié au point de vue rationnel.
Il parut bientôt qu'il pouvait rendre un autre genre
de service au point de vue de l'intelligence des textes
traditionnels. On n'a pas ici en vue seulement l'utilité
évidente des définitions précises qu'Aristote donnait
d'un grand nombre de termes qui se trouvent dans
les écrits des Pères et aussi dans les documents ecclé-
siastiques; ni même le profit qu'on pouvait tirer de
l'emploi de sa méthode rigoureuse. Personne ne peut
mettre en doute que celte utilité et ce profit n'aient été
considérables; il suffit pour s'en rendre compte de
comparer an point de vue de la précision de l'exposi-
tion, et au point de vue du nombre des contresens ou
des méprises dans l'exégèse des textes anciens, une
page du xiii* siècle avec une page du m*. Ce qu'on ■
en vue plus spécialement, c'esl qu'il parut au xm siè-
cle qu'Aristote pouvait servira interpréter dans 1<
des doctrines communes dans l'Église bien des formules
de Boèce et surtout de Denys, el spécialement c< Il
ces formules sur l'être, sur l'unité, sur la bonté « 1 1 1 ï
avaient tant occupé la Un du xir siècle. Pour
parlons de Denys, qui pour le moyet tail l'Aréo>
uenl une autorité de prenait roi drei
h h outenall que la boni.', al non pas l'êti ■ . i si li
nom substantiel de Dieu Car, disait-il, l'êtrene* dit
pa de Dieu au sens absolu, mais seulement relative*
ment, .-m sens causal, en tant que Dieu ' Si le prit
1183
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES)
1184
de l'être. De divinis nominihus, c. m, v. Or il parais-
sait que faire une telle concession, c'était ouvrir la
porte à toutes les erreurs des Arabes sur la nature
divine et avouer que l'émanatisme et l'agnosticisme
sont la vérité. On tenait pour sûr par tradition que Denys
n'avait rien pu dire qui favorisât de telles erreurs,
mais comment l'interpréter? Aristote, qu'on lisait tou-
jours un peu à travers les Arabes, parut en fournir le
moyen. On sait que le péripatétisrne des Arabes ('lait
fortement imprégné de néoplatonisme; bien plus, on
retrouve dans leur théodicéo plusieurs des formules
chères à Denys et qui viennent de Plotin ou de Pro-
clus. Ce fut donc par l'Aristote des Arabes qu'on com-
mença je ne dis pas à comprendre dans son sens his-
torique, mais à deviner en gros Denys. De là à essayer
une fusion entre le platonisme et le péripatétisrne, il
n'y avait qu'un pas. L'état des connaissances en histoire
de la philosophie donna l'audace d'essayer de le faire.
2. Péripatétisrne et platonisme dans la pensée du
XIIIe siècle. — Pour nous qui sommes habitués, grâce
aux travaux qui se sont produits peu à peu du xme siècle
à nos jours, à distinguer avec soin Aristote et Platon,
Aristote et ses commentateurs; pour nous qui avons lu
les Ennéades, l'idée de joindre le péripatétisrne et le
platonisme serait peu naturelle. Mais il faut se souve-
nir de l'état des bibliothèques et de la critique au
xiip siècle, pour comprendre cet âge; cet état explique
comment il a pu concevoir, comme il a fait, soit le plato
nisme soit le péripatétisrne.
On sait que le livre De causis est un extrait de
VInslitutio theologica de Proclus, éditée par Didot,
Paris, 1855, avec les Ennéades , parce qu'elle est un
résumé du système de Plotin. Or Albert le Grand
croyait fermement que le livre De causis est un extrait
d'Aristote, et il l'interprétait, au prix de quels elforts,
dans ce sens; car il ignorait l'œuvre et même l'existence
de Plotin. De causis, 1. II, tr. I, c. I. Saint Thomas est
déjà mieux renseigné, parce qu'il connaît Ylnstihitio
theologica ; il sait que celle-ci est l'œuvre d'un certain
Proclus, disciple de Platon; il ne lui échappe pas que
le livre De causis n'est qu'un abrégé de Proclus. Ce-
pendant il conclut : Proclus était platonicien, mais l'au-
teur du De causis était péripatéticien. Cf. Denys le Char-
treux,/» TV Sent., 1. 1, dist. VIII, q. v, Opéra, Tournai,
1902, t. xix, p. 390. D'où il apparaît que pour saint
Thomas le péripatétisrne n'était pas précisément la
doctrine que nous désignons sous ce nom. On s'explique
ces malentendus si l'on se souvient du contenu des
œuvres d'Aristote au xme siècle. Il s'y trouvait plusieurs
apocryphes, fortement teintés de christianisme, de stoï-
cisme et surtout de néoplatonisme; on y voyait entre
autres la 1 heologia secundum sEgy/itios, encore éditée
au xvne à la fin de l'édition d'Aristote de Duval,
sous le titre : Arislolelis libri XIV de secretiore parle
divinse sapientiœ secundum jEgyptios, qui illius
metaphysica vere continent, cum plalonicis magna ex
parte convenientia, Paris, 1639, t. iv, p. 601. Trouvant
dans ces apocryphes la terminologie et plusieurs des
idées du livre De causis, saint Thomas inférait que
l'auteur de ce livre était péripatéticien. Il l'interprétait
conformément à cette conclusion; et on peut dire que
pour le xme siècle le De causis servit à montrer aux
Arabes qu'Aristote, c'est-à-dire la raison naturelle,
avait admis la création.
Même imbroglio pour la physique d'Aristote. Saint
Thomas juge que le pseudo-Denys qui, dit-il, en théo-
logie suit Platon, a généralement les opinions d'Aris-
tote en physique. In IV Sent., 1. II, dist. XIV, q. 1, a. 2.
Ici encore, saint Thomas conçoit la physique d'Aris-
tote autrement que nos histoires de la philosophie.
Le platonisme n'est pas autre chose que la doctrine
des Pères que nous appelons platonisants; c'est surtout
la doctrine de saint Augustin. Sans doute, on distingue
ordinairement Platon du platonisme ou des platoni-
ciens quand on traite des idées subsistantes, parce
qu'on est renseigné par le texte d'Aristote; mais on
oublie souvent celle chicane. Et, sien physique l'auto-
rité de Denys incline saint Thomas vers ce qu'il prend
pour le péripatétisrne, la même autorité, jointe à
l'exemple de saint Augustin, lui fait nettement donner
la préférence à la théologie de Platon. 11 s'agit bien
entendu du platonisme chrétien, qui. avec saint Augus-
tin, non seulement transporte dans les idées divines
les idées subsistantes du Phédon, mais encore maintient
la création libre et temporelle ex nihilo, et aboutit
ainsi à une théorie chrétienne de la participation. Cf.
S. Thomas. De di finis nominibus, prolog. ; Opusc, XV.
De angplis, c. xi. Voir Denys le Chartreux. In 1 V Sent.,
1. I, dist. III, q. iv, xn, ibid., p. 234, 276; Mandonnet,
Siger de lirahant, p. i.vn.
Quant au néoplatonisme, il était inconnu; ou pour
parler plus exactement, on ignorait Plotin. et ce qui
pour nous est le néoplatonisme ou le plotinisme était
rangé en bloc parmi les erreurs des Arabes. Pour nous,
qui pouvons rapprocher Denys, de Proclus et de Plotin,
la tentation d'en faire un panthéiste et un agnostique
est si forte que beaucoup d'auteurs cèdent à la sug-
gestion; c'est ainsi que M. Rousselot rapproche un
passage de Denys des textes où Abélard met en ques-
tion la liberté de la création. Pour l'histoire du pro-
blème de l'amour aumoyen âge. Munster, 1908, p. 63.
Cf. Koch, Pseudo-Dionysius Areopagila in seinen
Beziehungen zum Neoplatonismus und Mysterienue-
sen, Mayence, 1900. Au xiip siècle, la perspective
était toute différente. Denys l'Aéropagite avait été
mis à profit par saint Augustin; et les œuvres de
l'Aréopagite s'interprétaient par celles de l'évèque
d'Hippone, ou réciproquement. On ne soupçonnait donc
pas la possibilité de retrouver dans les Noms divins
ou dans la Céleste hiérarchie ce que l'on considérait
comme les erreurs spéciales des philosophes mahomé-
tans ou juifs.
L'imbroglio dont nous venons de donner quelque
idée ne doit jamais être perdu de vue, quand on étudie
le xme siècle avec la seule intention d'en saisir la
pensée et de chercher le sens que les problèmes que les
théologiens y agitèrent avaient pour eux. Pour les
comprendre, il faut se mettre dans leur situalion et
faire siennes leurs préoccupations. C'est ce que négligent
de faire ceux qui présentent l'introduction du péripa-
tétisrne dans la théodicée comme une révolution, une
rupture avec le passé. Il y eut une innovation dont les
contemporains se rendirent compte, puisqu'il y eut des
oppositions; mais ceux-là mêmes qui l'accomplirent
pensaient faire œuvre de tradition en y consacrant les
efforts de leur esprit, bien plus ils croyaient aussi
faire œuvre d'histoire.
Ainsi s'expliquent, pour nous borner à trois exemples
qui tiennent au sujet, comment saint Thomas qui
croyait retrouver la physique d'Aristote dans Denys,
y introduisit l'hyléinorphisme qu'il tenait des Arabes,
mais en le corrigeant par ce que saint Augustin dit de
la matière dans ses Confessions : ou encore, comment
après s'être expliqué la connaissance religieuse chez
Denys par l'épistémologie d'Aristote, saint Thomas
consacra deux questions De veritate, q. x, xi. à inter-
préter saint Augustin dans le même sens : enfin com-
ment le même docteur angélique n'hésita pas a écrire
un jour que conclure au premier moteur immobile
avec Arislote, c'est conclure au premier être qui se
meut lui-même d'après Platon. Siliil enim diflert
devenire ad aliquod primum, quod movel se secun-
dum Platonem, et devenire ad aliquod primum, quod
sit prorsus immobile secundum Aristotelem. Contra
gentes, 1. I, c. xm. La raison en est que dans l'argu-
ment du premier moteur, tel que saint Thomas pense^
1185
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES)
1186
qu'Aristote l'a compris, on passe, dans la régression
des causes mouvantes et mues, par les sphères, et que
celles-ci chez Aristote comme chez Platon sont mues
par des substances séparées, c'est-à-dire par les anges.
Opusc, XV, De angelis seu subslantiis separatis, c. ni;
Opusc, X, Besponsio de arliculis xlii, a. 1 sq. 11 n'est
donc pas surprenant que le premier moteur d'Aristote
soit intelligent et voulant comme le premier bien du
Phédon. Le premier moteur d'Aristote est ainsi acte
pur, c'est-à-dire perfection sans potentialité. In IV
Sent., 1. I, dist. VIII, q. m, a. 1. Et de la sorte, dit-il,
Aristote, Platon, saint Augustin enseignent la même
doctrine. Ibiil., ad 2UU>. Cf. Denys le Chartreux, In IV
Sent., I. I, dist. II, q. il, p. 174. D'ailleurs, d'après
saint Thomas, Platon a admis la providence divine; et
bien qu'il n'ait qu'une confiance limitée aux philosophes
et ne confonde pas le dogme et la philosophie,
cf. Opusc, X, Besponsio de artic. XLII, prolog. ; Man-
donnet, Siger de Brabant et l'averroïsme lalin au
XIII* siècle, Fribourg, 1899, p. clxxxiii, il se sert de
leur autorité contre les Arabes qui nient ce dogme.
Enfin, en ce qui concerne les rapports de Dieu et du
monde, il semble qu'au xme siècle seul Henri de Gand
ait entrevu que la doctrine d'Aristote mettait en péril
la dépendance causale du inonde à l'égard de Dieu. Au
xv siècle, Denys le Chartreux rapporte ce jugement
d'Henri de Gand et s'indigne d'un tel soupçon sur
l'autorité d'Averroés, qui, dit-il, de tous les commenta-
teurs grecs et arabes, est celui qui a le mieux compris
Aristote. De divinis nominibus, c. I, a. 7, Opéra,
t. mv, p. 25. Ailleurs, le chartreux en appelle contre
Henri à l'autorité de l'École. Et inhis Scotus raliona-
biliter coniradicil Henrico, imo solemnissimi docto-
res, Boelius, Hugo, Alexander, Thomas, Albertus et
cseleri fréquenter prœallegati fréquenter dicunt et
probant contrarium atque déclarant quod Aristotelis
intenlio fuit, unirersa qux sunt citra Deum , ab ipso
principiative /luxisse. In IV Sent., 1. I, dist. VIII,
q. iv, p. 385.
On peut discuter sur la valeur historique des conci-
liations, des identilications et des appréciations de
saint Thomas : l'École ne les a pas toutes adoptées ni
retenues, et nous avons dit plus haut, col. 932, qu'elle
a rejeté l'argument du premier moteur tel que saint
Thomas l'a compris d'après les Arabes. On peut trou-
ver aussi que de tels procédés rendent très difficile
l'exégèse de saint Thomas, ce dont nous ne disconvien-
drons pas, avant depuis longtemps remarqué que la
plupart des grandes controverses classiques sur le i "
de saint Thomas viennent de ce qu'une partie des théo-
logiens s'applique à l'entendre historiquement en le
replaçant dans son milieu, tandis que l'autre partie
néglige de prendre cette précaution. Mais quoi qu'il en
soitde la vraie pensée d'Aristote et d.' la difficulté que
nous pouvons trouver a saisir la vraie pensée (h1 saint
Thomas, on conviendra que rien n'est plus chrétien et,
quant a la substance d.- la doctrine, que rien n'esl plus
traditionnel que le Dieu péripatéticien qu'il non
lente.
2" Elémenti péripalélicieru introduits en théodi
— Nous n'avons ici aucune prétention a être complet
et nous éviterons de parti pris tout ce qui pourrai!
mbler ■' un catalogue ou ■< nue revue des i
ries d'Aristote. A qui aurait besoin d'un tel rép< i
le premier manuel venu donnera satisfaction, pourvu
qu'il connaisse la métaphysique d Irlstote. Ce quen ai
roulons indiqu imenl an \nr siècle on em-
ploya Aristob poui i' loudre les difficultés en face
H' iquelles on e trouvait. Nous prenons pour point de
dépari la doctrine que heu.-, représentant ici le plato-
nisnie il. ne l.i p u XIII i' cl.', avait en*
sur h' nom propre .le in, n \ , , n. qui ition ' rat)
ront toutes i autn qu M suffira de noter au po
DICT. DB Tin OL. CATHOL.
Le XIIIe siècle savait que l'enseignement commun des
Pères est que le nom de Dieu révélé à Moïse, qui est,
non seulement exprime la substance divine, mais que
c'est le nom qui convient le mieux à Dieu, parce qu'il
signifie l'être absolu, la plénitude de l'être, et indique
l'aséité comme la caractéristique de la nature divine.
Cf. col. 957. Mais Denys s'inspirant de Proclus, Insti-
lutio theologica, prop. vm, xm, édit. Didot, p. LUI, lv,
soutenait que la bonté, et non pas l'être, est le nom
propre de Dieu. Car l'être ne se dit pas de Dieu au sens
absolu, mais seulement relativement, au sens causal,
en tant que Dieu est le principe de l'être. De divinis
nominibus, c. IV, V, p. 103, 213, 362, 375 du t. xvi de
Denys le Chartreux, Opéra, Tournai, 1902, où l'on
trouvera avec la traduction de Marsile Ficin les deux
principales traductions de Denys en usage au moyen
âge, Cette vue de Denys, dont l'explication historique
n'a commencé à être bien connue qu'au xvie siècle,
cf. Jean Pic de la Mirandole, De ente et imo, 1.1,
c. iv ; 1. II, réponse aux secondes objections; Apologia
par Jean François, neveu du précédent, Venise, 1519,
cette vue de Denys paraissait confirmée par la 4e propo-
sition du livre De causis, tenu pour péripatéticien '.prima
rerum creatarum est esse. D'où l'on inférait : ergo
secundum peripateticos esse non prmdicatur de Dco,
qui est ens increatum. L'accord de l'Académie et du
Portique était imposant. Par ailleurs, refusera Dieu
le nom d'être, c'était se séparer de la tradition chré-
tienne et scripturaire; enfin concéder que le nom de
Dieu ne se dit qu'au sens causal, c'était avec les Arabes
concéder que nous ne concevons Dieu que par opposi-
tion au monde, que nous l'ignorons en lui-même, et
mettre en question la libre création et la distinction de
Dieu et du monde. Aucune de ces conséquences ne
pouvait échapper à un scolastique qui avait lu les
Arabes ou seulement le Guide des égarés de Maimonide;
ceux qui les ont lus en conviendront; d'ailleurs, elles
se trouvent fréquemment indiquées dans les difficultés
que se posent les écrivains de cette époque et du siècle
suivant, et ils n'ont pas eu ici à inventer les arguments
qu'ils s'opposent, comme on est trop porté à l'imaginer.
Il fallait donc une réponse.
D'abord, les théologiens notèrent que Denys, comme
toute la tradition, concédait que le nom qui est con-
vient à Dieu et appelait Dieu l'être. Restait à expliquer
en quel sens orthodoxe il avait bien pu dire que l'être
n'est pas le nom propre de Dieu, et surtout que l'être
ne se dit de Dieu qu'au sens relatif. Notons que sur ce
point ni l'autorité de Denys, ni celle du livre De causis
ne remportèrent contre l'enseignement traditionnel.
Comme Alexandre de Haies, Summa, Venise, 1576,
part. I, q. xi.ix, m. iv, a. 2; saint Bonaventure, In I V
Sent., I. I, dist. XXII, a. 1, q. ni; dist. Il, duh. IV. i d il.
Quaracchi, t. i, p. 60; dist. XXII, a. 1, q, ni ; Itinera-
rium, c. v, t. v, p. 308; Albert le Grand, In IV Sent.,
1. I. dist. II. a. Il; dist. XXII, a. 1; saint Thomas en-
seigne expressi menl m11'' 'e nom 7"' cs'> 1U' signifie
la plénitude de l'être, /'■■ spiritualihus creaturis, q. i.
a. I. est le nom propre de Dieu, et qu'il exprime li
substance divine, absolument, sans relation ave
ires, bien que de lait nous ne connaissions pas
heu indépendamment des créatures. Sum. theol . I .
q. xm, a. Il; In n Sent., I. I, dist. VIII. q. i
Contra gentes, l. I. c. xxn, sxviii, xxxvn sq. Mais quant
:, |a m. me re d'expliqui r dans quelles conditions el p ir
quels procédés p ychologiques nous connaissons Dieu
absolument, deux . brmèi enl au un* se
qu .m .i dénommée le couranl augustinien ou l 'an-
gustinisme après l'avoir appelée l'école rransiscaine,
qu .m qualifie du nom de pi i |pat( une. ( In
saii que tout l'effort de ttanl dans sa i ritique d< la
théod 1 1( i ontn la i onnali uni e de i infini
Huent ontologique ne vaut rien . Ii
iv. -88
1187
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQU]
1188
ments s'y ramènent pour le passage à l'infini, à la plé-
nitude de l'être. La même question s'agita, bien que
sous un aspect durèrent, au xnr' siècle. Tous les théo-
logiens de cette époque se posent en ell'et cette difficulté,
In IV Sent., 1. I, dist. II : Deus est infinilus ; creatura
finila; ergo Deus non polest naturaliler cognosci.
La diversité des réponses est la caractéristique des
deux écoles dont nous venons de parler; de là suit
une interprétation fort différente aussi du pseudo-
Denys et du livre De causis.
1. L'auguslinisme, l'infini et Denys. — M. Picavet.
dans son Esquisse d'une histoire des philosophies mé-
diévales, Paris, 1905, a beaucoup insisté sur l'inlluence
du néoplatonisme dans la scolastique. M. Heitz vient
d'écrire une thèse, Essai historique sur les rapports
entre la philosophie et la foi de Bérenger de Tours à
saint Thomas d'Aquin, Paris, 1909, pour dégager saint
Thomas de toute compromission néoplatonicienne.
Mais, pour sauver saint Thomas, M. Heitz jette par-des-
sus bord une bonne partie de la philosophie médiévale.
Voici son raisonnement. La théologie des XIe et
XIIe siècles a dépendu de saint Augustin et par lui du
néoplatonisme, en particulier de la théorie de l'illumi-
nation extatique ou directe formulée par Plotin; au
xme siècle, l'école augustinienne et spécialement saint
Bonaventure continua cette tradition; saint Thomas,
au contraire, fut un parfait disciple d'Aristote et parla,
en niant que la science et la foi puissent avoir le même
objet, résolut le problème des rapports de la philosophie
et de la foi.
La réalité des faits nous parait beaucoup plus com-
plexe que ne la voit M. Heitz, cf. Hourcade, dans le
Bulletin de littérature ecclésiastique, Toulouse,
juillet 1909, p. 301-310; et le système de défense adopté
peut offrir quelques inconvénients, cf. Labertbonnière,
dans les Annales de philosophie chrétienne, septem-
bre 1909, p. 599-620. Il nous paraît que M. Heitz répète
une confusion regrettable en ne marquant pas assez la
différence qui existe entre la théorie de l'illumination
de saint Augustin et la connaissance extatique du mo-
nisme panthéistique de Plotin. D'après Plotin, l'aspi-
ration au bien engendre la pensée, et comme l'Un est
le bien, il en résulte qu'il ne connaît ni lui-même ni le
reste. Ennéades, Ve, 1. VI, 6; voir t. n, col. 830.
D'après saint Augustin, au contraire, l'illumination est
une participation créée de l'intelleclion divine, et elle
n'aboutit pas à la contemplation directe du premier
être. Cf. 1. 1, col. 2335 sq. ; de San, De Dco uno, Louvain,
1894, p. 37. De plus, il ne parait pas exact que la théo-
logie des xie et xne siècles ait autant dépendu de la
théorie de l'illumination que le prétend M. Heitz. Les
rapports entre cette hypothèse et l'argument de saint
Anselme sont discutables; et, quand on les démontre-
rait réels, la conclusion de l'auteur ne suivrait pas; car
le P. Daniels vient d'établir que l'argument de saint
Anselme eut peu de répercussion sur le xne siècle et
que ce n'est qu'au xme siècle qu'on en constate l'in-
lluence. Daniels, Quellenbeilràge zur Geschichle der
Gotlesbeweise im xm Jahrhundert, Munster, 1909,
dans le t. vin des Beitràge de Bœumker. Par ailleurs,
on trouve, il est vrai, chez les mystiques du XIIe siècle
des passages qui rappellent l'illumination de saint Au-
gustin et qu'on peut en rapprocher. Par exemple, saint
JSernard écrit : Nemo quœrere valet, nisi qui prius
invenerit, De diligendo Deo, c. vu, 22, P. L., Lclxxxii,
col. 987; voir plus haut col. 802; il affirme à plusieurs
reprises que l'on ne connaît bien Dieu que si on l'aime
parfaitement, Sermones in Canlica, serm. vin, 9,
P. L., t. clxxxiii, col. 814; il avoue même, et nous
nous sommes inspiré de lui, col. 819 sq., que la ré-
Ilexion sur nos actes d'amour nous instruit de l'incom-
préhensible perfection divine : si l'acte d'amour est si
doux, que penser de son objet? De consideralione,
1. V, c. xm, P. L., t. ci.xxxn, col.800. Ces textes peu-
vent, si l'on y tient, >e rapporter à l'illumination sub-
jective, bien que cette interprétation ne soit pas néces-
saire. Mais saint Bernard admet que les païens ont
connu Dieu par ses ouvres, et sans l'airner, In Can-
lica, serm. vin, 5, col. 812; d'autre part, rien n'indique
qu'il ait admis pour les états mystiques un amour avec
connaissance seulement subséquente, voir plus haut,
col. 789, 818; et il est certain qu'antérieurement à la
connaissance par goût, mais non intuitive, de ce qu'il
appelle la profondeur et la largeur de Dieu, il enseigne
une connaissance objectivement valable de la nature
divine à l'aide des données sensibles. De consideralione,
1. V, c. il, col. 789. Donc, quand même on concéderait
que la mystique de saint Bernard suppose la doctrine
(le l'illumination, il resterait acquis qu'il admettait une
autre manière de connaître Dieu. En outre, il est équi-
voque de mettre en principe que le XIIe siècle n'a rien
de commun avec Aristote; car il en étudiait la logique,
la partie la plus solide de son œuvre; et par elle, il
connaissait à l'aide des commentateurs de cette logique
ce qu'il y a d'éternellement vrai dans sa doctrine mé-
taphysique des substances, des causes et des relations;
nous avons déjà dit qu'il en connaissait aussi la doc-
trine des idées représentatives et admettait que notre
connaissance religieuse nous vient du spectacle du
monde. Enfin M. Heitz insiste sur ce fait que le
XIIe siècle prétendit démontrer et pénétrer les mys-
tères : ce dont s'abstint saint Thomas. On sait qu'il
serait aisé de trouver dans saint Thomas parlant des
mystères autant et p\us d'oportet et denecesseest qu'on
en pourrait recueillir dans tout le XIIe siècle réuni:
mais laissons cette querelle et ne discutons pas sur la
fragilité du lien qu'on établit entre l'illumination sub-
jective et la recherche de l'intelligence dans la foi. Nous
avons vu que très ferme sur la valeur ontologique des
attributs, le xiie siècle fut très réservé sur l'explication
de cette valeur. On peut même dire que, sur ce point,
il ne lit que répéter l'enseignement traditionnel qui
affirmait la portée métaphysique de notre connaissance
religieuse, et qu'il ne réussit pas à se donner de cet
enseignement une justification philosophique pleine-
ment satisfaisante; et cela, faute d'avoir compris que la
doctrine des relations est le nœud du problème des
universaux. Il resterait donc à établir en quel sens pré-
tendaient pénétrer les mystères ces théologiens qui ne
dépassaient pas la théorie des connotations.
11 en va de même du courant augustinien au xme siè-
cle. Alexandre de Halès ne dépassa guère cette même
doctrine des connotations dans l'explication des attri-
buts, ce qui plus tard permit à Occam et à Grégoire de
Bimini de se réclamer de lui; et certes ni Occam ni
Grégoire ne prétendaient expliquer les mystères. Quant
à saint Bonaventure, il fut beaucoup plus péripatéti-
cien qu'Alexandre ; M. Hourcade a dit de lui avec raison
qu'il fut « autant péripatéticien qu'auguslinien. i foc. cit..
p. 309; et sur le point spécial de notre connaissance de
Dieu par les créatures, il ne parle pas autrement que
saint Thomas. Voir les textes allégués, col. 877. Il nous
parait donc plus conforme à l'histoire d'opposer moins
violemment l'augustinisme du xni° siècle au péripaté-
tisme de la même période. Ce que le xme siècle s'ef-
força de réaliser, et on a vu comment il était amené
à l'essayer, ce fut la conciliation du péripatélisme. tel
qu'il se présentait à lui, avec les éléments platoniciens
qui se trouvaient chez les Pères alors connus. Tous
collaborèrent à ce grand œuvre, mais avec un inégal
succès. Les auteurs chez qui le péripatétisme est plutôt
juxtaposé avec le platonisme que fondu avec lui, sont
dénommés augustiniens; pour la raison contraire, saint
Thomas fut de son vivant considéré plutôt comme un
disciple d'Aristote que de saint Augustin. Cf. Ehrle,
Der Augustinismus und der Aristotelismus in der
1189
DIEU (SA NATURE SELON LES SGOLASTIQUES)
1190
Scholastik gegen Ende des xm Jahrliunderls, dans
Archiv fur Litteratur und Kirchengeschichte des Mit-
telalters, t. v, p. 603; John Peckltam ùber den Kampf
des Augustinismus und Aristotelismus, dans Zeit-
schrift fur katholische Théologie, Inspruck, 1889,
t. xm, p. 172; voir surtout, parce qu'il a précisé l'objet
des questions débattues au xnr siècle entre les deux
écoles, Grabmann, Diephilosophischeund tlieologische
Erkenntnislehre des Kardinals Matthàus von Aquas-
parta, Vienne, 1906.
On dit souvent que le principal grief soulevé de son
vivant contre saint Thomas par l'augustinisme fut son
acceptation de la théorie de la connaissance d'Aristole.
En ces termes sommaires, le fait n'est pas exact. Le
XIIIe siècle dans son ensemble accepta aussi bien que
saint Thomas l'épistémologie qu'on trouve au IIIe livre
De anima d'Aristote; tous alors admettaient la possi-
bilité pour notre intelligence d'abstraire des données
de l'expérience sensible les idées universelles d'être,
d'unité, etc., objectivement valables et de valeur uni-
verselle; l'accord existait de même sur l'explication
péripatéticienne de la connaissance des êtres immaté-
riels, par abstraction. Cf. Suarez, De anima, 1. IV,
c. iv sq.; Boedder, Psychologia ralionalis, Fribourg-
en-Brisgau, 1895, n. 131 sq., 202. Voir col. 775. Que
notre connaissance des substances immatérielles et
par suite de Dieu dépende de notre connaissance sen-
sible, intellect us nos ter e.r ceenturis in Dei cognilionem
manudicilur, Sum. theol., Ia, q. xxxix, a. 8, cela
cadrait trop bien avec l'enseignement biblique et tradi-
tionnel pour faire difficulté. Saint Paul avait écrit :
à'ipaTa... rot< icotr,p.a<?i... xaOopâTai; comment se délier
de l'épistémologie d'Aristote, puisqu'on lisait au
De mundo, c. vi, que tout le monde tenait alors pour
authentique, à propos de la nature divine : àipatoî
t.v<xa toΫ i?Yoi« k-jtoi; op-iTai, édit. Duval, t. i, p. 863^
D'autre part, Denys enseignait que la connaissance
des anges est pour nous un moyen de connaître Dieu.
Or, il expliquait la connaissance que nous avons des
intelligences séparées précisément comme Aristote.
Mais quand il s'agissait d'expliquer notre connais-
sance de l'infini, ou bien la connaissance que nous
avons des mystères, et surtout la connaissance de Dieu
dans les étals mystiques, le courant auguslinien se
séparait de saint Thomas. On lui reprochait de rejeter
l'illumination de saint Augustin, lu IV Sent., 1. I
dist. III, q. i. a. 1. ad 3"-; et aussi l'idée de l'infini de
s lint Anselme, voir col. 889; de fausser la pensée de saint
Augustin, en l'interprétant dans le sens d'Aristote, De
veritatc, q. x, xi; el d'une façon générale de prétendre
que toute notre connaissance du divin dépend des don-
néea de l'expérience sensible. Car, disait-on, dedivinis,
yrmtertim <!<■ lupernaturalibti» his quse sola fide le-
nentur, habemut cognilionem, non ex creaturis naiu-
e ratione, sed ea divinis ScripturU el revelalione
tupernaturali. Cf. Denys le Chartreux, In IV Sent
1. I, dist. III. q. mi; dist. XXXI, q. ii. t. xx, p.SSS. En
un mot, on attaquai! chez saint Thomas la formule
qui revient si souvent sous sa plume : tantum see.-ten-
dere potest noitra ■ ognitio, quantum nianuduci potest
emibilia. Sum. the„t., I ..,. xn, a. 12 sq. F.,. ,„'.ri-
l"1, !|-"" '' augustiniens n'allait pas jusqu'à celte
formule exclus!
■"".ni par h- moyen des créatures nous pouvons
•aisir l'infini au olu, l'augustinisme a propre-
ment parler ne l'expliquait pas. mais il avs.il trois
mari" t«r< r de difficulté. Ou bien il recourait
• [ i théorie de l'illumination, entendue i n <•■■ ■■ us ,,,,,.
notre intelligenci n'es! autre chose qu'une participa
""" lumineuse de la divine clarté; ou bien il recourait
a l "h,, naturelle de l'infini mi» i " ,•..,, ,i par saint
A" ' l""- •'" '•' !i r" cèdent; ou bien il combinait le.
'bo, explications, comme fait sain! Bonaventure
In 71 Sent., 1. I, dist. VIII, p. i, a. 1, q. n. Les textes
récemment publiés par le P. Daniels montrent que ces
deux dernières solutions étaient les plus fréquentes.
Soit pour essayer de se rendre compte de l'illumination,
soit pour expliquer certains faits mystiques, l'augusti-
nisme soutenait que nous pouvons avoir une connais-
sance directe de la substance immatérielle de notre
âme. On prouvait cette thèse, qui avec diverses modi-
fications a été reprise au xvme siècle, voir col. 897 sq.,
par saint Augustin. De Trinilate, 1. X, c. vin; 1. Xiv!
c. v, P. L., t. xlii, col. 975, 1041. Et l'on pens'ait ainsi
pouvoir dire que nous voyons Dieu, non pas intuitive-
ment certes, mais en notre âme : doctrine que saint Tho-
mas rejetait en ce qui nous concerne et ne concédait que
pour Adam avant la chute et en un certain sens pour
l'ange. De verilate, q. xm, a. 2. La même hypothèse
servait à l'explication des faits mystiques. On empruntait
à Denys qui parle d'Hierothea patiensla division de la
contemplation en active et passive. Dans la contempla-
tion active, l'augustinisme acceptait la doctrine d'Aris-
tote; on y pense à Dieu par des espèces intelligibles, qui
naissent de celles qui se forment dans l'imagination
par l'expérience des créatures qui ont quelque rapport
avec Dieu. Lorsque l'âme connaît ainsi Dieu, elle ne
conçoit de lui rien de matériel; car bien que dans ce
mode de connaissance il y ait toujours quelque chose
de matériel et une association de fantômes corporels,
l'âme éloigne et écarte de Dieu tout le corporel et le
matériel : c'est en quoi, disait-on, consiste la voie de
négation de saint Denys. Sur ce point saint Thomas ne
dill'érait pas de l'augustinisme. Mais le désaccord nais-
sait à propos delà contemplation qu'on appelle passive.
L'augustinisme s'autorisait d'un texte de Denys, De
mystica theologia, c. i, p. 477, où il est dit que l'exta-
tique, sans avoir la vision intuitive, connaît Dieu
sans voiles, incircumvelate ; on apportait aussi un
texte de Boèce : in divinis inlellectualiter versari opor-
lebit, neqne deducï ad imagination, s. sed potius ip-
sam inspicere formam. De Trinilate, c. il, P. L.,
t. i.xiv, col. 1250. On concluait de ces textes que, dans
la contemplation passive, Dieu avec le concours de nos
facultés intellectuelles produit des espèces qui le re-
présentent, sans être tirées des sens, sans l'entremise
de l'imagination, bien plus sans même que l'imagina-
tion entre en exercice. L'augustinisme, pour rendre
compte de la possibilité d'une telle psychologie, recou-
rait a l'hypothèse de l'introspection directe de I
de ses actes, de ses dons et lumières naturelles ou
infuses; on pensait par là expliquer comment l'esprit
pouvait avoir de Dieu des espèces purement intellec-
tuelles et s'en servir sans regarder les fantômes ou
espèces dérivées de l'imagination. Ici on se séparait
de la formule péripatéticienne de saint Thom
tantum se exlendere potest noslra cognilio, quantum
manuduci potest per sensibilia. Celui-ci, malgré quel-
ques hésitations de langage, cf. Kousselol. I. intellec-
tualisme de saint Thomas, Paris, 1908, p. 207, n'ad-
mettait pas en dehors du cas de prophétie l'infusion
d'espèces purement intellectuelles, mais soutenait que
dans la connaissance de foi et dans la connaissance
mystique l'imagination joue toujours ion roleel entre
toujours en exercice. Cf. Sum, theol., I\ q. vu. a. 13.
Voir lloudon, Le règne de Dieu, 1. IV, r. m, Avignon,
1845, p. 153. Le fond .le l'argumentation de s. uni
Thomas s'appuie sur ce que pour penser à Dieu nous
employons Qécessairemenl l'idée d'être; or nous avons
celle-ci pari expérience sensible avec l'aide de i activité
.L- notre Imagination al de noire intelligence; il fui
!> quer que •.,,,! expll | plus conforme
.. la doctrine de ['unité du compose' humain, Sum. theol .
[■, q. lxxxiv, a. 5 sq. Suant si ion école suivent Mini
I bon p metaphui . disp. \ \ \. sect. xn.
col. 822.
1191
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES
1192
Ces inodes do la connaissance de l'infini supposés,
l'école augustinienne interprétait généralement comme
il suit les textes embarrassants de Denys sur l'être et
sur la bonté. C'est en se plaçant au point de vue chré-
tien de la communication de la vie divine ad intra que
Denys pense que la bonté est le premier nom de Dieu ;
et à ce point de vue la bonté, sui di/Jusiva, est la
raison de la pluralité des personnes et précède l'action
causale de Dieu au debors. « Mais si, comme le fait
l'Ancien Testament, qui au livre de l'Exode ignore la
Trinité, l'on envisage seulement ce que la raison natu-
relle peut connaître de Dieu, on doit dire que l'être
précède la causalité et par conséquent la bonté; et ainsi
l'être est le nom propre de Dieu. » Cf. Denys le Char-
treux, In 1 V Sent., 1. I, dist. VIII, q. n, obj. 5, p. 367.
Nous convenons qu'une telle exégèse manque d'ob-
jectivité, mais on devra reconnaître que, de même que
l'épistémologie de ces auteurs manifeste l'intention
d'éviter l'agnosticisme, ainsi l'échappatoire qu'ils inven-
tent pour expliquer Denys, révèle chez eux la préoccu-
tion dominante de rester fidèles aux notions tradi-
tionnelles d'un Dieu vivant et personnel.
Les mêmes préoccupations commandent l'interpréta-
tion que les augustiniens donnaient de la proposition
du De cansis, prima rerum crealarum est esse, qui
paraissait favoriser l'opinion que l'être ne se dit pas de
Dieu. Reprenant la pensée du xir siècle sur la dépen-
dance causale de l'être, on disait : la première des choses
créées est l'être par participation, c'est-à-dire être causé
convient à tout être qui n'est pas Dieu; en ce sens on
peut concéder que l'être ne se dit pas de Dieu. Cette
glose donnée, on se séparait des nominalistes du
XIIe siècle qui avaient expliqué l'être et la bonté des
créatures par une dénomination extrinsèque, car on
voyait que d'après saint Augustin les créatures ont une
bonté intrinsèque, inhserens, formalis, puisqu'elles
sont toutes in specie, modo et ordine; on savait aussi
qu'Aristote avait réfuté les formes séparées des platoni-
ciens et montré qu'ercs, unum et bonicin sont des pré-
dicats intrinsèques. D'autre part, on se souvenait que
saint Augustin avait montré la convertibilité de l'être et
du bien, et concilié par ce moyen avec le qui est de
l'Écriture le « bien » des plaloniciens; on voyait aussi
qu'Aristote avait établi la convertibilité de ens, unum,
verum et bonum. D'où l'on concluait que l'être trans-
cendantal se dit de Dieu, au rebours de l'être par parti-
cipation. Transcendentia vero, ut ens et converlihilia
secum, propter elongalionem svam a determinatio-
nibus et materialïbus proprietalibus ac limitationibus ,
dicunt actualitatem et perfectionem; sicque conve-
niunt Deo imperfeclione seclusa quse in creaturis eis
annexa est. On voit que le péripatétisme sert ici à
rejoindre saint Augustin, à côté et au-dessus de
Denys.
Denys, à la suite dePlotin, cf. Picavet, op. cit., p. T15,
avait insisté beaucoup sur la présence substantielle de
Dieu dans tous les êtres; cet enseignement, bien que
moins net chez quelques Pères très anciens, était d'ail-
leurs commun de son temps. Mais il avait formulé cette
docirine d'une façon qui prêtait à l'équivoque : Deus est
esse existentibus , esse omnium est superesse deitatis.
Les théologiens qui suivaient le courant augustinien se
souvinrent ici encore de l'interprétation donnée par le
XIIe siècle; puisque Denys disait que l'être ne se dit de
Dieu qu'au sens causal et admettait l'exemplarité divine,
ils conclurent qu'il fallait l'interpréter dans le sens de
la causalité et de l'exemplarité. Deus dicitur forma,
ut essentia quse habel esse in omnimoda actualitate
et completione, dit saint Bonavenlure,/w 71* Sent. ,1.11,
dist. XII, a. 1, q. il, t. il, p. 294. Et ailleurs : Dieu est
dit forme comme cause exemplaire; et quand on dit
qu'il est en soi une forme, cela signifie qu'il est sans
aucune potentialité, c'est-à-dire acte pur. lbid., 1. I,
dist. XIX, p. n, a. 1, q. m, ad 2um. Si Denys dit qu'il
est l'être de tous les êtres, cela doit s'entendre de mi me
au sens causal, puisque telle est la terminologie de
Denys. Cf. Walric, cité par Denys le Chartreux, ibid.,
p. 36ô. Ici l'exégèse, qui est la même que celle du
XIIe siècle, n'est nullement arbitraire. Et tout danger de
panthéisme est écarté.
Il ressort de cette esquisse, que, tout en restant
fidèle aux principes et aux conclusions fondamentales
de la théodicée traditionnelle, l'augustinisme ne par-
vint pas à monlrer l'homogénéité et la continuité de
notre connaissance naturelle et initiale de Dieu par
les créatures, et de la connaissance plus parfaite que
nous pouvons avoir de l'infini, soit par la raison, soit
par la révélation, soit par la vie intérieure: aussi bien
au point de vue de la liaison métaphysique qu'à celui de
l'analyse psychologique, un hiatus restait sans expli-
cation entre ces divers degrés ou modes de notre
connaissance religieuse. Bien que cette école, aftran-
chie comme on l'a vu du nominalisme du xii' siècle,
poussa très loin l'analyse de l'idée platonicienne de
participation, comme nous le dirons à propos des rap-
ports de Dieu et du monde chez Averroès, elle avait
conscience de son impuissance à relier cette doctrine
avec une doctrine générale métaphysique ou psycholo-
gique, qui put servir de base à une explication logique
de notre connaissance de l'infini. C'est, croyons-nous,
plus au sentiment de cette impuissance qu'à l'embarras
ou à l'autorité des textes, qu'il faut attribuer le recours
aux diverses hypothèses sur noire connaissance de
l'infini dont nous avons parlé. L'échec de cette école
explique aussi pourquoi les interprétations des formules
platoniciennes de Boèce, Denys, etc., restent chez elle
à l'état inorganique. Le génie de saint Thomas tenta de
satisfaire à ces déficits.
2. Le péripatétisme de saint Thomas et Denys. —
Les deux principaux représentants du péripatétisme,
en tant qu'on l'oppose à l'augustinisme au cours du
XIIIe siècle, sont Albert le Grand et saint Thomas. Nous
ne dirons rien ici en particulier d'Albert le Grand,
parce que l'on convient aujourd'hui que chez lui le pé-
ripatétisme est étrangement mêlé à d'autres courants
philosophiques, et que son éclectisme n'est point par-
venu à opérer la fusion harmonieuse des divers élé-
ments de sa pensée. Il en est autrement pour saint
Thomas. En face du péripatétisme son attitude est des
plus nettes : il cherche une voie de conciliation, mais
telle que, tout en donnant à sa théologie une physio-
nomie péripatéticienne très accusée, il ne perde pas de
vue la loi du développement de la pensée chrétienne :
quod ubique, quod semper.
Cette préoccupation se trahit d'abord dans l'interpré-
tation de la formule, faite d'un mot de Boèce et d'un
mot de Denys : Deus est esse formate omnium. Il l'en-
tend au sens causal, comme le xne siècle; et sur ce
point il est d'accord pour rejeter le panthéisme avec
l'école augustinienne. Contra gentes, 1. I, c. xxvi;
In IV Sent., 1. I, dist. VIII, q. i, a. 2. Le livre De cou-
sis lui fournit d'ailleurs, pense-t-il. le moyen d'accor-
der iciAristote avec Denys etavec la doctrine orthodoxe
et traditionnelle de la transcendance et de l'omnipré-
sence substantielle de Dieu, puisqu'on y lit, prop. i :
Causa prima régit omnes res. pnvtcrquam comniis-
cealur cum eis.
Quant aux difficultés qui naissaient de la manière
dont Denys parlait de la bonté et de l'être divins, saint
Thomas les résout d'une part à l'aide de l'étiologie, de
l'autre à l'aide de l'épistémologie d'Aristote. Celte solu-
tion demande à être exposée dans toute sa complexité;
car c'est par son moyen que saint Thomas crut avoir
trouvé un principe de conciliation entre le platonisme
et le péripatétisme : il s'agissait de ramener la doctrine
platonicienne de la participation à celle de l'acte et de
193
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOL ASTIQUES'
1194
la puissance; puis cette réduction faite de rendre
compte de notre connaissance de l'absolu.
a) Le platonisme combiné avec l'étiologie d'Aris-
tote. — La traduction de Denys portait : boni Dei no-
minatio, totas causes omnium processiones manife-
stans,et ad existentia et ad non'existentia extenditur ;
ens vero ad existentia tanlum. Voir t. il, col. 831. Saint
Thomas remarque avec raison que l'interprétation don-
née par saint Bonaventure, d'après laquelle Denys parle-
rait des communications divines ad intra, n'est pas con-
forme au contexte ; il essaie donc une autre voie. Denys,
observe-t-il avec un vieux commentateur, a traité des
noms divins non pas au sens absolu, mais seulement
au point de vue de la manifestation des perfections
divines par les créatures, et par conséquent au point
de vue de la causalité. Sum. tlieol., Ia, q. v, a. 2, ad 1"">.
Mais le commentateur allégué, ne comprenant pas ce
que les « non-existants » pouvaient signifier dans la
phrase, avait esquivé le problème à l'aide d'une éty-
mologie de fantaisie et d'un texte scripturaire : bonum
vient de boave, boo, boas, quia omnia bonum ad se
vocant, et sic boant naturalitcr appetendo bonum;
d'autre part, il est écrit de Dieu, Rom., IV, 17, vocat ea
quœ. sunt, lanquam ea quœ non sunl; Denys a donc
eu raison de dire que Dieu est le bien parce que sa
causalité s'étend aux non-existants comme aux existants.
Saint Thomas rejette cette solution. In IV Sent., 1. I,
dist. VIII, q. i, a. 3, ad 2"">.
La théorie de la cause matérielle d'Aristote et un mot
de Platon le mettent sur la voie d'une nouvelle exégèse.
11 connaît le Timéc et il sait que Platon y appelle la
matière non ens; sans s'arrêter à l'interprétation idéa-
liste de ce passage, il le prend au sens objecliviste ; et
comme il sait par Aristote qu'il y avait une différence
entre la théorie de la matière des deux philosophes, il
fait consister l'erreur des platoniciens en ce qu'ils ne
distinguaient pas la matière et la TrÉpr,^;; ou privation.
.Mais, comme il est convaincu que Denys, malgré sa
phraséologie néoplatonicienne, suivait Aristote en phy-
sique, il conclut que les non-existants signifient dans le
texte de l'Aréopagite la matière en tant qu'opposée à la
forme. Sum. tlieol.. I», q. V, a. 2, ad 1'"" ; Contra gcutvs,
I. III, c. xx. n. 4; lu librum de causis, lect. IV. Cette
façon platonicienne de parler ne lui parait pas étrange.
Saint Augustin n'a-l-il pas dit d'une part : priusquani
islam informent materiam informares, non erat ali-
guid; non tamen omnino nihil, Confessioxcs, I. MI,
c. m, P. L., t. xxxn, col. 827; d'autre part : si ilici
posset, nihil aliquid, est et non est, hoc eam dicerem.
Ibid., c. vi, col. 828. C'est la pensée mé d'Aristote;
Car d'après celui-ci, maleria prima aliquo modo est,
quia e$t ens i» potentia; d'où la possibilité de la création
de la matière. Contra génies, 1. II, c. xvi, n. Il ; Sum.
theol., I', q. mai. a. 1, ad I sq. Il dit cependant par
ailleurs que la substance complète, le composé seul,
. .. proprement parler, et qu'il est parla forme :
maleria dicitur quod habet esse ex eo quoil sibi adve-
uii, quia de te eue inconiplelum, imo nullum esse
habet, utdicitCommentatorinll De anima} unde sim-
plicilerloquendoformadat este materim.Opu$c, X X XI,
De i" nu if, ns naturm, Venise, 1385, t. xvii, p. 3(i7. On
peu! donc dire dans te système péripatéticien, .née
\ ei roi le grand advi la distinction i
de l'essence • t de l'existence, que la matière i
non i tre, au sens où l'être se dit de la substance com-
plète qui est le terme de la t, dans le
rnémi' système, il faut dire qu'elle es) nn être, sa sens
où l'on dit que l'élre esl l'actualité des chosi s, bot de
leurs c.\ n sr~. Sum. theol., i ■. q. \ . a. I. Cette I n de
concevoir les choses rde très bien avec li sens
donné à Boèce par le xir siècle, puisque la matii
quoettei non pas quod est materia non poteti
ii, , quod est, t um non
quod est, est id quod subsistit in esse. De spirilualibus
crealuris, a. 1, ad 8um. C'est donc conformément à
Aristote, à saint Augustin, à Boèce, à Averroès, pense
saint Thomas, que Denys a parlé de la matière comme
d'un non-ètre, lorsqu'il a dit que le bien est la cause de
l'être et du non-ètre, du quod est et du quo est; et que
l'être n'est que la cause de l'être, du quod est. Donc,
conclut saint Thomas, étant donné que Denys dans ces
passages se place exclusivement au point de vue de la
manifestation de la perfection divine par ses œuvres,
il a raison de dire qu'en ce sens l'être se dit de Dieu
au sens relatif, que le bien est dans le même sens le
premier nom de Dieu, et d'en donner comme raison
que le bien s'étend a l'être et au non-ètre, tandis que
l'être n'a d'influence que sur l'être. Sum. theol., Ia, q. v,
a. 2, ad l"ln sq. Voir dans le sens de cette exposition
historique de la pensée de saint Thomas, Lossada, Cur-
sus philosophions, Physica, tr. I, disp. II, c. IV, n. 30 sq.,
Barcelone, 1883, t. iv, p. 1(59; voir, dans le sens de
l'interprétation systématique du même docteur à l'aide
de quantité de distinctions et d'entités, Petrusa Bergomo,
Tabula aurea, duh. 114, 461, 562,567, etc.
En effet — nous continuons sans discussion notre
rôle de rapporteur — l'être, en tant que cause, implique
la cause exemplaire. De veritale, q. xxi, a. 2, ad 2'"".
Mais il n'y a en Dieu au sens strict d'autres idées que
celles des formes ou du composé. Ibid., q. ni, a. 5;
Sum. theol., Ia, q. xii, a. 1, ad 2um; q. xv, a. 3, ad3um.
Donc, au sens où parle Denys, il est vrai de dire, ens
se extendit ad existentia lantum. D'un autre coté,
puisque la matière en tant qu'opposée à la forme n'est
pas pour Denys comme pour les platoniciens une
pure privation, il faut conclure que la matière est un
bien par participation; et donc, Denys a raison d'écrire
dans sa terminologie : bonum se extendit ad existen-
tia et non existentia.
On sait que pour M. Bergson « le non-ètre plato-
nicien, la matière aristotélicienne » sont identiques.
Cf. Evolution créatrice, Paris, 1907, p. 3V2. C'est
d'après lui « un zéro métaphysique qui, accolé à l'Idée
[c'est-à-dire à la forme] comme le zéro mathématique
à l'unité, la multiplie dans l'espace et dans le temps. »
Nous n'avons pas à discuter ici la pensée historique
de Plolin ou d'Aristote; nous n'entreprendrons pas
davantage de légitimer l'exégèse de saint Thomas; ce
qui seul nous intéresse, c'est sa conception de l'aristo-
télisme et l'usage qu'il en a fait pour l'interprétation
des néoplatoniciens; et il sera facile de voir que la
pensée de saint Thomas est sans affinité aucune avec
le plotinisme de M. Bergson. Celui-ci identifie le non-
ètre platonicien et la matière péripatéticienne. Saint
Thomas oppose au contraire les deux systèmes; pour
lui, les platoniciens errent parce qu'ils ont fait consis-
ter la matière en une pure privation; Aristote au con-
traire, tout en retenant la privation comme un îles
principes du composé, ne fait pas consister la matière
dans une pure privation; elle esl d'après le Stagyrite
un être en puissance. Elle est un être, puisqu'elle a
une cause efficiente, unicuique competit habere eau-
sam agentem secundum quod habet esse, Sum. thi
I«, q. xi. iv, a. I, ad 3"m ; et il faut ici se souvenir que,
d'après saint Thomas, Aristote a admis la Création l
nihilo, bien plu- la création de la matière en tant
qu'opposée à la forme, oportet quodetiam illud quod
te habet ex parte potentia, sii creatum. Ibid., a. 2,
.ni :: Elle esl un cire en puissance, puisque, bien
qu'elle ■-oit un êtn sa lens où ce mot s'emploie pour
désigner l'actualité des choses, elle ne l'est pas an sen^
on l'être se dll soil des formel oil 'le la sub-
stance complète, mais est ordonnée è le devenit ,
mn (t.- la foi m' . ' • 'i11' i "" i"11' exprlmi i
iiis.mi quelle est un être réel, auquel i si joinl cet être
n qu'est la privation. De veritale, q. xxt, a. 2,
H or
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES
119G
ad 7,1,n. Or, si elle est un être en puissance, elle esten
soi un bien; et Algazel s'est trompé en mettant cette
conclusion en doute, lbid., ad 3llni ; Sum. llieol., [*,
q. v, a. 3, ad 3UI". Elle est un bien. D'abord, en vertu
du principe de la convertibilité de l'être et du bien, in
tanturn est aliquid bonum in quantum est ens : esse
enim est aclualilas omnis rei, Sum. theol., Ia, q. v,
a. 1; ensuite, parce qu'elle est un être en puissance,
omne subjectum in quantum est in polentia respectu
cujusque perfeclionis, eliam maleria prima, ex hoc
ipso quod est in polentia, liabet boni rationem. De
plus, elle est en soi un bien, c'est-à-dire par dénomi-
nation intrinsèque. En effet, bien que la matière soit
comme tout le reste un être par participation, c'est par
sa nature même qu'elle est un être en puissance; c'est
donc par dénomination intrinsèque qu'elle est un
bien : maleria prima potentiam liabet per se ipsam ;
et cum polentia perlineat ad rationem boni, sequilur
quod bonum conveniat ei per seipsam. De nialo, q.i,
a. 2. La même conclusion suit du fait que la matière
« est », au sens où l'être signifie l'actualité des eboses;
unumquodque secundum suam essentiam liabet esse;
in quantum aulem liabet esse, liabet aliquod bo-
num; or rien n'est plus intrinsèque que l'essence,
la matière est donc intrinsèquement un bien. Contra
gentes, 1. III, c. vu, n. 2. Et ces principes paraissent
tellement certains à saint Thomas qu'il en fait la base
de sa réfutation du manichéisme : quod nialum non
est aliqua natura. Telle est la notion de la matière que
saint Thomas pense trouver chez Aristote et qu'il fait
sienne après avoir constaté qu'elle est non seulement
conciliable avec le dogme chrétien, mais encore incom-
patible avec les erreurs fondamentales de son temps. Or,
saint Thomas se flatte de retrouver cette notion chez
Denys. Celui-ci appelle, il est vrai, la matière un non-
être; mais non pas au sens d'une pure privation; pour
lui, elle n'est un non-être qu'en raison de la privation
qui lui est adjointe. Sum.' llieol., Ia, q. v, a. 3, ad 3uro.
Ne dit-il pas, en effet, expressément : ipsum non ens
desiderat bonum1? In IV Sent., 1. I, dist. VIII, q. i,
a. 3, ad 2um. D'où il faut nécessairement conclure que
d'après Denys la matière, en tant qu'opposée à la forme,
est un bien, participé il est vrai, mais intrinsèque, en
vertu du principe : nihil appétit nisi simile sibi.
Sum. theol., Ia, q. v, a. 2, ad lum. De la sorte, puisque
le non-être de Denys n'est autre que l'être en puis-
sance d'Aristote et est comme lui un bien par dénomi-
nation intrinsèque, l'Aréopagite a eu raison d'écrire
que la bonté divine prise au sens causal s'étend au
non-être comme à l'être. Cf. Suarez, Disp. metaph.,
disp. X, sect. m, n. 24.
Enfin, du même point de vue de la manifestation
causale de la perfection divine où il s'est placé, Denys
dit avec raison que le bien précède l'être. Saint Tho-
mas joint ici à la considération de la cause matérielle
d'Aristote celle de la téléologie péripatéticienne; et,
comme l'a fort bien dit "Weertz, Die Golteslehre des
Pseudo-Dionysius Areopagita und ihre Einwirkung
auf Thomas von Aqttin, Cologne, 1908, p. 15, nous
sommes ici en face d'une des pensées les plus ingé-
nieuses du docteur angélique.
On sait la grande place que tient dans l'œuvre de
Denys la doctrine platonicienne de la circulation : issus
de Dieu, tous les êtres retournent à lui, tous, y compris
le non-être, désirent Dieu. Cf. Rousselot, Pour l'histoire
du problème de l'amour au moyen âge, Munster, 1908
p. 33. Alexandre de Halès avait remarqué que, dans les
contextes de Denys, l'idée du bien dont toute l'appéli-
tion est liée à celle de but, de fin ; et il avait noté d'un
mot : rursus bonum dicil conditionem finis, quia, ut
ail Boelius, omnia bonum exoptant. Summa, Venise,
1576, part. I, q. xlix, m. 17, a. 2. Saint Thomas s'em-
para de cette remarque et la mit en valeur. D'après
Aristote. le bien est le désirable : ratio boni in hoc
consista quod aliquid sit oppelibile, Sum. theol., I*,
q. v, a. 1, et il est aussi le but ou la fin. lbid., a. 4.
Cf. Suarez, Disp. metaph., disp. XXIII, sect. v, n. 2.
Or on peut déduire de Denys que c'est le propre du
bien de se répandre : bonum est diffusivum sui; mais,
puisque la création est libre, cette formule ne peut
pas s'entendre au sens de la causalité efficiente; elle
n'estdonc vraie que de la causalité finale. De verilate,
q. -xxi, a. 1, ad 4um; Sum. theol., I\ q. v, a. 4, ad 2""1 ;
In IV Sent., 1. I, dist. XXXIV, q. il, ad 4um. En ce
sens, le bien est cause : bonum est perfectivum et ton-
servativum. De verilate, q. xxi, a. 1; Sum. theol., la,
q. xvi, a. 1. On peut donc concilier Aristote et Dcii>^
qui se complètent. En effet, le bien est le but auquel on
tend; or chaque chose tend à sa perfection; mais la
perfection est ce que la cause efficiente a en vue; donc
tendre à sa perfection, c'est aller au but de la cause
première; d'où Dieu est le but de chaque chose, et par
conséquent le désirable d'Aristote : omnia, appetendo
proprias perfecliones, appelunl ipsum Deum,inqvan-
tum perfecliones omnium rerum sunt quœdam sinitr
liludines divini esse. C'est ce qu'on signifie quand on
dit que Dieu est le bien, au sens relatif. Sut», theol.,
I", q. vi, a. 1, ad 2um. La raison en est fournie par
Denys, à savoir la causalité divine. Parce que Dieu
opère par manière de cause finale, les choses tendent
à lui. Cf. Suarez, Disp. melaphys., disp. XXIII,
sect. iv, n. 4, 8. D'où il faut conclure que, toujours au
sens relatif, Dieu est le souverain bien. Car, puisque la
causalité de la fin ou de la diffusion divine qui ne se
produit pas mediante aliqua virtute superaddila,
s'étend atout, Contra gentes, 1. I, c. lxxv, 5; lie veri-
late, q. xxi, a. 1, ad 4um, en ce sens il est le bien de
tout : sic enim bonum Deo allribuilur in quantum
omnes perfecliones desiderata; efpuunt ab eo sicut a
causa. Sum. theol., Ia, q. vi, a. 2. Voir col. 914. Den\s
a donc eu raison de penser que Dieu, considéré comme
le bien, précède l'être, puisque la cause finale est la
première des causes. Sum. theol., Ia, q. v, a. 2, ad lum.
Il suffit d'un instant de réflexion pour voir que toute
cette exégèse de saint Thomas implique dans sa pensée
une conception du monde dont la base est composée
des deux principes suivants : les choses et leurs parties
constitutives sont ce qu'elles sont par elles-mêmes et
non per tertium quid;les êtres naturels tendent à leur
fin par un principe qui leur est intrinsèque et non pas
seulement en vertu d'une impression accidentelle reçue
du dehors, ce qui nous permet de connaître la nature
des êtres par leurs opérations.
Le lecteur qui nous a suivi prévoit les répercussions
de cette exégèse et de cette conception du monde sur
la théodicée de saint Thomas. On a vu que. malgré des
tâtonnements, le xne siècle avait, avec Alain de Lille,
résolu correctement, je veux dire dans le sens du réa-
lisme modéré, le problème de l'unité : l'unité des
choses, bien que dérivée de la première monade, leur
est intrinsèque. En soi, les choses sont unes; ce qu'on
appelle leur composition réelle, ou vient de leur contin-
gence, ou se confond avec elle ; et par conséquent l'unité
de simplicité n'est en Dieu autre chose que l'aséité ou
en découle immédiatement. Au contraire, le XII* siècle
avait en ce qui touche le problème de l'être et de la bonté
des créatures penché vers une solution nominaliste.
Dieu est l'être par essence; tout le reste n'a l'être et la
bonté que par participation, en ce sens que l'être et la
bonté ne se disent des choses que par dénomination
extrinsèque avec connotation de la causalité divine. De
cette conception, que Gilbert qualifiait de théologique.
suivaient spontanément l'explication des attributs divins
par la connotation des œuvres divines, et la réduction
à la seule contingence de la distinction du fini et de
l'infini. Deus amat ut cltaritas, dit saint Bernard, notnt
1197
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES]
1198
ut veritas, sedct ut sequitas, dominalur ut majeslas,
régit ut principium, tuetur ut salus, operalur ut
virlus, révélât ut lux, assislit ut pietas. Quse omnia
faciunt et angeli, facimus et nos : sed longe inferiori
modo, non utique bono quod sumus, sed quod parlï-
cipamus. De consideraticne, 1. V, c. v, P. L., t. CLXXXH,
col. 795.
Saint Thomas se garda bien de mettre en question ce
qu'avait de profondément vrai cette conception tradi-
tionnelle de l'unité, de l'être et de la bonté par parti-
cipation, et corrélativement de l'un, de l'être et du bien
par essence. Quant à l'unité, il adopta simplement la
doctrine de ses devanciers, qui lui parut se concilier
avec un passage fameux d'Averrocs; mais il eut soin
de noter que l'unité qui est un concept négatif, ne dé-
pend pas de la réalisation des essences, et ne se dis-
tingue pas de l'essence, de la même façon que l'exis-
tence et la bonté, qui sont choses positives. Sum. Ihcol.,
Ia, q. vi. a. 3. Essenlia rei est una per seipsam, non
propler esse suuni. De verilate, q. xxi, a. 5, ad 7um sq.
Cf. Suare/., Disp. metapliys., disp. IV, sect. m, n. 4sq.
Mais nous aurons à revenir sur ce sujet. En ce qui con-
cerne l'être et la bonté, il se sépara au contraire en partie
de la théorie du xne siècle. Il en retint cet élément qu'il
déclare communément admis de son temps : on ne peut
pas concevoir philosophiquement d'une façon adéquate
l'être et la bonté du fini, si l'on ne fait intervenir la no-
tion d une relation de dépendance causale du fini par
rapport à l'infini, Hum. theol., I», q. xi.iv, a. 1, ad lum,
relation qui pour l'être est celle de l'effet à sa cause
efficiente, et pour la bonté celle de l'effet à sa cause
finale d'après Boèce et Denys, à sa cause exemplaire
d'après saint Augustin. Cf. De verilate, q. XXI, passim,
et surtout, a. 1, ad lum; a. 4, et ad 4um; Sum. theol.,
Ia, q. vi, a. 3. Il est vrai que l'être peut être conçu d'une
façon absolue, et cela vient, d'après saint Thomas, de
ce que psychologiquement l'idée d'être est la première
de nos idées. Sum. theol., D, q. v, a. 2, contra; De
verilate, q. i, a. 1; q. xxi, a. 2, ad 5um ; a. 4, ad V11".
C'est, pense saint Thomas, ce qu'énonce la fameuse pro-
position du livre De causis : prima rerum crealarum
est esse, formule qui met en relief la priorité de raison
de l'être sur le bien, de l'absolu sur le relatif. Mais on
ne conçoit bien l'être fini comme distinct de l'infini que
si l'on pense à la contingence de l'un et à la pleine suf-
fisance de l'autre, lbid., ad 7'"" sq. A plus forte raison,
en est-il ainsi de la discrimination du bien fini. Gilbert
de la Porrée a parfaitement raison de dire qu'au point
de vue du théologien, qui est celui du fidèle, Contra
génies, 1. II, c. iv, les créatures ne sont bonnes que par
participation. Car si l'on fait abstraction du rapport de
leur essence à Dieu leur fin, elles ne valent rien, de
même que si l'on fail abstraction de leur dépendance
de la cause première, elles n'existent pas. Si. en effet,
leur unité esl indépendante de li ur existence actuelle
el par conséquent de toute participation par voie de
causalité efficiente ou finale, il n'en esl pas ainsi de leur
t de leur bout''. Mais (iilbert et ceux qui l'ont suivi
se sont trompés lorsqu'ils onl inféré de cette concep-
tion théologique que I être el la bonté ni se disent du
fini que par dénomination extrinsèque avec connotation
n l'a vu, tel n'est pas li
de Denj i, pai lanl du non être; tel n'i il pai non plus
le sem di Boèci dans le De hebdomadibus, sur la
bonté' : s'il dit que |e~ créatun ne tonl bon m - que
par pai lil ipO ion, son intention n'e^l p.is ,|,. nj, ,- |eur
bonté intrinsèque, inharcns, mais de mettre en relief
que le rapporl à Die me cause finale est in
rable de li née. D'ailleurs, Aristote a réfulé le
réalisme des platoniciens el établi qui \um,
m et t,,, mu, < sonl des attributs intrinsèques des
ehosi date, q, xxi, a. i.
Sur ces basi - 'l un n ilisme modéré, qui n'esl autre
que celui de son temps, saint Thomas concilie saint Au-
gustin, Boèce et le péripatéticien qui a fait le De causis.
Ibid., a. 5. Ces trois auteurs dans leur doctrine de la
participation, conviennent que Dieu seul est le bien par
essence, quoiqu'ils s'appuient sur des fondements en
apparence divergents. Mais ce passage est de ceux qui
ne peuvent pas se résumer; il faut les étudier en leur
entier. Notons seulement ce point : si, dit saint Tho-
mas, on fait l'hypothèse que le fini est lion indépen-
damment de son existence actuelle, ou que l'existence
actuelle est du concept d'une créature, cette créature
resterait encore bonne et existante seulement par par-
ticipation, parce que d'une part elle ne serait pas sa
bonté, mais l'aurait, parce que d'autre part elle n'au-
rait son existence que par dépendance : nonnisi prss-
supposilo ordine ad creatorem. Cf. In I V Sent., 1. III,
dist. XI, q. i, a. 1, ad 7"'".
C'est sur le terrain de ce réalisme très modéré qui
fut plus tard celui de Suarez, que saint Thomas fait
définitivement la conciliation du platonisme et du
péripatétisme. Il faut citer. De facili accipere pos-
sumus in quo convenianl et in quo différant posi-
tiones Aristolclis et Plalonis circa immateriales sub-
stanlias. Primo quidem conveniunt in modo e.ris-
tendi islarum. Posuit enim Plato inferiores omnes
substa)ilias immateriales esse unum et bonum per
partiel palionem primi, quod est secundum se unum
et bonum. Omne autem participons aliquid, accipit
id quod participai ab eo a quo participât ; et quantum
ad hoc id a quo participai est causa ipsius, sicut aer
habet lumen participation a sole, qui est causa illu-
minationis ipsius. Cf. De poleniia, q. m, a. 3, ad 6unl;
In IV Sent., 1. I, dist. I, q. I, a. 1, ad (>""•; De verilate,
q. xxi, a. 4, ad 2um. Sic igilur secundum Plalonem
summus Deus causa est omnibus immalerialibvs sub-
slanliis,quod unaquœque earum el unum sit et bonum
sit. Et hoc etiam Aristoteles posuit, quia, ut dicit, ne-
cesse est ut id quod est maximum ens et maxime ve-
runi, sit causa essendi et verilalis omnibus aliis. Voir
col. 91(5. Secundo autem conveniunt quantum adeon-
dilioncm natures ipsarum, quia uterque posuit omnes
hujusmodi substantias penilus esse a maleria innuu-
nes,non autem cas esse immunes a compositions po~
tcntiœelaclus: nam omne participons ens oportel esse
compositum poleniia et aclu. Id enim quod recipilur
ut participation, opnrtet esse actum ipsius subslaiil ai-
participant is ; et sic cum omnes subslantiœpruler su-
premam, qum est per se unum cl per se bonum, sinl
participantes secundum Plalonem , ncccssc esl quod
omnes siut eomposiisc ex potentia et actu. Cf. Sum,
theol., I», q. m, a. 7; De potentia, q. ni, a. 5. Quod
etiam necesse esl dicere secundum sententiam Aris-
tolclis. Ponil enim quod ratio veri et boni attrihui-
tur aclui; unde illud quod esl primum verum et
primunx bonum, oportel esse actum purum. Quœ-
cumque vero ab Ion- deficiunt, oportet aliq\
permistionem poientiœ habere. Opusc, XV, lu* sub-
stantiis separatit, c. m. Ce rapprochement n'est inlel-
ligible et conciliable avec ce qui précède qu'autant que
l'on admet que la différence essentielle du fini et de
l'infini est la contingence de l'un, l'aséitd de l'autre,
en d'antres t- rmes que non seulement i i mais
la possibilité même du Uni, supposent i infini; d'où il
suit que tout être Uni est com] tod esl et de
quo e$t, COD parle Boèce, par le fait même qu'il
dépend d'une cause, l s auod tst el le quo est peinent
ne différer que suivant notre manière de concevoir,
comme il arrive dans l'anj i quidditas erii
quod i-si fuum ess$, et quo est. Et quia omne quod
habet aliquid non a te, est possibile respectu itlius
hujusmodi quiddilatis ; cum [angeli habeantesse ab
aHOftruni possibilet respectu illi\ respectu
i jio, habent, in quo nulla eadem potentia et >'>'
4199
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES;
1200
in lait quidditate invenitur potentia et actus, du <jko
est et quod est. Opusc, LIV, De quo est et quod est.
Tel est, historiquement, le procodé par où, dans la
doctrine de saint Thomas, on fusionne la doctrine pa-
tristique de l'être par essence et de l'être par partici-
pation avec la théorie péripatéticienne de l'acte et de
la puissance. D'après l'École que depuis le XVe siècle
on est convenu d'appeler thomiste, ce qui a fait perdre
à saint Thomas le heau titre de doclor communis qu'il
portait au XIVe siècle, la soudure se fait à l'aide de l'in-
troduction d'une distinction réelle entre l'essence et
l'existence du fini, ce qui établit entre le quod est et le
quo est la même relation qu'entre la forme et la ma-
tière, conçue d'ailleurs comme en soi non-existante.
Mais, d'après saint Thomas, le point de soudure n'est
autre que ce que l'on a appelé depuis la puissance ob-
jective du lini. Suni. theol., Ia, q. xlvi, a. 1, ad lllm;
De potentia, q. v, a. 3. De ce mode de conciliation, dont
saint Thomas paraitavoir dû l'idée à Averroès, il résulte
immédiatement, comme l'a fort bien mis en lumière
Suarez, Disp. metaphys., disp. XXVIII, sect. i,que les
premières divisions de l'être : infinitum et finitum , ens
a se et ab alio, ens necessarium et ens contingens, ens
per essenliam et ens per parlicipalionem , ensincrea-
tum et ens creatum, purum aclum et ens potenliale,
sont équivalentes. Cette équivalence établie, il est évi-
dent que, malgré ses formules péripatéticiennes, la
scolastique postérieure à saint Thomas ne diffère pas
pour le fond des choses de la théodicée des siècles pré-
cédents et s'y ramène facilement. Ce point acquis, il
ne reste plus qu'à exposer comment saint Thomas par-
vint à expliquer la connaissance de l'infini, tout en
restant fidèle à la théorie péripatéticienne de la
connaissance.
b) L'épistémologie d'Aristote combinée avec le pla-
tonisme pour rendre compte de la notion d'infini. —
Vu le rôle accordé à l'étiologie d'Aristote par saint i
Thomas, on pourrait croire que d'après lui nous ne j
concevons pas Dieu au sens absolu, mais seulement au i
sens relatif. Rien n'est plus éloigné de la pensée de
saint Thomas. Il dit en effet expressément :hoc nomen \
bonum est principale nomem Bei, in quantum est
causa, c'est ainsi, nous l'avons vu, que l'entend Denys,
mais il ajoute, non tamen simpliciter ; nam esse abso-
lute prœintelligitur causse. Sum. theol., Ia, q. xm,
a. 11, ad 2um; In IV Sent., 1. I, dist. XXII, q. i, a. 2,
ad 2UI". Voir Denys le Chartreux, In IV Sent., 1. I,
dist. VIII, q. il, vers la fin. Cf. Lossada, Cursus philo-
sophicus, Physica, tr. II, disp. III, Barcelone, 1883,
t. v, p. 224. Quand, en effet, nous disons que Dieu est
le souverain bien, cela peut avoir un sens relatif; il est,
en effet, ce qui satisferait tout notre désir du bonheur,
ou comme parle M. Tyrrell, « nos besoins spirituels,
moraux et mystiques », Through Scylla and Cltaryb-
dis, Londres, 1907, p. 274, in quantum, dit saint
Thomas, omnes perfectiones desideratas prof lu tint ab
eo. Sum. theol, Ia, q. VI, a. 2. Mais le sens relatif
suppose et implique l'absolu, parce que pour être
cause il faut d'abord être. De plus, Dieu ne saurait
être de fait la cause finale de toute chose, sans en être
la cause finale de droit. Ibid.; In IV Sent., 1. I,
dist. XVIII, q. i, a. 5; Sum. theol., Ia, q. xliv, a. 4.
Or, être de droit la cause finale de tout et en même
temps être la cause efficiente en fait et en droit de
tout entraîne en Dieu la pleine suffisance de l'être, et
explique comment, malgré la transcendance divine,
nous arrivons par le moyen des créatures à la con-
naissance de la divine perfection. Sum. theol., Ia,
q. iv, a. 3. Voir col. 915, 939-941. Mais cette perfection
est-elle l'infini positif, la plénitude de l'être, et com-
ment par la voie de causalité concevons-nous l'infini
dans les principes de l'épistémologie péripatéticienne'.'
Ce fut Denys qui fournit à saint Thomas la solution.
Voici comment. D'abord, saint Thomas ramène à
l'unité les preuves traditionnelles de l'existence de Dieu
rapportées par l'ierre Lombard, et les trois voies
d'affirmation ou de causalité, de négation et d'éminence
dont parle Denys au c. vu, De divinis nominibus. Les
quatre preuves de Pierre Lombard, 1. I, dist. III, sont
identiques, dit saint Thomas, aux trois voies de Denys.
In IV Sent., 1. I, dist. III. divisio primas partis
textus ; Sum. theol., Ia, q. XII, a. 12; De anima, a. 16.
Et ratio hujus est quia esse creatune est ab altero,
unde secundum lioc ducimur ad causant, a qua est.
En d'autres termes, les preuves de l'existence de Dieu
se ramènent toutes à l'argument de causalité. Voir
col. 943. Ce principe supposé, l'accord de Denys avec
la tradition résumée par Pierre Lombard et avec
Arislote est facile à découvrir. En effet, la voie d'affir-
mation telle que l'entend Denys est identique à la pre-
mière preuve par la causalité du Lombard. Mais les
choses nous manifestent qu'elles ont une cause surtout
par leur imperfection et par leur mutabilité, c'est-à-
dire par leur contingence et par leur limitation, car
la mutabilité est une conséquence de la limitation ou
de l'imperfection, vu que l'être absolument parfait
ne saurait rien acquérir ni désirer. Voir col. 944 sq.
Or, nier de Dieu la contingence, cest-a-dire l'insuffi-
sance à l'existence ou à l'action, et par suite l'imper-
fection, c'est la voie dénégation de Denys; et la seconde
preuve du Lombard implique ce procédé. Enfin, nier
de l'être divin toute limitation, c'est la voie d'éminence
de Denys; et les deux derniers arguments du Lombard
ne sont que l'application du procédé. On voit que
l'étiologie d'Aristote sert à ramener Denys à la doctrine
commune de la connaissance de Dieu exclusivement a
posteriori.
En second lieu, saint Thomas a recours à Aristote
pour résoudre certaines formules patristiques qui
l'embarrassent. Ecrites pour nier la connaissance com-
préhensive ou directe de Dieu que certains hérétiques
s'étaient attribuée, ces formules paraissaient favoriser
l'agnosticisme et mettre en question la porlée ontolo-
gique de notre connaissance de la nature intrinsèque
de Dieu. Saint Jean Damascène avait écrit que la
substance de Dieu nous est inconnue. De potentia,
q. vu, a. 2, ad lum; De veritate, q. Il, a. 2, ad 9"m.
Denys avait dit que la parfaite connaissance de Dieu
est de savoir qu'on l'ignore. De potentia, q. vu, a. 5,
ad 14um. C'est, interprète saint Thomas se souvenant
d'une thèse de la logique d'Aristote enseignant que la
vérité formelle n'est que dans le jugement, c'est que
nous n'atteignons pas l'être divin, sans le secours
d'une proposition, et par conséquent d'une façon mé-
diate. Sum. theol., îa, q. m, a. 4, ad 2ura; Contra
génies, 1. I, c. xn : voir sur ces deux passages les
commentaires de Cajetan et de Eerrariensis, contre
Duns Scot. D'où il suit que saint Jean Damascène a
fort bien dit que nous n'atteignons pas la substance
divine en elle-même. Entré dans cette voie, saint Tho-
mas trouve dans la nature même de l'acte psycholo-
gique par lequel nous nous formons l'idée de Dieu, la
raison de l'imperfection de cette connaissance. Nous
devons distinguer dans notre connaissance de Dieu la
chose signifiée et notre mode de la signifier. Nous ne
devons pas transporter en Dieu le modus significandi,
d'abord, parce que la similitude de Dieu que nous
fournissent les choses finies est déficiente, voir col. 900;
Tolet, In ;<"», q. xm, a. 1, Rome, 1869. t. i, p. 181 :
ensuite et surtout parce que concevant Dieu à l'aide
d'un jugement, nous ne pouvons pas atteindre ce qu'il
y a d'incommunicable dans sa nature. Xos jugements,
en effet, entraînent la catégorie du temps : intelleclut
cm)iponendo et dividendo cointelligit tempus, ut dici-
lur in 111" De anima. Et la raison en est que notre
substance est dans la durée, en ce sens qu'elle n'a pas
1201
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES)
1202
en elle-même sa raison d'êlre adéquate, qu'elle est
contingente, c'est-à-dire ab alio. De veritate, q. I,
a. 5; Perihermeneias, 1. I, c. xiv; In IV Sent., 1. I,
dist. XXXVIII, q. i, a. 5. Cf. Vasquez, In 7an\
disp. LXIV, Paris, 1905, t. i, p. 527-530, notes. C'est au
contraire l'incommunicable propriété de la nature
divine de se suffire pleinement et dans tous les sens
à elle-même, ipsum esse per se subsistens. De cette
transcendance résulte pour la créature l'impossibilité
d'atteindre naturellement la nature divine telle qu'elle
est en soi, Sum. iheol., Ia, q. xm, a. 4; et, si celle-ci
se manifeste, l'impossibilité de la pénétrer comme elle
se connaît elle-même. Cf. G. de Rbodes, Disputationes
llieol. scholasticœ, t. i, disp. II, sect. i; Franzelin, De
Deo uno, th. xvm. Mais prendre conscience de cette
impossibilité radicale, c'est s'élever à la notion la plus
parfaite que nous puissions avoir de Dieu. Cf. d'AIès,
liiction. apologétique, t. I, col. 57. Denys a donc bien
dit, en s'inspirant d'un mot de Platon, que connaître
Dieu, c'est savoir qu'on l'ignore. De causis, lect. VI.
Cependant le péril d'agnosticisme est écarté. Car,
puisque le principe de causalité est à la base de toutes
les démarches de notre esprit pour connaître Dieu, le
procédé déduclif en vertu du principe de raison suffi-
sante aboutira nécessairement à des affirmations caté-
goriques sur la nature intrinsèque de la divinité. Voir
col. 784, 918.
Reste enfin la question de l'infini. Bien que la théo-
dicée de saint Thomas ne soit pas, comn.e celle de
saint Anselme par exemple, une théodicée de l'infini,
parce que chez lui la déduction des attributs se fait
surtout par voie de causalité, il connaît la tradition sur
ce point et veut lui rester fidèle. Il sait si bien que la
théodicée des anciens a pour point de départ ou pour
centre l'idée de la plénitude de l'être, qu'il concède aux
agnostiques, Avicenne et Maimonide, que, s'ils gardaient
sauve l'idée de l'être absolument parfait, leur théodicée
serait identique à celle des chrétiens. In IV Sent,, \. I,
dist. II, q. i, a. 3; dist. VIII, q. i. a. I, contra; Sum.
tlieol., Ia, q. xm, a. 1 1 . Dieu, et Dieu seul, est et peut
être absolument infini : quia ejus essrntiu non litni-
tatur adaliquam <icterminatam per/eclioneni, sed in
te includit omnern moduni perfectionis, ad quem
ratio entitatis se extendere potcst. De veritate, q. xxix,
a. 3; De potentia, q. vil, a. .">. 11 s'agit ici, il est bon de
le remarquer, de l'infinité positive de Dieu, au sens de
la plénitude de l'être, et non pas de ce qu'on appelait
alors l'attribut négatif spécial de l'infinité, dont il est
directement question dans la Sum. theol., Ia, q. vu.
C'est llenvs qui fournit à saint Thomas le moyen de
rattacher cette notion à son épistémologie péripatéti-
cienne. Cf. Sum. theol., Ia II", q. n, a. 5. ad 5BIB;
I», q. xm, a. 1 1 ; q. iv, a. 2, ad 3"m ; De veritate, <\. x,
a. I. ad ■". De potentia, q. vu. a. 2, ail 9am. Cf. Zim-
mermann, Ohne Grenzen "»./ Enden, Fribourg, 1908.
Dans les objets de ootre expérience, c'est de l'insuffi-
sance a l'existence ou contingence que provient la
différence entre l'essence et l'existence actuelle, ri
aussi l.i série des prédicats qui sont communs i ci
jets el iw' les distinguent pas, tris que produisibles, an-
nihilables; il en résulte par suite qu'aucun être de cette
turail être infini, ou épuiser la di
d'être la conséquence est néci ni. puisqu'aucun
d'eu* n'épuise même la notion restreinte d être créable,
Toussont donc finis, limités, el par suite di Rnissablei
Bien plus, impossible de les caractériser par la notion
d'étri par 'ire on entend l'existence actuelle,
cette ■ dam leur notion -i
par 'ire h h ' ni. mi leur réalité, ce terme ni les • i i sti n-
gue pas, car il • si de i""- le plus abstrait el le m
oanl i n i fTel . dans les êtres conl 1 1 srto
même de ee qui vient il ''lie dit, plus li - termi - sont
bas dans l'échelle de Porphyre, en», $ub$tantia > ivetu,
rationale, plus ils sont riches en compréhension : la
rationalité ajoute à la vie, et celle-ci comprend les de-
grés supérieurs et l'être. L'être, au contraire, qui trône
au sommet de l'échelle est ce qu'il y a de plus indéter-
miné. Mais quand il s'agit de l'être qui est par soi, ipsum
esse per se subsistens, tout se passe autrement. La rai-
son en est qu'être au sens de l'existence actuelle est de
la notion même de la nature divine; et si la limitation
provient dans l'être participé précisément de sa con-
tingence, par la raison inverse celui qui est par lui-
même épuise la notion d'être, et il est de sa définition
qu'on ne puisse rien lui ajouter. Sum. tlieol., Ia, q. m,
a. 4. Déjà saint Bernard avait indiqué' ce procédé,
Sermones in Cantica, serm. lxxxi, P. L., t. cxxxxm,
col. 1172. On le retrouve chez Suarez, De divina sub-
j stantia, 1. I, c. m, et chez Franzelin, De Deo uno,
th. xx, 3e édit., p. 259.
IV. lNKLtENCE DE LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE DES
Arabes. — Si l'on s'en tenait à ce qui précède, il sem-
blerait qne la scolastique du xme siècle n'est guère
redevable aux Arabes, que ceux-ci ne lui ont rendu
d'autre service que de lui passer Aristote, et qu'ayant
feuilleté celui-ci les scolastiques n'eurent pour dépasser
leurs devanciers qu'à en utiliser quelques principes,
qui leur permirent de revenir à la grande tradition
patristique mieux comprise. Cette impression serait
contraire aux faits, dont il faut maintenant donner
connaissance. Sans cette étude on ne comprendra
jamais deux faits : celui du rapide et durable succès
d'Aristote, si tôt après sa condamnation; celui du
grand nombre de problèmes nouveaux, dont quelques-
uns sont aujourd'hui encore des actualités, dont
s'occupa le XIII8 siècle, et sur lesquels disputèrent les
siècles suivants. Ajoutons qu'à notre avis l'intelligence
exacte d'une bonne partie des docteurs du xme siècle,
spécialement de saint Thomas, dépend de la connais-
sance de la littérature arabe qui fut l'une des sources
où ils puisèrent.
Le Coran est nettement monothéiste; ce qu'il dit de
[lieu, le dogme de la Trinité mis à part, se rapproche
beaucoup de ce qu'on lit dans l'Écriture et de ce
qu'enseigne la tradition chrétienne; ajoutons que la
foi musulmane est très dogmatique. Bien que rien ne
soit moins philosophique et moins mystique que la
religion de l'islam, cf. Carra de Vaux, La religion de
l'islam, Paris, 1909, le mysticisme et une certaine
philosophie apparurent cependant de lionne heure dans
le monde musulman.
' 1" Le sou/isme. — L'origine du mysticisme musulman
ou soufisme est des plus discutées. Ce qui le caractérise,
c'est le rôle qu'il accorde à l'extase. Apres avoir p
par diverses phases préparatoires, le soufl parvient à
l'illumination directe, à l'union avec Ificu, dont en
rel étal il prétend contempler intérieurement la vraie
nature. A la lumière de la connaissance véritable
ainsi acquise, le souli continue à penser que l'islam
est la meilleure religion, mais il ne reconnaît au Coran
et aux traditions musulmanes qu'une valeur toute
relative; les formules du livre n'instruisent DBS sur la
vérité divine, elles ne servent qu'à guider l'espril vers
la réalité. Cette réalité es) qne Dieu seul existe; tous
ii être réellement distincts, sont une
émanation de lui el retournent é loi; cette émanation
esl éternelle el nécessaire, Dieu, en tant que distingué
iiti'it l'être abstrait, tantôt la plénitude
de l'être, mais toujours avec une tendance panthéiste.
traita on reconnaît le plotinisme. Cf. Sal a,
art. Soufisme, dans I Cai rs de
V;ni\. G c. vil sq., Paris, 190 '
N,., loni pa • examiner Ici la question di -
rapporta de la cabale 't do soufisme; nous ne dl
le problème des rapporta de la
cabali is p* i ipati lico plotinienne
1203
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES]
1204
d'Avicebron. Voir CABALE ; cf. Myer, (Juabbalah, The
philosoplaj of Tbn Gebirol, the (Juabbalah and Ihe
Zohar, Philadelphie, 1888; Witlmann, Die Slellung
Avencebrol's int Entwichlungsgang cler arabischen
Philosophie, Munster, 190."», t. V des Beitrùge de
Banimkcr. 11 nous suffit de noter que la philosophie
religieuse juive suivit au moyen âge les vie issiludes de
celle des Arabes. Nous pouvons donc, pour ne pas être
trop long, parler des Juifs en même temps que des
Arabes. Les scolastiques les ont d'ailleurs utilisés et
réfutés de la même façon. On sait que le De ente et
essentia de saint Thomas est rédigé contre Avicebron,
cf. Wittmann, Die Slellung des hl, Thomas von
Aquin zu Avencebml, Munster, 1900, au t. m des
Beilràge; et nous verrons plus loin qu'il réfuta Mai-
monide en même temps qu'Avicenne.
2° Spéculation arabe. — Dans le Guide des égarés,
part. I, c. lxxi, trad. Munk, t. i, p. 340, Maimonide
raconte ainsi comment se fit l'introduction de la spécu-
lation philosophique dans le monde musulman.
« Lorsque l'Église chrétienne eut reçu dans son sein les
Grecs et les Syriens, parmi lesquels les opinions des
philosophes étaient répandues, les savants grecs et
syriens virent qu'il y avait dans la religion des assertions
avec lesquelles les opinions philosophiques étaient en
manifeste contradiction. Ces savants commencèrent
alors à établir des propositions, profitables pour leurs
croyances, et à renverser les opinions des philosophes qui
ruinaient les bases de leur religion. Lorsque les secta-
teurs de l'islamisme eurent paru et qu'on leur transmit
les écrits des philosophes, on leur transmit aussi ces
réfutations, qui avaient été écrites contre les livres des
philosophes. Et ils s'en emparèrent dans l'opinion d'avoir
fait une importante trouvaille. » Maimonide ajoute que
les docteurs musulmans pour mieux réfuter les erreurs
des philosophes s'écartèrent beaucoup plus des doctrines
des philosophes que n'avaient fait auparavant les
chrétiens grecs et syriens, nesloriens ou jacobites, et
qu'en particulier ils adoptèrent la doctrine des atomes
et du vide au lieu de l'hylémorphisme d'Aristote.
Dans l'histoire de la spéculation chez les Arabes on
distingue ordinairement les Motékallim et les philo-
sophes. Les Motékalliin au sens général du terme sont
les scolastiques du Coran; les traductions latines dont
se servaient nos scolastiques rendaient ce mot par
loquenles, ou comme dit quelquefois saint Thomas,
conformément à la traduction d'Averroès dont il se
servait, loquenles in lege Maurorum. Il en était d'héré-
tiques au point de vue des croyances et des traditions
musulmanes : les Motazélites, cf. Carra de Vaux, Avicenne,
c. H, Paris, 1900, et d'autres plus attachés à l'orthodoxie
coranique, auxquels on réserve quelquefois le nom de
Motékallim, par opposition aux Motazélites, ou dissi-
dents. Mais tous s'accordaient à se défier d'Aristote et
•du néoplatonisme. Aussi quand on oppose le mot Moté-
kallim à celui de philosophes, il désigne tous ceux qui
ne suivent pas le péripatétisme; et alors le terme philo-
sophe signifie les continuateurs de la tradition grecque
reçue des chrétiens de Syrie, en d'autres termes les
partisans du péripatétisme néoplatonicien. Ibid., c. IV.
Nous suivrons cette terminologie, classique parmi les
arabisants.
Les philosophes ne se distinguaient pas des Motékal-
lim seulement par l'admission de la physique d'Aris-
tote, mais aussi et surlout par leur position à l'égard
de la révélation du Coran, et, en ce qui concerne les
Juifs, de la Bible. D'après eux, « la philosophie grecque
était vraie au même degré que la révélation; il existait
a priori un accord entre la philosophie et le dogme.
Mais en réalité la philosophie grecque contenait une
masse d'idées passablement complexes et divergentes,
et il n'est pas toujours aisé de voir du premier coup
•comment ces théories pouvaient s'adapter à la théolo-
gie de l'islam. » Carra de Vaux, Avicenne, p. 80. Le
principe général de solution admis par les philosophes
était que le Coran a un sens exotérique à l'usage du
vulgaire, et un sens ésotérique. Sur ce principe, les
philosophes étaient d'accord avec les soufis, auxquels
l'extase apprenait ce qu'il fallait considérer comme vrai
au sens littéral dans le Coran, et ce qui devait s'cnlen-
dre au sens figuré. Et, du fait que les Motékallim admet-
taient généralement que certains termes anlhropomor-
phiques du Coran sont figurés et ne doivent pas être
pris à la lettre, les philosophes concluaient au droit
général de l'interprétation ésotérique. Cf. Averroès,
Accord de la religion et de la philosophie, trad, Gau-
thier, Alger, 1905, p. 26 sq. Quant au moyen de légiti-
mer cette interprétation, il élait double. Les uns, et
Avicenne est de ce nombre, recouraient aux doctrines
de l'extase et du soufisme; pour eux, non seulement le
Coran, mais la philosophie même d'Aristote avaient un
sens exotérique ou en apparence littéral, et un sens
ésotérique réservé aux initiés et compris seulement
par le moyen de la vision de l'essence divine et de
l'union avec elle. Les autres philosophes, et Averroès
est leur principal représentant, reconnaissaient aux
conclusions de la raison une valeur absolue. En cas de
conllit entre la philosophie et la lettre du Coran, ils
soutenaient qu'on avait toujours le droit de « recourir
à l'interprétation, c'est-à-dire de faire passer la signifi-
cation de la lettre du sens propre au sens figuré, i Op.
cit., p. 26. Par exemple, si la philosophie démontrait
l'éternité et la non-création du monde, il fallait « inter-
préter » les formules de Mahomet, qui ont l'air de dire
le contraire. Toutefois, il y avait d'après Averroès une
limite à ce droit : « car l'interprétation ne va pas jus-
qu'à la négation de l'existence. » Ibid., p. 39. Ainsi
celui qui nierait l'existence des biens et des maux de
la vie future, et interpréterait ce qu'en dit le Coran en
ce sens que « ce dogme n'a d'autre but que de préser-
ver les hommes les uns des autres dans leurs corps et
dans leurs biens, qu'il n'est qu'un arlifice, et qu'il n'y
a d'autre fin pour l'homme que sa seule existence sen-
sible, » ibid., p. 37, celui-là serait un infidèle, parce
que son interprétation pragmatiste irait jusqu'à la né-
gation de l'existence des biens et des maux futurs. Bien
qu'Averroès admit lui aussi, non pas pour le derviche
tourneur, mais pour le sage philosophe, une certaine
connaissance immédiate de Dieu en cette vie, il ne fai-
sait en somme voir au sage directement que ce que le
raisonnement démontrait de Dieu et du monde; en
sorte que pour lui la philosophie n'avait pas, comme
pour Avicenne, un sens ésotérique. Il se contentait
« d'interpréter » dans le Coran, sans aller jusqu'à la
négation de l'existence, tout ce qui n'était pas con-
forme à ses conclusions philosophiques, et par consé-
quent reconnaissait à la philosophie une valeur absolue,
et au Coran une valeur seulement relative si on le pre-
nait au sens littéral ou exotérique. Avicenne allait
beaucoup plus loin. Pour lui, la philosophie n'avail
elle aussi qu'une valeur relative; seule l'extase donnait
la vérité. En réalité tout son ellort fut de construire une
philosophie à double entrée, de telle sorte qu'elle coïn-
cidât avec les doctrines soulistes. Entre ces deux modes
de conciliation de la parole révélée avec la philosophie
flottaient divers auteurs. Le plus connu des scolastiques
fut le juif Maimonide. pour qui tout ce que la Bible
nous dit de Dieu se réduit à un vaste système de sym-
boles, utiles au vulgaire pour s'approcher de la vérité,
'mais inutiles au philosophe. En théodicée, sauf sur le
point de la création, l'effort de Maimonide l'ut au fond
de justifier Avicenne contre Averroès: pour celui qui
est initié, qui sait ce qu'a vu Moïse quand il a vu la face
de Dieu, ou qui a lui-même été élevé à la vision, tout
ce que la philosophie démontre de Dieu n a qu'un sens
symbolique, relatif ou même purement négatif. Si l'on
1205
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES)
1206
voulait faire quelque comparaison avec des noms con-
nus pour préciser ce qui vient d'être rapporté, on pour-
rait rapprocher Averroès d'Hermès et de Giinther,
Avicenne et Maimonide de certains pseudo-mystiques
comme maître Eckart ou de certains protestants libé-
raux comme Ritschl. C'est de cette position singulière
de la philosophie musulmane par rapport à l'ortho-
doxie et à la valeur de la raison que naquit l'aver-
roïsme latin au XIIIe siècle et la théorie des deux vérités :
verum (pliilosophicum) vero (theologico) conlradicere
potest. Ce premier coup d'oeil sur la spéculation arabe
montre assez quelle masse de problèmes jeta dans le
monde latin d'un seul coup l'introduction de la philo-
sophie orientale. Entrons dans le détail.
3° Théodicée des Motékallim. — Maimonide nous a
laissé, et les scolastiques du xnic siècle connaissaient
par lui, les douze propositions fondamentales des Moté-
kallim. Op. cit., t. I, c. LXX1II. Il nous rapporte aussi com-
ment en théodicée ils s'appliquaient à défendre contre
les philosophes, d'abord, la création et la nouveauté ou
non-éternité du monde; ensuite et subséquemment,
l'existence de Dieu; puis, l'unité divine, entendue plutôt
au sens de la simplicité que de l'unicité, enfin l'incorpo-
rante ou spiritualité de Dieu. Ibid.jC. lxxiv sq. D'accord
sur ces points, sauf quelques rares exceptions en ce
qui concerne la démonstrabilité de l'existence et de
l'unité de Dieu, les Motékallim étaient divisés au sujet
des noms ou attributs divins. Dés le milieu du VIIIe siècle
une secte dissidente, les Motazélites, nia les attributs,
sous le faux prétexte que la pluralité des attributs est
incompatible avec l'unité absolue de la nature divine.
C'était, on le voit, se faire de la simplicité de Dieu une
notion telle que la Trinité des chrétiens devenait un
trithéisme; mais c'était aussi transformer en expressions
figurées, en métaphores et en symboles, tous les noms
qu'avec l'Écriture et les chrétiens le Coran donne à
Dieu. Opposés aux Motazélites, les Motékallim concé-
daient qu'il ne faut pas prendre à la lettre les anthro-
pomorphismes de l'Ecriture; mais ils soutenaient qu'il
faut admettre en Dieu dis attributs éternels et essentiels,
à savoir la vie, la science, la puissance et la volonté,
nous dirions la personnalité. Ces attributs étaient éter-
nels, parce qu'indépendants de la création; ils étaient
essentiels, parce que non distincts de l'essence divine.
Certains Motazélites se rapprochèrent de celte manière
orthodoxe de penser, à l'aide des formules suivantes :
Dieu est vivant par son essence; il sait par son essence.
Au x" siècle, se forma la secte des Acharites, directement
opposée à celle des Motazélites ; ils professaient sans
détour les attributs divins, mais ils les prétendaient
distincts de l'essence. C'est de cette secte que parle
saint Thomas, lorsqu'il rapporte que quelques-uns ont
prétendu que les noms divins ne signifient pas la sub-
stance divine, sed intentiones qtuudam additas essen-
tielles, De potentia, q. vu, a. 6, ou encore, a liqua
dispositio addita e us. De veritate, q. h, a. 2.
Bien que très 'lui- i u âge d'interpréter le
Coran, les Acharites, à l'inverse des Hanbalites, prenaient
au sens figuré les formules comme celle-ci : Dieu
ndit. (.i. Averroès, Accord de in religion el de la
philosophie, trad Gauthier, Alger, l'.)0.*>, p. 48, 27;
Maimonide. ir.el. Muni,. I i. p, ISO, 207 sq.; Iiiinr.in
li. Macdonald, Development of nxuslin theology, Lon-
dres, 1903; Kaufmann, Geschichle der Atlributenlehre
,,, der jùdischen Religionsphilosophie, Gotha, 1877.
4" Théodicée det phi — plies. Les philosophes
étaient d'accord i ■ lei Motékallim sur la démonstra-
bilité de l'existence et dei attributs di Dieu; mais ils
soumet ta ie ni à une critique très fini >nls qu'y
employaient les Motékallim ainsi que li - preuves qu'ils
apportaient de la création et de la non-éternité du
inonde. <T. Muller, Philosophie und Théologie des
Averroès, 1875, p. 23. Sur ce dernier point ils adoptait ut
les vues d'Aristote et attaquaient la création ex nihilo
et post nihilum, comme on l'a dit t. m, col. 2083. Quant
aux preuves de l'existence et des attributs de Dieu, ils
les empruntaient surtout à Aristote et les ramenaient
par suite à la causalité, non sans y mêler quelquefois
des vues néoplatoniciennes; car pour eux, comme pour
nos scolastiques à qui ils la passèrent, la Theologia
Aristolelis, qui n'est qu'un extrait des livres IV à VI des
Ennéades, était un ouvrage authentique. Cf. Dieterici,
Die sogenannte Théologie des Arisloteles, Leipzig, 1882.
De la sorte, les scolastiques trouvèrent dans les philo-
sophes arabes avec des arguments péripatéticiens très
élaborés surtout en ce qui concerne les attributs négatifs
et métaphysiques de Dieu, la critique des procédés
moins solides des partisans de l'atomisme. Il ne parait
pas" douteux que la partie critique aussi bien que la
partie constructive de la philosophie arabe ait gran-
dement incliné le xme siècle vers Aristote. En tout cas,
nous avons déjà dit, col. 931, qu'en ce qui touche les
preuves de l'existence de Dieu les scolastiques durent
beaucoup aux Arabes, spécialement au point de vue
dialeclique. On retrouve, en effet, leurs argumentations,
même les plus subtiles, chez Alfarabi, Aviccbron, Avi-
cenne, Ibn Tofaïl, Averroès et Maimonide. Il en est de
même en ce qui concerne la démonstration des attri-
buts. On peut, il est vrai, sur ce dernier point considérer
comme insignifiant l'apport de nouveaux moyens termes
dû aux Arabes, puisque les moyens termes nouveaux
qui leur ont été empruntés au XIIIe siècle, ou n'ont pas
survécu à la critique de la scolastique postérieure, ou
sont restés en controverse. Mais il en va autrement
quant à la précision des formules, à la rigueur et à
la profondeur d'analyse des démonstrations. Ici, le
xnr siècle parait très original, si on le compare au
XIIe; comparé à la philosophie arabe, il ne produit pas
la même impression de nouveauté'.
On a vu que l'antiquité chrétienne avait distingué les
noms figurés de Dieu et ceux qui se disent au sens
propre : ceux-ci avaient été divisés en attributs re-
latifs et absolus, et ces derniers en attributs positifs
et négatifs. Ces distinctions et cette classification ne
s'étaient point oubliées, nous en avons retrouvé la tra-
dition au XIIe siècle. Mais il faut avouer qu'elles sont
loin d'avoir chez Pierre Lombard et chez ses contem-
porains la netteté' et le relief qu'elles ont chez les sco-
lastiques du xili' siècle. De plus, nous avons vu que si
au XIIe siècle l'accord existait sur la valeur ontologique
des noms divins, la justification de cette doctrine au
point de vue philosophique laissait beaucoup a désirer.
De même au XIIe siècle la parfaite simplicité divine
avait été définie contre Gilbert de la Porrée, mais la
question des rapports du fini et de I infini, de l'être
potentiel à l'être absolu avait été mal résolue; et si
saint Bernard avait posé les principes exacts en ce
qui touche en Dieu aux rapports des attributs et de l'es-
sence, ce problème n'avait pas étédéveloppé. I ' - \iahes
ont rendu ici à l'Église un service auquel un ne s'atten-
dait pas. Ayant reçu leur péripslétisme néoplatonicien
de mains chrétiennes, ils transmirent à l'Occident chré-
tien, sinon de nouveaux témoins delà tradition palris-
tique, du moins le moyen de mieux comprendre les
témoins de celte tradition qui étaient alors connus. I t -
philosophes dans leur polémique centre les Motékallim
au sujet des attributs, de leur distinction OU de leur
identité avec l'essi nce divine, avaient bi aucoup étudié
1rs classifications anciennes que noua avont t apport* et .
ils en avaient r.-ut grand usage pour résoudre le pi"
Lie de la simplicité divine mieux que m- faisaient
leurs adversaires; dans ce but ils avaient employé la
psychologie et .hi«h i., métaphysique d'Aristote. I'
Bl poinls le \ il" lit cil . le \iii' n'eut
qu'.i profiter des analyses t. nies dans le monde musul
man. de Bagdad ■< Cordoue, durant troi II fut
1207
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES
1208
d'aulant plus enclin à le faire que la plupart des philo-
sophes arabes, suivant la Theologia Arislotelis, préten-
daient aboutir à celle formule : Dieu est l'être dont
l'essence et l'existence sont identiques. Sans doute un
certain nombre de philosophes arabes, comme Avice-
bron, Alfarabi et Avempace, entendaient cette formule
au sens néoplatonicien de l'être abstrait, ne distinguant
pas, comme le fit Avicenne, l'être logique, indéterminé
parce que pris sub eondilione negalionis determina-
tionum, etl'existence pure, indéterminée parce qu'envi-
sagée sub condilione non af/irmalionis delerminatio-
num. Cf. S. Thomas, Contra génies, 1. I, c. xxvi; voir
col. 787. Mais plusieurs d'entre eux expliquaient la
même formule de la plénitude de l'être, par exemple
Avicenne et Maimonide. Cf. Avicenne cité par El-Farani
dans le commentaire d'Alfa rabi, trad. Horten, Munster,
1906, p. 376; Maimonide, Guide des égares, 1. 1, c. LXJII.
Il est vrai que ceux-ci donnaient souvent à la formule
un sens panthéiste ou agnostique; mais, en l'épurant de
ces erreurs, elle avait l'avantage de relier ce qu'on consi-
dérait comme une doctrine péripatéticienne, au qui est
scripturaire et à la tradition patristique. Cf. S. Thomas,
In IV Sent., I. I, dist. II, q. I, a. 2; Sum. theol, Ia,
q. m, a. 4, ad lum; q. xm, a. 11. Enfin, nous verrons
que c'est à Averroès que saint Thomas dut, dans la ques-
tion de la synonymie des noms divins, de retrouver la
réponse donnée autrefois à Eunomiuspar les Pères cap-
padociens. De polenlia, q. vu, a. 6.
5° Elimination des erreurs des Arabes par voie de
tradition et d'autorité. — S'ils utilisèrent la philoso-
phie arabe, les scolastiques ne furent pas de simples
copistes ou des plagiaires. Un choix était à faire. Que
ce choix fût des plus difficiles à opérer, et que le
xme siècle ait eu le sentiment de cette difficulté, les
faits le disent assez : c'est ainsi que s'expliquent les
condamnations d'Aristote au début du siècle, le rappel
à l'esprit et aux formules de la tradition par Gré-
goire IX en 1228, Denzinger, n. 379, les querelles entre
augustiniens et péripatéticiens, enfin la condamnation
de 10 propositions en 1241 par Guillaume de Paris, et
de 219 propositions en 1277 par son successeur Etienne
Tempier. Cf. Denille, Chartularium universitatis
Parisiensis, Paris, 1889, t. i, p. 170, 487, 544. Dans ce
travail d'absorption de la philosophie hétérodoxe, ce
qui sauva le xme siècle, ce fut d'abord et surtout son
respect des conclusions traditionnelles. A la lumière
des doctrines de l'Église, peu à peu un travail se fit
qui consista à distinguer ce qui dans les Arabes n'était
pas conciliable avec le dogme, et les doctrines que
l'on ne pouvait pas accepter sans mettre en danger la
foi chrétienne. Cette élimination faite dans leur esprit,
et les controverses qu'ils eurent entre eux les aidèrent
à la préciser, les docteurs chrétiens virent ce qu'ils
pouvaient accepter des analyses souvent subtiles,
quelquefois profondes des grands penseurs arabes; ils
reconnurent que ces nouvelles données pouvaient quel-
quefois servir à résoudre certaines difficultés ration-
nelles; que d'autres, dont les germes se trouvaient
dans la tradition chrétienne, ne demandaient qu'à être
développées pour qu'il en résultât une meilleure intel-
ligence du dogme. Nous allons essayer de faire com-
prendre comment ce travail s'opéra. Mais pour préciser
disons d'abord quelles furent les thèses de la théodicée
arabe que le xme siècle rejeta, comme contraires à
l'enseignement tradilionnel de l'Église.
On a édité vers la fin du xvie siècle sous le nom de
Gilles de Rome un Calalogus errorum philosoplto-
rum ; cet ouvrage a été en partie réédité par Uauréau
dans ses Notices et extraits et par le P. Mandonnet
dans Siger de Brabant et l'averroïsme latin au
xut* siècle, Fribourg, 1899, p. 5. Il semble que ce ca-
talogue ait inspiré Eymeric, le rédacteur du Directo-
rium iuijuisitorimi. Rome, 1585, p. 253. où l'on trouve
les erreurs d'abord de plusieurs philosophes, puis
d'Aristote, d'Averroès, d'Avicenne, d'Algazel, d'Alkindî
et de Rabbi Moyses, c'est-à-dire de Maimonide. Lais-
sons de côté les erreurs concernant la création ex
nihilo et posl nihilum, la science, la liberté et la pro-
vidence divines, ainsi que le panthéisme. Voici les
propositions notées touchant la portée ontologique des
attributs. Erreurs d'AIkindi, prop. 5 : Atlribula divina
Ueo compelunl abusive; asserens inconvenienter
dici Deum creatorem, primum principium, donii-
num dominorum ; sic quod perfecliones in divinis
ni/til dicunt positive, sed tanlum per remotionem.
Erreurs d'Avicenne, prop. 13 : Sanctitas, bonilas et
alise Del perfecliones non dicunt in Deo alii/uid posi-
tive, sed lantum per remotionem : quod est contra
/idem, quse habel quod laies perfecliones verius et
perfeclius sunt in Deo quant in creaturis. Erreurs de
Maimonide, prop. 1 : Negavit in divinis esse Trinila-
tem, et quameumque multiludinem re vel ratione
prop. 2 : Asseruit altrlbula in divinis ut sapienliam,
bonilatem et similia non esse in Deo vere et realiler,
sed lantum sequivoce et vocaliler, allegans pro se
illud Prophétie : Gui me similem fecisti'? Dicit
namque quod, quum dicitur Deus sapiens, bonus et
similia, intellïgitur per causalitatem : quia scilicet
Deus dicitur bonus, quia causal bonitatem ; elpolens,
quia causât potentiam ; et sic de aliis. Rien entendu,
le manuel des inquisiteurs n'oublie pas de mentionner
que ces philosophes nient la Trinité; c'est la première
erreur reprochée à Averroès. La liste des propositions
condamnées en 1277 complète ces données. On y lit,
prop. 36 : Quod Deum in Itac mortali vila possumus
cognoscere per essenliam. C'est une opinion de The-
mistius, d'Alexandre, d'Avempace, d'Avicenne et
d'Averroès, De anima, 1. III, coin. 36, Venise, 1550,
t. v, fol. 177-180. Cf. Jean Raconthorp, Princeps aver-
roistarum, In IV Sent., 1. I, prologus, q. i; 1- IV,
dist. L, q. i, a. 2, Venise, 1527; Jean de Jandun, De
anima, 1. III, q. xxxvi, Venise, 1561, col. 428 sq. La
proposition 211 se rapporte au même objet. Denille la
cite en cette teneur : Quod intellectus noster per sua
naluralia polest pertingere ad cognitionem primas
causse. Hoc maie sonat, et est error, si intelligatur
de cognitione immediala. Les anciennes éditions des
Sentences écrivent : ad cognoscendam essenliam pri-
mas causa-... de cognitione mediata. Mais lîaconthorp
écrit : ad cognoscendam essenliam primœ causse, et
rapproche celte condamnation de Denzinger, n. 402 sq.
Raymond Lulle cite comme Raconthorp, cf. Otto
Keicher, Raymundas Lullus, Munster. 1909, Declara-
tio Raymundi per modum dialogi édita, p. 216. Il
faut donc abandonnera lecture du P. Denille, qui lais-
serait croire contre toute vérité historique qu'au
xme siècle le dogme de la connaissance naturelle de
Dieu sonnait mal. A rencontre de ces propositions
d'un intellectualisme ambitieux, on en trouve deux
qui sont nettement agnostiques : 215. Quod de Deo
non poiest cognosci nisi quia est, sive ipsum esse. 216.
Quod Deum esse ens per se positive, non est intelli-
gibile, sed privative est ens per se. Cette dernière
proposition est de Siger de Rrabant. qui la déduit
non pas d'Averroès, mais d'un des fondements du
système d'Avicenne. Cf. Siger, Impossibilia, I, édit.
Raeumker. Munster, 1898, p. 7, 5. L'avant-dernière
est d'Avicebron, Fons vilse, v, 24, édit. Baeumker,
Munster. 1895. p. 301. Elle résume d'ailleurs la doc-
trine agnostique des philosophes arabes, à l'excep-
tion d'Averroès. Notons en achevant cette .'numération
qu'elle montre à elle seule combien est peu conforme
aux faits l'opinion, généralement accréditée depuis que
Renan l'a mise à la mode, Averroès et l'averroïsme,
Paris, 1866, d'après laquelle les propositions condam-
nées en 1277 étaient toutes spécifiquement des thèses
1209
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOL ASTIQUES;
4210
d'Averroès. Ce qu'on appelle l'averroïsme latin au
xme siècle était un système fort éclectique; et même,
quant au point fondamental de la doctrine d'Averroès,
à savoir l'unité de l'intellect, saint Thomas nous
apprend que les averroïstes latins de son temps ne l'en-
tendaient pas au sens même d'Averroès : ce qui permet
au saint docteur de leur montrer qu'au fond ils n'ont
pour eux aucune autorité. Opusc, XVI, De anitate
intellectus, Venise, 1595, p. 181. Cf. Menendez Palayo,
Historia de los heterodoocos espaûolcs, Madrid, 1880,
t. I, p. 375 sq.
Telles sont les principales conclusions de la théodi-
cée traditionnelle, que contredisait la théodicée des
philosophes arahes. Ceux-ci s'accordaient à proclamer
l'absurdité de la Trinité; tous, sauf Maimonide, reje-
taient la création ex nihilo et post nihilum; tous niaient
le dogme de l'invisibilité divine ; tous, sauf Averroès,
professaient l'agnosticisme; et cela, chose étrange, tout
en prouvant par la causalité l'existence et les attributs
de Dieu, tout en professant même fréquemment que
Dieu est la plénitude de l'être. D'ailleurs ces thèses,
qui nous paraissent à bon droit disparates et contra-
dictoires, se présentaient liées en systèmes subtils, mais
dont la logique ne manquait pas de cohérence. Une
analyse des principaux de ces systèmes, connus des
scolastiques, va nous servir de moyen pour préciser
les emprunts du moyen âge à la pensée orientale.
6° Avicenne. — Puisque la philosophie d'Avicenne
a un double sens, ésotérique et exotérique, et que le
sens ésotérique en est donné par l'intuition mystique,
il est plus court pour comprendre cette philosophie de
dire d'abord ce que vojait l'extatique d'Avicenne;
cela nous donnera la clef des formules péripatéticiennes
et néoplatoniciennes qu'il emploie et aussi de plus
d'une question ou objection saugrenues que l'on trouve
chez les scolastiques duxme siècle et chez leurs succes-
seurs. Pour exposer la partie souliste de l'avicennisine,
nous pouvons nous servir d'Ibn-Tofaïl, Havy bon Yaq-
dhdn, Le veillant /ils du Vigilant, trad. Gauthier,
Alger, 1900.
1. Mxjslique. — Ce roman est l'histoire d'un homme
élevé dans une île solitaire par une bête sauvage; le
héros, ancêtre de tous nos Robinsons, trouve par lui-
même peu à peu les premiers principes, puis la philo-
sophie et la théodicée d'Avicenne, considéré par l'auteur
comme un exact interprète d'Aristole. Mais une fois en
possession de la doctrine de l'existence et des attributs
de Dieu, p. li-7(>, le héros comprend que la perfection
consiste à ressembler à Dieu. Sachant donc que les
corps célestes ont éternellement l'intuition actuelle de
l'être nécessaire, il cherche à les imiter; pour cela il
fixe sa pensée sur l'être nécessaire et se livre à un vio-
lent mouvement de rotation (derviches tourneurs i; on
accélérant ce mouvement il avait l'intuition de cet être,
p. HT. Havy fait un pas de plus. Il réfléchit que dans
ses spéculations théoriques il a distingué les attributs
divins en négatifs et positifs; les premiers ayant pour
caractère qu'ils excluent de Dieu la corporéité el ses
suites, les seconds de n'introduire dans l'essence divine
.Himne multiplicité. H cherche donc à éliminer de sa
connaissance de Dieu la corporéité plus qu'il n'a fait
jusqu'à cette ii.iire. Pour cela il renonce ani mouve-
ments circulaires, s'assied dans sa caverne paupières
-. concentrant ses pensées mit i Être nécessaire
s;,ns Im associi i M' n 'I autre, p '.ni. n arrive bientôt à
I intuition d>- lin. véritable et nécessaire, mais liée
avec la conscb propre, c'esl ■< dire
de sa personnalité. De nouveau] efforts réussirent a
(aire disparaître di ée le monde sensible, les
substance é parées de la matière et ^-> propi
tout cela - moiiii et il as n ita que l'I nique, le
Véritable, l'Être permanent, i \ la réflexion, il i" n .
qu'il n'avail p e qui le distinguai de l'e
du Véritable; que ce qu'il avait auparavant considéré
comme son essence, distincte de l'essence du Véritable,
n'était rien véritablement, et que rien n'existait sinon
l'essence du Véritable; qu'il en était d'elle comme de
la lumière du soleil qui tombe sur les corps opaques et
qu'on voit apparaître en eux : bien qu'on l'attribue au
corps, dans lequel elle apparaît, ce n'est autre chose en
réalité que la lumière du soleil. » p. 92. Il se confirma
dans cette pensée par la considération de la simplicité
divine; car en Dieu la connaissance qu'il a de son
essence est son essence même; d'où il résultait pour
lui nécessairement que posséder la connaissance de
l'Essence est posséder l'Essence. Et en vertu de ce
raisonnement il s'identifiait avec Dieu et avec toutes
les essences qui connaissent Dieu intuitivement,
puisqu'elles sont toutes identiquement Dieu, p. 94.
Mais Dieu l'éclaira et il comprit qu'il s'était mé-
pris. « Les explications deviennent ici très malai-
sées. » Car si on parle comme il vient de le faire des
essences au pluriel, cela donne à penser qu'il y a entre
elles une pluralité — ce qui est faux, puisque la plura-
lité, le beaucoup et le peu, l'unité et la pluralité, la
réunion et la séparation sont des attributs des corps
et si on en parle sous la forme du singulier, cela donne
à penser qu'elles ne sont qu'un, ce qui leur répugne
également. L'auteur s'objecte à lui-même le principe de
contradiction : « c'est un décret de la raison qu'une
chose est une ou multiple. » Il la résout en disant que
la difficulté ne vient que « de la faculté logique qui
passe en revue les choses individuelles pour en dégager
l'idée générale ; » mais le soufi suit un procédé supé-
rieur, et on ne peut pas lui reprocher de se contredire
lorsqu'il parle de ce dont il a eu la vision, puisque, sur
le monde divin, « on ne peut proférer aucun des
termes auxquels nos oreilles sont accoutumées sans y
supposer quelque chose de contraire à la réalité, » p. 95.
Dans la suite on aura donc recours à l'allégorie. « Il
vit que la sphère suprême, au delà de laquelle il n'j a
point de corps, possède une essence exempte de ma-
tière, qui n'est pas l'essence de l'Un, du Véritable, qui
n'est pas non plus la sphère elle-même, ni quelque
chose de différent de l'un et de l'autre, mais qui est
comme l'image du soleil reflétée dans un miroir poli :
cette image n'est pas le soleil, ni le miroir, ni quelque
chose de différent de l'un et de l'autre. » L'essence de
l,i -ronde sphère est « comme l'image du soleil relh'tée
dans un miroir qui reçoit par réllexion l'image, reflétée
par un premier miroir tourné vers le soleil, 8 p. 96.
El ainsi de suite pour toutes les sphères, ou intelli-
gences séparées, jusqu'au monde de la génération el de
la corruption, constitué par tout ce que contient la
sphère de la lune. Ce monde possède une essence
exempte de matière, qui n'est aucune des essences
déjà perçues ni quelque chose d'autre; cette essence
connaît lin. el parait multiple bien qu'il n'\ ail en
elle aucune multiplicité ; elle est « comme l'image du
soleil qui se reflète dans une eau tremblante, en repro-
duisant l'image renvoyée par le miroir qui reçoit le
dernier la réllexion d'après l'ordre déjà indique
Puis il vil qu'il possédail lui-même une essence séparée.
S'il se pouvait que l'essence d inde sublunaire
1 lui divisée en parties, on pourrait dire que cette
n es) nie' partie . et n'était qu ■ no
.1 1 té produite après un temps oii elle n'était point, on
pourrait dire qu'elli 1 lie du monde
sublunaire; enfin, si elle n était devenue propre a son
d< - ic moment ou .lie a été produite, on pourrait
dire qu'elle n .1 pas été produite ' ependanl les
rées qui sont unies .iux sphères, el les
Uptlbles, connue c'esl le
,iii\ raisonnables, ne dépendent ps des
unie dans l'exemple de. lumières el des
1 . 1 lie . n'onl de lien 1 1 de dépendance
1211
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES
1212
que par rapport à lT.ssence de l'Un, du Véritable, de
l'Être nécessaire, qui est la première d'entre elles, leur
principe et leur cause, qui les fait exister, leur donne
la durée, leur communique la permanence et la perpé-
tuité, » p- 100. Elles n'ont pas besoin des corps, mais
les corps ont besoin d'elles : « si elles n'existaient
point, les corps n'existeraient point, car elles en sont les
principes. » De même si par impossible l'un disparais-
sait, tout cesserait d'être. « Et bien que le monde sen-
sible vienne à la suite du monde divin, semblable à
son ombre, tandis que le monde divin peut se passer
de lui et lui est étranger, néanmoins on ne peut en
supposer la non-existence : car il est une suite du
monde divin et sa corruption implique le cbangement
mais ne comporte pas la non-existence totale, » p. 101.
C'est sur cette négation de l'impossibilité de l'annihi-
lation que s'arrête la partie du roman qui nous inté-
resse ici.
2. Philosophie. — Ibn Tofaïl nous avertit lui-même
que si l'on s'en tient au sens exotérique de la philoso-
phie d'Avicenne, on ne peut pas parvenir à l'intuition
de l'Un; mais qu'il en est autrement, si l'on en prend
le sens ésotérique, celui de la Philosophie orientale,
p. 10. Cf. les Traites mystiques d'Avicenne édités par
Mehren, Leyde, 1889. De fait, à qui connaît la philo-
sophie d'Avicenne les intuitions du Veillant sont assez
claires. Pour les comprendre, il suffit de penser aux
conclusions suivantes du philosophe. — «) Xous con-
naissons Dieu par la causalité, et par cette voie nous
concluons qu'il est l'être premier et nécessaire : mais
quand on dit qu'il est premier, on n'entend pas autre
chose qu'une relation de son être à l'existence d'autre
chose; et quand on le dit puissant, on signifie que
l'être, qui objectivement est l'être nécessaire, est en
relation avec ce qui peut recevoir de lui l'existence (le
possible). Nous ne pouvons donc- rien affirmer de la
nature intrinsèque de Dieu, en dehors de la parfaite
simplicité ou unité. Cf. ,1. Bacco, In IV Sent., 1. I,
dist. II, q. I, a. 1, et le VIIIe livre de la métaphysique
d'Avicenne. — b) D'ailleurs, tout vient de l'Un, non
par création libre et temporelle, mais par production
nécessaire; en sorte que tout ce qui est existant est
nécessaire, et tout ce qui n'est pas existant est impos-
sible. Cf. S. Thomas. De potenlia, q. m, a. 17, ad 4"1".
— c) Tout ce qui est produit, bien que l'Un causant
nécessairement ne puisse produire immédiatement que
l'un, est nécessairement multiple ou réellement com-
posé. Ici Avicenne combine la doctrine d'Avicebron
suivant laquelle tout produit est composé de matière et
de forme, d'essence et d'existence, avec celle d'Alfarabi
qui, admettant les deux compositions réellesd'Avicebron ,
explique que la matière est produite par la connais-
sance que le premier effet prend de lui-même ou de
sa potentialité. Cf. Avicenne, Metaph., 1. IX, c. IV j
Averroès, Destructio destructionum philosophise Alga-
zelis, disp. III, Venise, 1550, t. ix, fol. 29. L'essence et
l'existence du produit sont, dit Avicenne, deux réalités
objectives réellement distinctes. Car le nécessaire se
définissant : ce qui n'a pas de cause, et le produit se
définissant : ce qui a une cause, le produit n'est pas
nécessaire; et donc par définition l'existence lui sur-
vient, intentio, dispositio addita, accidens : expressions
qui n'empêchent pas l'existence d'être une réalité substan-
tielle, aclus substantialis, quand il s'agit de substances
produites. Esse accidit omni enti, prœtcrquam in ne-
cesse esse. Avicenne, Metaphysica, 1. V. Cf. Helias
llebrseus Cretensis, Aculissimœ quœstiones, édité à la
suite de Jandun, De anima, Venise, 1560, Qusestio de
esse, essentia et unà, col. 637. Nous dirons bientôt
comment, d'après Alfarabi et Avicenne, du premier
composé d'essence et d'existence résulte la matière.
Notons seulement ici que la première essence produite,
qui est une intelligence séparée, n'est pas une. Car,
dans le système, l'unité est comme l'existence une réalité
objective qui survient à l'essence du produit, substan-
tiellement ou accidentellement, en tant que cette essence
est unie par manière de cause formelle à la matière
corruptible et étendue. Or tel n'est pas le cas pour la
première intelligence séparée, qui meut la première
sphère. En soi, elle n'est donc ni une ni multiple. —
d) C'est de ces hypothèses, à l'aide desquelles Avicenne
pense donner une preuve absolument générale de l'hylé-
morphisrne, cf. Munk, Guide, t. il, p. 20. et concilier
son plotinisme avec la doctrine péripatéticienne de
l'acte et de la puissance, qu'il déduit l'impossibilité de
la trinité des personnes en Dieu. Tous les Arabes qui
niaient les attributs avaient contre la Trinité un argu-
ment commun, à savoir qu'elle est impensable et néces-
sairement irréelle, vu l'absolue simplicité de Dieu.
Outre cet argument valable a fortiori dans l'agnosti-
cisme d'Avicenne, celui-ci en donnait un autre que nous
rapporte saint Thomas, qui se garde bien de concéder
la doctrine de l'unité d'Avicenne, mais admet que tout
être est un ou multiple. De potenlia, q. n,a. 1, adllum.
Quando res aliqua aliquid habet lantum ab altero, ei
secundum se considérâtes attribuitur oppositum ejus;
sicut aer qui non habet lumen 7iisi ab alio secundum
se considcralus est lenebrosus. Et per hune moduni,
omnes crealurm quse habent ab alio esse, veritatem
et necessilatem, sunl non entes, falsse et impossibiles.
Sed nihil taie potesl esse in divinis. Ergo non potest
ibi esse aliquis, qui tant uni habet esse ab alio. —
e) Avicenne explique dans sa Métaphysique, I. IX.
c. iv sq., comment de la première essence produite
sort la matière et toutes les aulres essences. Saint
Thomas le résume fidèlement. Primuni ens in quan-
tum intelligit seipsum producit unum tantuni causa-
tum, quod est intelligentia prima. Dieu n'est conscient
qu'autant qu'il produit en dehors de lui : de Plotin à
Hegel, Avicenne est un trait d'union comme le Zohar.
Intelligentiam primam necesse erat a prima de/icere:
utpote potentialilas incepit admisceri actui, in quan-
tum esse recipiens ab alio non est suum esse, sed
quodam modo potenlia ad illud. Ce quodam modo res-
trictif est non d'Avicenne, mais de saint Thomas, cf. q. vu.
a. 2, ad 9am.Et sic in quantum intelligit primum ens,
procedil ab ea alla intelligentia, ea inferior; in quan-
tum vero intelligit potenliam suam, procedil ab ea
corpus cœli, quod movet ; in quantum vero intelligit
action suum, procedit ab ea anima cseli prinii. Et sic
consequenter mulliplicantur per multa média res di-
verse. De potentia, q. m, a. 16. Pour compléter cet
exposé, ajoutons que d'après Avicenne, contrairement
à Aristote, dans le inonde de la corruption et de la
génération aussi bien que dans le monde céleste. les
formes étaient produites par la dernière intelligence
séparée, qui préside à la sphère de la lune, en sorte que
ces formes n'étaient pas tirées de la matière, eductse
e potentia materne, celle-ci étant une pure potentialité.
De potenlia, q. m, a. 8; q. v, a. 1, ad 5um.
Avec ces données le sens ésotérique du système appa-
raît nettement, et nous pouvons comprendre comment
il prétendait conduire à la connaissance par essence de
l'Un, véritable et nécessaire, et aussi à l'union, à la
fusion, à l'absorption dans l'Un. Saint Thomas l'explique.
In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. h, a. 1. Etant donné
que la première intelligence voit Dieu intuitivement
en se contemplant elle-même et en prenant connais-
sance de son essence, que par cette vision elle produit
la seconde intelligence, et ainsi de suite jusqu'à nous,
il suit que la lumière de notre intelligence n'est que
la participation de la connaissance intuitive qu'a de
Dieu la dernière intelligence séparée, cause de notre
intelligence comme de toutes les formes qui sont dans
la matière, sansen avoir été tirées: c'est ce qu'indique
l'allégorie des miroirs rélléchissants d'après laquelle
4213
DIEU (SA NATURE SELON LES SGOL ASTIQUES1
1214
notreàme n'est qu'une similitude intentionnelle de Dieu
transmise de degrés en degrés jusqu'à nous. Par là s'ex-
plique comment grâce à l'entraînement mystique cette
similitude peut nous devenir connue, et nous révéler
ainsi l'essence divine comme la voit la première intel-
ligence, c'est-à-dire comme elle est en elle-même. La
doctrine del'existence et de l'unité explique aussi l'union
et l'absorption en Dieu. Telle était du moins la préten-
tion d'Avicenne et la base de sa méthode de concilia-
tion d'Aristote, du Coran et du soulisme. Saint Thomas
a constamment réfuté cette doctrine de l'intuition sou-
fiste. Sum. theol.,la, q. xn, a. 2;/n IV Sent., loc. cit.;
De verilale, q. vin, a. 1 ; Contra génies, 1. III, c. xlix.
D'où if suit que l'interprétation de ces passages de saint
Thomas proposée par le dominicain François Victoria
contre Caje'an, et adoptée par Vasque/., In Jam,
disp. XXXIX, est conforme à leur sens historique.
7° Algazel. — On trouvera l'exposé de la théodicée
d'Algazel dans Carra de Vaux, Gazait, c. iv, Paris, 1902,
et dans Miguel Asin Palacios, Esludios filosofico-tlieolo-
gicos, I, Algazel, Dogmatica, moral, ascelxca, Saragosse,
1901. Disons seulement avec Duncan B. Macdonald.
Development of muslim theology, jurisprudence and
constilutional theory, Londres, 1903, p. 237, que la
position religieuse d'Algazel est « essentiellement la
môme que celle de Mansel, » que sa théorie de la reli-
gion révélée et de sa valeur « est à peu près celle de
Rilschl, » et qu'on retrouve les mêmes doctrines chez
Maimonide dont nous aurons à parler plus loin. Ce
qui nous intéresse tout spécialement ici, ce sont les
problèmes philosophiques qu'il a soulevés, et par con-
séquent posés devant les scolastiques, dans sonTéhâfut,
ou comme on disait au moyen âge, dans sa Destruction
des philosophes, expression que l'on pourrait traduire
parcelle de banqueroute de la philosophie. Motékallim
de la secte des Acharites, Algazel se propose de montrer
en employant la méthode des philosophes, que la phi-
losophie ne démontre ni les conclusions où elle s'écarte
de l'orthodoxie musulmane et de la doctrine des
Acharites, ni celles où elle y est conforme.
a) Les philosophes ne prouvent pas l'éternité du
monde; car pour résoudre leurs arguments il suflil
d'une pari de leur faire remarquer qu'avant le temps
i.'i I il n'y avait qu'un temps imaginaire, cf. C. de Vaux,
op. cit., p. G7; S. Thomas, Sum. theol.,la, q. xi.vi.a. I,
ad <>"">; et d'autre part qu'en admettant l'éternité du
monde, ils sont acculés au nombre in (in i qui est
impossible. Carra de Vaux, ibid., p. 69; Maimonide,
t. unie, part. I. c. lxxiii, II. t. i, p. 414; S. Thomas,
-'/"/., a. 2, ad 7"m;q. vu, a. i. D'ailleurs, pense Algazel,
connue plus tard saint Thomas, le prétendu problème
du multiple sortant de l'Un se résout très bien par
l'admission d'un premier agent intelligent et libre.
Carra de Vaux, ibid., p. 65; De polenlia, q. ni, a. 10.
b) Les philosophes ne sont pas plus heureux dans
leurs preuves de l'existence de Dieu. Ils ont recours au
principe de causalité' efficiente; mais, pense Algazel, bien
avant Hume, la causalité se réduit à une pure succes-
sion, ra,r Dieu seul agit dans le monde. Carra de \;mx.
p. 79; De potentia, q. m, a. 7. Donc, puisque les philo-
sophes ad ttenl la régression à l'infini d'une série de
dans un monde éternel, ils n'ont aucun moyen
de conclure à l'Être nécessaire, distinct du monde. Ibut.,
p. 68. On a vu la solution scolastique de ce problème,
col. 948, indépendante de la question de la création et
de l'éternité du monde, 4 la condition qu'on ne con
pas au nominalisme son hypoll
c Les philosophes • retranchent dans la né©
d'une détermination enln las, et pensent ainsi
prouver Dieu par la contingence. Pour Algazel, comme
pour les Motékallim au rapport de Maimonide el d Aver
le possibli n < on fond a\> r le pensé; il ne suppose
aucune réalité en dehors de 1 1 spril qui le pense, el poui
juger qu'une chose est possible, admissible, il n'y a pas
lieu de tenir compte de la nature des choses. Carra de
Vaux, p. 03; Maimonide, Guide, part. I, c. LXXIII, 10, t: I,
p. 401; De potentia, q. i, a. 4. En partant de cette
définition on peut démontrer Dieu, d'après Algazel.
Cf.Maimonide,î'6(d.,c. lxxiv, 5 sq.. t. i, p. 426. Mais les
philosophes, qui entendent autrement le mot possible,
ne peuvent pas aboutir. En effet, les uns définissent le
possible l'être en puissance, et assignent la matière
comme fondement de la possibilité : mais ceux-là sup-
posent ce qu'ils n'ont pas démontré, l'éternité et l'aséité
de la matière. D'autres, c'est d'Avicenne qu'il s'agit, ne
peuvent pas assigner la matière comme fondement de
la possibilité, puisque d'après eux la matière n'est qu'une
pure puissance qui n'existe que par la forme et d'où les
formes ne sont pas éduites mais simplement introduites.
Ils définissent donc le possible : ce qui a une cause, id
quod habet causam. Mais, réplique Algazel avant Taine,
cf. col. 944, de la sorte le possible se confond avec le
produit ou le réel; comme d'autre part Avicenne admet
la nécessité absolue de la production des choses, pour
lui, le possible se confond avec le nécessaire, d'où il
suit que ce qui n'existe pas est impossible, et que tout ce
qui existe est nécessaire. Dans ces conditions, comment
Avicenne prouvera-t-il la mineure de sa prétendue
preuve par la contingence : nutndus est universalité)'
possibilis ? De fait, comme le remarque Averroès, Avi-
cenne ne pouvait pas prétendre à la fois que l'argument
de contingence tel que le donnaient les Motékallim ne
concluait pas, et que le sien était valable. Car par le
fait qu'il cessait de considérer la dépendance causale
comme une propriété du possible, et introduisait cette
dépendance dans la définition même de l'être en puis-
sance, il acceptait la doctrine nominaliste des Motékal-
lim concernant les possibles, et s'enlevait tout moyen
d'assigner une raison de la contingence et par suite de
la nécessité d'une cause. Cf. Averroès, op. cit., disp.
IV, fol. 32; de Iîoer, Die Widersprùche der Philosophie
nach Al-gazdli und ihr Ausgleich durch Ibn Iïosd,
Strasbourg, 1894, p. 42.
d) Algazel suit Avicenne jusqu'au bout de son argu-
mentation en faveur de l'existence de Dieu. Avicenne
complétait son argument de contingence par un argu-
ment spécial que voici en substance. Définissons l'être
nécessaire celui qui n'a pas de cause, celui par consé-
quent dont l'existence n'a pas de cause, mais dont
l'essence est d'exister: c'est le nécessaire en lui-même,
necessarium per se, per se subsistais, le nécessaire
absolu. Tout ce qui n'est pas ainsi nécessaire est pos-
sible, c'est-à-dire a une cause, id quod habel causam ;
l'existence du possible a donc une cause, vu qu'elle
n'est pas donnée avec l'essence. Le possible existant
ou est une de ces choses qui nait et péril, )>ossibile
esse et non esse, un possible absolu — et l'argument
de contingence nous a montré que ce possible exige un
être nécessaire comme cause; ou bien le possible exis-
tant est une de ces choses qui ne naissent et ne
périssent pas, et qui par conséquent sont nécessaires,
non en elles-mêmes, mais par leur cause, necessarium
pet aiii'ti; de ce nombre sont les sphères célestes.
Bien quelles soient nécessaires, puisqu'il répugne
qu'elles ne soient pas ou qu'elles soient autrement,
elles restent cependant possibles; car, connue elles
Boni composées réellement d'acte el de pul >anci . i ■■'-i-
à-dip ici 'i d'existence, de matière el déforme,
il en résulte que leur nature consid Ile même
possible ml c.vv e! d'oii la possibilité
de leur annihilation. Cutii eue lit prmier esientiam
CUJUêlibet tel erenl.r. [p$a milnen ,e, .nalw per Se
il est a<l ■ tlitatem rern
ii non habet niei ab alin. De potentia, q. v, a.3.
< définitions supposées on conclut que parmi
I il j ■'!! | nt un qui I
1215
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES)
1216
cause des autres et qui par conséquent est le premier,
non Italiens primum; on ajoute qu'il ne peut y en
avoir qu'un seul, et que son essence est d'exister, d'où
suit sa parfaite simplicité. Il y a un premier, cause
des autres : car s'il y a plusieurs corps chauds, il faut
qu'il y ait du feu quelque part. De potentia, q. [If, a. 5.
Il n'y a qu'un premier : car s'il y en avait deux, il y
aurait entre eux nécessairement ressemblance et diffé-
rence et par conséquent composition ; mais point de
composé sans cause. Donc l'un serait la cause de l'autre.
Averroès, Deslruclio, disp. V, fol. 33. Il est simple et
son essence est l'existence, car, suivant la remarque
d'Alexandre d'Aphrodise, toutes les fois qu'on a un
composé, l'hydromel, et que l'un de ses éléments se
trouve isolé, l'eau, l'autre élément, le miel, doit aussi
se trouver isolément. Cf. Maimonide, op. cil-, t. Il,
p. 38; Contra gentes, 1. I, c. xm, Secunda via. Or
tous les êtres nécessaires per causant, sont composés
d'essence et d'existence; leurs essences sont disparates
et par conséquent isolées; l'existence doit donc l'être,
d'où il suit que l'être nécessaire en lui-même est une
existence sans essence.
Devantces définitions arbitraires et les conséquences
vertigineuses qu'on en déduisait, Algazel usa jusqu'à
satiété de toutes les ressources de la dialectique. De
cent façons, il pose et repose le problème des possibles
à un adversaire qu'il sait n'avoir pas de réponse à cette
question embarrassante. Comment vos nécessaires
per aliud sont-ils à la fois nécessaires et possibles'?
comment se distinguent-ils des possibilia esse et non
esse, puisqu'ils sont eux-mêmes possibilia esse et non
esse, c'est-à-dire annihilables? Et comment les possibles
se distinguent-ils des impossibles, negatum absolu-
tuni ? De quel droit m'interdisez-vous de faire sur les
impossibles le même raisonnement que vous faites sur
les nécessaires per aliud : clrimœra est ipsa, aut ex
se aut ex causa? Celte disjonction que vous employez
pour tous les possibles, absolus et nécessaires par
autre chose, je puis fort bien l'appliquer au nécessaire
absolu : il est nécessaire absolu, ou par lui-même, ou
par une cause. Ce discours, prétendent les philosophes,
n'a pas de sens, puisque par définition l'être nécessaire
n'a pas de cause; mais il en va de même de l'emploi
qu'en fait Avicenne à propos des possibles, étant donné
la manière dont il les conçoit. Avicenne ne conclut
donc pas légitimement qu'il y a un premier, cause des
autres nécessaires. Il ne conclut pas mieux que ce pre-
mier soit unique et simple. Car puisqu'il admet la dis-
tinction réelle de l'essence et de l'existence, il pose
nécessairement une pluralité dans le Premier, et par
suite toutes ses attaques contre la pluralité réelle des
attributs défendue par les Acharites sont vaines.
Cf. Averroès, op. cit., disp. III, fol. 25; disp. VI,
fol. 36 sq.
Bien que très incomplète, cette analyse delà Destruc-
tion d' Algazel suffit à montrer d'où vinrent à l'esprit
desscolastiques du xiii« siècle beaucoup des problèmes
nouveaux qu'ils agitèrent. Plusieurs des questions
soulevées par Algazel ont eu dans les scolastiques une
longue répercussion. Un a vu, col. 931, 946, que saint
Thomas a fait divers emprunts à Avicenne, mais en
modifiant les positions de celui-ci. La critique d'Avi-
cenne par Algazel, que saint Thomas connaissait, sinon
directement par le texte même d'Algazel, au moins par
celui d'Averroès, indique à quelles préoccupations
furent dues ces modifications. Avant d'en préciser
davantage les origines prochaines, insérons ici un
erratum. A la col. 946, ligne 41, un membre de
phrase a été par mégarde omis, qui rend le texte ou
inexact ou inintelligible; entre le mot « absolu » et
« saint Thomas », il faut insérer ce membre de phrase :
le nécessaire par autre chose est à la fois nécessaire et
possibile in esse et non esse.
8° Averroès. — Saint Thomas fut un adversaire dé-
claré d'Averroès, spécialement en ce qui concerne
l'unité de l'âme humaine, l'éternité du monde, la visi-
bilité de Dieu et la sainte Trinité. En traitant du pre-
mier sujet, il a même qualifié Averroès de corrupteur
de la philosophie péripatéticienne. On cite souvent
cette phrase pour en conclure que le péripatétisme de
saint Thomas n'a rien de commun avec celui d'Aver-
roès ; mais on ne remarque pas que dans le même
ouvrage, pour réfuter les averroïstes latins qui défen-
daient la répugnance de la multiplication des intellects,
saint Thomas emprunte à Averroès son interprétation
d'Aristote; on oublie aassi de noter que saint Thomas
explique lui-même en quel sens d'après luiAverro
corrompu le péripatétisme : c'est parce qu'il a rapport'-
de travers l'opinion de Thémistius et de Théophrasle,
que saint Thomas considère comme de bons péri-
patéticiens. Cf. Opusc, XVI, De unitale intellectut,
Venise, 1595, t. xvn, p. 181, 185, 187. Sans aller jus-
qu'à parler avecMiquel Asin y Palacios d'un averroïsme
théologique de saint Thomas, El Averroismo teologico
de Santo Tomâs de Aquino, dans Homenage a
D. Franc. Cordera, Saragosse, 1904, p. 303 sq., nous
essaierons de mettre le lecteur à même de se former
une opinion. Cf. Genito, La Summa contra gentes \i
el Pugio fidei, Vergara, 1905, réfutation de M. Asin.
1. Critique d'Algazel el à" Avicenne. — Averroès
écrivit sa Deslruclio destructionuni pliilosophise pour
réfuter Algazel et défendre la philosophie. Opéra,
Venise, 1550, t. ix. D'après lui, Avicenne et Algazel
tiennent en commun trois principes faux, a) Ils admet-
tent tous deux que les possibles n'ont de réalité que
dans l'esprit; la vérité est que la détermination des pos-
sibles est en Dieu et aussi, la matière supposée, dans la
matière d'où les formes sont éduites. Averroès hésite à
prononcer si cette détermination est en Dieu substan-
tielle ou accidentelle; mais il est catégorique sur le
recours à Dieu comme. fondement dernier des possibles.
Inutile de noter que sur ce point, où il était d'accord
avec saint Augustin, les scolastiques suivirent Averroès.
Disp. III, fol. 25. — b) Ni l'un ni l'autre n'ont distingué
comme il convient le possible, à l'état de possibilité, et
le possible réalisé, qui vérifie nos jugements, possibtle
verum, qu'il définit, possibile positum, distinctum
contra non habens causant. Disp. IV, fol. 32. Cf. S. Tho-
mas, Quodlibeta, IX, q. n, a. 3. L'un et l'autre ont vu
justement que l'homme est homme, soit qu'il existe
soit qu'il n'existe pas; mais comme ils tenaient que
les possibles n'ont de réalité que dans l'esprit, ils n'ont
pas su distinguer le possible en tant qu'essence déter-
minée et le possible en tant que réalité constatée.
in actu, verum; ils ont par suite refusé de donner le
nom d'être, ens, au possible pur, ne concevant pas
qu'il est un être en puissance, logique ou objective; et
cette première erreur les a amenés à une seconde :
ils ont également refusé de donner le nom d'être au
possible hors de ses causes, in actu, parce qu'ils ont
imaginé rem cum est in actu diversam a se ipsa
quando fuit in potentia. Averroès, Metaphys., I. VIII.
coin. 16, fol. 106. Cf. Albert le Grand. Postprsedica-
menla, c. IX, cité par Capréolus, In IV Sent., 1. 1.
dist. VIII, q. i, a. 1, et par Cajetan, De ente et esseittia,
édit. Vives d'Albert, t. i, p. 289; S. Thomas. In
IV Sent., 1. I. dist. XXXIII, q. I, a. 1. ad D""; De
ente el essentia, ci; De potentia, q. v, a. 9, ad 16unl;
q. vil, a. 2, ad 9um. — c) Ils ont été d'autant plus facile-
ment amenés à refuser le nom d'être, ens, esse, à la
réalité produite ou hors de ses causes en tant que
vérificative du jugement existentiel par opposition a la
même réalité comme vérificative du jugement de pos-
sibilité, qu'ils partaient d'un faux principe : Onme
habens intellectionent additam déterminât aliquid
extra animant in actu, toute notion distincte e
1217
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES)
1218
dans le réel une réalité distincte. El est error, pro-
nonce Averroès. Disp. III, fol. 25; MeCaphys., 1. IV,
com. 3; I. X, corn. 8, fol. 32, 121 ; résumé parsaint Tho.
mas, Metapli., 1. IV, lect. n; 1. X, lect. m. Cf. Benoit Pe-
reyra, De communibus rerum omnium ]>rincipiis, 1. VI,
c. xv, Paris, 1579, p. 381. De là est venue la multipli-
cation des enlités distinctes : matière et forme dans les
intelligences qui meuvent les sphères, essence et exis-
tence dans tout ce qui a une cause. Ce réalisme outré
est dû aussi, pense Averroès, à un contre-sens commis
par Avicenne par suite de l'équivoque du mot arabe
maoudjoud, trouvé, par lequel les traducteurs ont
exprimé le tô ôv d'Aristote. Cf. Maimonide. op. cit.,
t. i, p. 231. C'est aussi, dit avec plus de profondeur
Averroès, qu'Avicenne et Algazel n'ont pas rélléchi
sur la nature des relations, qui ne sont pas toutes des
réalités distinctes, mais qui s'identifient avec leur fon-
dement, materia est potentia quia est ad aliquid, sed
lace potenlia est ipsa snbstanliantaterise. De substan-
tia orbis. Parlant d'Avicebron. qui admet comme Avi-
cenne l'universalité de l'hylémorphisme et par suite
met de la matière dans les intelligences qui meuvent
les sphères, saint Thomas se souvient d'Averroès :
supponit Avicebron quod quœcumque distinguuntur
secundum intellectum, sinl eliam in rébus distincla.
Sum. theol.. I", q. I., a. 2; Opusc., XV, De substantiis
separatis, c. v. Fréquemment ailleurs il se rallie à
la doctrine des relations d'Averroès, qui est d'Aris-
tote. Cf. De potenlia, q. vu, a. 9; In IV Sent., 1. I,
dist. XXVI. q. n, a. 1; a. 2, ad 4um; Metaph., 1. V,
text. 20, lect. xyii; Averroès, Mctaphys., XII, com. 19,
l. vin, fol. 144.
Qu'on admette la fausseté de ces trois principes, dit
ça et là Averroès, l'argumentation d'Algazel contre
Avicenne s'écroule en entier. C'est ce qu'il s'applique à
montrer d'un bout à l'autre de sa Destruction. Ces
sortes de discussions dialectiques se refusant à l'ana-
lyse, nous ne pouvons pas le suivre dans le détail
touffu de sa démonstration. Mais, si le lecteur qui
nous a suivi jusqu'ici reprend les diverses parties de
notre exposé d'Algazel, il trouvera facilement par lui-
nu nie les principales distinctions qu'introduit Aver-
roès. D'ailleurs les solutions de saint Thomas, dans la
plupart des passages auxquels nous avons renvoyé el
renverrons, sont celles du commentateur, du moins au
sens où le saint docteur l'entend.
2. Théodicce d'Averroès. — Averroès ne se contente
pas de critiquer Algazel et Avicenne. Pour défendre
la philosophie, il s'applique à montrer qu'elle peut
construire; il construit donc et souvent en se servant
des matériaux d'Avicenne.
a) Existence île Dieu. — Avicenne a eu tortd'intro-
dnire dans sa preuve do premier moteur certaines \ues
inexactes sur !>• mouvement. Corrigeons ces vues. L'ar-
gument est valable, "n a vu. col. 931, que saint Tho-
mas a tenu compte de la critique d'Averroi el modifié
la doctrine du mouvement d'Avicenne. Cf. Contragen-
ta, I. I, c. xiii ; Metaphys., 1. XII. lect. ix. L'argument
par la causalité ne vaut rien s'il n'y a pas de vraie
alité ici-ba dire bî Dieu ou la dernier' m
teiligence font tout sans que les causes secondes agis-
sent. Mais Averroi toutient qu'il \ a des eau
rondes agissantes contre l'occasionalisme de beaucoup
d'Arabes. Saint Thomas oaturellemenl partage cet avis.
i les xiv* el xv siè< li i ni
pensé qu \\iii ■• n'étend pas le principe de causalité
efficiente, mais seulement celui de causalité finale, à
la première intelligence ou même .< toute! les intelli-
ternelles. Cf. Jean Baconthorp, h< 1\ Sent.,
1. Il, q. i, a. 2, g propot di la création ea nihilo;
Jandnn, De tubstaniia or bit, q, xiv. fui. 09
auteur ne parai enl remarqué qu'il y ,-i
beaucoup d'argumentation txd hotnineni dan
DICT. Dl Tlll 01 . CATHOL.
roès; ils ont donné un sens catégorique à bien des
formules qu'il emploie à l'effet de montrer que ses
adversaires ne démontrent pas leur thèse. Bien que la
pensée d'Averroès comme celle de tous les émanatistes
reste souvent obscure, il est certain que dans sa Des-
truction il met en principe général que la cause pre-
mière a pour caractéristique d'avoir son existence in
se ou ex se, tandis que la cause seconde, esse ejus est
relative ad causant prima.ni. Disp. III, fol. 28. Et il
applique ce principe aux êtres simples, qui pour lui
sont des formes per se subsistentes, cf. Sum. theol.,
Ia, q. vu, a. 2; car en elles, et entre elles, il y a
priorité et postériorité, c'est-à-dire dépendance causale,
disp. V, fol. 33; ce qu'il énonce ailleurs : intelleclus
comprehendit in se causatum et causani. Disp. III,
fol. 25. En tout cas, il est certain que saint Thomas a
entendu en ce sens Averroès, ce qui lui a permis de
croire qu'il admettait la création ou tout au moins qu'on
pouvait la déduire de ses arguments. Même procédé
pour l'argument de contingence. La définition du pos-
sible par Avicenne, id quod liabet causant, met en péril
cet argument. Définissons le possible, l'être en puis-
sance, et le réel, l'être en acte; et l'argument vaudra.
Disp. IV, fol. 32; cf. Sum. theol., I* q. il, a. 3, tertia
via; q. xlvi, a. 1, adlum; Contra génies, 1. II, c. xv, 5.
Les formules sont chez saint Thomas comme chez Aver-
roès les mêmes que celles d'Avicenne, mais le sens est
différent, puisque ni l'un ni l'autre n'admettent les
hypothèses de celui-ci. Cf. Ba'iimker, D ilelo, Munster,
1908, p. 338. L'argument des degrés est dû à l'ingénio-
sité d'Avicenne, disp. V, fol. 33, pense Averroès et avec
lui saint Thomas. De potenlia, q. m, a. 5. Averroès sou-
tient la valeur de cet argument contre Algazel, mais
en lui faisant subir une mise au point considérable.
Son principe est que tout ce qui est composé a une
cause, compositunt est causatum. Ibid. Ce qu'il
montre de plusieurs façons adoptées par saint Thomas.
Sum. theol., Ia, q. ni, a. 7; Contra génies, 1. I,
C. XVIII ; De potentia, q. vu, a. 1. Or la composition
des êtres est manifeste. Donc, puisque la régression à
l'infini répugne, il y a un être non causé, c'est-à-dire
nécessaire. Les êtres sont composés. Averroès le
montre à l'aide des exemples que l'on a déjà vus chez
saint Thomas, col. 945.
b) Unité et simplicité de Dieu. — Les attributs n
tifs d'unité et de simplicité tenaient une grande place
dans la spéculation arabe. Algazel avait soutenu que
les philosophes ne démontraient ni l'un ni l'autre.
Averroès répond que l'argument des degrés tel qu'il
l'a retouché prouve l'unité. Car si l'on fait l'hypothèse
de deux êtres nécessaires, comme la nécessité esl une
propriété intrinsèque de leur nature par hypothèse, il
y aura entre eux ressemblance et différence; et donc
composition; et donc ou l'un sera la cause de l'autre.
ou ils seront causés tous deux. L'unité se prouve aussi
par la simplicité' de l'être nécessaire. Sermo eut an rit
necessarium in esse exnatura •■m exeo qu< d
est unum numéro, aul ex natura communi ;ut il tant us
att Sucrâtes sit homo ex eo quoi! esl Sociales, ai-,
natttra conivtuni ci cl Platoni. Ni ntilcm 68Set hontn
ex eo quod est Sacrales, non re\ crtrclnr humanitat
alicri; si l ex parte nature communié, innc
esset eomporitut ex duabus naturit, univet sait et parti-
culari titum nu h ni esl causatum; et nen
Hum m esse non habet causant; ergo esl unum. Ibid.
ni arguments son! les deux premiers qu'apporte
s, uni Thomas en faveur de l'unité de Dieu, Sum. theol.,
I», q, xi. a. '.'>, !■■ troisièn s| plutôt d'Aristou
Comme on a prouvé directemi nt l'existenct • t l'uni-
cité de i • 11
sition, qui implique pui
. i ainsi exige une cause, la aimplicité
te de l'être néc< I direi lenienl proui
IV.
1219
DIEU SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES
1220
même temps que son existence et son unicité, hn
vertu du principe de raison suffisante, l'absolue perfec-
tion de l'être nécessaire est également prouvée par le
même procédé. On doit avouer que cette méthode est
ante; saint Thomas l'a admise, Sum. theol.,1*, q. m,
a. 7; De potenlia, q. vu, a. \ ; a. 5; Contra gentes, 1. 1,
c. xvin. Et c'est ce qui explique pourquoi dans ses
différents ouvrages, il ne suit pas toujours le même
ordre dans la déduction des attributs.
Le premier est simple; tout le reste est composé.
Ce sont deux axiomes de la philosophie arabe. Pour
défendre le premier, Avicenne avait conçu Dieu comme
une pure existence, sans essence; pour expliquer le
second, il avait mis partout des compositions réelles de
matière et de forme ou d'essence et d'existence. Averroès
ne pouvait suivre Avicenne dans aucun de ces points.
Rejetant la distinction réelle de l'essence et de l'exis-
tence dans les êtres finis, il ne pouvait pas y recourir pour
résoudre le problème de la simplicité divine, et la fa-
meuse question des attributs séparés. D'un autre coté,
en physique, Averroès tenait que le ciel n'a pas de
matière, est simple; et, en métaphysique, il suivait Aris-
tote qui admet des intelligences simples : determinave-
runt antiqui quod sunt simplicia. Sur ce dernier point
saint Thomas, on le sait, est de l'avis d'Averroès : les
anges sont des êtres simples. De ente et essentiel, c. v;
Contra génies, 1. II, c. lu. Ce qui donna à Averroès
l'occasion d'approfondir ces problèmes, fut l'attaque
d'Algazel contre Avicenne.
Partisan de la distinction réelle de l'essence et de
l'existence dans les êtres finis, partisan aussi de la
doctrine des attributs réellement séparés en Dieu,
Algazel argumentait ainsi : a) ce n'est pas résoudre la
question des attributs et de l'essence que de l'esquiver
comme Avicenne, en disant que Dieu est tellement
simple qu'il n'a pas d'essence, b) Mais, si l'on admet,
comme il le faut, une essence en Dieu, son essence
fera composition réelle avec son individualité, en vertu
du même raisonnement par lequel on parle de la com-
position de Socrate. D'où de deux choses l'une : ou la
doctrine des attributs séparés de l'essence est valable,
ou les philosophes ne prouvent pas la simplicité divine.
c) De plus si Dieu a une essence, son existence lui
sera jointe; or, d'après les philosophes, tout ce qui est
composé, même s'il est éternel, est causé; l'être néces-
saire a donc une cause, ce qui est contraire à la défini-
tion qu'ils en donnent. Ils répondront qu'il n'a pas de
cause, et que son existence est par elle-même liée à son
essence; donc nous avons le droit d'en dire autant des
attributs séparés; réellement distincts, ils n'ont pas de
cause. Disp. V, fol. 34; disp. VI, fol. 37. Cette argumen-
tation posait d'une façon aiguë le problème difficile de
la simplicité divine. Averroès s'y engagea, et en même
temps il eut soin d'expliquer comment la doctrine de
la parfaite simplicité du premier se conciliait avec
l'existence des intelligences simples d'Aristote.
D'abord il abandonne Avicenne sur la question de la
négation de l'essence en Dieu. Cet homme a admis la
distinction réelle de l'un et de l'existence, parce qu'il
n'a jamais pu comprendre la distinction secundum in-
tentionem : non est différentiel apud islam hominem
inter significationes qux significant eamdem natu-
ram modis diversis absque eo quod significent inten-
tiones additas Mi, et inter significationes qux signi-
ficant in eadem essentia àispositiones additas illi,
scilicet diversas ab ea in actu. Metap/i., 1. IV, fol. 32.
Transportant cette manière de penser à Dieu, il n'a
donc pu résoudre le problème de la simplicité qu'en
niant l'essence. D'une certaine façon, puisque en Dieu
tout est un, nier l'essence peut n'être qu'une question
de mots; mais il faut dire que Dieu a une essence ou
quiddité. Cf. S. Thomas, De ente et essentia, c. vi;
In IV Sent., 1. I, dist. II, q. i, a. 3; dist. VIII, q. r,
a. 1; dist. XIX. q. il, a. 1, ad l""\Kl il défend la thèse
suivante : quod prima causa est quidditas simplicité?,
et omnia alia liabent quidditatem ea mediante.
Disp. VI, dub. vi. Cf. à la (in du volume les not<^ <J.
Zimara, fol. i'i.
L'admission d'une quiddité en Dieu se concilie avec
sa simplicité, si l'on peut prouver que son essence est
son individualité, ou en termes plus généraui que
Dieu est son essence. Or il en est ainsi. Car partout où
il y a une composition quelconque, il y a entre les com-
posants, relation d'acte et de puissance : in omni
composito oporlel esse polenliam et aclum. Cf. Contra
gentes, 1. I, c. xvm; Sum. theol., Ia, q. ni, a. 7. Mais
l'être nécessaire est acte pur et n'a aucune potentialité,
puisque son existence sans dépendance causale est
toutes les perfections; aucune composition ne se trouve
donc en lui; donc son essence est son individualité.
Contra gentes, 1. I, c. xxi; Sum. tlteol., [', q. m, a. 3.
Cette propriété est particulière à Dieu. Nulla forma
liberata est a potenlia, nisi prima forma. Car toutes
les autres réalités tiennent de lui leur existence et
aussi leur essence. Mais l'essence des contingents ne
va jamais sans potentialité; celle-ci leur vient de la
matière, s'ils sont matériels; s'ils ne le sont pas, leur
essence inclut toujours une négation ou privation de
perfection ultérieure, même quand ils sont parfaits
dans leur espèce; elle est donc accompagnée d'une
puissance logique : nam intelligentia Saturni in
quantum ens, ei non répugnai major perfeclio; nam
si excitas convenirel talpx in quantum animal,
nullum animal videret. Cf. Aristote, Metaphys., 1. V.
text. 27; Duns Scot, In IV Sent., 1. I, dist. VIII, q. Il,
2. Se basant d'une part sur cette potentialité logique,
de l'autre sur une distinction qu'il fait entre la quid-
dité et l'essence probablement à cause d'une mauvaise
leçon d'Aristote, Averroès conclut même qu'en Dieu seul
la quiddité et l'essence sont identiques. Cette conclu-
sion est contraire à Aristote, V.elaphys., 1. VII, com. 51 .
in abstractis quidditas et essentia est idem, ou comme
lisait saint Thomas, quod quid erat esse et unum-
quodque in quibusdam idem est, ut in primis
substantiïs. Loc. cit., lect. xi. Cf. Suarez, Disp. me-
taph., disp. XXXIV, sect. ni, n. 18. Elle était égale-
ment contraire à Avicenne qui soutient avec Aristote :
quidditas simplicis est ipsummet simplex. Saint Tho-
mas trouva la doctrine péripatéticienne plus conforme
aux phrases classiques de Boèce sur les êtres simples,
et il la suivit.
A l'objection d'Algazel que l'essence et l'individua-
lité, l'essence et l'existence feront donc d'après les
philosophes composition en Dieu, Averroès répond
constamment que c'est le travers commun d'Avicenne
et d'Algazel d'imaginer une réalité distincte pour chaque
notion, d'où il suit que l'un pour défendre la simpli-
cité divine nie en Dieu l'essence, et que l'autre nie
la simplicité en distinguant réellement les attributs.
Metaphys., 1. IV, fol. 32. Ils oublient que notre esprit
a la propriété de diviser ce qui est un. intellectus na-
tus est dividere adunata in esse in ea ex quibus com-
ponuntur, quamvis non dividuntur in actu, ibid.,
1. XII, com. 39, fol. 151, et que de là résulte notre
connaissance par voie de jugement. N'ous posons un
sujet et un prédicat, mais à ce mode de notre activité
mentale, dispositio, ne correspond pas nécessairement
une composition dans la réalité : nullus modus erit
quo prxdicatum dislinguatur a subjecto et dispositio
extra intelleclum, scilicet in essentia rei. Que nous
concevions l'essence divine comme distincte de son
individualité ou de son existence, cela ne prouve donc
aucunement une composition en elle. Nous avons ren-
contré cette solution psychologique, analogue à celle
qui dénoue le problème dos universaux dans le sens
du réalisme modéré, dans Alain de Lille; et nous avons
1221
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOL ASTIQUES;
1222
noté que saint Bonavenlure l'accepta, In IV Sent.,
1. 1, dist. VIII, p. I, a. 1, q. il, et quesaintThoinas en fit
autant. In IV Sent., I. I, dist. XIX, q. n, a. 1, ad l"m;
a. 2, ad 3"m ; Sum. llieol., I\ q. ni, a. 4, ad 2ura. Il est
à remarquer que ces deux docteurs font usage de cette
solution comme Averroès, non seulement pour expli-
quer la simplicité divine, mais aussi pour répondre à
l'agnosticisme. Enfin nous avons déjà vu les raisons
profondes que saint Thomas a données, en s'inspirant
de saint Augustin, de notre mode de connaître par voie
de jugement, compositio. Cf. S. Bonaventure, In IV
Sent., 1. I, dist. XXVII, p. i, a. 1, q. ni. On peut sur
cet exemple se rendre compte du genre de service que
les grands scolastiques reçurent des Arabes, et de leur
manière de les utiliser; ce que nous allons dire préci-
sera cette insinuation.
La conclusion d'Averroèsque Dieu est son essence se
trouvait dans Pierre Lombard, 1. I, dist. VIII, appuyée
d'autorités patristiques; on l'exprimait couramment
sous cette forme : en Dieu il n'y a pas de distinction
entre l'abstrait et le concret; Dieu est vivant, et vie;
ce qui n'est pas dans les créatures. Le lecteur qui a lu
les passages allégués de saint Thomas ne peut pas
avoir de doute sur ce qu'il doit ici à Averroès.
.Mais il faut remarquer qu'il est un point sur lequel
saint Thomas préfère suivre Aristote. Pour expliquer
la composition objectivement réelle des êtres simples,
Averroès recourt à deux considérations : leur exis-
tence est participée, leur essence renferme une poten-
tialité logique. Saint Thomas n'a jamais nié cette
potentialité logique dans les êtres finis : il y a recours
pour établir que la grâce du Christ est finie per essen-
tiam, Deveritate, q. xxix, a. 3, que les anges bien que
simples sont finis. De spiritualibus crealuris, q. i, a. 1 ;
Sum. theol., Ia, q. vu, a. 2; q. L, a. 2, ad i>"". Mais il
s'abstient d'user de ce moyen terme dans la question
présente et soutient avec Aristote et Avicenne que
dans les êtres simples l'individualité est la nature.
Cette formule est souvent répétée par saint Thomas,
De potentia, q. ix, a. 1 ; q. vu. a. i; De. spiritualibus
crealuris, <\. i, a. 8, ad ilim; elle lui sert à réfuter di-
verses erreurs des Arabes et spécialement l'erreur
d'Averroès sur l'unité de l'intellect. ]l/id.,i\. 9 sq.; De
ente et essentia, c. v. C'est là une des phrases de
saint Thomas qui a fait verser le plus d'encre; et, les
vues systématiques postérieures aidant, la difficulté de
la concilier, je ne dis pas avec le dogme, cf. Sum.
theol., III'. q- iv, a. 2, ad 20m, mais avee le Quodlibe-
iinn, II, q. n, a. 2, où il est dit que l'individualité île
l'ange est un accident, a donné naissance à di\
entités ou entia quibus. Cf. Cajetan, //' / " . q. m, a. 3;
Suarez, hisp. metaphys., disp. XXXIV, Bect. m. n. 16;
Pierre de Bergame, Tabula am-ca, \ « Dubium . 1 13, 1 1 i.
Mais cette question déborde notre Bujet; il nous suffît
ici de retenir que de la double potentialité du Uni
limpl rroès, saint Thomas ne retient
qu'une seule, celle qui vient de la composition o ré<
de l'essence et de l'existi
A cause du nom 71*1 est el de certaines Formules de
iint Hilaire, c'était une tradition dans
l'École d'enseigner que Dieu, el lieu seul, est son
existence. Or l'attaque ■! mtre Avicenm
amené \-- 1 occupi 1 di o tte question et à la
ip dm- i- 11 que les chrétiens. Saint
Thomas prouve que Dieu est son existence di
laçons. ". Parce qu'il est du concept d'être 1
ter, tandis que cela n'esl du concept d'aucun
astre objet. /'■ entia, c. .. Cf. Algazel, dans
la 'h -p. \ . Pluralitai quinta, roi, 33, ■! \ /< Par
1 .n . amen ppd dan
theol., I», q. m. a. i. Enfin c. par l'eflel le plus uni*
I et qui 1 I exclusivement pi opre de la causalité
divine, I ■ | ■,/,,;.
q. vu, a. 2. Les trois procédés sont d'Averroès, comme
le lecteur peut s'en convaincre en les comparant avec
ce que nous avons rapporté de celui-ci. Dans le Contra
génies, 1. I, c. xxn, la même conclusion est prouvée
directement contre Âlgazel. Celui-ci, s'emparant d'une
idée d'Avicenne rejetée avec énergie par Averroès et par
saint Thomas, à savoir qu'un possible in esse et non
esse peut devenir nécessaire peraliucl, raisonnait ainsi :
les philosophes admettent qu'avec une existence contin-
gente et un possible réalisé on peut obtenir un être né-
cessaire per aliud; de même avec une existence néces-
saire, on peut concevoir une essence nécessaire; ou
avec une essence nécessaire, une existence également
nécessaire; ou d'une façon plus générale une essence et
des attributs également nécessaires, bien que réelle-
ment distincts. Les philosophes répondent, dit Algazel,
que dans ce cas il faudrait une cause extérieure; mais
on peut l'éviter en concevant l'essence et l'existence
nécessaires comme se conditionnant mutuellement ab
œterno. L'unité (unicité et simplicité) de Dieu est
d'ailleurs sauve, car Dieu reste un par l'unité, comme
il est sage par la sagesse. Averroès comme beaucoup
de musulmans voyait dans cette doctrine ou bien la
Trinité des chrétiens ou du moins quelque chose qui
pouvait favoriser le dogme chrétien, qu'il confondait
avec la doctrine des hypostases alexandrines. Aussi,
dans sa Métaphysique, après avoir établi l'objectivité
des attributs divins et conclu que Dieu est un, vivant
et sage, ajoute-t-il : El hoc putaverunt antiqui Trini-
latem esse in Deo in subslaulia. El voluerunt evadere
per hoc, et nesciverunt evadere : quia cum substantiel
fuerit numerala, congrégation erit union per unam
inlentionem addilam congregato. Et dixit Alexan-
der. Et hoc simililer conligil loquenlibus in lege
Maurorum, ponenlibus inlenliones additas essentia'.
Quapropter conligit eis ut ail unit s per unam inten-
lionem addilam essentise, mater i œ el dispositionibus.
Kl utrique dispositioni d ubitatur ac.cidere composilio :
et omne composition cal novum, nisi dicani aliqua
componi per se. El si aliqua essent qupe componeren-
tur per se, lune exirent de potentia in aetum per se,
ri moverentur sine motore per se. Metaphys., 1. XII,
coin. 39, fol. loi. Ce texte célèbre précise le sens de la
controverse chez les musulmans cl les Juifs. Voici
maintenant la réponse d'Averroès, Destruclio, disp. VI,
fol. 36 sq.
Si l'essence considérée par Algazel n'est pas de sa
nature nécessaire, l'existence nécessaire que vous lui
joindrez n'en fera jamais une essence nécessaire, esse
quod est per se necesse esse. Quoi qu'en pense \ 1
cenne, on ne peut pas changer la nature des c!
par des additions d'entités; par exemple, si la chaleur
u'esl pas nécessaire, on n'j fera rien en imaginant
qu'on lui ajoute une existence nécessaire. Mais Algazel
réussir à concevoir un être nécessaire lui de
parties, en imaginant entre ces parties un rapport de
iniiie par exemple on dit chez les péri-
patéticil us qu'il en existe un entre la matière et la
forme : ulraqui • 1 conditio m esse sui
Mais, ou bien de l'existence a nce
' comme par exemple nos opération "rient
de notre existence . el, dans ce cas. l'essence n'est
qu'un accident, elle n est pas < ce n'est donc
pas l'essence du Premier qui n'a pas de cause; el cela
revient a 'lire cornue A irenne que DieU "
quiddité. Ou bien on prétend que de 1 es nce n
sort l'existence. Mais, dans ce cas, il faut une
pour produire la n union de l'essèm e A l'i
Omne 710,1/ lu litionem 1» esse tuo, eo>
pulalio quidei iditionl • alterius ;
7111/01 0/17110/
dition U (tonal mu enitn non evadil
quin existai in se absque oopulati
1223
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES)
1224
et indiget causa agente copulationis ejus. Une hypo-
thèse reste possible à Algazel. Les parties considérées
ne conditionnent plus mutuellement leur existence,
puisque la priorité mutuelle des causes répugne ; mais
les parties sont données et ne conditionnent que leur
union : qitselibet Marient non est condilio sui socii
ht esse. Algazel est un imaginatif, répond Averroès.
l'artisan de la distinction réelle de l'essence et de l'exis-
tence, il ne conçoit la nécessité de la cause que pour
produire l'existence, entité distincte de l'essence du
possible hors de ses causes, possibile ventm. Mais la
cause est nécessaire pour le passage de la puissance à
l'acte; c'est là le premier principe : de la puissance,
sans moteur en acte, rien ne peut sortir. Or la compo-
sition, même à supposer les parties données et exi-
geant mutuellement leur réunion, est un passage de la
puissance à l'acte; c'est la réalisation d'un possible. Il
y faut donc une cause. Compositio non est sicut esse.
Nam convpositio est sicut moveri, scilicet atlributum
possibile, additum substanliœ rerum recipientium
compositionem. Esse vero est denominalio quse est
ipsa subslanlia. Et qui aliter dicit errât. Saint Tho-
mas fut de cet avis, et on peut voir le bon parti qu'il a
tiré de ce passage. Contra génies, l. II, c. XXII.
Il résultait immédiatement chez Averroès de l'emploi
de l'argument des degrés que Dieu n'est pas dans un
genre, mais transcendant à tous les genres. Bien qu'on
puisse ranger Dieu dans un genre logique, Depotentia,
q. vu, a. 4, ad 7um; a. 7, ad luu>, on ne saurait le faire
entrer dans une classification des êtres réels par genres
et par espèces. Cette classification suppose en effet une
certaine communauté d'essence avec quelque différence
ou possibilité de différence ; en d'autres termes, il n'y a
genres et espèces qu'autant qu'il y a composition et
par conséquent acte et puissance. Or, quand il s'agit
des êtres immatériels, la communauté est déjà moins
déterminée que dans les êtres qui ont pour fond com-
mun la matière; aussi la classification en genres et en
espèces des intelligences pures, que saint Thomas consi-
dère avec Averroès comme chacune spécifiquement dis-
tincte, ne doit pas être trop pressée, Sum. tlteol., Ia,
q. l, a. 2, ad lum; car elle ne varie que du plus au
moins dans la potentialité de leur nature incorruptible.
Quodlibela, IX, q. IV, a. 1, ad 3"m. Mais quand il s'agit
de Dieu, cette classification ne s'applique en aucune
façon, puisque par le procédé même qu'on a suivi pour
démontrer l'existence de Dieu, on a éliminé de lui toute
composition et possibilité de composition. Disp. V,
fol. 33. Le seul rapport qui puisse être donné entre
Dieu et le reste des êtres est un rapport de différencia-
tion, causal, secundum prius et poslerius. Disp. III,
fol. 25. Saint Thomas admit cette doctrine conforme
d'ailleurs à Aristote et aux formules patristiques.
Sum. theol., Ia, q. m, a. 5.
La multiplicité des emprunts faits par saint Thomas
à Averroès en ce qui touche à la démonstration des
attributs négatifs de Dieu explique pourquoi il répète
souvent que les philosophes ont fort bien connu ceux-
ci, et conclut que notre connaissance de Dieu est d'abord
négative. Sum. theol., Ia, q. xn, a. 12. Les erreurs
des Arabes et des Juifs sur les attributs positifs et spé-
cialement l'agnosticisme qu'ils professaient presque
tous, étaient d'ailleurs bien faits pour le confirmer dans
cette manière d'apprécier les forces de la raison. Là
encore, nous allons le voir, Averroès lui fut d'un grand
secours.
9° Maimonide. — Le juif Maimonide rendit aux
scolastiques en théodicée trois services. C'està lui que
saint Thomas emprunta la position qu'il prit relative-
ment à la question de l'éternité de la création. Les
raisons des philosophes en faveur de l'éternité de la
création ne sont pas démonstratives; mais d'un autre
coté la raison naturelle ne démontre pas l'absurdité
d'une création éternelle. Cependant la raison démon-
tre le fait de la création ex nihilo. l'our des raisons
dont il serait trop long de donner ici le détail, saint
Thomas se persuada que siAvicenne niait la création,
du moins il réfutait bien le concept erroné de création
des Motékallim, qui imaginaient le néant comme une
privation ou puissance, De polentia, q. m, a. 1,
ad7"l,]; il crut aussi qu'Aristote et Averroès admettaient
la création ex nihilo et n'erraient sur ce sujet qu'au
point de vue de son éternité, Averroès joignantà cette
erreur celle de son absolue nécessité. Il interpréta
donc le passage suivant d'Averroès : Omnis forma con-
tinelur actu in primo molore et polentia in prima
maleria, Metaphys., 1. XII, corn. 18, en rattachant la
première partie de la phrase à la doctrine des idées de
saint Augustin, et la seconde à l'hylémorphisme.
Cf. S. Bonaventure, Ilinerarium, c. v, n. 3. Mais si on
parlait de la possibilité adéquate des choses y compris
la matière, saint Thomas répondait comme Jean le
chrétien cité par Averroès, loc. cit. : Omnis possibilitas
est in agente, d'où suivait la possibilité de la création
et des miracles. Cf. Niphus, op. cit., fol. 5isq.,61, 70.
Cette façon d'entendre Aristote et Averroès permit à
saint Thomas de prouver le fait de la création ex nihilo
en retournant l'argument des degrés, De polentia,
q. m, a. 5; et ainsi le même moyen terme prouvait
d'un côté l'existence, l'unité, la simplicité et l'infinité
positive de Dieu, de l'autre la création. Or il n'est pas
douteux que dans tout ce travail de synthèse saint
Thomas ne se soit inspiré de Maimonide. Celui-ci a
été la source commune où ont puisé Raymond Martin,
l'auteur du Pugio fidei, part. I, c. v, Leipzig, 1687.
p. 207 sq., et saint Thomas. Car, bien que disciple
d'Avicenne, Maimonide avait profité de la critique
d'Averroès pour retoucher le système de son maître en
plusieurs points. En particulier, il nous apprend lui-
même, Guide des égarés, Paris, 1856, t. I, p. 413, 428,
que la preuve de la création puisée dans la nature de
l'être, entis in quantum ens, qu'il donne, part. II,
c. xix, t. il, p. 147, dépend de certaines vues des
Motékallim et d'Averroès, 1. 1, p. 431, opposées à celles
d'Avicenne. Or ces vues sont précisément celles qui
sont à la base de l'argument des degrés, tel que saint
Thomas le trouvait chez Averroès et chez Aristote. En
d'autres termes, pour prouver la création. Maimonide
abandonne les principes d'Avicenne et donne à l'argu-
ment des degrés le sens que lui donne Averroès. Saint
Thomas n'eut donc pas à découvrir la preuve qu'il tire
de cet argument en faveur de la création ; Maimonide
lui avait tracé la voie. Cf. Guttinann, Moses ben Mai-
mon, sein Leben, seine Werke und sein Ein/luss,
Leipzig, 1908, t. i ; Worms, Die Lehre von der Anfang-
losigkeit der Welt bel den mitlelalterlichen arabis-
chen Philosophen, Munster, 1900, au t. m des Beitrùge;
Grùnfeld, Die Lehre vom gôltlichen Willen bei den
jùdischen Religiotts philosophen des Mittelalters von
Saadja bis MaimÛ7ti, Munster, 1909, au t. vu des Bei-
trùge de Baeumker.
Le second service que Maimonide rendit aux scolas-
tiques du xme siècle fut de préciser la distinction
classique des attributs figurés et des attributs négatifs,
relatifs et absolus, et cela à propos des noms donnés à
Dieu par l'Écriture. Le but de Maimonide était de don-
ner une solution générale de toutes les difficultés que
peut présenter à ce sujet la Bible. Instruit des subti-
lités du Talmud et peut-être du Zohar, il en profita pour
examiner et classer au point de vue de la logique péri-
patéticienne les noms divins, c'est-à-dire tout ce que la
Bible énonce de Dieu, et il les répartit entre les quatre
classes indiquées. D'ailleurs, le procédé même par
lequel Maimonide cherchait à établir la solution géné-
rale qu'il proposait, à savoir l'agnosticisme crojant,
le forçait de faire une critique rigoureuse de ces
1225
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES;
1226
•diverses classes d'attributs. Pour ce travail il s'aida de
ce que les soufistes et surtout les philosophes arabes
avaient écrit sur ce sujet. En le lisant, les scolastiques
se trouvèrent donc en présence d'un travail très éla-
boré sur la distinction et la classification des attributs
divins; et on ne peut pas mettre en doute l'iniluence
de Maimonide quand on constate avec quelle précision
nouvelle le xni° siècle disserte sur les noms divins.
C'est surtout chez saint Thomas que cette influence se
fait sentir. Cf. Kaufmann, Die Attributcnlehre in der
jïidischen Religionsphilosophie, Gotha, 1877. D'ailleurs,
Franzelin. De Deo uno, th. x, et Pohle, Lehrbuch der
Dogmalil;, 1. I, c. II, Paderborn, 1902, t. i, p. 29-36,
montrent bien l'accord parfait de saint Thomas et de
la tradition patristique.
Le troisième service que rendit Maimonide aux sco-
lastiques fut de les mettre en présence du problème de
l'agnosticisme, et par là il leur donna l'occasion d'éta-
blir plus solidement que n'avait fait le XIIe siècle la
théorie philosophique de la valeur ontologique des
divers attributs de Dieu. L'agnosticisme était le mal
endémique du péripalétisme néoplatonicien de la phi-
losophie arabe. Chez Avicenne, il dérivait surtout de ce
que nous ne connaissons Dieu qu'en fonction de la
créature; chez Avicebron, il se fondait surtout sur ce
que Dieu n'a pas d'essence, mais est l'existence pure.
Algazel avait attaqué ces vues dans sa Destruction, mais
pour soutenir lui-même l'agnosticisme par une autre voie
dans sa métaphysique : Si est cujus simile non est in le
Uludnullo modo poteris intelligere. Et hsec est ejus es-
sentiel, cum ipse est eus absqueeo quod respondealad
qnid est, Metap/tt/s., c. III, cité par Richard de .Middle-
ton, In IV Sent., 1. 1, dist. III, q. m, a. 2, Venise, 1507,
fol. 15. Averroès prit une position nettement opposée
à l'agnosticisme. Voici le texte du passage principal de
sa métaphysique sur ce sujet : Et cum intellectus est
unus, et cum actio ejus est vit a, illud igitur i/uoil
intelligens est, (/nia inlelligit se non quia intelligit
aliud, illud est vivum, quod habet vilam in fine no-
bilitalis ; et ideo vita et scientia proprie dicuntur de
eo. Est igitur unus, Deus, sapiens. Suit le passage
contre la Trinité et contre les attributs réellement
distincts rapporté plus haut, et on poursuit : El sic
est intelligendum quum dicimus ipsum esse unum et
habentem vilam, scilicet idem i» subjecto et duo
secunihtm hinilum ; non quia significant idem omni-
bus modis, sicut 'significant nomina synonyma. Un
peu plus bas. la distinction des attributs entre eux et
avec l'essence est énoncée : unum in esse, duo in con-
sideratione; ou encore, unum in preedicatione, et duo
in intentione; ou bien in polenlia duo, quando in-
tellectus (/inscrit unum ab altero. Intellectus enim
naïus est dividere adunata in esse, etc. Melaphys.,
1. XII, com. 39, fol. 151. Snin t Thomas renvoie fré-
quemment à ce passage, et aussi au coin. 19 du même
livre, fol. !îi. où on lit: sunt radem secundum pro-
portionalitatem, non tecundum deflnitionetn.Ct. .lan-
dun, In XII libro» metaphysicee, Venise, 1560, sur ce
passage, fol. (i."><); s. Thomas, /" IV Seul., 1. I. pro-
logus, q. i, a. 2, ad 2,,m; De potentia, q, vu, a. 7; De
veritaïc, q, n,a. II. On le voit, averroès avait retrouvé
la solution donnée au problème de la valeur des attri-
buts absolus et de leur relation à l'< i >nnée par
les Pères cappadociens contre l< - anoméens,
Malgré les démonstrations d'Averroès, Maimonide
soutint l'agnosticisme et le présenta comme l'aboutis-
sant du péripalétisme. Nous avons il le détail
de son argumentation 1 1 de la réfutation qu'en donna
saint Thomas, dans d'Ali -. Dictionnaire apologétique
dr in foi, t. i, col. 28-56; ■ i nous nous sommes
plu^ haut, col. 784, I i*. du fond de la réponse de
saint m< n'j reviendront pai Voici seule-
ment quelques Indications historiques sur le procédé
de Maimonide et la marche de la discussion de saint
Thomas. Les attributs négatifs d'éternité et d'immen-
sité ne nous renseignent pas sur la nature intrinsèque
de Dieu, puisqu'ils ne font qu'exclure de lui les rela-
tions spatiales et temporelles; mais tous les noms que
nous donnons à Dieu se réduisent en dernière analyse
à des négations du même genre. Ces noms en effet se
divisent en termes anthropomorphiques ou figurés,
en termes relatifs, et en termes essentiels ou en appa-
rence absolus. Or les termes figurés, Dieu descendit,
marcha, etc., se réduisent à des symboles d'action; il
en est de même des noms relatifs évidemment; et aussi
des noms essentiels : vivant, puissant, sachant et vou-
lant; car puisque nous ne connaissons Dieu qu'en
fonction du monde, dire qu'il vit, cela signifie que son
œuvre est semblable à celle d'un vivant. Tous les
noms de Dieu sont donc des dénominations extrinsè-
ques, tirées de ses œuvres ; ils n'ont qu'un sens causal ;
Dieu est sage, cela signifie que la sagesse est son
œuvre. Et il est impossible de remonter de notre sa-
gesse à l'attribut intrinsèque de sagesse en Dieu; car
il faudrait qu'il y eût une relation réelleentre la nature
divine et son œuvre, au moins une relation de simili-
tude sur laquelle se fonderait une connaissance analo-
gique ; mais cela est impossible, car Isaïe a dit : Cm»
similem me fecistis. Quoi qu'en dise Averroès, tous
les noms divins sont donc de pures homonymies,
œquivoce; et notre connaissance de Dieu est purement
négative. Dire que Dieu est sage, c'est exprimer que
ses œuvres ne ressemblent pas à l'effet d'un agent
ignorant; mais cela ne nous renseigne pas plus sur sa
vraie nature, que de dire au sens purement négatif
qu'il n'a pas de corps ou qu'il est hors des relations
spatiales et temporelles. Il en va de même de l'existence
que nous lui attribuons; que Dieu existe, cela signifie
simplement pour le philosophe que les preuves de
son existence sont telles qu'il nous est impossible de
penser qu'il n'existe pas. Reprenant ici les vues d'Avi-
cebron et d'Avicenne, Maimonide va plus loin encore.
L'existence même que nous affirmons de Dieu, c'est
l'être considéré en lui-même comme faisant abstrac-
tion de tout ce qui peut servir ;i le déterminer, comme
la quiddité, la qualité; c'est l'existence pure; car Dieu
n'a pas d'essence.
On peut lire dans la Somme tliéologique, I", q. xm,
et dans le De potentia, q. vu, la solide réfutation de
toute cette série de sophismes. Saint Thomas y emploie
à la fois la pensée chrétienne et les données patris-
tiques, et son argumentation dépend aussi d'Aristote
par l'intermédiaire d'Averroès, au jugement duquel il
en appelle à plusieurs reprises. Les fondements sur
lesquels s'appuie Maimonide sont branlants. S'il con-
roit l'existence pure comme il fait, c'est qu'il imagine
quod ci quod dico esse aliquid addatur quod sit eo
formalius, ipsum déterminant. De potentia, q. vu.
a. 2, ad 9um. De même, il a tort d'assimiler toutes les
relations aux relations spatiales et temporelles, a. 10;
car il faut considérer les relations causales, qui peuvent
ne pas être mutuelles. Sum. IheoL, 1\ q. iv, a. I et 2,
ad 3um; a. 3. Ces deux bases établies, l'infinie perfection
de Dieu se démontre et nous avons dans le principi
raison suffisante un moyen de remonter a posteriori
aux attributs intrinsèques de Dieu; et la connaissance
analogique reste valable, q. xtn. B. 5. Nous connaissons
donc, bien que très imparfaitement, l'absolu, i U, ad
,.: In M Sent., I. I, dist. Wll, q. i, a. 2. Mais
cette solution nous amené s l'étude d'un problème
généi il dont l'exposé donnera tout le sens de l'inno-
.ition opérée en théodicée par l'admission du pérlpa-
tétisn
10» L'être tranteendant et »i ' tut monde :
l'infinité divine démontrée, étudiée et ex\
\ trine péripatéticienne de l'acte et delà
1227
DIEU (SA NATURE SELON LES SGOLASTIQUES
1228
puissance. — Lien que nous soyons capables de conce-
voir l'infini : i li sens absolu, indépendamment de tout
rapport avec le inonde, nous nous servons cependant
toujours pour le concevoir des idées acquises par notre
expérience des choses sensibles. Il résulte de cette
condition de notre connaissance de Dieu que nos vues
sur le inonde ne sont pas sans retentissement sur
notre conception même de Dieu. Ce qui est vrai en
général, l'est bien davantage quand il s'agit de tbéodi-
cée savante, d'une connaissance réllécliie et systéma-
tisée. De plus, si l'exposition d'une théologie fondée
surtout sur les données de la révélation comme celle
de Pierre Lombard, ou procédant principalement par
voie de déduction en prenant l'idée d'inlini pour point
de départ, est à peu près indépendante des vues spécu-
latives de ces auteurs sur le monde, ou ne suppose que
la philosophie du sens commun, il ne saurait en être
ainsi pour une théodicée systématisée, tout entière
construite a posteriori, comme l'est spécialement celle
de saint Thomas. Pour saisir ce qu'a de caractéristique
une telle théodicée, il faut connaître très à fond la
conception du monde qui lui sert de base et à qui elle
emprunte le principe de systématisation méthodique
par quoi elle relie ses thèses entre elles. Et comme la
théodicée scolastique ne voulut pas être et ne fut pas
une excroissance spéculative, indépendante de la tradi-
tion, il faut, si l'on veut tenir compte de tous les élé-
ments complexes dont elle est composée, dégager
comment la conception péripatéticienne du monde qui
fut la sienne et sur laquelle elle s'appuya se rattachait
à celle de la spéculation patristique. C'est pourquoi, au
risque de paraître à quelques lecteurs nous occuper
moins de Dieu que de la qualité du péripatétisme ou du
platonisme des grands scolastiques duxme siècle, nous
avons plus haut consacré plusieurs pages à dire com-
ment saint Thomas combina — sans doute en les modi-
fiant l'un et l'autre — le péripatétisme et le platonisme,
et fut amené à juger leur théodicée équivalente. Nous
avons fait cette exposition, sans tenir compte de l'in-
fluence de la philosophie arabe, non seulement pour
des raisons de commodité dans notre composition, mais
aussi pour bien marquer la continuité des préoccupa-
tions que certains textes patristiques donnaient aux
scolastiques, et surtout parce qu'il semble bien que le
génie de saint Thomas ait été capable de trouver à lui
seul la synthèse de la théodicée de Platon et d'Aristote
qu'il nous a laissée, par le seul rapprochement du
réalisme modéré d'Aristote et du platonisme de saint
Augustin. Doèce et Denys posaient le problème : le
lecteur a vu comment saint Thomas le résolut par
l'éliologie et l'épistémologie d'Aristote. C'est par là,
avons-nous dit, que saint Thomas conclut que la doc-
trine de la participation de Platon, c'est-à-dire de saint
Augustin, est équivalente à la doctrine de l'acte etde la
puissance d'Aristote; ce qui lui permit de penser que le
premier moteur immobile d'Aristote est l'équivalent du
Dieu mobile de Platon. Sans doute, plus d'un lecteur
aura trouvé le saut un peu brusque, et la liaison arti-
ficielle. C'est de cette impression et de l'appréciation
très inexacte qui en résulte que naissent au fond les
critiques des hétérodoxes contre la scolastique. Ils re-
marquent avec raison que le principe métaphysique
général de systématisation de la théodicée chez saint
Thomas est la doctrine de l'acte et de la puissance : ou.
bien ils en concluent à une rupture avec la tradition,
non seulement quant à la dialectique de la science de
Dieu, mais aussi, puisque notre idée de Dieu est liée
avec notre idée philosophique du monde, quant au
contenu même de l'idée de la nature divine; ou bien,
notant qu'on peut avec la doctrine de l'acte et de la
puissance entendue d'une certaine façon aboutir à
diverses erreurs, ils les attribuent sinon formellement,
au moins quant à leurs germes, à l'École; ou enfin —
et ce reproche est le plus vulgarisé, parce qu'il parle
davantage à l'imagination et demande pour êlre saisi
moins d'acuité intellectuelle — ils supposent que la
théodicée de l'École repose tout entière sur l'hypothèse
hylémorphique. La suite de notre étude sur Àverroès
nous amène à résoudre et les difficultés des uns et les
hésitations des autres. Car bien que saint Thomas eût
pu concevoir à lui seul l'usage qu'on pouvait faire de la
doctrine de l'acte et de la puissance pour penser l'infini
et systématiser la théodicée. il semble historiquement
qu'il n'eut pas à faire cet effort, mais n'eut qu'à remar-
quer chez Averroès le principe et son application. \.n
tout cas, s'il eut de lui-même l'intuition du principe de
sa synthèse, qui est la notion d'acte et de puissance
métaphysiques, il reconnut cette notion chez le penseur
arabe qu'il cite quelquefois et utilise très souvent litté-
ralement sans le nommer.
Nous avons donné aux difficultés des hétérodoxes une
première réponse par les principes; ce que nous allons
exposer constituera une réponse par les faits, qui con-
firmera la première. Nous dirons : 1. Comment Averroès
conçut le rapport du monde à Dieu et par suite l'infini ;
2. Comment cette théodicée et cette conception du
monde coïncidaient avec la doctrine patristique de la
participation; 3. Comment l'école franciscaine indépen-
damment d'Averroès avait retrouvé le sens philoso-
phique de cette doctrine traditionnelle qui avait em-
barrassé le xne siècle; 4. Comment l'école dominicaine
s'accorda avec l'école franciscaine quant à l'intelligence
de la participation, et mit à profit Averroès pour l'ex-
posé logique et l'emploi systématique de cette doctrine;
5. Enfin nous dirons un mot de la systématisation de
saint Thomas et l'on verra qu'elle n'eut rien d'exclusif
et ne fut pas un esclavage, puisque le saint docteur se
servit contre Averroès lui-même de ce qu'il lui em-
pruntait. Du même coup nous aurons montré comment
se fit en fait l'introduction de l'acte et de la puissance
en théodicée et quelle en est la portée.
1. Doctrine de la participation citez Averroès. —
L'histoire n'a pas à reconstruire la théorie d'Averroès
sur les rapports de Dieu et du monde, ni le lien qu'il
établit entre cette théorie qu'il qualifie de péripatéti-
cienne et sa théodicée. Les attaques d'Algazel contre
les philosophes et le soin qu'il prend de s'écarter
d'Avicenne l'amènent à s'en expliquer nettement à
maintes reprises dans sa Destruction. On n'a que
l'embarras du choix. Algazel reprochant entre autres
choses à Avicenne d'avoir été amené à l'agnosticisme
par sa conception de l'argument des degrés, d'où il
suivait que Dieu n'a pas d'essence, Averroès répond
par un peu d'histoire. Les anciens philosophes arabes,
dit-il, sont partis de l'hypothèse que l'existence est une
réalité ajoutée à l'essence et faisant composition phy-
sique avec elle; Avicenne, trompé par le mot arabe
maondjoud par lequel les traducteurs d'Aristote ont
rendu tô ov, Maimonide, t. i, p. 231, note de Munk, a
même fait de cette réalité une sorte d'accident ; et ils ont
raisonné ainsi : tout composé d'essence et d'existence,
c'est-à-dire d'acte et de puissance distincts, est causé;
mais le premier n'a point de cause; donc il n'a point
d'essence. Tel est, en effet, le procédé d'Avicenne»
d'Avicebron, et plus tard de Maimonide, qui aboutit
chez eux à la formule : scimus de Deo solunt quia est.
Mais les philosophes arabes plus récents, disciples
d'Aristote, ont compris que -h ô'v, maoudjoud, ens,
signifie la réalité, la substance ou l'essence hors de ses
causes, et ils ont par suite donné à l'argument la
forme suivante : tout être est composé ou simple et
tout composé a une cause; donc, puisque la régression
à l'infini répugne, il y a un premier être, cu/us esse
sit sua quidditas. C'est l'argument des degrés tel que
le défend Averroès, et il en dit historiquement : sed
moderni sapientunt saracenorum speculali sunt in
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DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES1
1230
natura entis in quantum ens; et duxit eos investiga-
lio ad ens simplex modo supra dicto. On reconnaît la
formule de saint Thomas : ullerius aliqui erexerunt
se ad considerandum ens in quantum ens et conside-
raverunt causant rerum non solum secundum quod
sunt hsec, vel talia, sed secundum quod sunt entia,
Sum. tlieol., Ia, q. xuv, a. 2; ailleurs, il s'appuie sur
saint Augustin pour prêter de pareilles vues à Platon
et à Aristote. De potentia, q. ni, a. 5. Averroés ajoute
que son péripatétisme va plus loin : Sed via demon-
strativa apudnos in hoc proposilo est quod entia qusc
sunt possibilia in eorum subjectis egrediuntur de po-
tentia ad aclum; quare illud quod extrahit ea in
actum est agens in actu necessario ; oportet ergo
necessario quod id quod ilat eis esse continuum sit
necessarium in seipso. Destructio, disp. VIII, dub. I.
Cf. A. Niplius, In librum destructio destruclionum
Averrois commenlarii, Lyon, 1542, fol. 241, 244.
Pour saisir la portée entière de ce dernier passage
et y voir ce qui s'y trouve, c'est-à-dire autre chose
qu'un appel à l'argument du premier moteur physique
dont Averroés fait emploi très fréquemment ailleurs,
il faut se souvenir que, d'après lui, l'argument des
degrés qu'attaque Algazel est absolument indépendanl
de toute distinction réelle. Pour prendre ses exemples,
quand on y met en fait que tout ce qui se trouve dans
Socrate, sans être explicitement mentionné dans la
définition de l'homme; ou que dans une qualité don-
née, par exemple la chaleur, tout ce qui est susceptible
de plus et de moins a une cause, il est évident qu'il ne
s'agit pas d'une distinction réelle entre les degrés de
chaleur et l'essence de la chaleur, entre tous les prédi-
cats particuliers de Socrate et l'essence abstraite de
l'homme. Le point de départ de l'argument est la
constatation d'une composition métaphysique et d'une
distinction de raison secundum intentionem, dit Aver-
roés, nous dirions en style moins vieux : cum fun-
damento in rc. Cette composition qu'Averroès nomme
accidentelle, cf. S. Thomas, Quodlibeta, II, q. il, a. 1;
VII, q. III, a. 2; XII, q. x, a. I, se trouve réalisée entre
l'essence et l'existence des choses produites, même
dans les substances simples comme sont les intelli-
gences séparées. Omnis inlelligentia est composita ex
materia prteter primant; omnes alise sunt ex parli-
cipanle et participait), id est ex essenlia et esse, et in
eis est comparatio potentiœ passivœ ad actum forma-
ient, recipienlis ad réception , materiiv ad formant et
e contra. Cf. Xiphus. <■]>. cit., fol. 243, 245; S. Thomas,
Centra gentes, 1. 11, c. liv; Sum. tlteol., I\ q. iv,
a. 1. ad 3om. Mais il ne faut pas entendre ces formules
au sens purement statique : compotitio est sicut mo-
veri, scilicet attributum possibile additum substantiœ
rerum recipientiutn compositionem ; esse vero est
denontinatio quœ est ipsamet substantia, Disp. VI,
fol. 37. On connait la définition péripatéticienne du
mouvement : aclus enlis pottibilis, in quantum possi-
bile. s. Thomas, ht Phyaic, I. III, lect. n, à la fin.
L'idée de rapprocher le mouvement, la course, de
l'existence date d'Aristote. S. Thomas, In Metaphys.,
I. IX, lect. ni; ht IV Suit., I. I, dist. XIX, q. n. a, 2.
La comparaison indique, comme celle de la matière et
de la forme, une potentialité continue, mais elle \
ajoute la connotation de l'influx de la cause du mou-
vement. Quodlibeta, IX, q. iv, a. 1. Ce qui revient a
dire que d'après Averroés l'existence du fini n'esl pis
Intelligible sans l influx causal 'le la cause première.
De potentia, n- m, a. ■ >. ad I . L'existence des êtres
produit-, c'esl 1 • Ire 'ii puissance, ce que tainl Tho-
mas appelle avec lui po$$ibilit, /" IV Sent., I. I,
dist. VIII, q. v, a. 2; De potentia, q. v, a. 3, deven int
.ii'- en acli "is l'influence continue de la première
. El cette doctrine détermine le sens de l'appel
;ni premii i mot< ur que non- avons rappoi
conception exacte de l'être produit sans la notion d'un
moteur métaphysique : intelleclus in eo comprehendit
compositionem in causalo et causa.
Partant de cette conception du monde, et il est à
remarquer qu'Averroès prend pour base une composi-
tion qui se trouve nécessairement dans tout être con-
tingent, le penseur arabe s'élève à Dieu. De la sorte,
le Premier est plus simple que tout le reste; car quand
on pense à lui, on ne pense en aucune façon à la
cause : non intelligitur de eo causa et causalum
ontnino. Le sens, en effet, de l'expression être néces-
saire est de nier qu'il ait une cause : necessat iunt in
esse non est quid additum ipsi esse extra animant;
sed est quid enti necessario in esse et non addition
subslantise ejus; et quasi rcducitur ad ablationem
causse, scilicet quod esse ejus sit causalum ab alio : et
quasi id quod tribuit alii auferatur ab eo. Disp. III,
fol. 25. Cette conception de Dieu est sûrement très
belle. Car, après que l'on a remarqué que la distinction
de l'essence et de l'existence en Dieu est une pure
distinction de raison, on y invite l'esprit à une première
négation non ab alio, unde non habct quiddilatem
et esse, sed ejus quidditas est esse, et le dernier
membre en suggère une seconde : et le passage con-
tinu de la puissance à l'acte sous l'action divine qui
est toute l'existence du contingent ne se trouve aucu-
nement en lui. Ce qui exclut de lui toute potentialité.
Il est donc l'acte pur et par conséquent toutes les per-
fections sont en lui, In XIV Metaphys., 1. V, corn. 21,
Venise, 1552, t. vin, fol. 02; cf. De potentia, q. vu,
a. 5, à la fin; bien plus quelques-unes se disent du lui
au sens propre : et ideo vila et scient ta proprie
dicunlur de eo, et sans qu'il y ait en lui composition.
Ibid., 1. XII, corn. 39, fol. 139; cf. S. Thomas, ibid.,
a. 6. Enfin, quoique les averroïstes postérieurs aient
mis ce point en doute, Dieu est l'infini, la plénitude
de l'être : c'est du moins ainsi que saint Thomas en-
tend Averroés; car, après avoir rapporté sa réfutation
d'Algazel, il conclut : Hanc autem subliment tenta-
ient Moyses a Domino edoctus est. Contra génies.
1. I, c. xxn.
Si de cette hauteur on redescend vers la créature,
même la plus sublime est composée, et est moins
simple qui' Dieu essentiellement. Detemiinaverunt
antiqui de hac specie entiuni et dixerunt quod sunt
simpiieia. Sed dicunt de eis quod causa in eis est
magis simplex causato, et ideo tenent quod primum
est simpticius eis ; primum enim non intelligitur de
eo causa et causalum omnino; ut vero quint est post
primum. intelligit de eu intelleclus compositionem,
Disp. III, fol. "i."). Ailleurs, il exprime la même idée :
unde habeui quiddilatem et esse, id est recipiunt.
Cf. Contra gentes, I. Il, e. LU, avec les notes de (iode-
froy de Fontaines qui se trouvent là dans les éditions
Mignc et Vives et dont ce que nous venons de citer
d'Averroés rendra claire la terminologie et le si
Quodlib., VII, q. ni. a. 2. On comprendra mieux main-
tenant le sens profond du mot déjà cité : compotitio
est sicut moveri, La composition de l : de
l'existence, c'esl le p du possible 'i l'être -"lis
l'action divine; ce pa mtinu de la puissance 4
l'acte résulte de la potentialité foncière de notre nature
contingente, impuissante a se donner et n s,, conserver
l'existence; la réalité de notre substance, c'eal cette
potentialité', mais en acte, notre existi ne c'esl I
tte potentialité, acte qui n'est intelligible qu'en
tenant Compte de fiction divine du premier moteur
métaphysique.
2. Rapprochement de cette doctritt doctrine
chrétienne <'e '" participation. — Ou trouverail laci
lement des vues sur li • rapports de Dieu et du monde
analogues à celles de cette partie du iystèm< ■! averroés
dans les mystiques chrétiens anciens et moden
1231
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES
1232
C'est ainsi par exemple que réunissant dans leur pi D
l'acte créateur par lequel Dieu donne l'être, l'action
conservatrice par laquelle il le maintient, l'omnipré-
sence de Dieu qu'impliquent la création et la conser-
vation, ils arrivent à se considérer comme perdus en
Dieu ou plutôt comme des participations finies de la
plénitude de l'Être divin, sortant de lui comme des
rayons s'échappent du foyer lumineux, n'étant que par
lui qui seul subsiste en soi, et n'ayant d'autre raison
d'être que de refléter tels quels les divines splendeurs.
i'A'. S. Ignace, Exercilia spiritualia, contemplatif) ad
amorem, 4.
Mais, ce qui est plus important ici, cette manière
d'énoncer la transcendance de l'être divin par voie
d'opposition avec la vanité, la fragilité, la mutabilité,
la dépendance radicale et foncière des essences finies
hors de leurs causes est insinuée par l'Ecriture; et de
très bonne heure les Pères ont suivi cette voie. Dieu
est, qui est, les créatures ne sont rien ou comme rien
devant lui. Ps. xxxvni, 8; Sap., xi, 23; Is., XL, 17;
Rom., vi, "17. Voir Dieu d'après les Pères, spéciale-
ment saint Hilaire, saint Ambroise, saint Jérôme, auteurs
familiers au moyen âge. Il ne parait pas douteux que
la faveur que la théodicée de Platon a trouvée chez
beaucoup de Pères, ne vienne en partie du fait qu'elle
mettait en relief la dépendance des créatures par rap-
port à l'être divin dans le sens même de l'Écriture ou
dans un sens qu'on pouvait y ramener. Voir Plato-
nisme des Pères. La théorie platonicienne de la parti-
cipation avait en outre l'avantage de tracer une dé-
marcation nette entre le créé et l'incréé : démarcation
dont la controverse arienne fit sentir le besoin et l'im-
portance. Par exemple, Dieu est appelé lumière dans
l'Écriture et en lui ne sont point de ténèbres. I Joa.,
I, 5. Mais il est dit du Verbe et du Christ qu'il est
lumière et qu'il illumine les ténèbres. Joa., i, 9; m,
19; vin, 12. Donc il est Dieu et consubstantiel au Père,
lumen de lumine. La conséquence est rigoureuse.
Voir Trinité. Or la doctrine de la participation rendait
très facile de montrer cette conséquence, puisque le par-
ticipant, l'essence hors de ses causes y reste toujours
potentielle, insuffisante à être et à rester ce qu'elle est.
Ainsi s'explique le fréquent usage que font les Pères de
cette théorie platonicienne contre les ariens et les
pneumatomaques. Les néoplatoniciens, tout en tombant
dans de graves erreurs sur Dieu, avaient été amenés
par leur doctrine même de l'émanation à développer
la dépendance causale du multiple par rapport à l'Un.
On a vu, loc. cit., comment Marius Viclorin, saint Au-
gustin, le pseudo-Denys employèrent la terminologie
néoplatonicienne tout en lui donnant un sens chrétien.
La participation chez les ^néoplatoniciens aboutissait
à l'agnosticisme, ou à l'intuitionisme, quelquefois au
phénoménisme et aussi au panthéisme, à un panthéisme
dynamique. La tradition chrétienne se préserva de ces
erreurs grâce surtout au dogme fondamental de la
création. Voir t. I, col. 2329 ; cf. Den/.inger, n. 428.
453 sq. Mais les Pères qui furent influencés par le
néoplatonisme s'approprièrent ce qu'il y avait de pro-
fondément philosophique dans la théorie de l'insuffi-
sance continue des essences finies hors de leurs causes
à l'existence dont l'émanatisme avait abusé. L'image du
soleil et des rayons, dulleuve et de sa source, fréquente
chez les mystiques chrétiens et qui se retrouve chez
Plotin, est familière à saint Augustin et sa théorie de
l'illumination et du concours s'y rattachent, comme
on l'a dit, t. I, col. 2328. Par exemple, Dieu ne produit
pas l'œuvre de notre justification intérieure, ut, si ab-
cessarit, maneat in abcedente, quod fecerit ; sed potius
sicutaer prxsente lumine non faclus est lucidus, sed
fit; quia si faclus esset, non autem fieret, etiam
absente lumine lucidus maneret. De Genesi ad lilte-
ram, 1. VIII, c. XII, P. L., t. xxxm, col. 383.
Cf. S. Thomas, Sum. theol., [», q. civ, a. I ; De polen-
lia, q. ni, a. 3, ad Gum ; De veritate, q, xxi. a. 4, ad -1 .
l'artisan de ce qu'on appelle l'argument des degrés,
le mot est de l 'évoque dïlippone avant d'être d'A
roès, saint Augustin conçoit l'immobilité divine dans le
sens même où Averroès entend les négations incluses
dans l'idée d'acte pur. De Trinilale, I. Y, c. iv; 1. VIII,
c. m, P. L., t. XIII, col. 913, 949. Il écrit dans ses Con-
fessions, 1. VII, c. xi, P. L., t. xxxii, col. 742 : Et in-
spexi cœtera infra tu, et vidi nec omnino esse, nec
omnino non esse : esse quidem quoniam abs le su ni ;
non esse autem, quoniam id quod es non sunt. ld
enim vere est, quod incommutabiliter manel.
On trouve une autre expression célèbre des mêmes
pensées dans un livre qui a beaucoup inllué sur le
moyen âge : les Morales de sain t Grégoire. Dieu seul existe
à proprement parler, Ipse solus est, car tout le reste
n'existe qu'avec dépendance : cuncla quippe ex ni/iilo
facta sunt eorumque essenlia rursum ad nihilum
lenderet, nisi eam auctor omnium regiminis manu
teneret. Moral., 1. XVI, c. xxxvm, P. L., t. i.xxv.
col. 1145. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. I, dist. I,
q. iv, a. 1, ad 6UU>; dist. Y, q. il, a. 2 ; 1. III, dist. XI.
q. I, a. 1, ad 2UU' ; Corderius, Commenloria in librum
Job, édil. Crampon, Paris, 18G6, p. 492. La liturgie a
d'ailleurs adopté cette manière d'exprimer à la fois la
transcendance absolue et l'omniprésence divine '.Rerum,
Deus, tenax vigor, Immotus in le permanens, lisons-
nous à l'hymne de none. On peut considérer le De
hebdornadibus de Boèce comme un essai de transcrip-
tion en style philosophique de ces conceptions. Au
jugement d'Albert le Grand, car la doctrine de la par-
ticipation était alors l'objet des études de tous, les
Noms divins de Denys sont dus aux mêmes préoccupa-
tions. Albert, Summa, part. II, tr. I, q. ni, m. m.
a. 2, édit. Vives, t. xxxii, p. 36.
Le péripatétisme néoplatonicien des philosophes
arabes en utilisant la doctrine de la participation
tomba dans de graves erreurs. Averroès lui-même n'en
fut pas complètement exempt. Cependant, sur le point
précis qui nous occupe, nous devons reconnaître que
sa doctrine coïncide avec celle des Pères que nous
venons de citer : c'est la même conception de. l'être
contingent et par corrélation la même conception de
la nature de l'infini. La seule dillérence est qu'élevé
dans un milieu où la philosophie n'avait pas d'autre
langue que celle d'Aristole et profitant de trois siècles
de travaux et aussi d'échecs tentés ou subis par les
hommes de sa race pour adapter le péripatétisme à la
conception de la vérité religieuse, Averroès parle, rai-
sonne et précise en disciple du Stagyrite; tandis que
les Pères ou emploient la langue de Platon et des néo-
platoniciens ou se servent de la phraséologie oratoire,
teintée de réminiscences bibliques, de leur temps. Le
lecteur que ce rapprochement étonnerait n'a qu'à se
souvenir que notre appréciation futcellede saint Tho-
mas et que Suarez, dont les conclusions sont celles
d'Averroès, Disp. melaplujs., disp. XXXI. sect. vi.
n. 23; sect. XIII, n. 9; sect. xiv. n. 2. se réclame aussi
bien d'Averroès que d'Aristote pour les établir. Disp.
cit., sect. vi, n.l. Cf. Th. Raynaud, Theologia nalura-
lis, dist. I. q. I, Opéra, Lyon. 1(>G"). t. v. p. 21.
3. Doctrine de la participation dans l'école francis-
caine. — Les formules néoplatoniciennes de Denys et
surtout celles de Boèce et du pseudo-Boèce avaient, on
s'en souvient, embarrassé le xn« siècle. A prendre les
choses de très haut, on peut dire que Gilbert de la
Porrée et Alain de Lille, en concluant que l'être et la
bonté des créatures ne sont que des dénominations
extrinsèques avec connotation de leur dépendance cau-
sale, n'avaient pas en vue autre cho-e que de traduire
à leur tour, en style de la logique de leur temps, la
doctrine de la participation qu'ils trouvaient chez les
1233
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOL ASTIQUES)
1234
Pères et ne savaient comment faire entrer dans les
cadres de Porphyre. Quand on se souvient que saint
Anselme avait donné l'argument des degrés, Monolo-
gium,c. i-iv, P. L., t. clviii, col. 145, en s'appuyant
sur une analyse correcte des diverses distinctions de
raison ; que Richard de Saint-Victor l'avait suivi, De
Trinitale, 1. II, c. xvi sq., /'. L., t. exevi, col. 910, et
qu'il avait énoncé le grand principe du moteur méta-
physique : omnïs composilio compositorc eget et sine
beneficio composiloris esse non valet, ibid., 1. V, c. IV,
col. 951; qu'Alain de Lille avait adopté le même prin-
cipe comme une des premières données de la raison,
De arliculis, 1. I, 3, 12, P. L., t. ccx, col. 599 sq., et
résolu correctement dans le sens du réalisme modéré
le problème de l'unité, on est absolument surpris que
Gilbert et Alain aient donné une solution nominalisle
au problème de l'existence, du quod est et du quo est
de Boèce, et n'aient pas vu que d'après les Pères
l'existence et la bonté sont des propriétés intrinsèques
des choses. De veritate, q. xxi, a. 4, ad 3um.
Alexandre de Halès et saint Bonaventure, indépen-
damment d'Averroès, semble-t-il, parvinrent à conce-
voir mieux la doclrine de la participation. Ils se deman-
dèrent : Quelle est la cause de la composition des
choses, et en particulier quelle est la plus générale des
compositions: celle du quod est et du quo est, de l'es-
sence et de l'existence, qui se trouve même dans les
animes'.' Leur réponse est identique : On ne peut conce-
voir-adéquatement l'existence des choses sans penser
à leur dépendance de la cause qui crée et conserve.
Sur ce point ils restent fidèles à la tradition du siècle
précèdent, qui avait ici retenu la doctrine patristique
de la participation. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. 1,
prologus, q. i, a. 2, ad 2""1. Quant à la dénomination
intrinsèque d'existence, qu'ils rangent au pluriel parmi
les principes constitutifs du créé, ils 1'identilient avec
l'essence du contingent. Pour faire entrer la composi-
tion du quod est et du quo est dans les cadres des défi-
nitions ordinaires du compost', il faut les élargir, dit
Alexandre. Propter hoc addendum est ut compositunt
etiam dicalur non tanlum mio prœdictorum tttodo-
rii, a, $ed cujus esse est dependens ab alio. Summa,
part. 11. q. XII, m. il, a. 3, Venise, 1579, t. II, fol. 19.
Mais cette existence intrinsèque au créé, in h ('•rente et
formelle, n'est pas distincte de l'essence : non alia res
quœ participai sicut essentia, alia quse participatur,
sed quia una eademque res est realitas modo partici-
pato et per vim allerius sicut per vint agentis; lisec
enim realitas de se mm est nisi sub modo possibili:
quod autrui sit vel posait rocari actus, hoc habetper
vint agentis. Vetaphys., I. VII, text. 22. Texte souvent
cité on l'on remarquera que, bien qu'il voie que la so-
lution est à chercher du côté de la nature des possibles
et de la potentialité continue des essences hors de
leurscauses, Alexandre ne se rend pas nettement compte
de la raison pour laquelle l'existence est conçue comme
l'acte du possible réalisé.
Même conception de la participation, bien que déjà
plus approfondie, chez saint linnavenlure. Bien qu'il
explique ordinairement le quod est et le quo est de
■ 'le li matière et de la l'orme, qu'il admet, spiri-
tuelles il e-t vr.H. nui tan-, l'ange, il applique cepen-
dant cette Formule ■< i essenci et ■< l'existence, a l'être
actuel distingué de l'être essi atiel qui est composé de
matii re el 't* forme, In / V s, -ni-. I. II. dist. III,
part. I, a. I. q. i. Cette composition implique une rela-
tion de d< c ndance causale in quantum est cotnpo-
silus in quantum habet "./ ipsum \ principiuni j dt
dentiam. Cetli relation de dépendanci n'est pis la
substance même du créé, mais autre chose, aliud,
l'exi lei t le fait que l< i réi reçoit < ontinui Ile
1 sa réalité di Dieu. Ibid., i. I. dist. VIII, part. il.
a. I, q. ii. Cf. s. Thoin eritale, q. ut, a. l ,
a. 1, ad 9um. La composition de l'essence et de l'exis-
tence s'explique parce fait que la substance produite
est un possible en acte dont la réalisation dépend de
l'action divine, la conservation n'étant que la création
continuée : l'être créé est donc dit per posterius au
sens causal par rapport à l'être divin. Ibid., dist. VII,
a. 1, q. iv. Seeberg remarquant ces pensées chez Duns
Scot lui fait l'honneur de les avoir introduites dans la
scolastique . c'est un anachronisme.
De cette conception de la potentialité constante de
l'être contingent Alexandre et Bonaventure s'élèvent à
la conception de la nature divine. Il faut distinguer
dans leur théodicée deux sortes de conclusions, celles
qu'ils infèrent de la conception du monde que nous
venons d'exposer, et celles qu'ils empruntent directe-
ment à l'enseignement traditionnel. Parlons des pre-
mières. Assez rapproché d'Alain de Lille qui avait
conçu Dieu comme la première monade, Alexandre
donne de cette monade la notion suivante obtenue par
voie d'opposition à la notion de l'être créé qu'il avait
adoptée. Cause de toute composition et en particulier
de celle de l'essence et de l'existence, Dieu est essen-
tiellement un, c'est-à-dire simple; cette unité le dis-
tingue de tout ce qui n'est pas lui; par elle, il est le
type et la cause de toute perfection finie; et comme
cause absolue, il est nécessairement pour les soutenir
dans l'être aussi substantiellement présent dans tous
les objets que la nature commune aux êtres particuliers
se trouve dans leur substance concrète. Summa,
part. I, q. xiv, m. vi, a. 4. Cf. Scheeben, La dogma-
tique, t. u, n. 309; S. Thomas, Sum. theol., 1% q. xi,
a. 4. Saint Bonaventure part du même point de vue et
suit un procédé analogue pour former par voie d'oppo-
sition la notion de l'être absolu. C'est en ce sens qu'il
entend le mot de saint Ililaire cité par Pierre Lom-
bard, 1. I, dist. VIII, c. i, esse non est accidens Deo.
Accidens dicit quid natum in alio esse, ab aliû exire
et ab Mo recedere. Accidens enim dicitur quod inest
subjecto et ab Mo trahit ortum ri propterea potest
adosse et abesse. In his tribus proprietalibus commu-
nicat esse crealum, licel non eodem motlo omnino.
Nam esse nostrum pendcl ab alio sustinente, oritur
ab alio efficiente, creatura etiani nata est sinon esse
perdere; ideo esse ejus est quasi accidens ; non tamen
vere accidens quia, cuni a Dca pendeat, non pendet
sien! a subjecto, E contrario es! m Deo; cl itleo Ilila-
rius dicit quod esse non est accidens Dca; ci hoc pro-
pter contrarias proprietates ; quia accidens natum est
alii inesse, pr opter hoc dicit : subsistens veritas ; quia
natum est ab alio exire, propice /me dicit : manens
causa; quia natum estcliam ab alm recedere, contra
hoc dicit : naturalis gencris proprietas qu,v non di-
mittit esse. In IV Sent., 1. I, dist. VIII, part. I,
dub. vin. edit. Quaracchi, t. i, p. 164. Il y a bien là
quelque gaucherie dans l'usage des concepts péripaté
ticiens; l'idée reste nette : l'existence dans les créa-
tures n'est qu'un accident logique, qui ne fait avec
l'essence qu'une composition métaphysique avec con-
notation de l'influx causal de Dieu; en Mien, au con-
traire, où aucune dépendance causale n'intervient,
l'existence est l'essi ne, s.ms composition ni
possibilité de mutation. Cf. Denya le Chartreux, /" IV
sent., l. I, dist. Mil. q. m, Opéra, Tournai, 1902,
t. xix. p. 'lit-.!, les notes de l'édition citée de saint Bona
venture. t. i, p. 169; t. IX, p. 18; s. Thomas, Quodli-
heiu, il. q, n. a. 2 sq. Chex saint Bonaventure, la sta-
bilité de l'être divin el la perpétuelle potentialité de
Uni, même hors di iplique la con-
ilion des créatures par Dieu. Ibid,, l il.
dist. XXWII.a. I,q. n sq. Cf. S. Thoma ><rol..
i 1. 1 i lie indigent e di
(tailleur (lie/ lui C Chei \ lev.illdl'e . l'ellille
e pie .le l'attribul d'omnipn itlve, Ibid,, l. l.
1235
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES)
1236
dist. XXXVII, part. 1, a. 1 , q. i; et l'on peut en passant
noter en cet endroit un progrès notable sur le xiie siècle,
bien qu'il en conserve les formules soi-disant tradi-
tionnelles, ibid., a. 3, q. n; cf. S. Thomas, Sym. theol.,
Ia, q. vin, a. 3; car expliquer avec les Pères l'omni-
présence par l'action qui maintient la créature dans
l'être est autrement profond que de se contenter de
représentations spatiales. D'ailleurs, d'après saint Bo-
naventure, Dieu est partout indépendamment de toute
création et par conséquent de toute relations spatiales
ou causales, comme il est éternel indépendamment du
temps. Ibid., a. 2, q. il. Tels sont les points de la théo-
dicée que l'école franciscaine rattacha directement à sa
conception de la participation.
A côté de ces conclusions, elle enseigna des vues
très relevées sur Dieu, sur son infinité, son éminence,
la pureté de son essence, qu'elle emprunta à la tradi-
tion. On peut en lire le résumé éloquent dans Vltine-
rarium mentis ad Deum. Mais elle ne trouva pas le
moyen de rattacher cette partie de l'enseignement tra-
ditionnel par un lien métaphysique et logique à la
doctrine de la participation ou à celle de l'acte et de
la puissance. Ni Alexandre de Ilalès, ni saint Bonaven-
ture ne pensèrent pouvoir rendre compte de notre idée
d'infini, sans recourir soit à l'argument de saint Anselme,
soit aux diverses hypothèses épistémologiques admises
par l'augustinisme du XIIIe siècle. La raison en fut,
semble-t-il, que n'ayant pas assez approfondi l'étiologie
et l'épistémologie d'Aristote, ils ne virent pas que la
notion d'acte et de puissance péripatéticienne pouvait
s'appliquer à la composition métaphysique de l'essence
et de l'existence qu'ils savaient pourtant être la carac-
téristique du créé. Aussi, bien qu'ils appellent Dieu
l'acte pur, leur théodicée reste-t-elle sans lien systé-
matique bien défini. L'école dominicaine allait y pour-
voir.
4. Doctrine de la participation dans l'école domini-
caine du xiw siècle. — Albert le Grand, comme
Alexandre de Halès et saint Bonaventure, prend pour
point de départ deux textes de saint Augustin. Est
bonum solum simplex,etob hoc incommutabile, quod
est Deus. Ab /toc bono creala sunt omnia, scd non
simplicia, et ob hoc mulabilia. De civitate Dei, 1. XI,
c. x, P. L., t. xl, col. 325. Bona mutabilia propterea
bona sunt, quoniam a sunimo bono facta sunt; pro-
pterea mulabilia, quia non de ipso sed de nihilo facla
sunt. Contra adversarium Legiset prophetarum, 1. I,
c. vi, P. L., t. xui, col. 607. Et il les interprète comme
eux. La plus simple des créatures, on prend le cas
limite de l'ange, est toujours composée parce qu'elle a
toujours, quant à son existence actuelle, une relation
de dépendance à Dieu sa cause efficiente : et hsec de-
pendenlia essentialiter non est ipsum, quamvis inse-
parabilis sit ab isto ; et ideo non omnino simplex
est. Sumnia, part. II, tr. I, q. m, m. m, a. 2,
édit. Vives, t. xxxn, p. 35. Car ce qui est absolument
simple a une existence parfaitement indépendante, et
ainsi à cause de l'aséité le quod est et le quo est ne
diffèrent pas en lui. Pour la raison contraire, ils diffè-
rent en tout ce qui est produit : ex dependentia enini
ad causant quse est fons esse et facit debere esse, sibi
est esse. Et hsec est sapienlia Plalonis quam co»/ir-
mal Dionysius in libro De divinis nominibus ; quia
omne quod habet esse participative non habel esse
quod participât ex seipso, sed ex essenlia quam par-
ticipât, hoc est ex causa quse simpliciler et secundum
seipsam est illa essenlia. Ibid., p. 36. Car ce qui est
contingent reste, même produit, contingent; et ce fait
entraîne dans les créatures une composition, puis-
qu'elles ne sont point de soi, mais reçoivent l'existence
d'une façon continue. Quia mulatio prima crealio est,
quse est eductio enlis de nihilo in esse, et a nihilo
incipil, et omnia creala de se in nihilum tendunt, et
in nihilum décidèrent nisi manus oninipolentis ea
teneret, ut dicit Gregorius, Ibid., \>. 84. Cf. s. Tho-
mas, De veritate, q. xxi, a. 4, ad 7U">; lu 1 1 ,SV/<r. I. I,
dist. 1, q. iv. a. 1, ad (i'"". Mais dans ces conditions
parler encore de composition réelle, indépendante de
l'activité de notre esprit, n'est-ce pas se payer de mots,
et ne retombe-t-on pas dans les dénominations extrin-
sèques de Gilbert de la l'orrée et d'Alain de Lille?
Albert se pose la question, In IV Sent., I. I, dist. VIII',
a. 24, édit. Vives, t. xxv, p. 252. Efficient <ausa non
est aliquid rei, sed lola est extra rem; ergo nec sim-
plicitatem in re facit, nec compositioneni; ergo ens
crealum, ab hoc quod est crealum, non est composi-
tuni. La question est précise; Albert ne se dérobe pas.
Il se souvient qu'Averroès a recours à l'exemple de la
matière et de la forme pour expliquer celle composi-
tion; il fait comme lui, en prenant soin de se servir
d'expressions patrisiiques pour expliquer sa pensée.
Sola relalio ad causam efjicienlem non facit in tim-
plicibus compositioneni, sed hoc quod relinquilur m
eis ex tali exilu in esse. Quod per simile videri potest.
Quod enim per generalionem exil in esse est ex ma-
teria quse est potentiaet sub privatione; et licet per
generalionem non sit polentia in materia, quse fuit
adillar)i formant quse per generalionem accepta est,
tamen remanct polentia ad forman aliant ex hoc ipso
quod sic exivit in esse. Simililer eliam ex hoc ipso
quod res exil in esse post ni/til, remanel polentia len-
dendi in nihil nisi contineatur ab alio. Non seulement
l'existence du créé n'est pas une pure dénominalion
extrinsèque, mais la composition du créé a un fonde-
ment intrinsèque, qui n'est aulre que la potentialité ou
la contingence du créé. Sous sa forme actuelle la ma-
tière reste une puissance, puisque du fait qu'elle était
en puissance à cette forme avant d'être par elle un
élément de ce composé, il résulte qu'elle reste en puis-
sance à d'autres formes. Ainsi du contingent; comme
il n'est que par l'action divine, existant, il reste con-
tingent, annihilable parce qu'il n'est point de soi né-
cessaire, mais vient du néant.
Saint Thomas se trouva donc en présence d'un
accord des théologiens de son temps, il le constate et
nous l'apprend lui-même, De veritate, q. xxi, a. 4, pour
expliquer dans le sens du réalisme, et d'un réalisme
très modéré, la doctrine patristique de la participation.
On ne conçoit pas adéquatement l'existence du fini
sans aclion et par suite sans dépendance causales;
mais cette existence est un prédicat intrinsèque du
créé ainsi que la bonté; cependant ni l'existence ni la
bonté ne sont réellement distinctes de l'essence hors
de ses causes; il y a toutefois composilion dans le fini,
puisque l'existence lui est donnée de telle sorte qu'il
peut la perdre comme il a pu ne pas la recevoir.
Voilà à grands traits ce dont tout le monde convenait
de son temps d'après saint Thomas.
Cette doctrine commune lui parut conforme à la
pensée des Pères. Elle expliquait comme eux la dis-
tinction radicale et essentielle du créé et de l'incréé.
D'après les Pères, dit saint Thomas, ce n'est pas préci-
sément le fait de recevoir l'existence qui distingue la
nature créée de la nature divine; car le Père commu-
nique au Fils l'existence en même temps qu'il lui
communique sa nature, et cependant le Fils est Dieu.
Car le Fils, à l'inverse de la créature qui est tirée du
néant, est engendré de la substance du Père, >ion de
nihilo, sed de suo; le Père lui communique sa nature
même, immuable, éternelle, de soi pleinement suffi-
sante à l'existence, excluant toute hypothèse de des-
truction, lumen de lumine; la créature, au conlraire,
n'est qu'un être par participation, une lumière qui a
toujours besoin de l'action de sa source pour continuer
à subsister. In IV Sent., 1. 111, dist. XI. q. i. a. 1; De
veritate, q. xxi, a. 4, ad 2um. La même doctrine, en
1237
DIEU (SA NATURE SELON LES SGOLASTIQUES;
1238
assignant comme caractéristique de l'être créé, sa
potentialité, son insuffisance à l'existence, qui sont à
la base de la preuve de l'existence de Dieu par la cau-
salité et par la contingence, Suni. theol., Ia, q. ix, a. 2,
voir col. 943 sq., rendait bien compte de la conserva-
tion, ibid., q. civ, a. 1 ; voir Conservation, et du con-
cours immédiat, De potenlia, q. ni, a. 7; voir t. ni,
col. 785; par là se conciliaient heureusement la trans-
cendance et l'omniprésence divines, Sum. theol., l".
q. vin, a. 3; et cela sans danger de manichéisme,
puisqu'on identifiait la bonté et l'existence des choses
à leur essence hors de leurs causes, De veritale, q. xxi,
a. 1 ; a. 2, ad 3um; De malo, q. I, a. 2; Contra génies,
1. III, c. vu ; sans danger de phénoménisme, De poten-
lia, q. vu, a. 9, ad 6"m, puisque l'action causale, et
non pas la science, y tient la première place, et que la
cause efficiente produit l'être concret et non pas seu-
lement l'être idéal; de panthéisme, à la manière d'Avi-
cenne, ibid., q. m, a. 8; Contra gentes. 1. I, c. xxvi,
ou des latins, Sum. theol. , Ia, q. ni, a. 8, puisque la
cause efficiente est toujours distincte de son effet, De
veritale, q. xxi, a. 4; enfin sans danger d'intuitio-
nisme, puisque l'action causale de Dieu ne tombe pas
sous la conscience psychologique. Ibid., q. x, a. il,
ad 8um; voir col. 911. Dans ces conditions est-il éton-
nant que saint Thomas ait accepté la doctrine de la
participation qu'il appelle commune?
En fait, il l'accepta et on en retrouve chez lui les élé-
ments. — o) L'existence de la créature n'est pas intel-
ligible sans une influence causale de Dieu et par suite
sans un rapport de dépendance. Nous pouvons avoir
l'idée d'être sans avoir l'idée de cause, et c'est ce qui
explique pourquoi l'idée d'être peut s'appliquera Dieu,
Sum. theol. , I», q. xliv, a. I, ad 1"">; mais les créa-
tures ne sont dites exister qu'autant qu'elles sont pro-
duites par Dieu et lui ressemblent. In IV Sent., 1. I,
prologus, q. i, a. 2, ad 2um ; 1. III, dist. XI, q. i, a. 1 ;
De potentio, q. m, a. 5, ad l,lm. — b) Chez lui comme
chez Alexandre, Donaventure et Albert, la dépendance
causale des créatures est dite, aliud, autre chose que
la réalité de leur essence : ipse respectus quo essentia
rei referturad Deum utadprincipium,e8taliudquam
essentia. De veritale, q. XXI, a. .">. Cette relation, que
plus tard Henri de Gand confondit avec l'existence
même du créé, est un accident logique et prédicamen-
tal, De potenlia, q. vu, a. 9; mais cela n'oblige pas à
dire qu'il est distinct de son fondement, ad 7"m; q. ni,
a. :i; ijnodlibeta, VII, q. IV, a. 3, ad 4'"". — c) La
notion de la potentialité du fini hors de ses causes est
énoncée chez lui dans les mêmes termes, avec les
mêmes allusions patristiques que chez sc-s prédéces-
seurs ou contemporains, //( Boeth.,de 'l 'ri >n taie, q. v.
a. 2, a. 7"m, et il s'en sert cou m pour distinguer
Dieu de la créature. De veritale, q. XXI, a. t. ad 7um. —
'/ Enfin l'influx causal de Dieu joue chez saint Tho-
mas !>• même rôle explicatif de l'existence et de la
potentialité du fini que chez Bes prédécesseurs, Quodli-
beta, VII. q. m. a. -2; hi IV Sent., 1. I, dist. VIII, q. v,
a, 2; q. m, a. 2; et il se sert de ce principe que
l'essence do fini, même considérée hors de ses causes,
ne renferme point adéquatement en i Ui -même la rai-
son formelle par laquelle elle fait partie de l'ordre des
réalités, Sum. theol., l\ q. ni, a. 7, ail I Suerez,
Disp. ntelaphyi , disp. \ \ \ I . sect. xiv, pour concédi r
que ij un f.ni l'hypothèse d une créature don) il sérail
vrai dédire connue de Dieu : est esse tuuni, elle resterai!
cependant une créature, De veritale, q. \\i, a. .">,
cf. Godefro] de I ontaîm -. notes su Contra gentes, I. Il,
c. i.iv. édit. Vives, t. xu. n, 109; el cette doctrine lui
sert connue chez Albert à résoudre certaines arguties
qui avaient i m lilbei i de la Porrée, /'"•-
.ni '.') ■ Son oportet qurni juoiptae t, $ed
'i allerum sii jee eitentiani, >
dire, il n'y a pas lieu de chercher par quoi l'essence
existe formellement, mais seulement au sens causal
comment l'être par essence la pose et la tient dans
l'ordre des réalités.
On trouve donc chez saint Thomas, sans emploi
d'aucune formule péripatéticienne, exprimée et utilisée,
la doctrine patristique de la participation, telle qu'elle
était communément comprise de son temps; on y
trouve aussi la conception de la nature divine corres-
pondante à cette notion du créé, et l'ébauche de syn-
thèse systématique donnée par ses prédécesseurs. Par
là, la théodicée de saint Thomas est fortement reliée à
la tradition. Voir cependant Gardeil, Le donné révélé
el la théologie, Paris, 1910, p. 280, 312, à qui son point
de vue statique voile les différences d'Avicenne et
d'Aristote, ce qui ne lui permet pas de retrouver la
plénitude de la pensée traditionnelle dans l'œuvre de
saint Thomas, où Arislote serait opposé à Platon, à
saint Augustin et au Lombard.
5. La théodicée de l'acte et de la puissance chez
saint Thomas. — Or ce n'est pas autre chose que ce
fond traditionnel que saint Thomas a prétendu expri-
mer en formules péripatéticiennes. Voici, en effet,
comment les choses se sont passées, autant que nous en
pouvons juger par ce que le saint docteur nous a laissé.
En possession des écrits d'Averroès, saint Thomas
reconnut que la conception du monde à laquelle était
liée la théodicée du penseur arabe était identique à la
conception des Pères. Ce que le philosophe musulman
exprimait en fonction de la théorie de l'acte et de la
puissance n'était pas autre chose que la doctrine de la
participation; c'était la même notion du créé et, toute
attache de panthéisme écartée, la même notion corréla-
tive de l'incréé.
Qu'il y eut avantage à adopter les formules péripaté-
ticiennes, cela était évident. D'abord, en ce qui con-
cerne les trois dogmes fondamentaux du christianisme,
la trinité, l'incarnation et la création, l'usage en était
utile. Pour la trinité, au point de vue polémique, il
était précieux d'avoir pour soi un philosophe dont la
doctrine permît de réfuter à la fois Avicenne et Mai-
monide. Ces auteurs soulevaient contre la trinité trois
difficultés; l'une tirée de l'unité. De potentia, q. II,
a. 1. ad ll"m, et nous avons déjà vu que saint Tho
se servit d'Averroès et d'Aristote pour la résoudre;
l'autre tirée de leur agnosticisme : si les attributs ne
sont pas réellement en Dieu, comment y concevoir des
personnes? OrAverroès établissait l'existence objei
des attributs en Dieu et leur accord avec la simplicité
divine, en partant de sa conception du l'un exprim
fonction de l'acte et de la puissance; et c'est de ces con-
clusions, pensait avec raison saint Thomas, que dépend
toute l'intelligence de la théodicée rationnelle et de la
théologie trinitaire : esc hoc pendet totua intellectiu
eorum guse in primo libro dicuntur. In IV Sent., 1. I,
dist. 11. q. i. a. 3. La troisième difficulté venait de leur
théorie de l'être contingent, qui les amenait a celte
conséquence que dans la trinité' le t ils esl nécessai-
rement une créature, puisqu'il reçoit l'existence. Ibid.,
dist. V. q. II. a. 2. ad i ; < nuira gentes, I. IV, c. m.
11. Or la doctrine d'Averroès d'après laquelle le créé
se distingue du créé non pas précisé ni par la r
tion de l'existence, mais par sa potentialité persistante,
h, l\ Sent., I. III. dist.M.q. i. a. I, permettait ici de
luier en parlant le langage et en employant l< -
principes péripatéticiens qui étaient cvu\ des philo-
sophes, de la mené façon que les Pères avaient réfuté
Ai in . Il est vrai qu'Averroès lui-même niait la trinité
m. n- noua \ . n mis comment saint Thon i son
lentla de manière i te réfutai
Niant la trinité, les Arabes niaient éviden ni l'in-
carnation. M. us in encore la doeti péripatéticienne
il \ i rroi s . lut utile suit pour leur fain saisir I
1239
DIEU SA NATURE SELON LES SCOL ASTIQUES'
1240
du dogme, soit aussi pour résoudre des problèmes diffi-
ciles alors en discussion parmi les théologiens. Kn pre-
nant pour base la doctrine <le la matière, pure puissance,
d'Averroès, Opusc, XXXI, De principiis naturae, on
arrivait à se rendre compte ainsi du mystère. On peut
j distinguer l'existence de la chair non encore animée,
sous l'action du Verbe; puis le composa animé, ne
vivant pas, et puisque vivere viventibus est esse, Sum.
theol., Ia, q. uv, a. 2, ad 1»><>; q. xvm, a. 2; Opusc,
XXIX, De principio individuationis, Venise, 1595,
p. 365, n'existant pas formellement de l'existence du
Verbe, Sum. theol., III», q. VI, a. 4, ad3I1,n; q. il, a. 5,
ad3um; et ainsi, à l'aide d'une facile bypotlièse, ibid.,
q. iv, a. 2, ad 2s"11, éviter l'hérésie quod Verbum homi-
nemassumpsit. Quodlib., IX, q. u, a. 1. Cf. Hervé de
Nédellec, In IV Sent., 1. III, dist. VI, q. i, a. 3, Paris,
1647, p. 294; Quodlibeta, VII, q. vm, fol. 139; Pierre
de Palude, Tertium scriplum in J77um Sent., dist. VI,
q. ni, où le De unione Verbi de saint Thomas se trouve
cilé, Paris, 1517.
.Mêmes avantages du coté du dogme de la création.
Si Dieu produit ens in quantum ens, il est la cause de
tout, par conséquent de la matière. Ce qui réfutait d'un
mot l'émanatisme d'Avicenne et les nombreuses erreurs
des Arabes sur ce sujet. Opusc., XV, De subslantiïs
separatis.
Et pour se procurer tous ces avantages, il suffisait de
prendre pour base l'argument des degrés, déjà donné
par les Pères, par saint Anselme et par Richard de
Saint- Victor ; mais réduit à une forme rigoureuse,
ramené à la précision par Averroès à l'aide de la con-
ception du composé métaphysique d'acte et de puissance.
L'accord du système d'Averroès avec les principaux
dogmes était une garantie; les résultats de sa méthode
en théodicée étaient une invite à l'y suivre. En effet, le
XIIe siècle avait échoué à rendre compte rationnelle-
ment de la valeur ontologique des attributs; et Averroès
y aboutissait. D'autre part, ni Alexandre de Halès, ni
Bonaventure, ni Albert le Grand n'avaient réussi à
relier rationnellement notre connaissance de l'intini
auxarguments par lesquels on démontre l'existence de
Dieu : car, nous l'avons dit, ils recouraient tous à l'idée
anselmienne d'infini ou à la théorie de l'illumination;
et cela pour saint Thomas manquait de logique. Or
Averroès résolvait très heureusement ces difficiles pro-
blèmes; et cela par une analyse exacte de la potentia-
lité du fini, par l'extension au composé métaphysique
de la théorie générale de l'acte et de la puissance. Cette
analyse de la potentialité du créé était connue des
Latins ; déjà l'école franciscaine et Albert avaient essayé
d'appliquer à la composition réelle du fini les notions
de puissance et d'acte, et ils avaient en conséquence
nommé Dieu l'acte pur, signifiant par là l'être parfait,
l'être non participé, l'infini. Mais cette équivalence
restait enveloppée d'ombres et la logique du procédé
par lequel on remontait à Dieu restait peu nette.
Averroès, dans les principes d'Aristole tel qu'il était
alors connu, y avait réussi. Saint Thomas suivit leur
exemple, et adopta toutes les formules péripatéticiennes
par lesquelles Averroès exprimait la potentialité du fini.
De là, une autre série de textes très longue où cette
idée est exprimée, parla comparaison de la matière et
de la forme à l'essence et à l'existence, par l'idée de la
course, comme chez Averroès. Dans ces textes le point
de suture verbal entre la tradition patristique et la
philosophie païenne est formé par le quo est de Roèce
et l'hyleachim de la 9e proposition du De causis, cf.
Bœumker, Die Impossibilia des Siger von Brabant,
Munster, 1890, p. 124, quelquefois par les mots partir
cipans et partiel patum qu'on lit soit dans les Pères soit
dans la traduction d'Averroès. Mais pour le' lecteur at-
tentif ces rapprochements verbaux ne sont que l'indi-
cation de la conviction qu'a l'écrivain de l'accord foncier
de la philosophie el des Pères sur les rapports de Dieu
et du monde et par suite sur l'idée de Dieu. Il ne s
point là d'une induction faite après coup. Saint Thomas
nous dit clairement sa pensée sur ce sujet. Opusc, XV
Dp substaxtiis s/'paratis, c. III ; De veritate, q. XXI,
a. 5. D'ailleurs, qu'on relise ce qu'il appelle un facile
procédé pour concevoir l'éternité divine. In VIII Phyt.,
I. IV, lect. xviii ; In IV Sent., 1. I, dist. XIX, q. il,
a. 2; a. 1, ad l»m. Il y déduit l'éternité propre, la stabi-
lité, de l'être divin de la potentialité de l'être fini,
numerus mobilis, c'est-à-dire du passage continu du
fini de la puissance à l'acte d'être; et ainsi Dieo esl
pour lui numerus, seu polius unilas rei, seniper eodem
modo se habentis : ce qui est l'équivalent des formules
de saint Augustin sur l'immobilité de l'essence divine,
et de celle par laquelle Averroès désigne la pureté de
l'acte divin : quasi id quod tribuit alii auferatur abeo.
La même conviction se fait jour là où saint Thomas
affirme que le premier moteur immobile d'Aristote est
l'équivalent du premier moteur mobile de Platon et de
saint Augustin. Contra gentes, 1. I,c. xin: lu IV Sent.,
1. I, dist. VIII, q. m, a. 2; a. 1, ad 2um ; De poteutia,
q. x, a. 1. II est vrai qu'ici saint Thomas fait intervenir
pour son œuvre de conciliation l'argument du premier
moteur physique, qu'il tenait pour démonstratif parce
que dans la régression des causes on passait par les
moteurs intelligents des sphères; mais il est à noter
que dans les mêmes passages il nous avertit que la con-
ciliation d'Aristote et du platonisme n'est possible que
si l'on prend pour point de départ dans le fini l'actua-
tion de la faculté par son opération, c'est-à-dire une
composition métaphysique, et non pas, comme fil bien-
tôt Gilles de Rome à la suite de Proclus. Quodlibeta,
I, q. vu, Louvain, 1646, p. 15; De ente et essentia,
Cordoue, 1701, q. ix, p.66sq. ; q. x, p. 81 ; q. XII, p. 103;
In IV Sent., 1. I, dist. VIII, q. il, Venise, 1492. une
extension à tout des rapports physiques ou statiques de
la puissance et de l'acte de l'hylémorphisme. C'était
reconnaître implicitement que pour être absolument
démonstratif l'argument devait inclure la considération
du premier moteur métaphysique tel qu'il est impliqué
dans l'argument des degrés d'Averroès. On se souvient
que l'École n'a pas suivi saint Thomas dans l'emploi
du moteur physique, col. 933, et nous avons rapporté,
d'après les théologiens qui ne sont ni bannéziens ni
néothomistes, comment on l'a transformé en argument
métaphysique, col. 941. Cf. Gardeil, op. cit., p. 282.
Ce que nous venons d'exposer explique comment, pour
se trouver aujourd'hui débarrassé du poids mort de
considérations physiques avec lesquelles il n'était lié
que grâce à des contingences historiques, l'édifice de
la théodicée de saint Thomas n'a rien perdu soit en élé-
gance, soit en solidité. C'est qu'il était construit sur le
roc de la conception traditionnelle des rapports de cau-
salité efficiente et finale de Dieu et du monde, formulée
au Ve siècle en termes platoniciens sous le nom de par-
ticipation, au xme siècle en termes péripaléticiens sous
les noms de puissance et d'acte au sens dynamique des
termes.
Nous avons déjà dit comment, s'appuyant sur l'argu-
ment des degrés, saint Thomas démontre avec Averroès
l'unité et la simplicité divines. Contra gentes, 1. 1,
c. xxii, xlii. De cette dernière, rien de plus facile que
de passer à la plénitude de l'être. Nous avons déjà in-
diqué le procédé de saint Thomas emprunté à Denys,
et il est inutile d'y revenir. Cf. De veritate, q. xx. a. 2.
ad 3"ro; q. xxn, a. 11. ad 4""', contra; Suarez, Disp.tne-
laphys., disp. XXIX, sect. m. n. Il; disp. XXXI,
sect. xin, n. 21 sq.; De Deo, 1. I, c. XI.
Parvenu à ce terme, saint Thomas eût pu procéder
par déduction, comme avaient quelquefois fait les Pères
et comme saint Anselme en avait repris la tradition.
11 a préféré suivre un procédé inductif, et démontrer
1241
DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUESv
1242
directement chacun des attributs. De la sorte l'ordon-
nance logique de sa théodicée soit dans le Conlra génies,
soit dans la Somme théologique, dépend en grande
partie de la doctrine de l'acte et de la puissance. La
raison en est que de la première et fondamentale com-
position du fini, de sa potentialité radicale, découlent
toutes les autres compositions, soit métaphysiques
comme celle du genre et de l'espèce, soit physiques
comme celle des accidents, et aussi toutes les imper-
fections delà créature, par exemple qu'aucune n'est im-
muable, In IV Seul., 1. I, dist. VIII, q. ni, a. 1 sq.,
qu'aucune n'est sa durée, ibicl., dist. XIX, q. i, a. 2, et
qu'aucune n'est son opération. Sum. theol., Ia, q. liv,
a. 1. Nous avons dit que l'ordonnance des articles et
des preuves chez saint Thomas est commandée par la
doctrine de l'acte et de la puissance, mais seulement
en grande partie : car il faut remarquer que d'autres
préoccupations y interviennent. L'inlluence de l'ordre
du Lombard s'y fait sentir; de plus, bien des articles
sont intercalés qui n'ont pas d'autre but que d'expli-
quer certains textes ou de discuter certains problèmes
qui intéressaient alors les esprits; enfin loin d'être
une philosophie unilatérale, la pensée de saint Thomas
est assez large pour qu'il trouve moyen d'y conserver les
preuves alors classiques des conclusions traditionnelles.
De tout ce mélange résulte un tout fort complexe, mais
très riche, dont toutes les parties sont d'ailleurs reliées
par la doctrine de l'acte et de la puissance, complétée
par la doctrine des perfections simples de saint An-
selme.
Rien que le sujet de notre travail nous ail amené à
mettre en relief ce que le grand docteur dut à Averroès,
ses emprunts aux Arabes sont loin de s'être bornés à
celui-ci. Avicebron, Mairnonide, Avicenne lui ont donné
plus d'un développement. Par exemple, c'est à Avicenne
qu'il doit ce qu'il dit du tout et de la partie, Sum.
theol., Ia, q. m, a. 7; de la convertibilité de l'intellec-
tifet de l'immatériel, (|. xiv, a. 1 ; cf. Tolet, In lam,ibid.,
principe dont il se sert contre Avicebron, De anima,
q. ii, a. 6, et aussi pour prouver la science en Dieu,
/// IV Sent., 1. I, dist. VIII, q. v, a. 2; de la vérité en
Dieu et dans les choses, ibid., disl. XIX, q, v, a, 1 sq.;
de la précontenance de toutes choses en Dieu, d'où il
sait qu'il n'est pas dans un genre, De potenlia, q. vu,
a. i; car de même que la blancheur qui serait séparée
serait la cause de toute blancheur et contiendrait la per-
fection de tout le genre blancheur, puisque primum in
unoquoque génère est causa omnium in eo génère, et
par suite serait illimitée en son genre, ainsi Dieu cause
universelle et des essences et de leur actualité est illi-
mité absolument, et par suite hors de tout genre. Cf.
Niphus, op. cit., loi. 227 sq. Ces exemples, qui n'ont
pas été choisis au hasard, suffisent à mettre en relief
le procédé de composition de saint Thomas, la com-
plexité' de sa pensée et aussi la difficulté d'une étude
historique de son texte. Cf. Raynaud, op. cit., dist. II,
q. ii, a. -2, p. 59; Suarez, Disp, metaph., disp. XXIX,
sect. ni, n. 21.
D'ailleurs, l'indépendance de saint Thomas à l'é
d'Averroès esl entière. Il rappelle aux averroïstes latins
de son temp> qn il a beaucoup écril déjà contre ce phi-
losophe, et il continua jusqu'à la lin à le réfuter.
Nous ni ■ (n m VOUS pas le suivre Sur Ions les terrains où
il l'a combattu. Signalons qu'il l'a réfute à propos de
la trinité, spécialement dans le !)>■ potenHa. Le plan
de cette série de questions qui débute par l'étude de
la toute-puissant t de la nature des possibles, :
par le pouvoir en Dieu d'engendrer, puis par la créa-
lion, les miracli i, la Implicite divine, pour revenir I
la trinité, esl dea plut déconcertants -i l'on ignore lea
positions d'Avei roés el des pli l ont y
converge à la réfutation de l'erreur d'A verrai sur la
trinité, q. vin, Jusque-là, saint Thomas s'appuie sur
Averroès pour combattre diverses erreurs des Arabes
sur les sujets indiqués, spécialement sur la valeur onto-
logique des attributs en Dieu. Puis profitant de ce
qu'Averroès admetlait cette valeur et réduisait la con-
tingence des intelligences incorruptibles au besoin
d'un influx causal de la première pour éviter la chute
dans le néant, ce qui entraînait dans le système com-
mun du philosophe et du théologien une relation réelle
de dépendance résultant de cet influx, q. vu, a. 9, il
montrait qu'il n'y avait pas de répugnance dans la
philosophie d'Averroès à croire que le Fils, par le fait
même qu'il est consubstanliel, reçoit une nature incor-
ruptible sans dépendance causale proprement dite; si
dans les créatures la relation de dépendance admise
par Averroès est accidentelle et prédicamentale, dans
le Fils elle est essentielle et identique à l'être : Filins
Dei est ipsa relatio secundum quam habet esse a
Pâtre, el ipsa relatio est ipsum esse. In IV Sent., 1 . III,
dist. XI, q. I, a. 1, ad 3"m. Ce qui explique pourquoi
dans la philosophie même d'Averroès on ne doit point
concevoir dans la Irinilé de multiplicité d'existence, et
par suite résout son célèbre argument, omne composi-
tum est novum, dont on nie l'hypothèse en vertu même
de la doctrine de la non distinction réelle de l'essence
et de l'existence finies. De potentia, q. n, a. 6; q. vin,
a. 2, ad Tlum; q. ix, a. 5, ad 19um. Solution que le
P. Gardeil a tort, op. cit., p. 313, de confondre avec
celle de Gilles de Rome, In IV Sent., 1. I, dist. II,
q. il, a. 2. Cf. Thomas de Strasbourg, In IV Sent., 1. I,
dist. II, q. n, a. 4, Venise, 1564, fol. 32.
Même procédé pour l'attribut de l'invisibilité divine.
Saint Thomas se sert des vues d'Averroès pour réfuter
l'intuition intérieure de Dieu admise par le soufisme el
par Avicenne, Sum. theol., Ia, q. xn,a.2; et cette con-
clusion vaut aussi bien pour les anges ou intelligences
que pour nous. De veritale, q. vm, a. 3. Bien plu-,
comme on ne détruit que ce que l'on remplace, saint
Thomas emprunte à Averroès qui lui parait s'accorder
ici avec le Lombard, ibid., a. 1, une explication de la
façon dont Dieu, bien que naturellement invisible, peut
être cependant intuitivement connu. Sum. theol., Ia,
q. xii, a. 2, ad 3'""; în IV Sent.,1. IV, disl. XLIX,
q. il, a. 1. On sait qu'Averroès admettait l'unité de l'in-
tellect ; d'après lui, notre connaissance intellectuelle
est produite par l'union de l'âme avec cet intellect en
acte, unique pour tous les hommes; cela est, dit-il,
nécessaire parce qu'autrement on ne peut pas rendre
compte de notre connaissance des universaux. L'intel-
leei séparé voit Dieu naturellement; et ici-bas le phi-
losophe peut par une union intime avec l'inti
universel arriver lui aussi à voir l'essence divine.
L'intellect séparé voit, en effet, Dieu par manière <\<-
forme intelligible; et il est probable que dans la
• '■ d'Averroès, comme le dit Cajetan, /// I • ■ . q. mi,
a. 2, il faut chez Averroès entendre celte union de
l'intelligible el du sujet connaissant au sens d'une
causalité formelle, voir col. 900; on conçoit, bien qu'on
ne voie guère comment le panthéisme esl évité et la
personnalité du voyant maintenue, qui par une telle
union on arrive à voir Dieu tel qu'il esl en soi. I il D
entendu, saint Thomas n'admet pas que cette intuition
de Dieu puisse se faire par h s seules forces naturelles,
a. 4; il rejeiii égale ni l'h\ pothèae de l'inti llecl séparé
uniqc 'in système d'Averroi s il n ti< ni que la
connaissance intuitive de Dieu nous i Bible sur-
natuielleiiii ni par l'application de lis-nnr divine à
intelligence par manière de forme intelligible,
mais au sens causal. Que tel soit ; uni Tho-
lo. i-, les textes l'énoncent; et, si Cajetan l'entend au-
trement, il non i lui un mi qu il mi i en avant
nie interprétation du texti inouïe jusqu'à lui. le
l'erreur d'à tir la i laibilité natui i ib
de DleO pour le sage ri pour l'intellei
12-43
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE 1244
àson adversaire encore que saint Thomas emprunte le
moyen terme (|ni lui sert à le convaincre d'erreur. La
créature est potentielle, et son mode de connaître
n'est pas et ne peut pas être indépendant de cette con-
dition de son être; nulle créature ne peut donc voir
Dieu par ses seules forces naturelles. Ibid., a. 4. Cf.
Suarez, Metaphys., disp. XXX, sect. xi, n. Il sq. ;
Th. Raynaud, op. cit., *dist. III, q. il, a. 1, p. 92.
Pour éviter les redites dans ce dictionnaire, nous
terminons ici l'élude de la théodicée de l'École. Saint
Thomas en a définitivement arrêté les hases. Tout ce
qui a été discuté depuis a dépendu et dépend de son
œuvre. Le lecteur qui voudrait rapidement se rendre
compte de cette dépendance pourrait avoir recours à
un petit livre deMartinez deRipalda, Brevis exposilio
litterœ Magistri Senlenliarum, Venise, 1772. C'est
une sorte de manuel de baccalauréat. Dans les concours
pour les bénéfices en Espagne l'usage était d'assigner
comme sujet de dissertation une phrase de Pierre
Lombard. Souvent les candidats ne voyaient pas quelle
pouvait être la question exacte qu'il fallait exposer et
discuter. Ripalda composa à leur usage le manuel
dont nous parlons. On y trouve à propos de chacune
des distinctions de Pierre Lombard toutes les discus-
sions scolastiques qui s'y sont rattachées dans la suite
des âges, avec noms de leurs auteurs et références
précises. En parcourant ces pages arides, on a l'impres-
sion de la continuité dans le sens traditionnel et aussi
la vue nette qu'à partir du XIIIe siècle tous les problèmes
étaient posés. Ne s'en étonnerait que celui qui n'aurait
pas saisi que la synthèse de saint Thomas n'est autre
chose que la fusion harmonieuse du donné chrétien
traditionnel, de la Heur de la pensée antique, et de tout
ce qui est acceptable pour un chrétien soucieux de
tradition dans la spéculation juive et arabe.
M. Chossat.
VI. DIEU, SA NATURZ D'APRÈS LA PHILOSOPHIE
MODERNE. — Nous partagerons cette étude sur l'idée
de Dieu dans la philosophie moderne en deux sections :
I. Avant Kant. IL Depuis Kant. Cette division ne si-
gnifie pas, du reste, qu'il y ait distinction radicale et
solution de continuité entre ces deux périodes de la
théodicée. Mais, de même que la première phase se
caractérise par un rationalisme plus accentué et ins-
titue, à côté de la théologie chrétienne, une théodicée
laïque; ainsi l'âge suivant, que nous faisons dater de
Kant, bien qu'il s'annonce déjà dans l'œuvre de ses
prédécesseurs, est marqué par le développement de la
critique, et inaugure, à la place de la théodicée natu-
relle, œuvre de la raison spéculative, une doctrine
pratique, conclusion de postulats moraux. Pendant la
période qui date de la Renaissance, la raison s'éman-
cipe de la tutelle de la foi. Pendant la seconde phase,
c'est le sentiment qui devient le principe de la vie reli-
gieuse et de la connaissance de Dieu, tandis que la rai-
son pure est déclarée incapable de dépasser le monde
des apparences et des phénomènes. Étudier le Dieu de
la philosophie moderne avant Kant et depuis Kant,
c'est, en somme, étudier successivement le Dieu de la
raison et le Dieu du sentiment, bien que les deux cou-
rants : sentimentalisme et rationalisme, soient toujours
en contlit plus ou moins apparent. Les idées des prin-
cipaux philosophes de cette période sur la nature
de Dieu sont assez connues pour qu'on ne les ait pas
longuement exposées ici. On a insisté davantage sur
d'autres, moins célèbres, que les lecteurs connaissent
peut-être moins.
I. Avant Kant. — 1° La Renaissance. — Jean Bodin
(1530-1596) a composé un dialogue entre sept interlo-
cuteurs, Colloquium hcptaplomcres, qui, de l'avis de
M. Hôffding, Histoire de la philosophie moderne,
trad. franc., Paris, 1906, t. i, p. 65, constitue « le do-
cument le plus remarquable » de l'époque, relativement
à l'idée naturelle et philosophique de Dieu. A la table
d'un riche catholique de Venise, se trouvent n'unis un
luthérien, un calviniste, un juif, un mahométan, plus
deux autres personnages qui, chacun à sa manière,
exposent une religion universelle qui n'est autre que le
théisme.
Grotius (1583-1645), en face du droit naturel, distinct
des législations positives d'origine divine, ecclésias-
tique, ou civile, cherche à délinir, à l'aide des do^m- -
généralement admis par les contemporains et d'un ca-
ractère traditionnel, la vraie religion ou la religion
naturelle. L'n Uieu unique, invisible, créateur et conser-
vateur de toutes choses : voilà des croyances qu'on
ne peut nier, sans porter atteinte à l'ordre social et
sans encourir les châtiments que méritent les ennemi-
de la société. Hôffding, op. cit., p. 63.
A côté de Grotius, il faut citer Frank Coornhert.
l'Académie platonicienne de Florence. Hôffding, ibid.,
p. 64-65.
Herbert de Cherbury (1583-1648) ramène à cinq vé-
rités toute croyance en Dieu : il existe un Être suprême;
cet Etre mérite adoration; l'adoration consiste dans la
vertu et la piété; le sacrilège et le crime doivent être
expiés par le repentir; le châtiment ou la récompense
attendent les hommes après leur mort. Hôffding,
ibid., p. 72-73. Voir t. n, col. 2359.
La doctrine de Nicolas de Cusa (1401-1464) est, du
moins par tendance et dans ses conséquences, agnos-
tique et panthéiste, avant la lettre. La docta ignoran-
lia, dernier mot de la philosophie, proclame un Dieu
inconnaissable, h'ignorantia sacra, efiort suprême de
la spéculation religieuse, ne parvient à le déterminer
dans une certaine mesure que pour en faire le principe
immanent du monde. Si la théologie négative de Ni-
colas de Cusa représente une forme d'agnosticisme, sa
théologie positive aboutit à une sorte de panthéisme.
On nous met d'abord en présence d'un Dieu, non
pas simplement inconnu, mais nécessairement incon-
naissable. Par définition, la pensée humaine implique
une multiplicité de termes qui se limitent; par défini-
tion, Dieu est l'Etre sans bornes, l'unité absolue. Il
échappe donc aux prises de la connaissance. Il est vrai
que notre esprit s'efforce par des réductions successives
de ramener le multiple à l'un. Toute connaissance est
une synthèse. Mais la plus vaste et la plus cohérente
des synthèses suppose la diversité des éléments qu'elle
combine. Comment atteindre l'unité absolue, ou, du
moins, s'en rapprocher? A l'aide d'une intuition mys-
tique, où tous les rayons de l'être convergent en un
seul centre et s'y fondent, mais qui est moins une vi-
sion qu'un éblouissement, moins l'apogée que la limite
de la connaissance. Plus exactement encore, nous pres-
sentons l'Infini, mais nous ne pouvons le concevoir.
Pour connaître Dieu, nous devrions voir la fusion des
contraires, alors que nous savons seulement que les
contraires se relient par une série d'intermédiaires. La
pensée humaine est à la réalité divine, qui est l'unité
parfaite des contraires, ce que le polygone est au cercle.
Elle s'oriente et s'élève vers Dieu, comme vers un
idéal, une limite, mais elle ne l'atteindra jamais comme
un objet.
Que penser, dès lors, des attributs divins : bonté,
puissance, sagesse, justice, etc.'.' Aucune appellation
ne convient à Dieu, bien que certaines négations soient
plus dignes de lui que certaines autres. Ainsi, en niant
qu'il soit matière, on se rapproche davantage de la
vérité qu'en niant qu'il soit esprit. Il faut surtout évi-
ter l'erreur des péripatéticiens qui, dans la nature, ne
considérant que la distinction des termes : possibilité
et réalité1, matière et forme, cause et effet, sans re-
marquer le lien qui les unit, ne comprennent pas que
la réalité- divine réconcilie tous les contraires. La lu-
mière et les ténèbres s'unissent en Dieu, comme le
1245 DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE) 1246
maximum et le minimum sont reliés par la même
échelle.
Le cardinal fie Cusa ne précise pas le point de vue
d'où se fait l'accord. Il parle indifféremment de coin-
cidentia, complicatio, connexio. Ces trois termes ré-
pondent pourtant à des concepts distincts. La juxtapo-
sition, la coïncidence, le croisement, d'une part; de
l'autre, l'enveloppement de ce qui est implicite; enfin,
l'idée de relation, de connexion, d'union : autant de
notions que Nicolas de Cusa emploie à tort comme
synonymes. On comprend de moins en moins quel
étrange composé forme, d'après lui, l'être divin. Son
Dieu est vraiment inconnaissable.
On ne voit pas mieux comment, d'après lui, Dieu
produit l'univers. Peut-être sa pensée a-t-elle varié
sur ce sujet. En tout cas, on relevé dans ses ouvrages
plusieurs assertions difficilement conciliaires : Dieu,
unité absolue, ne peut expliquer la réalité multiple;
l'Infini n'engendre pas, n'est pas engendré et ne peut
progresser; l'Infini agit avec une puissance souveraine;
la nature déroule et développe ce qui était ramassé
dans l'unité divine. Retenons cette dernière formule,
et supposons qu'elle s'accorde avec les précédentes :
bien des obscurités demeurent. Comment s'opère ce
passage de l'implicite à l'explicite, de l'harmonie au
désordre, de l'un au multiple? Une seule conclusion
se dégage : c'est que le monde n'a pas été créé ex
nihilo, mais qu'il appartient ou a, du moins, appartenu,
à la substance divine.
Nous ne sortons de l'agnosticisme que pour tomber
dans le panthéisme.
Giordano Bruno (1550-1600) hésite, sans prendre
nettement conscience de ses oscillations, entre le Dieu
dont rêvera Jacob Boehrne et le Dieu de Nicolas de Cusa,
entre l'Être divisé contre lui-même, et l'Unilé absolue
qui, tout à la fois, sollicite et défie les efforts de la
pensée humaine. La divinité donne-t-elle naissance, ou
met-elle un terme, à l'opposition des contraires? Bruno
ne parvient pas à faire un choix. Par contre, il affirme
plus nettement que ses prédécesseurs l'identité fon-
cière de Dieu et du monde. Son panthéisme se pré-
sente sous plusieurs aspects. On ne comprend guère
que Tocco ail tant hésité à le reconnaître. A quatre re-
prises, en particulier, ce panthéisme est affirmé. D'abord,
cette âme universelle, qui embrasse loul el agît dans le
grand médium éthéré, représente-t-elle autre chose
que le Dieu du panthéisme? Secondement, Bruno at-
tribue l'infinité à l'univers, parce que l'univers doit
correspondre à l'Etre divin dont il n'est que la forme
développée. Ensuite, il préfère à la notion de Dieu
— cause transcendante el inconnaissable du monde, la
notion de Dieu — principe immanent de tous les
et de l'homme en particulier. Celte immanence divine
réconcilie même, d'après Bruno, le mécanisme el la
téléologie. Quatrièmement, il professe, avant Spinoza, la
théorie de la substance unique et éternelle. C ment
toutes les divei ; ndenl en cette unité el cette
plénitude infinii s, nous n le concevoir. Bruno
l'avoue, et. par là, il revient au Dieu inconnaissable
fh.ti.iin_, op. cit., p. 135-151. Voir t. », col. 1149.
Boehme ■ 1575-1621 refuse i Dieu la transcendance et
la simplicité. Dieu ne se distingui pas de son œuvre,
laquelle, par conséquent, ne saurait être l'effet dune
action créatrice. L'existence .t onde
partie intégrante de l'existence divine. Deux motifs
1 1 b panthéisme : une tendance de-
nte à l'union mystique, Boehme ne voyant paa de
milieu entre un Dieu isolé du monde . i m. Dieu con-
fondu avec toute réalité; un préjugé philosophique qui
lui représente l'identification des termes comme la
seule manière d< let ei pliqui r Di ui n i lui
font Introduire dans la divinité mé tes distinctions
rations qu'il voudrai! supprimer entre l'eu
et l'univers. On ne voit pas comment Boehme ne con-
tredit pas ses propres principes, lorsqu'il déclare sté-
rile l'unité absolue, et cherche l'origine de la vie uni-
verselle dans une diversité, dans une pluralité, dans
une lutte qui mettrait aux prises Dieu avec lui-même.
Dieu est le Oui et le Non. Son essence se répartit en
élément positif et en élément négatif : division néces-
saire et naturelle, division féconde et meurtrière. Car,
d'après Boehme, là se trouve la source du mal et de la
souffrance, comme le principe de l'univers. En des
termes, auxquels peut-être il n'attribuait qu'une valeur
métaphorique, il déclare que Dieu est nécessaire-
ment amour et colère, et qu'il fonde ainsi l'enfer et la
béatitude. Voilà pourquoi le bien et le mal se livrent
de si rudes batailles. Des deux côtés combattent des
forces divines. Dieu lutte contre Dieu. Gardons-nous,
du reste, de rendre la divinité responsable de l'éternel
conflit, et rappelons-nous qu'elle n'a ni prévu ni voulu
de maux inséparables de sa nature même. Ainsi Boehme
met en Dieu la multiplicité et l'opposition, tout à la
fois pour expliquer qu'il veut, qu'il agit, qu'il produit,
et pour rendre raison du problème du mal. Hôffding,
op. cit., p. 77-81. Cf. Boutroux, Études d'histoire de
la pliilosopliie, Jacob Bôlmie, Paris, 1901. Voir t. n,
col. 925; t. iv, col. 736.
2° Descartes, disciples et adversaires. — Descartes
(1596-1650). La théodicée cartésienne présente une triple
notion de Dieu. Elle le définit du point de vue logique,
du point de vue métaphysique et du point de vue mo-
ral. Le premier, du reste, précède et domine les deux
autres.
C'est bien de l'idée, et non de l'expérience sensible,
que part la philosophie religieuse de Descarfes. lui vfin,
dit-il, nous remontons d'antécédents en antécédents.
Cette voie ne nous conduit pas à Dieu. De ce que notre
esprit se lasse à poursuivre indéfiniment la cause ini-
tiale du monde, et de ce qu'il s'arrête dans les régres-
sions, il ne saurait conclure qu'il a touché le but. Sa
faiblesse ne limite pas la nature. Cependant il poss. .b
la notion d'un Être infini et parfait (loin de s'exclure,
les deux attributs s'impliquent mutuellement). Cette
notion porte sa preuve el sa justification en elle-même.
L'Infini que nous concevons, ne nous apparaît tel que
parce qu'il existe : comment le néant serait-il infini?
Ainsi l'analyse de l'idée même de Dieu \ découvre
l'existence, comme un élément essentiel. La déduction
confirme l'analyse. A celle idée, en effet, qui occupe
notre esprit, il faut une cause proportionnée, laquelle
ne peut être que l'Infini lui-même. Il semble jusqu'ici
que ce soit la logique qui porte la théodicée.
Mais il faut bien plutôt dire que la théodicée fonde
la logique, et que l'existence de Dieu garantit la vérité
de nos idées claires. Pourquoi? Descartes a répondu :
Dieu, cause suprême de mis actes d'intelligence, ne
saurait nous tromper ei ge jouer de nous. M. Hôffding
voit dans celte formule une expression populaire qui
ne rend pas la pensée profonde île Descartes. Philoso-
phiquement, il convient d'entendre par Dieu l'en-
chaînement Continu de la réalité infinie. Plusieurs
motifs justifiaient cette interprétation. D'abord, dans la
17 méditation, Descartes a écril que, par la nature
considérée en général, il voulait signifier Dieu ou
l'ordre que Dieu a établi dans le momie, la même
expre sion employée pour désigner, soit l'ordre imper-
sonnel, soit l'auteur impersonnel de l'ordre, p
donner raison à M. Hôffding. Son Interprétation aurait
■ ne. ne l'avant' ppri r le cercle vicieux qui
compromet si visiblement la théodicée de l>
Ique, b"- fondant loin- a tour l'une |UT l'autre.
Du moment que l idée de Dieu représente l'ensemble,
l'ordre universi elle vaut par elle-
même. D'embli ■ ns affirmer la réalité de
asemble, non moins è\ [dente qui pro-
1247 DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE
im-
position : quelque chose existe. On comprend, d'autre
part, que l'ensemble serve de point de repère et de
garantie à nus idées. Ne les jugeons-nous pas exactes ou
erronées, suivant qu'elles cadrent ou non avec la suite
et l'ensemble des autres données? C'est en les confron-
tant tour à tour avec l'encliaînetnent universel, que
nous distinguons la veille du rêve. La théorie carté-
sienne des possibles et des vérités éternelles ne cause
plus le même scandale intellectuel si la volonté divine
dont ils dépendent, d'après Descartes, se confond avec
la nature des choses. Seulement, dans ce système
d'interprétation, nos connaissances ne reposent plus
sur un fondement théologique, mais sur une base na-
turaliste. Or, Descartes a certainement professé la dis-
tinction de Dieu et de la nature.
Si la logique de Descartes invoque l'infinité de
Dieu, sa métaphysique en proclame la personnalité. Il
n'y adhère pas toujours par des preuves solides, mais
il y tient par l'intention. Ce trait essentiel caractérise
tout d'abord sa définition ontologique de Dieu. Comme
les scolastiques, il applique à la divinité les notions de
substance et de cause. Mais, négligeant les analyses et
les précisions de l'École, il introduit des équivoques
et des erreurs dans sa doctrine du Dieu substantiel et
agissant, et il prépare des arguments aux adversaires
de la théodicée personnaliste, en même temps qu'aux
partisans de l'occasionnalisme.
Il parle de la substance divine en deux sens égale-
ment inexacts, ne connaissant que deux définitions,
mparfaites l'une et l'autre, de la substance. Les sco-
lastiques appelaient ainsi tout être qui n'en détermine
pas un autre par manière de qualité, d'attribut, de
mode, tout être proprement dit. Ainsi, bien qu'à des
titres inégaux, Dieu et ses créatures sont des substances.
Descartes omet ou ignore cette définition, et sans dis-
tinguer entre effet et accident, entre dépendance cau-
sale et dépendance formelle, il réserve l'usage strict
du mot : substance, au seul Être absolument indépen-
dant. Spinoza en conclura : donc nous ne sommes que
les modes ou les manifestations de la substance divine.
Cependant Descartes reconnaît une seconde définition,
défectueuse celle-là par un vice contraire. La première
était trop élevée, elle ne convenait qu'à Dieu. La se-
conde est trop basse, elle ne convient qu'aux créatures.
Entendue en ce deuxième sens, la substance désigne
un sujet susceptible de modifications et servant de
support à des qualités. Toutes les qualités étant en
Dieu, observe Descartes, on peut, dans une certaine
mesure, lui appliquer la seconde délinition de la sub-
stance. Malgré les procédés les plus circonspects, cette
application ne saurait devenir plausible, à moins
qu'on n'admette en Dieu potentialité, limites, compo-
sition, et qu'on ne désavoue la formule traditionnelle :
Dieu est éminemment toute perfection, mais il n'a pas
des perfections.
La notion métaphysique de Dieu contient un second
élément équivoque. La théorie cartésienne de la cau-
salité est peut-être plus discutable encore que la théo-
rie cartésienne de la substance : elle compromet la
perfection divine, la distinction de Dieu et du monde,
l'activité des créatures. Comme tout être, Dieu a une
cause, qui est lui-même. En vain, l'on atténuera cette
affirmation, en disant qu'en lui la cause n'implique
pas un effet, et qu'échappant à la loi du temps, il
échappe à ce mouvement successif qui marque infé-
riorité du terme par rapport au principe de l'action.
Si une véritable causalité s'exerce au sein de la divi-
nité, si Dieu n'est pas seulement sa propre raison
d'être, il faut en venir à la notion de dépendance et
de composition. D'où imperfection de l'Être divin. En
second lieu, Descartes qui bannit, comme contradic-
toire ou puérile, l'idée de cause efficiente, pour ne
garder en métaphysique que la cause formelle, établit
ainsi entre Dieu et le monde un rapport de dérivation
où les deux termes perdent leur individualité. Le pan-
théisme pourra d'autant mieux se réclamer de Des-
cartes, que celui-ci ne reconnaît aucune efficacité aux
causes secondes. L'occasionnalisme dont il pose les
principes, aboutit, en effet, logiquement, soit au pan-
théisme, soit à l'idéalisme. Il faudra opter un jour
entre Spinoza et Berkeley. D'autre part, la théorie de
la causalité dans la théodicée de Descartes résulte de
sa psychologie et de sa cosmologie. Quoiqu'il parle
d'un tout naturel, il conçoit cependant l'union de
l'âme et du corps comme une juxtaposition d'un pur
esprit et d'un fragment d'étendue. Si deux termes
aussi étrangers l'un à l'autre se correspondent et
semblent agir l'un sur l'autre, toute cette apparence
est due à quelque influence supérieure qui les meut
directement et harmonieusement. 11 est encore vraisem-
blable, sinon nécessaire, que le mouvement de la ma-
tière s'explique par une action immédiate et exclusive
de Dieu, du moment qu'on relègue parmi les qualités
occultes et chimériques ce principe interne de transla-
tion que les scolastiques appelaient rrisvs ou impelits.
On trouve ainsi plusieurs germes d'occasionnalisme
dans la philosophie de Descartes. Il veut sauvegarder la
liberté humaine, comme le fera plus tard Malebranche.
Mais il pose les prémisses, et plus exactement la théo-
rie même qui se précisera soit en causes occasion-
nelles, soit en harmonie préétablie. C'est le troisième
grief que nous adressons à sa doctrine de la causalité
divine.
Les autres éléments qui composent sa notion méta-
physique de Dieu, se retrouvent dans la philosophie
scolastique. Dieu est éternel, il connaît toutes choses.
Descartes admet la science moyenne.
Dieu fonde la morale, comme l'ontologie et la
logique. Tel est le troisième point de vue de la théodi-
cée cartésienne. Au lieu de s'imaginer une destinée
capricieuse, qui déconcerte les efforts et les espérances
de l'homme, il faut s'habituer à l'idée d'une volonté
éternelle, immuable, providentielle et toute-puissante.
Cette conviction rafraîchit l'âme, la purifie et l'ouvre à
l'amour intellectuel de Dieu. Ici encore, par certaines
expressions, Descartes annonce Spinoza. Hôffding,
op. cit., t. i, p. 228-251; Joseph Prost, Essai sar l'ato-
misme et l'occasionnalisme, dans la philosophie car-
tésienne, Paris, 1907, p. 24-34. Voir plus haut, col. ."il
549.
Cordemoy (1620-1684) apporte une double modifica-
tion à la notion cartésienne de Dieu : il en combat la
tendance panthéiste, il en accuse le caractère occasion-
naliste.
Sans invoquer, peut-être même sans se rappeler, la
définition scolastique de la substance, il reproduit
néanmoins la doctrine de l'École; et, appuyé sur ce
principe : que substance implique existence propre-
ment dite et, par suite, individualité, il déclare que,
du fait même de leur réalité, les corps et les esprr
distinguent de Dieu. Il précise : Dieu n'est pas uni à la
matière, comme nos âmes sont unies à nos corp-
la matière dépend de lui, lui ne dépend pas de la ma-
tière; et, sachant, voulant les modifications qu'elle
subit, il n'en éprouve pas le contre-coup comme l'âme
ressent les altérations du corps. Quant aux êtres pen-
sants, la liberté qui est leur attribut renforce leur indi-
vidualité.
Cordemoy collabore au développement de l'occasion-
nalisme, en insistant sur l'inertie de la matière. Seul,
un esprit peut l'ébranler. En effet, tout corps pouvant
s'arrêter, nul corps ne peut se mouvoir lui-même. In
être ne saurait se donner ou communiquer à d'autres
une disposition qu'il ne peut retenir. Dira-t-on que. du
moins, la matière est cause seconde du mouvement, et
qu'ayant reçu le branle, elle peut conserver et trans-
1249
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE]
1250
mettre la modification qu'elle a d'abord subie d'une
cause spirituelle. Deux objections entravent cet essai
d'explication. Premièrement, commencer une action et
la continuer requièrent une même cause. Si l'initiative
du mouvement revient à un esprit, le même esprit est
seul capable de le conserver. De plus, se comprend-on
soi-même, lorsqu'on parle de mouvements transmis?
Le mouvement est un état. Or, l'état d'un corps ne se
détache pas de ce corps, pour passer dans un autre.
L'expérience que l'on invoque à rencontre ne prouve
rien. Nous voyons bien qu'un mobile R se déplace au
contact d'un premier mobile A. Mais nous ne voyons
et nous ne concevons aucune qualité ou disposition
sortant de l'un pour pénétrer dans l'autre. Inefficace
aussi et inopérant, le prétendu témoignage de la con-
science d'après lequel la volonté serait la cause du
mouvement de nos muscles. Dans les deux cas, nous
prenons une succession constante pour une relation
causale. La cause du mouvement ne se trouve ni dans
la matière, ni dans l'âme, ni dans quelque esprit in-
termédiaire. De tels esprits n'existant pas par eux-
mêmes, ne sauraient être des causes. Pourrait-on, du
reste, concilier une telle initiative de leur part avec
l'ordre constant de l'univers? S'ils produisaient du
mouvement, ils modifieraient la quantité du mouve-
ment donné et troubleraient ainsi le cours providentiel
de la nature. Le premier moteur est donc le moteur
unique. N'ous le trouvons dans tous les mouvements.
Il s'est tellement « enchâssé » dans la nature, que nous
ne pouvons la connaître sans le connaître. Ainsi, dans
la théodicée de Cordemoy, Dieu nous apparaît surtout
comme le principe du mouvement. L'auteur soumet,
du reste, nos idées comme nos mouvements, à l'activité
exclusive de Dieu. Joseph Prost, Essai sur l'alomisme
et l'occasionnalisme dans la philosophie cartésienne,
p. 64-97.
De laForge(f L666?) précisela thèse occasionnaliste,
en faisant à la philosophie commune certaines conces-
sions de langage, en discutant les objections fine sou-
lèvent contre la nouvelle doctrine le fait de la liberté
et l'existence du mal dans le monde, en interprétant la
théorie cartésienne sur la volonté divine, en démêlant
deux sens jusque-là confondus de l'occasionnalisme. Il
t'attache donc presque exclusivement a l'étude de Dieu
considéré comme cause.
D'abord, il convient que le bon sens attribue aux
créés une certaine causalité. On peut admettre
cette façon de parler, pourvu qu'il soit bien entendu
que leur action ne consiste pas à produire dans les
corps certaines qualités impresses, niais ,-i déterminer
ou à inviter la cause première et unique à appliquer
ertU motrice dans tels et tels cas.
Secondement, de la Forge discute la forme aiguë
sous laquelle se présente désormais le problème du
mal. Sa réponse se réduit à une négation. Il nie que
l'homme puisse apprécier el juger la providence. Sans
doute, roi i its, tous ceux qui exercent une au
torité ici-bas. tous ceux qui ont reçu an a, tous
les hommes, par conséquent, sont responsables des
maux qu'ils n'onl pas empêchés, pouvant le taire.
Aucun'' puissance ne liant la volonté de Dieu, aucun tri-
bunal ne peul la jugei Dieu n'est pas tenu d'empêcher
le mal, parce qu'il ne dépend d'aucune volonté supé-
rieure. Il est sa propre loi Cette loi est ce qu'il dé-
II suffit que Dieu ne commande pas le mal et
qu il nous donne les moyens de l'éviter. <»n n<' voit pas
comment cetti restriction s'accorde avec le principe
po I pi ndant, il faut enti ndn de quelle manière
de la m la libi i ti humaine la respon
lité du péché. Dans la production dei effets bui
qneli ne contribue aucune volonté libre. Dieu ne con-
sulte que lui mi m- Mai . quand il n'agit H' a
propre volonté il enferme dans ion décret !>■
MCI Dl niî'.i . CATHOL.
consentement de la nôtre, consentement qu'il ne pré-
détermine pas d'emblée, mais qu'il prévoit d'un regard
éternel, et, le prévoyant, qu'il confirme. Comme
Descartes et Cordemoy déjà, comme Malebranche plus
tard, de la Forge distingue agir et consentir, liberté et
causalité.
Troisièmement, il reprend et commente la thèse car-
tésienne sur la volonté divine. Si l'on se heurte, comme
à un paradoxe, à cette affirmation : que les vérités éter-
nelles et l'essence des choses d'où dépend leur possi-
bilité, émanent d'un décret de Dieu, c'est, remarque le
disciple de Descartes, qu'on oublie la simultanéité par-
faite et l'identité absolue de l'intelligence et de la vo-
lonté divines. Soit ; mais alors pourquoi attribuer aux
notions de bien et de mal, à la possibilité ou à la né-
cessité, une origine volontaire plutôt qu'une origine
intellectuelle? Si l'on nous refuse le droit de dire que
Dieu veut le bien et condamne le mal, parce qu'il les
voit, tels on ne saurait prétendre sans contradiction
qu'il est légitime d'affirmer : Dieu voit celte chose
comme bonne et cette autre comme mauvaise, parce
qu'il les veut ainsi. Cette simplicité divine que l'on
invoque, et au nom de laquelle on nous défend de dis-
tinguer en Dieu l'intelligence, n'interdit-elle pas ('ga-
iement de distinguer en lui, et de mettre au premier
plan, la volonté? Oui, il faut chercher le dernier fonde-
ment de toute vérité et de toute réalité au delà de l'in-
telligence divine. Mais pourquoi appeler volonté, et
surtout volonté libre, ce principe suprême? Autant que
les mots peuvent ici nous aider, il semble qu'il faille
plutôt parler d'essence et de nature divines. Cependant
de la Forge garde le mérite d'avoir tenté une explica-
tion de la théorie cartésienne sur la volonté en Dieu.
Enfin, il signale el discute deux sens possibles de la
causalité divine. Ou bien, l'on veut dire, en réduisant
les êtres créés à de simples occasions, que Dieu a fixé
d'avance, en vue de les faire concorder, la suite des
modifications que chacun subirait par une loi inté-
rieure; c'est l'harmonie préétablie; les horloges sont
accordées si exactement, qu'elles donnent toutes, au
même instant, la même indication; Leibniz a raison.
Ou bien, faction divine maintient l'ordre du monde par
une assistance et une intervention continuelles ; c'est
la théorie des causes occasionnelles; le doigt divin ne
cesse de mouvoir simultanément les aiguilles de tous
les cadrans, sans se reposer sur le jeu, monté une fois
pour toutes, de ressorts internes; Malebranche des
lors est dans le vrai. Par le seul fait qu'il précise celle
distinction, delà l'orge contribue au développement de
la théorie, et organise le dilemme qui sollicitera le
choix de Leibniz et de Malebranche. Mais son h
d'originalité s'accroît, de ce qu'il essaie de résoudre
lui-même l'alternative qu'il a formulée. Les deux ré-
pon ses : harmonie préétablie, eau
ont, l'une et l'autre, une part de vérité et une pari
d'erreur. Du point de vue du créateur, le premier sys-
tème -"'impose. Les décrets divins, en effet, sont éter-
nels el immuables. Du point de vue des créatures, la
vient vraie. L'action divine, antérieure
et supérieure au temps, si on la considère en son
principe et en elle-même, se manifeste successivement,
au fur ei a mesure du développement dis phénon
si on la considère dans son terme. Elle précède el
accompagne la causalité occasionnelle des créatures
Elle est éternelle el actuelle. J, Prost, oc rit., p, 118-
127.
i.euiinx 1624 1669 est le psychologui et h- mystique
de l'occasionnai is Plus attentif aux phénomi nés de la
conscience qu'aux mouvements de la matlèn
lui-même qu'il découvre, avec la faiblesse «le l'esprit
humain et l'impuissant s de la volonté, la di pendance
absolue di i ni de la cause pn i
et unique, cite me bservalioD psychologique
IV. - in
1251
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODEP.XL
1252
qui révélera plus lard à un Maine de liiran, avec le
sens de l'effort, la notion vive de la causalité, atteste à
Geulinx la passivité de toute créature. Psychologique
par sa méthode et son origine, la théodicée de Geulinx
est mystique par ses tendances et ses conclusions.
M\slicité équivoque, comme la résignation stoïcienne,
comme l'humilité janséniste, comme l'inertie quiétiste:
trois sentiments qui s'amalgament dans la théodicée
pratique de Geulinx.
Malebranche (1638-1715) réagit contre le volonta-
risme de la théodicée cartésienne et, contrairement
encore à Descartes, il rapproche, jusqu'à les confondre,
philosophie et théologie, spéculation métaphysique et
contemplation mystique. On voit comment il est et
comment il n'est pas rationaliste. Rien de moins
laïque et rien de plus intellectualiste que sa philoso-
phie en général, que sa notion de Dieu en particulier.
Dieu se présente d'abord à l'esprit de Malebranche
comme la Raison universelle. Connaître et transmettre
aux autres sa pensée, avoir et exprimer des idées
claires, c'est percevoir des vérités générales à la lu-
mière d'une raison commune. Raison supérieure à
l'homme, pour quisa propre substance demeure obscure
et qui a le sentiment, mais non l'idée, de son âme.
Raison identique à l'Être, puisque penser c'est, du
même coup, affirmer l'un et l'autre. Raison infinie,
puisque notre intelligence, à sa lumière, voit tout
objet s'étendre sans limites, l'idée étant, par définition,
générale. Ces attributs, et d'autres encore, surtout la
simplicité parfaite et l'absolue perfection, pourraient
s'accorder avec ladéfinition cartésienne de Dieu. Entre-
liens métaphysiques, I, 8; II, 4 et 10; vin, 8; Médita-
tions chrétiennes, iv, 11. Cf. .loly, Malebranche, Paris,
1901, p. 57-63.
L'opposition apparaît entre la théodicée de Descartes
et celle de Malebranche, quand il s'agit de repré-
senter en concepts humains les rapports de l'intelli-
gence et du vouloir au sein de la divinité, ou encore
la relation des vérités éternelles avec Dieu. Ces vérités,
d'après Malebranche, sont l'objet nécessaire de la
connaissance divine et la règle de sa providence. Il a
même dit : objet indépendant. Le mot scandalise
Fénelon, qui reproche à Malebranche de subordonner
la volonté de Dieu à un ordre suprême et éternel. Non,
Malebranche n'oublie pas qu'il n'a reconnu dans l'uni-
vers que la causalité divine. S'il soustrait l'ordre des
possibles et des vérités au pouvoir de la liberté, fût-ce
la liberté suprême, il l'identifie avec la sagesse même
de Dieu, qui ne dépend ainsi d'aucun objet extérieur.
Plus exactement il écrira, dans les Entretiens d'unphi-
losophe chrétien et d'un philosophe chinois, que cet
ordre est identique et coéternel à l'essence divine, Dieu
étant l'exemplaire de toutes choses. Ici Malebranche
n'est plus ontologiste. Il reproduit sommairement les
explications traditionnelles.
Son intellectualisme ne l'entraîne pas jusqu'à oublier
que Dieu soit, au sens rigoureux du mot, incompré-
hensible. La théorie de la vision en Dieu dérive néces-
sairement du principe général de l'occasionnalisme, et
elle doit s'interpréter, d'après l'esprit du système,
comme une affirmation de la dépendance humaine
plutôtque comme une prétention à un savoir supérieur.
Nous voyons tout en Dieu, parce que, si d'autres objets
déterminaient immédiatement notre connaissance, ces
objets exerceraient une causalité véritable qui n'ap-
partient qu'à Dieu. Telle est la pensée de Malebranche.
Il ne prétend pas que nous voyons Dieu tel qu'il est.
Nous le connaissons en tant qu'il représente les idées
utiles à notre vie.
Cependant Dortous de Mairan force Malebranche à
sortir de sa réserve. Il le presse par un argument irré-
sistible. Il l'accuse de combattre illogiquement Spi-
noza, ayant lui-même posé le principe du panthéisme.
N'a-t-il pas dit que nous voyons tout en Dieu, et
n'est-il pas vrai que nous voyons l'étendue 'Défi lors.
voilà l'étendue transformée en attribut de Dieu. Spinoza
D'à pas dit autre chose. Malebranche riposte en exé-
crant à nouveau la doctrine panthéiste, et en distin-
guant trois choses que confond l'auteur de l'Éthique:
l'immensité divine, l'étendue intelligible, l'étendue sen-
sible. Il faut mettre hors du débat le premier terme,
puisque, sans contestation possible, il est identique à
la substance de Dieu partout et tout entière présente,
et puisque, d'autre part, Malebranche n'a pas entendu
affirmer que nous comprenions l'immensité de liieu.
Tout le débat se ramène à la distinction des deux der-
niers termes. Malebranche accuse cette distinction, et
par tendance occasionnaliste autant que par nécessité
polémique, il se jette du côté de l'idéalisme plutôt que
de se compromettre dans la société des panthéistes. Il
sépare, en effet, l'étendue intelligible, seul objet de
l'intelligence, de l'étendue sensible, terme correspon-
dant à la sensation, par une telle rupture qu'il déclare
la seconde- indifférente et même incertaine pour le
philosophe. Oui, rapportée à Dieu, l'étendue matérielle
ferait de lui le principe immanent de la nature, au lieu
de l'Être transcendant qu'adore la philosophie tradi-
tionnelle. Mais Malebranche songe si peu à cette éten-
due matérielle, quand il parle de l'étendue conçue par
l'esprit, qu'il ignore même, comme philosophe, si la
matière existe. Seule, la foi l'en assure. Quant à l'éten-
due intelligible, on peut, sans danger de panthéisme,
l'attribuer à Dieu. Malebranche la définit «la substance
de Dieu entant que représentative des corps etparlicipa-
ble par eux. » Entretiens métaphysiques, vin; Médi-
tations chrétiennes, IX, 10.
L'intellectualisme de Malebranche se manifeste en-
core dans l'argument par lequel il prouve la création.
Il suppose démontrée ou connue intuitivement l'exis-
tence d'une Volonté et d'une Intelligence souveraines,
et il raisonne ainsi : Dieu ne peut organiser et mou-
voir la matière sans la connaître; or, il ne peut la
connaître sans lui donner l'être et savoir par consé-
quent ce qui la constitue. Ainsi ce n'est pas la créa-
tion qui prouve l'existence d'un Être infini. C'est de
la notion de cause souveraine que nous déduisons celle
de créateur.
Malebranche affirme plus énergiquement que claire-
ment la thèse occasionnaliste. Il ne voit pas d'explica-
tion du mouvement des corps et des esprits en dehors
d'une action directe et exclusive de Dieu. L'àme et
toutes les créatures ne sont unies immédiatement qu'à
l'Être infini, et de lui seul elles dépendent; à tel point
que le philosophe n'est pas sûr d'avoir un corps. Rien
de plus explicite. Mais nous n'osons pas ajouter : rien
de plus logique. Les assertions que nous venons de
rappeler se concilient mal avec certaines autres, par
exemple, avec cette proposition : « Dieu agit par les
créatures, parce qu'il a voulu leur communiquer sa
puissance. » Entretiens métaphysiques, vin, 11-14;
x, 9; Traité de la nature et de la grâce, p. 350.
Malebranche explique plus heureusement comment
Dieu, en rapportant tout à sa gloire, n'agit pas par
égoïsme. Pour l'Être infiniment parfait, chercher un
autre bien que lui-même, ce serait une déchéance, si
ce n'était une impossibilité. Entreliens métaphysiques,
ix, Z; Réponse à la 5e lettre de M. Arnauld, p. 297.
En quoi donc consiste la gloire divine'.' Uans le
bonheur des créatures. Soit. Mais dans ce bonheur
cherché par les voies les plus simples et procuré par
des lois générales. La beauté de l'ensemble (et par
beauté Malebranche entend quelque chose d'analogue
à ce que les mathématiciens appellent l'élégance d'une
démonstration ou d'une solution) doit l'emporter sur
les intérêts individuels.
Nous avons examiné jusqu'ici, dans la notion de
1253
DIEU (SA NATURE D'APRES LA PHILOSOPHIE MODERNE
1254
Dieu que propose Malebranclie, le caractère intellec-
tualiste. Il convient de signaler maintenant un autre
caractère, que, faute <Tun meilleur terme, nous appel-
lerons mystique. Dans la théodicée de Descartes, le
Dieu de la raison semble juxtaposé, sinon étranger, au
Dieu de la révélation. Dans latbéodicée de Malebranclie,
les deux notions se relient si intimement, que la tran-
sition est insensible et la distinction supprimée. Le
Verbe unit la philosophie a^'ec la théologie, comme il
rapproche Dieu et le monde. Sans nier l'enseignement
chrétien : que l'œuvre de Jésus-Christ fut de racheter
le monde, il pense que la rédemption n'épuise pas le
sens et les trésors de l'incarnation. Celle-ci répond
encore à d'autres fins, que pressent le philosophe. Au
inonde si peu consistant, en effet, comment donner de
la solidité? Comment élever jusqu'à Dieu des êtres si
distants de lui? Comment aider le néant à lui rendre
gloire? Dieu s'incarne; il s'incarne, c'est-à-dire qu'il
unit à sa personne divine, non pas un ange, mais un
homme. Dès lors, esprit et matière, les deux éléments
de la création sont transfigurés. Le monde n'eût-il
pas eu besoin d'être purifié, il convenait encore à la
majesté du créateur qu'il fût divinisé. Malebranclie
réclame le droit de parler, comme philosophe, du Dieu
incarné.
Toutes les questions théologiques se relient. Une fois
la soudure faite, ou plutôt, une fois la continuité natu-
relle rétablie, entre la métaphysique et le dogme, le
philosophe voit foute la doctrine révélée passer devant
ses yeux. Il ne pourra plus se récuser et invoquer son
incompétence. Malebranclie, quelque embarras qu'il
éprouve parfois, accepte cette conséquence de son prin-
cipe sur les rapports de la raison et de la foi. Ainsi
convient-il qu'il lui faut définir, non seulement le mi-
racle mais la grâce. Il le fait, conformément à sa
théorie sur les lois générales de la providence. Il affirme
que l'ordre de la nalure et l'ordre de la grâce sont
soumis à la même divine méthode. Si les miracles font
brèche aux lois naturelles que nous connaissons, ils
s'opèrent néanmoins en vertu de lois générales, que
nous ignorons. Joly, op. cit., p. 163, 179, 195.
Pascal 1623 I(i62) prend à l'égard du Dieu de la phi-
losophie une altitude qui ne correspond ni à celle de
Descartes, ni à celle de Malebranclie. Il ne juxtapose
pas la notion naturelle de Dieu et la notion révélée,
comme le premier. Il ne les confond pas non plus,
comme le second. Il sacrifie la première au profit de la
seconde. Sans doute, on peut, « selon les lumières na-
turelles, i et en vertu des règles d'un sage pari, estimer
prudent de croire en Dieu. Mais de là à être persuadé
que Dieu existe, il J a une distance que Pascal lui-
méme se plaît à signaler. Pentéet, édit. Havet, Paris,
1880, a. 10, n. I. i Nous connaissons l'existence de
l'infini, mais « parce qu'il a étendue comme nous. »
l'n tel iiilini, qui semble identiques l'espace, et qui,
coin me l'espace, est un être tout idéal, dont le fondement
seul e-i réel, mais matériel ; un infini si improprement
nommé, et qu'il faudrait plutôt appeler indéfini, ne
représente pas la divinité, g Nous ne connaissons ni
l'existence ni la nature de Dieu, parce qu'il n'a ni éten-
due ni bornes, i i Nous sommes donc incapables de
connaître ni ce qu'il est, ni s'il est. i limi. v.n dépit
du ps. XVIII, du C. KXXVIII du livre de Job, du c. l de
l'Épltre aux Romains, l'K Pascal écrit : « C'est une
admirable que jamais auteur canonique ne
servi de la nature pour prouver Dieu, i a. 10, n. 3.
A quoi sert-il, da reste, de connaître Dieu par rai-
sonnement ire di persuasion t le double défaut
d'être «inutile au salut », a, 8, n. I.ef d'être précain
• Ceux a qui Dieu a donné la religion par sent ni
du cœur -ont l.ieu heureui et bien légitimement pet
n, ni. • i.' preuve! métaphysique! -ont si
nnemenl des hommes, et si impli-
quées, qu'elles frappent peu; et quand cela servirait à
quelques-uns, ce ne serait que pendant l'instant qu'ils
voient celte démonstration, mais une heure après ils
craignent de s'être trompés, » a. 10, n. 2. « Tous ceux
qui cherchent Dieu hors de Jésus-Christ, et qui s'arrê-
tent dans la nature, ou ils ne trouvent aucune lumière
qui les satisfasse, ou ils arrivent à se former un moyen
de connaître Dieu et de le servir sans médiateur : et
par là ils tombent, ou dans l'athéisme, ou dans le
déisme, qui sont deux choses que la religion chrétienne
abhorre presque également, » a. 22, n. 1. Cf. le mot
Dieu, dans le Vocabulaire publié par la Société fran-
çaise de philosophie, Bulletin, août 190'i, et en parti-
culier, la lettre de M. Maurice Blondel sur la formule :
« Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, non
des philosophes et des savants. » Voir également Sully-
Prudhomme, La vraie religion selon Pascal, Paris,
1905, part. I, 1. I, c. iv; part. III, c. n ; part. IV,
c. n. Voir col. 803-806.
Spinoza (16321677). On peut énumérer les divers
éléments qui entrent dans la notion spinoziste de Dieu,
mais on ne saurait les grouper tous dans une définition
synthétique. Cette impossibilité vient de plusieurs
causes. D'abord, multiplicité des inlluences subies.
Spinoza s'inspire, à des degrés divers, du néopla-
tonisme, de la scolastique, du judaïsme, du panthéisme
de la Renaissance, des idées cartésiennes. Secondement,
diversité des points de vue et des points de départ.
Spinoza s'attaque au problème philosophique, comme
on procède au percement d'un tunnel ou à la construc-
tion d'une voie souterraine, c'est-à-dire par tronçons.
La méthode spinoziste consiste à amorcer en plusieurs
endroits le travail de perforation. Par malheur, ces
différents initia philosophandi, prolongés idéalement,
ne se rencontrent pas toujours, soit que les directions
divergent, soit que les plans se superposent. Ainsi la
notion métaphysique, la notion psychologique et la no-
tion scientifique de la divinité ne s'accordent pas. Le
Dieu- substance, le Dieu-pensée et le Dieu-nature repn -
sentent trois concepts opposés, plutôt que trois aspeols
conciliables,de l'Être infini. Troisièmement, le vocabu-
laire de Spinoza estéquivoqne. Empruntant au dogme ju-
déo-chrétien les termes de foi, révélation, prophétie, et à
la théodicée personnaliste les termes de volonté, pen-
sée, amour, création, il donne aux uns el aux autres
une signification nouvelle. 11 transpose le langai
la religion surnaturelle en un ton naturaliste, et le
langage du peraonnalisme en un mode impersonnel.
Quatrième source d'obscurité : Spinoza admet parfois
une dualité d'enseignement : ésotérisme pour les initiés,
exotérisme pour la foule a qui l'obéissance tient lieu de
raison. Enfin, ce qui accroît la difficulté, c'est que
Spinoza, loin de laisser entendre que sa doctrine est
discontinue et flottante, s'efforce de lui donner les
apparences d'un enchaînement rectiligne
Le premier trait qui caractérise la définition spino-
ziste (le Dien, c'est donc qu'elle est ambiguë et dispa-
i aie L'effort du commentateur et de l'historien con-
siste tout d'abord a établir ce fait et a en préciser les
causée. H remarquera ensuite qui' cette vague pi
de Dieu pénètre toute la philosophie de Spinoza De
même que d'autres ramèneront tonte métaphysiq
une philosophie de ou à une psychologie,
Spinoza l'identifie A la théodicée même. Pour lui. la
philosophie entière Be réduit à la définition de Dieui
Dieu n'est pas la troisième partie d'un cour- de méta-
physique ou l'on étudie d'abord l'I tel la mai
mi aucun souci de
iq it les loi 'i' [ - i chologii Dieu
est tout le prograni
Dieu n'est m identique, ni transcendant, mai- im-
manent a l'univers; c'e • i • 1 1 » - * ■ qu'il s'en distin
comme la lubstana nme le prini ipi
] 255
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE
1250
de li conséquence, comme la loi suprême des lois dé-
rivées, comme l'être du phénomène, comme le tout de
la partie, comme la réalité permanente de ses formes
transitoires. Ces divers couples de termes ne forment
pas des rapports identiques. Mais l'historien ne peut
se dispenser de les énumérer, sous peine de simplifier
outre mesure et de dénaturer cette doctrine spinoziste
où se rencontrent l'idéalisme et le réalisme, le monisme
scientifique et le panthéisme substantialiste : autan I de
sens dilférents, que présente, dans l'œuvre de Spinoza,
la doctrine de l'immanence.
Dieu se relie graduellement à l'univers. Le monde
ne se compose pas de deux termes : le créateur et les
êtres créés, mais de séries complexes où l'on ne par-
vient pas à saisir la transition du divin au fini. De
multiples intermédiaires composent, entre le principe
de la nature et ses manifestations les plus superficielles,
des enchaînements réels et métaphysiques, non moins
que logiques. Par une suite de dégradations, Dieu se
communique jusqu'aux êtres particuliers. D'une part,
il est d'ahord pensée, puis intelligence absolument in-
finie, intelligence actuellement infinie, idées singu-
lières, idées en essence, idées existant dans la durée
temporelle : ainsi se déroule la série spirituelle. D'au-
tre part, il s'identifie à l'étendue, il s'appelle faciès tolius
universi,i\ forme les modes individuels de l'étendue. il
constitue l'essence des corps, il leur donne l'existence :
ainsi se déploie la série matérielle. La principale diffé-
rence entre la genèse spinoziste du inonde, et les
théories néoplatoniciennes ou gnostiques, d'après les-
quelles la divinité se déverse aussi de degrés en degrés,
c'est que, d'après Spinoza, la matière et l'esprit se
développent parallèlement; la source de l'être ne forme
pas une cascade unique, où les diverses catégories
représenteraient autant de vasques superposées en
ligne droite; l'intelligence ne sert pas de degré inter-
médiaire entre Dieu et la matière; celle-ci n'est pas une
déchéance de la pensée; la pensée et l'étendue jaillis-
sent de la divinité au même niveau; elles sont aussi
immédiatement l'une que l'autre des attributs divins.
A elles deux, du reste, elles n'épuisent pas la richesse de
la substance unique. Nous pouvons seulement affirmer
qu'elles la manifestent sous les deux aspects accessibles
au regard humain.
En lui-même, Dieu est inconnaissable. Spinoza n'em-
ploie pas le mot, mais il professe la chose. Son Dieu
impersonnel et inconscient défie toute conception dé-
terminée. Peut-on se faire une idée de cet Être suprême
auquel les attributs de l'âme humaine ne s'appliquent
que dans un sens équivoque? Nous ignorons s'il con-
vient de le représenter tout d'abord par les notions
d'être, d'indépendance, d'infinité, de tendance, de force
ou de pensée.
Au point de vue pratique, l'éternité et la nécessité
sont les deux attributs de Dieu les plus intéressants.
L'homme qui par la réflexion revient au principe éter-
nel dont il émane, entre dans l'immortalité; de même
que celui qui comprend et accepte l'ordre nécessaire
du monde, s'identifie à Dieu par un amour intellectuel.
Ainsi la connaissance de l'éternelle Nécessité procure
le salut et le repos.
Dans un article de M. V. Brochard, publié par la
Revue de métaphysique et de morale, mars 1908,
p. 129-163, on trouvera les textes et les arguments qui
pourraient amener à conclure, en dépit de l'opinion
traditionnelle, que Spinoza admit un Dieu personnel.
Cf. P.-L. Couchoud, Spinoza, Paris, 1903, p. 69, 116,
257-264, 301-303.
Bayle ( 1647-1706) a dispersé dans ses ouvrages les
éléments d'une théodicée, théodicée critique, du reste,
et non dogmatique. Qu'on se représente une suite
d'articles de saint Thomas, dont serait retranchée la
partie positive, et qui se réduiraient ainsi au videtur
quod non ; mieux encore que l'on songe à la partie
négative de la théodicée kantiste : telle est, â peu pi
la philosophie religieuse cl'- Bayle. Elle consiste en des
objections : objections contre la vérité, objections
contre l'erreur. Car l'erreur elle-même, quand elle
prend des allures doctrinales et surtout théolo-
giques, provoque son anirnosité. Ainsi le voyons-nous
combattre le panthéisme de Spinoza, de même qu'il
attaque les notions de perfection divine, de premier
moteur, de finalité, de création, de providence.
En prenant si vivement à partie le monisme, Bayle
avait-il l'arriére-pensée de désarmer d'avance les re-
présentants de l'orthodoxie, et de sanctifier par un tel
usage la dialectique qu'il retournerait bientôt contre
eux? M. Delvolve le pense. Mais il remarque aussi que
Bayle se préoccupait surtout de punir Spinoza d'avoir
employé le vocabulaire théologique. Du reste, en dehors
des considérations de polémique, Bayle repoussait le
monisme. Cette théorie de la substance universelle ne
lui paraît ni démontrée, ni même plausible. L'appa-
rente géométrie de l'Éthique ne lui en impose pas. Des
la 5° proposition il arrête net la suite des théorèmes.
Tout le système repose sur cette affirmation, que Spi-
noza formule avec la plus grande assurance : In re-
rum natura non possunt dari plures substantix ejus-
dern naturse seu attribut). Or, observe Bayle, voilà
« un petit sophisme, qu'il n'y a pas d'écolier qui s'y
laisserait prendre. » Ne suffit-il pas. en effet, pour en
montrer l'inanité, de rappeler la distinction élémentaire
entre idem numéro et idem specie? Plusieurs sub-
stances identiques ne sauraient exister : d'accord; mais
il est superflu d'énoncer cette tautologie. Voulez-vous
dire davantage? Prétendez- vous affirmer que la notion
de plusieurs substances, non pas identiques, mais sem-
blables, est contradictoire? A vous de le prouver. Mais
ne cherchez pas la preuve dans l'Éthique. Elle ne s'y
trouve point. Théorie non démontrée, le monisme est,
de plus, une théorie indémontrable. Il est faux que
l'étendue manifeste une substance unique (n'est-elle
pas composée de parties distinctes?) — faux que la ma-
tière représente l'être immuable de Dieu n'est-elle pas
le théâtre de tous les changements, corruptions, géné-
rations?) — faux que la pensée et la volonté expriment
une même substance (autrement il faudrait dire, con-
sidérant la multiplicité et la diversité soit des idées soit
des volitions, qu'en même temps Dieu connaît et ignore,
veut et ne veut pas). Bayle approuve l'objection plus
habituellement formulée contre le spinozisme, et qui
consiste à signaler l'opposition entre substance pensante
et substance étendue. Mais il lui plaît d'embarrasser
l'adversaire par des arguments auxquels il ne s'atten-
dait pas. Ce n'est plus de la comparaison entre l'éten-
due et la pensée, mais de l'analyse directe des deux
termes considérés en eux-mêmes, qu'il déduit la plu-
ralité des substances dans l'univers. Si tous les êtres
ne représentaient que les modes multiples d'une même
réalité substantielle, on pourrait encore parler de la
divinité. L'unité, en effet, n'est-elle pas un de ses
attributs? Mais cette identité foncière de tous les êtres
est illusoire. Qu'avec tout vestige de l'unité divine,
disparaisse donc de la philosophie le nom même de
Dieu. Ce n'est point au monothéisme que Bayle veut
conduire Spinoza. Sans doute, il le chasse de ses po-
sitions panthéistes, mais pour le pousser dans le na-
turalisme athée.
Il s'en prend au Dieu parfait de la théologie ortho-
doxe, non moins qu'au Dieu-Tout du panthéisme. Il
demande de quel autre attribut divin, ou de quelle
réalité' créée on pourrait légitimement conclure à la
souveraine perfection de Dieu. Invoquera-t-on son in-
dépendance ou sa nécessite'-'' Mais les philosophes
païens admettaient la nécessité d'une matière éternelle
et incréée; pourtant, ils étaient si éloignés de lui atlri-
1257
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE'
1258
buer la perfection qu'ils la considéraient comme un
élément chaotique par lui-même.
Peut-on, du moins, concevoir et admettre Dieu, à
titre de premier moteur? Contre cette thèse de la
théodicée classique, Bayle élève deux objections. D'à bord,
la thèse n'est admissible que si, avec les occasionnalistes,
on supprime toute activité créée. En effet, du moment
qu'on attribue aux mobiles un principe interne de
déplacement, etaux objets créés une causalité véritable,
il est inutile d'invoquer le secours d'En-Haut et d'ins-
tituer une sorte de doublure divine, qui vienne sup-
pléer ou aider dans leur rôle les personnages naturels.
En second lieu, l'existence d'un premier moteur n'im-
plique pas l'existence de Dieu, ce premier moteur
pouvant être, suivant l'interprétation de Zabarella,
périssable comme le principe vital des végétaux ou
comme l'âme des bêles.
Au nom des idées péripatéticiennes de forme, de
facultés actives, de cause interne, Bayle déclare inutile
la notion d'un Dieu qui dirigerait tous les êtres vers
des fins de lui connues. Nous retrouvons le prétendu
dilemme où il voulait emprisonner et étouffer la théo-
rie du premier moteur : ou un monde inerte, ou un
monde animé de forces immanentes qui se suffisent à
elles-mêmes. Bayle s'insurge contre l'idée d'une activité
réelle mais dépendante, telle que la conçoivent les
philosophes qui, sans être occasionnalistes, admettent
une cause première.
La raison humaine ne saurait établir le principe de
la doctrine créationiste : à savoir que rien d'imparfait,
comme est l'univers, ne peut exister par soi-même.
Libre à vous de prétendre que l'esprit humain est assez
fort pour s'élever à ce principe, et que seule une im-
piété volontaire peut l'en détourner; mais «vous serez
obligé de le prouver. » Laissée à ses propres ressources,
la raison voit plutôt des objections contre la doctrine
traditionnelle. Elle se trouve arrêtée par une antinomie,
ne pouvant concevoir la création ni comme éternelle,
ni comme temporelle. Et nous découvrons ici une
nouvelle preuve de l'intention qui animait Bayle dans
sa critique du panthéisme. Il conclut, en effet, son
examen du créationisme, par ces lignes : « Le pa-
de l'L'n, de llnfini, de l'Eternel, au multiple, au fini,
au successif, n'est pas miens expliqué dans le système
chrétien que dans le spinoziste : ni l'un ni l'autre n'a
pu faire avancer d'un pas la métaphysique du vieux
Parménide. » Deholve, Bayle, Paris, 1906. p. 279.
Bayle attaque, contre de multiples défenseurs, et, en
particulier, contre lurieu, Jaquelot, Leibniz, la doc-
trine chrétienne de la providence. Dans sa discussion
du problème du mal, il n'admet ni leur méthode qui
ne pari pas de l'expérience, ni leurs conclusions qui
affirment la coexistence d'un Dieu infiniment sage, bon
el puissant, avec le mal physique et moral. Il proteste
vivacité contre l'inconséquence dis apologistes,
qui invoquent la raison pour établir l'existence de Dieu,
et qui la récusent, comme incompétente en de telles
matières, dés qu'elle formule d'invincibles objections.
Il pose |e dilemme que reprendra Stuarl Mill. Ou bien
nous argumentons en concepts humains, et nous con-
naissons la valeur des attributs que non- décernons à
Dieu : alors, il Paul avouer que l'existence du mal esl
inconciliable avec la toute puissance d un Etre infini
ment bon. Ou bien, sous prétexte que l'Être suprême
n'a pai d pu i nous rendre et que ses plans ne
inblenl pas aui nôtres, nous lui altribui i
les mots île bonté, di de puissance, des quali-
tés donl m • n tucune idée alors, il esl pins
loyal de dire que Dieu e i pour nous, non pas seule
meiii un . ti ..n. . i , mais un inconnu ; i mt à
ni idéal humain, nous ne de
ni île l'ordre lin r un ai g umenl i n hv< ui de
l'intelligence divme, m du d ordre lin r une objection
contre la bonté ou la puissance de Dieu. Si le principe
de l'univers échappe à nos critiques, parce qu'elles
procèdent d'esprits bornés, il ne donne pas plus de
prise à nos louanges, car nos louanges aussi s'inspirent
de considérations humaines.
A l'adresse des théologiens, Bayle exprime le dilemme
sous une forme un peu différente. Vous admettez, leur
dit-il, comme règle suprême de vos jugements, ou bien
la raison, ou bien la révélation. Dans le premier cas,
vous êtes tenus de discuter le problème du mal suivant
les lois et les idées de la moralité humaine, et vous ne
pouvez, sans contradiction, vous retrancher derrière
des principes d'action supérieurs et incompréhen-
sibles. Dans le second cas, vous supposez les juge-
ments de la raison humaine réformables, et dès lors
vous vous interdisez de faire fond sur eux pour con-
clure avec certitude à l'existence d'une cause néces-
saire et d'une intelligence ordonnatrice.
La doctrine positive de Bayle se ramène à une sorte
d'animisme naturaliste et de providence immauente.
Il accepte et confirme la théorie de Fontenelle, d'après
laquelle les passions mauvaises produiraient le bien
général, comme de la tourbe jaillit la flamme. Deholve,
op. cit., p. 103.
Leibniz (1646-1716) a surtout étudié, dans sa théodi-
cée, la valeur a priori de l'idée de Dieu, la transcen-
dance de l'Etre infini, sa personnalité, sa causalité, son
acte créateur, sa providence. Telles sont les six ques-
tions au sujet desquelles nous allons rappeler la doc-
trine de Leibniz.
D'abord, la notion de Dieu est possible. Voilà ce qui
assure l'efficacité de l'argument de saint Anselme et de
Descartes. Si l'Etre parfait et nécessaire ne représente
pas un objet contradictoire et fictif, il existe réelle-
ment, car l'existence fait partie de ses attributs. Com-
ment Leibniz prouve-t-il la possibilité d'une telle notion ?
Il déclare, en premier lieu, que c'est aux adver-
saires d'en prouver l'impossibilité, les idées que nous
appréhendons jouissant du droit de premier occupant,
et devant être admises comme possibles, jusqu'à preuve
du contraire. Ensuite, qu'adviendrait-il, si l'on déclarait
illusoire ou incertaine la notion d'Etre nécessaire et
parfait ? Aucune réalité ne pourrait exister, les êtres
contingents et finis supposant l'action d'une cause qui
se suffit à elle-même. Donc, si nous concevons un
instant Dieu comme impossible, au même instant tout
s'évanouit. Il faut déclarer que la notion de Dieu est
cohérente et logique. On reprendra plus tard la dis-
cussion de l'argument de saint Anselme complété' par
Leibniz, et l'on poursuivra l'attaque en distinguant la
possibilité positive et la possibilité négative. Mais, en
la critiquant, on reconnaîtra la modification originale
apportée par Leibniz au célèbre argument. Voir t. I,
col. 1354-1355.
Dieu est distinct de l'univers : telle esl la seconde
thèse que nous signalons dans la Ihéodicée leibni/icnne.
Voulant simplement caractériser l'attitude de Leibniz
à l'égard du panthéisme, il nous suffira de rappeler
qu'il discute principalement la théorie de l'Esprit uni-
versel, tandis que Bayle, par exemple, combat surtout
la théorie de la substance unique
Ce Dieu, distinct du monde, ne nous n étran-
ger. Leibniz n'est pas de ces philosophes qui, sous
prétexte que la divinité nous est Infiniment supé-
rieure, lui refusent tout attribut précis dont
puissions trouver l analogue dans la nature lune
i perfecl ions de Dieu sont relies de nos Imes,
mais il les possède sans bornes; il est un océan, donl
nOUS n'aVOnS reÇU que lb s -ouïtes. || \ a en non-
quelque puissance, quelque connais-, une, quelque
bonté . mais elles j0nt tout entier, i i n Dli u, L'ordn
li proportions, l'harmonie nous enchantent, la pein-
ture ei la musique en sont des échantilli d Dieu eal
1259
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE
1200
tout ordre, il garde toujours la justesse des propor-
tions, il fait l'harmonie universelle : toute la beauté
est un épanchement de ses rayons. <> Œuvres, édit.
Janet, t. il, p. 3, i. La divinité, d'après Leibniz, n'est
pas seulement distincte du inonde; elle est personnelle
et consciente.
Pour expliquer la causalité divine, il propose un
système intermédiaire entre les doctrines tradition-
nelles sur le concours divin et l'occasionnalisme.
D'accord avec les premières, il reconnaît dans les
créatures une activité propre. D'accord avec la seconde
théorie, il reconnaît en Dieu seul le principe de leur
concordance. Les causes secondes n'agissent pas les
unes sur les autres. Mais, dès l'origine, le créateur a
disposé toutes choses, de façon qu'agissant chacune
suivant leur spontanéité propre, elles parussent exer-
cer et subir de mutuelles influences. Tel est le système
de l'harmonie préétablie.
Le créateur, dont nous venons de prononcer le nom,
qu'est-il pour Leibniz? Si l'on pouvait distinguer deux
temps dans l'action créatrice, telle que la décrit la
théodicée leibnizienne, on estimerait que le premier
prophétise la philosophie de Hegel et que ie second
rappelle Spinoza. Tout d'abord, en effet, c'est la lutte
des divers modes possibles, qui sollicitent à l'envi les
préférences divines, et le triomphe final de celui qui
représente le plus grand bien. Or, ce conflit d'êtres
idéaux qui explique l'origine de l'univers, ébauche le
réalisme dialectique de Hegel. D'autre part, la produc-
tion des monades dont le choix s'est imposé à la vo-
lonté divine, équivaut, d'après Leibniz, à un rayonne-
ment, à une émanation, à une fulguration. L'activité
divine s'épanche sans interruption dans les monades.
Doctrine équivoque, que M. Hoffding a pu rapprocher
du spinozisme.
L'effort principal de la théodicée leibnizienne s'ap-
plique au problème du mal. Il importe de caractériser
ici la méthode et les conclusions. La méthode est hési-
tante. A prioriste par tendance naturelle, Leibniz se
laisse entraîner parBayle sur le terrain de l'expérience ;
et tour à tour, il affirme que l'existence du mal doit
se concilier avec la providence, et que, de fait, nous
constatons la raison d'être du mal dans le monde.
Les conclusions reproduisent les variations de la mé-
thode. On peut dire, il est vrai, que la multiplicité des
points de vue concourt à l'élaboration d'une théorie
plus compréhensive. Les principaux articles de l'opti-
misme leibnizien sont les suivants: le monde actuel est
bien, car il est le meilleur possible. Voltaire traduira :
le moins mauvais. Nous ne connaissons que de mi-
nimes fragments du plan divin : quoi d'étonnant, dès
lors, à ce que nous y trouvions des imperfections?
L'imperfection, du reste, est inhérente à tout être fini.
Nous continuerions à croire à la probité d'un homme
que sembleraient dénoncer de multiples témoignages,
si nous avions eu l'occasion auparavant de reconnaître
en lui une haute valeur morale. Que dire de Dieu,
l'Être infiniment parfait? Contre sa bonté, sa justice et
sa prudence, nulle accumulation de preuves ne saurait
prévaloir. Quelle que soit l'évidence contraire, affir-
mons que son œuvre représente le meilleur des
mondes.
3° Philosophes anglais du xnie et du xvm* siècle.
— Bacon (1560-1626) accorde peu d'importance et peu
d'étendue à la théologie naturelle, utile seulement pour
démontrer la nécessité d'un Etre suprême. L'étude des
causes secondes retient d'abord l'esprit; puis elle le re-
lance et le dirige vers la cause première.
Hobbes (1588-1679) estime que la raison naturelle ne
peut ni démontrer l'existence, ni établir la nature, de
Dieu. Comment prouver rationnellement que le monde
a eu un commencement et qu'il a dû être créé ? Quant
aux attributs qui nous servent à déterminer la nature
divine, les uns sont positifs et ne conviennent aucu-
nement à Dieu : ainsi la colère et la volonté, la souf-
france et l'intelligence, qui supposent également un
être borné; les autres sont négatifs : par exemple, l'im-
mortalité, et seraient peut-être plus dignes du sujet
auquel on les applique. Mais, en somme, positifs ou
négatifs, les attributs divins ne sont que des titres ho-
norifiques, dont la seule utilité est de nous inspirer le
respect, l'obéissance, la vénération : toutes dispositions
qu'il est avantageux à la société de cultiver dans les
individus. Voir col. 776-777.
Locke (1632-1704) conçoit la divinité surtout comme
le principe de l'obligation et le fondement dernier des
lois. Etant donné le ton ironique dont il parle, sans la
nier toutefois, de la substance, ce «je ne sais quoi »,
comparable à l'éléphant sur lequel les Indous s'imagi-
naient que reposait la terre, on se demande ce que
deviendra la substance divine dans la théodicée, et s'il
ne va pas inaugurer la théorie renouviériste du Dieu
relatif. Non; il admet que l'Être de Dieu est substan-
tiel, et que la notion de substance, si indéterminée
qu'elle soit, s'impose à titre de conception spontanée,
comme les idées mathématiques et morales. Voir
col. 777-780.
Newton (1642-1727) se représente Dieu comme l'au-
teur de l'harmonie universelle, et comme un Être d'une
étendue immense. Telles sont les deux idées caractéris-
tiques de sa théodicée. De la première, nous ne dirons
rien de plus sinon que, mal interprétée, elle donna
naissance à ce finalisme exagéré du XVIIIe siècle qui
devait provoquer une réaction mécaniste. Au sujet de
la seconde idée, nous rappellerons que l'étendue, pour
Newton, n'est pas un attribut exclusif de la matière, à
moins qu'elle ne se joigne à la solidité, et que l'étendue
corporelle ou l'espace absolu est, tout à la fois, le siège
de la divinité et le « sensorium immense et uniforme i
par où il perçoit les choses et leurs états.
Toland (1670-1722) semble avoir le premier employé
le terme panthéisme, pour désigner cette doctrine,
qu'il admettait du reste, et d'après laquelle il existe
bien dans le monde une force divine, force créatrice
et ordonnatrice, mais non pas un Être substantielle-
ment distinct et personnel.
Berkeley (1684-1753) peut-il maintenir le concept d'un
Dieu créateur dans un monde qui n'est qu'un ensemble
de sensations et d'idées? Nous joignons les deux mots,
pour comprendre l'ensemble de la doctrine de Berkeley,
qui d'abord sensualiste, se transforma en idéaliste pro-
prement dit. Donc nous demandons ce que devient le
concept de création dans un tel univers, et s'il ne faut
pas cesser d'appeler Dieu créateur de la matière. Berkeley
proteste contre un tel doute. De même qu'il prétend
assurer la réalité du monde sensible, en le rattachant à
l'esprit; il pense accroître la dignité du créateur et res-
serrer notre unionavec lui, en ledéclarant l'auteurimmé-
diat de nos sensations et de l'ordre suivant lequel elles
se succèdent ou réapparaissent. Ainsi explique-t-il l'at-
tribut relatif de créateur.
En lui-même, absolument parlant, qu'est-ce que
Dieu? Une volonté ou une pensée active. Berkeley ne
distingue pas les deux termes; et pour les appliquer à
Dieu, il considère simplement notre esprit qui, en tant
que distinct des idées subies, est volition et activité. La
volonté humaine élevée à l'infini : telle est l'essence
divine. La théodicée de Berkeley part de l'idéalisme,
pour aboutir au volontarisme. Ce système est né des
préoccupations théologiques de l'auteur. Cetévêque. dis-
ciple de Locke, a pensé faciliter la démonstration de
l'existence de Dieu en simplifiant le point de départ, et
en parlant des « idées » qui ne peuvent avoir que Dieu
pour cause.
Hume (1711-1776) ne nie pas explicitement l'existence
de Dieu, mais il combat l'anthropomorphisme et ce qui
1261
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE'
1262
lui ressemble avec une telle insistance, qu'il semble
défendre la cause de l'agnosticisme.
i° Les déistes français du XVIIIe siècle. — Voltaire
(1694-1778) professe un déisme plus polémique que doc-
trinal. Il veut combattre la religion révélée par la reli-
gion naturelle. Mais il réduit cette dernière au culte,
ou plus exactement à la simple reconnaissance, d'un
Être suprême, auquel il conlie le soin d'intimider les
malfaileurs, qu'il regarde comme l'ordonnateur du
monde, mais dont il déclare la nature entièrement
inaccessible à l'intelligence humaine. Il s'indigne qu'on
parle de la gloire de Dieu, ou qu'on s'imagine con-
naître sa bonté ou sa justice. Autant d'illusions anthro-
morphiques. Le Dieu de Voltaire n'est point non plus
le créateur ou la providence du monde. Ce dernier
attribut, en particulier, est contredit par l'existence du
mal. Le problème du mal, qui provoque les blasphèmes
de Voltaire, perd pourtant beaucoup d'importance dans
sa philosophie, puisqu'il se restreint au mal physique,
le mal moral, c'est-à-dire le péché, l'offense de Dieu,
étant un concept illusoire. Nous avons longuement
étudié le déisme de Voltaire dans La psychologie de
l'incroyant, 1. I, c. n, Paris, 1908.
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) introduit en théo-
dicée la méthode sentimentale. Ce n'est pas parce qu'il
a d'abord constaté l'ordre du monde, qu'il admet une
intelligence suprême. Il croit à la bonté de l'univers,
parce qu'il se persuade que Dieu existe, et il éprouve
cette persuasion parce qu'il sent en lui-même le besoin
de la divinité. Vivez toujours de façon à désirer que Dieu
existe, dit-il aux douleurs, et vous admettrez sans peine
cette divine existence. Le sentimentalisme est le trait
le plus important de la théodicée de Rousseau : senti-
mentalisme méthodique, du reste, et non doctrinal. Nous
voulons signaler par là que, s'il déclare le sentiment
principe de connaissance religieuse, il ne l'érigé pas
en objet d'adoration. Son subjectivisme ne va pas
jusque-là. Par une série de transitions, en particulier
par l'intermédiaire de Schleiermacher. le sentimen-
talisme sera poussé jusqu'à cette extrémité. Feuerbach
dira que Dieu n'est pas autre chose que l'apothéose de
l'homme, et que nos propres sentiments en font la
seule réalité. Rousseau croit en un Dieu distinct de
l'homme et de l'univers. Mais son sentimentalisme pré-
pare la voie au symbolisme. Ne déclare-t-il pas, en
effet, que le sentiment est autonome à l'égard de la
connaisance, et qu'il ne peut trouver de représentations
qui le satisfassent ?
Savons-nous quelque chose de la nature divine?
Rousseau considère la cause première du mouvement
comme une volonté personnelle. Il nie, d'ailleurs, les
attributs de créateur et de tout-puissant. Voir col. 236-
237.
5° Le sentimentalisme en Allemagne. — Jacobi
1 1740-181 5 ) prof.--.' une théodicée, sinon contradictoire,
du moins peu cohérente. La méthode en est sentimen-
tale et subjective, la doctrine, a peu près conforme à
renseignement traditionnel, c'est-à-dire d'ordre univer-
sel et objectif.
Leasing (1729-1781) serait nettement panthéiste, s'il
Dallait interpréter littéralement la conversation Haineuse
qu'il tint à Jacobi. A la grande Burprise de ce dernier,
i n effet, il lui déclara qu'il appréciait fort le Promé-
thée de Goethe, que lui-mé ne pouvait plus s accom-
moder des concepts orthodoxes de la divinité, et que,
s'il devait choisir un chef de lile. il n'en prendrait pas
d'autre que Spinoza C ment faut-il entendre cetti
profession de foi philosophique ' Il semble bien que
• délai hé de la théodicée traditionnelle.
D'une part, Il ne coni oit plus qu'un Mien transcendant
■ it pas étranger an ndi Distinct de l unlvi
ré de l'univi i tml pour lui expressions synon]
1. 1 Ire infini, d'aiili n be i il pas toute réaliti '
D'autre part, il estime, à bon droit, que Dieu n'est pas
une sorte d'homme agrandi : d'où il conclut qu'il ne
peut pas être pensé par analogie avec la personnalité
humaine, au bonheur immuable d'un Dieu personnel,
jouissant de sa propre perfection, il attachait une idée
telle « d'ennui infini, qu'il en était douloureusement
effrayé. » Iloffding, op. cit., t. n, p. 25.
Lessing n'est pourtant pas un simple disciple de Spi-
noza. D'abord, suivant la remarque de Mendelssohn, il
est possible que, dans le célèbre dialogue, il ait voulu
donner une leçon de gymnastique intellectuelle à son
ami trop amolli par le sentimentalisme. Surtout, l'idée
de mouvement et d'évolution, chère à Lessing, ne cor-
respond guère à la rigidité géométrique du monisme
spinoziste. M. Iloffding conclut que Lessing, comme
Goethe et Herder, adhérait à la doctrine de l'Un et Tout.
Moses Mendelssohn (1729-1786) représente cette caté-
gorie de philosophes qui furent amenés, par leurs re-
cherches sur le sentiment esthétique, à considérer le
sentiment en général comme une manifestation auto-
nome, sinon primordiale, de la vie psychique, et à
maintenir son originalité contre Spinoza, Leibniz,
Wolf, qui le ramenaient à des idées confuses. Cette
protestation devait avoir son principal contre-coup en
théodicée. Pour Mendelssohn, Dieu représente le prin-
cipe de finalité et d'harmonie. Il est aussi l'Être infini,
dont la seule notion implique et prouve l'existence.
II. Depuis Kant. — 1° Le criticisme. — Kant (1724-
180i). On résume parfois ainsi la théodicée kantiste :
la Critique de la raison pratique rétablit sur une base
morale les notions religieuses, dont la Critique de la
raison pure anéantit les fondements physiques, lo-
giques et métaphysiques. Kant nous proposerait donc
d'admettre, à litre de croyances nécessaires, les mêmes
vérités qu'on professait naguère, à titre de connaissances
assurées. Cette interprétation trop simple dénature la
pensée de Kant. Nous verrons successivement comment
il apprécie la notion de Dieu du point de vue de la
raison spéculative, comment il l'explique cl la justifie
par la raison pratique, enfin comment il essaie de réunir
les conclusions apparemment opposées de ce- deux
analyses parallèles.
Pour la raison spéculative, Dieu n'est pas un être ou
un objet, mais d'abord un idéal, en ce sens qu'il repré-
sente l'unité suprême et stimule ainsi la tendance
synthétique de l'esprit, puis une idée. A cette idée un
objet répond-il ou peut-il répondre? Nous l'ignorons.
Voilà pourquoi nous concevons Dieu, suivant la ter-
minologie kantienne, mais nous ne le pensons pas
Nous le concevons, parce que cette idée de la raison
pure, comme toute autre forme de l'intelligence, ne
dépend pas de l'expérience et existe en l'absence mi
de tout objet expérimental. Nous ne pensons pas Dieu,
parce qu'il Q'esl pas présente à l'esprit dans une in-
tuition spatiale et temporelle, et qu'il reste des loi- i
l'état de notion indéterminée.
Pour la raison pratique, l'existence el la nature de
Dieu sont des postulats nécessaires. Telle est la suite
des connexions, non pas logiques, mais morales, qui
entraînent cette conclusion : Notre conscience nous
atteste l'obligation OÙ nous s. .mines de faire le bien et
d'éviter le mal. De là ne déduisons pas immédiatement
que Dieu existe, i titre de pi incij ition ; ce
sérail méconnaître l'esprit du moralisme ka a
n'es! pas Dieu, mais notre raison autonome, qui nous
impose l'impératif catégorique. Donc, du (ail de l'obli-
gation i l'existence de Dieu el A la détermination de
ses attributs ne cherchons pas une liaison directe.
L'enchalnemenl est plus complexe, et le voi< i Disi
postulé-, non pour établir le lien entre la volonté i
devoir, mais po ntre
oir 1 1 le bonheur, x - tan) pu la i tuse du monde,
nous ne pouvons procurer non m
12G3
DIEU SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE 1264
lion du souverain bien relatif; et, ne pouvant faire
taire en nous ce désir d'une harmonie définitive entre
la vertu el le bonheur, qui n'est pas un caprice
d'égoïsme, mais le vœu même de la justice, nous exi-
is qu'un Être existe, capable de faire triompher
la cause de la moralité'. Mais à quelles conditions Dieu
peut-il donner à la conscience humaine celte satisfac-
tion? Énumérer ces conditions, c'est analyser les
attributs mêmes de la divinité. Il est évident que,
pour assurer la victoire du bien, la cause suprême du
monde doit être intelligence et volonté. Non pas, une
intelligence finie, ni une volonté limitée. S'il n'était
pas omniscient, Dieu ne connaîtrait pas la conduite
et les intentions secrètes de tous les hommes. S'il
n'était pas tout-puissant, il ne saurait donner à leurs
actes les conséquences appropriées. Il est encore pré-
sent partout, éternel. Ne semble-t-il pas que, par cette
porte ouverte de la raison pratique, toute la théodicée
traditionnelle va rentrer dans la philosophie '?
Kant lui-même doute du résultat; ou plutôt, dans
le conflit entre l'agnosticisme spéculatif et la religion
pratique, c'est au premier terme qu'il donne la supé-
riorité. Il répète que les postulats de la morale : le déisme
et le spiritualisme, ne nous renseignent pas sur la
nature propre de leurs objets. Ces objets existent.
Nous admettons nécessairement que l'idée de Dieu,
fournie par la raison spéculative, répond à quelque
chose de réel. La connaissance théorique est donc
étendue par les données de la conscience morale,
dans ce sens que nous postulons qu'elle ait un objet.
Mais elle ne saurait employer ces données pratiques à
l'étude spéculative de l'âme ou de Dieu. Nous ignorons la
nature de Dieu. Kant met au défi ceux qui contestent
cette assertion, d'assigner dans nos idées relatives à
Dieu, un seul élément positif, après qu'on en a éliminé
la part d'anthropomorphisme. Seule, la psychologie
pourrait nous aider à concevoir les attributs divins.
Or, la psychologie est irrémédiablement humaine. Nous
n'appréhendons, par nos analyses, qu'une intelligence
discursive et une volonté dépendante. Purifiées de leurs
tares psychologiques, les notions que nous avons de
Dieu se réduisent à des mots, à moins qu'on y voie
des expressions symboliques de postulats moraux.
Anthropomorphisme, psiltacisme, symbolisme : contre
l'un ou l'autre de ces écueils vient échouer la raison
théorique qui s'aventure à spéculersur la nature de Dieu.
M. Hoffding, op. cit., t. il, p. 102, s'étonne que la théo-
dicée kantienne, réduite à la manifestation de besoins
et de sentiments subjectifs, n'aboutisse pas à son
terme logique : l'individualisme, et se donne comme ab-
solue et universelle. Voir col. 781-782.
2° Le développement du sentimentalisme. —
Schleiermacher (1768-183i) précise le sentimentalisme
religieux, il l'étend, le conclut, le systématise.
Il le précise, en indiquant quel est, d'après lui, le
sentiment dont le coefficient religieux est le plus
élevé. Contrairement à la théorie que soutiendra Feuer-
bach, Schleiermacher trouve l'origine delà croyance en
Dieu dans le sentiment primitif et indéterminé de la
dépendance. Il étend la méthode sentimentale, en dé-
clarant que toutes les assertions religieuses doivent
dériver individuellement d'une expérience intime, et
non se relier entre elles par une déduction logique. Il
pousse le sentimentalisme vers son terme naturel : le
symbolisme, en montrant que la théodicée sentimen-
tale n'exprime que des besoins du cœur et des diposi-
tions subjectives. Il systématise la religion nouvelle, et
il en indique la formule génératrice, quand il prétend
pouvoir légitimement employer les expressions de la
théodicée traditionnelle, en substituant à leur signifi-
cation rationnelle et objective une valeur toute sub-
jective et sentimentale. Ce mode d'herméneutique
rappelle l'évhémérisme et annonce le modernisme.
Feuerbach (1804-1872) poursuit l'œuvre de Schleier-
macher. Sa théodicée, qu'il expose dans La religion
el surtout dans L'essence du christianisme, peut se
répartir en deux groupes de thèses : les thèses néga-
tives et les thèses positives.
Feuerbach combat le théisme par quatre arguments-
principaux, ou, du moins, qui semblent tels : 1 S il
est ridicule d'attribuer à une Eau primitive l'ori-
de toutes les eaux, ou à une Montagne suprémi la
production de toutes les montagnes; il ne l'est pas
moins d'expliquer tous les êtres par un Être premier.
— 2° Création et conservation sont inséparables. Dans
la doctrine créationiste, il faudrait donc dire, avec
Luther, que ce n'est pas le pain qui nous nourrit, mais
la vertu de Dieu. Or, il est évident que nous devons
notre conservation aux propriétés des êtres naturels.
— 3° Feuerbach invoque les formes enfantines que
revêtit parfois, surtout au xvne et au xvme siècle,
l'argument des causes finales, pour en conclure à l'ina-
nité de la conception théiste. — 4° Aux théistes il re-
proche encore d'adorer un Être bon, au lieu de s'en
tenir au culle de la bonté elle-même. Il raisonne
comme si nous admettions en Dieu une substance
distincte des accidents, et comme si l'attribut divin
de la bonté ne nous renseignait en rien sur la nature
divine. De là, pensait-il, le danger du fanatisme. Si
nous ignorons que l'amour et la bonté constituent ta
divinité même, nous sommes exposés à pratiquer une
religion barbare. Feuerbach n'est pas plus agnostique
que théiste, et il considère l'agnosticisme comme un
athéisme honteux. Pourquoi parler d'un Etre dont
nous n'avons aucune idée? Pourquoi attribuer au sujet
la consistance et la réalité, quand on estime que ses
propriétés sont de purs antliropomorphismes, de simples
reflets de notre imagination, de notre pensée et de
notre cœur? Ni théiste, ni agnostique, Feuerbach refuse
encore de se laisser appeler athée, rejetant cette épi-
thète aux philosophes qui méconnaissent la sublimité
de la justice, de la sagesse, de la bonté et des autres-
perfections réalisées ou rêvées par l'homme. Telles sont
les thèses négatives de Feuerbach.
Les thèses positives de sa théodicée peuvent se
ramener à deux, que nous appellerons : le senti-
mentalisme doctrinal et l'humanisme. J. ,). Rousseau
professait nettement le sentimentalisme méthodique,
c'est-à-dire qu'il regardait le sentiment comme le
moyen de connaître Dieu, mais non comme le terme
de notre connaissance, comme l'objet de notre culte,
comme Dieu lui-même. Telle était aussi la position de
Jacobi. Schleiermacher prépare l'apothéose du senti-
ment. Feuerbach la proclame, c'est-à-dire qu'avec plus
d'insistance encore que son prédécesseur, il déclare
que Dieu est le nom propre de nos aspirations, et
qu'ainsi, loin d'être notre créateur, il est notre œuvre,
non pas ens ralionis, mais ens a/fectus. Il passe du
sentimentalisme méthodique au sentimentalisme doc-
trinal par le raisonnement suivant : Nous ne saurions
comprendre la divinité par le sentiment, si le senti-
ment n'était pas de nature divine. « Dieu ne peut être
connu que par Dieu. L'être divin conçu par le sentiment
n'est, en réalité, que le sentiment enchanté et ravi de
sa propre nature, ivre de joie et de bonheur en lui-
même. » L'essence du christianisme, tra.d. Roy. p. 32.
L'humanisme de Feuerbach se subdivise lui-même
en plusieurs affirmations : 1" La théologie se ramène
à la psychologie. Sans doute, l'homme primitif adore
la nature, mais c'est qu'il lui attribue ses propres dis-
positions. Le naturisme s'explique par l'animisme, et
se rapporte ainsi à l'humanisme. — 2° C'est le cœur,
plus que la raison, non toutefois à l'exclusion de cette
faculté, qui donne naissance aux idées de la théodicée.
L'humanisme de Feuerbach se précise donc en senti-
mentalisme. — 3° Il est possible de le déterminer da-
1265 DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE'
126G
vantage encore. Des sentiments qui nous suggèrent la
notion de Dieu, ce n'est pas celui de notre dépendance,
ainsi que le pensait Schleiermacher, qui est le plus
important. C'est notre grandeur, plus que notre peti-
tesse, qui nous inspire l'adoration. La théodicée ré-
pond à un mouvement d'expansion et non d'humilité.
— 4° Il reste à expliquer alors pourquoi l'âme reli-
gieuse s'abîme dans son néant; car on ne peut nier
que le sentiment de l'humilité fasse partie essentielle
de la religion. Deux causes concourent à cette illusion.
D'abord, l'individu s'identifie à tort avec l'espèce, et
considérant les limites de sa personnalité, il conclut à
l'irrémédiable infirmité de la nature humaine. Plus
importante encore est la seconde cause d'illusion. Les
rêves de justice, de beauté, de dévouement, de ten-
dresse qui devraient l'exalter, sinon l'enorgueillir, s'il
prenait garde qu'ils témoignent de la noblesse de ses
facultés, lui deviennent un sujet de confusion et un
objet d'adoration, du moment qu'il les incarne en un
être transcendant et qu'il s'en dépouille inconsciem-
ment à son profit. Il ne remarque pas qu'il admire son
œuvre et que le Dieu qu'il adore n'est pas autre que
lui-même. Dieu est le miroir de l'âme. Dites-moi quel
est votre Dieu, et je vous dirai qui vous êtes. — 5° Un
procédé grammatical permet de transposer la théodicée
illusoire en la vérité psychologique. Il suffit d'inter-
vertir dans les assertions théologiques la place du
sujet et de l'attribut. Le théologien, l'homme religieux
disent : Dieu est bon, aimant, miséricordieux. Le phi-
losophe traduit : La bonté, l'amour, la miséricorde sont
divines, c'est-à-dire sublimes. Le théiste proclame :
Dieu est la fin de l'homme. Le philosophe interprète :
Le but, l'idéal que l'homme poursuit, est son Dieu. —
6" La substitution de la philosophie à la religion con-
siste dans le passage de l'inconscient au conscient.
Tant que l'homme ne s'aperçoit pas qu'il projette de-
vant lui son rêve intérieur, il prend son image pour
un Être distinct de lui et supérieur à lui : il est reli-
gieux. Quand il comprend qu'énumérer les attributs
de Dieu, c'est faire l'inventaire de ses propres trésors,
il est philosophe.
3° Monisme cl idéalisme. — Fichle (1762-1814),
accusé d'athéisme, alors qu'il était professeur à Iéna,
renonçait finalement à sa chaire (1799), mais protestait
contre l'accusation dont il était l'objet. Bans son article
sur Fichte, de la Grande encyclopédie, M. Xavier Léon
prétend que tout le système du philosophe est pénétré
île l'idée de Dieu. Peut-être serait-il plus exact de dire
que Fichte a gardé h- mot Dieu. Car la définition
qu'il en donne trouble et contredit les notions usuelles.
Suivant l'euphémisme de M. Hôffding, np. cit., t. n,
p. I i">. il esl caractéristique de sa personnalité que
la volonté' précède la pensée, » II veut agir, il veut dire
quelque chose; mais ses intentions philosophiques jse
traduisent imparfaitement sous forme d'idées. Naïve-
ment il érige cette disposition personnelle en loi mi-
prême île l'esprit et de l'univers. Les forts, ceui qui
sont agissants et non passifs, ne reçoivent pas la vérité,
ils la ciéi ni, [„'i liberté précède la raison.
On pourrait dire que le principe du monde est 1 1
liberté. Telle esl la pn re notion de Dieu dans la
philosophie de I ichte. Mais la liberté ne se réalise
qu'à i intelligence, c'est-à-dire en devenant in-
telligible. Dieu esl donc la Raison suprême. Comme,
d'autre part, la réalisation de la liberté ne se produit
instantanément, ■-mur elle se poursuit indéfini-
ment, le progrès devient la loi de la morale • t la i
gorie de la religion. Sam expliquer en quoi consiste
ni aiïrant lu emenl de I humanité qu'il propose corn me
objet a m.- ■ ii déterminer - il a( It de la
libération du vice, «l>- l'émancipation ■> l'égard de
l'erreur, ou de l'allégement des souffrances, Fichti
proclatiu' que l'individu doit se préoccuper, non de
combattre ses propres défauts, mais de pourvoir à
l'éducation delà société. L'Universel devient la majesté
suprême à laquelle tout homme doit subordonner et,
s'il le faut, sacrifier tous ses intérêts. Dieu, pourrait-
on dire ici, c'est l'Universel.
Si de ces incertitudes et de ces obscurités nous con-
cluons à l'athéisme de Fichte, celui-ci proteste, et, pre-
nant l'offensive, accuse d'idolâtrie ceux qui pré-
tendent avoirune idée de Dieu, Hôffding, ibid.,p. 149.
Idolâtres surtout ceux qui adorent un Dieu souverain
dispensateur de la justice. « Que cet être tout-puissant
soit un os, une plume d'oiseau, ou qu'il soit le créa-
teur tout-puissant, partout présent, omniscient, du ciel
et de la terre, si de lui on attend le bonheur, c'est un
faux dieu. » Xavier Léon, La morale de Fichti', dans
la Revue de métaphysique et de morale, janvier 1902,
p. 55. Cf. Weber, Histoire de la philosophie euro-
péenne, p. 188-495; X. Léon, Fichte, Paris, 1902.
Schelling (1775-1854). Pour Schelling, la philosophie
n'est pas un tout dont la théodicée ne serait qu'une
partie. La philosophie est, en effet, la science même
de l'absolu. Le fait que la pensée de Schelling a varié
est incontestable. Il est également admis par tous les
auteurs qui ont étudié sa doctrine, que sa notion de
Dieu a évolué dans la direction du monothéisme. Mais
le nombre et le caractère des étapes parcourues ne
sont pas fixés d'un commun accord. Les uns distinguent,
d'après Schelling lui-même, deux phases dans son
ouvre; les autres pensent qu'elle se répartit en trois
ou quatre moments principaux.
Weber dans son Histoire de la philosophie euro-
péenne, Hôffding dans son Histoire de la philosophie
moderne, M. Delbosdans sa thèse De posteriori Schel-
lingii philosophia quatenus hegelianse doctrines ad-
versalur, distinguent avec Schelling lui-même, et en
employant les deux expressions dont il s'est servi le
premier, la philosophie négative qui correspond à une
théodicée rationaliste et panthéiste, et la philosophie
positive qui s'inspire et se rapproche du monothéisme.
Voici, d'après Weber, les idées qui se dégagent
de la première théodicée de Schelling. Le principe de
l'Univers n'est pas le moi, comme l'a dit Fichle. Vai-
nement ce philosophe a-t-il invoqué un moi imperson-
nel, supérieur au moi conscient et empirique. Deux
motifs pressent Schelling de combattre cette notion de
la divinité'. D'abord, ce moi inconscient qui produirait
le non-moi, c'est-à-dire le monde, ne peut s'appeler
moi; car s'il n'est pas conscient, il n'est pas un sujet.
Ensuite, s'il est vrai que nous ne concevons pas le
inonde sans le moi, l'objet sans la pensée, la réciproque
est vraie aussi. On peut donc tout aussi bien dire que
le monde conditionne et produit la pensée. La vérité
est que les deux termes dérivent également et parallè-
lement d'un principe supérieur, on le sujet et I
ne sont pas encore opposés, et qui, ne comportant au-
cune relation ou dépendance, peut s'appeler l'absolu.
A ce premier stade de son évolution spéculative, Schel-
ling définit ainsi la divinité'. M. Weber observe que
l'absolu de Schelling, « principe neutre, i ml i 11. l
«■i identité des contraires rappelle la substance
unique *\c Spinoza. Cependant I, Ithode de Schelling
va l'amener ■> déterminer la nature de cet absolu. S'il
1 contre li Ithode conslructive de Fichte, et n
d'attribuer l'origine du monde à l'action créatrice de
i , pensi • on du moi. il ne s'en tient pas non plu- i
l'empirisme, s'il nie que h' moi produise le non-moi,
il conteste aussi énergiquemenl qui' la perception sen-
sible soit identique i la pensée L'idée et l'objet, la
eet le mondi . ont i""" roui ce commune l'absolu.
L'expi m nce i< 1 1 de point 'fi' départ a la philosophie.
Mais la méthodi ntiell mt spéculativi et 'fi
ductive. Parce que \'' monde h fii i" i ni une
mêrai on pi ni dire que la nature est la i
1207
DIEU fSA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE
[268
existante, et l'esprit la raison pensante. Quant à
l'absolu, il est la liaison impersonnelle, la liaison
même.
L'opposition est la loi de la matière et de l'esprit.
Partout l'analyse découvre des phénomènes de polari-
sation, une oscillation entre deux extrêmes, la lutte de
deux principes tout à la fois contraires et corrélatifs.
Cette loi inéluctable limite notre connaissance de la
divinité. Incapables de parvenir à une parfaite intuition
qui nous identifierait avec l'absolu, nous ne concevons
Dieu que comme l'objet de notre pensée. Ainsi « le moi
demeure d'un côté, et Dieu de l'autre. » Histoire de la
philosophie européenne, Paris, 1905, p. 496-502. Au
sein de la divinité, nulle opposition, nulle distinction.
Ainsi Dieu est l'absolu, la raison, l'Être inliniment
simple. Par ces attributs, la Ibéodicée de Schelling se
rapprocberait de la théodicée classique. Mais on ne
voit pas comment le Dieu de Schelling se distingue du
monde; et l'on voit, au contraire, comment l'auteur lui
refuse tout caractère de personnalité.
Weber attribue surtout à l'influence de Boebme le
changement qui va marquer la seconde phase, la phi-
losophie positive. Il estime que le monisme reste le
fond de la doctrine. D'ailleurs, on nous propose une
tout autre notion de la divinité. Avant d'être intelligence
et volonté consciente, avant d'être Dieu en un mot, le
premier principe obéit à une aveugle volonté d'être.
Comme toute chose, Dieu évolue. Seulement le déve-
loppement divin est éternel, et les moments qu'il tra-
verse et qui constituent les hypostases ou personnes
de la Trinité, coïncident et s'identifient. La distinction
des trois personnes n'est réelle que pour la conscience
humaine. Ce n'est plus l'intuition, mais l'inspiration,
qui nous révèle la divinité. Art, religion, révélation
se confondent et dominent également le savoir philo-
sophique. « La philosophie conçoit Dieu; l'art, c'est
Dieu. » Weber, op. cit., p. 502.
Hôffding complète en deux points l'analyse de la
philosophie négative et de la théodicée qui lui corres-
pond. Il insiste sur le caractère naturaliste que pré-
sente alors la pensée de Schelling. Celui-ci, après avoir
déclaré que la matière serait inintelligible, si elle ne
contenait des forces spirituelles, si elle ne renfermait
le germe de la pensée, écarte aussitôt l'interprétation
monothéiste et finaliste de l'univers. « Expliquer la
finalité de la nature par l'intervention d'un entende-
ment divin, ce n'est pas philosopher, mais faire de
pieuses méditations. » Hôffding, op. cit., t. n, p. 165.
Comme l'esprit, mais à un moindre degré, la matière
est représentation et dualité. Il faut expliquer la na-
ture en termes de pensée, si l'on veut admettre que la
nature produise la pensée. Xe recourons pas à un prin-
cipe transcendant pour rendre compte de l'évolution
universelle. Il suffit que nous ne soyons pas mécanis-
tes. N'invoquons pas un ordonnateur suprême. Il suf-
fit de reconnaître dans les phénomènes naturels une
finalité immanente et de concevoir la matière comme
de « l'esprit qui sommeille ». lbid., p. 166. Cependant
Schelling ne veut pas donner de l'univers une interpré-
tation scientifique, mais un commentaire symbolique.
Quand il parle de l'esprit qui sommeille dans la ma-
tière et qui progressivement s'éveille à la conscience,
il ne prétend pas indiquer les phases réelles d'une évo-
lution génétique, mais les degrés logiques d'une hié-
rarchie idéale. Il dédaigne même, comme une spécu-
lation toute superficielle, l'étude des phénomènes
objectifs et de leur enchaînement observable. La con-
struction spéculative qui, dans l'hypothèse de l'identité
foncière de toutes choses, représente le type universel
de la réalité, nous aide seule à pénétrer dans l'essence
de la matière et de l'esprit, lbid., p. 167-169. Hôffding
met en évidence ces deux traits de la philosophie pre-
mière de Schelling : le naturalisme et le symbolisme.
Le second, du reste, ébauche et annonce la philosophie
de la religion.
Hôffding précise l'origine de la philosophie positive,
qu'il appelle, d'un terme technique et admis dans
l'histoire de la philosophie, mais regrettable car il est
équivoque, le théisme philosophique. Dans une lettre
du début de l'année 1806, Schelling avoue qu'il s'est
inoins occupé de la vie que de la nature, et que désor-
mais il fera meilleure place à l'étude de la religion. Un
de ses disciples, F.schenrnayer, l'avait pressé' d'expliquer
l'origine de cette matière et de cette pensée dont l'op-
position et la polarisation étaient peut-être la loi, mais
non la cause. Il demandait comment de l'absolu déri-
vait la multiplicité des êtres, et à cette question il
donnait lui-même la réponse : par la création, t'n phi-
losophe, en effet, ne peut se contenter d'une métaphore,
et se borner à dire que l'absolu se réfléchit dans le
monde de la matière et de l'esprit. Schelling ne semble
pas voir l'objet exact de l'interrogation ; et au lieu d'ex-
pliquer comment le monde existe, il cherche à faire
comprendre comment le inonde est soumis à la diver-
sité et à la loi d'opposition. Tout le problème se ramène
pour lui à ces termes : d'où vient, non pas le monde,
mais la discorde qui existe dans le monde. C'est un
autre problème, mais ce nouveau problème, il faut
l'avouer, est franchement établi par Schelling, qui en
montre toute la portée, et l'appelle de son vrai nom : le
problème du mal. Peut-être même aurait-on le droit de
lui reprocher d'avoir dépassé et les données et les incer-
titudes réelles de la question. Ici apparaît l'inlluence
de Boehme,de Boehme auquel Saint-Martin en France
et Franz Baader en Allemagne donnaient un regain de
célébrité. A son tour, Schelling admet dans la divinité
l'opposition primordiale d'un fonds obscur et irration-
nel et d'un vouloir éclairé. Cette opposition explique
et la personnalité divine et la production du monde et
l'existence du mal. Si elle ne rencontrait pas d'obsta-
cles en elle-même, comme elle ne se heurte à aucune
barrière extérieure, la nature divine ne saurait com-
porter l'existence personnelle. Personnalité, en effet.
suppose lutte plus ou moins douloureuse. L'évolution
du monde représente l'exode de la divinité qui, par
l'opposition universelle, tend vers une harmonie finale.
Pour que le mal n'existât pas, il faudrait supprimer le
monde, il faudrait que Dieu lui-même ne fût pas. El
cependant, rappelle justement Hôffding, l'évolution du
monde est éternelle et instantanée en Dieu. Là le conllit
ne précède pas la paix. La vie divine consiste en un
mouvement circulaire et inétendu. lbid., p. 170, 173.
Dans sa thèse latine, M. Victor Delbos explique
cette appellation de philosophie positive par laquelle
Schellinar lui-même désignait sa seconde théorie de
l'Absolu. Positive en quoi? En ce que c est une doc-
trine de l'existence et de la réalité; tandis que la doc-
trine de la Raison impersonnelle n'atteignait, dans
une certaine mesure, que les essences des choses et les
conditions de leur existence, mais non leur existence
elle-même. La philosophie religieuse de Schelling est
encore positive en ce qu'elle subordonne le détermi-
nisme de l'idée aux contingences de l'action, et pro-
clame, au nom de l'expérience, la puissance de la
liberté à l'égard de la raison. Au lieu d'assujettir le
développement réel de l'humanité à un ordre préala-
blement supposé de concepts, la seconde philosophie de
Schelling l'étudié dans l'histoire. Elle comprend dans
leur vérité relative et progressive les diverses formes,
mythologiques et théologiques, de la pensée religieuse.
Elle s'oriente vers une théodicée positive et monothéiste.
M. Delbos rappelle l'inlluence de Schelling sur deux
groupes de philosophies : les philosophies religieuses
de la liberté comme celle de Secrétan,et les philosophies
pessimistes de la volonté aveugle, comme celles de
Schopenhauer et de Hartmann.
1269
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE]
1270
Hartmann distinguait trois phases clans la pensée de
Schelling : l'idéalisme transcendental, la philosophie de
la nature et la philosophie positive. L'idéalisme trans-
cendental considère le sujet-objet, l'absolu, du point de
vue du sujet. La philosophie de la nature l'envisage du
point de vue de l'objet et s'affranchit déjà du rationa-
lisme pur. La philosophie positive proclame la supré-
matie définitive, ou du moins l'inlluence primordiale,
de l'élément obscur, volontaire et irrationnel. Au nom
de la philosophie posilive, Hartmann se réclame de
Schelling. La 'philosophie de V inconscient, t. n, p. 207,
208.
Sur les quatre doctrines de la pensée de Schelling,
voir Ruyssen, Grande encyclopédie, art. Schelling.
Hegel (1770-1851). Il est étrange que certains dis-
ciples de Hegel aient cru pouvoir interpréter sa théo-
dicée comme une théodicée personnaliste. Les expres-
sions les plus orthodoxes qu'il emploie doivent être
transposées dans la tonalité générale du système et
interprétées d'après les principes communs de l'hégé-
lianisme.
Or, deux principes dominent toute la philosophie de
Hegel : 1° la réalité est identique, et non simplement
semblable ou correspondante, à l'idée qu'on s'en forme;
2° les doctrines les plus opposées sont également vraies
et se concilient clans une identité qui consiste, non pas
en une essence immuable, mais en un développement
continu. Du reste, les deux principes, celui de l'idéa-
lisme et celui de l'évolulionnisme logique, s'entraînent
mutuellement. On ne peut admettre que l'être et l'idée
se confondent, sans accorder aussi que toute idée est
vraie, et que la suite des systèmes représente le mou-
vement même de la réalité. Ainsi l'idéalisme, contrai-
rement aux déductions de l'école d'Élée, introduit l'évo-
lutionnisme dans la philosophie. D'autre part, sous
peine d'aboutir à une méthode tout empirique et à une
mosaïque doctrinale, le philosophe ne peut accueillir
les doctrines les plus disparates que s'il les considère
comme dis phases diverses et nécessaires d'un même
devenir. Ainsi l'éclectisme hégélien, dilférent en cela
de l'éclectisme timide et arbitraire de Cousin, suppose
l'identité de l'êlre et de la pensée, c'est-à-dire l'idéa-
lisme.
Telle est la double clé de la théodicée hégélienne. La
réalité divine est identique à la notion que l'humanité
s'en est faite; et, si l'on objecte que celle notion a
varié singulièrement depuis les confuse- rêveries de
l'Orient, jusqu'aux imaginations anlhropomorphiques
de la Grèce, jusqu'au dogme chrétien du Dieu fait
homme, sansparlerdu fétichisme des peuples sauvages;
si l'on demande comment Dieu peul correspondre et
s'identifier i des notions qui se contredisent entre elles;
Hegel riposie que précisément la réalité de Dieu se dé
veloppe par ces vicissitudes de la pensée reli
que la plus exacte de théodicées esl celle qui n'en
exclut aucune.
Les mk.is de création, d'absolu, d'infini, de révélation,
de rédemption, et autres qui appartiennent soit à la
théodicée, soit à la théol retrouvent dans la
Philosophie de in religion. Mais il faut savoir les Ira
duire. Par exemple, la vérité du dogme de la création
consiste en ce que l'infini n'existe pas indépendam-
ment du fini, 1 1 que le fini, précisi ment parce qu'il a
une limite, s,, rattache à 'nui l'ensemble, te rapporte
à l'infini et fait corps avec lui. [ij, u a créé le monde
cette proj ositii n lignifie que le tout et !■ un
pliquent mutuelle! i. Ni l'ensemble de l'univers oe
m "ii san - l< - ifi lui-, ni les détails bon de 1 i u
semble, on voit, par cet abus de la transposition et cet
emploi arbitraire de- Formules traditionnelles, que
H' gel est un il' .lie • ii ■ i iin i lernisme.
l'n des ne illi m ouvragi - el le plui court sur l'en-
semble de l.i philosophie de Hegel esl le livre, di jâ "i
cien, de M. A. Ott, Hegel et la philosophie allemande,
Paris, 1814.
4° Réalisme el volontarisme. — Herbart (1776-1841).
Deux traits principaux caractérisent la théodicée de
Herbart. Elle est une réaction : 1. contre l'idéalisme:
2. contre le panthéisme.
1. Réaction contre l'idéalisme. — Méthode et doc-
trine, la théodicée de Herbart est réaliste, comme le
reste de sa philosophie.
11 emploie la méthode expérimentale, et définit la
métaphysique : l'art d'interpréter correctement l'expé-
rience, établissant ainsi ou confirmant le principe d'une
philosophie qui se divisera en plusieurs doctrines con-
traires, mais qui peut s'appeler, d'un nom commun, la
philosophie positive. Il est vrai que, si l'on excepte sa
théodicée, la méthode de Herbart se rapproche parfois
de l'analyse conceptuelle et de la spéculation a priori.
Bien interpréter l'expérience, c'est, pour lui, purifier de
toute contradiction logique les notions fournies par
les intuitions. Le progrès de la pensée philosophique
ne consisterait donc pas à dépasser les concepts pour
tendre à l'intuition, ainsi que le comprend une école
française récente, mais à élever les données intuitives
à la valeur des idées. Ainsi l'élaboration logique reprend
quelque supériorité sur l'observation du réel.
Dans la théodicée de Herbart les rôles sont renversés.
Sans doute, il reconnaît bien ici encore la place de la
déduction, et il signale que l'esprit peut descendre de
la connaissance de Dieu à la connaissance du monde.
Mais il donne la part principale à la voie inductive et
ascendante. Schriften zur Metaphysik, Leipzig, 1851,
t. il, p. 527, 613. Contre les théoriciens qui ne voient
dans le monde que matière à spéculations mathémati-
ques ou naturalistes, il soutient la valeur et la légiti-
mité d'un esthélisme religieux. Ibid., p. 617. Dans
une phrase qui rappelle l'admiration de Kant pour « le
ciel étoile » et « la loi morale », Herbart proclame que
les étoiles du firmament et la structure du corps ne
sont pas des fictions de rêveurs. Le premier terme con-
fond notre ignorance, et le second force le physiologiste
à parler, malgré lui, un langage finaliste. Ibid., p. tilS.
Herbart revendique la place de la théologie, et la lise.
dans la hiérarchie des connaissances, entre la raison
métaphysique et la raison pratique. Ibid., p. &15.
Celle-ci est l'arbitre et la règle de toute spéculation
religieuse. Les systèmes les plus ingénieux sont disqua-
lifiés du seul fait qu'ils ne satisfont pas les besoins reli-
gieux de l'homme. L'analogie nous conduit de la con-
naissance de notre nature à la connaissance de Dieu,
ou plutôt elle nous achemine vers ce terme transcen-
dant. Elle nous en montre la direction, mais elle ne le
ne i pas i notre portée. Des philosophes s'évertuent à
Huns démontrer la faiblesse de notre intelligence. \
quoi bon '.' Tout le monde en est persuadé. Mais nul
n'arrêtera l'élan de l'âme vers Dieu. Ibid., p. 618. Nous
ne comprenons pas, nous ne voyons pas, soil; niais
nous devons croire. C'est d'un philosophe de rendre
hommage à la valeur de la croyance religieuse. Ibid.,
p. 619.
La théodicée doit correspondre aux aspirations natu-
relles de l'âme. " Tous les hommes ont besoin de Dieu, »
De plus en plus la religion apparait comme « une ni
sile du cœur humain. I Devons-nous considérer Dieu
comme hors du temps ou dans le temps? Peut-être
irde trop exclusivement les réalités de
notre naturi el et exigences immédiates, Herbart
répond i qu'il "'■ tout \<<^ tenir comme un dogme
tain, que Dieu est un être intemporel. ■ Ibid., p. 630.
Dieu est on. On n > pas plus de raison de douter de
l'unité de la nature divine, que de l'unité de l en
chaque hou < lependanl le rice du polythi I
t, moin • dans la multiplicité de êtn • divins,
que dans l'opposition qui sux prises. Ibid ,
1271
DIEU SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE
1272
p. 619. Dieu est un être personnel. « Le vrai concept
du Moi, comme centre et principe de toute représenta-
tion ordonnée, ne convient parfaitement qu'à Dieu. »
Ibid., p. 620. « L'homme doit pouvoir prier Dieu, ou,
au moins, il doit trouver la paix dans la pensée de
Dieu. » Ce postulat inéluctable de notre vie morale
nous permet d'apprécier les d ivers systèmes religieux.
Ibid., p. 619. Dieu a créé le monde par pure bonté;
il ne dépend pas plus de l'univers, que l'horloger ne
dépend de la montre qu'il a fabriquée. Ibid., p. 614.
En Dieu est comprise toute perfection, « comme en un
triangle est inclus un autre. » Ibid. Dieu est bon :
« c'est de nous qu'il a souci, et non de lui. » Il est la
sagesse. Par un anlhromorpbisme nécessaire, que nous
impose notre expérience interne, nous lui attribuons
conscience et volonté. Ibid., p. 617. Si le mal existe
dans le monde, c'est qu'il était inévitable. « Non pas
qu'il serve de moyen pour atteindre une bonne fin ! La
fin ne justifie pas les moyens. » Ibid., p. 620. L'expé-
rience intime témoigne que nous avons besoin d'un
ami divin. « Cbacun, il est vrai, conçoit l'amitié à sa
manière. La religion, c'est l'homme. La religion veut
voir, poétiser, penser, rêver, sentir; chacun imagine
Dieu à sa guise. » « Les époques qui se suivent mar-
quent leur empreinte sur les images de l'Éternel. »
C'est pourquoi, quand on interroge les écoles philo-
sophiques, on ne reçoit pas une réponse uniforme.
Que l'homme consulte plutôt les réels besoins de son
cœur. Dieu est « l'éternel et sublime ami. » Ibid., p. 612.
Il est le Père. Ibid., p. 614.
2. Réaction contre le panthéisme. — Cette réaction
est extrême. Non seulement les êtres créés se distin-
guent réellement de Dieu, leur premier principe, ce
qui est la doctrine fondamentale du théisme; mais ils
constituent des réalités absolues, ce qui est l'erreur
même du polythéisme. Ainsi la théodicée monothéiste
de Herbart parait contredire son ontologie, suivant la
juste remarque de Weber. Histoire de la philosophie
européenne, Paris, 1905, p. 551.
Schopenhauer (1788-1860). Il y a à étudier successive-
ment sa méthode, sa doctrine, la place de sa doctrine dans
l'histoire de la philosophie. A ces trois points de vue,
c'est toujours la théodicée qui est en jeu, puisque l'au-
teur se préoccupe avant tout de déterminer le principe,
l'origine, le but de l'univers.
1. Sa méthode. — Schopenhauer s'attache et s'arrête
« aux faits de l'expérience externe et interne, tels qu'ils
sont accessibles à chacun. » Il s'efforce d'en montrer
le sens et la liaison, sans prétendre « expliquer jusque
dans ses derniers fondements l'existence du monde. »
Le monde comme volonté et comme représentation ,
trad. Bourdeau, Paris, 1890, t. m, p. 452. Comme déjà
Herbart, comme plus tard Hartmann. Schopenhauer
représente le mouvement positif et expérimental en
métaphysique.
Il s'appuie sur l'expérience : c'est le premier carac-
tère de sa méthode. En second lieu, il procède par
analogie. Depuis longtemps, observe-t-il, on avait pro-
clamé l'homme un microcosme, une synthèse et une
image de la nature. Schopenhauer veut montrer dans
le monde un « macanthrope ». C'est le monde qui re-
présente en image agrandie l'humanité. C'est l'homme
qui sert de point de départ et de point de repère à la
spéculation philosophique. Nous jugeons ainsi que la
volonté qui se révèle à l'observation psychologique
comme le fond de notre nature, constitue aussi l'es-
sence connaissable de l'univers. « Il est évidemment
plus juste d'apprendre à connaître le monde par
l'homme, que l'homme par le monde; car ce qui est
donné immédiatement, c'est-à-dire la conscience propre,
sert à expliquer ce qui est donné médiatement, c'est-
à-dire les objets de la perception externe, et l'inverse
n'est pas possible. » Ibid., p. 454.
Théoriquement, Schopenhauer renonce à spéculer
sur l'essence intime des choses, estimant que le prin-
cipe de raison que suppose la pensée humaine, a cessé,
depuis la Critique de Kant, d'être une mlerna veritas,
pour se réduire à n'être qu'une forme nécessaire de la
connaissance des phénomènes. Donc, en troisième
lieu, sa méthode est relative et limitée au inonde phé-
noménal, Ibid., p. 452. 453.
2. .S'a doctrine. — Quelle est l'origine du monde,
quelle en est la nature, quel en est le but? trois ques-
tions que Schopenhauer résout par une doctrine qui
peut s'appeler soit volontarisme, soit pessimisme, soit
panthéisme.
Le monde nait d'un acte de la volonté. Celte volonté
est la nôtre, parce que nous sommes tous constitués,
ainsi que les autres êtres de l'univers, par un même
élément substantiel : la tendance ou la volonté. Cette
volonté est libre, parce que, antérieure au inonde des
phénomènes qu'elle produit, elle n'est pas encore assu-
jettie au principe de raison, ni, par conséquent, au
déterminisme. Ibid., p. 458. Pour le même motif, celte
volonté est aveugle. La doctrine de l'êv va-. 7tâv, c'est-
à-dire la doctrine panthéiste ou moniste, existait avant
Schopenhauer. Celui-ci se vante, du moins, d'avoir
caractérisé l'être unique du monde par un terme posi-
tif : la volonté, et d'avoir précisé la genèse du multiple
au sein de l'identité. Les êtres de l'univers se rappor-
tent à leur commune substance, comme les actes vo-
lontaires à la volonté dont ils émanent. Ibid., p. 454.
Plus on étudie la nature des êtres et des objets de
ce monde, plus on comprend qu'il faut renoncer à leur
assigner une origine vraiment divine. « La misère qui
remplit ce monde, proteste trop hautement contre
l'hypothèse d'une œuvre parfaite, due à un être abso-
lument sage, absolument bon, et. avec cela, tout-puis-
sant. » Plus facilement nous comprendrons et suppor-
terons les maux de l'existence, si le inonde est notre
ouvrage; car alors nous expions notre faute ou notre
erreur. « Si Dieu a fait ce monde, je n'aimerais pas
être ce Dieu : la misère du monde me déchirerait le
cœur. » Attribuez l'origine de l'univers à un Être per-
sonnel, conscient et tout-puissant : « la misère du
monde devient une accusation a mère contre le créateur,
et donne matière à des sarcasmes. » Supposez, au con-
traire, que ce monde est l'œuvre de notre volonté im-
prudente et coupable : cette pensée nous enseigne la
patience et l'humilité.
L'existence est mauvaise. Pourquoi le nier ou le dis-
simuler'.' « La conviction que le monde et. par suite,
l'homme sont tels qu'ils ne devraient pas exister, est
de nature à nous remplir d'indulgence les uns pour
les autres : qu'attendre, en effet, d'une telle espèce
d'êtres? » Pensées, maximes et fragments, trad. Bour-
deau, Paris, 1880, p. 43-50.
Ce monde, étant une œuvre mauvaise par nature, ne
saurait être orienté par lui-même vers un but raison-
nable. En ce sens, il faudrait répondre à la troisième
des questions posées, en niant tout simplement le pos-
tulat qu'elle implique. Le monde n'est dirigé vers aucun
but. Mais les individus doués de conscience et de ré-
flexion peuvent travailler à corriger, ou peut-être à
supprimer, l'ouvrage de la folie. De ce point de vue. le
monde a une fin. On pourrait même distinguer, dans
le système moral de Schopenhauer, deux buts, ou deux
plans de finalité : l'un plus précis et plus immédiat.
l'autre plus confus et plus vague. Au fond du tableau,
en effet, l'auteur esquisse une sorte de conversion com-
mune de toutes les volontés. Mais c'est l'individu sur-
tout qui l'intéresse, et c'est l'individu qui est propre-
ment susceptible de rédemption. Schopenhauer invile
chaque homme, non pas au suicide matériel, mai* à
une mortification de tous ses désirs. 11 ne s'agit pas
de se donner la mort. « Quiconque se tue, veut la
1273 DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE) 1274
vie : il ne se plaint que des conditions sous lesquelles
elle s'offre à lui. » La volonté de vivre persiste. Or
c'est elle qu'il faut anéantir ou, du moins, endormir.
Pour cela, Schopenhauer dirait volontiers à sa ma-
nière : Non pas mourir, mais souffrir. La douleur est
l'instrument efficace de la conversion. Lorsque, d'an-
goisse en angoisse, l'homme se sent poussé au déses-
poir, alors il peut comprendre le sens de la vie, et, dé-
taché malgré lui des apparentes joies de son existence
éphémère, renoncer à toute ambition, à tout désir, à
toute agitation. Celui qui se tue ressemble au malade
qui se dérobe à l'instrument du chirurgien. Mettre fin
à ses jours, c'est mettre un terme prématuré aux leçons
de la souffrance. Ibid., p. 59-61.
3. La place de sa doctrine dans l'histoire de la phi-
losophie. — Quatre termes de comparaison accusent le
caractère de cette doctrine. Schopenhauer réagit contre
l'intellectualisme, et surtout contre l'optimisme; il se
défend de professer le panthéisme et le spinozisme.
Il n'est pas intellectualiste; bien qu'il emprunte à
Platon une théorie des idées qui, du reste, apparaît
plutôt dans ses ouvrages comme une juxtaposition,
que comme une greffe. Il prétend bien contredire
« Descaries, Spinoza, Leibniz, Hegel et tous les ratio-
nalistes, » pour qui la « chose essentielle, c'est la pen-
sée, l'intellect. » Weber, Histoire de la philosophie
européenne, p. 555.
Schopenhauer proteste surtout contre l'optimisme.
On lui dit « d'ouvrir les yeux et de promener ses re-
gards sur la beauté du monde que le soleil éclaire, etc. »
Il répond en demandant si le monde n'est qu'une » lan-
terne magique », et comment la prétendue beauté du
spectacle allège le rôle douloureux des acteurs. Spec-
tacle splendide à voir, en vérité! Mais « y jouer son
rôle, c'est autre chose. » « L'homme des causes finales »
lui vante « la sage ordonnance qui défend aux planèles
de se heurter du front dans leurs courses, etc. » Mais
ce sont là de simples conditions, et nullement des per-
fections, de l'existence. Si les choses avaient été plus
maladroitement « charpentées ». tout « l'échafaudage
fondamental » croulait. Pensées, etc., p. 51, 52; Le
monde, t. m, p. 395. Avec quelle insistance Schopen-
hauer donne raison à Hume et au « grand Voltaire »
contre Rousseau, et surtout contre Leibniz! Il ne recon-
naît à la théodicée d'autre mérite que celui d'avoir
fourni l'occasion de « l'immortel Candide ». Leibniz
ne [dévoyait pas une telle justification « de cette excuse
boiteuse si souvent invoquée par lui en faveur des
maux dr re monde, à savoir que le mal engendre par-
fois le bien. • Le momie, t. m, p. 39i. Le monde est
i ,-iii^si mauvais qu'il lui est possible de l'être. » Ibid.,
p. 396. Comment donc interpréter l'optimisme? Comme
une flatterie hypocrite et sottement présomptueuse à
l'égard de l'auteur du monde, disait Hume. Comme
l'éloge immérité que s'adresse à lui-même « le vouloir-
. en se mirant avec complaisance dans son
œuvre, i traduit Schopenhauer. Ibid.
Dam l'Ancien Testament Schopenhauer ne découvre
qu'uni -• ni'- i vérité métaphysique »; encore est-elle
voilée sous une C'esl l'histoire du péché ori-
ginel, laquelle nou qui l'existence est mau-
vaise par le fait de notre volonté. Pensée», etc., p. il.
Bien qu'il trouve dans l< I oran la plus triste et la
plus misérable figure 'lu théisme, il déclare que, par
son optimisme, la religion «le*. Juifs esl la derc
parmi les doctrii I uses des peuples civilisi
Ibid., p. 12, 13, lii i ri Dieu comme ce Jéhovah,
ipn. animi causa, pour son bon plaisir et de
i ur, produit re monde de misère 1 1 de lamenta
, et qui encore s'en félicite el s'applaudit
. . : voilà qui est ti op forl ' Ibid ., |
Schopenhauer confond dans une même est! le
brahmanisme, le bouddhisme, el ce qu'il considèn
comme le seul enseignement, et comme l'enseignement
authentique, du christianisme. Ces trois doctrines
prêchent l'abnégation et l'anéantissement. Le protes-
tantisme s'est de plus en plus éloigné de la tradition.
« Dégénéré en un plat rationalisme, espèce de pélagia-
nisme moderne, » il vient se résumer « dans la doc-
trine d'un bon père créant le monde afin qu'on s'y
amuse bien (en quoi il aurait joliment échoué); et ce
bon père, sous certaines conditions, s'engage à pro-
curer aussi plus tard à ses fidèles serviteurs un monde
beaucoup plus beau, dont le seul inconvénient est
d'avoir une aussi funeste entrée. » Doctrine bonne
« pour des pasteurs protestants confortables, mariés et
éclairés, conclut Schopenhauer; mais ce n'est pas là
du christianisme. » Ibid., p. 6i. Lui pense bien en
donner le vrai commentaire.
Cette façon de louer et de comprendre le christia-
nisme semble préparer une manière tout opposée de
l'interpréter. On s'explique sans peine qu'un Nietzche
soit le disciple de Schopenhauer. L'admiration de ce-
lui-ci et la haine de celui-là offrent à peu près le même
caractère de violence systématique; de même que la
doctrine pessimiste de l'annihilation volontaire et la
religion du surhomme sont d'une couleur également
funèbre.
Lotze (1817-1881). Si par Dieu l'on entend un être :
1. distinct et indépendant du monde; 2. infiniment
parfait et immuable on doit conclure que Lotze n'ad-
mettait pas l'existence de Dieu. Premièrement, en effet,
son Dieu n'est pas distinct du monde. Il considère êtres
et choses comme « des moments ou manifestations (ac-
tions) de la substance primitive. » Hoffding, op. cit., t. n,
p. 548. Il parle explicitement de sa « conception mo-
niste ». Trois livres de métaphysique, § 245. Cf. Hoffding,
ibid. On peut donc s'étonner qu'il récuse toute affinité
avec Spinoza. Secondement, sa notion d'un Dieu per-
sonnel, fût-elle conciliable avec sa doctrine de la
substance unique, est incompatible avec la perfection
infinie. Personnalité signifie essentiellement, d'après lui,
effort et conflit. Toute vie personnelle suppose une résis-
tance à vaincre, et implique la faculté de souffrir non
moins que celle d'agir. L'être absolu, d'autre part, ne
trouvant aucune face extérieure qui puisse se dresser
contre lui, doit rencontrer quelque résistance en sa
propre nature. Dieu est aux prises avec les fantômes
de son imagination créatrice. Hoffding, op. cit., t. H,
p. 543. Cf. Weber. op. cit., p. 601604'
Dans la théodicée de Hartmann 1 1842-1890), nous dis-
tinguerons quatre choses : 1. la méthode; 2. la notion
de la divinité; 3. ses relations avec le inonde créé;
4. l'avenir et la place du système.
1. La méthode. —Hartmann étudie la notion île Dieu
par la « méthode inductive a posteriori ». La conception
moniste à laquelle il parvient, se présente « non plus
comme un principe spéculatif, auquel peu d'esprits
peuvent s'élever, mais comme la conséquence rigou-
reuse des expériences les plusconcluanles. g Philosophie
de l'Inconscient, trad. Nolcn. Paris, 1877, t. Il, p
2. La notion de la divinité. — Mieux vaut ne pas ap-
peler Dieu le principe de l'univers. Bien que Spinoza,
en identifiant Dieu avec la substance de l'univers, ut
donné à ce concept droit de cité' en philoso]
Hartmann préfère écarter un mot dont tclu-
ni' peut que prolon qui-
voques et des malentendus en métaphysique. Il dira :
l'Inconscient. Ibid., p. 246
lieux raisons pressaient le théisme classique de pro-
ie .1 un Dieu ■ D'abord, il ne
voyait pas de moyen terme entre la production de l'uni-
vers par un Être conscient el le I !'i-if des fl I
brutales de la nature, i n second lieu, estimant .1 bon
droit que le principe du mondi 1 Ii rotes
lions, il aurait cru blasphé r en lui refusant la
1 275
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE; 1276
conscience. Mais nous savons maintenant que le ili-
li'inmc : anthropomorphisme ou mécanisme, n'est pas
inéluctable, et qu'on peut sans livrer l'univers au jeu de
forces aveugles, nier qu'il soit gouverné par une lina-
lité analogue à celle de l'art humain. Il existe une
finalité véritable, mais immanente et inconsciente, dans
le progrès de l'univers. Hartmann, contrairement à
Schopenhauer, admet une loi du progrès. D'autre part,
la conscience ne représente pas une perfection absolue.
Pour nous hommes, qui poursuivons des fins indivi-
duelles et devons séparer notre personne des autres
êtres, la conscience est une perfection et une nécessité.
Mais lTn-Tout, en dehors duquel rien n'existe, ne
connaît pas ces limites et le besoin de celte opposition.
N'appliquons pas, sous l'empire de l'habitude, à l'ac-
tivité que déploie le principe de l'univers dans la pour-
suite .de fins universelles, la règle qui dirige l'activité
réfléchie des consciences particulières. Du reste, dans
les sujets individuels eux-mêmes, l'instinct ne remplace-
t-il pas souvent avec avantage la finalité consciente?
Philosophie de V Inconscient , t. n, p. 218, 227. Dira-t-
on que, pour produire la conscience en des sujets in-
dividuels, l'Un-Tout doit lui-même posséder cet attri-
but? Hartmann récuse cette loi de la causalité. La
conscience apparaît dans le monde, lorsque le prin-
cipe a réuni les conditions nécessaires à l'activité
consciente. Or, ces conditions se ramènent à la dua-
lité des attributs et à la possibilité d'un conflit entre
les fonctions qui résultent de ces attributs. Mais la
conscience elle-même n'est pas un antécédent néces-
saire de la conscience. Donc, il est inutile de la suppo-
ser en Dieu.
Hartmann va plus loin. Dieu ne peut être conscient:
a) parce qu'il n'a pas d'organisme, et que la conscience
ne peut surgir « sans cerveau, sans ganglions, sans
protoplasma, ou autre substratum matériel, » ibid.,
p. 219; b) parce qu'il est l'absolu, et exclut toute dis-
tinction de sujet et d'objet, ibid., p. 221; c) parce qu'il
est immanent : un Dieu conscient serait par là même
séparé du monde, ibid., p. 223; d) parce que le mouve-
ment philosophique emporte la spéculation religieuse
de ce côté. Ibid., p. 231, 232.
L'inconscience divine implique un second attribut.
Dieu est impersonnel. Hartmann distingue trois signi-
fications du mot : personne, et constatait qu'aucune ne
convient au principe premier, il écarte de la notion de
Dieu la personnalité. La personnalité juridique corres-
pond au libre exercice des droits civils. La personnalité
morale s'entend de la faculté de juger ses propres actions
et comporte la responsabilité. Ces deux notions suppo-
sent relation entre individus distincts et ne sauraient,
par suite, convenir à l'Un-Tout. Au sens logique et gram-
matical du mot, on pourrait dire également : au sens
psychologique, personnalité signifie attribution d'actes
multiples à un même sujet, et ne peut dès lors se
trouver que dans un être qui possède la conscience,
la mémoire et la réllexion. Un Dieu inconscient est
nécessairement un Dieu impersonnel. Ibid., p. 232-
23i. Pas plus que la conscience, la personnalité ne
désigne une perfection absolue. Si Dieu est inconscient,
s'il est impersonnel, c'est qu'il exclut ou dépasse toute
limite. Ibid., p. 235.
Comment expliquer la croyance à un Dieu personnel?
Par une faiblesse du cœur humain, qui considère
Dieu comme un homme, afin de chercher auprès de
lui sympathie et consolation. Hartmann pense décou-
vrir la manifestation de ce besoin dans l'histoire du
christianisme. Quand Dieu est représenté d'après g les
conceptions naïvement anthropomorpbiques du vieux
judaïsme, » l'homme ne s'adresse pas à un intercesseur.
« Plus le théisme chrétien » se développe « au contact
de la philosophie grecque » et purifie son concept de
Dieu, plus apparaît nécessaire à la sensibilité religieuse,
le rôle « d'une personnalité humaine, intermédiaire
entre Dieu et les hommes. Veut-on éliminer le culte
• le la Vierge et des saints? On insistera d'autant plus
sur la personnalité humaine du Christ. » La foi au
Christ va-t-elle s'affaiblissant, et, avec elle, la confiance
dans un intercesseur compatissant? Passe-t-on du chris-
tianisme au théisme? Alors, c'est la notion même de
la divinité que, par un anthropomorphisme inconscient,
l'on rapprochera de la condition humaine. Ibid., p. 235.
.Mais ce besoin d'un Dieu-Homme va lui-même dis-
paraître. Pratiquement, le postulat de la personnalité
divine est lié à celle croyance : que la prière est effi-
cace. Mais on tend de plus en plus à considérer la
prière comme une auto-suggestion d'une puissance
variable suivant les individus, c'est-à-dire à ne lui
attribuer qu'une utilité toute subjective. Par la prière,
l'homme change peut-être ses propres dispositions, mais
non celles de la divinité. « La prière n'est qu'un mono-
logue. » Puisque Dieu ne répond pas, à quoi bon le
considérer, en dépit des raisons philosophiques, comme
un être personnel? Ibid., p. 236.
Nous avons déjà nommé un troisième attribut par
lequel Hartmann désigne le principe du monde. Cet
Etre inconscient et impersonnel est l'Un-Tout. La théo-
dicée de Hartmann pourrait donc s'appeler panthéisme.
Cependant à ce mot, susceptible de faire naître des
malentendus, il préfère celui de monisme. Mais, en
réalité, sa doctrine rejoint celle de Spinoza. « L'Un-
Inconscient est la substance ou le sujet de toutes les
consciences individuelles. » Les individus, comme tels,
ne sont que des phénomènes résultant de certaines
combinaisons et de certains groupements. Ibid., p. 220,
221. Hartmann raisonne comme Spinoza, et déclare
contradictoire la notion de substance dérivée ou dépen-
dante. Leibniz et Herbart ont voulu concilier la mul-
tiplicité des substances et la notion d'être absolu. En
dépit de leurs efforts, ils sont poussés vers une théorie
moniste. Ibid., p. 201, 202. Nous avons conscience.
dira-t-on,de notre individualité. Radicalement distincts
les uns des autres, comment pourrions-nous être iden-
tiques à un même èlre substantiel? Oui, les consciences
sont séparées et même opposées, répond Hartmann.
Mais la sphère de l'être dépasse celle de la conscience.
Dès lors, on peut affirmer que nous ne connaissons pas
par une observation interne et immédiate notre iden-
tité foncière, mais on ne peut aller plus loin et pic-
tendre que cette identité, étant inconsciente, est irréelle.
Ibid., p. 195, 196.
On objectera encore, par une remarque que Hartmann
appelle « une raillerie commode contre la théorie mo-
nistique, » que l'Un-Tout se manifesle en des attributs
contradictoires et qu'il entre en lutte avec lui-même.
D'après le panthéisme, deux loups affamés qui com-
battent entre eux, représentent le même être qui cherche
à se dévorer lui-même. Quelle différence voyez-vous,
reprend Hartmann, entre la lutte de deux passions dans
l'âme d'un homme, et ce combat de deux loups affamés?
Sans doute, le premier conflit se dérobe à l'observation
directe d'un tiers, tandis que le second peut être perçu
par d'autres individus étrangers à la lutte. Mais le
même problème métaphysique se pose dans les deux
cas : Pourquoi, au lieu de s'exercer paisiblement, les
fonctions multiples d'un même être entrent-elles ainsi
en conflit? Dans les deux cas, même réponse : La
conscience suppose précisément distinction et collision,
non pas entre substances ou volontés, mais entre les
divers actes d'une même volonté. Ibid., p. 196-198.
A l'appui de son monisme, Hartmann invoque l'his-
toire de la philosophie et de la religion. « Partout où
nos regards se portent, les philosophies originales et les
systèmes religieux de premier ordre obéissent à une
secrète tendance vers le monisme. » Il faut pourtant
convenir que d'autres doctrines maintiennent la dis-
1277 DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE) 1278
tinction substantielle des êlres et la transcendance de
Dieu. Hartmann ne s'embarrasse pas de l'objection. «Ce
sont les étoiles de seconde et de troisième grandeur
qui se complaisent dans le dualisme, ou même dans
une division plus grande des principes. » Ibid., p. 201.
.Hartmann cite, en particulier, le témoignage de lùint.
Déclarer, comme il l'a fait, que la cbose en soi et le
principe intelligible qui se manifeste dans le moi em-
pirique, pourraient bien être un seul et même prin-
cipe, puisqu'ils ne décèlent à l'analyse pbilosophique
aucune différence, n'est-ce pas s'engager dans la voie
du monisme? Ibid., p. 206.
Reste à expliquer l'apparente multiplicité des êtres.
Qu'on le transpose de la spbère de la substance dans celle
du phénomène, le problème de l'individuation ne solli-
cite pas moins l'attention du philosophe. Hartmann cri-
tique la réponse de Schopenhauer, comme superficielle.
.Mais la sienne on pourrait l'accuser d'être arbitraire.
Schopenhauer considère l'espace et le temps comme
le principium individuationis. Mieux vaudrait dire :
médium individuationis, et chercher plus profondé-
ment le principe constitutif de l'individuation. Finale-
ment, Hartmann en appelle à la volonté de l'inconscient.
N'est-ce pas, cette fois, aller trop loin et passer, d'un
bond, par-dessus la difficulté? Nous attendions une
explication par cause intrinsèque et essentielle; et l'on
nous répond par la causalité efficiente. Il est vrai que
la confusion est inhérente au panthéisme. La cause
créatrice des êtres en est aussi la substance. Si les indi-
vidus sont des effets de la volonté divine, ils en sont
aussi les modes et les phénomènes. Ibid., p. 313-318.
L'inconscient, l'impersonnel, le Dieu immanent, est
pourtant un individu, d'après Hartmann, et même l'in-
dividu par excellence, l'individu complet etabsolu. l'in-
dividu xat' il'j/j,-'- Ibid., p. 192. Il est la substance
même de la matière comme de l'esprit, mais il est
simple. Ibid., p. 200. Il n'a pas de personnalité; mais
sa volonté est toute-puissante. Ibid., p. 297. II est
inconscient; mais nous devons lui reconnaître une
• clairvoyance absolue », une « logique infaillible »,
une " activité qui agit sans cesse en tout lieu ». Ibid.,
p. 341. Incapables de nous former une idée po>i t i \ >■
de la connaissance divine, nous recourons à un tenue
négatif, et nous parlons d'inconscience. Mais ce mot
n'est pas synonyme d'activité aveugle. Il signifie, au
contraire, une « intuition clairvoyante ». Mais le regard
divin ne revient pas sur lui-même, et ne se réfléchit
que dans les êtres individuels. La pensée divine est in-
faillible. « Elle est infiniment supérieure à la marche
défectueuse, toujours bornée à un point dans ses mou-
vements, malgré les échasses dont elle fait usage, qui
est propre à la réflexion discursive. » Inconscience ue
signifie donc pas une zone inférieure à la conscience,
mais un état qui la dépasse. Quand il s'agit de la divi-
nité, intelligence inconsciente veut dire: « intelligence
supra-consciente - Ibid., p. 216, 217. On peut encore
dire que l'Un-Toul possède une conscience transcen-
dante ». Ibi<i.. p. 228. Plus loin, p. 229, Hartmann
parle d'une ■ intuition supra-consciente », d' « idi e
absolue . p 230
3. L'Iru oi Comment l'Incon-
scient produit-il le monde ' Vers quel terme l'achemine-
t-il ? L'Inconscient produit le ne unie par un acte aveugle.
Il l'achemine vei le repos.
Si l'étude expér inlale del univers prouve l'intelli-
gence absolue de Dieu d.nis l'adaptation d. - moyens é la
lin, dm- li constitution des organisme!, dans la propa-
gation -I' elle témoigm aussi que celte In-
telligence, manifeste dam le d. reloppemenl du monde,
production. I. intelligence n • il pas
intervenue dam la résolution il' créi i La volonté qui
i pronom é le / ir d un monde si m. or. al
douloureux, i il une volonté aveugle. Du reste, la (acuité
de produire, en général, appartient à la seule volonté.
Ainsi « aucun rayon de l'intelligence raisonnable »
n'éclaira la création du monde. C'est pourquoi Dieu
n'est pas responsable de cette œuvre mauvaise.
Plutôt que de création, c'est d'une production conti-
nuée ou répétée, qu'il faut parler. « Le monde n'est
que la série continue des combinaisons spéciales qu'ef-
fectue par ses actes la volonté de l'Inconscient. Le
monde n'existe qu'autant qu'il est constamment créé.»
Ibid., p. 212. La sagesse de l'Inconscient intervient pour
tirer du malheur de l'existence le meilleur parti pos-
sible; mais elle ne peut prévenir la production initiale
du inonde.
Elle travaille cependant, par une méthode indirecte,
à l'anéantir- D'elle-même, elle ne peut ni produire, ni
supprimer les actes de la volonté aveugle. Cependant
elle prépare la conversion de la volonté aveugle. Par
l'intermédiaire de la conscience qu'elle suscite, non
seulement dans l'homme, mais dans la plante et peut-
être même dans les atomes de la matière, elle propage
le sentiment de la soullrance, et ménage ainsi l'avène-
ment d'une volonté opposée au vouloir-être. Quand
l'Inconscient cessera de vouloir produire, le monde
cessera aussitôt d'exister. Il ne s'agit donc pas, si l'on
veut collaborer au suicide cosmique qui sera un jour
le terme bienheureux de l'évolution, de pratiquer, mo-
ralement ou littéralement, le suicide individuel. Vivons,
au contraire, pour être les apôtres des intentions de
l'Inconscient, et contribuons, chacun pour notre part, à
répandre cette conviction : que l'existence est mauvaise.
La volonté sincère du repos et du néant ne pourra
surgir que d'une entente commune. De quelle manière
arrivera-t-on à cette unanimité? Endormi dans le néant
de la volonté pure, le désir d'être ne se réveillera-t-il pas
quelque jour'.' Hartmann avoue que ces deux questions
suscitent quelques difficultés. Ibid., p. 246, 567.
Au début, un acte aveugle de la volonté : tel esl le
principe de sa cosmogonie. Au terme, le désir efficace
d'un repos inconscient, et l'annihilation du monde : tel
est le dernier mot de son eschatologie.
i. L'avenir et la place du système. — Hartmann se
donne comme un disciple indépendant de Schopenhauer,
el comme le meilleur défenseur des parties viable- du
théisme classique,
Une même arreur entraine Schopenhauer à pro-
clamer que ce monde est le pire de tous les mondes
possibles et que Dieu en est l'auteur responsable. Une
chose est vrai . si que e l'existence de ce monde est
pire que sa non-existence. » Ibid., p. 351. Mais dam
l'évolution de ce inonde, une fois donné, l'Inconscient
déploie une sagesse parfaite et infaillible. Aussi faudrait-
il plutôt déclarer qu'il est le meilleur des mondes pos-
sibles. •• Nous pouvons nous abandonner avec une lé-
gitime confiance à la pensée que le monde est disposé
et gouverné avec toute la sagesse et la convenance pos-
sibles; que si, parmi tous les possibles qu'einl II
l'omniscience de la pensée inconsciente, la possibilité
d'un monde meilleur s'était rencontrée, certainement
ce monde meilleur aurai) été réalisé i la place du monde
actuel, i llnii.. p. 341, 342. Mais celte doctrine n'im-
plique pas, comme le pensait Leibniz, que l'univers
esl bon. Il i si le meilleur possible, mais il esl Lrèi
mauvais. Bref, l'optimisme etle pessimisme de Hartmann
s'exprimeraient bien par cette me formule que ce
monde, voué' au mal par essence i I -t le
moins mauvais possible. Ibid . p 343 349.
Hartmann se tourne vers les théisl ,el il commence
p. ir le- paroles conciliantes, i Entre un théis Intelli
,.• ni et la philosophie de l'inconscient on ne laurail
trouver une différence sérieuse de principes Ibid.,
p. 237, l.n réalité, a de paix al de
I l'abdication qu'il leur propose, i La phi-
losophie de l'Inconscient e du théisme. •
1279
DIEU (SA NATURE D'APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE
1280
Ibid. Pressé de plus en plus par le naturalisme athée,
le théisme ne peut que se rallier à la philosophie mo-
nisle de l'Inconscient, llml., p. 242, 243.
Ce terme d'Inconscient est-il définitif? Peut-être la
philosophiede l'avenir leremplacera-t-ellc par un autre,
de signification positive. Quand tout le inonde conviendra
que l'Absolu est inconscient, on estimera peut-être
plus instructif de lui substituer une autre appellation
« que suggérera le progrès historique de la philoso-
phie. •> Ibid., p. 246, 21-7.
Wundt, né en 1832. D'après M. Hôffding, la philoso-
phie de Wundt « peut être donnée comme le type de
la pensée de notre époque. » On voudrait donc pouvoir
définir nettement sa notion de la divinité. Or, d'après
Hôffding, le Dieu de Wundt se conçoit comme « une
volonté globale infinie », ce qui rappelle, sans les pré-
ciser, les doctrines volontaristes. Wundt avait pourtant
rêvé et promis autre chose. Non seulement il mettait
de côté, sous le nom d'idées cosmologiques, les théories
matérialistes de l'univers; mais il prétendait même
écarter, comme insuffisantes, les analogies que nous
fournit l'étude de l'âme, pour définir le premier prin-
cipe en fonction de pures idées ontologiques. On voit
qu'il s'en tient à une donnée psychologique : la volonté,
et qu'il n'en tire pas les ressources que l'argumenta-
tion par analogie pourrait y découvrir. Hôffding,
op. cit., t. il, p. 26-29.
Il serait difficile d'insérer logiquement dans une
théodicée aussi indéterminée la doctrine de la provi-
dence. Voici comment Wundt s'eflorce de l'y intro-
duire. Estimant que l'idéal prend un caractère reli-
gieux, dans la mesure où il dépasse l'effort humain, il
distingue par cette transcendance la religion et la mo-
rale; et, tout naturellement, il conclut qu'une religion
est d'autant plus religieuse qu'elle s'élève au-dessus de
la religion dite naturelle. Aussi le vrai Dieu est-il celui
« qui fait des miracles ». Ibid., p. 35.
5° Fidéisme et pragmatisme. — William Hamilton
(1788-1856) propose une notion de Dieu qui est, tout à
la fois, bien que les termes semblent s'exclure, com-
préhensive, psychologique et agnostique.
Elle est compréhensive, c'est-à-dire qu'elle englobe
et les attributs métaphysiques et les attributs moraux
Il ne suffit pas, pour définir la divinité, de parler de
cause première, ni même de toute-pui^ance. « L'athée,
qui considère la matière et le déterminisme comme le
principe original de tout ce qui existe, ne convertit
pas sa force aveugle en un Dieu, par le seul fait d'affir-
mer qu'elle est toute-puissante. » Lectures on Meta-
phtjsics and Logic, édit. H. L. Mansel et John Veitch,
Edimbourg et Londres, 1877, t. I, p. 26, 27. A l'idée de
cause première et souverainement puissante il faut
ajouter les « deux grands attributs d'intelligence et de
vertu, en observant que vertu implique liberté. » Du
reste, l'intelligence et la vertu ne définissent pas par
elles seules la divinité. « Un créateur intelligent,
bon et puissant, ne serait pas Dieu, s'il dépendait
d'un principe plus élevé. »
La notion de Dieu, dans la philosophie de Hamilton
est psychologique, c'est-à-dire qu'elle suppose la con-
naissance de l'âme et l'adhésion au spiritualisme. La
nature cache Dieu, l'homme le révèle. Cette idée de
Hamilton a fait fortune avec Newman- « Les phéno-
mènes matériels pris en eux -mêmes, loin de garantir
l'existence de Dieu, fourniraient plutôt un argument
pour la nier. » Ibid., p. 25, 26. D'autre part, si l'on
admet dans l'homme une intelligence qui domine le
déterminisme de la matière, un sujet spirituel d'actes
immatériels, on est conduit par l'analogie à reconnaître
dans l'univers une intelligence suprême. Ibid., p. 30,
31. Si l'on convient qu'il existe un monde moral et une
règle du bien et du mal, on doit proclamer l'existence
d'un législateur souverain. Ibid., p. 32. Pour confirmer
la supériorité religieuse de la psychologie sur la cosmo-
logie, Hamilton invoque surtout l'autorité de trois philo-
sophes : Platon. Kant et Jacobi. Ibid., p. 35.
En troisième lieu, nous appelons agnostique la
théodicée de Hamilton. Mais il faut préciser ce terme
général. L'idée du philosophe chrétien est moins de*
nous dérober la connaissance de Dieu que de le sous-
traire à toute discussion. Son agnosticisme n'est pas
une étape vers l'athéisme, mais un préambule à la foi.
Dieu est incompréhensible, inconcevable, parce que,
étant le Premier Principe, il est rincondilionn>', et
qu'une telle notion défie l'intelligence. On retrouve
ici la méthode apologétique de Raymond Sebond,
Montaigne, Essais, I. Il, c. il, et de Pascal, l'ei^
édit. Havet, 1880, a. 8, n. 1; a. 10, n. 1; a. 2i,
n. 97. Mansel et Newman reprendront celte argumen-
tation contre le rationalisme incrédule. De Montaigne
à Newman, elle se modifie. Si elle se présente dans
les Essais avec une allure et une audace qui ne rap-
pellent pas, de prime abord, les graves paroles de saint
Paul ou de saint Augustin sur les mystères insondables
de la divinité, au moins est-elle empreinte, chez Hamil-
ton, d'un sérieux qui prouve à la fois et le philosophe
et l'homme religieux.
Car Hamilton entend bien conclure à la croyance en
Dieu, puisque aussi bien, nous venons de le dire, il
parle d'une détermination psychologique de Dieu, ou
rentrent les attributs métaphysiques et les attributs mo-
raux. Mais précisément, il entend que cette détermi-
nation, œuvre delà croyance, et d'une croyance justifiée,
ne soit pas l'œuvre d'une pseudo-intuition de Dieu
dans les idées d'infini et d'absolu. Contre Cousin, il
établit que nous n'avons aucune intuition de l'infini et
de l'absolu. C'est ce qu'avait déjà établi Kant. M : i i -~
Kant ne semble pas s'être douté que nous n'avons pas
même l'idée de l'infini et de l'absolu; c'est pourquoi
ses disciples, Hegel, Schelling et Fichte, ont immédia-
tement après lui rétabli des philosophies de l'infini et
de l'absolu. Il importe donc de parfaire sur ce point
l'œuvre de Kant, et de montrer que l'infini et l'absolu
n'ont en nous aucun contenu objectif, qu'ils sont im-
pensables, ou plutôt ne sont pensables que négative-
ment. C'est ce qu'entend faire la critique de Hamilton,
en établissant que l'infini et l'absolu ne sont que des
« faisceaux de négations », et ne peuvent être autre
chose, puisque penser c'est conditionner, et qu'il y a
contradiction dans les termes à conditionner l'incondi-
tionné. Or l'infini et l'absolu sont deux inconditionnés;
l'infini étant Pinconditionnellement illimité, et l'absolu
l'inconditionnellement limité.
Le dernier mot de notre connaissance positive de
Dieu comme infini et absolu est donc l'erudita igno-
rantia. Hamilton s'approprie le mot de saint Augustin :
Cognoscendo ignoratur, ignorando cognoscilur.
Mais, si l'inconditionné est impensable, son affirma-
tion est inévitable. Parce que, de par le principe du
tiers exclu, il faut opter entre son existence et sa non-
existence. Or, il nous faut opter pour son existence, du
fait que précisément nous ne pouvons penser que le
conditionné, et que le conditionné ne se suffit pas. Les
limites mêmes de notre intelligence nous sont une
raison de penser qu'elle n'atteint pas toute existence,
et que « le domaine de notre connaissance n'est pas
coextensif à l'horizon de notre foi. Révélation admirable
qui, par la conscience exacte de notre impuissance à
concevoir autre chose que le fini et le relatif, nous
invite à croire à l'existence d'un inconditionné par delà
la sphère des existences incompréhensibles, u Hamil-
ton, Discussions, etc., Londres, 1866, p. 15. Cf. Veitch,
Ham illon, Londres. 1882; Mansel. The Philosophy of
the Conditionned, Londres, 1860.
i" argument : l'esprit humain ne peut concilier
lidée d'absolu et d'infini, c'est-à-dire d'un être di
Ce
Non-circu/atlne item